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Full text of "Revue d'ethnographie"

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REVUE  D'ETHNOGRAPHIE 


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ANOBnS*  laPRIMRRIB  BURDIN  ET  d«,   RDR  GARMBR,    4. 


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REVUE 


D'ETHNOGRAPHIE 


PUBLIÉE  SOUS  LES  AUSPICES  DU  MINISTÈRE  DE  l'iNSTRUCTION  PUBLIQUE 
ET  DES  BEAUX-ARTS 

Pab    le    D«    HAMT 

Cnnscrvateur  du  Musée  d'Ethnographie.  H 


TOME  SIXIEME 


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PARIS 

ERNEST    LEROUX,    ÉDITEUR 

28,     RUE     BONAPARTE,     28 

1887 


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REVUE 

D'ETHNOGRAPHIE 

PUBLIÉE  SOOS  LKS  4tJâPÏCKS  r>L"  MiNtSTÈBE  liJC  L  lKSTHUt;nn>N   pouli^ilk 
F;I    des  UKAUX-ARrS 

Par    le    D"    HA  M  Y 


TOME  SIXIEMK 
W'  1.  —  Janvier- Février. 


PARIS 

ERNEST    LEROUX,     ÉDITEUR 

28,      RUE     IKJNAl'AUTE,      2H 

1887 


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SOMMAIRE 

Lea  peu pladcB  de  Madagaicar,  OrîKineé  (sufie  ei  fin). , , M.  LecL^nc. 

Lei  lodiens  de  r£tnt  de  Pnoama.  fndiaua  (jtiayrriîes  et  Cunaiâ...  A.  Puubt^ 
ObâiTv&Umif  ^tbDOgraphîqije&  iur  ]ea    Daaakilâ   du    golfe    de 

Tadjoura ..,,.,..,, , .,,.  D»  L.  Fa^rot. 

RiEvrKi  ET  AnALYBBS.  -^  Livufts  ET  BaocHunBB  : 

PeliUitt  Trfjfîilion'i  indienn^.^  du  Canada  nord-oueM ..»».., , ,     H,  de  Cwarehçkî* 

trille.  lÎQiz-Hfid  BamtuS'Gers^tki  auê  Nord -West  .VfU  Guinea....     K,"T.  H  ai  y, 

CORREt FONDA NCe.    L.  DkLAVAUD.   Ffl-    ChRISTUL*    D"^  VKBNfeAï;. 

NocvKLUB.  —  Ntotior,ooiB.  —  BmuooftAPHtF, 


CONDITIONS    DE    LA   PUBLICATION 

U  REVUE  D1-:TIÏNÛ GRAPHIE  paraît  tous  îes  deux  mois,  par  fascicules  m-S 
raisin,  de  6  feiiillps  d  impressioD,  richement  illuBlrées* 

Prix  de  rabonaement  annuôl  :  Paris 2B  Tr,     » 

—  —                    Départements , , ,  27       60 

—  —                    liilranger  .*,... 30         »> 

Un  numéro,  p\k  au  Bureau .,..,, .*.,,, * &         s 

TARIF   DES   ANNONCES 

Une  page , , ^  *  ,^ , ,    ,  »  *     30  fr*    » 

Une  1/2  page. .,,,, ,,,*..,.*.,.....    30        » 

Tous  les  oui^rages  envoyés  à  ia  Revue  tf  seront  annonfiéji  ^f^  s^il  \j  a  lUUj  analysés, 
S'adresser,  pour  tout  ce  qui  coucerue  U  RëdaeLmUi  au  D**  Il  A  M  Y,  40,  rue  de  Lubech* 


MINISTÈRE  DE  L'INSTRUCTION  PUBLIQUE 

BULLETINS  DU  COMITÉ  DES  TRAVAUX   HISTORIQUES 


ET  SCIENTIFIQIES 


BULLETIN    DE    GEOGRAPHIE 

HISTORIQUE  ET  DESCRIPTIVE 

M.  le  D"^  HAMY 

1"  Année.  N*»»  l.  3.  3.  i.  Abonnement  .,,..•...... 


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MEMOIRES  ORIGINAUX 


LES  PEUPLADES  DE  MADAGASCAR 


ORIGINES 

Par  >L  Max  LECLERC 


CHAPITRE  V 


Sommaire  :  Éiémeols  arabes.  —  Influence  mahoméiane.  —  Les  diverses  immi- 
grations arabes  et  mahométanes  venues  d'Asie  et  d'Afrique  :  dates  et  lieux 
de  débarquement.  —  Découverte  de  M.  Marin-Darbel.  —  Le  commerce  et 
l'influence  arabes  :  coutumes,  superstitions  importées  par  les  Arabes.  —  Leur 
rdle  aujourd'hui  à  la  côte  ouest. 


L'influence  arabe  et  mahométane  est  loin  d'être  négligeable  à 
Madagascar;  elle  tient  à  plusieurs  causes  :  d*abord  à  des  immi- 
grations Issez  importantes  qui  remontent  assez  haut  dans  This- 
toire  et  d'où  résulta  la  fondation,  dans  Tlle,  de  colonies  d'Arabes 
qui  se  mêlèrent  le  plus  souvent  aux  indigènes;  ensuite  aux  rap- 
ports incessants  que,  de  temps  immémorial,  divers  pays  maho- 
métans  entretiennent  pour  leur  commerce  avec  la  grande  île. 

«  Il  me  semble  probable,  dit  M.  Grandidier^  qu'il  y  a  eu, 
comme  le  dit  Flacourt,  deux*  immigrations  successives  d'Arabes, 
à  plusieurs  siècles  d^intervalle,  Tune  venant  de  la  côte  de  Mala- 
bar, Tautre  de  la  côte  orientale  d'Afrique.  Je  suis  porté  à  croire 
que  la  première  (ce  sont  les  ancêtres  des  Zafi-Raminia),  obligée 


t)  Dans  un  ouvrage  plus  récent,  M.  Grandidier  reconnaît  la  venue  de  trois 
immigrations  arabes  à  Madagascar.  {Voy*  Madagascar  et  Ses  ïmbitams^  op,  cit.t 
p.  24  et  25.) 

JA.NVIEH-FÉVRIËR 


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2  LES  PEUPLADES  DE  MADAGASCAR 

de  quitter  la  Mecque  à  la  suite  des  troubles  religieux  qui  ont 
bouleversé  toute  l'Arabie  au  moment  des  prédications  de  Maho- 
met, a  abordé  dans  l'Inde,  d'où  elle  s'est  plus  tard  rendue  à 
Madagascar',  entraînant  avec  elle  des  Indiens  qui  ont  fondé, 
de  leur  côté,  un  petit  État  indépendant  '.  »  Nous  reviendrons 
dans  le  chapitre  suivant  sur  ces  Indiens.  Il  faut  toutefois  remar 
quer  de  suite  que  cette  immigration,  indo-arabe,  selon  Grandi- 
dier,  d'après  Flacourt,  est  la  même  qui,  d'après  le  même  Flacourt 
interprété  différemment,  comme  nous  l'avons  vu  plus  haut, 
aurait  été  malaiso-arabe. 

Quant  à  la  seconde  invasion  arabe;  Flacourt  la  relate  en  ces 
termes,  qui  montrent  qu'elle  vint  directement  de  la  Mecque, 
postérieurement  aux  Zafi-Raminia,  et  se  fixa  dans  la  même 
région  de  Madagascar  :  «  Les  blancs  de  Matatan,  qui  sont  Zaffi- 
rehimina,  ont  été  ravallés  en  sorte  par  les  Zaffecasimambou  ou 
Casimambou,  qui  sont  blancs  aussi  :  mais  tous  ombiasses  et 
escri vains,  qu'ils  ne  sont  plus  que  leurs  esclaves...  Les  Casi- 
mambou sont  venus  en  cette  isle  dans  de  grands  canots;  ils  y 
ont  été  envoyés  par  le  califfe  de  la  Mecque,  à  ce  qu'ils  disent, 
pour  inslruire  ces  peuples  depuis  cent  cinquante  ans  seulement... 
Les  Zaffecasimambou  ont  beaucoup  multiplié,  enseignant  à  lire 
et  l'escriture  arabe,  entretiennent  eschoUe  dans  tous  les  villages, 
où  les  enfanls  masles  vont  apprendre'...  »  Ainsi,  à  la  différence 

1)  M.  de  Froberville  est  du  même  avis  :  il  les  fait  venir  de  Mangalor  dans  le 
Guzerate  {Bul,  Soc,  Géog.^  mai  1839).  Nous  nous  rangeons  à  Topinion  de  ces 
deux  auteurs.  L'hypothèse  de  Codine,  qui  fait  venir  cette  invasion  arabe  de 
Malaisie,  tombe  devant  ces  conclusions  infîniment  mieux  établies,  ce  qui  n'influe 
en  rien  sur  la  seconde  hypothèse  du  môme  auteur,  au  sujet  des  Gomr,  laquelle 
pour  nous  demeure  très  vraisemblable. 

2)  Grandidier,  Revue  scientifique,  11  mai  1872. 

Récemment,  dans  un  article  sur  «  Les  canaux  et  les  lagunes  de  la  côte  orien - 
taie  de  Madagascar  »  (Bul,  Soc,  Géogr,,  !•'  trim.  1886),  M.  Grandidier  nous 
donnait  des  détails  assez  précis  sur  la  situation  actuelle  de  ces  Arabes  :  «  Les 
Antambahoaka,  de  Tlafaka  à  Marohita.  Cette  tribu  a  pour  chef  un  ZaO  Raminia. 
Les  chefs  des  diverses  tribus  de  la  partie  sud -est  de  Madagascar,  appartiennent 
à  la  famille  de  Raminia  ou  des  gens  qui  raccompagnaient.  Les  compagnons  de 
Raminia  étaient  Imahazo,  Irambo,  Imanely;  leurs  descendants  les  Antairoahazo 
du  district  de  Mahasora,  les  Antsambo  du  district  de  Matilanana,  lesZafirambo 
d'Ikongo,  les  Zafimanely  du  pays  Bara,  ont  une  physionomie  très  différente  de 
celle  de  Ja  masse  du  peuple"  C*e?t  une  branche  de  cette  famille  des  Zafy 
Raminia  qui  commande  aux  Antanosy  de  la  province  du  Fort-Dauphin.  » 

3)  Histoire  de  la  grande  isle  de  Madagascar^  par  le  sieur  de  Flacourt. 


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LES  PEUPLADES  DE  MADAGASCAR  3 

de  la  première  immigration  arabe,  qui  avait  eu  lieu  accidentel- 
lement et  mélangée  d'éléments  indiens  ou  malais,  celle-ci  venait 
directement  de  la  Mecque  et  dans  des  vues  de  prosélytisme  *. 

Un  autre  auteur  nous  fournit  l'occasion  de  confirmer  le  dire 
de  M.  Grandidier,  qui  fait  venir  une  immigration  de  la  côte 
d'Afrique.  Nous  lisons,  en  efiet,  dans  le  récit  du  voyage  à  Mada- 
gascar de  M.  de  V...,  commissaire  provincial  de  Tartillerie  de 
France,  voyage  fait  entre  1660  et  1670,  au  moment  de  la  conces- 
sion de  Tile  h  la  compagnie  des  Indes  par  Mazarin  et  sous  le 
gouvernement  de  Champmargou,  publié  par  Carpeau  de  Saus- 
say,  —  nous  y  lisons  ces  lignes  significatives  :  «  Les  habitants 
sont  de  deux  sortes,  les  noirs  et  les  blancs;  les  premiers  sont 
originaires  du  païs  ;  les  autres  sont  venus  autrefois  de  Mozam- 
bique, située  dans  l'isle  de  Prase,  d'où  ils  furent  chassés  par  le 
tiran  de  Quiloë,  qui,  s'étant  rendu  maître  de  leurs  lieux  et  de 
leur  païs,  les  obligea,  par  ses  persécutions,  d'en  sortir;  ils  s'em- 
barquèrent dans  le  dessein  de  chercher  quelques  isles  inhabitées, 
où  leurs  amis  et  eux  pussent  se  retirer,  et  fonder  un  établisse- 
ment :  ils  échouèrent  en  notre  grande  isle;...  ils  s'y  multipliè- 
rent de  telle  sorte  que  leur  nombre,  en  peu  d'années,  égala  celui 
des  naturels;  au  reste,  cette  nation  est  beaucoup  plus  éclairée 
que  les  originaires;  ils  sçavent  lire  et  écrire  en  hébreu^,  »  Car- 
peau  de  Saussay  indique  sans  doute  par  là  cette  seconde  colonie 
dont  parle  M.  Grandidier  et  qui,  selon  ce  voyageur,  est  arrivée 
de  la  côte  orientale  d'Afrique  vers  le  xv**  siècle  :  les  descendants 
en  sont  établis  à  Matatane  et  sont  connus  sous  le  nom  d'Anteï- 
moures'.  Il  y  aurait  eu  ainsi  trois  colonies  arabes  à  la  côte  sud- 
est  :  les  deux  que  mentionne  Flacourt  et  celle  dont  parle  Car- 


1)  «  Les  Anlaimoro,  entre  la  rivière  Fanorianà  et  Ranambo  (22*35'  latitude 
sud)  au  delà  du  Matitanana.  Cette  tribu  est  gouvernée  par  les  Zafy  Kasi- 
mambo,qui  sont  les  descendants  d'un  chef  arabe  venu  à  Madagascar  longtemps 
après  Raminia. 

«  Les  Zafy  Raminia,  qui  habitaient  aux  environs  de  la  rivière  Faraony,  ont 
été  chassés  de  ce  pays  par  les  Zafy  Kasimambo  et  se  sont  retirés  les  uils  vers 
le  nord  (les  Antambahoaka),  les  autres  vers  U  sud  (les  Antanosv).  » 

Grandidier,  Bul.  Soc.  Géog.,  l^^nrim.,  1880. 

2)  Carpeau  de  Saussay,  eh.  xxviii,  p.  246.  —  «  Hébreu  »  lisez  :  Arabe. 
6)  Hecue  scitniif.y  11  mai  1872. 


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4  LES   PEUPLADES   DE   MADAGASCAR 

peau  de  Saussay  dans  des  ternies  si  précis  qu'on  ne  peut  la  con- 
fondre avec  les  deux  premières. 

L*immigration  arabe  ne  se  borna  pas  là,  car  il  est  avéré  qu'à 
diverses  reprises,  des  Arabes,  partis  de  différents  pays,  sont 
venus  coloniser  la  côte  nord-ouest.  Ainsi,  vers  la  même  époque 
(xv'  siècle),  où  M.  Grandidier  place  sa  seconde  immigration 
arabe  à  la  côte  sud-est,  il  y  en  eut  une  à  la  côte  nord-ouest*. 

Le  récit  suivant  d'un  voyageur  du  xvn®  siècle  ne  laisse  aucun 
doute  à  cet  égard.  Le  sieur  «  Du  Bois  »  se  trouvait  à  Fort-Dau- 
phin, quand  un  pilote  nommé  Gigault  arriva  d'un  voyage  autour 
de  rUe  :  «  Gigault  rapporta  que,  cherchant  la  rivière  des  Mats, 
ils  passèrent  en  un  lieu  de  Tisle  nommé  le  Vieil  Macellage^  dans 
lequel  anciennement  des  Arabes  habitaient,  qu'il  y  a  remarqué 
plusieurs  mosquées,  tombeaux,  citernes  et  maisons,  le  tout  basty 
de  pierres.  Que^  de  là,  ils  passèrent  au  Nouveau  Macelage,  aussi 
en  la  mesme  isle,  où  habitent  des  Arabes,  qu'ils  ont  un  roy, 
dont  la  cour  est  assez  magnifique,  et  qu'il  a  bon  nombre  de  sol- 
dats à  sa  garde;  qu'il  y  a  deux  cents  ans  qu'ils  disent  être  habi- 
tez en  l'isle  et  qu'ils  y  font  trafic  notable,  y  ayant  veu  une  quan- 
tité de  petits  bastiments; ...  qu'ayant  esté  reconnus  pour  Français 
par  ces  Arabes,...  ils  furent  bien  reçus  d'iceux  et  qu'ils  souhai- 
taient en  avoir  l'amitié.  Que  ces  Arabes  ont  une  belle  ville, 
bourgs  et  villages,  où  il  y  a  des  mosquées  et  tombeaux  superbes, 
citernes  et  maisons,  le  tout  basty  de  pierres  !'  » 

Nous  ne  trouvons  pas  sur  les  cartes  modernes  les  lieux  dénom- 
més par  Du  Bois,  Vieil  et  Nouveau  Macellage;  mais,  en  nous 
reportant  aux  cartes  de  Tépoque  du  «  sieur  Du  Bois  ))^  à  la  carte 


l)a  En  1636,  ]*ex-sultan  de  Mombase  (qui  avait  abandonné  son  île,  chassé 
ï>ar  les  agressions  des  Portugais),  après  avoir  erré  quelque  temps  sur  les 
rivages  de  rVémen,  vint  chercher  un  refuge  à  Madagascar,  où  il  se  concilia  Ja 
faveur  du  sultan  de  Massalège  (il  s'agit,  dit  Guillain,  de  la  baie  de  Bouèni, 
côte  ouest  de  Madagascar,  où  était  établie  une  colonie  d'Arabes  venus  de  dif- 
férents points  de  TAfricfue  orientale,  et  particulièrement  de  Patta)  et  de 
quelques  Maures,  originaires  de  Patta.  » 

Documents  sur  l^histoiret  la  géographie  et  le  commerce  de  l'Afrique  orientale, 
par  le  cap.  Guillain.  Paris,  1856,  p.  440. 

2)  Les  voyayes  faits  par  le  sieur  D.  B.  aux  ilcs  Dauphine  ou  Madagascar  et 
Bourbon  ou  Mascarenne.  les  années  4669, 10. 14  et  72,  à  Paris,  chez  Cl.  Bar- 
bin,1674. 


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LES   PEUPLADES   DE   MADAGASCAR 


Plan  des  ruines  deHle  Mandza  (d'après  un  croquis  de  M.  Maria-Darbel)  * 


1)  Sur  ce  plan,  les  bâtiments  qui  existent  encore,  quoique  en  ruine,  sont 
marqués  par  des  traits;  ceux  qui  sont  entièrement  démolis  sont  en  pointillé. 
1,  2,  maisons  dont  les  toits  étaient  en  pyramide  octogone  ;  c'est  dans  Tintérieur 
du  sommety  trouvé  couché  sur  le  sol,  qu'était  cimentée  l'assiette  c. 

«  Il  est  probable,  dit  M.  Marin-Darbel,  que  rentrée  de  cet  établissement  était 


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b  LES    PEUPLADES    DE   MADAGASCAR 

anglaise  de  Thomton,  dressée  vers  1700,  nous  y  lisons,  au 
nord-ouest  de  Tîle  :  «  Old  Mathelage  »  et  «  New  Mathelage  »  ; 
sur  la  carte  moins  ancienne  de  BcUin,  ingénieur  de  la  marine, 
dressée  en  1768,  V  «  Ancien  et  le  «  Nouveau  Masselage  »  trou- 
vent place.  La  carte  de  Bonne  (1788)  ne  porte  plus  que  le 
a  Vieux  Massailli  ».  En  comparant  avec  les  cartes  récentes,  tout 
en  tenant  compte  des  inexactitudes  des  anciennes  cartes,  nous 
voyons  que  les  Nouveau  et  Vieux  Masselage  correspondent  à  la 
baie  de  Boinà  et  à  la  baie  Mahajamba  actuelles*. 

Or  récemment  une  découverte  fort  intéressante  de  ruines 
arabes  a  été  faite  dans  Tile  Mandza,  située  justement  dans  la 
baie  Mahajamba. 

Celte  découverte  a  été  mentionnée  dans  les  Instructions  nau- 
tiques sur  Madagascar ,  kA\\Àon  de  1885',  d'après  un  extrait  du 
rapport  de  M.  Marin-Darbel,  extrait  que  nos  renseignements 
personnels  nous  permettent  de  compléter.  «  M.  Marin-Darbel, 
commandant  le  Boursainty  et  les  officiers  de  ce  bâtiment  ont 
visité  les  ruines,  assez  bien  conservées,  d'un  établissement 
arabe  :  elles  se  composent  d'un  grand  corps  de  bâtiment,  entrée 
de  rétablissement  du  côté  de  la  plage  d'accès,  relié  par  une  allée 
murée  à  un  autre  corps  de  bâtiment  composé  de  trois  grandes 
chambres,  puis  d'un  bâtiment  isolé,  et  enfin,  sur  le  point  le  plus 
élevé  de  Tîle,  de  Thabitation  principale,  formée  de  quatre  cham- 
bres, d'une  petite  cour  intérieure,  d'une  cour  extérieure,  fermée 
par  un  mur  d'enceinte  avec  poterne.  Toutes  ces  constructions 
sont  garnies  de  meurtrières.  Il  y  a  même,  dans  la  petite  cour 
intérieure,  l'emplacement  d'un  canon.  Les  murs,  très  épais,  sont 
en  pierres  madréporiques,  taillées  et  reliées  par  un  ciment  d'une 


à  la  plage  est.  Deux  arbres  très  anciens  encadrent  la  porte  0  à  laquelle  condui- 
sait un  chemin  ddd  tracé  suivant  les  pentes  du  terrain.  La  case  D  est  sur  un 
mamelon.  Toute  la  partie  de  côte  FBG  est  presque  à  pic  au-dessus  des  rochers 
de  la  côte.  A  l'ouest,  il  y  a  une  belle  plage  de  sable  de  laquelle  on  peut  grimper 
jusqu'à  l'établissement.  Toute  Tîle  est  boisée  ;  cette  végétation  est  récente, 
cependant,  en  N,  il  y  a  un  arbre  assez  gros  qui  a  dû  être  planté.  H  est  un  silo 
en  maçonnerie  très  Bien  conservé.» 

i)  Voy.  A.  Grandidier,  Géogr,,  Paris,  Impr.  nat.,  1885  (les  tableaux  placés  à 
la  fin). 

2)  Paris,  Imp.  nat.,  18S5. 


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LES    PEUPLADES    DE   MADAGASCAR  7 

grande  solidité.  Les  toits  se  sont  effondrés,  mais  il  est  facile  de 
reconnaître  qu'ils  étaient  formés  de  pierres  et  de  mortier  sur 
une  épaisseur  de  40  centimètres,  et  qu'ils  étaient  supportés  par 
un  lit  de  poutrelles  en  bois.  Deux  d  entre  eux  s'élevaient  en 
pyramide  octogonale  sur  une  hauteur  de  2  mètres  environ. 

«  Le  sommet  d'une  de  ces  pyramides  fut  trouvé  dans  les 
décombres.  Il  avait  environ  80  centimètres  do  hauteur  et  se 
composait  de  pierres  et  de  moellons  cimentés  ensemble.  A  Tin- 
lérieur  de  cette  portion  de  pyramide,  intérieur  parfaitement 
terminé  au  point  de  vue  du  maçon,  se  trouvait  fixé  par  le  ciment 
un  plat  de  porcelaine  en  guise  de  voûte.  Par  celle  porcelaine, 


Fig  2.  Vue  des  ruines  de  Tile  Mandza  (d'après  an  croquis  do  M.  Marin-Oarbel). 

on  pourrait  fixer  peut-être  Tépoque  de  ces  constructions*.  On  en 
trouve  de  semblables  et  placées  de  la  même  manière  à  la  grande 
Comore,  vestiges  du  temps  passé  que  les  Comoriens  se  refusent 
à  céder  à  tout  prix.  Il  est  probable  que  ces  chambres  à  toits 
pyramidaux  étaient  réservées  aux  prières.  Dans  l'une  d'elles 
existe  un  foyer.  Dans  la  deuxième  pyramide,  nous  trouvâmes 
également  un  débris  de  porcelaine  fixé  dans  la  muraille  et  quel- 
ques traces  de  poteries.  Quelques  ornements  sculptés  sur  les 


1)  Ces  porcelaines,  déposées  au  musée  d'Ethnographie,  renriontenl,  nous 
dit-on,  bien  nu  delà  de  1  époque  à  laquelle  M.  Marin-Darbel  fait  remonter  la 
construction  dans  laquelle  elles  se  trouvent  enchâssées. 


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8  LES  PEUPLADES  DE  •MADAGASCAR 

murs,  qui  existent  encore,  sont  de  style  arabe.  Enfin ,  sur  la 
côte  nord-ouest  de  la  baie,  nous  avons  examiné  une  grotte  natu- 
relle remplie  de  débris  de  cercueils  en  bois  tombant  en  pous- 
sière et  de  squelettes.  Les  indigènes  connaissent  cette  demeure 
funéraire,  mais  les  plus  âgés  d'entre  eux  ne  Font  pas  vu  utiliser 
de  leur  temps,  sauf  pour  quelques  cercueils  mis  à  l'entrée,  et, 
dans  leur  simplicité,  ils  ajoutent  :  «  C'est  aussi  vieux  que  les 
ruines  de  Mandza'.  » 

De  Texamen  de  ces  ruines,  munies  de  meurtrières,  avec  l'em- 
placement d'un  canon,  ruines  de  constructions  en  pierre,  mode 
d'habitation  aujourd'hui  encore  inconnu  des  indigènes  des  côtes; 
de  l'examen  du  style  de  ces  constructions  et  de  leur  état  de 
vétusté,  il  ressort  nettement  pour  M.  Marin-Darbel  qu'elles 
remontent  à  deux  cents  ans  au  moins  et  sont  les  restes  d'un 
avant-poste  d'un  établissement  arabe ,  important  sans  doute , 
situé  dans  la  baie  Mahajamba. 

Il  semble  que  les  Arabes  aient  suivi  une  marche  régulière  du 
nord  au  sud  (voy.  plus  loin)  sur  la  côte  occidentale  :  débarquant 
à  l'extrémité  nord  de  l'Ile,  puis  s'établissant  dans  la  baie  de 
Passandava,  descendant  ensuite  au  Vieux  Macelage  (baie  Maha- 
jamba)*, où  Gigault  voit  déjà  des  établissements  abandonnés. 


1)  Victor  Marin-Darbel,  Notes  manuscrites.  C'est  de  là  que  proviennent 
le  cercueil  et  les  crânes  rapportés  par  M.  Vian,  médecin  du  Boursaint  (voy.  plus 
haut). 

2)  Le  capitaine  Guillain  dans  ses  Documents  sur  l'histoire,  la  géographie  et 
le  commerce  de  la  partie  occidentale  de  Madagascar,  Paris,  Impr.  Royale,  1845, 
p.  202,  confirme  le  fait  en  ces  termes  : 

«  La  baie  Matzamba  (Mahajamba)  est  désignée  sur  les  cartes  anciennes 
et  dans  les  anciens  portulans  par  les  noms  de  Vieux-Masselaj^e  ou  Massalége, 
et  de  Vieux-Massaly  ou  Massailly.  La  concordance  entre  certains  faits,  contenus 
dans  la  description  de  la  baie  connue  autrefois  sous  ces  divers  noms,  et  les  évé- 
nements dont  la  baie  Matzamba  a  été  le  théâtre,  selon  les  traditions  anta- 
laots,  ne  permet  aucun  doute  à  cet  égard.  Voici  un  extrait  de  cette  des- 
cription : 

«  La  baie  du  Vieux-Masselage...  a  été  autrefois  habitée  par  des  Arabes  dont  on 
voit  encore  les  maisons  de  pierre  et  quelques-unes  de  leurs  mosquées  ;  elle  est 
belle  et  grande  et  les  navires  y  sont  en  sûreté...  A  trois  lieues  en  dedans,  il  y 
a  une  petite  ile  du  côté  de  Test  sur  laquelle  nous  trouvâmes  un  fort  beau  vil- 
lage bâti  en  pierres...  » 

Ce  psissage  est  emprunté  par  Guillain  aux  Archives  du  dépôt  des  cartes  et 
plans  :  État  des  ports  et  baies  de  Vile  Dauphine,  Il  ne  donne  pas  la  date  des 
documents  qu'il  cile^  Nous  n'avons  pu  retrouver  ces  documents  ni,  par  suite, 
en  fixer  la  date.  Divers  indices  (voy.  Bonnavoy  de  Premol,  Paris,  1856,   Ind. 


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LES   PEUPLADES   DE  MÂDAGASCAK  9 

dont  M.  Marin-Darbel  explore  les  ruines  en  1885;  enfin  se  fixant 
dans  les  baies  de  Boinà  (Nouveau  Macelage) ,  où  Gigault  les 
surprend  en  pleine  prospérité  au  xvii*  siècle,  et  de  Bombélok, 
où  ils  sont  fortement  établis  encore  aujourd'hui. 

Il  y  a  déjà  plus  d'un  siècle  qu'ils  habitent  la  baie  de  Bombé- 
tok  ;  mais  c'est  là  qu'aujourd'hui  ils  concentrent  leurs  efforts. 
Modave  disait  dans  son  journal ,  en  1768  :  «  Ces  Arabes  ont  un 
comptoir  régulier  à  Bombaitolque,  dans  la  partie  nord-ouest,  à 
peu  près  vis-à-vis  de  Mozambique.  Ces  Arabes  y  viennent  des 
isles  de  Comores,  des  villes  qui  sont  sur  la  côte  d'Afrique  et 
même  de  l'Arabie  heureuse;  ils  se  sont  assez  étendus  dans  cette 
partie  de  l'isle. 

«  Ils  y  ont  fondé  une  école  où  Ton  enseigne  à  lire  et  à  écrire 
aux  gens  du  pays,  et  la  religion  musulmane  a  fait  quelques 
progrès  dans  Imtérieur  du  pays*...  » 

S'il  faut  en  croire  l'auteur  du  mémoire,  attribué  plus  haut  au 
chevalier  de  la  Serre,  il  y  aurait  aussi  des  Arabes  qui  auraient 
traversé  l'île.  Il  dit  en  parlant  de  Fort-Dauphin  :  «  ...D  n'y  a 
absolument  que  les  ombiasses  et  les  grands  du  pays  qui  savent 
écrire  en  arabe...  Ils  doivent  cette  science  à  quelques  familles 
arabes  qui  ont  traversé  l'isle  pour  se  soustraire  à  la  vengeance 
des  Séclaves  de  la  côte  de  l'ouest,  sur  lesquels  ils  avaient  tenté 
une  révolte.  Voilà  ce  qu'un  ombiasse  m'a  dit  au  Fort-Dauphin, 
ajoutant  que,  si  je  voulais  le  suivre  aux  Matatanes,  il  me  ferait 
voir  des  coffres  remplis  d'écritures,  où  ce  fait  et  bien  d'autres 


616/.)  nous  portent  à  croire  qu'il  est  des  environs  de  1668,  époque  du  voyage  de 
Du  Bois.  Il  y  a  évidemment  concordance  de  témoignages.  Aux  îles  Mamoukou 
(Nosy  Mamoko  ou  Âmbariotelo)  dans  la  baie  de  Passandava,  on  trouve  aussi 
de  nombreuses  traces  de  ruines  arabes.  Il  y  a  trois  îles  de  ce  nom.  c<  Elles  ont 
été  relevées  pour  la  première  fois  en  4845,  dit  M.  Grandidier,  par  Robin  etDaras 

Sui  ont  même  nommé  Tune  des  trois  :  Iles  aux  ruines.  »  (Vov.  A.  Grandidier, 
éogr,,  y.  I,  I'*  part.,  1885.  p.  90.) 

Il  y  a  ici  une  légère  erreur  de  M.  Grandidier,  car,  dès  1842,  le  capitaine  de 
corvette  Jehenne  avait  signalé  ces  ruines  «  dans  le  plus  grand  des  îlots  Ma- 
mouko  ».  Mais  il  se  trompait,  croyons-nous,  en  les  attribuant  à  un  établisse- 
ment européen  abandonné.  Voy.  Ânn.  marit,  et  co/.,28«année  (1843),  3*  série. 
Paru  non  ofT.,  t.  I,  p.  403.  Renseignements  nautiques  sur  la  côte  occidentale 
de  Madagascar.—  Vov.  aussi  Guillain  :  Documents  sur  Madagascar,  Paris,  1845, 
p.  176. 

1)  Archives  coloniales. 


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iO  LES    PEUPLADES    DE    MADAGASCAR 

sont  rapporlés.  C'est  donc  aux  Matatanes  qu'on  pourrait  avoir 
quelques  connaissances  anciennes  sur  Madagascar'...  »  Enfin 
Modave,  dans  son  journal,  apporte  aussi  le  poids  de  son  auto- 
rité :  «  Ils  (les  Malgaches)  ont  aussi  quelque  connaissance  de 
l'art  d'écrire,  et  ils  se  servent,  pour  cela,  de  caractères  arabes 
que  les  ancêtres  des  Rohandrians  leur  ont  apportés.  Le  papier 
se  fabrique  dans  la  vallée  d'Âmboule,  et  au  lieu  de  plume,  ils 
emploient  le  roseau  des  Indes,  comme  sous  le  nom  de  bambou... 
Leurs  savants  se  nomment  ombiasses.  Ils  sont  à  la  fois  sorciers, 
prêtres  [et  [médecins;  les  plus  renommés  se  trouvent  dans  le 
pays  des  Matatanes.  C'est  là  que  la  magie  s'est  conservée  dans 
tout  son  éclat.  Les  Matatanes  sont  redoutés  des  autres  Madé- 
casses  à  cause  de  la  perfection  où  ils  ont  poussé  ce  grand  art.  Ils 
en  tiennent  école  et  les  universités  de  cette  isle  sont  presque 
toutes  dans  cette  partie  '.  »  C*est  presque  exactement  ce  que 
disait  Flacourt  (ch.  xlvi)  un  siècle  auparavant.  Et  c'est  bien 
dans  ce  lieu  précis  qu'en  ce  siècle  M.  Grandidier  a  trouvé  ces 
«  coffres  remplis  d'écritures  »  dont  paillait  le  chevalier  de  la 
Serre  :  «  Mes  recherches  sur  l'histoire  du  pays  et  sur  les  immi- 


1)  Archives  coloniales, 

El.  Jacquet  (Nouv.  Journ.  Asiat.j  févr.  1833)  donne  quelaues  renseignements 
sur  les  manuscrits  malgaches,  couverts  de  caractères  arabes,  conservés  à  la 
Bibliothèque  nationale  :  «  Il  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  ces  tables  pour  recon- 
naître crue  la  cabalistique  est  veuue  aux  Madécasses  des  environs  ae  Mascate, 
comme  le  reste  de  leur  civilisation  moderne  et  de  leurs  opinions  religieuses.  » 
Il  s'agit  de  Tancien  fonds  de  la  Bibl.  nat.  et  des  mss.  acquis  par  Anisson 
Duperron.u  Le  sujet  de  la  plupart  des  traités  contenus  dans  ces  volumes  est  la 
cabalistique  musulmane,  origmairement  dérivée  de  la  cabalistique  judaïque.  » 

2)  Ed.  Pouget-Saint-André,  loc.  cit. 

Voici  ce  nu'en  disait,  en  1820,  Albrand,  qui  habitait  au  milieu  d'eux  : 

«  Les  Ronandrians,  étrangers  au  pays,  sont  venus  s*y  établir  à  une  époque 
que  je  ne  puis  fixer,  mais  qui  ne  dqit  pas  être  fort  éloignée,  car,  du  temps  de 
Flacourt»  ils  se  distinguaient  encore  des  naturels  par  leurs  traits  et  la  couleur 
de  leur  leint.  Aujourd'hui,  le  mélange  des  races  et  l'influence  du  climat 
ont  fait  disparaître  ces  difTérences,  et  1  opinion  seule  les  sépare  du  reste  des 
Malgaches...» 

La  tradition  est  cependant  restée  vivace  parmi  eux  ;  Albrand  en  rapporte  une 
preuve  dans  le  récit  d'un  incident  survenu  au  cours  d'un  voyage  au  pays 
d'Anossy,  en  1819.  «  ....Une  question  faite  par  la  personne  qiii  m'accompa- 
gnait, relativement  au  lieu  où  M.  de  Modave  avait  dû  jeter  les  fondements  de 
la  ville  qu'il  projetait,  fit  naître  parmi  les  Malgaches  une  rumeur  sourde,  et 
l'on  entendit  le  chef  dire  tout  bas  :  «  Ils  veulent  prendre  mon  pays;  eh  bien  î 
je  retournerai  aux  sables  de  la  Mecque,  dans  la  patrie  de  mes  pères.  r> 

Ann.  marit.  et  ml ,  32'  année,  3'  série,  1847,  t.  III,  p.  507  et  suiv. 


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LES  PEUPLADES  DE  MADAGASCAR  41 

grations  des  races  étrangères  à  l'île,  dît  ce  voyageur,  m'ont 
conduit  jusqu'à  Matitanà,  où  se  trouvent  les  descendants  des 
Arabes  qui  ont  jadis  émigré  à  Madagascar;  j'ai  réuni  des  docu- 
ments nombreux  sur  cette  curieuse  tribu,  et  j'ai  rapporté  des 
extraits  des  livres,  écrits  en  caractères  arabes,  qu'ils  conservent 
avec  religion*.  » 

Ranbalou,  Phanbalou  ou  Caniclou,  dont  parle  Maçoudi  dans 
ses  Prairies  dor,  et  qu'il  avait  visitée  en  916,  île  habitée  par  des 
Zendjes,  n'est  pas  Madagascar,  comme  on  le  croit  ordinairement, 
mais  Anjouan,  selon  M.  Grandidier.  Maçoudi  raconte  qu'elle  fut 
conquise  vers  750  par  des  musulmans  :  ils  parlaient  la  langue 
des  Zendjes  (le  Souahili)  et  étaient  de  leur  caste  *. 

Ainsi,  dès  cette  époque,  l'islamisme  plaçait  des  avant-postes 
pour  la  conquête  de  la  côte  nord-ouest  de  Madagascar. 

L'Asie  envoya  plusieurs  colonies  musulmanes  vers  Madagas- 
car en  même  temps  que  ses  navires  de  commerce.  La  Perse 
fournit  aussi  son  contingent  :  <(  Les  Persans  connurent  Mada- 
gascar à  une  époque  déjà  fort  reculée,  dit  le  P.  de  la  Vaissière. 
Ils  l'appelaient  Sérendib,  et  leurs  navires  venaient  du  golfe  Per- 
sique  y  trafiquer*...  »  S'il  faut  en  croire  M.  Delagrange,  il  y  eut 
une  importante  immigration  venue  de  Perse  :  «  Au  commence- 
ment du  XVI*  siècle,  vers  l'époque  où  les  Portugais  commen- 
çaient à  se  montrer  dans  la  mer  des  Indes,  une  riche  et  nom- 
breuse peuplade  des  Chiradzi,  en  Perse,  immigra  dans  le  canal 
de  Mozambique,  Plusieurs  des  chefs  actuels  des  Comores  sont 
les  descendants  de  celui  qui  commandait  à  cette  peuplade.  C'est 
d'elle  que  venaient  les  Antalots  (Antallaoutsi  =  homme  d'outre- 
mer). Ils  s'établirent  sur  la  côte  ouest  de  Madagascar,  mais, 
quoique  s'unissant  aux  fils  des  naturels,  ils  se  distinguèrent 
toujours  des  autres  peuplades  par  leurs  figures  arabes,  et  sur- 
tout parleur  langue,  le  saouëli*...  » 

Ainsi  les  Arabes  ont  fondé,  à  Madagascar,  depuis  le  vn®  siècle 


1)  Grandidier.  Notice  sur  ses  travaux  scientifiques, 

'-)Lâ  livre  de  Marco-Polo.  2*  partie,  chap.  clxxxv,  Paris,  Firmin-Didot,  1865. 

3)  Uist.  de  Madagascar, 

A)  Archives  coloniales.  Ce  passage  est  emprunté  à  un  long  mémoire  manus- 


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12  LES   PEUPLADES   DE   MADAGASCAR 

jusqu'à  nos  jours,  des  colonies  nombreuses  et  prospères  sur  des 
rivages  opposés.  Comme  le  fait  remarquer  M.  Hallez*,  ils  n'ont 
jamais  formé  de  tribu  ni  de  peuplade  distincte.  Ils  ont  tantôt 
constitué  une  aristocratie  dominatrice,  tantôt  exercé  un  prosé- 
lytisme qui  n'est  pas  demeuré  sans  effet,  ou  bien  ils  se  sont 
contentés  de  jouer  le  rôle  de  juifs  marchands,  d'intermédiaires 
nécessaires  à  toutes  les  transactions  des  naïfs  indigènes.  Ils  se 
sont  partout  mêlés  à  la  population  malgache  et  ont  fait  souche 
de  métis.  Toutefois  les  traditions  sont  demeurées  vivaces  sur 
certains  points  et  leur  domination  ne  s'est  point  affaiblie.  Ainsi, 
dans  le  sud-est,  les  Zafi-Baminia  sont  encore  puissants  :  «  En 
suivant  la  rivière,  dit  un  auteur  récent,  on  aborde  au  village  de 
Salobé,  où  réside  Rézoumaneira,  le  plus  puissant  des  rois  Anta- 
nosses...  U  exerce  une  prépondérance  parfaitement  établie...  Il 
est  le  véritable  roi  de  la  grande  tribu  des  Zafa-Renia^•.  » 


crit  très  bien  fait  et  dû  à  la  plume  de  M.  Delagrange,  qui  récrivit  en  1855,  étant 
gouverneur  de  notre  colonie  de  Sainte-Marie. 

Guillain,  loc.  ait,,  fait,  p.  357,  l'histoire  des  établissements  antalaots  à  la 
côte  nord-ouest  de  Madagascar. 

Il  a  recueilli  les  traditions  :  il  fait  remonter  cette  immigration  à  la  fln  du 
XVI*  siècle.  Elle  partit  de  Boukdadi,  situé  aux  environs  du  Basra  (Bassora). 
La  flotte,  composée  de  sept  daws»  sortit  du  golfe  Persique ,  se  dirigea  vers  la 
côte  orientale  d'Afrique  et  y  aborda  dans  une  petite  baie  située  un  peu  au  sud 
de  Mombase  (à  Touest  de  rîle  Pemba  et  au  nord  de  Zanzibar).  Elle  fonda  un 
village  nommé  Pangani  ;  puis  un  autre  en  face,  Bouéni.  Inquiétés  par  les 
guerres  des  peuplades  environnantes,  ils  s'embarquèrent  pour  la  terre  de 
RomVi  (nom  de  Madagascar  chez  les  navigateurs  arabes).  La  flottille  atterrit 
près  de  l'extrémité  nord  de  1  île,  à  Ampan'hani.  Après  avoir  fait  quelques 
constructions  et  élevé  une  muraille  d'enceinte, —  dont  il  reste  des  vestiges,  dit 
Guillain,  —  ils  se  transportèrent  à  Nossi-Comba,  puis  l'abandonnèrent  bientôt 
pour  la  baie  Matzamba.  Là,  ils  fondèrent  un  nouveau  village  de  nom  de  Pan- 
gani. «  La  baie  Matzamba  parait  avoir  été  habitée  par  les  Arabes*  vu  que  leurs 
tombes  existent  encore  sur  le  sommet  de  la  petite  île  située  près  de  la  passe. 
Des  arbres  se  sont  élevés  au  milieu  de  ces  tombeaux,  noircis  par  le  temps,  et 
qui  ne  seront  bientôt  que  des  ruines.  » 

Plus  tard,  une  partie  de  la  colonie  descendit  plus  au  sud  et  s'établit 
à  Nosi  Komba  puis  au  fond  de  la  baie  située  en  face  de  l'île  et  y  fondèrent 
Bouénù 

Des  branches  se  détachèrent  de  ces  colonies  pour  aller  se  fixer  dans  la  baie 
de  Bombétoketdansia  baie  de  Bali.  A  leur  arrivée,  les  colons  avaient  reçu  des 
indigènes  le  nom  d*Anti-Alaoutsif  qui  servit  dès  lors  à  les  distinguer  des  Arabes 
qui  venaient  habiter  temporairement  le  pays  pour  y  commercer. 

1)  L'Investigateur,  Décembre  1867. 

2)  Notes  sur  Madagascar,  par  Ad.  Le  Roy.  Bulletin  des  sciences  et  des  arts 
de  la  Réunion^  1883,  1  vol.,  chez  Gabriel  et  Gaston  Lahuppe,  à  Saint-Denis, 
1884,  p.  106. 


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LBS    PEUPLADES    DE   MADAGASCAR  13 

Il  serait  intéressant  de  rechercher  quel  a  été  le  r61e  de  ces 
Arabes  dans  l'Ile  et  quel  il  est  aujourd'hui  :  nous  serions  par  là 
entraîné  à  sortir  du  cadre  de  cette  élude  et  à  des  développements 
trop  étendus.  Cependant  nous  pouvons  fixer  quelques  traits. 

La  plupart  des  coutumes  religieuses  ou  superstitieuses  des 
peuplades  de  l'île  leur  viennent  des  Arabes,  qui  se  sont  faits 
ombiasseSy  c'est-à-dire  prêtres,  devins  et  médecins  pour  mieux 
exploiter  la  crédulité  des  indigènes.  Les  voyageurs,  depuis  Fia- 
court,  n'ont  qu'une  voix  pour  caractériser  ce  gem^e  d'influence. 
Sans  introduire  le  mahométisme  pur,  ils  ont  implanté  des  cou- 
tumes qui  en  procèdent  et  qu'ils  ont  accommodées  aux  lieux  et 
aux  hommes  :  la  circoncision,  l'abstinence  de  certaines  viandes, 
les  ablutions,  le  port  d'amulettes  sacrées,  constituées  par  des 
versets  du  Coran,  etc..  Certaines  traditions  religieuses,  comme 
la  croyance  à  sept  cieux  au-delà  de  la  mort,  à  des  anges  et  à  des 
démons  de  sept  sortes  différentes. 

Aujourd'hui  c*est  seulement  sur  la  côte  ouest  que  leur  influence 
est  grande,  soit  parce  qu'ils  concentrent  tout  le  petit  commerce 
dans  leurs  mains,  soit  parce  qu'ils  ont  su  prendre  partout  un 
grand  empire  sur  l'esprit  des  chefs.  11  faut  ajouter  que  cette 
influence  morale  et  politique  est  loin  d'être  bienfaisante.  —  Vin- 
cent Noël,  constatait,  en  1843,  que  u  les  Arabes  affluaient  dans 
le  royaume  de  Bouéni,  où  ils  faisaient  un  commerce  d'impor- 
tation d'une  certaine  importance  ^  » 

En  1853,  M.  Delagrange  écrivait  dans  le  mémoire  déjà  cité  : 
«  Les  relations  de  ces  Antalots  avec  les  chefs  en  font  des  hommes 
qui  sont  fort  à  ménager  à  Madagascar,  quoique  leur  caractère 
soit  ordinairement  méprisable  :  ils  sont  fourbes,  rusés  comme 
les  Arabes  et  en  même  temps  d'une  pusillanimité  sans 
pareille'...  »  Le  même  auteur  dit  ailleurs  encore  :  «  Les  Anta- 
lots, qui  aujourd'hui  sont  à  peu  près  les  seuls  commerçants  de 
TAmbongou,  se  retrouvent  encore  plus  loin  au  sud.  Ils  peuvent 
être  très  gênants  pour  des  Européens,  auxquels  ils  cherchent  le 


1)  BuU.  So€.  Géog.,  avril  1843. 

2)  Archiv€$  coloniales. 


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14  LES   PKUPLÂDES    DE   MADAGASCAR 

plus  souvent  à  nuire,  car  ils  voient  en  eux  des  concurrents 
redoutables  pour  leurs  opérations...  Ils  sont  souples,  rusés,  se 
mettant  dans  les  bonnes  grâces  des  chefs  en  épousant  leurs  filles 
et  ordinairement  animés  d'un  grand  esprit  de  prosélytisme.  » 
Un  voyageur  hollandais  disait  d'eux  déjà  en  1846  :  «  Il  est  impos- 
sible d'acheter  ou  de  vendre,  ni  même  d'arriver  auprès  des 
grands  chefs  malgaches,  sans  être  préalablement  d'accord  avec 
eux*.  » 

Ces  Arabes  ont  étendu  leur  influence  jusqu'au  sud  de  la  côte 
ouest  :  «  Les  Mahfales  et  les  Sakalaves  sont  les  peuples  les  plus 
intéressés  que  Ton  puisse  rencontrer,  dit  M.  Grandidier,  et  leur 
convoitise  est  incroyable,..  Il  faut  attribuer  leurs  tristes  pen- 
chants au  contact  des  Arabes,  qui,  de  temps  immémorial,  sont 
en  commerce  avec  ces  pays.  Ils  sont  lâches,  hypocrites,  men- 
teurs, s'adonnent  sans  vergogne  au  vol  et  à  l'immoralité,  et  sont 
dominés  par  les  superstitions  les  plus  incroyables ^  »  Cette  con- 
tagion malsaine  a  gagné  de  même  l'extrême  nord,  en  atteignant 
le  pays  des  Antankares  :  c'est  ce  que  constatait  le  docteur  Ber- 
nier  en  1834 ^  Tsimiharo,  roi  des  Antankarana  et  ami  de  la 
France,  et  son  fils  Tsialana  se  sont  ralliés  à  l'islamisme  vers 
1850.  Tsialana,  aujourd'hui,  pratique  cette  religion. 

Cette  triste  influence  ne  tourne  pas  seulement  au  malheur  des 
populations  indigènes;  elle  est  encore  nuisible  aux  Européens. 
M.  Grandidier  raconte  que,  dans  des  pays  Sakalaves  indépen- 
dants, il  fut  en  butte  aux  hostililés  des  Arabes  et  aux  vexations 
des  Sakalaves,  qui  obéissent  à  leur  influence  ^ 

Ces  Arabes  vont  même  parfois  plus  loin  et  affichent  nettement 
leurs  prétentions  à  la  domination  politique  de  la  côte  ouest. 


i)  Voy.  à  Madagascar,  par  le  Bron  de  Vexala.  -—  Rev.  de  VOrienl,*  i,  IV, 
1846. 

En  1820,  Albrand  (loc,  cil.)  écrivait  :  «  Ces  peuplades,  connues  à  la  côte 
d'Afrique  sous  Je  nom  de  Saklaves,  ont  peuplé  le  nord-ouest  de  Madagascar 
d'Anjouanais  captifs,  et  il  m'a  été  assuré  par  Jean  René,  souverain  de  Tama- 
tave,  que  ces  étrangers  dont  le  nombre  s'accroît  tous  les  jours,  deviendraient 
sous  peu  maîtres  de  cette  partie  de  Tîle.  » 

2)  BulL  Soc.  Géogr,,  octobre  1867. 

3)  BulL  Soc.  Géogr,  Com.  de  Bordeaux^  5  avril  1886. 

4)  Bull,  Soc.  Géogr.,  août  1871 . 


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LES   PEUPLADES    DE   MADAGASCAR  io 

Ainsi,  en  1860,  une  croisière  française  trouva  dans  la  baie  de 
Baly  le  pavillon  arabe  flottant  sur  le  logement  du  capitaine  du 
port*.  Le  même  fait  s'est  reproduit  en  1885,  et  il  ne  fallut  rien 
moins  que  la  menace  du  canon  d'un  de  nos  croiseurs  pour  faire 
cesser  ces  prétendons  insolentes. 


CHAPITRE  YI 


Sommaire  :  Élément  juif,  sémitique.  —  Relation  de  Flacourt,  auteurs  modernes. 
—  Métis-sémitiques;  Pouls.  —  Colonies  phéniciennes.  —  Coutumes  juives  à 
Madagascar.  — 'Hypothèse  de  Flacourt. 


II  faut  dire  quelques  mots  d'un  élément  dont  quelques-uns 
contestent  l'existence,  et  qui,  s'il  existe  ou  s'il  a  existé,  n  a  pas 
une  grande  importance  numérique,  —  je  veux  parler  de  l'élé- 
ment juif. 

Flacourt  fut  le  premier  à  le  signaler  :  après  les  Zaffiramini,  il 
place  «<  d'autres  (hommes)  vers  la  bande  du  nord  (de  la  côte  est) 
qui  se  disent  Zaffeibrahim  *,  et  ne  connaissent  point  Mahomet.  » 
Plus  loin,  dans  le  même  ouvrage,  il  ajoute  quelques  détails  vrai- 
ment caractéristiques;  il  dit  en  parlant  des  gens  qui  habitent  le 
pays  du  Port-aux-Prunes,  de  Tamatave  à  la  baie  d'Anlongil. 
«  Il  n'y  a  que  ceux  qui  savent  une  certaine  prière  qu'ils  nomment 
Mivorache^  qui  ont  la  faculté  de  coupper  la  gorge  aux  bestes,en 
quoy  ils  sont  si  scrupuleux  qu'ils  mourraient  plutôt  de  faim  que 
de  manger  de  la  viande  d'une  beste  qu'un  chrétien  ou  un 
homme  du  costé  du  sud  aurait  tuée;  ils  sont  tous  provenus  d'une 
même  lignée  qu'ils  nomment  Zaffeibrahim...  ils  ne  connaissent 
point  Mahomet  et  nomment  ceux  de  sa  secte  des  Cafres;  ils 
reconnaissent  Noé ,  Abraham ,  Moïse  et  David  ;  mais  ils  n'ont 
aucune  connaissance  des  autres  prophètes  ny  de  notre  sauveur 

1)  TS'oismois  autour  de  Jdadagiiscar,  d  après  les  notes  de  l'abbé  Guerret. 
Douai,  1883. 

2)  Fils  d*Abraham. 


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46  LES    PEUPLADES    DE   MADAGASCAR 

Jésus-Christ.  Ils  sont  circoncis,  ils  ne  travaillent  pas  le  same- 

dy*...  » 

Ces  lignes  tranchent  nettement  avec  celles  que  Flacourt  con- 
sacre aux  habitants  des  environs  de  Fort-Dauphin,  dominés  par 
des  immigrants  qui  avaient  importé  des  coutumes  mahométanes, 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  apportant  avec  eux  le  Coran,  et 
parlant  de  Jésus-Christ  comme  d'un  prophète,  qu'au  dire  de  Fla- 
court on  nommait  Ralima  dans  le  pays  d'Anossi.  Or,  pour  em- 
ployer l'expression  de  M.  Grandidier,  les  récits  de  ce  vieil  auteur 
portent  le  cachet  de  la  vérité;  nous  serions  donc  prêts  à  croire 
qu'il  y  eut  à  Sainte-Marie  une  colonie  juive,  qui  se  répandit  de 
là  sur  la  côte,  de  Tamatave  à  la  baie  d'Antongil,  ainsi  que  le  rap- 
porte Flacourt  *. 

Nous  avons  pour  corroborer  cette  opinion   le    témoignage 


1)  Histoire  de  la  grande  isle  de  Madagascar,  par  le  sieur  de  Flacourt,  Paris, 
1661. 

On  lit  dans  Dapper,  Description  de  l'Afrique,  Amsterdam,  1686,  page  481  : 
«  Les  habitants  de  Tîle  Sainte-Marie  (Nosi  Ibrahim)  n'ont  jamais  voulu  faire 
d'alliance  avec  les  chrétiens,  quoiqu'ils  soient  bienvenus  parmi  eux,  à 
cause,  sans  doute,  qu1ls  ont  encore  retenu  quelque  chose  de  Tancien 
judaïsme.  » 

2)  Aussi  ne  sommes-nous  point  tout  à  fait  de  Tavis  de  M.  Grandidier  qui 
englobe  dans  une  même  et  générale  influence  sémitique  celle  des  JuiTs  et  celle 
des  Arabes  musulmans  venus  à  Madagascar  (voy.  Madagascar  et  ses  habilantSy 
loc.  ci7.,p.  24  et  25).  Nous  ne  croyons  pas  pouvoir  passer  sur  les  différences 
que  Flacourt  établit  entre  les  Juifs  de  la  côte  nord-est  et  les  Arabes  de  la  côte 
sud-est.  Cette  restriction  faite,  c'est  avec  plaisir  que  nous  citerons  les  passages 
du  même  travail  où  M.  Grandidier  fait  hautement  ressortir  l'importance  de  ce 
sujet  :  «  Les  colonies  sémitiques  ont  une  influence  considérable.  Il  y  a,  en  effet, 
un  usage,  répandu  dans  toute  Tîle,  qui  oblige  les  Malgaches  à  ne  rien  entre- 
prendre, à  ne  rien  faire,  sans  avoir,  au  préalable,  consulté  l'avenir  par  l'entre- 
mise de  devins,  à  l'aide  d'une  sorte  de  jeu  de  hasard  nommé  sikily  ;  cet  usage 
a  été  introduit  par  des  Juifs  venus  d'Arabie...  On  retrouve  encore  aujourd'hui 
des  descendants  de  ces  Juifs  dans  le  nord-est  et  dans  le  sud-est  de  l'île.  C'est 
aussi  à  cette  première  colonie  de  Sémites  qu'est  due  l'introduction  de  l'astrolo- 
gie et  des  noms  arabes  des  constellations.  L'influence  exercée  sur  les  mœurs 
de  tous  les  habitants  de  Madagascar  par  ces  pratiques  a  été  considérable,  puis- 
qu'il n'y  a  pas  un  seul  acte  de  leur  vie  publique  ou  privée  qui  ne  soit  réglemen- 
tée conformément  aux  décisions  du  géomancien  ou  de  l'astrologue.  Quelques 
peuplades  malgaches  d'origine  indonésienne  font  encore  auiourd  hui  des  sacri- 
Bces  humains,  mais  aucune  tradition  sûre  ne  nous  apprend  que  l'antropopha- 
gie,  qui  est  si  commune  dans  l'extrême  Orient,  y  ait  jamais  été  pratiquée.  Nous 
ne  savons  pas  en  réalité  si  le  cannibalisme  était  déjà  en  honneur  en  Océanie 
avant  Timmigraiion  des  tribus  qui  ont  peuplé  Madagascar,  ou  s'il  ne  s'y  est 
développé  qu'ultérieurement;  il  n'est  pas  impossible  qu'il  ait  existé  jadis  parmi 
les  Malffaches  et  que  Tinfluence  juive,  q^ui  a  été  très  forte,  ait  opposé  une  bar- 
rière salutaire  à  ces  pratiques  sanguinaires,  si  antipathiques  au  judaïsme.  » 


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LES    PEUPLADES   DE   MADAGASCAR  17 

d^hommcs  qui  onl  étudié  cl  habité  la  côte  est.  Ainsi  M.  Delà- 
grange,  qui  fut  longtemps  gouverneur  de  Sainte-Marie,  dit  dans 
son  mémoire  manuscrit  déjà  cité  *  :  «  Les  populations  de  la  côte 
orientale  ont  des  traits  plus  fins,  plus  réguliers,  qui  semblent  se 
rapprocher  de  ceux  de  la  race  sémitique.  »  M.  de  Froberville 
trouve  sur  la  côte  orientale  d'Afrique  et  à  Madagascar  «  une 
race  à  nez  saillant  et  recourbé,  à  lèvres  peu  épaisses,  à  face  pou 
prognathe,  et  qu'il  nomme  métis-sémitique' .»  Ces  métis-sémi- 
tiques sont  uniformément  répandus  chez  les  Ostro-nègres,  peuple 
de  l'Afrique  orientale,  selon  M.  de  Froberville  :  ce  qui  nous 
amène  en  passant  à  mentionner  une  hypothèse  faite  par  quelques 
auteurs...  «  Par  des  considérations  géographiques  et  d'histoire 
ancienne  très  approfondies,  dit  M.  Serres  en  parlant  du  mémoire 
de  M.  de  Froberville,  par  des  légendes  cosmogoniques  qu'il  a 
recueillies  avec  beaucoup  de  soin  des  Ostro-nègres,  et  qui  con- 
cordent parfaitement  avec  la  Genèse  ;  surtout  d'après  quelques 
traits  de  mœurs  qui  se  rattachent  aux  coutumes  des  peuples 
syro-chaldéens,  elles  traces  multipliées  du  culte  de  Moloc  qu'il 
a  retrouvées  répandues  parmi  les  Oslro-nègres,  M.  de  Frober- 
ville s'arrête  à  l'idée  que  les  métis-sémitiques  de  l'Afrique  orien- 
tale proviennent  d'un  croisement  des  Phéniciens  avec  les  nègres 
primitifs  de  cette  contrée...  »  Mais,  ajoute  judicieusement 
M.  Serres,  le  rapporteur,  «  l'origitie  des  Phéniciens  elle-même 
n'est  pas  encore  rigoureusement  établie  '.  »  Il  est  curieux  d'ob- 

1)  Archives  coloniales. 

2)  Serres  {Comptes  rendus  Acad.  Sciences,  t.  XXX,  p.  679,  1850). 

C'est  sans  doute  la  famille  des  Pouls,  ainsi  qu*on  les  nomme  aujourd'hui. 
«  Originaires  de  l'Afrique  orientale,  d*où,  à  une  époque  inconnue,  mais  à  coup 
sûr  lointaine,  ils  amenèrent  (dans  les  vallées  du  Sénégal  et  du  Niger)  le 
iHBuf  à  bosse  de  la  Huute-Égypte.  »  C'est  justement  celui  qu'on  retrouve  à 
Madagascar. 

Aujourd'hui  a  les  cheveux  ne  sont  plus  lisses  et  seulement  bouclés,  mais 
déjà  un  peu  crépus.  La  face  est  orthognathe  et  allongée  ;  les  traits  sont  fins,  les 
lèvres  minces;  quoique  petit,  le  nez  s  avance  et  prend  ordinairement  une  forme 
aquilîne.  )> 

Girard  de  Rialle.  toc,  cit. y  p.  85.  Voy.  des  considérations  analogues  :  Wake, 
Joum.  ofthe  anthrop.  Institute,  t.  Vllf. 

3)  M.  Serres  ignorait  sans  doute  les  savants  travaux  de  M.  Movers  publiés 
quelques  années  auparavant  à  Beriin  {Bas  Phœnizische  Alterthum,  Beriin, 
1841-46).  L'auteur  allemand  Movers,  conclut  que  les  Chananéens,  appelés  par 
le«  Grecs  Phéniciens,  appartenaient  à  la  race  sémitique  «  dont  quelques  peu- 
plades,  dans  un  temps  qui  précède  le  commencement  de  notre  histoire,  émi- 

VI  2 


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18  LES  PEUPLADES  DE  MADAGASCAR 

server  qu'une  hypothèse  analogue  avait  été  émise  par  le  cheva- 
lier de  la  Serre,  dans  le  mémoire  manuscrit  déjà  cité,  pour 
expliquer  Torigine  d'une  des  peuplades  malgaches  :  «  Je  soup- 
çonne ce  peuple  être  descendant  des  Phéniciens  qui  sortirent  de 
la  mer  Rouge  et  se  rendirent,  à  ce  que  nous  apprend  l'histoire, 
dans  la  Méditerranée;  il  se  peut,  et  la  vraisemblance  y  est,  qu'en 
passant,  comme  ils  firent,  dans  le  canal  de  Mozambique,  ils  au- 
raient pu  se  perdre  sur  Madagascar  \  »  Le  capitaine  Guillain, 
dans  son  livre  Documents  sur  [histoire,  la  géographie  et  le  com- 
merce de  r Afrique  orientale,  cite  le  passage  d'Hérodote,  visé  par 
le  chevalier  de  la  Serre  *,  et  examine  cette  hypothèse  de  colonies 
phéniciennes  dans  ces  parages; 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  ne  paraît  pas  douteux  aux  esprits  les  plus 
rassis  et  aux  juges  les  plus  compétents  que  les  Juifs  ont  importé 
à  Madagascar  plusieurs  de  leurs  coutumes  et  y  ont  ainsi  laissé 
des  traces  que  l'on  retrouve  aujourd'hui.  Il  n'est  donc  nullement 
besoin  de  faire  intervenir  les  Arabes  mahométans  pour  expliquer 
l'introduction  de  ces  mœurs  religieuses  et  superstitions,  qui  se 

grèrent  peu  à  peu,  les  uns  venant  du  nord  par  la  Syrie,  d'autres  du  sud  par 
FArabie,  el,  suivant  toute  apparence,  parvinrent,  au  bout  de  plusieurs  siècles,  à 
s'élablir  d'une  manière  fixe  dans  la  Palestine  ».  D'autre  part,  Girard  de  Rialle 
disait  récemment,  en  rangeant  les  Phéniciens  dans  la  branche  chamitique,  sœur 
de  la  branche  sémitique  :  «  Les  Phéniciens  qui,  à  l'époque  historique,  ne  par- 
laient plus  qu'une  langue  sémitique,  presque  un  dialecte  de  l'hébreu,  se  disaient, 
suivant  Hérodote,  Strabpn  et  presque  tous  les  auteurs  de  l'antiquité,  originaires 


des  bords  du  golfe  Persique,  vers  l'embouchure  du  Tigre  et  l'Euphrate.»  (Les 
peuples  de  l'Asie  et  de  l* Europe;  p.  93.) 

1)  Archives  coloniales. 

2)  Hérodote,  trad.  Larcher,  t.  III,  p.  254-55.  Cl.  J.  Sibree,  Proceed.  ofRoy. 
Qeogr,  Soc,  p.  655 et  suiv. 

Voy.  dans  Guillain, /oc.  cit,  p.  10  et  suiv.,  les  documents  qu'il  cite.  Voici  les 
conclusions  qu'il  en  tire  : 

<c  Nous  acceptons  comme  acquis  à  l'histoire  : 

1^  Que  le  pays  d'Ophir,  d'où  provenaient  les  produits  apportés  par  les  flottes 
de  Salomon,  était  situé  à  la  côte  orientale  d'Afrique,  et  plus  particulière- 
ment dans  la  partie  de  la  côte  connue  sous  le  nom  de  Mozambique  et  de 
Sofala; 

2°  Qu'au  temps  où  ce  roi  régnait,  les  navigateurs  hébreux  et  phéniciens  com- 
muniquaient avec  cette  côte.  Le  commerce  de  l'or  d'Ophir  était,  du  reste,  anté- 
rieur à  Salomon...  »  p.  25-26. 

«  ...Parmi  les  précieux  objets  fournis  par  ce  commerce  (des  Phéniciens  et  des 
Hébreux),  la  substance  la  plus  curieuse  était  la  cannelle,  dont  nous  venons  de 
constater  la  présence  chez  les  Hébreux  au  temps  de  Moïse,  et  la  cannelle 
n'a  pu  être  trouvée  dans  des  lieux  plus  rapprochés  que  Ceylan  ou  la  côte  de 
Malabar...  »  p.  34. 


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LES  P£UPLADES  DE  MADAGASCAR  J9 

serait  faite  par  leur  intermédiaire,  comme  le  voudraient  certains 
auteurs. 

Ainsi,  M.  Grandidier  écrit  :  «  La  religion  des  Malgaches  vient 
probablement  des  Juifs,  et  ils  y  ont  greffé  le  culte  des  Mânes  des 
ancêtres  *...  »  Plus  loin,  le  même  auteur  dit  encore  :  «  Dans  les 
pratiques  religieuses  des  Sakalaves,  on  trouve  des  usages  qui 
rappellent  ceux  des  Juifs.  » 

Dans  ses  précieuses  Notes  sur  Madagascar ^  M.  Crémazy  revient 
souvent  sur  ce  fait  que  nombre  des  usages  malgaches  et  en  par- 
ticulier hovas  semblent  venir  des  Juifs;  il  va  même  jusqu'à 
reproduire,  sans  la  détruire,  la  singulière  opinion  du  P.  Finaz 
que  la  race  hova  est  d'origine  juive  '.  Le  même  auteur,  parlant 
de  ces  usages  communs  aux  Juifs  et  aux  Malgaches,  dit  qu'on 
en  pourrait  citer  quarante  parfaitement  semblables',  et  il  en 
cite  un  certain  nombre. 

Pour  expliquer  la  présence  de  l'élément  juif  à  Madagascar,  il 
remonterait  «  jusqu'à  la  dispersion  des  Chananéens,  enfants 
d  Ésaii ,  par  Josué.  »  Il  cite  à  l'appui  l'opinion  de  Flacourt , 
exprimée  dans  Tavant-propos  de  son  Histoire  de  la  grande  isle  de 
Madagascar.  En  effet,  Flacourt  y  dit  qu'il  croit  que  «  les  Zaffi- 
Ibrahim,  habitants  de  Fîle  Sainte-Marie  et  des  terres  voisines... 
descendent  des  Juifs  »  et  que  «  leurs  ancêtres  sont  passés  en  cette 
île  dès  les  premières  transmigrations  des  Juifs,  ou  qu'ils  sont 
descendus  des  plus  anciennes  familles  des  Ismaélites,  dès  avant 
la  captivité  de  Babylone,  ou  de  ceux  qui  pouvaient  être  restés 
dans  rÉgypte,  environ  la  sortie  des  enfants  d'Israël...  *  » 


1)  'Bull.  SiK.  Géog.,  avril  1872. 

2)  Notes  sur  Madagascar  (4«  partie),  p.  27. 

3)  Rev.  marit,  etcoLj  octobre  1884. 

4)  RetJ.  marit,  et  col.,  octobre  1884,  p.  207. 

Ducnont  d'Urville  dous  fournit  ici  encore  sur  la  langue  madécasse  de  curieux 
■aperçus  de  philologie  comparée  :  «  L'hébreu  présente  le  rapprochement  sui- 
vant avec  le  polynésien,  savoir  :  matay  mort,  en  hébreu,  mate  en  polynésien.... 
A  regard  du  madékass,  ces  rapprochements  sont  plus  marqués,  savoir  :  har, 
blé,  dans  les  deux  langues  ;  damang,  hébreu,  toumang,  madékass,  pleurer  ; 
marar^  hébreu,  affligé,  en  madékass,  malade  ;  alas,  bois,  dans  les  deux  langues; 
m,  hébreu,  amitié  madékass,  avec  ;  isckf  hébreu,  homme,  iz,  modêkass, 
quelque  ;  bonn^  penser,  comprendre  dans  les  deux  langues,  etc.  Mais  on  sait 
qu'à  Madagascar  une  tradition  bien  établie  y  constatait  l'arrivée  d'une  colonie 
juive  à  une  époqoe  très  reculée.  »  (Voyage  de  V Astrolabe.  Philologie',  p.  301). 


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20  LES   PEUPLADES   DE   MADAGASCAB 


CHAPITRE  VII 


Sommaire  :  Élément  indien  *.  —  Invasion  indo-arabe.  —  Versions  différentes  de 
Grandidier  et  de  Crémazy.  —  Des  familles  royales  de  la  côte  ouest  sont 
indiennes.  —  Relations  commerciales  de  rin<le  avec  Madagascar.  —  Le 
rôle  des  Indiens  aujourd'hui  dans  Tîle  :  influence  politique  et  religieuse. 

Il  y  a  encore  à  Madagascar  un  élément  indien,  dont  nous  avons 
déjà  dit  quelques  mots  au  passage. 

Si  nous  laissons  de  côté  l'opinion  de  J.  Codine  sur  l'invasion 
des  Zafferaminî,  qui,  selon  lui,  seraient  venus  de  la  Malaisie, 
opinion  qui  semble  définitivement  détruite  par  les  détails  précis 
que  donne  M.  Grandidier  et  que  confirme  M.  Crémazy,  tout  en  les 
interprétant  un  peu  différemment,  —  cette  invasion  ne  fut  pas 
malaiso-arabe,  mais  indo-arabe.  C'est  ainsi  que  Ton  retrouve  sur 
la  côte  sud-est  des  tribus  d'origine  indienne.  On  se  rappelle 
sans  doute  que,  d'après  la  version  de  M.  Grandidier,  les  Arabes 
dans  cette  immigration  avaient  amené  avec  eux  des  Indiens  qui 
fondèrent  sur  la  côte  un  petit  état  indépendant.  «  Ce  sont  les 
descendants  de  ces  Indiens,  ajoute  M.  Grandidier,  qu'on  connaît 
aujourd'hui  sous  le  nom  d'Anteisakas  ou  habitants  du  petit  pays 
de  Saka  (sur  les  bords  de  la  rivière  Ménanara  près  de  Vangai- 
dranou).  Si  l'on  se  laissait  guider  par  les  étymologies,  on  serait 
tenté  d'admettre  que  cette  tribu,  avant  d'aller  s'établir  sur  les 
bords  du  Ménanara,  avait  habité  Sakaléon  :  j'ai  trouvé  en  effet, 
dans  ce  district,  au  milieu  de  la  jongle,  un  éléphant  asiatique 
sculpté  dans  une  roche  tendre,  ainsi  que  divers  fragments  de 
vases  de  pierre  ;  elle  aura  été  à  la  suite  vaincue  par  des  immi- 
grants redoutables  (probablement  la  seconde  colonie  arabe,  qui 
est  arrivée  de  la  côte  d'Afrique,  vers  le  xv*  siècle,  et  dont  les 
descendants  établis  à  Matétanane,  sont  connus  sous  le  nom 
d'Ântéïmoures)  et  refoulée  dans  le  sud.  Sakaléon  en  malgache 

1)  Cest  à  dessein  que  nous  employons  le  mot  indien,  quoiqu'il  eût  été  plus 
clair  peut-être  de  nous  servir  du  term^  dHndou.  Nous  avons  conservé  le  pre- 
mier parce  au'il  est  le  seul  usité  à  Madagascar,  où  il  a  le  sens  très  précis  d  ori- 
ginaire de  1  Indoustao. 


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LES    PEUPLADES    DE   MADAGASCAR  21 

signifie  Saka^vaincu.  A  la  suito  de  celte  défaite,  les  Anleisakas 
se  sont  séparés  ;  les  uns  se  sont  établis  sur  les  rives  du  Ménanara, 
où  ils  étaient  déjà  du  temps  de  Flacourt,  et  où  ils  sont  encore 
aujourd'hui,  conservant  à  leur  nouvelle  patrie  le  nom  de  Saka; 
les  autres,  traversant  File  dans  toute  sa  largeur,  sont  venus  à  la 
côte  occidentale,  où  ils  n'ont  pas  lardé  à  acquérir  toute  autorité 
sur  les  peuplades  encore  sauvages  qui  habitaient  ces  régions. 
En  donnant  au  royaume  qu'ils  y  fondèrent  le  nom  de  Sakalava, 
ils  ont  voulu  garder  le  souvenir  de  leur  pays  d'origine;  Saka- 
lava^  Saka-lojig,  parce  que  ce  royaume  étroit,  mais  long,  com- 
prenait la  plus  grande  partie  de  la  côte  ouest'.  »  C'est  de  ces 
Indiens  que,  selon  le  même  auteur,  «  descendent  les  rois 
Marousérananes  et  Andrévoules  qui  régnent  sur  la  côte  occi- 
dentale, ainsi  que  les  louha  Vouhilses  ou  notables  Mahafales, 
Aniiféhérénanes  et  Sakalaves '.  »  En  effet,  aujourd'hui  encore, 
les  Sakalaves  ont  conservé  fidèlement  cette  tradition,  que  leurs 
rois  et  les  grands  de  leur  nation  furent  des  étrangers  à  Tori* 
gine. 

Voici  la  version  de  M.  Crémazy  :  «  Les  Antanos,  d'origine 
indienne^  ont  débarqué  à  Sakaléon  (côte  est)  entre  Hahéla  et 
Mahanoro,  un  peu  au  sud  do  la  rivière  Hanaoro.  Les  Antanos 
ou  peuple  zafiiramini^  sont  la  même  peuplade,  dont  le  chef  était 
fiamini,  quand  elle  a  débarqué  à  Sakaléon  vers  l'an  1200  de 
notre  ère.  Elle  a  une  histoire  écrite  en  caractères  hindous,  qui 
se  trouve  entre  les  mains  de  quelques  chefs  Antéïmaures  rési- 
dant aux  villages  de  Faron  et  de  Matatana,  au  sud  de  la  rivière 
de  Mananzary  ;  il  y  a  aussi  des  documents  historiques  parmi  les 
chefs  Antanos  habitant  la  partie  haute  de  la  rivière  Saint- 
Augustin.  Ramini,  après  avoir  débarqué  à  Sakaléon,  voulut 
remercier  Dieu  de  l'avoir  sauvé  des  flots,  lui  et  ses  compagnons  : 
à  cet  effet,  il  fit  tailler  dans  une  grosse  pierre  un  éléphant,  qui 
se  voit  encore  à  Sakaléon. 

«  Celte  peuplade  s'allia  à  celles  du  voisinage.  Deux  ou  trois 


1)  Rev,  Scientif.f  i\  mai  1872. 

2)  Loc.  cit. 


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22  LES   PEUPLADES   DE   MADAGASCAR 

cents  ans  après  son  arrivée  dans  le  pays,  la  mésinlclligence 
éclata  entre  les  chefs  ;  ce  fut  à  qui  s'emparerait  du  pouvoir.  Deux 
camps  furent  en  présence.  Il  y  eut  une  grande  bataille  livrée  du 
côté  de  Faron  et  de  Matélanana.  Le  parti  vaincu  se  réfugia  vers 
le  sud  :  c'est  le  peuple  qui  s'appelle  Ântanosy  ;  le  parti  vain- 
queur reste  sur  les  lieux*et  forme  les  Antéïmoures.  » 

La  version  de  M.  Grandidier  se  tient  mieux  ;  elle  a  de  plus 
l'avantage  de  concorder  avec  certaines  traditions  de  la  côte  ouest, 
et  d'expliquer  divers  traits  de  mœurs  des  peuplades  de  cette 
région,  évidemment  importés  de  l'Inde.  Celle  de  M.  Crémazy, 
plus  circonstanciée,  renferme  plusieurs  invraisemblances. 

L'auteur  parait  attribuer  à  tort  aux  Indiens  les  textes,  reconnus 
arabes,  qui  sont  aux  Matatanes  et  dont  nous  avons  déjà  parlé. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  demeure  établi  qu'il  y  eut  une  immigra- 
tion indoue,  qu'elle  fut  assez  importante  et  dut  se  mêler  à  la 
population  de  la  côte  est  dans  une  région  qui  n'est  pas  con^ 
testée. 

En  dehors  de  cette  colonie  qui  se  transporta  en  masse  de 
l'Inde  à  Madagascar,  il  y  eut  de  temps  immémorial  des  relations 
de  commerce  entre  la  côte  de  Malabar  et  la  côte  orientale 
d'Afrique,  peut-être  en  passant  par  Madagascar.  Marco-Polo 
rapporte  ce  [fait  :  «  Et  si  vous  di  que  les  nefs  de  Maabar  qui 
viennent  en  ceste  isle  de  Madéisgascar,  et  en  l'autre  de  Zam- 
quibar^  y  viennent  si  tost  que  c'est  merveille. ..  '.  » 

Le  «  sieur  Du  Bois  »,  dans  son  voyage  à  Madagascar  de  1669 
à  1672,  donne  un  détail  précis  :  «  On  appelle  cette  rivière,  la 
rivière  des  MâtSy  parce  qu'il  y  a  de  beaux  bois  propres  à  mater 
des  vaisseaux...,  même  que  l'on  vient  des  Indes  en  chercher*.  » 
Cette  rivière  des  Mâts  est  située  aux  environs  de  la  baie  de 
Bombétok  sur  la  côte  nord-ouest.  C'est  surtout  dans  cette  partie 
de  l'île,  qu'en  ce  siècle  les  Indous  ont  concentré  leurs  efforts.  Le 
Bron  de  Vexala  écrit  en  1846  :  «  Massangai  (Mazangaie),  bâtie 
au  pied  du  fort  et  longeant  la  baie  (de  Bombétok),  contient  tout 


1)  Marco  Polo,  loc,  cit.y  p.  679-80.  Voy.  plus  haut. 

2)  Du  Bois,  loc,  cit.,  p.  72  et  suiv. 


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LES  PEUPLADES  DE  MADAGASCAR  23 

au  plus  une  centaine  de  maisons  construites  en  pierres  et  habi- 
tées par  une  tribu  de  Bamans  (Indous),  qui  lui  donnent  une  cer- 
taine activité  par  leur  commerce*.  »  En  1853,  M.  Delagrange 
confirme  le  fait  que  les  Indiens  font  fréquemment,  pour  leur  com- 
merce, des  voyages  entre  Tlnde  et  Mazangaye*.  Aujourd'hui 
plus  que  jamais,  les  Indiens  prennent  pied  sur  toute  la  côte 
ouest,  imitant  Texemple  des  Arabes  et  monopolisant  le  cabotage 
avec  leurs  boutres  et  tout  le  petit  commerce  '. 

Dans  la  légende  sakalave,  déjà  citée,  sur  Torigine  des*  Hovas, 
il  est  dit  :  «  Les  Hovas  ont  été  les  amis  des  Karany  (Indiens).  )) 
«  Les  Karany  ou  Indiens,  dit  le  P.  de  la  Vaissière,  sont  proba- 
blement des  trafiquants  venus  à  la  côte  ouest  à  une  date  assez 
récente.  Il  est  peu  probable  qu'ils  ai^nt  ensuite  quitté  Mada- 
gascar. Nous  pensons  plutôt  qu'ils  se  sont  fondus  avec  les 
Amboas-lambos  (Hovas)  ou  avec  quelqu'une  des  tribus  du 
littoral*.  M 

Il  n'y  a  rien  d'impossible  à  ce  que  les  sectes  bouddhistes  de 
Ceylan»  remarquables  par  leur  prosélytisme,  aient  envoyé  des 
missionnaires  à  Madagascar.  II  est  de  fait  qu'au  milieu  de  la 
confusion  inextricable  des  superstitions  et  des  croyances  reli- 
gieuses de  rUe,  on  rencontre  des  traces  fort  nettes  de  pan- 
théisme *  et  même  de  la  croyance  à  la  métempsycose. 

Grandidier  signale  même  des  usages  très  particuliers,  d'une 
origine  indienne  nettement  caractérisée  *. 


1^  Revue  de  l'Orient. 

z\  Arch,  eoL  Mémoire  manuscrit. 

3)  Trois  mois  autour  de  Madagascar,  par  E.  Génin,  Douai,  1883,  p.  13  et 
passim. 

«  Les  Indiens  et  Jes  Arabes  oui  pratiquent  ce  commerce  (des  bois  de  cons- 
truction) sont  coroplèlemenl  malgachisés.  On  en  rencontre  dans  la  plupart  des 
villages  du  littoral,  entre  Vohémar  au  nord  et  Morondava  au  sud-ouest.  Parmi 
les  premiers,  presque  tous  originaires  de  Bombay,  beaucoup  ont  fait  souche  à 
Madagascar  et  sont  devenus  sujets  hovas,  témoin  ceux  de  Majunga...  » 

(Lettre  de  Madagascar  dans  le  Temps  du  15  août  1886.) 

4)  Vingt  ans  à  Madagascar,  p.  54. 

5)  Souchu  de  Rennefort,  loc.  cit,,  ch.  xxx.  Cf.  Rev.  Henry  W.  Little,  ouvr. 
cité,  ch.v. 

6)  Bévue  scientifique,  11  mai  1872. 


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24  LES   PEUPLADES    DE   MADAGASCAR 


CHAPITRE   VIII 

Sommaire  :  Éléments  européens.  —  Forbans  et  pirates  :  les  Malades,  —  Une 
colonie  languedocienne  à  l'Intérieur. —  Union  des  Européens  avec  les  femmes 
Malgaches  sur  les  côtes  :  garnisons,  comptoirs,  habitants,  etc. 

Un  dernier  élément,  l'élémenl  européen,  est  aussi  entré  dans 
ce  composé  hybride  qui  constitue  la  population  de  Madagascar. 

Avant  que  les  Poi^iigais,  les  Hollandais,  et  à  plus  forte  raison 
les  Français,  se  soient  établis  dans  Tîle,  les  forbans  européens 
qui  écumaient  la  mer  des  Indes,  en  avaient  fait  leur  asile  ignoré. 
Ils  se  réfugiaient  et  se  Ravitaillaient  dans  les  baies  du  nord  et 
du  nord-est.  Leur  principal  point  de  retraite  était  Tîle  Sainte- 
Marie.  «  L'îlot  aux  forbans,  vis-à-vis  de  l'établissement  français 
actuel,  rappelle  encore  leur  séjour*.  »  —  «  Ces  pirates  venaient 
se  reposera  Madagascar  de  leurs  périlleuses  expéditions;  ils  y 
arrivaient  avec  leurs  riches  captures;  généreux  et  prodigues, 
ils  répandaient  leurs  trésors  dans  le  pays.  Proscrits  par  la  civi- 
lisation, ils  se  faisaient  de  Tîle  sauvage  une  autre  patrie;  ils  en 
adoptaient  les  mœurs,  s'y  créaient  une  famille...  Vers  1721 
finit  le  règne  des  forbans  dans  les  mers  de  l'Inde;  leurs  navires 
furent  détruits  et  leurs  équipages  dispersés.  Ceux  d'entre  eux 
qui  échappèrent  au  désastre  viarent  se  réfugier  dans  leurs 
familles  à  Madagascar*.  »  Le  fils  de  l'un  d'eux,  Ratsimalo, 
acquit  une  grande  autorité  sur  les  Betsimisaraka,  qui  en  firent 
leur  grand  chef.  «  Ses  enfants  succédèrent  à  son  autorité;  ils 
prirent  le  nom  de  Malattes  (modification  du  mot  mulâtre)j  et  à 
plusieurs  reprises  les  traitants  de  Maurice  et  de  Bourbon,  en 
s'alliant  à  des  femmes  de  cette  famille,  y  firent  rentrer  de  nouveau 
le  sang  des  blancs ^  »  Ce  nom  de  Malattes  fut  ensuite  étendu  à 
tous  les  descendants  des  forbans. 

De  nombreux  aventuriers  européens  s'introduisirent  dans  les 
familles  des  chefs  de  toute  la  côte  est. 

i)  Arch.  col.,  mémoire^manuscrit  de  Delagrange,  1853. 

2)  Colonie  de  Madagascary  par  Désiré  Laverdant,  Paris,  1848,  p.  59-60. 

3)  Archives  coloniales^  Delagrange. 


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LES    PEUPLADES    DE   MADAGASCAR  2S 

Nous  avons  parlé  des  forbans  en  général  ;  les  forbans  anglais 
eorent  une  destinée  particulière.  «  Dans  les  temps  que  les  for- 
bans anglois  infesloient  les  mers  de  llnde,  plusieurs  de  ces 
pirates  s'établirent  à  Madagascar,  où,  jouissant  impunément  de 
leurs  brigandages,  ils  formèrent  des  espèces  de  petites  souve- 
rainetés qui  furent  longtemps  redoutables  aux  insulaires  (l'on 
peut  consulter  ï Histoire  des  forbans  anglois).  Insensiblement 
elles  s'éteignirent  par  la  mort  de  la  plupart  de  leurs  chefs;  leurs 
descendants  ne  furent  plus  si  puissants,  et  comme  ces  brigands 
ne  purent  s*allier  qu'aux  femmes  du  pays,  leur  race  s'abâtardit 
peu  à  peu  ;  il  en  reste  actuellement  si  peu  de  vestiges,  qu'on  n'a, 
dans  le  pays,  qu'une  tradition  assez  confuse  de  cette  race  de 
blancs.  La  langue  angloiso,  qu'on  parloit  dans  celte  partie  de 
Madagascar,  y  est  totalement  ignorée  aujourd'hui;  la  langue 
française  a  pris  la  place  et  les  Principaux,  et  surtout  les  femmes 
se  font  très  bien  entendre'.  » 

Grossin  écrivait  en  1732  :  «  J'ai  observé  que  les  Européens 
qui  ont  abordé  à  Madagascar,  depuis  que  les  Français  n'y  sont 
plus,  s'y  sont  établis  et  se  sont  emparés  des  principales  pro- 
vinces; ils  peuvent  être  à  présent  3,000  de  toutes  les  nations... 
Ils  peuvent  nôtre  point  regardés  comme  forbans, «..  étant.... 
domiciliés  dans  une  terre  abandonnée  (des  Européens),  y  vivant 
en  habitants;...  aucune  puissance  n'a  réclamé  contre;  au  con- 
traire, toutes  ont  été  très  contentes  que  les  mers  fussent  net- 
toyées de  pirates*...  » 

Les  forbans  et  les  aventuriers  ne  furent  pas  le  seul  élément 
européen  qui  se  soit  mêlé  à  la  population  indigène.  Antony  de 


l)Le  Gentil,  loc,  ciL 

2)  Rev,  de  Géogr.y  Dovembre  1883,  p.  356. 

Voy.  aussi  renseignements  inédits  sur  les  flibustiers  de  Madagascar  au  xvii* 
siècle,  fier.  marU.  et  coL,  1873,  t.  XXXIII,  p.  365  et  suiv.  : 

«  Dans  VHistoire  de  Charles  XII,  Voltaire  a  donné  des  renseignements  inté- 
ressants sur  le  rôle  que  devaient  jouer,  d'après  Ids  plans  d*Alberoni,  ligué  avec 
le  roi  de  Suède,  les  flibustiers  de  Madagascar.  Leur  souvenir  est  encore  vivant 
dans  ces  parafes  ;  leurs  pierriers  sont  restés  aux  abords  de  Port-Loukez.  La 
tradition  les  dit  Portugais. 

«  Nous  trouvons  dans  le  journal  d*un  voyage,  fait  en  1698-99,  des  détails 
qui  raontrent  combien  ils  étaient  redoutés  et  quelles  immenses  richesses  ils 
avaient  amassées...  » 


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26  LES   PEUPLA.DES   DE    MADAGASCAR 

Fonlmichel  émet  une  opinion  et  rapporte  un  fait,  lesquels  ne  se 
rencontrent  que  chez  lui  et  par.  là  même  méritent  d^ètre  notés  : 
«  A  la  révocation  de  Tédit  de  Nantes,  il  n'est  pas  impossible  que 
des  protestants,  repoussés  des  colonies  françaises,  où  ils  cher- 
<^haient  un  asile  conti*e  les  persécutions  de  Louis  XIV,  aient  été 
amenés,  par  la  nécessité  de  prendre  terre  quelque  part,  à  se  fixer 
à  Madagascar.  Ce  qui  fortifierait  cette  conjecture,  c'est  qu'un 
émigré,  victime  lui-même  d'un  genre  de  persécution  encore  plus 
horrible,  m*a  dit  avoir  trouvé  dans  l'intérieur  de  Tîle  une  peu- 
plade de  Malgaches  blancs,  qui,  entre  eux,  parlaient  le  patois 
languedocien*.  » 

Depuis  rétablissement  des  étrangers,  et  en  particulier  des 
Français^  sur  un  grand  nombre  de  points  de  Tîle,  gr&ce  à  la  sin- 
gulière disposition  d'esprit  des  maris  malgaches,  qui  considèrent 
comme  un  honneur  que  leurs  femmes  reçoivent  les  hommages 
d'un  blanc*,  grâce  aussi  à  l'incroyable  impudeur  et  au  tempéra- 
ment étrangement  lascif  des  femmes  malgaches,  les  Européens 
ont  trouvé  toutes  facilités  pour  faire  souche  sur  tout  le  littoral. 
Un  exemple  entre  mille  suffira  :  «  J'ai  couru  aujourd'hui  un 
grand  danger,  écrit  Modave  dans  son  journal,  à  la  date  du 
8  octobre  1768'.  Dian  Mananzac  (chef  des  euvirons  de  Fort- 
Dauphin)  est  venu  dîner  avec  moi.  Il  s'est  mis  de  bonne  humeur 
à  l'aide  d'un  peu  d'eau-de-vie.  Il  a  oublié  qu'il  avait  reçu  mes 
-excuses  au  sujet  de  sa  femme,  qu'il  voulait  si  généreusement  me 
céder.  Il  m*a  déclaré  qu'il  était  trop  mon  ami  pour  ne  pas  par- 
tager son  bien  avec  moi,  et  qu'ainsi  il  alloit  m'envoier  sa  femme. 
Il  m'a  tenu  parole,  et  j'ai  eu  d'autant  plus  de  peine  à  m'en  dépê- 
trer qu'elle  est  vieille  et  laide,  et  que  ce  changement  ne  lui 
déplaisait  pas  ;  enfin  je  lui  ai  fait  entendre  raison  et  l'ai  renvoiée. 
Ces  peuples  sont  dans  cet  usage  bizarre  qui  est  d'autant  moins 
prêt  à  finir  que  les  étrangers  acceptent  souvent  leurs  offres.  Il 


1)  Voyage  à  Madagascar  pendant  les  années  4823  et  4824,  par  Ant.  de  Fonl- 
michel. {Nouvelles  annales  des  voyages.) 

2)  Cf.  Rev.  J.  Holding.  Notes  on  the  province  of  Tanibe,  Madagascar. 
Procced.  of  Roy.  Qeog.  Soc.  1870,  t.  XIV,  p.  359-372.  —  Cf.  Mém.  de  l'instit. 
Se.  Mor.  et  PoL,  an  XI,  t.  IV,  Lescalier,  p.  22. 

3)  Archives  coloniales. 


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LES  PEUPLADES  DE  -MADAGASCAR  27 

n'y  a  point  de  nation  sur  la  terre  où  les  femmes  et  les  filles 
soient  de  meilleure  composition...  Les  fruits  de  cet  agiotage 
commencent  à  se  multiplier. . .  »  Or  cet  agiotage^  —  pour  employer 
la  curieuse  et  spirituelle  expression  de  M.  de  Modave,  —  se  fai- 
sait en  tous  les  points  de  Tîle  où  se  trouvaient  des  Européens,  Il 
y  a  tout  lieu  de  croire  que  la  chose  n'a  guère  changé,  en  dépit 
des  missionnaires.  En  tout  cas,  il  n'est  pas  douteux  que  le  sang 
blanc  ne  se  soit  mêlé  dans  des  proportions  dignes  d'être  notées 
au  sang  malgache,  déjà  si  mélangé.  Un  officier  de  marine,  qui 
croisait  sur  la  côte  ouest  en  1885,  me  racontait  avoir  trouvé  sur 
de  nombreux  points  de  cette  côte  des  traitants  créoles  qui  avaient 
pris  femme  chez  les  Mahafales  et  les  Sakalaves,  —  là  où  elles 
sont  fort  belles,  —  et  avaient  fondé  des  familles  nombreuses  et 
d'un  type  vigoureux. 


Fig.  3.  Pirogue  sakalave,  à  balancier.  Modèle  exécuté  à  Nossi-Bé. 
(Musée  d'Ethnographie.) 


APPENDICE 


T.  Orthographe,  —  Nous  avons,  au  début  de  celle  élude,  dit  quelques  mots 
de  Torthographe. 

Il  esl  évident  que  l'incroyable  diversité  des  orthographes,  adoptées  par  les 
difTérenls  auteurs,  provient  le  plus  souvent  de  l'ignorance  ou  d*une  connais- 
sance trop  superficielle  de  la  langue  malgache.  Mais  il  est  encore  une  aulre 
cause  :  les  hommes  mêmes  qui  se  livrent  à  des  éludes  spéciales  sur  la  langue 
malgache,  les  malgachisantSy  les  professeurs  qui  enseignent  à  Madagascar  sont 
divisés  en  deux  camps  bien  tranchés  ;  là  encore  les  Européens  n'ont  pas  pu 
s'entendre.  Anglais  et  Français,  protestanls  et  catholiques  ont  adopté  deux 
orthographes  contraires. 

Le  Rév.  P.  Pierre  Caussèque,  suivant  la  trace  des  PP.  Webber,  Ailloud  et 


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28  LKS   PKIIPLADES   DE   MADAGASCAB 

Basiltile,  a  publié  tout  récemment  une  nouvelle  Grammaire  malgache  (Antana- 
narivo,  Imp.  calbol.  1886).  Il  y  a  ajouté  un  Appendice,  publié  à  pari,  où  il 
traite  avec  une  clarté  remarquable  cette  brûlante  question  de  Forthograpbe. 
Nous  avons  lu  ce  petit  livre,  écrit  avec  verve,  savant  et  accessible  à  la  fois. 
Nous  avons  été  convaincu  par  son  argumentation  serrée,  lumineuse  ;  la  raison 
et  le  bon  sens  sont  de  son  côté.  Nous  renvoyons  à  son  ouvrage  les  personnes 
que  la  question  intéresse. 

II.  Des  causes  d'erreur  cfiez  les  auteurs  qui  ont  traité  de  l'ethnographie 
malgache,  et  de  la  langue  en  particulier,  —  Dans  le  courant  de  notre  travail, 
nous  avonô  eu  à  relever  diverses  erreurs  graves  chez  divers  auteurs,  et  surtout 
chez  les  auteurs  anglais.  Il  n*y  avait  aucun  parti-pris  de  notre  part.  Aussi  bien 
nous  semble-t-il  utile  de  nous  expliquer  clairement  sur  les  causes  de  ces  erreurs 
persistantes  chez  nombre  d'écrivains,  moins  sujets  à  caution  d'habitude. 

Tous  les  Anglais  sans  exception  et  les  rares  Allemands  qui  ont  écrit  sur 
Madagascar  ont  dédaigné  de  lire  ce  que  la  France  avait  produit  sur  ce  sujet 
depuis  le  xvii*  siècle  ;  ils  ont  fait  table  rase  de  l'intéressante  histoire  de  l'île 
avant  le  xiz«  siècle,  avant  l'apparition  historique  des  Hovas.  Puis,  partant  de 
ce  principe  que  la  peuplade  Hova,  étant  politiquement  pour  eux  la  plus 
importante,  était  par  là  même  la  seule  intéressante  à  étudier,  ils  s*en  sont  tenus 
à  ce  qui  a  été  écrit  depuis  un  siècle  sur  les  Hovas,  et  malheureusement  dans  un 
esprit  trop  souvent  partial. 

Ils  ont  négligé  de  la  sorte  les  précieuses  sources  d'informations  que  leur 
offraient  nos  vieux  auteurs.  Ils  ont  remplacé  les  vérités  traditionnelles  que  ces 
naïfs  chroniqueurs  avaient  notées,  sans  y  attacher  d'importance  et  qui  sont 
aujourd'hui  l'unique  témoignage  qui  nous  demeure,  puisque  les  Malgaches  n'ont 
pas  d'histoire  écrite,  ils  ont  remplacé  ces  vérités  traditionnelles  par  de  pures 
conjectures,  méconnaissant  même  parfois  les  vérités  les  mieux  établies,  et  cela 
pour  construire  des  hypothèses  vaines  ;  ils  ont  même  été  jusqu'à  mêler  la  poli- 
tique et  les  querelles  religieuses  à  la  science,  si  bien  que  nous  avons  dû,  nous- 
mêmes,  indiquer  leurs  qualités  de  Révérends  ou  d'agents  britanniques  pour  bien 
marquer  la  valeur  de  leurs  affirmations. 

Ils  ont  trouvé  leur  juste  châtiment  dans  les  grossières  erreurs  qu'ils  ont  com- 
mises. 

Nous  allons  faire  toucher  du  bout  du  doigt  la  vérité  de  ce  que  nous  avançons 
dans  une  question  particulière  soulevée  déjà  plus  haut,  celle  des  rapports  du 
polynésien,  du  malais  et  du  malgache. 

Nous  aurous  l'occasion  par  là  même  de  citer  un  auteur  grave  que  nous 
n'avions  pas  encore  lu. 

Le  D' Pr.  Millier  dans  son  savant  ouvrage  (Qrundriss  der  Spachwissenschaft, 
2  vol.  Wien,  1880)  divise  au  point  de  vue  de  la  langue  les  Malayo-Polynésiens 
en  trois  parties  : 

1*  Polynésiens  ;  2"^  Mélanésiens  ;  3<»  Malais,  à  l'ouest  des  îles  Paloos,  habitées 
par  des  Mélanésiens,  et  de  la  Nouvelle-Guinée,  par  les  Papouas.  «  Leur 
extension  jusqu'à  Madagascar,  ajoute-t-il,  doit  être  Hxée  aux  premiers  siècles 
de  notre  ère  :  l'idiome  principal  de  celte  fie  appelé  malagasi  offre  le  type  bien 


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LES   PEUPLADES    DE   MADAGASCAR  29 

net  des  langues  malaises  (spécialement  du  baUak),ei  Ton  y  rencontre  quelques 
mots  empruntés  au  sanscrit.  » 

On  voit  qu*il  rapproche  le  malgache,  malagasi,  des  langues  malaises  et 
spécialement  du  battak.  On  avait  répété  jusqu*ici  après  Jacquet  qu*il  avait  des 
rapports  plus  étroits  avec  le  tiigaL 

Nous  essarterons  tout  d*abord  Topinion  de  Jacquet  {Nouv,  Jour.  Asiatique, 
fév.  1833)  qui,  simplement  basée  sur  Torthographe,  ne  nous  offre  pas  d*assez 
sûres  garanties.  D*ailleurs,  on  y  opposerait  sans  peine  la  connaissance  nouvelle 
que  l'on  a  des  langues  malaises  de  l'intérieur  et  sur  laquelle  est  justement 
fondée  l'opinion  de  Fr.  Mûller. 

Il  est  à  remarquer  que  les  résultats  où  est  parvenu  Fr.  Mûller  détruiraient 
ceux  qu'avait  obtenus  Dumont  d'Urville,  moins  bien  renseigné  sur  les  langues 
malaises,  et  Ton  est  tenté  tout  d*abord  d'adopter  définitivement  les  vues  du 
savant  Viennois,  d'autant  que  la  vaste  synthèse  grammaticale  et  philologique 
qu*il  a  réalisée  n'est  pas  sans  en  imposer. 

Mais  voilà  justement  le  point  où  nous  allons  pouvoir  appliquer  l'observation 
faite  plus  haut,  que  les  auteurs  anglais  et  allemands  ont  été  entraînés  logique- 
ment à  des  erreurs  pour  avoir  exclusivement  étudié  les  mœurs  et  le  dialecte  des 
Hovas.  Fr.  Mûller,  qui  est  évidemment  sous  l'influence  du  bruit  que  l'on  fait 
autour  du  peuple  d'Emyme,  désigne  sans  aucun  doute  le  dialecte  hovat  quand 
il  parle  de  Yidiome  principal  de  Tile.  Assurément,  le  dialecte  hovaest,  au  point 
de  vue  du  nombre  et  politiquement  parlant,  le  plus  important  aujourd'hui  ; 
mais,  au  point  de  vue  historique,  qui  prime  les  autres  dans  cette  question  de 
linguistique,  il  était  dangereux  de  le  prendre  pour  type. 

Ce  n'est  plus  à  Tananarive  qu'il  faut  chercher  le  vrai  malgache,  celui  qui 
intéresse  l'ethnographe  à  la  piste  des  transformations  successives  de  la  popu- 
lation dans  l'île,  c'est  chez  les  vieilles  peuplades  de  l'Ile,  immigrées  dès  le  pre- 
mier siècle  de  notre  ère.  Les  Hovas  ne  sont  arrivés  que  onze  siècles  après  et 
en  petit  nombre.  «  Une  race  inférieure  ne  saurait  imposer  sa  langue  à  des  races 
supérieures  en  se  mêlant  directement  avec  elles,  dit  M.  de  Quatrefages  dans  un 
livre  récent  {Introd.  à  VEtude  des  Roc.  Hum.^  1887,  p.  164).  Mais  si  cellçs-ci 
arrivent  successivement  par  petits  groupes  isolés  et  s'infiltrent  peu  à  peu  dans 
une  population  compacte,  leurs  représentants  ne  peuvent  que  céder  au  nombre 
et  prendre  les  habitudes,  les  mœurs,  le  langage  de  la  race  au  milieu  de  laquelle 
ils  sont  comme  noyés.  »  C'est  à  peu  de  chose  près  le  cas  des  Hovas.  Étant 
Malais  et  relativement  supérieurs  aux  Indonésiens,  qui  ont  peuplé  Madagascar 
avant  eux,  mais,  fort  inférieurs  en  nombre  au  début,  ils  ont  dû  se  courber  et 
s'assouplir  :  c'est  incontestable.  Et  c'est  ce  qu'on  oublie  trop  souvent.  Ils  ont 
adapté  leur  langue  à  celle  des  anciens  Malgaches,  dont  elle  était  proche  parente. 
Mais  la  langue  des  Antanosses  par  exemple, des  habitants  des  environs  de  Fort- 
Dauphin,  est  à  nos  yeux  le  type  de  la  langue  malgache  et  à  bien  meilleur  titre 
que  le  dialecte  hova.  Témoin  l'histoire  des  migrations  faite  par  nous  dans  la 
précédente  étude. 

Or,  les  rapprochements  que  fait  Mûller  entre  le  malgache  et  le  battak  portent 
principalement  sur  la  prononciation  de  certaines  lettres.  Il  est  de  fait  que  les 
Hovas  ont  conservé  jusqu'à  ce  jour  une  prononciation  particulière  ;  mais  le 
résultat  atteint  par  Fr.  Mûller  tendrait  simplement  à  prouver  que  les  ancêtres 


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30  LES   PEUPLADES   DE   MADAGASCAR 

des  Hovas  sont  issus  plutôt  de  la  peuplade  Baltak  que  de  telle  autre  deTArchipel 
malais. 

Et  c'est  ici  que  nous  pouvons  montrer  la  supériorité  des  auteurs  qui  ont  tenu 
compte,  dans  leurs  études  ethnographiques  ou  linguistiques,  des  renseignements 
que  nous  ont  légués  les  vieux  auteurs,  principalement  français,  du  xvii^  et 
du  xviii*  siècles.  Il  se  trouve  ainsi  que  les  conclusions  de  Dumont  d*Urville 
que  nous  avons  citées  plus  haut,  et  qui  établissent  que  le  malgache  se  rapproche 
plus  du  polynésien  que  du  malais,  ne  sont  nullement  entamées  par  les  résultats 
de  Fr.  Mûller. 

En  effet,  Dumont  d*Urville  s'est  appliqué  surtout  à  puiser  ses  renseignements 
sur  le  malgache  à  une  source  sûre:  Il  a  eu  entre  les  mains  des  documents  recueil- 
lis par  M.  de  Froberville,  remontant  tous  aux  deux  siècles  précédents  et  émanés 
de  voyageurs  qui  avaient  surtout  étudié  les  antiques  tribus  des  environs  de  Forl- 
Dauphin  et  de  la  baie  d'Antongil,  ainsi  que  les  notes  de  Chapelier  qui  avait,  lui 
aussi,  surtout  étudié  les  établissements  français  dans  File,  situés  au  milieu  des 
peuplades  les  plus  anciennes. 

Ainsi,  je  le  répète,  en  laissant  de  côté  l'importance  politique  acquise  par  les 
Hovas,  et  en  ne  considérant  que  le  point  de  vue  scientifique  de  la  question,  ce 
n'est  pas  à  Tananarive  qu'il  faut  chercher  le  vrai  malgache,  celui  qui  peut  nous 
révéler  le  secret  de  l'origine  des  premiers  immigrants  venus  de  l'Extrême-Est, 
c'est  à  Fort-Dauphin  et  chez  les  auteurs  qui  nous  ont  transmis  Gdèlement  les 
traditions  des  antiques  peuplades.  Sans  méconnaître  ce  que  les  conclusions  de 
Fr.  Mûller  peuvent  avoir  de  juste  appliquées  au  dialecte  et  à  la  peuplade  hova, 
je  crois  devoir  soutenir  qu'elles  ne  détruisent  en  rien  celles  de  Dumont  d'Urville 
et  qu'elles  n'éteignent  nullement  la  lumière  que  ce  grand  navigateur  avait  jetée 
sur  les  origines  des  plus  anciennes  peuplades  de  Madagascar. 

La  même  argumentation  nous  servira  à  concilier  deux  opinions  contradictoires 
sur  cette  môme  question  du  langage,  mais  qui  cette  fois  ont  trait  directement  à 
la  date  des  immigrations.  On  verra  que  la  distinction  établie  par  nous  suffît  à 
tirer  une  vérité  satisfaisante  de  ces  questions  un  peu  obscures. 

Th.  Waitz  écrit  {Anthropologie  dcr  ^^aturvœlker,  Leipzig,  1860,  t.  II, 
p.  430)  :  «  Crawfurd  {Hist.  of  the  Ind.  Archip.,  1820, 1,  29),  s'accordant  en  cela 
avec  Dulaurier  (.V.  Ann.  des  Voy.y  1850,  II,  152),  place  l'invasion  malaise  à 
Madagascar  à  une  époque  qui  précéderait  le  commencement  de  llnfluence 
iiidoue  sur  les  peuples  de  l'archipel  malais,  et  il  se  fonde  sur  ce  fait  que  l'on  ne 
trouverait  aucune  trace  de  sanscrit  dans  le  vocabulaire  malgache  ;  or,  les  rap- 
ports entre  l'Inde  et  l'Archipel  commencèrent  d'après  Crawfurd  (lïl,  194)  au 
ir®,  d'après  Raffles  (I.  474)  au  i"  siècle  après  Jésus-Christ.  EnOn,  d'après  Las- 
sen  {Ind.  Alterthumsk,  II,  1044,  1059)  il  faudrait  les  faire  remonter  sûrement 
aiu  moins  un  siècle  plus  haut.  » 

Waitz  avoue  n'être  pas  convaincu  par  cet  argument.  Il  n'accorde  que  le 
xii«  siècle  pour  l'invasion  malaise  à  Madagascar,  d'après  Ibn  Saïd  et  Edrisi. 

Le  fait  est  qu'ils  avaient  tous  raison,  car  ils  ne  discutaient  pas  sur  les  mômes 
faits.  Crawfurd  et  Dulaurier  avaient  étudié  la  langue  des  peuplades  pré-bovas, 
venues  à  Madagascar  dès  le  début  de  notre  ère,  et  n'y  avaient  naturellement 
trouvé  aucune  trace  de  sanscrit.  Et  Waitz  pouvait  réclamer  la  fixation  du 


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LES   PEUPLADES   DE   MADAGASCAR  3t 

XII*  siècle  comme  époque  de  rimmigration  malaise^  mais  de  celle-là  seule- 
ment qui  a  donné  naissance  &  la  peuplade  hova,  et  dans  le  dialecte  de  laquelle 
Fr.  Mûlier  a  trouvé,  comme  nous  le  disions  plus  haut,  des  traces  de  sanscrit  : 
ce  qui  prouve  une  fois  de  plus  qu*il  faut  toujours  distinguer  en  pareil  cas  à 
Madagascar  et  que  le  savant  viennois  a  eu  tort  de  tirer  des  conclusions  géné- 
rales sur  le  malgache,  alors  qu'il  n'avait  étudié  qu*un  dialecte,  secondaire  au 
point  de  vue  historique,  le  dialecte  hova,  formé  dix  siècles  au  moins  après  les 
premiers. 

III.  Élément  nègre.  —  Wailz  [op.  cit.,  p.  424-9)  se  refusait  à  admettre  que 
les  éléments  nègres  de  Madagascar  pussent  être  venus  de  Tautre  extrémité  de 
l'océan  Indien;  il  lui  paraissait  dirficile  de  leur  donner  à  <ou5  «  une  autre  origine 
que  TAfrique  >>.  Nous  avons  essayé  de  prouver  le  contraire,  dans  le  cours  de  la 
précédente  étude  ;  aussi  nous  croyons-nous  autorisés  à  trouver  cette  opinion  de 
Waitz  beaucoup  trop  absolue,  même  sous  la  forme  dubitative. 

Deux  auteurs  allemands  récents,  qui  avaient  tous  deux  étudié  la  côte  orien- 
tale d'Afrique  et  qui  ensuite  ont  visité  chacun  de  leur  côté,  vers  1879,  la  côte 
occidentale  de  Madagascar,  émettent  des  opinions  absolument  contradictoires 
qu'il  est  intéressant  de  rapprocher  ici,  ainsi  que  l'avait  déjà  fait  Virchow 
(Monastber,  der  K.  Pr.  Akad,  der  WUs.  zu  Bei^lin.  Dec.  1880).  J.-M.  Hildebrandt 
iZeUseh.  der  GeselL  fur  Erdk,  zu  Berlin,  1880,  n»  86)  dit  clairement,  page  183: 
■  Je  déclare  publiquement  que  je  ne  saurais  établir  une  différence  tranchée  entre 
un  représentant  de  ces  races  (nomades  africains,  depuis  les  Nubiens  jusqu*aux 
Cafres)  et  un  Sakalave.  »  Il  prouve,  quelques  lignes  plus  loin,  qu'il  ignore  com- 
plètement l'histoire  des  diverses  races  à  Madagascar,  quand  il  laisse  entendire 
que  ce  sont  les  hovas  qui  ont  introduit  la  langue  parlée  aujourd'hui  par  les 
Sakalaves.  C'est  toujours  la  même  erreur,  et  toujours  aussi  funeste.  Il  est  clair 
que  s*il  n'avait  pas  été  possédé  de  cette  idée  fausse  que  l'invasion  hova  est  la 
seule  immigration  malaise  qui  ait  pénétré  à  Madagascar,  il  eût  cherché  peut-être, 
pour  expliquer  le  fait  que  des  nègres  parlent  une  langue  malayo-polynésienne, 
antérieure  à  l'invasion  malayo-hova,  à  expliquer  leur  origine  par  une  immigra- 
tion venue  de  TExtréme-Est.  El  cela,  sans  préjudice  de  l'influence  africaine  qui 
est  indéniable  et  qui  s'explique  par  l'importation  lente  et  progressive  de  nom- 
breux Cafres  à  la  côte  Ouest. 

Aurel  Schulz,  plus  éclairé  sans  doute,  décrit  avec  complaisance  (Zeilschrift 
fiut  Elhnol,  Berliny  1880,  p.  190.  Sitzungber,)  les  Sakalaves  du  Sud  et  les 
Antanosses  émigrés  et  déclare  nettement  qu'ils  n'ont  rien  d'Africain.  Les  che- 
veux surtout  sont  absolument  différents. 

Virchow  {loc.  cil.)  attribue  à  tort  à  M.  Grandidier  l'opinion  que  les  Sakalaves 
sont  d'origine  indienne.  Le  savant  français  les  rattache  aujourd'hui  à  la  souche 
indonésienne.  Virchow  admet  une  forte  invasion  malaise  sur  la  côte  ouest  dans 
des  temps  très  reculés,  antérieure  à  l'immigration  hova. 

U  examine  longuement  et  compare  des  cheveux  de  Sakalaves,  Zoulous  et 
Somalis  ;  il  parle  aussi  des  cheveux  des  Hovas.  Il  en  conclut  qu'il  y  a  eu 
chez  le  Sakalave  un  mélange  d'éléments  africains  (plutôt  du  Nord-Est  que  de  la 
famille  Zoulou-Gafro  ou  Bantou),  Malais  et  Arabe  du    Sud  (Himyarite).   Il  ne 


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32  LES  PEUPLADES  DE  MADAGASCAR 

met  pas  le  nùélange  en  doute  ;  c*est  la  part  de  chacun  des  éléments  qu'il  faut 
faire  désormais. 

Après  cette  minutieuse  enquête,  il  dit  qu'il  serait  téméraire  de  se  prononcer 
aujourd'hui  avec  les  renseignements  que  l'on  a  et  qui  sont  trop  peu  nombreux, 
étant  donné  surtout  le  nombre  des  peuples  qui  sont  en  cause,  t  Unis  on  peut 
tenir  pour  établi  que  les  Sakalaves  —  sauf  peut-être  de  rares  exceptions  — 
malgré  leur  couleur  foncée,  n'ont  aucun  lien  étroit  de  parenté  avec  les  Cafres  et 
les  Bantous.  Leurs  cheveux  et  leurs  crânes  n'y  ont  aucun  rapport.  » 

u  En  revanche^  maints  indices  d'une  parenté  des  Sakalaves  avec  les  races  de 
TEst  afficain,  habitant  loin  au  nord,  sont  à  signaler.  La  peau,  les  cheveux,  et 
l'ossature  nous  ont  fourni  des  points  d'attache  pour  une  telle  assertion.  » 

L'influence  de  l'élément  malais  lui  semble  difficile  à  démêler  :  «  On  ne  peut 
nier  que  l'influence  d'une  race  à  cheveux  lisses  n'ait  pu  contribuer  à  étirer  le 
cheveu  Sakalave  ..  Aussi  dans  la  conformation  du  crâne,  le  sakalave  se  rap- 
proche des  races  malaises.  » 

Il  n'a  pu  reconnaître  de  mélange  chinois  ou  surtout  mongol;  pas  plus  que  des 
influences  directes  indo-aryanes.  Mais  il  y  a  dans  le  crâne  et  le  visage  des 
points  de  contact  avec  le  type  indien.  «  Pour  ce  qui  est  des  Negritos  et  de  leurs 
parents,  ajoute-t-il,  je  ne  trouve  aucun  trait  commun.  » 

Le  savant  anlhropologiste  avait  pu  examiner  et  étudier  sept  crânes  Sakalaves 
envoyés  par  Hildebrandt,  cité  plus  haut. 

Nous  avons  tenu  à  analyser  les  principales  conclusions,  parce  qu'elles 
montrent  amplement  combien  le  problème  des  origines  à  Madagascar  est  com- 
plexe et  de  quelle  utilité  il  peut  être  d'y  jeter  un  peu  de  lumière  à  l'aide  des 
quelques  traditions  qui  nous  restent,  de  l'étude  de  la  langue  et  des  indices 
de  toutes  sortes  que  les  voyageurs  ont  glané  pour  l'homme  de  science  :  c*est  ce 
que  nous  avons  tenté  de  faire  dans  les  pages  qui  précèdent,  dans  la  mesure 
restreinte  de  nos  forces. 


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LES  INDIENS  DE  L'ETAT  DE  PANAMA 

Par   m.   Alphonse   PINART 


Les  Indiens  de  TÉlat  de  Panama  se  divisent  en  plusieurs 
groupes  appartenant  à  la  grande  famille  caraïbe  continentale. 
Ils  sont  au  nombre  d'environ  10.000  et  se  répartissent  en  Cunas, 
Chocoes,  Guaymies  et  Dorasques.  Nous  allons  étudier  successi- 
vement chacune  de  ces  familles  el  nous  joindrons  à  cette  étude 
les  notices  que  nous  avons  pu  "recueillir  sur  les  deux  groupes 
disparus  qui  habitaient  sur  le  territoire  de  TÉtat  de  Panama  à 
l'époque  de  la  conquête,  à  savoir  :  les  Paparos  et  les  Chichime- 
cas;  ces  derniers  présentent  cet  intérêt  tout  particulier,  qu'ils 
étaient  probablement  la  dernière  colonie  d'origine  mexicaine 
vers  le  sud. 


INDIENS    GUAYMIES 


Les  différentes  tribus  de  cette  famille  avaient  pour  demeure 
le  territoire  suivant  :  vers  Toucst,  leur  limite  est  assez  vague, 
elles  habitaient  la  plus  grande  partie  du  pays  qui  borde  la  grande 
lagune  de  Chiriqui  sans  cependant  s'étendre  aux  îles,  qui  étaient 
peuplées  par  les  Indiens  de  la  Talamanca.  Leur  centre  dans  cette 
région  était  le  Valle  del  Guaymie,  aujourd'hui  Valle  Miranda;  du 
côté  du  Pacifique,  elles  s'avançaient  jusqu'aux  montagnes  de 
Boruca,  mais,  peu  après  la  conquête  par  les  Espagnols,  elles 
paraissent  avoir  été  refoulées  jusqu'aux  montagnes  de  Chercha 
el  rio  Fonseca  ;  le  territoire  qu'elles  occupaient  dans  le  Chiriqui 
du  sud  fut  repeuplé  par  les  Dorasques.  Vers  Test,  la  limite  de 


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3i  LES    INDIOS    DE   l'ÉTAT    DE   PANAMA 

leur  pays  est  plus  facile  à  fixer,  elles  s'étendaient  en  effet  jusqu'au 
rio  Chagres,  de  là  au  rio  Obispo  et  aux  montagnes  de  laChorrera. 
Une  zone  neutre  existait  entre  elles  et  les  tribus  de  la  famille 
Cuna  ;  elles  peuplaient  en  outre  toutes  les  îles  qui  se  trouvent  le 
long  de  la  côte  du  Pacifique,  comprenant  le  groupe  des  lies  des 
Perles  et  les  petites  îles  du  golfe  de  Panama  ainsi  que  celles 
du  golfe  de  Chiriqui  du  sud. 

A  l'époque  de  la  découverte  de  cette  partie  du  continent  par 
les  Espagnols,  les  tribus  de  la  famille  guaymie  étaient  fort 
nombreuses  :  chaque  groupe  de  village  obéissait  à  un  chef  ou 
cacique  et  chaque  groupe  paraît  avoir  eu  un  dialecte  différent  ; 
ces  dialectes  différaient  beaucoup  les  uns  des  autres  et  c'est  de 
là  que  les  Espagnols  conclurent  qu'il  y  avait  dans  ce  pays  une 
variété  considérable  de  langues  diverses.  Ces  dialectes^  au  dire 
des  Indiens,  se  réduisaient  cependant  à  trois  principaux  dont 
voici  la  nomenclature  : 

1"  Le  mtioi,  que  les  mêmes  Indiens  affirment  être  la  langue 
la  plus  ancienne,  la  langue  même  d'où  sont  sortis  les  autres 
dialectes.  Le  muoi  n'est  parlé  aujourd'hui  que  par  trois  personnes 
habitant  un  endroit  écarté  du  magnifique  «  Valle  Miranda  »,  sur 
un  des  affluents  du  rio  Krikamaula  ou  No  kri,  connu  sous  le 
nom  de  rio  Muoi  ; 

2°  Le  Move'Valie?ite-7iorte/io ;  ce  dialecte  est  parlé  aujourd'hui 
par  les  Guaymies,  habitants  du  Valle  Miranda  et  épars  sur  la 
côte  nord  entre  la  lagune  du  Chiriqui  et  le  rio  Bclen  ;  les  Muites 
qui  vivent  dans  les  montagnes  de  Caùazas  et  du  Minerai  de  Vera- 
guas  et  descendent  à  la  mer  par  le  rio  Codé  del  Norte  parlent 
un  dialecte  très  rapproché  du  move-valiente.  A  l'époque  de  la 
conquête ,  les  Moves  étaient  répandus  par  tout  le  territoire  habité 
par  la  famille  guaymie,  au  sud  comme  au  nord  de  la  Cordillère, 
et  il  arrivait  que  dans  deux  villages  très  rapprochés  l'un  de  Tautre, 
Ton  parlait  dans  l'un  move  et  dans  l'autre  murire.  Les  Espagnols 
désignent  généralement  les  Move-Valientes  sous  le  nom  de 
Norlenos  en  raison  de  ce  que,  depuis  la  conquête,  ils  se  sont 
retirés  à  la  côte  nord  et  dans  les  massifs  montagneux  de  la 
Cordillère  ; 


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LES   INDIENS    DE   L  ÉTAT    DE   PANAMA  35 

3®  hQ  murire'bukuela-sabaiiero  ;  ce  dialecte  était  parlé  prin- 
cipalement par  les  Indiens  de  la  famille  guaymie  habitant  les 
grandes  savanes  du  sud  de  la  Cordillère  :  leurs  descendants 
habitent  encore  en  assez  grand  nombre  ces  mêmes  savanes  et 
les  vallées  profondes  du  département  de  Chiriqui.  Us  sont  connus 
des  Espagnols  sous  le  nom  de  Sabaneros. 

Le  mot  guaymie  ou  wuaymi  appartient  au  dialecte  muoi  et  veut 
dire  un  hommes  un  indien. 

Dans  le  volume  IV  de  la  collection  de  linguistique  et  d'ethno- 
graphie publié  par  moi,  j'ai  donné  les  documents  sur  ces  Indiens 
laissés  par  le  père  Blas  José  Franco  :  je  vais  reproduire  en 
partie,  ici,  ces  documents  en  y  ajoutant  les  observations  que  j'ai 
pu  faire  personnellement  chez  les  Guaymies  durant  mes  derniers 
voyages  dans  Tétat  de  Panama,  et  plus  spécialement  au  Valle 
Miranda. 

Les  Guaymies  sont  en  général  très  petits  de  stature,  mais 
d'une  constitution  robuste  avec  tendance  à  la  corpulence  ;  la  cou- 
leur de  la  peau  varie  d'un  brun  jaune  au  brun  très  foncé  :  quel- 
ques-uns deviennent  même  très  noirs  après  un  long  séjour  sur 
les  eûtes;  les  cheveux  sont  noirs,  durs  et  lisses;  la  tête  grosse  en 
proportion  du  corps,  longue  et  ovale  ;  la  face  particulièrement 
plate  et  large  entre  les  arcades  zygomatiques  ;  le  nez  est  proémi- 
nent, souvent  épais  à  la  base  ;  les  yeux  d'un  rouge  brun  foncé  ;  la 
bouche  grande  et  les  lèvres  fortes  ;  peu  de  barbe  et  le  corps  abso- 
lument privé  du  système  pileux.  Très  indolent,  paresseux  même, 
le  Guaymie,  quand  la  nécessité  se  présente  ou  que  l'appât  du 
gain  le  meut,  entreprend  à  pied  des  voyages  dans  la  montagne, 
sous  forêts  ou  à  la  côte,  marchant  nuit  et  jour,  mangeant  à 
peine  et  ne  s'arrête  qu'au  moment  où  il  est  arrivé  à  destination, 
franchissant  ainsi  des  distances  incroyables.  Us  portent  facile- 
ment, soutenus  sur  leur  dos  par  un  filet  et  une  courroie  passée 
sur  le  front,  des  poids  énormes,  dans  ces  chemins  impraticables 
et  périlleux  de  la  Cordillère  où  ils  sautent  comme  des  chèvres  de 
roche  en  roche  :  leur  agilité  est  surprenante  et  la  facilité  avec 
laquelle  ils  supportent  la  faim  les  rend  absolument  maîtres  de 
ces  immenses  solitudes. 


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36  LES    INDIENS    DE    L*ÉTAT    DE    PANAMA 

Le  Guaymic  croit,  ainsi  que  la  grande  quantité  des  tribus  des 
deux  Amériques,  aux  esprits  bons  et  mauvais  et  à  l'animisme.  On 
laisse  les  bons  esprits  absolument  en  repos,  les  appelant  cepen- 
dant quelquefois  en  aide  contre  les  agissements  des  mauvais. 
Quant  aux  mauvais  esprits,  l'on  doit  se  les  rendre  favorables. 
La  peur  est  la  base  de  la  religion  des  Indiens  :  un  Indien  a-t-il 
un  canot  retourné  par  le  vent  ou  la  vague,  ou  brisé  contre  des 
rochers  ;  une  tempête  a-t-elle  renversé  sa  misérable  habitation  ; 
la  maladie  ou  l'épidémie  est-elle  entrée  dans  sa  famille;  n'a-t-il 
pas  réussi  à  la  chasse  ou  à  la  pêche,  etc.,  il  voit,  dans  tout  cela, 
l'œuvre  d'un  esprit  malin  et  malfaisant  et  il  pense  alors  qu'en 
faisant  certaines  offrandes  à  cet  esprit,  il  pourrait  se  le  rendre 
favorable  ou  au  moins  l'apaiser;  le  sukia  est  appelé  et  celui-ci 
après  une  série  d'incantations  et  de  cérémonies  diverses  dans 
lesquelles  il  prétend  se  mettre  en  rapport  direct  avec  ces  mêmes 
esprits  malfaisants,  reçoit  un  gros  présent  pour  fruit  de  ses  ser- 
vices ;  la  tranquillité  revient  alors  au  cœur  de  l'Indien  jusqu'au 
moment  où  le  mauvais  esprit  se  manifeste  de  nouveau. 

Nous  trouvons  chez  les  Guaymies  traces  du  système  tolémi- 
que  :  chaque  tribu,  chaque  famille,  chaque  individu  ayant  un 
animal  tutélaire.  Le  plus  répandu  de  ces  animaux  totémiques 
paraît  être  le  ore^  espèce  de  petit  perroquet  en  l'honneur  duquel 
j'ai  entendu  nombre  de  chants. 

Les  fêles  de  différents  genres  sont  très  nombreuses  parmi  ces 
Indiens  :  ils  s'invitent  souvent  Tun  l'autre  à  un  baile  de  chicha, 
bailc  de  chocolaté^  etc.;  dans  ces  fêtes,  l'on  danse,  l'on  chante  et 
Ton  boit,  ainsi  que  Tindique  le  nom  de  la  fête,  soit  de  la  chicha, 
soit  du  chocolat.  Ces  genres  de  fêtes  se  donnent  pour  célébrer  un 
événement  heureux,  à  la  suite  d'une  récolte  abondante  de  maïs, 
de  pijibai,  d'une  bonne  chasse  ou  pêche,  etc.  La  plus  importante 
de  ces  fêtes  est  celle  de  la  balza  :  cotte  danse  était  particulière 
aux  Guaymies  :  j'en  donnerai  ici  une  description  plus  détaillée. 
Cette  fête  a  lieu  généralement  au  commencement  de  la  saison 
sèche  et  les  invités  s'y  rendent  en  grand  nombre.  Quand  un  vil- 
lage a  décidé  de  donner  une  balzeria  et  que  l'époque  en  a  été 
fixée,  Ton  expédie  des  messagers  prévenir  les  autres  villages  et 


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LES    INDIENS    DE    l'ÉTAT    DE   PANAMA  37 

faire  les  invitations  :  ces  messagers  portent  des  lianes  auxquelles 
on  a  fait  autant  de  nœuds  qu'il  y  a  de  jours  à  courir  avant  la  fêle. 
On  invile  tout  le  monde,  hommes  et  femmes,  jeunes  et  vieux. 
Suivant  les  dislances  à  parcourir,  chacun  par  groupe  de  famille 
se  met  en  route  de  manière  à  arriver  au  lieu  du  rendez-vous 
deux  jours  avant  le  commencement  des  cérémonies;  chacun 
apporte  les  provisions  nécessaires,  car  les  organisateurs  de  la 
fête  ne  fournissent^  en  général,  que  la  chicha.  Durant  le  trajet, 
les  invités  soufflent  de  temps  en  temps  dans  de  grosses  conques 
pour  que  leur  son  fasse  connailrc  à  toute  personne  habitant  près 
du  chemin,  leur  passage  elle  but  de  leur  voyage. 

L'endroit  choisi  pour  la  circonslance  est  généralement  une 
savane,  près  d*une  rivière.  Le  jour  désiré  arrive  enfin,  tout  le 
monde  est  debout  à  la  première  heure  et  se  rend  à  la  rivière 
pour  se  baigner  ;  le  bain  terminé  on  se  peint  tout  le  corps  d'une 
couleur  unie,  bleue  ou  rouge,  la  figure  seule  décorée  de  figures 
très  compliquées  d'hommes,  d'animaux  ou  d'arabesques  ressem- 
blant assez  à  celles  que  Ton  trouve  sur  les  vases  tirés  des  guacas^ 
les  iemmes  sont  les  artistes.  Ce  travail  prend  un  certain  temps 
et  le  soleil  est  déjà  haut  vers  le  zénith  avant  que  Tinvité  ne  soit 
prêt  ;  il  passe  autour  des  reins  et  entre  les  jambes  un  morceau 
d'étoffe  de  humi  (écorce  d'arbre) ,  puis  se  coiffe  d'une  peau 
d*animal  qui  retombe  en  flottant  sur  le  dos  ;  ces  animaux  sont 
leurs  favoris,  le  tigre,  le  fourmilier,  l'ours  à  miel,  etc.  Si  la 
peau  est  trop  grande,  on  ne  garde  que  la  tête  à  laquelle  on 
pend  la  queue,  les  pattes  ou  même  des  lambeaux  de  la  même 
peau.  Chacun  se  rend  alors  sur  le  lieu  désigné,  des  groupes  se 
forment  en  silence,  le  tambour  et  les  chants  se  font  entendre  et 
l'on  commence  à  boire  la  chicha  disposée  dans  de  grandes 
marmites  et  sur  lesquelles  flottent  quantité  de  petites  calebasses 
en  guise  de  verres  ;  Ton  boit  en  causant  à  voix  basse  ;  puis, 
peu  à  peu,  la  chicha  commence  à  agir  et  les  têtes  s'échauffent  ; 
durant  ce  temps  les  femmes  qui,  elles  aussi,  se  sont  peintes,  se 
rapprochent  des  groupes  et  tout  en  buvant  modérément  sou- 
tiennent le  chant  ou  parlent  entre  elles  en  groupes  animés.  Au 
bout  de  deux  ou  trois  heures  la  chicha  a  produit  son  effet  et  Tun 


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38  LES  Indiens  de  l'état  de  panama 

après  Tautre  se  lève  après  avoir  jeté  un  défi  à  une  des  personnes 
du  même  groupe  ;  il  est  convenu  que  les  personnes  âgées  doivent 
donner  le  signal.  Le  groupe  suit  alors  les  danseurs  et  bientôt 
toute  la  savane  est  couverte  de  groupes,  les  femmes  se  joi- 
gnant à  celui  où  se  trouvent  leurs  maris.  Les  deux  danseurs  sont 
maintenant  en  présence  à  environ  25  pas  l'un  de  l'autre;  celui 
qui  a  jeté  le  défi  tient  dans  sa  main  un  bâton  léger  et  spongieux 
fait  en  bois  de  balza  :  ce  bâton  a  environ  2  mètres  de  longueur, 
formant  boule  à  une  extrémité  et  diminuant  graduellement  en 
grosseur  vers  l'autre  extrémité  qui  est  tenue  dans  la  main;  le 
danseur  remue,  en  faisant  en  même  temps  mouvoir  son  corps,  ce 
bâton  avec  une  grande  vitesse  d'avant  en  arrière,  lui  imprimant 
un  mouvement  de  rotation,  puis  le  lance  de  toute  sa  force  de 
manière  à  atteindre  son  adversaire  dans  les  jambes  et  à  le  faire 
tomber  :  celui-ci,  durant  ce  temps,  danse  en  remuant  les  jambes 
avec  une  agilité  extraordinaire  de  manière  à  esquiver  le  coup  : 
si  l'adversaire  est  touché  et  qu'il  tombe,  le  vainqueur  proclame 
alors  son  triomphe  en  répétant  très  vivement  Kaca,  ca,  ca,  ca^ 
etc.  (il  est  tombé)  de  toute  la  force  de  ses  poumons  et  en  gesti- 
culant :  il  se  précipite  alors  pour  ressaisir  son  bâton  pendant  que 
tout  le  groupe  applaudit  par  ses  acclamations  et  se  rit  aux  dépens 
de  celui  qui  s'est  laissé  toucher.  Si,  au  contraire,  l'adversaire  n'a 
pas  été  louché,  les  rôles  changent  et  celui  qui  tout  à  l'heure  dan- 
sait prend  le  bâton  :  quand  l'un  des  adversaires  est  blessé,  trop 
fatigué  ou  qu'il  se  relire  pour  aller  boire  ou  manger,  alors  quel- 
qu'un dans  la  foule  s'avance  immédiatement  pour  prendre  sa 
place,  le  bâton  de  balza  n'élant  jamais  en  repos  tant  que  dure  la 
fêle  :  il  y  a  généralement  un  bâton  pour  chaque  douze  danseurs. 
La  fètc  dure  ainsi  avec  des  alternatives  de  danses  et  de  libations 
jusqu'au  moment  où  la  chicha  est  épuisée  ce  qui,  suivant  les  cir- 
constances, peut  n'avoir  lieu  qu'au  bout  de  deux  ou  même  trois 
jours.  A  la  suite  de  ces  danses,  beaucoup  de  ces  Indiens  sont 
blessés  grièvement,  mais  ceux  qui  peuvent  y  résister  le  plus 
longtemps  obtiennent  par  là  une  grande  considération.  Cette 
fête  se  termine  souvent  dans  une  ivresse  générale  à  la  suite  de 
laquelle  s'engagent  des  rixes  personnelles  où  nombre  de  pauvres 


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LES   INDIENS    DE   l'ÉTAT    DE   PANAMA  39 

diables  restent  sur  le  carreau.  Tout  étant   ainsi   terminé  et 
l'ivresse  passée,  chacun  reprend  le  chemin  de  son  village. 

Je  ne  connais  de  danse  pouvant  être  rapprochée  do  laôalzeria 
des  Guaymies  que  le  maquariy  décrit  par  Brett  dans  un  fort  inté- 
ressant ouvrage  sur  la  Guyane  anglaise*  :  «  Le  maquari,  dit-il, 
est  un  fouet  d'environ  trois  pieds  de  long,  capable  de  faire  une 
aflFreuse  coupure,  comme  les  jambes  ensanglantées  des  danseurs 
en  témoignent;  ils  brandissent  ce  fouet  en  dansant,  imitant  en 
même  temps  le  cri  d'un  oiseau  que  l'on  entend  souvent  sous 
forêt,  A  quelque  distance  des  danseurs  était  un  couple  d'hommes 
se  donnant  avec  le  fouet  des  coups  sur  les  jambes;  celui  dont 
c'était  le  tour  de  recevoir  le  coup  se  tenait  ferme  sur  une  jambe, 
avançant  l'autre  sur  laquelle  son  adversaire,  courbé  en  deux, 
visait  délibérément,  en  faisant  un  bond  pour  donner  plus  de  force 
à  son  coup,  et  lui  infligeait  une  forte  coupure;  celui  qui  était 
touché  ne  donnait  aucun  signe  de  souffrance  mais  esquissait  un 
sourire  de  mépris,  bien  que  le  sang  ait  été  tiré  par  le  coup. 
Celui-ci,  après  une  danse  de  quelques  instants,  retournait  à  son 
adversaire  le  coup  de  fouet  avec  une  force  égale.  Rien  ne  peut 
excéder  la  bonne  humeur  avec  laquelle  se  .passaient  ces  jeux. 
Tout  homme,  à  moins  d'être  âgé  ou  infirme ,  doit  prendre  part  à 
la  danse  :  l'un  d'eux  pouvait  à  peine  marcher,  en  raison  des 
blessures  reçues.  Mais,  en  général,  après  quelques  coups  de 
fouet,  ils  buvaient  le  paiwari  ensemble  et  reprenaient  leurs 
places  dans  le  groupe  des  danseurs,  d'où  continuellement  sor- 
taient des  couples  désireux  de  mesurer  leurs  forces.  » 

Les  Guaymies  aiment  passionnément  la  baheria,  et  quelques- 
uns  d'entre  eux  deviennent  extrêmement  experts  dans  l'art  de 
jeter  la  balza  et  de  mouvoir  leurs  jambes  afin  d'esquiver  les 
coups.  Ils  apprennent  ce  jeu  dès  leur  plus  tendre  enfance  :  j'ai 
vu  en  effet  des  enfants  de  moins  de  trois  ans,  une  peau  sur  la 
tète,  le  corps  peint  et  une  petite  balza  en  main,  s^exerçant  entre 
eux.  L'objet  de  cette  danse  est  probablement  de  rendre  l'Indien 
souple  et  agile  en  l'habituant  en  même  temps  aux  souffrances 

1)  H.  Brett,  Indian  tribes  ofBritish  Guayana.  London,  1857,  p.  154. 


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40  LES   INDIENS  DE  L*ÉTAT   DE    PANAMA. 

corporelles  et  de  relever  Ténergie  qui  lui  est  si  nécessaire  dans 
ses  courses  continuelles  sous  forêts. 

Leurs  instruments  de  musique  sont  peu  nombreux  et  surtout 
peu  harmonieux  :  un  tambour  fait  d'un  tronc  d'arbre  creusé  et 
dont  Tune  des  extrémités  est  recouverte  d'une  peau  sur  laquelle 
on  frappe  avec  la  main,  une  petite  flûte  en  os  à  trois  trous  et  la 
conque  marine. 

Les  chants  sont  lents,  d'une  cadence  monotone;  ils  sont  géné- 
ralement divisés  en  couplets  se  terminant  par  un  refrain  que 
répètent  en  chœur  toutes  les  personnes  présentes.  Ces  chants 
sont  composés  dans  un  dialecte  particulier  que  les  sukias  et  les 
chefs  et  personnages  principaux  comprennent  seuls  :  ce  dialecte 
est  le  kugère  pour  les  chants  ordinaires  et  le  chakatare  pour  les 
chants  des  sukias.  L'on  croit  généralement  que  ces  dialectes,  dits 
sacrés  chez  les  Indiens,  sont  des  formes  archaïques  de  la  langue 
parlée  :  je  suis  au  contraire  porté  à  croire  par  expérience  que  ces 
dialectes  sont  tout  simplement  formés  des  mots  de  la  langue 
actuelle,  auxquels  on  donne  une  signification  nouvelle,  dénaturée 
ou  conventionnelle  ;  souvent  même,  comme  chez  les  Indiens  du 
Darien,  on  a  recours  à  des  périphrases  que  seuls  les  initiés 
peuvent  comprendre. 

Je  parlerai  maintenant  d'une  fête  ou  cérémonie  particulière 
appelée  fiesta  clora  ou  urote.  Les  Indiens  gardent  à  ce  sujet  le 
secret  le  plus  complet  :  les  renseignements  que  j'ai  pu  recueillir 
sont  donc  assez  vagues.  A  certaines  époques  de  l'année,  les 
sukias  ou  les  personnes  désignées  par  eux  réunissent  en  grand 
secret,  pendant  la  nuit,  tous  les  jeunes  gens  arrivés  à  l'âge  de 
puberté.  Le  rendez-vous  fixé  est  dans  un  endroit  très  retiré,  à 
l'intérieur  de  la  forêt.  Une  fois  i?éunis  en  ce  point,  le  thungun  ou 
chef  de  Yuroie  prend  la  direction  des  exercices  et  enseigne  aux 
jeunes  gens  les  anciennes  traditions  et  les  chants  nationaux  ;  il 
les  exhorte  à  être  braves  à  la  guerre.  Durant  le  temps  que  dure 
Vurote,  le  thungun  et  ses  aides  ne  se  montrent  aux  jeunes  gens 
que  peints  et  la  figure  recouverte  de  grands  masques  en  bois 
entourés  do  feuillage  ;  leur  personne  est  absolument  sacrée  et  ils 
gardent,  durant  le  temps  do  Yurote^  le  plus  grand  mystère. 


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LES   INDIENS    DE   l'ÉTAT    DE   PANAMA  41 

Les  jeunes  gens  qui  sont  arrivés  à  Tâge  d'être  reçus  parmi  les 
guerriers  subissent  certaines  initiations  très  dures  :  ceux  qui 
peuvent  subir  ces  épreuves  sans  laisser  échapper  la  moindre 
plainte  sont  reconnus  dignes  du  titre  de  guerriers;  ceux  au 
contraire  qui  ne  résistent  pas  aux  souffrances  des  épreuves  sont 
traités  comme  des  poltrons  indignes  d'aucune  considération. 
UuroÉt  dure  environ  deux  semaines,  et,  pendant  cette  période, 
aucuiie  communication  n'a  lieu  avec  Textérieur.  Les  femmes 
chargées  du  service  domestique  et  appelées  thimgumia,  rem- 
plissent leurs  fonctions  nues,  le  corps  barbouillé  de  couleurs  et 
la  tète  couverte  d'un  masque  entouré  de  feuilles  et  de  longues 
tresses  de  mousse  descendant  jusqu'aux  talons.  Une  fois  les  céré- 
monies terminées,  chacun  rentre  chez  soi  durant  la  nuit,  et 
aucune  question  ne  peut  être  posée  sur  l'emploi  du  temps. 

Les  Guaymies  vivent,  ainsi  que  les  autres  tribus  de  l'état  de 
Panama,  dans  des  maisons  séparées,  éparses  soit  sur  une  même 
rivière,  soit  sur  une  même  savane  :  toutes  les  familles  ainsi 
groupées  reconnaissent  un  même  chef  héréditaire.  A  l'heure  qu'il 
est,  les  Guaymies  du  Valle-Miranda,  ont  reconnu  comme  grand 
chef  un  nommé  Cibicù,  homme  tort  intelligent,  qui  s'efforce 
à  amener  ses  administrés  en  contact  avec  les  étrangers  ;  il 
reconnaît  l'inutilité  de  la  lutte  contre  la  civilisation  et  s'est 
rangé  au  parti  de  la  paix.  Dans  les  montagnes  du  Veraguas, 
au  contraire  ,  les  Milites  obéissent  à  un  autre  grand  chef , 
Suvala^  fils  du  célèbre  prétendant  Mocteztima,  qui  cherche  à 
isoler  les  Indiens  dans  les  endroits  les  plus  inaccessibles  de  la 
Cordillère  et  à  supprimer  tout  contact  avec  les  étrangers. 

Leurs  niaisons  sont  bâties  près  d'une  rivière  ou  d'une  source, 
sur  une  petite  esplanade  disposée  à  cet  effet  dans  un  endroit 
dominant  les  alentours;  les  côtés  sont  en  bambous  ou  en  roseaux 
blancs;  les  extrémités  arrondies;  le  toit  en  feuilles  de  palmiers 
de  montagne,  généralement  arrondi;  l'entrée  est  à  l'une  des 
extrémités.  L'intérieur  est  divisé  en  petits  compartiments  par  des 
cloisons  en  bambous  ou  roseaux,  chaque  membre  de  la  famille 
occupant  un  compartiment  spécial;  celui  du  fond,  opposé  à 
l'entrée,  est  habité  par  le  chef  de  la  famille.  Peu  ou  point  de 


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42  LES   INDIENS   DE   l'ÉTAT   DE   PANAMA 

mobilier,  si  ce  n'est  quelques  hamacs  grossiers  et  quelques  blocs 
de  bois  pour  sièges  ;  chaque  division  a  son  foyer  séparé,  bien 
qu'au  centre  il  en  existe  un  plus  grand  qui  sert  aux  usages  com- 
muns de  la  famille.  Comme  objets  de  cuisine,  des  pots  en  fer  et 
en  fonte  d'origine  européenne,  une  pierre  plate,  espèce  àemetate 
servant  à  broyer  le  chocolat  et  le  maïs,  quelques  calebasses 
à  usage  de  plats  et  de  tasses,  des  gourdes  pour  conserver  Teau  ; 
ajoutez  à  cela  un  mortier  creusé  dans  un  tronc  d'arbre  et  son 
pilon,  servant  à  décortiquer  le  riz  ou  autres  graines;  attachés  par 
des  cordes  aux  poutrelles  du  toit,  des  filets  et  des  claies  en 
bambou,  sur  lesquels  Toû  garde  les  vêtements,  les  objets  précieux, 
les  provisions,  etc.;  quelques  arcs,  des  flèches  et  des  lances,  ou 
bien  un  vieux  fusil  avec  sa  poire  à  poudre  et  le  sac  à  plomb ,  com- 
plètent l'aspect  intérieur  d'une  de  ces  maisons.  Un  grand  nombre 
de  chiens  à  demi-sauvages  rodent  toujours  dans  cet  intérieur. 

Leurs  armes  consistent  en  arcs,  flèches  et  lances  avec  pointes 
de  bois  dur,  qui  leur  servent  encore  à  la  chasse  et  à  la  pèche, 
bien  qu'ils  soient  amplement  pourvus  aujourd'hui  d'armes  à  feu. 
Us  emploient  aussi  pour  la  pêche  des  lances  à  plusieurs  pointes, 
au  maniement  desquelles  ils  sont  très  experts  ;  ajoutez  à  cela 
rinévitable  machete  qui  ne  les  quitte  jamais.  Autrefois  ils 
employaient  aussi  à  la  guerre  un  petit  bouclier  ovale  fait  de  peau 
de  tapir  :  ces  boucliers  ne  se  rencontrent  plus.  Les  Bukuetas  ou 
Sabaneros  connaissaient  l'usage  de  la  sarbacane,  mais  je  n'ai  pas 
pu  savoir  si  cette  arme  redoutable  avait  jamais  élé  en  usage  chez 
les  Valientes. 

Leur  costume  était  des  plus  simples  :  ils  se  peignaient  le  corps 
et  passaient  autour  des  reins  et  entre  les  jambes  une  bande 
d'étoffe  de  fïumi  ou  d'écorce  d'arbre;  les  femmes  portaient  la 
bande  de  numi  plus  large  et  en  forme  de  jupe  descendant  jus- 
qu'aux genoux;  en  cas  de  pluie,  les  deux  sexes  portaient  un 
grand  manteau  sans  manches,  fait  de  même  étoffe.  Comme  orne- 
ments, des  colliers  et  des  bracelets  de  dents,  d'os,  de  verrote- 
ries, etc.  Les  colliers  en  dents  de  tigre  étaient  réservés  pour  les 
hommes;  les  femmes  portaient  aussi  des  boucles  d'oreilles  en  os 
ou  en  verroterie.  Dans  les  grandes  cérémonies,  les  chefs  se 


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LES    1NDIE?«S   DE   l'ÉTAT    DE   PANAMA  43 

paraient  d'un  diadème  de  plumes  éclatantes  :  celles  du  quetzal 
étaient  les  plus  estimées.  Aujourd'hui,  la  plupart  des  Guaymies 
s'habillent  à  la  manière  des  gens  du  pays. 

On  prétend  que  les  Guaymies  tissaient,  comme  les  Indiens  de 
la  Talamanca,  des  étoffes  de  coton  qui  remplaçaient  avantageu- 
sement celles  en  écorce  d'arbre;  ceux-ci  n'ont  conservé  aucune 
tradition  de  ces  travaux  :  l'arbre  à  coton  pousse  encore  cependant 
à  cftté  de  la  plupart  des  maisons  indiennes,  mais  le  seul  usage 
auquel  on  l'emploie  est  pour  la  fabrique  des  hamacs  fins.  Pour 
faire  les  filets  employés  au  transport,  ils  emploient  la  fibre 
d'aloès. 

Quand  la  femme  ressent  les  premières  douleurs  de  l'accouche- 
ment, elle  se  rend  dans  une  petite  cabane  en  feuilles  qu'elle- 
même  a  dressée  à  l'avance  dans  un  endroit  retiré,  sur  le  bord 
d'un  ruisseau,  loin  de  toute  habitation  et  de  tous  regards;  la 
femme  en  couches  est  regardée  comme  souillant  tout  ce  qui 
l'approche  :  elle  est  bukuru,  impure  et  tabu.  Durant  le  peu  de 
temps  que  la  femme  reste  ainsi  séparée ,  elle  ne  peut  avoir  de 
communication  qu'avec  certaines  vieilles  femmes  qui  lui  appor- 
tent sa  nourriture  et  la  lui  tendent  au  bout  d'une  longue  perche. 
Aussitôt  que  l'accouchement  a  eu  lieu,  la  femme  coupe,  avec  un 
morceau  de  bambou  tranchant,  le  cordon  ombilical,  et,  peu 
après,  se  rend  au  ruisseau,  où  elle  se  lave  ainsi  que  l'enfant.  Cela 
fait,  elle  se  présente  à  quelque  dislance  de  la  maison  de  son  mari 
et  attire  l'attention  par  certains  chants.  On  envoie  immédiate- 
ment chercher  un  mkta  qui  la  purifie,  ainsi  que  l'enfant,  par 
quelques  incantations  et  en  soufflant  sur  eux  quelques  bouffées 
de  fumée  de  tabac.  La  femme  rentre  alors  chez  elle,  et,  au  bout 
de  deux  ou  trois  jours,  elle  a  repris  son  travail  habituel. 

L'enfant,  durant  un  assez  long  laps  de  temps  après  sa  nais- 
sance, n'a  pas  de  nom  et  est  seulement  désigné  comme  le  fils  ou 
k  fille  d'un  tel;  c'est  seulement  après  plusieurs  mois ,  une  année 
peut-être,  que  le  fils  reçoit  un  premier  nom  d'après  sa  conforma- 
lion,  ses  aptitudes,  son  caractère,  etc.,  nom  qu'il  garde  généra- 
lement jusqu'à  l'âge  de  puberté.  Cet  âge  arrivé,  et  après  la  pre- 
mière cérémonie  do  Yurote  à  laquelle  il  a  assisté,  l'enfant  prend 


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44  LES   INDIENS    DE   l'ÉTAT    DR   PANAMA 

un  autre  nom  qu'il  choisit  lui-même,  soit  d'après  ses  qualités, 
soit  d'après  un  animal,  un  oiseau,  etc.,  qu'il  aura  choisi  comme 
son  animal  tutélaire.  Ce  nom  peut  être  changé  dans  la  suite,  et 
Tony  ajoute  souvent  d'autres  surnoms.  Le  Guaymie,  comme  la 
plupart  des  Indiens  américains,  a  plusieurs  noms,  mais  celui 
sous  lequel  il  est  connu  de  ses  parents  et  amis  n'est  jamais  men- 
tionné à  un  étranger;  suivant  leurs  idées,  en  effet,  l'étranger  qui 
parviendrait  à  connaître  son  nom  obtiendrait  sur  lui  un  pouvoir 
occulte.  Quant  aux  filles,  elles  n'ont  généralement  aucun  nom 
propre  jusqu'à  l'époque  de  leur  puberté.  Cette  époque  donne  lieu 
à  une  grande  fête,  qui  est  célébrée  immédiatement  après  les  pre- 
miers phénomènes  de  la  puberté.  Les  parents  invitent  les  amis  et 
les  jeunes  gens  du  village  :  Ton  a  préparé  une  quantité  de  chicha. 
La  jeune  fille  est  alors  présentée,  et  c'est  à  la  suite  de  cette  pré- 
sentation qu'un  nom  lui  est  donné.  Ceci  fait,  les  chants  et  les 
danses  commencent,  interrompus  à  intervalles   pour  boire  la 
chicha.  Cela  continue  jusqu'à  ce  que  la  chicha  soit  épuisée.  C'est 
presque  toujours  durant  cette] cérémonie  que,  les  têtes  échauffées 
par  la  boisson,  la  jeune  fille  trouve  son  mari.  Le  lendemain,  le 
couple  vient  trouver  les  parents  de  la  jeune  fille,  et,  après  avoir 
reçu  d'eux  quelques  conseils,  après  que  le  jeune  homme  a  fait 
quelques  présents,  les  deux  jeunes  gens  sont  considérés  comme 
mariés.  Il  arrive  que  la  jeune  fille  ne  rencontre  pas  immédiate- 
ment de  jeunes  gens  disposés  à  contracter  mariage,  mais,  dans 
ce  cas,  il  n'y  a  aucune  défaveur  pour  elle  à  ne  pas  rester  pure. 
La  polygamie  est  commune  et  la  femme  généralement  bien  traitée. 
L'adultère  est  fort  rare  et  puni  de  la  mort  des  coupables.  J'ai 
souvent  vu  chez   ces   Indiens  des  signes  d'affection  vraie  et 
sincère  de  l'homme  pour  sa  femme;  l'affection  des  parents  est 
aussi  très  grande  envers  leurs  ftifants.  La  femme  a  la  charge  de 
tout  ce  qui  concerne  l'intérieur  et  le  ménage;  elle  cultive  les 
champs  et  en  rapporte  les  produits.  L'homme  s'occupe  de  la 
chasse  et  de  la  pêche  ainsi  que  de  la  manufacture  des  armes  et 
des  filets  de  transport  et  de  pêche. 

Qu'il  me  soit  permis  d'ouvrir  ici  une  courte  parenthèse  au 
sujet  du  rôle  de  la  femme  dans  la  famille  indienne.  Il  est  com- 


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LES    INDIENS   DE    l'ÉTAT    DE   PANAMA  45 

mun  de  dire,  parmi  ceux  qui  n'ont  pas  vécu  avec  Tlndien  de  la 
vie  intime,  que  la  femme  est  regardée  chez  eux  comme  une  véri- 
table bête  de  somme ,  qu'à  elle  échoit  en  partage  une  vie  pleine 
de  travaux  pénibles  et  fatigants ,  et  à  Thomme  au  contraire 
Tcxistence  facile  et  oisive.  Il  est  vrai  qu'il  peut  paraître  extra- 
ordinaire à  l'observateur  superficiel  de  voir  la  femme  chargée  de 
lourds  fardeaux  et  Thomme  marchant  en  avant  ne  portant  que 
ses  armes.  Mais  si  l'observateur  veut  bien  réfléchir  un  peu,  il 
comprendra  que  si  l'homme  ne  porte  que  ses  armes,  c'est  à  lui 
qu'échoit  la  responsabilité  et  la  sauvegarde  de  sa  femme  et  de 
ses  enfants.  La  vie  de  l'Indien,  en  effet,  est  hérissée  de  dangers; 
en  traversant  une  savane,  une  forêt,  un  Indien  hostile  peut  surgir 
à  chaque  instant;  un  tigre,  un  serpent,  etc.,  peut  se  jeter  sur  les 
voyageurs.  Le  rôle  du  mari  est  donc  d'avoir  l'œil  continuellement 
en  recherche,  les  mains  et  les  mouvements  libres,  pour  pouvoir 
immédiatement  saisir  ses  armes  et  défendre  ceux  qui  lui  sont 
chers.  Combien  de  fois  n*ai-je  pas  vu  l'Indien,  au  moment  de  tra- 
verser une  rivière,  faire  arrêter  sa  famille ,  entrer  dans  l'eau  et 
reconnaître  si  elle  n'est  pas  trop  profonde  ou  le  courant  trop 
rapide,  puis  visiter  la  rive  opposée  afin  de  s'assurer  qu'il  n'y  a 
rien  d'anormal,  retraverser  alors  la  rivière,  aider  sa  femme  et 
ses  enfants  à  traverser,  souvent  même  porter  les  fardeaux  et 
retraverser  à  plusieurs  reprises  la  rivière  pour  transporter  à  dos 
sa  femme  et  ses  enfants.  La  rivière  passée,  l'homme  reprend 
le  devant  avec  ses  armes,  la  femme  et  la  famille  rechargent  leurs 
fardeaux  et  la  petite  caravane  continue  alors  sa  roule  dans  le 
même  ordre.  Une  raison  est  aussi  donnée  par  l'Indien  pour  que 
ce  soit  la  femme  qui  cultive  les  champs  :  puisque,  dit-il,  sa 
femme  est  à  même  de  lui  donner  des  enfants,  elle  sera  à  même 
aussi  de  faire  produire  son  champ. 

Aussitôt  qu'une  personne  est  gravement  malade,  on  fait  venir 
le  siikia;  si  celui-ci,  après  examen  du  malade,  répond  qu'il  n'y 
a  plus  d'espoir,  les  proches  parents  du  moribond  le  trAisportent 
dans  la  forêt  et  suspendent  son  hamac  sous  un  petit  hangar  formé 
de  feuilles  de  palmier  et  disposé  à  cet  effet;  on  l'abandonne  alors 
en  déposant  à  côté  de  lui  une  gourde  pleine  d'eau  et  quelques 


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46  LES   INDIENS   DE   L*ÉTAT   DE   PANAMA 

plantains.  De  ce  moment,  aucune  personne  ne  doit  s*approcher 
du  moribond,  qui  est  bukuru.  Quand  on  suppose  qu^il  est  mort^ 
le  sukia  s'en  assure  et  constate  le  décès  ;  immédiatement ,  Ton 
étend  le  corps  sur  des  feuilles  de  latanier  que  Ton  replie  dessus 
et  que  Ton  ligottc  fortement,  puis  on  le  transporte  au  loin  dans 
la  forêt  et  on  le  dépose  sur  un  échafaudage.  Je  n'ai  pu  savoir  ce 
que  devient  le  corps  aprës  cela,  les  Indiens  gardant  un  secret 
absolu  à  ce  sujet.  J'ai  cependant  tout  lieu  de  penser  que  les 
Guaymies  disposent  de  leurs  morts  de  la  même  manière,  ou  au 
moins  d'une  manière  analogue  à  celle  des  Indiens  de  la  Tala* 
manca*,  c'est-à-dire  qu'au  bout  d'un  an,  une  personne  spéciale- 
ment employée  à  cet  office  se  rend  à  l'endroit  où  a  été  déposé  le 
corps,  nettoie  soigneusement  les  ossements  et  en  fait  un  petit 
paquet  enveloppé  dans  des  étoffes  de  ftumi  et  solidement  lié  ; 
ce  paquet  est  alors  transporté  en  grande  pompe  à  la  sépulture  de 
famille,  située  dans  un  endroit  retiré  et  que  l'on  conserve  absolu- 
ment secret.  Plusieurs  personnes  m'affirment  que  la  sépulture  a 
lieu  dans  des  guacas;  d'autres,  au  contraire,  prétendent  que  le 
lieu  de  sépulture  est  une  case  en  bois  où  les  ossements  sont 
déposés  sur  des  échafaudages.  Chaque  famille  aurait  ainsi  sa 
sépulture  dans  le  même  endroit,  réunissant  après  la  mort  tous  les 
membres  d'une  même  tribu. 

Ils  pensent  qu'après  la  mort  llndien,  ou  son  esprit,  erre  pen- 
dant longtemps,  et  qu'il  doit  passer  maintes  rivières  à  courant 
fort  rapide  et  traverser  des  forêts  épaisses  où  fourmillent  les  ani- 
maux malfaisants.  Il  arrive  de  cette  manière  à  une  dernière 
rivière  sur  l'autre  rive  de  laquelle  se  trouve  leur  paradis,  endroit 
où  ils  ont  à  volonté  de  la  chasse  et  de  la  pêche  et  une  continuelle 
abondance  de  fruits  \Je  toutes  espèces.  Mais,  une  fois  arrivé  sur 
cette  rivière,  il  doit  attendre  qu'un  de  ses  parents  ou  amis  qui  l'a 
précédé  dans  cette  région  l'aperçoive  et  lui  serve  de  pilote  pour 
faire  cette  dernière  traversée. 

Autrefois,  on  déposait  avec  le  mort  tout  ce  qu'il  possédait; 
maintenant  que  l'Indien  connaît  la  valeur  des  choseî*,  on  ne 

i)  W.  M.  Gabb.  The  îndums  of  Costa  Rica.  {Proc:diwjs  of  ihe  Philosophie  al 
Sociely.  Philadelphie,  1876.) 


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LES    INDIENS    DE   l'ÉTAT    DE   PANAMA  47 

dépose  guère  avec  le  mort  que  les  objets  qui  ne  peuvent  plus 
servir,  et,  pour  représenter  les  autres,  on  y  ajoute  des  pièces  de 
ùumi  qui  les  simulent,  tandis  que  les  choses  véritables  se  distri- 
buent entre  les  parents. 

J'ai  tout  lieu  de  croire  que  les  Guaymies  sont  les  descendants 
des  constructeurs  de  guacas,  si  abondants  dans  Touest  de  l'État 
de  Panama.  Il  y  a  en  effet  chez  eux  une  tradition  qui  indique 
qu'avant  l'arrivée  des  Espagnols,  et  même  durant  une  période 
de  temps  assez  long  après  cette  arrivée,  ils  fabriquaient  de  la 
poterie ,  mais  qu'en  raison  de  la  facilité  avec  laquelle  ils  se  pro- 
curaient, après  cette  époque,  des  pots,  marmites,  etc.,  de  fer, ils 
perdirent  graduellement  Fart  de  travailler  la  terre.  Ils  connais- 
saient aussi  le  travail  de  For,  du  cuivre,  et  leur  alliage.  Nous 
trouvons  encore  en  effet  assez  abondamment  chez  les  Guaymies 
du  Valle  Miranda  des  ornements  en  or,  en  cuivre  et  en  tumbaga, 
qu'ils  disent  leur  avoir  été  légués  de  génération  en  génération 
par  leurs  ancêtres. 

IXDIENS    CUNAS 

Les  Indiens  Cunas  habitent  la  plus  grande  partie  des  territoires 
connus  sous  le  nom  de  Darie^i  et  une  petite  région  du  nord  de 
l'État  du  Cauca.  Vers  l'est,  ils  s'étendent  jusqu'aux  bouches  de 
VAtrato  et  de  VAcarica;  au  sud-ouest,  ils  confinent,  par  le  rîo 
Sambu^  avec  les  populations  Chocoe-Sambu,  et,  vers  l'ouest,  je 
crois  pouvoir  donner  comme  leurs  limites  anciennes  le  rio  Clia- 
grès  et  les  montagnes  de  la  Chorrera.  Beaucoup  de  noms  divers 
ont  été]appliqués  aux  tribus  de  la  famille  cuna,  tels  que  Mandin- 
gas,  ChuctmaqiieSy  BayamoSy  Indiens  de  San-Blas,  Tncutis, 
Tula,  laie  y  etc.;  ces  noms  ne  donnent  point  le  nom  national  mais 
indiquent  simplement  le  lieu,  la  rivière  où  habitent  les  Indiens. 
Quant  aux  mots  iule  et  yule,  ce  ne  sont  qu'une  forme  du  mot 
tvlcy  vir,  rhomme  de  nation  cuna;  pour  se  désigner  entre  eux, 
ils  emploient  le  mot  cii?ia  ou  cunacuna.  Bien  que  ces  Indiens 
aient  été  les  premiers  à  être  conquis  par  les  Espagnols  et  que 
leur  pays  n'ait  cessé  d'être  occupé  par  les  conquérants  jusqu'après 


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48  LES    INDIENS    DE    l'ÉTAT    r»E    PANAMA 

la  révolte  de  1776,  ils  vivent  encore  aujourd'hui  dans  un  état 
presque  complet  de  barbarie;  ils  ne  reconnaissent  guère  Tauto- 
rité  du  gouvernement  colombien,  trop  insouciant  pour  leur  en 
imposer,  et  n'obéissent  qu'à  leurs  propres  chefs.  Seuls,  ceux 
qui  vivent  sur  le  rio  Saji-Miguel  ou  Tuyra  ont  conservé,  en  raison 
de  leurs  rapports  avec  les  Panamenos,  un  état  de  demi-civilisa- 
tion. Malgré  Tétat  barbare  dans  lequel  sont  encore  les  tribus  de 
la  famille  cuna,  Toccupation  espagnole  a  réussi  cependant  à 
leur  faire  perdre  leurs  coutumes  anciennes  et  leurs  traditions  ; 
seule,  leur  langue  paraît  s'être  conservée  à  peu  près  intacte.  Je 
me  trouve  donc  obligé,  pour  donner  quelque  idée  de  leurs  mœurs 
et  coutumes  anciennes,  de  me  reporter  à  l'intéressant  ouvrage  de 
Lionel  Wafer  *  et  aux  documents  man^uscrits  du  docteur  Andres 
de  Ariza^  et  du  père  Blas  José  Franco  ^  J  ai  examiné  en  outre  les 
différents  auteurs  qui  ont  écrit  sur  le  Darien  et  sa  langue,  et 
principalement  Felipe  Ferez*,  Lull%  Behrendt*,  Cullen  '  et  de 
Puydt^ 

Comme  aspect  physique,  le  Cuna  ne  diffère  guère  des  Indiens 
des  autres  parties  de  l'État  de  Panama  et  des  autres  tribus  habi- 
tant les  côtes  de  Colombie  et  de  Venezuela,  et  la  courte  descrip- 
tion que  j'ai  donnée  des  Guaymies  s'applique  aux  Cunas  :  leur 
couleur  est  peut-être  un  peu  moins  foncée,  et  l'on  trouve  parmi 
eux  un  nombre  relativement  considérable  d'albinos.  Wafer  men- 
tionne comme  existant  au  Darien  des  Indiens  à  la  peau  blanche 
et  aux  cheveux  roux.  Il  parait  certain  que  ces  Indiens  étaient 


1)  Lionel  Wafer.  A  new  voyage  and  description  of  Uœ  isthmus.  1699,  p.  104 
et  seq. 

2)  Andres  de  Ariza,  Commentarios  de  la  rica  y  ferlilissima  provincia  de 
Santa-Maria  la  Antigua  del  Darien.  Al  virrey  Guirrior,  1774.  Ms. 

3)  Blas  José  Franco.  Documentos.  Ms. 

4)  Felipe  Ferez.  Geographia  de  la  Nueva-Grranada,  Bogota,  1856,  t.  I,  p.  149 
et  seq.,  p.  391  et  seq. 

5)  E,-P.  Lull.  {Proceedings  oftheAm.  Phil.  Ass,  Hartford,  1874,  p.  104.) 

6)  C.-H.  Behrendt.  The  Darien  language .  (Am.  Hist.  Record,  Philadelphie, 
1876,  p.  54.) 

7)  Docteur  E.  CuUen.  {Journal  ofihe  Royal  Geogr.  Society  of  London,  1851, 
Vol.  XXI,  p.  241 .  Transactions  of  tlie  Ethnograph,  Society  of  London,  1868, 
Vol.  V.  p.  150.) 

8)  L.  de  PuvHl.  Darien.  {Journal  oftlie  Royal  Geograph,  Society  of  the  Lon- 
don, Vol.  XXXVllI,  p.  09.) 


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UâS    INDIENS   DK   l'ÉTAT   DE   PANAMA  49 

des  métis,  produits  de  la  visite  des  Qibusliers  anglais  ou  des 
Espagnols  habitant  le  pays. 

Les  CunaSy  comme  la  plupart  des  populations  américaines, 
ont  la  religion  des  esprits.  Ils  n'ont  point  Tidée  d'un  esprit 
supérieur  en  bonté;  ils  croient  à  une  quantité  d'esprits  bons  ou 
mauvais,  surtout  mauvais,  appelés  niyas  :  ces  derniers  doivent 
être  rendus  favorables,  et  pour  ces  services  ils  se  servent  des 
lere^  lele  ou  magiciens. 

Us  vivent  pour  la  plupai;t  très  dispersés,  leurs  maisons  étant 
construites  sur  les  bords  d'une  rivière  ou  de  la  mer.  Chaque 
groupe  de  maisons  se  trouve  sous  le  contrôle  d'un  capiian  ou 
cacique;  en  cas  d'absence  du  capitaUj  le  iele  le  remplace;  en  cas 
d'absence  de  celui-ci,  le  comotoro  prend  la  place  du  chef,  et,  en 
dernier  lieu,  Yurumia.  Le  lele  est,  comme  nous  l'avons  vu  plus 
haut,  une  sorte  de  magicien,  prêtre  et  médecin;  le  comotoro  est 
le  musicien  officiel  chargé  d'organiser  et  de  conduire  les  danses 
et  cérémonies;  Vurumia  est  une  espèce  de  policier  dont  le  devoir 
est  de  veiller  à  ce  qu'aucun  étranger  n'approche  des  maisons 
habitées  par  sa  tribu. 

Hommes  et  femmes  allaient  autrefois  dans  le  costume  le  plus 
primitif,  l'homme  absolument  nu,  si  nous  exceptons  une  petite 
plaque  en  or  ou  en  feuilles  de  plantain,  de  forme  conique,  res- 
semblant assez  à  un  entonnoir  renversé.  Us  forçaient  le  pénis  à 
rintéricur  de  ses  téguments  et  le  maintenaient  en  place  avec  la 
plaque  susmentionnée ,  à  laquelle  était  attachée  une  corde  pas- 
sant entre  les  jambes  et  autour  des  reins  :  le  scrotum  restait  ainsi 
exposé  à  la  vue.  Les  femmes  portaient  pour  tout  vêtement  une 
bande  d'étoile  de  coton  ou  d'écorce  d'arbres  tombant  jusqu'aux 
genoux  et  enroulée  autour  des  hanches. 

Dans  les  occasions  très  importantes,  les  hommes  portaient  une 
espèce  de  robe  longue,  en  coton,  descendant  jusqu'aux  talons.  A 
cette  robe  étaient  ajoutées  de  longues  franges,  des  manches 
larges,  courtes  et  ouvertes  jusqu'aux  coudes. 

Ils  se  peignaient  le  corps  de  différentes  couleurs,  rouge,  jaune 
ou  bleu,  dessinant  des  figures  d'oiseaux,  d'animaux,  d'hom- 
mes, etc.  Ces  figures  présentaient  un  travail  plus  compliqué  sur 
VI  4 


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50  LES   INDIENS   DE   l'ÉTAT   DE   PANAMA 

Il  face.  La  femme  servait  d'artiste  et  paraissait  prendre  un  plai- 
sir tout  spécial  à  décorer  de  la  manière  la  plus  fantastique  son 
mari.  La  peinture,  dissoute  dans  une  petite  calebasse  avec  de 
Turine  et  de  l'huile,  s'appliquait  à  la  peau  avec  un  petit  pinceau 
de  bois  tendre,  mâché  à  une  extrémité.  Une  bonne  couche  de 
peinture  ainsi  donnée  durait  plusieurs  semaines  et  se  renouvelait 
de  temps  en  temps. 

Le  tatouage  parait  avoir  eu  une  certaine  vogue,  et  Ton  y  atta- 
chait un  très  grand  prix.  La  manière  d'opérer  était  la  suivante  : 
on  dessinait  d'abord  sur  la  peau,  avec  un  pinceau,  la  figure  que 
l'on  désirait  représenter,  puis  l'on  piquait  avec  des  épines  la 
surface  ainsi  dessinée  sur  laquelle  on  frottait  ensuite  la  main 
trempée  dans  la  couleur  que  l'on  employait.  Le  tatouage  ainsi 
produit  durait  toute  la  vie. 

Les  hommes,  en  temps  de  guerre,  se  peignaient  la  figure  en 
rouge,  et  le  reste  du  corps,  la  poitrine  et  les  épaules,  en  noir, 
avec  de  grandes  plaques  jaunes  ou  bleues.  Comme  ornement,  les 
hommes  portaient  une  plaque  d'or  ou  d'autre  matière,  couvrant 
la  bouche  de  coin  en  coin  et  descendant  jusqu'au  dessous  de  la 
lèvre  inférieure;  cette  plaque  avait  deux  pointes  serrant  le  sep- 
tum  du  nez,  où  elle  se  trouvait  maintenue.  Durant  les  voyages 
ou  les  chasses,  ils  ne  portaient  qu'une  plaque  très  étroite  et  très 
mince ,  des  plaques  plus  grandes  étaient  réservées  pour  les 
cérémonies  importantes  ou  la  guerre.  Au  lieu  d'une  plaque,  les 
femmes  portaient  un  anneau  des  mémos  matières,  de  la  grosseur 
d  une  plume  d'oie  et  suspendu  de  la  même  manière.  Durant  les 
repas,  hommes  et  femmes  relevaient  tout  simplement  l'ornement 
pour  permettre  l'introduction  de  la  nourriture  et  de  la  boisson, 
ou,  s'il  était  trop  encombrant,  on  l'enlevait  temporairement. 

Les  chefs,  dans  les  plus  grandes  cérémonies,  portaient,  lixées 
à  un  anneau  passé  dans  chaque  oreille,  deux  grosses  plaques  d'or 
dont  Tune  pondait  en  avant  sur  la  poitrine  et  l'autre  en  arrière, 
sur  l'épaule.  Ces  plaques  avaient  près  d'un  pied  de  long,  de  la 
forme  d'un  cœur,  la  pointe  en  bas  ;  la  partie  supérieure  portait 
une  autre  petite  plaque  à  travers  laquelle  passait  Tanneau  qui 
suspendait  le  tout  à  roreille. 


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LES    INDIENS   DE   l'ÉTAT    DE    PANAMA  51 

Dans  ces  mêmes  cérémonies ,  les  chefs  avaient  aussi  une 
espèce  de  diadème  fait  d'une  bande  d'or  d'environ  huit  ou  neuf 
centimètres  de  largeur,  formant  à  sa  partie  supérieure  comme 
les  dents  d'une  scie  et  garnie  de  petits  morceaux  de  roseau  dont 
Textrémilé  était  ornée  des  plumes  des  oiseaux  les  plus  estimés. 

En  dehors  de  ces  ornements  employés  seulement  dans  les 
grandes  circonstances,  il  y  en  avait  d'autres  que  les  hommes  et 
les  femmes  portaient  indistinctement.  C'étaient  par  exemple  des 
colliers  faits  de  plusieurs  rangées  de  dents,  de  coquilles,  de  ver- 
roteries, etc.,  couvrant  la  poitrine  et  descendant  jusqu'au  creux 
de  Testomac.  Certains  de  ces  colliers  faits  de  dents  étaient  très 
curieusement  travaillés;  les  dents  étaient  taillées  en  forme  de 
scie,  de  façon  que  les  parties  saillantes  d'une  rangée  entrassent 
dans  les  encoches  de  l'autre  et  formassent  ainsi  une  masse  solide. 
Les  colliers  des  femmes  n'avaient  que  peu  de  dents,  étant  com- 
posés plus  généralement  de  coquilles ,  verroteries ,  etc.  Les 
femmes  portaient  aussi  des  bracelets  aux  bras  et  aux  jambes,  ces 
derniers  composés  de  nombreuses  rangées  faisant  plusieurs  fois 
le  tour  du  membre. 

Aujourd'hui,  l'homme  met  volontiers  une  chemise  de  toile  ou 
de  flanelle  de  couleur  voyante,  un  mouchoir  autour  du  cou  et 
peut-être  un  pantalon  de  toile  ou  de  coutil.  Il  se  peint  encore 
volontiers  et  porte  les  cheveux  longs  divisés  en  deux  nattes  et 
maintenus  en  position  par  un  gros  peigne  en  bois  sculpté,  étroit 
et  de  leur  fabrication.  La  femme  a  un  jupon  court  en  étoffe  de 
coton  sur  lequel  elle  a  préalablement  dessiné  en  rouge  ou  en 
bleu  diverses  figures  d'animaux,  d'oiseaux^  etc,  et  une  espèce  de 
camisole  sans  manches.  Le  cou,  les  bras  et  les  jambes  sont, 
comme  autrefois,  couverts  de  dents  et  verroteries,  et  du  collier 
pend  presque  toujours  une  pièce  d'argent  en  forme  de  demi- 
lune,  à  laquelle  sont  attachées  diverses  pièces  de  monnaie  et 
d'autres  objets  en  argent;  on  appelle  cet  ensemble ma/a/e/e.  Elles 
séparent  leurs  cheveux  comme  les  hommes  et  se  peignent  ainsi 
qu^eux. 

Leurs  maisons,  comme  je  l'ai  déjà  dit  plus  haut,  sont  presque 
toujours  éparses  sur  les  bords  d'une  rivière  ou  de  la  mer*  Dans 


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o2  LES    INDIENS    DE    L^ÉTAT    DE    PANAMA 

les  îles  du  golfe  de  San-Blas  et  de  V archipel  des  Mulatas,  les  mai* 
sons  sont  souvent  groupées  de  manière  à  former  un  véritable 
village.  Ces  habitations  ne  présentent  rien  de  bien  particulier. 
Elles  sont  closes  de  murs  en  bambous  ou  roseaux,  parfois 
recouverts  de  terre.  Le  toit,  de  forme  ovale,  est  fait  avec  les 
feuilles  de  palmiers  de  montagne.  La  longueur  d'une  de  ces  habi- 
tations est  d'environ  douze  mètres,  la  largeur  proportionnelle. 
Le  feu  se  fait  au  milieu  de  la  pièce  unique  et  la  fumée  s'échappe 
par  un  trou  laissé  dans  le  toit.  Il  arrive  que  si  l'endroit  où  doit 
être  construite  la  maison  est  sujet  à  des  inondations,  l'on  établit 
une  plate-forme  sur  pilotis,  sur  laquelle  s'élève  alors  la  maison. 
L'intérieur  d'une  de  ces  maisons  est  fort  simple  :  chaque  per- 
sonne a  son  hamac  de  coton  pendu  aux  poutres  du  toit,  hamac 
que,  durant  la  journée,  on  relève  sur  l'une  des  poutrelles  trans- 
versales; quelques  blocs  de  bois  servent  de  sièges.  Autour  du 
feu,  quelques  vases  et  calebasses,  puis  deux  ou  trois  grands  pots 
ou  marmites  en  fer.  Dans  un  coin,  des  paniers  ou  filets  conte- 
nant les  provisions  et  les  bardes  de  la  famille,  et,  passés  sur  les 
poutrelles  ou  sous  les  feuilles  du  toit,  une  ou  deux  sarbacanes, 
dos  arcs,  des  flèches,  des  lances  pour  la  chasse  et  la  pêche,  et 
parfois  un  ou  plusieurs  fusils  complètent  le  matériel. 

Plusieurs  maisons  situées  dans  le  même  voisinage  avaient  en 
commun  une  espèce  de  fort  dans  lequel  on  se  retirait  en  cas  de 
guerre  :  ce  fort  élait  construit  suivant  le  style  des  maisons  ordi- 
naires, mais  de  plus  grandes  dimensions  :  certains  de  ces  forts 
avaient  jusqu'à  quarante  mètres  de  longueur.  On  les  élevait  à 
l'endroit  dominant  de  la  vallée.  Les  murs  formés  de  plusieurs 
épaisseurs  de  gros  bambous  de  quatre  mètres  de  hauteur  étaient 
percés  d'une  multitude  de  trous  de  la  grosseur  du  poing  par 
lesquels  les  assiégés  pouvaient  voir  au  dehors  et  tirer  leurs 
flèches.  Une  porte  massive  faite  des  mêmes  matériaux  servait  à 
l'occasion  à  fermer  la  seule  entrée  de  cette  espèce  d'enceinte. 

Leurs  armes  consistaient  en  sarbacanes  avec  flèches  empoi- 
sonnées, en  arcb,  en  flèches  de  différents  genres,  en  lances  (ils 
ont  aujourd'hui  des  fusils).  Les  flèches  et  lances  avaient  des 
pointes  en  bois  durci  ;  maintenant  la  plupart  emploient  des  pointes 


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LES   INDIENS    DE    L*ÉTAT    DE   PANAMA  1)3 

en  fer.  Ils  sont  très  experts  dans  la  fabrication  du  curare  dont 
ils  enduisent  l'extrémité  de  la  parcelle  de  bambou  ou  roseau  qui 
sert  de  flèche  à  la  sarbacane. 

Leurs  ustensiles  de  cuisine  se  réduisent  à  quelques  pots  et 
marmites  d'origine  européenne  et  à  un  grand  nombre  de  cale- 
basses et  gourdes  de  différentes  dimensions  :  j'ai  eu  en  mains 
deux  spécimens  de  vases  enterre  cuite  provenant  du  Darien  d'un 
I  ravail  fort  grossier,  en  terre  noire  et  sans  aucune  ornemental  ion. 
Les  objets  en  terre  cuite  du  Darien  sont  devenus  d'une  extrême 
rareté. 

Les  femmes  tissaient  aussi  des  étoffes  de  coton  sur  des  métiers 
primitifs,  mais,  à  |'heure  actuelle,  cette  industrie  est  presque 
abandonnée  en  raison  de  la  facilité  avec  laquelle  ces  Indiens  se 
procurent  des  tissus  d'origine  européenne  ;  le  seul  usage  auquel 
soit  employé  le  coton  aujourd'hui  est  de  servir  à  la  manufacture 
de  leurs  hamacs.  Les  jeunes  filles  préparent  les  fils  de  coton  ; 
elles  disposent  les  morceaux  très  fins  de  roseaux,  de  bambous, 
de  feuilles  de  palmiers,  etc.,  dont  on  fait  les  paniers  :  ce  dernier 
travail  est  du  ressort  exclusif  de  Thomme  qui  donne  à  ces  maté- 
riaux, par  la  teinture,  différentes  couleurs  et,  les  tressant  avec 
beaucoup  de  soin ,  arrive  à  faire  des  paniers  absolument 
imperméables.  Ces  paniers  varient  beaucoup  en  dimensions  ot 
en  formes  :  les  uns  de  forme  ronde  ou  conique  servent  à  trans- 
porter les  provisions  et  se  portent  sur  le  dos;  d'autres  de  forme 
presque  carrée  servent  dans  l'intérieur  delà  maison;  d'autres  en 
forme  de  bouteilles  conservent  l'eau  ou  la  chicha;  d'autres, 
enfin,  de  dimensions  toutes  petites,  de  formes  rondes  peuvent 
servir  de  tasses.  A  l'homme  appartient  aussi  la  confection  des 
filets. 

Quand  la  femme  est  sur  le  point  d'accoucher,  elle  est  reléguée 
dans  une  partie  de  la  maison  et  séparée  du  reste  par  une  cloison, 
ou  bien  elle  se  rend  à  quelque  distance  dans  une  hutte  disposée 
à  cet  effet;  durant  ce  temps  elle  est  veillée  par  une  vieille  femme 
qui,  aussitôt  l'accouchement  fait,  prend  la  mère  et  l'enfant, 
les  porte  à  la  rivière  et,  aussitôt  appelle  un  lele  qui,  après 
quelques  paroles  cabalistiques,  souffle  sur  eux  quelques  bouffées 


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54  LES    INDIENS    DE   l'ÉTAT    DE    PANAMA 

de  fumée.  La  femme  et  le  nouveau-né  se  trouvant  par  ce  fait  puri- 
fiés, rentrent  dans  la  maison  commune.  Uenfant,  durant  les 
premiers  mois,  est  attaché  sur  une  planche  à  la  façon  des  Indiens 
du  Nord  :  quand  il  est  nécessaire,  on  Fenlève  et  on  le  baigne 
dans  l'eau  froide.  Un  petit  hamac  sert  à  déposer  Tenfant  pendant 
que  la  mère  est  au  travail.  Pendant  longtemps,  l'enfant  ne  porte 
d'autre  nom  que  celui  de  chtichu  (enfant)  ;  s'il  est  mâle,  il  reçoit 
un  nom  de  son  père  au  bout  de  deux  ou  trois  ans,  si,  au  contraire, 
c'est  une  fille,  elle  ne  prend  de  nom  qu'à  l'époque  de  sa  puberté. 
Les  noms  ainsi  donnés  ne  sont  jamais  divulgués  aux  étrangers. 
L'arrivée  à  la  puberté  chez  la  jeune  fille  est  le  signal  d'une 
grande  fêle  :  celle-ci  est  transférée  dans  une  maison  disposée  à 
cet  effet  au  centre  de  laquelle  on  a  construit  une  petite  chambre 
isolée  en  feuilles  de  tacar  ou  latanier  ;  cette  chambre  est  appelée 
chumpa.  Au  centre  de  cette  chambre  l'on  creuse  un  trou  d'envi- 
ron deux  mètres,  ce  trou  est  recouvert  avec  des  côtes  de  feuilles 
de  palmier  et  sur  cet  échafaudage  on  installe  un  lit  de  feuillages 
sur  lequel  repose  la  jeune  fille.  Toutes  les  femmes  du  voisinage 
la  visilent  alors  et  répandent  sur  elle,  chacune  à  son  tour,  une 
calebasse  pleine  d'eau.  Durant  ce  temps,  les  parents  préparent 
quantité  de  chicha.  Ces  préparatifs  durent  environ  huit  jours 
pendant  lesquels  la  jeune  fille  ne  doit  pas  quitter  la  chumpa.  Le 
jour  arrivé,  tous  les  invités  se  peignent  avec  du  chapttir  (espèce 
de  graine  oléagineuse  donnant  une  couleur  bleu  foncé).  Les 
femmes  portent  solennellement  des  grains  à  la  jeune  fille  pour 
qu'elle  aussi  se  peigne  de  la  même  couleur.  Ceci  fait,  elle  sort 
du  chumpa  en  costume  de  fêle  et  est  alors  présentée  cérémonieu- 
sement aux  invités.  La. danse  et  les  libations  de  chicha  recom- 
mencent, les  hommes  habillés  d'une  manière  grotesque  avec  les 
peaux  de  différents  animaux  dont  ils  essayent  d'imiter  les  mouve- 
ments et  les  cris,  les  femmes  seulement  dans  leur  plus  beau 
costume  d'apparat.  Tout  ceci  se  passe  au  son  d'un  tambour  en 
bois  creux,  de  sifflets  en  os  et  d'une  petite  flûte  en  roseau.  La 
fête  dure  avec,  diverses  alternatives  de  danses,  de  chants  et  de 
libations  jusqu'à  ce  que  la  chicha  soit  épuisée,  et  on  lui  donne  le 
nom  de  chaptur  igua.  On  Tappelle  aussi  la  petite  fête  ;  c'est  dans 


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LES  INDIENS    DE   l'ÉTAT   DE   PANAMA  55 

celle  fête  que  la  jeune  fille  reçoit  un  nom.  La  grande  fête , 
après  laquelle  la  jeune  fille  a  le  droit  de  se  marier,  est  donnée 
durant  Tannée  qui  suit.  A  cette  seconde  fête  sont  invitées 
toutes  les  personnes  du  village  et  des  villages  voisins  et  même 
éloignés.  On  s'y  rend  dans  toute  la  richesse  du  costume  indien. 
La  fête  commence  par  de  nombreuses  libations  de  chicha,  puis? 
aussitôt  le  soleil  couché^  la  danse  commence.  Cette  danse  est 
toutà  fait  particulière,  hommes  et  femmes  y  prennent  part,  chacun 
ayant  les  mains  à  plat  sur  les  épaules  de  celui  qui  le  précède» 
faisant  mouvoir  les  pieds  et  le  corps  de  gauche  à  droite  et 
d'arrière  en  avant  au  son  lent  et  monotone  de  la  flûte  du  camo- 
toro  qui  conduit  la  cérémonie  :  de  temps  en  temps  on  se  sépare 
pour  boire  de  la  chicha  e^i  manger,  puis  on  reprend  la  danse  et 
ainsi  de  suite  altemalivement  jusqu'à  ce  que  toute  la  chicha 
soit  épuisée.  C'est  durant  cette  danse  que  le  jeune  homme  qui 
aurait  des  vues  sur  la  jeune  fille  en  l'honneur  de  qui  la  fêle  est 
donnée,  après  s'être  préalablement  concerté  avec  elle,  disparaît 
avec  celle-ci;  après  un  séjour  de  quelques  heures  au  dehors 
tous  deux  reviennent  prendre  leur  place  parmi  les  danseurs: 
cette  sortie  est  considérée  par  tout  le  monde  comme  équivalant 
au  mariage.  Le  lendemain  seulement  le  nouveau  couple  se  pré- 
sente aux  parents  de  la  jeune  fille  qui  reconnaissent  formellement 
la  nouvelle  alliance  et  reçoivent  certains  présents.  Suivant  Wafer, 
les  cérémonies  du  mariage  étaient  autrefois  beaucoup  plus 
compliquées  et  plus  longues,  bien  qu'au  fond  elles  fussent  k  peu 
près  les  mêmes. 

L'adullère  chez  la  femme  mariée  élait  souvent  puni  de  la  mort 
des  deux  participants.  Les  Cunas  sont  extrêmement  jaloux  de  la 
pureté  de  leur  race  et  ne  permettent  aucune  communication  entre 
leurs  femmes  et  les  blancs  ou  les  nègres  qui  peuvent  visiter  le 
pays.  En  dehors  des  fêtes  que  je  viens  de  citer  il  y  en  a  beaucoup 
d'autres  de  caractère  religieux  ou  privé;  leur  description  n^ofl^ri- 
rait  pas  ici,  un  intérêt  suffisant. 

Quand  une  personne  est  à  la  dernière  extrémité  et  qu'il  n'y 
a  plus  d'espoir  de  la  sauver,  on  prévient  tout  le  monde  aux 
alentours  et  chacun  vient  voir  le  moribond  :  on  appelle  le  lele 


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56  LES   INDIENS   DE   l'ÉTAT   DE   PANAMA 

qui  fumige  celui-cî  des  pieds  à  la  tête  avec  des  fumées  de 
cacao,  de  poivre,  etc.,  prononçant,  en  même  temps,  des  paroles 
cabalistiques  et  tantôt  chantant  des  chants  sacrés  sur  un  ton 
grave  et  monotone.  Aussitôt  qu'il  voit  que  le  moribond  est  sur 
le  point  de  rendre  le  dernier  soupir,  le  lele  se  retire,  les  parents 
et  les  amis  commencent  les  cris  et  les  lamentations  interrompues 
de  temps  en  temps  par  un  orateur  qui,  avec  une  voix  lugubre 
et  d'un  ton  solennel  et  monotone,  raconte  les  hauts  faits  du  mort. 
Durant  ce  temps  quelques  personnes  se  sont  rendues  à  la  plan- 
tation de  plantain,  de  cacao,  etc.  du  défunt;  là  ils  nettoient  dans 
un  endroit  touffu,  une  superficie  d'environ  25  mètres  au  centre 
de  laquelle  on  élève  une  hutte  en  feuilles.  A  Fintérieur  de  cette 
hutte  Ton  creuse  un  trou  de  2  mètres  de  profondeur  et  de  §  mètres 
on  carré.  Ceci  fait,  l'on  place  au  fond  deux  poteaux  auxquels 
on  suspend  le  hamac  dans  lequel  on  a  roulé  et  ligotté  le  défunt; 
tout  ce  qu'il  possédait  est  ensuite  déposé  avec  lui  à  ses  côtés. 
Les  lamentations,  cris,  chants  monotones  alternent  durant  tout 
ce  temps.  Une  fois  le  corps  déposé ,  on  place  des  côtes  de 
feuilles  de  palmiers  en  les  croisant  de  façon  à  former  une  voûte 
au-dessus  du  cadavre  afin  que  la  terre  ne  le  touche  pas.  On  empile 
sur  ces  côtes  des  feuilles  de  palmier  par  rangées  successives  de 
manière  à  fermer  hermétiquement  le  tombeau;  puis  toute 
l'assistance  se  disperse.  La  femme  et  la  famille  du  défunt  visitent 
pendant  une  année,  matin  et  soir,  la  hutte  afin  de  la  nettoyer,  de 
la  balayer  et  d'y  déposer  de  la  nourriture  et  de  la  chicha. 

Le  nom  d'une  personne  défunte  est  absolument  tabu\  c'est 
une  injure  fort  grave  de  mentionner  à  un  passant  ou  à  un  ami 
du  défunt,  le  nom  de  celui-ci. 

(La  suite  au  prochain  numéro,) 


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OBSERVATIONS  ETHNOPtRAPHIQUES 

SUR   LESI   IftArVAKILfi   DU   tàOLfrE:  DE  'TADJOURA 

Par  le  D^  L,  Faitrot 


Lps  monlag-ues  de  FËtliiopif^  à  l'oupst,  lo  jittoral  du  détroit  de 
Bab-el*Maadeb,  de  la  Manche  d'Adea  au  nord-est,  la  rivière 
Aouach  au  sud,  forment  les  limites  du  territoire  occupé  par  une 
population  composée,  en  grande  parHe,  de  nomades  pasteurs. 
Bien  que  cea  nomades,  auxquels  on  a  donné  les  divers  noms 
de:  Adelsj  ûanakils,  Afara,  se  déplacent  fréquemment, la  plu- 
part, cependant,  ne  connaissent  qu'une  portion  relativement  res- 
treinte de  cet  immense  territoire.  Aussi  esl-il  difficile  d'obtenir 
de  ceux-ci  des  renseignements  sur  le  nombre,  le  nom  et  la  répar- 
tition géographique  do  leurs  diltéFentes  fractions  ou  tribus*. 

Ces  fractions  sont  réunies  nominalement  en  grands  groupes, 
tels  que  les  Adaïls,  llassoumbas^  Débenés,  Modaïto,  Asaïmaras. 
KUes  sont  sous  Tautorité  de  dardars  ou  sultans  qui  ont  comme 
feudataires  des  dardars  de  puissance  moindre.  C'est  le  dardar 
d'Aoussa  qui  parait  avoir  le  plus  d'influence  sur  les  nomades  du 
liUoral,  Les  territoires  d'Obock  et  d' Assab  étaient  autrefois  com- 
pas dimf>.les  limites  de  ses  possessions.  Tadjoura  et  Raheila 
âont  f      *^^^  V^^  des  dardars  feudataires. 


A! 


.  Fr,  Sf-aramuchi  et  E,  Giglioli  ['Notizie  sui  Danakil 
ii  Âssttb.  Areh,  Anlhrop.,  Mantegazza,  1884),  il  n'y 
"  rnie  correspondanL  à  Ccilui  de  tribu.  Il  est  arrivé 
|ur  le  nom  de  son  kabaU,  un  dankaii  du  territoire 
répondu  par  le  nom  de  son  cheik.  Plusieurs 
tjn  document  orfteiel  sur  Obock  {Notices 


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58  OBSERVATIONS   ETHNOGRAPHIQUES 

Dans  le  premier  de  ces  villages  le  titre  de  dardar  n'est  pas 
héréditaire,  pas  plus  que  celui  de  botdelta  (vizir).  L'un  et  l'autre 
appartiennent  alternativement  aux  deux  plus  puissantes  familles. 
Ainsi  à  la  mort  du  sultan  actuel,  c'est  le  vizir  ou  un  membre  de 
la  famille  de  ce  dernier  qui  prendra  le  titre  de  sultan;  et  ce  sera 
l'aîné  de  la  famille  du  sultan  qui  aura  droit  à  la  dignité  de  vizir. 
Le  pouvoir  n'est  pas  absolu,  car  toutes  les  fois  qu'une  décision 
doit  être  prise,  elle  n'est  rendue  qu'après  avis  préalable  des  nota- 
bles. Quant  à  la  fonction  de  bouleïta,  elle  est  purement  honori- 
fique, car,  lorsque  le  dardar  s'absente  du  village,  c'est  un  des 
notables  qui  prend  en  main  l'administration.  Durant  mon  séjour 
à  Tadjoura,  une  assemblée  eut  lieu,  précédée  pendant  plus  d'une 
demi-heure  du  bruit  d'une  sorte  de  tambour. 

Les  Afara*  de  Tadjoura  et  ceux  qui  vivent  en  nomades  autour 
d'Obock  ont  la  peau  d'un  noir  de  suie.  Je  n'ai  pas  observé  chez 
eux  la  coloration  jaunâtre  que  signalent  MM.  Scaramuchi  et 
Giglioli  chez  les  habitants  d'Assab.  Ils  sont  le  plus  souvent 
imberbes.  Lorsque  la  barbe  existe,  elle  est  en  collier.  Beaucoup 
(parmi  ceux  qui  paraissent  avoir  une  quarantaine  d'années)  sont 
dépourvus  de  cheveux  sur  la  partie  supérieure  du  crâne.  Les 
autres  sont  ou  rasés,  ce  qui  est  rare,  ou  portent  une  chevelure 
frisée  dont  le  développement  «volumineux  prend  un  aspect  très 
remarquable  et  que  l'on  peut  comparer  à  une  perruque  du  temps 
de  Louis  XIY.  La  nuque  est  toujours  rasée.  Les  Danakils  n'ont 
jamais  les  cheveux  tressés  sur  les  côtés  de  la  tête  selon  la  mode 
des  Çomalis.  Ils  ne  les  imprègnent  pas  non  plus  du  mélange  de 
chaux  et  de  graisse  dont  l'usage  est  fréquent  chez  ces  derniers. 
La  chevelure  des  femmes  enfermée  dans  une  coiffe  est  rabattue 
au-dessus  du  front;  cette  disposition  est  absolument  inverse  de 
colle  que  présente  la  coiffure  des  femmes  çomalies.  Enfin,  tous 
les  jeunes  garçons,  jusqu'à  l'âge  de  douze  ans,  ont  la  tête  rasée, 
sauf  une  touffe  de  cheveux  sur  le  sommet  de  la  tète.  Il  en  est  de 
même  chez  les  enfants  çomalis  et  arabes. 

i)  Afara^  au  singulier  a/isr,  est  le  terme  par  lequel  les  nomades  se  désignent; 
il  signifie  les  errants,  les  libres.  En  langue  arabe,  le  mot  as  far ,  duquel  on  pour- 
rait croire  que  afar  est  dérivé,  signifie  jaune« 


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SUR   LES  DANAKILS   DU   GOLFE   DE   TADJOURA 


59 


Les  traits  des  Danakils  sont  fins.  Il  semblerait  que  la  couleur 
de  la  peau  et  Tépaisseur  des  lèvres  dussent  seules  les  faire  distin- 


Fig.  4.  Femme  danakile. 

guer  de  ceux  des  Européens.  Le  prognathisme  qui  m'a  paru  fré- 
quent] chez  les  Gallas  d'Obock  est  rare  chez  eux.  Plus  rarement 
aussi  que  ces  derniers,  ils  ont,  entre  les  deux  incisives  médianes 


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60  OBSEBVATIOXS   CTH50GBAFH1QUCS 

supérieures,  on  intervalle  qui,  aa  goùl  des  Gallas,  est  on  embel- 
lissement. 

Les  membres  snpéricnrs  et  inférieurs  sont  grêles;  quelques 
Danakils  sont  cependant  taillés  en  hercule.  Les  mollets  sonl  à 
peine  dessinés  bien  que  les  nomades  soient  excellents  marcheurs. 
Cette  conformation  est  peut-être  une  conséquence  de  l'habitude 
qu'ils  contractent  dès  Tenfance  de  s'asseoir  d'une  façon  très  par- 
ticulière. Dès  qu'ils  ont  pris  leur  position  habituelle  de  repos,  les 
genoux  se  trouvent  à  la  hauteur  du  menton  et  les  jambes  se  flé- 
chissent complètement  sur  les  cuisses.  Dans  cette  attitude  bizarre 
que  MM.  Scaramuchi  et  Giglioli  ont  aussi  notée,  les  talons  sont 
en  contact  avec  les  ischions. 

Une  pièce  d'étoffe  large  de  1",50  à2  mètres,  longue  de  1  mètre, 
enroulée  au-dessus  des  hanches  constitue  le  vêtement  des  Dana- 
kils. Ils  couvrent  quelquefois  leurs  épaules  d'une  autre  pièce 
ayant  les  mêmes  dimensions.  Ils  attachent  à  leur  cou,  en  guise 
de  parure,  un  ou  deux  petits  sachets  de  cuir  et  des  boules  de 
porcelaine  blanche  de  la  grosseur  d'un  œuf  de  pigeon.  Plus  rare- 
ment on  les  voit  portant  au-dessous  d'un  genou  une  mince 
lanière  en  peau  de  chèvre  blanche,  le  poil  en  dehors.  J*ai  ren- 
contré ces  mêmes  ornements  chez  les  Çomalis-Ëssas  de  la  côte 
sud  du  golfe  de  Tadjoura\ 

La  hampe  de  la  lance  danakile  mesure  deux  mètres.  Une 
lame  de  fer  contournée  en  spirale  garnit  son  talon  sur  une 
longueur  de  douze  centimètres.  Cette  lame  est  destinée  à  faire 
contrepoids  à  l'autre  extrémité  qui  se  termine  par  un  fer  large  et 
acéré.  Dans  les  combats,  les  Danakils  n'ont  point  coutume  de 
se  servir  de  cetlc  arme  en  la  projetant,  bien  qu'ils  y  soient  fort 
habiles. 


1)  Les  Çomalis-Essas  sont  vêtus  et  armés  de  la  même  manière  que  les  Dana- 
kils. Chez  les  Çomalis  Haber-Aouel,  une  chevelure  jaunie  par  la  chaux,  un  tolb 
ou  complètement  blanc  ou  agrémenté  de  grandes  raies  rouges  entrecroisées, 
deux  grosses  boules  d*ambre  sur  le  devant  du  cou  et  un  casse-tête  orné  de  têtes 
de  clous  en  cuivre  dans  une  main  constituent  la  loilette  de  ceux  qui  passent 
pour  être  quelque  peu  élégants.  Leur  armement  de  guerre  se  compose  de  deux 
lances,  Tune  de  }el  (dagali),  Taulre  {(loanè)  plusgrnnde,  dont  ils  ne  se  servent 
que  dans  le  combat  corps  a  corps,  d  un  long  poignard  {beliao)  à  lame  droite,  et 
enfin  d'un  très  petit  bouclier  en  cuir  de  couleur  claire. 


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SUR  LES   DANÂKILS    DU    GOLF£   DE   TÂDJOURA  61 

Le  jet  de  la  lance  qui,  du  reste  est  un  jeu  pour  les  jeunes  car- 
rons, mérite  une  description  détaillée.  C'est  avec  l'extrémité  des 
doigts  de  la  main  droite  que  la  lance  est  en  même  temps  saisie 
par  son  milieu  et  maintenue  horizontalement  levée.  Au  moment 
où  Télan  doit  être  donné,  le  bras  droit  est  porté  brusquement  en 
arrière  et  du  même  coup  les  doigts  s'écartent.  Le  mouvement  de 
recul  imprimé  à  Tarme  est  arrêté  aussitôt  par  la  main  qui  se 
ferme  sur  la  hampe.  Du  choc  de  la  lance  sur  la  paume  de  la  main 
résuite  une  vibration  qui  fait  entendre  un  bruit  sourd.  Au  mou- 
vement de  recul  succède  le  mouvement  du  bras  en  avant  par 
lequel  Tarme  est  définitivement  lancée. 

On  parvient  sans  trop  de  difficulté  à  imiter  celte  manœuvre 
dans  tous  ses  détails.  Il  m'a  semblé  que  les  vibrations  imprimées 
à  la  lance  lui  donnaient  plus  de  fixité  dans  sa  position  horizontale 
et  facilitaient  ainsi  sa  projection.  L'arme,  lancée  de  pied  ferme, 
atteint  un  but  placé  à  15,  20  mètres  et  même  au  delà.  La  javeline 
des  Çomalis  Haber-Aouel  se  manœuvre  de  la  même  manière  ; 
cependant  lorsque  ces  derniers  veulent  la  projeter  en  courant,  ils 
ont  d'abord  le  soin  de  faire  avec  le  bras  armé  des  mouvements 
de  va  et  vient,  dont  la  rapidité  est  en  rapport  avec  celle  de  leur 
allure.  Je  me  suis  assuré  que  dans  ces  conditions  la  javeline 
pouvait  toucher  un  but  placé  à  plus  de  40  mètres. 

La  lame  du  couteau  danakil  [guillé)  a  une  forme  légèrement 
courbe.  Le  fourreau  est  terminé  par  un  long  cône  de  cuivre,  et 
orné  sur  une  de  ses  faces  d'une  série  de  petits  anneaux  ou  de 
baguettes  faites  du  même  métal.  Cette  arme  est  fixée  horizonta- 
lement à  la  ceinture  de  façon  à  ce  que  Textrémilé  de  la  poignée 
corresponde  au  côté  gauche  du  corps. 

Le  bouclier  [(jo)  ressemble,  par  sa  forme  et  ses  dimensions 
(60  centimètres  de  diamètre),  à  celui  des  Éthiopiens. 

Les  habitations  des  Danakils  d'Assab,  décrites  par  M.  Scara- 
muchi  diffèrent  de  celles  des  nomades  campés  prèsd'Obock. 
Ces  derniers  construisent  des  huttes  très  petites  (1",50)  à 
Taide  de  branchages,  de  nattes  et  de  lambeaux  d'étoffes.  Leur 
forme  est  hémisphérique.  On  reconnaît  les  emplacements  que  ces 
huttes  ont  occupés  à  des  cercles  de  grosses  pierres  dont  la 


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62  OBSERVATIONS    ETHNOGRAPHIQUES 

destination  était  de  fixer  sur  le  sol  les  divers  matériaux  qui  en 
constituaient  les  parois*. 

A  Tadjoura  les  Danakils  sédentaires  habitent  des  cabanes 
groupées  dans  des  enclos. 

Les  huttes^  demeures  habituelles  des  nomades,  sont  parfois 
remplacées  par  des  abris  rocheux.  Sur  la  rive  nord  du  Goubet- 
Kharal,  j'ai  vu  de  ces  abris  complétés  par  un  mur  de  pierres.  Les 
Danakils  seraient  donc  accidentellement  troglodytes. 

Us  n'ont  d'autre  industrie  que  celle  qui  consiste  à  fabriquer 
des  nattes  et  des  paniers  avec  les  fibres  du  tafi,  (palmier  doum) 
teintes  de  vives  couleurs.  Les  Çomalis  de  Zeyla  et  de  Berbera 
sont  beaucoup  plus  habiles  dans  cette  fabrication.  A  Tadjoura 
on  voit  quelques  artisans  occupés  à  forger  des  fers  de  lance  et 
de  couteau  ;  d'autres  façonnent  des  boucliers  et  des  sandales  de 
cuir.  Le  travail  de  la  terre  est  inconnu  et  ainsi  que  M.  Révoil  Ta 
dit  du  pays  des  Çomalis,  «  le  seul  champ  que  l'on  cultive  est 
celui  des  morts.  » 

La  confection  des  outres  destinées  à  contenir  l'eau  ou  le  lait, 
est  réservée  aux  femmes.  Elles  aussi  doivent  conduire  les  cha- 
meaux. Tenant  à  la  main  l'extrémité  du  licol  elles  marchent 
courbées  sous  le  poids  d'une  charge  maintenue  en  équilibre 
au-dessous  des  reins,  au  moyen  d'une  corde  qui  prend  un  point 
d'appui  sur  le  front.  Les  hommes,  toujours  armés,  surveillent  le 
troupeau.  Une  occasion  de  pillage,  une  vengeance  à  exercer 
peuvent  les  en  éloigner. 

L'usage  veut  qu'un  meurtre  soit  vengé  par  la  mort  de  l'assas- 
sin. Le  «  prix  du  sang  »  n'est  pas  toujours  considéré  comme  une 
compensation  suffisante.  C'est  ainsi  que  le  négociant  Arnoux  fut 
massacré  (1882),  bien  qu'il  eût  payé  une  forte  somme  pour  le 
meurtre  d'un  Danakil  tué  involontairement  par  l'un  de  ses  gens. 

Pour  se  débarrasser  de  leurs  ennemis  ils  ont,  dans  certaines 
circonstances,  recours  au  poison*. 


1)  Les  tumuli  entourés  à  dislance  par  un  cercle  de  grosses  pierres,  signalés 
par  M.  Révoil  au  camp  de  Berguel  (fletwe  d'Ethnographie,  n«  1;  sonl  peut-être 
des  sépultures  creusées  dans  Taire  des  huttes. 

2)  Je  tiens  le  fait  suivant  de  M.  Labattut,  chef  de  caravane,  qui  depuis  un 


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SUH  LES   DANAKILS    DU   GOLFE   DE  TADJOURA  63 

La  méfiance  paraît  être  le  trait  dominant  du  caractère  des 
Danakils.  Durant  mon  voyage,  accompagné  un  jour  de  plusieurs 
de  leurs  semblables,  le  hasard  me  conduisit  au-devant  d'un  de 
leurs  groupes.  Nous  suspendîmes,  suivant  Fusage,  notre  marche 
de  façon  à  laisser  un  intervalle  assez  grand  entre  nous.  Ce  n'est 
qu'après  un  échange  de  paroles  rassurantes  que  deux  Danakils 
appartenant  à  chaque  bande  s'abordèrent  :  «  Ouyèrè  mààli.  » 
(Gomment  as-tu  passé?  hé  bien !)  est  la  phrase  qui  leur  servit  de 
salutations;  puis  allernativement  ils  répétèrent  le  dernier  mot  : 
màdliy  et  cela  pendant  près  d'une  minute. 

Cette  méfiance  n'existe  pas  à  Tégard  des  personnes,  frangi  ou 
danakils  qui  leur  sont  devenues  familières.  Ils  abandonnent 
alors  leur  impassibilité  habituelle,  souvent  même  ils  mani- 
festent de  la  gaieté.  Leurs  divertissements  sont  d'ailleurs  fré- 
quents. Dès  que  les  indigènes  employés  aux  travaux  du  port  ou 
au  parc  à  charbon  avaient  terminé  leur  travail  de  la  journée,  ilg 
se  réunissaient  en  grand  nombre  (40  à  50)  derrière  le  village 
d'Obock  construit  par  les  marchands  arabes,  et  là,  pendant  près 
d'une  heure  ils  se  livraient  à  leur  jeu  favori.  Ce  jeu  consiste 
dans  la  poursuite,  suivant  certaines  règles,  d'une  balle  de  cuir 
qu'ils  se  renvoient  de  l'un  à  l'autre  en  la  faisant  bondir  sur  le 
sol.  L'entrain  qu'ils  mettaient  à  cet  amusement  était  tel  et  la 
mêlée  devenait  si  confuse  qu'il  m'a  été  impossible  de  m'assurer 
de  la  manière  exacte  dont  il  se  conduit.  Il  ne  me  paraît  pas  pro- 
bable que  ce  divertissement  soit  une  imitation  du  jeu  de  paume, 
qui,  dans  le  camp  d'Obock,  avait  pour  acteurs  les  Éthiopiens 
dont  est  composée  la  garde  particulière  du  commandant  civil. 
Ces  Éthiopiens  se  servaient  de  bâtons  ou  de  palettes  au  moyen 
desquels  ils  pourchassaient  une  balle.  Les  renseignements  m'ont 

grand  nombre  d*annèes  voyage  entre  la  côle  orientale  et  le  Choa.  Une  discus- 
sion s'élant  élevée  entre  un  sultan  de  Haheïta  et  son  vizir,  ce  dernier  vint  avec 
ses  partisans  exposer  ses  griefs  à  Amphallé,  dardar  d'Aoussa.  Amphallé  lui 
donna  raison  et  Fautorisa  à  se  servir  du  poison  pour  tuer  le  sultan.  Pendant  le 
retour,  à.  deux  jours  de  marche  de  Raheïta,  quelques  guerriers  se  séparèrent 
de  la  suite  du  vizir  et,  ayant  eu  Toccasion  de  passer  à  Obock,  annoncèrent  que 
le  sultan  venait  de  succomber  à  une  maladie.  Ils  avaient  compté  sans  un  orage 
qui  relarda  la  marche  du  vizir.  On  sut  plus  tard  que  cette  mort  du  sultan,  pré- 
sentée comme  naturelle,  était  survenue  vingt*quatre  heures  après  la  nouvelle 
qui  en  avait  été  donnée  à  Obock. 


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64 


OBSERVATIONS    ETHNOGRAPHIQUES 


fait  défaut  au  sujet  d'un  aulre  jeu,  observé  à  Assab  par  Scara- 
muchi  qui  le  désigne  par  le  nom   italien  de  bûchette .  L'exis- 


"-    Vi^.^. 


Fig.  5.  Ahmed  ben  Mohammed,  sullao  de  Tadjoura. 


tcace  de  ce  jeu  m*a  été  révélée  par  la  rencontre  prës  de  huttes 
danakiles  d'une  série  de  petites  cavités  disposées  sur  deux  rangs. 


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SUR    LES   DANAKILS   DU   GOLFE   DE   TADJOURA  65 

Des  Çomalis  Haber-Aouel  m'apprirent  qu'elles  étaient  destinées 
à  un  jeu  dankali. 

Je  n'ai  pas  vu  les  Danakils  danser^ Très  fréquemment,  au  con- 
traire, il  m'est  arrivé  d'observer  les  Çomalis  se  livrant  à  cet 
exercice  qui,  chez  eux,  est  arrivé  à  une  extrême  simplicité.  Par- 
tagés en  deux  groupes  qui  se  font  vis-à-vis,  ils  se  rapprochent 
en  frappant  en  cadence  le  sol  de  leurs  pieds.  En  même  temps  ils 
s'accompagnent  de  battements  de  mains  et  d'un  ha!  ha!  crié  en 
chœur  à  tue-lêle.  Ils  retournent  ensuite  sur  leurs  pas  pour 
recommencer.  L'expression  de  leur  physionomie  témoigne  du 
plaisir  qu'ils  éprouvent  à  faire  ces  mouvements  et  à  pousser  ces 
cris  grotesques. 

