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REVUE D'ETHNOGRAPHIE
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ANOBnS* laPRIMRRIB BURDIN ET d«, RDR GARMBR, 4.
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REVUE
D'ETHNOGRAPHIE
PUBLIÉE SOUS LES AUSPICES DU MINISTÈRE DE l'iNSTRUCTION PUBLIQUE
ET DES BEAUX-ARTS
Pab le D« HAMT
Cnnscrvateur du Musée d'Ethnographie. H
TOME SIXIEME
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,^ .^^^Z.
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28
1887
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REVUE
D'ETHNOGRAPHIE
PUBLIÉE SOOS LKS 4tJâPÏCKS r>L" MiNtSTÈBE liJC L lKSTHUt;nn>N pouli^ilk
F;I des UKAUX-ARrS
Par le D" HA M Y
TOME SIXIEMK
W' 1. — Janvier- Février.
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE IKJNAl'AUTE, 2H
1887
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SOMMAIRE
Lea peu pladcB de Madagaicar, OrîKineé (sufie ei fin). , , M. LecL^nc.
Lei lodiens de r£tnt de Pnoama. fndiaua (jtiayrriîes et Cunaiâ... A. Puubt^
ObâiTv&Umif ^tbDOgraphîqije& iur ]ea Daaakilâ du golfe de
Tadjoura ..,,.,..,, , .,,. D» L. Fa^rot.
RiEvrKi ET AnALYBBS. -^ Livufts ET BaocHunBB :
PeliUitt Trfjfîilion'i indienn^.^ du Canada nord-oueM ..»».., , , H, de Cwarehçkî*
trille. lÎQiz-Hfid BamtuS'Gers^tki auê Nord -West .VfU Guinea.... K,"T. H ai y,
CORREt FONDA NCe. L. DkLAVAUD. Ffl- ChRISTUL* D"^ VKBNfeAï;.
NocvKLUB. — Ntotior,ooiB. — BmuooftAPHtF,
CONDITIONS DE LA PUBLICATION
U REVUE D1-:TIÏNÛ GRAPHIE paraît tous îes deux mois, par fascicules m-S
raisin, de 6 feiiillps d impressioD, richement illuBlrées*
Prix de rabonaement annuôl : Paris 2B Tr, »
— — Départements , , , 27 60
— — liilranger .*,... 30 »>
Un numéro, p\k au Bureau .,..,, .*.,,, * & s
TARIF DES ANNONCES
Une page , , ^ * ,^ , , , » * 30 fr* »
Une 1/2 page. .,,,, ,,,*..,.*.,..... 30 »
Tous les oui^rages envoyés à ia Revue tf seront annonfiéji ^f^ s^il \j a lUUj analysés,
S'adresser, pour tout ce qui coucerue U RëdaeLmUi au D** Il A M Y, 40, rue de Lubech*
MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
BULLETINS DU COMITÉ DES TRAVAUX HISTORIQUES
ET SCIENTIFIQIES
BULLETIN DE GEOGRAPHIE
HISTORIQUE ET DESCRIPTIVE
M. le D"^ HAMY
1" Année. N*»» l. 3. 3. i. Abonnement .,,..•......
6 rr.
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MEMOIRES ORIGINAUX
LES PEUPLADES DE MADAGASCAR
ORIGINES
Par >L Max LECLERC
CHAPITRE V
Sommaire : Éiémeols arabes. — Influence mahoméiane. — Les diverses immi-
grations arabes et mahométanes venues d'Asie et d'Afrique : dates et lieux
de débarquement. — Découverte de M. Marin-Darbel. — Le commerce et
l'influence arabes : coutumes, superstitions importées par les Arabes. — Leur
rdle aujourd'hui à la côte ouest.
L'influence arabe et mahométane est loin d'être négligeable à
Madagascar; elle tient à plusieurs causes : d*abord à des immi-
grations Issez importantes qui remontent assez haut dans This-
toire et d'où résulta la fondation, dans Tlle, de colonies d'Arabes
qui se mêlèrent le plus souvent aux indigènes; ensuite aux rap-
ports incessants que, de temps immémorial, divers pays maho-
métans entretiennent pour leur commerce avec la grande île.
« Il me semble probable, dit M. Grandidier^ qu'il y a eu,
comme le dit Flacourt, deux* immigrations successives d'Arabes,
à plusieurs siècles d^intervalle, Tune venant de la côte de Mala-
bar, Tautre de la côte orientale d'Afrique. Je suis porté à croire
que la première (ce sont les ancêtres des Zafi-Raminia), obligée
t) Dans un ouvrage plus récent, M. Grandidier reconnaît la venue de trois
immigrations arabes à Madagascar. {Voy* Madagascar et Ses ïmbitams^ op, cit.t
p. 24 et 25.)
JA.NVIEH-FÉVRIËR
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2 LES PEUPLADES DE MADAGASCAR
de quitter la Mecque à la suite des troubles religieux qui ont
bouleversé toute l'Arabie au moment des prédications de Maho-
met, a abordé dans l'Inde, d'où elle s'est plus tard rendue à
Madagascar', entraînant avec elle des Indiens qui ont fondé,
de leur côté, un petit État indépendant '. » Nous reviendrons
dans le chapitre suivant sur ces Indiens. Il faut toutefois remar
quer de suite que cette immigration, indo-arabe, selon Grandi-
dier, d'après Flacourt, est la même qui, d'après le même Flacourt
interprété différemment, comme nous l'avons vu plus haut,
aurait été malaiso-arabe.
Quant à la seconde invasion arabe; Flacourt la relate en ces
termes, qui montrent qu'elle vint directement de la Mecque,
postérieurement aux Zafi-Raminia, et se fixa dans la même
région de Madagascar : « Les blancs de Matatan, qui sont Zaffi-
rehimina, ont été ravallés en sorte par les Zaffecasimambou ou
Casimambou, qui sont blancs aussi : mais tous ombiasses et
escri vains, qu'ils ne sont plus que leurs esclaves... Les Casi-
mambou sont venus en cette isle dans de grands canots; ils y
ont été envoyés par le califfe de la Mecque, à ce qu'ils disent,
pour inslruire ces peuples depuis cent cinquante ans seulement...
Les Zaffecasimambou ont beaucoup multiplié, enseignant à lire
et l'escriture arabe, entretiennent eschoUe dans tous les villages,
où les enfanls masles vont apprendre'... » Ainsi, à la différence
1) M. de Froberville est du même avis : il les fait venir de Mangalor dans le
Guzerate {Bul, Soc, Géog.^ mai 1839). Nous nous rangeons à Topinion de ces
deux auteurs. L'hypothèse de Codine, qui fait venir cette invasion arabe de
Malaisie, tombe devant ces conclusions infîniment mieux établies, ce qui n'influe
en rien sur la seconde hypothèse du môme auteur, au sujet des Gomr, laquelle
pour nous demeure très vraisemblable.
2) Grandidier, Revue scientifique, 11 mai 1872.
