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REVUE
DES
ÉTUDES JUIVES
VERSAILLES — IMPRIMERIES CERF, 59, RUE DUPLESSIS
*?* REVUE
DES
ÉTUDES JUIVES
PUBLICATION TRIMESTRIELLE
DE LA SOCIÉTÉ DES ÉTUDES JUIVES
TOME QUARANTE-TROISIÈME
PARIS
A LA LIBRAIRIE A. DURLACHER
83bis, RUE LAFAYETTK „ *U LJ^
1901
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MÉLANGES JUDÉO-ARABES1
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'Abd al-Sayyid al-Isra'ili.
*Abd al-Sayyid al-Isrâ'ili était un contemporain, plus jeune, de
Sa'îd b. Hasan d'Alexandrie, dont la conversion à l'Islamisme et
la lutte contre son ancienne croyance a fait l'objet d'une étude
dans cette Revue 2. Il était médecin au Caire. Sur sa personne et
l'histoire de sa conversion à l'Islamisme nous avons le récit, écrit
environ un siècle après Tévénement, du théologien et historien
Ahmed ibn Hadjar al-Askalâni (1371-1448), dans son Histoire des
hommes éminents du VIII6 siècle de Vhêgire 3.
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1 Les caractères arabes employés dans cet article viennent de l'Imprimerie nationale.
2 Revue, XXX, p. 1 et suiv.
5 Ms. de la bibliothèque impériale à Vienne, Mixt., u° 245 II, fol. U)l b,
* Ms. *jl.«n*j.
5 Ms. sans le waw de conjonction.
T. XL1II, n° 85. 1
2 REVUE DES ETUDES JUIVES
« 'Âbd al-Sayyid b. Ishâhb. Yahyâ l'Israélite, le médecin distingué
(appelé) Bahâ al-dîn b. al-Mouliaddïb.
» Il fut dayyân des Juifs et aima les Musulmans et avait l'habitude
d'assister aux conférences sur les traditions ; il assista, entre autres,
à celles d'Al-Mizzî l. Puis Allah le dirigea sur le chemin véritable
et il embrassa l'Islamisme. Il étudia le Goran et fréquenta la so-
ciété des ulémas ; il fut très habile dans l'art médical et dans
l'ophtalmologie. Ibn Kathîr2 dit : « Sa conversion eut lieu un mardi
dans le mois Du-1-higga de l'année 701 (— juillet 1302). Il parut
avec ses enfants dans le palais de justice3, et tous ils embrassèrent
l'Islam. Là-dessus ils reçurent de grands honneurs, s'étant sponta-
nément convertis en vue de la consolidation de l'Islam. Le soir de
ce jour il organisa chez lui une Hatmah ' et un grand banquel,
auquel les càdis et les ulémas prirent part. A soa instigation, un
grand nombre de ses proches passèrent à la religion de Mahomet.
Lors de la lète du sacrifice ils sortirent tous (sur le lieu de prière à
ciel ouvert), poussant avec les Musulmans l'exclamation des Allâkou
aJtbar usitée en cette fête. Les gens en furent très heureux et leur
rendirent beaucoup d'honneurs. Il mourut au mois Djoumâda II de
Tannée 7 1 5 (= septembre 4315). »
#*#
Bans les récits des conversions des Juifs et des Chrétiens à l'Is-
lam, Tune des circonstances les plus fréquentes, c'est la présence
à l'enterrement de quelque mahométan particulièrement pieux.
Tout à fait fabuleux est le nombre des individus qu'on dit s'être
convertis lors de l'inhumation de l'Imâm Ahmed ibn Hanbal 5. On
attribue le même effet à l'enterrement d'autres personnages im-
portants. La cause de ce changement de sentiments est la vue
de la multitude des assistants et l'expression de leur douleur.
Voici ce que nous rapporte un témoin oculaire sur l'enterre-
ment du grand savant hanbîlite Mouhammed b. Ahmed al-Schi-
râzî, nommé Aboû Mançoûr al-IIayyât (à Bag.Jad 499/1105) G :
1 11 s'agit du célèbre docteur Yùsuf b. al-Zakî abu-l-Haddjâdj al-Mizzî (né en
654/1256, mort en 742/1341).
2 Historien (701/1301-774/1373) ; voir Brockelinann, Gcsch. der aval. Litterat'.'.r,
II, p. 49. Ibn Kathîr fut aussi le disciple de Mizzî ; il eut donc facilement l'occasion
d obteuir dans ce cercle des renseignements sur le converti Bahâ al-din.
3 Dâr al-'adl\ tel était le nom du siège du mufti au Caire à cette époque; voir
Quatremère, Uist. des Svltans Mamlouhs de VEr/ypte, I, n, p. 213. Cf. Mufti dâr
al-'adl, Khaiil al-Dàhiri, éd. Ravaisse (Paris, 1894), p. Ho, 14.
* Récitation du Coran du commencement à la fin;
5 Patton, Ahmed b. Hanbal and the Mihna (Leyde, 1897), p. 172.
6 Dans Ibn Rédjeb, Tabakât al-Hanâbila (ms. de la bibliothèque de l'université
de Leipzig, D. C, n9 375, fol. 22 a).
MÉLANGES JUDÉO-AHABES
« J'assistai à l'inhumation de 1'excelleDi Cheich Aboû Mançoùr b.
Yoûsouf et d'Aboû Temâm b. Abi Moûsâ; or, jamais on ne vit tel
concours de monde qu'aux obsèques d'Aboû Mançour [al-Hayyât'J.
(En cette circonstance) un Juif vint à notre rencontre. Lorsqu'il vit
ce concours et cette multitude de peuple, il s'écria : « J'atteste que
cette religion est la vérité! » et il passa à l'Islam aussitôt. »
II
Al-Harizi.
Le nom de Harizî est-il le véritable nom de famille du traduc-
teur et imitateur juif de Harîrî, le poète arabe des Makames, ou ce
nom n'est-il qu'une épithète littéraire ? Cette question a souvent
fait l'objet de dissertations. M. Moïse Schwab vient de rassembler
tous les matériaux relatifs à ce sujet '.
Ce qui contribuera à éclaircir la question, c'est que al-Harîzi
est un nom de famille qui se rencontre fréquemment dans l'Orient
musulman2. Celui qui écrit ces lignes connut en 1896 à Edfu
(Haute-Egypte) un jeune docteur du Coran du nom de Hâmid
Mouhamed 'Abdallah al-Harîzî, mouderris à la mosquée de l'en-
droit. C'est lui qui lui fournit quelques informations sur les anti-
quités mahométanes delà ville célèbre pour son temple de Horus3.
Le nom de Harîzî se retrouve aussi en Espagne. Comme exemple,
je citerai un célèbre styliste Aboû Merwân 'Abd al-Malik b. Idris,
qui était connu sous le nom de Ibn al-Harîzi 4.
Ce nom de famille fait supposer que, dans la suite des généra-
tions qui le portaient, il y eut un individu appelé Harîz, auquel les
descendants rattachaient leur nisba. Assurément ce nom n'est
pas un de ces noms arabes que nous trouvons dans l'onomastique
1 Journal asiatique, 1901, I, p. 163..
2 Cf. Tâdj al^aroûs, s. *., IV, p. 25.
3 Voir mon article dans le Glohus, LXXI (1897), p. 238.
'* Al-Dabbi (Bibl. hisp. arab.), éd. Codera, p. 149.
4 REVUE DES ETUDES JUIVES
des Juifs orientaux. Néanmois il n'est pas improbable que quelque
ancêtre de l'auteur de Tahkemôni se le vit attribuer et qu'il de-
vint ensuite la nisba de ses descendants. Nous estimons donc que
le nom de \rnrrbN doit être comparé à celui de ^.A, qui est
originaire d'Espagne.
III
Controverse halachique entre Mahométans
et Juifs. — rvnn pan.
Au cours des rapports halachiques entre Mahométans et Juifs il
y a eu, de très bonne heure, des occasions et des sujets de polé-
mique. Déjà dans la vieille littérature des traditions, on reproche
à plusieurs reprises aux docteurs juifs de permettre de vendre les
parties grasses de l'animal qu'il leur est défendu de manger,
tandis que certains objets (par exemple le vin), que la loi maho-
métane interdit, sont en même temps asour be-/ianâ'âl et ne
sauraient être vendus. « Dieu fasse périr les Juifs — ainsi parle le
prophète ! — Ils rendent liquides et vendent des parties grasses
qu'il leur est défendu (de consommer) 2. »
Les Juifs se défendaient d'une pareille attitude ; c'est ce qui res-
sort d'une controverse sur cet objet entre théologiens juifs et théo-
logiens musulmans, controverse examinée par le càdi andalou
'Iyâd (mort en 1149) 3. « Quelques Juifs et hérétiques ont objecté
contre nous ce qui suit : Si vous posez le principe que toute
jouissance de choses interdites est défendue, comment justifiez-
vous qu'un fils qui a hérité de son père une esclave avec laquelle
celui-ci a eu commerce, puisse vendre une pareille esclave et bé-
néficier du prix de vente, attendu que cette esclave est pour lui
hardm 4 ? »
Le subtil câdi n'a pas eu de peine à réfuter cette objection
comme étant un sophisme (tamwih); mais les arguments qu'il a pu
faire valoir n'intéressent pas le lecteur.
1 Cf. sur des questions semblables entre Caraïles et Rabbanites, Kouzarî, III, ch.
xlix (éd. Ilirscbfeld, p. 198-199 en haut).
2 Bouchârî, Kitâb al-bouyoù\ n» 103 : -j.-^&Jl *_4_ïs._À_.c c*-«^ ^j-fc-" ^ J*-^3
3 Ce célèbre théologien mahométan, contemporain du père de Maïmonide, remplit
les fonctions de câdi dans sa ville natale de Cordoue, puis à Grenade et au Maroc;
voir Brockelmann, Gesch. d. arab. Lilteralur, 1, p. 369.
4 Dans Nawawî Commentaire sur Mouslim, IV, p. 50.
MELANGES JUDEO-AHAHES 5
On voit que le pilpoul occupe une belle place dans la littérature
religieuse de l'Islam et que Juifs et Musulmans dans leurs rapports
l'exerçaient à l'envi.
Nous avons montré autrefois que la loi islamique a fait plus
d'un emprunt à la halacha rabbinique ». Nous en citerons un nou-
vel exemple à propos de *-n:fi pas « la poussière de l'usure ».
C'est là une expression qui, parla voie juive, s'est introduite dans
les documents juridiques de l'Islam.
Dans les sounan eschatologiques d'Àboû Dâwoûd nous trou-
vons la parole suivante du Prophète : « Il viendra un temps où il
n'y aura personne qui ne se nourrisse de gains usuraires ; et s'il
ne s'en nourrit pas précisément, quelque chose de sa fumée
(doitehân) l'atteindra toujours. » Là-dessus il existe la variante
suivante : « quelque chose de sa poussière {min gfioubârihi) l'at-
teindra2 ». C'est avec cette variante, qui représente le texte véri-
ritabîe, que la parole est reproduite dans les citations posté-
rieures. Aboû Tâlib al-Mekki (mort en 996 de l'ère chrét.), auteur
d'un ouvrage mystico-éthique, «Aliment des cœurs3 », explique
l'expression « poussière d'usure » dans le sens suivant : « L'usure
pénètre chez lui subrepticement, sans qu'il la pratique d'une fa-
çon positive et voulue, tout comme la poussière s'insinue dans
les narines du passant. L'usure sera si généralement répandue,
que personne ne pourra se préserver de son effet4. » On voit
comme les commentateurs s'ingénient à interpréter la métaphore
incomprise, depuis qu'on avait oublié sa véritable origine. Il n'y
a aucun doute que l'arabe ghoubâr aî-ribâ ne soit une traduc-
tion du rabbinique ma*! pas, en opposition avec Laijn al-ribâ 3,
c'est-à-dire usure réelle, non équivoque. Les Mahométans avaient,
dans des temps plus anciens, connu le vrai sens de l'expression,
témoin al-Nasâ'î, qui a recueilli l'expression (mais seulement avec
la leçon ghoubâr) dans son livre et y a laissé une place dans son
chapitre sur « le moyen et le devoir d'éviter les pratiques com-
merciales douteuses6 ». Cela montre dans quel sens il entend la
v poussière de l'usure ».
• Revue, XXVIII, p. 78.
» Ed. du Caire, 1280, II, p. 54. JL5l i\ *X*Jp(£*s ^ u1*; O"1^ cM &Ât*
IkLâ ij* *>Usl ^v*^-c ^?! JU /S) Lsr ^ xAol *OL yù (jU l-Jj-M.
» Mouhâdarât al-oudabâ, I, p. 289; <Ikd', I, p. 328.
* Koût al-Kou7oûb, II, p. 286.
5 Môuslim, IV, p. 57.
6 Sovnan al-Nasâ'î (éd. du Caire, 1312), II, p. 212.
6 REVUE DES ETUDES JUIVES
IV
Caraites et Zahirites.
A l'indication que nous venons de donner, de l'influence ju-
daïque sur la théologie de l'Islam, nous joindrons la correction
d'une conception erronée et qui s'est récemment produite dans
cet ordre d'études. Dès 1872, on avait signalé à plusieurs reprises
la polémique dirigée par le Mahométan andalou Ibn Hazm contre
les écrits religieux du judaïsme. Récemment, M. Hartwig Hirsch-
feld s'est de nouveau occupé de cette littérature polémique !.
En passant, il touche aussi à la position zâhiritique d'Ibn Hazm
dans la théologie islamique. « Gomme on le conçoit facilement, dit
M. IL, il existe une certaine analogie entre le mouvement zahirite
et les tendances des Garaïtes2. » Or cela n'est pas si facile que
cela à comprendre, attendu qu'on ne trouverait pas aisément d'op-
position plus marquée que celle qui existe entre les principes de
ces deux écoles. Les Zahirites partent de cette idée que, dans la
déduction de la Loi, tous les éléments spéculatifs sont exclus a
priori. Ce principe constitue sa différence spécifique en face des
autres écoles. Rien ne lui répugne comme le hiyâs (l'analogie), la
poursuite de la ratio legis ((illa) et l'emploi de moyens spécula-
tifs en matière de théologie. La science religieuse des Garaïtes, au
contraire, use, dès l'abord, du rapïi et d'autres méthodes spécula-
tives. Gomme on le sait, ils ont admis de très bonne heure les
Treize middol de R. Ismaël. Ils ne reculent pas devant Vopinio,
que la théologie mahométane appelle ra'y et qu'ils traduisent par
îth. A l'instar des écoles de Ra'y, combattus par les Zahîrites,
leur déduction de la Loi se fonde sur ce qui est écrit, sur Yana-
logie et le consensus [= idfmâ^yyyp ou rns 3). Al-Kirkisânî com-
mence son Livre des lumières par un chapitre « sur la nécessité
de la recherche et de la spéculation et de la détermination de
l'argument rationnel et analogique* ». C'est seulement contre
1 Mohammedan cnticism of the Bible, J. Q. R., XIII, p. 222-240.
» L. c, p. 225, 5.
3 Par exemple, Sahl b. Mazliah, dans Eschkol, n° 168, et surtout Schreiner,
Studien iiber Jeschu'a ben Jehuda (Berlin, 1900), p. 69 et suiv. — Menahem Gizni
dans Likkoute Kadmonijjoth, notes, p. 51, en bas, dit : "irn^ "Tirn ^"'CJH b^W
mttïm iapnn n*«ttyai manprt iipria tawn '"on c^an ta^sa
rrvpm ^d by mbiritt.
4 Poznonski, Steinschneider-Festschrift , p. 196, 19.
MELANGES JUDEO-ARABES 7
l'exagération de l'analogie, l'emploi de 1' « analogie du second
degré ' », comme elle apparaît, par exemple dans les lois matri-
moniales des partisans de la théorie du 313^ que proteste le ca-
raïsme orthodoxe. Mais leur méthodologie pose la justification,
et même la nécessité des raisonnements analogiques. Or, ce point
de vue diffère toto cœlo de celui des Zâhirites ; il est donc impos-
sible de parler d'une parenté ou seulement d'une ressemblance
entre ces deux écoles.
C'est précisément en cela que consiste le reproche que Juda ha-
Lévi ne se lasse pas de répéter dans sa polémique contre les Ca-
raïtes -. Il leur en veut, parce qu'en face de la stabilité d'une tra-
dition intangible, comme elle se présente dans le rabbinisme, ils
se permettent une trop libre mbin^ïi (idjtihâd) et une trop
grande spéculation indépendante. De leur emploi immodéré du
Kiyâs il dérive la multiplicité divergente de leurs doctrines et le
manque d'unité de leurs pratiques religieuses ; le même reproche
leur a été adressé de la part des Rabbanites à diverses époques \
Donc il n'y a pas eu d'influence exercée sur le mouvement
zâhirite par les tendances caraïtes ; il faut en écarter jusqu'à
l'hypothèse.
A ce propos, nous signalerons une petite correction de texte 4
dans l'étude de M. Hirschfeld. Parmi les expressions anthropomor-
phiques de la Bible, on cite, p. 240, 1 : dU^w £Jî £^ ; M. II.,
p. 231, note 3, tient cela pour une méprise de yor&^pvh "»n« ïto*
(Ps., cix, 21). Mais il faut corriger en J.x** 21 £*=>\ et y v°ir la
traduction de ■pt» ^ba ïittfr.
V
Le juge corruptible.
De nombreux traits mentionnés dans la littérature mahométane
témoignent du peu d'estime que le peuple professait pour la ma-
1 Lihk. Kadm., ibid., p. 147 : O^pbN ^*J OfcOpbN.
2 Kouzarî, lll, ch. xxm el suiv. (éd. U. Hirschfeld, p. 177 et suiv.).
* Consultations du T'aYl, n<> 774, sur les Caraïtes : ÛSmin *p UN Itm HDP
»£733 mw irfito n» ûTnam aab m»a «ïto n?: OTOBin mTna
'•\z"\ narra rtiz aman msaa ©ne» inwN ba.
* P. 235, avant-dernière ligoe y>V^> ns- t»!**^ î 236> 8» &£tf » Iis- «SjJUI
« invention mensongère » ; 237, 16, <ju3, lis. j-^c = i-Ti* : 239, G, Uâ^jj , lis.
Ldyû.35; îM., 1. 15, c^jj_5, lis. Jj-V
8 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
gistrature. Aux nombreuses paroles des textes de la tradition reli-
gieuse qui indiquent de la méfiance à l'égard des magistrats de
carrière correspondent des sentiments semblables dans les livres
purement littéraires ainsi que dans la littérature populaire. In-
nombrables sont les pochades dont les juges font les frais *. Leur
bêtise et leur corruption fournissent un thème continuel. Aussi
proverbiale que la sottise du câdi de Djoubbal est l'injustice du
câdi de Sadoûm (Sodome) -. Cette ville de Sodome, souvenir de
la Bible, dans ce cas comme dans d'autres, est transportée, pour
des raisons tendancieuses, en d'autres régions que celle qui lui est
assignée par la géographie biblique 3.
Dès lors on comprend que les Mahométans pieux cherchent vo-
lontiers les juges iniques et corrompus dans l'entourage qui pour
eux est le comble de l'impiété, à savoir dans l'entourage des
Omiades et particulièrement du détesté Haddjâdj b. Yoùsouf. Ce
gouverneur tout-puissant avait placé al-Moughîra b. 'Abdallah
de la tribu de Thakîf comme juge àKoufa. Les pieux Mahométans
racontaient qu'un jour deux personnes portèrent leur litige devant
Moughîra. L'une d'elles, qui connaissait son juge, lui. fit cadeau
d'un lampadaire de cuivre fin4. Mais, de son côté, l'autre plai-
gnant, voulant gagner le juge, lui envoya un mulet. Lors des
débats de l'affaire, le juge sembla pencher en faveur du plaignant
au mulet. Alors l'autre s'avisa de rappeler au juge son cadeau et
il y fit allusion par ces mots : « Ma cause est pourtant plus lumi-
neuse qu'une lampe ». Gomme il répétait cette phrase trop sou-
vent, le juge finit par dire : « Malheur à toi ; le mulet a heurté
le lampadaire et l'a brisé (dans l'autre version : « a éteint sa
lumière 3 »).
C'est, comme tout le monde sait, une anecdote racontée par les
rabbins dans le Talmud, Sabbat, 116 &, et la Pesikta di R. Ka-
liana (éd. Buber), 122fr G, et qui a été appliquée au juge injuste de
Hadjâdj.
1 Très caractéristique est l'histoire du câdi Chalîdjî à Bagdad au temps du calife
Amîn, Affhânî, X, p. 123.
2 Les proverbes dans al-Meidàni, I, p. 168.
3 Voir mes notes dans Ausland, 1884, p. 329. Le lieu de la catastrophe de Sodome
et de Gomorrhe est porté au nord de la Svrie. Kazwînî, Cosmographie, éd. Wues-
tenfelrl, II, p. 93, 10, confond la Mer Morte avec le lac de Tibériade.
4 Dans l'une des versions sirâdj (comme Sabb., fc^Ttl)) ; dans l'autre manâra
(comme dans j. Yoma, ÏVVù'ti)*
s Ibn Kcuteyba, lOuyoûn al-ackbâr, éd. Brockelmann (Leyde, 1901), I, p. 72; aï-
Râffhib al-lsfahûnî, Mouhâdarât al-oudabâ (le Caire, 1287), I, p. 125.
6 Sur des passages parallèles au proverbe dérivé de pareils récits, voir Kohut,
Aruch completum, s. v. gp, 8, IV, p. 287 £, en bas.
MELANGES JUDEO-ARABES 9
VI
L'ANE ET l/ÉCMELLE,
Les po^t-scriptum des mss. hébreux renfement très souvent le
vœu du copiste1 « qu'il ne lui arrive point de tort, depuis aujour-
d'hui jusqu'à l'éternité, tant que l'âne ne pourra grimper sur une
échelle (dViw Tftjfiïi ïib^ii) w) ». Quelquefois il y a en plus
« (l'échelle) dont rêva notre patriache Jacob 2 «.Pour cette ex-
pression, Zunz a trouvé un point de contact dans l'Agada 3.
Elle sera beaucoup plus claire encore, quand nous aurons re-
marqué qu'en Mésopotamie le fait pour un âne de gravir les
échelons d'une échelle est une métaphore désignant une chose im-
possible, même à la suite des plus grands efforts. A. Socin signale
le proverbe suivant qui avait cours en Mésopotamie : « A Alep
l'âne peut grimper sur l'échelle. Voici l'âne et voilà l'échelle4 »,
c'est-à-dire on rapporte des habitants d'Alep bien des choses
merveilleuses et incroyables.
Parmi les constructions étonnantes qu'éleva à Bagdad le calife
al-Mouktafi (commencement du xc siècle), il y avait une tour dé-
nommée Koii'bbat al-himâr (coupole de l'âne), parce que la spirale
y conduisant était très facile à gravir : même un âne habitué à la
plaine aurait pu y monter (ce qui d'ordinaire passait pour une
chose impossible 5).
Au même groupe appartient une autre expression dont je dirai
un mot. Le poète de makames Badî' al-Zamân al-IIamadânî dit
une fois : « Si moi et toi nous vivons encore longtemps, je verrai
peut-être encore l'ânesse (attelée devant le moulin) chevaucher
sur le dos du meunier (in Hschnâ wa-Hschta — riïeytoii al-atân
— yarhab al-tahhânG).
1 Par exemple Lltteraturblatt des Orients, 1846, p. 44; Perreau, Catalogo dei Co-
dici ebraici délia Bibl. di Parma non descritti dal de Mossi, p. 161. 11 y a beaucoup
d'indications dans Hebr. Bibliogr., XIII. p. 88 ; dans A. Epstein, Die Wormser
Minhagbiicher ( Kaufmann-Gedenkbuch, p. 3, du tirage à part). — Cf. Steînschneider,
Vorlesungen iïber die Kunde hebr. Handsc.hr if ten (Leipzig, 1897], p. 48.
* Par exemple, dans Sam. Kohn, Die h»br. Handschr. des ungarischen National-
museîims zu Budapest, n° VI (tirage à part de Magazin f. die Wissensch. d. Juden-
thums, 1877).
3 Zur Geschichle und Literatur, I, p, 207.
* Z.D.M.G., XXXVII, (1883), p. 203, note 631.
5 Guy Le Strange, Bagdad dvring the Abbasid Caliphate (Oxford, 1900), p. 254.
6 Cité dans Ma'âhid al-tançîç fî scharh schawàhîd al-Talchîç (Le Caire, 1316),
II, p. 37.
10 REVUE DES ETUDES JUIVES
YII
L'invitation aux affamés avant le repas.
Parmi les pieuses habitudes de R. Houna on signale celle-ci.
Avant de se mettre à table, il ouvrait régulièrement la porte de
sa chambre, s'écriant : Vo^rn wb ^n^n 1&w bs « que tout indi-
gent entre prendre sa part du repas ' ». Cette formule est entrée
dans la liturgie des premiers soirs de Pâque2. Bien que cette cou-
tume de R. Houna soit mentionnée à titre de vertu individuelle,
au sujet de laquelle Râbhâ remarque qu'il serait difficile de l'imi-
ter à Mahouza, elle me paraît néanmoins être une coutume ré-
pandue dans le monde oriental. Schaw raconte, dans l'introduc-
tion de ses Voyages 3 : « Aussitôt que notre repas était prêt, l'un
des Arabes qui étaient avec nous montait dans le lieu le plus
élevé qu'il pouvait trouver, et là il invitait par trois fois à haute
voix tous ses frères, les « Enfants des Fidèles », à venir manger
avec nous, quoiqu'il n'y eût peut-être âme vivante, du moins de
sa religion à cent milles autour de nous. Les Arabes observent
constamment cette coutume, pour marquer, disent-ils, leur charité
et leur hospitalité, toutes les fois qu'ils en ont occasion. »
C'est là effectivement une ancienne coutume arabe et qui n'est
pas en usage seulement chez les Bédouins. On raconte qu'un
des compagnons et porte-fanion de Mahomet, célèbre pour sa
générosité, Sald b. 'Oubàda, de la tribu d'Ansâr, exerçait cette
coutume. Il avait hérité de ses ancêtres païens l'habitude de
gravir avant ses repas les tours de sa localité, et il s'écriait :
« Quiconque aime la graisse et la viande vienne dans les de-
meures de Doulaïm b. Hâritha (ainsi s'appelait son grand-père4). »
VTIT
Notes sur les Juifs dans les poésies arabes de l'époque
ancienne de l'islam.
1. Les poètes arabes des premiers temps de l'Islam mentionnent
souvent le Juif en qualité de commerçant : il apporte des étoffes
1 Taanit, 20 b.
2 Cf. Reif'roann, JY»K, II, p, G 2.
3 Voyages, trad. tranç. (La Haye. 1743), préface de l'auteur, p. x.
4 O. Loth, Das Classenbuch des Ibn Sa'd (Leipzig, 1860), p. 71.
MELANGES JUDÉO-AHAUES 11
aux habitants du désert. Al-Houteya, poète de la fin du paganisme
arabe et du commencement de l'époque islamique, dit d'une
prairie émaillée de mille couleurs : « Comme si les Juifs y avaient
étendu leurs étoffes de soie, leurs écharpes chatoyantes ' ». Ils ne
pratiquaient pas ce métier seulement dans le désert, mais aussi
dans les villes arabes. Nous en avons une preuve dans une his-
toire d'Aïscha, conservée parmi les traditions de Tirmidi. Le Pro-
phète était revêtu de deux hab.ts grossiers en étoffe de Katar
(localité de TOmân) ; ce vêtement lui parut fort incommode, car il
était très lourd et le mettait en sueur. Il se trouva justement qu'un
drapier juif vint de Syrie (à Médine) ; Aïcha fit une affaire
avec lui2.
On parle encore des Juifs comme vendant le fard appelé Kouhl.
Nous trouvons la comparaison suivante : « Comme le Kouhl de
l'œil que les Juifs ont broyé ».
On les cite particulièrement comme marchands de vins. J'ai
donné ailleurs3 une série d'indications sur ce point4.
Ce commerce était également beaucoup pratiqué par des Chré-
tiens de Hira vers l'Arabie septentrionale 5. Les « brocs devin
des Juifs » (dinân Yahoûd) servent aux poètes de sujet de com-
paraison 6. Lorsque le poète koufîte Mouslim b. al-Walîd
(deuxième moite du vme siècle), qui a tant chanté le vin et les
femmes 7, dit dans une description du vin : « clair, juif, ses pos-
sesseurs sont Arabes » [soïïbâ yahoiidiyyaioun arlahoul â lJara-
bou) s, l'épithète de juif peut avoir été employée parce que le vin
avait été vendu par des marchands juifs à des Arabes. On peut
expliquer aussi — et j'avoue que cette explication a ma préfé-
rence pour ce passage — qu'on veut présenter le vin comme
vieux. Pour exprimer cette idée, les poètes arabes ont l'habitude
de comparer le vin à des peuples anciens (Babylone, etc.) ou à des
1 Diwân, II, v. 3.
* Cité par Balawï, Kitâb Alif-Bâ (Le Caire, 1287), II, p. 37.
3 Voir ma note sur le passage ci-dessus signalé du Diwân de. . . Houtaya, p. 62
Z.D.M.G. .XLVl,p. 185).
* Aux premiers temps de l'Islamisme, un fonctionnaire de l'Irak prélève l'impôt
de tolérance [djizya) sur les Juifs en fournitures de vins, et les vend. C'est à cela
que, d'après les sources citées dans Kastallani, IV, p. 121 ; V, p. 472, se rapporte-
rait le rappel à l'ordre d'Omar contre Samoura b. Djoundab, dont parle Bouchâri,
Kitâb al-honyou1- , n° 103.
3 Jacob, Altarabisches Beduinenleben (Berlin, 1897 ), p. 99.
6 Cf. encore Aghâni, IX, p. 121, 18.
7 M. Barbier de Meynard a donné récemment une vive caracléristique de ce poète,
Un poète arabe du 11* siècle de Vhéyire [Actes du XI» Congrès international des Orien-
talistes. — Paris, 1897, ille section, p. 1-21 ).
8 Diwân, éd. de Coeje, xxxn, v. 19.
12 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
rois anciens (vin chosrouânien,àu temps de Kisra, etc.)1. Le même
poète appelle ailleurs le vin madjoùsiyyat al-ansâb, de prove-
nance magique2. C'est dans ce sens qu'il faudrait entendre juif.
Son grand contemporain Abou Nouwâs en parle une fois comme
de yahoiïdiyyat al-ansâb « d'origine juive 3 ».
Ajoutons que le même Àboû Nouwâs dit une fois du vin qu'il veut
faire passer pour vieux, qu'il est « du vin que les marchands de
vin de Babylone ont choisi, et que les Juifs de Soura conservent
depuis de longues années (mimmâ ta'altakat al-Yahoiidu bi-
Soûrâ) 4 ». Ici aussi Soura5 est présentée comme une ville spéci-
fiquement juive. Abou Nouwâs écrivit vers la fin du vnr3 siècle.
A peu près à l'époque de Saadia, le médecin en chef des califes,
Sinân b. Thâbit b. Kourrah (mort en 943), fut chargé par le gou-
vernement de Bagdad de nommer pour tout l'empire des inspec-
teurs de santé, qui devaient surveiller les conditions sanitaires
des provinces et traiter les malades pendant leurs voyages.
Certains de ces médecins arrivèrent à Soura « dont les habitants
étaient en majeure partie des Juifs » (walghâlib 'ala ahlihi al-
Yahoiîd). Les médecins font demander à Bagdad si leur mission
concerne aussi la population de Soura. On leur répond affirmati-
vement, mais ils doivent d'abord s'occuper des malades musul-
mans et ensuite seulement des Juifs 6.
Mouslim b. al-Walîd a le passage suivant qui n'est pas peu ca-
ractéristique sur les marchands de vins juifs. Après une descrip-
tion de bon vieux « vin de Karch, couleur de soleil, qui avait
attendu pendant des années dans son outre », il raconte par quel
stratagème il s'est procuré à bas prix la précieuse liqueur :
« J'ordonnai au Djâloût des Juifs de le frapper de saisie (wa-
amarlou Djâloût al-Yahoûdi bi~kabdihâ) ; aussi je pus l'acheter
(à bon marché) et y utiliser mon argent7. » Cela signifie sans
doute qu'il obtint à d'excellentes conditions la marchandise con-
fisquée, qui fut probablement vendue judiciairement. Le Resch
Galouta 8, que le poète voit dans son imagination intervenir en
sa faveur, ne pouvait apparemment pratiquer la confiscation que
sur des objets appartenant à des Juifs.
1 Voir des exemples dans mes notes sur Al-Houteya, II, v. 18.
2 Diwân, éd. de Goeje, II, v. 8.
3 Diwân Abî-Nouwâs, éd. Iskender Asâf (le Caire, 1898\ p. 239, 5.
* Ibid., p. 289,5.
5 Cf. la détermination topographique dans de Goeje, Z.D.M.Gr., XXXIX, p. 11
et suiv.
6 lbn AU OuçeybVa,éd. Aug. Mûller, 1, p. 221.
7 Diwân de Mouslim, xxvn, 30.
A remarquer qu'ici rà's al-djâloût (voir Revue, VIII, p. 121 et suiv.) est abrégé
en
MELANGES JIDEO-ARABES 13
Le même poète fait, à propos de vin, une autre allusion aux
Juifs; ce vin serait min 'amal al-naçârâ lam taghdoahâ-l-Ya-
hoûdou » (préparé par des Chrétiens, si bien que les Juifs n'en
boivent point ■ — 65"" ûno).
2. En décrivant les restes de vieilles demeures [allai) , les
poètes comparent volontiers les ruines à des signes d'inscriptions
délabrées (ordinairement himyarites) 2 ; nous rencontrons très
souvent aussi des caractères d'écriture hébraïque , d'écriture
juive, comme objet de comparaison. *Abd allâh b. al-Ziba'rî,
témoin oculaire de la « bataille du fossé » de Mahomet, dit des
ruines, qu'il dépeint au début de son poème, dirigé contre les en-
nemis de l'Islam, « comme si leurs traces étaient l'écriture des
Juifs3 ». Al-Schammâch (contemporain de al-Houtaya) : « Comme
un docteur juif [habr) de Taïma écrit de sa droite l'écriture hé-
braïque {'ïbrâniyyatan), enchevêtrant les lignes (ne les distin-
guant pas bien) 4 ». De même, Dou-1-roumma : « Comme si sur la
surface de leur sable la plume juive avait tracé les signes mysté-
rieux des écritures5 ». Djerîr aussi pense à l'écriture hébraïque,
quand il dit d'un lieu désolé qu'il ressemble « à des rimes mysté-
rieuses sur des parchemins datant du temps de Moïse6 ». Le
poète de la transition entre la période omiade et l'abbasside
(deuxième moitié du vme siècle), Abou Hayya al-Noumayri em-
ploie une comparaison semblable : « ainsi que fut tracée l'écri-
ture de la main d'un Juif, qui tantôt rapproche (les signes) tantôt
les écarte 7. »
3. Nous avons jadis montré que dans les écrits arabes on attribue
aux Juifs toutes sortes d'usages qui sont purement imaginaires.
Tout à fait étrange est le suivant dont parle une poésie du temps
du calife Othman. Le poète Sâlim b. Dâra dit, dans une satire contre
la tribu de Tarif b. 'Amr : « Lorsque quelqu'un d'entre eux meurt,
» Dhoân, XXVI, v. 55.
* Muhammedanische Studien, II, p. 7 et suiv.
3 Un Hischâm, éd. Wûstenfeld, p. 102, 11.
*■ Lisâti al-'arab, s. v. j*a*, V, p. 229 ; 5. v. ^j*» 1^> P* ^ î et encore Tâdj
al-'aroûs, s. v.
3 Diwân, ms. de la bibliothèque du Caire (Adab., n°562),xx, v. 4.
Scholie : l^»jJLÎ J^fr> t_>L5 l$-3 <jb ô^.
e Jâkoùt, IV, p. 433, 20.
7 Sîbawaïhi, éd. H. Derenbourg, I, p. 76, 4 ; traduction allemande de G. Jahn,
Sibawaihis Buch ûber die Grammatih, 1, p. 115. Les variantes sur ce vers sont dans
2'âlj ai-'arùùs, s. v. jh^ ; là les premiers mots sont : 4? ij&j cjUSJI L.±. LC
Sibaw. laisf (-jIxxJI ^...«so.
14 REVUE DES ETUDES JUIVES
ils lui enduisent la partie postérieure d'huile d'olive et l'enve-
loppent dans des étoffes à dessins variés » (kirâm) l. L'explication
traditionnelle des philologues pour ce vers est que Sâlim reproche
à ses ennemis de pratiquer des mœurs juives (yiasabahoum ilâ
altahawwoud) ». C'est pour les faire soupçonner d'être d'origine
juive, manœuvre fréquemment employée dans la poésie satirique
des Arabes 3.
4. Parmi les sujets de raillerie en pays arabes il y a certaines
bizarreries de la langue juive. On a déjà fait remarquer 4 qu'il faut
établir une différence entre al-lougha al-'ibrâniyya (langue
hébraïque) et loaghat al-Yahoùd (langage des Juifs, particularités
du langage populaire) 5. A Médine on appelle leur façon de parler
ratan , baragouiner0. Si nous nous en rapportons à la seule
donnée positive que nous ayons là-dessus, nous remarquerons que
ce qu'on nous donne comme un dialecte spécialement juif est le fait
de tous les dialectes arabes populaires : le th aspiré (c>) devient
t (e*), Or. Aboû Zayd al-Ansâri (à Baçra, vers 830) présente cela
comme une particularité de la loughal al-Yahoûd1 . Le poète al-
Bouhtouri (820-897) reproche à son adversaire Ibn al-Barîdî de
ressembler dans son élocution aux Juifs : « quand il parle, il ne
lève pas sa langue8 ».
I. Goldziher.
1 LA ,«.*>., /►?-, XV, p. 50.
2 TA., s. c, VIII, p. 264.
3 Cf. Muhammed. Studien, I, p. 204.
"■ Z.D.M.G., XXVI M872), p. 766, noie '6. Cf. Steiuschneider, Introduction to Ara*
bic Lite rature of Jc/os, II, n° 38 J.Q.R., XIII, p. 364 , où toutefois il n'est tenu
compte que des particularités de la transcription juive de l'arabe.
3 Dans le langage postérieur, on ne fait pas une différence aussi stricte ; par
exemple Ibn abî Ouçeybi'a, éd. A. Millier, H, p. 50,18 : Merwân b. Djanah avait
de profondes connaissances fi 'ilm lisân al-'arab wal-yahoud ; ib., ligne 22 ; Ishak b.
Kastar était éminent fi 'ilm al-lougha al-Hbraniyya.
6 Wellhausen, Shizzcu uni Vorarbeitcn, IV (Médine avant l'Islam), p. 14, note.
7 Kitâb al-nawâdir > Beyrout, 1894 , p. 104.
8 Diwân al-Bouhtouri éd. Stamboul, 1300), p. -217, 7.
La BIBLE LATINE EN AFRIQUE
(suite et fin ')
IV
La Bible latine en Afrique depuis la publication de la Vulgate. — Introduction d'élé-
ments nouveaux. -- L'hâta et les textes dits « italiens ». — La Vulgate de saint
Jérôme. — La Bible de saint Augustin : son caractère éclectique. — Inscriptions
bibliques du ive et du ve siècles. — Persistance des anciennes versions chez les
donati?te = . — Les citations des polémistes du ve et du vi° siècles : Victor de Vita,
Vigilius de Thapsus, saint Fulgence, Primasius, etc. — Les textes dits « africains
de basse époque ». — Fragments des Epîtres catholiques dans le Palimpseste
de Fleurv. - Physionomie des Bibles africaines au temps des Vandales et des
Byzantins.
Cette histoire se complique, vers la fin du iv° siècle, par l'in-
troduction en Afrique d'éléments nouveaux : tout d'abord, les
textes dits « italiens» du Nouveau Testament, et les textes ana-
logues de l'Ancien Testament; plus tard, la célèbre traduction de
saint Jérôme, destinée à devenir en grande partie la Vulgate de
l'Église catholique. Ces versions d'origine étrangère tiennent déjà
une place très considérable dans la Bible de saint Augustin. Dé-
sormais elles se juxtaposeront ou se mêleront aux vieux textes
« africains » dans les recueils locaux de livres sacrés.
C'est saint Augustin qui paraît avoir introduit en Afrique les
verrions du groupe «italien* ». Le nom même qu'on leur donne
vient d'un passage de son traité sur la Doctrine chrétienne :
« Parmi les traductions, dit-il, à toutes les autres il faut préférer
YUala, car elle serre de plus près les mots, et la pensée y est
nette 3. » De ce passage on a donné des interprétations très di-
1 Voyez tome XLII, page 129.
* Du moins n'en lrouve-1-ou pas trace avant lui chez les auteurs du pays, sauf
peut-être chez Viclorin, qui vivait a Home (voyez plus haut. eh. 111).
â Saint Augustin. De doctrin. Christ., 11, 1b : < In ipsis a Utero îulerpretationibus.
Itala caderis piseferatur ; nam est verhorum lenacior cum perspicuitate sententiu-. •
16 REVUE DES ETUDES JUIVES
verses. Pendant longtemps, on a désigné par le terme vague
iï Itala l'ensemble des versions ou des revisions antérieures à la
Vulgate. Tout récemment, par une série d'ingénieuses inductions,
l'on a prétendu identifier Yltala avec la traduction même de saint
Jérôme1. Mais le système généralement admis aujourd'hui est de
beaucoup le plus vraisemblable : VItala n'est que la plus impor-
tante de ces recensions « italiques» du ive siècle, qui apparaissent
chez saint Ambroise et les auteurs italiens du temps, qui se sont
conservées partiellement dans beaucoup de manuscrits, et qu'on
retrouve chez saint Augustin lui-même. A la fin du iyc siècle, on
désignait spécialement sous le nom d'Italie le « diocèse d'Italie »,
c'est-à-dire le nord de la péninsule, la circonscription politique
dont Milan était la capitale. Dès lors, Yltala proprement dite doit
être la revision biblique alors en usage dans cette région, et pro-
bablement faite à Milan par les soins ou sous les yeux de saint
Ambroise2. Si Ton songe qu'Augustin a passé justement quelques
années à Milan, qu'il s'y est converti et qu'il y a été baptisé par
saint Ambroise, on s'explique très naturellement qu'il en ait rap-
porté des manuscrits bibliques nouvellement revisés : cette Itala
qu'il mentionne et qu'il préfère à toutes les autres éditions ou
traductions latines de la Bible.
Ce qui nous importe surtout ici, c'est ce fait absolument incon-
testable : l'introduction en Afrique de versions nouvelles, assez
différentes des versions « africaines », qui jusque-là avaient seules
circulé dans le pays. Quoi qu'on pense de Yltala, les textes « ita-
liens » ont une physionomie très distincte. Si l'on y rencontre assez
1 Burkitt, The Old Latin and the Itâlas p. 60 et suiv. Cf. Mercati, Rivista biblio-
r/ra/îca italiana, 1896, p. 261 et suiv. ; Lejay, Revue critique, 1897, II, p. 205. —
L'hypothèse de Burkitt soulève des objections de toute sorte. En voici quelques-unes,
tirées du texte même de saint Augustin. — 1° Dans le passage où est proclamé le
mérite de VItala, il n'est question que de l'Ancien Testament; or c'est seulement
pour les Évangiles que l'on constate quelquefois chez saint Augustin l'emploi systé-
matique de la Vulgate (Burkitt, o. ?., p. 66 et suiv.). — 2° L'éloge de VItala est
immédiatement suivi de ces mois : « Et latinis quibuslibet emendandis grseci adhi-
beantur, in quibus Septuaginta interpretum, quod ad Vêtus Testamentum attinet,
excellit auctoritas » [De doctrin. Christ., II, 15). On ne s'expliquerait guère cette
réflexion, si VItala était la Vulgate. Saint Augustin voudrait-il qu'on revisât la Vul-
gate? Ce serait une condamnation bien dure et bien sommaire des travaux de saint
Jérôme, dont il parle ailleurs avec plus de ménagements ; et, en ce cas, il eût fait tout
au moins une exception pour la version des Évangiles, qu'il approuvait sans réserve.
— 3° Enfin, pour l'Ancien Testament, comment saint Augustin aurait-il pu dire ici
qu'il faut préférer à toutes les autres versions la Vulgate, c'est-à-dire la version d'après
l'hébreu? N'a-t-il pas affirmé nettement, et dans ses lettres mêmes à saint Jérôme
(Epist., 28, 2 ; 71,2-4; 82, 5 — Migne), qu'il s'en tenait aux traductions faites d'après
les Septante ? — On voit que le passage de saint Augustin deviendrait inintelligible,
si l'on admettait que par le mot Itala il voulait désigner la Vulgate.
2 S. Berger, Histoire de la Vulf/ate, p. 6.
LA BIBLE LATINE EN AFRIQUE 17
souvent des leçons africaines, ils n'en sont pas moins, et avant
tout, très étroitement apparentés aux textes « européens »: ce
sont des textes « européens revisés ». C'est donc bien une autre
famille de versions bibliques qui débarque alors en Afrique. Elle y
est d'ailleurs accueillie avec empressement, grâce à l'autorité de
saint Augustin ; elle s'y acclimate aussitôt, s'y répand en tout sens,
s'y rallie fréquemment à la famille indigène, et elle y prend si
bien racine qu'elle finira par y pousser des rejetons.
Le succès même des versions « italiennes » devait y entraver
plus tard les progrès de la Vulgate. On sait comment saint Jérôme
fut amené à entreprendre une refonte complète de la Bible latine.
Depuis Constantin, l'Église se préoccupait d'achever son organi-
sation. Les évèques des pays latins s'inquiétaient de voir les livres
saints de plus en plus défigurés par le caprice des traducteurs, le
parti pris des hérétiques ou la maladresse des copistes. De là, au
cours du ive siècle, tous ces essais de revision, dont on surprend
déjà quelques traces chez Victorin, peut-être aussi chez saint
Optât, et d'où est sorti le groupe entier des textes « italiens ».
Saint Jérôme connaissait bien ces recensions, puisqu'il les a sou-
vent prises pour base de ses travaux ; et peut-être songeait-il à
Yltala du diocèse de Milan, quand il citait « le plus habile inter-
prète de ce temps * ». Cependant, il jugeait très sévèrement l'en-
semble des versions et des revisions de la Bible latine : « Mauvaises
éditions, dit-il, faites par de maladroits traducteurs, plus mal cor-
rigées par des ignorants présomptueux, avec des additions ou
des changements de copistes endormis -.» Il voyait nettement le
mal, et, mieux que personne, il y pouvait remédier, car il savait
le grec et l'hébreu. A la prière du pape Damase, vers l'année 382,
il entreprit de donner enfin aux Églises latines une Bible exacte
et correcte.
Cette grande œuvre dura plus de vingt ans, et passa par trois
phases diverses 3. A l'origine, saint Jérôme se proposait simple-
ment de corriger les versions italiques en les comparant aux
textes grecs courants : texte des Septante pour l'Ancien Tes-
1 Saint Jérôme, JSpist. 135 : * secundum disertissimum istius temporis inter-
pretem. »
8 Id., Epist. ad Damas. : « a vitiosis interprelibus maie édita, vel a praesumpto-
ribus imperitis emendata perversius, vel a librariis dormitantibus aut addita aut
mulata. »
* Kenyon, Dur Bible and the ancient mannscripts, p. "9 et suiv. — La revision de
saint Jérôme a été l'objet d'excellentes éditions critiques : édition de l'Ancien Testa-
ment par Heyse et Tischendorf (Leipzig, 1873); éditions du Nouveau Testament par
Tischendorf (Leipzig, 1850-1854 ; 8e éd., Leipzig, 1884-1894), par Ranke .Leipzig,
1868), par Wordsworth and White (Oxford, 1889 et suiv.).
T. XLIII, n° 85. 2
18 REVUK DES ÉTUDES JUIVES
tament, textes du groupe « occidental » et du groupe « syrien »
pour le Nouveau Testament. Il commença par une revision som-
maire des Évangiles et des Psaumes ; de ce travail rapide provient
la Vulgate des Évangiles, et le Psautier dit «romain», qui est
encore en usage à Saint-Pierre de Rome. Dans les années sui-
vantes, Jérôme dut revoir le reste du Nouveau Testament, d'après
le même système. Vers 387, il jugea cette méthode insuffisante, au
moins pour l'Ancien Testament, et il entreprit une recension appro-
fondie d'après les Hexaples d'Origène. De cette deuxième période
sont conservés seulement deux livres : une revision de Job et le
Psautier dit « gallican », celui qui figure aujourd'hui dans la
Vulgate. Brusquement, vers 390, saint Jérôme changea encore
d'idée : il renonça à suivre le grec d'Origène et résolut de traduire
directement d'après l'hébreu. Pour la troisième fois, il s'attaqua
aux Psaumes ; de là, son Psautier dit « hébreu », qui est le plus
exact des trois, mais qui n'a jamais été adopté par l'Église.
Désormais, saint Jérôme était dans la bonne voie : il poursuivit
sans trêve sa lutte contre les textes originaux. D'année en année
il donna, séparément ou par groupes, des versions de Samuel, des
Rois, des Prophètes, du Pentateuque, de Josuè et des Juges, etc.
Vers 404 était terminée cette œuvre colossale : revision de tout
le Nouveau Testament, traduction nouvelle de presque tout l'An-
cien Testament d'après l'hébreu. Saint Jérôme avait laissé de
côté seulement les ouvrages apocryphes, et certains livres qui
n'existaient plus ou qui n'avaient jamais existé en hébreu : par
exemple, la Sagesse, les Prophéties de Baruch, les derniers livres
d'Esdras, les Macchabées, qui devaient conserver leur physio-,
nomie primitive et passer tels quels dans la Vulgate.
La version terminée, restait à la faire accepter par les Églises
latines, ce qui n'était pas chose aisée. L'auteur allait se heurter
à des préjugés tenaces, à la toute-puissance des traditions. Il s'est
vengé dans ses préfaces; mais il ne devait pas assister au triomphe
de sa Bible, qui ne l'emporta décidément qu'après des siècles. En
Afrique, particulièrement, on répondit à ses avances par une fin
de non-recevoir, au moins pour la partie essentielle de son œuvre,
l'Ancien Testament. Et ce fut Tévêque d'Hippone qui mena la
campagne défensive. Les deux saints, qui ne se connaissaient pas
personnellement, échangèrent à ce sujet bien des lettres. Rien
d'instructif et de curieux comme cette correspondance, où le sang-
froid, la fermeté tranquille, la politesse et la déférence malicieuse
d'Augustin contrastent avec les emportements, les bouderies ou
les aigres récriminations de Jérôme.
Sur le Nouveau Testament, l'entente était relativement facile :
LA BIBLE LATINE EN AFRIQUE 19
justement parce que, là, saint Jérôme n'avait pas fait œuvre ori-
ginale. Il s'était contenté de corriger assez légèrement la version
italique, précisément celle que préférait saint Augustin. Souvent
même, sans le vouloir, il l'avait rapprochée des vieux textes afri-
cains, en y supprimant bon nombre de leçons ou d'additions que
les rédacteurs italiens avaient empruntées naguère à la revision
« syrienne » de la lin du 111e siècle. Tout cela n'était point pour
déplaire en Afrique. Aussi saint Augustin ne ménage-t-il point
les compliments, tant qu'il s'agit du Nouveau Testament. Il écrit à
saint Jérôme : « Nous rendons bien grâces à Dieu, au sujet de
celui de tes ouvrages où tu as traduit du grec l'Évangile ; car
presque rien ne nous y choque, quand nous comparons ton texte
à l'Écriture grecque. Avec cela, si quelque entêté s'obstine dans
une vieille erreur, en citant et comparant les manuscrits, on peut
très facilement l'instruire ou le réfuter ». »
Mais, pour l'Ancien Testament, le malentendu éclate aussitôt.
Fidèle à la tradition, saint Augustin ne veut reconnaître d'autorité
qu'au grec des Septante, le texte inspiré par Dieu pour la future
conversion des Gentils2. De plus, en face de saint Jérôme, qui
raisonne en savant, l'évêque d'Hippone raisonne en politique, en
homme d'action et de sens pratique. Il craint de jeter le désarroi
dans son Église par une rupture violente avec les versions très
différentes consacrées par l'usage 3. Et il craint aussi d'affaiblir
la position des catholiques dans leurs incessantes querelles avec
les hérétiques4. Pour convaincre un sectaire de mauvaise foi ou
d'erreur dans ses interprétations latines des livres sacrés, on ne
manquait point d'invoquer l'autorité du grec. Ébranler cette auto-
rité, c'était se désarmer. Or, on l'ébranlait en acceptant le contrôle
de l'hébreu, et on ne la remplaçait par rien, car, si beaucoup de
clercs savaient le grec, presque personne ne savait l'hébreu. Ces
préoccupations du polémiste et de l'évêque dominent toute la cor-
respondance de saint Augustin avec saint Jérôme.
Un jour, arrive à Hippone la version nouvelle de Job d'après
l'hébreu. On y connaissait déjà la revision du même livre faite
antérieurement par saint Jérôme d'après les Septante et Origène 5.
1 Saint Augustin, Epist. 71, 4 (Migne) : « Proinde non parvas Deo gratias agimus
de opère tuo, quo Evangelium ex graeco interpretatus es, quia paene in omnibus uulla
oiïensio est, cura Scripturam graecam contulerimus. . . »
» Saint Augustin, S put. 28, 2; 71, 2-4; 82, 5.
3 Ibid., 71, 3; 82,5.
* Ibid., 71, 2 et 4.
5 t Hoc addo, quod postea didicimus, Job ex hebraeo a le interpretatum, cura jam
quamdam haberemus interpretationem tuam ejusdem prophetae ex grseco eloquio con-
versam in latinum » {ibid., 71, 2).
20 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Augustin compare les deux textes, et il écrit à Pauteur : « Dans ta
dernière traduction, celle qui est faite d'après l'hébreu, on ne
trouve pas la même exactitude d'expression '. » La remarque sur-
prend d'abord, venant d'un homme qui ne savait pas l'hébreu.
C'est que, pour l'évêque d'Hippone, le véritable original est le
grec des Septante : tout ce qui s'en écarte, dans les livres juifs,
est altéré*, ou, dans les textes latins, est mal rendu3. La seule
chose vraiment utile dans cette traduction nouvelle, ce sont les
signes, astérisques ou obèles, qui indiquent les divergences entre
l'hébreu et le grec. Augustin en avertit charitablement Jérôme, et
lui conseille d'ailleurs d'employer plutôt son temps à traduire les
Commentaires grecs de la Bible : « Voici donc ce que nous te de-
mandons, dit-il, et ce que demande avec nous toute la société
studieuse des Églises africaines. Daigne consacrer tes soins et ta
peine à une traduction des livres de ceux qui ont pour le mieux
traité en grec de nos Ecritures. En effet, il dépend de toi que nous
ayons, nous aussi, des hommes comme ceux-là, surtout comme
celui dont tu fais volontiers sonner le nom dans tes lettres (Ori-
gène). Quant à la traduction latine des saintes Écritures cano-
niques, j'aurais préféré ne pas te voir entreprendre ce travail, si
ce n'est de la façon dont tu as traduit Job, en indiquant par des
signes les différences entre ta version et la version des Septante,
dont l'autorité est souveraine 4. » Malgré les compliments qui en-
veloppent ici la critique, on comprend que ces conseils très décou-
rageants aient causé une véritable irritation à Jérôme.
Ce que saint Augustin approuverait sans réserve, ce serait une
traduction exacte des Septante, qui permettrait de corriger les
leçons défectueuses et contradictoires dans les innombrables ma-
nuscrits latins5. Il félicite saint Jérôme d'avoir accompli cette
1 « Porro in bac posteriore interpretatione, qute versa est ex hebraco, non eadem
verborura fides occurrit... » (ibid., 71, 2).
1 « Qua utilitate Scripturas volueris transferre de Hebrœis, ut scilicet ea, qua a
Judœis prœtermissa vcl corrupta sunt, proferres in médium » (ibid., 82, 5).
3 Ibid., 71, 4; 82, 5 : • tanta latinorum interpretum. . . imperitia >.
4 • Petimus ergo, et nobiscum petit omnis Africanarum Ecclesiarum studiosa so-
cietas, ut iuterpretandis eorum libris, qui graece Scripturas nostras quam optime
tractaverunt, curam atque operam impendere non graveris. Potes enim efticere ut nos
quoque habeamus taies illos viros, et unum potissimum, quem tu libentius in tuis
litteris sonas. De vertendis autem in latiuam linguam sanctis litteris canonicis labo-
rare te nollem, nisi eo modo quod Job interpretatus es; ut signis adbibitis, quid inter
banc et Septuagiuta, quorum est gravissima auctoritas, interpretationem distet, ap-
pareat » (ibid., 28, 2).
5 « Ego sane te mallem grœcas potins canomcas nobis interpretari Scripturas, quae
Septuaginta interpretum perhibentur i (ibid., 71, 2) ; « Ac per boc plurimura proi'ue-
rip, si eam f/xecam Scriptttram, quam Septuayintd operati sunt, latine veritati reddi-
derts » (ibid., 71, 4).
LA BIBLE LATINE EN AFRIQUE 21
tâche pour quelques livres déjà connus en Afrique 1, il le prie ins-
tamment d'envoyer le reste2, et de poursuivre dans cette voie 3.
Mais, dès qu'il s'agit de la traduction d'après l'hébreu, saint
Augustin entre en défiance. Cette version lui est suspecte au
premier abord, parce qu'elle diffère beaucoup du grec. Il le cons-
tate avec insistance, et il en demande ironiquement la raison4.
Assurément, les Juifs ont pu altérer leurs livres. Ne serait-ce pas
aussi que le traducteur sait insuffisamment l'hébreu? Augustin
l'insinue spirituellement, sous le couvert d'une anecdote. La scène
se passe dans la ville d'Oea, en Tripolitaine. L'évêque s'est pro-
curé la version de Jonas par Jérôme, et la fait lire un jour dans
son église. Tout à coup éclatent des protestations, un vrai tumulte.
C'est qu'on vient de réciter un verset très populaire là-bas, chanté
de génération en génération 5 : et les fidèles n'ont pas reconnu le
mot attendu. Le public se fâche; les Grecs surtout crient au
faussaire. Pour calmer les esprits, l'évêque déclare qu'il soumettra
le cas aux Juifs de la ville. Et les Juifs condamnent le texte de
saint Jérôme. Saint Augustin conclut malicieusement : « Est-ce
ignorance ou perfidie ? Mais les Juifs ont répondu que la leçon
des manuscrits hébraïques était exactement la leçon consacrée
des manuscrits grecs et latins. En fin de compte, notre pauvre
évêque a été forcé de corriger le passage comme altéré : après le
grand danger qu'il avait couru, il tenait à ne pas rester sans
fidèles. Et nous aussi, nous devons croire, d'après cela, que toi-
même, en quelques endroits, tu as pu te tromper0. »
Ce n'est là qu'une anecdote, mais elle met à nu l'état des es-
prits, et elle explique les préventions des évêques africains contre
la version nouvelle. D'ailleurs, à plusieurs reprises, saint Au-
gustin a exposé très franchement les raisons décisives de son
attitude. Reconnaître l'autorité supérieure du texte hébreu, c'était
courir une aventure, se désarmer en face des hérétiques, se sé-
parer aussi des Églises grecques, qui toujours demeureraient
fidèles aux Septante. « Si ta traduction, écrit Augustin, devient
d'un usage fréquent dans beaucoup d'Églises, alors malheureu-
sement les Églises latines ne s'entendront plus avec les Églises
1 Ibid., 71, 2 et 4.
* « Deinde nobis mittas, obsecro, interpretatlonem tuam de Septuaf/inta, quam te
cdidisse nesciebam. . . » (ibid., 82, 5).
3 « Ideo autem desidero interprctationem tuam de Septuaginta. . . [ibid., 82, 5).
'* « Quid tibi autem videatur, cur in inultis aliter se habeat hebrœorum codicum
auctoritas, aliter grœcorum quse dicitur Septuaginta, vellem dignarerisaperire • [ibid.,
71, 4).
5 Jonas, iv, 6.
6 Saint Augustin, Epist,, 71, 3 : « Undeetiam nobis videtur, aliquando te quoque
in nonnullis ialli potuisse. »
22 REVUE DES ETUDES JUIVES
grecques ; sans compter qu'il est facile de réfuter un contradicteur
en citant un livre grec, c'est-à-dire écrit dans une langue très
connue f. » Enfin, l'adoption du texte nouveau risquerait d'égarer
l'esprit des fidèles, de compromettre l'autorité des Septante, d'é-
branler la tradition et le respect dû à la parole divine. Tel est le
grand argument d'Augustin , celui qu'il développe avec le plus
d'insistance et de force : « Je désire recevoir, dit-il, ta traduction
des Septante : d'abord, pour nous délivrer, autant que possible, de
tous ces traducteurs latins, si maladroits, qui ont osé entreprendre
cette tâche ; ensuite, pour fermer la bouche aux gens qui me soup-
çonnent de porter envie à tes utiles travaux. Qu'enfin ces gens-là,
s'il se peut, me comprennent bien. Si je ne veux pas qu'on lise
dans les Églises ta version d'après l'hébreu, c'est dans la crainte
de nuire à l'autorité des Septante, en ayant l'air d'apporter
quelque chose de nouveau ; dans la crainte de troubler par un
grand scandale le peuple du Christ, dont les oreilles et les âmes
sont habituées à entendre cette antique version approuvée même
par les apôtres 2. » Bien des années plus tard, dans la Cité de Dieu,
tout en rendant justice à l'exactitude du travail de Jérôme, saint
Augustin déclarait encore que « les Églises du Christ jugent ne
devoir préférer personne » aux Septante 3.
Voilà, semble-t-il, une condamnation sans appel. Et, en effet, il
n'est pas douteux que cette opposition de saint Augustin et son
exemple n'aient beaucoup nui en Afrique au succès des versions
de saint Jérôme. Cependant celles-ci n'ont pas été inconnues dans
le pays. Elles se sont glissées peu à peu dans les bibles locales, à
côté des textes « italiens » et des textes « africains ». Les leçons
de la Vulgate ne sont pas rares dans les citations des auteurs du
v° ou du vie siècle, surtout, il est vrai, pour le Nouveau Testa-
ment. Et parfois elles apparaissent déjà chez saint Augustin lui-
même, à titre d'exception ou de comparaison.
L'étude de la Bible de saint Augustin présente de très sérieuses
difficultés4. D'abord, l'œuvre est immense, les citations sont in-
1 t Perdurum enim erit, si tua interpretatio per multas ecclesias frequentius caeperit
lectitari, quod a gratis ecclesiis latinœ ecclesiœ dissonabnnt, maxime quia facile cou-
tradictor convincitur grœco prolato libro, id est linguae notissimœ... » (ibid., 71,2).
2 lbid., 82,5 : • ...tandem aliquando, si (ieri potest, intendant, propterea me nolle
tuant ex hebrœo interpretationem in ecclesiis legi, ne contra Septuaginta auctoritatem,
tauquam novum aliquid proferentes, wiagno scandalo pcrturbemus plèbes Chnsti, qua-
rum aures et corda îllam interprelationeua audire eonsueverunt quœ etiam ab Apostolis
approbata est. »
a Saint Augustin, De civ. Dei, XV11I, 43.
* Cf. Rônsch, Die lateinischen Bibelûbeisetzungen im christlichen Afrika zur Zeit
des Augustinus (dans la Zeitschrlft fur die historische Théologie, 1867, p. 606 et suiv.
1870, p. 91 et suiv.); Douais. Revue biblique trimestrielle, 1893, p. 62 et suiv.; 351
et suiv. ; Burkitt, The Old Latin and the Itala, p. 55 et suiv.
LA BIBLE LATINE EN AFRIQUE 2!i
nombrables et dispersées, le texte en est souvent suspect, car
nous n'avons pas encore de bonne édition critique pour la plupart
des traités, surtout pour ceux qui renferment le plus de fragments
bibliques. En outre, pendant sa longue carrière de polémiste, saint
Augustin a eu entre les mains, pour diverses parties de la Bible,
et fréquemment pour un même livre, des versions d'origine très
différente. Il en usait librement avec ces textes latins, ne s'inter-
disait pas de les corriger, et, comme il cherchait toujours à les
améliorer, il ne s1astreignait pas à reproduire scrupuleusement,
pour un même passage, les leçons qu'il avait antérieurement
adoptées. Les citations parallèles, qui abondent dans ses ouvrages,
sont très rarement identiques; alors même qu'elles relèvent d'une
même version, elles présentent généralement des variantes. Enfin,
saint Augustin citait souvent de mémoire, jusque dans les occa-
sions les plus solennelles. Par exemple, durant les interminables
séances de la conférence de 411, entre les évêques catholiques et
donatistes1, il se réfère plusieurs fois au même verset de saint
Matthieu, et il ne se soucie point de se mettre d'accord avec lui-
même.
CONFÉRENCE DE 411-
SAINT CYPRIEN.
Saint Matthieu, xxm, 9.
« Augustinus dixit : Ne vobis dicatis « Ne vocaveritis
patrem in terra » (Gesta CoUationis Car- vobis patrem super
thagine habita inter Catholicos et Dona- terram » (Ad For-
tistas, Cognit. III, 222. — Cf. Mansi, tunat., 11).
ConciL, t. IV, p. 227).
— « Augustinus dixit... : Ne vobis
patrem dicatis in terra • (ibid., Cogntt.
III, 235. — Mansi, t. IV, p. 230).
— « Augustinus dixit. . . : Nolite
vobis dicere patrem in terra » (ibid., Co-
gnit- III, 242. — Mansi, t. IV, p. 232).
« Et patrem no-
lite vocare vobis su-
per terram. •
Cette négligence apparente, ces variations qui font songer à
celles de Tertullien, surprennent d'abord chez un écrivain si mé-
thodique, chez un évêque si ami de la règle, surtout à cette date.
Elles s'expliquent cependant par l'idée que saint Augustin se fai-
sait des textes latins. Lui-même nous renseigne très exactement,
sur ce point, en maint endroit de ses commentaires bibliques ; et
il a exposé tout au long sa théorie dans son traité de la Doctrine
chrétienne.
1 Gesta collationis Carthagine habita inter Catholicos et Donatistas (Mansi, ConciL,
t. IV).
24 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
A aucun des textes latins il ne reconnaît une valeur intrin-
sèque. Il conserve en face d'eux une entière liberté d'appréciation
et de discussion. Il ne s'incline que devant les textes grecs *. Pour
le Nouveau Testament, ce sont les manuscrits grecs qui circu-
laient alors dans tout l'Occident, c'est-à-dire des manuscrits du
type « occidental » corrigés sur la revision « syrienne2 ». Quant
à l'Ancien Testament, saint Augustin mentionne les versions d'A-
quila, de Symmaque, de Théodotion 3, qu'avaient popularisées les
Hexaples d'Origène, et que saint Jérôme utilisait alors pour ses
travaux. On pourra donc, si l'on veut, consulter ces versions-là.
Mais les Septante seuls feront autorité4 : ce texte des Septante,
qui « a été reçu par l'Église, comme s'il était unique », qui est
adopté dans toutes les communautés d'Orient, et dont dérivent
toutes les traductions latines en usage dans les communautés
d'Occident*. Saint Augustin recommande aussi aux clercs l'é-
tude de l'hébreu, dont la connaissance est utile pour préciser
à l'occasion le sens du grec6. Mais aussitôt il met en garde
contre l'abus qu'on en pourrait faire : il déclare qu'en aucun
cas une leçon hébraïque ne saurait prévaloir contre la leçon des
Septante 7. C'est dans le même esprit qu'on doit se servir des ma-
nuscrits latins quelconques. Ils sont fort utiles à consulter, en tant
qu'ils peuvent faciliter l'intelligence du texte grecs. Leur nombre
même et leur variété aident fréquemment à fixer le sens du terme
original, « car souvent l'obscurité de la pensée s'éclaire par l'exa-
1 Saint Augustin, De doctrin. Christ., II, 15 : « Latinis quibuslibet emendandis
graeci adhibeantur. »
2 « Libros autem Novi Testamenti, si quid in latinis varietatibus titubât, graecis
cedere oportere non dubium est, et maxime qui apud Ecclesias Ùoctiores et dtligentiores
reperiuntur » [ibid., II, 15). Ces derniers mots signifient évidemment qu'il faut pré-
férer les textes grecs revisés, ceux-là justement qui avaient servi de contrôle aux
rédacteurs des textes latins du groupe dit « italien ».
3 Saint Augustin, De civ. Dei, XV11I, 43 : « Cum fuerint et alii interprètes, qui
ex hebra^a lingua in grsecam sacra illa eloquia transtulerunt, sicut Aquila, Symmachus,
Théodotion. . . »
* « Septuaginta interpretum, quod ad Vêtus Testamentum attinet, excellit auc-
toritas • (De doctrin. Christ., Il, 15).
5 « Hanc tamen (interpretationem), quae Septuaginta est, tanquam sola esset, sic
recepit Ecclesia, eaque utuntur grrcei populi christiani, quorum plerique utrum a'lia sit
aliqua ignorant. Ex hac Septuaginta interprétât ione eliam in laiinam linguam inter-
prétation est quod ecclesiie latines tenent » {De civ. Dei, XVIII, 43).
6 De doctrin. Christ., II, 11 : « Latinae quidem linguœ hoœines, quos nunc ins-
trueudos suscepimus, duabus aliis ad Scripturarum divinarum cognitionem opus habent,
hebrœa scilicet et graeca... »
7 Ibid., II, 15 : « Etiamsi aliquid aliter in hebraeis exemplaribus invenitur quam
isti (Septuaginta) posuerunt, cedendum esse arbitror divinee dispensationi quae per
eos facta est. . Cf. De civ. Dei, XVIII, 43.
8 « Horum quoque interpretum, qui verbis tenacius inhaeserunt, conlatio non est
inutilis ad explanandam s;vpe sententiam » {De doctrin. Christ., II, 15). Cf. II, 13.
LA BIBLE LATINE EN AFRIQUE 25
men de plusieurs manuscrits. . . ; il est difficile que les traducteurs
diffèrent tellement l'un de l'autre, qu'ils n'aient pas entre eux
quelque point commun l ». Sans doute, il existe une version meil-
leure que les autres: Yltala^. On suivra celle-là de préférence;
mais on tiendra compte de toutes. On interrogera le plus grand
nombre possible de manuscrits, car on peut trouver du bon dans
les plus mauvais. On comparera les traductions entre elles ; on
les complétera et on les corrigera l'une par l'autre sans s'asservir
à aucune. La critique du texte est le premier devoir du clerc ou
du polémiste qui veut citer un passage de l'Écriture : « Ici encore,
dit Augustin , c'est une très précieuse ressource que le grand
nombre des traducteurs ; la collation des manuscrits permet l'exa-
men des leçons, la discussion ; il faut se garder seulement des
faussaires. Avant tout, c'est à la correction des manuscrits que
doit s'attacher la sagacité de ceux qui désirent connaître les di-
vines Écritures : les textes non revisés doivent céder la place aux
textes revisés, du moins quand tous proviennent d'une même fa-
mille de traductions 3. » Et, quel que soit le résultat de cette mi-
nutieuse collation des manuscrits latins, s'il y a le moindre doute,
on devra toujours se reporter au grec 4.
Telle est cette intéressante théorie, où se mêlent étrangement
une fidélité aveugle à la tradition et une grande hardiesse critique.
Saint Augustin accepte, presque les yeux fermés, le témoignage
du texte grec, surtout des Septante pour l'Ancien Testament.
Mais il prend sa revanche sur les manuscrits latins ; il les traite,
les compare et les corrige avec la tranquille assurance d'un phi-
lologue. La seule chose, mais la chose essentielle, qui manque à
sa méthode, c'est le sens net de la valeur inégale, de la hiérarchie
des manuscrits : avant de les collationner, il oublie de les classer.
Par là, sa critique reste une critique toute subjective, empirique,
très inférieure à celle de saint Jérôme, et beaucoup moins féconde
en résultats. Sa théorie peut se définir d'un mot : l'éclectisme.
Et, en effet, c'est bien une méthode éclectique qu'il a appliquée
toute sa vie, au hasard des inspirations du moment, des circons-
1 f Nam nonnullas obscuriores sententias plurium codicum sœpe manifestavit ins-
pectio. . . Difficile est enim ita diversos a se interprètes fieri ut non se aliqua vicinitate
continuant » {ibid., II, 12).
* Ibid., II, 15.
3 « Plurimum hic quoque juvat interpretum numerosilas collatis codicibus inspecta
atque discussa ; tantum absit falsitas. Nam codicibus emendandis primitus débet invi-
gilare solertia eorum qui Scripturas divinas nosse desiderant, utemendatis non emen-
dati cédant, ex uno duntaxat iuterpretationis génère venientes » [ibid., II, 14).
4 • Latini ergo... codices Veteris Testamenti, si necesse i'uerit, grœcorum auctori-
tate emendandi sunt. . . Libros autem Novi Testamenti, si quid in latiuis varietatibus
titubât, graecis cedere oportere non dubium est » (ibid., II, 15).
26 REVUE DES ETUDES JUIVES
tances, des souvenirs, ou des exemplaires qu'il avait sous la main.
On le voit à l'œuvre dans ses ouvrages de polémique ou d'exé-
gèse. Par exemple , son traité Sur l'accord des Évangélistes
abonde en observations de ce genre : « Quelques manuscrits
donnent pour ce passage de Luc. . . ; pourtant, dans les manus-
crits grecs plus anciens, cette leçon ne se trouve pas, dit-on. —
Voilà ce qu'on lit dans certains manuscrits. . . ; car la plupart des
manuscrits n'ont pas cela. Telle n'est pas la leçon de tous les ma-
nuscrits des Évangiles... Plusieurs manuscrits donnent le nom
de Jérémie ; les gens qui ont étudié avec soin l'Évangile dans les
exemplaires grecs rapportent qu'ils ont trouvé cette leçon dans de
vieux manuscrits grecs1. » Ailleurs, dans un traité contre les
Ariens : « Glorificare ou honori/îcare, ou clarificare : voilà trois
mots différents, mais qui désignent la même chose. C'est le grec
8o£àÇeiv. En raison de la variété des traductions, la leçon s'est di-
versifiée dans le latin-. » Les discussions de ce genre reparaissent
à chaque page des commentaires de saint Augustin sur l'Ancien
et le Nouveau Testament. Voici deux passages de son célèbre
commentaire sur les Psaumes : « Plusieurs manuscrits latins, et
surtout les manuscrits grecs, séparent ainsi les versets. . . Ce sys-
tème a pour lui l'accord de nombreux manuscrits, et des meil-
leurs ; sans aucun doute, il faut le préférer 3. » Et ailleurs : « As-
surément, la majorité des manuscrits donnent non pas manus,
mais manum... J'aurais préféré que les interprètes latins eussent
traduit : Aethiopia praeveniet manus ou manum suam Deo* . . .
En grec, la majorité des manuscrits donnent yslpa aorrjç. Cela peut
se comprendre en latin de deux façons : manum ejus et manum
suam. On trouve rarement dans les manuscrits grecs /s?paç aùrr,? :
ce qui peut se rendre en latin par manus ejus et par manus
suas5. »
Dans ces exemples, on saisit sur le vif la méthode critique de
saint Augustin : son éclectisme si respectueux du grec, si libre
1 Saint Augustin, De consens. Evangclist., II, 31 et 106; III, 29.
2 Id., Contra sermon. Arianor., 35.
3 Id., Enarr. in Psalm. LXVI1, 41.
* Psalm. lxvii, 32 : « JEthiopia praeveniet manus ejus Deo • (Vulgate).
5 Saint Augustin, Enarr. in Psalm. LXVII, 41. — Lui-même, dans une lettre à
Audax, donne des renseignements précis sur le Psautier latin dont il faisait usage.
11 explique comment il corrigeait sans cesse ses manuscrits, les comparant au grec
s'eiïorçant toujours d'améliorer son texte : « Psalterium a sancto Hieronymo trans-
lalum ex Hebrœo non habeo. Nos autem non inlerpretali sumus, sed codicum latino-
rum nonnullas mendositates ex gratis exemplaribus emendavimus. Unde fortassis fece-
rimus aliquid commodius quam erat, non tamen taie quale esse debebat. Nam etiam
nunc qua forte nos tune praterierunt, si legentes moverint, collatis codicibus emen-
damus » [Epist. 261, 5 — Migne).
LA BIBLE LATINE EN AFRIQUE 27
d'allure en face des textes latins. Ce qu'il fait ici dans ses traités
d'exégèse, il l'a fait à toutes les époques de sa vie : sans cesse en-
richissant sa bibliothèque, toujours occupé à multiplier autour de
lui, à compléter et corriger les exemplaires des livres sacrés.
Sans parti pris, d'ailleurs, accueillant pour les manuscrits des fa-
milles les plus diverses , même pour cet Ancien Testament de
Jérôme, dont il ne voulait point autoriser la lecture dans son
Église, mais auquel, pour son compte, il ne craignait pas de faire
des emprunts ». Comme il n'accordait de valeur absolue à aucune
traduction latine, il ne s'est point soucié de fixer son texte une
fois pour toutes, pour y rapporter scrupuleusement ses citations.
Sa Bible latine n'a cessé de se transformer, tantôt par des chan-
gements brusques, tantôt par une continue et lente évolution. —
D'après cela, on comprend qu'il soit chimérique d'essayer de ra-
mener à l'unité le texte sacré de saint Augustin. On ne saurait le
reconstituer, comme on reconstitue, en bien des parties, celui de
saint Cyprien. Dans l'étude de cette Bible changeante, où se ren-
contrent et se mêlent tant d'éléments divers, une seule chose nous
paraît possible et utile : c'est de distinguer et classer ces divers
éléments, d'en marquer l'origine et l'importance relative.
Avant tout, cTest des textes « italiens » que relève la Bible de
saint Augustin 2. La plupart de ses citations ont une étroite pa-
renté avec celles de saint Ambroise, de Lucifer de Gagliari, et du
Spéculum 3. Dans plusieurs parties de l'Ancien et du Nouveau Tes-
tament, elles se rapprochent des versions conservées par quel-
ques-uns des plus importants manuscrits du groupe : Codex Bri-
xianus pour les Evangiles*, Palimpseste de Freisingen pour les
Épilresde saint Paul3, Codex Lugdunensis pour le Pentaleuque6,
pour Josué et pour les Juges7. Inutile d'insister sur ce fait, qui
1 De doctrin. Christ., IV, 7.
2 Ziegler, Die lateinischen Bibelûbersetzungen vor Hieronymus und die Itala des
Augustinus, 1879; S. Berger, Histoire de la Vulgate, p. 5 et suiv. ; Kenyon, Our
Bible and the ancient manuscripts, p. 168 et suiv.
3 S. Berger, Histoire delà Vulgate, p. 6.
4 Hort, The New Testament in greek, t. II, p. 78 et suiv.
5 Ziegler, Italafragm. der paulin. Briefe ans Friesinger Perg. (Marburg, 1874—
1876) ; Woelfllin, Neue Bruckstilcke der Freisinger Itala (Munich, 18'J3).
6 Ulysse Robert, Pentaleuchi versio latina antiquissima e codice Lugdunensi (Paris,
1881) ; Ziegler, Bruchstûcke einer vorhieronymianischen Uebersetzung des Pentatench
(Munich, 1883). — Cf. Gaston Paris, Journal des Savants, 1883, p. 276 et suiv. ;
386 et suiv.
7 Cf. Delisle, Journal des Savants, 1895, p. 702 et suiv. ; Ulysse Robert et S. Berger,
Bull, de la Société des Antiquaires, 1896, p. 65 et suiv. ; Ulysse Robert, Heptateuchi
partis posterions versio latina antiquissima e codice Lugdunensi (Lyon, 1900). — Nous
avons déjà remarqué plus haut qu'où ne peut actuellement déterminer l'origine exacte
du Codex Lugdunensis ,■ mais, en tout cas, c'est un texte révisé, probablement au
28 KEVUE DES ÉTUDES JUIVES
est aujourd'hui hors de doute. — Il est à noter cependant que,
dans cet emploi des textes « italiens », saint Augustin conserve
une indépendance relative : presque toujours, il s'écarte plus que
saint Ambroise des manuscrits bibliques de cette famille. Fidèle à
son système, il se réserve le droit de correction. Dans un de ses
traités d'exégèse, il cite une leçon de la traduction latine qu'il sui-
vait de préférence, dit-il, « comme la meilleure1 ». On suppose
avec beaucoup de vraisemblance qu'il fait ici allusion à Yltala*.
Or, il ne cite cette traduction « la meilleure », que pour la criti-
quer, pour y relever un solécisme sans excuse 3. On voit par cet
exemple que, s'il accepte et adopte les textes « italiens », c'est
sous bénéfice d'inventaire : il les modifie au besoin, et même y
substitue des textes d'une autre famille, surtout les vieux textes
« africains ».
Il a souvent consulté ces anciennes versions, seules connues
dans le pays jusqu'au temps de sa jeunesse. Il parle lui-même de
leçons attestées par « un très grand nombre de manuscrits afri-
cains 4 ». Il devait savoir par cœur bien des passages de ces tra-
ductions très répandues autour de lui, car, jusqu'à la fin de sa
vie, il leur a emprunté des expressions, des versets entiers, sur-
tout pour des citations courtes, probablement faites de mémoire.
De là des rencontres accidentelles, mais assez fréquentes, avec
saint Cyprien. Bien mieux, à diverses reprises, saint Augustin a
franchement adopté le texte « africain ». Dans quelques chapitres
de la Doctrine chrétienne 5, où il suivait de près et résumait le
commentaire de Tyconius, il a transcrit plus de vingt versets de
la Bible, sans rien changer à la vieille version qu'avait citée l'é-
crivain donatiste. Enfin, nous avons la preuve qu'en l'année 404
le texte « africain » des Actes des Apôtres était encore employé
couramment par l'Église et l'évêque d'Hippone B. Au milieu d'une
conférence solennelle où il s'efforçait de réfuter le manichéen Fé-
lix, Augustin prend un exemplaire des Actes des Apôtres, et y lit,
presque en entier, les deux premiers chapitres. La citation a été
ive siècle, qui par là se rapproche du groupe des textes « ita^ens ». C'est ce que
prouve encore la parenté du texte du Codex avec le texte biblique de Lucifer de
Cagliari.
1 Saint Augustin, Locutiones in Heptateuchum% II. — De Exodo, V, 21 : « Sic enim
habet grœcus. Latinus autem ait, quem pro optimo legebamus. . . »
2 Zycha, Bemerkungen zur Italafrage (Eranos Vindobonensis, 1893, p. 177 sqq.).
3 « Qui solœcismus nulla interpretationis necessitate factus est, quia in graeco uon
est » (saint Augustin, Locutiones de Exodo, V, 21).
*• Saint Augustin, Rétractât., I, 21 : € Codices pluriraos, verumtamen afros. »
5 De doctrin. Christ., III, 30-37. — Cf. Burkitt, The Old Latin and the Itala,
p. 56.
6 Burkitt, The Old Latin and the Itala, p. 57-58, 67 et suiv.
LA BIBLE LATINE EN AFRIQUE 29
consignée tout au long dans le procès-verbal et nous est parve-
nue * : c'est exactement le texte de saint Gyprien. On en jugera
par ces versets :
CONFÉRENCE DE 404.
SAINT CYPRIEN.
« Nemo potest cognoscere
tempus quod Pater posuit
in sua potestate > (saint Au-
gustin, Acta contra Felicem
Mamchœum, I, 4-5).
« Et erant persévérantes
omnes unanimes in oratio-
nibus cum mulieribus et
Maria quce fuerat mater
Jesu et fratribus ejus. Et
in diebus illis exsurrexit
Petrus in medio discentium
et dixit — « fuit autem turba
in iino. . . » [ibid.)
« Et factus est subito de
cselo sonus, quasi ferretur
flatus vehemens, et implevit
totam illam domum in qua
erant sedentes. Et visa sunt
illis linguœ divisa quasi
ignis, qui et insedit super
unumquemque eorum : et
impleti sunt omnes Spiritu
sanclo » [ibid.).
Act. apost., i, 7.
« Nemo potest cognoscere
tempus aut tempora quœ
Pater posuit in sua potes-
tate • (Testimon., III, 89.)-
lb., i, 14-15.
« Et erant persévérantes
omnes unanimes in oratione
cum mulieribus et Maria
que fuerat mater Jesu et
fratribus ejus » {De cathol.
eccles. unit., 25).
— « Surreucit Petrus in
medio discentium — fuit
autem turba in uno... »
(Epist. 67, 4.).
Ib., il, 2-4.
« Et factus est subito de
cœlo sonus, quasi ferretur
flatus vehemens, et implevit
totum locum illum in quo
erant sedentes. Et visa stmt
illis lingual divisa quasi
ignis, quiet insedit in unum-
quemque illorum : et impleti
sunt omnes Spiritu sancto »
[Testimon., III, 101.).
« Non est vestrum nosse
tempora vel momenta quae
Pater posuit in sua potes-
tate. »
« Hi omnes erant persé-
vérantes unanimiter in ora-
tione cum mulieribus et
Maria matre Jesu et fratri-
bus ejus. In -diebus illis
exsurgens Petrus in medio
fratrum dixit — erat autem
turba hominum simul ...»
« Et factus est repente
de cselo sonus, tanquam
advenientis spiritus vehe-
mentis, et replevit totam
domum ubi erant sedentes.
Et apparuerunt illis disper-
titse linguœ tanquam ignis
seditque supra singulos eo-
rum : et repleti sunt omnes
Spiritu sancto. »
Et il ne s'agit point là d'une exception unique, ni d'une substi-
tution faite après coup, car cette ancienne version des Actes des
Apôtres se retrouve dans d'autres ouvrages du même auteur2.
Ces exemples suffisent à démontrer que saint Augustin, pour
quelques livres bibliques, restait souvent fidèle aux vieux textes
« africains » du temps de saint Gyprien.
Il n'était pas non plus systématiquement hostile à toutes les
nouveautés de la Vulgate. A l'occasion, il remplaçait ses textes
« italiens » ou « africains » par la version de saint Jérôme. Nous
avons vu que, dans une lettre datée de 403, il félicitait cet écrivain
sur sa revision des Évangiles 3. Ses compliments étaient sincères,
1 Saint Augustin, Acta contra Felicem Manichaum, I, 4-5 (éd. Zycha, vol. XXV,
pars II, du Corpus scriptor. eccles. la t., p. 802 sqq.).
* Saint Augustin, Contra Epist. Fundamenti, 9 ; De consens. Evangelist., IV, 8.
3 Id., Epist. 71, 4 (Migne).
30 REVUE DES ETUDES JUIVES
puisqu'il a fréquemment adopté ce texte revisé. Dans sa discus-
sion de 404 avec le Manichéen, outre les Actes des Apôtres, il lut
un long fragment de l'Évangile de saint Luc l : d'après le procès-
verbal 2, ce texte était presque identique à celui de Jérôme. On en
a conclu que la Vulgate des Évangiles était, dès lors, en usage à
Hippone *. D'autres faits confirment entièrement cette hypothèse.
Dans son traité Sur l'accord des Évangélistes, qui a été composé
vers le même temps, Augustin cite et compare des leçons em-
pruntées à toutes les familles de textes bibliques ; mais il prend la
Vulgate comme base de son exégèse4. Parfois il a suivi Jérôme
jusque dans ses versions de l'Ancien Testament. Il reproduit ordi-
nairement, pour Job, la première traduction d'après les Hexaples
d'Origène 5. Il oublie même, quand il le juge utile, ses préventions
théoriques contre la traduction d'après l'hébreu. C'est ce qui ré-
sulte nettement d'un curieux passage de la Doctrine chrétienne.
Voulant montrer les beautés du style biblique, il choisit, entre
autres exemples , quelques versets du prophète Amos : « Je ne
citerai point, dit-il, d'après la version des Septante. Car cette ver-
sion, inspirée par l'Esprit divin, paraît avoir ici, pour cette raison
même, changé quelques expressions, afin de mieux avertir le lec-
teur qu'il faut chercher le sens spirituel : d'où vient une certaine
obscurité, causée par les métaphores. Je citerai le passage, comme
il a été traduit de l'hébreu en latin par le prêtre Jérôme, très versé
dans les deux langues6. » Suit le texte de la Vulgate. Cet hom-
mage involontaire à l'exactitude de Jérôme éclaire tout un groupe
de citations d'Augustin. Malgré son parti pris de sévérité contre la
version nouvelle faite sur l'hébreu, l'évêque d'Hippone ne s'inter-
disait pas de l'adopter quelquefois. Il a dû la suivre ailleurs, sans
le dire : toutes les leçons de la Vulgate insérées dans ses ouvrages,
même pour l'Ancien Testament, ne sont pas le fait des copistes7.
1 Saint Luc, xxiv, 36-49.
2 Saint Augustin, Acta contra Felicem Manicheeum, I, 3.
3 Burkitt, The OU Latin and the Itala, p. 58.
k Le lait avait été signalé déjà par Sabatier [Bibliorum sacrorum latina versiones
antiçuœ, 1743, t. I, Prœfat., p. lvii). Cf. Burkitt, The OU Latin and the Itala,
p. 72-78.
5 Burkitt, The OU Latin and the Itala, p. 32 et suiv.
6 Saint Augustin, De doctrin. Christ., IV, 7 : « Non autem secundum Septuaginta
interprètes, qui etiam ipsi divino Spiritu interpretati, ob boc aliter videntur nonnulla
dixisse, ut ad spiritualem sensum scrutandum magis admoneretur lectoris intentio
(unde etiam obscuriora nonnulla, quia magis tropica sunt eorum), sed sicut ex hebrœo
in latinum eloquinm, presbytero Hieronymo utriusque linguse perito interprétante, trans-
lata sunt. »
7 Nous laissons de côté le Spéculum attribué à saint Augustin (éd. Weihrich, 1887.
— Corpus scriptor. eccles. lat., vol. XII, pars 1, p. 1-285). Ce recueil d'extraits
bibliques suit presque toujours la version de saint Jérôme. Mais on s'accorde aujour"
LA BIBLE LATINK EN AFRIQUE 31
Donc, rien n'est plus complexe et plus bigarré que cette Bible
de saint Augustin. S'il reproduit surtout des textes « italiens », il
y substitue fréquemment des textes « africains », et quelquefois la
Vulgate. De plus, par la liberté avec laquelle il corrige et modifie
les versions « italiennes », il inaugure déjà le système des textes
« mêlés », si fort en honneur pendant les premiers siècles du
moyen âge. Sa Bible est comme une encyclopédie, un peu confuse,
de presque toutes les versions connues. Prenons son Nouveau
Testament, qui, dans la plupart des livres, correspond à des ma-
nuscrits bibliques encore existants. Dans les Évangiles, il s'ac-
corde tantôt avec les textes & africains », tantôt avec les textes
« italiens » du Codex Brixianus, tantôt avec la Vulgate. Pour les
Épltres de saint Paul, ses citations sont presque toujours iden-
tiques au texte « italien » du Palimpseste de Freisingen. Pour
V Apocalypse et les Actes des Apôtres, elles relèvent généralement
des vieux textes « africains » de saint Cyprien ou du Palimpseste
de Fleury. Pour les Épitres catholiques, elles sont voisines des
textes mêlés, qui figurent dans une autre partie de ce même
Palimpseste. On ne saurait analyser avec autant d'exactitude la
composition de l'Ancien Testament d'Augustin : rappelons pour-
tant que, s'il y emploie surtout les textes « italiens », il y insère
fréquemment des leçons « africaines », qu'il y reproduit parfois
la version de Jérôme d'après Origène, et même la version d'après
l'hébreu. — Le trait dominant de la Bible latine de saint Augustin,
c'est donc bien, comme nous le disions au début, Téclectisme.
Cet éclectisme présidera désormais en Afrique, pendant tout le
ve et le vie siècle, à la formation des recueils de livres sacrés. On
le voit à l'œuvre dans les citations des correspondants et des con-
temporains de saint Augustin. On en retrouve des traces jusque
sur les pierres ou les mosaïques. Comme aujourd'hui les musul-
mans dans leurs mosquées, les chrétiens d'Afrique aimaient à
graver des inscriptions pieuses sur les parois ou le dallage des
basiliques, sur le linteau des portes, sur les baptistères ou les fon-
taines1. On a découvert, soit à Carthage, soit dans d'autres villes
de Proconsulaire ou de Numidie, quelques-unes de ces inscrip-
tions, qui toutes paraissent dater du ve siècle ou de la fin du
d'hui à penser qu'il n'est pas authentique, du moins dans sa forme actuelle : au vieux
texte de saint Augustin a été substitué systématiquement le texte de la Vulgate. —
Quant au second Spéculum ou Liber de divinis Scripturis {ibid., p. 287-700), il est
fort intéressant comme spécimen des textes mêlés des vc et vie siècles ; mais il n'est
pas de saint Augustin. Cf. Weihrich, Die Bibelexcerpte De divinis Scripturis und die
Itala des Augustinus, 1894.
1 Le Blant, V épigraphie chrétienne en Gaule et dans V Afrique romaine, p. 111 et
suiv.
32
REVUE DES ETUDES JUIVES
ive *. Ce sont ordinairement des versets bibliques, tirés surtout des
Psaumes. Ces documents ont pour nous un grand intérêt, car ils
nous présentent des textes d'une authenticité indiscutable et sans
aucune altération, ils nous ont conservé l'exacte copie des livres
saints alors employés dans les Églises de la région. En général,
ces légendes s'accordent avec la Vulgate, ce qui est tout naturel :
déjà chez saint Cyprien, même chez Tertullien, une foule de ver-
sets des Psaumes avaient leur physionomie actuelle, parce que
notre Psautier, le Psautier dit « gallican » de saint Jérôme, n'est
que l'ancienne version très légèrement revisée. Toutefois, entre
ces inscriptions bibliques et la Vulgate, on surprend quelques dif-
férences, soit dans la structure du verset, soit dans le vocabulaire;
on y relève des leçons « italiennes » ou « africaines », comme chez
saint Augustin.
INSCRIPTIONS BIBLIQUES TROUVÉES EN AFRIQUE.
VULGATE.
Saint Matthieu, vi, 13.
« ... [a m]alo libéra nos » (inscription d'une table en pierre,
trouvée au Kef, maintenant au Musée du Bardo : La Blanchère
et Gauckler, Catalogue du Musée Alaoui, D, 555).
« Sed libéra nos
a malo. »
Saint Luc, n, 14.
« Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonae « Gloria in altis-
voluntatis » (Inscription découverte entre Tebessa et Constan- simis Deo, et in
tine : Corpus inscript, lût., VIII, 10642; supplem., 16720. — terra pax hominibus
Texte identique, sauf pour l'orthographe, dans une inscription bonae voluntatis. »
d'Haïdra (Ammaedara) : Corpus inscript, lat., VIII, 462 ; sup-
pléai., 11644).
— « Gloria in excelsis Deo, et in terra pax » (Inscription de
Carthage : Corpus inscript, lat., VIII, 10549, Additam. — Même
texte dans une inscription de Kessera (Chusira) en Byzacène :
Corpus inscript, lat., VIII, 706).
— « Gloria in ex[celsis) » (Inscription d'une fontaine trouvée
près de Zaghouan, aujourd'hui au Musée du Bardo : La Blan-
chère et Gauckler, Catalogue du Musée Alaoui, D, 586).
Saint Paul, Roman., H, 14.
« Justus sibi lex est » (Inscription d'une mosaïque trouvée à « Ipsi sibi sunt
Constantine : Corpus inscript, lat., VIII, 7922). lex. »
Jb., Vin, 31.
« Si Deus pro nobis, quis contra nos ? » (Inscription de Car-
thage : Musée Lavigerie, III, p. 12-13, pi. III. — Texte iden-
tique sur une mosaïque des environs de Lamta (Leptiminus) en
Byzacène : Corpus inscript, lat., VIII, supplem., 11133).
« Si Deus pro
nobis, quis contra
nos ? »
1 P. Delattre, Les citations bibliques dans Vépigraphie africaine [C. R. du 5e Congrès
scientifique international des catholiques, tenu à Bruxelles en 1894. — 2« section :
Sciences religieuses, p. 210 et suiv.).
LA BIBLE LATINE EN AFRIQUE
— « Si Deus pro nobis, quis adversus nos? » (Inscription
d'Aïn-Gueber, en Numidie, sur un linteau de porte : Corpus
inscript, la t., VIII, 2218) •'.
Deuteronom., vi, 5 2.
« Diligis Dominum Deum ex [toto corde] tuo, ex tota anima
tua, et ex tot[a ibrtitudine tua] » (Inscription d'un pilastre,
trouvée à Sétif : Corpus inscript. lat., VIII, 8620) 3.
Psalm., x, 12.
« Exsurgc, Domine Deus, cxaltetur manus tua » (Inscription
de Sétif, aujourd'hui au Musée du Louvre : Corpus inscript.
la t., VIII, 8621).
Ib.. xii, 4.
«Respice et exaudi me, Domine Deus meus » (Inscription
de Sétif, au Musée du Louvre : Corpus inscript, lat., VIII,
8622).
Ib., xxix, 2.
« Exalta te, Do[mi]ne, quia suscepisti me ; et non jucundasti
inimicos meos super me » (Inscription de Sétif, dont la seconde
partie est au Musée du Louvre : Corpus inscript, lat., VIII,
8623-8624).
Ib., lui, 4.
« Exaudi, Deus, or[a]tionem meam ; au[ri]bus percipe berb[a]
oris mei » (Inscription d'une mosaïque qui ornait l'abside d'une
basilique à Feriana (Thelepte) : Corpus inscript, lat., VIII,
supplem., 11269).
Ib., lxxxv, 17.
« Fac mecum signum in bonum, ut videant qui me oderunt,
et confundantur » (Inscription d'un linteau de porte, trouvée à
Carthage : — C. B. de l'Acad. des Inscript., 1894, p. lui).
Ib., cxv, 13.
« Salulem accipiam, et nomen Domini invocabo » (Inscription
de Sétif : Corpus inscript, lat., VIII, fiA0^ 4
133
« Diliges Domi-
num Deum luum ex
toto corde tuo, et ex
tota anima tua, et ex
tota fortitudinetua.»
« Exsurge, Do-
mine Deus, exalte-
tur manus tua. »
« Respice et ex-
audi me , Domine
Deus meus. »
« Exaltabo te ,
Domine , quoniam
suscepisti me ; nec
delectasti inimicos
meos super me. »
« Deus, exaudi
orationem meam ;
auribus percipe
verba oris mei. »
« Fac mecum si-
gnum in bonum, ut
videant qui oderunt
me, et confundan-
tur. »
« Calicemsalutaris
accipiam, et nomen
Domini invocabo. »
1 On lit sur la même pierre la formule : « Fide in Deu et ambula •, qui paraît être
une parapbrase d'un autre verset biblique : « Per fidem enim ambulamus » (II Co-
rinth., V, 7).
2 Ce verset du Deutéronome est reproduit, avec quelques variantes, dans les trois
premiers Évangiles (saint Matthieu, xxn, 37 ; saint Marc, xn, 30 ; saint Luc, x, 27).
Mais l'inscription de Sétif paraît se rapporter plutôt au passage du Deutéronome.
3 Cf. la citation de saint Cyprien, Testimon., III, 18 : « Diliges Dominum Deum
tuum de toto corde tuo, et de tota anima tua, et de tota virtute tua. »
4 Cf. la citation de saint Cyprien, Epist. 76, 4 : t Calicem salutis accipiam, et
nomen Domini invocabo. » — Sur une inscription trouvée à Henchir-el-Guis, près
Theveste, on lit la formule suivante : • Adferte Dom(ino) mundum sacrificium ;
adferte D(o)m(ino) patrise gentium » [Corpus inscript, lat., VIII, 10656). C'est encore
une paraphrase d'un passage de la Bible : c Adferte Domino patrise gentium;...
tollite bostias » (Psalm. xcv, 7-8). Enfin, une autre inscription qui décorait sans doute
la façade d'une église à Henchir-Guesseria, près du Chott Timsitt : « Hec porta
Domini justi intrabunt », est la reproduction littérale d'un verset biblique (Psalm.
xcvn, 20. — Cf. Corpus inscript, lat., VIII, 10863).
T. XLIII, n° 85. 3
34 REVUE DES ETUDES JUIVES
Au moment où les communautés africaines, sous l'influence de
saint Augustin, ou par le concours des mêmes circonstances, com-
mençaient à employer concurremment ou à mêler des versions
très différentes d'origine, un groupe d'Églises locales continuaient
à se servir exclusivement d'anciens textes : c'étaient les Églises
donatistes. Nous avons remarqué déjà qu'au ive siècle, les écri-
vains de cette secte étaient restés les plus fidèles aux vieilles tra-
ductions contemporaines de saint Cyprien. Plus tard, au milieu de
leurs querelles avec les catholiques, les donatistes s'obstinèrent
d'autant plus à conserver scrupuleusement les traditions locales,
qu'ils voyaient leurs adversaires y renoncer en partie. Ils refu-
sèrent d'accepter les versions nouvelles, et gardèrent leurs vieux
textes « africains ». Ce contraste entre les deux Églises rivales est
nettement accusé dans le traité Contre Fulgence le donatiste,
qu'on attribue à saint Augustin *. Cet ouvrage a la forme d'un dia-
logue entre un catholique et un donatiste : or, les citations du
catholique se rapportent presque toujours à la Vulgate, tandis que
son interlocuteur se réfère aux vieilles versions. Même contraste
dans le procès-verbal des conférences de 411 2. Saint Augustin et
les catholiques y emploient de préférence les textes « italiens » ou
parfois la Vulgate, tandis que les donatistes s'en tiennent aux
textes « africains ». Par exemple, pour ce passage d'Isaïe, l'évêque
donatiste Habetdeus reproduit, presque mot pour mot, une citation
de Tyconius :
HABETDEUS.
TYCONIUS.
« Quomodo vestimentum
conspersum in sanguine non
erit mundum, ita nec tu eris
mundus, quia terram meam
perdidisti et plebem meam,
occidisti. Non manebis in
reternum tempus semen ne-
quam. Para iilios tuos in-
ter/lci peccatis patris sui, ut
non exsurgant » (Gesta col-
lationis Carthagine habita
inter Catholicos et Dona-
tistas, Cognit. III, 258 —
cf. Mansi, Concil., t. IV,
p. 239).
Isale, xiv, 20-21.
« Quomodo vestimentum
sanguine consparsum non
erit mundum, ita nec tu eris
mundus, quia terram meam
perdidisti et plebem meam
occidisti. Non eris in aeter-
num tempus semen nequam.
Para iilios tuos interfici pec-
catis patris tui, ut non re-
surgant » ( De septem re-
gulis, reg. VII).
« Non habebis consor-
tium, neque cum eis in se-
pultura ; tu enim terram
tuam disperdidisti. tu po-
pulum tuum occidisti. Non
vocabitur in aelernum se-
men pessimorum. Pra-pa-
rate filios ejus occisioni in
iniquitate patrum suorum ;
1 Contra Fulgentium donatistam, dans la Patrol. lot. de Migne, t. XLI1I, p. 763 et
suiv. — Cf. Burkitt, The Old Latin and the Itala, p. 91.
' Gesta c.ollationis Carthagine habita inter Catholicos et Donatistas (Mansi, Concil.,
t. IV, p. 51-246). — Cf. Sabatier, Bibliorum sacrorum latine versiones antiqua, t. 1,
Prafat.y § 157.
LA BIBLE LATINE EN AEBÏQUE 38
Comme Tyconius lui-même s'était servi des anciennes versions
du ine siècle1, on n'est pas surpris de relever beaucoup d'ana-
logies entre les citations donatistes de 411 et les citations mêmes
de saint Cyprien. Pour certaines parties de la Bible, comme le
livre d'Isaïe, l'origine de ces textes africains semble remonter
plus haut encore, jusqu'à ïertullien :
HABETDEUS.
SAINT CYPRIEN.
TERTULLIEN.
VULGATE.
Tsaïe, i, 11-15.
« Quo mihi multi-
tudine sacrifciornm
vestrorum ? dicit Do-
minus. Plenus sum.
Holocaustomata arie-
tum, et adipem agno-
rum, et sanguinem
taurorum et hirco-
rum nolo ;. nec sic
veniatis in conspectu
meo Quis enim ex-
quisivit ista de ma-
nibus vestris ? Cal-
care aulam meam
non adicitis ; si attu-
leritis similaginem,
vanum : incensum
abominatio est mihi.
Neomenias vestras et
sabbata et diem mag-
num non sustineo .
Jejunium et ferias
et dies festos vestros
odil anima mea.
Facti enim estis mihi
in abundantiamulta.
Jam non parcam pec-
catis vestris . Cum
extenderitis manus,
avertamoculos meos
a vobis ; et si mul-
tiplicaveritis preces,
non exaudiam vos ;
manus enim vestrae
sanguine plense
sunt » (Gesta Col-
lationis Carthagine
habita inter Catho-
licos et Donatistas,
Cognit. III, 258. — ■
Cf- Mansi, ConciL,
t. IV, p. 238).
« Quo mihi multi-
tudinem sacrifîcio-
mm vestrorum ? di-
cit Dominus. Plenus
sum , Holocausto-
mata arietum , et
adipem agnorum, et
sanguinem tauro-
rum et hircorum
nolo . . . Quis enim
exquisivit ista de
manibus vestris ? »
(Testimou., I, 16).
— « Jam non re-
laxabo peccata ves-
tra. Cum extende-
ritis manus , aver-
tam faciem a vobis ;
et si multiplicaveri-
tis preces, non exau-
diam vos ; manus
enim vestrse san-
guine plense sunt »
(Tes timon., I, 24).
« Quo mihi, in-
qtiit, multitudinem
sacrifiriorum vestro-
rum? Plenus sum ho-
locaustomatum arie-
tum, et adipem
agnorum, et sangui-
nem taurorum et
hircorum nolo. . .
Quis enim requisi-
vit ista de manibus
vestris ? » (.De ora-
tione, 28).
— « Si attuleri-
tis, inquit, mihi si-
milam, vanum sup-
plicamentum , exe-
cramentum mihi est »
( A dvers . Judœos ,
5).
— « Neomenias
vestras et sabbata et
diem magnum non
sustineo. Ferias et
jejunium et dies fes-
tos vstros odit ani-
ma mea » (Advers.
Marcion., I, 20 ).
— « Et si exten-
deritis manus, aver-
tam faciem meam a
vobis ; et si multi-
plicaveritis preces,
non exaudiam vos ;
manus enim vestrse
sanguine plense
sunt » (Advers. Ju-
3).
« Quo mihi mul-
titudinem victima-
rum vestrarum?
dicit Dominus. Ple-
nus sum . Holo-
causta arietum, et
adipem pinguium ,
et sanguinem vitu-
lorum et agnorum
et hircorum nolui.
Cum veniretis ante
conspectum meum,
quis qusesivit hsec
de manibus vestris,
i;t ambularetis in
atriis meis ? Ne of-
feratis ultra sacrifi-
cium frustra : in-
censum abominatio
est mihi. Neome-
niam et sabbatum
et festivitates alias
non feram. Iniqui
sunt csetus vestri.
Calendas vestras et
solemnitates vestras
odivit anima mea.
Facta sunt mihi mo-
lesta, laboravi sus-
tinens. Et cum ex-
tenderitis manus
vestras, avertam
oculos meos a vo-
bis ; et cum multi-
plicaveritis oratio-
nem , non exau-
diam ; manus enim
vestrse sanguine
plense sunt. »
Burkitt, The Mules of Tyconius, 1894, p. lui et suiv.
36
REVUE DES ETUDES JUIVES
Ib., xxxv, 3-6.
« Confortamini ,
manus dissolutœ, et
genua debilia, con-
fortamini. Qui estis
pusillanimes, nolite
timere. Dominus nos-
ter judicium retri-
buet, et ipse veniet,
et salvos faciet nos-
Tune aperientur
oculi caecorum , et
aures surdorum au-
dient, plana erit lin-
gua mutorum , et
claudus saliet sicut
cervus : quoniam
rupta est in deserto
aqua et fons in terra
sitienti » (ibid.. Co-
fjnit. III, 258. —
Mansi, t.
236).
IV
« Confortamini,
manus resolutœ, et
genua debilia, ex-
hortamini. Qui estis
pusillo animo, nolite
timere. Deus noster
judicium retribuet,
ipse veniet, cl salvos
facietnos. Tune ape-
rientur oculi caeco-
rum, et aures sur-
dorum audient. Tune
saliet clodus sicut
cervus, et plana
erit lingua muto-
rum : quia rupta est
in deserto aqua et
rivus in terra si-
tienti » (Testimon.,
II, 7).
« Invalescite, ma-
nus dimissœ, et ge-
nua resoluta » (Ad-
vers. Marcion., IV,
24).
— « Ecce Deus
noster judicium ré-
tribue!, ipse veniet,
et salvos faciet nos.
Tune infirmi cura-
buntur, et oculi cse-
corum videbunt, et
aures surdorum au-
dient et mutorum
linguœ solventur, et
claudus saliet velut
cervus, et cetera »
[Advers. Judœos, 9).
— « Tune pate-
fient oculi caecorum,
et aures exaudient
surdorum. Tune sa-
liet claudus ut cer-
vus, et clara erit
lingua mutorum »
{Advers. Marcion-,
IV, 24).
• Conforlate ma-
nus dissolutas , et
genua debilia robo-
rate. Dicite pusilla-
nimis : Conforta-
mini, et nolite ti-
mere. Ecce Deus
vester ultionem ad-
ducet retributionis,
Deus ipse veniet, et
salvabit vos. Tune
aperientur oculi cae-
corum, et aures sur-
dorum patebunt.
Tune saliet sicut
cervus claudus, et
aperta erit lingua
mutorum, quia scis-
sœ sunt in deserto
aquse, et torrentes
in solitudine. »
Il faut donc mettre à part les donatistes, qui restaient obstiné-
ment fidèles aux vieux textes. Mais les communautés catholiques,
à en juger par les citations de leurs polémistes et par les docu-
ments d'Église, avaient promptement adopté la méthode éclectique
inaugurée par saint Augustin. Cet éclectisme eut pour effet de
modifier profondément la physionomie des recueils de livres
sacrés, d'y introduire de surprenants contrastes, quelquefois une
grande confusion. Désormais prédominent les textes a italiens »,
importés dans le pays vers la fin du ivc siècle. En même temps se
répand l'usage des versions de saint Jérôme, dont on adopte sou-
vent des leçons, même des versets entiers, surtout pour le Nouveau
Testament. Cette infiltration de la Vulgate dans les versions ita-
liques est visible déjà dans les Actes des Conciles du commence-
ment du ve siècle, et dans le Codex canonum, ou recueil général
des canons de l'Église africaine, composé en 419 *. A ces textes de
plus en plus mêlés se rapportent la plupart des citations qu'on
relève dans les ouvrages des derniers auteurs latins du pays,
évêques, chroniqueurs ou polémistes : chez Vigilius de Thapsus ou
Eugenius de Carthage, surtout chez Victor de Vita, saint Fulgence
1 Codex canonum ecclesiœ africanœ (Mansi, Concil.% t. III, p. 699 sqq.).
LA BIBLE LATINE EN AFRIQUE 37
de Ruspé, Junilius ou Primasius d'IIadrumète. Outre les emprunts
accidentels aux traductions de saint Jérôme, nous connaissons des
exemples d'emprunts systématiques. Dans le premier Spéculum
ou recueil d'extraits bibliques, qu'on attribuait à saint Augustin et
qui s'est conservé à la suite de ses œuvres, un copiste ancien, de
parti pris, a remplacé presque tous les textes « italiens » par le
texte de la Vulgate '. Pour leurs citations de Job, tous les auteurs
africains du v° et du vi° siècle ont suivi, comme saint Augustin, la
traduction faite par Jérôme sur les Hexaples d'Origène 2. Enfin,
dans son commentaire des Épilres de saint Paul, Primasius a pris
la Vulgate pour base de son exégèse 3. Voilà trois faits caractéris-
tiques, qui suffiraient à attester le progrès continu des versions de
saint Jérôme.
La lutte n'était pas circonscrite entre les textes « italiens » et la
Vulgate. Forts de leur autorité plusieurs fois séculaire, protégés
par le grand nom de saint Gyprien et par le respect dû aux an-
tiques manuscrits, les textes « africains » n'avaient pu être entiè-
rement dépossédés. On les consultait encore; on en retenait des
leçons, des versets. En voici deux exemples, chez Victor de Vita :
VICTOR DE VITA.
ANCIENS TEXTES AFRICAINS.
« In principio fecit Deus
eaelum et terrain. Terra au-
lem erat invisibles et in-
composita, et tenebrae erant
super abi/ssum ; et Spiritus
Dei superferebatur super
aquas » (Persec. Vandal.,
II, 10). .
« Pater, si fieri votest,
trauseat a me calix istc »
[Persec. Vandal., II, 4).
Gènes., i, 1-2.
« In principio fecit Deus
eaelum et terrain Terra au-
tein erat invisibilis et in-
composita, et ténèbres erant
super abyssiiM; et Spiritus
Dei superferebatur super
aquas » {De Pascha com-
put., 3).
Saint Matthieu, xxvi, 39.
« Pater, si fieri potest,
trauseat a me calix iste »
(Saint Cyprien, Testimon.,
III, 19).'
« In principio creavit
Deus eaelum et terrain.
Terra autem erat inonis et
vacua, et tenebrae erant
super faciem abyssi ; et
Spiritus Dei ferebatur su-
per aquas. »
« Pater mi, si possibile
est, transeat a me calix
iste. »
Dès le siècle dernier, Dom Sabatier était frappé de cette persis-
tance des versions africaines chez les auteurs de l'Afrique van-
dale ou byzantine, et il recueillait dans leurs ouvrages, surtout
1 Liber qui appellatur Spéculum, éd. Weihrich, 1887 {Corpus scriptor. eccles. lat.,
vol. XII, pars I, p. 1-285). Sur la physionomie et l'histoire de ces textes bibliques,
cf. la préface de Weihrich, p. xv et suiv.
2 Burkitt, The Old Latin and the Itala, p. 34.
3 Primasius, Commentar. in Epistolas B. Pauli (dans la Pat roi. lat. de Migne, t.
LXVIII, p. 415).
38 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
dans ceux de saint Fulgence, de Primasius et de Junilius, bien des
fragments du vieux latin biblique *. En fait, quelques-uns de ces
anciens textes « africains » étaient restés très vivants au ve et au
vi° siècle. On n'en conservait pas seulement alors des leçons iso-
lées, ou de simples extraits sauvés de l'oubli par les Testimonia
de saint Cyprien : on en lisait encore des livres entiers, demeurés
intacts avec leur physionomie d'autrefois. A la fin du ve siècle,
l'auteur du traité Sur les promesses de Dieu citait les Actes des
Apôtres d'après l'ancien texte2. Et Primasius, évêque d'Hadru-
mète au temps de Justinien, écrivant son commentaire de Y Apoca-
lypse, y reproduisait mot pour mot la version connue de saint
Cyprien, en la comparant à une autre version de Tyconius 3 : il
contrôlait un texte africain à l'aide d'un autre texte africain.
Ainsi, au bout de cent cinquante ans, dans l'église d'une grande
ville comme Hadrumète ou dans la bibliothèque de son évêque, ni
les manuscrits italiques, ni la Vulgate n'avaient encore pu sup-
planter, pour Y Apocalypse, les vieux manuscrits indigènes.
Cette action toujours présente de certaines versions qui dataient
du 111e ou du ive siècle nous explique l'existence et la formation
d'une autre famille de textes bibliques, qui appartient en propre
à l'Afrique des Vandales et des Byzantins : les textes appelés au-
jourd'hui «africains de basse époque4». On en surprend déjà
l'origine chez saint Augustin; mais ils ne se sont multipliés et
précisés qu'après lui, à mesure que le mélange devenait plus fré-
quent et plus intime. Ce sont, au fond, des textes « italiens », mais
si bien transformés par une série d'interpolations et de leçons
«africaines», qu'ils ont fini par constituer une famille distincte.
Ils procèdent du même principe que les textes « mêlés » dont nous
parlions plus haut. Seulement, il y a ici substitution d'un élément
à l'autre : au groupe « italo-vulgate », qui compte des représen-
tants dans tous les pays latins, s'oppose un groupe plus restreint,
spécial à une région, un groupe « italo-africain ». Ces curieux
textes, où les anciennes versions locales se survivent jusque dans
des versions italiques, se rencontrent presque à chaque page du
second Spéculum faussement attribué à saint Augustin 5. Le type
1 Sabatier, Bibliorum sacrorum latinœ versiones antiquœ, t. I, Prœfat., $ 161.
* De promis sis et pradiriionibus Dei (dans la Patrol. lut. de Migne, t. Llj.
3 Primasius, Comment arlorum super Apocahjpsim B. Joannis libri V (dans la
Patrol. lat. de Mi^ne, t. LKV1II, p. 794 et suiv.). — Cf. Haussleiter, Die latetnische
Apokalypse der alten afrikanischen Kirche, p. xm et suiv. ; 79 et suiv.
4 S. Bercer, Le Palimpseste de Fleury, p. 16 et suiv.
8 Liber de divitiis Script uris sive Spéculum rjuod fertur S. Aur/ustini, éd. Weihrich,
1887 (Corpus scriptor. eccles, lut., vol. Xll, pars I, p. 2*7-700). Cf. Weihrich, Die
Bibelexccrpte De divinis Scripturis und die ltula des Augustinus, 1894 ; S. Berger, Le
LA BIKLE LATINE EN AFRIQUE 39
le mieux caractérisé de cette famille se rapporte aux Êpîtres ca-
tholiques. Le texte néo-africain de ces Épitres nous est connu en
grande partie, d'abord par les citations des auteurs du temps, sur-
tout de saint Fulgence, ensuite par trois manuscrits dont les frag-
ments coïncident et se complètent : le Palimpseste de Fleury \ un
manuscrit de Freisingen 2, et un Palimpseste de Bobbio3. A l'aide
de tous ces documents, on peut reconstituer presque en entier, au
moins pour les quatre premières Épitres, la version usitée dans
les provinces de Byzacène et de Proconsulaire aux ve et vi° siècles.
C'est un fort intéressant spécimen de ces textes mêlés, particuliers
à l'Afrique de ce temps.
Il est à remarquer que le Palimpseste de Fleury, outre ce texte
néo-africain des Épitres catholiques, renferme le vieux texte
« africain » des Actes des Apôtres et de Y 'Apocalypse 4 . Ces trois
ouvrages paraissent avoir été transcrits en même temps, et par le
même copiste. On en a conclu que ces trois livres du Nouveau
Testament étaient employés à la même époque dans les mêmes
Églises5. La supposition est d'autant plus vraisemblable que jus-
tement l'ancienne version des Actes est citée à la fin du ve siècle
dans le traité Sur les promesses de Dieu, et que l'ancienne ver-
sion de Y Apocalypse est reproduite tout au long, vers le milieu du
vie siècle, par Primasius d'Hadrumète 6. Nous avons donc là un
très curieux exemple de l'éclectisme à la mode dans les Églises
vandales et byzantines. Et l'on constate les mêmes accommode-
ments dans l'œuvre de Primasius7. Cet évêque suit toujours la
Vulgate dans son Commentaire des Épitres de saint Paul, mais il
ne l'accepte pas pour d'autres livres. Dans son Commentaire de
Y Apocalypse, il transcrit presque entièrement le vieux texte de
saint Cyprien, cite de plus un autre texte africain connu par Ty-
conius, paraphrase souvent les observations de l'écrivain dona-
tiste, et, par une négligence ou une fantaisie surprenante, il copie
à l'occasion la Cité de Dieu. Non seulement il reproduit ici mot
pour mot, en deux chapitres de son ouvrage8, toutes les remarques
Palimpseste de Fleury, p. 17; Histoire de la Vulgate, p. 6 ; Burkitt, The Rules of
Tyconius, p. lxi et suiv.
1 S. Berger, Le Palimpseste de Fleury, p. 40-45.
2 Ziegler, Italafragmente (Marburg, 1876) ; Bruckstûcke einer vorhieron. Ueberset-
zung der Petrusbriefe, dans les Sitzungsber. der Mûnch. Akad., 1876, 1, p. 607.
3 Fragments publiés par Tischendorf (Leipzig, 1857), et par Belsbeim (Christiania,
1887).
4 S. Berger, Le Palimpseste de Fleury, p. 21-39.
s Ibid.,p. 17-18.
6 De promisses et prrrdictionibus Dei : Primasius, Comment ar/orum super Apocalyp-
sim B. Joannis libri V (dans la Patrol. lat. de Migue, t. Ll et LXVI1I).
7 Ses œuvres sont réunies dans le tome LX.VIII de la Patrologie latine.
8 Dans le commentaire des chapitres xx-xxi, 1-4, de Y Apocalypse.
40 REVUE DES ETUDES JUIVES
de saint Augustin f, mais encore, à cet endroit, il emprunte à son
modèle jusqu'au texte « italien » de Y Apocalypse-. Rien ne peint
mieux l'éclectisme des auteurs de cette période, leur liberté dans
le choix ou leur indifférence dans l'emploi des traductions bi-
bliques.