Aucun  mariage  danakil  n'ayant  été  célébré  durant  mon  séjour 
à  Obock,  je  ne  puis  mieux  faire  que  de  citer  la  relation  d'un 
témoin  oculaire^ 

«  Le  mariage  n'est,  bien  entendu^  chez  ces  peuplades,  qu'une 
acquisition  de  la  femme  par  le  maii  ;  celui-ci  donne  en  échange  à 
son  futur  beau-père  des  chèvres,  des  chameaux.  Les  affaires 
d'intérêt  conclues,  on  construit  une  hutte  dans  laquelle  se  place 
la  fiancée,  puis  on  va  chercher  le  futur  mari.  Il  ne  porte  pas 
d'armes  mais  il  tient  à  la  main  un  fouet.  Tous  les  amis  mâles  des 
deux  familles  se  rangent  autour  de  la  hutte  et  égorgent  les  ani- 
maux destinés  au  festin  ;  la  première  victime  abattue  doit  être 
une  chèvre  blanche.  Pendant  qu'elfe  saigne  encore,  on  la  place 
toute  pantelante  au  seuil  de  la  cabane  et  le  mari  doil  marcher 
par-dessus  pour  aller  trouver  sa  femme.  Ace  moment,  toute  la 
bande  se  met  à  hurler  et  à  frapper  sur  la  hutte  avec  des  bâtons. 
Au  tapage  répondent  les  cris  de  la  malheureuse  créature  bat- 
tue par  son  seigneur  et  maître.  Puis  ceux  du  dehors  prennent  la 
victime  blanche  et  la  jettent  au-dessus  de  la  hutte.  /> 

L'exogamie  est  fréquente  chez  les  Danakils  Debenés  dont  le 
territoire  est  voisin  de  celui  des  Çomalis-Essas.  Le  dardar 
actuel  des  Débénés,  Loïta,  est  lui-même  fils  de  père  danakil  et  de 


1)  Ce  récit,  un  peu  abrégé,  est  emprunté  au  livre  de  M.  C.  de  Sainl-Aymour, 
iVos  irUéréls  au  Soudan,  Il  diCTère  de  celui  de  MM.  Scaramuchi  et  Giglioli. 

VI  5 


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66  OBSERVATIONS    ETHlNOGRAPHIQUES    SUR   LES    DANAKILS 

mère  essa.  Cette  cputurae  ne  parait  pas  avoir  encore  amené  le 
mélange  des  deux  populations.  Les  Çomalis-Essas  ont,  en  effet, 
la  peau  moins  noire  que  les  Danakils,  leur  langage  est  différent 
et  les  rivalités  avec  leurs  voisins  sont  fréquentes.  Ils  ont  conservé 
l'habitude  commune  à  tous  les  Çomalis,  de  tresser  leurs  cheveux 
sur  les  côtés  de  la  tête,  le  sommet  restant  ébouriffé.  Us  les 
imprègnent  souvent  d'un  mélange  de  chaux  et  de  graisse.  Enfin, 
celles  de  leurs  filles  qui  sont  mariées  à  des  Danakils  conservent 
néanmoins  la  coiffure  et  Thabillement  en  usage  dans  leur 
pays. 


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REVUES    ET    ANALYSES 


LIVRES  ET  BROCHURES 

E.  Petitot.  Traditions  indiennes  du  Canada  nord-ouest.  (Les  Littératures 
populaires,  t.  XXIII.  Paris,  Maisonnêuve  frères  et  Ch.  Leclerc,  1886» 
1  vol.  in-12.) 

Tous  ceux  qui  s'occupent  de  linguistique  el  de  mythologie  américaines  sont 
familiers  avec  le  nom  de  M.  l'abbé  Petitot.  he  monde  savant  lui  doit  d'impor- 
tants travaux  sur  les  langues  des  Esquimaux-Tcbiglit,  et  des  peuples  de  la  race 
Denne-Dindjie,  dont  il  a  également  étudié  avec  soin  Tethnographie. 

Aujourd'hui  il  nous  donne  une  publication  non  moins  intéressante  que  les 
précédentes  pour  les  érudits,  mais  accessible  à  un  public  plus  nombreux  ;  elle 
comprend  les  légendes  et  contes  populaires  qu'il  a  patiemment  recueillis  pen- 
dant ses  excursions  comme  missionnaire  dans  les  régions  du  nord-ouest.  Nul 
plus  que  Fauteur  n'était  à  même  de  mener  à  bien  un  pareil  travail  puisque, 
familier  avec  les  idiomes  parlés  dans  ces  régions,  il  a  pu  recueillir  les  récits  de 
la  bouche  même  des  conteurs*  L'abbé  Petitot  a  suivi,  en  quelque  sorte,  Tordre 
géographique  en  allant  du  nord  au  sud  puisqu'il  commence  par  les  contes  des 
Esquimaux  pour  finir  par  ceux  des  Pieds-Noirs. 

Dans  sa  préface,  l'auteur  insiste  sur  certaines  réminiscences  bibliques  dont 
plusieurs  semblent  anciennes,  mais  dont  quelques  autres  paraissent  plus  ré- 
centes et  pourraient  bien  être  de  source  chrétienne. 

Nous  ne  nous  étendrons  point  sur  la  ressemblance  que  l'auteur  pense  pou- 
voir établir  entre  l'Amérique  d'une  part,  et  de  l'autre  l'Extrême-Orient,  l'Egypte 
et  rOcéanie.  Les  opinions  de  M.  l'abbé  Petitot  à  cet  égard  demanderaient  à 
être  soumises  à  un  examen  critique  minutieux  et  détaillé.  En  tous  cas,  la  lé- 
gende relative  à  la  formation  de  la  Terre  qu'on  nous  représente  comme  tirée  du 
fond  de  l'Eau  mérite  d'être  signalée  ;  elle  offre  la  plus  étroite  affinité  avec  les 
récits  des  peuples  du  Canada  aussi  bien  qu*avec  ceux  de  diverses  populations 
de  l'Asie  et  même  de  l'Europe  ;  nous  pouvons  la  considérer  comme  une  preuve 
des  relations  ayant  jadis  existé  entre  les  deux  hémisphères.  Nous  ne  sau** 
rions,  au  reste,  nous  étendre  sur  chacun  des  récits  contenus  dans  l'intéressant 
ouvrage  de  M:  l'abbé  Petitot  ;  comme  l'auteur  le  remarque  fort  justement,  ceux 
mêmes  qui  ont  évidemment  un  fond  commun  diffèrent  singulièrement  de  tribu 
à  tribu.  On  dirait  que  chaque  peuplade  s'est  plue  à  les  déformer  et  à  en  don« 
ner  une  version  différente. 

Ajoutons  que  l'auteur  a  eu  soin  de  donner  des  textes  indiens  avec  traduction 
interlinéaire.  C'est  un  soin  dont  les  philologues  lui  sauront  évidemment  beau- 
coup de  gré.  On  trouvera  aussi  dans  l'ouvrage  en  question  une  liste  des  héros, 
divinités  et  monstres,  connus  des  Indiens  Peaux-de-Lièvres. 

Les  détails  dans  lesquels  nous  venons  d'entrer  donneront  une  idée  de  l'a- 
bondance des  sujets  traités  dans  l'ouvrage  de  notre  missionnaire  et  de  l'intérêt 
que  sa  lecture  offrira  au  mythographe. 


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68  LIVRES  ET   BROCHURES 

Rappelons,  avant  de  terminer,  que  le  texte  indigène  avec  traduction  inlerli- 
Déaire  de  bon  nombre  de  ces  légendes  doit  paraître  prochainement  dans  les 
Actes  de  la  Société  philologique.  Il  serait  à  désirer  que  tous  les  missionnaires 
aient  montré  un  zèle  aussi  éclairé  que  celui  de  M.  Tabbé  Petitot^  la  science  au- 
rait à  sa  disposition  unti  collection  importante  de  textes  dans  des  langues  ou 
déjà  éteintes  ou  à  la  veille  de  disparaître. 

Cte  DB  Gharbncey. 


Ubie  (M.).  Holz-und  Bambus-Gtorœthe  aus  Nord  West  Neu  Oainea 

(Kœn.  Ethnograph.  Mus,  zu  Dresden),  Vï,  Leipzig,  Klinkhardt,  1886,  in-fol. 
mit  7  taf.  lichdt. 

Au  cours  de  son  voyage  dans  la  baie  du  Geelvink  en  1873,  M.  A.-B.  Meyer 
avait  recueilli  un  certain  nombre  de  pièces  fort  curieuses  pour  Tétude  des  ins- 
tincts artistiques  des  Néo-Guinéens  du  nord.  Ce  sont  ces  objets,  aujourd'hui 
déposés  au  Musée  Royal  Ethnographique  do  Dresde,  que  M.  Uhle  vient  de 
faire  connaître  dans  la  sixième  partie  de  la  luxueuse  publication  éditée  par  ce 
grand  établissement. 

Cest  principalement  à  ornementer  leurs  pirogues  que  ces  insulaires  consacrent 
leur  talent  de  sculpteurs  ;  de  Doréï  aux  Iles  Schouten,  ils  façonnent  habilement 
des  figures  de  proue  dont  le  type  varie  d*une  tribu  à  l'autre.  Ici,  ce  sont  de 
longues  et  minces  branches  élégamment  découpées  à  jour,  surmontées  de  petites 
tètes  humaines  au  nez  immense  et  à  la  perruque  broussailleuse.  Là,  au  contraire, 
c'est  une  anse  massive  en  forme  d'S,  taillée  péniblement  en  une  sorte  de  croco- 
dilien  fantastique.  Plus  loin,  dans  Test,  des  oiseaux,  des  têtes  accouplées  sur- 
montent des  pièces  en  forme  de  taUy  simple  ou  double.  On  trouvera  de  bonnes 
figures  de  ces  divers  ornements  de  proue  dans  les  planches  I  et  II  du  fascicule 
que  vient  de  publier  M.  Uhle. 

La  planche  III  représente  une  série  fort  curieuse  de  korwars  de  la  baie  du  * 
Geelvink.  On  sait  que  ces  korwars  sont  des  statuettes  funéraires,  qui  jouent  un 
rôle  extrêmement  important  dans  la  vie  des  Mafoors  et  des  autres  Papouas  du 
nord-ouest,  mais  dbnt  l'influence  ne  dure  que  jusqu'au  moment  où  un  nou- 
veau décès  nécessite  la  fabrication  d'un  korwar  nouveau.  L'ancien,  qui  pourtant 
contenait  l'âme  du  précédent  défunt,  et  qui  était  appelé  à  intervenir  à  ce  titre 
dans  tous  les  actes,  si  minimes  qu'ils  fussent,  qui  intéressaient  la  famille,  est 
annulé  par  l'intervention  du  nouveau.  Ce  n'est  plus  qu'un  vieux  meuble  qu'on 
peut  vendre  ou  jeter.  C'est  ce  qui  explique  que  les  korwars  ne  soient  pas  rares 
dans  nos  musées  et  que  la  grande  collection  offerte  au  musée  du  Tnocadéro  par 
le  prince  Roland  Bonaparte  en  contienne  jusqu'à  dix, 

M.  Uhle  nou3met  encore  sous  les  yeux  des  bambous  finement  sculptés,  des 
pointes  de  lances  découpées  suivant  des  profils  variés,  des  cuillers,  des  disques, 
et  enfin  des  appuie-tétes  d'un  aspect  caractéristique. 

J'ai  à  peine  besoin  d'ajouter  que  les  descriptions  qui  accompagnent  les  belles 
planches  photo-lithographiques  de  celte  livraison  ont  été  rédigées  par  M.  Uhle 
avec  beaucoup  de  netteté  et  d'érudition. 

E.  Hamy. 


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CORRESPONDANCE 


BourgoiDg  et  Czemichew;  projets  d'expositions  ethnographiques 
à  la  un  du  dernier  siècle.  —  Chez  les  Fingous.  —  Recherches 
ethnographiques  dans  Tlle  de  Lancerotte. 

Paris, 

Le  Jardin  d'Acclimatation  a  reçu,  pendant  ces  dernières  années,  des  repré- 
sentants de  plusieurs  populations  exotiques;  le  public  a  pu  les  voir  se  livrer  à 
leurs  occupations  habituelles  et  mener  sous  un  ciel  nouveau  leur  vie  de  tous  les 
jours,  autant  que  le  permettait  le  lieu  où  ils  étaient  établis.  Les  Congolais 
étaient  un  des  grands  attraits  de  l'Exposition  universelle  d'Anvers,  et  celle 
d'Amstertiam  offrait  à  la  curiosité  de  ses  visiteurs  un  assez  nombreux  groupa 
d'Indiens  de  Surinam.  Ces  expositions  ethnographiques  sont  donc  aujourd'hui 
à  la  mode;  indépendamment  de  l'intérêt  qu'elles  présentent  à  tous,  elles  ne 
sont  point  sans  avoir  quelque  utilité  scientifîque;  Télude  des  Indiens  de  Suri- 
nam réunis  à  Amsterdam  a  été  le  point  de  départ  des  études  bien  connues  du 
prince  Roland  Bonaparte,  et  la  plupart  des  troupes  d'indigènes  du  Jardin 
d*AccIimatation  ont  fourni  matière  à  d'intéressantes  recherches  pour  les  ethno- 
graphes du  Muséum  et  de  la  Société  d'Anthropologie. 

C'est  un  Français  qui  paraît  avoir  eu,  il  y  a  près  de  cent  ans,  la  première 
idée  de  ces  exhibitions.  M.  de  Bourgoing>  alors  secrétaire  d'ambassade  et 
plus  tard  ministre  de  France  près  S.  M.  C,  après  avoir  décrit,  dans  son 
Tableau  de  l'Espagne  contemporaine  (1789),  le  Jardin  des  Plantes  de  Madrid^ 
ajoute  : 

«  Ce  qu'on  ébauche,  avec  succès,  en  faveur  des  plantes,  je  me  suis,  dans 
mes  rêveries,  plus  d'une  fois  occupé  de  l'étendre  aux  trois  règnes  à  la  fois,  en 
donnant  à  tout  l'emplacement  que  le  Jardin  botanique  laisse  encore  vacant  le 
long  du  Prado,  une  destination  unique  sans  doute  en  Europe  et  que  le  seul 
monarque  des  Espagnes  serait  à  même  de  remplir.  Pourquoi  ne  le  diviserait-il 
pis  en  autant  de  compartiments  qu'il  y  a  de  peuplades  au  moins  principales 
sous  sa  domination  ?  Il  y  établirait  une  famille  de  Péruviens,  une  de  Mexicains, 
une  de  Californiens,  une  d'habitants  du  Paraguay,  une  des  insulaires  de  Cuba, 
une  de  ceux  des  Philippines,  etc.;  chacune  d'elle  y  conserverait  son  costume, 
sa  manière  de  vivre,  chacune  y  construirait  des  habitations,  modelées  sur  celles 
qu'elle  aurait  quittées,  elle  y  cultiverait  les  arbres,  les  arbustes  qui  auraient 
ombragé  son  berceau,  les  plantes  qui  auraient  fourni  à  ses  premiers  besoins, 
et  entouré  de  ces  douces  illusions,  avec  plus  de  raison  que  le  jeune  Polaveri 
de  Bougainviile,  elle  se  croirait  encore  dans  sa  pairie.  »  (Chap.  viii). 


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70  CORRESPONDANCE 

Dans  la  4«  édition  de  son  livre  (1807),  Bourgoing  reproduit  ce  passage  et 
ajoute  en  note  : 

c<  J*ai  appris  que  M.  de  Czernichew,  ayant  lu  à  Londres  la  première  édition 
de  mon  ouvrage,  a^^ait  vu  que  le  vœu  que  j'exprime  ici  ne  paraîtrait  peut-être 
pas  chimérique  à  Timpératrice  de  Russie,  connue  par  son  goût  pour  les  entre- 
prises extraordinaires  et  qui,  dans  la  variété  de  mœurs  et  de  climats  répandue 
sur  la  surface  de  son  empire  immense,  pourrait  trouver  à  peu  près  les  mêmes 
ressources  que  le  roi  d'Espagne  pour  naturaliser  sur  les  bords  de  la  Newa 
quelques-unes  des  peuplades  qu'il  renferme.  Ce  projet  fut  présenté  à  Cathe- 
rine II.  J'ignore  s'il  a  été  accueilli.  » 

L.   DlLAVAUD. 


Belhesda,  via  Mohale*s  Vloek^  Basutoland^  Sud  de  V Afrique 
26  novembre  4886. 

Depuis  la  dernière  lettre  que  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  écrire,  j'ai  eu  l'occa- 
sion de  faire  plus  intime  connaissance  avec  les  Fingous  dont  je  vous  parlais 
alors,  ce  qui  fait  que  je  vous  envoie  le  croquis  ci-inclus.  C'est  le  portrait  d'une 
jeune  fille  fingoue  avec  les  ornements  de  la  danse,  on  ne  peut  dire  le  costume 
de  la  danse;  le  costume  étant  le  plus  possible  supprimé.  J'avais  appris  qu'une  fête 
allait  avoir  lieu  dans  un  village  distant  d'environ  deux  heures  d'ici.  Je  demandai  à 
quelques-uns  de  nos  voisins  fingous  qui  devaient  se  rendre  à  cette  fête»  si  une 
de  leurs  filles  ne  pourrait  pas  venir  chez  moi  afin  que  je  fasse  son  portrait, 
j'offrais  même  un  petit  payement,  ma  demande  fut  vite  agréée.  Quelques  jours 
après,  au  grand  scandale  des  chrétiens  bassoutos  établis  autour  de  notre  sta- 
tion, arrivaient  deux  jeunes  filles  fingoues,  toutes  souriantes  et  toutes  luisantes 
de  la  graisse  dont  elles  s'étaient  enduites.  Supposant  que  leur  costume  de  danse 
serait  quelque  peu  décolleté,  je  leur  avais  recommandé  de  venir  vêtues  des  habits 
qu'elles  portent  habituellement,  mais  cela  n'avait  pas  du  tout  fait  leur  compte, 
aussi  arrivaient-elles  en  grande  tenue  ;  des  perles  de  tous  côtés  et  de  toutes 
façons,  colliers,  bracelets,  bandeaux*  petit  tablier,  ceinture,  et  pas  plus  de 
honte  que  de  costume. 

Je  remis  à  mes  deux  visiteuses,  Nkamaka  et  N'gamolache,  de  légers  foulards 
pour  se  couvrir  au  retour,  mais  à  peine  dehors  la  maison  ils  furent,  je  n'en 
doute  pas,  transformés  en  turbans. 

Comme  je  vous  le  disais,  dans  ce  pays  il  n'y  a  guère  que  les  Fingous  qui 
sachent  travailler  les  peries  ;  je  pourrai  vous  envoyer  quelques  échantillons  de 
leur  industrie  si  cela  peut  vous  paraître  intéressant  pour  le  Musée.  L'orne- 
ment que  Nkamaka  porte  sur  la  poitrine  est  une  tabatière,  petite  boîte  en  fer- 
blanc,  portant  l'effigie  de  la  reine  d'Angleterre,  que  vendent  tous  les  marchands 
par  ici. 

Du  reste,  l'esprit  des  Bassoutos  comme  des  Fingous  n'apparaît  pas  seulement 
dans  les  quelques  ouvrages  dont  je  vous  ai  envoyé  l'infage.  Ils  sont  loin  d'être 
des  sots  ceux  qui  appellent  un  pauvre  :  l'homme  des  hommes,  (en  bassouto  : 
màthà  oa  bàthô)j  qui  disent  monna  mongolo  (homme  grand)  pour  vieillard,  et 
pour  lesquels  le  mot  voleur  {lesholu)  veut  aussi  dire  :  un  homme  qui  a  faim. 


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CORRESPONDANCE 


71 


Peut-être  leur  malice  se  manifeste  dans  le  mot  mort  (lefu)  qui  signifie  égale- 
ment :  maladie  ;  en  tous  cas,  il  ne  prouve  pas  une  grande  confiance  dans  les 
médecins  indigènes  qui  sont  aussi  «  sorciers  »  à  l'inverse  des  nôtres. 


vir«m«1ra  î  Fifl.  6.  JcuBC  fille  fluffous  BU  costume  de   danse.  (Daprès  un  dessin 
^itamantt  .  r  »  ^^  g   p^^^^  Christol.) 

Émigrer  (go  falla)  s'emploie  aussi  pour  :  mourir. 

Leur  esprit  s'exerce  surtout  dans  les  noms  un  peu  hétéroclites  qu'ils  donnent 
parfois  à  leurs  enfants.  Mosela'ntja  (la  queue  du  chien)  est  un  nom  très  fréquent; 
ainsi  que  Ma'lipelaclo  (la  mère  des  arrière-pensées). 


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72  CORRESPONDANCE 

On  peut  voir  aussi  yisehiseng^  faites-moi  rire,  ou  bien  :  MoWUise,  celui  qui 
s'apporte  lui-même  ;  ma  thalane,  la  mère  de  la  famine  ;  ÏUihomkOj  le  père  du 
sommeil,  etc.,  etc. 

Les  proverbes,  les  dictons,  offrent  aussi  un  curieux  intérêt. 

Leùlo  le  ye  mothô,  le  voyage  mange  l'homme  ; 

Lebithla  la  Rkômô  Kelmothô,  la  tombe  du  bœuf,  c'est  Thomme. 

Molatô  ga  o  bole,  une  faute  ne  pourrit  pas  (ne  s'oublie  pas). 

Motsamaï  o  va  noya,  celui  qui  voyage  à  pieds  mange  des  serpents  (de  tout)« 

Ngaka  ga  e  iphekôle^  le  médecin  ne  peut  pas  se  soigner. 

Nguana  easa  lleng  o  shuella  tharing,  l'enfant  qui  ne  pleure  pas  sur  le  dos  de 
sa  mère  mourra. 

Lefu  le  Koleng  ea  KolOj  la  mort  est  dans  la  couture  de  l'habit  (c'est-à-dire 
qu'elle  est  partout). 

Mais  je  m'oublie;  si  je  voulais  vous  parler  des  superstitions,  cela  serait 
encore  long  et  vous  pourriez  voir  qu'il  n'y  a  pas  qu'en  pays  civilisé  qu'on  croit 

à  la  «  jettature  »  ou  au  mauvais  œil 

Fred.  Christol. 


Arrecife  {Lancerotte)^  3  mars  4887, 

Mon  voyage  à  Lancerotte  ne  m'a  presque  fourni  aucun  document.  J'ai  par- 
couru toute  l'île  à  diverses  reprises  et  je  n'ai  pas  été  plus  heureux  que  mes 
devanciers.  (1  semble  que  les  habitants  actuels  mettent  le  plus  grand  soin  à 
faire  disparaître  toute  trace  de  leurs  prédécesseurs,  de  sorte  que  je  n'ai  pu 
rencontrer  que  quelques  débris  de  vase  ou  quelques  restes  humains  qui  ne 
méritent  en  aucune  façon  les  honneurs  d'un  musée.  En  quelques  mots  je  puis 
résumer  mes  observations. 

Les  grottes  sont  excessivement  rares  dans  cette  île  et  comme  elles  offraient 
aux  indigènes  un  meilleur  abri  que  les  mauvaises  cabanes  de  pierres  sèches 
qu'ils  fabriquaient  dans  les  endroits  où  les  abris  naturels  faisaient  défaut,  ils 
les  recherchaient  de  préférence  pour  en  faire  leurs  demeures.  Il  semble  qu'ils 
n'aient  jamais  déposé  leurs  morts  dans  des  grottes,  ce  qui  s'explique  facile- 
ment par  la  rareté  même  de  ces  retraites  si  commodes  pour  les  vivants. 

Gomme  je  viens  de  l'indiquer  les  grottes  naturelles  sont  peu  communes  et 
n'existent  pas  dans  toute  l'Ile.  Aussi  trouvons-nous  sur  plusieurs  points  des 
habitations  construites  de  main  d'homme.  Ce  sont  des  murs  en  pierres  sèches 
de  1"»,50  environ  de  hauteur,  affectant  une  forme  plus  ou  moins  voisine  du 
rectangle.  Le  toit,  s'il  a  existé,  a  complètement  disparu.  Quelques-unes  de  ces 
maisons  présentent  des  niches  dans  l'épaisseur  des  murs. 

J'ai  également  rçtrouvé  ici  les  casas  hondas  que  Berthelot  avait  signalées  à 
Fortaventure,  mais  elles  ne  présentent  avec  celles  décrites  jusqu'à  ce  jour 
qu'un  seul  point  de  ressemblance  :  c'est  d'être  en  partie  souterraines  et  en 
partie  au-dessus  du  sol.  Â  Lancerotte  les  casas  hondas  ne  se  distinguent  à 
première  vue  en  aucune  façon  des  monticules  résultant  de  l'accumulation  des 
pierres  que  Ton  enlève  tous  les  jours  des  terrains  cultivés.  Mais  en  examinant 
attentivement  la  partie  supérieure,  on  observe,  sur  plusieurs  points  de  chaque 


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CORnESPONDANCE  73 

monlicule  ancien,  trois  ou  quatre  places  qui  ont  été  comblées  récemment.  En 
déblayant  ces  emplacements  de  tous  les  matériaux  nouveaux  on  voit  appa- 
raître des  cavités,  irrégulièrement  circulaires,  de  1"*,75  à  2  mètres  de  dia- 
mètre, limitées  par  des  murs  formés  de  pierres  disposées  avec  soin;  ces  murs 
arrivent  à  1  mètre  environ  au-dessus  du  sol  avoisinant.  Vues  d'en  haut  ces 
casas  hondas  ont  alors  Taspect  de  Tours  à  ouverture  supérieure  ;  elles  commu- 
niquent entre  elles  par  des  couloirs  couverts  qui  sont  la  seule  partie  réelle- 
ment abritée. 

Les  morts,  d'après  les  renseignements  que  j'ai  pu  recueillir  et  d'après  mes 
propres  constatations,  étaient  toujours  déposés  dans  une  fosse  creusée  dans  le 
sol,  entourée  |ou  non  de  pierres  et  recouverte  ensuite  d'un  monticule  de  pierres 
absolument  comparable  à  ce  que  Ton  désigne  improprement  à  la  Grande- 
Canarie  sous  le  nom  de  tumulus. 

Je  n'ai  pu  me  procurer  qu'un  seul  débris  humain,  une  calotte  crânienne  qui 
offre  très  accusés  les  caractères  suivants  ;  courbe  régulière  en  avant,  méplat 
pariéto-KMMsipital,  renflement  iniaque,  aplatissement  de  la  base  et  grand  déve- 
loppement des  bosses  pariétales. 

L'industrie  rappelle  absolument  celle  de  Fortaventure  :  les  objets  en  pierre, 
à  part  les  meules,  sont  très  bruts,  mais  en  revanche  l'industrie  céramique  était 
arrivée  à  un  degré  qu  elle  n'avait  point  atteint  à  TénérifTe.  Je  ne  puis  entrer 
dans  des  détails  à  ce  sujet  ;  il  me  suffira  de  vous  dire  que,  à  en  juger  par  les 
nombreux  fragments  que  j'ai  rencontrés,  la  forme  des  vases,  la  cuisson,  l'or- 
nementation qui  consiste  toujours  en  lignes  tracées  en  creux,  sont  lout  à  fait 
semblables  dans  les  deux  îles  du  nord. 

Il  est  donc  assez  probable  que  la  race  qui  peuplait  Fortaventure  et  Lan- 
cerotte  était  la  même  et,  par  suite,  il  sera  permis  d'appliquer  à  la  seconde  de 
ces  îles  les  conclusions  qui  ressortiront  de  la  première. 
Il  paraît  en  effet  que  Fortaventure  renferme  beaucoup  plus  de  richesses 
archéologiques,  et  j'û  déjà  de  nombreux  documents  sur  cette  île.  Dans  cinq  ou 
six  jours  je  serai  dans  le  nord  et  j'ose  espérer  être  plus  heureux  qu'à  Lan- 
cerott«. 

J'entreprends  demain  matin  des  fouilles  dans  un  endroit  où  on  me  laisse 
entrevoir  la  possibilité  de  rencontrer  quelques  restes  de  l'ancienne  population. 
Quel  qu'en  soit  le  résultat,  une  fois  ces  fouilles  terminées  je  quitte  celte  île. 

D'  Vebneau. 


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NOUVELLES 


Les  sectes  juives  en  Galicib.  —  M.  Sacber  Masoch,  le  romancier  galicien 
bien  connu,  étant  de  passage  à  Paris,  a  bien  voulu,  sur  la  demande  du  comité 
de  la  Société  des  études  juives,  Taire  avant  son  départ  une  conférence  sur  les 
sectes  juives  en  Galicie.  Cette  conférence  a  eu  lieu  le  10  janvier,  au  siège  de 
la  Société,  44,  rue  de  la  Victoire. 

M.  Zadoc-Khan,  qui  présidait  la  séance,  a,  dans  une  courte  allocution,  pré- 
senté le  conférencier  à  ses  auditeurs. 

M.  Sacher  Masoch  a  parlé  de  deux  sectes  principales  :  les  «Chassidim  »  et 
les  «  Karaïtes  »,  dont  on  trouve  de  nombreux  représentants  en  Galicie.  Ces 
sectes  n*ont  rien  de  commun  avec  les  anciennes  sectes  de  la  Palestine. 

La  première,  celle  des  Chassidim,  est,  comme  l'indique  Tétjrmologie  de  son 
nom,  celle  des  fervents,  des  exaltés.  Le  Chassid,  en  effet,  non  seulement  suit 
rigoureusement  les  prescriptions  de  la  loi,  mais  doit  faire  plus,  I]  s'impose  une 
multitude  de  privations,  fait  subir  à  son  corps  mille  macérations  :  il  s'abstient 
de  viande,  de  beurre,  de  miel  ;  il  ne  mange  point  d'œufs,  il  porte  un  cilice 
dont  TétofTe  rugueuse  meurtrit  sa  peau  :  en  plein  hiver,  il  se  jette  dans  Teau 
glacée  des  rivières. 

Les  Chassidim  s'étaient  fait  aussi  une  règle  de  ne  jamais  séjourner  plus  d'une 
nuit  dans  le  môme  endroit  ;  en  se  fustigeant,  ils  pouvaient  entrer,  croyaient-ils, 
en  communication  avec  les  anges,  avec  Dieu  même.  Le  plus  souvent,  ils  se 
livraient  à  Tétude  de  la  Kabbala, 

Israël  Balchem,  dont  le  nom  signifie  :  homme  capable  de  faire  des  choses 
merveilleuses,  fut  le  fondateur  de  cette  secte.  La  légende  s'est  emparée  de  sa 
vie  :  on  raconte  qu'il  rendait  la  vue  aux  aveugles,  qu'il  ressuscitait  les  morts  et 
qu'il  avait  le  pouvoir  de  sauver  les  âmes  de  l'enfer.  On  le  racontait  de  son 
vivant.  C'était  l'époque  où  Cagliostro  et  ses  adeptes  avaient  prédisposé  tous 
les  esprits  à  la  croyance  au  merveilleux.  Balchem  eut  bientôt  de  nombreux 
disciples  :  ceux-ci,  après  sa  mort,  se  répandirent  en  Russie  et  en  Pologne, 
malgré  les  anathèmes  des  rabbins.  Ils  obéissaient  à  l'autorité  de  «  zadigs  », 
sorte  de  papes  qui  sont  aujourd'hui  une  centaine  environ.  Le  Chassid  ne  paye 
point  le  zadig  en  argent,  mais  il  lui  fait  des  présents,  il  ne  le  laisse  manquer  de 
rien.  L'obéissance  parfaite  au  zadig  est,  avec  la  croyance  aveugle  en  Dieu,  le 
premier  de  ses  dogmes.  Le  jour  du  sabbat,  les  Chassidim  se  réunissent  chez  le 
zadig  dans  une  sorte  de  pique-nique  où  chacun  apporte  sa  nourriture.  Le  zadig 
distrait  ses  convives  par  ses  improvisations  sur  les  versets  de  la  Bible  quonlui 
propose  ;  il  chante  des  airs  gais,  il  s'efforce  en  un  mot  de  prolonger  la 
réunion,  parce  que,  tant  que  dure  le  sabbat,  la  béatitude  règne  dans  les  cieux 
et  l'enfer  se  repose. 


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NOUVELLES  75 

Les  Cbassidim  croient  aussi  à  leur  réunion  avec  Dieu  par  la  contemplation 
de  la  divinité  ;  envers  celui  qui  n'est  pas  Chassid,  le  Chassid  doit  faire  preuve 
d'une  fermeté  dans  sa  foi  allant  jusqu'à  Tinsolence. 

Après  cet  exposé  de  la  doctrine  des  Cbassidim,  M.  Sacher  Masoch  a  raconté 
un  voyage  qu'il  fit  avec  son  oncle  dans  un  village  où  se  trouvait  un  zadig.  Ils 
se  rendirent  à  travers  des  rues  obscures  bordées  de  maisons  de  bois  à  la 
demeure  du  pontife  chassid;  au  dehors,  une  foule  impatiente,  —  juifs  en 
manches  de  chemise  et  en  bonnet  de  peau  de  mouton,  juives  en  robe  verte,  — 
attendait  le  moment  d'être  introduite  auprès  du  zadig.  De  toutes  les  communes 
environnantes  arrivaient  aussi  des  visiteurs  dans  des  véhicules  traînés  par  ces 
petits  chevaux  qui  ont  fait  dire  à  un  voyageur  français  du  xviii*  siècle  :  «  Eu 
Pologne,  les  habitants  attellent  de  grands  chiens.  » 

Pour  bien  comprendre  les  Cbassidim,  dit  M.  Sacher  Masoch,  il  faut  connaître 
le  milieu  où  ils  vivent  Sur  ces  plaines  mornes,  sans  limites,  que  le  printemps 
fleurit  et  que  l'hiver  couvre  de  neige,  l'homme  éprouve  plus  que  partout  ailleurs 
le  sentiment  de  l'infini  :  son  esprit  apprend  à  se  recueillir,  à  se  concentrer  en 
lui-même.  U  devient  bientôt  un  Hamlet  ou  un  Faust . . . 

La  seconde  secte  dont  M.  Sacher  Masoch  a  parlé  est  celle  des  «  Karaïtes  ». 
Ceux-ci  sont  les  jansénistes  juifs.  Il  ne  faut  point  servir  Dieu,  disent-ils,  dans 
Tespoir  d*être  récompensé  ;  il  ne  faut  point  lui  obéir  dans  la  crainte  d'être  puni* 
Mats  il  faut  suivre  sa  loi  parce  que  c'est  la  loi  :  on  doit  être  vertueux  par  amour 
pour  la  vertu.  «  Là  où  la  révélation  et  la  raison  sont  d'accord,  disent  aussi  les 
Karaïtes,  nous  suivons  ce  qu'elles  enseignent  de  leur  double  lumière  ;  mais,  là 
où  elles  se  contredisent,  nous  abandonnons  la  raison,  bien  qu'elle  soit  une 
lumière  divine,  car  si  la  raison  était  suffisante,  la  révélation  serait  superflue.  » 

Les  Karaïtes  rejettent  tous  les  commandements  qui  ne  sont  pas  expressément 
contenus  dans  l'Ecriture.  Salomon  dit  lui-même  qu'il  ne  faut  pas  exagérer  la 
pitié.  Les  Karaïtes  admettent  le  divorce  en  cas  d'adultère,  ils  ne  croient  pas 
aux  démons,  ils  croient,  quoi  qu'on  ait  pu  dire,  à  l'immortalité  de  l'âme  et  à  la 
vie  éternelle.  Une  de  leurs  maximes  est  :  «  Si.  tu  ne  peux  ce  que  tu  veux,  tu 
dois  vouloir  ce  que  tu  peux.  »  Les  Karaïtes  sont  sobres  ;  leurs  prières  doivent 
toujours  être  dites  en  langue  hébraïque  ;  ils  restent  debout  en  priant.  Ils 
observent  rigoureusement  le  sabbat,  et  'dès  le  vendredi  soir  n'allument  plus  de 
feu,  même  par  les  grands  froids  qui  régnent  en  Galicie.  Il  est  vrai  qu'ils  peuvent 
le  faire  allumer  par  des  chrétiens. 

On  trouve  des  Karaïtes  à  Alep,  à  Constantinople,  en  Tartarie,  en  Crimée  et 
en  Egypte  :  on  en  compte  40.000  en  Galicie  seulement. 

Les  Karaïtes  s'interdisent  tout  commerce.  Ils  ne  doivent  vendre  que  les  pro- 
duits de  leur  agriculture  ou  de  leur  industrie  ;  tout  trafic  leur  est  interdit. 

Ils  parlent  une  langue  mi-tartare  et  mi-hébraïque.  Depuis  quatre  siècles,  selon 
leurs  statisticiens,  pas  un  Karaïte  n'a  subi  en  Pologne  la  moindre  condamnation. 
Les  Karaïtes  ne  prêtent  pas  serment  en  justice  :  ils  se  bornent  à  donner  au 
juge  une  poignée  de  main,  en  signe  d'affirmation.  Leurs  croyances  leur  inter- 
disent de  verser  le  sang  ;  aussi  furent-ils  pendant  longtemps  exemptés  du 
service  militaire.  A  Theure  actuelle,  on  les  incorpore  dans  le  service  des  ambu- 
lances. 


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76  NOUVELLES 

Pour  donner  à  ses  auditeurs  une  idée  de  la  bonne  foi  et  des  vertus  des 
Karaïles,  M.  Sacher  Masoch  a  raconté,  en  terminant  sa  conférence,  Thistoire 
d*un  intendant  karaïte  dont  le  maître,  le  comte  Krassewski,  était  mort  pendant 
rinsurrection  de  1846.  Avant  d*entrer  en  campagne  le  comte  avait,  en  cas  de 
malheur,  remis  à  son  intendant  un  portefeuille  contenant  sa  fortune. 

Le  comte  mort  et  son  château  livré  aux  flammes,  saTemme,  la  comtesse  Kras- 
sewska,  se  croyait  ruinée  lorsque  Tintendant  vint  lui  rendre,  intact,  le  dépOt 
qui  lui  avait  été  confié... 

Et  le  vendredi  suivant,  au  commencement  du  sabbat,  Tintendant  put  entrer 
la  tête  haute  dans  la  synagogue,  sur  laquelle  était  écrit  :  «  C*est  ici  la  demeure 
de  Jéhovab,  le  juste  doit  s<^ul  franchir  cette  port'^.  » 


Salomoniens  cannibales.  —  Une  lettre,  datée  du  13  décembre  et  de  la  ville 
d*Apia,  capitale  d'Upolu  (îles  Samoa  ou  des  Navigateurs),  nous  apporte  la  nou- 
velle d'une  scène  de  cannibalisme  qui  s*était  passée  quelques  jours  auparavant. 

Un  certain  nombre  de  travailleurs  mélanésiens,  natifs  de  Tile  Malaîta  (archi- 
pel Salomon),  s'étaient  embarqués  sur  un  navire  à  destination  de  leur  pays.  £n 
route,  ils  ont  mangé  Téquipage  entier  et  ont  ensuite  pillé  le  navire. 

Cette  nouvelle  a  produit  à  Apia  une  émotion  d'autant  plus  vive  que  Ton 
croyait  cette  terrible  coutume  disparue  à  jamais.  Le  capitaine  et  le  second  du 
navire  étaient  originaires  d'Upolu  où  ils  avaient  femme  et  enfants;  Téquipage 
était  composé  d'indigènes  de  Rarotonga  et  autres  polynésiens. 

Aucun  détail  ne  nous  est  encore  parvenu,  mais  il  sera  sans  doute  très  difficile 
de  savoir  si  ces  cannibales  ont  agi  sous  Teffet  d'une  provocation. 

Le  correspondant  ajoute  :  «  J'étais  dans  le  port  lorsque  ces  insulaires  des 
Salomons  ont  été  embarqués,  ils  étaient  au  nombre  de  soixante,  y  compris  les 
femmes  et  les  enfants.  » 


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NÉCROLOGIE 


BAYERN 


Le  savant,  dont  on  vient  de  lire  le  nom,  était  surtout  connu  en  France  par  les 
analyses  que  M.  Ernest  Chantre  avait  données  de  ses  travaux  les  plus  intéres- 
sants. [Contribution  à  Carchéologie  du  Caucase.  Lyon.  1882,  in -8.)  Nous  em- 
pruntons les  lignes  qui  suivent  à  Tarticle  nécrologique  que  notre  collègue  de 
Lyon  a  consacré  au  regrettable  défunt  qu'il  connaissait  si  bien. 

«  Fixé  depuis  près  de  quarante  ans  à  Tiflis,  dit  M.  Chantre,  Frédéric  Bayern, 
avec  sa  vieille  expérience,  sa  connaissance  approfondie  de  l'isthme  caucasien, 
qu'il  avait  parcouru,  en  quelque  sorte,  vallée  par  vallée,  village  par  village, 
était  i'ftme  de  cette  société  intelligente  et  laborieuse  des  amateurs  d'archéologie 
caucasienne  à  laquelle  on  doit  pour  une  si  grande  part  la  révélation  des  trésors 
abandonnés  par  Fhomme  à  toutes  les  époques  dans  cette  admirable  contrée. 
Comme  naturaliste,  Bayern  est  le  fondateur  du  musée  Caucasien,  auquel  il  céda 
généreusement,  alors  que  ce  musée  appartenait  encore  à  la  Société  de  Géogra- 
phie de  Tiflis,  ses  belles  collections  de  géologie,  de  minéralogie  et  d'entomologie. 
Comme  archéologue,  il  fut  le  premier  à  fouiller  et  à  faire  connaître  les  cimetières 
préhistoriques  de  Samtbavro,  de  Stepan-Tzminda  et  de  Redkine-Lager,  sur  la 
grande  route  qui  du  passoge  central  du  Caucase  mène  d'une  part  dans  les 
steppes  de  la  Russie  méridionale,  et  de  l'autre  en  Arménie  et  en  Perse.  Nous 
avons  longuement  exposé  ailleurs  les  travaux  et  les  découvertes  de  notre  illustre 
ami  et  correspondant.  Qu'il  nous  sufflse  de  rappeler  que,  malgré  les  difficultés 
d'une  situation  voisine  de  la  misère^  malgré  l'èloignement,  malgré  les  obstacles 
sans  nombre  que  toutes  ces  circonstances  ont  trop  souvent  semé  sous  ses  pas, 
Bayern  sut,  au  prix  des  plus  grands  sacrifices,  se  tenir  au  niveau  de  la  science 
moderne,  et  s'il  n'eut  pas  toujours  la  force  de  résister  aux  entraînements  de  son 
imagination,  il  mit^du  moins  au  service  de  ses  théories  même  les  plus  auda- 
cieusesy  une  érudition  d'une  étendue  et  d'une  sûreté  qui  étonnent.  » 


BERGE 


M.  Berge,  dont  le  nom  restera  à  côté  de  celui  de  Bayern  sur  la  liste  des 
explorateurs  du  Caucase,  a  précédé  de  quelques  jours  dans  la  tombe  son  véné- 
rable collègue.  Collaborateur  assidu  de  V Annuaire  statistique  du  Caucase,  dit 
encore  M.  Chantre,  M.  Berge  adonné  dans  ce  recueil  si  habilement  dirigé  par 
M.  deSeidlitz,  de  remarquables  études  ethnographiques  sur  quelques-unes  des 
plus  importantes  peuplades  de  l'isthme  ponto-caspien. 


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BIBLIOGRAPHIE 


EXPOSITIONS,   COLLECTIONS,   MUSÉES,  ETC. 

Colini   (G.-A.)-    Cronaca  del  museo  preistorico   cd   etnografico    di    Rama 

(Anno  I,  1884;  auno  II,  1885-86).  Roma,'Ci?elli,  br.  in-8,  1884-1886. 
Hendley  {T. -H.).  Handbook  of  the  Jeypore  Courts,  {Londonj  Jrnio  Colonial  Exhi^ 

bition  of  488S,)  Calcutta,  central  press,  1886,  1  vol.  in-12. 
Holmes  (W.-H.).  RepoH  upon  the  section  of  American  Aboriginal  Pottery  of 

tke  U.  S.  National  Muséum  for  488i,  {SmUhson.  Report,  1884,  part.  II, 

p.  121-122.) 
Olis  T.  Mason.  Report  of  the  Department  of  Ethnology  of  the  U.  S.  National 

Muséum  for  488A.  (IbùL,  part.  Il,  p.  109-120.) 
Rau  (Ch.).  Report  upon  the  Department  of  Antiquities  in  the  U.  S.  National 

Muséum  for  4884.  (i6id.,  part.  H,  p.  123-127.) 

GÉNÉRALITÉS 

Goblet  d'Alviella  (Cle).  Histoire  religieuse  du  feu.  {Ribliothéque  Gilon  n®  173.) 

Verviers,  1887,  1  vol.  in-i2. 
Heyd  (W.).  Histoire  du  commerce  du  Levant  au  Moyen  Agey  édition  française 

publiée  sous  le  patronage  de  la  Société  de  l^Orient  latin,  par  Furcy  Ray- 

naud.  Leipzig,  Harrassowitz,  2  vol.  in-8,  1885-1886. 
Robert  (Ch.).  La  non-universalité  du  délugcy  réponse  aux  objections.  {Revue  des 

questions  scientifiques ,  janv.  1887.) 

BIOGRAPHIES 

Gravier  (G.).  Note  biographique  sur  Paul  Soleillet,  Rouen,  Cagniard,  1886, 
br.  in-4. 

EUROPE 

Arbois  de  Jubainvillè  (H.  d').  Celtes  et  Germains.  (Extr.  des  Compt.-rend.  de 

VAcad.  des  inscript,  et  belles-lettres.)  Paris,  Imp.  Nat.,  1886,  br.  in-8. 
Boule  (M.).  Nouvelles  observations  sur  les  puits  préhistoriques  ft extraction  du 

silex,  de  Mur-de-Rarrez {Aveyron).  (Exlr.  des  Mat.  pour  Ihist.  de  Chomme.) 

Paris,  Reinwald,  1887,  br.  in-8,  fig. 
Collignon  (D'R.).   Anthropologie  de  la  Lorraine.  Nancy,    Berger-Levrault, 

br.  in-8,  carie. 


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BIBUOGRAPHIE  79 

Gheyn  (I.  van  den).  Les  pc^ulations  danubiennes,  études  d* ethnographie  com- 
parée. Gand,  Engelcke,  1886,  1  vol.  in-8. 

Regalia  (E.).  Per  ki  priorité  diuna  sua  determinazione  di  resti  umani  delta 
caverna  delta  Palmaria  stati  prima  attribuiti  ad  un  macacus*  (Estr.  dall, 
Arckivioper  VAntropologiay  vol.  XVI,  1886.) 

ASIE 

Devéria  (C).  Vn  mariage  impérial  chinois,  Paris,  Leroux,  Bibl.  Orient., 
Eliévir.,  1887,  1  vol.  in-18,  fig. 

Id.  La  frontière  sino^nnamite  ;  description  géographique  et  ethnographique 
diaprés  des  documents  officiels  chinois,  traduits  pour  la  première  fois.  [Pu- 
blications de  r Ecole  des  langues  orientales  vivantes,  3«  série,  vol.  I.)  Paria, 
Leroux,  1886,  1  vol.  in-8,  oart.  et  pi. 

Meyners  d'Estrey  (D.  Cte).  Tribus  aborigènes  du  centre  de  Célêbes,  les  Topan^ 
tunuasu.  (Revue  de  Géographie,  îèvrler-m^rsiSSl,  p.  88-96,  114-202.) 

Rosny  (L.  de).  Les  peuples  orientaux  connus  des  anciens  Chinois,  2^  édition. 
Paris,  Leroux,  Bibl.  Orient.,  Eizévir,  1886,  1  vol.  in-18,  fig. 

Yzerœan  (J.-W.).  lets  over  den  oorspronkelijken  voet  van  Boro-Boedoer.  Bata- 
via, 1887,  br.  in-8,  pi. 

AFRIQUE 

Bloxam  (G.-W.).  Exhibition  of  West  African  symbolic  Messages.  {The  Journ, 

ofthe  Anthrop.  Instit.  of  Great  Brit.  and  Ireland,  vol.  XVI,  p.  295-299, 

pi.  IV,  1886.) 
Cameron  (Donald- A.).  On  the  Tribes  of  Eastem  Soudan.   (Ibid.,  vol.  XVI, 

p.  287-295,  1886). 
GrifBth  (T.-R.).  On  the  Races  inhabiting  Sierra-Leone.  {Ibid.,  voL  XVI,  p.  300- 

309,  1886.) 
Noble  (J.).  Uistory,   Productions  and  Resources  of  the  Cape  of  Good  Hope. 

Cape-TowD,  Richards,  1886,  1  vol.  in-8  illustr. 
Rouire.  La  découverte  du  bassin  hydrographique  de  la  Tunisie  centrale  et 

remplacement  du  lac  Triton  {ancienne  mer  intérieure  d'Afrique).  Paris, 

Challamel  aîné,  1887,  1  vol.  in-8, 9  cartes. 

AMÉRIQUE 

Hamy  (E.-T.).  An  Interprétation  of  one  ofthe  Copan  Monuments  {Honduras). 

{The  Joum.  of  the  Anthrop.  Instit.  of  Great  Brit.  and  Ireland,  vol.  XVI, 

p.  242-246,  pi.  III,  1886.) 
Holmes  (W.-K.).  Ancient  Pottery    of  the   Mississipi  Valley.    [Proceed  of 

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Ling  Roth  (H.).  The  Aborigines  of  Hispaniola.  {The  Joum.  of  the  Anthrop, 
Instit.  of  Great  Brit.  and  Ireland,  vol.  XVI,  p.  247-286,  1886.) 

Murdoch  (J.).  A  Study  ofthe  Eskimo  Bows  in  the  U.  S.  National  Muséum. 
{Smithson,  Report.  1884,  part.  II,  p.  307-316,  pi.  I-XII.) 


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80  BIBLIOGRAPHIE 

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Rameau.  L'émigration  canadienne.  {Bull,  de  la  Soe.  Géogr.  Commerc.  deParis^ 

t.  VIII,  p.  479-481,  «886.) 
Uh!c  (M.).   Ueber  einige  seUene  Pederarbeiten  von  Californien.  {MUlh.  der 

Anthrop.  Gesellsch.  in  Wien.  Bd.  XII,  s.  15-20.  abb.,  1886.) 

OCÉANIE 

Bland  (R.-H.).   A  few  pariiculars   conceming  the   Aborigines   of  Western 

Australia  in  the  early  History  of  that  Colony.  (The  Journ.  of  the  Anthrop, 

Jnstit.  ofGreat  Britain  and  Ireland,  vol.  XVI,  p.  340^43,  1886.) 
Brown  (Rév.  G.).  Papuam  and  Polynesians.Ibid.,  p.  311-327,  1886.) 
Glaumonl  (K.)»  Recherches  faites  et  à  faire  sur  le  sort  de  ^expédition  de 

Lapérouse.  (Bull,  de  la  Soc.  de  Géogr.  Commerc.  de  Paris^  t.  VIII,  p.  482- 

490,  1886.) 
Howitt  (A.-W.).  Notes  on  Songs  and  Songmakers  of  some  Australian  Tribes. 

(The  Journ.  of  the  Anthrop.  Instit.  of  Great  Brit.  and  Ireland,  ?oI.  XVI, 

p.  327-335, 1886.) 
Nicolas  (Rev.  C.  G.).  Notes  on  the  Aborigènes  of  Western  Australiay  Loodon, 

W.  Cloves,  1886,  br.  in-8. 
Parkioson  (R.).  Im  Bismarck-Archipelago  Erlebnisse  und  Beobttchtungen  mmf 

d^r  Insel  Neu-Pommern  (Seu-Britannien).  Leipzig,  Brockhaus,  1887,  1  vol. 

in-8|  abh.  u.  Kart. 
Terrance  (Rer.  G.-W.).  Music  of  the  Australian  Aboriginals.  (The  Jomm.  of 

the  Anthrop.  Jnstit.  ofGreat  Brit.  and  Jrelandy  vol.  XVI,  p.  335^40,  1886.) 
Uble  (M.).  Holz  untt  Bambus-Gerâthe  aus  Nord  West  Neu  Guinea.  (Kôn.  Ethwh 

graph.  Mus.  zu  Dresden^  Vf,  Leipzig,  Klinkhardt,  1886.  tn-fol.,  7  ur.  licfatd.) 
lllustrated  Handbook  of  Victoria,  Australia.  (Colonial  and  Iwiian  Exhibition, 

L/yndon,  1886.)  Melbourne,  Ferres,  1886, 1  vol.  gr.  in-8,  nombr.  pi.) 
The  Year  Book  of  New  South  Wales  for  4  886,  Sydney,  Greville,  1885,  1  vol. 

io-8  cart. 


Jje  directeur  de  la  Revue,  L' Éditeur-Gérant ^ 

E.  T.  HAMY.  Ebmst  LEROUX. 


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ERNEST   LKROUX,    ÉDITEUR 

Bus  BoDbpftrta,  28 

HINISTUE  de  L'INSTRUCTION  PDBIIQCE  ET  DES  BEACI-ASTS 

ANNALES  DU  MUSÉE  GlIMET 

TOMK  I 

Recueil  de  Mémoires   <ie  Mi\K  Cmmet,  Hipard,  F.  Chabas,  E.  Naville, 

E.  Lefébure,  Garcin  de  Tassy^,  P,  Regnaufî,  C.  Afwis,  L,  deMilloué,  J.  Dupuis, 
Eitelp  Philastre,  Ymaïzoumî,  Tomii  et  Yamala,  ïn-4,  avec  planchea.     ,     15  fr, 

TOME  II 

Recueil  de  Mémoires  de  Mnx  Mûller^  Ymnïzouinîj  P.  Regnaiid|  L^  Fe«r, 
Csoroa  de  KoBroes.  ln-4,  avec  planches   .,*♦., 15  fr. 

TOME  ITl 
Le  Bouddhiom©  au  Tibet,  par  E,  de  Schlaginlweir,  traduit  par  L,  de 
Millotié.  ln-4,  avec  48  p tanche»  ,     .     ,     .     , ,    .     20  fr, 

TOME  IV 
Recueil  de  Mêmoirea  par  E.  Lefébure ^  F.  Chabas,  A.  Colson,  P.  Kegnaud^ 
J.  EdkinSj  L.  de  Milbui?.  tn-4,  avec  12  planches.     ..,•.».     15  fr- 

TOME  V 

Le  KandjouT,  recueil  des  livres  sacrés  du  Tibet.  Fm^Toents  truduks  par 
Léon  Feer>  In-4,  de  6tH)  pages 20  fr. 

TOME  VI 

Le  Laliia  Vistara  (développement  des  jeux),  contenant  l'histoire  du 
Boud-lhri  Cfikya  Mouni,  depuis  sa  naissance  jusqu*à  sa  prédication^  traduit  du 
Sanscrit  par  Ph.  Ed.  Foucaujt.  U^  partie,  traduction  française,  în-4,  avec 
planches. .,.<..,     15  fr. 

TOME  VU 
Recueil  de  Mémoires  par  A*  Bourquîn,  Senalhi  Radja,  L.  de  Milloué, 
A.    Locard ,   Coomara   Swatny^   J,  Oereon    da  Cuuba,  P.    Regnaud.  In-4    de 
508  page»  et  6  planches.     .,.....,. 20  fr, 

TOME  vm 

Le  Yi  Kîng,  ou  Livre  des  chan^^ements  de  la  dynastie  des  Tcheou,  traduit 
pour  la  prefntère  fois  du  chinois  en  français  avec  les  comoientaires»  pur  P.  L. 

F.  Philastre.  lo-i .     15  fr. 

TOME  LK 

Les  hypogées  royaux  de  Thèbes,  pai  M.  E.  Lef^^bure.  Le  lombenu  de 
Séli  î".  Un  volume  tn-4,  avec  136  plancher 75  fr» 

TOME  X  {sous  preese) 

Recueil  de  Mémoires  de  MM.  C.  Ban,  José  Verirsimo,  S.  Habel, 
A*  Bastian,  Tomii,  S*  J*  Wnrren^P.  Regnaud,  J.  Liebleifi,  Bazin ^  A.  Wiede- 
roanu,  L.  de  Milîoué,  V.  Lorel,  etc* 

TOMKS  XI  et  XII 

*  Les  fêtes  des  Chinois,  îinnuellenjent  célébrées  à  Émouî  (Amoy).  Étude 
concernant  lu  religion  populaire  des  Chinois,  par  J.  M.  de  GrooL  2  volumes 
in* 4,  avec  24  planches  en  héliogravure  .     •     . 40  fr 


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ERNKSÏ   LKROUX,  EDITEUR 

Boa  BsBftpMto,  26 


MIXISTÎRI!  M  l'INSTRtCTION   PïBLIdBI  ET  DES  BEAIIX-ARTS 


MÉMOIRES 

FLTBLlif   rAn    LEâ   !^£»BRES  DE  LA 

MISSION  ARCHÉOLOGIQUE  FRANÇAISE 

AU    CAIRE 

Sous  la  dlrectioii  de  M.  MASFËHO»  membre  de  l'Institut 


25  fr. 


in  fÏH 


Premier  fascicule 

U.  BouRiAï^T.  Deux  jours  de  fouiltes  à  Tell  el- A  marna* 
¥•  LoREî,  Le  tombeau  de  TAtrixent  Amen-Hort-p* 
U,  BouRJA^ïT.  L'éplise  copie  du  tombeau  de  Déga. 
V*  LonsT.  La  stèle  fie  TAraxent  Ameri-fiotep, 
H,  DuLAc.  Quatre  eontes  arabes  en  dîftiecle  cairote. 
V.  LoHET.  La  toml>e  de  Ktiam  Ha. 

în-4j  avec  9  plancties  noSres  et  en  couleuTi     ,     .     , 
Deuxième  fascicule 
G    Maspero.   Trois  années  de  fouilles  dans   les  tombeau  s  de  Thèbe? 

M(HnpiÛ9, 

U.  BouBiAKT.  Les  papyrus  d'Akhmim 

V.  Lûi*ET-  Quelques  docitments   relatifs  à  ta  littérature  et  k  la  musique  popu- 
laires de  la  Îlaute-Egj^pte* 
In^4,  avec  dpl^  en  eouleur/^  pL  noires,  4Qpl.  de  musique^    .    40  l'r. 
Troisième  fascicule 
U,  Bo*miA.MT.  Rapport  au  ministre  de   l'i instruction  publique  sur  une  mission 

dans  in  Haule-E^ypte  (18H4-1885)* 
P,  BAVAiâSR.  F^^ssai  sur  l'histoire  et  sur  la  Lopograpbîe  du  Caire  d' après  Makrizi 

(Palais  clés  Khalifes  Katimites)»  Avec  pLins  en  couleur. 
r^H»  ViREY^  —  Étude  sur  un  parchemin  rapporté  de  ThÈbeâ.  Avec  une  hélio- 
gravure du  ppyruSj  en  quatre  planches. 

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Quatrième   fascicule  (sous  presse) 

PlècKS  BBLATIVKS  A    LA    FONL^ATION   ET  A    L*HtSTOmE    Dg    LA    MÎS5J0M    AftCtlÉOLOGIQUe 

FRAwgAîSE  AU  CAmSi  peniïant  In  première  p-^rioiietle  son  existence  (1880-1886). 
Rapï^obt  sur   le  DÉVELOPPE!!iïE*NT  DES   H0MÎÊ3   ROYALES  de  Déiï  el  Bail  an  ^  par 
M.  Maspero. 

Ginquième  fascicule 

Lss  HYpoGjâsa  nOYAijx  ae  Thèbe?,  par  M.  lï.  L^PÉiiaRE. 

Ite  division  :  Le  tombeau  de  Séti  h',  publié  in  extenso  avec  la  coUûboratioa 

de  MM.  Lf»  BounLiNT  et  V»  Loret,  memlires  de  la  miBaion  archéologique  du 

Caire  et  avec  le  concours  de  M.  Edouard  Naville. 

In-ij  avec  136  planches*     ,     .    75  fr. 


A^QKt^l»,    IMfHIMKlHl^    B  L  H  D  m    KT    c'»,    n  U  K    GARNI  Rit 


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REVUE 

D'ETHNOGRAPHIE 

FEJÛLiAE  $0US  les  ADSFICES  DU  tfmST^mC  DE  L  INSTRUCTION  POBLtaLK 
El'  nm  RKAUX-AnTS 

Par    le    D^    HAMV 


TOME   SIXIÈME 
K'  2.  -  Hari-Avrll. 


/r    PARIS 

ERNEST    LEROUX,     ÉDITEUR 

28,      RVS     OO'APARTE,     28 


1887 


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A 


SOMMAIRE 

HitMOmKS  OlUGIItACK  : 

La.  colonie  de  Porto  Novo  et  le  roi  Tofla D'  Baoim* 

Le«  Indieiiâ  de  l'Ëta.!  de  PaoaD]  &....,...,.,»*..*....««,,,.,*«...  A.  Pinabt. 

Lee  dolmens  de  Guyotî^ilie,  Algérie  . . , . , . , *  Kobsut. 

Décades  américaines  {suiiej  ..,,*» ,»,,,.,.*»... .»,,,,♦.  E  ,-T,  Haut* 

HivtES  rr  A^saltaës,  -^  Livres  et  Brocburm  : 

Eau.  (Ch.).  Prehtslork  Fishing  in  Europa  and  Norlh  Am€t*îca.M..  B.-T.  Ha«î\ 

}Aejaiir&  a'Eslrej.  Tribus  aborigènes  du  centre  de  Céièhes.,.   ,,..  id* 

JuEi  (H.)*  ^^*  «>^J'*  rf"  .^'ou/', ,,.*,♦.,**, * .  ♦ ,  id. 

Lewla.  The  mound$  Qf  De-coo'dah „  Id. 

Académies  et  Soc(été9  savantes  ; 

Académie  des  Intcriptioas  et  Betles^Leltrei ,  id^ 

ExpoimoNâ,  Collections  st  Musses  ; 

La  collection  B  aller  au  ni  usée  du  Trocadéro.  ..«*....*,*,. J.>E<  Delaceoix. 

CoRl^ES^ONl>ASci♦  ^  Nècrolooib,  —  Bmuû graphie  Perrieb.  Cuafpaptjow  , .  E.*T,  Haut. 


CONDITIOINS   DE    LA  PUBLICATION 

U  REVUE  D*ETHNOGRAPHIE  paraît  tous  les  deux  mois,  par  fascîculed  iii4 
r&isin^  de  6  feuilles  d'impression,  richement  illuslrées» 

Prix  de  rabannement  annuel  :  Paris 26  fr.    * 

—  '—                  Départements ,,,»!, 27      60 

—  —                 Étnujger .,,».,.,.,,  30        j* 

Un  numéro,  pris  &u  Bureau ,  .«..,,,...,•,.«..,.. &        » 

TARIF   DES   -\NNONCES 

Une  page * . .  «  « ,     30  fr.    » 

Une  1/2  page.  ..,.,*......  ^ , ....  « 20         > 

TûUâ  l€S  ouvrages  tni^Qyés  à  lu  Bévue  y  S4St*ùnî  annoncés  ei^  é*il  y  a  Heu^  analysés, 
S'ttdreteer,  pour  t^ut  ce  qui  coaeeroe  ta  Hédacliou»  au  D^  HAMY,  40,  rue  de  Lubeck. 


ERNEST  LEROUX,  Éditeur,  rue  Bonaparte,  28, 


NUMISMATIQUE  DE  L'ALSACE 

Far  AETHUE  ENGEL  et  ERNEST  LEHR 
Uiî  b«ftu  volume  in-l,  arec  46  planches  en  pbototypie.     ,     .     ,     .        50  fr. 


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MEMOIRES    ORIGINAUX 


LA  COLONIE  DE  PORTONOVO 

ET 

LE   ROI  TOFFA 

Par  le  D'  A.  HAGEN 

Médecin  de  2*  classe  de  la  Marine. 


Depuis  quelques  années,  les  questions  de  colonisation  sont  à 
Tordre  du  jour  et  préoccupent  vivement  en  France  l'opinion 
publique.  Chaque  nation  européenne  dispute  à  sa  voisine  toute 
parcelle  de  territoire  inoccupée,  si  petite  fût-elle,  en  Afrique, 
en  Océanie,  en  Asie.  Il  m'a  donc  paru  utile  d'attirer  l'attention 
sur  une  partie  de  la  côte  occidentale  d'Afrique,  sur  un  pays  où 
flotte  noti'e  pavillon,  où  nos  commerçants  trafiquent,  grâce  à  la 
protection  qui  leur  est  accordée. 

La  côte  des  Esclaves  n'a  pas  été,  jusqu'ici,  le  but  des  re- 
cherches des  explorateurs  ;  les  rares  géographes  qui  en  parlent 
donnent  sur  le  pays  peu  de  renseignements  et  sur  la  ville  de 
Porto-Novo,  en  particulier,  presque  aucun  détail.  L'insalubrité 
excessive  du  climat,  la  difficulté  des  communications  avec  l'in- 
térieur du  continent,  telles  sont  les  causes  qui,  entre  autres, 
peuvent  expliquer  l'abandon  dans  lequel  on  a  laissé  cette  con- 
trée. 

Cependant,  pour  quiconque  a  habité  ce  pays,  l'intérêt  y  est 
aussi  grand  qu'en  d'autres  points  plus  connus  :  l'ethnographe  y 
observe  des  mœurs  et  des  habitudes  nouvelles,  le  commerçant 
peut  y  faire  un  trafic  rémunérateur  et  le  naturaliste  une  moisson 
nombreuse  de  plantes  inconnues,  d'insectes  non  classés. 

VI  MARS-AVRrL 


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82  LA    COLONIE   DE   PORTO-NOVO 

Historique.  —  Porlo-Novo  est  situé  à  la  côte  occidentale 
d'Afrique,  dans  la  partie  appelée  côte  des  Esclaves  ;  c'est  la 
capitale  d'un  royaume  borné  à  Test  par  la  colonie  anglaise  de 
Lagos,  à  Touest  par  le  Dahomey,  au  nord  par  les  populations 
sauvages  appelées  Yorubas  et  au  sud  par  les  bords  du  golfe  de 
Guinée. 

Ce  n'est  pas  une  colonie  proprement  dite  comme  le  Gabon,  le 
Sénégal,  que  la  France  occupe  en  ce  point.  Notre  gouverne- 
ment y  exerce  un  simple  protectorat  ;  nous  avons  laissé  aux  indi- 
gènes leurs  mœurs,  leurs  coutumes,  leur  roi.  Mais  toutes  les 
relations  extérieures  du  royaume  sont  dirigées  par  le  résident 
français,  commandant  de  Porto-Novo.  Seul  il  est  chargé  de 
régler  les  différends  survenant  entre  les  Européens  et  entre  les 
noirs  nés  en  dehors  du  royaume.  C'est  de  concert  avec  le  roi 
qu'il  rend  la  justice  dans  les  discussions  qui  s'élèvent  entre  les 
blancs  et  les  indigènes  purs. 

L'occupation  du  pays  est  de  date  toute  récente  ;  elle  remonte 
à  trois  ans  au  plus.  Il  est  vrai  qu'une  tentative  d'occupation 
avait  déjà  été  faite  en  l'année  1863. 

A  cette  époque,  le  roi  Sodji,  père  du  roi  actuel  Toffa,  crai- 
gnant les  empiétements  de  ses  voisins  anglais,  adressa  une 
demande  de  protectorat  à  la  France,  par  l'intermédiaire  des 
commerçants  établis  à  Porto-Novo.  Le  gouvernement  impérial 
accueillit  cette  demande  et  accorda  sa  protection.  Nous  avions 
tout  intérêt  à  prendre  possession  du  pays  ;  de  plus,  il  y  avait 
nécessité  pour  la  civilisation  à  ce  qu'une  nation  européenne  s'y 
installât  afin  de  surveiller  plus  étroitement  la  traite  des  esclaves 
qui  se  faisait  toujours. 

Une  petite  canonnière  appelée  «  Dialmate  »  promenait  les  trois 
couleurs  françaises  dans  la  lagune  sur  les  bords  de  laquelle  est 
bâtie  Porto-Novo.  Son  commandant  était  aussi  chargé  de  l'exer- 
cice du  protectorat.  L'administration  du  pays  fut  facile  pendant 
la  durée  du  règne  du  roi  Lodgi.  Ce  dernier,  dévoué  à  la  France, 
ne  cherchait  pas  à  mettre  obstacle  au  protectorat  ;  tous  ses  efforts 
tendaient,  au  contraire,  à  ce  qu'il  fut  exercé  d'une  façon  utile, 
efficace  pour  son  pays  et  la  civilisation. 


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ET   LE    ROI    TOFFA  83 

Malheureusement,  le  roi  Sodgi  mourut  en  1864.  Il  fut  remplacé 
non  par  son  fils,  mais  par  le  prince  Messi  qui  appartenait  à  une 
autre  branche  de  la  famille  royale.  Rétif  à  toute  influence  euro- 
péennne,  quelle  que  fut  la  nation  qui  voulut  la  lui  imposer,  le 
nouveau  roi  suscitait  des  difficultés  continuelles  au  résident 
français;  et  ne  cachait  pas  son  désir  de  nous  voir  quitter  le 
pays. 

Aussi,  à  la  suite  d'un  incident  que  je  vais  relater,  le  comman- 
dant français  se  décida  à  abandonner  le  protectorat  en  juin  1864. 
Voici  cet  incident  :  le  commandant  avait  appris  que,  contraire- 
ment aux  traités,  le  roi  Messi  continuait  à  vendre  et  à  acheter 
des  esclaves.  11  ne  pouvait  tolérer  une  telle  violation  de  toutes 
les  conventions.  11  envoya  donc  son  interprète  faire  des  observa- 
tions à  ce  sujet  au  roi.  Cet  interprète  était  porteur  de  la  canne; 
du  résident.  Or,  d'après  les  habitudes  du  pays,  toute  insulte 
faite  à  celui  qui  porte  la  canne  d'une  personne,  rejaillit  sur 
cette  personne  elle-même.  Dans  le  feu  de  la  discussion,  le  roi 
Messi  s'emporta  au  point  de  prendre  le  bâton  de  l'interprète  et 
de  l'en  frapper. 

On  ne  pouvait  supporter  une  telle  insulte  et  continuer  à 
protéger  un  pays  dont  le  chef  se  conduisait  si  mal  à  Tégard  de 
son  protecteur.  Aussi,  je  le  répète,  le  protectorat  fut  abandonné 
en  juin  1864.  * 

Cet  abandon  eut  des  conséquences  fâcheuses.  De  1864  à 
1883,  on  ne  vit  plus  apparaître  que  rarement  des  représen- 
tants officiels  de  la  France  ;  notre  pavillon  resta  confié  aux 
maisons  françaises  de  Marseille  établies  dans  le  pays.  Aussi, 
profitant  de  notre  départ,  les  Anglais  commencèrent  à  pénétrer 
d'une  façon  plus  directe  dans  le  royaume  de  Porto-Novo.  Us 
cherchèrent  à  entraver  les  transports  de  nos  négociants,  à  éli- 
miner les  produits  français  du  marché.  Enfin,  démembrant  le 
royaume,  ils  s'agrandirent  à  ses  dépens. 

Aussi,  craignant  de  voir  les  Anglais  s'annexer  purement  et 
simplement  son  territoire,  le  roi  actuel,  Toffa,  qui  avait  succédé 
au  roi  Mecpon,  eut  recours  à  la  France.  Après  bien  des  pourpar- 
1ers,  la  demande  de  cette  Majesté  en  détresse  fut  accueillie. 


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84  LA   COLONIE    DE    PORTO-NOVO 

Le  2  avril  1883,  le  protectorat  était  rétabli.  11  fonctionne  depuis 
cette  époque. 

Après  cet  exposé  historique  de  notre  situation  et  de  rétablis- 
sement de  notre  protectorat,  j'entre  directement  dans  mon  sujet 
et  je  me  propose  de  traiter  différents  points  qui  feront  connaître 
au  lecteur,  les  mœurs  et  habitudes  des  indigènes. 

PortO'Novo,  —  Le  royaume  de  Porto-Novo  contient  environ 
250,000  habitants  qui  sont,  les  uns  de  race  ^^^^^  les  autres 
de  race  nago.  Les  Gèges  viennent  du  Dahomey  et  se  sont  établis 
vers  la  fin  du  siècle  dernier  à  Porto-Novo.  Ils  ont  imposé  leur 
autorité  aux  Nagos  qui  ont  été  les  premiers  possesseurs  du  sol, 
mais  qui  sont  actuellement  la  race  conquise.  C'est  des  Gèges 
seuls  que  sortent  le  roi  et  les  principaux  chefs.  La  plupart  des 
Nagos  sont  esclaves  et  c'étaient  eux  qui  formaient  autrefois  la 
cargaison  des  négriers  à  Tépoque  de  la  traite.  Ils  avaient,  dans 
les  colonies  de  l'Amérique  du  Sud,  la  réputation  d'être  de  solides 
travailleurs. 

J'insisterai  plus  loin  sur  les  caractères  physiques  et  ethnolo- 
giques qui  séparent  ces  deux  races. 

Ville  européenne.  Ville  indigène.  —  La  principale  ville  du 
royaume*est  Porto-Novo.  Elle  renferme  environ  25,000  habi- 
tants; c'est  la  seule  importante  de  cet  État.  Après  elle,  on  ne 
rencontre  plus  que  des  villages  de  260  à  300  habitants,  très 
rapprochés  les  uns  des  autres  en  certains  points,  très  disséminés, 
en  d'autres. 

Cette  ville  est  bâtie  sur  les  bords  d'une  lagune  assez  large  et 
profonde.  Des  navires  d'un  petit  tonnage  peuvent  y  naviguer 
sans  dangers.  Ce  n'est  pas  un  marais  à  eaux  croupissantes  ;  il  y 
existe,  pendant  toute  l'année,  un  courant  de  cinq  à  six  milles^ 
que  les  indigènes  savent  très  bien  utiliser  pour  leurs  transports. 
C'est  par  cette  lagune  que  Porto-Novo  communique,  d'une  part  : 
avec  la  colonie  anglaise  de  Lagps,  d'autre  part,  avec  la  mer  par 
l'intermédiaire  de  Cottonou.  En  ce  dernier  point  se  fait  le  débar- 
quement des  passagers  et  des  marchandises  à  destination  de 


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ET   LE    ROI   TOFFA  83 

Porlo-Novo,  qui  est  éloigné  de  30  kilomètres.  Ce  lieu  de  débar- 
quement passe  à  juste  titre  pour  un  des  plus  mauvais,  un  des 
plus  dangereux  de  la  côte  d'Afrique.  Le  danger  provient  de 
l'existence  d'une  barre  formée  par  des  courants  sous-marins  ou 
par  des  bancs  de  sable  mouvant.  On  ne  peut  la  traverser  qu'à 
l'aide  de  petites  pirogues  montées  par  des  indigènes.  Or,  cin- 
quante fois  sur  cent,  on  risque  de  chavirer  et  d'être  la  proie  des 
requins  qui  pullulent  àCottonou. 

Pendant  mon  séjour  en  ce  dernier  point,  j'ai  été  témoin  d'un 
accident  qui  m'a  impressionné  vivement.  Une  pirogue  venait  du 
large  et  s'apprêtait  à  passer  la  barre,  lorsqu'elle  chavire.  Tous 
les  canotiers  sont  jetés  à  la  mer;  un  d'eux  est  entraîné  au  fond 
de  l'eau,  puis  reparaît  en  même  temps  que  des  flots  de  sang  se 
répandent  autour  de  lui.  On  le  voit  de  nouveau  disparaître  et 
jamais  il  n'est  revenu  à  la  surface.  Un  requin  l'avait  dévoré  et 
entraîné  au  loin.  Les  cartouches  de  dynamite  qu'on  jette  en 
grande  quantité  à  la  mer,  ne  font  qu'atténuer  légèrement  le 
danger. 

Mais  revenons  à  Porto-Novo.  Cette  ville  se  compose  de  deux 
parties  bien  distinctes  :  l*'  la  ville  européenne,  2**  la  ville  indi- 
gène. 

C'est  dans  la  première  que  sont  construites  les  principales 
factoreries  européennes  qui  font  le  commerce  d'amandes  et 
d'huile  de  palme.  Ce  sont  généralement  de  grandes  et  larges 
maisons  bien  aménagées  à  l'intérieur,  entourées  de  balcons, 
munies  de  vérandas.  Cette  partie  de  la  ville  est  relativement 
agréable  à  habiter;  la  propreté  y  est  très  grande,  les  travaux 
de  voirie  n'y  existent  pas  à  Fétat  rudimentaîre  comme  dans  la 
ville  indigène  ;  de  grands  jardins  séparent  entre  elles  les  maisons 
et  de  larges  voies  permettent  de  communiquer  d'un  point  à  un 
autre. 

Je  n'insiste  pas  davantage  sur  la  ville  européenne.  Elle  n'a 
pas  le  cachet  original  qui  appartient  uniquement  à  la  ville 
indigène. 

De  petites  ruelles  étroites,  tortueuses,  sillonnent  la  ville  nègre 
en  tous  sens  et  de  toutes  parts.  Los  maisons  sont  de  hauteur  et 


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86  LA   COLONIE   DE   PORTO-XOYO 

(retendue  variable  et  entassées  les  unes  sur  les  autres.  Elles  sont 
construites  avec  des  matériaux  pris  sur  place. 

La  terre,  destinée  à  former  les  murs,  est  recueillie  à  la  porte 
même  de  la  maison  future.  On  creuse  ainsi  de  vastes  trous  qui 
sont  autant  de  cloaques  remplis  d'une  eau  croupissante.  Ces 
trous  ne  sont  jamais  comblés,  l'indigène  }  jette  tous  les  détritus 
animaux  et  végétaux.  Ils  s'y  altèrent  lentement  et  sont  les  causes 
de  rinsalubrité  de  Porto-Novo.  Pendant  mon  séjour  en  cette 
ville,  j'y  ai  vu  deux  cadavres  humains  qui  sont  restés  pend€Lnt  plu- 
sieurs jours  exposés  aux  rayons  d'un  soleil  ardent.  Il  ne  vint  à 
ridée  de  personne  de  les  enfouir  ;  ils  avaient  été  tués  par  le  roi, 
donc  ils  étaient  sacrés. 

Quelques  indigènes  construisent  leurs  maisons  uniquement  à 
l'aide  de  bambous  retenus  par  des  lianes  ou  cipos.  On  n'emploie 
jamais  la  pierre  ;  elle  est  inconnue  dans  tout  le  royaume  de 
Porto-Novo.  La  toiture  estétayée  par  des  solives  provenant  d'un 
arbre  très  utile  et  abondant  dans  le  pays,  le  cocaire.  Cette  toiture 
se  compose  de  branches,  de  feuilles  de  palmier.  Le  roi,  seul,  a  le 
droit  de  se  servir  de  matériaux  européens  pour  construire  son 
palais.  Seul  aussi,  il  peut  le  recouvrir  avec  du  zinc  ou  avec  des 
tuiles. 

L'intérieur  de  chaque  case  est  aménagé  suivant  la  richesse 
du  propriétaire.  Quelquefois  il  n'y  a  qu'une  seule  chambre  où 
toute  la  famille  se  tient,  fait  sa  cuisine  et  dort.  Chez  les  grands 
chefs,  qui  aiment  à  s'entourer  du  confort  européen,  il  y  a  plu- 
sieurs appartements  donnant  sur  une  grande  cour  entourée 
d'arcades.  C'est  dans  cette  cour  que  les  indigènes  attendent  avant 
d'être  reçus  par  leur  cabécère  (chef  indigène). 

La  ville  se  divise  en  plusieurs  quartiers  placés  chacun  sous 
l'autorité  d'un  chef  spécial  et  portant  un  nom  particulier.  C'est 
ainsi  qu'on  distingue  les  quartiers  appelés  Ataké,  Sadonion, 
Békon.  C'est  dans  ce  dernier  point  qu'est  situé  le  palais  du  roi 
ToÉfa.  Il  consiste  en  un  amas  de  maisons  bâties  en  terre  et  cou- 
vertes avec  des  branches  de  palmier  ;  il  sert  de  logement  à  la 
famille  du  roi  et  à  son  nombreux  sérail.  La  salle  de  réception, 
qui  n'est  ouverte  que  les  jours  de  gala,  est  située  dans  un  bâtî- 


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k 


ET    LE    nOï   TOFFA  87 

ment  spécial^  construit  à  l'européenne.  Son  ameublement  consiste 
en  un  canapé  ou  trône  royal,  et  quelques  fauteuils  recouverts^ 
d'une  housse,  que  le  roi  enlève  lui-même,  quand  il  fait  les  hon- 
neurs de  son  palais  aux  visiteurs. 

Le  roi  possède  un  autre  palais  dans  Tin  té  rieur  même  de  la 
ville,  sur  la  place  du  marché  principal.  Il  ne  diffère  du  premier 
que  par  son  aspect  plus  modeste.  Enfin  le  prédécesseur  du  roi 
Toffa,  Mecpon,  avait  commencé  à  construire  une  résidence  royale 
pour  lui  et  sa  famille.  Mais  il  fut  détrôné  par  Toffa  et  les  travaux 
ont  été  interrompus.  Il  ne  reste  plus  que  des  murs  d'une  certaine 
hauteur. 

Comme  autre  monument,  il  n'y  a  rien  de  remarquable.  Les 
mosquées  des  musulmans,  les  temples  des  féticheurs  sont  bâtis 
suivant  les  règles  de  l'architecture  la  plus  élémentaire.  Le  voya- 
geur qui  visite  une  première  fois  Porlo-Novo,  est  intéressé  par 
le  spectacle  des  rues.  Celles-ci  sont  en  effet  très  animées  :  on  ne 
rencontre  que  femmes  portant  des  caisses  de  genièvre,  de  muscat, 
manœuvres  roulant  des  tonneaux  dé  tafia,  indigènes  se  ren- 
dant aux  factoreries  avec  leurs  pots  d'huile  de  palme  ou  avec 
leur  sac  d'amandes.  Les  marchandes  à  la  criée  ne  sont  pas  incon- 
nues. Chacun  peut  acheter,  dans  la  rue,  la  nourriture  habituelle 
de  l'indigène  ;  poisson  fumé  et  boulettes  d'acaça  (farine  de  maïs 
bouillie).  Dans  les  cuisines  établies  en  plein  vent,  on  vend  au 
passant  des  friandises  qui  sortent  toutes  chaudes  de  l'huile  de 
palme  bouillante. 

Mais  ce  qu'il  y  a  de  vraiment  intéressant,  c'est  le  grand  marché 
de  Porto-Novo,  qui  se  tient  tous  les  deux  jours  sur  la  place  pu- 
blique où  est  bâti  le  palais  du  roi.  Sur  les  côtés  de  cette  place  se 
trouvent  des  arcades  sous  lesquelles  des  femmes  accroupies 
vendent  des  produits  européens,  tels  que  verroterie,  mercerie, 
liqueurs,  tissuls.  Tel  coin  du  marché  est  réservé  aux  plantes  mé- 
dicinales ;  tel  autre  à  l'huile  de  palme  raffinée  ou  au  bois  à  brûler, 
ou  aux  tissus  fabriqués  au  Dahomey,  ou  à  la  maroquinerie  mu- 
sulmane, ou  à  des  objets  de  coquetterie  indigène  :  bracelets  en 
cuivre,  en  verre,  fard,  pierre  rouge  spéciale  pour  se  teindre  les 
mains,  les  pieds  et  le  bord  des  paupières.  Enfin  un  autre  coin  du 


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LA    COLONIE    DE   PORTO-NOVO 


marché  est  réservé   aux  bananes,  cocos,  oranges,  mangues, 
patates,  ignames,  etc. 

Qu'on  se  représente  cette  place  où  se  vendent  les  produits 
africains  et  européens,  au  milieu  de  laquelle  circule  ime  foule  de 


nègres  criant,  gesticulant,  dépenaillés  ou  ornés  de  leurs  habits 
de  fête  et  on  aura  un  spectacle  curieux.  Il  a  toujours  vivement 
intéressé  les  rares  Européens  qui  venaient  à  Porto-Novo  dans  le 
seul  but  de  satisfaire  leur  curiosité. 

Pendant  la  nuit,  la  ville  est  très  calme,  excepté  les  jours  de 


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ET   LE    ROI    TOFFA 


89 


fête  où  le  roi  et  les  grands  chefs  s'amusent.  Le  nègre  ne  se 
hasarde  pas  volontiers  le  soir  dans  les  rues  de  Porto-Novo.  Il 
redoute  par-dessus  tout  les  agents  de  police  du  roiToffa,  c'est-à- 
dire  les  Ambetos.  Les  indig-fenes  chargés  de  ce  service,  se  portent 


Fig.  8.  Statue  en  bois  sculpté  de  Porto-Novo. 

à  l'entrée  des  carrefours.  Ils  ont  pour  consigne  d'arrêter  chaque 
passant  et  de  s'informer  où  il  va  et  d'où  il  vient.  Pour  en  imposer 
davantage  au  nègre  superstitieux,  ils  seblotissent  sous  une  hutte 
en  paille  mobile  et  construite  d'une  façon  particulière.  Cette  hutte 
terminée  en  pointe  et  haute  de  IS  mètres  les  recouvre  complète- 


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90  LA    COLONIE    DE   PORTO-NOVO 

ment.  Lorsqu'ils  s'avancent  à  la  rencontre  d'un  nègre,  ils  la 
portent  sur  leurs  épaules  de  façon  à  être  caché  des  pieds  à  la  tête. 
Une  ouverture  placée  au  milieu,  leur  permet  de  reconnaître  celui 
auquel  ils  s'adressent.  Aucun  nègre  ne  se  permettra  de  les  tromper 
ou  de  leur  échapper.  Tous  sont  persuadés  qu'un  génie  malfaisant 
est  caché  sous  cette  case  ambulante. 

Organisation  politique.  —  On  pourrait  croire  que,  chez  ces 
populations  primitives,  le  sentiment  de  Tautorité  a  disparu  et 
que  seuls  les  hommes  audacieux  ou  supérieurs  par  leur  force 
physique  sont  écoutés  et  obéis.  Il  n'en  est  pas  ainsi.  A  Porto- 
Novo  un  gouvernement  stable  existe,  une  administration  régu- 
lière est  établie  suivant  des  lois  qui  se  perpétuent  de  génération 
en  génération  et  sont  rarement  transgressées. 

La  royauté  à  Porto-Novo,  est  absolue  dans  la  plus  entière 
acception  du  terme.  Tout  au-dessous  du  roi,  rien  au-dessus.  Le 
roi  a  droit  de  vie  et  de  mort  sur  ses  sujets  ;  tous  les  biens  de  ces 
derniers  lui  appartiennent.  Le  sol  n'a  pas  d'autre  propriétaire 
que  lui.  Aujourd'hui  il  donne  telle  parcelle  de  terre  à  tel  individu, 
demain  il  la  lui  enlèvera  pour  la  donner  à  un  autre.  Son  bon 
plaisir  est  sa  seule  règle,  son  unique  loi. 

La  monarchie  est  héréditaire  mais  non  de  père  en  fils.  Deux 
familles  se  disputent  le  trône  et  c'est  à  tour  de  rôle  que  l'aîné 
d'une  de  ces  deux  familles  est  proclamé  roi  et  jouit  des  préroga- 
tives attachées  à  ce  titre. 

En  vertu  de  son  traité  avec  le  roi  actuel  TofFa,  la  France,  à  la 
mort  de  ce  dernier,  doit  installer  sur  la  trône  son  fils  aîné.  Nous 
avons  dû  lui  promettre  cette  récompense  au  moment  de  l'établis- 
sement de  notre  protectorat.  Mais  il  est  à  craindre  que  le  peuple 
n'accepte  pas  facilement  celte  violation  des  règles  suivant  les- 
quelles doit  se  faire  la  transmission  du  pouvoir. 

Les  occupations  de  ce  roi  indigène  sont  assez  nombreuses.  Il 
fait  la  police,  et  seul  a  le  droit  de  régler  les  différends  qui 
s'élèvent  entres  indigènes  purs,  c'est-à-dire  entre  nègres  nés 
dans  son  royaume.  Il  rend  donc  la  justice,  mais  d'une  façon 
assez  sommaire.  Les  deux  parties  paraissent  devant  lyi  et  ex- 


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ET    LE    ROI    TOFFA  91 

pliquent  l'affaire  qui  les  concerne.  A  un  moment  donné,  le  roi 
interrompt  les  plaideurs,  et  si  Tun  d'eux  lui  a  fait  un  riche 
cadeau,  il  tranche  toujours  en  sa  faveur.  «  Toi,  tu  as  raison  », 
dit-ii  à  l'un.  «  Toi,  tu  as  tort  »,  dit-il  à  l'autre.  Pas  de  considérants, 
pas  de  ministère  public,  pas  de  défense.  Dans  les  cas  embarras- 
sants le  roi  a  recours  aux  fétiches  ou  à  d'autres  pratiques  qui 
rappellent  celles  employées  au  moyen  âge  pour  le  jugement  de 
Dieu.  L'accusé  est  obligé,  par  exemple,  de  porter  un  chapeau 
pointu,  muni  sur  ses  bords  de  clochettes.  II  doit  faire  un  certain 
parcours  avec  ce  chapeau  sur  la  tête.  Si  une  des  clochettes  se 
met  en  branle  et  produit  un  son,  l'accusé  est  déclaré  coupable  ; 
si,  au  contraire,  tout  reste  silencieux,  c'est  que  le  fétiche  reconnaît 
l'inculpé  comme  innocent.  Dans  d'autres  cas  on  lui  fera  avaler 
une  boisson  qui  sera  anodine  ou  dangereuse  suivant  que  la  famille 
aura  ou  n'aura  pas  fait  un  sacrifice  au  fétiche  et  donné  un  ca- 
deau au  prêtre. 

Avant  l'installation  française,  le  roi  déclarait  aussi  la  guerre 
aux  peuplades  voisines.  Mais  depuis  que  la  France  est  établie  à 
Porto-Novo,  il  a  licencié  son  armée  et  transformé  une  partie 
de  ses  soldats  en  danseurs. 

Le  roi  donne  de  plus  audience  tous  les  matins,'  à  ses  chefs  ou 
cabécères  qui  viennent  l'entretenir  des  affaires  de  la  ville  et  du 
royaume  ;  chacun  de  ses  sujets  a  aussi  le  droit  de  se  présenter  et 
d'être  admis  devant  sa  Majesté  pour  lui  exposer  telle  ou  telle 
palabre. 

Enfin  les  Européens  qui  arrivent  à  Porto-Novo  vont  toujours 
lui  rendre  visite  et  lui  présenter  leurs  salutations.  Voici  comment 
se  passent  ces  audiences.  D  y  en  a  deux  sortes  :  dans  l'un  des  cas, 
la  réception  est  simple,  dans  l'autre,  le  roi  déploie  un  certain  luxe. 
Quand  un  visiteur  de  peu  d'importauce  désire  le  voir,  Toffa  le 
reçoit  dans  une  petite  cour  sur  l'un  des  côtés  de  laquelle  se  trouve 
un  hangar.  C'est  là  que  sa  Majesté  trône  sur  un  lit  dont  il  ne 
reste  plus  que  les  panneaux  vermoulus.  Une  natte  est  étendue  et 
le  roi  y  reste  quelquefois  couché  pendant  toute  la  durée  de  l'au- 
dience. Il  est  vêtu  d'un  pagne  ou  pièce  de  toile  blanche  dans  la- 
quelle il   se  drape,   comme  à  l'antique.  Ses  bras  sont  ornés 


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92  LA   COLONIE   DE   PORTO-NOVO 

de  bracelets  en  verre  ou  en  cuivre,  il  est  coiffé  d'un  bonnet  de 
colon  recouvert  d'une  casquette  d'amiral  portugais  ;  il  est  géné- 
ralement pieds  nus.  Ses  ministres  et  favoris  sont  accroupis  à 
terre.  L'un  d'eux  sert  d'interprète,  car  il  est  défendu  de  parler 
directement  au  roi.  Un  autre  est  choisi  parmi  les  plus  anciens 
du  royaume.  Son  rôle  consiste  à  renseigner  le  roi  sur  ce  qui 
s'est  passé  avant  sa  naissance.  Dans  ces  pays,  il  n'y  a  ni  livres, 
ni  histoire  écrite  :  il  faut  donc  avoir  recours  à  ceux  qui  ont 
une  vie  déjà  longue  pour  connaître  les  événements  passés. 

Quand  on  s'approche  du  roi,  le  cérémonial  diffère  suivant  que 
c'est  un  indigène  ou  un  Européen  qui  se  présente.  Si  c'est  un 
noir,  celui-ci  doit  se  prosterner  à  terre,  et,  faisant  claquer  par 
un  mouvement  spécial,  les  doigts  d'une  main  dans  la  paume  de 
l'autre,  embrasser  le  sol  trois  fois  avant  de  pouvoir  se  relever. 
Puis  il  reste  accroupi  pendant  toute  la  durée  de  l'audience.  Au 
moment  du  départ,  même  cérémonial.  Personne  n'en  est  exempt. 
Les  grands  chefs,  les  enfants  du  roi  doivent  s'y  soumettre. 

Si  c'est  un  blanc  qui  est  reçu  par  le  roi,  celui-ci  lui  tend  la 
main,  puis  il  lui  offre  une  chaise  près  de  lui.  La  conversation 
s'établit,  banale,  roulant  sur  les  récoltes,  la  tranquillité  du  pays, 
etc.  A  un  moment  donné,  sur  un  signe  du  roi,  un  des  ministres 
se  détache  du  groupe  et  va  chercher  une  bouteille  de  bière  ou  de 
Champagne.  L'étiquette  défend  au  roi  de  boire  en  public.  Mais  il 
a  toujours  soin  d'offrir  une  boisson  quelconque  à  tout  Européen 
qui  vient  lui  rendre  visite.  Cela  fait,  on  se  lève,  on  se  retire  après 
avoir  serré  la  main  du  roi  à  plusieurs  reprises. 

Quand,  au  contraire,  c'est  un  visiteur  d'importance  qui  se  pré- 
sente devant  lui,  le  roi  déploie  une  certaine  pompe.  Dans  une 
vaste  cour  sont  assemblés  les  grands  chefs  et  cabécères,  tous 
accroupis  à  terre  et  accompagnés  de  leurs  esclaves  ou  serviteurs. 
Ils  sont  vêtus  de  leurs  habits  les  plus  malpropres  ;  la  loi  leur 
défend  d'être  habillés  d'une  façon  luxueuse  quand  ils  paraissent 
devant  le  roi.  Sur  un  des  côtés  de  la  cour  sont  installés  deux 
grands  parasols  devant  abriter  le  ou  les  visiteurs.  Les  liqueurs 
et  gâteaux  sont  préparés  à  Tavance.  Puis,  tout  à  coup,  une  porte 
s'ouvre  et  l'on  voit  le  roi  assis  sur  un  canapé  dont  le  crin  s'é- 


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ET   LE   ROI   TOFFA  93 

chappe  parplaces  et  dont  Tétoffe  est  déteinte  en  bien  des  endroits. 
Il  est  entouré  de  ses  femmes  vêtues  de  soie  et  pieds  nus.  Les 
favorites  ont  le  droit  de  s'asseoir  près  de  lui  sur  le  canapé.  Il  est 
habillé  d'étoffes  de  couleur  bleue  et  rouge,  il  est  chaussé  de  pan- 
toufles brodées  sur  lesquelles  son  nom  «  King  Toffa  »  est  écrit  ; 
il  porte  une  casquette  dorée  avec  son  chiffre.  Le  cérémonial,  à 
l'arrivée  et  au  départ,  est  le  même  que  dans  la  petite  audience. 

Les  revenus  du  roi  consistent  dans  les  produits  des  vexac- 
tions  qu^il  commet  à  Tégard  de  son  peuple  et  surtout  dans  les 
droits  mis  sur  les  marchandises  d'exportation.  Ils  s'élèvent  à  la 
somme  de  200,000  francs  environ  qui  lui  servent  à  entretenir 
son  nombreux  sérail.  Toffa  possède  près  de  cent  femmes  qui  lui 
ont  été  données  par  ses  sujets  et  sont  devenues  ses  esclaves.  Un 
père  de  famille  donne  souvent  ses  filles  au  roi  pour  s'attirer  ses 
bonnes  grâces.  Ces  femmes  ne  sont  pas  enfermées  dans  un  palais 
spécial,  elles  peuvent  faire  du  commerce  et  ont  le  monopole  de 
certaines  marchandises.  Défense  à  tout  indigène  de  les  toucher  : 
la  peine  capitale  serait  la  punition.  Elles  sont  reconnaissables  à 
une  manière  spéciale  de  natter  leurs  cheveux.  Chaque  jour  et 
chaque  nuit  deux  femmes  sont  de  service  près  du  roi  ;  elles  sont 
désignées  par  la  duègue  qui  a  la  haute  direction  sur  tout  le  sérail. 
Si,  par  hasard,  le  roi  jette  le  mouchoir  à  une  femme  qui  n'ait  pas 
été  désignée,  il  doit  lui  faire  un  cadeau  le  lendemain,  lui  donner 
soit  une  pièce  de  tissu,  soit  une  caisse  de  genièvre. 

De  prime  abord,  Toffa  semble  jouir  de  l'autorité  la  plus  abso- 
lue. Cependant,  il  existe,  au-dessus  de  lui,  un  grand  conseil  qui 
a  le  droit  de  manifester  son  opinion  et  de  donner  son  avis.  Les 
membres,  qui  le  composent,  sont  nommés  par  le  roi,  mais  ce 
sont  eux  aussi  qui  le  nomment  et  le  font  reconnaître  par  le 
peuple.  Si  l'on  considère  chacun  d'eux  pris  en  particulier,  ils 
sont  peu  puissants,  et  le  roi  conserve  à  leur  égard  le  droit  de 
vie  et  de  mort.  Néanmoins,  quand  l'un  d'eux  parle  au  nom  des 
autres,  il  est  rare  que  le  roi  ose  s'élever  contre  leur  opinion  ;  ils 
jouent  le  rôle  que  remplissaient  les  grands  seigneurs  feudataires, 
au  moyen  âge,  près  des  rois  de  France.  Ce  grand  conseil  se 
compose  de  : 


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94  LA   COLONIE    DE   PORTO-NOVO 

1"  VApologanoUy  grand  chef  des  prêtres; 
2*  Le  Mir/an  ou  l'exécuteur  des  hautes  œuvres  ; 
3®  Le  Gagan  ou  grand  chef  des  soldats  ; 
4**  là'Aboton  ou  ministre  du  commerce. 

L'Aboton  est  de  plus  chargé  de  Fexercicc  du  pouvoir  dans  Tin- 
terrègne  qui  sépare  le  décès  d'un  roi  de  la  proclamation  de  son 
successeur. 

Toutes  ces  places  sont  héréditaires  de  père  en  fils  ;  elles  rap- 
portent des  biens  et  des  honneurs  à  ceux  qui  en  sont  investis. 
En  outre  des  cadeaux  que  le  roi  est  obligé  de  leur  faire,  ils  ont 
le  droit  de  pressurer  le  pauvre  peuple  taillable  et  corvéable.  Es 
arrangent  les  petites  discussions  ou  palabres,  mais  ne  rendent 
pas  la  justice  d'une  façon  gratuite.  De  plus,  ils  jouissent  de 
certaines  prérogatives  royales  :  ainsi  tout  indigène  qui  les 
rencontre  dans  la  rue,  doit  se  prosterner  à  terre  en  embrassant 
le  sol  avant  de  pouvoir  se  relever  et  continuer  sa  route.  Es  se 
font  précéder  de  deux  ou  trois  petits  enfants  esclaves  chargés  de 
porter  l'un  le  sabre,  insigne  de  la  fonction,  l'autre  le  parasol 
réservé  au  roi  et  aux  grands  chefs. 

La  hiérarchie  ne  s'arrête  pas  à  ces  ministres.  Au-dessous  d'eux 
viennent  les  cabécères.  Es  sont  chargés  de  la  police  de  certains 
quartiers  ;  ils  prélèvent  les  impôts  au  profit  du  roi  et  pour  leur 
propre  compte  ;  quelques-uns  sont  placés  à  la  tête  de  tel  ou  tel 
village.  Dans  ce  cas,  leur  autorité  y  est  grande  mais  leur  respon- 
sabilité est  lourde  aussi.  Toute  révolte,  toute  affaire  préjudiciable 
au  roi  leur  coûte  souvent  la  tête. 

L'indigène  leur  rend  des  honneurs  analogues  à  ceux  accordés 
aux  membres  du  grand  conseil.  De  plus,  leurs  femmes  ont  le 
droit  de  se  natter  les  cheveux  comme  le  font  les  épouses 
du  roi.  Enfin  viennent  les  lazis  ou  favoris  du  roi.  Moins 
élevés  en  grade  que  les  cabécères  ou  les  grands  chefs,  ils  sont 
peut-être  plus  puissants.  Certainement,  ils  sont  plus  hîus  par  le 
peuple.  Ce  sont  généralement  d'anciens  esclaves  que  le  roi  a 
affranchis  et  attachés  à  sa  personne.  Approchant  à  chaque  instant 
Sa  Majesté,  ils  ont  su  capter  sa  confiance  et  s'en  servir  pour  le 


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ET   LE   ROI   TOFFA  95 

mieux  de  leurs  intérêts.  C'est  par  leur  intermédiaire  que  Tofia 
communique  avec  le  résident  français:  ce  sont  eux  qui  sont 
chargés  de  porter  ses  messages  ou  récades.  Comme  leur  influence 
n'a  pas  d'autre  garantie  que  le  caprice  du  iroi,  ils  savent  en 
profiter  pour  le  mieux  de  leurs  intérêts  et  se  font  payer  leurs 
complaisances  le  plus  cher  possible. 

Enfin,  au  bas  de  l'administration,  se  trouvent  des  décimer  es 
attachés  à  chaque  factorerie  europédnne,  et  aux  maisons  de 
conmierce  tenues  par  les  indigènes.  Ce  sont  eux  qui  comptent  le 
nombre  de  pots  d'huile  de  palme  et  de  sacs  d'amandes  apportés 
chez  les  commerçants  ;  ils  fixent  alors  la  somme  annuelle  que 
chaque  négociant  doit  verser  au  roi.  La  France  paie  les  frais  de 
l'occupation.  Il  serait  cependant  naturel  que  les  recettes,  en 
totalité  ou  en  partie,  entrassent  dans  la  caisse  de  la  métropole. 
Un  article  du  traité  conclu  avec  Toffa,  avait  stipulé  cette  clause. 
Malheureusement,  elle  est  restée  lettre  morte. 

Telle  est  l'organisation  politique  et  administrative  à  Porto- 
Novo.  Le  roi  est  obéi  comme  ne  l'est  pas  un  souverain  en 
Europe  et  sa  police  est  quelquefois  faite  d'une  façon  remar- 
quable. 

Si  nous  entrons  maintenant  dans  les  détails  de  l'organisation 
sociale,  nous  voyons  que  l'esclavage  y  joue  un  rôle  capital.  Je 
dois  donc  m'arrêter  un  instant  sur  ce  point  ;  j'essaierai  de 
donner  sur  cette  institution  des  renseignements  qui  modifieront 
peut-être  l'idée  un  peu  fausse  qu'on  a  l'habitude  de  s'en  faire  en 
Europe. 

Orgaiùsation  sociale:  esclavage,  — Bien  des  personnes  croient 
que,  depuis  la  suppression  de  la  traite,  l'esclavage  n'existe  plus, 
que  tout  homme  naît  et  vit  libre.  Cela  est  vrai  dans  les  colonies 
européennes,  où  l'on  exportait  autrefois  le  bois  d'ébène.  Malheu- 
reusement, il  n'en  est  pas  ainsi  du  centre  de  l'Afrique,  des  côtes 
occidentale  et  orientale,  et  surtout  du  pays  dont  je  parle  et  à 
qui  sa  triste  réputation  a  fait  donner  le  nom  de  côte  des  Esclaves. 
Voici  ce  qu'on  y  observe.  Chaque  année,  le  roi  de  Dahomey 
puissant  et  belliqueux^  va  faire  des  incursions  guerrières  chez 


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96  LA   COLONIE   DE   PORTO-NOVO 

les  peuplades  voisines.  Tous  les  prisonniers  deviennent  autant 
d'esclaves  et  sont  emmenés  au  Dahomey  avec  leur  famille.  Là, 
ils  sont  distribués,  comme  récompense  aux  grands  chefs  ou 
vendus  pour  le  compte  du  roi. 

Il  y  a  quelques  mois  le  gouverneur  portugais  de  l'île  Saint- 
Thomas  est  venu  à  Whydah  et  a  acheté  au  roi  Glé-Glé  un 
certain  nombre  de  prisonniers  qui  travaillent  actuellement  dans 
les  plantations  de  quinquina  de  cette  lie. 

Quand  un  habitant  de  Porto-Novo  désire  acheter  un  esclave,  il 
agit  de  la  façon  suivante.  Certains  nègres  sont  connus  pour  faire 
ce  commerce.  Ils  vont  à  Abeokouta  ou  à  Abomey  et  de  là 
ramènent  Tesclave  qui  leur  a  été  demandé.  Si  Thabitant  de 
Porto-Novo  a  désiré  une  femme,  il  peut  Tacheter  à  ce  marchand 
pour  la  somme  de  deux  cent  cinquante  francs  environ.  Le  prix 
dépend  de  sa  détérioration  physique  plus  ou  moins  grande. 
Un  esclave  mâle,  adulte  se  vend  de  quatre  cents  à  cinq  cents 
francs.  Voici  quelle  est  sa  condition.  Il  n'est  pas  considéré 
comme  une  bête  de  somme  sur  laquelle  son  maître  a  droit  de  vie 
f»t  de  mort.  Généralement,  pour  ne  pas  dire  toujours,  il  est 
bien  traité  et  semble  faire  partie  de  la  famille.  On  ne  le  bat  pas, 
on  ne  le  maltraite  pas,  on  ne  le  met  pas  aux  fers.  Il  n'est  pas 
séparé  violenmient  de  sa  femme,  de  ses  enfants,  à  moins  que 
ce  soit  une  mauvaise  tête.  Il  peut  se  faire  rendre  justice  et  se 
mettre  sous  la  protection  d'un  autre  maître. 

L'esclave,  il  est  vrai,  ne  possède  rien,  ne  peut  rien  posséder. 
Mais  son  maître  est  obligé  de  le  nourrir,  de  le  loger,  de  le  vêtir.  Il 
est  généralement  employé  aux  travaux  des  champs.  De  plus,  il 
peut  travailler,  trois  jours  par  semaine,  pour  son  propre  compte 
dans  les  factoreries  européennes. 

A  Porto-Novo,  il  suffit  aux  esclaves  pour  être  libres  de  venir 
se  mettre  sous  la  protection  française.  Us  sont  alors  libres  en  droit 
mais  non  en  fait.  A  peine  en  elfet  ont-ils  quitté  l'hôtel  de  la  rési- 
dence, qu'ils  sont  saisis  et  garrottés  par  leur  ancien  maître,  puis 
vendus  à  des  marchands  qui  les  emmènent  au  loin  dans  Tinté- 
rieur.  Tous  les  indigènes  libres  et  même  esclaves  prêteront  main- 
forte  et  assistance  au  maître  et  non  à  Tesclave.  Celui-ci,  disent-ils, 


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ET  LE   ROI   TOFFA 


97 


vole  son  maître,  puisqu'il  ne  rend  pas  l'argent  dont  il  est  la  ga- 
rantie. 

L'esclave  lui-même  semble  admettre  la  légitimité  deTesclavage. 
Si,  par  hasard,  il  devient  libre,  son  premier  acte  sera  d'acheter  un 


y'y 


/"f. 


Fig.  9  et  10.  Épingle-fétiche  en  cuivre  de  Porto-Novo  (face  et  profil}. 

esclave  et  de  se  faire  servir  par  lui.  Ainsi  les  nègres  affranchis, 
revenus  du  Brésil,  sont  ceux  qui  achètent  la  plus  grande  quantité 
d'esclaves  et  qui  oublient  le  plus  vite  la  condition  dans  laquelle 
ils  végétaient  auparavant. 

VT  7 


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98  LA  COLONIE  DE  PORTO-NOVO 

Tels  sont  les  quelques  reuseignements  que  Ton  recueille  eu 
visitant  le  pays.  Il  est  difficile  de  les  obtenir,  car  le  noir  se  défie 
de  toute  interrogation  du  blanc.  Quand  ce  dernier  lui  parle  de 
l'esclavage  qu'il  sait  défendu  par  nos  lois  et  coutumes,  il  garde 
généralement  un  silence  prudent  ou  ne  fait  que  des  réponses 
évasives. 

Usages  domestiques.  —  Ces  pays  d'Afrique,  si  différents  de 
l'Europe  quand  on  examine  leur  organisation  politique  et  sociale, 
le  sont  encore  bien  plus  quand  on  entre  dans  les  détails  de  la 
vie  domestique. 

J'ai  dit  plus  haut  que  la  population  du  royaume  de  Porto- 
Novo  se  divisait  en  deux  classes  bien  distinctes  :  les  Gèges  et  les 
Nagos.  Ces  deux  populations  ne  se  mêlent  pas  Tune  avec 
l'autre  :  jamais  un  Gège  n'épousera  une  femme  nago  ;  jamais  un 
Nago  n'osera  demander  une  femme  dans  une  famille  ^q^q. 
Leur  langue  est  distincte  ainsi  que  beaucoup  de  leurs  coutumes. 
La  langue  officielle  est  le  gège.  Bien  que  TofTa  connaisse  et 
parle  couramment  le  nago,  il  faut  qu'on  lui  parle  ghgù  ;  il 
dédaigne  la  langue  du  vaincu.  Pour  se  distinguer  les  uns  des 
autres,  les  Nagos  portent  sur  les  joues  trois  cicatrices  transver- 
sales, et  les  Gèges  ou  Dahomiens  une  seule  cicatrice  en  forme  de  7 
sur  le  front.  Jamais  le  Nago  ne  se  mêlera  aux  fêtes  célébrées 
par  les  Gèges  et  réciproquement.  Au  point  de  vue  moral,  ils 
sont  encore  bien  plus  différents  ;  le  Nago  fait  commerce  de  sa 
femme  ou  de  sa  fille  ;  le  Gège  ne  se  prête  pas  à  ces  calculs 
intéressés  et  la  femme^  qui  se  livre  à  un  étranger,  est  bannie  de 
la  famille.  Pour  l'aspect  physique,  il  y  a  beaucoup  d'analogie 
entre  les  deux  races  et  ce  qui  s'applique  à  l'une,  s'applique  à 
l'autre. 

Le  jeune  nègre  est  généralement  assez  joli,  assez  svelte,  la 
jeune  négresse  promet  souvent  de  devenir  une  belle  fenmie. 
11  n'y  a  pas  ici  comme  en  d'autres  pays,  ces  habitudes  déplorables 
qui  ont  pour  effet  de  déformer  la  tête  ou  les  membres  des  enfants. 
Ceux-ci  grandissent  sous  les  yeux  maternels  de  la  nature. 
Malheureusement,  vers  Tâge  de  douze  ans,  cette  nature  semble 


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ET   LE   ROI    TOFFA  99 

devenir  ingrate.  A  cet  âge,  en  effet,  les  traits  de  la  race 
africaine  commencent  à  se  dessiner  :  les  pommettes  deviennent 
saillantes  et  les  lèvres  lippues  ;  le  nez  s'épate,  le  prognathisme  des 
m&choires  s'accentue.  De  plus,  c'est  à  cet  âge  aussi,  que  les 
parents  font  ces  cicatrices  qui  enlaidissent  le  front  ou  les  joues 
des  jeunes  nègres. 

Les  cérémonies  qui  accompagnent  la  naissance  d'un  enfant 
n'ont  rien  de  bien  curieux.  Huit  jours  après  la  naissance,  si 
c'est  un  garçon,  et  neuf  jours  après,  si  c'est  une  fille,  le  père 
assemble  ses  amis  et  ses  parents.  Il  leur  annonce  quel  nom  il  a 
donné  au  nouveau-né.  Alors,  moyennant  un  petit  cadeau, 
chacun  des  parents  assemblés  a  le  droit  de  donner  aussi  un  nom 
au  jeune  enfant.  De  cette  façon  on  voit  fréquemment  des 
nègres  ayant  sept  ou  huit  noms  et  même  davantage. 

La  femme  libre  est  sur  un  pied  d'égalité  complète  avec 
l'homme.  On  ne  lui  réserve  pas,  comme  en  d'autres  pays,  tous 
les  travaux  rudes  et  grossiers,  toutes  les  corvées  fatigantes. 
Rarement,  elle  s'occupe  des  travaux  des  champs;  elle  fait  géné- 
ralement du  commerce,  ou  purifie,  à  la  maison,  l'huile  de 
palme  qui  doit  être  vendue  aux  factoreries. 

Le  fils  a  pour  sa  mère  autant  de  respect  que  pour  son  père. 
Quand  il  la  rencontre  dans  la  rue,  il  se  prosterne  à  terre  et 
embrasse  le  sol  plusieurs  fois.  C'est  là  d'ailleurs  la  forme  de 
salutation  la  plus  employée  entre  supérieurs  et  inférieurs^  entre 
parents  et  enfants. 

La  polygamie  existe  à  Porto-Novo.  L'homme  aie  droit  d'avoir 
plusieurs  femmes;  néanmoins,  il  est  marié  d'une  façon  plus 
réelle  avec  Tune  d'entre  elles.  Voici  comment  se  fait  le  ma- 
riage avec  la  femme  qui  doit  être  l'épouse  en  titre.  Générale- 
ment les  fiançailles  ont  été  célébrées  de  très  bonne  heure.  Un 
nègre  âgé  de  sept  à  huit  ans  est  souvent  marié  en  perspective  à 
une  jeune  négresse  de  quatre  à  cinq  ans.  Puis,  quand  le  moment 
voulu  est  arrivé,  vers  l'âge  de  quinze  ans  pour  l'homme,  vers 
l'âge  de  douze  ans  pour  la  femme,  le  fiancé  va  trouver  les 
parents  de  sa  fiancée  et  il  offre  à  cette  dernière  différents 
cadeaux.  l\  donne  soit  des  sacs  de  cauris  (monnaie  indigène). 


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100  LA   COLOME  DE   PORTO-NOVO 

soit  des  pièces  de  tissus,  soit  des  bouteilles  de  genièvre  ou  de 
muscat.  Lui  ne  reçoit  rien,  mais  il  a  le  droit  de  répudier  sa 
femme.  Celle  cérémonie  accomplie,  on  festoie,  on  danse  et  on 
fait  des  libations  abondantes. 

Les  musulmans  seuls  enterrent  leurs  morts  dans  des  cime- 
tières. Le  nègre  enterre  les  siens  dans  la  case  même  qu'il  habite. 
Aussi  vend-il  très  difficilement  sa  maison. 

Les  cérémonies,  qui  doivent  accompagner  Tenterrement, 
se  font  trois  mois  environ  après  la  mort.  Elles  consistent  en 
fêtes  et  danses,  et  surtout  en  coups  de  fusil  tirés  en  l'honneur 
du  défunt.  On  porte  le  deuil  en  se  rasant  complètement  la  tête 
et  en  la  conservant  rasée  pendant  plusieurs  mois. 

Voies  et  moyens  de  communication.  —  L'indigène,  qui  a  des 
besoins  restreints  et  se  contente  des  productions  de  son  sol 
natal,  n'a  pas  appliqué  son  industrie  à  créer  des  voies  de  commu- 
nication rapides  avec  les  peuplades  voisines.  Aussi,  à  la  côte  des 
Esclaves,  on  n'a  utilisé,  comme  moyens  de  transport,  que  les 
voies  naturelles  telles  que  les  rivières  et  les  lagupes.  Aucun  che- 
min n^est  tracé  pour  aller  d'un  point  à  un  autre  ;  de  petits  sentiers, 
praticables  pour  une  seule  personne,  permettent  cependant  de 
se  rendre  dans  les  villages.  La  voiture  est  inconnue  ;  le  cheval 
ne  peut  vivre  à  Porto-Novo  ;  le  bœuf  n'a  pas  encore  été  utilisé 
comme  bête  de  somme.  Quand  un  Européen  veut  se  déplacer,  il 
se  sert  du  hamac.  C'est  un  mode  de  locomotion  rapide  et  assez 
agréable,  si  la  course  n'est  pas  trop  longue.  Ce  hamac  est  suspendu 
par  ses  deux  extrémités  à  une  tige  en  bois  très  solide.  Quatre 
indigènes,  placés  deux  à  l'avant  et  deux  à  l'arrière,  portent  sur 
leur  tête  cette  tige,  et  le  voyageur  se  couche  dans  le  hamac  qui 
est  suspendu  au-dessous.  Un  parasol  mobile  est  fixé  à  la  tige  et 
garantit  des  rayons  du  soleil,  quelle  que  soit  leur  direction.  La 
résistance  à  la  fatigue  et  l'agilité  des  porteurs  ou  hamaquaires 
est  réellement  extraordinaire.  On  emploie  surtout  les  habitants 
du  Dahomey  qui  se  sont  fait  une  véritable  spécialité  de  ce  mode 
de  transport.  Ils  fournissent  souvent  plusieurs  heures  d'une 
course  aussi  rapide  que  celle  d'un  cheval,  en  n'imprimant  aucune 


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ET  LE   ROI  TOFFA  101 

secousse  au  voyageur.  Aussi,  en  ayant  soin  de  louer  un  nombre 
suffisant  de  hamaquaires,  peut-on  parcourir  de  longues  distances 
avec  assez  de  rapidité  et  peu  de  fatigue. 

Avant  de  faire  un  voyage^  l'Européen  doit  toujours  avoir  soin 
de  se  munir  d'un  insigne  spécial  appartenant  à  un  grand  chef  ou 
au  roi  lui-même.  Ainsi,  au  Dahomey,  le  libre  parcours  n'est 
donné  qu'au  blanc  porteur  de  la  canne  du  Gha-Cha.  C^est  ainsi 
qu'on  nomme  le  chef  chargé  des  relations  entre  les  étrangers  et 
le  roi  du  pays. 

A  Porto-Novo,  Tusage  de  la  canne  ou  du  bâton,  comme  passe- 
port, est  très  employé.  La  canne  du  roi  Toffa  est  absolument 
indispensable  pour  se  rendre  dans  des  villages  éloignés  de  la 
capitale,  à  Pokéah,  par  exemple.  On  peut  alors  voyager  en  toute 
sécurité.  Pour  aller  à  Abéokouta,  on  doit  faire  demander, 
au  roi  de  cette  grande  ville  (80,0000  habitants),  un  insigne 
spécial.  C'est  une  queue  de  cheval  montée  sur  un  manche  en 
ivoire.  Grâce  à  elle,  le  voyageur  trouve  les  chemins  ouverts, 
praticables  ;  s'il  ne  la  possède  pas,  on  lui  oppose  une  force 
d'inertie  qui  l'empêche  de  continuer  sa  route. 

L'usage  du  bâton  est  aussi  en  vigueur  quand  on  veut  annoncer 
son  arrivée,  présenter  ses  salutations  au  roi  ou  au  chef  d'un  village . 
Dans  ce  cas,  on  envoie  un  interprète  porteur  de  la  canne  dont  on 
se  sert  habituellement  :  le  roi  ou  le  chef  voient  alors  qu'il  vient 
réellement  en  votre  nom. 

Quand  Toflfa  a  reçu  une  visite,  et  qu'il  ne  veut  pas  la  rendre 
personnellement,  il  envoie,  dans  ce  cas,  son  premier  lari  qui 
porte  une  canne  longue  de  deux  mètres  environ,  terminée  par 
une  pomme  d'argent.  On  décerne  à  cette  canne  les  mêmes  hon- 
neurs qui  seraient  décernés  au  roi  en  personne  :  ainsi  tout  indi- 
gène doit  se  prosterner  à  terre  devant  elle,  et  embrasser  le  sol, 
avant  de  pouvoir  se  relever  et  continuer  sa  route. 

Religion^  fétichisme.  —  La  religion  prédominante  est  le  féti- 
chisme. Elle  compte,  comme  adeptes,  le  roi,  les  cabécères  et 
une  grande  partie  de  la  population.  Les  prêtres  sont  appelés 
féticheurs  ;  ils  se  recrutent  dans  toutes  les  familles  et  jouissent 


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102  LA   COLONIE  DE   PORTO-NOVO 

d'an  certain  prestige.  A  la  veille  de  prendre  une  résolution 
importante,  le  roi  doit  les  consulter  et  suivre  leurs  avis.  Sinon, 
une  révolution  lui  apprendrait  qu'en  Afrique  on  ne  s'élève  pas 
impunément  contre  Tinfaillibilité  de  TApologan  ou  grand  chef 
des  prêtres. 

Inutile  de  dire  que  leur  autorité  n'est  basée  que  sur  la  supers- 
tition du  peuple,  et  non  sur  des  connaissances  réelles.  Ils  ne 
font  aucune  étude  spéciale  pour  se  préparer  à  leurs  fonctions 
religieuses. 

Cette  religion,  bien  que  primitive,  n'exclut  pas  l'idée  du  bien 
et  du  mal,  ni  la  notion  d'un  Être  suprême.  Le  nègre  croit,  de 
plus,  à  l'e^ristence  de  certaines  divinités  bienfaisantes  qui  repré- 
sentent pour  lui  autant  de  fétiches.  Il  se  les  concilie  par  des 
offrandes,  par  des  sacrifices  :  il  immole  soit  une  poule,  soit  une 
chèvre.  Chaque  année,  tout  grand  chef  célèbre  des  fêtes  en 
l'honneur  du  fétiche  qu'il  a  choisi  ;  elles  durent  plusieurs  jours 
et  sont  un  prétexte  de  libations  nombreuses  pour  le  quartier  de 
la  ville,  commandé  par  ce  chef. 

Certains  animaux  sont  consacrés  fétiches  ;  il  est  défendu  de 
leur  faire  aucun  mal  ou  de  les  vendre  aux  mécréants.  Il  en  est 
ainsi  dé  la  poule  ;  on  ne  peut  en  acheter  sur  le  marché  de  Porto- 
Novo.  Elle  doit  servir  uniquement  pour  les  services  religieux. 
Le  serpent  boa  est  aussi  vénéré  à  l'égal  d'une  divinité.  Son  culte 
est  répandu  sur  toute  la  côte  des  Esclaves.  Au  Dahomey,  des 
temples  lui  sont  dédiés,  et  des  prêtresses,  désignées  à  l'avance, 
vont  chaque  jour  porter  leur  nourriture  aux  serpents  qui  grouillent 
dans  ces  temples  et  y  jouissent  de  la  plus  entière  tranquillité.  A 
Porto-No vo,  la  destruction  d'un  boa  est  la  cause  de  palabres  près 
des  autorités;  un  nègre,  coupable  d'une  telle  infraction  aux 
lois,  est  sévèrement  puni.  Ce  culte  spécial  a  son  explication. 
Tant  de  serpents  dangereux  pullulent  dans  ces  pays,  que  le  nègre 
a  cru  faire  acte  de  reconnaissance  en  révérant  un  serpent  inof- 
fensif comme  le  boa  et  en  prohibant  sa  destruction. 

Autrefois,  le  caïman  était  l'objet  de  la  même  sollicitude.  Il 
avait  été  réputé  inofTensif  jusqu'au  jour  où  une  femme,  se  bai- 
gnant dans  la  lagune  de  Porto-Novo,  fut  mordue  par  un  d'eux. 


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ET  LE   ROI   TOFFA  103 

A  dater  de  cet  accident,  sa  consécration  comme  fétiche  n*a  plus 
été  reconnue  et  l'indigène  le  pourchasse  comme  une  bête  malfai- 
sante. Enfin,  certains  arbres  sont  sacrés  aux  yeux  du  nëgre^ 
comme  Tétait  le  ^i  chez  les  Gaulois.  Jamais  la  cognée  ne 
viendra  les  abattre.  Les  principales  cérémonies  religieuses  seront 
célébrées  sous  leur  ombrage. 

Dans  chacune  de  ces  cérémonies,  les  prêtresses  ou  féticheuses, 
jouent  un  grand  rôle.  Ce  sont  elles  qui  invoquent  le  fétiche, 
chantent  des  cantiques  et  exécutent  les  danses  les  plus  échevelées 
en  son  honneur.  Elle  sortent  des  principales  familles  gèges  et 
sont  reconnaissables  aux  nombreuses  cicatrices  qui  ornent  leurs 
joues,  leurs  seins  ou  leur  dos. 

Catholicisme,  —  Le  catholicisme  n'est  apparu  à  Porto-Novo 
que  lors  de  la  suppression  de  Tesclavage.  Les  nègres,  victimes 
de  la  traite,  avaient  été  transportés  en  Amérique,  dans  les 
colonies  françaises,  espagnoles,  portugaises.  Au  contact  de  la 
population  blanche,  ils  prirent  certaines  habitudes  européennes 
et  furent  catéchisés  par  les  prêtres  de  ces  différents  pays.  Rendus 
à  la  liberté,  ils  revinrent  dans  leur  patrie  et  y  conservèrent  les 
idées  religieuses  acquises  au  dehors.  Actuellement,  les  catho- 
liques sont  à  Porto-Novo,  au  nombre  de  trois  mille  environ, 
tous  fils  ou  descendants  des  anciens  esclaves.  Cette  religion  fait 
peu  de  progrès  parmi  les  autres  habitants;  la  simplicité  du 
fétichisme  a,  pour  le  nègre,  plus  d'attraits  que  les  mystères  du 
catholicisme.  Il  est  regrettable  que  les  missionnaires  ne  fassent 
pas  des  prosélytes  plus  nombreux  ;  car  l'influence  de  ceux-ci 
permettra  seule  de  lutter  d'une  façon  efficace  contre  le  prestige 
des  musulmans  qui  s'accroît  de  jour  en  jour. 

Protestantisme.  —  Le  protestantisme  compte  environ  un  mil- 
lier d'adeptes.  Ce  sont,  pour  la  plupart,  des  noirs  originaires  de 
Sierra-Léone,  qui  se  sont  établis  à  Porto-Novo  pour  y  faire  du 
commerce  et  s'y  sont  créé  une  famille.  Ils  appartiennent  à  diffé- 
rentes sectes  protestantes  et  sont  évangélisés  par  des  mission- 
naires venant  d'Angleterre  et  d'Amérique. 


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104  LA   COLONIE  DE  PORTO-NOVO 

Mahométisme,  —  Depuis  quelques  années,  la  religion  musul- 
mane est  apparue  à  Porto-Novo.  Chaque  jour  elle  progresse  ; 
chaque  jour  elle  compte  des  prosélytes  plus  nombreux.  Certai- 
nement, dans  un  avenir  plus  ou  moins  lointain,  elle  sera  un 
obstacle  sérieux  à  la  civilisation  de  ces  pays,  et  luttera  d'une 
façon  victorieuse  contre  les  autres  religions  européennes. 

Cette  influence  mahométane  vient  de  trois  points  différents.  Je 
vais  les  signaler  en  m'appuyant  non  sur  des  hypothèses,  mais  sur 
des  faits  faciles  à  constater  dans  le  royaume  de  Porto-Novo  et 
dans  les  autres  royaumes  environnants. 

Un  premier  courant  vient  en  ligne  directe  de  Tintérieur  du 
continent  africain.  Les  populations  musulmanes  du  centre  de 
l'Afrique  s*avancent  de  plus  en  plus  vers  la  mer  en  vertu  de  cette 
loi  sociale  «  qui  veut  que  les  peuples  de  Tintérieur  cherchent  à  se 
rapprocher  de  la  côte  pour  faciliter  leur  commerce.  »  C'est  là 
une  loi  qui  se  vérifie  non  seulement  à  Porto-Novo  même  et  sur 
la  côte  des  Esclaves,  mais  aussi  en  d'autres  pays,  au  Gabon,  par 
exemple,  où  les  Pahouins  refoulent^  de  jour  en  jour,  devant  eux, 
les  tribus  qui  les  séparent  du  rivage. 

Ce  courant  m'est  prouvé  par  l'origine  d'un  certain  nombre  de 
négociants  musulmans  de  Porto-Novo.  Ceux-ci  viennent  de 
l'intérieur,  où,  s'ils  n'en  sont  pas  directement  originaires,  ont 
des  relations  constantes  avec  les  populations  du  centre  africain. 
Quand  un  Européen  a  besoin  de  renseignements  géographiques 
sur  les  pays  situés  au  delà  de  Porto-Novo,  il  est  obligé  de 
s'adresser  aux  mahométans.  L'indigène  fétiche  et  le  nègre 
catholique  sont  d'une  ignorance  complète  sur  les  contrées  qui 
sont  en  dehors  de  leur  sphère  commerciale,  seul  le  mahométan 
connaît  la  source  de  telle  ou  telle  rivière,  quel  chemin  il  faut 
prendre  pour  aller  dans  telle  ou  telle  ville,  quelles  tribus  le 
voyageur  sera  obligé  de  traverser. 

Un  deuxième  courant  vient  de  la  partie  du  Niger  située  au 
nord-ouest  de  la  colonie  anglaise  de  Lagos.  Autrefois,  les 
royaumes,  établis  sur  ce  fleuve,  étaient  tous  païens;  peu  à  peu, 
les  musulmans  y  ont  pénétré,  ont  fait  adopter  leurs  croyances 
par  les  indigènes,  et  aujourd'hui,  le  mahométisme  règne  en 


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ET   LE  ROI   TOFFA  105 

maître  dans  ces  royaumes.  Or,  beaucoup  d'habitants  de  Porto- 
Novo  viennent  assurément  de  ces  différents  pays.  Je  les  ai  con- 
sultés sur  leur  lieu  d'origine,  et  beaucoup  m'ont  répondu  qu'ils 
arrivaient  du  Niger  par  étapes  successives,  et  qu'ils  avaient  des 
parents  échelonnés  dans  les  différentes  tribus,  séparant  ce  fleuve 
de  Porto-Novo,  à  Abéokouta,  par  exemple,  ou  à  Ohio. 

Enfin,  un  troisième  courant  vient  du  Maroc  et  du  Sénégal  par 
l'intermédiaire  des  caravanes  qui  se  rendent  à  époque  fixe  à 
Sierra-Léone,  et  de  là,  sur  le  reste  de  la  côte,  par  l'intérieur. 
Pour  affirmer  ce  courant,  je  m'appuie  sur  les  faits  suivants. 

Les  tiraiUeurs,  qui  forment  la  garnison  de  Porto-No vo,  sont 
recrutés  parmi  les  populations  musulmanes  qui  habitent  notre 
colonie  du  Sénégal  et  les  rives  du  Haut-Fleuve.  Or,  de  cette 
colonie  à  Porto-Novo,  il  y  a  une  distance,  par  mer,  de  quinze 
jours  environ  ;  parterre,  cette  distance  est  bien  plus  considérable. 
Cependant,  malgré  cet  éloignement,  les  tirailleurs  sénégalais, 
amenés  pour  la  première  fois  à  Porto-Novo,  connaissaient  de 
longue  date  des  habitants  de  cette  dernière  ville.  Un  d'eux,  un 
Saracolet,  a  même  rencontré  un  de  ses  frères  qui  avait  été  vendu 
comme  esclave  à  une  caravane  et  avait  ensuite  été  transporté  sur 
la  côte  dont  je  parle. 

Tous  ces  divers  courants  sont  indéniables  et  pourront  être 
constatés  par  quiconque  habitera  un  certain  temps  Porto-Novo. 

Or,  si  à  cette  puissance  de  prosélytisme,  à  ces  communications, 
si  fréquentes  et  si  rapides,  entre  les  différentes  populations 
musulmanes,  on  ajoute  l'adaptation  plus  grande  des  préceptes 
du  Coran  avec  les  habitudes  des  nègres,  on  comprendra  pourquoi 
le  fétichisme  est  fatalement  destiné  à  disparaître  et  à  être  rem- 
placé par  le  mahométisme. 

Cette  inQuence  ne  se  fait  pas  seulement  sentir  à  la  côte  des 
Esclaves  ;  d'autres  auteurs  ont  démontré  que  la  religion  de 
Mahomet  était  loin  d'être  en  décadence  dans  le  nord  de  l'Afrique 
ou  sur  la  côte  orientale.  Aussi,  s'appuyant  sur  tous  ces  faits,  on 
peut  affirmer  que,  dans  un  avenir  plus  ou  moins  lointain, 
«  l'Afrique  ne  sera  pas  catholique  ou  protestante,  elle  sera 
mahométane.  »  Quelles  en  seront  les  conséquences  pour  la  civi- 


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106  LA   COLONIE   DE    PORTO-NOVO 

lisation  de  ce  contiaeat  ?  Je  n'ai  pas  besoin  de  les  énomérer  ; 
elles  éclatent  facilement  aux  yeux  du  lecteur. 

Usages  agricoles.  —  Les  mœurs  et  coutumes  ne  sont  pas  seules 
à  différencier  ce  pays  du  nôtre.  Au  point  de  vue  agricole,  il  n'y 
a  pas  la  moindre  analogie  soit  pour  le  sol,  soit  pour  les  produc- 
tions. 

A  Porto-Novo,  la  végétation  est  magnifique  de  puissance  et  de 
vigueur.  Dans  certaines  saisons,  pas  un  coin  de  terre  n'apparatt  à 
l'œil  sans  être  recouvert  d'une  plante  ou  d'une  herbe  quelconque. 
Nous  ayons  ici,  en  effet,  la  chaleur  et  l'humidité  propices  à  toute 
espèce  de  culture. 

Le  sol  est  constitué  par  une  terre  argileuse,  rougeâtre, 
analogue  à  la  terre  à  brique.  Pas  une  pierre,  pas  une  seule.  Aussi 
les  instruments  de  culture  sont-ils  rudimentaires.  L'indigène  se 
sert  uniquement  d'une  plaque  en  fer  mince,  fixée  dans  une  tige 
en  bois  coudée  à  son  extrémité  inférieure.  C'est  avec  cet  instru- 
ment qu'il  creuse  ses  sillons  ;  la  charrue  est  inconnue. 

La  principale  culture  est  celle  du  maïs.  C'est  même  la  seule 
indispensable.  Il  n'y  a  pas  ici,  comme  en  France,  des  demi-années, 
des  quarts  d'année.  Il  y  a  toujours  pleine  et  abondante  moisson. 
Il  est  vrai  que  l'indigène  n'épargne  pas  l'engrais,  il  en  met  à 
profusion.  Déplus,  il  ne  ménage  pas  ses  soins.  Quand  le  maïs 
commence  à  lever,  il  va  voir  si  une  graine  n'a  pas  germé,  afin 
de  la  remplacer  immédiatement  par  une  autre.  On  fait  deux 
récoltes  par  an.  Le  maïs  met  quatre  mois  pour  arriver  à  maturité 
complète.  En  outre  du  maïs,  on  cultive  aussi  la  patate,  le 
manioc,  l'igname.  Les  fruits  viennent  tout  naturellement  et  en 
telle  abondance,  que  les  habitants  n'ont  pas  à  se  donner  la 
peine  de  les  cultiver.  Il  en  est  ainsi  de  l'avocat,  de  la  banane, 
des  mangues,  des  oranges,  des  cocos,  des  papayes,  etc.,  etc. 

Le  principal  produit  du  pays,  le  palmier,  qui  fait  la  richesse 
de  cette  contrée,  ne  demande  aucune  culture.  On  exporte, 
chaque  année,  des  quantités  considérables  d'huile  et  d*amandes 
de  palmier.  L'indigène  prépare  lui-même  et  purifie  cette  huile 
en  la  faisant  bouillir  à  différentes  reprises,  dans  plusieurs  vases. 


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ET   LK  ROI  TOFFA  107 

et  en  la  coacentrant  jusqu'au  degré  voulu.  Cet  arbre  est  d'ailleurs 
de  la  plus  grande  utilité  pour  les  habitants  ;  son  feuillage 
leur  sert  de  toit  pour  leurs  maisons  ;  son  bois  est  employé  pour 
les  constructions,  pour  faire  de  petites  pirogues  ;  son  huile  entre 
dans  la  préparation  de  tous  les  aliments  et  constitue,  avec  les 
amandes,  le  principal  produit  d'exportation;  enfin^  son  suc 
fermenté  donne  le  vin  de  palmier,  pétillant,  mousseux.  Quand 
il  est  frais,  ce  breuvage  est  excellent. 

L'élevage  du  bétail  est  aussi  une  ressource  importante  pour 
les  indigènes.  Certains  propriétaires  ont  des  troupeaux  de  40  à 
50  bœufs.  Le  roi  en  possède  près  de  200.  Us  lui  servent  pour 
faire  des  cadeaux  aux  visiteurs  de  grande  importance.  Ces  bœufs 
n'ont  pas  la  même  taille  que  ceux  d'Europe.  Us  sont  petits  et 
grêles  et  ont,  par  rapport  aux  bœufs  de  nos  pays,  la  même  taille 
que  les  poneys  comparés  aux  chevaux  de  France. 

Les  chèvres,  moutons,  porcs  vivent  en  grande  abondance  ; 
mais  leur  viande  a  généralement  peu  de  saveur.  Le  cheval  ne  vit 
pasàPorto-Novo,  je  l'ai  déjà  dit;  quelques  colons  en  ont  acheté 
soit  à  Abéokouta,  soit  au  Niger  où  ils  sont  très  nombreux  ;  malgré 
tous  les  soins  qui  leur  étaient  donnés,  ils  dépérissaient  au  bout 
de  quelques  mois  et  succombaient  finalement. 

Quant  aux  volailles,  telles  que  pintade,  poule ,  etc. ,  elles  existent 
en  grande  quantité.  Les  produits  et  plantes  d'importation  euro- 
péenne viennent  très  difficilement.  La  vigne  donne  un  raisin  qui 
a  bon  goût,  mais  dont  la  pellicule  est  très  épaisse  et  surtout  très 
amère.  L'indigène  ne  la  cultive  pas  ;  or,  lui  seul,  pourrait  le  faire. 
Le  climat,  le  soleil  s'opposeront  toujours  à  ce  que  l'Européen 
vienne  habiter  ces  pays  dans  un  but  d'exploitation  agricole. 

Arts.  —  Plus  la  civilisation  est  avancée  dans  un  pays,  plus  les 
arts  doivent  y  fleurir.  Ce  n'est  que  lorsque  le  beau  existe  autour 
de  soi  qu'on  songe  à  le  reproduire  d'une  façon  plus  ou  moins 
fidèle,  soit  en  sculpture,  soit  en  peinture,  soit  en  musique.  Le 
sentiment  artistique  est  aussi  plus  développé  quand,  chez  un 
peuple,  la  vie  ne  se  passe  pas  d'une  façon  calme,  placide,  mono- 
tone.  Les  beaux   sentiments,  les  nobles  actions  sont  seules 


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i08  LA   COLONIE   DE   PORTO-NOVO 

capables  d*inspirer  un  artiste,  quand  il  existe,  ou  d'en  faire  éclore 
quand  il  n'en  est  pas  encore  apparu. 

Toutes  ces  conditions  sont  bien  loin  d'être  remplies  à  Porto- 
Novo.  On  ne  sera  donc  pas  étonné  d'apprendre  que,  chez  ces 
populations  primitives  par  leur  littérature,  leur  langage,  leurs 
mœurs,  leurs  usages  sociaux,  ce  sentiment  artistique,  dont  je 
parle,  soit  tout  à  fait  rudimentaire.  Le  nègre,  de  même  que  Ten- 
fant  s'intéresse  peu  aux  grands  spectacles  de  la  nature  ;  il  vit 
sans  émotion.  Ge  qui  le  frappe,  c'est  le  fait  brutal  ;  ce  qu'il  cher- 
che à  représenter  trop  souvent,  c'est  l'acte  grossier  ou  immoral. 
L'imagination  ne  joue  aucun  râle,  si,  par  hasard,  elle  est  mise 
en  jeu,  ce  sera  d'une  façon  dévoyée,  dans  un  sens  grotesque. 

Aussi,  le  lecteur,  en  voyant  les  productions  artistiques  des 
indigènes  de  Porto-Novo  et  des  environs,  sera  surpris  qu'on  ose 
employer  le  mot  de  sculpture  quand  on  l'applique  à  des  sta- 
tuettes taillées  à  la  hache,  ou  celui  de  musique,  quand  on  parle 
de  la  cacophonie  étourdissante,  si  agréable  aux  oreilles  des 
nègres. 

Sculpture,  —  A  Porto-Novo  même,  quelque?  personnes  seu- 
lement s'occupent  de  sculpture:  beaucoup  d'objets,  que  le  voya- 
geur rapporte,  viennent  d'Abéokouta  ou  du  Dahomey.  L'artiste 
nègre  s'est  inspiré  des  animaux  qu'il  voitchaque  jour  ou  de  ceux 
qu'il  a  divinisés,  tels  que  le  boa.  C'est  ainsi  que  la  porte  du 
palais  du  roi  Toffa  est  orné  de  statuettes  représentant  les  unes 
un  cheval,  les  autres  un  bœuf,  ou  un  caïman,  ou  un  boa,  ou  une 
poule.  Elles  sont  taillées  sur  bois  et  peintes  de  couleurs  diffé- 
rentes, bleu,  blanc  ou  brun,  et  sans  que  ces  couleurs,  appliquées 
sur  telle  ou  telle  partie,  correspondent  à  la  place  où  la  nature  les 
a  mises  sur  l'animal  vivant. 

Les  bâtons  dont  se  servent  les  chefs  ou  cabécères,  pour  sou- 
haiter la  bienvenue  aux  blancs,  sont  généralement  terminés  par 
une  main  sculptée.  Suivant  son  caprice,  le  nègre  ajoute  soit  un 
chien,  soit  un  oiseau. 

L'artiste  déploie  surtout  son  talent,  dans  les  sièges  qui 
servent  aux  féticheurs  pour  les  grandes  cérémonies.  Ils  se  com- 


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ET   LE   ROI    TOFFA  109 

posent  de  deux  plateaux  en  bois,  Tun  supérieur,  Tautre  infé- 
rieur, soutenus  entre  eux  par  des  colonnades  hautes  de  0">,75 
centimètres  environ.  Chacune  de  ces  colonnades  représente  un 
homme  à  cheval,  ou  une  femme  dont  la  tête  supporte  le  plateau 
supérieur  et  dont  les  pieds  sont  fixés  au  plateau  inférieur,  ou  un 
boa  enroulé  sur  lui  même.  Ces  différents  objets  sont  grossiè- 
rement sculptés,  Tartiste  n'arrondit  pas  les  angles,  il  reproduit 
les  bras  ou  le  corps  au  gré  de  son  caprice. 
Quand  le  sculpteur  prend  pour  modèle  Thomme  ou  la  femme, 


Fig.  11.  Hache  ciselée  des  nègres  de  Porto-No vo. 

il  représente  surtout  des  scènes  où  Tacte  sexuel  joue  le  plus  grand 
rôle,  il  s'efforce  de  développer  certaines  parties  du  corps,  telles 
que  les  seins,  le  membre  viril.  Je  n'insiste  pas  davantage. 

On  trouve  fréquemment,  dans  les  maisons  des  chefs,  un  sujet 
représentant  une  femme  à  genoux  présentant  à  son  maître,  d'une 
main  une  pipe,  de  l'autre  une  calebasse  contenant  du  tabac. 

Dans  chacune  de  ces  productions,  l'artiste  n'oublie  pas  les 


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110  LA   COLONIE    DE   PORTO-NOVO 

caractères  extérieurs,  tels  que  le  mode  de  coiffure,  les  tatouages 
ou  cicatrices.  Ce  sont  là  des  signes  distinctifs  des  différentes  tri- 
bus. Aussi,  quand  on  voit  telle  ou  telle  statuette,  peut-on  faci- 
lement affirmer  son  origine,  même  quand  elle  vient  de  bourgades 
très  éloignées  dans  Tintérieur. 

Peinture.  —  La  peinture  indigène  n*existe  pas.  L'inlelligence 
artistique  des  habitants  de  Porto-Novo  ne  va  pas  encore  jusqu'à 
reproduire  par  un  dessin  quelconque  sur  bois  ou  sur  toile,  les 
scènes  qui  frappent  journellement  leurs  yeux. 

La  gravure  est  pratiquée,  mais  d'une  façon  rudimentaire.  Les 
dessins  gravés  sur  la  hache  représentée  ci-contre  (fig.  H)  mon- 
trent suffisamment  que  Tindigène  n'en  possède  que  les  rudiments. 

Je  ne  reviens  pas  surTarchiteclure.  La  description  de  Porto- 
Novo,  que  j'ai  donnée,  prouve  que  l'architecte  nègre  ne  s'inspire 
pas  des  règles  de  l'art  dorique  ou  ionien. 

Musique.  —  Les  nègres  aiment  le  bruit,  mais  on  ne  peut  dire 
qu'ils  aient  le  goût  musical.  Ils  font  de  la  musique  pour  accom- 
pagner les  danses  et  non  dans  le  but  de  produire  un  son  qui  leur 
fasse  plaisir.  Cérémonies  religieuses,  naissances,  mariage^ 
décès  :  tout  est  prétexte  quand  ils  veulent  s'amuser.  Or,  chez 
eux,  un  divertissement  comprend  toujours  la  musique  et  la 
danse. 

Les  instruments  dont  ils  se  servent  sont  variables.  Tantôt  ils 
emploient  une  espèce  de  guitare  telle  que  celle  représentée  par  la 
figure  ci-après  (fig.  12)  :  elle  est  formée  par  des  morceaux  de  bam- 
bou reliés  les  uns  aux  autres  et  sur  lesquels  sont  fixées  trois  pla- 
quettes qui  tendent,  à  un  degré  variable,  douze  lianes  de  différentes 
grosseur.  Elle  sert  uniquement  dans  les  fêtes  de  famille;  l'indi- 
gène en  tire  quelques  sons  agréables  à  l'oreille,  et,  en  même 
temps,  il  chante,  sur  un  rythme  monotone  une  chanson  du  pays. 
Cette  guitare  est  surtout  fabriquée  au  Dahomey.  Néanmoins, 
son  usage  est  très  répandu  sur  la  côte  des  Esclaves,  et  notam- 
ment à  Porto-Novo. 

On  emploie  aussi  un  instrument  formé  par  une  planchette  sur 


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ET    LE   ROI   TOFFA  Hl 

laquelle  sont  tendues  quatre  cordes;  la  caisse  résonnante  est  une 
calebasse. 

Quand  les  nègres  sont  réunis  en  foule,  leurs  instruments  sont 
plus  nombreux.  Si  les  fêtes  doivent  durer  plusieurs  jours,  ils 
creusent  un  trou  assez  profond,  au-dessus  duquel  ils  mettent  des 
poutres  en  bois  d'essence  et  de  densité  différentes.  Ce  trou 
circulaire  présente  un  diamètre*  de  1",S0;  chaque  poutre  est 
longue  de  2  mètres.  Un  indigène  frappe  alternativement  avec 
un  maillet  sur  chaque  poutre  et  produit  un  son  que  le  trou  ou 
caisse  sonore  fait  retentir  davantage. 

On  se  sert  aussi  de  poteries  de  forme  variable,  percées  aux 
deux  extrémités  ou  à  une  seule  et  recouvertes  d*une  peau  plus 
ou  moins  tendue  sur  laquelle  on  frappe  avec  une  forte  baguette 
garnie  d'un  tampon  de  peau.  D'autres  fois,  on  met  dans  un  vase 
en  fer  des  pièces  de  différente  grosseur  qu'on  agite  ensuite. 

Enfin,  le  tam-tam,  si  usité  dans  toute  l'Afrique  se  trouve  à 
Porto-Novo  sans  modifications  particulières^  il  est  fait  de  la 
même  façon  que  ceux  qu'on  rencontre  au  Sénégal,  au  Gabon,  et 
sur  toute  la  côte  occidentale.  On  comprend  qu'avec  des  instru- 
ments aussi  peu  perfectionnés,  la  musique  soit  plus  étourdissante 
que  mélodieuse.  Aussi,  aux  jours  de  fête,  une  promenade  à 
travers  les  rues  de  Porto-Novo  est-elle  loin  d'être  agréable. 

Mon  arrivée  dans  cette  ville,  a  coïncidé  avec  les  fêtes  du  roi 
Toffa,  qui  ne  sont  célébrées  que  tous  les  dix  ans  en  l'honneur  des 
rois  décédés.  Quand  le  roi  est  invité  à  une  de  nos  fêtes,  il  se 
plaint  toujours  de  ce  qu'elles  ne  durent  qu'un  jour  et  que,  le  len- 
demain, le  travail  reprenne  de  nouveau.  Les  siennes  duraient 
déjà  depuis  deux  mois,  et  elles  ne  se  sont  terminées  qu'un  mois 
après  mon  arrivée. 

Fêtes  et  danses.  —  Pendant  toute  leur  durée,  défense  est  faite, 
à  tout  autre  qu'au  roi,  de  tirer  des  coups  de  fusil  et  des  salves 
d'artillerie,  défense  aussi  de  planter,  semer  ou  récolter.  Le  roi 
s*amuse,  la  consigne  est  donc  de  se  divertir.  Le  peuple  doit 
célébrer  avec  le  plus  de  pompe  et  de  solennité  possible  les  sou- 
verains qu'il  a  eu  le  bonheur  de  posséder. 


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112 


LA   COLONIE  DE   PORTO-NOYO 


Ces  fêtes  se  sont  terminées  par  trois  jours  d'un  grand  festival 
musical  et  dansant  présidé  par  Sa  Majesté  Toffa  et  exécuté  sur 
une  des  places  publiques  de  Novo.  Des  groupes,  au  nombre  d'une 
dizaine  environ,  étaient  accroupis  à  terre,  et  faisaient  de  la  mu- 
sique avec  les  instruments  que  j'ai  cités  plus  haut.  Devant  chacun 


A 


Fig.  12.  Guitare  en  bambou  et  lianes  des  nègres  de  Porto-Novo. 


des  groupes  dansaient  six  jeunes  filles  ou  féticheuses  tenant  en 
main  une  longue  tige  de  fer  sur  laquelle  elles  faisaient  glisser 
un  anneau  métallique.  Le  frottement  de  cet  anneau  contre  la  tige 
produisait  un  certain  son.  En  même  temps  elles  exécutaient  leurs 
danses  les  plus  échevelées;  les  coudes  fixés  au  tronc  et  la  tête 


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ET   LE    KOI  TOFFA  113 

renversée  en  arrière,  elles  s'avançaient  et  reculaient  alternati- 
vement en  faisant  proéminer  le  torse  le  plus  possible. 

Quand  un  chef  de  grande  importance  passait,  elles  se  déta- 
chaient du  groupe  et  venaient  exécuter  leurs  danses  devant  lui. 
Quelques  bouteilles  de  genièvre  ou  de  tafia  étaient  généralement 
leur  récompense. 

Dans  une  autre  partie  de  la  place  se  tenaient  les  mahométans 
qui  prenaient  part  à  ces  fêtes.  Leurs  danses  n'ont  rien  d'original. 

Industries.  —  Les  produits  des  manufactures  européennes 
sont  importés  en  grande  quantité  sur  toute  la  côte  des  Esclaves. 
Cependant  les  habitants  de  ce  pays  ont  une  industrie  indigène, 
rudimentaire,  il  est  vrai;  néanmoins  ils  fabriquent  de  objets 
qu'on  rencontre  seulement  à  Porto-Novo. 

Ainsi,  la  vannerie  consiste  dans  la  fabrication  de  bonnets  en 
paille  de  mandine  finement  tressés  ;  ils  sont  très  légers  et  com- 
modes pour  les  pays  chauds,  alors  que  le  soleil  a  totalement 
disparu.  Ils  se  vendent  au  prix  de  1  fr.  SO  à  2  fr.  chacun.  Quel- 
quefois on  donne  à  cette  paille  des  colorations  différentes.  Le 
prix  dépend  de  la  finesse  de  la  paille. 

Les  fenmies  du  roi  ont  le  monopole  de  la  fabrication  et  de  la 
vente  de  paniers  faits  avec  des  joncs,  ils  sont  assez  élégants. 

L'indigène,  à  qui  ses  ressources  ne  permettent  pas  d'acheter 
des  tissus  de  provenance  européenne,  sait  faire  ses  pagnes  ou 
vêtements  avec  du  colon  récolté  dans  le  pays.  On  fabrique  avec 
ce  même  coton  des  nattes  et  des  hamacs  très  solides. 

Le  commerce  de  la  maroquinerie  est  entre  les  mains  des 
musulmans.  On  peut  acheter  des  corbeilles  de  mariage  formées 
par  une  trame  en  joncs  recouverte  d'une  peau  sur  laquelle  sont 
appliqués  des  carrés  de  velours  rouge,  violet,  etc.  Ce  sont  ces 
corbeilles  que  le  fiancé  donne  à  sa  fiancée,  le  jour  du  mariage. 
On  vend  aussi  des  sacs  de  peau  et  des  pantoufles  qui  se  rappro- 
chent beaucoup  de  celles  qu'on  trouve  au  Maroc. 

Il  y  a  aussi  des  usines  où  l'on  fabrique,  en  plein  vent,  de  la 
poterie  usuelle  et  des  alcarazas  ou  gargoulettes  si  utiles  en  ces 
pays  où  l'eau,  prise  dans  le  puits,  marque  +  25^ 

VI  8 


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114  LA  COLONIE  DE  PORTO-NOVO 

Chaque  roi  indigène,  et  le  roi  ToflEk,  en  particulier  ,  a  un 
orfèvre  attaché  à  sa  maison.  Il  ne  travaille  que  pour  lui,  il  est 
chargé  de  faire  des  bracelets  en  cuivre,  des  plats  en  argent.  Nulle 
part,  on  n'extrait  le  cuivre  ou  le  fer  et  il  n'y  a  pas  de  mines 
d'argent,  ni  d'or.  Aussi,  c'est  à  l'aide  de  ces  métaux  importés 
d'Europe,  ou  avec  de  l'argent  monnayé  que  l'orfèvre  fabrique 
ses  bracelets.  On  fait  aussi  des  fétiches  en  cuivre  tels  que  celui 
qui  est  représenté  plus  haut  (fig.  9  et  10).  Ils  sont  terminés  en 
pointe,  et  c'est  avec  ces  instrumients  que  l'on  perce  les  yeux  des 
femmes  adultères. 

Tous  ces  objets  out  une  forme  grossière.  Cependant  le  roi  a 
une  hache  dite  de  guerre  pour  laquelle  le  fabricant  a  dû  déployer 
tout  son  talent.  Elle  est  en  cuivre  poli,  ciselée  sur  ses  deux  faces, 
montée  sur  un  manche  en  ivoire.  Le  roi  envoyait  cette  hache 
chez  les  peuplades  voisines  quand  il  voulait  leur  déclarer  la 
guerre.  Depuis  l'occupation  française,  il  en  a  fait  cadeau  au 
commandant  de  Porto-Novo  pour  manifester  son  ferme  désir 
de  conserver  la  paix  d'une  façon  durable,  soit  avec  la  France, 
soit  avec  les  tribus  voisines. 


CONSmÉRÂTIONS  GÉNÉRALES 

Après  l'étude  des  mœurs  et  des  coutumes  des  habitants  du 
royaume  de  Porto-Novo,  plusieurs  questions  se  posent  : 

1®  Quelle  idée  doit-on  se  faire  des  habitants  de  Porto-Novo  ? 

2o  Ces  habitants  sont-ils  susceptibles  d'un  certain  perfection- 
nement ? 

3<>  Quel  avenir  semble  destiné  à  cette  contrée  ? 

Il  est  évident  qu'on  ne  peut  établir  aucune  comparaison 
entre  l'Europe  et  la  côte  des  Esclaves.  Le  nègre  de  ces  pays  est 
sauvage  dans  la  plus  entière  acception  du  terme.  Au  point  de 
vue  industriel,  commercial ^  moral,  il  a  tout  à  apprendre. 
Le  cerveau  de  chaque  habitant  est  une  pâte  malléable  où  toutes 
les  superstitions  viennent  se  modeler;  l'instruction,  telle  que 
nous  l'entendons,  n'existe  pas  chez  ces  noirs.  Ils  n'ont  ni  his-* 


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ET   LE   ROI    TOFFA  US 

toire,  ni  monuments  écrits,  ils  parlent  une  langue  qui  a  sur- 
tout besoin  de  la  mimique  pour  être  comprise. 

Dans  Tétat  actuel,  on  ne  peut  donc  fonder  de  grandes  espé- 
rances sur  rintelligence  des  nègres  de  cette  côte.  U  en  est  de  même 
quand  on  voit  le  peu  d'énergie  physique  qu'ils  peuvent  déployer. 
L'habitant  de  Porto-Novo  n'est  pas  travailleur;  il  n'offre  pas  de 
ressources  pour  les  maisons  de  commerce  établies  dans  le  pays. 
Il  pourrait  trouver  la  satisfaction  de  beaucoup  de  besoins  par  un 
travail  qui  serait  bien  rémunéré  ;  il  aime  mieux  danser  ou  croupir 
dans  l'oisiveté.  U  ne  se  livre  à  une  occupation  quelconque 
que  lorsque  la  nécessité  l'y  oblige  ;  dans  ce  cas,  il  travaille  sans 
régularité,  sans  suite.  Aussi  les  commerçants  doivent-ils  recourir 
à  des  noirs  qu'ils  engagent  en  dehors  du  pays,  sur  la  côte  de 
Krou,  ou  à  Elmina^  Acrah,  etc. 

La  civilisation  européenne  plaît  au  nègre,  il  en  reconnaît 
la  supériorité;  néanmoins^  il  ne  demande  pas  à  ce  qu'on  l'in- 
troduise chez  lui.  Bonne  pour  blancs,  dit-il,  elle  est  mauvaise 
pour  noirs.  Aussi  les  missionnaires  établis  dans  le  pays  font-ils 
peu  de  prosélytes  parmi  les  indigènes  nés  dans  le  royaume.  Leurs 
seuls  adeptes  sont^  on  l'a  vu  plus  haut,  les  descendants  des  an- 
ciens esclaves  revenus  du  Brésil  au  pays  natal. 

Le  nègre  de  cette  côte  n'est  pas  susceptible  de  perfectionne- 
ment si  on  le  laisse  parmi  les  siens;  il  faudrait  qu'on  pût  le 
sortir  du  milieu  où  il  vit  habituellement  ;  et  alors,  le  contact 
permanent  avec  des  Européens  lui  ferait  contracter  des  mœurs 
nouvelles,  lui  permettrait  d'entrevoir  des  aperçus  autres  que 
ceux  qu'il  considère  dans  sa  patrie.  La  traite  est  heureusement 
un  commerce  définitivement  aboli  ;  on  ne  saurait  trop  blâmer  la 
tronsportation  d'individus  en  dehors  de  leur  pays,  ainsi  que  les 
excès  auxquels  cette  traite  a  donné  lieu.  Cependant  si  l'Européen 
peut  commercer  sur  cette  côte,  s'il  y  peut  vivre  et  y  retrouver  la 
civilisation  dans  une  certaine  mesure,  cela  tient  uniquement  à  la 
traite.  C'est  là  un  paradoxe  qui  demande  explication.  Tous  les 
noirs,  déportés  au  Brésil  et  dans  les  colonies  françaises,  espa- 
gnoles, portugaises  se  sont  perfectionnés  au  contact  des  Euro- 
péens. Les  uns  ont  appris  des  métiers,  tels  que  ceux  de  tonne* 


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116  LA    COLONIE   DE  PORTO-ÎÎOVO 

lier,  charpentier,  menuisier,  tailleur,  etc.,  d'autres  ont  reçu  de 
Finstruction,  savent  lire  et  écrire,  parlent,  outre  le  dialecte  du 
pays,  le  portugais  ou  le  français.  Or,  après  la  suppression  de 
Tesclavage,  ils  sont  revenus  au  pays  natal,  et  là  ils  servent 
d'intermédiaire  entre  Findigëne  pur  et  les  Européens.  C'est  grâce 
à  leur  concours,  que  les  factoreries  peiivent  fonctionner,  que  les 
transactions  commerciales  s'opèrent  avec  une  certaine  honnêteté. 
Il  faudrait  donc  pouvoir  favoriser  une  émigration  volontaire  dans 
les  pays  où  vit  la  race  blanche,  tels  que  FAmérique  ;  alors  le 
nègre,  habitant  pendant  un  certain  temps  au  milieu  d'étrangers, 
se  formerait  à  leur  contact  et,  rentrant  dans  sa  patrie,  y  ferait 
pénétrer  la  civilisation  qu'il  aurait  apprise  au  dehors.  Mais,  je 
le  répète,  le  nègre,  laissé  dans  son  pays,  vivant  au  milieu  des 
siens,  est  difficilement  perfectible. 

Porto-Novo  n'est  pas  une  colonie  où  la  colonisation  française 
puisse  se  développer.  L'insalubrité  excessive  du  climat  sera  tou- 
jours un  obstacle  sérieux  à  ce  que  TËuropéen  s'installe  dans  ces 
pays  d'une  façon  définitive  ;  il  ne  peut  y  aller  qu'en  passant, 
pour  camper.  En  un  mot,  ce  n'est  pas  là  une  colonie  de  peuple- 
ment, mais  uniquement  d'exploitation.  Impossible  de  songer  à 
cultiver  le  pays,  à  y  établir  des  industries  européennes  ;  il  faut 
profiter  des  ressources  naturelles  du  sol,  faire  du  commerce, 
échanger  les  produits  indigènes  contre  des  marchandises  fran- 
çaises. Notre  action  est  forcément  limitée  par  les  obstacles 
innombrables  que  le  blanc  rencontre  à  chaque  pas.  Une  coloni- 
sation comme  à  la  Martinique,  à  la  Guadeloupe,  au  Cap,  en 
Australie,  est  radicalement  impossible. 


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LES   INDIENS  DE  L'ÉTAT  DE  PANAMA 

Par   Alphonse    PINART 
{Suite  et  fin) 


FAMILLE   DORASQUE-CHANGUINA 

Les  Indiens  de  cette  famille  habitaient  autrefois  les  régions 
montagneuses  du  sud  de  la  Talamamca  et  celles  de  la  province 
d'Alanje  ou  Chiriqui.  Dès  les  premiers  temps  de  la  conquête,  les 
conquérants  eurent  à  lutter  contre  eux,  et  ce  ne  fut  que  vers  le 
milieu  du  xvm*  siècle  qu'ils  purent  être  réduits  et  transportés  vers 
les  grandes  plaines  du  Chiriqui  où  ils  furent  répartis  dans  les  mis- 
sions de  San  Joseph  de  Bugabà,  San  Miguel  del  Boqueron,  San 
Francisco  de  Dolega  et  Gualaca.  Le  centre  principal  des  habita- 
tions des  Changuenes  (Ghanguinas),  était  sur  le  rio  Puan  ou  Ma- 
nagalisca,  affluent  du  rio  Tilorio  ou  Ghanguinaula.  Le  père 
Francisco  de  Saint-Joseph*,  dans  un  fort  intéressant  m/brm^,  daté 
de  Guatemala  le  18  octobre  1697^  donne  le  nom  de  douze  villages 
habités  par  les  Ghanguenes  ou  Ghanguinas  et  tous  situés  sur  les 
bords  du  rio  Puan,  ce  sont  : 

Toruca,  avec  5  maisons  ;  Garaga,  3  maisons  ;  Lengo,  7  mai- 
sons ;  Icaligala,  3  maisons  ;  Xalatu,  2  maisons  ;  Luvora,  2  mai- 
sons; Pomaza,  4  maisons;  Poruru,  3  maisons;  Suiquela,  3  mai- 
sons; Uribaru,  3  maisons;  Pongruraza,  3  maisons;  Querulu, 
5  maisons.  En  tout  42  maisons  et  625  habitants. 

1)  M.  M.  de  Peralta.  Costa-Rica  y  Colombia,  Madrid,  1886,  p.  99. 


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118  LES   INDIENS   DE   l'ÉTAT   DE    PANAMA 

Dans  un  autre  informe^  des  pères  fray  Antonio  de  Andrade  et 
fray  Pablo  de  Rebullida  *,  daté  de  Cartago,  le  10  janvier  1709,  il 
est  dit  que  la  nation  Ghanguene  (ou  Changuina)  était  forte  de 
5,000  Indiens. 

Dans  les  documents  dont  nous  venons  de  parler  nous  ne 
voyons  mentionner  que  les  Indiens  Changuenes  (ou  Changui- 
nas)  et  Shalivas  (ou  Chalivas)  pour  cette  raison  qu'ils  se  trou- 
vaient dans  les  limites  du  gouvernement  de  la  province  de  Costa- 
Rica  et  Gartago.  Les  Dorasques(Doraces,  Teluskies,  etc.),  se  trou- 
vaient plutôt  dans  la  province  de  Teragna. 

Le  père  Blas  José  Franco  *,  dans  l'ouvrage  manuscrit  qu'il  a 
écrit  à  la  fin  du  siècle  dernier,  et  dont  l'original  est  entre  mes 
mains,  parle  de  diverses  tribus  de  la  famille  Dorasque,  habitant 
sur  le  territoire  de  la  province  de  Veragua  —  les  Iribolos,  les 
Chiriluos  et  les  Suasimis  —  il  m'a  été  impossible  de  retrouver 
les  traces  de  ces  tribus. 

Les  Indiens  de  cette  famille  sont  aujourd'hui  presque  disparus. 
Leur  nombre  se  réduit  en  effet  à  13  ou  14  personnes  de  sang  pur, 
parlant  encore  la  langue  dorasque-changuina ,  à  savoir  3  ou  4 
Changuinas  qui  habitent  aux  environs  de  Bugabita-Bugaba  et 
10  Chumulus,  habitants  des  villages  de  la  Galdera  et  de  Potrero 
de  Vargas  ;  quant  à  la  tribu  Dorasque  proprement  dite,  le  der- 
nier Indien  qui  y  appartenait  et  que  j'avais  rencontré  durant 
mon  premier  voyage  au  Chiriqui,  en  1882,  est  mort  dans  l'in- 
tervalle de  mon  second  voyage  à  Gualaca. 

D'autre  part,  je  sais.de  source  certaine  que  sur  un  des  affluents 
du  Changuinaula,  perdus  dans  les  montagnes  de  la  Talamanca, 
vivent  encore  quelques  Indiens  Ghalivas,  restés  à  l'état  absolu- 
ment sauvage;  il  m'a  été  impossible  de  les  visiter  ou  de  me  pro- 
curer des  documents  sur  leur  état  et  leur  langue,  bien  qu'il  n'y 
ait  aucun  doute  qu'ils  appartiennent  à  la  famille  indienne  dont 
nous  nous  occupons. 
Les  quelques  Indiens  de  la  famille  Dorasque-changuina  qui 

1)  M.  M.  de  Peralta,  loc,  cit.,  p.  133. 

2)  Biblioteca  de  linguistica  y  etnografia  amer,  publ.  par  Alf.   L.  Pinart. 
San-Francigco,  1882,  p.  19. 


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LES   INDIENS   DE   l'ÉTAT    DE    PANAMA  H9 

existent  encore  aujourd'hui  ont  perdu  tout  souvenir  de  leur  état 
primitif  et  n'ont  guère  conservé  que  quelques  bribes  de  leur 
langue,  qu'ilb  parlent  encore  entre  eux,  mais  fortement  mêlée 
d'espagnol.  Je  suis  donc  obligé,  pour  donner  quelque  idée  de 
leur  état  ancien,  d'avoir  recours  aux  documents  tirés  du  père 
Blas  José  Franco,  et  qui  ont  déjà  été  publiés  dans  le  volume  IV 
de  ma  bibliothèque  de  linguistique  et  d'ethnographie  améri- 
caines S 

Celui-ci  nous  apprend  que  les  Dorasques  croyaient  à  un  esprit 
puissant  appelé  bal^a^  qui  habitait  le  volcan  de  Chiriqui  ou 
efieha  :  quand  il  y  avait  un  tremblement  de  terre,  ils  supposaient 
que  l'esprit  était  courroucé,  et,  ils  déchargeaient  alors  dans  la 
direction  du  volcan  des  volées  de  flèches  tout  en  faisant  avec 
leurs  instruments  de  musique  et  leurs  cris  un  vacarme  épouvan- 
table afin,  disaient-ils,  d'effrayer  Tesprit.  Us  avaient  en  outre  un 
grand  nombre  d'esprits  secondaires,  appelés  usiy  qu'il  fallait 
aussi  propitier  suivant  les  circonstances. 

Ils  vivaient  en  petits  villages  disséminés;  chaque  village  obéis- 
sait à  un  chef  nommé  yapa  qui  n'avait  d'autorité  qu'en  temps  de 
paix  :  en  temps  de  guerre  on  nommait  à  l'élection  un  chef  de 
guerre  dont  l'autorité  était  absolue,  mais  qui  prenait  fin  aussitôt 
la  guerre  terminée.  Us  étaient  réputés  très  braves  à  la  guerre  et 
très  généralement  craints  de  leurs  voisins  :  afin  de  témoigner  de 
leur  bravoure  et  de  leur  mépris  pour  les  souffrances,  ils  avaient 
l'habitude  de  se  lacérer  le  corps  à  époques  déterminées  avec  des 
pierres  aiguës  :  leurs  corps  étaient  pour  cette  raison  couverts  de 
cicatrices  :  ils  allaient  absolument  nus,  le  corps  couvert  de  pein- 
tures, et  seule,  une  bande  très  étroite  de  fiumi  (écorce  d'arbre 
frappée  et  ressemblant  au  tapa  des  mers  du  sud)  leur  passait 
entre  les  jambes  et  autour  des  reins. 

INDIENS   TERRABAS 

Ces  Indiens  qui  peuplaient  autrefois  la  partie  basse  du  sud  de 
la  Talamanca  et  les  îles  de  la  baie  de  l'Amiral  (Bahia  del  almi- 

1)  Loc.  cit.,  p.  20. 


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120  LES  INDIENS   DE   l'ÉTAT    DE   PANAMA 

rante)  et  de  la  lagune  de  Ghiriqui  connues  soûs  le  nom  de  Tojar 
(Colon,  San  Christoval,  Bastîmentos  ou  Provision,  Popa  ou  Poop 
island,  Crining  Key,  etc.),  n'existent  plus  aujourd'hui  sur  les  ter- 
ritoires que  réclame  la  Colombie.  Les  derniers  survivants  de 
cette  famille  furent  transportés  dans  une  mission,  San  Francisco 
de  Terraba,  aujourd'hui  village  de  Terraba,  situé  sur  le  territoire 
de  Costa-Rica,  sur  le  rio  grande  de  Boruca,  au  nord  ouest  du  Chiri- 
qui,  aux  pieds  de  grandes  montagnes  du  Cabecar  et  de  la  Tala- 
manca  sur  le  versant  du  golfe  Dulce.  Dans  une  informe  fort 
curieux  des  pères  fray  Antonio  de  Andrade  et  fray  Pablo  de 
Robullida*,  envoyé  de  Cartago,  le  20  janvier  1709,  il  est  dit  que 
la  nation  Terraba  est  de  1,000  Indiens,  qu'elle  parle  une  langue 
différente  de  celles  des  nations  de  la  Talamanca  :  ils  vivent  dis- 
persés pour  la  plus  grande  partie  en  des  endroits  escarpés.  De 
cette  même  nation  Terraba,  sont  aussi  les  insulaires  des  îles  de 
Tojar.  Dans  un  autre  informe  du  père  fray  Francisco  de  Saint- 
Joseph,  daté  de  Guatemala  le  18  octobre  1697*,  et  ayant  rapport 
aux  réductions  d'Indiens  de  la  Talamanca,  il  est  dit  que  la  langue 
principale  des  îles  est  la  langue  terraba,  bien  que  mêlée,  à 
quelques  mots  changuene  (ou  changuina),  torresque  (dorasqne) 
et  segua  (Mexicain-Gbichimeca).  Il  y  avait  sur  les  îles  4  villages 
dont  les  noms  sont  les  suivants  : 

Canoruza,  avec  32  maisons  ;  Puinza,  12  maisons  ;  Quenamaza, 
22  maisons  ;  Urruteza,  26  maisons.  Soit  un  total  de  92  maisons, 
ou  environ  1,500  Indiens,  Tojares  ou  Terrabas. 

Les  quelques  Indiens  Terrabas,  au  nombre  d'environ  500,  qui 
vivent  aujourd'hui  dans  le  village  de  San  Francisco  de  Ter- 
raba ont  depuis  longtemps  déjà  perdu  leurs  mœurs  et  coutumes, 
et  leur  langue  même  subit  une  impression  très  grande  de  son 
contact  avec  les  populations  espagnoles  :  ils  vivent  à  côté  du 
Borucas,  dont  le  village  n'est  distant  que  de  5  lieues;  mais 
malgré  cela  ils  ont  très  peu  de  relations  entre  eux. 

Le  Terraba  est  d*une  taille  plus  élevée  que  la  moyenne  des 
Indiens  de  Panama  et  de  la  Talamanca  et  d  un  teint  plus  foncé. 

1)  M.  M.  de  Peralta,  loc.  cit.,  p.  131-132. 

2)  Id.,  ibiff.,  p.  98-i05. 


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LES   INDIENS    DE    l'ÉTAT    DE    PANAMA  124 


INDIENS   SI6UAS,    SE6UAS   OU   MEXïCAINS-CHICHIMECOS 

La  nation  sigua,  segua,  plus  particulièrement  désignée  sous  le 
nom  de  Mexicanos  ou  Chichimecos^  habitait,  au  temps  de  la  con- 
quête, le  valle  de  Goaza,  qui  faisait  partie  de  ce  que  Ton  appelait 
alors  el  Valle  del  Duy  ou  de  los  Mexicanos  :  cette  province 
embrassait  le  rio  Tilorio  ou  Changinaula,  la  baie  de  Tarairal 
(Bahiadel  almirante  ouZorobaro)  et  s'étendait  jusqu'à  celle  du 


Fig.  13.  Statuette  en  tnmbaga  repoassée,  représentant  an  pouma.  Dolega. 
{Mus.  drEthnogr,,  colL  Pinart,  n*  10600.) 

Guaymie.  D'après  certains  renseignements  je  penserais  volontiers 
que  le  valle  de  Coazay  dans  lequel  habitaient  les  Siguas-Mexica- 
nos  ou  Chichimecos  était  le  rio  Robalo  d'aujourd'hui,  qui  se 
jette  dans  la  lagune  de  Chiriqui.  En  1564,  le  conquérant  du 
Guaymie  et  de  la  Talamanca,  Juan  Vasquez  de  Goronado,  rencon- 
tra et  soumit  ces  Indiens.  Dans  l'acte  de  prise  de  possession  qu'il 
rédigea,  il  est  dit  qu'un  cacique  nommé  Iztolin,  des  Ghimimecos 
de  la  comarca  de  Hara,  dans  les  montagnes  de  la  mer  du  Nord, 
province  de  Guaymie  et  valle  de  Goaza*,  vint  lui  rendre  hom- 
mage. Ge  Gacique  parlait  le  Mexicain,  et  pour  se  faire  com- 
prendre de  lui,  Juan  Vasquez  de  Goronade  dut  employer  un 
naguatato  ou  interprète  Mexicain.  Dans  un  grand  nombre  de 

1)  L.  Léon  Fernandez.  Collecion  de  documentas  para  la  historia  de  Costa- 
Rica,  t.  IV.  Paris,  1886,  p.  297. 


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Fig.  14.  Vase  OTOlde  allongé,  en  terre  coite  décorée  de  ronge  et  de  noir.  Dolega. 
(Mus.  dEthnogr.,  colL  Pinart,  n»  10599.) 


Flg.  15.  Statuette  en  terre  culte,  décorée  de  rouge  et  de  noir.  Femme  allaitant 
un  enfant    Dolega.  [Mus.  d'Ethnogr.^  colL  Pinart,  n®  10574.) 


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LES  INDIENS    DE   l'ÉTAT   DE   PANAMA 


123 


documents  ces  indiens  sont  désignés,  sous  le  nom  de  Seguas  ou 
Signas,  ou  Zeguas  '  :  ce  mot,  qui  appartient  à  la  langue  des 
Terrabas,  veut  dire  étranger. 
Il  est  extrêmement  intéressant  de  retrouver  aussi  loin  vers 


Flg,  16.  Sifflet  en  terre  culte  peinte  de  rouge  et  de  noir.  Tête  humaine.  Dolega. 
{Mus.  d'Ethnogr.,  coll.  Pinart,  n»  10588.) 

le  sud  une  colonie  de  ces  intrépides  conquérants  mexicains  qui, 


Fîg.  17.  Petit  vase  en  terre  cuite  à  trois  pieds  pastillés  en  relief.  Nancito. 
{Mus.  d'Ethnogr.y  coll.  Pinart,  n»  10596.) 

comme  nous  le  savions  déjà,  avaient  fondé  d'autres  colonies  im- 

1)  M.  M.  de  Peralta.  Costa-Iiica  y  ColomUa,  Madrid,  1886,  p.  132.  Informe 
de  los  pp.  fray  Antonio  de  Andrade  y  fray  P.  de  Rebullida  et  notes. 


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124 


LES   INDIENS   DE  l'ÉTAT   DE   PANAMA 


portantes  dans  le  Nicaragua  et  le  Nicoya.  Ne  serait-îl  pas  pos- 
sible de  leur  attribuer  l'état  de  demi-civilisation  auquel  les 
tribus  qui  les  environnaient  dans  ces  diverses  régions  étaient 
arrivé  :  il  est  un  fait  incontestable,  c'est  que  les  meilleurs  spé- 
cimens de  l'art  de  la  sculpture,  du  travail  des  métaux  et  de  celui 
de  la  poterie  se  rencontrent  dans  les  lieux  habités  autrefois  par 


Fig.  18.   Petit  vase  en  terre  cuite,  à  trois  pieds  décorés  d'ornements  incisés. 
Nancito.  (Mus.  d'Ethnogf\,  coll.  Pinart,  n*  10565.) 

des  populations  incontestablement  d'origine  Mexicaine-Nahoa, 
par  exemple  :  à  Omotepec  et  sur  les  côtes  du  lac  de  Nicaragua^ 
dans  le  Nicoya,  au  Costa-Rica,  et  enfin  dans  la  région  qui  nous 
occupe  plus  spécialement  ici.  Si  nous  étudions,  en  effet,  les 
objets  tirés  des  guacas  ou  tombeaux  de  Chiriqui,  nous  y  trou- 
verons une  supériorité  très  gi'ande  sur  ceux  qui  ont  été  découverts 
plus  à  Test  vers  le  Veragua. 

Qu'on  examine,  par  exemple,  les  terres  cuites  peintes,  à  décors 
polychromes  (fig.  14,15,16)  dont  nous  avons  trouvé  à  Dolega  une 
collection  si  bizarre,  qu'on  regarde  les  élégantes  et  fines  poteries 
à  décors  ciselés  ou  pastillés  en  relief,  que  nous  avons  recueillies 


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LES    INDIENS    DE   l'ÉÏAT    DE    PANAMA  125 

à  Naûcito  (fig.  17, 18)  ou  bien  encore  les  vases  à  engobes  et  à 


Fig.  19.  Vu8e  à  eugobe  ronge  et  dessins  noirs.  Environs  de  David. 
(Mus.  d'Ethnogr.,  coll.  Charnay,  n'»  16035.) 


Fig.  20.  Vase  en  terre  cuite,  à  trois  pieds,  décoré  d'incisures.  Environs  de  David 
(Mus.  dTEthnogr.,  coll.  Charnay,  n»  16042.) 

incisures  des  environs  de  David  (fig.  19,  20),  on  constatera  très 
aisément  que  toutes  ces  choses  sont  incomparablement  mieux 


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126  LES    INDIENS    DE  L^ÉTAT    DE  PANAMA 

travaillées  que  celles  de  Panama  qui  sont  tout  à  fait  grossières 
dans  leur  exécution.  Le  nombre  des  sépultures  est  aussi  très 
considérable  dans  le  Chiriqui,  tandis  qu'il  diminue  progressi- 
vement au  fur  et  à  mesure  que  nous  allons  vers  Test;  elles 
disparaissent  entièrement  quand  nous  arrivons  sur  le  territoire 
des  tribus  d'origine  Guna  ou  Darien.  La  conclusion  est,  je  crois, 
facile  à  déduire. 

INDIENS  SAMBUS-CHOCOES 

Les  Indiens  Sambus-Chocoes  sont  en  très  petit  nombre  dans 
rÉtat  de  Panama  :  leurs  quelques  villages  se  trouvent  sur  le  rio 
Sambu,  qui  se  jette  dans  le  golfe  de  San  Miguel  ou  du  Darien, 
du  sud,  près  de  la  pointe  de  Garachine.  Il  en  existe  aussi  quel- 
ques-uns entre  cette  pointe  et:  la  frontière  de  TÉlat  voisin  du 
Gaucà  :  ils  peuvent  être  évalués  à  500,  très  métissés  de  sang 
nègre. 

Ils  appartiennent  à  la  grande  famille  Ghocoe-Noanama-Gita- 
rae,  répandue  dans  le  Choco  et  une  grande  partie  de  l'état  du 
Cauca  ainsi  que  dans  les  États  de  Bolivar  et  d^Antioquia.  Nous 
reviendrons  plus  spécialement  sur  cette  famille  dans  une 
prochaine  monographie  des  Indiens  de  TÉtatdu  Gauca. 

INDIENS   PAPAROS 

Dans  l'important  rapport  envoyé  par  don  Andres  de  Ariza, 
gouverneur  de  la  province  de  Darien,  au  vice-roi  Guirior,  en 
1772^  et  dont  l'original  existe  à  la  bibliothèque  nationale  de 
Bogota,  nous  trouvons,  au  sujet  de  ces  Indiens,  les  renseigne- 
ments suivants  (ce  sont,  à  ma  connaissance,  les  seuls  que  nous 
trouvons  sur  eux)  : 

«  Avant  de  passer  à  la  description  des  centres  miniers  abon- 
dants qui  existaient  dans  cette  province,  il  ne  sera  pas  hors  de 
place  de  donner  une  notice,  bien  que  concise,  sur  certaine  tribu 
ou  race  d'Indiens  qui  y  existait  tout  au  centre  de  ceux  dont  U 
vient  d'être  parlé  (les  Gunas). 

Ges  Indiens  se  nomment  Paparos,  dont  le  port  et  les  disposi- 


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LES   INDIENS   DE   l'ÉTAT  DE   PANAMA  127 

lions  étaient  plus  robustes  et  majestueuses  que  ceuK  des  Cunas. 
Leur  résidence  principale  était  entre  les  rios  Sapa  et  Puero,  qui 
tombent  dans  le  Tuyra.  Leur  idiome  était  différent  (de  celui  des 
Cunas);  leurs  armes,  des  ûëches  et  des  dards;  leurs  instruments, 
non  d'acier  ou  de  fer,  mais  do  terre  et  de  pierre,  parce  qu'ils 
n'avaient  ni  commerce, ni  amitié  avec  aucune  autre  nation. 

K  Jamais  on  n'a  vu  dlndiens  Paparos  dans  un  village  d'Es- 
pagnols ou  d'autres  Indiens,  mais  on  n'avait  jamais  appris  non 
plus  qulls  eussent  fait  quelque  tort,  même  quand  ils  se  rencon- 
traient avec  des  étrangers  ou  des  Indiens  Cunas . 

«  La  cause  pour  laquelle  les  Paparos  n'étaient  pas  en  relations 
amicales  avec  les  Indiens  Cunas  vint  de  ce  que  ces  derniers  se 
rendaient  dans  les  rancherias  des  premiers  et  leur  volaient  par 
la  force  les  jeunes  gens  des  deux  sexes  afin  de  les  vendre  aux 
Espagnols  comme  esclaves.  C'est  à  cet  effet  que  parut,  en  1713, 
un  rescrit  royal  punissant  d'amende  toute  personne  qui  aurait  eu 
en  sa  possession  quelque  enfant  Paparo,  et  les  juges  devaient 
faire  attention  à  ce  qu'aucun  d'entre  eux  ne  fut  au  pouvoir  de 
sujets  ne  menant  pas  une  vie  régulière  ou  qui  ne  fut  pas  de 
bonnes  mœurs,  afin  que  ceux-ci  pussent  embrasser  notre  reli- 
gion sacrée  avec  de  bons  principes. 

«  Bien  que  j  aie  fait  toutes  diligences  pour  découvrir  l'habitat 
actuel  de  cette  nation,  je  n'ai  pu  obtenir  aucun  résultat.  Ce  que 
l'on  croit  le  plus  probable,  suivant  ce  que  disent  certains 
vieux  Indiens  dignes  de  foi  et  connaissant  bien  ces  montagnes, 
c'est  que  les  Paparos,  vers  l'an  1740,  étaient  en  très  petit 
nombre  et  que  les  épidémies  continuelles  de  petite  vérole 
les  ont  détruits  entièrement  comme  cela  a  failli  arriver  aux 
Cunas.  » 

D'après  les  renseignements  que  j'ai  pu  obtenir  et  des  Cunas  et 
des  Chocoes,  il  est  probable  que  les  Paparos  n'étaient  qu'une 
tribu  isolée  de  la  famille  Chocoe;  celle-ci,  en  effet,  a  encore  des 
représentants  sur  le  rio  Sambu,  à  l'entrée  de  la  grande  rivière 
de  San  Miguel  et  sur  la  côte  du  Darien^  depuis  la  pointe  Gara^ 
chine  jusqu'à  l'État  voisin^  du  Cauca  ou  dans  le  Choco  elle  est 
la  race  prédominante. 


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VOCABULAIRE    COMPARÉ 

DES 

Langues    Chocoe-Sambu,  Cuna-Darien»  Ouaymie-Valienie,  Gxiaymie- 
Murire,  Muoi,  Dorasque,  Bribri,  Boruca,  Terraba  et  Ouatuso. 


Ciel 

Terre 

Soleil 

Lune 

Étoile 

Eau 

Rivière 

Sable 

Montagne 

Pierre 

Mer 

Canot 

Pagaie 

Homme 

Femme 

Indien 

Enfant 

Père 

Mère 

FUs 


FiUe 


SÂMBU 


Oncle 

muciroa 

Tante 

muena 

Tôle 

poro 

Cheveux 

puda 

Yeux 

tau 

Oreille 

kuru 

Nez 

kù 

Poitrine 

hu 

Bras 

hua 

Main 

hua 

Jambe 

makara 

Pied 

hinu 

Arbre 

paxuru 

Fruit 

neta 

Feuille 

hitua 

Branche 

paxuruuï 

Maïs 

pe 

Aji,  chile 

pida 
Deu 

Aguacate 

paxa 
ioro 
pisia 
edexo 
xaxai 
paôia 
to 
hipu 

esebede 

usa 

hapa 

toi,  toe 

amoxina 

acoera 

to^auamani 

mitata 
munana 


minara 


muxau 


CUNA 


nigpa 

Dsibsa 

tata,  ipe 

ni 

nicheni 

ti 

ti 

ucubu 

yala 

acua 

telmal 

hulugua 

came 

mastol 

punagua 

cuna,  tule 

machigua 

pap 

nan 

diceelpadre: 

^        chus  ' 

)dice  la  madré: 
yaffate 
dice  el  padre  : 

chiscua 

dice  la  madré  : 

puna 

quilu 

ama 

chagla 

chaglagua 

imia 

hugua 

achue 

tuiscal 

chuncalgual 

chuncal 

tugualyocon 

maii 

chapi 

ibcunet 

caglia 

gualcana 

opa 

ca 

asue 


GUAYMIK- 
VALIBNTE* 


kointa 
Oobo 
noana 

80 

muke 

no 

no 
huma 
utua 

xo 
meren 

du 

kringo 

ni,  nitokua 

meri 

move 

nobo 

du 
meye,  bi 

nobo 


nono 


gru 

gri 

Ookua 

Ôokuodro 

ogua 

olo 

nidon 

burude 

kude 

kude 

nure 

ngoto 

kri 

krinkua 

kriko 

krikude 

xi 

niva 
eoga 


ouAyyiE- 

MURIRE 


ngana 

debbi 

èoi 

dai 

beu 

ôi 

2i 

niamantakre 

ke 

bali,  ble 

doge 

kuiya 
niuire 
murire 
kiroya 
inea 
cevia 

kiroya 


MUOI 


korida 
debbil 

cui 
daivira 

veu 

ci,  ca,  kokera 

ci,  5a 

ubar 

hoinua 

xari 

bere 
danega 
kome 
«oaimi 
moïma 
muoi 
jagiru 

ame 
civima 

Jagiru 


caya 

fagiru  moima 

druya 

druyama 

ôuga 

cugama 

odama 

guaçava 

010 

guavama 
ola 

se,  cegua 
brudu 

sema 

igema 

kana 

kanauta 

ko 

koma 

seragda 

sama 

seragda 

greda 

gaba 

fl! 

ga 

netta 

kana 

naga 

eu 

heu 

cio 

Seu 

gria 

bu 

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GUAYMIE- 

OUAYMIE- 

SAMBU 

CUNA 

VALIENTB 

MURIRB 

MU  01 

Igname 

ikade 

guicubu 

Irun 

haya 

cugu 

Poisson 

pau 

hûçua 

gua 
lapa 

oe 

teçava 
ôôDôgri 

Caïman 

ori 

taim 

surru 

Tigre 

imama 

achuparpati 

koratoron 

gude 

kure  ôalare 

Lion 

imamapuru 

achu  quineli 

kora  tain 

gudebere 

kure  dave 

Singe  rouge 

chulu 

nubuan 

ëoga 

coga 

Singe  noir 

huiul 

xurî 

uii 

unkari 

Oiseau 

yocucur 

nukua 

bdada 

1      baitata 

Plume 

chacan 

ko 

ko 

hia 

OEuf 

ala 

muru^e 

murue 

kera 

Perroquet 

•/amiBO 

quaqua 

6uri 

oie 

ore 

Ara  rouge 

para 

nalu 

noka 

batta 

1        para 

Serpent 

Uma 

nagpe 

xima 

Oegebe 

Oekebe 

Hutte,  maison 

te 

i        neca 

7.U»  u 

*/u 

hu,  hogeta 

Toit 

utari 

!    necanigpa 

ugro 

1     /uiîikasie 

ha 

Hamac 

maka 

1        cachi 

amako 

amaka 

lagegama 

Lance 

iiiaru 

1 
1 

pugakri 

t 

kuerima 

Arc 

;      iorosia 

j 

tuge 

1       labate 

batima 

Sarbacane 

1         uku 

!        chuii 

1 

^ 

nietage 

Flèche 

Manger 

Boire 

Dormir 

Chasser 

Tuer 

Danser 

Chanter 

Avoir  soif 

Avoir  faim 

Tabac 

Bon 

Mauvais 

Grand 

Petit 

1 
'> 

4 
5 
6 

7 


10 

20 
Je 
Tu 
II 

Nous 
Vous 


enatruroa 

kareta 

tohi 

*/aisi 

pehade 


opisia 
arapisi 

,    nimpiabui 
I     kacirabui 
I    nentroma 
I  ina-anikuru 
baba 
orne 
i       ompea 
I       kimari     * 

kuasoma 
huasimaraba 
hiiasimarano- 

me 
liuasimaraki- 

masi 
liuasimaniku- 

masi 

huasimanima- 

numa 

mui 
pui 
aribui 
taci 
para 


aqueti 
cune        I 
cope        I 
capie        I 
imalamine    , 
sarsoje      ; 
quinegal     | 
namaque     ' 
ticopeitolegue 
ucuritoguete 
guala 
nubueti 
nubuetichuli 
quayartan 

cheni 

cuenchique 

pocua 

pagua 

paquegua 

atale 

nercua 

cublegue 

pabaca 

paquebague 

ambegui 

tulabuena 

an 

pe 

ati,  a 

nen 

pemal 


buga 

iMurore,  kuelc 

ftiae         I 

kobien 

gridige 

komite,  niguc 

pra/e 

ke 

moreretare 

àiaelere 

so 

liokon,  koin 

sobra,  komc 

kri 

kia,  ëi 

krati 

krobu 

kromo 

kroboko 

krorigue 

kroti 
krokugu 

krokuo 

kro  bonkon 

kroxoto 

gre 
ti 

mo 

ni,  kua,  ye 

tiri,  nu 

niri,  mu 


dromeli 

blire 

ae 

oCicoi 

mabege 

blabe 

a>iya 

bliretake 

aetake 

hu 

no 

•/useri 

kueri 

l»etro,  siari 

gdaite 

gdabu 

gdamai 

gdalare 

gdabaga 

gdabo 

gdaïn 

gdaliga 

gdatadi 

gdatabu 

gre 
ôa 
ba 

cagle 
bagle 


cegima 
I        blita 

kOvikae 

I      mabege 
'        ubra 

kleoya 
I  blidiffarohitia 

saKuatu 
{        duga 
I  no 

nasene 

kueri,  gri,gre 

il»averese,8idri 

I       gdaite 

gdabu 

gdameu 
gdatau 
'     gbabaga 
I      gdatiri 

gdaguge 

gdaike 
I      gdatau 
gdahuva 


ca 

ba,  va 

ya,  ho 

ule 

bule 


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DORASQUE 

BRIBRI 

Bom;cA 

TERRABA 

GUATUSO 

Ciel 

hivat 

congcutu,  se- 
raca 

caqui 

comong  co- 
pcvogo 

tojisiqui 

Terre 

iri.  ijaru 

ichuc 

tapque 

crung 

laca 

Soleil 

kerel 

divo 

cac 

doro 

toji 

Lune 

sirila 

sivo 

tebe 

moc 

ziji 

Etoile 

iixuse,  viu 

becvo 

horumro 

siyon 

Eau 

*-',  ji»  6i,  li 

di 

di 

di 

ti 

Rivière 

^',  ji,  fci,  li 

di 

di 

di 

ti 

Sable 

halgu 
tunkal 

izang,  xan 

"P. 

ara 

uzija 

Montagne 

congbeta 

cactub 

crop 

octe 

Pierre 

liak,  haga 

hac 

ucra 

ac 

octara 

Mer 

buli 

deche 

quibang 

dorung 

tilivaticatocu- 
"     fa 
chiu 

Canot 

ulu 

cono 

huru 

tiong 

Pagaie 

kalua 

cartac 

Homme 

taro 

uvevi 

conrojque 

doben 

ochapa 

Femme 

bia 

racur 

rangmoroj 

uvaari 

curijuri 

Indien 

vae 

uudat 

Enfant 

acitraga 

cabe 

chaasoroj 

cuosir 

arapchaura 

Père 

kusu 

che 

chebejt 

coc 

sia 

Mère 

to 

imi 

adebe 

me 

su 

Fils 

ani 

cabe 

chaasoroj 

gva 

alafî,  uran 

Fille 

ani-bia 

alabusi 

aramoroj 

gva 

urasifa 

Oncle 

-/alu 

naucheque 

arunca 

fruca 

Tante 

duva 

miala 

fruca  ora 

Tôle 

duku 

voqui 

sagra 

cogo 

machia 

Cheveux 

oga 
oko 

tsancu 

chijtca 

congso 

tonaiza 

Yeux 

vubra 

caish 

bocvo 

mafizicu 

Oreilie 

kuga 
neko 

cucvu 

cvaga 

cvongvo 

tocolo 

Nez 

chigot 

chiscah* 

necvo 

tain 

Poitrine 

irigesu 

sibetsi 

caa 

vorbu 

corisoco,  pro- 
sicora 

Bras 

kulgula 

ura 

bayureh 

broguedoh 

raaquiquitco- 

ra 
niacu  qui  chia 

Main 

kuIOBOl 

ura 

yureh 

orcvo 

Jambe 

pergala 

cruquecha 

mcra 

cvorvo 

halu  cora 

Pied 

ser 

cru 

crascva 

shcong 

hoquichia 

Arbre 

kabuoèi 

car 

crang 

cor 

cora 

Fruit 

kalaobe 

carvo,  va 

crang  va 

shivo  boh 

cora  curu 

Feuille 

kalaka 

cuchuc,  sig 

crang  cah 

croga 

cora  aun 

Branche 

karikuirkala 

carura 

crang  shijt 

cogvo 

cora  cui 

Maïs 

habu 

icvo 

cup 
cheba 

îLir 

ain 

Aji,  Chile 

asi 

depa 

tuchju 
sutuh 

Aguacate 

inap 

amo 

bu 

dovorva 

Igname 
Poisson 

tu 

kisi,  bara 

nima 

ung 

ma 

Caïman 

6uU 

toroc 

eu 

eu 

uju 

Tigre 

hoSinal 

namu 

curah 

dobon  crasi- 
ririn 

cora  quizi- 
ninge 

Lion 

havalva 

momemeh 

turishevan 

shuring  dobon 

tuehtueh 

Singe   rouge 

toà 

sar 

nong 

du 

tiu 

Singe  noir 

uli 

vib 

un 

bip 

uriuri 

Oiseau 

dul 

du 

du 

sinuah 

yisca 

Plume 

xul 

ducvo 

du  cah 

bacorga 

olaiza 

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Œuf 

Perroquel 

Ara 

Serpent 

Maison,  hutte 

Toit 

Hamac 

Lance 

Arc 

Sarbacane 

Flèche 

Manger 

Boire 

Dormir 

Chasser 

Tuer 

Danser 

Chanter 

Avoir  faim 

Avoir  soif 

Tabac 

Bon 

Mauvais 

Grand 

PeUt 
1 

2 
3 


5 
♦5 


DORASQUE 


10 
20 

Je 

Tu 

II 

Nous 

Vous 


hagal 

koco 

koba 

buli 

hu 

baike 

xolofi 

kugrega,buga 

katuva 

abi  ya^la 

kutai 

wot 

kabigal 

okolobe 

haive 

kuyi 

kayi 

valiagua 

kuririgisagua 

dua 

hape 

irogla 

hoCi 

èitriga 
kue 

kumat 
kumaS 

kupaki 

kulmale 

kuipaka 

katakalobo 


kulmalmuk 

kura! 
ba,  kone 

kui 
kuxuok 


BR]BRI. 


dorora 
cochu 
cucashucli 
quebe 
hu 
hucu 
quipu 

shcumme 
mocur 
cabut 
checu 
ichuc 
quipuc 

icheburuc 

iclu 

iclutu 

isbtsuc 


(lava 

boai 

suruna 

tain 

tsidera 
et 

bur 
m*not 

quel 

s*càng 
terl 
cugl 

pagle 

suricto 

d'bob 

d'bob  buchu 

che 

be 

ye 

sa 


BORUCA 


icup 
cunj 
shooh 
tebec 

uh 

ugaashi 

cung 

tuncra 

cran  g  bot 

tun  casa 

chara 

djana 

cabrah 

(Jeg  chura  leli 

chaatquiiaira 

decuigui 
batabayenga 


duah 

moren 

Iza  ageng  rih 

crïeh 

istamora 
eetzi 

buuc 
mang 

bajcang 

cshiscan 
teshan 
cujque 


TEHRADA 


GUATUSO 


ujtan 


atqui 

ba 

i(]ui 

diiroj 

dirojque 


vua 


bupur 
uh 

pogroh 

cuncova 

chipote 

cuncova 

tamarquirji 

yaso 

peeh 

shitou  uroroi 

sosura 

tanung 

toso 

laferiyoutro 

dovoh 

cobe 

oe 

c:ooquis,  quis 

sotirava 
crara 

crovii 
crommiah 

crobquing 

crasbquingde 

lerdeh 

cogodeh,  cra- 

coc 

cvongdeh, 

cracvong 

shcavdan, 

crash cav 

d'vovdeh 

sagpuc 

ta 

fa 

quimre 

tan  g  va 

fainbega 


ipu 

cozon 

gangcoco 

uh 
uchia 
cuji 

quijitza 

laça  curuora 

caru 

tel  an 

chia 

chufi 

creque  maere 

mara 

brazilaca 

pomipurete 

amim  lang 

tuah 

aula 

epe  maura 

niuinge  caya» 

ge 

faja  fajange 

anacachuma- 

ru 

pon 

paque  quir 

(4  hommes) 

I  posai  (4  jours) 


ton,  ana 

pu^  pomi 

naye 

naloti 


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132  LES    INDIENS    DE    l'ÉTAT   DE    PANAMA 

Nota,  —  J'ai  conservé  lorlhographe  des  différentes  langues 
et  dialectes  suivant  leur  provenance.  Le  cuna  est  écrit  suivant 
Torlhographe  espagnole,  la  langue  ne  demandant  aucune  adap- 
tation spéciale  de  caractères.  Le  sambu,  le  guaymie  valienle, 
guaymie  murîre,  le  muoi  et  le  dorasque  sont  écrits  avec 
Talphabet  linguistique  de  Lcpsius.  Le  bribri,  le  boruca,  le 
lerraba  et  le  guatuso  suivant  Torthographe  mixte  adoptée 
par  Mgr  Bernardo  Agusto  Thiel,  évoque  de  Costa-Rica,  dans 
ses  Apiuites  lexicograficos  de  las  lenguas  de  Costa-Rica.  San 
José  de  Costa-Rica,  1881,  d'où  lesdits  vocabulaires  sont  tirés. 


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LES  DOLMENS  DE  GUYOTVILLE,  ALGÉRIE 


Par  le  D^  W.  KOBELT  \ 


De  tous  les  ouvrages  élevés  par  Thomme  en  Algérie,  aucun  ne 
saurait  captiver  autant  l'attention  de  l'observateur  que  ces  monu- 
ments de  pierre  énigmatiques  des  temps  passés,  que  l'on 
rencontre  aussi  souvent  dans  le  nord  de  l'Afrique  que  dans 
n'importe  quel  pays  de  l'Europe  occidentale,  sans  en  excepter 
la  Bretagne.  Les  plus  connus  et  les  plus  visités  —  si  toutefois 
le  touriste  leur  accorde  quelque  intérêt  —  sont  situés  à  quatre 
bonnes  heures  à  peu  près  de  la  ville  d'Alger,  sur  le  plateau  des 
Bcni-Messous,  à  Guyotville. 

J'entrepris,  le  20  avril,  pour  les  voir,  une  excursion  en  com- 
pagnie de  mon  ami  Joly.  Nous  partîmes  de  bonne  heure  pour 
nous  élever  de  la  cité  Bugeaud,  par  des  lacets  escarpés,  sur 
la  montagne  qui  s'avance  de  Bouzarea  dans  la  mer.  Sur  le 
versant  septentrional  on  trouve  la  vraie  marque  de  la  domina- 
lion  française,  l'église  de  Notre-Dame  d'Afrique,  la  patronne 
des  matelots  comme  Notre-Dame  de  la  Garde,  celle  qui  doit 
convertir  même  les  musulmans. 

On  a  pourvu  sa  coupole  romane  d'un  minaret  où  on  lit  on 
grosses  lettres,  à  l'intérieur  :  «  Notre-Dame  d'Afrique,  priez  pour 
nous  et  pour  les  musulmans,  »  témoignage  d'un  amour  chrétien 
que  franchement  les  Arabes  sont  incapables  de  comprendre. 
Mais  l'église,  qui  se  remarque  de  loin  en  mer,  est  du  plus  bel 
effet  pittoresque  pour  cette  contrée. 

i)  Traduction  liUérale  du  septième  chapitre  du  livre  Reisennneiningen  aus 
Algérien  und  Tunis,  publié  par  le  docteur  W.  Kobelt,  Frankfurt  am  Main, 
M.  Diesterweg,  1885,  in-8. 


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134  LES    DOLMENS    DE    GUYOTVILLE 

Les  prêtres  de  Notre-Dame  d'Afrique  portent  le  haîk  arabe  et 
le  capuchon  comme  les  Arabes,  mais  sans  la  mèche  sacrée  de 
poils  de  chameau.  C'est  là,  ainsi  que  dans  la  Maison  Carrée,  que 
se  trouve  le  quartier  général  des  Frères  Blancs,  de  ces  troupes 
héroïques  du  cardinal  Lavigerie,  qui  cherchent  avec  ardeur  et 
persévérance  à  convaincre  les  mahométans  de  la  vérité  du 
christianisme  et  des  bienfaits  de  la  domination  française  —  car 
Charles-Martial-Allemand  Lavigerie  est  aussi  ardent  patriote 
que  pieux  catholique.  —  Sa  tactique  n'est  pas  mauvaise.  Élevés 
comme  des  Arabes  dans  le  séminaire  de  la  Maison  Carrée,  possé- 
dant à  fond  la  langue  arabe  et  la  langue  kabyle,  pourvus  enfin 
dos  connaissances  médicales  les  plus  nécessaires,  les  Frères 
Blancs  s'établissent  dans  les  villages  des  Kabyles,  dans  les  douars 
des  Arabes,  partagent  leur  vie  et  cherchent  à  gagner  leur 
confiance.  Ils  ont  rendu  les  plus  grands  8er\dces  à  l'influence 
politique  de  la  France  qui  s'étend  maintenant,  grâce  à  ces  mis- 
sionnaires, depuis  Tunis  où  Lavigerie  a  fondé,  sur  les  ruines  de 
Carthage,  un  second  établissement  jusqu'à  Ghadamèsetà  Ghal; 
mais  je  doute  fort  qu'ils  aient  réussi  jusqu'à  présent  à  con- 
vertir un  seul  Arabe  *. 

En  face  de  ce  simple  article  de  foi  de  l'islamisme  :  Il  n'y  a  qu'un 
Dieu  et  Mahomet  est  son  prophète,  —  en  face  de  promesses  d'un 
paradis  conforme  à  l'imagination  orientale,  les  dogmes  de  la 
Trinité  et  de  l 'Immaculée-Conception  ne  peuvent  prévaloir,  et  le 
culte  de  Marie,  qui  passe,  aux  yeux  des  Arabes,  pour  une  idolâ- 
trie, est  doublement  choquant  pour  eux  parce  qu'il  s'agit  d'une 
femme.  Par  suite,  les  Frères  Blancs  ne  peuvent  rien  faire.  Ils  sont 
aimés  chez  les  Kabyles  à  cause  de  leurs  connaissances  médicales 
ou  autres,  on  les  regarde  même  comme  des  maîtres,  mais  ils  ne 
parviennent  pas  encore  à  obtenir  des  conversions.  Ils  obtien- 
draient peut  être  de  meilleurs  résultats  s'ils  pouvaient  s*unir 
par  des  unions  aux  familles  berbères  influentes,  comme  l'ont 
fait  autrefois  les  Schurtfa  arabes,  mais  leur  vœu  ne  le  leur 
permet  pas.  Le  cardinal,  qui  est  un  homme  éminemment  pra- 

1)  Lavigerie  a  aussi  envoyé  ses  missionnaires  dans  le  Soudan  et  à  Zanzit)ar. 


k 


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LES    DOLMENS   DK   CUrOTVILLE  435 

lique  et  qui  sait  à  merveille  apprécier  les  qualités  de  ce  peuple^ 
leur  accorderait-il,  à  l'occasion,  une  dispense  ou  fonderait-il  un 
ordre  demi-religieux  pour  lequel  tout  empêchement  serait  sup- 
primé? 11  est  probable  que  les  résultats  seraient  considérables,  étant 
donné  Tesprit  immense  de  sacrifice  et  le  fanatisme  de  ses  fidèles. 
Mais  il  faut  qu'il  se  dépèche,  car  les  Senousi  gagnent  tous  les 
jours  du  terrain  et  sont,  pour  les  Frères  Blancs,  d'aussi  solides 
adversaires  que  Sidi-Mohammed  el  Mahdi-ben-Senousi  Test 
pour  le  vaillant  cardinal.  Mgr  Lavigerie  trouve  du  reste,  sous 
la  domination  française,  une  reconnaissance  méritée  et  il  a 
louché,  même  dans  les  moments  de  plus  grande  hostilité  contre 
le  clergé  sous  la  jeune  république,  une  subvention  annuelle  de 
50.000  francs,  non  inscrits  au  budget,  mais  pris  sur  les  fonds 
secrets. 

Nous  nous  élevons  rapidement  au-dessus  de  l'église  en  sui- 
vant un  sentier  pavé  mauresque,  le  seul  qui  unissait  Alger 
et  Eoleah,  avant  que  les  Français  aient  ouvert  une  route  surla  côte 
escarpée.  La  vue  s'embellit  à  chaque  pas  et  lorsque  nous  nous 
trouvons  sur  l'arête,  à  côté  des  ruines  du  fort  turc,  j'avoue 
volontiers  à  mon  ami  que  cette  vue  peut  rivaliser  pour  la  beauté 
à  celle  de  Camaldoli  à  Naples.  A  nos  pieds,  se  trouve  Alger 
au  milieu  d'une  riche  verdure,  séparée  de  nous  par  les  maison- 
nettes blanches  du  Frais-Vallon  et  de  la  vallée  des  Consuls;  en 
arrière,  s'étend  le  large  golfe  d'un  bleu  profond  jusqu'au  cap 
Matifou;  plus  loin  domine  la  forme  hardie  du  Bou  Zegsa;  plus 
loin  encore  se  montre  le  Djurdjura  couvert  de  neige.  A  droite, 
c'est  la  magnifique  Melidscha,  avec  ses  champs  verdoyants  ol  ses 
\1Ilages  éclatants  de  blancheur.  On  reconnaît  nettement  les  bois 
sombres  d'orangers  de  Boufarik  et  de  Blidah,  en  arrière  desquels 
s'élève  la  superbe  chaîne  des  Béni  Sala  et  de  Mouzaia,  jusqu'au 
Zaccar  et  au  Chenoua.  Entre  ces  deux  derniers  ,  lo  regard 
glisse  par  dessus  la  côte  septentrionale  dentelée  jusqu'au  cap 
de  Tenès  qui  disparaît  dans  le  bleu  du  lointain.  Près  de  nous, 
Tœil  embrasse  les  pentes  du  Sahel  jusqu'à  l'embouchure  du 
Mazagran  et  la  longue  presqu'île  de  Sidi-Ferouch  sur  laquelle 
les  Français  débarquèrent  un  jour.  C'est  un  tableau  magnifique 


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136  LES    DOLMENS    DE   GUYOTVTLLE 

avec  lequel  il  en  est  peu  qui  puissent  se  mesurer  dans  la  Médi- 
terranée. 

Nous  cheminons  ensuite  le  long  de  l'arête,  d'abord  à  tra- 
vers des  champs  d'orge  au  milieu  desquels  le  charmant  gla- 
diolus  segetum  couvre  presque  la  moisson,  nous  traversons  un 
pâturage  dans  lequel  se  fanent  des  asphodèles  nauséabondes. 
Nous  passons  derrière  le  village  de  Bouzarea,  près  d'une 
koubah  à  laquelle  est  attachée  une  école  arabe  et  qui  est  célèbre 
k  cause  des  superbes  palmiers  nains  qui  l'entourent  :  je  n'en 
ai  jamais  vu  d'aussi  hauts  ni  d'aussi  exubérants  dans  les 
jardins  où  ils  sont  l'objet  des  meilleurs  soins.  Le  chemin  par- 
court une  certaine  distance  entre  des  haies  de  cactus  et  des 
habitations,  puis  il  court  dans  la  pleine  campagne.  Un  bois 
de  petits  arbustes  nous  entoure,  il  est  horriblement  ravagé; 
c'est  lui  qui  doit  surtout  fournir  à  Algérie  bois  nécessaire  pour 
la  cuisine.  Il  y  a  trente  ans,  on  y  trouvait  encore  de  superbes 
sapins,  aujourd'hui  disparus,  aussi  le  nom  de  la  riiontagne  «  père 
de  la  fécondité  »  n'est-il  plus  qu'une  plaisanterie.  Rien  n'est 
triste  et  désert  comnie  une  telle  forêt,  que  les  insectes  mêmes 
paraissent  éviter.  Pendant  trois  heures,  nous  voyons  à  peine  une 
créature  vivante,  pas  un  oiseau^  pas  un  insecte,  et  malgré  la 
quantité  de  fleurs,  à  peine  un  papillon.  A  cela  près,  la  vue 
demeure  toujours  ravissante.  Le  sentier  finit  par  descendre, 
on  trouve  çà  et  là  quelques  sapins  rabougris,  quelques  bosquets 
d'arbres  superbes,  enfin  de  véritables  forêts.  Au  milieu  des 
pins  maritimes,  pousse  un  massif  d'eucalyptus,  et  bien  que 
l'arbre  d'Australie  ne  nourrisse  naturellement  aucun  insecte, 
une  riche  colonie  d'insectes  s'est  développée  sous  son  abri, 
contrastant  remarquablement  avec  le  calme  de  mort  de  la  forêt. 
Nous  suivons  la  limite  d'une  exploitation  forestière  que  nous 
voulions  reconnaître  de  plus  près.  Immédiatement  après,  nous 
retrouvons  les  fermes;  des  vignobles  considérables  nous  entou- 
rent de  tous  côtés,  vignobles  dont  les  ceps  sont  richement  fournis. 

En  bas,  nous  rencontrons  le  chemin  vicinal  de  Guyotville  à 
Cheraga,  vers  lequel  devaient  être  les  dolmens,  mais  c'est  en 
vain  que  nous  les  cherchons  ;  enfin,  un  propriétaire  voisin  nous 


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LES    DOLMENS    DE    GIÎYOTVILLE  137 

aide  à  en  retrouver  les  traces  et  nous  indique  une  ferme,  située 
encore  à  deux  bons  kilomètres,  où  doivent  être  les  tombeaux 
antiques.  Un  chemin  tiré  au  cordeau  nous  y  conduit  entre  des 
vi^obles.  Une  jeune  dame  nous  accueille  très  cordialement  el 
nous  montre  un  jardin  où  un  homme  âgé,  couvert  d'un  immense 
chapeau  de  paille,  travaille  à  la  vigne.  Ses  premières  paroles 
me  font  voir  que  j*ai  devant  moi  un  compatriote,  un  Rhein- 
lander  qui  a  passé  quatre  années  comme  instituteur  de  la  mai- 
son Berna,  de  Francfort,  et  ce  temps  —  c'était  en  1848  —  il  le 
nomme  le  plus  beau  de  sa  vie.  M.  Kiister  est  alors  arrivé  en 
France  et  est  depuis  lors  resté  attaché  au  service  de  Tinstruction 
publique;  il  se  plaît  tout  à  fait  dans  sa  place  de  professeur  du 
lycée  d'Alger.  Grâce  aux  fêtes,  il  se  trouve  accidentellement 
avec  sa  femme,  une  aimable  Française  de  Collioure,  son  fils  et 
sa  fille  qui  parlent  couramment  l'allemand,  dans  son  vignoble 
qui  occupe  16  hectares  et  qui  est  dans  un  état  remarquable  de 
culture. 