Récemment, dans un article sur « Les canaux et les lagunes de la côte orien -
taie de Madagascar » (Bul, Soc, Géogr,, !•' trim. 1886), M. Grandidier nous
donnait des détails assez précis sur la situation actuelle de ces Arabes : « Les
Antambahoaka, de Tlafaka à Marohita. Cette tribu a pour chef un ZaO Raminia.
Les chefs des diverses tribus de la partie sud -est de Madagascar, appartiennent
à la famille de Raminia ou des gens qui raccompagnaient. Les compagnons de
Raminia étaient Imahazo, Irambo, Imanely; leurs descendants les Antairoahazo
du district de Mahasora, les Antsambo du district de Matilanana, lesZafirambo
d'Ikongo, les Zafimanely du pays Bara, ont une physionomie très différente de
celle de Ja masse du peuple" C*e?t une branche de cette famille des Zafy
Raminia qui commande aux Antanosy de la province du Fort-Dauphin. »
3) Histoire de la grande isle de Madagascar^ par le sieur de Flacourt.
d
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LES PEUPLADES DE MADAGASCAR 3
de la première immigration arabe, qui avait eu lieu accidentel-
lement et mélangée d'éléments indiens ou malais, celle-ci venait
directement de la Mecque et dans des vues de prosélytisme *.
Un autre auteur nous fournit l'occasion de confirmer le dire
de M. Grandidier, qui fait venir une immigration de la côte
d'Afrique. Nous lisons, en efiet, dans le récit du voyage à Mada-
gascar de M. de V..., commissaire provincial de Tartillerie de
France, voyage fait entre 1660 et 1670, au moment de la conces-
sion de Tile h la compagnie des Indes par Mazarin et sous le
gouvernement de Champmargou, publié par Carpeau de Saus-
say, — nous y lisons ces lignes significatives : « Les habitants
sont de deux sortes, les noirs et les blancs; les premiers sont
originaires du païs ; les autres sont venus autrefois de Mozam-
bique, située dans l'isle de Prase, d'où ils furent chassés par le
tiran de Quiloë, qui, s'étant rendu maître de leurs lieux et de
leur païs, les obligea, par ses persécutions, d'en sortir; ils s'em-
barquèrent dans le dessein de chercher quelques isles inhabitées,
où leurs amis et eux pussent se retirer, et fonder un établisse-
ment : ils échouèrent en notre grande isle;... ils s'y multipliè-
rent de telle sorte que leur nombre, en peu d'années, égala celui
des naturels; au reste, cette nation est beaucoup plus éclairée
que les originaires; ils sçavent lire et écrire en hébreu^, » Car-
peau de Saussay indique sans doute par là cette seconde colonie
dont parle M. Grandidier et qui, selon ce voyageur, est arrivée
de la côte orientale d'Afrique vers le xv** siècle : les descendants
en sont établis à Matatane et sont connus sous le nom d'Anteï-
moures'. Il y aurait eu ainsi trois colonies arabes à la côte sud-
est : les deux que mentionne Flacourt et celle dont parle Car-
1) « Les Anlaimoro, entre la rivière Fanorianà et Ranambo (22*35' latitude
sud) au delà du Matitanana. Cette tribu est gouvernée par les Zafy Kasi-
mambo,qui sont les descendants d'un chef arabe venu à Madagascar longtemps
après Raminia.
« Les Zafy Raminia, qui habitaient aux environs de la rivière Faraony, ont
été chassés de ce pays par les Zafy Kasimambo et se sont retirés les uils vers
le nord (les Antambahoaka), les autres vers U sud (les Antanosv). »
Grandidier, Bul. Soc. Géog., l^^nrim., 1880.
2) Carpeau de Saussay, eh. xxviii, p. 246. — « Hébreu » lisez : Arabe.
6) Hecue scitniif.y 11 mai 1872.
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4 LES PEUPLADES DE MADAGASCAR
peau de Saussay dans des ternies si précis qu'on ne peut la con-
fondre avec les deux premières.
L*immigration arabe ne se borna pas là, car il est avéré qu'à
diverses reprises, des Arabes, partis de différents pays, sont
venus coloniser la côte nord-ouest. Ainsi, vers la même époque
(xv' siècle), où M. Grandidier place sa seconde immigration
arabe à la côte sud-est, il y en eut une à la côte nord-ouest*.
Le récit suivant d'un voyageur du xvn® siècle ne laisse aucun
doute à cet égard. Le sieur « Du Bois » se trouvait à Fort-Dau-
phin, quand un pilote nommé Gigault arriva d'un voyage autour
de rUe : « Gigault rapporta que, cherchant la rivière des Mats,
ils passèrent en un lieu de Tisle nommé le Vieil Macellage^ dans
lequel anciennement des Arabes habitaient, qu'il y a remarqué
plusieurs mosquées, tombeaux, citernes et maisons, le tout basty
de pierres. Que^ de là, ils passèrent au Nouveau Macelage, aussi
en la mesme isle, où habitent des Arabes, qu'ils ont un roy,
dont la cour est assez magnifique, et qu'il a bon nombre de sol-
dats à sa garde; qu'il y a deux cents ans qu'ils disent être habi-
tez en l'isle et qu'ils y font trafic notable, y ayant veu une quan-
tité de petits bastiments; ... qu'ayant esté reconnus pour Français
par ces Arabes,... ils furent bien reçus d'iceux et qu'ils souhai-
taient en avoir l'amitié. Que ces Arabes ont une belle ville,
bourgs et villages, où il y a des mosquées et tombeaux superbes,
citernes et maisons, le tout basty de pierres !' »
Nous ne trouvons pas sur les cartes modernes les lieux dénom-
més par Du Bois, Vieil et Nouveau Macellage; mais, en nous
reportant aux cartes de Tépoque du « sieur Du Bois ))^ à la carte
l)a En 1636, ]*ex-sultan de Mombase (qui avait abandonné son île, chassé
ï>ar les agressions des Portugais), après avoir erré quelque temps sur les
rivages de rVémen, vint chercher un refuge à Madagascar, où il se concilia Ja
faveur du sultan de Massalège (il s'agit, dit Guillain, de la baie de Bouèni,
côte ouest de Madagascar, où était établie une colonie d'Arabes venus de dif-
férents points de TAfricfue orientale, et particulièrement de Patta) et de
quelques Maures, originaires de Patta. »
Documents sur l^histoiret la géographie et le commerce de l'Afrique orientale,
par le cap. Guillain. Paris, 1856, p. 440.
2) Les voyayes faits par le sieur D. B. aux ilcs Dauphine ou Madagascar et
Bourbon ou Mascarenne. les années 4669, 10. 14 et 72, à Paris, chez Cl. Bar-
bin,1674.
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LES PEUPLADES DE MADAGASCAR
Plan des ruines deHle Mandza (d'après un croquis de M. Maria-Darbel) *
1) Sur ce plan, les bâtiments qui existent encore, quoique en ruine, sont
marqués par des traits; ceux qui sont entièrement démolis sont en pointillé.
1, 2, maisons dont les toits étaient en pyramide octogone ; c'est dans Tintérieur
du sommety trouvé couché sur le sol, qu'était cimentée l'assiette c.