Ainsi, depuis saint Augustin jusqu'à la veille de l'invasion
arabe, il a circulé en Afrique des versions de presque toutes les
familles connues : Vulgate et autres revisions de saint Jérôme,
textes « italiens », textes « africains » purs et textes « mêlés »,
soit » italo-vulgate », soit « italo-africains ». L'impression d'en-
semble est une extraordinaire confusion, produite parla juxta-
position ou le mélange de textes très différents de physionomie
et d'origine.
Quoique plus frappant ici et plus complexe, ce phénomène n'est
pas spécial à l'Afrique. En Espagne, dans la Gaule du vie siècle,
et jusque dans l'empire de Charlemagne, d'anciens textes « euro-
péens » ou « italiens » ont contrarié les progrès de la Vulgate ; de
la fusion sont sortis beaucoup de textes « mêlés 3 ». A Rome même,
c'est seulement du pontificat de saint Grégoire le Grand, c'est-à-
dire des premières années du vne siècle, que date le triomphe des
versions de saint Jérôme. Encore n'est-ce qu'un demi-triomphe :
car la préférence qu'on accorde à ces versions n'entraîne pas l'ex-
clusion des autres. Grégoire le Grand lui-même écrit dans la lettre
préface de son Commentaire sur Job : « Pour mes citations, je suis
tantôt la version nouvelle, tantôt l'ancienne 4. » La Vulgate ne s'est
imposée réellement à toutes les Églises latines qu'au ix° siècle;
et, pendant tout le moyen âge, beaucoup de vieilles leçons ont
continué à se glisser sur les marges, entre les lignes, jusque dans
le texte des Bibles3.
L'Afrique vandale et byzantine n'en a pas moins, dans ce do-
maine, une physionomie à part. Les éléments du mélange y ont
été plus nombreux qu'ailleurs, et l'un de ces éléments est tout à
fait propre au pays. On y conservait la tradition des textes « afri-
cains » du me ou du ive siècle, et ces vieux textes entraient, pour
une large part, dans la composition des textes « mêlés ». En cela,
1 Saint Augustin, Deciv. Dei, XX, 7-17.
8 Cf. Haussleiter, Die lateinische Apokalypse der alten afrikanischen Kircke, p. 162-
165.
3 S. Berger, Histoire de la Vulgate, p. 2 et suiv. ; 61 et suiv. ; Kenyon, Our Bible
and the ancient manuscripts, p. 175 et suiv.
* « Novam vero translationem dissero ; sed cum probationis causa exigit, nunc no-
vam, nunc veterem per testimonia assumo » (Saint Grégoire le Grand, Prafat. ad
Moral, in Job, Epist. missor., 5. — Patrol. lat. de Migne, t. LXXV, p. 615}.
5 Berger, Histoire de la Vulgate, p. xvh ; p. 185 et suiv. ; 243 et suiv.
LA BIBLE LATINE EN AFRIQUE 41
comme en bien d'autres choses, les Églises locales se conformaient
à l'exemple donné par saint Augustin : entre la Bible de Fulgence
ou de Primasius, et celle d'Augustin, il y a une différence de pro-
portions dans le mélange, non de nature. Mais les contrastes se
sont de plus en plus accusés. Aucun écrivain de cette période ne
paraît avoir même entrevu l'utilité d'un texte latin homogène et
fixe, équivalent officiel du texte grec. C'est peut-être, au moins
dans une certaine mesure, la conséquence indirecte de l'histoire
politique : la domination vandale, en séparant Cartilage de Rome,
et la domination byzantine, en réveillant dans la contrée l'étude
du grec, a rendu plus difficile, puis moins utile, l'adoption d'un
texte latin unique. Aussi la Bible des communautés africaines du
ve et du vie siècle n'a-t-elle rien de commun avec notre concep-
tion d'une Bible immobile aux leçons arrêtées, d'une Bible com-
mune à tous, soustraite aux fantaisies individuelles par la décision
d'une autorité supérieure. Saint Gyprien, par la fixité de son texte
sacré, est infiniment plus près de nous que les polémistes de l'A-
frique byzantine, et même plus près de nous que saint Augustin
Conclusion. — Les lexles • africains » proprement dits. — Reconstitution du groupe.
— Origine et caractère de ces versions. — Ce qui s;en est conservé dans la Vul-
gate. — Influence sur la littérature chrétienne d'Afrique.
Il nous a paru nécessaire de pousser jusqu'au bout l'histoire de
la Bible africaine. C'était le seul moyen d'en éclairer les origines.
La question étant fort complexe et n'ayant pas été encore étudiée
d'ensemble, il fallait commencer par retrouver et classer les pièces
du procès, conservées en partie dans quelques manuscrits, mais
surtout éparses, comme on l'a vu, dans la littérature locale depuis
le 11e jusqu'au vie siècle. Il est possible maintenant de reconstituer
le groupe des textes «africains», d'en rapprocher les éléments,
d'en circonscrire le domaine, d'en préciser la physionomie, d'en
marquer le rôle et l'influence.
Nous devons d'abord écarter une bonne partie des versions em-
ployées en Afrique depuis la fin du ive siècle. Textes « italiens »,
premières traductions de saint Jérôme, Vulgate, ce sont autant
d'éléments étrangers, qui intéressent l'histoire ultérieure de la
Bible locale, mais non l'étude des versions primitives, originales,
de la contrée. Pour une raison analogue, nous devons laisser de
42 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
côté même les textes africains « de basse époque », puisque ce sont
des textes mêlés, dont toute la nouveauté consista dans ce mé-
lange d'éléments anciens. De la littérature du ve et du vie siècle,
nous devons retenir seulement les fragments de versions « afri-
caines », insérés dans leurs ouvrages par les auteurs du temps,
surtout par les donatistes et par Primasius.
Il y a, en effet, deux périodes très distinctes dans l'histoire des
traductions bibliques usitées en Afrique. De la fin du 11e siècle jus-
qu'à la fin du ive, nous assistons à l'évolution naturelle des ver-
sions locales. La seconde période, qu'annonce et que domine Vé-
clectisme de saint Augustin, est celle des influences étrangères.
C'est la première période seule qui doit nous occuper ici. C'est
alors que la Bible africaine s'esquisse chez Tertullien, se précise,
se complète et se concentre dans l'œuvre de saint Cyprien, puis se
maintient ou se développe, mais dans le même sens, chez saint
Optât, chez les donatistes et Tyconius. Elle se survivra sans doute
chez saint Augustin et ses successeurs ; mais on peut dire qu'à la
fin du iv° siècle son évolution est terminée.
Elle ne nous est connue que partiellement. Mais il en subsiste
des fragments innombrables, quelquefois très longs et très impor-
tants : un livre entier, Y Apocalypse, conservée à la fois par le
Palimpseste de Fleury et par Primasius ; d'autres livres presque
entiers, les Actes des Apôtres et les quatre Évangiles, connus
soit par le même Palimpseste de Fleury, soit par le Codex Bo-
biensis ou autres manuscrits, soit par les auteurs. A cela, il faut
ajouter, comme nous le verrons, certains ouvrages deutéro-cano-
niques et la plus grande partie des Psaumes, dont le texte « afri-
cain » s'est transmis à la Vulgate. Pour tout le reste de la Bible,
nous possédons des milliers de fragments, dont beaucoup ont été
reproduits plusieurs fois dans la littérature locale. En somme, un
très riche ensemble de documents, d'après lesquels on peut se
faire une idée des vieux textes « africains ».
Mais, d'abord, que faut-il entendre par là? En termes de cri-
tique, un texte « africain », c'est surtout un texte conforme à la
version de saint Cyprien, ou très voisin de cette version, en tout
cas, de la même famille. Ainsi, l'usage courant ne préjuge rien
quant à l'origine. Et cette origine reste enveloppée de mystère.
On ne saurait affirmer que les traductions primitives aient été
faites en Afrique, et moins encore qu'elles y aient été introduites
du dehors.
Nous avons vu qu'on trouvait chez les auteurs du pays quelques
souvenirs d'une première évangélisation venue d'Orient. Cette
première prédication n'avait pu se faire qu'en grec, dans les villes
LA BIBLE LATINE EN AFRIQUE A3
de la côte, où d'ailleurs l'usage de cette langue était assez répandu.
Jusque-là, il ne peut être question que de la Bible grecque.
Mais l'évangélisation systématique de la contrée est certainement
l'œuvre de Rome. Il serait donc tout naturel de supposer que les
missionnaires romains eussent apporté avec eux une traduction
latine, au moins des principaux livres ; et l'on pourrait leur attri-
buer, par exemple, ce texte des Évangiles et des Épîtres de saint
Paul que mentionnent dès 180 les Actes des Scilitains. Cette hy-
pothèse serait tout à fait vraisemblable si nous ne savions d'autre
part que l'Église romaine elle-même est restée toute grecque
jusque dans la première moitié du 111e siècle. Gomment ces apôtres,
qui ne parlaient pas latin chez eux, auraient-ils porté ailleurs, à
cette date, des textes latins?
C'est pourquoi, sans pouvoir l'affirmer, on croirait plutôt que
ces versions « africaines » ont été simplement exécutées en
Afrique. Ainsi s'expliqueraient leur popularité dans le pays, l'usage
exclusif qu'on en a fait jusqu'au temps de saint Augustin, le
fidèle souvenir qu'on leur a gardé, pour certains livres, jusqu'au
vie siècle. Ce qui paraît surtout justifier cette hypothèse, c'est l'é-
tude de la Bible de Tertullien. On a vu que cet écrivain ne s'ac-
corde pas avec lui-même dans ses citations d'un même passage.
Il a eu certainement entre les mains, pour quelques livres, des tra-
ductions latines; et, pour ces traductions, il semble avoir consulté
des manuscrits divers au cours de sa longue carrière. Son texte
biblique tantôt s'écarte, tantôt se rapproche étrangement de celui
de saint Cyprien. Ne dirait-on pas que dans l'œuvre de Tertullien
on surprend, tout près de la source, les origines de la Bible afri-
caine? A ce moment, des essais de traduction se font en divers
sens-; le travail est incohérent, les résultats inégaux et contradic-
toires. Mais la génération suivante mettra les choses au point.
Elle saura choisir, compléter, corriger : de toutes les ébauches du
temps de Septime Sévère, elle tirera une œuvre harmonieuse,
cette Bible africaine qui apparaît entièrement constituée au milieu
du ni6 siècle. Les incohérences de Tertullien et les libertés qu'il
prend avec les livres saints, l'analogie assez fréquente de ses cita-
tions avec celles de ses compatriotes de l'époque suivante, et,
d'autre part, la constitution du groupe « africain », la physio-
nomie si tranchée de ces textes en face des textes « européens »,
tout cela demeure inexplicable dans l'hypothèse d'une traduction
importée de Rome et dès lors fixée ; au contraire, tout devient
clair si la Bible africaine est réellement née en Afrique, si elle s'é-
bauche chez Tertullien avant de se préciser chez saint Cyprien.
Africains ou non d'origine, ces textes l'ont toujours été, ou le
M REVUE DES ETUDES JUIVES
sont devenus très vite, par adoption. Dès le moment où nous en
constatons l'existence, ils sont déjà si bien naturalisés que dans
les traités de Tertullien, à moins d'être averti, il est souvent très
difficile de distinguer les citations des livres saints : beaucoup de
versets bibliques, enchâssés dans les phrases de l'auteur, ont
échappé ainsi même à la critique des éditeurs modernes. C'est dire
que ces citations ne détonnent pas dans le style des écrivains du
pays ; et l'on pourrait tirer de cette simple observation un argu-
ment assez fort en faveur de l'origine africaine. Toujours est-il
que ces textes, depuis le règne de Sévère, appartiennent en propre
à la contrée. Ils y ont été seuls en usage j usqu'à la fin du ive siècle ;
et on ne les rencontre en Europe que chez des auteurs originaires
de la région, comme Lactance ou Victorin. En ce sens, tout au
moins, ils sont nettement africains.
D'ailleurs, ils n'ont jamais eu un caractère officiel. Ils ont été
acceptés d'abord par toutes les Églises locales, parce qu'on n'en
connaissait pas d'autres, et ils ne s'y sont maintenus que par la
force de l'habitude. Pendant deux siècles, ils y ont régné seuls en
fait, non en vertu d'une entente ou d'une décision quelconque. Le
texte officiel, pour l'Ancien comme pour le Nouveau Testament,
restait le texte grec. Aussi ne s'est-on point préoccupé de fondre
ou de mettre d'accord les diverses traductions latines, d'en arrêter,
une fois pour toutes, les leçons. La Bible de saint Gyprien n'est
qu'une exception apparente. L'auteur emploie un texte unique,
qu'il avait choisi parmi d'autres, ou qu'il avait scrupuleusement
fixé pour son compte ; mais ce texte n'était pas celui de la plupart
des évêques africains dans l'assemblée tenue à Garthage en 256, et
rien n'autorise même à supposer qu'il ait été alors adopté par tous
les fidèles de l'Église de Carthage. Si cette version a été souvent
consultée et partiellement reproduite aux siècles suivants, c'est
surtout parce que les Testimonia étaient d'un usage commode et
étaient lus de tous. Chez les contemporains et chez les successeurs
de saint Cyprien, on surprend des traces de traductions parallèles,
également africaines et assez voisines, mais pourtant indépen-
dantes. Il n'y a donc pas une version « africaine » de la Bible,
mais une famille de versions « africaines » : celle de saint Cyprien
n'est que la plus importante, la plus célèbre, et la mieux conser-
vée, des versions de cette famille.
Dans l'état actuel des études sur le latin d'Église, il est impos-
sible de démêler avec certitude tous les éléments dont se com-
posent les textes « africains1 ». Ils se définissent surtout en s'op-
1 Sur la langue de ces vieux textes bibliques, ou trouvera beaucoup d'intéressantes
observations de détail dans les ouvrages ou mémoires suivants : Kônsch, Itala une
LA BIBLE LATINE EN AFRIQUE 48
posant aux textes d'autres familles, « européens » ou « italiens ».
Sans doute, on y reconnaît l'emploi de termes qui semblent parti-
culiers à ce groupe. Tel est l'exemple cité déjà par Tertullien * :
Sermo dans le sens de Verbe, le Logos des Grecs, le Verbum de
la Vulgate. On a relevé beaucoup de faits analogues, et l'on pour-
rait en signaler bien d'autres : acceptions nouvelles, mots ou
formes étranges. Nous ne nous y arrêtons pas, parce qu'il serait
hasardeux d'en lirer une conclusion. Telle expression, tel tour de
phrase, qui sont familiers et paraissent propres à ces textes, n'ont-
ils pas été usités parfois en d'autres régions? C'est ce qu'on ne
saurait encore affirmer aujourd'hui ; la question ne pourra être
tranchée, ni même étudiée sérieusement, tant que ne seront pas
terminées la publication méthodique, l'analyse critique et la com-
paraison de toutes les anciennes versions bibliques. Tout ce qu'on
peut dire, c'est que le vocabulaire des textes « africains », les pro-
cédés de dérivation et de composition, la syntaxe, rappellent tout
à fait la langue des vieux auteurs africains, surtout de Tertullien 2.
On rencontre dans ces versions quelques hébraïsmes et beau-
coup d'héllénismes3. En général, les traducteurs ont suivi et
rendu les textes grecs avec une minutieuse et servile exactitude,
s'appliquant si bien à calquer leurs mots sur ceux de l'original,
que souvent ils déforment le latin, faussent le mécanisme de la
phrase, y jettent des termes bizarres, ou détournent le sens des
termes usuels. Ils visent à la fidélité du rendu, et sacrifient tout à
ce scrupule. Presque toujours, en revanche, ils sont plus courts,
plus énergiques que la Vulgate, et serrent le grec de plus près4.
Une chose, surtout, est ici évidente : c'est l'action prépondé-
rante du latin vulgaire, avec son dédain du jeu compliqué des
flexions, avec ses déformations analogiques, avec ses libertés, ses
surprises pittoresques et ses tendances analytiques 5. Les auteurs
Vulgata (2e édition, 1875) ; Die alttestatnentliche Itala in den Schriften des Cyprian,
1875; Die âltesten lateinischcn Bibeliibersetzungen nach ihrem Werte fur die latei-
nische Sprachwissenschaft, dans les Collectanea philologa (Bremen, 1891) ; Sittl, Die
lokalen Verschiedenheiten dcr latein. Sprache (ErlaDgen, 1882) ; Wordworlh, Sanday
and White, Old Latin biblical Texts (Cf. surtout, t. II, p. xcix etsuiv.); Hauschild,
Einige sicherc Kennzeichen des afrikanischen Latein (Francfort, 1889); Kûbler, Die
lateinische Sprache au f afrikanischen Inschriften, 1893 ; Ehrlich, Beitràge zur Lati-
nitàt der Itala (Rochlitz, 1895); Burkitt, The Old Latin and the Itala, p. 11 et
suiv. ; 41 et suiv.
1 Tertullien, Advers. Prax., 5. — Cf. Corptts inscript, lat., VIII, 2309 = supplem.
17759 : « Doraini Dei, qui est sermoni. »
8 Ronsch, Itala und Vulgata, p. 5 et suiv. ; 471 et suiv.
3 Ibid., p. 238-257 : 434-454 ; Sittl, Die lokalen Verschiedenheiten der latein. Sprache^
p. 92-120.
* Ronsch, Itala und Vulgata, p. 4 et suiv.
5 Ibid., p. 8 et suiv.; Sittl, Die lokalen Verschiedenheiten der latein. Sprache,
p. 120-140.
46 REVUE DES ETUDES JUIVES
chrétiens, d'anciens rhéteurs pour la plupart, ont été frappés de
cette physionomie populaire, un peu barbare, de leur Bible latine.
Saint Augustin avoue qu'il en fut longtemps choqué, et ses dé-
goûts de lettré contribuèrent à retarder sa conversion l. Plus tard,
il essaya de justifier la langue des traductions en usage. Il invo-
quait la nécessité d'être exact : « Le plus souvent, dit-il, le parler
vulgaire est plus utile, pour exprimer les choses, que la correction
du langage des lettrés2. » Il en donnait entre autres exemples,
dans un verset des Psaumes3, l'emploi anormal du pluriel san-
guines : « Ce terme emprunté à l'usage vulgaire sert ici à éviter
l'ambiguïté et l'obscurité; ce n'est pas ainsi que parlent les doctes,
mais c'est ainsi que parlent d'ordinaire les ignorants. . . Nos tra-
ducteurs ont compris qu'il importait à cet endroit d'employer au
pluriel ce mot qui, dans le bon latin, s'emploie seulement au sin-
gulier. Pourquoi un docteur de la religion, s'adressant à des igno-
rants, rougirait-il de dire osswn au lieu de os4? » Un siècle plus
tôt, Arnobe de Sicca, un rhéteur transformé soudain en apologiste
sans devenir grand clerc en théologie, Arnobe avait été blessé au
vif par les railleries des délicats contre la grossièreté du style
biblique. Il avouait que les textes sacrés étaient rédigés « en termes
populaires et de tous les jours5», dans une langue « triviale et
sordide6 », une langue « semée de barbarismes et de solécismes,
souillée de vices et difforme7 ». Et il se fâchait d'autant plus
contre les railleurs, qu'il était au fond de leur avis. Arnobe, vivant
en Afrique au temps de Dioclétien, n'a connu que les versions
« africaines ». Et, en effet, c'est dans ces versions-là surtout qu'est
visible l'empreinte du parler populaire.
Par là, les textes bibliques du groupe « africain » sont de pré-
cieux documents pour l'étude du latin d'Église au me siècle de
notre ère. De plus, ils intéressent directement l'histoire de la
Vulgate et la littérature chrétienne de la contrée.
1 Saint Augustin, Confess., III, 5 ; VI, S.
2 Id., De doctrin. Christ., III, 3 : • Plerumque loquendi consuetudo vulgaris utilior
est significandis rébus, quam integritas litterata. »
3 Psalm.^ xv, 4. — La leçon défendue ici par saint Augustin s*est conservée dans
la Vulgate : « Non congregabo conventicula eorum de sanguinibus. »
k « Vulgi autem more sic dicitur (verbum) ut ambiguitas obscuritasque vitetur, non
sic dicatur ut a doctis sed potius nt ab indoctis dici solet. Si enim non piguit dicere
interprètes nostros : « Non congregabo conventicula eorum de sanguin ibus », quoniam
senserunt ad rem pertinere ut eo loco pluraliter enuntiaretur boc nomen quod in Latina
lingua tantummodo singulariler dicitur : cur pietatis doctorem pigeât, imperitis lo-
quentem, ossum potius quam os dicere ? » (Saint Augustin, De doctrtn. Christ., IV, 10).
5 Arnobe, Advers. nation., I, 45 : « Popularibus et cotidianis verbis. »
6 Ibid., I, 58 : « Trivialis et sordidus sermo est. »
7 lbid., I, 59 : « Barbarismis, soloecismis obsitœ sunt, inquit, res vestrae et vitiorum
deformitate pollutse. >
LA BIBLE LATINE EN AFRIQUE 47
On sait que la Vulgate de l'Église catholique se compose d'élé-
ments très divers, et assez incohérents. L'un de ces éléments est un
groupe de textes africains. On l'a dit quelquefois, au moins pour cer-
tains livres *, et nous avons contrôlé cette assertion par une com-
paraison méthodique de la Vulgate et des textes de saint Cyprien.
Ne pouvant reproduire ici toutes les citations parallèles , nous
devons nous contenter d'indiquer les résultats de notre enquête 2.
Pour les livres canoniques de l'Ancien Testament, on ne constate
presque aucun rapport 3, sauf dans de rares passages où Ton peut
soupçonner des interpolations ultérieures. Le fait n'a rien de sur-
prenant, puisque la Vulgate de l'Ancien Testament est la version
originale de saint Jérôme d'après l'hébreu. Il faut admettre néan-
moins une importante exception : pour les Psaumes. Deux fois
sur trois chez saint Cyprien, et presque aussi souvent chez Ter-
tullien , les citations des Psaumes coïncident exactement avec
notre texte actuel4; dans les autres versets du recueil, les diver-
gences sont presque toujours insignifiantes 5. Les rencontres sont
si fréquentes, si régulières, et dans de si nombreux traités, qu'on
ne peut croire ici à des corrections postérieures faites par des
copistes. Nous savons, d'autre part, que notre Psautier, le Psautier
dit «gallican», est le produit d'une simple revision des anciennes
versions. Il semble qu'ici le travail de saint Jérôme ait été très
superficiel, et que, sauf de très légères modifications, le Psautier
actuel soit simplement une vieille traduction africaine, ébauchée
déjà au temps de Tertullien, achevée au milieu du 111e siècle, et à
peine retouchée à la fin du ive.
La question est plus complexe pour le Nouveau Testament.
Entre saint Cyprien et la Vulgate, les coïncidences sont très rares
pour, Y Apocalypse et les Épîtres catholiques, moins rares pour les
Évangiles et les Actes, assez fréquentes pour les Épîtres de saint
1 Rônsch, Itala und Vulf/ata, p. 11 ; Renan, Marc-Aurèle, p. 455 et suiv. ; Sittl,
Die lokalen Verr.chiedenheiten der latein. Sprache, p. 150 et suiv. ; Thielmann, Archiv
filr latein. Lexikogr., t. VIII, 1894; Keoyon, Our Bible and the ancient manuscripts,
1895, p. 51.
2 On comprend pourquoi nous avons choisi la Bible de saint Cyprien comme terme
de comparaison : c'est par excellence, et même par définition, le type le plus pur des
textes t africains ».
3 On en jugera par les exemples donnés plus haut, dans nos tableaux de citations
parallèles, ch. II et III.
4 Le contrôle est facile à l'aide de Vlndex Scnpturarum sacrarum du Tertullien
d'Oehler (t. II, p. ix-xn), et de Vlndex scriptorum du saint Cyprien de Hartel
(pars III, 329-330J.
5 II en est de même du Psautier de saint Optât, des donatistes, de saint Augustin,
en un mot, de tous les auteurs du pays. Presque toujours, aussi, c'est le texte de la
Vulgate qui apparaît dans les versets des Psaumes gravés sur les pierres ou encastrés
dans les mosaïques. Voyez ci-dessus notre tableau des inscriptions bibliques afri-
caines, ch. IV.
48 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Paul *. Sans doute, on peut supposer çà et là une intervention de
copistes; mais on ne saurait tout expliquer ainsi, d'autant mieux
que l'on observe le même fait dans les manuscrits bibliques des
versions du même groupe 2. Il y a donc eu ici, sur la Vulgate, une
influence directe ou indirecte des textes « africains ». L'hypothèse
d'une action directe serait peu vraisemblable, car l'on est fondé à
croire que, pour sa revision du Nouveau Testament, saint Jérôme
s'est servi exclusivement de textes « italiens ». Mais ces textes
« italiens » étaient eux-mêmes des textes revisés au cours du
ive siècle ; et l'on y surprend quelquefois des analogies avec les
citations de saint Cyprien. Selon toute apparence, les rédacteurs
des textes « italiens », outre les versions « européennes » qui étaient
la base de leur travail, ont consulté aussi des versions « africaines »,
principalement pour les Êpîtres de saint Paul, et c'est par eux
que des leçons « africaines » ont pu arriver jusqu'à la Vulgate.
Enfin, il y a un groupe d'ouvrages dont le texte « africain » s'est
conservé tout entier dans notre Bible : ce sont quelques ouvrages
deutéro-canoniques. Pour le troisième livre d'Esdras 3, pour la
Sagesse*, pour Sirach ou Y Ecclésiastique 5, pour les Macchabées0,
les citations de saint Cyprien coïncident mot pour mot avec la
Vulgate ; quand par hasard elles s'en écartent, c'est par de très
légères variantes. Nous savons justement que ces divers ouvrages,
alors exclus de la Bible, et, aujourd'hui encore, rejetés par les
Églises protestantes, n'ont été ni traduits ni revisés par saint
Jérôme, et que les anciennes traductions sont restées en usage. Ce
sont les versions africaines qui l'ont emporté, pour ces livres-là;
elles ont été définitivement admises dans la Vulgate de l'Église
catholique, sans doute à cause de l'autorité de saint Cyprien.
Avec des parties du Psautier, ces livres deutéro-canoniques
paraissent être les seuls textes « africains » qui figurent aujour-
d'hui dans notre Bible latine. Pour le reste de l'Ancien Testament,
les versions de ce groupe n'ont joué aucun rcVe dans la constitution
de la Vulgate; et, pour le Nouveau Testament, elles ont fourni
1 Voyez les exemples donnés plus haut, dans les citations parallèles de saint Cyprien
et de la Vulgate, ch. II-IV.
1 Cf. plus haut, ch. 111, les fragments du Codex Bobiensis et du Palimpseste de
Fleury, reproduits parallèlement au texte de saint Cyprien et au texte de la Vulgate.
3 Comparer avec la Vulgate la citation de III Esdras, iv, 38-40, chez saint Cyprien,
Epist. 74, 9.
* Exemples: saint Cyprien, Testimon., II, 14 (= Sapient., ir, 12-17 ; 19-22); Tes-
timon., III, 15 (= Sapient., ni, 4-8) ; Testimon., 111, 16 (= Sapient., v, 1-9).
5 Saint Cyprien, Testimon., II, 1 (= Ecclesiastic, xxiv, 5-11; 25-26, Vulgate);
Testimon., III, 1 (Ecclesiastic., xiv, 11-12 ; xxix, 15), etc.
6 Saint Cyprien, Testimon., III, 15 (= I Macchab., n, 52); Testimon., III, 17
= II Macchab., \n, 9; 14; 16-19); Ad Fortunat., 11 (= Il Macchab., vu, 27-29), etc.
LA BIBLE LATINE EN AFRIQUE 49
seulement des leçons isolées, transmises probablement à saint
Jérôme par les rédacteurs des textes « italiens ».
Bien plus décisive a été l'influence de la Bible africaine sur la
littérature chrétienne du pays. Ces fragments des Évangiles, des
Actes des Apôtres, de Y Apocalypse, qui nous ont été conservés
par le Codex Bobiensis ou le Palimpseste de Fleury, ces citations
si nombreuses et si variées dans l'œuvre de Tertullien ou de saint
Cyprien, comptent parmi les plus vieux et les plus fidèles témoins
de la langue nouvelle, façonnée à son usage par le christianisme.
Ces textes bibliques sont contemporains des premiers efforts tentés
pour Tévangélisation systématique de la contrée, ou, tout au
moins, pour l'organisation des Églises ; ils sont antérieurs à la
littérature, ou sont nés avec elle. Matériellement, ils occupent une
place considérable, parfois prépondérante, dans les apologies, dans
les traités de polémique, de discipline ou d'exégèse, car ils étaient
la parole divine, l'instrument des conversions, l'arme toujours
prête des grands combats contre les païens, les Juifs ou les héré-
tiques. En fait, ils n'ont cessé d'agir sur le vocabulaire, sur le style
et la pensée des écrivains. Involontairement on retenait des livres
saints, non seulement l'esprit, mais la lettre ; et, par là, les anciens
rhéteurs devenus évêques s'affranchissaient de la routine classique,
s'enhardissaient aux façons de parler populaires. Saint Augustin
lui-même Ta très finement observé : « Telle est, dit-il, la force de
la coutume, même pour apprendre. Les gens qui ont été, pour
ainsi dire, nourris et élevés dans la lecture des saintes Écritures,
trouvent plus naturelles, et considèrent comme plus latines, les
locutions qu'ils ont apprises dans les Écritures, et qui pourtant ne
se rencontrent pas chez les vrais auteurs de langue latine !. » Ces
vieilles traductions, si étrangères au goût classique, mais si
exactes, si bien calquées sur le grec et imprégnées de poésie
biblique, ont contribué à orienter vers de nouveaux horizons
l'imagination des écrivains, même à façonner leur style. Elles ont
développé chez eux l'habitude et le goût de certains procédés,
visibles déjà chez Apulée et d'autres païens du pays, mais encore
plus frappants chez les chrétiens : hardies métaphores, accumu-
lations d'images, phrases courtes et symétriques, opposées deux
à deux comme dans un verset des Psaumes. Pour le style comme
pour la langue, presque tous les chrétiens de la contrée relèvent
plus ou moins de la Bible africaine.
Paul Monceaux.
1 Saint Augustin, De doctrin. Christ., II, 14 : « Tanta est vis consuetudinis etiam
ad discendum, ut qui in Scripturis sanctis quodammodo nutriti educatique sunt, magis
alias locutiones mirentur easque minus latinas putent, quam illas quas ia Scripturis
didicerunt, neque ia Latinœ linguœ auctoribus reperiuntur. >
T. XLIII. n° 85. 4
LES DOSITHÊENS DANS LE MIDRASCH1
L'INTERDIT PRONONCÉ CONTRE LES SAMARITAINS
DANS LES PIRKÉ DI R. ÉLIÉZER, XXXVIII
ET TANHOUMA, rnz^i, § 3
Dans son étude sur les Dosithéens2, M. Krauss a invoqué encore,
comme passage où il est question de cette secte dans la littérature
midraschique, le récit des Pirhé di R. Éliézer (xxxviii). Ce texte,
unique dans son genre, parle des soi-disant premiers maîtres des
Samaritains, des rapports de ce peuple avec les Juifs sous Ezra
et Néhémie et de la rupture définitive des Samaritains avec les
Juifs à la suite de l'application de l'interdit. Ce qui seul intéressait
notre confrère, c'est l'indication du début, que les maîtres qui, sur
l'ordre du roi d'Assyrie, instruisirent, dans la doctrine de Dieu3,
les colons païens transplantés en Palestine s'appelaient Dosithée
et Zacharie4 et enseignaient "psiDi ï'ip'nttta nroa rmn nso 5. A
l'instar d'autres savants, M. Krauss voit, non sans raison, dans ces
docteurs les hérésiarques de sectes samaritaines, ce qui revient
à ramener les Sadducéens et les Boéthusiens nommés à&ns Abot
di R, Nathan, v, 13 fr e, à Saddoc et à Boéthos. Mais comme ses
prédécesseurs, M. Krauss a négligé de rechercher l'origine des
divers morceaux du récit et d'en déterminer les liens avec la litté-
rature rabbinique. Avec une foi vraiment trop facile pour tout ce
qui est imprimé, les savants qui se sont occupés de ce passage se
sont contentés de dire que les Pirhé di R. Éliézer avaient utilisé
1 Voir t. XLII, p. 220 et suiv.
2 Revue, XL11, p. 27 et suiv.
a II Bois, xvir, 27, 28.
4 Dans le Tanhouma, £0120.
5 La Bible ne parle expressément que d'un prêtre exerçant à Beth-El. Comme le
récit n'en tient pas compte, mais parle de deux maîtres et ne nomme pas de prêtre,
il ne s'appuie pas sur la Bible et nest pas une interprétation du passage biblique, ce
qui lui donne plus de prix.
6 Deuxième recension, x, 13 b.
LUS DOSITHÉENS DANS LE M1DRASCH Si
des sources plus anciennes. De même, M. Krauss, qui admet, avec
raison, que fauteur a eu vue les Samaritains de son temps, com-
bine néanmoins le récit relatif à Dosithée avec les indications des
Pères de l'Église concernant le Dosithée pré-sadducéen, et, au
mépris de toute critique, prétend ainsi trouver dans ce texte de
précieuses informations sur des événements antérieurs de plu-
sieurs siècles à l'ère chrétienne. Un examen plus attentif du récit
permet de lui assigner, avec certitude, la Babylonie comme lieu
d'origine et l'époque gaonique comme date de naissance. Cette
fiction décrirait ainsi les Samaritains de l'époque gaonique vivant
au milieu des sectes juives nées au vin0 siècle, et serait un nou-
veau document sur le mouvement, encore énigmatique, des sectes
au sein du judaïsme babylonien.
I. Les formes de l'interdit.
La dernière partie du xxxvni6 chapitre des Pirké raconte que,
lorsque les Juifs commencèrent à bâtir le Temple sous Ezra,
Zorobabel et Josué , les Samaritains envoyèrent contre eux
150,000 hommes1. lis voulaient tuer Néhémie et ils interrom-
pirent la construction du sanctuaire. Cet événement détermina
Ezra, Zorobabel et Josué à réunir tout le peuple dans le Temple ;
ils y amenèrent 300 prêtres, 300 enfants, 300 cors (schofar) et
300 rouleaux de la Loi ; ils (les prêtres) embouchèrent les cors,
tandis que les lévites chantaient et jouaient des instruments de
musique 2. Puis on mit en interdit les Cuthéens en invoquant le
nom comme il a été prononcé et écrit sur les tables de la Loi, par
1 Le texte porte : m^ïl ÛU^b^ SON "P!"ï d^Dtt Nbm TH &^"n73TÛ "Ol
û^TlTûTia 1N")p3 *JV173"UZ3 « Étaient-ee donc des Samaritains ? Cependant c'étaient
des Cuthéens. Mais ils ont été appelés Samaritains à cause de la ville de Samarie. »
L'auteur distingue donc entre les Israélites habitant Samarie et les Cuthéens, lesquels,
pour lui, sous Ezra, étaient encore païens ; ou bien sa source avait Û'1DT172T*Z3, ex-
pression que ses lecteurs n'entendaient pas, c'est pourquoi il ajoute le terme usuel.
Les Karaïtes, comme Kirkisani et les autres écrivains dépendant de lui, les appellent
Û^VWNZ) « Samaritains •.
* anaai œ-nsntt nia Tioa ûttdîi nN i^tdi [finaiatti 'jwirftn]
«bto "pnnnn y+i ma anrm f-pb^rs "pi ma annai mmbn b? ana^n
■ma na baiNn ba tien i&o» .ûVij iy "ma ns b&ntzJ^a d-jn baao
(«m ba-i) "pai [bwnOT ""ma û^in -mam bai .mm n\aa baiN nb^a
benia^ b^N nnnn inbœi [i»nm nanail ...bvi»?! rmnna pbn anb
rc-na ^b7on *iw cpoim ann hy a-in pmb? id^diïi (Dm) tiji baaaia
.abij* ûnn dmb# yapn
C'est le texte des Pirké; les mots entre parenthèses sont du Tanhouma. Cf. Tosafot
sur Guittin, 10 a, et Boullin, 4 a.
52 RKVUE DES ETUDES JUIVES
l'interdit du tribunal céleste et celui du tribunal terrestre : défense
à tout Israélite de manger le pain du Cuthéen. De là cette sentence :
manger du pain de Cuthéen, c'est manger de ia chair de porc.
Défense aussi de recevoir des prosélytes cuthéens. En outre, les
Cuthéens seront exclus de la résurrection. La déclaration, signée
et scellée, fut envoyée aux Israélites de Babylonie, et ceux-ci ajou-
tèrent leur interdit à celui-ci. En plus, le roi Cyrus prononça contre
eux un interdit perpétuel.
Je n'insisterai pas sur l'anachronisme qui fait vivre Zorobabei et
Josuéen même temps qu'Ezra ; cette erreur, qui se fonde sur Ezra,
xn, 1, et sur la chronologie en l'air des rois de Perse telle que la
donne le Séder Olam, xxix, est générale dans la littérature tal-
mudique. Inutile aussi de s'arrêter sur ce nombre de cent cin-
quante mille soldats samaritains. Par contre, nous devons exa-
miner l'interdit prononcé contre les Samaritains, tant à cause de
sa forme qu'en raison de la manière dont l'auteur le fait pro-
noncer, pour la fréquence de cette mesure en Babylonie et surtout
pour son contenu : prohibition du pain samaritain et refus d'ad-
mettre un Samaritain dans le sein du judaïsme l.
La forme de l'interdit et les circonstances qui accompagnent le
prononcé de la peine sont exactement les mêmes que celles qui
nous sont connues par le gaon Paltoï (ixe siècle) -. Celui-ci, répon-
dant à une Consultation qui lui était adressée, déclare que pour
un débiteur qui nie sa dette on procède comme suit : On apporte
un rouleau de la Loi, on y cherche les malédictions de Deut.,
xxvin,. . . puis on prend des cors et on amène des enfants de la
synagogue ; . . .on souffle du cor et on prononce sur le débiteur la
malédiction. . . malédiction entière ; puis on souffle de nouveau du
cor et les enfants, ainsi que les assistants, disent : Amen ! Une
autre Consultation d'un gaon babylonien, rapportée par Nathan
b. Yehiel dans l'Arouch 3, à côté des particularités que contient
la réponse de Paltoï, contient les détails suivants : « On place
entre les mains du débiteur un rouleau de la Loi,. . . puis le repré-
sentant du tribunal lui dit : Sois dans l'interdit du tribunal supé-
rieur (céleste) et du tribunal inférieur (terrestre)... Puis on souffle
du cor et il dit : Amen ! » Une troisième Consultation *, probable-
ment de R. Haï, indique également que l'on dit : « Que tu sois
dans l'interdit du tribunal supérieur et du tribunal inférieur»;
puis on lui lit Deut., xxix, 19, 20, et, à la fin, l'inculpé dit deux
1 Cf. Zunz, Gottcsdienstl. Vortrœgc, 2° éd., p. 288-289.
2 Consultations des Gaonim, éd. Lyck, n° 1U; p*ï2£ "n^lE, v, 4, 14, p. 75 a.
3 S. v. nO!T, m, 229 a.
*■ Éd. Lyck, n° 9.
LES D0S1THKENS DANS LE MIDKASCU 33
fois : Amen ! ! R. Haï indique encore une fois 2 pour le même cas
la présence des enfants, l'emploi des cors et du rouleau de la Loi ;
Paltoï dit aussi que le prononcé de l'interdit est communiqué aux
communautés voisines et leur est annoncé publiquement \ Comme
cette concordance, qui porte sur presque toutes les particularités
de l'interdit prononcé contre les Samaritains, ne peut pas être for-
tuite, nous avons de la sorte l'origine babylonienne de la descrip-
tion des Pirké; et comme l'interdit tel qu'il est décrit par Paltoï,
quoique celui-ci n'en soit pas l'auteur, ne peut pas cependant
avoir été aussi établi longtemps avant lui, le récit des Pirhé ne
remonte guère au delà du vin0 siècle.
On objectera, il est vrai, qu'à l'instar de toutes les coutumes
babyloniennes de caractère religieux qui ont leur origine en
Palestine, et, malgré leur transplantation en Babylonie, n'ont
subi que des modifications peu importantes, la forme de l'interdit
décrite ci-dessus pourrait avoir existé en Palestine, en sorte
qu'on ne saurait rien prouver de là pour l'origine et l'époque de
l'apparition de notre récit. Bien que les sources palestiniennes ne
disent pas que, pour prononcer l'interdit, l'on prenait un rouleau
de la Loi, par contre, elles montrent l'usage de faire assister
les enfants comme témoins d'une action publique, par exemple
lors d'un mariage ou d'une vente de biens. En ces occasions,
on distribuait aux enfants des épis rôtis4, afin que plus tard
ils se souvinssent de l'événement et pussent servir de témoins5.
Mais ce rapprochement n'a rien de décisif. Dans le Talmud, il
est question d'enfants qui se trouvent justement dans la rue et à
qui les gens de la noce ou les parents du vendeur de la propriété
distribuent des épis rôtis, tandis qu'en Babylonie on va quérir les
enfants à l'école qui se trouve à côté de la synagogue, afin qu'ils
soient témoins de la cérémonie de l'interdit.
Très instructif et tout à fait décisif pour l'origine des formalités
de l'interdit est le rôle du schofar en cette circonstance. Autant
qu'il m'en souvienne, il n'y a pas de passage dans le Talmud qui
indique l'emploi du schofar en Judée ou en Galilée dans de pareils
cas. Dans ces provinces, l'interdit était l'arme dont se servait le
maître pour la sauvegarde de si propre dignité en face du peuple,
1 Cf. encore pl^: ^IJfO, p. 73 a, n° 9.
2 P. 76 a, n° 22. Une Consultation de R. Schalom Gaon (Horowilz, blZ3 'jnTin
tTSTOfiTl, i> 47; PDVSn "n3HZ5, n° 33, éd. Lyck, n° 41; Mûller, nnD73, p. 99,
n°88)a:nDCQ KmW ■p-lTlSl 13*535 «11373 ^r^b'J ^33^73*1 8113^ 33
wanrrn «nàim rnin.
3 Ed. LycU, no 10.
4 Ketoubot, n, 1 ; babli 2S£, etjér. Kull., i, 60tf, lignes 24 et suiv.
s Ketoub., 28 b ; To$., m, 3.
54 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
ou encore, à en juger par Tanathème infligé à Àkabia b. Mahalalel
par le collège des docteurs ', à Eliézer b. Hyrkanos par R. Gama-
liel II 2, et, à en juger aussi par celui que R. Simon b. Gamaliel H
voulut suspendre sur R. Méir3, et par d'autres cas signalés dans
jér. Moëd Kat., m, 81 d, ligne 21 et suiv., c'était une arme entre
les mains du président de l'Ecole et du patriarche contre les
membres rebelles du collège. Mais, dans le premier cas, la peine
était de moindre degré et n'était pas publiée ; dans le second, elle
ne regardait que les docteurs et était annoncée par le président.
Si, d'autre part, R. Josué b. Lévi prétend connaître vingt-quatre
cas où il y a lieu d'administrer l'interdit4, ce chiffre n'est qu'un
chiffre rond dont se sert souvent ce docteur 5, et il ne s'agit tou-
jours que de docteurs. Mais dans tous ces cas il n'est jamais ques-
tion du schofar. En revanche, dans Moëd Kat., 16 a, il en est fait
mention par l'amoréen babylonien Raba, dans un passage où il rat-
tache au texte biblique les différentes parties de la procédure de
l'interdit usitée en Babylonie. Ce docteur n'était évidemment pas
l'auteur de cette cérémonie, car il en parle comme d'une chose
connue, et, de fait, elle existait déjà au temps d'Oulla, qui vivait
au me siècle. Ce docteur prétend, en effet, que Baraq aurait avec
400 schofar frappé d'interdit Méroz, qui n'avait pas pris part au
combat contre Sisera (Juges, v, 23). Ce fut probablement Rab qui
organisa la procédure de l'interdit ; il s'en sert pour contraindre
le peuple à l'obéissance6. Mais lui non plus n'en fut pas l'auteur,
attendu que son collègue Samuel mentionne l'interdit comme une
mesure connue7 et semble même s'être servi du schofar pour une
telle cérémonie s. Comme on ne retrouve rien de semblable en
Palestine, on peut conclure de la manière de procéder des deux
premiers amoraïm babyloniens, que l'organisation de l'interdit
est babylonienne 9 ainsi que l'emploi du schofar10.
1 Edouyot, v, 6.
2 Cf. Berachot, 19 a.
3 /. Moëd Kat., m, 81 c, en bas.
* Berach., 19 a ; jér. Moëd Kat., m, 81 d, 18.
5 Bâcher, Palacst. Amoraeer, I, 150. note 6.
6 Moëd Kat., 16 a ; Yebam., 52 a ; Kidd., 12 b,
7 Pesah., 52 a.
8 Moëd Kat., 16 5 : fcnra EJIttl "ION t2M2-
9 Moëd Kat., Ma.
10 Rab s'est occupé de l'emploi du schofar dans l'interdit. On rapporte, dans Mc#d
Kat., ce qui suit : « Un homme vioh nt ayant maltraité un docteur, celui-ci vint de-
mander conseil à R. Joseph. Celui-ci lui conseilla de le frapper d'anathème. Comme*
le docteur exprimait son appréhension d'employer un pareil mo}en, R. Joseph lui
répondit que l'on pouvait édicter l'anathème par écrit. Le docteur déclarant encore ce
moyen dangereux, il lui dit : Phce la formule écrite dans un vase de terre, que tu por-
teras au cimetière, et pendant quarante jours fais entendre mille coups de schofar. Il
LES DOSIÏIIEENS DANS LE M1DHASGH 55
D'ailleurs, le schofar ne s'employait en Palestine que dans des
actes en rapport avec l'exercice du culte, le Rosch Haschana, aux
jeûnes publics \ lors de la fixation et de la proclamation de la néo-
ménie2, à l'approche du sabbat, afin d'avertir ceux qui étaient aux
champs ou dans les boutiques qu'ils eussent à cesser leur travail 3.
Par contre, en Babylonie, on sonnait le schofar, non seulement
pour annoncer le sabbat4, mais pour d'autres objets. On lit dans
Sanh., 1 b : Lorsque R. Houna se rendait au tribunal, il disait :
Prenez mes instruments professionnels, à savoir le schofar, pour
prononcer l'interdit, d'après l'explication de Raschi. Cependant,
peut-être le schofar servait-il en un autre cas, vu que dans Aboda
Zara, blb, il est rapporté, qu'après une controverse à l'école les
cors de Raba sortirent et déclarèrent la chose permise, tandis que
les cors de ses adversaires l'interdirent 5 ; d'où il ressort que les
docteurs babyloniens annonçaient leurs décisions dans les matières
religieuses à l'aide du cor. De même, lorsqu'un enterrement avait
lieu, les cors exhortaient la population à y participer, comme il
est dit dans Moëd. Kat., 27 b : « R. Hamnouna arriva dans un
endroit et entendit (aaaizn BrffifTB bip) les sons du schofar pour un
mort. Voyant des gens continuer leur travail, il dit : Vous serez
frappés de l'interdit : n'y a-t-il donc pas un mort ici? » Des son-
neurs de cor accompagnaient le convoi. On dit dans Ketonb.,
suivit ce conseil et l'homme violent mourut. » Là-dessus il est dit dans le Talmud :
■nan rmrr a-n rma jprnt* 'n ^73» snan ^73 . 1:37373 ■pjnsaiz) "mois ints
11 731 "Tia « Quel est le sens du schofar dans l'interdit ? Que Dieu punit le condamné.
Pourquoi pousse-t-on des sons hrisés ? R. Isaac, fils de R. Juda, dit : Cela indique
la ruine de la maison orgueilleuse. • Pour lui, chaque lettre du mot T)an représente
un mot. Le nom de l'auteur de la première phrase manque dans les éditions; les
Halarhot G-uedolnt (éd. Hildesheimer, p. 427) portent Rab ; c'est Raba d'après le ms.
de Munich. Il me paraît plus vraisemblable que c'était Rab, parce que celui-ci exa-
mine les points les plus importants de l'interdit de la même manière dans Moëd Kat.,
17 a, tandis que Raba cherche dans une série de versets le fondement biblique des
coutumes.
1 Rosch ha-Schana, 26 b et 27 a ; cf. Raschi sur Taanit, 15 b, en haut.
2 Nidda, 38 a; cf. Raschi et Arottch, s. p. 113^3.
3 Josèphe, Bell, jud., IV, 9, 12; Soucca, v, 5 ; Houllin, i, 7; Sabbat, 35 b.
4 Sabbat, 35 b, dans une baraïta : Avant rentrée du sabbat, il y a six sonneries :
la première pour engager les ouvriers des champs à quitter le travail, la deuxième
pour ceux qui sont employés dans la ville et dans les magasins, la troisième invite à
allumer les lumières du sabbat, puis viennent trois sonneries pour marquer la clôture ;
telle est l'opinion de Nathan le Babylonien. Alors R. Simon b. Gamaliel dit: Que
peut-on faire avec les Babyloniens qui, comme dernière sonnerie pour les signaux,
ont la teroua, puis commencent le sabbat? Ce leur est un usage venu des pères. Il
s'agissait donc d'une ancienne coutume des Juifs babyloniens qui s'appuyait sur le
cérémonial du temple de Jérusalem, niais qui, pour les détails, différait de la coutume
palestinienne. C'était au bedeau qu'incombait la fonction en que lion.
6 am «ran na «yin a-n i-ntfnD "9231 "niai «am ■ma'rçj ^pèa
• ïnocn *j73n: an na N:in
56 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
17 a, que la prescription d'interrompre à cause d'un enterrement
l'étude de la Tora ne doit être observée qu'au cas où il n'y a pas
suffisamment d'assistants. Sur la question des Amoraïm : « Com-
bien de participants faut-il entendre par là? » un docteur répond,
au nom de Rab : « 12,000 hommes et 6,000 cors » ; d'après une
autre tradition : « 12,000 hommes, et parmi eux 6,000 cors1 ».
Dans cet usage général du schofar en Babylonie je vois une con-
firmation de l'hypothèse que la cérémonie de l'interdit, que com-
mencent et finissent les sons du schofar, est d'origine babylonienne 2 .
Mais, d'autre part, comme en énumérant ces particularités, le
Talmud ne parle jamais ni de l'emploi des rouleaux de la Loi, ni
de la présence des enfants, ni de la communication de l'interdit à
d'autres communautés, il en résulte que la description de l'inter-
dit telle qu'elle se trouve dans les Consultations des Gaonim rap-
porte des formalités en usage à l'époque post-talmudique. D'où
il résulte encore que le récit des Pirké di R. Eliézer est, sous sa
forme actuelle, d'origine babylonienne, plus exactement gaonique.
Si nous éliminons ces traits plus récents ainsi que le nom mys-
térieux de Dieu et la mention de 300 prêtres et lévites, il ne reste
que cette simple information qu'Ezra et ses compagnons frap-
pèrent d'interdit les Samaritains, défendirent leur pain et leur
admission dans le judaïsme et leur refusèrent la participation à la
résurrection. Ces détails sont-ils empruntés à une ancienne source
palestinienne ?
1 Ces chiffres fantastiques de 12,000 et de G, 000 se retrouvent plusieurs fois dans la
bouche des docteurs babyloniens, voir Yebamot, 16 £, tandis que dans les mêmes cas
ceux de Palestine parlent de 80,000 et de 40,000. Voir le Midrasch sur Lamentations,
ii, 2 ; cf. jér. Taanit, iv, 69 b, 45.
2 On lit dans les ^nai mb^H (Jellinek, Beth ka-Midrasch, Ilf, p. 84) : t-jbY7}
•p»vim3i )^w\ V3^i V^ft *p "infin V^pin*1 •py'ntti jvpnntt ibiatt
b&mz^b ï-rnn rare» dte ïiby» bu: "rn n^2 û'P "»a û*wd ™bip
D^TiBbi n^-rmbi n^iasbi a^aibrb o^Tonbi ù^^bi D^-iiaabi D"nurô
Nosbi nb i«w ^nbtf "ni tt5"3£*tab iym Km nttibi naanwa mbybi Trb
aas bai natt bia yn rrab-i ï-hyn b© 'pa mabi -naan nnabi maa
.■nmwfa babi an»
Si notre démonstration est exacte, ce passage, où il est question, à propos de l'in-
terdit dans le ciel, du schofar et des tribunaux inférieurs et supérieurs, montre l'ori-
gine babylonienne du livre. Ici nous avons aussi un passage parallèle pour la partie
non expliquée du récit relatif à l'interdit des Samaritains, l'invocation du tétragramme
T25TIS72Ï1 ID125 TlD- Cette donnée mystique vient peut-être de ce que, pour la con-
juration de la femme suspecte d'adultère ainsi que pour toute autre conjuration sem-
blable accompagnée de malédiction, on devait prononcer le nom de Dieu (Sifré1,
Nombres, 14 ; Schebouot, 35 b ; Arouch, s. v. DOtl, III, 229 « en bas). Nous tiendrons
également pour babyloniens ces récits du traité Kalla, i : XûbW2 TT^bM "a") P15ÏH
•p«ri To? mia nnan a^an ^n^bn maa nrtN îiba ntt&n rrnsnia nyxn
Ï121T3 rtmiSa rsbaa nmUJÎl, et de la baraïta de Kalla, i : 13 -lT3?bN '"1 fnDtt
.ûb-is>b nb-ntt ib va nbant: oia bapwn ba rma-na n$n ^a-iND rrnra
LES DOSITIIKUNS DANS LU M1DH ASCII 57
II. L'interdiction du pain des Samaritains.
Qu'y a-t-il d'historique dans ce récit? Déjà les Tosafistes en
plusieurs endroits ont relevé la contradiction de ce récit avec ce
que dit le Talmud sur le pain samaritain. Dans le Talmud on va
jusqu'à permettre d'employer dps azymes samaritains le soir de
Pàque * : iwbx 'n .nson ironn *v m eem tnan mm» tiid niswa
-i»in bfcrbîaa *p ïi*»ib pn .ba-rayo mx» ^pi-ipin "paopa "para ^sb -ioik
bônur» nnv m ^p^ip^ rmn ù\-td m TpwnD m*» te. Même R.
Eléazar, qui interdit l'usage de la maça samaritaine, ne sait pas
que le pain samaritain soit défendu. La solution des Tosafistes ne
peut se soutenir. On pourrait tout au plus admettre que la donnée
des Pirlié est le vestige d'une période beaucoup plus ancienne de
la législation judaïque concernant les Samaritains que la baraïta,
qui date des années 140-170. Assurément le fait que les Tosafistes
n'essaient pas de produire un passage analogue de la littérature
talmudique n'est pas pour faire supposer que les Pirhé reflètent
une période d'évolution qu'on pourrait retrouver dans le Talmud.
Dans jér. Aboda Zara, v, 45 a, 50, une baraïta porte : « Quand
peut-on utiliser les azymes des Samaritains après la Pâque? Ceux
des particuliers, trois semaines après la cuisson ; des boulangers
citadins après trois jours; ceux de la campagne après une triple
cuisson. R. Simon b. Elazar dit : Ce qui concerne le particulier ne
s'applique qu'à un homme de bonne condition ou un homme qui
fait les noces de son fils, si bien que dans la semaine on cuit trois
fois,- etc. » On retrouve les mêmes traits, quoique avec beaucoup de
divergences, dans le traité sur les Samaritains, n, 5, où l'on ajoute
encore que ces restrictions ne sont à observer qu'au cas où les
Samaritains n'ont pas cuit les azymes pour la Pâque avec les Juifs
ou bien ont célébré la fête un jour avant les Juifs; mais, s'ils ont
cuit les azymes avec les Juifs ou s'ils célèbrent la fête un jour
plus tard, on peut se servir de leurs azymes immédiatement
après la fête'2. Or, comme Simon b. Elazar, l'élève des Tannaïtes
nommés plus haut, qui était collègue du patriarche R. Juda I et
était souvent en polémique avec les Samaritains 3, ne sait rien
1 Houllin, ka ; Tos. Pesahim, i, 15.
2 La Tosefta (Pesahim, i, 13) a D"vtà, mais comme on dit de ces non-juifs qu'ils
observent la Pàque, cuisent avec les Juifs des azymes et ne se distinguent des Juifs
dans l'accomplissemeut de la Loi que par l'exactitude, il est indubitablement question
des Samaritains.
3 Bâcher, Agada der Tannaiten, II, p. 422.
58 REVUE DES ETUDES JUIVES
d'une interdiction du pain samaritain, cette mesure n'avait pas
encore été prise au 11e siècle après l'ère chrétienne. Quant à sup-
poser qu'une école ait été plus sévère et ait défendu le pain des
Samaritains, cela ne peut se soutenir, attendu que les récits qui
parlent de mesures rigoureuses à l'égard des vivres samaritains
ne mentionnent pas le pain.
Pour le vin des Samaritains, R. Méïr, le collègue du patriarche
Simon b. Gamaliel, qui, d'ordinaire, était favorablement disposé
envers ce peuple \ ne permit plus qu'on en achetât. Cette décision
lui avait été inspirée par un de ses disciples, Simon b. Elazar, qui
avait cru remarquer que leur vin était acheté à des païens2. Ce-
pendant on ne défendit même pas d'acheter ch vin, car la Mischna 3
contient une prescription concernant la façon de prélever la dîme
du vin samaritain, et, encore un siècle plus tard, R. Abahou
achetait son vin à des Samaritains. C'est seulement quand le.
soupçon se changea en certitude que les Samaritains achetaient
leur vin aux païens, que R. Hiyya b. Abba, R. Ammi et R. Assi le
défendirent et le déclarèrent païen. C'était vers la fin du me siècle,
d'après une indication du Talmud de Jérusalem, à la suite de la
séparation des Samaritains, lors de la présence de Dioctétien en
Palestine, par conséquent en 286 4. A en juger d'après le passage
parallèle du Talmud de Babylone, on pourrait croire que les Sa-
maritains, en cette occasion, avaient été proclamés païens (abi
ITTito:» ù^-oi ûimdjib v DM Ytï); mais le Talmud de Jérusalem
dit expressément qu'il s'agit uniquement de l'interdiction du vin,
et dans la source babylonienne il ne s'agit aussi, en réalité, que
du vin et de l'abatage des animaux; c'est seulement une ques-
tion contraire qui détermine le docteur anonyme à prétendre
qu'il ne s'agit que du m-p*. Si donc les Samaritains de Césarée,
à la suite de cette décision, demandent à R. Abahou pourquoi
les Juifs ne s'adressent plus à eux, tandis que leurs pères le fai-
saient, et que R. Abahou leur répond: «Vos ancêtres n'avaient
pas corrompu leur voie, ce que vous avez fait », il n'est ici aussi
question que du vin que les Juifs tiraient, la plupart du'temps, des
régions samaritaines. L'interdiction du pain n'a pas pu avoir lieu
alors, car R. Fïanina, fils de R. Abahou, raconte 5 qu'on demanda
une fois à son père quand l'on pouvait manger les azymps des
Samaritains après la Pâque. Il consulta R. Hiyya b. Abba, R. Assi
1 Nidda, vu, 3.
' Hotdlra, G a ; jér. Abocla Zara, v, 44 d, 35.
3 Demaï, vu, 4.
k Cf. Frankel, Introduction, 146a, note 3.
5 Jér. Aboda Zara, v, 45 a, 64.
LES D0S1THEENS DANS LE MIDRASCH 59
et R. Ammi, qui répondirent dans le sens de la baraïta men-
tionnée ci-dessus. Là il n'est fait aucunement allusion à l'inter-
diction du pain, évidemment parce qu'elle n'avait pas encore été
prononcée ni au temps où la question fut posée ni à l'époque de
R. Hanina, au début du ive siècle. De même, un disciple de R.
Assi, R. Jacob b. Aha, permet de consommer les mets cuits par
les Samaritains, s'il ne s'y mêle pas de vin ; il n'est pas parlé de
pain. Et encore quelques dizaines d'années plus tard, vers 350,
R. Yossé dit que le pain samaritain n'est pas soumis à la dîme,
attendu que les Samaritains ont été proclamés païens, tandis que
les docteurs détachent encore du pain le prélèvement sacerdotal.
Par conséquent, les docteurs, observateurs si rigoureux de la loi,
mangeaient, vers le milieu du ive siècle, du pain samaritain, et
aucun passage, ni dans le Talmud palestinien ni dans celui de
Babylone ne permet de supposer que jusque vers 500 l'interdic-
tion du pain samaritain ait été décidée. Par conséquent, l'indica-
tion des Pirhé di R. Eliêzer ne peut se rapporter à la situation
du temps du Talmud *.
Il y a d'autres indices que les docteurs du Talmud n'allèrent
pas jusqu'à interdire le pain samaritain : ce sont les mesures à
l'égard des objets de consommation des Samaritains que les
docteurs palestiniens considéraient comme païens. R. Simon
raconte, en effet, dans la Tos. Demaï, v, 24 : « Pour ce qui
concerne les productions du sol samaritain, il y a des variations
Un jour nos docteurs arrivèrent dans les villes des Samaritains
situées sur la route militaire. Lorsqu'on leur offrit des légumes,
R. Akiba bondit et en préleva la dîme, affirmant que sûrement ils
n'avaient pas été rédimés. Là -dessus R. Gamaliel lui dit : « Gom-
ment oses-tu agir à rencontre de l'avis de tes collègues, ou qui t'a
1 Dans jér. Pcsah., i, 27 Z», 52, Ton demande si les Samaritains méritent crédit pour
l'élimination du levain avant la Pàque. Une baraïta déclare que, si les Samaritains
préparent leurs azymes avec les Juifs, ils sont aussi dignes de foi, pour l'élimination
du levain, sinon nou. Puis on cite l'opinion de R. Simon b. Gamaliel, que les Sama-
ritains sont, dans l'observation de leurs lois, plus exacts que le Juifs. Là dessus
R. Simon remarque : b^N ljrP5"IS"Dn "p^py^TS Y*TVO ÏTiïVDtfF\2 "iT^m N1H
ïn ■pbpbipm "p^nan mafla "n*w sbi mawa ^b ûnb pwa vtaar • Ce
jugement ne vaut que pour le temps jadis, lorsqu'ils habitaient d'une façon permanente
dans leurs villages; mais actuellement on ne saurait admettre chez eux la moindre
observation de la Loi, ils sont suspects et corrompus. » Les expressions montrent que
R. Simon ne peut être qu'un Amora. Comme il proclame les Samaritains corrompus
en regard de ceux d'autrefois, il les traite donc comme R. Abouha et pourrait être le
contemporain de celui-ci. 11 peut s'agir ou de R. Simon b Abba ou de Simon b.
Pazzi, qui, tous les deux, étaient en relations avec K. Abouha; le second, il est vrai,
dans le Talmud de Jérusalem, s'appelle "117^0, cf. cependant Ketoub, 111 b. En tous
cas, il pourrait être question des Samaritains habitant Césarée, qui, loin de leur pays,
se relâchèrent de l'observation du culte.
60 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
autorisé à prélever la dîme? » R. Akiba répliqua : « Maître, ai-je
donc, ce faisant, créé une loi pour Israël ? Je n'ai rédîmé que mes
légumes à moi! » R. Gamaliel reprit : « Sache que tu as créé une
loi pour Israël, en rédîmant tes légumes. » Lorsque R. Gamaliel
fut au milieu des Samaritains, il déclara leur blé et leurs légumes
suspects de n'être pas redîmes, et les autres productions du sol
comme ne l'étant sûrement pas. R. Gamaliel, étant allé chez eux
une seconde fois, les trouva moins attachés à la Loi ; alors il
déclara toutes leurs productions du sol sûrement non rédîmées. »
Nous voyons là R. Gamaliel (vers 90-117) s'opposer d'abord à R.
Akiba, qui — probablement pour l'avoir vu lui-même — avait
déclaré les productions du sol des Samaritains non rédîmées ;
puis lorsqu'il entre en contact avec eux et s'aperçoit de leur relâ-
chement, il se convertit peu à peu à l'opinion de R. Akiba l.
Après R. Gamaliel II, quelques dispositions relatives aux pro-
ductions du sol des Samaritains furent prises par certains doc-
teurs de la moitié du 11e siècle2; mais rien ne démontre qu'en
dehors de la question de la dîme, les Samaritains fussent placés
sur le pied des païens. Rabbi, le rédacteur de la Mischna, permit
encore l'achat de vin samaritain 3 ainsi que l'admission des Sama-
ritains à la participation aux actions de grâces après le repas *,
alors que les païens en sont exclus 5. Sans doute cette phrase qui
revient souvent : « Le Samaritain, dit Rabbi, est comme le païen,
tandis que pour R. Simon b. Gamliel il est comme l'Israélite en
tout », semble y contredire0. Cependant cette opinion de Rabbi
ne peut viser ni le vin ni le pain des Samaritains, en sorte qu'il
ne reste que la rédîmation pour laquelle Rabbi se conforma à la
disposition de R. Gamaliel II. En effet, la Tos. Teroumot, iv, 12,
14, dit : *praa *jm .m ^nn -n» \-n3n ...wmn immn trima *a
bfrmzro ttû n^iN biobm p « Si le païen fait un prélèvement, ce
prélèvement est valable ; . . . le Samaritain est semblable au païen ,
d'après l'opinion de Rabbi, tandis que R. Simon b. Gamliel dit
1 Cette disposition de R. Gamaliel II prouve que ce n'est pas seulement après la
guerre de Bar Kochba que les docteurs prirent position contre l'égalité des Samari-
tains avec les Juifs en matière de questions religieuses. Schorr (Hé-C'hahiz, IV, 72, 2)
pense que la rigueur qu on marque envers eux après la guerre doit être attribuée à
leur participation à la lutte contre les Juifs : les docteurs s'appliquèrent à les sé-
parer complètement des Juifs; mais, pour ne pas olfusquer les Uomaine, ils auraient
allégué des prétextes religieux. L'examen des textes ce confirme pas cette hypothèse.
2 Tos. Demaï, v, 21-23.
3 Dcmaï, vu, 4.
4 Berakhot, vu, 1 .
3 Berakhot, 47 b.
6 bsb barna^ \td tjin barbxiï p fuwiB im /m -mi ^xd ^nnà
■"D1. Jér. Berakh., vu, H b, 14 ; Demaï, m, 23 c, 49 ; vi, 25 d, 51 et passim.
LUS DOSlTilEENS DANS LE M1DRASCM 61
qu'il est semblable à l'Israélite. » La Mischna Terouma, m, 9,
exprime la même opinion de Rabbi en mettant sur le même pied
Samaritains et païens. C'est un tort de généraliser la phrase pro-
noncée uniquement pour le prélèvement des prêtres, ainsi que
nous l'avons démontré et ainsi que l'établissent encore les pas-
sages sur l'abatage des animaux dont nous allons maintenant
dire un mot.
En cette matière, les Samaritains étaient pareils aux Juifs,
comme le marque expressément la Tos. Houilin, i, 1 l (ban
ntntt bxnw ib^s&o bn? nb^san "ma ib^sai "panira), et comme l'établit
aussi par voie d'omission la Mischna de Rabbi (i, 1). Si labaraïta 2
y apporte cette restriction qu'il faut la présence d'un Juif lors
de la schehita ou que le Samaritain mange un morceau de
cette viande, en tous cas la schehita est reconnue suffisante en
tant que telle. Or, d'après Bar Kappara, l'un des derniers Tan-
naïtes, dans Houilin, 5 b, R. Gamaliel décréta avec son col-
lège que la schehita des Samaritains n'est pas valable. Gomme
Rabbi enseignait encore le contraire, ce R. Gamaliel ne peut être
que le troisième de ce nom, le fils de Rabbi, comme le supposent
Raschi et récemment M. Isaac Haléwy3. Cette résolution montre
1 Houilin, 4 b.
2 Houilin, 3 b en bas.
3 Q-'j'lUJN'l^ mm, H, 12. — Les Tosafot objectent qu'il aurait fallu, dans ce
cas, indiquer le nom du père, comme dans Abot, n, 2 : "^3") b\B 133 bNT723 p")
Nv^3n ÏTnïT\ D'autres passages confirment cette opinion ; ainsi jér. Ketoub., xin,
35 û?, 72; b. Baba Batra, 139 b : i3"-|3 b&rb»5 pn "HaT 1Î ,"1731 b&OElS 3>OT
lôTC»'»» "12 Itf YianTO "J3> D^73*IN D^733n b3tf ; jér. Kidd., m, G4rf, 48 :
■n-ia b&obm p-i du:3 ->ib p jidiï-p ^an Na "n "prttia ^3i nhn -,a apy "»an ;
jér. Teroum., x, 47 è, 63 ; b. Houilin, 98 a : N3 !"JTÏ52E Nj^ïI *<3"1 d'£3 fcmn "'a"!
rrott N3NT 23iai a^an^a ^im tô ndn n^b "i73N "ma barba* p"i iapb
û^a-iaa ; b. i\faw«, 6i & : banb)oa pn "nan it banara "i^a* rmm an "173N
bj^bîM p "parara pn 0112373 ittewa ^an na ; b. Houilin, 106 a: ^ai naa*
ba ->b -ieni mina baian >an bta i:a bapbna pn n« Tibetra ■pn'p
p "piui? b^b^ ""bvw; jér. Haiia, iv, 60 «, 24 : :nn3nb "«a-ia barbas p-i ttîp^a
n^iain ">ari ib m:n a*bn nioa ^awrn na*; Samuel, R. Haniua, K. Josué
b. Lévi et R. Yohanan, tous contemporains de R. Gamaliel III, le nomment de son
nom complet, bien qu'il n'y eût aucun doute sur la personne dont ils voulaient parler.
Et alors Bar Kappara, ou en son nom le même R. Josué b. Lévi, auraient omis le
nom du père, alors qu'il pouvait être question de R. Gamaliel II ? Cependant dans
Guittin, 37 a en haut, Samuel dit que les orphelins, pour leurs créances, n'avaient
pas besoin dans Tannée sabbatique du b"l3D"nD, en vertu d'une décision de Rabban
Gamliel et de son collège. Comme R. Gamaliel II n'a rien à voir avec cette question,
Samuel n'a pu parler que du patriarche son contemporain. A côté de lui on indique
aussi son collège, comme dans le passage qui nous occupe et dans un autre, également
cité par Bar Kappara et les mêmes docteurs, dans Moëd Kat., 3 b, et jér. Sabbat, i,
3d, 55. En ce dernier passage, l'histoire de la loi de l'année sabbatique qui y est
relatée témoigne en faveur de R. Gamaliel III, à l'époque duquel d'autres adoucisse-
ments furent apportés aux lois de l'année sabbatique (Sanh., 26 a ; jér. Schebiit, iv,
62 REVUE DES ETUDES JUIVES
également que, en général, les Samaritains passaient pour Juifs
et que, pour chaque point où ils ne paraissaient pas dignes de con-
fiance, le collège des docteurs, sous la présidence du patriarche,
prenait une décision spéciale. Des informations précises, et non
pas seulement le silence des sources, établissent que le pain des
Samaritains ne fut pas prohibé.
Toutefois deux passages du Talmud semblent présupposer l'in-
terdiction du pain samaritain. Dans Houllin, 13a (Tos., n, 20)
une baraïta dit : ,^05 'p"> im ,Trp ns idd ,!-nï rma* V*3 ^ttc:
D"nttttt vm t|N d-nma un l^bata TYrrré ,trttûip "nso rnsD « L'aba-
tage fait par un hérétique est considéré comme un acte idolâ-
trique ; son pain est comme celui des Samaritains, son vin tst
interdit, etc. » Il s'agit là d'un hérétique dont les actes et les
moyens de subsistance sont jugés du point de vue religieux.
L'abatage exécuté par lui n'est pas considéré comme celui que
pratique le Samaritain, attendu que l'opération de ce dernier est
tout au plus déclarée nulle, mais non œuvre d'idolâtrie ; l'acte
n'est pas non plus regardé comme l'opération d'un païen, qui elle
aussi est seulement déclarée sans valeur [Houllin, i, 1), mais
la bête ainsi tuée est considérée comme étant une bête offerte
par un Juif ou un païen à une idole [Houllin, 39 b, 40 a ; Tos.%
n, 13, 18). Le passage laisse supposer que l'hérétique en ques-
tion n'était pas traité en Samaritain, mais plutôt en païen ; donc
ici « Samaritain » serait rais pour « païen », comme dans de
nombreux passages. C'est ce que confirme le troisième point
où le vin de l'hérétique est désigné comme vin païen, alors que
le vin des Samaritains, durant toute l'époque des Tannaïm et
sous les Amoraïm jusque vers 286, était autorisé, comme nous
l'avons vu. Pour ce qui est du cinquième point, aux termes
duquel les produits du sol de l'hérétique sont regardés comme non
redîmes, il n'est pas facile de déterminer si là aussi il y a assimi-
lation avec les païens, vu que les Samaritains depuis R. Gama-
liel II étaient en cette matière regardés comme païens, mais rien
ne dit le contraire. Il est donc hors de doute que le pain de l'hé-
rétique était assimilé à celui du païen et qu'au lieu de « Samari-
35 a, 44). Ce qui étonne c'est que Bar Kappara aurait rapporté une tradition au nom
drun docteur, son contemporain; il faudrait qu'il lui eût survécu, ce qui n'est pas
invraisemblable. Non moins difficile à expliquer est le l'ait que R. Yohanan mangeait
de la viande abattue par les Samaritains [Houllin, 5i), de même que son disciple
R. Assi, après que Gamaliel III avec son collège, auqael appartenait peut-être déjà
R. Yohanan, eut déclaré nulle la schehita. A-ton changé cette disposition après la
mort prématurée de ce patriarche ? R. Gamaliel II, malgré ses mesures relatives à la
dîme des productions samaritaines, n'alla pas si loin dans la défiance à l'égard de
l'observation de la loi chez les Samaritains, cf. Guittin, i, 5.
LES DOSITHÉENS DANS Ltt MIDUASCIF 63
tain » il faut lire « païen ; » de la sorte les objections des Tosa-
fistes tombent. Le pain des païens, comme leur vin, a été défendu
lorsqu'on prit, peu avant la ruine du Temple, dix-huit mesures
destinées à consommer la séparation des Juifs d'avec les païens *.
C'est à cela que se rapporte notre baraïta, mais le pain samaritain
ne fut jamais prohibé.
Il en est autrement du deuxième passage qui se trouve dans la
Mischna Schebiit, vin, 10 : « On raconta à R. Akiba que R.
Éliézer avait coutume de dire que manger du pain samaritain,
c'est manger de la viande de porc. R. Akiba répondit : Je ne veux
pas vous répéter ce que R. Éliézer en dit. » Il est certain que
Fauteur des Pirké di R. Éliézer avait en vue ces paroles de R.
Éliézer, quand il observait que : « C'est pour cela qu'il a été dit :
Manger du pain samaritain, c'est manger de la viande de porc. »
Seulement il présente la parole du Tanna, qui est censément l'au-
teur du livre, comme parole de l'école entière. Le contexte prouve
qu'il avait, comme nous, "ma dans la Mischna et qu'il entendait
parla le Samaritain. De même, les Amoraïm dans jér. Schebiit,
vu, 38 &, 69 : .'part a? b© pd np^b moWD nnma rm ,"OT "an n»N
T73 nnsn nrtab avna bra i^»n rvn Tntt ana ^an û^a rrpîn "an
« R. Yossè dit : D'après cela il est interdit d'acheter le. pain du
am-haareç. R. Hiskia, au nom de R. Aha, dit : Le Tanna permet-
tait de manger le pain levé des Samaritains tout de suite après
Pâque. » R. Aha se réfère à la baraïta de plus haut sur le levain
des Samaritains immédiatement après la Pâque, tandis que R.
Yossè assimile le "ma à l'homme du peuple en qui on ne peut
avoir confiance, ce qui ne peut s'appliquer qu'au Samaritain et
non au païen. 11 est donc au moins invraisemblable de voir
en "ma une altération de "nas, bien que nous sachions que R.
Éliézer appartenait aux docteurs qui approuvèrent les mesures
prises par la majorité de l'école schammaïte pour séparer les
Juifs des païens, en opposition avec R. Josué b. Hanania, qui
les trouvait excessives2. Cependant R. Éliézer n'a pas réussi à
faire triompher son opinion si rigoureuse à l'égard des Samari-
tains, attendu que, dans la suite, nous voyons que le pain samari-
tain était permis. Avant R. Éliézer, c'est-à-dire avant la destruc-
tion du Temple, nous ne connaissons rien qui ait pu motiver une
pareille défense : c'est seulement la lutte longue et sanglante
entre les Juifs et les Samaritains sous Cumanus 3 qui aurait pu
1 Jér. Sabb., i, 3c; Graetz, III, 802; Lerner dans Magazin, IX, 1882, p. 140 et
suiv.
» Sabb.,\$3b-, Tos.,1, 17; jér., i, 3c, 30.
J Josèphe, Antiq., XX, 6, 1-3 ; Bell, jud., II, 12, 3-7.
64 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
amener cette mesure. Mais le fait que plus tard on mangeait le
pain samaritain sans qu'on parle de l'abolition d'une prescrip-
tion antérieure prouve le contraire !. Il est donc établi que l'in-
terdit et la prohibition du pain des Samaritains dans les Pirliê n'a
pas de fondement historique et est une invention de l'époque gao-
nique en Babylonie.
III. Le refus de recevoir des prosélytes samaritains.
La défense d'admettre les Samaritains à se convertir au ju-
daïsme, dont parlent les Pirliê, contredit l'assertion formelle du
traité Koniim, n, 5 : on les reçoit dès qu'ils renient le mont Gari-
zim et reconnaissent Jérusalem et la résurrection des morts2.
Le Talmud, en parlant des personnes qui ne peuvent pas être
accueillies comme prosélytes, dit [Mischna Yebamot, vin, 3) : « Il
est défendu d'accueillir des Ammonites et des Moabites, et cela à
tout jamais, mais les femmes moabites peuvent être reçues dans
le judaïsme. Pour les Égyptiens et les Édomites, hommes et
femmes, on peut les accueillir dès la troisième génération... »
Or ce passage ne dit pas pas un mot des Samaritains. Il est
vrai qu'il faut distinguer entre l'admission au judaïsme et
l'union avec une juive 3. Le traité Koutim, immédiatement avant
la mesure dont il est question à propos des Samaritains comme
prosélytes, dit : Pourquoi ne reçoit-on pas les Samaritains dans
la communauté? Parce qu'ils se mêlèrent aux prêtres des hauts-
lieux. R. Ismaël dit : A l'origine, ce furent des prosélytes par
piété ; cependant toute union est interdite avec eux, parce qu'ils
ont dans leur sein des descendants d'unions prohibées et parce
qu'ils n'accomplissent pas le lévirat dans le cas d'une mariée4.
On retrouve cette explication dans j. Yebam., vu, 8&, 65 5. Ils
1 Cf. encore Jean, iv, 8 : Les disciples de Jésus étaient allés à la ville de Sichem
pour y acheter de la nourriture.
* mwim tpbTBYTa mm trm* nna tids©» ,ûms "pbapîa ^n^Ntt
ÛTflÛît.
3 Cf. Yebamot, \6a-b ; Mischna, ibid., vin, 3 , Yebam., 76 b ; Tossefta Kiddouschin,
v, 4, où Ton voit qu'un Ammonite et un Égyptien lurent reçus dans la communion
d'Israël, mais non autorisés à se marier avec une juive.
4 "«ans uy ■o-i^rûizj 13372 ?bfccnzra &oab D*moK ûvrori H72 ^dtd
15372 ,ûmoN rra 12372 /|nbnn» vn p*i£ "na "fiaï« baw>»u3i 13-1 .mtoan
5 ina Dira bN3>»ï5i ian nu:n "jami ian î^bipà 3^ r:n diœe Dvina
*iT7272rt nbnn b&niai na by «an -rajn (cf. Ketoub., m, i).
LES D0S1THËENS DANS LE MIDKASCH 65
étaient considérés comme des prosélytes complets ; mais en se
mêlant avec des éléments étrangers, ils s'étaient enlevé la possi-
bilité de se marier avec des Juifs. C'est encore ce qu'on lit dans
Kidd., iv, 31. La longue discussion instituée sur ces dispositions
dans Kidd., 75 et 1Q, n'a d'autre objet que l'inadmissibilité du ma-
riage entre Samaritains et Juifs.
Si l'on cherche, pour la manière de considérer le cas des Sama-
ritains, un parallèle dans le Talmud avec les Pirké di R. Éliézer,
on constate que là où la comparaison est possible il est question
de l'hérétique [Hoidlin, 13a en bas; Tos., i, 20). Car, ainsi que
nous l'avons vu, le pain de l'hérétique est considéré comme païen
et ses enfants sont regardés comme nés d'une union prohibée, pour
qui , par conséquent, un mariage j uif est impossible. Il en résulterait
que les Pirké traitent les Samaritains en hérétiques qui viennent
d'abandonner le judaïsme. De la sorte s'expliqueront les autres
parties de l'interdit qui sont en opposition avec les indications du
Talmud, et l'on pourra déterminer chronologiquement l'institu-
tion de l'interdit. Nous possédons, en effet, une décision du gaon
Natronaï - au sujet d'une secte qui avait abandonné l'observation
de plusieurs prescriptions fondamentales du judaïsme, parmi les-
quelles le sabbat, l'interdiction du suif et du sang, les prohibitions
matrimoniales, l'abatage des animaux, et qui voulait revenir à la
religion d'Israël. Le gaon dit : hw "iwarn imnii "np^a "npa nbbn
wn bawtt inp"»^ mn Nb ib-ai ,mna« ibbm tar-m:tt fnbim
...banto^ -îwûD "pia^n ■pbaïai •p-na»© D*na n^oa ma fma v^iain
taras ^aa -nna >*bi nmya ta^atnnfi "pma \vd ...pia -ibbn bas
b&rna^a msm nwuî bnpa ïo^aanb "jbapb niaaN w û"nîtttt orras
ntaoN ^n "p^b banian D^nT?:72 û"»a-i73i banta*' mb orrmaa iN^a-n
. . ."ip^ ba "jbapb. « S'ils étaient des païens, d'origine non juive, on
pourrait les recevoir, comme les autres païens, après qu'ils se
seraient circoncis et qu'ils auraient pris un bain et ils devien-
draient pareils à n'importe quel Juif; mais ceux-là qui vécurent
dans l'inceste et n'écrivirent point de lettres de divorce, ils ont
des enfants incestueux, et ne sauraient être reçus dans la commu-
nauté, de crainte qu'ils ne se marient avec des Juifs et n'aug-
mentent le nombre des enfants incestueux. Par conséquent, il faut
- * ittiN iT3^bN ^an ...rrra rit amb tmn^a bnpa soab n-moars ba
♦TION 'Jp-'DDa "Jp^DOI 1NTD "JP^DOT lpi£>03 "J^m ,"imtt INma *{NTl
Tna*l "'aiDN ^piniû mp^SOM "JM ib^l « Tous ceux qui ne peuvent pas entrer
dans la Communauté peuvent se marier entre eux. . . R. Éliézer dit -. Ceux dont l'ori-
gine est sûre peuvent se marier avec ceux qui réunissent les mêmes garanties, mais
non avec ceux dont l'origine est douteuse. Ceux-ci ne peuvent pas non plus convoler
avec leurs semblables. Tels sont, entre autres, les Samaritains. »
2 pni: "nyta, o^aan rraran, p. 24 «, n° i.
T. XLIII, n° 85. 5
66 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
les repousser. » Dans le n° 2"?, Natronaï s'exprime de la même
manière au sujet des partisans du pseudo-messie Sérène, qui eux
aussi foulaient aux pieds les lois matrimoniales : il faut dissoudre
leurs unions, regarder leurs enfants comme issus de l'inceste, il
faut annoncer publiquement qu'ils ne peuvent pas entrer dans la
communauté, ou, comme il est dit plus clairement dans le n° 7 :
rrcpn ib 'p&o son traita b&ntm» biaitt mm im^ncm vby imdï-j
dbvb « Publiez qu'ils ne sont pas admis dans la communauté;
tenez-les à l'écart, car ils sont nés dans l'inceste, il n'y a pour eux
aucune ressource. » Dans les Pirhé, ce traitement est appliqué aux
Samaritains. Que cela convienne justement à l'époque gàonique,
c'est ce qui ressort des Halahhot Guedolot, le compendium des
écoles gaoniques. Il y est dit 1 : /nro hma in """rotin vins whd
(?) Vîrfiûsa ifrMfci. TSnîiE ...fcrvû i» a^iroo yarbyi dits by ^ni3
"hdni ...^Tiàntûa a^nmo innnw by ^SHôtï ".îrotob abta bentmb
•jN73b *pa im myra imnNtt nTEE -toni "j^Tûb ^3 trT"3» ns ^binpb
NnDpn inb rnbi fria mrïia nnstai -m? -|72NT « Cuthéens, Se-
bouéens et Samaritains sont un peuple dont on ne saurait accepter
de prosélytes pour les raisons admises dans Kidd., 76 b, et il n'y
a pour eux aucune ressource. » La disposition de la fin de ce pas-
sage est littéralement la même que celle de Natronaï relativement
à l'admission des hérétiques, et l'auteur déclare expressément qu'il
parle de l'accession des prosélytes. Le passage du Talmud que les
Halahhot citent à l'appui de leur décision ne traite pas la question
de savoir si un Samaritain peut être reçu comme prosélyte, mais
s'occupe seulement d'empêcher l'union des Samaritains avec les
Juifs. Comme le montrent les Consultations du gaon Natronaï,
l'entière exclusion des Samaritains n'a été prononcée que lors de
l'apparition de nouvelles sectes, au vme et au ixe siècle. On
trouve la même décision dans Séder Éliahou Zouita (éd. Fried-
mann, p. 169) : « On n'accueille pas dans le judaïsme des prosé-
lytes samaritains , parce que des membres des dix tribus se
sont mêlés aux Samaritains ; seul le prophète Élie pourra un
jour séparer les uns des autres ». Comme il s'agit là d'une addition
que l'auteur a ajoutée à Yebamot, 16 a, on peut supposer que cet
auteur a vécu dans une région où la question de l'admission des
Samaritains présentait de l'importance, et à la même époque que
les auteurs des Pirhè et des Halahhot Guedolot.
Il a donc dû se produire certains faits qui déterminèrent les
Gaonim à assimiler les Samaritains aux hérétiques, en ce qu'ils
abandonnèrent toute attache avec le judaïsme et voulurent plus
1 Ed. Hildesheimer, 443.
LES DOSITÏIKENS DANS LE MIDRASCK 67
tard y revenir ; ou bien ils provoquèrent cette sévère mesure par
leurs rapports avec une de ces sectes. Y a-t-il eu des Samaritains
nn Babylonie, où nous ramènent les Pirkè, ou en Perse, où na-
quirent les sectes? Dans le Talmud, à ma connaissance, il n'y a
qu'une allusion à cette existence de Samaritains en Babylonie.
Dans Guittin, 45 a, il est question de la fuite d'un esclave de R.
Hisda chez un Samaritain, et des négociations entre le docteur et
le Samaritain, qui se réfère àDeut., xxm, 16. Néanmoins, il ne me
paraît pas établi qu'il s'agisse de Samaritains, pas plus que dans
l'histoire qui suit, sur l'âne d'Abbaï qui s'était perdu chez les Sama-
ritains. Par contre, l'information du Caraïte Abou-Youssouf al-
Kirkissâni *, qui se rapporte à l'époque de la rédaction des Pirhé,
est digne d'attention. Elle nous apprend que l'hérésiarque Ismaël
al-Okbari (832-842) aurait reçu, d'accord avec les Samaritains,
dans la Genèse, iv, 8 : îTTCJîl ^3 dip, et dans Ex., xx, 18 : a"WTC>
mViprt na, comme textes de la Bible 2. Comme une telle concor-
dance ne saurait être l'effet du hasard et que Okbara se trouve
probablement à dix parasanges de Bagdad 3, il faut admettre l'in-
fluence des écrits samaritains et des Samaritains sur la formation
en Babylonie des nombreuses sectes ; à moins de supposer qu'Is-
maël, que sa désignation de Baalbeki fait originaire de Syrie, ait
été dans son pays à l'école des Samaritains. Mais si l'on considère
l'observation citée plus haut des Halakhot Gnedolot sur les trois
peuples •""ittiD, Vtax, "WD, on est amené à supposer l'existence
de sectes samaritaines en Babylonie. Autrement, on ne compren-
drait pas ce qui aurait pu porter l'auteur à parler des groupes
samaritains n'existant qu'en Egypte et en Palestine, s'il n'y en
avait pas. eu au moins un dans le voisinage des écoles babylo-
niennes. Assurément, nous ne repoussons pas l'hypothèse que
l'auteur pouvait connaître la chose par une question adressée
de Palestine ou de l'Afrique du nord, et qui énumérait ces groupes.
Cependant l'accord des Halakhot Guedolot et des Pirhé di R.
Éliézer, d'une part, et celui d'Ismaël al-Okbari et des Samaritains,
d'autre part, indique la Babylonie comme résidence des Samaritains
en question. D'après ce que nous savons, il est vrai, les "wd et les
vnttia ne formaient qu'une seule et même secte palestinienne; mais
au cours des siècles, ils ont pu se différencier, tandis que les •'snaat,
1 Ed. Harkavy, p. 305 et 315.
* De même chez Juda ha-Dassi (Alfabet, 98) : ÏW^pïH 3rQM N1H D3 bû33J3
a^p-iosn ibtoi "psibab y*m cnn mio nn np£> un -o r»*»?» -i^ao
DH Û3 "Obn Û^jTITDIUJ!! IB^bnntO- h dit que Ismaël a supprimé comme faux le
kerê et ketib, ayant désigné leurs auteurs comme pécheurs envers Dieu.
3 Cf. Poznanski, dans cette Revue, XXXIV, 1897, p. 162.
68 REVUE DES ETUDES JUIVES
qui nous sont inconnus, ont pu fournir la branche babylonienne
des Samaritains. Signalons la supposition de D. Louria1, que le
Cuthéen a^^o[Pirhé:lvtmo^)t transplanté comme docteur à Samarie,
a quelque affinité avec les H$iO£ des Ralakhof. Si cela est exact,
nous en conclurons que les Pirliè et les Halakhot se rapportent
au même temps et aux mêmes circonstances. Comme, de plus, les
Pirhé présentent l'interdit prononcé à Jérusalem contre les Sama-
ritains comme ayant été adressé en Babylonie, où il est encore
renforcé, il en résulte encore que l'auteur s'occupe de l'interdiction
des Samaritains en Babylonie. D'où cette conclusion qu'à la fer-
mentation du judaïsme persan-babylonien aux vme et ixe siècles,
qui produisit tant de sectes, les Samaritains eurent aussi une part.
L'une ou l'autre de ces sectes s'appuya sur l'antique opposition
des Samaritains à l'égard du judaïsme et reçut d'eux des encoura-
gements. De là vient que les Gaonim et leurs écoles en eurent en
première ligne aux Samaritains ; ils mirent dans la bouche d'Ezra
leur exclusion du judaïsme, afin de déterminer ainsi les adeptes
de l'hérésiarque qui se rattachait à eux, comme Ismaël al-Okbari,
à rompre l'alliance avec les Samaritains et à réfléchir.
De même le troisième point de l'interdit, savoir que les Sama-
ritains n'auront pas part à la résurrection, est d'origine post-tal-
mudique. Ce qui marque l'inauthenticité du récit, c'est que la
question de la résurrection n'a pas pu du temps d'Ezra former
l'objet de la dispute et l'élément de la malédiction. Sans doute, la
Mischna Sanh., x, 1, pose que quiconque nie que le Tora parle de
la résurrection ne participe pas au monde futur, et la baraïta de
Sanh., 90 a, dit : rr^nm pbn ib ïrm ab ^sb ûvittii rr^nna neo am
d^n^n « Il a nié la résurrection, il est donc juste qu'il n'y ait pas
part. » Bien que cette phrase soit pareille jusque dans l'expression
à celle de l'interdit sur les Samaritains, il me paraît douteux
qu'elle s'applique aux Samaritains niant la résurrection. Le con-
texte, en effet, s'occupe uniquement des hérétiques, mais non du
point de vue auquel étaient placés dès l'origine les Samaritains.
A l'époque du Temple, ce sont les Sadducéens qui appellent sur
eux les rigueurs des Pharisiens 2 ; après la ruine du Temple, les
docteurs prennent des mesures contre les hérétiques. Gela ressort
très clairement de la baraïta de Rosch ha-Schana, 17 a 3. Là, parmi
les Juifs impies, sont nommés également ceux qui nient la résur-
1 Commentaire des Pirké di R. Eliézer, xxxvni, 91c, note 153.
2 Berakhot, ix, 5.
rrnn "mib rn vernir ^srrabi Tos. Sanh., xm, s.
,
LES DOSITHKENS DANS LE M1DRASCH 69
rection. Autant que je sache, le Samaritain n'est regardé nulle
part dans le Talmud comme un hérétique ; dès lors, Tinterait qui
lui applique les dispositions établies contre l'hérétique ne peut
être que post-talmudique. Ces résultats concordent avec ce que
nous savons de l'interdiction du pain et le refus de recevoir les
Samaritains dans le sein du judaïsme, c'est-à-dire qu'ils étaient
assimilés aux hérétiques, et ce, dans la période gaonique.
Après avoir établi que toutes les parties de l'interdit sur les
Samaritains dans les PirUé di R. Eliézer sont nées à l'époque
gaonique et reflètent la situation des Samaritains au vin0 siècle,
nous avons à examiner la question de savoir si tout le morceau
qui se rapporte aux. Samaritains et dont l'interdit forme la fin est
d'origine récente. Le paragraphe s'occupe du serment des frères
de Joseph avant sa vente, du serment de Josué sur Jéricho, du
serment des villes dans Juges, xxi, du serment de Saùl dans
I Sam., xiv, et enfin de l'interdit prononcé contre les Samaritains.
Le tout, s'appuyant sur des faits tirés de la Bible, montre que le
serment ou l'interdit, une fois prononcé, lie Dieu et les hommes.
Cette unité de pensée prouve que ces juxtapositions sont l'œuvre
d'un seul auteur, mais non que les diverses parties soient d'ori-
gine récente et gaonique-babylonienne. Cependant un mot qui
revient à plusieurs reprises et qui marque la pensée fondamentale
de l'ensemble indique l'influence de ce temps et de ce pays. Ce mot
est celui de dnn dans le sens de serment, que nous avons vu être
gaonique, en tant que pour la prestation du serment devant la jus-
tice, dans le cas du débiteur niant la dette, on employait une longue
formule d'interdit. Dans Scfiebouot, 35 &-36 a, nous trouvons
toutes les expressions du serment, mais tnri n'y est pas nommé,
bien qu'on désigne les mêmes faits de la Bible, de Josué, vi, et de
I Samuel, xiv, comme serment, avec malédiction. De même la
baraïta de Scheboaot, 36 a : rwrma "n ,iibbp na /nia in /ma ,ï*an
signale comme contenu de Yna l'interdit avec le serment, et cepen-
dant n'appelle le premier que "nia, sans supposer l'usage de con-
jurer devant le tribunal avec l'interdit. Par contre, le mot tnn est
très courant dans notre récit, où les frères de Joseph disent :
•pian ,ïmï-n dnb "ton .was spanb'nan» irie* w ab© la^a n^ra
Tria umpnb iDrna iwy rra .mma abat d^pn» d-inn 'pan f&o na^a
Dirafiô T»^ «btt d-inn misa Nirv Là il est admis aussi que l'interdit
ne vaut qu'autant qu'il est public, ce qui, à en juger par les Consul-
tations ci-dessus mentionnées, est gaonique. Il est certain que nous
avons affaire à une forme de l'antique rtb». A ce sujet, le livre
d'Enoch, vi, 4, offre un parallèle intéressant en disant des anges :
« Nous jurons par serment et nous nous engageons par des conju-
70 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
rations à ne point renoncer à ce dessein, mais à réaliser l'œuvre
conçue. Alors tous jurèrent et s'engagèrent par des conjurations...
Ils appelèrent la montagne Hermôn, parce que c'est là qu'ils
avaient juré et qu'ils s'étaient liés solennellement. » Voilà le mot
ûnn pour désigner les conjurations qui corroborent le serment,
tout à fait comme dans les Pirhé di R. Éliézer. On peut se de-
mander si entre les deux livres il y a quelque rapport plus étroit,
ou si c'est une coïncidence fortuite. Comme, d'une part, il est cer-
tain que les Pirhé n'appartiennent pas au temps ni au cercle du
livre d'Enoch, qu'au contraire, il y a des preuves que le livre des
Jubilés était connu des docteurs babyloniens * et que beaucoup
de particularités de la littérature juive sur Enoch de la période
gaonique semblent tirées du livre d'Enoch2, un emprunt est vrai-
semblable. D'ailleurs, d'autres passages des. Pirhé plaident en
laveur de cette opinion. Le narrateur dans ce passage comprenait
ce qu'il y avait de nouveau dans cette assimilation de tnn avec le
serment ; aussi dit-il : ï-unaram wniûïi vm ûnnn Nn^p? ia*i "ittN
. . .ûnrn YT « R. Akiba dit : Le serment c'est le hérem, et le hérem
est un serment. Tu peux le déduire du texte où Josué interdit Jéri-
cho et où Achan fut brûlé pour avoir mis la main sur l'interdit. »
Il serait difficile de trouver cette phrase ou une phrase semblable
dans la littérature talmudique et midraschique. Même le niati "npo,
qui est encore plus récent, en reprenant l'histoire de Joseph vendu
par ses frères, ne dit que ces mots : ■upaaa'n ûbs TO"ip-n ûdn pian mim
nu:N ■©■<« ba ûb"û •nM&n .apa^b *xaxn pn Taïi inb^b vnN njs œh$
im irra-im "pb* isba "tt-man y-iws ,^3 hdb nm nain dn tu**
anm, tout à fait comme dans le Testament des douze patriarches
(Zabulon, 1). Or, comme tnn dans le récit des Pirhé n'est pas
simplement une expression caractéristique, mais domine tout
l'ensemble, le morceau entier appartient à un seul auteur, de
l'époque gaonique. Mais cela n'exclut pas la possibilité qu'il ait uti-
lisé et remanié des sentences anciennes, comme par exemple celle
de R. Éliézer sur le pain d^s Samaritains (Sçhebiit, vin, 10). D'au-
tant plus que le verset sur les neuf peuplades dont se composait
la nation samaritaine, se trouve dans Séder Olam, xn, in fine 3.
Dès lors, les noms des docteurs samaritains, Dosithée et Zacharie
(ou fipiap), pourraient provenir d'une source plus ancienne, peut-
être tannaïtique, et représenter les sectes, connues par des sources
1 Epstein, d^lïT^ rmaiBlp», vu.
» Z.D.M.G., VII, 1853, p. 249.
3 Voir Bâcher, Agada der Tannaiten, II, 189, 5, et Ratner, dans son édition du
Séder Olam Jiabba, p. 50, note 40.
LES D0S1THÉENS DANS LE MIDRASCH 71
chrétiennes, qui florissaient en Palestine au 11e siècle après l'ère
chrétienne. Mais cela n'est pas très sûr, comme le laissent sup-
poser les Halahhot Guedolot. En tout cas, il est acquis que le
morceau des Pirhé di R. Éliézer traitant de l'interdit prononcé
contre les Samaritains, est d'origine gaonique et babylonienne et
qu'il est dû probablement à l'effort fait par les autorités de cette
région pour se défendre contre le grand mouvement déterminé par
la formation des sectes dans le kalifat oriental.
A. Buchler.
Vienne, 8 juillet 1901.
LES GLOSES FRANÇAISES (LOAZIM)
DE GERSCHOM DE METZ
'suite et fin ')
34. ÉNTRÉZU, rb'narN, C, Houllin, 113 a, Nnasï KWi « les boyaux
du bas-ventre ».
Raschi donne le mot b*n£33N ou bwiûFK, ÉNTRaZ.
Le loaz de Gerschom spb'^'Ttpa'W est ponctué d'une manière bizarre qui
pourrait de prime abord le faire prendre pour un mot italien. Mais c'est tout
simplement un mot italianisé, et maladroitement italianise. En effet, le mot
italien désignant les entrailles est tiré, non pas de Hntralia, mais de 'intra-
neum (et non de 'intranea, comme le dit Kôrting) : c'est le mot entragno. Le
français a également la forme entraignes, de 'intraneas. C'est également à
cette forme en -aneas que se rattachent l'espagnol entranas et le portugais
entranhas- En supposant qu'une forme italienne, disparue dès le xie siècle, eût
été faite sur le latin 'intralium, elle n'eût jamais donné spVheWW, mais
bien spbnE^N*. Nous sommes donc amené à corriger simplement ^b'HWrç
en !pb"np3"W, en partant du type latin Hntralium (le gloss. de Reichenau
donne Hniralia). La transcription française donnera donc : ÉNTRÉLU. C'est là
une forme très ancienne, où l'on sent encore la finale latin ~-um.
Dans Raschi, le mot b'HMS'^ n'ayant, jamais la finale -, doit se tirer du plu-
riel intralia, et non du singulier intralium.
35. FALDESTORO, Tnaiznbs, C, Men., (J6, ipabn « chaise recouverte de
cuir ».
Le ms. porte "mpttîibs, faute évidente pour muta^bD. C'est le mot ro-
man dérivé àc*/aldastarium, refait sur faldastuol. Il y a pourtant un doute au
sujet de la nationalité de ce mot. Les plus anciens textes italiens donnent
faldistorio ou faldistoro, et jamais faldastoro ou faldestoro, indiqué par
notre loaz et qu'on peut ponctuer iTiuiB'lbB ou TYîBtt^bDi mais non
■niûtt^bs, qui réclamerait un i entre le "7 et le ©. — Raschi donne dans ce
passage le français ^naiBlbs. 11 est donc permis d'hésiter entre le français
FALDESTORO, qui représenterait une prononciation plus ancienne que celle
qu'indique Raschi, et le beaucoup moins probable italien faldistoro.
1 Voir tome XUI,p. 48 et 237.
LES GLOSES FRANÇAISES DE GERSCHOM DE METZ 73
Dans la description qui entoure le loaz on semble avoir perdu de vue que
la caractéristique de ce siège (allemand stuhl, angl. stool, anc alleman sluol)
est d'être pliant (faldari). On dit simplement que c'est une chaise recouverte
de cuir ; on s'en sert pour se mettre à table. Mais son sens de siège pliant,
qu'il conserva pendant au moins deux siècles encore, n'est même pas indiqué.
36. FELTRES, tûnabs, G, Bekh., 29 b, ^ûftî « couvertures de laine. »
Raschi, Bekh., 29 b, donne également le mottfînabs.
C'est le mot actuel feutres, étoffes drues, serrées, faites de laine ou de poil
agglutine et foulé. Ce mot est dérivé du germanique fdt, bas latin fillrum,
comme le montre la comparaison des diverses langues romanes : it. feltro,
prov. feltres, feutres, fr. feltre. — Le mot filtre, corps poreux (feutre, étoffe,
papier, charbon, pierre spongieuse, etc.) à travers lequel on fait passer un li-
quide pour le clarifier, a la même étymologie fîltrum, mais c'est un mot em-
prunté à l'italien filtro.
37. FÉSTEL, battes, C, Houllin, Mb, mbip. C'est l'os de la cuisse et, par
extension, la partie de la jambe comprise entre le gigot et le sabot.
Raschi ne donne pas de loaz pour ce mot.
L'édition du Talmud de Wilna a la forme btiîtfîs. A première vue et pour peu
qu'on ait l'habitude de la transcription des mots français en l'alphabet hé-
braïque, on s'aperçoit que cette leçon est fautive. On aurait eu btfJD, c'est-à-
dire fesal (os de la fesse) ou Fessel (allemand). Le manuscrit donne bpiZJD.
C'est le français tiré du latin fistula, c'est-à-dire fis tel, forme secondaire de
flstele. On s'attendrait à FÉSTEL. Je crois que c'est la forme à laquelle on doit
s'arrêter. Il suffît de remplacer, en effet, baiû^p par biïU^D; c'est un chan-
gement parfaitement autorisé. C'est donc un paroxyton encore bien vivant dans
la langue populaire de la fin du x9 siècle. Les proparoxytons de formation sa-
vante, nés très anciennement, avaient conservé l'accent latin tout en affaiblis-
sant ou même en faisant disparaître la première post-tonique. L'orthographe
primitive de ce mot a dû être 'FÉSTELE (le second e marquant le son faible de
Y a post-tonique et servant en même temps dV d'appui). C'est peut-être, d'ail-
leurs, l'orthographe indiquée par notre loaz (cf. page précédente). Puis le
mot a été écrit féstel. Ce mot, appartenant naturellement au domaine popu-
laire, est devenu festle ou festre (le son de l linguale ou de r mouillée étant
sensiblement le même ; cf. latin latialis, latiaris, ele ), et enfin fêle, qui
existe actuellement et signifie le tube de fer à l'aide duquel l'ouvrier verrier
[félatier] lire la matière du creuset et la souffle. Quant au sens qu'on lui donne
dans ce passage, il est remarquable. C'est un sens dérivé de celui de ce
mot latin, qui signifie tube ou flûte. La jambe du cheval faisait penser à un
tube ou à une flûte. C'est ainsi qu'actuellement on dit encore trivialement
mes flûtes pour mes jambes, expression qui est chez le peuple d'un usage à
peu près constant. C'est une des nombreuses métaphores appliquées aux
parties du corps des animaux ou de l'homme. On dirait que l'esprit français
continue à appliquer aux diverses parties du corps le même système de tri-
viales métaphores depuis plus de dix siècles ; cf. tête, boule, poire, trogne,
gueule, etc., et dans l'exemple qui nous intéresse, jambe, patte, féstel, flûte.
74 HE VUE DES ETUDES JUIVES
38. FRANS, iûriB,C, Menahot, 42 b, yïTM, franges de l'étoffe.
Raschi au môme endroit, Men., 42 b, donne, pour ce mot, le loaz ©■rç-pB =
FENRJES.
Cette forme très curieuse établit d'une façon absolue l'étymologie du mot
"frange : 'fmbria, 'flmria, *fimrja, '/tnrja, 'fenrje, 'frenje, * frange.
Le mot donné par Gerschom doit être transcrit FRANS. C'est le mot qui a
donné l'allemand Franse, le français fronce. On rattache d'ordinaire ce mot à
Runzel. C'est évidemment impossible. Kôrting pense que c'est le thème verbal
de 'frontiare. C'est également impossible. Le verbe fronzir, qui existait à
lépoque de Raschi, aurait dû former au début du xie siècle /ronze ou quelque
chose d'analogue. — Je ne vois pas d'étymologie à ce mot, mais nos loazim
donnent un résultat précieux bien que négatif : ils prouvent que les étymo-
logies proposées jusqu'ici n'ont aucune valeur.
39. GRANÉS, ffl^sni, C, Houllin, 99 b, W3, grain des raisins.
Raschi ne donne pas ce mot.
Quoique le mot nJna soit au singulier et ne signifie, en hébreu, que grain,
il est évident qu'il s'agit ici d'un certain nombre de grains, en un mot d'une
grappe : c'est donc le mot gran- plus le suffixe es, latin -ensis, *granensis,
l'ensemble des grains, le granés.
40. GRAVÉLE, «bma B, A manque, B.B, 82 a, tô^tt, collines de sable
plantées d'herbes.
Cf. Raschi, Sabb., 82b, fcçb^aia, sol marécageux; 109 #, Nb^mx sable des
bords de l'eau; Houllin, 2lb, Nb^nni, terre limoneuse; Eroubin, A3 a,
Nbia*i3, gravier.
Le sens de étendue de sable est donc celui qu'indique l'ensemble de ces
exemples. — C'est le mot GRAVÉLE bien connu en ancien français, forme
dimunitif du mot grève, 'gravèlla, d'où gravéle. Cf. Psautier d'Oxford, gra-
vèle de mer. — Le sens est resté dans le mot graveleux. C'est le même mot
que gravelle, la pierre.
41. RAMURE, fcrûto?, C, Kerit., 8 a, nB3, excréments de poisson dont on
forme l'ambre gris.
L'étymologie est l'arabe 'anbar, le y représente l'aspiration du mot arabe,
qui commence également par un ain.
Raschi ne donne pas ce mot. Dès nos plus anciens textes il apparaît sous
la forme ambre, et non hambre. A l'époque de Gerschon ïh aspiré de pro-
venance germanique1 ou arabe se faisait encore assez fortement sentir pour
que Gerschom marquât l'aspiration par un y.
42. HANJES, C, Eî^îl, C, Houllin, 93 a, Nnoia^bp, les os des îles.
Raschi donne le même mot au singulier : Npaïl. Le loaz de Raschi
doit être transcrit HANCHE ; celui de Gerschom HANJES = HANCHES.
La finale xû, avec palah devant, du loaz de Gerschom prouve que le son de
1 Cf. le mot hanjes.
LES GLOSES FRANÇAISES DE GERSCHOM DE METZ 75
Va final n'était pas encore absolument assourdi. De plus, c'est un excellent
exemple pouvant servir à démontrer que ce patah était simplement employé
pour marquer la finale — des mots français. On ne peut songer à faire de
ce mot, à cause de l's final, un mot italien, ni, à cause du p, un mot espagnol
ou portugais.
Quant aux 71 = J, c'est la notation du son ca = che parmi les Rhénans de
langue française : on confondait dans cette région française le son,; et le son
ch et l'on prononçait un sou intermédiaire entre ces deux consonnes. Les textes
prouvent, en effet, que ch et j sont indifféremment notées par ">i ou p.
L'étymologie (germ. Hanka) explique la persistance de Vh aspirée.
43. HARPE, ND"irr, G, Arakhin, 10 a, bas, harpe.
Emprunté du germanique Harpa, allemand actuel Harfe. La forme italienne
arpa est également empruntée au germ., mais en italien Vh, même d'origine
germanique, tombe très tôt. C'est sous l'influence de l'italien arpa qu'on a
parfois écrit en français arpe, ou peut-être simplement par suite d'un change-
ment de nature de l'A initiale. Raschi, en effet, donne déjà le mot ndik.
44. HOMLON, flbEirr, Houllin, 47*, mtt53, le houblon = HOMLON.
Même mot dans Raschi au même passage.
Celte ancienne orthographe, qui nous est conservée par Gerschom et par
Raschi, rappelle les formes humulum ou humlo, humulo données par le
Polyptyque de Saint-Rémi de Reims et par le Polyptyque d'Irminon. Elle
rend très improbable l'étymologie proposée par Grandgagnage, adoptée p?r
Diez pour le mot houblon, c'est-à-dire soit la racine Hop du hollandais, d'où
Hopfen, en allemand, hopelon, en français, et hobelon, lioblon. Par un singu-
lier hasard, Gerschom, à côté de homlon, nous donne le slave b"OT, Chmél,
qui signifie également houblon et qui paraît être en rapport avec le mot qui
donnerait l'étymologie la plus acceptable pour notre homlon. En effet, sur
b^ES on a pu former un 'hmlo-, 'hmlonis, devenu très naturellement 'homlo,
'homlonis, qui a donné homlon. Le s indique une aspiration qui est rendue
par Vh français. Quant à homlon, houmlon, il à passé a houblon sous l'in-
fluence de la forme Hop de l'allemand, qui signifie également houblon. Tout
n'est donc pas à rejeter dans l'étymologie de Grandgagnage ; mais son Hop
ne joue qu'un rôle secondaire dans la formation de ce mot. Cf. les noms des
villes : Hombleux, Homblières (Aisne, Dictionnaire topographique de l'Aisne,
collection du ministère de l'Instruction publique), qui remontent à la forme
Humularias. — Les matériaux manquent pour l'étude de la culture de celte
plante. Mais il est probable qu'elle est d'importation slave et que ce n'est que
plus tard qu'on a connu le houblon germanique. Les formes homlon et hoblon
sont les témoins de ce double mouvement.
4l>. HUTE, n^iïi, AB, B.B.,6b, gp^St. « C'est, dit Gerschom, une chaumière
disposée de façon à permetlre aux eaux fluviales de s'écouler dans les pâ-
turages. »
Raschi n'emploie pas ce mot, mais fcpnla = BORDEL, diminutif de borde
(resté comme expression géographique dans un grand nombre de départe-
76 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
ments sous la forme La Borde ou Les Bordes), du gothique baurt, anglais
board.
Le loaz de Gerscliom se transcrit : HUTE. Ce pourrait être aussi bien l'alle-
mand Hiltte que le vieux français hute. Mais aucun manuscrit ne le signalant
comme appartenant à la langue T231ZJN, nous pouvons en conclure à coup sur
que c'est bien l'ancien français. 11 vient de l'ancien haut-allemand Enta,
moyen haut-allemand Hutte. On en peut rapprocher le gothique hethjo,
sanscrit, ci, grec, xetpat, latin, cubare, primitivement chambre où Ton
couche.
46. ILIÉR, T^bK, C, Houllin, 8 b, ^5D5, lombes.
Le manuscrit porte le mot VÔN, à transcrire ALYD. 11 faut ponctuer au-
trement, la ponctuation est d'ailleurs postérieure dans le manuscrit, si on en
en juge par la diiîérence de couleurs des deux encres. Nous ponctuons
Tpbçi, et nous changeons le *j final en n, changement autorisé par la confu-
sion fréquente entre ces deux lettres de forme presque identique. La trans-
cription donne le mot ILIÉR. Je dis que c'est le seul mot possible. On ne peut
songer au catalan illada, car le loaz, dans ce cas, aurait eu assurément une
voyelle finale, soit sn^bs, soit -n^bN. Quant à l'espagnol ijar, il est impos-
sible, ainsi que le provençal ila, ilha, et le portugais ilhal. Ce mot a pour
élymologie le latin iliare. 11 est surtout employé dans le sens de côté, flanc,
et est généralement au pluriel dans ce sens. Nous avons également la forme
féminine Hier es ou yllièrcs.
47. ISTEMEKEL, b^ttplû'W, C, Houllin, 50 #, &O»"lt:0,W, l'estomac
Dérivé du grec ox6[xaxoç, latin stomachus, ce loaz nous présente un mot
français, à en juger d'après Yi prosthélique et la voyelle e de Va latin anté-
tonique.
L'étymologic doit être 'stomachulus, qui aurait donné régulièrement la forme
estomail ou estomayle. Mais ce mot est mi-savant, mi-populaire. H est savant
par sa formation terminale, mekel, et populaire par Yi prosthétique qui pré-
cède le groupe st. Soit, en définitive, la transcription ISTEMEKEL. On voit
qu'à cette époque -achulus donne -EKEL avec '.'accent sur le premier e et que
la dernière syllabe était presque atone, ou, pour mieux dire, prononcée avec
beaucoup moins d'intensité que l'avant-dernière. C'est un réel paroxyton en
présence duquel nous nous trouvons. Dans Rasclii cette forme a complète-
ment disparu et nous avons la forme : ÉSTOMAK, ^ttiatî'W.
48. ISTURDIR, -p'il'itfUÎ"^, C, Houllin, 51 a, W»pl rm», se troubler,
souffrir.
Le mot se retrouve dans Raschi sous la forme du substantif : ■p^YTiaiOlg,
éstordison, Jérémie, xxm. De même, dans le glossaire 302 de la Bibl. Nat.,
•prmu^N = ÉSTORDIZON, pour traduire le mot irvin (fol. 1, 2e ligne). 11
s'applique aussi bien à la perturbation physique qu'au trouble moral. Dans
notre loaz il a le sens neutre : rester étourdi, être souffrant. — L'i prosthétique
suffit à faire rejeter toute composition du mot avec ex. (Nous aurions, en effet,
"W et non ->n. É et non I.) De sorte que l'étymologic proposée par Korting
LES GLOSES FRANÇAISES DE GERSCHOM DE METZ 77
'sturjan serait encore la moins mauvaise. Le i et Pw (Vu et Vi) de IsIUrdir
la rendent assez vraisemblable.
49. 1STUVE(?) ou ESTUVE, NaiBS)», G, Houllin, 51 a, KBlDiK, ouverture
pratiquée dans le toit.
Ce mot ne se trouve pas dans Raschi.
La phrase hébraïque est très claire, mais ne précise pas suffisammment
l'usage qu'on faisait de ce trou percé dans le toit.
Leloazse transcrit ESTUVE. Gela désigne-t-il le trou qui donnait passage
à la fumée, comme le suppose M. Kœnigs berger? Je ne saurais l'affirmer.
Dans le doute je m'abstiendrai de rechercher l'étymologie de ce mot. Aussi
bien, s'il vient de * stupa (comme le mot éluve, d'après le Dictionnaire général,
qui, d'ailleurs, n'est pas absolument satisfait de cette hypothèse), il doit don-
ner 1STUVE. S'il vient d'un composé de ex + (a??), il doit donner ES + TUVË,
c'est-à-dire, en tout cas, -iztn ou ti^at.
Le mot est très obscur quant au sens et quant à l'étymologie. Toutefois la
comparaison avec les langues germaniques, angl. stove, doit faire pencher
pour la transcription 1STUVE, et l'étymologie doit se trouver dans un mot
germanique.
50. JABRONS, oanna*", A. B*. B1., «arbi, B'. Baba Batra, ma, ^r%
poutres placées le long du toit.
C'est le mot actuel « chevrons ».
La notation "n ou i = J est intéressante. Elle nous donne un nouveau spé-
cimen de la confusion entre j et ch dans la prononciation de l'Est de la
France et du traitement du groupe latin (C + A).
L'absence de ponctuation ne nous permet pas d'assurer d'une façon abso-
lue la transcription française, mais l'antiquité de ce loaz doit nous faire pré-
férer la forme la plus hébraïque, c'est-à-dire CHABRONS, forme intermédiaire
entre CApR-ûneS et CliAVRONS. — Ce mot technique a gardé le même sens
E
depuis le xe siècle jusqu'à nos jours.
51. JUTE, t&w\ C, Houllin, 63 a, maints mao, la chouette.
T
Raschi traduit ici le mot par ZOÉTE, MU^iiT.
Gerschom donne une forme très curieuse et que je n'ai retrouvée nulle part:
JUTE. Évidemment, le •n est ici la prononciation défectueuse donnée au ch
par le dialect messin. Dans cette région on prononce le ch et le j d'une façon
équivoque et qui correspond à un son intermédiaire entre ch elj, de sorte
que les loazim représentent indifféremment le son ch par ti et le son j par p.
Nous pouvons donc transcrire CHUTE, au lieu de JUTE. Nous avons ici non
pas le diminutif, mais le substantif primitif sur lequel on a formé le mot
choue-tte ; cf. ancien français choe. Cette forme très ancienne doit faire reje-
ter l'étymologie Kawa. Je ne vois rien d'autre à proposer.
52. laSRE, fcnob, C, Houllin, 58 b, mnbn.
Raschi donne le mot snîb (même endroit) pour traduire le nom de cette
plante. La plante de Raschi doit être interprété lézre ou lazre soit du latin
78 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
laserum, soit du latin *laseram, féminisé par analogie avec les noms de
plantes du féminin. Le mot de Gerschom est assurément français; si c'était le
latin lasera, il serait ponctué fcnob; si c'était Tilalien lasero, il serait ponc-
tué de même. Nous transcrirons donc ce mot par LASRE, forme plus an-
cienne que celle de Raschi, puisque 1'* y est conservée dure comme dans le
mot latin laser, laserum.
53. LÈMSÉL, b^tf^b, G, Houllin, 95 #, N"ïia*p, peloton de fil.
Raschi, Aboda Zara, donne le mot •ûb^^iwb [a); Baba Kamma, 119 b,
b"ntt5Tib {b) ; Menalwt, 41 b, NM*>b (c) ; Haguiga, 12 a, btS^Tûb {d) ; Soukla,
9 a, b^MTD Ce) ; Bechorot, 22 a, bilans ou b^nattib (/")•
M. Thomas {Essais de phil. française, p. 330) a montré que l'étymologie
de lonsel était 'glomicellum, celle de loisel ' globicellum (cf. à), et celle de
lemouisels (cf. a) *glomuscellum. Il est intéressant de voir que toutes les
formes venant de glomicellum ont conservé leur m, qui n1est pas encore
passée à n. Le forme LÉMSEL nous montre : 1° que Vo protonique 'glomicel-
lum s'est transformé en e, ce qui n'a rien que d'ordinaire : 2° que la dernière
syllabe porte la trace d'un rajeunissement : on s'attendrait plutôt, en effet, à
cette époque, à la forme "LEMZÈL (C + E = Z).
K K
54. LENTRE, Bnbà£, Taanit, 25 b, an^N, œuf du pou.
Raschi, Nazir, 39 a, donne la forme tfi'narb = LÉNTRES et ici la
forme UTS'nirb, et, enfin, awb, transcrites respectivement LÉNDINES,
LÉNDE.
Le mot existe encore en français sous la forme lente. Le latin Uns,
endis (même sens) est devenu en latin populaire *lendinem, d'où la forme
lendines (accusatif pluriel) de Raschi, Taanit, 25 b. Sur cette forme on a refait
un lende, encore prouvé par la forme de Raschi. Mais en même temps la
forme Uns, tendis, sous l'influence — apparemment — du grand nombre de
génitifs en -entis (cf. dens, denlis l, les participes présents de la 2e, de la 3e et
de la 4e conjugaison), est devenue Uns, Sentis. Cette forme, influencée, à son
tour, par "lendinis, est devenue "lentinis. Il y a eu ainsi deux transformations
à peu près contemporaines qui ont agi l'une sur l'autre. Lenlinem a donné régu-
lièrement *lentene, qui est devenue lentre et qui, contractée en lente, comme
léndene, l'avait été en lende, est la forme actuellement vivante en français,
lente len,de
Tenir e = lendene La forme *lendinem est celle qui a eu le plus d'expan-
sion ; cf. it. lendine, sarde lendine, Undiri, roum. lindina, prov. lende, cat.
llemena, esp. liendre, port, lendea.