Quoique  naturalisé  Français^  il  est  resté  le  vrai  Rheinlânder 
jovial;  il  a  pris  à  cœur  la  culture  du  raisin,  et  il  me  conduit 
avec  une  fierté  bien  légitime,  à  travers  les  vignes  très  bien  entre- 
tenues qu'il  a  plantées  lui-même,  puis,  après  la  visite  des  dolmens, 
à  la  cave  qui  conserve  encore  quelques  bonnes  bouteilles,  bien 
que  la  plus  grande  partie  de  la  provision  ait  été  déjà  expédiée. 
Les  monuments  mégalithiques  gisent  disséminés  dans  le 
vignoble  ;  il  en  reste  tout  au  plus  deux  douzaines  sur  plusieurs 
centaines,  les  autres  ont  servi  de  matériaux  pour  élever  des 
murs  alors  que  le  sol  n'avait  pas  encore  de  maîtres.  Le  peu 
qu'il  en  reste  a  trouvé  un  conservateur  soigneux  chez  M.  Kùster, 
mais  il  ne  peut  pas  empêcher  que  le  sol  fraîchement  défriché 
cède  d'un  côté  ou  de  l'autre,  que  les  parties  latérales  fléchissent 
et  que  la  toiture  finisse  par  tomber.  On  ne  peut  songer  à  une 
restauration  devant  ces  masses  d'un  poids  énorme.  Tous  ces 
monuments  se  ressemblent  ;  deux  pierres  longues  et  deux  pierres 
courtes  posées  verticalement  sur  le  sol  forment  un  rectangle 
allongé  recouvert  par  une  lourde  dalle.  Ils  ne  s'élèvent,  en 
moyenne,  guère  à  plus  de  3  pieds  au-dessus  du  sol,  la  longueur 


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138  LES   DOLMENS  DE   GUYOTVILLE 

atteint  environ  6  à  8  pieds,  la  largueur  à  peu  près  la  moitié. 
Presque  tous  sont  entourés  d'une  assise  de  quelques  petites 
pierres,  mais  on  ne  peut  reconnaître  une  orientation  suivant  une 
direction  déterminée  du  ciel.  Dans  une  fosse,  les  quatre  pierres 
pariétales  'manquaient,  et  la  toiture  gisait  immédiatement  sur 
rassise  de  pierres.  Les  pierres  proviennent  toutes  d'un  ravin  voi- 
sin de  rOu(id-Messous  où  se  trouve  une  couche  calcaire  presque 
horizontale,  d'un  pied  d'épaisseur  environ.  Elles  sont  complète- 
ment brutes,  et  même,  dans  les- parties  qui  se  trouvent  dans  la 
terre  et  qui  étaient  ainsi  protégées  contre  l'efifritement,  on  ne 
reconnaît  aucune  trace  de  polissage. 

Une  chambre  sépulcrale  s'était  effondrée  dans  ces  derniers 
temps  et  la  pierre  de  la  toiture  s'était  brisée.  M.  Kûsler  avait  fait 
déblayer  les  ruines  avec  soin  et  il  avait  trouvé  que  l'espace  inté- 
rieur était  divisé  par  une  dalle  de  pierre  en  deux  parties  inégales. 
Dans  la  plus  grande,  se  trouvaient  les  restes  de  deux  squelettes; 
dans  la  plus  petite,  on  ne  trouvait  qu'une  paire  d'os  délicats 
comme  ceux  d'un  enfant.  Évidemment,  il  s'agissait  là  d'une  sé- 
pulture de  famille.  Malheureusement,  on  ne  put  avoir  les  crânes. 
Les  morts  avaient  probablement  été  ensevelis  dans  une  position 
accroupie,  comme  cela  est  la  règle  dans  le  nord  de  l'Afrique  et 
comme  c'était  la  coutume  d'après  Hérodote  chez  les  Nasamons. 
Les  crânes  trouvés,  dans  les  dolmens  des  Beni-Messous  et  dont  le 
musée  d'Alger  renferme  divers  échantillons,  sont  longs  et  étroits 
comme  ceux  des  Berbères  de  nos  jours.  A  côté  des  os,  se  trou- 
vaient des  fragments  de  poterie  et  un  bracelet  de  bronze  riche- 
ment orné.  Les  accessoires  sont  généralement  rares  ;  une  fois 
seulement  on  a  trouvé  une  jolie  fibule,  une  autre  fois  un  simple 
anneau  uni,  et  deçi-delà  des  armes  de  pierre  de  toute  espèce. 
M.  Kûster  a  tout  collectionné  avec  soin,  mais,  malheureusement, 
il  avait  envoyé  la  partie  principale  de  sa  collection  à  l'exposition 
de  Toulouse  où  un  jeune  savant,  M.  Regnault,  devait  se  livrer 
sur  ce  sujet  à  un  travail  qui  n'a  pas  encore  paru  «. 

1)  M.  F.  Regnault  avait  déjà  publié  sur  ce  sujet  un  mémoire  intitulé  :  Les  Dol- 
mens de  Beni-Missous  dont  on  trouvera  une  analyse  à  la  page  276  tome  V  de 
la  Revue  (^Ethnographie,  Les  objets  de  pierre  ne  se  trouvent  point  dans  les 
monuments  mais  autour. 


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LES  DOLMENS  DE  GUYOTVILLE  139 

Qui  a  édifié  ces  tombeaux  ?  Si  c'est  ainsi  que  Ton  pose  la 
question,  la  réponse  est  facile.  Il  ne  peut  être  question,  pour  le 
nord  de  TAfrique,  d'aucune  grande  migration  de  peuples;  toutes 
les  populations  migratrices,  depuis  les  blancs  Tamhou  de  TÉgyplo 
jusqu'aux  Arabes,  ont  disparu  devant  les  masses  étroitement 
fermées  des  peuples  autochtones;  les  infortunés  Celtes  ne 
peuvent  jouer  ici  aucun  rôle  et  on  arrive  ainsi  à  croire  que 
personne  na  érigé  ces  fosses  de  pieire  si  ce  n^est  les  ancêtres 
des  Kabyles  de  nos  jours.  Et  il  y  a  d'autant  moins  lieu  de  douter 
de  ce  fait,  que  nous  savons  que  les  Kabyles  du  Djurdjura  avaient 
coutume,  jusqu'en  ces  derniers  temps  encore,  de  dresser  des 
pierres  en  souvenir  des  événements  remarquables.  Lorsque,  entre 
4737  et  1748,  la  confédération  des  Aït  Iraten  tint  une  assemblée 
dans  le  village  Aguemmoun  et  décida  d'abolir  juridiquement  le 
droit  de  succession  des  jeunes  filles,  qui  choque  la  coutume  ka- 
byle, on  dressa,  en  souvenir  de  cette  réunion,  autant  de  blocs  de 
pierre  qu'il  y  avait  de  tribus  ayant  pris  part  à  la  délibération.  On 
peut  attribuer  une  origine  analogue  au  monument  mégalithique 
que  Hodgkin  décrit  au  Maroc,  entre  Tanger  etMiknasa.  C'est  un 
cirque  de  pierres  de  30  à  40  mètres  de  diamètre,  avec  un  tertre 
central  de  20  pieds  environ  de  hauteur  et  dont  la  face  supérieure 
forme  une  plate-forme  de  30  pieds  de  diamètre  ;  tout  autour  se 
dressent  environ  quatre-vingts  blocs  de  grès,  parmi  lesquels  s'en 
trouvent  deux  plus  gros,  de  forme  ovale,  ayant  respectivement  16 
et  18  pieds  de  haut  et  4  et  2,6  d'épaisseur  à  la  base,  consti- 
tuant, en  quelque  sorte,  les  montants  d'un  portique.  Mallzan 
a  trouvé  des  monuments  analogues  en  Tunisie  à  Maghraua  et  à 
Geryville,  dans  la  région  des  schotts  De  semblables  monuments 
de  pierre  en  Europe,  sur  lesquels  s'est  exercé  en  vain  jusqu'à 
présent  l'esprit  des  archéologues,  peuvent  bien  avoir  eu  une 
signification  analogue. 

Ces  sépultures  ont  été  certainement  érigées  même  jusqu'à 
l'époque  romaine,  car  on  a  trouvé  dans  l'une  d'elles  une  médaille 
de  Faustina,  comme  objet  accessoire  de  sépulture.  Cependant 
Berbrugger  pense  que  ces  monuments  sont  dus  aux  tribus  bre- 
tonnes au  service  des  Romains  (leur  présence  en  Algérie  a 


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140  LES    DOLMENS  DE   GUYOTVfLLE 

d'ailleurs  été  conOrinée  par  les  pierres  tiimulaires),  depuis  sur- 
tout qu*on  a  reconnu  la  richesse  de  TAfrique  septentrionale  eu 
monuments  de  ce  genre,  ce  qui  n'a  eu  lieu  que  fort  tard.  (CVsl 
seulement  en  1859  que  Rhind  attira  l'attention  des  naturalistes 
anglais  sur  les  dolmens  des  Béni  Messous,  mais  on  ne  remarqua 
son  mémoire  intitulé  :  Orthological  Remaim  in  North  Afrika 
dans  le  trente-huitième  volume  de  l'archéologie,  que  lorsque 
l'interprète  Féraud  de  Constanline  fit  remarquer  à  Tarchéologuo 
Christy  la  quantité  de  dolmens  placés  à  la  source  de  Bou 
Merzoug  et  qu'il  publia  lui-même  deux  écrits  sur  ce  sujet 
dans  les  Mémoires  de  la  Société  archéologique  de  cette  ville, 
on  1863  et  1864.)  L'opinion  que  les  Celtes  auraient  été  les 
édificateurs  de  ces  monuments  mégalthiques,  perd  chaque 
jour  du  terrain  et  ne  compterait  que  bien  peu  d'adhérents  au- 
jourd'hui. On  trouve  les  monuments  de  pierre  dans  de  nom- 
breuses contrées  qui  n'ont  jamais  été  habitées  par  les  Celles, 
tandis  qu'ils  manquent  absolument  dans  les  anciens  pays 
celtiques,  comme  l'Allemagne  méridionale.  Dans  son  remar- 
quable ouvrage,  Fergusson  exprime  l'idée  que  les  dolmens 
d'Algérie  ont  été  dressés  par  les  habitants  de  l'Aquitaine,  qui 
fuyaient  devant  l'invasion  des  Celtes  vers  le  nord  de  l'Afrique, 
600  ans  avant  J.-C.  Mais  l'histoire  ne  sait  rien  de  cette  fuite  et 
il  est  à  peine  concevable  que  les  fugitifs,  en  passant  la  mer,  aient 
pu  pénétrer  jusque  dans  l'intérieur  du  pays  kabyle.  Les  Phéni- 
ciens eux-mêmes,  auquels  on  attribue  si  souvent  l'érection  des 
mégalithes,  ne  peuvent  sérieusement  entrer  en  ligne  de  compte, 
depuis  que  Ton  connaît  plus  exactement  la  distribution  géogra- 
phique des  dolmens;  on  ne  trouve  en  effet  aucun  monument 
mégalithique,  ni  dans  leur  patrie  ni  dans  les  contrées  qui  furent 
longtemps  en  leur  possession,  comme  les  environs  de  Carthage 
et  d'Utique.  Ces  monuments  étaient  d'un  trop  grand  travail  pour 
des  marchands  navigateurs  qui  ne  faisaient  qu'un  séjour  de  courte 
durée  dans  les  pays  qu'ils  visitaient. 

R.  Von  Scala*  arrive  à  ce  résultat,  que  lapins  grande  partie  dos 

1)  Ausiand,  1884,  n«  iL 


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LES  DOLMENi  DK  GUYOTVILLE  141 

dolmens  se  trouvent  dans  les  pays  qui  ont  été  habités  autrefois 
par  les  races  de  Tlbérie.  D'après  Rûtimeyer  *,  les  dolmens  appa- 
raissent d'abord  dans  la  Scandinavie  avec  des  dimensions  aussi 
grandes  qu'en  Bretagne  ;  de  là,  on  les  voit  s'élever  tout  le  long 
des  côtes  de  la  Baltique  et  de  TÂtlantique,  manquant  dans  les 
marais  de  la  Hollande  et  de  la  Belgique,  où  le  défaut  de  ma- 
tériaux rend  leur  absence  bien  naturelle,  et  apparaissant  de 
nouveau  d'un  côté  en  Angleterre,  de  Tautre  en  France.  Mais  les 
(umuli  comprennent  des  chambres  formées  de  grandes  pierres 
plates  dont  l'identité  avec  les  dolmens  ne  me  paraît  pas  abso- 
ment  démontrée  et  dans  lesquelles  je  vois  seulement  des  tombes 
géantes  modifiées  par  suite  de  la  nature  des  matériaux,  les 
blocs  erratiques,  que  l'homme  avait  sous  la  main,  car  les 
dolmens  encore  debout  sont  excessivement  rares  dans  TAlle- 
magne  du  nord.  Si  Ton  fait  abstraction  de  ces  édific(*s,  que 
Riitimeyer  invoque  pour  démontrer  que  les  monuments  méga- 
lithiques n'appartiennent  pas  à  un  peuple  déterminé,  mois 
représentent  une  époque  de  ci\nlisatîon  de  plusieurs  races,  un 
verra  que  la  plupart  des  dolmens  se  trouvent,  d'après  la  carte  de 
Fergusson,  à  Touest  d'une  h'gne  fictive  tirée  de  Marseille  à 
Bruxelles,  qui  se  recourbe  toutefois  au  centre  de  la  France.  Us 
se  tiennent  surtout  sur  le  littoral,  mais  ils  s'avancent  aussi  sur 
le  plateau  central  de  TAuvergne  et  même  jusque  dans  les  vallées 
des  Pyrénées.  On  trouve  des  dolmens  aussi  grands  et  aussi 
nombreux  qu'en  Bretagne  sur  les  plateaux  granitiques  arides 
de  l'Auvergne  où  d'ailleurs  le  rocher,  qui  se  brise  en  forme  de 
plaques,  facilite  la  construction  de  ces  tombeaux  de  pierre  et  où 
la  solidité  des  matériaux  leur  garantit  une  durée  insolite.  Tout 
cela  s'explique  très  bien,  si  on  accepte  avec  Fergusson  que 
les  habitants  primitifs  de  la  Gaule,  de  souche  ibérique  et  les 
descendants  directs  des  troglodytes  ont  été  refoulés  par  les 
Celtes  envahisseurs,  dans  ces  régions  peu  hospitalières  et  y 
ont  conservé,  pendant  des  siècles,  les  coutumes  de  leurs  ancêtres 
encore  reconnaissables  aujourd'hui  dansles  Auvergnats. On  trouve 

1)  Di€  Brvtufjne,  p.  86. 


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142  LES    DOLMENS    DE    GUYOTVILLE 

aussi  des  dolmens  dans  le  Portugal  et  le  nord  do  l'Espagne  ; 
enfin  on  en  rencontre  un  nombre  considérable  dans  le  nord  de 
l'Afrique.  Tout  cela  s'accorde  remarquablement  avec  Topinion 
de  von  Scala,  et  on  peut  y  joindre  les  dolmens  anglais  comme 
à  peu  près  exclusivement  placés  dans  la  région  des  Silures  ibé- 
riques; mais  que  penser  des  innombrables  monuments  de  pierre 
de  TArabie  et  de  la  Palestine,  de  l'Asie  centrale  jusqu'en  Chine, 
enfin  de  la  partie  occidentale  des  Indes  où  les  côtes  de  Malabar, 
les  monts  Nilgherris  et  même  tout  le  plateau  du  Dekkan  sonl 
couverts  de  tombeaux?  Cela  dépasse  de  beaucoup  la  limite 
que  les  meilleurs  amis  des  Ibères  leur  attribuent.  II  faudrait 
aller  plus  loin  et  reconnaître  comme  constructeurs  des  méga- 
lithes toute  la  postérité  de  Ham>  toute  la  population  préa- 
rienne et  non  sémitique  du  sud,  ainsi  que  les  Kouschites  de 
TAfiique  et  de  l'Asie  et  les  fils  de  la  brune  Kudra  dans  Flnde. 

Franchement,  que  savons-nous  des  Ibères?  Le  paléœthnolo- 
giste  exact  frémit  quand  il  est  question  des  Celtes,  comment  se 
soucierait-il  des  Ibères  ?  Il  n*a  pour  celui  qui  s'en  occupe,  qu'un 
haussement  d'épaule,  qui  n'est  pas  tout  à  fait  injuste  pour  les 
Espagnols,  les  Français  et  les  Basques  qui  se  sont  occupés  seuls 
depuis  W.  von  Humboldt  de  cette  question.  Hehn*  a  malheureuse- 
ment encore  raison  aujourd'hui,  quand  il  dit  qu'il  leur  a  manqué 
un  Kaspar  Zeuss,  pour  dissiper  par  les  moyens  et  les  méthodes 
de  la  science  moderne  l'obscurité  qui  les  couvre.  Ce  n'est  pas 
ici  le  lieu  de  traiter  complètement  cette  question. 

On  trouve  des  dolmens  dans  le  nord  de  l'Afrique  partout 
où  existent  des  carrières  convenables,  où  le  calcaire  se  brise 
en  dalles  suffisamment  grandes  et  solides  et  d'une  épaisseur 
modérée.  On  est  sur  de  trouver  des  tombes  de  pierre,  par- 
tout où  ce  calcaire  existe.  Apparemment  on  a  trouvé  plus  com- 
mode de  porter  les  morts  vers  les  pierres,  que  celles-ci  vers 
les  morts.  Aussi  ne  trouve-t-on  que  peu  de  tombeaux  dans  les 
contrées  cultivées  ;  le  calcaire  n'est  pas  propre  à  la  culture,  et  la 
plupart  des  dolmens  sont  situés  sur  le  rocher  nu.  Ceux  du 

i)  KuUurpflànzen^  p.  540  (3te  Aufl.). 


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LES    DOLMENS    DE    GUYOTVILLE  143 

plateau  des  Béni  Messous  à  Guyolville  font  exception.  Ici  on  a 
dû  briser  les  plaques  calcaires  h  une  certaine  profondeur,  mais 
le  plateau  est  à  peu  près  le  seul  endroit  de  tout  le  Sahel  et  même 
de  la  Metidscha,  et  de  son  cirque  de  nïoutagnes,  où  Ton  trouve  une 
pierre  convenable.  Dans  la  province  de  Constantine,  les  mon- 
tagnes calcaires  avec  les  clivages  ou  les  fentes  en  plaques,  et 
par  conséquent  les  tombeaux  de  pierre,  sont  bien  plus  fréquents. 
A  Guyotville  on  ne  trouve  que  des  tombeaux  de  la  forme  la  plus 
simple.  Mais  ailleurs,  en  Algérie,  nous  rencontrons  aussi  des 
édifices  de  pierre  plus  compliqués.  A  Tiaret  où  Ton  voit 
même  des  figures  gravées  dans  la  pierre,  les  seules  qu'on  ait 
découvertes  jusqu'à  présent  en  Algérie,  on  rencontre  un  dolmen 
dont  la  dalle  de  toiture  a  19°, 5  de  long,  8™, 8  de  large  et  dont  les 
pierres  latérales  ont  2°, 85  de  haut,  monument  dont  les  dimen- 
sions ne  sont  dépassées  que  par  le  fameux  dolmen  géant  de 
Antequara,  entre  Malaga  et  Grenade,  la  Cueva  de  Mengal,  qui  a 
27  m.  de  long,  7  m.  de  large,  et  qui  est  d'une  hauteur  intérieure  de 
5  m.,  mais  il  faut  dire  que  la  toiture  n'est  pas  d'une  seule  pièce  et 
qu'il  y  a  un  pilier  central.  L'Algérie  possède  aussi  quelques 
formes  particulières  de  monuments  mégalithiques  que  Ton  ne 
trouve  pas  ailleurs.  C'est  ainsi  qu'on  rencontre  des  cercles  con- 
centriques de  pierres,  disposés  en  gradins  ;  à  l'intérieur  du 
cercle  qui  a  environ  30  pieds  de  diamètre,  se  trouve  un 
rectangle  entouré  sur  trois  côtés  par  des  pierres  dressées,  et 
dont  le  sol  intérieur  est  pavé  de  petits  cailloux.  Flower,  qui  le 
premier  a  décrit  exactement  ces  monuments  au  congrès  préhis- 
torique de  Norwick,  les  nomme  bazinds.  Ils  sont  congénères  de 
ces  dolmens  élevés  sur  une  substruction  de  degrés  en  forme 
d'escalier.  On  trouve  également  avec  les  bazinas^  mais  le  plus 
souvent  au  bord  des  précipices  les  chouchaSj  murs  circulaires  en 
pierres  brutes,  de  5  à  10  pieds  de  diamètre,  fermés  par  une  mince 
pierre  qui  sert  de  toiture  ;  l'intérieur  est  pavé  de  cailloux  et  on 
y  accède  par  un  orifice.  J'ignore  quels  rapports  ces  monuments 
ont  avec  les  sebkas  mentionnées  par  Desor  *,  qui  seraient  consti- 

1)  Sahara  et  Allas,  p.  57. 


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144  LES    DOLMENS    DE   GUYOTVILLE 

luées  par  des  tours  en  pierres  jointes  avec  un  caveau  à  Tinté- 
rieur,  ce  nom  me  parait  reposer  sur  une  confusion. 

Mais  en  outre  on  trouve  particulièrement  en  Algérie  les  djedar^ 
pyramides  quadrangulaires  de  grandes  dimensions  (jusqu'à  50 
mètres  de  côté)  pourvues  d'un  système  intérieur  assez  compliqué 
de  couloirs  et  de  chambres,  et  dont  les  portes  sont  formées  de 
pierres,  glissant  à  travers  des  coulisses.  On  les  rencontre  en 
divers  points  de  la  frontière,  entre  le  Tell  et  les  hauts-plateaux 
et  on  les  regarde  comme  les  tombeaux  des  chefs  indigènes  qui 
avaient  conservé  les  coutumes  de  leurs  prédécesseurs.  Ces  mo- 
numents ont  servi  certainement  jusqu'à  l'époque  romaine  et 
même  dans  l'ère  nouvelle,  car  plusieurs  d'entre  eux  ont  été  cons- 
truits avec  les  ruines  de  constructions  romaines  et  montrent  des 
ornements  qui  ont  été  employés  pour  les  temples  de  Ravenne. 
Les  deux  célèbres  tombes  royales  du  Medrassen  et  le  tombeau  de 
la  Chrétienne,  ne  sont  autres  que  des  Djedar  de  forme  ronde, 
d'une  grandeur  considérable  et  construits  avec  un  luxe  parti- 
culier. Rutimeyer  va  même  plus  loin  et  se  demande  au  sujet  de 
rÉgypte  où  les  vraisdolmens  manquent,'si  les  cavités  sépulcrales, 
et  même  les  pyramides,  ne  sont  pas  autre  chose  que  des  tombeaux 
de  pierre,  de  forme  géante.  Je  pourrais  retourner  laquestion,  en 
partie,  et  dire  :  Les  tombeaux  de  pierre  sont-ils  autre  chose  que 
des  imitations  des  cavités  et  des  grottes  dans  lesquelles  on  avait 
anciennement  coutume  d'ensevelir  les  morts? 

Les  tombeaux  de  pierre  ont  d'ailleurs  pour  les  conchyliologistes 
un  intérêt  particulier,  car  on  y  trouve  un  riche  assortiment  de 
toutes  les  espèces  qui  se  trouvent  dans  les  environs.  Elles  y  cher- 
chent un  abri  contre  l'ardeur  du  soleil,  et  les  coquilles  protégées 
contre  la  destruction  se  conservent  remarquablement  longtemps. 
On  trouve  surtout,  en  quantité,  de  petites  espèces  brillantes  du 
^QnreFerussacia,  et  quelques  observateurs  sont  disposés  à  croire 
que  pour  une  raison  quelconque  elles  étaient  spécialement  desti- 
nées aux  sépultures.  Mais  il  est  probable  que  ces  petits  mollus- 
ques carnivores  ont  été  attirés  par  les  produits  de  décomposition 
dont  ils  se  sont  nourris,  comme  on  l'a  observé  directement  chez 
leurs  congénères  d'Europe,  comme  la  Cionella  acicula.  Aussi  ne  les 


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LES   DOLMENS   DE  GUYOTVILLE  145 

trouve-t-on  dans  les  tombeaux,  que  là  où  les  espèces  de  ce  genre 
sont  communes*;  à  Guyotville  où  elles  sont  rares,  je  n'ai  trouvé 
dans  les  dolmens  que  des  espèces  répandues  partout  [Hélix  as- 
persa^  H.  aperta  et  Stenogyra  decollata).  Je  mentionne  cela  à  des- 
sein, car  Tchihatcheff,  qui  a  visité  ces  dolmens  en  1878,  a  fait 
remarquer  qu'on  n'y  a  jamais  trouvé  des  mollusques  terrestres, 
mais  seulement  une  espèce  marine  {Pectunculus  sp.).  Il  est  pro- 
bable que  cette  opinion  repose  sur  une  méprise;  le  docteur 
Bourjot,  avec  lequel  Tchihatcheff  a  visité  les  dolmens,  lui  a  dit 
probablement  qu'on  ne  trouve  pas  ici  les  Ferussacia  qui  se  ren- 
contrent en  quantité  dans  les  autres  dolmens. 

Nous  restâmes  tant  que  nous  pûmes,  chez  notre  hospitalier 
compatriote  ;  puis  au  retour,  à  trois  bonnes  heures  et  demie  d'Al- 
ger, nous  fîmes  un  bout  de  chemin,  en  compagnie  de  M.  Kûster 
et  de  son  fils.  Sur  le  versant  du  Sahel,  nous  prîmes  un  chemin  de 
traverse  qui  devait  nous  conduire  à  travers  f  exploitation  fores- 
tière à  une  grande  route  au  bord  de  la  mer.  L'établissement  sert 
à  la  fois  de  jardin  d'essai  et  de  jardin  de  botanique  pour  Alger  et 
je  regrettai  infiniment  de  n'avoir  pas  le  temps  d'examiner  de 
plus  près  les  essences  variées  qu'on  y  cultive,  La  nuit  appro- 
chait lorsque  nous  atteignîmes  le  petit  chalet  dans  lequel  on  peut 
au  besoin  se  raffraîchir,  nous  dûmes  presser  le  pas,  et  cependant 
il  était  déjà  complètement  nuit  lorsque  nous  atteignîmes  Saint- 
Eugène  où  un  omnibus  nous  facilita  le  restant  de  la  route.  Mal- 
heureusement nous  n'avions  pas  le  temps  de  renouveler  notre 
visite,  l'heure  du  départ  arrivait  et  il  nous  fallut  dire  adieu  à  la 
beJle  ville  d'Alger. 

Je  le  regrette  d'autant  plus,  que  je  ne  trouve  nulle  part  des 
renseignements  exacts  sur  cette  pépinière,  et  Tchihatcheff 
lui-même  ne  semble  pas  l'avoir  visitée.  Sa  prospérité  sur  un 
sol  aride,  montre  combien  il  serait  facile  de  reboiser  tout  le 
Sahel.  n  existe  à  Alger  même  une  Ligue  de  reboisement  sur 
les  succès  de  laquelle  je  n'ai  aucune  expérience,  car  je  n'eus 
pas  de  réponse  de  son  Président  auquel  j'avais  demandé  des 
éclaircissements  ;  en  tous  cas  elle  peut  trouver  assez  de  travail 
aux  portes  même  d'Alger,  si  elle  veut  seulement  sortir  de  son  acti- 
VI  10 


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146  XES  DOLMENS  DE  GUYOTVILLE 

vite  simplement  théorique.  L'Étal,  d'ailleurs,  encourage  les  plan- 
tations boisées  et  les  soutient  par  des  primes,  mais  les  sommes 
employées  sont  trop  faibles,  car,  d'après  le  rapport  officiel  de  1883, 
elles  n'atteignaient  alors  que  19.600  francs.  Le  gouverneur  Tir- 
man,  à  qui  ses  adversaires  les  plus  ardents  ne  peuvent  contester 
son  ardeur  à  relever  l'Algérie,  consacre  à  cet  objet  une  attention 
toute  particulière,  et  il  a  invité  par  une  circulaire  les  administra- 
teurs des  communes  mixtes  à  faire  des  tentatives  d'ensemence- 
ment sur  les  sommets  en  friche.  U  remarque  avec  raison  que  pour 
un  prix  modeste,  la  prospérité  d'un  petit  nombre  d'arbres  est  déjà 
très  rémunératrice  et  qu'en  renouvelant  les  essais  on  finirait  par 
avoir  une  année  des  plus  favorables.  En  outre  chaque  commune 
doit  recevoir  à  son  choix  et  gratuitement  le  terrain  destiné  à  la 
pépinière.  L'État  lui-même  limite  ses  attributions  à  l'entretien 
et  à  l'amélioration  des  forêts  existantes,  et  c'est  malheureuse- 
ment déjà  plus  que  ne  peut  faire  son  petit  personnel  forestier.  Ce 
personnel  se  compose  d'un  conservateur  pour  chaque  province, 
de  quinze  inspecteurs  qui  ont  chacun  à  surveiller  cent  vingt  mille 
hectares,etde  vingt-cinq  inspecteurs-adjoints.  Le  personnel  secon- 
daire s'élève  à  environ  six  cents  hommes  dont  les  trois  quarts 
sont  Français  ;  il  n'est  pas  également  distribué  sur  tout  le  territoire 
mais  concentré  là  où  il  doit  surtout  exercer  son  rôle  protecteur 
comme  dans  les  forêts  de  cèdres  de  Teniet  el  Haad,  de  Blidah  et 
dans  les  environs  de  Batna,  enfin  dans  les  forêts  de  chènes-liège 
à  Edough  et  à  La  Galle.  Les  bois  de  petits  arbres  étendus  sur  de 
vastes  espaces  sont  confiés  à  quelques  gardes  forestiers  arabes 
qui,  naturellement,  n'ouvrent  pas  toujours  l'œil  sur  leurs  corréli- 
gionnaires.  Lorsque  la  chose  est  possible,  on  cherche  à  créer  et 
à  entretenir  des  haies,  afin  de  pouvoir  combattre  plus  facilement 
les  incendies  dévastateurs.  On  s'est  même  occupé  dans  quelques 
districts  de  fossés  et  de  tranchées  de  protection.  En  outre,  les 
tribus  confinant  aux  domaines  forestiers  sont  astreintes,  à  raison 
des  bénéfices  qu'elles  en  retirent,  et  pour  acquitter  leur  droit  de 
pacage,  à  entretenir  des  surveillants  (Hassas)  en  certains  points 
élevés,  pendant  les  mois  d'été,  afin  que  ceux-ci  puissent  signaler 
rincendic  à  son  début. 


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LES   DOLMENS   D£   GUYOT VILLE  147 

Des  incendies  aussi  terribles  par  leurs  dégâts  que  ceux  qui  ont 
été  allumés  à  dessein,  en  1881,  seront  ainsi  prévenus  à Tavenir,  il 
faut  du  moins  Tespérer.  La  loi  qui  rend  responsables  les  habitants 
des  dégâts  d'un  incendie,  a  beaucoup  contribué  à  Famélioration 
des  choses,  et  pour  1883  la  totalité  des  dommages  de  cette  espèce 
ne  s'est  guère  élevée  qu'à  une  centaine  de  mille  francs.  Les  nou- 
velles plantations,  faites  surtout  avec  le  pin  maritime,  n'existent 
jusqu'à  présent  que  sur  le  Murdjadjo  à  Oran,  dans  le  Sahel,  à 
Orléansville,  autour  de  Bougie,  et  sur  le  Sidi  Mecid  à  Conslantine  ; 
la  somme  inscrite  au  budget  s'élevait  à  30,000  francs  environ  en 
1863,  mais  elle  atteignait  140,000  francs  pour  1884.  Les  planta- 
lions  particulières  ne  sont  exécutées  que  sur  une  bien  faible 
échelle,  et  se  bornent  surtout  à  la  reproduction  d'eucalyptus  en 
des  endroits  appropriés.  Les  compagnies  de  chemin  de  fer  et  les 
propriétaires  des  grandes  concessions  y  sont  obligés  par  la  loi. 
Les  bois  de  petites  essences  suffisent  juste  aux  besoins  du  chauf- 
fage, mais  la  crainte  du  feu  a  retenu  les  capitalistes  là  même  où 
le  prix  du  bois  de  construction  était  suffisamment  élevé  pour 
engager  à  établir  des  forêts. 

On  doit  toujours  penser,  lorsqu'il  est  question  de  reboisement 
dans  les  pays  méditerranéens,  que  les  forêts  méridionales,  sur- 
tout celles  qui  reposent  sur  un  sol  calcaire,  n*ont  pas  supprimé 
la  question  du  réglage  de  Fécoulement  des  eaux,  comme  dans 
nos  montagnes.  Dans  celles-ci,  c'est  surtout  la  couche  d'humus 
avec  son  tapis  de  mousse,  qui  absorbe  l'eau  pluviale  comme  une 
éponge,  et  ne  la  rend  ensuite  qu'avec  lenteur.  Les  arbres  ne  con- 
tribuent à  ces  effets,  que  par  l'ombrage  dont  ils  couvrent  le  sol  et 
en  facilitant  la  formation  de  cette  couche  d'humus.  Dans  le  Midi, 
on  ne  trouve  des  mousses  et  des  broussailles  que  sur  quelques 
points  assez  élevés  et  exposés  aux  vents  humides  de  la  mer,  et 
il  est  rare  qu'il  se  forme  une  épaisse  couche  végétale.  Il  arrive 
bien  plus  souvent  que  dans  la  plupart  des  hautes  forêts,  les  arbres, 
chênes  ou  pins  maritimes,  tiennent  à  un  sol  rocheux,  dépouillé, 
et  que  l'eau  s'écoule  aussi  rapidement  que  sur  un.sol  non  boisé  ; 
les  basses  forêts  retiennent  bien  mieux  l'eau,  et  sous  ce  rapport 
elles  sont  peut-être  préférables  aux  bois  de  haute  futaie.  Dans 


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148  LES   DOLMKNS    DE    GUYOTVILLE 

tous  les  pays  médilerranéens,  ce  qui  serait  peut-être  plus  impor- 
tant que  des  reboisements  pénibles,  ce  serait  de  réunir  soigneu- 
sement les  torrents  pluviaux  par  des  barrages*  non  pas  seulement 
par  ceux  qui  sont  d'une  construction  importante,  et  dont  les  ca- 
tastrophes successives  de  Perrégaux  et  de  Sig  ont  montré  si 
nettement  le  danger,  mais  encore  par  ces  petits  travaux  dans 
lesquels  un  ravin  sans  valeur  pourrait  sans  grande  dépense  ser- 
vir de  réservoir. 

En  tous  cas,  les  fautes  commises  en  matière  forestière  en 
Algérie,  ne  doivent  pas  se  renouveler.  Un  décret  du  gouverneur 
général,  en  date  du  12  juin  1879,  a  autorisé  les  agents  forestiers 
à  aiTermer  aux  indigènes  les  clairières  des  forêts  domaniales  au 
prix  de  25  centimes  Thectare.  D'après  un  rapport  de  la  Revue 
géographique  internatiofiale  *  qui  s'occupe  ardemment  de  l'état  de 
l'Algérie,  on  trouve  la  constatation  officielle  de  40  de  ces  clai- 
rières en  1879,  qui  en  1880  s'élèvent  déjà  à  60,  pour  se  monter 
à  270  en  1881.  Naturellement  une  telle  dévastation  doit  avoir 
les  pires  conséquences. 

Avant  toutes  choses,  il  serait  nécessaire  de  surveiller  étroite- 
tement  les  particuliers  et  les  sociétés  auxquels  on  a  concédé 
l'exploitation  des  centres  forestiers  importants.  Les  chemins  de 
fer,  avec  leur  consommation  de  traverses,  sont  particulière- 
ment pernicieux  pour  les  hautes  forêts,  et  pour  réparer  les 
pertes,  on  emploie  presque  exclusivement  le  Quercus  Mirbecki. 

La  compagnie  de  Paris-Lyon-Méditerranée  exploite  pour  ses 
besoins  Tétendue  comprise  entre  Edough  et  Bône,  qui  lui  a  été 
concédée  presque  en  totalité.  Parce  que  le  bois  ne  coûte  rien,  on 
croit  inutile  d'injecter  les  traverses  qu'il  faut  changer  après  huit 
années  de  service  à  peine  ;  aussi  les  forêts  tenues  pour  inépui- 
sables ne  peuvent  plus  aujourd'hui  livrer  les  10,000  traverses 
nécessaires  chaque  année,  et  il  faut  aller  les  chercher  dans  les 
forêts  difficilement  accessibles  de  la  petite  Kabylie.  Telle  est  au 
mépris  des  lois  Texploitation  des  concessions  forestières;  même 
dans  les  forêts  de  chênes-liège,  on  ne  recule  pas  devant  les  bri- 

1)  1882,  p.  222. 


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LES  DOLMENS  DE  GCYOTVTLLE  1  i9 

gandages  de  toute  sorte,  sans  se  soucier  qu'on  tue  la  poule  pour 
avoir  les  œufs  d'or.  Malheureusement,  onnepeulatti^ndre  de  sitôt 
une  amélioration  de  l'état  de  choses,  en  face  des  fortes  positions 
qu'ont  acquises  les  sociétés  financières  et  du  gros  capital  dont 
celles-ci  paient  les  intérêts.  Il  faudrait  pour  cela  promulguer  une 
loi  spéciale,  car  Napoléon  III,  encore  en  1870,  a  cédé,  en  pro- 
priété libre  de  toute  charge  aux  concessionnaires,  les  forêts  qui 
devront  faire  retour  à  TÉtat  dans  quatre-vingt-dix  ans,  contre 
une  faible  somme  payable' en  vingt  années,  à  partir  de  1880  (60 
francs  l'hectare  dont  on  retranche  encore  un  tiers  et  la  surface 
totale  de  tous  les  endroits  incendiés). 


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DECADES  AMERICANtE 

Mémoires  d'archéologie  et  d'ethnographie  américaine 

Publiés  par  le  Docteur  E.-T.  HAMY 

Conserrateur  da  Masée  d'Ethnographie. 

{Suite,) 


XIII 

LES  STATUES  DE  TEHUACAN  DE  LAS  6RANADAS 

I.  —  Le  Musée  National  de  Mexico  possède  depuis  de  longues 
années  deux  statues  en  tuf  trachitique  [toba  traquitica)  *.  portant 
encore  des  traces  de  peinture  et  incrusté  de  thalchihuit  et  autres 
pierres  dures;  elles  ont  été  trouvées  ensemble  à  une  époque  indé- 
terminée dans  une  fouille  pratiquée  à  Tehuacan  de  las  Granadas. 

Cette  ville,  aujourd'hui  simple  chef-lieu  de  district  de  l'État 
de  Puebla,  à  une  douzaine  de  lieues  au  sud-ouest  d'Orizava, 
était  autrefois  fort  riche  en  monuments  indigènes.  «  Particuliè- 
rement adonnée,  suivant  les  expressions  de  Torquemada,  au 
culte  et  au  service  des  démons  *  »  la  ville  de  Tehuacan,  dont  le 
nom  signifie  le  Heu  où  Von  possède  des  Dieux,  contenait  un  vaste 


1)  Cf.  G.  Mendoza  y  J.  Sanchez,  Catdlogo  de  las  colecciones  histôrica  y 
(trqueolôgicadelMuseo  National  de  Mexico.  Mexico,  Escalante,  br.  in-18,p.  35, 

2)  «  Tehuacan...  pueblo...  particularraente  dedicado  a  la  cultura  y  servicio  de 
los  Demonios  en  su  antiguedad  conforme  a  la  Etiraologia  del  nombre,  crue 
parece  eignificar  lugar  de  los  Diosos  ;  y  asi  era  grande  el  numéro  de  los  Idoios 
que  en  aquel  Pueblo  hauia.  »  (J.  de  Torquemada,  Tercera  parte  de  los  veinte  i 
un  libros  ritualesi  Monarquia  Indianœ,  lib.  XX,  G.  xliu,  2» éd.,  Madrid,  1723, 
I.  IIÏ,  p.  480-481.) 


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LES  STATUES  DE  TEHUAÉAN  DE  LAS  GRANADAS        131 

panthéon  que  Fr.  Juan  de  San  Francisco  détruisit,  aussi  com- 
plètement que  possible,  peu  de  temps  après  la  conquête  *. 

Les  deux  statues  du  Musée  National  avaient  été  probablement 
enfouies  avant  cette  exécution  par  quelque  Indien,  resté  fidèle 
au  culte  des  ancêtres  ;  elles  sont  sorties  presque  intactes  de  la 
cachette  qui  les  avait  soustraites  au  xvi"  siècle  aux  fureurs  des 
émules  de  Zumarraga  '. 

Quand  on  se  trouve  en  présence  de  ces  deux  uniques  survivants 
du  panthéon  de  Tehuacan  ',  on  est  tout  aussitôt  frappé  des  carac- 
tères communs  qu'ils  présentent.  Ils  ont  exactement  la  même 
taille  (1",18),  presque  les  mêmes  contours  généraux,  la  roche 
est  identique  et  la  main-d'œuvre  diffère  si  peu,  de  Tune  des  deux 
œuvres  à  Tautre,  qu'on  se  sent  tout  porté  à  croire  qu'elles  sont 
sorties  autrefois  d'un  même  atelier. 

Ce  sont  deux  pendants,  ou  tout  au  moins  deux  termes  d'une 
série  disposée  symétriquement  jadis  dans  quelque  édifice  reli- 
gieux de  la  ville.  Nous  allons  voir  que  les  inscriptions  mysté- 
rieuses qu'elles  portent  à  la  nuque  et  qui  ont  échappé  jusqu'ici  à 
l'attention  des  archéologues  qui  les  ont  examinées  établissent 
entre  elles  une  solidarité  nouvelle. 

La  première  de  ces  statues,  le  numéro  4  du  catalogue  cité 
plus  haut,  a  surtout  provoqué  l'attention  des  archéologues  et  des 
ethnographes  \  Le  personnage  féminin  qu'elle  représente  est  bien 


1)  «  Como  el  celo  de!  Varon  de  Dios  era,  que  'solo  vn  Dios  verdadero  fuese  ado- 
rado,  y  desLruidos  todos  los  demas  que  fingidamenle  ysurpaban  este  Nombre  :  hiço 
recoger  el  stervo  de  Dios  de  estos  todos  los  que  pudo  con  intento,  de  que 
en  vn  Dia  senalado  se  biciese  vn  solemne  sacriOcio  a  la  Divina  Magestad, 
destraiendo  y  asolando  publicamente  esta  abominacion,  etc.  »  (Torquemada, 
libr.  XX.  c.  xLiii.  1. 111,  p.  481.  —  Cf.  Id.  libr.  XVII,  c.  xiv,  t.  III,  p.  173  et 
Vetancurt,  Menologio  franciscanOj  p.  79.)  Les  dominicains  s'étaient  établis  de 
très  bonne  beure  à  Tehuacan  (Torquemada,  libr.  XVII,  c.  vi,  t.  IIÏ,  p.  222; 
libr.  XIX,  c.  IX,  t.  III,  p.  324.  —  Cf.  Vetancurt,  Teatro  MexicanOy  4  p.,  t.  II, 
p.  66.  Mexico,  1698,  in-f«.) 

2)  Nous  en  ayons  au  Trocadéro  deux  excellents  moulages  exécutés  par  les 
soins  de  M.  Charnay  à  Mexico. 

3)  c<  No  subsisten  de  el,  dit  Dupaiz  en  parlant  de  Tebuacan,  sino  unas  grandes 
ruinas  de  lemplo  y  caserias  de  cal  y  canto,  situados  en  laderade  unos  cerritos.  » 
(Dupaix,  l'*  expédition,  p.  5.) 

4)  M.  Mehédin,  par  exemple,  dafts  une  note  datée  de  iSG^  {Divinité  mythique 
de  la  mort  à  laqueue  on  offrait  les  victimes  humaines  par  plusieurs  milliers  à 
la  fois  dans  les  rites  religieux  de  Vantiquité  mexicaine.  Nouvelle  description, 
par  Léoo  Mébédin,  Paris,  Laine  et  Havard,  in-fol.)  la  rapprochait  de  la  grande 


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152 


DECADES   A&fEBTCANiE 


feît  d'ailleurs  pour  attirer  le  regard.  Son  corps  de  vieille,  aux 
seir».flélri8  et  déprimés,  est  surmonté  d'une  tête  de  mort  ornée 


\ 


X 


V 


Pig.  20.  Chicoei-MiquizUi,  figure  symbolique  de  Tehuacan  de  las  Granadas, 
(d'après  un  moulage  conservé  au  Musée  d'Ethnographie.) 


de  turquoises  ;  ses  mains  aux  paumes  calleuses,  parce  qu'elles  ont 
beaucoup  travaillé,  se  projettent  comme  pour  saisir  le  malhcu- 

idole  de  Teoyaomiqui.  «  La  figure  n*»"  75-76  (c'est  celle.de  notre  statue  catalo- 
guée sous  ces  deux  numéros  dans  son  portefeuille  de  dessins)  vue  sur  ses  deux 
laces  n'est-elle  point  une  variante  très  intelligible  et  rendue  plus  humaine  de 
cette  terrible  déesse  de  la  mort,  Teoyaomiqui?  Ce  spectre  sur  des  épaules  de 
femme  et  la  position  des  mains  prêtes  à  se  jeter  sur  les  mortels  ne  sont-ils  pas 
expressifs  autant  que  notre  squelette  classique  armé  de  sa  faulx?...  »  La  statue 
dite  de  Teoyaomiqui  est  une  divinité  complexe  où  la  mort  intervient  bien , 
mais  pour  combiner  ses  symboles  avec  d'autres  symboles  du  panthéon  mexi- 
cain, tandis  que  notre  pièce  représente  exclusivement  Miquizlii. 


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LES   STATUES   DE  TEHUACAN    DE   LAS    GR  AN  AD  A  8  15â 

reax  passant  ;  de  hideux  serpents  à  sonnettes  s'entrelacent  pgnr 
tisser  sa  jupe  ;  enfin  ses  pieds  aux  larges  doigts  sont  armés 
d'énormes  griffes.  C'est  bien  Miquiztli,  la  mort,  toute  prête  à 
remplir  son  lugubre  office,  ainsi  que  MM.  Mendoza  et  Sanchez, 
Charnay,  Lucien  Biari  et  beaucoup  d'autres  l'ont  très  facilement 
reconnu'.  Mais  c'est  Miquiztli  sous  une  forme  redoublée  et 
particulièrement  terrible,  ainsi  que  le  démontre  Thiéroglyphe 
dont  le  sculpteur  a  caché  le  relief  derrière  la  tête  (fig.  21).  Cet 
hiéroglyphe  représente  en  effet  une  tête  de  mort  vue  de  profil, 
cnlourée  de  deux  séries  de  rayons  et  à  droite  de  laquelle   sont 


Fig.  21.  Hiéroglyphe  représenté  en  relief  sur  ToccI put  de  la  statae  de  Miquiztli. 

huit  petits   disques    numériques.    Cet  ensemble  doit    se   lire 
ChicueiÇtïuii)  Miquiztli  {mort)  ;  huit,  mort. 

Or  Chicuei  Miqiiiztli  est  dans   le  calendrier   astrologique 
mexicain,  le  huitième  jour  de  la  septième  treizaine  (ce-quiauttl) 


i)  Seul  de  tous  les  archéologues  <]ui  ont  étudié  cette  sculpture,  M.  Alfred 
Chavero,,Y  a  vu  autre  chose  que  Miquiztli.  Rapprochant  ce  morceau,  comme 
Tavait  fait  M.  Méhédin,  de  la  grande  et  célèbre  statue  souvent  désignée  sous  le 
nom  de  Teoyaomiqui,  et  dont  u  fait  une  représentation  de  Coatlkue.  (A.  Chavero, 
La  medra  del  Sol,  XVL  Anales  del  Mus,  Nac.  de  Meanco,  t.  II,  p.  293-298.) 
M.  Chavero  attribue  à  cette  dernière  divinité  la  figure  que  nous  étudions.  «  La 
mujer,  écrit-il  (p.  298),  tiene  per  cabeza  una  calavera  adomada  de  lurquesas  ; 
las  manos  estan  en  aclitud  de  hacer  presa,  y  las  tiene  encallecidas  de  tomar 
bombres  para  la  muerte  ;  la  adorna  una  enagua  de  culebras.  Es  tambien  Coatlicuei 
la  tierra  en  la  noche,  la  muerte.  »  Et  .dans  ses  notes  au  catalogue  de 
MM.  Mendoza  et  Sanchez,  il  dit  encore  (Ibid,,  t.  II,  p.  484)  :  a  No  solameote 
Miquiztli f  otras  deidades  tienen  per  çabeza  una  calavera,  como  son  Coatlicue 
i  Izpapalotl  :  asi  es  que  para  classiQcar  las  justamente^  es  preciso  atender  a 
sus  otros  attributos.  Aqui  es  Coatlicue  que  significa  enagua  de  culebras,  y  en 
efecto,  tal  enagua  se  ve  en  el  idolo.  Coatlicue  es  una  de  las  representaciones  de 
la  terra  en  cuyo  seno  se  depositan  los  cadaveres,;  y  por  eso  la  vemos  con  las 
manos  encallecidas  de  tomar  muerlos.  »  M.  Chavero  n*a  pas  vu  plus  que  ses 
prédécesseurs  les  hiéroglyphes  placés  sur  l'occiput  de  la  statue,  et  sur  l'étude 
desquels  repose  Tinterprétation  que  je  propose. 


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154  DECADES   AMERICAN£ 

et  c'est  le  seul  jour  dans  la  série  du  tonalamatl  où  le  signe 
Miquiztliy  nom  du  jour,  coïncide  avec  le  même  signe  Miqtnztli, 
employé  comme  symbole  du  cinquième  des  Seigneurs  de  la  nuit  \ 
C'est  un  jour  plus  particulièrement  placé  sous  la  puissance  de  la 
mort,  jour  terrible  entre  tous  et  dont  Tinfluence  était  regardée 
comme  particulièrement  néfaste.  Sahagun  nous  apprend  que 
«  ceux  qui  naissaient  ce  jour-là  étaient  mal  vus  et  détestés  de 
tout  le  monde.  »  Ils  avaient  d'ailleurs,  ajouta-t-îl,  selon  les 
Mexicains,  «  toutes  les  mauvaises  inclinations  et  les  pires  vices 
qui  existent  '.  » 

n.  —  A  cette  horrible  figure  de  la  mort  fait  pendant,  dans  la 
salle  d'entrée  du  musée  de  Mexico,  une  seconde  statue,  aussi 
trouvée  à  Tehuacan  de  las  Grenadas  et  dans  les  attributs  un  peu 
indécis  de  laquelle  on  est  tout  porté  à  chercher  exactement  le 
contraire  de  ce  que  la  première  vient  de  nous  montrer  si  claire- 
ment. A  la  déesse  de  ténèbres  et  de  mort  on  veut  opposer  un 
dieu  de  lumière  et  de  vie  ;  à  côté  de  celle  qui  détruit  on  place 
celui  qui  crée,  Xiuhtecuhtlitletl,  dont  M.Chavero  croit  retrouver 
les  ornements  symboliques  en  quelques  parties  de  la  sculpture'. 


1)  Od  nomme  tonalamatl  le  calendrier  archaïque  d'origine  manifestement 
lunaire  (les  Nahuas  rappelaient  aussi  Metztlapohuallif  compte  de  la  lune)  qui 
se  combinait  chez  les  Mexicains  avec  le  calendrier  vulgaire  divisé  en  vingt 
treizaines.  L'année  y  est  de  260  jours.  Les  ligures  des  20  jours  de  chacun  des 
mois  du  calendrier  vulgaire  s'y  suivent  dans  Tordre  habituel,  mais  la  numé- 
ration change  à  partir  de  13,  de  sorte  que  la  seconde  treizaine  ou  tridécatéride 
voit  coïncider  son  premier  jour  avec  le  quatorzième  de  la  série  vulgaire.  Il 
résulte  de  cette  comoinaison  que  dans  la  période  des  260  jours,  aucun  signe 
n*est  affecté  deux  fois  du  même  numéro  d'ordre  dans  les  treizaines,  et  que 
par  conséquent  la  combinaison  du  numéro  d'ordre  dans  la  treizaine  et  du  nom 
du  jour  suffit  à  caractériser  ces  260  jours  du  tonalamatl.  Mais  le  deux  cent 
soixante  et  unième  jour  de  Tannée  vulgaire  répéterait  exactement  le  premier 
si  une  nouvelle  combinaison  n'intervenait.  C'est  celle  des  «  nueve  Duenos, 
Sonores  o  Acompanados  de  la  noche.  »  des  neuf  gardiens,  seigneurs  ou 
accompagnateurs  de  la  nuit,  superposés  sur  le  tonalamatl  aux  signes  des  jours 
dans  chaque  treizaine,  et  dont  les  combinaisons  avec  ces  jours  et  ce?'  treizaines 
peuvent  s  élever  au  nombre  de  2340,  puisque  20  X  13  X  9  =  2340. 

Au  huitième  jour  de  la  septième  treizaine,  Miguiztli^  gardien  de  la  nuit,  est 
superposé  à  Mxquiztli^  signe  du  jour,  et  ce  qui  fait  huit  Miquiztli  Miquiztli. 

2)  Fr.  B.  de  Sahagun,  Histoire  des  choses  de  la  Nouvelle  Espagne,  liv.  IV, 
ch.  xm,  trad.  fr.  de  Jourdanet  et  Siméon.  Paris,  1880,  p.  258. 

3)  «  La  otia  estatua,  écrit  M.  Chavero,  dans  le  mémoire  cité  plus  haut  sur 
la  Piedra  del  Sol  (p.  298)  est  un  mancebo  hermoso,  con  ojos  vivos  formados 
de  morfil  ;  tiena  à  la  espalda  los  rayos  simboles  de  la  luz,  y  el  haz  de  cuatro 
hojas  que  forma  el  ciclo  o  xiuhmolpilli  ;  y  en  su  àyatl  se  ve  aùn  una  orla  de 


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LES  STATUES  DE  TEHUACAN  DE  LAS  GRANADAS 


483 


«  L'autre  statue,  écrit  le  savant  archéologue  dans  le  mémoire 
cit^plus  haut  sur  la  Piedra  del  Sol,  représente  un  beau  jeune 
homme  aux  yeux  vifs  faits  d'ivoire  (?),  il  a  sur  l'épaule  les  rayons 


Fig.  22.  NaohecaU,  statue  symbolioue  de  Tehuacan  de  las  Granadas 
(d'après  un  moulage  conservé  au  Musée  d'Ethnographie). 


symboles  de  la  lumière  et  le  faisceau  de  quatre  feuilles  qui 
forme  le  cycle  ou  xiiihmolpilli  ;  sur  son  mantelet  {ayatl)  se  voit 


eslrellas  en  el  azul  del  fîrmamento.  Algunos  quieren  que  este  dîos  sea  Huîtzî- 
lopochtH...  entonces  serian  la  madré  yel  hijo,  ajoute  l'auteur  en  rapprochant  les 
deux  figures,  puis  il  ajoute  :  Parecen  Xiuhtecuhtlitletl  y  Coatlicue,  el  dia  y  la 
noche,  el  creador  y  la  destruciora,  la  vida  y  la  muerte,  los  dos  dioses  que 
estan  à  los  extremos  de  la  humanidad  en  el  movimiento  eterno  de  los  mundos.  d 


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156  DECADES   AMEBTCÂNJE 

une  bordure  d'étoiles  dans  Fazur  du  firmament.  Quelques-uns 
croient  que  ce  pourrait  être  Huitzilopochtli,  ajoute  M.  Chav^ro, 
les  deux  divinités  seraient  alors  ]è  fils  et  la  mère.  «  Elles  me 
paraissent  être,  continue-t-il,  Xiuhtecuhtlitletl  et  Coatlicue,  le 
jour  et  la  nuit,  le  créateur  et  la  destructrice,  la  vie  et  la  mort, 
les  deux  divinités  qui  dominent  les  extrêmes  de  Thumanité  dans 
le  mouvement  éternel  des  mondes,  » 

La  lecture  de  Thiéroglyphe  occipital  qui  a  échappé  à  l'atten- 
tion de  M.  Chavero,  ne  confirme  point  sa  manière  de  voir.  Cet 
hiéroglyphe  représente  en  effet  une  tête  d'animal  fantastique 
(fig.  23)  au  grand  œil  ovale,  au  nez  relevé  en  une  sorte  de 
petite  trompe,  à  la  bouche  ouverte  d'où  Ton  voit  sortir  une 


Fig.  23.  Hiéroglyphe  représenté  en  relief  sur  l'occiput  de  la 
statue  de'  Nauhecatl. 


langue  bifide  et  pendante,  et  un  gros  crochet  latéral.  Cette 
tête,  entourée  de  rayons  (on  en  voit  neuf  dans  le  profil)  est  la 
tête  symbolique  de  Ehecatl,  la  personnification  du  vent.  Tune 
des  manifestations  les  plus  vénérées  du  dieu  Quetzalcoatl '. 

A  droite  du  signe  hiéroglyphique  sont  quatre  signes  numé- 
riques et  l'ensemble  se  lit  Naui  (quatre)  Ehecatl  (vent)  et  par 
contraction  Nauhecatl.  i  ■ 

Nauhecatl  (quatre  vents),  quatrième  jour  de  la  septième  trei- 
zaine,  était  encore  un  jour  fort  important  dans  le  tonalamatL  «  On 


1)  La  figure  de  Xiuhtecuhtlillell,  qui  re\ientsifréquemmentdansle  tonalamail 
comme  symbole  du  premier  «  de  los  senores  o  acompanados  de  la  noche  »  n*a 
rien  de  commun  avec  l'hiéroglyphe,  dont  le  lecteur  a  la  reproduction  sous  les 
yeux  (fig.  23)  et  la  description  de  son  image  dans  Sahagun  {trad,  cit.,  p.  28  et 
suiv.)  ne  suggère  aucun  rapprochement  avec  celle  de  la  deuxième  statue  de 
Tehuacan. 

2)  Ce  type  de  Ehecatl  paraît  dérivé  par  une  série  de  déformations  successives 
de  celui  du  singe  soufflant  qui  représente  si  souvent  le  Dieu. 


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LES  STATUES  DE  TEHUÂCÂN  DE  LÂS  GRÂNÂDAS        137 

tuait  ce  jour-là,  nous  dit  Sahagun,  les  malfaiteurs  qui  étaient  en 
prison ,  le  roi  avait  la  superstition  d'y  faire  sacrifier  quelques 
esclaves.  Les  marchands  et  les  négociants  affichaient  et  vantaient 
les  joyaux  qu'ils  mettaient  en  vente,  les  exposant  au  grand  jour 
pour  que  tout  le  monde  les  vît  et,  la  nuit  étant  venue,  ils  man- 
geaient et  se  livraient  à  la  boisson.  Ils  se  pavanaient  alors  sous 
les  fleurs,  continue  le  vieil  historiographe,  fumaient  leurs  tubes 
parfumés  et  s'asseyant  sur  leurs  sièges,  chacun  commençait  à  se 
vanter  des  gains  qu'il  avait  faits,  des  pays  lointains  où  il  était 
parvenu,  et  il  parlait  des  autres  avec  mépris,  disant  qu'ils 
valaient  peu  de  chose,  qu'ils  étaient  moins  riches  et  qu'ils 
n'avaiçnt  pas  été  en  pays  aussi  lointains.  Ils  faisaient  ainsi 
grand  bruit  les  uns  et  les  autres  jusqu  à  une  heure  avancée  de 
la  nuit'. 

Et  plus  loin,  revenant  sur  ce  jour  de  nauhecatl  qu'il  qualifie 
d'indifférent  soit  en  bien  soit  en  mal>  mais  dont  il  dit  pourtant 
que  chacun  se  méfiait,  et  qu'il  était  de  mauvais  augure  ;  il  nous 
raconte  que,  pendant  sa  durée,  Ton  tuait  la  nuit  ceux  qui 
s'étaient  rendus  coupables  d'adultère,  pour  les  jeter  à  l'eau 
aussitôt  le  jour  venu  ;  qu'on  mettait  dea  cardons  aux  fenêtres 
pour  faire  fuir  les  sorciers  ev  les  nécromanciens  qui  opéraient, 
ce  jour-lii^  leurs  enchantements  et  leurs  maléfices,  que  les 
acxoteca  (marchands  riches)  honoraient  le  signe  nauhecatl  par 
les  sacrifices  et  les  cérémonies  dont  il  a  déjà  parlé  et  qu'il  raconte 
de  nouveau  avec  prolixité  *,  etc.,  etc. 

1)  Id.,  trad,  cit.,  p.  80. 

2)  Les  marchands  riches  appelés  acxoteca  honoraient  le  siçne  de  ce  jour,  et 
c'est  pour  cela  qu'ils  mettaient  en  évidence  toutes  les  belles  choses  qu'ils 
avaient  dans  leurs  maisons,  comme  pierres  précieuses,  riches  joyaux,  plu- 
mages de  couleurs  variées,  peaux  d'animaux  travaillées,  marchandises  de 
cacao,  couvercles' en  écailles  pour  tecomates,  tous  les  bijoux  enfin  qu'ils  possé- 
daient. Us  plaçaient  ces  objets  en  ordre  sur  une  étoffe  riche  dans  la  cour  du 
ce^ulco;  ils  brûlaient  en  môme  temps  de  Tencenset  ils  offraient  du  sang  de 
carlles.  Ils  disaient  que  c'était  en  l'honneur  de  ce  signe  qu'ils  étalaient  ces 
belles  choses  comme  s*ils  les  avaient  exposées  au  soleil  pour  les  réchaufTer. 
Après  avoir  fait  leurs  dévotions,  tous  les  marchands  et  invités  commençaient  à 
prendre  part  au  banquet.  Chacun  recevait  des  fleurs  et  des  roseaux  à  fumer  ; 
bientôt  la  fumée  formait  autour  d'eux  comme  un  brouillard.  La  nuit  étant  venue, 
les  marchands,  les  vieillards  et  les  vieilles  femmes  s'enivraient.  Alors  chacun  se 
vantait  de  son  gain,  des  pays  qu'il  avait  parcourus,  etc.,  etc.  »  (Id.,  trad,  cit. 
p.  257.) 


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158  DECADES    AMERICAN JS 

Nauhecail,  dont  ces  extraits  de  Sahagun  mettent  déjà  bien  en 
lumière  le  rôle  particulièrement  important  dans  le  calendrier, 
ne  présidait  pas  seulement  le  quatrième  jour  de  la  septième  Irei- 
zaine  qui  lui  était  consacré.  11  tenait  la  treizaine  toute  entière 
sous  sa  domination,  et  c'e  st  sa  représentation  symbolique  que 
Ton  peignait  au  centre  de  la  page  correspondante  du  tonala- 
matl\  C'est  un  personnage  surchargé  d'ornements  bizarres  et 
compliqués  que  le  statuaire  a  nécessairement  supprimés  pour  la 
plupart  en  lui  laissant  seulement  un  mantelet  [ayatl)  simplifié, 
formé  de  découpures  qui  lui  pendent  dans  le  dos,  le  devantier 
ou  maxtli,  et  les  jambières  ornées  de  petites  coquilles  qui 
décorent  presque  constamment  le  dieu  Quetzalcoatl ',  dont 
Ehecatl  n'est  qu'une  des  manifestations.  Un  creux,  percé  au- 
dessous  des  cordons  du  mantelet,  recevait  le  joël  du  vent  fait 
de  la  coquille  sciée  d'un  grand  strombe  et  d'autres  petits  trous 
ménagés  au  pourtour  de  la  face  pouvaient  loger  les  supports 
de  quelque  grande  tiare  mobile  surmontant  le  demi  masque 
qui  cache  en  partie  la  face  du  dieu  dans  le  TonalamalL 

Mobile  était  aussi  l'insigne  que  le  dieu  tenait  de  la  main 
droite  relevée  jusqu'à  la  hauteur  de  l'épaule. 

M.  Chavero,  revenant  sur  son  interprétation  première,  a  émis 
dans  un  nouveau  chapitre  de  son  étude  l'opinion  que  l'objet 
disparu  de  la  main  droite  de  notre  statue  devait  être  une  lance, 
et  cette  hypothèse  l'a  conduit  à  voir  dans  notre  personnage  le 
compagnon  militaire  de  Quetzalcoatl,  Totec  qui,  en  effet,  a 
souvent  la  lance  à  la  main  '. 


{)  Kingsborough,  t.  II,  Cod,  Va(tc.,41. 

2)  Cf.  Sahagun,  irad,  cit.y  p.  16. 

3)  M.  Chavero  a  changé  d'idées,  comme  je  Tai  dit  plus  haut,pendant  la  période 
de  temps  qui  a  séparé  la  publication  des  chapitres  xvi  et  zvur  du  mémoire 
sur  la  Pierre  du  Soleil,  Dans  ce  dernier  chapitre,  en  effet  (Anales  del  Museo 
Nacional,  t.  II,  p.  AZ7),  il  déclare  que  «  el  idolo  de  piedra  blanca,  companero 
de  la  Miquiztli  (il  appelait  celle-ci  Coatlicue,  dans  les  textes  cités  plus  haut),  que 
esta  en  el  Salon  de  arriba  en  el  Museo  tambien  es  Totec.  En  el  hueco  de  su 
mano  derecha  se  ve  claramente  que  debio  tener  la  lanza;  en  sus  paÂos  se 
observan  huellas  de  astros,  rojos  y  blancos  segun  costumbre,  sobre  cielo  azul  ; 
y  en  la  espalda  tiene  los  cuatro  fajas  de  los  tlmpilli^  6  sea  el  cielo  de  52  anos. 
y  de  el  penden  los  très  rayos  de  los  très  astros.  »  M  Chavero  a  reproduit  cette 
interprétation  presque  dans  les  mêmes  termes  dans  la  note  /,  annexée  au  cata- 
logue déjà  cité  de  MM.  G.  Mendoza  et  J.  Sanchez  {Anales  del  Museo  Nadonal, 


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LES   STATUES   DE   TEUUÂCAN    DE   LâS   GRANADAS  159 

Mais  si  l'artiste  avait  réellement  voulu  armer  d'une  lance  la 
droite  de  sa  statue,  comme  le  pense  M.  Chavero,  il  aurait  fait  ce 
que  savaient  si  bien  faire  les  sculpteurs  mexicains;  il  aurait 
complètement  évidé  la  paume  de  la  main  pour  y  glisser  la 
hampe  en  métal  ou  en  bois  qui  devait  porter  baut  la  pointe  et  le 
panache  de  Tarme  sacrée,  tandis  que  le  pouce  vient  s'appliquer 
àrplat  sur  la  main  légèrement  entr'ou verte,  et  qui  n'offre  plus 
qu'une  sorte  de  douille  incomplète  à  l'objet  plus  ou  moins 
raccourci  qu'elle  doit  soutenir.  Cet  objet  devait  être,  à  mon 
avis,  le  rayon  que  M.  Gumesindo  Mendoza  reconnaît  à  la  même 
place  dans  la  peinture  du  Codex  Yaticanus  ^  Dans  l'autre  main, 
en  partie  brisée,  mais  où  se  distinguent  encore  les  restes  d'une 
excavation  cylindrique,  pouvait  être  placé  le  sceptre  serpenti- 
forme  que  brandit  Quetzalcoatl-Eheoatl,  quand  il  commande  aux 
quatre  vents  du  ciel. 

La  seconde  statue  de  Tehuacan  représente  donc,  dans  mon 
sentiment,  Nauhecatl.  Or,  comme  rien  dans  les  qualités  ou  dans 
les  attributs  propres  à  cette  manifestation  spéciale  de  Quetzal- 
coati  ne  justifie  un  parallélisme  rigoureux  établi  entre  cette  idole 
et  celle  de  Chicuei-Miquiztli,  je  me  suis  demandé  si  l'on  ne 
pourrait  pas  expliquer  le  rapprochement  de  ces  deux  œuvres,  en 
y  cherchant  autre  chose  que  des  pend«mts  symétriquement 
opposés  l'un  à  l'autre.  Or  naui-ehecatl  et  chicuei'Tniquiztliy  dont 
les  hiéroglyphes  mystérieux  se  dissimulent  derrière  les  têtes  de 
nos  deux  personnages,  sont  deux  termes,  le  quatrième  et  le  hui- 
tième, d'une  tridécatéride^  qui  est  la  septième  du  Toimlamatl, 
appelée  ce-quiauitl  du  nom  de  son  signe  initial.  Onze  autres 
statues  de  même  grandeur  et  de  même  style  pouvaient  fort  bien 

t.  Il,  p.  484).  «  Segun  estudio  que  ûltimamenle  se  hecho  y  publicado  en  el 
segundo  tomo  de  ios  Anales  del  Museo,  este  idolo  représenta  à  Totec.  Le  falta 
Ja  Janza  que  empunaba  en  la  mano  derecha,  cuya  actitud  claramenle  se 
observa;  y  le  faltan  tambien  Ios  adornos  del  capillo  à  tocado,  en  el  cual  se  ven 
Ios  pequenos  agûjeros  que  Ios  sostenian.  Pero  pueden  observarse  aûn  clara- 
menle, en  su  vestido,  Ios  adornos  de  estrellas  sobre  cielo  azul,  y  à  la  espalda 
las  cuatro  fajas  de  Ios  tlalpilli^  que  formam  el  cielo  de  52  anos,  y  Ios  rayos  de 
Ios  très  astros,  sol,  luna  y  estrella  de  la  tarde. 

1)  G.  Mendoza,  Mitos  de  Ios  Nahuas^  IV.  {Anales  del  Mus.  Nac,  de  Mexico, 
t.  III,  p.  32,  lam.  3,  fig.  3,  4882.  Ce  rayon  est  plutôt  un  nœud  dans  la  figure 
correspondante  du  manuscrit  Letellier. 


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160  DECADES   ÂMERICAN£ 

avoir  orné  avec  les  deux  qui  nous  restent  un  téocalli  consacré 
à  Quetzalcoatl-Ehecatl,  adoré  spécialement  sous  sa  forme  de 
Nauhecatl,  ou  maître  des  quatre  vents  du  ciel. 

Des  fouilles  nouvelles  pratiquées  à  Tehuacan  feront  peut-être 
découvrir  quelque  jour  d'autre  têtes  d^idoles  décapitées  par  les 
moines  du  xvi'  siècle. 

Si  Tun  ou  Tautre  de  ces  débris  porte  un  hiéroglyphe  de  la 
série  ce-quiauitl^  l'hypothèse  que  je  me  permets  d'émettre  en 
terminant  ce  court  mémoire  se  trouvera  complètement  justifiée. 


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REVUES    ET    ANALYSES 


LIVRES  ET  BROCHURES 


Ch.   Rau.   Prehistoric  Fishing    in    Europa  and  North   America. 

{Smilhson,  Contrib.^  n®  509.)  Washington.  Smithsonian  Institution,  1884,  in-i. 

L'histoire  si  curieuse  des  premières  industries  relatives  à  la  pêche  ou  à  la 
chasse  des  animaux  marins  a  séduit  bien  des  archéologues  et  bien  des  voya- 
geurs, et  le  nombre  des  publications  qui  se  rapportent  à  ce  chapitre  particuliè- 
rement intéressant  de  l'ethnographie  générale  est  déjà  fort  considérable.  Le 
savant  conservateur  des  collections  préhistoriques  de  Tlnslitulion  Smithso- 
nienne,  M.  Charles  Rau,  à  la  prière  de  la  commission  des  pèches  des  Htals- 
Unis,  vient  de  coordonner  Tensemble  des  documents  de  cette  nature  recueillis 
en  Europe  et  dans  TAmérique  du  Nord,  et  le  n©  509  des  Smithsonian  Contribu- 
tions ta  Knowledge  renferme  le  résultat  de  ses  recherches  sur  la  pêche  primitive 
dans  ces  doux  parties  du  monde.  C'est  tout  un  gros  volume,  imprimé  avec  le 
soin  qui  préside  à  la  confection  des  publications  de  Tlnstitution  Smithsonienne, 
et  illustré  de  405  gravures  sur  bois,  fort  bien  exécutées  pour  la  plupart. 

La  première  partie  de  l'ouvrage  est  consacrée  à  notre  vieille  Europe.  M.  Rau 
y  fait  connaître  les  rares  données  que  Ton  possède  ou  que  Ton  croit  posséder 
sur  Toutillage  de  pêche  des  premiers  habitants  de  l'Ancien-Monde.  On  sait  que 
MM.  Prestvvich,  Ch.  Lyeli  et  quelques  autres,  ont  supposé  que  les  silex  gros- 
sièrement travaillés  que  Ton  découvre  dans  les  vallées  de  la  Somme,  de  la  Seine, 
de  la  Tamise,  etc.,  pourraient  avoir  servi  aux  pêcheurs  primitifs  à  trancher  la 
glace  pour  ouvrir  des  trous  à  travers  lesquels  ils  jetaient  leurs  filets,  à  la  façon 
des  Indiens  de  la  baie  d'Hudson,  autrefois  décrits  par  Hearne. 

Le  matériel  de  pêche  de  Tàge  du  renne  est  mieux  connu,  et  M.  Rau  emprunte 
aux  mémoires  de  Lartetet  Christy  et  de  MM.  Chaplain-Duparc,  Piette,Massénat, 
Sauvage,  etc.,  les  données  très  positives  et  très  intéressantes  qu'ils  renferment, 
et  grâce  auxquelles  nous  sommes  assez  complètement  renseignés  sur  les  engins 
de  ces  troglodytes,  si  voisins  de  ceux  des  habitants  des  régions  circumpolaires, 
et  sur  les  produits  de  leurs  pèches  ou  de  leurs  chasses  maritimes. 

Vers  la  fin  de  cet  âge  du  renne,  les  populations  de  l'Europe  occidentale  sont 
en  possession  de  harpons  en  bois  de  ruminants  finement  barbelés  qui  ont  leurs 
analogues  dans  le  matériel  des  Groënlandais  modernes,  de  flèches  à  poissons 

V  il 


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162  LIVRES  ET   BROCHURES 

dont  rarmature  est  toute  semblable  à  celle  des  armes  de  même  nature,  usitées  il 
y  a  quelques  années  encore  dans  les  tles  de  Californie^  de  hameçons  composés 
d'un  crochet  de  silex,  sans  barbule,  appliqués  sans  doute  sur  une  plaque  de 
bois,  d  os  ou  de  coquille,  et  tout  à  fait  identiques  aux  hameçons  bien  connus 
qu'emploient  encore  certains  Eskimos  du  nord  du  Labrador. 

Pendant  la  période  néolithique j  les  industries  de  la  ri/ière  et  de  la  mer  ont 
pris  une  importance  plus  considérable  encore  ;  l'homme  est  initié  aux  premiers 
principes  de  la  navigation  et  possède  une  véritable  batellerie.  Quelques-unes  de 
ses  tribus  vivent  dans  des  huttes  b&ties  sur  pilotis  à  la  surface  des  lacs  ; 
munies  de  flotteurs  d'écorce  et  de  pesons  en  pierres  trouées,  elles  utilisent  des 
filets  de  divers  modèles,  et  possèdent  des  lignes  de  fond  armées  de  hameçons 
taillés  dans  le  bois  du  cerf  ou  dans  les  dents  de  Tours,  et  garnies  de  pierres  à 
rainures  toutes  semblables  à  celles  que  nous  trouvons  entre  les  mains  des 
Fuégieiis  actuels.  D'autres  pécheurs  néolithiques  se  confectionnent  des  hame- 
çons en  silex  finement  taillés,  des  fouènes  à  pointes  d'os  ou  des  javelines  à 
poissons  armées  de  petits  éclats  de  silex. 

Lorsque  les  métaux  leur  parviennent  par  le  commerce  avec  les  peuples  de 
rOrient,  nos  pécheurs  primitifs  s'empressent  d'en  tirer  des  hameçons  simples 
ou  doubles  armés  de  crochets  récurrents,  presque  aussi  parfaits  déjà  que  les 
hameçons  de  la  période  actuelle. 

Après  avoir  exposé  avec  méthode  tout  cet  ensemble  de  faits  qu'il  connaît  fort 
bien  et  dans  l'énumération  desquels  on  ne  peut  signaler  que  quelques  omissions 
peu  importantes,  M.  Ch.  Bau  passe  à  Tétude  des  observations  beaucoup  plus 
nombreuses  qu'il  a  recueillies  sur  les  pêcheries  primitives  du  Nouveau-Monde. 

Les  engins  des  pécheurs  nord-américains  qu'il  étudie  successivement  sont  le 
hameçon  dont  il  dessine  un  grand  nombre  de  formes,  depuis  le  quart  de  cercle 
en  silex  taillé  du  Groënlandais,  jusqu'à  la  plaque  de  coquille  évidée  et  presque 
circulaire  de  l'insulaire  de  l'archipel  Californien,  le  harpon  en  os  ou  en  bois 
d'élan  des  lies  Aléoutes,  des  rivières  et  des  grands  lacs  des  États-Unis,  la 
flèche,  k  pointe  d'os  et  celle  à  pointe  de  cuivre  de  l'Alaska,  du  Wisconsio,  etc., 
le  peson  de  ligne^  à  une  ou  deux  rainures  transversales  ou  à  gorge  plus  ou 
moins  évidée,  idL pierre  de  filet  trouée,  le  gi'and  couteau  à  découper,  en  ardoise, 
en  pierre  ou  môme  en  fer  de  la  côte  Nord-Ouest. 

M.  Rau  expose  ensuite  ce  que  Ton  sait  des  bateaux  de  pèche  et  de  leurs 
accessoires,  rames,  écopes,  pierres  d'ancre,  etc.  Un  chapitre  est  consacré  aux 
restes  d'habitations  qui  sont  en  rapport  plus  ou  moins  étroit  avec  les  anciennes 
pêcheries,  et  aux  kjœkkenmœddings,  ou  débris  de  cuisine,  abandonnés  par 
les  indigènes  le  long  des  côtes  des  États-Unis.  .M.  Rau  fait  enfin  connaître  les 
représentations  de  poissons  et  autres  animaux  aquatiques  dessinées  par  les 
naturels. 

Un  volumineux  appendice  reproduit  un  bon  nombre  de  textes  empruntés  à  des 
voyageurs  et  à  des  archéologues,  qui  ont  traité  de  la  pêche  chez  les  Indiens  du 
Nouveau-Monde.  On  peut  lire  enfin  quelques  notices  sur  les  engins  de  pêche 
anciennement  usités  au  sud  du  Mexique  et  sur  les  représentations  des  choses 
de  la  mer  qui  nous  ont  été  conservées.  Les  plus  remarquables  de  ces  dernières 
sont  une  pierre  en  forme  de  poisson,  rapportée  de  Costa-Rica,  des  figures  en 
or  trouvées  au  Chiriqui  et  qui  représentent  un  squale  et  un  silure,  des  vases  du 


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TRIBUS   ABORIGÈNES    DU    CENTRE    DE   CÉLÈBES  163 

Pérou  façonnés  en  poissons,  enfin  les  célèbres   poissons  d*argenl  des   îles 
Chincha  publiés  jadis  par  Squier. 

11  y  aurait  beaucoup  à  ajouter  à  ce  supplément  qui  est  fort  incomplet  et  ne 
donne  qu'une  idée  très  insuffisante  de  la  pèche  et  de  la  navigation  chez  les 
Américains  qui  vivaient  ou  vivent  encore  au  sud  des  États-Unis  ;  espérons  que 
M.  Ch.  Rau,  qui  a  si  complètement  étudié  la  pêche  primitive  dans  l'Amé- 
rique du  Nord,  en  comparant  les  faits  qu'il  recueillait  avec  ceux  que  lui  fournis- 
sait Tarchéologie  de  l'Europe,  voudra  compléter  ce  beau  travail  en  réunissant 
dans  un  nouveau  volume  les  documents  considérables  que  possède  aujourdliui 
la  science  sur  la  navigation  et  les  pêcheries  au  Mexique,  dans  l'Amérique  cen- 
trale» au  Pérou,  etc. 

]'].   IIamy. 


Meyners  d  Bstrey  (D.  G.).  Tribus  aborigènes  du  centre  de  Célèbes. 
Les  Topantonnasa.  {Rev,  de  Géogr.,  février-mars  1887.) 

M.  Riedel,  dont  les  lecteurs  de  la  Revue  d'Ethnographie  connaissent  fort 
bien  la  compétence  en  matière  d'ethnographie  indonésienne  S  &  récemment 
publié  dans  les  Actes  de  l'Institut  des  Indes-Néerlandaises  la  description 
ethnographique  de  certains  indigènes  du  canton  de  Célèbes,  description  que 
M.  Meyners  d'Estrey  a  résumé  dans  deux  courts  articles  de  la  Revue  de 
Géographie. 

Ces  indigènes^  désignés  comme  tant  d'autres  montagnards  de  l'archipel  Indien 
sous  le  nom  d^Alfours,  forment  un  grand  nombre  de  tribus,  dont  vingt  et  une, 
localisées  aux  environs  du  lac  Rano-Poso,  sont  particulièrement  étudiées  par 
M.  Riedel  dans  sa  monographie.  Elles  sont  connues  sous  le  nom  collectif  de 
Topantunuasu,  ou  mangeurs  de  viande  de  chien,  mais  possèdent  chacune  un 
nom  distinct  commençant  toujours  par  le  préfixe  (o.  Leurs  traditions  sont  toutes 
les  mêmes  ;  leurs  ancêtres,  descendus  du  rotang,  dont  la  cime  montait  jadis 
jusqu'au  ciel,  auraient  détruit  les  Touta,  premiers  hommes  sortis  de  la  terre, 
après  que  celle-ci  se  fut  élevée  au-dessus  de  la  mer.  Ces  Touta  ne  peuvent  être 
que  les  Négrilos,  dont  on  trouve  partout  le  souvenir  dans  les  îles  Indiennes,  et 
que  les  Malais  de  Malacca  appellent  encore  aujourd'hui  Orang-Toua,  les 
vieux  hommes. 

Les  Topantunuasu,  après  avoir  empoisonné  les  Touta,  se  répandirent  dans  la 
région  centrale  de  Célèbes,  où  s'est  creusé  depuis  le  lac  nommé  plus  haut, 
sous  l'influence  des  luttes  des  esprits  qui  firent  trembler  la  terre.  Douze  de 
leurs  tribus  se  développèrent  à  l'ouest  du  lac,  et  neuf  autres  en  peuplèrent  la 
rive  orientale  ;  elles  comptent  toutes  ensemble  cent  mille  individus  au  moins. 

M.  Riedel  est  bref  sur  les  caractères  anthropologiques  de  ces  sauvages,  qui 
semblent  rentrer  sans  difficulté  dans  notre  groupe  indonésien.  Il  décrit  un  peu 
plus  longuement  leurs  occupations  journalières  qui  n'ont  d'ailleurs  rien  de 
bien  typique,  et  nous  fait  visiter  des  villages  sur  pilotis,  qui  ne  semblent  point 


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d64  LIVRES     ET     BROCHURES 

se  différencier  d'un  manière  bien  notable  de  ceux  des  autres  montagnards  de 
l'Archipel.  L'auteur  insiste  plus  longuement  sur  les  institutions  sociales  qu'il 
paraît  avoir  étudiées  avec  prédilection.  On  trouvera  dans  son  travail  ou  dans 
le  résumé  que  M.  Meyners  d'Estrey  a  bien  voulu  nous  en  faire,  des  renseigne- 
ments précis  sur  la  hiérarchie,  la  propriété  foncière,  la  justice  des  Topantu- 
nuasu,  leurs  croyances  religieuses,  leur  culte  pour  les  esprits,  leurs  cérémonies 
diverses.  Les  rites  funéraires  sont  particulièrement  curieux  :  «  Après  la  mort, 
écrit  M.  Meyners  d'Eslrey,  le  corps  est  lavé  et  enveloppé  dans  un  ou  plusieurs 
sarongSf  selon  les  moyens  de  la  famille.  Les  gens  du  commun  sont  immédiate- 
ment enterrés  hors  de  la  négarie  (village)  ;  ceux  appartenant  à  la  classe  des 
kabusenjd  (haute  noblesse)  ou  à  celle  des  ingkai  (noblesse  du  second  ordre)  sont 
enfermés  dans  une  caisse  close  hermétiquement  avec  de  la  résine  et  conservés 
dans  la  maison  jusqu'à  l'arrivée  de  tous  les  membres  de  la  famille.  Le  cercueil 
est  ensuite  transporté  dans  la  forêt  pour  y  être  posé  sur  des  pierres  ou  bien 
sur  des  branches  de  grands  arbres.  Un  an  plus  lard,  après  la  récolte  du  riz,  on 
retourne  chercher  les  os  qui  sont  nettoyés,  enduits  d'huile  et  enveloppés  de 
nouveau  dans  des  sarongs  pour  être  enterrés  ou  conservés  dans  quelque 
caverne. 

«  Après  l'enterrement  on  recouvre  la  tombe  de  pierres  :  on  en  place  deux 
grosses  à  la  tête  et  aux  pieds  des  femmes  et  une  seule  à  la  tête  des  hommes. 
Avant  d'envelopper  les  ossements,  les  taduaja  (sorcières)  constatent  qu'ils  sont 
au  complet;  les  armes,  les  plats  et  autres  objets  appartenant  au  défunt  sont 
déposés  dans  la  caverne  ou  enterrés.  Pendant  le  nettoyage  et  la  purification 
des  os  on  organise  des  fêtes  (motcngke)  qui  durent  six  jours;  c'est  alors  que  le 
défunt  reçoit  un  autre  nom.  Pour  chaque  mort  on  fabrique  une  image,  pemia. 
En  guise  de  deuil,  les  femmes  portent  des  sarongs  blancs  ;  on  attache  aussi 
des  morceaux  d'étoffe  blanche  aux  arbres  et  aux  meubles...  Tout  le  temps  que 
le  corps  d'un  chef  décédé  reste  au  village,  en  attendant  qu'on  ait  pu  couper  les 
têtes  nécessaires  à  l'enterrement,  il  est  expressément  défendu  de  faire  du  bruit 
ou  de  se  livrer  à  aucune  espèce  de  travail...  »  On  comparera  avec  intérêt  ces 
extraits  aux  notes  qu'a  ressemblés  M.  J.-E.  de  La  Croix  dans  le  petit  travail 
sur  les  funérailles  maories  que  nous  publions  plus  loin. 

E.  H. 


Jus  (H.)  Les  oaBis  du  Souf  du  département  de  Gonfitantine  (Sahara 
Oriental).  {BuU  de  l'Acad.  d'Hippone,  no  22,  fasc.  I,  1887.) 

On  nomme  habituellement  Souf  une  petite  région  très  circonscrite  du  sud  du 
département  de  Constantine,  ayant  pour  chef-lieu  El-Oued  et  comprenant  huit 
villages  peuplés  d'environ  quinze  mille  habitants.  M.  Jus,  qui  connaît  admira- 
blement tout  ce  pays,  prend  ce  terme  dans  une  acception  plus  large  et  l'étend 
à  tout  le  désert  des  dunes,  communément  appelé  Areg,  entre  la  chaîne  des 
Chotts,  rOued-Rir  et  l'ighargarà  l'ouest,  Ghadamès  au  sud  et  les  montagnes  de 
la  Tripolitaine  à  l'est.  Les  habitants  de  ce  territoire  sont  tous  pour  lui  des 
Sou&fas,  dont  il  décrit  l'habitat  de  la  manière  suivante  :  «  La  disposition  on- 


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THE    MONUMENTAL   TORTOISE  MOUNDS   OF   DE-COO-DAH  i6S 

ginale  de  leurs  maisons  étonne,  en  ce  qu'elle  qu'elles  n'ont  rien  de  commun 
avec  celles  des  oasis  des  autres  régions;  ce  sont  des  espèces  de  cubes  recou- 
verts d'une  demi-sphère  surmontée  d'un  cône  tronqué.  Isolées,  elles  ressemblent 
à  une  ruche,  et  leur  réunion  forme  un  assemblage  bizarre,  dont  l'uniformité 
n  est  rompue  que  par  une  mosquée  qui  est  un  peu  plus  haute,  tout  en  conser- 
vant cette  forme  classique.  Les  matériaux  employés  pour  la  construction  de  ces 
maisons  sont  des  cristaux  de  gypse  collés  ensemble  avec  du  plâtre  fabriqué 
avec  quelques-uns  d'entre  eux,  construction  assez  légère  et  qui  offre  une  soli- 
dité relativement  médiocre.  »  Ce  sont  encore  des  cristaux  de  gypse  qui  servent 
à  faire  sur  la  crête  des  dunes  de  petits  murs  destinés  à  proléger  les  jardins 
contre  l'envahissement  des  sables.  Ces  jardins,  d'une  contenance  de  vingt  à 
soixante  palmiers,  sont  creusés  en  forme  de  cuvettes  au  milieu  des  dunes.  «  Ces 
cavités,  qui  portent  le  nom  de  ghitan,  ont  parfois  de  huit  à  dix  mètres  de  pro- 
fondeur... La  cavité  déblayée,  on  fait  un  petit  trou  pour  chaque  jeune  palmier, 
dont  les  racines,  en  grandissant,  plongent  facilement  dans  la  nappe  d'eau  qui 
se  trouve  ordinairement  entre  trois  et  cinq  mètres  du  sol...  Rien  n'est  plus 
curieux  que  de  voir  à  distance  l'aspect  de  ces  buttes  couronnées  d'un  panache 
vert  qui  n'est  autre  que  le  sommet  des  palmiers  s'élevant  au-dessus  de  l'exca- 
vation. » 

«  On  obtient  l'eau  dans  les  villes,  les  villages  et  les  jardins ,  dit  plus  loin 
M.  Jus,  au  moyen  de  puits  qui,  comme  les  maisons,  ont  une  construction  uni- 
forme :  ce  sont  des  trous  de  soixante  à  quatre-vingts  centimètres  de  diamètre, 
en  forme  de  silos,  creusés  jusqu'à  quarante  ou  soixante  centimètres  au-dessous 
f^e  la  nappe  d'eau  qui  est  renfermée  dans  des  sables  purs  ou  des  sables  gyp- 
seux,  selon  les  localités.  Ces  trous  ou  excavations  sont  enduits  d'une  couche 
de  plâtre  pour  maintenir  les  terrains  dans  lesquels  ils  sont  creusés,  et  sont 
protégés  contre  l'envahissement  des  sables  par  une  margelle  de  cinquante  à 
quatre-vingt-dix  centimètres  de  hauteur,  à  laquelle  est  joint  un  petit  réservoir 
pour  vider  la  kotarat  qui  sert  à  puiser  l'eau.  On  nomme  kotarat  une  espèce  de 
seau  fabriqué  avec  une  peau  de  bouc  ou  bien  avec  des  feuilles  d'alfa,  de 
drin,  de  palmier  tressées  et  goudronnées,  de  manière  à  ce  que  l'eau  ne 
puisse  s'échapper.  Le  mode  de  puisement  est  également  le  môme  dans  toute  la 
région  du  Souf  :  deux  poteaux  soutiennent  une  pièce  de  bois  chargée  d'un 
bloc  de  gypse  à  l'un  des  bouts,  faisant  un  peu  plus  qu'équilibre  à  un  kotorat 
plein  d'eau  que  l'on  accroche  à  l'autre  extrémité.  »  C'est  presque  exactement 
le  chadouf  des  bords  du  Nil.  Avecces  procédés  élémentaires  les  Souâfas  arrosent 
cent-cinquante-quatre  mille  dattiers  et  cinquante  mille  autres  arbres  ou  arbustes. 
Ces  dattiers  leurs  rapportent  plus  de  1,500,000  francs  par  an.  Ils  font  pour 
100,000  francs  de  tabac,  et  la  richesse  de  leur  pays,  d'aspect  pourtant  si 
mi&érable,  est  évaluée  aujourd'hui  à  6,763,000  francs. 

E.  H. 


T.  H.  Lewis.  The  «  monumental  Tortolse  »  moundsof  «  De-coo-dah.  » 

{Americ.  Joum.  of  Archœology,  Jan.  1886.) 

Il  a  paru  en  1853  à  New- York  un  livre  étrange,  intitulé  :  Tradilions  of  De- 
eoo-dah  and  Antiquarian  Researches,  écrit  ou  tout  au  moins  inspiré  par  un  cer- 


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166  LIVRES    ET    BROCHURES 

tain  William  Pidgeon,qui  avait  été  traitant  chez  les  Indiens  du  haut  Mississipi. 
L'ouvrage  contenait  notamment  un  grand  nombre  de  dessins  représentant, 
disait-on,  des  travaux  en  terre  découverts  dans  les  territoires  du  Nord-Ouest, 
dont  l'histoire  et  l'explication  étaient  empruntées  à  De-coo-dah  lui-même  «  le 
dernier  prophète  de  la  nation  des  Elans  ».  Les  dessins  étaient  si  nouveaux 
dans  leur  symétrie  et  leur  complication,  les  commentaires  si  inacceptables, 
qu'aucun  ouvrage  sérieux  ne  tint  compte  alors  des  élucubrations  de  William 
Pidgeon.  Mais  dans  ces  derniers  temps,  de  nouveaux  écrivains,  moins  difficiles 
que  Baldwin  et  Poster,  ont  accepté  les  prétendues  découvertes  du  traitant  amé- 
ricain et  vulgarisé  ses  dessins  et  parfois  aussi  ses  interprétations.  C'est  ainsi 
que  M.  Conant,  dans  ses  Foots  prints  of  Vanished  Races  de  1879,  Mrs  Ellen 
Russeîl  Emerson,  dans  ses  Mythes  Indiens,  empruntent  plus  ou  moins  à  l'auteur 
des  Traditions  of  De^coo^dah,  Les  Matériaux  pour  l* histoire  de  C homme 9  ont 
reproduit  une  partie  de  ses  figures  ,  d'après  le  livre  de  M.  Conant  *  et 
M.  deNadaillac*  les  a  données  de  nouveau  dans  son  Amérique  préhistorique. 
Or,  il  résulte  de  l'enquête  que  vient  de  faire  un  archéologue  consciencieux 
et  instruit  de  Saint-Paul,  Minnesota,  M.  T.-H.  Lewis,  qu'une  partie  au  moins 
des  levés  de  M.  Pidgeon  sont  absolument  fantaisistes.  M.  T.-H.  Lewis  a  notam- 
ment étudié  en  octobre  1884  avec  le  plus  grand  soin  le  groupe  de  tertres  défini 
sous  le  nom  de  «  Title  mound  of  the  Black  Tortoise  »  et  qui  se  composerait  sui- 
vant Pidgeon  du  relief  d'unetortue  qu'encadreraient  vingt-cinq  autres  élévations 
de  terre  symétriquement  disposées,  de  façon  à  former  toutes  ensemble  un 
vaste  parallélogramme  3.  M.  Lewis  a  bien  retrouvé  le  mound  central,  dont  la 
forme  s'écarte  d'ailleurs  assez  sensiblement  de  celle  que  Pidgeon  lui  avait 
attribuée,  mais  il  a  constaté  que  ce  contour  incorrect  était  tout  ce  qu'il  y  avait 
d'exact  dans  les  plans  du  Monumental  Tortoise  Mound.  Le  tumulus  central 
est  entouré  de  six  autres  tumulus  circulaires,  irrégulièrement  dispersés,  et  de 
dimensions  très  diverses.  L'un  de  ces  tumulus,  qui  occupe  le  sud  du  groupe, 
atteint  quatre-vingts  pieds  de  diamètre,  tandis  que  trois  sis  à  l'ouest,  à  l'est,  au 
sud  du  mound  testudiniforme  (?)  ne  dépassent  point  des  diamètres  de  20  à  22 
pieds.  Une  banquette,  longue  et  étroite,  s'élève  à  quelque  distance  dans  le 
sud-est.  C'est  de  cet  ensemble  que  Ton  a  composé  «  la  sépulture  de  la  Tortue 
Noire  »  avec  les  tertres  de  deuil  de  la  tribu,  ceux  qui  indiquent  que  la  u  Tortue 
Noire  était  le  dernier  de  sa  race  »  ceux  qui  mesurent  a  l'importance  de  cette 
race  et  de  la  dignité  qui  lui  appartenait,  etc.,  etc.  »  Or,  rien  de  tout  cela  n'existe 
et  n'a  jamais  existé.  Rien  n'est  exact  non  plus,  de  ce  que  Pidgeon  a  rapporté 
du  sud-ouest  du  Wisconsin  ou  du  nord-est  de  l'Iova.  Et  quant  à  De-coo-dah, 
le  dernier  prophète  des  Élans,  les  interprétations  qui  lui  seraient  empruntées 
et  que  M,  Conant  et  ses  imitateurs  ont  complaisamment  répandues,  n  ont  pas 
plus  de  valeur  historique  que  celles  que  Ton  voudrait  chercher  sur  les  tribus 
perdues  dans  le  livre  des  Mormons. 

E.  H. 


J)  Mat,  pour  l'homme,  i*  série,  t.  XII,  p.  507-512  cl  510,  18tl. 
?l  n'  **«, N'»<**»"aC'  ^'Amérique  préhistonquf.  Paris,  1883.  in-«,  p.  8»,  112,  elo 
4.  .     .  ®  »non»'npnt  figuré   p.  512  du  %olume    cité  des  Afaténanr    el    p.  126    d<»    VAnirrioue 
prentstonqtie^  *^  ' 


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REMARKS  ON  THE  EDITIONS  OF  DIEGO  DK  LANDa's  WRITîNOS        167 

Brinton  (D.-G.).  Crltical  Remarks  on  the  Editions  of  Diego  de 
Landais  Writings.  (American  Philosoph.  Society,.  Jan.  7,  1887.) 

Aucun  document  sur  la  civilisation  des  ancieni  Mayas  ne  dépasse  en  impor- 
tance l'ouvrage  composé  par  Diego  de  Landa,  le  second  évoque  de  Mérida,  qui 
résida  au  Yucatan  de  1549  à  1579.  On  sait  que  la  description,  qu'il  avait  tracée 
du  pays  et  de  ses  habitants,  a  été  découverte  à  Tétat  de  manuscrit  dans  la 
bibliothèque  de  TAcadémie  royale  de  Madrid,  par  Tabbé  Brasseur  de  Bour- 
hourg,  qui  se  hâta  d'en  faire  une  copie  et  de  la  publier,  avec  des  notes  et  une 
traduction  française,  en  1884.  u  Les  siogularités,  bien  connues,  de  Tabbé  Bras- 
seur, dit  M.  Brinton,  la  liberté  avec  laquelle  il  traite  ses  autorités,  la  licence 
qu'il  accorde  à  son  imagination,  ont  toujours  entouré  cet  ouvrage  d'une  atmos- 
phère d'incertitude,  »  qu'il  était  d'autant  plus  nécessaire  de  dissiper,  que  c'est 
dans  un  de  ses  chapitres  que  se  rencontrent  les  seuls  renseignements  connus 
sur  les  hiéroglyphes  mayas.  Aussi  a-t-on  vu  avec  plaisir  le  savant  espagnol, 
Don  Juan  de  Dios  de  la  Rada  y  Delgado,  entreprendre  la  publication  intégrale 
et  fidèle  du  texte  de  Landa.  Malheureusement  cette  édition  définitive,  placée 
comme  appendice  à  la  suite  de  la  traduction  espagnole  du  grand  ouvrage  de 
M.  Léon  de  Rosny  sur  les  écritures  hiératiques  de  l'Amérique  centrale,  n'a  été 
tirée  qu'à  deux  cents  exemplaires,  et  est  restée  très  rare. 

L'éditeur  n'a  presque  point  mis  en  lumière  les  améliorations  qu'il  a  apportées 
au  texte  de  Landa,  et  l'on  se  rendrait  difficilement  compte  de  la  valeur  relative 
des  deux  éditions  de  l'ouvrage,  si  M.  Brinton  n'avait  pas  pris  la  peine  de  les 
étudier  avec  le  soin  qu'il  sait  apporter  à  tous  ses  travaux,  et  de  résumer  nette- 
ment les  résultats  de  son  examen  dans  trois  paragraphes  consacrés  à  critiquer 
le  texte,  la  traduction  et  les  hiéroglyphes.  Le  premier  de  ces  paragraphes  nous 
apprend  qu'un  sixième  environ  de  l'ouvrage  a  été  omis  par  Brasseur,  que  la 
division  en  sections  de  son  édition  est  entièrement  de  sa  main,  qu'il  en  a  parfois 
altéré  le  texte  pour  donner,  après  coup,  un  sens  à  une  mauvaise  copie  ;  enfin, 
que  les  mots  indigènes  sont  assez  souvent  transcrits  avec  une  véritable  négli- 
gence. 

Le  second  paragraphe  de  la  notice  de  M.  Brinton  relève  une  série  de  pas- 
sages traduits  d'une  manière  défectueuse  ;  il  veut  bien  accorder  dans  le  troi- 
sième, à  Brasseur  de  Bourbourg,  une  certaine  fidélité  dans  la  reproduction  des 
hiéroglyphes.  Il  n'y  aurait  même  qu'une  erreur  un  peu  sérieuse  dans  la  trans- 
cription des  caractères  mayas. 

M.  Brinton  conclut  ses  remarques  en  remerciant  Don  Juan  de  la  Rada  y  Del- 
gado du  soin  avec  lequel  il  a  établi  son  texte  et  ses  figures  ;  nous  ne  pouvons 
que  nous  joindre  à  notre  savant  collègue  de  Philadelphie,  en  regrettant  toute- 
fois avec  lui  que  l'édition  espagnole  de  Landa  ait  été  établie  dans  des  conditions 
qui  la  rendent  difficilement  accessible  aux  américanistes. 

E.  H. 


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ACADÉMIES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES 


ACAKHIB    DES   INSCEIPTIOIVS   ET   BELLES-LETTRES 


Séance  du  ^6  juillet  1886,  —  M.  Maspero  rend  compte  à  TAcadémie  des  tra- 
vaux archéologiques  qui  ont  été  poursuivis  pendant  l'hiver  de  1885-1886  en 
Egypte  et  en  particulier  dans  les  ruines  de  Louqsor  et  autour  du  grand  sphynx 
de  Gizeh.  II  fait  connaître  ensuite  la  découverte  d*une  tombe  tbébaine  de  la 
20*  dynastie  à  Qournet-Mouraï,  et  donne  des  renseignements  détaillés  sur  le 
dépouillement  des  momies  royales  du  musée  de  Boutaq. 

La  tombe  de  Qournet-Mouraï  était  celle  de  Sennotmou  «  domestique  [des  i*ois 
défunts)  dans  llsU  Maît  (la  maison  vraie)  »,  sorte  de  conservateur  des  tombes 
royales,  qui  vivait  sous  les  premières  années  du  règne  de  Ramsès  IV.  On  y  a 
trouvé  avec  les  corps  de  ce  personnage  et  de  dix  membres  de  sa  famille,  un 
mobilier  funéraire  très  intéressant.  <»  Ce  mobilier  est  le  plus  curieux  du  monde, 
dit  M.  Maspero,  et  comme  c'est  le  premier  que  des  Européens  aient  trouvé 
encore  en  place  depuis  plus  d*un  demi-siècle,  je  me  suis  appliqué  à  en  dresser 
l'inventaire  aussi  complet  que  possible.  Les  pièces  les  plus  importantes  sont 
deux  traîneaux  superbes,  sur  lesquels  on  avait  mené  les  morts  à  Thypogée.  On 
connaissait  les  traîneaux  par  les  peintures,  qui  nous  les  montrent  tantôt  char- 
gés sur  les  épaules  des  parents,  des  amis  ou  des  esclaves,  tantôt  tirés  par  des 
attelages  d'hommes  ou  de  bœufs.  Le  rituel  exigeait,  en  effet,  que  le  corps  quit- 
tât cette  terre  sur  les  bras  de  ses  proches,  mais  comme  le  chemin  était  long  de 
la  maison  mortuaire  à  la  tombe  et  que  l'appareil  funèbre  pesait  lourd,  on  avait 
eu  recours  à  un  subterfuge,  qpii  sauvegardait  à  la  fois  les  intérêts  de  la  loi 
religieuse  et  les  forces  des  affligés.  Le  traîneau  était  porté  pendant  quelques 
minutes,  puis  posé  à  terre  et  mené  par  les  bœufs  ;  d'ordinaire  c'était  la  béte  ou 
les  bétes  du  sacrifice  qu'on  employait  à  cet  office.  11  était  descendu  dans  la 
tombe  et  y  restait  quand  la  famille  était  assez  riche  pour  en  payer  la  valeur. 
Les  Arabes  ont  l'habitude  de  le  briser  quand  ils  le  découvrent  ;  ils  en  vendent 
les  panneaux  peints  aux  voyageurs,  comme  débris  de  cercueils  et  se  servent  des 
parties  non  décorées  comme  de  bois  à  brûler.  C'est  là  ce  qui  explique  l'extrême 
rareté  de  ces  objets,  comme  de  beaucoup  d'autres  du  même  genre;  les  fouilleurs 
n'en  connaissant  ni  l'usage  ni  la  valeur,  ne  les  recueillent  pas  ou  les  détruisent. 
Les  deux  nôtres  sont  d'une  conservation  merveilleuse.  Le  plancher  est  établi 
sur  deux  poutres  épaisses,  recourbées  en  avant,  munies  en  dessous  de  deux 
anneaux  en  bois  rapporté,  où  passer  les  bâtons  destinés  à  enlever  Tappareil  et 
à  le  soutenir,  pendant  les  quelques  minutes  qu'il  demeurait  sur  les  épaules  de 


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ACADÉMIE   DES   INSCRIPTIONS   ET   BELLES-LETTRES  469 

la  famille  ou  des  amis.  Deux  trous,  pratiqués  dans  les  façons  courbes  de 
Tavant,  recevaient  les  cordes  de  traction.  Un  des  traîneaux  a  conservé  quel- 
ques fragments  de  la  corde.  Elle  était  en  fibres  de  palmiers  et  grosse  à  peine 
comme  le  petit  doigt.  Le  cercueil  placé,  on  l'entourait  dé  panneaux  mobiles, 
bauts  d'un  mètre  et  plus,  qu'on  maintenait  au  moyen  de  chevilles  insérées  dans 
des  trous  ménagés  d'avance,  puis  on  recouvrait  le  tout  d'un  couvercle  à  cor- 
niche, qui  donnait  à  Tensemble  Taspect  d'un  petit  temple  sans  porte  ni  ouver- 
ture d'aucune  sorte.  Les  deux  catafalques  appartenaient  à  Sennotmou  et  à  sa 
femme.  Un  des  cercueils,  celui  de  Khonsou,  était  placé  sur  un  lit,  le  troisième 
que  je  recueille  en  trois  ans.  C'est  un  cadre  en  bois,  long,  monté  sur  des  pieds 
très  bas,  et  peint  en  blanc  :  deux  serpents,  l'un  à  tôte  de  chacal,  sont  dessinés 
en  noir  sur  les  côtés.  Sennotmou  avait  pour  s'asseoir  un  beau  fauteuil,  deux 
tabourets  à  quatre  pieds  avec  fond  de  toile  peinte  imitant  la  tapisserie,  un 
pliant.  A  première  vue^  on  croirait  qu'il  était  fort  riche  de  son  vivant  ;  mais  à 
considérer  les  choses  de  plus  près,  on  s'aperçoit  que  ses  meubles  sont  en  bois 
commun  et  que  les  incrustations  d'ivoire,  de  pierres  et  de  métaux  précieux  dont 
ils  paraissent  être  couverts,  ne  sont  que  des  trompe-l'œil.  Son  luxe  est  avant 
tout  un  luxe  économique.  De  même  les  boîtes  à  figurines  et  les  coffrets  à 
bijoux  :  ce  ne  sont  que  des  contrefaçons  habilement  combinées  des  boîtes  et 
coffrets  de  prix,  dont  les  grands  propriétaires  se  servaient  pendant  la  vie  et 
après  la  mort.  Du  moins  les  figurines  sont-elles  du  meilleur  travail.  Elles  étaient 
au  nombre  de  cent,  en  bois,  en  terre  cuite,  en  calcaire,  les  unes  hautes  de 
10  centimètres  à  peine,  les  autres  de  30  ou  35  centimètres.  Une  douzaine  envi- 
ron étaient  couchées  dans  de  petits  cercueils  en  calcaire  blanc,  chargés  d'inscrip- 
tions. Je  confondis  d'abord  avec  elles  quatre  cercueils  de  môme  style,  mais 
longs  de  40  centimètres,  et  qui  étaient  enveloppés  d'une  toile  fine  cousue  et 
sans  légende.  Mais  quand  j'eus  déroulé  et  ouvert  l'un  d'eux,  je  m'aperçus 
qu'ils  contenaient  les  viscères  et  remplaçaient  les  canopes.  Ce  n'est  pas  la 
première  fois,  tant  s'en  faut,  qu'on  rencontre  le  cœur,  le  foie  et  les  autres  parties 
internes  du  corps  dans  des  réceptacles  où  on  ne  les  cachait  pas  d'ordinaire; 
dans  des  coffres  en  bois,  dans  des  statuettes  creuses  d'Osiris,  dans  des  vases  à 
liqueurs  ou  à  parfums  ;  c'est  la  première  fois,  si  je  ne  me  trompe,  qu'on  les 
trouve  dans  des  cercueils  d'oushbiti.  A  ces  objets  de  première  nécessité  on  avait 
joint  des  gargoulettes  en  terre  commune,  bariolées  au  pinceau  de  fieurs,  de 
feuillages  et  de  bandes  concentriques,  des  bouquets  de  fleurs  montés  sur  tiges 
de  palmiers,  comme  ceux  qu'on  voit  dans  les  tableaux  qui  représentent  le  con- 
voi des  gens  riches  ou  aisés,  des  paniers  en  paille  tressée,  pleins  de  pain  et  de 
fruits  secs.  Le  mort  avait  emporté  avec  lui  ses  instruments  de  travail,  sa  cou- 
dée, son  équerre,  un  niveau  de  maçon  triangulaire  avec  son  peson,  un  autre 
niveau  de  forme  plus  compliquée,  destiné  au  même  usage  auquel  nous 
employons  nos  niveaux  d'eau  à  bulle  d'air.  On  avait  poussé  l'attention  jusqu'à 
lui  fournir  un  rudiment  de  bibliothèque  :  car  un  grand  éclat  de  pierre,  long  d'un 
mètre  et  écrit  avec  soin,  gisait  en  deux  morceaux  à  côté  de  son  cercueil.  Ce 
n'est  pas  le  morceau  le  moins  précieux  de  la  trouvaille,  car  il  nous  a  rendu  les 
premières  lignes  des  Mémoires  de  l'aventurier  Sinouhit,  qui  manquaient  au 
papyrus  de  Berlin,  n°  2.  Sennotmou  aimait  probablement  à  lire  des  romans 
pendant  sa  vie,  et  on  a  vou'u  lui   procurer  après  sa  mort  cette   distraction 


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170  ACADÉMIES  ET   SOCIÉTÉS   SAVANTES 

comme  on  assurait  à  d'autres  le  plaisir  de  jouer  aux  dames  et  au  solitaire,  à  la 
balle  et  à  la  poupée,  quand  il  s'agissait  de  petits  enfants.  On  a  écrit  soigneuse- 
ment pour  lui  les  premières  lignes  du  conte  de  Sinouhit,  puis  on  a  cassé  la 
pierre  sur  laquelle  était  tracée  la  copie,  on  Ta  tuée  de  la  sorte  et  son  double  est 
allé  rejoindre  le  double  de  l'homme  quelle  devait  divertir.  Beaucoup  des 
ostraca  qui  nous  ont  conservé  des  fragments  de  contes  ou  de  morceaux  litté- 
raires passaient  pour  provenir  des  tombeaux  ;  mais  comme  celte  attribution  no 
reposait  que  sur  le  témoignage  toujours  suspect  des  Arabes,  on  l'avait  révo- 
quée en  doute  et  écartée  presque  complètement.  Le  fait  est  aujourd'hui  assuré, 
et  l'explication  que  j'en  propose  est  la  plus  plausible  :  on  donnait  des  livres  aux 
morts  comme  on  leur  donnait  des  provisions  de  bouche,  des  vêtements,  des 
outils,  des  armes  et  des  jouets,  pour  flatter  leur  goût  et  pour  leur  prêter  la 
nourriture  de  l'esprit  en  même  temps  qu'on  leur  procurait  celle  du  corps.  » 

M.  Maspero  communique  ensuite  des  renseignements  circonstanciés  sur  le 
dépouillement  des  momies  royales  conservées  au  Musée  de  Boulaq.  Une  des  plus 
remarquable^  de  ces  momies  est  celle  de  Séti  P',  dont  le  visage,  parfaitement 
conservé,  rappelle  très  fidèlement  les  nombreux  portraits  sculptés  ou  peints 
que  l'on  connaissait  de  ce  grand  monarque.  L'examen  de  la  momie  de  Rasquenen, 
montre  que  ce  prince  a  succombé  à  trois  blessures  de  guerre.  Enfin,  un  corps 
a  été  trouvé  dans  des  conditions  toutes  spéciales.  C'est  celui  d'un  adulte  de 
25  à  30  ans,  remarquablement  musclé  ;  il  ne  porte  aucune  inscription  qui 
puisse  déceler  son  origine,  ce  qui  est  déjà  fort  étrange  pour  une  sépulture 
princière.  En  outre,  au  lieu  d'embaumer  le  corps  à  la  manière  ordinaire,  on  l'a 
momifié  sans  déplacer  les  organes  internes  et  on  Ta  enveloppé  d'une  épaisse 
couche  d'un  mélange  à  la  fois  gras  et  caustique.  L'attitude  générale  (les  jambes 
tendues,  les  pieds  serrés  l'un  contre  l'autre,  les  mains  crispées)  et  Texpression 
anxieuse  du  visage  démontrent  que  ce  jeune  inconnu  a  péri  de  mort  violente 
dans  d'atroces  souffrances.  M.  Maspero  s'est  même  demandé  un  moment  s*il  ne 
se  trouvait  point  en  présence  d'un  embaumement  pratiqué  sur  le  vif,  mais 
lès  médecins  qui  ont  examiné  la  momie,  le  D'  Fouquet  en  particulier,  croient 
plutôt  à  un  empoisonnement  à  l'aide  d'une  substance  convulsivante.  Il  fallait 
faire  disparaître  le  corps  du  délit;  comme  il  s'agissait  d'un  haut  personnage,  on 
ne  voulut  pas  le  détruire,  soit  par  respect  pour  la  race  royale,  soit  par  préjupt^ 
religieux,  et  on  opéra  secrètement  et  rapidement  l'opération  qui  terminal  ce 
drame  de  palais. 

Séance  du  30  juillet.  —  M.  Barangeon  envoie  la  copie  d'une  inscription 
relevée  sur  une  couleuvrine  rapportée  du  Tonkin.  Cette  inscription,  encore 
incomprise,  est  formée  des  lettres  ANESANIOHNENSIHEO. 

Séance  du  43  août,  —  M.  Faurot  fait  savoir  qu'il  a  découvert  dans  l'île  de 
Karamane  (Mer  Rouge)  une  inscription  d'une  vingtaine  de  lignes,  probable- 
ment en  caractères  himyarites. 

M.  J.  Halevy  lit  un  mémoire  intitulé  :  Considérations  supplémentaires  sur  le 
x«  chapitre  de  la  Genèse,  qui  forme  le  vni*  chapitre  de  ses  Recherches  bibliques. 
On  trouvera  dans  ce  mémoire,  imprimé  depuis  lors  par  la  Société  des  Étwtt'S 
Juives,  de  nouvelles  identifications  pour  plusieurs  noms  géographiques  qui 
n'avaient  pas  encore  été  bien  expliquées  et  des  considérations  fort  intéressantos 
sur  l'ordre  dans  lequel  les  généalogies  y  sont  présentées  et  sur  le  but  et  la 


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ACADÉMIE  DES   INSCRIPTIONS   ET   BELLES-LETTRES  171 

signification  de  cet  arrangement.  M.  Halévy  s'attache  à  montrer  que  les  peuples 
sont  énumérés  constamment  dans  un  môme  ordre  géographique  et  estime  qu'il 
se  cache  dans  cette  composition  «  Tarrière-pensée  de  pousser  les  Israélites  à 
une  alliance  avec  les  Japhétides  ou  peuples  du  Nord  contre  les  Phénicien?, 
dont  la  prépondérance  causait  alors  de  grands  soucis  aux  Hébreux.  » 

Séance  du  20  août.  —  M.  Maspero  soumet  à  l'Académie  une  hypothèse 
sur  l'origine  du  nom  d'Asie,  qui  fut  d'abord  attribué  par  les  Égyptiens  de 
Touthmès  III  à  l'Ile  de  Chypre,  et  étendu  peut-être  plus  tard  à  toufle  conti- 
nent par  les  Grecs. 

M.  Ch.  Robert  présente  une  note  de  M.  John  Evans,  président  de  la  Société 
des  Antiquaires  de  Londres,  sur  divers  objets  trouvés  à  Felixstowe,  Suffolk, 
et  en  particulier  sur  une  scie  de  bronze,  la  seule  que  l'on  ait  découverte  jusqu'à 
présent  en  Grande-Bretagne. 

M.  J.  Halévy  examine  le  récit  biblique  relatif  à  la  tour  de  Babel  et  exprime 
lopinion  qu'il  n'est  question  dans  ce  texte  que  des  Sémites  déjà  séparés  des 
en&nts  de  Cham  et  de  Japhet,  et  chez  lesquels  seuls  se  seraient  produits,  suivant 
l'écrivain  biblique,  la  confusion  des  langues  et  la  dispersion  qui  en  a  été  la 
conséquence* 

Séance  du  40  septembre,  —  M.  D,  Charnay  communique  un  Essai  de  res- 
tauration de  la  pyramide  et  du  temple  de  Ka-Bul^  à  Izamalf  Yueatan,  En 
s'aidant  des  renseignements  qu'il  a  pu  recueillir  sur  place  et  en  les  complétant 
par  des  inductions  tirées  de  la  ressemblance  générale  de  tous  les  monuments 
du  même  genre.  M.  Charnay  a  exécuté  une  restitution  dont  il  ne  garantit 
d'ailleurs  que  les  grandes  lignes.  Le  caractère  le  plus  frappant  de  l'architec- 
ture yucatèque,  c'est  l'emploi  de  la  polychromie,  qui  est  restée  en  usage  dans  les 
constructions  les  plus  récentes  de  la  presqu'île.  Le  temple  d'Izamal  devait 
servir  encore  au  cuUe  au  moment  delà  conquête;  on  a  trouvé  au  pied  des 
murs  deux  espingoles  du  xvi^  siècle,  soigneusement  enfouies,  la  crosse  en 
l'air,  et  l'on  a  supposé,  non  sans  quelque  raison,  que  c'étaient  des  trophées 
consacrés  par  les  Mayas  à  la  divinité  du  temple. 

St^ance  du  /•'  octobre,  —  M.  D.  Charnay  met  sous  les  yeux  de  r.\cadémie  une 
photographie  d'une  des  ruines  d'Uxmal  (Yueatan),  désignée  vulgairement  sous 
le  nom  de  palais  des  Nonnes,  et  étudie  quelques  détails  de  l'architecture  de  ce 
monument,  et  en  particulier  de  ses  voûtes.  Il  montre  que  les  deux  murs  formés 
de  dalles  dont  la  supérieure  dépasse  toujours  l'inférieure  vont  en  se  rappro- 
chant peu  à  peu,  sans  se  rejoindre  tout  à  fait.  Ce  mode  de  construction  est 
habituel  aux  anciennes  constructions  maya-toltèques. 

M.  Casati  lit  un  mémoire  sur  les  origines  étrusques  de  la  gens  romaine. 

Séance  du  45  octobre.  —  M.  Bloch  étudie  les  textes  épigraphiques  relatifs 
aux  trente-cinq  tribus  de  Rome  sous  l'Empire. 

E.  H. 


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EXPOSITIONS..  COLLECTIONS  ET  MUSÉES 


La  Collection  Buller  an  Musée  da  Trocadéro. 

Au  cours  de  ses  éludes  sur  TExposilion  coloniale  et  indienne  qui  s'est  tenue 
à  Londres  Tannée  dernière,  le  docteur  Hamy,  directeur  de  ce  recueil,  avait 
insisté  sur  Timportance  exceptionnelle  des  collections  ethnographiques  recueillies 
en  Nouvelle-Zélande  par  sir  W.  L.  Buller  *.  Plusieurs  pièces  fort  intéressantes 
de  cette  collection  ont  été  généreusement  offertes,  par  leur  propriétaire,  à  notre 
Musée  d'ethnographie  et  sont  venues  enrichir  la  section  océanienne,  récemment 
réorganisée  dans  le  vestibule  de  Paris  '. 

Parmi  les  objets  qui  figurent  dans  cette  galerie  sous  le  nom  de  sir  Walter 
Buller,  nous  pouvons  mentionner  des  bâtons  de  commandement  artistement 
ouvragés,  de  petites  massues  en  bois  ciselé,  une  trompe  de  guerre  très  rare  et 
très  ancienne  faite  d'une  conque  marine,  des  panneaux  travaillés  à  jour  et  une 
série  de  haches  de  pierre  représentant  les  diff'érents  types  en  usage  chez  les 
Maoris  avant  la  découverte  de  la  Nouvelle-Zélande.  Mais  la  pièce  la  plus  remar- 
quable est  sans  contredit  la  belle  tombe  en  bois  sculpté  qui  a  été  placée  dans 
le  vestibule'  et  qui  peut  être  considérée  à  juste  titre  comme  Tun  des  spécimens 
les  plus  complets  et  les  plus  curieux  de  Tart  sauvage  en  Océanie. 

A  côté  de  sa  valeur  artistique,  cette  pièce  en  présente  une  autre,  bien  plus 
considérable,  aux  yeux  de  l'ethnographe,  car  elle  est  la  première  et  la  plus 
complète  du  genre  qui  soit  parvenue  en  Europe  ;  il  est  même  probable,  pour 
des  raisons  que  nous  allons  expliquer,  que  c'est  le  seul  et  unique  échantillon 
de  monument  funéraire  néo-zélandais  qui  sera  jamais  exposé  dans  un  musée 
européen. 

Les  statistiques  ofGciellesdu  gouvernement  de  la  colonie  nous  apprennent  en 
effet  que  le  peuple  maori  est  en  pleine  voie  de  décroissance  ;  il  disparaît  avec 
une  rapidité  vraiment  effrayante,  et,  phénomène  curieux,  non  seulement  la 
race  autochtone,  mais  encore  la  faune  et  la  flore  indigènes  reculent  et  meurent 
devant  Tenvahissement  des  espèces  européennes  nouvellement  introduites. 

Les  causes  multiples  de  cette  disparition  à  brève  échéance  sont  sufBsamment 
connues,  et  les  Maoris  eux-méme  ne  se  font  aucune  illusion  sur  le  sort  qui  les 
attend  ;  ils  savent  que  leur  race  est  marquée  au  sceau  de  la  décadence  et  disent, 
dans  un  langage  empreint  de  tristesse  :  «  Depuis  le  jour  où  les  Pakehas  (les 

i)  Bévue  ttEthnographie,  t.  V,  p.  356. 
^  si  C'est  par  l'entremise  de  l'auteur  de  < 
l'eUiDogniphie.  M.  J.-B.  de  la  Croix  avai 
l'une  mission  à  i'Expasition  CA>loniale  de 
l'objets.  d' Australie,  de  NouTclle-Zélandc,  ( 

3)  La  Itevue  d'ethnographie  en  a  déjà  donne  une  6gure  (t.  V,  p,  350). 


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EXPOSITIONS,   COLLECTIONS    ET    MUSÉES  173 

étrangers)  ont  débarqué  dans  noire  île,  tout  ce  qui  existait  a  commencé  à 
mourir.  Les  oiseaux,  les  animaux  disparaissent  ;  les  plantes  elles-mêmes  sont 
tuées  par  les  herbes  étrangères  ;  les  Maoris,  eux  aussi,  disparaîtront  à  leur 
tour  et  bientôt  il  ne  restera,  pour  les  rappeler,  que  les  noms  de  leurs  rivières 
et  de  leurs  montagnes.  » 

Les  effets  de  cette  implacable  loi  de  la  nature  se  sont  fait  ressentir  aussi 
bien  dans  Tordre  moral  que  dans  Tordre  physique  ;  les  vieilles  croyances 
maoris  ont  succombé  également  devant  Tintroduction  de  doctrines  plus  civilisées. 
La  population  indigène  est  aujourd'hui  presque  entièrement  chrétienne  et  obéit 
aux  prescriptions  des  nouveaux  cultes.  Leurs  cérémonies  religieuses  sont 
devenues  à  peu  près  les  mêmes  que  chez  nous  ;  ils  enterrent  leurs  morts  ainsi 
que  nous  le  faisons  nous-mêmes ,  aussi  le  monument  funéraire  qui  figure  au 
Trocadéro  peut-il  être  regardé  comme  Tun  des  derniers  vestiges  *  d'une  foi  qui 
s'éteint  et  d'un  rite  passé  dont  nous  allons  essayer  de  donner  quelques  détails 
à  nos  lecteurs. 

Les  cérémonies  des  funérailles  n^étaieut  pas  les  mêmes  pour  tous  les  indivi- 
dus ;  elles  étaient  d'autant  plus  compliquées  que  le  défunt  avait  occupé,  durant 
sa  vie,  une  situation  plus  haute. 

Dès  qu'un  chef  maori  avait  rendu  le  dernier  soupir,  des  émissaires  étaient 
aussitôt  envoyés  de  tous  côtés  afin  d'annoncer  la  fatale  nouvelle  et  de  convoquer 
les  membres  de  la  tribu.  Vingt-quatre  heures  après  la  mort,  la  famille  procédait 
à  la  toilette  du  corps  qui,  après  avoir  été  lavé,  était  enveloppé  dans  une  étofTe 
précieuse  en  fils  de  phormium  et  ornée  de  riches  broderies.  La  figure,  laissée  à 
découvert,  était  peinte  en  ocre  rouge,  la  couleur  sacrée  ;  la  tête  était  surmontée 
d'un  bouquet  de  plumes  noires  et  blanches  provenant  de  la  queue  d*un  oiseau 
rare,  le  Hina.  Dans  sa  main  droite,  on  plaçait  le  mère  pounamout  sorte  de 
casse-tête  en  diorite,  symbole  du  pouvoir,  le  sceptre  de  la  tribu;  on  pendait  à 
son  cou  VHeUiki  de  jade  vert  représentant  Timage  de  l'ancêtre  fondateur  de  la 
tribu  ;  on  fixait  à  ses  oreilles  les  tangiwaiSy  précieux  ornements  en  serpentine 
translucide. 

Ainsi  paré  avec  le  luxe  barbare  de  ïêige  de  pierre,  le  cadavre  était  placé  sur 
une  petite  plate-forme  disposée  à  l'entrée  de  la  maison.  De  tous  côtés  arrivaient 
alors  les  membres  de  la  tribu  pour  prendre  part  au  tangiy  sorte  de  vocero 
funèbre. 

Ainsi  que  cela  se  passe  dans  la  plupart  des  pays,  et  même  en  Europe,  un 
repas  accompagnait  toujours  la  cérémonie  des  funérailles.  Les  amis  et  autres 
membres  de  la  tribu  apportaient  des  vivres  et  les  festins  funèbres  prenaient  des 
proportions  telles  que  souvent  la  misère  et  la  famine  succédaient,  pendant 
plusieurs  mois,  à  ces  manifestations  de  la  douleur  publique. 

Entre  temps,  les  parents  et  amis  personnels  du  défunt  se  livraient  au  plus 
profond  désespoir;  les  chants  alternaient  avec  les  lamentations,  et  afin  de  don- 
ner à  leur  affiiction  une  intensité  plus  vraie,  les  femmes  et  les  jeunes  filles, 
armées  de  coquillages  tranchants,  se  faisaient  sur  le  corps  des  entailles  pro- 
fondes ;  les  joues,  la  poitrine  et  les  bras  ruisselant  de  sang,  elles  hurlaient  les 


1)  Si  nos  rcnseigneinontit  soot  cxacU,  il  u'existo  plus,  à  la  Nuuvellu-ZélaDdo,  qu'un  seul  tombeau 
an  même  genre  ;  c*est  à  Matata,  petit  village  de  la  baie  d'Abondance. 


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174  LA    COLLECnOJN   BULLER   AU   MUSÉE  DU   TROCADÉRO 

louanges  du  chef,  et  ce  supplice  volontaîre  était  poussé  d'autant  plus  loin  que 
le  mort  avait  été  plus  puissant  et  plus  célèbre. 

Ces  démonstrations  lugubres  et  les  festins  doraient  en  général  une  huitaine 
de  jours,  parfois  même  davantage.  Dans  l'intervalle,  les  artistes  et  sculpteurs 
de  la  tribu  s'occupaient  activement  à  construire  le  tombeau  du  chef,  sorte  de 
sarcophage  temporaire  que  Ton  élevait  dans  un  endroit  calme  et  paisible,  sur 
la  lisière  d*un  bois  ou  sur  la  berge  d'un  lac  ou  d'une  rivière. 

Le  travail  achevé,  le  corps  était  porté  en  grande  pompe  et  déposé  dans  le 
monument  au  milieu  des  lamentations  et  des  cris  de  désespoir;  on  plaçait 
auprès  du  chef  ses  ornements,  ses  armes  et  les  objets  précieux  hérités  de  ses 
ancêtres.  Puis  le  peuple  se  retirait  lentement,  chacun  s'en  retournait  dans  son 
village  et  remplacement  du  tombeau  devenait  taboUf  c'est-à-dire  sacré.  Tous 
ceux  qui  avaient  touché  le  cadavre  ou  pris  part  à  la  construction  du  tombeau 
devenaient  également  tabous  et  il  leur  était  interdit  de  communiquer  avec  leurs 
semblables.  Ils  ne  pouvaient  même  toucher  à  un  aliment  quelconque  ;  assis 
silencieusement  dans  leur  hutte,  les  bras  croisés  derrière  le  dos,  ils  recevaient 
leur  nourriture  des  mains  d'une  jeune  fille  qui  la  leur  tendait  à  distance  afin 
d'éviter  tout  contact. 

Cette  période  de  tabou  durait  jusqu'à  ce  que  les  tohungas  ou  prêtres  eussent 
accompli  la  cérémonie  de  purification  connue  sous  le  nom  de  whakanoanga. 

Nous  avons  oublié  de  mentionner  que  le  haut  du  sarcophage  restait  ouvert 
afin  que  le  corps  soumis  aux  intempéries  des  saisons  et  à  l'action  de  l'air  se 
décomposât  plus  rapidement.  L'œuvre  de  la  nature  s'achevait  en  six  ou  sept 
ans  ;  alors  commençait  la  seconde  partie  des  funérailles  appelée  hahunga^  c'est- 
à-dire  le  nettoyage  des  os. 

La  tribu  était  convoquée  de  nouveau  ;  les  festins  recommençaient  avec  le 
même  cérémonial,  accompagnés  de  lamentations  et  de  pleurs  ;  les  femmes  s'in* 
nigeaient  les  mêmes  tortures  ;  le  sang  coulait,  et,  au  milieu  des  géHÛssements, 
les  orateurs  se  livraient  aux  discours  les  plus  extravagants  sur  les  vertus  du 
chef  défunt,  apostrophant  les  jeunes  gens  et  les  excitant  à  imiter  les  hauts  faits 
et  les  prouesses  du  héros  qui  les  avait  quittés  pour  toujours. 

Le  peuple  se  rendait  ensuite  à  l'endroit  où  reposait  le  corps;  le  sarcophage 
était  ouvert  et  démantelé,  les  objets  précieux  étaient  retirés  et  le  mère  pouna^ 
mou,  l'emblème  de  l'autorité,  était  rendu  à  la  tribu  après  avoir  été  purifié  par 
les  prêtres.  Les  ossements  étaient  grattés  avec  des  coquillages  et  soigneuse- 
ment nettoyés  jusqu'à  ce  qu'il  ne  restât  trace  de  chairs  ou  de  ligaments  ;  puis, 
ils  étaient  enveloppés  dans  une  étoffe  neuve  et  transportés  en  grande  cérémonie 
au  lieu  de  repos  définitif,  soit  dans  le  cimetière  commun  de  la  tribu,  soit  dans 
une  caverne  profonde  cachée  au  fond  des  bois  ou  dans  quelque  cratère  de 
volcan  éteint. 

Tous  ceux  qui  avaient  joué  un  rôle  actif  dans  cette  seconde  cérémonie 
devenaient  plus  tabous  encore  qu'auparavant,  et  tous  les  objets  qu'ils  touchaient 
devenaient  également  tabous.  Toute  infraction  à  cette  coutume  était  immédia- 
tement punie  de  mort  et  la  pénitence  ne  cessait  que  lorsque  le  sarcophage  et 
les  objets  ayant  servi  au  culte  avaient  été  brûlés  et  réduits  en  cendres. 

Ce  dernier  détail  explique  suffisamment  pourquoi  il  est,  pour  ainsi  dire, 
impossible  de  trouver»  à  la  Nouvelle-Zélande,  des  spécimens  de  monuments 


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EXPOSITIONS,    COLLECTIONS    ET   31  USÉES  175 

funéraires  ;  mais  les  anciens  usages  ont  disparu  peu  à  peu,  le  vieux  rite  maori 
a  succombé  devant  la  religion  nouvelle  et  le  tabou  lui-même  a  perdu  de  sa 
sévérité.  C'est  grâce  à  ce  nouvel  état  de  choses  que  sir  Walter  BuUer,  Téminent 
avocat  des  Maoris,  a  pu  obtenir  le  monument  qui  figure  aujourd'hui  dans  notre 
Musée.  ProQtant  d'une  grande  influence  acquise  dans  les  tribus,  de  sa  connais- 
sance profonde  de  la  langue  indigène i  il  a  pu  réussir,  malgré  une  opposition 
énergique,  à  force  de  patience,  de  diplomatie  et  même  de  sacrifices  pécuniaires, 
à  se  procurer  le  tombeau  dont  il  a  généreusement  doté  le  Trocadéro. 

Sir  W.  Buller  a  du  reste  été  témoin  d'une  cérémonie  funèbre  pareille  à  celle 
que  nous  venons  de  décrire  ,  l'une  des  dernières  probablement  qui  se  soient 
reproduites  à  la  Nouvelle-Zélande.  La  scène  s'est  passée  au  charmant  petit 
village  de  Te-Tahehe,  sur  les  bords  du  lac  Rotoiti,  localité  bien  connue  dans  la 
région  des  lacs  chauds.  C'est  là  le  territoire  de  l'antique  ei  puissante  tribu 
Arawa  dont  les  ancêtres  ont  été  les  premiers  colons  de  la  Nouvelle-Zélande, 
lors  de  la  grande  migration  polynésienne.  Chaque  groupe,  qui  mit  alors  le  pied 
sur  la  nouvelle  île,  conserva  le  nom  du  canot  qui  l'avait  amené  d'Hawailii,  sa 
terre  d  origine.  Le  canot  Arawa  atterrit  à  Makatu,  dans  la  baie  d'Abondance,  et 
les  descendants  des  émigrés  ont  perpétué  son  nom. 

Le  grand  chef  de  la  tribu,  le  fameux  Waata-Taranui,  célèbre  par  ses  vertus 
sauvages  6t  sa  valeur  guerrière,  mourut  il  y  a  quelques  années.  On  lui  fît  de 
magnifîques  funérailles  ;  pendant  plusieurs  jours  et  plusieurs  nuits,  les  artistes 
de  la  contrée  travaillèrent  à  lui  ériger  un  tombeau  digne  de  lui. 

Le  sarcophage  est  en  forme  de  coffre ,  mesurant  (trois  mètres  de  long  sur 
deux  mètres  de  haut  et  un  mètre  environ  de  largeur  ;  les  faces  sont  formées 
de  panneaux  massifs  taillés  dans  un  bois  imputrescible >  le  iotara.  Chaque 
panneau  représente,  sculpté  en  relief ,  un  personnage  mythologique  (l'un  des 
ancêtres  de  la  tribu)  qui  tire  la  langue,  ce  qui^  chez  les  Maoris,  est  le  sym- 
bole du  courage  militaire  ;  les  yeux  sont  figurés  par  des  rondelles  de  nacre 
découpées  dans  une  coquille  marine.  Les  panneaux  sont  reliés  entre  eux  par 
des  liteaux  en  bois  noir  ornés  de  petites  touffes  blanches  de  plumes  d'albatros. 
Une  pièce  horizontale,  disposée  en  cimaise ,  maintient  les  panneaux  verti- 
caux. Le  monument  est  surmonté  du  iekoteho,  l'effîgie  du  défunt  peinte  en 
blanc,  avec  les  creux  en  noir  afin  de  mieux  faire  ressortir  les  tatouages  du 
corps  ;  la  figure  de  la  statuette  porte  le  moko ,  sorte  de  tatouage  héraldique, 
le  blason  du  chef;  la  tête  est  recouverte,  en  signe  de  deuil,  d'un  énorme  bou- 
quet de  plumes  noires.  Sous  les  pieds  du  chef,  ainsi  qu'il  convient,  une  seconde 
figurine  en  bois  sculpté  représente  la  femme  du  défunt  dans  une  posture 
dHnfériorité  et  de  soumission.  Enfin ,  tout  le  monument  est  recouvert  d'une 
couche  d'ocre  rouge»  la  couleur  tabou. 

C'est  dans  ce  sarcophage  que  fut  déposé  le  corps  de  Waata  Taranui.  Il  y 
resta  sept  ans,  après  lesquels  eut  lieu  la  seconde  cérémonie  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut. 

Les  os  furent  retirés,  soigneusement  nettoyés  et  portés  en  gran(^  pompe 
à  leur  sépulture  définitive,  au  centre  du  cratère  éteint  du  vieux  volcan  Tara- 
wera. 

Mais  son  repos  ne  devait  pas  être  de  longue  durée.  Après  un  sommeil  de 
plusieurs  siècles,  suivant  la  tradition  maori,  le  volcan  se  réveilla  de  nouveau 


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176  EXPOSITIONS,    COLLECTIONS    ET    MUSÉES 

Tannée  dernière.  L'ancien  cratère  s'ouvrit  soudain  ;  une  éruption  terrible  secoua 
et  bouleversa  la  contrée  entière,  répandant  la  désolation  et  la  ruine  sur  une 
région  de  1,300  kilomètres  carrés;  de  nombreux  villages  furent  ensevelis,  avec 
leurs  habitants,  sous  une  pluie  de  boue  et  de  matières  volcaniques,  et  le  lac 
Rotomabana  fut  englouti. 

Dans  cette  effroyable  convulsion  de  la  nature,  que  sont  devenues  les  cendres 
du  héros  Waata  Taranui?,.. 

C'est  le  tombeau  que  nous  venons  de  décrire,  c'est  le  sarcophage  même  du 
vieux  chef  qui  figure  aujourd'hui  au  Musée  d'ethnographie  du  Trocadéro. 

J.  E.  DE  LA  Croix. 


CORRESPONDANCE 


Teux  artificiels  des  momies  d'Arica^  Pérou  —  Exploration 
du  Hant-Orénoque. 

PariSy  7  mars  1887. 

J'ai  confié  à  M.  de  Rochebrune,  mon  aide- naturaliste,  qui  vient  de  terminer 
la  révision  des  céphalopodes  du  Muséum,  l'examen  des  yeux  artificiels  de 
momies  d'Arica  que  vous  avez  bien  voulu  me  montrer.  Il  résulte  de  l'étude 
qu  il  en  a  faite  avec  moi  que  ce  sont  bien  réellement  des  cristallins  de  Poulpe 
du  genre  Octopus^  appartenant  probablement  à  l'une  des  quatre  espèces  de 
grande  taille  qui  vivent  sur  les  côtes  parcourues  par  les  habitants  d'Ârica. 

Les  seiches  manquent ,  au  contraire,  sur  ces  rivages  et  leurs  cristallins  n'ont 
pas  d'ailleurs  cette  forme  de  dé  à  coudre  si  caractéristique  des  yeux  des  momies 
d'Arica.  Ce  ne  sont  pas  davantage  des  yeux  de  Calmar.  Les  cristallins  des  Loligo, 

Ommastrephes,  etc.,  sont  globuleux,  ceux  des  poissons  sont  sphériques 

Edmond  Perrier, 

Professeur-admiiiistrateur  au  Muséum  d'histoire  naturdle. 


Ciudad  Bolivar,  26  mars  1887. 

Je  suis  de  retour  des  sources  de  l'Orinoco,  que  j'ai  découvertes  le  18  dé- 
cembre dernier,  après  avoir  étudié  la  communication  hydraulique  de  ce  fleuve 
et  de  l'Amazone.  J'ai,  par  mon  dernier  courrier,  envoyé  mon  rapport  au  minis* 
tère  de  l'instruction  pubfique,  et  je  vous  adresse  avec  celte  lettre  seize  caisses 
de  collections.  Vous  trouverez  dans  cet  envoi  beaucoup  d'ethnographie  prove- 
nant des  Indiens  Maquiritaris,  Macas,  etc.,  une  dizaine  de  crânes,  dont  un  fort 
curieux  par  la  déformation  de  son  os  frontal,  et  deux  squelettes  de  Piaroa  et  de 
Maca,  encore  entourés  de  leurs  enveloppes  funéraires. 

Je  vai#,  avant  de  rentrer  en  France,  faire  un  autre  voyage  dans  Tintérieur; 
je  pars  dans  quelques  jours  et  ne  serai  de  retour  qu'en  mai  ou  juin...  Ma  santé, 
quoique  très  ébranlée  par  les  fièvres  qui  ne  me  quittent  pas,  ne  m'empêche  pas 
de  continuer.  D'ailleurs  ici  il  faut  s'habituer  à  cette  désolante  compagnie.... 

Chaffanjon. 


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NÉCROLOGIE 


G.  BUSK 

George  Busk,  mort  à  Londres,  le  10  août  dernier,  à  l'âge  de  79  ans,  avait 
consacré  une  partie  de  sa  longue  carrière  scientifique  à  Tétude  de  Tancienneté 
de  rhomme  dans  les  cavernes  et  dans  les  alluvions.  II  avait  pris  une  part  active 
aux  fouilles  de  Gibraltar  en  1864  et  faisait  partie  la  même  année  de  la  conf'é- 
rence  d*AbbevilIe,  où  se  discutait  la  célèbre  découverte  de  Moulin  Quignon.  On 
doit  à  George  Busk  divers  mémoires  importants  sur  les  cavernes  d*Ângleterre 
et  il  avait  commencé  sous  le  titre  de  Crania  lypka  un  grand  ouvrage  de  cra- 
niologie  ethnique  dont  il  n*a  paru  que  quelques  fragments. 

E.  U. 


A.  GARBIGLIETTl 

Antonio  Garbiglietti ,  né  à  Biella  en  1807»  est  mort  à  Turin  le  24  janvier, 
après  une  longue  et  douloureuse  maladie.  Il  laisse  une  grande  quantité  d'arti- 
cles sur  des  sujets  fort  divers,  parmi  lesquels  il  s'en  trouve  i»n  certain  nombre 
consacrés  à  des^queslions  ethnographiques,  telles  que  Torigine  des  Etrusques 
ou  ridenlité  des  Akkas  et  des  Pygmées  de  l'Antiquité. 

E.  H. 


A.  WYLIË 


Né  à  Londres  en  1815,  Alexandre  Wylie,  qui  vient  de  mourir  dans  cette 
ville  le  6  février,  était  parti  pour  la  Chine  en  1847  comme  directeur  de  l'impri- 
merie de  la  London  Missionary  Society,  et  il  y  avait  séjourné  jusqu'en  1^. 
Passé  au  service  de  la  British  and  Foreign  Bible  Society ^  il  retourna  une 
seconde  fois  en  Chine  en  1864,  et  publia  en  1867  à  Changhaï  son  principal 
ouvrage  :  Notes  on  Chinese  Literature.  Rentré  en  Europe  par  suite  du  mauvais 
état  de  sa  santé,  il  a  consacré  les  dernières  années  de  sa  vie  à  fai'e  connaître 
divers  ouvrages  ethnographiques  chinois.  Le  Journal  of  the  Anthropolûgical 
Instituie  contient  la  traduction  des  trois  livres  d'une  History  of  the  former 
Han  Dynastie,  relatifs  aux  nations  étrangères,  et  le  premier  volume  de  la 
Revue  de  l' Extrême-Orient  de  M.  Henri  Cordier  renferme  VEthnography  of 
the  after  Han  Dynastie,  traduite  en  anglais  et  commentée  par  ce  savant 
modeste  et  sympathique.  M.  H.  Cordier  a  lu  le  18  avril  à  la  Royal  Asiatic 
Society  une  notice  encore  inédite  sur  la  vie  et  les  travaux  d'Alexandre  Wylie. 

E.  H. 


VI  12 


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BIBLIOGRAPHIE 


EXPOSITIONS,  COLLECTIONS,  MUSÉES,  etc. 

Finsch  (0.).  Ueber  die  ethnologischen  Sammlungen,  welche  in  den  BesUz  des 
KOnigL  Muséum  fur  VDlkerkunde  zu  Berlin  gelangten.  Berlin,  1886,  in-4. 

Id.  Die  ethnologische  Ausstellung  der  Neu  Guinea  Compagnie  im  Konigl. 
Muséum  fur  Vôlkerkunde  (Original  Miltheil,  aus  der  Elhnologischeu  Ablhei- 
lung  der  Kônigl.  Mus.  zu  Berlin,  Jahrg.  I,  hf  2-3,  s.  92-101,  1886). 

BIOGRAPHIES 

Gaflarel  (P.).  La  Découverte  du  Canada  par  les  Français,  Verrazano,  Jacques 
Cartier,  RobervaL  (Revue  de  Géogr,,  mars  1887,  p.  161-180.) 

Orsi  (P.).  Gaetano  Chierici.  {Archivio  per  V Antropologia  e  la  Etuologia, 
voL  XVI,  p.  91-98,  1886.) 

GÉNÉRALITÉS 

Bastian  (A.).  Eine  Sùcularfeier  (Original  Mitlh,  aus  der  Ethnolog.  Abtheilung 
der  Kônigl  Mus.  zu  Berlin.  Jahrg.  I,  hf.  4,  s.  214-230,  1886.) 

Beauregard  (0.).  Anthropologie  et  Philologie.  (Bull,  de  la  Soc.  d'Anthrop.  de 
Paris,  3*  sér.,  t.  IX,  p.  520-527,  et  tab.  1886.) 

Fauvelle  (D').  Du  Langage  articulé.  (Ibid.,  p.  636-653.) 

Id.  Le  Langage  écrit.  {Ibid.,  p.  760-777.) 

EUROPE 

Bonnemère  (L  ).  Une  Supei^stition  angevine.  (Bull,  de  la  Société  d'Anthrop.  de 

Paris,  3'  sér.,  t.  IX,  p.  681-682,  1886.) 
Id.  Une  Ceinture  bénie.  (Ibid.,  p.  753-755.) 
Closmadeuc  (A.-D.).  Fouilles  sous  le  dallage  du  monument  intéi'ieur  de  Gavr- 

Inis.  (Ibid,,  t.  X,  p.  10-15,  1887.) 
Deniker  (J.).  La  Population  de  la  Dalmatie.  (Ibid.,  l.  IX,  p.  653-656,  1886.) 
Eck  (A.).  Note  sur  le  quaternaire  de  Neuilly-sur-Marne  et  coup  d'œil  général 

sur  le  quaternaire  des  environs.  (Ibid.,  t.  IX,  p.  481-485,  1886.) 
L'Epée  (H.).  Notes  sur  les  dernières  fouilles  exécutées  aux  environs  de  Montbé- 

liard.  {Mém.  de  la  Soc,  d* Émulât,  de  Montbéliard,  3*  sér.,  t.  III,  1*'  fasc 

p.  61-86,  pi.  I-VIII.) 
Fraipont  (J.)  et  Lohest  (M.).  La  Race  humaine  de  Néanderthal  ou  de  Canstadt, 

en  Belgique  (Bull,  de  l'Acad.  roy.  de  Belgique,  3«  série,  t.  XII,  n«  12,1886.) 
Gaillard  (F.).  Les  Galeries  gauloises  de  Kerviler,  à  la  Trinilé-sur-^Mer.  (Bull. 

de  la  SoCé  d^Anthrop.  de  Paris,  3«  sér.,  t.  IX,  p.  475-481,  1886.) 


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BlBUOGllAPHIE  179 

Maricourt  (R.  de).  Les  Sépultures  de  Hermès  et  de  Bulles  (Oise).  (Bull,  de  la 

Soc.  d'Anlhrop.  de  Paris,  3«  sér.,  t.  IX,  p.  686-698,  1886.) 
Morlillet  (G.  de).  Caveau  funéraire  dolménique  de  Crécy-en-Vexin,  (I6irf., 

p.  755-760.) 
Nadaillac  (M.  de).  Le  Bâton  de  commandement  de  Monlgaudier.  {Ibid.,  t.  X, 

p.  7-10,  1887.) 
Simoneau.  Crdne  trépané  mérovingien.  (Ibid. y  t,  IX,  p.  668-670,  1886.) 
Sommier  (St.).    Osservazioni  sui  Lapponi  e   sui  Finlandesi  settentrionali. 

(Archivio  per  l'Antropologio,  vol.  XVI,  p.  111-155,  1886.) 
Id.  Recenti  studisui  Lapponi.  (Ibid.y  p.  157-171,  fig.) 
Topinard  (P.).  La  Carte  de  répartition  de  la  couleur  tles  yeux  et  des  cfwveuœ 

en  France.  {Bull,  de  la  Soc.  d'Anthrop.  de  Paris,  3«  sér.,  t.  IX,  p.  590-602.) 

ASIE 

Deniker  (J.).  Sur  l'Écriture  des  Singhalais.  (Bull,  de  la  Soc.  d'Anthrop.  de 
Paris,  3c  sér.,  t.  IX,  p.  623-626,  1886.) 

Grube  (D^).  Vorlduflges  Verzeichniss  einer  taoistichen  Bildersammlung  (Ori- 
ginal Mitth.  aus  der  Ethnologischen  Abtheilung  der  KÔnigl.  Mus,  zu  Berlin, 
Jahrg.  I,  hf.  I,  s.  16-38,  1885. 

Grûnwedel  (A.).  Nolizeîi  zur  Ikonographie  des  Lamaismus.  (Ibid.,  hf.  1  u  3, 
s.  38-45,  103-131,  1885-1886.) 

Ujfalvy  (Ch.-E.  de).  Quelques  observations  sur  les  Tadjiks  des  montagnes, 
appelés  aussi  Gcdtchas.  (Bull,  de  la  Soc.  d'Anthrop.  de  Paris,  3«  sér.,  t.  IX 
p.  15-43,  1887.) 

Verrier.  Images  japonaises.  (Ibid.,  t.  IX,  p.  671-672,  1886.) 

AFRIQUE 

Brémaud  (P.).  Origine  et  Progrés  de  la  puissance  hova  à  Madagascar.  (BulL 

de  la  Soc.  Acad.  de  Brest,  2«  sér.,  t.  X,  p.  213-251,  1884-1885.) 
Gagnât  (R.)  et  Saladin  (H.).  Voyage  en  Tunisie.  (Tour  du  Mondé,  t.  XL VII, 
p.  353,  369;  t.  XLIX,  p.  275,  289,  305,  321;  t.  L,  p.  385,  401;  t.  LU,  p.  193, 
209, 1884-1886,  cart.  et  fig.) 
Collignon  (R.).  Note  sur  un  cas  de  sépulture  par  incinération  chez  les  Libyphé- 
niciens  d'Hadruméte  (Sousse,  Tunisie).  (Bull,  de  la  Soc.  d'Anthrop  de  Paris, 
3«  sér.,  t.  IX,  p.  471-474,  1886.) 
Id.  Ethnologie  de  la  Tunisie.  [Ibid.,  p.  620-622.) 
Chudzinski  (Th.).  Les  Crânes  des  Antankares.  (Ibid.,  p.  504-507.) 
Crozals  (J.  de).  Le  Commerce  du  sel  du  Sahara  au  Soudan.  (Rev.  de  Géogra- 
phie, avril-mai  1886,  p.  241-253,  326-342.) 
Deniker  (J.).  Quelques  Observations  sur  ks  Boshimans,  (Bull,  de  la  Soc.  d'An- 
throp. de  Paris,  3«  sér.,  t.  IX,  p.  570-577,  1886.) 
Duval  (M.-V.).  VOasis  de  Figuig.  (Rev.  de  Géographie,  mai  1886,  p.  361-370.) 
Fouquet  (D"").  Observations  relevées  sur  quelques  momies  royales  d^Ègyptc 
(Bull,  de  la  Soc.  d'Anthrop.  de  Paris,  3«  sér.,  t*  IX,  p.  578-586,  1886.) 


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jgQ  BIBLIOOnAPHlE 

GaulUer  de  Claubry  (J.)-  Note  sur  le  vocabulaire  des  couleurs  chez  les  Arabes 

Hry%"Vri^ô£eTn;?ra^«,«es  sur  les  Bosjesmans.  (Bull.  <ié  la  Soc. 

aAnihrop.  de  Paris,  3-  sér.,  l.  IX.  p.  567-570  1886.) 
Id.   Aperçu  sur  les   Roces  humaines  de  la  basse  mllée  du  NU.  {Ibid., 

TopiJard'(P.).  Présentation  de  quatre  Boshitnans  vivatUs.  {Ibid.,  p.  530-566.) 

AMÉRIQUE 

Beauv»i8  (E.).  L'Histoire  de  f  Ancien  Mexique;  les  Antiquités  mexkaines  du 
TZran  comparées  aux  abrégés  des  PP.  Tobar  cl  J.  d:Acosta.  {Revue  des 
Questions  historiques,  juillet  1885,  p.  106-165.) 

Boa     F.).  Sammlung  aus  ««^/^-^«f  "  (?'?-f  ^ ft.T  ^AS  îsSf; 

Abtheilung  der  Kônigl.  Mus.  zu  Berlin  Jahrg  I    ^f  2-3  s     31-33,    886. 
TH   Miltheilunnen  ùber  die  Vilxula-Indianer.  (Ibui.,  hf.  4,  s.  177-182,  1886.) 
BrinSD  GO  Criliml  Remarks  on  the  Editions  of  Diego  de  Lan^'s  Writing 

Pl  beforethe  American  Philosophical  Society,  Jan.  7, 1877). Phdadelpb.e, 

Ch^l^m   Eapédition  au  Yucatan.  (BuU.  de  la  Soc.  d'Antftrop.  de  Paris, 

^»  sér    t.  X   p.  65-78,  1887.) 
Goeken.'oas  religiôse  Leben  der  Bella-Colla  Indiar^r.  (Original Mtlth^  aus 

X  Ethnolog.  AbtheUung  de,-  Kônigl.  Mus.  zu  Berlin.  Jahrg.  I,  ht.  /i, 

Hlnset{^rlu)^Mutions  à  ranthr^ologiedes(WoenJ^nMUMux. 

IBuU.  de  la  Soc.  d;Anthrop.  de  Paris,  3«  sér.,  t.  IX,  p.  609-617,  18860 
Seler  (E)    Notizen  ûber  die  Sprache  der  Colorados  von  Ecuador  (Original 

Mittheilungen  aus  der  Ethnolog ischen  Abtheilung  der  Kôn.  Mus.  zv  Berlin, 

Jahri?  I,  hf.  1,  s,  45-56,  1885.) 
Steinen  (K.  von  den).  Die  Sammlung  der  Schingu-Expedilion.  (Ibid.,  Jahrg., 

I,  hf.  4,  s.  187-207, 1886.) 

OCÉANIE 

Kubarv  (J  -S.)  Die  Todten  Bestûllung  auf  dem  Pelau  Insein.  (Original  MU- 
theUungen  àus  der  Ethnologischen  Abtheilungen  der  Kônigl.  Mus.  zu  Berlin. 

Jahrg.  I,  hf.  1,  s.  4-11, 18850  „  ,       ,     ,      „iv, 

Id.  Dk  Verbrechen  und  das  Slrafveefahren  auf  dem  Pelau  Insein.  (Ibid., 

hf.  2-3,  s.  77-910 

Le  Directeur  de  la  Revue,  VÉditeur-Géranl, 

E.  T.  HAMY.  Ebnest  LEROUX. 


ANOKnS,   mPHIllElUE  BIRDIH  W  C'«,  KOB  OABNIBR,  4. 


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ERNEST  LEROUX,   ÉDITEUR 

MISISTJRE  Pi  l'INSTRECTlON  PmiOBt  ET  DIS  BEAO-ARTS 

ANNALES  DU  MISÉE  GUIMET 

TOME  I 
Recuôil  de  Mémoire»  de  MM,  Galmet,  Hignard   F   Ghabas,  E.  Nasille, 

Eitel,  PhUaslre,  Ymaïzoïiini,  Tomii  et  Yamala.  ln-4,  avee  planches.     .     15  fr 

iTOME  II 
Recyeil  d©  Mémoireide  Max  Mùller,  Ymakoumi,  P,  Bôguaud,  L.  Feer, 
Csoma  de  KaîrŒ&.  ln-4,  avec  planches   ..,,**....•     1^  i"*- 

TOMB  m 
Le  BOîiddhlBme  au  Tibet»  par  E.  de  SchUgînLwdt,  traduit  P^^*  ^' j?^ 

Milbué.  în-4,avec  48  plftiïches ^  ^^* 

TOME  IV 
Recueil  de  Mémoires  par  E.  Lefèbure,  K  Chabas,  A.  Colson,  P,Regijaud, 

J,  Edkins.L.deMilWué.  Iti-4,  avec  i2plancbeB ^^^^^ 

TOME  V 
Le  Kandjour,  recueil  des  livres  sacrés  du  Tibet*  Fragmenls  traduits  par 

Léon  Feer,  In ^4.  de  600  pages 20  Tr. 

TOME  VI 
Le    Lalita   Vigtara  (développenieni   des  jeux),  contenant  rhistoire  du 
Bouddha  Cakva  Mauni,  depuis  sa  naissance  jusqu  à  sa  prédication,  traduit  du 
Sanacril  par  ^Ph.   Ed.  Foucaui.  1'*^  parUe,  traduction  française,    l^i*^^*  ^^r^ 

planches .     ,    • 

TOME  VU 
Recueil  de  Mémoires  par  A.  Bourquin,  Senathi  Radja^  L.  de  Millouê, 
A.    Locard,  Coomara  Swamy,  J.  Gerson    da  Gunha,  P.    Regnaud.  I^^;^^  de 

508  page»  et  6  planches. • ^^ '''* 

TOME  VIII 
Le  Tl  KiBg   ou  Livre  des  changements  de  lu  dyiiasUe  des  Tcheou,  traduit 
pour  la  première  fois  du  cbinaïs  en  français  avec  les  cûmmentaires,  par  P,  L. 

f,  Philaslre.  Id-4     ...-..-■- *^  '^• 

TOME  IX 
Les  hypogées  royaux  de  Thèbes.  par  M.  E,  Lefébure.  Le  .tombeau  de 
Séti  l"/un  volume  m-4.  avec  136  planches  .     - ,     ^o  ir. 

TOMEX 

hors  Uxte •    • 

TOMES  XI  et  XU 
Tii-fAtflR  des  Chinois,  annuellement  célébrées  à  Émoui  (Amoy).  Etude 
con'-cernmY/relig^n  po"[aire  des  Chinois,  par  J.  M.  de  Groot.  2  valu^e, 

in-*,  ayec  ai  planches  en  héliogravure «u  ir- 

V«c  rcwlse  Je  «5  »/.  «t  oBtUe  .ui  achctenn  d«  I«  coIImUo»  eémpléle. 


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ERNEST   LEROUX,  ÉDITEUR 

Rue  Bonaparte,  28 


mmtu  n  l'instroction  pdbliqui  et  m  mn-km 


MEMOIRES 

PUBUis  FAR  LES  HiUBRES  DE  LA 

MISSION  ARCHÉOLOGIQUE  FRANÇAISE 

AU    CAIRE 

Sous  U  direction  de  M>  MASPÉRO,  membre  de  l'Iostitui 


25  fr. 


Premier  fascicule 

U.  BouRiAWT.  Deux  jours  de  fouilles  à  Tell  el-A marna. 
V*  LoRBT*  Le  tombeau  de  rAmspnt  Amen-Hotepi 
Ù.  BouftiA3?«T.  L'édise  copie  du  lombeau  de  Déga. 
V.  LoftïT*  La  stèle  de  l'Am^ent  Araen-Hotep. 
H,  DuLAc,  Quatre  eontes  arabes  eu  dialecte  cairote, 
V.  LoHKT.  La  ttïtnbe  de  Kham  Ha, 

fn-4|  avec  9  pbucbes  noires  et  en  couleur,     >     >     * 
Deuxième  fascicule 
G,  Maspkro.  Trois  années  de  fouilles  dans   les  tombeaux  de  Th&beé  et  do 

Memphis. 
U*  BouRiAST.  Les  papyrus  d'Akhmira, 

V,  LoBET.  Quelques  docutnents   relatifs  à  la  littérature  et  à  la  musique  papa- 

îaires  de  la  Haute- Egypte. 

Iii-4j  avec  9  pi.  en  couleur,  2  pL  noires^  lOpL  de  musique*     .    40  fr. 

Troisième  fascicule 

U,  BouRiANT.  Rapport  au  mioîstre  de  riostruction  publique  sur  une  mission 

dans  la  Haute-Egyple  (ISSA-^ISSB). 
P.  Bavaissb.  Ëssat  sur  rtiistoire  et  sur  la  topographie  du  Caire  d'après  Makrîxi 

(Palais  des  Khalifes  Patimites],  Avec  plans  en  couleur. 
Ph,  ViRËY*  —  Étude  sur  un  parchemin  rapporté  de  Thèbes.   Avec  une  héliez- 
gravure  du  papyrus. 

Prix  :  30  fr. 

Quatrième  fascicule  (sous  presse) 

PlèCiS  RELATIVES  A   LA   FONDATION  ET  A    l'bLSTO[RE    HE  LA   MISSION   AlCHÉOLOOIQtJB 

mA.^ïÇAiSE  AU  CAïas,  pendant  îa  première  période  de  son  existence  (1880^1386). 
Hafpoht  sun  le  développement  des  HO^ms  hotalës  de  Déïr  el  Baharî,  par 
M.  Maspero. 

Cinquième  fascicule 
Las  HYPOGÉES  ROYAUX  DE  Thèbés,  par  M ,  G-  Lefébïjre. 
!'•  division  :  Le  tombeau  de  Sétj  I^?,  publié  in  extenso  avec  la  collaboration 
de  MM,  Uf  BouaiANT  et  V*  Loret,  membres  de  la  mission  archéologique  du 
Caire,  el  avec  le  concours  de  M.  Kdouard  Navîllè. 

In-4j  avec  1 36  planches.     .     -    75  fr, 

4!t0RB3«  mp*  BmUift  ET  0  ^,    Rtlk  UAn^lléH.  i. 


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DE 


REVUE 


D'ETHNOGRAPHIE 

PUBLIÉE  SOUS  LES  AUSPICES  DU  5ll?!ISTi^:HK  DK  L^lM&TBtlCTION  PUBLIQUE 
KT  DKS  FKAnX-AUTS 

Par    le    D«    HAMY 


TOME   SIXIÈME 
N°   3.  —   Mai- Juin. 


PARIS 

ERNEST    LEROUX,     ÉDITEUR 

28,     hue:     BONAPARTE,     '2H 

1887 


Bta.iii 


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M 


SOMMAIRE 

niale  rt  indienne  île  Londres  (/«'»)-.■• ••';•;    tautaii». 

^*''*'Mélbode  de  dasslBcQUon  daos  les  mutée.  d'elhMgraplile Oru  T.  MA.*. 

RtvvES  «T  Anautses.  -  Livais  w  BuocHirnss  :  ^   ^^^^^^ 

Hutial  (Z.).  The  Terrn  Cotia  Heuds  of  Teolihuacan ■  ■  •    ^ 

AcAftÈMlEâ  ET  SOCifeTtS   SAVAKtES:  ^     ^^^^^ 

Académie  des  lascriplïcîas  cl  Belles -LeUrcâ. - "  ' 

Eiposmows,  Collections  et  Misées  : 

Le.  calleclion.  etboagraptiia"^»  clu  cablnel  d^bi.toire  neiiureUe  .^^ 

de  Cherbourg "*   - 

COBttE3»'0«0.^NCR.  -  NlfeCHOLOOIE.  -  BlûLlOOnAPtlIF. 


CONDITIONS    UE    LA   PUBLICATION 

La  BEVOE  D'ETHNOGRAPHIE  paraît  iom  les  deux  mois,  par  rascicules  in-8 

raisin,  fie  6  feuillfis  rj'impressior»,  richement  illastrées. 

Prix  de  l'aboMement  annuel  :  Pans. - _ 

_  _  Dèparlemenls    -  ■  ■     *^      °" 


_  ^  Etratîger ^  -  * 

Un  nuinére,  pria  m  Bureau  ...**. .<,»<-- 

TAttIF   DES   ANNONCES 


20 


Un€  page  -  * -    •  -^ '       *   " 

sÏdrl"  poL  loulcfq»!  e..«:.rue  1.  U.dacllou.  «u  D^  HAMÏ.  «.  rue  de  LubecL. 


ERNEST  LEROUX,  Éditeur,  rue  Bonaparte,  28. 


NUMISMATIQUE  DE  L'ALSACE 

Par  ARTHUR  ENGEL  et  ERNEST  LEHB 

Uo  bMu  volume  ln-4,  arec  46  plinebes  en  pbotûlypie.     •     .     .     - 


50  fr. 


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AA5 


j^U^CO.^,      . 


ME  M  OI  RCS^CmTanV  AUX 


LE    NAM-GIAO    DE  HANOI 

Par  M.  G.  DUMOUTIER 

inspecteur  de  l'Enseignement  au  Tonkin. 


Un  Nam-giao  est  un  temple  en  plein  air,  où  les  empereurs 
viennent  en  personne  officier  et  offrir  des  sacrifices  au  Ciel.  Il 
se  compose  d'un  tertre  quadrangulaire  soutenu  par  des  murs, 
chacun  des  côtés  est  pourvu  d'un  escalier,  Tentrée  principale 
est  orientée  au  sud,  d'où  le  nom  de  Nam-giao  qui  signifie  com- 
muniquer avec  le  sud. 

n  ne  faut  pas  confondre  ces  monuments  avec  les  tertres  de 
même  forme  nommés  tich-dien  que  l'on  trouve  dans  toutes  les 
capitales  de  province,  et  qui  sont  des  temples  à  la  mémoire  de 
l'empereur  chinois  Than-nong,  génie  de  l'agriculture.  Les  tong- 
doc  y  font  des  sacrifices  annuels  et  ouvrent  le  premier  sillon  dans 
la  rizière. 

Le  Nam-giao  n'existe  que  dans  les  capitales  de  royaumes  ;  il  y 
en  a  un  à  Hué,  il  y  en  avait  un  autrefois  à  Hanoï,  lorsque  cette 
ville  était  le  siège  de  la  dynastie  des  Le.  Le  Nam-giao  de  Hanoï 
se  trouvait  au  delà  des  faubourgs  de  la  ville,  sur  la  route  de  Hué, 
près  du  village  de  Phong-van  *. 

U  subit,  en  1663  de  notre  ère,  sous  le  règne  de  l'empereur 
Ganh-tri  ',  d'importantes  modifications  ;  quelques  années  plus 
tard,  sous  le  règne  de  l'empereur  Vinh-tri,  neveu  du  précédent, 
on  construisit,  sur  le  tertre  découvert,  une  riche  pagode  flanquée 
de  deux  bâtiments  annexes  formant  ailes  en  retour. 


i\  Phopg-yan  si^niBe  vent  et  nuage. 


2)  Canh-tri  ou  Kieng-tri,  de  son  nom  privé  Duy-cu,  19<^  de  la  dynastie  des 
Lé,  régna  9  ans.  Il  est  connu  dans  l'histoire  sous  le  nom  de  Lé  Huyen-tong. 


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182  LE  NAM-GIÂO   D£   HANOI 

En  1680,  une  inscription  commémorative  de  ces  divers  tra- 
vaux fut  gravée  sur  une  grande  stèle  de  pierre  noire,  soutenue 
par  un  piédestal  monolithe  recouvert  de  jolies  sculptures. 

Aux  temps  troublés  des  Tay-son  et  sous  la  dynastie  des  Ngu- 
yen  les  sacrifices  impériaux  eurent  lieu  à  Hué  ;  le  Nam-giao  de 
Hanoï  n'en  conserva  pas  moins,  à  cause  des  souvenirs  historiques 
et  des  traditions  religieuses  qui  s^  rattachaient,  une  grande 
réputation  de  sainteté;  c'était  le  but  de  pieux  pèlerinages,  et  les 
pauvres  gens  qui  voyageaient  sur  la  route  mandarine  venaient 
s'y  reposer  à  l'abri  des  ardeurs  du  soleil. 

Vers  1830,  un  incendie  dû  à  l'imprudence  de  quelques  pèlerins 
qui  faisaient  cuire  leur  riz  dans  un  des  bâtiments  annexes 
détruisit  tout  l'édifice.  Hanoï  ayant  depuis  longtemps  cessé  d'être 
la  capitale  des  empereurs  d'Ânnam,  le  Nam-giao  ne  fut  pas 
reconstruit  ;  on  se  contenta  de  bâtir ,  à  quelques  centaines  de 
mètres  et  plus  à  proximité  du  village  de  Phong-van,  une  pagode 
bouddhique  (chua)  qui  existe  encore  ;  cette  pagode  est  desservie 
pai*  des  bonzesses  ;  quelques  monuments  funéraires  assez  remar- 
quables et  deux  colomies  la  signalent  de  loin  à  l'attention. 

Quant  au  vieux  monument  des  empereurs  Le,  il  a  presque 
entièrement  disparu.  Le  tertre  primitif  forme,  au  milieu  des 
rizières,  une  sorte  de  tumulus  aplati  recouvert  de  débris  de 
tuiles,  de  briques,  de  pierres  et  de  fragments  de  poterie. 

Les  abords  sont  envahis  par  les  tombes  ;  les  fervents  n'ont 
pas  oublié  les  faveurs  spéciales  dont  bénéficient  les  âmes  au 
voisinage  des  lieux  saints.  Les  deux  rampes  de  pierre  du  grand 
escalier  subsistent  encore ,  elles  sont  à  moitié  enfoncées  dans  la 
terre  ;  les  sculptures  qui  les  recouvrent  représentent  des  nuages 
traversés  par  des  flammes.  Il  y  aurait  intérêt  à  sauver  ces 
épaves  d'une  destruction  complète  \ 

La  stèle  commémorative  protégée  par  un  édicule  en  maçon- 

1)  Rappelons  en  passant  une  des  attributions  de  TAcadémie  tonkinoise,  fon- 
dée par  Paul  Bert,  par  arrêté  en  date  du  3  juillet  1886  :  «  Prendre  des  mesures 
pour  la  conservalion  des  stèles ,  inscriptions  et  monuments  quelconques,  épars 
sur  le  territoire,  les  rechercher,  les  signaler,  les  faire  transporter  en  lieu  sûr 
lorsquUls  se  trouveront  dans  des  pagodes  ruinées  ou  hors  de  l'action  d'une 
protection  efficace.  » 


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LE   NAM-GIAO   DE  HANOI  183 

nerie  est  restée  intacte,  c'est  assurément  le  plus  beau  monument 
de  cette  nature  qui  soit  dans  la  contrée.  L'inscription  est  en 
chinois  ;  en  voici  la  traduction. 

«  Inscription  commémorative  composée  à  Toccasion  de  la 
réparation  du  Chien-su  Nam-gio,  près  du  village  de  Phong-van, 
canton  de  Kim-lien,  la  4*  année  du  règne  de  l'empereur  Vinh-tri 
de  la  djmastie  des  Le. 

«  Ce  monument,  qui  se  nommait  autrefois  Nam-giao,  a  ajouté 
à  ce  nom  celui  de  Chieu-su,  parce  qu'on  y  adore  le  ciel. 

H  Le  roi  qui  vient  sacrifier  sur  le  Nam-giao  acquiert  les  plus 
grandes  qualités;  il  lui  est  aussi  facile  de  gouverner  son 
royaume  que  de  tourner  la  main. 

«  Les  souverains  de  la  dynastie  Le  ont  pu  reculer  les  limites 
de  Tempire  et  lui  donner  des  frontières  de  10,000  li  d'étendue. 
Il»  ont  fondu  le  vase  à  trois  pieds  *,  construit  des  murs  d'en- 
ceinte et  des  citadelles  pour  la  défense  du  pays. 

«  Lorsqu'ils  érigèrent  ce  monument,  ils  cherchèrent  le  lieu 
propice  et  déterminèrent  l'orientation,  toutes  ces  choi^es  sont 
suivant  les  rites  et  agréables  au  ciel 

«  Le  sud  est  la  patrie  des  Le  ;  c'est  pourquoi  cet  autel  est 
tourné  vers  le  sud. 

«  Dès  l'origine,  il  a  été  décidé  que  chaque  année,  au  10"*  jour 
du  1*'  mois,  il  serait  fait  un  sacrifice  à  cet  endroit,  et  cela, 
jusqu'à  la  fin  des  postérités. 

«  Mais  sous  les  injures  du  temps  l'autel  se  dégradait,  les 
ornements  étaient  flétris  et  indignes  du  Maître  du  ciel. 

«  Il  fallut  qu'un  roi  pieux  autant  que  savant  se  présentât 
pour  donner  au  monument  la  majesté  qui  lui  convient. 

«  Vinh-tri,  héritier  et  continuateur  des  vertus  et  des  traditions 
des  Le,  fit  deux  parts  de  son  temps  ;  il  consacra  la  première  à 

i)  Métaphore  chinoise,  qui  signifie  fonder  une  dynastie  par  allusion  au  par- 
tage de  la  Chine  en  Irois  Etats  (tam-cuoc),  Nguy,  Thuc  et  Ngo.  Le  vase  à  trois 
pieds  symbolise  Tempire,  on  en  trouve  le  modèle  dans  le  livre  Léky,  la  forme 
8*est  perpétuée  dans  les  accessoires  du  culte.  Les  chefs  de  chaque  dynastie 
avaient  coutume  d'en  faire  fondre  un  semblable,  qui  se  transmettait  dans  la 
famille.  On  dit  dans  la  rivière  Noire  que  DinhKiuc,  le  chef  des  Muong-bi,  garde 
encore  le  vase  dynastique  des  Dinh  ;  il  est  si  grand,  dit  la  légende,  qu^n  y 
peut  faire  cuire  trois  buffles  à  la  fois. 


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184  LE   NAM-GIAO    DE    HANOI 

l'adoration  du  ciel  et  la  seconde  à  la  pacification  de  son  peuple  ; 
or,  de  ces  deux  choses,  la  seconde  étant  directement  subordonnée 
à  la  première,  il  commença  par  adorer  le  ciel  afin  de  se  concilier 
son  aide  dans  sa  mission  de  pacificateur. 

«  Le  premier  jour  de  chaque  année  le  roi,  accompagné  de  ses 
mandarins,  se  rendait  en  personne  pour  sacrifier  à  Tautel  de  Chieu- 
su  Nam-giao,  mais  cela  ne  suffit  pas  à  sa  grande  piété.  Alors, 
après  avoir  déterminé  le  jour  propice,  il  réunit  les  charpentiers, 
leur  donna  des  mesures,  fit  venir  des  bois  solides  pour  renou- 
veler les  vieilles  colonnes  et  les  vieilles  charpentes  de  la  pagode. 

«  Les  travaux  ont  commencé  à  l'automne,  le  neuvième  mois 
de  Tannée  Qui-mao,  la  première  du  règne  de  Canh-tri  ;  ils  étaient 
terminés  à  la  fin  de  Tannée  Giap-thin,  deuxième  du  même  règne. 

«  Les  fondations  sont  très  vieilles,  ce  sont  celles  du  Nam-giao  ; 
mais  le  reste  est  neuf  et  rien  n'égale  la  beauté  des  ornements 
intérieurs  et  extérieurs. 

•  «  Ce  temple  a  pour  objet  d'honorer  le  roi  pieux  qui  Ta  restauré 
et  embelli,  et  de  perpétuer  à  jamais  ses  mérites,  c'est  pourquoi 
cette  inscription  a  été  gravée  sur  la  pierre  impérissable. 

«  Les  vertus  de  Vinh-tri  furent  innombrables,  aussi  devra-t-il 
vivre  de  longues  années. 

«  Le  ciel  lui  accordera  les  cinq  bonheurs  '  et  pendant  dix  mille 
ans  ses  fils  et  ses  neveux  seront  heureux  par  son  exemple. 

«  Son  Excellence  Ho-sî-ruong,  au  renom  glorieux  -,  président 
du  ministère  des  travaux  publics,  membre  du  conseil  privé,  né 
au  village  deHoan-han,  de  l'arrondissement  de  Qui-huu,  a  com- 
posé cette  inscription  pendant  Thiver  de  la  quatrième  année  du 
règne  de  l'empereur  Vinh-tri.  » 

1)  Les  cinq  bonheurs  :  phu,  gtxî,  tho,  khang,  ntnA,  c'est-à-dire  bonheur, 
richesse,  longue  vie,  santé,  tranquillité.  Les  Saïgonnais  n'indiquent  pas  le 
mot  bonheur  (phu),  dans  celte  série,  il  est,  d'après  eux,  le  résultat  des  çiuatre 
autres,  mais  ils  ajoutent  à  la  nomenclature,  fmao  chuna  manh^  qui  signifie 
bonne  mort.  Les  cinq  bonheurs  sont  représentés  symboliquement  par  des 
chauve-souris,  probablement  parce  que  les  deux  caractères  chinois,  qui  signifient 
bonheur  et  chauve-souris,  ont  la  même  phonétique. 

2)  Par  modestie.  Le  qualificatif  «  Excellence  au  renom  glorieux,  »  appariient 
aux  mandarins  de  second  rang  du  premier  ordre,  dont  font  partie  les  présidents 
des  six  ministères.  Ho-si  ruong  devait  être  compris  dans  les  mandarins  du  pre- 
mier rang,  j)ar  son  titre  de  membre  du  Conseil  privé,  et  avait  droit  au  qualifi- 
catif de  w  Excellence  au  renom  éclatant.  >> 


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ÉTUDES  ETHiNOGRAPHIQUES  ET  ARCHÉOLOGIQUES 

SUR  ^EXPOSITION  COLONIALE  ET  INDIENNE 

DE  LONDRES 


Par  le  Doctedr  E.-T.   HAMY 

Gonserratenr  da  Musée  d'Ethnographie 

(Suite,) 


V 

EMPIRE  INDIEN 


L'empire  Indien  [Empire  of  India)  est  assurément  Tune  des 
contrées  de  la  terre  qui  offrent  aux  investigations  des  ethnolo- 
gues le  plus  vaste  champ  d'étude.  Les  trois  principales  branches 
de  l'humanité  s'y  sont  successivement  développées  avec  vigueur, 
et  la  population  de  253,891,821  habitants  qu'on  y  compte,  offre 
des  représentants  plus  ou  moins  nombreux  des  races  les  plus 
éloignées  '. 

Les  Négritos,  qui  ont  été  les  premiers  hommes  du  sud-est  de 
Tancien  monde,  semblent  avoir  erré  dans  l'Inde  presque  entière  à 
une  époque  bien  antérieure  à  toute  tradition.  Du  moins  retrouve- 
t-on  aujourd'hui  les  débris  de  leurs  tribus  dispersés  en  petites 
fractions  depuis  l'Himalaya  jusqu'au  cap  Comorin. 


1)  Le  nombre  des  langues  parlées  dans  Tempire  indien  était  estimé  à  106  au 
recensement  de  188i . 


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186  ÉTUDES   SUR   l'exposition   COLONIALE 

A  côté  d'eux  vivaient  d'autres  sauvages,  apparentés  de  près 
aux  Australiens  actuels,  et  dont  les  régions  montagneuses  de 
rinde  centrale  nous  ont  conservé  quelques  rares  descendants  *. 

Australoïdes  et  Négritos  étaient  les  seuls  habitants  de  la  pres- 
qu'île, lorsque,  à  une  époque  fort  ancienne  mais  indéterminable^ 
commencèrent  les  migrations  des  peuples  de  race  jaune.  Les 
premiers  de  ces  Indo-Touraniens,  comme  les  nomment  les 
ethnologues  anglais,  furent  les  Kolariens,  qui  pénétrèrent  dans 
le  pays  par  son  angle  nord-ouest.  Puis  surgirent  les  Dravidiens, 
proches  parents  des  Kolariens.  Us  descendaient  du  Bélouchislan, 
où  ils  avaient  laissé  les  Brahuis  et  pénétrèrent  dans  le  cœur  du 
pays  entre  l'Indus  et  la  Nerbouddha,  où  les  Gonds  des  provinces 
centrales,  les  Ouraons  du  Chutia  Nagpour,  les  Malers  du 
Rajmahal  rappellent  leur  séjour.  Ils  parvinrent  enfin  dans  les 
territoires  de  la  Présidence  de  Madras,  et  y  fondèrent  les  puis- 
santes nationalités  des  Tamouls  ou  Tamils,  des  Telougous,  etc. 

Deux  mille  ans  avant  notre  ère,  apparaissent  enfin  les  repré- 
sentants des  races  blanches  ;  ce  sont  les  fameux  Aryens,  les 
Indous  proprement  dits  ;  ils  traversent  l'Indus,  conquièrent  le 
Penjâb  et  longeant  le  Gange  prennent  Oudh  et  étendent  leur 
domination  jusqu'au  Bengale.  Kolariens  et  Dravidiens  sont 
rejetés  dans  l'Himalaya  ou  reculent  sur  le  plateau  central.  Ceux 
des  anciens  habitants  qui  n'ont  point  fui  devant  l'envahisseur^ 
sont  obligés  de  prendre  rang  dans  les  castes  inférieures  d'une 
société  étroitement  hiérarchisée.  Mais  l'humble  situation  impo- 
sée aux  vaincus  entretient  chez  eux  une  animosité  profonde  et 
lorsque  le  bouddhisme  vient  réveiller  leurs  espérances,  ils  sont 
les  premiers  à  embrasser  une  croyance  qui  leur  assure  l'égalité 
avec  leurs  conquérants.  Sous  Açoka  (250  ans  avant  notre  ère), 
rinde  presque  entière  est  devenue  bouddhiste  et  le  demeurera 
pendant  une  dizaine  de  siècles.  Mais  l'Indouisme  n'est  pas  mort 
et  reparaît  sous  des  formes  nouvelles  :  les  sectes  Vichnouïte, 
Sivaïte  et  Jaïnite  se  partagent  à  peu  près  égedement  les  popula- 
tions arrachées  au  culte  de  Bouddha,  à  la  suite  de  longues  et  san- 
glantes révolutions  religieuses. 

1)  Cf.  Crania  Ethnica,  p.  325. 


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ET   INDIENNE    DE   LONDRES  i87 

Les  vieilles  dynasties  ont  disparu^  mais  au  moment  où  les 
Radjpoutes  établissent  solidement  leur  domination,  Tinvasion 
musulmane  introduit  dans  Tlnde  de  nouveaux  éléments  de  lutte 
et  finit  par  assujettir  à  l'Islam  près  d'une  moitié  des  habitants  de 
la  péninsule. 

Ces  mouvements  de  peuples,  ces  conflits  de  croyances  se  suc- 
cèdent et  s'enchaînent  ainsi  pendant  quarante  siècles,  et  les  euro- 
péens qui  arrivent  aux  Indes  en  1498  y  rencontrent  partout  la  plus 
inextricable  confusion  de  races,  de  langues,  de  religions  et  de 
mœurs.  Les  progrès  de  la  linguistique  et  de  Tarchéologie,  de  l'an- 
thropologie descriptive  et  de  Tethnographie  ont  dissipé  lentement 
depuis  lors  une  partie  des  ténèbres  qui  enveloppaient  les  origines 
indoues;  on  distingue  peu  à  peu  les  langues  aryennes  de  celles 
qui  ne  le  sont  point  et  on  établit  l'antériorité  de  celles-ci  par  rap- 
port à  celles-là  ;  on  fixe  les  caractères  spéciaux  et  la  chronologie 
des  écoles  d'art  qui  ont  fleuri  dans  l'Inde  et  l'on  déchifi're  quan- 
tité d'inscriptions  extrêmement  importantes  pour  l'histoire  et  la 
géographie  ancienne  de  la  presqu'île;  on  se  rend  compte  des 
traits  les  plus  essentiels  des  principales  races  et  Ton  recueille 
des  collections  considérables  de  leurs  œuvres  les  plus  caracté- 
ristiques*. Grâce  à  tous  ces  efforts,  chacun  des  éléments  violem- 
ment mélangés  jadis  se  dégage  et  reprend  sa  place  naturelle^  et 
la  c<  stratification  »  ethnologique  se  retrouve  et  se  reconnaît. 

Andaman.  — Les  Négritos  forment,  je  Tai  déjà  dit,  la  couche 
ethnique  la  plus  ancienne,  ainsi  que  le  montre  nettement  leur 
répartition  actuelle  dans  les  lieux  les  plus  insalubres  ou  les  plus 
inaccessibles  de  la  péninsule,  où  les  ont  refoulés  les  immigrations 
postérieures.  C'est  aux  îles  Andaman  seulement,  jadis  unies  à  la 
terre  ferme,  mais  séparées  du  continent  assez  tôt  pour  avoir  été 
soustraites  aux  envahissements  de  la  période  préhistorique,  que  les 
Négritos  se  sont  conservés  relativement  nombreux  jusqu'aujour- 


i)  Je  mentionnerai  en  particulier  les  14,000  pièces  de  Vlndia  muséum  mises 
très  libéralement  à  ]a  disposition  des  visiteurs  de  l'exposition  par  l'administra- 
tion de  South- Kensington. 


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188  ÉTUDES   SUR   l'exposition    COLONIALE 

d  hui  '.  C'est  donc  par  ce  petit  archipel  que  nous  devons  com- 
mencer notre  rapide  voyage  à  travers  les  collections  ethnogra- 
phiques de  rExposition  indienne. 

On  connaît  si  complètement  les  caractères  physiques,  intellec- 
tuels et  moraux  des  Andamans  qu'il  est  devenu  bien  difficile  de 
produire  quelque  chose  de  neuf  à  leur  sujet.  M.  George  Watt,  qui 
était  chargé  de  la  partie  ethnologique  de  l'Exposition  de  l'empire 
Indien  *,  s'est  donc  borné  à  faire  exécuter  quatre  statues  de  gran- 
deur naturelle,  reproduisant  avec  plus  ou  moins  de  fidélité  les 
particularités  de  la  race,  et  les  a  entourées  des  choses  les  plus 
typiques  de  leur  ethnographie.  Ces  statues,  fabriquées  comme 
toutes  celles  que  nous  allons  passer  successivement  en  revue, 
par  les  artistes  indigènes  de  Krishnagar  %  sont  bien  médiocres 
au  point  de  vue  artistique  ;  modelées  dans  des  poses  à  peu  près 
uniformes,  elles  sont  plantées  en  quinconces,  sans  aucun  grou- 
pement ,  dans  des  espaces  trop  restreints.  J'ajouterai  que  leur 
exactitude  scientifique  laisse  également  beaucoup  à  désirer; 
l'anthropologiste  instruit  se  sent  mal  à  Taise  en  présence  de  ces 
reproductions  par  à  peu  près  de  la  nature  indienne.  Il  est  vrai 
que  l'ethnographe  trouve  dans  Fexamen  des  accessoires  de  ces 
piteuses  statues  un  ample  dédommagement  aux  déceptions  que 
leur  vue  a  pu  lui  procurer. 

^os  quatre  personnages  andamans  ont  sur  le  corps  ou  dans 
les  mains  à  peu  près  toutes  leurs  richesses.  Les  femmes  sont 

1)  Il  y  en  aurait  2,000  sur  la  Grande-Andaman  et  1,000  à  1,500  sur  la  Petite. 
Le  reste  de  la  population  de  Tarchipel,  11  à  12,000  individus,  se  compose  de 
convicts  amenés  de  toutes  les  contrées  de  Tlnde ,  et  répartis  en  trente  stations 
pénitentiaires. 

2)^  On  doit  à  M.  George  Watt  d  abondants  renseignements  sur  cette  partie 
de  1  exposition  indo-coloniale,  accumulés  dans  la  deuxième  partie  du  catalogue 
officiel  de  l'Empire  des  Indes  sous  ce  titre  :  A  Guide  to  the  Elhnological  Models 
and  Eœhibits  snown  in  the  Impérial  Court.  (Empire  of  India,  Spécial  Catalogue 
of  Exhibits  by  the  Government  of  Indin  and  private  Exhibitors,  London, 
W.  Cloves,  1886,  in-8,  p.  159-189.) 

3)  Les  fabriques  de  modèles  en  terre  de  Krishnagar  sont  depuis  longtemps 
connues.  Cette  industrie,  dont  les  produits  se  rencontrent  aujourd'hui  dans 
presque  tous  les  musées  d'ethnographie,  ne  fabriquait  dans  Torigine  que  des 
idoles,  mais  elle  a  peu  à  peu  élargi  son  domaine  par  la  représentation  de 
scènes  mythologiques,  de  types  professionnels,  etc.  On  fait  aussi  des  modelages 
à  Calcutta  et  ailleurs,  mais  ils  sont  bien  inférieurs  à  ceux  de  Krishnagar,  qui, 
lorsquHls  se  maintiennent  dans  les  petites  dimensions  qui  conviennent  à  ce 
genre  de  travail,  sont  souvent  dignes  d'intérêt. 


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ET   INDIENNE   DE   LONDRES  189 

couvertes  d'ornements  tout  primitifs  ;  colliers  de  eoquilles  à  trois 
rangs^  sautoir  en  écorce  grossièrement  barbouillée  de  rouge  et 
de  blanc,  vertèbres  enfilées,  etc.  Les  hommes  portent  leurs 
armes,  et  notamment  le  fameux  arc  décrit  pour  la  première  fois 
jadis  par  Colebrooke.  Tout  cela  est  extrêmement  connu  de  la 
plupart  des  lecteurs  et  je  ne  puis  que  les  renvoyer  aux  belles 
photographies  qui  accompagnent  le  remarquable  mémoire  consa- 
cré aux  Andamans  par  M.  Man  dans  le  douzième  volume  du 
Journal  de  FlnstUut  anthropologique  de  Grande-Bretagne  et 
dirlande.  J'appellerai  seulement  en  passant  Tattention  des 
spécialistes  sur  quelques  objets  rares  exposés  dans  une  vitrine  à 
côté  des  statues  des  insulaires  andamans.  Ce  sont  notamment 
deux  haches  en  pierre,  grossièrement  fabriquées,  mais  complète- 
ment polies  S  puis  des  éclats  d'obsidienne  taillés,  et  enfin  des 
couteaux  fabriqués  avec  des  coquilles  du  genre  pinna. 

Nicobar.  —  Il  n'  y  a  pas  de  Négritos  dans  les  îles  Nicobar, 
situées  pourtant  bien  près  des  Ândaman>  qu'elles  prolongent  dans 
la  direction  d'Atjeh.  Le  centre  de  la  Grande-Nicobar  nourrit  bien 
un  petit  peuple  profondément  distinct  de  celui  de  la  côte,  mais 
ce  peuple  Shom-Pén,  sur  lequel  on  n'avait,  avant  la  récente 
exploration  de  M.  Man,  que  des  renseignements  très  vagues^ 
n'appartient  point  h  la  race  négrito,  comme  on  l'avait  tout 
d'abord  supposé. 

Tandis  que  les  Nicobariens  de  la  côte  sont  donnés  comme  une 
population  mixte  formée  d'éléments  siamois,  indonésiens  et 
malais,  les  Shom-Pén  sont  considérés  comme  homogènes  et 
apparentés,  dit  M.  Man,  aux  races  mongoliques ''.  J'en  ferais 
volontiers,  pour  mon  compte,  des  Indonésiens  purs.  Les  photo- 
graphies de  M.  Man  représentent,  en  effet,  des  sujets  fort  sem- 
blables à  ceux  de  l'intérieur  des  grandes  îles  de  l'Archipel 
Indien. 

1)  Aucune  étiquette  n'en  éclaircit  Toriglne;  seraient-ce  les  pièces  trouvées 
par  Roepstorf  et  Stoliczka  dans  ie  kjœkkenmœdding  de  Hope  Town  ? 

2)  Man  (E.-H.).  A  briefaccount  ofihe  Nicobar  Islanders^  with  spécial  refe^ 
rence  to  the  Inland  tribe  of  great  Nicobar.  (The  Journ.  of  the  Anthrop.  Instit., 
vol.  XV,  p.  428-450,  pi.,  XVII-XIX  1885.) 


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490  ÉTUDES  SUR  l'exposition  coloniale 

Les  statues  de  Nicobariens  exposées  par  M.  G.  Watt  nous 
montrent  des  individus  du  littoral,  dont  les  coiffures  sont  parti- 
culièrement curieuses.  L'un  des  deux  sujets  porte  comme  cha- 
peau un  cylindre  ouvert  par  le  haut,  garni  d'étoffe  et  surmonté 
de  deux  longues  baguettes  droites  terminées  par  des  ornements 
de  papier  ;  l'autre  a  une  calotte  d'écorce  toute  frangée  en  arrière 
de  faux  cheveux  façonnés  de  la  même  matière  *. 

Cochùiy  Travancore,  Madras.  —  On  retrouve  des  Négritos,  plus 
ou  moins  purs  et  plus  ou  moins  semblables  à  ceux  des  îles  Anda- 
man,  dispersés  en  petits  groupes  au  milieu  des  jungles  de  l'inté- 
rieur du  Dekkan  ;  mais  c'est  plus  particulièrement  dans  les  États 
de  Travancore  et  de  Cochin  qu'ont  été  recueillies  les  preuves  les 
plus  significatives  de  la  survivance  de  ces  habitants  primitifs  de 
la  presqu'île  cisgangé tique.  J'ai  commenté  ailleurs  *  les  obser- 
vations recueillies  par  Leschenault  de  la  Tour  et  Fryer  dans 
les  monts  Gattalam  et  Anamalah,  qui  bordent  à  l'est  et  au  nord- 
est  Travancore  et  Cochin.  Les  Kaders  (c'est  le  nom  donné  à 
l'ensemble  des  pygmées  dont  Fryer  nous  a  le  premier  fait  con- 
naître les  caractères  extérieurs),  les  Kaders  s'intitulent  Se/ywewrs 
des  monts  et  les  traditions  des  populations  de  la  plaine  leur 
reconnaissent  une  sorte  de  suprématie  d'un  caractère  fort  vague 
sur  les  territoires  qu'elles  occupent.  Les  Kaders  sont  foncés  de 
teint  et  de  petite  taille,  et  leur  chevelure  est  légèrement  crépue. 
Ce  sont  des  Négritos,  légèrement  altérés  sans  doute  par  des  croi- 
sements avec  les  Dravidiens  qui  les  cernent  de  toutes  parts  et 
finiront  par  les  absorber  tout  à  fait. 

Les  recherches  de  Newbold,  de  Logan,  de  Campbell,  etc., 
tendent  à  démontrer  que  les  chaînes  qui  bordent  de  toutes  parts 
le  plateau  du  Dekkan  ont  donné  asile,  dans  leurs  retraites  encore 
inaccessibles,  à  de  petites  agglomérations  de  montagnards, 
toutes  semblables  à  celles  dont  il  vient  d'être  brièvement  ques- 


1)  Les  Nicobariens  de  Nancowry  sont  depuis  longtemps  connus  par  leur  pré- 
dilection pour  les  coiffures  de  haute  forme. 

2)  Cf.  Congrès  international  des  sciences  géographiques.  Session  de  Paris, 
1875,  t.  I,  p.  288-290. 


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ET   INDIENNE  DE   LONDRES  191 

lion.  L'Exposition  indienne  de  Londres  nous  apporte,  à  l'appui  de 
cette  manière  de  voir,  un  certain  nombre  de  faits  nouveaux  et  d'un 
intérêt  extrême.  Parmi  les  collections  photographiques  extrême- 
ment nombreuses  que  Ton  y  peut  étudier  *  figurent  des  épreuves 
obtenues  par  un  artiste  anglais,  M.  Penn,  d'Ootacamund,  et  qui 
nous  mettent  en  présence  de  plusieurs  groupes  de  véritables 
Négritos'  dont  on  n'avait  rien  dit  jusqu'à  présent.  C'est  dans  les 
jungles  d'Aznaad,  à  l'ouest  du  massif  des  Nilgherries,  que  vivent 


Fig.  25.  Naiker  des  jungles  d'Aznaad  (d'après  une  photographie  de  M.  Penn). 

ces  petits  sauvages,  sous  les  noms  de  Naikers,  de  Punniers  et  de 
Sholajas. 

Les  Naikers  sont  représentés,  dans  la  collection  de  M.  Penn, 
par  quatre  personnages  :  un  homme,  deux  femmes  et  une  fillette. 

1)  Ces  collections  de  photographies,  dispersées  dans  tout  l'ensemble  de  Tex- 
position  indienne,  accrochées  partout  où  il  y  avait  le  moindre  panneau  vide, 
n'ont  été  que  partiellement  inventoriées  et  je  n'ai  malheureusement  pas  pu  m'en 
procurer  ae  catalogue  détaillé. 

2)  Ces  photographies  m'ont  été  pour  la  première  fois  signalées  par  M.  le 
docteur  P.  Rey,  qui  m'en  a  procuré  des  exemplaires  déposés  en  son  nom  dans 
les  collections  de  photographies  du  laboratoire  d'anthropologie  du  Muséum. 


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192  ÉTUDES   SIR    L* EXPOSITION   COLONIALE 

L'homme^  dont  la  figure  ci-jointe  reproduit  les  traits  (fig  25), 
rappelle  à  s'y  méprendre  comme  ses  compagnes,  les  Négritos  de 
Luçon  des  albums  de  MM.  A.-B.  Meyer  et  Montano.  Il  est  petit, 
trapu  ;  il  a  les  cheveux  laineux  et  le  teint  foncé  ;  la  tète  est  forte 
pour  le  corpSy  la  face  est  sublozangique  et  le  prognathisme  sous- 
nasal  assez  hien  accentué.  Le  nez  est  un  peu  court  pour  sa  lar- 
geur et  les  lèvres,  épaisses  et  charnues,  surplombent  un  menton 
fuyant.  Le  tronc  est  mince  et  élégant  de  forme  dans  ses  petites 
proportions  ;  les  membres  supérieurs  sont  longs  et  maigres^  mais 
la  musculature  en  est  bien  apparente;  les  avant-bras,  relative- 
ment développés,  sont  terminés  par  des  mains  qui  manquent  de 
finesse.  Les  femmes  diffèrent  surtout  de  lliommepar  la  longueur 
des  cheveux  tombant  sur  les  épaules  et  plutôt  frisés  que  laineux, 
l'expression  de  la  physionomie,  plus  étonnée  que  farouche,  la 
finesse  des  attaches  et  l'adoucissement  des  contours.  Les  jambes 
sont  maigres,  longues  et  sans  mollets,  le  pied  est  creux  et  le 
gros  orteil  en  est  bien  détaché.  L'homme'a  une  petite  pièce 
d'étoffe  nouée  à  la  ceinture,  les  femmes  dissimulent  leurs 
formes  à  l'aide  d'une  robe  serrée  à  la  taille  et  dont  le  bord  supé- 
rieur passe  sous  Tun  des  bras  pour  aller  se  nouer  sur  l'épaule  du 
côté  opposé. 

Les  Punniers  offrent  à  peu  près  les  mêmes  traits,  mais  moins 
accentués  et  leurs  cheveux  sont  à  la  fois  moins  frisés  et  plus 
longs.  Une  vieille  femme,  qui  fait  partie  du  groupe,  a  dans  la 
narine  gauche  l'anneau  des  gens  de  la  plaine,  et  son  bras,  qui 
tient  une  espèce  de  pic  à  pointe  de  fer  destiné  à  extraire  du  sol 
les  tubercules  comestibles,  est  orné  de  bracelets  de  laiton. 

Les  Sholajas  sont  plus  voisins  encore  que  les  Punniers  des 
individus  des  dernières  castes  du  monde  dravidien.  Sur  trois 
hommes  photographiés  par  M.  Penn,  un  seul  est  véritablement 
laineux  et  offre  les  traits,  un  peu  modifiés  seulement,  des  Négri- 
tos ;  un  second,  encore  très  frisé,  s'éloigne  beaucoup  par  son 
visage  du  type  de  la  race  ;  un  troisième  a  les  cheveux  droits  et 
la  figure  mongoloïde.  Une  jeune  mère  de  famille  est  légèrement 
frisée  et  quelque  peu  négritoïde  (on  me  pardonnera  ce  néolo- 
gisme), mais  de  ses  trois  enfants,  un  seul  reproduit  la  physio- 


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ET   INDIENNE   DE   LONDRES  193 

nomie  maternelle  ;  les  deux  autres  ont  les  cheveux  lisses  et  res- 
semblent à  de  petits  Indous  de  basses  castes. 

L'exposition  de  Madras  nous  montre  en  outre  un  certain 
nombre  de  photographies,  d'aquarelles  et  plusieurs  statues  de 
Erishnagar,  qui  nous  mettent  en  présence  d'autres  montagnards 
de  la  présidence  de  Madras,  célèbres  auprès  des  ethnographes, 
malgré  leur  petit  nombre ,  par  leur  apparence  extérieure  bien 
spéciale,  leurs  idées  religieuses  fort  particulières  et  leurs  mœurs 
très  primitives.  Je  veux  parler  des  Todas,  dont  les  descrip- 
tions de  M.  Marshall  et  les  photographies  de  M.  Janssen,  si 
bien  interprétées  par  M.  de  Quatrefages,  sont  connues  de  tous 
nos  lecteurs.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'arrêter  plus  longuement 
devant  ces  représentations  que  devant  celles  des  Irulas  et  des 
autres  indigènes  des  Nilgherries.  Toutes  ces  figures  sont  vrai- 
ment trop  imparfaites.  Mais  je  transcrirai  en  passant  la  statis- 
tique détaillée  des  tribus  de  montagnes  que  nous  fournit  l'admi- 
nistration de  Madras  \ 

Lors  du  dénombrement  de  J88i,  il  y  avait  encore  dans  les 
massifs  montagneux  de  la  présidence  362,894  individus  recensés 
à  part  comme  aborigènes  et  formant  neuf  groupes.  Les  quatre 
premiers  de  ces  groupes,  resserrés  dans  les  Nilgherries,  sont  les 
Todas  (689  individus  seulement),  les  Badagas,  24,398;  les 
Irulas,  37,053,  et  les  Kurumbas,  7,873.  Les  autres,  beaucoup 
plus  largement  dispersés  et  bien  plus  importants,  sont  appelés 
Erakalas  (48,883)  ;  Enadis  (69,099)  ;  Koravas  (55,645)  ;  Vedans 
(31,854)  ;  enfin  Malayalis  (67,396). 

Il  aurait  fallu  inscrire  à  la  suite  de  ces  neuf  noms  de  peuples 
bien  d'autres  noms  encore,  ainsi  que  M.  Watt  le  fait  judicieuse- 
ment observer'.  En  effet,  non  seulement  on  ne  trouve  pas  de 
trace  dans  le  cemm  britannique  des  petites  tribus  de  négritos  dont 
je  viens  de  parler,  mais  ce  document  n  énumère  aucune  des  popu- 

1)  J'ai  transcrit  avec  beaucoup  de  soin  tous  les  chifTres  détaillés  que  j'ai  pu 
me  procurer  sur  la  population  de  l'Inde.  Ces  données  statistiques  ont  en 
effet  été  publiées  depuis  l'apparition  du  volume  sur  l'Inde  de  la  Géographie  uni- 
verselle de  Reclus,  et  on  ne  les  rencontre  dans  aucun  des  ouvrages  que  je  viens 
de  consulter. 

2)  G.  Watt,  toc.  cit,p.  181. 


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194  ÉTUDES   SUR   l'exposition   COLONIALE 

lations  demi-sauvages  étudiées  par  M.  Shorti  dans  la  présidence 
de  Madras  et  qui  ont  été  probablement  confondues  dans  les  castes 
inférieures  de  la  population  dravidieime*.  Cette  dernière  forme 
plus  de  92  0/0  du  nombre  total  des  habitants  de  Madras. 

Ce  chiffre  total  s'élevant  à  31,170,631  d'individus,  28,853,267 
sont  donnés  comme  parlant  tamil,  telougou,  malayalam,  kana- 
rese  ou  kamataka  et  toulou  ou  toulouvou.  Le  reste  des  indigènes 
est  considéré  comme  aryen  ou  comme  aryanisé  et  parle  ouriya 
(1,128,495),  indoustanî  (696,105)  et  mahratte  (230,006)  *. 

Cette  population  mélangée  des  basses  terres  de  la  présidence 
de  Madras  et  des  États  de  Travancore  et  de  Cochin ,  est  très 
laborieuse  et  ceux  de  ses  produits,  exposés  dans  la  galerie  des 
arts  industriels  [Art  ware  Courts)  sont  nombreux,  variés  et 
intéressants.  On  y  remarque  la  collection  de  peintures  à  Thuile 
du  maharajah  de  Yiazinagram,  dont  plusieurs  représentent  de 
curieuses  scènes  de  la  mythologie  indoue ,  un  modèle  réduit  en 
marbre  du  Darmaraja's  Rath  des  Sept  Pagodes ,  les  instruments 
de  musique  qui  composent  un  orchestre  complet  du  Dekkan,  des 
collections  de  bijoux  anciens  du  sud  de  l'Inde,  et  en  particulier 
de  Yizagapatam  et  de  Cochin,  de  Madras  et  du  Godaveri,  ras- 
semblés par  le  maharajah  de  Cochin  et  MM.  Léman  et  Turner  ; 
anneaux  d'oreilles  et  de  nez,  de  poignets  et  de  bras,  bagues 
de  mains  et  de  pieds,  ornements  pour  la  chevelure ,  emblèmes 
de  mariage,  etc.,  etc.  ;  des  instruments  de  bronze  d'un  beau 
travail,  lampes,  cloches,  vases  de  sacrifices  ;  des  armes  de  luxe, 
présentées  principalement  par  le  maharajah  de  Yiazinagram, 
un  lingam  et  un  yoni  en  cristal  de  roche,  des  poteries  glacées  et 
non  glacées,  enfin  des  palampores,  ou  cotons  imprimés  avec 
les  blocs  en  bois  gravé  qui  portent  les  dessins  à  reproduire. 

Les  vitrines  qui  renferment  les  plus  précieux  de  ces  objets,  les 


1)  Les  Dravidîens  de  Madras  ont  pris  aux  Aryens  leur  système  des  castes, 
au'ils  ont  incroyablement  développé.  On  compte  chez  eux  jusqu'à  19,044  noms 
de  castes  différentes,  que  Ton  peut,  il  est  vrai,  faire  rentrer  dans  257  subdivi- 
sions groupées  elles-mêmes  en  15  grandes  classes. 

2)  Nous  n'avons  pour  Travancore,  Cochin,  Mysore,  Coorg,  Hyderabad  que 
des  chiffres  bruts  :  Travancore  a  2.401,158  hab.;  Cochin,  600,278;  Mysore, 
4,186,188;  Coorg,  178,302;  Hyderabad,  9,845,594. 


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ET  INDIENxNE   DE    LONDRES  195 

panoplies  qui  groupent  artistiquement  les  autres,  sont  encadrées, 
comme  toutes  les  choses  similaires  des  diverses  contrées  de 
rinde,  d'un  portique  en  charpente  {Screen)  sculpté  dans  le  style 
d'architecture  particulier  à  la  province.  Cette  disposition ,  em- 
pruntée à  Texposition  de  Calcutta  (1883),  où  on  l'avait  tout  d'abord 
appliquée,  ace  premier  avantage  de  donner  dans  les  galeries  une 
place  proportionnelle  à  son  importance  à  l'une  des  industries 
artistiques  les  plus  remarquables  de  l'Inde.  Elle  permet,  en 
outre,  de  grouper  sous  les  yeux  des  visiteurs  des  reproductions 
des  différents  styles  usités  dans  la  décoration  ancienne  et 
moderne  des  édifices  publics  et  privés,  décoration  qui  accumule 
plus  particulièrement  ses  ornements,  comme  Ton  sait,  sur  les 
linteaux  des  portes  et  les  balustrades  des  vérandas. 

Ces  modèles,  généralement  bien  choisis,  prêtaient  à  des  com- 
paraisons intéressantes  pour  l'homme  de  science  comme  pour 
l'artiste  et  j'ai  pu,  pour  ma  part,  y  trouver,  à  diverses  reprises, 
des  preuves  manifestes  d'influences  ethniques  importantes  à 
constater. 

Le  portique  de  Madras,  Travancore  et  Gochin  est  sculpté  dans 
le  style  de  l'architecture  dravidienne  du  sud,  de  la  période  de 
Vijaynagar  (xv^-xvi°  siècle),  dont  on  a  toutefois  éliminé,  autant 
que  possible,  les  excentricités  grotesques.  Un  des  caractères  les 
plus  spéciaux  de  cette  architecture  se  tire  de  l'usage  d'un  sys- 
tème compliqué  de  consoles  superposées  remplaçant  l'arche  des 
constructions  indo-sarrasmes.  Ces  consoles  sont  richement 
sculptées  et  la  poutre  qu'elles  supportent  est  divisée  en  panneaux 
couverts  d'oiseaux  et  de  feuillages,  de  griffons  et  d'autres 
monstres  de  la  mythologie  indoue. 

Ce  travail  a  été  exécuté,  pour  le  gros  œuvre,  par  vingt  sculp- 
teurs de  Madras  et  fini  par  un  artiste  de  Ranmad  (Madura)  du 
nom  de  Minakshi  Asari. 

Mysore^  Coorg^  Hyderabad.  —  La  population  de  ces  États  est 
si  semblable  à  celle  de  la  présidence  de  Madras  qu'il  n'a  pas 
paru  nécessaire  aux  organisateurs  de  l'exposition  indienne  de 
consacrer  rien  de  spécial  à  son  ethnographie.  On  trouve  toute- 


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196  ÉTUDES    SUR    l'exposition   COLONIALE 

fois  dans  la  galerie  des  arts  décoratifs  de  Tlnde,  des  expositions 
particulières  où  Mysore  brille  par  ses  bijoux,  ses  tissus  et  ses 
marqueteries  ;  Coorg,  par  ses  armes  blanches  aux  lames  larges 
et  massives  ;  le  Nizam  d^Hyderabad,  par  ses  laques,  ses  brode- 
ries et  ses  ouvrages  en  métal.  C'est  dans  le  Nizam  que  se  trouve 
la  petite  ville  de  Bidar  qui  fabrique ,  depuis  une  époque  très 
reculée,  le  métal  qui  porte  son  nom  [bidrt)^  mélange  de  cuivre, 
d'étain  et  de  plomb,  auquel  on  donne  les  formes  les  plus 
diverses  et  qu'on  incruste  avec  art  de  gracieux  ornements 
d'argent*.  La  ville  d'Hyderabad  est  célèbre  par  ses  épées  et  ses 
dagues  en  acier  de  Hanamkunda;  Baingaupali,  par  ses  laques 
appliquées  en  bosse  [mmiabathi)  ou  à  plat  {lajawardiy  ;  Zelgan- 
dal  et  Kamam  confectionnent  des  statuettes  représentant  les 
diverses  classes  de  la  société  du  Nizam,  ou  des  animaux  gro- 
tesques; Raichor  a  ses  mousselines  et  Aurangabad  ses  éblouis- 
santes broderies  d^or  dont  Texposition  nous  montre  des  spécimens 
d'une  extravagante  richesse. 

L'exposition  de  Mysore  et  de  Coovg  est  séparée  de  celle  de 
Madras  par  des  arcades  en  bois,  copiées  par  des  artistes 
indigènes  sur  celles  du  Daria  Dauiat  Bagh  (palais  du  jardin) 
construit  à  Seringapatam  par  le  fameux  sultan  Tippoo.  Toutes 
les  surfaces  planes  de  cette  enceinte  ont  été  utilisées  pour  exposer 
des  photographies  de  la  contrée  et  des  peintures  qui  repré- 
sentent des  scènes  de  la  mythologie  locale. 

L'exposition  de  Hyderabad,  placée  en  face  de  celle  de  Mysore, 
est  entourée  d'arcades  ornées,  à  la  façon  du  pays,  dont  cette 
décoration  résume  les  principales  manifestations  artistiques  : 
panneaux  en  cuivre  repoussé^  en  bois  laqué,  en  imitation  de 


1)  Cf.  Revue  d'Ethnographie,  t.  II,  p.  262-268,  fig.  100-104. 

2)  Les  hidris,  si  recherchés  quand  ils  sont  anciens,  continuent  à  se  fabriquer 
à  Bidar  et  coûtent  encore  cher,  quoiqu'ils  n'aient  plus  aujourd'hui  la  solidité  et 
la  beauté  de  travail  qu'ils  possédaient  autrefois.  Les  commandes  sont  surtout 
très  importantes  de  la  part  des  riches  mahomélans,  chez  lesquels  un  trousseau 
de  mariée  n'est  pas  considéré  comme  complet  s'il  ne  renferme  tout  un  assorti- 
ment d'objets  usuels  iabriaués  en  métal.  Le  prix  élevé  que  les  artisans  deman- 
dent oblige  même  souvent  le  père  de  famille  à  commencer  ses  collections  long- 
temps avant  que  sa  6lle  soit  nubile.  Une  partie  des  pièces  du  trousseau  doit 
aussi  être  composée  de  pièces  laquées  de  Baingoupali. 


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ET   INDIENNE   DE  LONDRES  197 

bidri,  tentures  en  tapisseries  et  en  satin^  etc.  Le  centre  dnscreen 
est  un  tazzidy  semblable  à  ceux  que  Ton  construit  pendant  les 
fêtes  du  Mohorram  pour  représenter  le  mausolée  de  Hussein  ; 
dans  de  petites  arcades,  de  chaque  côté  du  tombeau,  on  voit 
deux  buraksy  images  du  coursier  céleste  que  monte  le  Prophète 
pour  visiter  le  paradis.  Les  dessins  des  corniches  ont  été  copiés 
sur  les  façades  des  vieilles  mosquées  d*Hyderabad. 