« Il est probable, dit M. Marin-Darbel, que rentrée de cet établissement était
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b LES PEUPLADES DE MADAGASCAR
anglaise de Thomton, dressée vers 1700, nous y lisons, au
nord-ouest de Tîle : « Old Mathelage » et « New Mathelage » ;
sur la carte moins ancienne de BcUin, ingénieur de la marine,
dressée en 1768, V « Ancien et le « Nouveau Masselage » trou-
vent place. La carte de Bonne (1788) ne porte plus que le
a Vieux Massailli ». En comparant avec les cartes récentes, tout
en tenant compte des inexactitudes des anciennes cartes, nous
voyons que les Nouveau et Vieux Masselage correspondent à la
baie de Boinà et à la baie Mahajamba actuelles*.
Or récemment une découverte fort intéressante de ruines
arabes a été faite dans Tile Mandza, située justement dans la
baie Mahajamba.
Celte découverte a été mentionnée dans les Instructions nau-
tiques sur Madagascar , kA\\Àon de 1885', d'après un extrait du
rapport de M. Marin-Darbel, extrait que nos renseignements
personnels nous permettent de compléter. « M. Marin-Darbel,
commandant le Boursainty et les officiers de ce bâtiment ont
visité les ruines, assez bien conservées, d'un établissement
arabe : elles se composent d'un grand corps de bâtiment, entrée
de rétablissement du côté de la plage d'accès, relié par une allée
murée à un autre corps de bâtiment composé de trois grandes
chambres, puis d'un bâtiment isolé, et enfin, sur le point le plus
élevé de Tîle, de Thabitation principale, formée de quatre cham-
bres, d'une petite cour intérieure, d'une cour extérieure, fermée
par un mur d'enceinte avec poterne. Toutes ces constructions
sont garnies de meurtrières. Il y a même, dans la petite cour
intérieure, l'emplacement d'un canon. Les murs, très épais, sont
en pierres madréporiques, taillées et reliées par un ciment d'une
à la plage est. Deux arbres très anciens encadrent la porte 0 à laquelle condui-
sait un chemin ddd tracé suivant les pentes du terrain. La case D est sur un
mamelon. Toute la partie de côte FBG est presque à pic au-dessus des rochers
de la côte. A l'ouest, il y a une belle plage de sable de laquelle on peut grimper
jusqu'à l'établissement. Toute Tîle est boisée ; cette végétation est récente,
cependant, en N, il y a un arbre assez gros qui a dû être planté. H est un silo
en maçonnerie très Bien conservé.»
i) Voy. A. Grandidier, Géogr,, Paris, Impr. nat., 1885 (les tableaux placés à
la fin).
2) Paris, Imp. nat., 18S5.
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LES PEUPLADES DE MADAGASCAR 7
grande solidité. Les toits se sont effondrés, mais il est facile de
reconnaître qu'ils étaient formés de pierres et de mortier sur
une épaisseur de 40 centimètres, et qu'ils étaient supportés par
un lit de poutrelles en bois. Deux d entre eux s'élevaient en
pyramide octogonale sur une hauteur de 2 mètres environ.
« Le sommet d'une de ces pyramides fut trouvé dans les
décombres. Il avait environ 80 centimètres do hauteur et se
composait de pierres et de moellons cimentés ensemble. A Tin-
lérieur de cette portion de pyramide, intérieur parfaitement
terminé au point de vue du maçon, se trouvait fixé par le ciment
un plat de porcelaine en guise de voûte. Par celle porcelaine,
Fig 2. Vue des ruines de Tile Mandza (d'après an croquis do M. Marin-Oarbel).
on pourrait fixer peut-être Tépoque de ces constructions*. On en
trouve de semblables et placées de la même manière à la grande
Comore, vestiges du temps passé que les Comoriens se refusent
à céder à tout prix. Il est probable que ces chambres à toits
pyramidaux étaient réservées aux prières. Dans l'une d'elles
existe un foyer. Dans la deuxième pyramide, nous trouvâmes
également un débris de porcelaine fixé dans la muraille et quel-
ques traces de poteries. Quelques ornements sculptés sur les
1) Ces porcelaines, déposées au musée d'Ethnographie, renriontenl, nous
dit-on, bien nu delà de 1 époque à laquelle M. Marin-Darbel fait remonter la
construction dans laquelle elles se trouvent enchâssées.
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8 LES PEUPLADES DE •MADAGASCAR
murs, qui existent encore, sont de style arabe. Enfin , sur la
côte nord-ouest de la baie, nous avons examiné une grotte natu-
relle remplie de débris de cercueils en bois tombant en pous-
sière et de squelettes. Les indigènes connaissent cette demeure
funéraire, mais les plus âgés d'entre eux ne Font pas vu utiliser
de leur temps, sauf pour quelques cercueils mis à l'entrée, et,
dans leur simplicité, ils ajoutent : « C'est aussi vieux que les
ruines de Mandza'. »
De Texamen de ces ruines, munies de meurtrières, avec l'em-
placement d'un canon, ruines de constructions en pierre, mode
d'habitation aujourd'hui encore inconnu des indigènes des côtes;
de l'examen du style de ces constructions et de leur état de
vétusté, il ressort nettement pour M. Marin-Darbel qu'elles
remontent à deux cents ans au moins et sont les restes d'un
avant-poste d'un établissement arabe , important sans doute ,
situé dans la baie Mahajamba.
Il semble que les Arabes aient suivi une marche régulière du
nord au sud (voy. plus loin) sur la côte occidentale : débarquant
à l'extrémité nord de l'Ile, puis s'établissant dans la baie de
Passandava, descendant ensuite au Vieux Macelage (baie Maha-
jamba)*, où Gigault voit déjà des établissements abandonnés.
1) Victor Marin-Darbel, Notes manuscrites. C'est de là que proviennent
le cercueil et les crânes rapportés par M. Vian, médecin du Boursaint (voy. plus
haut).
2) Le capitaine Guillain dans ses Documents sur l'histoire, la géographie et
le commerce de la partie occidentale de Madagascar, Paris, Impr. Royale, 1845,
p. 202, confirme le fait en ces termes :
« La baie Matzamba (Mahajamba) est désignée sur les cartes anciennes
et dans les anciens portulans par les noms de Vieux-Masselaj^e ou Massalége,
et de Vieux-Massaly ou Massailly. La concordance entre certains faits, contenus
dans la description de la baie connue autrefois sous ces divers noms, et les évé-
nements dont la baie Matzamba a été le théâtre, selon les traditions anta-
laots, ne permet aucun doute à cet égard. Voici un extrait de cette des-
cription :
« La baie du Vieux-Masselage... a été autrefois habitée par des Arabes dont on
voit encore les maisons de pierre et quelques-unes de leurs mosquées ; elle est
belle et grande et les navires y sont en sûreté... A trois lieues en dedans, il y
a une petite ile du côté de Test sur laquelle nous trouvâmes un fort beau vil-
lage bâti en pierres... »
Ce psissage est emprunté par Guillain aux Archives du dépôt des cartes et
plans : État des ports et baies de Vile Dauphine, Il ne donne pas la date des
documents qu'il cile^ Nous n'avons pu retrouver ces documents ni, par suite,
en fixer la date. Divers indices (voy. Bonnavoy de Premol, Paris, 1856, Ind.