55. LESCHE, NplDb, C, Houllin, 16 b, ftèh'iift fittl^O.
Gerschom cite une plante qui croît dans les marais, et qui, desséchée est
assez tranchante pour couper la chair des animaux.
Le même mot est employé par Raschi dans le même sens. Raschi l'écrit
aptt->b.
Cf. également lens, lentis, la lentille.
LES GLOSES FRANÇAISES DE GERSCHOM DE METZ 79
La transcription de ce mot donne le français : LESGHE. Je le transcris
LESCHE et non LISCHE, par suite de la comparaison de rorthographe -tfi"b de
Raschi et de Portnographe -u)b de Gerschom.
Ce mot, écrit actuellement laîche ou lèche et anciennement lesche ou lèche,
désigne en botanique le careœ, plante de la famille des Cypétacécs.
L'étymologie de ce mot est l'ancien haut-allemand liska, act. Liesch,
Lieschgras.
56. LIMAZ, y»ib, G, Bekh., 38 «, ïiTbn, maladie de l'œil, l'œil sécrète une
mucosité.
Raschi (même endroit) donne "p^b = LIMON, pour désigner cette même
maladie. Il réserve fcwwa^b == LIMAZE pour désigner la limace. On comprend
aisément que cette mucosité dont parle Gerschom ait fait donner à cette
affection le nom de limon. Mais ce mot ne doit pas être remplacé — comme le
prétend M. Kœnigsberger — par le mot "pa^b. En effet, les deux mots sont
absolument indépendants l'un de l'autre.
Le loaz de Gerschom doit être transcrit limaz. C'est la forme tout à fait régu-
lière au point de vue phonétique, soit du latin limâcem, soit de limâceum.
Limaze de Raschi ne s'explique que par : limaceam.
Quant au sens métaphorique où il est employé ici, il n'a pas complètement
disparu ; limace sert encore aujourd'hui en langage de vétérinaire à désigner
l'inflammation de la place de l'intervalle ihierdigité du bœuf, se propageant au
ligament situé dans cet espace. On comprend facilement comment du sens
de mollusque rampant, de couleur brunâtre, on est passé à celui d'inflamma-
tion s'étendant peu à peu au ligament situé dans l'intervalle interdigité du
bœuf, inflammation d'aspect brunâtre et gélatineux. Quant à la mucosité qui se
forme dans l'œil à la suite de différentes maladies, quel rapport y a-t-il entre
elle et la limace ? On peut songer soit à la trace laissée par cet animal, soit à
l'idée de boue, sédiment, qui se trouve dans le radical li-tus.
57. LOR, -)ib, B, A manque1, Baba Batra, 4 a, fittan, laurier.
La transcription du mot est très claire, c'est le mot LOR, du latin laurum.
Ce mot â passé dans toutes les langues romanes : il. lauro (mot savant) et
alloro (mot populaire), rom. laur, prov. laur-s, anc. esp. et cat., lauro'
port, louro, tous dérivés de laurus, laurum.
Le changement de au en ô est très régulier au point de vue phonétique.
Quel est au juste l'arbre désigné par le mot ndd~i et par le mol lôr ? L'édi-
tion du Talmud de Wilna a remplacé le mot -ny par lp?û")3> ; comme le fait re-
marquer justement M. Kœnigsberger la correction a dû être empruntée à
Raschi: wna.ymp ibtt: "hdi n"ib "p-ripil) Ca^aimy. Il s'agit donc dans ce
passage du platane. Mais Raschi appelle toujours (cf., par ex., Baba Batra,
81 a, et Rose h Hasch.,23a) ttî^a les fruits du laurier. Gerschom fait tout de
même (cf. le mot BAYES). C'est donc le laurier dont il s'agit ici, et il est inu-
tile de corriger le ms.
1 Dans A le texte de ce passage est altéré. Il a été gratté juste à l'endroit où de-
vait se trouver notre loaz, c'est-à-dire au folio 5 b.
80 REVUE DES ETUDES JUIVES
Raschi emploie aussi le mot lôr. Mais nous trouvons aussi le mot T^Hib; LO-
RIER (cf. Guittin, 691)). Dans Gerschom nous n'avons qu'un exemple de ce
mot 11 est difficile de savoir s'il existait seul ; mais, en tout cas, cet exemple
nous montre que ce mot LOR était plus employé que son dérivé laurier. Dans
Rasclii, au contraire, le mot lorier est employé fréquemment. L'exemple de
Gerschom présente donc à ce point de vue, par rapport aux loazim de
Raschi, un caractère légèrement archaïque, celui d'une époque où Ton avait
encore le sentiment que le mot laur était le nom d'un arbre, sans avoir besoin
pour cela d'y ajouter le suffixe -ier.
58. LUITON, irj^b,C, Meïla, 17 b, ïvbîan \% lutin.
Raschi donne le même mot 'pa'nb, qu'on a souvent lu lia^ïa et qui dans
noire ms. a même encore cette forme. Pour les formes de ivbwn "p, nous
renvoyons à l'intéressant article de M.Israël Lévi, Revue, t. VIII, p. 200-202,
etX, pp. 66-73.
Le loaz représente le mot actuel lutin sous la forme luiton.
Cette forme très ancienne du mot lutin doit faire penser que la forme nuiton
n'est qu'une étymologie populaire, et que, d'autre part, l'étymologie proposée
par le dictionnaire général (p. 1433, col. 1) de Neptunus est absolument à re-
jeter. Dicz n'admet pas davantage l'étymologie de Frisch, qui tire le mot de
laut (anc. ail. hliit), ni celle de Grimm [Mytfi., 475), qui le tire du latin
luctus, ni celle de Grandgagnage, qui le fait venir de lut lit (angl. little). Je
n'en vois aucune de raisonnable à proposer l.
59. MALEJNÏ, Spbja, G, Houllin, 51 a, *ibjnï"S.
Le mot hébreu veut dire : se durcir, s'encroûter, se couvrir d'une croûte,
d'une crasse. Gerschom applique ce mot à l'ouverture d'une plaie qui a séché
et sur laquelle s'est formé le matant.
Raschi nous offre en différents passages ce mot, qui signifie abcès, bouton,
pustule qui recouvre toutes les parties du corps; voir Sabb., 109 b; Kidd.,
81 a; B. K., 83 b. — Matant n'est pas toujours seul ; employé avec "pn, il
forme une locution composée qui s'applique toujours aux abcès de la gorge.
Du Gange, à Bonum 2. et à Malannus, donne ces mots 'comme synonymes.
Bonum serait par antiphrase le qualificatif euphémique du malannus. Il s'ap-
plique, dans l'exemple cité, à une maladie d'yeux. Mais les textes formels de
Gerschom et de Raschi montrent qu'il y a eu confusion dans Du Gange. Il
s'agit probablement d'un bouton qui se forme sur l'œil et qui en nécessite
l'ablation.
Le vers 4 de la strophe 111 d'Alexis
Nul n'en i at qui'n alget malendos.
prouve que MALENT est la forme primitive de ce mot. Il est pris dans ce
passage au sens très général de malheureux, maladif (cf. développement du
sens de chétif).
1 Cf. F. Ed. Schneegans, Neptunus-lutin, Zeïtschrift fur romanische Philologie,
t. XXIV, p. 557-564.
LES GLOSES FRANÇAISES DE GERSCilOM DE METZ 81
Le mot malandre ne doit avoir aucun rapport avec ce mot. Malandria a
donné Le savant malandre, espèce de lèpre.
D'après les textes que j'ai cités, l'étymologie du mot me semble être malum
+ inlu, ou + inde, et le loaz doit être transcrit : MALENT; c'est-à-dire qu'il a
dû être ponctué ûabtt. La forme ponctuée ajbtt cîe Raschi est postérieure.
60. MALHES, MALES, tf)ï"fbft, A, iDbtt, B, Baba Batra, 67 à, pBWîn, sacs
de cuir servant au transport des raisins.
Le ms. A nous donne la leçon MALHES ; les trois autres MALES. Dans les
deux cas, ce mot sert à désigner des sacs en cuir, faits de pièces de cuir
rapportées, et servant au transport du raisin, par opposition aux sacs de peau
de chèvre.
Le mot MALHES est tiré de l'ancien haut-allemand malaha, comme l'ortho-
graphe de A le montre d'une façon très nette. Le ïi ne semble donc pas être
purement orthographique. La leçon de la famille B indique un remaniement,
un rajeunissement. C'est un mot qui doit avoir conservé jusqu'au xe siècle
l'aspiration dans une syllabe intérieure.
Ce vocable a gardé le sens de sac en cuir destiné au transport des marchan-
dises : en anglais {a mail), en français malle. Chose curieuse, il a disparu en
allemand, où c'est un mot d'origine latine qui lui a succédé, Koffer.
Raschi ne nous donne pas maies. On le trouve dans le « Pèlerinage de Char-
lemagne à Jérusalem » :
« Et font pleines les maies. »
61. MASEYR, "piott, C, Houllin, 10 a, ûin, broyer.
Raschi ne donne pas ce mot.
M. Kœnigsbergcr le transcrit par mâcher. Mais ce serait le seul exemple où
U3 pût être rendu par CH. C'est un fait remarquable que l'alphabet hébreu,
ayant un signe tf) tout trouvé pour noter le CH, en a forgé un conventionnel :
p, dont il use sans exception pour représenter ce même son.
Aussi bien, le sens du mot hébreu n'est pas simplement mâcher, mais en-
core : triturer, broyer et, par extension, former une masse de tous les grains
en les broyant. C'est donc le mot massare, former une masse.
Le latin massare a donné masseir en dialecte messin. C'est ici une preuve
de l'antiquité de cette notation de a Ionique latin non en position par ei dans
les dialectes de l'Est de la France. Cela prouve aussi — si on rapproche ce fait
des autres phénomènes phonétiques que présente Va dans ces mêmes condi-
tions — que la fin du xe siècle est l'époque où, dans l'Est, Va devient ey après
avoir été é comme dans tout le reste de la France du Nord. La notation ^K
indique ce phénomène d'une façon très précise.
62. MAST, otptt, C, Taan., 2\a, nd^sot arnpONa, dans le mât du navire.
11 y a tout lieu de croire que ce mot est un mot français. On pourrait avoir
affaire au mot allemand, mais dans ce cas il y aurait eu probablement après la
mention 'ba celle d'TjS^N, que l'on rencontre presque toujours près d'un loaz
allemand, surtout quand ce dernier se rapproche du fiançais.
Etymologic : vieux nordois maslr, bien conservé en portugais, mastro.
T. XLIII. n° 85. 6
82 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
63. MAYS, iB^E, AB, Baba Batra, 67 b, NnDba tT.
C'est la poutre ronde, en forme de lentille, du pressoir qui sert à extraire
l'huile de l'olive.
Raschi donne le mot yi», Menahot, 48 a, dans le même sens, MAIZ.
C'est le mot [i.ayî;, (j-aYiSoç, venu de la Grèce dans la France du Nord par
l'intermédiaire de la France méridionale. Dans la Provincia, en effet, l'olive
était abondante ; l'huile d'olive donnait lieu à une grande industrie.
Ce mot prouve qu'au xe siècle le y intervocalique avait bien le son yod.
Il n'est pas tombé, car la transcription de Gerschom eût été "WTp et non
É^É, MAls et non MAYS. C'est la forme la plus ancienne et, pour ainsi dire,
le décalque de la prononciation romance. Ce mot à l'accusatif a donné [xayîSa,
MA1D, comme le prouve la forme MAIZ de Raschi, forme de nomina-
tif refaite sur une forme d'accusatif = MAID 4- S = {/.ayiS + si cf., d'ailleurs,
le français met, mait, et le mot tapis.
Le même mot se retrouve dans Raschi, Pes., 30 ô, au sens de pétrin.
Il existe encore sous la forme mail, met, ou maie avec les sens de : huche
au pain, pelle dont se sert le fabricant de laiton pour mêler la calamine et la
poudre de charbon, caisse dont le fond est propre à recevoir les cordages que
l'on y fait égoutter après les avoir goudronnés, de table sur laquelle on dis-
pose le marc de raisin pour le presser, de couvercle que l'on place sur le
raisin et sur lequel s'exerce la pression, de caisse où le fabricant de poudre
tamise le salpêtre.
64. MÉSLES, îobtû^», C, Houllin, 51 b, "nû"^, filet formé de mailles.
Raschi ne donne pas ce mot ici. C'est évidemment MËSLE. On trouve par-
fois en ancien français cette forme de maille, dont on considère néanmoins
l'étymologie comme devant être rapportée à : "metallea. Au point de vue du
sens, il n'y a pas de difficulté à passer du sens de maille, petite monnaie de
métal, à celui de maille de filet, en prenant comme intermédiaire cotte de
maille. Mais, au point de vue phonétique, mesle ne peut être ramené à *me-
tallea. Vs était sûrement prononcée, comme le prouve notre loaz. Je présume
que ce mot doit être séparé dans les dictionnaires d'ancien français du mot
maille. Ils doivent former deux articles distincts. Peut-être pourrait-on voir
dans mesle un dérivé du latin macula, influencé par le verbe meslet ; en
d'autres termes, une étymologie populaire où l'idée de la forme de ces fils
qui semblent tous se joindre les uns aux autres ne serait pas étrangère.
65. METAL, b^att, A, ^batt, B, Baba Batra, 89 #, 'p-iao'% espèces de
fontes mélangées.
Le ms. Adonne METAL.
Les mss. B', B»,B3, donnent iba». Il est probable qu'il faut lire *>batt, le n
final étant souvent pris pour un ^ et vice versa.
Dans A je lirais également b^att, au lieu de baw, en supposant que le scribe
aura pris pour le ", qui indique un loaz, le i placé entre a et b.
Dans Menah., 28 a, Raschi traduit le même mot par rsatt, ce qui confirme
la double rectification de batt et de iba».
LES GLOSES FRANÇAISES DE GERSCHOM DE METZ 83
C'est, en effet, dit Gerschom un alliage de plusieurs métaux. C'est donc le
lalin "metalleum, français METAZ, dont le féminin "metallea a subsisté dans
les populaires médaille et meaille, maille. La prononciation ancienne du
mot est bien METAZ et non MÉTAL, comme l'indique l'orthographe de notre
loaz. La transcription par b^ûtt ou ^bzûtt, et non par bïTM ou "ibû"'», en est
une preuve absolue. D'ailleurs, le mot maille suffit à prouver que Ve de me-
taille (cf. ci-dessus) devait être un e féminin. On a, en effet, la succession
suivante : melaille, médaille, meaille, maille. La transformation de médaille en
maille est relativement moderne.
Remarque. — Si l'on admet la forme ïbutt, c'est-à-dire melalo, on n'y
u
peut encore voir qu'un mot français savant, dont la dernière voyelle repré-
sente la désinence -um de metall-um. Nous avons plusieurs exemples de la
conservation de cette posttonique. Mais, en aucun cas, il ne peut s'agir du mot
italien metalo, qui eût été transcrit ibra*^ par Gerschom.
66. MOLSE, Uîbi?2, C, Houllin, 62 b, [mîi\] Wl5 TT2, [espèce de plante
qui croît] entre les arbres.
Raschi, Sabbat, 20b, explique le mot NTNÎ par NUîbitt, MOLSE.
Ce mot est très intéressant. Il nous donne, avec l'ancienne forme la véri-
table étymologie du mot français au sens de plante cryptogame cellulaire.
Littré, le Dictionnaire général etKôrting font dériver moïse de l'ancien haut-
allemand mos (allemand moderne moos), qui serait apparenté au latin muscus.
11 faut évidemment transcrire notre loaz Moïse. Cette forme nous reporte à un
latin *mulsa, signifiant la chose douce (supin populaire de mulceo — *mulsum ,
ou *mulsus, a, um). Cette forme est, d'ailleurs, attestée dans les textes bas-
latins.
Le français moïse, le provençal mousa, le catalan molsa sont évidemment des
développements du latin mulsa.
Quant à l'italien musco, muschio, au roum. muschiu, au rhétoroman muste,
mûschiel, miskel, meschel, ce sont des transformations du mot latin muscus et
de son diminutif musculus.
Ici donc (comme pour le mot tapid, cf. ce mot), notre texte nous montre
une double série : 1° la France forme un groupe avec la Provence et la Cata-
logne. Représentant : mulsa.
2° Les pays de la Romania orientale forment un second groupe. Représen-
tant : muscus, musculus.
i i
Mousse vient également, quand il signifie écume qui se produit à la surface
de certains liquides, d'un latin mulsa. Mais ce mot latin vient de mulgeo au
supin : "mulsa, c'est-à-dire écume semblable à celle qui se forme sur le lait,
quand on vient de le traire.
Ces deux mots absolument différents de sens et d'élymologie doivent for-
mer deux articles différents dans les dictionnaires.
Rem. — Dans Job, xxx, 3, Raschi parlé d'une herbe amère et l'explique par
le loaz NiDitt. La chute de PL, qui pourrait étonner dans des manuscrits fran-
çais du xme siècle, n'a rien d'étrange dans les transcriptions hébraïques de
l'époque de Raschi. A l'époque de Gerschom le fait serait plus surprenant.
C'est encore une preuve de l'antériorité du glossaire de Gerschom.
8/i REVUE DES ÉTUDES JUIVES
67. MOSKE, MOSKERON, Npttltt, linp^itt, C, Houllin, 58 b, Np3 fcWW.
Raschi rend ces mots par Nattât = ZINZE et Nb^at^ar, Z1NZELE, du latin
cimicem, devenu *cimce, *cince, zinze, et du diminutif cincella, cite dans le
glossaire de Reichcnau; ce mot zmzele a été ensuite remplacé par le mot
punaise.
Raschi emploie aussi le mot cité par Gerschom, mais sous la forme
ttJSTlttJ'pÎE = MOYSERONS. Cette forme postule un latin *mucsarones, ou, tout
au moins, est un diminutif du mot muise, provenant de *mucsa pour MOSCA
(le peuple dit encore le dixe *= dicse pour le disque).
Les deux loazim de Gerschom MOSCHE, et MOSCHERON, Np^"itt et pnpWTB-,
représentent le laiin musca et son diminutif, soit *muscaronem. La ponctua-
tion, d'une part, et, d'autre part, l'absence de signe diacritique prouvent que
p doit être transcrit K. D'autres exemples tirés de Gerschom nous montrent
que le CA était devenu CHE en français dès cette époque et dans la région
messine ; il y a donc pour Gerschom hésitation dans le traitement de c + a.
Quant aux sens dont ces mots sont susceptibles, ils sont indiqués en hé-
breu d'une façon précise, NnTH, mouche, aussi grosse qu'une sauterelle
(Raschi, Guitlin, 86 b), et Npn, moucheron, insecte à peu près de la taiile
d'une punaise.
08. MUZE, $hlV2, C, Houllin, 49 b, O""^»-
Raschi donne pour ce mot {Sabbat, i08a) la traduction N-p-n^b^, SAL-
MOYRE. Le mot ^b^l73 n'apparaît pas dans son commentaire, et Godefroy n'en
cite d'exemple en vieux français que sous la forme muire.
Cependant étant donné le grec à^upo;, composé de à);, sel, et de
{j-ûpoç, saumure, et le latin salmuria, composé de sa!, sel, et de muria, sau-
mure ; d'autre part l'italien moja, le roumain mura, moare, le rhétoroman
muora, mura, et le français même salmuyre (ex. de Raschi) composé de sal
et de muire, \\ est évident que nous avons affaire à une forme tirée du latin
muria. Nous savons que k; bà indique VI mouillée; nous transcrirons donc
ce mot : mu/e. LV et l'I lingual latins étant souvent pris l'un pour l'autre, on
aura eu successivement : muria, mulia, mule.
Le sens du mot hébreu concorde absolument avec cette explication puis-
qu'il signifie Fischlake, Salzbriihe.
Remarquons, en outre, que ce mot présente un aspect plus archaïque que
celui que donne Raschi, où le mot muria, mûrie ir mouillé comme l'indique
bien la notation N"P"n72bU3 de Sabbat, 108 a) a déjà besoin d'être renforcé dans
son sens par le mot sal.
69. awas-n», A, KBBTitt, BlB\ NUS"n», B3, Baba Batra, 6 a, NmsN.
B3 doit être évidemment pour NasmE.
A fait précéder le loaz des mots ï»1D« "piabn, en langue allemande. Nous
pouvons transcrire murfete, murfatna, allemand moderne mauerfette, poutre
transversale dans un mur. Ge loaz n'éclaire en rien l'étymologie du mot alle-
mand. L'explication donnée par Grimm {Deulsches Wôrterbucâ, III, 1573) est
bien peu satisfaisante.
LES GLOSES FRANÇAISES DE GERSCHOM DE METZ 85
70. NEDEL, VtVD, C, Houllin, lô0a-b, NniBp, arc.
Raschi donne b^VQ, BODËL, boyau. « C'est, en effet, le boyau en forme
d'arc au milieu duquel il y a de la graisse. ».
On ne peut songer à corriger bT3 en BODEL; il serait surprenant, en effet,
que le scribe eût pris deux fois de suite un n pour un 5 et un i pour un i.
C'est probablement le boyau qui repose sur l'anus, c'est-à-dire un des boyaux
du gros intestin, le rectum, qui a, en effet, la forme très caractéristique d'un
arc. Quant à i'étymologic du mot, on peut proposer (comme l'indique M. Kœ-
nigsberger, sans pousser suffisamment loin) le mot nates, qui a donné en
français nages (*naticas) et dont un diminutif nat-ellum a pu donner NEDÉL.
Cela serait d'autant plus vraisemblable que la notation b*ï (et non b"^) indique
un e tonique.
71. ORIENTAL, OR1ENTEL, bD^IN, b^^nN, voir article Kro.
72. NlMttî^N, VOirAISTRE.
73. OURTIES, ttî^tnw, C, Houllin, 62 J, ^sbn.
Rascbi, Houllin, 63 a, donne le même mot avec le même sens: un ms
donne toutefois la forme îarPLî'-nN = OUKTIJES, qui prouve une influence
provençale.
Le c entre t et a est devenu un yod avant de tomber entièrement ; c'est ce
que prouve notre loaz OURTYES. La réduction de iye à ie est facile à com-
prendre, mais est postérieure ; c'est ainsi que dans Rascbi je trouve, à côté de
la forme citée, le loaz : tt5art311N, OURTIES. La notation par n (U) prouve qu'il
faut ponctuer le loaz ©TÛ1W = OURTYES. Le mot *aurtyes >erait absolu-
ment impossible.
Le sens du mot est identique au sens du français actuel orties.
74. OUSERYES, ^"niD-ia, AB , Baba Batra, 69 a, ûTins biB rrûaba,
pierres qui sont devant les portes et qui servent à étayer les linteaux.
D'autre part, le ms. A, pour expliquer «b^bn Np"in, donne le mot
anaiû*nN, et B1, B2, B» traduisent ces mêmes mots par armo (voir au mot
PORCHE), partie du bâtiment qui est construite devant une maison. Enfin,
Raschi, MenaJwt, 33 b, donne le mot ao-uaiN pour désigner les jambages de
la porte.
Il résulte de l'ensemble de ces passages que le mot TB'wnia'iN doit se lire
OUSERYES; c'est le mot actuel huisseries, qui désigne, non plus les «jam-
bages » de la porte, mais bien. les ornementations de ces jambages.
La base du mot est le latin ostium devenu de bonne heure * ossium.
Le mot fcnatDVN est obscur. Ce doit être une altération de fina^D^N, et il
doit être transcrit aistre. L'étymologie atrium a dû être influencée par le mot
estre de exterum, et c'est à une étymologic populaire qu'on devrait cette pro-
nonciation de Vs, qui est attestée par notre loaz.
75. PANICATa (italien). NUNp^Np, C, Men,., 15b, "part, pain grillé, trempé
dans du miel, du lait ou de la graisse.
Le mot ne se retrouve pas dans Raschi.
86 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
C'est le participe passé pris substantivement du verbe latin panificare, qui a
donné en français pannechier, pannequier et penegier.
La ponctuation indique un mot italien PANICaTA, qui semble montrer que
l'origine du mot français pannequet, cité par Littré, d'après la Maison rustique
de Mme de Genlis et « désignant une sorte de pâtisserie », doit être cherché du
côté du latin panificare.
Je rappelle que M. Thomas a proposé l'anglais pancake comme étymologie du
français pannequet.
76. PERS, lû^B, G, Houllin, 62 b, ibms anïN, hysope de la couleur de l'an-
timoine ou du fucus.
Raschi ne donne pas ce mot.
C'est évidemment le mot PÉRS, avec l'S finale très fortement prononcée,
comme l'indique la notation tu.
Le mot ^blTO ne désigne pas, d'une façon suffisamment précise, la matière
prise comme terme de comparaison ; c'est aussi bien le stïbium que le fucus.
D'ailleurs, rien de plus indécis que les noms de couleur : d'après les textes
d'ancien français, per signifie bleu, mais bleu très foncé tirant sur le noir ; le
mot rappelle, par l'élasticité de son sens, le oîvoua 7i6vxov d'Homère ou le cœru-
leum mare des Latins.
L'étymologie du mot n'est pas établie. Litlré indique persicum; mais il y a
bien des difficultés. Notons Yé de notre loaz, dû peut-être à l'influence de IV
suivant.
77. PIKFIGE, j«b:pb, C, Houllin, 102 #, «mabp, beefigue.
« Avis fere tota ossea et parum habens carnis. »
Raschi, qui ne donne pas de loaz pour ce mot, fait remarquer {Houllin, \02b)
que c'est un oiseau d'une extrême maigreur.
La transcription du loaz de Gerschom est très délicate. On peut hésiter
entre P1GFIGE et PÉGF1GE. Dans le 1" cas, le mot signifierait PIKFIGE (le g
représentant le son k dans l'Est de la France) et s'appliquerait à l'oiseau qui
pique les figues avec son bec. Dans le second (PÉGF1GE), avec la prononcia-
rn h
tion donnée dans l'Est de la France au y et au — ■' ce serdit le mot beefigue,
oiseau qui bèque les figues.
La préférence doit aller à PIKFIGE. Le mot BEC a Ve de par l'étymologie
beccum en ancien français, de même qu'en • français moderne. La transcrip-
tion serait donc, dans * e cas, ÉCPsas, et non éwbjpb, c'est-à-dire PÈGFIGE et
non PÉGFIGE. Le mot pic, au contraire, ayant ï, doit se ponctuer -:pb , et la
forme PIG représente, en dernière analyse, la forme pic- du substantif verbal
de piquer, ou dérivé de pic- plcc.
Les deux mois désignent, d'ailleurs, le même oiseau. C'est bien au beefigue
que, en tout cas, nous avons affaire; mais le mot beefigue n'apparaît qu'en 1539 ;
c'est un composé postérieur à piefigue. Formé du substantif verbal bec de
bequer, il désigne l'oiseau qui bèque les figues, qui fait des figues sa becquée.
La composition des deux mots est donc dans un rapport très étroit. Nous avons :
beefigue bec
piefigue pic *
LES GLOSES FRANÇAISES DE GERSCHOM DE METZ 87
78. PIPE, nd^d, G, Arakhin, 10 a, b"«bn.
C'est un des instruments dont on se sert dans le Temple.
Raschi le traduit par u:b^bp, calernels, des chalumeaux des flûtes.
Gerschom donne ici le mot PIPE, dans le sens de chalumeau, sur lequel
on joue de la musique. C'est le substantif verbal de pipare, piper, mot
savant.
Ce mot pipe est resté en anglais dans ce sens. On a conservé en français
dans ce sens aussi le diminutif pipeau (*pipellum).
79. NitbD, C, Houllin, 54 a, KTT NSS-
T "
Slave plézo, servant à désigner l'os large de Pépaule, l'omoplate.
80. PORES, UÎ-niD, C, Houllin, 47 #, ^TTO, poireaux,
Mot employé par Gerschom pour désigner les poireaux qui sont de couleur
verte.
Raschi traduit de même Soukka, 34 b, mwtfQ, PORÉYS.
C'est le latin porellum, qui a donné au singulier porel, au pluriel, porels.
Notre loaz montre que VI était tombé devant Vs, signe du pluriel. Vs se
prononçait donc très fortement, comme nous le faisons dans le mot fils.
N.-B. — Notre loaz est ponctué PORIS = ttî^ib. Je ne trouve pas trace
dans l'ancien français, ni dans aucune langue romane de cet i, qui postulerait
un *por-ilum. Je suppose donc que c'est une erreur du ponctuateur, qui aura
ponctué ■», au lieu de \
81. (AISTRE), PORGE, finW"K, A, BrhiD, B, Baba Batra, 61a Np^s
Nous avons pour le même mot deux loazim différents.
1. Le mot porje, fr. mod. porche, est, dit Gerschom, « le corps de bâtiment
que l'on construit devant une maison. »
La forme du mot est intéressante, elle représente la première transforma-
tion du latin porticum, ayant donné *portigum, puis *portjum. - Le mot
porche vient du latin *porlicam, sous l'influence de porta. Le mot porche sert
encore dans la langue populaire à désigner la porte d'une église.
2. AISTRE, voir OUSEYRES.
82. POSLE, Nbttîis, A, B, Baba Batra, 78a, ^bpb"»p. C'est la courroie qui
sert à retenir le bât ou la selle sur le dos de l'animal, en passant sous la
queue.
Littré donne : potières {s. f. pi.), terme de bourrelier, courroies qui
joignent la fauchère au bât.
Fauchère est le correspondant français du provençal fauquiero ; potière, le
correspondant français du provençal moderne pouiliero, dérivé de poilo,
pouilo, polo. Or, nous trouvons en italien la forme posola, d'où posoliera.
Notre loaz nous donne la forme poste, qui représente le primitif de potière.
Nous avons donc la série de rapports :
Posle Polo Posola .
Poslière Pouiliero Posoliera
88 REVUE DES ETUDES JUIVES
Ces six mots ont évidemment la même origine. M. Thomas propose ^postula.
Mais c'est impossible, car nous aurions en ancien fr. postle, en prov.
postlo, en it. postola. Cependant l'idée est bonne, et j'admettrai un *posula,
représentant post avec sa prononciation pos, connu et indiqué notamment par
l'abréviation po dans les manuscrits.
83. RAYMS, ^73^n,A,œ^^,Bl,«5)3^n,B,îB,,5aôa5^ra,73a,rins:,i,ÛttrT.
Levy, III, 266 ay traduit ce mot par Steuer, Ruder. Le texte hébreu indique,
en effet, que ce sont des instrumenls qui servent de rames et de gouvernail.
Le ms. A donne seul un loaz ponctué. Nous pouvons ponctuer les autres
d'après lui.
Le mot français transcrit est RÂYMS. Très intéressante au point de vue
phonétique, la ponctuation prouve que dans l'Est de la France, à la fin du
x* siècle, E latin tonique non en position était passé à la diphtongue AY.
Raschi, Ketoub., 85 a, donne îûtt^n, ce qu'il faut probablement interpréter
U5tt,,v"i, reyms. Les mss. n'étant pas ponctués, on ne peut toutefois donner
cette conjecture comme assurée.
Abstraction faite de la comparaison de Gerschom et de Raschi, nous avons
ici un exemple intéressant de la transformation de e tonique latin non en po-
sition en ay. Cela nous permettrait peut-être de supposer que cet e dans
l'Est de la France a subi l'influence de l'allemand ei. A Nancy et aux environs,
dans les Vosges aussi, on prononce le nom propre René, Renay ou Renéy ou
un son intermédiaire entre Renay e et Renéye; c'est un phénomène analogue
à celui qui est noté d'une manière si précise par notre ms. A. Cependant je
ne voudrais pas trop insister sur ce point, car la question est assez com-
plexe. On peut songer à l'influence de ramus sur remus. Ramus a donné
raim et remus, reim, et le sens de ramus, rameau, branche d'arbre, n'est
pas fort éloigné du sens de remus, morceau de bois d'une forme spéciale.
Ainsi le composé remare de remus, origine du français ramer, d'où le mot
rame (fém.), qui n'apparaît avec ce genre qu'au xvie siècle. Toutefois, en
prov. on a conservé le mot rems, en it. remo, et il faut admettre que l'analo-
gie ne se serait exercée qu'en français. Mais n'est-ce pas la caractéristique
même de l'analogie d'agir d'une façon capricieuse et sans règles fixes ?
84. RASTEL, bûffi'n, B1, batm, Bs, B3, A manque, Baba Batra, 36 b, aa^tl).
M. Kœnigsberger traduit ce mot par Riester. 11 s'agit d'un instrument qui
sert à ratisser la terre une fois que le blé est semé. On ne voit pas ce que le
Riester, le manche de la charrue, aurait à faire dans cette opération. En outre,
la lecture Riester, qui irait bien avec la leçon B1 (à condition de changer le
b en "i — ce qui n'est permis qu'à défaut de transcription littérale possible),
n'est pas acceptable avec la leçon de B*, B3.
En réalité nous avons, d'après B2, B3, RASTÈL ou RASTÈL, et, d'après B1,
RÉSTÈL = Râteau.
Ce mot est formé de ras- (de radere, sup. rasum), auquel s'est ajoute le suf-
fixe -tellum. L'accent étant sur -ellum (suffixe), la protonique initiale était
prononcée avec moins d'acuité et Va a pu passer facilement à e ou à é. Ce
n'est pas la règle générale, mais il y a quelques exemples de ce traitement.
LES GLOSES FRANÇAISES DE GERSCHOM DE METZ 89
85. ROBJE WARAJNZE, pTJMT*' N"nO, C, Houllin, 28 a, fcob, teinture
rouge.
Raschi ne donne pas ces mots, ou les traduit par d'autres, difficiles à com-
prendre.
Je suppose que fcr^o est pour aravi, ROBJE. Le mot serge (amD) n'a, en
effet aucun sens ici, et l'on doit chercher une combinaison de lettres se rap-
prochant le plus possible du loaz tel qu'il est écrit, mais offrant un sens.
L'étymologie est le titre : rubium.
Le mot p13731.11, transcrit littéralement JERAMNIK, qui n'a, lui non plus, au-
cun sens, peut être transformé en ys^TT, les deux ni devenant n, le n
restant n, le 73 étant confondu avec le n souvent liés ensemble et p de-
venant y; soit, finalement WARANZE = garance.
Raschi donne cette expression môme, N£3TiWVi, dans Sabb., 89 b.
L'explication serge germanik de M. Kœnigsberger n'est pas sérieuse.
L'expression entière est donc ROBJE WARANZE, rouge garance. Mais cela ne
nous indique rien pour l'etymologie du mot garance, toujours obscure et
inconnue.
85. RUMP1D, a) niiôttin, C, Houllin, 80 a, ÏTOMttJS,
RUMPIR, b) -PD73T-I, C, Houllin, 28a, C37312,
RUMPEDURE, c^KTïDttTI, C, Houllin, 57 a, n[3173U5.
Dans l'exemple a, il s'agit de la trachée-artère qui est brisée; c'est le
participe passé qui est employé. Dans l'exemple b, Gerschom donne simple-
ment la traduction du mot VU"® à l'infinitif. Dans l'exemple c, Gerschom
donne la traduction par un substantif du substantif naitttfJ tiré du verbe Qnxb.
En partant de b, qui est ponctué, nous transcrirons ainsi : b, RUMPïR;
a, RUMPYD.
La forme rumpir montre qu'au latin rumpere, rompre, on avait substitué
la forme *rump-fre, sous l'influence apparemment de senllre, finïre, verbes
qui sont beaucoup plus nombreux que ceux de la conjugaison -e en français.
La forme RUMPYD est la forme régulière de *rumpftum :
l'umpid finid sentid t .
'rumpilum finitum sentitum
Les deux n servent à marquer ici d'une façon très nette la quantité î de
rumpltum.
Quant à la forme an'HDEVi, RUMPEDURE, elle répond au thème étymo-
logique : rumpitura.
Dans les exemples a, b, c, Vu latin contre-tonique, suivi du groupe mp,
avait encore nettement le timbre de u (comme le montre l'orthographe de
b) à la fin du xe siècle.
Ce mot qui a existé en ancien français est resté dans le dialecte lorrain,
où, sous la forme rompure, il signifie hernie; il a, d'ailleurs ce sens égale-
ment en ancien français.
87. RUNZlR,i.iî3"n, G, Houllin, 44 a, TW\ se contracter.
Raschi, Houllin, 43 b, donne le loaz T^nan RETRAYR, de retrahere. C'est
90 REVUE DES ETUDES JUIVES
le mot correspondant d'une façon absolue au mot contracter ; il est, en effet,
composé de re + trahere, comme contracter Test de cum + tractare (du su-
pin tractum de trahere).
Quant au loaz de Gerschom, il est de formation germanique et dérive du mot
Runza, pli, d'où runzir, se plier, se contracter.
Le T (Z) peut étonner, on s'attendrait au son É, Z. Mais il peut y avoir eu un
rajeunissement de ce mot, rajeunissement assez ancien pourtant, car au
xnr siècle on eût dit ronsir et écrit "P03"n.
88. SANBOJE, éwiîMIZJ, AB, B. B., 78 a, -»W3*7 nna^ltt, litière, chaise à
porteurs.
Ce mot ne se retrouve pas dans Raschi.
M. Kœnigsberger en rapproche un passage de Raschii Pes., 56 a, où se
trouve : piaaœ, SANBUC, le sureau. Ce mot n'a rien à faire avec notre loaz.
Celui-ci correspond à l'ancien fr. SANBOJE. Ce mot comme nous le montre
l'orthographe du loaz, vient du latin sambuca, grec <hxia6ûxy|. 11 a le sens de
harpe ou de machine de guerre servant a escalader. Cette machine était com-
posée d'une échelle portée sur un chariot et munie, à sa partie supérieure,
d'une plate-forme, sur laquelle pouvaient se placer une vingtaine d'hommes.
De ce sens à celui de litière, il semble qu'il y ait un grand pas à franchir.
Mais ce qu'on retint du mot, ce fut son sens de véhicule, qui sert facilement
d'intermédiaire.
La notation je représente soit la première transformation du ca en ga, d'où
je, soit la prononciation du die de l'Est de la France, peu différente du son.;"*
et dont nous avons quelques exemples dans notre recueil de loazim.
89. SANKOLTRE, npb^nûpT, C, Menait., 42 b, fc6"U ÉPB3H « sorte de cou-
leur vermillon ».
Raschi donne plusieurs fois, notamment Houllin, Mb, 53 a, 93 b, 42 a,
Pes , 74 b, et Bèça, 22 a, le mot "TH'iS'ijpâtb, qui signifie t rougir en parlant
de la peau », soit : SANKOTURER, qu'il faut probablement lire : sankotrer,
"pnanpaiD.
M. Epstein voit dans le loaz de Gerschom un mot allemand ; mais il oublie
de dire lequel. M. Kœnigsberger coupe p\ change a en d et traduit ce mot
par soif ré.
En le rapprochant du mot de Raschi, j'y verrais un fcnabnpStf), radical du
verbe TnaipSTD (un SANKULTRE, radical du verbe sankotrer).
Le mot serait composé de (sanguis-\- colorare), et nous aurions ici le subs-
tantif sankoltre, formé de sanguis + color. Le mot coltre serait dans ce cas
un intéressant vestige du nominatif de couleur.
Le loaz de Gerschom a, par suite de la conservation de l'b, un caractère plus
archaïque que celui de Raschi.
90. SAPE, NDU3, B, A manque, B. B., 80b, nS£:i3, sapin.
Dans Bèça, 33 b, Raschi donne NDU? = SAPE.
Ce mot vient de "sappus. Il est de formation populaire. En effet, les deux p se
sont réduits à un seul, et pourtant la voyelle d'appui, qui prouve que les deux
LES GLOSES FRANÇAISES DE GERSCHOM DE METZ 91
p ont été prononcés distinctement à une époque antérieure au x° siècle, a
persisté. On a donc eu *sappum, puis sappe, puis SAPE, au xe siècle.
Le mot sape est plus ancien que sapin; il nous reporte à une époque où
les noms d'arbre tiraient directement leur forme du prototype latin sans avoir
recours à un suffixe quelconque de dérivation (cf. les mots laur, ci-dessus,
et til, ci-dessous).
91. SÉY, -n©, Is., xl vi, 1, voir akropid (1).
92. SIGLE, Nb:niB, C, Men., 10 b, 8rw*% seigle.
Raschi donne la forme SÉGLE = Rbvqp, représentant le latin *sè~cale. Le
loaz de Gerschom, transcrit SIGLE, répond au latin "secale.
Cette forme est intéressante en ce qu'elle montre : 1° que le latin *sec~ale
est devenu *secale avant de devenir *secale ; 2» que la forme *secale est an-
terieure, comme le demanderait la seule logique, à "secale; 3° que le c inter-
vocalique ne s'est changé en g qu'après que e était changé en ié, car sigle
ne s'explique que par la forme *sieigle, d'un antérieur *siéicle.
93. SISÈLE, NbttPl», G, Houllin, 17«,n^p b-Oa.
On peut, dit Gerschom, couper la chair des animaux avec certains objets,
mais non avec la scie qui sert à couper le blé.
Raschi traduit, Houllin, 15 b, ce mot serpe de la moisson par Rb^atbB,
FALZILE.
Notre loaz est assez embarrassant. C'est très probablement le latin cisellus.
Mais cisellus aurait donné à cette époque zisel. D'autre part, le N Anal ne
ne s'explique guère. C'est également le n final qui défend d'accepter l'hypo-
thèse de l'allemand Sichel proposé par M. Kœnigsberger. M. Kœnigsberger n'a
pas non plus songé à la difficulté de la transcription du son ch par t9. H faut
admettre comme pis aller : 1° que ce mot, par analogie avec les mots sie,
falzile, serpe, qui sont des féminins, aura été féminisé à son tour : il cor-
respondrait dès lors au latin *cisella ; 2° que par assimilation et par analogie
peut-être aussi de secare et de scindere, le z se serait changé en sifflante
dure ; on aurait eu "scisclla, d'où très régulièrement siséle.
Le ta prouve que Vs intervocalique est encore dure dans le dialecte franco-
messin de la fin du x° siècle.
94. soriz, c, ymiû, Arakhin, 19 b, rmap.
C'est le muscle de la partie supérieure du bras, placé un peu au-dessus de
l'aisselle à laquelle on applique les tephilin.
Raschi donne le mot ÏÏTT3, 13RaD0N, devenu ensuite braon et breon.
Le mot soriz, qui représente le latin *soricem, sert encore aujourd'hui
à désigner le muscle charnu qui tient à l'os du manche de gigot, près de la
jointure, et l'espace qui est dans la main entre le pouce et l'index. En vieux
français il désigne le muscle charnu qui tient à la rotule de la jambe et au
coude. Le vieux français a également le diminutif souriseure, muscle charnu
qui tient à la rotule.
Le rapprochement du latin mus et musculum, et du français muscle et sou-
92 REVUE DES ETUDES JUIVES
ris est curieux, en ce sens qu'il montre la même métaphore appliquée à
deux choses de sens fort différents, mais entre lesquelles le même rapport est
apparu deux fois en des esprits différents et à plusieurs siècles d'intervalle.
95. SPANDS, UH3DUJ, C, Arakhin, 250, K^ian "mil), creux des rochers
dans les champs où s'amassent les eaux.
La racine du verbe "spandere est à la base de ce mot. Il a dû y avoir une
influence de expandere, devenu ispandere, d'où espandre, et de spargere,
qui a le même sens que expandere, devenu espandre. D'où la forme hypo-
thétique "spandere, puis spands, qui serait le thème verbal d'un ancien
"spandre, pris substantivement.
Je ne retrouve ce mot nulle part ailleurs que dans Gerschom.
Nous avons toutefois les mots épandre, épandage, qui rendent très possible
l'emploi d'un mot qui, s'il avait continué à vivre serait devenu ; épands. Re-
marquons que, quel que soit le rapport de sens entre espondes (Raschi) et
spands (Gerschom), Ye prothétique existe, au temps de Raschi, devant le
groupe sp, il n'existe pas encore au temps de Gerschom (cf. spiku).
96. SPIKU, ipic», C, Keritout, 6 a, Tti rfrn©.
Raschi donne le mot rps^N, espig, forme française de spïcar.
La forme ip^DUD pourrait être l'italien venant de spïcum. En italien mo-
derne, nous n'avons que le mot spiga du féminin ; mais en italien ancien
nous trouvons aussi la forme spico. Le français épi venant du lalin spïcum,
nous nous trouvons plutôt en présence de la forme toute primitive SPÏK'U, où Yit
latin serait encore sensible, surtout après une explosive terminant un mot.
En prononçant spic, on sent un élément de voyelle après le c ; c'est cet élé-
ment de voyelle qui est représenté par le \ A l'époque de Gerschom, le sp,
comme nous le voyons par d'autres loazim, n'a pas besoin dV proslhélique.
97. SPIZE, N!T>Ett, AB, B, B., 8 a, TW1 tOB.
Il s'agit, dans ce passage, des différents impôts auxquels sont soumis les ha-
bitants des villes; ils doivent, entre autres contributions, payer pour la pa-
lissade qui défend l'entrée de la ville et qu'on appelle N1TDU3. M. K. en fait
un mot allemand.
Aucun des mss. n'indique ce mot comme tel. D'ailleurs, l'allemand Spitze
signifie pointe; mais comment passer de ce sens à celui de palissade? Un en-
semble de pointes? C'est bien improbable.
Je proposerai un latin *sp7cia\ dérivé de spicus ou spica, au sens de
pieu par suite de la ressemblance qu'un pieu peut offrir par sa forme barbe-
lée avec un épi de blé. L'ensemble de plusieurs spicae ou spici aurait été
appelée *sp7cia, d'où spTze. Le sens de ce mot spicus est maintes fois attesté,
et il désigne encore aujourd'hui, sous la forme épi, le crochet de fer placé au
haut d'un mur pour empêcher qu'on ne l'escalade.
L'absence de Ye prothétique ne prouve rien contre l'hypothèse émise ci-
dessus. Nous le voyons par d'autres exemples.
1 Cf. Spiceum, a um (Foreellini, V, 596, 2).
LES GLOSES FRANÇAISES DU GERSGHUM DE METZ 93
98. TALPE, Nebcp, C, Eoullin,lkb, isiUJ, tubérosité sciatique.
Le sens donné à ce mot n'apparaît pas dans notre recueil de loazim. Raschi
donne, Houllin, 89 a, le mot NsbiD, qui désigne la chair épaisse qui enve-
loppe le haut de l'os de la hanche et qui en recouvre la convexité comme une
cuiller. Mais il est impossible d'admettre, comme le veut M. Kœnigsberger
(p. 48, n° 101), que ce mot soit celui de Gerschom : on n'arriverait pas, en
effet, au mot PULPE par la transcription KsbD. Et si Ton admet la confusion
très possible de s et de ia, on ne s'explique plus la ponctuation.
Le mot fitàba transcrit TALPE a très bien pu servir à désigner la grosseur
large et arrondie formée par la réunion des bords postérieur et inférieur de l'os
iliaque. Nous avons, dans le commentaire de Gerschom, un certain nombre
de noms d'animaux qui servent à désigner certaines parties du corps offrant
à l'imagination des rapports parfois difficiles à retrouver, mais qui n'en ont pas
moins existé dans l'esprit de nos ancêtres.
« Le mot taupe est encore, dit Littré, le nom vulgaire et vieilli d'une es-
pèce de loupe irrégulière, sinueuse, formée sous les téguments de la tête qui
sont soulevés comme la terre fouillée par la taupe. »
Il n'y a pas besoin d'un grand effort d'imagination pour trouver un rapport
entre la tubérosité sciatique et la forme de Pâmas de terre soulevé par une
taupe en creusant son trou.
99. TALPÉ, NDbtf, G, Houllin, 92 b, "maiûi».
« C'est, dit Gerschom, un oiseau qui vole pendant la nuit et non le jour ».
Quel rapport ce mot a-t-il avec la taupe? Raschi donne le mot Nibp
ynitZJ == CHALVE SORIZ. Faut-il admettre une errreur du copiste et rétablir
chalve soriz d'après Raschi ?
100. TÀPID.Tsa, ABl, ansœ.-B8, B. B., 13*, ynn£3.
La leçon de B2 est évidemment fausse, mais facile à rétablir, c'est 'psrj —
TAP1Z x, cas régime pluriel. Raschi {il?.) a le même mot écrit de la même fa-
çon : « Tapis qui sert à l'ornement des sièges », Tpp.
L'étymologie du mot tapiz est embarrassante. La comparaison des diffé-
rentes langues romanes, it. tapelo, esp.-port. tapete, prov. tapitz, fr. tapiz,
tapis, doit nous faire supposer deux séries : l'une comprenant l'italien, l'es-
pagnol et le portugais-latin tapete{m), tapelum ; l'autre le français et le pro-
vençal tapis, tapiz, du grec tomhc TawïSoç.
M. Cornu [Romania, Vil, p. 752) avait proposé « pour expliquer Ys du mot
tapis » le grec xa^xtov latinisé Hapelium. Mais deux objections rendent cette
hypothèse inadmissible : 1° Ce mot eût été traité comme mot populaire et
eût donné : tabiz. 2° Le cas-régime et le cas-sujet auraient été tous deux :
tabiz.
K
Au x8 et au xi* siècles, bien que certaines villes, comme Troyes, Beauvais,
Reims, Arras, Saint-Quentin, eussent des fabriques de tapisseries, les tapis
veloutés venaient en France de l'Orient. Au xne siècle on leur donnait même
1 L'espagnol et le portugais tapiz^ peu employé d'ailleurs, sont influencés par
le provençal. K
94 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
le nom de tapis sarrasinois et leurs fabricants s'appelaient des Sarrasinois.
L'importation se faisait par la Grèce et les ports de Provence. 11 est donc tout
naturel que ce mot nous soit parvenu par le provençal. Nous avons donc la
forme Tarciôa, qui explique bien la forme française tapid et la forme prov.
tapit *, sur lesquelles on refait un nominatif tapiz = (tapid -f s)
== (tapit + s).
Puis tapis est venu postérieurement. Ces deux formes sont les cas d'un
même mot savant, ayant subi les lois de la déclinaison.
101. TARÉDRES, 1DW1B, G, Ârakh., 23 ô, l'Haut, doloires.
C'est le mot par lequel le traduit Raschi, NTvnbx DOLOYRE.
Ce mot est formé sur la racine celtique * tarais, soit le latin "taratrum^ qui
donne régulièrement tarédre, d'où plus tard tarére et plus tard, par change-
ment de suffixe, tarière. Raschi, dans Kiddouschin, 21 b, emploie la forme
awna. Mais nous trouvons aussi chez lui la même forme fcnTna que chez
Gerschom. Le sens de ce mot n'a pas varié, comme la plupart des sens des
mots techniques, qui offrent une grande force de résistance.
102. TEZ, b^a, C, Houllin, 51 &, Nnnttn.
Raschi emploie ce mot pour désigner le tilleul lui-même ; Gerschom l'em-
ploie à la fois pour désigner la tilleul et le liber du tilleul.
Ce mot tel qu'il est dans Gerschom est assez difficile à transcrire d'une fa-
çon rigoureusement phonétique :
1° Doit-on transcrire til ou tel. Étant donné til-ia, on doit avoir rigoureuse-
ment tel {Yei est marqué par é dans notre glossaire). Raschi donne ^b*"b, ce
qui doit être transcrit le/.
2° VI n'étant pas mouillée et l'étymologie tili-a étant certaine, faut-il pen-
ser que b^ indique IV mouillée, auquel cas on transcrivait b"<a te/?
Je crois que c'est la seconde hypothèse qui s'impose.
103. TENDROM, ûVfiaa, C, Bekh., 37 a, ùinon, cartilage de l'oreille.
A
La même glose dans Raschi, Ex., xxix 20, se présente sous les variantes
TENDROS DTTT5Î3, TENROM DTTDa, TÉNROS OTira, TORNOS Dima, TEN-
DRON Tmna, tandrom drrrab, tenrom tnaia, tandron iwara.
J'ai cité ces variantes pour montrer combien il est difficile de se prononcer
d'après la graphie de Gerschom sur la valeur de la première voyelle. Doit-on
transcrire len- ou tan-1 Je pencherais pour ten-drom, en rapprochant ce mot
de son étymologie latine *tenr~umen. Il est difficile d'admettre avec Littré que
ce soit un diminutif de tendre. M. Thomas a rapproché {Etym. fr., p. 285) les
mots aigrun, plus tard aigrin et égrain, latin *acrumen et *Chaussum de *cal-
ciumen. La prononciation de la syllabe finale est passée très tôt à -drom,
1 Peut-être sous l'influence de TdwnjTa, dont Vr\ était prononcé comme Pi de
Towuqa.
* Diez, Etym. Wdrterbuch, p. 315, et Rudoff Thurneysen, Keltoromanitches
(Halle, 1884), p. 80.
LES GLOSES FRANÇAISES DE GERSCHOM DE METZ 95
comme le montrent les exemples de Raschi; le notation de Gerschom ne
permet pas d'une façon absolue d'affirmer qu'on prononçait déjà à son époque
tendrom. Vm, en tout cas, n'est pas encore passé à n.
104. TEiNE, N5">na,G, Houllin, 85 b, ndtn, ver qui ronge l'étoffe.
Raschi donne le motfiw^a, non ponctue, qu'il faut lire : TÉNE, fr. actuel,
teigne.
Le mot de Gerschom, ponctué d'une autre encre que les lettres, nous offre la
forme italienne tiîia (it. tigna). Il faut évidemment restituer, selon la forme
donnée par Raschi, et en faisant abstraction de la ponctuation, le mot tene,
Etymologie tinea, latin tinea, qui donne, suivant les lois de la phonétique,
téne.
105. TERNURE, finira A^.B* [TPpB, B3, B. B., 28 ô, NnODDN.
La bonne leçon est donnée par A, B1 et Bs ; B3 est évidemment une faute de
copiste.
« C'est une sorte de plante dont se nourrissent les animaux. Il lui faut dix
jours pour croître, et on peut la récolter trois fois en un mois. »
La question en ce passage est de savoir si un champ appartient de droit à
celui qui y a fait trois récoltes. On fail remarquer qu'il faut à cet effet
avoir fait des récolles de plantes ne poussant qu'une fois par an, et qu'on ne
pourrait se réclamer de trois récoltes de fcmaia pour acquérir un champ
en tant que propriétaire.
Le mot hébreu ayant un sens très vague, les uns l'ont expliqué par la lu
zerne, d'autres par farine (!), d'autres par foraige{\). Isaak de Siponte le tra-
duit par "^no, perzin (persil).
En réalité, c'est le mot TERNURE, qui dans la langue de Gerschom devait
s'appliquer aune espèce particulière de lupin (cf. ternage).
106. téyg, a^a» Houilin, 76 a, (-pas jiffiba) firoipn*.
Jointure en langue slave se dit TEYG. C'est le mot tchèque actuel lèh.
107. TONÉDRE, finY^iB, C, Houilin, 86 a, D^Ean, le tonnerre (mot à mot
les tonnerres, c'est-à-dire les éclats de tonnerre).
Raschi, Houilin, 86 «, traduit ce mot par éstorbél = b'nmuiD'W, mot de la
même racine que l'allemand Sturm.
Gerschom mentionne que ces éclats de tonnerre sont accompagnés de grêle.
Le manuscrit donne la leçon fin"H3iB, qu'il faut corriger en &nT3iB ; c'est
le latin tonitruum, d'où très régulièrement en français TONEDRE.
La transcription de ce loaz par l'anglais thunder ou l'allemand Donner est
impossible : le n final défend de songer à un mot de langue germanique. Plus
tard, tonédre est devenu tonnerre, par assimilation : Yi est devenu è sous l'in-
fluence de rr.
108. TORE, firYîû, C, Houilin, 59 a, Krrïntt.
Raschi donne ici le mot &mn. C'est le même mot, sauf n pour le a.
*J6 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
L'origine du mot de ^nfc prouve que c'est une plante dont l'amertume est
la qualité principale. Aussi bien Raschi le traduit-il parb""ni5"p72N, leçon qui,
pour ne pas être donnée par les manuscrits, n'en offre pas moins tous les carac-
tères d'authenticité : la place de l'adjectif avant le substantif, la forme mas-
culine du mot, le traitement phonétique correct et populaire montrent qu'on a
affaire à un amarum folium, qui d'ailleurs n'a pas laisse de traces.
Quant à notre loaz il doit être rendu par ture ou tore. Du Cangc cite le mot
thora, toxicum venenum, qui ferait pencher pour un français tore.
109. TRÉBUNU, WWTB, C, Houllin, 8 b, ^bD5.
Mot slave, comme l'indique la mention qui suit ce mot. M. Kœnigsberger fait
remarquer que c'est en vieux polonais le part, passé neutre du verbe qui si-
gnifie purger.
110. TREMÉYS, ï3^53nC3, B1, B2, B3. A manque, B. B., 36 #, « espèce de blé
qui mûrit dans les trois derniers mois de l'année ».
Raschi ne donne pas ce mot. Il peut avoir le sens de blé. Isidore, lib. 17,
cap. 3 : Trimense triticum ideo nuncupatum quia satum post ires menses
colligitur. Tp^vaioç rcopo;, Diosc, lib. 2, cap. 107. Gloss. lat.-fr. : trimense,
une manière de blé recourgon. On appelle aussi cette espèce de blé les Mar-
sées, quod Martio mense sevitur.
Le mot Hremisium cité par Du Gange indique l'espace de temps pendant
lequel on sème le tremeis.
L'ensemble de ces textes prouve d'une façon absolue l'étymologie *tre-
mense, devenu "tremèse, tremeis.
Nous avons encore en français les mots tremeil, tremesie, qui se rat-
tachent à une origine analogue.
111. VALÉDE, Kîbs, à lire K*T*ba, C, Houllin, 31 a, NnpD, la vallée.
Le mot ne se trouve pas dans Raschi.
On peut supposer que c'est le latin platea, donnant pièce, pleze très régu-
ièrement. Mais d'abord le sens de ce mot étant assez vague, au lieu que
NppD signifie précisément vallée, il vaut mieux interpréter ce mot par
RWD, transcrit FALÈDE, latin vallaia, fr. actuel vallée. L'F initial est, si l'on
accepte cette explication, la prononciation donnée au V initial par les popu-
lations rhénanes de langue française qui distinguent difficilement le son V du
son F, et prononcent un son intermédiaire entre ces deux consonnes. Cf. la
prononciation alsacienne actuelle.
112. VÉRJES, «wrâ, C, Houllin, yO b, m03Ï:O.
Raschi donne ici le mot TRUZE = sb^na. Il s'agit d'un cep de vigne repo-
sant sur des poteaux de bois.
M. Kœnigsberger traduit ce mot par PERCHES en changeant o en s. Cela
serait admissible si la ponctuation le permettait. Mais le * indique que nous
devons trouver en latin un mot en ê ou î ; or pertica ne peut aller.
C'est assurément le mot ©TVrpâ, VERGES, auquel nous avons affaire ici. Il
ne resterait qu'une difficulté, celle de la ponctuation ■£ ; mais on peut chan-
LES GLOSES FRANÇAISES DE GERSCHOM DE METZ 97
ger cette ponctuation en ■«, au lieu que la première voyelle du mot est forcé-
ment un è = r
De plus, le sens est beaucoup plus satisfaisant.
113. WARANZE, yas-rn, voir ROBJE.
114. ZARKLIZ, tt^bp/nSI, lire ybp"l3É, C, Roullin, 25«, ÙD^O, travail qui
consiste à entourer de cercles un tonneau.
Ce mot ne se retrouve pas dans Raschi.
Ce mot est à décomposer en zarkl 4- ïs. La première partie est le latin
circul[um). Le arkl- latin est devenu cercl-, et, sous l'influence de IV, l'e
s'est changeons (fait phonétique dont on a de nombreux exemples, e se chan-
geant en «sous l'influence d'une l ou d'un r subséquents). Quant a fs, dont l's
finale est nettement prononcée, comme le montre la notation xp^b, c'est le suf-
fixe ïcium. On s'attendrait à trouver cependant zarkliz de *circulicium.
Faut-il voir là un rajeunissement dû au scribe? C'est très probable. Nous
pouvons adopter comme type définitif de ce loaz la forme ypbpTHE.
115. ZÉMBES, tonnas, C, Arakhin,\Ob, btJtPX.
Raschi donne au môme endroit ©M'flt, ZÉNBES
Quant au loaz de Gerschom, doit-on le lire ZËMBE ou ZIMBE? Le ms. ne
donne aucune solution, i£ étant égal à ZI ou à ZE. Cependant la ponc-
tuation de Raschi, d'une part, d'autre part la forme de cenbel, dérivé de ce
mot, font supposer un primitif cenbe. Le type latin cymbalum avait Yy. Il
est à remarquer que le psautier d'Oxford a le mot cymbles, mais l'ortho-
graphe par y montre que c'est une forme savante reproduisant le cymbalus
de la Vulgate. L'accent est conservé dans ce mot comme dans d'autres mots
d'origine savante créés au xne siècle, ou avant. On est donc autorisé à
transcrire ce mot zémbe. Cette forme est antérieure assurément à la forme
que donne Raschi, elle se rapproche plus du latin cymba que le mot de
Raschi zénbe. Il peut, il est vrai, subsister un doute et on peut voir dans ce
mot le mot savant zimbe de cimba. Le mot N3tm est accompagné d'un mot
"ib^St, mis entre crochets. Nous avons ici un exemple curieux du remanie-
ment de notre manuscrit par un copiste italien. Ce mot est évidemment pour
"•ba^st, cimbali ou cembali, et le copiste (probablement celui qui a ponctué
parfois d'une façon si originale les mots français de Gerschom), ne songeant
point cette fois à ponctuer Ênfa"1:: de façon à faire un mol italien, à donner
l'équivalent en cette langue : il faut lire cet italien Zimbali. C'est la formation
correcte et rigoureusemet philologique du latin cymbali.
Le sens du mot hébreu est cymbale, instrument dont on se servait dans le
temple.
116. ZÉNGLE, tiàW£, A, BJ, B3, ab^E, B1, B. B., 18 a pan.
Les quatre manuscrits sont d'accord. Ce mot signifie le bât, la ceinture
qu'on passe sous le corps d'une monture. Ce mot est également donné par
Raschi ici et dans Sabbat, 51a, 64 «. Dans ce passage, Raschi se sert du mot
T. XLIII, N° 85. 7
y8 REVUE DESUETUDES JUIVES
sbw^at, non pour traduire pnn, mais pour traduire ^p^p, que Gerschom
rend par «bia^s (voir ce mot).
C'est le mot ZËNGLE, du latin cingula. Ce mol latin classique est employé
dans le glossaire de Reichenau pour désigner une sangle de cheval. Notre
glossaire nous montre que le c + i a conservé le son Z (as), il Ta encore dans
Raschi, mais l'i tonique en position est passé à l'é. On retrouve ce mot dans
la chanson de Roland : c'est cengle. Il était prononcé Zengle, comme le prouve
l'orthographe de Raschi. Ce mot est le même que le fr. actuel sangle, qui,
par suite d'une fausse analogie, a pris cette orthographe au xne siècle en-
viron. Ce mot est de la même racine que le mot ceinture, cinctura de cingo.
117. ZENKRON, "pnpaai:, C, Houllin, 74 à, point de réunion des trois nerfs
du jarret.
Le manuscrit porte ivnpa? ; on doit le corriger en inpaa?, d'après les
manuscrits de Raschi qui donnent, Houllin, 76 a, la forme ponctuée ZENKRON,
•p'-ip^S.
Je ne crois pas que ce mot soit employé ailleurs que dans Gerschom et
Raschi. L'étymologie en est impossible à établir.
118. ZIGONE, Z1KONE, fenttiqfc, A, N^ip^iS, B, B. B., 167 a, Kpm, tuyau de
cuir dont on se sert pour tirer de l'eau du puits.
La famille B donne l'orthographe ftp^p^at, que nous sommes autorisé à
écrire tr^p^at et d'après A et d'après le loaz de Raschi, Lévit.,xi, 19, où ce
mot sert à désigner « l'oiseau qu'on appelle la pieuse à cause de sa douceur
envers les autres animaux ».
Dans B le mot apparaît (très probablement par hasard) sous une forme abso-
lument savante; dans A, qui est la bonne leçon sous une forme semi-popu-
laire. Le g (résultat de c entre i et o) s'est maintenu jusqu'au xne siècle. Mais
la forme complètement populaire serait à cette époque zeone, qui est deve-
nue plus tard le français populaire ceogne.
Quant au sens du mot ici, il s'explique par l'analogie que présente ledit
tuyau avec le cou et le bec de la cigogne. Cigogne encore employé dans la
langue technique pour désigner un levier coudé, la manivelle (en forme de
levier coudé) d'une meule à repasser. La même extension de sens est à re-
marquer en italien, esp., prov. et portugais : cicogna, cicouogno, cigueîîa,
cigonha.
119. iPTnri.rt, "larn, B. B., 90 a, fraction de abDiy.
120. a^sba, A, LrsbD, B, B. B., 2 à, haie de roseaux.
12t. a. ©ar**», B8, B. B., i65*,^oipin, c, tzrananp, Bech., 51 a, rnro-n,
pièce de monnaie.
Ces deux mots, que je ne retrouve pas aux passages correspondants de
Raschi, doivent n'en former qu'un, puisqu'ils glosent tous deux le même
terme hébreu. Mais je ne vois aucune explication possible ou présentable.
122. am-nbn, c, Bekh.,fâà, nriûn.
Raschi donne plusieurs fois le même mot avec une orthographe identique,
LES GLOSES FRANÇAISES DE GERSGHOM DE METZ yy
cf., entre autres, Bekh., 43a, «■'Mntabn, «mTïbn, bossus; Sabbat, 54 a, et
Houllin, 122 a, Nain'rbn, bosse du chameau.
Le mot doit être un loaz germanique, mais je ne puis trouver aucune
explication.
123. ipabnln, G, Houllin, 25 £, û£2 ">b3, vases en os.
124. "pEia-nis, Houllin, 55 ô, "^rptD fi^bD^iB».
125. y^p, G, Tamid, 29 b, ]72V yy, bois d'olive dont on fait de la résine.
M. Kœnigsberger propose un Kien, fort douteux, pour la transcription de
ce mot.
CONCLUSION.
Tableau phonétique du français parlé dans la région messins
par les Juifs a la fin du x» siècle.
I. Voyelles.
A. Toniques.
I. 1° A en syllabe ouverte en latin = é, tirant sur éi; a -f c -f- a » yy ;
a -+- m = aym; a + c -f- e = az.
2° A allemand syll. ouv. = a.
3° A syll. fermée = a ; a + n = en.
II. 1° E syll. ouv. =5 è.
2° E syll. fermée = è : suivi de g ou de c = i.
III. 1° E, 1 syll. ouv. = e, tendant sur ei.
2° Ë,Y syll. f. = é.
N. B. u est traité comme i.
IV. 1 syll, ouv. ou f. = i.
N. B. y\ est prononcé tantôt é tantôt i.
V. 0 syll. ouv. ou f. = ô.
VI. 0 syll. ouv. ou f. = 6.
VII. 0 syll. ouv. ou f. = ii.
V11I. AU syll. ouv. = o. (Pas d'exemple assuré en syll. fermée.
B. Atones.
a) Posttoniques.
I. A devient e, lequel est fortement prononcé et tend à i devant s.
II. Toutes les autres voyelles tombent, sauf u, qui persiste en deux exemples
sous la forme u.
b] Interioniques.
A devient e; les autres voy. tombent, sauf devant deux consonnes,
auquel cas un e d'appui se développe.
1IMI REVUE DES ETUDES JUIVES
c) Antétoniques.
A reste a * ; e -}- n donne en; e, i = e •; f = i; o = ô3 , o~ u — 6,
ou, ii.
IL Consonnes.
J. 1. G + a initial = k ou ch. Il y a hésitation entre ces deux sons. La
notation par ,; permet d'affirmer que le c -t- a était transformé dès
lors, en cette région, en ch. G fait. 4- i = z. (Exception pour sisèle,
cf. ce mot.) G + o, c + u init. == c.
2. lntervoc. Voy. +c + e oui = S;i + (c + e final) = z ; a + c + a
= y ; i + c +.a = y. Subsiste encore entre e, o et u sous forme de c .
Entre i et o = g 4.
II. G intervoc. = y.
III. V initial — v, noté parfois D ; inlervocalique = v ; interv. final en
roman = f.
IV. B initial = b ; intervoc. = v.
V. F initial = f ; intervoc. : aucun exemple.
VI. T interv. = û; final == d non encore caduc; tombe dans le groupe
(rt (i) c + voy.) t + i + v = z.
VIL P init. = p ; intervoc. = 6.
V11I. H = dans les mots d'origine allemande, arabe et slave seulement.
IX. L = 1, 1 4- mouillure = l.
X. R = v.
XL M — ni ; m + 1 — ml sans intercalation de b , m + b = : m ou nb ;
m + R = mR.
XII. N = n ; n -f mouillure — n ; n + b = nb ; n + p = np ; n -f r = ndr.
N tombe devant s; n + d -f voy. -f n — NTR.
XIII. R=r;n+ mouillure = l.
XIV. 1. S initiale = s; S initiale + p = SF sans voyelle prosthétique : S ini
tiale + t — 1ST; S initiale -f c : traitement douteux (cf. ascume).
2. S intervoc. — s.
3. S finale = s.
XV. X = CS devenu 1S.
XVI. Z = Z.
Remarque i. Toutes les consonnes doubles se réduisent à une consonne
simple.
Remarque II. Il y a un proparoxyton à relever dans nos loazim, c'est : cha-
mere. Pour estele, istemekel, dont le dernier n'est, d'ailleurs, guère
assuré, voir les paragraphes les concernant.
Louis Brandin.
1 Deux exceptions apparentes : nédel et réstel; mais ce sont des mots formés à
l'aide de diminutifs.
2 i devient parfois a sous l'influence de roui subséquent : balenz, zarklir.
3 Affaibli en é dans lémsel.
4 Devient^' dans samboje; g dans fige, sige.
AZHAROT EN JUDÉO-PERSAN
La littérature judéo-persane étant encore peu connue l, je me
hasarde à publier ce morceau liturgique, qui se trouve à la fin du
manuscrit 1356 du fonds hébreu de la Bibliothèque Nationale de
Paris. C'est un pïout , composé à l'exemple de Saadia, dlbn
Gabirol et d'autres auteurs, par un certain Mosché ben Ishak, en
réunissant et en mettant en vers les tariag miswot : l'ensemble
de telles compositions, qu'on lit à la fête de la Pentecôte, forme ce
qu'on appelle des azharot « avertissements ». Salomon ibn Gabi-
rol, dont les azharot sont récitées les jours de Pentecôte par les
Sefardim, a été le principal modèle des païtanim de la Perse, qui
traduisirent son poème en vers 2 ; notre auteur en a imité la
forme, il a mis ce pïout en vers de quatre pieds, dont les trois pre-
miers riment entre eux, la terminaison finale de chaque vers ou
quatrain étant û'n ; il en a également imité la mesure, à savoir,
un yaled et quatre voyelles pour chaque pied ou hémistiche.
Naturellement, il n'a pas suivi le même ordre qu'Ibn Gabirol,
parce que, ayant employé la même mesure et la même rime, il
lui aurait aussi fallu user des mêmes termes. Il a rassemblé dans
la première partie de son poème les 248 commandements positifs
pour qu'ils fussent récités le premier jour de la Pentecôte, et
dans la seconde, les 365 prohibitions, destinées au second jour
de la fête. Puis il a traduit en quatrains persans3 toute la pre-
mière partie et le commencement de la seconde. Enfin, il a placé
en tête du poème une préface écrite en persan dans le même
genre que la traduction. Ces quatrains ressemblent tout à fait à
ceux des poètes persans : chaque quatrain ou distique consiste en
quatre hémistiches dont le premier, le deuxième et le quatrième
riment ensemble, le troisième ne rimant avec aucun. Le mètre est
1 Tout ce qui a été publié jusqu'ici, ce sont des poèmes du genre tnesnevi sur David
et Samuel, Z. D. M. <?., t. XLVII, 202, par P. Horn.
' Tel est le cas de Benjamin ben Mischael, dont je me propose également de publier
le poème.
5 Ou comprend que, étant en vers, la traduction est libre ; elle est aussi plus éten-
due que le texte.
102 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
le hazadj, dont la forme régulière est mafâîlun (y ). Hâtons-
nous d'ajouter que le hazadj, dans ces quatrains, est très irré-
gulier et très variable, ce qui constitue précisément la particula-
rité des roubaîyat ou quatrains persans. Pour la préface, il a
employé un hazadj madhhoûf se composant, dans chaque hémis-
tiche, de trois pieds, dont le troisième n'a que trois syllabes
(^ 1^ 1^ — II). Mais comme tous les vers de ladite préface
se scandent invariablement ainsi, cela constitue une anomalie par
rapport aux règles habituelles.
Il s'agirait maintenant de déterminer où et quand ce païtan a
vécu. On peut dire sans hésitation que Mosché ben Ishâk était un
rabbin persan, et que l'auteur de ces azharot est celui qui en a
fait la traduction et la préface. En effet, il exprime, dans cette
dernière, son hésitation à entreprendre un travail si ardu après
Ibn Gabirol, qui fut « un homme puissant et supérieur ». Mais les
renseignements sur les Juifs de Perse faisant défaut, on ne peut
pas savoir les dates, même approximatives, de sa naissance et de
sa mort. Tout ce que Ton peut affirmer, c'est qu'il est postérieur à
Salomon ibn Gabirol.
Pour établir le texte, je me suis servi, en dehors du manuscrit
susdit (A), qui est incomplet1 et plein de fautes, du manuscrit T 28
de la collection Elkan Adler, de Londres - (B). Ce dernier est com-
plet et beaucoup plus correct. La transcription dans A est essen-
tiellement basée sur la prononciation ; elle ne tient pas compte des
équivalents graphiques ; ainsi le g (tch) est représenté par as ; le
f (gh) tantôt par à et tantôt par p, le i*>, prononcé en persan comme
un s, par o ; le ^^ prononcé en persan comme z, par t ; tandis que
dans B, le ~ est transcrit par a ; le 4 toujours par à ; le <jb tantôt par
as et tantôtpar T ; le o par n. Le £ est représenté dans les deux
manuscrits par i, et le ô par à. Ce même signe représente dans A
le damma ou la voyelle ou, de sorte que i et à peuvent indiquer
soit les lettres hh et /*, soit hou et pou. Le même signe placé sur
un n muet à la fin du mot est pour le hamzfh mis à la fin de ces
mots quand ils sont à l'état construit; il faut alors ajouter la
voyelle i après le ST. Par exemple, 'ma est pour 8o bereï. J'ai
adopté pour le » la lettre a: et pour le £ le à, afin d'éviter toute
confusion. Quant aux autres lettres, je les ai laissées telles qu'elles
sont dans les manuscrits.
M. Seltgsohn.
1 Non seulement toute la seconde partie y manque, mais même aussi la fin de la
première.
8 Je tiens à remercier ici M. E. Adler d'avoir bien voulu si gracieusement envoyer
son manuscrit pour moi à M. Israël Lévi.
AZHAROT EN JUDEO-PEKSAN 103
TRADUCTION DE LA PRÉFACE.
Au nom de Celui qui, par sa grâce et sa générosité, a créé le monde
et donné la prophétie à Moïse et à Aaron, la progéniture d'Amran ;
dans leur cœur il n'y avait point d'hostilité.
C'était * un berger de moutons dans la plaine ; il les menait un à
un humblement. Dieu (qu'il soit exalté), voyant qu'il lui conviendrait,
dit : « Qu'il soit notre berger » !
Cet homme sublime monta sur le mont Sinaï pour quarante jours ;
Dieu lui donna les tables de diamant ; les premières furent jetées par
terre et lui, reparaissant, en rapporta d'en haut de nouvelles.
Il apporta pour nous divers commandements qui, tant que le monde
existera, seront nos guides, afin que les infidèles ne saisissent l'oc-
casion d'accabler sous le poids de leurs mensonges le peuple d'Israël.
Nous observons deux cent quarante-huit commandements; nous
comptons trois cent soixante -cinq prohibitions; le nombre des
membres et des veines ' nous sert de moyen mnémotechnique ; nous
n'admettons aucune excuse ni dans les commandements ni dans les
prohibitions.
Au bout d'un certain temps, un homme érudit, puissant, nommé
Salomon a, a réuni en vers tous les commandements, tels que nous
les avions entendus sur le mont Sinaï.
Son âme repose dans le Paradis ; jamais on n'a vu dans le monde et
jamais on n'a entendu un homme doué d'un tel esprit qui pût réunir
les commandements.
Quoique je ne sois ni intelligent ni capable de dire les louanges du
Puissant, cette feuille a fait une telle impression dans mon cœur
qu'elle doit être un guide pour les hommes.
J'ai dans mon cœur tous les commandements et toutes les prescrip-
tions pour réunir une à une les marques de la foi mosaïque, telles
qu'elles sont écrites dans la Tora, afin que ma composition arrive
finalement au ciel.
J'écris quelques lignes sur les commandements; elles exhaleront
pour les hommes une bonne odeur comme le parfum. Lorsque les
créatures de ce monde me porteront leur souvenir4, elles seront pour
moi comme uq bouclier et comme une tente 5.
Quoique je loue nuit et jour, cependant devant lui6, je parais une
mouche; c'était un homme puissant et illustre, et moi, humble,
qu'est-ce que je vaux devant lui ?
1 Moïse.
2 tr™ ïi"oiûi ûnn^ tftjru
1 C'est Salomou ibn Gabirol.
4 C'est-à-dire lorsque je ne serai plus.
5 C'est-à-dire un abri.
6 Ibn Gabirol.
10 i
REVUE DES ETUDES JUIVES
Il est pareil à un vase et moi à un gobelet1; cetle propriété nous a
été dévolue de la part de Dieu. J'immerge chaque souille dans le vin 8
pour achever ce traité.
Si, quand je m'en irai, cette feuille a quelque valeur, elle viendra
devant mon cercueil. Au moment où tous les gens pleureront, alors
mes lèvres souriront.
Quoique je n'aie pas vu dans le monde un homme armé, j'ai en
tendu mille coups de l'ennemi; semblable à un oiseau emprisonné,
quelle que soit la hauteur de la prison, je la franchis en volant.
Si c'est une imitation, un commentaire ou une traduction, personne
ne l'effacera. J'ai éprouvé beaucoup de difficultés jusqu'à ce que je
l'eusse trouvé ; mon cœur est lacéré à cause de cet homme.
Celui qui est instruit, qu'il vienne maintenant le lire, mais celui
qui est ignorant ne le comprendra pas. C'est une pièce théologique ;
que les hommes instruits la lisent tous les ans à la fête de la Pen-
tecôte.
F» 180 v°
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F° 181 r».
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1 J'ai puisé en lui mon inspiration comme un gobelet puise dans le vase.
2 II veut dire : Je bois le vin de ce vase, c'est-à-dire je m'inspire de lui.
3 a -pa.
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AZÏ1AR0Ï EN JUDEOPEHSAN ]i)r
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1 b, non.
* A, ^Nâa.
3 nnaa a ici le sens de inaa « si nous les examinons ». Voir Gesenius, 5. v
106 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
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nÈ^ai ûn3"iN isnào b^jna nattawa it ^» ^aoaap o^an
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F» 183 r°.
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idkd •»» ma-nn ntt» purfi uîN3 ^3 -nu»! !*na n&ma
uîNaiN i-iTo ïia m ^w nb«ar pan npi narip in -Qfio
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■*r»33 na in ■nn na aantroa r-wea nattj^i) Tranb yak
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F» 183 v°.
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ûn^iay aa a^ay nia amab nosa nô^tD n^ ^^cb niay uîin ïamp
F» 184 r<>.
iraa in ■j^nnôSS aèb tn i3 m» fii n»73 p-ia y^â
■n n£ai -iMNim wn inttîia n-ia -i^d ^y m
D*»Tnw nxa ^a-ainn nai-irn îawa y*73n nyab ^n ^bx noa b->ba
1 Ce mot a ici le sens général : « les païens ».
1 Pour -|Ù3.
* ■ Concubine ».
* D'après la traduction persane, il faudrait U3U3^^^•
AZHAROT EN JUDÉO-PERSAN 107
t>wd ! naoa t^n wiib basa T«a aaaa nos pnp
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F» 184 f».
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■n*a Tina ^ona in t^n in au a r*n nna maa
tam-ia Dan ban naw ïmaan naaa ia:n r<bi "na* na* rtanp
•naa 4'ban73 -»Diaa iani3 *nay taxbà naa in na
s t r
n«so èwia laiN ^ nanâ ao na p npa> sn rea
tanan nrana oapb jrtibifln oa ">ba pan a^n oaia in fthjys
■»aara ^anunaa w*73 ^aauitB pia nina nana
*aa*on tn im tarna aas nana in naa*on na oann
F» 185 r-.
«camp bra 17312: 5ana*i nna ma anaya nsa mia anna a^n }n
nnaat n;atta nauna aao tn nnsaia tabiâ nataia ann m
frisa natir ifrt an? ta* Ti^wùrta ^oa rano na mais
cnit3 a-na* N-im a-«i£in ^bani d^nn ^ -mrai n^ssen aai^ ansu:
■^onna in tn noi -«noa^n ">oms 2 ma i^nd Ni nn
m?: arnbt ^a.sn Va^T "laxon naa ■«©a \nd n^
7 DmoM n^y "na ©©npn^ aana uî^in i\s -iTai^an ïîn bain abu:-«
tin -ni> n^ na?a ■'kini n^a n-iN»^ it T^aa nti"i£n na
viara n\xa nan^Ta n^ia ©nsm iwj ^ana t»n3
tzny^ab n^ii: onana nsiai anai -mû in niTan onTa nnx niib
1 II faudrait peut-être ftl£3.
2 C'est-à-dire comme les autres frères.
3 Cet hémistiche ne correspond pas à l'hébreu.
4 b, n;3Nai.
5 Dans le sens de naiN • fenêtre ».
6 Pour tTÉmp.
7 Ce distique manque en A.
108 REVUE DES ETUDES JUIVES
n3Nan nNTN ittn ^raya TNnn nsana Tip man iik ia ^aa
ns&H ania ia nn'n ■«•«'Ta p tano» a^y «a na rrc:Nn naT
iaa-np-in D^:pT nafe tn 'pnn naa in nnNai nab naira aa&o
naaa nom nains n-> taaia nraa naNki nYioa ma ^ibia naa
naN r-ioas-^B TNa dhe-p naanaî i» **mN nn: ^a r*ri
F° 185 v.
&^j,éi tnaaa mina iteaan rmpa na mbab nnra swown
"©amT p*» iNa lhifi«t*iaw «a*» ^aa im ni: naaa
tta^aa noM nniîîij nn©» min n»«a icaia tanaa
tainî-ibi nr^b nicnai N^n msanb ta^an latb mErab fcannb
ffi*»a nanarr rja ^dtj2 p brna «y*B nbn laaa na ^oaa p am
ia^b ar rraawpa ma na p ma nawa n«a -ma r»a "^aia
tam^aa aranb :ai72n atb a^ban ana nan tainna aitttan rao nau:
T :
na qpea s^n mzjttta in nn na pna r^aa naos ûnsn
naiaT p ■% niaa*n an nraa ttnpwa ma npi no ïfa«o n-
ûmTtaja taiabbi a^ap 13 m'awibi D^asn ûnb ma capbi ^ipa ïnaa
3 m nnaa«D 1N3 avmn pa m m "in aannwn "naa?a ia*aa
■nn» C]bî riit niais nan asn brré ï«ama nar«aa anan lam
taamva nar*n:n "ca^na ma> tzpbpra a^a» mbp taneip baaoi
F° 186 ro.
pna mnra mnan ma a pna yaoi rn^a nom»N
pan boâ mana ttaasnD» m n;a*baaa nma nn h*ia an D^bpiû
tarniaa mbabi nna»i rîbm «nmsa a>aia naia nrnsnn p*ai
a^an ma !"jï3^»?b ban ûnbna tsytjta u:n^a nn^a pna naaa
ta^wna *;« ^n nu:i^ p n;aD nnsa r:a na^ia rsb-i? pnp
laanaana qi^a D^ainsTa bnb û^a^an D"naaa tsw<l i^a bnt
^éfcbn *jn tn Tina mara ^â^ba nna ^in nna nnava
^D^a àna ^î"1 in "jaanp mia non Ttn'i o-n-rt n^Na n^^
ta^nan njy^^uîa nnn «b «iôw ttp a^ nbna» nmab n^nb
nn^ai: nar: ^^i "pus* l^nnp nnista nxa t|«bb rî->n ^rsNi:
nnians "ma •'laœa na pa nnn in ^nm 7^n ^aa
tanasya n7:nnn ï:7jn bax caNT ^ain m^nbi "w?on abiab
« Pour nriNà-
2 Pour œa'ni:. A ^aa^nu.
* 11 est question ici de « seize faces » par une réminiscence d'un passage du
Talmud.
* La ville pierreuse est Hébron ; le paitan emploie ce nom pour la rime.
5 C'est une répétition.
6 D'après la traduction, il faudrait *33J3.
7 b, nn.
AZHARUT EN JUDÉO-PERSAN 109
oosnN anND "j^^t ma Nn no yoiDTa non np aso p«n « tu
do nna na^on rppiTa nia no pis b»» Ta tan nnô na«
F° 186 v».
tan^n» a-^nb nv nra« ann "nbn a^n ama îNsan *^«i
n?aNna tn Traha "nbn ara« nTa&rp T^nsTa arjô nnba«na
rvaabo ntaaa an ^o nai-p nrn ^ay btoa rvna no nia û-iba>73 nar
.D'npiBb apaisai nWra pipa rîa*tsa sainn nbuTaa wn»n
n«n nio nn mon faia et ino m nnà nno ^oo na ûbs^a
neuna Tna sm nnô ns^no ni «riWoa niONai pnrçp iwa
tanna pm taiOTa Tir Nbn om •>sm "nasb otbn 17a anpnb
n&o nn non îDTanaa dœn "wm nao nuo in naTTa ©*s nn&ra
naa nn ni?an nnooso naina i*»*^^ i&rpa nia n»H inoa
toanai nsia fcbi mm «b "pnian mn «b -n^ia naTTaa p-^bnnb
■nisïia «a n3 ni nnaawa "«psa "na naTTa nô tn ran« Y^aa
■nan T»in na po n^àn pT: n;nn mos nian -nn nniona
tj^irra -iboNTai nnnb ta-^bio nnTan bs cotono nntn naana
nao nn non dion tana ^na n«o aaô *jn nnaT t^sq naran
F» 187 r».
"Iftfâ n33"l03 K3T08B n3nO Sp3t 13310 ^NONS 001172 Û^TablO
b^-iiN ba> ûnoa tanoa uîip wau * onbi num 3 onbn b« nman
■n&n n3 pn 1^3 naa &o nioia nia itno mp n3 t*n ma»» "^a
■n^na iDn^a ">nnn noa noa TNn3^a » bp->37a nn yco nw T»bs
ta*nm7a on itbn tzrra basai ta^sa ^3ab nax Q^a^p n;b -n»\a
1-173 nv>^a lanéa p rnasi nnô ï&nn i^vn ni n;oia p ^103
T-ia in don • -nap nooao ninn nob«bn "j^p"1 no "«nTOia noa
ta-'iTaTT -iNttîm m72NO Ta» taan -nTau: nioi m«3 mttn^i ^asti b-'N
Tsw"«a en nnai naa iNn^onoa tîhsn ^«5731 in» i^-ma
TNnno no&nT nan n^paaa nooND ra Nns^N niTan Ta ^a->n
tD-«-nn"j nann taa->ain yin n3i7aw ta^3n7a û^aam toa^3^7a to-> û-»ana
nooKs ni on nowio na ni "jbTa noo^D no uis nna no ^7a n;7ao
F» 187 v».
nooNo «3 mn nai^a -nnw pi no^bT iri^a min ->7a a»ia nuîna
ta^nn^a taa^Ta-» rman i^n^i r\^v n7a yaTaa n^n^oi n
1 B, yia».
1 A, uni.
* Verbe dénominatif formé de ûfib « pain ».
4 Le texte porte par erreur ûnn-
• Sic. D'ordinaire les lexiques traduisent « charbon » par aîWT.
« B, min.
110 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
iraNca ia it "«aman ia ni iraNa nim în D"*a ira ^aNia
iraNa *|nd oaaN bai ira ara ni uni na -^ara mra p^Nb Naa
amn in naT* ïnfiraTs inunraa inumtja rosira naTa^Ts nb^
las nsi Nia o^a nmoà las lara Naia p^a hi^nt
wid ma m»p na N"> imaa tin }a-ip in mra *|nd jnse
trima ibN mn ana^ iraNii rip^ naa amsan ra-wm
bNiaN nisTan nia vxvétti bNn ia bam mira ni yiax
bap -naraa ni mura mra» naa rai-wa a^ai tnho
tam?2ira m.nbi N»a y$a7am tffca» kiïi taai N7aa ba inaa
iniie ni na "nia raita ini rua ia non o^aa ranttNa
i«ia il?: \»i ira TNinrtN nia mba ^aT TNa ia
amass îoara Nin na>aia a^n ■»» naôim airNa n^iir mna
iaNno in Diai raiaan7a iaNi pia cpd pia ^ns
F» 188 r».
laNia *S* iraa ^raaaia iraNaa iNa inii aN «a
taaminan *pia inpTaa ana» nv aa> mraa ms>ra nbai
*]Na "pn na"»a noiai nrais «a ^Nbi n?a iraNina ra-»i73
*]Nd ma in pbâ "»pNa ni là ywaa 101a n:jaiN
tomiN^n ^aa bainn ai iTaa baia *p in» baio nraiam
nb->ba> intn noaaNi raboà ï-rbTitt ma ra^amaira
nb-aa iaia «n aib->a n iraNa bNntt 11a aNaraN
tamnzaTpn raNii iaami a^bai &">aTNb prai a^ara miax nrai
ibwaa lin in raia ia T*è ibaca pnai un nia n
ibNTaa iàm «ira ^nb in mo ra^Nîinoi ia«m r^a n in
trnaio û^aman min« inpbi rnniypra pi nrvpa a>aa uni
nnoraa nn ra^Nia isna nnoa rapa ■na5ï iraNa iaN
nnoa in ma 1735* tn mra itno nîNn ^bai nraâ în
tamnaa taa^aa anT naara taai y^a pip ^ara ^iiitTaa arm
F° 188 v».
l^«a m an in pip ypNia i^n via» ni raanra raran
i^«ra boia ra^^T^aND "jni o^.a ^hn ^73 aN nam nit
tamin » nara nninaa nN'»a73 ï-rmnN natm nmi-»a naraT»
inNa bri» ona raran Na imirar m lira ni nrn
inna bnTa aià ^Nn *»aai n un laip mra i,nd *;ii
tomisan ava a^raip niia^a tD^raaa inNi ta^raaib tai^iaa
iraïaa pn iNaa iyaa73 irais nTaNa na i^Na pia
1 A, amin IN naraa ; seulement la traductioa persane est d'après B.
AZHÀKUT EN JUDEO-PEKSAN 111
^îaian ik hb-o rn m y$6 riTaïàa *niiB biài»»
* cmna dni aa ! on?: «i-b a^n on?2i na moab an^ia tnan rm
fraisa r^ian pâ id* ma jkwn Vî m Tiaa irtSM rtti
•jn^-oi TO ">om an tn 3K3a: •wna TNa iidi itô03T
ta-nm û-^b Troa nbbi* ^asp» apbi Tnatrra n^an
■nNEi» t*n TET tnitabri ^iwk TNa ni Ninar naos
••ini na JfcïnSi ïNio-nna s-uabn in ynpm f<i nroNa
tam?3i>3i a-wanb -p» nnam -p* aiauîbi *pia aie dsi
F° 189 r«.
ININT* IZîà ->73ip aniB 011B ")72^ in-in"7 ri 13inti} s^i i-irobn
Ini&o q^bâ -nmi iaa jws "»iaa t&o noaaai nn^3
£a*m»n *iaab imp^a an^bi unp ^31 a ai ipnp û* anab
^nvn m ban ùikhx non y«a "hni^ non r^i yao mp
*nxn rani* in r*n ïti Nins ->om iznp7a in na aasi m 3
tmnbi N?3U!tb » D^awas *tp
T *
iTN*na 1N33 t*n n-na 3^ni
iTNaa iS isains mua in3
a^ama tra^n a^anar. ^tnto pa
iino bi? ia ©T"*? n&nn
ûrj>« dok noain na bna *jnia
û^nnarj awten 'npw nbina np^ pam npb niaan
marr "jn "jnb t«o *;n toneï -ni do^iz ni?
nsana "ai *ii3 a^5> ^a -iaa inana nsa ban in
n-nEKtt ^nittiabi nbanib ia*ipb nbian maanpa nbj>7ji nsittia
man inaî ra3"ia pip ^iiin \aa ^a niana m nian
ïrbNjrn pn mai p yaa
nb->n73 pip iwa nban ni -ma
F» 189 v.
ïinia'na t^n nban N?a inia
nb"Ti73 •pet iuî«a maaip ni
ms1 *iNa pn po in ini ns:
a^ii^uî dn is^sa nbiban nnawa
mn^D-iD nnD?3 pnp indi:
nnuriB in uîi^ nia ■hba i^n
rzs^-ny^n -i^bi B3T^ ibin d^i uî^inb as ^-»aiu ^npb •jiuîn-i ûi^
■•tno y^â bn« m Taaa
non yxâ ni in 1-3 ^173 bin
n?3n ns N^anb n?3p nj> iisobi
"nN73ia N-i^n a^a m«i npia
sron non ->73N73n nnsn nsna
mvn iDM-i nnary nspn û^anat
nm -ii3 laaN^nnN int iNip
•na-i m tn pn "<3a 13 anona
4 ^T«n niNn irpis i*mn
ûnaio^ ai^b n»"1?::! n^ataa
*n« *i^Na ^a373 dis in3 n
■»-ini nny^p *jia: naia in ^iN73\a
unes ma^nnb ns^na ma^î
rrr'Tia ia nansn ibni nias^ '
1 Le sujet de ûn73 est UNI 3N dans l'hémistiche suivant.
* C'est-à-dire pas plus qu'en qualité de parents.
3 C'est-à-dire le grand-prêtre.
* A, -nNO.
112 REVUE DES ETUDES JUIVES
ïW Yi ^îacn nn-i -flS'pa ■'Ta nazi *PNa r*wn *p-n
anan nrifi*bi rtmM as nns? nnitta niaa an nmaia -naa av»
■n^ê tiina n^à nari naaa -n^a na6 na noaa&o ■usa
■n^a na*i TNa N«na "ôa ina-ia nan vn noaatti n-ist^
Fo 190 r°.
ammb runnn matab "pfiwn •p» maab bam manb naaa
ï-TDNnai w ia bar -iwaia tonS tasa -oiab "jt naaa
1 naana "»a nstNa "jt wnn f-na T"ân nsa-i "nsna
a^nanai tnanp a^ianrr ma a'Wn Vttbi a^an laipb
rmn rjirttn nema ania a-naa c^4-n« )pn ■»» yaâ rutaaa van
j^nrw ^paa iN-na fmâ ■cm ttIc nana inddn -îae*
a^naew nw mtoÇi "rayb main ^na aai mm» a^ianb
laraaTn na*r -i&n -n^ai jôma T**a ariNira ni nh ^nt
lanm aiai a*«*î jwa mi t-iasâi nan "na maa n^naa
tam-n t-i^a^an minn 1>j s-^ttaa rm»n «ipa miîo "pa-i^a
norak^N an« ^isba p y&ô r-ioa-n ■nn tn w« nwà
tnarp^ *p aas wwèK anaa tin ia*a na a^aa a^NHa
a^-pn^a inai mipn a^arib nrrab "p*3 rrntDi a^na
>n in -iâ ït<a para ic 'pas t^nnss jniDi r^na^à :nia
mi ûntt^p Hïm y -ii25 a-naa abaya r<n n'axa na^a pa
F° 190 v».
a*n» to mpianb a-wan nmnrtb B"waa mbiab-i •a^aa iia^b
^NBNa na-iaa iâ n»a naiabr *|Na ^""«rta im'TO "p ïtj
^nb Na tsn "jbn aa naaaana nao Maa ti» "^ti ia&6a
cannai -pa?^ mî^a ">3iNn -nn nba-«T n-i^ia b^a^
13^723 xa -ia a^a: lia nia^nn "i3Na-i t^n ia^i7j ^sis lia rrâ
"lîNâa t<^i yaaa rta pa n^a la-n^ abxy m nwnfira
ta^Niaa ba^bi a^^a?: n^sa a^N^ub naan a^iai: qnaa
lans imp naa n^n r<rt aaa iaiN 5inaa t^-i t^rs a^aax
iriMna ^psa n^i p-ip isna ' m amn^i "h^n n^w -n
a^-inb rsbnrt mmsra is^^a mni:a maynnb miXTXn yipnbi
i-pa rtni "^aNT^ iia^a na» l^n^aD ^is ^t ^a^a nrra
■n'ïna npi ^a w nbn nax np^pn tn m-naa nw no*ia
ta-i-nnaa nmay -naan n-nabi nwiab «iparti niapb a^b-na
la-iNi naD naaa^T la^pwa la-isaa n^S"»S tn ma mina
1 a, riDNaa.
8 Sî'c ; il faudrait plutôt la^TTl.
* Sic. Peut-être pour D^Nbca; la version persane ne parle que d'animaux purs,
AZHAROT EN JUDE04*ERSAN t13
1 iBTfifâ noa\x "jNif r\iii6 *73ia p^iâ ni T\xa «n tkt b&mN
wHrh abnn n©*b û^nb nonb nbnn nioa^ nnbi
p «no num •'Nia în ino '-çtûd p an 3 nbfira tn *p rm «""a
p tria finnnpi ma p isba "p] mi *p m laaa&n twb
&-IÏ1T3 sn^j Kaa maa nvnbi nnnab simm man nana
TfinDa 1TN pEJ nraiO T«Ka *pO 1X1 )1W\0
T»a cb mn» 'ma T>ba rnsbo "p« niMa pba nnaT
donnas "pn^n nn?3n û*»iaaa nn»b rnbrw pn nnzab naan ■»£
tnib baw nrbna no"«3 na noa v^a ^ne> aa an s^na^aa
t\n dms "p nas T»nr -a"1 m nn nna aia 'nia m
û"naoa tpiTaa ©ip nos: 13a1' anftïi d-n dan anp nata ava
^asttON n^ïï wim î^sa ■'a&n yaa na n^a naia
■rçai rpiTa in na aaai -na npsa y\xà T»S3S ûôtn
d^msa an11 aai "manpn r|0"i?aa nis^pn yiacbi msnaïab cpi72
fao^a in r<n mban naniu w fan raaan tpitt manaun
•jNa DN7:n 2*<n qoi7: pa maaa a a an tp*!» non nsa a an
' wn9 în -nbb t|* nia nanb rpian i;n»t3 qoitt aa naoa
^aana an noa^ak anian nin ^aao t]Dn7D noaaan naioa
^NaT tn >*minttJ m nba ana nn^îa mm nnna -na ni
cnn-iaua •^ttbn rna*bttbi 173b bi mbabi nrrb mbanb rotn
•janna iaa*ai lana pn ^Nn -p fann» na»n mba* ba*:ap Tin
ï&rrba t^mnaaia aawna* *ja*on na pa s^nss wn nijfira
tr-)2u:b mnra nbnba r^napnp ftban Tb ron nb72a Nnp a*wa
ma nbn ©^d' S|S non pb^Dn ma ^tn pat ^«sa nnia>2 ^?3u:
mi "nNnp «n mma ^n ïinrta i«n ■>» 272a na nno pb^sjn
û^nan naab i^73na pb^ïn n^ttna '■jnab Tttttïib û^tta?
iNaa nna ia ";na3 ifi« rrnaa ni ^nNia?^ nn ^a^ n-«ba "jN73np
nNT V2 nom e<n iNobb^n a^nà iran b^nTo r<73 'rtnaa non
4D"»nanb mpan nmoN 3ma mn^an «mai ivb* ba<b Nn^n ûbi^b
n^^73n ^nb3> p^»sa tn onna nœ^s m p^ pn nm ûbs^a
n^^3N pi ana nbsi pa notttnn iNi^a pna np^bn
■camp "pmbsn tan^a anr n^b ara bbsnnb tamab jaaï-ia
INa ^n in TNW3 nas nn i$w no^a oo^a isaio
•jno na in bm l^aa s^tn \aTN»3 • ^nxai: •pittn dNu:ai p^^aa
1 Le ms. A s'arrêle ici.
* C'est-à-dire les tekiot sont exécutées pendant le mousaf.
3 Ignorant.
4 Les gens instruits.
8 Pour û'Wmp.
T. XLIII, n° 85. 8
Il'i REVUE DES ÉTUDES JUIVES
EPYinraa ims "niyn ara bra ^iina pnpi màn e*^anb
■haraiD p-ip ann p-n ma -n^a ms in na ^np-i nna
•na *]nsi -na ni TNaa rrba -«in m ^ss a^y lia Ta»
tar-im to £]intt5 n-ppna tri* rrrriab ©ipn rrrinta antabi
iia^aa rca-»* ^nc* y^â ni ita«a -jnd "ans p norno
icnd -j^â ^n«57ai nnia "jTNioa nfcnoa in p onén s*n f^naia
ûnm» bjab nvua*7a "«aœ mai iTa^oa ni-rinari mai*
nabwaa an^s "paa ©awnaa nabaiï nai njas na ■»5n» "na
îab^bn "p nn "jn r^n anNL:o favi nsa tai rn p f-îia
ïaman ain sanàis ^an ntflbn "^b cnBïib ^aianTa nab
-i«a m non "pas Nia p febètaa n«a ■pfô'pi ^a* m rr»Sa
iNaa ien ■pinrt np p s^nn ït'te yiw animai np rrna
tavnaa>n cna* ■'©on p^aynb -nsan ba npni: [ï)*nDtD ûïjn \aaa
birn» m ^aa»a ni npis bsn7a nia noiïïN niai pian
bafcrn "jNiasoiaa nona* na« ï«tk Ta ■i»Kbâ p *rwn»rï
D^-iza-ua niasabi • aia œa^ û^pim srasana mtfnnb anta av nwiobi
nNn na -«ri nanan an "pa ^n nNna7a mabi îài na«j iia n^a
iNiaa t* ^aiaa t^nasonna "Wna hp0à nï3»n nomn naa
ta^nDO anabi ma»b a-im maab ^bam 'mai^ an 7312
taboa ^ï3Na nwanfifcs viNEa abr^ nas naïaa ynD ma
Dbtf* ni:7an -unm Mwa ^o-« nirnri *in in na noaaari puna
nn:iy nm&a nTa-inp n7ai:i marin ffiinsnb n7:na rnsn»
p c^na t^n pa nrra marin p ^né ^n D^Nna \snia'aâa
p ^^n in nasna ssn rnao» npa m bis dujc ^na ni
3 tannaab inuana amibb ûttirb shapb ûthsi wapb t^aaîi
rt^s^a ûn-i723 ûbpsa ^y no">72n iataa no^n naaâ^sa
nuï^na» ina ps "^«a nnnî nanp» rasa c*<-inna rr^ia
em^ri mnwbn mnab rmoa mbtûb anboi nippb pan
nsn ïia: nom nanè ^n73Nbo n^nno n^: ni: p no72 pa
n^n no ûin nam iMa nto^do n^Nrja yn 11 ^ iN-ipN to ni:
û-«naip ova Ta n^bn a^n uj-'wN n^a^a ^"«n ban n^iap n«n ne-»
no^ ^oa ini na 'nfini 3>-i©a nonn 'nanr ^T^nà n«n no^
noin pidnl: p nap Tin "jim n^n 'nai^ in aa^T tuj. "^oa
o^iam d^oid nn-isn tppna m72n a^nb nna« a^nb
om m© V3 nbxa p ^^a bNTa anNiaa srna nn^a aa
1 SeloD le persan, « pour les éloignés, le fruit sec est aussi bon ».
2 Pour Û^ai^û « de ceux qui enseignent ».
3 Sic. Il vaudrait mieux D^^riMb; d'après la traduction persane, il faudrait
û">-naab.
AZIIAROT EN JUDEO-l'EKSAN 115
?ki maa iNaoN tni ai niin±t i3Naa lis inoN inton ia
amai mb^byi mnsb Haïra n'n»b rrpy?: n'biab dNm
ïttfcb mn iN^n inti laaa roïrœ» tn "ni nsa no-Hp
rtSNàa Tii po a*-* n©Ki;t m in non ïiairo **n»3 "jt ni
û"*lôinb nnn ib aip>3 ppnnb ib nnb nai3N ibpob an»
333 tn ina bewa m dN3ia iiaa roo tn laa*^ irnaaa aaan mi
331 TN non imst "pÛ TN "150 ^73^3 11*1 1S« nndNIN 133
tarn-oiai rrvtffn inna b-ONttb ma n« n^pb naa na mai
lavra-a pn tn 113 in naan pa id*h3N la na tn i«noa 3bra
•£1131173 -rnTM mbaH!)**- 138 in '13N3 *1*1 13*0 lNn3T1D ÏIÈ
d-mausn saïas* inNro mtonb iniON 33* nroion ima» nnbiun
nno^Na in bNa mai i«ib *-nir> mois ^iT3 cn 13N3 113 na ni
mois 3p3> isobàro tn ino atiKEa mania TNa i«ana
û^^n cnab 173173a 3*1 manb 1731m: nnam i^na nraia iaia
in*> nsia 'nniaa mn obs733 in*i TNa Tin m mira ira
ini imauj3 *jNbiN3 *i:^noa uni na' "O-g* Ini r>o Ta *|Ta
û*nD*03 b^irnb nmnb **inbiiï3 mrp dN ybnb nm dN ûa">b
noras in marhn it:n «ri nit no3*i "«1*1 tua**- no^TNi iara
no^p"« ^n non i*n pi3 VNba 13N3T 111*13 mi in inois
dn^n 13*111 ib mNa ni73Ni "p aan rn-no *p nra3* nw iar
ma NmnD na **ia di ima pa ma ïirk inNa *paa ki p'rw
lia khi va irai 11:73 ma 13 maa na K3 vn tai*aN**3 133
dinzp iam[7a](a) inias* Kb tjn inna nbb mi3*3 unpn
Ï13N72T l^anâi i*iba H3N3T yN3 173 b^Na amaa
mNna ia *jNro^pno73 ïinit diias an ^iwnis ûniaiaa
D1173N3 ^3^oa ï-fiiD nN i*jaïib nn^n ainabi myn bnpnb
n33Naa r>:iiN 1*31 in 130^13 T33Na mnn p y*os naioa
iMNia ^3^a 1© nnb^ nri3Nirj nnn mai nwiN dna 133a
d'niNi mbipa 1^73^*15 nab i3*ara pai ii»ap *ia inN
1Ni3ir ïïi i3ma nao iaai 1N13D ni 1311a *^p3 13*3373
1Ni3*on cnNi *>snTNiNa ma ni ijmpa **piN ^Nin
d'ii7373a m*1 r>ib"i *]iab nau: 13 ^nai braism lia-» nsnsn
Tiaa r<si ^laa i«a in ma ni ma nri ia \aia noa^Ni naia
1^1733 ->^3a *i"> iniid iii 13 . nom -uni an naairj i^Nii:
dus b\a nb^73 bb73 nai3n 13 bbnn r>iipbi brabrab an^m
^3Nà bbn noaa«i *>tnm ni ^3Nin birabra b*^ amy pa
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110
REVUE DES ÉTUDES JUIVES
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inscriptions hébraïques en Bretagne
Deux inscriptions hébraïques, l'une du xvie siècle, l'autre du
xvne, tout récemment découvertes dans le département du Fi-
nistère, méritent d'être publiées pour l'intérêt qu'elles présentent
sous plus d'un rapport. D'une façon générale, elles servent à
constater la présence, au moins momentanée, de certains Juifs
dans cette partie de la Bretagne à une époque où depuis trois ou
quatre siècles ils n'étaient plus admis.
I
A Quimperlé, sur une pierre en albâtre ayant 62 centimètres de
hauteur sur 40 centimètres de largeur et 0,8 centimètres d'épais-
seur, se trouve une inscription hébraïque, composée des douze
lignes suivantes :
M^x bipa
&"niz5 inu:
ntnbttb nos*
û*H"nan thd
a£73 Vhy
:: arr pn
sr-ra[btt] ns
axa n-pïib
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r-robra -i73ws ïnsœb ■'
M. Mayer Lambert a bien voulu nous donner cette traduction
du texte, accompagnée de notes.
1. Entonnez, chanteurs, avec une voix de douleur,
2. Le GaDtique des Cantiques qui appartient à Salomon.
118 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
3. Qu'une pierre soit placée sur lui en monument
4. Pour subsister, avec Salomon,
5. Afin que voie tout passant, de tout côté,
6. Que l'homme soit déploré au milieu de son peuple,
7. Dont est monté le nom en haut,
8. Elevé et sublime, le sieur Salomon,
9. Fils de R. Jacob Semahes.
10. Tel est son souvenir généalogique au milieu de son peuple,
11. Année 5334, le 11 Ab1 (?)
12. A dit à Salomon de reposer.
Le haut de la pierre est disposé en fronton triangulaire, dont le
sommet est occupé par une rosace, laquelle coupe en deux par-
ties la formule d'eulogie, qui d'ordinaire constitue la fin de l'épi-
taphe : c'est l'abrégé 'n'n'irVn « que son âme soit enveloppée dans
l'enveloppe de la vie » ! Nous n'avons jamais rencontré cette for-
mule d'épitaphe ainsi placée en tête.
A la suite vient l'inscription, qui se compose de six distiques, di-
visés en quatre hémistiches. Les trois premiers hémistiches
riment dans les distiques un à quatre. Dans les deux derniers dy-
tiques, le premier hémistiche ne rime pas avec les deux suivants,
Le dernier mot des distiques est toujours rrobra (1, 2, 4, 6), ou
w (3, 5),
Ligne 1. — Le yod de tmia est cassé. Le mot ir^ptt a été
abrégé ; mais la dernière lettre qui manque, faute de place, peut
aisément être devinée par le contexte et par la rime.
Ligne 2. — La dernière lettre, qui manque aussi faute de place,
ne souffre pas de doute : c'est un n, aisé à rétablir, comme ci-
dessus ligne 1.
Ligne 3. — Le premier hémistiche n'étant pas assez long, on a
mis quatre points '/, , pour remplir le blanc.
Ligne 4. — Du dernier mot deux lettres ont disparu ; ce sont
évidemment les lettres btD. On voit encore une trace du il) ; la der-
nière lettre, un peu mutilée à gauche, est un n, non un n, qui se-
rait beaucoup plus arrondi. Le petit jambage du n, qui est tombé,
manque de même au second n du mot nm*» de la ligne 6.
Ligne 9. — Le nom izinaras, qui rime avec omb de l'hémistiche
suivant, a la désinence es, fréquente en espagnol et en portugais
(nous dit M. Drouin) pour désigner la descendance, « fils de »,
comme les finales ski en polonais, wlcz ou off en russe, djian en
arménien. L'ancêtre du défunt se nommait donc Cémah.
Ligne 11. -Onne peut guère traduire autrement le mot itin,
1 Soit le 29 juillet 1574.
INSCRIPTIONS HÉBRAÏQUES EN BRETAGNE 119
que par « le Seigneur », car il faut un sujet au verbe n^B de la
dernière ligne, au lieu d'en faire un adjectif, « amer », quali-
fiant avec à propos le nom de mois Ab, qui précède immédia-
tement.
Ligne 12. — L'expression complète est une allusion à I Rois,
vin, 12, où Salomon dit : « Dieu a parlé de résider ». Ici, c'est
Dieu qui dit à notre Salomon de résider, autrement dit : de repo-
ser dans le Paradis. Il faut sans doute lire t-wbra b«. Une bri-
sure aura fait disparaître le b, qui était peut-être lié à l'a, soit en
une lettre : y.
Heureusement les lacunes sont peu importantes. M. Gougoulat,
tapissier à Quimperlé, propriétaire de la pierre, l'a trouvée pla-
cée sous son escalier depuis de longues années. La maison qu'il
possède par héritage avait appartenu, avant l'acquisition qu'en a
faite son père, à un menuisier entrepreneur, lequel a dû apporter
la pierre chez lui, probablement, à la suite d'une démolition
de l'immeuble.
L'inscription est en relief, et les lettres sont si saillantes,
qu'elles semblent n'avoir jamais été exposées aux intempéries de
l'air. La pierre a dû rester des siècles dans une chapelle ou dans
un caveau, car, si elle s'était trouvée dans un cimetière depuis de
si longues années, l'inscription serait effacée.
Il n'est pas probable que, parmi le petit nombre de coreligion-
naires du défunt qui l'auront enterré là, il se soit trouvé un écrivain
capable de composer cette épitaphe rimée, ni un lapicide assez
habile pour l'exécuter en relief sur albâtre. On a sans doute fait
venir de la Hollande soit des artistes, soit la pierre toute prête,
aussi bien que, de nos jours, dans des circonstances solennelles,
les Juifs d'Espagne s'adressent à leurs frères de Bayonne, pour
graver les inscriptions funéraires en hébreu que l'on peut voir
au cimetière de Madrid.
II
La seconde inscription est bilingue, semi-hébraïque et semi-por-
tugaise. Quoique de cent vingt ans plus jeune que la première,
elle est beaucoup moins bien conservée. Elle se trouve à Lander-
neau, au milieu de la chapelle de l'hospice des vieillards tenu par
les sœurs de Saint-Joseph, gravée sur une dalle en granit qui est
scellée horizontalement dans le parquet, à l'entrée du chœur.
Malheureusement, juste au-dessus de cette dalle, qui a une lon-
gueur de quatre-vingt-onze centimètres sur une largeur d quatre-
120 REVUE DES ETUDES JUIVES
vingt-six centimètres, s'ouvre une grille qui sert de séparation
entre l'autel et le reste de la chapelle : la porte de cette grille touche
presque le sol et frotte la pierre à chacun da ses mouvements, au
grand détriment de l'épitaphe. Un visiteur de la chapelle avait
essayé de copier l'épitaphe ; mais pas un mot de sa transcription
de l'hébreu n'offrait de sens. M. Léon Brunschwicg, qui le premier
en a reçu communication, a bien voulu me la signaler. Une tenta-
tive faite ensuite par un photographe n'a pas réussi. En vain, à la
suite de l'intervention de M. le capitaine du génie Raymond Weill
auprès du maire de la localité, M. le docteur Kermarec, celui-ci a
fait faire par l'architecte municipal un calque de l'inscription ; ce
calque montre seulement combien les lacunes sont nombreuses.
C'est que la pierre a été endommagée encore d'une autre façon,
comme l'ont signalé les sœurs de l'hospice : au bas de la partie
hébraïque de l'inscription, des lettres ont disparu à la suite d'un
grattage opéré pour enlever une tache produite par des gouttes
d'huile. Cependant, nous étant rendu à Landerneau, nous avons
pu, en comparant les vestiges de ces lettres avec la partie portu-
gaise bien conservée, reconstituer les lacunes du texte. Le voici
en entier :
naasn
yutrô "H maib» pror -nnnn • n-nab
'd'ïo'i ûbiy 'ab i:nn f-isia a« unnb
natxsn]
S
Do Malogrado de Ishack
Machoro de Liaô que mata
raô os francezes em defença
da Ilha em 6 de AB 2 A. 545i.
Que Deos asa recolhido sua
aima com piadade 3.
C'est là un exemple unique en France, du moins à notre con-
naissance, d'une épitaphe semi-hébraïque, semi-portugaise4, et il
faut aller en Hollande, à Oudekerke, pour trouver trente pierres
1 C'est le mot miap, défiguré.
» Soit le 27 juillet 1694.
3 Sic, avec a, au lieu du moderne « piedade ».
4 Exception faite d'une inscription espagnole sur une tombe juive du cimetière de
Bayonne (Henry Léon, Hist. des Juifs de Bayonne, p. 215), et de deux inscriptions
portugaises du même lieu, découvertes par M. Julien Vinson.
insckiptions hébraïques en Bretagne 121
similaires; voir Henriquez de Castro, Keur van grafsteenen op
de nederl. portug. israeliet. Begraafplaats te Ouderlierh, Ams-
terdam, 1886, fol.). Cette publication peut aider à lire les mots
qui, dans la présente épitaphe, sont imparfaits ou presque effacés.
Ainsi, à la fin de la 3e ligne, il n'y a que des vestiges des trois
lettres Stti ; en les comparant avec le n° 17 de cet ouvrage nous
avons reconnu les initiales des mots1 : tod inrrm; ftrnm, « son
iepos. ou la paix dont il jouira, sera glorieux » ; la présence de
deux eulogies 2, qui se suivent, se remarque dans ce même n° 17,
de date postérieure 3.
L'inscription en portugais n'est pas une version littérale de la
partie hébraïque; mais elle précise ce que la première partie
«nonce en termes trop vagues. La lettre S (initiale du mot Sepul-
turà), mise en tête de l'inscription, pendant du premier mot hébreu
nn^tt (stèle), est assez fruste ; aussi ni la première copie faite à
main levée, ni le calque exécuté par l'architecte de la municipa-
lité ne contiennent cette lettre, ce qui a rendu le premier mot do
(de) incompréhensible.
Ligne 1. — L'orthographe du prénom Ishach se retrouve litté-
ralement dans les inscriptions d'Henriquez de Castro, au n° 19.
Ligne 2. — La transcription liaô, avec la prononciation nasale
de la voyelle finale (= on), donne avec précision la lecture du
mot hébreu ^"«b, dernier mot de la première ligne hébraïque, que
Ton serait tenté de prononcer Léon. Ce nom géographique, qui
rappelle une province d'Espagne, indique dans l'espèce un terri-
toire français, la partie sud-ouest du département du Finistère,
ou l'arrondissement de Brest, englobant Landerneau. C'était,
avant 1790, l'évêché de Léon. Or, ce nom local, ajouté à celui
d'Ishack Machoro, selon la prédilection des Ibériens pour la par-
ticule nobiliaire, a probablement été conservé par la famille du
défunt, laquelle a sans doute érigé la stèle à son parent victime
de la guerre. Ce qui le fait supposer, c'est que moins de dix-huit
ans plus tard, on retrouve ce nom dans un document de procé-
dure. En effet, le 27 février 1712, un arrêt de défaut est rendu à
la requête du procureur du roi par le siège présidial de Nantes
contre les « Juifs Anthoinne Rodrigue, sa femme, leur fils David
Rodrigue et Du Lion », sans que rien indique pour quels motifs
ils étaient alors recherchés4.
1 Isaïe, xi, 10.
* La seconde est la formule habituelle ïlDl£3ri ; les deux dernières lettres con-
servées font deviner les trois premières.
3 La première eulogie y est en toutes lettres.
* Archives du greffe du palais de justice de Nantes : « plumitif du greffier criminel,
commencé !e 30 novembre 1701 », cité par M. Brunschwicg, Revue, t.XXXHI, p. 92
122 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Ligne 3. — Tandis que, dans le texte hébreu, l'expression « qui
a été tué dans la guerre des Français » est vague, les termes por-
tugais « que matarao os francezes » disent nettement qui a tué ce
jeune homme. Par là nous savons à quel camp il appartenait. On
sait qu'en 1694 la flotte anglo-batave attaqua deux ou trois fois
les côtes de France. Après que Château-Regnaul eut quitté Brest
et la rade voisine de Bertheaume, à l'extrémité occidentale de la
côte de France, avec trente-cinq vaisseaux faisant route vers le
Sud, Malborough amena des troupes considérables pour attaquer
le port de Brest; mais ce fut sans succès, car Vauban, quoique
venu à la hâte, était arrivé assez à temps pour défendre formida-
blement cette position », déjà naturellement formidable. Il se peut
que notre Ishack Machoro ait été appelé comme pilote sur l'un
des navires lancés à l'effet de forcer le goulet situé à l'entrée du
port de Brest : la flotte fut écrasée le jour de la bataille de Ca-
maret2, le 18 juin 1694.
Ligne 4. — Le mot Ilha était assez embarrassant. Sous ce nom
les dictionnaires géographiques ne désignent que deux endroits du
Brésil. De quelle île donc, du voisinage de Landerneau, peut-il
bien s'agir? Est-ce l'île « ronde » ou l'île « longue », sises toutes
deux devant l'entrée de Brest? L'une et l'autre étaient défendues
par les Français, lorsque le jeune Portugais a tenté, avec plus de
témérité que de succès, de contribuer à leur conquête. Puisque
l'île appelée « longue » est en fait une presqu'île, on a pu appeler
aussi inexactement « île » la presqu'île de Camaret, où le com-
mandant de la flotte anglo-batave a vu succomber presque toutes
ses troupes. C'est là qu'après la bataille se trouvèrent des blessés
en masse; delà notre Ishack, mortellement blessé, fut transporté
à l'intérieur des terres, dans un lazaret, où il succomba cinq se-
maines après.