Bombay j  Baroda,  Bhavnagavj  lunagad^  Cutch.  —  L'enceinte 
commune  des  expositions  d'art  industriel  de  la  présidence  de 
Bombay  et  des  États  indigènes  de  Baroda,  de  Bhavnagar,  de 
Junagad  et  de  Cutch,  est  admirablement  sculptée  en  bois  de  tek 
et  destinée  à  donner  une  idée  aussi  exacte  que  possible  de  Fart 
local  et  de  ses  diverses  variétés.  Les  modèles  en  sont  empruntés 
aux  mosquées  d'Ahmedabad,  aux  maisons  de  Surate,  aux  palais 
du  Takur  Saheb  de  Bhavnagar  et  du  Nawab  de  Junagad,  etc. 

Ce  sont  les  ouvrages  en  argent  et  en  or  qui  attirent  avant  tout 
l'attention  dans  les  vitrines  qu'entourent  ces  riches  arcades  : 
bijoux  anciens  de  S.  H.  le  Thakur  Saheb  de  Bhavnagar,  noix  de 
coco  couverte  d'une  plaque  d'or  enrichie  de  pierres  précieuses  et 
que  tient  dans  la  main  celui  des  membres  de  cette  famille  prin- 
cière  qui  préside  une  pompe  religieuse  ;  siège  en  or  du  dieu  Siva  ; 
ornements  de  tète  du  même  métal  de  Junagar;  modèle  en  argent 
massif  de  l'éléphant,  superbement  enharnaché,  qui  porte,  dans 
les  fêtes  officielles,  le  Gackwar  (Guicovar)  de  Baroda,  etc.,  etc. 
Puis  ce  sont  des  bijoux  inférieurs  fabriqués  pour  l'exportation, 
des  armes  et  des  armures  modernes  de  Cutch,  plus  ou  moins 
richement  décorées,  destinées  aux  panoplies  de  nos  curieux 
d'Occident.  Un  peu  plus  loin  on  remarque  le  chariot  à  bœufs  de 
Cambaye,  usité  dans  les  grandes  circonstances  par  les  dames  de 
la  cour  de  Bhavnagar,  un  modèle  en  pierre  à  petite  échelle 
d'un  vieux  temple  de  Baroda,  la  réduction  en  ébène  et  ivoire 
du  tombeau  construit  à  Junagad  pour  le  dernier  souverain  par 
deux  artistes  indigènes,  Dalpat  Nathu  et  Atmaram  Nathu.  Enfin, 
posé  au  centre  de  la  galerie,  un  gracieux  pigeonnier  sur  pilier,  en 
bois  sculpté  dans  le  style  indo-sarrasin  pour  S.  H.  le  Guicovar. 
VI  14 


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198  ÉTUDES   SUR   l'exposition   COLONIALE 

Les  habitants  de  Baroda,  du  Guzerate,  etc.,  ont  l'habitude 
d'élever  ces  sortes  de  constructions  ;  c'est,  à  leurs  yeux,  un  acte 
méritoire  de  donner  ainsi  l'hospitalité  aux  oiseaux,  et  Ton  voit 
le  matin  hommes  et  femmes  aller  jeter  du  grain  devant  les  piliers 
comme  s'ils  accomplissaient  une  cérémonie  religieuse. 

Ces  indigènes  de  la  présidence  de  Bombay  et  des  territoires 
qui  s'y  rattachent^  sont  bien  plus  mélangés  encore  que  ceux  de 
Madras,  et  l'élément  aryen  joue  dans  cette  population  un  rôle 
notablement  plus  important.  Dix  millions  de  Mahrattes  environ 
se  sont,  en  effet,  établis  à  une  époque  ancienne,  dans  la  région 
nord-occidentale  du  Dekkan  et  occupent  encore  aujourd'hui  tout 
le  plateau  à  Test  de  Bombay  et  de  Goa.  Une  collection  de  bijoux 
de  Pouna,  des  idoles,  des  vases,  des  guéridons,  des  lampes,  des 
sonnettes,  etc,  en  bronze  et  en  cuivre,  fabriquées  dans  la  même 
ville  ou  à  Nasik  ;  quelques  vêtements  de  soie  et  de  coton  de 
Yeola,  des  chaussures  brodées,  sont  à  peu  près  tout  ce  que 
l'exposition  nous  montre  de  l'ethnographie  de  ces  Marhattes. 

On  y  trouve  également  fort  peu  de  renseignements  sur  les 
Parsis  de  Bombay  ou  sur  les  Djsunas  de  Goudzerat,  que  quelques 
photographies  rappellent  seules  à  notre  souvenir. 

M.  Watt  s'est,  avec  raison,  préoccupé  davantage  de  grouper 
sous  les  yeux  des  visiteurs  les  documents  beaucoup  plus  inté- 
ressants que  MM.  A.-B.  Gupte,  J.  Griffiths  et  W.-F.  Sinclair 
avaient  rassemblés  sur  les  peuples,  si  mal  étudiés  jusqu'à  pré- 
sent, des  montagnes  de  la  Présidence,  et  notamment  sur  les 
Katkaris,  les  Warlis,  les  Son  Kolis  et  les  Thakours. 

Les  Katkaris,  aussi  nommés  Kathodis,  habitent,  dit  M.  Gupte, 
les  districts  de  Thana  et  de  Kolaba  et  les  abords  de  Pouna,  de 
Nasik  et  du  Bhor-Ghât.  Ils  sont  sauvages,  mais  pacifiques,  et 
vivent  des  produits  de  leurs  chasses  dans  les  forêts.  Leur  arme 
principale  est  l'arc,  toujours  garni  de  deux  cordes  de  bambou; 
la  flèche,  à  pointe  de  basalte  ou  de  fer,  est  plate  et  latéralement 
amincie.  Leur  seul  outil  est  la  koita,  sorte  de  crochet  à  bet, 


1)  Bombay  compte  sans  les  États  feudataires  16,454,414  et  avec  ses  annexes 
23,395,663  hab.;  Barodaen  a  2,185,005. 


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ET   INDIENNE  DE   LONDRES  199 

attaché  sur  la  hanche  droite ,  le  dos  en  avant  ^  par  une  ceinture 
curieusement  plissée  et  bordée;  leur  seule  industrie  est  la  prépa- 
ration du  cutch^  à  Taide  du  bois  de  khair  bouilli.  Ils  sont 
pauvres,  et  leurs  ornements  sont  composés,  sans  art,  de  laiton  et 
de  fibres  végétales. 

Les  Warlis  ou  Varlis,  qui  habitaient  autrefois  le  Varalat,  l'un 
des  sept  Konkans,  sont  aujourd'hui  voisins  des  Katkarisdans  le 
district  forestier  de  Thana.  Loin  de  vivre  largement  dispersés 
comme  ceux-ci ,  en  petites  colonies  de  chasseurs ,  ils  se  sont 
confinés  dans  des  territoires  de  culture  bien  circonscrits.  Leur 
nomlure}  en  1882,  était  de  70,015.  Beaucoup  plus  sociables  que 
les  Katkaris,  ils  descendent  dans  la  plaine  travailler  aux  champs, 
mais  pour  retourner,  aussitôt  le  labour  ou  la  moisson  terminés, 
dans  leurs  chères  montagnes.  Ils  vivent  principalement  de  riz  et 
d'autres  céréales,  mais  ils  savent  aussi  se  contenter,  dans  les 
temps  de  disette,  des  parties  tendres  des  bambous.  Ils  mangent 
toute  espèce  de  viandes,  sauf  celles  du  bœuf,  du  zébu  et  du 
nitgaî  où  antilope  à  pattes  noires,  et  on  peut  les  voir  attendre 
patiemment  à  Taffût  pendant  des  journées  entières  le  cerf  ou  l'an- 
tilope à  courtes  cornes,  le  paon  et  les  autres  gibiers  à  plumes  de 
la  jungle  qu'ils  tirent  avec  de  vieux  fusils.  L'homme  va  la  tète 
nue,  et  se  couvre  rarement  d'autre  chose  que  d'une  étroite  cein- 
ture; la  femme  se  drape  dans  une  pièce  d'étoffe  dont  un  des  pans 
est  ramené  sur  les  épaules  et  sur  les  seins. 

Les  Warlis  adorent  l'esprit  du  tigre  ou  Vaghia,  qui  leur  parle 
par  l'entremise  d'un  des  leurs  temporairement  possédé  ;  mais  le 
bouddhisme  a  pénétré  chez  eux  et  il  n'est  pas  rare  d'en  voir  les 
idoles  dans  leurs  maisons  communes.  Les  corps  de  ceux  qui 
succombent  à  des  maladies  de  peau,  comme  la  lèpre  par  exemple, 
sont  enterrés,  tous  les  autres  corps  sont  brûlés. 

Les  Thakours  du  Sahyàdris  et  du  Konkan  du  Nord  sont  inter- 
médiaires aux  Katkaris  et  aux  Warlis  par  leur  ethnographie.  Ce 
sont  des  gens  de  mœurs  douces  et  simples,  qui  vivent  en  grande 
partie  d'un  petit  millet  qu'ils  cultivent  à  l'aide  d'une  charrue 
toute  primitive. 

Ils  vivent  dans  des  huttes  de  boue  plaquée  sur  clayonnages  et 


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200  ÉTUDES  SUR   L'E2a>0SlT10N   COLONIALE 

couvertes  de  feuilles  de  palmiers^  et  leur  équipement  se  compose 
d'une  couverture  brune  et  d'une  petite  culotte  en  colon,  d'une 
pochette  en  cuir  à  ceinture  de  corde  et  de  la  koita  du  Kalkari, 
logée  dans  Vakhadi  ou  fourreau  de  corne  ou  de  bois. 

Quant  aux  Son-Kolis,  ce  sont  les  aborigènes  des  rivages;  ils 
ont  leurs  quartiers  principaux  dans  le  Konkan  et  leur  chef  ou 
Sar-Patel  vit  à  Alibag  dans  le  district  de  Kolaba.  L'autorité  de 
ce  chef,  qui  repose  sur  une  convention  de  caste,  va,  dit-on,  jus- 
qu'à lui  donner  le  droit  de  vie  et  de  mort  sur  tous  les  Son-Kolis 
et  s'exerce  à  la  fois  sur  les  territoires  directement  soumis  aux 
Anglais  et  sur  les  territoires  indigènes.  Les  sujets  du  Sar-Patel 
vivent  principalement  de  la  mer;  c'étaient  autrefois  des  pirates, 
ils  sont  aujourd'hui  pilotes,  pêcheurs,  etc.  Leur  vêtement  de 
travail  consiste  en  une  coiffure  rouge,  dont  la  forme  varie  de 
village  en  village,  un  mouchoir  de  même  couleur  fixé  autour  des 
reins  par  une  ceinture  de  corde  et  un  couteau  de  fer  sans 
manche  attaché  au  cou.  Les  femmes  se  différencient  de  celles 
des  autres  castes,  par  l'absence  du  cholé  ou  petite  veste  et  la  pri- 
vation d'ornements  quelconques  au  bras  droit.  Elles  offrent  ces 
ornements  à  la  mer  le  jour  de  leur  noce  en  faveur  de  leurs  maris 
et  ne  les  remplacent  jamais.  Les  principaux  temples  des  Son- 
Kolis  sont  ceux  de  Khandoba,  de  Bahiri  et  de  Bhanani,  et  leurs 
pèlerinages  les  conduisent  surtout  à  Karli,  Jojuri  et  Nasik. 

Rajputana,  Ce?itral  India  and  the  Central  Provinces.  —  Les 
territoires  de  l'Indoustan  central,  subdivisés  actuellement  en 
États  radjpoutes  [Radjputana  States  *),  États  de  l'Inde  centrale 
{Central  India  States  ')  et  provinces  centrales  de  l'Inde  britan- 
niques {Cetitral  Provinces  '),  offrent  les  aspects  les  plus  divers. 
Du  côté  de  l'ouest,  le  pays  n'est  qu'un  vaste  désert,  le  Bikanir, 

1)  LesEUts  Radjpoutes  sont  Jeypore,  2,534,357  hab.;  Karauli,  H8,670; 
Bhartpour,  645,540;  Dhol pour, 249,567;  Kotah. 517,275;  lodhpour,  1,750,403; 
Ulwar,  682,926;  Bikanir,  509,021  ;  etc,  la  population  totale  est  de  10,268,392  hab. 

2)  Les  principaux  Etats  de  l'Inde  centrale  sont:  Bhopal,  954,901  hab.; 
Gwalior,  2,993,652;  Indore,  1.048,842,  etHewah,  1,305,124  ;  la  population  totale 
est  de  9,261,907  hab. 

3)  La  population  des  Central  Provinces  atteint  le  chiffre  de  11,548,511  habi- 
tants, dont  9,838,791  en  territoire  britanique. 


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ET    INDIENNE   DE   LONDRES  201 

que  parcoiireni  seulement  des  caravanes  plus  ou  moins  impor- 
tantes; du  côté  de  Test  se  massent  d'immenses  forêts  encore 
en  partie  inexplorées  ;  le  centre  enfin  est  hérissé  de  petites 
montagnes,  d'où  sortent  d'innombrables  ruisseaux,  c'est  le 
terrain  de  chasse  des  Bhils,  dont  la  barbarie  n'a  pas  été  influen-p 
cée  encolle  par  la  civilisation,  qui  monte  de  toutes  parts  à  l'assaut 
de  leurs  retraites. 

Les  premières  tentatives  de  pénétration  dans  les  montagnes 
des  Bhils  ont  été  faites,  il  y  a  longtemps  déjà,  par  les  princes 
de  rinde  du  Nord.  Chassés  de  leurs  domaines  par  les  révolutions 
politiques  qui  ont  si  souvent  agité  cette  contrée,  ils  ont  construit 
des  places  fortes  dans  le  centre  du  pays,  et  s'y  sont  peu  à  peu 
découpé  de  petites  principautés,  dont  quelques-unes  ont  pu 
atteindre  un  certain  degré  de  grandeur,  comme  Ujain  dans  les 
temps  anciens,  Gwalior,  Bhopal,  Sindia,  etc.,  dans  la  période 
moderne.  Grâce  aux  difficultés  naturelles  du  pays  et  à  la  bra- 
voure de  ses  habitants,  ces  petits  États  ont  conservé  leur  indé- 
pendance, pendant  que  le  reste  de  llnde  succombait  sous  les 
coups  des  musulmans.  Et  aujourd'hui  encore,  les  Indous  réfugiés 
dans  rinde  centrale  ont  conservé  maintes  coutumes  originales, 
maintes  traditions  antiques,  qui  partout  ailleurs  ont  été  bruta- 
lement supprimées,  tandis  que  la  population  ancienne  a  gardé  en 
grande  partie  son  originalité. 

Ces  Indous,  de  race  blanche,  sont  principalement  des  Radj- 
poutes,  dont  le  Rajputana  porte  le  nom.  Les  Radjpoutes  sont 
aujourd'hui  les  représentants  les  mieux  caractérisés  de  la  seconde 
des  castes  créées  par  Manou,  celle  des  Kshatrya  ou  guerriers.  On 
les  appelle  quelquefois  la  race  royale  de  tlnde^  parce  que  toutes 
les  grandes  familles  actuelles,  qui  comptent  dans  leur  lignée  de 
puissants  souverains ,  sont  de  sang  radjpoute.  Ils  continuent 
d'ailleurs  à  considérer  le  métier  des  armes  comme  l'apanage  de 
leur  caste  et  il  est  rare  de  trouver  une  famille  radjpoute  qui 
n'ait  point  un  de  ses  membres  dans  les  troupes  anglo-indiennes. 

A  quelque  tribu,  à  quelque  clan  qu'ils  appartiennent^,  les  Radj- 

1)  Les  Radjpoutes  se  divisaient  origiDairementen  deux  branches  égales  :  les 
^uruihami  ou  fils  du  soleil  et  les  Chandrabansi,  ou  fils  de  la  lune,  auxquels 

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202  ÉTUDES  SUR  l'exposition  coloniale 

poules  sont  de  beaux  hommes,  grands^  bien  faits,  fortement 
musclés,  et  appartiennent,  en  somme,  à  Tun  des  types  les  plus 
élevés  des  races  indo-européennes.  Les  documents  qui  les  con- 
cernent à  l'Exposition  indienne  nous  les  montrent  franchement 
dolichocéphales,  avec  une  face  d'un  ovale  régulier,  le  nez  droit, 
un  peu  aplati  du  bout^  les  narines  dilatées,  les  yeux  horizontaux 
largement  fendus,  bruns  et  parfois  gris&tres,  les  cheveux  noirs 
et  ondulés.  Dans  la  portion  du  territoire  où  le  Desarming  Act 
n'est  pas  en  vigueur,  ils  portent  le  bouclier,  le  fusil  à  mèche  et 
le  sabre,  auquel  ils  ajoutent  souvent  encore  une  dague. 

Les  Minis,  vaincus  par  les  Radjpoutes,  ont  cependant  réussi 
à  conserver  le  second  rang  dans  la  société  constituée  par  leurs 
envahisseurs.  Ils  prétendent  même  aujourd'hui  être  des  demi- 
sangs  Radjpoutes,  et  certaines  photographies  de  Texposition 
indienne  confirment  dans  une  certaine  mesure  cette  prétention. 

En  Djaipour,  ils  sont  les  gardes  héréditaires  des  biens  de  la 
couronne  et  ont  le  privilège  de  couronner  le  prince,  quand  il 
prend  possession  de  la  royauté.  Hs  sont  aussi  relativement 
influents  dans  l'Alwar,  le  Bhartpour  et  le  Dholpour  (ils  entrent 
pour  20,000  dans  la  population  de  ces  deux  derniers  pays).  Les 
Minas  de  la  montagne  sont  encore  aujourd'hui  de  sauvages  et 
hardis  maraudeurs^  suivant  Texpression  d'un  voyageur  anglais, 
mais  ceux  de  la  plaine  sont  devenus  depuis  longtemps  déjà  des 
agriculteurs  laborieux. 

Les  Méos  sont  des  Minas  convertis  à  la  religion  musulmane,  on 
les  trouve  surtout  nombreux  dans  les  Étatsde  Bhartpour  et  d'Alwar. 

Les  Bhtls  occupent  les  monts  Aruali  ou  Aravali,  le  Meywar  et 
le  Sirobi,  que  l'on  désigne  administrativement  sous  le  nom  de 
Bhîl  Tracts.  Au  point  de  vue  linguistique,  ils  sont  kolariens^  tan- 
dis que  les  Gh6nds,  leurs  voisins,  sont  dravidiens;  au  point  de 
vue  ethnique,  ils  sont  extrêmement  mélangés,  leurs  traits  et 
leur  couleur  surtout  varient  énormément.  L*exposition  nous 

s'ajoutèrent  plus  tard  les  quatre  tribus  des  fils  d'Agni  ou  du  feu,  Pramara, 
Parihara,  Chalukiya  et  Chauhan.  On  compta  alors  3ô  tribus  satcha  ou  roules, 
et  plus  de  100  gotras  ou  clans.  Les  tribus  et  les  clans  avec  leurs  subdivisions 
(cam'pa),  dépassent  aujourd'hui,  d*après  le  lieutenant-colonel  Harris,  le  nombre 
det^OO. 


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ET   INDIENNE   DE   LONDRES  203 

montre  plusieurs  statues  de  ces  Bhtls  :  la  iplus  intéressante  est 
celle  d'un  guerrier  portant  le  bouclier  rond  de  cuir  à  quatre  cabo- 
chons de  métal,  un  arc  à  corde  de  bambou  et  un  carquois  large 
et  plat,  orné  de  clochettes  et  de  grelots.  Une  autre  statue  repré- 
sente une  femme  bhll,  armée  de  la  fronde  avec  laquelle  elle  va 
lancer  une  pierre  (c'est  un  exercice  que  les  femmes  bhîls  pra- 
tiquent avec  beaucoup  d'adresse);  elle  a  orné  ses  oreilles  de 
curieux  appendices  formés  de  larges  plaques  de  métal  dé- 
coupé. 

Les  Gh6nds  sont  dravidiens  de  langue,  ainsi  que  je  l'ai  déjà 
rappelé,  et  leur  empire,  le  Ghondwana,  qui  forme  aujourd'hui  la 
plus  grande  partie  des  territoires  des  Provinces  centrales,  était 
puissant  au  moment  de  Tinvasion  des  Mahrattes. 

Refoulés  pas  à  pas  jusqu'aux  sommets  rocheux  et  aux  hautes 
vallées,  oîi  la  charrue  ne  peut  plus  être  utilisée,  ils  ont  dû  rêve-* 
nir  aux  procédés  de  culture  les  plus  primitifs,  tandis  que  leurs 
frères  de  la  plaine,  absorbés  dans  le  système  social  des  vain- 
queurs, tombaient  aux  derniers  rangs  des  castes  les  plus 
méprisées. 

Les  Gh6nds  ont  conservé,  dans  leur  décadence,  quantité  de 
choses  anciennes  fort  curieuses,  sur  lesquelles  on  a  trop  fré- 
quemment insisté,  pour  qu'il  soit  utile  d'y  revenir,  et  au  sujet 
desquelles  il  n'existe  d'ailleurs  rien  d'inédit  dans  les  collections 
que  j'examine  rapidement  ici. 

Les  caractères  extérieurs  des  Ghônds  nous  sont  ainsi  donnés 
par  M.  T.-N.  Mukharji.  «  Leur  taille  est  un  peu  inférieure,  dit 
cet  ethnographe,  à  celle  des  Européens,  et  leur  teint  est  plus 
foncé  que  celui  de  la  généralité  des  Indous  ;  leur  corps  est  bien 
proportionné,  mais  leurs  traits  sont  plutôt  laids.  La  tête  est 
ronde,  le  nez  large,  la  bouche  grande  ;  les  lèvres  sont  épaisses, 
les  cheveux  sont  noirs  et  droits,  la  barbe  est  rare.  Bref,  traits  et 
pelage  sont  décidément  mongoliques.  »  C'est  chez  ces  Ghônds, 
qu'on  ne  l'oublie  pas,  que  l'on  a  signalé  plus  spécialement  l'exis- 
tence de  sujets  offrant  des  analogies  plus  ou  moins  grandes  avec 
les  indigènes  du  continent  australien,  analogies  qui  expliquent 
beaucoup  mieux  que  les  affinités  purement  mongoles  invoquées 


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204  ÉTUDES   SUR   L*EXPOSITION    COLONIALE 

par  M.  Mukharji,  une  partie  des  traits  de  la  description  que  nous 
lui  avons  empruntée. 

Ghônds  et  Bhtls  des  montagnes  ont  aujourd'hui  une  ethnogra- 
phie fort  simple,  et  leurs  industries  ne  sont  figurées  à  l'Exposi- 
tion que  parles  accessoires  des  statues  qui  les  représentent.  Mais 
leurs  frères  des  villes  ont  leur  part  dans  les  nombreuses  collec- 
tions accumulées  dans  les  courts  réservées  à  llnde  centrale. 

Ces  courts  sont  au  nombre  de  trois.  Celle  des  Central  Pro- 
vincesy  encadrée  de  charpentes  sculptées  à  Nagpour  y  contient 
principalement  des  cuivres  de  Bhandara,  des  cotonnades  teintes 
et  imprimées  de  Chanda  et  de  Gahra,  des  soies  de  Sambalpour, 
des  broderies  de  Bourhanpour  et  quelques  bijoux  d'or  grossiers. 
Toutes  ces  choses  sont  d'ordre  inférieur,  Tart  du  sculpteur  en 
bois  atteint  seul,  dans  ces  provinces  isolées,  un  certain  degré  de 
perfection. 

La  court  des  Central  India  States^  dont  l'enceinte  reproduit 
des  motifs  d'ornementation  copiés  à  Khajurahu,  dans  le  Bundel- 
kand,  à  Sanchi,  à  Gwalior,  montre  de  fines  étoffes  de  Sarang- 
pour,  renommées  dans  l'Inde  entière  pour  leur  supériorité,  des 
mousselines  de  Chanderi,  brodées  de  soie  ou  d'or,  de  la  plus 
grande  finesse,  de  belles  armes  blanches  anciennes  et  modernes 
de  Charkhari  et  de  Datia,  des  bijoux  émaillés  dlndore  et  de 
Rutlam,  etc.,  etc.,  enfin  une  trentaine  de  statuettes  en  terre  de 
Gwalior  :  divinités  avec  leurs  emblèmes,  personnages  et  cos- 
tumes des  diverses  classes  de  la  société  indigène. 

La  court  des  Radjputana  States  est  subdivisée  en  huit  sub- 
courts.  La  première,  celle  de  Bikanir  et  de  Tonk  a  ses  charpentes 
de  bois  ornées  au  patron  à  l'aide  d'un  procédé  fort  simple,  spécial 
à  ces  contrées,  d'un  décor  rouge,  noir  et  or.  On  y  voit  exposés 
des  cuivres  ciselés,  des  poteries  et  des  bois  chargés  d'enduits  au 
patron,  des  cuirs  ornementés  de  même,  etc»  La  seconde  sub- 
court j  celle  d'Ajmère,  qu'isolent  des  arcades  construites  suivant 
les  formes  employées  dans  l'architecture  urbaine  de  la  capitale 
de  cet  Ëtat,  renferme  principalement  des  spécimens  d'étoffes 
teintes  pour  costumes,  pagrisy  takriSy  etc.,  de  bijoux  d'une  orne- 
mentation spéciale  aux  Radjpoutes,  d'ivoires  tournés,  blancs  ou 


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ET  INDIENNE  DE  LOIIDRES  205 

laqués,  etc.  On  remarque  dans  lesub-court  de  Kotah  les  articles 
en  bois  et  en  corne  d'Ëtawab,  incrustés  d'ivoire  et  de  nacre,  et 
ceux  dlndragarth  tout  ornés  d'enduits  colorés  ;  dans  celles  de 
Karauli^  de  Bhartpour  et  de  Dholpour^  des  grès  ciselés  et  de  petits 
ouvrages  en  bois  délicatement  fouillés  ;  dans  celles  de  Johdpour 
et  d'Ulwar,  des  armes  blancbes  et  des  reliures  en  cuir  célèbres 
dans  le  Radjpoutana  tout  entier  ;  enfin  dans  celle  de  Jeypove  des 
émaux  champlevés  et  des  réductions  de  modèles  en  bronze  d'un 
fort  beau  travail.  Les  deux  screens  de  Kotah  et  de  Jodbpour  sont 
Fun  en  bois  brun  de  shisham  incrusté  d'ivoire  et  l'autre  en  bois 
de  teck;  celui  de  Karauli  est  en  grès  rouge  des  environs  de  cette 
ville,  celui  d'Ulwar  est  décoré  de  marbres  blancs  et  noirs,  enfin 
celui  de  Jeypour  est  formé  de  panneaux  assemblés,  découpés 
dans  le  style  sarrazin  modifié  {modified  Saracenic)  qui  est  en 
grande  vogue  dans  toute  l'Inde  supérieure  et  dans  le  Radjpou- 
tana en  particulier.  L'exposition  de  Jeypour,  qui  est  de  beaucoup 
la  plus  importante  de  celles  des  États  radjpoutes^  est  complétée 
par  un  nakar-kana  ou  drum-hotise,  maison  des  timbales,  qui  sert 
d'entrée  à  la  galerie  des  arts  industriels  de  l'Inde  et  mérite  d'at- 
tirer quelques  instants  l'attention. 

Les  grandes  portes  des  temples  et  des  palais  de  l'Inde  sont 
ordinairement  surmontées  d'une  loge  dans  laquelle  des  musiciens 
exécutent  leurs  concerts  de  timbales  et  d'autres  instruments  à 
certains  intervalles,  en  l'honneur  des  dieux  ou  des  princes.  C4'est 
ce  que  Ton  nomme  la  nakar-khana,  du  mot  arabe  imkara,  qui 
veut  dire  timbale.  Le  maharadjah  de  Jeypour  a  fait  ériger  à  l'en-* 
trée  de  son  exposition  une  de  ces  portes  surmontée  d'une  loge 
toute  tendue  de  mushu  et  garnie  de  son  orchestre  complet.  Les 
deux  frontons  de  la  porte  [Jeypore  Gateway)  sont  ornées  des 
images  symboliques  du  soleil,  ancêtre  des  maîtres  du  Jeypour,  et 
de  la  lune  dont  descendent  les  chefs  de  Karauli^  etc.  Au-des- 
sous de  la  figure  solaire  se  lit  la  devise  royale  :  «  Yato  dharm 
statojaya  »  Ubi  virtuSy  ibi  Victoria.  L'on  voit  suspendus,  non 


1)  Elle  a  son  catalogue  spécial  intitulé  Handbook  of  the  Jeypore  Courts ^  by 
T.-H.  Hendley.  Calcutta,  1886,  in-8. 


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206  ÉTUDES  SUR  l'exposition  golonule 

loin  de  là,  le  paneh  rang,  baoniëre  à  einq  couleurs  du  maha- 
radjah eilemahimaharatib,  sjnmbole  de  la  plus  haute  noblesse, 
composé  d'une  tète  de  poisson  en  or  et  de  deux  houles  dorées, 
montées  sur  des  hampes  distinctes.  Ces  illustres  insignes  ont  été 
envoyés  de  Delhi  sous  le  règne  de  l'empereur  mongol  Feroksha 
et  si  grand  fut  Thonneur  ainsi  fait  au  souverain  de  Jeypour  que 
les  musiciens  jouèrent  trois  jours  et  trois  nuits  sans  discontinuer 
dans  son  nakar-khana,  pendant  que  toute  la  ville  se  livrait  à  des 
réjouissances  officielles. 

North'West  Provinces  and  Oudh. — Un  autre  monument,  beau- 
coup plus  important,  attire  les  regards  du  visiteur  instruit,  lors- 
qu'il pénètre  dans  la  section  des  «  provinces  du  nord-ouest.  »  C'est 
un  double  pilier  de  marbre  magnifique  découvert  récemment  dans 
la  citadelle  d'Agra,  en  creusant  les  fondations  d'un  corps  de 
garde.  Les  sculptures  en  sont  toutes  semblables  à  celles  du  Tadj- 
Mahal,  cet  admirable  monument  élevé  par  Chah-Djahanà  Ardja- 
man-Banou,  sa  femme  ;  ce  sont  des  spécimens  parfaits  de  l'art 
persan,  tel  qu'il  s'était  développé  à  la  cour  des  empereurs  mon- 
gols. On  suppose  que  ce  précieux  morceau  faisait  partie  d'une 
construction  de  cette  époque,  le  Ditoan-i-Khas,  et  ont  été  enfouis 
au  moment  de  la  prise  d'Agra  par  Souraj-Mull,  rajah  de  Bhart- 
pour.  Il  est  offert  par  le  gouvernement  des  provinces  du  nord- 
ouest  aux  collections  nationales  de  South-Kensington  '. 

Les  industries  principales  des  artisans  d'Agra  sont  encore 
aujourd'hui  celles  qui  leur  furent  enseignées  lors  de  la  construc- 
tion du  Tadj-Mahal  :  l'incrustation  des  marbres,  la  taille  des 
mosaïques,  le  sertissage  des  pierres  précieuses,  lapis  lazuli,  tur- 
quoise, etc*.  Agra  a  aussi  ses  ciseleurs  en  métaux,  ses  sculp- 

1)  Ces  piliers  forment  le  c«^nlre  de  la  décoration  du  scrcen  des  provinces  nord- 
ouest  et  de  rOudh.  Cette  décoration  est  complétée  par  des  spécimens  de  sculp- 
tures en  pierre  des  maçons  de  Muttara«  et  aes  sculptures  en  bois  qu'on  trouTe 
dans  les  vieilles  maisons  de  Lucknow.  A  l'extrémité  est  de  cette  sub-court  est 
un  remarquable  portique  en  bois  dont  les  panneaux  sont  décorés  d'appliques  en 
bronze. 

2)  «  L'ouvrier  bordelais  Âustin  est  le  grand  artiste,  inconnu  dans  sa  patrie,  qui 
forma  Tëcole  des  mosaïstes  d*Agra;  les  indigènes  lui  avaient  donné  le  surnom  de 
Nadir  el  Asour  «  prodige  du  siècle  p.  (E).  Reclus,  Nouvelle  géographie  univer- 
selle, t.  VIII,  p.  348.  1883.) 


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ET    INDIENNE    DE    LONDRES  207 

leurs  en  stéatiie,  ses  imprimeurs  sur  étofFes,  ses  tisseurs  de 
rfwm,  etc.,  dont  plusieurs  sont  venus  à  Londres  exercer  sous  les 
yeux  du  public  leurs  intéressantes  industries. 

Mirzapour  a  ses  tailleurs  de  pierre,  qui  ont  envoyé  un  bon 
modèle  réduit  de  temple  hindou.  Nagina  a  ses  graveurs  en  bois 
qui  exposent  tout  un  assortiment  d*objets  usuels  en  ébène  quel- 
quefois incrustés  de  cuivre  ou  de  nacre.  Bandah  sculpte  l'argent, 
le  jaspe,  la  cornaline,  et  Khurja  couvre  de  décors  éclatants  ses 
poteries  glacées.  Bénarès  tisse  les  brocarts  d'or,  Lucknow  enfin 
fabrique  des  cithares,  polit  les  cuivres  à  facettes  que  les  Anglais 
nomment  diamond-cut  silver  omamenis,  modèle  et  fond  la  vais- 
selle d*or  et  d'argent,  damasquine  les  armes  blanches,  enfin 
répand  dans  le  commerce  d'exportation  des  figurines  en  terre 
peinte  parfois  très  expressives,  et  qui  reproduisent  les  castes  et 
les  professions  du  pays.  On  peut  voir  dans  l'exposition  de  Luck- 
now des  portraits  en  terre  de  trois  des  modeleurs  exposants  et 
dans  la  section  économique  le  plan  en  relief  de  tout  un  village  de 
rOudh.  Le  Zamindar,  ou  fermier  général,  est  assis  sous  sa  veran- 
dah  et  tout  en  rendant  la  justice  à  quelques-uns  de  ses  adminis- 
trés groupés  autour  de  lui,  écoute  le  putwari  ou  comptable  qui  le 
met  au  courant  des  rentrées  de  l'impôt.  Le  village  s'étend  tout 
autour  de  cette  scène  :  on  y  voit  un  brahmane  décorant  cérémo- 
nieusement l'idole  locale  ;  des  artisans  se  livrent  dans  leurs 
échoppes  à  diverses  occupations.  Une  paire  de  bouvillons  fait 
laborieusement  tourner  une  grossière  presse  à  sucre.  Plus  loin 
on  ferre  un  bœuf  ;  une  vieille  femme  mène  un  troupeau  de  porcs, 
pendant  que  des  chiens  disputent  aux  corbeaux  et  aux  vautours 
la  carcasse  d'une  bète  morte.  Puis  [ce  sont  les  divers  procédés 
d'irrigation  en  usage  chez  les  paysans  du  nord-ouest  et  les  opé- 
rations du  labourage  et  de  la  culture  des  yams  et  du  tabac  ^ 

1)  Je  signale  ici,  pour  n'y  plus  revenir,  les  autres  modèles  exposés  dans  la 
section  économique:  une  maison  de  cultivateur  aisé  du  Bengale,  de  race  hin- 
doue, une  maison  de  cultivateur  musulman  de  la  même  présidence;  deux  musul- 
mans labourant  et  semant,  d'autres  paysans  roulant  et  nivelant,  d'autres  encore 
maniant  la  houe  et  le  sarcloir;  des  modèles  de  voitures  à  fumier  du  Bengale, 
d'auge  à  irrigation,  de  paniers  pour  le  même  usage;  puis  des  scènes  rus- 
tiques encore,  la  récolte  à  la  faucille,  le  battage  à  la  main,  le  vannage,  le  près*- 
sage  du  ricin  et  de  la  canne  à  sucre.  Je  mentionnerai,  en  outre,  une  grande 


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208  ÉTUDES  suB  l'exposition  coloniale 

'  Les  autres  documents  iconographiques  relatifs  aux  provinces 
du  nord-ouest  concernent  presque  exclusivement  les  races  plus 
ou  moins  sauvages  dont  elles  ont  conservé  des  représentants,  et 
notamment  celles  des  Mahras,  des  Bogshàs,  des  Tharûs,  des 
Bhùtis,  des  Kanjars  et  des  Bandelas.  Les  Bandelas  ou  Boun- 
delas  qui  ont  donné  leur  nom  au  Bandelkhand  (Boundelkhand) 
sont  des  Radjpoutes  profondément  altérés  au  contact  des  indi- 
gènes qui  habitaient  ce  pays  sous  les  noms  de  Ponwars  et  de 
Dhandelas,  lorsqu'ils  ont  été  contraints  à  y  chercher  refuge  au 
moment  de  la  conquête  de  TOudh  par  les  mahométans. 

Les  Bhùtis  sont  des  métis  de  Radjpoutes  Ehasias  et  de  Hunias 
de  race  mongolique  descendus  des  hauteurs  de  l'Himalaya  occi- 
dental. Les  Mahras  et  les  Boghsâs,  les  Tharus,  divisés  en  Sonsâs, 
Khunk&Sy  Rajiâs^  Dhungr&s,  Gusais  et  Kazâs,  se  réclament 
aussi  des  Radjpoutes,  dont  ils  ont  perdu  presque  toutes  les  qua- 
lités de  race  par  des  alliances  avec  les  Tibétains.  Quant  aux  Kan- 
jars, ce  sont  de  misérables  nomades,  appartenant  probablement 
à  une  couche  ethnique  très  ancienne,  mais  sur  Torigine  desquels 
il  serait  imprudent  de  se  prononcer  dans  Tétat  actuel  de  la 
science. 

Ces  divers  groupes  de  métis  vivent  demi-nomades  tantôt  sur 
les  pentes  de  THimalaya,  tantôt  dans  le  ieraî^  région  de  marais 
et  de  jungles  qui  sépare  les  montagnes  des  plaines.  Celles-ci  sont 
occupées  presque  exclusivement  ^  parles  Indous  les  plus  purs  de 
tout  rindoustan. 

Les  BrahmanSy  qui  appartiennent  surtout  aux  tribus  Gaur  ' 


collection  de  charrues,  de  rouleaux  et  de  toutes  sortes  d^instruments  d'agri- 
culture, souvent  très  primitifs  et  par  là  même  fort  intéressants  au  point  de  vue 
ethnographique,  qui  sont  disposés  en  larges  panoplies  sur  les  murs  de  la  gale- 
rie. On  y  peut  aussi  voir  quatre  boutiques  avec  leurs  marchands  et  leurs  ache- 
teurs, quatre  statues  représentant  des  paysans,  enfin  un  groupe  de  femmes  fai- 
sant de  la  farine  avec  une  meule  à  main  munie  d'un  guide  en  oois. 

i)  La  population  des  provinces  du  nord-ouest  et  de  l'ouest  est  de  44,1Û7>868 
individus,  d'après  le  recensement  de  1881;  sur  ce  nombre  38,053,394,  soit 
86  0/0,  sont  Indous.  On  compte  5,92^,886  mahométans,  79,9o7  jaïnas  et  51,632 
sujets  de  races  mêlées,  en  majorité  chrétiens  • 

2)  Les  nombreuses  tribus  de  Brahmans,  dispersées  dans  tout  rindoustan» 
appartiennent  à  une  grande  famille,  mais  cette  famille  est  divisée  en  centaines 
de  factions  par  des  dissensions  intestines.  La  famille  a  deux  grandes  branches  : 
rcelles  de  Gîaur  et  celle  de  Draviraf  divisées  Tune  et  l'autre  en  cinq  grandes 


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ET  INIAeNNB   de   LONDRES  209 

constituent,  dit-on,  la  huitième  partie  de  la  population  ;  les 
Kchatryas  ou  Radjpoutes  sont  aussi  très  nombreux  et  très  riches. 
Les  Vaisyas  se  sont  développés  d'une  manière  étonnante  depuis 
la  domination  anglaise  et  Ton  voit  des  castes  inférieures,  comme 
les  Ahir  ou  Gorpa,  qui  ne  sont  que  des  bergers,  se  vanter  d'ap- 
partenir à  la  race  du  dieu  Krischna,  tandis  que  de  simples  pay- 
sans, les  Kourmis  et  les  MouraOySe  donnent  tous  comme  de  véri- 
tables Indous. 

Punjab.  —  La  terre  des  Cinq-Rivières^  c'est  le  sens  du  mot 
Punjab  ou  Penjab^  compte  aussi  de  nombreux  Aryens  dans  sa 
population.  Si,  en  effet,  la  statistique  par  religion  '  ne  signale 
qu'un  peu  plus  de  neuf  millions  d'Indous  sur  près  de  vingt-trois 
millions  d'habitants,  la  statistique  des  langues  nous  apprend  que 
la  grande  majorité  de  ces  habitants  parle  des  langues  indo-euro- 
péennes et  les  enquêtes  ethnologiques  que  les  Anglais  ont  insti- 
tuées, ont  démontré  que  les  tribus  du  Punjab  sont^  par-dessus 
tout  aryennes  (/>reemm^n//yaryan).  Même  dans  THimalayales 
caractères  mongoliques  tendent  à  s'effacer  vers  l'ouest,  tandis 
qu'ils  sont  extrêmement  accusés  dans  l'est  de  la  chaîne,  ainsi 
qu'on  le  verra  plus  loin. 

Parmi  les  éléments  aryens  plus  particuliers  à  la  province,  il 
faut  surtout  mentionner  les  Jàts  ou  Djàts,  du  milieu  desquels 
sont  sortis,  à  la  fin  du  xv*  siècle,  ces  vaillants  guerriers  sikhs, 

tribus  séparées.  Les  cinq  tribus  Gaur,  Kanouiiya  ou  Kauga  Kubja,  Saraswat, 
Gaur»  Maithila  et  Utkaiu,  sont  établies  dans  Tlnde  du  norof,  au  nord,  au  nord- 
est  et  nord-ouest  de  la  Nerbuddha.  Les  cinq  tribus  Dravira  vivent  au  sud»  au 
sud-est  et  au  sud-ouest  de  cette  rivière  ;  elles  se  nomment  Maharashtra,  Tailanga 
ou  Andhra,  Dravira,  Karnata  et  Guriâr.  C'est  une  des  tribus  Gaur,  celle  des 
Adi  Gaur  |Gaur  originaux)  qui  réclame  la  suprématie  sur  toutes  les  autres 
tribus  de  Brahmans.  Les  Adi  Gaur  se  rencontrent  principalement  à  Saharan- 
pour,  Mozuffemugger,  Meerut  et  Bijnour,  et  aux  environs  de  Delhi,  Rohtuck  et 
Hissar.  Une  partie  de  cetle  tribu  célèbre  est  même  descendue  dans  le  Bengale 
propre. 

1)  Ce  mot  tire  son  nom  des  cinq  affluents  de  Flndus  :  le  Shilam,  le  Chenab,  le 
Ravi,  le  Bias  et  le  Sutlei. 

2)  La  population  totale  de  Punjab  est  de  22,712,120  habitants  ;  les  mahomé- 
tans  dépassent  la  moitié  de  ce  nombre,  11,662,434,  les  Indous  sont  9,252^295; 
les  Sikhs,  1,716.114;  les  Jaïnas,  42,678,  les  chrétiens,  133,699  ;  les  bouddhistes, 
3,251  ;  les  sectateurs  d'autres  religions,  mentionnées,  pris  en  bloc  dans  le  recen- 
sement, ne  dépassent  pas  1,649. 


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Fig.  26.  Bas-relief  de  Kaliujar,  repréFentant  un  guerrier  armé  d'uDe  hache 
en  pierre  emmanchée  (d'après  une  photographie  de  M.  Rivett-Camac  ')« 

1)  L'exposition  des  provinces  dû  nord-ouest,-  comme  celles  de  la  plupart  des 
autres  provinces,  abonde  en  matériaux  de  toute  espèce  (peintures,  aquarelles,  des- 


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ÉTUDES  SUR  L*EXP0SITI05  COLONIALE  ET  INDIENNE  DE  LONDRES    211 

<c  disciples  »  du  réformateur  Nanak,  qui  ont  si  longtemps  dis- 
puté aux  Anglais  le  nord-ouest  de  l'Indoustan,  et  qui,  ruinés  par 
cette  lutte  acharnée,  ne  sont  plus  aujourd'hui  qu'une  secte  reli- 
gieuse, groupée  principalement  autour  de  la  cité  sainte  d'Am- 
ritsar\  Les  Djâts,  qui  entrent  pour  4,432,750  dans  la  population 
du  Punjab',  offrent  assez  généralement  un  type  ethnique  supé- 
rieur, qui  rappelle  celui  de  la  plupart  des  Tziganes  d'Europe.  Ils 
ont  la  tête  ovale  et  allongée,  le  front  un  peu  fuyant,  le  nez  busqué, 
les  pommettes  effacées,  mais  les  angles  de  la  mâchoire  inférieure 
saillants  et  le  menton   triangulaire  et  pointu.  Leur   teint  est 
bronzé,  leurs  cheveux  sont  foncés  et  frisés,  et  leurs  yeux  noirs 
sont  profondément  logés  sous  des  arcades  sourcilières  épaisses 
et  saillantes  (Gg.  27). 

Les  Beloutches  ou  Biluchs,  venus  du  Beloutchistan,  forment, 
dans  le  Punjab,  51  tribus  qui  comptent  en  tout  355,238  tètes. 
Les  Pathans  sont  beaucoup  plus  nombreux  (859,582)  et  vivent 
en  majorité  dans  les  districts  du  Trans-Indus. 


sins,  photographie»]  relatifs  à  l'archéologie  de  l'empire  des  Indes.  Ces  docu- 
ments sont  même  si  nombreux  que  les  catalogues  imprimés  ont  énuméré  en 
bloc  les  séries  les  plus  importantes  et  omis  complètement  les  autres.  11  m'a 
donc  été  impossible  de  mentionner,  même  en  courant,  les  reproductions  pour- 
tant si  intéressantes  de  monuments  indous  de  toute  espèce  accumulées  dans 
les  galeries  indiennes  de  l'exposition.  Je  me  bornerai  à  placer  sous  les  yeux  des 
lecteurs  (Û^.  26)  la  reproduction  d'un  bas-relief  de  Kalinjar,  dont  je  dois  la 
photographie  à  M.  Rivett-Garnac  et  qui  présente  cet  intérêt  tout  à  fait  excep- 
tionnel de  mettre  en  scène  un  danseur  brandissant  dans  la  main  gauche  une 
hache  grossièrement  emmanchée,  qui  ne  peut  être  ((u'une  hache  de  pierre. 
Cette  représentation  d'un  guerrier  de  la  période  néolithique  n'est  pas  aussi 
ancienne  qu'on  pourrait  le  croire,  étant  données  les  observations  recueillies 
dans  nos  contrées  sur  les  instruments  en  pierre  polie.  Suivant  M.  Rivett-Carnac, 
en  effet,  le  monument  en  question  appartiendrait  au  yii<>  siècle  de  notre  ère  et 
démontrerait  qu'à  cette  époque  les  haches  en  pierre  emmanchées  étaient  encore 
en  usage  au  cœur  de  l'Indoustan,  au  moins  dans  certaines  danses  religieuses. 
On  sait  que  M.  Rivett-Carnac  a  exhumé  un  grand  nombre  de  ces  haches  dans 
les  fouilles  qu'il  a  pratiquées  dans  le  district  de  Bandah. 

1]  Leur  nombre  ne  représente  qu'un  peu  moins  des  38  centièmes  de  la  popu- 
lation Djât,  relevée  au  Hunjab. 

2)  L'une  de  leurs  confréries  les  plus  célèbres  est  celle  des  Akalis  ou  Nihangs. 
Comme  les  anciens  guerriers  sikhs,  qui  devaient  constamment  avoir  sur  eux  un 
objet  d'acier,  poignard,  etc.,  les  AJcaiis  s'obligent  à  porter  exclusivement  des 
ornements  de  ce  métal*  Un  curieux  mannequin  montre  un  de  ces  dévots  per- 
sonnages vêtu  d'une  blouse  teinte  à  l'indigo  et  la  tête  coiffée  d'un  immense  cha- 
peau conique  en  drap  de  môme  couleur,  recourbé  légèrement  du  bout  et  garni 
d'un  fronton  d'acier  en  forme  de  feuille  de  fougère,  composé  d'une  trentaine  de 
lames  de  couteau  et  de  quatre  ou  cinq  pointes  de  flèches. 


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212 


ÉTUDES  SUR   l'exposition    COLONULE 


On  compte  aussi,  dans  cette  province,  un  certain  nombre  de 
Persans,  qui  exercent  surtout  des  industries  libérales  et  conti- 
nuent une  propagande  plusieurs  fois  séculaire  en  faveur  de  leur 
art  national.  Sir  Edward  C.  Buck,  voulant  faire  valoir,  dans  la 
Préface  qu'il  a  placée  en  tête  du  Catalogue  spécial^  l'avantage 


Fig.  27.  Sikh  (d*aprè8  une  photographie  du  colonel  Tytkr). 

du  classement  géographique  adopté  par  la  commission  pour  les 
produits  de  Tart  industriel  (Art  ware  courts)  des  Indes  anglaises, 
cite  à  titre  d'exemple  l'exposition  du  Pundjâb,  où  il  est  ainsi 
aisé  d'observer  l'influence  spéciale  exercée  par  le  voisinage  de 
la  Perse  '. 

1)  It  18  easy  to  observe  for  instance,  the  greater  effed  of  Persian  influence 
on  many  art  manufactures  in  the  Punjab  when  thèse  are  compared  with  thèse 
of  Provinces  further  South:  this  drcumstance  being  due  to  the  fact  thût  the 
Punjaby  has  always  been  from  its  position  the  first  province  to  be  overrun  by 
successive  inroads  of  invaders  from  beyond  the  North-West  Frontier,  [hoc. 
cit.,  p.  1.) 


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ET   INDIENNE  DE   LONDRES  213 

Celte  influence  se  traduit,  en  effet,  de  tous  côtés  dans  les  dessins 
et  les  photographies  archéologiques  de  Delhi  et  de  Lahore,  conune 
dans  les  modèles  réduits  du  Durbar  Sahib  des  Sikhs  d'Amritsar, 
dans  les  papiers  mâchés  de  Kamagri,  comme  dans  les  bois 
sculptés  d'Udoki  *  ou  de  Gurdaspour,  et  les  laitons  niellés  de 
Mouradabad,  dans  les  peintures  et  les  gravures  comme  dans  le 


Fig.  28.  —  Komur  (d'après  une  photographie  du  colonel  Tyller;. 

mobilier  et  la  bimbeloterie  de  Delhi,  qu'exécutent,  à  côté  de  leurs 
compatriotes  d'Agra  ou  de  Bénarès,  quelques-uns  des  plus 
habiles  artisans  de  cette  ville  envoyés  à  l'Exposition. 

Kashmir.  —  Mais  c'est  surtout  dans  Tart  industriel  du  Cache- 
mire que  cette  influence  persane  se  manifeste  avec  le  plus  d'in- 
tensité. Les  appliques  décoratives  en  papier  mâché ^  les  tables,  les 
boîtes,  les  vases,  etc.,  de  la  même  matière  ne  sont  que  des  imita- 

i)  Le  Screen  de  Punjab  est  fait  par  des  charpentiers  sikhs  d'Udoki  et  de 
Lahore,  dans  un  style  dérivé  de  Tarchitecture  mongole. 

VI  15 


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214  ÉTUDES   SUR   l'exposition   COLONIALE 

tions  de  choses  beaucoup  plus  parfaites  exécutées  en  Perse  ; 
les  plats,  les  aiguières,  les  coupes,  les  candélabres,  les  cra- 
choirs, etc.,  etc.,  en  métal  ciselé,  s'inspirent  des  modèles  per- 
sans, dont  ils  compliquent  les  motifs  sans  en  égaler  la  finesse, 
tout  en  dépassant  de  beaucoup  par  leur  exécution  les  pièces 
du  Turkestan  ou  de  T Afghanistan;  les  éléments  les  plus  essen- 
tiels du  décor  persan  se  retrouvent  sur  les  châles  et  les  autres 
étoffes  de  laine  qui  ont  rendu  le  Cachemire  célèbre  *  et  sur  ces 
incomparables  broderies  en  soie,  en  coton  ou  en  laine,  dont  les 
vitrines  de  l'Exposition  renferment  de  si  remarquables  spéci- 
mens. Enfin  la  sculpture  sur  bois,  dont  l'enceinte  de  la  galerie 
cachemirienne  est  un  bon  spécimen  S  prend  surtout  ses  modèles 
dans  les  monuments  de  l'architecture  des  Mongols  '. 

Népal''.  —  Tout  indépendant  qu'il  est  en  réalité,  l'état  du 
Népal  est  uni  par  tant  de  liens  étroits  aux  provinces  anglaises,  que 
l'administration  de  l'Empire  n'a  point  hésité  à  lui  faire  une  place 
dans  son  exposition ,  en  respectant  d'ailleurs  dans  son  catalogue 
l'autonomie  de  son  voisin  [The  Independent  State  of  Népal). 
Cette  exposition  népalaise  est  intéressante  à  divers  égards  ;  on  y 
voit,  en  effet,  certains  produits  industriels  peu  connus  des  mon- 
tagnards du  Nord,  tels  que  des  dhokas,  sortes  de  paniers  soutenus 
par  une  courroie  qui  passe  sur  le  front,  des  manteaux  de  pluie 
en  paille,  des  instruments  de  musique,  trompettes,  tambours,  etc., 
des  poteries  sans  vernis,  etc. 

Les  objets  d'art  sont  principalement  des  coupes  en  corne  de 
rhinocéros,  des  boucliers  ronds  de  la  même  matière,  .des  car- 

1)  On  sait  que  l'industrie  des  cb&les,  oui  assurait  au  Cachemire  un  revenu  de 
plus  de  2,000,000  de  francs  il  y  a  quelques  années  encorei  est  aujourd'hui 
presque  complètement  morte.  Fort  heureusement  une  autre  industrie  créée  par 
un  de  nos  compatriotes,  M.  Bigex,  la  fabrication  des  carpettes,  utilise  aujour- 
d'hui la  main-d'œuvre  inutilisée  des  tisserands  cachemiriens,  arrachés  parles 
caprices  de  la  mode  à  leurs  métiers  séculaires. 

2)  C'est  la  reproduction  en  deodar  de  la  véranda  d'une  mosquée  en  bois,  du 
dernier  siècle,  qui  existait  près  de  Chakoti. 

3)  L'exposition  ne  renferme  aucun  document  sur  l'ethnographie  des  indigènes 
du  Ladak,  Dardis,  Ladakis,  etc.,  qui  dépendent  du  Cachemire. 

4)11  n'y  a  pas  de  statistique  exacte  de  la  population  du  Népal  ;  les  estimations 
varient  énormément  :  pour  les  uns,  il  y  aurait  5,000,000  d'habitants,  qui  se 
réduiraient  à  2,000,000  pour  les  autres. 


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ET    INDIENNE   DE   LONDRES  215 

quois  ornés  de  bosselles  mélalliques,  des  kukri  el  des  koras, 
sabres  à  Iranchanl  concave,  pointus  ou  carrés  à  rextrémité, 
des  vases  de  bronze,  d'argent  ou  d'or,  d'une  ornementation 
toute  particulière,  des  coiffures  de  parade  souvent  surchargées 
de  pierres  précieuses  montées  en  argent,  enfin  des  sculptures 
en  bois  fort  artistiques,  dont  le  screen  de  \a.  Nepalese  Court, 
copié  à  Patan  dans  un  couvent  bouddhique  du  xvii°  siècle, 
résume  bien  les  dispositions  originales.  On  y  voit  s'imbriquer 
dans  un  gracieux  désordre  des  figures  de  divinités  et  d'ani- 
maux fantastiques,  des  rinceaux  et  des  fleurs,  très  habilement 
emmêlés.  Ce  sont  les  Lokarmi  qui  découpent  ces  frontons, 
ces  balcons,  ces  piliers;  mais  cette  caste,  qui  appartient  à  la 
race  vaincue  des  Newars,  est  loin  d'être  prospère,  et  l'art  qu'elle 
représente  dans  la  société  du  Népal  tend  malheureusement  à 
disparaître  depuis  l'invasion  des  Gorkhas. 

Ces  Newars,  mêlés  d'Indous  et  de  Tibétains,  forment  encore 
aujourd'hui  la  masse  de  la  population  ;  le  commerce,  l'agricul- 
ture, les  métiers,  sont  toujours  presque  exclusivement  entre 
leurs  mains;  mais  ils  sont  dominés  par  une  caste  militaire,  celle 
des  Gorkhas  ou  Khas,  qui  ont  conquis  les  vallées  népalaises  en 
1767.  Ces  derniers,  à  s'en  rapporter  aux  photographies  qui  nous 
les  représentent ,  seraient ,  comme  les  Newars,  des  demi-sang 
Indo-Mongols,  issus  d'alliances  contractées^  suppose-t-on,  dans 
la  montagne,  par  des  Brahmanes  expulsés  de  la  vallée  du  Gange 
par  l'invasion  musulmane.  Les  Newars  sont  en  majorité  Boud- 
dhistes [Buddhimargis)  et  divisés  en  Banhras,  Udas  et  Jaffas  ; 
les  Gorkhas  se  considèrent  comme  appartenant  à  la  seconde 
caste  de  l'Indouisme,  celle  des  Kshatryas.  Les  Magars,  les  Gu- 
rungs,  dont  les  clans  sont  aujourd'hui  dispersés  à  travers  toute 
Ja  contrée,  mais  plus  nombreux  dans  les  vallées  de  l'Est,  sont 
presque  à  tous  égards  de  véritables  Tibétains.  Originairement 
Bouddhistes ,  ils  se  sont  convertis  à  la  religion  des  Gorkhas  en 
se  mettant  à  leur  service,  et  composent  aujourd'hui  une  portion 
notable  des  troupes  népalaises, 

Hhutan.  —  Les  tribus  de  type  mongolique  ne  prennent  vrai- 

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216  ÉTUDES   SUR  l'exposition   COLONIALE 

ment  de  Timportance,  je  viens  de  le  dire,  que  dans  lamoilié 
orientale  du  Népal  dont  tout  Touest  est  encore  dominé  par  des 
populations  fortement  aryanisées.  Au  Sikhim,  dépendance  de  la 
présidence  de  Bengale,  qui  prolonge  le  Népal,  au  Bhoutan,  pays 
indépendant,  situé  plus  loin  encore  du  côté  de  FOrientS  l'élé- 
ment tibétain  devient  prédominant.  Les  Kirats  ou  Kirantis, 
les  Limbous,  les  Lepchas,  les  Bhoutias  ou  Bhôts,  sont  les  plus 
connus  de  ces  montagnards.  L'exposition  indienne  en  possède 
des  portraits  qui  ne  diffèrent  pas  sensiblement  de  ceux  que 
la  grande  publication  de  MM.  J.  Forbes  Watson  et  J.-W.  Kaye* 
avait  depuis  longtemps  fait  connaître.  Les  Kirats  et  les  Lim- 
bous  s'y  montrenl  assez  divers  d'aspects  et  offrant  les  com- 
binaisons les  plus  variées  de  caractères  mongoliques  et  aiyens'. 
Les  Lepchas,  au  contraire^  sont  de  vrais  Tibétains,  petits  de 
taille,  massifs,  avec  des  membres  très  musclés,  mais  des  extré- 
mités fines  et  délicates.  Leur  teint  est  olivâtre  pâle;  leur  face 
est  large  et  plate,  de  forme  losangique,  le  nez  est  déprimé 
et  les  yeux  sont  obliques.  Ils  n'ont  que  quelques  poils  à  la  lèvre 
supérieure  et  leurs  cheveux  touffus  et  noirs  sont  rassemblés  en 
une  énorme  queue ,  tressée  le  plus  souvent  à  plat.  Leur 
vêtement  consiste  en  une  sorte  de  grande  chemise  de  coton 
blanc  rayé  de  bleu  et  de  rouge;  ils  portent  de  longues  boucles 
d'oreilles  de  métal,  suspendues  à  de  larges  anneaux  et  couvrent 
souvent  leur  tète  d'un  chapeau  conique  à  bords  légèrement 
évasés,  surmonté  d'un  long  plumet.  Ils  sont  constamment  armés 
d'un  long  et  lourd  couteau  à  lame  droite  qu'ils  appellent  ban, 
tandis  que  les  Limbous  se  servent  du  Kuhri  népalais  \ 
Les  Bhoutias  ou  Bhôts  sont  aussi  tibétains  de  sang  que  les 


1)  Le  Bhoutan  aurait  1,452,000  habitants,  d'après  Pimberton. 

2)  The  People  of  India,  A  séries  of  Photographie  Illustrations,  with  descrip- 
tive  Lelterpress,  of  the  Races  and  Tribes  of  Hindustan,  originally  nrepared 
under  the  AtUhority  of  the  Govemment- of  India,  etc.  London,  India  Muséum, 
1868,  in-4,  vol.  I,  n"  41  et  suiv. 

3)  On  compte  dans  le  Sikkim  seul  5,000  Limbous.  Il  y  en  a  plus  encore  dans 
le  Népal  entre  les  rivières  Doud  Kousi  et  Kanki,  mais  on  n'en  voit  presque  pas 
au  Boutan. 

4)  Les  Lepchas  sont  au  nombre  de  4,000,  d'après  le  Census  de  1881.  Ils  se 
subdivisent  en  Hong  et  en  Khàmba. 


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ET   INDIENNE    DE   LONDRES  217 

Lepchas.  Sir  S.  D.  Hooker  assigne  les  mêmes  traits  aux  deux 
populations  et  tous  ceux  qui  ont  visité  Daijiling,  insistent  sur 
Taspect  tout  à  fait  mongolique  des  Bhoutias  qu'ils  y  ont  vus.  Us 
s'habillent  de  robes  flottantes  serrées  à  la  taille  par  une  ceinture 
de  cuir,  dans  laquelle  ils  passent  leurs  pipes  de  fer  ou  de  cuivre 
et  qui  supporte,  en  outre,  leur  couteau,  leur  poche  à  tabac,  leur 
boite  à  briquet,  leurs  pincettes,  etc.  Les  femmes  sont  couvertes 
de  longs  jupons  et  de  corsages  de  flanelle  sur  lesquelles  elles 
drapent  un  court  manteau  tenu  autour  de  la  taille  par  un  cercle 
de  cuivre  ou  d'argent,  qui  porte  leurs  ciseaux  et  leurs  couteaux. 
Les  deux  sexes  ont  des  anneaux  et  des  ornements  d'oreilles 
garnis  de  turquoises  et  des  amulettes  carrés  appliqués  au  cou 
et  aux  bras.  Les  cheveux  sont  tressés  en  deux  queues  et  le  cou 
est  chargé  de  grains  de  corail  et  de  verre,  mêlés  de  gros  mor- 
ceaux d'ambre  et  d'agate. 

La  religion  des  Bhoutias  est,  suivant  Pimberton,  une  forme 
du  bouddhisme  dont  les  cérémonies  sont  surtout  remarquables 
par  le  bruit  qui  les  accompagne  :  des  clarinettes  en  métal  ou  en 
bois,  des  trompettes  en  corne  ou  en  coquille,  des  cymbales,  des 
tambours  et  des  gongs  forment  en  l'honneur  des  idoles  les  con- 
certs les  plus  épouvantables. 

Assam.  —  L*Âssam  occupe,  comme  Ton  sait,  l'angle  nord-est 
des  possessions  anglaises  ;  il  s'étend  au  nord  jusqu'au  pied  de 
THimalaya  oriental,  au  nord-est  et  à  l'est,  il  confine  à  l'Etat 
indigène  de  Manipour  et  aux  régions  sauvages  de  la  Birmanie 
supérieure.  On  y  distingue  trois  grandes  divisions  naturelles,  la 
première  formée  des  six  districts  de  la  vallée  du  Brahmapoutra^ 
la  seconde  des  plaines  de  la  Sunna,  et  la  troisième  des  régions 
montagneuses  qui  séparent  les  deux  vallées  l'une  de  l'autre. 
L'ensemble  de  ces  trois  territoires  est  peuplé  par  4,881,426  habi- 
tants, qui  appartiennent  à  plus  de  quarante  petites  nations  dis- 
tinctes par  la  langue,  l'état  social,  les  coutumes  et  souvent  aussi 
par  les  caractères  physiques. 

Ce  morcellement  exceptionnel  de  la  population  est  dû,  sans 
aucun  doute ,  à  la  situation  toute  spéciale  de  TÂssam  qui  est 


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218  ÉTUDES    SUR    l'exposition    COLONIALE 

Tune  des  entrées  de  Tlnde  et  qu'ont  du  traverser  à  maintes 
reprises  les  tribus  qui  venaient  du  nord-est  tenter  un  établis- 
sement dans  ce  pays.  En  s'avançant  le  long  du  Brahmapoutra 
vers  le  Gange,  les  envahisseurs  ont  laissé  sur  leur  route  des 
colonies  qui  se  sont  maintenues  plus  ou  moins  distinctes  jusqu'à 
nos  jours  ^ 

M.  George  Watt  groupe  les  nombreuses  tribus  Assamaises  en 
cinq  grandes  sections  \  La  première  renferme  sous  le  vocable  de. 
Bodo  Fenscmble  des  indigènes  fixés  depuis  longtemps  au  cœur 
du  pays  sous  les  noms  deKacharis,Laloungs,  Gâros,  Choutiyas, 
Mêchs,  Kôchs  ;  la  seconde  comprend  les  tribus  Shân,  Ahom, 
Khamti,  Singpho,  etc.,  venues  du  Sud  à  une  époque  comparati- 
vement récente  et  dont  nous  avons  dit  quelques  mots  en  résu- 
mant les  documents  relatifs  à  la  Birmanie.  La  troisième  section 
est  formée  par  les  Lopas  établis  dans  le  nord  et  le  nord-ouest  de 
la  province,  Akas,  Duflas ,  Miris,  Mishmis,  Abôrs;  la  qua- 
trième est  composée  de  montagnards  Nagas^  de  la  frontière  du 
nord-est,  Angamis,  Kuchas,  Rengmas,  Semas,  Lhotas,  Banfa- 
ras,  Jaktungias,  Hathizorias,  et  comprend  en  outre  différentes 
petites  tribus  Nagas  du  Manipour.  Dans  la  cinquième  enfin , 
M.  Watt  fait  entrer  tout  ce  qui  représente  des  éléments  ethniques 
communs  à  TAssam  et  aux  autres  contrées  de  Tlnde  et  en  parti- 
culier ce  qu'il  nomme  les  Aryens  de  TAssam,  les  Kolitas,  caste 
inférieure  qui  a  conservé  néanmoins  assez  bien  dans  ses  traits  et 
dans  sa  langue  le  cachet  de  son  origine. 

Les  Lopas  sont  des  Bhôts,  atténués  quelque  peu  dans 
Texagération  de  leurs  caractères  mongoliques.  L'une  des 
siib-courts  de  TAssam  nous  montre  une  collection  de  curieux 
mannequins  de  Lopas  ;  un  des  personnages  mis  en  scène  est 
Mishmi  Chulikata  :  deux  autres  sont  Daflas ,  un  quatrième  est 
Abôr.  Le  Mishmi,  vêtu  d'une  étoffe  de  coton  à  raies  sombres. 


1)  Les  Santals  du  Choutia-Nagpour,  dont  il  sera  question  plus  loin,  se  disent 
entrés  ainsi  dans  l'Inde  par  le  nord-est  de  l'Himalaya.  Il  paraît  même  qu'ils  ont 
une  tendance  à  revenir  aujourd'hui  sur  leurs  pas  et  à  regagner  l'Assam  par  le 
Gange  et  le  Brahmapoutra. 

LWatt.  Op.  cit.,  p.  164-172.  —  Ces  cinq  groupes  comptent  ensemble 
,426  têtes. 


2)  G.  [^ 
4,811,426 


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ET   INDIENNE   DE    LONDRES  2i9 

porte  tout  un  arsenal  d'armes  offensives  et  défensives,  son 
sabre,  droit,  à  poignée  sans  garde,  ornée  de  glands  de  cuir,  est 
logé  dans  un  fourreau  de  cuir  garni  de  cuivre,  son  poignard,  à 
bout  carré  *,  est  cerclé  de  bandes  de  rotin;  Tare  est  muni  d'une 
poignée  en  bois  découpé  et  la  corde,  qui  est  double,  a  un  fort 
doigtier  en  coton  ;  le  carquois  est  en  bois,  orné  de  liens  de  rotin, 
et  fermé  d'un  couvert  cylindrique.  Un  grand  bouclier  cordiforme, 
tressé  en  paille  et  en  rotin,  est  pendu  à  la  ceinture  du  guerrier 
et  une  hotte  en  vannerie ,  de  forme  bizarre ,  est  fixée  sur  ses 
épaules.  Le  Dafla  attire  l'attention  par  sa  singulière  coiffure  en 
forme  de  casquette  de  jokey,  surmontée  de  deux  plumes  recour- 
bées, son  énorme  hausse-col  en  argent  ciselé,  quadrilatère,  à 
bords  concaves,  presque  aussi  large  que  ses  épaules,  et  ses  deux 
disques  d'oreilles,  du  même  métal  également  ciselé,  portés  sur 
un  cylindre  de  bois  qui  traverse  le  lobule.  La  femme  de  ce  per- 
sonnage est  vêtue  d'un  pagne  à  carreaux  et  d'un  chapeau  sans 
fond,  fait  d'une  simple  bande  d'écorce  repliée.  L'Abôr  a  un 
bonnet  de  vannerie,  orné  de  deux  dents  de  sanglier;  son  arme 
est  un  couteau  dont  le  fourreau  tout  primitif  supporte  la  lame 
sans  l'enfermer,  à  l'aide  de  quelques  bandes  de  rotin  '.  Il  porte 
de  curieux  vases  en  bois  et  en  calebasse,  cylindriques  ou  coni- 
ques, auxquels  des  cercles  de  bambous  forment  de  larges  anses. 
Deux  mannequins  Gâros  représentent  dans  une  seconde  sub- 
court  l'ensemble  des  tribus  Bod(5s,  dont  les  produits  divers  font 
d'ailleurs  assez  curieuse  figure  dans  la  galerie  des  Arts  indus- 
triels. Ce  sont  des  bijoux  d'or  ou  de  cuivre  :  anneaux  d'oreilles, 
bracelets,  etc.,  des  ornements  bizarres  en  plumes  de  paon,  des 
colliers  de  verroteries  ou  de  grains  de  bois  laqués,  enfin,  des 
étoffes  en  soie,  en  coton,  en  écorce  d'arctocarpée,  etc.,  etc.  Les 
mannequins  Gards  que  l'on  nous  montre  sont  surtout  re- 
marquables par   la  profusion  d'ornements  de  métal  dont  ils 

1)  Un  Singpbo  qu'on  voit  à  côté,  est  armé  d'un  sabre  à  bout  carré,  le  dao 
semblablement  fixé  à  un  fourreau  de  bois  et  que  supporte  un  cercle  de  bambou 
porté  en  sautoir. 

2)  Le  Musée  d'ethnographie  du  Trocadéro  possède  un  vieux  sabre  de  cava- 
lerie d'origine  européenne,  garni  d'un  fourreau  fort  analogue.  Cette  pièce  vient 
de  la  vallée  du  Niger. 


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220  ÉTUDES  SUR  l'exposition  colonule 

sont  couverts.  La  femme  possède  en  particulier  des  boucles 
d'oreilles  énormes,  formées  de  deux  larges  cercles  de  cuivre 
passés,  Fun  dans  Tourlet,  Tautre  dans  le  lobule,  et  dont  chacun 
supporte  lui-même  dix  à  douze  autres  anneaux  enfilés  ;  elle  est 
chargée  en  outre  de  colliers,  de  bagues,  de  bandeaux,  de  bra- 
celets :  de  ces  derniers  les  uns  sont  demeurés  ouverts  à  la  façon 
antique,  les  autres  sont  soudés  et  portent  une  sorte  de  chaton  en 
relief.  La  coiffure  de  Thomme  Gàro  se  compose  d'une  pièce  de 
coton  drapée  autour  de  la  tète  et  dont  un  des  bouts  tombe  à 
gauche,  à  la  façon  des  turbans  qui  couvraient  les  chaperons  à  la 
fin  du  moyen  âge. 

Quelque  intérêt  que  puissent  avoir  ces  représentations  des 
peuples  Bod(5s,  Shans,  ou  Lopas,  on  ne  saurait  les  comparer 
à  aucun  titre  aux  étonnantes  figures  dont  le  commissaire  de 
TAssam  a  emprunté  les  éléments  aux  montagnards  Nagâs.  Il 
y  a  là  surtout  deux  chefs,  en  costumes  officiels,  qui  défient 
presque  toute  description.  Un  devanlier  bleu  foncé,  orné  de 
rangées  de  coquilles,  cache  le  haut  des  jambes  ;  un  court  man- 
telet  de  coton,  teint  de  rouge  et  de  bleu,  pend  sur  les  épaules; 
plusieurs  fils  de  perles  bigarrées  tournent  autour  de  la  tête^ 
suspendant  des  coquilles^  autour  d'un  bonnet  conique  en  paille 
tressée,  le  tout  frangé  de  poil  de  chèvre  teint  en  rouge.  Puis 
ce  sont  des  ornements  d'oreilles  formés  d'un  petit  cône  en 
ivoire  d'où  pendent  des  flots  de  poils  rouges,  de  grandes 
appliques  rondes  en  cuivre,  sertissant  des  graines  rouges  et 
blanches  et  toutes  entourées  de  crins  noirs,  de  longues  boucles 
de  cheveux  humains  provenant  des  ennemis  massacrés,  et  entre- 
mêlées de  poils  de  chèvre  rouges  et  de  coquilles^  des  anneaux  de 
bras  en  ivoire,  de  forme  cylindrique,  etc.  Les  armes  sont  une 
grande  lance  de  bois  dur,  à  pointe  et  à  soc  de  fer,  toute  ornée  de 
poils  rouges  taillés  courts  en  manière  de  gros  velours ,  un  arc 
avec  ses  flèches,  un  carquois  en  bambou,  enfin,  un  grand  bou- 
clier plat  en  peau  de  tigre ,  en  forme  de  quadrilatère,  légèrement 
excavé  sur  ses  plus  longs  côtés,  orné  sur  son  bord  supérieur  de 
trois  énormes  plumets.  Cet  ensemble  guerrier  rappelle  immé- 
diatement à  l'esprit  l'équipement  splendidement  barbare   des 


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ET   INDIENNE  DE   LONDRES  221 

chefs  des  tribus  des  grandes  lies  indiennes ,  de  Bornéo  à 
Timor. 

Déjà  Riebeck  avait  recueilli  dans  le  Chittagong*  des  collec- 
tions ethnographiques  dont  les  pièces  principales,  étoffes  poly- 
chromes, métiers  à  tisser,  vanneries,  fétiches,  etc.,  rappelaient 
de  la  manière  la  plus  frappante  les  objets  analogues  des  insu- 
laires de  Tenimber,  Letti,  Bourou,  figurés  dans  Tatlas  de  Salo- 
mon  Millier.  J'ai  relevé,  dans  le  chapitre  précédent,  des  faits  de 
même  ordre  observés  chez  les  Karens.  M.  Dévéria  en  a  récem* 
ment  donné  d'autres  dans  sa  Frontière  indo-sinique.  Enfin,  tout 
ce  que  nous  savons  des  Muongs  de  la  rivière  Noire,  des  Khàs  du 
plateau  d'Âttopeu,  etc.,  tend  à  les  rapprocher  tout  à  la  fois  des 
Karens  d'une  part  et  de  l'autre  des  Dayaks,  des  Battaks  et  en 
général  des  populations  qui  habitent  le  centre  des  grandes  îles 
malaises. 

J'ajouterai  que  les  caractères  fournis  par  la  cràniologie,  et  en 
particulier  ceux  qui  se  tirent  de  la  disharmonie  du  crâne  allongé 
d'avant  en  arrière  et  de  la  face  dilatée  en  travers  autorisent  aussi 
à  rapprocher  dans  un  même  groupe  ethnique,  les  montagnards 
du  nord-est  de  l'Inde  anglaise  et  ceux  du  centre  de  l'Indo-Chine 
que  j'ai  classés,  dès  1880,  dans  mon  groupe  indonésien. 

BengaL  —  La  présidence  du  Bengale»  subdivisée  en  Bengale 
propre,  Behar,  Orissa  et  Choutia-Nagpour  *  comprend  en  outre 


i)  D'  Riebeck.  The  Chittagong  HUl-Tribes,  Results  ofa  Journey  made  in  the 
Year,  1882.  London,  Asher,  1885,  in-fol.— Cf.  Rev.  d'Ethnogr,,  t.  IV,  p.  362. 
1885. 

2)  La  population  totale  de  la  présidence  était  en  1881  de  69,536,861  individus, 
ce  qui  représentait  en  moyenne  360  têtes  par  mille  carré.  En  ne  tenant  compte 
que  du  Bengale  propre,  le  nombre  d*babitants  s'élevait  alors  à  506  personnes 
par  mille  ;  les  provinces  nord-ouest  en  avaient  403,  Madras  221,  Bombay  133, 
le  Peniab  159,  les  Central  Provinces  102.  On  sait  qu'en  Angleterre  et  dans  le 
pays  de  Galles,  le  môme  nombre  atteint  445,  qu*il  s'abaisse  à  121  en  Ecosse, 
à  35  en  Russie  et  à  13  en  Norvège.  Les  69,536,861  habitants  de  Ja  présidence 
du  Bengale  se  décomposaient  au  point  de  vue  religieux  en  43,452,806  indous, 
21 ,704,724  mahométans,  128,153  chrétiens,  155,809  bouddhistes  el2,092,369  abo- 
rigènes, ne  rentrant  par  leurs  croyances  dans  aucun  des  groupes  précédents. 
Au  point  de  vue  des  castes  on  comptait  4,897,428  individus  de  hautes  castes, 
2,777,124  de  castes  moyennes,   9q3,159   coaunerçants,  4,115,377  pasteurs, 


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222  ÉTUDES  SUR  l'exposition  coloniale 

dans  ses  annexes  plusieurs  contrées ,  qui  se  rattachent  bien 
plutôt  à  celles  qui  viennent  d'être  passées  en  revue,  le  Sikkim, 
par  exemple,  dont  il  a  été  dit  quelques  mots  à  propos  du 
Bhoutàn,  le  Tipperah  et  le  Chittagong,  dépendances  naturelles 
de  TAssam.  Ces  dernières  contrées  sont  peuplées  de  tribus 
fort  mêlées  et  communément  divisées  en  Khyoungtha  ou  enfants 
de  la  rivière  et  Thoungtha  ou  enfants  de  la  montagne. 

Les  collections  de  l'Exposition  Indienne  ne  nous  apprennent 
rien  de  nouveau  à  leur  sujet.  Mais  elles  renferment  des  docu- 
ments intéressants  sur  l'ethnographie  de  l'Orissa  et  du  Choutia* 
Nagpour. 

Les  Khands  ou  Kbonds  des  montagnes  qui  s'élèvent  entre  les 
bassins  du  Godaveri  et  du  Mahanadi  et  qu'il  ne  faut  pas  confondre 
avec  les  Gonds  dont  j'ai  parlé  plus  haut,  y  sont  représentés  à  la 
fois  comme  plus  petits,  plus  noirs  et  plus  crépus,  en  un  mot 
plus  négroïdes  que  leurs  voisins.  Les  docimients  de  l'Exposition 
indienne  nous  les  montrent  tête  nue,  drapés  dans  une  pièce 
d'étoffe  et  armés  de  la  hache  et  parfois  aussi  de  l'arc  et  des  flèches. 
Ces  Khonds,  qui  parlent  une  langue  dravidienne,  sont  surtout 
connus  par  les  sacrifices  humains  qu'ils  offrent  à  leur  dieu 
Pennou.  Les  victimes^  dit  M.  Watt,  sont  appelées  /oAt,  keddij 
ou  plus  ordinairement  meriahs,  et  fournis  par  les  Pàn,  Indous  de 
basse  caste,  qui  vivent  en  pays  Khond  et  commercent  avec  les 
gens  des  plaines  auxquels  ils  achètent  des  enfants  volés.  Les 
Khonds  traitent  avec  vénération  les  enfants  ainsi  devenus  meriah 
et  ont  pour  ces  malheureux  beaucoup  d'égards,  jusqu'au  moment 
où  les  rites  les  réclament.  Alors  c'est  avec  la  plus  terrible  cruauté 
qu'ils  accomplissent  leurs  cérémonies  infâmes  ;  les  corps  des 
pauvres  petits  sont  littéralement  mis  en  pièces,  et  chacun  des 
délégués  en  emporte  un  petit  morceau  pour  l'offrir  dans  son 
village  au  sanguinaire  Pennou.  Un  petit  trou  ayant  été  creusé 
dans  un  champ  choisi  à  cet  effet,  le  chef  du  village,  auquel  la 


924,984  s'occupant  d'industries  alimentaires,  6,875,193  agriculteurs,  2,804,008 
domestiques j,  4,482,471  artisans,  1,619,344  tisseurs,  546,839  laboureurs, 
142,417  fruitiers  et  poissonniers,  2,131,4^  marins  et  piêcheurs,  43,255  musi- 
ciens et  danseurs,  etc.  (Watt). 


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ET  INDIENNE    DE   LONDRES  223 

chair  humaine  a  été  remise  s'approche  à  reculons  et  dépose 
avec  les  deux  mains  placées  derrière  le  dos  l'offrande  sacrée  dans 
le  trou  qu'il  couvre  de  terre  sans  le  voir.  Ces  sacrifices  sont 
rigoureusement  interdits  depuis  plus  de  trente  ans  par  les  au- 
torités anglaises,  et  ce  n'est  que  de  loin  en  loin  qu'un  meriah 
peut  encore  être  offert  au  dieu  des  Khonds. 

Les  Ourâons  du  Choutia-Nagpour  rappellent  par  leurs  carac- 
tères physiques  les  Khonds  de  l'Orissa.  A  en  juger  par  les  photo- 
graphies de  M.  Dalton,  ils  seraient  même  plus  voisins  encore  que 
ces  derniers  de  la  race  négrito,  dont  les  montagnes  du  Deccan 
ont  conservé  le  type  à  peu  près  pur,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit. 
Mais  les  statues  de  TExposition  n'ont  tenu  aucun  compte  des 
découvertes  de  M.  Dalton,  et  le  type  ourâon  que  deux  d'entre 
elles  représentent  est  fort  différent  de  celui  que  le  savant  ethno- 
logue a  représenté  dans  son  célèbre  ouvrage. 

Les  documents  recueillis  par  M.  Watt  nous  apprennent  que 
le  groupe  des  Ouràons  compte  plus  de  SOO,OÔO  tètes^  que  son 
langage  est  apparenté  de  très  près  à  celui  des  Tamouls,  que 
certaines  particularités  ethnographiques  le  rapprochent  des 
Assamais,  enfin  que  le  culte  s'y  adresse  moins  à  l'Être  suprême, 
dont  la  tribu  reconnaît  l'existence,  qu'aux  mauvais  Esprits,  dont 
elle  redoute  l'intervention.  Les  Malers  duRadjmahal,  aussi  petits, 
presque  aussi  négroïdes  de  traits  que  les  Ourâons,  leurs  voisins, 
sont  bien  plus  clairs  de  teint  et  bien  plus  rapprochés  par  leurs 
croyances  et  leur  manière  de  vivre  des  castes  indoues  inférieures. 
Les  Bhuiyas  ou  Bhuinyas  qui  habitent  la  même  province  peuvent 
être  considérés  comme  semi-hindtdsed  suivant  l'expression  de 
M.  Watt*. 

Il  subsiste  d'ailleurs  à  côté  de  tous  ces  Dravidiens,  des  Kola- 
Iriens  fort  nombreux.  Les  principales  nations  kolariennes  du 
Choutia-Nagpour  sont  celles  des  Santals ,  des  Mundaris  ou 
Munda-K(5ls,  des  Hôs  ou  Larka-K(5ls,  et  enfin  des  Bhumis. 
Ces  quatre  groupes  représentent  ensemble  plus  de  deux  mil- 


1)  Les  Bhuiyas  compteraient,  d'après  cet  ethnographe,  60,000  âmes  environ  ; 
les  Malers  seraient  au  nombre  de  150,000. 


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224  ÉTUDES  SUR  l'exposition  coloniale 

lions  d'habitants*.  Leur  ethnographie  est  encore  très  imparfaite, 
et  l'Exposition  ne  contient  rien  de  bien  utile  à  mentionner  sur 
leurs  traits  ou  sur  leurs  mœurs.  Elle  ne  nous  fait  rien  savoir  non 
plus  de  bien  intéressant  sur  les  gens  du  Behar,  ni  sur  ceux  du 
Bengale  propre,  dont  elle  nous  présente  seulement  quelques 
sujets  vivants  exécutant  laborieusement  sous  les  yeux  du  public 
divers  travaux  artistiques  dans  la  cour  du  Palais  Indien. 

Les  principaux  produits  de  l'art  de  ces  bengalais  sont  des 
peintures,  assez  médiocres  d'ailleurs,  exécutées  à  Shahabad  et  à 
Puri,  des  sculptures  d'un  Xype  tout  conventionnel,  produites  par 
les  tailleurs  de  pierre  de  Gayà  et  de  Dainhât,  les  modelages  en 
terre  de  Krishnagarh  dont  nous  avons  déjà  longuement  parlé, 
enfin  les  décors  sur  terre  cuite  de  Kalighât,  de  Dinajpour,  etc.  Le 
Rajah  Sir  Sourondro  Mohan  Tagore,  Kt.  Mus.  Doct.  C.  L  E.,  que 
connaissent  les  mélomanes  du  monde  entier,  a  exposé  sa  célèbre 
collection  instrumentale,  et  divers  agents  du  gouvernement 
indien  ont  rassemblé  de  précieuses  séries  de  filigranes  d'or  et 
d'argent,  de  vases,  de  coupes,  etc.,  en  métaux  précieux,  de  sta- 
tuettes de  divinités,  d'armes  offensives  et  défensives,  d'ivoires, 
de  laques,  de  bois  et  de  pierres  dures,  etc.,  etc. 

Le  public  admire  surtout,  dans  le  Bengalese  Screen,  les  célè- 
bres mousselines  de  Dacca.  Quoique  Ton  prétende  chez  certains 
connaisseurs  que  ces  minces  étoffes  sont  aujourd'hui  très  infé- 
rieures à  celles  qu'on  faisait  autrefois,  les  acheteurs  s'étonnent 
toujours  de  voir  peser  seulement  1,600  grains  (103  gr.  66)  une 
pièce  qui  mesure  quinze  yards  de  long  sur  un  yard  de  largeur, 
soit  12  mètres  carrés  1/2  *.  Ces  tissus,  d'une  finesse  si  surprenante, 
ont  d'ailleurs  reçu  dans  le  commerce  les  noms  fort  expressifs  de  : 
dew  of  evening  (rosée  du  soir),  running  water  (eau  courante); 
woven  air  (zéphir  tissé),  etc.,  etc. 

Les  screens  bengalais  contiennent   encore    des  cotonnades 

1)  Il  résulte,  eneflet,  des  statistiques  qui  nous  ont  été  communiquées,  que  les 
Santals  sont  aujourd'hui  au  nombre  de  1,087,202;  que  les  Munda  atteignent  le 
chifTre  de  591,858  et  que  les  nations  Ko  et  Bhumij  comptent  respectivement 
190.000  et  300,000  individus. 

2)  On  assure  que  d'anciennes  mousselines  de  Dacca  pesaient  900  grains 
seulement  (58  grammes  31)  à  la  pièce  de  15  yards  sur  1  (12  mètres  carrés  54). 


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ET   INDIENNE    DE    LONDRES 


225 


imprimées  au  bloc,  à  Calcutta  et  à  Patua,  des  lainages  et  des 
soieries  de  Bhagalpour  et  de  Batikura,  des  broderies  de  soie  et 


Fig.  29.  Tourneur  bengalais  (d'après  une  photographie  de  M.  Mallitte). 

de  métal  de  Murshidabad  et  de  Birbhum,  enfin  de  curieuses  van- 
neries, dont  Monghyr  a  la  spécialité.  Les  screens  qui  encadrent 


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226  ÉTUDES  SUR  l'exposition  coloniale 

toutes  ces  curieuses  choses  sont  imités  du  temple  de  Krishna  à 
Kantanagar  et  de  la  mosquée  bâtie  à  Gaur^  Tancienne  capitale 
du  Bengale,  par  Nusrah-Shah  en  1530. 

A  TExposilion  bengalaise  se  rattache  plus  spécialement  le 
palais  indien  (indian  palace)  ^  qui  est  sans  contredit  la  chose  la 
plus  remarquée  de  l'Exposition  tout  entière.  Voici  en  quelques 
mois  rhistoire  et  la  description  de  cet  important  ouvrage.  Dési- 
reux de  montrer  aux  visiteurs  de  l'Exposition  indienne,  non- 
seulement,  les  produits  les  plus  remarquables  des  industries 
d'art  de  l'empire,  mais  aussi  les  procédés  à  l'aide  desquels  les 
indigènes  savent  en  assurer  l'exécution,  la  commission  supé- 
rieure avait  résolu  de  réunir  dans  un  bâtiment  spécial  un  assez 
grand  nombre  d'artistes  indous  pour  organiser  sous  les  yeux  du 
public  de  petits  ateliers  en  action.  M.  C.  P.  Clarke,  Keeper  de 
V Indian  Muséum^  fut  envoyé  dans  Tlnde,  et  il  en  rapporta  le  plan 
général  des  screens  dont  nous  avons  parlé  et  du  palais  que  je 
vais  rapidement  décrire. 

L'entrée  du  monument  est  occupée  par  une  énorme  porte  en 
pierre,  offerte  au  South -Kensington  Muséum  par  S.  H.  le  Maha- 
radjah Scindiah.  Cet  énorme  morceau  de  sculpture,  tout  couvert 
d'arabesques  et  d'animaux  en  relief,  a  été  dessiné  et  exécuté 
sous  la  direction  du  major  Keith,  de  V Archxological  Survey  of 
India. 

Au  delà  de  la  porte  est  la  cour  dite  Karkhaneh^  entourée  de 
treize  chambres  où  travaillent  des  imprimeurs  sur  colon,  des 
fabricants  de  tapis  et  de  brocard,  des  orfèvres,  un  graveur,  un 
tourneur,  etc.  Les  visiteurs  qui  ne  connaissent  point  l'Orient 
sont  fort  étonnés  de  la  simplicité  des  moyens  d'action  utilisés 
par  ces  artisans  habiles  et  de  la  grossièreté  des  instruments 
avec  lesquels  ils  parviennent  à  fabriquer  des  choses  si  jolies  et  si 
fines.  Ce  qui  m'a  paru  encore  plus  remarquable  que  la  rudesse 
des  outils  indous,  c'est  l'habileté  prodigieuse  avec  laquelle  les  ou- 
vriers les  guident  de  la  main  et  même  du  pied.  La  figure  ci-jointe 
montre,  par  exemple,  un  tourneur  conduisant  ainsi  entre  les  deux 
pieds  le  ciseau  qu'il  tient  de  la  main  gauche,  tandis  que  sa  main 
droite  fait    fonctionner  l'archet   qui  imprime  le  mouvement  à 


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ET   INDIENNE   DE   LONDRES  227 

Tarbre  de  son  tour.  Les  échoppes  des  travailleurs  indiens  occupent 
trois  côtés  de  la  cour;  le  quatj'ième  est  formé  par  le  Durbar 
Hallj  supporté  par  une  série  de  colonnes  monumentales,  formant 
une  sorte  de  porche  (hall  of  columm)  y  qui  conduit  à  un  vesti- 
bule orné  d'une  fontaine  et  drapé  en  manière  de  tente,  puis  à 
un  salon  intérieur  installé  avec  beaucoup  de  goût  et  de  richesse, 
à  la  manière  indienne  par  deux  artistes  de  Bhera,  et  qui  sert  de 
lieu  de  réception  au  prince  de  Galles,  président  du  Comité  de 
l'Exposition,  dans  les  grandes  circonstances.  On  trouve  dans  le 
passage  qui  contourne  la  tente-vestibule,  une  très  belle  collec- 
tion de  soieries  indiennes  {Silk  Court)  qui  permet  d'apprécier  les 
progrès  énormes  qu'a  faits  dans  l'Indoustan,  depuis  quelques 
années,  l'industrie  de  la  soie.  Ce  curieux  ensemble  architectural 
construit  à  si  grands  frais  n'est  heureusement  point  destiné  à 
disparaître,  comme  les  palais  de  tant  d'autres  expositions  uni- 
verselles ou  nationales;  palais  et  collections  de  Flnde  appar- 
tiennent au  gouvernement,  qui  s'est  fait  également  remettre  les 
objets  recueillis  par  les  comités  officiels  des  autres  possessions 
de  la  couronne.  Or,  grâce  à  Tintervention  personnelle  du  prince 
de  Galles,  l'œuvre  toute  provisoire  de  l'Exposition  de  South- 
Kensington  devient  en  ce  moment  quelque  chose  de  définitif. 
Malgré  l'opposition  intéressée  des  marchands  de  la  Cité,  qui 
auraient  voulu  continuer  à  imposer  aux  colonies  et  à  la  métro- 
pole un  onéreux  courtage,  un  établissement  spécial  se  crée  à 
Londres  et  un  musée  permanent  de  Tlnde  et  des  colonies  sera  le 
principal  moyen  d^action  de  l'institution  nouvelle.  L'Exposi- 
tion de  1886  en  est  déjà  comme  le  noyau.  Ce  musée  permanent 
est  utilitaire  avant  tout  sans  aucun  doute  ;  les  hommes  qui  s'inté- 
ressent plus  particulièrement  aux  choses  de  la  science  et  de  l'art 
y  trouveront  cependant  de  nombreux  éléments  d'étude,  ainsi  que 
je  crois  l'avoir  surabondamment  démontré  dans  les  pages  que 
l'on  vient  de  lire. 


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QUELQUES  RENSEIGNEMENTS 

SUR  LES   BOBO 

Par  le  Dr  TAUTAIN 


Sur  la  carte  du  capitaine  Regnauld  de  Lannoy  de  Bissy,  on 
remarque,  par  environ  7**  long,  ouest  et  10**,40  lat.  nord,  le  nom 
de  Bobo  en  caractères  semblables  à  ceux  que  l'auteur  emploie 
pour  les  noms  de  contrées.  Aucune  allusion  n'est  faite  à  la  popu- 
lation qui  habite  le  pays  Bobo,  et  étant  donnée  la  position,  on 
suppose  généralement  que  ce  pays  doit  être  peuplé  par  des  Man- 
dingues  et  plus  spécialement  par  des  Bamana.  En  effets  le  Bobo 
se  trouverait  à  une  très  petite  distance  à  Test  de  la  route  de 
Caillé,  en  plein  pays  mandingue,  et,  d'un  autre  côté,  le  seul 
nom  de  village  porté  sur  la  carte  de  M.  de  Lannoy,  Meggara  ou 
Mengera  ou  Mengrera,  est  le  nom  d'un  village  mandingue. 

En  premier  lieu,  le  nom  de  Bobo  doit  être  notablement 
remonté  vers  le  nord  et  repoussé  vers  Test.  D'après  mes  rensei- 
gnements, le  Bobo  ou  les  Bobo  se  trouve  ou  se  trouvent  à  Test 
du  Minianka  (Miniandougou)  vers  6**  long,  ouest  et  12%30  lati- 
tude nord.  Je  tiens  cette  information  de  plusieurs  individus  de 
différentes  races  que  j'ai  pu  interroger  au  cours  de  ma  mission 
de  cette  année;  et  j'ajouterai  que  ce  dire  concorde  avec  le  récit 
qu'un  Bamano  du  Bano  m'avait  fait,  en  1880,  d'une  visite  chez 
des  anthropophages.  (La  route  de  retour  du  pays  Bobo  était 
presque  exactement  est-ouest  vers  Bamako.) 

En  deuxième  lieu,  les  Bobo  forment  un  peuple  spécial  qui 
diffère  notablement,  au  point  de  vue  de  la  langue  et  au  point 
de  vue  des  mœurs  des  Mandingues  du  voisinage.  Je  ne  parle 


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QUELQUES  RENSEIGNEMENTS  SUR  LES  BOBO 


229 


Fig.  30.  Sacoche  de  cavalier  bobo. 
(Musée  (ï Ethnographie,  —  Don  de  M.  Tautain.) 


16 


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230  QUELQUES    RENSEIGNEMENTS 

pas  du  point  de  vue  physique,  n'ayant  pas  eu  Toçcasion  de  voir 
un  seul  Bobo. 

Voici  les  quelques  renseignements  que  j'ai  pu  me  procurer 
sur  les  mœurs  des  Bobo  en  interrogeant  quelques  dioula  et 
quelques  individus  qui  ont  été  en  expédition  dans  le  pays. 

Les  Bobo  ne  font  pas  d'esclaves  ;  ils  ont  une  horreur  profonde 
pour  Tesclavage.  Jamais  un  Bobo  n'a  pu  être  vendu  comme 
esclave,  il  préfère  se  tuer. 

Les  Bobo  sont  cannibales.  Leur  cannibalisme  tie  provient  pas 
du  besoin,  car  ils  élèvent,  dit-on,  de  nombreux  troupeaux  de 
bœufs,  de  moutons  (une  autre  raison  pour  ramener  leur  pays 
vers  le  nord).  Ils  tueraient  au  moyen  de  la  fumée  de  certaines 
piaules,  et  c'est  même  une  scène  de  ce  genre  qui  avait  mis  en 
fuite  mon  informateur  de  1880  et  ses  compagnons.  Le  dépouille- 
ment et  le  débit  du  corps  se  feraient  souvent,  si  ce  n'est  toujours, 
dans  un  endroit  spécial,  sur  une  grande  roche  plate.  A  côté  de 
beaucoup  de  ces  abattoirs  se  trouverait  une  grossière  statue  en 
terre  représentant  un  homme  de  grandeur  naturelle.  La  statue 
est  blanchie  au  moyen  de  la  cendre  d'os. 

Pour  l'un  de  mes  informateurs,  les  Bobo  ne  rendraient  aucun 
culte  à  cette  statue,  qui  ne  serait  point  du  tout  une  idole,  et  dont 
la  seule  utilité  serait  de  servir  de  piège  pour  se  procurer  des 
victimes.  Dans  le  voisinage,  en  effet,  des  abattoirs,  il  y  aurait 
toujours  quelqu'un  de  garde;  les  enfants  entre  autres  jouent 
dans  le  voisinage  ;  si  un  étranger  —  et  statues  et  abattoirs  se 
trouvent  près  des  chemins  —  si  un  étranger  s'arrête  surpris  de 
la  bizarrerie  de  la  statue,  les  gens  du  village  sont  aussitôt  pré- 
venus et  accourent  pour  mettre  à  mort  l'indiscret  qui  a  voulu 
pénétrer  leurs  mystères  ou  peut-être  leur  jeter  un  mauvais  sort. 
Mon  informateur  était  sans  doute  un  peu  trop  sceptique,  et, 
d'après  son  propre  récit,  il  faudrait,  sans  repousser  complètement 
ridée  de  piège,  admettre  que  Tabattoir  au  moins  est  consacré. 

Certaines  parties  du  corps  humain  ne  sont  pas  consommées  : 
les  mains,  les  pieds,  la  tête  et  les  fesses.  On  les  abandonne 
autour  de  Tabattoir. 

Chez  les  Bobo  on  tuerait  une  partie  des  gens  qui  tombent 


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SUR   LES    BOBO  231 

sérieusement  malades  et  on  les  mangerait.  Je  dis  une  partie, 
car  les  funérailles  existent  dans  certains  cas  au  moins. 

Au  sujet  de  celte  coutume  court  une  histoire  assez  amusante. 
Un  dioula,  accompagné  de  sa  femme,  vint  un  jour  trafiquer  en 
pays  Bobo.  Arrivé  dans  un  village  où  il  connaissait  quelqu'un, 
il  continua  seul  sa  route  dans  les  villages  environnants,  laissant 
sa  femme  pour  pouvoir  marcher  plus  vite. 

Après  avoir  terminé  ses  ventes  et  ses  achats,  le  dioula  revient 
chez  son  hôte  ;  à  peine  est-il  arrivé  dans  la  case,  que  le  Bobo 
arrive  apportant  un  sac  :  «  Voici  60,000  cauris;  peu  après  ton 
départ,  ta  femme  est  tombée  malade;  elle  maigrissait  rapide- 
ment, et  j'ai  vu  que  si  je  la  laissais  mourir  seule,  elle  perdrait 
beaucoup  de  sa  valeur;  aussi,  prenant  en  mains  tes  intérêts 
comme  j'aurais  pris  les  miens,  me  suis-je  empressé  de  Fabatlre 
et  de  la  vendre  au  marché.  C'est  cette  vente  qui  a  produit 
60,000  cauris.  »  A  moins  d'être  un  véritable  ingrat,  le  dioula 
était  tenu  de  remercier  son  hôte,  ce  qu'il  fit  du  reste. 

En  temps  ordinaire,  les  vêtements  des  Bobo  sont  des  plus 
simples,  car  ils  se  réduisent,  pour  Thomme  comme  pour  la 
femme,  à  un  simple  langouti.  Dans  les  parties  les  plus  reculées 
vers  le  sud-est  du  pays,  la  toilette  serait  encore  moins  com- 
pliquée. Les  hommes  porteraient  simplement  une  bandelette 
de  cuir  assez  lâchement  passée  autour  des  reins,  à  l'aide  de 
laquelle  la  verge  serait  appliquée  contre  le  ventre.  Quant  aux 
femmes,  elles  se  contenteraient  d'un  léger  badigeon  de  koheul 
autour  des  organes  sexuels.  Les  hommes  sont  circoncis,  quant 
aux  femmes,  je  ne  sais  si  elles  sont  excisées. 

Il  paraît  d'ailleurs  qu'il  serait  fort  imprudent  de  témoigner 
quelque  hilarité  en  voyant  des  gens  ainsi  équipés  ;  on  risquerait 
fort  de  se  faire  tuer  et  manger. 

Les  Bobo  ont  quelques  fusils,  surtout  les  chasseurs  ;  le  fusil 
préféré  est  à  un  coup,  à  pierre,  à  canon  très  long.  Mais  l'arme 
habituelle  est  l'arc.  Les  flèches  sont  empoisonnées,  et  voici  les 
caractères  qu'on  m'a  signalés  pour  ce  poison  :  le  sang  coulant 
abondamment  d'une  plaie,  est  instantanément  arrêté  par  le 
contact  du  poison.  Si  on  pose  sur  la  peau  non  excoriée  une 


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232  QUELQUES    RENSEIGNEMENTS 

flèche  enduite  de  poison,  il  survient  au  bout  de  peu  de  moments^ 
une  sensation  de  brûlure  cruelle,  la  partie  devient  rapidement  le 
siège  d'une  notable  tuméfaction,  les  vaisseaux  sanguins  faisant 
spécialement  saillie. 

Les  funérailles  d'un  chef  sont  une  chose  fort  intéressante.  On 
creuse  en  terre  une  fosse  vaste  et  profonde,  dans  le  fond  de 
laquelle  on  dispose  un  de  ces  lits  qui  se  nomment  tara  vers  le 
Khosso,  kalaka  dans  le  Bélédougou  et  qui  sont  trop  connues 
pour  que  j'en  parle  ici.  Le  lit  est  recouvert  de  plusieurs  nattes.  A 
côté,  on  place  un  vase  en  terre  contenant  de  l'eau,  un  peu  de 
sel,  quelques  cauris  et  enfm  du  feu.  Souvent  aussi  un  homme 
qui  a  récemment  perdu  un  parent  ajoute  pour  lui  quelques 
objets  que  lé  nouveau  décédé  se  chargera  de  remettre  à  desti- 
nation. 

Cela  fait,  on  couche  le  corps  sur  le  lit,  la  fosse  est  fermée  à 
l'aide  de  madriers,  de  planches  grossières  et  enfin  de  terre,  et  les 
amis  et  parents  se  placent  au-dessus  pour  faire  d'abord  un  festin, 
puis  un  bal. 

Le  festin  a  ceci  de  particulier  qu'il  est  en  partie  composé  de 
chair  humaine.  Les  plus  riches  ou  les  plus  nobles  parents  du 
mort  apportent,  en  venant  aux  funérailles,  un  captif,  produit 
d'une  guerre  récente  ou  d'un  achat  fait  dans  ce  but  chez  les  gens 
du  voisinage.  Ce  captif  est  abattu  et  on  consomme  la  moitié  de 
sa  chair;  l'autre  moitié  est  emportée  et  n'est  mangée  qu'au 
retour  du  donateur  chez  lui. 

Les  funérailles  d'un  chef  seraient  les  plus  grandes  fêtes  des 
Bobo.  C'est  dans  ces  occasions-là  surtout  qu'on  les  voit  s'habiller 
un  peu  plus  sérieusement.  Les  étoflfes  qu'ils  portent  dans  ces 
circonstances  sont  généralement  étrangères  (Toubo,  Nyamina, 
Ségou,  Dienné  ou  Europe),  car  eux-mêmes  tissent  très  peu  et 
très  grossièrement. 

Il  va  sans  dire  qu'il  n'y  a  pas  de  bonne  fête  sans  une  ample 
consommation  de  bière  de  mil,  et  la  leur  enivre  davantage, 
paraît-il,  que  celle  des  Mandingues. 

Le  mariage  ne  serait  pas  un  véritable  achat,  —  les  Bobo  ayant 
l'esclavage  trop  en  horreur  pour  suivre  cet  usage  général.  —  Un 


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SUR   LES   BOBO  233 

jeune  homme  qui  recherche  une  jeune  fille  apporterait  seulement 
au  père  de  la  belle  une  dizaine  de  naltes,  un  coq  et  une  poule. 
Si  le  présent  est  accepté  et  gardé,  le  mariage  est  fait.  D'aucuns 
prétendent  que  le  mariage  doit  être  consommé  coram  populo, 

La  femme  travaille  autant,  peut-être  un  peu  plus  que 
l'homme.  Les  Bobo  sont  très  laborieux,  paraît-il  ;  il  est  en  effet 
probable  que,  n'ayant  pas  d'esclaves,  ils  doivent  travailler  nota- 
blement plus  que  les  Mandingues  et  autres  peuples  voisins. 

La  naissance  ne  serait  accompagnée  d'aucune  cérémonie; 
mais  il  y  aurait  une  petite  fête  au  moment  où  l'enfant  sait 
marcher  ;  ce  serait  du  reste  à  ce  moment  qu'on  lui  donne  un 
nom. 


Homme  se  dirait 

Nama. 

Divinité 

Killo. 

Enfant 

Khompré. 

Femme 

Ntakharé. 

Bière  de  mil 

Tourné  [T  mouillé). 

Cauri 

Pénét'é  {TmoniWé). 

Un 

Voun. 

Deux 

Piffo. 

Dans  les  salutations,  on  entendrait  continuellement  le  motFo; 
«  Fo  goué  ;  Fo  tiana  ;  Fo  ;  Fo  ;  Fo  ;  Fo,  »  En  saluant,  on  agite 
continuellement  l'un  des  bras,  l'avant-bras  étant  à  peu  près 
vertical,  et  on  termine  en  se  pressant  l'occiput  avec  la  main. 

Pour  saluer,  les  femmes  sont  à  genoux,  les  fesses  appuyées 
sur  les  talons,  le  corps  penché  en  avant,  le  bras  dirigé  en  bas, 
l'avant-bras  en  l'air  et  les  coudes  venant  frapper  les  genoux. 

Demande  :  No  ntakharé  tiana  ?        Comment  va  ta  femme  ? 

Réponse  :  Tiana  ma  goué.  Bien. 

Il  y  a  incontestablement  des  familles  mandingues  au  milieu 
des  Bobo  *. 


1)  J'envoie  au  musée  d'ethnographie  (fîg.  30),  par  rentremisede  M.  le  capitaine 
Loyer  un  travail  bobo  ,  une  sacoche  de  cavaher,  ou  mieux  de  palefrenier.  Le 
travail  en  est  fort  original  et  absolument  spécial.  Je  n'ai  jamais  rien  vu  d'ana- 
logue ni  comme  forme,  ni  comme  procédé  d'ornementation,  ni  enfin  comme 
couleur  de  cuir  (blanc)  chez  les  Maures^  les  Mandingka,  les  Soninka,  les  Ba- 
mana  ou  les  Foulbé. 


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SUR  QUELQUES  OBJETS  INDIENS 

TROUVÉS  PRÈS  DE  GUAYMAS  (MEXIQUE) 
Par  le  D'  h.  TEN  KATE 


J'ai  fait,  dans  la  Revue  d'Ethnographie  (tome  II,  p.  325), 
mention  d'une  trouvaille  d'objels  anciens  découverts  près  de 
Guaymas,  dans  l'État  mexicain  de  Sonora,  par  un  employé  de 
de  chemin  fer,  M.  Emeric,  peu  de  temps  avant  mon  second  séjour 
dans  cette  ville. 

Depuis  lors,  j'ai  eu  l'occasion  de  voir  les  pièces  en  question, 
conservées  au  Musée  des  Antiquités  de  l'Institution  Smithso- 
nienne  à  Washington.  J'ajoute  la  description  sommaire  de  ces 
pièces  à  celle  d'un  des  objets  de  même  provenance,  que  j'ai  pré- 
senté dans  le  temps  au  Musée  du  Trocadéro,  et  dont  je  faisais 
également  mention  dans  l'article  rappelé  plus  haut. 

Je  dois  à  l'extrême  obligeance  de  feu  M.  Ch.  Rau  les  dessins  . 
des  pièces  conservées  au  Musée  de  Washington,  que  je  reproduis 
ci-joint  sous  les  figures  31  à  37. 

Les  figures  31  et  32  représentent  en  demi-grandeur  «  l'objet 
en  forme  de  tortue  »  dont  j'ai  déjà  parlé  ici  même  il  y  a  quatre 
ans  et  qui  fait  actuellement  partie  des  collections  du  Trocadéro. 

L'espèce  de  tortue  que  le  sculpteur  indien  a  voulu  représenter 
dans  le  marbre  plus  ou  moins  verdâtre  dont  est  fait  l'objet,  est 
une  forme  marine,  la  Sphargis  [Dermatochelys)  Coriacea,  qui 
habite  les  eaux  de  TOcéan  Pacifique. 

Il  est  évident  que  l'objet  en  question,  comme  celui  que  je 
figure  ci-joint  sous  le  n°  33,  est  un  fétiche  ou  amulette,  dans  le 
genre  des  fétiches  de  File  de  Saint-Nicolas  (Californie)  décrits 


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SUR    QUELQUES    OBJETS    INDIENS    TROUVÉS    PRÈS    DE   GUAYMAS     235 

et  figurés  par  M.  Léon  de  Cessac*  dans  la  Revue  (T Ethnographie 
de  1882. 

Bien  avant  M.  de  Cessac,  feu  Paul  Schumacher  avait  fait 
connaître  de  semblables  images  d'animaux  ou  de  fétiches  trou- 
vées dans  ses  intéressantes  fouilles  sur  le  littoral  et  dans  les 
îles  de  la  Californie  méridionale.  Ces  pièces,  recueillies  par 
Schumacher,  sont  conservées  dans  les  collections  de  l'Institution 
Smithsonienne.  J'ignore  cependant  si,  dans  les  collections  for- 
mées par  Schumacher  pour  Washington  et  par  M.  de  Cessac 
pour  Paris,  il  se  trouve  une  image  de  tortue  semblable  à  notre 
pièce. 


Fig.  31-32.  Sculpture  en  marbre,  représentant  une  tortue  {Spharois  Coriacea), 
Environs  de  Guaymas.  (Musée  d'Ethnographie.  —  Collection  Ten  Kate,  n*  1.) 

Le  fétiche-tortue  en  question  indique  non  seulement  une  cer- 
taine habileté  de  facture,  mais  encore  un  grand  esprit  d'observa- 
tion. Grâce  à  cette  dernière  qualité,  le  sculpteur  ne  nous  laisse 
aucun  doute  sur  la  signification  de  son  œuvre.  Malheureuse- 
ment la  pièce  représentée  sous  la  figure  33  n'a  pas  la  même 
précision  de  contours. 

Quoiqu'il  y  ait  quelque  ressemblance  entre  cet  objet  et  les 
ébauches  de  fétiches  représentant  des  orques,  figurés  par 
M.  de  Cessac',  j'hésite  cependant  à  classer  notre  fétiche  dans 
cette  catégorie.  Cela  ne  m'empêche  pas  cependant  de  ne  pas 

1)  Revue  fV Ethnographie,  t.  I,  p.  30-40. 

2)  Loc.  ciL,  p.  31-32,  fig.  26-3 i. 


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236 


SUR   QUELQUES   OBJETS  INDIENS 


considérer  celte  image  comme  «  de  forme  conventionnelle  », 
ainsi  que  feu  Ch.  Rau  semblait  le  faire. 
Le  fétiche  représenté  en  demi-grandeur  sous  la  figure  33  est 


Fig.  33,  Sculpture  en  albâtre,  représentant  un  orque.  Environs  de  Guaymas. 
{Smtthson.  Institut.) 

fait  en  albâtre  blanc.  L'épaisseur  de  cet  objet  au  milieu  est  de 
22  millimMres,  de  sorte  que  l'objet  peut  reposer  sur  sa  base 
aplatie. 


Fig.  34-35.  Objet  indéterminé  eu  terre  schisteuse.  Environs  de  Guaymas. 
(Smilhson.  Institut.) 

Les  figures  34  et  35  ci-jointes  représentent  à  la  même  échelle 
un  objet  en  pierre  schisteuse,  de  couleur  verte  foncée  ;  je  ne 


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TROUVÉS   PRÈS   DE  GUAYMAS   (mEXIQUE)  237 

puis  que  soupçonner  la  signification  et  l'usage  de  celte  pièce. 
L'épaisseur,  au  milieu,  mesure  6  millimètres  environ,  sans  tenir 
compte  du  bandeau  en  relief  qui  s'entrecroise  sur  l'une  des  sur- 
faces de  la  pièce  et  traverse  l'autre. 

L'objet  que  je  représente  au  quart  de  sa  grandeur  naturelle, 
sous  le  n°  36,  ressemble  à  un  celt.  Il  consiste  en  grès  d'un  jaune 
terne  et  mesure  seulement  15  millimètres  au  milieu.  Une  pièce 


i 


h  ig.  36.  Objet  en  forme  de  celt,  en  grès  jaune. 
{Smithson.  Institut,) 


Fig.  37.  Lissoir  en  pierre  schisteuse. 
{Smithson.  Institut.) 


semblable,  et  de  même  matière,  longue  de  135  millimëlres, 
a  été  également  trouvée  par  M.  Emeric  et  présentée  par  lui  à 
rinstitution  Smithsonienne. 

Il  me  reste  à  dire  un  mot  sur  la  pièce  figurée  sous  le  n°  37, 
au  quart  de  sa  grandeur  naturelle,  et  qui  représente  probable- 
ment un  lissoir. 

Cet  objet  mesure  11  millimètres  au  milieu;  les  extrémités  sont 
obtuses  et  toute  la  surface  est  bien  polie.  La  matière  dont  est  fait 
ce  lissoir  est  une  pierre  schisteuse  de  couleur  verte  foncée.  Le 
musée  de  Washington  possède  un  autre  objet  de  même  forme 


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238     SUR   QUELQUES   OBJETS   INDIENS   TROUVÉS   PRÈS   DE   GUAYMA8 

et  de  même  matière,  long  de  26  centimètres  environ,  également 
trouvé  par  M.  Emeric.  Si  ma  méVnoire  ne  me  trompe  pas,  j'ai 
présenté  dans  le  temps,  au  Musée  du  Trocadéro,  une  ou  deux 
pièces  tant  soit  peu  analogues  à  celles  dont  je  viens  de  parler. 
Ces  pièces  m'avaient  été  gracieusement  offertes  par  M.  Emeric, 
à  mon  passage  à  Guaymas. 

Je  regrette  de  ne  pas  pouvoir  ajouter  à  ce  que  j'ai  dit  dans  ma 
première  communication  de  nouveaux  renseignements  sur  le 
lieu  de  la  trouvaille,  l'origine  et  le  véritable  usage  de  toutes  ces 
pièces  intéressantes. 

En  effet,  la  question  est  singulièrement  compliquée  à  cause 
de  la  disparition  totale,  en  tant  que  tribu,  des  indiens  Guaymas 
qui  jadis  habitaient  cette  contrée,  et  auxquels  nous  pouvons, 
sans  trop  nous  risquer,  attribuer  la  fabrication  de  ces  objets.  Les 
ouvriers  yaquis  que  M.  Emeric  entretenait  de  cette  trouvaille,  ont 
montré,  à  tort  ou  à  raison,  une  parfaite  ignorance  du  sujet.  Ce 
n'est  donc  que  par  analogie  avec  des  pièces  semblables,  dont 
l'origine  et  la  signification  ne  laissent  point  de  doute,  que  nous 
pouvons  en  essayer  l'interprétation. 

L'opinion  que  l'origine  des  objets  que  je  viens  de  décrire 
remonte  à  une  certaine  antiquité,  paraît  assez  plausible.  Comme 
je  le  répète,  ils  ont  été  trouvés,  au  moins  en  partie,  sous  les 
blocs  de  lave  couvrant  la  pente  des  collines  qui  bordent,  vers  le 
sud,  la  côte  près  de  Guaymas.  Or,  aucune  éruption  volcanique 
ne  paraît  avoir  eu  lieu  de  mémoire  d'homme  dans  ces  parages*. 

1)  Je  saisis  l'occasion  qui  se  présente  de  corriger  une  faute  qui  s'est  glissée 
dans  ma  communication  sur  les  pictographies  californiennes,  imprimée  au  t.  II 
de  la  Revue  tV Ethnographie.  Les  figures  116  et  117  de  la  page  323  ont  été  ren- 
versées par  erreur. 


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VARIETES 


MÉTHODE  DE  OLASSIFIOATION  DANS  LES  MUSÉES 
D'ETHNOGRAPHIE 


L'éditeur  de  cette  revue  m'a  prié  de  donner  mon  avis  sur  la  Méthode  de  clas- 
sification des  matériaux  ethnographiques,  et  j'avoue  que  j'accède  à  son  désir 
avec  beaucoup  d'hésitation;  d'abord,  parce  que  je  ne  crois  pas  que  dans  tous 
les  musées,  la  classification  puisse  être  la  même;  ensuite,  parce  que  mes 
propres  idées  subissent,  à  ce  sujet,  des  modifications  continuelles. 
■  Le  système  que  j'ai  suivi  au  Musée  national  de  Washington,  tant  pour  les 
grandes  séries  d'étude  que  pour  les  collections  exposées  aux  yeux  du  public, 
peut  s'appeler  la  Méthode  d'histoire  naturelle. 

Je  me  suis  efforcé  de  donner  une  place  appropriée  à  chaque  invention 
humaine,  à  toutes  choses  faJ^riquées  et  employées  par  l'homme,  et  de  placer  ces 
objets  de  façon  à  ce  qu'ils  représentent  avec  éloquence  les  progrès  de  la  civili- 
sation. • 

Les  questions  sérieuses  qui  embarrassent  le  conservateur  d'un  musée,  sont 
nombreuses.  Quelques-unes  ont  un  caractère  administratif,  d'autres  sont  d'une 
importance  vitale.  Au  Musée  national  de  Washington,  nous  avons  cherché  à 
résoudre  les  difûcultés  administratives  de  la  façon  suivante  : 

1^  En  établissant  lès  armoires,  tiroirs,  vitrines,  etc.,  d'après  des  types 
uniques,  susceptibles  d'être  déplacés  ou  de  se  remplacer  mutuellement  sans 
inconvénient; 

2»  De  donner  à  ce  nombreux  mobilier  une  facilité  de  manipulation  qui  per- 
mette à  une  simple  équipe  d'employés  de  les  déplacer  en  une  nuit,  et  de  leur 
donner  ainsi  pour  le  lendemain  matin  une  disposition  toute  différente  en  créant 
ainsi  une  leçon  nourelle; 

3<*  En  établissant  une  unité  de  type,  soit  simple,  soit  complexe.  Le  but  de 
cette  méthode  est  de  trouver  uoe  place  pour  toutes  sortes  de  collections. 

Une  aiguille  en  os  est  une  unité  de  type,  s'il  est  impossible  d'en  avoir 
d'autres.  Une  aiguille  et  du  fil  constituent  une  unité  plus  haute  ;  mais  une 
aiguille,  du  fil  et  un  morceau  de  broderie  à  moitié  achevée  fournissent  une 
unité  encore  plus  complète.  Une  pagaie  est  une  unité,  et  j'ai  installé  une  pano- 
plie de  pagaies  de  tous  les  pays  du  monde.  Mais  un  bateau  complètement 
équipé,  cbargé  de  tous  ses  engins  de  propulsion  et  autres  appareils  qui  con- 
viennent à  la  destination  du  bateau,  est  une  unité  plus  finie,  plus  rare  et  plus 
précieuse. 

Un  soulier  est  une  unité,  mais  un  vêtement  complet  est  une  unité  plus  impor- 


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240  VARIÉTÉS 

lante;  et  un  assortiment  de  costumes  pour  hommes,  femmes  et  enfants  Test 
encore  davantage.  L'unité  la  plus  haute,  la,  plus  rare  et  la  plus  instructive  est 
une  complète  série  technique  d'une  tribu  organisée. 

Le  Musée  national  ne  possède  pas  une  telle  unité,  et  il  est  peu  probable 
qu'aucun  musée  au  monde  puisse  exposer  une  unité  ethnique. 

C'est  un  fait  reconnu  que  les  spécimens  du  collectionneur,  comme  «  AU  Gaul  » 
par  exemple,  se  divisent  en  trois  parties  :  objets  ou  spécimens,  dessins  ou 
peintures  d'échantillons,  et  leur  description. 

En  d'autres  termes,  nous  avons  à  nous  occuper  de  l'administration  du 
musée,  des  galeries  et  de  la  bibliothèque.  Nous  avons,  en  outre,  nos  labora- 
toires et  nos  salles  d'exposition. 

Dans  le  laboratoire,  la  facilité  d'accès,  la  sécurité  des  spécimens,  le  catalogue 
commode,  et  le  matériel  d'études  sont  de  première  nécessité. 

Dans  les  salles  d'exposition,  le  seul  but  est  ïinstruction;  aussi  avons-nous 
complètement  exclu  du  Musée  national  tous  les  objets  n'ayant  au  point  de  vue 
ethnographique,  qu'une  simple  valeur  de  curiosité  ou  de  bizarrerie. 

Tout  objet  doit  avoir  sa  signification,  représenter  un  certain  fait,  ou  témoi- 
gner d'une  découverte  importante. 

Voilà  pour  la  partie  administrative  de  notre  travail,  la  partie  scientifique  n'est 
pas  aussi  facile  à  expliquer.  Je  n'entrerai  pas  ici  dans  les  détails  minutieux  de 
ma  méthode,  je  dirai  seulement  que  je  considère  tous  les  systèmes,  procédés 
et  productions  de  l'industrie  humaine  comme  les  résultats  de  forces  dont  l'origine 
et  le  mode  d'évolution  se  retrouvent  dans  les  autres  branches  de  l'histoire  natu- 
relle. Dans  la  même  catégorie  d'inventions  et  soumises  a\ix  mêmes  lois,  se 
placent  toutes  les  institutions,  les  langues  et  les  croyances  des  hommes. 
A  quelque  point  de  vue  que  l'on  considère  la  nature,  au  point  de  vue  théolo- 
gique ou  athéologique,  il  est  impossible  de  séparer  les  résultats  de  l'activité 
humaine  des  lois  de  la  nature. 

Dans  un  sens  purement  scientifique,  les  inventions  humaines  peuvent  se 
diviser  en  deux  familles,  genres  et  espèces.  Elles  peuvent  être  étudiées  dans  leur 
ontogénie,  c'est-à-dire  qu'on  peut  suivre  le  développement  de  chaque  chose 
individuelle  depuis  sa  naissance,  jusqu'à  son  état  parfait.  On  peut  les  considérer 
comme  des  produits  d'évolution  spécifique  commençant  à  des  objets  naturels, 
légèrement  modifiés  pour  les  besoins  humains  et  se  perfectionnant  jusqu'à  la 
machine  la  plus  délicate.  Ils  peuvent  être  transformés  par  des  influences  mu- 
tuelles, en  séries,  équipements,  appareils,  commerce,  industrie  ethnique,  etc., 
de  même  que  l'insecte  et  la  fleur  se  transforment  simultanément.  Ils  subissent 
la  loi  du  changement  due  à  l'influence  du  milieu  et  à  la  distribution  géogra- 
phique. En  réalité  je  ne  connais  aucune  méthode  d'étude  suivie  par  les  natura- 
listes, qui  ne  puisse  et  ne  doive  être  suivie  par  ceux  qui  se  livrent  à  l'étude 
de  la  culture  humaine.  Ce  n'est  qu'en  procédant  de  cette  façon  que  Ton  pourra 
comprendre  l'histoire  de  l'homme,  et  réunir  toutes  les  pièces  de  cette  mer- 
veilleuse mosaïque  qui  s'appelle  la  civilisation. 

Quiconque  entreprend  la  classification  de  matériaux  doit  tout  d'abord  posséder 
certaines  notions,  certaines  idées  ou  caractéristiques  qu  il  considère  comme  fon- 
damentales, et  au  moyen  desquelles  il  pourra  établir  les  séparations  nécessaires  ; 
c'est  ce  que  j'ai  appelé  la  Conception  Classifique, 


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MÉTHODE    DE   CLASSIFICATION  241 

f 

Tous  les  conservateurs  de  musée  devraient  constamment  agir  sous  l'influence 
de  la  conception  classiQque  suivante  : 

i^  Matériaux.  —  Certains  musées  sont  organisés  à  ce  point  de  vue,  le 
<(  Royal  Irish  »,  par  exemple.  En  effet,  nous  avons  tous  la  coutume  de  parler 
des  âges  de  pierres,  de  bronze  et  de  fer. 

2o  La  race.  —  Je  désigne  ainsi  le  sang,  la  consanguinité.  Plusieurs  musées 
ont  essayé  cette  méthode,  et  ces  expositions  sont  extrêmement  attrayantes. 
Mais,  avec  tout  le  respect  qui  leur  est  dû,  je  me  permettrai  de  dire  qu'elles  ne 
sont  pas  scientifiques. 

3o  La  nationalité.  —  Les  musées  historiques  seront  toujours  Torgueil  des 
peuples;  mais  ils  sont  d'un  ordre  purement  sentimental,  et  sont  peu  scienti- 
fiques. 

4<»  Provinces  et  régions  géographiques.  — •  C'est  un  sujet  d'étude  anthropo- 
logique que  l'on  a  beaucoup  négligé,  mais  récemment  le  D'  Bastian  a  organisé 
le  Musée  de  Berlin  d'après  ce  système  qui  nous  fera  sans  doute  des  révéla- 
tions étonnantes. 

5*  Le  milieu.  —  Peu  différent  du  précédent,  quand  ce  terme  est  envisagé 
dans  la  large  acception  que  lui  donne  M.  Spencer. 

6^  Forme  et  Fonction.  —  C'est  la  méthode  purement  scientifique  qui  place 
les  objets  ensemble,  parce  qu'ils  se  ressemblent  ;  elle  a  aussi  l'avantage  de 
permettre  au  conservateur  de  donner,  d'après  quelques  spécimens  types,  la 
plus  grande  valeur  à  des  objets  mal  déterminés. 

7*  Lélaboration.  —  Appelée  aussi  progrès,  évolution.  La  croyance  au  progrès 
de  l'histoire  est  universelle,  et  les  objets  d'une  classification  peuvent  être  dis- 
posés de  façon  à  le  bien  démontrer,  à  condition  cependant  que  Ton  tienne 
compte  des  successions,  des  survivances  et  des  réapparitions. 

8*»  Relations  mutuelles  ou  adaptation.  —  Nous  avons  là  un  merveilleux  sujet 
d'étude,  la  découverte,  par  exemple  que  certains  peuples,  depuis  longtemps 
disparus,  avaient  les  mains  petites,  à  en  juger  simplement  par  la  poignée  de 
leurs  armes  ou  le  manche  de  leurs  outils. 

Ainsi  donc,  je  me  rangerai  à  l'opinion  déjà  émise,  que  le  seul  sujet  de  con- 
testation entre  les  conservateurs  des  musées  ethnographiques  est  l'ordre  dans 
lequel  ces  classifications  doivent  se  suivre.  Tous,  nous  les  reconnaissons,  nous 
les  employons  et  nous  les  exigeons  chez  les  autres.  Le  degré  de  prééminence 
donné  à  l'une  de  ces  classifications  se  réglera  de  lui-même.  Cela  dépendra  des 
études  du  personnel  des  musées,  de  la  richesse  des  matériaux  dans  certaines 
classes,  de  la  disposition  du  bâtiment,  et  môme  de  ceux  qui  viennent  journelle- 
ment étudier  les  collections. 

En  Amérique,  nous  avons  nombre  de  gens  intelligents  de  professions  diverses 
qui  dépensent  leur  argent  pour  des  choses  qui  les  intéressent,  la  poterie,  les 
armes,  la  bijouterie,  les  vieilles  monnaies,  etc.,  et  nous  pouvons  nous  assurer 
le  concours  réel  de  ces  amateurs  en  donnant  à  la  classification  nP  6,  une  impor- 
tance plus  considérable.  Dans  le  cas  où  un  certain  nombre  de  gens,  peut-être 
un  amateur  heureux,  aurait  épuisé  une  région  de  manière  que  sa  civilisation 
complète  puisse  être  exposée  et  étudiée,  il  serait  préférable  alors  d'assigner 
un  local  spécial  pour  cette  région  en  lui  donnant  la  physionomie  la  plus  avan- 


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242  MÉTHODE  DE  CLASSIFICATION 

t 

En  somme,  la  perfection  serait  de  pouroir  ainsi  oi^aniser  des  sections  hono- 
raires après  un  examen  rigide  des  spécimens. 

J'ajoaterai,  au  risqae  de  me  répéter,  qne  le  Musée  National  des  États-Unis 
n'a  en  aucune  façon  le  projet  de  séparer  les  objets  depuis  longtemps  classés 
ensemble.  Quelques  critiques  facétieux  nous  ont  accusé  d  adopter  ce  système; 
nous  mettons,  disent-ils,  le  couvre-chef  d'un  individu  dans  une  salle,  ses  bottes 
dans  une  autre,  et  ainsi  de  suite  ;  rien  ne  serait  certainement  plus  ridicule  ! 

Notre  but  est  de  trouver  la  place  de  chaque  chose.  Si  nous  pouvons  avoir 
des  squelettes  entiers,  tant  mieux  ;  sinon,  nous  ne  rejetons  jamais  les  cr&nes 
et  autres  ossements,  pas  plus  que  nous  ne  les  mêlons  aux  spécimens  ethnogra- 
phiques. 

Nous  ne  mettons  pas  les  squelettes  avec  les  vêtements,  ni  avec  les  outils, 
et  cela  parce  que  les  anatomistes  voudront,  en  efiet,  étudier  les  ossements  pen- 
dant que  les  tecbnologistes  étudieront  les  arts.  Quelques  spécimens  sont  monor- 
ganiques,  d'autres  sont  poly organiques,  les  objets  distincts  sont  séparés,  et  les 
objets  trouvés  ensemble  restent  réunis. 

Je  terminerai  cette  trop  longue  lettre  par  une  courte  observation  sur 
les  nombreux  exemplaires  d*un  même  objet.  La  classification  des  matériaux 
basée  sur  les  industries  et  les  besoins  de  Thomme,  demande  de  nombreux 
exemplaires.  Le  même  arc  et  sa  flèche  appartiennent  aussi  bien  à  l'équipement 
d'un  pécheur  qu'à  une  série  d'armes.  La  crécelle  marque  Tenfance  de  la  mu- 
sique à  l'époque  où  le  rythme  existait  sans  la  mélodie.  Elle  représente  aussi 
le  monde  des  esprits,  de  la  sorcellerie  et  de  la  médecine.  Finalement,  comme 
produit  de  l'art,  ce  petit  engin  est  remarquable  comme  ciselure,  sculpture  et 
souvent  comme  combinaison  de  couleurs. 

Je  ne  voudrais  pas  pour  un  instant  me  poser  en  critique  de  mes  savants  con- 
frères, qui  dans  différents  pays  et  de  maintes  façons,  visent  le  même  but  et 
cherchent  à  déchirer  le  voile  qui  recouvre  Thisloire  de  l'humanité.  Je  suis  con- 
vaincu que  chaque  méthode  atteindra  son  but,  et  qu'un  jour  un  esprit  supérieur 
surviendra,  qui  réunira  nos  travaux  et  nous  saura  gré  de  l'œuvre  de  prépara- 
tion que  nous  aurons  déjà  accomplie. 

Otis  t.  Masson. 


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REVUES    ET    ANALYSES 

LIVRES  ET  BROCHURES 

A.  de  Quatrefages,  Les  Pygmôes,  Paris,  J.-B.  Baillère,  1887.  in-16,  31  fîg. 

La  question  des  Pygmées  avait  préoccupé  les  esprits  depuis  la  plus  haute 
antiquité,  mais  jusqu'à  notre  époque  ou  ne  connaissait  ces  êtres  que  par  les 
récits  souvent  très  vagues  des  auteurs  classiques,  Aristote,  Pline,  etc.  C'est 
seulement  dans  ces  derniers  temps  que  la  connaissance  plus  approfondie  de 
Tethnologie  exotique  a  permis  de  mettre  en  regard  des  textes  de  l'antiquité  des 
descriptions  d'après  nature  qui  en  établissaient  le  contrôle.  Il  est  devenu  dès 
lors  possible  de  vériQer,  dans  ce  qu'elles  avaient  d'exact,  les  assertions  des 
anciens  géographes  et  de  dégager  la  vérité  des  erreurs  qui  la  dissimulaient 
depuis  tant  de  siècles.  Cela  a  été  l'œuvre  de  MM.  Schweinfurth,  Hamy,  Gar- 
biglietti,  etc.,  enQn  de  l'éminent  doyen  des  anthropologistes  français,  M.  de 
Quatrefages,  qui  dans  une  série  d'études  publiées  dans  divers  recueils  et  notam- 
ment dans  cette  Revue  même,  a  tracé  un  tableau  très  scientifique  de  l'ethnologie 
des  Pygmées, 

Malheureusement  ces  mémoires,  parus  à  des  époques  diverses,  et  dispersés 
dans  des  recueils  spéciaux,  étaient  peu  connus  de  la  majorité  des  lecteurs.  C'est 
donc  avec  une  vraie  joie  que  nous  signalons  l'apparition  du  petit  volume  dont 
on  a  lu  plus  haut  le  litre  et  qui  offre  cet  intérêt  de  rassembler  en  un  seul  tout 
les  notices  éparses  que  M.  de  Quatrefages  avait  consacrées  à  l'une  des  questions 
les  plus  intéressantes  de  Tanthropologie.  Nous  avons  ainsi  sur  les  Pygmées 
un  tableau  d'ensemble  remarquable  tout  à  la  fois  par  la  largeur  de  vues  et  par 
la  richesse  des  détails. 

Dépouillés  du  voile  mystérieux  qui  les  recouvrait,  les  Pygmées  nous  appa- 
raissent dans  le  livre  de  M.  de  Quatrefages  tels  qu'ils  sont  en  réalité,  des 
hommes  sauvages,  de  petite  taille,  chélifs  et  grêles,  mais  toujours  des  hommes, 
qui  ne  rappellent,  même  de  loin,  ni  les  fameux  adversaires  des  grues  des 
anciens,  ni  les  hommes  pithécoïdes  de  certains  écrivains  modernes. 

Après  avoir  passé  en  revue  les  opinions  de  l'antiquité  sur  les  Pygmées,  et 
fait  le  départ  entre  la  fable  et  les  renseignements  exacts,  M.  de  Quatrefages 
arrive  à  cette  conclusion  que  les  auteurs  classiques  ont  distingué  deux  groupes  de 
Pygmées  :  les  Pygmées  asiatiques  ou  orientaux  et  les  Pygmées  africains  ou 
occidentaux»  Les  premiers  sont  représentés  aujourd'hui  par  les  Négritos  pro- 
prement dits  (Aetas,  Mincopies,  etc.),  et  les  seconds  par  les  Négrilles, ainsi  que 
M.  Hamy  les  a  nomnoiés  (Akkas,  Babonkos,  etc.)  L'aire  de  l'extension  de  ces 


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244  LIVRES    ET    BROCHURES 

peuplades  était  beaucoup  plus  vaste  dans  les  temps  primitifs  que  de  nos  jours  : 
les  Akkas,  les  Aëtas,  les  Sakayes  ne  sont  que  les  tristes  débris  de  peuples  jadis 
répandus  depuis  le  Japon  jusqu'au  Sénégal,  en  passant  par  la  Malaisie  et  par 
rinde.  A  défaut  de  textes  anciens  on  aurait  pu  reconnaître  cette  expansion  pre- 
mière par  le  seul  examen  de  certains  sujets  que  Ton  rencontre  parmi  les  Japo- 
nais, les  Malais,  les  Dravidiens  et  les  Nègres,  et  qui  présentent,  plus  ou  moios 
accusés,  les  traits  caractéristiques  du  Négrille  et  du  Négrito  :  petitesse  de 
taille,  chevelure  laineuse,  brachycéphalie,  etc. 

L'ouvrage  de  M.  de  Quatrefages  présente  des  monographies  de  chacun  des 
peuples  importants  du  groupe  Négrito  :  Aëtas  des  Philippines,  Mincopies  des 
Andamans,  Sakayes  de  la  presqu'île  Malaise,  Djangals  de  Tlnde  méridionale, 
Akkas  du  Mombouttou,  Akoas  et  Babonkos  de  1  Afrique  occidentale,  etc.  Le 
type  physique,  le  type  moral,  les  mœurs,  les  institutions,  l'industrie,  la  religion, 
tout  cela  est  traité  avec  un  soin  égal  et  une  érudition  exemplaire. 

De  nombreuses  Ggures,  en  partie  inédites,  aident  à  Tintelligence  du  texte  et 
permettent  au  lecteur  de  saisir  d'un  coup  d'œil  les  différences  et  les  ressemblances 
que  présentent  entre  elles  les  peuplades  décrites  par  l'auteur. 

Un  chapitre  spécial,  à  la  fin  du  volume,  est  consacré  aux  croyances  reli- 
gieuses des  Hottentots  et  des  Boschismans,  deux  peuples  qui,  sans  être  des 
Pygmées  proprement  dits,  se  rapprochent  cependant  du  groupe  de  ce  nom  par 
plusieurs  traits  de  leurs  mœurs  et  de  leur  type  physique. 

Nous  souhaitons  que  le  volume  de  M.  de  Quatrefages  soit  largement  répandu 
dans  le  public;  il  contribuera  à  propager  des  idées  justes  et  des  notions  précises 
sur  des  peuplades  auxquelles  on  attribue  encore  volontiers  des  qualités  surna- 
turelles et  des  traits  extraordinaires. 

J.  Deniker. 


Putnam  (F.-W.)*  Rômarks  upon  chipped  Stone  Implements.  {Bull,  of 
the  Essex  Instituley  vol.  XV,  Salem,  1885,  in-8.) 

Cette  note,  accompagnée  de  dix-neuf  gravures  sur  bois,  est  le  résumé  d'une 
communication,  déjà  ancienne,  adressée  à  l'Institut  d'Essex  par  M.  F.-W.  Put- 
nam, alors  vice-président  de  cette  Compagnie.  Elle  a  pour  objet  de  mettre  en 
présence  un  certain  nombre  d'instruments  en  pierre ,  plus  ou  moins  primitifs , 
montés  ou  non  montés,  recueillis  en  Amérique,  et  qui  font  partie  des  collec- 
tions du  Peabody  Muséum  de  Cambridge  ou  du  cabinet  d'antiquités  de 
M.  Dodge.  On  y  retrouve,  assez  artistement  représentés,  les  instruments  primi- 
tifs en  argilite  des  graviers  quaternaires  de  Trenton  ;  les  couteaux  de  silex, 
grossièrement  emmanchés  au  bout  d'une  poignée  de  bois,  des  tombeaux  de 
Santa  Barbara  (Californie)  ;  les  flèches  de  pierre,  habilement  fixées  à  leurs 
hampes  par  les  Navajos,  les  Pah-Utes,  les  anciens  Péruviens  ou  les  Fuégiens. 
On  y  voit  figurer,  en  outre,  sept  de  ces  curieuses  pointes  de  lances,  que 
M.  Edouard  Palmer  a  trouvées  dans  les  cavernes  de  Coahuila  (Mexique).  Ces 
pointes  foliacées,  finement  retouchées  sur  leurs  faces  et  sur  leurs  bords,  sont 


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LES    GRANDS   ESQUIMAIX  243 

collées  à  la  hampe  fendue  qui  eo  saisit  la  base  à  Taide  d'une  sorte  de  gomme, 
qui  semble  provenir  d'un  cactus. 

M.  Putnam  a  fait  graver,  à  titre  de  comparaison,  une  scie  australienne  en 
éclats  de  quartzite,  à  peu  près  semblable  à  celle  que  nous  avons  figurée  ici 
môme  {Rev,  d'Ethnogr.,  t.  V,  p.  34,  W*  8),  et  une  hache  emmanchée,  toute 
pareille  à  celle  que  nous  avons  aussi  donnée  dans  ce  recueil  {Ibid.,  n^  4),  et 
qui  venait,  sans  le  moindre  doute,  de  Gippsland  (Victoria).  M.  Putnam  pré- 
sente ce  dernier  instrument  comme  venant  de  Tasmanie,  c'est  une  erreur  de 
provenance  qu'il  devra  s'empresser  de  rectifier. 

E.  H. 


Emile  Petitot  (R.  P.).  Les  Grands  Esquimaux»  ouvrage  accompagné  d'une 
carte  et  de  sept  gravures,  d'après  les  croquis  de  l'auteur.  Paris,  E.  Pion, 
Nourrit  et  C^%  1887, 1  vol.  in-12. 

L'auteur  commence  son  introduction  par  ces  mots  :  a  Ce  volume  n'est  point 
destiné  à  la  jeunesse.  »  S'il  avait  ajouté  que  le  volume  n'est  pas  destiné  non 
plus  au  monde  savant,  je  ne  l'aurais  pas  contredit.  Le  livre  du  R.  P.  Petitot 
est  une  relation  condensée  de  ses  longs  et  pénibles  voyages  comme  mission- 
naire parmi  les  Esquimaux  Tchiglit  et  les  tribus  voisines  des  Peaux-Rouges  ; 
il  est  amusaiU  et  plein  d'esprit,  mais  ne  contient  que  très  peu  de  choses  qui 
révèlent  les  qualités  scientifiques  de  son  auteur.  C'est  regrettable,  parce  qu'un 
ouvrage  à  bon  marché  comme  celui-ci  aura  une  publicité  beaucoup  plus  consi- 
<iérable  que  les  grands  voulûmes  coûteux  déjà  publiés  par  le  savant  auteur,  et 
traitant  les  mêmes  sujets  très  importants. 

Il  n'est  pas  moins  fâcheux  q'ue  l'ouvrage  soit  en  grande  partie  consacré  à 
relever  des  ressemblances  accidentelles  entre  certains  détails  du  costume,  des 
bateaux,  des  rames,  des  voiles,  des  ustensiles,  des  calumets  des  Tchiglit  et 
ceux  des  Chinois,  des  Malais,  des  Hindous,  des  Égyptiens,  etc.,  ressemblances 
qui  ne  prouvent  qu'une  chose,  c'est  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  dangereux  pour  la 
science  ethnologique  que  les  idées  préconçues,  et  qu'il  faut  s'en  débarrasser  le 
plus  tôt  et  le  plus  complètement  possible.  Les  tribus  hébreuses  émigrées,  qui 
reviennent  si  souvent  sous  la  plume  du  R.  P,  Petitot,  sont  vraiment  bien 
âgées  aujourd'hui. 

Sous  ces  réserves,  il  faut  admettre  que  le  livre  est  bon  et  beaucoup  plus 
amusant  que  ne  le  sont  ordinairement  les  ouvrages  de  ce  genre.  Le  style  en  est 
pittoresque  et  attrayant,  quoique  rendu  fatigant  par  l'emploi  trop  fréquent  des 
mots  esquimaux  dans  le  texte,  emploi  qui  n'est  pas  toujours  correct.  En  par- 
lant de  la  numération,  par  exemple  (p.  74),  l'auteur  dit  qu'un  Tchiglek  «  comp- 
tait couramment  jusqu'à  six,  arbuati  ;  après  quoi  il  reprenait  :  six-un,  six- 
deux,  six-trois,  etc.  ;  arbuati-aypa,  arbuati-ilkia,  arbuati-tchitamaty  etc., 
jusqu'au  chiffre  dix,  hrolit,  c'est-à-dire  un  tout  complet.  »  Ceci  n'est  pas  exact. 
La  signification  de  arbuati  est ,  en  effet,  cinq-un ,  et  celle  de  arbuati-aypa, 
cinq-deux,  de  arbuati-iHaa,  cinq-trois.  Le  système  est  purement  demi-décimal, 
comme  chez  toutes  les  tribus  qui  parlent  des  dialectes  esquimaux,  et  comme 
VI  17 


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246  LIVRES  ET   BROCHURES 

dans  la  plupart  des  langues  américaines.  Si  d'ailleurs  on  consulte  Pezcellent 
Vocabulaire  français-esquimau,  dialecte  des  Tchiglit,  de  M.  Enaile  Petitot  lui- 
même,  on  y  verra  que  le  mot  pour  six  s'écrit  d'une  manière  essentiellement 
différente  (agvén^lwgit);  quelle  forme  est  la  vraie? 

SoREN  Hansbn. 


Lewis  (T.-H.).  Efflgy  mounds  In  lowa.  {Science^  n»146, 1885.)  —  Snake 
and  Snake-like  Mounds  in  Minnesota.  (Science^  n<»  220, 1887.) 

M.  T.-H.  Lewis,  qui  a  fait  si  bonne  justice  du  malencontreux  livre  de 
William  Pidgeon  sur  les  Antiquités  indiennes  \  s'est  donné  la  mission  de 
substituer  aux  inventions  de  cet  archéologue  d'occasion  des  renseignements 
rigoureusement  exacts.  Ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  il  explore  minutieuse- 
ment depuis  plusieurs  années  les  groupes  de  monuments  les  plus  importants 
de  riowa,  du  Minnesota,  du  Wisconsin,  etc.,  et  publie,  en  rentrant  de  chacune 
de  ses  excursions,  des  notes  sommaires  qui  en  résument  les  résultats.  Nous 
avons  sous  les  yeux  deux  de  ces  notes  qui  font  connaître,  la  première,  divers 
mounds  représentant  des  animaux  (ef/i^  mounds)  découverts  dans  l'Iowa,  la 
seconde>  d'autres  mounds  en  forme  de  serpents  trouvés  dans  le  Minnesota. 

Les  effigy  mounds  dont  M.  Lewis  nous  donne  le  plan  et  la  description, 
s'élèvent  près  du  village  de  North  Me  Gregor,  dans  le  comté  de  Clayton  ;  ils 
s'alignent  irrégulièrement,  au  nombre  de  treize,  sur  la  croupe  d'une  colline  et 
occupent,  si  l'on  comprend  dans  leur  ensemble  des  banquettes  allongées  un 
peu  plus  loin  dans  la  direction  du  nord-ouest,  une  longueur  de  2,000  pieds. 

Les  animaux  figurés  sont  dix  mammifères  et  trois  oiseaux,  dont  il  faut 
d'ailleurs  renoncer  à  déterminer  l'espèce,  tant  les  contours  en  sont  élémentaires. 
Les  dimensions  en  longueur  de  chacun  des  animaux  varient  de  79  à  109  pieds, 
leur  relief  atteint  deux  ou  trois  pieds  seulement*. 

Les  mounds  serpenti formes  du  Minnesota,  dont  nous  parle  M.  Lewis,  sont 
situés  soit  à  Afton,  à  l'ouest  du  lac  Sainte-Croix,  soit  près  de  Red  Wing,  à 
l'est  de  Spring-Greek,  soit  enfin  au  sud  du  !ac  Koronis.  Le  plus  important, 
presque  droit,  atteint  une  longueur  de  534  pieds,  c'est-à-dire  un  peu  plus  de 
la  moitié  des  dimensions  du  fameux  serpent  de  VOhio  ;  on  distingue  assez  bien, 
à  l'extrémité  de  la  queue,  trois  renflements  qui  correspondent  aux  sonnettes  de 
l'animal.  D'autres  de  ces  tumulus  serpenti  formes  s'enroulent  de  diverses  manières 
sur  des  longueurs  de  !:^  et  300  pieds.  On  trouvera  dans  l'article  de  M.  Lewis 
la  description  minutieuse  et  les  mesures  détaillées  de  sept  de  ces  monuments 
levés  par  lui  dans  les  comtés  de  Washington,  Meeker,  etc. 

Ë.  H. 

f  )  Rmu€  d.Kthnographte.  t,  VI,  p.  165-166. 

S)  On  retrooTC  deax  de  ces  maromirères  et  deux  de  ces  oiseaux  en  relief  dan«  ua  autre  groupe 
de  qaatre-Tingt.douze  monumeuts,  exploré  près  de  Soy  Me  (iill.  à  trois  railles  de  Clayton,  par 
M.  Frank  Hodges. 


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THE  TERRACOTTA  HEADS  OF  lEOTIHUACAN  247 

Zelia  Nuttal.  The  Terraootta  Heads  of  Teotihnaoan.  (American  Journal 
of  Archaeology.  Baltimore,  1886.) 

Presque  toutes  les  collections  d'antiquités  mexicaines  renferment  des  séries 
plus  ou  moins  considérables  de  petites  têtes  humaines  en  terre  cuite,  hautes 
de  trois  à  six  centimètres  et  de  formes  très  variées.  On  en  trouve  beaucoup 
dans  le  nombre  qui  sont  simplement  des  fragments  de  petites  idoles  ; 
mais  la  plus  grande  partie  de  ces  têtes  présente  un  aspect  particulier  qui 
semble  indiquer  une  destination  différente.  C'est  à  Tétude  de  ces  têtes,  qui 
sont  trouvées  presque  toutes  aux  environs  des  grandes  pyramides  de  Téoti- 
huacan,  que  M™*  Nuttall  vient  de  consacrer  un  petit  ouvrage  plein  d'intérêt. 
Elle  a  étudié  les  collections  du  Museo  nacional  de  Mexico,  des  musées  de 
Washington,  de  Philadelphie,  de  Cambridge,  de  Newhaven,  et  elle  possède 
elle-même  une  collection  considérable.  En  mêmetemps  qu'elle  analysait  ces  maté- 
riaux, M°*®  Nuttall  consultait  avec  beaucoup  de  soin  les  ouvrages  des  anciens 
écrivains  espagnols,  où  elle  a  trouvé  une  foule  d'indications  de  grande  valeur, 
à  peu  près  négligées  jusqu'aujourd'hui.  La  solution  qui  résulte  de  ces  études 
approfondies  n'est  pas  al)solument  neuve,  mais  elle  n'a  jamais  été  présentée 
aussi  nettement  qu'ici,  et  d'ailleurs  l'ouvrage  de  M"'  Nuttall  contient  nombre 
d'observations  nouvelles  et  de  grand  intérêt. 

Les  têtes  en  question,  selon  l'avis  de  l'auteur,  sont  les  portraits  des  per- 
sonnes décédées,  et  en  même  temps  très  souvent  une  sorte  d'idoles  ornées  des 
attributs  symboliques  des  dieux  divers  avec  lesquels  les  décédés  étaient  en 
relations  quelconques.  Si,  par  exemple,  une  personne  s'était  noyée,  elle  était 
représentée  par  une  tête  avec  les  attributs  du  dieu  Tlaloc;  si  elle  avait  été 
sacrifiée  en  l'honneur  de  Tezcatlipoca,  on  la  représentait  avec  les  attributs  de 
ce  dieu,  etc.  Les  têtes  simples,  sans  coiffure  quelconque,  seraient  les  représen- 
tations duprofanum  vulgus,  des  morts  ordinaires  décédés  sans  phrases  et  sans 
prétentions.  Cette  opinion  est  sans  doute  correcte,  et  beaucoup  des  interpré- 
tations spéciales  de  l'auteur  sont  fort  justes  et  fort  intéressantes.  Je  cite 
notamment  l'explication  frappante  et  nouvelle  de  la  tête  marquée  III  B  sur  la 
planche*.  Elle  représente  un  jeune  homme  dont  la  figure  est  couverte  d'un 
masque  fait  de  la  peau  d'une  victime  sacrifiée  en  l'honneur  de  la  déesse 
Centéotl  à  l'occasion  de  la  fête  Tlacaxipehualixtli. 

Il  est  à  regretter  cependant  que  M™«  Nuttall  n'ait  pas  pu  disposer  de  maté«- 
riaux  plus  complets  ;  elle  aurait  évité  quelques  erreurs  dans  la  détermination 
des  pièces,  erreurs  peu  graves,  du  reste,  et  elle  aurait  pu  classer  les  formes 
diverses  avec  plus  de  précision.  C'est  seulement  faute  de  matériaux  suffisants 
que  l'auteur  regarde  ces  têtes  comme  des  portraits  à  ressemblance  indivi- 
duelle. Il  existe  en  effet  des  doubles  sans  aucune  différence  visible,  et  c'est  un 
fait  assez  remarquable,  parce  qu'il  prouve  qu'on  regardait  la  représentation 
symbolique  de  la  divinité  comme  plus  importante  que  celle  de  la  personne 
décédée.  Il  y  avait,  sans  aucun  doute,  dans  l'ancien  Mexique,  des  fabriques 
où  on  faisait  ces  têtes  pour  les  vendre,  tout  à  fait  comme  les  petites  idoles  en 

I)  Le  musée  du  Trocadéro  possède  six  eieroplaires  de  ce  genre. 


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2i8  LIVRES   £T    BROCHURES 

terre  cuite,  poussées  également  daus  un  moule.  Je  reviendrai  plus  loin  sur  cette 
question. 

M.  le  D'  Hamy  m'a  demandé  d'ajouter  à  une  brève  analyse  de  Timportant 
ouvrage  de  M"«  Nuttall,  un  aperçu  de  la  grande  collection  de  tètes  en  terre 
cuite  qui  se  trouve  dans  le  musée  du  Trocadéro. 

Une  révision  de  ces  matériaux,  dont  le  nombre  est  de  cinq  à  six  cents  pièces, 
m'a  permis  de  constater  qu'il  y  existe  une  série  de  types  bien  caractérisés,  qu'on 
pourrait  classer  suivant  un  système  qui  diiïère  essentiellement  de  celui  pré- 
senté par  M™«  Nuttall.  Ce  système  serait  fondé  sur  la  forme  des  corps  auxquels 
ont  appartenu  les  têtes.  Quoique  ces  corps  soient  inconnus  pour  le  plus  grand 
des  groupes  et  relativement  rares  pour  les  autres,  je  crois  pourtant  que  cette 
classification  est  assez  pratique.  Je  sais  bien  que  la  seule  classification,  vrai- 
ment naturelle,  serait  celle  ayant  pour  base  les  classes  d'hommes  représentées 
par  les  tôles,  mais  c'est  une  chose  qu'on  ne  peut  réaliser  sans  une  étude 
approfondie  comme  celle  de  M°^*  Nuttall,  et  beaucoup  plus  étendue. 

Le  premier  de  mes  groupes  serait  celui  des  têtes  à  cou  rond  ou  à  pivot,  qui 
ont  été  attachées  probablement  à  un  corps  inconnu  formé  d'une  matière  quel- 
conque qui  n'a  pas  résisté  à  l'action  du  temps.  Le  cou  rond  et  court  n'a  jamais 
ni  perforations  ni  rainures  qui  pourraient  indiquer  un  attachement  par  une 
ficelle.  La  tête  doit  donc  avoir  été  collée  au  corps,  comme  le  croit  aussi 
M^^  Nuttall.  Il  est  du  reste  bien  possible  que  ces  corps  n'aient  jamais  existé,  et 
que  les  têtes  aient  été  employées  seules.  La  plus  grande  partie  des  têtes  à  cou 
rond  sont  des  têtes  pyriformes,  les  plus  nombreuses  de  toutes  et  les  mieux 
connues  :  le  musée  du  Trocadéro  en  possède  plus  de  deux  cents.  Le  front  n'est 
jamais  aplati,  et  il  n'y  a  ni  oreilles  ni  aucune  sorte  de  coiffure,  mais  la  figure 
est  généralement  bien  faite  et  montre  beaucoup  d'expression.  Puis  viennent  les 
têtes  triangulaires,  avec  ou  sans  coiffure.  Ces  formes  sont  très  rares,  mais  on 
les  retrouve  toutes  parmi  les  têtes  à  cou  plat^  qui  sont  presque  aussi  nom- 
breuses que  celles  de  la  première  catégorie,  mais  bien  différentes  entre  elles. 
Les  têtes  à  cou  plat  sont  les  fragments  supérieurs  de  petites  figurines  en  forme 
de  momies  munies  généralement  de  perforations  transversales,  dont  on  voit 
souvent  des  traces  bien  distinctes  aux  bases  des  têtes  détachées.  Les  figurines 
entières  sont  relativement  rares,  et  il  paraît  que  M°«  Nuttall  n'en  a  pas  vu, 
tandis  qu'elle  a  donné  une  figure  d'un  corps  de  cette  sorte  sans  tête  (fig.  34). 
Il  y  a  deux  formes  fréquentes  et  bien  caractérisées  de  ces  figurines,  et  plusieurs 
dont  on  ne  connaît  que  des  spécimens  uniques,  sans  grand  intérêt.  L'une  de 
ces  formes  fréquentes  montre  une  personne  assise  ou  accroupie,  dont  on  ne 
distingue  guère  les  membres,  l'autre  représente  une  personne  étendue  et  enve- 
loppée à  peu  près  comme  une  momie  égyptienne.  On  ne  peut  pas  douter  que 
les  deux  formes  représentent  en  effet  des  momies  ou  plutôt  des  corps  préparés 
pour  la  crémation.  Les  figurines  rappellent  beaucoup  les  représentations  des 
morts  des  manuscrits  mexicains,  dont  M™^  Nuttall  a  reproduit  une  vingtaine,  et 
les  yeux  des  têtes  sont  toujours  fermés.  La  forme  des  têtes  de  ces  figurines  et 
des  têtes  détachées  à  cou  plat  est  très  variée,  mais  commune  aux  deux  formes 
des  corps.  (Les  têtes  pyriformes  sont  les  seules  qui  n'aient  jamais  le  cou  plat, 
c'est-à-dire  qui  n'aient  jamais  appartenu  a  des  corps  en  forme  de  momies). 
Généralement  le  front  est  aplati  et  élargi,  en  sorte  que  la  figure  devient  plus 


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THE   TERRACOTTA    HEADS    OF   TFOTIHUACAN  249 

OU  moins  triangulaire,  mais  cette  forme  est  le  plus  souvent  modifiée  par  la 
coiffure.  Les  têtes,  sans  coiffure,  portent  quelquefois  dans  le  bord  supérieur 
une  encoche  plus  ou  moins  prononcée.  Une  rainure  transversale  au-dessus  des 
yeux  est  un  premier  vestige  de  coiffure  et  ne  signifie  pas,  comme  le  croit 
M™®  Nuttall,  que  la  tête  a  porté  une  coiffure,  en  matière  différente,  aujourd'hui 
disparue.  Je  ne  dis  pas  que  les  têtes  en  terre  cuite  n'ont  jamais  été  munies  dune 
telle  parure,  mais  je  n'en  ai  jamais  trouvé  des  traces  certaines,  et  jq  crois  que 
M™®  Nuttall  a  exagéré  la  valeur  de  celles  qu'elle  a  cru  avoir  trouvées.  A  cette 
rainure  horizontale  s'ajoutent  des  rainures  verticales,  des  rainures  horizontales 
ondulées,  puis  viennent  les  coiffures  plus  ou  moins  compliquées  dont  la  des- 
cription et  l'interprétation  spéciale  sortiraient  du  cadre  de  cette  analyse. 

Le  troisième  de  mes  groupes  comprend  les  têtes  en  reliefs  détachées  d'une 
plaque.  Elles  sont  peu  nombreuses,  leur  origine  et  leur  destination  sont  sou- 
vent douteuses.  En  généra],  la  coiffure  de  celles-ci  est  très  compliquée,  et 
la  figure  elle-même  est  ornée  de  symboles  divers,  surtout  de  ceux  bien  connus 
des  dieux  Tezcatlipoca  et  Tialoc. 

Un  quatrième  groupe  est  formé  des  masques.  Comme  l'indique  de  nom,  ces 
têtes  n'ont  jamais  de  cou  ;  elles  sont  assez  souvent  creusées  par  derrière  et  se 
rapprochent  graduellement  des  grands  masques  sculptés  en  pierre,  en  bois  ou 
en  mosaïque.  La  destination  de  ces  pièces  me  paraît  douteuse,  et  je  n'ose  pas, 
en  tout  cas,  les  ranger  sans  réserve  parmi  les  représentations  des  morts^ 
interprétées  par  M"«  Nuttall.  Sans  doute  il  y  en  a  beaucoup  qui  ont  eu  une 
telle  destination,  celles  par  exemple  qui  ne  diffèrent  que  par  l'absence  du  cou , 
mais  le  seul  fait  que  les  yeux  sont  assez  souvent  ouverts  doit  nous  mettre  en 
garde. 

En  dehors  de  ces  quatre  groupes  bien  distincts,  il  y  a  un  grand  nombre  de 
têtes  très  difficiles  à  classer.  Je  ne  parle  pas  des  têtes  d'idoles  parmi  lesquelles 
notamment  celles  de  la  déesse  Tonantzin  ;  je  ne  parle  pas  non  plus  des  nom- 
breuses têtes  d'animaux,  généralement  d'un  travail  grossier  ou  des  têtes  qu'on 
ne  peut  pas  déterminer  du  tout  parce  que  leur  état  de  conservation  est  trop 
mauvais.  Ces  pièces  n'ont  pas  grand  intérêt,  mais  il  y  a,  par  exemple,  une 
assez  grande  série  de  têtes  de  singes  à  cou  rond  tourné  en  arrière.  Elles  sont 
coiffées  d'un  casque  pointu,  ornées  d'énormes  pendants  d'oreilles  et  semblent 
représenter,  suivant  M.  Hamy,  le  dieu  Quelzalcoatl  dans  sa  forme  de  Ehecatl, 
mais  leur  destination  est  jusqu'aujourd'hui  inconnue.  Probablement  elles  ont 
été  employées  comme  les  autres.  Parmi  les  pièces  uniques,  je  ne  cite  qu'une 
très  petite  tête  coiffée  d'une  sorte  de  perruque  et  d'un  travail  extrêmement  fin. 

Les  représentations  des  morts  par  ces  figurines  en  terre  cuite,  dont  les  têtes 
ont  été  une  des  grandes  énigmes  de  l'archéologie  mexicaine,  appartiennent  en 
partie  à  l'époque  des  Aztèques  jusqu'au  temps  de  la  conquête,  mais  la  cou- 
tume à  laquelle  elles  se  rattachent  remonte  assurément  à  des  temps  beaucoup 
plus  reculés.  La  collection  du  musée  du  Trocadéro  contient  par  exemple  de  ces 
têtes  pastillées  que  M.  Hamy  a  depuis  longtemps  montré  appartenir  à  la 
période  toltèque  et  des  séries  intermédiaires  dont  le  style  caractéristique  prouve 
qu'il  ne  s'agit  pas  exceptionnellement  de  pièces  mal  réussies.  Ces  têtes,  aux 
figures  comiques,  sont  très  souvent  ornées  des  mêmes  coiffures  qu'on  retrouve 
plus  tard  développées  el  variées.  Elles  sont  faites  à  la  main,  et  la  complication 


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250  REVUE    DES    UVRES 

des  coiffures  prouve  que  nous  n'avons  pas  affaire  à  un  produit  à  bon  marché 
ftibriqué  par  ou  pour  les  pauvres.  Il  y  en  a  plusieurs  qui  présentent  les  der- 
nières traces  d'un  pastillage  sur  des  figures  extrêmement  conventionnelles  et 
grossièrement  travaillées,  mais  on  peut  suivre  le  développement  de  cette  spé- 
cialité de  la  céramique  mexicaine  jusqu'à  la  fin  de  la  période  aztèque,  où  on 
employait  des  moules  finement  modelés  pour  y  pousser  soit  des  figurines,  soit 
des  têtes  feules.  M™*  Nuttall  a  fait  justement  remarquer  que  les  cous  ont  été 
ajoutés  plus  tard,  mais  je  ne  crois  pas  avec  elle  que  les  têtes  aient  été  cuites 
auparavant,  puis  recuites.  Quoiqu'il  en  sôit,  les  tètes  de  bon  travail  affectent 
toutes  les  formes  connues,  et  les  têtes  archaïques,  les  mêmes  formes  moins 
développées,  preuve  suffisante  que  c'est  l'art  de  reproduction  qui  a  fait  des 
progrès,  tandis  que  la  coutume  de  faire  un  emploi  religieux  de  ces  têtes  avec 
leurs  coiffures  et  leurs  attributs  divers,  demeurait  la  même.  La  religion  est 
toujours  et  partout  conservatrice,  et  c'était  le  côté  religieux  de  ces  représen- 
tations qui  était  le  plus  important. 

SôREN  Hansbn. 


Mensignac  (de).  Sur  quelques  objets  d'Afrique  et  d'Ooéanie,  appar- 
tenant au  musée  préhistorique  et  ethnographique  de  Bordeaux. 

(Bull,  de  la  Soc.  d'Anthrop.  de  Bordeaux  et  du  Sud-Ouest,  U  III,  p.  68-75, 
et  pi.,  1886.) 

Les  objets,  au  nombre  de  huit,  dont  il  est  question  dans  cette  note,  sont  de 
provenances  fort  diverses,  mais  offrent  ce  caractère  commun  de  représenter, 
tous,  des  personnages  mâles  ou  femelles,  dont  les  organes  sexuels  ont  été 
exagérés  à  dessein.  M.  de  Mensignac  tire  de  l'ensemble  de  ces  représentations 
la  preuve  de  la  persistance  de  ce  qu'il  appelle  le  culte  pfiallique  jusqu'à  la 
période  actuelle.  En  ce  qui  concerne  l'Afrique  occidentale,  la  démonstration 
est  depuis  longtemps  faite,  et  ce  que  répète  M.  de  Mensignac  est  généralement 
connu  des  ethnographes.  Mais  on  n'en  saurait  dire  autant  de  la  Nouvelle- 
Calédonie  et  des  Nouvelles-Hébrides,  dont  les  sculptures  ne  font  que  repro- 
duire, sans  aucune  intention  spéciale,  l'attitude  habituelle  aux  indigènes.  Les 
pièces,  décrites  avec  soin  par  M.  de  Mensignac,  n'ajoutent  rien  à  ce  que  l'on 
sait  des  grandes  fougères  sculptées  de  Fatz,  ou  des  pieux  de  huttes  ciselés  de  la 
vallée  du  Diahot,  etc.  Quelques  lignes  sont  aussi  consacrées  par  l'auteur  à 
décrire  deux  sculptures  Maoris  où  il  voit  avec  raison  des  figures  d'ancêtres  repré- 
sentées dans  leur  rôle  de  générateurs  de  tribus,  et  deux  statues  masculine 
et  féminine  de  Râpa  Nui,  qu'il  croit  uniques,  et  qui  représentent  à  ses  yeux  les 
père  et  mère  des  habitants  de  l'île.  Le  musée  du  Trocadéro  possède  deux  per- 
sonnages des  mêmes  types  qu'il  a  reçus  de  M.  Cousino  ;  la  déesse  mesure 
soixante-six  centimètres  de  haut  et  le  dieu  en  atteint  quarante-six.  Ils  sont 
^us  deux  remarquables  par  la  confection  de  leurs  yeux  dont  les  pupilles  sont 
formées  d'un  éclat  d'obsidienne  enchâssé  dans  une  londelle  d'os.  Nous  revien- 
drons quelque  jour  sur  l'étude  détaillée  de  ces  deux  curieuses  idoles,  dont  la  plus 
grande  semble  bien,  en  effet,  symboliser  la  fécondité  et  la  vie. 

E.  H. 


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ACADÉMIES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES 


ACADEMIE    DES    HVSCRIPTIOIVS  ET    DELLSS-LETTRES 

Séance  du  29  octobre  4886,  —  M.  Maspero  analyse  diverses  publications  de 
M.  LoRBT  sur  la  musique  ancienne  et  moderne  de  TÉgypte,  sur  la  botanique 
des  textes  hiéroglyphiques,  sur  les  parfums  en  usage  chez  les  anciens  Égyp- 
tiens, et  présente  à  TAcadémie  des  spécimens  du  kyphi  et  du  tasi,  deux  par- 
fums antiques  recomposés  sous  la  direction  de  M.  Loret  par  MM.  Rimmel  et 
Domerc,  et  sous  lesquels,  dit  M.  Maspero,  «  se  dissimulaient  mal  certains  c6tés 
malpropres  des  mœurs  égyptiennes.  » 

Séance  du  42  novembre.  —  M.  Ch.  Robert,  rectifiant  un  texte  épigraphique 
qu'il  a  autrefois  publié,  montre  que  les  Gaulois  du  nord-est  comptaient  parmi 
leurs  divinités  inférieures,  non  seulement  des  déesses  mères,  matrones,  mais 
aussi  des  Minerves,  dont  le  culte  est  surtout  à  rapprocher  de  celui  des  Junons, 
ces  poétiques  génies  des  femmes,  dont  on  trouve  le  souvenir  dans  la  Province 
romaine,  dans  les  Belgiques  et  dans  les  Germanies. 

Séance  publique  du  49  novembre.  — M.  Maspero  lit  un  mémoire  d'ensemble 
sur  les  momies  royales  du  musée  de  Boulaq. 

Séance  du  2S  décembre.  —  M.  Heuzey,  à  l'occasion  d'une  inscription  trouvée 
à  Paimyre,  montre,  une  fois  de  plus,  combien  les  déplacements  étaient  fré- 
quents et  parfois  considérables,  sous  la  période  romaine.  L'inscription  de  Paimyre 
a  appartenu  à  un  citoyen  de  la  colonie  romaine  de  Beyrouth,  et  l'on  trouve 
des  habitants  de  cette  colonie  jusqu'à  Pouzzoles,  près  de  Naples. 

Séance  du  29  décembre.  —  M.  Bbrgaigne  étudie  les  interpolations  de  cer- 
tains hymnes  de  la  Rig  Veda  Sanhita. 

Séance  du  4 S  janvier  4887.  — M.  de  Nadaillac  présente  à  l'Académie  le 
bâton  de  commandement  de  Montgaudier,  qu'avait  montré  M.  Gaudry  à  l'Aca- 
démie des  sciences,  le  19  juillet  précédent.  (Cf.  Rev,  d'Elhnogr.,  t.  V,  p.  557.) 

M.  G.  Perrot  appelle  l'attention  de  ses  collègues  sur  les  fouilles  exécutées 
au  nord  de  Sfax,  par  le  D'  Vergoutre,  dans  une  vaste  nécropole  de  la  fin  de  la 
période  romaine. 

Séance  du  24  janvier.  —  M.  Al.  Bertrand  fait  connaître  une  découverte 
récente,  faite  dans  une  tombe  de  femme  de  l'époque  mérovingienne,  à  Gondre- 
court  (Meuse).  Cette  tombe  renfermait,  entre  autres  objets,  un  coffret  orné  de 
lames  de  bronze  estampées,  de  travail  romain,  et  à  l'intérieur  duquel  étaient  les 
bijoux,  de  style  barbare,  de  la  défunte.  Il  n'est  pas  commun  de  rencontrer, 
ainsi  confondues,  les  œuvres  des  deux  civilisations. 

Séance  du  4  février.  —  M.  d'Hervey  de  Saint-Denys  a  reçu  du  capitaine 


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2o2  ACADÉMIES    ET    SOCIÉTÉS    SAVANTES 

Delaunay,  de  Farlillerie  de  marine,  un  morceau  d*étofFe  de  coton,  un  écbeveau 
de  fil  de  soie  de  cinq  couleurs,  un  petit  miroir  et  un  imprimé  bouddhique  en 
langue  chinoise,  qui  se  trouvaient  enfermés  tous  ensemble  à  Tintérieur  d'une 
idole  adorée  dans  un  des  temples  de  Hué.  La  pièce  imprimée  porte  une  date 
qui  correspond  à  notre  année  1830.  «  Nous  avons  là,  dit  M.  d'Hervey  de 
Saint-Denys,  un  exemple  moderiie  d'une  pratique  ancienne,  décrite  dans  cer- 
tains ouvrages  chinois.  On  pensait  que  l'étoffe  représentait  la  chair  ;  les  fils  de 
soie,  les  nerfs  et  les  vaisseaux  et  le  miroir,  Tintelligence  ;  Je  tout  devait  complé- 
ter l'incarnation  de  la  divinité  figurée  par  la  statue.  »  C'est  après  l'introduction 
du  bouddhisme,  que  les  Chinois  ont  commencé  à  représenter  des  esprits  sous 
des  formes  sensibles,  mais  c'est  seulement  à  l'époque  des  Tângs  (viiMx«  siècles), 
qu'ils  ont  imaginé  de  renfermer  ces  symboles  matériels  à  l'intérieur  de  leurs 
idoles. 

M.  Al.  Bertrand  présente  une  collection  de  bijoux  francs,  trouvés  à  Cour- 
billac,  près  Jarnac  (Charente),  par  M.  Delamain,  et  insiste  sur  l'intérêt  de  cette 
découverte.  On  sait,  en  efTet,  que  les  sépultures  de  cette  période  sont  très 
rares  entre  la  Loire  et  la  Garonne. 

Séance  du  44  février,  —  M.  Héron  de  Villbfosse  communique  une  note  de 
M.  le  lieutenant-colonel  de  la  Noé  sur  un  calendrier  de  l'époque  gallo-romaine, 
trouvé  à  Grand  (Vosges).  Ce  calendrier  a  la  forme  d'un  disque  de  bronze,  me- 
surant exactement  un  pied  romain  de  diamètre  ;  il  est  percé,  à  peu  de  distance 
de  la  circonférence,  d'une  série  de  petits  trous,  qui  correspondent  chacun  à  un 
jour  de  l'année.  Des  inscriptions,  placées  en  face  de  quelques-uns  de  ces  trous, 
désignent  les  calendes,  les  nones  et  les  ides  de  chaque  mois.  Il  y  avait  ainsi 
quarante-huit  jours  dans  l'année  dont  le  nom  était  inscrit  sur  le  disque,  le  nom 
des  jours  auxquels  correspondaient  les  trous  non  pourvus  d'inscriptions  est, 
dès  lors,  facile  à  suppléer  au  moyen  d'un  calcul  très  simple.  L'objet  principal 
de  l'instrument  était  d'indiquer  la  longueur  du  jour  à  chaque  époque  de 
l'année.  Un  point  a  été  fait  dans  le  disque  entre  le  centre  et  la  partie  de  la  cir- 
conférence consacrée  aux  mois  d'hiver,  et  placé  de  telle  sorte  que  sa  distance 
aux  trous  des  divers  jours  est  proportionnelle  à  la  longueur  de  ces  jours,  et 
inversement  proportionnelle  à  celle  des  nuits  de  la  même  époque  de  l'année. 
On  sait  que  chez  les  Romains,  la  connaissance  exacte  de  la  longueur  des  jours 
était  nécessaire  pour  régler  les  clepsydres.  On  comptait,  en  effet,  douze  heures 
en  toute  saison  du  lever  au  coucher  du  soleil,  et  l'heure  augmentait  ou  dimi- 
nuait selon  la  saison,  en  proportion  de  la  durée  du  jour.  Le  calendrier  de  Grand 
semble  réglé  pour  la  latitude  de  Rome. 

M.  Héron  de  Villefosse  fait  observer  que  ce  calendrier,  dont  la  construction 
paraît  appartenir  au  ip  siècle  de  notre  ère,  devait  porter  une  réglette  pivotante, 
qui  en  facilitait  la  lecture. 

M.  d'Arpois  de  JuBAiNViLLE  étudic  les  nomenclatures  géographiques  des 
domaines  ruraux  de  l'ancienne  Gaule,  et  montre  que  leurs  noms  sont,  pour 
une  certaine  part,  des  noms  de  familles  (-gentilicia)  rotaaines,  auxquels  on  a 
accolé  le  sufBxe  gaulois  ac.  Les  autres  sont  des  dérivés  en  actis  de  cognomina, 
ou  bien  des  composés  dont  le  mot  magus,  champ,  est  le  second  terme,  le  pre- 
mier terme  étant  un  cognomen. 

Séance  du  48  février.  —  M.  Deloche,  à  propos  des  études  de  M.  d'Arbois 


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ACADÉMIE   DES   INSCRIPTIONS   ET   BELLES-LETTRES  253 

DE  JuBAiNYiLLE  sur  la  nomenclature  des  domaines  ruraux  en  Gaule,  compare 
Téiat  de  la  propriété  foncière  chez  les  Gaulois  à  ce  qu'était  cette  propriété  chez 
les  Arabes  d'Algérie  au  moment  de  la  conquête.  Nous  avons  trouvé  parmi  les 
indigènes  deux  régimes  de  propriété  des  terres.  La  plus  grande  partie  du  sol 
était  exploitée  en  commun  par  chaque  tribu  ;  le  cheikh  désignait  chaque  année 
les  terres  à  cultiver  et  celles  qu*on  devait  laisser  en  jachère,  et,  d'autre  part,  il 
existait  des  fermes,  composées  d'un  bâtiment  entouré  d'un  domaine,  qui  appar- 
tenaient à  des  particuliers.  Ne  pouvait-il  exister  de  même  chez  les  Gaulois  une 
propriété  commune  et  des  propriétés  privées  ? 

M.  d'Arbois  de  Judainville  ne  le  pense  point.  Au  temps  de  l'indépendance, 
chacun  des  trois  cents  peuples  gaulois  était  propriétaire  de  son  sol,  qu'exploi- 
taient les  citoyens  les  plus  aisés,  auxquels  le  peuple  en  affermait  la  possession 
à  titre  précaire.  Par  le  fait  de  la  conquête,  toute  la  terre  fut  réunie  à  Yager 
publicus  de  Rome,  mais  les  particuliers  qui  la  cultivaient  en  conservèrent 
l'usage,  et  la  création  d'un  cens  transfo/ma  cette  possession  en  propriété  effec- 
tive. 

Séance  du  4  mars.  —  M.  Heuzey  fait  une  communication  sur  quelques 
cylindres  et  cachets  en  hématite  de  l'Asie-Mineure,  récemment  donnés  au  Louvre 
par  M.  Sorlin-Dorigny,  et  provenant  des  populations  antiques  désignées  habi- 
tuellement aujourd'hui  sous  le  nom  des  Hittites.  Le  dessin  des  figures  gravées 
sur  ces  petits  monuments  rappelle  celui  des  produits  similaires  de  l'art  chal- 
déen,  mais  ce  qui  caractérise  particulièrement  la  glyptique  de  l'Asie-Mineure 
et  la  distingue  bien  de  celle  des  Assyriens  et  des  ^Babyloniens ,  c'est  l'abon- 
dance des  bordures  et  des  encadrements  à  ornements  enroulés,  qui  rappellent 
la  décoration  de  Mycènes. 

M,  Perrot  signale  à  ce  propos  une  nouvelle,  répandue  en  Angleterre  depuis 
quelques  jours,  suivant  laquelle  le  capitaine  Couder,  du  Palestine  Exploration 
Found,  aurait  trouvé  la  clef  du  déchiffrement  des  inscriptions  hittites,  et  se  pré- 
parerait à  publier  sur  la  matière  un  mémoire  très  important. 

Séance  du  44  mars.  —  M.  de  la  Blanchère  résume  les  découvertes  les  plus 
récentes  faites  en  Tunisie,  et  en  particulier  celles  de  M.  Texereau  à  Arch- 
Zara,  et  de  M.  le  D'  Vercoulre  au  nord  de  Sfax.  M.  Texereau  a  mis  au  jour, 
dans  l'ancienne  Sallectum,  toute  une  catacombe,  dont  la  disposition  est  celle 
des  catacombes  de  Rome,  et  M.  Vercoutre  a  successivement  rencontré  les 
restes  d'une  église,  d'un  baptistère,  de  tombeaux  de  l'ancienne  communauté 
chrétienne  de  Taphrura. 

Séance  du  25  mars.  —  M.  Heuzey  lit  un  mémoire  intitulé  :  La  colonne  en 
briques  inventée  par  les  architectes  chaldéens. 

Séance  du  4^'  avril.  —  M.  Abel  des  Michels  lit  un  mémoire  sur  le  Chi-lou- 
koué-kiang-yU'tchi,  traité  de  géographie  des  seize  royaumes,  pour  la  plupart 
d'origine  hunnique,  qui  furent  fondés  au  commencement  de  notre  ère  dans  le 
nord  de  la  Chine.  M.  des  Michels  prépare  une  traduction  de  cet  ouvrage,  qui 
mettra  à  la  portée  des  historiens  et  des  géographes  une  source  d'informations 
abondantes. 

Séance  du  6  avril.  —  M.  Philippe  Berger  communique  une  inscription 
phénicienne  de  Dali  (Chypre),  qui  donne  les  noms  de  trois  rois  d'une  dynastie 
phénicienne  qui  régna  sur  une  partie  de  cette  Ile  au  v«  siècle  avant  J.-G.  Le 


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S5i  ACADÉMIES   ET   SOCIÉTÉS    SAVANTES 

retour  de  la  prédomifiance  grecque  mil  fin  au  pouvoir  du  dernier  de  ces  rois, 
Ters  Tan  410,  mais  on  pea  plus  tard,  à  la  chute  d*Evagoras,  uoe  nouvelle 
dynastie  phénicienne  s'établit  dans  le  pays  et  s'y  maintint  jusqu'à  l'arrivée  des 
Ptolémées,  vers  Tan  312. 

Séance  du  45  avril,  —  M.  Charnay  communique  un  mémoire  intitulé  :  La 
monnaie  de  cuivre  en  Amérique  avant  la  conquête.  Après  avoir  rappelé  que 
les  Mexicains  et  les  Péruviens  savaient  travailler  le  cuivre  avant  la  venue  des 
Espagnols,  M.  Ghamay  décrit  les  haches  de  ce  métal,-  dont  il  est  question  dans 
les  listes  de  tributs  payés  à  Montézuma  par  certaines  petites  villes,  et  s'efiforce 
de  montrer  que  les  pièces  en  forme  de  haches  qu'on  a  découvertes  au  Mexique» 
ne  peuvent  pas  être  toutes  des  armes  ou  des  instruments  de  travail,  mais  que 
certaines  de  ces  pièces,  remarquables  par  leur  petite  taille  et  leur  minceur, 
doivent  avoir  servi  de  monnaie.  Il  montre  à  l'Académie  une  série  de  ces  haches- 
monnaie,  de  grandeur  et  d'épaisseur  variées,  provenant  de  l'Etat  d'Oaxaca. 

M.  BuHOT  DE  Kbrsbrs  aunoucc  la  découverte  d'une  sépulture  gauloise  sous 
un  petit  tumulus,  à  Lunery  (Cher).  La  sépulture  contenait  un  squelette,  à  côté 
duquel  gisaient  une  épée  de  fer,  un  bracelet  et  un  rasoir  de  bronze. 

Séance  du  29  avril,  —  M.  Bertrand  résume  ce  que  l'on  connaît  des  décou- 
vertes faites  autrefois  par  M.  Joly-Leterme,  dans  la  grotte  duChaffaud,  com- 
mune de  Savigné,  près  Civray  (Charente),  et  décrit  notamment  un  os  gravé 
représentant  des  rennes  et  qui,  catalogué  d'une  manière  erronée  au  musée  de 
Cluny  parmi  les  objets  celtiques,  a  repris  sa  vraie  place  dans  la  série  des 
antiquités  de  l'âge  du  renne,  depuis  qu'il  a  été  déposé  dans  les  collections  du 
musée  de  Saint-Germain. 

M.  J.  Halévy  lit  un  mémoire  sur  la  langue  du  peuple  asiatique  connu  sous  le 
nom  de  Khéta,  Haïti  ou  Hittim,  Il  étudie  spécialement  les  noms  d'hommes  et 
les  noms  de  lieux  mentionnés  dans  les  textes  assyriens  consacrés  à  ce  peuple 
et  conclut  cet  examen  en  assurant  que  les  Hittites  ou  Khéta  parlaient  une 
langue  sémitique  intermédiaire  au  phénicien  et  à  l'assyro-babylonien. 

M.  Oppsrt  admet  qu'une  partie  des  noms  cités  par  M.  Halévy  sont  en  effet 
d'origine  sémitique,  mais  il  fait  remarquer  que  pQur  un  bon  nombre  d'autres 
il  est  actuellement  impossible  de  dire  de  quelle  langue  ils  proviennent.  Il  paraît 
d ailleurs  à  M.  Oppert  que  l'étymologie  de  quelques  noms  propres,  fût-elle 
d'ailleurs  sûrement  établie,  ne  saurait  fournir  des  conclusions  assurées  sur  la 
langue  parlée  dans  la  région  où  ces  noms  se  rencontrent. 

Séance  du  6  mai,  —  M.  Oppert  analyse  divers  contrats  babyloniens  du 
temps  de  Nabuchodonosor  et  de  ses  successeurs,  dans  lesquels  sont  men- 
tionnés des  Juifs  vivant  en  Babylonie. 

M.  Pavet  de  Courteille  lit  la  pré&ce  d'une  traduction  du  Tezkereh^  qu'il 
termine,  d'après  un  manuscrit  ouïgour  de  la  Bibliothèque  nationale. 

E.  H. 


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EXPOSITIONS,  COLLECTIONS  ET  MUSÉES 


Les  collections  ethnograpiiiqnes  dn  cabinet  d'histoire  naturelle 

de  Cherbourg. 

La  ville  de  Cherbourg  possède,  depuis  i830^  un  cabinet  d'antiquités  et  d'his- 
toire naturelle,  primitivement  composé  d'oi^ets  achetés  aux  héritiers  d'un  col- 
lectionneur instruit,  et  enrichi,  depuis  lors,  de  dons  assez  nombreux,  dus  sur- 
tout à  la  marine. 

Le  port  de  Cherbourg  a  longtemps  armé  au  long  cours  un  certain  nombre 
de  navires,  qui  visitaient  des  archipels  encore  peu  fréquentés,  et  en  rappor- 
taient en  particulier  des  objets  ethnographiques,  aujourd'hui  devenus  très 
rares. 

Les  premiers  accroissements  du  cabinet  ont  donc  été  assez  rapides  ;  mais, 
par  suite  de  circonstances  de  force  majeure,  cet  établissement  se  trouva  relé- 
gué, pendant  plusieurs  années,  dans  un  des  greniers  de  l'hôtel  de  ville 
où  il  a  beaucoup  souffert.  Le  malheureux  musée  renaît  aujourd'hui  de  ses 
ruines  ;  le  public  s'y  intéresse,  on  lui  a  donné  un  local  assez  convenable,  et 
l'on  vient  de  mettre  à  sa  tète  un  des  hommes  les  mieux  préparés  à  prendre 
la  direction  d'un  établissement  de  ce  genre,  le  commandant  Jouan,  dont  nos 
lecteurs  connaissent  les  écrits,  nombreux  et  variés,  sur  les  contrées  lointaines 
où  l'ont  conduit  de  longues  campagnes  maritimes. 

Dès  son  entrée  en  fonctions,  M.  Jouan  a  mis  de  l'ordre  dans  la  collection 
ethnographique,  et  il  en  a  dressé  un  état  sommaire,  qu'il  a  bien  voulu  nous 
transmettre,  et  dont  voici  l'analyse  : 

Il  résulte  d'abord  de  cet  inventaire,  que  l'on  n'a  fait  aucune  tentative  jusqu'à 
présent  dans  la  Manche  pour  recueillir  les  débris  de  l'ethnographie  locale,  et 
que  les  seules  collections  indigènes  sont  des  collections  d'instruments  en 
pierre  et  en  bronze  ramassés  dans  les  environs  de  Cherbourg.  Les  stations 
de  l'âge  de  la  pierre  polie,  explorées  au  profit  du  cabinet,  sont  celle  de  Bret- 
teville-en-Saive,  à  quatre  kilomètres  à  Test  de  la  ville,  qui  a  fourni  une  qua- 
rantaine de  silex  taillés  de  divers  types,  et  celle  de  la  Hougue,  représentée  par 
dix-neuf  pièces.  D'autres  haches  en  silex,  en  diorite,  etc.,  plus  ou  moins  bien 
polies,  ont  été  trouvées  dispersées  ;  l'une  d'elles  est  remarquable  par  sa  lon- 
gueur, qui  atteint  vingt-six  centimètres,  et  sa  belle  coloration  de  café  au  lait 
clair. 

Les  celts  en  bronze  se  rencontrent  fréquemment  dans  certaines  parties  du 
département  de  la  Manche  ;  un  grand  nombre  de  ces  pièces  ont  été  jadis  mises 
à  la  fonte  par  les  fabricants  de  chaudrons  de  Villedieu-ies-Poëles.  Le  mu8é« 


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256  EXPOSITIONS,    COLLECTIONS    ET   MUSÉES 

de  Cherbourg  en  possède  néanmoins  une  belle  série,  et  l'on  y  voit  aussi  des 
épées  du  même  métal,  des  fibules,  enfin  un  moule  en  bronze  à  couler  les  celtSj 
découvert  à  Thédille,  à  quatorze  kilomètres  à  l'est  de  Cherbourg,  moule  qui  a 
été  longtemps  le  seul  connu  de  son  genre. 

Les  collections  asiatiques  de  Cherbourg  se  composent  principalement  d'une 
belle  suite  de  monnaies  chinoises ,  dont  quelques-unes  très  anciennes  ;  les 
légendes  en  ont  été  traduites  par  le  R.  P.  Dulac,  missionnaire  en  Chine,  qui 
fut  massacré,  avec  d'autres  Européens,  quelques  jours  avant  l'entrée  de  l'armée 
franco-anglaise  à  Pékin,  en  1860.  Le  musée  a  reçu,  en  outre,  de  cette  expédi- 
tion, une  hallebarde  chinoise,  à  manche  peint  en  rouge  et  dorée,  provenant 
d'une  pagode  du  Peïho  ;  quatre  fusils  à  mèche,  des  forts  de  l'entrée  de  cette 
rivière  ;  un  arc  chinois  ;  une  cloche  en  fonte  de  fer,  haute  de  0™,49  et  large,  à 
la  base,  de  0™,38  ;  deux  magots  sculptés  dans  des  racines  ;  une  statuette  en 
bois  doré  d'un  ancien  empereur;  deux  tablettes  ancestrales,  en  bois,  creusées 
en  niches  et  peintes  d'un  rouge  vif;  le  tableau  d'arrière  d'une  jonque,  portant 
à  son  centre  les  caractères  qui  correspondent  au  mot  Canton; enfin,  un  ex-voto 
provenant  d'une  pagode  de  cette  dernière  ville.  Cet  ex-voto  est  un  grand 
tableau  rectangulaire,  de  l'",50  sur  1™,12,  arrondi  aux  angles  et  bordé  de  bois 
sculpté,  où  se  découpent  des  dragons,  des  fleurs,  etc.  Au  milieu  du  fond, 
peint  en  bleu  foncé,  se  lisent  deux  grands  caractères  dorés,  emblèmes  du 
«  Bonheur.  »  D'autres  inscriptions,  peintes  en  rouge,  doivent,  suivant  M.  Albert 
Fauvel,  de  Cherbourg,  ancien  officier  des  douanes  chinoises,  se  lire  de  la  ma- 
nière suivante.  Cefle  d'en  haut  signifie  :  Par  faveur  impériale  ;  celle  de 
gauche  :  Offert  par  le  ministre  Ouang-Tchen,  de  la  province  de  Canton;  celle 
de  droite  :  7*  année,  12*  mois,  5*  jour  du  règne  de  Tchen-Fung. 

Le  Japon  n'est  représenté  que  par  cinq  volumes  illustrés  modernes  ;  contes 
et  légendes  populaires»  récits  d'histoire  naturelle  à  l'usage  des  enfants  ;  l'Inde, 
par  un  de  ces  grands  boucliers  ronds  en  cuir  noir,  à  six  clous  de  métal,  qu'ornent 
de  beaux  dessins  dorés  représentant  des  oiseaux  et  des  fleurs  ;  la  Corée,  enfin, 
par  un  portrait  de  femme,  grossièrement  colorié,  haut  de  75  centimètres,  et  un 
sabre,  qui  diflière  peu  des  sabres  japonais  ^  Des  chapeaux  coniques  ,  des 
chaussures  de  femmes  et  cinq  cris  de  formes  différentes,  rappellent  la  Malaisie. 
Les  autres  parties  de  l'Océanie  sont  beaucoup  plus  riches,  et  la  collection  des 
Marquises  est  particulièrement  intéressante. 

La  pièce  la  plus  remarquable  de  cette  dernière  série  est  un  morceau  de  tuf 
volcanique  sculpté,  de  couleur  rouge  brique,  mesurant  C'",28  dans  sa  plus  grande 
longueur,  et  qui  représente  une  tête  de  porc(fig.  38).  «  Cette  tête,  ditM.  Jouan, 
a  été  trouvée,  en  185i,  dans  un  ancien  lieu  de  sépulture,  véritable  lucus,  près 
duquel  les  naturels  ne  passaient  qu  avec  épouvante,  dans  le  haut  de  la  vallée 
de  Havao,  baie  de  Taio-haë,  île  Nukahiva.  Nous  avions  coupé,  pour  des  répa- 
rations indispensables  au  gouvernail  de  notre  navire,  une  branche  d'un  énorme 
kalophyllum  inophyllum  dans  cet  endroit,  très  iapu,  et  les  naturels  ne  man- 
quèrent pas  d'attribuer  à  ce  sacrilège  l'invasion  d'une  épidémie  de  grippe,  qui 


1)  «  Il  oe  diffère  des  sibres  japonais,  dit  M.  Joaao  qui  a  rapporté  cette  pièce  de  la  prise  de  Kong- 
Hua  en  1S66,  que  par  aoe  plaque  de  fer,  de  forme  octogonale,  guillochce  et  bordée  de  cuivre  jaune. 
î)es  caractèrei  chinois  sont  peints  en  rouge  sur  un  des  raté*  du  fourreau  qui  est  noir  et  chagriné.  i* 


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COLLECTIONS   ETHINUGRÂPH1QUES    DE   CHERBOURG 


257 


sévit  sévèrement  sur  notre  équipage.  Avec  la  tête  de  porc,  nous  trouvâmes 
une  grande  quantité  d*ossements  humains  en  décomposition,  des  os  de  cochon, 
plusieurs  tiki  en  pierre  rouge  pareille,  dont  un,  haut  de  près  de  0™,80,  est 
actuellement  à  Cherbourg...  Dans  toutes  les  îles  polynésiennes,  ajoute 
M.  Jouan,  on  trouve  des  idoles  de  pierre,  mais  ces  idoles  rappellent  plus  ou 
moins  la  figure  humaine.  Cette  tête  de  porc  pourrait  bien  être  unique.,.  » 

Les  images  de  Tiki  dont  il  est  question  dans  la  note  que  nous  venons  de 
transcrire,  sont  à  peu  près  les  seules  que  la  sculpture  reproduise  aux  îles  Mar- 
quises. Tiki  est  presque  le  seul  dieu  du  panthéon  noukahivien,  dont  nous  con- 
naissions la  figure  ;  il  a,  le  plus  souvent,  Taspect  d'un  personnage  masculin, 
sans  emblèmes  particuliers,  mais  couvert  de  tatouages.  On  le  voit  figuré^  plus 


^  Ho«ijj?^m.  )|(. 


Fig,  38.  —  Tète  de  porc  en  tuf  volcanique.  Vallée  de  Havao,  Nakahiva. 
{Musée  de  Cherbourg,) 


ou  moins  naïvement,  sur  les  bâtons  de  fêtes,  les  manches  d'éventails,  les 
pédales  d'échasses,  etc.,  etc.  La  forme  la  plus  remarquable  qu'il  affecte,  est 
celle  d'amulette  pour  la  pêche.  Le  cabinet  de  Cherbourg  possède  un  de  ces  tikis 
en  lave,  que  les  marius  de  Noukahiva  jettent  à  la  mer,  attaché  à  leurs  filets, 
pour  avoir  une  pêche  heureuse. 

Les  bâtons  ornés  du  tiki  sont  appelés,  suivant  M.  Jouan,  tokotoko  pioo,  et 
portés  par  les  femmes  dans  les  koika,  ou  grandes  fêtes  publiques.  Ce  sont  des 
bâtons  en  bois  dur  (toa),  de  1",60,  terminés  par  une  pomme  en  cheveux 
tressés  ;  le  cabinet  de  Cherbourg  en  possède  deux  exemplaires.  On  y  voit  éga- 
lement un  grand  casse-téte  (i™,30),  (uu)^  à  face  humaine,  bizarrement  sculptée 
sur  sa  palette  ;  une  sagaie  en  bois  dur  ;  deux  de  ces  larges  pagaies  (hoé),  ser- 


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258  EXPOSITIONS»   COLLECTIONS  BT  MUSÉBS 

yant  à  la  lois  de  gouvernail  et  de  massue,  et  dont  la  longueur  atteint  2m,20  ; 
deux  marche-pieds  d'échasses  (tapu-vaè)  ;  un  pilon  en  lave  pour  écraser  le  fruit 
de  Tarbre  à  pain  dans  la  fabrication  de  la  popoi  (ekea  tuki  popoi)  ;  deux  pièces 
d'étoffe  (tapa),  faites  avec  le  liber  battu  du  mûrier  à  papier  ou  du  ficus  reli- 
giosa  ;  deux  boucles  d*oreilies  (jputatata),  sculptées  en  ivoire  de  cachalot,  et  qui 
se  portaient  passées  dans  un  trou  pratiqué  au  lobule  ;  une  série  d'ornements 
en  cheveux  pour  la  ceinture  [hope  moa),  les  poignets  {tope  pu),  les  chevilles 
(poè)  ;  un  autre  ornement  de  même  matière,  mais  garni  d'une  calotte  et  d'un 
cordon  en  tapa,  que  les  hommes  tiennent  à  la  main  dans  les  cérémonies  des 
koika*',  un  éventail,  insigne  des  chefs  Marquesans,  en  fibres  de  corypha 
tressées  et  dont  le  manche  en  bois  est  sculpté  en  forme  de  tiki;  un  paè  kouachi, 
coiffure  des  vieillards,  formée  d'une  simple  feuille  de  dracama  repliée  sur  elle- 
même  ;  le  tavaha,  cet  ornement  si  caractéristique  que  les  hommes  portent  dans 
les  fêtes,  et  qui  encadre  toute  la  face  dans  un  énorme  éventail  de  plumes  de 
coq,  de  50  à  60  centimètres  de  diamètre  :  enfin,  le  patoka,  trompette  de  guerre 
faite  d'une  grosse  coquille  de  triton  variegatus,  munie  d'une  embouchure 
formée  d'une  petite  courge  évidée. 

Les  autres  archipels  océaniens  sont  représentés  par  une  quarantaine  d'objets, 
plus  ou  moins  précieux,  parmi  lesquels  nous  mentionnerons  un  beau  masque 
de  danse  de  la  Nouvelle-Islande,  haut  de  25  centimètres,  large  de  19  et  long 
de  37,  représentant  une  tête  monstrueuse,  et  un  beau  casse-tête  tongan,  en 
forme  de  pagaie  aplatie,  très  finement  ciselée.  L'Afrique  compte  quarante- 
cinq  pièces  environ,  toutes  du  Sénégal,  du  Gabon  ou  de  Madagascar.  Les  plus 
remarquables  sont  un  sceptre  pahouin,  en  bois  noir  très  dur,  terminé  par  une 
tête  humaine  à  barbe  pointue,  grossièrement  sculptée,  et  une  flèche  pahouine, 
à  pointe  de  fer,  au  tranchant  transversal.  Enfin,  l'Amérique  montre  une 
dizaine  d'objets  eskimos,  rapportés  par  la  corvette  la  Recherche,  armée  à 
Cherbourg  en  1834  pour  aller  explorer  les  parages  où  s'était  perdue  la  canon- 
nière la  Lilloise,  commandée  par  Blosseville. 

La  plupart  des  objets  que  nous  venons  d'énumérer  sont  en  bon  état,  et  la 
collection  qu'ils  forment,  si  petite  qu'elle  soit  encore,  mérite  d'être  signalée  à 
l'attention  des  spécialistes.  Confiée  au  zèle  éclairé  du  commandant  Jouan,  elle 
ne  peut  manquer  de  reprendre  un  développement  momentanément  interrompu, 
et  d'absorber  à  bref  délai  les  nombreuses  séries  d'objets  exotiques,  pénible- 
ment recueillis  jadis  par  nos  vieux  marins  de  Cherbourg,  et  qui  se  perdent 
dans  les  greniers,  les  caves  ou  les  jardins  de  la  ville,  gr&ce  à  l'ignorance  ou  à 
l'incurie  de  leurs  possesseurs  actuels. 

E.  H\MY. 

I)  Ces  dWers  ori^sments  ont  pu  ètrH  conrectionoés  autrefois  avec  des  cheveux  denneniin  tuésiû  U 
guerre,  comme  on  se  pUît-à  le  répéter.  M.  Jouan  nous  assure  qu'aujourd'hui  ils  se  fabriquent  avec 
des  cheveux  de  femme. 


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CORRESPONDANCE 


Notes  ethnographiques  et  archéologiques  recueillies  au  M  aroo 

Sèvres,  4  mai  1887, 

Voici  ]e  très  courl  relevé  de  mes  notes  marocaines  relatives  à  Tethnographie 
et  à  Tarchéologie.  La  coiffure  des  Berbères  du  Rif,  qui  ont  une  colonie  à 
Tanger, consiste  en  une  touffe  de  cheveux  longs  sur  le  c6lé  droit,  réunis  en  une 
grosse  tresse  qui  pend  jusqu'au  niveau  de  la  mâchoire.  Le  côté  gauche  de  la 
tête  est  entièrement  rasé.  Le  fils  du  caïd  des  Beni-Metîr,  qui  vivent  au  sud 
du  chemin  de  Fâs  à  Mekn&s,  avait  aussi  la  longue  mèche  à  droite.  Monté  à 
poil  sur  son  coursier,  ce  gamin  de  quinze  ans  aurait  pu  donner  une  idée  juste 
des  cavaliers  maurétaniens  ;  j*avais  gagné  sa  confiance  en  causant  en  route  et 
je  comptais  le  photographier  au  camp  ;  il  avait  disparu...  Les  Beni-Met!r,  dont 
ce  jeune  garçon  faisait  partie,  nous  avaient  fourni  une  escorte  ;  mal  montés, 
assez  sales,  ils  parlaient  berbère  et  quand  je  les  interpellai  dans  leur  langue, 
ils  furent  littéralement  stupéfaits. 

^'ai  vu  près  de  Mahdouma,  sur  la  roule  de  F&s  à  Mekn&s,  un  ancien  cime- 
tière formé  de  tombes  ovales,  dont  des  pierres  enfoncées  en  terre  marquaient 
les  contours  ;  sur  la  même  route,  une  fois  TOuâd  Djedéïda  dépassé,  à  gauche 
du  chemin,  il  y  a  une  grande  enceinte  de  pierres  brutes,  ouverte  du  côté  est. 
Serait-ce  un  oratoire  musulman  ?  D'autres  enceintes  ovales  de  pierres  brutes 
se  voient  à  Sidi-Ël-Yemani.  Elles  ne  peuvent  pas  être  des  tombes  musulmanes, 
puisque  ni  Tune  ni  Tautre  des  extrémités  ne  regarde  le  sud-est. 

J'ai  encore  noté  l'existence  d'un  cimetière  avec  tombes  préhistoriques  autour 
d'un  marabout,  entre  i'Ou&d  Meharhar  au  nord  et  l'Ou&d  Melilih  au  sud. 

Les  têtes  de  deux  habitants  d'Açilâ  que  j'ai  mesurées  avaient,  la  première 
0in,53  de  tour  et  0°^,23  de  la  naissance  des  cheveux  à  l'extrémité  du  menton, 
la  seconde  0",58  de  tour  et  0™,20  de  la  naissance  des  cheveux  à  l'extrémité 
du  menton. 

H.  DUVEYRIER. 


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NECROLOGIE 


SAMUEL  KLEINSCHMIDT 

Un  des  plus  remarquables  américanistes  de  notre  temps  est  décédé  en 
février  1886,  à  Godthaab,  Groenland.  Né  dans  ce  pays  de  parents  allemands, 
appartenant  aux  frères  Moraves,  Samuel  Kleinschmidt  a  vécu  longtemps  comme 
missionnaire  parmi  les  Esquimaux  Groenlandais,  mais  des  dissidences,  dans  le 
détail  desquelles  il  est  inutile  d'entrer  ici,  le  séparèrent  de  la  société  des 
Moraves.  Le  gouvernement  danois  lui  offrit  alors  une  place  de  professeur  au 
séminaire  ecclésiastique  de  Godthaab,  il  a  occupé  cette  modeste  position  jusqu'à 
ses  dernières  années. 

Kleinschmidt  a  publié  une  grammaire  esquimaude.  Grammatik  der  grôn- 
làndischen  Sprache  mit  theilweisen  Einschluss  des  Labrador dialekts,  Berlin, 
4854^  œuvre  très  importante,  qui  est  encore  aujourd'hui  la  source  principale 
de  nos  connaissances  en  cette  langue.  Son  dictionnaire  grôniandais-danois  : 
Der  grônlandske  Ordboçy  Copenhague,  4874 ,  est  un  des  vocabulaires  les  plus 
complets  qui  existent  d'une  langue  primitive.  Kleinschmidt  avait  aussi  préparé 
un  vocabulaire  danois-grônlandais  qui  n'est  pas  encore  publié  et  traduit  en  grôn- 
landais  et  imprimé  lui-même  une  grande  partie  de  la  Bible  et  toute  une  série  de 
livres  d'enseignement. 

  côté  de  ces  travaux  de  linguistiqu  e,  il  nous  faut  mentionner  encore  les 
recherches  géographiques  de  Kleinschmidt,  auxquelles  on  a  dû,  jusqu'à  ces 
dernières  années,  la  carte  la  plus  exacte  du  pays,  et  surtout  mettre  en  lumière 
ses  efforts  infatigables  pour  améliorer  la  condition  sociale  de  ses  chers 
Grônlandais  par  l'instruction  publique  et  par  une  sorte  de  constitution  relative- 
ment indépendante. 

SôREN  Hansen. 


CH.  MANO 

Ch.'  Mano,  mort  à  bord  du  Saint-Simon,  le  30  avril,  au  moment  où  il  rentrait 
en  France  prendre  un  repos  largement  mérité,  s'était  depuis  de  longues  années 
voué  à  l'étude  de  l'Amérique  latine,  qu'il  avait  parcourue  en  tous  sens,  accom- 
pagné de  sa  courageuse  femme.  Ses  recherches  et  ses  découvertes  dans  les 
Républiques  du  Centre,  le  Mexique,  le  Brésil,  etc.,  sont  consignées  dans  un  volu- 
mineux manuscrit  que  Mano  comptait  publier  après  son  retour  et  que  M°*  Mano 
a  rapporté  en  France  avec  les  collections  d'histoire  naturelle  et  d'archéologie 
de  son  mari.  Espérons  que  ces  écrits,  qui  paraissent  renfermer  beaucoup  de 
choses  inédites  sur  les  antiquités  et  l'ethnographie  du  Nouveau  Monde,  pourront 
prochainement  paraître,  et  que  tant  d'efforts  péniblement  poursuivis  ne  demeu- 
reront pas  inutiles  au  progrès  des  études  américaines. 

E.  J. 


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BIBLIOGRAPHIE 


EXPOSITIONS,  COLLECTIONS,  MUSÉES,  etc. 

Colini  (G.-A.).  Cronaca  del  Museo  preistorico  cï'ctnografico  di  Roma.  Anno  I, 
Ï884;  anno  II,  1885-80.  Roma,  G.  Civelli,  1884-86,  2  br.  in-8. 

Groult  (Edm.).  Annuaire  des  musées  cantonaux.  Années  1886-87.  Lisieux, 
1887, 'in-8. 

Exposition  de  Poitiers  4887.  Collection  G.  Chauvet  à  Ruffec,  Rufîec,  Pical, 
1887,  br.  in-8. 

Fur  Museen  und  Lehranstalten!  Lehrmittelfùr  Vôlkerkunde  zùr  Anschauuwj 
wie  Unterrich.  D'  0.  Finsch  (Bremen).  Gesichtmasken  von  Vôlkertypen  der 
Sîuisee  und  dem  Malayischen  Archipel  nach  Lehenden  ahgegossen  in  den 
Jahren  4879-4882.  Bremen,  Homeyer  u.  Meyer,  1887,  br.  in-8. 

BIOGRAPHIE 

Chantre  (E.).  Notice  nécrologique  sur  Bayern.  (BuL  Soc.  d'Anthrop.  de  Lyon, 
t.    V,  p.  150-155,  pi.,  1886.) 

Id.  Notice  nécrologique  sur  Chierici,  conservateur  du  Musée  civique  de  Reggio 
d'Kmilie.  (Ibid.,  p.  166-168,  pi.) 

Cordier  (H.).  The  Life  and  Labours  of  Akxander  Wylie.  [Journ.  of  the  Roy. 
Asiat.  Soc,  of  Great  Britain  and  Irlande  voL  XIX,  part,  iii.) 

fléron  de  Villefosse  (A.).  Bibliographie  des  ouvrages  de  Léon  Renier.  (Mé- 
langes Renier,  recueil  de  travaux  publiés  par  l'École  pratique  des  Hautes^ 
ÊtudeSy  section  des  sciences  historiques  et  philologiques.)  Paris ,  Vieweg, 
1886,  br.  in-S. 

GÉNÉRALITÉS 

Bastian  (A.).  Die  Welt  in  ihren  Spiegelungen  unter  dem    Wandtl  dtr  Yolktr 
gedankens.  Prolegomena  zur  einer  Gedankenstatistik.  Berlin,    Millier  und 
sohn,  1887,  1  vol.  in-8. 

Id.  Ethnologisches  Bilderbuch  mit  crklarendem  Text,  25  tafeln  davtn  6  infah- 
rendruckj  3  in  lichtdruck,  zugleich  as  illustrationen  beigegeben  zu  dem 
Werke  :  Die  Welt  in  ihren  Spiegelungen  unter  dem  Wandel  des  Vôlkerge- 
dankens.  Ibid.,  1887,  1  vol.  in*4  obi. 

Robert  (Ch.).  La  non-universalité  [du  déluge.  (Rev.  des  questioîts  scientifiques , 
t.  XXÏ,  p.  137-139.  Janv.  1887.) 

18 


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262  BIBLIOGRAPHIE 


EUROPE 


Barroil(G.).  Una  gita  fra  i  Calabro-Albanesi.  {Archivio  pet*  VAntropologidy 
vol.  XV[[.  p.  257-270,  1887.) 

Bertholon  (D'  L.).  La  colonisation  arabe  en  France  [721-1026),  {Bull.  Soc. 
dWnthrop.  de  Lyon,  t.  V,  p.  73-114,  1886.) 

Charvet  (Df).  Essai  de  reconstitution  d'époque  et  d*ongine  d'un  étrier  trouvé  à 
Rives  (Isère).  (I6id.,  p.  42-45,  pi.  I,  1886.) 

Chauvet  (G.).  Etude  prMstorique.  Les  débuts  de  la  gravure  et  de  la  sculp- 
ture, Melle,  Lacuve,  1887,  br.  in-8^  fig. 

Debierre  (Ch.)-  Les  hommes  d'aujourd*hui  et  les  hommes  d'autrefois  en  Au- 
vergne et  en  Rouer gue,  [Bull,  Soc,  d'Anlhrop.  de  Lyon,  t.  V,  p.  129-150, 
pi.  II-V,  1886.) 

Kaer  (fabbé  P.).  Pierres  sépulcrales  Dalmates,  [Ibid,,  t.  V,  p.  8-42,  (ig. 
1-20,  1886.) 

Moreaii  (Fr.).  Album  Caranda  (suite).  Les  fouilles  de  la  villa  d'Ancy,  Cer- 
seuil,  Maast  et  Violaine)  [Aisne).  Saint-Quenlin,  PoeUe,  1887,  ail.  in-i  de 
11  pi. 

Ortoli  (Fr.).  Les  voceri  de  Vîle  de  Corse,  [Bibl.  de  contes  et  chansons  popu^ 
laires,)  Paris,  Leroux,  1887,  1  vol.  in-12. 

ASIE 

Clermont-Ganneau  (G.)-  Deux  inscriptions  inédites  de  la  Phénicie  propre, 
[Ann.  du  Musée  Guimet,  t.  X,  p.  503-516  et  pi.  XIX-XX,  1887.) 

Gordien  (H.).  La  grammaire  chinoise  du  Père  Francisco  Varo,  Paris ,  Maison- 
neuve  et  Cil.  Leclerc,  1887,  br.  in-8. 

Culin  (Stewart).  The  religious  cérémonies  of  Ihe  Chinese  in  the  Eastern  Cities 
of  the  United  States,  Philadelphia,  Privalely  printed,  1887,  in-4,  fig. 

Massa  Akira  Tomii.  Le  Shintoisme,  sa  mythologie,  sa  morale,  [Ann.  du  Musée 
Guimety  t.  X,  p.  309-320,  pi.  XVI,  1887.) 

Milloué  (L.  de).  Étude  sur  le  mythe  de  Vrisabha,  le  premier  tirthamkara  des 
Juins.  {Ibid,,  p.  415-443  et  pi.  XVlil.) 

Warren  (J.-J.).  Les  idées  philosophiques  et  religieuses  des  JainaSy  trad.  du 
hollandais  par  J.  Pointet.  (Ibid,,  p.  323-411.) 

Sommier  (St.).  Ostiacchi  e  Samoiedi  delVOb,  [Archivio  per  VAntropologia, 
vol.  XVII,  p.  73-222,  tav.  I-IIf,  cart.  etnograf.,  1887.) 