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LES PEUPLADES DE MÂDAGASCAK 9
dont M. Marin-Darbel explore les ruines en 1885; enfin se fixant
dans les baies de Boinà (Nouveau Macelage) , où Gigault les
surprend en pleine prospérité au xvii* siècle, et de Bombélok,
où ils sont fortement établis encore aujourd'hui.
Il y a déjà plus d'un siècle qu'ils habitent la baie de Bombé-
tok ; mais c'est là qu'aujourd'hui ils concentrent leurs efforts.
Modave disait dans son journal , en 1768 : « Ces Arabes ont un
comptoir régulier à Bombaitolque, dans la partie nord-ouest, à
peu près vis-à-vis de Mozambique. Ces Arabes y viennent des
isles de Comores, des villes qui sont sur la côte d'Afrique et
même de l'Arabie heureuse; ils se sont assez étendus dans cette
partie de l'isle.
« Ils y ont fondé une école où Ton enseigne à lire et à écrire
aux gens du pays, et la religion musulmane a fait quelques
progrès dans Imtérieur du pays*... »
S'il faut en croire l'auteur du mémoire, attribué plus haut au
chevalier de la Serre, il y aurait aussi des Arabes qui auraient
traversé l'île. Il dit en parlant de Fort-Dauphin : « ...D n'y a
absolument que les ombiasses et les grands du pays qui savent
écrire en arabe... Ils doivent cette science à quelques familles
arabes qui ont traversé l'isle pour se soustraire à la vengeance
des Séclaves de la côte de l'ouest, sur lesquels ils avaient tenté
une révolte. Voilà ce qu'un ombiasse m'a dit au Fort-Dauphin,
ajoutant que, si je voulais le suivre aux Matatanes, il me ferait
voir des coffres remplis d'écritures, où ce fait et bien d'autres
616/.) nous portent à croire qu'il est des environs de 1668, époque du voyage de
Du Bois. Il y a évidemment concordance de témoignages. Aux îles Mamoukou
(Nosy Mamoko ou Âmbariotelo) dans la baie de Passandava, on trouve aussi
de nombreuses traces de ruines arabes. Il y a trois îles de ce nom. c< Elles ont
été relevées pour la première fois en 4845, dit M. Grandidier, par Robin etDaras
Sui ont même nommé Tune des trois : Iles aux ruines. » (Vov. A. Grandidier,
éogr,, y. I, I'* part., 1885. p. 90.)
Il y a ici une légère erreur de M. Grandidier, car, dès 1842, le capitaine de
corvette Jehenne avait signalé ces ruines « dans le plus grand des îlots Ma-
mouko ». Mais il se trompait, croyons-nous, en les attribuant à un établisse-
ment européen abandonné. Voy. Ânn. marit, et co/.,28«année (1843), 3* série.
Paru non ofT., t. I, p. 403. Renseignements nautiques sur la côte occidentale
de Madagascar.— Vov. aussi Guillain : Documents sur Madagascar, Paris, 1845,
p. 176.
1) Archives coloniales.
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iO LES PEUPLADES DE MADAGASCAR
sont rapporlés. C'est donc aux Matatanes qu'on pourrait avoir
quelques connaissances anciennes sur Madagascar'... » Enfin
Modave, dans son journal, apporte aussi le poids de son auto-
rité : « Ils (les Malgaches) ont aussi quelque connaissance de
l'art d'écrire, et ils se servent, pour cela, de caractères arabes
que les ancêtres des Rohandrians leur ont apportés. Le papier
se fabrique dans la vallée d'Âmboule, et au lieu de plume, ils
emploient le roseau des Indes, comme sous le nom de bambou...
Leurs savants se nomment ombiasses. Ils sont à la fois sorciers,
prêtres [et [médecins; les plus renommés se trouvent dans le
pays des Matatanes. C'est là que la magie s'est conservée dans
tout son éclat. Les Matatanes sont redoutés des autres Madé-
casses à cause de la perfection où ils ont poussé ce grand art. Ils
en tiennent école et les universités de cette isle sont presque
toutes dans cette partie '. » C*est presque exactement ce que
disait Flacourt (ch. xlvi) un siècle auparavant. Et c'est bien
dans ce lieu précis qu'en ce siècle M. Grandidier a trouvé ces
« coffres remplis d'écritures » dont paillait le chevalier de la
Serre : « Mes recherches sur l'histoire du pays et sur les immi-
1) Archives coloniales,
El. Jacquet (Nouv. Journ. Asiat.j févr. 1833) donne quelaues renseignements
sur les manuscrits malgaches, couverts de caractères arabes, conservés à la
Bibliothèque nationale : « Il suffit de jeter les yeux sur ces tables pour recon-
naître crue la cabalistique est veuue aux Madécasses des environs ae Mascate,
comme le reste de leur civilisation moderne et de leurs opinions religieuses. »
Il s'agit de Tancien fonds de la Bibl. nat. et des mss. acquis par Anisson
Duperron.u Le sujet de la plupart des traités contenus dans ces volumes est la
cabalistique musulmane, origmairement dérivée de la cabalistique judaïque. »
2) Ed. Pouget-Saint-André, loc. cit.
Voici ce nu'en disait, en 1820, Albrand, qui habitait au milieu d'eux :
« Les Ronandrians, étrangers au pays, sont venus s*y établir à une époque
que je ne puis fixer, mais qui ne dqit pas être fort éloignée, car, du temps de
Flacourt» ils se distinguaient encore des naturels par leurs traits et la couleur
de leur leint. Aujourd'hui, le mélange des races et l'influence du climat
ont fait disparaître ces difTérences, et 1 opinion seule les sépare du reste des
Malgaches...»
La tradition est cependant restée vivace parmi eux ; Albrand en rapporte une
preuve dans le récit d'un incident survenu au cours d'un voyage au pays
d'Anossy, en 1819. « ....Une question faite par la personne qiii m'accompa-
gnait, relativement au lieu où M. de Modave avait dû jeter les fondements de
la ville qu'il projetait, fit naître parmi les Malgaches une rumeur sourde, et
l'on entendit le chef dire tout bas : « Ils veulent prendre mon pays; eh bien î
je retournerai aux sables de la Mecque, dans la patrie de mes pères. r>
Ann. marit. et ml , 32' année, 3' série, 1847, t. III, p. 507 et suiv.
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LES PEUPLADES DE MADAGASCAR 41
grations des races étrangères à l'île, dît ce voyageur, m'ont
conduit jusqu'à Matitanà, où se trouvent les descendants des
Arabes qui ont jadis émigré à Madagascar; j'ai réuni des docu-
ments nombreux sur cette curieuse tribu, et j'ai rapporté des
extraits des livres, écrits en caractères arabes, qu'ils conservent
avec religion*. »
Ranbalou, Phanbalou ou Caniclou, dont parle Maçoudi dans
ses Prairies dor, et qu'il avait visitée en 916, île habitée par des
Zendjes, n'est pas Madagascar, comme on le croit ordinairement,
mais Anjouan, selon M. Grandidier. Maçoudi raconte qu'elle fut
conquise vers 750 par des musulmans : ils parlaient la langue
des Zendjes (le Souahili) et étaient de leur caste *.