Ligne 5. — Le mot asa, dont Ys est agrémenté d'un tilde et
d'une cédille, est une vieille forme portugaise pour aia = haja (le
français ail), comme a bien voulu nous l'expliquer M. Leite de
Vasconcellos. L'ensemble de l'eulogie correspond tout à fait à la
formule finale de l'hébreu.
Moïse Schwab.
1 Voir, entre autres, Heuri Martin, Histoire de France (éd. de 1850], t. XVI,
p. 257-8.
2 George Toudouze raconte cette journée dans la Revue d'histoire ancienne et con-
temporaine, 1899, I, pp. 259-270.
NOTES SUR L'HISTOIRE DES JUIFS EN ESPAGNE
I. La Persécution des Juifs a Gordoue en 1391.
La grande persécution des Juifs, qui, suscitée par les prédica-
tions de l'archidiacre Ferrand Martinez, se répandit en 1391 par
toute l'Espagne, partit de Séville. Les massacres, qui ruinèrent
le 6 juin la florissante communauté de Séville, gagnèrent Gor-
doue, où regorgement se pratiqua huit ou neuf jours plus tard1.
Gordoue, avec son commerce étendu, son industrie brillante,
ses vingt-huit faubourgs et ses magnifiques palais, surnommée la
parure du monde, avait, à l'instar de Tolède, Saragosse, Barce-
lone et autres cités espagnoles, une ancienne grande « jude-
ria », dont il est impossible de déterminer exactement l'étendue.
La porte d'Almodavar, appelée au temps des Maures « Bab Ye-
houd » (porte des Juifs), conduisait dans l'ancienne « Galle de los
Judios » (rue des Juifs), qui aujourd'hui porte le nom de « Calle
de Maïmonides » (rue Maïraonide). Elle formait le centre de la ju-
deria, laquelle comprenait encore les « Calles de los Manriques »
et « de los Deanes » près de la vieille cathédrale, ainsi que d'autres
rues. Dans la « rue des Juifs » se trouvait la synagogue, terminée
en 1315, qui, grâce aux efforts du R. P. Fidel Fita, a été retrouvée
il y a environ vingt ans. Il va sans dire que ce n'était pas la seule
synagogue qui existât dans la grande et riche communauté de
Gordoue, et il est inutile de s'appuyer, pour le démontrer, sur la
dénomination de Mlqdasch meai (petit sanctuaire) sous laquelle
la synagogue en question est désignée dans l'inscription : chaque
synagogue est appelée Miqdasch méat. Comme tous les quartiers
juifs, celui de Gordoue était entouré de murs et surveillé par des
1 Sur les massacres à Cordoue nous ne possédons pas de date. Le roi en fut in-
formé a Ségovie, où il arriva le 17 juin 1391. Comme la persécution de Séville eut
lieu, d'après Zuniga, Anales de Sevilla, II, 237, le mardi 6 juin et que de là elle
se propagea sur Gordoue (voir la note suivante), il faut la fixer avant le 17, donc
au 14 ou au 15.
124 BEVUE DES ETUDES JUIVES
archers. Il y avait aussi un castel, qui probablement datait de
l'époque mauresque.
Sous prétexte de convertir les Juifs au christianisme, les Cor-
douans — et non seulement le peuple, mais aussi des personnes
de vieille noblesse et du clergé — pénétrèrent dans la juderia et
dans le castel, où les Juifs s'étaient réfugiés. Leur chef, comme
on le suppose non sans fondement, était un homme de si haute
condition que les juges n'osèrent pas le punir.
Avec une furie sauvage la populace se rua sur les Juifs. Au
bout de quelques heures, boutiques et maisons furent mises à sac
et réduites en cendres ; enfants et vieillards furent égorgés sans
pitié. Dans les rues et les synagogues les cadavres gisaient par
monceaux. Près de deux mille Juifs périrent, beaucoup d'autres se
firent baptiser1.
Le roi D. Enrique, qui regardait l'opulente juderia comme sa
propriété et qui ne l'appelait pas autrement que « ma juderia »,
n'en apprit pas la destruction sans douleur. Les contributions
s'en trouvaient fortement réduites. Le roi sévit donc contre la ville
avec la dernière rigueur, ainsi qu'il ressort des documents pu-
bliés récemment par D. Rafaël Ramirez de Arellano et empruntés
aux archives municipales de Gordoue 2.
Le roi ouvrit une enquête sévère et châtia gravement les fau-
teurs; beaucoup furent, sinon suppliciés, du moins envoyés en
exil. En raison du pillage des Juifs et de la destruction du quar-
tier juif et du castel, les émeutiers durent acquitter une somme
de 40,000 doublons d'or, somme énorme pour l'époque. Cet argent
n'était pas destiné à dédommager les Juifs que le pillage avait
plongés dans l'extrême misère, mais à être versé dans la cassette
royale. La somme imposée paraît avoir été primitivement plus
considérable et avoir été, lors du séjour du roi à Cordoue, en dé-
cembre 1395, réduite à 40,000 doublons d'or, à la suite d'une en-
tente avec la ville 3.
La municipalité usa de tous les moyens pour esquiver les obliga-
tions qui lui étaient imposées. Cinq années après l'événement, elle
représente au roi qu'au tumulte avaient pris part des personnes
1 Le contemporain Don Hasdai Crescas parle de la persécution de Cordoue dans
sa missive (imprimée par Wiener dans le Schévet Jehouda, p. 129 ; voir aussi
Monatss., XVI, 317) : inK (ba) ntf ba«m U5N N£"> (rwbiaD») Û1ZJ73
tara-) yvm aia ta:n n"aiamp nbnp mzmpn nvn ■paabn
•rrannb tim
2 Boletin de la r. Academia de Bistoria, XXXVIII, 303 et suiv.
3 . . . cuando yo estube en la dicha ciudad, en nombre del consejo délia, sobre ra-
zon de la convenencia que commigo ubisteis sobre razon del robo de la juderia de la
dicha ciudad, Boletin, 303.
NOTES Sl'K L'HISTOIRE DES JUIFS EN ESPAGNE 125
de haute noblesse et des dignitaires, qui, grâce à leur position et à
leurs parentés, ne pouvaient être contraintes au paiement. Le roi
devait donc envoyer à Gordoue un « juge forain » (juez de fuera)
avec pleins pouvoirs royaux, qui, avec l'aide des fonctionnaires
municipaux, recouvrerait les amendes. Effectivement, le roi
confia à l'ancien juge d'instruction D. Pedro Martinez cette dif-
ficile mission. Mais, malgré ses efforts, 10,000 doublons seulement
rentrèrent. Cependant, le reste de la somme s'accroissait par suite
des frais d'entretien du commissaire royal et d'autres dépenses.
Afin de déterminer le roi à renoncer au reste, la municipalité ré-
solut d'envoyer une personne de confiance au régent, qui le prie-
rait instamment de s'en tenir là, eu égard aux dépenses causées
par le séjour du roi à Gordoue et par l'entretien du commissaire
et de son secrétaire. Le 25 avril 1398, le roi repoussa la demande
et déclara qu'il ne consentirait pas à la diminution d'un mara-
védi. Quant à dédommager les Juifs dépouillés et les enfants des
Juifs massacrés, ni le roi ni la municipalité n'y songèrent un
instant.
En 1400, une épidémie éclata à Gordoue, qui, de mars à juin, fit
sept mille victimes. Beaucoup de ceux qui avaient pris part à la
persécution des Juifs périrent ; beaucoup des condamnés avaient,
pour échapper à l'épidémie, pris la fuite. Dès lors, il n'y avait
pas lieu de penser à récupérer les 4,500 doublons d'or réclamés
par provision. La municipalité tenta une nouvelle démarche
auprès du roi pour obtenir qu'il renonçât au reste. Mais le roi
tint bon. A la date du 20 mars 1401, il décréta que les biens sai-
sis seraient immédiatement mis en vente et que les héritiers des
défunts seraient contraints au payement des sommes imposées à
leurs parents. Tous ceux qui avaient quitté la ville devaient
être forcés à acquitter leur dû dans leurs résidences provisoires ;
s'ils étaient sans ressources, on devait s'emparer de leur per-
sonne, les conduire à Gordoue et les garder prisonniers jusqu'à ce
qu'ils eussent rempli leurs obligations *.
Plus le roi pressait pour le paiement de l'amende, plus les
Gordouans résistaient. Toutes les menaces restèrent sans effet-
Sur ce, D. Enrique mourut à la fin de l'année 1406. Les meur-
triers des Juifs demeurèrent impunis.
1 Boletin, XXXVIII, 309 et suiv.
26 REVUE DES ETUDES JUIVES
II. Les auto-da-fé a Cordoue.
Pendant plusieurs siècles Cordoue vit chaque année se dresser
deux grands auto-da-fé et presque chaque mois de petits. Dans ces
petits auto-da-fé ne paraissaient ordinairement que dix à vingt
personnes en habits de pénitents. Le nombre des relations im-
primées qui racontent ces faits est proportionnellement infime.
Parmi les nombreux auto-da-fé qui furent célébrés à Cordoue,
dans la pleine acception du terme, l'un des plus fameux est celui
du 29 juin 1665. Il y parut cinquante-cinq personnes, dont trois
étaient condamnées au bûcher; quinze furent brûlées en effigie;
vingt et un hommes et femmes furent exposés avec le san-benito.
En ce jour, Jorge Mendez de Castro, un Portugais, qui habitait
Cordoue, monta sur le bûcher avec sa femme; Domingo Rodriguez
de Caceres, qui avait été également condamné à la mort par le
feu, fut, par grâce et pitié, étranglé d'abord, puis jeté dans les
flammes.
L'auto-da-fé était regardé comme une grande fête, pour laquelle
les chevaliers et les représentants des localités voisines recevaient
des invitations. Par une députation spéciale les chevaliers et les
grands de la ville de Xérès de la Frontera avaient été solennelle-
ment invités au grand auto-da-fé de Cordoue; ils acceptèrent l'in-
vitation avec joie. On réserva les fenêtres des maisons situées à
proximité du tribunal de l'Inquisition et du lieu du supplice aux
plus nobles de la ville et à leurs femmes. Le sexe tendre se ré-
jouissait au spectacle d'un auto-da-fé comme à celui d'un combat
de taureaux.
Lors du grand auto-da-fé du 29 juin 1665, qui dura du matin
sept heures à neuf heures du soir, la ville s'était préoccupée de
pourvoir à la faim et à la soif des inquisiteurs et dignitaires de
l'Eglise, de la cour, des chevaliers et des grands. On comprend à
peine aujourd'hui comment ces hommes pouvaient, lors de la pro-
clamation de la sentence, avoir l'âme et le cœur assez solidement
assis pour absorber une telle quantité de nourriture. On con-
somma quatre veaux, huit gros jambons, trente livres de viande de
mouton et de truffes, cent quatre-vingt-six poulets, de grands
paniers remplis de cerises et de pommes, une masse de biscuits, de
confitures, etc., et avec cela du vin et d'autres boissons à profu-
sion. En la circonstance, la ville de Cordoue dépensa des sommes
considérables. D. Rafaël Ramirez de Arellano a retrouvé dans les
NOTES SUR L'HISTOIRE DES JUIFS EN ESPAGNE 127
archives de la ville de Cordoue le compte détaillé de ces dépenses
et il Ta publié; c'est là une contribution importante à l'histoire de
l'Inquisition ». L'auto-da-fé du 29 juin 1665 entraîna des dépenses
qui ne s'élevèrent pas à moins de 392,616 maravédis. Si chaque
auto-da-fé a coûté aussi cher, on conçoit que la situation financière
du pays soit devenue si florissante! Les prisonniers de l'Inquisition
n'étaient pas à la charge de l'Etat; ils devaient suffire eux-mêmes
à leurs dépenses. Lorsqu'ils ne possédaient rien, ils s'obligeaient
à acquitter les frais de leur entretien, dès qu'il leur serait possible
de le faire. Beaucoup languissaient pendant des années dans les
prisons de l'Inquisition, n'ayant pour se soutenir que le pain et
l'eau ».
D. Luis Maria Ramirez de las Casas Deza a réuni les auto-da-fé
tenus à Cordoue et il les a publiés à Cordoue en 1639 sous le pseu-
donyme de Gaspar Matute y Luquin 3. D. R. Ramirez de Arellano
y a ajouté ceux qui avaient échappé à D. Luis Maria 4.
Lors de l'auto-da-fé du 6 juillet 1666 parurent vingt-trois ju-
daïsants, hommes et femmes. Le 12 avril 1722, d'après la Rela-
cion imprimée, Diego de Herrera, âgé de cinquante-cinq ans; Juan
Nicolas Lopez de la Pefïa, âgé de vingt-sept ans; Catalina de
Reyna y Médina, âgée de cinquante-huit ans, veuve de Francisco
Gabriel de Torres de Bordeaux, et Antonio Gabriel de Torres, son
fils, âgé de vingt-quatre ans, furent brûlés vifs pour pratique du
judaïsme. Ce dernier, près de la mort, implora la grâce de Dieu et
ne permit pas au bourreau de lui lier les jambes. La douleur de ce
jeune homme de vingt-quatre ans fut « un sujet de grand plaisir
et d'édification », comme il est dit expressément5. Sept autres
personnes furent condamnées à la prison perpétuelle; l'une d'elles
était Josépha de Torres, parente de celui qui avait été brûlé.
Le 13 juin 1723, cinq personnes : un commerçant âgé de
soixante-trois ans, Miguel de Soto y Herrera, de Bordeaux ; les
marchands de soieries, Juan Fernandez Dias, de Colmenar près
Malaga, et Juan Félix Fernandez de Grenade ; Simon de Molina de
Malaga, âgé de soixante-quatre ans, et un jeune cordonnier furent
brûlés à Cordoue pour avoir pratiqué le judaïsme. Diego Antonio
Muntanes, qui était mort à soixante ans dans une prison de l'In-
quisition, fut brûlé en effigie ; plusieurs de ses proches, ainsi que
1 Boletin de la r. Academia de Historia, XXXVIII, 171 et suiv.
* Boletin, 205 et suiv.
3 Coleccion de autos générales y particulares de fe, celebrados por el tribunal de la
Inquisition de Cordoba, Gordoba, Noguer y Mante, 14 de Mayo 1639, et non 1636,
comme l'indique M. Adler dans Jetoish Quarterly Review, avril 1901, p. 429.
* Boletin, p. 164 et suiv.
5 Gran consuelo y ediûcacion de todo el pueblo.
128 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
la femme de Juan Fernandez Dias, furent condamnés à la prison
perpétuelle.
Dix mois après, le 23 avril 1724, Maria Fernandez, femme de
Juan Félix Fernandez ci-dessus nommé, qui mourut « en obser-
vant fidèlement la loi mosaïque», fut brûlée en effigie avec son
père, Francisco Fernandez, et deux autres personnes, tandis que
Bernardo Philipp de Soria de Caceres, Diego Joseph Ramos dit
Diego de Acosta, un Portugais, et deux autres marranes étaient
brûlés vifs. Seize judaïsants, parmi lesquels les médecins Diego
del Aguila et Gabriel de Anabia, ainsi que Margaretha Pimentel
de Flandres, âgée de quarante-deux ans, furent condamnés à
la prison perpétuelle f.
Ce n'est que vers la fin du xvine siècle que se tint à Gordoue le
dernier auto-da-fé.
M. Kayserling.
1 La Relation de cet auto-da-fé a été imprimée.
NOTES ET MÉLANGES
DE LA CONSÉCRATION
(LÉVITIQUE, XXVII, 1-24)
Le dernier chapitre du Lévitique contient les règles relatives à
la consécration des personnes, des meubles et des immeubles. Ces
règles, en elles-mêmes fort simples, présentent cependant des
obscurités, parce que le texte n'indique pas nettement ce que
deviennent les biens consacrés et pourquoi il est nécessaire d'en
estimer la valeur. Nous allons, pour essayer de résoudre ces diffi-
cultés, passer en revue les différents cas de consécration figurant
dans ce chapitre.
Premier cas : Consécration des personnes (v. 1-8). Le texte
détermine la valeur d'une personne d'après son sexe et son âge.
Si le donateur est trop pauvre, le prêtre réduit la taxe. Il va de
soi que celui qui consacre sa personne n'a qu'à payer au sanctuaire
la somme fixée par le texte et que lui-même reste maître de son
corps.
Deuxième cas : Consécration d'une bête qu'on peut offrir sur
l'autel (v. 9-10). Une fois son engagement prononcé, le donateur
n'a plus le droit de changer la bête pour une autre. Le texte ne
dit pas ce qu'on doit faire de la bête. D'après le Mischna {Sche-
qalim, iv, 7), quoique d'ordinaire les consécrations non explicites
soient destinées à la caisse du temple (Ternoura, vu, 2), ici la bête
est consacrée pour l'autel. Selon R. Eliézer, on vend la bête pour
offrir avec son produit des sacrifices, et la bête elle-même doit
être offerte en sacrifice par son acheteur. D'après R. Josué, la
bête, si c'est un mâle, est offerte sur l'autel (pour le service du
temple). M. Wogue, Pentateuque, a. I., écrit : « L'animal offrable
T. XLIII, n° 85. Ç
130 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
qu'on aurait voué à la caisse du temple, c'est-à-dire dont on aurait
offert le produit à cette caisse, est « chose sainte », en ce sens
que, si on le rachète, on n'en a pas la disposition, mais il doit être
sacrifié. » Il est curieux que M. Wogue, si fidèle d'ordinaire à la
tradition talmudique, ait donné comme explication normale un
cas présenté par le Talmud comme illégal (v. Maïmonide, Hilhhot
Arakhin, v, 5\ à savoir celui où le donateur dit clairement que
l'animal est destiné à la caisse du temple. C'est seulement dans ce
cas qu'il peut y avoir rachat. Quoi qu'il en soit des interprétations
talmudiques, le texte ne disant pas que la valeur de la bête doive
être estimée et ne parlant pas de rachat, il en résulte que la bête
consacrée est purement et simplement remise aux prêtres, qui
l'utilisent pour les sacrifices. Telle est aussi l'opinion des exégètes
modernes (v. Dillmann, a. I.).
Troisième cas : Consécration d'une bête impropre à l'autel (v.
11-13). La bête est présentée au prêtre, qui en estime la valeur.
Le propriétaire a le droit de la racheter en ajoutant un cinquième.
M. Wogue écrit : « L'animal sera vendu (pour l'usage commun et
au profit de la caisse sacrée) au prix fixé par le prêtre ni plus ni
moins. » Knobel, suivi par Dillmann, s'exprime ainsi ; « La bête
ne devient pas sacrée, mais passe, au moyen de la vente, dans une
main étrangère. » On voit ici que l'interprétation talmudique, qui
répond plutôt aux nécessités de la pratique qu'à celles de l'exé-
gèse, a pénétré même dans la critique moderne. Le texte lui-même
ne parle pas de la vente de l'animal. Si le prêtre doit estimer la
valeur de la bête, c'est parce que le propriétaire peut demander à
la racheter, et qu'il est bon qu'un accord, fait au moment de la
donation, écarte les difficultés pour l'avenir. Mais il nous paraît
inadmissible que la taxation faite par le prêtre lie à tout jamais
le sanctuaire lui-même. Il est plus naturel de penser que la bête
est remise au sanctuaire, qui l'utilise à son gré. Si le propriétaire
veut la reprendre au sanctuaire, il doit la racheter en payant un
cinquième en sus du prix fixé immédiatement par le prêtre.
Quatrième cas : Consécration d'une maison (v. 14-15). Le prêtre
estime la valeur de la maison et, si le propriétaire la rachète, il
est tenu de donner un cinquième. Le mot ûip"1 p du verset 14 a
évidemment le même sens que n^n^ p du verset 12. La valeur,
une fois fixée, ne pourra être modifiée quand plus tard le proprié-
taire voudra racheter sa maison. M. Wogue traduit ûip"1 p : « la
maison sera acquise » et ajoute en note : « à toute personne tierce
qui voudra l'acheter, le produit étant affecté, selon le vœu du
donateur, à la caisse du temple, c'est-à-dire, explique toujours le
Talmud, à l'entretien de l'édifice ». L'explication de ûnp nous
NOTES ET MELANGES 131
paraît fausse, et le texte ne parle pas plus de vente ici que plus
haut. Dillmann dit aussi que la maison doit être vendue, et commet
la même erreur que M. Wogue pour tnp\ car il renvoie à xxv,
30, où il y a rmpb ...dpi. Le complément nnpb donne là au verbe
tnp un sens tout autre que dans notre passage.
Cinquième cas : Consécration d'un champ patrimonial (v. 16-21).
La valeur d'un champ est fixée à cinquante sicles pour une super-
ficie où l'on sème un homer de blé et pour une période jubilaire
complète. Si la période jubilaire est plus ou moins avancée, la
valeur du champ en sera d'autant réduite4. Si le propriétaire
rachète le champ, il ajoute un cinquième et le champ lui appar-
tient. Mais s'il ne le rachète pas et s'il a vendu le champ à un
étranger, il ne sera plus racheté. Au jubilé, le champ sera consa-
cré à Dieu, comme une terre interdite, et appartiendra au prêtre.
Les mots que nous avons soulignés sont obscurs, car ils semblent
se rapporter au donateur ; mais comment le donateur peut-il
vendre un champ qui ne lui appartient plus? D'après M. Wogue,
le champ consacré est vendu par la caisse du temple et appartient
à l'acheteur jusqu'au jubilé. Avant cette vente, le donateur a droit
de rachat, mais, après, il est déchu de son droit (-Dtt ûêo se rap-
porte à l'administrateur de la caisse du temple). D'après Dillmann,
le propriétaire paye le prix du champ et le garde à la condition de
ne pas le vendre à autrui. S'il le rachète, il paye un cinquième en
plus. Mais s'il ne le rachète pas et qu'il le vende cependant à un
autre, le champ appartient au sanctuaire au moment du jubilé.
Cette interprétation est tout à fait forcée. En effet, si le proprié-
taire garde le champ, pourquoi ne peut-il pas le vendre? et s'il ne
lui appartient pas, pourquoi le garde-t-il ?
Les commentateurs rabbiniques ne semblent pas être d'accord
sur ce que devient le champ. Maïmonide (ib., iv, 20) écrit que, si
le donateur rachète le champ avant le jubilé, le champ lui fait
retour. Raabad, dans ses hassagot, déclare qu'il ne comprend
pas cette expression de Maïmonide, puisque le propriétaire a le
champ. L'observation de Raabad prouve que, d'après lui, le pro-
priétaire paye le champ et le garde, mais Maïmonide admet, sans
aucun doute, que le champ est cédé à l'intendant du temple. Il n'y
a, en effet, aucune raison pour que le propriétaire le garde.
Ici, malgré la construction apparente de la phrase du verset 20,
nous croyons, avec M. Wogue, que les mots "Dtt ûêo, etc., visent
une vente opérée par le sanctuaire. L'emploi du passé *OT3 après
1 M. Wogue rapporte le suffixe de ")b dans ")b 3tf)m à l'acheteur ou au champ,
ce qui est contraire à toute vraisemblance.
132 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
le futur •wbaîp nous paraît être un indice que le sujet du second
verbe n'est pas le même que celui du premier 4. Seulement, d'après
nous, cette phrase ne vient pas restreindre le droit de rachat du
propriétaire pendant la période jubilaire, mais elle a pour but
d'insister sur ce que ce droit de rachat expire totalement avec le
jubilé : Quand même le sanctuaire aurait aliéné le champ pendant
la période jubilaire et l'aurait vendu à un étranger, le jubilé ne
rendra pas au propriétaire primitif son droit de possession, mais
fera retourner le champ à l'administration sacerdotale. Donc, à
défaut de rachat pendant la période jubilaire où a lieu la consé-
cration, l'immeuble appartient pour toujours au sanctuaire : il ne
sera plus racheté. C'est ce que dit clairement le verset 21 : « Quand
le champ sort (des mains de l'acheteur) au jubilé, il sera consacré
à Dieu comme un champ interdit et deviendra patrimoine sacer-
dotal. » De la sorte, le patrimoine d'un laïque peut être aliéné au
profit du sacerdoce. D'après R. Juda, les prêtres, au moment du
jubilé, paient (à la caisse du temple) pour prendre possession du
champ. D'après R. Siméon, ils le prennent sans rien payer ; enfin,
d'après R. Eliézer, le champ reste sans possesseur particulier jus-
qu'à ce qu'il soit racheté [Arahhin, vu, 4). Il semble que ce der-
nier docteur ait voulu empêcher l'aliénation définitive du patri-
moine des laïques.
Sixième cas : Consécration d'un champ acquis (22-24). Ce champ
n'appartient pas en réalité au détenteur, de sorte que celui-ci ne
peut en consacrer que l'usufruit. Il est tenu d'en verser immédia-
tement la valeur fixée par le prêtre. Cette indication précise du
texte montre bien que, dans le cas précédent, le donateur ne payait
rien, mais livrait son champ, et que l'estimation de la valeur en
était faite en vue du rachat.
En résumé, le texte biblique ne dit pas que la caisse du sanc-
tuaire doive faire vendre les biens consacrés. Mais il a, dans un
cas, envisagé cette éventualité pour prévenir une revendication
du donateur. Aux temps talmudiques, la vente des biens consacrés
était de règle. D'autre part, l'estimation que le prêtre fait des
immeubles a surtout pour but de régler le rachat que le proprié-
taire peut opérer dans la première période jubilaire.
Mayer Lambert.
1 II nous paraît probable que le verbe -Dft devrait être ici au passif. Nous avons
donné dans notre article sur le nifal un grand nombre d'exemples de la substitution
de l'actif au passif (Revue, t. XLI, p. 203-4).
NOTES ET MÉLANGES 133
DEUX LETTRES D'EMANUEL PORTO
La correspondance des Buxtorf, conservée à la Bibliothèque de
l'Université de Baie, a souvent déjà attiré la curiosité des savants.
M. Kayserling en a donné quelques extraits dans cette Revue
(XIII, 260), mais personne encore ne s'est donné la peine de la
publier en entier ni même de donner une liste exacte des lettres,
avec des renseignements sur lescorrespondants. Je n'ai pas la
prétention de m'acquitter de cette tâche à présent; je veux seule-
ment donner ici deux lettres d'Emanuel Porto, que M. H. Gunz-
burger, de Hegenheim, a copiées pour moi.
L'existence de ces deux lettres est signalée pour la première
fois par Carmoly dans son ï-rtv -om trnwtt, Rôdelheim, 1861,
p. 12. Carmoly prétend les avoir vues à Bâle, sans donner d'autre
renseignement.
D'après lui, Emanuel Porto s'appelait, en hébreu, R. Mena-
hem Zion Raba Port ; mais dans nos lettres il se nomme Me-
nahem Zion Port Cohen. Si nous ajoutons encore qu'il fut
rabbin à Trieste et à Padoue et qu'il mourut vers le milieu du
xvii6 siècle, c'est à peu près tout ce que nous savons sur sa
vie. Quant aux ouvrages qu'il a composés, Carmoly en cite
quatre, savoir :
1° "imsb -ûv nss, livre de mathématiques, imprimé à Venise
en 1627;
2° iiïtorti -tfta nso, Porto astronomico, en italien, imprimé en
2 vol. à Padoue, en 1637;
3° Brève e facil introduzzione alla Geografia et Trigonometria,
Padoue, 1640;
4° Dipluranologia ; explication de Jos., x, 13 et d'Isaïe, xxxviii,
8. M. Steinschneider, dans son article Die italienische Litteratur
der Juden [Monatsschrifl, XL1II, p. 419) donne comme titre hébreu
du Porto astronomico ûsrû'm ûsrron et comme date de l'impres-
sion l'année 1636.
C'est surtout le quatrième ouvrage qui nous intéresse en ce
moment. Emanuel l'avait composé d'abord en langue italienne et
l'avait dédié à l'empereur Ferdinand III. Alors il s'adressa à
Buxtorf afin de trouver un éditeur ; c'est là le but de nos deux
lettres. Mais il paraît que Buxtorf ne réussit pas, car Emanuel
134 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
traduisit son ouvrage en hébreu et en envoya le manuscrit à
Lorenzo Dalmaki, qui, de son côté, le traduisit en latin et le pu-
blia sous le titre : Dipluranologia, qua duo Sacrse Scriptural
miracula de egressu solis tempore Ezechise et immobilitate lumi-
narium sub Josue declarantur. Patavii, 1643, in-4*.
Ces deux lettres datées l'une de Padoue, 20 octobre 5402 (1641)
et l'autre du 20 février 1642, et signées Menahem Zion Port
Cohen, Emanuel Porto chez les chrétiens, n'offrent pas un grand
intérêt. L'auteur demande à son correspondant de faire imprimer
son opuscule, qui traite du recul de l'ombre sur le cadran solaire
d'Ezéchias, et de l'arrêt du soleil et de la lune au temps de Josué.
Gomme la première lettre est restée sans réponse, Emanuel Porto
en envoie une nouvelle. Il demande en même temps s'il pourrait
acheter à Bâle un exemplaire du Talmud et à quel prix.
M. GlNSBURGER.
1.
î-mh np"» »pîn . NmTian ^braia ^b itwt rmt* *]ynv "W/atû
•pïi .ra^a wn bia pi*iai a^an i"iiab"i i-mn iitob .œTipîi laaiûba
n*tni ^nbm «b p b* .irasm rnm rm ûnb w* nira rvman n« am«
ntt? r-nmb *pD ï-in mibnb .'■pnaa ûti ^cb -ibs a^rmraa r^iab
iir&a *p3*^a iw t^iï-r ont îbrt nson by ^bara y*y a nia a n^an Ton
usa abi? n»b inwarp 1*»b a^a^an nb bs nain ^n bab i-npN
vby isnp^ a^mn hiaaii Ea??a inmb nDD'inrT lana^ «btû "paNN .mai?
ana rnN nb^N ^aaK .vbN t^iNn» tant* "»aa "na« )^y t^nn -a nmapb
bisa i«#iai "ïamnb yen ^n -hbn nujrt bs rna^œn D^a&otapj^an
nDS^nn -nna tp*n cmeo tamiaah i~HZ37an ^ ">b inbup fca,»û,»BÉflattB
iniN rnn bana "ta^ab ï-iabî-a *>b nnbta^ bina T^aa ODia nnN anaai
' T : T :
tara^^ai-t Tmtna ^mETa-n r-iN7a «pa» ?hnt ta t|N ,-iaTan man bs
aina Tbîi "naoa mrj N£7a^ ^m^n tat* tsn , nry-ji r-navata ba>
ba> naiy *a&* taafio .pin» ïa^wa im Stis11 t**b pwb "na-o naapni .t
*nw*i .•jrntob "»aa aia &&n .^marnas Hoan vœo ba ba> .-"iotoïi pin
^aap taa^taa Htai *5>a^3 vzyi pi7a ^N^an ta^n bai .trépan -ie-in
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Emanuel Porto ^nfinpa a^aïn
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NOTES ET MÉLANGES 13K
II
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ta* Hnapb tob^u -n^bn ab^ta tara t^£72-< r^isttaïi ta» ^:*"m!nb
ntUN ^ma&tbn nann -msnb -ib r-nn Ma wn r^b nn* tïî ."TPïDa
bab s^toi lapb ïsaa ytt*i© bina 1^33? t^aa hpn*T 13 "j*^ .ihahp
û^iia&n "nm ba b* "ptab i-T3*tt nitttt ©p3N ."Wn I-tt "'hana pb dtn
litsm ï^b du)73 a^s-iEii aiara .i-rua*b s — 173 :na ï*tfb ib« D^T-in&n
^•hn m** *na*N -on ï-ito ^rm . ib« mb^baa mab "D&oariN . lo^inb
rm barri ,vms» -nfciab nrs*** Tn»*»*) b*i »*afciâ hra*s tsabiyb
i-nnbsrrrr Tina b* ^ns ns r-ib*"» bbcnj* ti babi iianc "jnb ^b
pan taiis Tnsr esron banu^a *sriph in&wri nny ysnai i^ana
Emanuel Porto to"Wrî "p31
: r-r-p^b 3m a^abN niann nsia "nemaya a h tsm 3ms
NOTE SUR UNE FAMILLE JUIVE DE NOVELLARA (ITALIE)
La plus jeune sœur cTOlinde Rodrigues, Amélie, belle-mère de
M. Alexandre Bertrand, membre de l'Institut, et cousine germaine
d'Emile et d'Isaac Pereire, est morte à Saint-Germain-en-Laye,
en 1900, à l'âge de quatre-vingt-huit ans. Elle avait épousé, vers
1838, M. Abélard-Servandio Lévy, né à Paris le 14 novembre 1795,
qui fut élève de l'École Normale supérieure, professeur de ma-
thématiques spéciales au Lycée Charlemagne, maître de con-
férences à l'École Normale; il mourut au Pecq (Seine-et-Oise)
en 1841.
Servandio avait fait de brillantes études sous le premier Em-
pire: il eut le prix d'honneur de mathématiques et le deuxième
prix de physique au Concours général. En 1816, à sa sortie
de l'École Normale, où il avait été admis en 1813, il fut « chargé
d'une mission scientifique » à l'île Bourbon, et embarqué, par
136 REVUE DES ETUDES JUIVES
ordre du ministre de la marine et des colonies, « sur la flûte de
S. M., V Eléphant », avec droit de participer à la table de l'état-
major (ordre du 28 août 1816, signé Edme Maaduit, au nom du
conseiller d'État chargé de la direction supérieure de l'adminis-
tration des colonies). Ce n'était pas là une faveur : on envoyait
Lévy professer à l'île Bourbon parce qu'on ne voulait pas, sous la
Restauration, donner une place dans un lycée ou collège français
à un Israélite * .
Le navire qui portait Lévy fut assailli par la tempête au
sortir du port de Rochefort, et jeté sur la côte d'Angleterre à
Plymouth. Le jeune savant résolut de se fixer dans ce pays, où
il fut bientôt accrédité par les recommandations de maîtres
illustres, en particulier d'Haùy. Ii y passa dix ans, trouvant
des ressources dans l'enseignement privé ; puis, marié et père
de famille, il accepta une place de lecteur à l'Université de
Liège. Deux ans après survint la Révolution de juillet, qui lui
rouvrit la porte de l'enseignement dans son pays. Revenu en
France, il fut nommé professeur de mathématiques au Lycée
Gharlemagne. En 1834, il perdit sa femme et se remaria, en
1838, avec la sœur de son camarade de collège, géomètre dis-
tingué comme lui, Olinde Rodrigues. Dans le monde savant,
Lévy était surtout estimé comme minéralogiste, bien que les
publications qu'on lui doit portent également sur les mathéma-
tiques supérieures2.
Le savant dont il vient d'être question était fils de Lazare Lévi
(sic), qui mourut à Paris, où ii exerçait le commerce, vers 1824.
Lazare Lévi avait épousé une catholique, Marie-Thérèse-Élisabeth
Mailfert, née le 2 juillet 1764, à Laon, morte à Paris le 27 mars
1833, au n° 54 de la rue Culture-Sainte-Catherine. J'ai sous les yeux
l'extrait des registres de baptême de la paroisse de Saint-Pierre-
le- Vieil, de la ville de Laon, signé de Deguin, prêtre, et constatant
le baptême de la demoiselle Mailfert, fille de Jean-Marie-François,
maître entrepreneur de bâtiments, et de Marie-Madeleine Bertou.
Il est singulier et non sans intérêt qu'un Juif italien, marchand
ambulant, ait pu épouser, vers la fin du xvme siècle, une catho-
lique française et avoir d'elle des enfants qui furent élevés dans
le judaïsme.
Sur Lazare Lévi, Mme veuve Servandio Lévy possédait une pièce
1 Voir la biographie de Lévy publiée dans les Nouvelles Annales de Mathématiques,
juin 1843.
* Description de la collection de M. Turner-Heulard, 3 vol. in-8 avec atlas; Diffe-
rential and intégral calculus ; nombreux articles dans les revues scientifiques d'Edim-
bourg, la Correspondance mathématique de Quételet, etc.
NOTES ET MELANGES 137
dont j'ai eu communication par son gendre, M. Al. Bertrand, et
d'où résulte ce qui suit :
Léon Lévi dit Lazare naquit vers 1752 à Novellara, ville qui
fat réunie au duché de Modène en 1757 et passa sous la domination
de la maison d'Esté. Vers 1768, il quitta Novellara pour exercer le
commerce et n'y revint que douze ans après, en 1780, proba-
blement sans aucun papier d'identité. Il pria alors deux notables
négociants israélites, appartenant aux premières familles de la
communauté de Novellara (mercanti ebrei e délie primarie fa-
miglie delV université di Novellara), Abram Namyas dit Isacco
Elia et Abram Segré dit Iseppe Miracolo, de comparaître avec lui
comme témoins devant le notaire public de Novellara, Vincenzo
Battistini, dans le couvent supprimé des Frères Servîtes, et
d'attester sous la foi du serment — Vuno dopo delV altro, secata
la penna alV uso ebraico — qu'il avait vingt-huit ans à peu près,
était originaire de Novellara et n'avait commis, pendant son séjour
dans cette ville, aucun acte délictueux. En foi de quoi le notaire
lui délivra un acte sur parchemin, revêtu de son sceau aux
initiales V. B.
Novellara, d'après l'annuaire israélite italien de 1901, compte
actuellement trente Israélites. Les expressions employées dans
l'acte semblent prouver que cette communauté était autrefois plus
considérable. Quant à la prestation de serment more judaico,
dont il y est question, j'éprouvais de l'embarras à en rendre compte
et me suis adressé, pour obtenir une explication, à M. le Grand-
Rabbin de Florence. M. Margoulies m'a répondu qu'il s'agit évi-
demment d'un serment par écrit et que l'expression employée « la
plume ayant été taillée, à la mode judaïque » fait allusion à l'opé-
ration que devait subir une plume d'oie pour devenir propre à
tracer des caractères hébraïques carrés. Mon correspondant
ajoute : « Aujourd'hui encore, à cet effet, on taille la plume un peu
obliquement. »
Le 14 septembre 1780, l'acte délivré par Battistini fut certifié
authentique par Blasius Beccaluva {cancellarius coadjator) et
muni d'une empreinte du sceau de la commune, Commvnitas (le
nom de la ville est illisible sur l'empreinte).
A la troisième page du même document, A. Rota, prêtre, vicaire
général de l'évêque de Reggio, archidiacre de la cathédrale,
atteste que Vincent Battistini est bien le notaire public de Novel-
lara et mérite toute créance. Cette attestation est datée de Reggio
d'Emilia, chef-lieu de la province à laquelle appartenait Novel-
lara, le 15 septembre 1780, signée d'A. Rota, suivie du sceau
du signataire : Andréas rota vicarius generalis regii et de
138 REVUE DES ETUDES JUIVES
la signature du notaire épiscopal , de la môme écriture que
l'attestation.
Au bas de la même page sont trois visas en français, établissant
que Lazare Lévi se rendit, en 1781, de Novellara en France, pour
y exercer le négoce de ville en ville :
1° Vu passer à (mot illisible) et permis d'y vendre pendant
deux jours, le 18 juillet 1781. (Signé) Deroullède com(missai)re
de police.
2° Vu passer à Montereau et permis de vendre pendant trois
jours auplus> le 22 juillet 1781. (Signé) Fauquet.
3° Vu passer à Sens, permis de vendre le 2$ juillet 1781.
(Signé) illisible, maire.
C'est sans doute au cours d'un de ses voyages que Lazare Lévi
épousa Mlle Mailfert, de Laon; je n'ai pas retrouvé Pacte de ma-
riage qui permettrait de préciser la date à laquelle un Juif pouvait,
sans se convertir préalablement, épouser une catholique.
Salomon Reinach.
BIBLIOGRAPHIE
Weinstein (N.-J.). Zur Genesis der Agada. II. Band : Die Alexandrimsche
Agada. Francfort, KaufFmann, 1900; in-8° de 275 p.
Le présent ouvrage s'annonce comme la seconde partie d'une étude
portant le titre général : Zur Genesis der Agada « Contribution à
l'histoire de la formation et du développement de la littérature tal-
mudique ». Sur la première partie, qui doit être publiée ultérieure-
ment, nous trouvons, dans la courte préface, cette indication,
qu'elle traitera de « l'Agada ancienne se mouvant dans la voie des
Sopherim ». La seconde partie a comme titre spécial : Die Alexandri-
nische Agada. L'auteur ne veut pas désigner par là l'Agada des Juifs
alexandrins, mais les éléments alexandrins de l'Agada conservés
dans la littérature juive traditionnelle, à savoir le Talmud et le Mi-
drasch. Dans son introduction (p. 9-10), l'auteur ne dit presque rien
du plan de son ouvrage. De fait, cette seconde partie se divise en
quatre études distinctes, qui n'ont entre elles qu'un lien très faible
et qui ont pour but de déterminer l'influence des idées alexandrines
sur le judaïsme palestinien et babylonien.
La première et la plus courte de ces éludes (p. 41-28) a pour titre :
Die Alexandrinische geschichtliche Agada « l'Agada historique alexan-
drine ». Mais cette étude n'emprunte ses matériaux qu'à une seule
production de la littérature judéo-alexandrine, au livre de la Sa-
pience de Salomon, qui appartient aux Apocryphes de la Bible
grecque; elle montre que dans différents passages de ce livre il y
a de Y Agada historique, c'est-à-dire des enjolivements et des déve-
loppements de l'histoire biblique, qui se retrouvent aussi dans la
littérature talmudico-midraschique. Il y a en tout douze passages
de la Sapience que l'auteur peut rapprocher de parallèles dans
l'Agada palestinienne. Mais ce n'est que pour une partie de ces
comparaisons qu'il s'agit d'Agada historique : n, 23 et suiv. (la ja-
lousie dp Satan) ; iv, 10 (l'enlèvement d'Hénoch) ; xvi, 20 (le goût de
la manne) ; xvn, 2-47 (la description de la neuvième plaie d'Egypte);
140 REVUE DES ETUDES JUIVES
xix, 7 (les miracles survenus pendant la traversée de la Mer Rouge);
xix, 16 (la bienveillance des Égyptiens au début du séjour des Israé-
lites). Tarmi les autres passages, xi, 15-20, et xvm, 4-5, se rap-
portent également au châtiment des Égyptiens ; mais il s'agit ici de
la thèse bien connue de l'Agada talmudique que Dieu mesure le
châtiment suivant la mesure et la nature de la faute. Le passage
talmudique cité pour le verset 15 du chap. xvm ressort de l'angé-
lologie et n'a aucun rapport avec l'auge exterminateur d'Egypte. Les
autres passages de la Sapience sont xvi, 5-7 (la guérison de ceux
qui furent mordus par les serpents) ; ici M. W., au lieu de la célèbre
Mischna de Rosch Haschana, ni, 8, cite le passage parallèle du Tal-
mud jérusalémite ; vn, 25 (la sagesse considérée comme reflet de
la lumière éternelle) ; ix, 8 (le prototype céleste du Temple de Sa-
lomon). Ainsi, cène sont que quelques particularités de l'Agada his-
torique sur l'Exode et sur le séjour en Egypte que l'auteur peut citer
du livre de la Sapience. Combien ces particularités semblent infimes
en regard de la masse presque inépuisable d'Agada historique que le
Talmud et le Midrasch contiennent pour ces parties du récit biblique.
Néanmoins, l'auteur croit que la priorité revient aux parallèles ci-
tés de la Sapience et que l'Agada palestinienne lui a fait des em-
prunts. Car, selon lui, ce furent les Juifs demeurant en Egypte qui
« cherchèrent à rendre compréhensible aux Égyptiens beaucoup
de récits bibliques se rapportant à l'Egypte, ou à les orner de
quelque autre façon (p. 27) ». — A la fin de la préface (p. 10),
M. W. relève encore, avec une insistance particulière, que tous les
enjolivements que les Juifs alexandrins trouvèrent bon d'ajouter
au fonds biblique, au sujet du séjour et de la sortie des Juifs
d'Egypte, ont été transplantés en Palestine, où ils trouvèrent accès
dans la littérature talmudique. Ces assertions ne sont aucunement
en proportion avec le fait que nous fournit la première étude de
l'auteur. En outre, la possibilité d'une influence de l'école palesti-
nienne sur l'auteur de la Sapience, qui permettrait d'expliquer faci-
lement ces analogies, est laissée tout à fait dans l'ombre.
La conception de M. Weinstein sur l'origine et le développement
de la littérature talmudique, à l'histoire de laquelle il prétend fournir
une contribution, est bien embrouillée; la preuve en est dans l'as-
sertion suivante (p. 13) : « Pour cette raison, parce que la Sapience a
été écrite longtemps avant Philon, il fautaussi attribuer aux traditions
agadiques et aux enjolivements historiques du livre de la Sagesse
une origine plus ancienne qu'à ceux du Talmud, car, à cette époque,
on ne trouve encore aucune trace d'une Mischna telle que celle que
nous possédons. Par conséquent, si l'on trouve dans le Talmud des
récits agadiques conçus presque textuellement comme dans le livre de
la Sagesse, nous pouvons admettre, sans l'ombre d'un doute, que ce
sont des emprunts faits au livre de la Sagesse ou, en d'autres termes,
ce sont des agadas alexandrines. » Ce serait perdre son temps que de
discuter cette assertion, caractéristique de la méthode de l'auteur.
BIBLIOGRAPHIE 141
La seconde étude (p. S9-90) porte le titre suivant : La doctrine du
Logos dans VAgada. Voici la thèse de l'auteur d'après ses propres
expressions (p. 30) : « De fait, toutes les idées sur les anges ainsi que
sur le Métatrou, lequel se substitue parfois à la Divinité, contenues
dans la littérature talmudique, ne sont autre chose qu'une imitation
exacte et précise de la doctrine philonienne du Logos dans toutes ses
formes et manifestations. » On cherchera vainement dans cette
étude, d'ailleurs assez étendue, la moindre démonstration de cette
affirmation, qui nie simplement les autres sources de la doctrine
talmudique sur les anges. Cette théorie générale est suivie d'asser-
tions particulières où l'auteur fait des rapprochements entre des
maximes de Philon et des sentences de l'Agada et établit, comme un
fait évident, la filiation entre celles-ci et celles-là. Il utilise indiffé-
remment toutes les couches de la littérature traditionnelle et il ad-
met l'influence des écrits de Philon sur toutes les générations des
Tannaïtes et des Amoraïm. On croirait vraiment que les écrits de
Philon ont été constamment lus et consciencieusement utilisés par
les maîtres de l'Agada palestinienne.
Nous allons montrer, par quelques exemples, ce que valent
quelques-unes de ces théories particulières.
En premier lieu M. Weinstein cite le passage de Philon (De Con-
fusione linguarum) où les forces agissantes de l'univers sont compa-
rées aux serviteurs du roi et où Dieu est appelé « le père de l'Uni-
vers ». Il prétend expliquer ainsi l'idée « des anges de service » ("OKb»
miari) et la dénomination de Dieu comme « Père qui est au ciel »
(p. 30). Or, ni pour la première idée (cf. Daniel, vu, 10), ni pour la
dénomination de Dieu comme « Père », nous n'avons besoin d'ad-
mettre une influence philonienne. — Suit un passage du De Somniis de
Philon (r, 22) sur les différents êtres vivants qui remplissent l'es-
pace, appelés par les philosophes ôafjiovec, par l'Écriture sainte
« anges », par Philon lui-même Xdyoï. Au sujet de ce passage, l'auteur
dit (p. 33) : « Quelque absurdes que puissent nous paraître ces
fausses doctrines, les docteurs du Talmud, qui étaient adonnés à
l'alexandrinisme, les ont adoptées complètement. » Suivant lui,
R. Jonathan (uie siècle), qui, en s'appuyant sur Ps., xxxm, 6, ex-
prime l'opinion que de chaque parole (ma^) sortie de la bouche de
Dieu naquit un ange (Hagiga, \ka), aurait été un de ces docteurs.
Que nous ayons ici une analogie très digne d'attention avec les Xdyoi
de Philon, c'est évident, mais ce n'est pas une raison pour appeler
l'auteur de cette interprétation du passage des Psaumes « un fidèle
disciple de Philon ».De même, on ne peut soutenir la dépendance des
Agadistes vis-à-vis de Philon en ce qu'ils ont dit des démons (û"HU;,
û^Ttt). D'après M. Weinstein (p. 34), « ce que Philon ne dit que d'une
manière voilée, les agadistes alexandrins le répèlent sans ambages »
(M. W. appelle « Agadistes alexandrins » les Agadistes palestiniens
influencés par l'alexandrinisme). Ce jugement, contenant d'ailleurs
en lui-même une contradiction, n'est nullement confirmé par les
142" REVUE DES ETUDES JUIVES
exemples cités par notre auteur. Même ce qu'il rapporte plus loin
(p. 35 et suiv.) au sujet des fonctions et de la hiérarchie des anges,
n'est qu'une analogie générale et ne permet pas d'admettre l'iu-
iluence de Philon sur les Agadistes. Il n'y a guère à y songer ici,
car les traits essentiels de la doctrine juive sur les anges étaient
déjà formés longtemps avant Philon.
Le rapprochement des idées philoniennes sur la lumière primitive
avec des opinions analogues exprimées par les Agadistes (p. 37-43) est
certes fort intéressant. Des deux côtés, on s'appuie sur le récit de
la création de la lumière (Genèse, i, 3). Il est fort probable que les
thèses des Agadistes ont leur origine dans l'ancienne doctrine se-
crète qui s'est fondée sur le premier chapitre de la Genèse Çnwa
mm&na). La ressemblance de ces thèses avec celles de Philon est
incontestable, mais le fait qu'il y aurait ici un emprunt à Philon et
que, dans les maximes agadiques des Palestiniens, il faut chercher
des idées philoniennes , ne peut être admis que si on est con-
vaincu a priori de cette filiation et qu'on introduit les idées de Philon
dans les paroles du Midrasch. Dans la réponse que Samuel b. Nah-
man (Gen. rabà., m, et passim) a faite à la question de la création de
la lumière, d'après Ps., civ, on ne peut, avec la meilleure volonté du
monde, reconnaître l'idée du Logos créateur. La version de la tra-
dition agadique, comme elle est présentée (p. 43) dans Tanhouma
(bîip"H, au commencement de la section, éd. Buber, § 7) n'offre pas
non plus un appui concret en faveur de celte conception, sans consi-
dérer que cette version n'est d'aucune importance vis-à-vis de la
source plus ancienne (voir Die Agada der palastinensiscken Amorâer,
I, 120, 545) pour établir l'opinion primitive des Agadistes.
Le passage du Midrasch cité p. 45, d'après Exode raàba, ch. xv,
§ 22, del'éd. "Wilna, est certainement digne de remarque, mais seuls
les esprits prévenus peuvent y trouver « toute la théorie platoni-
cienne concernant la création de l'univers ainsi que l'essence de la
doctrine philonienne du Logos dans ses contours les plus exacts ».
Ce passage du Midrasch ne peut pas, d'ailleurs, être invoqué, car il
est d'une époque très tardive et renferme tout à la fois des éléments
agadiques anciens et des idées du Se fer Yecira.
En ce qui a trait à la conception du « second Logos » ou de
l'homme primitif, M. Weinstein soutient aussi que « les docteurs de
l'Agada ont suivi leur maître », c'est-à-dire Philon (p. 47). De fait,
beaucoup de passages agadiques sur Adam donnent l'impression
que l'Agadiste avait dans l'esprit l'idée d'un type parfait de l'homme
ou de l'humanité. Il n'est pas impossible que l'influence des idées
platoniciennes ou philoniennes se soit exercée ici. Mais aucune ac-
tion directe des écrits de Philon ne peut être démontrée en cette cir-
constance. — Ce que M. Weinstein expose longuement au sujet des
interprétations du mot ûmnro (Ex., xxv, 40) est au moins superflu.
Ces interprétations n'auraient pu guère être différentes, même si
leurs auteurs, au lieu de &rp3nnr>, avaient lu ûmaann, comme le
BIHLIOGKAPHIE 143
porte le texte massorétique. En effet, le n aurait eu pour eux le
même sens que le 3 dans Wabxa (Gen., i, 26) et "ittbsrn (Gen., i, 27).
Du reste, Philou ne veut pas parler de lam&Td, comme M. Weinstein
le dit (p. 49), mais de ittbxa (Gen., i, 2) ; c'est ce terme qu'il traduit
par xax* eCxdva [Quis rerum divinarum, § 48, I, 505) ; d'autre part, dans
Exode, xxv, 40, la leçon ûmaann est également justifiée. Il est donc
à la fois fort étrange, et la phrase montre la méthode et le style de
notre auteur, de dire (p. 47) : « Et pourtant tous les Agadistes, se
plaçant au-dessus de ces faibles inexactitudes, lisent mal, sciemment
ou inconsciemment, tous les passages, pour se mettre en harmonie
avec la doctrine platonicienne des idées. »
Aux détails relatifs au « second logos » se rattachent ceux qui con-
cernent Hénoch, lequel, d'après l'auteur, obtint le rang du « second
logos », après que le premier Adam eut été « déchu de sa fonction de
Logos par le péché » (p. 45). L'identité de cet Hénoch transfiguré en
Logos avec l'ange supérieur Métatron est prouvée par M. Weinstein,
d'après le Yian nso, production d'une époque postérieure, qui lui sem-
blait propre à servir de témoignage en faveur des idées des anciens
agadistes, en tant qu'elles étaient « favorables à l'école alexandrine ».
Mais comment l'Agada alexandrine en arriva-t-elle à appeler Méta-
tron Hénoch promu au rang de Logos (p. 57)? M. Weinstein répond
à cette question par une hypothèse de Rappoport, publiée en 1838
[Kérem Ckemed,lll, 51), hypothèse d'ailleurs peu heureuse. Rappoport
fait dériver iplï^EPp de ^a forme verbale grecque (AsteTéOi), qui est usitée
dans le Sirach grec (xliv, 16) à propos d'Hénoch. Pour cela il fait de
ce mot un substantif, en lisants au lieu de 8 et en ajoutant au mot
unv. Il obtient ainsi le nom neTETéôïiv (c'est ainsi que le mot est im-
primé, en caractères grecs, dans le Kérem Chemed) et il y voit le nom
d'Hénoch ^TSBCWO W Vnaba nnD nhip êcpo pi). La transcrip-
tion du mot grec lui donne 'pnaEa^Ta, parce qu'il suppose que le *i a
été transcrit fautivement par n et parce qu'il ne tient pas autrement
compte des voyelles. Cette hypothèse de Rappoport, qui est absolu-
ment anti-scientifique, est considérée par M. Weinstein comme la
seule explication exacte du mot ïnEaitt, et il cite à l'appui toute
une série d'arguments « philologiques ». Il corrige, sans dire mot, la
faute de Rappoport et met le 0 à sa place légitime. Il ne s'inquiète
pas davantage de la lettre v ajoutée arbitrairement par Rappoport et
n'explique nullement comment une forme verbale s'est transformée
simplement en substantif. M. Weinstein ne mentionne même pas ce
qu'invoque Rappoport, que le tuTexeôri du Sirach grec (M. W. cite en-
core l'Epître aux Hébreux, xi, 5, et la Sagesse de Salomon, iv, 10) est
également la traduction des LXX de Gen., v, 24 (jieTéOïjxev). Il ne lui
vient pas plus à l'idée de songer que les Palestiniens ne lisaient pas
Sirach dans la traduction grecque, mais dans l'original hébreu et
que, par conséquent, ils n'avaient pas l'occasion de tirer de cette
forme verbale le nom de inaafc. Le fait que la traduction grecque
de Sirach était lue couramment en Palestine lui parait si naturel,
m REVUE DES ÉTUDES JUIVES
qu'il croit que la doctrine relative à Hénoch, exprimée par jiexeTé^,
est « la raison pour laquelle le livre de Sirach fut non seulement
exclu du canon, mais même compris parmi les livres sévèrement
prohibés »! — Je me bornerai à faire encore observer que dans le
Sira hébreu, ce qui correspond au grec peteTéfci, c'est lé mot Rp^?1,
c'est-à-dire le passif du mot biblique npb (Gen., v, 29).
Je laisse de côté les autres détails que l'auteur donne sur le Me-
tatron, quoiqu'il y aurait beaucoup à dire sur la manière dont il in-
terprète les passages du Talmud et du Midrasch qu'il cite. L'iden-
tité du Métatron avec l'ange Michael (p. 70) ne nous paraît pas devoir
être affirmée aussi nettement. Peu sûres sont les démonstrations de
l'auteur au sujet des passages agadiques traitant du Messie, qu'il rap-
proche de certaines théories de Philon et de passages du livre d'Hé-
noch (p. 37 et suiv). Ni son interprétation des passages agadiques n'est
suffisamment exacte, ni l'analogie qu'il prétend exister entre ceux-
ci et les idées alexandrines assez bien établie. L'auteur cite aussi
des passages du Nouveau-Testament, ce qui se comprend, car la
christologie chrétienne se rattache au Logos philonien. Mais que dire
d'une assertion comme celle-ci (p, 86) : a II est tout à fait hors de
doute que les deux auteurs, — l'auteur de l'Évangile de saint Jean
et l'auteur de la seconde Épilre aux Corinthiens, dont il cite le ver-
set, iv, 4, — ainsi que l'auteur de l'Épitre aux Hébreux étaient des
Juifs alexandrins 1 »
Dans la sentence de Siméon le Pieux (Soucca, 52 b) sur les quatre
forgerons de la vision de Zacharie (n, 3), il est vrai que Raschi inter-
prète pis 1ïT3 par Melchissédec; par suite, celui-ci se voit attribuer
un rôle messianique. M. Weinstein en profite (p. 84) pour citer aussi
Philon comme source de cette thèse (I, 4 02, éd. Mangey), parce que
Philon reconnaît aussi le Logos en Melchissédec. Mais, outre que
Philon ne donne pas encore de caractère messianique à la personne
de Melchissédec , il faut voir dans l'expression talmudique \TO
pis le grand -prêtre , descendant d'Aaron , le grand-prêtre de
l'époque messianique. L'expression est analogue à celle de miBtt
iDpls (voir la Kedouscha de l'office du samedi malin, cf. aussi Ps.,
GXXXII, 9, p*72£ iiDabi *pnD).
Ce que M. Weinstein dit à l'occasion d'une parole d'Abba b. Ka-
hana sur le nom du Messie est d'une incroyable légèreté. Voici com-
ment M. "W. reproduit cette sentence (Echa rabbati, sur i, 46, fin\
(p. 85) : « Le nom est Jahvé, car ainsi est-il dit dans l'Écriture (Jér.,
xxxiii, 46) : « Et voici le nom qui lui sera donné : Jahvé notre
Juste ». Dans la note (p. 68, note 438), le texte est ainsi conçu : ieis 'n
'H nb N-lp"1 "1©N ÏTH] (l^pIS 'H "INIp"' *1S38 MïO Ï1T1) "JEfiGIO
lapis], M. Weinstein a mis entre parenthèses la citation biblique
du Midrasch et la déclare inexacte ; la seconde parenthèse contient
la citation qu'il croit juste. Il ajoute : « La façon inexacte dont le
texte cité plus haut est donné prouve clairement qu'on voulait ab-
solument trouver ici la pensée alexandrine. » M. W. ne voit pas qu'il
BIBLIOGRAPHIE 145
s'agit non de Jér., xxxiii, 16, où il est question du nom de la Jéru-
salem future, mais de Jér., xxiii, 6. Le désir de trouver chez l'aga-
diste des idées alexandrines, aux dépens de la correction du texte
biblique, a aveuglé M. W. au point de l'empêcher de songer à ce
verset de Jérémie.
Le même désir le pousse à chercher (p. 86) chez Philon la raison
pour laquelle le nom de Cémah est donné au Messie, tandis que la
raison est clairement indiquée dans Jér., xxiii, 5, et Zach., vi, 12. —
Soutenir que les agadistes eux-mêmes donnent le mot ûip» « Lieu »,
soit au Logos, soit à l'Èlre premier lui-même (p. 88), c'est de l'arbi-
traire. Dans les passages en question, on dit seulement que Dieu
lui-même est appelé Diptt.
A la fin de l'étude sur ia doctrine de Logos dans l'Agada, M. Wein-
stein dit (p. 90) : « Cette doctrine a exercé de graves ravages dans le
sein du judaïsme palestinien et a fortement altéré la pureté de l'idée
monothéiste, car, de même que Philon, elle considérait le Logos
comme une seconde divinité et l'adorait comme telle. » L'accusation
portée ici contre Philon doit être rejetée énergiquement. Quelque
contradictoire que soit l'idée de Philon sur le Logos, on ne peut lui
contester sa foi monothéiste ou — suivant les termes de M, W. —lui
attribuer des idées polythéistes (voir aussi p. 94). — « On se trompe
absolument, dit Zeller [Die Philosophie der Griechen, III, 2, 3e éd.,
p. 378), quand on considère le Logos philonien comme une personne
distincte de Dieu et quand on admet que ce terme désigne Dieu seu-
lement sous un aspect déterminé, dans le sens de son existence.
D'après Philon, le Logos est l'un et l'autre, mais n'est aucune des
deux choses exclusivement... Philon n'a pu réussira réunir les
deux conceptions sans contradiction. A plus forte raison ne pouvait-
il, en raison de ses idées transcendantes sur la divinité et de son dé-
sir d'éviter tout contact entre Dieu et le monde, se décider à voir
dans les forces de la nature des qualités et l'action directe de la di-
vinité. Il ne lui restait donc aucune autre ressource que d'assumer
la responsabilité de ces contradictions, et il a pu le faire d'autant
plus facilement que, selon toute apparence, il ne les a pas re-
marquées. »
Ce que M. W. dit des ravages causés par la doctrine du Logos, en
Palestine n'est pas plus fondé que les accusations de polythéisme
dirigées contre la doctrine philonienne. M. W. en voulant parler de la
diffusion de la doctrine du Logos parmi les Juifs de Palestine, dit
(p. 90) : « Tous ceux qui s'adonnèrent à cette doctrine ou qui avaient
l'habitude de discuter là-dessus avec les docteurs du Talmud (Tan-
naïtes et Amoraïm) sont toujours désignés dans les écrits talmu-
diques par l'expression de « Minim ». C'est encore là une affirma-
tion non prouvée. Voyons, si dans l'étude qui suit et qui porte le
titre Die Minim, cette affirmation sera quelque peu corroborée.
Cette troisième étude (p. 91-156), malgré le développement de l'ar-
gumentation, n'ajoute rien d'essentiel à nos connaissances sur les
T. XLIII, n° 85. 10
146 REVUE DES ETUDES JUIVES
Minim de la littérature traditionnelle. Dès le commencement de ce
chapitre (p. 92), nous lisons : Dans Gen., i, 27, Philon trouve le
fondement de sa théorie du Logos et, en conséquence, il lui donne
pour auteur Moïse lui-même (De mundi opificio, I, 4) ; d'autre part,
Samuel b. Nahman, au nom de Jonathan (Gen. rabèa, en. vm), dé-
clare trouver dans Gen., r, 26, le passage biblique qui servait aux
Minim pour prouver la vérité de leurs idées fausses. « Nous voyons
par là, dit M. W., que l'école alexandrine était désignée sous le nom
des Minim. »Une telle logique n'a pas besoin d'être discutée. M.Wein-
stein ne s'inquiète pas de ce que Philon s'appuie sur un autre verset
biblique que Samuel b, Nahman et que dans la parole de celui-ci,
ce n'est pas l'idée de la « ressemblance », mais le pluriel (TOya) qui
forme le point de départ exégétique.
Le même défaut de logique se retrouve dans l'argumentation de la
page 93, mais nous n'insisterons pas davantage. A partir de la
page 95, l'auteur aborde le véritable sujet de cette étude, l'explication
du mot Minim, « dont l'étymologie n'a pas encore été établie jus-
qu'ici d'une manière satisfaisante. »
La nouvelle explication du mot nous est présentée — soyons mo-
dérés — dans une bizarre reconstruction de l'histoire de la tribu de
Siméon. Il nous faut renoncer à reproduire, même en abrégé, cet ex-
posé historique avec ses multiples digressions. La quintessence de
l'argumentation de M. Weinstein est à peu près ceci : Les Siméonites
avaient exterminé les Meïnim et s'étaient établis (en Arabie) dans
les lieux occupés par ce peuple (I Chr., iv, 41); cet événement eut
lieu à l'époque du roi Saûl. Mais comme il est aussi question des
Meïnim aux siècles postérieurs, il y a lieu de conclure que les Si-
méonites furent désignés du nom du peuple exterminé par eux. La
tribu de Siméon était turbulente dès l'époque de Moïse : « Elle était
connue dans toute la nation comme licencieuse, sans frein et aussi
sans mœurs, et on n'en parlait pas volontiers. Quand on était forcé
d'en parler dans le cours d'un récit, on le faisait d'une manière dé-
tournée et en employant d'autres noms » (p. 107). Les Meïnim
(II Chron., xxvi, 7) contre lesquels Dieu protège le roi Ousia étaient
donc des Siméonites, de même, ceux qui sont nommés dans Ezra
il, 50 (= Néh., vu, 52). Mais l'auteur de la Chronique désigne aussi
les Siméonites (p. 115) sous le nom des traiE* , par exemple
II Chron., xxvi, 8, et xx, 1. Il résulte de ce dernier passage, comparé
avec v. 10 et 22 (où, au lieu de traitt*, on nomme les habitants de la
montagne de Séïr), que les habitants de la montagne de Séïr n'étaient
pas des Edomites, mais « des Siméonites qui habitaient l'Arabie
Pétrée. » L'expédition racontée dans II Chron., xxv, 5-12, était une
expédition de représailles contre les Siméonites ; a le royaume de
Juda savait désormais que ses propres compatriotes, habitant main-
tenant la montagne de Séïr, lui avaient fait la guerre comme alliés
d'autres tribus ». Dans Isaïe, xxi, 11-12, le prophète s'adresse aux
Siméonites. Sous le roi Ezéchias, un vent de tolérance commença
BIBLIOGRAPHIE 147
à souffler en faveur des Minim (== Meïnim = Siméonites), si dure-
ment persécutés. Les « états généalogiques des Siméonites » furent
établis (d'après I Chron., iv, 42). « Mais beaucoup de Siméonites, qui
étaient connus sous le nom de Minim, restèrent dans leurs résidences
de l'Arabie du sud-ouest (sic), dans ces contrées qui étaient déjà plus
égyptiennes, comme cela résulte des sources talmudiques » (p. 122).
A partir de là, l'auteur se livre à une grande digression sur le système
du calendrier juif en citant le livre des Jubilés et le livre d'Hénoch.
Dans le « désert d'Atad », comme on le voit par j. Sanhédrin, i, 2 (pas-
sage parallèle à b. Berachot, 63 b), il y eut un sanctuaire, où la fixation
du calendrier de l'année différait de celle du judaïsme palestinien
(p. 4 41). C'était le sanctuaire des Siméonites ou Minim, qui avaient
conservé l'ancienne méthode de comput « d'après le cours du soleil »
(p. 446) et dont les descendants vivaient encore à l'époque talmudique
dans la même contrée, dans « l'Arabie Pétrée » (p. 147). A la fin, l'au-
teur nous fournit encore les révélations suivantes : « Par la guerre
qui eut lieu entre les Israélites et les Ethiopiens, dans laquelle beau-
coup de Siméonites combattirent dans les rangs des Ethiopiens
(M. W. a déduit cela de II Chron., xiv, 12, où Tù = nVW,' I Chron.,
iv, 39) nous apprenons aussi pourquoi le livre d'Hénoch, qui calcule
les fêtes juives et le calendrier de l'année d'après le cours du soleil
se trouve en langue éthiopienne. Sans doute il est possible et même
probable que le livre d'Hénoch ait été écrit à l'origine en hébreu et
qu'ensuite il ait été traduit en éthiopien pour une partie de la tribu
de Siméon qui s'était établie en Ethiopie, ce qui confirme notre ar-
gumentation, savoir que ce sont, à vrai dire, les Siméonites aux-
quels se joignirent beaucoup de Juifs alexandrins professant la
doctrine du Logos, qui, sous le nom de Minim, étaient si décriés
dans le judaïsme palestinien et dont le Patriarche combattit si vigou-
reusement l'influence néfaste. »
Cette hypothèse sur l'origine du nom de Minim et le récit des
aventures de la tribu de Siméon qui y est rattaché désarment toute
critique. C'est l'élucubration d'une imagination déréglée, le produit
de cette manie des combinaisons qui ne tient aucun compte ni de
l'histoire, ni de la géographie, ni de l'exégèse, ni de la critique, nous
allions dire ni du bon sens. Tout cela pour arriver à une explication
du mot Minim qui ne se concilie même pas avec les propres hypo-
thèses de l'auteur; car elle est, à vrai dire, en contradiction directe
avec son hypothèse sur le Logos exposée dans l'étude précédente. Si
la dénomination de Minim était, depuis une époque ancienne — dès
avant l'exil babylonien, — la désignation injurieuse des Siméonites,
elle ne peut être considérée comme la dénomination des partisans de
la théorie du Logos. Ce que M. Weinstein dit dans le passage final cité
plus haut, « qu'un grand nombre de juifs alexandrins professant la
doctrine du Logos se rangèrent parmi les Siméonites », étant une
conjecture absolument sans fondement, ne suffit pas pour établir un
lien entre ces deux hypothèses. Ainsi l'auteur se trouve avoir écarté
4i8 REVUE DES ETUDES JUIVES
lui-même une supposition par l'autre. En réalité, l'une et l'autre
manquent de tout fondement historique.
La quatrième étude, la plus étendue de l'ouvrage (p. 157-250), a
comme titre : « La lutte du Patriarche contre les idées polythéistes
essayant de pénétrer dans les écoles juives de la Palestine ». Par
idées polythéistes, l'auteur entend, comme il a déjà été dit plus haut,
les idées se rattachant à la théorie du Logos. Ces idées trouvèrent
parmi les docteurs palestiniens, Tannaïtes et Amoraïm, de nombreux
partisans, et les Patriarches, c'est-à-dire surtout Gamliel II à Jabné
et ensuite son petit-fils Juda I, dirigèrent principalement leurs efforts
contre ces théories et essayèrent de les déraciner complètement.
Telle est la pensée maîtresse qui guide M. Weinstein et qui lui sert
à expliquer les relations les plus diverses ainsi que les maximes con-
cernant les idées des docteurs palestiniens au premier siècle de l'ère
chrétienne. Il lui suffit, pour cela, de voir partout la trace de ses
Minim, c'est-à-dire des partisans du Logos, et dans le patriarcat le
défenseur du monothéisme pur. Ici non plus ce n'est pas un examen
méthodique des données contenues dans les documents originaux,
mais l'hypothèse établie a priori et donnée naïvement comme une
vérité pour expliquer le reste. Cet article est déjà trop long pour que
je puisse même analyser le contenu de ce chapitre. Obligé de me
borner je citerai seulement quelques détails. Le règlement de Gam-
liel II au sujet de l'admission à l'Académie (Berach., 28 a) vise les
Minim (p. 467 et s.), « les juifs alexandrins dont la foi monothéiste
était suspectée » (p. 174). — La défense de Juda I, de rapporter des
Halachot hors de l'Académie (Moed Katon, 16&), s'adresse « aux par-
tisans de la philosophie alexandrine » qui avaient l'habitude d'a-
border ceux qui sortaient des Académies et de leur adresser des
questions halachiques pour les amener à un entretien sur les ques-
tions défendues de leur doctrine du Logos, (p. 186). —A l'occasion du
récit concernant Aher, qui appartenait aussi aux Minim, notons cette
perle : « L'habitude de monter à cheval le jour du sabbat paraît avoir
été l'hameçon (Angelschnur) de la secte des Minim» (p. 483). — «Les
docteurs du Sud (Bar Kappara, Hoschaya), grâce à leur penchant
pour les doctrines alexandrines perdirent toute considération et toute
dignité (p. 4 88). » — Juda I résida d'abord dans le Sud de la Pales-
tine, à Lod; mais pour préserver son entourage autant que possible
de l'influence alexandrine, il dut se résoudre à fuir la région du Sud
et à fixer sa résidence dans le Nord, d'abord à Tibériade, ensuite à
Sepphoris. Il ne se rendit pas immédiatement dans cette dernière
ville, parce qu'elle n'était pas complètement pure de Minim, c'est-à-
dire de Juifs alexandrins et de leurs partisans (p. 201). — Samuel
Hakaton était « favorablement disposé pour les Minim »; non seule-
ment il approuvait leurs dogmes religieux, pour lesquels ils étaient
haïs et persécutés, mais il acceptait aussi leur doctrine du Logos,
qu'ils font remonter à Hénoch » (p. 210). — Le pieux Samuel le Petit,
dont on disait à sa mort : « Hélas pour l'humble et pieux disciple
BIBLIOGRAPHIE 149
de Hillel l'Ancien » [Sot a, 48#), était un partisan des Miniml Notre
auteur impute la même tare à d'autres Tannaïm et Amoraïm. Ainsi, il
qualifie de Min le grand Amora Simon b. Lakisch, qui pour cette
raison — je ne sais où il a pris cette indication fausse — ne reçut pas
l'ordination (p. 227). R. Méïr aussi fut réprimandé par Juda I,
lorsque, « dans le cours des ans, il manifesta publiquement ses
goûts pour les doctrines grecques, le Patriarche, veillant avec soin et
sollicitude à écarter du judaïsme toute idée polythéiste et à main-
tenir le mosaïsme dans sa pureté, au-dessus de toutes les évolutions
de l'opinion (p. 230) ». — Mais laissons là ces citations qui feront,
pour le moins, sourire ceux qui ont quelque idée exacte de l'his-
toire et de la manière de penser des Tannaïm et des Amoraïm. Il a
fallu singulièrement torturer les textes pour arriver à de pareils ré-
sultats. — Au surplus, cette étude ne paraît étendue que parce
qu'elle est grossie de nombreuses digressions très éloignées du sujet
principal. Elle ne contient que très peu de matériaux pour cette hy-
pothèse de l'auteur, que les Patriarches palestiniens jouaient le rôle
de defensores fidei contre les grands savants contemporains.
Je ne mentionnerai encore que brièvement l'appendice que
M. Weinstein a ajouté à ses études. Le titre en est : « Continuation
de cette lutte entre les partisans et les adversaires de la philosophie
religieuse de Maïmonide (p. 251-272) ». D'après M. W., Maïmonide
continue la lutte contre la théorie du Logos : « Le premier et le plus
ardent adversaire de la philosophie de Maïmonide, Abraham b. David,
était favorablement disposé pour la doctrine du Logos ou Métatron ».
L'auteur ne parle pas du tout des luttes entre les partisans et les
adversaires de Maïmonide. Par contre, il cite des passages du Zokar,
dont l'auteur a pensait au sujet du Logos comme Philon » (p. 265);
pareillement « un autre auteur qui ilorissait à la même époque mi-
cabbaliste, mi-philosophe, Abraham b. David, l'auteur de ÏEmouna
Rama, qui exprime la même pensée, mais d'une manière moins
mystérieuse (p. 269) ». On voit que sur le terrain de la philosophie
religieuse du moyen âge, M. Weinstein fidèle à ses idées, ne manque
pas d'une certaine originalité!
Dans notre analyse du contenu essentiel de l'ouvrage de M. Weins-
tein, nous avons appelé l'attention sur des points qui provoquent la
contradiction et qui trahissent le défaut de méthode scientifique.
Mais il y a encore dans cet ouvrage une foule de détails où se révèle
une science singulière!
P. 42, 1. 40, Samuel b. Isaac est appelé le fils du célèbre agadiste
Isaac, sans qu'on essaie même de justifier cette prétendue filiation.
(Voir Die Agada der palâst. : Amorâer, III, 34).
P. 63, note 76, nous cueillons l'énormité suivante : « On sait que
le S se change souvent en 8, comme on le voit par le substantif àv-
epioiio; , quand il s'unit à d'autres substantifs ou quand il est
abrégé. » Les mots composés avec «vïjp (àvSp-) proviennent donc
d'dvOpwTtoç.
150 REVUE DES ETUDES JUIVES
P. 77, note 41 fi, içç est dérivé sans plus d'explication de ïiattî,
« s'égarer ».
P. 90, note 146 (de même p. 496). L'expression Nrna&o à côté du nom
OïttB ja pn^i 'n {Pesahim, MZb) est considéré par M. W. comme une
épithète. Dans une des citations il traduit : « R. Jizchak de l'Agada »,
dans l'autre : « R. J. PAgadiste ». En réalité, «n-Ufin signifie « celui
de l'Agada », l'auteur de maximes agadiques ; de même que NrtftttfJT
(ib.) signifie « celui de la Halacha ».
P. 405, en haut : « La région que les Ammonites habitaient forme
la limite sud-ouest de la Palestine » !
P. 109. Le territoire arabe que, selon M. W., les Siméonites ont
conquis (ici M. W. suit une hypothèse bien connue de Dozy) était,
d'après la p. 409, 1. 42, presque toute l'Arabie du sud. Plus bas
(p. 4 47, l. 44), ils habitaient l'Arabie Pétrée, qui, p. 4 46, 1. 44, est ap-
pelée * l'Arabie heureuse ».
P. 442. A l'appui de la correction citée plus haut de tpaitt* en
ùm^tt (II Ghron., xx, 4), M. W. donne la règle suivante, à son avis
« inestimable », qu'il prétend avoir trouvée dans la Bible, à propos du
dénombrement des tribus ou des générations patriarcales : « Là où
une génération est désignée d'après le nom de son premier ancêtre,
ce nom se trouve toujours sous la forme du singulier, tandis que la
génération est désignée par le pluriel, parce qu'elle représente les
fils de celui qui a porté ce nom. De même qu'on ne trouve pas dans
l'Écriture sainte Erb&ruD"», au lieu de bîntt^ "^a, de même on ne
peut trouver tm&ott, au lieu de atntt ■rça ou û^ie*, au lieu de "^a
yvny, parce que cela est contraire à l'usage de la langue de cette
époque. Mais les passages où on trouve to^aatitt ou trai»? sont sûre-
ment une interpolation. » Quant à la teneur de cete règle singuliè-
rement formulée (où le mot interpolation est sans doute mis pour
corruption), nous n'en ferons pas une plus longue analyse. Mais ce
qui est dit de D^aNitt et tarara* est démontré inexact par Deut.,
il, 14 et 20. Du reste, la correction en faveur de laquelle cette règle
a été établie est depuis longtemps connue et admise d'après la Sep-
tante.
P. 158. dnN irvna "isïib, Lév., xxvi, 44. M. W. rapproche arbitrai-
rement ce passage tel qu'il est employé dans Megilla, Ma, de "W*t3îl
rma. Or, là il s'agit de Dieu qui ne brise pas son alliance avec
Israël, même après que Rome l'a assujetti ; tandis qu'ici il est ques-
tion de la rupture de l'alliance, qui est le fait de l'Israélite infidèle.
P. 167, 1. 7. « Gésarée était située sur le rive sud de la mer Médi-
terranée. » On veut parler de la partie méridionale du rivage pales-
tinien de la Méditerranée.
P. 169, note 36. Le Targoum des Prophètes est appelé pseudo-Jo-
nathan. Or, ce nom est celui du Targoum palestinien sur ie Pen-
tateuque.
P. 473, note 50. Le Tannaïte mpOETn p ""OT 'n (R. Yosé, fils de la
Damasienne, voir Levy, I, 426 a ; Die Agada der Tannaiten, I, 393)
\
BIBLIOGRAPHIE 151
est appelé par M. W. « R. José de Damas ». mpDttTtt est, selon lui,
le nom de la ville elle-même, et dans une note, il donne l'étymo-
logie suivante, exprimée laconiquement « mpo»-m — taifin ptfiE =
ptttt tsnNi ».
P. 182. « Elischa b. Abuia se plaça à la tête des Minim (ce que
M. W. déduit de Kohélet rab., sur i, 8, où awnuin "Wr n'est autre
que Aher). Il oublia que par l'union de l'Occident avec l'Orient, un
enfant était né qui prétendait posséder toutes les qualités de ses
deux pères, et que ce furent des Juifs grecs abusés et égarés qui fa-
vorisèrent cette naissance. . . ; de sorte que, désormais, il fallut plus
que jamais veiller sur la pureté de l'idée monothéiste. » — C'est un
des rares passages du livre où il est fait allusion au christianisme.
P. 188, note 98 : « Le célèbre agadiste R. Lévi bar Ghama ». Le
célèbre agadiste Lévi n'est jamais désigné avec ce nom patrony-
mique.
P. 191, 1. 16 : « Dans la doctrine platoniciennne citée plus haut
(Timée, V), il y a une attaque dissimulée contre la doctrine mosaïque,
contre le monothéisme. »
P. 220. Au cours d'une singulière dissertation sur ^pn&wriïi
(Exode., xx, 2), dans l'explication donnée à ce mot par Hanania, le
neveu de Josué b. Hanania (j. Soukka, 54 c; Pesikta R., ch. xxi fin)
se trouve l'aperçu caractéristique suivant sur la conjugaison hé-
braïque : « On sait que la difficulté des conjugaisons (sic) des verbes
hébreux consiste en grande partie en ce qu'ils sont réunis aux pro-
noms en un seul mot et sont conjugués avec eux. » Toute cette dis-
sertation est la chose la plus abstruse que l'on puisse imaginer.
Malheureusement elle est trop longue pour être reproduite ici. Or,
M. W. est tellement convaincu de son absolue justesse, qu'il ajoute :
« Nous avons ainsi la preuve qu'à l'époque de R. Gamliel II et de
son contemporain R. Akiba, le texte biblique n'était pas encore
ponctué, car, sans cela, toutes ces règles concernant la manière de
lire les mots de certains passages importants auraient été inu-
tiles. » Gomme s'il fallait encore une preuve pour établir que la
ponctuation du texte biblique n'existait pas encore au ier ni au
ne siècle !
En matière de citations hébraïques et grecques, M. W. procède avec
beaucoup de négligence. Ainsi p. 27, d'après Sota, 12 a, il cite, N3n
nT?btf "i m, au lieu deïi*m) p iï*bK 'n W «an. Dans la tra-
duction allemande du passage (p. 27, 2, 3) : R. Schimon ben Eléazar,
au lieu de R. El. b. S.
P. 67, note 87, d'après Gen. r., ch. xxi ; Pesikta, éd. Friedmann,
p. 192 a, dbi* bu) vnms, au lieu de dbu b«3 vrrrd. P. 95, en bas,
•pbio biaw, au lieu de "ptabiOE. — Pour les textes grecs, qui con-
tiennent une masse de fautes d'impression, je me bornerai à rap-
porter des citations de la Sapience.
P. 17, note 16 (Sapience, 9, 8). Après àyte <jou manque : Ouffiaanfpwv
lifpni&a ffX7ivf,c. — P. 18, note 20 (11, 20) après *pi8|i$, il manque xcà
152 REVUE DES ETUDES JUIVES
<TTa8|Aîj>. — P. 20 note 24 (16, 20 et suiv,), au lieu de oùpavou, lire oùpavoO;
au lieu de ùitfoxixxk, lire Oudataaiç; au lieu de 67reépxu>v, lire ûicepeTwv. —
P. 22 et 24 (17, 2), après dyiov (lire aywv), il manque âvojiot; au lieu de
•7te8ïiT<x, lire ite8f,Tat.
La négligence dans la traduction des textes est plus regrettable
encore que la négligence dans les citations. Dans la traduction de la
Sapience, 7, 26 et suiv., p. 16 : « Elle est la lumière luisante du
monde » ; or, l'original est ainsi conçu : àicaûYaj[x« yip èaxi cpwc&ç
dïôfou « elle est un reflet de la lumière éternelle ». On en arrive à sup-
poser que la traduction allemande de M. Weinstein est faite d'après
une version hébraïque de la Sapience, et qu'il a pris fcabny tin « lu-
mière éternelle » pour la « lumière du monde ». — 9, 8 (p. 17) : « Que
tu as possédée à l'origine ». Le texte grec porte : fjv icpoïiTofjiaaa; ait'
°OTK « que tu as préparé dès le commencement ». Ici aussi il semble
avoir traduit la version hébraïque ûip m:p. — 11, 20 (p. 18) : « Gréé
et ordonné », texte grec : ôiétaÇaç. — 18, 15 (p. 24) : « Au milieu de la
contrée coupable » ; texte grec : efc ji^ov xt^ <fteOp(<xç piç « dans le pays
voué à la ruine ». — Ibid., v. 16 : « Avec des cadavres », texte grec :
•avrffoo « avec la mort ». — Dans la traduction de la IIe Ep. aux Co-
rinth., 4, 4 (p. 81) : « Par la lumière de la splendeur de la nou-
velle du Messie » ; texte grec : tôv «pomanôv toû tb&yyt'ktoii tT,<; fofoç xoù
XpisTOû (Weizsacker traduit : « par l'évangile luisant de la splendeur
du Christ »).
P. 47, 1. 8 : « Le saint, loué soit-il, s'enveloppe d'un vêtement » ; le
texte hébreu dit ïifcbtiîa ïY'npïi Epyrû. Il traduit donc comme s'il y
avait rtabtta. Toutefois, ce passage est traduit exactement plus loin :
« comme dans un vêtement ». Peut-être aussi le mot « comme » a-t-il
été omis ici. — P. 63, note 78, il cite le passage de Sanheïrin, 38 #, et
le rend ainsi : « Dans le Talmud, dans le verset de l'Exode, 24, 1, où
il est dit : t Et il dit à Moïse : Monte vers Dieu », le pronom il est
interprété comme se rapportant au Métatron. » Or, le pronom il ne se
trouve que dans la traduction allemande de ce passage biblique. Celui-
ci dit simplement : 'T\ ba irb? T£N ïiot b&o. Dans la réponse que
R. Idit donne, en cet endroit, au Min, c'est 'n btf qui est interprété
comme se rapportant au Métatron et on dit pour cette raison que
celui-ci porte le même nom que son maître (im diûa ieiû;z5 fnOBJa ïitî.
P. 168, }"-n iliy (Berach., 28 a) seraient les valets d'armes de R.
Gamliel. Et les 'pO'nn ""byn [Berach., 27 h) sont, en réalité, « des
hommes cuirassés », « attendu que les gouvernements en question
avaient l'habitude de seconder les Patriarches palestiniens en met-
tant à leur disposition une force armée pour leur assurer de l'auto-
rité et les mettre en état de punir ». C'est la paraphrase de la pre-
mière explication donnée dans l'Aruch (s. v. OTD), mais la seconde
explication, également adoptée par Raschi, qui dit que l'expression
doit être prise au figuré, est seule exacte. C'est ce que confirme le
verbe 0"nnïi, formé du substantif grec et qui désigne la lutte de
députations savantes.
BIBLIOGRAPHIE 153
P. 200, 1. 45 : « ceci, d'après le patriarche, s'arrangerait ainsi... »
Or le patriarche (Juda II) se borne à citer une sentence de R. Eléazar
b. Pedat. — P. 204, 1. 6. D'une « peine disciplinaire qui consistait
dans l'éloignement (c'est-à-dire expulsion) du savant incriminé de la
Palestine » on ne trouve pas la moindre trace dans les textes cités
à ce propos. — La sentence d'Éléazar b. Pedat dans les deux Talmud
est mal comprise ou n'est pas comprise du tout (note 140); dans
mon article Zur Geschichte der Ordination [Monatsschrift, XXXVIII,
p. 125), j'ai donné à ce sujet d'amples détails. — P. 213, 1. 9 : « Em-
mène ton neveu hors de Palestine et viens ensuite chez moi. » Ceci
doit être la traduction des mots &m ^n» la anati {Nidda, 24 b).
Raschi explique, conformément au sens, M!-ï par Nnn « amène »
(c'est-à-dire : avec toi).
Notons encore le goût de l'auteur pour la répétition des mèmts
citations données dans le texte original et en traduction. Le célèbre
dialogue entre Simon b. Yehoçadak et Samuel b. Nahman est re-
produit deux fois (p. 17 et p. 41 ; voir aussi p. 43). Le passage
d'Exode rabba, ch. xv, mentionné plus haut, est cité trois fois dans
le texte et dans la traduction (p. 44; p. 195; p. 242), chaque fois
avec une autre traduction. V. aussi p. 18, note 18, cf. p. 49, note
38 ; p. 15, note 7, cf. avec p. 207, note 146 ; p. 204, note 240, cf. p. 227,
note 138.
Eu ce qui concerne le style, les passages que nous avons cités ont
déjà montré que l'auteur ne se distingue ni par la précision ni par
la correction. Il est souvent malheureux dans le choix de ses expres-
sions et il pèche beaucoup contre la langue et la syntaxe. Je me bor-
nerai à citer encore ces quelques exemples. La première étude com-
mence ainsi : « Par les grands progrès que la littérature orientale a
faits dans les derniers temps, il est maintenant hors de doute que le
pseudographe « la Sagesse de Salomon » est une production alexan-
drine (p. 11). » — Jbid., 1. 19 : « Toutes les divinités de l'antiquité et
parfois aussi du moyen âge. » — P. 19, 1. 2 : « La différence entre la
race helléniste et la race juive » (on veut dire « entre les Hellènes et
les Juifs »).
Je ne parlerai pas des nombreuses fautes d'impression de l'ouvrage,
mais il est désagréable de trouver plusieurs fois « theosopthisch » au
lieu de theosophisch ; que le Midrasch sur les Psaumes soit appelé
Schochar Tob, au lieu de Schocher Tob. — L'ouvrage 3p3^ "p? [En
YaJwb) est cité, p. 64, 1. 13 et 27, sous le nom « Eijin Jakob » ; ibid.,
note 81, sous celui de « Aïjin Jakob » (M. W. ne connaît-il pas Deut.,
xxxiii, 28). — Le nom de Bar Kappara (fcCisp "in) se trouve, p. 187,
sous trois formes : B. Kappara, B. Kappora, B. Kapara. — P. 22, 1. 1 :
R. Iusua; ib., 1. 5, R. Eliasar.
Dans les indications des passages, il y a aussi beaucoup de négli-
gences fâcheuses : p. 19, 1. 4, Isaïe, xx, 20, 1. Is., xxvn, 8; — p. 26,
note 41, xxi, 8, 1. xxix, 8 ; ib., note 43, d'après Soph. Sal. ; compl.
xix, 16; —p. 81, note 127, avant Épitre aux Cor., ajouter II; — p. 107,
154 REVUE DES ETUDES JUIVES
note 38, au lieu de xv, 1. xvi ; — p. 170, note 63, après Tanchouma,
ajouter : éd. Buber.
A la fin de cette analyse où je n'ai pu relever qu'une partie des
détails de l'ouvrage de M. Weinstein méritant d'être critiqués, je dois
exprimer le regret que l'auteur ait employé beaucoup de science et de
sagacité, ce qu'il est impossible de lui dénier, à poursuivre une idée
préconçue et à interpréter d'une manière forcée des textes nombreux
en vue de son système. Un manque absolu de méthode scientifique,
l'habitude de ne tenir aucun compte des travaux antérieurs, si nom-
breux en cette matière, un goût effréné pour les hypothèses, une foi
absolue en ses propres idées, une complète absence de critique dans
l'emploi des sources, tout cela fait que cet ouvrage, composé non sans
esprit, malgré la richesse des matériaux, doit être considéré comme
pauvre en résultats. L'auteur n'a pas montré qu'il ait le droit de juger
l'état présent de la science du judaïsme, comme il l'a fait au début
de son Introduction.
Budapest.
W. Bâcher.
Publications de la Société littéraire israélite
de Hongrie :
1) A zsidôk torténcte Btidapesten (Histoire des Juifs à Budapest, depuis les
temps les plus anciens jusqu'en 1867), par Alexandre Buchler. Budapest, 1901 ;
in-8° de 524 p.
2) Az 1848-49-iki magyar szabad«iàgh:ircz es a zsidok (La Révolution
hongroise de 1848-49 et les Juifs), par Bêla Bernstein, avec une préface de
Maurice Jôkai. Budapest, 1899 ; in-8# de 344 p.
3) Szcntirâs (La Bible), tomes I et II. Budapest, 1898 et 1900; in-8* de 410 et
350 p.
4) Évkiinyv (Annuaires de la Société littéraire israélite de HoDgrie), 4 vol., 1898-
1901, rédigés par W. Bâcher et J. Banogzy. Budapest, in-8* de 372, 406, 385 et
440 p.
1 ) Depuis notre dernier compte rendu (voir Revue, juillet-septembre
1897), la Société littéraire israélite de Hongrie a publié huit nou-
veaux volumes, qui attestent le zèle infatigable avec lequel elle pour-
suit son œuvre. Deux de ces volumes sont une contribution très
précieuse à l'histoire du judaïsme dans l'Europe orientale, deux
autres nous donnent le commencement de la traduction hongroise de
la Bible attendue depuis si longtemps ; les Annuaires, enfin, dans leur
riche variété, reflètent l'activité de cette Société, qui exerce une
influence si bienfaisante sur la partie éclairée des Juifs magyars.
BIBLIOGRAPHIE 155
t L'histoire des Juifs à Budapest depuis les temps les plus an-
ciens jusqu'au dualisme (1867) » est l'œuvre de M. Bùchler, rabbin
de Keszthely, et a remporté le prix Tencer. La capitale hongroise
s'appelle actuellement Budapest, mais dans l'histoire du judaïsme,
la communauté n'est pas connue sous ce nom. Jusque vers le milieu
du xviii6 siècle, l'Europe connaît bien la Kehila Ofen (Bude), puis
celle d'Alt-Ofen (O-Buda), mais ce n'est qu'au xixc siècle qu'on com-
mence à parler de celle de Pest. M. Bùchler était donc amené à di-
viser son travail, d'après le développement historique de la capitale
hongroise, en trois parties. La première, et c'est la plus importante,
est celle qui concerne Bude (Ofen — p. 1-266); puis vient celle qui
traite d'O-Buda (Alt-Ofen — p. 267-328) ; finalement, nous avons la
partie la plus récente de cette histoire : celle de la communauté de
Pest (p. 329-511).
Tous ceux qui s'occupent de l'histoire des Israélites savent que la
communauté d'Ofen était célèbre dès le moyen âge et qu'elle brillait
d'un vif éclat aux xvie et xvir3 siècles. M. Bùchler croit que les pre-
miers Juifs y arrivèrent, non pas avec les Magyars conquérants du
pays vers la fin du ixe siècle, mais seulement au xe, peut-être même
au xie siècle. C'étaient des Israélites immigrés soit des provinces
allemandes limitrophes, soit des provinces slaves. Sous la dynastie
d'Arpad (1000-1301), la communauté s'éleva au premier rang ; elle le
conserva dans les siècles suivants, car c'est elle qui était chargée de
représenter auprès des autorités les autres communautés juives de
Hongrie. Le roi Bêla IV lui octroya, par une charte datée de 1251,
certains privilèges. La synagogue construite près de la « Porte juive »
existait déjà en 1307. Le sort tolérable des Israélites de Bude devait
être connu à l'étranger, car on rencontre souvent dans les documents
des détails sur l'immigration des Juifs étrangers à Bude. Ainsi les
sources mentionnent que des Juifs français, chassés probablement
au commencement du xve siècle de leur pays, s'y établirent ; que
leur nombre était assez considérable et qu'en 1433 ils parlaient en-
core le français. Un autre fait qui prouve l'opulence de la commu-
nauté, c'est qu'au commencement du xvie siècle elle paye, sur les
2,000 florins d'impôts que la ville devait verser au trésor royal, juste
la moitié. Un de ses rabbins les plus célèbres vers la fin du xve siècle,
Akiba Kohen, est dénommé par ses contemporains : « prince de Bude ».
Malgré cette prospérité et cette renommée, les persécutions par-
tielles ne manquaient pas. Ainsi en 1495, cinq ans après la mort de
Mathias Corvin, lorsque le pays se trouva sous le sceptre des faibles
et inertes Jagellons, la populace donna la chasse aux Juifs, mais
la communauté fut protégée par Maximilien, empereur romain,
dont les descendants devaient bientôt monter sur le trône de Hon-
grie. La chronique a conservé de cette époque le nom d'un Juif con-
verti, Senior Etel ben Ephraïm, qui reçut le nom d'Eméric Szeren-
csés, obtint les plus hautes charges et se montra toujours grand pro-
tecteur de ses anciens coreligionnaires.
156 REVUE DES ETUDES JUIVES
La bataille de Mohacs (1526) mit fin à la communauté florissante de
Bude. A la nouvelle du désastre, qui soumit un tiers de la Hongrie
pour cent cinquante ans à la domination turque, une grande partie
des Juifs s'enfuirent. Ceux qui restaient remirent au pacha Ibrahim
les clefs de la forteresse. Le sultan Soliman fit son entrée dans la ca-
pitale le 11 septembre, le jour du Jeûne de Gedalia; il se montra très
bienveillant ; mais le 22 du même mois, il fit transporter sur ses ga-
lères tous les Juifs de Bude et d'Esztergom (Gran) en Turquie. « Leur
faire quitter ce pays, disait-il, c'est les délivrer de leur misère. » On
les établit à Gonstantinople, à Sophia, à Gavala, à Widdiu, à Salo-
nique et à Plewna. Le célèbre rabbin de Bude, Naftali Kohen ben
Isaac, accompagna ses fidèles à Sophia, où il vivait encore en 1532.
Peu à peu, la communauté se reconstitua. Dans un recensement
de 1580 on trouve de nouveau quatre-vingt-huit familles juives. « Si
les Magyars, dit M. Bùchler, les tondaient, les Turcs les écorchaient. »
Le quartier juif fut rétabli sous le nom de « Mahallé i jehudian »,
mais le gouvernement turc chargea plusieurs Israélites de la percep-
tion des impôts et des contributions. Les Juifs de Bude devinrent
des sujets loyaux des sultans. Ce loyalisme envers les conquérants
excita souvent la colère des Magyars. L'empereur-roi Rodolphe, à qui
on conseilla des représailles, loua, au contraire, cette fidélité en di-
sant : a Je ne doute pas que nos sujets israélites, si l'occasion se
présente, se montreront tout aussi braves et fidèles. » « Ismaël et
son gendre Esau » (c'est ainsi que les Juifs appelaient les Turcs et
l'empereur-roi) firent enfin la paix (1606); la communauté s'accrut
d'émigrés espagnols, autrichiens, polonais, moraves et même sy-
riens, de sorte qu'au xvne siècle on y célébrait le culte selon trois
rites : espagnol, allemand et syrien. Le plus célèbre rabbin de Bude
était alors Ephraïm Kohen, élu en 1666, et dont le nom était connu
partout où l'on s'occupait du Talmud.
M. Bùchler trace le tableau de la vie intellectuelle de cette com-
munauté, décrit le désastre causé au moment de la reprise de Bude
par les troupes impériales (1686), les tentatives du cardinal Kollo-
nics, qui voulait chasser les Juifs du territoire hongrois — la haine
de ce fanatique contre les protestants n'était pas moindre — et les
nombreuses vexations que les Autrichiens, devenus maitres de la
Hongrie, firent subir aux Israélites de Bude. Ici l'intérêt du volume
commence à languir; en effet, les chapitres x et xi de cette pre-
mière partie constituent plutôt l'histoire de certaines familles juives.
Nous apprenons encore que Marie-Thérèse, cette reine avisée, mais
peu scrupuleuse dans ses moyens d'action, expulse les Juifs de Bude
en 1746 et qu'ils n'obtiennent la permission d'y revenir que sous
Joseph II. Depuis la fin du xvmc siècle, la communauté s'est déve-
loppée régulièrement. Après la Révolution de 1848-49, il y avait
4,976 Israélites, mais malgré ce nombre, Bude ne jouissait plus de
la renommée qu'elle avait sous la domination turque.
La communauté d'O-Buda (AH-Ofen) se constitua lorsque Marie-,
BIBLIOGRAPHE 157
Thérèse expulsa les Juifs de Bude. Elle acquit une grande renommée
sous le rabbin Moïse Munz, originaire de Brody, élu eu 4789. Sa fa-
meuse discussion avec Chorin, l'auteur d'Emek Hachavé (1803), les
persécutions que ce dernier comme adepte des réformes dut subir,
sont les chapitres les plus intéressants de cette partie.
Là communauté de Pest prit naissance sous Joseph II, dont l'édit
de tolérance (1783) permettait aux Juifs de s'y établir définitivement.
Son grand développement, — elle compte aujourd'hui 80,000 âmes, —
est intimement lié à l'élan prodigieux de la capitale hongroise, qui,
d'après le dernier recensement, dépasse 700,000 habitants. Les meil-
leures pages de cette partie sont celles que M. Bùchler consacre à
l'activité des rabbins Wahrmann (élu en 4799), Schwab (1836) et Mei-
sel (1859) ; au mouvement réformiste inauguré par Einhorn, qui, sous
le nom d'Edouard Horn, déploya, après la Révolution, son activité
comme journaliste et conférencier à Paris. Le récit de la participa-
tion des Juifs à cette révolution aurait pu être retranché, puisque
cet épisode est traité avec tous les détails nécessaires dans le livre
de M. Bernstein.
M. Biïchler a ajouté à son ouvrage consciencieux et puisé aux
meilleures sources, un appendice où nous trouvons le texte hébreu
de certaines coutumes de l'ancienne communauté de Bude, se rap-
portant aux repas, aux fiançailles, au divorce, à l'héritage et aux
prières.
2) Le volume de M. Bernstein, rabbin de Szombathely, retrace, d'a-
près les archives de plusieurs villes et les journaux contemporains,
la part prise par les Juifs à la guerre d'indépendance de 1848-49. Peu
après la Révolution, Edouard Horn, dans un livre publié à Leipzig
{Die Révolution und die Juden in Ungarn, 4 851), avait dit que vingt
mille Juifs hongrois avaient participé à ce mouvement insurrec-
tionnel. Ce chiffre est probablement un peu exagéré. Ce qui est
prouvé, c'est que les Israélites ont déployé une grande activité au
moment de la Révolution. Ils ont donné leur sang et leur argent à
la cause magyare.
Pourtant, à l'aube même de la liberté, en mars 4 848, ils furent
massacrés, par la population, dans plusieurs villes. Lorsque la Diète
vota l'émancipation de toutes les races habitant le sol hongrois, les
Israélites seuls furent exclus de ce bénéfice. Kossuth s'y opposa,
non pas, certes, par antipathie contre la race, mais parce qu'il pré-
voyait que leur émancipation en masse susciterait la haine des
autres nationalités. Il s'en est expliqué plus tard, dans ses discours
à Londres. — M. Bernstein retrace la situation des Israélites hon-
grois avant 4 848 ; la journée du 45 mars ; les persécutions qu'ils ont
subies lorsque la Révolution éclata, persécutions tellement violentes
que plusieurs communautés pensèrent sérieusement à émigrer en
Amérique ; les difficultés que les Juifs eurent, quelques mois plus
tard, pour entrer dans la garde nationale ; le rôle qu'ils ont joué
parmi les honvéds — M. Bernstein donne la liste complète de ceux que
158 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
les documents mentionnent — ; leurs sacrifices de toute nature pour
soutenir aussi longtemps que possible la lutte ; leur résistance dans
le sud delà Hongrie à l'appel de Yillyrisme, c'est-à-dire à la coalition
des Serbes et des Croates pour combattre les Magyars ; la vengeance
des Autrichiens ; la rançon demandée par les vainqueurs aux diffé-
rentes communautés privées. Haynau seul leur imposa, outre des
contributions énormes en nature, 2,300,000 florins. Cette somme fut
réduite à un million et devait constituer plus tard le fonds d'études
dont les intérêts ont servi à la création de la première Ecole normale
primaire juive et à celle du séminaire israélite de Budapest. Le der-
nier chapitre de ce livre intéressant parle des Juifs de l'émigration
de 1849 et donne la biographie des plus illustres parmi eux.
M. Jokai, le grand romancier, témoin de cette lutte pour la liberté,
à laquelle il participa par la plume et par l'épée, a écrit une courte
préface à ce volume, où il constate qu'en Hongrie les Juifs furent
toujours les adeptes les plus fervents de l'idée nationale, de la li-
berté.
3) Une traduction hongroise de la Bible répondant aux exigences
de l'exégèse moderne et au progrès de la langue magyare, était
attendue depuis longtemps. On ne pouvait guère plus avoir recours
aux traductions des protestants et des catholiques faites aux xvie et
xvne siècles, au moment des luttes religieuses. M. Bloch (Ballagi),
qui avait entrepris, il y a cinquante ans, une traduction, n'a trouvé
nul encouragement de la part du consistoire de Pest. Aujourd'hui,
la situation a changé. On explique la Bible, dans les écoles primaires
israélites, en magyar. La traduction entreprise par la Société litté-
raire sera donc partout bien accueillie. Le premier volume, conte-
nant le Pentateuque, est dû également à M. Bernstein, dont la traduc-
tion a été revue par M. Blau, professeur au séminaire de Budapest.
Le deuxième volume, contenant Josué, les Juges, Samuel, les Rois, est
dû au rabbin Jules Fischer, ancien élève du séminaire, actuellement
à Prague. MM. Banoczi, Bâcher et Krauss ont revu sa traduction, qui
offre ainsi les garanties nécessaires au point de vue de la fidélité et
au point de vue de la langue.
4) Les Annuaires présentent le même intérêt que les années pré-
cédentes. Outre les communications relatives à la vie intérieure de
la Société, aux conférences qu'elle organise, nous y trouvons une
partie littéraire très nourrie. Nous y relevons pour l'année 1898 :
Une description des principales synagogues de V Europe, par M. L. Pa-
loczy ; M. Bâcher rend compte de l'importante découverte faite en
Egypte du Fragment de V Ecclésiastique; M. Rado retrace la carrière
du pédagogue hongrois Maurice Karman, le fondateur de l'Ecole
pratique de l'enseignement secondaire, dont on a fêté le jubilé en
1897 ; M. Kayserling parle de Noa Mordeckaï, juif américain, qui, le
premier dans notre siècle, eut l'idée de fonder un Etat juif ; M. Bûch-
ler publie des notes intéressantes sur le costume des Juifs hongrois
à la fin du xvuie siècle ; M. A. Rosenberg parle de la réception des
BIBLIOGRAPHIE 159
prosélytes dans le juîaïsme ; M. Venetianer retrace avec beaucoup de
savoir les tentatives des philologues hongrois du xvne et du xvui°
siècles dans le domaine des études comparées des langues hébraïque et
magyare; M. Waldapfel donne, d'après le livre de Banoczi, l'histoire
de l'unique Ecole normale d'instituteurs Israélites hongrois (4857-97) ;
M. Samu donne ses impressions de voyage à Jérusalem ; M. Peisner
énumère les Juifs hongrois qui durent émigrer à la suite de la Révo-
lution de 4848, et M. Bernstein parle de la réforme du culte Israélite
que cette révolution a fait naître. — Année 489^ : Balassa : L'ethno-
graphie du judaïsme hongrois ; Rosenberg : Le monothéisme et la doc-
trine de sélection ; Mandl : Kazinczy et les Juifs (Kazinczy, inspecteur
des écoles sous Joseph II, fut le premier à faire sortir les Israélites
de leur isolement et voulut les faire participer aux réformes huma-
nitaires de l'empereur) ; Goldschmied : La Renaissance allemande et
la Bible ; Bârâny : Contributions à l'histoire des Juifs à Kecskemét ;
Lôwy : Y origine du dicton: La lettre tue, l'esprit vivifie; M. Brody
trace un tableau très intéressant des Chants d'amour dans la poésie
hébraïque à V époque hispano -arabe et caractérise particulièrement
Moïse ibn Ksra et Juda Halévi ; M. Weisz donne la biographie
de Kollinszhy, le jeune rabbin tombé le 6 octobre 4848 sur les
barricades de Vienne; Neumann la nécrologie de Philippson, au-
quel le rabbin de Budapest, Kayserliog, a consacré dernièrement
une biographie (Leipzig 4898). M. Frisch dresse des statistiques très
intéressantes qui démontrent les conséquences des lois politico-ecclé-
siastiques en vigueur depuis 4 896 ; M. Vajda étudie le sort des Juifs
d'Alexandrie; M. Flesch parle de l'hospitalité dans le Talmud ;
M Bûchler des sacrifices pour les empereurs romains au temple de
Jérusalem; M. Krauss cherche dans les Livres saints des analogies
avec Vépée d'Attila ; M. Grùnhut décrit la Communauté Israélite hon-
groise à Jérusalem; finalement, M. Bâcher donne un aperçu ingé-
nieux des trois traductions juives de la Bible : les Septante, Saadia
et Moïse Mendelssohn.
Année 4900 : Havas : Petôfi (les rares passages où le grand poète
lyrique mentionne les Juifs montrent qu'il avait beaucoup de sym-
pathies pour eux) ; Bâcher : Szirach en danger (à propos des études
de M. Israël Lévi sur le texte hébreu nouvellement découvert) ;
Székely : Statistique des Juifs en Hongrie (en 4720, il y en avait 42,655;
en 4805, 127,846 ; en 1842, 244,632 ; en 4 869, 552,4 33 ; en 4 890, 725,222) ;
Acsâdy : L'esprit ecclésiastique et tes Juifs; M. Mezei décrit l'état na-
vrant des écoles juives dam la Hongrie du Nord; Kecskeméti : Sor-
ciers de Kanaan ; Bloch : Quelques feuilles antisémitiques françaises pen-
dant la grande Révolution (détails intéressants sur l'abbé Grégoire et
sur les attaques dirigées contre lui) ; Pollak : Les Juifs de Nagymar-
ton ; Kont : Eugène Manuel ; Krauss : Manuscrits hébreux dans l'an-
cienne bibliothèque de Bude ; Hazai : Prières des Sabbathariens (publie
plusieurs poésies magyares de cette secte fondée au xvne siècle par
le chancelier Péchi en Transylvanie); Stein : Optimisme religieux
160 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
(conférence faite par le savant professeur de l'Université de Berne à
Berlin) ; Schwarz : Les Juifs en Croatie ; Bùchler : De Judaeis (sur la
loi votée par la Diète hongroise en 4790-91 ); Heller : Eléments bibliques
dans les poésies de Michel Tompa ; Eisler : Les études juives d'Apaczai
(cartésien hongrois du xvne siècle, auteur d'une Encyclopédie parue
en 1655).
Année 1901 : Heller : Hommage à Vorosmarty (à l'occasion du cen-
tenaire de la naissance du grand poète national ; jugement du poète
sur les Juifs et ses propositions en leur faveur) ; Bâcher : Martyrs
juifs dans le calendrier chrétien (étude sur les Macchabées) ; Beck :
Létat actuel des Juifs en Roumanie ; Goldschmied : Le style juif;
Neumann : Nietzsche et le judaïsme ; Weisz : La société Israélite de Ko-
lozsvar (on y organise des conférences depuis deux ans); Kecske-
méti : Les Mînim (Cf. Revue des Études juives, 1899): Mandl ; L'in-
struction des Juifs hongrois sous Joseph 11 (1780-90) (étude détaillée
puisée aux archives) ; Eisler : Les grands rabbins de Transylvanie ;
Rosenberg : La légende de la création dans la Bible et chez les Grecs ;
Vajda : La mort d' 'Agrippa, roi des Juifs ; Kayserling : Luzzato et les
savants juifs de Hongrie (d'après la correspondance du savant ita-
lien) ; Pillilz : Une lettre inédite de Luzzato; Alexander : Sur le Mar-
chand de Venise, de Shakespeare (étude esthétique).
Chaque volume contient, en outre, des poésies originales ou imi-
tées des poètes juifs du moyen âge, des récits sur la vie privée en
Hongrie et les souvenirs de l'humoriste Agai sur ses parents.
Nous pouvons voir par cette simple énumération que les éditeurs
de l'Annuaire s'efforcent de donner à cette belle publication un cachet
scientifique. Les collaborateurs, pour la plupart anciens élèves du
séminaire de Budapest, montrent que l'enseignement qu'ils y ont
reçu porte les meilleurs fruits.
J. Kont.
ADDITIONS ET RECTIFICATIONS
Tome XLII, p. 195, 1. 6. Au lieu de « Nissan fut placé au dimanche »,
lire « au mardi ». — A. Epstein.
Ibid., p. 273. A l'article de M. Schwab sur « Un secrétaire de Raschi »,
comparez mon travail « Schemaja der Schùler und Secretàr Raschi's »
{Monatsschrift, XLI, p. 257 et suiv.). — A. Epstein.
Ibid., p. 276, note. M. A. Epstein, Schemaja der Schiller uni Secretàr
Raschi's, dans la Montasschrift, t. XLI (tirage à part, Berlin, 1897, p. 4),
admet, selon une donne'e de R. Jacob Tarn dans le Se fer ha-Yaschar, que
Schemaja a été le beau-père d'un petit-fils de Raschi, savoir de Samuel b,
Me'ïr. — A. Marx.
Le gérant :
Israël Lévi.
VERSAILLES, IMPRIMERIES CERF, 59, RUE DUPLESSIS.
CONTRIBUTIONS
A LA GÉOGRAPHIE DE LA PALESTINE
ET DES PAYS VOISINS
SUITE
II
LÀ GEOGRAPHIE DES TABLETTES DEL-AMARNA.
Au débat de l'année 1888 des fellahs découvrirent, sur la rive
orientale du Nil, à El-Amarna, une collection de tablettes d'argile
— troiscent vingt environ — recouvertes d'inscriptions cunéiformes,
lettres adressées au roi d'Egypte, au xive siècle av. J.-C, par des
souverains étrangers, chefs de villes palestiniennes ou syriennes,
agents royaux. Ces précieux documents, publiés et traduits par
M. Hugo Winckler, dans la Keilinscrifllichen Bibliolheli, font
connaître une série de noms de villes et de pays dont l'emplace-
ment est le plus souvent incertain. Il semble utile de reprendre
les études géographiques auxquelles ces tablettes ont donné déjà
lieu, en se plaçant à un point de vue qui n'a pas été encore envi-
sagé, en sériant les tablettes d'après les formules protocolaires
employées. L'emploi des mêmes formules par deux personnages
paraît établir entre eux un lien de voisinage ; l'usage des for-
mules les plus humbles dénote une plus grande sujétion' de l'au-
teur de la tablette à l'égard de son correspondant.
Les formules comprennent : 1° les titres du destinataire; 2° les
noms et qualités de l'expéditeur ; 3° les salutations.
1 Voir Bévue des Études juives, t. XXXV. p. 185.
T. XLIII, n° 86. Il
162
REVUE DES ÉTUDES JUIVES
A. Titres du destinataire.
Pour la clarté de cette étude, on ne considérera que les tablettes
adressées au Roi d'Egypte, et l'on adoptera la traduction et le
classement de M. Hugo Winckler.
Les formules peuvent se ramener à neuf types avec de nom-
breuses variantes.
a. Formules royales.
1. à X., Roi d'Egypte, 7, 8 du Roi de Kardouniach,
2. à X., le grand Roi, Roi d'Egypte, 10 du même,
3. à X , mon frère, 6 du môme,
4. à X., Roi d'Egypte, mon frère, ou 2, 4, 5, 9, 11 du même, 16 du Roi de
au Roi d'Egypte, mon frère,
àX., Roi d'Egypte, mon frère
mon gendre qui m'aime et que Mitani,
j'aime,
à mon Seigneur, le Roi d'Egypte, 36 de Ztd
mon père.
Mitani, 25, 2Q, 27, 28, 29 et 30 du
Roi d'Alaschia,
17. 18, 19, 20, 21, 23 et 21 du Roi de
le fils du Rui.
b. Formules vassales.
. au Roi, mon Seigneur,
39 et 40 d'Abd-Achrat d'Amour, 71,
96, 99 et 104 de Rib-Addi de By-
blos, 122 de la ville d'Irqata, 125
de Addou. . .ia et de Battiil, 131 de
Riiri amil de Khachabou, 144
de Namiavaza, 145 de X., 146 dl-
takkama, 156 d'Abimilki de Tyr,
161 d'Artamanja amil de Zirba-
cbani, 162 de Lapaja, 164 d'Addou-
acharidou, 175 d'Arzavaja, amil
de Mikhiza, 179, 180, 182, 183 et
184 d'Abd-khiba de Jérusalem, 186
de X., 187 et 188 d'Addou-mikhir,
189 de Tagi, 191 de X., 198 de
Chouvardata, 202 du Roi de Kha-
souri,203 d'Abd tiichi,amildeKha-
zoura, 220 de Chamou-Addou, amil
deCbamkbouna, 231 de Baiaja, 238
de Jama, 241 de Chipti-Addi, 242
de Chiptouri. . ., 245 de Dacbrou,
246 et 247 de Zitrijara, 250 de l'nmil
de Doubou, 251 de l'amil de Q.i-
nouou, 252 d'Abd -milki, amil de
Chaskhimi, 253 d'Amajachi, 255 de
CONTRIBUTIONS A LA GEOGRAPHIE DE LA PALESTINE
163
8. au Roi d'Egypte, mon Seigneur.
Badouza, 258 de . . .khilija, 261 de
Zichamimi, 263 de l'amil de Na-
zima, 261 de Dijati, 265 de Tagi,
268 de Soubajadi, 270, 273, 278,
279 et 285 de X.,
41 de Dounip.
c. Formules d'adoration solaire simple-
9.
10.
11.
12.
à X., le fils du Soleil, mon Sei- 138 et 139 d'Akizzi de Qalna,
gneur,
au Roi, mou Soleil,
à mon Seigneur, le Soleil,
au Roi,
Ici),
mon Seigneur, mon So-
13. au Roi, mon Seigneur, le Soleil,
14. au Roi, le Soleil, mon Seigneur,
15. au Soleil, le Roi, mon Seigneur,
le Roi d'Egypte.
93 de Rib-Addi de Byblos,
58 et 69 du même ; dans le corps des
lettres 38 d'Abd-Achrat d'Amour,
288 de X., et 289 de Addou.
63, 76, 78, 86, 94, 103 et 107 de Rib-
Addi, 119 de Hyblos 1 0 d'Akizzi
de Qatna, 153 d'Abiinilki de Tyr,
163 de Lapaja, 178 de Jabitiri (?\
181 d'Abd-khiba de Jérusalem, 194
et 195 de Biridija, amil de Makidda,
244 de Dachrou, 249 de Chalija,
256 de Moutzou. . ., fils de Lapaja,
262 de Nouourtouja . . .ma, 271
d'Abdna. . .,
98 de Rib-Addi,
38 d'Abd-Achrat,
37 de Ramman-nirari de Noukhach-
chi.
d. Formule 'polythéiste.
1G. au Roi, mon Seigneur, mes Dieux. 143 de Namiavaja.
e. Formules solaires polythéistes.
17. au Roi, mon Soleil, mes Dieux,
18. au Roi, mon Seigneur, mes Dieux,
le Soleil,
19. au Roi, mon Seigneur, mes
Dieux, mon Soleil,
151 et 152 d'Abd-milki de Tyr.
176 d'Arzavaja, 197 de Jarta (?), 260
de Rouchmania, amil de Tarouna,
149. 150, 154 et 155 d'Abimilki de
Tyr, 165, 166 et 167 de Chouvar-
data, 168, 169, 170, 171 et 172 de
Milkili, 173 et 174 de Ninour, 1~7
d'Arzavaja, 190 de Tagi, 193 de
Biridija, amil de Makidda, 199 et
200 de Ghouvardata 206 de Ja-
pakbi de Gezer, 214 de Jabitiri,
221 de Choumad 2£0 de Baiaja,
239, 240 et 275 d'Addou-daian,
248 de Zitrijara, 259 de Khiziri,
266 et 274 de Jakhzibaia, 284 de X-
164
REVUE DES ETUDES JUIVES
f. Formules solaires monothéistes.
20. au Grand Roi, mon Seigneur, mon 48, 49 el 51 d'Aziri,
Dieu, mon Soleil,
21. au Roi, mon Seigneur, mon Dieu, 42, 43 et 47 d'Aziri, 117 de X., 127 de
mon Soleil. la ville deToubikhi,132d'Ildaaja...,
amil de Khazi, 134 de ...varzana,
amil de Khazi, 192 de Biridija,232et
233deChoutarnadeMouchikhouna,
267 de Jamiouta, amil de Ga(?)da-
chouna, 283 d'Il(?)kha. . . ; dans le
corps du texte, 249 deChatija.
g. Formules au Soleil du Ciel.
22. au Roi, mon Seigneur, le Soleil 157, 158 et 159 des amils d'Akko, 228
du Ciel. de Choubandi, 254 de Jiktasou,
2ù9 de X., 272 d'Inbaouta ; dans le
corps du texte, 262 de Nouourtou-
ja. . .ma,
23. au Grand Roi, mon Seigneur, le 216 de Dagan-takala,
Soleil au Ciel,
24. au Roi, mon Seigneur, mon So-
leil, mes Dieux, le Soleil du
Ciel,
25. au Roi, mon Seigneur, mon Dieu,
mon Soleil, le Soleil du Ciel.
160 de Zitatna, amil d'Akko, 204 et
205 de Japakhi de Gézer, 207, 208,
209, 210, 211, 212 et 213 de Jitia,
amil d'AsqaloD, 217 de Zimridi,
amil de Lakich, 224, 225, 226, 227
et 229 de Choubandi, 234, 235 et
236 de Pou-addi, amil de Vourza,
213 de Chipli..,, 257 de Sourachar,
amil de . . .tiacbna, 277 de X.,
218 de Jabn-iilou de Lakich.
h. Formules au Souffle de la vie.