AFRIQUE 

Collignon  (R.).  Étude  sur  l'ethnographie  générale  de  la  Tunisie,  {Comité  des 

Travaux  hist,   et  scient,,  Bull,  de  géographie  hist,  et  descrip,,  t.  I,  p.  181- 

353  et  pi.  VI-XII,  1887.) 
Collomb  (D').  Les  populations  du  Haut-Niger,  leurs  mœurs  et  leur  histoire, 

[Bull,  Soc,  d'Anthrop,  de  Lyon,  t.  V,  p.  47-58,  1886.) 
Lefebure  (E.).  Un  des  procédés  du  démiurge  égyptien,  {Ann.  du  Musée  Gui- 

met,  t.  X,  p.  553-558,  1887.) 


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BIBLIOGRAPHIE  263 

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Lorel  (V.).  La  tombe  d'un  ancien  Égyptien,  (Tbid.^  p.  519-543.) 

Maspero  (G.).  Rapport  à  Vlnstitut  égyptien  sur  les  fouilles  et  travaux  exécu- 
tés en  Egypte  pendant  l^hiver  de  1885-1886,  (Extr.  du  Bulletin  de  Vlnsti^ 
tut  égyptien.)  Le  Caire,  Barbier,  i887,  br.  in-S. 

lô.y  Le  livre  des  morts.  —  Le  rituel  du  sacrifice  funéraire.  {Bull,  critique  de 
la  religion  égyptienne.  Rev.  de  VHist.  des  Religions j  1887.) 

Robecchi  (L.).  Notizie  suit*  Oasi  di  Siuwah.  (Archivio  per  VAnthropologia, 
vol.  XVir,  p.  224-241,  1887.) 

Virey  (Ph.).  Études  sur  le  papyrus  Prisse,  le  livre  de  Kaquimna  et  les  leçons 
de  Ptah'Hotep,  (Bull,  de  l'École  des  Hautes-Études,  n*  70.)  Paris,  Vieweg, 
1887,  br.  in-8. 

Wiedemann  (A.).  Mad,  déesse  de  la  vérité  et  son  rôle  dans  le  Panthéon  égyp- 
tien, {Ann.  du  Musée  Guimet,  l.  X,  p.  560-573,  1887.) 

AMÉRIQUE 

Baslian  (A.).  Notice  sur  les  pierres  sculptées  du  Guatemala,  récemment  acquises 
par  le  Musée  Royal  d'Ethnographie  de  Berlin,  trad.  de  rallemaud  par  J.Poin- 
tet.  [Ann.  du  Musée  Guimet,i,  X,  p,  263-305,  1887.) 

Brinton  (D.-G.).  Ancient  Nahualt  Poetry,  containing  the  nahualt  text  of 
XXVII  ancient  mexican  poems,  with  a  translation,  introduction,  notes  and 
vocabulary.  (Brinton* s  Library  of  Aboriginal  Literature,  Nr.  Vil.  Philadel- 
phia,  Brinton,  1887,  1  vol.  in-8. 

Caslaing  (A.).  Les  croyances  sur  la  vie  d* outre-tombe  chez  les  anciens  Péru- 
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Id.  La  vie  monastique  dans  l'ancien  Pérou.  (Ibid.,  p.  66-86.) 

Coudreau  (H.  A.).  La  France  équinoxiale,  T.  II.  Voyage  à  travers  les  Guyanes 
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Habel  (S.).  Sculptures  de  Santa  Lucia  Cosumalwhapa  dans  le  Guatemala,  avec 
une  relation  de  voyages  daîis  l'Amérique  Centrale  et  sur  les  cotes  occiden- 
tales de  l'Amérique  du  Sud;  trad.  fr.  {Annales  du  Musée  Guimet,  t.  X,  p. 
121-259,  pi.  VIII-XV,  1887.) 

Le  Plongeon  (A.).  The  Maya  Alphabet.  (Scientific  American  supplément, 
no  474.  New-York,  Jan.  31,  1885,  fig.) 

Id.  The  Horse  ofKabah.  (Ibid.,  n-  480.  Mareh  14.  1885,  fig.) 

Id.  A  Chapter  from  Newbook,  «  Monuments  of  Mayax  »,  (Ibid.,  n»  509.  Octo- 
bre 3,  1885.) 

Perrin  (P.).  Les  annotations  européennes  du  codex  Peretianus.  (Arch.  de  la 
Soc,  Améric.  de  France,  p.  87-91.) 

Peuvrier  (Ach.).    Un  bas-relief  Yucatéque  du  musée  de  Madrid.  (Ibid,,  p.  92, 

pi.  II.) 

Rau  (Cb.).  La  stèle  de  Palenqué  du  musée  national  des  États-Unis  à  Washing- 
ton, trad.  fr.  (Annales  du  musée  Guimet,  t.  X,  p.  3-103,  fig.  1-14  et  pi.  I-V, 
1887.) 


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264  niBUOGRAPillK 

OCÉANIE 

Jouan  (H.).  A  propos  du  peuplement  de  la  Polynésie.  (Extr.  des  Méin.  Soc.  Sal. 
des  Se.  nat.  et  math.,  t.  XXIV.)  Cherbourg,  1884,  br.  in-8. 

Id.  Les  légendes  des  îles  Hawaii  (iles  Sandwich),  et  le  peuplement  de  la  Poly- 
nésie. (Extr.  des  Mém»  Soc.  Nat.  des  Se.  nat.  et  ma  th.  de  Cherbourg.) 
1887,  br.  in-8. 

Marche  (A.).  Luçon  et  Palaouan.  Six  années  de  voyages  aux  Philip^nnes,  Pa- 
ris, Hachette,  1  vol.  in-12,  68  grav.  et  2  cart. 

Pilatte  (D"").  Sydney,  liouméa ,  baie  du  Sud,  souvenirs  et  impressiojis  de 
voyage.  {Bull,  de  la  Soc.  de  géogr.  de  Marseille,  t.  XI,  p.  337-364,  1887.) 


Le  Directeur  de  la  Revie,  L' Éditeur-Gérant, 

K,  T.  HAMY.  Kr.nbst  LEROUX. 


ANGERS,   IMPRIMERIE  DURDIN  ET  C^^  RUE  GARNIER. 

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i 


ERNEST    LEHOUX,    ÉDITEUR 

Eue  BonapMtQ;  26 

ÏINISTÎRÏ  DE  L'ISSTRtCTKlN  PlIBLlIillE  ET  DES  «EAUX-ARTS 

ANNALES  DU  MUSÉE  GUIMET 

TOMK  I 

Becueil  de  Mémoires  de  MM.  Gui  m  et,  Hîgnard,  F.  Chabas,  E.  NavilJe^ 

E.  Lefèbure,  Garciïi  de  Tassy.  P.  Regnaud,  C.  Aiwift^  L.  HeMillouè,  J.Dupoîs^ 
Eileî,  Phibstre,  Ymaùoumi,  Tomii  et  Yamata.  in-4,  avec  planches,     .     !5  fr^ 

TOME  11 
Becueil  de  MémoîreatJe  Max  Wullêr,  Ym^iïzôumî,  P.  Regnaud;  L.  Fetr^ 
Csomri  df  Kœrœs.  în-4j  avec  pîafichea   ,     .     .     *     -     »     .     *     ,     ,     .     15  fr. 

TOME  m 
Le  BouddMsme  au  Tibet,  par  E.  rie  SrhfaginUveit,  traduit  par  L.  de^ 

MiHoué,  Iiï-4,  avec  48  planches -    20  fr, 

TOME  IV 
Hecneîl  de  Mémoires  par  E.  Lefébur^,  F*  Chabas,  A.  Coiioi),  P,Regnaud,. 
J.  Edkîne^  L,  lieMilloué,  ln-4,  avec  12  planches 15  fr. 

TOME  V 

Le  Kand jour,  recueil  des  Urres  sacrés  du  Tibet.  Frûgments  Iraduils  par 
Uwt  Peer,  ln-4,  dedOO  pages     .*.....**..*.     20  fr, 

TOME  Vï 

Le    Lalîta   Vistajfa  (dêveloppeTunnt  <îeg  jeux),  CûTîtenanl  l'histoire  <fii» 

Bouddha  Çakya  Moimi,  depuis  sa  naîssunce  jusqu'à  pa  prédication,  traduit  du 

Sanscrit  par  'Ph,   Ed.  Foucaux,  l^»*  partie,  traduclian  française/  ln-4,  avec 

planches,     ........-,.....,*..,     15  fr,- 

TOME  VU 
Recueil  de  Méznoîres  par  A.  Bourquio,  Scnalhï  Radja,   L,  de  M  il  loué» 
A.   Locftfff,  Coonmni  Swaniy*  J,  Herson   da  Cunha,  P.    Regnatid.  In-4  de- 
508  page5  el  0  planches.     .   ' ,    ,    .    .    20  fr. 

TOME  vm 

Le  Ti  Ëjng,  ou  Livre  des  changements  de  la  dynastie  des  Tcheou,  traduit 
pour  la  première  fois  du  chinois  en  français  a?ec  !ï*s  comroentaîreSi  par  P.  L. 

F.  Philaslre.  Iti-i .,.,.....-.     15  Ir, 

TOME  IX 

Les  hypog'éefi  royaux  de  Thèbes,  par  M.  Ë.  Lefébure.  Le   fombeau  de 
Séti  I*^^  Un  volume  in-4|  avec  136  planches  ,.*,,...>     75  fr. 

TOMEX 

Recueil    de  Mémoires  de   MM.  C*  Rau,  José    Veri^simo,   S.  Habt'l,. 

A.  BasLian.  Tomii,  S.  J.  Warren,  P,  Regnaud,  J.  Lieblein,  Baïin,   A.  Wîede- 

manrt^  L,  de  Millouè^  V*  Loret,  ClermonUQanneau,  etc.  fn4,  avec  24  planches 

hors  texte ,    ,     .     , 30  fr, 

TOMES  XîetXH 
Les  fêtes  des  Chlnoia*  annuefïement  célébrées  à  Émoui  {Amny),  Étud^ 
concernant  la  religion  popufaiie  des  Chinois,  par  J*  M,  de  Qrool.  2'  voîutnea 
m-4|  avec  24  planches  en  héliogravure  .     ,     ,     .    , 40,fr- 

Vne  remîne  «le  2S  */g  «af  offerte  niix  iic1i«t«tirft  île  Ia  eAlleellan  e^mplète 


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ERNEST  LEROUX,  Editeur 

28,     HIE    BOXAPABTE,     28 


RECUEIL 


D'ARCHÉOLOGIE  ORIENTALE 


CH.  OLEBMONT-GANNEAU 

COHHESJiO.XDÏNT  l>!«  l.'lXSTITl'T 
limKCTÏtJK-AWOlST    A    CtClitt    Dli3    KACTg»-l!Tlini!» 

LE  ftËCUEIL  D'ARCHÉOLOGIE  OHIENTALE  publié  par  M  Clih. 
UrtîTT-GAXNKA,:,  parail  pa,-  fafçicult^  dt  cinq  f.uilk,  in-S  acte  planche,  et  gravures. 

S  tMcJculrtâ  formant  un  volume.  —  CUiqoe  faacicate  se  veod  5  tnju». 

Ou  «uscrit  a»  v^ilume  complet  â  l'ecevoir  ft-anoa  (par  fa.cl<!«le»  ou  n^  vol,nn^) 
ras'frJw  ~  ''"  P"'*'''""'°°  "^"^  '«'«'»«  teruiiaée,  te  prii  eu  ,era  porté 

SOMMAIRE 

cealss.-  L-  sceau' Je  ObaJyJ.o^,  CT^nZc^Zs^ itrJ^   ^'T.  '"^^'" 
(I  planches  et  ^  gravures  dacia  le  le^te,) 

(tî  plauchea  et  S7  gravure»  ài^m  le  teste.) 

ifcrilure  cypriote.   -  Eip  ralfon   d'in    inT^nJ/W^'''"?'  j'™  "»»«'«•  J«n« 

gîre,  ^  iQàrr  oUon  îÎu  Mlifi»  Fi  y^.iut         £,'*^«î*^'«e  nu  premier  a^ècle  de     Hé- 
eanela  .ûlr/irri.n  Q^  ouf^^^^^^^^  .P'^^'^e  du  traité 

(1  p(aucbe  et  ti  grarurei  Jaiu  le  teste.) 


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REVDE 

D'ETHNOGRAPHIE 

PURLIÊE  SOCS  LES  AUSPTCKS  DU  MtXÎSTÈlïlr:  DI!  L'INSTRUCTION  PDBUQUE 
ET  DES  Bi:\UX*AttTS 

Par    le    D^    HAMY 


TOME   SIXIÈME 
N-  4.    -   Juillet 'Août. 


PARIS 

ERNEST    LEROUX,     ÉDITEUR 
28,    HiîK    nnxMMUTi:,    28 

1887 


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SOMMAIRE 

Les  Sauv^igea  d  u  Pér û  u  . . .  é  .  p , . ,  * « .  t  < ,..,...*  D.  Okïm» aiur. 

Les  PjgiDêes  à  Maduga^car *-*,..»***♦.,,.,..,,..,,.-,,  M.  Leclshc, 

Les  Insulaires  de  Runié  {ile  das  Pios)  .....,,.»,.,..*,,-.,,..,  Giaukoht, 

BiattoQ»  préhULoriqueà  de  fout^d  Rir'  » , .   * . . . , * ,  H.  Jm, 

Vahiétés  :  s 

A  propoa  de  Tamoanchau . ..,  »  ♦♦i ,,.,..,..,..,.,  *  .... , . . ,  D.  Chaiw/it. 

RftVllES  ET  A.HALYSES*  ^  LlVHKS  Et   BnOCm^RKS  1 

IL  JouujL  PrîtpUmeni  de  fa  Pot^néjtie  . . . . , ,  *    ...    -,...*.  M.  Leclerc. 

H.  Jouan.  Les  légeadi*ii  de^  îles  llawiti  .* ,.....,.,.,....*.  Id. 

Maû.  .4  brkf  aa:tmtii  of  Ihe  Nkohfîr  Islands ♦ .,*.,...  Dk-viker . 

tinischet.  Linguiitk  Fftmiiies  of  iha  Indîan    Trîhes  Nvrth  of 
Mexico  .♦.»•,.,..,..» ,..  ^  .,,....-..,,*. .   . ... ,,**.,.»  Jd* 


CONDITIONS    DE    LA   PUBLICATION 

La  REVUB  D^ETHNOGRAPHIE  paraît  lous  les  deui  mois»  par  ûtscicules  m-^ 
rmEUïf  de  6  ftïuilles  d'Impression,  richement  iUugirées . 

Prix  de  L*aboiiiiôm6&t  annuel  •  Paris. , .-*...  25  fr.     » 

^                         ^                   DépurleiDénls    *...., .  27      50 

^                        —                   ihranger..  **..,*,......,. ,  30         « 

'     Un  numéro,  pris  aa  Bureati .  * . , 5         » 

TARIF   DES   ANNONCES 

Une  page ,,....   , .    .  ^ ►*.,..,....,. 30  fr,    t» 

Une  1/2  page, .,, , . .  - - 30         » 

Touâ  tes  outrages  envoyés  à  la  l:ievue  y  seront  annoncés  et ^  s*il  i^  a  Ueu^  unalyjiés, 
S'adres&er,  pour  iouLce  qui  concfitoe  U  llûdiictiou,  au  D'  HAMY.  40,  me  de  Lubnck» 

EllNEST  LEliOUX,  éditeur,  rue  Bonaparte,  28,  Paris, 
G.  DUMOUTIEH 

IflSPECIiim   DS   L*BMSE|0:VB3IB.>T   rBA?£^;0'A^f3JAMITE  AU  TOfîM« 

ESSAI   SUR    LA    PHARMACIE    ANNAMITE 

Détermina  lion  de  300  plantés  et  prodiitls  indï^t-nes,  avec  leur  nooi  en  onnamitt'i 
fit  français,  t*n  latin  et  *^n  cluuoiâ,  et  riiidif^^itlon  dt*  \eurt>  quîUUcsî  thérapeutiques 
d'aprt'ê  iési'phiirmacopécs  amiamites  et  cbijioîries.  lû-S    ,     »     ,     ,     .         2  Ir.  30 

LES  DÉBUTS  DE  UENSElGNIilENT  FRANÇAIS  AU  TONKIN 

1(1-8.    •    . i  rr.  50. 


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MÉMOIRES  ~0tlIGIN AUX 


LES  SAUVAGES  DU  PÉROU 

Par  m.  olivier  ORDINAIRE, 
Vice-Consul  de  France  au  Caliao. 


I 


Les  Indiens  du  Pérou  qui,  par  la  multiplicité  de  leurs  langues, 
semblent  avoir  des  origines  très  diverses,  se  classent  en  deux 
groupes:  1°  Ceux  qui  sont  soumis  aux  lois  de  TËtat;  2°  ceux 
qui  ne  dépendent  du  gouvernement  de  Lima  par  aucun  lien 
administratif. 

Les  premiers  peuplent  la  côte  du  Pacifique,  la  Sierra  et 
quelques  vallées  de  la  Montaùa.  Ils  faisaient  partie  déjà  de 
Tempire  des  Incas,  et  ils  ont  laissé  de  nombreux  monuments  de 
leur  civilisation  antérieure  à  la  conquête.  La  plupart  com- 
prennent plus  ou  moins  l'espagnol,  mais  ils  parlent  communé- 
ment entre  eux  leurs  langues  primitives,  dont  la  plus  répandue 
est  le  quichua.  Les  Indiens  de  cette  première  catégorie  ont  été 
et  sont  actuellement  l'objet  de  nombreux  travaux  ethnogra- 
phiques, les  investigations  étant  faciles  dans  un  pays  ouvert 
aux  étrangers  et  dont  le  climat  est  d'une  éternelle  sérénité,  où 
nulle  végétation  ne  masque  les  ruines,  où  les  moindres  reliefs 
ressortent  sur  un  sol  nu,  où  la  terre  enfin  semble  avoir  la  pro- 
priété de  préserver  de  la  décomposition  les  corps  organisés 
qu'elle  recouvre . 

Les  indigènes  du  second  groupe,  auxquels  je  consacre  cette 

VI  JUILLET-AOUT. 


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266  LES    SAUVAGES   DU    PÉROU 

étude,  vivent  exclusivement  à  Test  des  Andes,  dans  la  Montaûa 
ou  région  des  forêts,  aussi  humide  que  la  côte  est  sèche.  On 
leur  donne  au  Pérou  les  noms  de  Sauvages^  Barbares ^  Chunchos^ 
ou  encore  ceux  de  Gentils  et  A'InfidèleSy  le  nombre  de  ceux  qui 
pratiquent  le  culte  catholique  étant  relativement  1res  minime.  Ils 
se  subdivisent  en  une  infinilé  de  nations,  pour  employer  le  mot 
admis  dans  la  patrie  des  Incas,  et  dont  on  décore  parfois  de 
minuscules  tribus. 


II 


Résultats  des  missions  en  pays  Campas. —  Types,  costumes,  armes,  industrie, 
agriculture  et  cuisine.  —  Une  nation  qui  ne  connaît  pas  l'argent.  —  Pro- 
priété el  possession.  —  Les  amazones. 

La  plus  importante  des  nations  sauvages  du  Pérou  est  celle 
des  Campas  ou  Antis  qui,  du  neuvième  au  treizième  degré  de 
latitude  sud,  occupent  d'immenses  territoires  dans  la  zone  fores- 
tière la  plus  rapprochée  des  .Andes.  D'anciennes  statistiques  des 
missionnaires  espagnols,  qui  pénétrèrent  dans  la  Montafta  dès 
Tan  1635,  portent  leur  nombre  à  vingt  mille.  Le  centre  de  leurs 
domaines,  leur  citadelle  en  même  temps,  est  le  Grand  Pajo- 
ftaly  vaste  plateau  compris  entre  les  rios  Péréné,  Ucayali  et 
Pachitea. 

Si  les  efforts  des  moines  franciscains  pendant  un  siècle,  pour 
les  convertir  au  christianisme,  n'eurent  pas  le  résultat  cherché, 
ils  ne  furent  pas  non  plus  tout  à  fait  stériles.  Profitant  des  voies 
ouvertes  par  les  religieux,  de  nombreux  colons  s'installèrent 
dans  les  vallées  qui  touchent  aux  Andes,  non  seulement  pour  y 
cultiver  le  cacao,  la  canne  à  sucre,  le  café  el  autres  plantes  de 
rapport,  mais  encore  pour  s'y  livrer  à  de  lucratifs  échanges  avec 
les  tribus  du  voisinage.  Leurs  haciendas  étaient  prospères,  par- 
ticulièrement dans  la  vallée  du  Chanchamayo,  sur  la  ligne 
directe  de  Lima  au  Pajonal,  lorsqu'en  1742  les  Campas,  obéis- 
sant au  chef  connu  sous  le  nom  de  Juan  Santos  Atahualpa, 
s'insurgèrent  contre  les  Elspagnols.  Et,  dans  une  lutte  qui  ne 


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LES    SAUVAGES   DU    PÉROU  267 

dura  pas  moins  de  dix  ans,  ils  les  firent  reculer,  qu'ils  fussent 
laïques  ou  clercs,  jusque  sur  les  hauteurs  de  la  sierra. 

Après  cet  exploit,  les  néophytes  revinrent  à  leur  sauvagerie 
primitive,  non  sans  conserver  toutefois  une  foule  de  noms 
empruntés  aux  saints  de  notre  calendrier,  certains  usages  du 
culte  catholique,  et  quelques  connaissances  pratiques,  dontuue 
seule,  celle  du  fer  et  d'un  moyen  de  l'extraire  du  minerai,  suffi- 
rait pour  leur  créer  une  supériorité  sur  quantité  d'autres  races. 
En  somme,  leur  contact  avec  les  Européens  leur  a  laissé  dc3 
marques  indélébiles. 

Les  Campas  sont  de  taille  moyenue,  bien  découplés,  svcltes 
sans  maigreur.  Ils  ont  la  main  et  le  pied  petits.  Il  y  a  chez  eux 
des  éphèbes  de  quatorze  à  seize  ans  dont  les  formes  sont  d'une 
parfaite  élégance  et  la  physionomie  agréable.  Mais,  sous  Faction 
continuelle  du  grand  air,  leur  figure  se  creuse  de  rides  précoces, 
innombrables  stries,  qui  leur  donnent  un  air  rébarbatif  peu  en 
rapport  avec  leur  caractère.  Une  certaine  obliquité  dans  les 
Hgnes  des  yeux,  le  nez  plus  ou  moins  camus,  et  les  saillies  des 
joues  rappellent  vaguement  le  type  mongolique.  Leur  peau  est 
bistrée  plutôt  que  bronzée.  Ils  sont  imberbes  :  s'il  y  a  des  excep- 
tions à  cette  règle,  elles  sont,  je  crois,  fournies  en  réalité  par 
des  métis.  Leur  chevelure,  d'un  noir  terne,  abondante  et  longue, 
sans  ondulations  ni  frisures,  dure  au  toucher,  ressemble  à  une 
crinière.  Ils  se  coiiTent  d'un  serre-tête  ou  cercle  de  bois  blanc,  le 
madzeri  généralement  orné  d'une  plume  d'ara  qu'ils  portent  sur 
l'occiput.  Leur  vêtement  est  la  ciisma  qui  ne  dilîère  d'une  toge 
d'avocat  ou  de  professeur  que  par  l'absence  des  manches  et  par 
la  couleur.  Sa  teinte  brune,  uniforme  comme  la  couche  de  fond 
d'une  toile  de  paysagiste,  s'harmonise  avec  les  tons  de  la  forêt. 
Cette  couleur  brou  de  noix  foncé  est  encore  celle  du  sac  à  ban- 
doulière où  ils  mettent  leurs  provisions  de  voyage,  telles  que 
du  chumayro  (écorce  de  liane),  du  malki  (feuilles  de  coca)  et  un 
limpre,  petite  calebasse  contenant  de  la  chaux  dont  ils  assai- 
sonnent le  malki  et  le  chumayro  qu'ils  mâchent  sans  cesse 
pour  maintenir  ou  stimuler  leurs  forces.  Leur  ornement  le  plus 
habituel  est  un  large  chapelet  de  grains,  à  rangs  serrés,  auquel 


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268 


LES    SAUVAGES    DU    PÉROU 


ils  attachent  des  dépouilles  d'oiseaux  et  qu'ils  portent  majes- 
tueusement comme    une   écharpe  maçonnique   ou  un   grand 
cordon  de  la  Légion  d'honneur. 
L*arme  commune  des  Antis  est  un  arc*  en  bois  noir  de  palmier 


Fig.  39.  —  Arc,  flèches,  sac  à  provisions,  serre-tôte  et  sautoirs  des  Campas. 
(Mus,  (VEthnogr.^  coll.  Ordinaire,) 

chonta  [Bactris  Ciliata),  tendu  avec  une  corde  dont  les  folioles 
ou  les  fibres  d*un  autre  palmier  ont  fourni  la  matière  première. 
La  hampe  de  leurs  flèches,  empennée  de  reclrices  d'ourax  ou 
de  pénélope,  n'est  autre  que  l'appendice  supérieur  ou  tige 
florale  de  la  caha  brava  {Gynerium  Sagùiaium).  Elles  se  ter- 

1)  lis  nomment  Tare  canoch^  la  flèche  chacopi. 


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LES    SAUVAGES    OU    PÉROU 


269 


minent  soit  par  une  pointe  barbelée  de  chonta,  soit  par  une 
sorte  de  coutelas  de  bois  à  double  tranchant,  soit  par  une  boule 
ou  un  petit  pavillon  qui  a  le  double  avantage  de  présenter  une 
surface  relativement  large,  condition  nécessaire  pour  atteindre 
le  petit  gibier,  et  de  tuer  les  oiseaux  sans  endommager  leur 
duvet.  Et  c'est  souvent  pour  la  plume  autant  que  pour  la  chair, 
que  les  Antis  chassent.  Avec  Thabileté  de  dissecteurs  consom- 
més, il  retirent  le  corps  du  volatile  de  son  enveloppe  emplumée 
qu'ils  destinent  à  leur  ornementation  personnelle  ou  à  celle  de 
leurs  épouses. 
Les  jolies  filles  sont  rares  chez  eux.  Il  y  en  a  cependant.  Elles 


Fig.  40.  —  Collier  en  os  des  femmes  Campas.  (Mus.  'd'Ethnogr,,  Col/,  Ordinaire.) 

possèdent  des  formes  arrondies  mais  dont  la  fermeté  est  aussi 
éphémère  que  la  pureté  de  leur  visage,  très  vite  envahi  par  les 
rides.  Leurs  dents  sont  d'une  inaltérable  blancheur,  leurs  extré- 
mités presque  fines.  Elles  se  tracent  sur  la  figure  avec  de 
Tachiote  {bixa  orellana)  ou  du  liuito  [genipa  oblongifolia)^ 
c'est-à-dire  en  rouge  brique  ou  en  noir,  des  dessins  fantaisistes 
dont  nous  nous  refusons  généralement  à  reconnaître  la  séduc- 
tion. Les  hommes  de  leur  côté  en  font  autant.  Les  deux  sexes 
ont  le  même  goût  pour  la  toilette  et  les  colifichets.  Les  femmes 
Antis  portent  des  bracelets  de  coton  tissés  sur  le  bras  même, 
des  chapelets  de  graine  de  styrax,  des  colliers  de  dents  de  singe 
ou  d'osselets  taillés  en  forme  de  croix  à  doubles  branches.  Enfin 
les  plumes  jouent  un  grand  rôle  dans  leur  parure  :  chatons 
multicolores  tombant  sur  la  poitrine  ou  le  dos,  guirlandes  de 


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270  LKS    SAUVAGES    DU    PÉROU 

lanagras  et  de  colibris,  gorges  ou  collerettes  empruntées  à  des 
ailes  d'ara. 

En  très  bas  âge,  les  Campas  étonnent  par  la  souplesse  de 
leur  corps,  le  délié  de  leurs  mouvements  ;  un  peu  plus  tard,  par 
leur  mémoire  et  la  précocité  de  leur  intelligence.  Mais  tandis 
que  leurs  facultés  d'observation  physique  et  d'imitation  attei- 
gnent un  perfectionnement  extraordinaire,  tandis  qu'ils  arrivent 
à  répéter  comme  de  véritables  échos  le  chant  d'un  oiseau  ou 
les  phrases  d'une  langue  qu'ils  ne  comprennent  pas,  leur  déve- 
loppement intellectuel  s'arrête  net  vers  l'âge  de  douze  à  qua- 
torze ans.  Et,  pendant  le  reste  de  leur  vie,  on  les  retrouve  pareils 
à  des  enfants. 

Ce  n'est  pas  dans  une  tribu  d'Antis  ni  dans  aucune  autre 
nation  péruvienne  qu'Orellana  a  pu  trouver  ses  amazones.  Chez 
ces  Indiens  le  sexe  mâle  a  le  monopole  exclusif  des  armes  et  la 
responsabilité  de  la  défense  commune.  Les  femmes  soignent  les 
enfanls  et  s'occupent  du  jardin  ou  chacra.  Elles  filent  le  coton 
sans  rouet  et  le  tissent  sur  des  métiers  aussi  rudimentaires  que 
possible.  La  confection  de  l'étoffe  nécessaire  à  une  cusma  exige, 
dans  ces  conditions,  un  temps  considérable.  Aussi  les  tissus  de 
fabrique,  ont  aux  yeux  des  Campas  une  très  grande  valeur.  Les 
colons  établis  dans  leur  voisinage,  et  qui  ont  besoin  de  leur 
aide  pour  exploiter  le  caoutchouc,  le  savent  bien.  Si  l'on  joint 
aux  tissus  de  coton,  des  haches  et  des  machetes,  des  verroteries, 
quelques  fusils  et  munitions  de  chasse,  on  a  la  liste  à  peu  près 
complète  des  objets  qu'ils  reçoivent  actuellement  de  l'industrie 
européenne. 

Ils  ne  connaissent  pas  l'argent,  ne  savent  pas  ce  que  c'est  que 
le  capital,  et  n'ont  aucune  notion  de  la  propriété  foncière.  Et 
comment  en  auraient-ils  conçu  l'idée  dans  cette  Montafta  dont 
les  territoires  sont  si  vastes  et  les  habitants  si  clair-semés?  Les 
colons  qui,  d'après  la  loi  du  Pérou,  deviennent  propriétaires  des 
terrains  qu'ils  défrichent,  à  la  condition  d'en  faire  la  demande 
et  de  supporter  les  frais  de  délimitation,  les  colons,  dis-je, 
négligent  eux-mêmes  ces  formalités.  En  fait  d'immeubles,  on 
ne  connaît  en  pays  campa  que  la  possession. 


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LES   SAUVAGES    DU    PÉROU  271 

De  tout  ce  que  nous  pouvons  raconter  aux  Anlis,  soit  que 
nous  parlions  leur  langue,  soit  qu'ils  aient  appris  la  nôtre,  ce 
qui  paraît  les  surprendre  le  plus,  c'est  qu'il  y  ait  des  villes  où, 
dans  un  espace  relativement  étroit,  vivent  autant  d'hommes 
qu'il  y  a  d'arbres,  par  exemple,  dans  un  hectare  de  forêt.  — 
Comment  tout  ce  monde  peut-il  se  nourrir?  demandent-ils.  Et 
l'explication  du  mécanisme  social  par  lequel  s'opère  ce  miracle 
est  tellement  au-dessus  de  leur  portée,  qu'il  est  inutile  de  l'en- 
treprendre. La  chasse  étant  la  base  de  leur  alimentation,  ils  ne 
comprennent  que  la  vie  isolée  qui  permet  à  l'homme  de  s'ali- 
menter de  chasse. 

Leurs  habitations,  simples  toits  en  feuilles  de  palmier,  à  deux 
versants  soutenus  par  des  pieux,  sont  disséminées  à  travers  la 
forêt.  Très  peu  ont  des  parois  de  bambou.  Autour  de  ces 
cabanes  ou  panguchis^  ils  brûlent  et  rasent  la  haute  futaie,  et, 
dans  l'aire  ainsi  ouverte,  ils  plantent  ou  sèment  des  bananiers, 
de  la  coca,  du  maïs,  des  yuccas  [manhiot  aïpi),  des  haricots,  des 
magonas  et  des  uncuchas^  solanées  analogues  à  la  pomme  de 
terre.  Les  cotonniers  semblent  pousser  spontanément  dans  le 
voisinage  de  ces  habitations  comme  les  orties  près  des  nôtres. 
Le  panguchi  est  toujours  sur  une  hauteur  où  à  proximité  d'une 
rivière. 

Les  Campas  couchent  sur  des  nattes  étendues  à  terre,  souvent 
sur  le  sol  nu,  sans  oreiller  d'aucune  espèce,  les  pieds  très  près 
du  feu  qu'ils  entretiennent  constamment.  En  fait  de  cuisine,  je 
n'ai  mangé  dans  leurs  carbets  que  des  choses  rôties,  fumées  ou 
bouillies,  sans  addition  d'aucune  graisse.  Heureusement  ils  font 
usage  du  sel,  inconnu  de  leurs  voisins  les  Lorenzos  et  qu'ils 
tirent  du  fameux  Cerro  de  la  Sal.  Lorsqu'ils  ne  peuvent  consom- 
mer le  soir  tout  le  gibier  qu'ils  ont  tué  dans  la  journée,  ils  le 
fument  en  l'exposant  aune  certaine  hauteur  au-dessus  du  foyer. 
Pour  allumer  le  feu,  ils  se  servent  de  briquets,  d'un  amadou 
qu'ils  font  eux-mêmes  avec  un  bois  spongieux,  et  d'un  morceau 
de  copal  impur  qui,  sous  la  forme  de  masse  grisâtre  et  de  faible 
densité  où  on  le  ramasse  au  pied  de  l'arbre  résineux,  est  très 
facilement  inflammable. 


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272 


LES    SAUVAGES    DIT    PÉROU 


L'isolement  étant  pour  eux,  en  général,  une  condition  d'exis- 
tence, les  groupes  de  plus  de  trois  familles  sont  rares.  Il  existe 


*^.'//im.hIêfttL      -_^1-^ 


Fig.  41.  —  Jeune  chef  Campa  (d'après  une  photographie). 

cependant  sur  le  Grand  Pajonal  quelques  hameaux  ou  Saaîm- 
rinchis.  Cette  exception  provient  sans  doute  de  ce  que  le  Pajonal 


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LES    SAUVA'ÎES    DU    PÉROU 


273 


étant  en  partie  couvert  de  pâturages,  graminées  et  cypéracées, 
les  Campas  y  possèdent  des  troupeaux  de  bœufs,  dont  la  race 
fut  importée  jadis  dans  la  Montaûa  par  les  Espagnols. 


Fig.  42.  —  Tchaîapi,  jeuae  femme  Campa  (d'après  un  dessin  de  M.  Henri  Michel). 

On  sait  qu'ils  doivent  encore  aux  Espagnols  de  précieuses 
notions  de  métallurgie.   Ils  savent  forger  le  fer  à  chaude  en 


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274  LKS    SAUVAGES    DU    PÉROU 

fabriquer  quelques  objets  grossiers  comme  le  couteau  ou  ipudie 
que  j'ai  rapporté,  et  le  tirer  du  minerai.  Leurs  fourneaux  sont 
établis  d'après  la  méthode  catalane.  Le  fait  a  été  signalé  pour  la 


Fig.  43.  —  Couteau  ou  ipudie  fabriqué  par  les  Campas.  (Mus,  d'Ethnogr., 
Colf.  Ordinaire.) 

première  fois  en  1870  par  le  colonel  péruvien  Cardenas,  qui  fit  à 
cette  époque  un  voyage  de  découverte  dans  les  environs  du 
Cerro  de  la  Sal.  11  est  à  remarquer  que  Tempire  des  Incas  a 
connu  l'or,  l'argent  et  le  bronze,  mais  non  le  fer,  et  que  les 
Antis  sont  actuellement  les  seuls  habitants  du  Pérou  qui 
exploitent  les  minerais  de  l'utile  métal,  bien  qu'ils  abondent 
dans  presque  toutes  les  parties  du  territoire.  Les  colons  qui 
vinrent  chercher  fortune  au  Pérou,  après  les  conquêtes  de 
Pizarre,  se  contentèrent,  sur  la  côte  du  Pacifique,  des  instru- 
ments de  fer  que  des  navires  leur  apportaient  de  la  mère-patrie, 
tondis  qu'ils  furent  obligés,  dans  la  Montaîia,  de  se  pourvoir  par 
leur  propre  industrie,  dont  les  sauvages  ont  profité. 


III 


2.—  Idées  religieuses  des  Antis.  —  Le  cultedu  soleil.  Pratiques  d'origine  chré- 
tienne. —  Les  Litanies  de  Juan  Sanlos  Atahualpa.  —  La  fraternité  chez  les 
Campas. 

Il  n'existe,  à  l'heure  actuelle,  sur  tout  le  territoire  campa, 
qu'un  seul  établissement  de  missionnaires,  celui  de  Quillasu, 
dans  une  petite  vallée  du  versant  occidental  des  monts  Yana- 
chaga.  Les  constructions  matérielles  se  réduisent  aune  chapelle 
aux  murailles  de  torchis,  au  toit  de  palmes  artistement  nattées 
par  les  sauvages,  et  à  une  très  rustique  maison  dont  les  parois 
sont  de  simples  palissades  ou  claies  de  bambou.  Deux  ou  trois 
pères  franciscains,  détachés  du   couvent  d'Ocopa,   y  résident 


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LES    SAUVAGES    DU    PÉHOU  275 

habituellement.  L'un  d'eux  me  raconta  qu'un  beau  jour  tous  les 
néophytes  disparurent  de  leurs  panguchis  éparpillés  dans  le  voi- 
sinage. A  leur  retour,  au  bout  d'un  mois,  on  les  questionna  sur 
ce  qu'ils  avaient  fait  durant  leur  absence,  et  ils  avouèrent 
qu'ils  étaient  allés  au  Pajonal  prendre  part  aux  fêtes  du  Soleil. 
En  me  narrant  cette  aventure,  le  religieux  qui  les  avait  caté- 
chisés et  baptisés  semblait  en  proie  à  une  affliction  mêlée  de 
découragement. 

Quand  ils  ont  préparé  la  chicha^  sorte  de  bière  de  msûis,  les 
Campas,  avant  de  commencer  à  boire,  en  répandent  à  terre  une 
coupe  pleine,  pour  faire  une  offrande  au  soleil,  auquel  ils 
adressent  quelques  mots  d'invocation  ou  de  prière,  en  tenant  les 
mains  jointes  par  le  bout  des  doigts,  à  la  hauteur  du  front. 
Enfin,  ils  se  réunissent  en  grand  nombre,  à  certaines  époques, 
particulièrement  sur  le  Cerro  de  la  Sal  et  sur  le  Pajonal,  pour 
célébrer,  en  l'honneur  de  l'astre  souverain,  des  fêtes  qui  sont 
comme  un  souvenir  de  Ylmpic-Raîmi  et  du  Capac-Raïmi  des 
Incas. 

Les  Antis  ne  transforment  guère  leurs  idées.  Leur  conversion 
toujours  incomplète,  est  une  superposition,  plutôt  qu'une  substi- 
tution d'un  culte  à  un  autre,  de  sorte  qu'on  peut  étudier  les 
croyances  qui  forment  leur  fonds  commun,  à  peu  peu  près 
comme  le  géologue  étudie  les  couches  d'un  terrain. 

Ces  croyances  datent  au  moins  de  trois  époques.  La  plus 
récente  est  l'époque  des  missions  espagnoles  brusquement 
interrompues  au  milieu  du  siècle  dernier.  Elle  fut  immédia- 
tement précédée  par  celle  des  Incas  qui  firent,  eux  aussi,  de 
nombreuses  tentatives  pour  soumettre  les  Chunchos  à  leur  loi. 
Enfin  ils  ont  des  idées  religieuses  qu'ils  n'ont  empruntées  ni 
aux  chrétiens  ni  aux  Incas,  et  qu'ils  partagent  avec  la  plupart 
des  autres  peuplades  de  la  Monta&a.  Ces  idées  étant  d'origine 
plus  ancienne  que  les  autres,  on  peut  dire,  par  comparaison, 
qu'elles  sont  de  l'époque  primitive. 

Dans  son  exploration  du  Péréné,  Wertheman  trouva  chez  les 
Campas  des  croix  ornées  de  fleurs. 

Lorsqu'ils  se  marient,  ils  se  prennent  la  main  en  présence  du 


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276  J^ES    SAUVAGES   DU    PÉROU 

plus  ancien  de  la  tribu,  qui  prononce  quelques  paroles  sacramen- 
telles. Dans  toutes  les  tribus  vivant  à  l'ouest  du  Pajonal  et  qui 
semblent  avoir  reçu  plus  fortement  que  d'autres  l'empreinte  du 
christianisme^  ils  n'ont  qu'une  seule  épouse  chacun,  tandis  que, 
dans  le  voisinage  du  haut  Ucayali^  où  ils  sont  en  contact  avec 
des  races  polygames,  ils  ont  coutume  d'en  prendre  plusieurs.  Je 
ne  puis  dire  s'ils  pratiquent  le  baptême  par  aspersion,  mais  j'ai 
constaté  qu'ils  donnent  à  leurs  enfants  parrain  et  marraine,  et 
qu'ils  connaissent  l'origine  catholique  de  cette  coutume.  Un 
Antis  à  qui  je  demandais  des  explications  à  ce  sujets  me  répondit 
en  se  faisant  un  signe  de  croix  sur  le  front.  Ils  n'ont  pas  de 
noms  de  famille  et  ils  donnent  à  leurs  enfants  le  nom  d'un 
animal  ou  celui  d'un  saint.  Ainsi  ils  appelleront  leurs  filles 
Giiatate  (grenouille),  Shumo  (crapaude),  Pimpiri  (papillon),  et 
leurs  fils  Santiago ,  Pedro  ,  Pascual ,  Antonio.  D'autres  se 
nomment  Intschoquiri ,  Tahuanchi ,  Uguinchire ,  Chungui- 
gate,  etc. 

On  sait  que  les  Quichuas  adoraient  sous  le  nom  de  Pacha- 
camac  le  Dieu  invisible  auquel  ils  élevèrent  bien  avant  l'arrivée 
des  Incas  un  temple  magnifique,  dont  on  peut  voir  encore  les 
ruines  sur  la  côte  du  Pérou.  Or  les  missionnaires  ne  relatent 
nulle  part  qu'ils  aient  trouvé  chez  les  Campas  une  conception 
semblable.  Un  voyageur  péruvien,  M.  Samanes,  déclare  bien  que 
les  riverains  de  l'Apurimac  et  du  Tambo  ont  une  idée  vague  de 
la  divinité  qu'ils  nomment  Génoquire,  mais  il  est  permis  d'ad- 
mettre que  cette  idée  est  une  semence  des  franciscains  qui  ont 
eu  des  établissement  dans  le  bassin  des  rivières  précitées.  Rien 
dans  mes  observations  personnelles  ni  dans  celles  des  colons 
que  j'ai  interrogés,  n'indique  que  les  Campas  des  pays  où  j'ai 
passé  aient  la  notion  d'un  Dieu  créateur.  Ils  doivent  aux  mission- 
naires des  pratiques  et  des  mots,  mais  il  semble  qu'ils  niaient 
pu  retenir  de  leurs  leçons  aucune  idée  abstraite. 

Cependant  je  les  ai  souvent  entendus  réciter  une  espèce  de 
prière  sur  un  ton  rappelant  étrangement  le  ton  habituel  des 
oraisons  dans  une  église.  C'est  une  suite  de  versets  qu*ils 
récitent  à  deux,  debout,  Tun  donnant  à  l'autre  les  répons,  sans 


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LES    SAUVAGES   DU   PÉROU  277 

que  la  présence  d'un  étranger  paraisse  les  troubler  ou  les  dis- 
traire. Mais,  lorsqu'ils  sont  au  bout  du  chapelet,  si  on  leur  en 
demande  le  sens^  ils  feignent  de  ne  pas  comprendre  la  question 
et  s'écartent  sans  répondre,  comme  pour  se  livrer  à  quelque 
conjuration. 

De  ce  que  j'ai  pu  comprendre  de  cette  litanie  et  de  tout  ce  qui 
m'en  a  été  dit,  il  ressort  qu'elle  est  en  quelque  sorte  leur  loi,  un 
décalogue  plus  long  que  celui  de  Moïse,  mais  dans  lequel  il  ne 
serait  question  d'aucune  divinité. 

«  Quand  tu  auras  recours  à  mon  aide^  ce  ne  sera  pas  en  vain, 
dit  l'un,  car  tu  es  Campa,  et  les  Campas  doivent  s'aimer  entre 
eux  d'une  franche  et  solide  amitié. 

«  Si  tu  es  attaqué  par  nos  ennemis^  répond  l'autre,  je  te 
défendrai,  fût-ce  au  péril  de  ma  vie,  car  tu  es  Campa  et  les 
Campas  etc. 

«  Si  tu  as  faim,  je  partagerai  avec  toi  ma  chasse  ou  ma  pêche 
et  les  fruits  de  machacra,  car  tu  es  Campa... 

«  Si  tu  tombes  malade,  je  sèmerai  pour  toi  le  maïs,  pour  toi 
je  récolterai  la  coca  et  le  chumayro,  car  tu  es  Campa...  » 

Tous  les  cas  dans  lesquels  deux  membres  d'une  même  famille 
peuvent  avoir  à  se  prêter  assistance  ou  secours  sont  ainsi  passés 
en  revue.  Le  récitatif  dure  trois  quarts  d'heure. 

Ce  morceau,  que  tous  savent  par  cœur  est,  suivant  moi, 
d'origine  catholique  ou,  pour  mieux  dire,  c'est  l'œuvre  de  Juan 
Santos  Âlahualpa,  le  célèbre  indien  du  Cusco  qui,  avant  de 
prendre  la  Cusma  et  de  soulever  les  Antis,  avait  reçu  l'ensei- 
gnement des  jésuites  avec  lesquels  il  était  allé  en  Espagne.  Ce 
roi  prophète  que  l'inquisition  accusait  de  se  faire  passer  pour 
Tune  des  trois  personnes  de  la  sainte  Trinité*,  ce  chef  rebelle  qui 


1)  Lire  le  très  curieux  rapport  de  Fray  José  de  San  Antonio,  intitulé  : 
Segunda  Relacion  de  la  Doctrina,  Errores  y  Heregias  que  enseûa  el  fingido 
Rey  Juan  Santos  Atagualpa  Apuinga  Guainacapac  en  las  misiones  del  Cerro  de 
la  Sait  Indio  Rebelde,  enemigo  declarado  contra  la  ley  de  Bios  y  traidor  al 
Rey  nuestro  Sefior  que  Bios  guarde.  Recueil  de  rapports  ^  cedules  royales  et 
bulles  pontificales,  publié  à  Rome  en  1758.  Ex  typographia  Rev.  Cameroe  Apos- 
tolicœ,  folio  63. 


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278  LES   SAUVAGES   DU    PÉROU 

rêva  de  disputer  le  Pérou  à  la  couronne  d'Espagne,  ne  put 
concevoir  son  héroïque  projet  et  le  réaliser  au  point  que  Ton 
sait,  sans  que  les  tribus  qu'il  commandait  fussent  unies  et  soli- 
daires. Et  Ton  comprend  qu'il  ait  fait  de  cette  union  même  et 
des  principes  propres  à  la  cimenter  la  base  de  sa  loi. 

Quoiqu'il  en  soit,  les  Campas,  dans  leurs  relations  mutuelles, 
donnent  des  preuves  quotidiennes  de  leurs  sentiments  de  fra- 
ternité. 

Dans  mon  dernier  voyage,  je  dus  m'arrêter  pendant  plusieurs 
jours  chez  un  colon,  don  Guillermo,  établi  au  bord  du  rio 
Chuchuras,  où  il  entretenait  de  bonnes  et  fructueuses  relations 
avec  les  sauvages.  Un  Campa  déjà  vieux  et  que  la  petite  vérole 
avait  rendu  aveugle  vinl,  accompagné  de  sa  femme  et  de  ses 
deux  enfants  en  bas  âge,  le  trouver  de  fort  loin  pour  faire  un 
marché  :  il  lui  proposa  de  nettoyer  sa  chacra  des  mauvaises 
herbes  qui  commençaient  à  l'étouffer,  s'il  voulait  lui  donner 
pour  récompense  de  son  travail  quelques  coudées  de  colonnade. 
Sa  femme,  obligée  de  pourvoir  à  tout  dans  le  carbet  isolé,  ne 
pouvait  trouver  le  temps  de  lisser,  et  les  cusmas  de  la  famille 
tombaient  en  loques.  La  proposition  était  des  plus  avantageuses 
pour  don  Guillermo,  qui  l'accepta.  Donc,  les  nouveaux  venus 
s'installèrent  sous  Tauvent  de  sa  maison  de  bambou  et,  dès  le 
lendemain,  ils  se  mirent  au  travail. 

Dans  le  marché,  il  n'avait  pas  été  question  de  leur  nourriture. 
11  va  de  soi,  me  disaift-je,  que  don  Guillermo  la  leur  doit.  Je  me 
trompais,  car  s'il  leur  fit  quelquefois  goûter  son  dîner,  ils  parta- 
gèrent plus  souvent  le  leur  avec  lui  et,  par  le  fait,  avec  moi. 
Tous  les  jours  les  Campas  du  voisinage  se  chargeaient  d'y 
pourvoir,  faisant  parfois  une  longue  course  pour  leur  apporter, 
à  tour  de  rôle,  qui  un  poisson,  qui  un  singe  rôti  ou  un  quartier 
de  tapir,  qui  un  régime  de  bananes  ou  une  charge  de  yuccas. 
Voilà,  pensais-je,  qui  vaut  bien  nos  fourneaux  économiques.  Et 
je  quittai  les  bords  du  rio  Chuchuras,  convaincu  que  l'homme 
se  distingue  des  autres  animaux  par  quelque  chose  de  plus  que 
n'a  dit  Beaumarchais. 


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LES   SAUVAGES   hV   PÉROU  279 


IV 


Croyances  primitives  :  Le  camagari,  les  magiciennes,  la  métempsychose.  — 
Musique  et  danses  campas.  —  Les  chiens  Ochitis,  —  L'escorte  d*une  sau- 
vagesse.  —  Les  nouveaux  conquérants  de  la  Montana. 

Si  les  Antis  tiennent  des  Espagnols  et  des  Incas  le  bagage 
religieux  que  je  viens  d'inventorier,  ils  en  ont  un  autre,  qu'ils 
possédaient  avant  l'arrivée  des  Espagnols  et  qui  leur  est  commun 
avec  d'autres  nations  n'ayant  pas  connu  les  Incas. 

Parmi  leurs  dogmes  primitifs,  est  la  croyance  à  un  être  mal- 
faisant^ le  Camagari^  qui  est,  pour  eux,  la  cause  de  toutes  les 
douleurs^  de  toutes  les  déceptions,  do  toutes  les  catastrophes 
dont  l'enchaînement  constitue  la  vie  de  l'homme.  Ils  croient 
qu*ils  est  possible  de  se  mettre  en  relation  avec  cet  Esprit  du 
mal,  soit  pour  provoquer,  soit  pour  prévenir  son  action,  par  des 
sortilèges  et  des  exorcismes.  Cette  théorie  les  pousse  à  des 
crimes  abominables.  Si  la  maladie  entre  dans  une  famille,  ils 
ne  doutent  pas  qu'elle  n'ait  été  envoyée  par  le  Camagari,  à  la 
suite  des  pratiques  de  sorcellerie,  ou  sous  rinfluence,  même 
involontaire  et  inconsciente,  d'une  femme  de  la  tribu.  Pour  savoir 
laquelle  a  commis  le  méfait,  ils  emploient  la  méthode  suivante  : 
Tout  en  songeant  à  quelque  ftlle  de  leur  connaissance^  ils 
mâchent  des  feuilles  de  coca  pour  les  cracher,  mêlées  de  salive, 
dans  le  creux  de  la  main  qu'ils  ferment  ensuite  et  secouent  long- 
temps en  divers  sens.  Quand  ils  la  rouvrent,  si  la  coca  forme  sur 
la  peau  certain  signe  qui,  dans  leur  esprit,  équivaut  à  une  affir- 
mation, ils  restent  persuadés  qu'ils  ont  deviné  juste.  Si  le  signe 
est  négatif^  ils  songent  à  une  autre  fille  et  recommencent 
l'épreuve.  Lorsqu'ils  ont  par  ce  moyen  découvert  la  coupable, 
ils  la  tuent  en  lui  tordant  une  liane  autour  du  cou.  Elle  peut 
être  de  la  famille  même  de  l'exécuteur  ou  d'un  groupe  voisin. 
Dans  ce  dernier  cas,  les  parents  ou  alliés  de  la  malheureuse, 
convaincus  eux-mêmes  de  son  pouvoir  diabolique  et  de  sa  cul- 
pabilité, ne  cherchent  ni  à  la  défendre,  ni  à  la  venger. 


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280  LES    SAUVAGES    DU   PÉROU 

Certains  voyageurs  rapportent  que  les  Antis  ont  coutume  de 
jeter  leurs  morts  à  la  rivière.  C'est  une  erreur.  Ils  ne  le  font 
précisément  que  quand  il  s'agit  de  suppliciés  pour  cause  de  sor- 
cellerie. Lorsque  le  courant  a  entraîné  le  cadavre  hors  de  vue, 
ils  s'emplissent  la  bouche  de  jus  de  tabac,  substance  à  laquelle 
ils  attribuent  une  vertu  cabalistique,  et  le  crachent  en  l'air,  pen- 
sant empêcher  ainsi  l'âme  du  mort  de  les  poursuivre. 

Pour  conjurer  TËsprit  malin,  soit  pendant  une  éclipse  ou  un 
tremblement  de  terre,  soit  dans  un  de  ces  terribles  ouragans 
qui  bouleversent  de  temps  à  autre  la  Montaûa,  soit  enfin  à  l'oc- 
casion de  tout  phénomène  qui  leur  cause  de  l'épouvante,  ils 
marmottent  certaines  paroles.  Le  voyageur  Gastelu,  d*origine 
Quichua,  qui  a  vécu  huit  ou  neuf  ans  au  milieu  d'eux,  affirme 
que  ces  formules  appartiennent  à  une  langue  différente  de  leur 
langue  usuelle  et  que  probablement  ils  ne  comprennent  pas. 
D'après  les  missionnaires  d'Ocopa*,  les  sauvages  de  l'Ucayali 
usent  aussi,  dans  certaines  cérémonies,  d'une  langue  religieuse 
spéciale. 

Les  Antis  croient  non  seulement  à  l'existence  de  l'âme,  mais  à 
sa  survivance  et  à  sa  transmigration,  après  l'anéantissement  de 
Tenveloppe  humaine,  dans  le  corps  d'un  animal.  Lorsqu'un 
Campa  meurt,  de  mort  naturelle,  les  siens  l'enterrent  sous  le 
Panguchi  même  qu'il  habitait,  puis  ils  désertent  le  lieu  pour 
aller  s'installer  ailleurs.  Toutefois,  avant  de  partir,  ils  sèment 
autour  de  la  tombe  du  sable  fin  qu'ils  reviennent  inspecter  peu 
de  temps  après,  et  le  premier  être  dont  ils  y  reconnaissent 
l'empreinte,  serpent  ou  quadrumane,  insecte  ou  pachyderme, 
bête  fauve  ou  petit  oiseau,  est,  à  leur  yeux,  celui  que  l'âme  du 
défunt  hante  désormais. 

La  langue  des  Campas  est  douce,  presque  musicale,  avec  de 
nombreuses  terminaisons  en  i.  Ils  chantent  en  parlant.  Quand  ils 
chantent  pour  chanter,  on  pourrait  croire  qu'ils  récitent  du 

i)  Noticias  Historicas  de  las  misiones  de  Fieles  e  Infieles  del  Colegio  de 
Propaganda  Fide  de  Santa  Rosa  de  Ocopa^  por  los  R.  P.  Fray  Feraando 
Pallares  y  Fray  Vicenle  Calvo  (Barcelona,  Iroprenta  de  Magriîia  y  Subirana, 
1870). 


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LES  SAUVAGES   DU   PÉROU  281 

plain-chani.  On  m'a  traduit  quelques  mots  de  la  mélopée  d'un 
Aûlis  auprès  d'un  malade.  «  Peut-être  tu  ne  mourras  pas,  lui 
disait-il,  car  celui  qui  t'a  envoyé  le  mal  peut  aussi  le  guérir.  » 
Dans  certain  chant,  ils  conversent  avec  les  astres  et  les  nuages  ; 
dans  un  autre,  ils  racontent  un  voyage  des  animaux  dans  le 
firmament. 

Us  savent  faire,  soit  avec  le  maïs,  soit  avec  le  manioc,  soit 
avec  divers  fruits  des  boissons  légèrement  alcooliques,  chicha^ 
noaseriy  massato,  dans  lesquelles  la  salive  mêlée  à  une  certaine 
quantité  de  pulpe  mâchée  sert  de  ferment.  Ces  breuvages,  dont 
la  préparation  incombe  aux  femmes,  ne  se  trouvent  guère  chez 
eux  qu'à  l'occasion  des  fêtes  du  soleil  et  de  certaines  réunions 
nocturnes  qui  se  renouvellent  tous  les  mois.  Ces  réunions  ont 
toujours  lieu  pendant  la  pleine  lune.  Le  rendez-vous,  où  se  ren* 
contrent  deux  ou  trois  familles,  est  une  plate-forme  soigneuse* 
ment  appropriée  dans  la  clairière.  Les  invités  forment  le  cercle 
autour  du  cobitt,  grand  vase  de  terre  de  fabrication  campa  qui 
contient  le  liquide.  On  récite  la  litanie  habituelle,  on  répand  à 
terre  une  coupe  de  chicha,  puis  on  boit  et  on  danse,  sous  le 
regard  placide  d'Arror\  la  reine  des  nuits,  qui  a  aussi  une  part 
dans  le  culte  des  Campas.  La  musique  se  compose  d'un  tambour 
eu  bois  de  cédrel  et  peau  de  singe  hurleur,  d'un  flageolet  en  os 
ou  en  roseau  et  d'un  sankali,  flûte  de  Pan,  à  cinq  ou  huit  tubes. 
Les  Campas  sont  ravis  de  ce  trio  dont  l'effet  m'a  paru  monotone 
et  mélancolique.  Us  dansent  sur  un  rythme  lent,  les  hommes 
.d'un  côté,  les  femmes  de  l'autre,  en  deux  files  qui  se  réunissent 
de  temps  à  antre  pour  former  une  chaîne.  Une  sereine  clarté 
baigne  le  décor  des  grands  arbres  d'où  tombent  autour  de  la 
clairière  des  draperies  de  lianes.  Le  signal  du  départ  est  donné 
par  la  penélope  barrigni^  dont  le  chant  aigu,  précurseur  de 
Taube,  traverse  Tair  comme  le  déchirement  prolongé  d'un  rideau 
de  soie.  On  vide  alors  le  coéi^/ jusqu'à  la  dernière  goutte,  mais 
les  choses  ont  été  calculées  de  telle  sorte  que  personne  n'est 
ivre. 

i)  En  campa,  le  soleil  s'appelle  Yam[Mmi,  la  lane  Àrror,  les  étoiles  AjHmi, 
TI  20 


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282  LES    SAUVAGES    DU    PÉROU 

Moins  sages  sont  les  Quichuas  de  la  Sierra  qui,  le  jour  de  la 
fête  du  village,  ne  manquent  pas  d'entourer  l'Église  d'une  guir- 
lande d'individus  ivres-morts. 

Les  Antisne  connaissent  pas  le  curare.  En  fait  de  poison,  ils 
ne  se  servent  que  du  cubi  ou  barbasco  (menisperum  cocculus), 
pour  pêcher  d'un  seul  couple  poisson  retiré  dans  quelque  coin 
de  rivière. 

Beaucoup  moins  habiles  dessinateurs  que  les  sauvages  de 
rUcayali,  particulièrement  les  Gonibos,  qui  ornent  leurs  fines 
poteries  de  curieuses  arabesques,  ils  savent  cependant  marquer 
leurs  limpres  (calebasses  du  Crescencia  Ctijete),  de  figures  plus 
ou  moins  géométriques. 

Us  sont  encore  inférieurs  aux  tribus  riveraines  des  grands 
affluents  de  TÂmazone  dans  Tart  du  canotage.  Aux  altitudes  où 
ils  habitent,  la  plupart  des  cours  d'eau  n'étant  qu'imparfaite- 
ment navigables,  ils  se  contentent  de  petits  radeaux  construits 
avec  les  tiges  légères  du  palo  de  balsa  [Ochroma  piscatoria). 
Les  superbes  canots  faits  d'une  seule  pièce,  tronc  de  cédrel 
{Cedrela  brasilensis),  ou  d'aguano  {Swietenia  mahogani),  si 
communs  sur  l'Ucayali,  se  voient  peu  sur  leurs  rivières.  La 
chasse  les  occupe  plus  que  la  pêche.  Leurs  chiens,  ou  ochiiis, 
sont  d'une  race  unique  :  taille  moyenne,  corps  allongé,  poil 
blanc  et  noir,  tètes  pointues,  oreilles  droites  et  raides^  intelli- 
gence très  inférieure.  Mis  sur  la  piste  d'une  bête,  tapir  ou 
venado,  ils  chassent  longtemps. 

Les  Campas  possèdent,  non  à  l'intérieur  du  carbet,  qui  est 
proprement  tenu,  mais  au  dehors,  quantité  d'autres  animaux 
apprivoisés  par  eux:  perroquets,  paujils  {Ourax  galeata)^  pené- 
lopes  diverses,  singes,  ronsocos  {Bydrochœrus  capybara),  jus- 
qu'à des  sangliers  et  des  tapirs;  et  il  est  curieux  de  voir  toutes 
ces  bêtes  faire  escorte  à  la  maîtresse  du  logis  lorsqu'elle  va  par 
exemple  puiser  de  l'eau  à  la  rivière.  Si  leur  présence  autour  du 
panguchi  attire  parfois  le  puma  ou  le  tigrillo^  elles  arrêtent  au 
passage  des  insectes  et  de  petits  serpents  infiniment  plus  dan- 
gereux pour  rhomme  que  les  fauves  de  la  Montana.  Leur  atta- 
chement à  leurs  maîtres  est  d'autant  plus  solide  qu'il  est  volon- 


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LES   SAUVAGES   DU    PÉROU  283 

taire,  puisque  rien  ne  les  empêche  de  gagner  le  large  et  qu'il  est 
sans  danger  pour  elles,  car  les  Campas,  plus  délicats  que  nous 
sous  certains  rapports,  ne  mangent  pas  les  animaux  qu'ils  ont 
élevés  ou  qui  ont  fait  partie  de  leur  société.  On  voit  par  là  com- 
bien ils  sont  loin  des  anthropophages.  En  revanche  il  n'est  pas 
rare  de  voir  une  sauvagesse  donner  tour  k  tour  le  sein  à  son 
enfant  et  à  quelque  jeune  singe. 

Pendant  les  trois  années  que  je  passai  sur  la  côfe  du  Pérou, 
on  ne  cessa  de  me  représenter  les  Campas  comme  dangereux  et 
sanguinaires.  Leur  réputation  date  de  Tinsurrection  de  Santos 
Âtahualpa  à  laquelle  se  rattachent,  comme  à  la  plupart  des 
insurrections,  des  images  de  pillage  et  de  massacre.  Elle  s'ap- 
puie encore  sur  la  liste  assez  longue  des  voyageurs,  des  mis- 
sionnaires et  des  colons  qui  ont  servi  de  points  de  mire  à  leurs 
flèches.  Quant  à  moi,  je  n'ai  eu  qu'à  me  louer  de  leurs  procédés, 
de  même  que  le  vaillant  et  illustre  Raymondi,  qui  fit  plusieurs 
excursions  sur  leur  territoire,  de  même  que  M.  Samanes  qui 
explora,  en  1884,  les  rios  Ené,  Apurimac  etTambo. 

Pour  les  juger,  il  faudrait,  en  regard  de  la  liste  de  leurs 
méfaits,  établir  celle  de  leurs  griefs  à  notre  endroit,  et  c'est  à 
quoi  l'on  n'a  jamais  songé.  Là  où  l'on  a  cherché  à  les  civiliser  à 
coups  de  fusil,  comme  en  Chanchamayo,  il  est  naturel  qu'ils 
aient  conçu  peu  de  sympathie  pour  la  civilisation.  Les  Euro- 
péens qui  sont  allés  chercher  fortune  dans  leur  pays  ont  trop 
souvent  voulu  les  contraindra  par  la  force  au  travail  qu'ils  ne 
pouvaient  se  résoudre  à  donner  volontairement.  Aujourd'hui 
encore,  il  existe  dans  la  Montafla  de  nombreux  aventuriers  dont 
je  parlerai  à  l'occasion  des  Lorenzos  et  dont  toute  l'industrie 
consiste  à  voler  aux  plus  inoffensifs  habitants  de  la  forêt  des 
femmes  et  des  enfants  pour  les  vendre  comme  esclaves.  Ils  n'y 
a  donc  pas  lieu  de  s'étonner  que  les  blancs  leur  inspirent  de  la 
défiance,  particulièrement  les  explorateurs,  dont  ils  ne  peuvent 
soupçonner  le  mobile,  surtout  lorsqu'ils  arrivent  chez  eux, 
comme  l'a  fait  M,  Werlheman,  avec  une  escorte  armée  de 
rifles. 

Dans  la  plupart  des  tribus,  les  premiers  missionnaires  furent 


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284  LES   SAUVAGES   DU   PÉROU 

reçus  avec  toutes  sortes  de  prévenances  et  de  témoignages  de 
sympathie.  Mais  les  chemins  qu'ils  ouvrirent  ayant  été  prompte- 
ment  suivis  par  des  chrétiens  que  le  monde  civilisé  repoussait, 
les  Campas  se  fâchèrent.  Un  fait  suffit  d'ailleurs  pour  expliquer 
Téchec  des  missions  au  siècle  passé,  c'est  que  les  religieux  ont 
voulu  grouper,  pour  leur  donner  avec  plus  de  facilité  leur  ensei- 
gnement, des  Indiens  qui  avaient  toujours  vécu  et  ne  pouvaient 
vivre  qu'isolés. 

Chez  plusieurs  colons  des  frontières  sauvages,  j'ai  trouvé  de 
petits  Campas,  faisant  la  cuisine  et  toutes  sortes  de  menus 
ouvrages,  et  cela  dans  le  voisinage  même  des  leurs.  On  se  louait 
de  leur  bonne  volonté,  de  leur  intelligence,  de  leur  facilité  à 
apprendre  l'espagnol  ou  le  quichua.  Mais  il  arrivait  un  moment 
où  la  vie  lihre  de  leurs  frères  de  la  forêt  les  attirait  à  ce  point 
qu'il  devenait  nécessaire  de  leur  ouvrir  la  cage.  Ce  qui  prouve 
que  le  fonds  de  cette  race  est  bon,  c'est  que  s'ils  avaient  été  bien 
traités,  ils  restaient,  une  fois  libres,  dévoués  à  leurs  anciens 
maîtres. 

Le  Cahuchero  don  Guiilermo,  dont  j'ai  déjà  parlé,  vint  s^éla- 
blir  il  y  a  six  ans  au  confluent  des  rios  Chuchuras  et  Palcazu 
où,  avant  son  arrivée,  il  n'y  avait  que  trois  ou  quatre  cases  de 
Campas.  On  en  compte  aujourd'hui  soixante,  éparses  il  est  vrai, 
dans  un  cercle  de  plusieurs  lieues  de  rayon,  mais  toutes  en  rela- 
tion avec  le  centre  commun.  Don  Guiilermo,  qui  par  sa  seule 
présence  protège  ces  Campas  contre  les  agressions  des  Pirates 
de  la  Montana,  fait  sa  fortune  avec  le  produit  du  travail,  bien 
que  très  irrégulier,  qu'il  sait  obtenir  d'eux  à  force  de  tact  et  de 
patience.  Le  moyen  d'en  tirer  parti  est  de  leur  créer  des  besoins, 
pour  leur  donner  ensuite,  comme  récompenses  de  leurs  efforts, 
la  possibilité  de  les  satisfaire.  Le  mieux  est  d'attendre,  me 
disait  le  cahuchero,  qu'ils  viennent  d'eux-mêmes  ofi*rir  leurs 
services,  ce  qu'ils  font  lorsqu'ils  ont  besoin,  par  exemple,  de 
remèdes  dont  on  leur  a  fait  connaître  refi*et,  d'étoffe  pour  renou- 
veler leurs  cusmas,  de  poudre  pour  leurs  fusils.  Don  Guiilermo 
leur  avait  donné  six  fusils,  mais  il  leur  faisait  payer  les  muni- 
tions. De  fait,  ils  récoltaient  pour  lui  mille  arrobes  de  caout 


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LES   SAUVAGES   DU   PÉROU  283 

chouc  par  an,  valant  environ  soixante  mille  francs  à  Iquitos, 
principal  port  de  FÂmazonie  péruvienne,  et,  d'après  son  calcul, 
chaque  arrobene  lui  revenait  qu'à  un  franc.  De  plus,  les  sauvages 
le  pourvoyaient  abondamment  de  gibier  et  lui  témoignaient  une 
véritable  affection.  Les  colons  de  cette  école  sont  de  véritables 
conquérants  de  la  Montafïa. 


L'âge  de  pierre  au  xix«  siècle.  —  Les  Correrias.  — t^rigine  du  nom 
des  Lorenzos,  —  Les  Crétins  du  Pozuzo. 

L'existence  des  Lorenzos  n'est  guère  connue  à  Lima.  La'  Carie 
des  Missions  de  rUcayali,  publiée  en  1833,  pas  plus  que  celle  de 
Sobreviela  (1791)  ne  fait  mention  de  cette  tribu.  Les  seules  cartes 
où  j'ai  trouvé  leur  nom  sont  celle  de  Paz  Soldan  et  celle  du  père 
Gonzalès,  dressée  en  1880.  Dans  cette  dernière,  leur  territoire  est 
indiqué  au  nord-est  des  monts  Yanachaga  par  les  mots  :  Indios 
Lorenzos  en  numéro  escasos  y  méticulosos. 

Les  Lorenzos  vivent  sur  les  deux  rives  du  rio  Palcazu,  entre 
l'embouchure  du  Pichis  et  celle  du  Chuchuras,  dont  l'un  des 
petits  affluents  se  nomme  le  rio  Lorenzo. 

Si  l'homme  sauvage  proprement  dit  existe  quelque  part  dans 
l'Amérique  du  Sud,  c'est  là. 

En  parlant  des  Cashibos  anthropophages,  que  l'on  trouve, 
comme  les  Lorenzos,  dans  le  bassin  du  Pachitea,  le  père  Calvo 
dit  :  «  Heureusement,  leurs  arcs  sont  très  grossiers  et  manquent 
de  l'élasticité  nécessaire  pour  lancer  à  de  grandes  distances  leurs 
flèches  pesantes.  Pour  les  armer,  il  faut  une  force  herculéenne. 
Grâce  à  ces  défauts,  les  Cashibos  ne  sont  dangereux  que  de 
près.  »  Or,  comme  il  est  facile  de  s'en  rendre  compte  en  compa- 
rant les  spécimens  que  j'ai  remis  au  Musée  d'Ethnographie,  l'arc 
et  la  flèche  du  Lorenzo  sont  encore  plus  lourds  et  grossiers  que 
l'arc  et  la  flèche  du  Cashibo.  Et  par  ce  fait  même,  il  se  trouve  vis- 
à-vis  des  autres  races  dans  un  état  d'infériorité  manifeste.  Si  le 
Campa  esta  l'âge  de  fer,  le  Lorenzo  à  l'âge  de  pierre.  Les  haches 


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286 


LES    SAUVAGES    DU    PÉROU 


Fig.  4H.  ^Arc,  flèches,  sac,  couronne,  collier  et  pectoral  des^Lorenzos. 
(Mus.  d'Ethnogr.,  ColL  Ordinaire). 


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LES   SAUVAGES   DU   PÉROU 


287 


polies,  en  diorite  et  aulre  roche  dure,  qui  sont  avec  l'arc  ses  ins- 
truments perfectionnés,  méritent  une  description  spéciale.  Elles 
portent  à  la  tête  ou  partie  opposée  au  tranchant,  des  appendices 
plus  ou  moins  horizontaux  que  Ton  a  soigneusement  ménagés  en 
dégrossissant  la  pierre.  Ces  oreilles  servent  à  retenir  une  sorte 
de  poix  ou  de  caoutchouc  que  Ton  adapte  à  l'instrument  quand 
elle  est  à  Tétat  pâteux,  et  qui  forme  une  masse  destinée  à  englo- 
ber et  fixer  le  manche.  Une  fois  durcie,  cette  masse  unit  très  for- 
tement le  bois  à  la  pierre. 

Après  avoir  comparé  le  bien-être  relatif  des  Campas  à  la 
misère  des  Lorenzos,    si  on  compare  la  hache  de  ceux-ci  et 


Fig.  U.  —  Hache  en  pierre  des  Lorenzos.  (Mtts,  (TElhnogr.,  Coll.  Ordinaire,) 

VIpudié  ou  couteau  de  fer  de  ceux-là,  on  voit  que  le  degré  qu'ils 
occupent  réciproquement  dans  Téchelle  humaine  est  à  peu  près 
en  raison  inverse  du  poids  de  ces  objets. 

Près  de  Chuchuras,  je  rencontrai  un  vieux  sauvage  suivi  de 
plusieurs  enfants.  Dès  qu'ils  m'aperçurent,  Tun  des  enfants  courut 
se  cacher  derrière  un  tronc  d'arbre.  Les  autres,  continuant  leur 
marche,  vinrent  à  moi,  la  tête  haute,  la  plume  droile  sur  le 
madzeri.  Ceux-ci  étaient  des  Campas^  celui-là  un  Lorenzo  que  les 
Campas  avaient  chez  eux  depuis  peu  de  temps. 

Dans  la  maison  du  cahuchero  don  Guillermo,  je  trouvai  deux 
autres  petits  Lorenzos.  Plusieurs  jours  encore  après  mon  arrivée, 
ils  fondaient  en  larmes  et  poussaient  des  cris  de  terreur  dès  que 


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288  LES   SAUVAGES   DU   PÉROU 

je  m'approchais  d'eux.  Je  leur  produisais  l'impression  que  peut 
causer  à  un  enfant  de  civilisé  l'apparition  d'un  jaguar  ou  d'un 
crocodile.  Us  finirent  cependant  par  s'apprivoiser.  Cet  instinct 
craintif  s'explique  par  ce  fait  qu'à  l'état  libre,  les  Lorenzos 
sont  constamment  obligés  de  fuir,  et  qu'ils  n'ont  pas  à  redouter 
en  effet  de  bête  féroce  plus  féroce  que  l'homme,  particulièrement 
le  blanc. 

Les  Indiens  de  TUcayali,  Piros,  Conibos,  Sipibos  etSétébos, 
qui  sont  polygames,  paraissent  avoir  toujours  eu  la  coutume  de 
remonter  les  affluents  de  ce  fleuve  et  de  faire  des  razzias  pour  se 
procurer  des  femmes.  Actuellement,  ils  font  ces  expéditions, 
connues  au  Pérou  sous  le  nom  de  correrias,  moins  pour  leur 
compte  propre  que  pour  celui  d'un  certain  nombre  d*industriels 
qui  vendent  à  beaux  deniers  comptant  les  femmes  et  les  enfants 
enlevés.  Les  Lorenzos,  considérés  comme  une  proie  sans 
défense,  sont  constamment  traqués.  A  l'époque  de  mon  voyage, 
un  petit  Lorenzo  de  sept  à  dix  ans  valait,  pour  les  cahucheros  de 
l  Ucayali»  de  280  à  350  francs,  une  fille  bien  faite  de  300  à 
400  francs.  On  ne  cherche  pas  à  prendre  vivants  les  adultes 
m&les,  car  on  sait  qu'ils  s'échapperaient,  si  loin  qu'on  les 
emmène,  ou  qu'ils  ne  tarderaient  pas  à  mourir. 

Les  abominables  gredins  à  face  blanche  qui  consacrent  leur 
temps  à  organiser  les  correrias  et  y  prennent  part,  ont  absolu- 
ment besoin,  pour  qu'elles  réussissent  à  leur  gré,  de  l'aide  des 
Indiens  dressés  à  ce  genre  de  chasse,  car  jamais  des  Européens  ne 
réussiraient  seuls  à  surprendre  les  sauvages.  Lorsque  des  Piros 
ou  des  Conibos  font  main  basse  sur  les  femmes  d'un  carbet,  aGn 
d'éviter  toutes  contestations  ultérieures  sur  la  propriété  d'icellcs, 
ils  ont  pour  règle  de  tuer  leurs  père,  frères  et  époux,  puis  ils 
mettent  le  feu  à  la  cabane  vide...  pour  qu'elles  aient  moins  de 
regret  de  la  quitter. 

En  arrivant  chez  don  Guillermo,  j*appris  qu'une  bande  de 
quinze  à  vingt  Lorenzos,  hommes,  femmes  et  enfants,  fuyant 
devant  une  correria,  avaient  passé  la  veille  en  cet  endroit, 
épuisés  de  fatigue,  mourant  de  faim.  Chose  inouie  chez  ces  sau- 
vages à  qui  la  vue  de  toule  figure  blanche  donne  des  ailes,  ils 


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LES   SAUVAGES   DU  PÉROU  289 

s'étaient  arrêtés  pour  demander  à  manger»  semblables  aux 
oiseaux  qui  en  temps  de  neige  vont  becqueter  aux  vitres  des 
maisons  habitées.  On  leur  donna  des  racines  de  }rucca  et  des 
bananes  qu'ils  dévorèrent  avidement.  L'un  d'eux,  vieillard  de 
haute  taille,  avait  reçu  en  pleine  poitrine  une  charge  de  gros 
plomb  au  moment  où  il  cueillait  des  fruits  près  de  son  ajoupa. 
On  avait  pris  ses  enfants  et  assommé  sa  femme  trop  vieille 
pour  être  vendue.  Il  avait ^  en  fuyant,  donné  l'alarme  aux 
autres. 

Ces  Lorenzos  étaient  nus  comme  tous  ceur  que  l'on  rencontre 
dans  la  forêt. 

Ils  savent  cependant  ourdir  des  filets,  comme  le  sac  muni  de 
sa  courroie,  et  de  grossiers  tissus,  comme  le  bandeau  formant  la 
base  d'un  diadème  de  plumes  que  j'ai  remis  au  musée,  avec  un 
autre  ornement  en  plumes  ayant  la  forme  d'une  bavette  et  divers 
colliers  en  os  et  graines  de  la  forêt.  Ils  ne  connaissent  pas 
l'usage  du  sel,  et  comment  le  connaîtraient-ils  si  le  sel  gemme 
n'existe  pas  dans  leur  territoire  et  s'ils  n'ont  de  commerce  direct 
ou  indirect  ni  avec  les  Campas  qui  occupent  le  Cerro  de  la  Sal, 
ni  avec  les  blancs  ?  Les  deux  enfants  de  Lorenzos  que  j'eus  l'oc- 
casion d'étudier,  repoussaient  avec  un  visible  dégoût  tous  les 
aliments  salés.  En  revanche,  on  avait  grand  peine  à  les  empê- 
cher de  manger  de  lalerre  qu'ils  se  mettaient  en  boulettes  dans 
la  bouche. 

J'ai  recherché  d'où  provient  le  nom  de  Lorenzos  donné  à  ces 
sauvages.  L'histoire  des  missions  d'Ocopa,  de  1770  à  1882,  ne 
les  mentionne  que  dans  cette  seule  phrase  :  «  Les  Lorenzos,  dit 
le  père  Gonzalès,  sont  des  êtres  si  craintifs  qu'ils  prennent  la 
fuite  au  moindre  bruit.  »  Mais  dans  le  Compendio  Bistorico  du 
père  Amich,  qui  embrasse  la  période  écoulée  de  1635  à  1771,  se 
trouve  la  curieuse  relation  qui  suit  : 

«  L'an  1767,  les  pères  Manuel  Gil,  commissaire  des  missions, 
Fray  Francisco  et  Valentin  Arrieta  remontèrent  le  Palcazu, 
venant  du  Pachitea  et  de  TUcayali  où  d'autres  religieux  de  leur 
ordre  avaient  été  massacrés  par  les  Conibos.  Le  28  août,  ils 
s'arrêtèrent  sur  une  plage  du  Palcazu,  dont  ils  n'ont  pas  déter- 


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290  LES    SAUVAGES   DU    PÉROU 

miné  Texacle  position  géographique,  mais  qui  se  trouve  dans  la 
partie  comprise  entre  le  Pichys  et  le  Mayro. 

«  Les  soldats  qui  les  accompagnaient  étant  allés,  dit  le  père 
Amich,  chasser  pendant  l'après-midi,  Fray  Valentin-Arrieta  prit 
son  fusil  et  entra  dans  la  forêt,  pour  voir  s'il  ne  trouverait  pas  aussi 
quelque  chose.  En  inspectant  le  terrain,  il  découvrit  deux  arcs  et 
un  faisceau  de  flèches.  Il  les  prit,  et  tout  à  coup  il  se  trouva  en 
présence  de  deux  Indiens  nus  qui  se  mirent  à  genoux  devant 
lui.  «  Père,  lui  dit  Tun  d'eux,  ne  nous  tue  pas  !  »  Le  père  les 
embrassa  et  les  conduisit  à  la  plage  où  étaient  le  commissaire  et 
Fray  Francisco.  Aux  questions  qu'on  leur  posa,  l'un  d'eux  qui 
parlait  un  peu  l'espagnol  répondit  qu'il  était  de  Pozuzo  *,  d'où, 
étant  domestique  {siendo  moso),  il  s'était  enfui  avec  sa  femme, 
qu'il  s'appelait /.or^nso  et  sa  femme  Maria,  qu'ils  étaient  chré- 
tiens, mais  que  leurs  enfants  n'avaient  pas  été  baptisés,  qu'enfin 
ils  avaient  leur  pueblecùo  à  environ  trois  lieues  de  là.  Les  reli- 
gieux leur  demandèrent  s'ils  avaient  des  vivres,  leur  offrant,  en 
échange,  une  paire  de  haches.  Ils  répondirent  qu'ils  en  apporte- 
raient le  lendemain  et  prirent  congé. 

«  Le  29,  à  huit  heures  du  matin,  arrivèrent  à  la  plage  l'Indien 
Lorenzo  et  toute  sa  famille  qui  ne  comptait  pas  moins  de  trente 
individus  des  deux  sexes  et  de  tous  âges.  Ils  étaient  chargés  de 
yucca,  de  bananes,  de  maïs  et  autres  provisions.  Pas  n'est  besoin 
de  dire  s'ils  furent  bien  reçus.  Après  midi,  le  père  commissaire, 
le  père  Arrieta  et  quelques  hommes  de  leur  suite,  les  accompa- 
gnèrent jusqu'au  pueblecùo,  qui  était  dans  une  pampa  très 
fertile.  Ils  y  passèrent  la  nuit  et  revinrent  à  la  plage  le  jour  sui- 
vant, avec  les  habitants  du  hameau,  chargés  de  vivres.  Ces 
Indiens  firent  de  vives  instances  pour  retenir  auprès  d'eux  le 
père  Arrieta,  disant  qu'ils  voulaient  être  chrétiens,  mais  on  ne 
put  alors  donner  suite  à  leur  demande.  Les  religieux  leur  pro- 
mirent de  revenir  au  printemps  prochain  et  leur  firent  quelques 
petits  cadeaux,  après  quoi  on  se  quitta  fort  satisfait  de  part  et 
d'autre.  » 

1)  Dans  la  vallée  du  rio  Pozuzo,  affluent  du  Palcazu. 


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LES   SAUVAGES   DU   PÉROU  291 

Les  pères  Manuel  Gil  et  Valenlin  Arrîeta  revinrent  en  efifet  au 
mois  d'août  de  Tannée  suivante,  mais  le  hameau  de  Lorenzo 
était  abandonné,  sa  plantation  dévastée.  De  ses  habitants,  qu'ils 
cherchèrent  pendant  un  mois,  ils  ne  trouvèrent  trace. 

Ce  récit  est,  suivant  toutes  apparences,  Torigine  du  nom  des 
Lorenzos  qui  vivent  dans  la  pampa  du  Palcazu,  où  le  père 
Arriela  fit  sa  découverte. 

Sont-ils  vraiment  les  rejetons  du  fugitif  du  Pozuzo,  con- 
damnés à  être  perpétuellement  fugitifs  eux-mêmes  et  qui,  n'ayant 
eu  avec  le  reste  de  l'humanité  d'autres  relations  que  celles  du 
pigeon  avec  l'épervier,  sont  retournés  à  Tàge  de  pierre  ?  Dans  ce 
cas,  ils  seraient  d'origine  amage^  car  la  vallée  du  Pozuzo,  décou- 
verte en  1712,  était  habitée  au  siècle  dernier  par  des  Indiens  de 
ce  nom.  Ces  Amages,  que  les  missionnaires  représentent  comme 
ayant  un  caractère  serviable  et  doux,  se  laissèrent  facilement 
soumettre  par  les  Espagnols.  Il  convient  d'ajouter  qu'on  ne 
trouve  plus  aujourd'hui,  au  Pozuzo,  un  seul  individu  de  leur 
race  pas  plus  qu'uu  seul  descendant  des  premiers  colons.  La  fer- 
tile, mais  étroite  et  profonde  quebrada  du  Pozuzo,  est  aujour- 
d'hui le  siège  d'une  colonie  allemande,  qui  vint  s  y  établir  il  y  a 
vingt-neuf  ans  et  qui  est  à  peu  près  sans  communication  avec  le 
reste  du  monde,  les  sentiers  qu'elle  ouvrit  vers  la  Sierra  ayant 
été  obstrués  rapidement  par  la  végétation,  dont  la  puissance 
destructive  est  terrible- dans  cette  région.  La  colonie  allemande 
se  composait  au  début  de  quarante-cinq  familles  saines  et  fortes. 
Or  il  arriva  que  les  neuf  dixièmes  des  enfants  engendrés  en  cet 
endroit  naquirent  goitreux,  atteints  d'affections  encéphaliques i 
crétins  au  premier  chef,  destinés  à  passer  leur  existence  dans 
l'ordure  comme  des  pourceaux. 

Il  n'y  a  donc  pas  lieu  d'être  surpris  de  la  disparition  complète 
des  premiers  habitants  de  la  vallée  du  Pozuzo. 


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292  LES   SAUVAGES  DU  PÉROU 


VI 


Rapport  de  Fray  Simon  Jara.  —  Portrait  des  Garapachos  par  le  père  Girbal. 
—  La  barbe  chez  les  Indiens  de  la  Montafta.  —  Retour  de  civilisés  à  la 
vie  sauvage. 

La  carte  de  Sobreviela  (1790)  place  sur  les  confins  du  pays 
actuel  des  Lorenzos  et  sur  la  rive  gauche  du  Pachitea,  des 
Amages  et  des  Garapachos,  en  faisant  suivre  chacun  de  ces  mots 
de  la  mention  N.  B.  (Nation Barbare),  que  les  missionnaires  appli- 
quent à  toutes  les  tribus  qui  n'ont  pas  été  catéchisées.  Or,  dans  la 
Monlaûa,  on  ne  connaît  pas  plus  aujourd'hui  de  Carapachos  que 
d' Amages  ou  Amaches. 

La  découverte  des  Carapachos  date  de  1734.  Avant  cette 
époque,  les  missionnaires  avaient  trouvé,  plusieurs  fois  déjà, 
tant  dans  la  pampa  du  Palcazu  que  dans  celle  du  Sacramento  qui 
lui  fait  suite  au  nord,  des  cases  dont  les  habitants  s'étaient 
enfuis  à  leur  vue  et  n'avaient  pas  reparu.  Dans  le  courant  de 
1734,  fray  Simon  Jara  vint  à  leur  recherche  avec  une  nom- 
breuse suite  de  Fronterizos  ou  Indiens  des  versants  de  la  Cor- 
dillère qui  touchent  à  la  Montaûa.  Bs  trouvèrent  une  grande 
case  entourée  de  plusieurs  petites  cabanes,  où  il  y  avait  une 
importante  provision.de  maïs  et  de  yucca.  Le  père  Jara  s'y  ins- 
talla, considérant  que  les  sauvages  ne  pouvaient  manquer  d*y 
revenir,  ne  fût-ce  que  pour  chercher  leurs  vivres.  Aussi  bien,  il 
était  obligé  de  s'arrêter  là,  plusieurs  de  ses  gens  étant  tombés 
gravement  malades,  effet  fréquent  du  climat  chaud  et  humide  de 
la  pampa  sur  les  naturels  de  la  Cordillère. 

«  Le  27  septembre  à  dix  heures  du  matin,  dit  Amich,  alors 
que  le  moine  assistait  un  agonisant  (cinq  de  ses  malheureux 
compagnons  étaient  dans  le  même  état),  arrivèrent  environ  cent 
indigènes,  nus  et  peints,  avec  des  couronnes  de  plumes  de 
diverses  couleurs  et  des  chapelets  de  dents  d'animaux  aux  bras 
et  aux  jambes.  Bs  se  présentaient  en  armes  et  avec  leurs  chefs. 
Les  Fronterizos  y  croyant  qu'ils  avaient  des  intentions  belliqueuses, 


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LES   SAUVAGES   DU  PÉROU  293 

se  mirent  à  crier.  Les  infidèles  lancèrent  en  Tair  [por  aito)  des 
flèches  dont  Tune  en  retombant  traversa  le  mollet  du  père  age- 
nouillé^ en  ce  moment,  près  du  moribond.  Aussitôt,  il  ordonna  à 
ses  hommes  de  jeter  leurs  armes.  Ce  que  voyant,  les  sauvages 
s'approchèrent  pacifiquement.  L'habit  du  moine  les  stupéfia.  Sa 
blessure  leur  ayant  inspiré  de  la  pitié,  ils  la  soignèrent  et  la 
guérirent,  en  y  appliquant,  après  les  avoir  mâchées,  des  pousses 
de  caha  brava.  Le  père  Jara  leur  donna  des  verroteries  et 
quelques  couteaux  qu'ils  reçurent  avec  un  vif  plaisir,  et  ils  parti- 
cipèrent à  rinhumation  de  deux  Fronterizos  morts  dans  la  ma- 
tinée. On  ne  put  savoir  de  quelle  nalion  étaient  ces  Gentils 
{Indios  gentiles)  parce  que,  de  tous  les  chrétiens  qui  se  trouvaient 
là,  il  n'y  en  eut  pas  un  qui  put  comprendre  leur  idiome,  bien  que 
le  père  Jara  fût  très  versé  dans  la  langue  générale  et  dans  celle 
des  Amages.  Et  parce  qu'on  les  voyait  nus,  on  les  appela  Cara- 
pachos  (Carapaces),  bien  que  cette  toilette  leur  soit  commune 
avec  tous  les  infidèles  de  la  Montaûa.  A  la  tombée  de  la  nuit  les 
sauvages  se  retirèrent  avec  des  démonstrations  d'amitié,  et  le 
père  Jara,  craignant  de  perdre  tout  son  monde  dans  cette  pampa, 
retourna  au  Pozuzo...  » 

L'année  suivante,  on  fit  une  autre  expédition  dans  les  mêmes 
parages  et  Ton  y  trouva  encore  une  centaine  d'indiens  qui  firent 
preuve  comme  les  premiers  d'un  bon  naturel. 

Lorsque  Fray  Simon  Jara,  dans  le  passage  que  j'ai  traduit 
plus  haut,  dit  que  la  nudité  des  carapaces  est  une  toilette  com- 
mune à  tous  les  sauvages,  il  ne  peut  entendre  qu'ils  ne  con- 
naissent d'autre  toilette  que  celle-là  ;  car  de  son  temps  comme 
du  nôtre,  un  grand  nombre  de  tribus  avaient  Tusage  dérobes  ou 
sacs  de  coton.  Mais  sa  phrase  est  vraie  dans  ce  sens  que  l'on 
rencontre  souvent  des  Indiens  de  toutes  races  complètement  nus. 
Les  Campas  eux-mêmes  ont  coutume  d'ôter  leur  cusma  dans  la 
forêt  dès  que  la  pluie  vient  à  tomber.  Ils  l'enroulent  alors  dan) 
quelques  grandes  feuilles  et  la  portent  sous  le  bras  pour  la 
remettre  sèche  dès  que  le  soleil  reparaît. 

La  description  que  donne  le  même  religieux,  des  Carapa- 
chos,  peut  s'appliquer  aux  Lorenzos  que  l'on  voit  toujours  nus^ 


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294  LES   SAUVAGES   DU   PÉROU 

qui  ont  des  couronnes  ou  diadèmes  de  plumes  do  diverses  cou- 
leurSy  des  bracelets  et  des  colliers.  Mais  elle  peut  aussi  plus  ou 
moins  convenir  à  d'autres  tribus.  LesLorenzos  sont-ils  done  des 
Amages  ou  des  Carapachos  ?  Il  est  probable  que  celte  quest^i^n 
est  pour  la  première  fois  posée  et  qu*avant  qu'elle  ne  soit  résolue» 
il  ne  restera  plus  des  uns  comme  des  autres  que  le  nom. 

Le  dernier  missionnaire  qui  déclare  avoir  vu  des  Carapachos, 
est  le  père  Girbal  qui,  en  1794,  remonta  le  rio  Pachitea.  Il  les 
accuse  d'avoir  tué  par  trahison  un  des  Indiens  Panos  qui  l'ac- 
compagnaient, et  fait  d'eux  le  portrait  suivant  : 

«  Les  Carapachos  présentent  l'anomalie  {la  rareza)  d'être 
extrêmement  blonds,  corps  et  cheveux,  et  d'avoir  de  si  beaux 
visages  qu'on  ne  voit  pas  à  Lima  de  plus  beaux  types  que  ceux 
de  ces  barbares  des  deux  sexes  '.  » 

Pour  saisir  toute  la  portée  de  cette  phrase,  il  faut  se  rappeler 
que  les  Liméniennes,  andalouses  et  créoles,  passent  pour  les 
plus  jolies  femmes  de  l'Amérique  du  Sud.  Il  est  certain  que  l'on 
trouve  parmi  les  sauvages  du  Pérou  des  figures  correctes  et  des 
formes  agréables,  particulièrement  chez  les  Yahuas  et  chez  les 
Capanahuas  indomptés  de  la  quebrada  Panacha.  Mais  de  deux 
choses  l'une  :  ou  le  père  Girbal  a  fait  un  portrait  de  pure  imagi- 
nation, ou  ses  Carapachos  ne  sont  pas  ceux  dont  nous  parlent 
les  précédents  missionnaires,  entre  autres  le  père  Jara.  Car  le 
père  Jara,  qui  a  noté  que  les  plumes  de  leurs  couronnes  étaient  de 
diverses  couleurs,  aurait  vraisemblablement  remarqué  la  cou- 
leur de  leurs  cheveux,  s'ils  eussent  présenté  l'anomalie  vrai- 
ment curieuse  en  ce  pays  d'être  blonds.  Le  fait  avancé  par  le 
père  Girbal  n'est  pas,  à  tout  prendre,  impossible,  car  il  peut  y 
avoir  eu  là  du  sang  espagnol,  et  comme  le  fait  observer  un  auteur 
français  en  parlant  des  Madrilènes  :  C'est  une  erreur  de  croire 
qu'il  n'y  a  pas  de  blondes  en  Espagne. 

La  description  du  père  Girbal  a  inspiré  à  M.  Paul  Marcoy  les 

1)  Deduccion  del  Diario  y  notidas  verbales  del  Padre  Girbal,  Reconovimiento 
de  los  Rios  Ucayali  et  PachUea  verificado  el  ano  de  4794.  Note  accompagnant 
la  carie  dressée  par  le  père  Girbal  et  reproduite  avec  commentaires  dans  El 
Peru  de  Raimondi. 


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LES   SAUVAGES   DU   PÉROU  295 

réflexions  suivantes,  dans  le  très  humoristique  récit  do  son 
Voyage  à  travers  V Amérique  du  Sud. 

«  Nous  aurions  voulu  pouvoir  confirmer  au  public  ce  que 
depuis  longtemps  il  est  accoutumé  de  lire  dans  les  géographies, 
à  savoir  que  les  Antis,  comme  quelques  nations  que  nous  verrons 
plus  tard,  tiennent  de  la  nature  ou  ont  gardé  de  leur  contact 
avec  d'autres  races,  et  notamment  avec  celle  des  Espagnols,  un 
teint  blanc  et  rose  comme  celui  que  de^  missionnaires  enthou- 
siastes ont  donné  aux  Carapachos  de  la  rivière  Pachitea,  aux 
Conibos  de  la  rivière  Ucayali,  ou  des  barbes  de  sapeur  comme 
celles  dont  ils  ont  gratifié  les  Mayorunas  de  la  rivière  Tapichi, 
teint  blanc  et  barbes  noires  que  nos  géographes  et  nos  voyageurs 
modernes  ont  vantés  sur  parole.  Par  malheur  nous  n'avons 
trouvé  parmi  les  Antis  et  leurs  congénères  rien  de  semblable  ou 
même  d'approchant.  » 

Si  des  missionnaires  enthousiastes  ont  donné  aux  Conibos 
un  teint  blanc  et  rose^  ils  ont  eu  le  plus  grand  tort.  Quant  aux 
barbes,  elles  existent  réellement.  Qu'elles  soient  chez  les  sau- 
vages une  exception  rare  ou  une  anomalie,  et  qu'ils  les  tiennent 
de  leur  contact  avec  les  étrangers,  cela  ne  parait  pas  douteux, 
mais  il  y  en  a.  M.  Paul  Marcoy  reconnaît  lui-même  que  la  peau 
de  leur  visage  n*est  pas  impropre  à  toute  végétation  pileuse 
lorsqu'en  parlant  de  l'un  de  ses  jeunes  rameurs  campas  il  dit 
qu'  «  une  ligne  de  duvet  noir  estompait  comme  une  traînée  de 
fusain  sa  lèvre  supérieure.  » 

Le  vieux  Lorenzo  qui  passa  chez  le  colon  du  Cbuchuras  pen- 
dant mon  voyage  avait  une  barbe  d'une  belle  venue.  Les  Indiens 
qui  lui  donnèrent  la  chasse,  et  que  je  rencontrai  quelques  jours 
après,  me  firent  même  la  déclaration  que  le  pauvre  diable  avait 
dû  la  vie  à  cette  barbe  qui  leur  avait  inspiré  du  respect.  Dans 
la  quebrada  Purkealc,  qui  descend  du  Pajonal  au  Pichis,  il  y  a 
un  important  samatrinchi.  Là  vit  un  (]ampa  du  nom  de  Pascual 
qui  passe  dans  la  tribu  pour  un  habile  forgeron  et  qui  est  porteur 
d'une  longue  barbe.  Ce  Campa  a  certainement  dans  les  veines 
du  sang  espagnol  et  il  ne  l'ignore  pas,  bien  qu'il  ne  parle  que  la 
langue  des  Antis. 


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296  LES   SAUVAGES   DU  PÉROU 

A  toutes  les  époques,  depuis  la  découverte  du  Pérou,  un  cer- 
tain nombre  de  blancs  allèrent  se  réfugier  chez  les  sauvages 
dont  ils  adoptèrent  les  mœurs  et  la  nationalité.  Dès  leur  arrivée 
dans  la  Montafla^  les  missionnaires  signalent  des  faits  de  ce 
genre.  Ainsi,  en  1641,  une  petite  troupe  de  chercheurs  d'or 
espagnols  ayant  été  massacrée  dans  une  embuscade  au  Cerro  de 
la  Sal,  sauf  un  certain  Galicien  et  un  nommé  Francisco  Vilan- 
ueva,  il  arriva  que  ces  deux  individus  acceptèrent  les  offres  de 
paix  des  sauvages  qi  se  livrèrent  à  eux.  Le  Galicien  se  maria  à 
la  mode  indienne,  eut  plusieurs  enfants,  et  mourut,  dit  la  chro- 
nique franciscaine,  en  cet  état  de  bai*barie.  Quant  à  Francisco 
Yilanueva,  il  avait  si  bien  adopté  la  nationalité  campa,  qu'en 
1645  on  le  signala  comme  prenant  part,  dans  leurs  rangs,  à  un 
combat  contre  les  soldats  espagnols  du  capitaine  Bohorques. 
Lorsqu'en  1742  éclata  Tinsurrection  dite  de  Santos  Atahualpa, 
les  Européens  qui  ne  purent  gagner  à  temps  la  Sierra, 
durent  passer  chez  les  tribus  voisines  et  ennemies  des  Campas. 
Enfin,  de  1742  à  1752,  ces  derniers  s'emparèrent  d'un  assez 
grand  nombre  de  femmes  blanches  qu'ils  ne  rendirent  jamais 
et  auxquelles  ils  donnèrent,  paraft-il,  tous  les  soins  dont  sont 
capables  des  sauvages. 

De  tous  ces  faits  il  résulte  que  des  civilisés  reprennent  de 
temps  à  autre,  soit  par  goût  soit  par  force,  la  vie  sauvage,  il  n'y 
a  pas  lieu  d^^  s'étonner  que  Ton  trouve  parfois  dans  les  tribus 
des  caractères  physiques  plus  spécialement  propres  aux  races 
blanches. 


VII 


Le  cannibalisme  religieux.  —  Une  observation  psychologique  du  voyageur 
Osculati  chez  les  Mayorunas.  —  Les  Cashibos.  —  Les  serfs  de  la  Montana. 
Le  Fumoir. 

En  descendant  de  la  Cordillère  à  l'Ucayali  par  le  bassin  du 
Pachitea,  après  avoir  traversé  le  territoire  des  Lorenzos  et  celui 
que  les  anciennes  cartes  donnent  aux  Amages  et  aux  Carapachos 


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LES    SAUVAGES   DU   PÉROU  297 

j'entrai,  dans  la  région  que  ces  mêmes  cartes  attribuent  aux 
Cashibos. 

Parmi  toutes  les  races  du  Pérou,  un  petit  nombre  sont, 
à  des  degrés  divers,  adonnées  au  cannibalisme.  Les  mission- 
naires ou  les  voyageurs  ont  désigné  comme  telles,  sur  la  rive 
droite  de  TUcayali,  les  Gapanahuas  et  les  Mayorunas,  et,  dans 
la  Montaûa  comprise  entre  TUcayali  et  les  Andes,  les  RuanahuaSy 
les  Cumabus  et  les  Cashibos  dont  le  nom  signifie,  d'après  le  père 
Calvo,  vampire  ou  suceur  de  sang. 

Les  Cumabus  et  les  Ruanahuas  ont  été  signalés,  en  1686,  sur 
la  rive  gauche  du  Taraba  qui  est,  d'après  la  carte  de  Sobreviela, 
Tun  des  affluents  du  rio  actuellement  connu  sous  le  nom  de 
Tambo.  Dans  un  rapport  du  père  Biedma  qui,  à  cette  époque, 
explora  le  rio  Tambo,  accompagné  d'un  chef  Conibo,  du  nom  de 
Cayâ-bay,  on  lit  en  effet  :  «  Cayâ-bay  dit  qu'en  remontant  de 
sept  lieues  le  Taraba,  on  trouve  un  grand  nombre  de  Cumabus 
et  de  Ruanahuas  qui  mangent  la  chair  humaine.  Quand  un  des 
leurs  est  trop  vieux  pour  être  apte  à  la  guerre,  ils  le  tuent  et  le 
mangent  *.  »  De  son  côté,  le  père  Calvo  déclare  que,  par  wie 
sorte  de  piété  à  leur  manière  *,  les  Capanahuas  mangent  leurs 
parents  défunts,  fumés  ou  rôtis,  comme  le  gibier  de  la  forêt.  Il 
en  dit  autant  des  Remos,  qui  passent  pour  très  inoffensifs. 

Des  Cumabus  et  des  Ruanahuas,  il  n'est  plus  fait  aucune  men- 
tion, ni  dans  les  récits  des  voyageurs  contemporains,  ni  dans 
ceux  des  missionnaires  du  siècle  passé,  qui  eurent  cependant  des 
établissements  sur  le  rio  Tambo.  Aussi  peut-on  supposer  que 
ces  cannibales  ont  complètement  disparu,  comme  tant  d'autres 
races,  à  moins  qu'ils  n'eussent  appartenu  à  quelque  tribu  déta- 
chée des  Capanahuas  ou  des  Mayorunas.  Quant  aux  Cashibos, 
ils  ont  commis  depuis  une  centaine  d'années  assez  de  méfaits 
pour  que  leur  existence  ne  puisse  être  révoquée  en  doute. 

1)  «  Dijo  Cayà-bay  que  siete  léguas  Taraba  arriba  desde  alli  babia  mucbas 
gentes  de  Cumabus  y  Ruanahuas  que  comian  carne  bumana,  y  cuando  algun 
ndio  por  ser  viejo  no  sirve  para  la  guerra,  lo  malan  y  se  lo  comen.  »  (Compendio 
Historico  de  las  Misiones,  Amicb.) 

2)  «  Por  una  especie  de  piedad  a  su  manera.  »  {Noticias  Histoiicas,) 

VI  21 


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298  LES   SAUVAGES   DU   PÉROU 

Les  annales  franciscaines,  en  faisant  connaître  quelques-unes 
de  leurs  victimes,  les  représentent  comme  étant  un  sujet  d'hor- 
reur et  de  haine  pour  tous  les  autres  Indiens^ 

Cependant,  lorsque  M.  Raimondi  écrivit,  en  1862,  ses  Apun- 
tes  sobre  la  Provmcia  littoral  de  Loreto,  il  doutait  encore  qu'ils 
fussent  anthropophages  dans  le  sens  le  plus  commun  et  le  plus 
complet  du  mot.  «  S'il  est  vrai,. comme  on  l'affirme,  disait-il, 
qu'ils  mangent  leurs  parents,  cet  usage  est  plutôt  le  résultat 
d'une  superstition  qu'une  marque  de  cruauté.  En  efiFet  on  raconte 
que  lorsqu'on  annonce  au  vieillard  qu'il  va  être  victime ,  il  se  ré- 
jouit, parce  qu'il  croit  qu'il  va  bientôt  retrouver  ses  pères.  Cette 
coutume  existe,  paraît-il,  chez  d'autres  sauvages  du  Pérou.  Et  la 
preuve  qu'elle  est  due  à  une  croyance  religieuse  ou  à  une  tradi- 
tion qui  n'implique  pas  l'idée  de  férocité,  c'est  le  fait  suivant  dont 
fut  témoin  le  voyageur  Osculati  chez  les  Mayorunas^  dans  son 
voyage  à  l'Amazone  par  le  rio  Napo.  Un  Indien  de  cette  tribu 
qui  s'était  fait  chrétien,  voyant  sa  mort  approcher,  était  tombé 
dans  la  tristesse  et  pleurait.  On  lui  demanda  la  cause  de  ses 
larmes  :  «  Je  suis  bien  malheureux,  répondit-il,  parce  qu'étant 
tt  chrétien,  je  serai  mangé  par  les  vers,  au  lieu  de  servir  de  nour- 
«  riture  à  mes  parents  !  »  De  ces  deux  façons  d'être  mangé^  la 
seconde  lui  paraissait  donc  infiniment  plus  noble  que  la  pre- 
mière. » 

Les  circonstances  qui  suivirent  le  meurtre  des  deux  officiers 
de  marine  West  et  Tavara,  et  que  M.  Raimondi  rapporte  lui- 
même  dans  son  Histoire  de  la  géographie  du  Pérou  *  fournirent 
au  consciencieux  savant,  la  preuve  que  le  cannibalisme  des 
Cashibos  est  une  question  de  goût  ou  d'appétit  autant  que  de 
principe. 

L'an  i866y  le  gouvernement  péruvien  voulant  savoir  à  quel 
point  le  Pachitea  est  navigable,  confia  la  mission  de  l'explorer 
au  petit  vapeur  Putumayo ,  auquel  appartenaient  les  deux  offi- 
ciers   sus-nommés.    Le    Putumayo^    en  remontant  le  fleuve, 


1)  Antonio  Raimondi.  El  Peru,  tomo  11 L  Hisloria  de  la  Geografia  del  Féru, 
Lima,  imprenta  del  Estado,  1879. 


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LES    SAUVAGES   DU   PÉROU  299 

•éprouva  une  avarie  à  Chonta-Isla  et  dut  séjourner  plusieurs 
jours  en  cet  endroit,  qui  parait  être  le  Puerto  Desgraciado 
des  anciens  missionnaires.  Des  Cashibos  apparurent  sur  une 
rive  et  engagèrent  par  signes  les  marins  à  aller  près  d'eux.  West 
et  Tavara  répondirent  à  l'invitation  et  gagnèrent  la  berge  dans 
un  canot  chargé  de  présents.  Les  sauvages  les  reçurent  avec  des 
transports  de  joie,  puis,  comme  pour  compléter  la  fête,  ils 
tuèrent  les  deux  officiers  à  coups  de  macanahs  et  disparurent 
dans  le  bois  emportant  les  cadavres. 

L'année  suivante ,  trois  vapeurs  de  la  flotille  armée  que  le 
Pérou  possédait  alors  sur  l'Amazone ,  transportèrent  à  Chonta- 
Isla  une  petite  troupe  éclairée  par  des  Indiens,  dans  le  but  de 
châtier  les  coupables.  Ceux-ci  furent  surpris  à  deux  lieues  du 
fleuve,  au  moment  où  ils  étaient  en  pleine  orgie,  à  l'occasion 
sans  doute  d'une  de  leurs  cérémonies  funèbres.  On  leur  prit 
quatorze  enfants  et  trois  femmes.  L'une  d'elles  était  l'épouse  du 
chef  Yanacuna.  Elle  écumait  de  rage,  dit  le  rapport  du  colonel 
Araua,  commandant  l'expédition,  et  ressemblait  à  une  véritable 
furie.  Interpellée  au  sujet  de  la  mort  des  deux  marins,  non  seu- 
lement elle  avoua  le  crime,  mais,  poussée  par  la  vengeance,  elle 
alla  chercher  dans  un  coin  de  sa  case  un  petit  collier  de  dents 
humaines  à  demi  calcinées,  et  le  jeta  aux  pieds  de  l'officier  péru- 
vien, comme  pour  évoquer  le  souvenir  de  la  scène  de  canniba- 
lisme qui  avait  eu  lieu  quelques  mois  auparavant. 

Les  Cashibos,  effrayés  par  le  bruit  des  armes  à  feu,  avaient 
d'abord  pris  la  fuite  ,  mais  ils  ne  tardèrent  pas  à  reparaître,  en 
faisant  retentir  la  forêt  de  clameurs  sinistres,  et  ils  attaquèrent 
à  leur  tour  avec  un  courage  et  un  acharnement  extrêmes.  Leur 
nombre  croissait  à  chaque  instant  et  l'issue  de  la  lutte  eût  été 
fatale  pour  le  colonel  Arana  sans  les  ordres  précis  laissés  aux 
commandants  des  petits  vapeurs  qui  attendaient  au  milieu  du 
fleuve.  Les  sauvages  s'étant  massés  sur  la  plage  pour  couper  la 
retraite  aux  blancs,  les  pièces  d'artillerie,  dont  ils  ne  pouvaient 
soupçonner  l'existence  à  bord  des  steamers,  se  démasquèrent 
subitement  et  firent  un  massacre  exemplaire. 

Au  mois  de  décembre  1885,  un  peu  avant  le  coucher  du  soleil, 


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300  LES   SAUVAGES   DU   PÉROU 

j*arrivais  en  canot  à  Chôata-Isla,  accompagné  seulement  de 
deux  Indiens.  Dans  Tile  pittoresque  qui  fait  face  à  la  célèbre 
plage,  j'aperçus  un  grand  toit  ou  galpon  couvert  de  palmes,  et, 
devant  cette  habitation,  un  homme  vêtu  d'une  cusma  et  dont  la 
lèvre  supérieure  était  marquée  d*un  point  lumineux  que  je  ne 
pouvais  m'cxpliquer.  Je  me  décidai  à  aborder.  L'homme  était  un 
Conibo  établi  en  cet  endroit  avec  sa  famille,  comprenant  deux 
épouses  et  trois  ou  quatre  marmots  ;  le  point  brillant  était  une 
patène  d'argent  de  la  grosseur  d'une  pièce  de  cinquante  cen- 
times, objet  que  les  Gonibos  ont  coutume  de  se  suspendre  sous 
le  nez  dont  la  cloison  médiane  est  à  cet  effet  percée  d'un  trou. 


Fig.  43.  —  Patène  d'argent,  ornement  de  nez  des  Gonibos.  (Mus,  d'Elhnogr.^ 

coll.  Ordinaire.) 

Les  Cashibos,  auxquels  les  Gonibos  et  d'autres  font  une  guerre 
acharnée  ont,  depuis  trois  ou  quatre  ans,  déserté  ces  parages 
pour  se  retirer  dans  les  vallées  des  rios  Aguaïtia  etPisqui.  Je 
devais  cependant  avoir  la  bonne  fortune  de  rencontrer  et  même 
de  photographier  plusieurs  individus  de  leur  race. 

Les  Gashibos  sont  moins  sveltes  que  les  Gampas.  Ils  ont  le 
nez  plus  épaté,  le  ventre  plus  proéminent  et  les  jambes  relative- 
ment grêles.  Ils  sortent  généralement  nus  ;  toutefois ,  ils  se 
couvrent,  dans  leurs  cases,  de  très  courtes  cusmas.  Leur  langue 
dérive  de  la  langue  pana^  que  parlent  les  Gonibos,  les  Sipibos 
et  les  Sétébos  du  rio  Ucayali.  Ils  se  divisent  en  plusieurs  tribus, 
dont  les  dialectes  varient  sensiblement,  de  même  que  le  degré  de 
férocité.  Gela  explique  comment  le  père  Galvo  put  en  1856, 
alors  qu'il  descendait  aussi  le  Pachitea,  répondre  à  leur  appel  et 
s'arrêter  une  demi-heure  environ  au  milieu  d'eux  sans  être 
l'objet  d'un  guet-apens.  G'est  d'ailleurs  le  seul  missionnaire  qui 


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Fig.  46  et  47.  —  Flèche  à  pointe  de  bois  et  flèche  à  palette  des  Cashibos. 
(Mus,  a*Elhîiogr„  Coll.  Ordinaire.) 


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302  LES    SAUVAGES   DU   PÉROU 

eut  à  enregistrer  pareille  faveur,  et  lorsqu'il  revint  Tannée  sui- 
vante, il  faillit  lui  aussi  être  victime.  De  toutes  leurs  tribus,  les 
plus  redoutées  sont  celles  des  Buninahuas  et  des  Puchanahuas. 
Il  semble  même  que  ce  soit  les  seules  qui  se  livrent  régulière- 
ment à  la  chasse  de  Thomme,  considéré  comme  gibier.  Qs 
assomment  pour  les  manger,  non  seulement  leurs  parents  sur  le 
déclin  de  Tâge,  mais  toute  femme  stérile  et  tout  individu  majeur 
qui,  pour  un  motif  ou  pour  un  autre,  ne  peut  pourvoir  à  sa  sub- 
sistance. 

Dans  la  Montafîa,  les  correrias,  qui  ont  pour  but  la  destruction 
de  ces  êtres  monstrueux,  sont  considérées  comme  légitimes  et 
utiles.  Malheureusement,  sous  prétexte  de  Cashibos,  on  pour- 
chasse d'autres  tribus  qui  sont,  comme  je  l'ai  dit,  inoffensives. 

Il  existe  actuellement,  dans  la  vallée  de  TUcayali,  une  cen- 
taine de  Cashibos  mansos ,  c'est-à-dire  apprivoisés.  Les  petits 
sauvages  qui  ont  été  pris  au  nid,  sont  généralement  bien  traités 
par  leurs  possesseurs,  dont  les  bons  procédés  sont  intéressés. 
Dans  ces  conditions  il  en  meurt  plus  de  la  moitié,  combien  en 
resterait-il  si  on  les  malmenait  ?  L'habitude  est  qu'ils  appellent 
le  maître  de  la  maison  papa,  que  celui-ci  soit  ou  non  le  meur- 
trier de  leurs  véritables  parents,  et  sa  femme  marna.  Lorsque 
leurs  forces  physiques  ont  atteint  un  suffisant  développement, 
on  les  émancipe  dans  une  certaine  mesure  en  les  envoyant 
rejoindre  les  travailleurs  qui,  divisés  par  groupes,  exploitent  le 
caoutchouc  dans  la  forêt.  On  leur  donne  alors  un  machete^ 
une  hache,  un  couteau,  de  la  farine  de  yucca,  quelques  usten- 
siles de  chasse  et  de  pêche,  quelquefois  même  un  fusil.  A 
celte  occasion,  on  leur  ouvre  un  compte  et  quel  compte!... 
Ils  payent  en  caoutchouc.  Mais  il  faut  qu'ils  renouvellent 
bientôt  leurs  provisions.  On  leur  a  fait  connaître  aussi  le 
goût  du  rhum  et  du  genièvre ,  dont  on  leur  fournit  de  temps  à 
autre  une  bouteille.  Quels  que  soient  leurs  efforts,  ils  n'arrivent 
jamais  à  s'acquitter.  Beaucoup  n'y  songent  même  pas.  Quand 
leur  maître  veut  faire  un  coup  de  commerce  ou  quitter  le  pays, 
il  les  vend,  ou  ce  qui  revient  au  même,  il  vend  leur  prétendue 
dette.  C'est  ainsi  que  ces  Indiens  changent   assez  souvent  de 


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LES   SAUVAGES   DU  PÉROU  303 

papa.  Lorsqu'ils  se  rencontrent  dans  les  bois,  à  la  recherche  du 
caoutchouc,  ils  ne  se  demandent  pas  les  uns  aux  autres  :  «  Pour 
qui  travaillez- vous  ?  »  mais  :  «  A  qui  êtes- vous  ?  »  Et  ils  se 
répondent  :  «  Nous  sommes  à  un  tel,  »  ou,  s'ils  appartiennent 
encore  à  leur  premier  patron  :  «  Nous  sommes  les  enfants  d'un 
tel.  » 

A  ces  fils  soumis  ou  pour  mieux  dire  asservis,  viennent  se 
joindre  un  certain  nombre  d'Indiens  libres  :  Pîros,  Conibos,  etc.» 
qui,  depuis  longtemps  en  relation  avec  les  blancs ,  se  sont  créé 
des  appétits  qu'ils  ne  peuvent  satisfaire  qu'en  donnant  aussi 
leur  contingent  de  travail.  Ce  sont  ceux-là  surtout  qui,  pour 
payer  leurs  dettes,  s'adonnent  aux  correrias,  la  chair  vivante 
ayant  plus  de  valeur  encore  que  le  jebe  ou  caoutchouc.  Parmi 
les  ouvriers  de  la  forêt,  les  Cashibos  mansos,  qu'ils  soient  nés  de 
parents  manso^  eux-mêmes,  ou  qu'ils  aient  été  pris  en  bas  âge, 
sont  très  recherchés,  non  pas  pour  leur  intelligence,  —  sous  ce 
rapport  les  Campas,  que  l'on  ne  voit  guère  mêlés  à  d'autres  sau- 
vages, leur  sont  supérieurs,  —  mais  pour  leur  courage  à  la 
besogne  et  leur  soumission.  Sachant  que  leur  race  est  proscrite 
et  que  les  Indiens  mêmes  avec  lesquels  ils  sont  en  contact  jour- 
nalier ne  les  tolèrent  que  parce  qu'ils  sont  asservis,  la  servitude 
est  devenue  pour  eux  une  seconde  nature. 

Si  j'avais  pu  conserver  quelques  doutes  sur  le  cannibalisme 
des  Cashibos^  les  nombreux  faits  qui  me  furent  attestés  pendant 
mon  voyage  ,  les  eussent  levés.  Les  correrias  contre  les 
Buninahuas  et  les  Puchanahuas  étant  avouées,  les  détails 
abondent. 

Au  mois  de  septembre  1884,  le  nommé  L.  Renjijon,  ayant 
débarqué  à  la  tombée  de  la  nuit,  avec  une  quinzaine  d'Indiens 
non  loin  de  Chonta-Isla,  une  flèche  vint  se  planter  à  côté  de  lui 
dans  un  tronc  d'arbre.  Elle  avait  été  lancée  par  un  Cashibo  aux 
aguets  qui,  aussitôt  après  l'avoir  décochée,  prit  la  fuite.  On  lui 
adressa  deux  ou  trois  coups  de  fusil  et  on  le  vit  tomber.  Mais 
L.  Renjijon,  craignant  une  embuscade,  regagna  de  suite  le  canot 
avec  ses  hommes.  Le  lendemain  ils  entrèrent  dans  la  forêt  par 
un  autre  point  et,  après  sept  ou  huit  heures  de  marche,  ils  sur- 


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304  LES   SADVAGEB  DU   PÉROU 

prirent  les  Cashibos  autour  d'un  feu  sur  lequel  rôtissait  leur 
congénère  tué  ou  blessé  la  veille. 

Dans  le  courant  de  juillet  1885  le  cahuchero  J.  G.  s'engagea 
avec  ses  Indiens  dans  une  des  vallées  qui  s'ouvrent  du  Pachitea 
à  TAguaïtia.  Un  de  ses  éclaireurs  disparut.  Deux  jours  après, 
en  suivant  une  piste  formée  par  le  passage  d'une  bande  de 
Cashibos,  ils  arrivèrent  &  un  carbet  où  il  n'était  resté  qu'une 
femme.  Sur  le  fumoir,  claie  de  bois  suspendue  au-dessus  du 
feu,  ils  virent  &  côté  d'un  singe  maquisapa  {ateles  niger)  la  tète 
de  celui  qu'ils  avaient  perdu  en  route.  La  femme  —  une  Buni- 
nahua  —  avoua  sans  la  moindre  réticence  que  ses  compatriotes 
avaient  mangé  le  reste.  Et,  le  cahuchero  qui  me  rapporta  ce 
fait  ajouta  :  «  Ce  qui  m'étonne,  c'est  que  tous  nos  sauvages, 
grands  mangeurs  de  singes,  ne  soient  pas  anthropophages.  Il*  y 
a  si  peu  de  différence,  lorsqu'ils  sont  rôtis,  entre  un  homme  et 
un  maquisapa  !  » 


vm 


Piros,  Conibos,  Sîpibos  et  Sétébos.  —  Action  des  mosquilos  et  des  zancudos 
sur  le  physique  de  ces  Indiens.  —  Armes,  ornements  et  garde-robe  des 
Gonibos.  —  Les  arts  céramiques  chez  les  Indiens  de  race  pana.  —  Circon- 
cision féminine. 

Les  véritables  seigneurs  de  l'IJcayali,  de  ses  plages  comme 
de  ses  eaux  que  sillonnent  leurs  légères  et  solides  pirogues, 
sont,  à  partir  de  Torigine  du  fleuve  jusqu'à  son  confluent  avec 
le  Maraîion  :  les  Piros,  les  Conibos,  les  Sipibos  et  les  Sétébos. 

Les  Piros  portent  aussi  les  noms  de  Simirinches  et  de  Chonta- 
quiros  {chonta,  palmier  noir  et  quiros,  dent)  parce  qu'ils  ont 
coutume  de  se  teindre  les  gencives  et  les  dents  en  noir  avec  le 
Peperofiia  ^mc/onbïrfe5.  Le  vêtement  des  hommes  est  une  sorte  de 
burnous  ou  cusma  à  capuchon,  celui  des  femmes  est  la  pampa- 
nilia,  pièce  de  cotonnade,  généralement  ornée  de  quelques  des* 
sins  comme  le  spécimen  que  j'ai  rapporté,  et  qui  couvre  le  corps 
de  la  ceinture  aux  genoux.  Elles  ont  la  face  large  et  le  nez  aplati. 


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LES   SlUVAGES   DU  PÉROU  SOS 

Les  pères  franciscains  représentent  les  Pipos  comme  des  bret- 
leurs  (pendencieros)  d'un  caractère  jovial  et  versatile,  mais  dont 
la  bruyante  loquacité  n'est  qu'un  masque  jeté  sur  un  fond  hypo- 
crite et  pervers.  On  prétend  même  que  s'ils  ont  &  plusieurs 
reprises  envoyé  au  Gusco  des  députations  chargées  d'amener 
chez  eux  des  missionnaires,  c'était  toujours  avec  Tidée  pré- 
conçue de  les  assassiner  pour  hériter  des  herramientas  (instru- 
ments ou  ustensiles  de  fer)  dont  les  religieux  ont  toujours  une 
provision.  La  mission  de  Santa  Rosa  de  los  Piros,  fondée  en  1815 
par  le  père  Plaza,  au  cœur  de  leur  domaine,  a  été  plusieurs  fois 
saccagée.  Reconstituée  en  1879,  elle  fut  abandonnée  de  nouveau 
en  1881,  époque  &  laquelle  elle  ne  gouvernait  plus  qu'un  seul 
néophyte  et  quelques  femmes. 

Les  Pires,  dit  M.  Samanès,  dans  son  journal  de  voyage, 
croient  à  un  être  suprême,  principe  du  bien  et  créateur  de  l'uni- 
vers, qu'ils  appellent  Huyacali^  et  à  un  principe  du  mal  qui 
intervient  dans  toutes  leurs  affaires  et  qu'ils  nomment  Saminchi, 

Leur  langue  ne  se  confond  avec  celle  d'aucune  autre  nation. 

Les  Conibos,  Sipibos  et  Sétébos  ont  le  même  genre  de  vie  et 
parlent  la  même  langue,  une  langue  rugueuse,  toute  hérissée 
d'aspirations  dures.  Elle  est  connue  sous  le  nom  de  langue  pana. 
C'est  en  effet  celle  que  parlaient  les  indiens  Panos.  dont  les  mis- 
sionnaires, dans  leurs  premières  explorations  du  bas  Ucayali, 
trouvèrent  une  tribu  qui  fut  convertie  au  christianisme,  et  dont 
il  ne  reste  aujourd'hui  que  quelques  rejetons  plus  ou  moins 
métissés. 

Le  Conibo  est  loin  d'avoir  les  formes  harmonieuses  du  Campa. 
Il  est  épais  et  lourd.  Sa  tête  semble  rentrer  dans  ses  épaules. 
Ses  yeux  sont  obliques,  ses  narines  épaisses,  fortement  arquées- 
Le  front  a  été  artificiellement  aplati  et  allongé  au  moyen  d'une 
couple  de  planchettes  que  Ton  assujettit  fortement  avec  un 
bandeau,  Tune  sur  le  front,  l'autre  sur  l'occiput  du  nouveau  né. 
Le  crâne,  non  encore  soudé,  s'élève  et  fuit  entre  ces  deux  bar- 
rières dont  on  délivre  l'enfant  à  son  sixième  ou  septième  mois. 
L'épiderme  de  ces  Indiens  est  tellement  raboteux  et  dur  que  cer- 
tains voyageurs  les  représentent  comme   couverts  d'écaillés, 


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306  LES   SAUVAGES  DU   PÉROU 

d^autres  comirie  ayant  le  corps  entouré  d'écorce.  Ce  fait  est  dû 
aux  piqûres  des  mosquitos,  des  zancados,  des  tébanos  et  autres 
mouches  ou  moucherons  venimeux  qui  affectionnent  les  rives 
de  rUcayali  et  infligent  au  voyageur  dont  la  peau  n'est  pas  encore 
acclimatée  y  un  véritable  martyre.  J'ai  constaté  par  moi-même  que 
la  piqûre  du  mosquito  fait  apparaître  sur  le  derme  un  point 
sombre,  formé  par  du  sang  coagulé.  Les  piqûres  se  multipliant, 
les  points  se  rapprochent  et  se  rejoignent,  de  sorte  qu'au  bout 
d'un  certain  temps,  la  figure  et  surtout  les  mains  se  trouvent 
couvertes  d'une  croûte  uniforme.  Cette  cotte  de  mailles,  sans 
mettre  la  chair  complètement  à  l'abri,  la  rend  un  peu  moins  sen" 
sible  aux  attaques  nouvelles. 

Les  Conibos  la  renforcent  généralement  d'une  couche  de 
génipa  à  laquelle  ils  donnent,  suivant  la  place  qu'elle  occupe,  la 
forme  de  gants  ou  de  bas,  de  cothurnes  ou  de  mitaines.  Le 
suçoir  des  zancudos,  qui  travaillent  surtout  la  nuit  et  dont  on  ne 
peut  se  défendre  qu'en  se  fourrant  sous  un  moustiquaire,  traversé 
sans  difficulté  cette  double  cuirasse,  mais  les  Indiens  affirment 
qu'elle  atténue  l'effet  de  la  piqûre  du  mosquito. 

Outre  la  cloison  nasale  qui  doit  porter  la  patène  d'argent,  ils 
se  percent  la  lèvre  inférieure  pour  y  planter  une  petite  spatule 
de  bois,  longue  d'un  pouce  environ,  et  dont  le  bout  large  se  ter- 
mine en  fourche  ou  croissant.  Ils  ont  des  colliers  de  grains 
(mapichi)  auxquels  ils  attachent  des  dépouilles  d'oiseaux,  des 
becs  de  toucans,  des  ongles  de  tapir,  des  griffes  de  tigre  ou  des 
bouquets  d'une  herbe  odoriférante.  Avec  les  chaquiras,  perles 
de  jais  et  de  porcelaine  d'importation  européenne,  ils  se  font  des 
cols  et  des  bavettes.  Ils  s'attachent  aux  jambes,  pour  danser,  des 
chapelets  de  grelots  fournis  par  les  noyaux  de  la  schacapa  {Ger- 
bera peruana).  Leur  cusma  ou  kart,  couleur  café,  est  souvent 
entourée  ou  couverte  de  dessins  symétriques  que  l'on  retrouve 
dans  les  mosaïques  de  verroteries  qui  leur  servent  de  cravate,  et 
qu'ils  reproduisent  volontiers  dans  leurs  maquillages  au  genipa 
et  au  rocou.  J'ai  remis  au  Musée  un  exemplaire  de  chacun  de 
ces  ornements,  y  compris  ceux  de  la  bouche  et  du  nez.  J'ai  rap- 
porté aussi  des  cayanas  et  des  macahuas,  écuelles  et  coupes  de 


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LES   SAUVAGES   DU   PÉROU  307 

terre  cuite  d'une  parfaite  régularité  de  formes.  Ces  très  fines  pote- 
ries, confectionnées  parles  femmes,  sans  tour  ni  moule  d'aucune 
sorte,  sont  ornées  par  elles  d*entrelacs  et  de  dessins  diversement 
coloriés,  qui  dénotent  un  goût  et  une  sûreté  de  main  extraordi- 
naires chez  des  sauvages.  Leurs  grands  vases,  analogues  aux 
tinajas  de  la  sierra  pour  faire  fermenter  et  conserver  les  liquides, 
montrent  des  courbes  réussies.  On  les  enterre  jusqu'au  col  pour 
y  puiser  le  massato  les  jours  de  gala. 

Leurs  armes  sont  Tare,  la  sarbacane  et  le  macanah^  sorte  de 
massue  en  bois,  ou  d'épée  à  deux  mains,  ayant  la  forme  vague 
d'une  fleur  de  lis  allongée.  La  sarbacane,  qui  a  de  trois  à  quatre 
mètres  de  long,  est  un  produitde  l'industrie  spéciale  des  Indiens 
de  Rioja  et  de  Lamas  dans  le  district  de  Moyobamba.  Les 
Conibos  en  font  communément  l'acquisition  en  échange  de 
poisson  salé  {Vastres  gigas)  ou  Païchi.  Elle  sert  &  lancer  de3 
virâtes  pareils  à  des  aiguilles  à  tricoter,  arnriées  d'une  tète  en 
coton  ou  en  soie  de  bombax  qui  entre  à  frottement  dans  le  tube. 
La  pointe  est  enduite  du  fameux  curare  que  les  Conibos  ne 
savent  pas  non  plus  préparer  et  qui  leur  est  fourni  par  diverses 
tribus  du  Maraîion.  On  se  fait  peu  idée  de  la  force  de  projection 
de  ces  sarbacanes.  Un  virote  soufflé  par  un  Conibo,  à  dix  ou 
quinze  pas  sur  un  tronc  d'arbre,  se  plante  si  fortement  dans  le 
bois  qu'il  est  difficile  de  le  retirer. 

Ils  ont  toujours  pendu  au  cou  un  petit  couteau  courbe  nommé 
uchate  qu'ils  façonnent  à  leur  manière,  avec  do  vieux  machetes 
et  autres  ferrailles  provenant  de  la  métallurgie  européeni;ie. 
Lorsqu'ils  se  sont  enivrés  de  massato  et  se  querellent,  ils  ne 
manquent  pas  de  jouer  de  ce  couteau,  se  faisant  souvent  de 
graves  blessures. 

Les  traits  de  mœurs  observés  chez  les  Xonibos  se  retrouvent 
chez  leurs  congénères  les  Sipibos  et  les  Sétébos,  et  plus  ou  moins 
chez  les  Piros.  Tous  ces  Indiens  sont  polygames,  les  Piros  étant 
ceux  qui  ont  coutume  de  prendre  le  plus  grand  nombre 
d'épouses.  Les  Conibos  se  contentent  généralement  de  deux.  La 
condition  de  la  femme  m'a  paru  inférieure  dans  ces  tribus  à  ce 
qu'elle  est  chez  les  Campas  de  la  Ceja  de  la  montaha  (sourcil  de 


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308  LES   SAUVAGES   DU   PÉROU 

la  montagne,  ou  premier  échelon  des  Andes)  Tous  les  travaux 
fatigants  lui  incombent  et  les  plus  rudes  sont  réservés  aux  plus 
vieilles.  Leurs  maîtres  et  seigneurs  les  échangent  parfois,  ou  les 
vendent  comme  des  mules.  Cette  dégradation  peut  s'expliquer 
par  ce  fait  qu'ils  comptent  souvent  parmi  leurs  femmes^  une  ou 
plusieurs  esclaves  prises  dans  les  tribus  voisines.  C'est  une  con- 
séquence des  correrias  fomentées  elles-mêmes  parla  polygamie. 
Ils  ont  une  singulière  coutume  qui  consiste,  pour  employer 
l'expression  consacrée  par  les  missionnaires,  à  circoncire  les 
pucelles.  Le  père  Pallares  décrit  comme  il  suit  l'opération  : 
«  Lorsqu'une  fille  atteint  l'âge  de  onze  &  douze  ans,  on  célèbre 
une  grande  fête  à  laquelle  sont  conviés  les  parents  et  amis  qui 
arrivent  revêtus  de  leurs  cusmas  neuves  et  très  soigneusement 
peints.  La  vierge  qui  doit  être  circoncise  apparaît,  couverte  jus- 
qu'au milieu  du  corps  de  chaqiiiras  de  diverses  couleurs  et  la 
tête  ornée  d'une  couronne  de  plumes.  Des  danses  se  forment  au 
son  de  petits  tambours  et  se  répètent  pendant  sept  jours,  accom- 
pagnées de  quelques  soûleries.  Le  huitième  jour,  au  lever  du 
soleil,  ils  font  boire  la  pauvrette  jusqu'à  ce  qu'elle  perde  le  sen- 
timent; alors  deux  femmes  expérimentées  s'emparent  d'elle, 
rétendent  sur  une  barbacoa  (table)  appelée  quischiqiiepiti,  pré- 
parée de  longue  main,  et  réalisent  la  sanglante  opération.  Elles 
arrêtent  l'écoulement  du  sang  par  l'application  d'une  herbe 
spéciale*.  » 
Le  père  Sabate  donne  quelques  détails  de  plus  : 
«  Les  libations  et  festins  terminés,  dit-il,  tous  les  invités  qui 
sont  encore  en  état  de  se  tenir  sur  pied,  se  réunissent  pour  assis- 
ter à  l'acte  de  la  circoncision*.  De  vieilles  femmes  sont  les  prê- 
tresses chargées  du  sacrifice.  Armées  d'un  bistouri  de  bambou, 
elles  tranchent  avec  cet  instrument  grossier  la  petite  membrane 
de  la  patiente*  qui,  bien  qu'ayant  la  sensibilité  émoussée  par  son 
état  d'ivresse,  pousse  des  cris  à  fendre  l'âme. 

i)Noticias  historicas  de  las  misionespor  los  Reverendos  Padres  Pray  Pemando 
Pallares  y  Pray  Vicente  Calvo^  cap.  xci.  Barcelona,  1870. 
2).  «  El  acto  de  la  circoncision  de  la  muchacha.  » 
3)  «  El  pedacito  de  carne  de  la  infelis  paciente.  » 


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LES   SAUVAGES    DU   PÉROU  309 

u  Cette  barbare  opération  termine  la  fête,  à  moins  qu'elle  ne 
finisse  par  un  acte  plus  barbare  encore,  ce  qui  a  lieu  si  par  mal- 
heur il  se  trouve  là  quelque  prisonnier  d'une  autre  nation.  L'un 
quelconque  des  assistants^  lui  assénant  sans  plus  de  façons  un 
coup  de  macanah,  lui  partage  la  tète  en  deux  morceaux  comme 
on  ouvre  une  grenade,  et  cela,  sans  que  personne  songe  à  dire  : 
«  Pourquoi  le  tuer?  »  ou  manifeste  le  moindre  étonnement^  n 

Religion  des  Gonii>os.  —  Les  Yulumis  ou  Mucroyas.  —  Le  Yurima.  —  Le 
spiritisme  chez  les  sauvages  et  chez  lés  civilisés  de  la  Moataâ  a.  —Traditions 
orales.  —  Les  missions  dans  la  vallée  de  l'Ucayali. 

On  peut  remarquer  que  les  tètes  artificiellement  aplaties  des 
Conibos  rappellent  les  crânes  A'At/marao  en  forme  de  cônes  tron- 
qués que  l'on  trouve  dans  certaines  Huacas;  et  que  les  Conibos 
sont  de  tous  les  habitants  de  l'Amérique  du  Sud  ceux  qui,  après 
les  sujets  des  Incas  ont  apporté  le  plus  de  perfection  dans  la 
céramique.  Enfin  il  est  à  noter  que  les  indiens  de  l'Ucayali  en- 
enterrent  leurs  morts  dans  leurs  maisons,  ficelés  dans  des  sacs 
comme  les  momies  de  la  côte  et  de  la  Sierra.  Cependant  il  ne 
semble  pas  que  la  langue  Pana  ait  rien  de  commun  avec  le 
quichua  ou  avec  l'aymara. 

La  religion  des  Conibos  est  un  spiritisme  mêlé  de  magie  noire. 
Us  désignent  leurs  prêtres,  médiums  ou  sorciers j  par  les  mots  de 
Mucroya  et  de  Yutumis. 

Si  j'emploie  l'expression  de  sorcier,  c'est  que  les  Yutumis  sont 
considérés  comme  ayant  de  très  importantes  relations  avec  le 
diable  ou  Yurima,  qui,  pour  les  Conibos  aussi  bien  que  pour  les 
Campas,  est  l'auteur  de  tous  nos  maux.  Une  conséquence  natu- 
relle de  cette  théorie  est  que  le  Yutumis  est  aussi  le  médecin. 
Or,  si  par  sa  collaboration  avec  le  Yurima,  il  peut  chasser  les 
maladies,  il  peut  plus  facilement  encore  les  attirer.  En  somme, 
il  est  très  redouté  dans  son  voisinage,  où  son  autorité  est 
absolue. 

1)  Viage  de  los  Foudres  Misioneros  del  Convenlo  del  Cm«co,  por  el  R.  P.  Fray 
Luis  Sabate,  cap.  xxiu  Lima,  1877. 


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310  LES   SAUVAGES   DU   PÉROU 

Lorsqu'un  Conibo,  souffrant  d'une  douleur  locale,  a  recours 
au  yutumis,  celui-ci,  après  s'être  livré  à  quelques  exorcismes, 
applique  ses  lèvres  à  la  place  indiquée  et  aspire  avec  force,  fai- 
sant Toffice  d'une  ventouse.  Le  malade  s'imagine  qu'il  retire 
ainsi  d'imperceptibles  échardes  de  chonta  qui  ont  pénétré  dans 
son  corps  à  la  suite  des  sortilèges  d'un  yutumis  quelconque  et 
sont  la  cause  de  son  mal.  De  même  que  les  autres  Indiens,  ils 
font  encore  usage  comme  remèdes,  internes  ou  externes,  d'un 
certain  nombre  de  plantes  dont  la  tradition  leur  a  appris  les  pro- 
priétés et  auxquelles  ils  attribuent  une  vertu  cabalistique. 

J'entrai  un  jour  avec  un  interprète  dans  une  case  où  il  y  avait 
un  Conibo  gravement  malade.  Je  demandai  à  ceux  qui  l'entou- 
raient quelle  était  la  cause  de  son  mal. 

—  Le  yutumis,  dirent-ils. 

—  Mais  encore,  insistai-je,  comment  l'a-t-il  rendu  malade? 

—  Par  son  pouvoir,  me  répondit  le  groupe  d'une  seule  voix, 
et  je  dus  me  contenter  de  cette  explication. 

Une  partie  essentielle  de  leur  culte  est  l'évocation  des  esprits. 
L'assemblée  a  lieu  au  clair  de  lune.  Les  assistants  forment  trois 
groupes  :  celui  des  femmes,  celui  des  jeunes  garçons  et  celui 
des  hommes  mariés.  Le  mucroya,  très  orné,  la  tète  chargée  d'une 
espèce  d'abat-jour  en  feuilles  longues,  échancré  sur  la  figure, 
se  tient  d'abord  dans  une  petite  cabane.  Sa  voix,  que  l'on  entend 
du  dehors,  débute  par  un  murmure,  s'enfle  peu  à  peu  et  finit  par 
devenir  tonitruante.  S'étant  mis  de  cette  façon  en  communication 
avec  l'esprit  ou  tute^  il  se  présente  à  l'assemblée  silencieuse  et 
béante  comme  s'il  allait  se  produire  un  événement  considérable. 
Le  mucroya  fait  alors  des  évocations,  dans  une  langue  spéciale, 
inconnue  du  vulgaire,  et  que  l'on  retrouve  dans  une  litanie  dont 
les  néophytes  n'ont  pu  donner  le  sens  aux  missionnaires.  Si 
l'esprit  ne  répond  pas,  il  l'appelle  avec  fureur,  s'agite  comme  un 
énergumène,  pousse  des  cris  désespérés.  Lorsque  l'esprit  daigne 
se  présenter,  il  annonce  triomphalement  le  fait  aux  assistants 
pour  lesquels  le  dit  esprit  continue  à  rester  invisible,  et  il  leur 
parle  en  son  nom. 

L'entrée  dans  l'ordre  des  mucroyas  ou  yutumis  est  précédée 


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LES   SAUVAGES    DU   PÉROU  311 

d'un  noviciat,  sorte  de  retraite  de  deux  mois  pendant  lesquels 
l'aspirant  est  soumis  à  un  jeune  rigoureux,  ne  recevant  pour  sa 
nourriture  quotidienne  qu^une  portion  congrue  de  bananes 
bouillies.  Il  fume  du  matin  au  soir  dans  une  pipe  au  court  tuyau 
d'os  de  singe,  et  dont  le  fourneau  en  bois  a  la  contenance  d'une 
de  ces  dames-jeannes  en  porcelaine  que  fument  les  Allemands. 
Enfin,  il  lui  est  interdit,  durant  cette  retraite,  de  parler  à  àme 
qui  vive,  si  ce  n'est  au  mucroya  chargé  de  son  initiation. 

Les  Sipibos  considèrent  comme  étant  yutumis  de  naissance  les 
indiens  Cocamas  du  district  de  Nants^,  dont  un  certain  nombre 
habitent  la  vallée  basse  de  TUcayali.  C'est  pourquoi  ils  les  ont 
en  très  respectueuse  considération.  Si  un  Sipibo  refuse  de  vous 
vendre  un  objet  auquel  il  tient,  sa  pirogue,  par  exemple,  trou- 
vez un  Cocama  et  chargez-le  de  faire  le  marché  pour  votre 
compte.  Le  Sipibo  lui  laissera  l'embarcation  pour  la  moitié  du 
prix  que  vous  aviez  offert,  dans  la  crainte  que  le  Cocama,  usant 
de  son  pouvoir  infernal,  ne  fasse  quelque  maléfice  et  ne  lui 
souffle  dans  le  corps  des  barbes  de  chonta. 

U  semble  que  les  sauvages,  avec  leur  spiritisme,  ont  fait,  sans 
le  vouloir  ni  le  savoir,  plus  de  prosélytes  parmi  les  colons  de 
cette  partie  de  la  Montaûa,  où  Ton  compte,  il  est  vrai,  beaucoup 
de  métis,  que  les  missionnaires  n'ont  fait  de  conversions  parmi 
les  sauvages. 

—  Les  Conibos,  demandai-jeà  un  Brésilien  qui  habite  à  Tem- 
bouchure  du  Pachitea  où  il  possède  un  important  établissement, 
les  Conibos  croient  aux  sortilèges  ? 

—  Non  seulement  ils  y  croient,  me  répondit-il,  mais  ils  en 
font! 

—  Hum  !  Hum  !  me  disait  un  autre  à  propos  de  l'évocation  des 
esprits,  on  trouve  parfois  chez  les  sauvages  des  vérités  que  les 
civilisés  reconnaissent  plus  tard. 

Enfin,  la  plupart  de  ceux  que  je  mettais  sur  ce  chapitre  se 
tiraient  d'aBfaire  avec  les  deux  mots  stéréotypes  de  l'Amérique 
du  Sud  :  Quien  sabe  ?,..  Qui  sait  ?... 

Les  pères  Pallares  et  Calvo,  du  couvent  d'Ocopa,  qui  ont 
passé  de  longues  années  au  milieu  des  Indiens  de  l'Ucayali, 


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312  LES   SAUVAGES   DU   PÉROU 

déclarent  qu'ils  n'ont  pas  trouvé  chez  ces  sauvages  Tidée  de 
Dieu*. 

«  D'aucuns  opinent,  disent-ils,  que  les  infidèles  dont  nous 
parlons,  ont  une  croyance  explicite  en  l'existence  d'un  seul 
Dieu,  suprême  créateur  de  toutes  choses,  auquel  ils  attribuent 
tout  le  bien  qui  leur  anive...  Nous  ne  discuterons  pas  ce  qu'il 
peut  y  avoir  de  vrai  dans  cette  opinion,  nous  ne  pouvons  dire 
qu'une  chose,  c'est  que  nous  n'avons  rien  observé  qui  la  con- 
firme. Cependant  nous  inclinons  &  croire  qu'ils  ont  quelque 
tradition  relative  aux  morts,  car  nous  les  avons  vus  placer  des 
lampes  sur  les  tombes,  sans  que  nous  ayons  su  toutefois  dans 
quel  but. 

«  Enfin,  les  néophytes  aussi  bien  que  les  infidèles,  sont  très 
superstitieux.  Ds  attribuent  aux  sorciers  la  cause  de  tous  leurs 
malheurs,  des  maladies  et  de  la  mort.  En  vain  cherchons-nous 
à  les  détourner  de  ces  sottes  préoccupations,  ils  en  sont  tellement 
imbus  que  nos  efforts  sont  inutiles.  » 

Tout  porte  à  croire  que  les  Conibos,  Sipibos  et  Sétébos  sont 
issus  d'une  même  souche.  Chacune  de  ces  tribus,  cependant,  se 
considère  comme  beaucoup  plus  noble  que  les  autres.  Les  Indiens 
d'autres  races  sont  désignés  par  eux  sous  le  nom  de  Nakuas^ 
terme  général  qui,  dans  leur  langage,  signifie  Infidèles. 

J'obtins  d'un  groupe  de  Sipibos  des  deux  sexes,  moyennant 
quelques  chaquiras,  qu'ils  restassent  un  instant  immobiles  devant 
mon  appareil  photographique. 

—  Ne  vous  y  trompez  pas,  me  disaient-ils,  pensant  ainsi  mé- 
riter une  considération  exceptionnelle  et  un  cadeau  plus  impor- 
tant :  Nous  sommes  de  véritables  Sipibos  ! 

Lorsque  deux  sauvages  se  rencontrent,  l'usage  veut  qu'ils  se 
fassent  mutuellement  et  à  tour  de  rôle,  la  narration  de  tout  ce 
qu'ils  ont  vu  ou  entendu  depuis  leur  dernière  entrevue.  Et  l'on 
admire  la  patience  avec  laquelle  ils  écoutent,  sans  une  inter- 
ruption, des  discours  qui  durent  parfois  plus  d'une  heure.  Grâce 
à  cette  coutume,  bien  que  ne  connaissant  aucun  système  d'écri- 

1  iVbh'ctos  historicas^  pages  80  et  81. 


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LES   SAUVAGES  DU   PÉROU  313 

ture,  ils  conservent  la  tradition  des  événements  notables.  C'est 
ainsi  qu'en  1686,  le  père  Biedriia  apprit  des  Conibos  que  le 
moine  franciscain  lUescas,  le  premier  homme  de  race  blanche 
qui  descendit  le  cours  des  nos  Tambo  et  Ucayali,  avait  été, 
quarante-cinq  ans  auparavant,  surpris  par  les  Sipibos,près  du  rio 
Aguaïtia,  pendant  son  sommeil,  et  assassiné. 

Les  premières  missions  eurent  lieu  chez  les  Sipibos  en  16S7, 
chez  les  Sétébos  en  1661,  chez  les  Conibos  en  1685.  Elles  eurent 
pour  épilogue  le  massacre  ou  la  fuite  obligée  des  missionnaires. 
Un  siècle  plus  lard,  les  Franciscains  reprenant  leur  œuvre,  fon- 
dèrent chez  ces  peuplades  divers  établissements  connus  sous  le 
nom  de  Missions  de  Manoa,  leur  centre  ayant  été  le  couvent 
établi  au  bord  du  rio  Manoa.  Elles  eurent  au  bout  de  six  ans 
la  même  fin  que  les  précédentes.  Un  massacre  général  des  reli- 
gieux eut  lieu  au  mois  d'octobre  1766. 

En  1791,  le  père  Girbal  fonda  le  couvent  de  Sarayaco^  dans  la 
vallée  de  ce  nom  où  il  avait  trouvé  un  petit  groupe  de  Panos  et 
de  Conibos.  Si  on  suit  lliistoire  des  missions,  on  voit  que  les  reli- 
gieux conçoivent  invariablement  à  leur  arrivée  chez  les  sauvages 
des  espérances  qui  ne  se  réalisent  jamais.  Le  couvent  provisoire 
de  Sarayaco,  en  clayonnage,  était  à  peine  achevé  que  déjà  huit 
cents  Indiens  des  diverses  races  de  TUcayali  campaient  dans  le 
voisinage,  demandant  le  baptême.  Après  des  alternatives  de 
prospérité  et  de  revers,  la  mission  de  Sarayaco  eut  à  peu  près 
le  même  résultat  que  les  autres.  Si  les  religieux  n'y  furent  pas 
assassinés,  ils  virent  peu  à  peu  se  former  autour  d'eux  un  vide 
qu'ils  attribuent,  entre  autres  causes,  &  Tinconstance  naturelle 
aux  Indiens  et  aux  manœuvres  des  organisateurs  de  correrias 
contre  lesquelles  ils  prêchent. 

Ils  abandonnèrent  définitivement  Sarayaco  en  1863,  pour  se 
retirer  au  bord  d'un  affluent  de  la  rive  droite  de  TUcayali^  dans 
leur  petit  couvent  de  Callaria  où  il  n'y  avait  à  l'époque  de  mon 
voyage  que  deux  religieux,  et,  comme  paroissiens,  vingt-cinq  à 
trente  familles  d'Indiens  de  diverses  races.  La  mission  de  Callaria 
est  avec  celle  de  Quillasu,  chez  les  Campas,  tout  ce  qui  reste 
à  l'heure  actuelle  de  plus  de  cent  cinquante  établissements 
VI  22 


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314  LES   SAUVAGES   DU    PÉBOU 

que  les  franciscains  fondèrent  dans  cet   immense  bassin   de 
i'Ucayalî. 

D'après  la  statistique  d'Ocopa,  soixante>dix  religieux  de  cet 
ordre  sont  morts  dans  la  Montana  de  la  main  des  sauvages. 
Leur  labeur  a  été  rude  et  la  moisson  qu'ils  se  proposaient  presque 
nulle.  C'est  à  eux  cependant  que  la  science  doit  les  premières 
données  géographiques  sur  cette  région,  ce  sont  eux  qui  ont 
ouvert  toutes  les  voies  que  le  commerce  suit  aujourd'hui.  Sic  vos 
non  vobis. 


\X 


Les  Aguanteas.  —  Trait  de  ressemblance  entre  les  Moyobambinos  «t  les 
Carapacbos  du  père  Girbal.  —  Trophées  de  Jivaros.  — La  Chancha-Tucui 
ou  Danse  des  tôtes.  —  L'Inca  Tupac-Yupanqui  dans  la  Montana.  —  Les 
Missions  de  Maynas.  —  Statistiques.  —  Les  disparus.  —  Destruction  pro- 
gressive des  races  indiennes. 

Outre  les  sauvages  dont  j'ai  parlé  dans  le  précédent  chapitre, 
et  que  Ton  désigne  parfois  sous  le  nom  général  de  Harpies  de 
rUcayali,  d'autres  Indiens  habitent  la  vallée  de  ce  nom.  Toute- 
fois on  ne  les  rencontre  que  par  exception  sur  les  rives  mêmes 
du  fleuve  où  ils  ont  de  si  féroces  ennemis. 

M'étant  surtout  appliqué,  dans  mon  voyage,  à  Tétude  du 
bassin  si  peu  connu  du  Pachitea,  je  serai  sobre  de  détails  sur  ces 
tribus,  et  plus  encore  sur  celles  qui  hantent  les  vallées  du 
Maraûon  et  du  Huallaga  dont  j'ai  remonté  le  cours  jusqu'à 
Yurimaguas. 

Les  Campas  n'apparaissent  guère  sur  TUcayali  qu'à  son  ori- 
gine, au  confluent  des  rios  Tambo  et  Urubamba  et  à  l'embou- 
chure du  rio  Unini.  Là,  ils  ont  pris  quelques  coutumes  de  leurs 
voisins  les  Pires  et  les  Conibos.  Cela  explique  comment  M.  Paul 
Marcoy  a  pu  voir  un  Campa  portant,  sous  le  nez^  une  patène 
d'argent  et,  sur  le  dos,  une  chemise  à  capuchon^  objets  inconnus 
des  Antis  dans  les  régions  où  ils  sont  seuls. 

A  Poricnt  du  rio  Urubamba  vit  une  tribu  de  Pucapacuris  qui 


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LES    SAUVAGES  DU   PÉROU  315 

se  plantent^  comme  ornements  de  toilette,  des  plumes  dans  la 
figure. 

En  quittant  les  Pucapacuris  pour  traverser  du  sud  au  nord 
les  forêts  situées  à  Test  de  TUcayali,  on  trouve  d'abord  les  Ama- 
huacas  que  les  Pires  appellent  Impetiniris,  nom  qui  dans  leur 
langue  est  celui  du  craintif  ronsoco,  puis  on  arrive  chez  les  Remos. 

Les  uns  et  les  autres  sont  l'objet  d'incessantes  correrias. 

Il  y  a  quelques  années  les  religieux  d'Ocopa  cherchèrent  à 
convertir  les  Amahuacas.  Dans  ce  but  ils  s'établirent  à  deux 
reprises  au  bord  du  rio  Tamaya,  mais  les  Impetiniris  pillèrent 
et  brûlèrent  leurs  chapelles.  Ils  mirent  en  loques  les  chasubles 
pour  s'en  servir,  dit  le  père  Ibanez,  dans  leurs  mascarades  et 
danses  grotesques  {mojigangas).  Les  moines  expulsés  redescen- 
daient au  mois  de  décembre  1878  le  rio  Tamaya,  lorsqu'ils  croi- 
sèrent une  centaine  de  canots  de  Conibos  et  de  Sipibos  qui 
allaient,  comme  des  caïmans  en  chasse,  chercher  à  leur  tour  les 
Amahù£^^as,  et  qui  les  saluèrent  au  passage  de  sarcasmes  et  de 
cris  de  guerre. 

La  destruction  des  Remos  a  été  telle,  dans  ces  dernières 
années,  qu'en  me  montrant  chez  un  colon  une  petite  fille  dont  je 
me  hâtai  de  faire  la  photographie,  on  m'assura  qu'elle  était  l'un 
des  derniers  représentants  de  leur  race.  Au  lieu  de  se  peindre 
avec  de  l'achiote  ou  du  genipa,  comme  les  autres  sauvages  du 
Pérou,  les  Remos  se  font  des  tatouages  indélébiles  en  se 
piquant  la  peau  avec  une  épine  pour  y  faire  pénétrer  ensuite 
la  fumée  produite  parla  combustion  d'un  copal. 

Dans  la  pensée  de  protéger  les  Remos  contre  les  correrias, 
le  père  Calvo  fonda  en  18S9  la  mission  de  Callaria  dans  la  vallée 
du  même  nom.  Mais,  comme  certains  commerçants,  dit-il,  ne 
cessaient  de  demander  aux  Sipibos  des  enfants  en  échange  de 
haches  et  de  machetes,  le  couvent  cessa  d'être  un  porte-respect 
suffisant,  et  les  Remos  ayant  été  plusieurs  fois  attaqués,  le  petit 
nombre  de  ceux  qui  échappèrent  se  retira  à  l'intérieur  du  Pi3ruya. 
On  ne  put  savoir,  ajoute  le  père  Calvo,  quelle  fut  leur  retraite 
exacte.  Depuis,  les  Harpies  de  TUcayali  se  chargèrent  de  la 
découvrir. 


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316  LES  SAUVAGES   DU    PÉROU 

Ëa  allant  toujours  vers  le  nord,  ou  rencontre,  après  les 
RemoSy  les  Gapanahuas  ou  Busqulpanis^  puis  les  Mayorunas  dont 
j'ai  dit  quelques  mots  en  parlant  des  anthropophages.  Ces  deux 
tribus  sont  également  redoutées  des  chercheurs  de  caoutchouc 
qui  s'aventurent  dans  leurs  forêts.  L'arme  habituelle  des  Mayo- 
runas, Indiens  que  l'on  retrouve  sur  le  bas  Marafion  et  sur  le  rio 
NapOy  est  une  lance  en  chonta,  véritable  hdsta  qu'ils  savent 
lancer  comme  un  dard  à  de  grandes  distances.  Ils  se  plantent 
dans  les  lèvres  de  petites  baguettes  et  des  plumes. 

Sur  la  rive  gauche  du  bas  Ucayali,  entre  le  canal  Sapote  et  la 
rivière  Pacaya,  existent  une  trentaine  de  familles  de  Puinahuas, 
nom  qui  signifie  en  langue  pana  hommes  d'excréments  et  qui 
leur  a  été  donné  pour  leur  malpropreté.  Ils  sont  d'ailleurs  très 
timides  et  inoffensifs.  Leur  idiome  dérive  du  cocama  que  parlent 
les  Indiens  de  Nauta  sur  le  Maraûon.  Leur  vêtement  habituel 
est  une  sorte  de  sac  d'écorce. 

Us  ont  pour  voisins  les  AgtuirUeas  dont  aucun  auteur,  je  crois, 
n'a  signalé  l'existence.  Celte  tribu  habitait  primitivement  dans 
le  pays  actuel  des  Omahuas,  sur  la  rive  gauche  du  Maraûon, 
entre  Nauta  et  Iquitos.  Une  guerre  sans  trêve  avec  les  Cocamas 
les  obligea,  il  y  a  une  cinquantaine  d'années,  &  émigrer,  et  on 
les  trouve  aujourd'hui  vers  les  cabeceras  de  la  quebradaPacaya. 

Le  premier  sentier  que  les  Espagnols  ouvrirent  de  la  côte  du 
Pérou  à  la  Montaûa  passe  par  la  vallée  de  Moyobamba,  qui  fut 
découverte  par  Alonso  de  Âlvarado  en  1639  et  qui  aboutit  au 
rio  Huallaga,  l'un  des  grands  affluents  du  Marafion.  Les  Moyo- 
bambinos  d'aujourd'hui  sont  des  métis  chez  qui  les  caractères 
de  la  race  blanche  prédominent.  Les  femmes  ont  les  traits  régu- 
liers et  le  teint  d'une  remarquable  fraîcheur.  J'ai  constaté  que 
l'on  ne  trouve  pas  à  beaucoup  près  de  type  aussi  agréable  dans 
les  races  hybrides  de  TAmazonie  brésilienne.  Le  savant  Rai- 
mondi,  qui  a  fait  plusieurs  séjours  à  Moyobamba^  a  remarqué, 
parmi  les  métis  de  cette  vallée,  des  chevelures  blondes  %  ce  qui 
donne  une  vraisemblance  aux  Garapachos  du  père  Girbal. 

1)  «  Algunos  pocos  tienen  el  pelo  casi  rubio,  lo  que  les  acerca  mas  todavia  a 
la  raza  blanca.  »  —  Apuntes  soore  la  Provinoia  litoral  de  Loreto. 


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LES   SAUVAGES   DU  PÉROU  317 

Les  Moyobambinos  parlent  Tespagnol  el  le  quichua.  Ils  ont 
pour  voisins  :  au  sud,  les  Suchiches  et  les  Lamas,  passés  maîtres 
dans  la  fabrication  des  sarbacanes  et  d'un  poison  dont  Faction 
diffère  quelque  peu  du  curare  des  Ticunas  ;  au  nord^  les  Jeberos 
qui  sont  les  Indiens  les  plus  robustes  et  les  plus  travailleurs  du 
Pérou.  Ce  sont  eux  qui  cultivent  la  plus  grande  partie  des  terres 
de  Moyobamba  et  qui  transportent,  sur  le  dos,  les  ballots  de  mar- 
chandises là  où  les  mules  refusent  de  passer.  Leur  bourg  de 
maisonnettes  en  clayonnage  est  d'une  remarquable  propreté.  Us 
parlent  le  jebero  ou  le  quichua  et  pratiquent  le  culte  catholique. 
On  voit  que  cette  race,  bien  que  les  Jeberos  ne  connaissent 
d'autre  vêtement  que  la  pampanilla  est  tout  aussi  civilisée 
que  les  races  de  la  côte  ou  de  la  sierra. 

Elle  n'a  pas  moins  subi  la  loi  fatale,  et  n'a  cessé  de  dimi- 
nuer en  nombre  depuis  1637,  époque  où  elle  se  soumit  à  la  vie 
civile. 

Plus  au  nord,  entre  le  Pongo  de  Manseriche,  fameuse  gorge 
du  Maraûon,  et  le  rio  Pastaza,  et  au  delà  des  frontières  de 
l'Equateur,  on  trouve  les  Jivaros  qui  sont  habituellement  nus 
et  dont  l'arme  favorite  est  la  lance.  Leurs  diverses  tribus  :  Anti-- 
pas,  AguarunaSf  AyuHs,  Huambisas,  Muratos,  Cherembos,  etc., 
obéissent  à  des  chefs  ayant  chacun  une  espèce  de  cour  ou  de 
garde  d'honneur  et  sont  entre  elles  en  perpétuel  état  de  guerre. 
Le  trophée  auquel  ces  sauvages  ajoutent  le  plus  de  prix  est  la 
tète  du  chef  ennemi.  Après  l'avoir  séparée  du  tronc  par  une 
section  nette,  ils  en  retirent  le  cr&ne  et  autres  parties  osseuses, 
puis  ils  lui  font  subir  une  sorte  de  tannage  et  une>étraction  uni- 
forme qui  la  réduit  à  la  grosseur  d'une  orange  sans  détruire 
le  type  du  visage.  (Voir  le  spécimen  que  j'ai  remis  au  musée.) 
Ils  gardent  sur  leur  procédé  un  secret  farouche,  ou  donnent  des 
explications  incompréhensibles.  Tout  ce  que  j'ai  pu  savoir,  c'est 
que  dans  une  certaine  partie  de  Topération^  ils  se  servent  de 
petites  pierres  ou  de  sable  chauffés. 

Au  milieu  des  longs  cheveux  rudes  qui  tombent  comme  une 
queue  de  cheval  de  la  tète  minuscule,  ils  attachent  des  dépouilles 
d'oiseaux  et  des  guirlandes  irisées  d'élytres  de  coléoptères. 


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318  LES   SAUVAGES   DU   PÉROU 

Ils  s'ornent  de  ces  trophées  ou  les  suspendent  à  un  T  pour  les 
agiter  en  Tair,  dans  la  fête  sauvage  od  ils  célèbrent  leurs  victoires 
et  qu'ils  nomment  chancha^tiicui  ou  danse  des  têtes. 

Outre  leur  langue  spéciale,  beaucoup  de  Jivaros  parlent  le 
quichua.  Cette  remarque  s'étend  à  la  plupart  des  tribus  des 
provinces  de  Moyobamba  et  de  Tarapoto.  Les  relations  que  ces. 
Indiens  ont  de  temps  à  autre  avec  les  FrorUerizos  de  Ghacha- 
poyas  ne  peuvent. expliquer  un  fait  aussi  général.  Pour  en  trou- 
ver l'origine,  il  faut  remonter  à  une  époque  antérieure  à  Touver- 
ture  du  premier  sentier  des  Espagnols,  et  se  rappeler  que  le 
grand  conquérant  Tupac  Yupanqui  avait  soumis  à  l'empire  des 
Incas  une  partie  de  la  région  dont  je  m'occupe  et  qui  était  alors 
connue  sous  le  nom  de  Muyupampa*. 

Dans  le  courant  de  ces  dernières  années ,  des  cahucheros  ont 
pénétré  jusqu'au  cœur  du  pays  des  Jivaros,  lesquels  ont  fini, 
comme  les  Indiens  de  TUcayali ,  par  récolter  pour  le  compta 
d'autrui  la  précieuse  gomme  élastique.  Les  Antipas  du  haut 
Maraôon  sont  aussi  d'utiles  auxiliaires  pour  les  colons  qui 
recueillent  la  salsepareille,  le  copal  et  l'ivoire  végétal. 

Le  capitaine  de  corvette  péruvien  Vargas  qui,  en  1867,  remonta 
çn  steamer  le  rio  Morona,  sur  une  longueur  de  2^8  milles,  dit  que 
les  Ayulis  ont  le  teint  clair,  de  beaux  yeux  et  de  la  barbe*.  «  Tout 
porte  à  croire,  ajoute-t-il,  qu'ils  ont  dans  les  veines  du  sang 
européen,  et  Ton  doit  admettre  la  tradition  d'après  laquelle, 
après  avoir  détruit,  il  y  a  environ  cent  ans,  la  ville  de  Logrofto  et 
autres  pueblos  espagnols,  dont  ils  décapitèrent  tous  les  habitants 
mâles,  ces  Jivaros  emmenèrent  avec  eux  les  femmes,  y  compris 
les  nonnes  du  couvent  de  Logrofto,  » 

Entre  le  Morona  supérieur  et  le  Napo,  aux  cabeceras  du  Paz- 
taza,  on  trouve,  entre  autres  nations,  celles  des  Canelos  qui  ser- 
virent de  guides  à  l'explorateur  équatorien  Proafto  dans  son 
second  voyage  sur  le  haut  Morona,  lorsqu'il  quitta  le  steamer  du 


1)  Garcilaso,  Comentarios  reaies.  Parte  I»,  libro  VïII,  cap.  m. 

2)  Parte  del  capitan  de  corbeta  graduado,  D.  Mariano-Adrian  Vargas,  en  el 
viaje  de  exploracion  hecho  a  los  rios  «  Alto  Maranon  »  y  «  Morona  ».  —  Ei 
Peruano  de  24  de  déciembre  de  1867. 


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LES   SAUVAGES  DU  PÉROU  319 

capitaine  Vargtts  pour  se  rendre  à  Guayaquil,  sa  patrie.  Les 
Canelos  qui  ont  des  relations,  tantôt  avec  les  riverains  du  Mara- 
fton,  tantôt  avec  les  pueblos  de  l'Equateur,  sont  quelque  peu 
civilisés. 

En  descendant  le  Huallaga,  on  rencontre  succcessivement  les 
Cholones  et  les  Hibitos^  Indiens  de  mœurs  paisibles,  qui  accueil- 
lirent les  missionnaires  dès  1676,  puis  les  Cocamillas,  d'une 
adresse  et  d'une  audace  hors  pair  pour  franchir  en  pirogue  les 
pongos  et  les  rapides  semés  de  roches  du  torrentueux  et  formi- 
dable Huallaga.  Les  Cocamillas  sont  soumis  à  la  vie  civile.  Leur 
village  le  plus  important,  La  Laguna,  renfermait  en  1861, 
époque  à  laquelle  il  fut  visité  par  M.  Raimondi,  plus  de  mille 
habitants.  Il  en  compte  à  peine  cent  cinquante  aujourd'hui.  Ces 
Indiens,  de  même  que  les  Cocamas,  les  Llameos  et  les  Omahuas 
qui  habitent  le  district  de  Nauta,  sont  baptisés,  mais  ils  n'ont 
abandonné  pour  autant  aucune  de  leurs  croyances  et  pratiques 
primitives.  Us  sont  généralement  vêtus  d'un  pantdon  et  d'une 
petite  cusma  blanche,  noire  ou  bleue,  suivant  la  tribu.  Les 
femmes  se  contentent  d'un  pagne  et  d'une  chemisette  qu'elles 
portent  plus  souvent  sous  le  bras  que  sur  les  épaules. 

D'Iquitos  au  rio  Javari,  on  rencontre  encore  ,  outre  les  Mayo- 
runas  dont  j'ai  parlé,  des  Orejones ,  des  PebaSy  des  Yakuas  et 
des  Ticunas.  Un  certain  nombre  de  ceux  qui  habitent  sur  les 
rives  du  Marafîon  se  considèrent  comme  chrétiens  et  civilisés. 
En  réalité  ils  ne  diffèrent  de  leurs  congénères  de  l'intérieur  des 
forêts  que  par  ce  fait,  que  les  uns  portent  un  pantalon  et  que  les 
autres  s'en  passent  généralement.  Toutes  ces  tribus  sont  exper- 
tes dans  la  préparation  du  curare  connu  aussi  sous  le  nom  de 
poison  des  Ticunas.  Ils  en  fabriquent  diverses  variétés  d'intensités 
inégales  et  qu'ils  conservent,  suivant  l'espèce,  dans  des  tubes  de 
bambou  ou  dans  de  petits  pots  de  terre.  On  sait  qu'ils  emploient 
dans  cette  opération  chimique  le  cocculus  toxicoferus^  que  les 
Orejones  nomment  bobugoy  et  divers  strychnoSy  entre  autres  le 
strychnos  castelneana  (Wedd,)  que  les  mêmes  Indiens  désignent 
sous  le  nom  de  taraiu.  Mais  il  paraît  que  le  curare  ne  doit  ses 
terribles  propriétés  qu'à  une  seule  de  ces  lianes  vénéneuses. 


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320  LSS  SAUVAGES  DU  PÉROU 

Les  Orejones  doivent  leur  nom  aux  dimensions  de  leurs 
oreilles,  dont  le  lobe  inférieur  est  souvent  allongé  au  point  de 
toucher  Fépaule.  Ils  arrivent  à  ce  résultat  en  y  suspendant  des 
rondelles  de  bois  dont  le  poids  est  gradué  de  façon  à  étirer  pro- 
gressivement le  cartilage,  comme  un  morceau  de  caoutchouc, 
sans  le  rompre.  Ils  se  passent  encore  à  travers  le  nez  de  petites 
baguettes  auxquelles  ils  attachent  divers  ornements.  —  On  sait 
que  les  longues  oreilles,  agrandies  par  le  même  procédé,  étaient 
Fun  des  attributs  de  la  race  royale  chez  les  Incas. 

Toutes  ces  peuplades  du  bas  Maraôon  passent  une  partie  de 
leur  existence  dans  des  hamacs,  dont  le  fil  est  extrait  des  folioles 
du  palmier  chambira. 

Les  YahiLOS,  dont  j'ai  rencontré  à  Pebas  et  admiré  plusieurs 
familles,  présentent,  par  le  galbe  splendide  de  leurs  formes  et  la 
grâce  de  leur  physionomie,  le  type  le  plus  parfait  des  races  péru- 
viennes et  vraisemblablement  de  toutes  les  races  indiennes.  Le 
teint  d'abricot  de  ces  Apollons  et  de  ces  Vénus  de  FAmazone  est 
plus  clair  que  celui  de  leurs  voisins  qui  paraissent,  à  côté,  d'une 
nuance  terreuse.  Il  semble  d'ailleurs  qu'ils  cherchent  à  se  distin- 
guer des  autres  tribus  par  tous  les  moyens  en  leur  pouvoir. 
Ainsi,  ils  se  coupent  les  cheveux  courts,  presque  ras.  Les  deux 
sexes  portent  une  ceinture  d'où  tombent  des  franges  de  cham- 
bira,  dont  l'objet  paraît  être  de  décorer  autant  que  de  cacher.  Un 
voile  de  même  matière  leur  flotte  sur  le  dos,  attaché  au  bandeau 
d'écorce  fine  qui  leur  ceint  la  tète.  Enfin  des  houppes  et  des  bra- 
celets de  chambira  frisée ,  sur  le  haut  des  bras  et  sur  les  mol- 
lets, complètent,  je  ne  dirai  pas  leur  costume,  mais  leur  parure. 
Pour  peindre  leur  caractère^  Raimondi  emploie  l'adjectif  espa- 
gnol carifïosoy  qui  signifie,  suivant  les  cas,  affectueux  ou  cares- 
sant. 

Si,  pour  pourvoir  à  leur  subsistance ,  les  Indiens  des  forêts 
voisines  de  la  Cordillère  sont  obligés  de  vivre  disséminés, 
comme  les  Campas,  ou  bien  en  tribus  nomades  comme  ces  hordes 
du  Palcazu  et  du  Pachitea,  que  les  missionnaires  du  siècle  passé 
ne  rencontraient  jamais  deux  ans  de  suite  à  la  même  place,  il 
n'en  est  pas  de  même  des  riverains  de  l'Ucayali  et  du  Marafion, 


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LES  SAUVAGES  DU  PÉBOU  321 

qui  trouvent,  soit  daos  ces  grands  fleuves^  soit  dans  les  lacs  et 
canaux  adjacents,  une  quantité  de  poisson,  de  tortues,  de  iamen- 
tins,  etc.,  bien  plus  que  suffisante  pour  leur  alimentation.  Aussi, 
ces  peuplades  formaient,  c^  et  là,  lorsqu'elles  furent  décou- 
vertes, des  groupes  relativement  importants. 

Les  missions  de  Ma]mas,  dont  la  capitale  fut  ce  bourg  de  la 
Laguna,  dont  j'ai  signalé  plus  haut  Tétat  d'abandon,  comp- 
taient, en  1689,  sous  la  direction  du  père  Fritz,  quarante  villages 
dont  il  ne  reste  pas  la  moitié. 

Le  père  Pallares,  voulant  faire  la  statistique  des  Indiens  de  la 
vallée  de  TUcayali,  remonta,  en  1854^  non  seulement  ce  fleuve, 
mais  chacun  de  ses  affluents,  sur  un  parcours  de  huit  à  dix 
lieues.  Il  avait  eu  Tidée  originale  d'emporter  avec  lui  un  orgue 
de  Barbarie  dont  il  tournait  de  temps  à  autre  la  manivelle  pour 
faire  sortir  les  sauvages  de  leurs  retraites.  De  l'embouchure  du 
rio  Santa  Catalina  à  celle  du  Tambo,  c'est-à-dire  sur  une  Ion* 
gueur  de  cent  quatre-vingts  lieues,  qui  représente  à  peu  près 
la  moitié  du  cours  de  TUcayali,  il  compta  dix-sept  cents  quatre- 
vingts  sauvages,  y  compris  les  femmes  et  les  petits  enfants.  Il 
nota  que  le  plus  grand  nombre  meurent  avant  l'&ge  de  douze 
ans,  ce  qu'il  attribue  à  la  négligence  des  parents  qui  laissent 
leurs  enfants  manger  de  la  terre,  ce  vice  ayant  pour  résultat  un 
monstrueux  gonflement  du  ventre  qui  entraîne  habituellement 
la  mort  au  terme  de  trois  ou  quatre  ans. 

Le  moyen  d'attraction  imaginé  par  le  père  Pallares  était 
insuffisant,  car  les  missionnaires  qui  vinrent  après  lui  déclarent 
que  son  chiffre  était  sensiblement  au-dessous  de  la  vérité. 
n  ne  ressort  pas  moins  de  son  travail  que,  des  tribus  décou- 
vertes par  les  Franciscains,  les  unes  étaient,  déjà  en  1851, 
complètement  anéanties,  les  autres  réduites  à  des  effectifs  relati- 
vement infimes.  Ainsi,  du  pueblo  de  San  Miguel  où  il  y  avait  en 
1685,  deux  mille  Conibos,  il  ne  restait  que  la  place  ;  ainsi,  de  la 
tribu  des  SensiSj  qui  fut  découverte  par  le  père  Plaza,  en  1811, 
près  du  rio  Guanacha  et  comptait  alors  un  millier  d'individus,  il 
ne  restait  que  douze  hommes,  dont  deux  seulement  avaient  plus 
de  trente  ans,  quinze  femmes  et  neuf  enfants.  H  faut  les  inscrire 


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322  LES  Sauvages  du  Pérou 

aujourd'hui  dans  la  liste  des  disparus.  Ont  disparu  de  même  les 
Maspos  du  rio  Manipoboro,  chez  qui  le  përe  Biedma  avait  trouvé 
en  1686,  un  village  de  cinq  cents  habitants,  et  les  Pichabos  et  les 
Soboyobos  de  la  rive  droite  de  TUcayali,  et  les  Chipeos  et  les 
Muchubus  de  la  rive  gauche.  H  ne  reste  non  plus  que  le  nom  des 
VinabiSy  des  ChuntiSj  des  SmabuSy  des  Ormigas  du  père  Girbal, 
et  de  tant  d'autres  dont  il  serait  plus  long  de  faire  Ténumération 
que  dé  compter  ceux  qui  leur  ont  survécu. 

Depuis  l'arrivée  des  blancs,  les  Indiens,  qu'ils  soient  restés 
complètement  indépendants  ou  qu'ils  aient  été  à  demi  civilisés, 
pnt  donc  diminué  de  nombre  suivant  une  progression  si  con- 
tinue et  si  rapide,  que  Ton  peut  prédire  Fépoque  plus  ou  moins 
proche  de  leur  complet  anéantissement. 

M.  Raimondi  estime  que  la  petite  vérole,  qui  fait  d'épouvan- 
tables ravages  dans  ces  tribus  où,  comme  bien  on  pense,  la  vac- 
cine est  inconnue,  est  Tune  des  principales  causes  du  dépeuple- 
ment de  la  Montaîia.  Cette  opinion  prouve  que  dans  l'esprit  de 
l'éminent  américaniste,  la  variole,  qui  fut  importée  du  centre  de 
l'Afrique  en  Europe  par  les  Sarrasins,  serait  pour  les  peuplades 
américaines  un  don  des  Européens. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  en  lui  apportant  ses  virus  et  ses 
vices,  ses  liqueurs  fortes  et  ses  épidémies  que  le  Blanc  est  fatal 
à  rindien.  Dans  ces  régions  reculées,  à  peu  près  sans  communi- 
cation avec  le  siège  du  gouvernement,  l'exploitation  du  faible 
par  le  fort  est  d'autant  plus  dure  qu'il  ne  peut  y  avoir,  en  l'état 
actuel,  de  répression  efficace.  J'ai  parlé  des  correrias,  je  pour- 
rais citer  d'autres  abus  criminels  dont  souffrent  aussi  bien  les 
Indiens  soumis  à  la  vie  civile  que  les  véritables  sauvages. 
L'étude  de  cette  meurtrière  oppression  m'entraînerait  loin  des 
limites  de  mon  sujet,  et  je  dois  me  résumer  en  disant  que  là  où 
la  civilisation  apparaît  sans  ses  gendarmes,  elle  est  pire  que  la 
barbarie. 


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LES,  PÏGMÉES  À  MADAfiASCAR 


Jja  publication  récente  d'un  ouvrage.de  M,  de  Quatrefages  sur 
les  Pygmées*  nous  a  décidé  à  réunir  ce  que  nous  savons  de  la 
question  en  ce  qui  concerne  Madagascar.  Aussi  bien  le  livre  du 
savant  maître,  si  riche  en  documents  et  informations  de  toute» 
sortes,  est  muet  sur  les  Pygmées  de  la  grande  île  africaine  :  ceU 
tient  sans  doute  à  ce  que  les  auteurs  modernes,  qui  ont  écrit  sur 
Madagasc^r^  se  sont  refusés  à  étudier  de  près  Tantique  tradition 
des  Pygfnées  dans  rile. 

Ce  dédain  ne  nous  semble  pas  justifié^  et  c'est  ici  le  lieu  dé 
citer  la  conclusion  de  M;  de  Quatre fages  à  la  fin  du  chapitre  où 
il  traite  des  négiîlles  ou  Pygmées  d'Afrique*  :  «  La  science  mo* 
derne,  parfois  égarée  par  sa  sévérité,  s'est  longtemps  arrêtée 
uniquement  à  ce  qu'il  y  avait  d'inacceptable  dans  ce  que  la  tra- 
dition rapportait  des  petits  hommes  d'Asie  ou  d'Afrique  et  a 
rejeté  le  tout  en  bloc.  Nous  venons  de  voir  qu'elle  a  eu  tort...  >> 
C'est  ce  que  nous  voudrions  prouver  à  notre  tour  pour  Mada- 
gascar en  particulier. 

Nous  n'avions  rien  dit  des  Quimos  ou  Kimos  —  c'est  le  nom 
que  la  tradition  donne  aux  Pygmées  à  Madagascar  —  nous  n'en 
avions  rien  dit  dans  notre  étude  sur  les  Peuplades  de  Mada- 
gascar^, ce  sujet  nous  semblant  relever  plutôt  de  la  légende  que 
de  l'histoire,  par  ce  fait  même  qu'aujourd'hui,  dans  les  relations 
des  voyageurs  les  plus  récentes,  il  n'est  plus  parlé  de  ce  peuple 
nain,  dont  on  s'était  un  peu  occupé  aux  xvu'  et  xivlii*  siècles,  et 


i)  Un  vol.  in-12,  avec  31  fig.  Paris,  J.-B.  Baillière. 

2)  loc.  ci(.,p.  274. 

3)  Voy.  Revue  d'ethnographie,  1886,  n^ô.  —  1887,  n«  1. 


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324  LES  PTGMÉES  A  MADAGASCAR 

qu'il  ne  semble  plus  jouer  aucun  rôle  positif  et  défini  dans  le 
composé  ethnique  qui  constitue  la  population  malgache.  H  est 
bon  de  revenir  maintenant  à  loisir  sur  la  légende  délaissée  et  de 
voir  si  la  découverte  relativement  récente  de  véritables  peuples 
nains  en  Afrique  ne  Téclaire  pas  d'un  jour  particulier. 


Flacourt^  qui,  le  premier  en  cela  comme  en  mille  autres  des 
choses  malgaches,  nous  rapporte  la  légende,  dit  en  son  Avant- 
propos  :  «  Quelques-uns  ont  voulu  faire  accroire  qu'il  y  avoit 
des  Géans  et  des  Pygmées  :  je  m'en  suis  informé  exprès,  ce  sont 
des  fables  que  racontent  les  joueurs  dlierravou*.  J'ay  veu 
un  endroit  proche  dltapère,  où  Ton  m'a  dit  que  c'étoit  des 
Pygmées  qui  y  estoient  enterrez.  Ces  Pygmées  estoient  venus 
en  grand  nombre  faire  une  course  dans  lé  païs  d'Ânossi,  dont  ils 
furent  repoussez  jusqu'à  la  rivière  dltapère,  laquelle  n'ayans  pu 
passer  faute  de  batteaux,  ils  furent  tous  mis  à  mort,  et  pour 
marque  de  victoire  les  victorieux  les  enterrèrent  tous^  et  dres- 
sèrent ces  pierres.  » 

On  voit  que  Flacourt  traite  dès  l'abord  ces  traditions  de  fables 
et  lui,  esprit  d'ordinaire  si  curieux,  ne  chercha  pas  à  approfon- 
dir. Presque  tous  ceux  qui  vinrent  après  lui,  connaissant  tout  le 
poids,  la  véracité  et  la  conscience  de  l'auteur,  s'en  tinrent  à  sa 
décision,  comme  à  parole  d'Évangile,  et  partagèrent  son  scepti- 
cisme. C'est  surtout  parmi  les  auteurs  récents  qui  écrivirent  sur 
Madagascar  que  cette  foi  absolue  dans  le  jugement  de  Flacourt 
eut  pour  conséquence  de  perpétuer  sa  propre  incuriosité. 

Plus  d'un  siècle  après  Flacourt,  on  se  met  à  parler  de  nouveau 
des  Pygmées  de  Madagascar,  mais  cette  fois  d'une  façon  beaucoup 
plus  précise.  C'est  Modavc  qui  donne  le  branle.  M.  de  Modave, 


1)  Hist.  de  la  grande  isle  de  Mad.  Paris,  )d4s  1658. 

2)  Herravou  ou  érahou ,  instrument  de  musique  formé  d*une  moitié  de  cale» 
basse  tendue  d'une  seule  corde  que  Ton  met  en  vibration  au  moyen  d'un  archet. 
•—  Les  joueurs  d'érahou  sont  des  sortes  ô'aèdes,  moitié  poètes,  moitié  sorciers. 


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LES  PYGMÉES  A   MADAGASCAR  325 

homme  fort  éclairé,  esprit  chercheur  et  observateur,  fut,  de  1768 
à  1770,  gouverneur  de  nos  établissements  dans  Tlle.  Il  y  occupa 
fort  bien  son  temps  et  rédigea  un  journal  conservé  emsi  Archives 
coloniales  :  nous  y  avons  déjà  puisé  nombre  de  documents  inté- 
ressants pour  nos  précédentes  études.  Or,  voici  ce  qu'il  dit  à  la 
page  21  de  son  journal  manuscrit  : 

a  Raimouza  est  le  plus  instruit  de  tous  les  Madécasses  que  j'ai 
vus  jusqu'à  présent  :  il  entend  fort  bien  le  français  et  il  connaît 
l'intérieur  du  pais  de  manière  à  en  tirer  de  grands  éclaircisse- 
ments. Il  a  été  au  païs  à'Alfissach  et  y  a  vu  la  vigne.  Il  a  traité 
plusieurs  fois  avec  les  Quimos^  cette  nation  singulière  qui  forme 
un  peuple  à  part  et  dont  je  vais  parler. 

«  Les  Quimos  sont  une  race  de  petits  hommes,  qui,  au  rapport 
de  Raimouza  n'ont  pas  plus  de  trois  pieds  et  demi  de  haut.  Ce  sont 
les  Lapons  des  nègres.  Ils  habitent  une  grande  vallée  entourée 
de  montagnes  à  peu  près  au  centre  de  l'isle,  à  la  hauteur  de  Ma- 
nanzari.  Ces  hommes  portent  une  grande  barbe.  Us  sont  gros  et 
trapus.  On  prétend  que  leur  caractère  est  doux  et  sociable  et 
qu'ils  cultivent  bien  la  terre;  leurnation  est  assez  nombreuse, 
puisque  leur  pais  égale,  dit-on,  en  étendue  et  en  population  la 
vallée  d'Amboule.  Ils  obéissent  à  un  chef  qui  les  gouverne  avec 
douceur  et  auquel  le  fils  aîné  succède  toujours.  Ils  sont  armés  de 
fusils  qu  ils  traitent  avec  les  noirs  qui  commercent  avec  nous. 
Us  forgent  des  sagayes  beaucoup  plus  longues  et  plus  fortes  que 
celles  dont  les  autres  nègres  se  servent,  et  ils  les  lancent  avec 
beaucoup  de  roideur  et  de  dextérité.  Ils  ont  beaucoup  de  mines 
de  fer  et  ils  sçavent  très  bien  le  travailler.  Le  père  de  Mainbou 
les  attaqua  autrefois  dans  leur  pais  et  il  fut  tué  dans  cette  guerre 
contre  les  petits  hommes.  On  assure  qu'ils  sont  fort  hospitaliers 
et  qu'ils  reçoivent  très  bien  les  étrangers.  » 

Certains  points  de  cette  description  paraissent  hasardés  ;  Mo- 
dave,  mieux  renseigné,  les  rectifiera  plus  tard  dans  un  mé-» 
moire. 

Le  savant  naturaliste  Commerson,  qui  avait  passé  de  longues 
aimées  à  Madagascar  —  il  l'appela  une  terre  de  promissions  mot 
qui  a  fait  fortune  —  et  aux  Mascareignes,  avait  visité  Tile  juste- 


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326  LES   PYGBfÉES  A  MADAGASCAR 

ment  à  Tépoquè  où  Modave  commandait  nos  établissements. 
C'est  ainsi  qull  eut  l'occasion  de  recueillir  de  curieux  renseigne- 
ments sur  les  Quimos  ou  Kimos.  Il  adressa  à  ce  sujet  une  lettre  à 
M.  de  la  Lande  qui  fut  insérée  dans  le  Supplément  au  voyage  de 
M.  de  Bougainviile,  etc.,  par  M.  de  Fréville*.  Cette  lettre  fut 
reproduite,  en  ce  qui  concerne  les  Quimos,  par  Alexis  Rochon 
dans  ses  Voyages  à  Madagascar j  au  Maroc  et  aux  Indes  Orien- 
tales*. 

Commerson  y  parle  de  «  ces  demi-hommes  de  Fintérieur  de  la 
grande  île  de  Madagascar,  qui  y  forment  un  corps  de  nation 
considérable,  appelé  Quimos  ou  Kimos,  en  langue  madécasse. 
Le  caractère  naturel  et  distinctif  de  ces  petits  hommes  est  d'être 
blancs,  ou  du  moins  plus  pâles  de  couleur  que  tous  les  noirs 
connus,  d'avoir  les  bras  très  allongés,  de  façon  que  la  main 
atteint  au-dessous  du  genou  sans  plier  le  corps  ;  et  pour  les 
femmes,  de  marquer  à  peine  leur  sexe  par  les  mamelles,  excepté 
dans  le  temps  qu'elles  nourrissent...  Quant  aux  facultés  intellec- 
tuelles, les  Quimos  le  disputent  aux  autres  Madécasses,  que  l'on 
sait  être  fort  spirituels  et  fort  adroits,  quoique  livrés  à  la  plus 
grande  paresse  ;  mais  on  assure  que  les  Quimos,  beaucoup  plus 
actifs ,  sont  aussi  plus  belliqueux...  Ils  n'ont  jamais  pu  être 
opprimés  par  leurs  voisins...  Ils  ne  communiquent  pas  avec  les 
différentes  castes  madécasses  dont  ils  sont  environnés,  ni  par 
commerce,  ni  de  quelque  autre  manière  que  ce  soit,  tirant  tous 
leurs  besoins  du  sol  qu'ils  possèdent...  Leurs  armes  sont  la  sa- 
gaie et  le  trait  qu'ils  lancent  on  ne  peut  plus  juste. 

«  A  trois  ou  quatre  journées  de  Fort-Dauphin,  les  gens  du 
pays  montrent,  avec  beaucoup  de  complaisance,  une  suite  de 
petits  monticules,  ou  tertres  de  terre  en  forme  de  tombeaux, 
qu'ils  assurent  devoir  leur  origine  à  un  grand  massacre  de  Qui- 
mos, défaits  en  pleins  champs  par  leurs  ancêtres.  Quoi  qu'il  en 
soit,  cette  tradition  constante  dans  ces  cantons,  ainsi  qu'une  no- 
tion généralement  répandue  par  tout  Madagascar,  de  l'existence 


1)  Paris,  chez  Saillant,  1772. 

2)  Pans,  Prauit,  an  X  de  la  Rép.  in-lS,  1. 1,  p.  128  et  sqq. 


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LES   PTGMÉES   A  MADAGASCAR  327 

encore  actuelle  des  Quîmos,  ne  permettent  pas  de  douter  qu'une 
partie  de  ce  qu'on  raconte  ne  soit  véritable. 

«  ...  J'attesterai  comme  témoin  oculaire  que  dans  le  voyage 
que  je  viens  de  faire  au  Fort-Dauphin  (sur  la  fin  de  1770),  M.  le 
comte  de  Modave  me  procura  enfin  la  satisfaction  de  me  faire 
voir  parmi  ses  esclaves  une  femme  quimose,  âgée  d'environ  trente 
ans,  haute  de  trois  pieds  sept  pouces,  dont  la  couleur  était  en 
effet  de  la  couleur  la  plus  éclaircie  que  j'ai  vue  parmi  les  habi- 
tants de  cette  île  ;  je  remarquai  qu'elle  était  bien  membrue  dans 
sa  petite  stature,  ne  ressemblant  point  aux  personnes  fluettes, 
mais  plutôt  à  une  femme  de  proportion  ordinaire  dans  le  détail, 
mais  seulement  raccourcie  dans  sa  hauteur;  que  les  bras  en 
étaient  effectivement  très  longs  et  atteignant,  sans  qu'elle  se 
courbât,  à  la  rotule  du  genou  ;  que  ses  cheveux  étaient  courts 
et  laineux  ;  la  physionomie  assez  bonne,  se  rapprochant  plus  de 
l'européenne  que  de  la  madécasse;  qu'elle  avait  habituellement 
l'air  riant,  l'humeur  douce  et  complaisante  et  du  bon  sens  à  en 
juger  par  sa  conduite.  Quant  aux  mamelles,  il  ne  s'en  trouva 
que  le  bouton.  Enfin,  peu  avant  notre  départ,  Tenvie  de  recou- 
vrer sa  liberté,  autant  que  la  crainte  d'un  embarquement  pro- 
chain, portèrent  la  petite  esclave  à  s'enfuir  dans  les  bois.  » 

Rochon  cite  ensuite  *  un  mémoire  de  Modave  consacré  spé- 
cialement à  cette  peuplade  de  nains,  et  qui  complète  heureuse- 
ment les  renseignements  un  peu  sommaires  de  son  Journal. 

Modave  raconte  qu'à  son  arrivée,  en  septembre  1768,  à  Fort- 
Dauphin,  on  lui  remit  un  mémoire  «  qui  concernait  quelques  par- 
ticularités, sur  ce  peuple  singulier,  nommé  en  langue  madécasse 
QuimoSy  qui  habite  l'Ile  de  Madagascar  par  la  latitude  de  22''. 
J'en  avois  déjà  entendu  parler,  ajoute-t-il,  plusieurs  fois,  mais 
avec  tant  de  confusion  que  je  n'avois  ^presque  donné  aucune 
attention  à  un  fait  qui  mérite  d'être  éclairci.  » 

«  Il  s'agit  d'un  peuple  de  nains,  vivant  en  société,  gouverné 
par  un  chef,  protégé  par  des  lois  civiles. 

c<  Après  avoir  pris  au  Fort-Dauphin  et  aux  environs  toutes  les 

1)  Loc.  cU.,  p.  134  et  sqq. 


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328  LES   PTGMÉES  A   MADAGASCAR 

informations  possibles,  je  résolus,  il  y  a  deux  mois,  d'envoyer  à 
la  découverte  du  pays  des  Pygmées.  Cette  entreprise  n'eut  aucun 
succès,  par  l'infidélité  et  le  peu  décourage  des  guides.  Mais  j'en 
ai  tiré  du  moins  l'avantage  de  m'assurer  qu'il  y  a  réellement  une 
nation  de  nains,  qui  habitent  une  contrée  de  cette  lie, 

«  La  taille  moyenne  des  honunes  est  de  trois  pieds  cinq 
pouces  ;  ils  portent  une  barbe  longue  et  arrondie  :  la  taille  des 
femmes  est  de  quelques  pouces  plus  petite  que  celle  des 
hommes.  Les  Quimos  sont  gros  et  trapus.  La  couleur  de  leur 
peau  est  moins  bazanée  que  celle  des  autres  insulaires,  et  leurs 
cheveux  sont  courts  et  cotonés.  Ils  forgent  le  fer  et  l'acier,  dont 
ils  font  des  lances  et  des  sagayes.  » 

n  raconte  ensuite  deux  expéditions  contre  les  Quimos  que  fit 
un  chef  malgache,  dont  il  a  connu  le  fils  appelé  Maimbou.  Le 
chef  avait  pris  pour  guide  un  nommé  Remouzai,  —  le  même 
qu'il  appelle  Raimouza  dans  son  Journal  cité  plus  haut.  —  Ce 
Remouzai  donna  à  Modave  des  détails  précis  sur  ces  deux  expé- 
ditions : 

a  Maimbou^  avec  lequel  j'ai  eu  de  grandes  relations  pour 
l'approvisionnement  de  Fort-Dauphin,  n'était  pas  en  âge  d'ac- 
compagner son  père  à  cette  expédition  contre  les  Quimos,  mais 
il  avait  conservé  contre  eux  une  aversion  telle  qu'il  devenait 
furieux  lorsque  je  lui  en  parlais.  Il  voulait  m'engager  à  exter-* 
miner  cette  race  de  singes  (car  il  ne  leur  donnait  jamais  que 
cette  injurieuse  dénomination). 

«  Un  chef  des  Mahaf ailes,  pays  voisins  de  la  baye  de  Saint- 
Augustin,  dit  devant  mes  officiers  qu'il  avoit  été  plusieurs  fois 
dans  le  pays  des  Quimos,  et  que  même  il  leur  avoit  fait  la 
guerre.  Ce  chef  ajouta  que,  depuis  quelqes  années,  cette  nation 
était  fort  tourmentée  par  les  peuples  voisins,  et  qu'on  leur  avait 
brûlé  plusieurs  villages... 

«  D'après  les  relations  de  ce  chef  et  celles  de  Remouzai,  je 
dois  croire  la  vallée  des  Quimos  très  riche  en  troupeaux  et  en 
toutes  sortes  de  subsistances.  Ces  petits  hommes  sont  laborieux 
et  bons  cultivateurs...  Je  n'ai  pu  connaître  retendue  de  la  vallée 
qu'ils  habitent;  je  sais  seulement  qu'elle  est  entourée  de  très 


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LES  PYGMÉES  A  MADAGASCAR  329 

hautes  montagnes,  et  que  sa  situation  par  rapport  au  Fort-Dau- 
phin est  au  N.-O.,  à  soixante  lieues  de  distance.  Le  pays  des 
Matatanes  la  borne  dans  la  partie  de  l'ouest.  Leurs  villages  sont 
assis  sur  de  petits  mondrains,  dont  Fescarpement  est  d'autant 
moins  facile  à  gravir,  qu'ils  ont  encore  multiplié  les  obstacles 
qui  en  défendent  les  approches.,.  » 

Modave  donne  ensuite  le  signalement  de  la  femme  dont  parle 
Commerson  :  il  concorde  parfaitement. 

«  Si  l'entreprise  que  j'ai  faite  il  y  a  deux  mois,  ajoute  Modave 
en  terminant,  avoit  mieux  réussi,  je  naurois  certainement  pas 
laissé  échapper  cette  occasion  d^envoyer  en  France  deux  de  ces 
pygmées  de  Tun  et  de  l'autre  sexe...  Une  vraie  race  de  Pygmées, 
vivant  en  société,  est  un  phénomène  qu'il  n'est  pas  permis  de 
passer  sous  silence.  » 

Et  Rochon  conclut  :  «  Au  récit  de  MM.  de  Modave  et  de  Com- 
merson, on  peut  ajouter  celui  d'un  officier  qui  s'était  procuré  un 
Quimos  et  voulait,  à  ce  qu'il  m'a  dit  lui-même,  l'envoyer  en 
France  ;  mais  M.  de  Surville,  qui  commandait  le  vaisseau  sur 
lequel  il  était  embarqué,  lui  en  refusa  la  permission.  » 

On  accordera  tout  au  moins  à  ces  témoignages  une  grande 
précision  et  une  sincérité  absolue.  Nous  verrons  plus  tard  à  en 
tirer  les  conséquences. 

Mais  Modave  et  Commerson  ne  tardèrent  pas  à  rencontrer  un 
contradicteur,  véhément  et  bien  en  place,  —  deux  choses  qui 
l'aidèrent  à  faire  impression. 

Le  Gentil,  membre  de  l'Académie  des  sciences,  envoyé  dans 
la  mer  des  Indes  pour  observer  le  passage  de  Vénus,  vécut  quel- 
que temps  à  Madagascar  et  y  rencontra  Commerson.  Il  combattit 
dans  la  suite  Topinion  émise  par  celui-ci.  Il  nie  d'abord*  que  le 
mot  Quimos  soit  d'origine  malgache,  ainsi  que  Commerson 
l'avance.  Il  suppose  une  étymologie  portugaise,  vraiment  mal- 
heureuse (  Quiros ,  Quevedo  et  Mosse  de  Moca ,  femme  de 
chambre!),  —  mais  peu  importe.  —  Puis  il  se  contente  de  nier 
formellement  qu'il  existe  une  semblable  tradition  à  Madagascar 

1)  Voyages  dans  les  mers  de  finde.  Paris,  m-4, 1781.  t.  II,  p.  503  çt  sqq. 
VI  23 


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330  LES    PYGMÉES    A    MADAGASCAR 

et  en  particulier  à  Fort-Dauphin.  U  n'a  rien  entendu  de  pareil 
pendant  son  séjour  dans  Tîle,  et  MM.  Commerson  et  de  Modave, 
qu*il  a  beaucoup  fréquentés,  ne  lui  en  ont  jamais  soufflé  mot.  — 
On  avouera  que  ces  raisons  sont  pauvres.  L'ignorance  n'a  jamais 
tenu  lieu  d'argument.  Le  Gentil,  pour  conclure,  se  borne  à  citer 
le  passage  deFlacourt.  Mais  Flacourt  pouvait  être  trop  sceptique 
ou  moins  bien  renseigné  que  Commerson  ou  Modave. 

Si  nous  avons  tant  insisté  sur  cette  querelle  faite  par  Le  Gen- 
til à  deux  auteurs  dignes  de  foi,  c'est  que  sa  thèse  a  été  reprise 
par  un  écrivain  de  ce  siècle,  un  des  pionniers  de  la  science 
ethnographique,  auteur  d'une  remarquable  notice  sur  les  peu- 
plades malgaches  et  dont  les  opinions  sont  toujours  mûrement 
réfléchies  :  nous  voulons  parler  de  M.  Eugène  de  Froberville*.  Il 
semble  que  cette  fois  sa  sagacité  soit  en  défaut. 

Il  s'appuie  sur  ce  qu'ont  dit  Flacourt  et  Le  Gentil  pour  mettre 
en  doute  la  véracité  de  Commerson  et  de  Rochon.  Il  traite  de  plai- 
santerie la  lettre  de  Commerson.  Il  reproche  à  Rochon  d'être 
colère  :  cela  n'empêcherait  point  en  tout  cas  les  Quimos  d'avoir 
existé  !  Il  passe  sous  silence  Modave,  que  Rochon  cite  tout  au 
long.  Modave  n'est  pourtant  point  une  autorité  à  dédaigner  ;  je 
ne  sais  pourquoi  M.  de  Froberville  l'omet.  L'opinion  de  Modave 
a  pour  nous  au  contraire  un  grand  poids.  Il  n'était  pas  de  pas- 
sage dans  nie;  il  y  a  vécu  plusieurs  années  et  les  renseigne- 
ments qu'il  a  recueillis  avec  soin  et  qu'il  expose  avec  précision 
sont  de  nature  à  contrebalancer  le  témoignage  et  l'opinion  de 
Flacourt  d'ordinaire  décisifs,  mais  qui  cette  fois  semblent  sujets 
à  révision.  Rien  d'impossible  d'ailleurs  à  ce  que  les  légendes  de 
Joueurs  dUerravou  soient  des  fables  en  elles-mêmes  :  et,  telles  que 
les  rapporte  Flacourt,  elles  en  ont  bien  le  caractère;  mais  il  est 
très  plausible  aussi  qu'elles  avaient  un  point  de  départ  dans  la 
réalité,  —  et  c'est  celte  réalité  que  Modave  a  observée.  Modave 
était  plus  sur  ses  gardes  encore  que  Flacourt  :  il  avait  beaucoup 
vécu,  beaucoup  vu;  c'était  une  intelligence  ouverte,  droite  et 
fort  cultivée;  il  s'était  même  quelque  peu  frotté  aux  encyclopé- 

1)  Voy«  IntrodUclion  à  Touvroge  de  Leguével  de  Lacombe« 


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LES   PYGMÉES    A    MADAGASCAR  331 

distes  :  tout  cela  était  une  médiocre  préparation  au  rôle  de 
n£uf. 

«  Le  Gentil,  ajoute  M,  de  Froberville,  a  réfuté  victorieusement 
toute  cette  histoire,  dont  maint  savant  a  été  la  dupe  et  que 
réveille  de  temps  à  autre  quelque  auteur  paradoxal.  »  Nous  avons 
montré  plus  haut  de  quelles  piètres  raisons  Le  Gentil  s'était  armé 
et  nous  doutons  fort  qu'elles  suffisent  à  lui  assurer  cette  victoire. 

Mais  M.  de  Froberville  se  ravise;  il  n'abandonne  pas  il  est 
vrai  son  idée  que  la  tradition  des  Pygmées  est  une  fable,  —  bien 
excusable  en  cela,  puisqu'il  écrivait  aune  époque  où  Ton  n'avait 
pas  encore  découvert  de  spécimens  de  la  race,  —  mais  il  cherche 
à  en  expliquer  l'origine.  ((  La  fable  des  Kimos  ou  peuplade  de 
nains  existe  en  Afrique  d'où  elle  aura  passé  à  Madagascar'.  A 
Mombase,  le  lieutenant  Thomas  Boteler,  qui  faisait  partie  de 
de  l'expédition  du  capitaine  Owen  sur  la  côte  d'Afrique,  reçut 
des  naturels  l'assurance  positive  qu'il  existait,  à  un  mois  et 
demi  de  marche  dans  l'intérieur,  un  district  peuplé  par  une  race 
de  Pygmées  dont  la  taille  atteignait  à  peine  trois  pieds.  Ce 
peuple  s'appelait  AfôenAwio*.  » 

A  l'époque  où  écrivait  Froberville,  on  n'osait  pas  encore 
s'aventurer  à  chercher  une  part  de  réalité  dans  les  récits  des 
peuples  primitifs,  comme  celui  que  rapporte  Boteler.  On  conti-» 
nuait  à  y  voir  une  simple  légende  au  même  titre  que  celle  d'Ho- 
mère. Nous  n'avons  plus  aujourd'hui  les  mêmes  raisons  d'être 
sur  nos  gardes,  de  peur  de  donner  à  rire  ;  nous  savons  que  des 
nains  existent  «  au  cœur  de  l'Afrique  ».  Nous  pouvons  donc  exa- 
miner sans  prévention  ni  scepticisme  les  documents  que  nous  ve- 
nons de  citer,  pour  tenter  d'y  démêler  la  vérité  qui  s'y  cache  '. 

U 

C*e8t  Schweinfurth  qui  le  premier  a  jeté  la  lumière  des  faits 

i)  Ëdrisi  parle  d'une  nation  de  petits  hommes  qui  habitent  une  île  ou  une 
contrée  orientale  de  l'Afrique.  Voy.  la  trad.  de  M.  Amédée  Jaubert,  té  V,  des 
Mémoires  de  la  Soc.  Géogr,  de  Paris,  1836,  p.  50. 

2)  Boteler's  narrative  of  a  voyage  of  discorery  lo  Africa  and  Arabia,  Londres^ 
1835,  t.  II,  p.  212. 

3)  Nous  n'avons  point  parlé  chemin  faisant  de  deux  autres   auteurs  du 


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332  LES    PYGMÉES    Â   MADAGASCAR 

sur  cette  obscure  question,  enveloppée  de  nuages  depuis  Ho- 
mère. «  Il  dut  pour  cela  quitter  le  bassin  du  Nil,  gagner  celui  dft 
l'Ouellé,  dépasser  le  pays  des  Niam-Niams  et  arriver  jusque 
chez  les  Mombouttous...  C'est  à  la  cour  de  Mounza  qu'il  décou- 
vrit cette  race  naine,  encore  appelée  dans  le  pays  du  nom  d'Ak- 
kas,  que  Mariette  avait  lu,  à  côté  du  portrait  d'un  nain,  sur  un 
monument  de  l'Ancien  Empire  égyptien*.  »  Les  Akkas  vivent 
dans  un  pays  étendu,  soumis  à  un  état  social  organisé,  tout 
comme  les  Kimos  dont  Modave  avait  entendu  parler,  et,  pas 
plus  que  Modave  chez  les  Kimos,  Schweinfurth  ne  réussit  à 
pénétrer  dans  le  pays  des  Akkas.  De  même  encore  que  Modave, 
Schweinfurth  n'eut  jamais  en  sa  possession  qu'un  unique  indi- 
vidu, spécimen  de  cette  race  étrange.  Comme  Modave  il  voulait 
l'envoyer  en  Europe,  et  comme  lui  il  en  fut  empêché.  Les  me- 
sures et  les  notes  recueillies  par  le  voyageur  allemand  ont  été 
détruites  dans  un  incendie,  de  sorte  qu'il  ne  nous  rapporte  rien 
de  plus  précis  sur  les  Akkas  que  ce  que  Modave  lui-même  nous 
a  laissé  sur  les  Kimos.  Pourquoi  donc  douterait-on  du  dire  de 
Modave,  tandis  qu'on  accorde  foi  entière  aux  récits  de  Schwein- 
furth? 

Les  Quimos  ont  trois  pieds  et  demi  de  haut;  ce  sont  les  La- 
pons des  nègres,  dit  Modave;  ils  sont  gros  et  trapus,  comme  les 
Akkas.  Ce  sont  les  plus  pâles  parmi  les  Malgaches,  disent  Com- 
merson  et  Modave.  «  Le  teint  des  Akkas  rappelle  la  couleur  du 


xviiie  siècle  qui,  eux  aussi,  ont  révoqué  sommairement  en  doute  l'existence 
d'un  peuple  de  nains  à  Madagascar. 

Le  naturaliste  Sonnerat,  dans  son  Voyage  aux  Indes  et  à  la  Chine  (Paris, 
in-4%  1782,  t.  II,  p.  57),  considère  le  sujet  possédé  par  Modave,  et  qu'il  a  vu, 
comme  un  «  phénomène  particulier  »  ;  il  ne  s'inquiète  point  des  traditions  et 
passe  outre  sans  donner  ses  raisons. 

Lescalier,  envoyé  en  mission  politique  dans  nos  établissements  de  TOcéan 
Indien  en  1792,  fît  une  lecture  à  l'Institut,  le  17  fructidor  an  IX  (Mém.  de 
VInsiUut,  Se.  mor.  et  poL,  1803,  t.  IV,  p.  1-26),  sur  Madagascar  :  il  accuse 
d'erreur  Raynal,  l'auteur  de  V Histoire  j)hilosophique  et  politique  des  deux  Indes, 
pour  avoir  accueilli  favorablement  le  fait  de  l'existence  d'un  peuple  de  Pyçmées 
dans  l'île.  Il  s^  contente  d'afBrmer  qu'il  s'agit  de  «  quelques  individus  nains  et 
mal  conformés  par  accident  »,  sans  fournir  aucune  raison  à  l'appui  de  ce  qu'il 
avance.  Il  est  bon  d'ajouter  que  Lescalier,  qui  avait  voyagé  en  proconsul, 
n'était  resté  que  quelques  jours  à  peine  à  Madagascar. 

1)  Do  Quatrefages,  lot.  cit.,  p.  253.  —  E.  T.  Hamy  Bull.  Soc.  d'Anthrop. 
3*  sér.,  t.  II.  p.  îrr,  1879. 


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LES    PYGMÉES   A    MADAGASCAR  333 

café  légèrement  brûlé'.  »  Les  Quimos  ont  les  bras  si  allongés 
qu'ils  descendent  au-dessous  du  genou.  «  Les  membres  supé* 
rieurs,  chez  les  Akkas,  sont  longs...;  les  inférieurs  sont  courts 
relativement  au  tronc'.  »  «  Quant  aux  mamelles,  dit  Gommerson 
parlant  de  la  femme  kimos  qu'il  observa  chez  M.  de  Modave,  il 
ne  s'en  ti'ouva  que  le  bouton.  »  Ailleurs  :  «  Les  femmes  marquent 
à  peine  leur  sexe  par  les  mamelles,  excepté  dans  le  temps  où 
elles  nourrissent.  »  «  Les  femmes  akkas  paraissent  ressembler 
beaucoup  à  leurs  maris.  »  Et  en  effets  les  portraits  que  donne 
M.  de  Quatrefages  (p.  258)  confirment  pleinement  son  dire.  — 
Les  cheveux  de  la  femme  Quimos  étaient  courts  et  laineux,  au 
contraire  du  type  malgache  le  plus  général.  Les  cheveux  lai- 
neux, chez  les  Akkas,  ne  sont  pas  insérés  par  touffes,  mais 
couvrent  uniformément  tout  le  crâne.  —  Les  Quimos  étaient 
très  guerriers  et  très  braves.  Ils  se  servaient  fort  adroitement  et 
vigoureusement  de  leurs  armes.  Ils  ont  battu  les  Antanosses, 
peuplade  puissante.  Ils  sont  adroits;  ils  sont  laborieux:  ce  qui 
les  différencie  encore  nettement  du  reste  des  Malgaches,  terrible- 
ment paresseux.  Les  Akkas  aussi  sont  très  courageux  :  «  Ce 
sont  des  hommes,  disait  d'eux  un  chef  africain,  et  des  hommes 
qui  savent  se  battre.  »  Ils  sont  grands  chasseurs  d'éléphants  : 
ils  les  tuent  fort  habilement  et  hardiment.  —  On  nous  représente 
la  femme  Kimos  de  Modave  comme  intelligente,  sociable, 
gaie,  mais  fort  amoureuse  de  sa  liberté.  Dans  leurs  classes, 
les  deux  Akkas,  amenés  en  Europe  par  un  voyageur  italien, 
se  sont  montrés  supérieurs  à  leurs  compagnons  d'études  euro- 
péens âgés  de  10  à  12  ans. 

Ce  rapprochement  peut  sembler  artificiel  à  la  longue;  il  n'en 
fait  pas  moins  ressortir  nettement  tout  ce  qu'il  y  a  de  plausible, 
de  vraisemblable  dans  ce  qu'ont  rapporté  Modave  et  Gommer- 
son.  Où  voulez- vous  en  venir,  nous  dira-t-on,  puisqu'aussi  bien 
il  n'est  plus  question  de  peuple  nain  à  Madagascar  ?  Gomment 
ce  peuple  aurait-il  existé  à  la  fin  du  siècle  dernier  et  serait-il 


1)  De  Quatrefages,  loc.  Ht-,  p.  261. 