Ainsi, dès cette époque, l'islamisme plaçait des avant-postes
pour la conquête de la côte nord-ouest de Madagascar.
L'Asie envoya plusieurs colonies musulmanes vers Madagas-
car en même temps que ses navires de commerce. La Perse
fournit aussi son contingent : <( Les Persans connurent Mada-
gascar à une époque déjà fort reculée, dit le P. de la Vaissière.
Ils l'appelaient Sérendib, et leurs navires venaient du golfe Per-
sique y trafiquer*... » S'il faut en croire M. Delagrange, il y eut
une importante immigration venue de Perse : « Au commence-
ment du XVI* siècle, vers l'époque où les Portugais commen-
çaient à se montrer dans la mer des Indes, une riche et nom-
breuse peuplade des Chiradzi, en Perse, immigra dans le canal
de Mozambique, Plusieurs des chefs actuels des Comores sont
les descendants de celui qui commandait à cette peuplade. C'est
d'elle que venaient les Antalots (Antallaoutsi = homme d'outre-
mer). Ils s'établirent sur la côte ouest de Madagascar, mais,
quoique s'unissant aux fils des naturels, ils se distinguèrent
toujours des autres peuplades par leurs figures arabes, et sur-
tout parleur langue, le saouëli*... »
Ainsi les Arabes ont fondé, à Madagascar, depuis le vn® siècle
1) Grandidier. Notice sur ses travaux scientifiques,
'-)Lâ livre de Marco-Polo. 2* partie, chap. clxxxv, Paris, Firmin-Didot, 1865.
3) Uist. de Madagascar,
A) Archives coloniales. Ce passage est emprunté à un long mémoire manus-
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12 LES PEUPLADES DE MADAGASCAR
jusqu'à nos jours, des colonies nombreuses et prospères sur des
rivages opposés. Comme le fait remarquer M. Hallez*, ils n'ont
jamais formé de tribu ni de peuplade distincte. Ils ont tantôt
constitué une aristocratie dominatrice, tantôt exercé un prosé-
lytisme qui n'est pas demeuré sans effet, ou bien ils se sont
contentés de jouer le rôle de juifs marchands, d'intermédiaires
nécessaires à toutes les transactions des naïfs indigènes. Ils se
sont partout mêlés à la population malgache et ont fait souche
de métis. Toutefois les traditions sont demeurées vivaces sur
certains points et leur domination ne s'est point affaiblie. Ainsi,
dans le sud-est, les Zafi-Baminia sont encore puissants : « En
suivant la rivière, dit un auteur récent, on aborde au village de
Salobé, où réside Rézoumaneira, le plus puissant des rois Anta-
nosses... U exerce une prépondérance parfaitement établie... Il
est le véritable roi de la grande tribu des Zafa-Renia^•. »
crit très bien fait et dû à la plume de M. Delagrange, qui récrivit en 1855, étant
gouverneur de notre colonie de Sainte-Marie.
Guillain, loc. ait,, fait, p. 357, l'histoire des établissements antalaots à la
côte nord-ouest de Madagascar.
Il a recueilli les traditions : il fait remonter cette immigration à la fln du
XVI* siècle. Elle partit de Boukdadi, situé aux environs du Basra (Bassora).
La flotte, composée de sept daws» sortit du golfe Persique , se dirigea vers la
côte orientale d'Afrique et y aborda dans une petite baie située un peu au sud
de Mombase (à Touest de rîle Pemba et au nord de Zanzibar). Elle fonda un
village nommé Pangani ; puis un autre en face, Bouéni. Inquiétés par les
guerres des peuplades environnantes, ils s'embarquèrent pour la terre de
RomVi (nom de Madagascar chez les navigateurs arabes). La flottille atterrit
près de l'extrémité nord de 1 île, à Ampan'hani. Après avoir fait quelques
constructions et élevé une muraille d'enceinte, — dont il reste des vestiges, dit
Guillain, — ils se transportèrent à Nossi-Comba, puis l'abandonnèrent bientôt
pour la baie Matzamba. Là, ils fondèrent un nouveau village de nom de Pan-
gani. « La baie Matzamba parait avoir été habitée par les Arabes* vu que leurs
tombes existent encore sur le sommet de la petite île située près de la passe.
Des arbres se sont élevés au milieu de ces tombeaux, noircis par le temps, et
qui ne seront bientôt que des ruines. »
Plus tard, une partie de la colonie descendit plus au sud et s'établit
à Nosi Komba puis au fond de la baie située en face de l'île et y fondèrent
Bouénù
Des branches se détachèrent de ces colonies pour aller se fixer dans la baie
de Bombétoketdansia baie de Bali. A leur arrivée, les colons avaient reçu des
indigènes le nom d*Anti-Alaoutsif qui servit dès lors à les distinguer des Arabes
qui venaient habiter temporairement le pays pour y commercer.
1) L'Investigateur, Décembre 1867.
2) Notes sur Madagascar, par Ad. Le Roy. Bulletin des sciences et des arts
de la Réunion^ 1883, 1 vol., chez Gabriel et Gaston Lahuppe, à Saint-Denis,
1884, p. 106.
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LBS PEUPLADES DE MADAGASCAR 13
Il serait intéressant de rechercher quel a été le r61e de ces
Arabes dans l'Ile et quel il est aujourd'hui : nous serions par là
entraîné à sortir du cadre de cette élude et à des développements
trop étendus. Cependant nous pouvons fixer quelques traits.
La plupart des coutumes religieuses ou superstitieuses des
peuplades de l'île leur viennent des Arabes, qui se sont faits
ombiasseSy c'est-à-dire prêtres, devins et médecins pour mieux
exploiter la crédulité des indigènes. Les voyageurs, depuis Fia-
court, n'ont qu'une voix pour caractériser ce gem^e d'influence.
Sans introduire le mahométisme pur, ils ont implanté des cou-
tumes qui en procèdent et qu'ils ont accommodées aux lieux et
aux hommes : la circoncision, l'abstinence de certaines viandes,
les ablutions, le port d'amulettes sacrées, constituées par des
versets du Coran, etc.. Certaines traditions religieuses, comme
la croyance à sept cieux au-delà de la mort, à des anges et à des
démons de sept sortes différentes.