26. au Roi, le Souffle de ma vie, .129 et 130 d'Ammounira, amil de Be-
rout,
27. au Roi, mon Seigneur, le Souffle 129 a du même,
de ma vie,
28. au Roi, mon Seigneur, mon So- 128 du même, 147 de Zimrida, amil
leil, mes Dieux, le Souffle de de Sidon.
ma vie.
i. Autres formules.
29. au Roi, mon Seigneur, le Sei- 53, 61, 62, 70, 73, 74, 79, 85, 88 et
gneur (ou le Roi ou le Soleil) 91 de Rib-Addi de Byblos,
des pays,
CONTRIBUTIONS A LA GEOGRAPHIE DE LA PALESTINE 165
30. au Seigneur des pays, au Roi des 55, 56, (50, 64, 72, 77, 80, 81, 83, 84,
pays, au Grand Roi, au Roi de 87, 100 et 101 du même,
la bataille.
On saisit tout de suite l'importance de ces formules, en cons-
tatant qu'à Ascalon et à Akko, Ton fait usage des formules au So-
leil du Ciel, à Tyr de la formule au Roi mon seigneur, mes
Dieux, mon Soleil, à Sidon et Beyrout des formules au Souffle
de la vie, à Byblos des formules au Seigneur des pays, au Roi
de la Bataille; ainsi les nationalités s'accusent, même sur le
bord de la mer, où les différences de langage tendent à s'atténuer.
B. Signatures.
a. Formules royales.
31. renonciation du titre royal est
suivie généralement des mois,:
ton frère.
b. Signatures simples.
32. le nom sans qualificatif. 131 de Biiri..., amil de Khachabou,
132 d'Ildaja..., amil de Kbazi,
147 de Zimrida, amil de Sidon,
175 d'Arzavaja, amil de Mikhiza,
202 du Roi de Khazouri, 220 de
Chamou-Addou,amildcChamkhou-
na, 264 de Dijali.
c. Formules de politesse.
33. ton serviteur, 37 de Ramman-nirari, 41 des gens de
Dounip, 42, 43, 47, 48, 49 et 51
d'Aziri, 69, 76, 78, 86, 91, 93, 94,
98, 99, 103 et 107 de Rib-Addi,
119 et 120 de Rabimour, 138, 139
et 140 d'Akizzi de Qalna, 145 de
X., 116 d'Itakkama, 149, 150, 151,
■ 152, 153. 154, 155 et 156 d'Abi-
milki de Tyr, 161 d'Artanianja de
Zir-bacbani,162deLapaja,164d'Ad-
dou-acbaridou, 166 do Cbouvar-
dala, 173 de Ninour, 178 de X.,
179, 180, 181, 182, 183 et 184 d'Abd-
khiba de Jérusalem, 186 de X.,
166
REVUE DES ETUDES JUIVES
34. le serviteur du Roi,
35. le fidèle serviteur du Roi,
36. ton fidèle serviteur.
188 d'Addou-mikhir, 189 de Tagi,
3 91 de X. 3 98, 199 et 201 de
Chouvardatîi, 203 d'Abd-tirachi de
Khazouia, 215 et 216 de Dagan-
takala, 280 et 231 de Baiaja, 232
et 233 de Choutarna de Mouchi-
khouua, 234 de Pou-Addi de Vour-
za, 237 de Mout-Addi, 238 de Jama,
246 et 247 de Zitrijara, 250 de l'amil
de Doubou, 251 de l'amil de Qa-
nouou, 252 d'Abd-Milki, amil de
Chaskhimi, 253 d'Amajachi, 254
de Jiktasou, 255 de Badouza,258de
...khilija, 259 de Khiziri, 261 de
Zichamimi, 263 de l'amil de Nazi-
ma, 265 de Tagi, 268 de Souba-
jadi, 270 de X., 272 d'Inbaouta, 279,
284, 2S5 et 291 do X., 289 de . . .
Addou, 290 d'Akizzi,
39 et 40 d'Abd-Achrat, 221 de Chou-
mad. . ., 267 de Jamiouta, amil de
Ga(?)dachouua,
187 d'Addou-mikhir, 193, 194 et 195
de Biridija de Makidda, 244 et 245
de Dachrou,
192 de Biridija.
d. Formules cVhumilitè.
37. Ion serviteur, le soc de tes pieds,
38. ton serviteur, la poussière de tes
pieds,
39. ton serviteur et la poussière que
tu foules,
40. ton serviteur, et la poussière sous
les pieds du Roi, mon Sei-
gneur (mon Dieu, mon Soleil),
53 de Rib-Addi,
38 d'Abd-Achrat, 96 de Rib-Addi,
128, 129, 129 a et 130 d'Ammou-
nira de Berout, 143 de Namiavaju,
160 deZiatatna d'Akko, 165 et 167
de Chouvardala, 168. 169, 170, 171
et 172 de Milkili, 174 do Ninour,
190 de Tagi, 200 de Chouwardala,
206 de Japakhi de Gçzer, 214 de
Jabitiri, 217 de Zimridi de Lakich,
228 et 229 de Choubandi, 2:6
de Pou-Addi de Vourza, 239 d'Ad-
dou-daian, 241 de Chipti-Addi,
242 de Chiptouri . . . , 243 de Chip-
ti..., 249 de Chatija, 266 de
Jakhzibaia, 271 d'Abd-na..., 274
de X., 275 de ...daian, 283 de
Il(?)kha...,
163 de Lapaja,
131 de . ..varzaua de Khazi, 249 de
Chatija de. . .
CONTRIBUTIONS A LA GÉOGRAPHIE DE LA PALESTINE
167
41. le fidèle serviteur du Hoi, la pous-
sière des pieds du Roi,
la poussière de tes pieds, le sol
que tu foules,
ton serviteur, la poussière de tes
pieds, le sol que tu foules,
le serviteur du Roi, la poussière
de ses pieds, et le sol qu'il
foule,
ton serviteur, la poussière des
pieds du Roi, mon Seigneur,
mon Soleil et la terre qu'il
foule,
ton serviteur, la poussière de tes
pieds, la boue que tu foules,
47. ton serviteur, la poussière de tes
pieds, le trône sur lequel tu
sièges, le soc de tes pieds.
42
43
44.
45
40
176 d'Arzavaja, 197 de Jarta, 271
d'Abd-na . . . ,
141 de Ara. . . de Koumidi,
177 d'Arzaja, 248 » e Zitrijara, 256
de Moutzou..., 277 do X.,
157 de Sourata d'Akko, 158 et 159 de
Zatatna d'Akko,
262 de Nou(?)ourtouja. . .ma,
260 de Rouchmania de Tarouna.
144 de Namiavaia.
e. Chefs des dépôts de cavales.
48. ton serviteur, la poussière de tes 204 et 205 de Japakhi de Gézer, 207,
pieds, levaletde tes chevaux. 208,209, 210,211,212 et213de Jitia
d'Asqalon, 218 de Jabni-il ou de La-
kich, 224, 225, 226 et 227 de Chou-
bandi, 235 de Pou-Addi de Vourza,
243 de Chipti. . .,257 de Sourachar
de . . tiachna, 269 de X.
C. Salutations
a. Salutations simples.
A).
50.
51
52.
53.
à tes pieds je tombe,
aux pieds de mon
tombe,
238 de Jama, 261 de Zichamimi,
37 deRammanni-rari de Noukachchi,
125 d'Addou... et de Batiil, 175
d'Arzavaja de Mikhiza, 186 de X.,
202 du Roi de Khazouri, 237 de
MouL-Addi, 273 de X.,
aux pieds du Roi, mon Seigneur, 162 de Lapaja, 166 de Chouvardata,
je tombe, 265 de Tagi, 285 de X.,
devant le Soleii, mon Seigneur, 289 de X-,
je tombe,
aux pieds de mon Seigneur, mon .93 de Rib-Addi de Byblos, 140 d'A-
Soleil, je tombe. kizzi de Qatna.
b. Les sept salutations simples.
54. Sept fois je tombe aux pieds de 138 et 139 d'Akizzi de Qatna.
mon Seigneur.
168
REVUE DES ETUDES JUIVES
c. Les sept salutations répétées.
42 d'Aziri, 247 de Zitrijara,
55. aux pieds de mon Seigneur, sept 260 de Rouchmania de Tarouna,
fois, sept fois,
56. sept et sept fois aux pieds de mon
Seigneur je tombe,
57. aux pieds du Roi sept et sept fois 242 de Chiptouri. . . ,
je tombe,
58. aux pieds du Roi, mon Seigneur, 38 et 40 d'Abd-Achrat, 63, 85 et 104
sept et sept fois je tombe, de Rib-Addi, de Byblos, 122 des
chefs d'Irqata, 129 d'Ammounira
de Berout, 133 de X., 141 d'Ara...,
amil de Koumidi, 143 de Namia-
vaja, 149, 150, 151, 152, 153,154,
155 et 156 d'Abi-milki de Tyr, 161
d'Artanianja de Zir-bachani, 164
d'Addou-acharidou, 177 d'Arzaja,
179, 180, 181, 182, 183 et 184
d'Abd-kbiba de Jérusalem, 187 et
188 d'Addou-mikhir, 189 de Tagi,
191 de X., 203 d'Abd-tircbi de
Kbazoura, 220 de Chamou-Addou
de Cbamkbouna, 221 de Chou-
mad..., 251 de l'amil de Qa-
nouou, 252 de Abd-milki de Chas-
khimi, 253 d'Amajasi, 2Ô4 de Jik-
tasou, 255 de Badouza, 259 de Kbi-
ziri, 263 de l'amil de Nazima, 264
de Dijati, 272 d'Inbauota, 278 et
279 de X., 283 d-Il(?)kha. . .,
215 et 216 de Dagan-takala,
59
sept et sept fois aux pieds du
Grand Roi, mon Seigneur, je
tombe,
60. aux pieds de mon Seigneur le
Soleil (aux pieds du Soleil,
mon Seigneur) sept et sept fois
je tombe,
61. aux pieds du Roi le Soleil sept et
sept fois je tombe.
2. aux pieds de mon Seigneur, mon
Soleil, sept et sept fois je
tombe,
68. aux pieds du Roi, mon Seigneur,
mon Soleil, sept et sept fois je
tombe,
64. aux pieds du Roi, mon Seigneur,
le Soleil rayonnant, sept et sept
fois je tombe,
53, 70, 87 et 98 de Rib-Addi, 119 de
Rabimour,
69 de Rib-Addi,
55, 56, 60, 61, 62, 65, 72, 75, 76, 77,
78, 79, 80, 81, 83, 84, 86, 94, 99,
100, 101, 103 et 107 de Rib-Addi,
146 d'Itakkama.
58 et 73 de Rib-Addi, 163 de Lapaja,
192, 194 et 195 de Biridija, 231 de
Baija, 244 de Dacbrou, 256 de
Mouizou..., 262 de Nouourtonja-
ma,
144 de Namiavaza,
CONTRIBUTIONS A LA GÉOGRAPHIE DE LA PALESTINE
169
65. aux pieds du Roi, mon Soleil, le
Soleil du Ciel, sept et sept fois
je me jette,
66. Sept et sept fois je tombe aux
pieds du Roi. mou Seigneur,
mon Dieu, mon Soleil,
67. aux pieds du Roi, mon Seigneur,
mon Dieu, mon Soleil, le Soleil
du Ciel, sept et sept fois je
tombe,
68. aux pieds du Roi, mon Seigneur,
mes Dieux, mon Soleil, sept et
sept fois je tombe,
69. aux pieds de mon Seigneur, mes
Dieux, le Soleil, le Souffle de
ma vie, sept et sept fois je
tombe,
70. aux pieds du Roi, mon Seigneur,
mon Soleil, mes Dieux, le
Souffle de ma vie, sept et sept
fois je tombe.
211 de Jitia d'Asqalon, 217 de Ziin-
ridi de Lakicb, 229 de Choubandi,
43, 48, 49 et 51 d'Aziri, 64 et 74 de
Rib-Addi, 134 de . . .varzana de
Kbazi, 249 de Chalija,
277 de X.,
165 et 167 de Chouvardata, 168, 169,
170, 171 et 172 de Milkili, 173 et
174 de Ninour, 176 dArzavaja,
178 de X., 190 de Tagi, 193 de
Biridija, 197 de Jarta , 200 de
Chouvardata, 206 de Iapakhi de
Ge'zer, 214 de Jabitiri, 239 et 240
d'Addou-daian, 241 de Chipti-
Addi, 266 de Jakbzibaia, 274 de
X., 275 de ...daian, 284 de X.,
147 de Zimrida de Sidon,
128 d'Ammounira de Beyrout.
d. Les sept prostemements répétés dans la poussière.
71. dans la poussière des pieds du 131 de Biiri... de Khachabou, 138
Roi, mon Seigneur, sept et sept d'Ildaja... de Khazi, 232 et 233 de
fois je tombe. Cboutarna de Mouchikbouna, 247
• de Jamiouta de Ga(?)dacbouna.
e. Les sept prostemements et renversements.
72. aux pieds de mon Seigneur, je
me jette sept et sept fois de la
poitrine et du dos,
73. aux pieds du Roi, mon Seigneur,
je me jette sept et sept fois de
la poitrine et du dos,
74. aux pieds du Roi, mon Seigneur,
le Soleil du Ciel, je me jette
sept et sept fois de la poitrine
et du dos,
201 de Chouvardata, 270 de X.,
198 et 199 de Chouvardata, 207, 208,
209, 212 et 213 de Jitia d'Asqalon,
236 de Pou-Addi de Vourza, 246 de
Zitrijara,
157 de Sourata d'Akko, 159 de Za-
tatna d'Akko, 205 de Japakhi de
Gézer, 210 de Jitia d'Asqalon, 224,
225, 226 et 227 de Choubandi,
171»
REVUE DES ETUDES JUIVES
75. aux pieds du Roi, mon Seigneur,
mon Dieu, mon Soleil, le Soleil
du Ciel, sept et sept fois je
me jette de la poitrine et du
dos,
76. aux pieds du Roi, mon Seigneur,
mes Dieux, le Soleil du Ciel,
sept et sept fois je me jette de
la poitrine et du dos,
77. aux pieds du Roi, mon Seigneur,
mes Dieux, mon Soleil, le
Soleil du Ciel, sept et sept fois
je me jette de la poitrine et du
dos,
78. de la poitrine et du dos, sept et
sept fois, aux pieds du Roi,
mon Seigneur, mon Soleil, mes
Dieux, je tombe,
79. aux pieds du Roi, mon Seigneur,
je tombe sept fois aux pieds du
Roi, mon Seigneur, et sept fois
de la poitrine et du dos.
218 de Jabni-ilou de Lakicb.
158 de Zatatna d'Akko,
204 de Japakhi de Ge'zer, 228 de Chou-
bandi, 234 et 235 de Pou-Addi de
Vourza, 243 de Chipti..., 257 de
Sourachar de . ..tiachna,
230 de Baiaja, 248 de Zitrijara,
3(J d'Abd-Achrat.
Il est difficile de se reconnaître au milieu de ces formules tant
elles sont multiples. L'emploi d'une même formule par deux
personnages établit bien entre eux un lien, mais un lien fragile.
Mais lorsque ces deux mêmes personnages se rencontrent pour
employer deux et surtout trois des formules précédentes, il
devient probable qu'ils appartiennent à la même contrée. Parfois
cependant le même individu a recours à des formules différentes :
il faut donc s'attendre à trouver des zones mal délimitées, et par-
fois même se pénétrant mutuellement.
D. Palestine.
Les formules 72-79 d'aplatissement devant le roi d'Egypte
devaient être d'un usage courant dans les territoires placés
sous la dépendance immédiate de ce souverain. On les trouve
employées :
1° par les chefs d'Asqalon, de Lakicb, de Gézer;
2° par les chefs d'Akko ;
3° par les chefs de Vourza et de. . . tiachna, par Choubandi,
Chipti . . . , un inconnu (269) ;
4° par Ghouvardata, Zitrijara, Baiaja, un inconnu (270).
CONTRIBUTIONS A LA GEOGRAPHIE DE LA PALESTINE 171
Les personnages des trois premiers groupes s'adressent au Soleil
du Ciel (formules 22-25) ; ceux des premier et troisième groupes se
qualifient de valets d0s chevaux (formule 48).
Voilà donc une première région qui surgit du chaos.
Avant d'en poursuivre l'exploration, il faut toutefois écarter
une objection que ne manqueront pas de faire ceux qui attribuent
à Jabitiri le commandement des villes de Gaza et de Jaffa, se fon-
dant sur le passage de la tablette 214 : « Veuille demander le Roi,
mon Seigneur, si je garde la porte de Azzati et la porte de Ja-
pou. » Jabitiri se sert d'autres formules que les chefs d'Asqalon,
de Lakich et de Gézer. Quelle explication donner de cette ano-
malie? Soutenir que Jabitiri commandait une ville à deux portes,
différente, d'ailleurs, de Gaza et de Jaffa. Mais les villes à deux
portes étaient à l'époque excessivement rares. Josué en men-
tionne une : Schamaraï les deux portes (xv, 36) ; le Ier Livre des
Chroniques (iv, 31) en assigne une autre à la tribu de Siméon ; les
tablettes d'El-Amarna n'en signalent aucune.
Mais l'identification de Azzati et de Gaza est-elle admissible?
La distance de Gaza à Jaffa est, à vol d'oiseau, de 70 kilomètres.
Comment est-il possible de les rattacher l'une à l'autre? Asqalon
ne se dresse-t-il pas entre elles? Si Ton examine attentivement le
texte de la tablette 214, on y retrouve d'ailleurs les mêmes for-
mules, et même des phrases entières des tablettes 190 de Tagi et
239 d'Ad-doudaian. Ces personnages sont étrangers à la région du
Soleil au Ciel et des sept prosternements et sept renversements.
Azzati diffère donc de Gaza.
La contrée du Soleil du Ciel comprenat tous les dépôts des
chevaux égyptiens. Ces dépôts dnvaient êtrd échelonnés le long
d s routes; ainsi on lit dans 235 de Vourza : « (à cause de) l'en-
nemi pas à conduire la caravane à » Vourza doit être
cherché, d'autre part, dans le voisinage d'Ascalon : Pou-Addi de
Vourza (236) a près de lui ragent royal Rianap, dont la fidélité au
roi est attestée par Jitia d'Asqalon (213).
Le Chipti..., auteur de la tablette 243, semble identique à
Chipti-Addou (241), à Çhipti-Addi, de la tablette 219 trouvée à
Tel-IIesy ; il apparaît comme l'auxiliaire de Zimrida de Lakich
et devait voisiner avec lui. Peut-être doit-on le retrouver avec
un nom dénaturé par le poinçon d'Abd-khiba de Jérusalem dans
le passage suivant de la tablette 181 : « Vois, Tourbacha a été
assommé à la porte de Zilou, et le roi ne bouge pas ; vois, Zim-
rida de Lakich : ses serviteurs ont tenté de le prendre pour le
172 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
tuer; Japti-Addi a été assommé à la porte de Zilou, et le roi ne
bouge pas. »
Il convient toutefois d'observer que la tablette 217a met en
scène également Tudur-ba-zou, Ja-ab-ti-oha-oa et la ville La-
ki-chi ; ce qui amènerait à différencier Chipli-Addi de Japti-Àddi»
tout en les faisant résider l'un et l'autre dans la même contrée.
Lakich a été, on le sait, retrouvé à Tel-Hesy. Ziiou, situé dans
le voisinage, paraît correspondre à Tell en Nejileh, l'Eglon de Jo-
sué. A la même région appartient la ville de Moumouraachti (217a),
dont le nom rappelle Mo>pa<y6éi, Morasthi de VOnomasticon, patrie
du prophète Michée, localité proche de Beit Djibrin *.
Le site de . . .tiachna, — M. Winckler voudrait lire Kitiachna, —
reste indécis. Il est impossible de rien dire sur la résidence de
Ghoubandi.
Quant à Gézer, Gazri, elle jouait dès cette époque un rôle im-
portant : elle est qualifiée (239) amt-ti cliarri, servante du Roi,
comme Tyr (150), Sidon (147) et Byblos (55 et 119).
Abd-khiba de Jérusalem se plaint (180) de l'aide prêtée par Gézer
à ses ennemis : « Sache le Roi que tous les pays se sont ligués
contre moi, afin que le Roi prenne souci de sa terre. Vois la con-
trée de Gézer, celle d'Asqalon, la ville de Lakich leur ont donné
des vivres, de l'huile et tout ce qui leur faisait défaut. »
Gézer fut pris par Lapaja (163).
Les tablettes rapprochent, d'ailleurs, de Gézer différents noms.
Japakhi de Gézer signale (205) la révolte de son plus jeune frère
et l'occupation par lui de la ville Mou. . .khazi. Abd-khiba nous
montre (183) les guerriers de Gaazri (Gézer), de Giimti et de
Kiilti marchant ensemble à la conquête du territoire de Roubouti.
Addou-daian (219) associe Gézer et Khoubouti (ou mieux Rou-
bouti).
Japakhi de Gézer fait, d'ailleurs, usage de diverses formules, 19
et 24, 68 et 74, 77, ce qui dénote une situation sur la frontière de
la région considérée.
Ghouvardata , le premier des personnages du quatrième
groupe, comme Japakhi fait usage de diverses formules, 7 et 19
[au Roi, mon Seigneur, mon Soleil, mes Dieux), 68, 72 et 73.
C'est sans nul doute un voisin, voisin d'ailleurs important, à en
juger par le nombre de ses ennemis : « Sache le Roi mon Sei-
gneur que trente localités me sont hostiles(166). » Il avait pour allié
Milkiil, qui écrivait : « Sache le Roi mon Seigneur que forte est
1 Guérin, Judtfe, II, p. 328.
CONTRIBUTIONS A LA GÉOGRAPHIE DE LA PALESTINE 173
l'hostilité contre moi et contre Chouvardata (176) » ; pour adver-
saires Abd-hiba, qui mandait au roi : «Vois l'acte qu'ont perpétré
Milkivi et Chouvardata contre les pays du Roi mon Seigneur»
(183), et Lapaja, dont il salua la mort avec joie : « Lapaja est
mort qui avait pris nos villes ; vois, Lapaja était du parti d'Abd-
khiba » (165); comme centre d'opérations Kiilti, ainsi qu'en té-
moigne ce passage d'une de ses lettres : « Le Roi mon Seigneur
m'a chargé de mener la guerre contre Kiilti. J'ai fait la guerre ;
elle s'est rendue, elle est redevenue mienne, ma ville. Pourquoi
Abd-khiba a-t-il écrit aux amis de Kiilti : prenez de l'argent et joi-
gnez-vous à moi ? Sache le Roi mon Seigneur qu'Abdkhiba a pris
ma ville (165). » La prise de Kiilti est, d'ailleurs, confirmée par la
tablette 167.
Zitrijara, qui, sur deux tablettes (246 et 24S), emploie une for-
mule de sept prosiernemenls et renversements, qui s'adresse
l'une (248) au Roi, mon Seigneur, mon Soleil, mes Dieux (for-
mule 19), et compare, dans l'autre (246), le roi au Soleil dit Ciel,
est bien du même pays.
On parlera plus loin de' Baiaja, le troisième personnage du
quatrième groupe, et des chefs dAkko.
On doit signaler tout d'abord un groupement de trois person-
nages, Jabitiri, Tagi et Addou-daian. Comparez les lettres 190 de
Tagi, 214 de Jabitiri et 239 d'Addou-daian : on les dirait com-
posées par le même rédacteur. On y lit des phrases qu'on ne re-
trouve nulle part ailleurs : « Je regarde ici et je regarde là, et il
ne fait pas clair; je regarde le Roi et il fait clair. — On peut sortir
une brique de son logement, mais on ne me sortira pas de
dessous les pieds du Roi. »
Le contenu des lettres justifie pleinement le rapprochement :
ainsi 239 signale l'acte de Biia, fils de Goûlat, contre la ville de
Gézer; 214 nous montre Jabitiri gardant la porte d'Azzati et la
porte de Japou, et 178 fait connaître l'attaque de Japou par le
même Biia.
La tablette 178 paraît émaner, comme 214, de Jabitiri ; la si-
gnature a disparu, mais Fauteur relate l'envoi de son frère à Japou
pour la garde de la ville, ce qui concorde bien avec l'attribution
de deux villes à Jabitiri faite. par 214. De ces deux villes l'une,
Japou, est incontestablement JafFa, l'autre, Azzati, pourrait bien
correspondre à Azot, Esdoud, qui fut plus tard l'une des métro-
poles phiiistines.
Addou-daian devait résider non loin de Gézer, puisqu'il signale
(239) l'agression de cette ville par Biia. C'était un voisin de Jabi-
174 REVUE DES ETUDES JUIVES
tiri. Sur ses tablettes 239 . 240 et 275, il se sert des mêmes formules,
nos 19, 38 et 68, que Jabitiri. Il n'était pas très éloigné d'Asqalon,
de Vourza et de Lakich, puisqu'il fait mention de deux fonction-
naires égyptiens, Rianap, connu par des tablettes d'Asqalon
(263) et de Vourza (236); et M*ïa, nommé sur une tablette de
Lakich (218). « Elle s'est soulevée la ville Toumoarka contre moi,
et j'ai maintenu seulement la ville de Mankhatichoum pour mettre
à la disposition du Roi mon Seigneur. Mais vois, Maïa l'a prise et
y a installé son rabitsi ; mais donne l'ordre à Rianap, mon rabitsi,
de me faire restituer la ville et je la tiendrai à la disposition du
Roi mon Seigneur. » (239.)
La contrée habitée par Addou-daïan est donc bien définie ; la
carte du P. E. F. y place, entre Esdoud et Tell Djezer, un village
Moukheizin, dont le nom rappelle Mankhatichoum.
Le troisième personnage du groupe considéré est Tagi, qui
résidait à Gintikirmil : « Vois, Gintikirmil appartient à Tagi, et
les gens de Ginti sont tombés. » (185.) Il avait pour gendre
Milkiil, que l'on trouve toujours au premier plan de la scène poli-
tique. Milkiil emploie les formules 19, 38 et 68, dont se servent
Japakhi de Gézer et Chouvardata : il qualifie, dans le corps d'une
de ses lettres (169), le roi de Soleil dit Ciel, ce qui le rattache
ainsi nettement à la région examinée en premier lieu.
Il eut à lutter contre Lapaja, qui s'empara de Gézer et essaya
de s'en disculper en écrivant au roi : « Que le Roi mon Seigneur
veuille ne pas croire à ma faute. Est-ce bien, d'ailleurs, une faute de
ma part que d'être entré dans Gézer et d'avoir ordonné de raser la
ville? Que le Roi prenne tous mes biens et tous ceux de Milkili,
afin de statuer sur la conduite de Milkili à mon égard ! » Le texte
est bien suggestif: d'une part, Japakhi de Gézer n'a pas parti-
cipé à toutes ces luttes dans lesquelles s'entremêlent sans cesse
Abd-khiba, Lapaja, Chouvardata, Milkiil, Tagi, Arzavaja ; d'autre
part, il semble que le motif de la contestation de Lapaja et de
Milkiil soit précisément Gezer ; Japakhi serait donc mort avant
le déchaînement général des appétits, et Milkili lui aurait succédé
à Gézer.
Plus tard, Milkili s'allia avec les fils de Lapaja (164, 180, 182,
186), avec les fils d'Arzavaja (186), avec Chouvavdata (110, 183),
et naturellement on le retrouve aux côtés de son beau-père Tagi
(182, 186).
Les faits les plus saillants de sa vie sont :
1° sa lutte à Gézer avec Lapaja, dont il vient d'être question;
2° sa campagne avec Chouvardata : « Vois l'acte de Milkili et
de Chouvardata contre la terre du Roi : ils ont soudoyé les guer-
COxNTHIliUTlUNS A LA GÉOGRAPHIE DE LA PALESTINE 175
riers de Gaasri (Gézer), Gumti et Kiilti et pris le territoire de
Roubouti. Le territoire royal est aux mains des Khabiri. Kt voici
même qu'une ville du territoire de Ourousalim du nom de Bet Ni-
nib, une ville du Roi, est aux mains des gens de Kiilti. » (183 )
Kvilti, on le sait, est à Chouvardata, Gimti à Tagi ; Gézer appa-
raît encore ici dans la dépendance de Milkili.
3° La prise de Roubouti : « Vois l'acte de Milkili et de Tagi ;
après qu'ils eurent pris la ville de Roubouti. . . » (182.)
Baiaja, qui a été signalé plus haut comme employant une des
formules des sept prosternements et renversements (formule 78),
donne au Roi les mêmes appellations que Milkili, Jabitiri et
Addou-daian (formule 19). Il semble ne faire qu'un avec Biia, fils
de Goûlat, qui attaqua tour à tour Japou (178) et Gézer (.'39) et
devait habiter une localité située entre ces deux villes.
Akko, territoire du Soleil du Ciel, fut commandé successive-
ment par les amils Charata, ou Sourata, et Choutatna, ou Zatatna,
son fils. Cette filiation est établie par la tablette 11, qui nous a
transmis de précieux détails sur l'état du pays. Dans ce document,
le roi de Kardouniach se plaint au roi d'Egypte que des marchands
Babyloniens retenus en Kenaan — Kinakhktii — par leurs affaires
aient été attaqués dans la ville deKhi-in-na-tou-ni par les gens de
Chonoumadda, fils de Baloummii, et de Choutaatna,fils de Charaa-
toum d'Akka, dévalisés et assassinés ; deux seulement auraient
survécu, l'un, amputé de ses pieds, serait auprès de Choumadda,
l'autre aurait été, après son rétablissement, retenu au service de
Ghoutaatna. Le roi demande le châtiment des coupables, afin
d'assurer la circulation des caravanes entre les deux pays.
Ce document nous fait donc connaître un point de la grande
route des caravanes. Cette localité est également nommée par la
tablette 196 : « Zourata a pris Lapaja de Magidda et m'a dit : en
bateau, je veux l'amener au Roi ; mais Zourata Ta pris et ex-
pédié de Khinatouna chez lui, et Zourata a pris de l'argent
comme rançon de sa main. » Khinatoun ne saurait donc être
confondu avec Hannathon (Josué, xix, 14) sur la frontière de
Zabulon et de Nephtali, mais doit être cherché dans la région
compris* entre El-Lejjoun (l'ancien Meguiddo) et Akko, peut-
être à El-Harbaj de la carte du P. E. F., Tell et Herbadjeh
de Guérin * (nombreuses sources, tell peu élevé avec vestiges
d'enceinte).
1 Guérin, Description de la Galilée, I, 401.
176 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Ghonoumadda, fils de Baloummii, paraît être le même person-
nage que Chamou-Addou, amil de Chaamkhouna (120), que Chou-
mad... (121), qui se qualifie, comme Sourata (157) et Zatatna
(158, 150) d'Akko de Serviteur du Roi.
Choumad... parle de son père, probablement son aïeul, Kou-
zouna, qui pourrait avoir légué son nom à un tell situé au sud-est
d'Akko, Tell Keisan.
En parcourant le formulaire, on a pu constater la rareté de
l'emploi des formules le serviteur du Roi (formule 34) ou le fidèle
serviteur du Roi (formules 35, 36, 41). 11 semble qu'elles n'aient
eu cours que dans une région déterminée.
Biridija, amil de Makida, Makidda, Magiddo (Meguiddo, auj. El-
Lejjun), signe ton fidèle serviteur (192), ou le fidèle serviteur du
Roi (193, 194, 195^; Jarta, qui, dépouillé par les gens de Taakh...,
vient se réfugier auprès de Biridija, prend le même titre (197).
Addou-mikhir fait de même (187;. Ce p Tsonnage fut capturé en
même temps que Lapaja par Z ourata d'Akko, puis relâché contre
rançon (19G). Il est mis en scène par une tablette mutilée (185),
qui parle de Ginti-Kirmiil et de Kiilti, de Lapaja, de Milkili et de
Tagi : <r Les troupes de garnison que tu envoyais par Khaja,
mon... Addou-mikhir (les) a prises, il (les) a placées dans son
territoire dans la ville Khazati. »
L'habitat de Addou-Mikhir devant vraisemblablement être
cherché en Samarie, on se croit fondé à retrouver sous la forme
Khazati une ville d'Ephraïm. « Leurs possessions (des enfants
d'Ephraïm) et leurs résidences furent Bethel et ses filles, vers
l'orient Naaran, vers l'occident Guézer et ses filles, Schekem et
ses filles jusqu'à Ghazzaet ses filles » (I Chr\, vu, 28).
Ghazza correspond peut-être auKuriet Hajja, centre d'une vé-
ritable constellation de villages ou de ruines: Baka, el-Funduk,
Ferata, le Pirathon, dans la terre d'Ephraïm (Juges, xir, 15) —
Kuryett Jitt-Kh. Asâfeh, Kefr Kaddum.
Arzavaja (ou Arzaja), amil de Mikhiza, se dit également le
fidèle servi leur du Roi (176) : l'une de ses trois tablettes (1*77)
parle de Gazri (Gézer), et conduit à placer sa résidence dans la
région comprise entre les possessions d'Addou-mikhir et Gézer.
On est confirmé dans cette opinion par les plaintes d\ibd-khiba
contre les agissements des fils de Lapaja et des fils d'Arzava
(182), et on en vient à penser que Mikhiza doit être cherché sur
la lisière de la Samarie et dans les environs de Gézer. Or c'est
précisément de ce côté que se trouvait Maqaç du Ier Livre des
Rois.
CONTRIBUTIONS A LA GÉOGRAPHIE DE LA PALESTINE 177
« Salomon avait placé douze intendants sur tout Israël...; voici
leurs noms : Ben-Hour, préposé à la montagne d'Ephraïm, Bên-
Déqer, préposé à Maqaç, à Schaâlbim, à Beth Schémesch, à Elon,
à Beth Hanan ; Bén-Hésed, préposé à Aroubboth ainsi qu'à Soko
et à tout le pays de Héfer ; Bên-Abinadab, préposé à la hauteur de
Dor.. . ; Baana ben Ahiloud, préposé à Thaanak et à Meguiddo
et à tout Betschean » (iv, 8-12).
Ainsi, la première circonscription comprenait la montagne
d'Ephraïm, la seconde les terres des Danites, la troisième à peu
près le territoire de Manassé — Soko se retrouvant à Ghoueiké,
au sud-est de Kakoun, et le pays de Héfer étant celui du roi Ke-
nanéen, vaincu par Josué (xn, 1*7), la vallée de l'oued Fâria, —
la quatrième Dor, la cinquième Taanak, Meguiddo et la vallée de
Bethsan.
Le Livre des Rois confirme donc nos déductions sur le site de
Mikhiza, il circonscrit même le champ des recherches en excluant
la région montagneuse d'Ephraïm. On pourrait songer au site
d'El-Kubab ou à celui d'Amwas : une ruine voisine, Kh. Deir
Dâkir, fait survivre à travers les âges le nom de l'ancien inten-
dant de Salomon.
Une voisine d'Arzavaja est certainement cette Ninour dont
nous possédons deux tablettes, 173, 174, qui nous ont transmis de
précieux détails :
« Sache le Roi mon Seigneur que les SA.-GAS ont envoyé à
Aialouna et à Tsaarkha et ont pillé deux fils de Milkili » (173).
« Que le Roi sauve son pays de la main des SA-GAS, afin qu'ils
ne le pillent pas. Prise est la ville Tsapouna » (174).
Il s'agit dans le premier passage des deux villes danites, Ayya-
lon et Gorèa (Josué, xix, 41-42).
A côté des personnages qui viennent d'être passés en revue,
Lapaja joue un rôle important. Agent égyptien, tour à tour
chargé de la garde de deux villes qui tombèrent aux mains de
l'ennemi (162) et de la conduite des caravanes royales à destina-
tion de Khanigalbat et de Kardouniach(256), il passe son temps à
batailler contre Milkili, auquel il prend Gézer (163), contre Chou-
vardata, qu'il dépouille de plusieurs villes (165), contre Biri-
dija, amil de Makida, qui en référait au Roi en ces termes :
« Sache le Roi mon Seigneur que depuis le départ des troupes La-
paja a exercé des hostilités contre moi. . . Vois, il a formé le des-
sein de s'emparer de Makida » (195), et qui, malgré sa plainte,
s'en trouvait bientôt dépossédé (196), contre Zourata d'Akko,
T. XLIII, n° 86. 12
478 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
qui le fit prisonnier et ne le relâcha que moyennant une forte
rançon (196), et enfin contre les gens du pays de Gina, qui le
tuèrent (164).
Dans ses luttes, il ne paraît avoir eu qu'un allié. Abd-khiba de
Jérusalem.
On ne possède de Lapaja que deux tablettes dans lesquelles il
emploie les formules 7 et 12, 33 et 39, 51 et 63.
Lapaja laissa deux fils, qui héritèrent de ses goûts batailleurs.
Biridija de Makida les accuse de trahison (192) ; Abd-khiba lui-
même porte contre eux pareille accusation et dénonce comme
leurs complices Milkili (180), les fils d'Arzavaja et Milkili (182).
Addou-acharidou se plaint longuement au roi des menaces qu'ils
lui ont adressées. « Ainsi m'ont parlé les deux fils de Lapaja :
exerce hostilité contre les gens du pays de Gina, parce qu'ils ont
tué notre père. Si tu t'y refuses, nous sommes tes ennemis. Que
le Dieu(?) du Roi mon Seigneur me garde d'exercer des hostilités
contre les gens du pays de Gina ! Et qu'il plaise au Roi, mon
Seigneur, envoyer un de ses grands à Namiavaja1, lui donner
l'ordre : (entre en campagne) contre les deux fils de Lapaja ou tu
es un rebelle » (164).
Cette tablette permet, d'ailleurs, de compléter le portrait de
Lapaja : « Et ils m'ont dit (les fils de Lapaja) : exerce hostilité,
comme notre père, contre le Roi ton Seigneur, lorsqu'il campait
vis-à-vis la ville Ghou-na (?) et la ville Bour... et la ville Kha-
rabou. . . et les dépeuplait et la ville Gitirimou. . . »
On ne peut s'empêcher de rapprocher ce dernier nom de la Gat-
Rimmon danite (Josué, xix, 45), que M. Clerraont-Ganneau * pro-
pose de placer à Ramleh ; Kharabou de El-Khurab au nord de
Ludd, Bour. . . du Benê-Beraq danite (Josué, xix, 45). Toutes ces
localités rentrent bien dans le cadre des exploits de Lapaja.
Le nom de Gina rappelle celui de Val-de-Qana, qui formait la
frontière de Manassé (Josué, xvi, 8 ; xvn, 9), le Wadi-Kanah de
la carte du P. E. F.
On possède une tablette de Moutzou..., fils de Lapaja, accusant
réception d'un ordre du roi lui enjoignant de conduire une cara-
vane dirigée sur Khanigalbat : il emploie les formules 12, 43 et 63.
En regard des principaux personnages dont on a retracé le
rôle se place Abdkhiba du pays et delà ville d'Ourousalim-Jérusa-
lem. Il se différencie d'eux par une certaine dignité ; il emploie
généralement les formules les plus simples : 7, 33, 58.
1 Namiavaza opérait dans les environs de Makida (159).
1 Glermout Ganneau, Recueil d'archéologie orientale, III, 273.
CONTRIBUTIONS A LA GÉOGRAPHIE DE LA PALESTINE 179
Ce n'est pas un prince (khazianu) : « Ce pays de Jérusalem ni
mon père ni ma mère ne me l'a donné, le puissant bras du Roi
me Ta donné (180) ; je ne suis pas prince, je suis un Ou-i-ou du roi
qui lui paie tribut » (181). C'est, en quelque sorte, un gouverneur
de province, visité par des rabitsou : « Aussi vrai que le Roi vit,
parce que j'ai dit au rabits du Roi mon Seigneur... » (179) ;
«jusqu'à l'arrivée de Paouroule, rabits du Roi, à Jérusalem, Adaja
avec la garnison s'était mis en rébellion contre le Ou-i-ou. . . du
Roi. Sache le Roi qu'il m'a dit : Adaja s'est détaché de moi, ne la
lui abandonne pas (la ville) » (180); « lorsque. . . le rabits du Roi
vint à moi, je lui ai donné 13. . . et. . . esclaves. Lorsque Chota, le
rabits du Roi, vint à moi, je lui ai donné, à Chouta, en cadeau pour
le Roi mon Seigneur 21 femmes esclaves. . . 20. . . » (181) ; « il n'y
a pas de garnison du Roi ici. Aussi vrai que le Roi vit, si Pouourou
vient à la cour, il m'a abandonné, il est en Chazati. Puisse le Roi
m'envoyer une garnison pour défendre le pays ! Tout le pays du
Roi va être perdu. Envoie Jankhamou, afin qu'il veille sur le pays
du Roi » (182).
Abd-khiba ne désigne pas les ennemis par les idéogrammes dont
la lecture phonétique matérielle serait SA-GAS. Il les appelle, et
il est le seul à les appeler ainsi, des Khabiri.
« Parce que j'ai dit au rabits du Roi mon Seigneur pourquoi
favorisez-vous les Khabiri » (179)? « Les Khabiri dévastent tout
le pays du Roi » (1*79).
« Vois, cet acte est un acte de Milkiil et un acte des fils de La-
paja, qui livrent le pays du Roi aux Khabiri » (180).
« Maintenant les Khabiri occupent les villes du Roi » (181).
« Car s'il n'y a pas de troupes, le pays va tomber aux mains des
Khabiri » (183).
Dans une de ses lettres (180), Abdkhiba parle à deux reprises
des Kachi. Après avoir dénoncé l'acte de Milkiil et des fils de La-
paja, livrant la terre du Roi aux Khabiri, il écrit : « Vois, ô Roi
mon Seigneur, je suis innocent au sujet des Kachi (amilûti
Kachi). »
Et plus loin : « Et si l'on a perpétré une mauvaise action contre
les gens du pays Kachi-amilûti (mâtu) Kachi- les gens du
pays Kachi-amili (mâtu) Kachi- dans mon territoire. »
L'on ne peut s'empêcher de rapprocher de ce passage cet autre
de la tablette 181 du même Abd-khiba : «Aussi longtemps que des
vaisseaux étaient sur mer, le puissant bras du Roi a maintenu le
pays Na-akh-ri-ma et le pays Ka-ach-si, mais maintenant les
Khabiri occupent les villes du Roi. »
180 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
On verra plus loin que les pays de Naakhrina et de Kaachsi
doivent être cherchés dans la Syrie centrale et dans la région du
Gasius. Abd-khiba oppose donc à une époque où la puissance de
l'Egypte était reconnue par les régions reculées de la Syrie, la
situation du pays à l'heure où il écrivait, mais l'on ne saurait rien
dire sur l'origine des bandes Khabiri, SA-GAS, GAS, Ghouti, qui
pillaient telle ou telle région.
Un passage de la tablette 180 fait bien saisir toute l'étendue de
la zone d'action d' Abd-khiba : « Vois le territoire de Gazri (Gézer),
celui d'Asqalon et la ville de Lakich leur ont donné vivres, huile
et tous leurs besoins. »
Par suite, le secteur dans lequel doivent être cherchées les loca-
lités énumérées sur les tablettes d'Abd-khiba paraît être borné,
au nord, par la ligne Ramleh-Jérusalem, et au sud par la ligne
Tell-Hesi- Jérusalem .
La plaine de Jalouna, où la caravane du roi est pillée (180),
doit correspondre à la campagne de Yalo.
Le territoire de Ghiiri qui tombe jusqu'à Ginti-kirmiil aux
mains de l'ennemi (181) est la région comprise entre le mont
Séir1 (Josué, xv, 10) et Gath, entre l'oued el Hamar et l'oued
es Sourar.
Bit Ninib, que la tablette 183 place dans le territoire de Jéru-
salem, ville d'un dieu solaire babylonien, a été rapproché par le
R. P. Lagrange2 de Beth-Chémech (I Sam., vi, 9), Ir Ghémech
de Dan (Jos., xix, 41), aujourd'hui Ain Schems. Cette idée est
bien séduisante ; il est toutefois permis de se demander si le pas-
sage déjà rappelé de la tablette 183 permet de l'accueillir : Beth
Ninib y est représentée comme plus voisine de Jérusalem que le
territoire de Roubouti, conquis par les guerriers de Gézer, de
Gimti et de Kilti. Où était ce territoire de Roubouti? On ne le sait
pas. On pourrait rapprocher de ce nom Yarmout (Josué, xv, 35),
aujourdhui Kh. el-Yarmouk, ou encore songer à Harabba (Josué,
xv, 60), que nous avons proposé de retrouver à Sethaf 3. Dans un
cas comme dans l'autre, la prise de la localité correspondant à
l'Ain-Schems actuel n'aurait pu être considérée comme une aggra-
vation de la situation créée par la conquête du territoire de Rou-
bouti. D'autre part, la tablette 1*73 nous montre Tsarkha, aujour-
d'hui Surik, voisine d'Ain-Schems, dans la sphère d'action des
fils de Milkili et, par conséquent, de Gézer; comment expliquer
1 Revue, XXIX, p. 175 : Marinier, Nouvelles recherches géographiques sur la
Palestine.
■ Revue biblique, 1899, p. 130.
» Rtvu*t XXIX, p. 177.
CONTRIBUTIONS A LA GÉOGRAPHIE DE LA PALESTINE 181
la prise de Bit Ninib par les gens de Kilti et non par ceux de Gézer
(183) ? Pour ces différentes raisons, il semble qu'il faille renoncer
à l'identification de Bit Ninib avec Ain-Schems.
On a proposé de retrouver Kilti dans Qeïla(Jos.,xv,44; ISam.,
xxiii, 3), auj. Kh. Kila. On ne saurait se ranger à cette opinion :
en voyant Lapaja dépouiller Chouvardata de plusieurs de ses
villes (165), il faut chercher pour Kilti un site moins éloigné vers
l'est. Ce site, si Ton admet l'identification proposée plus haut
pour Moumourachti, devait se trouver au nord de Beit-Djibrin. On
pourrait songer à une localité du Djebel Khulil, Deir Doubban, où
se trouvent des latonies analogues à celles de Beit Djibrin. Gimti,
dont les guerriers sont encadrés par ceux de Gézer et de Kilti
(183), pourrait être placé, ainsi que nous l'avons proposé ', au Kh.
el-Mensîyeh.
La ville de Tyr faisait bien partie de la région palestinienne.
Abdmilki de Tyr emploie le plus souvent la formule 19, au Roi
mon Seigneur, mon Soleil, mes Dieux, comme Chouvardata, Ar-
zavaja, Ninour, Biridija, Japakhi, Biridija, Addou-daian, etc. 11
n'en est pas de même de Sidpn et de Béryte, où l'on ne connaît
que les formules au Souffle de la vie. Entre Tyr et Sidon il y a
donc une frontière nettement marquée.
Avant de la franchir, il convient de dresser l'inventaire des ta-
blettes d'El-Amarna appartenant à la Palestine. Le recueil de
Winckler semble, à première vue, les ranger dun° 149 au n° 293.
Aux quatre-vingt-huit tablettes, dont l'origine palestinienne a été
ci-dessus nettement reconnue, on peut ajouter :
N° 254 de Jiiktasou, qui s'adresse au Soleil du Ciel.
N° 262 de Nou(?)-our-tou-ja.. . ma, qui donna au roi d'Egypte le
même titre.
N° 269 de x, valet des chevaux, qui agit de même.
N° 270 de x, qui emploie la formule des sept prosternements et
des sept renversements.
N° 272 et 277 de Inbaouta et de a?, qui s'adressent au Soleil du Ciel.
N° 266 et 274 de Jakhzibaia, qui, sur la tablette 274, donne au roi
le titre de Soleil du Ciel.
N° 284 de x, qui offre les analogies de rédaction les plus frap-
pantes avec les deux tablettes précédentes.
N° 259 de Khiziri, qui déclare fournir appui à Maia, le rabits
royal, dont on a relaté les rapports avec Jabni-il de
Lakich et Addou-daian.
1 Revue, XXXIV, p. 58 : Marmier, La Schefela et la Montagne de Juda.
182 REVUE DES ETUDES JUIVES
Nos 246, 247 et 248 de Zitrijara, qui pratique les sept prosterne-
ments et les sept renversements.
Nos 244 et 245 de Dachrou, qui s'intitule, comme Biridija de Ma-
kida, Arzavaja, Jaarta, Addou-mikhir, etc., le fidèle ser-
viteur du Roi ; — la tablette 245 reproduit identique-
ment, sauf le nom, la tablette n° 187 d'Addou-mikhir ;
on peut donc tenir Dachrou pour un voisin immédiat et
en faire conséquemment un habitant du territoire qui fut
plus tard la Samarie.
N° 278 de x. — Cette tablette est la reproduction exacte de la
tablette n° 244.
Ceci porte à cent quatre le nombre des tablettes provenant de
la Palestine. L'origine d'une quarantaine reste indécise.
G. Marmier.
(il suivre.)
CULTES ET RITES SYRIENS DANS LE TALMUD
La question des rapports des Juifs avec les polythéistes au mi-
lieu desquels ils vivaient a été Tune des préoccupations domi-
nantes des docteurs de l'âge talmudique ; ils l'ont résolue, comme
l'on sait, dans le sens le plus restrictif, et le traité Aboda Zara
nous a conservé la longue liste des mesures qu'ils ont édictées
pour éviter à Israël toute contamination avec l'idolâtrie. Ces
prescriptions, qui prêtent à d'intéressantes comparaisons ! avec
celles que le christianisme élabora à la même époque et dans le
même but, ont un caractère essentiellement pratique. Faites pour
protéger le fidèle contre tout contact impur, elles condamnent en
bloc le paganisme haï et ne nous donnent que par exception des
renseignements explicites sur l'ennemi qu'il s'agit de combattre :
rares sont les bonnes fortunes telles que la conservation du ca-
talogue des « pratiques amorhéennes2 », document si important
pour l'histoire de la religion et de la magie populaires en Syrie.
Mais, quand même il se borne à citer incidemment quelque
culte païen, le Talmud est une source d'informations qui mérite
de ne pas rester inaperçue. Étant donnés le naufrage total des lit-
tératures sémitiques non monothéistes (nous n'avons plus de
l'œuvre des écrivains de langue araméenne que ce que TÉglise et
la Synagogue nous ont conservé), et l'extrême pauvreté de l'épi-
graphie indigène de la Palestine et de la Syrie centrale et septen-
trionale, nous ne possédons guère, sur les religions syriennes de
l'époque gréco-romaine, que les renseignements fournis par les
textes (épigraphiques ou littéraires) de langue grecque ou latine.
Le Talmud permet de suppléer, sur quelques points, au silence de
la tradition indigène dont il nous donne un reflet direct. Contem-
porains et compatriotes de ces Syriens qui ne nous sont plus
visibles que sous un déguisement exotique, les docteurs de la
Mischna nous fournissent parfois le moyen de nous représenter,
1 Voir Le Blanjt, Journal des Savants, 1890, pp. 309-20.
* Tosefta Schabbat, vi et vu.
184 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
sous leur aspect sémitique, des faits qui ne nous apparaissaient
que réfractés par l'atmosphère gréco-latine.
I. La Triade héliopolitaine.
Il y a quelques années, le premier supplément du t. III du
Corpus inscriptionum latinarum rééditait1, avec un commentaire
d'Hoffmann, une inscription d'Athènes déjà connue par le AéXxiov2 ;
c'était une dédicace au Jupiter d'Héliopolis, à Vénus et à Mercure.
La mention de ce dernier dieu était particulièrement intéressante,
le Zeus de Ba'albek étant connu de longue date, ainsi que sa parèdre
Vénus 3 ; plus remarquable encore était le groupement des trois
divinités, dont on ne pouvait cependant conclure à la réalité d'une
triade fixe héliopolitaine, l'association de Mercure au couple Jupi-
ter-Vénus* pouvant être fortuite. Tout doute à cet égard a été levé
par la publication, faite presque simultanément par les Pères Ron-
zevalle5 et Lammens6, d'une dédicace en termes identiques trouvée
à Deir-el-Qal'a. Aucun des deux éditeurs n'avait reconnu le nom de
Mercure, dont les deux premières lettres subsistent seules; la res-
titution qui fixe le sens du texte a été proposée indépendamment
par Paul Perdrizet7 et Franz Gumonts, le premier rappelant
l'inscription athénienne, et le second signalant une dédicace de
Zellhausen en Hesse 9, consacrée à Jupiter Optimus Maximus
Heliopolitanus, à Vénus et à Mercure. L'accord de ces documents
de provenance géographique si différente suffirait à prouver que,
1 CIL, III, SuppL, I, 7280.
» AeXtiov, 1888, p. 190.
3 Le Jupiter heliopolitanus apparaît sur de nombreux monuments de l'époque ro-
maine (cf. Drexler, s. v. Heliopolitanus, Roscher's Lexikon, t. I, col. 19S7, et les
travaux de Perdrizet, Cumont, Ronzevalle, cités plus loin). Sa compagne est nommée
dans un texte littéraire du milieu du ive siècle [Anonymi totius orbis descriptio, ap.
Geogr. gr. minores, II, p. 518), dans le titré du chapitre d'Eusèbe où est racontée
la dévastation du sanctuaire héliopolitain {Vie de Constantin, II, 53) et dans l'ins-
cription de Carnuntum (u. 4).
* Une inscription de Carnuntum [CIL, III, SuppL, III, 1139) associe le Jupiter
d'Héliopolis à la Vénus qualifiée de victrix.
5 Comptes rendus de VAc. des Inscr., 1900, p. 255.
6 Musée belge, 1900. p. 302, n° 39.
7 Comptes rendus de VAc. des Inscr., 1901, p. 131, et Revue des études anciennes,
1901, p. 258.
8 Musée belge, 1901, p. 149.
9 Westdeutsche Zeitschrift, Korrespondenzblatt, XVI, 1897, p. 172 == Brambach,
CIRh, 1048. La lecture de ce texte difficile est due à Domaszewski, qui a cru re-
trouver dans Mercure le Wodan des Germains et considérait son association à
upiter et à Vénus comme le signe d'un singulier syncrétisme sémito-germanique.
CULTES ET RITES SYRIENS DANS LE TALMUD 185
dans la théologie de l'Héliopolis romaine, une étroite connexité
unissait les trois divinités.
Leur témoignage serait confirmé, si l'on pouvait en croire une
spirituelle hypothèse de Perdrizet, par celui de différents monu-
ments archéologiques * ; plusieurs soffites des sanctuaires de Bae-
tocécé 2 et de Ba'albek 3 représentent un aigle tenant dans ses
serres un caducée, et accosté de deux génies dont, dans le relief
de Baetocécé, la main levée projette sur l'oiseau un faisceau de
lumière4. Perdrizet a cherché à montrer que ces représentations
constituent de véritables tableaux symboliques où l'aigle figure
Jupiter5, le caducée, Mercure. Les deux génies représenteraient
Hespéros et Phosphoros 6, l'étoile du soir et celle du matin, dédou-
blement de la planète Vénus.
Ces ingénieuses combinaisons doivent être écartées. La reli-
gion héliopolitaine a fort bien pu emprunter à la Grèce l'aigle 7 et
le caducée; elle n'a guère pu s'accommoder, pour sa Vénus, même
planétaire, du sexe masculin donné aux génies Hespéros et Phos-
phoros. L'Assyrie avait sans doute devancé la Grèce en distin-
guant deux moments dans la carrière de Dilbat-Vénus, et en assi-
gnant une divinité distincte à l'étoile du matin et à celle du soir,
mais ce sont des déesses : « Dilbat au lever du soleil est Ischtar
1 Comptes rendus Ac. lnscr., 1901, p. 218, et Revue des études anciennes, 1901,
p. 260.
s Le plus correctement reproduit [Revue des études anciennes, 1901, pp. 262-3) par
Perdrizet, qui indique les publications antérieures.
3 Wood, Baalbek, pi XXXIV ; Frauberger, Akropolis von Baalbek, pi. XVI.
Wroth {Catalogue of greek Coins of... Syria, pp. 293 et lxviii) avait déjà conclu,
de la présence du caducée sur une monnaie d'Héliopolis, à l'existence d'un Mercure
local.
* Perdrizet aurait dû signaler une représentation analogue à Palmyre. Wood a pu-
blié [Ruines de Palmyre, pi. XVIII, H) un relief du grand temple qui représente
l'aigle tenant dans ses serres deux torches; de chaque côté de la composition se
tient un génie portant également une torche ; l'intention de représenter des divinités
ouraniennes est accusée par le semis d'étoiles qui couvre le champ ; à noter la re-
présentation des sept planètes.
5 Cf. Cumont, Festschrift Benndorf, p. 291.
6 La remarque avait été faite par Dussaud, Revue archéol., 1897, t. I, p. 328.
7 Le détail de l'aigrette, inconnue de l'art grec, qui fait de l'oiseau un aigle orien-
tal (Volney, État politique de la Syrie, ch. vin ; éd. Didot, p. 258-9), ne saurait
rien prouver contre la réalité de l'emprunt. Il y a loin aussi du rôle joué par l'aigle
dans la légende d'Etana et de sa dépendance vis-à-vis de Schamasch (allégués par
Cumont, Festschrift Benndorf, p. 295, note, à l'appui de l'hypothèse d'une origine
orientale) à la fonction de substitut emblématique du dieu solaire. Anatoliennes, et
non sémitiques, sont les figures d'aigles (du mont Argée ?) s'abattant sur des bé-
liers ou d'autres animaux ou objets, dans lesquels Heuzey a cru trouver des
représentations mythologiques (Comptes rendus de l'Ac. des Inscr., 1895, p. 50) :
cette interprétation est fort douteuse, et, si elle était établie, il faudrait sans doute
admettre ici encore une influence hellénique.
186 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
parmi les déesses ; Dilbat au coucher du soleil est Belit parmi les
étoiles ». » Les théologiens qui ont inspiré les monuments de Bae-
tocécé et d'Héliopolis, comme celui de Palmyre décrit plus haut,
auraient donc été étrangers à la conception sémitique, qui ne per-
mettait en aucun cas de figurer la Vénus sous des formes viriles.
D'autre part, en ce qui concerne l'interprétation du caducée, si
Ton rapproche les soffites de Baetocécé et d'Héliopolis de celui de
Palmyre, qui n'en diffère que par la substitution de la torche au
symbole mercurien, on doute que ce dernier puisse à lui seul re-
présenter Mercure; au même titre que la torche, le caducée est un
simple substitut du foudre habituellement placé entre les serres de
l'oiseau céleste. L'aigle porteur de la torche représentant Be'el
Schamin, l'aigle au caducée doit représenter lui aussi un seul
dieu suprême, défini par une attribution spéciale. Dès lors, les
deux génies placés symétriquement aux côtés de l'aigle ne peuvent
représenter que deux dieux compagnons du soleil.
Aussi doit-on donner raison à Dussaud d'avoir récemment rap-
pelé2, pour expliquer les génies baetocéciens, le texte où Julien
raconte que les Edesséniens donnaient deux parèdres au soleil,
Azizos et Monimos, que l'exégèse savante du ive siècle identifiait
aux planètes Mars et Mercure. Il croit, en conséquence, que le sof-
fite de Hosn-Souleiman représente Zeus Baetocécien, Azizos et
Monimos, Cette interprétation est exacte dans l'ensemble, mais
rien ne prouve qu'en dehors d'Edesse on ait visé particulièrement
le couple Azizos-Monimos. Pour Palmyre, on doit rapprocher du
soffite la représentation d'une tessère3, figurant Bc'el Schamin,
ayant à sa droite un dieu solaire à tête radiée, et à sa gauche un
dieu caractérisé par le croissant lunaire; ce groupe nous donne
sans doute l'image anthropomorphique du trio dont le soffite
groupe symboliquement les emblèmes. On reconnaît d'ordinaire
dans les deux dieux secondaires Malkibol et Aglibol, souvent asso-
ciés sur les monuments, et qu'un texte palmyrénien rapproche
curieusement de Be'el Schamin4; mais, d'autre part, une ins-
1 Rawlinson, Cun. mscr. of W. A., III, pi. 53, 2, 1. 35-6. Dans le panthéon
arabe, on cite de même les deux 'Ouzza ; Wellhausen ayant prouvé, contre Robert-
son Smith , qu1, Ouzza a représenté la planète Vénus (Reste arab. Heidenthums,
2e éd. p. 38 et suiv. ), l'hypothèse de Noeldeke (*'#., p. 38, note 3, et p. 244), qui voit
dans les deux 'Ouzza l'étoile du matin et celle du soir, semble devoir prévaloir. Si,
comme Ta avancé Noeldeke (Zeitschr. d. morg. Gesellsck., 1895, p. 715), le culte
planétaire chez les Arabes est d'origine assyro-baby Ionienne, le dédoublement de la
déesse est sans doute dû à Pintroduction, chez les Sémites méridionaux, de la con-
ception d'Ischtar-Belit, indigène dans la région de PEuphrate,
2 Dussaud, Revue Arch.y 1901, II, 430.
3 Vogué, Inscriptions , n° 126 a.
* Vogué, loc. cit., n* 93.
CULTES ET RITES SYRIENS DANS LE TALMUD 187
cription, connue depuis peu, a révélé l'existence, à Palmyre, d'un
couple Azizou-Arçou1, dont le premier élément est identique à
l'Azizos d'Edesse. Dans une ville à population hybride et à pan-
théon composite, comme Tadmor, l'un et l'autre rapprochement
peuvent être justes et valoir pour des milieux différents. Pour
Héliopolis et Baetocécé, nous manquons de toute donnée; toute
hypothèse serait oiseuse. Le seul fait qui soit établi, c'est qu'en ce
qui concerne le dieu céleste suprême et ses suivants, il y a eu
unité de pensée dans le monde sémitique, d'Edesse à la Syrie cen-
trale : mais cette unité ne s'est certainement pas étendue aux
noms divins2.
Il reste à expliquer le caducée des Zeus de Baetocécé et d'Hé-
liopolis. Dussaud croit que « cet attribut, emprunté à l'un des
acolytes de la divinité, a pour fonction de préciser que l'aigle ne
représente pas ici Jupiter tonnant ». Mais un pareil transfert de
l'attribut d'un des génies secondaires au dieu suprême est incon-
cevable, et d'ailleurs la raison alléguée par Dussaud repose sur
une observation erronée. A Palmyre aussi, on a évité de placer le
foudre entre les serres de l'aigle ; et pourtant Be'el Schamin était
si bien un Jupiter tonnant que son nom grec est Zeus Kêrau-
mos3.Dans toute la Syrie, le grand dieu céleste est en même temps
dieu de la foudre et de l'éclair, les inscriptions de la Damascène,
de la Batanée, d'Antorados, de Kition4en font foi, et rien ne
ne porte à croire qu'il faille excepter Héliopolis et Baetocécé de la
règle générale.
Si le caducée ne caractérise ni, comme le demande Perdrizet,
le Mercure des inscriptions, ni, comme le veut Dussaud, le génie
Monimos-Mercure, il ne peut appartenir qu'au Zeus suprême lui-
même : celui-ci a donc dû, par quelque côté, être lui-même rap-
proché d'Hermès. Que tel a été le cas, nous l'apprenons par une
inscription de Portus 5, qui donne au grand dieu de Ba'albek l'ap-
pellation de Jupiter optimus maximus Angélus heliopolitanus.
Comme le Ba'al suprême n'a pu exercer les fonctions subalternes
souvent attribuées au fils de Maia, Angélus ne peut guère désigner
en lui que le psychopompe 6. S'il est permis de conjecturer que, tel
1 Sobernheim, Beitr.z. Assyriol., IV, p. 211. Cf. Clermont-Ganneau, Recueil,
IV, p. 203.
* Clermont-Ganneau [Recueil, IV, p. 323) a proposé de rapprocher d'Azizos et de
Monimos le Daianou et le Mischarou, où Piuches a cru voir des acolytes du soleil :
pour apprécier le sens véritable de ces noms, voir l'hymne à Schamasch publié par
Brunow (Zeitsch. Assyr., t. IV, surtout p. 10, 1. 45); cf. Jastrow, Religion, p. 640.
3 Zeitschr. d. Morg. Ges., XV, p. 615.
* Waddington, 2195, 2739; CIG., 4520; Rev. Arch., 1864, II, p. 49.
8 CIL, XIV, 24.
6 Cf. Fr. Cumont, Hypsistos, p. o (extrait du Journ* Instr. Publ. Bely., 1897).
188 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
que ses congénères égyptiens, le Zeus heliopolitès emmenait les
âmes des morts dans les régions infernales — supposition pleine-
ment admissible pour un dieu dont l'antiquité croyait le culte
d'origine égyptienne — l'épithète conservée par le texte de Portus
ouvrirait un jour sur l'eschatologie sémitique au second siècle.
Quels sont les dieux syriens qui se cachent sous les noms latins
de Jupiter, de Vénus et de Mercure ?
En ce qui concerne Mercure ',1'épigraphie grecque de la région
voisine d'Héliopolis nous offre le choix entre deux équivalences:
deux inscriptions grecques, l'une de Ham 2, l'autre de Souq Ouâdi
Barada3, accompagnent, en effet, le nom de Mepxoupioç d'une dési-
gnation particulière, transcription ou traduction empruntées à la
langue indigène.
Le premier de ces textes est une dédicace Mspxoupiw ocopuvco xwpjç
Xàfjuovoç. Cette appellation de « seigneur de Khamon » rappelle
immédiatement l'usage, universel dans les religions syriennes, de
dénommer le dieu d'après le lieu de son culte. Le nom original ne
peut guère être que i»n b^a Ba'al (ou plutôt Be'el) Hamon. Or le
culte de ce dieu semble bien avoir existé, à l'époque romaine, dans
la Syrie centrale : une inscription latine de Sarmizegethusa 4 con-
tient le nom d'un dieu syrien Bebellahamon5, que nous pensons
devoir corriger en Behellahamon 6. Ham est à quelques lieues de
Ba'albek, et le village faisait sans doute partie de la banlieue d'Hé-
1 Hoffmann a proposé d'y reconnaître Nabû, le dieu assyrien de la planète Mer-
cure [CIL, III, Suppl., p. 280). Curaont [Musée belge, 1901, p. 149), se rappelant
sans doute l'équivalence indiquée par Jainblique et Julien entre Hermès et Mo-
nimos (Julien, Or., IV, p. 150), retrouve à Ba'albek le parèdre édessénien d'Hélios.
2 Glermont-Ganneau, Bec. d'Arch. Or., t. I, p. 22 ; Dussaud-Macler, Voyage au
Safa, p. 211. Cf. Perdrizet, Bev. des et. anc, 1901, p. 264.
3 Waddington, 1875a.
4 CIL, III, Suppl. 2, 7954. Il s'agit de la dédicace d'un certain P. Aelius Theimes
à ses dix patrii, Malagbel, Manavat, Benefal et Bebellahamon. Mommsen (Bom.
Gesck., t. V, p. 426) et Noeldeke (CIL, III, 7954) estiment que le dédicant est cer-
tainement d'origine palmyrénienne. Cette affirmation n'est prouvée ni par son nom
(car si l'on rencontre plusieurs exemples à Palmyre — Waddington 2591, 2595, 2624
et 2584, d'après une heureuse correction de Noeldeke ; cf. pour l'épigraphie sémi-
tique, Lidzbarski, Randbuch, p. 385 — il est très fréquent aussi dans les pays
nabatéens), ni par celui de ses dieux : Malagbel est aussi coelesyrien, Manavat est
seulement nabatéenne et arabe (cf. Lidzbarski, loc. cit., p. 313, et Wellhausen,
Beste arab. Heidenthums, p. 25 et suiv.) et le groupement des quatre divinités est
bien différent de celui qu'on attend d'un Palmyrénien invoquant son panthéon na-
tional.
5 Sur les interprétations données jusqu'ici à ce nom, cf. Drexler, dans Roscher,
Lexihon, t. II, col. 2297 : leur insuffisance semble montrer la nécessité d'une cor-
rection. — Nous nous contentons de signaler, sans la juger susceptible d'une solu-
tion, la question de savoir s'il y a un rapport entre ce Behellahamon (si c'est bien
ainsi qu'il faut rétablir le mot) et le Ba'al Hamon de Carthage.
6 Cf. Beheleparus et Beellefarus {Bev. Hist. des Bettg. 1888, t. I, p. 218 et suiv,).
CULTES ET RITES SYRIENS DANS LÉ TALMUD 189
liopolis ; on peut penser que c'est la divinité locale de cette xoSpj
qui a pénétré dans le panthéon du chef-lieu.
Nous préférons cependant l'identification qui nous est offerte
par l'inscription d'Abila de Lysanias (Souq Ouâdi Barada). Nous
y lisons, après une lacune difficile à combler, le double nom divin,
lu par Waddington [Mejpxoupiou Ma//t[6V]]Xou : la restitution MaX-
■/ifrfooo s'impose d'autant plus que la forme affectée par le lambda
de l'inscription prête facilement à confusion avec le /, et que
MayjtêYjXoç est inconnu par ailleurs *.
Abila appartenait, au point de vue religieux, à la sphère d'attrac-
tion du sanctuaire d'Héliopolis ; l'épigraphie, numériquement très
restreinte de la ville et de ses environs immédiats, nous a livré
une et peut-être deux inscri étions, où Clermont-Ganneau 2 a re-
connu la mention de Zeus Héliopolitès3. Nous sommes donc au-
torisés à rapporter au Mercure de Ba'albek le Mercure-Malkibel
d'Abila.
Malkibel n'est pas un inconnu : c'est le dieu palmyrénien bnsbtt,
dont l'existence est attestée par de nombreux documents , et qui
est sans doute originellement identique au hïi'jhn punique 4 et
certainement aussi phénicien 5.
1 La correction a été indiquée par Meyer dans l'art. Ba'al, rarement lu, qui
figure parmi les Addenda du t. I de Roscher (col. 2876). Elle a été suggérée depuis
par Dussaud et Macler [Voyage au Safa, p. 211, note 1), qui, il est vrai, considèrent
Mepxoupio; comme un nom propre d'homme dont MaXxiërjXou serait le patronymique.
1 Clermont-Ganneau, Bec d'Arch. Or., t. II, p. 7; IV, p. 48 (restitution douteuse).
8 L'influence des cultes héliopolitains à Abila (si Leukas est véritablement Abila)
est plus fortement attestée s'il est vrai, comme le Dr Rouvier cherche à le montrer
dans un mémoire inédit, que Ton puisse prouver par le revers des monnaies de Leukas
« que le fronton du grand temple de Ba'albek devait être couronné par la statue
du soleil dans uu quadrige au galop, tenant un fouet dans la main droite et un globe
dans la main gauche » (Roozevalle, Comptes rendus, 1891, p. 456). Macrobe décrivait
le Jupiter d'Héliopolis comme brandissant un fouet à la manière des cochers {Satur-
nales, I, xxm, 14) ; différentes médailles montrent le soleil tenant le fouet, emblème
du quadrige qu'il mène, et le globe, symbole de domination universelle (Cumont,
Revue d'Hist. et Litt. relig., 1896, p. 445; Mithra, t. I, p. 123). D'autre part, un
monument palmyrénien bien connu (Lajard, Cyprès pyramidal, ap. Mémoires Ac.
Inscrit. XX, pi. 1) représente un dieu couronné par la victoire (traduction plas-
tique de l'épithèle de à>ixr]Toç) et montant dans un char atte.é de quatre grillons :
il s'agit ici du Sol-Malakbel de Palmyre.
4 CIS., I, i,123 (Malte), 147 (Sardaigne), 194 et 380 (Cartilage), à restituer ib., 195.
Dans ces cinq textes (dédicaces à Ba'al Hamon ou à Tanit Penè Ba'al et Ba'al Ha-
mon), le nom du dieu figure dans la formule restée énigmatique h^'2'Dbl2 32£Dr
Cippe de Milkiba'al.
5 Le rapprochement entre les dieux phénicien et palmyrénien a été fait par
Ph. Berger [L'Ange d'Astarté, ap. La Faculté de théologie protestante de Paris à
M. Edouard Heuss, p. 46), qui a reconnu que « leurs noms sont formés des mêmes
éléments ». Mais, tenant compte de l'éloignement géographique des groupes d'ins-
criptions relatifs aux deux dieux et de la diversité des panthéons phénico-puuique et
palmyrénien, il n'appliquait pas à Malkibel sa théorie de « l'ange de Ba'al » . Les
monuments d'Abila et d'Héliopolis, qui nous renseignent sur le culte de Malkibel
190 REVUE DES ETUDES JUIVES
Malkibel était assimilé, dans un des monuments qui lui sont con-
sacrés1, à Sol; cette équivalence montre que, pas plus que tant
d'autres figures des panthéons syriens, il n'a échappé à la contami-
nation astronomique. Sur quelle hase a pu s'opérer son identi-
fication avec Mercure 2 ?
Elle semble due à un rapprochement étymologique. Si l'on com-
pare les différentes transcriptions grecques du nom sémitique, on
constate des variantes significatives. La forme MaX^iê^Àoç, que
nous avons trouvée à Abila, est isolée; c'est pourtant la plus
conforme probablement à la prononciation primitive; elle forme
exactement pendant aux transcriptions Aglibôlos et Iaribôlos
(Vnba* et Vum*1). Beaucoup plus fréquentes sont les transcriptions
Malachbel, Malagbel et même Malachibel, dont le premier élément
indique une prononciation plus voisine du mot maVak, « messa-
ger », que de l'étymologique Malk. Nous sommes donc, suivant
toute apparence, en présence du même phénomène qui a suscité,
à côté de la transcription normale 'IapifJcbXoç, un 'Ispà6<oXoç, « qui,
tout en rappelant d'assez près la vocalisation du mot sémitique
rrp « mois «...avait l'avantage de prêter à un rapprochement
avec Upoç, « saint3 ». Y a-t-il véritablement eu, dans le cas de
Hierabôlos, influence d'un vocable grec, comme le veut M. Gler-
mont-Ganneau ? Il est plus probable que c'est sur le terrain sé-
mitique que la transformation s'est opérée4. Les vieux noms com-
posés Jarhibol et Malkibol étaient devenus inintelligibles et on
leur donna un semblant de signification en rapprochant l'un du
mot yerah « mois », l'autre du mot mal" ah « messager ».
Malkibel a donc pu être rapproché de Mercure, le messager des
dieux, sur la foi d'une étymologie populaire 5.
dans les vallées du Barada et du Litani, établissent, entre le dieu de la côte phéni-
cienne et celui de Palmyre, le trait d'union qui faisait défaut : elles nous autorisent
même, dans une certaine mesure, à revendiquer pour le culle de Malkibel une ori-
gine cœlésyrienne. Le bel, final du mot, inclina, en effet, à croire qu'il était à Tad-
mor un étranger fraîchement naturalisé : c'est la forme araméenne commune du nom,
nettement distincte de la forme plus particulièrement palmyrénienne bol, qui apparaît
non seulement dans les noms divins 'Aglibol et Jarhibol, mais dans les noms de
personnes ou de tribus, comme Zabdibol ou Mattabol.
1 CIL, VI, 710.
2 On pourrait être tenté de croire, à raison du Mepxovptoçdes inscriptions grecques
d'Abila et de Khamôn, que le rapprochement est dû à quelque particularité du
culte ou du mythe du dieu latin, à l'exclusion de celui d'Hermès, dont on atten-
drait plutôt le nom : en réalité, la mention de Mercure est due à la forte influence
romaine qui semble s'être exercée, à partir du second siècle, sur la Syrie centrale.
Les dédicaces à Mepxoupioç datent, l'une de 201, l'autre de 173.
3 Clermont-Ganneau, Recueil, t. II, p. 121.
*• Hierobolus de CIL, III, 1108, n'est pas certain ; cf. Eph. Epigr., IV, p. 66.
5 On sait que Philippe Berger a essayé (L'Ange cTAstarté) d'expliquer par
mal'ek le ^bft des noms divins, comme Milki'aschtart, Milkiba'al, Milki'osir. Cette
CULTES ET RITES SYRIENS DANS LE TALMUD 191
Mercure n'était vraisemblablement qu'un nouveau venu dans
l'association des grandes divinités héliopolitaines ; suivant toutes
apparences, la triade est, dans les pays sémitiques, une for-
mation secondaire et tardive, et le nom ne peut être donné qu'à
un groupement organique, et c'est à tort qu'on Ta appliqué
à la juxtaposition accidentelle de trois divinités indépendantes1.
Le noyau central et suprême du panthéon d'Héliopolis était
formé par le dieu et la déesse, dont l'association correspond à
celle que les inscriptions nous font connaître à Carthage entre
Ba'al Hamon et Tanit, à Boçra entre Zeus et Héra % à Kition
entre Kéraunios et Kéraunia 3, à Hiérapolis entre Adad et
Atergatis.
Ce sont précisément ces deux derniers noms qu'on a voulu appli-
quer au Zeus et à la Vénus de Ba'albek 4 ; on se fondait sur le
passage où Macrobe nous parle d'Adad et Atergatis immédiate-
ment après avoir décrit le Zeus héliopolitain. Mais le texte des
Saturnales 5 n'autorise guère à reporter sur les dieux d'Héliopolis
les renseignements donnés sur le couple d'Hiérapolis 6 ; les détails
fournis par le compilateur stir le Zeus de Ba'albek sont en har-
monie avec ce que les monuments nous ont appris de ce dieu ; ils
ne s'accordent aucunement avec ce qu'il rapporte comme carac-
téristique d'Adad. D'ailleurs, la transition « ne sermo per sin-
gulorum nomina deorum vagetur » paraît bien indiquer que
Macrobe prend, à l'appui de la théorie qu'il a longuement sou-
tenue, un dernier exemple, naturellement différent de celui qu'il
vient de citer, et que les Assyrii (Syriens) adorateurs d'Adad de
thèse se heurtait aussitôt à de graves objections (cf. Clermont-Ganneau, Revue cri-
tique, 1880, t. I, p. 200), et J. Halévy a eu sans doute raison de déclarer que le,
d'ailleurs incompréhensible, niniDpbw ^INbfa de l'inscription de Ma'soub la con-
damnait définitivement [Revue des Études juives, XII, p. 110). Il est curieux de cons-
tater que cette interprétation moderne a été celle des Syriens des premiers siècles de
l'ère chrétienne, oublieux du sens original de ces noms composés divins, obscurs en-
core pour nous.
1 Rien n'indique, d'ailleurs, que ce soit à une influence chaldéenne (comme le
propose Gumont, Musée bel (je, 1901, p. 149) qu'est due la formation des tardives
triades syriennes. L'association d'Anou, «le Bei et d"Ea (trois figures masculines)
n'a vraisemblablement jamais eu de caractère cultuel. (Cf. Jasirow, Religion of
Babyloma, p. 150, et Tiele, Zeitschr. f. Assyr., XIV, p. 189.)
8 Waddington, 2739.
3 Waddington, 1922.
* Preller, Rom. Mytk., 3« éd., t. II, p. 403 ; Hoffmann ad CIL., III, Suppl, 7280 ;
Lenormant, Q-at. Arch., 1876, p. 78 et suiv.
5 Macrobe, Saturnales, I, xxm, 10-16 (Zeus Heliopolitès) ; 17 et suiv. (Adad et
Adargatis) .
6 Drexler (Roscher, Lexikon, t. I, 1987) hésite à suivre Preller et Lenormant dans
l'identification du Jupiter avec Hadad. Cf. Ronzevalle, Comptes Rendus, 1901, p. 4 43
«rt suiv.
192 REVUE DES ETUDES JUIVES
xxiii, 17, sont distincts des Assyrii, dévots au Zeus d'Héliopolis,
de xxiii, 10*.
Nous ne nous arrêterons pas aux combinaisons par lesquelles
on a voulu déterminer récemment encore2 le nom original du
Zeus ; le Talmud nous semble contenir une donnée, généralement
négligée jusqu'à présent, mais décisive pour la solution du pro-
blème.
Rab, le grand docteur du début de la dynastie Sassanide, fixait
à cinq le nombre des sanctuaires païens « stables » du monde
sémitique septentrional: Bel à Babylone, Nebo à Borsippa, Naschr
chez les Arabes, 'Atar'ata à Mabog-Hiérapolis, Çeripha à Ascalon
« Lorsque Dimé vint [de Palestine en Babylonie], on ajouta le
yerid duEn-Baki et Nadbaka 3 d^Akko 4. »
Dimé vivait au commencement du ive siècle, mais la tradition
que, conformément à son rôle habituel 5, il introduisit dans les
écoles de la Babylonie était certainement antérieure au séjour en
Syrie pendant lequel il l'a recueilli. Il nous apprend que, de son
temps encore, la localité d"En-Baki possédait un culte caracté-
risé par un Tn\ La signification véritable du mot, longtemps
traduit par marché, a été reconnue par Hoffmann : comparant les
sens de la racine en arabe, où warada répond particulièrement à
l'idée de « descendre à l'eau », en araméen, oiiyarda ne signifie
plus que « bassin, étang », il a montré qu'il désigne une cérémo-
nie caractérisée par une procession dont le but était une nappe
d'eau et rapproché avec raison du yerid la maiouma qui se célé-
1 Si Macrobe n'établit entre le dieu de Ba'albek et celui de Mabog qu'une dis-
tinction confuse, la raison en est dans son syncréiisme systématique : correspondant
l'un et l'autre au soleil, ils sont au fond identiques, en dépit de leur individualité
apparente.
* Ronzevaile, Comptes Rendus, 1901, p. 476.
3 Variante erronée : Natberah. Nous reviendrons plus loin sur fD-13.
* Talmud de Babylone, Aboda Zara, 11 b. — R. Dimè de Neharde'a proposait, il
est vrai, de corriger : Nadbaka d"En-Beki et le yerid d'4Akko; mais cette interver-
sion repose, sans doute, sur une tentative d'Harmonisation entre notre texte et un
passage du Talmud de Jérusalem {Aboda Zara, 39 d) où sont cités les yerid de Gaza,
d'^Akào, et de Botna. Mais le Yerouschalmi ne mentionne les deux premiers de ces
yerid que pour déclarer qu'il n'y a pas évidence de destination idolâtrique. La fête
païenne célébrée dans ces villes était accompagnée d'un marché qui avait pris une
importance propre assez grande pour faire oublier l'origine idolâtrique de la réunion.
Hoffmann (Zeitsch. f. Assyr., 1896, p. 241) a suivi à tort Dimé de Neharde'a, et
placé, en conséquence, Nadbaka à 'En-Baki : la ressemblance entre [Nadjbaka et
Baki lui a paru autoriser un rapprochement entre MâSfiayoç et Ma'albek-Ba'albek.
Nous n'insisterons pas sur ce que ces concordances ont de superficiel : mais le point
de départ de l'hypothèse d'Hoffmann est faux, car Dimé de Neharde'a est postérieur
d'un demi-siècle au Dimé qui introduisit la tradition en Babylonie, et son remanie-
ment tardif et tendancieux ne saurait, sans preuve, être substitué au texte primitif.
5 Bâcher, Agada der Amorâer, III, p. 691.
CULTES ET RITES SYRIENS DANS LE TALMUD 193
brait au bord de la mer '. Nous connaissions déjà pour Hiéra-
polis2 le rite du puisement de l'eau et les cérémonies analogues de
Jérusalem3, d'Aphaka4 et du temple de Bel à Babel3, comme
aussi les différents yerid sur lesquels nous aurons à revenir, nous
montrent quels furent, dans le monde sémitique, la diffusion et
l'importance de ce type de fête.
lEn-Baki est cité, à titre de grand sanctuaire, à côté d'Hiérapo-
lis, d''Akko, d'Ascalon, pour ne citer que les noms syriens ; si
4En-Baki n'est pas Héliopolis, la plus illustre des villes saintes
de la Syrie romaine ne figure pas sur la liste qui prétend les
énumérer.
'En-Baki n'est pas une des grandes cités historiques de la Syrie;
si elle figure dans le Talmud, c'est exclusivement en raison de
l'importance religieuse qu'elle avait acquise à une date d'ailleurs
récente, puisqu'elle ne figurait pas encore dans la tradition que
Rab avait recueillie au commencement du me siècle et que, d'ail-
leurs, aucune source ancienne, en dehors de la phrase de R. Dimé,
ne mentionne son nom sémitique, resté toujours obscur. Tout cela
convient parfaitement à Héliopolis ; aucun des documents relati-
vement nombreux qui, à partir des tablettes d'El-Amarna et des
inscriptions royales égyptiennes, nous renseignent sur la géogra-
phie de la Syrie centrale, n'a fourni un nom qui puisse être rap-
proché avec probabilité6 de sa désignation grecque ou arabe. La
* Zeitschr. f. Assyr., 1896, pp. 241 et 246. En même temps qu'Hoffmann, Seybold
arrivait à une conclusion identique au sujet du sens fondamental de la racine T*p,
« aller à l'aiguade, à l'abreuvoir », et, il en tirait l'étymologie la plus plausible
qu'on ait proposée du nom du Jourdain (Mittheil. deutsch. Palâstinavereins, 1896,
p. 11). M. Clermont-Ganneau a, à C3 propos, attiré l'attention (ib., p. 27) sur le
nom d'une des sources de Gézer, 'Ain yardi ('Ain Yerdeh dans le plan du P. La-
grange, Revue biblique, t. VIII, p. 422). Nous avons vraisemblablement dans yardi
une survivance de l'araméen yardà. Il n'est pas probable que la source ait été le siège
d'un yerid, encore que l'existence, à Gézer, d'une curieuse l'orme de la légende de
Noé, Survey W. Pal. Memoirs (t. II, p. 444, et Clermout-Ganneau, Archaeol. Re-
searches, t. il, p. 237) rappelle singulièrement les mythes diluviaux d'Hiérapolis et
de Botna : mais la tradition de Gézer est attachée, non à l" Ain- Yardi, mais à une
source voisine, T'Ain-et-tannour.
2 De Syria Dea, 47: 7iavriy0pte; xe piyicrTou, xtxXeovxoa os lç t9|v ),i[xvy)v xa-
xa^àaieç. Katabasis traduit exactement T^"p, ce que xàXsovxou indique, d'ailleurs,
expressément.
3 Voir, sur le rite de la « maison de la puiseuse » (Soukka, iv, 9 ; Tosefta, iv,
1-9) Venezianer, Eleusinische Mysterien im jerusalemischen Tempel (ap. Monatsblaetter
de Brull, 1897). Mauss (Année sociolog., t. II, p. 271) et Hubert (Rev. Et. Juiv.,
t. XXXVI, p. 318) ont soutenu avec raison, dans leurs recensions de cet opuscule,
que le rite est indigène en Palestine.
* Sozomène, Hist. eccl., II, 4, 5; Zosime, I, 58.
5 Rawlinson, Cun. Inscr., t. IV, p. 461. Cf. Hubert, Rev. Et. juin., t. XXXVI,
p. 318.
6 Halévy (Revue Sémiti/ue, t. I, p. 379) et Winckler (Mitth. vorderas. Gesch.)
T. XLIII, N° 86. 13
194 REVUE DES ETUDES JUIVES
notoriété du sanctuaire date du moment où l'émigration syrienne
a répandu à travers le monde romain le culte de Zeus, sa splen-
deur extérieure du jour où les empereurs construisirent les
temples dont les ruines colossales sont encore debout.
Nous n'avons point fait entrer en considération jusqu'à présent
le nom même d"En-Baki ; il frappe pourtant dès le premier abord
par l'identité du second de ses termes avec le second élément du
moderne Ba'albek1. On a depuis longtemps reconnu, en donnant
il est vrai de ce dernier élément une étymologie erronée, que ce
nom composé de « Ba'al de Bak » a dû désigner le dieu avant la
ville. Le talmudique *^a y>y nous révèle la forme primitive du nom
du lieu dont le Ba'al devait faire une si rapide fortune2, et de
nombreux parallèles prouvent qu'un nom de dieu peut devenir un
nom de lieu : de 'Ain-Baki à Ba'al-Baki le passage est aisé3. Le
nom de "on^n est appliqué, d'ailleurs, dans un passage du Talmud
même, à une localité dont on nous dit seulement qu'elle était re-
nommée pour la qualité de son ail ; suivant toute vraisemblance,
elle est identique à notre Ba'albek4. Mais serait-elle différente
qu'il n'en faudrait pas moins conclure de la seule existence d'un
pareil vocable géographique à celle d'un nom divin formé des
mêmes éléments. Nous sommes donc autorisés à penser que Zens
héliopoliies ne fait que rendre exactement "Cù hn: la forme
grecque et la latine ont dû se mouler sur l'expression sémitique.
Nous manquons de toute donnée pour déterminer le nom de la
Vénus ; peut-être était-elle simplement appelée Ba'alat Baki ; mais
il n'est pas impossible qu'à l'époque romaine elle ait pris le nom,
primitivement hiérapolitain, de cette 'Atar'até qui, de l'Euphrate
aux rivages de l'ancienne Philistée, absorba si bien dans son culte
1896, p. 206) ont essayé de montrer que Ba'albek répond à la Dunip des textes
cunéiformes et égyptiens du xv8 siècle ; mais leur conclusion s'appuie sur des com-
binaisons fragiles.
1 La disparition de la voyelle faible finale est aisément explicable.
5 L'élément *p3> de 'En-Baki est facilement séparable du seul essentiel '•Oa ;
or, Baki est cité dans un texte agadique du Talmud de Babylone (Pesahim, 117 a)
comme le siège d'un culte idolâtrique (celui de l'idole de Mikha) ; Baki est sans
doute identique, comme l'a pensé Oppenheimer [Hammagid, 1867, p. 29), à Hélio-
polis — Ba'albek ; voir, sur la chute du premier élément de combinaisons analogues
(En-Gannim, notamment, est devenu Djanin) KamplTmeyer, ap. Zeitschr, Palâst.
Ver., 1893, p. 1. Wetzstein a montré (ap. Delitzsch, Comment, ilber lesaias, 3e éd.,
p. 700) que le phénomène s'est reproduit à l'époque arabe, et l'on peut ajouter des
exemples nouveaux à ceux qu'il a groupés : c'est ainsi qu"Ain Hirmil (la source de
la Vieille) citée au xme siècle par Dimischqi n'est plus aujourd'hui qu'Hirmil.
3 Les textes assyriens et égyptiens nous font connaître deux Ba'alçaphon, situés
l'un au nord de la Syrie, l'autre au sud. Voir aussi les noms bibliques comme
Ba'al Gad, Ba'al Hamon, Ba'al Me'on, etc. : le nom du dieu suffit à désigner le
sanctuaire et par suite la localité (cf. le « proximus ardet Ucalegon » de Virgile).
* Neubauer, Géogr. du Talmud, p. 298.
CULTES ET RITES SYRIENS DANS LE TALMUD !9S
le culte des anciennes déesses locales que, pour lui donner un nom
qui, suivant la règle, correspondît au lieu dont elle était maî-
tresse, il fallut l'appeler la déesse syrienne.
II. Le yerid de Tyr.
S'il restait un doute sur l'identité du yerid et de la xarapàstç lç
Xifxvïjv, les renseignements d'Aboda Zara sur Tyr et Botna suf-
firaient sans doute à le lever.
Il y avait dans la ville phénicienne un tt semblable à celui
que nous rencontrerons à Botna : la panégyrie s'y accompagnait
d'un marché. R. Hiyya b. Abba, ayant fait acheter des sandales
au marché, fut vivement réprimandé pour ce fait par un collègue
rigoriste l .
Une « procession à la source » a réellement existé à Tyr, et un
heureux hasard a voulu qu'elle ait été pratiquée jusqu'à la fin du
dernier siècle. La description de la cérémonie, telle que nous l'ont
laissée, d'après des témoignages oculaires, Volney 2 et Mariti 3,
n'est pas intéressante seulement en tant qu'elle relate un cu-
rieux survival du culte antique, elle peut être utilisée, à côté de
ce que nous ont laissé Lucien et Sozomène, pour la reconstitution
de ce qu'ont dû être, bien antérieurement au christianisme, les
rites agraires dont Hiérapolis, Jérusalem, Botna et les villes à
maiouma étaient périodiquement le siège.
Je reproduis le récit peu accessible de Mariti, qui est un té-
moin d'autant plus précieux qu'il ne comprend rien à la scène
qu'il décrit. Tous les détails du tableau sont à retenir :
« Dans les premiers jours d'octobre de chaque année, l'eau (du
puits de Ras-el-'Ain) fermente, soulève le sable et devient bour-
beuse, au point qu'il n'est plus possible d'en faire aucun usage. On
y remédie en jettant cinq ou six cruches d'eau de mer, qui clari-
fient la source en moins de deux heures. . . »
(Quand on s'informe de la raison du fait) « les habitants de
Sour répondent seulement qu'ils ont vu pratiquer cette opéra-
tion par leurs ancêtres, et qu'ils le font à leur exemple ; c'est,
ajoutent-ils, le mariage de l'eau de mer avec celle de la terre.
» La superstition a érigé en fête publique le jour destiné à cette
1 Talmud de Jérusalem, Aboda Zara, i, k [39 b).
2 Volney, Etat politique de la Syrie, ch. vu. [Œuvres complètes, éd. Didot, p. 252).
3 Mariti, Voyages dans V île de Chypre... (Trad. franc.), t. II, p. 205-6.
196 REVUE DES ETUDES JUIVES
opération. Réunis sur la grande place, ils se rendent aux puits
avec le même ordre que nous observons dans nos processions les
plus solennelles. C'est un honneur de porter les cruches, dont les
vieillards eux-mêmes sont jaloux ; pendant qu'on les verse, tous
s'enchaînent par la main, forment un long cercle et dansent au
son des instruments ; après quoi l'on retourne à la ville avec toute
l'allégresse qu'inspire un triomphe. »
Ritter * et Movers2 ont reconnu le véritable sens de ce « cu-
rieux reste des Adonies antiques resté dans les mœurs du
pays 3 », si directement apparenté aux 7cavvjYupte; hiérapolitaines
al' eç ôàXXacaav vofjuÇovxai 4.
Sur le yerid de Tyr, le Talmud ajoute un détail qui ne semble
pas avoir été remarqué jusqu'à présent par les historiens occiden-
taux de Dioclétien, bien qu'il fournisse sur un point de la poli-
tique du grand empereur un renseignement sans doute authen-
tique. R. Simon ben Yohanan, s'étant rendu à Tyr, y trouva une
inscription disant :
« Moi, Dioclétien, empereur, j'ai consacré ce yerid de Tyr au gé-
nie protecteur de mon frère Herculius pendant huit jours. »
Le texte a pu difficilement être inventé de toutes pièces : il se
réfère par voie d'allusion à des faits incontestables. Le collègue
de Dioclétien à l'Empire, Maximien, était considéré comme son
frère et les discours officiels comparaient le lien qui les unissait
à la parenté de Romulus et de Rémus6.
D'autre part, on sait que Maximien prit le surnom de Hercu-
lius, comme Dioclétien celui de Jovius. « Jupiter et Hercule sont
les dieux protecteurs personnels des deux empereurs7. » Or, Tyr
était la ville de ce Melqart depuis des siècles assimilé à Héra-
klès, le gad de Maximien. Il est pleinement possible que Dioclé-
tien (qui était en fait seul chargé de l'administration de la partie
orientale de l'empire) ait pris quelque mesure destinée à rehaus-
ser l'éclat de la panégyrie tyrienne, en tant qu'elle était une cé-
1 Ritter, Erdkunde, XVII, pp. 351-357.
2 Movers, Phônizier, t. II, p. 241. Cf. Baudissin, Studicn, t. II, p. 181.
3 Renan, Mission de Phénicie, p. 594.
* De Dea Syria, § 48.
5 Talmud de Jérusalem, Aboda Zara, i, 4 (39 3). Cf. Rappoport, Erech MilliHi
230; Fùrst, Zeitschr. morg. Gesellsch., t. XLVIII, 685.
6 Paneg. Maxim. Aug. dictus, 4, 11. (Panegyrici, éd. Bahrens, pp. 92 et 100).
7 R. Peter, art. Hercules, ap. Roscher, I, col. 2999. Cf. të.j 2999 et suiv., la liste
des monuments qui qualifient Maximien d'Herculius.
CULTES ET RITES SYRIENS DANS LE TALMUD 197
rémonie du culte d'Héraklès, patron d'un des deux Augustes.
C'était une croyance vivace en pays sémitique que celle qui assi-
gnait à certains hommes la protection spéciale d'un dieu : elle est
affirmée, dans l'épigraphie de l'époque impériale, par des noms
propres tels que *tiraî Nebogaddi », « Nebo est mon Gad », Tniis
« Nebo est Gad », titrai* « 'Até est Gad 2 », etc. La forme nou-
velle que Dioclétien donne au dogme officiel de la divinité impé-
riale était donc adaptée à l'avance à la conception syrienne.
Nous savons par Nonnus 3 de quel éclat fut entouré, jusqu'après
le triomphe final du christianisme, le culte d'Héraklès Astrokhi-
tôn ; rien n'empêche d'admettre que l'antique et toujours illustre
sanctuaire ait attiré, pendant l'un de ses voyages en Syrie, l'at-
tention du pieux empereur, et que celui-ci se soit montré sou-
cieux d'honorer le prototype divin de son associé à l'empire, et
par là même de proclamer, sous une forme accommodée aux
croyances locales, le lien qui unissait aux Augustes le grand dieu
tyrien. On ne saurait assurément affirmer que le document tal-
mudique reproduise textuellement l'original que R. Simon pré-
tendait avoir déchiffré ; du moins la version qu'il nous a trans-
mise ne blesse-t-elle aucune vraisemblance historique, et sup-
pose-t-elle un groupement de faits qui n'a guère pu être imaginé
de toutes pièces.
III. Le yertd deBotna.
Le yerid de Botna semble avoir inspiré aux docteurs palesti-
niens une horreur particulière : son caractère idolâtrique est
déclaré manifeste ; on le considère comme le type des cérémo-
nies illicites4.
Il est singulier que l'on ait pu méconnaître jusqu'à présent
le site auquel correspond ce nom : Neubauer5, Levy6, Hoffmann7,
1 Clermont-Ganneau, Recueil, t. III, p. 168.
2 C. 1. S., II, 139; Vogué, Inscriptions, 84, 143. Pour la Phénicie, l'interprétation
de n^ia (C. 1. S., I, 93; cf. Noeideke, Zeitschr. morg. Ges., t. XLII, p. 471) et la
lecture de Tiïlî (Levy, Siegel und Gemmen, 10) sont douteuses.
3 Nonnus, Dionysiaques, L, xl.
4 Talmud de Jérusalem, Aboda Zara, i, 4, in fine.
5 Neubauer, Géographie du Talmud, p. 262. Le Midrasch (Bereschit Eabba, 47)
reproduit au sujet des trois grands yerid la tradition du Talmud, mais substitue au
nom de Botna celui de Botnan : Neubauer rapproche très justement ce Botnan (natu-
rellement identique à Botna) du Betanin d'Eusèbe (qu'il faut, d'ailleurs, lire BriÔavtu.
Cf. infra).
6 Levy, Wôrterbuch, s. v. ïlDU^a
7 Hoffmann, Zeitschr. f, AssyrioL, XI, p. 241.
198 REVUE DES ETUDES JUIVES
ont proposé tour à tour d'y voir Betonim de Gad, la Batanée et
Batnan près de Harran. En réalité, Botna n'est que secondaire-
ment un nom géographique : le mot désigne le Térébinthe, et le
yerid de Botna [ïiîvro. h® j-mT») répond au mercatus terebinthi
de saint Jérôme *, au tottoc. . . ov vuv Tspéêivôov Trpofrayopsuouciv que
Sozomène décrit longuement2, au Terebint hus, dont V Itinéraire fa
Bordeaux 3 nous dit qu'Abraham y habita et creusa le puits qu'on
trouve sous l'arbre. Situé dans le voisinage immédiat d'Hébron, le
Botna indiquait, en effet, de l'aveu de toute l'antiquité judéo-
chrétienne, le Elôné Mamré où le patriarche avait reçu la visite
des anges 4. Aujourd'hui encore, le lieu s'appelle Khallet el Bot-
meh3. Botna n'est mentionné, en dehors d'Aboda Zara, que dans
un seul texte du Talmud : on racontait 6 que c'est là qu'Hadrien fit
vendre les Juifs captifs après le désastre de Bettar. Cette tradi-
tion palestinienne se retrouve dans saint Jérôme, qui invoque
comme source les « veteres historias et traditiones plangentium
Judreorum7 », et note, d'ailleurs s, à ce propos, que de son temps
le marché annuel continuait à être fréquenté 9.
Au moment où saint Jérôme écrivait son commentaire sur
Zacharie, le yerid de Botna avait depuis plus d'un demi-siècle, en
tarit que centre d^n culte païen, perdu le droit à l'existence : sur
1 Saint Jérôme, Comm. Jerémie, XXXI (t. IV, p. 1065).
2 Sozomène, Bist. eccl., II, iv.
3 1t. a Bordigala, p. 19-20 (éd. Tobler).
4 Les principaux textes ont déjà été réunis par Reland, Palœstina, p. 711 et suiv.;
et. Guérin, Judée, t. III, p. 280 et suiv.
C'est évidemment du même térébinthe qu'il est question dans la curieuse notice
que les Onomast. d'Eusèbe et de Jérôme nous transmettent à propos du 'Ain lévi-
tique (Lagarde, Onomastica sacra, pp. 92 et 220) : "Atv... etrci 6e xo>u.y) vOv By)Gavip.
>£yo[x£vo dcTro p" <7Y]u.£itùv Tyj; Tspe^tvâou, Xe3pwv ôè àuo Teasâfitov.. — Ain... est et
usque hodie ville liettienuim nomiue secundo lapide a terebintho, hoc esta tabernaculu
Abraham, quattuor milibus a Hebron. La forme du pluriel donnée au nom du village
(= D^lûDJ se rapproche plus que Botna (qui désigne entre ses congénères le téré-
bintbe sacré) de l'Eloné Mamré de la Genèse hébraïque. Le rapprochement institué
entre 'Ain et le térébinthe est un signe de l'importance attachée à la fontaine voisine
de l'arbre. La notice sur Enaim — 'Hvatu. (Lagarde, loc. cit., pp. 121 et 259) est
contaminée par une donnée relative au térébinthe, qui repose, sans doute, sur une
confusion.
5 Guérin, Judée, t. III, p. 280. L'arabe boutm dérive (Frânkel, Ar. Lehnwôrter,
p. 139) du NTOmïl araméen, qui coexiste dans le Talmud avec NSaïS dans le sens
de « térébinthe ».
6 Talmud de Jérusalem, Kilaïm, ix, 1.
7 Saint Jérôme, Comm. Zach., xi (VI, 885).
8 Ib. : tabernaculum Abrahœ... ubi nunc per annos singulos mercatus celeberri-
mus exercetur.
9 Cf. sur le sanctuaire du Térébinthe, dont tous les éléments essentiels subsistent
encore aujourd'hui, Rosen, Zeitschr. morg. Gesellsch., XII, p. 504 ; Palestine Eœpl.
Fund, t. III, p. 332; Nestlé, Mitth. Pal'. Ver.y 1895, p. 56.
CULTES ET RITES SYRIENS DANS LE TALMUU 199
un rapport de sa belle-mère Eutropia, l'empereur Constantin y
avait interdit les cérémonies qui, depuis des siècles sans doute,
étaient célébrées, chaque été, autour du térébinthe et de la fon-
taine sacrés. Saint Jérôme attribuait aux tristes souvenirs de la
répression de la révolte de Bar Koklieba l'aversion des Juifs
fidèles pour remplacement d'Eloné Mamré : ce que nous savons,
par Sozomène1, des rites qui y élaient célébrés, nous l'explique
bien mieux.
La panégyrie attirait non seulement des gens du pays, mais des
étrangers accourus de Phénicie et du pays des Arabes, et dont
quelques-uns, d'ailleurs, n'étaient amenés que par le désir d'ache-
ter ou de vendre.
C'est le puits qui est au voisinage immédiat de l'arbre qui
semble le centre de toutes les cérémonies, comme il est de l'es-
sence du w : on y allume des lampes (de même qu'à Jérusalem,
à la fête de la puiseuse, on allume, dans le parvis des femmes, des
candélabres autour desquels dansent, avant de partir pour la fon-
taine de Siloé, des hommes porteurs de torches)2; on accomplit
aux alentours des sacrifices d'animaux de choix3, on y fait des
libations de vin, on y jette des gâteaux, des pièces de monnaie,
etc., et ces opérations troublent l'eau et la rendent impropre
à la consommation pendant la fête 4. Ces fêtes s'accomplissent
tJSswç ; Mariti parle de V « allégresse » manifestée par les gens de
Tyr, et le nom de la fête de Jérusalem, m&OOT ma nfiM, in-
dique la même joie religieuse. Nous ne savons malheureusement
pas la date précise de cette fête : le terme vague d'été, dont se
sert Sozomène, peut faire hésiter, en somme, entre le mois de juin,
auquel différents textes classiques placent la mort d'Adonis, —
1 Eusèbe, Vie de Constantin, 111, 52; Sozomène, loc. cit.; Socrate, Hist. eccl., I,
XVIII.
2 Ces rites se célébraient certainement aussi au sanctuaire d'Aphaka : ils se sont
conservés sur place. • Les métoualis, dit le Dr Rouvier [Bull. arch. com. trav. hist.,
1900, p. 196), ne se contentent pas de pendre des loques au figuier,. . . ils déposent
à l'entrée du canal supérieur des lampes d'huile,... ils font brûler des parfums,
surtout de l'encens. » Rouvier signale (ib., 197, note 2) des pratiques analogues,
encore en vigueur à Beyrouth, au réservoir de Karm-el-Aris et à la source dite Ain-
Oumm-Raissé.
3 Le détail de la victime, engraissée avec le plus grand soin pendant Tannée pour
être offerte en sacrifice à la panégyrie, rappelle le passage du Midrasch (Bamidbar
rabba, 10, 3) où est décrite la légendaire maiouma des douze tribus d'Israël : « Chaque
tribu faisait défiler devant elle tout son troupeau, on choisissait la bête la plus
grasse et on regorgeait. » L'agadiste s'est inspiré pour sa description de fantaisie
d'une cérémonie idolâtrique, d'un fait d'observation courante.
* Ce troublement (peut-être intentionnel) de Teau est à rapprocher du phénomène
équivalent sigDalé à la source tyrienne, ainsi que de la légende rapportée par Pau-
sanias (IV, 35, 9) au sujet de la source de Joppé. Cf. Robertson Smith , Religion
çf Sémites, p. 173 et suiv,, et Frazer, Pausanias, III, p. 454.
200 REVUE DES ETUDES JUIVES
c'est à peu près à juin que correspond Tammouz — et celui, plus
tardif, de Tischri, auquel se place la fête de la puiseuse, laquelle
concorde pour l'époque avec la procession de Tyr (fin septembre
ou commencement d'octobre) ; malgré tout, la première hypo-
thèse reste la plus vraisemblable. Mais, quelle que soit la date
exacte, il n'est pas douteux que cette panégyrie qui tire son nom
du térébinthe, que cette procession à la fontaine (dont les rites
doivent être déclarés parallèles à ces cérémonies de l'immersion
admirablement interprétés par Mannhardt) S que ces allumages
de flambeaux — qu'ils concordent pour la date avec les feux de la
Saint-Jean ou ceux de la Toussaint — que ces sacrifices de gâ-
teaux, enfin, ne présentent tous les traits caractéristiques du ri-
tuel agraire 9 .
Nous pouvons remonter, pour l'histoire de ce lieu sacré, plus
haut que les écrivains chrétiens, plus haut aussi que les textes
talmudiques, dont le plus ancien ne dépasse véritablement pas
le second siècle. Josèphe parle deux fois de l'arbre de Mamré,
et ses renseignements, si brefs qu'ils soient, ne manquent pas
d'intérêt.
Dans les Antiquités3, il raconte que « Abram habitait près du
chêne appelé Ogygé ». (Chêne traduit « Elôn », conformément à
la tradition que contredisait, aux premiers siècles de l'ère chré-
tienne, l'existence avérée d'un térébinthe4.) Ogygé pouvait sem-
bler inexplicable 5 ; on avait reconnu cependant 6 que « ce nom
rappelle celui d'un roi de l'antiquité grecque, à l'époque duquel
les traditions placent un déluge analogue à celui de la Bible ». La
célébration, à Elôné Mamré, d'un yerid exactement équivalent à
la Katabasis d'IIiérapolis, permet de conjecturer qu'au sanc-
tuaire judéen comme dans le temple de la déesse syrienne, une
légende du déluge se rattachait aux rites aquatiques pratiqués
au « puits d'Abraham » ; on peut voir dans le fait une remar-
1 Mannhardt, Antike Wald- und Feldkulte, II, p, 275 et suiv.; voir aussi sur le
mythe d'Adonis, Frazer, Golden Bough (2e éd.), t. II, p. 115 et suiv.
2 Voir, pour la signification solaire du culte de l'arbre et du rite des flambeaux,
les faits réunis par Frazer, Golden Bough, t. I, pp. 117, 188; t. II, p. 121 ; t. III,
p. 236.
3 Josèphe, Antiq., I, x, 4.
4 C'est sans doute par l'opposition entre la réalité et la signification de « chêne »
attachée à Elôn que s'explique l'hésitation entre quercus et terebinihus qui se
manifeste dans Eusèbe et Jérôme par des phrases presque comiques : « drys, dit le
premier, id est quercus Mambre..., quae usque ad aetatem infantise meae et Cons-
tantii régis imperium terebinthus monstrabatur pervetus et annos magnitudine indi-
cans ».
8 Gall, Altisraelitische gultstâtte, p. 52, note 2; Weill, trad. des Antiquités, t. I,
p. 44, note 3.
6 Weill, loc. cit.
CULTES ET RITES SYRIENS DANS LE TALMUD 201
quable confirmation des vues exprimées par Hubert ' sur les
rapports des mythes diluviaux avec les rites agraires.
D'autre part, Josèphe raconte 2 que l'arbre passait pour remon-
ter à la création du monde. Si l'on cherche à replacer ce frag-
ment de tradition dans l'ensemble des croyances dont Botna a été
le centre, on soupçonne que Josèphe nous a conservé, sous une
forme affaiblie, le souvenir d'un mythe cosmogonique dans lequel
le Térébinthe jouait un rôle. Les mythes locaux attribuaient peut-
être au térébinthe d'Hébron une fonction analogue à celle du
Kischkanou 3 d'Eridu, « le Kischkanou noir, né sur un sol pur,
semblable au brillant lapis-lazuli,qui s'étend au-dessus del'Apsou
(l'Océan primordial et mythique4) », et d'une façon générale à
celle de l'arbre qui apparaît dans un certain nombre de textes sé-
mitiques ou de mythes d'origine sémitique.
Nous ne toucherons pas aux questions difficiles que soulève
l'existence, dans un lieu auquel la tradition juive rattachait le
nom d'un patriarche, l'ensemble de rites et de mythes que nous
venons de signaler; rappelons simplement que, sous le règne de
David, Hébron nous est présenté comme un lieu de culte où Absa-
lom, le fils du roi, va s'acquitter d'un vœu 5.
IV. Nadbaka.
Parmi les inscriptions grecques de Syrie recueillies dans le
CIG, figure sous les n08 4450 et 4451 (cf. aussi 4449), une petite
série de dédicaces adressées à Sélamanès6 et à un autre dieu,
dont le nom est donné, dans le texte épigraphique du n° 4451,
sous la forme MAABAXQ (au datif). Franz, égaré par un rappro-
chement erroné avec le Malakbel palmyrénien, préféra lire
1 Hubert. Bévue Archéol., 1899, II, p. 355.
2 Josèphe, Guerre jud., IV, ix, 7.
3 RawlinsoD, Cun. Inscr., IV, xv, 51 b. On ne sait à quel végétal correspond le
Kischkanou. Pinches [Rcv. Bist des Rel., 1901, 1, pp. 278 et 282) veut y voir la
vigne, mais il n'y a à cette opinion aucun motif plausible.
4 Cf. Stucken, Astralmythen, p. 70 : « Das Wasser der Tiefe und der Weisheit.. .
und der Weltbaum gehoren zusammen in nordischer wie in babylonischer Mytho-
logie. »
5 II Samuel, xv, 7.
6 Le Schoulmanou du panthéon assyrien. L'antiquité du culte de ce dieu en Syrie
est attestée par un monument égyptien (étudié par Spiegelberg, puis par Lidzbarski,
Zeitschr. f. Assyr., XII, pp. 120 et 328), qui renferme une invocation adressée
à Retchep - Schalmun , association de noms divins comparable à celle qu'offrent
nipb»3tttt>K /lo&ob» ,byn^ba.
202 REVUE DES ETUDES JUIVES
Mà[X]êayoç le nom divin, encore que le texte précédent assurât la
réalité du o * . Mieux inspiré, Stark 2 reconnut la véritable lec-
ture, mais en retenant l'identification avec Malakbet, qui a joui
pendant un demi-siècle d'une faveur injustifiée3.
Il y a quelques années, M. Clermont-Ganneau a repris, dans son
article sur les Inscriptions du Cheikh Barakât*, l'étude du groupe
des dédicaces du Corpus, accru de textes nouveaux du même
type , tout en déclarant que les lectures Màopa/oç et MàXêayoç
n'étaient pas complètement exclues ; il déclarait, après l'examen
des copies plus nombreuses et plus sûres que celles dont avaient
disposé Franz et Stark, que Mào6a/oç représentait la forme la
plus probable.
Presque en même temps, et sans connaître la publication pré-
cédente, Hoffmann 5 et Krauss6 rapprochèrent indépendamment
Mào6a/oç du dieu Nadbaka (ï-oaia) que le Talmud place à Ptolémaïs-
'Akko : la comparaison des deux mots incline immédiatement à
rapporter Màoêayoç à la racine ^nn. 11 faut tenir compte cependant
de la variation <ie la préformante : Hoffmann a rappelé qu'elle ne
constitue qu'un phénomène secondaire. Barth a, en effet, montré7
que devant toute racine renfermant une labiale, l'assyrien rem-
plaçait par un noun le min conservé comme préfixe par la gé-
néralité des dialectes sémitiques ; on peut donc considérer Mad-
bak et Nadbaka comme les deux variantes du même mot, la der-
nière étant affectée par la loi propre à l'assyrien. Par un
heureux hasard, la Mischna nous offre le même vocable sous les
deux formes : ^ma et *]ym, nidbak et midbak s sont des termes
synonymes qui ont le sens d' « assise d'une muraille » ; nidbak
(qui existe déjà dans l'araméen biblique) est évidemment iden-
tique à l'assyrien nadbaku9, « muraille rocheuse, paroi mon-
tagneuse ». Il est au premier abord déconcertant de trouver
la forme non-assyrienne MàSfJa^oç au Djebel Barakât, dans
une région toute pénétrée d'influences assyriennes 10, alors que
1 C7&..44K0, donne MA APAXQ.
* Stark, Gaza, p. 571 .
3 Mommsen, Rom. Gesch., t. V, p. 452; cf. Roscher, Lexikon, t. II, c. 2296.
*• Clermont-Ganneau, Et. d'arch. or., II, p. 35.
6 Zeitschr.f. Assyriologie,\. XI, p. 246.
6 Semitic Studies in mem. of Kohut, p. 343.
7 Zeitschr. f. Ass., II, p. 111. Cf. Frânkel, Fremdwôrter, p. 133.
8 Cf. Levy, Worterbuch, s. v.
9 Le rapprochement a été l'ait par Delitzsch, Assyr. Grammatik, p. 172.
10 Madbakhos est associé, dans les inscriptions du Dj. Barakât, au dieu Selamanès,
qui est, comme nous l'avons dit, le Schoulraanou des cunéiformes. A une faible dis-
tance se dresse la montagne appelée au moyeu à^e Djebel Nebo, du nom d'un autre
dieu assyrien ; voir enfin les monuments de Wêrab, également dans le voisinage.
CULTES ET RITES SYRIENS DANS LE TALMUD 203
c'est 'Akko qui fournit en Nadbaka le nom du type caractéris-
tique de la langue des cunéiformes. Mais ce renversement de la
répartition qui, dans l'état de nos connaissances, aurait paru na-
turel peut fort bien tenir à des causes secondaires dont l'in-
suffisance de notre information nous interdit de rendre compte.
L'équivalence de MàBSayoç et de ttM13 semblait pouvoir être te-
nue pour établie, quand la découverte d'un nouveau document
vint la remettre en question.
Dans son mémoire de 1895, Clermont- Ganneau s'était de-
mandé — ■ avec une hésitation commandée par la légère incerti-
tude qui lui semblait planer encore sur la forme véritable du nom
— si Màoêa/oç n'était pas une transcription du mot araméen miE
« autel » et si l'on n'était pas en présence « d'un dieu bétyle,
d'un Zsùç Bo)(i.d<; ' ».
Nous savons aujourd'hui que dans la région même du Djebel
Barakât, c'est bien par pw^oç que l'on interprétait le nom Màô-
êa^oç. En effet, l'expédition américaine de Syrie a découvert au
Djebel Barîscha une dédicace adressée Âil Bwpo [xe^aXo), que Litt-
mann a immédiatement rapprochée des monuments analogues
consacrés à Madbakhos, en en déduisant pour ce dernier mot la
forme originale rmtt 2. Clermont-Ganneau, apès avoir signalé
cette trouvaille et revendiqué, en ce qui concerne l'équation Mào-
ëa^oç-na^tt-pcoj/.oç, des droits de priorité qui sont incontestables 3,
a proposé4 de rattacher la notion d'un dieu Autel au culte de la
pierre carrée et de l'énigmatique nama de Pètra5.
Il n'est pas douteux que Màoêa/oç ait été, dès l'époque gréco-
romaine, interprété par mitt et traduit par Bw^oç. Mais il n'est pas
certain que nous ayons là l'explication et l'étymologie véritable
du nom sémitique. Philologiquement et historiquement, la thèse
de MM. Clermont-Ganneau et Littmann se heurte à de très sé-
rieuses difficultés.
D'abord, MàSêa^oç serait de Madbah une transcription insolite.
Le heth 6, sans doute, est quelquefois, dans les textes épigraphiques
1 Clermont-Ganneau, Etudes d'archéol. orientale, t. II, p. 49, note 2.
* Butler et Littmann, ap. Americ. Journal of Arch.t 1900, p. 435.
3 Clermont-Ganneau, Recueil,, t. IV, p. 164.
* Clermont-Ganueau, £#., p. 248.
5 Je crois qu'il faut plutôt rapprocher ïianitt (dont la lettre finale peut difficile-
ment avoir une fonction différente de celle du HtZJ^p de la même ligne, C7&, II, 198]
des noms divins yéménites U^panfa, 3 5*7)3 3 nE et "pa^anTa (Fell, Zeitschr. morg.
Gesellsch., t. LIV, p. 237, note 1 ; Weber, Mittheil. vorder. Gesellsch., 1901, p. 56) :
l'explication proposée par Fell pour ces noms ne semble d'ailleurs pas définitive.
6 11 est bon de faire remarquer que le heth de NU 3*7 fa ou 713773 répond au hâ
doux arabe, et qu'il est d'ailleurs assez douteux que les dialectes syriens des ra-
meaux araméen et bébréo-phénicien aient possédé le khâ fricatif (cf. en ce qui con-
204 REVUE DES ETUDES JUIVES
grecs transcrit y en tête du mot : bien plus souvent, même en ce
cas, il n'est pas exprimé, l'alphabet grec n'ayant pas de signe qui
pût rendre cette forte expiration1. Mais je ne connais aucun
exemple épigraphique 2 certain d'une transcription y du n se-
conde ou troisième radicale : *w> donne Jaraios, bi:wn Jaribo-
los ou Jérablos, mp Kozê, ittbmo Moatemos3 ; Soaimos et Koai-
phos correspondent, suivant des rapprochements dus à Lidzbarski4,
à Sohairn et Qohaif; dans l'inscription mosaïque, très tardive
d'ailleurs, de Mâdebâ, Bêlomarsea est la transcription de ma
rira 5. Le y est, dans la règle, réservé à l'expression du Uaph.
Ce premier obstacle n'est sans doute pas infranchissable : on ne
saurait prétendre qu'une transcription y du n doux médial ou final
soit impossible. Plus grave est l'objection que l'on peut adresser,
du point de vue de l'histoire religieuse, à l'introduction dans le
panthéon sémitique d'un dieu Autel.
Le mot madbah-mizbèah 6, qui désigne l'autel dans les langues
araméenne, hébraïque et phénicienne, signifie proprement l'objet
matériel sur lequel on immole la victime offerte à Dieu. Cet ac-
cessoire du sacrifice peut-il devenir un Dieu? Nous ne le croyons
pas, non que le sacrifice en général suppose la divinité — nous
savons que dans un grand nombre de cas c'est des formes primi-
tives du sacrifice qu'elle s'est dégagée — , mais parce qu'un sacri-
fice assez développé pour utiliser un autel caractérisé comme lieu
d'immolation par un nom tel que mizbèah nécessairement a une
cerne les noms propres hébraïques, Siegfried, Zeitschr. f. ait test ornent. Wissensch.,
t. IV, pp. 35 et 70; Kamffmeyer, Zeitschr. Palàst. Ver., 1892, p. 24 et suiv.).
Dans la majorité des cas où nous le rencontron?, le y semble rendre un n dur, et
cela dans des noms appartenant peut-être souvent à des dialectes à khâ, et qui en
tout cas se rencontrent dans des régions influencées par des éléments arabes.