2)  Loc.  cit.,  p.  264. 


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334  LES    PYGMÉES    A    MADAGASCAR 

aujourd'hui  complfelement  disparu?  Et  puis  le  feriez- vous  venir 
d'Afrique  ?  N'auriez- vous  pas  quelque  répugnance  à  cela  après 
avoir  démontré  que  la  grande  majorité,  pour  ne  pas  dire  la  tota- 
lité» du  fonds  ethnique  à  Madagascar  était  d'origine  indoné- 
sienne? 

Nous  ferons  d'abord  remarquer  que,  si  ce  peuple  ne  vient  pas 
d'Afrique,  son  nom  semble  cependant  en  avoir  été  importé.  Com- 
ment ne  pas  rapprocher  ce  nom  de  Kimos  du  passage  précé- 
demment cité  de  Boteler,  où  il  est  question  d'un  peuple  de  nains 
appelé,  selon  lui,  MberiA/mo,  et  de  cet  autre  passage  duR.  P.  L. 
des  Avranchers  dans  une  lettre  à  M.  d'Abbadie*  :  «  La  présence 
des  Pygmées  est  un  fait  certain...  Sur  la  foi  de  nombreux  rap- 
ports, je  crois  à  l'existence  des  Pygmées  d'Afrique.  A  Zanzibar, 
on  leur  donne  le  nom  de  Wa-Beri&tmo  (peuple  de  deux  pieds).  » 

Nous  serions  même  disposé  à  admettre  que  ces  Kimos  viennent 
d'Afrique,  comme  les  Vazimbas,  «  les  premiers  ihattres  de  la 
terre  à  Madagascar  •  »,  —  et,  chose  curieuse,  Flacourt,  dans  la 
légende  citée  plus  haut,  fait  des  monolithes  qu'il  vit  dans 
la  vallée  d'Amboule,  le  tombeau  des  Kimos  défaits,  tandis  qu'au- 
jourd'hui les  Hovas  attribuent  le  même  rôle,  mais  pour  les  Va- 
zimbas, aux  monolithes  que  l'on  rencontre  aussi  dans  TAnkova'; 
or,  les  Vazimbas,  de  même  que  les  Kimos,  paraissent  avoir  défi- 
nitivement disparu  comme  unité  ethnique  indépendante  et  défi- 
nissable :  les  restes  misérables  qu'en  a  rencontré  M.  Grandidier 
et  qu'on  lui  a  désignés,  comme  tels  ne  répondent  guère  au  signa- 
lement traditionnel,  historique  que  nous  possédons. 

Mais»  puisque  nous  considérons  l'existence  des  Kimos  comme 
certaine  au  xviii*  siècle,  nous  devons  bien  admettre  qu'aujour- 
d'hui ils  subsistent  encore  sous  un  autre  nom  :  d'où  la  nécessité 
de  les  identifier  avec  une  peuplade  malgache  connue,  ou  de  les 
y  fondre. 

Les  missionnaires  anglais  ont  voulu  reconnaître  les  Quimos 
dans  les  Hovas  ;  on  sait  le  crédit  qu'il  faut  accorder  aux  élucu- 

1)  BuU.  Soc.  de  6éog.,  t.  XIV,  p.  171.  —  1876. 

2)  Voy.  notre  article  dans  la  Revue,  t.  V,  n»  5,  p.  402  à  410. 

3)  Voy.  loc,  cit.,  p.  408  et  gravure,  p.  407, 


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LES  PYGMÉES  A  MADAGASCAR  335 

brations  prétendues  scientifiques  de  ces  dignes  révérends.  D'ail- 
leurs plusieurs  raisons  militent  contre  eux.  D'abord,  le  lieu  bien 
déterminé  de  l'établissement  des  Kimos,  tels  que  les  décrit  Mo- 
dave,  est  en  désaccord  absolu  avec  ce  que  nous  savons  des  Hovas 
à  cette  époque.  Les  Hovas  étaient  bien  plus  au  nord  et  jouaient 
un  tout  autre  rôle  que  celui  qui  est  attribué  par  Modave  aux 
Kimos.  D'autre  part,  le  type  kimos^  dont  nous  sommes  parvenu 
à  fixer  quelques  traits,  en  les  juxtaposant  justement  à  ce  que  Ton 
sait  des  Akkas  ou  négrilles  africains,  nous  paraît  s'opposer  à  un 
pareil  rapprochement.  Et  puis  l'empiétement  en  quelque  sorte 
de  la  légende  Kimos  sur  la  légende  Vazimba  nous  semble  sin- 
gulièrement caractéristique  et  accentue,  selon  nous,  la  domi- 
nante africaine  dans  ce  problème  ethnographique  *. 

Nous  serions  plutôt  portés  à  croire  que  les  Betsiléos  actuels 
sont  les  Kimos  de  Modave  ou  du  moins  qu'ils  ont  absorbé  ce 
peuple  nain.  Nous  ferons  remarquer,  avec  Froberville,  qu'ils 
occupent  exactement  l'emplacement  marqué  par  Modave.  Les 
Betsiléos  qu'on  a  appelé,  bien  à  tort  du  reste,  les  Hovas  du  Sud 
à  cause  de  leur  couleur  olivâtre  plus  claire  que  celle  du  Malgache 
ordinaire,  n'ont  rien  de  malais  ;  on  pourrait  donc  attribuer  cette 
couleur  pâle  non  pas  à  un  élément  malais,  —  leurs  mœurs  et 
leurs  traditions  s'y  opposent,  mais  justement  au  mélange  d'élé- 
ments venus  d'Afrique,  analogues  aux  Akkas,  avec  d'autres 
éléments  plus  franchement  nègres,  analogues  aux  Antanosses 
ou  aux  Sakalaves.  Les  Betsiléos  vivent  dans  des  villages  fortifiés 
et  construits  sur  des  hauteurs  ou  des  monticules,  comme  les  Qui- 
raos.  (Commerson  dit  des  Mondrains.) 

Une  autre  hypothèse  s'ofifre  encore  ;  elle  a  été  émise  pour  la 
première  fois  par  M.  le  docteur  Hamy,  dans  son  cours  au  Mu- 
séeum,  en  1881  :  les  Kimos  existeraient  encore  aujourd'hui  dans 
le  sud  de  l'Ile,  dans  la  région,  inconnue  du  temps  de  Flacourt, 
que  Modave  essaya  en  vain  de  pénétrer  et  qui  de  nos  jours  encore 
demeure  en  blanc  sur  les  cartes.  Avis  aux  courageux  que  le  dé- 
mon de  l'exploration  tentera  et  qui  s'attaqueront  à  ce  vaste  inconnu. 

1)  Voir  au  prochain  numéro  la  noie  concernant  les  Vazimbas. 

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ETHIVOOÉIVIB 

DES  INSULAIRES  DE  KUNIÈ 

(île  des  Pins) 

Par  m.  GLAUMONT 


Pour  Rochas  et  quelques  autres,  les  insulaires  de  Kunié  sont 
de  même  race  que  les  Néo-Calédoniens  de  la  grande  terre  ; 
mais  comme,  à  la  grande  terre,  il  y  a  quantité  de  races  mélan- 
gées, nous  ne  sommes  guère  renseignés,  par  cette  comparaison, 
sur  Tethnogénie  des  Kuniens. 

J'ai  trouvé  à  Tîle  des  Pins  plusieurs  éléments. 

Premier  élément.  —  Un  premier  élément  est  originaire  du 
centre  de  la  grande  terre,  comme  le  prouvent  les  noms  néo-calé- 
doniens de  localités  qui  existaient  sur  la  grande  île  et  qui  ont 
été  donnés  à  certains  lieux  de  l'Ile  des  Pins,  comme  Gadji, 
Ouameni,  Ouatchia,  etc. 

Gadji  était  et  est  encore  la  résidence  royale,  elle  se  trouve 
dans  la  partie  nord  de  Tîle  et  fait  face  à  la  Nouvelle-Calédonie. 

On  y  voit  encore  une  case,  dite  Case  royale,  entourée  d'énormes 
poteaux  sculptés  grossièrement.  La  porte  d'entrée  se  trouve 
creusée  dans  un  banian  colossal. 

Un  autre  élément  de  la  grande  terre  est  celui  qui  a  créé  Uro- 
Kuto.  Celui-ci  vient  du  sud  de  la  Calédonie,  où  nous  trouvons  en 
effet  Kute  et  Iré  et  Kunié  même  ;  le  nom  de  l'île  a  beaucoup  de 
rapport  avec  Unia. 

J'ai  du  reste  fait  un  tableau  comparatif  de  soixante-quatre 
mots,  pris  dans  les  différentes  tribus  du  sud  de  la  grande  terre, 
Tuauras,  Goro,  Unia,  île  Ouen,  Yaté  et  Kunié,  et  il  est  facile  de 
se  convaincre  à  première  vue  que  la  langue  est  sensiblement  la 
même,  sauf  de  légères  modifications  locales,  ou  quelques  cor- 


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ETHNOGÉNIE   DES   INSULAIRES   DE    KUNIÉ  337 

ruptions  apportées  par  rimmigralion  d'autres  éléments  (Lifu 
et  Tonga),  etc. 

Le  système  décimal  est  également,  non  seulement  le  même 
comme  base  (à  base  5),  mais  presque  semblable  phonétique- 
ment parlant. 

Les  indigènes  que  j'ai  interrogés  savaient  tous  compter,  mais 
certains  s'arrêtaient  à  dix,  quelques-uns  allaient  jusqu'à  vingt, 
avec  toutes  les  peines  du  monde.  Il  est  vrai  que  bien  des  gens 
en  France,  il  y  a  cent  ans,  auraient  été  fort  en  peine  de  oomp* 
ter  jusqu'à  vingt  sans  se  tromper. 

Deuxième  élément.  —  Un  second  élément  est  venu  des  Nou- 
velles-Hébrides. Les  indigènes  se  souviennent  encore  de  la 
légende  qui  s'y  rapporte  ;  la  voici  telle  qu'elle  m'a  été  racontée  : 

«  A  une  époque  reculée,  une  femme  des  Nouvelles-Hébrides 
se  promenant  au  bord  de  la  mer,  y  voulut  prendre  un  bain,  et  fut 
avalée  par  un  poisson  gigantesque  (une  loche). 

M  La  femme  voyagea  longtemps  comme  cela,  emportée  par  le 
poisson  dans  sa  course  vertigineuse.  Enfin  elle  sentit  que  le 
poisson  était  arrêté,  elle  avait  son  couteau  que  toutes  les  femmes 
portent  à  leur  ceinture,  couteau  fait  d'une  valve  de  l'huître  per- 
lière  {osirea  margaritifera)  et  allait  en  couper  le  poisson,  lorsque 
celui-ci ,  qui  n'était  que  sur  un  récif,  reprit  sa  marche. 

«  Deux  ou  trois  fois^  les  mêmes  arrêts  se  reproduisirent,  mais 
le  poisson  reprenait  sa  course  presque  aussitôt.  Enfin  il  s'arrêta 
tout  à  fait. 

c(  La  femme  néo-hébridaise  le  déchira  dans  toute  sa  longueur 
avec  son  couteau  et  sortit  de  son  ventre..  Elle  se  trouvait  à  File 
des  Pins,  ce  lieu  fut  nommé  Vao. 

«  On  l'adora  pendant  sa  vie,  et  bien  longtemps  après  sa  mort 
ce  fut  une  divinité  puissante.  » 

Cette  légende,  commune  à  bien  des  peuples,  montre  une  chose, 
c'est  qu'à  une  époque  quelconque,  très  reculée  probablement, 
une  immigration  vint  des  Hébrides. 

Les  arrêts  répétés  du  poisson,  ne  sont  autres  que  les  courtes 
relâches  que  firent  les  immigrants  sur  quelques  récifs,   sur 


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338  ETHNOGÉME 

quelques  îlots,  avant  d'atteindre  Tîle  des  Pins  au  lieu  nom- 
mé Vao. 

Or,  nous  trouvons  ce  nom  de  Vao  dans  les  Hébrides,  c  est 
celui  d'une  île  peuplée  d'indigènes  féroces. 

La  Dives  y  débarqua  en  1886;  les  officiers  voulurent  se  diriger 
vers  le  village,  ils  Taiteignirent,  mais  eurent  à  peine  le  temps  de 
regarder  les  cases,  les  temples,  entourés  de  poteaux  ornés  de 
crânes;  la  population  furieuse  les  obligea  à  déguerpir  leste- 
ment. Ce  fait  m'a  été  raconté  par  M.  de  Stabeurade,  alors  en- 
seigne à  bord  de  la  Dives. 

Les  indigènes  de  Vao  étaient  du  reste  les  plus  féroces  de  Fîle 
des  Pins  avec  ceux  de.Upi  et  Upé  venus  également  des  Hé- 
brides, où  il  y  avait  une  île  d'Api. 

Troisième  élément.  —  A  une  époque  plus  rapprochée  et  qui  ne 
date  guère  que  de  trois  ou  quatre  générations  au  plus,  des  Cana- 
ques des  Loyal  ty,.  venant  de  Lifu,  abordèrent  à  Gadji,  île  des  Pins. 

Ils  croyaient  l'endroit  inhabité,  dit  la  légende,  lorsqu'une  fu- 
mée vint  les  aveugler.  C'étaient  les  indigènes  de  Gadji  qui  cui- 
saient leur  repas. 

Le  chef  de  Lifu  et  ses  gens,  furieux,  se  levèrent,  attaquèrent 
les  Kuniens  (élément  calédonien)  et  les  défirent. 

Ceux-ci,  ayant  pu  juger  dans  le  combat  de  la  valeur  des  gens 
de  Lifu,  voyant  qu'ils  étaient  plus  beaux,  plus  grands,  plus  forts 
qu'eux  (c'est  un  descendant  de  ces  gens  de  Lifu  qui  parle),  les 
choisirent  pour  chefs,  élurent  un  d'entre  eux  roi ,  et,  aidés  de  ces 
nouveaux  alliés,  attaquèrent  plus  tard  les  gens  de  Vao  et  les 
défirent.  Dès  lors  la  royauté  fut  solidement  établie  à  Gadji  où 
domine  depuis  lors  la  race  do  Lifu. 

Le  chef  Abel,  qui  règne  actuellement  à  Kunié,  est  de  cette 
race  dominante. 

C'est  un  grand  bel  homme ,  à  la  figure  intelligente,  à  la  barbe 
longue  et  frisée,  soignée,  épaisse,  mais  plus  noir  que  ses  sujets. 
C'est  lui  qui  a  succédé  à  la  reine  Hortense  et  à  Samuel.  Comme 
il  n'a  qu'une  fille,  ApoUonie,  il  a  adopté  son  neveu,  Samuel,  le 
fils  de  son  frère  Guillaume  et  lui  léguera  la  chefferie. 


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DES   INSULAIRES    DE   KITNIÉ  339 

Les  hommes,  et  les  femmes  surtout,  ne  passent  devant  lui  que 
courbés  en  deux  et  feraient  un  long  détour  plutôt  que  de  passer 
derrière  lui. 

Quatrième  élément.  —  J'étais  étonné  cependant  de  ne  pas  trou- 
yer[ trace  dans  la  mémoire  des  Kuniens  d'une  immigration  poly- 
nésienne. Il  y  en  a  certainement  eu  plusieurs,  mais  je  désirais 
savoir  s'ils  s'ep  rappelaient  quelqu'une. 

Ce  n'est  qu'au  bout  de  deux  ans  que  j'ai  pu  obtenir  la  con- 
fiance d'un  nommé  Fileto,  de  Komania  (Kunié),  à  la  figure 
presque  européenne  ,  aux  longs  cheveux  bouclés  et  à  la  fine 
moustache  soyeuse. 

Ce  Canaque,  qui  descend  aussi  de  naturels  de  Lifu,  parle  très 
bien  le  français,  il  m'a  raconté  ce  que  lui  avaient  appris  les  anciens. 

«  Il  y  a  trois  ou  quatre  générations,  m'ont  dit  les  vieux,  une 
pirogue  double ,  brisée  par  les  lames ,  vint  s'échouera  File  des 
Pins,  à  un  endroit  nommé  Aiou*i,  près  de  Upi. 

«  Cette  pirogue  était  montée  par  dix  hommes  et  six  femmes. 

«  Ces  gens,  fuyant  leur  pays  en  guerre,  s'étaient  embarqués  et 
voguèrent  longtemps  à  l'aventure  ;  poussés  par  les  courants  et 
par  les  vents,  ils  parvinrent  enfin  près  de  l'île  des  Pins  et,  ne 
connaissant  pas  la  côte,  se  brisèrent  sur  les  récifs  devant  Aiou-i. 

«  Le  roi  de  Kunié,  qui  habitait  Gadji,  résidence  royale,  fut 
averti  par  ses  sujets,  de  l'autre  côté  de  l'île,  que  des  hommes 
jaunes,  aux  cheveux  longs  et  lisses  et  pas  du  tout  semblables  aux 
Canaques,  venaient  d'atterrir. 

«  Le  roi  envoya  immédiatement  des  hommes  chercher  ces 
gens-là  et  les  fit  amener  en  sa  présence. 

«  On  les  interrogea,  ils  firent  comprendre  qu'ils  venaient  de 
Tonga,  et,  comme  il  y  avait  un  chef,  on  les  traita  bien,  et  ils 
restèrent  dans  l'île  dix  ignames,  c'estrà-dire  plus  de  dix  ans. 

«  A  cette  époque,  poussés  par  l'esprit  de  N'do  (l'esprit  du  mal), 
les  hommes  s'emparèrent  d'une  pirogue  du  roi  de  Kunié  et  s'en- 
fuirent à  Lifu  oiî  ils  demeurèrent. 

«  Les  femmes  restèrent. 

«  Mais ,  pendant  ces  dix  années,  ils  s'étaient  mariés  avec  des 


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340  ETHNOGÉNIK 

femmes  do  Kunîé,  pendant  que  celles  qu'ils  avaient  amenées 
avec  eux^  s'étaient  jointes  de  leur  côté  à  des  Kuniens  ;  il  naquil 
des  enfants  nombreux.  La  race  polynésienne  se  mélangea  donc  un 
peu  avec  la  race  mélanésienne,  mais  la  proportion  était  très  faible. 

«  Us  nous  donnèrent  beaucoup  de  connaissances  que  nous 
n'avions  pas,  ils  nous  apprirent  à  construire  des  pirogues 
doubles  comme  les  leurs,  car  auparavant,  les  nôtres  étaient 
simples,  avaient  deux  voiles  et  une  chambre  sur  le  pont. 

«  Us  nous  apprirent  à  nous  tatouer  par  piqûre,  quand  jusque 
là  nous  nous  tatouions  avec  le  feu. 

«  Ils  nous  apprirent  aussi  à  nous  diriger  en  mer  la  nuit 
par  les  étoiles,  et  enfin  nous  apportèrent  le  tonga.  » 

Voilà  donc,  d'après  les  légendes  kanaques  : 

1**  Un  élément  de  la  grande  terre,  impur  et  très  composé,  dont 
nous  reparlerons. 

2''  Un  élément  néo-hébridais  ; 

2"»  Un  élément  lifu; 

3"*  Un  élément  tongien  ou  pol}niésien. 

Ce  qui  s*est  passé  depuis  quatre  générations  s*est  nécessaire^' 
ment  produit  souvent  auparavant,  pourquoi  en  serait-il  autre- 
ment? Nous  sommes  donc  porté  à  croire  que  des  immigrations 
successives,  mais  interrompues  par  un  laps  de  temps  considé- 
rable, ont  pu  s'introduire  à  Kunié. 

Nous  retrouverons  la  même  chose  sur  la  grande  terre»  où  cer- 
taines tribus  se  rapprochent  beaucoup  des  Polynésiens  par  leur 
couleur,  leurs  usages,  etc.,  et  où  d* autres, celles  du  centre  ou  de 
Touest,  ressemblent  énormément  à  la  race  papoua. 

Une  chose  à  remarquer,  c'est  que  cette  affreuse  maladie,  cette 
espèce  de  lèpre,  qui  fait  tant  de  ravages  parmi  les  Calédoniens, 
est  appelée  presque  dans  toute  la  Calédonie  du  même  nom  tonga, 

U  semble  dès  lors  bien  rationnel  de  croire  que  ce  sont  les  Ton- 
giens  qui  ont  apporté  cette  maladie  aux  Canaques  de  la  Nou- 
velle-Calédonie. 

Un  mot  encore  sur  le  peuple  de  Kunié  : 

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DES    LNSULÂlRfiS   DE   KUNIÉ  341 

Le  peuple  ancien  était  un  peuple  de  guerriers,  réputé  féroce 
en  Nouvelle-Calédonie.  Bien  souvent,  deux  ou  trois  fois  par  an, 
les  Kuniens  passaient  sur  leurs  pirogues  et  venaient  ravager  la 
grande  terre,  Unia,  Yaté,  principalement;  ils  faisaient  des 
razzias,  emmenaient  des  femmes  et  des  esclaves  qui  cultivaient 
leurs  champs  pour  eux. 

Mais  un  beau  jour,  il  n  y  a  pas  trente  ans,  les  Canaques  d'Unia 
et  de  Yaté  s'entendirent  et,  sous  les  auspices  de  leur  chef  Damé, 
tendirent  àleurs  ennemis  un  piège  dans  lequel  ceux-ci  tombèrent. 

Us  invitèrent  les  Kuniens  à  un  immense  pilou-pilou  qui  devait 
se  faire  à  Yaté.         * 

Autour  de  la  case  de  réception  on  planta  des  pieux  aiguisés 
par  en  haut  de  façon  à  ce  qu'aucun  Kunien  ne  pût  échapper. 

Les  Kuniens  arrivent  avec  leurs  femmes,  leurs  enfants  ;  on 
leur  fait  fête  et,  pour  prendre  leur  repas  pantagruélique,  on  les 
fait  entrer  dans  la  salle  de  réception. 

Et,  au  milieu  du  repas,  alors  qu'ils  étaient  sans  défiance,  à  un 
signe  du  chef  Damé,  les  gens  d'Unia  et  de  Yaté  tombèrent  sur 
les  Kuniens  et  les  massacrèrent  tous. 

Les  femmes  jolies  furent  gardées  comme  femmes  et  esclaves  : 
les  vilaines  eurent  les  seins  coupés  et  mangés;  c'est  le  morceau 
que  le  Canaque  préfère,  paraît-il. 

Jamais,  depuis,  les  Kuniens  ne  revinrent  ni  à  Unia,  ni  à  Yaté 
faire  la  guerre. 

Le  peuple  actuel  tend  à  se  civiliser,  il  s'y  trouve  des  Canaques 
fort  intelligents,  beaucoup  savent  lire,  écrire  et  compter  en 
français,  et  c'est  l'œuvre  de  la  mission. 

C'est  peut-être  le  seul  point  de  la  Nouvelle-Calédonie  et  des 
dépendances  où  l'on  entende  le  Canaque  parler  notre  langue  et 
non  l'anglais,  ou  le  biche-la-mar. 

Us  ne  parlent  que  leur  langue  maternelle  et  le  français. 

Je  crois  que  c'est  ce  même  chef  Damé  qui,  pendant  l'insur- 
rection de  1867,  trama  un  complot  qui  heureusement  avorta;  il 
réunit  les  Canaques  de  Tuauru,  Uen,  Goro,  Unia,  Yaté.  En 
une  seule  nuit  ils  devaient  arriver  à  Nouméa,  égorger  la  troupe 
et  mettre  la  ville  à  sac. 


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3i2  ETHNOfiÉNlE   DKS    INSULAIRES    DE    KUNIÉ 

Heureusement  ils  n'arrivèrent  pas.  Au  moment  où  Ton  son- 
nait le  réveil^  ils  étaient  en  bas  du  sémaphore  ;  Taffaire  était 
manquée.  Cependant,  pour  laisser  une  trace  de  leur  passage,  ils 
massacrèrent  les  gardiens  du  sémaphore  et  les  mangèrent. 

Or,  ils  avaient  fait  plus  de  80  kilomètres.  Pas  de  chemins,  des 
montagnes  à  gravir,  plusieurs  rivières  à  traverser. 

Les  gens  d'Unia  et  de  Yaté  d'aujourd'hui  ne  sont  que  des  tri- 
bus venant  de  Nouméa,  d'abord  refoulées  au  pied  du  mont  d'Or 
par  la  civilisation  blanche,  puis  obligées  de  fuir  plus  loin  encore 
et  d'aller  demander  l'hospitalité  aux  Yaté  et  aux  Unia. 

Ceux-ci  accueillirent  les  émigrants  ;  maïs  au  bout  d'un  cer- 
tain temps,  des  discordes  éclatèrent,  et  les  Yaté  et  les  Unia 
furent  presque  complètement  détruits  par  les  Nouméa.  Il  n'en 
existe  presque  plus  à  l'heure  qu'il  est. 


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STATIONS  PRÉHISTORIQUES 


DE  L'OUED-RIR' 


Par    m.    h.    jus. 

Ingénieur  honoraire  des  sondages  du  sud  de  la  province  de 
Constantine, 


Les  explorateurs  du  Sahara  ont  signalé  l'existence  de  stations 
préhistoriques  dans  la  région  d'Ouargla,  à  Ba  Mendil,  et  sur 
divers  points  du  parcours  de  FOued  Mia.  Mais,  jusqu'à  présent, 
aucun  d'eux  n'avait  observé  de  traces  de  silex  taillés  dans  la 
vallée  de  l'Oued  Rir'. 

D'après  les  traditions,  la  création  des  oasis  de  l'Oued  Rir'  date- 
rait de  l'année  918  de  l'hégire  (1575  de  J.-C). 

En  avril  1883,  lors  de  l'exécution  du  puits  artésien  deCoudiat 
Sidi  Yahia,  M.  le  lieutenant  Genvot,  directeur  de  Tatelier  de 
sondages,  collectionna  une  série  de  flèches,  admirablement 
taillées,  que  les  vents  du  nord-ouest  avaient  mises  à  découvert. 

Le  Goudiat  Sidi  Yahia  dépend  des  propriétés  de  la  Société 
agricole  et  industrielle  de  fiatna.  Il  est  situé  à  153  kilomètres  de 
fiiskra,  près  de  la  route  de  Tougourt.  Ce  mamelon  ne  diffère  en 
rien  des  autres  mamelons  de  l'Oued  Rir\  Sa  surface  gjrpso-sa- 
bleuse,  mesure  environ  400  mètres.  En  y  exécutant  de  minu- 
tieuses recherches,  j'y  ai  trouvé,  épars  sur  plus  de  50  mètres 
d'étendue  : 

1*  De  belles  flèches  taillées,  de  formes  et  de  couleurs  diverses. 

2»  Une  grande  quantité  de  pointes  de  flèches  et  de  javelots. 

3°  De  petites  haches,  plus  ou  moins  finies  ou  ébauchées. 

i"*  Des  scies,  avec  des  dents  très  apparentes,  bien  travaillées^ 
et  dont  la  plus  grande  mesure  O'^jO?  de  longueur  ; 


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344  STATlOiNS    PRÉHISTORIQUES 

go  Des  instruments  taillés  en  pointe,  avec  une  entaille  sur  le 
côté,  par  où  on  les  saisissait  sans  doute,  lorsqu*on  s'en  servait 
pour  travailler  le  bois  ou  les  os  ; 

60  Des  grattoirs  ou  racloirs,  en  silex  plus  ou  moins  trans- 
parent ; 

1^  Des  couteaux  à  lames  droites  et  courbes,  dont  le  plus  grand 
mesure  0"*,07S  de  longueur  ; 

8®  Des  lames  de  couteaux  à  pointes  fines  ou  arrondies  ; 

9**  Des  clous,  des  poinçons,  etc.  ; 

10**  Des  débris  de  coquilles  d'œufs  d'autruche. 

Si  l'on  en  juge  par  le  fini  des  objets  et  le  choix  des  silex  em- 
ployés, on  peut  admettre  que  le  Coudiat  Sidi  Yahia  était  une  des 
stations  les  plus  importantes  de  FOued  Rir'. 

Plus  tard,  je  découvris  une  deuxième  station  à  Ourir',  près  de 
la  Kouba  de  Sidi-Makfi.  L'oasis  d'Ourir'  dépend  également  des 
propriétés  de  la  Société  agricole  de  Batna.  Elle  est  située  à  envi- 
ron 96  kilomètres  de  Biskra,  sur  le  bord  occidental  du  Chott 
Melrir',  à  Taltitude  de  16  mètres  au-dessous  du  niveau  de  la 
mer. 

Sur  le  mamelon  qui  domine  la  propriété,  les  silex  se  trouvent 
épars  sur  le  sol  sur  une  étendue  d'environ  40  mètres.  La  collec- 
tion que  j'ai  recueillie  sur  ce  mamelon  comporte  la  même  série 
d'instruments  que  j'ai  énumérés  pour  Sidi  Yahia,  et,  par  le 
fini  des  objets,  le  choix  des  silex,  je  suis  amené  à  conclure  que 
ces  deux  stations  étaient  aussi  importantes  l'une  que  l'autre. 
£n  1884,  je  découvris  une  nouvelle  station  entre  Sidi  Rached 
et  El  Harihira.  Les  silex  taillés  étaient  épars  sur  le  sable  des 
dunes  sur  plus  de  40  mètres  d'étendue,  mais  les  vents  du  sud 
ayant  soufilé  violemment  la  veille  de  mon  passage,  je  n'ai  re- 
cueilli que  des  débris  de  peu  d'intérêt. 

Poursuivant  mes  recherches,  je  parcourus  en  1885-1886,  tous 
les  chrias,  tous  les  mamelons  de  la  cuvette  de  l'Oued  Rir'. 

Dans  les  environs  de  Sidi  Yahia,  je  n'ai  rencontré  que  quel- 
ques flèches  égarées,  par  ci,  par  là,  mais  aucun  indice  de  stations. 

Sur  les  hauteurs  de  Sidi  Khelil,  le  sol  est  tapissé  de  silex,  de 
calcédoine,  d'agate,  etc. 


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DE  l'oued-rir'  345 

Je  m'attendais  à  rencontrer  sur  ce  point  une  station  aussi  im- 
portante que  celles  que  je  viens  de  décrire,  mais  malgré  des 
recherches  de  plusieurs  jours,  je  n'ai  pas  trouvé  une  seule  pierre 
taillée  de  main  d'homme.  Il  n'en  a  pas  été  de  même  dans  les 
environs  de  Sidi  Khelil  et  de  Mraïer. 

Sur  le  sommet  des  chrias  El  Eolta,  El  Hamed,  Lavouïn  Bou- 
krara,  Lechelouche  et  Aïn  Dockraia,  situés  à  l'ouest  de  la  route 
de  Biskra  à  Tougourt,  j'ai  recueilli  des  flèches,  des  grattoirs,  des 
lames  de  couteaux  à  pointes  fines  ou  arrondies,  et  des  débris  de 
coquilles  d'œufs  d'autruche^  parmi  les  silex  taillés  qui  recouvrent 
le  pourtour  de  ces  chrias.  Je  considère  donc  tous  oes  points 
comme  de  vraies  stations,  mais  peut-être  moins  importantes 
que  celles  du  Coudiat  Sidi  Yahia  et  d'Ourir'. 

Au  chria  Lechelouche,  j'ai  recueilli,  pour  la  première  fois,  de 
petits  ronds  en  coquilles  d'œufs  d'autruche,  d'une  régularité 
parfaite,  mesurant  0",006  à  0™,007  de  diamètre,  et  percés  d'un 
trou  de  0",002  à  0",0025.  Tjout  laisse  à  supposer  que  ces  petites 
couronnes  servaient  de  grains  de  chapelet  ou  de  parure,  ou 
même  de  monnaie  courante,  si  toutefois  la  monnaie  était  con- 
nue à  cette  époque  dans  le  Sahara. 

Dans  les  environs  d'Ourir'  sur  le  sommet  des  chrias  Achey  ben 
Zim,  près  d'Ensira,  Ouled  Moussa,  Mœris,  ben  Merouan,  j'ai 
encore  recueilli  des  flèches,  des  clous  et  une  quantité  considé- 
rable de  débris  de  silex  taillés  et  de  coquilles  d'œufs  d'autruche, 
qui  attestent  également  l'existence  de  stations  un  peu  moins 
importantes  que  les  précédentes. 

Enfin,  il  y  a  quelques  jours,  le  sous-lieutenant  Clottu,  du 
d^  bataillon  d'Afrique,  a  reconnu  deux  nouvelles  stations  à  Stah 
el  Hameraïa  et  à  Sif  Menadi,  pendant  qu'il  dirigeait  les  recher- 
ches d'eaux  jaillissantes  destinées  à  assurer  les  étapes  de  la  nou- 
velle route  de  l'Oued  Souf,  par  la  traversée  du  Chott  Melrir'. 

A  la  suite  d'un  fort  coup  de  vent  du  nord-ouest,  cet  officier  a 
récolté,  en  quantité  suffisante  pour  déterminer  l'existence  de 
stations,  des  grattoirs  ou  racloirs  en  silex  transparent,  des  clous, 
des  aiguilles,  et  de  petites  couronnes  en  coquilles  d'œufs  d'au- 
truche. 

VI  24 


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346  STATIONS  PRÉHISTORIQUES  DE  l'oUED-RIR* 

Dans  l'Oued  Rir',  on  nomme  chria  (nid),  un  petit  mamelon, 
qui  domine  la  plaine  environnante,  au  centre  duquel  se  trouve 
un  entonnoir  occupé  par  une  petite  source,  ombragée  par  un 
bouquet  de  palmiers.  Le  plus  souvent,  des  coupures  de  main 
d'homme,  dans  le  pourtour  de  Tentonnoir,  permettent  à  la 
source  de  s'écouler  au  dehors. 

Si  la  formation  de  ce  mamelon,  ordinairement  sablo-gypseuse, 
était  due  à  l'action  des  vents,  ainsi  qu'on  en  trouve  plusieurs 
exemples  dans  le  Sahara,  il  y  a  des  siècles  que  cette  source 
aurait  disparu,  et  que  Taction  des  sables  l'aurait  comblée. 

De  sa  persistance,  on  doit  admettre  forcément  que  les  vents 
ne  possèdent  pas  Faction  que  certaines  personnes  leur  attribuent, 
et  que^  pour  la  généralité,  les  chrias  et  leurs  sources  sont 
naturels. 

Ce  serait,  du  reste,  perdre  son  temps  que  d'essayer  de  prou- 
ver que  ces  sources  proviennent  de  puits  artésiens  creusés  de  . 
main  d'homme,  puisque  les  stations  qui  y  sont  établies  et  que  j'ai 
signalées  en  sont  une  preuve  irréfutable. 

Rien  d'extraordinaire  alors  dans  le  choix  de  ces  chrias  pour 
l'établissement  de  stations  ;  là,  les  tailleurs  de  pierre  trouvaient 
au  moins  de  Teau  potable  pour  leur  alimentation. 

Mais  on  se  demande  comment  ces  mêmes  ouvriers  pouvaient 
vivre  aux  stations  de  Stah  el  Hameraïa  et  de  Sif  Menadi,  où  il 
n'existe  actuellement  que  des  puits  d'eau  salée,  dont  on  peut  pré- 
ciser la  construction. 

Ce  fait  nous  amène  évidemment  à  supposer  qu'il  existait,  sur 
les  bords  du  Chott  Melrir',  certaines  sources  d'eau  douce  qui  ont 
disparu  depuis  cette  époque. 


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VARIÉTÉS 


A    PROPOS    DE    TAMOANCHAN 

Qu'une  tradition  ne  soit  pas  une  page  d'histoire,  d'accord  ;  on  ne  saurait  lui 
demander  une  date,  encore  moins  une  certitude.  On  se  contentera  d'aperçus 
nébuleux  du  milieu  desquels  se  dégageront  certains  faits  ou  certaines  coutumes 
anciennes,  se  reliant  à  des  faits  ou  à  des  coutumes  modernes  et  par  conséquent 
servant  de  liens  entre  le  passé  et  le  présent.  Mais  il  ne  lui  faut  pas  nous  pré- 
senter des  contradictions  flagrantes  qui  lui  enlèvent  toute  espèce  de  valeur. 

C'est  ce  que  nous  allons  montrer  en  examinant  la  courte  citation  de 
Sahagun  au  sujet  de  Tamoanchan,  et  certes  nous  ne  mettrons  pas  Sabagun 
en  cause,  mais  ceux  qui  lui  ont  dicté  sa  relation  ;  car  nous  savons  comment  il 
composa  son  ouvrage  qui  ne  contient  que  le  récit  fidèle  de  tout  ce  qu'on  lui 
rapportait;  encore  que  Ixtlîxochitl  l'accuse  d'avoir  souvent  accueilli  ces  faits 
avec  trop  de  complaisance. 

Pour  les  choses  de  l'époque  ou  d'une  époque  moderne,  tout  parait  vraisem- 
blable et  peut  compter  comme  renseignements  historiques;  mais,  pour  le  passé 
lointain,  quelle  confiance  pouvons-nous  accorder  à  la  mémoire  d'Indiens  supers- 
stitieux  qui  durent  répéter  en  la  modifiant  sans  cesse  la  légende  qu'ils  se  trans- 
mettaient d'âge  en  âge? 

C'est  ce  que  démontrent  clairement  les  contradictions  du  récit  que  nous 
allons  examiner.  Pourquoi,  d'ailleurs,  ne  trouve-t-on  guère  cette  légende  de 
Tamoanchan  que  dans  Sahagun,  quand  nous  voyons  les  autres  répétées  à 
satiété  et  commentées  par  tous  les  historiens? 

C'est  à  la  page  673  de  la  traduction  de  MM.  le  docteur  Jourdanet  et  R.  Si- 
méon  en  un  chapitre  intitulé  des  Mexicains,  que  Sahagun  parle  de  Tamoanc?ian. 

«  Il  y  a,  dit-il,  un  nombre  indéterminé  d'années  que  les  premiers  habitants 
arrivèrent  dans  cette  partie  de  la  Nouvelle-Espagne;  venus  par  mer,  ils  abor- 
dèrent au  port  qui  se  trouve  vers  le  nord.  » 

Mais  vers  le  nord  de  quoi?  La  terre  était  déserte,  Mexico  n'était  pas  fondé  à 
cette  époque  et,  par  conséquent,  ce  port  ne  pourrait  en  tous  cas  être  désigné 
quepar  sa  latitude! 

«  Comme  ils  débarquèrent  en  cet  endroit,  on  l'appela  Panotlan  ou  Panoyan, 
c'est-à-dire  lieu  où  l'on  arrive  par  mer.  Présentement  on  dit  Pantlan.  » 

C'était  Panuco^  le  Tampico  d'aujourd'hui. 

«  Partant  de  ce  port,  ils  se  mirent  en  route  en  suivant  la  plage  (ils  vont  donc 
à  pied?)  à  la  vue  des  sierras  nevadas  et  des  volcans,  jusqu'à  ce  qu'ils  arri- 
vassent à  la  province  de  Guatemala.  » 

Quelles  sierras  et  quels  volcans  pouvaient  voir  les  voyageurs?  Il  n'y  a  que 


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348  VARIÉTÉS 

rOrizaba  de  visible,  et  de  loin,  eo  mer.  Et  puis,  voilà  certes  un  étrange  voyage 
pour  des  émigrants  qui  délaissent  des  terres  fertiles  pour  courir  après  un  but 
imaginaire  et  des  provinces  inconnues  et  innommées;  car  pourquoi  parler  du 
Guatemala  qui  n'existait  pas,  puisque  ces  hommes'  étaient  les  premiers  qui 
eussent  abordé  dans  le  pays?  C*estune  absurdité.  Puis,  voyez  ces  individus  en 
troupe,  c'est-à-dire  nombreux,  entreprenant  à  pied,  sur  les  bords  du  golfe,  un 
voyage  de  près  de  cinq  cents  lieues  ;  traversant  les  rivières  et  les  lagunes  de 
Tabasco,  contournant  les  terres  arides  de  la  presqu'île  yucatèque,  pour  aller 
tomber  dans  le  vaste  estuaire  appelé  aujourd'hui  le  golfe  d'eau  douce  au  nord  de 
la  province  dite  Guatemala]!  !  ! 

«  Ils  étaient  guidés  par  un  grand  prêtre  qui  portait  sur  lui  leur  dieu  dont  ils 
suivaient  les  conseils  en  tout  ce  qu'il  convenait  de  faire.  Ils  furent  habiter 
Tamoanchany  où  ils  résidèrent  longtemps.  » 

Tamoanchan  était-il  donc  dans  le  Guatemala?  Et  puis  ce  Tamoanchan  existait- 
il  déjà,  ou  bien  est-ce  ce  nom  là  que  les  nouveaux  venus  donnèrent  à  leur 
colonie? 

«  Jamais  ils  n'avaient  cessé  de  compter  parmi  eux  des  hommes  sages  ou 
devins  appelés  Amoxoaques  (ceci  nous  rappelle  le  Teoamoxlli,  la  bible  loltèque), 
c'est-à-dire  hommes  initiés  au  langage  des  peintures  anciennes.  Mais  ces 
hommes  ne  restèrent  point  avec  les  émigrants,  ils  s'embarquèrent  de  nouveau 
et,  avant  de  partir,  ils  adressèrent  cette  allocution  à  ceux  qui  restaient  :  Saches 
que  notre  seigneur  Dieu  vous  ordonne  de  réussir  dans  ce  pays  (le  Guatemala) 
dont  il  vous  fait  les  maîtres;  il  s'en  revient  au  point  d'où,  il  est  venu  et  nous  y 
allons  avec  lui.  S'il  s'en  va  néanmoins,  ce  n'est  que  pour  revenir  vous  rendre 
visite  lorsqu'il  sera  temps  q.ue  le  monde  unisse.  » 

Nous  voilà  en  pleine  légende  de  QuetzalcoatI  qui  est  toltèque. 

«  Ces  prêtres  partirent  donc  avec  leur  idole  enveloppée  dans  des  mantas;  ils 
s'en  furent  ainsi  vers  Varient! !!  » 

Mais  si  le  dieu  s'en  retournait  au  point  d'où  il  était  venu,  il  ne  venait  donc 
pas  du  nord,  puisque  maintenant,  se  trouvant  dans  le  Guatemala  il  se  dirige 
vers  l'orient,  c'est-à-dire  le  long  de  la  côte  du  Honduras.  Quel  galimatias  ! 

(c  II  ne  resta  d'autres  sages  avec  les  nouveaux  colons  que  les  quatre  dont  les 
noms  suivent  :  OxomocOi  Cipactonal^  Tlaltetecuin  et  Xochieauaca,  » 

Ce  sont  là  des  noms  aztèques;  or,  les  Aztecs  n'arrivèrent  que  vers  le  xn«  siècle 
sur  les  plateaux  de  l'Anahuac  et  ne  pénétrèrent  que  beaucoup  plus  tard,  à  la  fin 
du  XV*  siècle,  sous  le  règne  d'Ahuizotl,  dans  le  Guatemala. 

«  De  Tamoanchan  les  nouveaux  colons  allaient  faire  des  sacrifices  au  lieu 
appelé  Teotiuacan  où  ils  élevèrent  deux  monticules  en  l'honneur  du  soleil  et  de 
la  lune.  C'était  dans  cette  ville  qu'on  élisait  ceux  qui  devaient  gouverner  le 
peuple,  etc.  » 

Eh  quoi  !  de  Tamoanchan  dans  le  Guatemala,  ces  nouveaux  colons  abandon- 
nant leurs  terres^  leurs  semailles,  leurs  habitations,  s'en  vont  à  quatre  cent 
cinquante  lieues  de  là,  élever  dans  un  lieu  inconnu  des  pyramides  en  l'honneur 
du  soleil  et  de  la  lune,  et  dans  une  ville  qui  ne  saurait  exister,  naturellement, 
puisque  ces  colons  étaient  les  premiers  qui  eussent  encore  mis  le  pied  sur  le 
continent  américain  1! 

<c  A  l'époque  où  les  gens  dont  nous  parlons  étaient  réunis  à  Tamoanchan, 


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TAMOACHAN  349 

(ils  avaient  regagné  le  Guatemala?)  certaines  familles  s*ea  allèrent  habiter  les 
provinces  que  Fon  appelle  aujourd'hui  Olmeca  Uixtotin,  » 

Ces  émigrants  avaient  donc  quitté  le  Guatemala  pour  se  fixer  sur  les  hauts 
plateaux?  Mais  nous  savons  que  les  Olmecs  vinrent  du  nord  et  non  pas  du  sud! 

<c  Ces  émigrants,  dans  les  temps  passés,  étaient  très  versés  dans  la  pratique 
des  maléfices  et  des  sorcelleries.  Leur  chef  et  seigneur  avait  un  pacte  avec  le 
démon.  Son  nom  était  Olmecatl  Uixtotli,  C'est  de  là  que  les  gens  de  son 
peuple  s'appelaient  Olmeca  Uixtotin,  On  raconte  qu'ils  marchèrent  à  la  5uite 
des  Toltecs,  lorsque  ceux-ci  s*en  allaient  de  leur  ville  de  Tullan  dans  la  direc- 
tion de  Torient.  Ils  emportaient  avec  eux  les  secrets  de  leurs  sorcelleries,  mais 
arrivés  au  port,  n'ayant  pu  s'embarquer,  ils  restèrent  sur  la  rive  et  c'est  d'eux 
que  descendent  ceux  qu'on  appelle  aujourd'hui  Anauaca  Miœteca,  Ce  fut  là 
dans  le  Mixteca),  que  s'établirent,  en  effet,  leurs  aïeux,  parce  que  celui  qui 
était  alors  leur  roi  fît  choix  de  ce  district  à  cause  de  sa  richesse  et  de  sa  ferti- 
lité. » 

Comment  ce  chef  peut-il  faire  choix  d'une  localité  située  à  plus  de  cent  lieues 
de  l'endroit  où  il  se  trouve?  Sahagun  ne  nous  le  dit  pas. 

«  Ce  fut  là  qu'ils  inventèrent  l'art  de  faire  le  vin  du  pays.  Ce  fut  une  femme 
qui  enseigna  la  première  à  creuser  les  magueys  pour  en  extraire  la  sève  qui  se 
convertit  en  vin.  Cette  invention  eut  lieu  sur  la  montagne  de  Chichinauhia  et 
comme  ce  vin  forme  de  l'écume,  on  appela  celle  montagne  Popoçonaltepetl, 
c'est-à-dire  montagne  écumeuse.  Le  vin  étant  fait,  ses  inventeurs  invitèrent  les 
gens  de  distinction,  vieux  et  vieilles,  à  venir  sur  la  montagne  susdite.  Ils  y 
donnèrent  à  manger,  et  à  boire  le  vin  qu'ils  venaient  de  fabriquer.  Ils  mirent 
quatre  tasses  à  la  disposition  de  chacun  des  invités.  Personne  n'en  eut  cinq 
afin  d'éviter  qu'on  s'enivrât.  Mais  il  y  eut  un  Cuextecatl,  chef  et  seigneur  des 
Cuextecay  qui  en  but  cinq  tasses  qui  lui  firent  perdre  la  raison.  Étant  dans  cet 
état,  il  jeta  sa  ceinture  et  découvrit  ses  parties  honteuses.  Les  inventeurs  du 
vin,  offensés  et  humiliés  de  cette  conduite,  s'assemblèrent  pour  en  assurer  le 
châtiment.  Le  CuexteciUl  l'ayant  su  en  eut  honte  et  prit  la  fuite  avec  ses  sujets 
et  tous  ceux  qui  parlaient  sa  langue.  Ils  s'en  allèrent  à  Panotlan  appelé  Pantlan 
aujourd'hui,  et  Panuco  par  les  Espagnols,  c'était  de  là,  du  reste,  qu'ils  étaient 
venus.  » 

Ce  passage  vaut  qu'on  s'y  arrête,  car,  dans  la  première  partie,  lorsque  Saha- 
gun nous  raconte  que  les  Olmecs  suivirent  les  Toltecs  avec  lesquels  ils 
s'étaient  amalgamés,  lorsque  ceux-ci  abandonnèrent  leur  ville  de  Tullan  pour 
s'en  aller  dans  la  direction  de  l'Orient,  Tabasco,  Chiapas  et  Yucatan,  ils  empor- 
taient avec  eux  les  peintures  renfermant  les  secrets  de  leurs  sorcelleries;  c'est 
nous  dire  (avec  d'autres  historiens,  cette  fois)  qu'ils  avaient  emporté  avec  eux 
leur  système  graphique;  ce  qui  nous  donne  tout  lieu  de  croire  que  les  inscrip- 
tions de  Palenqué,  de  Lorillard,  de  Tikal  et  du  Yucatan  nous  représentent  bien 
l'écriture  hiératique  toltèque. 

£n  second  lieu,  dans  le  décousu  et  dans  le  vague  de  la  phrase  :  arrivés  au 
portt  n'ayant  pu  s'embarquer,  nous  retrouvons  une  citation  de  Torquemada 
disant  qu'une  partie  des  émigrants  toltèques  remontèrent  au  nord  dans  la 
Huaxteca,  Sahagun  dit  Mixteca;  mais  il  y  a  certainement  erreur  de  la  part  de 
l'historien  qui  devait  connaître  les  deux  provinces,  car  si  le  vieux  chef,  honteux 


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350  VARIÉTÉS 

de  son  ivresse,  abandonDa  le  pays  suivi  des  siens  pour  se  rendre  à  Panoco,  il 
descendait  des  hauteurs  de  la  Huazteca  qui  sont  voisines  de  ce  port  et  non  de 
la  Mixteca  qui  en  est  éloignée  de  plus  de  deux  cent  cinquante  lieues. 

Nous  nous  en  tiendrons  là,  encore  que  la  suite  du  chapitre  ne  présente  qu*un 
chaos  d'anachronismes  et  de  faits  contradictoires  ;  cela  doit  nous  suffire  pour 
affirmer  qu*il  ne  faut  accorder  nulle  importance  à  cette  légende  de  Tamoanchan, 
qu'elle  n'ajoute  rien  à  l'histoire  et  qu'elle  vient,  au  contraire,  y  jeter  la  confu- 
sion. 

Désiré  Charnay. 


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REVUES    ET    ANALYSES 


LIVRES  ET  BROCHURES 

Jouan  (H.).  A  propos  du  peuplement  de  la  Polynésie.  Cherbourg. 
1884,  br.  in-8,  extraite  des  Mémoires  de  la  Société  Nationale  des  Se.  Nat. 
et  Math,  de  Cherbourg,  —  Les  légendes  des  lies  Hawaii  et  le  peu- 
plement de  la  Polynésie.  Cherbourg,  in*8,  extr.  des  mômes  mé- 
moires. 

L^auteur  est  un  de  ces  officiers  de  marine  qui  font  profiter  la  science  de  leur 
longue  expérience  et  de  leurs  studieux  loisirs. 

Il  se  propose,  dans  son  premier  mémoire,  de  dire  son  opinion  sur  quelques 
points  de  la  thèse  soutenue  par  M.  de  Quatrefages,  attaquée  par  M.  A.  Lesson  *, 
et  cela  à  propos  d'un  travail  de  M.  Zaborowski.  (Rev.  Scient.,  20  octobre  1883.) 

Ayant  à  son  service  une  érudition  étendue,  M.  H.  Jouan  rappelle  les  princi- 
paux points  acquis  grâce  aux  travaux  de  Quatrefages,  Gaussin,  Dumont 
d'Urville,  Hamy,  etc.  Étant  admise  la  division  artificielle,  mais  devenue  clas- 
sique, de  rOcéanie  par  d'Urville  en  quatre  grandes  régions  :  Mélanésie,  Malaisie, 
Micronésie,  Polynésie,  d'où  viennent  les  hommes  rencontrés  sur  les  îles  épar- 
pillées de  ce  vaste  espace  qui  constitue  la  Polynésie? 

Plusieurs  explications  avaient  été  données  :  1.  Les  lies  seraient  les  restes 
d'un  continent  submergé'  et  leurs  habitants  des  descendants  des  autochtones  de 
ces  terres  disparues  en  partie.  —  2.  D'autres  y  voient  les  restes  des  tribus 
d'Israël  qui  ne  revinrent  pas  de  Babylone.  —  3.  D'autres  veulent  que  chaque 
île,  chaque  archipel  ait  été  un  centre  de  création  pour  les  hommes  comme  pour 
les  animaux  et  les  plantes.  M.  A.  Lesson  met  en  avant  l'origine  autochtoniste 
néo-zélandaise  des  Polynésiens.  —  4.  On  fait  venir  aussi  les  Polynésiens 
d'Amérique  en  suivant  le  cours  des  vents  alizés  et  les  courants  marins  équato- 
riaux.  (P.  17 je  lis  :  «Les  caractères  zoologiques  des  Polynésiens  et  des  Amé- 
ricains présentent  beaucoup  plus  de  différences  que  de  ressemblances.  »  Com- 
ment trouvez-vous  zoologiques?  Les  Darwinistes  eux-mêmes  n'en  demandent 
pas  tant.  Mettons  que  c'est  un  mot  malheureux.)  —  5.  Enfin  on  en  vint  à 
placer  le  berceau  des  populations  brunes  du  Pacifique  quelque  part  dans  le 
sud  du  continent  asiatique  ou  dans  les  grandes  îles  qui  le  prolongent  vers  le 
sud-est.  —  Cette  hypothèse,  résultat  de  travaux  considérables  mûrement  réflé- 
chis, fut  émise  et  développée  par  M.  de  Quatrefages  (reprenant  une  idée  de 

1)  Lei  Polynésiens,  leur  origine,  leurs  migrations,  leur  langage,  par  le  docteur  A.  Lesson* 
ancien  médecin  en  cher  de  la  marine.  4  volumes  parus,  1880-1884.  l'aris,  Leroux. 


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352  LIVRES   ET   BROCHURES 

Horatio  Haie)  dans  son  beau  livre  des  Polynésiens  et  leurs  migr(Uions  (Paris, 
1866).  Chacun  connaît  et  les  arguments  et  les  conclusions  de  ce  travail  dont 
M.  Jouan  fait  une  limpide  analyse.  Il  ajoute  des  détails  empruntés  aux  tra- 
ditions recueillies  dans  les  excellents  ouvrages  de  sir  Georges  Grey  et  du  Révé- 
rend Taylor. 

On  peut  admettre  comme  conclusion  de  ces  travaux,  avec  M.  Zaborowskî, 
que  le  a  peuplement  des  principaux  groupes  de  la  Polynésie  a  eu  lieu  dans  un 
intervalle  relativement  court,  de  mille  à  mille  deux  cents  ans,  et  qu'il  est  rela- 
tivement récent  et  s'est  accompli  à  la  lumière  de  l'histoire.  »  Mais  certaines  de 
ces  terres  ainsi  colonisées  étaient  habitées  déjà,  semble-t-il,  par  des  Mélané- 
siens. Des  crânes  retrouvés,  des  traditions  viennent  à  Tappui.  C'est  le  cas  des 
îles  Hawaii. 

Cette  théorie  de  M.  de  Quatrefages  est  attaquée,  comme  toutes  les  autres 
d'ailleurs,  par  le  docteur  A.  Lesson,  ancien  compagnon  de  Dumont  d'Urville  et 
qUi  réunit  une  foule  de  qualités  précieuses  chez  Thomme  qui  veut  discuter  de 
tels  problèmes.  Or,  M.  Lesson  nie  formellement  Torigine  malaisienne  des  Poly- 
nésiens. «  Il  établit  la  succession  des  migrations  à  très  peu  près  comme  M.  de 
Quatrefages  jusqu'à  ce  qu'il  arrive  aux  îles  Samoa.  Mais  ces  dernières,  au  lieu 
d'avoir  été  le  point  de  départ  des  colons  pour  le  reste  delà  Polynésie,  auraient 
été  peuplées  par  les  îles  Tonga,  qui,  elles-mêmes,  auraient  reçu  leur  population 
de  la  Nouvelle-Zélande  ;  ainsi  celle-ci,  loin  d'avoir  été  la  dernière  à  recevoir  la 
race  polynésienne,  aurait. été,  au  contraire,  son  point  de  départ.  »  M.  A.  Les- 
son ne  donne  jusqu'à  présent  que  les  époques  relatives  des  diverses  migrations; 
dans  un  prochain  volume  il  traitera  sans  doute  la  question  des  dates  absolues. 
En  tous  cas,  on  peut  déjà  lui  faire  de  graves  objections  sur  sa  chronologie.  Si 
certains  détails  viennent  à  Tappui  de  l'opinion  de  A.  Lesson  sur  la  Nouvelle- 
Zélande,  d'autres,  empruntés,  comme  les  premiers,  au  règne  végétal  *,  nous 
forcent  à  admettre  la  venue  de  migrations  malaisiennes.  D'où  une  sérieuse 
objection  au  système  de  A.  Lesson  qui  fait  de  la  Nouvelle-Zélande  un  centre  de 
création  pour  les  végétaux  et  les  animaux,  de  même  que  pour  une  espèce 
humaine  dont  le  maori  serait  la  vraie  langue  mère.  Or,  comme  le  fait  remarquer 
M.  de  Quatrefages,  des  faits  parfaitement  caractérisés  semblent  exiger,  si  Ton 
fait  de  la  Nouvelle-Zélande  un  centre  d'émigration,  que  cette  môme  contrée  ait 
reçu  ses  premiers  habitants  et  leurs  animaux  domestiques  du  dehors.  M.  Jouan 
se  prononce  pour  M.  de  Quatrefages,  mais  sans  nier  les  grands  services  rendus 
par  M.  A.  Lesson  par  ses  immenses  travaux. 

Passant  aux  éléments  que  peuvent  offrir  à  la  solution  du  problème  la  géolo- 
gie, la  géographie,  la  zoologie,  etc.,  M.  Jouan  examine  l'hypothèse  d'un  conti- 
nent submergé^  ayant  laissé  comme  témoins  les  terres  océaniennes  :  elle  peut,  dit- 
il,  très  bien  se  comprendre  pour  ce  qui  est  des  grandes  terres  qui  occupent 
l'ouest  et  le  sud-ouest  du  Pacifique.  Cependant,  si  on  laisse  les  données  géolo- 
giques, on  constate  que  la  flore  et  la  faune  de  la  Nouvelle-Zélande  et  de  la 
Nouvelle-Calédonie  diffèrent  beaucoup  plus  de  celles  de  l'Australie  et  de  la  Tas- 


1)  Rappelons,  à  ce  propog,  que  le  capitaine  H.  Joaan  a  pabtié  sur  ce  sujet  à  plusieum  reprises 
dos  lra>aui  fort  précieux  dans  les  Mémoires  de  la  Société  Nationale  des  Sciencet  naturellei  et 
mathématiques  de  Cherbourg. 


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LÉGENDES  DES  ILES  HAWAII  ET  PEUPLEMENT  DE  LA  POLYNÉSIE     3S3 

manie  que  la  situation  de  IVchipel  par  rapport  à  ces  terres  ne  pourrait  le  faire 
supposer.  «  Si  les  animaux  marins  de  la  Nouvelle-Zélande  sont  pour  la  plupart 
identiques  à  ceux  des  autres  parties  de  l'Océan  Austral,  les  animaux  terrestres 
sont,  au  contraire,  presque  tous  diCTérents  de  ceux  qui  ont  été  observés 
ailleurs.  » 

La  constitution  géologique  des  autres  îles  répandues  dans  le  Paciûque  est 
beaucoup  plus  simple  que  celle  des  grandes  terres  de  Touest  et  du  sud-ouest, 
et  ne  permet  point  d'admettre  cette  fois  qu'elles  soient  les  témoins  laissés  par 
un  continent  submergé.  D'autres  considérations  s'y  opposent  encore  :  <c  La 
création  dans  la  Polynésie  insulaire^  si  elle  est  quelquefois  riche  en  individus, 
est  relativement  pauvre  en  espèces;  n'aurait-elle  pas  été  plus  riche,  n'aurait-elle 
pas  montré  une  plus  grande  variété  de  végétaux  et  d'animaux  sur  un  conti- 
nent? Et  ce  continent  n'aurait-il  pas  laissé  plus  de  traces  de  ses  richesses  ?  Main* 
tenant  la  Polynésie  insulaire  a-t-elle  toujours  été  telle  que  nous  la  connaissons 
aujourd'hui?  Il  ya  de  grandes  présomptions  pour  la  négative.  Les  tles,  les 
archipels  devaient  communiquer  par  des  «  piles  de  ponts  »  aujourd'hui  sub- 
mergées. On  retrouve,  d'un  bout  à  l'autre  de  l'Océanie,  les  mêmes  oiseaux;  les 
plantes  réclament  bien  davantage  encore  la  nécessité  de  communications  immé- 
diates dans  un  âge  antérieur.  On  en  est  réduit  nux  conjectures  et  M.  Jouan  en 
est  amené  à  dire  :  u  Tout  cela  est  encore  bien  mystérieux  !  » 

Passons  à  la  population.  Les  Maoris  trouvèrent  une  population  noire  fixée  à 
la  Nouvelle-Zélande  dès  avant  leur  arrivée  ;  c'est  un  fait  incontestable.  Mais 
rien  n'autorise  à  voir  en  eux  des  Australiens  qui  auraient  habité  la  Nouvelle- 
Zélande  avant  qu'elle  ait  été  séparée  de  l'Australie^  ou  qui  seraient  venus  soit 
volontairement,  toit  par  entraînement,  11  est  plus  logique  de  voir  des  Papouas 
dans  les  prédécesseurs  des  Maoris. 
D'où  vient  le  rat  de  la  Nouvelle-Zélande,  Mus  Afaortcum?  Mystère  jusqu'ici. 
Et  le  chien?  M.  Jouan  n'est  pas  du  tout  prêt  à  y  voir, une  variété  du  Dingo 
de  l'Australie.  Il  y  a  de  fortes  présomptions  en  faveur  de  sa  provenance  sud- 
asiatique. 

M.  Jouan  a  eu  le  courage  vraiment  scientifique,  d'avouer,  en  achevant  ce 
premier  mémoire,  daté  de  1883,  qu'il  ne  se  croit  encore  autorisé  à  tirer  aucune 
conclusion.  Il  a  montré  surabondamment  quelle  énorme  quantité  de  faits,  de 
documents  on  a  réunis  sur  l'Océanie.  Il  s'agit  de  les  examiner  d'un  peu  plus 
près  encore.  Il  reste,  il  est  vrai,  de  petits  faits  à  glaner,  à  peu  près  négligés 
jusqu'à  présent,  et  ce  sont  ces  petits  faits  qui  peuvent  aider  à  la  solution  du 
problème;  un  détail,  non  encore  entrevu,  peut  ouvrir  des  horizons  nouveaux. 
En  appendice  M.  Jouan  donne  une  analyse  du  IV*  volume  de  M.  A.  Lesson, 
consacré  aux  migrations  des  Maoris.  Selon  M.  Lesson,  partis  de  l'ile  du  milieu 
de  la  Nouvelle-Zélande,  ils  gagnèrent  l'île  du  nord,  puis,  poussés  par  les  vents 
de  l'ouest  et  du  sud-ouest,  les  îles  Tonga,  l'archipel  Samoa.  Des  éclaboussures 
de  Maoris  se  seraient  étendues  sur  des  contrées  bien  plus  éloignées  encore  de 
leur  patrie  d'origine,  jusqu'à  Madagascar,  comme  nous  avons  eu  déjà  l'oc- 
casion de  le  montrer  dans  cette  Revue,  M.  H.  Jouan  déclare  en  rester  quand 
même  aux  conclusions  de  M.  de  Quatrefages. 

Dans  son  deuxième  mémoire,  Les  légendes  des  (les  Hawaii^  etc.,  M.  H,  Jouan 
reprend  la  question  à  propos  d'une  brochure  publiée  par  M.  A.  Lesson,  qui 


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354  LIVRES  ET    BROCHURES 

prétend  tirer  des  arguments  en  faveur  de  sa  thèse  d'un  ouvrage  récent  de 
M.  Abraham  Fornander  S  juge  àMaui,  une  des  îles  Hawaïennes.  «  II  n'est  pas, 
dit  M.  Jouan,  sur  la  Polynésie  de  travail  plus  consciencieux,  plus  riche  de 
faits  et  d'érudition  »  que  le  livre  de  M.  Fomander.  Ce  dernier  fait  peupler  les 
tles  océanienes  par  des  émigrants  partis  du  grand  archipel  d'Asie,  auxquels  il 
donne  le  nom  de  pré-malais,  parce  qu'ils  y  étaient  avant  les  Malais.  Mais,  de 
plus,  —  et  c'est  là  le  principal  objet  de  son  livre,  —  il  s'attache  à  établir  leurs 
liens  étroits  de  parenté  avec  deux  des  plus  vieilles  races  connues  dans  le  temps» 
les  Ari^as  et  les  KushUes.  Pour  faire  la  preuve  de  ses  assertions,  M.  Fomander 
s'appuie  quelque  peu,  mais  très  peu,  sur  les  faits  naturels.  Presque  tous  les 
éléments  de  son  argumentation  lui  sont  fournis  par  des  similitudes  de  noms, 
dans  la  nomenclature  géographique,  des  comparaisons  d'usages,  de  croyances 
et  tout  le  foïk'lore  polynésien.  Il  est  plus  partisan  que  personne  de  l'origine 
asiatique  des  Polynésiens,  et  pourtant  M.  Lesson  déclare  que  rien  ne  peut  être 
plus  favorable  à  sa  thèse  que  les  légendes  publiées  par  M.  Fornander. 

M.  Jouan  reproduit  in  extenso  une  grande  partie  de  l'argumentation  de 
M.  A.  Lesson.  Il  est  vrai  que  celui-ci  reproche  à  M.  Fornander  de  n'avoir  pas 
su  tirer  lui-même  les  conclusions  vraies. 

M.  Jouan  examine  alors  à  son  tour  l'ouvrage  de  M.  Fomander.  Dans  le  grand 
archipel  d'Asie  et  dans  toute  l'immense  étendue  occupée  par  les  Polynésiens,  on 
trouve  une  grande  quantité  de  noms  de  lieux  et  de  noms  de  choses  à  peu  près 
identiques,  ou  très  peu  différents  les  uns  des  autres  ;  plus  loin  dans  l'Hin^ 
doustan,  plus  loin  encore  dans  le  golfe  Persique  et  dans  l'Arabie  méridionale 
mêmes  simiUtudes,  en  face  desquelles  il  n'y  a  rien  de  déraisonnable  à  supposer^ 
sinon  à  admettre,  que  les  contrées  continentales  et  les  îles  où  ces  noms  sont 
encore  en  vigueur  aujourd'hui  ont  pu  être  habitées  par  des  individus  de  la  même 
race. 

D'autres  coïncidences  s'ajoutent  à  celles-là.  Longtemps  on  a  voulu  voir  dans 
les  Polynésiens  une  branche  du  tronc  malais.  Or  il  est  prouvé  d'abord  qu'ils  ne 
constituent  point  une  race  homogène.  Tout,  au  contraire,  rapproche  les  pre- 
miers des  Pré' Malais j  qui  occupèrent  le  grand  archipel  Asiatique  avant  les 
Malais  :  parenté  étroite  des  dialectes  polynésiens  et  des  dialectes  des  pré- 
malais vivant  encore  de  nos  jours.  Du  grand  archipel  asiatique,  les  peuples 
auraient  émigré  vers  l'ouest  en  suivant  les  deux  routes  du  nord  de  la  Nouvelle- 
Guinée  et  du  détroit  de  Torrès  au  sud,  séjournant  longuement  aux  Fidji  où  les 
mots  polynésiens  sont  communs,  abondants  même. 

Voici  donc  le  rapport  établi  entre  les  Pré-malais  et  les  Polynésiens  :  des 
faits  d'un  autre  ordre  vont  nous  permettre  de  remonter,  sur  leurs  traces,  beau- 
coup plus  loin  à  l'occident. 

On  ne  doute  plus  aujourd'hui  de  l'immense  influence  exercée,  aux  époques 
pré-historiques,  par  une  race  d'hommes  que  les  anciens  historiens  grecs  bapti- 
sèrent Éthiopiens  et  auxquels  les  traditions  iraniennes  assignent  pour  demeure 
la  contrée  de  Kush-Dwipa,  d  où  le  nom  de  Kushites,  Leur  influence  se  serait 

I)  An  Account  of  ihe  Polynesian  Bace,  Us  Onoin  and  Migrations  and  the  andent  ffitlory  of 
me  Htttoaitan  reople  to  the  Time  of  Kamehameha.  London,  i87S-80,  2  vol.,  in-8. 

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A   BRTEF   ACCOUNT   OF   THE   NTCOBAR   ISLANDERS  355 

étendue  des  Colonnes  d*Hercule  aux  abords  de  rExtrême-Orient.  Plus  tard, 
rinfluence  des  Aryas,  puis  celle  des  Sémites,  se  superposèrent  dans  ces  con-; 
trées  à  celle  des  Kusbites.  Or,  les  ressemblances  fréquentes  des  traditions,  des 
croyances,  des  institutions  des  Polynésiens  avec  celles  de  ces  anciens  peuples 
autorisent  à  voir  entre  eux,  selon  M.  Fornander,  des  liens  de  parenté. 

M.  Jouan  analyse  les  arguments  et  les  documents  fournis  par  M.  Fornander, 
puis  il  pose  des  conclusions,  auxquelles  nous  renvoyons.  Il  nous  suffira  de  dire 
ici  qu'il  est  impossible  à  M.  Jouan  d*y  trouver  quoique  ce  soit  qui  confirme  les 
théories  de  M.  A.  Lesson,  et  rien  qui  infirme  celles  de  M.  de  Quatrefages.  Le 
livre  de  M.  Lesson  n'en  reste  pas  moins,  grâce  à  la  quantité  prodigieuse  de* 
faits  qu'il  contient,  à  la  méthode  scientifique  qui  a  présidé  à  sa  rédaction,  un 
point  de  départ  indispensable  pour  toute  étude  sur  les  Polynésiens. 

Il  nous  reste  à  remercier  M.  Henri  Jouan  d'avoir  résumé  et  discuté  avec 
une  expérience  consommée  et  une  grande  sûreté  de  méthode  ces  savants  travaux^ 
qu'il  a  contribué  à  nous  faire  mieux  connaître,  et  dit  le  mot  d'un  chercheur 
impartial  dans  une  grande  querelle  où  tous  n'ont  pas,  au  même  degré  que  lui, 
une  compétence  éclairée  pour  sainement  juger  les  choses. 

Max  Lbclbrc. 


E.  H.  Man.  A  Biief  Aooonnt  of  the  Nioobar  Islanders,  with  spécial 
référence  to  the  Inland  Tribe  oî  GreAt  Nioobar.  (Joum.  of  the 
Anthrop.  Institute,  t.  XV,  p.  428,  1886  (une  carte  et  deux  photogravures). 

On  a  déjà  dit  dans  un  précédent  numéro  de  cette  Revtie,  que  la  population 
des  tles  Nicobar  est  formée  de  deux  éléments  bien  distincts  :  l'un.  Malais,  qui 
habite  la  côte,  l'autre  qui  vit  dans  l'intérieur,  le  Chom-Pen,  dont  M.  Man 
vient  de  faire  l'étude. 

Sur  7  à  8,000  habitants  des  îles,  il  y  a  à  peine  un  millier  de  Ghom-Pen. 
Les  Malais  du  littoral  des  îles  Nicobar  ressemblent  en  tout  aux  autres  Malais 
des  côtes  ;  un  léger  mélange  de  sang  siamois  ou  birman  est  peut-être  leur 
seul  caractère  différentiel,  mais  les  Ghom-Pen  méritent  toute  l'attention  des 
ethnographes  et  des  anthropologistes. 

Les  renseignements  sur  ces  sauvages  étaient  fort  rares  et  très  vagues  jus- 
qu'à ces  derniers  temps.  Cependant  l'opinion  que  les  Chom-Pen  sont  des 
Négritos,  semblables  aux  Mincopies  des  îles  Andaman,  s'était  établie  parmi  les 
savants,  sans  que  personne  ait  d'ailleurs  jamais  vu  de  près  ces  sauvages,  et 
quand  Roepstorff  est  parvenu  enfin,  en  1875,  à  rencontrer  deux  de  ces  indigènes, 
il  a  été  tout  étonné  de  les  trouver  plus  clairs  de  couleur  que  les  Nicobariens,  avec 
une  chevelure  lisse  et  des  yeux  mongoloïdes.  C'est  à  lui  que  revient  l'honneur  de 
la  première  description  des  Chom-Pen,  faite  de  visu.  M,  Man  a  examiné  tout 
récemment  (1884-86)  cinq  campements  de  Chom-Pen  sur  différents  points  dé 
l'île  et  il  en  donne  une  description  complète,  accompagnée  de  photographies i 

Les  Chom-Pen  habitent  exclusivement  la  Grande  Nicobar  ;  on  ne  les  ren- 
contre nulle  part  ailleurs  dans  l'archipel.  Ils  se  tiennent  dans  l'intérieur,  et  on 


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386  LIVBES  ET  BROCHURES 

ne  les  a  sigoalés  ou  vus  que  sur  cinq  points  de  la  côte  où  ils  descendent  pour 
trafiquer  avec  les  Malais-Nicobariens.  Ces  points  sont  :  les  criques  de  Lafoul 
et  de  Ganges,  sur  la  côte  orientale  ;  la  baie  de  la  Galathée,  sur  la  côte  sud  ; 
Poulo-Babi,  Kachindou  et  Poulo-Pet,  sur  la  côte  occidentale. 

D'après  leur  type  et  leur  langue,  les  Cbom-Pen  ne  ressemblent  ni  aux 
Malais  ni  aux  Négritos  ;  ils  forment  un  peuple  à  part  qui  semble  tenir  le  milieu 
entre  les  Indonésiens  et  les  Birmans.  Ils  sont  de  taille  moyenne  (l"*,65),  ou 
au-dessus  de  la  moyenne  (jusqu'à  1*^,75)  et  bien  faits  ;  leur  peau  est  plus 
claire,  je  Tai  déjà  dit,  que  celle  des  Malais  et  des  Nicobariens  ;  leurs  cheveux 
sont  droits,  raides,  lisses  et  noirs  ;  leur  système  pieux  est  peu  développé  ; 
Tœil  est  bridé,  mongoloïde  ;  le  visage  est  allongé,  les  lèvres  sont  assez  minces. 
Il  n*y  a  pas  tle  prognathisme  marqué. 

Ces  insulaires  habitent  les  jungles  ou  les  collines,  à  cinq  ou  six  kilomètres 
au  moins  de  la  côte»  dans  des  huttes  arrondies  rappelant  les  ruches  d*abeilles, 
établies  sur  des  pilotis.  Ils  ne  connaissent  pas  la  poterie  et  font  cuire  leurs 
aliments  dans  des  vases  faits  d'une  pièce  d'écorce  pliée  en  deux,  comme  un 
sac  ou  comme  un  paquet.  Peureux  et  défiants,  ces  indigènes  qui  vivent,  en 
général,  en  petits  groupes  isolés,  abandonnent  leurs  habitations  à  rapproche 
de  tout  étranger.  Leur  vêtement  consiste  en  un  court  jupon  d'écorce  battue* 
La  coutume  de  déformer  la  tête  des  enfants  (aplatissement  de  l'occipital), 
si  fréquente  chez  les  Nicobariens,  n'existe  pas  chez  les  Chom-Pen,  L'em- 
ploi de  l'arc  et  des  flèches  leur  est  inconnu,  et  la  seule  arme  qu'ils  possèdent 
est  le  hin-yuan,  espèce  de  pique  de  bois  dont  le  bout  pointu  est  quelquefois 
remplacé  par  une  pointe  de  fer  très  grossière. 

Leur  occupation  principale  est  la  chasse  ;  leur  agriculture  se  réduit  à  la  plan- 
tation de  quelques  cocotiers  ou  pandanées,  et  de  certaines  plantes  à  racine 
comestible  ;  les  seuls  animaux  domestiques  sont  des  porcs  et  des  poules.  Dans 
certaines  tribus  on  construit  des  pirogues  pour  la  navigation  sur  les  rivières. 

La  langue  diffère  complètement  de  celle  des  Malais.  Il  n'y  a  pas  d'écriture, 
mais  on  conserve  le  souvenir  des  faits  chronologiques  à  l'aide  d'encoches  pra- 
tiquées sur  des  baguettes. 

Enfin,  les  Chom-Pen  enterrent  leurs  morts  dans  l'attitude  accroupie,  et  n'on 
pas  la  coutume  de  déterrer  ensuite  les  os  comme  le  font  les  Nicobariens. 

J.  Deniker. 


Linguistio  families  of  the  Indian  tribes  North  ol  Mexico,  with 
provisional  List  of  the  principal  tribal  names  and  ssmonyms. 

(Washington,  Governm.  Print.  Off.  s.  d.,  br.  in-8.) 

La  brochure  dont  on  vient  de  lire  le  titre  est  un  simple  catalogue  des  noms 
des  familles  linguistiques,  dans  lesquelles  peuvent  se  classer  les  tribus  indiennes 
qui  habitent  l'Amérique  du  Nord,  moins  le  Mexique,  et  de  ces  tribus  elles-mêmes, 
avec  les  synonymes  employés  par  les  différents  auteurs  qui  les  ont  décrites.  Or, 
ce  catalogue  a  55  pages  in-8,  tant  étaient  nombreux  les  petits  groupes  d'in- 
dividus disséminés  jadis  dans  tout  le  continent  américain,  tant  sont  grandes 


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CORRESPONDANCE  357 

aussi  les  variations  de  la  nomeDclature  usitée  par  les  voyageurs  des  différentes 
nations  aux  diverses  époques  de  la  découverte.  Tout  ce  qu'il  faut  retenir  de 
cette  interminable  liste,  c'est  que  le  nombre  des  familles  linguistiques  distinguées 
par  les  agents  scientifiques  de  l'Institution  Smithsonienne  s'élève  à  cinqtiante'Six, 
et  que  les  noms  des  tribus,  en  y  comprenant  les  synonymes  qu'on  a  pu  recon- 
naître, atteignent  le  chiffre  bien  inattendu  de  2,351.  Il  est  regrettable  que  les 
auteurs  de  ce  catalogue  n'aient  pas  toujours  mis  à  côté  de  la  transcription  du 
nom  ethnique,  celui  de  l'auteur  qui  s'en  est  servi  le  premier.  Cette  indication , 
que  l'on  rencontre  seulement  par  places  dans  la  brochure,  eût  ajouté  beaucoup 
à  son  utilité  et  à  son  intérêt. 

E.  H. 


CORRESPONDANCE 


Prétendas  bœafii  à  trois  oomes  des  Fonlbé.  —  Maillets  en  pierre 

de  Célèbes. 

Bamako,  20  février  i887. 

Vous  vous  rappelez  que  je  vous  ai  toujours  dit  qu'il  était  impossible,  à  mon 
avis,  d'admettre  le  bos  triceros  comme  une  race  à  part,  et  qu'il  n'y  avait,  dans  la 
production  de  la  troisième  corne ,  qu'un  phénomène  pathologique.  J'ai  fortifié 
cette  manière  de  penser  chez  les  Foulbé.  •... 

J'ai  en  ce  moment  sous  les  yeux  un  troupeau  de  cent  vingt  bœufs,  qui  vient 
singulièrement  à  Tappui  de  ma  façon  de  voir,  qui  est  d'ailleurs  celle  des  bergers 
foulbé.  Ce  troupeau,  composé  d'adultes,  est  originaire  du  Macina  et  du  Bakhou- 
nou,  et,  par  conséquent,  vient  de  Foulbé  ou  de  Maures.  Parmi  les  cent  vingt 
animaux  qui  le  composent,  il  y  en  a  à  peine  dix  qui  n'aient  pas  subi  l'inocu- 
lation préventive  de  la  préripneumonie.  Aussi  peut-on  observer,  sur  le  nez  où 
s'est  pratiquée  l'inoculation,  toutes  les  variétés  possibles  de  cicatrisations  :  cica. 
trices  simples,  la  peau  restant  assez  souple,  mais  adhérente  à  l'os  et  naturel- 
lement dépourvue  de  poils  ;  légères  bosses  scléreuses  ;  petite  couche  de  tissu 
coméen  ;  cornes  à  peine  esquissées,  enfin  cornes  de  toutes  dimensions. 

Mais  ce  qu'il  y  a  aussi  à  noter,  et  ce  qui  se  voit  admirablement  sur  cette  série, 
c'est  l'irrégularité  des  cornes  ou  des  apparences  de  cornes,  comme  forme  ou 
direction,  et  l'aspect  constant  de  corne  ou  d'ongle  malade.  Je  regrette  de  ne  pas 
avoir  un  appareil  photographique  :  une  bonne  série  d'une  vingtaine  de  museaux 
en  dirait  très  long  contre  la  race  triceros. 

J'ajouterai  que  j'ai  vu  des  moutons  dans  le  même  cas.  Ces  moutons  sont  rares 
(aussi  n'a-t-on  pas  fabriqué  d'ovis  triceros  1),  mais  la  raison  en  est  simplement 
que  peu,  très  peu  de  pasteurs  songent  à  inoculer  leurs  moutons 

D'  Tautain. 


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358  NÉCROLOGIE 

Dresden,  <8  août  1887. 

...  Â  propos  du  maillet  de  pierre  d*un  tumulus  du  Honduras,  que  vous 
figurez  p.  453  de  la  Revue  (1886)  et  que  vous  mettez  en  parallèle  avec  les  maillets 
de  bois  que  les  insulaires  des  archipels  Hawaii,  Samoa,  etc.,  confectionnent 
pour  battre  leurs  étoffes  végétales,  je  rappellerai  que  j'ai  rapporté  de  la  partie 
centrale  de  la  baie  de  Tomini,  Célèbes,  un  maillet  de  pierre  tout  semblable, 
mais  sans  poignée.  Cette  pierre  sillonnée  servait,  en  fait,  à  battre  Técorce 
mouillée,  pour  en  faire  ces  étoffes  brunes  et  blanches  qui  sont  en  vogue  à 
Célèbes  ;  une  poignée  en  bambou  était  attachée  au  maillet  avec  du  rotang. 
L'exemplaire  est  actuellement  au  Musée  d'ethnographie  de  Berlin. 

A.-B.  Meyer, 

Directeur  du  Musée  royal  anthropologique 
et  ethnograptiique  de  Dresde. 


NÉCROLOGIE 


J.  VON  HAAST 

Sir  Julius  Von  Haast,  qui  vient  de  mourir  brusquement  à  Christchurch  le 
16  août  dernier,  s'était  surtout  fait  connaître  du  monde  savant  par  des  re- 
cherches géologiques  et  paléontologiques,  longuement  poursuivies  dans  les 
territoires  les  moins  connus  de  la  Nouvelle-Zélande.  C'est  au  cours  de  ces 
recherches  qu'il  avait  découvert  en  grande  abondance  les  restes  des  oiseaux 
éteints  qu'on  nomme  moas  dans  la  langue  maori,  et  les  plus  anciens  vestiges 
de  l'existence  de  Fhomme  signalés  jusqu'à  présent  dans  l'archipel  néo-zélan- 
dais. Julius  Von  Haast  a  publié  les  résultats  de  ses  investigations  dans  les 
Transactions  de  Clnstitut  de  la  Nouvelle-Zélande ,  et  nous  avons  brièvement 
résumé  ses  travaux  en  rendant  compte  de  la  belle  exposition  qu'il  avait  orga- 
nisée l'année  dernière  à  Londres.  {Rev.  d'ethnog.,  t.  V,  p.  354.)  Né  aux  envi- 
rons de  Bonn  en  1824,  Julius  Von  Haast  avait  passé  les  trente  dernières 
années  de  sa  vie  au  service  de  la  colonie,  dans  laquelle  il  était  venu  s'étabUr 
en  1858. 

E.  H. 


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BIBLIOGRAPHIE 


EXPOSITIONS,  COLLECTIONS,  MUSÉES,  etc. 

Hazelius  (A.).  Samfundet  fôr  Nordiska  Museets  fràmjande  4885,  Stockholm, 

1887,  br.  in-8. 
Id,  Nordisha  MuseeU  (Aftryek  ur  Stockholm  Dagblat.)  Stockholm,  1886,  br. 

in-4. 
Pleyte  Wz  (C.-M.).  The  présent  State  of  the  Ethnographical  Section  in  ihe 

British  Mmeum,  Leiden,  1886,  br.  in-8. 

GÉNÉRALITÉS 

Frazer  (J.-G.).  Totemism,  Edimburgh,  Adam  et  Ch.  Black,  1887,  1  vol.  in-16. 

Hovelacque  (A.)  et  Hervé  (G.).  Précis  d* anthropologie.  (Bibliothèque  anthro- 
pologique.) Paris,  A.  Delahaye  et  Em.  Lecrosnier,  1887,  1  vol.  itt-8,  20  fig. 

Quatrefages  (A.  de).  Espèce^  Espèce  humaine,  (Extr.  du  Dict,  encycl.  des 
sciences  médicales,  t.  XXXVI,  p.  1-88,  1887.) 

BIOGRAPHIES 

Clairin  (Em.).  Notice  biographique  de  Jean-Charles  Geslin.  Vitry-le-François, 

1887,  br.  in-8. 
Héron  de  Villefosse  (A.).  Funérailles  de  M.  0.  Bayet^  discours.  Paris.  Soc. 

nat.  des  Antiq.  de  France,  1887,  br.  in-8. 

EUROPE 

Gravier  (G.).  Les  Normands  en  Islande.  (Bull.  Soc.  Normande  de  géogr,,  mai- 
juin  1887,  p.  154-174.) 

Lovisato  (D.).  Una  pagina  di  preistoria  sarda.  {Atti  délia  H.  Accad.  deiLincei, 
1886.) 

Id.  Nota  ad  una  pagina  di  preistoria  sarda*  (B^ndicont.  délia  R.  Accad.  dei 
Lincei.  Roma,  1887.) 

Id.  Nota  n  ad  una  pagina  di  preistoria  sarda.  {Ibid.,  1887,  p.  88-97.) 

Moonley  (J.).  The  médical  Mythology  of  Ire/and  (  Read  before  the  Americ 
Philosoph.  Soc.y  15  avril  1887,  Philadelphia,  Me.  Calla,  1887,  br.  in-8.) 

Studer  (Th.).  Die  Hunde  der  gallischen  Helvelier.  (Schweizerische  Blàtter  fur 
Kynologie,  13  aug.  1886,  bl.) 

ASIE 

DumouUer  (G.)*  Essai  sur  la  pharmacie  annamite ,  détermination  de   trois 
cents  plantes  et  produits  indigènes  avec  leur  nom  en  annamite^  en  français, 


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360  BIBLIOGRAPHIE 

en  latin  et  en  chinois,  et  Vindication  de  leurs  qualités  thérapeutiques  d'après 
les  pharmacopées  annamites  et  chinoises.  Hanoï,  Schneider,  1887,  br.  in-8. 

Hansen-BIangsted.  L'archipel  Courbet,  [Gazette  géogr»,  6  et  13  janv.  1887, 
p.  3-6.  27-29  et  carte.) 

Houssay  (Fr.).  Les  races  humaines  de  la  Perse.  (Extr.  du  Bull,  de  la  Soc, 
d'Anthrop.  de  Lyon.  Lyon,  Pitrat,  1887,  br.  in-8,  fig.  et  pi.) 

AFRIQUE 

Collignon  (D'B.).  Les  âges  de  pierre  en  Tunisie.  (Mat.  pour  Vhist,  de  l'homme, 
mai  1887,  p.  171-209  et  pi.  V-VIII.) 

Drouet  (Fr.).  Grande  Kabylie.  Excursion  chez  les  Beni-Yenni.  {Bull.  Soc.  Nor- 
mande de  géogr.^  juillel-août  1887,  p.  212-240.) 

Cons  (H.).  Le  bassin  du  Mger,  (linion  géogr,  du  Nord  de  la  France^  Bull., 
t.  VIII,  p.  128-143,  mars-août  1887.) 

Durafifourg  (V.).  Bêja  et  ses  environs,  (Bull,  Soc,  de  géogr,  de  Lille^  t.  VIT, 
p.  214-240,  mars  1887.) 

G.  P.  F.  Notice  sur  la  campagne  contre  le  marabout  Mahmadou  Lamine  (1886- 
1887).  {Union  géogr,  du  Nord  de  la  France,  Bull.,  t.  VIII,  p.  236-251,  mai- 
juin  1887.) 

AMÉRIQUE 

Cushing  (F.-H.).  A  study  of  Pueblo  Pottery  as  illustralive  of  Zuni  Culture 

growth.  (Fourth  annual  report  of  the  Bureau  of  Ethnology  to  the  secretary  of 

the  smiihsonian  Institution  ^552-55.  Washington,  Governm.  prinUoCF.,  1886, 

p.  467-521,  fig.  490-564.) 
Holmes  (W.-H.).  Pottery  ofthe  ancient  Pueblos.  {Ibid.y  p.  257-465,  fig.  210- 

489.) 
Mallery  (G.).  On  the  pictographs  ofthe  North  American  Indians.  (Ibid.,  p.  13- 

256,  fig.  1-209,  pi.  1-83.) 
Swan  (J.-G.).  Tattoo  marks  of  the  North  American  Indians  of  Queen  Charlotte 

Islands  B,  C.  and  the  Prince  of  Wales  Archipelago  Alaska.  {Ibid.,  p.  66-73, 

fig.  24-33.) 

OCÉANIE 

Finzch  (0.).  Canoës  und  Canoebau  in  der  Marshal-Inseln.  {VerhancU.  der  Ber- 

lin.  Anthropolog,  GeseUesch.  1887,  s.  22-29,  fig.  1-8.) 
Pleyte  (C.  W.)«  2irei  neue  Gegcnstànde  ton  dcn  Havcy-Jnseln,  {Ibid,,  s.  29.) 

Le  Directeur  de  la  Revue,  L Éditeur-Gérant, 

E.  T.  HAMY.  Erkest  LEROUX. 


AI«0KB9.  —  UIP.  A.  BCRDIN  BT  C}^,  4,  RUB  OARMIBR. 


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ERNEST  LEROUX,  Éditeur,  28,  rue  Bonaparte. 


MliMOlMS  D'ETHNOGKAPHIE  fîT  D'ANTHROPOLOGIE 


HÀMY  (Qf  E^-T.J.  DncuiïjeuU  iuéiills 
sur  Jei  Botigor»  du  gouveriiemeni  do 
Toniïk  (Sib*ït  jut,  In-S,  6g.    ,    ,    1  fr 

—  Cuup  d  ceil  &ur  l*iiulhropologie  â\i 
Cambodge.  JSll,  m-8 .    ...     1  fr. 

—  ^ote  Éur  fea  osÊeiueûl&  humains 
trouvés  dana  le  (iliocènc  jrjfmûurd*^ 
Savone.  tS70,  br.  bi-8    .    .     .    nu  c. 

—  Quelqiit;3  olj?t:'rvaliùaa  atiîUoiuiqiit's^ 
et  etbuoîogîqiiua  à  propos  d'uji  crflin* 
Uuinaiu  trouvé  liboa  k^â  i^ahkt»  {|U«i- 
tprnairtâ  de  UtOrk  (lîoht'mti,  187U, 
br*  iij-8,  t  pL  Jitli»    .    *    .    i  fr  25. 

—  Noteâ  pour  servir  à  raiilbrôpologîtj 
préhistoritïue  de  la  Koniiandie.  ïm^, 
br.  m-S.    ,>...,..    1  fr, 

—  Noie*  d'authropokïgie  paU^outologi- 
qiie  pria**»  à  ràxpoËiUoti  dti  Havie. 
1880,  br,  inS,  n^*    ,    .     ,     .     .     i  /r, 

^  Eduimrd  Lu  rie  L  Discourir  prononcé 
au  Congrèa  de  Bruielles.  i87^,  hr, 
iD-8 i  fi\ 

—  L'Aothropolo^e  à  J"Expo?ilîau  iiî- 
ternttLîODalu  des  sctûueeâ  géographi- 
ques. i87W,  br.  iii-8.    .    ,    ,    .     I  fr. 

-  Rapport  aur  Je  d^%'eloppeTii«Mtt  et 
l'ètfit  actaci  des  coUectioiis  clhuo- 
grapb^ueé  appartenant  au  iliojsttrû 
lie  J'IuslrucUojj  publiant?.  18«y,  br. 
iu^8 .    1  fr, 

-  Cook  et  Dalryiuple.  ISTil,  brocb. 
m-8  ..........     l  fi'. 

—  Les  Alfourous  de  (Siloto,  d  aprcs  do 
nouveaux  reuaeigncûjenlê-  181 7.  br. 
in-8 1  fr. 

—  Les  Négrilos  &  Formofe  et  d&Qiâ 
rarcliipeUaponaîa.  t873,br.  ia-S     1  Tr. 

-  Notice  sur  le*  Penmgs-Pnikg,  1873, 

br.  in-s,  t  fig.    ...,,.     l  fn 

"  Étiide  sur  un  pqu^lelte  d*Aeta  dea 

environs  de   Biunugonau»    N.-E.    de 

LuQon.  Br.  io-4.  2  pL  IHh   .     3  fr.  SU 

—  Quelques  obser^utions  elîmologiquo* 
au  sujH  dedans  tijicru(épijalet;anjé- 
rirains  désignés  nous  lu  nom  i1\\z- 
Utques.  187-^,  br.  in-Sj2  fig.     l*fr.25 

—  Le^  ToUèqueB,  1882.  br.  inHK.     !  fr- 

—  L(2â  premiers  habilauts  du  JJexiqne. 
1875*,  br,  in-8,  pi I  fr.  2B 

—  La  croix  de  Téotihuncan  an  musée 
dn  Trocadéro,  1882,  br.  in- 8,  9  ùgn- 
re«    -    .    .    - I  fr.  25 

—  Essai  de  coordination  det;  nialériaox 
récemment  recueillis  sur  IVlhnolcijçie 
des  uéj^rUles  ou  pygmécs  de  KAfrique 
équaloriale,  1879,  br.  fn*8  .     ,     1  fr, 

—  Les  iXégres  de  la  vatl^^e  du  NiL  Im* 
pressions  et  souvenir?.  188  ï»  br. 
ifl  8   -    .     ^ 1  fr- 

—  Note  sur  Icd  flgurea  et  leô  îBserip- 
tiona  gravées  sur  la  roche  à  El  ïladj 
Mltnona  prêt   Figuig.  1882,  br.  lu^, 


H  AMI  tD'K.-T.  1.  Du  prognaiMsme 
arliikicl.  187y.  i>r.  in-S  .    .         oO  c. 

—  Du  ré|>iac  na&afc  antérieure  «ians 
Toril re  i{e3  primates,  186^.  brotkure 
ia-8 m  i\ 

—  Ri'cbercheâ  eur  le»  foutanelles  anor- 
matnâ  du  crànc  humain.  1871,  br, 
iû-H   , i  rr. 

—  Rifcbircbes  i^ur  les  proportions  du 
bras  fct  diî  l'avnnl-bfas  aux  dilTèrcnla 
âges  de  la  vie-  1872,  br,  in-8  .    1  fr. 

—  ttiide  sur  lagtuêse  de  la  scapbocé- 
phalie.  1875,  br.  in-W  .    .    .    ,     l  fr. 

—  CoB tribu rion«  a  l'élude  Cn  dèvelop^ 
ptmuvnt  dts  îuhea  cèrébrnti.t  de  a 
priuiatea.  1^72,  hr    in  8.    ,    .    m  c. 

—  La  tdence  Inmçalse  au  Mtxiquf. 
lu-8,  Ir,    , 1  fr.  51) 

—  Elude  *uf  Je*  peintures  tlh niques 
d'un  tombeau  ili*)bttin  de  la  IS**  dy- 
nastie. In  8,  fig.      .     /   .     .     .    2  fr. 

—  lïifecades  américaine?*  In-8,  illustré. 
^Eludes  etboogropliîques  et  aroliéo- 

loglqut's  à  Tel  position  coloniale  et 
indienne  de  Londres,     jn-g,  illustré, 

Gnidi  dam  la  galerie  américaine  du 
MuBée  d'ethnographie  d 11  Trooad^ro 
par  k  U*^  Ikukv,  cun^fTvaitur  du 
muf  êe,  1883,  in-S/illuslrè  (souspregge). 

gUATREEAfiFS  /A.  ile.  membre  do 
rinsUtut),  Nouvel  le  s  Etndct  sur  la 
di&lributlau    géitgroidnque    des    Né- 

firitoé  et  sur  leur  îaenlification  avtç 
Ci  PygméeB  asiatiques  de  Ctèsîas  et 
de  Ptiue.  1882,  m-ë,  illuî^trè.    3  fr.  âO 


QUATRE  FAGES  (A.  de)  et  HA.MÏ, 
Races  humaines  fj^ssilee,  mésaticè* 
phalea.  1875^    br.  in-è.     .    ,     ,    50  e. 

—  'f(i\*iè  o^âeuses  âe»  races  humaines 
fosi^ifes  et  nctiitflles.  Nir^toire  de  Ea 
erAniologia  ethnique,  1875,  brocb, 
in-4 . SO  c. 

—  Crâniologie  des  races  n^grito  el  né- 
grîto-|>ttTione.  1877t  br.  ïn-4,    ,    5D  c. 

—  Criintolofïîe.   La  race  tagmatiienue, 

1878,  br.  in-i 50  c. 

*-  Crânkilogic^do  la  race  pououa,  1R7S, 

br.  in-*.    .^,    ,.,;..    SO  c. 

—  Crûnioiogie  des  races  austraUenoci, 

1879,  br,,  ÎI1-4    ..,,..    50  e, 
^  CiAniûioi^le  des   races   nègres  niri- 

cnîne^.   Raees   non   dolû^boeépbflle^, 
Um,  br.  in--* 10  c. 

—  CrAoioloiiie  des  rac*is  nègres  afri- 
caines. Races  doUcbocèphales,  1880, 
br,  in-4.     .,,,,,..    50  c. 

—  Crànlologio  des  races  mougoUque? 
et  blaacbeF.  1832,  br.  iii-4  ,    .    m  c. 


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KRKEST  LEROUX,  éditeur,  28.  rue  Bonaparte,  PARIS 

ARTHUR  ENGEL  et  RAYMOND  SERRURE 

rtE:r>EiTiTOTrî,E 

DES  SOURCES  IMPRIMÉES 

DE  LA  NUMISMATIQUE  FRANÇAISE 

(Le  tome  I  vknl  de  paraïtrt*.  —  Le  totoo  H  paraîlra  eu  uiarâ  18S80 

NUMISMATIQUE  DE  L'ALSACE 

Par  AIlTHUll  ENOKL  el  EUNEST  LEHR 

tfa  beau  volume  lii~4,  avec  *6  pluû^lies  eu  pUoiQlypie CO  fr. 

NUMISMATIQUE  ET  SIGILLOGRAPHIE 

DES  NORMANDS  DE  SICILE  ET  D'ITALIE 

Phf  AHlmr  EISOEL 

Un  hmn  Tolmoe  in-i^  »vecl  plaochea.     .    *    .       Œ5  fr, 

R.  GAGNAT 

NOUVELLES  KXPLOIIATIOMS 

ÈPIGRAPHIQUES    ET    A iiCHÉO LOGIQUES 

iû-8    ............    a  fr.  ea 

INSCRIPTIONS  INÉDITES  D'AFRIQUE 

Extraites  des  pnpterK  de  t.  RENIER 

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EUG.  MUNTZ 

fUlX-^fillVATElHI    DE   L'ÉCOiE  f<ATIO:£ALB  DKii   WEADX-ARTS 

LES  ANTIQUITES  DE  LA  VILLE  DE  ROME 

AUX  XI V^   XV*  ET  XVi'  SIÈCLES 

TOPOGlIAPHtE,    MONUMENTS,    COLLECTIONS) 
DIAPRÉS     0£S     DOCUMENTS     NOUVEAUX 


ln-%  avec  4  planches  liors  texte. 


If}  fr. 


LA  BIBLIOTHÈQDE  DU  VATICAN  AU  XVP  SIÈCLE 

NOTES   ET   ÛOGOMENTS 
ln-18  de  îuïe,    .,,,..    ,      S  fr  SO 

ÉTUDES  iconographiques"  ET  ARCHÉOLOGIQUES 

SUR  LE  MOYEN  AGE 

lu-lS  de  luie,  illustré *    ,     ,      C  fr. 

IiiB  pftTemaoU  hiitorié»  du  IV^  ftti  Xïl*  lièeîe.  —  L»  déoorAtioa  d'un* 
bMiUi£Uft  arienne  an  V^^  siècle,  —  Lai  légendes  de  OhaTlôinagne  dani  rarl 
du  moyeu  âge   ^  La  mtni&tare  irlandabe  et  anglo-eaionne  an  IX^  tiàole. 


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JUL  y    \i>âi 

REVUE 

D'ETHNOGRAPHIE 

I>[;DUÉ1^   sous  LKS  AUSPICKS  ÙU  MlNlSrfeBK  niS.  t  INSTRUCTION  PDBUQUE 
ICT  DES  BKAUX-ARTS 

Par    le    D*^    HAMY 


Cuiiscrvftkur  ilu  Mii-iée  irKtlititi{rr.i|jlié(?. 


TOME  SIXIEME 
W   5-6.  —  Septembre  à  Décembro. 


ERNEST    LEROUX.    ÉDITEUR 

28,     UUE     BONAPAlia'Ë,     âS 

1887 


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SOMMAIRE 

L'iudiii^lrîe  de  In  pie  ne  cbeiî  li:e  ancien»  habltaaU  de  Far  chipe  l 

caiiai  iGQ. ., , . . , , ,  0t  H,  VtîHWKAtJ, 

Les  tours  Riaras  de  la  provinre  de  Biûh-Diûb  ♦  * , , Ch.  Lehim. 

Le  Dioula-Doiigou  ©l  Je  Sénéfo , ..,^,ii  D^  Tautaw. 

Le*  races  humàiQes  de  la  P*ïrse .  . .  * , , , . ,  <  Col*'  Oubouôsït, 

L'art  capillaire  nhea  1  et  peu pLeâ  prlmiti fa.  ..*.*.,.*,.., Shwe  Blon&el* 

Note  sur  lea  tornbeaujt  de  Tu-Duc  et  de  Miuli-Mang,. . . Mari, 

ObaervaUon;*  etbnographit^ues  dan*  l'tle  de  Kamaraue *  D^  L.  Faurot. 

Uûe  visite  aui  ruiueâ  de  Xocbîcalco. , , , F.  BorcAUT. 

Une  nécropole  royale  d^^cou verte  à  Salda , , J.  K.^mdy-Brv. 

Va  Ml  ÉTÉS  V 

Letlre  a  M,  D.  Briotoo,  à  propos  de  en  brochure  Whm*^  the 

Tùttecf  an  hîstoric  naiiona/itt/ ...   , . . .   <..,.,,,..*♦,.,...,,.  D*  CitAKi^AY. 

Notes  «ur  Madagîi&car ....   , , M.  Lecukhc. 

REVLJES  et  Al^ALYSEâ.  —  LIVRES  ET  BnocHunEs  : 

Chantre.  Heihei^hes  ttnthpopohîfiqueJi  dans  te  Vaucatt...*,     ,,  A,  ijk  Quatrefagis 

Marquer*  Lvs  éiablUsemtuii  fran^'ais  en  Océanie  .  .  .  ...   ,...,.,  E,-T*  Hast- 

Boas  (F.)-  Cen$jiÊ  und  H^JfervatioTts  of  ike  Kwakiuii  nation  * , .  »  Id, 

De  ChareDcey .  Textes  en  langue  tnrasque  ,.*..».,,*,.»..,*,,,,  Id. 

Lewis  tT*-H*J.  Ana'ent  Rock  Inscripthmt  m  En^tern  Ùakota  ,  . . ,  Id. 

AQAr>ËXIR^   KT  ^QÇLïkfk%   SAVA.XTES  ; 

Associa iioD  française  pour  r^vaneemeai  deg^scleoees.  Sesâioo 

de  Toulouse , D^  F,  Diusi.k. 

NOUViLLfeS.  —  CoBnaSPOSfDATTCK.  —  NiCllOLOOIE.  —  BlBiaOORApJIÏE*  —  TaJiLK  des  MATIÈnES. 


CONDITIONS    DE    LA  PUBLICATION 

Li  BEVUE  D'ETHNOORAPHtE  paraii  lotis  îes  deux  mois,  par  fascicules  in-S 
rtîSJiî,  de  6  feuilles  d'^i  m  pression,  ricbement  illoetrées- 

Prix  de  l'aboimômenl  annuel  ;  Paris. ...... 26  fr.    » 

■^                        *-                   Départements ..,*,,  Zl      50 

—                        --                   Étraiîger. .  ^ , 30         » 

Un  ntimèrQ^  pris  au  Bureau ,«..,.«..  6         • 

TARIF   DES   .mNONCES 

Une  page ,....,.,*,...•-•  - SO  fr.    * 

Une  1/2  page ..,,.-,,.....,.,_.,,..<,.    20        * 

Tous  les  outrages  envoyés  d  /a  Revue  y  seront  annoncés  et,  s'il  y  a  tieu^  analysé*» 
S'adresser,  pour  tout  ce  qui  concerne  la  Rédaction,  au  D^  UAMY,  40,  rue  de  Lubeck. 


ERNEST  LEROUX,  éditeur,  rue  Bonaparte,  28,  Paris. 


HISTOIRE  DE  TAFRIQUE  SEPTENTRIONALE 

DEPUIS  LES  TEMPS  LES  PLUS  RECULÉS 
JUSf^U'A  LA   rarVQUÉTE   FRA!VÇA|§e  (1810) 

Par  EHNEST  MERCIER 

2  volumes  in-S,  avec  cartes ,        16  Tr* 

Le  Tome  1»»  vient  de  paraître 


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MEMOIRES-ORIGINAUX 


^INDUSTRIE  DE  LA  PIERRE 

CHEZ  LES  ANCIENS  HABITANTS  DE  L'ARCHIPEL  CANARIEN 
Par  le  D'  R.  Verneau 


I 


Au  xv**  siècle,  lorsque  les  Européens  s'emparèrent  des  îles 
Canaries,  ils  y  rencontrèrent  des  populations  qui  étaient  loin 
d'occuper  le  degré  le  plus  inférieur  de  Tétat  social.  Les  habitants 
de  tout  l'archipel  se  livraient  à  l'élevage  des  troupeaux  ;  ils 
savaient  même  tirer  du  sol,  au  moyen  de  la  culture,  une  partie 
de  leur  alimentation.  Il  peut  donc  paraître  surprenant,  au  pre- 
mier abord,  que  ces  agriculleurs  n'aient  connu  aucun  des  métaux 
en  usage  depuis  de  longs  siècles  chez  des  peuplades  parfois 
moins  élevées  dans  l'échelle  sociale. 

Ce  fait  s'explique  cependant  de  la  façon  la  plus  naturelle  ;  les 
insulaires  des  Canaries  n'avaient  pas  de  relations  avec  les  autres 
peuples  et  ils  ne  trouvaient  pas  chez  eux  les  métaux  qu'ils 
auraient  pu  utiliser.  En  effet,  le  seul  métal  quelque  peu  abon- 
dant dans  ces  îles  est  le  fer  ;  mais  il  n'existe  guère  que  dans  les 
sables  ferrugineux,  assez  pauvres  d'ailleurs,  dont  le  traitement 
offrait,  pour  les  anciens  habitants,  des  difficultés  insurmontables. 
De  nos  jours  même,  ces  sables  ne  sont  pas  exploités. 

Les  autres  minerais  sont  si  rares  que  leur  existence  n'avait 
pas  été  signalée.  J'en  ai  pourtant  recueilli  quelques  échantil- 

VI  SEPTEMBRE-DÉCEMDRE 


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362 


L  INDUSTRIE  DE   LA  PIERRE 


lons^  dans  le  cours  de  mon  dernier  voyage,  mais  je  dois  ajouter 
que  les  exemplaires  sont  peu  nombreux,  de  petit  volume,  et 
que  j'ai  constamment  rencontré  ces  fragments  à  l'état  erratique, 
dans  quelques  ravins.  Nulle  part  ils  n'ont  encore  été  trouvés  en 
place  et  il  est  probable  que  leurs  gisements  sont  situés  à  une 
assez  grande  profondeur.  Il  est  fort  possible  que  les  minerais 
que  l'on  récolte  de  temps  à  autre  aient  été  rejetés  à  l'état  de 
fragments  par  les  volcans  qui  les  auraient  détachés  des  assises 
profondes  du  sol.  Si  celte  hypothèse  paraît  trop  hasardée,  il  faut 
admettre  que  les  débris  dont  il  s'agit  proviennent  de  couches 
aujourd'hui  recouvertes  par  les  éruptions  volcaniques.  Dans  l'un 
ou  l'autre  cas,  leurs  gisements  ne  devaient  pas  être  accessibles 
aux  anciens  Canariens. 

C'est  sans  doute  à  cette  cause  qu'il  faut  attribuer  l'absence  de 
toute  industrie  métallurgique  dans  l'archipel.  A  l'époque  de  leur 
arrivée,  les  premiers  habitants  de  ces  îles,  les  Guanches^  igno- 
raient, selon  toute  probabilité,  l'usage  des  métaux;  les  condi- 
tions dans  lesquelles  ils  se  sont  trouvés  placés  n'étaient  guère  de 
nature  à  hâter  leurs  progrès  dans  ce  sens.  Mais  aux  Guanches  sont 
venus  se  mêler,  à  diverses  époques,  des  individus  partis  du  nord 
du  continent  africain.  Ces  invasions^  qui  se  sont  répétées  depuis 
la  conquête  espagnole,  se  sont  assurément  produites  dès  les 
temps  anciens.  Je  crois  avoir  mis  ce  fait  suffisamment  en  lumière 
dans  plusieurs  mémoires*  pour  me  dispenser  de  m'étendre  ici 
sur  ce  sujet.  Je  me  bornerai  k  rappeler  que  des  inscriptions 
gravées  sur  des  rochers,  en  caractères  numidiques,  ne  peuvent 
laisser  de  doutes  sur  l'arrivée  de  Numides  dans  les  îles  de  Fer  et 
de  la  Grande-Canarie  ;  que  l'étude  des  caractères  physiques 
montre  incontestablement  l'existence  de  Sémites-  au  milieu  de 
l'ancienne  population.  Parmi  ces  envahisseurs,  il  en  était  qui 

1)  Ces  minerais  comprennent  du  fer  oxydulé  ou  magDétic[ue,  de  la  galèn, 
(sulfure  de  plomb),  des  carbonates  de  cuivre  et  quelques  pyrites. 

2)  V.  dans  les  Bulletins  de  la  Société  d'Anthropologie  :  Delà  pluralité  des  races 
anciennes  de  Tarchipel  canarien  (1878)  :  Les  Sémites  aux  îles  Canaries  (1884)  : 
Les  anciens  habitants  de  la  Isleta  (1881),  etc.  et  dans  la  Revue  d' Anthropologie  : 
Habitations  et  sépultures  des  anciens  Canariens  (1879)  ;  La  race  de  Cro- 
Magnon,  ses  migrations,  ses  descendants  (1886).  V.  encore  :  Rapport  sur  une 
mission  scientifique  dans  Tarchipel  canarien,  in  Archives  des  missions ^  4887, 


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CHEZ  LES  ANCIENS   HAUITÂNTS    DE   l'âRCHIPEL  CANARIEN  363 

connaissaient  les  métaux.  Comment  expliquer  dès  lors  qu'ils 
n'aient  pas  introduit  Fusage  d'outils  métalliques  ?  On  en  peut 
donner  des  explications  fort  plausibles. 

Les  immigrants,  qu'ils  aient  été  amenés  dans  ces  parages 
volontairement  ou  accidentellement,  étaient  des  navigateurs  qui 
ne  comptaient  probablement  guère  de  métallurgistes  parmi  eux. 
Eussent- ils  été  capables  d'extraire  des  métaux  qu'ils  se  seraient 
vus  dans  la  nécessité  de  renoncer  à  cette  industrie,  en  présence 
de  la  pénurie  de  minerais  que  je  viens  de  signaler. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que,  jusqu'à  ce  jour,  il  n'a  pas  été 
trouvé  un  seul  objet  en  métal  dans  les  habitations  ni  dans 
les  sépultures  des  anciens  Canariens.  Ce  ne  fut  qu'au  xv*  siècle 
que  Jean  de  Béthencourt  et  ses  Normands',  puis  les  con- 
quérants espagnols,  importèrent  avec  eux  les  métaux  dans  ces 
îles*. 

Dans  de  telles  conditions,  la  pierre  devait  forcément  jouer  un 
grand  rôle  au  point  de  vue  industriel.  Les  instruments  en  pierre 
sont  cependant  fort  rares  dans  les  collections  ;  cette  rareté  ne 
saurait  s'expliquer  que  par  l'absence  presque  complète  de  ces 
pièces  bien  travaillées  qui  attirent  l'attention  des  amateurs  les 
moins  compétents.  Une  foule  d'objets  intéressants  ont  dû  être 
dédaignés  par  les  chercheurs  ou  jetés  dans  les  ravins  par  les 
pasteurs  ignorants  qui  ont  profané  tant  de  grottes.  En  explorant 
avec  soin,  on  rencontre  encore  aujourd'hui  d'assez  nombreux 
outils  qui,  malgré  leur  grossièreté,  ont  sûrement  été  utilisés 
par  l'homme. 

Si  les  instruments  en  pierre  dont  se  sont  servi  les  vieux  insu- 
laires de  l'archipel  canarien  sont  habituellement  grossièrement 
travaillés,  il  n'est  pas  bien  difficile  'd'en  comprendre  la  raison, 
Les  roches  qui  se  taillent  le  mieux,  celles  qu'utilisaient  nos 
ancêtres,  n'existent  pas  là-bas.  Le  silex,  par  exemple,  fait  peut-^ 


1)  On  ne  peut  pas  dire  toulefois  que,  depuis  la  conquête,  il  se  soit  déve- 
loppé une  industrie  métallurgique  dans  les  îles  Canaries.  Les  artisans  actuels 
se  bornent  à  forger  quelques  outils  ;  ils  tirent  tous  leurs  métaux  d'Europe, 
d'Angleterre  principalement,  tant  il  est  vrai  que  le  pays  ne  fournit  pas  de 
minerais  susceptibles  d*étre  exploités. 


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^/>  *Am^'.Kï»^Tn«m',  l*^fiiu:  .:itt  raa  aSnuir  xi.a  ta  r»Ton  trait, 

p^r*,  ï>^  l'i.'VHUruv*^  -t  :;  '.ra  1*  pi  i-i  ^^^a^^eat  trï^iiL-h»*  le»  • 

r^r^^i^>,ïv;W',  p^n  rverr.»^n:  er*.v,r»>'  er^nalas  srêîiw  Lé*s  tri-îs  pre- 
u^.^rfi'^  r^^j,-^  ^  r»^n*tôr.*r>nt  p-ir.  :-:ir,  mais  îl  a'ea  est  pas  de 

rjr,^  ^i>f  #ïrj<^>;i^^  {>o^dL*  ilml:^-  Aa*§L  malgré  t:a5  1-^  aTs»- 
U^f:^  ^o>,.^  prév^ti^  poar  la  £ahr>atîoo  d'instruments  tran- 
^,J»4ftt^,  ni5  A^rriblft-t-frlie  avoir  été  qne  don  asaz^  assez  peo 
fép^uAu.  J^  doî»  ajonl^r  qne  l'obsidienne  des  Canaries  offre  mie 
tUrifkafîon  în#y>nipl^le  et  qn'el!^-  a  t-rajoors  été  utilisée  sons 
forme  d'e/.Uu  hnjtA,  tranchants  sur  les  bords.  Aucun  des  outils 
qri^T  j#;  rjmwi\%  ne  peut  être  comparé  à  ces  remarquables  instru- 
mf'.uin  d'ohftidif;nne,  si  nombreux  au  Mexique  :  les  plus  beaux 
de»  riAtres  ne  sauraient  pas  même  soutenir  la  comparaison  avec 
Un  plu»  ^ros^iers  de  F  Amérique. 

J'aurai  a  signaler  quelques  objets  remarquables,  en  fort  petit 
nombre  d'ailleurs;  je  veux  parler  de  haches  polies  en  chloromé- 
lanite.  On  n  a  trouvé,  dans  rarchipel,  aucun  gisement  de  cette 
roche;  je  dirai  mAme  que,  à  ma  connaissance,  il  n'en  a  été 
recueilli  aucun  fragment.  Les  minéralogistes  que  j'ai  'consultés 
sont  à  peu  prfes  unanimes  à  la  considérer  comme  tout  à  fait 
étrangère  au  pays;  il  faudrait  donc  admettre  qu'elle  a  été 
importée.  Deux  hypothèses  se  présentent  alors  :  elle  a  pénétré 
ou  bien  par  voie  d'échanges,  ou  bien  accidentellement,  rejetée, 
par  exemple,  parla  mer  sur  quelque  plage.  Dans  le  premier  cas, 
elle  aurait  pu  être  déjà  travaillée  et  livrée  sous  forme  de  haches 
polies,  ce  qui  expliquerait  Tabsence  presque  totale  d'autres 
inulrumenls  on  pierre  polie  et  porterait  à  croire  que  les  anciens 
habitants  ignoraient  Tari  do  polir  leurs  outils  ;  mais  cette  hypo- 
Ihèiin  o«l  on  complet  désaccord  avec  les  dires  des  vieux  histo- 
rlonM  ;  tous,  en  eilet^  affirment  que  les  Canariens  n'avaient  pas 
do  relations  avec  le  reste  du  monde,  qu'ils  n'avaient  pas  la 
moindre  notion  do  la  navigation  et  qu'ils  ne  communiquaient 
m^m«»  pas  d'une  tlo  h  Taulro.  Il  est  vrai  que  les  auteurs  auxquels 


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CHEZ  LES   ANCIENS  HABITANTS   DE  LARCHIPEL  CANARIEN  363 

je  me  réfère  entendent  parler  de  relations  habituelles  ;  il  ne  s'en- 
suivrait pas  qu'il  ne  fût  pas  arrivé  dans  ces  parages  quelque 
navire  isolé,  et  j'ai  dit  plus  haut  que  le  fait  s'était  assurément 
produit  à  diverses  époques.  Quoi  qu'il  en  soit,  que  Ton  adopte 
l'une  ou  l'autre  des  deux  hypothèses,  on  comprend  aisément 
l'eigcessive  rareté  d'objets  fabriqués  avec  une  roche  qui  n'existe 
pas  dans  cet  archipel. 

II 

La  pierre  était  bien  souvent  utilisée  par  les  anciens  habitants 
des  Canaries  telle  qu'ils  la  rencontraient,  sans  qu'ils  lui  fissent 
subir  le  moindre  travail.  Nous  savons,  par  tes  historiens  du 
XV*  siècle,  qui  ont  assisté  à  la  conquête  de  ces  îles,  que  les 
armes  de  jet  de  prédilection  des  vieux  insulaires  consistaient  en 
pierres  brutes  et  surtout  en  cailloux  roulés,  qui  se  trouvent  en 
abondance  dans  tous  les  ravins.  Lorsque,  dans  une  bataille,  Tun 
des  partis  occupait  une  hauteur,  il  précipitait  sur  ses  adversaires 
d*énormes  blocs  que  les  guerriers  se  bornaient  à  rouler  jusqu'au 
bord  des  pentes.  Pour  ces  usages,  les  pierres  n'avaient  évidem- 
ment pas  besoin  d'être  taillées. 

Les  cailloux  roulés,  dans  la  main  des  Canariens^  ne  se  transfor- 
maient pas  seulement  en  projectiles  dangereux;  ils  servaient 
encore  à  des  usages  multiples;  Dans  une  foule  de  grottes,  situées 
dans  des  endroits  élevés,  j'ai  rencontré  des  fragments  de  roches 
diverses  qui,  après  avoir  été  entraînés  par  les  eaux  des  torrents 
ou  roulés  par  la  mer  et  avoir  eu  leur  surface  polie  de  cette  ma- 
nière, avaient  été  recueillis  et  utilisés  soit  comme  percuteurs, 
soit  comme  molettes  ou  comme  pilons. 

Les  percuteurs  étaient  le  plus  souvent  de  forme  cylindrique 
et  servaient  indistinctement  par  l'une  ou  Tautre  de  leurs  extré- 
mités; il  est  rare  de  constater  à  un  seul  bout  des  traces  de  chocs. 
Le  motif  qui  faisait  rechercher  pour  cet  usage  des  pierres  cylin- 
driques, c'est  sans  doute  qu'elles  étaient  mieux  en  main. 

Les  molettes  consistaient  en  pierres  plates  de  forme  circulaire 
ou  bien  en  cailloux  de  forme  plus  ou  moins  conique.  J'en  con- 


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366  l'indfstbie  de  la  pierre 

Dais  une  qui  affecte  grossièrement  la  forme  d*un  pied;  la  partie 
qui  correspond  au  bas  de  la  jambe  était  tenu  à  la  main  à  la  façon 
d*uu  manche.  Quelle  que  soit  leur  forme,  ces  molettes  n*ont  que 
fort  rarement  été  travaillées  par  Thomme.  Malgré  cette  absence 
de  travail,  il  est  incontestable  qu'elles  ont  servi  à  broyer  : 
l'usure  qu'a  produit  le  frottement  sur  une  de  leurs  faces  ou 
même  sur  plusieurs,  l'ocre  qui  colore  encore  quelques-unes 
d'entre  elles,  ne  sauraient  laisser  le  moindre  doute  à  cet  égard. 

La  pierre  sur  laquelle  on  triturait  les  substances  qu'on  vou- 
lait réduire  en  poudre  ne  subissait  elle-même  aucune  prépa- 
ration. On  ne  lui  demandait  que  d'offrir  une  surface  à  peu  près 
plane,  et  les  fragments  présentant  cette  condition  ne  font  pas 
défaut.  H  arrivait  toutefois,  au  bout  d'un  certain  temps,  que  le 
frottement  prolongé  de  la  molette  usait,  sur  un  espace  limité,  la 
pierre  qui  se  creusait  alors  quelque  peu;  il  en  résultait  une 
sorte  de  mortier  rudimen taire  peu  profond,  dont  j*ai  rencontré 
plusieurs  échantillons. 

J'ai  dit  que  des  cailloux  roulés  étaient  encore  utilisés  en  guise 
de  pilons.  On  choisissait  naturellement  à  cet  effet  les  plus  allon- 
gés, mais  il  fallait  en  outre  que  la  roche  présentât  une  certaine 
dureté  et  un  grain  assez  fin.  Il  est  assez  rare  de  trouver  des 
pilons  façonnés  de  main  d'homme,  ce  que  l'on  conçoit  aisément 
si  l'on  songe  que  dans  tous  les  ravins  et  sur  toutes  les  plages  les 
habitants  rencontraient  en  abondance  ces  instruments  tout 
façonnés. 

Mais  si  nos  insulaires  se  procuraient  sans  peine  leurs  armes 
de  jet,  leurs  percuteurs,  leurs  molettes,  'eurs  pierres  à  broyer 
et  leurs  pilons,  il  n'en  était  plus  de  même  lorsqu'il  s'agissait 
dlnstruments  tranchants;  il  fallait  encore  que  Tintelligence 
humaine  intervint. 

III 

Les  anciens  habitants  de  Tarchipel  canarien  étaient  assez 
industrieux  :  ils  travaillaient  avec  soin  Tos,  le  bois,  etc.  ;  leurs 
poteries  dénotent  souvent  une  certaine  habileté.  Aussi  est-on 


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CHEZ  LKS  ANCIENS  HABITANTS  DE  L  ARCHIPEL  CANARIEN 


367 


surpris,  tout  d'abord,  de  voir  leurs  outils  de  pierre  si  gros- 
sièrement travaillés  pour  la  plupart.  On  se  croirait  en  présence 
d*instruments  de  nos  plus  anciennes  stations  quaternaires.  J'ai 
dit  plus  haut  que  cette  anomalie  pouvait  s'expliquer  par  la  na- 
ture des  roches  employées.  La  basalte,  en  effet,  qu'ils  avaient 
partout  sous  la  main  et  que,  par  suite,  ils  utilisaient  dans  le 
plus  grand  nombre  de  cas,  ne  se  prête  guère  à  de  fines  re- 
touches. C'est  pour  ce  motif  apparemment  que  presque  tous  les 
outils  en  basalte  semblent ,  à  première  vue ,  de  simples 
ébauches. 


Fig.  48.  —  Couteau  en  basalte  (Fortaventure). 

Lescouteaux,parexemple,  affectent,  àpeu près  constamment,  la 
forme  de  prismesàtroisfaces  (fig.  48).  L'une  d'cllesest  fort  réduite, 
dentelle  sorte  que  la  pièce  se  trouve  très  aplatie  etqu'undesesbords 
est  infiniment  plus  tranchant  que  les  deux  autres.  Cette  forme  tient 
assurément  à  ce  que  le  basalte  se  divise  avec  la  plus  grande  faci- 
lité, parfois  même  d'une  manière  spontanée,  en  prismes  à  nombre 
variable  de  faces.  Les  prismes  à  six  et  à  trois  faces  sont  des  plus 
fréquents.  Dans  une  foule  de  grottes  basaltiques,  on  rencontre  de 
ces  lames  qui  se  détachent  au  moindre  choc,  lorsqu'il  s'est  pro- 
duit des  infiltrations  aqueuses.  Ces  fragments  qui  prennent 
naissance,  pour  ainsi  dire,  spontanément,  sont  tellement  iden- 
tiques à  ceux  que  je  considère  comme  des  couteaux,  qu'on  pour- 


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368  L*INDUSTRIE  DE  LA  PIERRE 

rait  être  tenté  de  se  demander  si  ces  derniers  ont  bien  été  réelle- 
ment utilisés  par  rhomme  ou»  tout  au  moins,  fabriqués  par  lui.  Il 
est  fort  probable  que,  parmi  ces  éclats,  il  en  est  qui  ont  été 
recueillis  tout  façonnés  par  les  anciens  Canariens.  Ces  gens  que 
nous  avons  vu  ramasser  dans  les  ravins  ou  sur  les  plages  des 
cailloux  roulés  pour  en  faire  des  percuteurs,  des  molettes,  des 
pilons,  ne  devaient  pas  dédaigner  les  éclats  tranchants,  lorsqu'ils 
en  rencontraient.  Mais  il  est  également  vraisemblable  qu'un  bon 
nombre  de  ces  couteaux  ont  été  fabriqués  intentionnellement. 
Je  pourrais  même,  à  cet  égard,  être  entièrement  affirmatif,  car 
on  trouve  quelquefois  le  bulbe  de  percussion  qui  n'existe  jamais 
sur  les  prismes  basaltiques  d'origine  spontanée.  Étant  donnée  la 
facilité  avec  laquelle  le  basalte  se  laisse  diviser  en  lames  tran- 
chantes, à  priori  il  n'était  guère  permis  de  supposer  que  des 
individus  capables  de  tailler  les  outils  relativement  compliqués 
dont  je  vais  avoir  à  m'occuper,  n'eussent  pas  su  fabriquer  des 
couteaux  aussi  simples. 

Ce  qui  ne  saurait  être  mis  en  doute,  c'est  que  ces  éclats  aient 
réellement  servi  à  l'homme.  Dans  une  foule  de  grottes,  ouvertes 
non  plus  dans  du  basalte,  mais  dans  des  roches  de  toute  autre 
nature,  j'ai  rencontré  de  ces  petits  prismes  basaltiques  de  forme 
triangulaire;  ils  avaient  donc  été  fabriqués  là  où  je  les  ai  trouvés 
ou  apportés  intentionnellement.  Dans  quel  but?  C'est  ce  qu'on 
devine  à  la  simple  inspection  de  l'objet  :  Tun  de  ses  bords  est 
tranchant  ;  on  a  donc  dû  s'en  servir  en  guise  de  couteau.  Dans 
tout  l'archipel,  les  habitants  employaient  ce  couteau  de  basalte 
en  forme  de  prisme  triangulaire  aplati. 

Quelquefois  cependant  ils  faisaient  usage,  dans  le  même  but, 
de  lames  un  peu  différentes.  Ce  sont  des  éclats  qui  ne  présentent 
plus  que  deux  faces  ;  Tune  d'elles,  à  peu  près  plane,  a  été  déta- 
chée du  bloc  par  un  coup  sec  ;  l'autre,  au  contraire,  a  été  taillée 
de  façon  à  obtenir  deux  bords  tranchants.  Ces  couteaux,  qui  rap- 
pellent ceux  qu'on  trouve  chez  nous  dans  toutes  les  stations  de 
l'époque  paléolithique,  sont  infiniment  plus  rares  que  les  pre- 
miers. 

Les  instruments  que  nous  allons  maintenant  passer  en  revue 


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CHEZ  LES  ANCIENS  HABITANTS   DE    l'aRCHIPEL  CANARIEN  369 

ne  peuvent  laisser  aucun  doute  sur  leur  mode  de  fabrication  : 
presque  tous  ont  été  obtenus  à  Taîde  du  percuteur  *. 

Je  signalerai  d'abord  les  éclats  d'obsidienne  qui,  à  cause  du 
tranchant  de  leurs  bords,  étaient  toujours  utilisés,  quelle  que  fût 
leur  forme.  Il  est  d'ailleurs  à  remarquer  qu'ils  ne  présentent 
presque  jamais  cette  forme  de  lames  allongées  que  nous  sommes 
habitués  à  considérer  comme  caractéristique  des  couteaux  et 
qu'on  tire  si  facilement  de  certaines  obsidiennes,  celles  de  l'Amé- 
rique centrale,  par  exemple. 

En  général  irrégulièrement  triangulaires,  losangiques  ou 
elliptiques,  ces  éclats  peuvent  comprendre  la  partie  corticale  ou 
bien  être  tirés  du  milieu  d'un  bloc.  Tous  semblent  avoir  été 
utilisés,  sans  doute  parce  que  cette  roche  donne  une  cassure  très 
tranchante  et  qu'elle  ne  se  rencontre  que  sur  quelques  points  fort 
limités  *. 

S'il  fallait  en  croire  S.  Berthelot  %  les  éclats  d'obsidienne,  que 
les  Guanches  désignaient  sous  le  nom  de  tabona^  ne  servaient 
guère  qu'à  l'ouverture  des  cadavres  qu'on  se  proposait  d'embau- 
mer. Mais  cet  auteur  se  réfère  à  un  passage  de  Viera  y  Clavijo  * 
qui  ne  cite  nullement  l'obsidienne  ;  il  parle  de  couteaux  de  silex, 
mais  il  a  certainement  employé  le  moi  pedemcUàdM^  le  sens  vul- 
gaire de  pierre.  Il  n'est  pas  nécessaire  d'avoir  recours  à  une 
hypothèse  gratuite  pour  expliquer  la  rareté  des  outils  en  obsi- 
dienne :  il  suffit  de  tenir  compte  de  la  rareté  de  la  roche  elle- 
même  sans  qu'il  soit  besoin  de  supposer  que  ses  éclats  fussent 
réservés  à  des  opérations  spéciales.  Il  fallait  faire  de  véritables 
voyages  pour  se  la  procurer  et,  quels  que  fussent  les  avantages 
qu'elle  présentât,  on  se  servait  de  préférence  des  roches  qu'on 
avait  partout  sous  la  main. 

1)  J'ai  recueilli  quelques  nucléus  de  basalte  qui,  à  en  juger  par  l'étendue  des 
facettes,  n'ont  donné  que  des  éclats  de  petites  dimensions. 

2)  L'obsidienne  existe  en  grande  abondance  au  sommet  du  pic  de  Teyde, 
dans  Tîle  de  Ténériffe  ;  elle  se  trouve  en  petite  quantité  dans  quelques  localités 
peu  nombreuses  de  la  Grande-Canarie. 

3)  P.  Barker  Webb  et  Sabin  Berthelot,  Histoire  naturelle  des  îles  Canaries, 
i"  partie,  Ethnographie,  par  Berthelot. 

4)  José  de  Viera  y  Clavijo,  Noticias  de  la  Historia  gênerai  de  las  Islas  Cana- 
rias,  t.  I,  p.  159. 


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370 


LINDTIST«ÏE   DE  LA    PIERRE 


Les  pointes  de  lance  ou  de  javelot  sont  toutes  à  peu  près  aussi 
grossièrement  taillées  que  les  couteaux.  Grandes  ou  petites,  c'est 
à  peine  si  elles  offrent  quelques  éclats  enlevés  sur  une  de  leurs 
faces. 

Le  type  le  plus  simple  pourrait  se  comparer  aux  premiers 
couteaux  que  j*ai  décrits  :  au  lieu  de  prismes  triangulaires,  nous 
trouvons  des  pyramides  à  trois  faces  dont  Tune  est  fort  réduite. 


Fig.  49.  —  Pointe  de  lance  eu  rorme  de  pyramide  triangulaire  (Fortaventare). 

C'est  toujours  sur  la  face  la  plus  large  que  se*  trouve  le  bulbe  de 
percussion,  lorsqu'il  existe  (fig.  49). 

Un  autre  type  de  pointe  correspond  à  la  seconde  forme  de 
couteaux  :  une  des  faces  est  plane  (celle  qui  porte  le  bulbe), 
tandis  que,  sur  l'autre,  plusieurs  éclats  ont  été  enlevés.  Ces 
éclats  sont  habituellement  assez  étendus  ;  il  est  exceptionnel  de 
voir  de  petites  retouches  sur  les  bords  (fig.  50  et  51). 

J^ai  dit  que  le  bulbe  de  percussion  se  rencontrait  toujours  sur 
la  face  la  plus  large  des  pointes,  lorsqu'il  existait.  De  même  que 
sur  les  couteaux  il  n*est  pas  rare  qu'il  fasse  absolument  défaut. 
Peut-être  s'agit-il  de  pointes  obtenues  accidentellement  en  vou- 
lant façonner  d'autres  outils.  Elles  n'en  ont  pas  moins  dû  être 
utilisées  :  plusieurs,  en  effet,  offrent  des  angles  si  aigus  qu'elles 


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CHEZ   LKS    ANCIENS    HABITANTS    DE   l'aBCHIPEL    CANARIEN         371 

n'ont  pas  pu  être  délaissées  par  les  anciens  insulaires  qui  avaient 
rhabitude  d'armer  de  pierres  Textrémité  de  leurs  lances  et  de 
leurs  javelots,  quand  ils  ne  la  durcissaient  pas  au  feu. 

Un  autre  instrument,  très  analogue  à  ceux  qui  précèdent,  se 
termine  par  une  extrémité  plus  étroite  et  plus  allongée.  La  plu- 
part des  archéologues  n'hésiteraient  pas  à  le  qualifier  de  perçoir. 
Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'il  a  pu  tout  aussi  bien  servir  à  perforer 


Fig.  50.  Fig.  54. 

Face  et  profil  d'une  pointe  de  lance  taillée  sur  une  seule  face  (Grande  Canarle). 


les  disques  de  bois,  de  coquille  ou  d*os  qui  se  rencontrent  assez 
fréquemment,  qu'à  armer  le  bout  d'une  lance . 

Je  dois  noter  que  toutes  les  pointes  dont  il  vient  d'être  question 
appartiennent  au  type  dit  du  «  Moustier  »,  c'est-à-dire  qu'elles 
ne  sont  taillées  que  sur  une  seule  de  leurs  faces.  J'ai  cependant 
trouvé  deux  haches  de  petites  dimensions  qui,  comme  celles  de 
Saint-Acheul,  ont  été  travaillées  des  deux  côtés.  La  plus  grande, 
que  représentent  les  figures  52  et  53,  ne  mesure  que  8  centimètres 
de  longueur  sur  6  de  largeur.  Fortement  convexe  sur  ses  deux 
faces^  elle  offre  une  épaisseur  maxima  de  4  centimètres. 

Par  sa  forme,  elle  rappelle  complètement  la  hache  amygda- 


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372 


L  INDUSTRIE   DE   LA    PIKRRE 


loïde  de  la  vallée  de  la  Somme.  Elle  est  taillée  à  grands  éclats 
comme  tous  les  autres  instruments  des  îles  Canaries. 

La  deuxième  petite  hache  taillée  des  deux  côtés,  rencontrée, 
comme  la  précédente,  dans  une  grotte  de  la  Caldera  de  Ban- 
dama^  à  la  Grande-Canarie,  affecte  une  forme  ovale  allongée. 
Moins  renflée  que  la  hache  amygdaloïde,  elle  peut  encore  se 
comparer  à  des  outils  similaires  extraits  des  dépôts  quater- 
naires du  nord  de  la  France. 

C'est  avec  intention  que  je  viens  de  me  servir  des  expressions 
type  du  Moustier,  type  de  Saint-Acheul.  11  ne  saurait,  en  effet. 


Fig.  52.  Fig.  53, 

Pointe  ou  hache  du  type  de  Saint-Acheul,  face  et  profil  (Grande  Canarie). 

venir  à  Tidée  de  personne  de  regarder  les  haches  canariennes 
comme  contemporaines  de  nos  instruments  quaternaires.  J'ajou- 
terai que  là-bas  les  deux  types  sont  contemporains  :  je  les  ai 
trouvés  à  côté  Tun  de  l'autre,  dans  la  même  grotte  et  dans  la 
même  couche.  Chez  nous,  le  fait  a  été  plus  d'une  fois  observé; 
il  Ta  été  également  en  Amérique.  Il  est  donc  impossible  d*assi- 
gner  une  date  à  un  outil  en  ne  tenant  compte  que  de  sa  forme. 
En  employant  le  mot  type^  j'ai  eu  en  vue  «  une  forme  d'outil  et 
non  pas  un  ensemble  d'instruments  représentant  l'industrie  d'un 
pays  à  une  époque  donnée  \  » 

1)  E.-T.  Hamy,  Précis  de  paléontologie  humaine,  p.  226. 


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CHEZ    LES    ANCIENS    HABITANTS   DE   LARCHIPEL   CANARIEN         373 


IV 


Parmi  les  ustensiles  de  pierre  que  j'ai  récoltés  dans  Tarchipel 
canarien,  il  en  est  un  certain  nombre  qui,  après  avoir  été  taillés, 
ont  subi,  à  Tusage,  par  suite  de  frottements  répétés,  un  certain 
polissage;  je  veux  parler  des  pierres  à  polir  les  poteries,  des 
meules  ou  moulins  à  gofio  et  des  mortiers.  Je  décrirai  à  la  suite 
de  ceux-ci  les  lampes  en  pierre  qui  présentent  avec  eux  certaines 


Dans  plusieurs  grottes  habitées  à  une  époque  antérieure  à  la 
conquête  espagnole,  j'ai  rencontré  de  petits  fragments  de  lave  à 
fines  vacuoles,  de  forme  aplatie,  polis  sur  une  de  leurs  faces. 
Cette  face  polie  est  presque  toujours  légèrement  concave.  Ces 
fragments  devaient  servir  à  polir  les  poteries  à  l'extérieur  ;  la 
concavité  qu'ils  présentent  s'adaptait  à  la  convexité  des  vases. 

Plusieurs  motifs  m*ont  amené  à  cette  détermination.  Des 
pierres  de  ce  genre  ont  été  trouvées  à  côté  d'objets  en  terre, 
dont  les  uns  n'étaient  pas  encore  cuits  et  dont  les  autres  n'étaient 
qu'ébauchés.  L'endroit  de  la  découverte,  situé  à  l'air  libre,  ne 
pouvait  être  qu'un  atelier  de  potier.  Ces  morceaux  de  lave  ser- 
vaient à  l'artisan  à  dégrossir  ses  produits  comme  ils  servent 
encore  aux  potiers  modernes,  qui  continuent  à  ne  pas  employer 
le  tour  et  qui  effectuent  leur  travail  comme  il  devait  se  faire 
avant  la  conquête.  C'est  aux  vieux  insulaires  que  les  habitants 
actuels  ont  emprunté  leur  mode  de  fabrication,  les  formes  de 
leurs  vases  et,  dans  certains  cas,  les  noms  mêmes  par  lesquels 
ils  les  désignent.  Il  est  donc  probable  que  les  pierres  dont  il 
s'agit,  qui  servent  aujourd'hui  à  polir  les  poteries  étaient  jadis 
destinées  au  même  usage. 

Les  meules  étaient  fort  répandues  :  les  insulaires  se  nourris- 
sant de  farine  de  grains  préalablement  torréfiés  {gofio),  le  moulin 
devait  se  rencontrer  partout.  Partout  il  se  composait  de  deux 
blocs  délave,  et  c'est  encore  cette  matière  première  qu'on  utilise 
pour  la  fabrication  des  meules  modernes. 


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374  l'industrie  de  la  pierre 

Les  deux  pierres  étaient  grossièrement  taillées  sur  les  bords 
pour  leur  donner  une  forme  à  peu  près  circulaire.  Leur  dia- 
mètre varie  généralement  entre  35  et  55  centimètres.  L'infé- 
rieure, qui  déborde  à  peine  celle  du  dessus,  n'ofifre  jamais  le 
petit  rebord  qu'on  voit  sur  les  petites  meules  employées  de  nos 
jours  (fig.  54). 

Dans  ce  moulin,  comme  dans  tous  les  moulins  primitifs,  la 
meule  supérieure  se  meut  à  plat  sur  celle  du  bas  qui  est  toujours 
fixe.  Chacune  des  pierres  doit  donc  présenter  une  face  plane.  Il 
est  presque  superflu  d'ajouter  que  cette  surface  pleme  regarde  en 
haut,  si  Ton  considère  la  meule  inférieure,  tandis  qu'elle  est 
tournée  en  sens  inverse  sur  celle  du  haut. 


Fig.  54.  —  Moulin  à  gofio  (Ténériffe). 

Ce  n  est  que  sur  les  bords  et  en  dessus  que  la  pierre  du  bas 
porte  des  traces  de  travail;  dans  le  reste  de  son  étendue,  elle 
est,  en  général,  absolument  brute.  Il  n'en  est  pas  de  même  de 
l'autre  ;  non  seulement  le  bord  et  une  face  en  ont  été  taillés,  mus 
on  observe  encore^  jusque  sur  la  face  supérieure,  des  signes 
évidents  de  travail  humain.  Près  de  la  périphérie,  on  voit  tou- 
jours une  ou  plusieurs  petites  cavités,  irrégulièrement  espacées, 
qui  recevaient  l'extrémité  du  bâton  destiné  à  mettre  la  meule 
en  mouvement. 

A  son  centre,  la  pierre  du  haut  est  notablement  plus  épaisse 
que  sur  les  bords,  de  sorte  qu'elle  affecte  souvent  la  forme  d'un 
c&ne  tronqué  très  surbaissée  Parfois  même  elle  offre,  dans  ce 
point,  un  prolongement  cylindrique.  Dans  tous  les  cas,  on  ren- 


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CHEZ    LES    ANCIENS    HABITANTS    DE   l'aRCHIPEL   CANARIEN         375 

contre  à  cet  endroit  une  ouverture  circulaire  de  5  à  7  centi- 
mètres de  diamètre,  véritable  entonnoir  par  où  était  introduit  le 
grain  qu'on  voulait  moudre. 

Dans  toutes  les  lies,  le  moulin  était  identique^  c'est  à  peine  si 
les  divers  exemplaires  que  nous  avons  vus  présentent  quelques 
légères  différences  tout  à  fait  insignifiantes. 

Pour  broyer  certaines  substances,  les  ocres  *  notamment,  les 
anciens  habitants  des  Canaries  se  servaient  de  mortiers  tantôt 
en  lave,  tantôt  en  basalte  ou  en  trachyte.  La  forme  en  est  presque 
toujours  allongée  (fig.  85)  ;  je  n'en  connais  qu'un  seul,  brisé  en 
bas,  de  forme  circulaire.  Le  broyage  s*effectuait  donc  générale  - 


Fig.  55.  —  Mortier  à  ocre  (Grande  Ganarie). 

ment  en  imprimant  au  pilon  non  pas  un  mouvement  de  rotation, 
mais  bien  un  mouvement  de  va-et-vient  dans  le  sens  de  la  lon- 
gueur. 

Parmi  ces  mortiers,  il  en  est  qui  atteignent  40  centimètres 
dans  leur  plus  grand  diamètre^  tandis  que  d'autres  ne  dépassent 
guère  la  moitié  de  cette  dimension.  Leur  profondeur  est  très 
variable  ;  quelques-uns  sont  tellement  profonds  qu'on  est  obligé 

1)  A  la  Grande-Canarie,  il  se  faisait  une  consommation  d'ocre  bien  plus  con* 
sidérable  que  dans  les  autres  îles.  Les  naturels  s'en  servaient  non  seulement 
pour  décorer  leurs  poteries,  mais  aussi  pour  se  peindre  le  corps.  Aussi  ne 
doit-on  pas  être  surpris  de  trouver  dans  cette  île  beaucoup  plus  de  mortiers 
que  dans  le  reste  do  rarchipel.  Il  est  d'ailleurs  hors  de  doute  que  les  instru- 
ments dont  nous  parlons  aient  servi  à  broyer  de  Tocre  :  la  plupart  en  ont  encore 
leurs  pores  remplies. 


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376  l'industrie  de  la  pierre 

d'admettre  que  ces  ustensiles  étaient  d'abord  creusés  en  enle- 
vant des  éclats  à  Taide  de  coups  répétés  :  le  frottement  seul 
aurait  exigé,  pour  produire  une  telle  cavité,  un  temps  si  long 
qu'on  doit  forcément  renoncer  à  cette  supposition. 

Le  pilon,  ai-je  dit,  se  composait  le  plus  souvent  d'un  simple 
caillou  roulé,  de  forme  cylindrique.  Il  en  existe  pourtant  plu- 
sieurs qui  ont  été  façonnés  par  la  main  de  Thomme.  Ils  affectent, 
comme  les  autres,  une  forme  cylindrique,  ou  plutôt  légèrement 
conique,  l'extrémité  qu'on  tenait  à  la  main  étant  un  peu  moins 
épaisse  que  Tautre. 

Les  lampes  de  pierre  ressemblent  grossièrement  aux  mortiers  ; 
les  unes  ont  une  forme  elliptique,  les  autres  sont  presque  trian- 
gulaires. Elles  sont  creusées  d'une  cavité  peu  profonde  à  fond 
irrégulier.  Ce  caractère  peut  à  lui  seul  permettre  d'affirmer  que 
ces  instruments  n'ont  pas  servi  à  broyer,  car  le  fond  en  serait 
la  cavité  d'une  de  ces  lampes  porte  encore  les  traces  de  la  calci- 
nation  d'un  corps  gras.  Dans  quel  but  a-t-on  brûlé  de  la  graisse, 
dans  ces  pierres /creusées  ?  Pour  répondre  à  cette  question,  il 
me  suffira  de  rappeler  que  certaines  populations  modernes  font 
encore  usage  de  lampes  analogues  :  les  Esquimaux ,  par 
exemple,  brûlent,  pour  s'éclairer,  de  la  graisse  dans  des  réci- 
pients de  schiste  creusés  qui,  tout  en  étant  mieux  travaillés  que 
nos  ustensiles  canariens,  ne  leur  en  sont  pas  moins  compa- 
rables. Je  puis  citer  un  fait  plus  probant  encore  :  la  lampe 
ancienne  a  persisté  chez  quelques  pasteurs  modernes  des  îles 
Canaries  et  sa  forme  est  restée  la  même.  En  1877,  à  la  Punta  de 
Ânaga,  dans  Tile  de  Ténériffe,  j'ai  vu  des  pierres  creusées  exac- 
tement de  la  même  façon  que  celle  dont  je  donne  la  figure  ;  or 
ces  pierres  n'étaient  autre  chose  que  des  lampes.  Pour  s'en  ser- 
vir, le  berger,  dans  la  cabane  duquel  je  les  ai  vues,  commençait 
par  remplir  la  cavité  de  suif  de  chèvre  ou  de  mouton  ;  des  herbes 
sèches,  tordues  ensemble,  et  débordant  la  lampe  d'un  côté,  fai- 
saient l'office  de  mèche.  Avant  de  l'allumer,  notre  homme  avait 
le  soin  de  recouvrir  la  graisse  d'une  pierre  plate,  afin  que  le  feu 
ne  s'y  communiquât  point. 

A  cette  époque,  mon  attention  fut  vivement  attirée  par  un 


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CHEZ    LES    ANCIENS    HABITANTS    DE    l'aKCHIPEL    CVNARIEN  377 

instrument  aussi  rudimentairc  *  ;  j'avais  pensé  tout  d'abord  que 
ce  mode  d'éclairage  avait  été  emprunté  aux  Guanches  par  les 
pauvres  gens  de  Tarchipel  qui  ont  conservé  tant  de  coutumes 
anciennes.  Les  découvertes  que  j'ai  faites  récemment  de  lampes 
exactement  semblables  à  celles  du  pasteur  d'Anaga,  dans  des 
grottes  qui  n'ont  assurément  pas  été  habitées  depuis  la  con- 
quête, sont  veriues  me  confirmer  dans  ma  première  opinion. 
Les  lampes  d  autrefois  étaient  presque  toujours  en  lave.  Une 
de  celles  que  j'ai  recueillies  .est  percée  à  une  extrémité,  et  en 
bas  d'une  ouverture  qui  aurait  pu  servir  à  passer  une  corde  pour 
suspendre  l'objet.  Elle   est  malheureusement  incomplète,   de 


Fig.  56.  Lampe  en  lave  (tirande  CaDarie). 

même  que  deux  autres  qui  ne  portent  pas  de  trous.  La  seule  que 
j'aie  trouvée  entière  provient  d'une  grotte  de  la  Fortaleza  de 
Sta.  Lucia  de  Tirajana  ;  c'est  celle  que  représente  la  figure  56. 
Elle  présente  une  forme  irrégulièrement  triangulaire  et  mesure 
vingt-six  centimètres  de  long  sur  dix-neuf  dans  sa  plus  grande 


i;  On  se  servait  jadis,  avant  l'arrivée  des  Espagnols,  et  on  fait  encore  usage 
•ie  lampes  plus  simples.  Ce  sont  de  vulgaires  coquilles  univalves  (des  patelles) 
qu'on  remplit  de  graisse  à  laquelle  on  met  le  feu. 

Mais,  à  côté  d'instruments  aussi  primitifs,  on  trouvait  chez  quelques  habi* 
tants  de  la  Grande-Canarie,  des  lampes  en  terre  cuite  qui  portaient  à  leur 
partie  inférieure  un  ou  plusieurs  trous  pour  le  passage  des  mèches.  Deux  seuls 
exemplaires  me  sont  connus  et  les  deux  proviennent  de  la  même  île.  Ce  sont, 
sans  doute,  des  spécimens  d'une  industrie  spéciale,  importée  par  ces  immi- 
grants dont  j  ai  déjà  eu  Toccasion  de  signaler  la  présence  à  la  Grande-Canarie. 

Je  rappellerai  enfln  que  les  fragments  de  tea  (pinus  canariensis),  bois  trèR 
résineux»  jouaient  apparemment  comme  de  nos  jours,  un  rôle  important  dans 
IVclairage. 


•-.'6 


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378 


L  INDUSTKIE    DE    LA    PIEttRK 


largeur.  La  mèche  devait  être  placée  dans  Tangle  le  plus  aigu 
qui  correspond  au  sommet  du  triangle.  Cette  pièce  ne  se  diffé- 
rencie en  rien  de  celles  que  j'ai  rencontrées  dans  la  cabane  du 
berger  de  Ténériffe. 


V 


Les  véritables  instruments  polis  étaient  fort  rares  dans  lar 
chipel  canarien.  Je  nen  connais  que  sept  échantillons  S  parmi 


Fig.  57.  Fig.  .j8. 

Hache  polie  en  chloromélanite,  face  ei  profil  (Grande  Canarie). 


lesquels  six  ont  été  trouvés  à  la  Grande-Canarie  ;  le  septième 
provient  de  San-Sebastian,  dans  Tlle  de  la  Gomère.  Ces  objets 
polis  comprennent  cinq  haches  en  chloromélanite.  une  hache 
en  grès  micacé  et  une  sorte  de  pointe  triangulaire  en  limo- 
nite. 
Les  haches  en  chloromélanite  appartiennent  à  trois  types.  Les 


1)  Mon  excellent  ami,  M.  Diego  Ripoche,  connaît  une  huitième  pièce  polie: 
c'est  une  hacfie  en  chloromélanite,  rencontrée  à  la  Grande-Canarie.  Je  n  ai  pu 
rezamtner  et  dois,  par  conséquent,  me  borner  à  la  mentionner  dans  cette  énu- 
méraiion. 


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CHKZ    LES    ANCIENS    HABITANTS    DE    L  ARCHIPEL    CANARIEN 


379 


unes,  au  nombre  de  trois,  sont  convexes  sur  leurs  deux  faces; 
uile  des  extrémités  se  termine  en  pointe,  tandis  que  l'autre 
forme  ua  tranchant  très  arrondi  {lig.  57  et  S8).  C'est  une  de 
ces  haches  qui  a  été  trouvée  à  la  Gomëre. 

Un  autre  type,  représenté  par  un  exemplaire  unique  trouvé 
à  Gaïdar  (Grande-Canarie),  rappelle  les  formes  des  haches  en 
bronze  ;  mais  notre  outil  s'en  différencie  par  la  convexité  notable 
de  ses  deux  faces  (fig.  89  et  60).  Ses  deux  côtés  sont  légèrc- 


Fig.  59.  Fi«.  60. 

Hache  polie  en  chloromélauite,  face  et  profil  (Grande  CaDarie). 

ment  concaves  ;  son  tranchant|,  sensiblement  plus  large  que 
l'extrémité  opposée,  est  bien  moins  arrondi  que  dans  le  premier 
type. 

Notre  dernier  outil  en  chloromélauite  est  une  sorte  de  petite 
hachette  qui  ne  mesure  que  cinquante-trois  millim.  de  longueur  et 
trente^cinq  millim.  dans  sa  plus  grande  largeur.  L'extrémité  la 
plus  étroite  mesure  encore  près  de  vingt-cinq  millim.  Ses  deu;^ 
faces,  presque  planes,  sont  aussi  presque  parallèles  ;  elles  se  rap- 
prochent toutefois  légèrement  vers  le  sommet.  Les  deu^  côtés, 
au  lieu  d'être  concaves»   comme  dans  le  cas   précédent,    sont 


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380  l'industrie  de  la  pierre 

quelque  peu  convexes.  Enfin,  le  tranchant,  à  peu  près  reclîlignc, 
affecte  la  forme  d'un  coin. 

La  hache  en  grès,  que  j'ai  recueillie  dans  le  ravin  de  Tirajana, 
a  été  roulée  depuis  Tépoque  de  sa  fabrication  ;  sa  figure  n^a 
cependant  pas  été  altérée.  C'est  une  sorte  de  hache-marteau  de 
forme  allongée  qui  fait  songer  à  certaines  pièces  de  Danemarck. 
Elle  ne  porte  pas  de  trou  pour  l'emmanchure  ;  mais  sa  lèle 
élargie,  ses  côtés  concaves,  son  Iranchant  un  peu  arrondi  et  ses 
deux  faces  légèrement  renflées  lui  donnent  Taspect  d'un  outil  do 
la  péninsule  danoise. 


Fig.  01.    -  Pointe  polie  en  limonite  (Grande  Canarie). 

Le  dernier  objet  poli  que  j'ai  cité  plus  haut  provient  de  la 
Caldera  de  Bandama  ;  il  a  été  rencontré  à  côté  d'instruments 
grossièrement  taillés.  C'est,  je  l'ai  dit,  une  sorte  de  pointe, 
très  régulièrement  .triangulaire,  en  limonite  (fig.  61).  Ses  bords 
sont  droits  ;  ses  deux  faces,  sensiblement  parallèles,  sont  Tune 
un  peu  concave,  l'autre  légèrement  convexe  ;  le  sommet  pré- 
sente la  même  épaisseur  que  le  reste  de  la  pièce.  Il  est  donc 
difficile  de  voir  dans  cet  instrument,  qui  n'aurait  pénétré 
qu'avec  les  plus  grandes  difficultés,  une  pointe  de  lance.  S'il 
portait  un  trou  de  suspension,  on  n'hésiterait  pas  à  le  consi- 
dérer comme  une  amulette;  je  crois  que  c'est  ainsi  qu'il  faut 
le  qualifier,  malgré  l'absence  de  ce  trou. 

Les  premières  haches  que  je  viens  de  décrire  oH'rent  un  type 


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«.HKZ    r.KS     \N<:iBNS    HABITANTS    DK    i/aRCHIPEL   CANARIEN  38i 

qui  se  retrouve  chez  nous  dans  un  certain  nombre  de  collections. 
Mais  les  haches  de  cette  forme  que  nous  connaissions  depuis  long- 
temps et  que  Ton  regarde  comme  des  instruments  de  noire  pays 
n'ont,  d'après  M.  de  Mortillet,  jamais  été  trouvées  en  place. 
Aussi  <^et  archéologue,  se  basant  sur  l'existence  de  pièces  ana- 
logues dans  les  lies  Canaries,  est-il  disposé  à  attribuer  une 
origine  canarienne  à  ces  haches  répulées  françaises.  Il  m*est 
difficile  de  partager  cette  manière  de  voir.  J'ai  dit,  au  début  de 
cette  note,  que  la  chloromélanite  n'a  pas  encore  été  signalée 
dans  Tarchipel  canarien  ;  il  n'est  donc  guère  admissible  que  les 
vieux  habitants  aient  pu,  avec  une  roche  aussi  rare  chez  eux, 
qu'ils  ne  se  procuraient  qu'accidentellement,  fabriquer  un  grand 
nombre  d'outils.  Et,  on  effet,  malgré  les  recherches  les  plus 
actives,  poursuivies  depuis  un  bon  nombre  d'années,  il  n'a  été 
possible  de  réunir  que  cinq  pièces  faites  de  cette  substance- 
Rien  n'autorise  donc  à  supposer  qu'on  en  ait  rencontré  jadis, 
alors  qu'on  ne  faisait  pas  de  recherches,- un  nombre  suffisant 
pour  en  pouvoir  faire  chez  nous  une  vraie  importation.  Je 
croirais  plus  volontiers  que  ces  haches  ont  été  importées  aux 
Canaries  avant  [l'époque  de  la  conquête.  Le  même  type  a  été 
trouvé  dans  d'autres  contrées,  notamment  en  Amérique,  tandis 
qu'il  semble  entièrement  étranger  à  l'industrie  des  Guanches.  Il 
est  fort  probable  que  les  premiers  habitants  de  l'archipel  igno- 
raient l'art  de  polir  la  pierre  ;  partout,  en  effet,  nous  rencontrons 
des  instruments  taillés  fort  grossièrement.  Ce  n'est  guère  qu'à 
la  Grande-Canarie  qu'on  a  découvert  quelques  objets  peu  nom- 
breux en  pierre  polie.  Or,  c'est  dans  cette  île  que  les  croisements 
ont  été  les  plus  fréquents  et  les  plus  divers,  ce  qui  revient  à  dire 
que  c'est  là  que  sont  arrivés  le  plus  d'étrangers.  Il  n'y  aurail 
donc  rien  de  surprenant  à  ce  que  certains  de  ces  nouveaux 
venus  aient  apporté  avec  eux  quelques-uns  de  ces  outils  fabri- 
qués avec  une  roche  étrangère  au  pays. 

Pour  terminer  l'énumération  des  objets  en  pierre  trouvés  dans 
les  demeures  ou  les  sépultures  des  anciens  habitants  de  ces  îles, 
il  me  faut  citer  quelques  grains  de  collier  présentant  la  forme 
d'un  petit  baril    minuscule,  percés  d'un  trou  dans  le  sens  de  la 


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382  L'rNDUSTRlK    DE   JA    PIRRRE    DANS    l' AHCHIPKÏ.   rvWllIKN 

longueur.  Ces  grains  sont  d'ailleurs  aussi  rares  que  sont  abon- 
dants ceux  en  terre  cuite  ou  les  pendeloques  en  bois,  en 
coquille  et  en  os. 

CONCLUSIONS 

En  résumé,  l'industrie  de  la  pierre  ne  nous  montre  aucun 
caractère  spécial  aux  Canaries.  Les  vieux  insulaires  se  servaient 
d'instruments  analogues  à  ceux  des  hommes  quaternaires  de 
notre  pays.  Nous  avons  vu  en  même  temps  chez  eux  des  meules 
semblables  à  celles  des  Romains,  des  mortiers  comparables  à 
ceux  des  Indiens  de  Californie,  des  lampes  qui  rappellent  celles 
des  Esquimaux. 

Les  types  d'outils  du  Moustier  et  de  Saint-Acheul  se  ren- 
contrent, dans  ces  îles,  à  la  même  époque. 

La  race  primitive  (les  Guanches)  semble  avoir  ignoré  le 
polissage  de  la  pierre  :  les  quelques  outils  polis  trouvés  dans 
l'archipel  ont  pu  y  être  importés  par  quelques-uns  des  nombreux 
envahisseurs  qui  sont  venus  s'y  établir  et  qui  ont  fait  si  profon- 
dément sentir  leur  influence  sur  le  type  physique,  sur  les  mœurs, 
sur  les  coutumes  et  l'industrie  des  premiers  habitants.  Tout  au 
moins  est-on  en  droit  de  penser  que  si  des  instruments  polis  ont 
été  fabriqués  sur  place,  ce  sont  les  nouveaux  arrivants  qui  ont 
introduit  cet  art  avec  eux,  puisque  dans  les  îles  où  le  type  ancien 
est  resté  le  plus  pur,  on  ne  trouve  que  des  objets  simplement 
taillés. 


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LES  TOURS  RIAMS 

DE   LA  PROVINCE  DE  BINH-DINH  (annam) 


Par  m.  Ch.  LEMIRE 

Résident  «!«•   Franr*»  jui   Riiih-Diiili. 


Il  existe  dans  la  province  de  Binh-Dinh  un  grand  nombre  de 
tours  disséminées  sur  les  hauteurs  et  dont  la  construction  est 
attribuée  aux  Kiams. 

Ce  peuple  habitait  autrefois  le  pays  compris  entre  Cao-Bangau 
Tonkin  et  Baria»  frontière  de  la  Gochinchine  française.  Il  y  a  en- 
viron huit  C(ït)ts  ans,  le  roi  Pô-Klong,  poussé  vers  le  sud  par  les 
empiétements  des  Annamites»  se  construisait  une  capitale,  appelée 
la  ville  des  Sapins  à  l'endroit  mffme  où  est  la  capitale  actuelle 
des  rois  d* Annam.  Plus  tard,  le  royaume  de  Tsiampa  «  eut  pour 
capitale  Qui-Nhon,  ville  située  à  peu  de  distance  au  nord  du  chef- 
lieu  actuel  de  la  province  de  Binh-Dinh.  Enfin,  au  xv«  siècle,  leur 
capitale  était  Phan-Ry,  port  du  Binh-Thûan.  Ils  étaient  encore 
puissants  à  cette  époque,  puisqu'un  roi  de  Java  épousa  la  fille 
d'un  roi  Kiam.  Mais  alors  commence  Tinvasion  annamite  et,  vers 
1658»  ces  Kiams  étaient  refoulés  dans  les  montagnes  du  Binh- 
Thùan  sous  le  nom  de  Hot  «  les  barbares  » . 

Ces  Kiams,  ainsi  dispersés,  forment  encore  une  population  de 
cinquante  mille  âmes  au  Binh-Thùan,  de  dix  mille  en  Gochinchine, 
de  soixante  mille  au  Cambodge  et  de  dix  mille  au  Siam,  soit  en 
tout  cent  vingt  à  cent  quarante  mille  habitants.  Opprimés  à  ou- 
trance par  les  Annamites,  ils  ont  vu  en  nous  des  libérateurs.  Il 
n'est  pas  sans  importance,  tout   en  améliorant  leur  situation, 

1)  Ou  Tjampa«  ou  Ciampa,  ou  Lamâp,  ou  Cham,  ou  Tjam. 

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384  LES    TOIRS   KlAMS 

f 

de  s'occuper  des  vestiges  imposants  qu'ils  ont  laissés  derrière  eux. 

Les  Kiams  sont,  les  uns  mahométans.  les  autres  brahmanistes. 
La  religion  de  Brahma  a  précédé  le  mahométisnxe  et  le  boud- 
disme  et  s*est  perpétuée  dans  un  mélange  de  superstitions  et  de 
pratiques  bouddhistes  ;  ainsi ,  chez  les  Kiams,  il  n  y  a  pas  de 
bœufs,  Us  en  ont  une  sorte  d'horreur  sacrée,  parce  que ,  disent- 
ils,  ce  sont  les  bœufs  qui  les  portent  dans  Tautre  monde.  Évi- 
demment^ c'est  là  une  tradition  brahmanique. 

Chez  la  plupart  des  Kiam^  du  Binh-Thùan^  ce  sont  les  filles 
qui  font  les  demandes  en  mariage  et  non  les  garçons.  Elles  n'ont 
pas  les  yeux  bridés  et  leur  type  est  bien  supérieur  à  celui  des 
Annamites. 

«  Ce  peuple,  dit  M.  Aymonier,  eut  un  grand  passé.  C'est  une 
race  à  part,  intéressante  entre  toutes  dans  notre  empire  colonial  ; 
sa  langue,  son  écriture,  ses  religions,  ses  coutumes  diffèrent  to- 
talement de  celles  des  Annamites.  Moins  importants  que  ceux  du 
Cambodge,  leurs  monuments  indiquent  du  goût  et  une  civilisa- 
tion presque  identique.  » 

«  Ici  les  conquérants  n'ont  été  que  de  barbares  dévastateurs. 
A  chaque  pas  nous  en  voyons  la  preuve.  Une  quantité  innon^- 
brables  d'inscriptions  sanscrites  ou  kiams  ont  été  sysYématique- 
ment  détruites  par  les  Annamites.  » 

Au'Gambodge,les  Siamois,  bien  que  bouddhistes  aussi  fervents, 
ont  été  plus  acharnés  contre  les  monuments  religieux  en  vue  du 
pillage.  Ici  les  statues,  les  ornements,  les  sculptures  n'ont  pas 
été  saccagés  aussi  complètement. 

D'énormes  monolithes,  destinés  à  des  ponts  ou  à  des  colonnes 
gisent  abandonnés  sur  place,  les  vainqueurs  ne  pouvant  remuer 
ces  masses  énormes  que  les  Kiams  savaient  élever  jusqu'au 
faite  de  leurs  constructions. 

Les  monuments,  dont  les  ruines  sont  encore  debout,  sont  prin- 
cipalement des  tours  carrées  ou  rectangulaires.  Elles  sont  ordi- 
nairement réunies  plusieurs  ensemble  et  situées  sur  les  hauteurs. 
Cependant,  on  rencontre  des  tours  en  terrain  bas  :  par  exemple 
les  deux  tours  de  Qui-Nhon.  Autrefois  la  mer  venait  jusque-là. 
C'est  l'entrée  de  la  vallée  qui  conduit  au  chef-liou. 


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DE  LA  PROVINCE  DK  BINH-DIMI  38S 

Los  autres  monuments  de  la  province  sont  les  tours  d'argent 
(Bang^-It)  au  nombre  de  quatre,  les  tours  d'or  (Troc-Loc),  les 
trois  tours  divoire  (Duong-Tong),  les  tours  de  cuivre  (Canh-Tîen), 
la  tour  de  Binh-Lam, 

Ces  tours  sont  à  la  fois  en  granit,  en  grës  et  en  briques  rouges. 
La  photographie  ci-jointe  donne  une  idée  de  leur  architec- 
ture. On  ignore  encore  comment  et  d'où  ces  blocs  énormes  de 
grès  furent  amenés;  ils  sont  rectangulaires  ou  cubiques  et  juxta- 
posés sans  ciment.  Comment  a-t-on  pu  les  élever  pour  les  mettre 
en  place  ? 

Toutes  ces  pierres  portent,  comme  celle  d'Angcor  et  des 
autres  monuments  khmers,  un  ou  plusieurs  groupes  de  trous 
espacés  de  dix  à  quinze  centimètres,  de  deux  centimètres  de 
diamètre  et  trois  centimètres  de  profondeur.  Cette  pratique, 
qui  est  générale  dans  tous  les  monuments,  ici  comme  au  Cam- 
bodge, ne  pouvait,  malgré  ce  que  disent  les  habitants,  avoir  pour 
but  de  relier  les  pierres  par  des  crampons  en  fer  et  encore  moins 
de  rekouvrir  les  monuments  d'un  placage  métallique  ou  autre. 
M.  de  Lagrée,  qui  a  décrit  les  carrières  des  mêmes  pierres  au 
Cambodge^  dit  qu'aucune  ne  présentait  dans  ces  carrières  la 
trace  de  ces  trous  qui  he  servaient  donc  pas  au  transport,  mais  à 
l'élévation  des  blocs  et  à  leur  mise  en  place,  qu'on  se  servît  de 
griffes,  de  leviers  ou  de  tous  autres  instruments. 

Les  deux  tours  de  Qui-Nhon  sont  à  ciel  ouvert,  ce  dont  onjie 
se  douterait  pas  en  les  voyant  en  dehors.  Il  est  à  croire,  ce- 
pendant, que  la  voûte  se  rejoignait  et  s'est  écroulée.  A  Tintérieur, 
il  n'y  a  pas  de  corniches,  mais  des  trous  ronds  sur  deux  faces  et 
deux  trous  carrés  sur  deux  autres  faces,  opposés  les  uns  aux 
autres,  devaient  recevoir  des  traverses  en  bois  supportant  un 
plafond  en  planches  qui  masquait  la  voûte.  Ces  plafonds  étaient 
ordinairement  en  bois  sculpté  ainsi  que  les  portes  qui  étaient  à 
deux  battants,  massives  et  encastrées  dans  des  crapaudines 
pratiquées  en  haut  et  en  bas  des  monolithes  de  granit  qui  for- 
ment Tencadrement  des  portes. 

Dans  les  tours  d'argent,  les  voûtes  sont  basses  et  ogivales.  Ces 
voûtes  sont  construites  de  la  même  façon  qu'au  Cambodge  :  les 


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380  LES    TOIJHS    KIAMS    DK     LA  PKOVLNCK  DK    HLXH-DLNH 

piorres  superposées  de  chaque  côté  par  assises  horizonlales  se 
correspondent  et  se  rapprochent,  chacune  dépassant  celle  qui  est 
au-dessous.  On  abattait  les  extrémités  intérieures  des  pierres 
depuis  la  naissance  jusqu'au  sommet,  de  manière  à  obtenir  la 
coupe  ogivale, la  surface  étant  ensuite  polie  et  quelquefois  peinte. 

Ici  les  tours  n'ont  qu^une  porte  qui  est  carrée  et  s'ouvre  à  Test  ; 
les  autres  tours  en  ont  tantôt  quatre  se  coupant  selon  les  quatre 
points  cardinaux  et  formant  une  sorte  d'arc  de  triomphe;  tantôt 
deux,  comme  la  tour  d'argent,  orientées  nord  et  sud.  Les 
tours  de  Qui-Nhon  ont  sur  chacune  do  leurs  trois  autres 
faces  de  grandes  fausses  portes  ogivales ,  pleines ,  très  en 
relief,  dont  la  quadruple  ogive  est  bordée  de  quatre  rangs 
concentriques  de  moulures  de  feuillage.  La  tour  du  nord  a 
quatre  mètres  sur  chaque  face  intérieure  ;  l'épaisseur  des  murs 
est  de  deux  mètres.  Il  y  a  huit  étages,  à  partir  du  fût  des  colonnes 
jusqu'au  sommet,  formant  un  dôme  à  base  carrée.  Sur  chaque 
face,  les  briques  forment  cinq  hautes  colonnes  carrées  au-dessous 
desquelles  s'étagent  les  pierres  en  grès  qui  se  rapprochent  par 
assises  horizontales  et  prennent  la  forme  convexe  jusqu'au  som- 
met qui  se  terminait  en  pointe  et  qui  était,  suivant  la  tradition, 
surmonté  d'une  boule  et  d*une  flèche  dorées. 

Le  granit  qu'on  trouve  dans  les  tours  de  Binh-Dinh  est  sem- 
blable à  la  pierre  que  les  Cambodgiens  appellent  Bay-Kriém , 
«  riz  grillé  »,  parce  qu'elle  a  la  couleur,  la  forme  et  l'apparence  du 
riz  agglutiné. 

A  côté  d'un  puits,  voisin  des  tours,  est  une  pierre  de  ce  genre 
qui  a  trois  mètres  cinquante  de  longueur,  deux  mètres  de  lar- 
geur et  quatre-vingts  centimètres  d'épaisseur.  Os  pierres  iie 
sont  pas  susceptibles  d'être  sculptées. 

Les  pierres  sculptées  sont  en  grès  gris,  pareil  à  celui  d'Ang- 
cor.  D'un  grain  fin  et  susceptible  d'un  poli  parfait,  cette  pierre 
est  tendre  à  la  taille  en  carrière  et  devient  dure  à  l'air,  mais  pas 
assez  pour  résister  à  la  pluie,  au  soleil  et  au  vent.  C'est  cotte 
même  pierre  que  les  Cambodgiens  appellent  Ahmâpok  «  pierre 
de  boue  ».  Les  sculptures  de  ces  pierres  sont  si  délicates,  si 
bien  fouillées  et  si  bien  finies  que,  suivant  une  tradition  répan- 


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Fig.  62.  —  La  tour  de  BiDh*Lam 
(d'après  une  photographie  de  M>"*  Marie  Lemire). 


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388  LKS    TOURS   KlAMS 

due  dans  le  peuple  et  chez  les  grands  au  Cambodge  et  rapportée 
par  M.  de  Lagrée,  les  matériaux  des  monuments  khmers  étaient 
façonnés  de  toute  pièce  avec  de  la  terre  et  de  Teau  et  moulés  à 
l'état  liquide  suivant  les  formes  assignées  par  le  grand  architecte 
de  l'univers  Préa  Pusnuka,  délégué  de  Préa  En  (Indra,  roi  des 
génies). 

Ces  tours  renfermaient  des  statues.  Il  y  en  avait  probablement 
en  or  et  en  argent  avec  des  yeux  en  rubis  et  des  dents  en  dia- 
mants, elles  ont  disparu  les  premières  ;  celles  en  pierres  ont  été 
enlevées  plus  récemment.  On  a  creusé  les  murs  pour  en  arracher 
les  images  qui  y  étaient  adhérentes  et  qui  étaient  probablement 
en  pierres  et  assises. 

Une  niche  ogivale  se  trouve  au-dessus  de  chaque  porte  à  l'in- 
térieur. Elle  renfermait'à  demi-relief  un  buste  nu  de  femme  por- 
tant une  riche  coiffure  et  tenant  à  la  main  une  fleur  de  nénuphar. 
L'un  de  ces  bustes  est  ici  et  l'autre  à  Hanoï;  tous  deux  sont  des- 
tinés à  la  France. 

Les  huit  étages  de  ces  tours  se  rapportent  encore  aux  tradi- 
tions indiennes  sur  les  reliques  du  bouddha.  Lorsqu*il  mourut,  on 
brûla  son  corps^  on  fit  huit  parts  de  ses  ossements  qu'on  ren- 
ferma dans  huit  urnes  destinées  à  être  déposées  dans  des  tours 
à  huit  étages. 

La  plupart  des  statues,  soit  en  métaL  soit  même  en  pierre, 
étaient  dorées.  A  cet  efi'et,  dit  M.  de  Lagrée,  la  statue  était  recou- 
verte d'une  peinture  noire  résineuse  semblable  à  celle  qu'em- 
ploient encore  aujourd'hui  les  Cambodgiens  et  qu'ils  appellent 
Marak.  Pardessus,  on  appliquait  le  vermillon  et  la  dorure.  Pour 
les  grandes  statues  qui  devaient  être  exposées  à  l'air,  on  mélan- 
geait le  marak  à  une  pâte  de  cendres  formant  un  enduit  de  quatre 
à  cinq  millimètres  d'épaisseur.  J'ai  pu  recueillir  quelques-unes 
de  ces  statues;  la  dorure  a  disparu  presque  entièrement,  mais  le 
vernis  est  inaltérable. 

Ces  tours,  analogues  à  celles  que  les  Cambodgiens  appellent 
les  Preat-Sat^  servaient  probablement  de  sépultures  à  d'an- 
ciens rois.  Au-dessus  de  leur  tombeau  de  pierre  s'élevait  sans 
doute  leur  statue. 


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DE    LA    PKUVINCE   DE   BlNIi-DlNH  389 

Ici  comme  au  Cambodge,  non  seulement  les  statues  ont  été 
brisées,  mais  encore  leurs  socles  ont  été  bouleversés.  On 
est  donc  porté  à  croire  que  les  vainqueurs  au  temps  des  luttes  ou, 
depuis  la  décadence  des  habitants  du  pays,  sont  venus  chercher 
des  objets  qu'ils  y  supposaient  enfouis.  Les  cendres  des  grands 
personnages  étaient,  en  effet,  recueillies  dans  des  vases  précieux 
ou  entourées  d'objets  précieux,  et  Fusage  d'enfermer  leurs  cen- 
dres dans  des  pyramides  s^est  continué  jusqu'à  nos  jours.  Si  des 
fouilles  n'ont  pas  été  faites  dans  ces  tours,  il  y  aurait  peut-èlre 
un  intérêt  scientifique  à  en  pratiquer. 

Ce  qu'il  y  a  de  curieux,  c'est  que  les  chapiteaux  et  les  bases 
des  colonnes,  qu^elles  soient  en  pierres  ou  en  briques,  rappellent 
à  s'y  méprendre  le  mode  grec  des  plus  beaux  temps  ;  c>st  le 
même  dessin  général,  ce  sont  les  mêmes  moulures,  les  mêmes 
ornements  travaillés  avec  une  perfection  presque  égale,  dit  M.  de 
Lagrée,  qui  avait  fait  une  étude  spéciale  de  la  Grèce. 

Le  linteau  qui  surmonte  les  colonnes  offre  une  série  de  dan- 
seurs à  la  façon  cambodgienne  :  les  jambes  écartées,  les  bras  en 
Tair.  Sur  les  pierres  détachées  se  déroulent  'des  serpents  à  têto 
humaine  et  à  deux  bras,  les  nagas. 

Des  bandes  doubles  de  pierres  en  saillie  forment  le  couron- 
nement de  ces  édifices.  Le  milieu  de  chacunede  ces  bandes  est 
occupé  par  un  personnage ,  dieu  ou  roi,  portant  le  sceptre  ou 
l'épée,  comme  au  palais  d'Angcor. 

De  chaque  côté,  des  lions  à  crinière  se  tiennent  accroupis  et  le 
regardent  ;  puis  ce  sont  des  femmes  qui  tiennent  une  fleur  de  lotus, 
puis  des  griffons  à  la  queue  relevée  en  panache.  A  chaque  bande 
supérieure,  le  personnage  du  milieu  est  flanqué  de  deux  petites 
niches  ogivales  symétriquement  posées  qui  diminuent  de  gran- 
deur à  chaque  étage. 

Aux  angles ,  se  détachent  des  Kruts  ou  Garoudas.  Ce  sont 
des  personnages  qui  ont  le  buste,  les  jambes  et  les  bras  d'une 
femme,  une  tête  et  un  bec  de  chouette,  des  griffes  et  des  ailes 
par  lesquelles  ils  se  rattachent  aux  murs.  Sur  la  tête  du 
Krut  de  la  première  bande  est  posé,  les  jambes  écartées^  un 
homme ,  probablement  Vishnon,  dont  le   Garouda  est  la  mon- 


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'190  LKS    TOURS    KIAMS 

tare.  Ce  personnage  brahmanique  est  mêlé  aux  figures  du  boud- 
dhisme . 

A  la  tour  d'argent,  ce  sont  des  Yaks^  monstres  humains,  à  la 
bouche  fendue,  à  la  face  grimaçante  et  aux  yeux  en  saillie.  A  la 
tour  d*or ,  c'étaient  des  hommes  à  tête  d'éléphant  couronné,  portant 
d'une  rtiain  le  sceptre  et  dont  la  trompe  repose  dans  Tautre  main. 
J  ai  recueilli  une  de  ces  figures  en  grès  dont  on  a  brisé  la  tiare 
et  le  sceptre.  C'est  l'éléphant  hiératique  qui  est  le  symbole  de  la 
haute  intelligence  et  de  la  puissance. 

On  sait  que  le  Bouddha  est  mort,  suivant  la  légende,  343  ans 
avant  Jésus-Christ.  C'est  78  ans  après  Tère  chrétienne  que  le  boud- 
dhisme fut  introduit  au  Cambodge.  Il  eut  des  luttes  à  soutenir  ; 
mais  il  rallia  les  masses  et  se  substitua  ou  même  se  superposa  à 
la  religion  de  Ta-Prâhm ,  Tancêtre  Brahma,  dont  l'empreinte  est 
restée  marquée  dans  l'architecture  et  le  culte  des  Khmers  et  des 
Kiams.  Les  bouddhistes  n'ont  jamais  manifesté  d'aversion 
pour  les  figures  brahmaniques;  mais  ils  ont  soin,  dit  M.  Feer, 
de  subalterniser  tout  à  leur  Bouddha,  de  telle  sorte  que  Brahma 
et  les  dieux  de  son  panthéon  semblent  rendre  hommage  au  Boud- 
dha et  n'être  que  les  premiers  des  bouddhistes. 

Le  rapprochement  et  l'association  entre  les  figures  brahma- 
niques et  les  figures  bouddhiques  n'avaient  pas  été  signalés  d'a- 
bord ;  de  même  que  la  construction  des  tours  de  ce  pays  avait  été, 
au  début  des  explorations  dans  cette  région,  attribuée  à  tort  aux 
Cambodgiens,  alors  qu'elle  est  due  aux  Kiams,  les  rois  cambod- 
giens n'ayant  pas  dépassé  Bien-Hoa  en  Cochinchine. 

Bien  que  différents  entre  eux,  les  caractères  de  l'architec- 
ture des  Cambodgiens,  des  Kiams  et  des  Indous  ont  une  même 
origine  indienne  et  ces  trois  peuples  ont  eu  de  constantes  rela- 
tions. C'est  ainsi  qu'un  grand  intérêt  s'attache  à  une  statuette 
en  bronze  que  j'ai  récemment  découverte  enfouie  dans  la  mon- 
tagne auprès  de  la  tour  d'argent,  en  raison  du  lieu  où  elle  a  été 
extraite.  C'est  un  Brahma  à  cinq  têted  et  à  dix  bras  :  quatre  tètes 
regardent  les  quatre  points  cardinaux  et  la  cinquième  domine  les 
quatre  autres. 

Il  est  hors  de  doute  que  ces  édicules  et  monuments  avaient  un 


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DE   LA    PROVINCE    DE    BINH-DINH  •      391 

but  religieux  et  politique.  Nous  avons  rappelé  que  leur  construc- 
tion offrait  de  grandes  analogies  dans  diverses  parties  avec  Tar- 
chilecture  classique  de  la  Grèce. 

K  Si  l'on  élève  les  yeux,  dit  M.  de  Lagrée,  vers  les  voûtes  ogi- 
vales de  ces  énormes  tours,  si,  laissant  les  entrelacements  régu- 
liers de  liges,  de  fleurs  et  de  feuilles,  on  porte  les  regards  plus 
haut,  sur  la  foule  grimaçante  des  monstres  de  la  mythologie 
bouddhique,  sur  les  naïves  figures  d*anges  et  de  saints  en  prière, 
sur  les  nombreuses  corniches  et  découpures  des  parties  supé- 
rieures fouillées  partout  en  haut-relief,  on  se  sent  transporté  dans 
notre  moyen  âge  occidental.  Que  de  preuves  on  y  recueille  de 
cette  analogie  !  Les  contours  diaboliques,  les  gueules  de  dra- 
gons, les  longues  grilles  ressemblent  à  s'y  méprendre  à  ce  que 
nous  voyons  dans  nos  anciens  monuments.  Souvent  aussi  de 
nobles  et  saintes  figures,  agenouillées  dans  le  recueillement  et  la 
candeur,  ne  sont  pas  surpassées  dans  nos  vieilles  cathédrales.  » 
J'ai  recueilli  un  bloc  de  grès  provenant  des  tours  d*argent  qui 
retrace  deux  rangées  de  ces  figures  dont  l'attitude  est  celle  de 
religieuses  en  prière  (fig.  63).  » 

Les  tours  d'argent  offraient  sous  ce  rapport  des  séries  de  sculp- 
tures remarquables.  La  dernière  statue  qu'abritait  la  voûte  a  été 
transportée  en  France  en  1886.  Près  de  quatre-vingts  tonnes  de 
pierres  sculptées,  destinées  au  musée  de  Lyon,  furent  envoyées 
par  le  paquebot  le  Mê-Kong,  en  1887,  par  les  seins  du  docteur 
Morice.  Le  Mê-Kong  ayant  fait  naufrage  sur  la  côte  de  la  mer 
Rouge,  les  Çômalis  crurent  avoir  trouvé  une  bonne  aubaine  en 
ramenant  au  rivage  ces  caisses  si  pesantes  et  si  nombreuses.  Ils 
n'y  trouvèrent  que  des  pierres,  désormais  perdues  pour  la 
science,  et  le  docteur,  déjà  malade  en  France,  mourut  de  cha- 
grin en  apprenant  le  sort  de  ses  laborieuses  et  pénibles  re- 
cherches. 

Il  résulte  de  cette  étude  qu'ici  comme  au  Gamt^odge  les  édi- 
fices anciens  sont  placés  sur  les  sommets  ;  que  le  culte  de  Brah- 
ma  a  précédé  le  culte  du  Bouddha  et  s'est  en  partie  mélangé  avec 
ce  dernier.  Yishnou  est  souvent  représenté  dans  les  sculptures  des 
tours  Kiams  et  dans  celles  des  Khmers.  Ces  tours  étaient  consa- 


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^  H'piLrjr//^%,     J'. 


Fiff.  63.  —  Deux  pierres  sculptées  des  tours  kiams 
(d'après  une  photographie  de  M"®  M.  Lemire). 


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DE   LA    PROVINCE   DE   BINH-DINH  393 

crées  d'abord  au  culte  de  Vishnou,  à  celui  de  Çiva  et  plus  tard  à 
celui  de  Bouddha.  Les  Kiams  ont  donc  professé  la  religion  de 
Brahma,  comme  les  Cambodgiens,  avant  d'être  bouddhistes  ou 
musulmans.  L'introduction  du  mahométisme  est  d'ailleurs  pos- 
térieure de  plusieurs  siècles  à  celle  du  bouddhisme. 

D'autre  part  on  croit  que  les  Kiams  étaient  répandus  dans  le 
Cambodge  et  dans  TAnnam.  Ceux  du  Cambodge  furent  absorbés 
sur  place  ;  ceux  de  laCochinchine  se  trouvant  entre  les  Cambod- 
giens et  les  Annamites  furent  écrasés  par  ces  derniers. 

Toutes  ces  données  étant  acquises  par  les  travaux  de  M.  de 
Li^ée  et  de  ses  collaborateurs  et  par  la  mise  en  lumière  des 
documents  publiés  par  M.  de  Villemereuil,  se  trouvent  corrobo- 
rés par  l'étude  de  monuments  existant  dans  la  province  de  Binh- 
Dinh  et  semblables  à  ceux  qu'on  a  décrits  au  Cambodge.  Les 
monuments  Kiams  du  Bing-Thuân  ont  été  visités  et  étudiés  par 
mon  collègue  Aymonier,  qui  y  a  relevé  quelques  rares  inscrip- 
tions. Je  ne  suis  ici  qu'un  profane  ;  j'ai  pensé  toutefois  que  der- 
rière le  savant  il  pouvait  y  avoir  place  pour  le  vulgarisateur. 

Le  temps  et  les  hommes  continuent  à  dégrader  ces  monu- 
ments antiques.  Les  monolithes  des  portes  sont  sans  soubasse- 
ment, les  angles  sont  désagrégés,  les  sommets  sont  effondrés, 
les  plus  belles  parties  ont  été  enlevées  sans  profit  par  suite  d'un 
naufrage.  L'une  des  tours  est  inclinée  et  s'affaisse. 

La  végétation  et  surtout  les  banians  enlacent  de  leurs  mille 
replis  les  géants  de  pierre,  disloquent  leurs  membres,  les 
étouffent  et  les  écrasent,  comme  fait  un  serpent  boa  de  sa  proie 
inerte.  Bientôt  ces  monuments  auront  disparu. 

Ayant  pieusement  recueilli  quelques  débris  de  sculptures  et 
d^intéressantes  statuettes,  j'ai  cru  utile  de  rassembler  les  rensei- 
gnements que  nous  devons  à  nos  devanciers  sur  ces  vestiges 
d'un  brillant  passé.  On  y  reconnaîtra  l'existence  d'un  lien  plus 
étroit  entre  les  Kiams  et  les  Khmers  et  l'on  verra  que  les  traces 
de  ces  deux  peuples  s'étendent  sur  un  espace  bien  plus  considé- 
rable qu'on  ne  l'avait  cru  d'abord,  c'est-à-dire  du  Tonkin  jusqu'à 
Angkor. 

Après  le  Binh-Thuan,  région  dont  les  montagnes  sont  aujour- 
VI  27 


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394    •  LES    TOURS    KlAMS    DE    LA    PROVINCE   DE   BINH-DINH 

d'huî  occupées  par  quatre-vingts  villages  Kiams,  comptant  près 
de  cinquante  mille  âmes,  le  pays  où  il  est  le  plus  intéressant  de 
recherclier  les  traces  du  royaume  et  de  la  civilisation  des  Eiams 
est  certainement  la  province  de  Binh-Dinh,  puisqu'ils  y  eurent 
une  capitale.  La  présence  au  Binh-Thuân  d*un  résident  de 
France,  de  celui-là  même  qui  a  fait  connaître  en  détail  le  passé  et 
le  présent  de  laraceKiam,  dont  je  ne  pouvais  que  signaler  l'exis- 
tence en  1868,  sera  pour  cette  population  si  opprimée  et  si  digne 
d'intérêt  la  garantie  d'une  efficace  protection  sous  le  pavillon  de 
notre  patrie.  De  même  que  le  royaume  de  Cambodge  nous  doit 
son  existence  actuelle,  de  même  c'est  à  nous  que  la  race  Kiam 
sera  redevable  d'avoir  échappé  à  une  destruction  certaine  et 
complète. 


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LE  DÎOULA-DOUGOD  ET  LE  SÉNÉFO 

Par  m.  le  D^  TAUTAIN 


Des  Sénéfo  j'ai  encore  moins  à  dire  que  des  Bobo  dont  j'ai 
dernièrement  parlé*.  Je  me  suis  assez  peu  occupé  à  la  vérité  de 
recueillir  des  renseignements  sur  eux,  en  premier  lieu,  parce 
que  Bamako  était  un  meilleur  centre  de  renseignements  que  les 
points  que  je  parcourais  à  la  hâte;  en  second  lieu  parce  que 
j'avais  appris  qu'une  mission  ne  tarderait  pas  à  visiter  leur 
pays. 

Sur  la  rive  droite  du  Niger,  au  delà  du  Ba-oulé  ou  Majel  Ba- 
lével  et  de  quelques-uns  de  ses  affluents,  vers  8  degrés  de  longi- 
tude ouest  et  10  à  12  degrés  de  latitude  nord,  se  trouvent  un  grand 
nombre  de  petits  pays,  portant  des  noms  très  divers,  des  noms 
probablement  doubles  du  reste,  et  qui  sont  généralement  connus 
sous  la  dénomination  générale  de  Dioura-dougou,  ou  Dioula- 
dougou;  deux  mots  identiques  puisque  dans  tous  les  dialectes  de 
ces  contrées  on  passe  de  la  lettre  L  à  la  lettre  D  et  de  D  à  R, 
et  réciproquement  avec  la  plus  grande  facilité. 

Le  Dioula-dougou  est  le  pays  des  Dioula,  c'est-à-dire  des 
marchands  voyageurs  dont  le  commerce  est  connu  depuis  long- 
temps. Et  seuls  les  Dioula  du  Dioula-dougou  ont  droit  au  nom 
de  Dioula;  onn'appelle  decenom,que  par  extension, ceux  d'autres 
provenances,  d'autres  origines.  J'ai  plusieurs  fois  demandé  Tély- 
mologie  de  ce  mot  :  dioula.  Une  seule  fois  j'ai  eu  une  réponse, 
on  m^a  dit  que  cela  voulait  dire  :  «  misérable,  pauvre  »,  mais 
dans  quelle  langue  ? 

1)  Cl".  Rw.  d'Ethnoyrapft.,  U  VI,  p.  '22^. 

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396  LE    DIODLA-DOUGOU    ET    LE   SÉXÉFO 

Le  Dioula  doug^ou  est  occupé  par  deux  catégories  de  popu- 
lation bien  différentes  :  Tune,  les  Dioula,  estMandiiiguo(Soninké 
et  Bamana)  ;  l'autre  est  Sénéfo.  Dans  tous  les  villages,  on  trouve 
les  deux  populations.  Les  Sénéfo  sont,  au  moins  aujourd'hui,  les 
maîtres  du  sol,  les  chefs  des  villages,  et  ils  cultivent.  Les  Dioula 
sont  en  route  presque  toute  Tannée. 

Je  laisse  les  Sénéfo  de  côté  pour  la  raison  que  j'ai  donnée 
plus  haut  et  je  groupe  seulement  quelques  renseignements 
sur  les  Dioula. 

Les  vrais  Dioula  se  donnent  aujourd'hui  comme  appartenant 
à  une  race  spéciale,  sans  parenté  avec  les  Bamana,  les  Soninké 
et  les  Mandingké;  mais  leurs  noms  de  famille  et  leurs  traits  les 
démentent.  Ce  sont  bien  des  Mandingucs  ;  seulenient  chez 
quelques-uns  le  type  a  été  parfois  altéré  par  le  mélange  avec  une 
autre  race,  les  Sénéfo. 

Le  vrai  Dioula,  le  Dioula  du  Dioula-dougou,  se  peigne  selon 
la  mode  mandingue  ;  il  a  la  tète  couverte  d'un  bonnet  à  deux 
pointes,  le  bonnet  mandingue  (ban-foula),  long  et  en  étoffe  rouge 
.d'origine  européenne  (drap  garance,  drap  écarlate).  Le  bonnet 
n'est  jamais  porté  les  deux  pointes  relevées  sur  les  côtés,  mais 
au  contraire  toujours  abattues  Tune  sur  le  front  l'autre  sur  l'oc- 
ciput. 

Le  vrai  Dioula  est  presque  toujours  armé  d'un  arc  et  de 
flèches.  Il  n'y  a  même  guère  plus  que  lui,  que  l'on  puisse 
rencontrer  sur  la  rive  gauche  du  Niger  avec  cette  arme  ;  et,  si 
d'autres  la  possèdent  parfois,  ce  sont  le  plus  souvent  les  Dioula 
qui  les  ont  vendus.  Vous  connaissez  cet  arc  et  ces  flèches  souvent 
empoisonnées;  l'arc  et  sa  corde  sont  en  bambou,  la  hampe  de  la 
flèche  en  roseau,  la  pointe  en  fer,  le  carquois  est  généralement 
en  bambou,  avec  ou  sans  couvercle  (paille,  cuir). 

Le  vrai  Dioula  passe  pour  ne  jamais  mourir  hors  de  son  pays. 
Lorsqu'il  tombe  gravement  malade,  au  moyen  de  certaines  in- 
cantations et  de  certains  gris-gris,  il  rentrera,  fût-ce  à  pied,  au 
Dioula-dougou  et  c^est  là,  seulement,  que  la  vie  l'abandonnera 
définitivement.  On  comprend  que  si  les  Bamana  et  les  Soninké 
ont  de  pareilles  superstitions  sur  les  Dioula,  ils  ne  manquent  pas 


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LE  DIOULA-DOUGOU  ET  LE  SÉNÉFO 


397 


de  leur  attribuer  un  pouvoir  magique  considérable  en  tout 
genre.  Ls  vrai  Dioula  est  toujours  fétichiste  à  Tinverse  des 
autres. 

Le  Dioula  du  Dioula-dougou  ne  fait  guère  le  commerce  de 
captifs  qu'exceptionnellement.  Il  vend  presque  exclusivement 
des  kola  {gourOy  woro)  contre  du  sel  et  un  peu  d'étoffe. 

U  va  chercher  le  kola  dans  le  Woro-dougou  (encore  un  nom 
d'ensemble  :  le  pays  du  kola)  situé  au  moins  un  degré  ou  un 
degré  et  demi  plus  bas  que  sur  la  carte  du  capitaine  de  Lannoy^ 
c'est  à  dire  vers  le  9"  degré  latitude  N,  ou  à  la  hauteur,  par  con- 
séquent du  Sud  du  Sankaran  ;  et  sans  doute  encore  plus  bas  vers 
8**  ou  8**,30,  car  c'est  là  qu'il  semble  qu'on  puisse  fixer  la  limite 
nord  du  Sterculia  acuminata. 

Que  l'on  consulte,  du  reste,  Caillé  qui  a  été  assez  maladroite- 
ment corrigé  par  les  contemporains  sur  ce  chapitre,  comme  sur 
bien  d'autres  et  qui  fait  venir  les  noix  de  Kola,  de  quinze  jours 
au  sud  de  Timé  (soit  200  kilomètres),  c'est  à  dire  avec  l'erreur 
de  direction  de  7*»  30'  à  8*»  de  latitude  nord. 

Les  Séuéfo  à  côté  desquels  vivent  les  vrais  Dioula,  occuperaient 
du  nord  au  sud  le  pays  compris  entre  le  nord  du  Dioula- 
dougou  et  le  sud  du  Woro-dougou  (corrigé),  c'est-à-dire  iraient 
approximativement  du  7''  au  10^  30' latitude  nord.  Dans  le  sens 
est-ouest,  mes  renseignements  sont  plus  que  médiocres.  J'ai  seu- 
lement entendu  dire  qu'ils  arrivaient  jusqu'au  Foulon  ou  Eou- 
louna  qui  serait  un  pays'Sénéfo,  ou  pour  mieux  dire  en  partie 
Sénéfo.  —  Au  sud  ils  touchent  aux  Assaut i  ou  Santiy  comme 
disent  les  Dioula  qui  descendent  parfois  jusqu'à  la  côte  de 
Guinée. 

Voici  quelques  mots  sénéfo  : 


Un 

Nidia. 

Sept 

Bara  souoni. 

Deux 

Souoni, 

Huit 

Bara  taré. 

Trois 

Taré. 

Neuf 

Boutiéré. 

Quatre 

Sitiéri. 

Dix 

ré{t  momWé) 

Cinq 

Kaboulou. 

Vingt 

BocUeregué. 

Six 

Barani 

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398 


LE  DIOULA-DOUGOU    ET   LE  SÈNÉFO 


Avant  d'aller  pi 

us  loin  je  noterai  que  kaboulou  :  cinq,  est  un 

mot  d'origine 

mandingue  {boulon  veut  dire  main),  qui  est  veau 

remplacer  un 

mot 

primitif  que  Ton  retrouve  dans  six,  sept,  huit . 

Le  mot  Té 

qui 

signifie  dix  veut  dire,  en  sénéfo,  main  ou  pro- 

bablement  mains. 

Homme 

Naw. 

Femme 

l^érewé. 

Enfant 

Nokhopilé. 

Bœuf 

No. 

Cheval 

5on^  (voyelle  nasale,  et  y  de  Bringen)  mot 
mandingue. 

Mouton 

Bia. 

Ane 

D'où  fané  [d  mouillé). 

Esclave 

Pieu  {e  muet  ou  eu  français). 

Pays 

Tadé, 

Village 

Rang  (comme  Song,  cheval). 

Maison 

Pinkhé. 

Fleuve. 

Biva  (w  représentant  le  ow  demi-voyelle  fai- 
blement prononcé) . 

Eau 

Logho  [gh  représentant  le  kh  arabe  très 
adouci  ;  un  g  avec  aspiration). 

Feu. 

Na. 

Arbre 

Tigué  {gu  n'est  que  le  g  dur). 

TeiTe 

Tara. 

Soleil 

Takha  [t  mouillé). 

Lune 

légué  {gu  =  g  dur). 

Pluie 

Zakha. 

Nuit 

/ebelegé  (ne  semble-t-il  pas  qu'on  ait  affaire 
au  mot  lune  avec  un  infixe  :  Bêlé). 

Hivernage 

Nou-mokko. 

Saison  sèche 

Nou-békhé. 

Baobab 

Sin-khé. 

Borassus  flabelli- 

formis 
Tamarinier 
Arbre  à  beurre 


Wol'tigé. 

Sian-tigué  {Sian  :  Y  a  est  nasal). 

Lo'tigué. 


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LR  DI0ULA-D0U60U    ET  LR  SÉNÉFO 


399 


Tabac 

Sara. 

Arachide 

Toro. 

Riz 

Moné. 

Mil  (en  général) 

Siolo. 

Indigo 

Gara. 

Termite 

Deuno  {eu,  e  muet  français^  parait  être  un 

0  sourd). 

Moustique 

Diakhalé, 

Lait 

Dtrmé. 

Sel 

Soulouma. 

Beurre  végétal. 

Lodigui  {gu  =  g  dur). 

Bière  de  mil 

Smé. 

Arc 

Sidala. 

Flèche 

Nagtié  {gu  =  g  dur). 

Pirogue 

Korogué  {gu  =  g  dur). 

Route 

Kologo. 

1 

Bambara 

Sinameri. 

Mandingka 

Takhadiémé. 

Poullo 

Foulabn. 

Chef 

Folo. 

Blanc  (adjectif) 
Noir 

Ofigué  (gu  =  g  dur).)  3  mots  suspects.  Une  par- 
y  1  ,  /lie  seulement  est  bonne 
Jawokho.                     \     comme  rindique  le  mot 

Rouge 

Nafïékhé.                    \     suivant. 

Bonnet  des  Dioula 

Nédmfiékhé  {fi  =  mouillée). 

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LES  RACES  HUMAINES  DE  LA  PERSE 


Par  m.  le  colonel  E.  DUHOUSSET 


J*ai  lu  avec  le  plus  graod  intérêt  le  mémoire  sur  les  races 
humaines  de  la  Perse,  que  M,  Houssay  a  présenté  à  la  Société 
anthropologique  de  Lyon.  L'auteur,  qui  faisait  partie,  comme 
naturaliste,  de  la  mission  scientifique  de  M.  Dieulafoy,  nous 
prévient  dès  le  début  que,  sans  songer  à  résoudre  entièrement 
le  problème  compliqué  des  races  de  la  Perse  actuelle,  il  se  con- 
sidérera comme  satisfait  si  les  renseignements  qu'il  apporte,  en 
s'ajoutant  à  ceux  de  ses  devanciers,  peuvent  jeter  quelque 
lumière  sur  ce  coin  peu  exploré  au  point  de  vue  de  rhisloire 
naturelle  de  Thomme. 

En  effet,  Touest  de  l'Iran,  peu  visité,  reste  dans  une  obscurité 
qui  (faute  de  documents  pris  sur  les  lieux  habités  par  les  popu- 
lations éloignées  du  centre  du  gouvernement  de  la  Perse)  a 
grand  peine  à  se  laisser  pénétrer  pour  jalonner,  scientifiqu«3ment, 
les  étapes  des  nombreuses  peuplades  méridionales  de  l'Irak 
Hadjemi,  dont  il  est  si  important  d'analyser  physiquement  les 
différents  types. 

Nous  devons  donc  remercier  M.  Houssay  des  nouveaux  docu- 
ments, ethnographiques,  concernant  les  limites  occidentales  d'un 
pays  peu  connu^  qu'il  a  parcouru  et  exploré  pendant  dix-huit 
mois  consécutifs;  toutes  ses  observations  sont  faites  entre 
Chiraz,  Suse  et  Téhéran,  en  remontant  du  sud  au  nord,  contrai- 
rement à  l'itinéraire  suivi  par  le  petit  nombre  des  visiteurs  de 
ces  lointaines  contrées. 

Le  voyageur  s'est  surtout  appliqué  à  mesurer  et  à  décrire  les 


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LES   RACES   HUMAINES   DE  LA   PERSE  401 

races  des  tribus  les  moins  visitées,  celles  des  Bakhtyaris,  des 
Loris  et  des  Susiens ,  malgré  les  difficultés  considérables 
auxquelles  on  se  heurte  lorsqu'on  veut  opérer  sur  les  musulmans. 

Nous  allons  emprunter  quelques  citations  au  mémoire  de 
M.  Houssay.  Il  commence  par  constituer  Tensemble  des  sujets 
persans  en  six  familles  :  1*  les  Aryens,  représentés  par  les 
Farsis  et  les  Loris  ;  2®  les  Mongoliques,  représentés  par  les  Tur- 
comans  et  les  Aderbeidjanis  ;  3"  les  Mongolo-Aryens,  repré- 
sentés par  les  Arméniens^  Hadjemis,  Tadjiks,  Illiats  ;  4^  les 
Mongolo-Sémites,  représentés  par  les  Bakhtyaris  ;  5*  les  Sémites, 
représentés  par  les  Arabes,  Séides  et  quelques  Juifs;  6»  les 
Ario-Negroïdes,  représentés  par  les  Susiens  modernes.  Quant 
aux  Guèbres,  il  n'y  a  pas  lieu  de  les  considérer  comme  les  repré- 
sentants purs  de  la  race  antique.  Ils  forment,  dans  l'Etat,  un 
groupe  très  isolé  par  la  religion,  mais  depuis  Tinvasion  arabe 
seulement.  Ils  appartiennent  à  toutes  les  races  surtout,  à  la 
vérité,  aux  Tadjiks  et  aux  Hadjemis. 

Ces  hommes,  d'origines  très  diverses ,  sont  suffisaminent 
localisés,  comme  on  peut  s'en  convaincre  en  jetant  les  yeux  sur 
la  carte. 

Jusqu'à  ce  jour  on  a  analysé  particulièrement  les  populations 
touraniennes  et  tourano-aryiennes,  et  c'est  sur  ces  bases  que 
Ton  a  établi  le  type  dit  Iranien. 

Khanikoff,  en  s'appuyant  sur  l'étude  du  Vendidad  et  du  poème 
de  Ferdouzi,  a  conclu  en  disant  :  «  Les  fertiles  vallées  situées 
entre  l'Hindo-Kouch,  la  chaîne  de  Poughman  et  du  Kouh-i-Baba 
de  même  que  les  plaines  de  Hérat,  du  Seistan  et  de  Kirman  ont 
été  le  théâtre  de  la  première  activité  de  la  race  iranienne.  C'est 
un  territoire  où  les  Persans  sont  de  vrais  aborigènes  et  où,  par 
conséquent,  on  peut  espérer  trouver  le  type  primitif  de  la  race.  » 

M.  Houssay  admet  que  cette  région  fut  occupée,  dans  les 
temps  légendaires,  par  des  tribus  aryennes  très  pures,  mais  il 
conteste  qu'on  puisse  y  retrouver,  aujourd'hui,  le  type  primitif 
de  la  race. 

«  En  contact  avec  les  hordes  mongoliques,  en  lutte  constante 
avec  elles,  les  peuples  du  nord  et  de  l'est  de  la  Perse  n'ont  pas 


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402  LES  RACES  HUMAINES  DE  LA  PERSE 

pu  conserver  intacts  les  caractères  aryens.  Ils  ont  été  pénétrés 
et  profondément  modifiés  par  les  Turcomans,  pendant  la  longue 
période  qui  va  des  temps  les  plus  reculés  au  règne  des  derniers 
Sassanides.  Ces  Tadjiks,  comme  on  les  nomme,  ne  sauraient 
servir  de  point  de  départ  pour  une  étude  des  habitants  de  la 
Perse.  C'est  une  race  métisse  offrant  les  caractères  des  deux 
peuples  qui  ont  contribué  à  la  former. 

«  Au  reste,  les  faits  justifient  cette  manière  de  voir;  les 
crânes  tadjiks  mesurés  par  M.  Ujfalvy  portent  bien  la  marque 
du  type  turcoman.  » 

Le  rapport  passe  ensuite  en  revue,  en  les  caractérisant,  les  six 
familles  énoncées  plus  haut,  ce  sont  : 

«Les  Farsis,  aux  cheveux  moins  foncés,  aux  yeux  en  amande, 
à  la  belle  prestance,  coiffés  de  la  haute  mitre  de  feutre  souple, 
avec  leur  barbe  très  longue  et  très  fournie,  à  la  fois  élégants  et 
vigoureux,  ils  sont  comparables  aux  plus  beaux  représentants 
du  rameau  européen  de  la  race.  Jls  ont  la  peau  très  blanche  dans 
les  parties  recouvertes  parles  vêtements,  facilement  mordue  par 
le  hâle  sur  la  figure  et  les  mains.  Les  cheveux  et  la  barbe  sont 
plus  souvent  châtains  que  noirs.  On  trouve  même  quelques 
blonds  aux  yeux  bleus.  Ils  ont  le  milieu  de  la  tète  rasée  du  front 
à  Tocciput,  mais  Tabondante  chevelure  qui  croît  sur  les  côtés 
retombe  sur  le  cou  en  épaisses  boucles.  Les  Perses  qui  ont  servi 
de  modèle  aux  sculpteurs  de  Persépolis  étaient  leurs  ancêtres 
directs.  C'est  exactement  le  même  type,  à  peu  près  le  même 
costume. 

«  2° Les  Zom,  de  même  que  les  Farsis,  sont  les  fils  des  Perses, 
les  Loris  semblent  être  les  descendants  des  Aryens  de  Médie. 
Cette  contrée  possédait,  dès  les  temps  historiques,  deux  éléments 
ethniques  différents.  Occupée  par  les  Aryens  d'abord,  selon  la 
précieuse  donnée  d'Hérodote,  elle  fut  envahie  par  les  Mèdes 
d'origine  touranienne.  Le  trône  appartint  à  des  princes  de 
cette  race  ;  le  peuple  demeura  aryen.  Il  est  resté  encore  aujour- 
d'hui sans  mélange  dans  les  montagnes  où  ne  se  sont  pas  aven- 
turés les  cavaliers  turcomans.  On  les  distinge  assez  rapidement 
des  Farsis.  Leur  taille  est  généralement  plus  haute  ;  ils  sont 


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LES    RACES   Hl^MAlNES    DE   LA    PEHSE  403 

très  robustes.  La  barbe  et  les  cheveux  sont  très  abondants  et 
extrêmement  noirs  ;  ils  ne  se  rasent  que  le  frontal  ;  la  peau  est 
aussi  moins  blanche.  On  rencontre  peu  de  blonds,  mais  il  y  a 
parmi  eux  un  certain  nombre  d'individus  qui  offrent  ce  contraste 
d'une  barbe  et  d'une  chevelure  noires  avec  des  yeux  très  bleus.  » 

A  propos  des  Mongoliques^  l'auteur  dit  que  tout  au  nord  de  la 
Perse,  au  sud  de  la  mer  Caspienne,  se  trouvent  les  tribus  turco- 
manes  pures  du  Mazenderan  et  du  Ghilan.  Elles  imprègnent 
très  fortement  les  populations  depuis  Téhéran  jusqu'à  Koum. 
Dans  cette  région  même  on  ne  parle  point  le  persan.  La  langue 
du  peuple  est  le  turc.  De  Koum  jusqu'au  delà  d'Ispahan,  vers 
Abadeh,  s'étend  l'Irak  Hadjemi,  habité  par  des  populations 
métisses  de  Turcomans  et  d'Aryens  médo-perses.  Ils  se  nom- 
ment eux-mêmes  Hadjemis  ;  nous  pouvons  les  désigner  par 
ce  nom. 

L'indice  céphalique,  si  éloigné  de  celui  des  Loris,  Farsis, 
Hindous  et  Afghans,  nous  permettra  aisément  de  reconnaître 
les  peuples  mélangés  de  Turcomans,  car  c'est  le  caractère  que 
cette  race  mongole  impose  surtout. 

Au  contraire,  elle  perd  assez  facilement  ses  caractères  secon- 
daires (nez  épaté,  jambes  arquées  et  courtes,  buste  long  et 
fort)  pour  se  rapprocher  des  proportions  plus  harmonieuses  de 
la  race  aryenne.  Elle  s'améliore  rapidement  au  contact  de 
celle-ci. 

Viennent  ensuite  chez  les  Mongolo-Aryiens  : 

1°  Les  Hadjemis.  —  Ces  métis  forment  la  plus  grande  partie  des 
populations  de  la  Perse.  Ils  s'étendent  depuis  Téhéran,  au  nord, 
jusque  vers  Dehbid.  dans  le  sud.  De  Test  à  l'ouest,  ils  vont  de 
Khorassan  au  Louristan.  Us  habitent  donc  la  région  des  hauts 
plateaux,  et  la  fusion,  qui  n'a  pas  pu  s'opérer  dans  les  pays  de 
montagne  où  Loris  et  Farsis  ont  conservé  leurs  types,  s'est  ici 
effectuée  d'une  façon  complète,  au  point  de  donner  une  race  bien 
nette.  Les  villes  de  Téhéran,  d'Ispahan,  de  Koum,  de  Koumi- 
chah,  etc.,  leur  appartiennent;  peuples  industrieux,  au  reste, 
ils  tirent  bon  parti  du  sol  ingrat  qu'ils  habitent.  Leurs  jardins 
fruitiers,  leurs  cultures  de  coton,  de  tabac,  de  riz  sont  fort 
soignés.  C'est  actuellement  la  partie  riche  de  la  Perse. 


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404  LES    RACES  HUMAINES   DE    LA   PERSE 

D'ailleurs  on  peut  trouver  des  Hadjemis  en  tous  les  points  du 
royaume.  Presque  tous  les  soldats  sont  recrutés  dans  l'Irak 
et  dans  le  Mazenderan,  les  gouverneurs  des  provinces  et  leurs 
nombreuses  suites  en  viennent  ;  c'est  cette  race  qui  domine  le 
pays  tout  entier. 

2®  Les  Tadjiks ,  dont  le  nom  n'est  pas  connu  dans  la  Perse 
méridionale  et  occidentale,  désigne  les  populations  de  la  fron- 
tière orientale  de  l'Iran.  La  zone  qu'ils  habitent  part  du  Kho- 
rassan,  au  nord,  et  pénètre,  au  sud,  entre  l'Afghanistan  et  le 
Fars. 