Aujourd'hui c*est seulement sur la côte ouest que leur influence
est grande, soit parce qu'ils concentrent tout le petit commerce
dans leurs mains, soit parce qu'ils ont su prendre partout un
grand empire sur l'esprit des chefs. 11 faut ajouter que cette
influence morale et politique est loin d'être bienfaisante. — Vin-
cent Noël, constatait, en 1843, que u les Arabes affluaient dans
le royaume de Bouéni, où ils faisaient un commerce d'impor-
tation d'une certaine importance ^ »
En 1853, M. Delagrange écrivait dans le mémoire déjà cité :
« Les relations de ces Antalots avec les chefs en font des hommes
qui sont fort à ménager à Madagascar, quoique leur caractère
soit ordinairement méprisable : ils sont fourbes, rusés comme
les Arabes et en même temps d'une pusillanimité sans
pareille'... » Le même auteur dit ailleurs encore : « Les Anta-
lots, qui aujourd'hui sont à peu près les seuls commerçants de
TAmbongou, se retrouvent encore plus loin au sud. Ils peuvent
être très gênants pour des Européens, auxquels ils cherchent le
1) BuU. So€. Géog., avril 1843.
2) Archiv€$ coloniales.
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14 LES PKUPLÂDES DE MADAGASCAR
plus souvent à nuire, car ils voient en eux des concurrents
redoutables pour leurs opérations... Ils sont souples, rusés, se
mettant dans les bonnes grâces des chefs en épousant leurs filles
et ordinairement animés d'un grand esprit de prosélytisme. »
Un voyageur hollandais disait d'eux déjà en 1846 : « Il est impos-
sible d'acheter ou de vendre, ni même d'arriver auprès des
grands chefs malgaches, sans être préalablement d'accord avec
eux*. »
Ces Arabes ont étendu leur influence jusqu'au sud de la côte
ouest : « Les Mahfales et les Sakalaves sont les peuples les plus
intéressés que Ton puisse rencontrer, dit M. Grandidier, et leur
convoitise est incroyable,.. Il faut attribuer leurs tristes pen-
chants au contact des Arabes, qui, de temps immémorial, sont
en commerce avec ces pays. Ils sont lâches, hypocrites, men-
teurs, s'adonnent sans vergogne au vol et à l'immoralité, et sont
dominés par les superstitions les plus incroyables ^ » Cette con-
tagion malsaine a gagné de même l'extrême nord, en atteignant
le pays des Antankares : c'est ce que constatait le docteur Ber-
nier en 1834 ^ Tsimiharo, roi des Antankarana et ami de la
France, et son fils Tsialana se sont ralliés à l'islamisme vers
1850. Tsialana, aujourd'hui, pratique cette religion.
Cette triste influence ne tourne pas seulement au malheur des
populations indigènes; elle est encore nuisible aux Européens.
M. Grandidier raconte que, dans des pays Sakalaves indépen-
dants, il fut en butte aux hostililés des Arabes et aux vexations
des Sakalaves, qui obéissent à leur influence ^
Ces Arabes vont même parfois plus loin et affichent nettement
leurs prétentions à la domination politique de la côte ouest.
i) Voy. à Madagascar, par le Bron de Vexala. -— Rev. de VOrienl,* i, IV,
1846.
En 1820, Albrand (loc, cil.) écrivait : « Ces peuplades, connues à la côte
d'Afrique sous Je nom de Saklaves, ont peuplé le nord-ouest de Madagascar
d'Anjouanais captifs, et il m'a été assuré par Jean René, souverain de Tama-
tave, que ces étrangers dont le nombre s'accroît tous les jours, deviendraient
sous peu maîtres de cette partie de Tîle. »
2) BulL Soc. Géogr,, octobre 1867.
3) BulL Soc. Géogr, Com. de Bordeaux^ 5 avril 1886.
4) Bull, Soc. Géogr., août 1871 .
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LES PEUPLADES DE MADAGASCAR io
Ainsi, en 1860, une croisière française trouva dans la baie de
Baly le pavillon arabe flottant sur le logement du capitaine du
port*. Le même fait s'est reproduit en 1885, et il ne fallut rien
moins que la menace du canon d'un de nos croiseurs pour faire
cesser ces prétendons insolentes.
CHAPITRE YI
Sommaire : Élément juif, sémitique. — Relation de Flacourt, auteurs modernes.
— Métis-sémitiques; Pouls. — Colonies phéniciennes. — Coutumes juives à
Madagascar. — 'Hypothèse de Flacourt.
II faut dire quelques mots d'un élément dont quelques-uns
contestent l'existence, et qui, s'il existe ou s'il a existé, n a pas
une grande importance numérique, — je veux parler de l'élé-
ment juif.
Flacourt fut le premier à le signaler : après les Zaffiramini, il
place «< d'autres (hommes) vers la bande du nord (de la côte est)
qui se disent Zaffeibrahim *, et ne connaissent point Mahomet. »
Plus loin, dans le même ouvrage, il ajoute quelques détails vrai-
ment caractéristiques; il dit en parlant des gens qui habitent le
pays du Port-aux-Prunes, de Tamatave à la baie d'Anlongil.
« Il n'y a que ceux qui savent une certaine prière qu'ils nomment
Mivorache^ qui ont la faculté de coupper la gorge aux bestes,en
quoy ils sont si scrupuleux qu'ils mourraient plutôt de faim que
de manger de la viande d'une beste qu'un chrétien ou un
homme du costé du sud aurait tuée; ils sont tous provenus d'une
même lignée qu'ils nomment Zaffeibrahim... ils ne connaissent
point Mahomet et nomment ceux de sa secte des Cafres; ils
reconnaissent Noé , Abraham , Moïse et David ; mais ils n'ont
aucune connaissance des autres prophètes ny de notre sauveur
1) TS'oismois autour de Jdadagiiscar, d après les notes de l'abbé Guerret.
Douai, 1883.
2) Fils d*Abraham.
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46 LES PEUPLADES DE MADAGASCAR
Jésus-Christ. Ils sont circoncis, ils ne travaillent pas le same-
dy*... »
Ces lignes tranchent nettement avec celles que Flacourt con-
sacre aux habitants des environs de Fort-Dauphin, dominés par
des immigrants qui avaient importé des coutumes mahométanes,
dont nous avons parlé plus haut, apportant avec eux le Coran, et
parlant de Jésus-Christ comme d'un prophète, qu'au dire de Fla-
court on nommait Ralima dans le pays d'Anossi. Or, pour em-
ployer l'expression de M. Grandidier, les récits de ce vieil auteur
portent le cachet de la vérité; nous serions donc prêts à croire
qu'il y eut à Sainte-Marie une colonie juive, qui se répandit de
là sur la côte, de Tamatave à la baie d'Antongil, ainsi que le rap-
porte Flacourt *.
Nous avons pour corroborer cette opinion le témoignage
1) Histoire de la grande isle de Madagascar, par le sieur de Flacourt, Paris,
1661.