1 rH72n est transcrit Ehamratè; "lTVtt correspond peut-être à Khaiamos et b&mfi
à Kheeilos (Dussaud-Macler, Voyage au Sa fa, p 155) ; "j-pn est transcrit à la fois Khai-
ranès et Airanès, le palmyrénien NTn et le sinaitique TV H équivalent peut-être
respectivement à Airos et Khairos ; mais les formes grecques Abihos, Addoudanès,
Ala, Amelathos, Annèlos, Arsa, Aretas, Asasos (Cf. Lidzbarski, Handbuch, p. 269
et suiv.), Hias, Ouros, Alaphtha (Clermont-Ganneau, Recueil, t. IV, pp. 121,
141, 143, 149), Ababathè, A Uni os (Lidzbarski, Ephemeris, pp. 218, 220) attestent la
prévalence de Télision du n même initial.
2 Je laisse de côté les transcriptions savantes des œuvres littéraires (cf. sur celles de
Josèphe, J. Weill, traduct. des Antiquités judaïques, t. I, p. 18, note 2, et p. 31,
note 1).
3 Clermont -Ganneau, Recueil, t. IV, p. 170; cf. ib., p. 169-170, une série
d'équivalences entre des noms safaïtiques et des noms connus par l'épigraphie
grecque, qui confirment notre thèse (dans "iHON — "Auyapoç la troisième lettre
est un khâ dur); l'ASaSvaSivayyjç delà bilingue de Tello transcrit un mot assyrien.
v Lidzbarski, Ephemeris, t. I, pp. 218,220.
8 Cf. Bùchler, Revue Et. juiv., 1901, t. I, p. 125, et Clermont-Ganneau, Recueil,
t. IV, p. 276.
6 La racine rDÏ est pansémitique.
CULTES ET RITES SYRIENS DANS LE TALMUD 205
personnalité constituée en dehors de lui. C'est en vain qu'on rap-
proche l'autel de la pierre sacrée (qui semble dans certains cas
avoir servi au sacrifice l), et il ne servirait à rien de rappeler la
théorie par laquelle Robertson Smith 2 a cherché à expliquer la
formation du numen, qui, nous dit-on 3, est incorporé dans les
pierres comme celle de Pètra, car la transformation de la pierre à
sacrifices en bétyle réceptacle de la divinité n'a pu s'accomplir
sous le couvert d'un mot aussi transparent que celui de mttt
= mTO , qui caractérise d'un trait trop accusé la fonction de
l'objet pour laisser subsister l'équivoque qui serait nécessaire
pour qu'un dieu pût arriver à se dégager du bloc. Toutes les dif-
ficultés s'évanouissent si l'on suppose que le nom original du dieu
du Djebel-Barakât a eu la forme — très légèrement hypothétique
— de ^mtt ou ïtsaitt,. à peine différente du roniD talmudique. C'est
l'étymologie populaire (peut-être maniée par un Syrien d'origine
grecque) qui aura assigné à ce vocable le sens de snaia, qui en
est phonétiquement si voisin : plus d'une interprétation savante —
pour ne parler que des tentatives d'explication de noms sémitiques
— conservée par le pseudo-Méliton, Tertullien 4 ou Macrobe s,
dépasse celle-là en absurdité. MàoSa/oç pourra être considéré
comme la transcription normale d'un nom divin attesté par un
texte syrien précis, et le dieu « Autel » devra être considéré, non
comme un vestige d'une pensée religieuse archaïque, mais comme
le produit d'une exégèse de basse époque.
Isidore Lévy.
1 Cf. Lagrange, Revue biblique, 1901, pp. 225, 227, 242.
s Robertson Smith, Religion of the Sémites (2e éd.), p. 201.
3 Lagrange, loc. cit., p. 225, semble suivi par Clermont-Ganneau, Recueil, t. IV,
p. 249.
* Cf. les exemples cilés Revue d'hist. des Relig , 1899, t. If, p. 370 et suiv.
5 Macrobe, Saturnales, I, 21, 17.
LES ANOMALIES
DU PLURIEL DES NOMS EN HÉBREU
Dans notre étude sur le pluriel hébreu {Revue, t. XXIV, p. 99
et suiv.), nous avons fait remarquer combien sont nombreux les
substantifs qui n'ont pas de singulier. De plus, beaucoup de ces
pluralia tanlum, ainsi que d'autres noms pluriels, sont employés
avec la même valeur que le singulier. Nous désirons reprendre en
détail cette question et compléter la statistique des pluriels anor-
maux, car les grammaires les plus récentes cherchent à expli-
quer l'emploi du pluriel sans distinguer les véritables pluralia
tantum parmi les noms qui n'ont pas de singulier, et d'autre
part, elles établissent des catégories de pluriels d'étendue, d'abs-
traction, d'action, qui, selon nous, n'ont, au point de vue gram-
matical ou lexicographique, qu'une importance très restreinte.
I. Noms dont le singulier manque fortuitement.
Il y a beaucoup de noms dont on ne trouve pas le singulier dans
la Bible, simplement parce que les Écritures nont pas eu l'occa-
sion de l'employer. Il est utile d'énumérer ces noms pour les sé-
parer de ceux dont le singulier était réellement inusité1. Nous
les rangeons par ordre alphabétique de racines :
^ba», iban^N, d^iD-i^N, tnbïw et mbï-rct, mais (outres), mniN,
ûTia (hiboux), û^B-Y-nonN, trnniariN, fcptPMK, ire», û^n (Is., xiii,
22), fcpttb^ et irab^, Jrsba (bœufs), iraa (géants), ma», '"rôa1»
1 Nous avons laissé de côté les adjectifs, qui avaient forcément tous un singu-
lier. Nous avons toutefois cité les adjectifs pris substantivement.
2 Le signe ' à la fin du mot signifie que ce mot ne se trouve qu'avec les suffixes.
LES ANOMALIES DU PLURIEL DES NOMS EN HEBREU 207
rnaiN, rrriN, nvuJN, trsttN, ■rû-ft'ùf, a^a (devins) ? tnâba, tarra,
rwa-pa, -naa, "«fta, a^bsa, ^anpa, a^ap-ia. a^TKa, a^aa (sauterelles,
citernes), m*aa73 "^ly et mTia (coupures), r-if^ia, a^a, a*nja,
mnwTs, a^aba, imba, a^itia, -naa, '■waa, a-nana, m-m, mnm, a^ain.
etcw, û^in • nrbi, a^i^am. a^bb-n, mo^rt, a-m, ow»t,
nviT, mp"n, mnsra, n-rarp, a^pj, ûwt et a^aianT, anan, a^nan,
■min, cimn, a-wan, t-nbn», a-'abrra, mabim ^pbn, fca^aTan,
*p73n, a^ann, aa^aann, a^mn, a-a-nnV'fS a^aann, aa-ônn, a^mn,
ta^irnn, rnaatin, ^ian, a^-ina, ^ba->, a^air?, aa^aa/v a-1»-'., mp:r
(branches), ûv\ a^b*\ Hma, ta^aa, nvba, mab^a, a-naa, r-nnaa,
nnana, rrnrçna, rçianab, a-bib, mtôib, fcpiataçib, mnpa, mambtt,
S-WTO, mbib», fca*nb#, taTibw, a^?:, ta"n*na, maïaia, ta^a,
ta^bnbrra, pnhajs, mbnj, maa, ^scsa. ma^aa, mïï^s, ^baa, ca^aaa
ta^a, n-ppatt, mp^:, a^na, aa^aaa, ta-ma, mana, a*voa,
Iavn73073, û,,D',3?o, mnac», a^ana, a^ana, a^ay , '-na? (œuvres),
'Trayia, a^na% a^bTtf, ta^aïaî^, méra*», 'mura^, t-nb*b5>, a^*aa>.
r-nana», 'Wtf, aa^pn?, mne?, ma-irua?, aa^rirtf, a^aa, a^na
(plaques), rmba, mb*a, a^pa, nwpa, a^rna, a^rncN, r-nana,
a^ama, aa^air, &T\aat, fca^lhx, ?a*a», rrôest, rmros, ta^aip,
minp, Cavbp, aa^a-naap, manap, "Wip, aa-oip, a^np, aa^o^p,
mtop, a^an, a^aan , a^am , a^am. ta^aa-i, a'oan, aa-o^an,
mban, nmoDi, a^aan, a^npn et mnpn, a^am, rvrato, a^annto,
a^ab, msSç, nvaia, lawife, tarant, aaïa^aiâ, matais», m^jiD,
ta^iâ, ta^arâM , a^airâ, m-nâ, 'mnbia, a^abb, rvmab, taa^apb,
mnià-rô, ■'bvnzj, aa">aiNn et DTaNin, a^an, ma>bna, ta^an et maan.
IL Noms douteux.
Aux noms qui précèdent nous en ajouterons d'autres dont le
sens ou la forme sont incertains, en les rangeant par ordre al-
phabétique :
a^aaba et a^aabN, aa^aaN et maaa, aaT:aiaN, a^a (mensonges),
mnaa, rma, »a5an, "nan, ^an, aa^aaian8, ta-'ayaa, mbiaw3,
(Josué, xvi, 9), in-iaTa, oibpa», ^irrn, '?im, aan-T?a, r-nn-T7a,
n-ibat) (II Ghr., iv, 21), rma/E, mna»n, ta^Ta», ta^tt, ta^aa ,
ta-oa, n«aa, 'naa, a^aTa^a , aniira, a-»aa, mnba, aa^aa, r-nna,
1 Voir ci-dessous p. 213.
* Peut-être faut-il lire tf:n « en hâte», et 0^73 serait une dittographie de (1353
a*natOo.
a II faut sans doute vocaliser mbiatt
208 REVUE DES ETUDES JUIVES
mnD, 'tïb, mrrna, d^btw:, awis, d^at (images), d^ir (habitants
du désert), da^it, '•xap, nittan, tren (archers), rriia&n, man, ^n,
mpm, a^-jb, 'nvrô (Ez.; xxvn, 25), trnip (Jér., v, 10), -^bia,
■^aia, '•'bb-in.
III. Pluralia tantum.
D'autres substantifs paraissent n'avoir pas eu de singulier, tout
au moins dans la période littéraire, car les uns sont trop fréquem-
ment employés pour qu'on puisse attribuer au hasard l'absence du
singulier, d'autres ont une acception qui n'indique pas le pluriel.
On doit remarquer que, si plusieurs noms de cette seconde caté-
gorie sont traduits par des pluriels, cela doit tenir souvent à la
forme plurielle qui a induit en erreur les exégètes. Ainsi, tout le
monde traduit d^ann par grillage, mais Enabtt par échelons ; or,
d^abia peut être un réseau de lattes, et, par conséquent, n'être pas
plus un vrai pluriel que d^a^n.
Nous rangeons ces noms d'après leur forme :
1. Noms qui ont une voyelle autre que le pi'é sous la première
ou la seconde radicale , ou deux voyelles : a) Racines fortes :
û^aiâa, aa^r, û^m, aanM . n^asiû, tav^ann, r-iia^bn et '"«a^bri
T : T "S - T T T -:
(Job, xxix, 5), niD'H!-!1. Avec^rn dans la troisième radicale : mpbn,
ca^ann, ma?p, ta">a^:p mabs, fc-nâbé, E^abiâ ; 6) Racines faibles :
ta^ntt, tan1"î> d^j, da^S d-oa, tznaa3, d^k (douleurs), 'miâ,
2. Noms avec pnia sous la seconde radicale : a) êto sous la
première radicale : tr©gja_, Emna et rmna, débina, ï-nœia,
can^in , rman , tnbnn , EraiST , d^pj , da-HYnn, aa^aian, dimn,
d^piuîn, ^msp (Job, xvu, 10), mb-iba, a^pritt, û^rw, û^wa et rnwa,
d-onb:?, ta^-itt? et ni933t^, a^piiày, Ewa, ^ms, da-mpa, t-nasi *,
d^anau;, taraipiD. — b) pin sous la première et tu:n dans la se-
conde : trmaa, t=jvr#a, a^avtf et mena, d^bnb^, tzi^bibrt, trpiiân,
EmÊn, ûTnets, d^rnaa, amfcb, d-wb» et n-iab», d^aaa, fca-wna,
a-mpa, a-mpa, dmais, d^pi?:^, ûwap, a-mbp, ûtnp-i, taranpn
û^biau; , ûmEtâ. — c) Préfixe n : '-»b-imn , mabïrn , maiartn ,
1 II se pourrait que dans ces noms le plfl fût l'altération d'un p*")T23.
* Telle est la prononciation traditionnelle du mot d^fà, et il n'y a aucune raison
pour la déclarer inexacte.
3 dnaa n'a de commun que la racine avec d^aa, et répond à l'arabe finâ
« enclos ».
4 Peut-être faut-il lire aussi DINS"! dans Proverbes, m, 8.
LES ANOMALIES L)l' l'LUMEL DES NOMS EN HEBREU 209
nibiann, awbnn, ta^anann et manann, fc-naabn, û^pnntjn, bmu:n,
a^inan et ï-nmnan, d^»n, mswr1, nvasJn. Avec la deuxième
radicale "i ou "> : a*»a«n, niabïi (= ma"pbn) matian, mwan. Trois
noms à première radicale tia?; n'ont pas de p-itt : rrnbin, rhaann,
maann.
3. Noms avec préfixes n : a) Voyelle yizp : QTO, mbaa»,
matbma, mswantt, a^bba^a, d^bys» et mbato», tapana», ta^wt»,
a^npn». — Racines faibles : m^ona, d"nsna, û^n^, — &) Voyelle
■nat : marra, D^bnp» et f-nbrtpa. — Racines faibles : ts-naitt
et fTHOta, d-naitt et r-maitt , msan». — c) Voyelle incer-
taine : rvnpTO, npntt, ^irra, maso», "pn*», mabatt, mbnawa,
m«jn»i mban», mbara, "nauJ», monta. — d) Voyelle dbn :
nmtaa, dn"i?27a. — Racines faibles : vniatt, '"»w». — e) Voyelle
plta : û^DKtt, mabirra, Dwan» û^ds». — Racines faibles : û^biro,
dTrra, rvwwMi B^iânatè, D'ma.fc, a^TiTa- — f) Avec redoublement
de la troisième radicale : a) avec uns : ta^ifitta, btims»», mbnra,
awa», a^aaaa, awa», a^wj et mawa, ta^p1»*:», a^apana, rrabato,
a^ana, a^aaM, avaia», Km»»]. — p) avec pnia : a^sarra, a^an^a.
4. Avec préfixe a : crtinsa.
5. Avec suffixe : cnan^s, D"nn»biB.
6. Noms quadrilitères : a) Racine bilitère répétée : ta^nsna,
rmana, a^anan , a^bpï, a^mnnn, mbaba, a^aaaa, ûviï, a^Karsx,
ninsnat, a^anazaras, ûviWïï, d^bnbn, awj*n. — V) Divers: ma>aa*aa,
a^aiana, a^DiDwsa. n^naa, rrïrnaJp©, amaa, maana, awife.
On peut y ajouter quelques noms dont le singulier est très
rare : 1. nw, d^ban (douleurs), mb^ba». — 2. a^anap, ûTnna,
ûvaibç, aianps), s^anaafn. — 3. d*>nno?a, a^aprra, d^aioïaa.
Il suffit de comparer cette liste à celle des substantifs dont le
singulier manque fortuitement, pour voir que la forme des noms
a ici une très grande importance. Les vrais pluralia tantum sont
principalement : 1° des noms avec voyelle p-iia pour la deuxième
radicale ; 2° des noms avec ;a:n dans la troisième radicale; 3° des
noms avec préfixe a ; 4° des noms quadrilitères. Gomme il est dif-
ficile de croire que c'est par hasard que les noms de ces catégo-
ries n'ont pas de singulier et ont l'acception du singulier, nous
maintenons l'opinion émise par nous dans l'article précité, que la
plupart de ces noms masculins pluriels avaient, à l'origine, une
terminaison féminine ay-. Comme cette terminaison servait aussi
1 Voir plus bas a^aïa^n.
s La terminaison ay après la voyelle pTIÎ rappelle les formes de l'infinitif dans
l'araméen talmudique et mandéen ^pî|ï3p et ^b^ûapN, etc. (voir Nôldeke, Man-
dâlsche Grammatik, p. 142 et suiv.). — Sur les noms hébreux qui ont conservé cette
terminaison, voir Kôaig, II, p. 117 et suiv.
T. XI III, N° 80. 14
210 REVUE DES ETUDES JUIVES
à marquer le pluriel, ces noms ont fini par être traités comme
des pluriels et ont reçu ensuite à l'absolu la terminaison îm *.
Quelques-uns avaient la terminaison féminine at, et, par analogie
avec les noms en ay de même signification, ont été aussi trans-
formés en pluriels. Par exemple, une forme tanhoumay est de-
venue tanhoumîm- et, par analogie, tanhoumat est devenue tan-
houmôt. Il est probable cependant que certains noms, notam-
ment les concrets, avaient primitivement un singulier, qui, pour
une raison quelconque, est tombé en désuétude. Par exemple, le
mot trtt a pu avoir, à un certain moment, un singulier !TE, qui,
par suite de sa ressemblance avec le pronom rwa, a été supplanté
par le pluriel2. Il est donc permis de parler de pluriels d'étendue
et d'action 3, mais seulement en ce sens que l'espace peut être en-
visagé dans ses différentes parties et l'activité dans ses manifesta-
tions successives ; ainsi ûtbiïï, comme dwitt, peut désigner les
différents cieux ou hauteurs, et mb*Dtt les diverses actions,
comme mn^, les exploits. Mais nous ne pouvons guère admettre
de pluriels d'abstraction , car l'abstraction ne peut amener le
pluriel. Le pluriel, dans les abstraits, ne peut s'expliquer que
par une transformation morphologique ou analogique du singu-
lier en pluriel ou par la substitution d'une idée concrète à
l'idée abstraite.
Le mot ÛT173, qui n'est employé que comme pluriel, a eu sûre-
ment à l'origine un singulier, qu'on retrouve dans d'autres dia-
lectes sémitiques, et, qui, en hébreu, a été remplacé par izjin.
IV. Le pluriel poétique.
La poésie aimant l'emphase et mettant volontiers le concret à la
place de l'abstrait, il est naturel qu'on y trouve des pluriels dont
1 C'est ce qui explique pourquoi des mots comme d^TVl, EmiDD, D^MS.
Ù^TDpUJ, "HTI3N n'ont pas la forme des pluriels ségolés. Le mot Û^lbiï), en arabe
sal/oâ, prouve la justesse de notre théorie.
2 Nous pensons maintenant avec Kôaig [Syntaxe, p. 199, en note) que le pluriel
dans Û^73 et les noms semblables ne vient pas d'une confusion entre le yod radical et
le yod du pluriel. En elïet, £OT2 et frP7212J sont aussi des pluriels en araméen ; or, en
araméen une confusion de ce genre aurait pu difficilement se produire. — Le pluriel
en âyim, dans C2^72, EP73TZ5, D'^û, s'explique comme le pluriel en âyin des parti-
cipes des verbes "i'b araméens, par exemple, \^y . Le ton a passé de la derniè.e syllabe,
qui était fermée, à l'avant-dernière, qui était ouverte, el le pin est devenu b;ef.
3 Voir Geseuius-Kautzsch, § 124 b-d.
LES ANOMALIES DU PLURIEL DES NOMS EN HÉBREU 211
le singulier seul est employé en prose1. Nous les répartissons
comme les pluralia tantum, en :
1° Noms qui ont une voyelle autre que le plus sous la première
et la seconde radicale : d">a^N, û^in (force) dw» et mtra, ^ddn,
r-nbdN, nittfia, my»a, d*n»a, ^naa, n^nn (Eccl., x, 10), mwan et
r-nttsrj, d">ottn, m-nn, menn, d^au:n, dw, frmij, ma», fhifcba),
nifcpa, d"nno (Prov., xi, 11), m-ia* (Job, xxxi, 36), torobv,
mis*, ^nns (Micha., vu, 5), mpTO, m»np, ma«p, r-nrro», mai»,
SF3B».
2° Noms avec pi» : tarratt2 (foi) et main», d*»bw , mnaa
mbi»a, mn»\
3° Noms avec préfixe 53 : mis», ûTiûa», d^iwnw, dmon» (Ps.,
xxiv, 34), d^s^nn, rmbi», mb»»a, d-rnatt et mms», mpistn,
•wptt (Ez., xxviii, 7; Ps., lxviii, 36; lxxiii, 17), ^arnw, d^pn-i»
■>aa»tt (Gen.,xLix, 4), ^a>»» (Ps., xlvi, 5; lxxxiv, 2; cxxxn, 5,7),
4° Divers : mbiia, minba, msian, mbîin, miai3n, mmsn
'■Win (Ps , lxxxviii, 17) moato.
On voit que, si plusieurs noms appartiennent aux formes
usuelles des pluralia tanlurn, beaucoup d'autres ont des formes
variées.
Il est à noter que quelques-uns de ces noms sont souvent trai-
tés comme des féminins singuliers. Ainsi : mnna (Jér., xn, 4;
Joël, 1, 20; Job, xn, 7); mrrba (Job, xxvn, 20) ; nittsn (Prov.,
1, 20 ; ix, 1), ce qui montre que ôt est considéré comme une simple
terminaison emphatique à la place de ai*, mm» est traité comme
un masculin singulier dans Is., xvi, 8, et Habacouc, ni, 17, peut-
être par analogie avec in».
Très rarement le singulier est poétique alors que le pluriel est
usité en prosp. C'est le cas pour ïrib», n«h « vie », dnb», à côté de
û^nbN, d^n, d^b».
Quelques noms ont le pluriel au même sens que le singulier,
sans distinction de prose ou de poésie : 1DO et d^IBO « lettres »
(Tl Rois , xix , 14) , m»N ou -n»N et fca*nl»«*i biss et tanbus ;
1 Nous laissons de côté les noms dont le pluriel est aussi usité eu prose.
2 Le singulier 'pfàN est aussi poétique.
3 11 en est de même pour ni3»n73 (Jér., iv, 14; li, 29 ; Prov., xv, 22 ; xx, 18]
et n^LÛn (H Rois, m, 3 et passim ; Is., lix, 12). Le mot ma»n73 Peu<< désigner ici
un plan et n^!13n un péché (celui qui a consisté à fabriquer les veaux de Dan et de
Béthel).
* dn"T1»N est traité comme un féminin singulier dans Ps., xxxvn, 31, et lxxiii, 2
ketib.
212 REVUE DES ETUDES JUIVES
ittoe et nvYQft ou mtDS, to-is et news: ou rrntwfc» *aœ et to'W
« écarlate », $£Mi et ■wifc'itt « issue du jour ! ».
V. Différences de sens entre le nom au singulier
ET LE NOM AU PLURIEL.
Quelques substantifs ont un pluriel d'une signification autre que
celle du singulier : Ce sont tik « feu » cptin « îles, oracles (?) » ;
iïrtb « lame », d^ïib « incantations »; nb « parties sexuelles de la
femme » et rnra « gonds » ; ïitfitt et riNitt « vision », mantt « mi-
roirs » ; Frtin « chant », d^2n « autruches » ; dbu; « payement »,
»fcbiu « sacrifice de payement » ; spto « serpent », twito « sé-
raphins ».
Le pluriel d"W de ai « sang » désigne le sang versé et le prix du
sang, le pluriel fcaTsa? de d? « peuple » désigne souvent les mânes.
Les mots tran, nn^b, dénias qui ne sont pas de vrais pluriels,
désignent le froment, l'orge, le lin comme matière, tandis que nan,
ttnbto, ttrnbfi les désignent comme espèces. La même différence a
pu exister à l'origine entre ibb et d"nVi»..
Le singulier de certains noms s'est seulement maintenu dans
les locutions spéciales : celui de o^a « barres, membres » ne se
rencontre que dans "nb « seul» et ina *n (Ex., xxx, 34) « en
parties égales » ; celui de d^s « face » dans }ô « face à, rapport à
ce que, de peur que »2 ; Tina et n^nd ne sont usités au singulier que
comme adverbes, tandis que les substantifs sont ta'mnH et rvwnD.
La préposition 'pa a le pluriel rïti^a avec une nuance d'idée par-
ticulière : nr/3 veut dire : entre les uns et les autres, tandis que
■pn ne s'applique qu'à un des côtés, de sorte qu'il faut mettre une
seconde fois pn ou b 3.
nna a le même sens que "nriN 4, où la terminaison \ est l'an-
cienne terminaison féminine, comme en arabe hawlay (autour)
existe àcôté de hawla. "ntiN a la même forme que "niiî^ qui n'est
pas un vrai pluriel, car devant les suffixes les voyelles ne changent
pas, exemple *p7Ç£.
1 Dans ^pmjTn et ï-pmjîn (Ez., xvi, 33 ; xxm, 7 et ailleurs); ^SlfcO [ib., xvi,
56); "psin, {ib-, xxvn, 33), le suffixe est peut-être purement emphatique, et ne suffit
pas à prouver l'existence des pluriels toTnaïn, Û^lfiW, ta^in.
2 Cf. le sens de l'arabe djihat « face, rapport ».
3 Gesenius-Kautzsch, p. 294, note 1.
* Dans Beréschit rabba, sur Gen., xv, 1, R. Youdan prétend que i^HN désigne
une suite immédiate et ntlN une suite plus éloignée. Rab Houna émet l'opinion
inverse.
LES ANOMALIES OU PLURIEL DES NOMS EN HÉBREU 213
VI. Différences de forme entre le nom au singulier
ET LE NOM AU PLURIEL.
Outre la grande différence qui existe entre le radical singulier
et le radical pluriel des ségolés1, on peut relever quelques noms
où le singulier n'a pas la même racine ou le même radical que le
pluriel.
Tout d'abord, le mot )$& sert de pluriel à nb? et 'npn à -niû
(Exode, xxi, 37 et ailleurs) ; »ti55a sert de pluriel à ©■»«, et tmÛD
(racine ">ir:i) à Itïisn (racine ms) 2.
Ensuite, tfin a pour pluriel nHîpn ou ^ïiE*; mrrfbfc et nnbs
r-nnbsfcj n^M, rnatttt et mâ&w; rtss?^, b^; mb, m^i'b ; S-nkn,
rrraa, n-itm, fcr-iaaft; yp>% r-maa-in ; ' Nantt: ; ta^aroa; œiir,
to^'^iD-» ; rip'-nD, mpnïï ; arob, manb
Ces noms ont pu avoir, à l'origine, des formes différentes, dont
les unes sont restées usuelles pour le singulier et les autres pour
le pluriel. Pour quelques autres noms il n'y a pas lieu de supposer
des formes primitivement différentes du singulier et du pluriel :
ainsi, *içn a le pluriel d^toN état construit "ntta parce que de-
vant les suffixes de la troisième radicale le rèsch amène la voyelle i,
cf. triEN et noh, ïnon. On peut en dire autant pour les ségolés
qui ont comme voyelle de la seconde radicale, au pluriel, un p*in,
au lieu de yjzp 4 : yv\ *:pp, rv^p font au pluriel ta^tas, d^os,
mfl-ip {= m^-ip). Très vraisemblablement on doitaussi faire dériver
tra-nn de tnn, ^pa de bas, a^M de bsi, d^3£ (épines) de riss,
mmmy de nnu et peut-être it*tô de n:â.
Il est permis aussi de voir dans msHa de in a et mfoâa de ttab
des pluriels avec ûbn, au lieu de y^p.
Nous rappelons que les ségolés, ayant au pluriel la voyelle de la
seconde radicale, tandis que le singulier a la voyelle dans la pre-
mière, nous présentent une série de pluriels brisés qui sont de-
venus mixtes par l'adjonction des terminaisons du pluriel sain,
comme en arabe : banoûna = bnayoûna est le pluriel de ibn =
biny ; 'aradoûna de "ard, etc5.
1 Wo\t Revue, t. XXIV, p. 104.
» Nous renouçoûs à croire que t^uUi vienne de ^fc* («'£., p. 109, note 2).
3 Le Aetibyi^TQ (II Sam., xxi, 20) doit peut-être se lire ^fa === ni'TO (Nombres,
xxii, 32). — Le ketib t^^1*Vfi se rencontre dans Prov. xvxn, 19; xxi, 9, 19 ; xxnx,
29 ; xxv, 24 ; xxvi, 21 : xxvn, 15.
* Voir Revue, t. XXIV, p. 105.
5 Voir Revue, ibidem., p. 104.
214 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
VII. Les du ali a tantum.
Un certain nombre de duels n'ont pas de singulier. Pour les uns,
ce fait doit être considéré comme fortuit, mais pour d'autres, la
nature de l'objet désigné par le duel pouvait exclure l'emploi
du singulier.
Dans la première catégorie on peut ranger : d^SN, d^pDN, 'vn,
drsbn, d^sn, tr^^-D, tran», d^-pra tzpsycr '-«nns, '■'bonp. Dans la
T '
seconde : ctssn, îd^td, Sa^oas», d^nbittt, ûth, û^birô, d^D, tomsip,
trnsiûtt. Le motûTibx* (Eccl., x, 18) est douteux.
Quelques-uns, enfin, ont un singulier avec un autre sens :
le mot trrw désigne le fond, la partie la plus reculée d'un
objet, tandis que rpv veut dire côté ; tp-iiiii: veut dire midi, et
■"lîifc, d'après l'opinion la plus répandue, fenêtre, mais plus vrai-
semblablement, toit en double pente1; d^DN signifie narines, et
qs nez, colère.
Mayer Lambert.
1 Halévy, Recherches bibliques, p. 118, en note.
SUR
LES DEUX PREMIERS LIVRES DES MACCHABÉES
L'original hébreu du Ier livre des Macchabées.
L'original du Ier livre des Macchabées nous est, paraît-il, enfin
rendu! Après la découverte des fragments de Ben Sira, celle du
plus fameux ouvrage historique des Juifs : le xixe siècle aura eu
toutes les surprises. Ce n'est plus, cette fois, la gueniza du Caire
qui nous livre le précieux document poursuivi depuis tant de
siècles, c'est un manuscrit de Paris s 'occupant principalement de
questions rituelles. Bien mieux, ce texte original de I Macch. a été
publié récemment par notre éminent confrère M. D. Ghwolson *,
qui ne s'est pas douté de la trouvaille qu'il venait de faire, et les
lecteurs ne se sont pas avisés non plus qu'ils se trouvaient en
présence d'un des plus vénérables monuments de la littérature
hébraïque. M. Chwolson, sans se prononcer nettement sur la
valeur de ce texte, laissait cependant assez clairement entendre
qu'à son sens, il devait provenir du milieu d'où est sorti le Yosi-
phon, c'est-à-dire de l'Italie méridionale (xe siècle). Il était réservé
à M. Schweizer2 de reconnaître la vérité : ce document, malheu-
reusement fragmentaire, est bel et bien, selon lui, l'original dont
dérivent les versions grecque et syriaque. Ou cette thèse est fon-
dée en droit, et il faut saluer avec gratitude cette précieuse décou-
verte, ou c'est la fantaisie d'un chercheur grisé par le désir
d'étonner, et il faut avoir le courage de le montrer, pour que,
dans la suite, on ne vienne pas invoquer son témoignage. Exa-
minons donc les arguments que fait valoir M. S. en faveur de
son opinion. Gomme on le devine, c'est la comparaison de l'hé-
1 Dans le T< b* yap, VII, 1896-97.
* Untersuchtingen ûber die Reste eines kebràischm Textes vom ersten Makka-
bàerbuch. Berlin, Poppelauer, 1901.
216 REVUE DES ETUDES JUIVES
breu avec les versions qui devra mettre en lumière l'antériorité
de l'hébreu sur celles-ci.
Les preuves ne sont pas toutes de même qualité : il en est qui
ne prouvent absolument rien. Telles sont les suivantes : Au ch. i,
1, le grec porte : xcd è[3a<7''X£U(7£v àvr' aùrou 7rpoT£pov £7Ù ty[V 'EAXàox
« Et [Alexandre] régna à sa place en premier sur la Grèce. » Ces
mots, dénués de sens, paraît-il, s'éclairent par l'hébreu : *]hn *iiii«
•jv by TOliBann « qui régna d'abord sur la Grèce », c'est-à-dire
seulement. Pourquoi ce sous -entendu, s'il est nécessaire, est
possible uniquement en hébreu, et non en grec, c'est ce qu'on
oublie de nous apprendre. En fait, il est hors de doute que ttoôteoûv
et MîmûN^a ont exactement le même sens.
i, 11. Les hellénistes conseillent de faire alliance avec les
peuples voisins, car, disent-ils, c'est depuis que nous nous sommes
séparés d'eux que nous ont atteints beaucoup de malheurs : ôVt
à^'TjÇ £y(op''(70"/][i.£v a7r' aùxojv £Ûp£V 7j;j.aç xaxà TuoÀXà. [= m3H "iSl^wïl
mr). Mais, dit M. S., c'est un anachronisme : les malheurs ne
sont venus qu'après. — Comme si ces hellénistes, partisans des
rois Séleucides , ne pouvaient pas faire allusion aux malheurs
essuyés précédemment dans la lutte entre Ptolémée et Antiochus
le Grand ! — Bien meilleur est l'hébreu : ann ûrpb^tt TiD3 un *a
ttVtt»! TvHn jwb* « Car si nous nous écartons d'eux, nous arrivera
le grand malheur. » Le traducteur grec, dit M. S., s'est trompé
sur le sens de ùs ^, si non, qu'il a rendu par depuis que; il a
bien été obligé, ensuite, de remplacer le futur par le passé. Mais
comment l'expression dtt ia peut-elle se confondre avec depuis
que (tne) ? Si l'on veut s'appuyer sur des confusions de traduc-
teur, encore faut-il que ces méprises soient vraisemblables, ce
qui n'est guère le cas ici.
M. S. se sert de beaucoup d'arguments de cette force. S'il
n'en produisait que de semblables, il n'y aurait pas même lieu de
discuter sa thèse; mais d'autres paraissent plus spécieux.
m, 3, il est dit de Juda Macchabée: Il élargit la gloire de son
peuple, se revêtit d'une cuirasse comme un géant, se ceignit de
ses armes de guerre et engagea les combats, protégeant le camp
de son épée. Ces derniers mots sont exagérés, dit M. S. : on n'a
assurément jamais rien dit de semblable !
Or, ici encore, l'hébreu nous a conservé une leçon bien préfé-
rable : W3nio hy min j|bra*n « et il tira son épée sur ses reins ».
La confusion est ici manifeste : t]bui"n a été pris pour ^btzm « il
jeta », et irpSnÊ « ses reins » pour irpantt « son camp ». — Mais
pourquoi, dans ce cas, le grec ne dirait-il pas : « Et il jeta son
épée sur son camp?» Mystère. En outre, est-il certain que la
SUR LES DEUX PREMIERS LIVRES DES MACCHABÉES 217
phrase hébraïque soit préférable ? « Tirer son épée sur ses reins »
est une image singulièrement risquée, dont il n'y a pas de spé-
cimen dans la Bible. Ce n'est pas tout, et ceci est grave : pourquoi
ne pas dire ywo, et employer cette forme incorrecte trama, qui
ne peut même pas se justifier par un exemple biblique ? J'imagine
que M. S. a été victime d'une coquille qui s'est glissée dans l'édi-
tion de M. Ghwolson : il faut lire irparwa « son camp » comme
plusieurs fois dans les versets suivants.
La preuve la plus séduisante fournie par M. S. à l'appui de sa
thèse est celle que fournit ni, 9. Juda, y est-il dit, mit en rage de
nombreux rois et en joie Jacob par ses exploits ; sa mémoire sera
éternellement bénie; il parcourut les villes de Juda, fit périr les
impies, détourna la colère (divine) d'Israël, fut renommé jus-
qu'aux extrémités de la terre et réunit ceux qui avaient péri
(xat ffuvTqyayev àTroXXu[i.évotjç). Les derniers mots détonnent, surtout
à la fin du couplet. Or, remarque M. S., le verset suivant com-
mence ainsi : xai tfuv^yaysv 'AttoXXojvioç « Et Apollonius réunit ».
Ne voit-on pas immédiatement que xaï crovrjyaysv à7roXXu[/.évouç est
une dittographie? Comme l'hébreu justement n'a pas ces mots, il
en résulte qu'il représente l'original. Cet argumentum a silentio
aurait quelque poids si l'hébreu, comparé au grec, n'offrait pas
d'autres lacunes ; mais, en fait, il n'y a presque pas un seul verset
où ne se rencontrent des lacunes de ce genre, et le plus souvent
ces omissions sont très fâcheuses, car elles portent sur des détails
techniques, qu'on aurait le plus grand intérêt à lire. Si les autres
omissions doivent être mises sur le compte des copistes, — ce que
nous ne croyons pas — pourquoi celle-ci ferait-elle exception?
L'auteur établit de la même façon l'originalité de l'hébreu par
rapport au syriaque : comme la méthode d'interprétation est celle
que nous venons de voir en exercice, inutile d'insister.
Si la conclusion de M. S. devait être, malgré tout, admise, le bé-
néfice ne serait grand ni pour l'histoire des temps racontés par le
livre des Macchabées, ni môme pour la critique du texte : presque
tous les renseignements circonstanciés qui font Tintérêt du livre,
dates, noms de localités et de personnes ont été supprimés,
nombre d'épisodes laissés de côté. Les lacunes sont encore
moins graves que les absurdités1 : les copistes — toujours dans
1 Pour n'en citer qu'un exemple : i, 1G, les versions portent que les hellénistes
pratiquèrent Pépiplasme, opération que \e Talmud désigne par les mots 'TJft
n:»"!^. Au lieu de cela, on lit en hébreu : Dnb"1? Dtt "IDE N51 « ils ne se circon-
cirent pas » ! Le texte parlerait donc des hellénistes qui n'avaient que huit jours ! —
Joseph b. Salomon de Carcassonne, qui a vécu avant 1050, dans son piout célèbre,
sur lequel nous reviendrons, dit très exactement : nb"l^ ^©173.
218 REVUE DES ETUDES JUIVES
l'hypothèse de M. S. — ont dû ne rien comprendre à la marche
des événements; aussi leur importe-t-il peu que ce soit à la
suite d'une défaite ou d'une victoire que les Juifs, par exemple,
rentrent à Jérusalem. La géographie n'est pas non plus ce qui les
inquiétait fort : que le théâtre des opérations fût dans le Midi ou
dans le Nord, ils modifiaient le nom des champs de bataille avec
une insouciance ingénue, comme gens s'embarrassant peu de ces
détails vulgaires. Aussi M. S. est-il obligé de leur venir en aide et
de corriger à tout propos leurs erreurs techniques. Nous gagne-
rions donc uniquement à la découverte de ces fragments de pos-
séder un spécimen de la littérature hébraïque du ier siècle avant
l'ère chrétienne.
Mais ce n'est pas seulement un fragment de ce monument que
nous a conservé le ms. de Paris ; il nous fournit même un mor-
ceau du IIe livre des Macchabées. Serait-ce l'original aussi? Cette
fois la découverte serait intéressante, car l'auteur du 11e livre,
qui a écrit en grec, nous apprend qu'il s'est borné à abréger
l'œuvre de Jason de Cyrène, rédigée en grec naturellement. Je ne
sais si M. S. a prévu l'objection, quoique M. Chwolson ait signalé
l'intercalation ; peut-être la vise-t-il quand il dit que le copiste
avait sous les yeux une rédaction du Ier livre des Macchabées
plus complète que celle dont proviennent le grec, le syriaque et
le latin ». On va voir comment était conçue cette forme plus com-
plète de l'ancienne version.
vu, 27 Et Nicanor arriva à Jérusalem avec une nombreuse armée
et envoya à Juda et à ses frères faussement des paroles de paix, 28
disant : Qu'il n'y ait plus de guerre entre moi et vous, car je suis
venu avec peu d'hommes pour vous voir pacifiquement. 29 II vint
vers Juda et le salua, et les ennemis tendirent des pièges pour prendre
Juda. 30 Juda, voyant leur ruse et reconnaissant qu'ils agissaient
avec fraude, car il avait agi avec astuce, se détourna de Jérusalem, et
ils ne voulurent (lire : il ne voulut) plus le voir. 31 Nicanor, s'aper-
cevant que son projet avait été percé a jour, sortit du côté de Kefar
Samlah et combattit avec Juda aux' environs. 32 Juda fut défait par
lui et s'enfuit dans la ville de David.
Alors les prêtres se présentèrent devant Nicanor et le saluèrent. Ayant
poursuivi Juda, qui avait conclu avec lui une alliance et [après qu'ils]
avaient fait une paix d'amitié et qu'il avait gravi la montagne de Sion,
voyant la force de la ville, il rompit le pacte, et il rencontra Juda à
Samarie. Nicanor se proposa d'attaquer Juda le jour du Sabbat. Les
Juifs qui étaient avec lui lui dirent : Honore Dieu, qui a ordonné de
révérer le sabbat et de l'observer, car Dieu est grand et élevé dans le
1 En fait, ces trois versions n'en font qu'une, car le syriaque et le latin sont des
traductions du grec.
SUR LES DEUX PREMIERS LIVRES DES MACCHABEES 219
ciel. — Et moi, je suis grand et fort sur la terre, et je remplirai les ordres
de mon maître. — Or, avec Juda était peu de monde et ils eurent extrême-
ment peur de Nicanor et de sa forte armée. Ils revêtirent des armes qui
n'étaient ni des casques ni des lances, mais des prières et des conso-
lations.
33 Après cela, Nicanor gravit la montagne de Sion et les prêtres se
présentèrent pour le saluer.
Il est superflu de faire ressortir l'incohérence, les contradic-
tions et les répétitions qui choquent en ce récit; il est impossible
de les expliquer autrement que par une maladroite intercalation
dans la trame de I M. du morceau souligné, emprunté à II M.
Parler d'une forme plus complète à ce propos, c'est soutenir une
gageure.
Ce qui n'est pas moins une gageure, c'est le principe même des
recherches poursuivies par M. S. ; ici il faut lui céder la parole :
« Le plus ancien texte est la version grecque, dont dérivent toutes
les autres traductions. Si donc on trouve un texte racontant la
lutte des Macchabées, on devra présumer qu'il découle du plus
ancien texte, à savoir du grec. » C'est une nécessité qui ne s'im-
pose pas. Si aujourd'hui, en Russie, quelqu'un s'avise de retra-
duire en hébreu le livre des Jubilés, par exemple, il n^st pas à
présumer qu'il se serve nécessairement de la version éthiopienne,
qui est la plus ancienne ; il peut tout aussi bien, au moins, utiliser
une traduction allemande faite sur l'éthiopien. Pourquoi notre
fragment hébreu ne serait-il pas une traduction du latin ? Aveu-
glé par le principe qu'il a adopté, M. S. n'a même pas envisagé
cette éventualité ! Or, une simple comparaison avec cette version
lui aurait montré du premier coup que telle est la vérité : notre
texte hébreu est tout bonnement traduit du latin. Il n'y a même
aucun mérite à faire cette découverte. Pour ces sortes de pro-
blèmes, nous possédons un critérium presque infaillible, ce sont
les noms propres : il est bien rare que les traductions n'y impri-
ment pas leur marque. Gomme, malgré les suppressions que nous
avons signalées plus haut, il reste encore quelques-uns de ces
noms, l'épreuve sera aisée.
vi, 1, dwb">K wn "O yttum « Il apprit que, dans la ville d'Elima-
dem. » M. S. corrige le dernier mot en D^b^K « Elimaïs ». Il ne
faut rien corriger : le latin portant : civitatem Elymaidem, le
traducteur n'a pas changé ce mot, quoiqu'il soit à Y accusatif.
Quelquefois le traducteur s'avise de supprimer la marque de
l'accusatif. Ainsi, vin, 9, au latin « apud Helladam » correspond
!Y7*ba ! Au commencement du livre, le traducteur, à propos
d'Alexandre, avait mieux rendu le même mot par \\\ qui était sans
220 REVUE DES ETUDES JUIVES
aucun doute la forme usitée au temps des Macchabées. Mais,
comme au en. vin il est question de toutes sortes dépeuples, le
traducteur a cru à un autre nom.
Il n'est pas plus heureux avec les noms géographiques de la
Palestine, comme on va le voir.
vu, 40. G. : 'Aoacà, latin : Adarsa, hébreu : wiritf maa (réminis-
cence de I Rois, xvi, 2, K£ia n^n, nom de personne). Le même
mot revient au verset 45, mais là le latin, par erreur, écrit : ab
Adazer. Or, l'hébreu a cette leçon barbare : "fiïm M. S. propose
ici encore une correction !
On voit, d'ailleurs, que le traducteur a vécu en pays roman : il
prononce certaines consonnes à la manière occidentale. C'est ainsi
que Galatia (vin, 2) devient Galicia (tia = cia), srifbn. La patrie
de ce traducteur ne peut être que l'Italie ; en effet, il articule le j
comme un g, à la manière de cette région. Voilà pourquoi Jason
est rendu par "pn « Gazon » (vin, 1*7); c'est ce qui s'observe aussi
dans le Yosiphon, écrit, comme on le sait, en Italie, au xe siècle.
Ce traducteur s'est trahi bien souvent par des contre-sens de
toutes sortes. Il serait fastidieux de les relever un à un ; signa-
lons-en seulement quelques échantillons. Le latin porte (i, 27-28) :
« Et ingerauerunt principes et seniores; virgines et juvenes infir-
mati sunt, et speciositas mulierum immutata est. Omnis maritus
sumpsit lamentum et quse sedebant in thoro maritali lugebant. »
Ces mots sont la traduction du grec, et l'authenticité en est at-
testée par la forme littéraire, le parallélisme. Voici ce qu'ils
deviennent en hébreu : t-nsntûtt vn i-viEti û^tï»m ^birib *i* iDnp-n
fTOa^ *ifc U5D5 bsi « Ils se lamentèrent jusqu'à en être malades, les
belles femmes changèrent, et toute âme pleura amèrement. » Il
n'est pas impossible que Y amertume , qui n'est pas en latin, pro-
vienne du mot maritus, « mari », mal lu. Le traducteur commet,
en effet, de ces étourderies. iv, 8, on lit : « Ne timueritis multitu-
dinem eorum et impetum eorum ne formidetis » En hébreu :
innn ba dirbsn "jtti mw n-nsa "îan-vi ba « Ne craignez pas l'abon-
dance de leur nombre et ne vous effrayez pas de leurs pieds. »
On voit facilement la cause de l'erreur, m, 6 : « Et repulsi sunt
inimici ejus prse timoré ejus, et omnes operarii iniquitates con-
turbati sunt, et directa est salus in manu ejus. » H. : rn-na ibiiarm
vps runrcnfi naram Tttim ïtoti "W? bsi « Ses ennemis furent
épouvantés, et il détruisit tous les artisans d'iniquité, et le salut
resta en sa main. » Directa est la traduction de sùoogjôt) = pm.
Le traducteur a lu direlicta l !
1 M. S. tire argument en faveur de sa thèse d'une variante de l'hébreu où au Jieu
de « et la terre se tint tranquille devant Alexandre » — à la suite de ses conquêtes
SUR LES DEUX PREMIERS LIVRES DES MACCHABÉES 221
i, 24-25, l'hébreu porte : « Il prit l'argent et l'or, et les vases
précieux, et il prit tout le trésor, et ils les envoyèrent {sic) et
les emporta dans son pays, et il détruisit le tout et parla avec or-
gueil et jactance. » Au lieu de cela on lit dans les versions : « Il
enleva aussi l'argent et l'or, et les vases, et les trésors cachés,
qu'il trouva. Et il fit un grand carnage... » Or, ces derniers
mots sont ainsi rendus en latin : et fecit cœdem Jiominnm. Le
traducteur a pris hominnm pour omnium ! De là sa phrase
absurde.
Quant aux traductions inexactes, elles sont nombreuses : ni,
17, Tan m d? hy = contra multitudinem tantam et fortem ; il
faudrait ptm. iv, 56, raronn hv mWttm rjmoun r-nbi? ibjn
« Et ils offrirent des holocaustes avec joie et avec des cantiques
pour le salut = et obtulerunt holocausta cum Isetitia et sacrifi-
cium salutaris taudis. Ces derniers mots sont la traduction
exacte du grec : ôuc'av a-a>T7)pfou xai aivetrewç. Or ces termes sont
la version fidèle et ordinaire dans la Septante de ù^biu mT et
min rot (voir, entre autres, Lévit., vu, 11-12). — Deux versets
plus loin le latin dit : « Et facta est laetitia in populo magna valde,
et aversum est opprobrium gentium. » Or, opprobrium gentium,
comme oveiBo; IGvàW, est sûrement la traduction de d? nain, voir
Isaïe, xxv, 8; Michée, vi, 16, et I Sam., xvn, 26. L'hébreu dit,
au lieu de cela, trias r»D^n *n« s^in ■•a. « Car avait été détourné
l'opprobre contre les nations. » Faut-il relever encore les divers
cas où le texte doit parler du sanctuaire, et où, le latin disant
sancta, l'hébreu rend le mot par trtimp « les saints », ce qui
défigure complètement le sens?
Il serait superflu d'insister. Il est de toute évidence que notre
texte hébreu est une traduction, très souvent fautive, du latin.
Cette version, ainsi que l'a bien deviné M. Chwolson, a été écrite
en Italie, où s'était produit une véritable renaissance de l'hébreu
biblique, comme l'atteste le Yosiphon l.
Ce qui reste du travail de M. S., ce sont les renseignements
sur l'auteur du livre où se trouve ce fragment et l'époque où il a
vécu. Ici l'argumentation nous paraît excellente, mais c'est celle
de M. Chwolson, et M. S. a oublié de nous en avertir.
— Thébreu dit trembla, tressaillit, ce qui' vaut mieux, paraît-il. C'est qu'au lieu
de siluit qui est dans le latin, le traducteur a lu insiluit ou saluit.
1 Je montrerai dans la suite de ces études que ce n'est pas la seule traduction
faite par les Juifs, des Apocryphes latins.
222 REVUE DES ETUDES JUIVES
IL
LA DATE DE LA RÉDACTION DU IIe LIVRE DES MACCHABÉES.
M. B. Niese, préparant le troisième volume d'une histoire des
Etats grecs et macédoniens, s'est trouvé dans la nécessité d'exa-
miner la valeur documentaire des deux premiers livres des Mac-
chabées pour l'époque qu'il étudie l. Félicitons-nous de cette bonne
fortune qui nous vaut le travail d'un historien de profession et d'un
helléniste consommé sur un sujet traité jusqu'ici presque unique-
ment par des exégètes. Le savant qui a publié l'admirable édition
des œuvres de Josèphe devenue classique n'est pas de ceux qui
parlent pour ne rien dire. Nous aurons donc tout profit à l'écouter,
quitte à discuter ses opinions, s'il y a lieu.
Le IIe livre des Macchabées (que nous désignerons par les lettres
II M.) est, ainsi qu'on le lit, n, 23, l'extrait d'un ouvrage de Jason
de Cyrène, qui comprenait cinq livres. C'est, en réalité, une his-
toire de Juda Macchabée. Le récit est précédé d'une ou de deux
lettres adressées par les Juifs de Judée à ceux d'Egypte pour les
inviter à fêter avec eux la délivrance d'Israël et la purification du
Temple. Cette introduction s'étend longuement sur la légende du
feu de l'autel qui fut emporté et caché en lieu sûr par les Juifs
emmenés en Perse et retrouvé plus tard par Néhémie : à la place
de feu, ce fut une eau épaisse qu'on découvrit ; jetée sur le bois de
l'autel et le sacrifice, elle s'enflamma avec tout ce qu'elle avait
touché. La missive est datée de l'année 188 de l'ère des Séleucides
(= 125-124 avant J.-C). Comme elle fait partie intégrante de
l'ouvrage, il n'est pas étonnant que dans le Cod. Alexandrinus
le livre s'appelle Lettre, et, dans le Vendus, Abrégé des gestes
de Juda Macchabée.
I et II M., quoique apparentés par l'esprit qui les traverse, sont
loin de se ressembler sur tous les points. Ainsi, la mort d'An-
tiochus n'y est pas contée de la même façon; Matathias ne joue
aucun rôle, et son nom n'est même pas prononcé dans II M.; en
revanche, ce livre rapporte longuement les démêlés de Jason et
de Ménélas dont I M. ne souffle mot, quoique Ménélas soit inter-
venu dans les événements; II M. mentionne, en outre, divers
incidents de l'histoire de Syrie et des noms de personnes qui sont
1 Kritik der beiden Makkabâerbûcher. Berlin, 1900.
SUR LES DEUX PREMIERS LIVRES DES MAGGHARÉES 223
totalement inconnus à I M. La parenté d'esprit qu'on vient de
signaler et qui se trahit dans les deux livres par la même con-
ception de l'histoire n'est pas très étroite : II M. se distingue par
l'amour du merveilleux et la prédilection pour les légendes popu-
laires ; il s'oppose nettement à I M. par ses croyances eschatolo-
giques, proclamant le dogme de l'immortalité de l'âme, tandis que
I M. n'en parle pas là même où ce serait de circonstance, comme
lors de la mort de Matathias. C'est ce qui a fait croire que II M. est
l'œuvre d'un Pharisien, et I M. d'un Sadducéen (Geiger). Jusqu'ici
c'était I M. qui était réputé le plus digne de foi, tandis que II M.
était taxé de romanesque. On n'avait recours à celui-ci, et encore
avec réserve, que pour les parties de l'histoire sur lesquelles se
tait I M. On a été jusqu'à dire (Kosters) que tout II M. est pure
fiction littéraire, que l'auteur feint seulement d'abréger Jason de
Cyrène, qu'en réalité, il se borne à broder sur le canevas fourni
par I M. M. Niese renverse la proposition : II M. est la source la
plus ancienne et, par moments, la plus pure.
La date de composition de 1 M. nous est fournie par le livre
lui-même. A la fin du ch. xvi et dernier, il dit, en effet : « Le
reste de l'histoire de Jean (Hyrcan) , ses guerres, ses exploits,
ses constructions de murs, et, en général, tous ses actes sont
consignés dans les annales de son pontificat, qui commencèrent
à l'époque où il remplaça son père. » L'ouvrage a donc été écrit
après 104, année de la mort de Jean Hyrcan ; comme, d'autre
part, la dynastie hasmonéenne est encore dans tout son éclat,
il ne peut être postérieur à l'an 63, date de l'entrée de Pompée
à Jérusalem.
Pour II M., il faut faire entrer en ligne de compte la date con-
signée dans l'Introduction : 125-4. Seulement, pour cela, il est
nécessaire d'écarter tout d'abord les objections dirigées d'ordinaire
contre l'emploi de ce renseignement : si la lettre est apocryphe ou
si elle a été soudée après coup à II M., elle est sans valeur pour la
détermination de l'âge du livre. Or, précisément elle a toutes les
apparences d'une simple fiction littéraire et elle est tout à fait
étrangère au livre qui la suit. Quant à ce livre, comme il est farci
de légendes, il doit avoir été rédigé longtemps après les événe-
ments. Cette thèse, admise presque unanimement, M. Niese entre-
prend de la détruire, et c'est . ce qui fait l'originalité de son
travail.
La lettre peut se résumer ainsi : « Nous, vos frères de Judée,
vous invitons à vous associer à nous pour célébrer la fête de la pu-
rification du temple », et, à ce propos, nous allons raconter l'his-
toire de Juda Macchabée et de ses frères d'après l'ouvrage de
224 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Jason de Cyrène 1 . Cette lettre est donc de l'abréviateur ; il importe
peu, par conséquent, qu'elle renferme des absurdités et n'ait pu
être écrite par la communauté de Jérusalem. Il est vrai qu'on met
en contraste le style de la lettre et celui du livre; mais cette dif-
férence, dit M. N., s'explique d'elle-même : dans l'Introduction,
l'auteur fait œuvre personnelle; dans la suite, il se contente
d'abréger; l'opposition est donc entre le style de l'auteur et celui
de Jason de Cyrène remanié. Reste encore une objection plus
grave : les circonstances de la mort d'Antiochus varient dans la
lettre et dans le corps du livre ; l'abréviateur n'aurait pas commis
la sottise de se contredire à quelques pages d'intervalle. A cela,
voici ce que répond M. N. : dans la lettre il ne s'agit pas de la mort
d'Antiochus IV, mais de celle d'Antiochus VII Sidétès, mort
en 129-8. L'histoire est évidemment apocryphe et il peut sembler
étonnant que la vérité se soit transformée si rapidement en
légende. Mais ces altérations s'observent dans d'autres écrits.
En outre, certains termes du récit de la lettre ne s'appliquent
qu'à Antiochus Sidétès, tels ceux qui font envoyer en Perse
les troupes qui étaient dans la ville sainte. Il est vrai, enrin, qu'il
est question dans la même lettre d'un Juda qui aurait rassemblé
tous les éléments du récit et que ce Juda est pris d'ordinaire
pour Juda Macchabée : mais pourquoi ne serait-ce pas un
autre Juda?
Ces diverses objections ainsi écartées, il reste donc que II M.
a été écrit en 125-124, par conséquent avant I M. Il ne faut plus
parler maintenant d'emploi de I M. par II M., ni de polémique de
celui-ci contre celui-là. Si les conceptions religieuses ou histo-
riques diffèrent dans les deux livres, l'opposition n'a pas besoin
d'être voulue. Ainsi, dans IM.,vn, 13, les Hassidéens viennent
se soumettre à Alcime et à Baçchide, tandis que, dans II M., xiv,
6, le même parti est dénoncé à Démétrius comme celui dont Juda
est le chef. Rien de plus naturel que deux historiens ne consi-
dèrent pas les faits sous le même jour; mais, en fait, ici même
II M. n'est pas nécessairement en désaccord avec I M., parce que
la dénonciation émane d'Alcime, que l'auteur dépeint sous les
plus noires couleurs.
M. N. aborde maintenant un autre ordre de preuves tendant à
8 Voici les termes de M. N., p. 11 : « Denn wir hoffen, so schliesot der Brief,
dass Gott, der das Volk errettet hat, sich weiter erbarmen und uns von der ganzen
Erde wieder zusammenfûhren wird ; denn er hat uns aus grosser Gel'ahr befreit und
die heilige Stâtte gereinigt. Was aber die Geschichte des Judas Makkabàos und seiner
Bruder angeht, so wollen wir jetzt versuchen, das Wcrk Jasons von Kyrene, der
darùber in fûnf Buchern gehandell, in einem Buch auszuziehen, hojfen damit ein
niitzliches Werk tu thun und beginnen mit der Erxdhlung. »
SUR LES DEUX PREMIERS LIVRES DES MACCHABEES 225
relever la véracité de l'auteur de II M. et en même temps à attester
l'âge qui vient d'être assigné à ce livre. Ses renseignements sur
l'histoire de Syrie sont d'accord avec ce qu'on sait par ailleurs.
C'est ainsi qu'il mentionne un Ptolémée Macron, gouverneur de
Chypre; or, Polybe nous apprend que ce Ptolémée a administré
longtemps cette île. Même obervation touchant Philippe. L'auteur
était donc bien informé sur les affaires de Syrie. Il ne l'était pas
moins sur celles de la Judée; il ne manque pas de spécifier les
fonctionnaires qui commandent à Samarie, en Judée, en Cœlésy-
rie, en Phénicie. D'autre part, et ceci est plus instructif encore,
ces divers fonctionnaires portent les titres que leur assignent les
auteurs grecs ou les inscriptions. Héliodore est in\ tùw Trpay-
(jLaxcov : c'est le titre du plus haut chef chez les Séleucides et c'est
celui dont était revêtu justement Héliodore d'après une inscrip-
tion grecque. Même les passages fabuleux ne laissent pas de con-
tenir des détails révélant une sérieuse connaissance d'Antiochus et
de son temps. La chute de ce roi qui provoque sa maladie est pro-
bablement du domaine de la fible, mais cette fable paraît bien
avoir été celle qui circulait alors, car, au dire de Granius Lici-
nianus, l'accident, s'il n'arriva pas à Antiochus vivant, arriva à
son corps. Autre détail significatif : Antiochus promet, s'il guérit,
de faire des Juifs les égaux des Athéniens. L'auteur qui lui prête
ce langage connaissait bien ses sentiments, car Antiochus avait
une véritable passion pour les Athéniens. — On déclare d'ordinaire
apocryphe la lettre des Romains aux Juifs. Or, les termes qui y
figurent sont ceux de la chancellerie du 11e siècle. Ce n'est pas
par hasard que Quintus Memmius et Titus Manlius n'ont pas de
cognomen : tel était l'usage en ce siècle, et cet usage était déjà
périmé vers l'an 100. — Enfin, la langue de II M. est celle de la
littérature du même siècle; c'est celle, entre autres, de Polybe.
Un falsificateur, si habile qu'on veuille le supposer, n'aurait pas
montré une telle science.
Partant de ces résultats acquis, M. N. croit pouvoir en tirer des
conclusions sur l'œuvre de Jason de Cyrène, sans, d'ailleurs,
perdre de vue la démonstration qu'il s'est proposée. Jason veut
raconter l'histoire de ses frères à la manière grecque, c'est-à-dire
en mêlant à la relation des faits la rhétorique du temps. S'il
grossit les chiffres et exagère l'importance des exploits de ses
héros, il suit l'exemple de ses modèles grecs, tels que Théopompe,
Clitarque, etc. Comme l'édification est le but principal de sa nar-
ration, il emploie couramment les légendes, ainsi que tous les
historiens de son temps. Ses apparitions célestes sont calquées sur
celles des auteurs grecs; il n'a fait que remplacer Apollon ou
T. XLIII, N° 86. 15
226 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Héraclès par des anges. La mort d'Antiochus est la mort classique
et convenue des tyrans et des princes impies, tels qu'Agathocle
et Sulla. Tous ces traits ne sont donc pas des indices de moder-
nité. Pour sa valeur, l'œuvre de Jason est à mettre sur le même
rang que celle d'un Callisthènes ou d'un Josèphe, lequel, malgré
l'abus de sa rhétorique et sa partialité indéniable, est néanmoins
consulté avec profit.
Pour la date de composition de cette histoire en cinq livres, elle
peut être placée avant l'année 153-152, aucune allusion n'y étant
faite au principat de Jonathan ou de Simon. On a voulu, il est
vrai, y voir une hostilité marquée à la dynastie macchabéenne,
ce qui reculerait la date de la rédaction de l'ouvrage ; mais cette
hostilité ne se manifesterait que par l'effacement voulu des frères
de Juda ; or, justement le héros principal du livre n'éclipse pas ses
frères, qui sont souvent nommés à côté de lui, à la différence de
I M., qui le met seul en scène.
Non content d'avoir lavé II M. des reproches dont il a été jus-
qu'ici l'objet, à l'avantage de I M., dont on vante la valeur, M. N.
s'attaque à ce dernier avec l'intention non dissimulée d'en montrer
l'infériorité par rapport à son rival. Que I M. soit une précieuse
source historique, M. N. n'en disconvient pas; mais encore
doit-on y distinguer deux éléments de valeur inégale. Les cha-
pitres i-vn, qui embrassent les huit premières années de luttes,
courent parallèlement à II M. : c'est que les deux livres s'inspirent
de Jason de Cyrène. Les chapitres vm-xvi portent sur 25 années
et s'occupent tout autant des rois syriens et égyptiens que des
Juifs; en outre, ils sont bourrés de documents, tels que la corres-
pondance avec les Romains, les Lacédémoniens. Ces pièces ne sont
pas originales, cela va sans dire \ et même elles peuvent être
falsifiées. Gomme le montre la chronologie suivie en ces chapitres,
l'auteur a probablement consulté, pour cette partie, les chroniques
syriennes. Dans la trame du récit se remarquent des lacunes
notables : rien sur les années 160-153 ni sur les incidents, pénibles
pour la dignité du pontificat, qui précédèrent l'insurrection et qui
se lisent dans II M. Ce silence est évidemment prémédité et décèle
la partialité de l'auteur, apologiste de la dynastie hasmonéenne.
Ces tendances se manifestent encore autrement : Matathias, avant
de mourir, à l'instar du patriarche Jacob, aJresse des recomman-
dations à ses fils « : Voici votre frère Simon, je sais que c'est un
homme prudent : Écoutez-le toujours, il vous servira de pè.e ».
1 C'est nous qui ajoutons cette incise, car M. N. paraît croire que l'original de I M.
était écrit en grec.
SUR LES DEUX PREMIERS LIVRES DES MACCHABÉES 227
Or, rien n'avait signalé jusque-là Simon à la préférence de son
père. Certainement l'auteur a voulu Taire sanctionner par l'ancêtre
de la famille le principat de Simon. C'est dans le même dessein
qu'il a créé de toutes pièces la personne de Matathias, dont le
nom ne paraît même pas dans II M. — Quant à sa supériorité dans
la manière de raconter, il ne faut pas trop la vanter; si, effective-
ment, il dédaigne les légendes populaires, il n'en sacrifie pas
moins au g mt de la rhétorique et de l'exagération. En somme,
c'est un écrivain à système, partisan déterminé des Hasmonéens,
qui rogne et ajoute à la réalité pour les besoins de sa cause.
Pour le détail des campagnes, il ne doit pas non plus être tou-
jours préféré à II M. Dans un chapitre excellent, M. Niese, con-
fronte les récits parallèles de I et II M. et montre que beaucoup
d'épisodes sont rapportés dans 1 M. avec moins de rigueur que
dans II M., sont moins vraisemblables ou révèlent le parti-pris.
Les futurs historiens de la lutte des Macchabées devront lire avec
soin cette analyse fine et serrée.
L'étude de M. Niese peut,, elle aussi, se diviser en deux parties :
l'une a pour but de montrer l'antiquité de II M., l'autre de réha-
biliter ce livre, au détriment de I M. Ce sont donc des thèses
ou, pour mieux dire, des apologies, et c'est là un défaut dont le
lecteur finit par s'apercevoir. Peut-être eût-il été plus sage de ne
pas vouloir avoir trop raison ; de la sorte, on eût laissé aux cha-
pitres vraiment solides toute leur force.
Maintenant que vaut ce plaidoyer? A notre avis, il ne prouve
absolument rien, parce qu'il découle tout entier d'une prémisse
fausse. Toute l'argumentation est fondée sur l'unité d'auteur
de l'Introduction et de l'Epitomé. Que si l'Introduction n'est
pas de l'abréviateur, il ne reste plus de données certaines
sur la date du livre : il faut donc à tout prix que les contra-
dictions entre le début et la suite de l'ouvrage soient écartées. Or,
M. N. a bien vu que ces contradictions sont flagrantes : la mort
d'Antiochus est contée tout autrement dans l'Introduction que
dans le livre. Pour avoir raison de l'objection, M. N. avance qu'il
ne s'agit pas dans l'Introduction d'Antiochus IV, mais d'Antio-
chus VII Sidétes. On jugera de la valeur de cet expédient en repla-
çant le récit dans son contexte. C'est après avoir invité les Juifs
d'Egypte à fêter avec eux le 25 kislew que leurs frères de Judée
leur racontent la manière dont ils ont été délivrés de leurs maux
par la mort d'Antiochus. A en croire M. N., la lettre recomman-
derait donc la célébration de la fête rappelant la délivrance des
Juifs sous A ntiochus IV en citant les circonstances de la mort
d'Antiochus VII! Il saute aux yeux qu'il ne peut s'agir que d'une
228 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
seule et même époque, qu'il y a un lien indissoluble entre la célé-
bration de la fête du 25 kislew 465 et la mort d'Antiochus qui Ta
provoquée. Ce lien apparaît encore dans la fin de la lettre : « Car
Dieu vient de nous délivrer de grandes calamités et de purifier le
temple. » Ce n'est pas au temps d'Antiochus VII que le temple a
été purifié, mais à l'époque d'Antiochus IV. L'expédient déses-
péré que M. N. est réduit à appeler à son aide ne vaut guère plus
que celui dont il s'avise à propos de Juda. Après avoir parlé des
mémoires écrits par Néhémie, les Juifs de Jérusalem ajoutent,
dans leur lettre : « De même, Juda a eu soin de rassembler tout ce
qui avait été dispersé, par suite de la guerre que nous avons eu à
soutenir, et cela est conservé chez nous. » Si ce Juda était un per-
sonnage quelconque, on ne manquerait pas de le désigner avec
plus de précision; pour qu'on se borne à ce seul nom, il faut qu'il
soit aussi célèbre que Néhémie, et ce Juda ne peut être que le
héros de la guerre. Et cela prouve encore que l'Antiochus dont on
raconte la mort est l'Antiochus contemporain de Juda, c'est-à-
dire Antiochus IV. Reste donc la contradiction entre les deux ré-
cits de cette mort, contradiction insoluble si l'auteur de la lettre
est l'auteur de l'abrégé de Jason.
Qui plus est, l'auteur de la lettre semble avoir voulu prévenir
la supposition gratuite de M. N., que c'est la préface mise par
l'abréviateur à son œuvre. En effet, à la suite du passage relatif à
Juda qui vient d'être cité se lisent ces mots : « Si vous deviez en
avoir besoin, envoyez des gens pour les prendre (ces mémoires) et
vous les apporter. » L'abréviateur aurait bien mal su son métier,
si, pour amorcer son travail, il avait pris un tel soin de dépister
le lecteur ; il lui aurait fallu au moins ajouter que c'était précisé-
ment là ce qu'avait fait Jason. En outre, il est bien visible que
dans le corps de l'Epitomé l'auteur ne se doute plus qu'il s'adresse
censément aux destinataires de la lettre de Jérusalem ; c'est pour-
quoi il déclare « avoir voulu alléger la tâche de ceux qui voudraient
se rappeler les événements et être utile à ceux à qui arriverait son
livre; il a procédé à cette réduction de l'ouvrage de Jason en vue
du gré que lui en sauraient bien des personnes ». Ce sont là propos
à l'adresse du grand public. Or, cette déclaration suit immédiate-
ment la lettre soi-disant introductive.
Ce n'est pas tout : dans la lettre il n'est parlé que de la fête de
la purification ; le livre, s'il était destiné à satisfaire la curiosité
des Juifs d'Egypte, devrait donc s'arrêter au ch. x, où sont ra-
contées cette purification et l'institution de la fête. Au lieu de cela,
la narration continue et s'achève, au ch. xv, avec la mort de Ni-
canor et V institution de la fête de Nicanor: « Et l'on décréta que
SUR LES DEUX PREMIERS LIVRES DES MACCHABEES 229
cette journée ne resterait pas sans une solennité, laquelle serait
fixée au 13e jour du 12e mois, qui en langue syriaque se nomme
Adar, la veille de la fête de Mardochée. » Si l'abréviateur avait
composé la lettre comme préface à son œuvre, il n'aurait pas
manqué de recommander également cette fête de Nicanor.
Le seul trait commun et spécial à l'Introduction et à l'Abrégé,
c'est la désignation de la fête du 25 kislew sous le nom de « fête
des Tabernacles » ; mais connaissons-nous assez bien la manière
dont se célébrait Hanoucca en Egypte pour affirmer que tel n'était
pas un des noms de cette fête dans ce pays? Que si, effective-
ment, Hanoucca y avait ce caractère, il n'est pas étonnant que
deux écrits différents composés en cette région ■ emploient la
même dénomination.
D'aiileurs, à lire sans parti pris la lettre, on reconnaît aussitôt
qu'elle poursuit pour principal but l'explication du rite de la fête
du feu 2. Dans son embarras, l'auteur accumule tous les souvenirs
agadiques pouvant contribuer à cette explication. Ce feu, ce sont
les prêtres qui l'ont emporté de l'autel lors de l'exil, puis caché
dans le creux d'une citerne et sans eau. Et ce feu se transforme
en une eau épaisse, qui, retrouvée par Néhémie, jette des flammes3.
Mais, plus loin il est dit que ce feu s'est manifesté de la même façon
que dans le désert et lors de l'inauguration du temple par Salo-
mon. Ces deux interprétations sont d'ailleurs contradictoires *.
Quoi qu'il en soit, l'intention est visible, et l'auteur ne s'est guère
soucié d'écrire pour amorcer une histoire des événements. Si l'on
veut, à toute force, établir un lien entre la lettre et le corps
1 Que la lettre n'ait pas été rédigée en Judée, c"est ce qu'atteste suffisamment cet
étrange détail : « Les gens de Néhémie appelèrent cela Nephtar, ce qui signitie
purification; communément on l'appelle Nephtaï. » Le mot Nephtar ou Nephtaï
étant étranger à l'hébreu et à l'araméeu (Ù2DD est le naphte simplement) dans le sens
de purification, il en résulte qu'une pareille étymologie est le t'ait d'un Juif de
l'étranger.
3 Et non des lumières, ce qui montre bien que la fête n'était pas célébrée dans le
pays de l'auteur comme elle l'était en Palestine déjà au i«r siècle. Nous n'examinons
pas ici la thèse de M. A. Biichler (Das Sendschreiben der Jerusalemer an die Juden in
JEgypten, Monatsschrift, XLI, 1897, p. 481 et suiv.), d'après laquelle la lettre ren-
fermerait de nombreuses iuterpolations faites au Ier siècle de l'ère chrétienne : nous
suivons l'argumentation de M. N., qui fait de toute l'Introduction un bloc.
3 II y a ici vraisemblablement un emprunt à une légende racontant la découverte
du naphte. Que cette légende vienne de Perse, comme le prétend M. Buchler,
après Grimm et Keil, peu importe.
4 II y a même contradiction entre ces deux interprétations et celle de II M., x, 3,
où est racontée la purificatim du temple. Là on dit qu'après avoir purifié le sanc-
tuaire et construit un nouvel autel, on mit en feu des (ou les) pierres et on en tira
du feu avec lequel on otfrit le sacrifice (xoù 7tupco<javxs; ÀîOou; xoù 7typ ix toutcov
),aê6vxe: àvYJveyxav Ôu^îavj. Le nouveau feu avait donc une autre origine que celui de
Moïse et de Salomon.
230 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
du livre, il faudra dire que l'abréviateur, utilisant ce document,
qu'il avait trouvé on ne sait où, l'a placé en tête de son ouvrage
pour lui servir d'introduction. Mais cette hypothèse n'est aucune-
ment nécessaire, car ce peut être la fantaisie d'un ancien copiste
qui a réuni les deux pièces. Ce point est, au reste, sans intérêt.
Ce qui, en tout cas, nous paraît démontré, c'est que l'auteur de la
lettre n'est pas l'abréviateur de Jason de Cyrène; nous ne savons
donc plus rien de la date de la rédaction ni de notre Epitomé
ni de l'Histoire de Jason.
Restent, il est vrai, les conclusions que M. Niese tire de la
langue et des expressions techniques de II M *. Mais on conviendra
qu'elles n'offrent pas la même valeur qu'une date précise.
Israël Lévi.
P. S. — J'avais bien deviné que rpan» dans l'édition de
M. Chwolson devait être une faute d'impression pour warro. Le
ras., qui vient seulement d'être rendu à la Bibl. Nation., porte, en
effet, watto. Nouvel exploit des coquilles!
1 II ne sera plus permis désormais de voir en II M. une amplification de I M.
AÏIQUIA, FEMME DE JÉSUS FILS DE SIKA
La popularité de Jésus fils de Sira dans les pays orientaux est
faite pour nous surprendre. J'ai déjà étudié ici la légende de la
nativité merveilleuse de cet enfant du miracle, fils sans père, qui,
par une confusion aisée à comprendre, a pris en partie les traits
de Jésus1. Voici un nouvel avatar de ce moraliste : les Musul-
mans, ou plutôt les Chrétiens orientaux, l'ont converti en vizir
de Salomon. Et cela était tout naturel : comme il a composé un
ouvrage de sagesse, ouvrage joint dans les Bibles chrétiennes
aux Proverbes, il allait de soi qu'il devait tenir sa science du Sage
par excellence. Aussi la traduction arabe de l'Ecclésiastique que
renferme le ms. n° 50 du fonds arabe de la Bibliothèque Nationale
et qui est identique à celle de la Polyglotte porte-t-elle le titre
suivant : « Le livre de Ischoua fils de Schîrakh, secrétaire de Sa-
lomon fils de David, roi d'Israël à Jérusalem. »
Sa sagesse, si grande qu'elle fût, n'égalait pas cependant celle
de sa femme Afiquia. D'où vient ce nom, c'est ce que j'ignore ;
aux arabisants de résoudre ce petit problème littéraire. En tout
cas, l'histoire dont elle est l'héroïne ne manque pas de saveur.
A ma connaissance, elle est restée jusqu'ici inédite, quoiqu'elle
soit signalée dans le catalogue des mss. syriaques et celui des
mss. arabes de la Bibliothèque Nationale. Elle se trouve dans
trois mss. de cette Bibliothèque : 1° au n° 50 du fonds arabe
(fo* 105&-108&); au n° 132 du même fonds (124a-127a); au n° 179
du fonds syriaque (f° 126), en caractères carschouni, à la suite
de l'Ecclésiastique, traduit en arabe par Basilius, évêque de
Tibériade.
J'ai prié M. Séligsohn de vouloir bien traduire cette histoire.
Dans les notes qui accompagnent la version, la lettre A désigne le
ms. n° 50, B le 132, G le 1"79. Les variantes sont généralement
insignifiantes. M. Séligsohn a utilisé principalement les mss. A et
B, qui sont les plus soignés.
* Revue, t. XXIX, p. 197 et s.
232 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Histoire de l'épouse de Josué, fils de Schîrakh, avec Salomon,
le roi sage K
Il a été raconté que Salomon, le roi sage, fils de David, fut informé
que l'épouse de Josué, fils de Schirakh, son ministre *, "était 3 une belle
femme, bien prise, au corps plein \ à la chair éclatante, à la forme
parfaite, à l'intelligence saine, à l'esprit fécond, à la parole douce,
éloquente, d'un bon caractère, possédant toutes les qualités, sur-
passant toutes les femmes et toutes les filles d'Israël, et que tous
ceux qui étaient à Jérusalem désiraient la voir, lui parler et lui être
présentés afin de constater la réalité de ses qualités et de savoir la
hauteur de sa sagesse. Salomon lui envoya alors son eunuque confi-
dent 5, pour lui dire: « Le roi désire avoir un rendez-vous avec toi
pour causer. » Lorsqu'elle eut entendu ces paroles du serviteur 6, dites
au nom du roi, son cœur se serra, et, ayant soupiré du plus profond
de sa poitrine, elle dit au serviteur : Dis à mon seigneur le roi : « Ta
sagesse subtile7 a conquis le monde tout entier, comment donc une
si mauvaise pensée peut-elle se présenter à ton esprit ? L'abondance
de ta science et ta culture eût pu mettre les ignorants et les sots au
milieu des sages. Si ta volonté est d'agir lentement jusqu'à ce que
tu accomplisses ton désir, il n'est pas pratique de l'exécuter pendant
que mon mari est dans la ville afin qu'il ne soit pas déshonoré8;
car on ne ressaisit pas ce qui s'est échappé. » Lorsque l'eunuque eut
rapporté cette réponse au roi Salomon, celui-ci la médita et il cher-
cha un moyen d'éloigner le mari9.
Il manda donc Josué, son ministre, et lui dit : « Mon fils, j'ai des
affaires importantes auprès du roi de Tyr 10, et je ne vois personne
que je puisse envoyer à ta place, car je connais ton intelligence et la
beauté de ton discours. » Josué lui dit : « Puisse monseigneur le roi
vivre éternellement ! Il sera fait comme tu l'as ordonné. » Le roi
1 B. : t Histoire de Fiquia, l'épouse vertueuse de... Schîrakh, ministre de Salo-
mon, fils de David. Elle est utile à écouter. »
2 C. : « son trésorier et ministre •.
3 C. : « qu'il n'y avait pas parmi les femmes d'Israël ni dans tout Jérusalem une
femme aussi saine qu'elle en son corps et parfaite en son intelligence, et il dé-
sira etc. ».
k Ces trois mots ne sont pas dans B.
5 C. porte : siklûbl « un Slave » ; il est difficile de dire si ce mot signifie ici un
Slave ou simplement un « esclave », dans le sens dérivé de ce mot.
6 B. et C. portent : « maître », ce qui veut dire que ce n'était pas un simple
esclave comme les autres.
7 B. : « brillante ».
8 A. : t Si telle est ta volonté, il faut que mon seigneur revienne sur cette pensée
et qu'il ne la mette point à exécution, afin que sa réputation ne soit pas ruinée. »
9 B. : • Lorsque le messager eut rapporté cette réponse au roi et que ces paroles
eurent' pénétré dans ses oreilles, il fut enchanté de la beauté de son langage et il
éprouva encore un plus grand désir de la voir. »
10 C. : « Mossoul. »
AFIQUIA FEMME DE JÉSUS FILS DE SIRA 233
écrivit des lettres et les remit à Josué, qui s'embarqua comme un
prince, comblé d'honneurs. Il reçut de belles choses, des cadeaux1,
et une escorte de soldats et de pages.
Puis le roi Salomon ordonna à son eunuque d'aller chez Afiquià,
l'épouse de Josué, fils de Schîrakb, et de lui annoncer qu'il irait la
voir. L'eunuque partit et dit à Afiquiâ ce que le roi lui avait ordonné.
Afîquiâ lui répondit : « Dis à mon maître, le roi : Si moi, son humble
servante, j'ai mérité ce grand honneur de recevoir le roi dans ma
maison, je le prie, je l'adjure de ne rien manger avant de se pré-
senter devant moi. » L'eunuque quitta la femme de Josué et s'en
alla répéter au roi tout ce qu'elle avait dit.
Entre temps, Afîquiâ fit venir son cuisinier et lui dit : « Je veux que
tu me prépares quarante mets de mouton, de volaille et de poisson,
et que tu y mettes beaucoup d'épices et d'assaisonnements, que tous
ces mets aient le même goût, mais un aspect différent. » Puis elle fit
faire du pain blanc de farine très fine, d'un goût exquis, mais de dif-
férentes formes. De même, plusieurs sortes de boissons très agréables
et de couleurs variées, en somme tout ce qui convient aux rois 2.
Lorsque le moment de la visite du roi approcha, elle étendit dans
la chambre de Josué un beau tapis, tel qu'il convient en présence
d'un roi3.
Lorsque le soir fut venu et que quelques heures de la nuit furent
passées, le roi Salomon se présenta dans l'appartement d'Afiquiâ : on
portait devant lui des flambeaux pour éclairer le chemin jusqu'à ce
qu'il arriva à la salle tapissée, dont l'aspect l'émerveilla. Afîquiâ
entra, accompagnée d'une de ses servantes \ et se prosterna devant
le roi, lui disant : « Que le roi soit le bienvenu, bien que la maison
de son vil serviteur Josué n'ait pas mérité d'être foulée par ses
nobles pieds. » Elle s'assit et sa servante se tint 5 derrière la porte
de cette salle. Puis elle donna des ordres et l'on plaça la table devant
le roi, qui l'admira ainsi que les différents mets et les pains qui y
étaient placés. Elle dit d'apporter les viandes de chaque espèce, et le
roi mangea avec appétit à cause de leur saveur et de leur bonne
mine. Il attendit les autres services, mais il acquit la certitude que
tout ce qu'on lui présentait avait la même saveur; il en mangea donc
avec satiété et retira ses mains. On mit devant lui diverses boissons,
qu'il goûta seulement sans boire.
Il devina par la sagesse divine, qui résidait en lui plus que dans
toute autre personne, que tout ce qui avait été préparé pour ce ban-
quet avait un but déterminé Alors il dit à Afiquiâ : «Je te rends grâce
1 II paraît, d'après C, que ces cadeaux étaient pour le roi auprès duquel il se
rendait.
2 B. : « tout ce qui convient aux nobles et aux gens distingués ». A partir de
« et que tu y mettes beaucoup » jusqu'ici manque dans C.
3 Ce passage n'est pas dans B.
* G. : « accompagnée de ses servantes et elles se prosternèrent, etc. ».
5 C. : « et ses servantes se tinrent derrière la porte, etc. ».
234 REVUE DES ETUDES JUIVES
de ton hospitalité ; mais par la vérité de mon Seigneur le Dieu
d'Israël, je t'adjure, ô Afîquiâ! de me faire connaître le sens caché de
ces divers mets et boissons. » Afîquiâ répondit : « L'intelligence suffit
à mon roi sans qu'il soit besoin de dire qu'il a acquis la sagesse
du monde entier1. Que vaut une chandelle qui s'éteint auprès du
du soleil éclatant ? Quelle explication peut te donner une vile servante
qui parle à son maître le roi, puisque le souffle de Dieu (béni soit
son nom), qui anime son corps aujourd'hui, cache la puanteur et la
sanie qui en couleront demain 2, et les vers qui parcourront ses
membres dans le tombeau ? C'est surtout, le jour du jugement qu'elle
aura à souffrir, car Dieu la fera ressusciter nue pour qu'elle ait honte
de ses péchés3. » Salomon lui dit: u Combien ta naissance dans ce
monde est agréable ! Puisse celui qui t'entend être rempli de ta
ta sagesse! »
Le roi se leva à l'instant, émerveillé de ce qu'il avait vu et entendu
de la bouche de cette femme noble et chaste. En sortant de la porte,
une pierre* se détacha de la couronne qu'il portait sur la tête sans
qu'il s'en aperçût et tomba entre les ais qui garnissaient le seuil de
la maison de Josué. Personne ne la vit et elle y resta jusqu'au retour
de Josué. Celui-ci la ramassa et, la prenant en main, la reconnut.
Il acquit ainsi la certitude que le roi était venu dans sa maison et
son cœur se serra d'angoisse. Il n'approcha pas de sa femme, s'éloi-
gna de la couche nuptiale, et cela dura deux ans; car il ne demanda
pas à sa femme de lui raconter comment la chose s'était passée,
et elle ne lui demanda pas non plus la raison de ce délaissement.
Elle ne voulait pas lui dire : « Pourquoi as-tu déserté ton lit ? » afin
qu'il ne crût pas qu'elle le demandait seulement pour satisfaire
ses sens.
Après le dit laps de temps, la mère d'Afiquiâ, regardant le visage de
sa fille, s'aperçut que cette dernière changeait, que sa beauté dispa-
raissait et que ses membres maigrissaient et s'affaiblissaient. Elle dit
alors à sa fille : <' Ma chère, de quelle maladie souffres-tu ? car je
vois ton corps maigri et ta beauté changée. » Afiquiâ se leva, prit sa
mère par la main et l'emmena dans un coin retiré, où elle lui raconta
tout ce qui s'était passé. Elle lui dit que son cœur était plus ulcéré à
cause de sou mari que de sa propre faiblesse. La mère se leva immé-
diatement, se rendit auprès de Salomon et elle eut une entrevue
privée avec lui, car elle jouissait d'un grand honneur auprès du roi.
Elle lui dit : « Mon seigneur, puisse le roi vivre éternellement ! Ta
servante a un jardin 5 vers lequel je regarde après Dieu pour me con-
1 C. : « ta sagesse te suffit et au monde entier ».
2 C. : « demain elle sera jetée dans la tombe, hors de tout endroit habité, et son
âme sera exposée nue, car l'âme est immortelle ».
3 L'esseutiel manque à la réponse d'Aûquia : elle a voulu faire entendre au roi
qu'il a bien tort de la poursuivre, car toutes les femmes se ressemblent.
k C. : ( un rubis ».
5 C. : « une vigne ».
AFIQU1A FEMME DE JESUS FILS DE SIKA 235
soler. Je l'ai confié à un jardinier pour le soigner sans négligence1.
Je ne lui ai pas parlé de ce jardin depuis deux ans, mais aujourd'hui
je l'ai visité, j'en ai fait le tour, et j'ai constaté que tout le jardin a
été dévasté! Maintenant, je demande au roi de juger entre moi et le
jardinier qui a ruiné mon jardin. » Le roi lui dit : « Qu'est-ce qui t'a
fait négliger le jardin jusqu'à présent? » car le roi comprit le sens et
l'interprétation de ces paroles.
Il fit venir Josué et le fit asseoira côté de sa belle-mère, puis il dit
à cette dernière : « Répète tout ce que tu viens de me raconter*. » Elle
répéta son récit, puis elle se tut. Alors Salomon dit à Josué : « Que
penses-tu de cela et quel est le sens de ce récit? » Josué répondit:
« Tout ce que ma belle-mère a raconté est vrai ; mais je n'avais
jamais négligé le service du jardin jusqu'au jour où le roi m'envoya
en Syrie 3. Lorsque je revins de mon voyage et que je me présentai
devant la porte du jardin pour y entrer j'y aperçus les traces d'un
lion redoutable que j'ai reconnu4, et j'ai craint d'être déchiré par ses
griffes. » Le roi Salomon lui dit : « Ecoute ce que je vais te dire. Le lion
est entré, comme tu l'as dit, mais aussi vrai que le Dieu d'Abraham,
d'Isaac, de Jacob, de Moïse et d'Aaron est vivant, qu'il est puissant,
qu'il veille sur nous et entend mon serment, ce lion n'a rien goûté
des fruits de ce jardiu ni de la vigne qui y est plantée, hors des
paroles aimables et sages qui font du bien à ceux qui les entendent.
Maintenant, mon cher fils, lève-toi avec une joie parfaite et une allé-
gresse complète, console ton cœur, écartes-en le moindre doute.
Entre dans ton jardin et dans ta vigne, soigne-la selon son mérite,
car elle est noble devant Dieu, maître des armées. »
Josué se leva, se prosterna devant le roi, avec sa belle-mère, et
retourna chez lui. Il s'assit près d'Afiquiâ, son épouse, à qui il
demanda de lui narrer toute cette histoire. Elle lui conta tout ce qui
s'était passé depuis le commencement jusqu'à la fin, quel était l'ordre
du roi, quelle avait été sa réponse et comment le roi avait quitté sa
maison. Josué loua alors le Seigneur, Dieu d'Israël, à qui appartient
la louange, la gloire, la sainteté, maintenant et pour toujours jusqu'à
l'éternité.
M. René Basset, l'homme de France qui connaît le mieux la
littérature folklorique, a bien voulu, sur ma demande, me fournir
la bibliographie de ce conte ; dans les lignes qui suivent, je ne fais
qu'utiliser les renseignements qu'il a mis à ma disposition, avec
un empressement et une obligeance dont je ne saurais trop le
remercier.
1 G. : « elle continua à me donner des fruits et c'est pour cela que je L'ai confiée
à ce vigneron pour qu'il, etc. ».
* B. ajoute : « que la présence de Josué ne te gêne pas ».
3 B. : « Mossoul ».
* B. ajoute : <c qui y était passé ».
236 REVUE DES ETUDES JUIVES
Le conte d'Afiquia est très connu, quoique sous aucune forme
il n'ait pour personnages ceux qui paraissent dans notre texte
arabe. Il se compose de deux parties facilement séparables, l'une
pourrait s'intituler : les différents mets au même goût, ou toutes
les fermes se ressemblent; l'autre : la trace du lion. De lait,
ces deux thèmes n'ont pas toujours été réunis : le premier se
retrouve seul dans le pseudo-El-Khaouarizini, Mofidel'Oloum
(le Caire, 1310, p. 86), dans Cotte, Le Maroc contemporain [V 'aris,
1859, p. 65) ; le second dans les Mischlé Sandibar, le Sintypas,
dans deux ouvrages arabes du ixe siècle — là le roi est Chosroes
Parwiz (Nœldeke, Z.D.M.G., XXXIII, p. 523), — dans Mathieu de
Vendôme, Comedia Milonis, ouvrage du xne siècle (Moritz Haupt,
Exempta poesis latinœ medii œvi, Vienne, 1834, p. 19-28) — là
la femme s'appelle Afra l et le roi est celui de Constantinople. La
rédaction la plus connue de ce conte est celle du Décaméron de
Boccace (où le roi est Philippe-Auguste, et la femme la marquise
de Mon fer rat).
Mais dans la littérature orientale, les deux thèmes se pré-
sentent déjà soudés ; tel est le cas dans les Sept vizirs et dans les
Mille et une nuits, éd. Habicht, nuits 980-1, xv, 157 2.
La version arabe, mal rédigée, d'ailleurs, dans la première
partie, n'est donc intéressante que par les noms propres qui y
figurent. Dans quel milieu s'est produite la transposition? Il est
peu vraisemblable que ce soit chez les Juifs, qui n'avaient aucune
raison de mettre Jésus ben Sira en relation avec Salomon. Seuls
les Musulmans ou les Chrétiens d'Orient ont pu commettre un tel
anachronisme.
Israël Lévi.
P. S. — Par une coïncidence curieuse, Miss Gibson vient de
publier le texte C, d'après le ms. de Paris, dans ses Apocrypha
arabica. Peut-on vraiment ranger un tel conte sous la rubrique
Apocryphes ?
1 Faut-il rapprocher de ce nom celui d'Afiquia ? Le yod et le resch se ressemblent
dans l'écriture arabe.
. 2 Voir principalement pour l'histoire de ce conte, Landau, Die Quelle des Deka-
meron, p. 42 et suiv.; Marc Monnier, Les Contes populaires en Italie, p. 100 et suiv.
UN RECUEIL
DE
CONSULTATIONS INÉDITES DE RABBINS
DE LA PHANCE MÉRIDIONALE
(SUITE *)
X. Un procès dans le Comté de Montbêliard, vers 4340. Le
procès dont il va être question est intéressant en lui-même, par
les personnages qu'il met en scène, la province où il s'est débattu
et les renseignements historiques qu'il fournit.
Un certain Samuel Hayyim, qui exerçait la profession de ban-
quier, avait pour associé Samson, fils de Samuel. Celui-ci n'était
pas le premier venu : durant les persécutions qui avaient sévi en
Allemagne, il avait fait de grands sacrifices d'argent pour secourir
ses coreligionnaires. Or, ce Samson avait donné quittance au sire
de Montfaucon pour la créance considérable qu'avait sur lui
Samuel Hayyim. C'était, disait-il, sous menace de mort qu'il avait
consenti à cet abandon de la créance lors de la persécution de
aimïba, et même il avait dû ajouter encore à ce cadeau un don
d'argent. A la mort de Samuel, les filles de ce dernier, dont
l'une s'appelait Josia, réclamèrent à Samson la somme dont il
avait gratuitement donné décharge au sire de Montfaucon. Elles
citèrent Samson devant le tribunal rabbinique — on ne dit pas
de quelle ville — , invoquant une décision prise par Méir d'Al-
lemagne, c'est-à-dire Méir de Rothenbourg 2, dans un cas ana-
1 Voir Revue, t. XXXVill, p. 103 et suiv. ; t. XXXIX, p. 76 et suiv. ; p. 226
et suiv.
3 Peut-être Schemaria, fils de B. Méïr d? Allemagne , qui fut consulté concurrem-
ment avec Mardochée — le père de notre Isaac — , Pérèç b. Elie de Gorbeil, sou
petit-fils, David b. Lévi, auteur du Dn573) Jacob Profeg et Juda fils de Calonymos
238 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
logue. Le défenseur était condamné au paiement dans le délai de
trente jours. Il pouvait toutefois choisir un arbitre conjointement
avec l'autre partie. Si défendeur et demandeur n'étaient pas d'ac-
cord (le passage n'est pas clair à cause d'une lacune), ils devaient
dans les huit jours porter l'affaire dans la ville de ibVh. La sen-
tence est signée par les membres du tribunal; malheureusement
le ms. est ici déchiré; il ne reste que le nom du premier de ces
rabbins, d^n yy h'fi'n dpJh], Jacob, fils de Eç Hayyim.
Samson ne se tint pas pour battu et en appela aux rabbins de
Provence et d'Allemagne. Il alla devant le tribunal de Joseph
■naYiB, qui lui donna raison : il n'avait qu'à jurer avoir été con-
traint sous menace de mort d'acquitter la créance pour être irres-
ponsable de son acte. La décision est signée par Joseph, fils de
Jacob — qui est vraisembablement le même que Joseph vortiD — ,
Isaac, fils de Samuel, et Pérèç, fils de Hayyim.
Cet acte, paraît-il, n'avait pas découragé les héritières de
Samuel Hayyim, car Samson jugea nécessaire d'envoyer aux
rabbins un nouveau mémoire, où ses arguments étaient exposés
avec plus de détails. Il y protestait contre la décision de Jacob de
p-naimca, qui l'avait condamné. Ce rabbin était certainement le
président du tribunal devant lequel il avait été cité en première
instance. Ce juge avait fait preuve de partialité dans les termes
mêmes de la sentence : tandis que les plaignantes y étaient dési-
gnées en termes flatteurs et recevaient des épithètes honorables1,
le défendeur y était traité comme le premier venu. Samson déclare
avoir prêté serment devant le tribunal du grand rabbin Joseph,
fils de Moïse de iktsmto. De cette formalité furent témoins, entre
autres, Hayyim, frère du défendeur et mari d'une des plaignantes,
et un certain Abraham Cortès (ttPïmp). Il montrait que la consul-
tation de Méir de Rothenbourg qui avait servi à le faire condam-
ner avait été tronquée pour les besoins de la cause2.
Un rabbin allemand prit parti pour Samson, c'était R. Menahem
de Spire, mVvDïi mTVîi )12 ; il approuvait la décision de Joseph
permettant au défendeur de se libérer au moyen du serment.
Un rabbin français non moins célèbre, Samson, fils d'Isaac,
s'était prononcé dans le même sens.
Le beau-père de Samson,, le « généreux»3 Nathan, fils du
de Lunel, était-il un fils de Méïr de Rothenbourg (voir Revue, t. XII, p. 66). Tous
ces rabbins ayant vécu à la fin du xin» siècle et au commencement du xiv« et Méïr
de Rothenbourg étant mort en 1293, on s'explique que son fils ait été consulté.
1 En efiet, le mot nT-pS^ïl relevé par Samson est celui qu'emploie Jacob, fils de
de Eç Hayyim.
2 Reproche fondé, comme on le voit par la consultation de Méir de Rothenbourg.
1 Voir, sur ce titre, Zunz, Zur Geschichte, p. 190.
UN RECUEIL DE CONSULTATIONS DE RABBINS 239
« généreux » Matathias, et ses proches se remuaient beaucoup
pour faire triompher les droits de Samson. La partie adverse, de
son côté, faisait circuler des factums reproduisant la sentence
rendue contre Samson, l'accusant de retenir l'avoir des héritières.
Il semble même que les populations avaient reçu communication
de l'arrêt, pour agir en conséquence à l'égard du condamné.
Ses partisans envoyèrent à notre Isaac b. Mardochée Petit un
homme instruit, Isaac, fils d'Isaac, appelé communément Isaac
Saki. Notre rabbin provençal s'empressa de rédiger le mémoire
qu'on lui demandait et conclut en faveur de Samson; seulement,
il traitait la question au point de vue du droit pur, sans prononcer
de noms propres. Isaac Saki lui écrivit ensuite pour solliciter
une nouvelle consultation ou le prier de s'associer aux décisions
prises par les rabbins de Provence et d'Allemagne qui avaient fait
défense aux Israélites de parler en mauvaise part de Samson et
intimé l'ordre à tous d'avoir à lui remettre les pièces dont il avait
à se plaindre. Dans la sentence de ces rabbins, on faisait ressortir
les mérites de Samson, les services qu'il avait rendus à ses coreli-
gionnaires pendant les persécutions qui avaient eu pour théâtre
l'Allemagne : il avait par ses sacrifices pécuniaires sauvé beau-
coup de ses frères. Isaac Petit ne manqua pas de s'associer à la
sentence de ses collègues, et il rédigea plusieurs mémoires pour
justifier son opinion.
Tels sont les faits relatés dans différentes pièces de notre recueil
de consultations. Ces pièces sont les suivantes :
1° F0 183 b. Décision rendue par le premier tribunal devant
lequel avait été évoquée l'affaire [Pièces justificatives, X a);
2° F° 184 a-b. Relation de la procédure suivie par Samson :
envoi de ses plaintes aux rabbins de Provence (c'est-à-dire du
Midi) et d'Allemagne, avec la signature du 2e tribunal auquel en
avait appelé le défendeur (Pièces justificatives, X b) ;
3° Ib. Résumé du mémoire envoyé ensuite par Samson aux
rabbins pour protester contre la décision de R. Jacob de pTû-ûra
(Pièces justificatives, Xc);
4° F« 184 &-185 b. Récit par Isaac Petit de la venue d'Isaac b.
Isaac, porteur de l'arrêt rendu contre Samson et lui deman-
dant une consultation. Puis, cette première consultation (Pièces
justificatives, début, X d), signée Isaac, fils de défunt R. Mar-
dochée;
5° 185 è-186 a. Menahem de Spire, ayant été informé exacte-
ment des faits, a donné raison à Joseph ^3iia. Résumé de ses
paroles avec notes d'Isaac, y^K = prn^ ntttf (Pièces justifica-
tives y extraits, Xe);
240 REVUE DES ETUDES JUIVES
6° 186 a-187 a. Résumé de l'opinion de R. Pérèç, avec remarques
d'Isaac;
"7° 187 a-188 a. Isaac Petit raconte qu'il vient de recevoir les
lettres d'Isaac b. Isaac et du parti de Samson lui demandant d'ex-
primer à nouveau son opinion. A la suite, la nouvelle consultation
d'Isaac Petit [Pièces justificatives, X f) ;
8° 188 a-b. Lettre d'Isaac [fils d'Isaac] adressée à notre Isaac
au nom de Samson, fils de Samuel, et de son beau-père, Nathan,
fils de Matathias, pour le remercier de son intervention et revenir
encore sur le point en litige [Pièces justificatives, X g) ;
9° 188 &-189 a. Réponse d'Isaac Petit (Pièces justificatives, Xh)\
10° 189 a-191 b. Mémoire consultatif envoyé aux rabbins par
Isaac Petit;
11° 191 &-193 a. Autre mémoire du môme sur la question;
12° 193 a-194 a. Autre discussion de la matière du procès.
Il faut essayer de déterminer maintenant la région où se débat-
tit le procès. C'était vraisemblablement le domaine du sire de
Montfaucon, car, autrement, Samson n'aurait pas été soumis à
une contrainte comme il l'alléguait. A l'époque où se produisirent
les événements auxquels il est fait allusion dans nos pièces, le
sire de Montfaucon était comte de Montbéliard et ses terres et
fiefs couvraient la plus grande partie du nord du département
actuel du Doubs. Il est donc tout naturel que les intéressés se
soient adressés concurremment aux rabbins de l'Allemagne et de
la Provence, c'est-à-dire du Gomtat et du Dauphiné l. Des liens
rattachaient, d'ailleurs, la province à l'Allemagne: le sire de
Montfaucon était vassal de l'empereur, et même après que Phi-
lippe de Valois l'eut fait passer sous sa suzeraineté, le seigneur
se rendit auprès de Louis de Bavière, en 1339, pour recevoir
l'investiture.
La date approximative du procès nous est fournie par la men-
tion d'une persécution dirigée contre les Juifs d'Allemagne et d'Al-
sace : awnïba. Cette persécution ne peut être que celle de 1336-38,
bien connue par les exploits sanglants d'Armleder. Elle fit rage
surtout dans la Haute- Alsace en 1338, à Rouffach, Soultz, Herlis-
heim, Ribeauvillé, Berkheim, Kaisersberg, Mulhouse, Ensisheim,
Cernay, Thann, Altkirch etc., c'est à dire à proximité du territoire
du sire de Montfaucon. On comprend mieux ainsi l'intervention de
Samson en faveur de ses coreligionnaires, et mieux aussi la con-
trainte subie par lui : le sire de Montfaucon évidemment exploita
1 Ils ne consultent pas les rabbins de France, c'est-à-dire de la France septentrio-
nale, parce que depuis 1322 il n'y avait plus de Juifs dans le pays.
UN RECUEIL DE CONSULTATIONS DE RABBINS 241
la situation. C'était alors Henri, « un des princes les plus belli-
queux de son temps ». Il venait de sortir vaincu d'une longue
lutte contre Eudes IV de Bourgogne, lutte qu'il avait soutenue
avec les principaux seigneurs de la Franche- Comté. Philippe de
Valois, pris pour arbitre, avait rendu, le 13 juin 1337, une sen-
tence accablante pour les confédérés : Henri dut se rendre prison-
nier au Louvre puis dans une forteresse où il resta trois mois1.
C'est probablement pendant cette guerre qu'il eut besoin du con-
cours des Juifs, et, à son retour, il trouva, pour se libérer de ses
engagements, le moyen ingénieux qui provoqua le procès qu'on
vient de lire.
Quelle est cette ville de rcbn dont le tribunal devait être saisi
par Samson de sa réclamation? Elle figure déjà dans les Deux
livres de commerce analysés ici par Isidore Loeb (VIII, p. 176).
Notre regretté maître se demandait si ce nom n'était pas identique
à celui de Dôle abri, mentionné également dans ces registres. Il
n'en est rien, car jamais l'orthographe de ce nom n'a varié, et n'a
comporté d's. On ne saurait non plus prendre le *r pour la préposi-
tion de, comme il arrive souvent, et lire le mot d'Oulens, loca-
lité appartenant justement aux sires de Montfaucon, car il est
peu probable qu'on ait eu besoin de cette préposition avec le
mot « ville » TJ, comme c'est le cas ici, et que dans les Deux
livres de commerce, comme dans notre ms., le nom se soit pré-
senté justement sous cette forme exceptionnelle2.
Quant aux rabbins qui jouèrent un rôle dans le débat, quelques-
uns seulement nous sont connus.
C'est d'abord, outre Isaac Petit, Joseph iima, le même, sans
aucun doute, que Joseph b. Jacob qui présidait le tribunal de ttjbn.
Justement, Isaac de Lattes le cite comme un contemporain d'Isaac;
d'après le même auteur, il fut mis à mort pendant les persécutions
1 Voir F. de GiDgins, Recherches historiques sur les acquisitions des sires de Mont-
faucon, dans Mémoires et documents publiés par la Société d'histoire de la Suisse
romande, t. XIV (1857). — Précédemment, Jean de Ghalon-Arlay voulant emprunter,
en 1309, 150 1. à un Juif de Dôle et celui-ci exigeant une caution, ce fut Jean, sire
de Montfaucon, qui la fournit (Bévue, VII, 9). Ce Jean était un client d'Héliot de Ve-
soul (iô., IX, 43). F. de Gingins dit qu'il ne pas faut confondre la maison de Mont-
faucon en Bourgogne (celle dont nous parlons en ce . moment) avec celle des sei-
gneurs de Montfalcon en Bugey, et il renvoie, à l'appui de son dire, à Guichenon,
Histoire de la Bresse, continuation de la 3° partie, p. 174. Ces Montfalcon étaient
barons de Flaccieu, et seigneurs des Terreaux et de la Balme sur Assens. Mais
cette distinction n'est vraie qu'à partir de la seconde moitié du xive siècle. Cette
maison, en fait, se rattachait aux comtes de Montbéliard.
* M. Gross, que nous avons consulté à ce sujet, croit que ce nom peut cependant
désigner la ville de Dôle, attendu que dans beaucoup de ces termes géographiques
Fhébreu ajoute un s qui n'est ni en français, ni en latin, par exemple dans Anjou
tÛT^S — Anjous.
T. XLIII, N° 86. 16
42 REVUE DES ETUDES JUIVES
de 1348 (peste noire)1. Il habitait alors, sans doute, la Franche-
Comté ou le Dauphiné.
L'identité de Samson , fils d'Isaac , ne laisse place à aucune
hésitation ; c'est incontestablement Samson, fils d'Isaac de Ghinon,
un de ceux qu'Isaac de Lattes mentionne aussi à côté de Joseph
131TJ et d'Isaac Petit ; c'est l'auteur célèbre du mrnnD 'o Nos
documents servent ainsi à résoudre définilivement un problème
de chronologie relatif à la date de la mort de ce rabbin. Alors
que le Youhasin (éd. Filipowski, p. 233) la place en 1312, le
Schalschélet Hakabbala (éd. Vienne, 53 b) en 1310, et M. Gross
vers 1330, nous voyons encore consulter Samson de Ghinon après
1339. Ainsi se confirme en partie l'hypothèse de Graetz, qui le fait
vivre jusqu'en 1350.
Joseph de iNT^an» est évidemment le même que Joseph de
■jKTarwa (Mussidan, Dordogne) dont M. Gross (Gallia judaica,
p. 338 et 107) a retrouvé le nom dans le Likkouté Amarhel, éd. de
Vienne, p. 34. C'était le gendre de Baruch de iswta, qui correspon-
dit avec Salomon b. Adret et Samson de Rodez, c'est-à-dire Sam-
son de Chinon, qui demeura à Rodez. Ces renseignements confir-
ment la date que nous assignons au procès dont nous nous occu-
pons. D'autre part, étant donnée l'aire géographique où doit être
placé le tribunal de ce Joseph de Mussidan, il est à présumer que
^BSîa désigne bien Besançon.
Mais il nous est impossible d'établir l'identité des autres rabbins
qui se prononcèrent dans ce débat. On ne sait rien ni de Menahem
de Spire, ni de Jacob b. Eç Hayyim de pmniznca. Quelle était,
même, cette dernière localité? On croirait volontiers à une faute
de copiste pour p-rma-oo, Strasbourg, si ce nom n'était pas porté
par un autre rabbin, Joseph Hayyim, fils d'Aron pTnunu2. Il
est peu vraisemblable qu'une pareille erreur ait été commise par
deux scribes différents. Notre Jacob b. Eç Hayyim était-il ap-
parenté à ce Joseph Hayyim ?
XL Isaac, fils de Mardochée Kimhi ou Petit, et ses corres-
pondants. On voit , par la simple énumération des mémoires
composés par notre Isaac à propos de ce procès, la fécondité de
son activité. Cette activité se manifeste déjà dans les diverses
consultations de lui conservées dans deux mss. analysés ici
par M. Neubauer3. Dans le premier (au British Muséum, n° Add.
22.089), elles figurent : 1° 69 6, 100 c (destinataire : Yehiel
1 Schaaré Sion, éd. Buber, p. 47.
1 Voir Jew. Quart. Review, XIV, p. 191.
3 Voir Revue, t. XII, p. 81 et suiv.
UN RECUEIL DE CONSULTATIONS DE HABWNS 243
b. Hanasi R. Moïse Wi izjin), 101 d, 103 d-l01c (réponse au
même Yehiel), 358 d, 363 a (destinataire : Jacob de Carcas-
sonne). Dans le second (à la Bodléienne, n° 2550 du Catal. Neu-
bauer), elles constituent les nos 78, 79, 97, 98, 109, 112 (ré-
ponse à Bondia Duran de Perpignan), 115 et 123. Mais c'est
dans notre ms. que se montre le mieux l'autorité qui s'atta-
chait à sa science rabbinique et l'étendue de ses connaissances
talmudiqûes. Les fos 119 &-205 b forment un recueil incomplet —
car le ms. s'arrête brusquement au milieu d'une phrase — de sa
correspondance. Le recueil fut composé par un de ses disciples,
comme le dit la mention placée au f° 119 b : "un mbaiûtt iba
rf'nbt ■Wfà.'n bran mn fa Yati pnr 'nn irmxib. « Consultations
adressées à notre maître R. Isaac — que Dieu le protège — fils de
défunt le grand R. Mardochée. » Les différentes pièces de cette
compilation ne sont pas toutes signées , mais le nom de notre
rabbin y reparaît assez souvent pour qu'il ne reste aucun doute
sur la provenance de ces consultations anonymes, destinées, d'ail-
leurs, pour la plupart, au même correspondant, comme nous le
verrons.
D'après Isaac de Lattes (ib., p. 47), Isaac Petit est l'auteur de
nombreux écrits, d'un commentaire de la plus grande partie du
Talmud, de novelles rabbiniques et de décisions : bVlDïl toanm
■îan kiïti 3>"d û^b '"^tt m-o^n TPûp wra 'na pnar 'n
r-nwann nwsai Tittbnn a-na &posi D'wrm iBT-psn taman.
Nous ignorons les travaux qu'il a consacrés aux « autres sciences »,
dont parle Isaac de Lattes, mais nos Consultations apportent,
pour le reste, la confirmation du dire de ce rabbin. Il y est
plusieurs fois question de ses commentaires du Talmud , en
particulier, de celui de Yebamot ; enfin, un de ses disciples
mentionne un traité de lui, relatif au Talmud, du nom de •nytD
ÏTSt. C'est précisément le titre de l'ouvrage d'Isaac de Lattes qui
vient d'être cité.
Les matières sur lesquelles portent ces écrits divers étaient, sans
doute, traitées à l'école qu'il dirigeait. Un de ses disciples lui
rappelle une interprétation qu'il lui a entendu donner d'un passage
du Talmud, alors qu'il suivait ses leçons à Orange (131 a).
Les détails biographiques contenus dans ses Consultations sont,
comme on le devine, fort maigres. Une note y revient fréquem-
ment : ce sont des doléances sur l'excès de ses occupations. C'est
qu'il apportait dans l'exercice de ses devoirs professionnels une
grande conscience ; comme on l'a vu plus haut, à propos du procès
de Samson, il étudiait à fond les questions qui lui étaient soumises
et souvent en s'y reprenant à plusieurs fois.
244 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Il avait eu pour maître, outre son frère Mardochée, R. Ascher,
qui est probablement Ascher de Lunel (156 a). Du vivant de son
père, reconnu lui-même pour une autorité en matière rabbinique,
il avait acquis une grande notoriété et, de toutes parts, on le
consultait. C'est ainsi que son avis fut sollicité une fois dans un
débat qui agita, en 1305, tous les rabbins du Midi. Isaac Haccohen
de Manosque, discutant avec son ancien élève Baruch, dans un
moment de colère le traita d'ignorant, de fou, de méchant et
d'entêté. A quoi l'autre répondit par une critique voilée qu'Isaac
considéra comme une offense. Il adressa de tous côtés des lettres
à ses collègues pour les faire juges de l'injure et leur demander si
linsolent ne devait pas être frappé d'excommunication, mesure
qu'il avait prise. Isaac Josué b. Immanuel de Lattes, dans son
recueil de Consultations, ne nous a pas conservé moins de quatre
réponses qui lui furent envoyées à ce sujet : 1° de Yekoutiel b.
Samuel ; 2° de Méir b. Isaïe, David b. Samuel d'Estella, Joseph
Samuel b. Abraham, Baruch b. Néria, et Nehémia b. Schealtiel,
habitants d'Avignon l ; 3° d'Abraham b. Isaac d'Aix, David b.
Samuel, Salomon b. Juda et Joseph Samuel b. Abraham2 ; 4° « des
plus petits du troupeau d'Arles » : Salomon b. Juda3, Jacob b.
Salomon b. Isaac, Juda b. Salomon b. Juda, Abraham b. Juda
b"»nu3^, Juda b. Todros b. Juda, Samson b. Jacob, Menahem b.
Ruben, Yomtob b. Joseph, Juda b. Calonymos. Notre recueil de
Consultations nous montre que Mardochée Petit dut également
donner son avis sur le point en litige et Mardochée nous apprend
que son fils, sur les instances d'Isaac de Manosque, avait déjà écrit
son sentiment sur les questions de droit soulevées par le différend
et les divers incidents qui s'y étaient greffés4. La réponse de Mar-
dochée, comme la demande, ne renferme aucun nom propre, mais
comme la question est exactement la même que celle du recueil
d'Isaac de Lattes, il n'est pas douteux qu'elle fut adressée à Isaac
de Manosque. La seule variante qu'offre notre document porte sur
la repartie de Baruch. D'après les autres textes, il aurait dit à son
maître : « Si je suis ignorant, ce n'est pas à cause de ma paresse
et pour avoir négligé de fréquenter les écoles : moi, je n'ai pas
voyagé dans le monde pour me promener. » D'après le nôtre, la
riposte est plus brève et plus circonstanciée : « Si je suis un igno-
rant, ce n'est pas pour être allé à Rome et avoir passé la mer l »
1 Tel me paraît être le sens du mot Avignon qui termine ces signatures.
2 David b. Samuel et Joseph Samuel avaient déjà signé la précédente déclaration.
Joseph Samuel était le fils d'Abraham d'Aix.
* Le même que dans le précédent document.
4 L'intervention dont il est parlé dans la demande adressée à Mardochée est celle
de rabbins français.
UN RECUEIL DE CONSULTATIONS DE RABBINS 245
Quel souvenir se rattachait ainsi à un voyage d'Isaac de Ma-
nosque, c'est ce que nous ignorons [Pièces just., XI).
Une autre fois, certains savants de Narbonne soumirent à notre
Isaac un cas relatif à la cérémonie du déchaussement et il trans-
mit leur lettre au célèbre Salomon b. Adret, parce que l'opinion
de celui-ci était enjeu (Pièces justifîcat., XII). Par la signature,
on voit que son père vivait encore.
Isaac n'était pas le seul savant de sa famille. Il avait un frère
médecin, du nom de Maestre Astrug (voir plus loin).
Le seule date qui se rencontre dans ses Consultations est celle
d'Iyar 1339 (129 b) :
***bn a"s n*"N unn ©an VDroio ïtmi •poBiaa Nit^a ito *iy
*nnrû,i û-nnarr triEr-nn *p-^b vibiinn wsyi trac ûvm "««as ^b
toiafco dia^-" Tibab bas rtrab»i"i b? tsbi ihn Ss b* nr»nn
La liste de ses correspondants ajoute quelque peu à nos connais-
sances sur les rabbins de ce temps. Nous l'avons dressée en suivant
l'ordre des matières de notre recueil :
1° Nathan Hayyim de Draguignan (f° 119 &- 121 &), qui lui
adresse, coup sur coup, deux lettres en l'accablant de compli-
ments. Il lui exprime ses condoléances à propos de la mort de son
frère Astrug (Pièces justificat., XIII). Peut-être est-ce le même
que Crégut Hayyim de Draguignan qui se trouvait à Hyères vers
1340. (Consultations d'Isaac de Lattes, p. 88, d'après Gross, Gallia
jadaica, p. 170.)
2° Yedaya b. Samuel de Lunel, alias Bonet de Lunel , qui
lui écrit au nom de sa communauté ; mais quelle était cette
communauté ? Nous l'ignorons. Nous savons seulement qu'elle
faisait partie des États du Pape, c'est-à-dire du Comtat Venaissin.
En effet, la consultation débute par ces mots : Un chrétien avait
affermé de notre seigneur le Pape les produits d'une localité
appelée Montaget. Ledit chrétien avait préposé deux Juifs à la
perception de ces produits et les avait chargés de procéder aux
vendanges et à la fabrication du vin, de manière que ce vin pût
être vendu à la population juive [Pièces justificatives, XIV).
3° Joseph de Lunel, rabbin de Marseille. Il n'est pas sûr que ce
rabbin ait correspondu avpc notre Isaac. Voici, en effet, tout ce
qu'on lit à son sujet : b^nVi rpT '-n 1OT ïrwbflHBtt dDfin Tnabi
i:pn V^ man v^mn mn anse rm bsn pbin « Termes du savant
de Marseille nommé Joseph de Lunel. Il conteste tout ce qu'a écrit
246 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
le rabbin allemand, mais nous n'avons pas ses paroles » (125 a).
Ce titre est obscur et l'on ne devine pas le motif pour lequel il a
été inscrit ici, d'autant plus que dans la consultation précédente, il
n'est pas question de ce rabbin allemand. — Joseph de Lunel est-
il identique à Joseph b. Yohanan, qui fut rabbin de Marseille vers
1343? Dans ce cas, celui-ci ne serait pas Joseph b. Yohanan
Trêves, comme le croit M. Gross. Mais, à notre connaissance, le
nom de Yohanan n'était pas fréquent dans le Midi de la France ;
l'identité de notre Joseph de Lunel avec Joseph b. Yohanan ne
paraît donc pas plausible. 11 est plus vraisemblable que c'est le
même que Joseph b. Juda Lunel, rabbin de Marseille, qui en 1343
signa un document dans une affaire où notre Isaac Petit et Lévi
b. Gerson furent consultés (Voir Isaac de Lattes, Consultations,
p. 87 et 93).
4° Nathan, fils du saint et pieux Isaac. Pendant qu'il était à
l'école d'Isaac, à Orange, son maître avait été interrogé sur l'inter-
prétation d'un passage talmudique et avait à ce propos présenté
des objections devant ses élèves. Nathan lui écrit son opinion
sur la question. Il ajoute qu'ayant consulté ses manuscrits, il y a
trouvé de vieilles Tosafot rédigées de la main de Jacob de "va^ia,
contenant l'objection et la réponse données plus haut et expri-
mées déjà par R. Isaac — un des Tosafistes de ce nom. Il a retrouvé
la même opinion dans le recueil d'Éliézer de Touques sous le nom
de Samuel b. Hayyim (de Verdun, Tosafiste célèbre, élève de
R. Tam). Il envoie en même temps ses compliments à son frère
Maestre Astruc. — Ce Nathan ne nous est pas autrement connu;
nous ne savons pas davantage en quelle circonstance son père
Isaac mourut martyr de sa foi, ou victime d'un mouvement popu-
laire (ce qu'indique l'épithète saint). — Quant au nom de ■Mima
qui se rencontre ici pour la première fois, comme on ne sait où le
placer sur la carte, il serait vain de vouloir l'identifier1. A la
lettre de son correspondant, Isaac Petit répond, entre autres,
qu'il a déjà traité la question controversée dans son commentaire
de Yebamot.
(A la suite de cette réponse vient une consultation de Samuel
b. Gerson en réponse à la demande d'Eléazar de Tarascon (133 a).
Cette pièce semble s'être égarée en cet endroit.)
4° Don Dieulosal dCUzès. Il soumet un problème de casuistique
à Isaac Petit (voir Pièces justificatives, XV), et celui-ci y répond
en démontrant longuement que la question ne peut même pas se
poser (133 b — 135 b, lacune dans le ms.). Dieulosal réplique en
1 II y a un Avessé dans l'Anjou
UN RECUEIL DE CONSULTATIONS DE RABBINS 247
montrant que l'hypothèse n'est pas si invraisemblable (136 & —
141 a). Isaac riposte à cette attaque (141 a - 143 a). — Don Dieu-
losal d'Uzès, qualifié par Isaac de tobusn tDn « savant parfait »,
n'était pas connu jusqu'ici.