Je  ne  crois  pas  qu'il  faille  séparer,  au  point  de  vue  ethnogra- 
phique, les  Tadjiks  des  Hadjemis.  C'est  la  même  race  produite 
par  le  mélange  des  mêmes  éléments.  Comme  pour  les  Hadje- 
mis, elle  est  plus  touranienne  au  nord,  ainsi  que  le  montre 
l'indice  8231  donné  par  M.  UQalvy  pour  les  habitants  d'Is- 
sikoul  ou  d'Aphrosiab.  Elle  est  au  contraire  plus  aryenne 
dans  le  sud,  ainsi  que  cela  ressort  des  nombres  indiqués  par 
Khanikoff  pour  les  populations  du  Yezd  et  de  Kirman. 

3®  Leslllials.  —  Ceux-ci  n'appartiennent  pas  aune  seule  race. 
Pendant  l'été,  on  les  rencontre  par  petits  campements  ;  ils 
marchent  jusque  vers  Ispahan,  en  hiver  ils  se  replient  dans  le 
sud  et  descendent  dans  les  parties  basses  du  Fars,  vers  le  golfe 
Persique.  «  Les  uns  sont  Turcs,  les  autres  sont  Arabes.  Nous 
avons  un  jour  rencontré,  près  de  Chiraz,  une  de  ces  tribus.  Celle-ci 
paraissait  fort  riche.  Ils  étaient,  autant  que  j'ai  pu  m'en  rendre 
compte,  près  de  deux  mille  et  d'origine  arabe,  mais  fortement 
mélangés  de  Farsis.  L'hiver  approchait,  et  ils  se  dirigeaient  à 
petites  journées  vers  Bender-Abbas.  » 

i^  Les  Arméniens.  —  Contrairement  à  l'opinion  générale  qui 
place  les  Arméniens  dans  le  groupe  des  Iraniens,  l'avis  de 
M.  Houssay  est  que  ceux-là  ont  du  sang  touranien,  sinon  tout 
à  fait  pur,  du  moins  dans  une  forte  proportion,  et  fait  la  citation 
suivante  :  «  J'ai  observé  à  Djoulfa,  près  d'Ispahan,  les  descen- 
dants des  Arméniens  de  Djoulfa  sur  l'Araxe  que  chah  Abbas  I" 
transporta  en  1605  au  centre  de  son  empire.  Depuis  cette 
époque,    ils  ne  se  sont  point  mélangés  aux   Ispahanis,  leurs 


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LES  RAGES    HUMAINES   DE  LA    PERSE  405 

voisins  de  l'autre  côté  du  Zende-Roud.  Us  m'ont  semblé 
beaucoup  plus  touraniens  encore  que  les  Hadjemis.  Le  crâne  est 
plus  court,  les  pommettes  plus  saillantes,  le  buste  est  fort  et 
trapu  ;  la  taille  n^est  point  marquée,  même  chez  les  femmes.  Les 
deux  côtés  du  thorax  tombent  droit  sur  la  hanche,  ce  qui  con- 
tribue à  donner  aux  Arméniens  une  allure  lourde  et  peu  élégante. 
Le  nez  est  gros  et  court  en  général.  Toutes  ces  indications 
concordent  parfaitement  avec  leur  indice  céphalique  qui,  d'après 
M.  Chantre,  oscille  entre.  84  et  86.  Ils  sont  donc  tous  aussi  bra- 
chycéphales  que  les  purs  Turcomans.  Je  sais  bien  que  ceci  ne 
s'accorde  point  avec  la  linguistique  qui  rapproche  les  Arméniens 
des  Aryens.  Mais  à  mon  sens,  on  ne  doit  pas,  pour  la  classifi- 
cation, hésiter  entre  une  donnée  physiologique  comme  le  langage 
et  une  donnée  morphologique.  Il  est  très  facile  à  un  peuple 
d'abandonner  sa  langue  primitive  pour  adopter  celle  d'un  voisin 
ou  d'un  vainqueur.  Il  lui  est  impossible  de  changer  son  indice 
céphalique  et  ses  traits.  » 

5°  Les  MongolO'Sémites.  —  M.  Houssay  trouve  qu'en  parlant 
des  Bakhtyaris,  j'ai  trop  généralisé  la  description,  sans  tenir 
compte  des  différentes  tribus,  mais  en  1859,  l'aide  capital  de 
la  photographie  me  manquait,  et  le  groupe  des  sujets  de  ce  pays 
que  j'avais  quotidiennement  sous  les  yeux,  me  parut  répondre  à 
la  description  que  j'en  fis  alors,  très  heureux  de  les  trouver  do- 
ciles, malgré  les  doutes  émis  par  Khanikoff  ;  celui-ci  n'est  peut- 
être  pas  très  éloigné  de  la  vérité  en  disant  que,  suivant  lui,  «  la 
tête  du  Bakhtyaris  laisse  comme  image  l'idée  de  trois  empreintes 
différentes,  savoir  :  le  diamètre  longitudinal  rappelant  les  Persans, 
le  transversal,  les  Turcs  et  le  vertical,  les  Arabes  »;  jusqu'à  ce 
qu'on  ait  une  assez  grande  quantité  d'observations  pour  établir  une 
moyenne  convenable,  cette  hypothèse  est  au  moins  descriptive. 

M.  Houssay  désigne  les  montagnes  des  Bakhtyaris  comme 
asile  de  fugitifs,  refuge  protégeant  indifféremment  Aryens,  Tou- 
raniens et  Sémites,  il  nous  dit  «  qu'il  a  résidé  douze  jours  au 
milieu  de  ces  tribus,  mais  que  le  peu  de  confiance  qu'il  inspirait, 
le  mauvais  accueil  et  les  querelles  qui  éclataient  chaque  jour, 
ne  lui  permirent  pas  d'opérer  avec  sécurité,  et  qu'il  trouva  seu- 


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406  LES    RACES    HUMAINES    DE   LA  PERSE 

lemenl  à  Meidowid,  une  tribu  de  Jauikis  qui  y  mit  plus  de  com- 
plaisance. »  Il  en  résulte  que  ce  qui  effrayait  Khanikoff,  lorsque 
je  lui  parlai,  au  camp  de  Sultanieh,  de  décoiffer  les  hommes 
pour  juger  l'aspect  d'une  réunion  comparative  de  plusieurs  indi- 
vidus, c'est-à-dire  d'amener  à  ce  résultat  d'inspection  les  Musul- 
mans et  surtout  les  Bakhtyaris,  très  indépendants  par  nature, 
présenta  des  difficultés  qui  ne  manquèrent  pas  au  récent 
voyageur,  malgré  l'occasion  de  parcourir  les  différentes  tribus 
de  ces  Bakhtyaris  dans  leur  montagneux  habitat,  entre  les 
Loris  et  les  Farsis,  et  le  désir  de  donner  à  ses  observations 
un  résultat  graphique.  Combien  nous  regrettons  que  les  sept 
individus,  figurant  sur  la  planche  de  la  page  27  du  mémoire,  n'y 
soient  pas  en  file  indienne,  sans  rien  sur  la  tête  (on  ne  saurait 
trop,  à  ce  propos,  recommander  l'emploi  de  la  photographie 
pour  donner  les  profils),  nous  aurions  ici,  venant  du  pays  même, 
l'aspect  réel  de  types  moins  brachycéphales  que  ceux  du  camp 
de  Sultanieh  que  j'ai  mentionnés  ;  du  reste  l'avis  de  l'auteur  est 
que,  dans  son  exemple,  les  individus  cités  sont,  comme  appré- 
ciation d'ensemble,  moins  Bakhtyaris  que  les  autres. 

Somme  toute,  cette  partie  du  travail  ne  fait  pas  beaucoup 
avancer  la  question,  pour  la  solution  de  laquelle  la  conclusion 
nous  apparaît  seulement  au  delà  de  recherches  nouvelles,  d'un 
grand  intérêt  anthropologique  assurément,  mais  bien  épineuses. 

Enfin,  pour  les  Aryo-Négroïdes^  dans  lesquels  M.  Houssay 
place  les  Susiens,  les  hypothèses  s'appuient  d'abord  sur  les 
figures  des  bas-reliefs  coloriés  dont  les  têtes  et  les  mains  sont 
noires. 

On  lit  dans  MM.  Perrot  et  Chipiez,  Histoire  de  Fart  dans  l'an- 
tiquité, «  le  nom  d'Éthiopiens,  souvent  appliqué  par  les  auteurs 
grecs  aux  riverains  du  golfe  Persique  et  de  la  mer  d'Oman, 
rappelle  le  lien  de  parenté  qui,  d'après  les  généalogies 
hébraïques,  rattache  les  Kouchites  d'Asie  à  ceux  de  l'Afrique.  » 

Dans  les  Cranta  ethnica,  MM.  de  Quatrefages  et  Hamy  disent 
aussi  que  le  type  négroïde  représente  Télément  primitif  de  la 
Susiane,  et  que  ses  habitants  sont  probablement  le  produit  de 
quelque  métissage  de  kouchite  et  de  nègre. 


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LES    KACES    HUMAINES  DE    LA    PERSE  407 

L'auteur  de  la  brochure,  que  nous  avons  sous  les  yeux,  nous 
indique  la  différence  facile  à  établir,  après  quelque  temps  de 
séjour,  entre  les  Farsis  et  les  Susiens.  Ces  derniers  ne  s'éloi- 
gnent pas  seulement  des  premiers  par  le  langage  et  le  costume, 
mais  aussi  par  les  traits  du  visage.  Le  front  du  Susien  est  bas, 
le  nez  écrasé,  la  bouche  large  et  lippue,  ce  qui  amène,  tout  de 
suite,  Tobservateur  à  concevoir  un  élément  que  l'on  ne  sait  pré- 
ciser, mais  étranger  aux  races  du  pays,  et  que  M.  Houssay  croit 
être  le  négrito,  Tinfluence  du  noir  lui  paraissant  produite  par 
une  petite  race  de  couleur  qui  ferait  remonter  les  Susiens  aux 
Négritos  signalés  en  Asie  de  longue  date. 

La  dissemblance  avec  les  Hadjemis  leurs  voisins  est,  d'après 
l'auteur,  fortement  marquée  chez  les  Susiens  modernes  qui, 
avec  leurs  caractères  négroïdes,  sont  bien  moins  intelligents  que 
les  Persans,  comprennent  lentement  et  mal;  menteurs,  voleurs, 
débauchés,  craintifs  au  delà  de  toute  expression,  ils  Sont  tenus 
dans  le  plus  grand  mépris  par  tous  leurs  voisins  de  la  plaine  et 
de  la  montagne  ;  ceux-ci  les  battent  et  les  dépouillent  sans  merci 
dès  qu'ils  s'aventurent  hors  des  villes.  Les  habitants  de  Dizfoul 
ont  les  caractères  négroïdes  les  plus  indiqués;  ils  sont  très 
laids  ;  la  séparation  est  donc  franchement  établie. 

C'est  dans  ce  pays  que  se  trouve  le  centre  le  plus  important 
des  Susiens,  et  ensuite  à  Ram  Hormuz  ;  ils  y  vivent  mêlés  aux 
Bakhtyalis  et  aux  Arabes,  distincts  des  uns  et  des  autres  par  le 
type  et  le  costume,  dont  les  étoffes  ont  toujours  des  couleurs 
éclatantes.  A  Chouster,  une  faible  partie  de  la  population  est 
Susienne,  la  majorité  est  d'origine  Bakhtyaris. 

M.  Houssay  résume  ainsi  la  conclusion  finale  de  son  impor- 
tant travail  :  «  Je  me  suis  attaché  à  montrer  que  les  habitants 
actuels  de  l'empire  persan  sont  en  majorité  d'origine  turcomane. 
La  classique  antithèse  d'Iran  et  de  Touran,  qui  exprime  l'anta- 
gonisme de  deux  peuples  différant  par  la  langue,  par  Porigine, 
et  perpétuellement  ennemis,  n'a  plus  aujourd'hui  tout  à  fait  le 
même  sens.  Sans  doute  l'Aryen  de  Chîraz  est  le  sujet,  un  peu 
méprisant,  du  Turcoman  de  Téhéran  plutftt  que  son  compatriote  ; 
le  souvenir  des  luttes  antiques  persiste  vîvace,  mais  les  deux 


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408  LES   RACES    HUMAINES    DE   LA    PERSE 

mots  anciens  ne  peuvent  servir  à  traduire  Tantipathie  actuelle. 
Le  Touran  a  été  vainqueur  et  a  envahi  llran,  la  ligne  de  démar- 
cation a  été  reculée  très  loin  dans  le  sud  et  les  Aryens  ont  été 
dépossédés  du  sol. 

«  L'Iran  ne  leur  appartient  plus,  ils  n'ont  pu  garder  que 
quelques  régions  montagneuses  :  le  Fars  et  le  Louristan,  à  peine 
égales  au  tiers  de  la  surface  de  la  Perse.  Cela  ne  veut  même  pas 
dire  que  les  Aryens  forment  le  tiers  de  la  population  persane, 
car  leur  pays  est  un  des  moins  peuplés  de  TEmpire. 

«  Il  nous  semble  maintenant  hors  de  doute  que  la  Susiane  a 
été  primitivement  peuplée  par  une  race  noire,  de  petite  taille  et 
de  faible  capacité  crânienne.  On  en  retrouve  des  traces  chez  les 
habitants  actuels  de  la  contrée.  Des  petites  tribus  de  ces  noirs 
habitent  encore  Tlnde  et  Tlndo-Chine.  Au  Japon,  ils  sont  noyés 
dans  les  populations  métisses.  Us  occupaient  aussi  la  Susiane. 
Ce  fait  reconnu  augmente  Textension,  déjà  considérable,  de  la 
race.  Il  est  de  plus  fort  intéressant  pour  l'anthropologie,  car  les 
Negritos  insulaires  ne  nous  sont  connus  que  depuis  très  peu  de 
temps.  Les  Negritos  susiens  ont  au  contraire  été  en  contact  avec 
les  peuples  méditerranéens,  dès  la  plus  haute  antiquité,  et  l'on 
peut  espérer  retrouver  des  traces  de  leur  civilisation  propre 
avant  la  conquête  du  sol  par  les  Aryens  de  Perse. 

«  Cette  conquête  n'a  pas  dû  se  faire  sans  luttes.  Bien  que  ter- 
minées dès  les  temps  héroïques,  il  semble  en  rester  des  traces 
dans  certaines  expressions  du  peuple.  De  même  que  l'Arabe  ne 
connaît  pas  d'injure  plus  vigoureuse  que  «  fils  de  chiens  »  ;  le 
Farsi  des  environs  de  Chiraz  ne  sait  rien  de  plus  insultant  que 
contât  cyâh  «  figure  noire  ».  C'est  le  même  mépris  que  marquent 
les  Hindous  en  appelant  peuples  de  singes  les  Negritos  des 
monts  Vindhyas.  » 

Les  observations  de  M.  Houssay  sont  consciencieusement 
relevées,  et  les  anthropologistes  l'en  remercieront  ;  malheureu- 
sement la  difficulté  d'obtenir,  par  de  nombreuses  mensurations 
dans  les  pays  explorés,  les  résultats  solidement  acquis  des 
moyennes  concluantes,  fait  qu'il  nous  paraît  prudent  de  ne  pas 
adopter  entièrement  sa  conclusion,  admettant,  dès  à  présent,  le 


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LES    RACES   HUMAINES   DE   LA    PERSE  409 

Négrilo  seul  comme  origine  de  Télément  négroïde  se  mêlant, 
dans  le  principe,  aux  Parlhes  et  aux  Perses,  tout  en  reconnais- 
sant rimporlance  et  en  tenant  compte  d'un  travail  fait  au  milieu 
d'une  population  hostile  et  de  difficultés  dont,  nous-même, 
avons  pu  juger  les  effets  par  un  séjour  assez  prolongé  dans  le 
nord  de  la  Perse,  c'est-à-dire  au  milieu  des  populations  les  plus 
policées  de  ces  régions  asiatiques. 

Nous  regrettons  cependant  que  M.  Houssay,  parlant  souvent^ 
comme  longueur  et  coloration,  de  la  chevelure  des  habitants 
qu'il  décrit,  ne  signale  qu'à  propos  d'un  janikis  la  texture  du 
système  pileux  de  ses  différents  sujets,  si  habiles  à  se  teindre 
dans  toute  la  Perse.  Le  voyageur  ne  doit  pas  ignorer  l'impor- 
tance qu^on  attache  aujourd'hui  à  ces  documents,  et  surtout 
dans  l'intéressante  question  des  Susiens  actuels  et  de  leurs  pré- 
décesseurs, jusqu'à  présent  présumés  Africains.  Je  me  base, 
pour  parler  ainsi,  un  peu  sur  le  rapport  de  M.  Dieulafoy,  le 
faisant  présumer,  à  propos  des  précieuses  découvertes  de  briques 
émaillées  dont  Tensemble ,  réconstitué ,  nous  présente  des 
guerriers  (Aden,  15  juin  1885). 

«...  Mains  et  pieds  étaient  noirs;  il  était  même  visible  que 
toute  la  décoration  avait  été  préparée  en  vue  de  l'assortir  avec 
le  ton  foncé  de  la  figure.  » 

«  Seuls  les  puissants  personnages  avaient  le  droit  de  porter  de 
hautes  cannes  et  des  bracelets  ;  seul,  le  gouverneur  d'une  place 
de  guerre  pouvait  en  faire  broder  l'image  sur  sa  tunique.  Or  le 
propriétaire  de  la  canne,  le  maître  de  la  citadelle  est  noir,  il  y  a 
donc  les  plus  grandes  probabilités  pour  que  TElam  ait  été  l'apa- 
nage d'une  dynastie  noire  et,  si  l'on  s'en  réfère  même  aux  carac- 
tères de  la  figure  déjà  trouvée,  d'une  dynastie  éthiopienne. 
Serait-on  en  présence  de  l'un  de  ces  Éthiopiens  du  Levant  dont 
parle  Homère?  Les  Nakhuntas  étaient-ils  les  descendants  d'une 
famille  princière  apparentée  aux  races  noires  qui  régnèrent  au 
sud  de  l'Egypte?  »  M.  Dieulafoy  trouve  ces  hypothèses  sédui- 
santes, et  moi  je  ne  suis  pas  de  l'avis  qu'il  faille  les  rejeter; 
c'est  après  avoir  remarqué  que  les  habitants  de  Chouster,  de 
Dizfoul  et  des  villages  de  la  région  présentaient  un  grand  nombre 
VI  28 


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410  LES    RACES    UUMÂlNkS    DE   LA    PERSE 

de  caractères  des  races  noires,  que  Fauteur  du  rapport  dalé 
d'Aden  1885,  a  chargé  M.  Houssay  de  faire  l'étude  comparée  des 
indigènes  de  TÉlam  et  des  contrées  limitrophes,  et  de  chercher 
si,  dans  la  population  actuelle  de  la  province,  on  ne  trouverait 
pas  une  modification  du  type  éthiopien^  due  à  un  croisement 
persan  ou  arabe. 

«  ...  Le  roi  noir,  dit  encore  M.  Dieulafoy,  les  palmelles  égyp- 
tiennes, la  rampe  d'escalier,  proviendraient  donc  de  monuments 
détruits  bien  avant  l'avènement  des  Achéménides ,  puisque 
avant  cette  époque  on  les  avait  ramassés  dans  des  ruines  et  on 
les  avait  fait  entrer  dans  le  corps  de  nouveaux  édifices.  » 

On  sait  que  les  races  du  type  éthiopique  ou  à  peau  noire 
forment  deux  groupes.  Le  premier  a  la  chevelure  lisse  ;  celle-ci 
pouvait  être,  dans  son  ensemble,  droite,  ondée,  bouclée  ou  frisée 
avec  le  cheveu  gros,  fin,  raide  ou  souple. 

Le  second  groupe,  également  noir,  a  la  chevelure  laineuse,  for- 
mant de  petites  touffes  crépues  que  Ton  nomme  chevelure  à  grains 
de  poivre,  lorsqu'ils  sont  très  serrés  les  uns  contre  les  autres  ; 
quelquefois  ces  espèces  de  grains,  moins  serrés,  se  prennent 
comme  des  torsades  dures  et  affectent  l'aspect  de  franges. 

M.  Houssay ,  auteur  du  travail  de  1 887,  a  raison  de  dire  qu'en  1 859, 
il  y  a  près  de  trente  ans,  je  n'avais,  dans  mes  notes,  aucune  pré- 
tention à  conclure ,je  tenais  surtout  à  me  tenir  en  dehors  des  diver- 
gences et  des  subtilités  scientifiques.Mon  modeste  bagage  ne  cons- 
tituait que  la  valeur  restreinte  d'une  observation  consciencieuse, 
pouvant  servir  de  point  de  départ  à  des  travaux  plus  autorisés. 

J'ai  donc  été  non  moins  étonné  que  flatté,  lorsqu'on  1866, 
recevant  le  mémoire  sur  l'ethnographie  de  la  Perse  du  voyageur 
académicien  de  Saint-Pétersbourg,  j'y  vis  l'honorable  place  que 
j'y  tenais;  mais  Khanikoff,  lui,  comme  chef  d'une  mission  scien- 
tifique, avait  à  terminer  son  récit  par  une  certaine  conclusion,  il 
fallait  parler  de  la  race  et  des  familles  des- peuples  qu'il  visitait, 
difficulté  que  tout  d'abord  il  signala.  Devait-il,  avec  l'illustre 
Kant,  tenir  grand  compte  de  la  coloration  de  la  peau  ;  l'opinion 
de  Forster  s'y  oppose,  et  le  savant  Blumembach,  avec  son 
important  bagage    d'observations  craniomé triques,    préconise 


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LES    RACES    HUMAINES   DE   LA    PERSE  41  i 

haulement  les  formes,  les  dimensions  et  rattache  de  la  tête, 
comme  devant  tout  primer  en  ethnographie.  Enfin,  la  physio- 
logie, la  zoologie  et  la  linguistique,  ne  font-elles  pas  partie  inté- 
grante, depuis  quelques  années,  des  conclusions  ethnogra- 
phiques ;  comme  plus  récemment  encore,  la  recherche  des 
habitudes,  des  coutumes  et  de  la  tradition,  semblent  naturel- 
lement s'imposer  à  tout  travail  de  ce  genre. 

Le  docteur  Vogt  venait  à  peine  d'éditer  son   remarquable 
ouvrage,  et  Broca,  de  classer  les  instructions  devant  donner  un 
grand  essor  aux  recherches  anthropométriques,  si  étroitement 
liées  à  l'ethnographie  des  peuples,  lorsque  Khanikoff  fit  son 
voyage  ;   son  expérience  était  donc    insuffisamment   éclairée 
en  1861,  lorsqu'il  le  termina.  Je  demande  au  lecteur  la  per- 
mission de  citer  une  petite  anecdote  à  l'appui  de  ce  que  j'avance. 
En  1859,  l'armée  du  Shah  de  Perse  contenant  un  spécimen  de 
toutes  les  tribus,  composant  cet  empire,  était  réunie  dans  la  vaste 
plaine  de  Sultanieh,  au  chiffre  approximatif  de  trente  mille,  en 
y  comprenant  la  nombreuse  cavalerie  indépendante ,  d'un  effet 
très   pittoresque;  j'étais,  comme    instructeur,   chargé   de   la 
direction  des  manœuvres  des  troupes  dites  régulières.  Après  la 
première  revue  que  je  passai  d'une  telle  agglomération  d'indi- 
vidus, si  disparates  d'aspect,  groupés  par  régiments  de  mille 
hommes,  à  peu  près  uniformément  vêtus,  mais  ayant,  dans 
chacune  de  ces  unités  militaires,  des  traits  de  ressemblance 
caractéristiques  entre  eux,  l'idée  me  vint  de  profiter  de  cette 
occasion,   unique,   de  comparer  les   uns  avec   les   autres  ces 
éléments  dont  le  hasard  offrait  un  grand  nombre  de  sujets  à  mes 
observations,  avec  des  conditions  devant  aplanir  et  simplifier  les 
difficultés  de  la  mensuration  ;  sans  vouloir  abuser  du  pouvoir 
d'un  chef,  j'affirmais  seulement  l'intention  d'en  profiter  dans  des 
limites  forcément  restreintes,  mais  visant  une  idée  scientifique. 
Il  est  d'usage,  en  Perse,  que  chaque  voyageur  de  distinction 
se  fasse  accréditer,  le  plus  ouvertement  possible,  par  son  ministre 
plénipotentiaire  et  tente  d'être  présenté  au  Shah.  Le  souverain 
était  au  camp'et  Khanikoff,  pour  voir  le  chef  de  la  légation  de 
son  pays,  arriva  où  le  siège  de  TÉtat  se  trouvait  transporté  pour 


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412  LKS    RACES    HUMAINES    DE    LA    PERSE 

plusieurs  mois.  C'est  donc  à  Sultanieh  que  je  vis  pour  la  première 
fois  le  savant  de  Saint-Pétersbourg,  dont  le  nom  était  déjà  connu 
et  j'avoue  que  ce  fut  sous  le  coup  d'une  grande  déception  que  je 
sortis  de  cette  entrevue.  En  effet  ayant,  tout  d'abord,  développé 
très  franchement  devant  lui  le  désir  que  j'avais  d'utiliser  par  le 
dessin  et  la  constatation  numérique,  les  éléments  pittoresques 
que  ce  rassemblement  fortuit  mettait  à  ma  disposition,  je  fus 
surpris,  lorsqu'après  m'avoir  silencieusement  écoulé,  Khanikoff 
me  fit  entendre  le  langage  le  plus  désillusionnant,  et  sur  le  but 
à  atteindre,  et  sur  Tapplication  des  moyens  que  j'énonçais  pour  y 
arriver.  Nous  nous  quittâmes  sous  l'impression  de  ces  fâcheux 
préliminaires  et  je  le  revis  seulement  trois  ans  après,  à  Paris. 
J'eus  alors  la  satisfaction  de  constater,  lorsqu'il  étudia  mes 
documents  (actuellement  dans  la  bibliothèque  du  Muséum),  que 
l'opinion  du  savant  avait  complètement  changé;  car,  pour 
compléter  ses  notes,  il  me  demanda  d'utiliser  mes  recherches, 
reconnaissant  qu'ayant  eu  un  contingent  de  représentants  mâles 
et  valides  des  populations  les  plus  diverses,  il  m'avait  été  facile 
de  réunir  des  données  qu'un  voyageur,  même  le  mieux  inten- 
tionné, ne  pourrait  recueillir  qu'en  nombre  très  limité,  et  au  prix 
de  très  grandes  peines. 

Après  la  digression  peut-être  un  peu  longue,  et  toute  person- 
nelle, que  je  viens  de  faire  en  dehors  du  sujet  qui  devrait  m'oc- 
cuper,  je  dirai  que  si  j'ai  émis  quelques  réserves,  à  propos  du 
nombre  minime  de  données  touchant  spécialement  à  la  craniomé- 
trie,  servant  aux  conclusions  deM.Houssay,loin  de  moi  la  pensée 
de  vouloir  astreindre  les  recherches  anthropologiques  à  la  seule 
rigidité  des  chiff'res.  J'ajouterai  même  que,  depuis  vingt  ans,  la 
photographie  a  apporté  à  cette  science  l'appoint  qui  lui  manquait, 
lorsque,  en  se  familiarisant  avec  les  lointains  pays  par  la  facilité 
des  voyages,  on^eut  à  réagir  sur  les  seuls  documents  composés 
de  portraits  où  la  fantaisie  et  les  dispositions  artistiques  du  dessi- 
nateur prédominaient.  Telles  furent,  cependant,  les  premières 
notions  anthropographiques  dans  lesquelles  le  sentiment  typique 
du  pays  natal  de  l'artiste  se  faisait  trop  retrouver. 

Nous  n'en  sommes  plus  à  des  images  seulement,  et  le  côté 


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LES   RACES    HUMAINES    DE   LA    PERSE  413 

graphique  a  subi  d'heureuses  modifications.  Le  voyageur  qui 
dessine,  ayant  laprélenlion  de  rapporter  un  renseignement  utile, 
doit  joindre  les  connaissances  zoologiques  aux  recherches  de 
Tethnographe,  pour  que  le  résultat  soit  un  peu  scientifique  et  fixer 
son  attention  recueillie,  pour  apprendre  à  voir  juste  par  des 
études  comparatives  auxquelles,  toute  idée  pittoresque  à  part, 
son  œil  aussi  bien  que  son  crayon  durent  s'habituer  ;  ce  qui,  sans 
nuire  au  sentiment  artistique  du  dessinateur,  lui  fait  faire  de 
Y  anthropologie  d'intuition  qu'on  aurait  tort  de  négliger.  Car  nous 
croyons  pouvoir  aftîrmer,  par  expérience,  qu'il  faut  toujours 
tenir  grand  compte  de  la  première  impression  qu'on  ressent  à 
l'étranger,  et  surtout  en  Orient,  lorsqu'on  croit  y  reconnaître  un 
indice  typique. 

Personne  mieux  qu'un  artiste  ne  formulera  cette  impression  ini- 
tiale que  la  fréquentation  el, pour  ainsi  dire, la  prise  de  possession 
du  pays  détruit  fatalement  au  bout  de  quelque  temps,  en  ne  lais- 
sant plus  qu'un  souvenir  dont  les  petits  détails  affaiblissent  l'en- 
semble caractéristique  produit,  à  première  vue,  sur  l'observateur. 
Celui-ci  ne  doit  pas  manquer  d'en  faire  la  constatation  par  écrit  à 
côté  du  dessin  ou  de  la  photographie,  de  même  qu'il  notera 
les  colorations  des  yeux,  de  la  peau,  des  cheveux  et  des  poils 
ainsi  que  leur  texture. 

Tel  est  le  rôle  utile,  mais  très  modeste ,  auquel  les  voyageurs 
ont  dû  presque  toujours  forcément  se  réduire  ;  nous  ne  craignons 
pas  d'affirmer  que  cette  contribution  artistique  est,  dans  un  très 
grand  nombre  de  cas,  la  plus  efficace  pour  la  compréhension 
anthropologique. 

Nous  ne  pouvons  que  féliciter  M.  Houssay  des  documents 
précieux  que  contient  son  travail,  tout  en  approuvant  ses  pru- 
dentes réserves,  qui  expriment  notre  manière  de  voir,  sur  le 
même  sujet,  et  nous  terminons  en  souhaitant  que  d'autres  explo- 
rateurs aussi  bien  préparés,  aussi  bien  disposés  que  lui,  apportent 
une  aussi  ample  et  intéressante  récolte,  comme  contribution 
scientifique  à  l'étude  des  races  de  l'Asie  occidenlale. 


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UART  CAPILLAIRE 

CHEZ    LES    PEUPLES    PRIMITIFS 


Par  m.  Spire  BLONDEL 


Sauvages 

L'histoire  de  la  coiffure,  à  ses  débuts,  se  rattache  à  l'histoire 
primitive  de  Thumanilé.  Les  nombreux  vestiges  des  temps  préhis- 
toriques prouvent,  en  eiïet,  que  nos  premiers  ancêtres  ne  restèrent 
pas  étrangers  au  luxe  et  à  la  coquetterie,  ces  deux  points  de 
départ  de  toute  civilisation. 

Ainsi,  par  exemple,  les  femmes  se  couvraient  de  parures 
formées  de  coquillages  ou  de  dents  d'animaux*,  elles  arran- 
geaient leurs  cheveux  avec  une  certaine  élégance. 

Sous  ce  ciel  sans  ardeur  et  sans  humidité 

Nul  tissu  ne  couvrait  leur  belle  nudité  : 

Les  femmes  s'ombrageaient  avec  leur  chevelure, 

Qu'elles  tressaient  en  frange  autonr  de  leur  ceinture  *. 

Bien  au  contraire,  les  bras  et  le  cou  chargés  d'ornements  en 
signe  de  noblesse  ou  d'autorité,  les  hommes  portaient  les  cheveux 
flottants  et,  pour  donner  plus  de  relief  aux  traits  de  leur  visage, 
faisaient  tomber  une  partie  de  la  mâle  toison  qui  distinguait 
leur  sexe. 

1)  Voyez,  Recherches  sur  les  bijoux  des  peuples  primiiifSy  par  Spire  Blondel, 
dans  la  Revue  de  Philologie  et  d'Ethnographie,  1876,  t.  II. 

2)  Lamartine,  La  chute  d'un  Ange.  Vision  première. 


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l'art  capillaire  chez  les  peuples  primitifs  415 

D'ailleurs,  les  fouilles  archéologiques  exécutées  depuis  plus 
de  vingt  années  sur  tous  les  points  du  globe,  notamment  dans 
les  tourbières  du  Danemark,  ainsi  que  dans  les  habitations 
lacustres  de  la  Suisse  et  de  la  Savoie,  ont  permis  aux  savants 
de  constater,  à  des  époques  extraordinairement  éloignées,  l'emploi 
de  peignes.  A* épingles  à  cheveux  et  de  rasoirs,  dont  la  fabrication 
révèle  un  certain  art  rudimentaire,  non  dépourvu  d'originalité. 

On  trouve  des  exemples  de  cette  recherche  chez  les  sauvages 
qui,  de  nos  jours,  représentent  les  hommes  à  Tétat  de  nature, 
comme  aux  premières  périodes  de  Tâge  de  la  pierre.  Chez  eux, 
c'est  principalement  à  la  coiffure  qu'on  attache  le  plus  grand  prix, 
et  la  chevelure  est  l'objet  d'un  soin  particulier,  surtout  de  la  part 
des  femmes,  qui  se  plaisent  à  l'orner  de  plumes  d'oiseaux,  de 
coquillages,  de  fleurs,  de  verroteries,  etc. 

Ce  ne  sont  pas  les  parures  qui  manquent.  Les  femmes  des 
peuplades  de  l'Amérique,  entre  autres,  portent  les  cheveux  longs 
et  y  attachent  des  tuyaux  de  métal,  avec  des  plumes  de  diverses 
couleurs  ;  les  hommes  en  font  autant  pour  la  houppe  de  cheveux 
qu'ils  laissent  croître  au  milieu  de  la  tête,  après  avoir  épilé  tout 
le  reste.  Les  habitants  de  ces  tribus  ont  celte  coiffure  en  si  grand 
honneur,  qu'ils  payent  quelquefois  au  prix  d'un  cheval  quelques 
plumes  d'aigle  dont  ils  se  servent  pour  Torner.  Mais  tous  n'ont 
pas  le  droit  de  se  parer  de  cette  marque  de  distinction  ;  il  faut 
avoir  livré  un  combat  à  l'ennemi  pour  pouvoir  mettre  une  plume 
d'aigle  sur  sa  tête,  et  le  nombre  de  plumes  attachées  à  la  cheve- 
lure du  guerrier  montre  combien  de  fois  il  a  combattu. 

A  la  Nouvelle-Calédonie,  c'est  autre  chose.  Les  hommes 
teignent  d'abord  leurs  cheveux  en  jaune,  avec  de  la  chaux,  après 
quoi  ils  les  parsèment  de  grains  de  corail  et  de  perles  de  verre. 
D'après  le  Père  Gobien  [Histoire  des  îles  Marianiies)^  les  femmes 
de  la  Micronésie  blanchissent  au  contraire  les  leurs  avec  des  eaux 
préparées. 

Les  habitants  de  Taïti,  se  coiffent  à  peu  près  de  même  que  les 
autres  sauvages.  Du  temps  du  navigateur  Cook,  les  femmes  por- 
taient les  cheveux  coupés  autour  des  oreilles,  tandis  que  les 
hommes  les  laissaient  flotter  en  grandes  boucles  sur  leurs  épaules. 


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416  l'art  capillaire 

on  les  relevaient  en  touffes  snr  la  tête.  Aujourd'hui,  les  femmes 
suivent  la  mode  adoptée  par  leurs  époux.  Selon  P.  Jérusalémy, 
dans  V Extrait  d'un  travail  sur  Taïti  «  Amurausâra  a  te  Mataïti 
api»*, les  Taïtiennes  réservent  leur  plus  belle  coitfure  pour  la  fête 
nationale  du  jour  de  Fan.  Elles  portent  alors  les  cheveux,  gras  de 
mowoï  (huile  de  coco  épurée  et  parfumée)  «  tombant  le  long  des 
épaules  en  deux  tresses,  dont  les  deux  bouts  sont  réunis  par  un 
ruban  noir,  ou  relevés  en  double  fronde  vers  la  nuque,  et  reluisant 
au  soleil  comme  des  morceaux  de  jais  ». 

Dans  la  cosmogonie  taïtienne,  les  déesses  portent  de  même 
les  cheveux  longs,  et  leurs  adorateurs  ont  un  mot  propre  qui 
sert  à  les  désigner  :  «  Alors  Taaroa  vit  quMl  n'y  avait  pas 
d'hommes  sur  la  terre,  et  en  bas  il  aperçut  Tapaparaharaha^ 
c'est-à-dire  la  déesse  à  la  chevelure  flottante  sur  fepaule,  » 

Ajoutons  que  les  Polynésiens  utilisent  les  cheveux  du  mort. 
«  Les  sauvages  d'Otaïti,  dit  un  écrivain  du  siècle  dernier,  font 
avec  ces  cheveux  des  espèces  de  ficelles  d'une  longueur  prodi- 
gieuse ;  on  en  conserve  plusieurs  brasses  au  Musée  de  Londres.*  » 

Nous  ne  pouvons  parler  des  Taïtiens  sans  rappeler  Tamusante 
entrevue  que  le  docteur  Thiercelin  eut  un  jour  avec  la  reine 
Pomaré,  de  célèbre  mémoire.  «  Quand  je  la  vis  pour  la  première 
fois,  c'était  chez  un  marchand.  Elle  était  en  négligé  et  avait 
même  oublié  ses  souliers.  Mais,  qu'importe  cela?  Son  peignoir 
était  long,  et  quand  on  lui  voyait  les  pieds,  on  pouvait  en 
admirer  la  beauté.  Elle  venait  d'acheter  un  peigne.  Le  marchand 
m'engagea  à  lui  offrir  la  main,  ce  que  je  fis  volontiers,  en  lui 
disant  simplement  :  «  Bonjour,  Pomaré.  »  Elle  me  répondit  par  : 
«  Bonjour,  Monsieur  »,  en  me  tendant  la  main.  Pour  se  débar- 
rasser du  peigne  qu'elle  venait  d'acheter,  elle  le  ficha  dans  ses 
cheveux,  comme  fait  un  coiffeur  pendant  les  travaux  de  son 
métier'.  » 

Quelques  peuplades  de  l'Afrique  centrale  et  de  l'Océanie  se 


1)  Voir  la  Revue  Britannique  d'octobre  1876. 

2)  M"®  de  Gonlis,  Dictionnaire  d^s  Étiquettes. 

3)  Journal  d'un  baleinier.  (Voyages  en  Oeéanie), 


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CHEZ  LES  PEUPLES   PRIMITIFS  417 

font  seules  remarquer  par  des  particularités  étrangères  aux 
autres  sauvages.  Au  reste,  comme  Ta  dit  le  docteur  Livingslone, 
en  Afrique,  les  contrastes  sont  nombreux  :  «  Les  moutons  y  sont 
couverts  de  poils,  et  la  laine  y  croît  sur  la  tète  des  hommes.  » 
En  effet,  chacun  sait  combien  la  chevelure  crépue  des  nègres 
diffère  de  celle  des  autres  peuples.  Si  Ton  en  croit  le  célèbre 
voyageur  que  nous  venons  de  citer,  quand  un  indigène  des 
bords  du  Zambèze  s'est  coupé  les  cheveux,  il  a  soin  de  les  brûler 
ou  de  les  enterrer  secrètement,  de  peur  qu'un  sorcier  ou  qu'un 
individu  qui  a  le  mauvais  œil  ne  vienne  à  s'en  emparer  et  ne  s'en 
serve  pour  Taffliger  de  maux  de  tète. 

La  même  observation  peut  s*appliquer  aux  insulaires  des  îles 
Sandwich.  Jacques  Arago,  dans  ses  Voyages,  s'exprime  ainsi  à 
leur  égard  :  «  N'est-ce  pas  une  imitation  de  la  nature,  imparfaite 
et  bizarre  du  sol,  que  ces  usages  si  étranges  d'une  moustache 
sur  une  lèvre,  tandis  que  l'autre  est  épilée?  de  ces  cheveux 
longs  d'un  côté,  courts  ou  ras  de  l'aulre  ?  » 

Bien  qu'il  soit  ici  question  de  moustaches,  on  peut  dire  que, 
quant  à  la  barbe,  les  sauvages  l'ont  généralement  peu  fournie. 
Ceux  qui  en  possèdent  la  coupent,  comme  les  insulaires  de  1  ile 
de  Pâques,  lesquels  se  servent,  pour  cette  opération,  d'une 
simple  pierre  tranchante,  ainsi  que  nous  Tapprend  une  lettre  du 
missionnaire  Eugène  Eyraud,  publiée  en  1864  :  «  Les  doigts  et 
la  première  pierre  venue,  voilà  tous  leurs  instruments.  Au 
surplus,  ils  ne  savent  pas  se  servir  d'un  instrument  européen. 
S'agit-il  de  se  couper  la  barbe  ?  Ils  prendront  une  pierre  tran- 
chante. La  pierre  encore  leur  servira  pour  couper  le  fil,  eussent-ils 
des  ciseaux  à  la  main.  » 

Les  indigènes  de  l'ile  de  Java  ne  portent  point  non  plus  leur 
barbe.  On  lit  dans  le  tome  VIII  de  VHistoire  générale  des 
Voyages  qu'ils  se  l'arrachent  avec  des  instruments  inventés  pour 
cet  usage,  dans  la  seule  vue,  paraît-il,  de  plaire  à  leurs  femmes, 
qui  les  traitent  de  boucs  lorsqu'elles  les  voient  barbus. 

Il  en  est  de  même  des  Taïtiens.  Ceux-ci  ont  tellement  horreur 
des  poils,  qu'ils  les  épilent  jusque  sous  les  aisselles.  Selon  Cook 
et  Gemelli  Carreri,  ils  accusaient  les  Anglais  de  malpropreté. 


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418  L*ART  CAP1LLATBE 

parce  qu'ils  ne  suivaient  pas  leur  exemple.  Les  insulaires  des 
lies  Philippines,  qui  pratiquent  également  l'épilation^  portent  pour 
cela  des  petites  pincettes  de  métal  suspendues  à  leur  cou. 

Les  sauvages  des  îles  Maldives  font  exception.  Au  rapport  de 
Bougainville,  ils  se  rasent  les  moustaches  et  le  tour  de  la 
bouche,  et  ne  conservent  au  menton  qu'une  petite  touffe  terminée 
en  pointe. 

Les  barbiers  publics  sont  inconnus  aux  Maldives.  Chacun  se 
fait  la  barbe  avec  des  rasoirs  d*acier,  ou  des  ciseaux  de  fer  ou 
de  fonte.  Quelques-uns  se  rendent  mutuellement  ce  service.  Le 
roi  et  les  principaux  seigneurs  sont  rasés  par  les  gens  de  la  cour, 
qui  se  font  un  honneur  de  cette  fonction  sans  en  retirer  aucun 
salaire. 

Il  existe  cependant  quelques  contrées  primitives  où  la  barbe 
est  respectée  et  ornée  avec  soin.  Loyer,  dans  ses  voyages,  vit  un 
roi  dlssiny  qui  portait  la  barbe  tressée  en  vingt  petites  boucles, 
mêlées  de  soixante  morceaux  d'oygris,  c'est-à-dire  de  soixante 
pierres  précieuses.  D'autres  nègres  y  attachent  des  grelots. 


II 


Les  Mexicains  et  les  Péruviens,  peuples  à  demi-civilisés  qui 
ont  laissé  des  annales,  des  poèmes  et  des  monuments,  se  coiffaient 
à  peu  près  de  la  même  manière  que  les  sauvages  modernes  de 
TAmérique;  seulement,  au  lieu  de  plumes  d'aigle  et  de  perles  de 
verre,  les  hommes  ornaient  leurs  cheveux  de  plumes  de  couleur 
et  de  lanières  de  cuir  rouge. 

Boturini  nous  apprend*,  d'après  les  vieux  chroniqueurs,  que 
les  prêtres  du  Soleil,  chez  les  Chichimèques-Toltèques,  prédé- 
cesseurs des  Aztèques  ou  Mexicains,  laissaient  croître  leurs 
cheveux  en  signe  d'autorité.  De  là  leur  nom  de  Papahua-Hama- 
cazquiy  «  ministres  aux  longs  cheveux  ».  Selon  le  Père  Sahagun% 
ces  longs  cheveux  étaient  tressés  et  pendants  sur  les  épaules. 

1)  Idea  de  una  Nueva  historia,  etc. 

2)  Hist.  di  las  Cosas  di  Nueva-Espaùn,  1.  X,  ch.  xxix. 


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CHEZ  LES  PEUPLES  PRIMITIFS  419 

Sous  le  règne  suivant,  à  Tollan,  les  prêtres  du  temple  toltëque 
de  la  Déesse  des  eaux^  appelée  la  Dame  au  jupon  d'azur,  portaient 
également  les  cheveux  tombants  par  derrière  *.  Cette  coutume 
était  donc  générale  parmi  le  clergé.  Aussi  Cortez,  après  la  prise 
de  Cbampoalla,  fit-il  saisir  les  prêtres  idolâtres  elles  oblîgea-t-il, 
suivant  l'historien  Herrera,  à  couper  leurs  insignes  capillaires, 
avant  d'assister  à  la  métamorphose  de  leur  temple  en  chapelle 
catholique. 

Si  Ton  en  croit  Torquemada',  le  civilisateur  Quetzalcoatl 
aurait  apporté  parmi  les  Toltëques  Tusage  des  cheveux  longs 
chez  les  jeunes  seigneurs  et  les  princes  du  sang.  Ces  derniers 
seuls  avaient  droit  à  la  longue  chevelure.  Cela  explique  pourquoi 
les  prêtres,  qui  s'étaient  attribué  le  monopole  de  l'éducation  et 
retenaient  auprès  d'eux  les  enfants  des  deux  sexes,  leur  laissaient 
croître  la  chevelure  jusqu'au  jour  de  leur  mariage,  époque  où  on 
la  leur  coupait. 

Quant  aux  monarques  mexicains,  ils  avaient  une  coiiïure 
particulière  qui  leur  était  propre.  Lorsque  le  roi  Moctheuzoma  II 
monta  sur  le  trône,  «  on  lui  coupa  les  cheveux  dans  la  forme  où 
les  rois  avaient  Thabitude  de  les  porter  »,  lit -on  dans  IdiChronique 
de  Thistorien  aztèque  Alvarado  Tezozomoc  (ch.  lxxxu).  Il 
résulte  de  ce  passage  que  le  souverain,  contemporain  de  la  con- 
quête (1520),  appelé  à  tort  Montézuma  par  les  Européens,  portait 
d'abord  la  chevelure  longue  et  flottante,  et  qu'on  la  lui  raccourcit 
de  moitié  au  moment  de  son  élévation  au  trône.  En  effet,  au  dire 
d'Antonio  de  Solis,  surnommé  l'Hérodote  espagnol,  les  cheveux 
du  roi  «  descendaient  jusqu'au-dessous  de  ses  oreilles^  ».  La 
même  cérémonie  dut  avoir  lieu  pour  ses  prédécesseurs  ;  mais,  à 
leurmort,  on  leur  en  coupait  une  poignée  que  Ton  conservait 
soigneusement. 

Du  temps  du  premier  Moctheuzoma,  dit  le  Vieux  (1455),  les 
guerriers  mexicains  portaient  les  cheveux  relevés  sur  la  nuque 


1)  Veytia,  Hist.  antig,  de  Mexico,  t.  I.,  ch.  xxviii. 

2)  Monarch,  md.,  1.  VI,  ch.  xxiv. 

3)  Hist,  de  la  conquête  du  Mexique. 


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420  l'art  capillaire 

et  attachés,  comme  nous  Tavons  dit,  avec  une  lanière  de  cuir 
rouge.  Alvarado  Tezozomoc,  qui  nous  fournit  ce  renseignement 
(ch.  xxvii),  ajoute  que  le  ruban  de  cuir  pour  tresser  les  cheveux 
s'appelait  matemecatl  (ch.  lxxvi),  et  il  nous  montre  Moctheu- 
zoma  I"  remetlanJ,  entre  autres  présents,  pour  être  offerts  aux 
rois  de  Tomba  et  de  Tezcuco  «  des  cordons  de  cuir  qu'on  se  tress© 
dans  les  cheveux  et  des  bijoux  d'or  »  (ch.  xxxvii).  Ces  insignes 
étaient  non  seulement  destinés  aux  princes  et  aux  seigneurs, 
mais  on  les  donnait  encore  comme  récompense  à  ceux  qui  se 
distinguaient  par  leur  valeur.  C'est  ainsi  que,  toujours  d'après 
Tezozomoc  (ch.  xxxvi),  les  officiers  de  première  classe  do  la 
cour  de  Moclheuzoma-le-Vieux,  avaient  obtenu,  à  cause  de  leurs 
services,  «  de  tresser  avec  un  cuir  rouge,  comme  les  princes  et 
les  principaux  conseillers,  les  cheveux  qui  leur  pendaient  jusqu'au 
milieu  du  dos,  de  se  raser  les  deux  côtés  delà  tête  et  de  s'attacher 
à  un  pied  un  grelot  d'or,  pour  montrer  qu'ils  se  jetaient  au 
milieu  des  ennemis  comme  des  fous  furieux  ».  Les  chefs  de 
seconde  classe,  nommés  otomis,  portaient  également  les  cheveux 
pendants  jusqu'au  milieu  du  dos  et  tressés  avec  des  lanières  de 
cuir  de  cerf*.  «  C'était,  dit  encore  Tezozomoc  (ch.  xcv),  la 
marque  distinctive  des  TequihuaqueSy  c'est-à-dire,  de  ceux  qui 
avaient  fait  des  prisonniers  à  la  guerre.  »  Ces  derniers,  en  rece- 
vant cette  espèce  de  décoration,  s'élevaient  d'un  degré  dans  la 
hiérarchie  militaire,  et  de  Macéhuales  ou  vassaux  qu'ils  étaient 
auparavant,  passaient  dans  la  classe  des  Tequihuaques  ou 
vaillants  guerriers. 

Le  clergé,  la  noblesse  et  l'armée  avaient  donc  seuls  le  droit 
de  porter  la  longue  chevelure.  Le  peuple,  au  contraire,  con- 
servait les  cheveux  courts  et  se  les  coupait  avec  des  couteaux  de 
métal  ou  des  rasoirs  dé  pierre,  Coitez,  dans  ses  lettres,  en 
décrivant  le  grand  bazar  de  Mexico,  ce  marché  modèle,  deux  fois 

1)  Cette  coutume  des  Mexicains  avait  une  grande  analogie  avec  celle  des 
Allemands  de  Tacite.  On  rasait,  en  effet,  la  tête  des  guerriers  qui  avaient  pris 
des  ennemis  sur  le  champ  de  bataille,  en  ne  leur  laissant  qu'une  longue  tresse 
de  cheveux  que  Ton  relevait  sur  la  nuque  el  que  l'on  tressait  quelquefois  avec 
un  cuir  rouge,  quelquefois  avec  des  plumes  précieuses. 


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CHEZ  LES  PEUPLES  PRIMITIFS  421 

grand,  dit-il,  comme  celui  de  Salamanque,  raconte  que  là  se 
trouvait  exposé  aux  regards  d'une  foule  toujours  renouvelée, 
ce  qui  servait  à  la  vie,  à  rhabillement,  à  la  parure.  «Il  y  a,  ajoute 
le  Conquistador,  de  petites  rues  pour  le  gibier,  pour  les  légumes 
et  les  objets  de  jardinage  ;  il  y  a  des  boutiques  où  des  barbiers, 
avec  des  rasoirs  d'obsidienne,  rasent  la  tête.  »  En  effet,  dans  le 
Dictiomiaire  de  Molina,  vocabulaire  mexicain  et  castillan,  on 
trouve  la  mention  suivante  :  «  Pierre  d'obsidienne,  ou  tz/Zi, 
c'est-à-dire  navaja  de  barbero  (rasoir  de  barbier).  »  L'obsidienne, 
comme  le  fait  remarquer  Solis,  est  une  espèce  de  verre  naturel 
auquel  les  Mexicains  savaient  donner  un  tranchant  parfait  ;  mais, 
suivant  le  même  auteur,  ils  se  servaient  également  de  rasoirs 
effilés  faits  de  cuivre  allié  à  Tétain.  Parmi  les  antiquités  mexi- 
caines du  musée  d'ethnographie  du  Trocadéro  on  remarque  de 
nombreuses  lames  de  couteaux  en  obsidienne,  dont  quelques- 
unes  ont  pu  servir  de  rasoirs. 

Si  la  plupart  des  Mexicains  portaient  les  cheveux  ras,  à  l'excep- 
tion d'une  touffe  sur  le  sommet  de  la  tète  ou  d'une  tresse  pen- 
dante dans  le  dos,  il  n'en  était  pas  de  même  des  Mexicaines. 
Les  femmes  aztèques,  dit  Prescolt,  d'après  ce  qu'en  ont  laissé 
les  écrivains  espagnols  contemporains,  étaient  jolies  et  ressem- 
blaient peu  à  leurs  pauvres  descendantes,  qui  n'ont  conservé  que 
la  teinte  sérieuse  et  mélancolique  de  leur  physionomie.  Leur 
chevelure  noire,  flottant  en  longues  tresses  sur  leurs  épaules, 
était  souvent  entremêlée  de  fleurs,  et,  dans  les  classes  plus 
riches,  de  rangs  de  pierres  précieuses  et  de  perles  du  golfe  de 
Californie. 

Plusieurs  des  bas-reliefs  découverts  dans  le  Sud  du  Mexique  en 
offrent  des  exemples  :  on  y  voit  des  femmes  avec  de  longues 
tresses  tombant  par  derrière  et  que  terminent  des  espèces  de 
nœuds  en  forme  de  glands. 

Dans  l'Anahuac,  les  cheveux  {tzon^  tzontlt)  étaient  le  plus 
souvent  coiffés.  De  là,  dit  de  Humboldt,  dans  ses  Vues  des  Cor- 
dillièresy  la  dénomination  de  «cihuatl  »,  c'est-à-dire  femme 
reconnaissable  aux  cornes,  ou  plutôt  aux  bourrelets  formés  par 
sa  chevelure.  L'expression  de  «  mère  »,  dans  les  signes  hiéro^ 


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422  l'art  capillaire 

glyphiques  de  l'ancien  Mexique,  remarque  à  ce  sujet  Tainéri- 
caniste  Brasseur  de  Bourbourg,  est  en  effet  figurée  par  une  tète 
de  femme,  ayant  deux  espèces  de  cornes  sur  le  front  et  les  cheveux 
descendant  en  rouleau  sur  le  cou,  genre  de  coiffure  particulier 
à  toutes  les  femmes  aztèques,  représentées  sur  les  peintures 
mexicaines. 

Aujourd'hui,  selon  le  même  auteur,  les  femmes  indigènes  du 
Mexique  et  de  TAmérique  centrale  forment  de  leurs  cheveux 
deux  tresses  qu'elles  relèvent  comme  une  couronne  autour  de  la 
tète.  Au  Yucatan,  contrairement  à  celte  coutume,  toutes  les 
femmes  métisses  et  indiennes  portent  les  cheveux  relevés  à  la 
chinoise,  formant  un  gros  chignon  à  l'occiput  '. 

Ajoutons  que  les  cheveux  blonds  sont  très  rares  au  Mexique  et 
par  conséquent  très  estimés.  Quand,  par  hasard,  on  se  procurait 
des  tresses  blondes  ou  dorées,  on  en  faisait  l'ornement  des  riches 
éventails  ou  chasse-mouches,  ainsi  que  nous  l'apprend  Alvarado 
Tezozomoc  (ch.  xlix),  ou  on  les  réservait  comme  présents  (id. 
ch.  Lix).  Moctheuzoma  II,  lors  de  la  dédicace  de  Coatlan,  donna 
aux  princes  qui  assistaient  à  la  cérémonie,  des  vêtements  brodés 
et  des  «  tresses  de  cheveux  nommées  cuauhtlaplilloni  ou  tresses 
des  braves  »  (id.  ch.  xcv).  Il  ne  faut  donc  plus  s'étonner  que  le 
compagnon  de  Cortez,  le  célèbre  Alvarado,  à  cause  de  ses  grands 
cheveux  blonds  bouclés,  ait  reçu  des  Mexicains  le  nom  du  soleil, 
Tonatiuh. 

De  même  qu'au  Mexique,  la  noblesse  et  le  clergé  du  Pérou  se 
réservaient  l'usage  des  cheveux  longs  et  tombants  sur  les  épaules. 
Ceux  des  femmes  étaient  séparés  en  deux  tresses  réunies  à  leur 
extrémité  derrière  la  tête,  et  maintenues  par  deux  cordons  de 
couleur.  Aussi,  selon  Ulloa,  la  plus  cruelle  injure  que  Ton  pût 
faire  aux  nobles  indiens  de  Quito,  c'était  de  leur  couper  les 
cheveux. 

Les  gens  du  peuple  se  contentaient  des  cheveux  courts,  qu'ils 
entretenaient  comme  les  Mexicains,  avec  des  couteaux  de  pierre. 


1)  Archives  de  la  Commission  scientifique  du  Mexique,  t.  II,  p.  46.  Paris, 
1855. 


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CHEZ  LES  PEUPLES  PRIMITIFS  423 

Garcilasso  de  la  Vcga  rapporte  cette  parole  caractéristique  d'un 
Péruvien  qui  ne  pouvait  se  lasser  d*admirer  l'invention  des 
ciseaux,  en  comparaison  des  couteaux  d^obsidienne  ou  de  silex, 
qui  servaient  aux  indigènes  pour  se  couper  les  cheveux  :  «  Sans 
mentir,  disait-il,  les  Espagnols  n'auraient  fait  que  nous  apporter 
des  rasoirs  et  des  ciseaux,  cela  pouvait  suffire  pour  nous  obliger 
à  leur  donner  libéralement  tout  ce  que  nous  avons  d*or  et 
d'argent.  » 

Suivant  le  même  historien,  les  Péruviens  convertis  au  chris- 
tianisme avaient  grand  soin,  comme  le  font  encore  les  Turcs,  de 
mettre  en  lieu  sûr  les  rognures  de  leurs  ongles  et  les  cheveux 
qu'ils  se  coupaient  ou  qu'ils  faisaient  tomber  en  se  peignant,  et 
cela  dans  le  but  de  se  retrouver  au  complet  quand  viendrait  le 
jour  de  la  résurrection. 

Une  autre  particularité  curieuse,  c'est  que  les  cheveux  frisés 
ou  crépus,  chose  rare  au  Pérou,  étaient  considérés  comme  une 
grande  beauté.  M.  Ernest  Desjardins  rapporte  qu'une  pièce  du 
temple  du  Soleil,  à  Guzco,  était  consacrée  à  la  planète  de  Vénus, 
honorée  comme  la  suivante  du  Soleil,  et  appelée  Chasca,  qui  en 
ancien  péruvien  signifiait  cheveux  crépus  *. 

Au  xi*  siècle  de  notre  ère,  pour  distinguer  les  princes  du  sang 
impérial  des  autres  personnages  de  la  cour  et  les  désigner  au 
respect  de  la  foule,  Manco-Gapac,  ou  plutôt  le  roi  Manco  % 
ordonna  qu'à  son  exemple,  tous  les  hommes  de  sa  famille  eussent 
la  tète  rasée,  et  qu'on  ne  leur  laissât  qu'une  touffe  de  cheveux 
au  sommet  du  cr&ne.  Mais,  d'après  le  témoignage  de  Pierre 
Pizarre,  vieux  conquérant  qui  suivit  l'expédition,  les  succes- 
seurs de  Manco-Gapac  ne  paraissent  pas  s'être  tous  conformés  à 
cet  usage.  Lorsque  François  Pizarre  s'empara  d'Atahualpa,  le 
dernier  souverain  du  Pérou,  s'élançant  sur  l'Inca,  il  le  saisit  par 
les  cheveux,  et  cela  si  violemment,  qu'il  le  fit  tomber  à  terre. 
Sa  chevelure  était  parée  d'ornements  en  or. 

Quant  au  Gundinamarca  (Golombie),  un  des  centres  de  l'an- 

1)  Le  Pérou  avant  la  conquête  espagnole. 

2)  Capac  signifie  roi. 


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421  l'aht  capillaire 

cienne  civilisalion  américaine,  la  manière  de  porter  les  cheveux 
différait  un  peu  dans  cette  contrée  des  habitudes  du  Pérou.  «  Les 
hommes,  dit  Ternaux-Compans,  divisaient,  au  sommet  de  la 
tète,  leurs  cheveux,  qui  tombaient  sur  leurs  épaules  ;  les  femmes 
au  contraire,  les  portaient  épars  et  très  longs.  Le  plus  grand 
châtiment  qu'on  pût  infliger  à  un  Indien  était  de  lui  couper  les 
cheveux,  et  de  déchirer  ses  vêtements  \  » 


m 


Le  civilisateur  Quetzalcoatl,  dont  le  mythe  appartient  à  Tàge 
d'or  de  TAnabuac,  était  blanc  et  barbu,  comme  l'indique  une 
peinture  mexicaine  conservée  à  la  Bibliothèque  du  Vatican. 
Mais  quoique  les  Aztèques  eussent  peu  de  barbe,  tout  porte  à 
supposer  que  l'exemple  du  grand  législateur  fut  suivi.  D  après 
le  Père  Sabagun,  les  barbiers  étaient  connus  au  Mexique  dès  la 
fin  du  dixième  siècle,  comme  en  Europe  et  en  Asie  '. 

D'ailleurs,  ce  serait  une  erreur  de  croire  que  les  indigènes  de 
l'Amérique  soient  imberbes,  rapporte  l'abbé  Brasseur  de  Bour- 
bourg.  «  Tous,  dit  le  savant  mexicologue français,  ont  des  mous- 
taches plus  ou  moins  fournies  et  une  mouche  quelquefois  assez 
grande  au  menton  ;  mais  anciennement  ils  s'arrachaient  la  barbe 
excepté  la  moustache  et  la  mouche,  et  les  barbiers  étaient  char- 
gés de  cet  office  '  ».  Dans  les  Monumeiits  anciens  du  Meocique  et 
du  Yucaian  du  même  auteur,  planche  46,  on  voit  deux  per- 
sonnages ayant  toute  leur  barbe  et  faisant  deux  prisonniers  de 
guerre  qui  sont  imberbes.  La  planche  39  représente  un  cacique 
debout,  avec  barbe  et  moustaches. 

On  est  pourtant  forcé  de  convenir  que  la  mouche  {hm)  et  la 
moustache  (chi)  des  Aztèques  étaient  bien  peu  de  chose  à  côté 
des  fortes  barbes  espagnoles.  Lorsque  Cortez  eut  fait  son  entrée 


1)  Essai  sur  l'ancien  Cundinaquarca* 

2)  lîist.  de  las  Cosas  de  Nueva-Espanay  1.  IIÎ,  ch.  v. 

3)  Hist.  des  nations  civilisées  du  Mexique,  t.  I,  p.  350. 


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CHEZ   LES  PEUPLES  PRIMIIIF3  425 

à  Ténochillan,  l'ancienne  Mexico,  le  8  septembre  1519,  le  roi 
Moctheuzoma  II  vint  lui  rendre  visite,  après  Tavoir  comblé  de 
présents,  et,  dans  un  discours  où  il  Tappelait  brave  général^  il 
termina  par  ses  paroles:  «  Nous  savons  aujourd'hui  que  vous 
êtes  des  hommes  comme  nous,  bien  que  votre  teint  ne  soit  pas 
le  même  et  que  vous  ayez  le  visage  couvert  de  poils.  » 

Enfin  les  Tlascaltèques,  habitants  du  royaume  de  Tlascala  et 
ennemis  de  Moctheuzoma,  n'étaient  pas  moins  surpris  que  ce 
dernier  de  la  beauté  des  barbes  espagnoles.  «  Ils  s'étonnaient 
avec  ingénuité,  dit  Solis,  de  la  couleur  et  des  vêtements  de  nos 
Européens,  et  tenaient  pour  monstureuses  les  barbes  que  lana- 
ture  avait  refusées  à  leurs  visages.  » 

Il  faut  attribuer  en  partie  les  succès  de  Pizarro,  au  Pérou,  au 
profond  respect  ou  plutôt  à  la  crainte  que  les  indigènes  ressen- 
talent  pour  les  étrangers  à  longue  barbe.  Lorsque  le  pays  fut 
tout  à  fait  conquis,  les  Espagnols  exploitèrent  la  population 
avec  une  rapacité  et  un  cynisme  sans  exemple.  Non  seulement, 
raconte  un  historien,  on  les  forçait  d'acheter  à  des  prix  énormes 
des  mules  moribondes,  des  marchandises  avariées  et  d'autres 
articles  de  commerce  sans  valeur,  mais  encore,  chose  presque 
incroyable,  on  faisait  entrer  dans  les  approvisionnements  qu'ils 
étaient  contraints  d'acquérir  au  poids  de  l'or,  des  rasoirs,  des 
bas  de  soie,  des  lunettes,  alors  que  les  Espagnols  savaient  fort 
bien  que  les  Indiens  n'ont  pas  ou  presque  pas  de  barbe,  qu'ils 
vont  toujours  nu-pieds,  qu'ils  ont  la  vue  excellente,  et  que  le 
luxe  y  est  étranger  *.  Aussi  les  naturels,  au  rapport  de  Zarate,  les 
traitaient  entre  eux  avec  mépris  de  «  gens  bannis  et  qui  avaient 
des  cheveux  au  visage  ». 

Ulloa  nous  apprend,  en  effet,  que  les  anciens  Péruviens  s'ar- 
rachaient la  barbe  avec  le  plus  grand  soin.  On  a  trouvé  à  plu- 
sieurs reprises  dans  d'anciennes  sépultures  nommées  huacas^ 
toutes  sortes  d'objets  enterrés  avec  les  défunts,  au  nombre  des- 
quels, selon  Bollaert  *,  on  remarque   «  des  miroirs  de  pierre 

1)  Prescott,  Hist.  de  la  conquête  du  Pérou. 

2)  ArUiquarian  researches, 

VI  29 


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426  l'art  capillaire 

polie  et  de  métal,  et  jusqu'à  des  pinces  de  cuivre  pour  épiler  les 
poils  de  la  face  ». 

Les  habitants  de  l'ancien  Cundinamarca,.dans  la  Colombie^ 
paraissent  au  contraire,  avoir  eu  la  barbe  en  honneur.  D'après 
le  docteur  Posada*Arango  \  plusieurs  idoles  retirées  du  lac 
Guatavita  et  de  diverses  sépultures  ou  tunjoSy  portaient  des 
favoris  et  des  moustaches.  Mais  comme  aujourd'hui  la  plupart 
des  indigènes  sont  imberbes,  ils  portent  des  pendants  en  or  pour 
le  nez,  qui  imitent  d'énormes  moustaches. 

IV 

Comme  nous  le  disions  en  commençant,  l'histoire  de  la  coif- 
fure se  rattache^  plus  qu'on  ne  croit^  à  l'histoire  des  peuples.  Il 
semble  même  que  quelques-unes  des  modes  bizarres  que  nous 
venons  d'énumérer  donnent  à  réfléchir  ;  ils  absolvent  la  civilisa- 
tion d'avoir  inventé  le  luxe  des  coiffures  en  cheveux  et  certaines 
formes  de  ce  luxe.  «  On  admire,  dit  un  historien  philosophe,  les 
papillottes  et  les  chevelures  postiches  des  insulaires  du  détroit  de 
Torrès.  La  coutume  de  porter  des  cheveux  tantôt  courts,  tantôt 
longs  et  disposés  en  édifice,  tantôt  plats,  tantôt  en  houppe,  se 
retrouve  chez  diverses  tribus,  comme  à  la  cour  de  Louis  XIV. 
Quant  aux  hommes,  ils  nous  dépassent  fort  par  ce  genre  de 
parure,  même  si  on  remonte  au  temps  où  nous  portions  per- 
ruque. Aucun  seigneur  de  la  cour  de  Louis  XV  ne  mit  au- 
tant d'heures  à  s'occuper  de  sa  chevelure  postiche  que  les 
chefs  de  sauvages  insulaires  de  Viti  ;  ils  ont  un  coiffeur  spécial 
auxquels  ils  donnent  plusieurs  heures  tous  les  soirs.  Il  ne  faut 
pas  moins  de  temps  pour  disposer  et  tenir  en  bon  état  des  che- 
velures qui  ont  habituellement  trois  pieds  et  quelquefois  jusqu'à 
cinq  pieds  de  circonférence.  Qu'est-ce  donc  dans  les  cas  où  les 
teintures  les  plus  compliqués  viennent  s'y  ajouter  ?  Les  uns  se 
teignent  tout  en  noir,  en  blanc,  en  jaune  ou  en  rouge  ;  d'autres 
aiment  à  réunir  diverses  couleurs  pour  une  même  chevelure  : 

1)  Essai  ethnographique  sur  les  aborigènes  de  l'Etat  d'Antiquia, 


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CHEZ    LES  PEUPLES   PRLMITIFS  427 

un  tiers  sera  couleur  cendre,  le  reste  sera  tout  noir,  et  l'arran- 
gement des  cheveux  est  des  plus  cooipliqués.  Ceux-ci  se  font 
raser  par  place  et  gardent  quatre  ou  cinq  rangées  de  bouquets 
de  cheveux  plantés  droit  ;  ceux-là  laissent  croître  de  longs  cor- 
dons qu'ils  enroulent  ou  laissent  tomber  derrière  le  cou.  En 
vérité,  on  serait  tenté  d'opposer  à  ce  paradoxe,  qu'on  a  nommé 
la  simplicité  de  la  vie  sauvage,  un  paradoxe  bien  moins  invrai- 
semblable :  la  simplicité  de  la  civilisation  ^  !  » 


1]  Baudrillart,  Histoire  du  luxe^  t.  I. 


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NOTE 


LES  TOMBEAUX  DE  TU-DUC  ET  DE  MINH-MANG 


Par  M.  Marx. 


-  Le  palais  royal  de  Hué,  les  palais  de  Thieu  try  el  d'été, 
silués  dans  la  citadelle  même,  peuvent  à  juste  titre  passer  pour 
des  monuments  curieux,  et  qui  révèlent  la  grandeur  passée  de 
la  cour  d'Annam.  On  ne  peut  cependant  se  faire  qu'une  idée 
imparfaite  de  la  valeur  et  de  la  puissance  décorative  de  Tart 
annamite,  si  Ton  n'a  visité  les  tombeaux  de  Tu-Duc  et  de  Minh- 
Mang.  Une  promenade  à  ces  mausolées  est  un  régal  pour  un 
esprit  épris  de  pittoresque,  curieux  des  manifestations  des  arts 
et  des  civilisations  exotiques. 

Ces  tombeaux  ne  sont  pas  seulement  des  édifices  funéraires 
fort  remarquables  :  ce  qui  ajoute  encore  à  leur  originalité,  ce 
qui  en  fait  la  beauté  distinctive,  ce  sont  les  pagodes,  véritables 
palais,  qui  sonl  construites  à  côté  d'eux,  constituant  un  en- 
semble merveilleux  situé  au  milieu  de  jardins,  de  bassins,  dont 
les  dimensions  et  les  styles  rappellent  les  splendeurs  de  Ver- 
sailles, et  où  Ton  retrouve  les  inspirations  de  l'art  français 
apporté  en  Annam  par  la  première  mission  envoyée  sous 
Louis  XVI  à  la  cour  de  Hué  et  qui,  en  architecture  surtout, 
inculqua  aux  Annamites  les  traditions  du  siècle  de  Louis  XIV. 

Il  n'y  a  pas  en  Annam  comme  en  Europe,  d'endroit  spéciale- 
ment réservé  aux  sépultures.  On  ne  trouve  de  cimetière  ni  aux 
abords  des  villes  ni  aux  environs  des  villages.  L'Annamite  mort 


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NOTE   SUR   LES   TOMBEAUX  DE   TU-DUC   ET   DE    MINH-MANG       429 

est  enseveli  dans  un  terrain  quelconque,  au  milieu  d'un  champ, 
au  bord  d'un  chemin.  Toutefois  la  terre  où  il  repose  devient 
sacrée,  inaliénable.  C'est  le  terrain  des  ancêtres. 

Les  Annamites  professent  pour  les  morts  un  culte  qui  est, 
avec  celui  des  Esprits,  toute  leur  religion  :  ils  les  entourent  de 
respect.  Les  tombeaux  sont  Tobjet  de  soins  pieux.  Chaque  année, 
à  Tépoque  du  Tet  (renouvellement  de  Tannée),  les  familles  font 
réparer  les  tombes  détruites  ou  dégradées. 

Suivant  son  rang,  suivant  sa  fortune,  on  élève  au  défunt  un 
simple  tumulus  protégé  par  des  cactus,  ou  des  mausolées  en 
pierre,  entourés  d'un  mur  destiné  à  les  mettre  à  Tabri  des  pro- 
fanations du  fait  de  l'homme  ou  plus  généralement  des  ani- 
maux. ^ 

Les  landes  désertes,  qui  s'étendent  à  l'ouest  de  la  route  de  Hué 
à  Tourane  jusqu'aux  mamelons,  sont  couvertes  de  tombes  dont 
quelques-unes,  celles  des  riches  mandarins,  sont  de  véritables 
monuments  avec  autel  ou  plutôt  esplanade  sur  laquelle  se  font 
les  sacrifices  qui  honorent  le  culte  des  morts.  Cette  plaine  porte 
le  nom  de  plaine  des  tombeaux.  Elle  commence  à  quatre  kilo- 
mètres environ  de  la  rivière  après  le  village  d'An-Cu  et  sa  lon- 
gueur est  de  sept  à  huit  kilomètres.  Souvent  toute  une  famille 
est  enterrée,  les  tombes  sont  groupées  sur  un  même  espace  : 
celles  des  ascendants  plus  grandes  et  autour,  celles  des  descen- 
dants. 

L'Annamite  choisit  et  désigne,  avant  sa  mort,  le  lieu  où  il 
désire  reposer,  généralement  dans  une  de  ses  propriétés,  dans  un 
site  qu'il  affectionne. 

Les  rois  et  les  princes  font  de  leur  vivant  même,  commencer 
la  demeure  où  ils  dormiront  l'éternel  sommeil.  C'est  sur  leurs 
plans,  leurs  indications,  que  sont  exécutés  les  travaux  confiés 
à  quelque  mandarin  connu  pour  sa  science  architecturale. 

Tu-Duc,  qui  fut  avec  Gia-Long  le  plus  grand  empereur  de 
l'Annam,  le  plus  illustre  monarque  de  la  dynastie  des  Le,  avait 
choisi  un  site  merveilleux  de  grandeur  sauvage,  à  peu  de  dis- 
tance de  la  rivière,  au  milieu  des  mamelons  boisés  de  la  rive 
droite. 


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430  NOTE    SUR   LES   TOMBEAUX 

On  peut  aller  au  tombeau  de  Tu-Duc  en  remontant  la  rivière, 
dont  le  cours  est  des  plus  pittoresques,  longeant  la  face  sud- 
ouest  de  la  citadelle,  s*engageant  entre  des  rives  ombragées  do 
bambous,  où  se  cachent  les  villages  de  Kim-Lon  avec  la  tour  de 
Confucius  sur  la  rive  gauche,  de  Phu-Cam  sur  la  rive  droite. 
Plus  loin  la  vallée  se  resserre  et  la  rivière  coule  entre  des  ma- 
melons peu  élevés  et  couverts  de  végétation. 

A  cinq  kilomètres  environ  de  Hué,  un  débarcadère  en  pierre, 
avec  des  escaliers  monumentaux,  donne  accès  sur  une  avenue 
plantée  de  deux  rangées  d'arbres  immenses  formant  une  route  de 
verdure  que  le  soleil  ne  perce  jamais. 

Large  de  vingt  mètres,  cette  avenue  n'a  pas  moins  de  mille 
deux  cents  mètres  de  longueur  ;  elle  vient  se  heurter  à  un  mur 
élevé  dont  le  développement,  d'environ  trois  mille  mètres, 
enserre  le  tombeau  et  ses  dépendances. 

Lorsqu'on  pénètre  dans  cette  enceinte  par  une  large  porte,  on 
reste  un  moment  étonné  devant  la  succession  de  terrasses  plan- 
tées d'arbres  et  de  fleurs^  garnies  de  balustres  en  tuiles  colorées 
qui  s'étagent  depuis  des  bassins  de  marbre,  véritables  pièces 
d'eau  avec  ponts  en  marbre  également,  reliant  des  îles  où  s'é- 
lèvent des  kiosques  à  moitié  dissimulés  sous  la  verdure. 

Le  tombeau  lui-même  est  bâti  sur  la  terrasse  la  plus  élevée, 
ombragée  de  pins.  Une  porte  monumentale  en  fer  ouvragé,  sur 
laquelle  se  dessine  le  dragon  aux  cinq  griffes  emblème  de  la 
royauté  :  en  avant,  un  bassin  entouré  de  fleurs  odorantes, 
d'arbres  à  la  végétation  luxuriante,  et  sur  une  terrasse  moins 
élevée,  un  immense  portique,  sorte  d'arc  de  triomphe  sous  lequel 
une  pierre  énorme  d'un  seul  bloc,  porte  gravée  toute  la  vie  du 
grand  empereur  :  de  chaque  côté  deux  hautes  colonnes,  pyra- 
mides étroites  en  briques  de  couleur  semblables  à  deux  senti- 
nelles géantes. 

Au  sud  de  ces  monuments  qui  constituent  le  tombeau  lui- 
même,  une  seconde  enceinte  au-dessus  de  laquelle  on  aperçoit 
des  toits  bizarrement  relevés,  aux  faites  découpés  représentant  des 
animaux  symboliques  :  ce  sont  les  pagodes,  palais  où  habitent 
les  femmes  de  Tu-Duc,  les  serviteurs  chargés  des  sacrifices  et  du 


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DE    TU-DUC   ET    DE   MINU-MANG  431 

culte  du  mort.  Là  aussi  sont  conservés,  véritable  musée  du  sou- 
verain, les  objets  dont  se  servait  celui  qu'on  peut  appeler  le 
grand  Roi,  avec  d'autant  plus  de  vraisemblance  que  tout  ce  qui 
entoure  sa  dernière  demeure  semble  emprunté  au  siècle  de 
Louis  XIV. 

Nul  ne  pénètre  dans  le  tombeau. 

On  prétend  même  que  ce  n'est  qu'un  sarcophage  officiel  et  que 
ce  n'est  pas  là  que  repose  réellement  le  corps  de  Tu-Duc. 

De  la  terrasse  qui  précède  le  tombeau,  la  vue  s'étend  au  delà 
des  bassins  sur  des  mamelons  couverts  de  pins,  des  vallons  cul- 
tivés, et  à  l'horizon  sur  la  chaîne  montagneuse. 

La  route  de  terre  qui  mène  de  Hué  à  Tu-Duc  traverse  cette 
campagne,  circulant  à  travers  les  vallons,  et  ce  n*esl  qu'au 
moment  d'arriver  qu'on  aperçoit  du  haut  d'un  mamelon  boisé  le 
tombeau  et  ses  dépendances. 

L'ensemble  est  grandiose.  C'est  d'abord  les  bassins  avec  leurs 
ponts  de  marbre,  leurs  kiosques  perdus  dans  le  fouillis  de 
petites  îles  bâties  sur  le  rocher.  Puis  les  terrasses  ombragées 
qui  semblent  des  parterres  charmants,  s'étagent  jusqu'au  por- 
tique flanqué  de  deux  pyramides  qu'on  pourrait  plutôt  comparer 
pour  leurs  formes  à  des  obélisques,  et,  dominant  le  tout,  le  tom- 
beau. A  gauche,  les  toitures  et  les  portiques  des  pagodes.  Le 
mur,  en  saut  de  loup  devant  les  bassins,  enserre  ce  tableau 
auquel  la  verdure  d'arbres  élevés  et  touffus  sert  de  cadre. 

Le  tombeau  de  Minh-Mang  est  situé  sur  la  rive  gauche  de  la 
rivière,  à  trois  kilomètres  au  delà  de  celui  de  Tu-Duc.  On  n'y 
peut  guère  aller  que  par  eau.  Le  voyage  est  d'ailleurs  fort 
agréable  et  la  vallée  devient  de  plus  en  plus  resserrée,  prenant 
en  s'approchant  de  la  montagne  un  caractère  de  grandeur  sau- 
vage. 

L'aspect  de  Minh-Mang  est  tout  autre  que  celui  de  Tu-Duc.  Il 
est  bâti  en  terrain  plat,  à  cinq  cents  mètres  environ  du  bord  de 
la  rivière,  au  milieu  d'une  véritable  forêt.  Il  reproduit  dans  son 
ensemble  le  palais  royal  de  Hué.  On  pénètre  dans  un  parc, 
rappelant  par  ses  dimensions  et  ses  dispositions  celui  de  Ver- 
sailles. Une  pièce  d'eau,  un  lac  et  au  milieu  deux  îles,  l'une  fort 


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432        NOTE   SUR   LES    TOMBEAUX   DE   TU-DUC   ET   DE    MINH-MANG 

grande  où  s'élèvent  les  pagodes,  l'autre  située  en  arrière,  plus 
petite,  où  se  trouve  le  mausolée.  Des  ponts  en  marbre  fort  larges 
avec  des  parapets  en  briques  de  couleur  formant  mosaïque  les 
relient  à  la  terre  et  entre  elles. 

Dans  la  grande  île,  une  première  pagode  semblable  à  celle  qui 
forme  la  première  salle  du  palais  royal  ;  celle  où  le  roi  Dang- 
Kan  reçoit  les  ambassadeurs  de  la  République  française.  Devant, 
une  vaste  cour  dallée,  plantée  d'arbres,  et  de  chaque  côté  do 
laquelle  des  statues  en  marbre,  statues  de  guerriers  en  costume; 
de  chevaux,  d'éléphants,  tous  les  attributs  de  la  royauté  et, 
comme  à  Hué,  deux  immenses  dragons  en  bois  doré. 

Au  delà  de  cette  pagode,  deux  autres  servent  de  logement  aux 
femmes  et  aux  serviteurs  de  Minh-Mang.  Dans  Tune,  les  objets 
dont  il  se  servait,  véritables  merveilles  d'originalité  et  de 
richesse  ;  son  cachet  en  or  massif  ;  un  service  à  thé  ;  des  aiguières 
en  émail  d'un  travail  exquis  rehaussé  par  des  ornements  d'ar- 
gent; des  boites  en  ivoire;  des  incrustations  d'une  finesse 
achevée. 

Le  pont,  qui  fait  communiquer  les  pagodes  avec  le  tombeau,  est 
surmonté  d'un  triple  portique  en  bronze  sculpté,  dont  le  sommet, 
découpé  à  jour,  encadre  les  images  en  émail  de  la  lune  et  du 
soleil. 

Le  tombeau,  fermé  comme  celui  de  Tu-Duc,  par  une  porte  de 
fer  ouvragé,  est  ombragé  d'arbres  magnifiques  et  on  y  arrive  par 
un  escalier  dont  chaque  marche  est  flanquée  de  vases  en  bronze 
ou  en  porcelaine  qui  sont  de  véritables  objets  d'art. 

L'impression  que  l'on  ressent  en  visitant  Minh-Mang  est  toute 
différente  de  celle  qu'on  éprouve  devant  Tu-Duc.  Ici  c'est  une 
sensation  de  calme,  de  recueillement  délicieux;  c'est  la  retraite 
d'un  esprit  fatigué  des  grandeurs  humaines  se  reposant  au  milieu 
de  ce  que  l'art  et  la  nature  combinés  peuvent  produire  de  plus 
grand  et  de  plus  doux  à  la  fois. 

A  Tu-Duc,  au  contraire,  on  sent  que  le  souverain  a  voulu  mar- 
quer d'un  sceau  éternel  sa  toute-puissance  et  s'entourer  par  delà 
la  mort  des  grandeurs  de  la  nature  et  des  splendeurs  humaines. 
Hué,  le  16  mai  1887. 


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OBSERVATIONS  ETHNOGRAPHIQUES 

DANS  L'ILE  DE  KAMARANE 


Par  le  D'  L.  FAUROT 


Cette  île,  longue  de  dix  à  douze  milles  et  large  de  quatre  milles^ 

^^  s'étend  parallèlement  à  la  côte  d'Arabie.  L'intérieur  est  inhabité 

X  et  sans  végétation.  Sur  le  bord  de  la  mer  seulement,  des  massifs 

de  palétuviers  et  quelques  palmiers-dattiers  s'élèvent,  là  où  les 

villages  sont  construits. 

Parmi  ces  villages  qui  sont  au  nombre  de  quatre,  Kamarane 
est  le  plus  important  en  raison  de  la  profondeur  de  sa  rade  qui 
permet  l'approche  des  navires  de  tort  tonnage.  Un  va-et-vient 
continuel  de  sambouks  et  de  pirogues  établit  des  relations 
fréquentes  avec  le  village  deSalif,  situé  à  huit  milles  de  là  sur  la 
côte  d'Arabie.  Les  habitations  sont  presque  toutes  construites  à 
l'aide  de  nattes  importées  de  ce  dernier  pays.  Elles  se  composent, 
pour  chaque  famille,  d'un  certain  nombre  de  cabanes  très 
rapprochées  et  en  communication  immédiate  les  unes  avec  les 
autres.  Le  village  se  trouve  ainsi  formé  par  une  cinquantaine  de 
ces  cabanes  groupées  à  la  façon  des  quartiers  d'une  ville.  Les 
rues  sont  limitées  à  droite  et  à  gauche  par  les  palissades,  égale- 
ment faites  de  nattes,  qui  enclosent  chacun  de  ces  quartiers.  J'ai 
retrouvé  à  Tadjoura  une  répartition  semblable  des  habitations,  et 
il  est  probable  qu'elle  est  fréquente  en  beaucoup  d'autres  loca- 
lités voisines  de  l'Arabie.  Les  Turcs,  auxquels  l'île  appartient, 
sont  en  petit  nombre  à  Kamarane.  Les  Éthiopiens,  venus  de 
Massaouah,  sont  un  peu  plus  nombreux,  et  les  filles  de  ces  étran- 
gers,   sont,    paralt-il,   très   recherchées  en   mariage  par   les 


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434  OBSERVATIONS    ETHNOGBAPHIOVES 

insulaires.  Quant  à  ces  derniers,  qui  m'ont  paru  ne  différer  en 
rien  des  Arabes  venus  de  Salif,  il  en  est  un  grand  nombre  dont 
la  peau  a  une  teinte  cuivrée,  plus  évidente  sur  la  face  palmaire 
de  leurs  mains.  Cette  coloration,  que  je  n'ai  point  retrouvée  chez 
les  Arabes  d'Aden  (habitants  ou  nomades  venus  par  caravane) 
est-elle  le  résultat  d'une  descendance  hymyarite,  ou  du  mélange 
des  deux  races  :  arabe  et  éthiopienne? 

Les  pèlerins,  venus  de  Tlnde  pour  se  rendre  à  la  Mecque,  font 
dans  Tîle  un  séjour  rendu  obligatoire  par  les  quarantaines 
imposées  par  la  Commission  sanitaire  internationale.  Leur 
nombre  est  assez  considérable  pour  assurer  entre  TArabie  et 
Tîle  un  important  commerce  de  denrées.  Avec  les  pèlerins 
arrivent  aussi  quelques  Banians  qui  achètent  des  perles  prove- 
nant surtout  de  la  côte  occidentale  de  la  mer  Rouge.  Voici  ce 
qui  me  fut  raconté  sur  trois  de  ces  commerçants,  à  la  fois  frères 
et  associés,  qui  se  trouvaient  à  la  même  époque  que  moi,  dans 
Fîle  :  toutes  les  fois  que  l'un  d'entre  eux  achetait  des  perles, 
elles  étaient  déposées  dans  un  coffret  propriété,  commune  aux 
trois  frères,  et  dont  l'inventaire  ne  devait  être  fait  qu'à  la  fin  du 
voyage.  Le  coffret  ne  devait  être  ouvert  ou  fermé  qu'en  présence 
des  trois  intéressés,  à  Taide  d'une  clef  unique,  et  le  gardien  élaît 
mis  dans  Timpossibilité  de  s'en  servir  à  l'insu  des  deux  autres 
membres  de  l'association,  par  suite  de  l'artifice  suivant  :  une 
boîte  métallique  cadenassée  et  assujettie  à  sa  ceinture,  renfer- 
mait en  temps  ordinaire  la  clef  du  trésor,  et  elle  ne  pouvait  en 
être  extraite  qu'au  moyen  de  l'une  des  deux  autres  clefs  dont 
chacun  des  deux  autres  associés  était  pourvu. 

En  outre  du  commerce,  la  pêche  des  requins,  fort  nombreux 
dans  la  rade  de  Kamarane,  occupe  un  certain  nombre  d'insu- 
laires. Fréquemment,  sur  la  plage,  gisaient  vingt  à  trente  de  ces 
poissons  ramenés  par  les  filets  des  pêcheurs.  Leur  longueur 
n'excédait  pas  0"*,50  à  0",60.  La  couche  épaisse  de  muscle  adhé- 
rente aux  ailerons  est  la  seule  parlie  du  corps  de  ces  animaux  qui 
soit  utilisée  comme  nourriture.  Les  foies  pétris  avec  de  la  terre 
servent  à  calfater  les  embarcations.  Quant  aux  ailerons,  ils  se 
vendraient  comme  engrais  aux  colons  des  îles  Mascareignes. 


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DANS    LILE    DE    KAMARAXE 


435 


Cette  pèche  des  requins  se  fait  sur  les  deux  côtes  de  la  mer 
Rouge. 

Une  autre  occupation  des  habitants  est  celle  qui  consiste  à 
filer.  On  l'observe  chez  les  oisifs  qui  parcourent  les  rues  du 
village  ou  qui  kalament  devant  leur  porte.  La  manœuvre  de  leur 
fuseau  (fig.  64)  exige  la  station  debout.  Tenant  le  fil  assez  haut 
dans  la  main  gauche,  ils  impriment,  avec  la  paume  de  la  main 
droite,  un  mouvement  rapide  de  rotation  à  la  longue  extrémité 


Fig.  64.  Fuseau  des  iosulaires  de  Kamarane. 

du  fuseau  préalablement  appliquée  sur  la  face  externe  de  la  cuisse 
du  même  côté.  Le  même  instrument  a  été  observé  par  Livingstone 
chez  les  populations  de  l'Afrique  australe.  Dans  le  premier 
volume  du  récit  des  explorations  de  l'illustre  voyageur,  se  trouve 
reproduite  une  gravure  tirée  de  l'ouvrage  de  Wilkinson  sur  les 
anciens  Egyptiens  *.  On  y  voit  une  femme  ayant  les  mêmes 
attitudes  que  les  fileurs  de  l'ile  de  Kamarane  (fig.  65). 

Ce  n'est  pas  là  le  seul  indice  que  Tantique  civilisation  a  laissé 
dans  le  pays.  Le  vieux  fort  situé  près  du  village  et  la  mosquée 

1)  J.  G.  Wilkinson,  Mannersand  Customs  ofthe  ancient  EgyptianSy  vol.  Il, 
p.  60,  n«  91.  London  1827  in-8. 


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436 


OBSERVATIONS  ETHNOGRAPHIQUES 


d'Iraki-baba  qui  en  est  distante  de  trois  kilomètres,  présentent, 
dans  Tarchitecture  de  leurs  substructions,  des  marques  évidentes 
du  séjour  des  constructeurs  de  pyramides.  Dans  la  mosquée, 
près  d'un  tombeau,  je  découvris  un  bloc  de  basalte  à  labrador, 
couvert  de  carractères  que  je  suppose  appartenir,  soit  àThymya- 
rite,  soit  à  Télhiopien.  Autour  de  Tinscription,  se  trouve  figurée, 
en  double  contour,  la  forme  d'une  stèle  *. 

Des  trois  autres  villages  de  Tîle,  je  n'ai  pu  visiter  que  celui 
qui  porte  le  nom  de  Yémen.  Il  est  très  voisin  de  la  côte  d'Arabie 
(2  milles  environ).  Avec  Tintervention  obligeante  du  comman- 
dant du  Mytho^  auprès  du  moudir,  j'obtins  un  caporal  turc  pour 


Vin 


Fig.    65.  Fileuscs  égyptiennes    du  Moyen-Empire    (d'après  une  peinture    de 
Beui-Hassan,  reproduite  par  Wilkinson). 

me  guider.  Sur  le  trajet  se  trouve  une  élévation  de  trente  mètres. 

Lorsqu'on  en  gravit  le  sommet,  on  y  voit  de  nombreuses 
cavités  ménagées  au  milieu  d'un  amoncellement  considérable  de 
pierres.  Ces  cavités,  en  forme  d'entonnoir,  au  nombre  de  trente 
ou  quarante,  sont  très  rapprochées  les  unes  des  autres.  Je  n'ai 
pas  pu  en  connaître  la  destination.  L'élévation  porte  le  nom  de 
Djebel  ïémen,  c'est  la  plus  haute  de  l'île,  elle  domine  une  grande 
plage  de  sable  près  de  laquelle  est  bâti  le  village. 

Non  loin  de  là,  entre  le  Djebel  Yémen  et  Kamarane,  se  trouvent 
les  ruines  de  constructions  rectangulaires,  faites  de  pierres,  sans 
trace  apparente  de  mortier.  Chacune  d'elles  a  de  3  à  4  mètres 

1)  Le  document  nécessaire  pour  retrouver  cette  pierre  a  été  communiqué  ù 
TAcadémie  des  inscriptions  et  belles  lettres  (sept.  1886). 


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DANS  l'île  de  kamara?œ  437 

carrés  de  surface.  Aux  environs,  nulle  trace  de  puits  et  de  végé- 
tation. 

Yémen  est  une  agglomération  de  douze  à  quatorze  cabanes, 
pour  la  plupart  inhabitées.  Il  n'existe  aucun  puits  pour  alimenter 
ce  misérable  hameau,  mais  il  y  a  une  citerne  que  nous  n'avons  pu 
visiter.  Quelques  habitants  vinrent  nous  proposer  des  perles  très 
petites  et  bosselées,  des  œufs,  des  poulets  d'une  maigreur  exces- 
sive, des  poissons  séchés  au  soleil.  Un  de  ces  indigènes,  parais- 
saut  très  kgé,  avait  une  barbe  blonde, un  peu  jaunâtre.  Je  ne  pense 
pas  que  ce  fût  là  sa  couleur  naturelle.  Mes  doutes  à  cet  égard 
proviennent  de  ce  que,  dans  la  suite  de  mon  voyage,  j'ai  pu  me 
convaincre  que  par  l'usage  prolongé  d'un  mélange  de  chaux  et 
de  graisse  les  Çomalis  obtiennent  une  couleur  semblable  pour 
leur  chevelure. 

Elle  est  très  appréciée  dans  tout  TOrient.  J'ai  vu  à  Aden,  au 
village  de  Malla^  une  femme  çomali  en  toilette  de  fête,  ayant 
le  visage  complètement  teint  en  jaune  rougeâtre,  me  rappelant 
en  cela  les  figures  des  personnages  peints  sur  les  bas-reliefs 
égyptiens.  On  sait  d'ailleurs  que  dans  l'Afrique  du  nord,  les 
femmes  se  colorent  les  mains  et  les  pieds  avec  du  henné,  parfois 
aussi  elles  (ouled  naïls)  se  chargent  la  tète  de  nattes  en  laine 
rougeâtre.  Les  cavaliers  de  cette  même  contrée  se  servent  aussi 
du  henné  pour  teindre  les  boulets,  l'extrémité  de  la  queue  et  de 
la  crinière  de  leur  monture  *. 

On  ne  peut  douter  qu'autrefois  l'ile  de  Kamarane  eut  une 
population  plus  nombreuse  et  plus  civilisée,  car,  en  outre  des 
ruines  du  djebel  Yémen,  il  en  est  d'autres  plus  importantes 
auxquelles  nous  avons  déjà  fait  allusion,  et  qui  mériteraient 
encore  quelques  détails. 

L'examen    des    subslructions    anciennes    de    la     mosquée 

1)  La  couleur  alezane  était,  diseni  les  Algériens,  celle  du  cheval  de  Mahomet. 
Et  à  propos  de  ce  prophète,  je  cite  [hict,  philosop.  de  Voltaire,  articles  Arol 
et  Marot)  ce  passage  d'un  récit  imaginé  par  Abou  Horaïra  son  contemporain  ; 
il  a  rapporta  une  vision  de  Mahomet,  au  cours  de  laquelle  Tange  Gabriel  lui 

apparut  :  c( Ses  cheveux  étaient  blonds ,  ses  jambes  teintes  d*un  jaune 

de  saphir ,  j'aperçus  près  de  lui  70.000  cassoleUes  pleines  de  musc  et  de 

safran,  » 


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438      OBSERVATIONS   ETHNOGRAPHIQUES    DANS   l'iLE    DE   KAMARANE 

dlraki-baba  me  conduisit  à  rechercher  dans  ses  environs  immé- 
diats, s'il  n'existait  pas  d'autres  vestiges  d'antiquité.  En  effet, 
à  cinq  cents  mètres  plus  àl'ouest,  au  ras  du  sol,  il  existe  une  large 
voûte  en  épaisse  maçonnerie  qui  devait  supporter  un  édifice 
considérable.  Un  cimetière  moderne  qui  se  trouve  près  de  là  est 
couvert  de  matériaux  empruntés  à  ces  ruines.  Malheureusement, 
à  en  juger  par  une  excavation  pratiquée  dans  la  voûte  e.t  actuel- 
lement obstruée  par  un  éboulement,  des  fouilles  y  ont  dû  être 
déjà  pratiquées  par  les  gens  du  pays  ou  les  pèlerins  du  lazaret. 

Quant  au  vieux  fort  situé  près  du  village  de  Kamarane,  il 
existe  à  son  sujet  une  tradition  qui  témoigne  de  sa  haute  anti- 
quité. M.  Giovanelli,  directeur  du  lazaret,  m'apprit  que  selon  les 
Arabes,  cette  construction  a  été  élevée  par  les  Perses,  Plus  tard, 
un  roi  d'Arabie,  en  raison  du  climat  de  l'île,  considéré  comme 
très  salutaire,  et  malgré  l'hostilité  des  habitants,  en  aurait  relevé 
les  ruines,  afin  d'y  loger  sa  fille  gravement  malade.  A  cette 
époque,  bien  indéterminée  *,  le  fort  aurait  eu  trois  étages.  Un 
souterrain  que  fit  creuser  ce  même  roi  mettait  le  fort  en  com- 
munication avec  le  continent.  Il  est  presque  inutile  d'ajouter 
que  ce  dernier  détail  est  fabuleux. 

1)  Vers  601,  un  roi  hymyariie  appela  Ghosroès  H,  roi  des  Perses,  pour 
délivrer  l'Yémen  du  joug  des  Ethiopiens.  Masrouk,  le  roi  de  ces  derniers,  fut 
battu.  La  domination  éthiopienne,  qui  avait  duré  soixante-douze  ans,  cessa,  et 
des  vice-rois  gouvernèrent  le  pays  au  nom  de  la  Perse ,  jusqu*au  jour  où 
Mahomet  le  soumit  à  ses  armes.  (Ouillain,  Documents  historiques,  géograph,  et 
commère.  Voyage  à  la  côte  orientale  d'Afrique.) 


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UNE  VISITE  AUX  RUINES  DE  XOCHICALCO 

Par  M.  A.  Boucart. 


A  six  lieues  au  sud-est  de  la  ville  de  Cuernavaca;  capitale  du 
département  dlturbide,  et  sur  la  pente  occidentale  de  la  Cordil- 
lère d'Anahuac  s'élève  la  colline  de  Xochicalco*. 

La  main  de  l'homme  a  donné  à  cette  colline  une  forme  conique 
assez  régulière  et  Ta  divisée  en  cinq  assises  ou  teiTasses,  dont 
chacune  est  revêtue  de  maçonnerie. 

Les  assises  ont  près  de  vingt  mètres  d'élévation,  se  rétrécis- 
sant vers  la  cime  et  sont  inclinées  au  sud-ouest. 

Les  Indiens  ont  tiré  un  très  bon  parti  de  la  pente  naturelle  de 
la  colline  et  des  roches  dont  elle  est  composée  pour  élever  les 
murs  des  terrassements  inférieurs. 

Elle  est  entourée  d'un  fossé  large  et  profond  qui  a  une  lieue 
de  circonférence. 

La  hauteur  de  la  colline  est  d'environ  cent  mètres. 

Le  sommet  présente  une  plate-forme  oblongue  qui,  du  nord 
au  sud,  a  quatre-vingts  mètre,  et  de  l'est  à  Touest,  quatre-vingt- 
douze;  cette  plate-forme  est  entourée  d'un  mur  de  pierres  posées 
les  unes  sur  les  autres,  mur  dont  la  hauteur  est  de  deux  mètres. 

Il  reste  très  peu  de  choses  de  ce  mur  dont  les  pierres  ont  ser>'i 
aux  propriétaires  des  fermes  voisines  pour  construire  des  habi- 
tations, et,  malheureusement,  ils  ne  se   sont  pas  borné  à  ce 


1)  Xochicalco  signifie  dans  la  maison  des  fleurs,de  Xoc/dtl,  (ieiirs ycalli,  mai- 
son et  du  suffixe  co. 


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440  TNE  VISITE 

simple  enlèvement;  ils  ont  délruit  en  partie  le  palais  et  emporté, 
pour  le  même  usage,  une  grande  quantité  de  pierres  sculptées 
qui  ornaient  cet  édifice. 

Au  centre  de  la  plate-forme  se  trouve  le  palais  de  Xochicalco, 
ancien  temple  lollèque  qui  servait  aussi  de  forteresse  et  que 
Ton  désigne  encore  aujourd'hui  sous  le  nom  de  Caslillo  (châ- 
teau). 

Alzate  dit  qu'il  avait  cinq  étages;  c'est  du  moins  ce  que  con- 
firmaient les  Indiens  de  Tellama*  en  1750;  mais,  d'après  Nébel 
qui  dit  avoir  vu  les  ruines  de  trois  portails  au  second  étage,  on 
doit  supposer  qu'il  n'en  avait  que  deux  ;  ces  portails  indiquant 
l'entrée  des  habitations  dans  lesquelles  s'accomplissaient  les 
sacrifices  religieux. 

Aujourd'hui  il  n'existe  plus  qu'une  partie  du  premier  étage,  le 
coin  sud  du  second  était  encore  debout  en  1777. 

Dans  la  pièce  principale  existait  un  trône  appelé  chimotatle  qui 
était  d'une  seule  pierre  très  bien  polie  et  ornée  d'hiéroglyphes, 
on  ne  sait  pas  ce  qu'il  est  devenu. 

On  ne  peut  que  louer  le  poli  et  la  coupe  des  pierres  avec 
lesquelles  on  a  construit  ce  monument,  elles  sont  parfaitement 
ajustées  les  unes  aux  autres,  sans  l'emploi  d'aucun  morlier; 
chacune  des  figures  sculptées  sur  lesdites  pierres  occupant  plu- 
sieurs d'entre  elles,  il  est  évident  que  ces  sculptures  n'ont  été 
exécutées  qu'après  Tachèvement  complet  de  l'édifice. 

Parmi  les  hiéroglyphes  qui  ornent  les  murs  extérieurs  et  inté- 
rieurs du  temple,  on  voit  des  dragons  jetant  de  l'eau  par  la 
gueule,  des  guerriers  ou  dieux,  assis  les  jambes  croisées,  ayant 
sur  la  tête  des  casques  ornés  de  longs  panaches  en  plumes  et 
d'une  tête  de  serpent,  des  lapins,  des  vestiges  de  fleurs  et 
d'autres  signes  qu'il  est  presque  impossible  de  reconnaître  exac- 
tement. 

Ce  qu'on  ne  peut  s'empêcher  d'admirer  en  regardant  ce  qui 
reste  de  ces  belles  ruines,  c'est  la  solide  construction  que  pré- 

1)  Tetlama  est  un  village  situé  à  trois  quarts  de  lieue  de  Xochicalco  dont  ie 
terrain  leur  apparlienl. 


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AUX  RUINES  DE  XOCHICALCO  lil 

sentait  l'édifice,  ce  sont  les  difficultés  qu'il  a  fallu  surmonter  pour 
amener  dans  ces  lieux  des  pierres  si  considérables. 

En  effet,  on  ne  connaît  à  plusieurs  lieues  à  la  ronde  aucune 
carrière  qui  fournisse  les  pierres  utilisées  à  Xochicalco,  et  il  a 
fallu  les  amener  de  très  loin  et  les  hisser  à  force  de  bras  jusqu*au 
faîte  de  la  pyramide. 

Le  fossé  dont  la  colline  est  entourée,  le  revêtement  des  assises, 
la  muraille  qui  défend  rapproche  du  temple,  tout  confirme  que 
Xochicalco  a  dû  servir  de  forteresse. 

Vue  d'en  bas,  la  colline  a  l'aspect  d'un  colimaçon. 
Comme  il  était  tout  à  fait  impossible  d'escalader  la  muraille 
d'une  assise  à  l'autre;  il  fallait  forcément  faire  près  d'une  lieue 
en  tournant,  sans  cesse  exposé  aux  coups  de  l'ennemi  pour 
arriver  jusqu'à  la  plate-forme. 

Parvenu  là,  on  se  heurtait  à  la  dernière  fortification,  la  plus 
formidable  de  toutes. 

Tout  cela  prouve  que  les  Toltèques  étaient  passablement 
avancés  dans  l'art  de  la  guerre  ;  aujourd'hui  encore  cette  colline 
fortifiée  serait  un  point  militaire  très  important. 

Au  nord  de  la  colline,  au  bas  de  la  première  assise,  se  trouve 
l'entrée  d'un  souterrain  assez  profond,  divisé  en  plusieurs  gale- 
ries dont  la  principale  aboutit  à  un  salon  qui  a  douze  piètres  de 
long  sur  dix  de  large. 

Dans  ce  salon  on  voit  encore  deux  piliers  on  maçonnerie  qui 
soutenaient  le  plafond  ;  le  sol  est  lisse,  formé  d'une  épaisse 
couche  de  chaux  peinte  en  ocre  rouge. 

Dans  un  des  coins  de  cette  pièce  existe  un  conduit  de  forme 
conique,  parfaitement  conservé,  au  moyen  duquel  l'air  et  la 
lumière  pénétraient  dans  cette  habitation  souterraine. 

Une  communication  existait  entre  cette  habitation  et  le 
temple. 

Selon  rindien  qui  remplissait  les  fonctions  d'alcade  (maire)  de 
Tetlama  en  1777,  il  existerait  un  autre  souterrain  bien  plus  consi- 
dérable que  celui-ci  et  dont  l'entrée  se  trouverait  à  plusieurs 
lieues  ;  mais  Alzate  dit  n'avoir  pas  eu  le  temps  de  s'y  faire  con- 
duire. 


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[  442  UNE   VISITE 

I  En  1769,  on  pouvait  voir  à  Touest  de  la  colline,  sur  la  roule 

qui  va  àMiacallan,  une  grande  et  belle  pierre  sculptée  recou- 
)/  vrantuntrou. 

Elle  représentait  en  demi-relief  un  aigle  déchirant  les  entrailles 
d'un  Indien.  En  1777,  quand  Alzate  visita  ces  ruines,  il  ne  put 
retrouver  que  des  fragments  sur  lesquels  on  apercevait  quelques 
parties  de  Taigle. 

On  remarque  encore,  aux  environs  de  la  colline,  les  vestiges  de 
quatre  grandes  et  belles  routes  qui  aboutissaient  à  Xochicalco. 
Elles  partaient  exactement  des  quatre  points  cardinaux 

Pour  moi,  ce  temple  a  été  bien  certainement  construit  en 
rhonneur  de  Quetzalcoall. 

Je  fonde  mon  opinion  sur  les  bases  suivantes  : 

1*  Le  mot  Quetzalcoatl  veut  dire  serpent  emplumé  ou  serpent 
à  plumes  vertes,  de  quetzal\  plumes  vertes,  ei  coati,  serpent. 
Or  la  figure  principale  qui  se  retrouve  tout  le  long  de  l'édifice 
est  celle  d*un  guerrier  assis  avec  un  casque  sur  la  tête,  orné 
d'un  long  panache  en  plumes  retombant  en  arrière  :  sur  le 
devant  de  ce  casque  s'avance  la  tête  d  un  serpent;  c'est  le  ser- 
pent emplumé,  c'est-à-dire  Quetzalcoatl  lui-même  qui  est  sculpté 
tout  le  long  de  l'édifice. 

2*^  Ce  casque  a  la  forme  d'une  mitre,  ce  qui  se  rapporte  bien 
aux  descriptions  de  Clavijero,  Sahagun,  Solis  et  autres  auteurs 
qui  sont  tous  d'accord  pour  dire  que,  quand  Fernand  Cortez 
détruisit  le  temple  de  Cholula,  élevé  en  l'honneur  de  Quetzal- 
coatl, ils  remarquèrent  tout  d'abord  la  mitre  qu'il  avait  sur  la 
tête. 

3*"  Tous  les  auteurs,  en  parlant  de  ce  dieu,  disent  qu'il  est 
parti  de  Tula,  est  resté  quelques  années  à  Cholula,  puis  est 
descendu  vers  le  Goatzacualco  où  il  s'est  embarqué. 

i)  Quetzal.  Il  existe  encore  aujourd'hui  dans  la  province  de  Quetzallenango, 
qui  sert  de  frontière  au  Guatemala  et  au  Mexique,  un  oiseau  assez  commun 
connu  sous  le  nom  de  quetzal,  nom  qui  a  dû  lui  être  donné  à  cause  des  belles 
plumes  vertes  qui  ornent  sa  queue. 

C'est  le  Pharomarcus  Moeina  de  la  Slave,  que  nous  connaissons  vulgairement 
sous  le  nom  de  couroucou. 


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AUX   RUINES    DE   XOCHICALGO 


ui 


En  venant  de  Tulaà  Cholula,  il  se  serait  arrêté  à  Xochicalco 
qui  se  trouvait  sur  sa  route.  * 

4*  Enfin,  le  nom  même  de  Xochicalco,  qu'a  conservé  ce  monu- 
ment jusqu'à  nos  jours,  le  prouverait  aussi  ;  car  il  est  presque 
certain  que  c'est  Quetzalcoatl  qui  abolit  les  sacrifices  humains  des 
Toltèques  et  les  remplaça  par  des  sacrifices  d'animaux  et  de 
fleurs.  N'est-ce  pas  pour  perpétuer  ce  souvenir  qu'on  aurait 
élevé  l'édifice  auquel  on  a  donné  le  nom  de  Xochicalco,  dans 
la  maison  des  fleurs? 


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SUR  UNE  NÉCROPOLE  ROYALE 

DÉCOUVERTE  A  SAIDA 


Par  m.  J.  HAMDY-BEY 


Je  suis  arrivé  le  20  avril  1887  à  Smyrne  pour  faire  part  à 
mon  ami  et  collègue  Démosthënes-Bey  Baltazzi  de  la  mission 
archéologique  qu'on  nous  avait  confiée;  il  s'agissait  de  nous 
rendre  à  Saïda  pour  étudier  une  riche  nécropole  tout  réc^emment 
découverte  et  d'extraire,  de  ses  caveaux  profonds,  une  série  de 
sarcophages  qui  venaient  d'y  être  signalés. 

Le  30  avril,  en  arrivant  à  Saïda^  nous  nous  sommes  rendus 
immédiatement  sur  le  terrain  et  je  suis  descendu  au  moyen  d'une 
corde  au  fond  du  large  puits  qui  donnait  accès  aux  caveaux 
contenant  les  sarcophages. 

Ce  puits,  creusé  dans  une  épaisse  couche  de  calcaire,  avait 
une  profondeur  de  13  mètres.  J*ai  visité  successivement  les  ca- 
veaux; ils  étaient  au  nombre  de  sept,  et  j'ai  été  frappé  par  la 
richesse,  la  beauté  et  la  variété  des  sarcophages  en  marbre  qui 
s'y  trouvaient.  Sur  dix-sept  sarcophages,  neuf  étaient  couverts 
de  très  belles  sculptures  polychromes. 

Le  lendemain,  nous  prenions  toutes  nos  mesures  pour  pro- 
céder sans  retard  à  leur  extraction,  ce  qui  était  loin  d'être  facile  : 
le  plus  grand  d*entre  eux  mesurait  3'",30  de  longueur  et  pesait 
près  de  15  tonnes. 

Avec  l'aide  bienveillante  de  Sadik-Bey,  gouverneur  de  Saïda, 
qui  a  mis  à  notre  disposition  tout  ce  dont  nous  avions  besoin, 
et  le  concours  intelligent  de  Béchara-Effendi,  ingénieur  en  chef 
du  vilayet,  un  tunnel  avec  une  pente  de  12  0/0  fut  percé,  et  tous 


1)  Cf.  Revue  archéologique ,  3c  sér.,  l.  X,  p.  138. 


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SUR    UNE    NÉCROPOLE    ROYALE   DÉCOUVERTE   A    SAIDA  445 

les  sarcophages  furent  rétirés  sans  aucun  accident.  Le  tout  fut 
l'affaire  de  vingt-cinq  jours. 

Cette  riche  nécropole  sera  l'objet  d'une  monographie  déve- 
loppée. Une  partie  du  contenu  est  à  la  veille  d'être  expédiée  au 
Musée  impérial  de  Constantinople. 

Une  seconde  nécropole  a  été  découverte  par  nous.  Pour  l'in- 
telligence de  la  description  que  j'essaierai  d'en  faire,  je  joins 
à  ce  mémoire  un  plan  et  une  coupe  générale  des  deux  nécropoles 
à  la  fois.  (Voir  p.  446  et  p.  447.) 

A  l'angle  nord-ouest  du  caveau  V  de  la  première  nécropole  et 
au-dessus  du  sarcophage  n""  10  (voir  la  coupe),  on  remarquait 
un  trou  irrégulier  où  un  homme  pouvait  à  peine  s'introduire. 
J'ai  voulu  me  rendre  compte  de  ce  qu'il  pouvait  être  et  où  il 
pouvait  aboutir;  faisant  donc  venir  une  échelle,  j'ai  pu  facile- 
ment l'atteindre  et  y  entrer  à  moitié,  de  façon  à  bien  examiner 
l'intérieur  à  la  lumière  d'une  lampe. 

J'ai  reconnu  sans  peine  un  tombeau  phénicien,  que  les  viola- 
teurs de  la  nécropole  avaient  dépouillé  par  ce  petit  trou  qu'ils 
avaient  pratiqué.  Ces  violateurs  avides  frappaient  avec  un  fer 
les  parois  des  caveaux  et  partout  où  ils  entendaient  un  son  creux, 
ils  devinaient  l'existence,  de  l'autre  côté,  d'un  tombeau  ou  d'un 
caveau  qu'aussitôt  ils  ouvraient.  Celui-ci  était  absolument  vide  ; 
pourtant,  en  ramenant  par  ce  trou  ce  qu'il  contenait  encore  de 
terre  et  d'ossements,  on  avait  trouvé,  avant  notre  arrivée  à 
Saïda,  quelques  fragments  de  bronze  informes.  Une  question  se 
présentait  naturellement  :  c'était  de  savoir  par  où  l'on  avait 
creusé  ce  tombeau  et  d'où  l'on  y  avait  introduit  le  mort  dont  je 
voyais  là  les  ossements.  En  y  entrant  alors  tout  à  fait,  j'en  ai 
examiné  la  partie  supérieure  et  j'ai  pu  voir  et  compter  cinq 
grandes  dalles  qui  le  fermaient  par  en  haut,  posées  transversa- 
lement sur  le  tombeau. 

Je  fis  part  de  mes  observations  à  mon  ami  Baltazzi-Bey  et 
nous  décidâmes,  le  22  mai,  d'ouvrir  un  puits  de  façon  à  tomber 
juste  sur  ces  dalles. 

Le  lendemain,  après  avoir  enlevé  1"',20  de  terre  végétale, 
nous  rencontrâmes  le  grès  calcaire  ;  faisant  avancer  alors  nos 


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i^^v.\i^îSî^^îS.>t^;;v^:^^p^ 


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448  SUR    UNE   NÉCROPOLE   ROYALE 

ouvriers  de  2  mètres  plus  loin  vers  le  nord,  nous  continuâmes 
do  creuser  et,  le  24,  nous  pûmes  reconnaître  les  quatre  parois 
taillées  à  pic  d'un  grand  puits  rectangulaire.  Les  grands  côtés 
du  sud  au  nord  mesuraient  4  mètres,  les  petits  côtés  3°,20; 
ajoutons  que  les  parois  de  ce  puits  étaient  taillées  avec  soin.  Il 
descendait  à  travers  une  couche  de  grès  calcaire  très  friable  et 
était  rempli  de  décombres  de  même  nature,  mêlés  de  temps  en 
temps  à  de  la  terre  végétale.  Les  ouvriers  ont  trouvé,  posée 
dans  un  creux  sur  la  paroi  du  puits,  une  lampe  en  forme  de 
patère  évasée  et  repliée,  semblable  à  celles  que  M.  Renan  avait 
recueillies  à  Saïda  et  que,  d'après  M.  de  Saulcy,  on  aurait  ren- 
contrées pareillement  dans  les  tombeaux  des  rois  à  Jérusalem. 
A  5  mètres  de  profondeur,  nous  avons  aperçu  les  assises  su- 
périeures d'un  mur  sur  le  côté  donnant  au  nord  (voir  la  coupe). 
Évidemment,  nous  avions  là  un  mur  qui  fermait  l'entrée  d'un 
caveau  et  nous  étions  heureux  de  constater  qu'il  était  absolu- 
ment intact.  A  0'',50  plus  bas  paraissait  sur  la  paroi  opposée  la 
partie  supérieure  d'un  caveau,  précisément  celui  où  se  trouvait 
le  tombeau  violé.  Il  n'était  pas  muré  et  on  voyait  qu'il  était  litté- 
ralement rempli  de  décombres  de  même  nature  que  ceux  qui 
remplissaient  le  puits.  Le  même  jour,  ont  été  trouvées  d'autres 
lampes  semblables  à  la  précédente. 

Le  28  mai^  nous  avons  atteint,  à  une  profondeur  de  7", 50,  le 
fond  du  puits  où  la  couche  de  grès  calcaire  (appelé  dans  le  pays 
ramlé)  finissait  et  où  paraissait  le  calcaire  dur. 

Le  29,  de  bonne  heure,  je  suis  descendu  dans  le  puits  accom- 
pagné de  Béchara-EfTendi  et  de  quelques  ouvriers,  et  j'ai  fait  pra- 
tiquer une  brèche  dans  ce  mur  intact  en  faisant  retirer  quelques 
assises;  alors,  au  moyen  d'une  lampe  à  magnésium,  j'ai  vu  que 
ce  caveau  ne  contenait  aucun  sarcophage,  que  le  plafond  était 
taillé  en  voûte,  qu'il  était,  ainsi  que  les  murs,  revêtu  d'un  cré- 
pissage épais  et  que  ce  crépissage  s'était  en  grande  partie  détaché 
et  couvrait  entièrement  le  sol. 

J'ai  observé  aussi  sur  les  murs  du  caveau  de  grands  trous 
qu'on  avait  symétriquement  pratiqués,  trous  destinés  à  recevoir 
de  part  en  part  d'immenses  poutres  dont  on  se  servait  pour  des- 


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DÉCOUYEBTE   A    SAIDA  449 

cendre,  au  moyen  des  cordes  qu'on  y  attachait,  les  sarcophages 
ou  les  blocs  de  pierre  de  grandes  dimensions.  Partant,  j'avais 
lieu  d'espérer  de  trouver,  une  fois  le  caveau  nettoyé,  des  dalles 
et  sous  ces  dalles  quelque  sarcophage.  J'ai  fait  entièrement  dé- 
barrasser la  porte  du  mur  qui  l'obstruait  en  grande  partie  et  J'ai 
mis  les  ouvriers  à  déblayer  le  caveau. 

Le  caveau  mesure  4™, 60  sur  3",40. 

C'est  alors  que  dans  l'angle  nord-ouest  nous  avons  trouvé, 
renversées  et  démontées  par  la  chute  du  crépissage  des  murs  et 
du  plafond,  deux  torchères  en  bronze  et  quelque»  lampes  en 
terre  cuite  semblables  aux  précédentes.  Ce  crépissage  atteint  par- 
fois une  épaisseur  de  0™,20;  il  est  recouvert  d'un  mince  enduit 
gris  bleu. 

Les  torchères  sont  d^une  belle  conservation  et  d'une  jolie 
patine  ;  elles  ne  sont  pas  de  hauteurs  égales.  La  plus  grande 
mesure  1",70  et  l'autre  1",55.  Elles  se  composent  chacune  de 
trois  parties.  Un  bois  longeant  intérieurement  la  tige  les  reliait; 
ce  bois  était  tout  à  fait  pourri. 

Une  fois  le  caveau  entièrement  débarrassé  de  ce  qui  l'encom- 
brait, j'ai  vu  qu'il  était  dallé  de  six  blocs  immenses  dans  le  sens 
transversal  de  sa  longueur  (page  450,  plan  1").  Ces  dalles  étaient 
en  grès  calcaire  et  de  largeurs  différentes,  qui  varient  de  0",50  à 
0",80  et  avaient  une  longueur  de  2", 60.  La  dernière,  au  fond  du 
caveau,  plus  élevée  que  les  autres  de  O^jlS,  formait  une  sorte 
de  banquette.  En  les  dégarnissant  des  petites  pierres  taillées  qui 
faisaient  bordure  sur  les  quatre  côtés,  j'ai  constaté  que  leur 
épaisseur  était  de  0°*^65  et  qu'elles  reposaient  elles-mêmes  sur 
d'autres  blocs  posés  en  sens  inverse. 

Il  a  fallu  plus  d'un  jour  pour  briser  et  enlever  cette  première 
rangée  de  dalles.  Comme  disposition,  la  seconde  rangée  était 
toute  différente  de  la  première  ;  elle  se  composait  d'une  immense 
dalle  rectangulaire  posée  au  milieu  du  caveau  mesurant  3", 62 
sur  1*,80,  bordée  de  six  dalles;  celles-ci  n'allaient  pas  jusqu'au 
mur  dont  le  crépissage  continuait  de  descendre  (p.  450,  plan  2®). 
En  faisant  enlever  les  six  blocs  qui  servaient  ainsi  de  bordures, 
je  fus  tout  étonné  de  trouver  au-dessous  une  troisième  rangée  et 


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Coupe  jurKjL 


S^Plaii 


Grande  pierre  ^i  cou^rre  le  Sarcophaye 


^ H 


't— ^ ^ -'  ■  -'-      lioM 


Fig.  68.  —  Plan  et  coupe  de  la  nouvelle  nécropole. 


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SUR  UNE  NÉCROPOLE  ROYALE  DÉCOUVERTE  Â  SÂIDÂ      451 

de  voir  que  la  pièce  du  milieu  descendait  encore  plus  bas  que 
cette  dernière  (p.  450,  plan  3*). 

Le  lendemain  j'ai  fait  enlever  cette  troisième  et  dernière  ran- 
gée de  bordures  et  le  caveau  ne  contenait  plus  alors  qu'un  im- 
mense monolithe  rectangulaire,  long  de  3",42,  large  de  1°,70  et 
épais  de  1"^60,  cubant  9",30  (p.  450,  plan  4').  Le  monolithe  oc- 
cupait le  milieu  du  caveau  dans  son  sens  longitudinal.  Il  portait 
dans  la  partie  supérieure  de  son  épaisseur  huit  rainures  en  fer  à 
cheval,  trois  sur  chacun  de  ses  grands  côtés  et  une  sur  les  petits; 
les  rainures  avaient  0",12  de  largeur  et  autant  de  profondeur. 
Elles  avaient  servi  à  recevoir  les  câbles  pour  opérer  la  descente 
de  ce  couvercle  colossal,  d'abord  au  fond  du  puits  et  ensuite 
dans  le  caveau.  On  voyait  parfaitement,  par  le  grain  de  la 
pierre,  que  ce  grand  bloc,  ainsi  que  toutes  les  dalles  qui  l'entou- 
raient, avaient  été  transportés  d'ailleurs. 

Le  couvercle  une  fois  dégagé  de  tous  côtés,  nous  avons  fait 
venir  deux  crics,  et»  les  mettant  simultanément  en  action^  nous 
sommes  parvenus  à  le  soulever  d'un  côté  de  0",10  à  0",15,  et 
c'est  alors  seulement  que  j'ai  pu  voir,  au  moyen  d'un  jet  de 
lumière  de  magnésium,  que  ce  monolithe  recelait  un  magni- 
fique sarcophage  en  marbre  noir,  de  forme  anthropoïde,  admi- 
rablement conservé  et  couvert  d'inscriptions  (p.  450,  plan  5«). 
Ce  n'est  que  le  lendemain,  30  mai,  que  j'ai  commencé  à  faire 
détailler  ce  monolithe  par  couches  horizontales,  de  façon  à 
l'amincir  de  deux  tiers  de  son  épaisseur,  afin  de  pouvoir  le 
soulever  et  le  renverser  contre  les  parois  du  caveau  pour  livrer 
passage  au  beau  sarcophage. 

Cette  opération  terminée,  nous  avons  pu  enfin  examiner 
à  notre  aise  cet  objet  presque  unique  et  remarquable  à  tous 
égards. 

Onze  lignes  d'écriture  hiéroglyphique  couvraient  en  lignes 
longitudinales^  le  bas  du  couvercle  à  partir  du  large  collier  ter- 
miné par  un  globe  ailé  ayant  à  sa  gauche  et  à  sa  droite  d'autres 
signes  hiéroglyphiques.  Une  inscription  phénicienne  gravée 
avec  soin  couvrait  à  son  tour  la  partie  horizontale  des  pieds  ; 
cette  inscription  a  sept  lignes  et  demie.  Comme  dans  le  sarco- 


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432  SUR    UNE    NÉCROPOLE    ROÎÀLE 

phage  d'Eshmounazar,  le  collier  est  attaché  sur  les  épaules  par 
deux  têtes  d^épervier. 

Voici  les  différentes  mesures  du  couvercle  : 

Longueur  de  la  tête  au  pied 2", 30 

Largeur  des  épaules l^jlO 

Largeur  des  pieds 0",80 

Épaisseur  des  pieds O^jiO 

Longueur  des  lignes  hiéroglyphiques 0",70 

Largeur  —  —  0",10 

Longueur  de  Tinscription  phénicienne 0",37 

Une  bande  d'écriture  hiéroglyphique  fait  extérieurement  le 
tour  de  la  cuve  ;  celle-ci  est  de  même  forme  que  celle  du  sarco- 
phage d'Eshmounazar. 

La  fosse  où  était  déposé  cet  objet  précieux  était  admirable- 
ment taillée;  on  avait  pris  à  cet  effet  des  soins  tout  particuliers. 
Ces  bords  et  ces  parois  étaient  d'une  netteté  remarquable  :  un 
parallélépipède  parfait,  ayant  2", 60  sur  1",20  et  1",50  de  pro- 
fondeur. On  n'avait  pas  oublié  de  prendre  le  milieu  de  chacun 
des  petits  côtés  en  le  marquant  d'un  trait  rouge,  afin  de  poser  les 
sarcophages  juste  sur  Taxe  longitudinal.  Il  touchait  presque  les 
parois  du  côté  des  épaules;  on  avait  aussi  rempli  de  petites 
pierres  et  d'une  sorte  de  mortier  le  peu  d'espace  qui  restait  tout 
autour.  Tout  ceci  rendait  l'ouverture  et  l'extraction  du  sarco- 
phage très  difficiles.  Nous  avons  pourtant  réussi  à  le  faire  sans 
qu'aucune  ébréchure  ni  rayure  se  soit  produite. 

Nous  avons  d'abord  enlevé  le  couvercle  que  nous  avons  dé- 
posé immédiatement  dans  une  caisse  provisoire  en  attendant 
qu'un  passage  lui  fût  préparé  à  travers  le  caveau  opposé  et  le 
tombeau  violé  n°  l  (p.  446),  que  les  ouvriers  déblayaient  déjà. 
Nous  avons  préféré  l'extraire  en  le  passant  ainsi  dans  l'autre 
nécropole  et  lui  faire  prendre  le  tunnel  que  nous  avions  déjà 
percé  pour  la  sortie  des  sarcophages  de  la  première  nécropole. 

Le  sarcophage  contenait  le  corps  d'un  homme  relativement 
fort  bien  conservé.  Toute  la  partie  supérieure,  émergeant  d'une 
couche  do  vaso  jaunAtro  qui  remplissait  le  fond  de  la  cuve,  était 


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DÉCOUVERTE    A   S  AIDA  io3 

décharnée.  La  poitrine  était  défoncée»  le  sternum  et  les  doigts 
des  pieds  ainsi  que  les  mains  avaient  disparu.  Un  bandeau  en 
feuilles  d'or  très  mince  de  0",20  de  longueur,  se  trouvait  sur  la 
clavicule  gauche.  J'ai  fait  sortir  le  corps,  et,  l'ayant  étendu  sur 
une  planche,  je  Tai  fait  porter  dehors  (Voy.  pi.  IV).  Murad- 
Ëffendi,  le  médecin  municipal  de  Saïda,  a  bien  voulu  se  charger 
de  le  nettoyer  et  de  le  mettre  en  état  d'être  transporté  à  Cons- 
tantinople.  Tous  les  muscles  des  parties  postérieures  sont  par- 
faitement conservés^  ainsi  que  les  organes  intérieurs  du  thorax 
et  de  l'abdomen.  Dans  le  principe,  le  cadavre  était  étendu  sur 
une  planche  légèrement  concave  occupant  le  fond  de  la  cuve  et 
en  prenant  la  forme.  Cette  planche,  parfaitement  conservée,  est 
en  bois  de  sycomore;  elle  a  1°,84  de  long,  0™,32  de  large  du 
côté  de  la  tête  et  0",21  du  côté  des  pieds.  De  chaque  côté  elle 
était  munie  de  six  anneaux  en  argent,  dont  un  existe  encore  sur 
la  planche.  Ils  étaient  fixés  au  moyen  de  clous  dont  les  pointes, 
après  l'avoir  traversée  de  part  en  part,  ont  été  repliées  à  coups 
de  marteau.  On  ficelait  fortement  le  cadavre  des  pieds  à  la  tête 
le  long  de  cette  planche  sur  laquelle  on  voit  encore  très  distinc- 
tement, près  des  anneaux,  la  trace  qu*ont  laissée  les  cordons. 
Dans  un  autre  grand  sarcophage  anthropoïde  et  parfaitement 
intact  qu'il  nous  a  été  donné  d'ouvrir,  nous  avons  également 
trouvé  le  corps  étendu  sur  une  planche  identique  de  forme  ; 
mais,  au  lieu  d'anneaux,  on  s'était  contenté  de  pratiquer  de 
simples  trous  qui  servaient  à  ficeler  le  corps.  J'ajoute  que  nous 
avons  trouvé  dans  un  troisième  sarcophage  anthropoïde  en  mar- 
bre blanc  la  même  planche  portant  des  anneaux  en  bronze  fixés 
de  la  même  façon.  Dans  plusieurs  autres  tombeaux  phéniciens, 
nous  avons  recueilli  autour  du  cadavre,  absolument  détruit  par 
l'humidité,  des  fragments  nombreux  de  bandelettes.  Les  Phé- 
niciens, suivant  en  cela  la  mode  égyptienne,  avaient  la  préten- 
tion de  momifier  leurs  morts,  mais  ils  pratiquaient  fort  mal  cette 
opération.  Dans  le  tombeau  qui  nous  occupe,  nous  n'avons 
trouvé  aucune  trace  de  bandelettes.  Il  semblerait  donc  que  le 
corps  a  tout  simplement  été  embaumé.  J'ajouterai  que  nous  avons 
observé  l'existence  dans  ce  sarcophage  d'une  certaine  quantité 


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454  SUR   UNE   NÉCROPOLE   ROYALE 

de  sable  très  fin  ;  nous  en  avons  également  trouvé  dans  trois 
autres  sarcophages  anthropoïdes  qu'il  nous  a  été  donné  d'ouvrir 
avant  celui-ci. 

Pendant  que  nous  nous  occupions  à  sortir  ce  beau  sarcophage 
royal  de  la  fosse  profonde  où  il  se  trouvait^  plusieurs  de  nos  ou- 
vriers avaient  déjà  achevé  de  déblayer  le  caveau  du  sud;  nous 
avons  pu  donc  nous  mettre  aussitôt  à  ouvrir  le  tombeau  n""  2.  Il 
était  excessivement  mal  fait  et  tout  à  fait  semblable  à  celui  que 
les  violateurs  de  Tautre  nécropole  avaient  dévasté.  Dans  ce 
tombeau,  le  corps  ainsi  que  la  planche  à  laquelle  il  était  attaché 
avaient  tout  à  fait  disparu.  Nous  avons  recueilli  les  objets  sui- 
vants : 

1  bandelette  en  feuille  d'or; 

1  collier  en  or  ; 

2  bracelets  en  or; 

2  yeux  symboliques  en  or  ; 
13  perles  en  or; 

1  bracelet  historié  avec  pierres  de  couleurs,  ayant  au  milieu  un 
œil  de  chat; 
1  cylindre  onyx  dont  un  bout  porte  une  cage  en  or  ; 
13  perles  en  cornaline; 

1  œil  symbolique  en  cornaline  ; 
7  petites  perles  en  émail  bleu; 

2  gros  kalkals  en  argent; 

1  épingle  en  argent  dont  le  bout  porte  une  tète  de  serpent; 
1  épingle  plus  petite  en  argent  ; 
1  étui  brisé  en  argent  ; 
12  anneaux  minces  en  argent; 
1  miroir  en  bronze  uni,  avec  poignets; 
Différents  objets  en  ivoire  (brisés); 

7  anneaux  en  bronze  qui  appartiennent  à  la  planche  sur  la- 
quelle on  avait  étendu  et  attaché  le  corps. 

Les  deux  tombeaux,  n"*  4  et  n""  5  (p.  446),  n'avaient  ni  dalles 
ni  couvercles.  Les  fosses  étaient  simplement  couvertes  de  terre 


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DÉCOUVERTE   Â    SÂIDÂ  45S 

et  de  pierres  presque  jusqu'à  la  voûte  du  caveau  et  l'entrée  de 
celui-ci  était  murée. 

En  dehors  de  quelques  fragments  d'ossements  qui  tombaient 
en  poussière  aussitôt  qu'on  les  touchait,  nous  n'y  avons  rien 
trouvé.  Le  caveau  du  sud,  ainsi  que  les  tombeaux  qu'il  conte- 
nait, étaient  d'une  exécution  très  défectueuse. 

Le  terrain  sur  lequel  ces  deux  nécropoles  ont  été  découvertes 
se  trouve  dans  la  plaine  en  bas  de  Hilalié,  entre  l'aqueduc  et  les 
jardins.  Celui  qui  le  longe  s'appelle  Bostan-el-Mazara  (jardin  des 
grottes).  On  y  voit  en  effet  l'entrée  de  deux  grottes  allant  de 
l'ouest  à  Test  et  s'engageant  sous  notre  terrain. 

Le  terrain  est  connu  sous  le  nom  de  Ayaa.  Ce  mot  n'est  pas 
arabe.  Parmi  les  habitants  d'Alep,  on  parle,  me  dit-on,  d'une 
reine  juive  légendaire  qui  s'appellerait  Ayaa,  Ainsi,  à  une 
femme  qui  se  donne  des  airs  de  grandeur  en  marchant,  on  dit 
qu'elle  marche  comme  Ayaa. 

J'ai  remarqué  qu'ici,  en  parlant  l'arabe,  on  remplace  la  lettre 
kaph  par  avn.  Ainsi,  au  lieu  de  Kaleh,  Kassir^  Kariby  ils  disent 
Aalehy  Aassir  et  Aarib.  Supposons  donc  la  même  corruption  dans 
le  mot  Ayaa;  il  faudrait  chercher  si  Kayaa  a  une  signification 
en  arabe. 

Le  terrain  des  nécropoles  se  trouve  à  34  mètres  de  hauteur 
au-dessus  de  la  mer  et  il  en  est  éloigné  de  1,250  mètres. 

En  dehors  du  tombeau  n^  1  qui  avait  été  dévasté  par  les  vio- 
lateurs de  la  grande  nécropole,  tous  les  autres  avaient  heureuse- 
ment échappé  à  la  convoitise  des  violateurs  de  sépultures. 

Je  dois  dire,  à  mon  très  grand  regret,  que  ceux  d'aujourd'hui 
ne  sont  pas  moins  terribles  que  ceux  des  âges  précédents.  La 
même  rapacité  et  le  même  vandalisme  continuent  leur  œuvre  de 
destruction,  et,  ce  qui  est  le  plus  désolant,  c'est  que  de  soit 
disant  Européens,  représentant  à  Saïda  certaines  grandes  puis- 
sances^ dans  leurs  propres  intérêts  et  animés  du  plus  grand 
esprit  mercantile,  se  mettent  à  la  tête  de  cette  dévastation  ;  non 
contents  de  cette  spéculation  clandestine,  on  nous  assure  que, 
dans  un  village  des  environs  de  Saïda,  ils  patronnent  une 
fabrique  d'objets  antiques  et  de  fausses  inscriptions  ;  mais  pour 


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456  SUR    UNE    NÉCROPOLE    ROYALE    DÉCOUVERTE    A    SAIDA 

sauvegarder  les  întérêls  de  la  scîence  et  pour  que  les  explora- 
teurs archéologues  ne  soient  plus  exposés  à  être  dupes,  je  n'ai 
pas  manqué  de  prendre  les  mesures  administratives  les  plus 
sévères,  afin  de  mettre  un  terme  à  cet  état  de  choses  déplorable. 
J  ajoute  en  terminant  que,  quoique  Saïda  et  ses  environs  aient 
été  bien  saccagés,  il  y  aurait  encore  de  véritables  trésors  à  y  dé- 
couvrir. 


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VARIÉTÉS 


Lettre  à  M.  D.  O.  Brinton,  à  propos  de  ta  broohnre  «  Were 
the  Tolteos  an  historié  nationality.  » 

Mon  cher  monsieur  Brin  ton, 

Je  viens  répondre  à  votre  brochure,  mais  je  veux  le  faire  comme  de  vive  voix, 
comme  si  nous  causions  tous  les  deux  et  sans  être  obligé  de  reprendre  en  sous- 
œuvre  les  historiens  dont  les  citations  émaillent  mon  ouvrage  les  Anciennes 
villes  du  Nouveau  Monde,  ainsi  que  mon  étude  sur  la  civilisation  loltèque  pu- 
bliée dans  la  Revue  d'ethnographie.  J'espère  qu*à  vos  yeux  cela  n*enlèvera  rien 
de  scientifique  à  ma  réponse  :  cela  m'évitera  un  travail  long  et  fastidieux  puisque 
je  Tai  déjà  fait  et  cela  me  rendra  plus  facile  à  comprendre.  Car  c'est  surtout  la 
clarté  après  laquelle  je  cours,  et  c'est  pour  cela  que  je  me  suis  cantonné  dans 
les  temps  historiques  et  que  je  me  suis  attaché  k  Thistoire  proprement  dite, 
plutôt  qu'aux  mythes  que  vous  cultivez  avec  ardeur,  et  auxquels  le  public  et 
moi  nous  n'avons  jamais  rien  compris. 

Car,  qu'est-ce  qu'un  mythe  ?  C'est,  dit  Littré  :  <c  un  récit  relatif  à  des  temps 
ou  à  des  faits  que  l'histoire  n'éclaire  pas  et  contenant  soit  un  fait  réel  trans- 
formé en  notion  religieuse,  soit  ^invention  d'un  fait  à  laide  d'une  idée.  Le 
mythe  est  un  trait  fabuleux  qui  concerne  des  divinités  ou  des  personnages 
qui  ne  sont  que  des  divinités  déQgurécs.  )> 

Un  mythe  est  donc  ce  qu'il  y  a  de  plus  incertain,  une  chose  au  sujet  de  la- 
quelle, chacun  selon  son  système,  la  tournure  de  ses  études  ou  de  son  esprit, 
peut  se  livrer  aux  interprétations  les  plus  diverses. 

Et  qu'est-ce  que  l'histoire  ?  Inutile  n'est-ce  pas  de  vous  en  donner  la  défini- 
tion que  tout  le  monde  connaît.  Je  sais  bien  que  votre  siège  étant  fait,  vous  la 
nierez  cette  histoire,  quoique  vous  appuyant  quelquefois  sur  les  auteurs 
mêmes  qui  la  défendent  ;  c'est  que  dans  ces  compilations  naïves  et  précieuses, 
pleines  d'anachronismes  et  de  contradictions,  chacun  suivant  le  système  qu'il 
préconise  peut  trouver  dans  le  même  historien,  des  armes  pour  défendre  une 
cause  et  des  armes  pour  la  combattre.  Telle  citation  choque  par  son  invraisem- 
blance et  telle  autre  vous  frappe  par  son  air  de  vérité  ;  il  faut  savoir  choisir. 
Les  anciennes  chroniques  du  vieux  monde  sont  également  pleines  de  récits 
fabuleux  qu'il  faut  éliminer  et  Fernando  Hamirez,  le  plus  remarquable  et  le  plus 
savant  des  Mexicains  modernes,  vous  l'admettrez  comme  moi,  le  prend  de  haut 
quand  il  parle  des  historiens  et  des  chroniqueurs  de  son  pays.  «  Je  ne  consi- 
dère pus,  dit-il,  comme  plus  authentiques  les  renseignements  contenus  dans  les 
histoires  grecques  et  romaines,  que  ceux  que  nous  trouvons  dans  Ixtlixochitl, 

VI  ol 


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458  VARIÉTÉS 

TézozomoCy  Veytia  et  tant  d*autres  qui  ont  puisé  à  des  sources  aussi  claires 
que  celles  où  se  sont  abreuvés  Hérodote,  Quinle-Curce  et  Denys  d'Halicar* 
nasse  etc.  » 

J*ai  donc  cru,  vous  qui  m'accusez,  pouvoir  accorder  toute  confiance  aux 
historiens  que  vous  citez  vous-même,  encore  que  vous  ayez  oublié  parmi  les 
anciens,  Herrera,  Torquemada,  Sahagun,  Cogolludo,  Il  est  vrai  que  la  plupart 
se  sont  plus  ou  moins  copiés  les  uns  les  autres,  mais  tous  nous  font,  au  sujet 
des  Toltecs,  un  tableau  historique  si  complet,  ils  s'accordent  si  bien  pour  nous 
dire  d'où  ils  viennent,  ce  qu'ils  ont  fait  et  où  ils  allèrent  après  leur  chute,  qu'il 
st  impossible  que  l'ensemble  de  ces  relations  puisse  être  classé  parmi  les 
fables.  Mais  nous  pourrions  même  au  sujet  de  ces  Toltecs  qui  ont  le  privilège 
de  vous  exaspérer,  nous  pourrions  nous  en  rapporter  au  seul  Landa  qui,  lui, 
écrivait  son  Histoire  des  choses  du  Yucatanvecs  1560,  ne  connaissant  rien  de  ce 
qu'avaient  écrit  ou  de  ce  que  devaient  écrire  ses  collègues,  puisque  rien  ou 
presque  rien,  n'avait  encore  été  publié  à  ce  sujet.  Il  ne  s'inspira  donc  de  per- 
sonne, et  cependant  il  nous  dit  des  Toltecs,  de  leur  migration  et  de  leur  arrivée 
dans  la  presqu'île  yucatèque,  par  l'orient  et  par  le  midi  ce  que  devaient  nous  en 
apprendre  plus  tard  les  autres  historiens  qui  ne  connaissaient  pas  plus  Landa 
qu'il  ne  les  connaissait.  Il  avait  donc  recueilli  sur  place  les  traditions  qu'il  nous 
donne,  traditions  qui  avaient  cours  dans  la  péninsule  comme  sur  les  hauts 
plateaux,  ce  qui  leur  prête,  il  faut  bien  l'avouer,  un  caractère  de  vérité  incon- 
testable. 

Maintenant  vous  indiquez  sous  le  vocable  humoristique  d'orthodoxes  tous  les 
modernes  qui,  comme  moi,  ont  attribué  aux  Toltecs  la  civilisation  de  l'Amérique. 
Mais  vous  semblez  oublier,  mon  cher  monsieur  Brin  ton,  que  ces  hommes  s'ap- 
pellent Hambolt,  Fernando  Ramirez,  Prescott,  Orozco  y  Berra,  Stephens  dont 
rien  ne  pouvait  dérouter  l'imperturbable  bon  sens,  le  baron  de  Fridrichsshal,  et 
tant  d'autres  qui  certes  n'étaient  pas  les  premiers  venus.  Et  il  ne  s'agit  pas 
d'une  foule,  constituant  ce  fameux  consentement  universel  qu'on  invoque 
comme  preuve  d'une  vérité  plus  haute -^  non,  il  s'agit  d'une  élite  de  penseurs^ 
de  savants,  d'historiens  et  de  voyageurs  dont  le  mérite,  la  science  et  l'esprit 
d'observation  ne  sauraient  être  mis  en  doute  et  dont  les  opinions  ne  sauraient 
être  mises  à  néant  par  l'interprétation  douteuse  de  mythes  plus  douteux  encore* 

Et  ne  voyez-vous  pas  qu'en  récusant  comme  vous  le  faites  l'autorité  de  tant 
d'hommes  remarquables,  anciens  et  modernes,  vous  sapez  par  la  base  l'histoire 
de  l'Amérique,  qu'il  n*en  reste  plus  rien  et  que  toute  discussion  devient  impos- 
sible ?  Serez-vous  le  seul  à  la  fonder  celte  science,  à  la  rétablir  cette  histoire  ? 
Et  sur  quels  fondements  ?  Sur  l'interprétation  de  textes  que  vous  êtes  seul  à 
comprendre  I  Mais  me  prenant  à  part,  vous  dites  dans  Tune  de  vos  notes  :  «  Et 
Chamay  va  jusqu'à  nous  donner  dans  son  ouvrage  :  Anciennes  villes  du  Nouveau 
Monde f  une  carte  de  l'émigration  de^  Toltecs  I  »  Vous  semblez  à  ce  sujet  vous 
voiler  la  face  et  crier  à  l'abomination  de  la  désolation.  Je  n'ai  cependant  fait  là 
mon  cher  Brinton,  que  l'office  d'un  reporter  ;  j'ai  pris  du  nord-ouest  à  Tula 
l'itinéraire  que  nous  ont  donné  Veytia,  Ixtlixochitl  et  d'autres,  itinéraire  con- 
firmé par  les  stations  des  émigrants  et  les  monuments  qu'y  ont  retrouvés 
les  explorateurs  modernes.  Ces  monuments  appartiennent  à  quelqu'une  des 
tribus  nathuas  n'est-ce  pas?  peut-être  à  plusieurs?  Et  comme  toutes  ces 


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«    WERE   THE   TOLTECS   AN    HISTORIC   NATIONALITY    »  4S9 

tribus  sont  de  même  race  et  que  partout,  en  fait  de  monuments,  ces  monuments 
se  ressemblent  comme  nous  l'avons  déjà  démontré,  et  comme  nous  le  démon- 
trerons encore  tout  à  Theure,  on  pourrait  au  besoin  en  attribuer  une  part  à 
chaque  tribu  sans  exclure  les  premières,  olmèques  et  toltèques. 

  partir  de  Tula  pour  aller  dans  le  sud,  Yucatan  et  Guatemala,  j*ai  suivi 
également  les  historiens  cités  plus  haut  qui  divisent  Témigration  toltèque  en 
deux  branches,  l'une  se  dirigeant  par  les  rivages  du  Pacifique,  Tautre  suivant 
les  bords  du  golfe  par  Tabasco  et  la  presqu'île  yucatèque.  Mais,  en  vérité,  je  ne 
crois  pas  avoir  fait  preuve  d'une  grande  audace  puisque  les  faits  sont  venus 
confirmer  tout  ce  que  nous  avaient  dit  ces  mêmes  historiens  au  sujet  de  Texode 
de  la  race  toltèque,  après  les  calamités  qui  provoquèrent  sa  dispersion. 

C'est  que,  je  ne  m'en  suis  pas  tenu  aux  témoignages  des  chroniqueurs  ;  j'ai 
voulu  voir  par  moi-môme  ;  j'ai  cherché  des  preuves  matérielles  qui  concor- 
dassent avec  leur  dire,  et  je  les  ai  trouvées.  Il  s'agit  des  monuments,  pyra- 
mides, temples  et  palais  qui  par  étapes,  dans  l'Amérique  centrale,  affirment  le 
passage  de  la  race  civilisatrice.  C'est  ainsi  que,  la  suivant  presque  instinctive- 
ment à  la  piste,  j'ai  été  conduit  au  Blasillo,  à  Comalcalco  (Centla)  d'où,  pre- 
mière bifurcation  d'une  branche  se  rendant  à  Potonchan  dans  la  péninsule 
yucatèque  pendant  qu'une  autre  branche  s'établissait  à  Palenqué,  pour  essai- 
mer plus  tard  au  sud  et  au  sud-est  à  Ocosingo,  à  Lorillard,  à  Tikal  et  de  là, 
s'enfoncer  au  sud  dans  le  Guatemala,  tandis  qu'une  autre  remontait  au  nord 
dans  la  presqu'île,  où  cette  branche,  les  Tutulxius,  vase  heurter  contre  la  pre- 
mière, la  branche  des  Gocomes  arrivée  avant  elle.  Et  ces  noms  je  ne  les  ai  pas 
inventés,  mon  cher  monsieur  Brinton,  c'est  encore  Landa,  comme  d'auU'es  après 
lui,  Herrera,  Torquemada,  Cogoiludo,  etc.,  qui  nous  les  a  donnés;  nous  pouvons 
leur  joindre  parmi  les  écrivains  modernes,  Juan  Pio  Perez,  Eligio  Ancona,  et 
l'évéque  Crescentio  Carîllo  y  Ancona  qui,  dans  leurs  ouvrages,  ont  si  bien  vul- 
garisé cette  histoire  qu'elle  a  cours  dans  la  jeunesse  yucatèque  et  au  Mexique 
comme  la  venue  des  Francs  dans  la  Gaule  et  l'arrivée  des  Anglais  en  Amérique. 

Quant  à  l'itinéraire  du  Pacifique,  avec  embranchement  de  Tikal  dans  le  sud 
qui  nous  conduit  à  Gopan,  où  se  réunissent  les  descendants  des  anciens  émi- 
grés, je  l'ai  démontré  par  l'étude  des  monuments  qui,  pour  la  première  fois, 
prennent  un  caractère  composite. 

Vous  pourriez  bien  me  dire  encore  que  ces  monuments  ne  signifient  absolu» 
ment  rien  et  qu'ils  peuvent  appartenir  à  des  races  diverses.  L'objection  ne 
serait  pas  sans  valeur  si  ces  palais  et  ces  temples  étaient  divers  et  si  chacun 
d'eux  avait  une  physionomie  particulière;  mais  non,  ils  se  ressemblent  tous  et 
par  leur  configuration  générale  et  surtout  par  leur  décoration* 

Ainsi,  vous  devez  connaître,  vous  connaissez  certainement  les  ruines  de 
Xochicalco  *  qui  sont  toltèques,  au  dire  des  historiens,  et  point  aztèques  comme 
nous  le  démontrerons  tout  à  l'heure.  Eh  bien  I  j'ai  les  photographies  de  Xochi- 
calco devant  moi  et  je  voudrais  pouvoir  vous  montrer  sur  l'un  des  grands  pan- 
neaux de  pierre  le  Quetzalcoatl  sculpté  sous  une  forme  identique  à  celle  où  nous  le 
retrouvons  dans  le  manuscrit  Troano,  page  xxvii  de  la  première  partie.  Le  corps 
du  sujet  est  accompagné  de  signes  symboliques,  cartouches  et  katunes  sem- 

I)  Voy.  plus  hant,  p;  43t)-443. 


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460  VARIÉTÉS 

blables  à  ceux  de  Palenqué,  du  Yucatan  et  du  Guatemala.  De  la  bouche  du 
dieu  s^échappe  la  double  volute,  symbole  de  la  prédication,  de  la  prière  ou  de  la 
parole  que  nous  voyons  également  dans  la  figure  du  manuscrit  Troano,  comme 
aussi  chez  les  personnages  des  bas-reliefs,  de  toutes  les  villes  de  l'Amérique 
centrale  et  jusque  sur  les  bas-reliefo  de  Santa-Lucia  Gosumalwhuapa,  où  cette 
même  volute  est  simple  au  lieu  d'être  double. 

Une  autre  de  ces  photographies  nous  offre  un  bas-relief  avec  personnages 
assis  à  Torientaie  avec  costumes  et  coiffures  qui  reproduisent  absolument  ceux 
que  nous  ont  donnés  Stephens  etMaudslay  sur  la  tranche  de  l'autel  de  Copan. 
Ce  sont  là,  en  dehors  de  beaucoup  d'autres,  des  analogies  si  frappantes  qu'elles 
désignent  un  même  peuple  ou  tout  au  moins  un  seul  et  même  civilisateur 
comme  Tauteur  de  tous  ces  monuments. 

Pour  vous,  si  j'en  crois  voire  brochure,  les  Aztecs  seraient  les  seuls  repré- 
enfants  de  la  civilisation  américaine.  C'est,  permettez  moi  de  le  dire,  une  raison 
qui  donne  un  démenti  flagrant  à  l'histoire  la  mieux  connue  et  aux  relations  les 
plus  claires  touchant  les  Aztecs. 

La  légende  des  tribus  qui  sortirent  des  caves  s'étale  dans  tous  les  chroni- 
queurs, et  ils  nous  donnent  par  rang  d'ancienneté  l'ordre  dans  lequel  chacune 
d'elles  se  dirigea  vers  la  vallée  de  Mexico.  Les  premiers  de  ces  gens  furent  les 
Xochimilcas,  puis  les  Chalcas,  les  Tepanecas,  les  Tlaluicas  et  en  dernier  lieu 
les  Mexicas.  Le  père  Duran  dit  les  Mexicanos,  ou  les  Aztecas. 

Les  Aztecs  vinrent  donc  les  derniers,  et  si  dans  leur  migration  ils  s'arrêtèrent 
à  Tula,  je  le  sais  comme  vous,  mais  ce  fut  longtemps  après  l'exode  des  Toitecs 
et  ce  fut  après  l'occupation  de  celte  même  ville  par  les  Ghichimecs,  double 
occupation  que  j'ai  signalée  et  dont  les  traces  sont  bien  visibles  dans  les  modi- 
fications et  les  raccords  que  chaque  occupant  fit  subir  aux  anciens  édifices. 

Il  est  donc  bien  avéré  que  les  Aztecs  arrivèrent  les  derniers  et  fort  tard  dans 
a  vallée  de  Mexico,  occupée  déjà  par  des  peuplades  civilisées,  couverte  déjà 
de  belles  et  grandes  villes,  et  si  parfaitement  occupée,  que  les  malheureux 
n'y  trouvèrent  pas  de  place.  Cependant,  après  maintes  tribulations  que  vous 
connaissez  comme  moi  et  qu'il  est  inutile  de  rappeler,  après  avoir  été  les 
esclaves  du  roi  de  Culhuacan,  on  les  tolère  dans  les  iles  fangeuses  de  la 
lagune,  où  malgré  les  difficultés  du  milieu  ils  prospèrent  et  se  multiplient.  Ce 
fut  alors  que,  commençant  à  se  sentir  plus  robustes,  et  désireux  de  rompre 
avec  les  populations  environnantes  pour  se  constituer  un  caractère  propre,  en 
rapport  avec  leur  nature  sauvage,  ils  massacrèrent  la  fille  d'Achitometl,  roi  de 
Culhuacan,  pour  en  faire  leur  déesse  Toci.  Plus  tard  et  jusque  sous  le  règne 
de  leur  quatrième  empereur  Itzcoatl,  1425  à  1438,  ils  n'étaient  encore  qu'un 
pauvre  peuple  sans  monuments  et  subissaient  le  vasselage  des  rois  tépanèques 
d'Azcapotzalco.  Cela  ne  prouve-t-il  pas  bien  clairement  qu'ils  se  présentèrent  en 
mendiants,  qu'ils  étaient  des  plus  misérables,  qu'ils  apprirent  des  autres  tout  ce 
qu'ils  acquérirent  plus  tard  et  qu'ils  ne  furent  jamais  des  civilisateurs  ? 

Je  m'étais  promis  dans  cette  causerie  d'éviter  les  citations;  mais  vous  semblez 
vous  appuyer  beaucoup  sur  le  père  Duran  pour  nier  l'existence  des  Toitecs.  Or,  au 
chapitre  lxxix  de  son  ouvrage,  tome  II,  page  73  et  suivantes,  Duran  nous  parle 
de  Topiltzin,  nous  dit  que  c'était  un  prêtre  et  que  ce  nom  était  synonyme  de 
QuetzalcoatI;  c'était  en  même  temps  le  nom  d'un  empereur  toltèque.  Il  ajoute  ; 


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«    WERE   THE    TOLTECS    AN   HISTORIC    NATIONALTTY    »  461 

<c  Cet  homme  vivait  chasle  et  dans  la  pénitence;  il  s'appliquait  à  construire 
des  autels  et  des  temples;  il  dormait  dans  les  temples  mêmes  qu'il  avait  édi- 
fiés (mais  pas  tout  seul  je  pense)  et  c'était  là  que  ses  disciples  auxquels  il 
apprenait  à  prier  et  à  prêcher  se  réunissaient.  L'on  appelait  ces  disciples  Tolte- 
cas,  ce  qui  veut  dire,  officiers  ou  sages  en  certains  arts.  »  Plus  loin  : 

<c  Ce  Topiltzin  était  venu  de  pays  lointains^  ou  bien  il  semble  être  apparu 
sur  cette  terre,  parce  que  Ton  n'a  peu  de  relations  exactes  de  l'endroit  d'où  i^ 
serait  venu.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  qu'aussitôt  son  apparition,  lui  et  ses 
disciples  commencèrent  à  construire  des  autels  et  des  temples,  se  consacrant  à 
l'éducation  des  peuples.  Ils  allaient  ainsi  prêchant  dans  les  vallées,  faisant  des 
choses  merveilleuses  qui  passaient  pour  des  miracles,  de  sorte  que  dans  leur 
admiration ,  les  peuples  leur  donnèrent  le  nom  de  Toltecas  ;  et  lorsque  je 
demandais  :  Qui  donc  a  fait  cette  ouverture  dans  la  montagne  ?  Qui  donc  fit  jaillir 
cette  fontaine  ?  Qui  construisit  ce  temple  ?  Ils  me  répondaient  :  Ce  sont  des 
Toltecas.  » 

Vous  avouerez  que  rien  de  tout  cela  ne  peut  s'appliquer  aux  Aztecs  qui,  du 
reste,  étaient  bien  loin  d'entrer  en  scène  à  cette  époque,  tandis  que  tout  se 
rapporte  à  cette  tribu  civilisatrice  inconnue  selon  Duran,  qu'on  nous  a  présentée 
sous  le  nom  de  Toltecs,  et  que  lui-même  appelle  aussi  Toltecas  ;  puis  Duran 
nous  parle  de  la  grande  persécution  soulevée  contre  Topiltzin  Quetzalcoati,  par 
Tezcallipoca,  persécution  racontée  tout  entière  dans  les  historiens  et  qui,  comme 
toujours,  est  bien  antérieure  aux  Aztecs,  et  il  ajoute  parlant  des  manuscrits  : 
«  Quant  aux  autres  figures,  ce  sont  celles  des  disciples  qu'on  appelait  Toltecas 
et  fils  du  soleil,  ces  gens  qui  laissèrent  tant  de  grandes  choses  et  d'œuvres 
mémorables;  ils  eurent  leur  siège  principal  à  Cholula,  encore  qu'ils  coururent 
toute  la  terre,  ils  occupèrent  cet  emplacement  avant  que  des  Cholultecas  n^arri- 
vassent;  et  ils  furent  les  civilisateurs  des  montagnes  de  Tlaxcala,  dont  ils  appe- 
laient les  gens  Chichimecs,  les  géants,  etc.  » 

Ici,  mon  cher  monsieur  Brinton,  nous  ne  sommes  plus  en  présence  d'un 
mythe,  mais  d'une  légende,  qui  dans  sa  concision  et  sa  demi-obscurité,  s'ac- 
corde si  parfaitement  avec  les  historiens  de  la  civilisation  toltèque,  que  je  me 
borne  à  la  citer  presque  sans  commentaire;  carne  vous  semble-t-il  pas  que 
enseigner  la  morale,  prêcher  une  religion  nouvelle,  construire  des  édifices, 
c'est  civiliser;  ne  vous  semble-t-il  pas  que  ce  prêtre,  ce  dieu  ou  ce  roi  avec  ses 
nombreux  disciples  ou  sujets,  font  œuvre  de  civilisateurs,  et  n'est-il  pas  étrange 
que  l'auteur  même  que  vous  citez  pour  nier  leur  existence,  vienne  justement  pré- 
coniser leur  rôle  ?  Mais  n'avons-nous  pas  d'autres  exemples  d'un  même  rôle  joué 
par  d'autres  civilisateurs  et  dans  des  circonstances  semblables?  Tels  des 
Bouddhistes,  en  bien  petit  nombre,  qui  civilisèrent  Java  et  couvrirent  l'île 
entière  de  monuments  comme  les^Toltecas,  en  couvrirent  les  plateaux  de  l'Ana- 
huaca  et  les  plaines  et  les  montagnes  de  l'Amérique  centrale. 

Et  puis,  remarquez,  je  vous  prie,  cette  phrase  que  j'ai  soulignée  et  qui  renverse 
de  nouveau  votre  théorie  aztèque  :  «  Ils  occupèrent  (les  Toltecas)  cet  emplace- 
ment avant  que  les  Cholultecas  n'arrivassent.  »  C'est-à-dire,  bien  plus  long- 
temps encore  avant  l'arrivée  des  Aztecs. 

Eh  I  bien,  mon  cher  monsieur  Brinton,  dans  cette  histoire  que  je  me  suis 
efforcé  de  reconstruire  en  m'appuyant  sur  les  documents  que  je  cite  et  sur  le 


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462  VARIÉTÉS 

monuments  que  je  présente,  tout  le  monde  m'a  compris  ;  c'est  que  toute  chose 
vraie  paraît  claire  et  que  dans  ma  poursuite  de  l'histoire  toltèque,  tout  se  tient, 
s'enchaîne,  se  raccorde  et  s'harmonise  ;  et  vous  me  pardonnerez  de  vous  dire, 
que  l'éloge  qui  m*a  été  le  plus  sensible,  est  celui  de  gens  absolument  neufs 
dans  les  choses  d'Amérique,  m'assurant  que  dans  mon  ouvrage,  tout  leur 
paraissait  si  clair  qu'il  leur  semblait  impossible  que  cela  pût  être  autrement. 

Ce  n'est  pas  tout  à  fait  votre  avis  et  je  le  regrette  fort,  car  amener  à  mes 
opinions  et  convaincre  un  homme  comme  tous,  me  serait  une  g  loire  incompa^ 
rable.  Mais,  ne  serait-ce  point  ce  nom  de  Toltec  qui  vous  choque  ?  Il  est  facile 
d'admettre  qu'un  nom  puisse  vous  être,  comme  une  personne,  instinctivement 
des  plus  antipathiques,  et  vous  semblez  abhorrer  celui-là? 

Dans  ce  cas,  nous  pourrions  peut-être  nous  entendre  ;  car  les  Toltecs  aussi 
bien  que  les  Olmecs  et  les  Xicalancas  appartenaient  comme  les  six  tribus  &  la 
même  race  et  à  la  même  langue.  Ils  se  fondirent  même  si  bien  avec  ces  deux  ^ 
premiers,  qu'ils  ne  firent  qu'un  seul  peuple,  et  puis:  «  Whafs  in  a  name? 
That  which  we  call  a  rose,  by  any  other  name  would  smell  as  sweet.  »  Qu'est-ce 
qu'un  nom?  Ce  que  nous  appelons  une  rose,  nous  donnera-t-il  moins  de 
parfum  pour  s'appeler  d'un  autre  nom  ?  Et  toltèque,  olmèque  ou  xicalanca  cette 
civilisation  n'en  restera  pas  moins  une,  obéissant  du  nord  au  sud  à  une  même 
impulsion,  et  datant  à  peu  de  chose  près  de  l'époque  qu'on  lui  prête  ;  laissons- 
lui  donc  le  nom  de  toltèque  qu'elle  porte  depuis  plus  de  trois  siècles  et  qu'il 
serait  bien  difficile  de  changer  aujourd'hui. 

Je  termine,  mon  cher  monsieur  Brinton,  mais  non  pas  comm«  vous,  qui 
nous  appelez  Orthodoxes  d'abord,  pour  nous  accuser  ensuite  de  n'être  pas 
des  scholars.  Je  sais  que  vous  êtes  un  vrai  scîwlarf  et  l'un  des  meilleurs  et  des 
plus  savants...  en  fait  de  mythes.  Tout  le  monde  coni>aîtvos  recherches  et  vos 
nombreuses  publications  ;  mais  à  quoi  cela  vous  servira-t-il  si  vous  n'êtes  poin^ 
dans  la  vérité? 

Désire  Charnay. 


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NOTES    SUR   MADAGASCAR  463 

NOTBS  SUR  MADAGASCAR 

RITES  FUNÉRAIRES 

Dans  le  numéro  de  mai-juin  1886  de  la  Revue  (t.  V,  n»  3,  p.  213-232), 
M.  Alfred  Grandidier  publiait  un  tableau  d'ensemble  des  rites  funéraires  à  Ma- 
dagascar, mais  il  se  réduisait  à  ne  tracer  que  les  grandes  lignes,  s'interdisanl 
d'entrer  dans  le  détail  des  cérémonies. 

Nous  voudrions  y  ajouter  aujourd'hui  quelques  traits  et  éclairer  quelques 
points  restés  forcément  dans  l'ombre. 

Parti  à  la  recherche  des  restes  du  docteur  Rutemberg,  massacré  parles  naturels 
du  pays  d'Ambre,  le  voyageur  allemand  J.-M.  Hildebrandt,  mort  lui-même 
k  la  peine  dans  la  grande  île,  explora  la  côte  ouest  en  1879  et  1880. 

Il  écrivit  d'Hellviile  (Nosi-Bé)  à  M.  Virchow  pour  lui  rendre  compte  de  sa 
mission  ;  le  professeur  académicien  fit  b  l'Académie  des  sciences  de  Berlin,  au 
nom  dUIildebrandt,  le  19  décembre  1879,  une  communication  où  nous  relevons  te 
passage  suivant  :  «  J*ai  découvert  ici  (Nosi-Komba)  un  lieu  de  sépulture  des 
Sakalaves',  qui  se  trouve  dans  les  interstices  des  rochers  de  la  côte,  formant 
des  sortes  de  grottes,  à  un  endroit  presque  inaccessible  dans  les  profondeurs 
éloignées  du  littoral.  Les  Sakalaves  de  ce  pays  choisissent  en  général  des  lieux 
semblables  *.  Ces  lieux  sont  «  fadi  »  (tabou)  pour  les  étrangers,  tandis  que  les 
Sakalaves  visitent,  à  certaines  époques,  les  reliques  de  leurs  ancêtres  et  leur 
font  des  offrandes  Ainsi  j'ai  trouvé  des  vases  de  parfums,  des  bouteilles  pleines 
de  rhum,  etc. 

«  Les  cadavres  (vingt  environ  en  cet  endroit)  sont  en  grande  partie  enfer- 
més dans  des  cercueils  ;  et,  en  général,  on  a  employé  à  cet  usage  la  moitié  d'une 
pirogue  préalablement  recouverte. 

u  L'ouverture  formée  par  la  coupe  opérée  transversalement  est  fermée  avec  une 
planche  de  bois.  Cette  planche  est  munie  d'une  poignée  :  il  est  à  présumer 
qu'elle  est  retirée  pendant  les  cérémonies  et  qu'alors  le  squelette  devient  visible. 
Le  crâne  est  placé  à  l'entrée. 

«  Un  des  cadavres,  —  qui  paraissait  avoir  été  placé  1&  récemment,  —  était 
entouré  d'un  vêtement  de  lames  de  bambous,  aplaties  en  planchettes,  qui  l'en- 
fermaient complètement.  » 

Ce  passage  méritait  d'être  reproduit,  parce  que  Hildebrandt  est  bien  le  pre- 
mier et  le  seul  jusqu'ici,  à  notre  connaissance,  qui  ait  découvert  et  signalé,  à 
Madagascar,  ce  singulier  mode  de  sépulture,  consistant  à  employer  comme 
cercueil  la  moitié  d'une  pirogue  coupée  en  deux  transversalement. 

Sans  quitter  les  Sakalaves,  citons  quelques  traits  des  funérailles  d'un  chef 
chrétien,  empruntés  au  R.  P.  Taix  (Ann.  de  la  Prop.  de  la  Foiy  t.  XLII  (1870) 


Il  MonaUbericht  der  A.  Preuss.  Akad.  der  Wisientch.  su  Berlin,  Pebniar  1880,  p.  113. 

Nosi-Komba  se  trouvant  à  la  côto  nord-est,  noas  serions  plutôt  porté  à  croire  qu'il  s'agissait  de 
sépultures  antankares. 

21  Voy.  Bev.  arEthnog.  t.  V,  n*  3,  p.  2fS-216,  cas  analogue  cité  par  M.  Grandidier;  cercueil 
de  bois  rapporté  par  M.  Germinet  de  Nosv-Loapasana  (ilc  du  Sépulcre,  baie  de  Diègo-Suarez),  et 
t.  VI,  n*  1,  p.  8,  le  cas  que  nous  citons  d'après  M.  Victor  Marin-Darbel  :  «  Sur  la  cote  nord-ouest 
de  la  baie  Mahajamba,  dit  cet  offlcier  de  marine,  nous  avons  examiné  une  grotte  naturdle  remplie 
de  débrist  de  cercueils  en  bois  tombant  mi  poussière,  et  de  squelettes.  » 


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464  VARIÉTÉS 

p.  375')  :  «  Au  jour  de  la  sépulture,  les  parents  du  défunt  revêtent  le  corps 
de  plusieurs  lambas  ou  tapis,  évalués  en  moyenne  à  vingt-cinq  francs  chacun. 
On  met  dans  la  bouche  du  mort  autant  d*argent  qu'elle  en  peut  contenir,  et  on 
place  auprès  de  lui  les  objets  les  plus  précieux  qu'il  a  acquis  dans  sa  vie.  Du- 
rant trois  od  quatre  jours,  on  chante,  on  fait  de  la  musique  devant  la  bière 
richement  ornée,  tandis  que  les  parents,  accroupis  dans  un  coin,  semblent  plon- 
gés dans  la  plus  profonde  consternation.  C'est  cependant  un  jour  d'orgueil 
pour  la  famille,  et  elle  tient  à  tout  ce  mouvement  plus  qu*à  la  vie.  On  tue  des 
bœufs,  des  moutons,  de  la  volaille  pour  nourrir  les  visiteurs  qui  viennent  en 
foule  pleurer  quelques  minutes,  et  qui,  de  leur  côté,  offrent  aux  parents  un  peu 
d'argent  en  cadeau,  chacun  selon  ses  moyens.  Le  temps  du  deuil  dure  jusqu'à 
la  sépulture,  pour  laquelle  on  attend  d'ordinaire  que  le  cadavre  soit  près  de  la 
décomposition  et  qu'on  ne  puisse  plus  le  garder  dans  la  maison  ;  alors  seule- 
ment on  se  résout  à  le  mettre  dans  le  tombeau  en  pierre  qui  lui  est  préparé.  » 

Au  début  de  cette  description,  le  P.  Taix  signale  la  coutume  de  remplir  la 
bouche  du  mort  d'autant  d'argent  qu'elle  en  peut  contenir  :  c'est  également  la 
première  fois  que  nous  rencontrons  mention  de  pareil  fait  à  Madagascar. 

Hildebrandt,  cité  plus  haut,  pénétra,  en  juin  1879,  dans  un  village  Antankor- 
rana  Nosi-na-Ândiana,  sur  la  côte  ouest,  non  loin  du  cap  Saint-Sébastien,  l^es  fils 
du  chef  qui  le  reçurent  «  s'excusèrent  de  ne  pouvoir  le  recevoir  dans  un  cos- 
tume plus  soigné  :  il  y  avait  un  cadavre  dans  le  village  et  ils  devaient  se  vêtir 
le  plus  simplement  possible.  » 

u  Je  dus  bientôt,  raconte  le  voyageur  allemand*,  faire  connaissance  plus 
intime  avec  ce  cadavre  par  l'ouïe,  par  la  vue  et  par  l'odorat.  Il  se  trouvait 
étendu  dans  le  village,  sous  un  petit  toit,  sur  des  pieux  d'environ  i^,^  de 
haut,  fourchus  à  la  partie  inférieure,  les  pieds  plus  bas  que  la  tête.  Il  était  là 
depuis  six  jours  et,  par  suite,  en  complète  décomposition.  On  Tavait  dépouillé 
de  ses  vêtements,  mais  non  lavé,  puis  revêtu  d'une  enveloppe  de  planchettes 
de  bambou  indépendantes  les  unes  des  autres,  mais  reliées  entre  elles  par  des 
fils  de  raphia.  Ces  liens  sont,  à  partir  du  troisième  jour  après  la  mort,  resserrés 
plus  étroitement  chaque  jour  et  si  solidement  que  la  chair  décomposée  se  résout 
en  un  liquide  qui  s'écoule  par  les  interstices  ou  les  fentes  et  se  déverse  goutte 
à  goutte  dans  un  fossé  profond  de  50  centimètres.  C'est  une  horrible  puanteur 
tout  alentour  ;  mais  personne  ne  peut  faire  un  geste  de  dégoût,  ni  se  boucher 
le  nez,  ni  cracher  ;  sinon  il  devrait  être  mis  à  mort  «  selon  la  coutume  ».  On  ne 
peut  vraiment  reprocher  à  ces  gens  de  s*enivrer  jour  et  nuit  pour  supporter 
pareille  épreuve.  Le  boire  et  le  manger  jouent  naturellement  un  grand  rôle 
dans  les  cérémoaies  funéraires...  On  tire  des  coups  de  fusil,  tant  qu'on  a  de  la 
poudre.  Au  chevet  du  cadavre  flambe  sans  cesse  un  feu  ;  auprès  des  épaules 
et  des  pieds  sont  placés  des  brûle-parfumn,  où  Ton  consume  de  la  résine.  La 
nuit  trois  hommes  couchent  tout  près  du  cadavre,  un  de  chaque  côté  et  le  troi- 
sième perpendiculairement  aux  pieds. 

«  Quand  les  ressources  de  la  famille  du  mort  sont  épuisés  par  les  festins, 
(cela  dure  souvent  jusqu'à  deux  mois),  on  place  les  restes  du  cadavre  dans  un 

1)  Et  reproduits  dans  Mélutine,  t.  III,  col.  461-2. 

i)  Zeitschrift  der  Geseil.  fur  Érdkunde.  Berlin,  i880,  n*  86,  p.  275  et  %(\{\. 


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^  NOTES   SUR   MADAGASCAR  465 

cercueil,  formé  d'un  canot  (lakka)  coupé  en  deux  par  le  milieu,  perpendiculai- 
rement à  la  quille.  Ce  fut  le  cas  le  deuxième  jour  après  mon  arrivée.  Quatre 
amis  portèrent  le  cercueil  à  Taide  de  branchages  sur  leurs  épaules.  Ils  cou- 
rurent en  avant  aussi  vite  que  possible,  suivis  de  tout  le  peuple  qui  tir«dt  des 
coups  de  fusils  et  poussait  des  clameurs. 

«  Dans  le  fond  du  cercueil  est  pratiqué  un  trou,  qui  laisse  échapper  le 
liquide  putride.  On  m'assure  de  divers  côtés  que  les  esclaves  d'un  roi  mort 
devaient  se  frotter  et  se  barbouiller  le  visage  avec  cet  horrible  liquide.  Un  roi 
est-il  mort,  on  ne  prononce  plus  son  nom  ;  on  ne  dit  pas  :  «  il  est  mort  %  » 
mais  «  le  pays  est  dévasté.  »  Est-il  malade,  on  dit  :  «  il  est  brûlant.  »  Chaque 
sujet  qui  apprend  l'état  brUlant  de  son  roi  doit  lui  apporter  un  présent.  On 
dit  que  les  rois  sont  rarement  en  bonne  santé.  L'héritier  du  trône  est  toujours 
Taîné  des  fils  ;  les  Antankarana  n'accordent  jamais  la  couronne  à  une  femme, 
fait  qui  se  produit  souvent  au  contraire  chez  les  Sakalaves.  Ce  que  laisse  le 


1]  On  nous  excusera  de  citer  ici  quelques  notes  que  nous  avons  publiées  sur  ce  sujet  dans  Mélu- 
sine,  t.  III,  col.  416-417  : 

u   COLTB  DtS  aiUQVIS  BT  POUYOIB  BOYAL 

u  Kadama  !•'  (roi  des  HoTas,)  qui  connaissait  bien  l'importance  de  cette  place  [Majonga,  port  très 

•  fréquenté  de  la  cdte  nord-ouest],  s'y  rendit  avec  son  armée  en  18S4.  Apr^s  de  nombreux  combats 
•«  avec  les  belliqueux  Sakalaves,  il  s'empara,  par  trahison,  dit-on,  du  fort  et  ensuite  do  la  ville  fortifiée 
->  qu'il  brûla.  Mais  les  Sakalaves  se  soulevaient  touiours.  Alors  quelqu'un  donna  à  Radama  le  con- 

•  seil  d'apporter  dans  le  fort  les  membres  sacrés  au  vieux  roi  des  Sakalaves  oui  étaient  placés  au 
H  sommet  d'une  colline  voisine.  Ce  conseil  fut  suivi  et  les  Sakalaves  firent  leur  soumission  no 
N  pouvant  pas  combattre  celui  qui  possédait  leurs  plus  grandes  reliones  *  ..  » 

M  Cet  exemple  est  typique  pour  celui  qui  connaît  la  haine  inexpiaole  que  le  Sakalave  a  vouée  au 
llova,  l'instinct  farouche  d'indépendance  du  premier  et  les  horrioles  massacres,  pillages  et  incen- 
dies, œuvre  du  second.  U  fallait  que  le  respect  sacré  du  Sakalave  pour  les  reliques  de  son  roi  fût 
bien  rrand  pour  qu'il  sa  rendit  enfin  à  son  mortel  ennemi,  le  Hova. 

«  M.  Mann-Darbel,  lieutenant  de  vaisseau,  qui  commandait  le  Boursaint  dans  ces  parages  en 
18S5,  a  recueilli  de  la  bouche  même  d'une  reine  Sakalave  diverses  traditions  et  entre  autres  celle 
que  nous  venons  de  dter.  Mais  son  impression  était  plus  compliquée  :  il  voulut  bien  nous  en  faire 
part.  D'après  lui,  il  résultait  de  ses  conversations  et  observations  personnelles  qu'il  fallait  attacher 
une  idée  plus  mystérieuse  à  ce  fait  qui  marqua  dans  l'histoire  du  peuple  sakalave.  Ils  ne  se  sou- 
mirent pas  simplement  par  un  culte  oanal  pour  les  reliques  de  leur  roi«  mais  parce  que,  dans  leur 
esprit,  la  royauté  est  à  celui  qui  possède  ces  reliques  :  une  sorte  de  droit  divin  qui  s'attache  à  celui 
qui  les  a  en  sa  possession. 

€  CABAcrkax  bkugibl'X  du  bbspbct  knvcbs  lb  cnar 

«  Nous  sommes  amené  naturellement  par  ce  qui  précède  à  dter  quelques  autres  preuves  singu- 
lières du  caractère  religieux  que  revêt  le  respect  envers  le  chef. 

«  La  fidélité  au  chef,  au  niaitre,  d'où  dépend  la  solidité  du  système  féodal,  est  très  grande  ches 
«  les  Malgaches  :  elles  n'est  pas  seulement  dans  leurs  mœurs,  elle  semble  foire  partie  de  leurs 
M  principe*  religieux.  Dans  leurs  rapports  avec  eux,  les  Européens  ont  eu  souvent  à  s'étonner  de 
«•  la  force  de  ce  sectiment...  Ce  respect  pour  le  chef  continue  après  sa  mort  d*une  manière  assez 
«  bizarre.  Son  nom  de>ient  sacré  ;  on  ne  doit  plus  le  prononcer,  serait-il  un  des  mots  les  plus 
.  usuels  du  langage.  Ainsi,  les  Sakalaves  de  Nosi-Bé  ont  cessé  d'employer  le  verbe  orne  :  donner, 
.  parce  qu'il  entre  dans  le  nom  de  leur  ancienne  reine  Tsi-ome*ko  (Je  no  donne  pas).  Cet  usage 
u  est  sans  doute  une  des  raisons  qui  ont  produit  les  différences  du  langage  à  Madagascar**.  » 

M  Un  auteur  plus  récent,  également  bien  renseigné,  nous  rapporte  une  autre  coutume  se  ratta- 
chant à  la  personne  royale  ;  elle  fait  honneur  à  l'habileté  des  chefs  malgaches  qui  l'ont  implantée 
et  elle  a,  croyons-nous,  le  mérite  d'être  difficile  à  retrouver  ailleurs. 

c  La  personne  royale  est  sacrée,  non  pas  seulement  pour  les  sujets,  mais  même  pour  le  soldat 

•  qui  sert  dans  le  camp  opposé.  Un  roi  ne  peut  être  atteint  que  par  le  roi,  son  adversaire,  avec  lequel 

u  seul  U  doit  se  mesurer  en  combat  singulier Si  un  guerrier  s'oubliait  et  oubliait  ses  devoirs  au 

u  point  de  diriger  intentionnellement  son  arme  contre  le  roi  ennemi,  le  malheureux  serait  à  l'instant 
u  mis  à  mort,  (Tordre  de  ses  chefs,  et  tous  les  siens  subiraient  le  même  sort  que  lui.  Ainsi  le  renient 

•  les  lois  de  la  guerre,  faites  assurément  par  les  rois  dans  un  intérêt  bien  compris  de  conservation 
M  personnelle  et  acceptées  par  toutes  les  peuplades  indistinctement**'.  » 

•)  Zeiischrift  der  GetelUchaft  fur  Erdkunde  su  Berlin,  1880,  p.  91.  J.-M.  Hildebrandt,  Wett- 
Madagaskar-  Beiseskizse, 

**)  Architfeê  coloniales. — Mémoire  manuscrit  par  G.  Delagrangc,  gouverneur  de  Sainte-Marie  de 
Maoagascar,  1855.  Voy.  sur  le  même  sujet  Grandidier,  loc.  cit.,  p.  224. 

***)Bev.  marit.  et  col.,  octobre  1882.  Notes  sur  Madagascar.  (Ch.  intitulé  :  Quelque*  coutumes 
des  Sakalaves  de  la  côte  occidentale.) 


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VARIÉTÉS 


mort,  quand  c^est  un  simple  Ântankarana,  est  partagé  également  entre  ses 
enfants,  Ois  et  filles.  L'atné  seul  est  avantagé.  La  hutte  d'un  mort  est  détruite 
et  transportée  dans  la  forôt,  souvent  aussi  brûlée  ;  mais  le  village  n*est  pas, 
comme  chez  les  Sakalaves,  abandonné.  » 

Un  autre  voyageur  allemand,  Aurel  Sohulz,  alla  vers  la  môme  époque  à  la 
côte  sud-ouest  ;  il  visita  les  États  de  Resoumaneiri,  roi  des  Antanosses  émigrés, 
aux  environs  de  Tulléar.  «  Les  tombeaux  sont  très  longs,  dit-iP,  formés 
d'amas  de  pierres  dressées  avec  soin,  sous  lesquels  les  morts  reposent.  J*ai 
vu  aussi  des  sépultures  de  terre  sur  lesquelles  s'élevait  une  croix  de  bois  ;  sur 
les  deux  branches  de  la  croix,  des  colombes  très  facilement  reconnaissables 
étaient  sculptées  dans  le  bois.  A  Textrémité  de  la  partie  verticale  étaient  placées 
des  cornes  de  bœufs  ' Quelqu'un  vienUl  à  mourir,  ses  proches  manifestent 

1)  Zeiîaehrift  fur  Ethnolog.  Berlin,  1880.  Sitzungbor.  p.  i92. 

2)  Que  siniifie  cette  juxtaposition  de  symboles  et  de  fétiches  ?  Nous  avons  essayé  dans  Mèluaine 
{loe.  cU.)  (M  démêler  cet  écheveau  mi-païen,  mi-chrétien  : 

«  pbrsistaucb  dbs  tuaditioms 
c  Voici  un  curieux  exemple  de  la  sttr>'ivance  des  traditions  indigènes  à  l'introduction  des  pra- 
tiques chrétiennes.  11  arrive  ainsi  aux  peuples  néophytes  de  ereffer  Tune  sur  l'autre  arec  le   plus 
ffrand  sérieux,  dans  un  rapprochement  parfois  comique,  la  religion  apportée  d'outre-roer  et  le  culte 
légué  par  les  ancêtres. 


Fig.  69.  —  Champ  funéraire  (d*après  Leguénel  de  Lacombe). 

c  Chez  la  plupart  des  tribus  de  Madagascar,  Ton  place  sur  la  tombe  du  mort,  des  pieux  où  sont 
enfilés  les  crânes  des  bœufs  tués  à  l'occasion  des  funérailles,  ou  bien  l'on  plante  ces  crânes  armés 
de  cornes  dans  le  sol  même.  (Voy.  Fiç.  69.)  Le  voyageur  étonné  rencontre  souvent  des  champs  hérissés 
do  cette  singulière  végétation.  Témoin  ce  passage  d  un  chant  populaire  parmi  les  Hovas  au  commence- 
ment de  ce  siècle  •,  inUtulé  La  OuerredeMoéli  •*.  u  Mais  le  lendemain...  après  que  leslott/ouro*ar«  ■•• 

*)  Ant.  de  Fontmichel,  Nouv.  Ann.  dâi  Voyages,  1821, 

*')  Moéii  ;  une  des  lies  Comores. 

***)  Loulouvokart  :  vampires,  la  quatrième  des  sept  sortes  d'esprits  de  la  mythologie  malgache, 
dont  parle  Placourt  {Hist,  de  la  Grande  Me  de  Mad,  Paris,  1661,  ch.  xvii),  —  oui  après  la 
mort,  reprennent  vie,  courent  les  bois  et  les  lieux  solitaires  et  se  font  voir  la  nuit  aux  hommes. 


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NOTES    SUR   MADAGASCAR  467 

leur  douleur  en  tirant  des  coups  de  fusils,  eu  chantant  et  en  dansant.  Le 
cadavre  est  porté  au  tombeau,  placé  à  la  suite  de  Pâmas  de  pierres  déjà  décrit 
et  recouvert  de  pierres.  De  la  sorte,  les  tombeaux  8*étendent  indéfiniment  en 

longueur,  et  j*en  ai  vu  quelques-uns  qui  mesuraient  jusqu'à  cent  mètres 

Bien  remarquable  aussi  la  coutume  de  répandre  sur  les  tombeaux  tous  les 
débris  de  vaisselle  cassée.  » 

Nous  donnons  ici  (Fig.  70),  un  croquis  reproduisant  ces  singuliers  monu- 
ments mégalithiques  que  les  voyageurs  rencontrent  sur  la  route  de  Tamatave 
à  Ântananarivo,  véritables  menhirs  de  plusieurs  mètres  de  hauteur,  que  les 
Hovas  entourent  d'une  vénération  superstitieuse  et  qui  sont,  disent-ils,  le  tom- 
beau u  des  maîtres  de  la  terre  »,  du  temple  primitif  de  Madagascar,  des 
Vazimbas.  (Voy.  Rev.  d'Ethnog,,  t.  V,  m  5,  p.  407,  la  fig.  115,  et  p.  408). 


LES  VAZIMBAS 

Nous  avions  cru,  dans  nos  précédentes  études  (voy.  la  Revue,  t.  V^  n^  5, 
p.  410  et  note  3)  pouvoir  et  devoir  avancer  Thypothèse  de  Torigine  africaine 
des  Vazimbas,  malgré  l'opinion  contraire  de  M.  Grandidier. 

Sans  revenir  sur  ce  qui  a  été  dit  précédemment  *,  t.  VI,  n**  4,  à  propos  de  la 
tradition  Kimos,  nous  avons  un  nouvel  argument  à  Tappui  de  cette  thèse. 

A  la  page  405,  nous  montrions  l'identité  des  Vazimbas  et  des  Ontisatroua  et 
nous  citions  (p.  406,  note  2)  un  passage  de  Flacourt  :  «  J'aurois  bien  parlé 
d'une  nation  que  l'on  m'a  dit  avoir  esté  autres  fois  dans  l'isle,  laquelle  se  nom- 
mait Ontaysatroùha,  et  habitait  les  montagnes  qui  sont  entre  le  païs  des  Ana- 
ehimoussi  et  la  rivière  de  Ranoumene,  Cette  nation  n'avoit  aucune  communi- 
cation avec  ses  voisins,  mais  leur  faisoit  la  guerre,  se  servait  de  Varc  et  de  la 
flèche »  C'est  là  une  nouvelle  différence,  et  capitale,  avec  les  autres  peu- 
plades malgaches,  peuplades  d'origine  indonésienne*;  (les  Bara,  qui  habitent 


c  furent  rentrés  sous  leurs  tètes  de  bœufs  ;  alors  ou  vit..  »  C'est  ce  (fue  le  c  bonhomme  Homère  » 
disait  dans  une  langue  moins  franche  :  c  Quand  |>arot  Taurore  aux  doigts  de  rose...  »  —  <  Quelques 
«  familles  placent  auprès  des  rillages,  en  souvenir  de  leurs  morts,  des  poteaux  de  bois  portant  a 
«  leur  sommet  une  figure  humaine  ou  un  oiseau  grossièrement  sculptés  et  sur  les  diverses  faces  des 
dessins  plus  on  moins  réguliers  et  des  figures  d'animaux,  tels  que  bœufs,  oiseaux  et  surtout  croco- 
.  diles  *  ;  un  lambeau  de  toile  Planche  flotte  à  Textrémité  de  ce  poteau,  auquel  sont  en  outre  cloués 
M  les  frontaux  de  bœub  immolés  au  moment  dos  funérailles.  »  —  a  Autrefois  (chex  les  Hovas)  ou 
.1  déposait  sur  la  tombe  ou  tout  autour,  comme  cela  se  pratitiue  encore  chex  les  ÈetsUeo,  les  Bexano- 
xano.  etc.,  les  crânes  des  bœufs  tués  à  l'occasion  des  funérailles  **.  • 

u  ôr,  Toici  comment  d'ingénieux  Sakalaves,  convertis  au  christianisme,  ont  concilié  les  rites  chré- 
tiens avec  leur  antique  coutume  :  c  J'ai  vu  chex  les  Sakala%es,  dit  un  voyageur  allemand  (1879), 
u  des  sépultures  de  terre  sur  lesqueUes  s'élevait  une  erùie  de  boù  ;  sur  les  deux  brancbei  de  la 
«  croix  oes  colombe*,  très  facilement  reconnaissables.  étaient  sculptées  dans  le  bois.  A  l'extrémité 
«  de  la  partie  verticale  étaient  placées  des  corne*  de  hcBnf***.  » 

«  Assurément,  on  peut  discuter  sur  la  question  de  savoir  si  c'était  bien  des  colombe*^  les  colombes 
symboliques  de  la  religion  chrétienne,  ou  les  oiseaux  que  les  anciens  Malgaches  sculptaient  déjà 
sur  les  pieux  plantés  dans  le  sol  des  sépultures,  mais  reste  toi^ours  la  croix  surmontée  de  corues 
de  hcpuft.  • 

1)  iîeo.  d^Ethnog.,  p.  334-5. 

2)  Dans  le  Bulletin  de  la  Soc,  de  $éog.  (2*  série,  t.  II,  1839),  M.  Eug.  de  FrobervUle  publia  des 
«  Recherches  *ur  la  race  oui  habitait  Mttdagaiear  avant  l'arrivée  de*  Matai*  >  ;  il  y  cite  les 
papiers  inédits  de  Mayeur,  wterprète  de  Béniowsky,  et,  après  une  argumentation  fort  intéressante , 
conclut  à  l'origine  africaine  des  Vazimbas. 

*)  Dans  l'Extrême-Orient  (Archipel  Indien)  comme  à  Madagascar,  on  représente  des  crocodiles 
sur  les  monuments  funéraires. 

*•)  Grandidier.  loc,  ci/.,  p.  22S,  226,  229,  23t. 
•••)  Loc.  eit. 


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NOTES    SUR    MADAGASCAR  469 

dans  le  sud  de  Tile  une  immense  contrée  inexplorée,  mènent  une  existence  de 
nomades  pasteurs,  et  n'ont  pu  encore  être  vus  d'assez  près  pour  qu*on  puisse 
scientiQquement  déduire  leur  origine,  les  Bara  senties  seuls,  avec  ces  Outisalroua 
de  Flacourt,  à  se  servir  de  Parc  et  des  flèches).  En  effet  M.  Grandidier  disait  dans 
son  discours  à  llnstitut  {Madag.  et  ses  habitantSy  p.  18,  note  1)  :  «  Les  Mal- 
gaches comme  les  Indonésiens emploient  la  lance  à  la  guerre,  à  l'exclusion 

de  l'arc  et  des  flèches.  » 


MIGRATIONS  POLYNESIENNES 

Dans  un  de  nos  précédents  articles  {Rev,  d'Ethnog,  t.  V,  n®  5,  p.  416,  note  3, 
et  p.  425,  note  1),  nous  cherchions  à  expliquer  par  le  rôle  des  courants  et  en 
citant  des  exemples  analogues,  à  faire  admettre  comme  une  certitude  ce  fait, 
d'abord  étrange,  des  Malais  et  des  Indonésiens  traversant  des  espaces  immenses 
sur  leurs  frêles  esquifs  pour  venir  coloniser  Madagascar  ;  nous  citions  le  cas 
signalé  par  M.  Ten  Kate  d'une  colonie  mélanésienne  retrouvée  à  la  pointe  sud 
de  la  presqu'île  californienne. 

M.  G.  de  Varigny,  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes  du  !«'  septembre  1887 
(p.  184),  nous  fournit  un  nouvel  argument,  qu'on  nous  permettra  de  repro- 
duire ici  : 

«  Le  rôle  de  ces  grands  courants  (marins,  en  Océanie),  comme  agents  de  colo- 
nisation, n'est  pas  moins  important  (que  leur  action  sur  la  flore  océanienne). 
Il  n'est  pas  douteux  qu'ils  aient  contribué  au  peuplement  des  îles  situées  sur 
leur  parcours,  et  qu'ils  aient  à  plusieurs  reprises  entraîné,  des  rivages  asiatiques, 
des  barques  de  pêcheurs  surprises  au  large  par  des  bourrasques  subites.  J'ai 
pu  constater  le  fait  par  moi-même  k  Tlle  d'Oahu,  en  1860.  Une  jonque  japo- 
naise, emportée  par  le  courant  des  vents,  vint  échou<!r  à  l'extrémité  ouest  de 
l'île.  Elle  contenait  quatre  hommes  ei  trois  femmes  mourant  de  faim  et  de  soif. 
Recueillis  par  les  indigènes  et  transportés  à  Honolulu,  cinq  survécurent,  dont 
deux  furent  rapatriés  sur  leur  demande  ;  les  trois  autres  se  fixèrent  dans  leur 
nouvelle  patrie.  Non  seulement  les  annales  havaïennes  relatent  beaucoup  de 
faits  analogues,  mais  les  recherches  auxquelles  je  me  livrai  alors  et  celles  que 
je  fis  faire  plus  tard  et  que  facilita  ma  situation  de  ministre  des  affaires  étran- 
gères du  royaume  havaïen,  me  confirmèrent  dans  Tidée  que  la  Polynésie  a 
été  peuplée  en  grande  partie  par  les  indigènes  des  grands  archipels  de  la 
Malaisie. 

M  Entre  les  indigènes  de  Tahiti  et  ceux  de  Sandvdch,  séparées  par  mille  lieues 
de  mer,  l'analogie  de  langue  et  de  race  est  complète  ;  Torigine  commune  des 
deux  peuples  ne  saurait  faire  l'ombre  d'un  doute.  L'incident  que  nous  avons 
relaté  plus  haut,  et  dont  nous  avons  été  témoin,  nous  confirme  dans  la  pensée 
que  l'archipel  des  Sandwich  avait  été  colonisé  par  des  émigrants  involontaires 
du  même  grand  archipel  asiatique  qui,  plus  au  sud,  peuplaient  la  Micronésie 
et  la  Polynésie  méridionales.  » 

Max  Lbclbrc. 


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470  VARIÉTÉS 

'         '  ERRATA 

■■'..'"■ 

V.  t.  V,  n®  5  :  >•*  Les  Peuplades  de  Madagascar.  » 

P.  401,  ligne  17  :  langues  malaises^  lire  malayo-polynésiennes. 

P.  403,  ligne  21  :  ic  M.  Wake  voit,  —  il  est  seul  à  voir,  —  des  analogies 
profondes  entre  le  Cafre  et  le  Malgache.  »  En  effet,  son  opinion  ainsi  absolue 
exclusive,  est  fausse.  Un  certain  nombre  de  Cafres,  importés  comme  esclayes, 
ont  eu  cependant  une  influence  assez  grande  sur  le  type  de  certaines  tribus 
(voy.  plus  bas,  p.  411-412). 

P.  403,  ligne  47.  —  Voy.  plus  bas,  p.  408,  ligne  13. 

P.  408,  note  1.  —  Voy.  plus  bas,  p.  432,  note  2. 

P.  408,  note  3.  --  Voy.  p.  407  la  fig.  115. 

P.  410,  ligne  12  :  la  description  de  Leguével  de  Lacombe,  ajouter  :  confir- 
mant celle  déjà  faite  par  Flacourt  (citée  p.  406,  note  2). 

P.  411,  lignes  15,  16,  17.  —  Voy,  Revue  (TEthnog.,  t.  V,  n«  1,  p.  31, 
appendice  III. 

P.  415,  ligne  28.  —  Voy.  p.  423,  note  1. 

P.  416,  note  2.  —  Voyez  à  la  fin  du  deuxième  article,  t.  VI,  n»  1,  la  Cig.  3, 
p.  27. 

P.  420,  note  2.  —  Au  lieu  de  :  p.  20,  lire  p.  4/2. 

P.  421,  ûg,  116  (d'après  M.  Laillet),  lisez  :  (d'après  M.  Dés.  Charnay). 

Nous  avions  emprunté  cette  figure  à  un  livre  de  M.  Laillet,  —  très  nul, 
d'ailleurs,  —  qui  la  donnait  comme  originale  ;  or  elle  se  trouve  dans  la  collec- 
tion de  photographies  donnée  au  Muséum  par  M.  Dés.  Charnay  et  a  été  déjà 
publiée  par  lui  dans  le  Tour  du  Monde. 

P.  423,  note  1,  ligne  22  :  voy.  p.  414,  note  2,  et  la  fin,  p.  415. 

P.  423,  note  2  :  voy.  t.  VI.  n»  3.  Appendice  II,  p.  28  ^t  sq. 

P.  424,  ligne  22  :  plus  loin,  ajouter  :  p.  429,  note  5. 

P.  424,  note  1,  ligne  51  :  au  lieu  de  :  p.  /4,  lire  :  p.  4/2. 

T.  VI,  no  1.  . 

P.  6,  ligne  27  :  l'emplacement,  ajouter  :  probable. 

P.  19,  ligne  21  :  «  Les  Zaffi-Ibrahim,  habitants  de  Tile  Sainte-Marie  et  des 
terres  voisines.  »— Voir  la  carte  de  Grossin,  publiée  par  M.  G.  Marcel  (mémoire 
cité  Rev.  d'Ethnog,  t.  V,  n«  5,  p.  398-399  et  p.  419)  :  toute  la  côte  de 
Tamatave  où  la  baie  d'Antongil  est  marquée  comme  étant  occupée  par  les 
«  Zaffe-Hibrahim.  » 

P.  29,  ligne  15  :  au  lieu  de  :  sans  en  imposer,  lire  :  sans  imposer. 

P.  31,  ligne  19  :  au  lieu  de  Monastber,  Wre  Monalsber. 

T.  VI,  n»  4. 

P.  323,  au  titre  «  les  Pygmées  à  Madagascar  »  ajouter  t  par  M.  Max 
Leclerc. 


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REVUES    ET    ANALYSES 


LIVRES  ET  BROCHURES 

E.  Chantre.  Recherches  anthropologiques  dans  le  Caucase.  —  Paris, 
Ch.  Reinwald;  Lyon,  H.  Georg,  1885-1887,  5  vol.  gr.  in^,  avec  304  figures 
et  130  planches. 

Le  nom  de  M.  Chantre,  sous-directeur  du  muséum  de  Lyon»  est  bien  connu 
de  tous  ceux  qui  s*intéressent  aux  questions  préhistoriques.  Indépendamment 
de  nombreuses  notes  et  de  mémoires  plus  ou  moins  développés,  ce  savant  a 
publié  un  grand  ouvrage  consacré  &  Tâge  du  bronze  et  au  premier  âge  du  fer 
de  la  région  qu*il  habite  *.  Cela  même  Tavait  conduit  à  tourner  ses  regardsvers 
rOrient,  vers  cette  Asie  où  nos  études  nous  ramènent  chaque  jour  davantage,  à 
mesure  que  nous  pénétrons  plus  avant  dans  ce  lointain  passé,  dont  nos  pères 
n'avaient  pas  même  Tidée.  Il  avait  déjà  visité  la  Grèce,  l'Étrurie,  la  Scandi- 
navie, une  partie  de  la  Russie  du  nord  et  étudié  les  collections  réunies  dans  la 
plupart  de  nos  capitales  ;  il  voulait  aller  bien  plus  loin,  car,  pour  lui,  les  régions 
orientales  de  la  Méditerranée  n'étaient  qu'une  des  étapes  de  la  xaarche  suivie 
par  le  bronze,  des  confins  méridionaux  de  TAsie  jusqu'en  Europe. 

En  1879,  M.  Chantre  reçut,  du  ministère  de  l'instruction  publique,  une 
première  mission  pour  la  Russie  méridionale.  Accompagné  de  M.  de  Poust- 
cliine,  jeune  naturaliste  russe,  il  recueillit  une  première  série  d'observations 
anthropologiques  dans^la  vallée  de  Térek,  séjourna  à  Tiflis,  où  il  eut  à  sa 
disposition  toutes  les  collections  réunies  par  les  savants  russes,  et  revint  par  la 
mer  Noire  et  la  Crimée^  dont  il  étudia  les  dolmens  et  les  antiquités  grecques. 
—  Un  Rapport  détaillé  adressé  au  ministère,  fît  connaître  les  principaux  résul- 
tats de  cette  mission  *. 

Grâce  aux  recommandations  du  gouvernement  de  Saint-Pétersbourg,  grâce, 
sans  doute,  aussi  aux  sympathies  qu'il  sut  gagner,  M.  Chantre  reçut  dans  ce 
premier  voyage  l'accueil  le  plus  empressé  et  le  plus  libéral  des  autorités  locales 
et  des  savants.  Il  se  loue  en  particulier  de  Bayem,  dont  il  fait  à  diverses 
reprises,  un  éloge  qui  paraît  être  bien  mérité.  Disons  tout  de  suite  qu'il  en  a 
été  de  même  lors  de  sa  seconde  expédition. 

En  1881,  notre  compatriote  repartait  chargé  d'une  nouvelle  mission.  Il  était 
accompagné  cette  fois  de  deux  Français,  M.  le  commandant  Barry  et  M.  Don- 
nat-Motte,  préparateur  au  musée  de  Lyon.  Cette  fois,  pour  atteindre  le  Caucase, 

1)  Èiude»  paléoethnologiques  dans  i*i  baitin  du  Hhône  i  -^  Age  du  bronze  ou  origine  de  la 
métallurgie  en  France^  3  vol.  iii-4,  1875-1876,  avec  carte»  et  atlas  ia-lol.  —  Premier  âge  du  fer^ 
1  vol.  in-4,  1879. 

3)  Hecherehes  paléoethnologiques  daàa  là  BAssie  méidiôndU  ki  spécialement  aa  Caucase  et  en 
Crimée»  1881. 


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472 


LIVRES  ET  BROCHURES 


il  traversa  la  Syrie  septentrionale,  la  haute  Mésopotamie  et  atteignit  TArménie 
russe  par  les  hauts  plateaux  du  Kurdistan,  les  régions  du  lac  Van  et  TArarat. 
M.  Chantre  se  propose  de  publier  plus  tard  le  récit  de  ce  voyage  dont  il  a  seu- 
lement fait  connaître  quelques  résultats  dans  diverses  publications  *  mais  nous 
pouvons  dès  à  présent  juger  de  Timportance  de  ce  travail.  Le  voyageur  nous 
dit,  et  on  peut  Ten  croire,  qu'il  a  relevé  près  de  deux  mille  mensurations  cépha- 
lométriques sur  les  populations  arabes,   ansariés,  kurdes  et  arméniennes  et 


Fig.  11.  —  Jarre  pour  le  vin  en  Khakélie. 

rapporté  plus  de  cinq  cents  photographies  de  types,  de  monuments  ou  de 
paysages.  En  outre  cette  expédition  a  valu  au  muséum  de  nombreuses  collec- 
tions de  plantes  et  d'animaux,  dont  quelques-unes  ont  déjà  Tourni  les  matériaux 
de  mémoires  intéressants  *. 

M.  Chantre  atteignit  enfin  le  Caucase  et  y  reprit  ses  anciennes  études  anthro- 
pologiques et  archéologiques.  L'ouvrage  qu*il  vient  de  publier  fait  connaître  les 
résultats  de  cet  ensemble  de  recherches  et  cet  ouvrage   est  considérable.  Il 

1)  Aperçu  tur  les  caractères  ethniques  des  Amariés  et  des  Kurdes.  —  Vàge  de  la  pierre  et 
l'âge  du  bron%e  dans  VAsie  oedientale  (Bull,  de  la  Soc.  d'anthr.  de  Lyon,  188S).  ^  Bappcrt  sur 
tme  misston  scientifioue  en  Asie  occidentale  et  spécialement  dans  les  régions  de  VArarat  et  du 
Caucase  (Arch.  des  Miss.  fc.  et  litt,  1883).  —  La  nécropole  de  Kobanen^  Csséthie  (Mat.  pour 
l'Hisl.  prim.  et  Dat.  de  rHommc,  i882).  ^  Aperçu  sur  les  caractères  céphalométriques  des 
Ossèthes  (Bull,  de  la  Soc.  d'antbr.  de  LyoD,  1883). 

2)  Sauvage.  Catalogu»  dês  poissons  recueillis  par  M.  E,  Chantre  dans  son  voyage  en  Syrie, 
Mésopotamie,  Kurdistan  et  Caucase  (Bull,  de  la  Soc.  philom.  de  Paris,  1881).  —  Notice  sur  la 
faune  ichthyologique  de  tAsie  et  plus  particulièrement  sur  les  poissons  recueillis  par  Hf.  Chantre 
pendant  son  voyage  dans  cette  région  (Nouv.  Arch.  du  Mus.  d'hipl.  nat.  de  Paris,  1884). 


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RECHERCHES   ANTHROPOLOGIQUES   DANS    LE   CAUCASE 


473 


comprend  737  pages,  imprimées  avec  luxe  dans  un  format  très  grand  in-4, 
accompagnées  de  304  figures  intercalées  dans  le  texte  et  de  130  planches,  re- 
présentant une  foule  d'objets  (fig.7i),  des  types  humains  (Gg.  72-77)  et  un  certain 
nombre  de  têtes  osseuses.  Enfin  une  carte  de  Tisthme  ponto-caspien  et  une  carte 


Fig.  72.  —  Jeune  lillti  abkase  de  Soukoum  Kalé. 

ethnographique  du  Caucase  complètent  cet  ensemble  de  documents  figurés.  Le 
livre  de  M.  Chantre  est  divisé  en  quatre  tomes  ou  parties,  intitulées  Période  prd- 
historiquet  période  protohistoi^ique^  période  historique  et  populations  actuelles . 
J'aimerais  à  suivre  l'auteur  pas  à  pas  dans  Texposé  des  faits  qu'il  rappelle  ou 
nous  découvre.  Mais  une  grande  partie  de  son  ouvrage  est  essentiellement  du 
VI  32 


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474  LIVRES   ET    BROCHURES 

ressorl  de  Thistoire  ou  de  Tarchéologie  pure,  ci  je  dois  m'avouer  incompétent 
pour  en  juger.  Je  me  bornerai  donc  à  examiner  ici  ce  qui  est  relatif  à  l'an- 
thropologie proprement  dite  et  à  l'ethnologie,  sauf  à  emprunter  à  Fhistoire  ou 
à  Tarchéologie  les  renseignements  propres  à  éclairer  quelques  points. 

La  première  partie  du  livre  de  M.  Chantre  comprend  une  Préface  et  une 
Introduction.  Dans  la  première,  l'auteur  énumère  les  travaux  de  ses  prédéces- 
seurs et  les  caractérise  brièvement.  A  en  juger  par  le  nombre  des  noms  qui 
Ogurent  sur  cette  liste,  Ténumération  doit  être  bien  près  d'être  complète,  si  elle 
ne  Test  entièrement.  Toutefois  je  n'en  aurais  rien  dit,  si  je  n'avais  tenu  à 
signaler  les  réflexions  faites  par  l'auteur  au  sujet  des  voyages  et  du  livre  de 
Dubois  de  Monlperreux.  Il  parait  que  quelques  écrivains  français,  trop  fiers  de 
ieur  connaissance  de  la  littérature  étrangère  actuelle,  en  ont  oublié  ou 
méconnu  les  mérites  que  M.  Chantre  se  plaît  à  faire  ressortir.  J'ajouterai  que 
ses  remarques  à  ce  sujet  trouveraient  une  juste  application  ailleurs  qu'à  l'his- 
toire des  explorations  du  Caucase. 

Dans  son  Introduction,  M.  Chantre  passe  rapidement  en  revue  la  géogra- 
phie et  la  géologie  du  Caucase  ;  il  signale  quelques-uns  des  traits  qui  rap- 
prochent ou  distinguent  la  faune  et  la  flore  locales  des  faunes  et  des  flores 
européennes.  En  faisant 'connaître  la  position  géographique  des  populations 
principales,  il  montre  combien  leur  répartition  a  été  influencée  par  les  con- 
ditions orographiques.  Enfîn  Tauteur  résume  en  quelques  pages  les  notions 
hislcmques acquises  sur  ces  régions  depuis  les  Grecs  jusqu'à  nos  jours;  puis  il 
passe  à  ce  qui  fait  le  sujet  réel  du  livre  et  à  la  période  préhistorique. 

Pour  M.  Chantre  comme  pour  la  plupart  des  savants  qui  s'occupent  des 
questions  préhistoriques,  cette  période  se  divise  en  deux  âges  seulement,  celui 
de  la  pien^e  et  celui  du  bronze  *.  Le  premier  comprend  les  époques  paléoli- 
thique et  néolithique.  L'époque  paléolithique  n'a  jusqu'ici  fourni  que  des 
données  incertaines  relativement  à  l'existence  de  l'homme  au  Caucase  pen- 
dant les  temps  quaternaires.  Seule  la  grotte  de  Pigani,  sur  le  versant  méri- 
dional de  la  chaîne,  a  fourni  des  ossements  humains  associés  à  ceux  de 
Vursus  spelœus  et  de  quelques  autres  espèces  animales  encore  indéterminées. 
Tous  ces  ossements  ont  été  fendus  et  o.it  subi  l'action  du  feu.  Ces  faits 
pourraient  indiquer  des  restes  de  repas  de  quelque  tribu  anthropophage. 
Mais  la  grotte  n'a  pas  été  fouillée  avec  le  soin  et  la  méthode  qu'exige  l'état 
actuel  de  la  science  et  les  recherches  du  prince  Mossa  Chvili  demandent  à  être 
reprises. 

Il  est  à  remarquer  que,  d'après  les  renseignements  recueillis  par  M.  Chantre, 
on  n'a  encore  trouvé  au  Caucase,  ni  dans  cette  grotte,  ni  dans  les  terrains  sédi- 
mentaires,  tertiaires  ou  quaternaires,  explorés  pourtant  avec  soin,  aucun  de  ces 
outils  ou  armes  de  pierre  que  l'on  a  rencontrés  en  si  grande  abondance  sur  tant 
de  points  différents. 

La  présence  de  l'homme  au  Caucase  pendant  l'époque  néolithique  est  au 

i)  Ou  Mit  que  depuis  les  recberdies  de  M.  de  Pulxki,  bien  des  savants  admettent  un  âf/e,  ou  tout 
au  moins  une  époque  du  cuivre.  Je  rappellerai  aussi  nue  de?  ronsid/Tations  géologiques  et  arrbéo- 
logiques  m'ont  conduit  à  admettre  un  âge  du  chien,  place  entre  1  époque  puléoiilhique  et  l'époque 
néolithique. 


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RKCHERCHES    ANTHROPOLOGIQLES   DANS    LE    CAUCASE  475 

contraire  attestée  par  de  nombreux  restes  de  son  industrie.  On  a  recueilli  sur 
divers  points  des  objets  isolés*  couteaux,  grattoirs,  pointes  de  flèches,  haches, 
marteaux,  etc.,  on  a  constaté  depuis  longtemps  l'existence  de  nombreux  dolmens 
dans  cette  région  ;  et  Dubois  de  Montperreux  a  donné  de  la  distribution  des 
principaux  dans  le  nord-ouest  de  la  contrée,  une  carte  que  reproduit  M.  Chantre. 
Tous  ces  monuments,  dont  notre  auteur  donne  plusieurs  Ogures  empruntées  à 
Bayern,  ressemblent  entièrement  par  leur  forme  et  leur  dimension  &  ceux  que 
Ton  connaît  partout  ailleurs  et  jusque  dans  nos  contrées  occidentales.  Malheu- 
reusement ils  ont  presque  tous  été  violés  depuis  longtemps.  Un  savant  russe, 
M.  Félitzine,  qui  en  a  fouillé  un  très  grand  nombre,  n'a  trouvé  des  débris  de 
sépulture  que  dans  deux  seulement. 