On lit dans Dapper, Description de l'Afrique, Amsterdam, 1686, page 481 :
« Les habitants de Tîle Sainte-Marie (Nosi Ibrahim) n'ont jamais voulu faire
d'alliance avec les chrétiens, quoiqu'ils soient bienvenus parmi eux, à
cause, sans doute, qu1ls ont encore retenu quelque chose de Tancien
judaïsme. »
2) Aussi ne sommes-nous point tout à fait de Tavis de M. Grandidier qui
englobe dans une même et générale influence sémitique celle des JuiTs et celle
des Arabes musulmans venus à Madagascar (voy. Madagascar et ses habilantSy
loc. ci7.,p. 24 et 25). Nous ne croyons pas pouvoir passer sur les différences
que Flacourt établit entre les Juifs de la côte nord-est et les Arabes de la côte
sud-est. Cette restriction faite, c'est avec plaisir que nous citerons les passages
du même travail où M. Grandidier fait hautement ressortir l'importance de ce
sujet : « Les colonies sémitiques ont une influence considérable. Il y a, en effet,
un usage, répandu dans toute Tîle, qui oblige les Malgaches à ne rien entre-
prendre, à ne rien faire, sans avoir, au préalable, consulté l'avenir par l'entre-
mise de devins, à l'aide d'une sorte de jeu de hasard nommé sikily ; cet usage
a été introduit par des Juifs venus d'Arabie... On retrouve encore aujourd'hui
des descendants de ces Juifs dans le nord-est et dans le sud-est de l'île. C'est
aussi à cette première colonie de Sémites qu'est due l'introduction de l'astrolo-
gie et des noms arabes des constellations. L'influence exercée sur les mœurs
de tous les habitants de Madagascar par ces pratiques a été considérable, puis-
qu'il n'y a pas un seul acte de leur vie publique ou privée qui ne soit réglemen-
tée conformément aux décisions du géomancien ou de l'astrologue. Quelques
peuplades malgaches d'origine indonésienne font encore auiourd hui des sacri-
Bces humains, mais aucune tradition sûre ne nous apprend que l'antropopha-
gie, qui est si commune dans l'extrême Orient, y ait jamais été pratiquée. Nous
ne savons pas en réalité si le cannibalisme était déjà en honneur en Océanie
avant Timmigraiion des tribus qui ont peuplé Madagascar, ou s'il ne s'y est
développé qu'ultérieurement; il n'est pas impossible qu'il ait existé jadis parmi
les Malffaches et que Tinfluence juive, q^ui a été très forte, ait opposé une bar-
rière salutaire à ces pratiques sanguinaires, si antipathiques au judaïsme. »
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LES PEUPLADES DE MADAGASCAR 17
d^hommcs qui onl étudié cl habité la côte est. Ainsi M. Delà-
grange, qui fut longtemps gouverneur de Sainte-Marie, dit dans
son mémoire manuscrit déjà cité * : « Les populations de la côte
orientale ont des traits plus fins, plus réguliers, qui semblent se
rapprocher de ceux de la race sémitique. » M. de Froberville
trouve sur la côte orientale d'Afrique et à Madagascar « une
race à nez saillant et recourbé, à lèvres peu épaisses, à face pou
prognathe, et qu'il nomme métis-sémitique' .» Ces métis-sémi-
tiques sont uniformément répandus chez les Ostro-nègres, peuple
de l'Afrique orientale, selon M. de Froberville : ce qui nous
amène en passant à mentionner une hypothèse faite par quelques
auteurs... « Par des considérations géographiques et d'histoire
ancienne très approfondies, dit M. Serres en parlant du mémoire
de M. de Froberville, par des légendes cosmogoniques qu'il a
recueillies avec beaucoup de soin des Ostro-nègres, et qui con-
cordent parfaitement avec la Genèse ; surtout d'après quelques
traits de mœurs qui se rattachent aux coutumes des peuples
syro-chaldéens, elles traces multipliées du culte de Moloc qu'il
a retrouvées répandues parmi les Oslro-nègres, M. de Frober-
ville s'arrête à l'idée que les métis-sémitiques de l'Afrique orien-
tale proviennent d'un croisement des Phéniciens avec les nègres
primitifs de cette contrée... » Mais, ajoute judicieusement
M. Serres, le rapporteur, « l'origitie des Phéniciens elle-même
n'est pas encore rigoureusement établie '. » Il est curieux d'ob-
1) Archives coloniales.
2) Serres {Comptes rendus Acad. Sciences, t. XXX, p. 679, 1850).
C'est sans doute la famille des Pouls, ainsi qu*on les nomme aujourd'hui.
« Originaires de l'Afrique orientale, d*où, à une époque inconnue, mais à coup
sûr lointaine, ils amenèrent (dans les vallées du Sénégal et du Niger) le
iHBuf à bosse de la Huute-Égypte. » C'est justement celui qu'on retrouve à
Madagascar.
Aujourd'hui a les cheveux ne sont plus lisses et seulement bouclés, mais
déjà un peu crépus. La face est orthognathe et allongée ; les traits sont fins, les
lèvres minces; quoique petit, le nez s avance et prend ordinairement une forme
aquilîne. )>
Girard de Rialle. toc, cit. y p. 85. Voy. des considérations analogues : Wake,
Joum. ofthe anthrop. Institute, t. Vllf.
3) M. Serres ignorait sans doute les savants travaux de M. Movers publiés
quelques années auparavant à Beriin {Bas Phœnizische Alterthum, Beriin,
1841-46). L'auteur allemand Movers, conclut que les Chananéens, appelés par
le« Grecs Phéniciens, appartenaient à la race sémitique « dont quelques peu-
plades, dans un temps qui précède le commencement de notre histoire, émi-
VI 2
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18 LES PEUPLADES DE MADAGASCAR
server qu'une hypothèse analogue avait été émise par le cheva-
lier de la Serre, dans le mémoire manuscrit déjà cité, pour
expliquer Torigine d'une des peuplades malgaches : « Je soup-
çonne ce peuple être descendant des Phéniciens qui sortirent de
la mer Rouge et se rendirent, à ce que nous apprend l'histoire,
dans la Méditerranée; il se peut, et la vraisemblance y est, qu'en
passant, comme ils firent, dans le canal de Mozambique, ils au-
raient pu se perdre sur Madagascar \ » Le capitaine Guillain,
dans son livre Documents sur [histoire, la géographie et le com-
merce de r Afrique orientale, cite le passage d'Hérodote, visé par
le chevalier de la Serre *, et examine cette hypothèse de colonies
phéniciennes dans ces parages;
Quoi qu'il en soit, il ne paraît pas douteux aux esprits les plus
rassis et aux juges les plus compétents que les Juifs ont importé
à Madagascar plusieurs de leurs coutumes et y ont ainsi laissé
des traces que l'on retrouve aujourd'hui. Il n'est donc nullement
besoin de faire intervenir les Arabes mahométans pour expliquer
l'introduction de ces mœurs religieuses et superstitions, qui se
grèrent peu à peu, les uns venant du nord par la Syrie, d'autres du sud par
FArabie, el, suivant toute apparence, parvinrent, au bout de plusieurs siècles, à
s'élablir d'une manière fixe dans la Palestine ». D'autre part, Girard de Rialle
disait récemment, en rangeant les Phéniciens dans la branche chamitique, sœur
de la branche sémitique : « Les Phéniciens qui, à l'époque historique, ne par-
laient plus qu'une langue sémitique, presque un dialecte de l'hébreu, se disaient,
suivant Hérodote, Strabpn et presque tous les auteurs de l'antiquité, originaires
des bords du golfe Persique, vers l'embouchure du Tigre et l'Euphrate.» (Les
peuples de l'Asie et de l* Europe; p. 93.)