5° Hayyim. Un certain Hayyim avait également soumis un cas
à Isaac Petit, et ce dernier n'avait pas manqué de répondre à la
demande de son correspondant. Cette consultation fut suivie d'une
nouvelle lettre de Hayyim (la première de notre recueil, 143 a-b),
sollicitant du maître un complément d'instruction. Isaac, cette fois
encore, s'empressa de fournir tous les éclaircissements désirables
(f° 143 b — 146 a). Après cette pièce viennent ces mots : « Nom-
breuses sont les lettres qui furent écrites sur cette question, mais
comme elles sont trop longues et qu'elles ont été réunies dans un
recueil composé par un des disciples de R. Isaac, je me suis dis-
pensé de les copier. En outre, le consultant a rédigé des vers à la
manière des chanteurs à la fin de ses lettres et les voici. » [Pièces
justificatives, XVI. )
Il paraît qu'Isaac, occupé des affaires publiques, n'avait pas eu
le temps ni l'idée de jeter un regard sur le factum de Hayyim. Plus
tard l'ayant ouvert en présence de ses disciples, il exprima tout
haut son irritation : il était fatigué de répondre à un quidam aussi
ignorant, qui ne le comprenait même pas : comme si, dit-il, je par-
lais copte ou grec. Que si l'un de ses élèves voulait se donner la
peine de lui répliquer, il lui en laissait la liberté. Ce fut Isaac b.
Samuel1 qui accepta cette tâche, et il s'en acquitta avec vivacité
et rudesse. De (° 147 a à 150 b se lit la réponse de cet Isaac : il
prend une par une les assertions de Hayyim et les combat vigou-
reusement (voir Pièces justificatives, XVII).
5° Anonyme désigné sous le titre « mon frère». A partir du
f° 151 b viennent des consultations et de simples décisions d'Isaac
en réponse à des questions posées par un correspondant qu'il
appelle simplement son frère. Il ne semble pas de prime abord
y avoir de raison de voir dans ce titre un simple terme d'amitié.
Ce qui confirmerait cette opinion, c'est qu'Isaac emploie cou-
ramment, dans la discussion, des expressions comme celle-ci :
« sache, mon frère », « vois, mon frère », «je te montrerai »,
« je vais t'écrire ce que j'ai lu » ; en outre, il n'use d'aucun de ces
compliments hyperboliques qui étaient de style à l'adresse des
correspondants ordinaires. Mais, comme plus loin, 172a, cet
inconnu se sert d'expressions d'humilité qui détonneraient dans
1 Un Isaac b. Samuel signe, en qualité de témoin un acte rédigé à Forcalquier en
1326 (ms. du British Muséum cité plus haut, f° 33). On a vu plus haut qu\in des
membres du tribunal de tfjbTT, vers 1339, portait également ce nom.
248 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
la bouche d'un frère (voir Pièces justificatives, XVIII), il faut
renoncer à cette hypothèse.
Parmi ces courtes consultations, il en est qui ne sont pas sûre-
ment adressées à cet anonyme. L'une d'elles est envoyée à un
certain Méir (Pièces justificatives, XIX).
Dans le nombre, il en est qui ne manquent pas d'intérêt pour le
fond. Nous signalerons, entre autres, celle de f° 159 a-b qui est
relative aux enterrements ayant lieu le second jour de fête (voir
Pièces justificatives, XX), celle de f° 160 (Pièces just., XXI). C'est
ainsi que par lui on apprend que les Juifs méridionaux avaient
l'habitude de dresser leurs contrats de mariage devant le notaire.
Son correspondant anonyme le consulte au sujet des Juifs qui
afferment l'octroi du vin (161 a-&), des femmes dont le mari s'est
baptisé et qui veulent divorcer (voir Pièces justificatives, XXII),
d'une femme qui avait été chassée de France par l'exil et avait
abandonné son mari devenu chrétien (Pièces just., XXIII).
6° Yehiel, fils de Moïse Wi ttna. (177 &-179).
Le ms. du British Muséum contient deux autres questions de ce
même rabbin adressées à notre Isaac; c'est tout ce que nous
savons de lui. Ce terme détruira était-il une simple épithète ou
un nom de famille? Dans l'acte cité plus haut et qui fut signé à
Forcalquier en 1326, un des témoins s'appelle tw Sa y^nN
bti lira. On a vu plus haut un autre rabbin de la région qui joint
ce qualificatif au nom de son père.
1° Samuel b. Mardochée. Le père de ce rabbin portant le mê.ne
nom que celui d'Isaac Petit, on serait également tenté de faire de
Samuel et d'Isaac deux frères, mais les formules dont Samuel se
sert dans sa lettre excluent cette supposition (voir Pièces justifi-
catives, XXIV). Samuel b. Mardochée n'est probablement pas non
plus le même que le correspondant de Salomon b. Adret1, car
s'il a échangé des lettres avec ce dernier, il devait être pour le
moins le contemporain d'Isaac, s'il n'était pas son aîné, et il ne
s'intitulerait pas ici « l'un de ses plus jeunes disciples ».
8° Lévi b. Gerson. C'est le fameux théologien, si hardi dans ses
conceptions philosophiques. On doutait jusqu'ici qu'il se fût jamais
occupé de casuistique. Il a bien rédigé des commentaires sur
la méthodologie talmudique et sur les passages agadiques du
ch. v de Baba Balra; mais on ne savait pas au juste s'il avait
jamais traité des questions pratiques comme les rabbins de son
temps. Une consultation sur ^tjs hs que lui attribue Joseph
Alaschcar est peut-être, en réalité, de notre Isaac (Revue, XXXIX,
1 Gross, Revue, t. IV,
UN RECUEIL DE CONSULTATIONS DE RABBINS 249
p. 76 et suiv.). Un autre document du même genre, daté du lor jan-
vier 1343, est, comme nous l'avons dit plus haut, inséré dans le Re-
cueil d'Isaac de Lattes (p. 87-93). Or, dans la signature, il écrit
« le plus jeune des jeunes élèves », et à cette date, il avait cin-
quante-trois ou cinquante-cinq ans et avait déjà composé ses
ouvrages les plus importants. « Il est très douteux, dit M. Neu-
bauer (Les Écrivains juifs français du XIV6 siècle, p. 599
ou 253), que Lévi se soit appelé à cet âge le plus jeune des
jeunes, quoiqu'une formule de modestie semblable soit possible ;
d'un autre côté, après la composition de tant d'ouvrages philoso-
phiques et des interpétations de la Bible au sens rationaliste,
nous n'admettons guère qu'on l'ait consulté comme autorité rab-
binique. Nous croyons, par conséquent, que Fauteur de la réponse
est un des homonymes de Lévi ben Gerson. » Dans notre docu-
ment, Isaac répond incontestablement au célèbre Lévi ben Gerson
et non à un de ses homonymes; c'est au moins l'opinion du dis-
ciple d'Isaac qui a rédigé le registre de ses Consultations, car il
l'appelle « le philosophe théologien »; d'autre part, notre Isaac lui
parle d'un ton qui trahit la vénération qu'il professait pour lui.
On voit par la réponse d'Isaac que Lévi b. Gerson avait rédigé
un opuscule traitant d'une question de casuistique pour laquelle
il avait été en discussion avec le « grand prêtre », c'est-à-dire
Isaac Hacohen b. Juda de Manosque *, suivant la note marginale
de notre ras., qui est probablement de la main de Joseph b.
Leb. Cet Isaac de Manosque était un autre correspondant de
notre Isaac. Dans sa lettre, Lévi b. Gerson avait fait allusion,
semble-t-il, à l'acte d'irritation dont nous avons parlé plus haut.
Notre Isaac proteste de son respect pour son homonyme, dont
l'autorité est aujourd'hui universellement reconnue et qui est
maintenant très âgé, et il dit qu'il n'a pas voulu s'immiscer dans
la querelle «.
La réponse d'Isaac Petit n'occupe pas moins de 11 feuillets, et
nous regrettons de ne pas pouvoir la reproduire in extenso
{Pièces justificatives, XXV). Le ton de la lettre est très digne et
Isaac parle avec émotion d'Isaac de Manosque.
9° Ibn Merwan b. Moïse de May r argues (116 a-1 18 a). Ce
rabbin ne consulta pas Isaac, mais, au contraire, fut sollicité par
1 Le même probablement qui signe le document du ms. du Br. Mus., 32a, et le
n° 114 du ms. de la Bodléienne : "{^Drî !"mrP '"13 mb^ïT pn^. C*est lui
que consulte une fois Isaac Petit, et il lui répond : Comment un savant comme toi
interroge-t-il un homme comme moi ? 11 signe également : pn^ "PJPXÏl "ON
iTTDn rnim ""H mb^n- (Consultations d'Isaac de Lattes, p. 51.)
1 II semble ainsi se mettre en contradiction avec l'assertion de son père, voir plus
haut.
250 REVUE DES ETUDES JUIVES
celui-ci d'exposer son opinion sur une question de lettre de répu-
diation (Pièces justificatives, XXVI). Leras. du British Muséum
contient une autre réponse de cet auteur, f° 67 a, signée jKVitt \2&
(puan ba dbvb p*H£ =) sabir mM-p^»]*! nvn '-a.
Les lumières que notre Recueil de Consultations nous apporte
sur l'activité des rabbins du xme siècle et de la première
moitié du xive, comme aussi les nombreux problèmes littéraires
qu'il soulève, montrent que, malgré la richesse de nos informa-
tions sur ce temps, nous sommes loin de le connaître à fond. Il
faudra de nombreuses bonnes fortunes semblables à celle qui nous
a fait entrer en possession de ce ms. pour que nous puissions dé-
peindre avec précision et sous toutes ses faces la vie de ces com-
munautés du midi de la France, où l'étude du Talmud, jointe à
celle des autres sciences, ne subit pas d'éclipsé jusqu'à la fin du
xive siècle *.
Israël Lévi.
APPENDICE
x.
183 6. En tête vient une ligne coupée par le relieur, puis
(a)
bai»© 'i a^Sii *p
•p îwnw 'n -mm b* wnu) wn n&«p rm w» fiisu) bip
banaiz) 'n aiwi maa nvraaïi vb* iyfy'* xyaTt brpa bwnw 'nsn
ï-ra |rrflpne tnanb m-r ^a i?aNb rpnvnen ïwït ni» a^n
i-rn û^?3^di voaa baa t^aam "pbinn rrm lie»© 'na naia
iniDs mn ipbNDan» nu: mn b\o "-îaïai-n "ittiaa wnp« anis
rpircn -n«« 'na ^"w j^d^t 'awrçi /noioi tiidee 'in bu:
'm&o ,'bnxia n;b -wbp t-n^a '?ûn ■**» r^bi "i-pan bu: Trmiaia
r-ianan- 'tt^ab ia^n» t^bn ,*"Oi ■»©» a-ib ûnon t-rôam anw? 'o
San ïsen t»n «j^n ■*« p^n ^dosi aoai hrrô «ibn» iosn
1 T. XXXIX, p. 227, nous avons identifié la forme ^bifc avec i3>bO et donné à
David b. Saul le patronymique Sali. C'est probablement à tort, i^bst doit plutôt être
pris pour une formule eulogique = !"PrP ûbl^b p"H£, «t signifie simplement
« défunt ».
2 Baba Kamma, 98 a.
3 Ketoubot, 86 a ; cf. 5a£« Kamma, 98 6.
4 Voir Baba Batra, 70 a.
5 Ketoubot, 85 *.
UN RECUEIL DE CONSULTATIONS DE RABBINS 251
/tairr pi in» t^Doa^ KoaNi taynya n^an «b un t^na maïaa
,Ta* tt-iu» ^* irm 'S'naôrpna n"aa nain -nbm Ta» "pttjaro
lass* bmaa "nm Taan i"a -itth yna ma *p^ ^ s^nsnaun
J-in /inN inpcT s^nanfin 'a^ab ïr^aa ba nabi wan *paan
ina aan mis S* r<bx ocna esb dn 'Taa^Na '^Na '-irr "piob
î-nn taaw? 'a^a a"$ /ntas nt nbiT laaa bwa t^tbi -inas mt»b
mm r**nr7N mn nmN da pan b-na "paa laaa ^n-nb oaan
n"an *wn o^sb inaato -i"an b* ia-iîa pb ,ûbizjb a-^m r^na
ï-tt -nna-< in ï-it laanaa nman nnN et» 'b fin ts^n b&oa\a
wao"> Nb taatn fâîTosb nfmïh i^^i *inN rtn ^n^ dan Tain
iva THW1 ta^n 'nn
s*nfi "nn dw 'n fin u)bn
ts-nn y? -V'm ap*|>] pno npma i:rwa
Ensuite cinq lignes disparues.
184 a. (b)
naaiua TaaiUNai ï-iara-wnsa a^aa^ïi ba vmaa>a nbu) "prais Yan
iaa> d^auîa "nanta rp'p Tnrt *sé3 Taa na^Tai *&rtn nanann ba>
■Varna anv ITfï «b "ppbDa-ia niab «iîin s-inn ibdid na>a *a
taiba Nbn maa> c^b p ïrfi dan ,iau:a maansn bap a^n banne
j^tirtn ifcârtn oawa naa na^a Nirt d&n /ibra na^aia na mtasb
(i. Noai) Naoa"! sentis ^im ainn ntas n-nioaa naaoa oat* ■aaai
Sa> irpnaMi nu:n -loawa a>au^uj rrn fan pddt ,mtt5a t^DDai
■»T j**api mai nNitb irnaa ma t**b ï-it rnbi Tiûtbfr ain inn^
; ntas'i*i main
npy^ '-in t)Ov
bN"i7ai2? 'na pnr^
d^n 'n'rt'a ynD
W
naaa mw iiy i3i biia |^bà i^maibn mis a^aanb nbà 'i?
: p^nnuî-i^T npy-> 'n nnn mn
t»<"i!iu5 larub ^in^ mbs nnarr n-in nana ^a main nbnn
ynnam (mTaj *jNnp rmm "ji^a in^bn mrainn naT "in-in liujbn
■•naittî db-i^b m^nnb Tata nn^ Stiîlf© 'na '"ia> #ï3Ynn liujbn nara
.nTn Tâsîl ba p-in îiu:a> ia^3Nb nu:N7: nrwwn na« nvainh
.•jittîaia '"ian yan^n ta^3 main mta^ rr»n rwrnn ^nd n? nan
ain iniwNT Ûf^atû du:n n^ïiia. '{-'Dm^?^^ pn r» rs^n t^b dbi^73T
nnn usina rr«r-tm uî^n &uja iî^k ab (rtk) rîba^ Nb "îpbsaitt ")U5 buî bna
t]*inu;n73 ^înai .n-'by ran N^rr n^n p nm dw^i .t^inrr n«5M n"1
mia-n*»n ipbnusa muîn^ïi ^ax nn^ias nn« i^by btai7:rj nuîa» aonrt
1 Consultations de Méir de Rothenbourg, éd. M. Bloch (ù'iTlft maïUJn ^1$^}
•^ina '-13), Berlin, 1891, p. 212.
252 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
SnaM mn S» la*1"! *-paa ^arrratt t-ianaia j>aiaai , pidYv
•^riN tn^n 'nrt a© mm iNmaxaiET ma?3 'n "nïi p rpi^ "in
îradi lawip ûï-naN 'mi aa muînvïi nnN b3>a f ira Tara 'nîi a>ana:-!
nT2N nvanri ban ,rrm«aîa nwnna îib« ba n^aiTai d^riN a^aaa
...Man û"»»U5rt 'a'a'Ta'n'n nanun ^a mbtaa an *^d
184 1. {d)
iTara 112:721 11U573U5 'mn nd72 la^bN t— ran bTO fcadn sa -nai
nmar; *prab w»am ^"p^ra pnar 'n aman î^ir: pnafc^ Ym pnar 'nîi
•p-DT sba n^ano iiairan \nanai "pmn ba> m:n amab -«37373 rapai
.îTairab ï-ît-i : rmndrj7: ra^N
1855. le)
■nn» 'ro mbimn nwa»n "p3 tamswr anaTa '"«an bimn ann
n"nrt m<asb Tnam ^av1 'nh ipssra pi poon ia nTas:-: ima^mn
1723 ï^iDDd-i NddT ï^ï-iï-ï nwi p^d nwara riN-ia •jiir373,o
mias p^aia -Tnnra "pN-ia ù^ainia 'T2n air: and 'i* ...tmnandra
•primai pifin ba» nbararai ^maasan» arniTa mairanTa ïm ^am
pian "pxim man iffism manw bap pitni dîna ^oni« vrtuj
Miipbn braraa la^arrï •pariai amn masb
.i-natpa. s-jt î-rtara a"a>
187 a. (/•)
■naaN araai pnar i"na pmr Yn'ma rmma "mb la^art i^iada»
aindb •'57272 ©pab vanp nwai lahin iTaa ptaTaia 'nns-i bra mndM
man vràmn naara d"^n inbjnb dinars Sa ba> ^a»a nranan
fimb ttaEnambi tsaras ^aan aa> d^donbi /toot nuisn musa
mûirn '517272 iTa^aô dda> i>o!-nz: ïtowd 'nnn ba» nai warna ba
miTan drj72 nbN nnw rwen 'iai ïraa» ninaab iicn» misai» t«™
nnp^^: rn^mna ^72 latnïn n^b^ inai ^aratw ba bj 1^72
!-i73d nbarnb 1217272 itd nidx rn^i nbian bnp bdb i^i^^i immom
m^b72 m bv iaai la^maiya Tid-ONa ■noa-inii» nntani n^a rmu:s3
iin m^i irt72d bi^ia by nt ■jiy bina ^a d^-1172 dn72N72i mani
SaN naa rba> ïiN2£"«tt5 mn dit: 'nncna taiî< diu: aaan s^ba
inNTi ^tt^Domo M72b ^nTadoïi rtbs bd n^ ^niNnai /mb i^^"« bdn
naid ^sd Dm ^-03 n tabiyn *ima9 dib^m roawri ^rn ^naiian
imnaanurt d272N /dbiid-' yiNa ^la^r: yiapm .dbtî^i dn^ i^ma
tz^abinm d^auî722 m^iim *ioznn nn« d*»ma63m mT-i^rr û^ma^m
^ttsas dibuî nvnaTia n^dN ï-nnnrt ^a» pb d^duîn ■'dbin drs^dma
■pi pna taaibn iab-»i d^n id-iït» p dib^ bx b« ib^ man
dai^bai riN72^ïi n« ïmni taïT'sa itJ"«bï5i Sab dibab d^3» nndim
n^nnx ^d ï-5Ni^72i iiNi^a n«aïîi mnnn ru<api irnsn i-i«bn» rian
inibdm baan ïjidi naia tn72N air72 ma^nbi i-iia^n nu"jp bd
TD721 anT72 d^mnidn aa^anb ^iNm ,in72a72i nazsnb tsnNn a^anb
UN RECUEIL DE CONSULTATIONS DE RABBINS 253
mi t-nb^NTa mi *sai b* VmtKïib dma^m dnbd^a im d^ana
mm a^aïai d^bbd dra^nbi ammbi diaaa m»» bwib tan»dn
a^s^a mb* ^aa nb&o iibn miii "nia» 'pams nvns baa *& ba>
taraia Tiba nmaai r»n»« mum pis *pi ^73 d^Lun» fcars uni
i-mwa û"nana m*\a nai^ bnb ï-nb^bs me "pi mab carnb*
mpbnm maap mi iawa maa na« ïmbsK» yia* b« mi ^nbabi
anmn nx marabi manaKaïi manb mpbna ^n ûiasab iTanam
raaib a^nttN urw anm in ^lai ïJ3 la rrnstti taTaia utn toipb
B^iDi -noi asiû» ab ddn bdi r-np»*n ab maian ion mpix
taniap taaiiab iamn bab mcMb a^ap*73i m^b ^^73 amsab
ammab irai pn* niiann m dan ipab d^iin ta^ra im« ipu:
tamiai iujn ûinwri idii pis piir tanpixi i"i -na* nbna pnt
isïto ma mais rnan iaa ma*» b* rwai« biaiib ûiini a^»na
t»îtt i*xbi nxa i7aa>b ai:a umi aama»i anm œ-w laa nttbab
Kiàtiïib i»in ->sb nb*7a nba>» bam i»* îittba m i»*3a îinmpi
•p* t^nrr % 'mai rsbsai rtEhwn bm pu3n3?7a mam nai ira*
•■wrb nbm» ib ywa m»i« a*»d 1* nbma iwa iba*1 ibibs
ûiiDa« b* w 'nai «in s*nn 'idi ïirnia ma*ai t^nn b* ijabisiiia
i"n nain maa îrvm nfiiisa ma*» nasa ma flan 'ro n?3 p M* dni
^d2N a>i du: 11b* ïrxiii s**bœ îm^a '»mi Kin kdii p r»*oii
s-j»b i373don pb ,m»bi* rsbm» ib pN *-i nu: vby t^"»atin dN
mis naam Tîdu:^ n*a nn*^Di dm» 'n a-in bimn isai i73^dor;u5
Sd b* inj^oi pn^ 'in p iiu:»^ n"nn nam» nmT u3»uj -pn»
nn^ b«i73D 'mrt p Tua»^ 'nsn p pu:»u: 'mrt iaa rs^in ta->nan73rt
trrrro i»a nm?3n rousnii n*ia«3 *auî3T bNiwjîi 'na ^ps t^^ia
t^a^ ^73 nujN ixmi:3"i73tai qd*i^ 'n ism» anrt b\a 13^ maa ima
.damnriN nrrnnb i^n û^a^p d-u:*» ima* nna nujwx *]b»n ^in»
in nwnn mmuîi mai» imiana mnu573n bd b* i3»ddn pi
iaa-i i->b* d^ddnu: n»b 'T3rr fTa»© 'mn maa naa naa i&wf mita
rmdna inuj^ D^73dn bipb dn*73iu:m 'y*1 1i^»^ 'nn 131173 lam&oa
: *"3 ^d^i» ia pmr> dmnrs d^ibiai
•^n*i mana lad mm masb "ji^»^ 'rnn 03N3u: aaiNn b*i
pDi xiaa '^dnu: Ca^iwh n*na i»i* *>3N ^n*i73u:m d""73"> m; nra
S^ibi msians ^iwb nîa wtD 'sy&o di3N t^inu: in» mtas ma
ion pi #i"a«"in auîNiai rtîb i73"«ddrî dam mabrin» mai ma»
pu N»bl d3N3 t^»b* ->bidbi ,i^nna ifia©l b"T ->1N73 r<aN n*i
: iimrt j^in pi a"im mirs n*ib '^dni pas r^ba maa i^a
ï-in73i73 i"aa 1-1112 na^iTa iaauj mia» i-nad? ^-"b i^arr nam
N3£Ti dn» 1U5N m"»Nini abi* 1*1 nnyn dabmi ana iuî^i aiuîm
iba 1* tsibttS an nbiuî ra3N iujn dimipa Tiian in»Nb fin
ppi ta-iiaa nnbsïib i^irn lûead hiit uni nmnn ^af>ai»b nm
ao:i-> bx dnaiûi ta»ibu5 m*a bbanan n»u:i îb* dniNan mi
,*"a -«du» 'ia pnif d-»»u:a
254 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
M
pnar 'nn ribraiû nnsN obis
-na^ p^ii: ii^n a^aiNb msttti *naa ^aab mnnapfcw mp« pimja
da-nrr npnan ^o tarmttrt raen rmanaia *n« rmnn nro trarn
p jpwfti n"nrr nam» prmyar: a-iïn hwa p inra nta r-îT damai
imnm fnhn û^braETan wn ib *jn "jn rosntDn ^im n"nn ia-ns
'-i a^-iaïn p "jna 'n sens» ttmrn baïaia a^an p f-nattis '*i "inn
•pnan si©t>i "paa ba> ainnbi amab anb r-nia* bmann bar rpnms
■^a aaiN naa "pttjTara 'n 'narn ma* nia** tnb^rnaïn nmiN br bsusari
.NSJ-nba nntsa ï-r^nrr
A la un :
■^nwai Jna 'naim ït©»ib 'n ...n»» ibir «sb babi anrt na-iTab aibiai '
.n"nbT pnr^ Tntn p pn^ to$s?
.nnaNïn dkt naiian
prn^ 'a prtati 'n 'nn na-na „.«pma t^zrm&n Npnai-n
189 a.
aipaïain ib->:ama nanatan nan ba» OTnaan 'fnani ^maa wan
../pMia 'natn
natrarns mavba ^ly^ïi naai bantt'rçai Diana ^pa Êtfrw "na man
nra* isb miTio da naa d"<babiaai D^ainN d-nan ona "«mern
nain waria ba> njnran ^aa irons rjam /»b*k ama bam ,^na»n
^nann bam aaNn "ni ba> mtaon poab pim oa ;rmTan him ban
dinaipr; phrwrâ iman rnbnn viansc naa Nta »*Ynûfcp® ^sbi
"•mam -na ï^as nania tnaa "na» 'paT'an r<nNabn "pb^Na *tom
'■^dni d">a->nïn niabffl "pa û^bsnan d^Dibnn matpa ia ^nbbai ^:n
manaian ibaa um^ ba> n;maa n^aa'rtbi ^nab n;a bd *pjaia fwv
r-naïasa» m nu npna ^d -ma nn ,"pnsnbi ïmin b^anbi m»pn
ann "«Tittb an Dibci -ranau: n?2 ainab mb^ba ^^t: ^n^bns
!-îit"in7aa aman raaad ïamn rtba»abi ■jitût:© 'in nann »OD3^
.pnir-' d">73\Da bot* bx umm "r^a wpnn pTom
XI
118 &
nabna nr nN m ^nxinx d^an ■'T'Tabn -ouï ba» bsittî ^a» nbnn
nann d^an ■n^abn ujw^: rjT nauj rtTi rîa\a nr enp nn Nip htt
TT»an ba> in^n aa^a dnpbnww ^i:-« nann d^7adn ^^»bn \dt:u: rtn
-i-i-ia-i ba» "in^n a->u:n pna Nain yn^rt oa» a>^:n nmu: 1-b «npn
TnDyuj b^auîa in worib Tbbmu raw ^-«a^N ynNr; aa' ^aN dN
tDN TT^ariTa bina yrcN-n mrp dN C]n nia baira ^3N-i a*1? naa»?:
UN RECUEIL DE CONSULTATIONS DE RABBINS 255
'in an™ nriN aann na nta» pna ims "pta dN t)tt mn« 'ian
taaiia ter dn yn«n ■«jaan v* "«b "nanti dtms web pi» «in©
"in«n uni NrrnpBNm nrarr '•"17373 ib tnpu: rro ba» imnab nn» dan
■naaaio in ■nia "pria en "man b* nain* a^tan vrfaiï vba» nra-iTarr
a^«5fen hte -nai» nna aan «a dN biNirjb *b ia-< na» ,rto p-ib-nn
f-rtan Tpam» rra naob "»na -13 tort vba» pnbnn ba» nams
*mm na-na îb n^aib tok» vas o-nnnb ims ïttàfcft taarn
ib "i73N rba» pibnn -frwn aai r-rT ba» imai vrais a irorm naba
.rttfla prçn p^ttb Mba bd ba> mbaia ton nn« ïia-n«
~aba -nia "pn ï&o VNia dnann a^u-ras dnptt batti ...na-iian
b^nnnia nn« "i!i73a taan tna nn«m dann ton b-rin^n v^bn
ann top naa D"nain n«ii) •paybn ..nabn nai ba> iBiabi ns-inb
anaia ï-raai nmba» -ib ainab ia Tssm pnaro ^aab naTan bnan
£vaitab awwi *n vrmarb itûép "H ia iz^ nie&o "H ia ©1 dm
•pfflt* 'na larHîa aman planai npiana tamaba ta^wbi
XII
126 a
masp n^a "Wra "na priir*1 n"irj>a7a rrbaraa nbaiDït tn&i
mw p nabia 'i bvûn a-n b« snnbiab biniam rjaiana rosn
.ï-i'n'b'T
pain }innnn pbnniu narbn ba>a»a rraia-iaa an-wa îwya
*a-iOB tnnia uns aiaa dia n»Kai vaara» ^asa pbn rrri yn«b
i-raa irmatia 23*373:1 bn ribN«5 ^m by dno d^iairr la^a» ly-^am
û^bYMtt ia^ma*aa iaa»7a^ p»*bn ia^«n rsb abn^Ta© dnb naa©rri bnoc
S*attn mis br dnb 33Vm irrri nana bnos dri?: i:bap ^h^n
ma nma da itbfi y-iao ^aaiN^asb nra^b d^aa^s n^aa na nasbnu:
mt biOB itba» ^730* npa> lab i^n |pVip r-nb-»baa a»iap ia"n
maiffln n^nn pttb naïuîn nm»a dnb innau: ï-173 ma:p na^-n
...dna^rn im« yp by na^bx "ia^a-i
ian ^3sa jrnan t^^nan ^^abna na^an -^asb naana-i la^ujauj nn^i
^a^aïib npa»n 12b a»^iT' mT ba» ^73^aa -i?3Naia n73 r<"in in^n bn
'na pnat"1 ppn naa»n "173N ma .t^i^n d*»73Uî naNb73 ^a n^n^i n-nn
.y"-' na-ia-m ■orra
XIII.
120«-J. Fin de la lettre :
^saa inpn^n nmn Tmr ba rta n73N mm mnm *t'*7N-i h*vn
mna cn û^nb^rr innx npbn bx basn T^ba» naiTarr ^sai iam»
1 Veut-il dire par là que Salomon b. Adret serait venu dans le Languedoc, et
1U)b"ia désignerait-il le pays Toulousain ?
256 REVUE DES ETUDES JUIVES
ï*narï inxa pna bina a^nîn npian ^l'o -wb* ^an sona ra-npn
'n'a'at'a'n annaux nara-wa ûbttïi "pm pas -121 iK^niN na -raaan
rppbnn innn nbarn tzpïiba *p3> pa n^N b^naai mrçsa Da>
to^m na"Wa nia ïi-np nraN t-nam )vbyn oVuri bi* rrnîran
-pn^ wm a^s to*>nbN ba mb« i-ib* n©N ï-ib*»n inaab nb
npna* "atapa t^-in [as &ma ï^air n;Na£ nan"1 njb*3 ^ b* ^'a"1
.tra^nn f-po 'a rnnaa "p^s-a-ni .a^n ^na *pmœ»i
to^bbnai b-na nauj imnara nTabnb -naa n^im Ta> bnaa
nr maïai nnas: nsio^ tidoi mw "p'ab ^nba nvs ba mais?
i73iy namba TDôn by mîitah nî^rr im«Bn maanbi nnbnab mabiri
nama bvran "n«an maa p prof 'n pli: fima 'mars ann iaaa> oab
,'o«« 'w aiirj 'n
XIV.
122a.
.inat anp ann namab nbtfiaa nbwan pnt
fcwjn a^abra ibaa rba d^na'ï-n Tiasan nbannir: aa traa i^a
î-iaim bm anb naia manca rjbny ïiasn lûDin ba ^dn aa^ toa
ma-]?"1 Nb maann *pan nvnnïi *nana manb^nm mpsan naaa
oab thwï r-nb^an ^aica liOTn "aa-^ a^naa *pbN masm ©^m
-pas irm^a mp ^mn ïaa>a naTnpao "isab inop "-pnnb aar
: waian n* NaN t<b uni "inaabab -neaHTi inaia aia *çb
t^opa "inN nsa mfcnan maiDKïi laana naana riap ina -^n^aa
û^beniD*' ""Dto vnnn n^p^n raipn iman ïia larb aan aaia
•pna vbN anan la» "j^ataîri miananfi imN inya bapbi apbb
-na? toaiaa ^ns pbn tonna maa>a ann"1 pbnb n-»nn irrwaprt
nna7ob inaïaiû n^^a to^a N^n^n "j^n nb innsa^is arraa? înann na
rm«ianm D^oan ams a^: piom na^in babana p nn« panurb
tona^ hy ^a^ri naïaan ims ,ùr^by mx ^n^ra rsaai "it« nnn
n^a nris^b nann nuD^a ^n^a i^n ntro^iDi napb^ SrbNhsJiïi
n-«aa n^n^a im»ci l^^n innan anasba tc^ n^bNn^r; ,im« naipn
na p^Tnai T»by a^b'i: rvi-pn m^rsb ainan njnnrra nu:N nianrr
û^ann m»i nnD nnoa n;^ ûi^a n^n^n- n^aa nmm nnaa irm
mn^ n^an nin^n n^a nmsa *iau: id^oiïi tou: "na n^a rrnTî
V^ imNu: ana larau: na na^T^a prma mr? tortbœa V rn^ba
tonnai» i33>att lar nn^ .naiprr ^niaana mn û^oart imsa t^^o
nnN .pian nra naïaanj n«a imap -pb* toi^ps- a*»b«ntt5^n ans»
■^asa mosb ">aiN ia maia "i^n^n na^ra pTma p ït1:! nann^D
aisv ï-r^rt^ffl n;^ni:^ ?n^ ^an^i a->ia mbiau) n^ n^rr n^ms
^m ûi^a tonba b^ia ia^ ûra amm nnsao d'^ni na^an
r<2:a-« un ^V na na« naian q^îb «n-1 ia^i ^a btt im^na
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UN RECUEIL DE CONSULTATIONS DE RABBINS 257
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T. XLIII, N° 86. 17
258 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
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(^4 suivre.)
UN CHANSONNIER MARRANE
ANTOINE DE MONTORO
De même que dans la plupart des villes de l'Andalousie, il y eut
à Gordoue, dès l'an 1391, un grand nombre de néo-chrétiens.
Grâce à leurs alliances avec des familles nobles, ils jouissaient
d'une grande considération, mais leur fortune et l'influence qu'ils
acquirent, particulièrement sous le règne du roi Henri IV, leur
attirèrent la haine de la population, que les sermons d'Alonso de
Espina, l'ennemi le plus acharné de ses anciens coreligionnaires,
attisaient toujours davantage. Bientôt les vieux-chrétiens et les
néo-chrétiens formèrent des partis étroitement fermés, en hostilité
marquée. A la tête des premiers, se trouvait l'évêque D. Pedro de
Gordoue, l'ennemi juré des néo-chrétiens. Il les accusait de rester
attachés fidèlement au judaïsme, tout en professant en apparence
le christianisme, et de pratiquer secrètement les usages des Juifs.
Le peuple, dans sa haine contre eux, n'était que trop enclin à
ajouter foi aux accusations perfides que le clergé dirigeait contre
eux et n'attendait que l'occasion pour se jeter sur les opulents
néo-chrétiens, piller leurs magasins et dépôts de marchandises et
s'emparer de leurs trésors.
L'occasion ne tarda pas à se présenter. Sur le conseil et sous les
auspices du fanatique évêque D. Pe'dro, il s'était formé à Cordoue
une confrérie, sous le nom de « Caridad », dont l'accès était in-
terdit aux néo-chrétiens, ce qui contribua à augmenter la scission
entre les deux partis. Or, lorsque la confrérie fut inaugurée, le
14 mars 1473, par une grande procession, tandis que les maisons
des rues à travers lesquelles passa le cortège étaient richement
décorées, celles des néo-chrétiens, qui, pour faire une manifesta-
tion, ne voulaient pas prendre part à la fête, étaient dépourvues
de toute ornementation. Au coin de la rue des maréchaux-ferrants,
« Galle de la Herreria », la procession fit tout à coup halte : du
260 r REVUE DES ÉTUDES JUIVES
haut d'une fenêtre de la maison qui appartenait à un des plus
riches néo-chrétiens, une jeune fille avait versé par mégarde de
l'eau sale, et l'on prétendait qu'elle avait atteint une statue de la
Vierge. On y vit une profanation préméditée. Aussitôt des milliers
de voix s'unirent au violent cri de vengeance poussé par un maré-
chal-ferrant du nom d'Alonso Rodriguez, et ce cri se transmit
dans toute la ville avec la rapidité de l'éclair. La foule, avide de
pillage, se prépara à massacrer les néo-chrétiens, ces maudits
hérétiques, à incendier leurs maisons et à piller leurs richesses
mobilières.
Pour mettre un frein à ces excès, on vit accourir D. Alonso
Fernandez de Aguilar, dont la femme, née Pacheco, appartenait à
une famille de marranes très influente et très étendue. D. Alonso,
accompagné de son plus jeune frère, D. Gonzalo Fernandez de
Gordoue, « el Gran Capitan », qui devint plus tard la gloire de
l'armée espagnole, arrivait avec une troupe armée, pour protéger
les néo-chrétiens ; il somma la foule de renoncer à ses honteux
desseins et de se retirer. Au lieu d'obéir, le violent agitateur
Alonso Rodriguez insulta le noble comte, devant lequel tout
Cordoue baissait la tête, et prit à son égard une attitude me-
naçante, si bien que celui-ci l'étendit à terre d'un coup de lance.
La foule, effrayée, se dispersa précipitamment. La tranquillité
se trouvait rétablie en apparence. D. Alonso retourna en son
palais.
Les fidèles partisans du maréchal-ferrant déposèrent son ca-
davre sur un brancard et le portèrent processionnellement dans
l'église Saint-Laurent, située à proximité. Le peuple, aveuglé par
son fanatisme, en fit un martyr et l'honora comme un saint. Il se
persuada que le mort faisait des mouvements, et, au cri de « Miracle,
miracle! » la foule, excitée par un chevalier de Cordoue, du nom de
Pedro de Aguayo, de réputation très mauvaise et ennemi de
D. Alonso de Aguilar, courut aux armes et se rua de nouveau sur
les néo-chrétiens, massacrant, brûlant et pillant tout. D. Alonso
accourut au secours de ceux qu'on attaquait avec, son frère et
d'autres chevaliers, suivis d'une troupe d'hommes d'armes ; il fut
accueilli à coups de pierres. Il s'en fallut de peu qu'il n'eût le
même sort que le connétable Miguel Lucas de Iranzo, qui, huit
jours après, en voulant protéger les néo-chrétiens poursuivis à
Ja6n, fut massacré dans l'église par les meneurs. Craignant pour la
vie de D. Alonso, on le força à se retirer dans le château-fort, où
ceux des néo-chrétiens qui eurent la chance de se sauver trou-
vèrent aussi asile et protection. Dès lors, la foule, avide de butin,
put se livrer sans crainte au pillage et à la dévastation par le feu.
UN CHANSONNIER MARRANE 261
Des jeunes filles furent violées, des femmes et des enfants mas-
sacrés sans pitié. On traita les néo-chrétiens bien plus cruelle-
ment que Ton n'avait traité les Juifs quatre-vingt-deux ans plus
tôt. Au bout de trois jours, la rage du meurtre et du pillage était
assouvie et avait pris fin. D. Alonso et ses protégés abandonnèrent
le château-fort et la ville. Sa valeur chevaleresque et sa généro-
sité d'âme furent mises en suspicion de la façon la plus insultante
par ses adversaires. Pour prévenir le retour de désordres sem-
blables, le conseil de la ville prit la résolution que désormais aucun
néo-chrétien ne pourrait habiter Gordoue et les environs, à plus
forte raison qu'il ne pourrait occuper de fonctions publiques *.
A la suite de ces tumultes, beaucoup d'habitants de Gordoue,
sans doute des parents des néo-chrétiens, avaient abandonné la
ville ; d'autres étaient tombés dans un dénûment tel qu'ils ne pou-
vaient plus payer les impôts et remplir leurs obligations envers la
ville*.
Plusieurs d'entre les néo- chrétiens échappés à la mort se réfu-
gièrent à Séville avec l'espoir de retourner à Gordoue quand l'ani-
mosité dont ils étaient l'objet se serait calmée. Parmi ceux qui
avaient trouvé un refuge dans le château-fort et qui s'étaient fixés
ensuite temporairement à Séville, se trouvait aussi le poète Antoine
de Montoro, dont les poèmes viennent d'être rassemblés pour la
première fois ; tirés de divers manuscrits et ouvrages, ils ont été
publiés avec une excellente préface et de nombreuses notes expli-
catives d'une main compétente3.
Antoine de Montoro, un des plus sympathiques poètes du
xve siècle, dont la renommée dépassa les frontières de sa patrie
et dont nous nous sommes déjà occupé il y a quarante-trois ans,
dans la mesure où ses œuvres nous étaient accessibles4, était né,
en 1404, à Montoro, dans la province de Cordoue. Il appartenait à
une famille juive et était lui-même juif. Nous ne savons guère ce
qui le détermina à embrasser le christianisme. Lui-même déclara
à un âge avancé :
J'ai des fils et des petits-fils,
un père pauvre, très vieux,
1 J. Amador de los Rios, Historia de ios Judios en Espana y Portugal, 111, 152 et
s.; Rafaël Ramirez de Areilano, Anton de Montoro y su testamento (Madrid, 1900),
p. 4 et suiv.
1 Revista de Archivos, anno IV (1900), p. 724.
3 Cancionero de Anton de Montoro \el Ropero de Côrdoba),poeta del siglo XV, reu-
nido, ordenado y anotado por Don Emilio Cotarelo y Mon (Madrid, José Perales y
Martiuez, 1900).
k M. Kayserling, Anton de Montoro, dans Deutsches Muséum, éc], par Robert Prutz,
1858, n» 23.
nDVUEj VEjO H,! UUEiO JUiVEiO
ma mère Dona Jamila,
une fille non mariée, une sœur
qui ne se sont pas approchés des fonts baptismaux l.
Comme nous l'apprenons par son testament2, il était le fils de
Fernando Alfonso de Baena Ventura et, par suite, proche pa-
rent, peut-être même cousin, du poète Juan Alfonso de Baena,
appelé « el judino » « le juif », qui était commis des finances de la
cour du roi D. Juan II de Castille : c'est le compilateur du célèbre
« Cancionero » de Baena qui porte son nom.
Antoine de Montoro, le célèbre poète qui n'était ni chevalier ni
noble, mais qui était loin d'être aussi pauvre qu'on l'a prétendu
jusqu'ici, appartenait à la corporation peu estimée des fripiers ;
lui-même s'appelle souvent el Ropero et, dans son testament,
Aljabibe, mots qui signifient « fripier ». Les fripiers de Cordoue,
comme on le voit par les « Ordenanzas 3 », étaient soumis à un
contrôle sévère. Ils ne pouvaient vendre les vieux habits que dans
un état de propreté absolue, et il leur était défendu de vendre
comme bons ceux qui étaient mauvais ; en cas de contravention,
les habits étaient confisqués et les vendeurs punis d'une amende
de deux cents maravédis, un tiers de l'amende revenait aux plai-
gnants. Gomme c'est encore le cas à Barcelone, Madrid et dans
d'autres villes d'Espagne, ils ne pouvaient vendre ces vêtements
que dans certaines rues; même les vestes neuves, jubones, ne
pouvaient « suivant un antique usage » être vendues que « sur la
place aux poissons ».
Le commerce de friperie n'empêcha pas Montoro de s'adonner,
dès sa jeunesse, à la poésie. Il s'essaya dans les genres les plus
variés, mais il se sentait surtout attiré vers l'épigramme, genre
dans lequel il produisit d'excellentes choses. Beaucoup de poètes
renommés et estimés, tels que Juan de Mena et le marquis de San-
tillane, ne dédaignèrent pas d'entrer en relations avec lui et en
parlèrent avec éloge. Mais il eut aussi ses détracteurs, qui trai-
taient le pauvre fripier du haut de leur orgueil. C'étaient des
poètes et des musiciens composant des poésies à gages, eux-mêmes
1 Cancionero, n° CXXII :
. . . tengo hijos y nietos
y padre pobre muy viejo ;
y madré Doua Jamila,
y hija moza, y hermana,
que nunca entraron en pila.
2 Rafaël Ramirez de Arellano, l. c, p. 6 et s.
3 Les Ordenanzas, tirées des archives de la ville de Cordoue, ont été publiées par
Rafaël Ramirez de Arellano, Bevista de Arckivos, p. 726 et s.
UN CHANSONNIER MARANE 263
de basse extraction et appartenant à la même race que Montoro,
comme, par exemple, Juan de Agraz d'Albacete *, serviteur du
comte de Niebla, le Gomendador Roman, Juan de Valladolid et
Rodrigo Cota. Il est amusant de voir comme ces néophytes se
disaient de dures vérités et cherchaient à se ridiculiser en rappe-
lant la religion à laquelle naguère ils appartenaient.
Montoro, qui était aimé et recherché dans les salons les plus
distingués de Gordoue, eut l'occasion, lors de la présence du roi D.
Henri IV dans la ville des Califes, de faire aussi la connaissance,
parmi d'autres courtisans, du Gomendador ou Commandeur Roman.
Roman était au service du duc d'Albe, D. Garci Alvarez de Tolède,
et devint plus tard commandeur d'un ordre militaire ; il composa
plusieurs poèmes religieux de longue haleine et prit l'attitude
d'un chrétien bigot. Bientôt une querelle éclata entre lui et Mon-
toro, et ils s'injurièrent sans ménagement. Il faut avouer que
Roman avait, en fait de termes injurieux, un vocabulaire fort
riche ; il appelle Montoro l'ivrogne, le jars, la bosse poétique, le
marchand de fruits, d'œufs, de miel et de chandelles, de ficelles,
d'épingles, de bagues fausses et de mille bagatelles, qui court les
villages pour acheter de vieilles ferrailles, marchandant humble-
ment comme un bon juif pauvre. Il dit qu'il a hérité, en quelque
sorte, de la malhonnêteté de son père, qui, en sa qualité de hazan
ou d'officiant, aurait transformé les chants d'église pour les chanter
à ses jours de fête2. Montoro lui répondit avec calme et dignité.
Il lui rappela qu'il avait toujours embrassé la Tora, qu'il avait, en
sa qualité de parent de Benjamin et de frère de Don Semtob, parlé
des Chérubins et que dans la rue des Juifs il avait juré par le Dieu
unique. Il lui demandait pourquoi il prenait cette attitude si fière !
Il n'était pourtant qu'un marrane, tout à fait méprisable, circoncis
par un rabbin, c'est-à-dire tout à fait un juif. Quoiqu'il fît semblant
d'être un pieux chrétien, s'il venait à Tavara, probablement son
lieu de naissance, tous les Juifs l'appelleraient par son nom et il
mangerait sans doute avec plaisir Yadafbia avec de la poitrine
1 Des poésies de Juan Agraz se trouvent à l'appendice du Cancionero de Anton
de Montoro, p. 301 et s.
* Cancionero de Ant. de Montoro, n° 142 :
No quiero que de judio
recibais mote de mi,
porque ya lo sois y frio,
mas de aquel gordo vacio
de ese vuestro padre si ;
de cuyo oûcio, con sones,
heredastes por motetes
de furtar à las canciones,
y asonar los villancetes
264 REVUE DES ETUDES JUIVES
d'oie, qui cuit toute une nuit, même sans accompagnement de
jambon ».
Roman ne fut pas en reste pour la réponse : tout le monde, dit-il,
sait qu'il est un marrane, mais à lui, Montoro, il a un conseil à
donner :
Qu'il ne mange que des moutons saignés,
et, comme son père, qu'il révère l'ancienne loi,
qu'il se lave les mains,
et qu'il ne soit pas avide du jambon défendu ;
qu'il prononce la bénédiction sur le vin,
et dévore, le vendredi soir, des cous d'oie farcis ;
qu'il ne mange jamais ce que le rabbi déclare défendu,
et célèbre toujours le sabbat avec joie et extase ;
qu'il ait toujours devant les yeux l'honnêteté et la pudeur,
et qu'il se régale d'azymes aux fêtes de Pâque ;
qu'au jour du Grand Pardon, il s'abstienne de toute raillerie,
qu'il soit plein de contrition, de larmes et de douleur s.
Un rival d'Antoine de Montoro, c'était Juan de Valladolid, qui
était aussi né juif et qu'on appelle habituellement Juan Poeta. Il
était de très basse extraction : son père était crieur public à Val-
ladolid. Dans un poème injurieux, Montoro, exaspéré de jalousie,
dit de lui :
Sais-tu qui était ton père ?
Un crieur public, un bourreau ;
Et — ris donc ! — ta mère ?
La servante d'un cabaretier3.
Il se rendit en Italie et vécut dans les cours de Naples, Mantoue
1 Cancionero, u° 144 :
. ..aunque esteis acristianado,
yo me creo
que, si â Tavara pasais,
vos serès apedreado
por hebreo.
. . .adafina d'ansaron
que cocio la noche toda,
sin tocino.
* Cancionero. n° 146 :
Cancionero, n° 159
Trovad en corner cenceno
la fîesta de cabanuelas (fête des cabanes au lieu de fête de
Pâque).
Sabéys quién es su padre ?
Un verdugo, pregonero ;
Y queréis reir? su madré,
Criada de un mesonero.
UN CHANSONNIER MARRANE 265
et Milan, comme improvisateur et astrologue. A son retour dans
sa patrie, il fut fait captif par des pirates maures, qui l'amenèrent
à Fez, mais qui ne tardèrent pas à le remettre en liberté. A Fez, il
se maria avec une Mauresque, après avoir déjà épousé une juive
du nom de Iamila et aussi, à ce qu'on assure, une chrétienne. Il
passa quelques années à la cour des rois de Navarre et ensuite
s'établit à Gordoue. Les poètes espagnols contemporains ne disent
guère de bien de lui ; ils ne l'appellent pas autrement que Judio,
mais auprès des grands, même auprès de la reine Isabelle, il était
en haute faveur1.
Montoro veut donner un bon avis à Juan, son bon et grand ami,
et le prie de l'accueillir comme venant d'un frère : « Nous appar-
tenons, dit-il, à la même race ; toi et moi, nous sommes des Juifs ;
les offenses qu'on te fait sont les miennes et les dommages que je
subis sont les tiens. » Montoro affichait cette prétention fausse
qu'aucun autre troubadour ne devait participer aux bénéfices pro-
venant de ses compatriotes. Juan ayant reçu une certaine somme
du Conseil de la ville de Gordoue, il l'attaqua, l'accusant de faire
des hâbleries et lui reprochant de l'avoir plagié. Ils s'insultèrent
et insultèrent leurs parents réciproquement, de la façon la
plus vile2.
Montoro jouissait d'une faveur particulière auprès du noble
D. Pedro de Aguilar, qu'il a beaucoup célébré, et auprès de son
fils D. Alonso, le protecteur des néo-chrétiens souvent mentionné
par lui. Le pauvre fripier fut un des premiers que le regard cour-
roucé du maréchal-ferrant atteignit ; dépouillé de tout, il trouva
un refuge chez D. Alonso, dans PAlcazar. Après la triste catas-
trophe, il adressa à son sauveur et protecteur, qui se défendait
contre toute louange, à ce bon et noble chevalier de véritable sang
royal qui était profondément attristé du malheur qui avait frappé
les néo-chrétiens, un de ses plus beaux poèmes, où il reconnaît
très librement que les néo-chrétiens eussent mieux fait de rester
juifs 3.
Montoro paraît avoir abjuré le judaïsme seulement à un âge
avancé. Il se plaignit à une personne de la magistrature de Gordoue
de ne trouver que de la viande de cochon mise en vente à la bou-
cherie, de sorte qu'il était obligé, poussé par la faim, de violer le
serment prêté par ses parents et aïeux 4.
Un noble seigneur ayant retiré sa promesse de lui faire cadeau
1 Cancionero, p. 341 et s.
5 Cancionero, no 156 et s.
3 Cancionero, n° 32.
* Cancionero, n° 75.
266 REVUE DES ETUDES JUIVES
d'un petit cochon, sous prétexte qu'il venait à peine de se faire
chrétien, il lui écrivit : « Ne savez-vous donc pas comment j'ai
obtenu le certificat de baptême? Et vous, indiscret, vous m'avez
promis aussitôt de m'envoyer un de ces animaux que le rabbin
proscrit ! . »
Montoro resta juif toute sa vie. Dans un poème adressé à la
reine Isabelle, il se plaint de ce que, malgré les années passées
depuis sa conversion à la foi chrétienne, on le considérait toujours
comme juif; qu'il ne pouvait parvenir à effacer la tare originelle
et qu'on l'appelait toujours le « vieux et méprisable juif ». Ce
poème, qu'il compose à l'âge de soixante-dix ans, montre, d'ail-
leurs, très clairement combien il tenait peu sérieusement à sa
nouvelle croyance religieuse 2.
Il resta aussi juif de cœur, car il s'intéressa toujours vivement
au sort de ses malheureux coreligionnaires persécutés. Après le
pillage des néo-chrétiens à Carmona, en l'an 1474 3, Montoro
adressa au roi une plainte émue*. Il réprimanda le poète Rodrigo
Cota de Tolède qui affectait une piété excessive et qui, comme
Montoro le lui reprochait avec une amère ironie, invitait ses pa-
rents, un jour de sabbat, à venir manger du porc, parce qu'il se
rangeait du côté des persécuteurs 5.
De sa femme, Thérèse Rodriguez, qui de son premier mariage
avait une fille du nom d'Aldonza, Montoro eut deux filles, Léonora,
mariée au fabricant de paillettes Juan Rodriguez, et Katharina,
l'épouse d'un cerlain Alonso Tormy, et deux fils, Martin et Gon-
zalez. L'un d'eux avait, comme son père, des aptitudes de poète.
De Séville, où il s'était réfugié après les troubles de Gordoue, il
1 Cancionero, n° 87 :
No sabeis como gané
carta de cristiano lindo ?
Y vos, senor importuno,
en las mandas muy prolixo,
mandad luego enviarme uno
de los quel Rabi maldïxo.
* Cancionero, n° 36 :
Ob Ropero amargo, triste,
que no sientes tu dolor !
Secenta anos que naciste
por do mi culpa se escombre,
no pude perder el nombre
de viejo puto y judio.
3 L'église de S. Bios à Carmona aurait été construite sur l'emplacement de la syna-
gogue dans l'ancienne Juderia, Boletin de la r. Academia de Historia, IX, 333.
4 Cancionero, n° 33.
8 Cancionero, n° 163,
UN CHANSONNIER MARRANE 267
était retourné à sa première résidence. C'est là que, souffrant
et affaibli, il fit son testament, le 31 mars 1477. Il en ressort
que notre fripier et troubadour était un homme aisé1. Il mit
ordre à ses affaires, partagea son bien et pourvut au sort de sa
femme, qui lui avait rendu de nombreux et bons services ; il
mourut probablement pendant Tannée 1477. Il ne vivait plus
lors de l'établissement de l'Inquisition et de la catastrophe de
Tablada où plusieurs de ces coreligionnaires furent brûlés vifs,
le 6 février 1481 2.
M. Kayserling.
1 Rafaël Ramirez de Arellano, Anton de Montoro y su testamento, p. 6 et s.
1 Cancionero, prologo, p. 22.
NOTES ET MÉLANGES
NOTES EXEGÉTIQUES
1. Zacharie, iv, 7.
Parmi les exemples de substantifs sans article accompagnés
d'adjectifs déterminés figure bvttîi nn (Zach., iv, 7). Le passage
même où ces mots se trouvent présente d'assez grandes diffi-
cultés. Dans les versets 4 et 5 le prophète demande à l'ange ce
que signifient les sept lampes du candélabre qu'il aperçoit dans
sa vision. Le verset 6 commence ainsi : L'ange me répondit, en
disant : « Voici la parole de l'Eternel à Zorobabel, etc. » Cette
réponse ne se rapporte pas du tout à la question du prophète, et
pour trouver la suite de 6 a, il faut prendre au verset 10 les mots
nba rwnia et suivants. Tout le passage depuis *im mr jusqu'à Ta
bamt est donc intercalé, et paraît former un fragment d'une pro-
phétie consacrée spécialement à Zorobabel, dont Zacharie ne
parle pas ailleurs. Dans ce fragment, le verset 7 est particuliè-
rement obscur. On traduit le commencement : ïnaïi nn tins* *>»
Tnmsb par : « Qui es-tu, grande montagne, devant Zorobabel?
(Tu deviendras) une plaine. » Cette apostrophe à la montagne est
bien singulière et l'ellipse du verbe « être » devant *ïrc)i»b est
très dure. L'absence d'article devant **i nous amène à penser que,
au lieu de nrr ïrriK, il faut lire lïtrr pn et que *n est le vestige d'un
verbe tel que vifcun ou trrçDK "O. Le sens serait : je changerai la
grande montagne devant Zorobabel en plaine. La fin du verset
!ib "jn "jn mwzîn mû&ntt }aan na amm est probablement altérée,
mais nous ne nous chargeons pas de la restituer dans sa forme
primitive.
2. DlTTOGRAPHIES VERTICALES.
Si l'absence de l'article dans un substantif accompagné d'an
NOTES ET MÉLANGES 269
adjectif qui a l'article peut se justifier quelquefois par l'usage tal-
mudique, il n'en est pas de même du cas inverse. On peut a priori
affirmer qu'il y a une faute de copiste lorsque le substantif est
déterminé et que l'adjectif appositif n'a pas d'article. Dans Jéré-
mie, xxii, 26, on trouve mna •pan. Cornill (dans la Bible en cou-
leurs) supprime avec raison le n, le sens de la phrase indiquant,
d'ailleurs, que yiB doit être indéterminé. Mais la présence du n
s'explique quand on remarque à la ligne suivante (verset 27) le
mot ynttiT Nous avons là un nouvel exemple de dittographie ver-
ticale. De même, dans Ezéchiel, xxxix,27, au lieu de ûm ûTOtt;
il faut lire *i û^a, Cornill, dans son livre sur Ezéchiel, supprime
DW, mais il est plus simple de biffer le rt. Cette lettre provient
du mot tman qui est juste au-dessous (verset 28).
Mayer Lambert.
QUEL EST LE PSAUME DE LA DÉDICACE DtJ TEMPLE ?
La suscription du psaume xxx : « Cantique de la dédicace du
Temple » n'a, comme on sait, aucun rapport précis avec le contenu
de ce psaume. Il y est question des actions de grâces d'un homme
qui relève d'une maladie grave et qui remercie Dieu de l'avoir
sauvé miraculeusement, de l'avoir retiré des bords du gouffre et
d'avoir changé sa tristesse en allégresse. Les exégètes sont tombés
d'accord, en partie, pour expliquer ce psaume symboliquement et
pour désigner la « maladie » et le « gouffre » comme l'époque de
l'exil ou le temps des persécutions religieuses sous Antiochus.
Dans ce dernier cas, la composition de ce cantique devrait être
placée à l'époque des Macchabées ; « celui qui prie » serait la com-
munauté, et la guérison dont il s'agit, le rétablissement du service
divin.
Cette hypothèse se heurte à cette considération que dans un
cantique chanté par la communauté « pour la dédicace du Temple »,
tout ne peut être symbolique et qu'il faudrait, du moins, qu'un
verset ou un mot parlât du Temple et de sa destination. Or, tel
n'est pas le cas.
Beaucoup d'interprètes et, à leur tête, Ibn Ezra et dans les
temps modernes Delitzsch, ont émis une autre hypothèse : il serait
270 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
question ici de l'inauguration du palais de David (II Sam., v,
11). David relevait alors d'une grave maladie, à ce qu'ils supposent.
Mais la Bible ne parle nullement de ce fait. Il n'est également
pas vraisemblable que David ait célébré « i'inauguration de son
palais », car cette expression ne s'emploie nulle part pour une
maison privée.
Une autre énigme que nous offre la version alexandrine de ce
psaume, grâce aux leçons arméniennes, si importantes pour la
critique du texte grec, nous permet d'arriver à une explication
satisfaisante. Le psaume xxix : ù^ba ^sa ^b inn wb TWTtt porte
dans les Septante cette incompréhensible suscription : kqooiou
c x 7) v -?)<;. A défaut d'une explication suffisante de ces deux mots,
on (Delitzsch, Baethgen) admet que <7xr,vr) est mis ici pour cxtjvo-
7t7)Yia « la fête des Cabanes » ; eÇooiou répondrait (comme ailleurs
dans les Septante) à rns*. La suscription équivaudrait donc à
l'expression hébraïque mmon mas*b, et ce cantique aurait été
chanté, pendant l'office, « le dernier jour de la fête des Cabanes »,
le Schemini-Açéret. On cite à l'appui le passage du Talrnud,
Soucca, 5.5 a, où l'on fait figurer ce psaume parmi les cantiques
de la fête des Cabanes. Toutefois cette hypothèse — sans compter
qu'aucun des psaumes des fêtes ne porte une pareille suscription
en grec — a contre elle les raisons décisives suivantes :
1° Dans le passage cité du Talrnud, où l'on énumère les psaumes
des fêtes intermédiaires, il est dit ffl tt» li^N^a wb bu: ibina
tnbN tfa ""b "an û"ntt\s : ce cantique était donc chanté le premier
jour. Il n'y a pas d'erreur possible, car on donne, pour chaque
jour des fêtes intermédiaires, un signe mnémotechnique, **ïiïJÉti
ou "^aSWttT. En tout cas, il n'est pas question de la fête d'Açéret.
2° Si le glossateur alexandrin avait mal compris la tradition et
ajouté une remarque aussi inutile que fausse, il aurait dû con-
naître assez le grec pour savoir que cxt^ ne signifie jamais la fête
des Cabanes, et qu'il faudrait, au moins, cx-rivwv ou ffxïjvo7U7jYÎaç.
C'est cette difficulté sans doute qui a déterminé M. Jacob ' à ad-
mettre l'hypothèse que vx-ip^ pst une glose fautive et qu'à l'ori-
gine il n'y avait que le mot e|o8iou = mitjb. Mais, comme on
l'a déjà remarqué, cette hypothèse n'a aucun point d'appui dans
la tradition.
Or, j'ai trouvé dans la version vieille-arménienne, que l'on a
commencé récemment à apprécier selon son mérite pour le con-
trôle du texte grec2, les leçons suivantes, qui jettent un jour
1 Zeitschrift f. alttestam. Wissensch., de Stade, 1896, p. 289.
* M. Preuschen, Zeitschr. f. neutestam. Wiss., 1900, p. 108, reconnaît la valeur
NOTES ET MÉLANGES 271
curieux à la fois sur le Ps. xxix, et sur la suscription du Ps. xxx.
L'arménien a, dans ses éditions et dans des manuscrits, les sus-
criptions suivantes pour le Ps. xxix :
A. « Psaume de David, cantique (ou des cantiques) de l'inaugu-
ration du Temple », saghmos nawakateatz tadjarin = liïnrn
(mari) ba^ï-rn roaji (ou -nira») tiû Tttb. Telle est la leçon de
diverses éditions et du God. Arm. 11 de la Bibliothèque impériale
et royale de Vienne. Ce serait donc la suscription que la Massora
et les Septante n'ont que. pour le Ps. xxx.
B. « A la sortie et à rentrée et en dressant la tente » (helanel yew
i mtanel yew i harkanel zhhoran == à peu près (ptBEM h«) nNs;3
ppttïi trpnan [ptawrj b«] Klaà* (ou, au lieu de la fin : briNï-t rvtoïai.
ce qui en arménien est traduit de la même façon). Cette variante
est citée, d'après des manuscrits, dans l'édition critique de la Bible
de Zohrab (Venise, 1805).
Ces leçons suggèrent l'hypothèse suivante : la suscription
mar: nain tuj m»T73 appartient, en réalité, au psaume précé-
dent, auquel elle convient fort bien. L'invocation solennelle : naïi
unp rwm "«b TinniBin tsn ma ■*! « Donnez à Dieu gloire et
puissance. Prosternez-vous devant l'Éternel dans son sanctuaire
magnifique », est si bien faite pour la dédicace d'un temple, et la
fin (v. 9) nias "i»n iba iba^-tan « Et dans son temple, tout pro-
clame sa gloire », confirme si bien le contexte qu'il y a lieu de
s'étonner que la suscription ait pu être transportée en tête du
psaume suivant1.
On peut même remarquer que le Ps. xxiv, 7-10, qui est aussi un
psaume de dédicace (il est aussi expliqué comme tel dans Sabbaty
30 a) et qui parle de « l'entrée du roi de la gloire », est de date
plus récente, qu'il suppose le Ps. xxix déjà connu, puisqu'il lui em-
prunte ses principaux traits. En effet, la question posée dans Ps.,
xxiv, 8, TiaMi ^btt riT *» « qui est le roi de la gloire? » se rapporte
évidemment à « la gloire de Dieu » mentionnée plusieurs fois dans
le Ps. xxix (m a a -itfiK iba iba^nan ,tr:nrr Tiaan ba ,*naa 'nb narj).
Dans ce même Ps. il est dit aussi abvb ^b» ■« asm « Et l'Éternel
demeurera roi à jamais ». La réponse qui soulève un nouvel ordre
d'idées : « Dieu est le fort et le puissant », "naai ïw ■", rappelle
des mss. arméniens pour les pseudépigraphes. La versi.n de l'Ancien Testament n'a
pas encore été étudiée scientifiquement. Une étude de M. Ermoni (Compte rendu
du 4' Congrès scientifique international à Fribourg, 1897, IIe section, p. 317-351)
est sans valeur pour la science.
1 Peut-être a-t-on voulu aussi désigner par "p^bt! ",T"1N"D',T"IN "13TO (v. 5) et
m"13H Eptarn (v. 9), les cèdres employés pour la construction du temple, et par
U5N manb ai&in» les flammes de l'autel.
272 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
sûrement xxrx, 1 : T3h ni», ainsi que la description de la toute-
puissance divine et la conclusion "jrp unsb iy 11 « L'Éternel donne
la force à son peuple. »
Or, ce psaume de la dédicace du temple, qui est le véritable,
a peut-être eu, à l'époque la plus ancienne, une suscription
qui nous a été conservée dans la seconde variante l : nN^s
•pTOtt D^p!-m ["pran bs] maai (pttfcrt ris). Gela rappelle la phrase
de l'Exode, x, 35-36 : nnsan ...ynart 2D3n "W. L'expression s£oo-:ou
(TXTjVYiç (qui n'a aucun rapport avec la fête des Cabanes) est donc
un fragment de phrase et doit être complétée par efadSou xat...
&Tt6x£ scràOYj 7] (tx^vV] « en sortant, en entrant, lorsque la tente était
dressée ». Effectivement, on trouve dans I Chron., xxvm, 29, à
propos de l'érection de la tente sacrée sous David et de l'introduc-
tion de l'arche dans le sanctuaire, les versets de notre psaume :
imp rmm 'nb ■nnmpri /;>b vain.
Notre hypothèse devient presque une certitude, si nous com-
parons le Psaume 96 (95) dans la version des lxx. Nous y
trouvons encore une suscription étonnante sans aucune base dans
l'hébreu : ots 6 olxoç wxooô[A7]Tat [/.exà TYjV alx(JiaX(o(7tav. Vulgate :
quando domus aedificabatur post captivitatem. En regardant de
près, nous rencontrons ici aussi les versets déjà connus (7-9) :
«"->b Tinnian éM2X tcû ^b mil ,î:h atp +•$ latt. C'est donc, d'après
la tradition alexandrine, le chant particulier de la dédicace du
Temple. Pour le Ps. 29 (28) la Vulgate a la version : « in consum-
matione tàbernaculi », elle le regarde donc comme appartenant
au temps de David.
Quanta ceux qui, à tort, ne veulent, en aucun cas, reconnaître
de psaumes authentiques du temps de David, ils peuvent expli-
quer les suscriptions arméniennes de la façon suivante : à l'époque
où la collection des Psaumes a été faite, sur la foi de la relation,
I Chron., xvi, 28, on a rapporté ce. psaume à l'érection de la tente
sacrée sous David, tandis qu'en réalité, il a servi à la dédicace du
Temple. Peut-être aussi a-t-il été remplacé à l'époque des Mac-
chabées par le psaume symbolique xxx, de sorte que la transpo-
sition de la suscription ne serait pas une simple erreur.
Vienne, juin 1901.
Armand Kaminka.
1 La version arménienne de la Bible a été faite, d'après des relations tout à fait
concordantes, vers l'an 430, sur des exemplaires des Septante particulièrement dignes
de conûance (qui provenaient peut-être du n* ou du m" siècle). Les textes dont se
servaient les savants arméniens sont désignés comme « authentiques » (Voir Ko-
rioun, Vie de Mesrop ; Moïse de Khorène, Histoire d'Arménie, III, 61 ; F. Murad,
Araratet Mâsis, Heidelberg, 1901, p. 87).
NOTES ET MÉLANGES 273
L'AUGURE FULV1US ET L'ENFANT JESUS
Un des plus célèbres tableaux de chevalet de Domenico Ghir-
landaio est Y Adoration des Bergers, qu'il peignit, en 1485, pour
la chapelle des Sassetti à Santa Trinità de Florence, et qui est
aujourd'hui conservée à l'Académie. Dans la composition, dans le
traitement réaliste des figures de bergers — ces têtes, dit Vasari,
qu'on estimait comme des choses divines — l'artiste s'est visible-
ment inspiré du fameux tableau du Flamand Hugo van der Goes,
sur le même sujet, peint quelques années auparavant pour l'hôpital
de Santa Maria Nuova ; mais, tandis que le peintre néerlandais a em-
prunté ses motifs d'architecture aux églises romanes et gothiques
qu'il voyait dans son pays, le Florentin, imbu de réminiscences
classiques, a demandé les siens aux ruines de Rome, qu'il avait
deux fois visitées. L'humble étable où vient de naître l'enfant
divin a un auvent soutenu par deux élégants pilastres corinthiens;
dans un lointain charmant, tout peuplé de vivantes figurines, le
cortège des rois mages s'achemine sous un arc de triomphe, proche
parent de celui de Titus, et sur l'architrave duquel on lit l'in-
scription :
GN. POMPEIO MAGNO HIRCANVS PONT. P(osuit?).
Mais le détail le plus curieux, c'est la crèche même, d'où le petit
Jésus a été extrait, et sur le bord de laquelle se penchent un âne
et un bœuf, ouvrant un œil jaloux ou curieux. Cette crèche n'est
pas la modeste auge en bois ou en pierre, grossièrement taillée,
que représentent la plupart des compositions analogues1; c'est
la cuve en marbre d'un sarcophage romain, décorée de moulures
et d'une massive guirlande de fleurs et de fruits. Sur la face anté-
rieure de cette cuve et, en partie, masquée par un des bergers
agenouillés, facile néanmoins à restituer intégralement, se lit le
distique suivant :
ENSE CADENS SOLYMO POMPEÏ FVLVIV[s] AVGVR
NVMEN AIT QVAE ME CONTEG[et] VRNA DABIT.
C'est-à-dire (car ce latin un peu alambiqué mérite qu'on le tra-
duise) :
« Fulvius, augure de Pompée, tombant sous l'épée d'un Juif, s'écrie :
L'urne qui recouvrira mes cendres donnera naissance a un dieu. »
1 Max Schmid, Die Darstellung der Qeburt Christi in der bildenden Kunst, Stutt-
gart, 1890.
T. XLIII, N° 86. «
27i BEVUE DES ETUDES JUIVES
Ainsi Ghirlandaio s'est fait l'écho d'une légende suivant laquelle
la crèche où fut nourri Jésus était le sarcophage d'un certain
Fulvius, augure dans l'armée de Pompée, et tué lors de la prise de
Jérusalem par les Romains soixante-trois ans auparavant. Il est
presque inutile de dire à nos lecteurs que l'histoire, c'est-à-dire
Josèphe, ne connaît aucun personnage, aucun fait pareil. Trois
Romains se distinguèrent à la prise de Jérusalem l ; tous les trois
ont des noms commençant par F — Faustus Sylla, et les centu-
rions Furius et Fabius — mais aucun d'eux ne s'appelait Fulvius,
aucun n'exerçait les fonctions d'augure. D'autre part, rien, ce
semble, dans les Évangiles canoniques ou apocryphes n'a pu sug-
gérer Tétrange tradition illustrée par Ghirlandaio. L'art chrétien
primitif l'ignore et aussi, que je sache, l'art médiéval. Elle n'était
certainement pas courante à l'époque de la Renaissance : Sannazar
dans les vers de son De parlu virginis (II, 444 suiv.), où il décrit
la naissance du Christ, paraît en avoir pris exactement le contre-
pied 2. D'où le peintre florentin l'a-t-il donc tirée? De son inspira-
tion? Cela est peu probable. Lui a-t-elle été racontée par un des
érudits dont il paraît avoir fait sa société, puisqu'il se plaisait à
reproduire leurs traits dans ses fresques, comme Ange Politien,
Marsile Ficin, Cristoforo Landini, etc. ? Cette hypothèse est assu-
rément séduisante ; elle s'autoriserait de faits analogues dans l'his-
toire des peintures de Pinturicchio et de Raphaël au Vatican. Mais
on ne fait ainsi que reculer la difficulté, car il restera toujours à
savoir si l'humaniste quel qu'il soit qui a fourni à Ghirlandaio
l'épisode de la prophétie de Fulvius l'a inventé de toutes pièces ou
l'a trouvé dans quelque document antérieur. Mes recherches à ce
sujet — une enquête prolongée dans les livres 3 et auprès d'hagio-
graphes compétents — n'ont abouti à aucun résultat. C'est dans
l'espoir de provoquer, d'un côté ou de l'autre, quelque communi-
cation susceptible d'éclairer ce petit, problème d'érudition que j'ai
demandé à la Revue l'hospitalité pour la note que l'on vient de
lire. Après tout, ne s'agit-il pas encore d'un a conte juif » ?
Théodore Reinach.
1 Josèphe, Ant. jnd., XIV, 4, 4.
* Sancte puer, non te Partis operosa columnis
Atria, non variata Phrygum velamina textu
Excepere : jaces nullo speetabilis auro,
Augustum sed vix stabulum, maie commoda sedes,
Et fragiles calami lectœque paludibus herbse
Fortuitum dant ecce torum. . .
Vasari, Burckhardt, Growe et Cavalcaselle, Steinmann (Ghirlandaio, 1897), etc.
NOTES ET MELANGES 275
UN CONFLIT DANS LA COMMUNAUTÉ HISPANO-PORTUGAISE
D'AMSTERDAM - SES CONSÉQUENCES
Dans la jeune communauté hispano-portugaise d'Amsterdam,
formée de Marranes qui professaient des opinions religieuses di-
vergentes, il devait forcément naître des différends. A côté de
la première synagogue nommée Beth Jacob, « Maison de Jacob »,
et fondée en 1597 par un homme instruit et brûlant d'un zèle ar-
dent pour le judaïsme, Jacob Tirado, on en éleva une deuxième,
en 1608, sous le nom de Nevé Schalom, « Demeure de la paix »,
parce que la première était devenue insuffisante, et aussi parce
qu'il y avait des conflits d'opinions. Dix ans plus tard, un certain
nombre de membres se séparèrent des deux communautés exis-
tantes pour organiser une troisième synagogue appelée Beth
Israël, « Maison d'Israël ». On prétend que cette séparation avait
été provoquée par les discours sévères et les actes rigoureux du
rabbin lsaac Uziel, venu de Fez. Il semble pourtant qu'elle était
encore due à une autre circonstance, dont on n'avait pas tenu
compte jusqu'à présent.
Il se produisit, en effet, dans la communauté d'Amsterdam, un
différend d'une importance telle qu'à côté du rabbin de Lublin, on
crut nécessaire de s'adresser encore à un autre rabbin célèbre de
Pologne pour connaître son avis sur le point en litige : c'était
R.Joël Sirks, de Brscesz, en Lithuanie. Ce rabbin exposa les faits
de la façon suivante ' :
i-6* -o ùitjïî»» t: rtpirn yiNtt y-^a ia*ttia ma* Sip
i-nz5* m*-i trnizii ...yncti -lïraB NDinr? ^a-iba «in y-narr
Sa ittiiai i73B"inizj"« mb* ...r-ibbiann nb-na nan Nirt nrtN ynpa
■nm by whi2 »b» vaan naab Nu;a n^a ïit ^a Nim ab -n->aN
yanbnEn lavab ^^ nbiu: nbaprt 'tjana as ûmrmaNa ^"t waan
■W$a arana «b ^a n»fco ^n rrb* ^a*n m72Nn nTaan rraanrt b*
p^nin *n*i ,an« Sa -jui^a t-irr rrnnai wpDio^on pn êdn ^a
/însnb bniN t-ina^-i a^aisn ta^iaaN vbN Spsb ■mNttiaa
r-nsn nn« m^b fna a^aa-iarn: TriN a "in i»«b *à rnaiDn i-unn
rrnoaa ^na ^ntab tûn vnyftn ^aai Sripri i/mb marra airnab
wa annn tamian ra^arns ims SiNiab anmaia ta^an ■wb'YVSfc
tei "imtt iiDNrt S* -iïïni rittÎNa *-r sa îrhttwj -na^ai na^nà
Sata p"P^ ^rïïa 3"-aa main a^aanm rmtt^wn fc-n»aona
1 Consultations de R. Joël Sirks (Francl'ort-sur-Mein, 1697), n° 4 (5), p. 3 </,.
276 HEVUË DES ÉTUDES JUIVES
tana nbtûanattî trbam ï-rbaa aorr &nïiii wsin ^p b* unuîsn ntmn
nanrr NDinrt *aibsn 153b «b n:rrna roabn ib^sa *o a-moN
r<b\a Dn Sipa nE&n n*£> rtmaa ^"na^rr raenb ira*
111533 ban vb* iiDan "iba&ota-i N">nn rj-nann hy "îmata^
ba .nbni niûaïra "ibaîn ùiSDab "ik-p «b D?n natpnE maya pi
ûroa»K *p*w û^pna-iE n-oan rr»b»a anaa îrarab :wi inb«
.•pbaib p"p"j Yns ann i3sa ûnxrnn n»r*prûi
Un médecin d'Amsterdam avait parlé avec dédain des aggadot et
s'était moqué de la cabbale, affirmant que c'étaient là des mois vides de
sens et que seule la philosophie enseignait la sagesse; il avait même
réussi à gagner à ses idées plusieurs membres notables de la com-
munauté. Ce médecin, qui était un des administrateurs de la com-
munauté, avait également nommé comme sacrificateur (schohèl) un
individu qui ignorait totalement les règles de la schehita, comme
l'avait prouvé un examen que les deux rabbins, d'accord avec l'ad-
ministration des deux synagogues, lui avaient fait subir. Les rab-
bins, toujours d'accord avec les administrateurs, avaient alors fait
publier dans les deux synagogues, que la viande de toutes les bêtes
tuées par ce schohèt était trèfa et que les usteusiles où cette viande
avait été cuite étaient devenus impropres à l'usage. Le médecin, ne
tenant nul compte de cette publication, avait proclamé dans la syna-
gogue, en sa qualité d'administrateur, qu'il ne fallait pas prendre en
considération la décision des rabbius et qu'on pouvait continuer à
consommer en toute sécurité, sous sa responsabilité, la viande des
animaux égorgés par le schohèt inculpé. Et, en effet, une partie de la
communauté ne s'était fait aucun scrupule de suivre son avis.
Une des conséquences de ce conflit sensationnel fut la fondation
de la troisième synagogue, Beth Israël, en 1618, année où l'appel
des rabbins d'Amsterdam parvint à R. Joël Sirks à Brscesz. L'année
suivante, celui-ci fut nommé rabbin àCracovie. Les trois rabbins
qui s'étaient adressés à leurs collègues de Pologne étaient : Jo-
seph Pardo, décédé en 1619 ; Isaac Uziel , décédé en 1622 , et
Saùl Lévi Morteira, qui n'avait été nommé qu'en 1616.
Et le médecin qui avait provoqué ce conflit et qui peut être con-
sidéré comme un précurseur d'Uriel Acosta, qui était-ce? Tout
simplement le portugais Abraham Farrar, appelé aussi Simon
Lopès Rosa, président de la plus ancienne synagogue d'Amster-
dam, de Beth Jacob. Nous ne savons pas s'il a été réellement
frappé d'excommunication, comme le conseillait R. Joël Sirks.
Il mourut cette même année, le 14 décembre 1618, suivi dans la
tombe neuf jours plus tard, le 23 décembre, par sa femme Sara *.
M. Kayserling.
1 Biblioieca espanola-portugucta judaica, p. 44.
NOTES ET MÉLANGES 277
LES JUIFS DE NAPLES
Depuis que Ferdinand d'Aragon avait banni les Juifs d'Espagne,
la menace d'expulsion était suspendue comme une épée de Damo-
clès sur la tête de leurs coreligionnaires de Naples. Longtemps
avant que Charles-Quint ne revînt de son expédition victorieuse
en Afrique, il avait eu l'intention de chasser les Juifs de Naples.
Mais des considérations financières et ie fait que les chrétiens ne
pouvaient s'occuper des affaires d'argent désignées sous le nom
d'usure, avaient empêché le pieux et avide empereur de donner
suite à son dessein. En l'an 1528, pendant la guerre qu'il diri-
geait contre ses ennemis d'Italie, alliés de François Ier, roi de
France, il fut, de différents côtés, sollicité de prendre des me-
sures au sujet des impôts que les Juifs de Naples avaient à payer.
Il s'adressa alors au vice-roi de Naples, son cousin, Philibert de
Châlons, prince d'Orange, pour lui demander s'il lui paraissait
plus avantageux d'expulser les Juifs ou de continuer à les tolérer
et d'employer les impôts qu'ils payaient aux dépenses de l'État.
C'est ce que nous apprend une lettre datée du 19 juillet 1528, qui
figure dans les archives de Vienne et qui a été récemment publiée
pour la première fois. Voici le passage en question :
« Oultre ce, l'on nous a fait grande instance de plusieurs coustez,
de disposer de l'office et tribut des Juifz, lequel a dernièrement va-
qué par le trespas de César Feramosce, ce qu'avous différé pour-
veoir, pour le désir qu'avons de chasser lesdits Juifz dudit royaume,
et pour ce que aucuns nous disent que c'est proffit de les entretenir,
tant pour evitler que les chrestiens ne exercent les usures comme
eulx font que aussi pour le proffit que la court en peut avoir, avons
conclud de remettre à vous que vous informez deuement de ce que
vous semblera plus convenable ou d'entretenir lesdits Juifz, moyen-
nant le tribut qu'ils payent, ou de les en chasser du tout. Et vous
estes d'advis que l'on les doye entretenir, seroit mieulx appliquer
ledit tribut au proffit de nostre court pour ayder aux frais d'icelle
que de le bailler a autruy *. »
Philibert de Châlons, dont la réponse ne nous est pas parvenue,
ne conseilla sûrement pas de chasser les Juifs, car ceux-ci res-
tèrent à Naples encore douze ou treize ans.
M. Kayserling,
* Bolttin de la r, Academia de Historia, t. XXXIX, p. 180.
BIBLIOGRAPHIE
REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
ANNÉE 1901.
(Les indications en français qui suivent les titres hébreux ne sont pas de V auteur du livre,
mais de V auteur de la bibliographie, à moins qu'elles ne soient entre guillemets.)
1. Ouvrages hébreux.
D^bfflTTl "p^ rnïlX '0 Ahawalh Ziou We-Jeruscholaiin. Varianten u.
Ergânzungen des Textes des Jerusalemitischen Talmuds nach alten
Quelien u. handscbr. Fragmenten edirt, mit kritischen Noten u. Eilâu-
terung versehen von B. Ratuer. Traktat Berachoth. Wilna, Koram, 1901 ;
in-8° de vi + 218 p.
Voir plus loin.
Û^^n )Wb "Iir-IN 'o Enthâlt ùber 7000 rabbinische Lehren, Sentenzen,
Sprùcuwôrter etc. wie auch viele denselben entsprechende lateinische,
deutsche, franzôsi;che, russische u. polnische ...von K.-W. Perle. Var-
sovie, impr. Schuldberg, 1900 ; in-8° de 336 p.
On a déjà composé nombre de recueils des proverbes, sentences et dictons
rabbiniques; mais, sans conteste, celui-ci est un des meilleurs et des plus
complets. L'auteur, comme de juste, a suivi l'ordre alphabétique; toutefois
il ne manque pas, quand il y a lieu, de citer les parallèles. Les explications
sont généralement ae bon aloi. Peut-être aurions-nous élagué beaucoup
d'articles qui n'ont rien à faire dans une pareille collection. Ainsi toutes les
traditions commençant par les mots DV7I IDIN « ce jour-là, le même
jour », ou « Emma Schalom femme de R. Elazar, était sœur de Rabban
Gamliel ». Mais nous aurions mauvaise grâce à lui en vouloir de cet excès
de conscience, qui, somme toute, ne sera pas sans profit. Nous le chica-
nerions plutôt sur la peine qu'il s'impose inutilement pour justifier cer-
taines sentences un peu étranges. Voir n° 3,716, sur les mots ^pfabn b'D
d^n r^bn i^a wros Hbiai ûpiD i^nib nsn, où il veut corriger
"Ij^Ntiî en i^ïTlZJ — comme si, d'ailleurs, on avait jamais ainsi parlé! Nous
aurions voulu aussi que toutes les fois qu'un proverbe est annoncé dans le
Talmud par ">U3^N "HfaN « comme dit le peuple », ces mots ne fussent pas
BIHLÏOGRAPHIK 279
omis, ce qui est le cas assez souvent. Mais, ces réserves laites, nous recom-
mandons chaleureusement aux chercheurs comme aux moralistes' et aux
théologiens cette œuvre de premier ordre, qui leur rendra les meilleurs
services.
Û'TJ mmfct Orchoth Chajim von R. Aharon Hakohen aus Lunel. Zweiter
Teil. Zum ersten Maie hrsg. u. mit Stellennachweisen u. Anmerkungen
versehen von Dr M. SchlesiDger. lre et 2e livraisons. Berlin, impr.
Itzkowski, 1899-1900; gr. in-8° de p. 1-221. (Publication de la Société
Mekitze Nirdamim.)
D^TlDNHn niTn Dorot Harischonim. Die Geschichte und Literatur Israels,
von Isaak Halevy. Th. II. umfasst den Zeitraum von der Beendigung
der Mischnah bis zum Abschiusse des Talmuds. Francfort, impr. Slo-
botzky, 1901 ; in-8° de 619 p.
On lira dans le prochain numéro un compte rendu détaillé de ce volume
et uDe étude particulière sur une opinion exprimée par l'auteur, articles dus
à deux de nos plus savants collaborateurs. Nous dirons cependant dès à
présent que ce deuxième volume mérite les éloges qui ont salué le troisième:
c'est la même connaissance approfondie du Talmud, la même finesse d'esprit
et les mêmes prouesses de subtilité. Mais les défauts vont en s'accusant; si
la composition n'est pas plus gauche ni le style pire — c'était impossible — ,
en revanche le ton a gagné en grossièreté. Cette histoire n*a rien d'une his-
toire : c'est une critique passionnée des opinons de Graetz, Weiss, Frankel et
Rappoport. Chaque page est illustrée par des bordées d'injures lancées à ces
coryphées de la science juive. Elles ne sont même pas variées, elles sont
toutes dans le goût de celles-ci : • Graetz a commis la faute la plus grossière ;
Frankel s'est trompé stupidement; Weiss n'a même pas compris ses devan-
ciers. Ces erreurs, personne ne se les permettrait s'il s'agissait d'autre chose
que de l'histoire juive, mais la science allemande a toutes les impertinences,
etc. » Pour arriver à l'énoncé d'un fait précis ou d'une opinion positive, il
faut d abord subir plusieurs pages de discussions agrémentées de ces re-
frains, et encore le plus souvent l'opinion attendue ne se produira- t-elle
qu'après de longs détours. Quant à l'esprit critique qui distingue M. H.,
ou en aura une idée par le détail qui suit : Il est dit dans Meila, 17 a, que
l'empire romain ayant défendu aux Israélites de célébrer le sabbat et de pra-
tiquer la circoncision et leur ayant ordonné d'avoir commerce avec leurs
femmes indisposées, Rabbi Ruben b. Istroboli se rasa la tête [à la ma-
nière romaine] et se mêla à eux [aux sénateurs probablement] et leur dit :
Vaut-il mieux avoir un ennemi qui s'enrichisse ou qui s'appauvrisse? — Qui
s'appauvrisse. — Alors permettez aux Juifs de ne pas travailler le sabbat
etc. On révoqua donc l'édit, mais ensuite on s'aperçut que celui qui avait
ainsi parlé était un Juif, et on renouvela la loi. Une telle histoire, dit M. H.,
montre avec la précision la plus grande que la ehose (la révocation de l'édit)
fut l'œuvre de l'empereur et des sénateurs, que c'est aux sénateurs qu'eut
affaire Ruben! Si encore M. H. nous avertissait qu'il ne faut pas prendre
le récit à la lettre, que celte fable peut être la déformation d'une tradition
non absolument fantastique, on pourrait discuter avec lui. Mais ce sont
réserves dont il ne s'avise pas, n'ayant pas des idées bien arrêtées sans
doute sur l'organisation des pouvoirs constitués à Rome. Que pour l'histoire
de cette période, Graetz ait travaillé rapidement, qu'il ait pris trop au sérieux
certains renseignements de caractère agadique, tout le monde en convenait
avant que M. H. se fût imposé la tâche de le montrer, avec ces cris et ces
gestes. Mais puisque M. H. évolue avec tant d'aisance dans tous les recoins
du Talmud, il aurait dû employer son érudition à une besogne plus utile, à
nous mieux renseigner que nous ne le sommes sur l'activité de chacun de
ces rabbins. Or, le plus souvent sa critique est négative ; aux opinions de
ceux qu'il pourfend de ses traits il ne substitue absolument rien. Ainsi,
280 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
prenons R. Papa, une des 6gures les plus curieuses et les plus expressives
du rabbinisme babylonien au ive siècle ; M. H. s'avisera-t-il de nous livrer
son impression sur le caractère de ce rabbin; nous fera-t-il remarquer, par
exemple, la naïveté de ses conceptions, son penchant pour les superstitions?
Nous montrera -t-il en quoi Papa était bien de son temps, et, pour cela,
rassemblera-t-il les traits pouvant servir à dépeindre cette époque? C'est
bien mal connaître notre auteur que d'attendre de lui un tel effort; il est trop
fatigué, d'ailleurs, de la lutte qu'il a menée, tout le long du chapitre, contre
Graetz et Weiss et d'avoir dit — ou plutôt crié — que le premier est un
ignare et l'autre un faussaire, que c'est bien là la science allemande! — Que
si, de ce gros volume, on élaguait ces injures et ces critiques oiseuses pour
ne retenir que les considérations et faits nouveaux, il tomberait plusieurs
centaines de pages.
1NV1 Dîwân des Abû-1-Hasan Jehuda ha-Levi, unter Mitwirkung nam -
hafter Gelehrter bearbeitet u. mit einer ausfùhrlichen Einleitung versehen
von Dr H. Brody. I. Band : Nichtgottesdienstliche Poésie (Anmerkungen.
II. Lieferung). Berlin, impr. Itzkowski, 1900; in-8° de p. 97-224. (Publi-
cation de la Société Mekitze Nirdamim.)
Ù^arûTa PEPbn Briefwecbsel zwischen A.-J. Weizenfeld und Rapoport,
Halberstamm, Mieses, Keller, Jaffa, Mendelssobn u. a. Vorangebend
Biographie Weizenfeld's (Ein Beitrag zur Gescbichte der Aufklârung der
Juden in Krakau), von F. -H. Wetstein. Cracovie, Faust, 1900; in 8° de
100 p.
FW^a d^TlîTîl. Les Juifs en Chine, par Marcus Adler, trad. de l'anglais
par Elhanan Segal. Wilna, impr. Pirodjnikof, 1901 ; in-8° de 36 p.
Traduction d'un article publié dans la Jew. Quart. Review, t. XIII.
Ù^blDTY- Jérusalem. Jahrbuch zur Befôrderung einer wissenscbaftlicb ge-
nauen Kenntniss des jetzigen u. des alten Palâstinas, hrsg. von
A. -M. Luncz. Band V. Heft 3. 1900; Band V. Heft 4. 1901. Jérusalem,
chez l'auteur; in-16 de p. 189-382.
b&nu^ y-lN mb Litterarischer Palâstina-Almanach fur das Jahr 5661-1900/
1901 hrsg. von A.-M. Luncz. VI. Jahrgang. Id. fur das Jahr 5662-1901/
1902- Jérusalem, chez l'auteur ; in-16 de 172 et 184 p.
Ces Alraanachs contiennent des notices intéressantes, ei particulier sur
les colonies juives. Dans celui de 1901 nous avons lu avec plaisir quelques
extraits d'auteurs rapportant des traditions sur certains monuments ou lieux
célèbres de la Palestine.
d'Vaipbîl '0 Sefer Ha-Likkutim. Sammlung altérer Midraschim u. wissen-
schaftlicher Abhandluugen. 4. Th. Collectaneen aus dem alten Midrasch
Jelamdenu zum 4. B. M.; 5 Th. ...zum 5. B. M. ; mit Noten, Quellen-
nachweis u. Einleitung versehen von L. Grùnhut. Jérusalem [Francfort,
Kauffmann], 1900 ; in-8° de 20 p. -f 85 ff. ; 1901, 14 p. -f ff. 86-170.
C'est une excellente idée d'avoir réuni les extraits du Yelamdènou qui se
trouvent dans le Yaikout et dans d'autres ouvrages. On se rappelle qu'ici
même M. Neubauer a publié un certain nombre de citations de ce Midrasch.
J'aime mieux M. G. dans ce rôle d'éditeur que dans celui d'historien de la
littérature. Sa méthode, en effet, est un peu déconcertante ; si, par exemple,
on lui objecte un texte qui le gêne, il y répond simplement en taxant
d'interpolation le passage. C'est ce qu'il fait, par exemple pour rétorquer
mes critiques touchant l'âge du Midrasch des 10 exils. — Les notes qui
accompagnent le texte du Yelamdènou sont sobres et suffisantes.
BIBLIOGRAPHIE 281
31U bdlZi U5T1E Sechel Tob. Gommentar zum ersten u. zweiten Buch Mosis
von Rabbi Menachem ben Salomo verfasst i. J. 1139, zum ersten Maie
hrsg., kritisch bearbeitet, commentirt u. mit einer ausfùhrlichen Ein-
leilung versehen von Salomon Buber. Berlin, impr. Itzkowski, 1900 ; gr.
in-8° deux -+- 336 p. (Publication de la Société Mekitze Nirdamim.)
Ce commentaire est de la même famille que ceux de Raschi et de Tobia
b. Eliézer; il est surtout midraschique, mais l'ait cependant une place à
l'interprétation rationnelle. Inutile de dire que cette édition olfre toutes les
qualités qui distinguent les travaux de M. Buber; personne ne se meut
avec plus d'aisance dans la littérature midraschique, qu'il connaît à la per-
fection.
m-n3>!n 'pïûbîl "pbE « Dictionnaire de la langue hébraïque ancienne et
moderne, par E. Ben Jehouda ». Fascicules 1 et 2, M à amN. Jérusalem,
.1900; in-4°.
Voir Revue, t. XXXVI, p. 315.
ia"UZ)D3 N"ip?2 Mikra ki-Pheschuto. Scholien u. krit. Bemerkungen zu den
heilig. Schriften der Hebrâer, von A. Ehrlich. 3. Theil. Die Propheten.
Berlin, Poppelauer, 1901 ; in-8° de vi -j- 519 p.
N"mb nnDU57J Die Familie Lurie von ihren Anfângen bis auf die Gegen-
wart, nebst einer Abhandlung ùber Elia b. Mose Loanz, von Abraham
Epstein. Vienne, impr. « Industrie », 1901 ; in-8° de 63 p.
nTilHfiï"» UTn-nïT rVlttî 'O. Consultations d'Isaac b. Scheschet, publiées
d'après le ms. de Leyde par David Frankel, aux frais de la Société "lD!31ël
d^SW VlSttJ. Munkacs, impr- Kohn et Klein, 1901 ; in-8° de 112 p.
Ce sont les Consultations du célèbre Isaac b. Scheschet conservées dans le
cod. Warner, nQ 50 (ce que ne dit pas l'éditeur), et dont il a été déjà question
ici (voir Bévue, t. XXXIX, p. 86 et 89). En réalité, même les Consultations
attribuées par le copiste à Isaac b. Scheschet ne sont pas toutes de ce rab-
bin, plusieurs sont de Moïse Halawa. C'est ce que le regretté S.-J. Hal-
berstam, suivi par Weiss, avait reconnu, et la découverte faite par M- El-
kan Adler d'une collection de Consultations de ce Moïse a enlevé tout
doute sur ce point (voir Revue, ib.). Nous nous expliquons qu'un auteur
vivant en Galicie ignore l'existence de notre Revue, mais il devrait avoir
lu au moins le Dor Dor Wedorschaw de Weiss. La Société Dovevè Sifte
Yeschènim, jeune émule des Mekitzè Nirdamim, aurait pu exiger de son
collaborateur, M. David Frankel, une plus grande érudition littéraire. Si
encore ce défaut était racheté par les qualités requises des éditeurs! Mais,
sous ce rapport encore, la Société ne paraît pas avoir eu la main heureuse ;
nous avons pu nous en assurer en comparant la lettre de Moïse Halawa a
Yohanan, fils de Matatia de Paris, telle que nous l'avons éditée, avec la
reproduction qu'en donne M. Fr. Quand il arrive à ce savant de corriger
le texte, c'est inutilement et comme pour montrer son inexpérience :
ne corrige-t-il pas nT^ïl d^ « quoique » par riTïl dN ! Quelquefois
peut-être il suit servilement la teneur du ms., mais dans ce cas, il devrait
signaler les fautes. Ainsi, on lit ^"ipn "17)^, au lieu de !-J3Hpn 1D^ ;
SO-» ..."p-ntfiN, au lieu de "DO"1- On lit encore : £*b b"T i3D .NUîn ttb
*"|*l!-in. Le ms. est peut-être ainsi conçu ; mais on aurait pu appeler l'at-
tention sur ^ cette étrange phrase; en réalité, il faut : b*7 *^D NUJn ttb
"linn NT1 DVTAT' Où se manifeste une légèreté significative, c'est dans la
phrase ï"mrO ]3DT7 "Ôfa ; ces mots inintelligibles sont dépourvus de
toute note; or il faut frOirD « un objet de raillerie ». Là où nous avons
avoué n'avoir pas compris le jeu de mots de l'auteur, M. Fr. n'a pas été
plus heureux, par exemple à propos de mm d"IN "O^tt db^3"|..
282 REVUE DES ETUDES JUIVES
Mais M. Fr. se tire d'affaire aisément : il supprime tout bonnement le mot
ÏTin, qui le pêne. — Ce ms. de Leyde contient entre autres, comme on le
sait, deux Consultations de Yohanan b. Matatia et de Joseph b. Matatia ;
nous sommes bien aise de les avoir maintenant sous les yeux : elles se rap-
portent à deux phases d'un même procès, qui s'était débattu à Ancône en
1399. Les deux rabbins étaient sans doute déjà en Italie, où ils se réfu-
gièrent après l'expulsion des Juifs de France. Ce Joseph, fils de Matatia,
était bien, comme le croit M. Gros?, le même que Joseph de Trêves, de-
meurant à Dijon. Ce qui est curieux, c'est qu'il semble du vivant de son
frère, tout en exerçant comme celui-ci les fonctions de rabbin, avoir été
le représentant des Juifs de France. 11 existe, en effet, aux archives de la
Côte-d'Or {Invent, sommaire, série B, V, 11309) un acte de l'année 1391 ou
1392, par lequel « Joseph de Trêves, maître en la lui des Juifs, demeurant
à Dijon, donne quittance générale à tous les Juifs et Juives demeurant au
royaume de France de la langue d'oil de tout ce dont ils étaient rede-
vables envers lui ». Ce Joseph de Trêves exerçait, d'ailleurs, aussi le mé-
tier de banquier en société avec Durant de Carpentras, et c'est peut-être à
ce titre qu'il était créancier de ses coreligionnaires pour avoir avancé pour
eux une somme réclamée par le fisc.
bNTvZT "'OS mibin Histoire des Israélites d'Italie par Isaac-Raphaël Aske-
nazi. Cracovie, impr. Fischer, 1901 ; 24 p.
mttJ nnstDfc mibin 'O. Geschichte der Faniilie Schor, ihr Leben u. lite-
rar. Whken von der Mitte des 15. Jahrhunderts bis auf die Gegenwart.
Francfort, J. Kauffmann, 1901 ; 22 p.
L'ancêtre de cette famille serait le fameux Joseph Bekhor Schor; mais on
oublie de nous montrer la filiation. Le nom de Schor, étant comme les armes
parlantes de Joseph, n'était pas toujours un nom de famille.
l"y nSDft by mDDin Tos'foth zum Tract. Aboda Sara zura Rabbi El-
cbanan. Sohn des Rabbi Isak aus Dompair (sic) lebte im XII. Sâculum
zum ersten Mal (sic) hrsg. mit Anmerkungen von David Frânkel.
Husiatyn, Société Dobhebhe Sifthe Jeschenim, 19ul ; in-8° de n -f-
92 p.
Ici nous ne pouvons pas contrôler les lectures de l'éditeur, mais nous pre-
nons encore sur le vif son inexpérience. Dans l'Introduction, très courte,
il dit qu'il a réuni un à un tous les renseignements qu'il a pu trouver sur
Elhanan, l'auteur de ces Tosafot. Il laisse à de plus grands savants le soin
de compléter son œuvre. Or, s'il avait connu l'existence de la Gallia judaica
de M. Gross, il se serait épargné une peine inutile et surtout une compa-
raison peu flatteuse pour son amour-propre. — Ce recueil de Tosafot est
celui que possédait Luzzatto (ce que ne dit pas M. Fr.). Mais d'après Luz-
zatto, le ms. s'arrêtait aux gloses d'Aboda Zara, 61 a, tandis que d'après
le texte de M. Fr., il le fait au i° 35. Et cependant c'est indubitablement
le même ms., se terminant par les mots : « Jusqu'ici va le traité (TlDn)
d'Elhanan fils de R. Isaac de Dampierre. A partir de là c'est celui de
R. Juda b. Isaac de Brienne, qui a commenté les Tosafot d'Elhanan, fils de
R. Isaac. »
nVOMÏl 110 ifib NnDOin!! La Tossefta disposée suivant l'ordre des Misch-
nayot, traite Houllin, avec commentaire !TH8 l'Pàrr, par A. Schwarz.
Francfort, Kauffmann, 1901; in-8° de 81 p.
Û^nt 110 NnDOin Tosefta Ordo Moed mit Commentar "OTva nb^n par
Mordechai Friedmann. 3e partie. Francfort, Kauffmann, 1901 ; in-8° de
168 p.
ÛHTrnN dlblûn '0 José b. Jose's Aboda nebst verschiedenen anderen
BIBLIOGRAPHIE 283
Pijutim mit dom Commentar des Abudraham, aus Handschriften hrsg.
von L.-Ph. Prins. Berlin, impr. Itzkowski, 1900; gr. in-8° de 186 p.
(Publication de la Société Mekitze Nirdamim.)
2. Ouvrages en langues modernes l.
Adler (Cyrus) et Casanowicz (I.-M.). Descriptive catalogue of a collée-^
tion oi' objects of Jewish cérémonial deposited in the U. S. National
Muséum by Hadji Ephraim Benguiat. Washington, Government prin-
ting office, 1901 ; in-8° de p. 539-561 + 36 planches. (Smithsonian Insti-
tution, from the Report of the U. S. National Muséum for 1899.)
Adler (II. )• Our provincial brethren. A sermon. Londres, A. Isaacs, 1901;
13 p. (The North London Pulpit, n° 16.)
The Amherst Papyri, being an account of the Greek Papyri in the collec-
tion of . . . Lord Amherst, by B.-P. Grenfell and A. -S. Hunt. Part I : The
Ascension of Isaiah and other theological Fragments. Londres, Frowde,
1900; gr. in-4° de vi + 48 + 9 planches.
Analecta Argentinensia, vatikanische Akten und Regesten zur Geschichle
des Bistums Strassburg im XIV Jahrhundert. . . von Ernst Hauviller.
Bd. I. — Strasbourg, 1900; in-8°.
N° 204. Mandement pontifical (Avignon, 11 avril 1330) autorisant l'union
des revenus de la paroisse de Dossenheim ou de Schwindratzheim (Alsace)
au monastère de Schwarzach, ruiné par les guerres de Louis de Bavière et
les obligations qu'il a contractées envers les Juifs (H.)
Baentsgh (B.). Exodus-Leviticus, ùbersetzt u. erklàrt. Gottingue, Van-
denhoeck et Ruprecht; in-8° de iv -j- 441 p. (Handkommentar zum
Alten Testament hrsg. von W. Nowack).
Bamberger (S.). Historische Berichte ùber die Juden der Stadt und des
ehemaligen Fùrstentums Aschaffenburg. Strasbourg, J. Singer, 1900 ;
in-S° de v-112 p. (H.)
Baron (D.). Ancient scriptures and the modem jew. Londres, Hodder,
1900 ; in-8<> de 356 p.
Baron (David). La question juive et sa solution, ou le Présent et l'Avenir
d'Israël, avec une introduction du Dr Pierson, traduit par D. Lortsch.
— Lyon et Lausanne (s. d.) ; in- 16 de vin-79 p. (H.)
Basset (R). Nédromah et les Traras. Paris, Ernest Leroux, 1901 ; in-8° de
xvni -(- 238 p. (Publications de l'Ecole des letties d'Alger, t. XXIV.) ■
La contrée de Nédromah, à l'extrême-ouest de l'Alpérie, fut le berceau des
Alraohades. Des traces d'inll ence juive, d après M. Basset, s'y remarqueraient :
tels le nom de Oulad Ischou, forme hébraïque de l'arabe Isa, Sidi Oucha, fils de
Noun, encore vénéré de dos jours par les Juifs et les Musulmans. Il est vrai que
le culte rendu à un sanctuaire placé sous l'invocation d'un personnage biblique
peut s'expliquer par la vénération des Musulmans pour les héros de l'Ecriture.
Mais il s'agit, non d'un monument commémoratif, mais d'un tombeau, objet
d'un pèlerinage. Or, dit M. B., « on peut poser comme une vérité générale
que la vénération du tombeau d'un prophète commun aux trois religions a
1 Les notices signées (H.) soot de M. P. Hildenfinger.
284 REVUE DES ETUDES JUIVES
d'abord été le fait des Juifs, puis des chrétiens (sans que ce second degré se
rencontre partout), et qu'elle a passé des premiers aux Musulmans, soit
directement, soit par l'intermédiaire des seconds ». Cette vérité sera démon-
trée par une longue série d'exemples dans un appendice spécial. Une autre
preuve de l'influence juive est la localisation à Tlemcen d'une légende cora-
nique d'origine juive (?) où figure Josué. C'est à la suite de l'aventure
contée par cette légende que Moïse rencontre Kidhr dont les actions incom-
préhensibles lui paraissent contraires à la justice parce qu'il n'en connaît pas
le sens caché. — M. B. aurait pu ajouter que cette légende se racontait
dans l'Afrique du Nord avec le nom de Josué (b. Lévi), remplaçant celui de
Moïse, comme le montre le Hibbour Yafé de R. Nissim de Kairouan
(xie siècle). — M. B. croit que la tradition suivant laquelle Josué est en-
terré dans cette région a peut-être quelque rapport avec celle qui fait aller
en Afrique les Chananéens chassés de Palestine. (Nous signalons à ce propos
à M. B., justement si friand de bibliographie, ce passage du Talmud de
Jérusalem, Schebiit, 36 c : Josué dit aux populations chananéennes qu'elles
pouvaient émigrer si elles le désiraient; les Girgasiens le firent et se ren-
dirent en Afrique.} — Les traditions indigènes corroborent ces conclusions.
Elles rapportent que les Mediouna, fixés aux environs de Tlemcen, étaient
de religion juive avant l'arrivée des Musulmans; une légende place dans le
Maghreb, près du fleuve Sabbatique (Ouadi's Sebt, Ouadi'r Remel) une popu-
lation juive qui aurait donné à Alexandre des conseils de modération et de
sagesse. On sait, d'autre part, que l'Afrique du Nord était habitée par des
Juifs avant de tomber aux mains des Arabes. — Cet ensemble d'indices est-il
suffisant pour attester l'influence juive en cette région spéciale? La moindre
inscription datée serait autrement probante. Quoi qu'il en soit, la thèse de
M. Basset nous a valu un appendice qui forme un hors d'oeuvre dans l'ou-
vrage, mais qui est un chapitre bien instructif de folk-lore. « Pour établir
que la vénération du tombeau de Josué a pour point de départ une pratique
juive », M. Basset a « rassemblé des exemples du même genre ayant pour
objet les personnages de la Bible dont les tombeaux ont été et sont encore
vénérés par les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans. » Cette liste peut être;
complétée — ainsi M. B. ne dit presque rien de la Perse, où se trouvent de
nombreux tombeaux de celte nature, — mais elle est singulièrement riche,
et elle donne une idée de la vaste érudition de notre savant confrère ; elle
sera consultée avec fruit comme un répertoire précieux. M. B. établit d'abord
pour chaque légende, qu'elle a une origine juive, puis qu'elle est devenue
chrétienne pour être adoptée ensuite par les Musulmans. Seulement M. B.
ne montre pas que toujours la légende locale ait passé par ces divers stades,
et c'est justement le postulat de sa thèse. Il n'est même pas prouvé que ces
légendes aient fait leur première apparition chez les Juifs. Ainsi la légende
qui fait enterrer Adam à Jérusalem n'est pas nécessairement juive parce
qu'elle est consignée dans la Caverne des Trésors, qui renferme beaucoup
d'éléments agadiques : il en faudrait trouver des preuves dans l'ancienne
littérature midraschique. A ma connaissance, le seul texte qui parle de la
tombe d'Adam est le Pirké de R. Eliézer, qui l'identifie avec celle de
Machpéla.
Batten (L.-W.)- The Old Testament fre-m the modem point of view. New-
York, Gorham, 1901 ; in-12 de 340 p.
Baudissin (W.-W.-Graf.). Einleitung in die Bûcher des Alten Testamentes.
Leipzig, Hirzel, 1901 ; in-8° de xvm -f- 824 p.
Baumont (H.). Histoire de Lune'ville. Lune'ville, 1900; in-8°.
Sous Stanislas, deux familles juives à Lunéville ; seize en 1785. A cette
date, le roi « tolère » l'établissement d'une synagogue; le cimetière demandé
en 1787 n'est obtenu qu'en 1791. Naturellement les Juifs sont en butte aux
suspicions et aux haines des commerçants. Il leur est même interdit jusqu'en
BIBLIOGRAPHIE 28b
1791 de traverser la cour du château (p. 211). La Société populaire fait
fermer la synagogue pendant la Révolution (p. 363). Le 12 septembre 1808,
en application du décret du 17 mars 1808, le Conseil de ville accorde à
29 chefs de familles le certificat constatant qu'ils ne se sont pas livrés à
l'usure, et l'ajourne ou le refuse pour neuf autres (p. 469). En 1840 (p. 559),
le nombre des Israélites s'élève à 510, et en 1843 le maire adresse à leur sujet
au gouvernement un rapport des plus favorables. (H.)
Benoit (G.)- La prédication rabbinique au xix° siècle. Thèse. Montauban,
impr. Granié, 1900; in-8° de 90 p.
Benzinger (J.). Die Bûcher der Chronik erklârt. Tubingue, Mohr, 1901 ;
in-8° de xvm -f" 141 p. (Kurzer Hand-Commentar zum Alten Testament,
hrsg. von K. Marti.)
Bericht (19.) ùber die Lehranstalt fur die Wissenschaft des Judenthums.
Vorangeht : Die âltesten Phasen in der Entwickelung der jùd. Predigt,
von S. Maybaum. Berlin, impr. Itzkowski, 1901 ; in-8° de 44 -j- 16 p.
Bericht (34.) ùber den Religions-Unterricht der Synagogengemeinde zu
Kônigsberg. Das Judentum eine Religion der Schule, von Félix Perles.
Kônigsberg, impr. Jacoby, 1901 ; 35 p.
Bevan (F.). Last parabel of Ezechiel. Londres, Thynne, 1900; in-8° de
200 p.
Bertholet (A.). Leviticus erklârt. Tubingue, Mohr, 1901 ; in-8° de xx -4-
104 p. (Kurzer Hand-Commentar zum Alten Testament, hrsg. von K.
Marti).
Blogh (I.) et Lévy (E.). Histoire de la littérature juive d'après G. Karpelès.
Paris, Leroux, 1901 ; in-8° de 683 p.
Œuvre qui rendra des services et sir laquelle nous reviendrons dans le
prochain numéro.
Blogh (Isaac). Le Judaïsme et la femme. Nancy, impr. Berger-Levrault,
1901 ; 20 p.
Blogh (M.). Das mosaisch - talmudische Strafgerichtsverfahren , voir
Jahresbericht (XXIV) der Landes-Rabbinerschule in Budapest.
Boisson. La Sainte Bible. Traduction française faite sur l'hébreu, sur les
Septante, la Vulgate et autres versions. Ancien Testament. 4 vol. Lyon,
Vitte, 1900 ; in-16 de 424 + 510 + 486 -f 454 p.
Bottenwjeser (M.). Outline of the neo-hebraic apocalyptic literature. Cin-
cinnati, imp. Jennings de Pye, 1901 ; in-8° de vi -4- 45 p.
La seule chose intéressante que nous ayons lue dans ce travail est la
comparaison du S. Héchalot avec les Livre des Secrets d'Hénoch. Quant à
la notice sur l'Apocalypse d Élie, Sèder Eliakou, à laquelle l'auteur avait
consacré une étude, en 1897 (étude, dit le prospectus, qui est le garant de
la valeur de la présente monographie!), c'est de la haute fantaisie.
Charles (R—H.). Ascension of Isaiah, translated from the Ethiopie ver-
sion, which, together with the new Greek fragment, the Latin versions
and the Latin translation of the Slavonic, is hère published in full, edi-
ted with introduction, notes and indices. New-York, Macmillan, 1900;
in-12 de lxxiii -f" 155 p.
286 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Cheyne (T.-K.) and Black (J.-S.). Encyclopœdia biblica. Vol. 2 EK.
Londres, Black, 1901 ; in-f».
Chwolson (D.). Die Blutanklage u. sonslige mittelalterliche Beschuldi-
gungen der Juden. Nach der zweiten vielfach verànderten u. verbesserten
Ausgabe von 1880 aus dem Russischen ùbersetzt u. mit vielen Verbesse-
rungen u. Zusâtzen vom Autor verseben. Francfort, Kauffmann, 1901 ;
in-8° de xv + 362 p.
11 faut être reconnaissant à M. C. d'avoir rendu accessible à la majorité
des lecteurs un travail excellent connu seulement de ceux qui savent le
russe. Le contraste entre ce travail et celui de M. H.-L. Strack, consacrés
tous les deux au même sujet, l'accusation du meurtre rituel portée contre
les Juifs, est extrêmement frappant. Tandis que M. H.-L. S. s'efforce de
laisser parler les faits, en s'effaçant lui-même, au risque même de produire
une impression de sécheresse, M. C. écrit avec une verve qui tient tou-
jours en haleine le lecteur; son tempérament combattif ne saurait se ré-
soudre à une œuvre de statistique, et ces qualités rendent sa démonstra-
tion vivante et émouvante. Les considérations générales ne l'effraient pas,
et il sème à travers ses plaidoyers des idées profondes et lumineuses. Il
n'oublie rien d'essentiel, mais ne relève que ce qui est essentiel. En fait,
l'étude de cette accusation ne constitue qu'une partie du travail de M. C.
Le premier chapitre, qui forme la moitié de l'ouvrage, est une réfutation
éloquente et savante des erreurs courantes sur l'enseigenement du Tal-
niud et des rabbins touchant le christianisme et les chrétiens. A ce propos,
M. C. étudie avec ampleur l'histoire du Pharisaïsme et en retrace la doc-
trine avec la compétence qu'on lui connaît. Une de ses idées de prédilection
est que le christianisme à l'origine était conforme au Pharisaïsme, et que les
Pharisiens visés par les Evangiles ne sont que les faux Pharisiens, dénoncés
par les Pharisiens eux-mêmes. Que M. G. se laisse ainsi entraîner par
l'esprit de système au delà de la vraisemblance, il ne servirait de rien de le
dissimuler, mais les historiens qui veulent atteindre à l'impartialité devront
méditer ces pages vigoureuses où le rôle des Sadducéens et des Pharisiens
les rapports du christianisme avec le judaïsme, l'esprit du Talmud et de la
morale juive, sont mis en pleine lumière.
Collegio rabbinico Ilaliano. Relazione sul bicnnio 1899-1900, seguita da
a) Cenni storici sul Collegio rabbinico di Raffaello Prato, b) Commemo-
razione di S. D. Luzzatto di Ismar Elbogen. Florence, impr. Galletti et
Cassuto, 1901 ; in-8° de 35 -f 52 + xxn p.
Cooke (A.-W.). Palestine in geography and in history. Vol. 2. Londres,
Kelly, 1901 ; in-8° de 266 p.
Cornill (G. -IL). Die rnetrischen Stùcke des Bûches Jeremia. Leipzig,
1901; in-8° de vm -f 40 p.
Les études sur ia prosodie et la strophique des écrivains bibliques se sont
multipliées dans les dernières années, mais les résultats en sont sujets à cau-
tion. La plupart des exégètes ou philologues qui ont écrit sur ces matières ont
transformé en systèmes des observations qui s'appliquaient à des morceaux
ou à des versets isolés, et ils ont cru avoir découvert les lois générales de la
composition poétique ou prophétique. Le travail de M. Cornill ne fait mal-
heureusement pas exception à la règle...
En préparant le texte de Jérémie pour la Bible en couleurs, M. Cornill a
cru s'apercevoir que les morceaux poétiques de ce prophète étaient formés
d'octastiches ou de quatrains dont chaque ligne a deux stiches, et il vient de
publier ces morceaux ainsi disposés.
Ce qui enlève, dès l'abord, toute confiance dans le système de M. Cornill,
c'est que le premier morceau apparaît, pour ceux qui n'ont pas l'esprit pré-
BIBLIOGRAPHIE 287
venu, comme étant de la simple prose. On n'y voit pas trace de parallélisme
et on n'y découvre aucun indice de style poétique. Il est très vrai que par-
fois les prophètes s'élèveut jusqu'à la poésie, mais ce n'est vraiment pas le
cas pour le premier chapitre de Jérémie. Et l'on se demande alors pourquoi
l'auteur aurait écrit en octastiches.
Si cependant la répartition en stiches et en strophes correspondait à une
division naturelle des phrases, nous serions obligés de l'accepter. Mais, dès
les premières lignes, l'arbitraire des procédés employés par M. Cornill est
manifeste. Dans le premier verset (i, 15), le mot mDT7273 est placé dans un
stiche, et son complément mi Dit V'IN dans l'autre. Est-il possible qu'un
écrivain hébreu ait séparé de la sotte un nom construit du corn auquel il
est annexé? Les mots m"!D2£ V"lN forment un stiche avec 'î"j DN5, mais
cette dernière locution forme un stiche à elle seule au verset 19 et ailleurs.
Les stiches varient de longueur dans des proportions énormes. Ils vont de
sept lettres, p. ex., ni, 19, tf^**)niS JOl, à vingt-cinq lettres, dans fil, 5,
V>53TZ3n ûbtDTPai ïmïTO "ll^n. La division en strophes ne tient
aucun compte de la séparation logique des pensées. On peut en juger par
les versets 4 et 6 du chapitre n :
banizji ma mnstDE bai ap:s^ ma 'n nan ïyji'O
ibyjz ipm rD b-i? ^a wmaN inse n?2
'ï-t ma i-ien »bi ibami bann ^nrtN nabm
nan^a wn ^bittn _ D-n^ y-iN7a wn nbjrifi
mnbati ma yn^a rtmttîi nan? yn&*a
du: din aur fitbi d-»n na na? ab y-i^a
Il serait, avec la méthode de M. Cornill, très facile de découper en octa-
stiches les premiers versets de la Bible et la Bible tout entière. Nous
aurions :
■pNn nan û*»OTn n« û^nba an a miaana
ûirrn "»3S3 b? ^îzjm inai inn nnvt ■pam
û"»»tt -os by nsma a/nb« mm
m» "«mi ms W D*»nb« -i^an
et ainsi de suite. 11 est évident, en effet, que l'on peut toujours diviser uu
verset hébreu quelconque en fragments de deux, trois, quatre ou cinq mots,
et qu'on arriverait à des résultats analogues avec des ouvrages écrits en
n'importe quelle langue et dans la prose la plus prosaïque. A notre grand
regret, nous sommes obligé de dire que le travail de M. Cornill sur les mor-
ceaux métriques de Jérémie nous semble être le fruit d'une illusion. —
Mayer Lambert.
Coudenhove (H. -G.). Das Wesen des Antisemitismus. Berlin, Calvary,
1901; gr. in-8° de 528 p.
Contient d'excellentes choses et est écrit avec une rare vigueur.
Delahache (Georges). Juifs. Paris, P. Ollendorff, 1901 ; 45 p.
Plein d'aperçus piquants et justes.
Deutsch (I.).Die Regierungszeit der judâischen Kônigin Salome Alexandra
und die Wirksamkeit des Rabbi. Simon ben Schetach. Francfort, Kauff-
mann, 1901; in-8° de 45 p.
Duhm (B.). Das Buch Jeremia erklàrt. Tubingue, Mohr, 1901. (Kurzer Hand-
Commentar zum Alten Testament, hrsg. von K. Marti).