Un  crâne  de  vieillard  entier  retiré  de  Tun  d'eux,  est  brachycéphale.  M.  Félit- 
zine  a  cru  pouvoir  en  conclure  que  ce  dolmen  remontait  à  l'époque  de  la  pierre 
polie  et  M.  Chantre  ne  fait  aucune  réflexion  à  ce  sujet.  Pourtant  la  question  me 
paraît  au  moins  douteuse.  En  Angleterre,  les  hommes  des  Long-BarrowSf  qui 
n'employaient  que  la  pierre,  étaient  tous  dolichocéphales.  Dès  que  les  brachy- 
céphales  viennent  se  mêler  à  eux  dans  les  Round- Barrows,  le  bronze  apparaît 
dans  les  sépultures.  Il  a  été  évidemment  apporté  par  les  derniers  venus.  Peut* 
être  de  nouvelles  recherches  montreront-elles  qu'au  Caucase,  comme  en  An- 
gleterre, ce  sont  les  brachycéphales  qui  ont  substitué  le  métal  à  la  pierre  polie. 

Les  régions  caucasiennes  ont  aussi  leurs  cités  lacustres  ;  et  M.  Chantre  aurait 
voulu  visiter  celles  dont  Bayern  a  signalé  l'existence  au  lac  Paléostrom.  Mais 
il  fut  arrêté  par  les  premiers  accès  d'une  fièvre  violente  contractée  dans  ce  delta 
qu'il  traite  de  pestilentiel,  et  dont  il  a  souffert  longtemps  après  son  retour  en 
France.  On  voit  que  notre  missionnaire  a  payé  lui  aussi  le  tribut  si  rarement 
épargné  aux  voyageurs  et  Ton  doit  lui  savoir  doublement  gré  de  conquêtes 
scientifiques  achetées  aux  dépens  de  sa  santé. 

Le  chapitre  relatif  à  Vdge  du  bronze  est  en  entier  consacré  à  des  faits  et  à  des 
discussions  purement  archéologiques.  Je  ne  m'y  arrêterai  donc  pas.  Notons  seu- 
lement que  M.  Chantre  combat  victorieusement  l'opinion  de  quelques  antiquaires 
qui  ont  voulu  voir  dans  les  montagnes  de  la  Transcaucasie  le  foyer  métallurgique 
primitif,  d'où  le  bronze  se  serait  répandu  à  la  fois  en  Europe  et  dans  l'Asie  occi- 
dentale. En  effet,  si  le  Caucase  possède  de  nombreuses  et  riches  mines  de 
cuivre,  jadis  exploitées  à  Taide  de  haches  et  de  marteaux  en  roches  dures 
(diorite  et  quartzite),  Télain  y  fait  entièrement  défaut.  Or  les  deux  métaux  sont 
nécessaires  pour  faire  du  bronze.  Il  faut  donc  reporter  plus  loin  et  probablement 
dans  l'Inde  selon  MM.  de  Mortillet  et  Chantre,  le  point  où  cet  alliage  a  été 
obtenu  pour  la  première  fois.  D'autres  savants  ont  placé  ce  point  dans  les 
régions  ouralo-altaïques.  Toutefois  les  renseignements  publiés  par  Baër  en 
1876  et  par  M.  OgorodnikofT  en  1886,  sur  des  mines  d'étain  du  Khorassan 
qui  avaient  été  signalées  déjà  par  Strabon  et  qui  sont  encore  exploitées  au- 
jourd'hui, permettraient  sans  doute  de  regarder  comme  étant  moins  éloi- 
gnée du  Caucase  la  région  capable  de  fournir  de  l'étain  aux  anciens  métallur- 
gistes '. 


I)  JVmprunto  ce»  donnée!»  au  :»vant  i*t  curicut  travail  de  M.  Berthelot  luisant  partie  du  premiei* 
volume  de  la  Collection  des  aneieni  alchttniêtes  precs^  p.  226. 


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476  LIVRES  ET    BROCHURES 

Au  reste  je  ferai  remarquer  que  le  travail  de  M.  Andrée  sur  ce  qu'il  a  appelé 
le  polygénisme  métallique  a  placé  la  question  sur  un  terrain  tout  nouveau  et  que 
rindustrie  du  bronze,  comme  celle  des  autres  métaux,  peut  fort  bien  avoir  eu. 
non  pas  un  seul  foyer  primitif,  mais  plusieurs.  Cela  même  expliquera  sons 
doute  un  jour  comment  ont  pu  se  produire  à  ce  sujet  des  opinions  différente.'', 


Fîg.  73.  —  Lesghien  de  Gounib  (vu  de  profil,. 

qui,  en  fin  de  compte,  se  trouveront  également  fondées.  J'ajouterai  que  Texis- 
tence  au  Caucase  de  mines  de  cuivre  exploitées  avec  des  outils  de  pierre, 
autorise  à  penser  que  dans  cette  contrée,  comme  en  Autriche,  en  Espagne,  en 
France  même,  T&ge  du  bronze,  a  été  précédé  par  une  époque  où  Thorome  utili- 
sait à  Tétat  de  pureté  celui  des  deux  métaux  qui  fait  le  fond  de  cet  alliage. 

M.  Chantre  revient  sur  la  question  du  bronze   en  abordant  l'étude  de  sa 
Période  prolohistorique.    J'ai  dit  ailleurs  pourquoi  cette  appellation  me  parait 


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RECHERCHES   ANTHROPOLOGIQUES   DANS   LE  CAUCASE 


477 


devoir  être  repoussée'.  Elle  semble  supposer  un  commencement  de  données 
historiques  positives,  qui  en  réalité  font  à  peu  près  toujours  défaut.  Je  préfére- 
rais celle  de  Fremier  âge  du  fer^  qui  sert  de  sous-titre  à  cette  partie  de  l'ou- 
vrage et  qui  la  comprend  tout  entière;  car  l'auteur  n'indique  aucune  division 
dans  cette  période. 


i  ig.  74.  —  Lesgliien  de  Gounib  (tu  de  face). 

Ici  les  documents  de  toute  sorte  deviennent  plu  s  nombreux  et  se  prêtent  à  des 
appréciations  plus  précises.  D'une  part  les  industries  se  sont  perfectionnées  et 
présentent  des  caractères  spéciaux;  d'autre  part,  les  populations  ensevelissent 
leurs  morts,  au  lieu  de  les  brûler  ;  et  les  tombes  inviolées  livrent,  à  ceux  qui 

1)  Préface  à  l'ouTrage  de  M.  E.  Cartailhac,  intitulé  :  Les  âges  préhiîtoriques  de  VEipagne  et 
dm  Portugal, 


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478  LIVllES   ET   BROCnUUES 

les  fouillent,  des  restes  humains  que  Tanthropologiste  peut  étudier.  De  vastes 
nécropoles,  remontant  à  cet  âge,  ont  été  découvertes  et  exploitées  déjà  au  g^rand 
proBt  de  la  science  ;  elles  gardent  peut-être  bien  des  découvertes  intéressantes 
aux  explorateurs  futurs. 

On  a  signalé  au  Caucase  plus  de  vingt  localités  où  se  trouvent  des  tooQ beaux 
méritant  d'attirer  l'attention  des  archéologues.  Mais  tous  ne  sont  pas  du  même 
ftge.  M.  Chantre  ne  regarde,  comme  pouvant  être  franchement  rapportées  au 
premier  âge  du  fer,  que  celles  de  Koban,  Samthavro,  Kazbek,  Kislovodosk, 
Gori  et  Redkine-Lager.  La  plupart  des  autres  datent  des  temps  historiques  ;  naais 
il  en  est  aussi  où  se  trouvent  réunis  des  objets  appartenante  deux  époques.  En 
outre,  les  tombes  sont  parfois  superposées,  comme  à  Samthavro  où  Ton  trouye 
jusqu'à  quatre  assises  distinctes  remontant  à  divers  âges.  Depuis  quelques 
années  ces  mines  de  documents  ont  été  exploitées  par  les  savants  russes.  Mal- 
heureusement les  fouilles  n'ont  pas  toujours  été  exécutées  avec  les  précautions 
désirables  ;  et  parfois  il  est  résulté  de  là,  dans  les  collections,  un  mélange 
d'objets  de  dates  dilférentes  pouvant  induire  en  erreur. 

M.  Chantre  n'a  pas  exploré  par  lui-même  toutes  ces  nécropoles,  mais  il  a 
exécuté  des  fouilles  dans  quelques-unes  des  principales  et  il  Ta  fait  avec  tout  le 
soin  et  la  méthode  dont  Texpérience  a  démontré  la  nécessité^  Il  a  pu  ainsi 
corriger  les  méprises  échappées  à  ses  devanciers  et  apporter  un  contingent  im- 
portant de  documents  nouveaux  et  précis.  En  outre,  toutes  les  collections 
recueillies  précédemment  ont  été  mises  à  sa  disposition  avec  une  libéralité  cor- 
diale, qu'il  ne  manque  jamais  de  signaler.  Cette  abondance  de  matériaux  Ta 
conduit  adonner  plus  de  développement  à  cette  partie  de  son  livre.  A  elle  seule, 
la  période  du  premier  âge  du  fer  comprend  223  pages  de  texte,  184  tigures 
intercalées  et  un  atlas  de  67  planches. 

On  comprend  que  je  ne  saurais  suivre  M.  Chantre  dans  les  détails  qu'il 
donne  sur  l'histoire  d'une  dizaine  de  ces  stations  et  sur  les  milliers  d'objets 
qu'on  a  retirés.  Je  me  borne  à  dire  quelques  mots  de  celle  de  Koban,  une  des 
plus  intéressantes,  des  plus  complètement  explorées  et  à  laquelle  les  recherchas 
personnelles  de  M.  Chantre  viennent  donner  une  importance  spéciale. 

Koban  est  un  petit  village  ossèthe  dont  la  nécropole  occupe  environ  deux 
hectares.  Rien  ne  révèle  au  dehors  l'existence  des  anciennes  tombes,  qui  sont 
ensevelies  dans  une  couche  de  terre  de  un  à  trois  mètres  d'épaisseur.  Il  y  a  une 
quarantaine  d'années,  une  inondation  ravina  le  terrain  et  en  mit  quelques-unes 
à  découvert.  Le  propriétaire  du  champ,  M.  Kanoukoff,  comprit  l'intérêt  que 
devait  présenter  leur  contenu.  Il  commença  bientôt  des  fouilles  qu'il  a  conti- 
nuées depuis.  Il  a  exploré  plus  de  cinq  cents  tombeaux  et  recueilli  plus  de 
vingt  mille  objets,  dispersés  aujourd'hui  dans  diverses  collections  et  dont  un 
certain  nombre  figurent  dans  nos  musées  du  Trocadéro,  de  Saint-Germain  et 
de  Lyon. 

M.  Chantre  a  ouvert  vingt-deux  de  ces  sépultures.  Dix  d'entre  elles  lui  ont 
permis  de  reconnaître  exactement  la  structure  des  tombeaux  et  la  disposition  du 
mobilier  funéraire.  Les  tombes  consistent,  tantôt  en  une  caisse  formée  de  dalles 
brutes,  tantôt  en  un  rectangle  (ait  de  gros  cailloux.  Elles  ne  sont  pas  orientées. 
Les  corps  sont  couchés  parfois  sur  le  dos,  plus  souvent  sur  le  côté,  dans  la  posi- 
tion d'un  homme  endormi.  Sept  croquis,  dessinés  par  l'auteur,  montrent  ces 


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RECHERCHES  ANTHROPOLOGIQUES  DANS  tE  CAUCASE      479 

dispositions  et  la  manière  dont  sont  distribués  les  divers  objets  ensevelis  avec 
le  cadavre. 

Notre  missionnaire  a  étudié  tous  ces  objets  et  en  a  figuré  plusieurs  centaines; 
il  les  a  comparés  aux  objets  de  même  nature  regardés  comme  caractéristiques 
de  notre  premier  âge  du  fer  européen  ;  il  a  fait  le  même  travail  pour  les  autres 
stations  indiquées  plus  haut.  De  toutes  ces  comparaisons,  il  a  tiré  une  conclu- 
sion d*une  importance  capitale  ;  savoir  que,  à  part  un  petit  nombre  d*exceptions 
soigneusement  signalées,  Tindustrie  et  les  arts  du  premier  âge  du  fer  caucasien 
présentent  la  plus  étroite  ressemblance  avec  ce  que  Ton  connaît  en  Europe;  si 
bien  qu'à  Koban,  à  Samthovro,  à  Kazbek,  etc.,  on  trouve  des  incrustations  du 
fer  dans  le  bronze,  comme  en  Suisse  et  en  Autriche;  des  poignards  en  fer  à 
antennes  identiques  avec  ceux  de  Hallstatt  et  ceux  des  tombes  du  Tarn  et  du 
Doubs;  des  torques  semblables  à  ceux  de. la  Bosnie  et  du  Jura;  des  ceintures 
estampées  en  bronze  mince,  des  épingles,  des  fibules,  des  pendeloques  que  Ton 
croyait  être  spéciales  au  Tyrol  et  à,  quelques  contrées  voisines;  des  brassards 
en  spirales  rencontrés  fréquemment  dans  les  tombes  de  la  Bourgogne,  des 
Alpes  et  de  la  vallée  du  Danube,  etc. 

M.  G.  de  Mortillet  a  proposé  de  désigner  le  premier  âge  du  fer  européen  pa^ 
l'éphitète  d'Hallstattien  empruntée  au  nom  d'une  station  célèbre.  M.  Chantre 
l'appelle  l'âge  Kobanieriy  lorsqu'il  s'agit  du  Caucase.  Il  a  eu  raison  d'agir  ainsi. 
En  adoptant  une  dénomination  unique  et  commune  aux  deux  régions  pour  dési- 
gner les  temps  où  le  fer  commence  à  se  mêler  au  bronze  en  Europe  et  en  Asie, 
on  aurait  semblé  admettre  un  synchronisme  qui  bien  probablement  n'a  pas 
existé.  Sans  doute  il  y  a  eu  des  relations  étroites  entre  les  populations  dont  les 
manifestations  artistiques  et  industrielles  se  ressemblent  d'une  façon  si  frap- 
pante; mais  les  plus  éloignées  ont  bien  probablement  précédé  les  autres  dans 
cette  voie. 

Faut-ii  donc  regarder  le  Caucase  comme  la  région  où  serait  née  la  civilisa- 
tion dont  on  a  découvert  tant  de  curieuses  traces?  M.  Chantre  ne  le  pense  pas. 
C'est  dans  un  Orient  plus  lointain  et  encore  indéterminé  qu*il  faut,  selon  lui, 
chercher  le  foyer  primitif  de  ces  arts,  de  ces  industries  qui  se  sont  répandus 
dans  l'Europe  entière.  Cette  manière  de  voir  concorde  entièrement  avec  l'en- 
semble des  idées  que  j'ai  exposées  à  diverses  reprises  et  en  particulier  dans  un 
livre  publié  l'année  dernière  ^  Je  ne  puis  qu'être  heureux  de  voir  l'histoire  du 
bronze  venir  à  l'appui  des  conclusions  auxquelles  m'avait  conduit  l'étude  de 
l'âge  de  la  pierre. 

Les  ossements  humains,  contenus  dans  les  anciens  tombeaux  du  Caucase, 
sont  habituellement  très  mal  conservés,  et,  exposés  à  l'air,  ils  tombent  rapide- 
ment en  poussière.  Pourtant,  en  les  imprégnant  de  gélatine,  M.  Chantre  est 
parvenu  à  conserver  un  squelette  de  femme  et  six  têtes  osseuses  de  Koban, 
dont  il  donne  les  figures  et  les  mesures  principales.  La  longueur  des  fémurs 
du  squelette  indique  une  taille  d'environ  1"»,55,  chiffre  qui,  pour  une  femme 
doit  être  bien  près  de  la  moyenne.  Les  six  crânes  donnent  pour  l'indice  hori- 
zontal moyen  76,48.  Us  sont  donc  mésaticéphales  tout  en  se  rapprochant  de  la 
dolichocéphalie. 

1)  Introduction  à  f étude  des  racet  humaines. 


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480  LIVRES   ET   BROCHURES 

M.  Chantre  s*en  est  tenu  à  cette  dernière  observation.  Mais  le  tableau  des 
mensurations  placé  à  la  fin  du  chapitre  et  les  figures  de  Tatlas  renferment  des 
enseignements  dignes  d*étre  signalés. 

Sur  les  six  crânes  rapportés  par  notre  missionnaire,  cinq  ont  la  voûte  plus  ou 
moins  surbaissée  et  ce  trait  est  très  prononcé  sur  l'un  d'eux  dont  le  front  est 
très  bas.  En  revanche,  la  région  occipitale  inférieure  est  très  développée,  c*est 
un  peu  comme  si  Tensemble  de  la  botte  crânienne  avait  été  refoulé  d'avant  en 
arrière  et  en  bas.  Ces  crânes  rappellent,  par  leur  forme  générale,  ceux  de  cer- 
taines populations  se  rattachant  à  la  branche  finnoise  du  tronc  blanc.  Le 
sixième  crâne  présente  au  contraire  des  courbes  remarquables  par  leur  rég^ula- 
rite  et  leur  harmonie.  Ces  faits  sont  encore  trop  peu  nombreux  pour  que  Ton 
puisse  en  tirer  des  conclusions  positives;  mais  ils  suggèrent  Tidée  d*un  mélange 
ethnique  accompli  dès  cette  époque. 

La  face  manque  malheureusement  en  tout  ou  en  partie  à  quatre  de  ces  têtes 
osseuses.  M.  Chantre  n'a  pu  donner  que  trois  indices  orbitaires  et  deux  indices 
nasaux,  mais  les  nombres  qu'il  a  obtenus  n'en  sont  pas  moins  remarquables. 
Deux  des  indices  orbitaires,  pris  sur  les  têtes  à  crâne  surbaissé,  sont  très 
élevés.  L'un  d'eux  atteint  105,55.  Ce  caractère  tendrait  â  rapprocher  les  anciens 
Kobaniens  des  races  jaunes  actuelles.  Ce  même  indice  est  seulement  de  78,94 
dans  le  beau  crâne  dont  je  viens  de  parler;  et  celte  différence  justifie  encore  ce 
que  je  disais  de  la  différence  des  races. 

Les  indices  nasaux  sont  plus  curieux  encore  (61,91  et  71,87).  Le  plus  élevé 
arrive  presque  au  chiffre  maximum  trouvé  par  Broca  sur  plus  de  douze  cents 
tètes  osseuses  et  il  est  singulier  de  le  rencontrer  précisément  sur  la  tète  dont 
le  crâne  présente  les  belles  proportions  que  j'ai  signalées  plus  haut.  Le  plus 
faible  est  encore  bien  supérieur  à  l'indice  moyen  général.  Les  vieux  Kobaniens 
semblent  donc  devoir  prendre  place  dans  le  groupe  des  races  platyrrbîniennes 
qui  se  compose  aujourd'hui  exclusivement  de  nègres. 

La  forme  générale  du  crâne,  labsence  de  prognathisme,  les  indices  cépha- 
liques  et  orbitaires  ne  permettent  pourtant  pas  de  les  rattacher  à  ce  type,  et  il 
faut  admettre  qu'il  y  avait  chez  eux  une  juxtaposition  de  traits  caractéristiques 
vraiment  inattendue. 

Les  tètes  osseuses  deKoban  ont  une  importance  toute  spéciale,  en  ce  qu'elles 
nous  font  connaître  les  caractères  normaux  de  cette  antique  population.  Il  en 
est  de  même  d'un  certain  nombre  de  têtes  tirées  de  diverses  stations.  Mais, 
dans  la  plupart  de  ces  dernières,  et  en  particulier  à  Samthavro,  on  en  trouve 
aussi  qui  sont  fort  intéressantes  â  un  autre  point  de  vue.  Chez  celles-ci,  le 
crâne  a  été  déformé  artificiellement  ;  et,  dans  Tun  des  cas,  la  face  s'est  res- 
sentie des  manœuvres  employées  dans  ce  but. 

L'inspection  de  ces  têtes  permet  de  reconnaître  aisément  les  procédés  mis  en 
usage  pour  modifier  les  formes  de  la  boîte  crânienne.  Parfois,  une  large  ban  • 
delette  embrassait  tout  le  pourtour  de  la  tête  et  refoulait  le  crâne  en  arrière  et 
en  haut.  Mais  d'ordinaire  on  employait  deux  liens  prenant  leur  point  d'appui 
commun  sur  l'occipital.  L'un  passait  sur  la  région  frontale,  l'autre  sur  le  breg- 
ma  ou  dans  son  voisinage.  De  là,  résultaient  deux  dépressions  séparées  par 
une  saillie  antérieure,  parfois  très  accusée. 

La  coutume  des  déformations  crâniennes  a  persisté  au  Caucase  et  dans 


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RECHERCHES   ANTHROPOLOGIQUES   DANS   LE    CAUCASE 


481 


diverses  contrées,  plus  ou  moins  Toisînes,  A  la  suite  de  ses  mensurations  prises 
sur  le  vivant,  M.  CJyanlre  estime  h  prûportion  *hs  crânes  déformés  fi  38  0/0 
chesÈ  les  Armômena  du  KurdiEtan  et  chez  les  Ansariès,  h  60  Ô/O  chez  les  Koba* 
nirns  moclemes^  et  à  7^  0  0  dm  l<?^  Kurde?  <le  l'Araraï  et  du  hç  Van.  Il  n\-  ^ 


Fif ,  7Sp  —  KJievsoure  eu  aruiei, 

donc  rien  d'étrange  ïi  rencontrer  dans  des  lombes,  tlalant  du  divers  temps  his- 
toriqueSt  des  crânes  présentant  la  mOme  particularité.  On  sait  que  quelques^ 
uns  d^eiitre  euîTt  venant  de  Crimée,  ont  été  étudiés  dès  b  siècle  dernier,  par 
Olumenbach,  et  plus  réct^tument  par  Ralkê,  par  Ba*ir,  etc. 


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482  LIVRES    ET    BROCHURES 

Mais  ce  qu*il  importe  de  rappeler  a?ec  M.  Chanli-e,  c'est  que  des  crânes, 
déformés  de  la  même  manière,  ont  été  découverts  dans  presque  toute  l'Europe, 
et  jusqu'en  Angleterre.  Parmi  ceux  qui  ont  été  trouvés  en  France,  ceux  de 
Voiteur  (Jura)  et  de  Corveissiat  (Jura) ,  ont  été  décrits  par  Broca  '  et  par 
M.  Chantre  lui-même*  qui  a  montré  qu'ils  remontaient  au  premier  âge  du  fer 
de  nos  régions  occidentales.  Cette  diffusion  d'une  coutume  aussi  singulière  et 
l'emploi  de  procédés  évidemment  identiques  ont  naturellement  fait  penser  à  une 
importation  et  l'on  s'est  demandé  quel  peuple  avait  été  l'objet  de  cette  dissémi- 
nation. M.  Chantre  examine  cette  question  difficile,  sans  donner  une  conclusion 
bien  précise,  et  c'est  un  des  points  sur  lesquels  je  dois  m'avouer  entièrement 
incompétent. 

Mais  notre  missionnaire  aurait  pu  ajouter  que  TEurope  et  l'Asie  ne  possèdent 
pas  seules  des  têtes  osseuses  présentant  les  déformations  que  je  viens  d'indi- 
quer. Il  en  est  de  même  de  l'Amérique.  Les  crânes  d'Aymaras  ressemblent,  à 
s'y  méprendre,  aux  crftnes  les  plus  caractérisés  de  Samthavro.  N'y  a-t-il  là 
qu'une  simple  coïncidence?  Faut-il  admettre  qu'une  colonie,  partie  de  régions 
caucasiennes,  a  transporté  dans  le  haut  Pérou  la  coutume  et  les  procédés  de 
cette  déformation  crânienne?  Il  y  a  bien  peu  d'années,  cette  dernière  question 
aurait  paru  plus  que  paradoxale.  Peut-être  est-il  permis  de  la  poser  aujourd'hui. 
Plus  nous  pénétrons  dans  le  passé  des  diverses  populations  humaines,  plus 
nous  reconnaissons  combien  elles  ont  été  de  tout  temps,  et  comme  par  accès, 
mobiles  et  voyageuses.  Le  peuplement  de  l'Amérique  par  des  migrations  parties 
de  l'ancien  continent,  est  maintenant  admis,  même  par  despolygénistesautochto- 
nistes^.  Les  Caucasiens  ont-ils  fourni  leur  contingent  au  nouveau  monde? 
Ont-ils  emprunté  l'étrange  coutume  de  la  déformation  céphalique  à  quelque 
peuplade  plus  rapprochée  du  nouveau  continent  et  qui  aurait  été  la  souche  des 
Aymaras?  Les  uns  et  les  autres  ont-ils  eu  cette  peuplade  pour  ancêtre  commun* 
C'est  ce  que  l'avenir  nous  apprendra  peut-être. 

Je  ne  dirai  que  peu  de  chose  de  la  partie  du  livre  consacrée  par  M.  Chantre 
à  la  période  historique,  ou  mieux  aux  plus  anciens  temps  de  cette  période,  qui 
s'étendent,  pour  l'auteur,  du  vu''  siècle  avant  notre  ère  à  notre  vu*  siècle.  C'est 
là  pour  notre  auteur,  V époque  scytho-byzantine.  Ces  dix  siècles  sont  représentés 
au  Caucase  par  de  nombreuses  nécropoles.  Mais  notre  missionnaire  a  fouillé 
seulement  les  tombeaux  superposés  ou  juxtaposés  à  ceux  de  l'âge  précédent, 
dans  les  stations  de  Koban  et  de  Samthavro.  Toutefois,  grâce  à  la  libéralité  des 
savants  russes,  il  a  pu  profiter  de  tous  les  matériaux  et  des  documents  recueillis 
par  ses  devanciers,  les  réunir,  les  discuter  et  en  tirer  des  conclusions  person- 
nelles. Mais  ce  travail  est  essentiellement  historique  et  archéologique,  et  je  ne 
saurais  suivre  Fauteur  sur  ce  terrain. 

On  a  trouvé  de  nombreux  ossements  humains  dans  les  nécropoles  et  les 
kourganes  ou  tumuli  de  cette  époque.  Malheureusement  ils  ne  paraissent  pas 
avoir  été  étudiés  seuls,  MM.  Bogdanow  et  Tilchomiroff  ont  examiné  avec  soin 
diverses  séries  provenant  des  kourganes  du  nord  du  Caucase,  et  les  résultats  de 
leurs  recherches  ont  paru  dans  le  compte  rendu  de  congrès  de  Moscou  (1879)* 

\)  Bulletin  de  la  Société  d'anthropologie  de  Paris,  1864. 

2)  Première  àqes  du  fer,  tumulus  et  nécropoles,  1880. 

3)  précis  d'anthropologie ^  par  A.  Hotelacque  et  G.  Hervô.  1887. 


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RECHERCHES   ANTHROPOLOGIQUES    DANS   LE   CAUCASE  483 

Ce  travail  a  élé  publié  en  langue  russe.  M.  Chantre  eir  donne  une  analyse,  mais 
je  n'ai  pas  à  en  parler,  puisqu'il  n'appartient  pas  à  notre  missionnaire.  Je  dirai 
seulement  que,  aux  yeux  de  savants  moscovites,  les  crdnes  des  kourganes  dont 
il  s'agit  rappellent,  à  beaucoup  d'égards,  ceux  d'Alexandropol,  qu'avait  étudiés 
Baër  et  que  ce  dernier  regardait  comme  ayant  appartenu  à  des  Scythes  ou  à  des 
Tchoudes  ou ralo-al laïques. 

En  abordant  l'examen  des  populations  qui  habitent  aujourd'hui  le  Caucase, 
M.  Chantre  les  partage  d'abord  en  deux  grands  groupes  distincts.  Le  premier 
comprend  les  Caucasiens  proprement  dits;  le  second,  les  peuples  sporadiques 
au  Caucase.  Les  Caucasiens  sont  ceux  qui  ne  sont  représentés  nulle  part 
ailleurs  que  dans  cette  région;  les  sporadiques,  au  contraire,  ne  sont  que  des 
raction s  détachées  de  populations  plus  ou  moins  développées  sur  d'autres  points 
du  globe.  Notre  missionnaire  place  dans  cette  catégorie,  diverses  tribus  de  race 
ouralo-aitaïque,  sémitique,  iranienne  et  européenne.  Quant  aux  Caucasiens  pro- 
prement dits,  M.  Chantre  les  regarde  comme  formant  «  un  groupe  qui  doit 
avoir  la  même  valeur  que  ceux  qui  portent  les  noms  d'arien,  de  sémite  et  de 
mongol  ou  ouralo-altaïque  ».  Ici,  j'ai  le  regret  de  ne  pouvoir  partager  la 
manière  de  voir  de  notre  voyageur.  On  pourrait  peut-être  accepter  cette  équiva- 
lence entre  les  groupes  caucasien  et  ouralo-altaïque,  tel  que  M.  Chantre  com- 
prend ce  dernier.  Mais  les  groupes  aryen  et  sémite  ont  une  bien  autre  impor- 
tance. Ils  constituent  les  deux  principales  divisions  de  la  race  blanche,  les  deux 
plus  grandes  branches  du  tronc  blanc. 

Je  n'en  ai  pas  moins  reconnu  depuis  longtemps  que  les  Caucasiens  doivent 
former  un  groupe  distinct,  ayant  sa  place  dans  la  classiGcation'.  Mais  où  faut-il 
les  mettre  dans  un  cadre  méthodique?  La  ressemblance  que  j'ai  indiquée  plus 
haut,  comme  existant  entre  les  anciens  crûnes  du  Caucase  et  certains  crânes 
finnois,  en  ce  qui  touche  la  forme  générale,  pourrait  faire  songer  à  les  rattacher 
à  la  branche  finnoise.  Mais  les  caractères  de  la  face  ne  permettent  pas  de  faire 
ce  rapprochement.  Au  reste,  les  documents  que  nous  possédons,  sont  encore 
trop  peu  nombreux  pour  qu'il  soit  permis  de  conclure.  Je  préfère  donc,  jusqu'à 
nouvel  ordre,  laisser  les  Caucasiens  parmi  les  groupes  incertœ  sedis  et  en  faire 
un  rameau  de  la  branche  allophyle  du  tronc  blanc. 

M.  Chantre  partage  l'ensemble  des  Caucasiens  en  cinq  groupes  secondaires, 
savoir  :  le  groupe  Kanthévilien,  comprenant  entr'autres,  les  Grousiens  ou  Géor- 
giens; le  groupe  Tcherkesse,  auquel  il  rattache  les  Adighis;  le  groupe  Ossèthe, 
le  groupe  Tchétchène  et  le  groupe  Lesghien.  Pour  établir  ces  groupes,  notre 
missionnaire  a  consulté  surtout  les  caractères  physiques.  Le  premier,  il  a  eu 
l'idée  d'appliquer  sur  le  vivant,  à  l'étude  de  ces  populations,  les  procédés  scien- 
tifiques modernes.  Il  a  pris  plus  de  deux  mille  mesures,  sur  près  de  trois  cents 
individus,  appartenant  à  vingt  et  une  tribus  différentes.  Il  a  été  imité  par  le 
général  von  Erckert. 

Malheureusement  ce  dernier  n'a  pas  suivi  les  instructions  si  logiques  et  si 
sûres  qui  ont  fait  adopter  à  peu  près  partout,  le  mode  de  mensuration  de  Broca. 
Par  suite,  les  résultats  obtenus  par  les  deux  voyageurs  ne  sont  pas  toujours 
comparables.  Toutefois,  M.  Chantre  a  pu  utiliser  une  partie  des  nombres  donnés 

1)  Rapport  sur  les  progrès  de  l'anthropologie  en  France,  1867. 


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484  LIVRES   ET   BROCHURES 

par  M.  Erckert.  Il  y  a  jf^int  ceux  que  ses  prédécesseurs  avaient  recueillis  sur 
des  têtes  osseuses.  Enfin,  il  a  tenu  compte  des  analogies  et  des  diflérences  de 
mœurs,  de  coutumes,  etc.,  existant  entre  les  diverses  tribus. 

M.  Chantre  examine  successivement  tous  les  groupes  admis  par  lui  et  leurs 
subdivisions.  11  signale  pour  chacun  d'eux,  lorsque  les  documents  ezislent,  les 
caractères  physiques,  traits  du  visage,  couleur  des  cheveux  et  des  yeux,  etc.; 
les  caractères  ethnographiques,  vêtements,  parure,  armes,  etc.  ;  les  traits  essen- 
tiels de  mœurs,  de  coutumes,  etc.  Un  chapitre  spécial  est  toujours  réservé  à  la 
craniométrie.  Deux  sortes  de  tableaux  en  mettent  les  résultats  sous  les  yeux  du 
lecteur.  Les  uns  donnent  le  détail  des  mensurations  céphaliques  et  de  la  colora» 
tion  des  cheveux  et  des  yeux.  Dans  les  autres,  les  têtes  osseuses  sont  placées 
en  série,  de  manière  à  montrer  dans  quelle  proportion  sont  répartis  les  divers 
indices  caractéristiques.  De  nombreuses  figures»  insérées  dans  le  texte«  ou  fai* 
sant  partie  de  Tatlas,  complètent  cet  ensemble  de  renseignements.  A  peu  près 
toutes  sont  des  phototypies  et  constituent  par  conséquent,  autant  de  véritables 
pièces  justificatives. 

On  comprend  que  je  ne  saurais  suivre  M.  Chantre  dans  Texposé  de  cette 
foule  de  détails.  Je  serais,  forcément,  à  la  fois  très  incomplet  et  trop  long.  Je 
me  bornerai  donc  à  indiquer  quelques-uns  des  résultats  généraux  qui  ressortent 
de  ces  études. 

Bien  qu'ils  aient  été  établis  en  tenant  compte  de  tous  les  caractères,  les 
groupes  admis  par  M.  Chantre  sont  loin  d'être  homogènes  au  point  de  vue  phy- 
sique et  ne  coïncident  pas  toujours  avec  ceux  qu'on  a  voulu  fonder  sur  la  lin- 
guistique seule.  L'auteur  cite  comme  exemple  le  groupe  des  Karthévéliens.  Les 
langues,  les  traditions,  les  mœurs,  les  destinées  historiques  semblent  attester 
l'unité  ethnique  des  familles  qui  le  composent.  Pourtant,  des  Grousiens  aux 
Lazds,  l'indice  céphalique  moyen  varie  de  80,58  à  87,48.  L'histoire,  les  tradi- 
tions, les  légendes  font  comprendre  cette  diversité.  Toutes  s'accordent  pour 
nous  montrer  la  chaîne  caucasique  comme  ayant  servi  de  refuge  à  des  popula- 
tions errantes  ou  fugitives,  aux  vaincus  de  tous  les  peuples  qui  se  heurtaient 
dans  son  voisinage  et  se  disputaient  les  régions  moins  ftpres  placées  au  pied  de 
ses  deux  versants.  Un  immense  métissage  de  races  et  de  langages  s'est  donc 
accompli  dans  ces  montagnes.  Ce  mélange  remonte  au  moins  jusqu'à  ces  temps 
appelés  protohistoriques  par  M.  Chantre  et  quelques  autres  archéologues, 
mais  qui,  je  dois  le  dire,  me  paraissent  en  réalité  presque  aussi  préhistoriques 
que  l'âge  du  bronze  lui-même,  et  nous  en  voyons  le  résultat. 

Toutefois,  des  recherches  de  M.  Chantre  se  dégage  un  résultat  général  fort 
intéressant,  savoir  :  que  depuis  l'époque  la  plus  ancienne  à  laquelle  remontent 
nos  renseignements  jusqu'à  nos  jours,  la  forme  àes  ôrftnes  caucasiens  s'est  de 
plus  en  plus  modifiée  dans  le  sens  de  la  brachycéphalie.  C'est  ce  que  semble 
bien  attester  le  curieux  tableau  où  Tauteur  a  mis  en  série  dix-sept  indices 
moyens  pris  sur  autant  de  populations  anciennes  ou  modernes.  On  voit  cet 
indice  grandir  progressivement  d'âge  en  âge  depuis  71,55  (Samtbayro,  pro- 
tohistorique),  jusqu'à  86,48  (Ossèthes  de  Koban  modernes).  En  particulier»  les 
habitants  de  cette  dernière  localité,  aujourd'hui  brachycéphales  purs,  étaient, 
comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  presque  dolichocéphales  à  l'époque  protohisto- 
rique. 


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RECHERCHES   ANTHROPOLOGIQUES   DANS    LE  CAUCASE 


,483 


Tous  ces  faits  viennent  à  l'appui  d'une  opinion  admise  aujourd'hui  je  pense, 
par  la  plupart  des  savants,  opinion  que  j  ai  toujours  soutenue  et  que  M.  Chantre 


Fig.  76.  —  Mingréiien  des  environs  de  Koutaïs.  i 

a  également  adoptée.  Le  Caucase  n*a  pas  été  Le  point  d'origine  des  races  aux- 
quelles il  a  donné  son  nom,  il  n*a  pas  été  un  foyer  d'émigrations.  Bien  au  con- 
traire, il  a  reçu  de  toute  part  des  immigrants  de  toute  race,  parlant  des  langues 


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486  LIVRES   ET   BROCHURES 

diverses;  mais  en  pénétrant  dans  ces  hautes  vallées,  les  étrangers  y  trouvaient 
une  population  primitive  qui  les  avait  devancés,  avec  laquelle  ils  se  fondaient  et 
dont  ils  ont  plus  ou  moins  modifié  le  type  et  le  langage,  tout  eh  laissant  à 
celui-ci  ses  caractères  fondamentaux. 

Des  considérations  anatomiques  et  archéologiques  ont  porté  M.  Chantre  à 
penser  que  Ton  pourrait  aller  chercher  la  patrie  des  premiers  habitants  du  Cau- 
case dans  les  montagnes  du  sud  de  la  Perse  et  les  contrées  euphratiques  ou 
mésopotamiennes.  La  linguistique  conduirait  probablement  à  des  conclusions 
diiïérentes  ;  et  Ton  peut  regretter  que  M.  Chantre  ait  à  peu  près  entièrement 
négligé  cet  ordre  de  faits.  Sans  doute,  il  est  aujourd'hui  impossible  d'être  uni- 
versel. Mais  Tanthropologiste  anatomiste  peut  demander  aux  linguistes  les 
résultats  de  leurs  recherches;  et  la  comparaison  de  ces  résultats  avec  ceux  de 
ses  propres  études,  lui  fournit  bien  souvent  des  renseignements  qu'on  aurait 
tort  de  négliger.  Cette  remarque  générale  me  semble  pouvoir  s'appliquer  au  cas 
actuel. 

M.  Chantre  signale  à  maintes  reprises  divers  éléments  ouralo-altaïques,  ira- 
niens, sémitiques,  européens  comme  étant  venus  se  mêler  au  fond  primitif  dans 
le  Caucase;  et  ses  phototypies  justifient  souvent  ces  appréciations.  De  son  côté, 
M.  Maury,  nous  dit,  dans  son  excellent  petit  livre  intitulé  La  Terre  et  l'Homme  : 
«  La  famille  des  langues  caucasiennes  peut  être  regardée  à  la  fois  comme  un 
anneau  qui  lie  les  langues  indo-européennes  aux  langues  ougro-japonaises,  et 
comme  nous  offrant  une  première  phase  de  développement  des  idiomes  qui  de- 
vaient aboutir  aux  langues  iraniennes  ». 

On  voit  que  la  linguistique  et  l'étude  des  caractères  physiques  aboutissent  à 
des  conclusions  très  semblables  pour  le  fait  général. 

Toutes  les. langues  caucasiennes  en  sont  encore  à  l'agglutination,  c'est-à-dire 
à  la  seconde  forme  du  langage.  L'ossèthe  fait  seul  exception  à  cette  règle  géné- 
rale. Mais  M.  Chantre  lui-même  ne  voit  là  qu'un  fait  accidentel,  résultant  sans 
doute  de  quelque  invasion  qui  a  imposé  une  langue  iranienne  à  une  population 
d'ailleurs  franchement  caucasienne  par  ses  caractères  physiques. 

M.  Maury  insiste  sur  les  affinités  que  les  langues  du  Caucase  présentent, 
d'après  M.  Schiefner,  avec  les  langues  ougro-japonaises.  Le  touch^  dialecte  du 
khistéy  parlé  dans  la  vallée  d'un  affluent  du  Térek,  présente  des  ressemblances 
avec  le  manchou,  le  samoyède  et  même  le  thibétain.  Ce  dernier  langage  appar- 
tient à  la  grande  division  des  langues  monosyllabiques.  Les  langues  tcherkesses 
aussi,  d'après  M.  Maury,  conservent  des  traces  manifestes  d'un  monosyllabisme 
primitif;  et  il  est  à  remarquer  que  M.  Chantre  regarde  les  Tcherkesses  comme 
ayant  conservé  les  vieilles  mœurs  et  les  anciennes  coutumes  plus  qu'aucune 
autre  des  tribus  du  Caucase.  Ici  la  linguistique  se  rencontre  avec  l'ethno- 
graphie. 

Enfin,  toujours  d'après  M.  Maury,  les  langues  caucasiennes  se  rapprochent 
des  américaines  par  certains  traits. 

On  voit  que  toutes  ces  affinités  ramènent  la  pensée  vers  les  contrées  du 
centre,  du  nord  et  de  Test  de  l'Asie,  et  non  vers  la  région  du  sud-ouest,  où 
régnent  les  langues  à  flexion.  J'ajoute  que  les  traces  de  monosyllabisme,  cons- 
tatées par  les  linguistes  dans  les  langues  dont  il  s'agit,  tendent  à  faire  rejeter 
dans  un  passé  extrêmement  lointain  le  premier  peuplement  du  Caucase;  car  pour 


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RECHERCHES   ANTHROPOLOGIQUES    DANS    LE    CAUSASE  487 

si  haut  que  remontent  Thistoire,  les  traditions  ou  les  légendes  de  ces  mon- 
tagnes, elles  ne  mentionnent  rien,  je  crois,  qui  puisse  expliquer  ce  fait. 

D'après  le  dernier  recensement,  datant  de  l'année  actuelle  (1887),  et  cité  par 
M.  Chantre,  le  chiffre  total  des  diverses  populations  du  Caucase,  s'élève  en 
nombre  rond  à  six  millions  cinq  cents  mille  âmes.  Une  carte  ethnologique,  pla- 
cée à  la  fin  de  l'ouvrage,  en  montre  la  répartition  et  résume  une  foule  de  ren- 
seignements dispersés  dans  le  texte.  Entre  autres  elle  montre  bien  comment, 
dans  le  sud,  les  populations  ouralo-altaïques,  parsemées  de  nombreux  îlots  ira- 
niens, arrivent  jusqu'à  TiQis  et  entament  plus  ou  moins  profondément  l'aire  des 
Caucasiens  à  l'est  et  au  nord-est.  Elle  met  surtout  nettement  en  lumière  les 
résultats  de  la  guerre  si  héroïquement  soutenue  contre  la  Russie  par  Schamil  et 
ses  murides.  La  teinte  qui  représente  les  Russes  occupe  un  bon  tiers  de  la  sur- 
face totale  et  remplace  à  peu  près  complètement  les  couleurs  répondant  aux 
Tcherkesses  et  aux  Tchétchènes.  Ces  deux  groupes  ne  sont  plus  représentés 
que  par  quelques  rares  flots  isolés.  Encore  quelques  années,  nous  dit  M.  Chantrci 
et  ces  vieilles  races  auront  complètement  disparu  du  sol  qu'elles  occupaient 
naguère  entièrement. 

Je  ferai  pourtant  remarquer  qu'elles  n'auront  pas  été  anéanties  pour  cela.  On 
sait  qu'elles  ont  émigré  et  sont  allées  chercher  un  refuge  en  Turquie  chez  leurs 
coreligionnaires.  Certes,  les  espérances  qu'on  avait  fait  naître  chez  elles  ont  été 
trop  souvent  déçues,  les  promesses  qu'on  leur  avait  faites  ont  été  rarement 
tenues,  et  des  milliers  de  ces  émigrants  ont  péri  de  misère,  mais  d'autres  ont 
été  plus  heureux  et  se  sont  mêlés  aux  populations  de  l'Asie-Mineure.  Il  en  est 
qui  se  sont  groupés,  comme  dans  le  villayet  de  Sivas.  Là,  les  Kabardiens 
occupent  neuf  cent  soixante  et  dix  maisons,  contenant  de  douze  à  trente  ou 
quarante  individus  (Chantre),  ce  qui  permet  d'admettre  une  population  d'environ 
vingt  mille  âmes,  y  compris  les  esclaves.  Ces  exilés  ne  se  marient  qu'entre  eux; 
et  par  conséquent  conservent  intact  le  type  de  la  race.  A  coup  sûr,  ils  n'ont  pas 
renoncé  à  leur  langue  maternelle.  Ainsi  les  Tcherkesses,  les  Tchétchènes, 
éteint?  dans  leur  patrie  originelle,  seront  peut-être  un  jour  un  élément  im- 
portant de  la  population  qui  les  a  accueillis,  et  juxtaposeront  une  langue  cau- 
casienne aux  idiomes  de  la  Turquie  d'Asie.  Ces  faits,  accomplis  sous  nos 
yeux,  en  font  comprendre  bien  d'autres  que  présente  l'histoire  des  races  hu- 
maines, et  que  l'on  a  longtemps  regardés  comme  autant  d'énigmes  impossibles 
à  déchiffrer. 

.  Je  n'ai  pu,  dans  ces  quelques  pages,  donner  qu'une  idée  incomplète  du  livre 
de  M.  Chantre.  Toutefois,  on  a  dû  comprendre  ce  que  l'auteur  s  est  proposé.  En 
somme,  il  a  voulu  embrasser  l'histoire  complète  des  races  du  Caucase,  depuis 
les  temps  géologiques  jusqu'à  nos  jours.  Toutefois  s'il  rappelle  rapidement  les 
faits  historiques  proprement  dits  ou  légendaires,  c'est  essentiellement  l'ar- 
chéologie, la  craniométrie  et  l'élude  des  populations  vivantes  qu'il  interroge. 
Ainsi  comprise,  la  tâche  n'en  est  que  plus  difficile,  parce  que  les  documents 
font  trop  souvent  défaut,  aussi  l'auteur  met*>il  à  formuler  ses  conclusions  une 
réserve  que  le  lecteur  a  parfois  le  droit  de  trouver  trop  prudente.  Mais  il  a 
groupé  tous  les  documents  recueillis  par  ses  prédécesseurs;  il  en  a  ajouté  un 
grand  nombre  d'autres,  parmi  lesquels  il  en  est  d'importants  et  d'entièrement 
nouveaux,  il  a^  le  premier,  appliqué  aux  Caucasiens  la  méthode  des  mensura-» 


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Fig.  77.  —  Avar  de  GouDib. 


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LES   ÉTABLISSEMENTS   f^RANÇAlS   EN   OCÉANlE  48Ô 

lions  et  en  a  fait  comprendre  l'utilité.  Par  cet  ensemble  de  recherches  sur  les 
populations  anciennes  et  actuelles,  il  a  fourni  un  point  de  départ  solide  aux 
travaux  des  savants  qui  viendront  après  lui,  et  on  peut  dire  qu'il  a  posé  une 
assise  de  l'édifice  futur. 

A.  DE  QUATREFAGES. 


Marquer  (commandant).  Les  établissemen'     français  en    Océanie. 

(Société  Bretonne  de  Géographie.  Mars-avril  1887,  pp.  20-62.) 

La  conférence  faite  par  M.  le  capitaine  de  frégate  Marquer  à  la  Société  Bre- 
tonne de  Géographie,  le  22  août  dernier,  renferme  quelques  renseignements 
ethnographiques  intéressants  recueillis  par  cet  ofBcier  pendant  une  récente 
campagne  dans  l'Océan  Pacifique.  Les  modifications  introduites  dans  la  vie  des 
insulaires  de  Taïti.  depuis  l'arrivée  des  Européens,  y  sont  surtout  examinées 
avec  détail.  On  y  voit  qu'ils  ont,  par  exemple,  complètement  oublié  les  procédés 
qu'ils  employaientautrefoispourfabriquerleurs  vêtements.  «Jadis  ils  se  couvraient 
de  nattes  et  de  belles  étoffes  appelées  tapa,  faites  d'écorces  d'arbres,  non  tissées, 
mais  écrasées  sous  un  maillet  à  quatre  faces  cannelées.  Les  cannelures  variaient 
d'épaisseur  sur  chaque  face.  On  commençait  par  frapper  avec  la  face  à  grosses 
cannelures^  puis  on  passait  à  la  suivante,  ensuite  à  la  troisième  et  enfin  à  la 
dernière  dont  les  arêtes  étaient  fines,  à  fraises  saillantes  et  très  rapprochées. 
On  soudait  ensemble  plusieurs  écorces  par  le  martelage  aidé  d'aspersion  d'eau 
gommée  de  façon  à  faire  de  grandes  pièces  qu'on  illustrait  quelquefois  de 
feuillages  imbibés  de  teinture  rouge  et  imprimés  à  la  main  «.  Ce  travail  était 
exclusivement  réservé  aux  femmes,  et  comme  il  était  très  fatigant,  les  premiers 
missionnaires  anglicans  n'eurent  pas  de  peine  à  convaincre  les  naturels  qu'il 
serait  plus  décent,  plus  agréable  au  Seigneur  et  plus  profitable  à  Albion  et  à 
eux-mêmes  d'y  substituer  des  cotonnades  britanniques  '.  Aussi  aujourd'hui  le 
vêtement  fondamental  des  deux  sexes...  est  \epareo,  sorte  de  tablier  d'indienne 
qui  fait  une  fois  et  demie  le  tour  de  la  taille  et  tombe  jusqu'aux  genoux.  Les 
hommes  y  ajoutent  une  chemise  et  un  paletot,  les  femmes  une  bande  d'étoffe 
pour  soutenir  les  seins  et  une  longue  robe  dont  elles  relèvent  la  traîne  d'un 
geste  plein  de  grâce  et  de  modestie.  >»  Tout  le  monde  va  pieds-nus,  ajoute 
M.  Marquer  :  «  Le  roi  de  Taïti  est  le  seul  qui  mette  des  souliers  dans  la  vie 
ordinaire,  et  lorsque  dans  les  réunions  officielles,  les  princesses  chaussent  des 
bottines,  elles  sont  horriblement  embarrassées  et  ne  tardent  généralement  pas 
à  boiter  piteusement.  »  Elles  ne  portent  d'ailleurs  pas  de  bijoux,  et  elles  ont 
continué  à  s'orner,  comme  par  le  passé,  des  fleurs  de  tiare  ou  des  gerbes  du 
rêva  rêva.  «  En  môme  temps  que  l'industrie  des  tapas,  dit  encore  M.  Mar- 
quer, a  disparu  celle  des  outils  de  pierre.  Les  haches  antiques  se  trouvent 

1)  Le  musée  d'EUmographie  possède  deux  pièces  d'étoffe  ainsi  (abriqfuées.  L'une  dos  deux  vient 
de  M.  le  D'  R.  P.  Lessoo,  pour  lequel  elle  a  été  fabriquée,  et  dont  eUo  porte  le  nom  polynésien 
jReto. 

i)  Les  Taïtiennes  sont  si  paresseascs.  que  bien  que  leur  toilette  soit  des  plus  simples,  elles  ont 
toutes  une  machine  à  coudre. S 

V.  33 


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490  LIVRES   ET   BROCHURES 

encore  assez  facilement,  mais  reléguées  dans  quelque  coin  ou  tombées  à  Tétat 
de  pierres  à  repasser.  Seul,  le  penu  ou  pilon  de  pierre  sert  encore  à  broyer 
la  bouillie  et,  comme  on  a  cessé  d'en  fabriquer,  Toulil  se  fait  rare  et  les 
indigènes  le  cèdent  très  difficilement.  »  Les  anciennes  cases  ont  très  générale- 
ment abandonné  la  place  à  des  maisons  de  bois  garnies  de  vérandabs,  peintes, 
tapissées  et  meublées  à  l'européenne.  Les  grandes  barques  doubles  ont  dis- 
paru, mais  les  petites  pirogues  sont  restées  ce  qu'elles  étaient  jadis.  Tout 
Taïtien  est  charpentier,  et  Ton  voit  aujourd'hui  construire  à  Papeete  des  cotres 
de  huit  et  dix  tonneaux  sans  plan  et  sans  modèle.  L'outillage  de  pèche  a  peu 
changé,  le  hameçon  de  nacre^  la  boule  en  fragments  de  porcelaine  montée  sur 
un  axe  de  bois,  la  fouène,  etc.,  sont  à  peu  près  les  mômes  que  Bougaiuville  et 
Cook  rapportaient  au  siècle  de  leurs  expéditions. 

Les  anciennes  fôtes  ont  presque  toutes  disparu,  une  seule  des  danses  natio- 
nales s'exécute  encore  en  cachette,  c'est  la  upa-upa^  et  les  concours  à'hymenes 
ont  beaucoup  perdu  de  leur  ancienne  importance...  On  a  bien  souvent  signalé 
la  dépopulation,  qui  a  accompagné  à  Taïti  les  modifications  dans  la  vie  des 
indigènes,  que  nous  venons  de  rappeler  en  partie.  Il  n'est  pas  sans  intérêt  de 
faire  remarquer  avec  M.  Marquer  une  heureuse  modification  qui  s'est  produite 
depuis  quelques  années  dans  la  statistique  taïtienne.  Le  nombre  des  indigènes, 
qui  n'était  plus  que  de  7,212  en  1857,  dépasse  actuellement  S,000.  A  Moorea,  il 
y  a  1,400  insulaires,  à  Huahine  et  Tubuaï  Manu,  1,300,  à  Raïatea  1,400,  à 
Taha  800,  à  Bora  Bora  1,100  et  500  à  Maupiti.  On  en  compte  7,500  aux  îles 
Tuamotou  ;  les  Tubuai  en  ont  725  (il  n'y  en  avait  plus  que  450  en  1832).  La 
population  des  Marquises  est  évaluée  à  6,000,  celle  des  Gambier  à  600,  enBn 
celle  de  Bapa  à  170.  C*est  donc,  plus  de  30,000  habitants  que  comprennent  nos 
établissements  océaniens  ;  11,000  sont  catholiques  et  15,000  protestants. 

E.  H. 


Boas  (F.).  Census  and  Réservations  of  the  Kwakiutl  nation.  {Bull, 
of  the  American  Geogr.  Soc,  1887,  pp.  225-232.) 

Les  tribus  indiennes  de  la  Colombie  britannique  se  subdivisent  en  un  grand 
nombre  de  bandes,  qui  réclament  chacune  comme  leur  propriété  une  certaine 
zone  de  terrain  donnée  à  leurs  ancêtres  par  la  Divinité,  et  comprenant  générale- 
ment pour  chacune  d'elles  un  emplacement  pour  la  pêche,  et  des  districts  pour 
lâchasse  et  pour  la  récolte  des  baies  comestibles.  On  a  tenu  compte  autant  que 
possible,  dans  le  système  de  réservation  employé  dans  la  Colombie,  de  ces 
besoins  et  de  ces  traditions,  et  le  petit  travail  de  M.  Boas  fait  connaître,  avec 
carte  à  l'appui,  les  réserves  officielles  de  la  nation  Kwakiutl,  avec  la  capacité  de 
chacune  et  les  ressources  qu'elle  présente.  Cette  nation,  dont  les  habitants 
comptent,  suivant  les  statistiques.  1,889  à  2,264  individus,  est  divisée  en  dix 
groupes  occupant  la  côte  nord-est  de  Vancouver,  les  îles  voisines  et  les  entrées 
qu'elles  couvrent.  (Nahwitli,  Fort  Rupert,  Nahwartoq,  Mamalelequela,  etc.) 
Malgré  les  efforts  des  missionnaires  et  l'action  du  gouvernement,  ils  sont 


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ANCIENT   ROCK   INSCRIïrrlONS   IN   ËASTERN   DAKOTA  491 

demeurés  altacbés  avec  une  remarquable  ténacité  à  leurs  vieilles  coutumes  et  à 
leur  ancien  genre  de  vie,  et  s'adonnent  presque  exclusivement  à  la  pêche  et  à 
la  chasse.  E.  H. 


Gharencey  (H.  de).  Textes  en  langue  tarasque.  {Muséon,  1887.) 

La  langue  tarasque,  qui  est  celle  de  Tancien  Michoacan,  à  Touest  de  l'Ana- 
huac,  n'est  guère  connue  que  par  des  citations  empruntées  à  un  livre  du 
R.  F.  Angel  Serra,  imprimé  à  Mexico  en  1697  est  un  vieil  Arle  de  Lagunas 
devenu  fort  rare  et  dont  le  D'  Nicolas  Léon,  prépare  à  Morelia,  une  réimpres- 
sion. Cet  idiome,  dit  M.  de  Cfaarcncey,  ne  paraît  offrir  de  ressemblance  bien 
accusée  avec  aucun  des  autres  dialectes  du  voisinage  et  se  distingue  surtout 
par  la  douceur  de  sa  prononciation.  A  cet  égard,  ajoute  notre  collaborateur, 
il  pourrait  soutenir  sans  trop  de  désavantage,  la  comparaison  avec  le  chiapa- 
nèqu3  que  Ton  a  surnommé  l'italien  du  Mexique.  E.  H. 


Lewis  (T.  H.)  Ancient  Rook  Inscriptions  in  Eastem  Dakota.  {Ame- 
rican naturaliste  mars  1886). 

Les  inscriptions  découvertes  dans  la  réservation  des  Dakotas  Sisseton  et 
Wahpeton  et  figurées  par  M.  T.  H.  Lewis  dans  cette  courte  note  représentent 
grossièrement  des  empreintes  de  mains  ou  de  pieds.  Elles  sont  connues  sous 
les  noms  de  Thunder  BirdCs  Tracks  {les  traces  de  Voiseau  de  la  foudre)  et  de 
Thunder  Bird's  Track's  Brother, 

Voici  la  légende  qui  circule  au  sujet  de  ces  empreintes  parmi  les  Dakotas. 
Wakiyan  ou  Thunder-Bird  avait  son  nid  sur  une  motte  élevée,  formée  de  bois 
et  de  broussailles,  au  centre  d'une  gorge  large  et  profonde,  à  dix  milles  au 
nord-ouest  du  lac  Travers.  Un  jour  une  grande  tempête  inonda  tout  le  pays  ; 
Thunder-Bird,  chassé  de  sou  nid  par  les  eaux  qui  montaient  toujours,  s'envola 
furieux  et  vint  se  poser  sur  le  rocher  Wakiyan  Oye,  le  seul  endroit  qui  ne  fût 
point  couvert  par  les  eaux,  et  sur  lequel  il  laissa  Tempreinte  de  ses  pattes 
(Thunder  Bird's  Tracks)  retrouvée  et  dessinée  par  M.  T.  H.  Lewis, 

E.  H. 


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ACADÉMIES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES 


ASSOCIATION  FRANÇAISE  POUR  l^'AVANCERENT  DES  SCIENCES 
SESSION   DE   TOULOUSE. 


11*  SECTION.  —  Anthropologie. 

Comme  dans  les  sessions  précédentes  ce  sont  les  questions  d'anthropologr'C 
préhistorique  et  archéologique  qui  ont  la  plus  grande  place  dans  les  travaux  de 
la  section.  Cependant  quelques  communications  dont  nous  ne  donnerons  que 
kîs  titres  ont  abordé  des  questions  d'anthropologie  générale. 

M.  le  D^  TopiNARD  a  de  nouveau  fait  Texposé  des  conditions  nécessaires 
pour  mener  à  bien  une  enquête  sur  la  couleur  des  yeux  et  des  cheveux  en 
France. 

M.  le  D'  Fauvelle  a  traité  de  l'origine  ancestrale  de  Thomme  par  le  système 
dentaire  et  M.  G.  de  Mortillet  de  la  pénalité  au  point  de  vue  anthropologique 
et  archéologique. 

M.  l'abbé  DuiLHB  DE  Saint-Projet  a  présenté  une  note  sur  l'éducation  intel- 
lectuelle et  morale  d'une  enfant  sourde,  muette  et  aveugle.  L'observation  est 
fort  intéressante,  mais  les  conclusions  se  ressentent  du  caractère  môme  du  pré- 
sentateur. 

M.  Gross,  de  NeOville  (Suisse),  fait  l'histoire  des  falsifications  d'antiquités 
acustres  du  lac  de  NeuchdtcL  —  On  en  fabriquait  déjà  dès  l'année  1850  lors 
de  la  fouille  faite  à  la  station  de  Concise  (lac  de  Neuchâtel).  Elles  cessèrent 
lorsque  par  l'abaissement  du  niveau  des  lacs  de  Bienoe,  les  palafilles  furent 
mises  à  découvert  et  d'une  exploitation  relativement  facile.  Plus  tard,  lorsque 
les  fouilles  furent  terminées  et  que  les  stations  lacustres  ne  fournissaient  plus 
de  récoltes  surBsantes,  les  pêcheurs  se  mirent  à  confectionner  avec  de  la  matière 
première  trouvée  dans  les  stations  (cornes  de  cerf,  serpentine,  etc.),  des  objets 
imitant  ceux  qu'ils  avaient  trouvés  pendant  leurs  fouilles.  Ensuite  ils  confec- 
tionnéreQt  une  foule  d'objets  en  corne  de  cerf  de  type  «nouveau  recouverts  d'or- 
nements qu'on  n'avait  pas  observés  jusqu'alors.         « 

Les  contrefaçons  se  reconnaissent  à  leur  poli  exagéré  et  aux  stries  qui  les 
recouvrent  en  majeure  partie,  et  qui,  examinées  à  la  loupe,  ne  laissent  aucun 
doute  sur  l'emploi  d'instruments  modernes.  Entre  ces  objets  de  corne  et  de 
pierre»  on  a  rencontré  aussi  des  contrefaçons  de  métal.  Au  moyen  d'une  plaque 
de  cuivre  ces  pécheurs  ont  confectionné  des  poignards,  de  gros  boutons,  des 
amulettes,  etc.,  o'ojets  qui  se  distinguent  des  pièces  authentiques  par  leur  tra- 
vail grossier  et  leur  patine  artificielle.  Afin  d'éclairer  la  question,  la  société 
d'histoire  du  canton  de  Neuchâtel,  fit  faire  à  Cuvaillod  des  fouilles  sérieuses 
dirigées  par  un  de  ses  membres.  Elles  amenèrent  un  résultat  négatif,  c'est-à« 


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ASSOCIATION   FRANÇAISE   POUR   l'aVANCEMENT   DES    SCIENCES       193 

dire  que  les  ouvriers  ne  retirèrent  aucun  objet  semblable  à  ceux  qui  doivent 
avoir  été  trouvésidans  le  môme  emplacement  par  les  faussaires. 

M.  le  D'  Delisle  fait  observer  que  les  pièces  de  métal  présentées  par 
M.  Gross  ne  témoignent  pas  en  faveur  de  Thabileté  des  faussaires.  Ils  se  sont 
servi  de  cisailles  et  n'ont  pas  fait  de  retouches  et  selon  M.  G.  de  Mortillet  on  a 
tort  de  trop  révéler  les  imperfections  des  pièces  fausses. 

D»  Prunièrbs.  Castors  de  VXmérique  du  Nord,  du  Kansas,  etc.,  travaux 
des  rongeurs.  —  Il  y  a  seize  ans,  M.  le  D^  Prunières  annonça  à  la  Société  d'an- 
thropologie de  Paris  que  la  légendaire  ville  engloutie  du  lac  Saint-Andéol  n'était 
qu'une  cité  de  castors.  Cette  découverte,  niée  au  début,  finit  par  être  acceptée, 
mais  la  science  de  salon  nia  encore  obstinément  et  lorsqu'elle  dut  se  rendre,  elle 
continua  à  jeter  le  trouble  dans  les  esprits  en  ne  cessant  d'affirmer  que  s'il  y  a 
eu  des  castors  au  lac  Saint-Andéol,  il  y  a  eu  certainemet  aussi  une  cité  lacustre 
ou  au  moins  un  temple  quelconque  pour  l'adoration  du  lac,  etc. 

M.  le  D'  Pru.nières  continua  cependant  ses  recherches  et  ses  études  compa- 
ratives. Pour  cela  il  s'est  fait  envoyer  des  têtes  de  castor  et  des  bois  rongés, 
non  seulement  du  Kansas,  mais  encore  de  l'Extrème-Nord  Amérique,  des  bords 
du  lac  de  l'Esclave,  etc. 

Toutes  ces  pièces,  il  les  présente  à  la  section  d'anthropologie,  en  même 
temps  que  d'autres  bois  extrêmement  ramollis,  mais  admirablement  conservés 
qui  ont  été  extraits  des  blancs -fonds  du  lac  Saint-Andéol. 

Les  copeaux  détachés  par  les  castors  américains,  comme  ceux  qui  proviennent 
de  Saint-Andéol  où  ils  sont  en  quantité  prodigieuse,  sont  absolument  iden - 
tiques. 

M.  Prumères  fait  remarquer  que  les  incisions  sur  les  bois  américains  comme 
sur  les  vieux  bois  de  l'Aubrac  sont  parfois  très  étroites,  cela  tient  à  l'âge  de 
l'animal  :  les  petits  castors  font  avec  leurs  étroites  incisives  des  rainures  qui  ne 
sont  pas  plus  larges  que  celles  faites  par  les  gros  rats  et  à  cette  occasion 
M.  Prunières  montre  plusieurs  têtes  de  rongeurs  de  tailles  diverses  recueillies 
dans  les  dolmens  avec  les  os  qu'ils  ont  rongés. 

Les  bois  rongés  sont  ordinairement  des  bois  blancs,  mais  les  castors  ron- 
geaient aussi  le  chêne  comme  ils  le  font  encore  aujourd'hui  au  Kansas  :  d'ailleurs 
les  grands  chênes  du  lac  Saint-Andéol  sont  identiques  à  ceux  extraits  des  lacs 
de  la  Suisse  et  qu'on  peut  voir  au  musée  de  Saint-Germain. 

M.  le  D'  PoMUEROL  demande  à  quelle  époque  les  castors  du  lac  Saint-Andéol 
ont  vécu  et  ont  fait  les  constructions  dont  vient  de  parler  M.  Prunières.  A 
propos  des  pèlerinages  qui  se  font  encore  au  bord  du  lac,  il  parle  de  ce  qu'ont 
dit  les  auteurs  au  sujet  du  lac  de  Toulouse.  A  cette  époque  ancienne,  les  lacs  et 
les  sources  étaient  l'objet  d'un  culte  spécial. 

M.  le  D^  Prunières  dit  que  les  processions  autour  du  lac  se  font  de  plus  en 
plus  rares.  Elles  se  faisaient  d'après  certains  rites.  11  ne  lui  est  pas  possible  de 
donner  une  date  pour  l'époque  de  l'existence  des  castors  qui  n'existaient  plus 
déjà  à  l'époque  romaine. 

M.  le  D'  Delisle  donne  quelques  renseignements  sur  l'ancien  lac  de  Toulouse 
dans  lequel  les  Tectosages  qui  avaient  accompagné  le  Brennus  en  Grèce,  jetè- 
rent les  trésors  provenant  du  pillage  du  temple  de  Delphes,  pour  apaiser  les 
dieux  irrités. 


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494  ACADÉMIES   ET  SOaÉTÉS   SAVANTES 

D'  Prunièrbs.  Fouilles  de  trente  tumuli  de  la  Lozère,  —  Au  congrès  de 
Clermont  en  1876  et  à  celui  de  Rouen  en  188i,  M.  le  D'  Prunières  communi- 
qnait  ses  premières  recherches  dans  les  tumuli  des  causses  lozériens.  Depuis, 
il  a  fouillé  trente  tumuli  dans  les  communes  de  Sainte-Enimie,  Chanas,  Lava], 
Saint-Georges  et  Massegros.  Un  seul,  celui  de  Rocherousse  a  été  fouillé  sur  la 
rive  droite  du  Lot,  dans  la  commune  d'Esclahèdes  dont  ie  plus  grande  partie 
appartient  encore  au  causse  de  Sauveterre.  Ce  dernier  tumulus  a  donné  une 
très  belle  épée  en  bronze  avec  sa  bouteroUe  et  ses  rivets  de  bronze  à  la  poig-née, 
correspondant  à  l'aine  du  mort,  au  niveau  de  la  main  droite,  tandis  que  la  pointe 
était  au  côté  droit  de  la  tête.  Un  beau  vase  en  terre  reposait  derrière  la  tète  qui 
était  à  Torient  avec  les  pieds  à  l'occident.  Ce  fut  à  Toccasion  de  celte  fouille  que 
M.  Je  D'  Prunières  découvrit  le  dolmen  d'Uel  Bougo. 

Un  tumulus  du  territoire  des  lacs  renfermait  de  belles  fibules,  un  rasoir  en 
bronze,  un  petit  anneau  en  or  couvert  de  ciselures. 

Dans  deux  tumuli  il  y  avait  des  coupes  en  bronze  ;  l'une  était  dans  un  vase 
en  terre  à  la  télé  du  mort,  Tautre  sur  le  bassin  du  squelette  à  côté  de  deux 
pointes  de  javelot  en  bronze  et  ù  douille. 

Les  objets  d'industrie,  très  nombreux  dans  tous  ces  dolmens  sont  de  grands 
vases  très  épais  et  très  abondants,  des  vases  en  bronze  plus  rares,  des  bagues, 
des  bracelets,  des  anneaux  de  jambes,  des  rasoirs,  des  lances,  des  fibules,  etc. 
Quant  aux  restes  humains,  il  est  aisé  de  reconnaître  que  lés  populations 
étaient  fort  mélangées  et  tous  les  degrés  sont  représentés  de  la  dolicbocéphalic 
à  la  brachycéphalie. 

D'  Pineau,  d'Oléron.  Recherches  sur  Varchéologie  de  la  Charente-Inférieure, 
présentation  de  silex  taillés,  récoltés  aux  environs  d'un  dolmen  dit  de  Saint- 
Louis,  rive  gauche  de  la  Charente,  entre  Taillebourg  et  Saint-Savinien.  Le  dol- 
men a  été  démoli  il  y  a  quelques  années  par  le  propriétaire  du  champ.  Les  silex 
étaient  répandus  au  voisinage  en  quantités  considérables  sur  une  étendue  de 
quinze  à  vingt  hectares  environ. 

Ils  présentent  deux  formes  et  deux  patines  très  différentes  se  correspondant 
respectivement,  c'est-à-dire  que  les  grattoirs  de  patine  moins  épaisse  sont  de 
formes  plus  fines,  plus  arrondies,  plus  minces  ;  les  plus  cacholonnés  au  con- 
traire, sont  très  généralement  plus  épais,  plus  allongés,  plus  frustes.  11  y  aurait 
là,  d'après  le  D'  Pineau,  la  trace  de  deux  établissements  successifs  néolithiques 
sur  le  même  point. 

Le  D'  Gosse,  de  Genève,  présente  à  la  section  une  série  d'objets  d'ethnogra- 
phie américaine  très  remarquables  et  parmi  eux  des  objets  de  parure  en  argent 
des  Araucaniens  sur  lesquels  on  voit  le  iSwastika  ;  un  racloir  emmanché  prove- 
nant de  la  Patagonie  et  des  objets  préhistoriques  en  bronze  et  en  pierres  re« 
cueillis  en  France  et  en  Suisse. 

MM.  Bleicher  et  Barthélémy  communiquent  les  résultats  de  leurs  dernières 
fouilles  dans  les  camps  anciens  de  la  Lorraine.  Ils  présentent  ensuite  une  étude 
lithologique  des  matériaux  vitrifiés  et  calcinés  des  remparts  d'Affrique  et  de  la 
Fourasse. 

M.  LE  D'  PoMMEROL  a  observé  dans  ses  excursions  en  Auvergne,  un  certain 
nombre  de  pierres  à  bassins  et  à  écuelles.  Elles  sont  au  nombre  de  quatre.  La 
première,  haute  de  1™,50,  en  forme  de  pyramide  irrégulière,  se  dresse  à  l'est  du 


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ASSOCUTION   FRANÇAISE   POUR    l' AVANCEMENT   DES   SCIENCES  495 

village  de  Loubeyrat.  Sur  le  milieu  de  la  face  sud  est  une  écuelle  très  régulière, 
ù  fond  horizontal,  elliptique,  se  déversant  à  l'extérieur  par  une  échancrure. 

La  seconde  est  un  gros  bloc  de  granit,  à  la  base  de  la  montagne  dite  le  Rey 
de  sol,  commune  de  Lachaux.  Sur  la  face  supérieure,  est  un  grand  bassin  à 
fond  plat,  à  échancrure  sur  la  paroi  verticale,  et  qui  est  évasé  en  son  milieu. 
Une  seconde  cavité  à  fond  horizontal,  demi-circulaire,  creusé  à  son  centre  d'une 
petite  cupule  de  quelques  centimètres  de  diamètre,  est  creusée  sur  l'une  de  ses 
faces.  D'après  une  légende,  on  sacrifiait  sur  ce  bloc  des  animaux  et  même  des 
hommes. 

La  troisième  roche  à  écuelle  est  au  sommet  d'une  montagne,  au  nord  de  celle 
de  THermitage,  près  de  Noirélable.  C'est  une  grande  cavité,  régulièrement 
circulaire,  creusée  dans  un  gradin  naturel.  On  peut  s'y  asseoir  avec  facilité.  On 
lui  a  donné  le  nom  de  chaise  au  Roi.  Elle  est  évasée  en  avant,  à  fond  plat,  à 
parois  verticales  et  polies.  D  autres  écuelles  circulaires  sont  taillées  sur  des 
rochers  voisins. 

EnGn,  un  dernier  bloc  est  situé  près  du  village  de  Champeaux,  au  sud  de  la 
montagne  de  Gravenoire  ;  sa  hauteur  est  de  quatre  mètres.  Cinq  bassins  sont 
creusés  suivant  une  ligne  demi-circulaire,  étages  les  uns  au-dessus  des  autres  et 
communiquant  ensemble  par  des  échancrures  régulièrement  disposées.  Le  bas- 
sin inférieur,  le  plus  profond,  se  déverse  sur  la  paroi  verticale  de  la  roche  ;  le 
supérieur  est  à  fond  sphérique,  les  autres  à  fond  plat.  Tous  sont  plus  ou  moins 
évasés>  creusés  en  leur  milieu  ou  à  la  partie  inférieure.  Quand  il  a  plu,  trois 
de  ces  cavités  gardent  l'eau,  ce  qui  a  fait  donner  au  rocher  le  nom  de  pierre 
aux  trois  bénitiers.  Une  petite  écuelle  arrondie  est  évasée  sur  un  des  angles 
de  la  face  supérieure. 

D'après  des  légendes,  de  grands  serpents  ayant  des  ailes  vivent  dans  l'inté- 
rieure de  la  roche,  et  se  nourrissent  du  sang  des  personnes  qui  tenteraient  de 
profaner  le  monument.  De  plus,  ces  fabuleux  serpents  peuplent  le  vallon, 
habitent  des  cavernes  où  ils  gardent  des  colliers  de  pierres  précieuses. 

Ces  rochers  sont  de  granit  blanc  ou  gris,  à  grains  plus  ou  moins  gros,  à  con- 
texture  dense,  serrée,  homogène.  Bassins  et  écuelles  sont  faits  de[main  d'homme, 
il  n'en  faut  pas  douter. 

M.  Émîle  Rivière  a  découvert  des  Ateliers  néolitiques^  dans  les  bois  de  Cha* 
ville  et  des  Fausses-Reposes  {Seine-et-Oise),  dans  le  courant  de  cette  année  ; 
le  premier,  le  17  avril  1887,  à  l'entrée  du  bois  de  Chaville,  à  droite  de  la  route 
de  Paris  à  Versailles,  contre  la  voie  ferrée  et  les  bois  de  Ville-d'Avray.  A  la 
surface  du  sol  et  sans  faire  des  fouilles  profondes,  il  a  récolté  plus  de  deux  cents 
silex  taillés.  Le  second  a  été  découvert  le  5  juin  dernier,  à  un  kilomètre  du  pré- 
cédent au  bois  de  Fausses-Reposes,  commune  de  Ville-d'Avray.  Les  silex  y  sont 
beaucoup  plus  abondants  et  à  la  surface  du  sol.| 

MM,  H.  ET  L.  SiRET.  Fouilles  arcfiéologiques  dans  le  sud  de  l'Espagne 
relatives  aux  premiers  âges  du  métal.  —  C'est  assurément  l'une  des  plus  inté- 
ressantes communications  faites  à  la  section  d'anthropologie.  Les  documents 
sur  le  préhistorique  espagnol  sont  relativement  peu  nombreux,  et  les  travaux 
de  MM.  Siret  nous  font  connaître  diverses  phases  de  la  vie  d'une  partie  des 
anciennes  populations  de  l'est  de  FEspagne. 


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496  ACADÉMIE   DES   SOCIÉTÉS    SAVANTES 

D'après  eux,  les  découvertes  faites  dans  les  deux  provinces  de  Murcie  et 
d*Alméria,  se  rapportent  à  trois  époques. 

1»  Néolithique,  —  Les  constructions  agglomérées  en  bourgades,  sont  très 
primitives,  et  on  pratique  l'inhumation  des  corps.  Comme  instruments  il  y  a  des 
haches  polies,  des  couteaux,  des  pointes  de  flèches  en  silex,  des  poinçons  en 
08,  des  percuteurs,  des  meules  en  pierre,  etc.  On  trouve  comme  objets  d'orne- 
ment, des  bracelets  en  pétoncles,  des  colliers  en  steatites,  ou  en  coquillages, 
cônes,  cyprées,  dentales,  etc. 

2®  La  deuxième  époque  montre  la  transition  de  la  pierre  au  métal.  L'outillage 
est  néolithique  et  le  métal  apparaît  sous  forme  de  bijoux,  bracelets  et  g^raîns  de 
colliers  en  bronze  importés  par  un  pauple  plus  avancé  en  civilisation.  La  métal- 
lurgie indigène,  fort  primitive  encore,  confectionne  des  outils  de  cuivre.  L'inci- 
nération des  morts  est  en  usage  ;  les  habitations  et  la  poterie  sont  mieux  établies 
qu'à  Tépoque  précédente. 

30  Enûn,  l'âge  du  métal  apparaît;  les  indigènes  ont  découvert  les  mines  d'ar- 
gent des  Herrerias,  et  le  métal  précieux  est  utilisé  à  la  confection  de  parures,  et 
même  d'outils.  Des  envahisseurs  se  montrent,  il  faut  défendre  le  sol  aussi  bien 
que  la  famille,  et  l'on  construit  des  bourgades  bien  défendues  dans  des  positions 
bien  choisies.  Les  morts  sont  enterrés  à  l'intérieur  des  habitations  et  le  plus 
souvent  dans  de  grandes  urnes  en  terre  cuite,  où  ils  sont  placés  accroupis, 
revêtus  de  leurs  plus  précieux  effets,  de  leurs  armes,  de  leurs  bijoux.  Auprès 
d'eux  on  place  des  aliments.  L'incinération  est  abandonnée.  On  trouve  dans  les 
sépultures  des  haches  en  cuivre,  des  couteaux-poignards,  des  lances,  des  halle- 
bardes, des  poinçons,  des  épées  de  cuivre  ou  de  bronze  avec  rivets  en  argent 
pour  maintenir  les  montures.  Les  bijoux  sont  des  bracelets,  des  boucles  ^d'oreille, 
des  bagues  en  cuivre,  bronze,  or  ou  argent,  des  colliers  de  substances  diverses. 
L'os  et  le  silex  sont  encore  en  usage.  Les  crânes  appartiennent  au  races  de 
Cro-Magnon,  de  Furfooz  avec  mélange  d'un  type  qui  se  retrouve  chez  les  Basques 
de  Zaraus. 

M.  DK  Laurière.  —  Présentation  de  photographies.  Il  s'agit  d'un  groupe 
de  pierres  situées  sur  un  plateau  désert  à  une  heure  et  demie  de  marche,  à  l'ouest 
de  la  petite  ville  de  Macomer  (Sardaigne),  près  du  Nouragh,  connu  sous  le 
nom  de  Tamuli.  Ces  pierres,  de  forme  à  peu  près  conique,  hautes  d'environ 
1"',50,  offrent  cette  intéressante  particularité  qu'elles  sont  munies  de  deux 
proéminences  ressemblant  à  des  seins  de  femme.  Ainsi  façonnées,  évidemment 
avec  intention,  elles  sont  rangées  sur  une  seule  ligne  à  peu  près  circulaire.  Les 
unes  sont  encore  debout,  les  autres  renversées. 

M.  Félix  Rkgnault.  Sur  la  grotte  de  Gargas.  —  L'auteur  donne  le  résultat 
de  ses  dernières  fouilles,  dans  un  foyer  situé  à  l'entrée  de  la  grotte,  il  repose 
sur  le  gisement  à  ours,  hyène,  chai,  rhinocéros,  etc.  Il  se  compose  d'une  couche 
épaisse  de  0",70  à  1  mètre,  renfermant  des  ornements  cassés  de  cheval,  cerf, 
bœuf,  ours  ;  le  renne  y  est  fort  rare,  les  silex  sont  peu  abondants  et  d'une  taille 
très  primitive.  Il  y  avait  deux  poinçons  en  silex  et  une  dent  de  cheval  perforée. 

D'Prunières.  Le  Dolmen  d'Ucl-Bouguo,  —  Tel  est  le  nom  d'un  monument 
mégalithique  qui  couronne  la  crête  d'une  colline  qui  sépare  la  vallée  du  Lot  de 
celle  d'un  de  ses  affluents,  le  Jordan.  Cela  veut  dire  la  borne  de  Vcèil  ou  de 
la  vue. 


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ASSOCIATION   FRANÇAISE   POUR   l' AVANCEMENT   DES    SCIENCES  497 

On  avait  récemment  enlevé  une  partie  des  pierres  constituant  rédifice,  pour 
les  utiliser  dans  des  constructions,  mais  Tespace  qu'elles  circonscrivaient  était 
très  visible,  et  une  vaste  excavation  rectangulaire  indiquait  la  place  de  la  Cella. 
Il  y  avait  encore  six  squelettes  en  position  et  d'autres  débris  bumains.  Tout 
autour  de  la  Gella,  les  fouilles  permirent  de  reconnaître  de  très  nombreux  restes 
d'enterrements. 

A  l'intérieur,  M.  Prunières  trouva  une  boucU  en  bronze,  une  pointe  de  flèche 
en  silex,  une  épingle  en  argent,  la  première  qu'il  ait  jamais  trouvée  dans  un 
dolmen. 

'  Au  dehors,  on  ramassa  une  petite  hache  polie,  des  restes  de  colliers  en  coquil- 
lages, en  pierre  calcaire,  en  bronze,  en  ambre,  en  jais,  etc.;  un  grain  de  collier 
très  grand,  formé  d'un  caillou  roulé  irrégulier,  très  poli,  analogue  à  ceux  trouvés 
en  Bretagne. 

A  en  juger  par  la  longueur  des  fémurs  réunis  au  cours  de  cette  fouille,  les 
individus  ensevelis  étaient  de  grande  taille,  l'un  d'eux  devait  avoir  deux  mètres. 
M.  Prunières  a  encore  découvert  dan&  une  cachette  des  rondelles  crâniennes, 
Tune  d'elles  porte  des  traces  de  cicatrisation. 

M.  LE  COMTE  DE  Marsy  dit  qu'il  est  heureux  d'annoncer  à  la  section  d'Anthro- 
pologie, que  l'on  s'est  décidé  à  publier  la  nouvelle  loi  sur  la  conservation  des 
monuments  mégalithiques.  Le  Journal  officiel  du  25  septembre  contient  un 
décret  portant  expropriation  des  emplacements  de  Karnac,  non  encore  acquis 
par  l'État. 

M.  Makcelin  Boulk.  Temps]  quaternaires  et  préhistoriques  du  Cantal.  — 
L'auteur  expose  pour  quelles  raisons  il  ne  peut  croire  à  la  taille  intentionnelle 
des  silex  tortoniens  du  Puy-Courny,  et  il  essaye  de  réfuter  les  arguments 
invoqués  en  faveur  de  la  taille  intentionnelle  par  M»  Rames.  Il  expose  rapide- 
ment l'histoire  du  volcan  du  Cantal,  depuis  Tépoque  pliocène  dont  la  fin  a  vu 
s'établir  les  premiers  glaciers.  Il  résume  ensuite  les  travaux  de  M.  Rames  et  y 
ajoutant  ses  propres  observations,  il  admet  comme  ce  dernier,  plusieurs  périodes 
glaciaires  et  explique  le  sens  qu'il  attribue  à  ce  mot  période,  en  faisant  remar- 
quer que  cette  théorie,  peu  favcrablement  accueillie  au  début,  a  fait  brillam- 
ment son  chemin.  Parmi  les  nombreux  géologues  qui  la  soutiennent,  on  peut 
citer,  sans  parler  des  Français  :  Penck,  Dames,  Nehring  en  Allemagne,  Tor- 
rell  en  Suède,  Geikie  en  Angleterre  et  tous  les  géologues  américains* 

Les  silex  taillés  du  type  de  Saint-Acheul,  ont  été  trouvés  dans  une  terrasse 
renfermant  des  éléments  morainiques.  On  a  aussi  trouvé  des  silex  du  même  type 
à  la  surface  du  sol,  sur  les  moraines  de  la  première  période  et  en  dehors  de  la 
sphère  d'activité  des  derniers  glaciers. 

Des  silex  du  type  du  Moustier  ont  été  récoltés  en  grand  nombre  à  la  surface 
du  sol. 

M.  Boule  signale  les  fouilles  de  M.  Delort  dans  les  abris  sous  roche  de  i'&ge 
du  renne  dans  les  environs  de  Murât  ;  il  fait  ensuite  l'inventaire  des  monu- 
ments mégalithiques  et  autres  du  Cantal,  ainsi  que  des  découvertes  isolées 
d'objets  en  pierre  polie,  en  bronze  ou  en  fer;  de  plus,  il  présente  à  la  section 
une  carte  préhistorique  du  département. 

Il  rappelle  enfin  que  les  premiers  puits  d'extraction  du  silex  de  l'époque 
néolithique  signalés  en  France,  ont  été  décrits  par  lui  dans  cette  région. 


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498  ACADÉMIE  DES   SOCIÉTÉS  SAVANTES 

Discussion,  —  M.  E.  Chantre  dit  que  dans  le  bassin  du  Rhône,  dont  il  étudie 
depuis  près  de  vingt  ans  les  terrains  quaternaires,  on  n*a  pas  trouvé  les 
traces  des  deux  périodes  glaciaires,  et  il  ne  croit  pas  que  la  théorie  des  deux 
périodes  soit  si  généralement  admise.  Il  ne  les  a  observées  ni  dans  les 
.PyrénéeSf  ni  en  Scandinavie,  ni  dans  le  Tyrol,  ni  dans  le  Caucase  où  il  a  atten- 
tivement étudié  les  Aonioes. 

Il  n*a  pas  une  opinion  bien  arrèttfe  poar  le  Cantal,  qu'il  connaît  insufûsam- 
ment,  mais  il  proteste  contre  la  généralisation  de  la  théorie  que  M.  Boule  vient 
de  développer, 

M.  LE  D'  PoMMBROL  dit  quo  les  dépôts  glaciaires  sont  toujours  à  un  niveau 
élevé  et  il  ne  paraît  exister  qu'une  période  glaciaire  dans  le  Puy-de-Dôme. 
Les  conglomérats  de  Perrier  sont  traversés  par  des  lits  épais  de  cailloux,  mais 
cela  ne  prouve  pas  l'existence  de  plusieurs  périodes  glaciaires,  mais  de  retraits 
momentanés  ou  de  variations  de  climats  pendant  la  même  période.  C'est  aussi 
l'avis  de  M.  Chantre. 

M.  BouLK  -est  fort  étonné  de  voir  M.  le  D'  Pommerol  se  servir  comme  argu- 
ment des  conglomérats  do  Perrier  très  discutés,  et  nier  l'existence  des  moraines 
du  fond  des  vallées  admises  par  tout  le  monde.  Ce  n'est  pas  d'ailleurs  sur  Per- 
rier, qui  appartient  au  Puy-de-Dôme,  que  M.  Boule  peut  s'appuyer  en  parlant 
du  Cantal.  Pourtant,  il  doit  faire  remarquer  que  reconnaître  comme  glaciaire 
la  formation  de  Perrier,  dans  laquelle  se  trouve  une  faune  séparée  de  la  faune 
quaternaire  par  celle  de  Saint-Prest,  c'est  reconnaître  l'existence  même  de  deux 
périodes  glaciaires. 

M.  LE  D'  Prunièrbs  dit  que  M.  Boule  se  trompe  eu  disant  que  la  Lozère  n'a 
pas  eu  d'époque  glaciaire.  Le  sol  de  l'Aubrac  a  été  raviné  par  les  glaces  qui 
de  divers  côtés  ont  laissé  des  dépôts  de  nature  diverse,  sable,  cailloux. 

M.  G.  DB  MoRTiLLBT  trouvc  que  M.  Boule  s'avance  beaucoup  en  disant  que 
l'on  trouve  les  deux  périodes  glaciaires  dans  le  Cantal,  tandis  qu'elle  s'est 
maintenue  sans  interruption  dans  les  Alpes,  que  dans  les  Vosges  moins  élevées 
que  le  Cantal  il  n'y  a  qu'une  période  glaciaire. 

Pour  ce  qui  est  de  la  Lozère,  M.  Boulb  répond  qu'il  a  fait  allusion  à  certains 
points  signalés  par  des  auteurs  comme  glaciaires  et  auxq  uels  il  ne  peut  leur  attribuer 
cette  origine.  Dans  la  Margeride  il  n'a  rien  trouvé.  Dans  les  Alpes  et  dans  les 
Vosges,  Iqs  vallées  sont  plus  anciennes  qu'en  Auvergne,  et,  s'il  y  a  eu  plusieurs 
périodes  glaciaires,  les  traces  doivent  être  bien  moins  distinctes  dans  les  Vosges 
que  dans  le  plateau  central. 

M.  Marcelui  Boulb.  AUuvions  ariciennes  à  silex  taillés  de  Malzieu  (Lozère). 

La  localité  de  Malzieu  (Lozère),  est  bâtie  au  centre  d'un  petit  bassin  ter- 
tiaire. La  Truyère,  au  régime  torrentiel,  coulant  ordinairement  dans  des  gorges 
profondes,  aux  parois  abruptes,  s'étale  en  ce  point  et  sur  une  longueur  de 
quatre  à  cinq  kilomètres,  sur  un  lit  d'alluvions  récentes,  produit  d'inondations 
redoutables. 

Mais  en  dehors  de  la  sphère  de  l'activité  actuelle  de  ces  eaux,  à  peine  pour- 
tant au-dessus  du  niveau  des  plus  grandes  crues,  à  sept  ou  huit  mètres 
environ  au-dessus  de  l'étiage,  se  trouvent  des  lambeaux  de  terrains  d'allu- 
vions anciennes,  très  riches  en  silex  taillés  de  formes  diverses,  pouvant  se 
rattacher  à  celles  dites  du  Moustier.  Ces  silex  sont  semblables  à  ceux  de 


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ASSOCIATION   FRANÇAISE  POUR  l'aVANCEMENT  DES   SQENCES  499 

Tatelier  signalé  autrefois  par  l'abbé  Delaunay,  à  Saint-Léger  de  Malzleu.  Cet 
atelier,  où  Ton  peut  faire  encore  d'abondantes  récoltes,  est  situé  dans  un  champ 
de  grande  étendue,  où  sont  parsemés  de  gros  blocs  (un  mètre  cube  environ), 
d'un  silex  particulier  d*eau  douce  à  éclat  gras,  translucide  et  se  prêtant  mer- 
veilleusement à  la  taille.  Beaucoup  de  pièces  travaillées  appartiennent  à  ce 
silex.  J'ai  recueilli  d'autres  éclats  d'un  silex  renfermant  des  fossiles  marins 
(Pecten).  Or,  on  ne  trouve  aujourd'hui  aucune  trace  de  formation  marine,  ni 
aux  environs  de  Malzieu,  ni  dans  le  bassin  de  la  Truyère.  La  présence  de  cer- 
tains de  ces  blocs  est  donc  très  difficile  à  expliquer.  L'auteur  appelle  particu- 
lièrement l'attention  sur  ce  fait  qu'à  l'époque  des  alluvions  à  silex  taillés,  cette 
vallée  où  coule  une  rivière  au  régime  torrentiel  était  à  peu  près  complètement 
creusée. 

M.  Pallary.  Sur  quelques  stations  du  département  d'Oran. 

M.  Emile  Rivièrb.  Vépoque  néolithique^  à  Champigny  (Seine), 

Cette  station  a  été  fouillée  A  diverses  reprises,  en  i867  et  1868,  par  M.Carbon- 
nier,  qui  publia  une  notice  en  1875.  M.  E.  Rivière  y  pratiqua  de  nouvelles  fouilles 
en  1874  et  cette  année  môme  (1887),  M.  Le  Roy  de  Closugeus,  ingénieur,  a  fait 
de  nouvelles  recherches  dans  ces  parages.  En  voici  le  résultat.  On  a  découvert 
une  série  de  foyers  affectant  la  forme  de  véritables  cuvettes  creusées  dans  le 
sol  et  contenant,  chacune,  un  certain  nombre  de  silex  taillés  et  de  haches  polies 
de  l'époque  néolithique,  d'assez  nombreuses  poteries  grossières,  plusieurs 
anneaux  en  pierre  et  quelques  rares  ossements  d'animaux  des  genres  Sus^  BoSy 
EquuSf  Cervusy  etc. 

M.  Eugène  Trutat.  Sur  des  cailloux  taillés  des  terrasses  de  la  Garonne. 

Les  silex  présentés  par  M.  Trutat  ont  été  récoltés  dans  un  gisement  situé 
à  Fontsorbes  (20  kii.  de  Toulouse),  sur  la  troisième  terrasse  de  la  Garonne. 

A  côté  de  types  semblables  à  ceux  trouvés  dans  les  gisements  connus,  se 
trouvent  des  sortes  de  disques  formés  d'une  face  plane  obtenue  par  cassure  et 
sans  retouches  :  les  bords  au  contraire  ont  été  retouchés,  mais  les  éclats  portent 
sur  la  face  brute  du  caillou.  Le  gisement  de  Fontsorbes  contient  presque  exclu- 
sivement des  objets  taillés  suivant  ce  type  et  ce  n'est  qu'exceptionnellement 
que  l'on  y  rencontre  des  spécimens  taillés  en  amande,  forme  de  Saint-Acheul. 
Son  Age  serait  le  même  que  celui  de  l'Infernet. 

M.  l'Abbé  Cau-Durban.  Cimetière  à  incinération  de  Bordes-sur-Lez  {Ariêge), 

Dans  la  partie  sud  de  la  commune  de  Bordes-sur*Lez,  s'ouvre  une  vallée 
étroite  et  profonde  qui  s'élargit  au  nord,  en  un  plateau  circonscrit  par  des 
collines  de  moraine,  et  que  limitent  deux  cours  d'eau.  C'est  là  que  se  trouve  un 
cimetière  à  incinérations,  ayant  quelque  trait  d'analogie  avec  les  cromlecks  de 
la  plaine  de  Rivière  (Haute-Garonne).  Ce  cimetière  se  composait  de  nombreuses 
enceintes  affectant  diverses  formes,  circulaires,  semi-circulaires  ou  rectangu- 
laires. Dans  l'intérieur  de  ces  enceintes,  M.  Cau-Durban  a  recueilli  un  grand 
nombre  d'urnes  remplies  d'ossements  humains  brûlés.  Ces  urnes,  de  dimensions 
variées,  en  terre  rouge,  sont  faites  à  la  main.  Toutes  sont  ornées  de  cordons 
en  saillie,  de  mamelons,  de  dents  de  loup.  Elles  étaient  recouvertes  d'un  galet 
ou  d'un  plat  à  cône  tronqué. 

Autour  de  ces  urnes,  il  a  été  recueilli  quelques  objets  appartenant  à  la 
période  néolithique,  des  fragments  de  bronze,  torques,  boutons»  bracelets,  des* 


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50il  ACADÉMIE    DES   SOCIÉTÉS  SAVANTES 

grains  d'ambre.  Dans  une  seule  urne  on  a  trouvé  un  bracelet  en  fer  et  un 
fragment  de  boucle  de  même  métal. 

Suivant  TAbbé  Cau-Durban,  cette  nécropole  appartient  à  la  fin  de  Tâge  de 
bronze  et  au  commencement  de  l'âge  du  fer.  Elle  constitue  avec  les  nécropoles 
d'Âvezac  et  de  la  plaine  de  Rivière  un  document  important  pour  Thistoire  des 
anciennes  populations  du  nord  des  Pyrénées. 

M.  Emile  Cartailhac  présente  une  série  d'instruments  en  os  et  en  bois  de 
renne,  des  dents  de  divers  animaux  plus  ou  moins  ornementées  et  quelques- 
unes  perforées.  Parmi  ces  objets  se  trouve  un  bois  de  renne  sur  lequel  un 
aurochs  est  gravé  avec  une  grande  perfection. 

M.  Ch.  Bosteaox,  Les  fouilles  du  cimetière  gaulois  des  ChampS'Cugn'c^'s,  à 
Prunay  (Marne). 

Ce  cimetière,  sis  près  de  la  route  de  Reims  à  Bar-le-Duc,  sur  une  éminence, 
a  élé  découvert  en  décembre  1885.  Divers  chercheurs  ont  déjà  fouillé  une  cen- 
taine de  tombes. 

Les  sépultures  sont  tantôt  groupées  comme  par  familles,  tantôt  isolées.  Elles 
sont  creusées  dans  la  craie  et  leur  profondeur  varie  de  0",60  à  1",20.  Le 
squelette  est  toujours  recouvert  de  cendres  noires  et  jamais  on  n'a  trouvé  de 
pierre  au-dessus  des  squelettes. 

Le  mobilier  des  tombes  est  celui  de  Tépoque  gauloise,  des  torques,  des  bra- 
celets, des  bagues,  des  fibules  en  bronze  et  en  fer,  un  collier  composé  de 
trente-huit  branches  de  corail,  de  six  grains  d'ambre  et  de  sept  grains  de  vpr- 
roterie,  et  un  bracelet  composé  de  treize  grains  d'ambre. 

Les  objets  en  bronze  sont  tous  plus  ou  moins  ciselés  ou  tordus. 

La  céramique  est  de  deux  qualités  difrérente3  ;  certains  vases  en  terre  noire, 
lustrés,  sont  ornés  de  dessins  en  creux  faits  à  rébauchoir,  d'autres  sont  en  terre 
jaune  de  nature  plus  tendre.  Les  plus  finement  faits  sont  de  forme  élancée  et 
plus  ou  moins  peints  en  rouge  ;  les  dessins  sont  des  spirales  et  des  grecques. 
Un  très  petit  nombre  de  vases  sont  intacts. 

Les  armes  sont  des  épées  en  ibronze  avec  fourreau  en  fer,  des  lances  en 
bronze,  des  couteaux,  un  rasoir  et  des  ciseaux  ou  forces. 

Quelques  tombes  renferment  deux  sujets,  un  guerrier  avec  ses  armes  ou  une 
femme  avec  les  objets  de  parure,  torq  ues,  bracelets,  etc. 

M.  Nicolas.  Recherches  pi^éhistoriques  faites  aux  environs  d* Avignon.  — 
Ce  travail  continue  l'exposé  des  fouilles  faites  dans  la  grotte  de  la  Masque  dont 
il  a  été  question  au  congrès  de  Nancy,  en  1886.  M.  Nicolas,  depuis  cette 
époque,  a  déblayé  de  nouvelles  salles.  Les  ossements  d'animaux  sont  disséminés 
sans  ordre  ainsi  que  des  débris  de  poteries. 

Dans  les  niveaux  supérieurs,  il  a  trouvé  des  restes  de  sanglier,  chat,  lièvre, 
lapin,  renard,  chien,  cerf,  chevreuil,  cheval,  bœuf;  les  ossements  humains  sont 
en  petit  nombre. 

Les  armes  datent  de  l'époque  néolithique,  hache  polie,  couteaux,  pointes  Je 
flèches,  poignard  en  silex. 

Au  voisinage  de  la  grotte  de  la  Masque,  il  y  a  ^des  abris  sous  rochers,  très 
étendus,  où  on  a  trouvé  de  nombreux  silex  taillés. 

M.  Gaillard  de  Plouharj<bl.  Des  menhirs  isolés ,  des  talus  et  de  leur 
concordance  avec  les  dolmens,  avec  diverses  fouilles  à  l'appui.  —  L'auteur  cite 


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ASSOCIATION   FRANÇAISE   POUR   l'aVANCEMENT   DES   SaENCES  50  i 

plusieurs  exemples  de  menhirs  qu'il  appelle  menhirs  de  témoignage  et  dont 
l'éreclion  en  un  point  déterminé  au  voisinage  du  dolmen  devait  permettre  de  le 
retrouver  facilement.  Quelquefois,  au  lieu  d*un  seul  dolmen,  il  y  a  de  véritables 
alignements. 

Très  souvent  les  menhirs  ont  été  détruits  et  leur  disparition  rend  plus  difficile 
la  découverte  du  dolmen. 

Ailleurs,  ce  sont  des  talus  qui  permettent  de  reconnaître  la  présence  des  dol- 
mens, et  leur  orientation  est  toujours  concordante.  Souvent,  le  dolmen  a  été 
détruit  tandis  que  menhirs  et  talus  existent  encore.  Les  taius  n'aboutissent 
pas  directement  sur  les  dolmens,  mais  sont  presque  toujours  à  une  certaine 
distance. 

M.  Emile  Cartailhac,  en  présentant  une  série  de  crânes  toulousains  offrant 
la  déformation  dite  toulousaine,  dit  qu'on  ne  doit  pas  regarder  la  description  de 
Broca  comme  un  type  fixe  et  immuable.  L'examen  de  la  série  qu'il  met  sous  les 
yeux  de  ses  collègues  en  est  la  preuve  évidente. 

C'est  aussi  l'opinion  du  D^  Delisle,  qui  croit  qu'on  doit  tenir  grand  compte  du 
type  ethnique  des  individus.  Cette  déformation  est  en  voie  de  disparition.  Après 
avoir  donné  la  distribution  géographique  de  la  déformation  dite  toulousaine, 
M.  le  D'  Delisle  rappelle  ce  qui  a  été  dit  par  les  anciens  auteurs  à  propos  de  la 
France  et  de  la  Belgique. 

D'après  M.  G.  de  Mortu-let,  on  trouve  sur  les  monuments  égyptiens  des 
types  manifestement  déformés.  M.  Siret  ayant  dit  que  des  Espagnols  présen- 
taient la  déformation  toulousaine,  M.  le  D'  Delisle  fait  observer  que  l'usage  du 
mouchoir  serré,  dès  l'enfance  autour  de  la  tôte,  chez  les  Catalans  principale- 
ment, peut  provoquer  une  déformation,  mais  il  ne  pense  pas  que  l'effet  produit 
soit  le  même. 

M.  E.  Chantre  rappelle  qu'il  a  eu  l'occasion  d'observer  les  déformations 
inio-frontales  et  inio-bregmatiques  dans  la  région  du  Caucase.  Elles  remonte- 
raient à  la  première  période  de  l'âge  du  fer.  Ses  dernières  observations  lui  ont 
fait  découvrir  des  traces  certaines  de  cette  coutume  en  apparence  spéciales  aux 
Kurdes,  aux  Ossèthes,  aux  Arméniens  et  aux  Géorgiens,  chez  plusieurs  familles 
Tatares,  Tcherkesses  et  Lesghiennes. 

M.  Paul  Cabanne.  Silex  ci^aquelés  et  étonnés  à  l'air  des  environs  de  Sainte- 
Foy-la-Grande  (Gironde),  —  Ce  mémoire,  très  clair,  vient  apporter  une  preuve 
concluante  de  plus  à  ceux  qui  rejettent  les  silex  de  Thenay  ;  ils  présentent  non 
pas  seulement  une  simple  analogie,  mais  une  identité  absolue  avec  ceux  de  la 
célèbre  station  signalée  par  l'abbé  Bourgeois. 

C'est  aux  environs  de  Sainte-Foy-la-Grande  (Gironde),  dans  le  vallon  du 
Bréjou,  commune  de  Saint-André-et-Appelles,  que  M.  Cabanne  a  recueilli  ces 
silex  craquelés.  Ils  étaient  tous  disséminés  exclusivement  à  la  surface  des  nom- 
breux tas  de  cailloux  formés  depuis  plusieurs-  années  dans  les  champs  et  au 
voisinage  des  sentiers.  Jamais  il  n'en  a  été  trouvé  dans  les  couches  inférieures. 

M.  Cabanne  a  étudié  le  craquelage  avec  soin  :  ses  expériences  l'ont  conduit  à 
écarter  l'action  du  feu,  qui  produit  des  effets  différents. 

«  C'est  un  fait  physique  bien  connu,  que  tout  silex,  jeté  dans  un  foyer  ardent, 
une  fois  retiré  et  refroidi,  a  sa  coloration  complètement  modifiée  lorsqu'elle  n  est 
n'est  pas  entièrement  disparue.  Il  deviendra  en  môme  temps  opaque,  *» 


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502  ACADÉMIES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES 

Rien  de  semblable  sur  les  silex  craquelés  de  M.  Cabanne.  «  Us  ont  conservé 
entièrement  et  leurs  vives  couleurs,  et  leur  translucidité,  t  L*ftcUon  du  feu, 
écartée,  reste  celle  des  agents  atmosphériques  qui  peut  fort  bien  provoquer  des 
modîGcations  moléculaires  intenses. 

Aussi,  sa  conclusion  est-elle  logiquement  déduite  des  faits.  <c  Ici,  en  petit, 
là-bas  (à  Thenay),  sur  udo  vaste  échelle,  et  cela  d'autant  mieux,  que  le  soleil 
miocène  de  Tbenay  devait  avoir,  ainsi  que  le  prouve  la  végétation  tertiaire,  des 
rayons  autrement  brûlants  que  le  pâle  soleil  de  notre  pays  et  de  notre 
époque.  »  Les  mêmes  causes  ont  produit  des  efTets  semblables. 

Enfin,  M.  le  D'  Mouston  a  présenté  un  gros  volume  sur  le  Préhistorique  dans 
le  pays  de  Montbéliard  et  les  contrées  circonvoisines.  Il  y  a  de  tout  dans  ce 
livre  et  nous  croyons  que  Tauteur  n'a  pas  bien  su  reconnaître  les  différences  qui 
séparent  les  diverses  théories  scientifiques  qu'il  passe  successivement  en  revue. 
Monogénisme  et  polygénisme,  théories  de  Lartet  et  de  M.  de  Mortillet,  tout  y 
est  emmêlé.  Toutes  les  questions  les  plus  diverses  concernant  l'anthropologie 
préhistorique  et  l'ethnographie  viennent  là  sans  raison.  M.  Mouston  a  fouillé  la 
grotte  de  Rochedane,  dans  la  vallée  du  Doubs. 

D'  F,  Delisle. 


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EXPOSITIONS,  COLLECTIONS  ET  MUSÉES 


Exposition  de  M.  Joseph  Martin,  au  Musée  dn  Trooadèro 

Une  très  intéressante  exposition  des  collections  qu'a  rapportées,  de  son 
nouveau  voyage  dans  la  Sibérie  orientale,  un  explorateur  bien  connu,  M.  Joseph 
Martin,  vient  d*étre  ouverte  au  palais  du  Trocadéro. 

Envoyé  pour  la  seconde  fois  sur  les  rives  de  la  Lena  aGa  d*y  étudier  les 
nombreuses  mines  en  exploitation,  M.  Martin  entreprit  de  parcourir  cette  fois 
la  vaste  contrée  inexplorée  comprise  entre  cette  rivière  et  le  fleuve  Amour. 

Le  voyage  de  notre  compatriote,  qui  a  duré  cinq  ans,  a  donné  des  résultats 
très  importants;  ses  relevés  topographiques  permettront  de  rectifier  les  caries 
antérieures  de  la  Sibérie  orientale,  toutes  fautives,  de  préciser  l'orographie  des 
bassins  de  rOleckma,  de  la  Zéa  et  de  TAmour,  et  feront  connaître  la  configura- 
tion exacte  d'une  partie  de  la  chaîne  des  monts  Slanovoï.  Les  collections  de 
botanique,  zoologie,  géologie,  minéralogie,  d'ethnographie  et  d'échantillons 
commerciaux,  enrichiront  nos  musées  de  pièces  rares  et  d'espèces  nouvelles. 

Plusieurs  peuples  se  partagent  la  Sibérie  orientale,  ce  sont  les  Tschouktchis, 
les  Yakoutes,  les  Toungouses,  les  Mandchous  et  les  Ghiliaks.  Les  régions  de  la 
Lena  et  des  monts  Stanovoï  visitées  par  M.  Martin  sont  peuplées  presque 
exclusivement  par  des  Yakoutes  et  des  hordes  Toungouses,  et  c'est  auprès 
d'eux  qu'il  a  recueilli  les  pièces  les  plus  importantes  de  la  collection  ethnogra- 
phique. 

Pandant  son  séjour  parmi  les  Toungouzes  et  au  cours  de  sa  longue  explo- 
ration en  compagnie  de  plusieurs  familles  indigènes,  M.  Martin  a  eu  l'occasion 
d'assister  plusieurs  fois  à  des  cérémonies  religieuses  de  ces  peuples  encore 
adonnés  au  chamanisme,  —  culte  qui  disparaît  rapidement  depuis  que  les 
Busses  proscrivent  et  poursuivent  à  outrance  ceux  qui  s'y  adonnent,  —  et  a 
pu  ainsi  se  procurer  un  costume  complet  de  sorcier  ou  Chamane  Toungouse 
qui  figure  dans  l'exposition.  C'est  le  premier  que  l'on  ait  rapporté  en  Europe  et 
le  musée  de  Moscou  lui-même  n'en  possède  pas;  il  est  destiné  à  enrichir  le 
musée  d'ethnographie  du  Trocadéro. 

Rien  n'est  plus  étrange  que  cet  accoutrement  à  la  fois  misérable  et  préten- 
tieux, composé  de  pièces  disparates  associées  les  unes  aux  autres. 

Il  se  compose  d'une  grande  robe  en  peau  de  renne  tannée  et  d'une  tunique 
semblable  soutachée  d'arabesques  en  peau  teinte  et  bordée  d'une  frange  de 
lanières  de  cuir  ;  partout  pendent  de  longues  bandes  d'étoffes  différentes  ou  de 
peaU)  auxquelles  sont  fixées  quelques  queues  et  dépouilles  d'animaux  et  un 
grand  nombre  de  figurines  grossièrement  découpées  dans  des  plaques  de  fer 
poli  et  travaillé  à  la  forge,  qui  représentent  des  rennes,  des  poissons  et  des 
animaux  de  toutes  sortes  auxquelles  ces  barbares  attachent  un  caractère  sacrée  des 


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504  EXPOSITIONS,    COLLECTIONS    ET   MUSÉES 

plaquettes  de  cuivre,  des  grelots  et  autres  bibelots  qu'ils  ont  pu  se  procurer  sur 
frontières  mongoles.  Sur  la  poitrine  tombe  un  plastron  en  cuir  recouvert, 
comme  le  reste  du  costume,  de  ces  amulettes.  Comme  chaussure,  des  bottes  en 
peau.  La  tête  est  abritée  sous  une  calotte  en  drap  de  diverses  couleurs  ;  sou- 
tenue par  une  carcasse  en  lames  de  fer  qui  supporte  une  pièce  de  fer  repré- 
sentant des  cornes  de  renne  ;  des  morceaux  de  peau  de  cet  animal  sont  enche- 
vêtrés dans  les  branches.  Cette  coiffure  maintient  en  Tappuyant  sur  le  front, 
un  masque  grossier  en  cuivre  rouge  battu  et  qui  complète  bien  l'ensemble  de  ce 
costume  sauvage  et  grotesque. 

Le  principal  instrument  de  culte  des  Cbamanes  est  le  tambour  magique,  qui 
leur  sert  à  s'accompagner  dans  leurs  chants  et  leurs  danses  et  à  étonner  les 
esprits  en  complétant  par  un  bruit  sourd  et  sonore  l'horrible  cliquetis  de  toute 
la  ferraille  qui  recouvre  leurs  vêtements.  La  forme  de  cet  instrument  caracté- 
ristique n*est  pas  identique  chez  tous  les  peuples  adonnés  au  chamanisme  ; 
celui  rapporté  par  M.  Martin  est  formé  d'une  peau  tendue  sur  une  membrane 
de  bois,  de  forme  ovoïde,  au  moyen  de  sortes  de  chaînes  en  fer  forgé.  11  est 
orné  de  peintures  rouges  et  bleues  formant  bordures,  représentant  des  rennes 
et  divers  sujets  et  on  le  fait  vibrer  avec  un  battoir  courbe  en  os  recouvert  d'un 
côté  de  peau  avec  son  poil  et  dont  le  manche  figure  une  tête  de  renne.  Il 
diffère  sensiblement  des  objets  analogues  provenant  d'autres  peuples  chama- 
niques  qui  existent  déjà  dans  les  collections  du  musée  d'ethnographie  du 
Trocadéro. 

Celui  des  Lapons,  de  dimensions  un  peu  moindres,  orné  de  figures  plus 
compliquées,  et  qui  représentent,  outre  des  rennes,  des  profils  de  tentes,  des 
croix  ou  swastikas,  etc.,  est  constitué,  tantôt  par  un  bloc  de  bois  creusé  avec 
une  traverse  de  même  substance,  tantôt  par  un  cercle  de  bois  mince  avec  des 
tendeurs  en  cordes  de  boyaux.  Le  battoir  est  un  petit  marteau  en  os  de  la  forme 
d'un  T,  auquel  sont  suspendues  des  pendeloques  de  métal.  Le  prêtre,  lorsqu'il 
veut  tirer  un  horoscope,  finit  par  le  laisser  tomber  sur  le  tambour,  prétendant 
lire  dans  les  signes  touchés  par  la  pendeloque  ou  le  marteau,  la  réponse  aux 
questions  qui  lui  sont  posées,  et  qui,  presque  toujours,  sont  relatives  aux  rennes 
malades  ou  égarés.  Enfin  le  tambour  des  Tschouklchis  se  réduit  à  un  petit 
cercle  de  bois  emmanché,  couvert  d'une  peau  d'intestins  de  poisson  et  muni, 
en  guise  de  baj-uette,  d'un  éclat  de  fanon  de  baleine. 

Les  cérémonies  du  culte  des  Toungouses  sont  jusqu'ici  restées  à  peu  près 
inconnues,  aucun  voyageur  ne  les  ayant  étudiées  spécialement.  La  publica- 
tion par  la  maison  Hachette  du  grand  ouvrage  de  M.  Martin  sur  son  voyage, 
dont  l'apparition  est  attendue  avec  impatience  par  les  ethnographes,  jettera 
certainement  beaucoup  de  lumière  sur  cette  question.  Les  seuls  renseignements 
que  nous  ayons  à  ce  sujet  sont  fournis  par  un  article  publié  en  russe  à  propos 
des  recherches  du  même  voyageur  dans  un  journal  illustré  de  Pétersbourg. 

Un  des  hommes  de  l'escorte  étant  mort,  le  plus  ancien  Toungouse,  raconte 
M.  Martin,  revêtit  les  insignes  religieux  pour  célébrer  les  obsèques.  Le 
corps  du  défunt  fut  placé  près  d'un  grand  feu  autour  duquel  tout  le  monde  se 
tenait  debout,  faisant  entendre  des  chants  qui  se  terminèrent  par  des  plaintes, 
des  pleurs  et  des  cris,  tandis  que  le  prêtre,  frappant  sur  son  tambour,  appelait 
les  bons  génies,  et  conjurait  les  démons.  Le  Chamane  s'adresse  avec  une 


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EXPOSITION   DE   M.    JOSEPH   MARTIN,    AU   MUSÉE   DU   TROCADÉRO      505 

éloquence  véhémente  aux  divinités  des  eaux  et  des  airs,  à  la  petite  rivière,  à  la 
"grand'mère  montagne,  objurgue  tous  les  animaux,  la  lune,  le  soleil  et  les 
«toiles.  Il  invoque  aussi  le  chef  des  méchants  génies  :  «  Et  toi,  Chandaï,  Satana 
des  Satana,  vieux  comme  les  pierres  et  dur  comme  elles,  ne  maltraite  pas  notre 
frère;  »  puis  il  jette  en  Tair  du  beurre  et  de  Falcool,  en  arrose  le  feu,  répand  du 
lait  de  rennes,  pour  remercier  les  dieux  et  apaiser  les  démons.  Alors  commence 
Tensevelissement.  On  place  le  corps  dans  un  tronc  d'ai*bre  et  à  ses  côtés,  tous 
les  instruments  de  chasse  et  les  idoles  qui  lui  ont  appartenu  de  son  vivant.  Le 
cercueil  est  juché  sur  une  charpente  à  quelques  mètres  du  sol,  et  en  s'éloi- 
gnant,  chaque  Toungouse  marque  avec  sa  hache,  en  passant,  un  signe  ?ur  le 
tronc  d'arbre  qui  le  soutient. 

Ce  n'est  pas  seulement  lorsqu'un  des  leurs  meurt,  mais  à  l'occasion  de  tous 
les  actes  de  la  vie  que  ces  peuplades  recommencent  les  mêmes  invocations.  Les 
naissances,  les  maladies,  le  retour  des  saisons,  la  mort  d'un  animal  sacré,  tel 
qu'un  ours,  le  départ  pour  un  voyage,  le  passage  d'un  torrent,  tout  pour  eux 
est  un  motif  de  conjuration.  Us  poussent  la  superstition  si  loin  que  les  guides 
toungouzes  s'opposaient  absolument,  non  seulement  à  ce  que  M.  Martin 
emportât  les  crânes  humains  trouvés  dans  les  tombes  anciennes,  mais  même  à 
ce  qu'il  prît  les  têtes  et  les  pattes  des  animaux  tués  à  la  chasse,  prétendant 
qu'il  fallait  absolument  attacher  ces  ossements,  enfermés  dans  un  morceau  de 
peau,  aux  branches  élevées  d'un  arbre,  et  les  y  abandonner,  sous  peine  d'attirer» 
sur  la  caravane  les  plus  grands  malheurs.  On  peut  juger  par  ce  seul  fait  des 
difficultés  auxquelles  se  heurte  un  voyageur  lorsqu'il  veut  former  des  collections 
zoologiques  dans  un  pareil  pays. 

Malgré  ces  obstacles,  M.  Martin  est  parvenu  à  réunir  une  série  très  impor- 
tante d'idoles,  grossières  statuettes  de  bois  noirci  par  le  temps,  munies  d'yeux 
de  verre,  habillées  de  fragments  de  peau,  ornées  de  mâchoires  de  rennes  sau- 
vages. L'une  d'elle  est  une  divinité  phallique.  D'autres,  plus  informes, 
sont  de  simples  morceaux  de  bois  surmontés  de  deux  pointes,  qui  ont  l'inten- 
tion de  symboliser  les  bêtes  à  cornes  et  servent  à  la  fois  de  fétiches  et  de  jouets 
d'enfants. 

La  collection  de  M.  Martin  comprend  également  un  certain  nombre  de  vête- 
ments, objets  divers  et  idoles  yakoutes. 

Les  Yakoutes,  qui  habitent  à  l'ouest  des  Toungouses,  sont  en  général  plus 
civilisés  que  leurs  voisins,  et  l'influence  russe  a  changé  plus  profondément 
leurs  mœurs.  Certaines  tribus  habitant  des  districts  éloignés  n'en  sont  pas 
moins  encore  très  fanatiques  et  ont  conservé  leur  ancien  culte  et  leurs  dieux. 
Elles  ont,  raconte  Billings,  tout  un  panthéon  de  divinités  :  Aar-Toyon,  l'auteur 
de  la  création  :  Koubey-Khatoun,  sa  femme;  Ouchsyt,  qui,  disent-ils,  a  sou- 
vent paru  parmi  eux,  tantôt  sous  la  forme  d'un  cheval  blanc,  tantôt  sous  celle 
d'un  oiseau  ;  Chessougoï-Toyon,  leur  protecteur  spécial  ;  puis  des  esprits  mal- 
faisants, infiniment  nombreux,  divisés  en  trente-cinq  tribus,  auxquelles  ils 
offrent  incessamment  des  sacrifices  et  des  prières.  Convaincus  qu'ils  sont  d'être 
en  état  de  démonocratie^  c'est-à-dire  sous  l'influence  immédiate  des  esprits 
malfaisants,  c'est  à  ceux-ci  surtout  que  s'adresse  leur  culte,  exercé,  comme 
chez  les  Toungouzes,  par  l'intermédiaire  de  Chamane  et  sous  une  forme 
similaire. 

VI  34 


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506  EXPOSITIONS,    COLLECTIONS   ET   MUSÉES 

En  outre  du  soin  de  leurs  troupeaux  de  rennes  et  de  chevaux,  leurs  princi- 
pales occupations  sont  la  chasse  et  la  pêche  qui  procurent  la  nourriture, 
des  vêtements  et  des  peaux  dont  ils  font  un  important  commerce  avec  les  colons 
russes.  Ils  ne  craignent  pas  d'attaquer  Tours  avec  un  épieu  à  gros  manche^ 
armé  d*une  lame  aiguë  très  large  et  épaisse.  Pour  s'emparer  des  petits  animaux, 
à  fourrure,  martres,  zibelines,  etc.,  ils  ont  des  pièges  très  ingénieux.  M.  Martin 
en  a  rapporté  plusieurs  spécimens. 

Leur  instinct  nomade  est  poussé  à  un  tel  point  qu'ils  ne  veulent  pas  rester 
plus  de  six  jours  à  un  même  endroit  et  qu'ils  transportent  malgré  tout  leurs 
tentes,  ne  fût-ce  qu'à  une  trentaine  de  mètres,  prétendant  que  leurs  yourtes, 
au  bout  de  ce  temps,  prennent  une  odeur  malsaine  et  désagréable.  M.  Martin 
a  eu  souvent  occasion  de  rencontrer  des  métis  Toungouses,  Yakoutes  et  Toun- 
gouses  Tschouklcbis.  Dans  certaines  localités  les  mélanges  de  sang  ont  été 
tels,  qu'aujourd'hui  les  résidents  eux-mêmes  ne  peuvent  plus  discerner  d'après 
les  traits  d'un  indigène  à  quelle  race  il  appartient. 

L'exposition  de  M.  Martin  comprend,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  une  très 
belle  collection  de  minéralogie  formée  d'environ  treize  cents  échantillons  des 
rochers  et  des  minerais  appartenant  aux  terrains  qu'il  a  traversés  et  étudiés. 
Déjà,  à  son  premier  voyage,  il  avait  rapporté  une  série  importante  de  miné- 
raux des  rives  de  la  Lena  et  de  la  Transbaïkalie  qui  a  fourni  à  M.  Vélain, 
directeur  du  laboratoire  des  hautes  éludes  de  géologie  à  la  Sorbonne,  les  maté- 
riaux d'un  mémoire  de  la  plus  grande  importance  qui  a  éclairci  bien  des  points 
obscurs  de  la  géologie  de  ces  contrées  et  fait  connaître  plusieurs  espèces 
absolument  nouvelles.  M.  Vélain  va  pouvoir  continuer  et  compléter  ses  recher- 
ches. 

Il  n'a  guère  été  plus  aisé  de  former  cette  collection  de  géologie  que  celles 
d'ethnographie  ou  d'histoire  naturelle.  M.  Martin  a  eu,  en  effet,  à  lutter  contre 
le  mauvais  vouloir  de  ses  porteurs,  qui  jetaient  en  cachette  les  pierres  qu'il 
ramassait,  et  lorsqu'il  s'en  aperçut,  lui  répondirent  qu'il  trouverait  sur  les  bords 
de  l'Amour  autant  de  cailloux  qu'il  le  voudrait,  sans  leur  donner  la  peine  de 
les  porter  si  loin  ! 

L'étude  des  documents  variés  apportés  par  ce  voyageur  offre  un  vif  intérêt 
d'actualité  en  ce  moment  où  l'attention  de  l'Europe  est  attirée  sur  les  posses' 
sions  russes  d'Asie.  Elle  nous  fait  mieux  connaître,  en  effet,  l'importance  com- 
merciale et  politique  d'une  contrée  appelée  sans  doute  à  jouer  un  grand  rôle 
par  suite  de  sa  proximité  avec  la  Chine  qu'elle  limite  sur  une  g  rande  étendue 
et  de  ses  ports  immenses  et  sûrs,  libres  de  glace  la  plus  grande  partie  de 
Tannée,  qui  sont  les  seuls  que  l'empire  russe  possède  sur  l'Océan. 

{La  Nature)»  F.  LANonm. 


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NOUVELLES 


L'émigration  des  Tartares  de  Crimée. 

La  presse  russe  a  souvent  parlé  de  rémigration  des  Tartares  de  Crimée 
phénomène  qui,  bien  qu'il  n*ait  pas  cessé  de  se  produire  depuis  l'annexion  de 
la  Tauride  à  la  Russie,  a  pris  dans  ces  dernières  années»  sous  l'influence  de  la 
réforme  militaire,  des  proportions  plus  considérables  que  par  le  passé.  Nous 
trouvons  à  ce  sujet  dans  la  Voix,  un  article  intéressant.  Ce  journal  est  d^avis 
que  l'introduction  du  service  militaire  obligatoire  ne  peut  point  être  considérée 
comme  la  cause  déterminante  de  la  recrudescence  de  Témigration  des  Tartares, 
«  la  vraie  cause  est  plus  profonde,  dit-il,  et  doit  être  cherchée  dans  les  rapports 
qui  ont  existé  entre  notre  gouvernement  et  la  population  musulmane  de  la 
Crimée  à  partir  de  leur  passage  sous  la  domination  russe.  La  Russie,  ajoute 
la  Voix,  a  été  indifférente  et  peu  soucieuse  des  intérêts  des  Tartares  de  Crimée  ; 
rien  à  peu  près  n*a  été  fait  durant  un  siècle  pour  améliorer  les  conditions  maté- 
rielles et  morales  des  Tartares,  et  il  n'y  a  point  à  s*étonner  que  leurs  sympathies 
restent  acquises,  comme  vers  le  milieu  du  siècle  dernier,  à  la  Turquie,  à 
laquelle  les  rattache  Tunité  de  croyance.  La  réorganisation  du  service  militaire 
n'a  été  qu'un  prétexte  à  l'émigration,  qui  n'avait  point  discontinué  pendant  les 
quatre-vingt-dix  dernières  années,  i  La  Voix  retrace  ensuite  l'historique  de 
l'émigration  tartare,  en  exposant  en  même  temps  la  politique  suivie  à  cet  égard 
par  notre  gouvernement. 

L'annexion  à  la  Russie  de  la  Crimée,  de  Taman  et  du  territoire  de  Kouban 
eut  lieu  en  vertu  d'un  manifeste  portant  la  date  du  8  avril  1773,  dans  lequel  il 
était  dit,  entre  autres  choses,  que  les  populations  du  territoire  annexé  jouiraient 
à  l'avenir  des  droits  attribués  à  la  condition  de  chacune  d'elles  par  les  lois  de 
Tempire,  et  que  nulle  atteinte  ne  serait  portée  à  l'exercice  de  leur  culte.  Dans 
le  courant  de  la  même  année,  le  gouvernement  autorisa  le  passage  des  Tartares 
nomades  de  la  Crimée  sur  les  rives  du  Volga  et  de  l'Oural,  ceux-ci  ayant 
manifesté  le  désir  d'émigrer  dans  ces  contrées  ;  en  même  temps,  on  n'opposa 
aucun  obstacle  à  l'émigration  des  Tartares  en  Turquie.  Bientôt,   cependant, 
cette  émigration  prit  des  proportions  qui  obligèrent  notre  gouvernement  à 
songer  à  des  mesures  propres  à  en  arrêter  la  marche  croissante.  Le  prince 
Potemkine  exprima  l'avis  que,  tout  en  n'empêchant  pas  le  départ  des  Mourzas 
(nobles)  et  des  Tartares  citadins,  il  fallait  s'opposer  à  l'émigration  des  Tartares 
campagnards.  Avec  le  vrsû  tact  de  l'homme  d'État,  Potemkine  voyait  bien  la 
véritable  cause  de  l'émigration,  et  estimait  que  de  bonnes  mesures  gouverne- 
mentales seraient  d'une  efQcaciié  bien  plus  grande  que  des  décrets  prohibant 
la  sortie. 


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508  NOUVELLES 

«  Nos  nouveaux  sujets,  écrivait  en  1787  le  prince  Potemkine  au  gouverneur 
du  territoire  de  Tauride,  requièrent  Tentière  sollicitude  du  gouvernement  ;  la 
sécurité  et  le  repos  de  chacun  d'eux  doivent  être  garantis,  et,  s'il  en  était 
ainsi,  ils  ne  songeraient  pas  h  abandonner  le  pays  de  leurs  pères.  Les  départs 
qui  ont  eu  lieu  prouvent  le  mécontentement  des  Tartares  ;  tâchez  d'en  découvrir 
la  cause  et  faites  votre  devoir  avec  fermeté  en  donnant  satisfaction  à  tous  les 
griefs  légitimes.  Les  bons  procédés  peuvent  nous  gagner  les  cœurs,  mais  la 
justice  seule  est  en  état  de  nous  concilier  la  conGance  de  la  population.  » 

Il  ne  suffisait  cependant  pas  d  exercer  la  justice  pour  contenter  des  habitants 
barbares  et  fanatiques,  qui  considéraient  comme  une  oppression  et  une  iniquité 
toute  réforme  tendant  à  les  rapprocher  d'un  état  social  civilisé  ;  aussi  l'émi- 
gration en  Turquie  poursuivit-elle  son  cours  pendant  les  règnes  de  Catherine  If, 
de  Paul  !•'  et  de  l'empereur  Alexandre  I*".  Le  gouvernement  changeait  à  tout 
moment  sa  ligne  de  conduite,  tantôt  se  montrant  indifférent  aux  départs  des 
Tartares  et  tantôt  y  opposant  des  mesures  plus  ou  moins  rigoureuses. 

Par  un  rescrit  impérial  du  29  août  1803,  il  fut  décidé  que  les  Tartares  pro- 
priétaires fonciers  auraient  toute  liberté  de  quitter  le  pays,  mais  que,  dans  ce 
cas^  leurs  lots  de  terre  deviendraient  propriété  du  fisc.  Vers  la  fin  de  l'année 
suivante,  lorsqu'on  s'aperçut  que  l'émigration  privait  de  travailleurs  les  proprié- 
taires fonciers  des  steppes,  il  fut  décidé  que  Tautorisation  en  question  ne  serait 
applicable  qu'aux  Tartares  habitant  la  région  montagneuse  de  la  presqu'île  et 
les  départs  devinrent  par  suite  moins  fréquents.  Sauf  en  1818,  il  n'y  eut  plus, 
depuis  ce  temps,  d'émigration  en  masse  jusqu'aux  années  qui  suivirent  la  guerre 
de  Crimée.  A  cette  époque,  c'est-à-dire  en  1856,  le  signal  de  l'émigration  fut 
donné  par  ceux  des  Tartares  qui,  pendant  la  guerre,  avaient  passé  à  l'ennemi, 
par  une  grande  partie  des  habitants  de  la  ville  d'Ëupatoria  et  par  une  certaine 
partie  de  la  population  des  districts  d'Ëupatoria,  de  Pérécop  et  de  Sym- 
phéropol. 

Là-dessus  les  départs  devinrent  moins  fréquents  et  ne  se  renouvelèrent  que 
quatre,  ans  plus  lard,  mais  cette  fois  avec  une  intensité  qu'on  n'avait  point  eu 
occasion  d'observer  jusqu'alors.  Dans  l'espace  de  deux  ans,  —  de  1860  à  1862, 
—  près  de  200.000  Tartares  s'expatrièrent  en  Turquie,  et  il  est  hors  de  doute 
que  l'émigration  aurait  atteint  des  proportions  plus  considérables  si  on  ne  lui 
avait  point  opposé  une  barrière.  Quelle  était  la  cause  de  ce  regrettable  pbéno- 
nomène?  Voici  ce  que  la  Voix  croit  pouvoir  dire  à  ce  sujet  :  «  La  défection  d'une 
partie  des  Tartares  lors  de  la  guerre  d'Orient  et  la  crainte  assez  naturelle  que 
cela  pouvait,  le  cas  échéant,  se  reproduire  encore,  avaient  amené  nos  hautes 
sphères  gouvernementales  à  envisager  sans  regret  l'émigration  des  Tartares 
Cette  manière  de  voir  fut  communiquée  confidentiellement  à  l'administration 
supérieure  locale  qui,  sans  provoquer  le  départ  des  Tartares,  ne  s'y  opposait 
plus  du  tout,  en  s'appliquant  à  régler  l'émigration  dans  le  but  d'éviter  au  pays 
une  crise  économique.  Dans  le  courant  de  l'année  1860,  l'administration  délivra 
aux  émigrants  tartares  jusqu'à  cent  quatre-vingt  mille  passeports.  Au  mois  de 
mars  1860,  on  déclara  aux  Tartares,  afin  d'arrêter  le  courant  de  l'émigration,  que 
les  émigrés  n'auraient  plus  l'autorisation  de  rentrer  dans  le  pays;  cette  mesure 
demeura  sans  résultat.  Au  mois  d'août  de  la  même  année,  il  fut  décidé  de  limn 
ter  à  un  cinquième  du  total  de  la  population  tartare  le  nombre  de  ceux  auxquels 


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NOUVELLES  509 

des  passeports  pourraient  être  délivrés;  cela  ne  fit  que  multiplier  lesTrequétes, 
chacun  craignant  de  rester  en  dehors  du  nombre  de  ceux  qui  seraient  libres  de 
partir.  Enfin,  au  mois  de  décembre,  les  départs  furent  complètement  interdits, 
sauf  pour  des  motifs  spéciaux  dont  l'appréciation  appartiendrait  au  gouverne- 
ment général  de  la  Nouvelle-Russie.  C*est  alors  que  l'aide  de  camp  général 
Vassiltchikow  fut  envoyé  en  mission  en  Crimée  pour  étudier  les  causes  et  les 
conséquences  de  Témigration  tartare  et  les  moyens  d*y  remédier.  Le  prince 
Vassiltchikow  fit  une  enquête  personnelle  très  approfondie  et  constata  une  sou- 
mission parfaite  et  sincère  des  Tartares  au  gouvernement  de  l'empereur,  ce  qui, 
joint  à  leurs  mœurs  douces  et  tranquilles,  rendait  la  tâche  facile  à  Tadministra- 
tion.  D'autre  part,  cependant,  l'enquête  fit  découvrir  que  l'administration  et 
surtout  les  propriétaires  fonciers  usaient,  envers  les  paysans  tartares,  de  pro- 
cédés extrêmement  durs  :  c'est  dans  le  poids  des  charges  fiscales  et  dans  les 
redevances  considérables  et  indéterminées  envers  les  propriétaires  fonciers,  et 
non  pas  dans  le  fanatisme  de  la  population,  que,  de  l'avis  du  prince  Vassiltchi- 
kow, il  faut  chercher  la  cause  du  mécontement  sourd  et  obstiné  qui  pousse  les 
Tartares  à  l'émigration. 


Les  mangeurs  d'arsenic 

En  Styrie  on  fait  grand  usage  d'acide  arsénieux  Ou  de  sulfure  d'arsenicl 
Certains  sujets  en  pretinent  en  une  seule  fois  jusqu'à  dix  centigrammes,  quan- 
tité énorme,  quand  on  sait  qu'en  médecine  un  seul  centigramme  pris  en  une 
seule  fois  constitue  déjà  une  forte  dose.  Les  docteurs  Buchner  et  Knapp  ont 
examiné  dernièrement  des  mangeurs  invétérés  de  Styrie.  Tous  ces  mangeurs 
s'accordent  à  dire  qu'ils  emploient  l'arsenic  pour  se  trouver  toujours  dispos  et 
se  prémunir  contre  les  maladies  épidémiques.  Le  docteur  Buchner  affirme  qu'il 
n'a  jamais  rencontré  chez  eux  de  gens  abrutis;  au  contraire,  ils  se  distinguent 
par  une  véritable  aptitude  au  travail.  Enfin,  contre  la  croyance  générale, 
l'usage  continu  de  l'arsenic  n'amènerait  pas  l'embonpoint.  Le  corps  des  man- 
geurs n'est  nullement  déformé  par  la  graisse,  et  pour  se  maintenir  en  bonne 
santé  il  n'est  pas  besoin  d'augmenter  sans  cesse  la  dose,  comme  on  l'a  répété 
à  tort.  Bref,  les  mangeurs  d'arsenic  sont  des  gens  robustes  et  d'excellents  tra- 
vailleurs. Nous  n'y  contredirons  pas.  Mais  ils  sont  de  Styrie.  Nous  connaissonà 
tous,  du  reste,  les  vertus  de  l'arsenic  et  les  chevaUx  de  course  aussi.  Seule- 
ment partout  l'abus  est  un  défaut. 

H.  DE  Parville. 


L'âge  de  pierre  au  Congo 

Le  capitaine  commandant  d'artillerie  ZboTnski,  envoyé  en  mission  par  le  roi 
des  Belges  au  Congo  en  1884  et  en  1885,  a  observé  sur  la  rive  gauche  du  grand 
fleuve,  dans  la  région  des  cataractes,  aux  environs  de  Manyanga-Sud,  un 
champ  couvert  de  fragments  de  quartzite,  roche  qui  affleure  en  ce  point.  En 
examinant  ces  débris,  il  crut  remarquer  que  c'étaient  des  pierres  taillées,  rappe- 


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SIO  NOUVELLES 

lant  par  leurs  formes  et  par  leur  travail  les  instruments  de  pîefre  de  nos  pays 
européens.  Il  en  recueillit  cinq  spécimens  et,  à  son  retour  de  Belgique,  un 
nouvel  examen  ne  fit  que  le  confirmer  dans  son  opinion. 

M.  le  commandant  Zboïnski  a  bien  voulu  nous  soumettre  ces  objets.  Je  n*hé- 
site  pas  de  mon  côté  à  y  reconnaître  des  instruments  de  pierre  grossièrement 
taillés,  et  fort  analogues  k  ceux  que  Ton  rencontre  abondamment  chez  nous  à  la 
surface  du  sol»  au  milieu  des  débris  de  Tépoque  néolithique.  On  y  observe, 
entre  autres,  les  inévitables  grattoir  et  perçoir, 

La  découverte  de  M.  Zboïnski  a  une  sérieuse  importance  ethnographique. 
Elle  ne  nous  fait  pas  seulement  connaître  la  présence  d'outils  en  pierre  dans 
cette  partie  de  l'Afrique  ;  il  y  a  en  outre  lieu  de  croire  qu'en  ce  point  du  Congo, 
la  pierre  était  extraite  et  taillée  sur  place  et  non  apportée  des  localités  plus  ou 
moins  lointaines.  Ce  serait,  en  d'autres  termes,  un  atelier  de  taille.  De  sorte 
que  Texistence  d'un  Age  de  la  pierre,  propre  à  ces  régions,  s'annonce  sur  les 
côtes  occidentales  de  l'Afrique  ave  un  ensemble  de  caractères  qui  ne  peuvent 
guère  le  laisser  révoquer  en  doute. 

Cette  conclusion  est  d'autant  mieux  justifiée  que  M.  Zboïnski^  ayant  eu 
l'occasion  de  se  rendre  dans  les  possessions  portugaises  voisines,  a  recueilli 
d'autres  pierres  taillées  dans  la  région  de  Mossamédès  ;  trois  d'entre  elles  sont 
cette  fois,  non  plus  en  quartzite,  mais  en  silex  et  aussi  grossièrement  travaillées 
que  ceux  de  Manyanga.  Un  silex,  d'un  travail  également  primitif,  a  été  ren- 
contré à  quarante  kilomètres  à  lest  dans  la  plaine  GirauU. 

Ed.  Dupont. 


Les  arcbiyes  internationales  d'ethnographie 

Nous  sommes  heureux  de  souhaiter  la  bienvenue  à  un  nouveau  recueil  consa- 
cré à  des  études  qui  nous  sont  particulièrement  chères.  Ce  recueil,  essentielle- 
ment ethnographique,  sera  intitulé  Internationales  fur  Ethnographie,  Il  est 
fondé  par  notre  collègue,  M.  Serrurier,  conservateur  du  Musée  royal  ethnogra- 
phique de  Leyde  ;  les  principaux  collaborateurs  sont  MM.  Bahnson,  de  Copen- 
hague, G.  Cora,  de  Turin,  Dozy,  de  Noorwisk,  Pétri,  de  Saint-Pétersbourg, 
Schmeltz  et  Serrurier,  de  Leyde.  On  se  propose  d'étudier  plus  particulièrement, 
dans  cette  publication  internationale,  Vethnographî^  analytique  qui  n'a  point, 
jusqu'à  présent,  dit  M.  Serrurier,  «  de  publication  périodique  qui  lui  soit  prin- 
cipalement vouée  ». 

E.  H. 


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CORRESPONDANCE 


Notes  ethnologiques  sur  l'île  de  Mallicolo.  —  Monuments  méga- 
lithiques du  DJebel-Oum-Settas  et  de  POned-Derbela.  —  Non- 
Telles  du  Congo  français.  --  Découvertes  d'antiquités  à  la  Gua- 
deloupe, à  la  Désirade  et  à  Marie-Galante.  ^  Fouilles  avix, 
environs  de  Taehkend.  —  Analyse  d'une  hache  du  Mexique. 

Konif  19  janvier  1887. 

Je  suis  heureux  que  les  envois  que  j'ai  fait  au  Muséum  '  soient  arrivés  en  bon 
état.  Je  ne  sais  comment  sont  parvenus  à  Paris  les  poissons  et  les  serpents  de 
Mallicolo  que  j*ai  expédiés.  Les  serpents  peuvent  être  curieux  ;  ils  ne  sont  pas 
les  mêmes  que  ceux  que  j'ai  envoyés  des  îles  Loyalty  ;  en  Galédonie  et  à  Tiie 
des  Pins,  îles  très  voisines,  l'on  n'en  trouve  aucun  de  l'espèce  terrestre. 

Quant  aux  crânes,  la  déformation  spéciale  à  l'île  de  Mallicolo  leur  est  donnée 
artiQciellement.  L'enfant  à  peine  né  est  remis  entre  les  mains  des  matrones  qui 
lui  malaxent  la  tête  et  l'entourent  de  lianes:  les  liens  sont  renouvelés  jusqu'à 
l'Age  de  trois  ans  ;  à  cette  époque  le  crâne  a  acquis  la  configuration  voulue. 
Vous  avez  dû  remarquer  que  les  crânes  de  femmes  manquent  tous  des  deux 
incisives  supérieures  ;  c'est  encore  une  pratique  spéciale  dans  l'Archipel,  à  l'île 
de  Mallicolo  :  quand  une  jeune  fille  se  marie,  on  lui  enlève  ces  deux  incisives» 
soit  en  les  frappant  à  petits  coups  avec  une  pierre  dure,  soit  en  les  extirpant 
une  fois  qu^elles  sont  ébranlées,  soit  en  les  cassant  violemment.  J'ai  eu  occa- 
sion de  voir  trois  jeunes  filles  de  Tile  qui  n'avaient  pas  voulu  se  soumettre  à 
cette  coutume  barbare,  de  crainte  de  la  douleur  ;  l'une  d'elles  restait  non  mariée 
dans  la  tribu,  objet  de  la  réprobation  unanime,  les  deux  autres  étaient  envoyées 
à  la  Compagnie  des  Nouvelles-Hébrides.  J'ai  recueilli  nombre  de  documents 
<^urieux  au  sujet  de  l'anthropophagie  pendant  mon  séjour  dans  l'Archipel.  Les 
indigènes  n'en  veulent  pas  parler  et  nient  toujours  l'avoir  pratiq  uée,  mais  de 
côtiers,  des  pêcheurs  de  biches  de  mer  du  «  Coprah-Makas  n,  ceux  que  Ton 
dépeint  sous  le  nom  de  a  frères  de  la  côte  »,  m'en  ont  cité  bien  des  cas  auxquels 
ils  ont  assisté.  Du  reste,  sur  un  espace  de  quelques  lieues  carrées,  à  Malli- 
collo,  se  trouvent  une  dizaine  de  tribus  qui  sont  toujours  en  guerre.  La 
cause  en  est  que  lorsqu'un  guerrier  quelque  peu  important  meurt,  pour  ne  pas 
le  laisser  partir  seul,  il  faut  tuer  un  guerrier  de  la  tribu  voisine  I  De  là  les 

1)  Cette  lettre  nous  est  communiquée  par  M.  de  Quatrefages. 


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512  CORBESPONDAIfCE 

haines  et  les  guerres.  Je  n'c^i  jamais  vu  ud  homme  à  Mallicolo  marcher 
sans  son  fusil  (Sniders,  Martini-Henry  ou  autre)  sur  l'épaule  et  à  la  main 
un  arc  avec  des  flèches  empoisonnées.  Pour  venir  faire  leurs  achats  au 
magasin  de  la  Compagnie  des  Nouvelles-Hébrides  situé  près  du  camp,  ils 
prenaient  toujours  la  voie  de  mer,  n^osant  pas  passer  sur  le  territoire  des  tnbus 
voisines  de  quelques  centaines  de  mètres  seulement.  Les  crânes  des  ennemis 
tués  ainsi  sont  conservés,  enduits  de  terre  glaise  pour  représenter  les  muscles 
et  colorés  en  rouge  ;  j'ai  pu  m'en  procurer  deux  spécimens  qui  doivent  être 
arrivés  en  France  et  que  je  réserve  au  muséum.  A  Mallicolo,  à  rencontre  de 
ce  qui  se  passe  dans  les  autres  îles  de  l'archipel,  les  natifs  se  défont  &cilement 
des  crânes  de  la  tribu  moyennant  quelques  francs  la  pièce  ;  c'est  ainsi  que  j*ai 
pu  vous  en  envoyer.  Malgré  mes  recommandations  à  tous  les  capitaines  côLiers 
et  recruteurs,  je  n'en  ai  pu  obtenir  des  autres  îles,  que  deux,  fort  cassés,  re- 
cueillis à  Âmbrjm. 

L'archipel  se  dépeuple  très  vite  ;  maintes  fois  dans  mes  courses  j'ai  rencontré 
des  villages  abandonnés  ;  la  cause  en  est  aux  guerres,  à  Fanthrophagie,  aux 
maladies,  principalement  à  la  syphilis,  et  enfin  â  l'émigration.  Les  indigènes 
qui  vont  à  Queensland  n'en  reviennent  pour  ainsi  dire  jamais;  le  climat  y 
est  fort  meurtrier  pour  eux  ;  il  en  est  de  même  de  ceux  qui  vont  aux  Fidji  et 
à  Honolulu  ;  ils  y  contractent  un  engagement  de  dix  ans  et  il  est  rare  ique 
l'on  en  voie  revenir;  aussi  les  prix  que  demandent  les  chefs  sont-ils  de  jour 
en  jour  plus  élevés  pour  laisser  partir  leurs  sujets. 

J'ai  envoyé  à  ma  soeur  à  Paris  nombre  d'objets  destinés  au  Muséum  ou  au 
musée  d'ethnographie,  je  la  prierai  de  vous  les  faire  parvenir  et  vous  voudrez 
bien  garder  pour  votre  établissement  ce  que  vous  jugerez  utile  et  envoyer  le 
reste  au  Trocadéro.  Il  y  a  notamment  deux  haches,  non  en  pierre,  car  la  pierre 
n'existe  pas  à  Mallicolo,  mais  en  morceaux  d'hippopus,  ce  grand  bénitier 
commun  en  Océanie.  On  ne  fabrique  plus  de  ces  instruments  et  je  les  crois 
rares  et  curieux. 

J'ai  encore  trouvé  ici,  dans  le  Nord,  plusieurs  spécimens  de  poterie  canaque 
datant  de  longtemps,  car  les  indigènes  ne  se  servent  plus  que  de  marmites  en 
fer  ;  quelques-uns  de  ces  objets  sont  ornés  de  petites  sculptures  et  pourraient 
être  intéressants  comme  spécimens  d'une  industrie  disparue  complètement. 
Veuillez  me  dire,  monsieur,  comment  je  pourrai  les  expédier  au  musée  du 
Trocadéro. 

Veuillez,  etc. 

D'  E.  Cailliot. 


Camp  d'El  Gueirah,  1"  juin  1887. 

...  Les  archéologues,  qui  ont  visité  cette  contrée,  ont  signalé  depuis  long- 
temps la  présence  de  ruines  mégalithiques,  dolmens,  tumuli,  cromlechs,  etc. 
Mais  la  région  dont  nous  nous  occupons  a  été  moins  explorée  que  celle  de  Sigus. 
Les  ouvrages,  qui  ont  trait  à  ces  ruines,  indiquent  seulement  qu'on  a  aperçu  des 
dolmens  sur  le  Mazela  de  Bou-Nouara.  Mais  aucun  ne  fait  mention  de  ceux  du 
Djebel-Oum-Settas.  Personne  n'indique  non  plus  une  date  approximative  del'é- 


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CORRESPONDANCE 


513 


poque  à  laquelle  ces  monuments  ont  été  construits.  On  est  généralement  d'ac- 
cord pour  affirmer  qu*ils  sont  antérieurs  à  tout  ce  qui  est  connu  de  l'histoire  de 
ce  pays.  Pourtant  on  est  en  droit  de  se  demander  si  ce  ne  serait  pas  là  une  trace 
du  passage  des  légions  auxiliaires  du  Rhin,  qui  remplacèrent  la  troisième 
légion  Augusta  après  son  licenciement,  d'autant  plus  que  ces  ruines  se  trouvent 
toujours  dans  les  environs  des  ruines  romaines.  Ce  n'est  d'ailleurs  pas  par 
centaines,  c'est  par  milliers  qu'ils  faut  compter  ces  restes. 

Dolmens.  —  Les  dolmens  sont  peu  élevés  (l«n,50  au  plus)  et  sont  formés  d'une 
table  à  peu  près  ovale,  qui  mesure  parfois  jusqu'à  3  mètres  de  longueur,  table 
soutenue  par  deux  pieds-droits.  Ils  sont  toujours  entourés  d'un  cercle  de  grosses 


Flg.  78.  —  Fragment  de  roche" gravée  de  la  Guadeloupe  (collection  Guesde), 


pierres  non  taillées.  Us  sont  situés  sur  la  crête  du  Djebel-Oum-Settas  et  sur  ses 
pentes  nord.  On  les  retrouve  en  nombre  bien  plus  considérable  sur  le  flanc  ouest 
du  Mazela  de  Bou-Nouara. 

Tumuli,  —  Sur  les  croupes  voisines,  on  remarque  des  tumuli  •  Généralement 
circulaires,  ils  se  présentent  sous  la  forme  d'une  calotte  sphérique  de  4  mètres  de 
diamètre  et  de  0">,60  de  hauteur.  Au  milieu  et  au  sommet  sont  deux  ou  trois 
pierres  verticales,  entourées  d'un  petit  cercle  entouré  lui-même  d'un  autre^cercle 
qui  suit  le  pourtour  du  monument.  Ce  dernier  cercle  n'est  pas  fait  sans  prin- 
cipes; il  se  compose  d'une  série  de  pierres  placées  verticalement,  séparées  par 
trois  ou  quatre  pierres  horizontales. 

On  en  rencontre  (mais  ils  sont  rares)  qui  ont  une  forme  rectangulaire;  le  rec- 
tangle mesure  3  mètres  de  longueur  sur  1«,50  de  largueur. 

Plusieurs  d'entre  eux  ont  été  fouillés.  Ces  fouilles  ont  amené  la  découverte  de 
débris  d'ossements  humains,  qui  se  réduisaient  en  poussière  au  contact  de  la 
main.  Pourtant  nous  avons  trouvé  des  morceaux  de  radius  et  de  cubitus  et  une 


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su 


CORRESPONDANCE 


mâchoire  à  laquelle  étaient  encore  adhérentes  trois  dents  assez  bien  conservées. 
11  n'y  avait  aucun  fragment  de  crâne.  Dans  quelques-uns  des  monuments  nous 
rencontrions  des  débris  de  vases  en  terre.  Un  vase  entier,  qui  avait  dû  recevoir 
un  coup  de  pioche  pendant  la  fouille,  s'est  complètement  effrité  quand  on  a 
voulu  le  soulever. 
Ces  lumuli  se  trouvent  principalement  sur  la  rive  gauche  de  TOued-Derbela.. . 

C.  Sauret. 
Lieutenant  au  49^  régiment  de  ligoe. 

Pointe-à'Pitrey  11  septembre  1887. 
J'ai  le  plaisir  de  vous  annoncer  que  j'ai  enfin  pu  ajouter  à  ma  collection 
d'antiquités  caraïbes  une  pierre  portant  une  inscription.  Le  dessin  que  com- 


Fig.  79.  Hache  &  encoches  de  la  Desirade  (coll.  Guesde). 

porte  cette  pierre,  et  que  je  reproduis  ci-joint  (fig.  78),  n'est  malheureusement 
qu'une  partie  de  l'inscription  totale.  La  pierre  que  je  possède  est  un  fragment 


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CORRESPONDANCE  515 

d*une  pierre  plus  grande,  elle  est  fortement  oxydée,  par  suite  de  son  séjour  dans 
Teau,  en  sorte  que,  en  dehors  des  deux  figures  complètes,  on  voit  à  droite  et  à 
gauche  des  traces  non  douteuses  d*un  dessin  plus  compliqué.  Je  suis  mille 
fois  heureux  de  cette  trouvaille,  car  il  y  la  onglemps  que  je  poursuivais  la  pos- 
session d'une  pareille  pièce. 

Je  vous  communique  en  môme  temps  le  croquis  (fig.  79)d'une  hache  que  j'ai 
découverte  à  la  Désirade.  Jusqu'à  ce  jour  j'avais  rencontré  quelques  haches 
ayant  une  grande  tendance  à  se  rapprocher  du  type  des  Guyanes,  mais  je 
n'avais  jamais  eu  le  bonheur  de  mettre  la  main  sur  un  spécimen  aussi  pur.  Le 
malheur  veut  que  cette  hache  ne  soit  pas  complète  ;  toutefois  elle  a  conservé  les 
encoches  qui  en  caractérisent  Torigine. 

J*ai  bon  espoir  que  cette  communication  vous  intéressera. 

J'ai  également  trouvé  à  la  Désirade  une  idole  mastoïde,  en  granité  à  face  hu- 
maine, très  intacte.  Voilà  deux  pièces  en  granit  que  je  trouve  à  la  Désirade, 
quand,  partout  ailleurs,  je  n'ai  jamais  rien  rencontré  taillé  dans  cette  pierre, 
l'autre  pièce  est  aussi  une  idole  mastoïde»  mais  figurant  une  simple  pyra- 
mide, elle  est  représentée  dans  l'album  que  j'ai  offert  au  Trocadéro. 

J'ai  bon  espoir  de  pouvoir  vous  montrer  ma  collection  dans  dix-huit  mois, 
car  la  colonie  tient  beaucoup  à  ce  qu'elle  figure  à  l'exposition  de  1889. 

J'allais  omettre  de  vous  dire  que  j'ai  trouvé  quelques  outils  en  silex  taillé  dans 
la  pièce  de  terre,  dont  il  a  été  question  oans  une  de  mes  précédentes  lettres 
(Revue  d^ ethnographie,  t.  !•')  mais  aucun  de  ces  outils  n'est  complet.  J'ai  trouvé 
un  couteau  semblable  à  ceux  de  Mane-Galante. 

Recevez,  etc.  .  Guesde. 


Com5(X,  10  septembre  1887. 

Lorsqu'au  mois  de  juin  dernier,  le  capitaine  Pleigneurécrifait  à  M.  Maunoir 
qu'il  pensait  que  vous  voudriez  bien  me  présenter  comme  membre  de  la  Société 
de  Géographie  de  Paris,  je  comptais  vous  écrire  aussitôt.  L'affreux  malheur  qui 
nous  est  arrivé  excusera  mon  retard. 

Nous  nous  étions  quittés  le  3  juillet  à  Kakamucke,  sur  le  Kuillou,  lui  remon- 
tait à  Macabana,  d'où  il  devait  redescendre  par  le  Niari,  faisant  des  observa- 
tions précises  pour  reconnaître  le  niveau  du  commencement  des  rapides,  et  je 
retournais  à  Loudima  par  Loango.  C'est  le  1er  août  que  j'ai  a  ppris  par  des 
noirs  la  terrible  nouvelle.  Je  n'y  voulais  pas  croire  d'abord,  cependant,  je  me 
mis  en  route  immédiatement. 

Cet  excellent  ami  est  mort  le  20  juillet,  dans  les  rapides  sous  Kitabi  ;  son  corps 
n'a  pas  été  retrouvé,  et  d'après  les  témoins  de  l'accident,  il  n'a  pas  crié,  il  n'a 
pas  reparu. 

Quelle  triste  fin  I  Lui»  plein  d'avenir,  de  santé,  aimé  de  tous  ;  dévoué,  prêt  à 
rendre  service  et  à  faire  plaisir,  mourir  ainsi  !  Son  travail  était  presque  fini, 
une  journée  encore  et  il  n'y  avait  plus  de  dangers. 

Un  de  ses  parents  était  mort  quelque  temps  auparavant,  lui  laissant  une  cer- 
taine fortune;  il  me  disait  à  Loango  que  son  travail  terminé,  il  permuterait  et 


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516  CORRESPONDANCE 

pour  être  bien  sédentaire,  irait  dans  la  gendarmerie  où  dans  là  garde  répu- 
blicaine et  se  marierait.  J'ai  été  cruellement  frappé  de  cette  mort,  et  ici  tous 
le  regrettent. 

Il  avait  presque  terminé  le  bassin  du  Niari,  encore  une  ou  deux  petites  rivières 
que  je  devais  lui  remettre  et  il  se  rendait  à  Brazzaville  par  la  rivière  Lalli,  au 
nord  du  Niari. 

.    De  Loango,  il  avait  envoyé  tous.ses  calculs  à  M.  Ballay,  lieutenant  gouverneur 
en  cas  d'accident,  et  on  n*a  trouvé  dans  ses  papiers  que  quelques  itinéraires. 

Je  vais  me  mettre  en  quatre  pour  continuer  ce  travail,  mais  ce  r\^  sera  plus 
la  même  cbose. 

Jusqu'à  présent,  je  n'ai  pu  m' occuper  que  très  peu  de  réunir  des  objets 
curieux  ;  seulement  ce  qui  m'est  tombé  entre  les  mains  ;  j'ai  toujours  couru  et 
les  postes  étaient  dans  une  telle  pénurie,  que  je  me  faisais  scrupule  de  rien  dé 
penser.  C'est  en  allant  dans  la  rivière  Lalli,  chez  les  Bayacks,  que  je  pourrai 
avoir  quelque  chose  ;  métiers  à  tisser,  etc. 

Je  vous  avais  parlé,  il  y  a  quelques  mois,  de  M.  Brussaux.  cet  agent  est 
actuellement  chargé  des  travaui  de  la  roule  dans  la  forêt  de  Mayombe  ;  où  il 
va  faire  une  collection  sans  précédente,  la  collection  des  bois  et  des  lianes;  il 
est  d'une  famille  de  forestiers  et  il  a  vu  à  Nancy  comment  on  s*y  prenait.  D 
compte  en  plus  d'un  herbier,  qu'il  n'est  pas  certain  de  réussir  avec  l'humidité 
permanente,  photographier  chacun  aes  arbres.  De  plus,  il  ramassera  tous  les 
genres  de  minéraux  et  de  pierres  qu'il  rencontrera. 

M.  Brussaux  s'occupe  aussi  de  naturalisation  et  il  a  déjà  une  collection  d'oi* 
seaux  très  remarquable 

Le  capitaine  Pleigneur  s'était  débarrassé  à  mon  proBt  d'un  appareil  à  photo- 
graphier qui  l'encombrait;  j'ai  demandé  en  France  des  produits  qui  manquaient, 
et  je  ne  désespère  pas  d'avoir,  après  quelques  essais,  des  vues  et  des  types  sur- 
tout, plus  ou  moins  remarquables. 

J.  Choi^bt. 

chargé  de  la  zone  du  Niari-Loudima. 


Tackkendy  29  novembre  1887  *. 

...  Pendant  le  cours  de  cet  été,  il  a  été  ouvert  un  assez  grand  nombre  de  tertres 
arrondis  sur  une  colline  à  trois  ou  quatre  kilomètres  de  Tackhend ,  mais  il  n'a 
pas  toujours  été  possible  de  trouver  l'entrée  de  la  sépulture,  ni  cette  dernière 
que  révélait  cependant  le  tertre.  L'année  passée,  en  labourant,  on  a  mis  à  nu 
de  petits  sarcophages  en  terre  cuite,  avec  couvercle.  L'un  d'eux  est  au  tnusée 
d'ici.  C'est  ce  qui  a  révélé  le  lieu  d'inhumation.  Les  fouilles  de  cette  année  se 
sont  faites  près  de  l'emplacement  de  ces  premières  trouvailles.  Ces  dernières 
tombes  se  trouvent  à  environ  deux  mètres  ,sous  terre  et  leurs  auteufs  ont  dû  y 
àrrivei"  par  un  clierain  en  pente  ;  cela  se  reconnaît  à  la  plus  grande  mollesse  de 
a  terre  par  endroits.  La  longueur  intérieure  de  ces  tombes  est  d'environ  deux 
mètres  sur  quatre-vingts  centimètres  de  largeur  et  autant  de  hauteur.  Le  sé- 

'  1)  Communiquée  par  H.  Cb.  Schefcr,  membre  de  l'InsUtut. 


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CORRESPONDANCE  517 

pulcre  esU  en  somme,  un  caveau  à  voûte  elliptique,  simplement  creusé  dans  le 
loess  et  qui  a  été  toujours  été  très  soigneusement  rempli  de  terre,  après  avoir 
reçu  son  dépôt.  Ce  remplissage  explique  pourquoi  il  a  toujours  été  difficile  d'en 
retirer  les  objets  sans  les  détériorer  plus  ou  moins. 

Ces  sépulcres  contenaient  parfois  plusieurs  squelettes  et  toujours  une  ou 
plusieurs  cruches,  tasses  ou  vases  de  terre  cuite,  parfois  très  bien  conservés^ 
d*autres  fois  mauvais  et  se  brisant  au  moindre  effort  par  suite  des  impuretés 
(gros  sable)  mêlées,  probablement  à  dessein,  à  la  terre  noirâtre,  dont  ils  avaient 
été  faits.  Quelques-unes  de  ces  cruches  à  panse  sphérique,  de  trente  centimètres 
par  exemple  de  diapètre,  avaient  été  intentionnellement  aplaties  avant  la  cuisson, 
probablement  pour  qu'on  pût  les  transporter  plus  facilement  à  dos  d'animal  en 
les  suspendant  par  leur  anse.  Ces  vases  que  nous  retirions  remplis  de  terre 
avaient  cependant  dû  contenir  des  aliments,  car  une  poudre  brune  qui  se  trou- 
vait généralement  sur  le  fond  l'indiquait  :  de  plus,  des  os  d'animaux  trouvés  a 
côté  prouvent  encore  cette  coutume  de  l'approvisionnement  ;  la  place  des  vases 
près  de  la  tête  le  confirme  aussi. 

Ce  n'est  que  grâce  â  un  travail  très  patient,  qu'on  a  réussi  à  reconnaître  d'où 
provenaient  des  morceaux  de  métal,  fer,  cuivre  et  quelques  objets  de  pierre  et 
d'os  retirésjavec  la  terre  tout  à  fait  meuble  et  granuleuse,  dont  avaient  été  soi- 
gneusement remplis  ces  caveaux.  Une  cruche  portait  l'empreinte  d'un  cachet  ou 
d'une  pièce  de  monnaie  d'environ  vingt  millimètees  de  diamètre,  mais  il  n'a 
pas  été  possible  de  le  déchiffrer. 

Quelques-unes  des  anses  de  cruches  portaient  des  têtes  d'animaux  grossiè- 
rement formées.  J'ai  trouvé  un  squelette  ayant  à  ses  pieds,  dans  un  enfonce- 
ment spécial,  une  moitié  de  cruche  reposant  horizontalement  sur  son  renOement 
et  sans  qu'aucun  autre  débris  du  même  genre  l'accompagnât.  Ce  fait,  bien  vé- 
rifié me  donna  à  penser  que  la  chose  n'était  pas  accidentelle  et.  devait  avoir  sa 
signification.  Celle  de  l'emblème  d'une  existence,  brisée  comme  .cette  cruche, 
est  la  première  qui  m'ait  frappé,  quoique  rien  ne  me  confirmât  encore  dans  cette 
opinion,  vu  que,  par  hasard,  j'avais  commencé  le  déblayage  du  caveau  par  le 
côté  des  jambes.  Rendu  ainsi  encore  plus  attentif  à  mon  travail  par  ce  désir  de 
contrôler  une  supposition  qui  s'imposait  à  moi,  novice,  j'ai  réussi  à  mettre  à 
nu  le  squelette  d'un  homme  de  taille  moyenne,  couché  sur  le  ventre,  la 
tête  légèrement  tournée  du  côté  gauche.  Un  sabre  de  fer,  un  peu  recourbé  vers 
le  bout  dont  le  métal  se  détachait  en  lamelles  ou  se  brisait  lorsqu'on  le  prenait, 
reposait  sur  les  os  du  bras  droât,  la  poignée  était  à  la  hauteur  de  l'épaule  et 
tout  près  de  quelques  os  ds  mouton,  parmi  lesquels  se  trouvait  un  petit  cou- 
teau de  fer  d'environ  quinze  centimètres,  manche  compris.  Le  fer  du  sabre 
portait  encore  des  traces  de  bois  provenant  probablement  du  fourreau.  Près  du 
poignet  droit  se  trouvait  un  ornement  ou  amulette  d'os  d'environ  trente  milli- 
mètres de  diamètre,  sur  cinq  à  six  d'épaisseur,  plat,  rond,  perforé  au  centre. 
Au  milieu  des  os  de  la  main  gauche  il  y  avait  les  débris  d'un  poignard  que  la 
rouille  avait  totalement  désagrégés. 

Le  fémur  droit  était  brisé  vers  le  milieu  et  quand  Je  crâne  a  été  relevé  il 
s'est  tout  disjoint  comme  dans  les  fouilles  précédentes.  On  pouvait  facilement 
reconnaître   l'empreinte  d'un    violent  coup  d'instrument  contondant  (bâton) 


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518  CORRESPONDANCE 

qui  avait  produit  un  enfoncement  très  visible  des  os  de  la  partie  supérieure 
de  l'avant  du  crâne.  Le  débris  trouvé  au  commencement  était  donc  symbo- 
lique. 

Lorsque  je  dégageai  la  tête  de  la  terre  à  peu  près  sèche  de  celte  tombe,  j*ai 
trouvé  quelques  tout  petits  fragments  de  peau  que  j*ai  reconnus  pour  tels  à  leur 
souplesse  d'abord,  puis  pour  les  avoir  comparés  avec  de  la  peau  ordinaire  en  me 
servant  d^une  loupe. 

Dans  un  autre  sépulcre,  on  a  trouvé  les  ossements  d'un  cheval  avec  des  fers 
et  un  mors.  Des  cailloux  de  marbre  dont  un  ou  plusieurs  côtés  avaient  été  usés, 
ont  été  également  rencontrés.  Je  m'arrête  là  pour  cette  fois... 

Emile  Mullbr, 
Professeur  au  Lycée  de  Tackhend. 


Dresden,  8  décembre  1887. 

Un  de  mes  amis,  le  D'  Engelbrecht,  de  Hambourg,  a  publié  l'analyse  chi- 
mique d'une  hache  de  bronze  trouvée  à  Atotonilco,  sur  la  frontière  des  états 
de  Puebla  et;de  Vera-Cruz.  Cette  analyse  a  été  publiée  dans  le  X®  volume  des 
Abhandlungen  ans  dem  Gebiete  der  Natunoissenschafften  herausgegeben  vom 
naturwissensckaftlichen  Verein  in  Hamburg  1887,  et  je  vous  l'envoie  pour 
\^  votre  Bévue,  afin  qu'elle  soit  aussi  connue  en  France. 

\  La  hache  se  trouve  dans  la  collection  Strebel  et  est  de  la  forme  la  plus 

'  simple.    Voici  les  résultats  de  M.  Engelbrecht;  l'analyse  a  été  faite    avec 

2gr.0640. 11  a  été  trouvé: 

Cuivre 98,05 

Étain 1,91 

Plomb • Traces 

Antimoine. -      Traces 

Bismuth Très  faibles  tr. 

Fer . Très  faibles  tr. 

99,96 
Pas  de  traces  d'argent,  de  zinc,  ni  de  soufre. 
L'auteur  ne  décide  pas  si  l'étain  a  été  ajouté  artificiellement,  ou  s'il  s'est 

trouvé  dans  le  minerai  de  cuivre... 

A.-B.  Meybr. 

Directeur  du  Musée  royal  anthropologique 
et  ethnographique  de  Dresde. 


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NÉCROLOGIE 


ZAWISZA 

Le  comte  Jean  Zawisza,  de  Varsovie,  qui  avait  été  l'un  des  premiers  à 
s'occuper  d'ethnographie  préhistorique  dans  l'Europe  orientale,  est  mort  le 
22  février  1887,  à  l'âge  de  64  ans.  Il  avait  publié  dans  les  Wiadomosci  ArcJieo- 
logiczne  de  Varsovie  un  certain  nombre  de  travaux  fort  intéressants  sur  les 
grottes  de  Wierszchow,  qu'il  avait  étudiées  avec  un  très  grand  soin  et  où  il 
avait  recueilli  des  documents  particulièrement  curieux.  M.  Zawisza  suivait  avec 
assiduité  les  congrès  internationaux  d'archéologie  et  d'anthropologie  préhisto- 
riques, auxquels  il  a  communiqué  à  diverses  reprises  des  notices  sur  ses  fouilles. 
II  était  fort  aimé  de  tous  ses  collègues  que  son  exquise  urbanité  et  son  esprit 
aimable  séduisaient  dès  le  premier  abord. 

Les  membres  français  du  Congrès  de  Moscou  n'ont  pas  oublié  la  fête  char* 
mante  et  magnifique  que  M.  Zawisza  a  bien  voulu  leur  donner  à  leur  passage 
à  Varsovie,  et  celui  d'entre  eux  qui  écrit  ces  lignes  se  fait  l'interprète  de  ses 
compagnons  d'alors  en  exprimante  la  famille  du  cher  défunt  les  regrets  sincères 
que  nous  a  causés  son  décès.  K.  H, 

F.-L.  CORNET 

L'ingénieur  belge  F.-L.  Cornet,  qui  a  découvert  avec  M.  A.  Briart  les  gise- 
ments de  Spiennes  si  intéressants  pour  nos  étufles,  est  mort,  il  y  a  quelque 
temps,  à  Mons,  où  il  exerçait  la  profession  d'ingénieur.  Il  était  particulièrement 
expérimenté  dans  l'étude  de  la  géologie  et  de  la  paléontologie  quaternaires  et 
ses  travaux  n'ont  pas  peu  contribué  au  développement  des  études  préhistoriques 
chez  nos  voisins  du  Nord.  E.  H. 


Ch.  RAU 


L'un  des  derniers  numéros  de  la  Revue  d'Ethnographie  contient  l'analyse 
d'un  volume  de  M.  Ch.  Rau  :  Prehistoric  Fishing  in  Europa  and  Norlh  Ame- 
nca.  Ce  Hvre  a  été  la  dernière  œuvre  de  cet  ethnographe  enlevé,  le  25  juillet 
dernier,  à  la  science  qu'il  cultivait  avec  tant  de  succès,  à  l'Institution  smithso- 
nienne  qu'il  servait  avec  tant  d'éclat  depuis  près  de  treize  ans.  Ch.  Rau  était 
né  en  Belgique,  en  1826;  il  était  venu  s'étabHrà  Beiville  (Illinois),  en  1848,  et 
c'est  en  1875  qu'il  est  entré  comme  archéologue  au  musée  de  Washington.  Il  a 
mis  au  service  des  collections  de  ce  grand  établissement  un  esprit  méthodique 
et  une  science  étendue,   et  publié   sur  les  antiquités  américaines  un  grand 


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520  NÉCROLOGIE 

nombre  de  bons  travaux  parmi  lesquels  nous  rappellerons  principalement  les 
volumes  intitulés:  The  Archœological  Collections  ofthe  U,  S,  National  Muséum; 
{SmithsonContrib,  to  Knowledge,  n©  287,  1876);  The  Palenque  TabUt  {Ibid., 
n*»  331,  1879)  ;  Observations  on  Cup-Shaped  and  other  lapidarian  Sculptures  in 
the  Old  World  and  in  America  [Contribut,  to  North  American  Ethnology,  vol.  V); 
et  un  certain  nombre  de  mémoires  de  moindre  étendue,  réunis  sous  le  titre  : 
Articles  on  Anthropological  subjects,  E.  H. 


SPENCER  BAIRD 

L'Institution  smithsonienne  a  fait  une  autre  perte  non  moins  cruelle  en  la 
personne  de  son  secrétaire,  Spencer  F.  Baird,  mort  à  Wood*s  HoU  (Massachu- 
setts), le  19  août  1887.  Né  à  Reading  (Pensylvanie),  le  3  février  1823,  cet  émi- 
nent  naturaliste  avait  succédé  à  Henry  dans  Tadministration  des  affaires  de 
rinstitulion  ,  il  s'acquittait  de  la  façon  la  plus  habile  des  fonctions  délicates  et 
compliquées  qui  lui  avaient  été  confiées.  Ses  relations  avec  les  établissements 
scientifiques  étrangers  étaient  actives  et  courtoises.  Il  a  largement  contribué  à 
faire  coonaitre  et  apprécier  en  Europe,  à  sa  réelle  valeur,  Tceuvre  puissante  dont 
il  avait  la  direction.  Nous  devons  à  son  intervention  de  nombreuses  et  intéres- 
santes collections  ethnographiques  qui  sont  venues  combler  de  larges  lacunes 
dans  les  salles  du  Trocadéro,  '  E.  H. 


J.  DESNOYERS 

Jules-Pierre-François-Stanislas  Desnoyers,  membre  libre  de  l'Académie  des 
Inscriptions  et  belles-lettres,  bibliothécaire  du  Muséum,  décédé  à  Launay, 
près  Nogent-le-Rotrou,  le  1°^  septembre  1887,  n'était  pas  seulement  un  histo- 
rien fort  instruit  ;  il  cultivait  aussi  les  sciences  naturelles,  la  géologie  et  la 
paléontologie  en  particulier,  et  il  avait  écrit  sur  les  Cavernes  pour  le  Diction- 
naire universel  d'histoire  naturelle  (Paris,  1865),  un  article  resté  classique.  On 
sait  que  c'est  à  ce  regretté  savant  que  sont  dues  les  premières  indications  rela- 
tives à  la  coexistence  de  l'homme  et  des  grands  mammifères  de  la  fia  des  temps 
tertiaires  (Compt.  rend.  Acad,  Se,  8  juin  1863  et  Lyell.  Ane.  A^,  pp.  94- 
108).  Il  avait  fait  en  outre  des  recherches  très  étendues  sur  les  antiquités  de 
l'âge  de  pierre  du  département  d'Eure-et-Loir.  E.  H. 


J.-Ch.  GESLIN     : 

Jean-Charles  Geslin,  architecte,  peintre  et  archéologue,  ancien  inspecteur  du 
musée  du  Louvre  au  département  des  Antiques,  est  mort  récemment  à  l'âge  de 
73  ans.  Il  avait  été  le  fidèle  et  dévoué  collaborateur  de  Longpérierdans  le  clas- 
sement du  musée  Campana,  et  il  a  laissé  un  grand  nombre  de  documents  pré- 
cieujc  pour  l'étude  de  l'art  et  de  l'ethnographie  dans  l'antiquité.       E.  H. 


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NÉCROLOGIE  S2l 

P.-Ch.  ROBERT 

Nous  avons  aussi  perdu,  le  15  décembre  1887|  à  Tâge  de  76  ans»  M.  Pierre- 
Charles  Robert,  membre  libre  de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres» 
membre  du  Comité  des  travaux  biitoriques,  ancien  intendant  en  chef  des  armées 
de  la  Loire» 

La  vaste  érudition  de  M.  Robert  embrassait  l'archéologie  tout  entière,  mds  il 
était  surtout  épigraphiste  et  numismate,  et  il  a  écrit  sur  les  inscriptions  et  les 
monnaies  de  Rome  et  de  la  Gaule  des  mémoires  fort  importants. 

Parmi  ceux  de  ses  travaux  qui  intéress|ent  plus  particulièrement  les  ethno- 
graphes, nous  mentionnerons  un  curieux  mémoire  sur  les  Étrangers  à  Bordeaux 
sous  la  domination  romaine  et  une  étude  très  remarquée  sur  les  monnaies  gau- 
loises publiée,  en  1880,  par  hi  Société  française  de  numismatique  et  d'archéo- 
logie. 

M.  Robert  n'avait  pas  seulement  un  esprit  éclairé  ;  il  possédait  des  qualités 
de  cœur  rares  et  précieuses.  Sa  bienveillance  était  particulièrement  acquise  aux 
jeunes  travailleurs  qui  trouvaient  toujours  auprès  de  lui  appui  solide  et  bons 
conseils.  Aussi  a4-îl  laissé  parmi  nous  d'unanimes  regrets. 

E.  H. 


VI  35 


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BIBLIOGRAPHIE 


EXPOSITIONS,  COLLECTIONS,  MUSÉES,  etc. 

TwentUth  Annual  Report  of  the  Trustées  of  the  Peabody  Muséum  of  Ameri- 
can Archœology  and  Ethnology,  vol,  III,  n9  7.  Cambridge,  4887,  in-8. 

Twenty-first  Report  of  the  Trustées  of  the  Peabody  Muséum  of  American 
ArcHsBology  and  Ethnology ,  vol.  IV,  n«  1.  Cambridge,  1887^  iD-8,   •    . 


GÉNÉRALITÉS  . 

Daily  (E;).  De  la  sélection  ethnique  et  delà  consanguinité  chez  les  Grecs  anciens. 

(Rev.  d'Anthrop.,  1887,  p.  408-444.) 
Halévy  (J.).  Recherches  Bibliques,  X.  Le  xiv»  chapitre  de  la  Genèse,  (hev.  des 

Etudes  Juivesy  t.  XV,  p.  161-202,  ocU-déc.  1887.) 
Holmes  (W.-H.j.  Origin  and  Development  of  Form  and  Omament  in  Ceramic 

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Goode  ((|.-B.).  The  published  writings  of  Spencer  Pulkrton  Baird,  1843-1882. 

{Bull,  ^  the  Unit.  Stat,  Nat,  Muséum,  n»  20.  —  Bibliographies  of  American 

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d'Anthrop.  de  Lyon,  t  VI,  p.  05-100,  fig.) 
Pietle  (Ed.).  De  Veireur  de  Buffon,  qui  a  pensé  que  le  renne  vivait  encore  dans 

les  Pyrénées  au  xiv*  siècle,  et  des  causes  qui  Font  amené  à  la  commettre. 

{Mat.  pour  Vhist.  primit.  et  nat.  de  V homme,  3«  sér.,  t.  IV,  p.  407-420, 

oct.  1887.) 
Pilloy.  Une  trépanation  à  Vépoque  franque.  {Ibid.,  p.  263-273,  fig.  24-25, 

juiU.  1887.) 
Topinard  (P.).  Carte  de  la  répartition  de  la  couleur  des  yeux  et  des  cheveux 

en  France.  {Rev.  d'Anthrop.,  1886,  p.  576-624  ;  1887,  p.  1-7.) 
ïd.  La  carte  de  Vindice  céphalique  des  Italiens.  (I6td.,  188r7,  p.  333-358.) 
Vallentin  (R.).  Une  station  magdalénienne  à  Montbrun  (Drôme).  {Bull,  de  la 

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Vedel.  Les  antiquités  de  ViU  de  Bomholm.  {Ibid.,  t.  VI,  p.  171-177,  1887.) 


ASIE 


Cbaolre  (E.).  Recherches  anthropologiques  dans  le  Caucase.  T.  I,  Période 
préhistorique.  Paris,  Reinwald;  Lyon,  Georg,  1885, 1  vol.  in-4,  8  pi.,  1  carte 
et  30  fig.  dans  le  texte.  —  T.  II,  Phiode  protohistorique,  1886,  1  vol.  in-4, 
67  pi.  et  184  fig.  dans  le  texte.  —  T.  Illj  Période  historique,  1887,  1  vol. 
in-4,  28  pi.  et  46  fig.  dans  le  texte.  —  T.  IV,  Populations  actuelles,  1887, 
1  vol.  iQ-4,  31  pi.,  1  carte  et  44  fig.  dans  le  texte. 


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524  BIBLIOGRAPHIE 

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Hachette,  1887, 1  vol.  in-12,  68  grav.  et  2  cartes. 
Topinard  (P.).  Description  et  mensuration  d'une  séi^ie  de  crânes  Xirghis  offerts 

au  musée  Brocapar  le  docteur  Seeland,  {Rei\d'Anthrop,y  1887,  p.  445-475.) 


AFRIQUE 


Bertholon  et  Lacassagne.  Quelques  renseignements  sur  les  fiabUants  de  la  Erou- 

mirie.  (Bull,  de  la  Soc.  d'Anthrop.  de  Lyon,  t.  VI,  p.  71-80,  1887.) 
Canal.  Mamia  {Lalla-Maghmia.)  {Rev»  de  VAfrique  française,  juill.    1887, 

p.  213-227,  fig.) 
Galibert  (F.).  Au  pays  des  Manjaques,  {Ann,  de  VExtr,  Choient  et  de  V Afrique j 

sept.,  nov.,  déc.  1887,  janv.  1888,  p.  65-74,  «43-149, 180-185,  1816-1856.) 
Gaultier  de  Claubry  (I.).  Note  sur  le  vocabulaire  des  couleurs  chez  les  Arabes 

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ponse à  la  brochure  de  M.  Rouire,  Toulouse,  1887, 1  vol.  in-8,  7  pi. 
Ploix  (Ch.).  Les  Hottentots  ou  Khoikhoi  et  leur  religion.  (Rev.  d*Anthrop., 

1887,  p.  570-589.) 
Rolland  (G.).  VOued  Rir*  et  la  colonisation  française  au  Sahara.  {Extr,  de  la 

Rev.  Scientifique.)  Paris,  Challamel  aîné,  1887,  br.  in-8,  fig. 
Salmon  (Ph.).  Recensement  des  monuments  mégalithiques  de  l'Algérie  et  de  la 

Tunisie.  (Bull,  de  la  Soc.  d'Anthrop.  de  Lyon,  t.  VI,  p.  202-204, 1887). 
Vemeau  ((R.).  La  taille  des  andem  habitants  des  îles  Canaries.  (Rev,  d'An' 

throp,,  1887,  p.  641^7.) 
Wahl  (M.).   Alger.  (Rev.  de  VAfHque  français,  févr.-avr.  1887,  p.   43-52, 

83-91,  115-122,  fig.) 
Id.  Les  Congrégations  dans  l'Islam.  {Ibid,,  sept.  1887,  p.  286-292.) 
X...  La  femme  Arabe.  {Ibid.,  mai  1887,  p.  147-163.) 
X...  Gafsa  et  ses  environs.  {Ibid.,  août  1887,  p.  243-253,  fig.) 


AMÉRIQUE 


Batres  (L.).  Informe  que  rinde'  el  Inspector  y  Conservador  de  los  monumentos 
arqueolôgicos  de  la  Repûblica,  de  los  trabajos  Uevados  d  cabo  desde  el  9  de 
octobre  de  1885  al  30  de  abril  del  présente  aûo.  (Memoria  que  présenta  al 
Congreso  de  la  Union  el  C.  Lic-Joaquin  Baranda.  Mexico,  impr.  del  Gobiern, 
1887,  in-8,  Doc.  n»  197,  p.  377-393,  lam.  I-IO.) 

Brinton  (D.-G.).  On  the  socalled  Alagûilac  language  of  Guatemala.  (Americ. 
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BIBLIOGRAPHIE  S25 

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Henshaw  (H.-W.).  Perforated  Slones  frofn  Califomia,  Washington,  Governm. 

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Holmes  (W.-H.),  The  Use  of  Gold  and  other  Metals  among  ihe  andent  inhabi- 

tants  of  Chiriquij  isthmus'of  Darien,  Washington,  Governm.  Print.  off., 

1887,  br.  in.8,  22  fig. 

Léon  (D'  N.).  La  aritmetica  entre  los  Tarascos.  {Anales  del  Museo  Michoacano, 

1888,  p.  3-9.)  ... 

Id,  Etimologia  de  algunos  nombres  de  los  pueblos  de  Michoacan  y  otros  Estados. 

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Nadaillac  (M'*  de).  La  poterie  de  la  vallée  du  Mississipi.  (Mat.  pour  l'hist. 

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NuttaJl  (Z:).  Prclimmary  Noté  of  an  Analysis  of  the  Mexican  Codices  and 

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Pilling  (J.-C.).  Bihliography  of-  the  Eskimo  language.  Washington,  Governm. 

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M.  Bibliography  of  ihe  ^iouan  language.  Washington,  Governm.  Print.  off., 

1887,  br.  in-8.    -         .     -     . 
Putnam  (F.-W.).  The  way  bone  fish-hooks  were  made  in  the  Little  Miami 

Valley.  {Txoentieth  Annual  Report  of  the  Trustées  of  the  Peabody  Muséum 

of  American  Archœolêgy  ajid  Ethnology,  vol.  III,  n<»  7,  p.  581-586,  1887.) 
Thomas  (Cyrus).  Work  in  Mound  Exploration  of  the  Bureau  of  Ethnology, 

Washington,  Governm.  Print.  off.,  1887,  br.  in-8. 
Ten  Kate  (H.).  Observations  anthropologiques  recueillies  dans  la  Guyane  et  l^ 

Venezuela.  (Rev.  d'Anthrop.y  1887,.  p.  44-68.) 
Topinard  (P.).  L'Homme  quaternaire  de  l'Amérique  du  Nord.  (/6îJ.,  p.  483- 

491.)      • 


OCÉANIB 


Marquer.  Les  établissements  français  en  Océanie.  {Bull.  Soc.   Bretonne  de 
'    Géographie,  mars-avr.  1887,  p.  20^2.) 

Reclus  (Elie).  Contribution  à  la  sociologie  des  Australiens.  {Rev.  d'Anthrop., 
1886,  p.  240-283  ;  1887,  p.  20-43,  692-706.) 


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TABLE  DES  MATIÈRES 

DU 

Tome  VI  de  la  REVUE  D'ETHNOGRAPHIE. 


MÉMOIRES    ORIGINAUX 

Piges. 

BouGART  (A).  Une  visite  aux  ruines  de  Xochicalco 439 

DuHoussBT  (E).  Les  races  humaines  de  la  Perse.    ••.,..  400 

DuMouTiBR  (G).  Le  Nam-Glao  de  Hanoï •     .     •     .  181 

Faurot(L.).  Observations  ethnographiques  sur  les  Danakih  du  golfe 

de  Tadjoura    • • 57 

—  Observations  ethnographiques  dans  Tile  de  Kamarane.  433 
Glaumont.  Etfanogénie  des  insulaires  de  Kunié  (île  des  Pins)*  .  •  336 
Hagbn  (D').  La  colonie  de  Porto-Novo  et  le  roi  Toffa  .  •  •  •  .  81 
Hamdy-Be^.  Sur  une  nécropole  royale  découverte  à  Saïda.     ...  444 

Q  H  AH  Y  (E. -T.).  Décades  américaines  (smïe)    •»••••    ^     •  150' 
-^          Études  ethnographiques  et  archéologiques  sur  l'expo- 
sition coloniale  et  indienne  de  Londres    ,     »     ,     •  185 

Jus  (H).  Stations  préhistoriques  de  Toued  Eir* ,  343 

KoBELT  (W.).  Les  dolmens  de  Guyotville  (Algérie)  .......  133 

Lbclbrg  (M.)*  Les  peuplades  de  Madagascar    ••••...  1 

—  Les  pygmées  à  Madagascar  .  •  •  .  ....  323 
Lemirb  (Ch.).  Les  tours  Kiams  de  la  province  de  Binh-Dinh  (Annam).  383 
Marx.  Note  sur  les  tombeaux  de  Tu-Duc  et  de  Minh-Mang  ...  428 
Ordinairb  (0.).  Les  sauvages  du  Pérou  .••.•....  265 

PiNART  (A.).  Les  Indiens  de  rÉtat  de  Panama .     33,  117 

Spire  Blondbl.  L*art  capillaire  chez  les  peuples  primitifs    ....  414 

Tautain  (D').  Quelques  renseignements  sur  les  Bobo 228 

—     Le  Dioladougou  et  le  Sénéfo •     .     •  395 

Tbn-Kate  (H).  Sur  quelques  objets  indiens  trouvés  prés  de  Guaymas 

(Mexique) .  234 

Vbrnbau  (R.)*  L'industrie  de  la  pierre  chez  les  anciens  habitants  de 

l'archipel  canarien 36i 

VARIÉTÉS 

Charnay  (D).  a  propos  de  Tamoanchan  •....,..,  347 
— >          Lettre  à  M.  D.  Brinton  à  propos  de  sa  brochure  :  Were 

Ihe  Toltecs  an  historic  natianalUy ......  457 

Leclerc  (M.).  Notes  sur  Madagascar 463 

Mason  (O.-T.).  Méthode  de  classification  dans  les  musées  ethnogra- 
phiques      , 239 


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TABLE  DES   MATIÈRES  527 

REVUEÀ  fit  ANALYSES  —  LIVRES  ET  BROCHURES 

...             ...  P«8«« 

Boas.  Ceiisus  and, réservation  of  the  Kwakiutl  nation.     •     .     •     •  490 
Brinton  (D.).  Çritical  remarks  on  the  Citions  of  Diego  de  Landa  's 

Writings ....,.•..  167 

Chantre  (E,).  Recherches  anthropologiques  df  ns  le  Caucase  .     «     •  471 

Charencey  (H.  de).  Textes  en  langue  tarasque 491 

Gatschet.  Linguistio  families  of  the  Indian  tribes  north  of  Mexico»  .  356 

Jouan  (H.).  A  propos  du  peuplement  de  la  Polynésie  •     •     •     •     .  351 
—        Les  légendes  des  îles  Hawaii  et  le  peuplement  de  la.  Po« 

lynésie • •     •  353 

Lewis  (T.-H.).  Efflgy  mounds  in  lowa   . 240 

—  Snake  mounds  in  Minnesota.     • 246 

—  The  monumental  Tortoise  mounds  of  Decoodah    .     .  165 

—  Ancient  Rock  Inscriptions  in  eastem  Dakota    ...  491 
Jus  (H.).  Les  oasis  duSouf  du  département  de  Constantine  »     .     «  164 

Marquer.  Les  établissements  français  en  Océanîe 489 

Man  (E.-H.).  a  brief  account  of  the  Nicobar  Islands     «     ^     .     »     .  355 

Mensionac.  Sur  quelques  objets  d'Afrique  et  d'Océanie.     •     .     •     .  250 

Meynbrs  d'Estrey.  Tribus  aborigènes  du  centre  des  Gélèbes  .     .     .  163 

NoTTAL  (Z.).  The  terra  cottaHeads  of  Teotihuacan 247 

PETrroT  (E,).  Traditions  indiennes  du  Canada  nord-ouest  ....  67 

—  Les  grands  Esquimaux 245 

PuTNAM  (F.-W.).  Hemarks  upon  chippedstone  Impiements.  .     .     .  244 

QuATREFAGES  (A.  de).  Les  Pygmées •  ^  243 

Rau  (Ch.).  Prehisloric  Fishing  in  Europaand  North  America.    .     .  361 

Uhle  (M.).  Hoiz-und  Bambus-Gersthe  aus  Nord  West  Neu  Goinea  •  68 

ACADÉMIES  ET  SOaÉTÉS   SAVANTES 

Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  •     » * .    168»  251 

Association  française  pour  l'avancement  des  sciences  .     •     .     •  \  492 

EXPOSITIONS,  COLLECTIONS  ET  MUSÉES  «      .      . 

La  collection  BuUer  au  musée  du  Trocadéro 172 

Les  collections  et^inographiques  du  cabinet  d'histoire  naturelle  de 

Cherbourg .     • ,  255 

L'exposition  de  M.  Joseph  Martin  au  musée  du  Trocadéro.     .     •     .  503 

CORRESPONDANCE 

Analyse  d'une  hache  du  Mexique .     .....•.••.  518 

Bourgoing  et  Gzernichew.  Projets  d'expositions  ethnographiques  i  la 

un  du  dernier  siècle  .••.•• •     •     •  69 

Chez  les  Fmgous  .•.•.••••..••.•.  70 


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558 


TABLE   DBS   MATi&RBS 


Découverte  d'antiquités  à  ht  Guadeloupe,  à  la  Désirade  et  à  Marie- 
Galante    •     ••     f     •••*••     • 

Exploration  da  haut  Orénoque 

Fouilles  aux  environs  de  Tachkend •..,'. 

Monuments-mégalithiques  du^jebel  Oum-Settas  et  de  TOued^Derbela. 
Maillets  en  pierre  des  Gélèbes.     ••.••••..•. 

Notes  ethnologiques  sur  nie  tieMallicoIo 

Notes  ethnographiques  et  archéologiques  recueillies  au  Maroc.     .     » 

Nouvelles  du  Qongo  françds 

Prétendus  bœufs  à  trois  cornes  des  Foulbé •     . 

Recherches  ethnographiques  dans  l'île  *de  Lancerotte  ..... 
Yeux  artificiels  des  momies  d'Arica  (Pérou) 

NOUVELLES 

L'âge  de  pierre  au  Congo ^ 

Les  archives  internationales  d'ethnographie  ........ 

L'émigration  des  Tartares  de  Grimée 

Les  mangeurs  d*ar8enic 

Salomoniens  cannibales 

Les  sectes  juives  en  Galicie ^ 

NÉCROLOGIE 

Bayem    .     ,     .     .     .     .*•.'.    ,  ' 

Berge . 

BuBk(G.). 

Cornet  (F.-L.) 

Desnoyers  (J.) 

Garbiglietti 

Geslin.     . 

Haast  (J.  von)    .     .  ' 

Kleinschmidt  (S.) 

Mano*    .    « 

Rau(Ch.) 

Robert  (Ch). 

Spencer  Baird 

Wylie  (A.)   .  - 

Zawisza  . ' .     •     .  ' 


P»ges. 

515 
176 
517 
512 
358 
511 
259 
513 
357 
72 
176 


509 
510 
507 
509 
76 
74 


77 
77 
177 
519 
520 
177 
520 
358 
260 
260 
519 
521 
520 
177 
519 


BIBUOGRAPHIE 
78,  478,  261,  359,  522. 


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TABLB   DES   NOMS   d'aUTBURS  529 

Pages. 

Boucart  ...........  439 

Cailliot » 51i 

ChafTaDJon    , I75 

ChareDcey(H.  de) Ç7 

Ctarnay 347,457 

Cholet 5i4 

Gbristol  ' 70 

Croix  (J.-E.  de  la) 172 

Delavaud 59 

Delisle 492 

I>eniker   .     l 243,355 

Duhousset  (colonel) 400 

Dupont  (Ed.) 510 

Dumoutier.    • 181 

Duveyrier.     •     » 259 

^Faurot 57,433. 

Glaumont 337 

Guesde ^  516 

Hagen  (D') 81 

Hamdy-Bey 444 

Hamy(E..T.) 68,150,161,177,185,245, 

250, 356,  359,  520. 

Hansen  (P.) .  247,  260 

Jus  (H.) 343 

Kobelt 133 

Landrin 503 

Leclerc(M.) 1,323,351,353,463. 

Lemire 383 

Marx 428 

Meyer(A..B.) 358,519 

Muller(Ein.) 517 

Ordinaire  (0.) 265 

Olis  T.  Mason .  239 

Parville  (de) .     .     .     .     , 509 

Perrier I75 

PinartCA.) ,     .  33^117 

Quatrefages  (A.  de) 471 

Sauret 512 

Spire  Blondel 414 

Taulain(DO 228,357,395 

Ten  Kale  (H.) 235 

Vemeau  (R.) 72,  361 


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ANGERS,  IMPRIMERIE  BURDIN  ET  C^c,  RUE  OARNIER,  4. 


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ERNEST  LEROUX,  Êaileur,  28,  rue  Bonaparte. 


MÉMOIRES  D'ETHNOGRAPHIE  ET  D'ANTHROPOLOGIE 


BANDELIER.  La  diseou verte  du  Nou- 
veuiî' Mexique  par  le  tii<JÎae  fraucU- 
çiin  frère   M  arc  û  a  do  Nice,  en  1S39, 

f8««,  ïii-8 «    .     2  fr- 

B.iYEïBamn  J.  de).  Congre»  interna- 
tioDulii^aiithrop^jlogie  el  d'archéoîo- 
gÏQ  préhi?t(>nquÊS,  compte  rendu  de 
Sale  eeeaioa,  tenue  à  Stockolm.  1815^ 

m-8  .   -   .   .  - V  rr. 

"  Cbaiûcfl  et  ceinlurea  gauloises.  1816^ 

m-8  .    , ,    .   .    »    }Jl 

—  U  Irépuïiatioïi  prébislorique.  1876, 
gr.  ia-S,  fig-  sur  bol?.  ,   .   .     2  fr.  50 
BER,  Popuîalions  préhiâ  torique  s  CC  An- 
ton (Pt^rou).  1875,  iQ-S  .    .  .   ^     t  fr, 
BERENGER^FF.EAUD  (0'),  tnétledn  en 
i^hef  de  la  marine*  Eludes  sur  les  Ouo- 
lofs  (SéDègambie).  1815,10^8.    î  fr.25 
^  Elude  sur  les  Peuh  de  Sèoégambie* 
J815,   in-8   ,......*■■     1  fr' 

REIIGAIGNE  (A.l,  de  riustitut.  l>écou- 

vertes  réceuLés  sur  Ibistoire  aocienue 

du  Cttmbodge.  1&8S,  in  8,  .     1  fr^  50 

BERNARD.  ObservatiotJ& arcliéolo^ïtquer 

faites  datas  la  province  d'Alger  (Hïver 

ia^i*S5i.  1BH6,  ia-8 ^    1  fr^ 

BOUCHER  (H.  du)  et  RATMOND  PÔT- 
TIER.  L'Age  de  la  pierre  polie  datiB 
les  Landes.  1815,  m-8,  flg.  -  1  fr.50 
BliOCA  (D""  Paul).  Inslruthotis  crauto- 
togiques  et  cran io métriques  de  ïa 
Soclèlè  d'Anlhropoï^gie  de  Parti* 
1875,  îu-8,  fig.  (Epuisé.) 

Sur  la  mensuralion  *le  la  capftcile  ou 

crâne.  1873,  iu-8.  fig.    *   *  *    2  ^f-  SU 

^  Sur  rorigiue  el  la  réparti  Lion  de  la 

IflDgue   basque;  Basques  françaia   et 

Rasque-i  espagnols*  1S75^  lû-8,   carie 

el  plancbe    .  ,  ♦  * :  ..  ^i 

-^  Recherclies    eue   nndlce    orbiUilre, 

lS76Jn-e,  flg. •   \-Ai,^, 

^  8ur  la  topographie  cranio -cérébrale, 
ou  sur  les  rapporta  auatomlques  do 
erâue    et    du    cerveau,    1876,   in-R, 

Rg 3  fr- 

_    Sur   Tauglc    orbilo-occipital,   i877, 

iû^ft,  flg.  rpïaoche S  fr. 

Sur  la  iréjmuiiliou  du   crâne  elles 

aaïuleltes  crauieûneâ  à  Tépoque  iiéo- 
Uirûqiif?.  IS77,  iu-8,  ïig.  *  .  3  fr  50 
CALX  LïE  âl-AYVlOUU.  Etude  sur  que  - 
nues  ujonumeuts  itîé|tnlftblque&de  la 
Taltèe  de  l'Oise.  1875,  ia-8,  arec 
plan^-bea  el  ûgurea  *,.*-*  S  fr 
CAPELLINL  Les  traces  de  Tbomme 
pHoGéue    en    Toecane*    1871,     ln-8, 

i  phuclie  ,  . 1  fr.  25 

CAPUS  (G,),  La  vallée  dea  Jaguaoua 
(Asie  centrale),  1885,  in-8.  .  1  fr,  50 
CAZALIS  DE  RjN DOUCE  iP  j.  Revue 
ivréblslonquc,  3  parlifs,  în-8.  .  2  fr. 
CHABAS  (F\  correspondant  de  Una- 
ikuL  Lus  études  préhiatariques  et  la 
TÎijre  ïieuiée.  detaut  la  Bcteuce.  4876, 

iix-8  /  . 1  fp> 


CflABAS  (F.)'  Quelque»  remarque*  h 
l'iidree^e    de  la  scjence    imagitiaire. 

1877,  jn-4  . ï  fr  5Û 

CHARNAY  (D.).  La  dvUîsallon ToUèque, 

ISSÎi,  iu-8»  iJluMré 1  fr.  50 

—  Les  ToRèqueaau  Tabasco  et  dans  le 
Yucatan.  l&SS,  iu-B,  illualré,     1  fr  50 
COLLLNEAU.  Rétumé  dei   Instructiouâ 
cranîologiques  et  craniomèlriquefl  de 
la  Société  fFaulbropologie  résumées 
par  Broca.  4876,  iu-B  fig.   <  .  .     t  ff, 
ÛALLY  [E.).   Revue  critique  d'anthro- 
pologie. 4876,  ia-8  -.,.-.     l  fr- 
FAIDHERBE    el   TO PINARD,    liistruc- 
lions  sur  l'anthropologie  de  rAlgérîe. 

187*,  jn-8 *    2  fr. 

FLNSClï  (OTTO).  Notice  sur  les  vôte- 
inenU,  les  parures  et  les  tatouage  a 
des  Papouaa  des  Côt^s  S  -E.  de  la 
Nouvelle-Guinée,     1816,    tn-S,   illus* 

tré 2  fr.  SU 

GIRARD  DE  RI  ALLE.  De  rantliropo- 
pbagie,  étude  d'ethnologie  comparée. 

1875,  in-8 2  fï'- 

GLAUMONT,  Etbuogénie  des  Insulai- 
res de  Kunié   {tle    des    Pliis^    1887, 

in-8.  ,  ,   .  , 1  fr  25 

GR  AN  DIDIER,    Dea    Hltea    funéraires 
chez  les  Maîgacbet.    1886,  in-8    1  fr 
GllHAL-  Les  Batékés (Afrique  orientale). 
188G,  ïn-8,  illustré  ,    ,    ,   .    .     l  fr  30 
HëCKEL.  Etude  sur  le  gorille  du  mu- 
sée de  Rresit.  1876,   in-8,  pi.     4  f r  i5 
ÏIOVELACOlîE  (Abel).  Lançues,  racei", 
natloDalités;  deuxième  édition.  1875, 
iQ-8 ..,..*.    2  fr. 

—  Le  même,  première  éditioUj  IS73*  lu- 

12.  .  .  , ^   '     *Ôc. 

—  Bantou  ou  Abantou  ?  I  pages  in-8.  SÔ  c» 

—  Le  crAoe  savoyard.  1877,  in-S.    1  fr  23 

—  Notre  ïioct^trê,  recherches  d'auato- 
mie  el  d*ethuologie  sur  le  précur- 
seur de  l'homme.  i877,îu-8,  flg.     2  fr 

HVADÊS.  La  chasse  el  la  pécbe  cbei 
les  Fuégiena  de  Farchipel  du  cap 
Horn.  ISSU,  îU-S,  illustré    .  •  .    2  f r. 

JULIEN  (Alexis) -  Des  différeulej  déft- 
nitîoua  de  la  main  el  du  pied,  i 877, 
ïn-8 1  fr'  2e 

JUS  (H.l.  Statîonfi  préhistoriques  de 
rOned-Rir.  1877,  in-8   .  *  .     i  fr23 

KOPERPïlCRl  (Df  I.).  Sur  la  conforma- 
lion  des  crflucs  bulgares,  4875.  m-B, 
planche •  <     1  fr.  50. 

KUUFF  (Dn.  Noie  sur  quelques  fémurs 
préhislorlquet.  i87S,  m-8,  *     l  fr  2a 

LAGNEAU  (Gustave),  Etbnogénic  des 
uopulatious  du  nord-ouesl  de  la 
France,  4876,  ln-8 ï  h,  hù 

LEMIRE.  Les  Tours  Kiauis  de  la  pro- 
viuce  de  Biuli-Dlnh  (Aunacn).  !887, 
iu-8  -  .  ,  . •  *     ^^^'^ 


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LESSON  (P. -A,  aQcica  médecin  eu 
chef  deà  établi  asûiii en  U  fraùi;ûU  tie 
1'0c6Bni^>  Vapikarû  et  ses  Liabitiialf, 
\nn,  in-a ifr.su 

—  Le»  rncBi  noires  de  Timor.  ISlfi^ 
br,  iU'S.  ,   . 1  fr 

—  TrMd^tiouï  iJca  Uea  Samoa.  1S76,  hv. 
\u*% i  tr.  nù 

LlZfCRAY  (H:k  Etude  aur  la  raca  cel- 
tique, t874,  î»-8 iiO  C* 

MAUTIN  (m  EnieslJ.  ïastpuclmna  sin- 
ranlbr-opologie  au  Japou.  ISIU, 
in-!l  .   .       .,,.,,.-..     t  fr 

MIH:UZI:jEWSKI,  NoU  »nrloa  eerveauï 
d'iiHolH  Gu  gi>fiéni1,iivecladescn[itioa 
d^uu  nouveau  caa  d'idiotie.  1^76, 
Iti-S  .   .      ...,.,.,..    1  fr, 

M0H1CË  (Df  AA  Sur  la  patbologie  des 
Indigèuea  de  la  B^s^e-Co^- bilirubine  et 
eo  particulier  des  Aunauiite».  1*15, 
iU'i.  ..,...,-...     l  fr.  30 

*>  Qaetques  tDotê&ur  J'occVioiiiteuieut 
des  racea  liuDiaïue!^  i-t  dei  auimaus 
d&oa  la  Basie-Coebincbine-  1S7Ô. 
m-% ,.,...     i  fr,  i5 

MORTILLET  (<i.  de,!.  Us  ^lud***  pré- 
tiistoriquei  dt^viiut  J'oribodoiia.  IS15, 
iD*8  ,..,...    50  c. 

—  T^bleuii  arâbéotû^iqu^  de  Ja  Oaulo» 
1  fatiille  .,,.., 2  U\ 

—  Orîgiaa  du  l>rDnzé.  1B7<*,  iti-8, 
plaiicli^  -  .  .   ♦ l  fr.  5U 

— Ile  V  u  e  pr*>bi  *lo  ri  qu  e ,  1 870 .  i  n-S .  1  fr .  50 

—  Cantrîlmtiûn  à  1  bbtotre  des  superâ- 
titîQiis  Amuktlea  Ruulolses  el  galla- 
ramaities,  1^76,  ïii-8Ji»|.  .   .     l  fr.2S 

—  Ilnvae  pri^-blstonque.  J877,tn'8  lfr.25 
NEliRl  (A.  el  G,  de)*    Des  tissua  imur- 

préïi  du  Pt*roij.  IHBS,  Ui-8  ,  ,  .  i  tr. 
OBËDItVAUE   lU  ).  Leg  Celtes  dû  VEn* 

rope  orienlMle,  lu-^  .  ,  .  .  1  fr.  50 
PENEY.  Méuiairi-âur  retliDographJù  du 

,Sour]Au  Égy^tif^H.  Iq-B  -  t  t  ï  ff.  oU 
PBilllLlt.  lii^lVjiclJong  ODlhropolo^iqueâ 

pour  [fi  littoftil    de  ia  mer  Houj^ts. 

iS64,  iii-a i  fr. 

PlNAllT  (A.  LJ.  Cataiû^ue  de»  coïlec- 

t  lo  u  B  rap  po  rtèeâ  de  1  A  m  é  ri  q  u  c^  r  u  ss  e 

f  tB  rri  1 0  i  te  d  *  A 1  i  aska) .  1 8T;i  J  n  8 .    2  i  r, 

—  Los  Al^outtîâ  Et  icur  orîgiuL'.  1374, 
îû*S.   p   .   ,   .   .  , 1  fr.  SU 

-^  Sur  les  Alaûbs.  1S75,  ui-S.     1  fr.  25 

—  La  cb^^se  am  ûuhjiaus  iimriiid  *4 
Itfi  pêdiertna  cbez  les  iadlgcut^^  de  U 
côle  nord *mi Cil  d'Autùriqae.  187j, 
îfl-8      - .   .   .  ,        2  fr. 

—  Sur  uu  ahfi-i5i*[HiIlijre  d*îâ  audcuâ 
Aléoiite;^  d'Akju*rîb.  Un  flOutig-i,  ar- 
chipel Sbiituji^iu,  1875,  îii4,     1  k.M 

—  Lis  IndJens  de  i'EUt  -de  Pduama. 
ig87,  la-8.iUaatré.   ....    2  fr.  nu 

PonilEll*  Lcâ  iumuhia  de  la  Uma 
.in  Til^h«mt.  ism,  mS    .   .     1  (r.  50 

HOZiil  (i>f  Sattjuel).  Note  sur  b'  irer- 
TeuM  d'uui^  îujbécjlê.  4375,  lu  4, 
«g.    .   .   * t  fr. 

rtOtîHïlT.  LeA  Dùlmeiii  dv  GuYotville 
(Aîgéde].  18S7,  iu-8  *  .    .   ,     1   fr.  50 


EOtJIRB.  Noie  aur  W  dolmcuè  d«ï 
rEMda.  18Sâ,  lu-8,  itluatré      .     1  fr. 

ROUSSELET  (LDiîisJ.  Tableau  de*  ra- 
oei  dâ  ritiiie  «eptealnoii^le-  liî^t 
ln-8. i  îr-  SS 

ROTER  fCléDieocc).  Le  feu  cbei  les 
peiplaaes  prirailives.  î875,lo-&     î  50 

—  Le»  dte^  ruoèraire»   %^\    èp«>que» 
I       prébitilonqueâ,  et  leur  origiue.  Iblfîr 

fn-a ...;...,,...    1  fr.  5<> 

—  Ueuat  bvpotbè«e«  sur  rbérédité.  I^TI, 
]       iQ-8,  /,  -  , i  fr  50 

SASSE  (Docieur  A.),  ^lémaire  aur  les 
erâuca     de     Gertruideuborg,     187a, 

I       in-8  ,  . l  f r, 

I   —  Étudti  «ur  ka  crâuea   LkéerïaDdaJf. 

iii76,  iû-S Ifr  50 

I    SEBiLLOT.  Lea  maùous  ruilique^   en 
'        iLiiite- Bretagne.  18S5.  in-S  .   .     I  fr, 

—  L^  laugue  ureloaue,  lî  in  il  es   et  ^in- 
I       lifltique,    188^^  iû»,  cariée  ,   .     2  fr. 

—  Les  liiûquilleade  m^r,  itt87aa-8    2  fr 
SillHNOW.   Notice  eur  lea   Avarea  du 

I       Da^be&tan.  i871i.  iii-8  .....     îiO  c 

TAtfTAlN  (m   L.).   Sar  retbu.dojiçie   el 

rutbuograpbiu  des  peupli'a  du  barsiu 

du  Séu*^«fll  tS86Jn  S,  llluat.    2  fr,  W 

TES  KXTK,  Npvea  etbua^rapJiiquea  sur 

les  CoiDftorhei?.    \Mî>,  iu-â  .     i  fr.  G» 

!   TOPINAHD  (P.i.  Élude  sur  Pierre  Cam- 

I       per  et  1  augle  facial  dU  de  Camper. 

mik,  in-8 f  fr.  25 

i  —  Note  aur  lea  métiii  d'Australiena  et 
d'Européens.  1875,  iti-8  ,  .  .  .  I  fr, 
^  Etude  iur  k  taille,  comjidértç  âui- 
vaut  P4ge,  le  %txe,  Tiadlvidu,  le^^ 
Lullieux  6l  lea  races,  lSli>,  ia^S.  f!  fr. 
^-  De  a  anomallea  de  uonibrc  ûp.  la 
calotme    veriébmle    rbei    l'bomme. 

1877.  m-a 2  fr.  50 

Vov,  Faidborba^ 
TSCnotjmLfîFF,  Etude    sur  la  ûà^è- 
ui^re^ceuce   pbyslûlo^iq^é   des   peti- 

ceoce    des    peyplea    civillaèe^    187t*. 

io-l,  H|ï. 2  fr, 

TLlHiNO  D'V-^iO'  Recbercbea  d^jnîtbni- 

pi>(o«i*î  ioeide.  i&77,  iu-8  .  -  1  fr. 
YhJltjL'ET  (L.}*   Arofiii   ou   San   Qim- 

lovai  ^i   ses    babilauta.    1885,   tu- S. 

%urea :!  fr.  SU 

VEHNEAr;    Llûdutitrïtf   de    la    pierre 

chez   lea  aticieii^  li.ibitaTit&   de    ïêr" 

cliUml  Cauarien.  ÎS^7,  iû-8  .  1  fr.  ïS 
VILAIN.    Le  doloieu  des  Beiil-Briasaeia 

(Moroc).  1885,  lu  8.  ïilu4rc.  1  fr.  50 
\VAkË  (Stanilatid),  La  Slariage   coui- 

mmm).  1875»  iû-S. '.     l  fr. 

—  Aï<i^ociâLiaD  bHlaauiqitu  pour  ravaa- 

ct^ujijutdes  scii^ucea^  cougrà*  de  lft75 

ù  UrEslol.  liroch.  iu-8  .  .  «  .  €0  c. 
WElSHN*.iEN.   Note  sur  lOued-llir  et 

ses  babitttiitâ  et  sur  q^ii^lqui^a  aiouii< 

moula  du  Sahara  algùrieu,  IBSo^in-S, 

illustré 2îi\ 

WJENEll  (Charles).  Le  livre    d'Ëstlit^r. 

EëâdL   etbaogrâpbique   et    liU^ruire. 

1875.  iu^8.  .   *  .   ,  , 2  fr. 


AxaEïi!;ij  inniiur,mi;  («uitiïiR  la  ii^v^  Hug  t:iAHiMBii+  i. 


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