Dumas (R.). Pourquoi les Hébreux n'ont-ils pas eu de mythologie? Mar-
seille, impr. Barlatier, 1901 ; in-8° de 129 p.
288 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Ebstein (W.)« Die Medizin im Allen Testament. Stuttgard, Enke, 1900;
in-8° de vin -j- 184 p.
Ehrmann (H.)- Durch's Jabr. Essays ùber die gehobenen Momente des
jùdischen Pflichtlebens in allen Monaten des Jahres. Francfort, HofmaDn,
1900; in-8° de xiv +530 p.
Eppenstein (S.)- Ishak ibn Baroun et ses comparaisons de l'hébreu avec
l'arabe. Paris, Durlacher, 1901 ; iii-8° de 45 p. ^Tirage à part de la Revue
des Etudes juives, t. XLI-XL1I.)
Erbt (W.). Die Purimsage in der Bibel. Untersuchungen ùber das Buch
Ester u. der Estersage verwandte Sagen des spâteren Judenthums. Ber-
lin, Reimer, 1900 ; in-8° de v + 92 p.
Eys (W.-J. van). Bibliographie des Bibles et des Nouveaux Testaments en
langue française des xve et xvie siècles. I. Bibles. Genève. H. Kundig,
1900; in-8° de vin -f 211 p. (H.)
Fabrège (F.)- Histoire de Maguelone. T. II. Paris, A. Picard, 1900;
in-4°.
Déjà dans le t. I, l'auteur avait donné quelques indications sur les Juifs.
Le t. Il comprend encore à leur sujet quelques pages (p. 473-481) plulôt
médiocres. A quoi bon ces considéraiions sur les Juifs en général, considé-
rations appuyées, d'ailleurs, sur des citations de l"abbé Lémann et de Gou-
geuot de Mousseaux? A quoi bon publier à nouveau un acte déjà édité
par M. Saige? (P. 479-480.) Et quel rapport entre M. de Rothschild (p. 474,
n. 2) et les Juifs de l'évêché au xiu6 siècle? (H.)
Flemming (J.) et Radermagher (L.). Das Buch Henoch. Leipzig, Hinrichs,
1901 ; in-8° de 172 p.
Fôrster (G.). Das mosaiscbe Strafrecht in seiner geschichtlichen Entwi-
ckelung. Leipzig, Veit, 1900; in-8° de 91 p.
Fridmann (Léon). Me'thode de lecture hébraïque. Paris, Durlacher, 1901 ;
in-8° de 67 p.
Friedmann (A.). Die Geschichte ôer Juden in Ingolstadt (1300-1900). In-
golstadt, Krûll, 1900; in-8° de 27 p. (II.)
Galliner (J.). Abraham Ibn Ezra's Hiobkommenlar auf seine Quellen un-
tersucht. Berlin, Poppelauer, 1901 ; in-8° de 59 p.
Gaster (M.). History of tbe ancient Synagogue of the Spanish and Portu-
guese Jews. A mémorial volume written specially to celebrate the two-
hundredth anniversary of ils inauguration, 1701-1901. Londres [impr.
Harrison], 1901 ; in-4° de iv -j- 201 p., avec illustrations et fac-similés.
Geisendorf (T.). L'avènement du roi messianique d'après l'apocalyptique
juive et les évangiles synoptiques. Thèse. Cahors, impr. Coueslant,
1900; in-8<> de 256 p.
Giesebreght (Fr.). Die alttestamentliche Schâtzung des Gottesnamens
und ihre geschichtliche Grundlage. Kônigsberg, 1901 ; in-8° de 144 p.
Pour saisir la portée des expressions bibliques, il importe de les replacer
dans le cadre des idées anciennes. Ce principe, que les exégètes et les théo-
logiens oublient quelquefois, M. Giesebrecht l'applique d'une façon très in-
téressante dans son étude sur la valeur que la Bible attribue au nom de la
BIBLIOGRAPHIE 289
divinité. Nous nous bornerons à indiquer les résultats les plus saillants
de ce travail.
Le nom, pour les peuples primitifs, avait une très grande importance. Il
n'est pas un simple signe, mais uue sorte d'objet réel, qui exerce une in-
fluence sur l'être qui le porte. Celui qui connaît ce nom et sait s'en servir
peut obtenir l'apparition de l'être dont il désire le secours. Invoquer le nom
de Dieu, c'est donc contraindre la divinité à exaucer les supplications qu'on
lui adresse. Sans doute cette idée a pu s'épurer avec le cours des siècles,
mais elle a donné naissance à des formules liturgiques qui ont persisté. Le
nom divin est une sorte de talisman très puissant pour les bénécntïtions et les
malédictions. D'autre part, le nom est le représentant de la divinité ; il remplit
parfois le même rôle que Vange ou la face de Dieu. C'est ainsi qu'on peut
s'expliquer l'expression du Deutéronome : Dieu fait résider son nom dans le
sanctuaire. Entre l'idée vulgaire que Dieu séjourne lui-même dans son temple,
et la conception spiritualiste de la divinité, l'écrivain biblique a fait une sorte
de compromis. Dieu ne réside pas dans une maison, mais son nom, qui est son
émanation, peut être localisé. Le nom divin inspire non seulement le respect,
mais encore la terreur, et il peut être dangereux de le prononcer. L'habitude
de remplacer le nom propre de Dieu par un équivalent paraît remonter à
une assez haute antiquité. C'est ce qui explique que dans les noms propres
des Sabéens, qui étaient polythéistes comme le prouvent les inscriptions, on
trouve si fréquemment le nom êl. Ce nom n'est pas l'indice d'un syncré-
tisme monothéiste, mais il remplace un nom propre quelconque de divinité,
que l'on redoutait de faire entrer dans un nom propre humain. Au lieu du
nom propre, on emploie aussi les termes de parenté, père, frère, oncle, ou
simplement le mot : son nom : Samuel, par exemple, signifie : son nom est
Dieu, c'est-à-dire JHVH est Dieu, et équivaut à DiJlbaC» N1Ï1 'H- On
trouve des noms analogues en phénicien.
L'ouvrage de M. Giesebrecht mérite d'attirer l'attention de ceux qui s'oc-
cupent d'études bibliques ou de folklore. Il a le grand mérite de substituer à
des définitions vagues, dont M. G. reproduit, en les critiquant, quelques
échantillons, des notions précises et exactes sur le rôle que joue le nom
divin dans la Bible. — Mayer Lambert.
Glaser (E.). Jehowah-Jovis und die drei Sôhne Noah's. Ein Beitrag zur
vergleichenden Gôtterlehre. Munich, Lukaschik, 1901 ; in-8° de 28 p.
Grunbaum (M. ). Gesammelte Aufsàtze zur Sprach-und Sagenkunde, hrsg.
von Félix Perles. Berlin, Calvary, 1901 ; in-8° de xvin -j- 600 p.
Ce volume de mélanges contient : 1° un long travail paru dans la Z. D.
M. G., XXXI, Contributions à la mythologie comparée tirées de la Hagada
(p. 1-23"); 2» une étude publiée dans le même recueil, t. XXXIX et XL,
sur le Schem Hammephorasch considéré comme le calque d'tme expression ara-
méenne et sur les imitations verbales en général (p. 238-434); 3° une courte
note sur les différents degrés de V ivresse dans les récits populaires (p. 435-
/|41] ; 4° des miscellanées : L'étoile Vénus: les Minim dans le Talmud (p.
412-456) ; 5° Assimilation et étymologies populaires dans le Talmud (p. 457-
409); 6° Les « deux mondes » chez les auteurs arabo-persans et juifs (p. 470-
514); 1° A propos de « Jussuf et Suleicha » (p. 515-551); 8° L'édition de
Schechta-Wssehrd de Jussuf et Suleicha (p. 552-593). L'ouvrage se termine
par deux index, celui des matières et celui des mots hébreux, composés par
M. Félix Perles, qui a écrit également l'introduction. Il faut remercier notre
jeune collaborateur et d'avoir réédité ces diverses études et de les avoir rendues
utilisables par la confection de ces index. On sait, en ellel, que Grunbaum
ne s'est jamais avisé de fournir à ses lecteurs les moyens de se débrouiller au
milieu de ses dissertations scientifiques, faites de pièces et de morceaux se
suivant dans un désordre parfait. Ce défaut de composition a été pour beau-
coup dans l'indifférence qui a généralement accueilli ses travaux. Peut-être
l'éditeur de ses Mélanges, qui a eu la bonne idée de rejeter au bas des
T. XLIII, n° 86. 19
290 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
pages les notes qui émaillent le texte même, aurait-il rendu aux lecteurs Un
service plus grand encore en coupant ce texte par des têtes de chapitres.
Cela est vrai surtout du premier travail, qui, à notre sens, est celui qui
fait le plus honneur à son auteur. Dans cette étude, bourrée de faits et
d'idées, Grûnbaum a rapproché un grand nombre d'agada de fictions ana-
logues, et pour cela il a mis à profit ses lectures immenses, sa connaissance
exacte des langues anciennes et modernes, classiques et orientales. En
un sens, il est permis de dire qu'il a été le père des études folkloriques
juives. Ce qui ajoutait plus d'autorité à ses aperçus, c'est que chez lui le
littérateur se doublait d'un philologue consommé. Malheureusement Grûn-
baum, après avoir confronté les dires analogues, jugeait son rôle terminé,
laissant aux lecteurs le soin de conclure. Ainsi entendue, la méthode com-
parative est stérile. Mais ce n'est pas un mince mérite qu'avoir amené à pied
d'oeuvre les matériaux que d'autres utiliseront pour leurs constructions.
Nous avons eu trop souvent l'occasion de tirer parti des richesses offertes
ainsi par l'auteur pour ne pas rendre à sa mémoire l'hommage de reconnais-
sance qui lui est dû. Ce recueil est indispensable à quiconque veut se faire
une idée nette de la agada, c'est-à-dire des inventions poétiques de l'ima-
gination juive — en dehors de la Bible et des apocryphes — et des éléments
populaires et universels qui y sont entrés.
Guerrieri (G.). Gli Ebrei a Brindisi e a Lecce, 1409-1497. Contributo alla
storia dell' usura nell1 Italia méridionale. Turin, Bocca, 1900 ; in-8° de
32 p. (Extrait des Studi Senese, XVII.) (H.)
Gunkel (IL). Genesis, iibersetzt u. erklârt. Gottingue, Vandenhoeck et
Ruprecht, 1900 ; in-8° de vin -f- lxxiv -f- 450 p. (Handkommentar zum
Alten Testament hrsg. von W. Nowack).
Guthe (H.) andBATTEN (L.-W.). Thebooks of Ezra and Nehemiah. Leipzig,
Hinrichs, 1901 ; gr. in-8° de 70 p. (Collection P. Haupt.)
Hague (G.)- Some practical studies in the history and biography of the Old
Testament (Genesis to Deuteronomy). New-York, Réveil, 1901 ; in-8° de
546 p.
Halévy (J.). Recherches bibliques. L'histoire des origines d'après la Ge-
nèse. Texte, traduction et commentaire. Paris, Leroux, 1901 ; in-8° de
153 p.
Hartmann (P.-D.). Das Buch Ruth in der Midrasch- Litteratur. Francfort,
J. Kauffmann, 1901 ; in-8° de xiv + 100 p.
Ces sortes de monographies sont de très utiles contributions à l'histoire de
l'exégèse biblique. Elles serviront un jour à la composition d'un dictionnaire
de la Bible d'après les anciens interprètes. Il faut être reconnaissant aux
savants consciencieux qui préparent les matériaux de ce vaste répertoire.
Dès à présent, on les consultera avec profit. M. H., très justement, a fait
entrer dans son inventaire les anciennes versions, comme la Peschito et le
Targoum; mais pourquoi en a-t-il exclu les Septante?
Hering (F.). Die homiletische Behandlung des Alten Testaments. Leipzig,
Deichert, 1901 ; in-8° de 168 p.
Holzinger (H.). Das Buch Josua erklârt. Tubingue, Mohr, 1901 ; in-8° de
xxii -}- 103 p. (Kurzer Hand- Commentar zum A. T. hrsg. von K. Marti).
Hommbl (F.). Der Gestirndienst der alten Araber u. die allisraelitische
Ueberlieferung. Munich, Lukaschik, 1900 ; in-8° de 32 p.
BIBLIOGRAPHIE 291
Horovitz (M.)- Die Inschriften des alten Friedhofs der israel. Gemeinde
zu Frankfurt a. M. Francfort, Kauffmaiin, 1901 ; in- 8° de lui -f- 768 p.
Jahresberieht (VIII.) der israelilisch- theologischen Lehranslalt in Wien
fur das Schuljahr 1900-1901. Voran geht : Der hermeneutische Syllo-
gismus in der talmudischen Litteratur. Ein Beitrag zur Geschichte der
Logik im Morgenlande vom Rector Prof. Dr Adolf Schwarz. Vienne,
Verlag der israel. -theol. Lehranstalt, 1901 ; in-8° de 210 p.
Jahresberieht (XXIV.) der Landes-Rabbinerschule in Budapest ûber das
Schuljahr 1900-1901. Vorangeht : Das mosaisch- talmudische Strafge-
richtsverfahren, von Prof. Moses Bloch. Budapest, 1901 ; in-8° de iv +
71 -f 32 p.
Jahres-Bericht des jûd.-theolog. Seminars Frânckel'sche Stiftung. Voran
geht : Geschichte der Juden in Schlesien. III. Von 1400-1437. Von
M. Brann. Breslau, impr. Sçhatzky, 1901 ; in-8° de p. 81-104 -f- p. xxxv-
lxx -f- 12 p.
Jewish Encyclopedia (The). A descriptive record of the history, religion,
literature and customs of the Jewish people from the earliest times to
the présent day. Vol I : Aach-Apocalyptic literatur. New-York et
Londres, Funk et Wagnalls Cic, 1901 ; gr. in-4° de xxxvm + 685 p.
Notre savant collaborateur M. S. Poznanski rendra compte prochainement
de cette importante publication. Nous voudrions dire dès à présent l'im-
pression qu'elle nous a produite. Qu'on ait fait autour de cette œuvre une
réclame exagérée — et coûteuse — cela n'est pas douteux ; que l'excès des
illustrations inutiles ou même naïves soit quelque peu agaçant, nous en
convenons encore ; qu'on ait chargé de certains articles des savants
dont l'autorité n'est pas indiscutable, bien qu'il nous en coûte de le
dire, le fait est indéniable. Mais ces défauts n'empêchent pas la Jewish
Encyclopedia de répondre à ce qu'on attendait d'elle, d'être un instru-
ment de travail dont le besoin se faisait sentir depuis longtemps et
qu'on n'espérait plus. De nos jours, il est impossible, même au génie le
plus encyclopédique, ae tout savoir — et encore ne parlons-nous que des
choses juives; — le plus instruit, lorsqu'il veut s'éclairer sur un point, est
embarrassé parfois, faute de savoir s'orienter. Avec la Jew. Encyclopedia la
science sera à la portée de chacun. D'autant plus que généralement les édi-
teurs ont distribué aux savants les mieux qualifiés les articles de leur compé-
tence. C'est ainsi que l'article Alexandrie est l'œuvre de M. E. Schurer, Alsace
de R. Reuss, Alphabet de Lidzbarski, les notices sur les rabbins de l'agada
de M. Bâcher, l'histoire d'Espagne de M. Kayserling. L'Encyclopedia a mis
en lumière les qualités de deux savants jusqu'ici peu connus : M. S. Men-
delsohn, collaborateur de notre Bévue, qui traite de la biographie des doc-
teurs du Talmud, et surtout M. L. Ginzberg, qui a fourni le plus de tra-
vail. Ce jeune savant possède une sérieuse érudition dans le domaine de
l'ancienne littérature juive comme dans celui du moyen âge ; il a lu et il
a du jugement. Une innovation très heureuse, qui justement lui est due, est
la biographie des personnages bibliques d'après l'Agada. L'auteur, cela
va sans dire, s'est contenté, de donner le sommaire des matières éparses
dans les Midraschim sans faire de recherches sur l'origine de ces éléments.
— Nous faisons les vœux les plus sincères pour la réussite de cette belle
entreprise, qui fait honneur aux Etals-Unis. Quand les éditeurs pourront-ils
planter le drapeau au faîte de l'édifice, ils ne le savent pas eux-mêmes, sans
doute ; mais pour y arriver plus sûrement, qu'ils nous fassent grâce d
toute cette imagerie, de toutes ces pages de musique, de ces photogra
phies de synagogues américaines, etc., dont on se passerait sans regret.
292 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Joesten. Zur Geschichte der Hexen und Juden in Bonn. Eine Kulturge-
schichtliche Studie. Bonn, C. Georgi, 1900; in-8° de 47 p.
La partie la plus importante de cette étude est réservée aux Juifs. Elle
compreud surtout la publication (pp. 14-31) d'une ordonnance de 16S6 en sept
chapitres. Quelques notes sur les Juifs au xvme siècle, particulièrement sur
les mesures prises par le gouverneur contre les Juifs mendiants. Les
pp. 41-47 sont consacrées au xixe siècle. (H.)
Jorga (N.). Notes et extraits pour servir à l'histoire des Croisades au
xv° siècle. Seconde série. Paris, 1899; ia-8°.
Mentionne, d'après les comptes d'Alphonse 1er, roi de Naples, les paie-
ments faits à des Juifs convertis (1447-1451) (p. 48). — Publie (p. 255),
d'après les Archives d'État de Naples, un mandement imposant une amende
aux Juifs de Calabre (et des Abruzzes, de la Terre de Labour, etc.), en com-
pensation des vexations et dépenses que les Juifs de Terre Sainte sont
accusés d'avoir causées au monastère des Frères Mineurs de Sion. — Un
appendice est consacré à Bertrand Mignarelli de Sienne, qui voyagea en
Orient, et à deux de ses ouvrages, non connus de Baluze et qui peuvent
intéresser en quelques points l'histoire des Juifs. (H.)
Journaux (Les) du Trésor de Philippe VI de Valois, suivis de YOrdinarium
thesauri de 1338-1339, publiés par Jules Viard. Paris, impr. Nationale,
1899 ; in-4°. (Collection des documents ine'dits.)
Les registres du Trésor de 1328 et 1349 mentionnent : le versement fait à
Philippe Ior d'Anjou par Roger de Tours et Jean Payen, commissaires sur
le fait des Juifs en Languedoc, d'une somme de 5,000 1. t. en compte sur
une somme de 70,000 1. dues à ce prince par Philippe-le-Bel (p. 2); — un
autre versement fait au Trésor (avril 1349) par Benedict Broissardi, commis-
saire sur le fait des Juifs en Languedoc (p. 182) — une recette de 9 1. t.
(mai 1349) versée par Jean de Saint-Adieu, commis à la poursuite des dettes
des Juifs dans les bailliages de Bourges et d'Auvergne (p. 231). (H.)
Julius (C). Die griechischen Danielzusâtze und ihre kanonische Geltung.
Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1901 ; in -8° de xi + 183 p. (Biblische
Studien hrsg. von O. Bardenhewer. VI. Band. 3. u. 4. Heft.)
Kahn (S.). Notice sur les Israélites de 'Nîmes (672-1808). Nîmes, impr. La
Laborieuse, 1901 ; in-8° de 48 p.
Karppe (S.). Étude sur les origines et la nature du Zohar, précédée d'une
étude sur l'histoire de la Kabbale. Paris, Félix Alcan, 1901 ; in-8° de x
+ 604 p.
[Kaufmann]. Gedenkbuch zur Erinnerung an David KaUfrnanUj hrsg. von
M. Brannund F. Rosenthal. Breslau, Schles. Buchdruckerei v. S. Schott-
laender, 1900; gr. in-8° de n + n + lxxxviii + 682+ 112 p.
Table des matières :
1. Rosenthal : David Kaufmann ;
2. M. Brann : Verzeichniss der Schriften u. Abhandlungen David Kauf-
manns;
3. J. Barth : Ueber Sacharia Cap. 8;
4. D. II. Millier : Strophenbau in den Proverbien;
5. Théodore Reinach : Notes sur le second livre du Contre Apion de Jo-
sèphe;
6. Adolf Bûchler : Zur Verproviantirung Jerusalems im Jahre 69/70 nach
Chr.;
7. Ludwig Blau : Wie lang stand die althebrâische Schrift bel den Juden
im Gebraueh?
BIBLIOGRAPHIE 293
8. M. Friedmann : Eine Abraham-Légende ;
9. Immanuel Low : Die Finger in Litteratur und Folklore der Juden;
10. l^naz Goldziher : Die Sabbathinstitution im Islam;
11. D. Simonsen : Tobit-Aphorismen ;
12. Israël Abraharos : An Arabie fragment of the scroll of Anthiochus ;
13. M. Schwab : Des versions hébraïques d'Aristote;
14. E.-N. Adler : Aleppo;
15. M. Lambert : Nouveaux fragments du commentaire de Saadia sur Isaïe
(xl, 2-5 et 10-11);
16. Montz Steinschneider : Saadia Gaon's arabische Schriften :
17. Samuel Poznanski: Jacob ben Ephraïm, ein antikarâischer Polemiker
des X. Jahrhunderts;
18. Wilbelm Bâcher : Jehuda Ibn Tibbon's Irrthumer in seiner Saadia-
Uebersetzung;
19. S. H. Margulies : Textkritische Bemerkungen zum 4., 5. und 6. Capi-
tel des Emunoth we-Deoth ;
20. M. Gaster : Geniza-Fragmeute;
21. N. Porges : Uebër die Echtheit der dem Dûnasch b. Labrât zuge-
schriebenen Kritik gegen Saadia;
22. A. Berliner : Zur Charakteristik Raschi's;
23. Neubauer : A Geniza fragment;
24. A. Epstein : Die Wormser Minhagbùcher ;
25. Philipp Bloch : Ueber Simon WoliF Auerbach, Oberrabiner von Gross-
polen;
26. Lewinsky : Der Hildesheimer Rabbiner Samuel Hameln ;
27. Israël Lévi : Alexandre et les Juifs d'après les sources rabbiniques;
28. A. Sidon : Die Controverse der Synhedrialhâupter;
29. M. Horowitz : Aus meinem Brief'wechsel mit David Kaufmann;
20. D. Feuchtwang : Epitaphien mahrischer Landes-und Localrabbinpr
von Nikolsburg ;
31. M. Brann : Eine Sammlung Fiirther Grabschriften;
32. Al. Bûchler : Die Grabschrift des Mardochai Mochiach;
33. Bernhard Ziemlich : Eine Biicherconfiscation zu Fiirth im Jahrel702;
34. Gustav Karpeles: Heinricb Heine's Stammbaum vâterlicherseits;
35. Emanuel Baumgarten : Zur Mâhrisch Ausseer Affaire;
36. Leopold Lôwenstein : David Oppenheim;
37. Samuel Krauss : Joachim Edler von Popper ;
38. Max Freudenthal : R. David Frànckel;
39. Bêla Bernstein: Die Tolerauztaxe der Juden in Ungarn ;
40. Albert Wolf : Das jùd. Berlin gegen Ende des 18. Jahrhunderts, in
Abbildungen und Medaillen ;
41. M. Gûdemann : Stelluug der jùd. Litteratur in der christlich-theolog.
Wissenschaft wâhrend und am Eudedes 19. Jahrhunderts;
42. M. Klein: David Kaufmann als philosophischer Schni'tsteller;
43. Hermann Cohen : Autonomie und Freiheit.
Partie hébraïque :
1. M. Friedlaender : Commentaire arabe sur la péricope fiblîî^ par n
auteur de l'école allégoriste;
2. Salomon Buber : Commentaire de Joseph Cara sur les Lamentations;
3. S. Schechter : Version du U^^Tp, d'après un fragment de la Gueniza
du Caire ;
4. S.-P. Rabinowitz : Contributions à l'histoire des communautés juives de
Lithuanie au xvin9 siècle ;
5. F. Wetstein : Archives de la communauté juive de Cracovie ;
6. S.-J. Halberstam (feu) : Liste des documents inédits publiés par David
Kaufmann.
294 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Kônig (E.). Das Berufungsbewusststein der alttestamentlichen Propheten.
Barmen, Wapperthaler Traktat-Gesellschaft, 1900 ; in-8° de 28 p.
Kônig (E.)- Hebràisch u Semilisch. Prolegomena u. Grandliniea einer
Geschichte der sernitiscken Sprachen, nebst einem Exkurs ùber die
vorjosuanische Sprache Israels u. die Pentateuchquelle P G. Berlin,
Reuther et Reichard, 1901 ; in- 8° de vm -f- 128 p.
Voir plus loin.
Kônig (E.). Stilistik, Rhetorik, Poetik in Bezug auf die biblische Litteratur
komparativisch dargestellt. Leipzig, Dietrich, 1900 ; in-8° de vi -f-
421 p.
Kohut (Adolph). Berùhmte israelitische Mânner u. Frauen in der Kultur-
geschichte der Menschheit. 2. Band. Leipzig- Keudnitz, A. -H. Payne,
s. d. ; gr. in-8° de vi -(- 432 -f- de nombreux portraits el illustrations.
Kraetzsghmar (R.). Prophet und Seher im alten Israël. Tubingue, Mobr,
1901 ; in-8° de 32 p.
Labande (H.-L.). Les Doria de France. Paris, A. Picard, 1899; in-8°.
On sait qu'en un grand nombre de cas les Juifs du moyen âge n'ont été
que les agents de financiers chrétiens. Notamment dans le midi delà France,
il était difficile aux Juifs de lutter contre la haute banque italienne. Le tra-
vail de M. L. donne quelques nouveaux exemples de ces faits. Jossé Latès,
de Saint-Remy, Bonafos Falco, de Tarascon, Massip de Lisbonne, de
Cavaillon, Abraham Jacob, de Salon, servent ainsi de courtiers à Louis
Doria, un des rois du commerce méridional au xv« siècle, chambellan du
roi René, propriétaire de comptoirs à Gênes, Marseille, Arles, Tarascon,
Avignon et Montpellier (p. 63-64). Baptiste de Ponte (p. 134) se sert de
même des Juifs pour ses achats de blé, de cuivre et surtout de laines. (H.)
Lattes (G.;. Vita e opère di Elia Benaniozegh. Livourne, impr. Belforte,
1901 ; in-8° de 165 p. (Avec le portrait de Benamozegb.)
lejeal (G.). Jésus l'Alexandrin. Paris, Maisonneuve, 1901 ; iu-8° de
129 p.
Lévi (Israël). L'Ecclésiastique ou la Sagesse de Jésus, rils de Sira. Texte
original he'breu, e'dité, traduit et commenté. 2° partie : III, 6, à XVI, 26;
extraits de XVIII, XIX, XXV et XXVI ; XXXI, 11, à XXXIII, 3 ;
XXXV, 19, à XXXVIII, 27 ; XLIX, 11, à fin. Paris, Leroux, 1901 ; in-8°
de lxx -f- 243 p. (Bibliothèque de l'École des Hautes-Études. Sciences
religieuses. 10e volume, fascicule 2e.)
Ayant interrompu, dans la crainte de fatiguer l'attention des lecteurs, nos
études sur les nouveaux fragments de l'Ecclésiastique (voir Mevue, XXXIX,
1 et 177 ; XL, 1 et 253), nous nous permettons de résumer très succinc-
tement ici les divers chapitres de l'introduction de ce 2« fascicule. Après une
description des quatre exemplaires du texte (dont l'un n'est qu'un recueil de
morceaux choisis), nous abordons le problème qui a déjà fait couler tant
d'encre: les fragments hébreux représentent-ils l'original? Après une nou-
velle étude, nous avons cru devoir persévérer dans certaines conclusions
que connaissent nos lecteurs : le cantique alphabétique de la fin est la retra-
duction de la version syriaque ; les mss. B et A contiennent des doublets
généralement empruntés à la même version et se trahissant, entre autres,
par les contre-sens et la langue, mais il n'y a pas de doublets provenant du
grec (contrairement à ce que nous avions admis un instant). Toutefois ces
BIBLIOGRAPHIE 29b
interpolations et corrections ne prouvent pas que tout le texte soit une retra-
duction; des indices internes contredisent péremptoirement une pareille
hypothèse, à laquelle nous nous étions rallié avec trop de précipitation.
En gros, nos fragments représentent donc bien l'original, mais avec des
altérations diverses, et des interpolations dues à un auteur qui utilisait la
version syriaque. Un chapitre est consacré à l'étude d'un cantique nouveau,
qui manque dans les versions et qui contient à la fois une bénédiction rela-
tive aux Sadocites et des morceaux ayant trait à l'avènement du Messie. Ces
morceaux sont contraires, par l'esprit, aux conceptions authentiques de
l'auteur, et, d'autre part, offrent une ressemblance étonnante avec le Sche-
monè Esrè ou les Dix-Huit bénédictions, œuvre des Pharisiens. Après une
discussion, très pénible, nous concluons, faute de mieux, à cette hypothèse,
que ce Psaume a conservé des traces de sa forme primitive — la mention
des Sadocites, par exemple, — mais a été corrompu par un scribe qui y a
fait entrer des éléments empruntés au Schemoné Esrè. — La vieille version
latine, connue déjà au commencement du me siècle, est intéressante pour
l'imtoire du texte, parce que, bien que calquée sur le grec, elle révèle des
corrections faites incontestablement d'après l'hébreu et quelquefois le
syriaque, mais ces variantes sont généralement celles d'une revision du
grec dont Clément d'Alexandrie, mort en 217, a gardé de nombreuses
leçons. EnGn, nous essayons de montrer que diverses opinions hérétiques
de l'auteur, sa misogynie, sa prédilection pour certains lieux communs
révèlent une influence de l'hellénisme, spécialement des idées d'Euripide.
Nous avions déjà, dans le premier fascicule, signalé cette action de l'hellé-
nisme sur les procédés littéraires de l'auteur. — En disant « deuxième partie »,
nous avons voulu ne pas déclarer clos notre travail, espérant, contre toute
attente, la découverte de nouveaux fragments. En terminant, nous prions les
lecteurs de vouloir bien consulter la table des additions et rectifications, de
nombreuses fautes s'étant produites à l'impression et nos vues s'étant parfois
modifiées avec une étude du texte plus attentive et mieux informée. Que
beaucoup de nos explications et interprétations laissent subsister des doutes
et n'emportent pas la conviction, nul ne le sait mieux que nous; nous ne
nous sommes pas, d'ailleurs, fait faute de dénoncer nos hésitations et notre
incertitude.
Lévy (Emile). Israël au xixe siècle. Deux sermons. Bayonne, impr. Lespès,
1900 ; 22 p.
Lewin (M.). Wo wâren die Zehn Stâmme Israels zu suchen? Francfort,
KaufTmann, 1901 ; in-8° de 143 p.
Loisy (A-). Études bibliques. Paris, Picard, 1901 ; in-8° de 161 p.
Margel (M.). Der Segeu Jakobs, Midrasch Bereschith Rabba, Par. 98,
1-20 ; 99, 1-4, ùberselzt und kritisch behandelt. Francfort, Kauffmann,
1901 ; in-8° de 82 p.
Mariano (R.). Giudaismo, paganismo, impero romano. Antecedenti sto-
rici immediati del cristianismo. Vol. III. Florence, Barbera, 1901; in-16
de 326 p.
Marti (K.). Das Bach Daniel erklârt. Tubingue, Mohr, 1901; in-8° de
xxin + 98 p. (Kurzer Hand-Commentar zum Alten Testament, hrsg.
von K. Marti.)
Martin (P.). Histoire de la ville de Lodève depuis ses origines jusqu'à la
Révolution. Montpellier, 1900 ; 2 vol. in-8°.
Quelques mots (p. 291-293) sur les Juifs au moyen âge, d'après l'ouvrage
de M. Saige. Les Juifs sont sous l'autorité de l'évêque, et par un mande-
296 REVUE DES UTUDES JUIVES
ment de 1306, dont l'analyse est reproduite par M. Martin dans son Cartu-
laire de la Ville de Lodève (Lodève, 1900, in-8, n° lxxiv), Philippe IV recon-
naît les droits (taxes, péages, juridiction) de Déodat de Boussagues. — Au
xvme siècle, des marchands juifs d'Avignon assistent aux foires : ils doivent,
en arrivant, Caire consigner leur nom à l'Hôtel de ville, et les registres du
Conseil de ville portent ainsi des signatures en hébreu ou en français
(p. 233-234) (H).
Me Curdy (J.-F.). History, prophecy and monuments of Israël and the
nations. Vol. V. 3. New-York, Macmillan, 1901 ; in-8° de xxm -j~ 470 p.
Meinhold (J.). Die « Lade Jahwes ». Tubingue, Mohr, 1900; in-8° de 45 p.
Mitteilungen der Gesellschaft fur jùd. Volkskunde, hrsg. von M. Grùn-
wald. Heft VIII. Hambourg, à la Société, 1901 ; in-8° de p. 1-109.
Contient : Einiges aus den Memoiren der Glùckel von Hameln, von L.
Ysaye ; Die Sprache der Memoiren Glùckels von Hameln ; Ein hebr. Lied
zu Simchath-Thora aus Buchara und Jemen, von W. Bâcher; Engelnamen,
von S. Krauss, etc.
Mitteilungen der Gesellschaft fur jùd. Volkskunde, hrsg. von M. Grùnwald.
Heft VIII. Hambourg, à la Société [1901, 2e fascicule] ; in-8° de p. 111-
392 -f 4 planches.
Contient principalement une étude de M. Grùnwald sur les noms hébreux
et la traduction d'un mémoire de M. Bersohn sur les anciennes synagogues
en bois de Pologne.
Morel (O.). Mémoires et documents publiés par la Société de l'École des
Chartes. 111. La Grande chancellerie royale et l'expédition des lettres
royales de l'avènement de Philippe de Valois à la fin du xivc siècle.
Paris, Picard, 1900, in-8° de 359-362 p.
Renseignements nouveaux sur les tarifs spéciaux auxquels était soumis,
au xive siècle, l'enregistrement des lettres des Juifs. Le Sceau des Juifs,
créé par Philippe-Auguste, avait été supprimé en 1229. Lorsqu'en 1317 une
ordonnance permit aux Juifs récemment rentrés en France le prêt sur lettres
en même temps que le prêt sur gages, l'enregistrement de leurs contrats se
fit par les voies ordinaires, mais un tarif spécial leur fut appliqué. M. M.
publie trois règlements donnant en détail le prix des lettres de chancellerie
sous Philippe-le-Bel et sous Charles V. Sous Philippe-le-Bel, les Juifs
paient le double, et pour les chartes, le triple du prix ordinaire. Charles V
abaissa un moment le tarif au début de son règne, mais quelques années
après les Juifs de France payaient pour leurs chartes 12 1. parisis (au lieu
de 3, tarif ordinaire), les Juifs de Navarre, 21 1. 2 s. tournois, c'est-à-dire
le double des chartes de Navarre, et les Juifs de Champagne 42 1. t.,
c'est-à-dire le quadruple des chartes de Champagne, qui déjà étaient sou-
mises a un tarif beaucoup plus élevé. (H.)
Neteler (B.). Beitrag zur Untersuchung der Geschichte des alttestament-
lichen Kanons. Munster, Theissing, 1901 ; in-8° de 32 p.
Neviasky (A.). !H3H ÏTTP ""p*^ \T\b"0 Rituel du judaïsme, traduit pour la
première fois sur l'original chaldéo-rabbinique et accompagné de notes
et remarques de tous (!) les commentateurs. V. Orléans, Michau, 1901 ;
in-8° de 96 p. — Id., VI, 85 p.
On voit que le nom de l'auteur de cette publication a changé : ce n'est
plus maintenant M. de Pavly. C'est le seul changement à constater.
Niebuhr (C). Tell El Amarna period. Relations of Egypt and Western
Asia in the 15th century B. C. Londres, Nrtt, 1901 ; in-8° de 64 p.
BIBLIOGRAPHIE 297
Niese (B.). Krilik der bciden Makkabi'ierbûcher, ncbst Beitrâgen zur Ge-
schicbte der makkabàiscbcn Erbebung. Berlin, Weidmann, 1900; in-8°
de iv 4" H** P»
Voir plus haut, p. 222.
Nowagk(W.). Richter-Rulh, ûberselzt u. erkliirt. Gottingue, Vandenhoeck
et Ruprecbt, 1900 ; in-8° de xxviri -4- 201 p. (Handkommentar zum
Alten Testament brsg. von W. Nowack.)
Ottley (R.-L.). Short history of the Ilebrews to the Roman period. Cam-
bridge, University Press, 1901 ; in-8° de 332 p.
Paterson (J.-A.). Tbe book of Numbers. Leipzig, Hinricbs, 1900; in-8°
de 67 p. (Collection Haupt.)
Peters (M.-C). Wit and wisdom of the Talmud. Introd. by H.-P. Mendes.
New- York, Baker et Taylor, 1900 ; in-12 de 169 p.
Philippson (L.). Haben wirklich die Juden Jesum gekreuzigt ? 2. Aufl. mit
einem Vorwort von M. Philippson. Leipzig, Kaufmann, 1901 ; in-8° de
64 p.
P-oznanski (S.)- Miscellen ùber Saadja III. Bie Berecbnung des Erlosungs-
jabres bei Saadja. Berlin, Calvary, 1901; in-8° de 39 p. (Tirage à part
de la Monatsschrift, 44e anne'e.)
Praetorius (F.). Das Targum zum Bucb der Richter in jemenischer Ueber-
lieferung. Berlin, Reuther et Reichard, 1900 ; in-8° de v -f- 61 p.
Praetorius (F.). Uebcr die Herkunft der bebr. Accente. Berlin, Reuther
et Reichard, 1901; in-8° de v + 54 p.
Rapaport (M.-W.). Der Talmud u. sein Recht. IV. Theil. Formen der Obli-
gation. Stuttgart, 1901 ; in-8° de 49 p. (Sonderabdruck aus Zeitscbr. fur
vergleichende Rechtswissenschaft. XV. Bd.)
Reinach: (Th.). Histoire des Israélites depuis la ruine de leur indépen-
dance nationale jusqu'à nos jours. 2e édition revue et corrigée. Paris,
Hachette, 1901 ; in-8° de xix +415 p.
Il y aurait quelque impertinence de notre part à apprécier cette deuxième
édition : il nous faudrait redire, et moins bien à moins de le copier, le
jugement porté ici même, sur la première, par notre regretté Isidore Loeb
(t. IX, p. 306). M. Th. Reinach n'a rien changé au cadre, et il a eu raison :
il est parfait et il a fallu un véritable tour de force pour grouper des faits
qui ont eu pour théâtre les régions les plus diverses dans un ordre har-
monieux, à la fois logique et chronologique. Il a fallu également toutes les
ressources d'un style éloquent et pittoresque, précis et élégant pour faire
de cette histoire un livre de lecture attachant, non seulement pour les
Israélites, mais pour tous ceux qui veulent s'instruire. La littérature nuit
souvent à la science : ici elle la sert. M. Th. Reinach s'est proposé — et à
notre avis il y est parvenu — d'atteindre à l'impartialité; cette équité est
assurément alliée à la sympathie, mais cette disposition d'esprit n'est-elle
pas une des conditions essentielles d'un jugement éclairé ? M. Th. Reinach
avait déjà fait admirer, dans la première édition, ces qualités multiples et
rarement réunies, mais, en 1882, il abordait seulement le domaine de l'his-
toire juive et se contentait de rendre accessible, en le condensant et en l'a-
nimant, l'immense travail de Graetz. Depuis, M. Reinach a eu l'occasion
d'examiner directement beaucoup de matériaux de cette histoire, en parti-
culier les textes relatifs au Judaïsme et aux Juifs daus le monde grec et dans
298 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
l'empire romain; notre Revue a mis au jour des documents nouveaux et de
prix dont il a su reconnaître l'importance; ^histoire des Juifs de France
s'est considérablement enrichie et précisée. Aussi, la deuxième édition, toute
fidèle qu'elle soit au plan de la première, en diffère-t-elle notablement par
les rectifications, les additions et les suppressions ; c'est, en réalité, une nou-
velle œuvre, que nous ne craindrons pas d'appeler un chef-d'œuvre. Qu'on
y puisse relever quelques erreurs de détail, que la bibliographie de la fin
mette sur le même plan des travaux de premier ordre et des opuscules sans
intérêt, que les réflexions servant de conclusion ne soient pas du goût de tous
les lecteurs, ce sont là menues critiques qui ne troublent en rien l'impression
que laisse cet ouvrage, supérieur en beauté, en philosophie et en savoir à
tous ses devanciers.
Russell (G.) and Lewis (H. -S.)- The Jew in London. A study of racial
character and present-day conditions, with an introduction by Canon
Barnett and a préface by the right honor. James Bryce. Londres, Fisher
Unwin, 1900 ; in-8° de xlv + 238+1 carte.
Saadia Al-Fajjumi's arabische Psalmenùbersetzung u. Commentar (Psalm
50-72), hrsg., ùbersetzt u. mit Anmerkungen versehen von S. Baron.
Berlin, Poppelauer, 1900; in-8° de 83 + xxix p.
Sarowy (W.). Quellenkritische Untersuchungen zur Geschichte Kônig
Salomos. Dissertation. Kœnigsberg, Leupold, 1900 ; in-8° de 55 p.
Schiefer (F.-W.). Die religiôsen und ethischen Anscbauungen des IV.
Ezrabuches im Zusammenhang dargestellt. Ein Beitrag zur jùd. Reli-
gionsgeschichte. Leipzig, Dôrffling et Franke, 1901 ; in-8° de vu + 76 p.
Sch.la.tter (A.). Israels Geschichte von Alexander dem Grossen bis Ha-
drian. Stultgard, Vereinbuchhandlung, 1900 ; in-8° de 342 p.
Schlœgl (N.)« Ecclesiasticus (39, 12-49, 16), ope artis criticre et metricae
in formam originalem redactus. Vienne, Mayer et Gie, 1901 ; in-4° de
xxxv + 72 p.
Schmalzl (P.). Das Buch Ezechiel erklârt. Vienne, Mayer et C'% 1901 ;
in-8° de xi + 473 p.
Schneider (G.). Die zehn Gebote des Moses in moderner Beleuchtung.
Francfort, Neuer Frankfort. Verlag, 1901 ; in-8° de x + 106 p.
Scholz (A. von). Kommentar ùber den Prediger. Leipzig, Woerl, 1901 ;
in 8° de vu + xxvm + 229 p.
Schwarz (Ad.). Der hermeneutische Syllogismus in der talmud. Litteratur,
voir VIII. Jahresbericht der israel.-tùeol. Lehranstalt.
Schweizer (A.). Untersuchungen ùber die Reste eines hebr- Textes vom
ersten Makkabàerbuch. Berlin. Poppelauer, 1901 ; in-8° de 103 + 13 p.
Voir plus haut, p. 215.
Sera.ph.im (B.). Soothssayer Balaam, or transformation of a sorcerer into a
prophet. Londres, Rivington, 1901 ; in-8° de 392 p.
Siegfried (G.). Esra, Nehemia und Esther ùbersetzt u. erklârt. Gottingue,
Vandenhœck et Ruprecht, 1901 ; in 8° de iv + 175 p. (Handkommeutar
zum A. T. hrsg. von W. Nowack.)
Silbbrstein (E.). Conrad Pellicanus, ein Bjitrag zur Geschichte des Stu-
BIBLIOGRAPHIE 299
diums der hebraischen Sprache in dcr ersten lliilfte des XVI. Jahr-
hunderts. Berlin, Mayer el Muller, 1900; in-8" de vm -f- 104 p.
Le ch. i,r, consacré à la bibliographie de Pellican, met en œuvre des ren-
seignements déjà connus, notamment sur les relations avec Paul Pfedersheimer
et Michel Adam, Juifs convertis, avec Reuchlin, etc. Le ch. n étudie l'œuvre
de Pellican comme grammairien dans son De modo legendi et intclligendi
hebrœi, dans ses Grammatice hebraica elementa, dans VInstitutiuncula, im-
primée à la suitede l'édition de saint Jérôme, faite à Bàle en 1516. Le ch. ni
est consacré à ses travaux d'exégèse et à ses traductions bibliques. Enfin,
M. S. dresse une liste des écrivains de la littérature rabbinique que Pellican
a étudiés ou traduits. (H.)
Simonsen (D ). Hebraisk bogtryk i aeldre og nyere tid. Copenhague,
impr. Nielson et Lydiche, 1901; gr. iu-4"de 29 p , avec 16 reproductions
photographiques et fac-similés.
Les plus anciennes et plu6 curieuses éditions hébraïques.
Sinker (R.)' Essays and studies. Cambridge, Deighton, Bell et Cie, 1900 ;
in-8° de v -f- 21 p. (Contient, entre autres : The maxims of tue Jewish
Fathers, The authorship of Psalm ex, The Jewish Sabbath, Christ in the
Talmud, Kippod, Manasseh or Moses (Juges, xvm, 30), On grâce at
meals in the Jewish Church).
Smith (G.-A.). Modem criticism and the preaching of the Old Testament.
Londres, Hodder et Stoughton, 1901 ; iu-8° de xn -f- 325 p.
Steuernagel (C). Die Einwanderung der israelit. Stâmme in Kanaan.
Berlin, Schwet3chke, 1901; in-8° de vin + 131 p.
Stosgh (G.). Alttestamentliche Studien. V. Theil : Die Urkunden der
Samuelsgeschichte. Gùtersloh, Bertelsmann, 1900; in-8° de vu -\- 200 p.
Stragk (H.-L.> Grammatik des Biblisch-aramàisohen mit den nach Hand-
schriften berichtigten Texten u. einem Wôrterbuch. 3. grossenteils
neubearbeitete Auflage. Leipzig, J.-C. Hinrichs, 1901; in-8° de 40 +
60 p.
Le succès de cette grammaire, qui en est déjà à sa troisième édition, est
légitimé par les qualités qui la distinguent, à savoir : précision, netteté et
concision. Nous louons surtout l'auteur d'avoir fourni aux lecteurs des spé-
cimens des textes avec ponctuation et accentuation supralinéaire. Seulement
l eût été bon de dire la valeur de ces signes.
Strack (H.-L.). Die Sprùche der Vâter. Ein ethischer Mischna-Traktat,
hrsg. u. erklârt. 3. wesentlich verbesserte Auflage. Leipzig, Hinrichs,
1091 ; in-8° de 58 p.
Nouvelle édition excellente.
Swete (H.-B.)- An introduction to the Old Testament in Greek. With an
appendix containing the letter of Aristeas éd. by J. Thackeray. Cam-
bridge, University Press, 1900 ; in-8° de xi + 592 p.
Taylor (G.). Cairo Genizah palimpsests, hebrew-greek, from the Taylor-
Schechter collection, including a fragment of psalm XXII according to
Origen's Hexapla- 11 collotype plates. Londres, Clay, 1901 ; in-4° de
104 p.
Tedesghi (I.-R.). La Cabbala o la fllosofia religiosa degli Israeliti. Trieste,
impr. Morterra, 1901 ; 16 p.
300 REVUE DES ETUDES JUIVES
Textus hebraici emendationes quibus in Vetere Testamento Neerlandice ver-
tendo usi sunt A. Kuenen, J. Hooykaas, W.-H. Kosters, H. Oort, éd.
Oort. Leyde, Brill, 1901 ; in-8" de iv + 150 p.
Urquhart (J.). Die neueren Entdeckungen u. die Bibel. 2. Band. Von
Abraham bis zum Auszug aus Aegypten. Uebersetzt von E. Splied.
Stuttgart, Kielmann, 1901 ; in-8° de xir + 331 p.
Vigouroux (F.)- La Sainte Bible polyglotte, contenant le texte hébreu ori-
ginal, le texte gçec des Septante, le texte latin de la Vulgate et la tra-
duction française de Glaire. Ancien Testament. T. II. Paris, Roger et
Chemoviz, 1901 ; in -8° de xi -f- 913 p.
Wiernik (P.). ytiSTOW WiT1» N^*7 History of the Jews from the earliest
period to the présent time. New-York, Rabinowitz, 1901 ; in-8° de 381 p.
En jargon judéo-allemand et caractères hébraïques.
Worcester (E.). The book of Genesis in the light of modem knowledge.
New- York, Me Clure, Philipps et Gie, 1901 ; in-12 de xx -f 572 p.
Worms (M.). Die Lehre von der Anfangslosigkeit der Welt bei den mittel-
alterlichen arabischen Philosopher! des Orients u. ihre Bekampfung
dnrch die arabischen Theologen (Mutakallimun). Munster, Aschendorff,
1900 ; in-8° de vin + 70 (Beitrage zur Geschichte der Philosophie des
Mittelalters. Texte u. Untersuchungen hrsgg. von G. Baeumker u.
G.-F. Hertiing. Bd. III. Heft IV.).
Contient en appendice une dissertation d'Averroès sur la question d'après
la version hébraïque.
Wright (A ). Psalms of David and higher criticism ; or, was David the
sweet psalmist of Israël. Londres, Oliphant, 1900 ; in-8° de 266 p.
Zimmern (H.). Biblische und babylonische Urgeschichte. Leipzig, Hinrichs,
1901 ; in-8° de 40 p.
Zwiebel (S.). Perlenschnur talmud. Weisheit. Drohobycz, impr. Zupnik,
1901; 18 p.
Zeller-Werdmuller (H.). Die Zùrcher Stadtbùcher des XIV. und XV.
Jahrhunderts. I. Leipzig, 1899 ; in-8°.
Ces registres renferment naturellement un grand nombre de délibérations
relatives aux Juifs de Zurich : juridiction réservée au Conseil de ville
(p. 270-p. 35), décision visant les appels portés aux tribunaux rabbiniques
de Worms et de Rothenburg ; règlements pour la synagogue (p. 270)
et le cimetière (p. 269) ; réglementation du prêt (p. 33, 66, 300); situation
des Juifs bourgeois de la ville (p. 87, 125, 260) et étrangers (p. 320) ; mesures
prises en leur faveur, sauvegardes, responsabilité des pères et maîtres dont
les enfants et domestiques malmènent des Juifs (p. 143) ; interdiction de
paraître en public pendant la semaine sainte (p. 17), etc. Les pièces 173 et
174 du 2e livre (p. 341-343) montrent le retentissement sur la communauté
de Zurich du martyre des Juifs de Schaffhouse (1401). Après avoir assuré de
nouveau la sauvegarde des Juifs, la ville semble cependant en avoir fait
poursuivre deux. (H.).
3. Périodiques.
The American journal of semitic languages and literatures (Chi-
cago, trimestriel). = = Vol. XVII, 1901. = = Na 2, janvier. Henry
BIBLIOGRAPHIE 301
Hayman : The blessing of Moses, ils genesis and structure. — G. Ric-
ker Berry : A note on Gen., 6, 3. = = N° 3, avril. = = Julius-A. Be-
wer : Lexical notes (1OT', Amos, I, 11; îinN, Deut., xxxn, 21 ; "IU3N,
Is., i, 17; nt, la., i, 7; ttttan, Ps., lxviii, 28; lins, Is., xlii, 22). —
— M. L Margolis : Notes on some 'passages in Amos (ni, 12; iv, 3;
iv, 5; v, 6). = — No 4, juillet. = = J. Barth : Beitràge zur Suffix-
lehre des Nord-Semitischen. — Ed. Kônig : The emphatic state in Ara-
maic = = Vol. XVIII. = = N° 1, octobre. Hans H. Spoer : The origin
and interprétation of the tetragrammaton.
Revue biblique internationale (Paris, trimestrielle) = — 10* année,
1901. = = N° 1, janvier. A. van Hoonacker : Notes sur l'histoire de la
Restauration juive après l'exil de Babylone {suite, n° 2). — Lagrange :
Études sur les religions se'mitiques. I. Les Sémites. — Hubert Grimme :
Mètres et strophes dans les fragments hébreux du ms. A de l'Ecclésias-
tique {suite, n03 2-3). — Vincent : Le tombeau des Prophètes. = =
N° 2, avril. = = Hackspill : Études sur le milieu religieux et
intellectuel contemporain du Nouveau- Testament {suite, n° 3). — La-
grange : Éludes sur les religions sémitiques. II. Enceintes et pierres
sacrées. — Hugues Vincent : Monuments en pierres brutes dans la Pa-
lestine occidentale. = = N° 3, juillet. =s — Condamin : Les chants
lyriques des Prophètes. Strophes et chœurs. — Van Kasteren : L'Ancien
Testament d'Origène. — Vincent : Hypogée antique à Jérusalem = =
N° 4, octobre. = — Prat : Le nom divin est-il intensif en hébreu ? —
Lagrange : L'inscription de Mésa. — Du même : Études sur les religions
sémitiques. III. Les déesses Achéra et Astarté.
The Jewish quarterly Keview (Londres). = =■ Vol. XIII, 1901. =• =
N° 50, janvier. C.-G. Montefiore : Rabbinic judaism and the Epistles of
St. Paul. — S. Schechter : Geniza spécimens (acte de mariage, 1082, entre
David Ilanasi, fils de Daniel Hanasi, et Nasia, Karaïte, fille de R. Moïse,
fils d'Aron Ilacohcnj. — H. Hirschfeld : Mohammedan criticism of the
Bible. — Miss Nina Davis : An aspect of Judaism in 1901. — F.-C. Co-
nybeare : The Testaments of the XII Patriârchs {suite). — H.-S.-Q. Hen-
riques : The Jews and the English law. — Moritz Steinschneider : An
introduction to the Arabie literature of the Jews {suite, n°51). — Israël
Zangwill : Poetry. Adon Olam. — W. Bâcher : Zur Mozaikkarte von
Madaba. — ■ Samuel Poznanski : Einige Bemerkungen zu einem alten
Bùcher-Catalog. — Israël Lévi : Errata à /. Q. £., XIII, 1 et suiv. —
H. -P. Chajes : Der Name 3KW; pbn. = = N° 51, avril. = = S. Sche-
chter : Geniza spécimens (critique de la Bible sous forme de pizmon)> —
G. Buchanan Gray : The Encyclopaedia biblica (vol. I and II) and the
textual tradition of hebrew proper names. — E.-N. Adler : Autos da fé and
Jews. — Abram S. Isaacs : The Talmud in history. — G. Margoliouth : A
Muhammadan Gommentary on Maimonides Mishneh Torah. — I. Abra-
hams : Niese on the two Books of the Maccabees. — David Kaufmann :
I. Die Vertreibung der Marranén aus Venedig im Jahre 1550.11. Die Ver-
brennung der talmudischen Litteratur in der Republik Venedig. — D.-S.
Margoliouth : The legend of the apostasy of Maimonides. — W. Bâcher :
Zur der von Algûhiz citirten Uebersetzung aus Jesaja. — M. Simon : On
Josephus, Wars, V, 5, 7. — E.-N. Adler : Kaiaitica. — E.-N. Adler and
I. Broydé : An ancient bookseller's Catalogue. — — Juillet. = = S.-J.
Salomon : Art and Judaism. — K. Kohler : Abba, father, title of spiritual
302 REVUE DES ETUDES JUIVES
leader and saint. — T. "Tyler : The origin of the tetragrammaton. — S. -A.
Hirsch '. Some literary trilles. — Morris Jastrow : The Hebrew and Ba-
bylonian accounts of création. — A. Harkavy : Fragments of anti-karaite
writings of Saadia in the impérial public library at St.-Petersburg. —
M. Berlin : Psalms IX and X. — A. Bûchler : Der Patriarch R. Jehuda I.
und die griechisch-romischen Stàdle Palâstinas. — W. Bâcher : Zu
Schechters neueslem Geniza Funde. — S. Poznanski : Einige vorlâu-
flge Bemerkungen zu dem Geniza-Fragmente /. Q. R., XIII, 345 fï. (sur
le même texte). = = Vol. XIV, octobre. = = Lionel Abrahams : Me-
na?seh ben Israel's mission to Oliver Cromwell. — J. Skinner : Notes
on a newly acquired Samaritan manuscript. — S. Schechter : Ge-
niza spécimens. Saadyana (I. premières pages du Séfer Hagaîouy ; II.
trois fragments du Séfer Hamoadim, divisé en versets, avec points-
voyelles et accents; III. fragment du même ouvrage, peut-être; IV.
sept morceaux se rattachant à la querelle de Saadia et de Ben Méir).
— Morris Joseph : Religious life in the home. — R. Gottheil : Gleanings
from Spanish and Portuguese archives. — C.-G. Montefiore : The désire
for immortality. — H.-M. Adler : The Jews in southem Italy. — W. Bâ-
cher : Einhebrâisch-persiches Liederbuch. — N. Porges : Zu Schechter's
neuestem Geniza-Funde (voir le numéro précédent ; M. N. Porgès dit,
avec raison, que les attaques contre la Bible contenues dans ce texte
ne sont pas de l'auteur de l'écrit, mais sont des objections aux-
quelles il répondait, montrant ainsi que les savants avaient autre chose
à faire qu'à s'occuper des minuties de la Massora et de la grammaire). —
S -A. Hirsch : Isaiah XLV, 18, 19- — M. Kayserling : Autos da Fé and
Jews. — Critical notices (intéressants comptes rendus, dus à M. C.-G.
Montefiore, de Krauskopf, Rabbïs impressions of the Oberammergau pas-
sion Play y et de Loisy , Études bibliques et La religion d'Israël). —
H. Hirschfeld : Descriptive Catalogue of Hebrew mss. of the Montefiore
library.
Honatsschrift fur Gcschichte und YYisseiiseliaft des Jiidentliums
(Berlin). ±= — 44e année, 1900. = = N° 9, septembre. Dr L. Katzenel-
son : Die rituellen Reinheitsgesetze in der Bibel u. im Talmud (suite,
n° 10). — Samuel Poznanski : Miscellen ùber Saadja (III. Die Berech-
nung des Erlôsungsjahres bei Saadja, fin, nos 11-12). — Léo Bâck : Zut
Charakteristik des Levi ben Abraham ben Chajjim. — J. Kracauer : Ver-
zeichniss der von Pfefferkorn 1510 in Frankfurt a. M. confiscirlen jûd.
Bûcher {suite, n° 10). == N° 10, octobre. = == D. Grûnewald : Einige
Bemerkungen zu Maimuni's Mischna-Commentar des Tractats Erubin. —
J. Elbogen : S. D. Luzzato's Stellung zur Bibelkritik. = = N0S 11-12,
novembre-décembre. = = [Bassfreund] : Die Erwiihnuug Jochanans des
Hohenpriesters im Pseudojonathan zu Deuter., 33, 11, und das an-
geblich hohe Alter dièses Targum. — S. Eppenstein : Die hebr.-ara-
bische Sprachvergleichung des Jehuda ibn Koreîsch. — Moritz Stein-
schneider : Isak Israeli. — C. Werner : Zum Autograph Abraham
Maimuni's. — Albert Wolf : Zwei auf Judentaufen bezùgliche Medaillen.
— Zwei ungedruckte italienische Briefe S.-D. Luzzatto's. — === 45e an-
née, 1901 (Breslau, Koebner). = = Nos 1-2, janvier-février. H. Flesch :
Zur Exégèse der verschiedenen Namen der Stiftshiite. — J. Krengel :
Variae lectiones zur Tosefta. — A. Epstein : Die nach Raschi benann-
ten Gebâude in Worms. — S. Horovitz : Das hebrâisch-persische Wôr-
terbucb des Salomo ben Samuel. — F. H. Wetstein : Ursprung des
BIBLIOGRAPHIE 303
Faliennamens bfcm. = = Nos 3-4, mars-avril. = = Léo Bâck : Har-
nack's Vorlesungen ùbor das Wesen des Christenthums. — J. Krengel :
O^bïp^DN. — M. Steinschneider : Saadia Gaons arabische Schriften. —
Ad. Schmiedl : Raudbemerkungen zu Saadia's Pentateuch-Uebersel-
zung. — M. Steinschneider : Zur Litteratur der Maimoniden. — H. ber-
ger : Der Gommentar des R. Benjamin b. Jehuda zu den Sprùcben. —
F. -H. Wetstein : Noch ein Wort uber die jùngst in Krakau aufgefun-
denen Grabschriften. — Albert Wolf : Ein Amulet der Sammlung
Strauss. — Lewinsky : Ein Aktenstùck zur Geschichte der Juden in
Hildesheim aus dem Anfange des 18. Jahrhunderts. — Immanuel Lôw :
Miscellen (sur les Fragmententargum éd. par Ginsburger). = = N0s 5-6-
7, mai-juillet. = = M. Brann : Die Familie Frankel. — Al. Kisch :
Prager Notizen zur Biographie Zach. Frankels. — J. Eschelbacher : Za-
charias Frankel — M. Gùdemann : Zach. Frankel. Von ihm u.ùber ibn.
— L. Treitel : Zach. Frankels Verdienste um die Septuaginta-Forschung.
L. Dobschûtz : Zach. Frankels Einleitung in die Michnah. — A Schwarz :
Die Ehe im biblischen Altertum. — M. Fried : Das Losen im Tempel
zu Jérusalem. — W. Bâcher : Die Gelehrten von Càsarea. — S. Horo-
vitz : Analecten. — B. Ziemlich : Die Anklage des Jad hachasakah Mai-
muni's. — M. Brann : Verzeichniss der Schriften u. Abhandlungen Za-
charias Frankels.
Zvitschrift fur die alttestamentliche Wissensehaft (Giessen, semes-
triel). — =± 21e année, 1901. = = N° 1 . Bernh. Luther: Die israel.
Stamme. — Georg Béer : Ps., lxxiii, 246 : ^npn Tns ^HNl. — H.-P.
Chajes : Miscellen (1. Ez., xxvn, 4 ; 2. Ps , ex ; 3. Prov., xxv, 11b-
12 b). — A. Bùchler : Das Entbloasen der Schulter und des Armes
als Zeichen der Trauer. — Paul Volz : Die Handauflegung beim
Opfer. — J. Goettsberger : Die syro-armenischen u. die syro-kopti-
schen Bibelcitate aus den Scholien des Barhebràus. — K. Haacke : Zu
Jerem., 2, 17. — P. Placidus Steininger : Ein neues hebr. Wort. —
B. Stade : Die Kesselwagen des salomon. Tempels I Kôn. 7, 27-39. —
Siegmund Fraenkel : Zu Ben Sira. — K. Budde : Die ursprùngliche Be-
deutung der Lade Jahwe's. — A. Mez : Nochmals Ri. 7, 5, 6. —
Cheyne : The image of jealousy in Ezechiel. — D. Meinhold : Miscel-
len (Jes., xl, 10 ; lu, 13 ; lxi, 6 b). — Bibliographie. = = N° 2. = =
W.-R. Arnold : The composition of Nahum 1-2. 3. — E. Baumann : Zwei
Einzelbemerkungen. I. Jes., 18, 4; 2. Jes. 7, 8, 9. — M. L. Margolis : A
passage in Ecclesiasticus (xxxiv, 16, même explication et même con-
clusion dans mon commentaire ad loc). — P. Kahle : Beitrâge zur
Geschichte der hebraischen Punktation (fragments de la Bible avec un
nouveau système de ponctuation ; je possède un morceau du même
exemplaire, morceau que j'ai acheté' à l'Exposition de 1900 ; l'article
est très intéressant. Signalons, à cette occasion, une autre étude du
même auteur, Zur Geschichte der hebr. Accente, Z. D. M. G., LV, sur
des fragments avec ponctuation babylonienne; le fonds du Caire que
que j'ai acquis pour le compte de M. le Baron Edmond de Rothschild en
renferme également.) — W. Bâcher : Zu Ed. Kônigs neuestem Werke
(Stilistik, Rhetorik, Poetik in Bezug auf die bibl. Litteratur). — Eb.
Nestlé : Miscellen (1. Ein moabitisches Karthago ? 2. Gen. xvi, 14; 3.
Sap. Salom. ir, 8-9). — Stade : Kônig Joram von Juda.
Zeitschrift fur hebraeische Bibliographie (Francfort, bimestriel).
304 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
= =:4e année, 1900. — = N° 1. M. Steinschneider : Christliche Hebrais-
ten [suite et fin, n08 2-6 ; 1-4 de Tannée 1901). — S. Poznanski : Mittei-
lungeu aus handschrifLlichen Bibel-Commentaren (V. Fragment eines
[arab.] Commentars zu Leviticus). — H. Brody : Elazar ben Jakob ha-
Babli (ce poète,, qui a vécu en pays musulman, ne serait-il pas l'auteur
de la version du Kalila ve Dimna faite sur l'arabe et publiée par J. De-
renbourg?). ==N°2. H. Brody : Ueber die Makame TÛN ÛfiW. = =
N° 3. = == Simonsen : Abgekùrzte hebrâische Schriftstellernamen. =====
N° 4. = = M. Steinschneider : Arabische Hymnen. = = N° 5. = =
G. Margoliouth : Levi b. Gershon's Introduction to his Commentary on
the book of Proverbs. — J. Horovitz : Ein arabischer Brief an R. Cha-
nanel. = = N° 6. — = W. Bâcher : Zum Schrifttum u. Ritus der Juden
von Buchara. — Poznanski : Miscelle (sur l'auteur de la lettre à
R. Hananel). = = 5^ année, 1901. = = N° 1. P. -T. Weikert : Aus Mon-
tefiascone. — S- Krauss : Eine orientalische Ketbuba. = = N° 2. = =
A. Marx : Eine Sammelhandschrifl im Besitze des Herrn A. Epstein
(contient, outre les sept petites Massechtot, la plupart des anciennes
chroniques juives et des petits midraschim). ===== N° 3. ===== H. Abra-
mowitz : Shaar ha-Shir. — A. Iïarkavy : Zu Chajjudsch' viertem gramm.
Werke. = = N° 4. = = S. Poznanski : Mitteilungen aus handschrift-
lichen Bibel-Commentaren. Tanchum Jeruschalmi's Psalmen-Gommen-
tar. = = N° 5. ===== S. Eppenstein : Verbesserungen u. Ergiinzungen
zu Joseph Kimchi's Miscble-Commenlar. — "W. Bâcher : Ein Ritual-
compendium in persischer Sprache. — M. Steinschneider : Miscellen u.
Notizen : Arabische Quellen ûber Juden; Zur Parabel von den drei Rin-
gen; Der Jude im Tùrkischeu Schattentheater ; Zur Galamiliit der Hirten
u. Aussàlzigen (1320-1).
5. No' es et eatiaits divers.
— = Le Boletin de la Real Academia de la Historia de Madrid continue à
enrichir la science juive d'études diverses et de documents. Notre col-
laborateur M. Kayserling les utilise pour les notes qu'il publie ici sur
l'histoire des Juifs en Espagne. Relevons les articles suivants : No-
vembre 1899, Fidel Fita : Repoblacion de Fuencarral a mediados del
siglo XV. Datos ineditos ; janvier 1900, Gabriel Llabrés : Los Judios mal-
lorquines. Goleccion diplomatico desde el ano 1247 al 1387; Fidel Fita
et G. Llabrés : Privilegios de los hebreos mallorquines en el codice Pueya
[suite et fin, février-juin, cf. Morel-Fatio, Revue, t. IX); Fidel Fita:
Fragmentos de un Ritual hispano-hebreo del siglo XV. ; mars, Fidel
Fita : Los judios mallorquines y el concilio de Viena ; avril, Fidel Fita :
Aguilar de Campoo. Documentos y monumentos hebreos; décembre,
Juan de Dios de la Rada y Delgado : La sinagoga mayor de Toledo ;
avril 1901 : Rafaël Ramirez de Arellano : Matanza de judios en Cor-
doba, 1391.
= = Revue des Ecoles de V Alliance Israélite. Publication trimestrielle. Pa-
ris, Durlacher. Cette Revue a pour but de permettre aux instituteurs de
l'Alliance israélite d'échanger leurs vues sur l'œuvre à laquelle ils col-
laborent et les innovations à y apporter. Mais, en même temps, elle se
propose de réunir des monographies âur les communautés juives
d'Afrique et d'Orient, légendes locales, monuments, pierres tombales,
BIBLIOGRAPHIE 305
guenizot, etc. Dans les trois premiers numéros, avril-juin, juillet-sep-
tembre et octobre-de'cembre 1901, ce programme a déjà été mis à exécu-
tion avec un grand succès. Il faut signaler particulièrement les articles
de M. Moïse Nahon : Roumis et Forasteros (au Maroc), le mauvais œil;
de M. Cohen, La reine bulgare Théodora ; de M- F. Abib, Notes sur les
Israélites de Téhéran; de M. Confino, La communauté juive d'ispahan ;
diverses notes sur des Pourim locaux : Le Pourim de Saragosse, célèbre'
le 17-18 Schebat en Sicile, à Jérusalem, Aïdin, Smyrne, Mélasso et Sa-
lonique, de Los Christianos (1er eloul, au Maroc) d'Alger ; une enquête
sur le mauvais œil, qui a provoqué déjà diverses réponses; plusieurs
études de M. Franco sur la communauté israélite de Safed (intéres-
santes, mais dénotant une connaissance insuffisante de l'histoire).
On remarquera la part faite avec raison au folklore. Un des meilleurs
morceaux jusqu'ici parus est assurément la leçon de notre collaborateur,
M. Julien Weill : « A propos de l'enseignement de l'histoire juive ». Ce
sont d'excellents conseils en même temps qu'une vue d'ensemble sur
cette histoire et la manière de l'enseigner.
: = Antologia ebraica. Depuis Tisri 5662 (septembre 1901) paraît sous ce
titre, à Livourne, par les soins de 1' « École supérieure rabbinique » de
cette ville, une revue mensuelle consacrée aux études juives. Si cette
publication pouvait ressusciter en Italie le mouvement qui a produit
S.-D. Luzzatto et ses élèves !
: — Ost und West. Illustrierte Monatsschrift fur modernes Judenthum.
Premier numéro : janvier 1901 (libr. Calvary, Berlin). Revue littéraire,
artistique et même scientifique.
: = The Jeioish Encyclopedia. The launching of a great work. Publisher's
Announcement on the completion of the first volume (New-York et
Londres, Funk et Wagnalls, 1901). Ce prospectus, admirablement im-
primé et contenant des centaines de photographies des collaborateurs
de cette « grande œuvre », doit être enregistré comme le signe d'une ré-
volution dans les mœurs de la librairie — au moins de la librairie juive
et scientifique. Le lecteur y gagne de pouvoir contempler une foule de sa-
vants connus et inconnus, et même l'écriture et des spécimens de cor-
rections d'épreuves de quelques-uns de ces savants. Si ce luxe de pu-
blicité doit assurer le succès de l'entreprise, nous nous inclinerons devant
ce savoir-faire de nos confrères transatlantiques, tout en regrettant que le
public ait besoin, pour être alléché, de tels moyens de séduction !
- ■= A historié jewish banquet in the City of New- York (impr. Pli. Cowen).
Dans ce banquet « historique » on but au succès de la Jewish Encyclo-
pedia, et M. Isidore Singer exposa le plan d'une Université juive-amé-
ricaine. Ce projet fut , paraît-il, accueilli avec enthousiasme. Nous
faisons des vœux sincères pour la réussite de cette idée, sans y croire
beaucoup.
Israël LÉvr.
T. XLIII, N° 86. 20
806 REVUE DES ETUDES JUIVES
Kônig (Eduard). Hebraisch und Semitisch, Prolegomena und Grundlinien
einer Geschichte der Semitischen Sprachen, nebst einem Excurs ùber die vorjosua-
nische Sprache Israels und die Peutateuchquelle PC. Berlin, Reuther et Reichard,
1901;in-8° de vin + 128 p.
Nous avons rendu compte ici même des deux dernières parties de
la Grammaire hébraïque de M. Kônig, à laquelle est venu s'ajouter
le volume intitulé Stilistik, Rhetorik, Poetik (Leipzig, 1900). Pour
compléter son œuvre, la plus considérable que la philologie hé-
braïque ait produite depuis longtemps, M. Kônig projette une gram-
maire comparée et historique des langues sémitiques. Gomme travail
préparatoire, M. Kônig vient de publier une brochure assez étendue,
où il étudie quelques points saillants de l'histoire des langues sé-
mitiques.
Au début, M. Kônig examine l'origine du langage, dans lequel il
voit, non pas une révélation, mais a la résultante inconsciente des
facultés corporelles et intellectuelles spécifiques de l'homme ». Les élé-
ments primordiaux du langage sont : l'imitation des sons perçus par
Thomme, la reproduction volontaire des cris arrachés à l'homme par
ses diverses sensations ou sentiments, la différenciation des consonnes
d'après l'intensité de l'effort accompli dans un acte, l'emploi instinctif
de certains sons comme particules démonstratives (articles, pronoms,
etc.), l'application des premiers sons qu'émet la bouche de l'enfant
aux êtres qui l'entourent (papa, maman).
La comparaison des langues d'un même groupe permet-elle de
conclure à l'existence d'une langue commune primitive d'où sont
sorties les langues de ce groupe? Oui, dit M. Kônig, car cette hypo-
thèse explique plus naturellement la similitude des mots les plus
usuels et des formes grammaticales, que l'hypothèse d'emprunts ré-
ciproques. Pour retrouver cette langue-mère nous devons étudier
comment se sont formées les langues dont l'histoire nous est entiè-
rement connue, telles que les langues romanes, issues du latin. On
y remarque, en général, la substitution des voyelles longues aux
diphtongues, la suppression des voyelles brèves, l'addition de sons
accessoires, tels que le mouillage, l'adoucissement des consonnes,
le raccourcissement des mots, la négligence dans l'emploi des flexion >
et leur remplacement par des mots auxiliaires, etc., le tout servant
à faciliter la prononciation et à augmenter la clarté. Des change-
ments analogues se remarquent dans les dialectes sémitiques mo-
dernes.
S'appuyant sur ces faits pour la comparaison des langues sémi-
tiques anciennes, M. Kônig montre que la phonétique et la vocali-
sation de l'arabe littéral ne sont pas artificielles, comme on l'a pré-
tendu. Il examine ensuite les caractères particuliers de l'arabe,
BIBLIOGRAPHIE 307
de l'éthiopien, de l'assyrien, de l'hébreu l et de l'araméen 2 ; et, de
cette étude, M. Kônig conclut que l'arabe est la langue sémitique
qui a le mieux conservé les formes primitives. Il rappelle les di-
verses phases par lesquelles l'idée de l'antiquité de l'arabe a passé
chez les grammairiens modernes. Si l'arabe n'est pas la langue sémi-
tique originale, car il présente lui aussi des formes secondaires, il
s'en rapproche le plus.
M. Kôuig passe ensuite à la division des langues sémitiques. Il re-
pousse les arguments sur lesquels M. Hommel s'était appuyé pour
répartir les langues sémitiques en deux groupes : l'assyrien d'une
part, l'arabe, l'araméen et le cananéen de l'autre. Il réfute ensuite
louguement — trop longuement à notre avis — l'idée de M. Hommel,
que les Juifs, au temps de Josué, parlaient arabe, et qu'il en reste
des traces dans le code sacerdotal. Après cette digression, M. Kônig
montre que M. Hommel a eu tort de vouloir opposer, en second
lieu, l'araméen et l'arabe au cananéen (c'est-à-dire à l'hébreu), car
l'hébreu et l'arabe ont des caractères communs et, de même, l'ara-
méen et l'hébreu.
On a voulu soutenir que, en ce qui concerne les sibilantes, l'ara-
méen avait un caractère plus primitif que l'arabe. M. Kônig établit
que la thèse inverse est plus vraisemblable. Pour ce qui touche les
particularités de la morphologie de l'arabe, Michaelis, de Lagarde,
Hoffmann ont eu tort d'y voir des inventions des grammairiens, et
on se tromperait en tenant la richesse de l'arabe comme plus mo-
derne que la pauvreté de l'araméen ou même de l'hébreu. Le rang
de succession que Ewald a assigné aux langues sémitiques est mal
fondé.
Dans un dernier chapitre, M. Kônig conclut que les langues sémi-
tiques représentent des développements différents d'un même idiome.
Les Sémites ont formé deux courants, l'un a suivi le Tigre et l'Eu-
phrate, ce sont les Assyro-Babyloniens ; l'autre s'est établi plus à
l'ouest, ce sont les Arabes et les Araméens. Entre ceux-ci sont venus
se placer les Hébreux, qui s'étaient détachés des Assyro-Babylo-
niens. Au point de contact entre l'hébreu et le cananéen s'est formé
le dialecte de Sindjirli, et entre l'arabe et le babylonien se trouvent
le minéen, le hadramotite et l'éthiopien.
Nous ne saurions souscrire entièrement à cette division des
langues sémitiques, qui est fondée beaucoup plus sur la phonétique
que sur la morphologie. Les sons se modifient beaucoup plus facile-
ment que les formes grammaticales ; c'est donc d'après celles-ci qu'il
1 A cette occasion M. Kônig maintient, contre M. Barth, que les désinences poé-
tiques i et ô sont bien les terminaisons des cas. Il aurait pu réfuter le principal argu-
ment de M. Barth, à savoir que i et 6 sont accentués, tandis que a ne l'est pas, en
faisant remarquer que l'analogie des suffixes pronominaux ? et o" a pu exercer ici son
influence.
* M. Kônig émet ici une opinion de la justesse de laquelle nous sommes depuis
longtemps convaincu, à savoir que la terminaison de l'état emphatique n'est pas
autre chose que Va de l'accusatif.
308 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
faut, avant tout, apprécier la parenté des langues sémitiques. Aussi
croyons-nous que l'assyrien et l'éthiopien forment un groupe spé-
cial, car ces deux langues ont de nombreux traits communs, dont les
deux principaux sont : l'absence de passif interne et l'existence du
futur avec voyelle a de la première radicale : ipaqid, yefaqii. Ce
groupe, qu'on peut appeler oriental-méridional, s'oppose au groupe
occidental-septentrional, qui comprend l'arabe, l'hébreu et l'araméen.
Les autres critiques que nous avons à faire ne portent que sur des
points de détail.
Page 2. — Ce n'est pas aux savants juifs que revient l'honneur
d'avoir défini l'homme : un animal parlant. Cette définition remonte
à Aristote, qui avait dit : un animal raisonnable. Par suite du
double sens de *o>ç et de ses dérivés, l'animal raisonnable est de-
venu, chez les traducteurs syriens, arabes et juifs, l'animal parlant.
Page 6. — M. Kônig croit, avec d'autres, que la voyelle u indique
la dépression de l'âme, et que, pour ce motif, elle sert au passif. Ce
symbolisme, en lui-même peu vraisemblable, est, dans l'espèce,
tout à fait inexact, car la voyelle u exprime Y activité dans le verbe à
l'imparfait, et c'est sans doute pour cette raison même qu'elle est
devenue la caractéristique du passif. Le passif n'est, en effet, qu'un
actif dans lequel le complément direct est devenu le sujet gramma-
tical. Il est à noter que la voyelle u dans les désinences, préfixes et
suffixes pronominaux exprime l'indépendance, par opposition à Vi
et à Va. L'w marque, en effet, la première personne au passé (qalal-
tu) \ le nominatif dans les noms, l'indicatif dans l'imparfait, et, dans
les préfixes verbaux, il est employé pour le causatif : yuqattil ,
yu{a)qtil II serait étonnant, enfin, que la voyelle haute (en arabe ra/1)
indiquât l'abaissement de l'âme !
Page 7. — M. Kôoig trouve incontestable que les dentales et autres
particules démonstratives marquent l'excitation, et c'est pourquoi
elles sont employées pour le causatif. C'est encore du symbolisme. Il
nous semble beaucoup plus naturel de penser qu'une particule dé-
monstrative précédant un verbe donne l'idée d'une action accomplie
par un autre : celui-là tuer signifie : (faire que) un autre (que soi-
même) tue, c'est-à-dire faire tuer.
Page 56.— D'après M. Kônig, le suffixe tumd dans antumâ, qataltumâ
contiendrait la terminaison du pluriel devant la marque du duel.
Tout d'abord, il aurait mieux valu parler de huma , car, selon toute
vraisemblance, tumâ est composé de ta + huma, comme tum de ta -f*
hum et tunna de ta -j- Jiunna. Quant à huma, malgié l'apparence, il
ne réunit pas le pluriel avec le duel; car, en réalité, hum est une
abréviation de humû= hum -f- û, de même que humna vient de hum
-f- na; or, la vraie marque du masculin pluriel est û dans humil, de
1 II nous paraît infiniment probable que Vi dans "Ctf, V33N, TlPÛp, "^ est une
altération de Vu, Cet i n'a rien à voir avec Vi du suffixe de la première personne
des nom? qui vient de tua, ni avec le suffixe ni.
BIBLIOGRAPHIE 309
même que na dans humna indique le féminin pluriel, cf. qatal-ûf
qataln-a. Mais hum tout seul égale huw dans huwa = huw + a l; cf.
qaial-a. Donc, dans huma on a simplement le pronom personnel de la
3e personne avec le suffixe a du duel.
Page 58. — Les grammairiens européens nous paraissent s'être
trompés, à la suite des grammairiens arabes, sur l'élymologi« de
l'arabe awwal « premier ». Ce mot est, selon nous, pour 'aw'al, de la
racine bfcO, qui existe en hébreu dans le verbe b-wn « commencer »,
et c'est un superlatif, comme le grec prôlos, le latin primus, Falle-
mandent. Le diptotisme de 'awwal en est la preuve, de même que
la forme du féminin 'ûlay pour wiïlay, comme kubray de "akbar.
Awwal s'est formé de "aioal, comme en hébreu "iN^s de "ifcnat
7 T - T :
Il ne peut venir de la racine biN, qui, en arabe, signifie « aboutir »
et non pas « commencer »..
Page 62. — Nous ne comprenons pas pourquoi M. Kônig veut que
Va dans na soit plus primitif que Yi dans binl, alors que l'hébreu a
lui aussi la voyelle i dans "•na. Il est vrai, que, en hébreu Va se
change souvent en i dans une syllabe fermée non accentuée, mais in-
versement un i primitif est souvent remplacé par a dans une syllabe
fermée accentuée. Dans des cas semblables la prononciation arabe
nous paraît avoir une valeur décisive ; car les voyelles arabes ont
beaucoup moins varié que les voyelles hébraïques.
Page 64. — Il est possible que la forme yaqatil, qu'on trouve eu
assyrien et en éthiopien, soit protosémitique, mais ce n'est pas une
raison pour que yaqtul en dérive par contraction. L'arabe ne nous
présente pas de contractions de ce genre. Qatal, qaiil, qatul ne sont
pas nécessairement plus auciens que qtal, qtil, qtul,<\\ii se trouvent
dans l'imparfait et l'impératif de toutes les langues sémitiques.
Ibid. — La terminaison a de iibcjptf ne vient pas forcément de an,
car, en hébreu, il a pu y avoir confusion entre le subjonctif et l'éner-
gique.
Ibid. — D'où M. Kônig sait-il que, dans l'arabe classique, l'impéra-
tif uqtul a le ton sur la première syllabe?
Les quelques observations que nous venons de formuler visent
beaucoup moins les théories de M. Kônig que les concessions qu'il a
cru devoir faire aux théories adverses. C'est dire que nous sommes
très heureux de voir ce savant grammairien repousser les systèmes
à la mode et refuser de remettre en doute les faits acquis pour le
plaisir de dire du nouveau. Nons attendons avec impatience la gram-
maire comparée que M. Kônig projette de faire, et dans laquelle on
retrouvera l'érudition profonde, la science raisonnée et raisonnable
qui distiDguent ses écrits.
Maykr Lambert.
1 Ceci explique l'emploi du 73, en phénicien et peut-être en hébreu, dans 173b,
comme suffixe de la troisième personpe du singulier,
310 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Ratner(B.). Ù-ibUiTTH ï"P!Jt nSÏTN *)E>0- Variantes et additious pour le texte du
Talmud de Jérusalem d'après d'aucienues sources. Traité de Berachot. Wilua,
Romm frères, 1901 ; in-8° de vi + 218 p.
De tous les écrits de la tradition juive le texte du Talmud pales-
tinien (jérusalémite) est celui quia souffert le plus du temps. Dans
sa forme la plus complète, telle que nous l'avons dans l'édition prin-
ceps (Venise, Bomberg, vers 1522), les deux derniers « Ordres » ne
sont représentés que par le traité de Nidda, interrompu au milieu : les
quatre derniers chapitres du traité de Sabbat et le dernier chapitre
du traité de Makkot manquent. Les quatre manuscrits cités dans la
note finale de cette édition, ainsi qu'à la fin du traité de Sabbat, et qui
ont été utilisés pour cette première édition, peuvent être considérés
comme perdus. Tout au plus le manuscrit de Leyde (de l'an 1289), le
seul qui soit connu jusqu'ici, pourrait-il être pris pour l'un de
ces quatre manuscrits. Aucun autre manuscrit du Talmud palesti-
nien ou même de traités isolés de ce Talmud n'a encore été retrouvé.
Seuls quelques fragments ont paru au jour dans ces derniers temps.
Le texte de l'édition princeps est tout à fait défectueux, sans doute à
cause de l'état des manuscrits qui ont servi à l'établir, et les impres-
sions suivantes faites sur l'édition de Venise (Gracovie, 1609 ; Kro-
toschin, 1866) ont encore augmenté le nombre des fautes. Bn raison
de cela, quelques éditions partielles ont de l'importance pour le texte
du Yerouschalmi, pour avoir été faites d'après d'autres manuscrits
que l'édition princeps, comme, par exemple, l'édition de quelques
traités avec le Commentaire de Josué Benvenisti (3>tz)nrp rtlii), Cons-
tantinople, 1662) et les éditions d'Amsterdam (1710) et de Mayence
(1878).. Une source particulièrement utile pour la critique du texte du
Talmud de Palestine, ce sont les citations de ce Talmud dans les au-
teurs anciens. Zacharias Frankel, mon défunt maître, dout nous allons
célébrer le centenaire et dont les travaux sur le Yerouschalmi consti-
tuent un des principaux mérites, a déjà mis à profit, dans la mesure
la plus large, ces citations du Yerouschalmi, dans son Commentaire
sur les premiers traités {Berachot, Pea, 1874). Il y a quelques années
M. Chwolson (dans un journal hébreu) engageait les talmudistes de
Russie à étudier à fond les sources anciennes, halachiques et autres,
afin d'y recueillir les matériaux pour la correction et l'amélioration du
texte du Talmud de Palestine. Il est inutile de rappeler que, pour un
travail de ce genre, il faut non seulement être familiarisé avec la
littérature talmudique et midraschique, mais posséder un véritable
esprit scientifique. Il suffit de rappeler le nom de M. Rabbinowiçz,
l'inoubliable auteur, enlevé trop prématurément à sa grande tâche,
qui a accompli ce travail pour le Talmud de Babylone de la manière
la plus remarquable. La tâche recommandée par Chwolson vient
BIBLIOGRAPHIE 311
d'être remplie par un savant de Wilna, dont L'érudition et l'esprit
scientifique s'étaient déjà affirmés dans un ouvrage important, l'édi-
tion critique du Sérier Olam, précédée d'une introduction bien me-
née. Dans le présent volume, M. B. Ratuer donne le commencement
du travail inspiré par Chwolson : Yapparatus critique du texte du
traité de Berachot du Talmud palestinien, formé à l'aide d'ouvrages
anciens de la littérature halachique et agadique. — A la fin de la
préface (p. vi), M. Ratner expose brièvement les raisons pour les-
quelles il ne réimprime pas lui-même le texte, en y ajoutant, sous
forme de notes, les variantes qu'il a trouvées. Un semblable système
serait sans doute le plus commode, et l'auteur aurait pu se dispenser
de réimprimer plusieurs fois maintes variantes qui se trouvent chez
divers auteurs, comme il a dû le faire. D'autre part, le système choisi
par lui a l'avantage de fournir dans son ensemble tout le passage tel
qu'il figure dans la source en question et de fournir la leçon divergente
dans la citation, sans imposer l'obligation de consulter la source.
M. Ratner ajoute au texte de l'édition princeps du Talmud jérusa-
lémite, qu'il accompagne ligne par ligne de ses remarques, les va-
riantes des éditions partielles mentionnées ci-dessus et surtout les
citations des anciennes autorités, après avoir fait ressortir les leçons
divergentes offertes par ces citations. Parfois il cite aussi le passage
parallèle de la Tosefta et du Talmud babylonien, et surtout il se
livre, au sujet des variantes les plus importantes, à une dissertation
approfondie. Cependant il ne perd jamais de vue le véritable but de
sou travail et il s'efforce de réunir complètement les éléments de
critique textuelle sur le passage en question, en tant que ce texte est
établi par les sources auxquelles on a eu recours. Il cherche à faci-
liter l'interprétation du texte — quoique rarement — par des notices
explicatives personnelles et surtout par les citations des explications
d'auteurs plus anciens sur les passages du Yerouschalmi. De la pré-
face de l'auteur (p. v), nous extrayons les phrases suivantes, qui ré-
sument les résultats de son travail : « Dans les écrits des anciens,
on cite beaucoup de phrases du Yerouschalmi qui manquent com-
plètement dans nos éditions. J'ai indiqué les passages auxquels
appartiennent ces phrases. Le manuscrit le plus complet du Yerou-
schalmi fut celui qui a servi à R. Eliézer b. Joël Halévi (rp:iîn!"i)>
car il cite beaucoup de phrases de ce texte qui étaient inconnues de
ses contemporains. Il faut aussi tenir compte du fait que les leçons
du Yerouschalmi varient chez les auteurs des divers pays, suivant la
variété des manuscrits qui y étaient répandus. — Il faut noter encore
que R. Ascher b. Yehiel, dans son commentaire sur Berachot, cite
le Yerouschalmi avec des leçons remarquables qui ont été écartées
dans les nouvelles éditions de ce Talmud au profit de la forme
usuelle du texte. Ces leçons d'Ascheri concordent avec le texte de
l'édition de Gonstantinople. Les citations du Yerouschalmi des an-
ciennes autorités concordent souvent avec l'édition d'Amsterdam ou
avec celles de Venise et de Mayence. » A ces remarqu contenues
312 REVUE DES ETUDES JUIVES
dans la préface, ajoutons-ea encore quelques-unes qui se trouvent
dans l'ouvrage même et qui sont intéressantes pour l'histoire du
Talmud de Palestine. L'auteur de l'annï ms (R. Isaac de Vienn- )
avait sous les yeux des textes différents du Yerouschalmi (p. 172 sur
11c, 3) ; Joseph Karo, dans le t\W ma, a utilisé plus d'un manuscrit
du Yerouschalmi (p. 117, sur 8c, 53) ; on voit parla remarque de Jo-
sué Benvenisti sur j. Berachot,! a 2, que les variantes qu'on trouve
chez Salomon Syrileio ne proviennent pas d'un manuscrit, mais de
modifications arbitraires de ce commentateur (p. 90); Salomon Adeni,
dans son commentaire sur la Mischna nnbffl ro^bw, composé à Jé-
rusalem en 1617, utilise l'édition princeps. Toutefois il a eu aussi
sous les yeux le Commentaire de Salomon Syrileio, ainsi que des
manuscrits du Yerouschalmi (p 34); les citations du Yrerouschalmi
dans les Tossafot sur Berachot portant le nom d'Ascheri (niDOin
lûfinn) prouvent que ces Tossafot n'ont pas Ascheri pour auteur (p. 95,
173). — Ces remarques, intéressantes au point de vue de l'histoire
littéraire, le sont moins pour l'objet principal de l'ouvrage ; il en est
de même des démonstrations établissant que les anciennes autorités
halachiques avaient recours souvent au Talmud de Palestine pour la
fixation de la Ilalacha (voir la remarque sur %d 27, se rapportant a
Maïmonide, Hilch. Keriat Schéma, i, 9).
Les cas où M. R. prouve, sur la foi d'anciennes citations, que daus
notre texte des passages entiers ont été omis, sont particulièrement
remarquables : P. 21 , sur 3 c 4 ; p. 22, sur 3c 6 ; p. 23, sur 3c 26 ; p. 76,
sur 6043; p. 86, sur 6 d 35; p. 121, sur 8 d 87 ; p. 176, sur H c 51 ; p. 209.
sur 14#62; p. 2I3, sur 14a 73. —Dans d'autres cas, les citations
nous indiquent une forme différente du texte ordinaire. Par exemple,
p. 43, sur 4c 8 ; p. 45, sur 4c 27; p. 59, sur 5# 44; p. 60, sur 5 0 65; p. 78.
sur 6 £56 ; p. 81, sur 6 1) 71 ; p. 109, sur 8 a 39; p. 120, sur %d 51 ; p. 173,
sur 4c 5; p. 174, sur 11 c 17. Quelquefois les variantes offrent, au lieu
d'une expression incompréhensible ou peu claire, l'expression exacte
et originale. Ainsi, par exemple, sur 3c 74 : *p720 (ou ^pno), au lieu
de nno (p. 27) ; sur 4 b 64 : T?ûn?2, au lieu de'WE (p. 41). Des variantes
dignes de remarque sont : sur Zd 35, fTTib , au lieu de ïbblS (p. 32):
sur 5a 46, ÉttWK, au lieu de K233pn« (p. 54); sur 1b 45, rrnpw ^N
(1. rv»*ip"»K), au lieu de f<in *pa* (p. 94); sur 9 a 54, naOtt, au lieu de
TOnE (p. 129, d'après R. Yona sur Berachot, 26 à, qui explique le
mot par l'araméen n^O ; le verbe serait donc quelque chose comme
l'équivalent de T|J3p3). — Dans la variante nous trouvons quelquefois
la véritable forme du mot comme, par exemple, sur 1d 55, ÏT^EIB»
(infinitif peal avec le suffixe), au lieu de écjbïïW (p. 10). Sur ""in»
(inf. peal), 3 c 51, une variante porte ^rroE, une autre Nrwïï, c'est-à-
dire l'infinitif peal, qui ici n'est pas a sa place (p. 25, une troisième va-
riante f**"»îrifc ^12 est à corriger en aoin^», et celle-ci en s^^rrai»,
ce qui est une autre forme de l'inf. peal, voir Dalman, Grammalik
des jild. palàst. Aramaïsch, p. 289).
Les variantes donnent souvent le véritable auteur d'une sentence
bIBLlOGRAPHIE 313
dont le nom a été altéré dans le texte ordinaire du Yerouschalmi.
Ainsi, par exemple, p. 26, sur 3 c 58, rrpîn "1, au lieu de rrpxn (car il
ne peut être question ici que de R. Ilizkia, l'Amora de Césarée
du ive siècle, et non de Ilizkia, le fils de Iliyya). — P. 29, sur 7rf27,
MTOH '3 nj-in 'n, au lieu de £^r:n '3 mzn 'n. — P. 38, sur kb 9, D©3
31, au lieu de n:ih an Dca. — P. 477, sur 11 c 64, risr 'n ,
au lieu de prm '-). — P. 121, sur 8<*75, 1*3« "1 d©a wmri 'n, au
lieu de 1338 'n ÛTD3 1H3K 'n —P. 179, sur 11 «M, ]:nr 'iD«a NriN 'n,
au lieu de t^n^ 'n (d'après cela l'explication de Deuiéronome ,
xxxiii, 23, donnée dans mon Agada der palâst. Amoràer, III, p. 137,
n'est pas d'Aha, mais de Yohanan). — P. 182, sur 12 a 6, 311 b*«n 'n
m cm rmm, au lieu de rmrP 311 f-on. — P. 194, sur 12^31
(ch. ix au commencement), devant 3^1072 DIN !T»n as il faut mettre
W Y».
Dans la chaîne de la tradition, 4 a 68, les variantes réunies par Rat-
ner (p. 17) offrent la véritable leçon : TH *3"i (au lieu de "niN '"!).
Toutefois il omet de confirmer le fait. Voir à ce sujet Buber, sur son
Tanhouma, *]b ^b, 1, note 3; Ag. der pal. Amoraer, III, 704, 3. De
même, M. Ratner néglige de donner l'indication exacte des auteuis
dans les passages suivants : 6 d 8, où TOQV dans les éditions est plus
exact que llbttV (p. 84); 1 b 24, ^33 na rmrr "i, et non rmrP 'n
c^dn nD (p. 93) ; 9 d 8 (p. 13i), ^n '1 est à rejeter d'après le passage
parallèle j. Gittin, klb 83, et aussi à cause de ïanhoum b. Hiyya, qui
ailleurs aussi rapporte des sentences de Simlaï {voix Agada d. pal.
Amoraer, I, 554, 3) ; \\ a 70 (p. 163) )Pj 'm pnar 'n est seul exact,
comme ou le voit par les passages parallèles (ci. Agada der Tannailen,,
11,399,6).
Comme on le voit par les derniers exemples, M. Ratner ne tient
pas un compte suffisant du secours qu'offre le Talmud palestinien
lui-même, c'est-à-dire des passages parallèles. En tout cas, il eût
réuni des matériaux suffisants pour la critique du texte de beaucoup
de passages du traité de Berackot, s'il avait cité les passages paral-
lèles d'autres traités. Cette omission est particulièrement sensible,
par exemple, p. 40 (sur 4#38j, où il fallait citer Schekalim, 47#, et
Moed Katoa, 83 c, et non simplement le Midrasch Samuel, chap. xix.
Sur Ha 16 (p. 106), cf. Taanit, 65c; de même, sur les passages sui-
vants. — Sur \\b 4i (p. 214), il fallait renvoyer nou seulement à
Exode r., ch. xn, et Lév . r. ch. xxiv, mais aussi à j. Sanhédrin, 18 a
(voir encore d'autres passages parallèles dans Ag. d. pal. Am., li,
82, 1). — Sur 4a 5, M. Ratner renvoie à Yalkout sur Gen.,xxxn, 9,
et prétend que le Yerouschalmi ne contient qu'un extrait de la ver-
sion plus complète coutenue dans le Yalkout. En réalité, cette version
est empruntée à Gen. r , ch. lxxviii (§ 3;, et le Yalkout a simplement
omis de mentionner la source. D'ailleurs, il est possible qu'a l'ori-
gine la version complète se trouvait aussi dans le Yerouschalmi.
Sur 9#30, M. Ratner (p. 122) cite la remarque importante d'Azou-
la'i (qov> rm, sur Yorè Dèa , 276) que les mots 'n dwn bN "pas
314 REVUE DES ETUDES JUIVES
sont une glose marginale ayant passé par erreur dans le texte.
M. Ratner veut lui-même retrouver une pareille glose (p. 124) dans les
mots '•S'Çiïl -oy 'n lias, 9 b 19, parce que dans les Midraschim on ne
trouve rien de semblable sur Yosé le Galiléen. Cependant c'est là
un argument insuffisant, cf. encore Ag. der Tannaiten, I, 361. Par
contre, on peut considérer les mots se trouvant dans VEschkol après
rmrp am t^t-i^T yy\ (12 d 41), savoir rrn ï-mrttbn (p. 195), comme
une glose explicative se rapportant à rrnïT m. De même, dans la
même source, p. 72 (sur 6 a 72),1Nttù -ittiba est une glose sur
l'aram. ïtonoi. Souvent la leçon du texte édité doit être préférée à
la leçon ressortant des anciennes citations, surtout là où celle-ci est
facile à reconnaître comme une corruption de la leçon exacte. 11 eût
été bon que M. Ratzer signalât comme telles les variantes de ce
i^enre. Ainsi, p. 15 (sur 3 a 56) : s^rns, au lieu de t^îTlS ; p. 22 (sur
a c 6), "pnN "in rmrn n, au 1. de "pas -,a ">or 'n ; il?., "nb fa irnrp 'n,
eu 1. de "nb }a yttlim '*i; p. 40 (sur 4£ 21), *)T3>bN fa 'ia'-i, au 1. de
NaN la 'ta'n; p. 52 (sur kd 50), Tn», au 1. de "pn* ; p. 103 (sur
le 66), \nl ba, au 1. de "JN73 ba. — M. Ratner explique fort bien les
variantes de l'édition d'Amsterdam (1710) sur 11 b 25, "iT^bN '"D, au
1. de û"m73N a^na^i rtfta; il explique cette variante comme une
fausse interprétation de l'abréviation ^Dn~n7ûK D"na*i rtaa) N""13 ,
qu'on a lue par erreur t**î"~ia (p. 166).
Relevons tout pariiculièrement une remarque très heureuse de
M. Ratner sur 7 d il (p. 105). Elle concerne le passage de j. Pesahim,
i\d 13 : p"i ma aN û"H7:b ma«» mbsfi nttN *nb *ja JïBiïT "t. Les
trois derniers mots Cp*r ma atf) résistent à toute interprétation.
M. Ratner les explique d'une façon très simple grâce à l'hypothèse
suivante. Dans le traité de Pesahim il y avait ici primitivement toute
la longue série de sentences qu'on trouve dans le traité de Bera-
chot, de la 71 à 1 d 27. Tout ce passage, qui commence par les mots
ariàb maa» mbsn nttN "nb la yia-im 'n et qui termine par les
mots 'pi n>,3 2N> fut omis dans Pesahim et on n'y conserva que les
mots du commencement et de la fin. Sans doute il y avait devant at*
p*7 ma la formule abréviative 'nai qu'on a omise. M. Ratner apporte
ainsi des preuves positives du fait que les anciennes autorités ont
aussi lu le passage en question dans le traité de Pesahim. Par l'Intro-
duction au Talmud jérusalémite de Frankel pttbiDTTH 1^1373), qu'il
ne paraît pas connaître, M. R. aurait pu apprendre que les anciens
copistes se sont permis d'omettre dans le texte du Yerousctaalmi des
passages parallèles (p. 142 b, u^tonb ananan :nD72 ï-nn rma ïianai
mnN na07:a ^aa t**ap îtto nwr 'OToa). Voici encore quelques re-
marques :
P. 1 (sur 2 a 41), au 1. de *pb ,mt\ M. Ratner met 'pttb "plin, sans
indiquer d'où il a tiré cette leçon. Il donne seulement une explication
du terme û^ins». En réalité, "pttb ■hxi est la leçon véritable. C'est
un verbe impersonnel avec le seus : il y a en eux de l'inquiétude
(voir Levy, IV, 170 #). p!ib ^iir se trouve sous la forme hébraïque
BIBLIOGRAPHIE 3j5
dans ùnb ITnï, M. Rosch Haschana. t, fia (22 a). A l'exemple d'Eiia
Wilna, Frankel corrige "»n£"i en "nan, ce qui est naturellement inu-
tile. — P. 25, I. 8, au lieu de "pin, lire'p'ntt. — P. 61 (sur 5 c 21). La
leçon ^^sntt (au lieu de naniDtt) se trouve aussi dans Koh. r., sur
vi, 2. — P. 69 (sur 6 a 25). L'hypothèse sur nmnà (qu'il faudrait
lire nains et considérer comme une épithète de l'Amora précédem-
ment nommé) a déjà été faite par Mendelsohn, voir Revue, XXXIX,
306; cf. iè., XL, 127). — P. 69 (sur 6 29-24). Ce n'est pas b^np
"■bias, mais "nb^3N b"np qui est la leçon exacte. Voir Ag. d. pal. Amo-
ràer, III, 13, 2. — P. 69, 1. 9, du bas, au lieu de "J^bs , lire
nubo. — P. 70 (sur 6a, 43 et 45). M. Ratner considère la variante
fra '1, au lieu de fnD 'n, d'une citation, comme la leçon exacte et il
ajoute : NnN nn &otî "- n "ntiN InD n^n ]na 'n. En réalité, le frère de
Hiyya b. Abba s'appelait "pD '") ; voir j. Sabb., 5 b 35 ; le passage pa-
rallèle à ce passage du Yerouschalmi, Gen. r., ch. vi (mais non Koh.
rabb., sur ni, 2) intercale, il est vrai, entre '") et "j^d le nom de fris,
mais cette addition manque dans les mss. de Gen. rabba (voir Ag. d.
pal. Am. ,111, 178,6). Du reste, \TO "i, nommé daus j. Pesak., 6 a, n'est
pas le plus ancien Amora de ce nom, le frère de Hiyya b. Abba, mais
un Amora plus récent (v. Ag. d. pal. 4m., III, 734, Monatschrift, 1901,
p. 306), un contemporain de Hizkia, nommé en même temps que lui.
— P. 90 (sur 6^72), M. Ratner est d'avis que la leçon de l'édition
d'Amsterdam, ^-PTOtitt £ON, est plus exacte que la leçon ordinaire,
^Etro N^N 'n. En réalité, la remarque de R. Hizkia (c'est ÏTptn rî
qu'il faut mettre, au lieu de ïrpTn) se rapporte à la sentence, qui pré-
cède (1. 67), de R. Abba au nom de Rab. — P. 96 (sur 1b 61). M. Rat-
ner cite Tossafot sur Megilla, s. v., nbicn, et critique la note margi-
nale 12311733 ; selon lui, il s'agirait de fait de notre passage du Yerou-
schalmi. Or, l'indication ttJTitta est exacte, car l'explication du mot
nbiatb (Is., xliv, 27) se trouve aussi dans les deux ouvrages midra-
schiques : Echa r., proemium, n° 23, et Koh. t., sur xn, 7. — P. 97
(sur 7 c). La conséquence que M. Ratner tire de la sentence de Méïr,
sur I Sam., i, 12, est incompréhensible pour moi. La sentence de
Méïr (voir Ag. d. Tann., II, 22), rapportée par une série d'auteurs de
la tradition, n'a aucun lien avec les sentences précédentes d'autres
docteurs concernant l'âge de Samuel. — P. 111 (sur 8 0 67). Au sujet
de la phrase ÛV bnn moin rnbsn 'a bbsntt rvn bsimnN, M. Ratner
observe qu'il faudrait peut-être lire r-^riN 'i. Frankel aussi (dans
son Commentaire) fait cette remarque : mya nr>N 'jao ttî^tt) -KZDB&o
^nsno. Il n'y a pas de motif pour admettre cette hypothèse. Evidem-
ment la valeur morale attribuée par la légende à Ahitofel devait être
caractérisée aussi par le fait que, dans les trois offices quotidiens de
la prière, il introduisait toujours une prière nouvelle. Très vrai-
semblablement ceci repose sur une interprétation du nom par un
notarikon : [ï-r]bDn Oa^n M©]». On peut admettre aussi que le
psaume lv a exercé une influence en cette circonstance. Dans ce
psaume, le v. 14, d'après l'ancienne interprétation, se rapporte à
316 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Ahilofel (voir Targoum, in l.\ Sanhédrin, 4060). Si dans le même
psaume, v. 18, David dit de lui-même ïirpm û"n!nat1 ^ipm aiy, c'est-
à-dire déclare que lui-même priait trois fois par jour, l'ancienne
agada voyait là une allusion à Ahitofel, à qui ou attribuait une
habitude spéciale en ce qui concerne la prière : David veut dire
que lui aussi faisait chaque jour trois nouvelles prières (voir
encore ma remarque à ce sujet dans le 1~i^n, 3U partie , qui
paraîtra prochainement). — P. 118 (sur $d 20). Au sujet de l'hy-
pothèse qu'il y aurait eu ici FTï"p 3N ^n^Tars bs, voir Agada
der babyloriischen Amoràer, p. 28, note 193. — P. 4 22 (sur 9 a).
Sur la question soulevée ici par Ratner, voir Ag. d. pal. Am., I, 223.
— P. 176 (sur 11 c 55). Au sujet de la correction de l'erreur de Séder
Haddorol, voir Ag. d. pal. Am., III, 54, 4. —P. 187 (sur 12 £ 13,. Au
lieu de t^n "n nn con, R. Méïr de Rolhenbourg a la véritable le-
çon, c^inn m nn f-Otf, que j'ai déduite du contexte (Ag. d. pal. Am.,
III, 2, note 4), — P. 191 (sur 12c 55). L'indication de la marge de Yal-
kout, II, § 680 : n"D myia iMb-TOTT», est fautive. Au lieu de ^3ab©l^,
il faut ^bnn. L'expression en question se trouve Berach., 64 a. —
P. 193 (sur 12c 58). Il eût fallu citer les passages parallèles Soukki,
34 cl 7, et Megilla, 72 a 27, d'où il ressort que R. Tanhouma est l'au-
teur de la sentence (voir Ag.d. pal. Am., III, 468). — P. 196 (sur
13 al). Ici il eût fallu citer comme source Tanhouma, éd. Buber,
rmiî &rn, 7, que Yalkout sur Josué, 24 (§ 33) a reproduit.
Il faut encore appeler l'attention sur un côté extérieur de l'ouvrage
de M. Ratner, qui en rend l'emploi sensiblement malaisé. Si l'on veut
y chercher les variantes de quelque passage, on ne les trouve pas
indiquées, comme dans les notes ci-dessus, par colonnes et lignes. Au
contraire, au commencement de chaque paragraphe il n'y a que l'in-
dication du chapitre et de la Halacha. Or, on sait qu'une « Halacha »
du Yerouscbalmi s'étend souvent sur plusieurs colonnes. Ainsi,
par exemple, à la p. 21-39 de l'ouvrage de M. Ratner, il y a environ
cinquante paragraphes qui tous sout marqués de la suscriptiou N"d
N"ïi (soit 'n robn 'N P"id). Ils se rapportent à j. Berach., 3 c 1-3 <^ 47.
Si on étudie d'une façon continue le texte du Talmud, il n'y a pas
d'inconvénient à suivre les remarques de M. Ratner, mais, si on veut
s'en servir pour des passages isolés du texte, cela prend du temps
et devient pénible. En continuant son travail pour les autres traités
du Yerouscbalmi, que le savant auteur veuille bien obvier à cet in-
convénient. En outre, il serait à désirer que les variantes dans les
citations fussent marquées par d'autres caractères.
Pour termiuer, qu'il me soit encore permis de mentionner une
omission frappante dont l'auteur s'est rendu coupable. Il ne tient
presque aucun compte du Commentaire de Frankel sur le traité Be-
rachot (je ne l'ai trouvé mentionné que p. 69, sur 6 a 25, à propos
d'une particularité insignifiante) ; or, Frankel, dans son Commen-
taire et dans les grandes gloses qui l'accompagnent, comme nous
l'avons déjà dit plus haut, se réfère fréquemment aux citations du
ADDITIONS KT RECTIFICATIONS 317
Yerouschalmi fournies parles auteurs anciens et, par suite, il a ainsi
préparé la voie à la collection systématique de ces variantes faite
par M. Ratner. Il est curieux que M. Ratner donne à sou ouvrage à
peu près le même nom, D^biaTm ï"pat narrât, que Frankel a choisi
pour son Commentaire {]VZ. nan&t). Quelle que soit la raison qui a
motivé la conduite du savant de Wilna à l'égard de son glorieux
prédécesseur, il peut cependant en être considéré comme un disciple
et continuateur, non seulement à cause du nom de son ouvrage, mais
aussi pour son dévouement à l'étude du Yerouschalmi. Puisse-t-il
mener à bonne fin son œuvre et contribuer ainsi à faire mieux com-
prendre le Talmud palestinien !
Budapest, sept. 1901. W. BaGHER.
ADDITIONS ET RECTIFICATIONS
Tome XLI, p. 126. Itzig ou Isaac Mëir de Phalsbourg vécut dix ans
dans la maison du rabbin Joseph Steinhardt à Nidernay ou Niderenheim,
et partit ensuite avec lui à Furlh. 11 y fit pendant plusieurs années des
conférences talmudiques à des jeunes gens et il publia les Novelles de
Joseph Berlin sur les quatre parties du code rituel, qui avaient paru sous
le titre de ap^ "Itfa, et qu'il accompagna des consultations dues à Joseph
Steinhardt, Joseph Oettingen, rabbin à Wassertrùdingen, et d'autres, ainsi
que de remarques et d'additions (Furth, 1767). Avant que Itzig, qui devint
le gendre de Sleinhardt, n'occupât le siège rabbinique à Uffholz, il e'tait —
^-ittSnn naiïïa — à Moulzig (Préface d'isaacMéïr au npjn -|fca, Consulta-
li ,ns rp*P "pnaT, II, nos 12 et 26). — M. Kayserling.
Ibid., p. 134. — Wolf Buhl ou Bùhl (bîTa) était aussi en correspon-
dance avec Joseph Steinhardt (^OT1 p"DT, II, n° 11). — M. K.
Tome XLII, p. 243, 1. 31. Lire N^Din, au lieu de ^"lït. — P. 243, 1. 33. Le
mot l^bïS, qu'il faut d'ailleurs lire l"1"1 ^> n'a aucun sens ici : Gerschom
dit : "p b^ M"73ipU:N « l'écume du vin ». — P. 245, 1. 18. Lire n^m ">bna,
au lieu de D'H'ïïm ^bna. Gerschom écrit : nbnp, leçou conforme à celle de
l'Arouch — 76. , 1. 27. Au lieu de "pTNN, lire Û^TNtt. La référence B. B.%
114 6, ne doit pas avoir la même signification que d'ordinaire, car dans
Baba Bâfra, 114 b, il n'est question ni de 'JTtftf, ni de D^TNE. M. B. a
voulu parler probablement du feuillet du ms. — 76., 1. 34 "H3> ne veut pas
dire d'après Raschi : « fruits du laurier », mais « laurier » : c'est, dit-il,
l'arbre sur lequel poussent des « baies » et qu'on appelle « laurier ». —
P. 246, 1. 31. Lire 89 6, au lieu de 896. — P. 247, 1. 16. La référence doit
être fausse, car on ne trouve pas en Baba Batra, 90 a (ni même en b) de
mot "*i?2n. D'autre part, les dictionnaires ignorent l'existence d'un mot
")7Dn signifiant « vin de marc ». — P. 248, 1. 31. L'édition de Wilna porte
"pî~ïï>, leçon qui, au moins, n'est pas contraire aux règles de transcrip-
tion ordinaires. — P. 249, 1. 28. Lire Nn^ttTl ÎWODtt. La glose TJ^lbp
ne paraît pas se rapporter au mur, mais aux fenêtres ou aux montants.
Gerschom dit. en effet: ^as b? rrb* ^aim roi es nvm rtr»nm...
-i"i^^:nbp pmp« orna •nao fwjM "«aa by mbna maibn inbna « et on
bâtit sur le quatrième mur, sur toute l'étendue, de grandes fenêtres repo-
318 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
sant sur des montants, semblables à ceux qu'on appelle closter. — P. 250,
1. 1. Lire B. B., 81 a. Au lieu de renvoyer à Raschi Bosch Haschana, 23 a,
il était plus simple de dire qu'ici Baba Batra, 81 a, Raschi donne ce même
mot b^TTp avec cette explication : « arbre qui croît dans la mer et qui est
très rare ». — Dans l'éd. de Wilna, à la suite de la glose b^lp de Ger-
schom vient "ibllp, qui a tout l'air d'une interpolation. — II)., 1. 24. Dans
l'éd. de Wilna, Gerschom dit seulement : parfum qu'on appelle cos ».
Tome XLI1I, p. 71, 1. 1. La glose porte uniquement, comme le dit
G. lui-même, sur le mot Nn33. — lb., 11e 1. avant la fin. Lire 96b et
•ypablT. — P. 73, 1. 14. Référence fautive, il faut 90 6. — lb., 12e 1. avant
la fin. 11 faut riDTD ou pTïl nD"0, et non DD^. — P. 75, 9e 1. avant la fin.
Lire ,,73T,p"l. — P. 76, 1. 20. Dire plutôt : « Petites poutres en saillie ». —
P. 77, 1. 10. Pourquoi citer tant de passages où Raschi donne cette glose
excepté justement celui d'ici ? — lb., 1. 21. Où se trouve ia forme
fcnrb ? — P. 78, 1. 10. Raschi disant "jwb, il reste à se demander si les
deux mots n'en sont pas un seul ; *J"l et y se confondant fréquemment dans
les mss. — lb., 1. 35. Si l'éditeur du Talmud de Wilna a remplacé "n* par
"P72"")?, c'est parce qu'il a pensé à Baba Batra, 81 a, où précisément le Tal-
mud explique ]173"1^ par "H*, et où Raschi traduit le nom de l'arbre par
laurier. Il est probable que Gerschom ici en écrivant "T)3> a voulu hé-
braïser (au singulier). — P. 80, 1. 23. Référence fautive. — P. 81, 1. 4.
Raschi donne le même mot ici, dans Baba Batra, 676. Dans certaines édi-
tions, la glose de Raschi est écrite cy'"n70 met. — P. 83, 1. 1. Il faut dire
que NpOTa est la glose de NnT»*!, et *p-iptt>n?3 celle de Npn. — P. 81,
1. 16. Raschi donne le mot au même endroit, 62 b. — P. 84, 3e 1. avant la
fin. Lire N^nn, au lieu de pan. — Raschi, dans Berachot, 37 b, glose le
même mot, mais d'une autre façon ; il dit : « espèce de pIp^blD qu'on
émiette dans le pot ». — P. 86, 1. 9. Raschi donne une glose différente :
•plbDTDN. — lb., 1. 23. Lire rrb^bn. — P. 87, 1. 14. Raschi a la même glose,
N£T"n. — P. 88, 1. 1. Dans l'édition de Wilna, on lit N"^")D, qui a peut-
être quelque rapport avec la glose Np"lD de Raschi, qui signifie « couleur
de peau rouge». — P. 88, dern. ligne. La glose de Raschi, 436, porte sur un
autre mot, p"D. Le texte de Gerschom est assez difficile à comprendre, car
il dit : "pi m T"^b3 -PT31-I JllDb T^O-» ^O-im &to">ÊO. Que vient faire
là le dernier mol? — P. 89, 1. 9. Lire NriM-itt. — lb., 1. 25. Lire fcOrM.
— lb., 1. 27. La référence 42 a est erronée. — lb., 4° 1. avant la fin. Au lieu
de rnûaiD, lire ""D'Jin, ou Vl'ûM comme R. H., 23 #. — P. 92, 1. 21. Au
lieu de 92 b, lire 63 a. — P. 93, 1. 19. On ne voit pas que Gerschom em-
ploie le mot dans un autre sens que Raschi. G. dit : « chose qui croît
autour de l'arbre appelé tel, et R. : « . . à l'écorce de l'arbre appelé tel ».
— lb., 11e 1. avant la fin. Lire Oinort. — P. 94, 1. 4. Lire N:rON\ au lieu
de ÊO^N. — lb., 1. 28. Il n'est pas inutile d'avertir que d'après Gerschom,
c'est une glose slave. — lb., 1. 32. Ce n'est pas ce mot, mais mim que
Raschi traduit ainsi. Cela n'a pas d'importance, d'ailleurs. — P. 95, 1. 2.
C'est dans Pesahim, 39, que Raschi donne cette autre glose, comme le
remarquent les Tosafot. — lb., 7e 1. avant .'a fin. Ce n'est pas m03lbs que
Raschi traduit par treille, mais *pa « vigne ». Le texte de la baraïta porte :
Une vigne d'or se trouvait à la porte du héchal et était suspendue sur des
mOD*lbl3 ; quiconque faisait vœu d'un grain ou d'une grappe les y pen-
dait. — Israël Lévi.
Le gérant, Israël Lévi.
TABLE DES MATIERES
REVUE.
ARTICLES DE FOND.
Brandin (Louis). Les gloses françaises (Loazim) de Gerschom
de Metz (fin) 72
Bùchler (Ad). Les Dosithéens dans le Midrasch. L'interdit pro-
noncé contre les Samaritains dans le Pirké di R. Eliézer. 50
Goldziher (T.). Mélanges judéo-arabes 1
Kayserltng (M.). I. Notes sur l'histoire des Juifs en Espague . 123
IL Un chansonnier marrane. Antoine de Montoro 259
Lambert (Mayer). Les anomalies du pluriel des noms en hébreu. 206
Lévi (Israël). I. Sur les deux premiers livres des Macchabées. 215
IL Aflquia. femme de Jé^us, fils de Sira , 231
III Un recueil de Consultations inédites de rabbins de la
France méridionale 237
Lévy (Isidore). Cultes et rites syriens dans le Talmud 183
Marmier (GénéralG.). Contributions à la géographie de la Pales-
tine et des pays voisins (suite) 161
Monceaux (Paul). La Bible latine eu Afrique (fin) 15
Schwab (M.). Inscriptions hébraïques en Bretagne 117
Seligsohn (M.). Azharot judéo-persanes 101
NOTES ET MÉLANGES.
Ginsburger (M.). Deux lettres d'Emanuel Porto 133
Kaminka (Armand). Quel e.-t le Psaume de la dédicace du
Temple ? 269
Kayserling (M.). L Un contlit dans la communauté hispano-
portugaise d'Amsterdam 275
II. Les Juifs de Na pies 277
Lambert (Mayer). I. De la consécration (Lévit., xxvn, 1-24) 133
IL Notes exégétiques 268
Reinach (Salomon). Note sur une famille juive de Novellara
(Italie) 135
Reinach (Théodore). L'augure Fulvius et l'enfant Jésus 273
120 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
BIBLIOGRAPHIE.
Bâcher (W.). I. Zur Genesis der Agada. II. Die Alexandrinische
Agada, par N.-J. Wkinsiein 139
II. û^bizjrm ÏTX nnnN 'o. Variantes et additions pour le
texte du Talmud de Jérusalem, par B. Ratner 310
Kont (J.). Publications de la Société littéraire israélite de Hon-
grie 454
Lambert (Mayer). Hebràisch u. Semitisch. Prolegoœena u.
Grundlinien einer Geschichte der semitiechen Spra-
chpn, par E. Kônig 306
Lévi (Israël). Revue bibliographique, année 4901 278
Additions et rectifications 160 et 317
Table des matières 319
VERSAILLES, IMPRIMERIES CERF, 59, RUE DUPLESSIS.
DS
101
U5
t.L3
Revue des études juives;
historia iudaica
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