1) Archives coloniales.
2) Hérodote, trad. Larcher, t. III, p. 254-55. Cl. J. Sibree, Proceed. ofRoy.
Qeogr, Soc, p. 655 et suiv.
Voy. dans Guillain, /oc. cit, p. 10 et suiv., les documents qu'il cite. Voici les
conclusions qu'il en tire :
<c Nous acceptons comme acquis à l'histoire :
1^ Que le pays d'Ophir, d'où provenaient les produits apportés par les flottes
de Salomon, était situé à la côte orientale d'Afrique, et plus particulière-
ment dans la partie de la côte connue sous le nom de Mozambique et de
Sofala;
2° Qu'au temps où ce roi régnait, les navigateurs hébreux et phéniciens com-
muniquaient avec cette côte. Le commerce de l'or d'Ophir était, du reste, anté-
rieur à Salomon... » p. 25-26.
« ...Parmi les précieux objets fournis par ce commerce (des Phéniciens et des
Hébreux), la substance la plus curieuse était la cannelle, dont nous venons de
constater la présence chez les Hébreux au temps de Moïse, et la cannelle
n'a pu être trouvée dans des lieux plus rapprochés que Ceylan ou la côte de
Malabar... » p. 34.
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LES P£UPLADES DE MADAGASCAR J9
serait faite par leur intermédiaire, comme le voudraient certains
auteurs.
Ainsi, M. Grandidier écrit : « La religion des Malgaches vient
probablement des Juifs, et ils y ont greffé le culte des Mânes des
ancêtres *... » Plus loin, le même auteur dit encore : « Dans les
pratiques religieuses des Sakalaves, on trouve des usages qui
rappellent ceux des Juifs. »
Dans ses précieuses Notes sur Madagascar ^ M. Crémazy revient
souvent sur ce fait que nombre des usages malgaches et en par-
ticulier hovas semblent venir des Juifs; il va même jusqu'à
reproduire, sans la détruire, la singulière opinion du P. Finaz
que la race hova est d'origine juive '. Le même auteur, parlant
de ces usages communs aux Juifs et aux Malgaches, dit qu'on
en pourrait citer quarante parfaitement semblables', et il en
cite un certain nombre.
Pour expliquer la présence de l'élément juif à Madagascar, il
remonterait « jusqu'à la dispersion des Chananéens, enfants
d Ésaii , par Josué. » Il cite à l'appui l'opinion de Flacourt ,
exprimée dans Tavant-propos de son Histoire de la grande isle de
Madagascar. En effet, Flacourt y dit qu'il croit que « les Zaffi-
Ibrahim, habitants de Fîle Sainte-Marie et des terres voisines...
descendent des Juifs » et que « leurs ancêtres sont passés en cette
île dès les premières transmigrations des Juifs, ou qu'ils sont
descendus des plus anciennes familles des Ismaélites, dès avant
la captivité de Babylone, ou de ceux qui pouvaient être restés
dans rÉgypte, environ la sortie des enfants d'Israël... * »
1) 'Bull. SiK. Géog., avril 1872.
2) Notes sur Madagascar (4« partie), p. 27.
3) Rev. marit, etcoLj octobre 1884.
4) RetJ. marit, et col., octobre 1884, p. 207.
Ducnont d'Urville dous fournit ici encore sur la langue madécasse de curieux
■aperçus de philologie comparée : « L'hébreu présente le rapprochement sui-
vant avec le polynésien, savoir : matay mort, en hébreu, mate en polynésien....
A regard du madékass, ces rapprochements sont plus marqués, savoir : har,
blé, dans les deux langues ; damang, hébreu, toumang, madékass, pleurer ;
marar^ hébreu, affligé, en madékass, malade ; alas, bois, dans les deux langues;
m, hébreu, amitié madékass, avec ; isckf hébreu, homme, iz, modêkass,
quelque ; bonn^ penser, comprendre dans les deux langues, etc. Mais on sait
qu'à Madagascar une tradition bien établie y constatait l'arrivée d'une colonie
juive à une époqoe très reculée. » (Voyage de V Astrolabe. Philologie', p. 301).
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20 LES PEUPLADES DE MADAGASCAB
CHAPITRE VII
Sommaire : Élément indien *. — Invasion indo-arabe. — Versions différentes de
Grandidier et de Crémazy. — Des familles royales de la côte ouest sont
indiennes. — Relations commerciales de rin<le avec Madagascar. — Le
rôle des Indiens aujourd'hui dans Tîle : influence politique et religieuse.
Il y a encore à Madagascar un élément indien, dont nous avons
déjà dit quelques mots au passage.
Si nous laissons de côté l'opinion de J. Codine sur l'invasion
des Zafferaminî, qui, selon lui, seraient venus de la Malaisie,
opinion qui semble définitivement détruite par les détails précis
que donne M. Grandidier et que confirme M. Crémazy, tout en les
interprétant un peu différemment, — cette invasion ne fut pas
malaiso-arabe, mais indo-arabe. C'est ainsi que Ton retrouve sur
la côte sud-est des tribus d'origine indienne. On se rappelle
sans doute que, d'après la version de M. Grandidier, les Arabes
dans cette immigration avaient amené avec eux des Indiens qui
fondèrent sur la côte un petit état indépendant. « Ce sont les
descendants de ces Indiens, ajoute M. Grandidier, qu'on connaît
aujourd'hui sous le nom d'Anteisakas ou habitants du petit pays
de Saka (sur les bords de la rivière Ménanara près de Vangai-
dranou). Si l'on se laissait guider par les étymologies, on serait
tenté d'admettre que cette tribu, avant d'aller s'établir sur les
bords du Ménanara, avait habité Sakaléon : j'ai trouvé en effet,
dans ce district, au milieu de la jongle, un éléphant asiatique
sculpté dans une roche tendre, ainsi que divers fragments de
vases de pierre ; elle aura été à la suite vaincue par des immi-
grants redoutables (probablement la seconde colonie arabe, qui
est arrivée de la côte d'Afrique, vers le xv* siècle, et dont les
descendants établis à Matétanane, sont connus sous le nom
d'Ântéïmoures) et refoulée dans le sud. Sakaléon en malgache
1) Cest à dessein que nous employons le mot indien, quoiqu'il eût été plus
clair peut-être de nous servir du term^ dHndou. Nous avons conservé le pre-
mier parce au'il est le seul usité à Madagascar, où il a le sens très précis d ori-
ginaire de 1 Indoustao.
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LES PEUPLADES DE MADAGASCAR 21
signifie Saka^vaincu. A la suito de celte défaite, les Anleisakas
se sont séparés ; les uns se sont établis sur les rives du Ménanara,
où ils étaient déjà du temps de Flacourt, et où ils sont encore
aujourd'hui, conservant à leur nouvelle patrie le nom de Saka;
les autres, traversant File dans toute sa largeur, sont venus à la
côte occidentale, où ils n'ont pas lardé à acquérir toute autorité
sur les peuplades encore sauvages qui habitaient ces régions.
En donnant au royaume qu'ils y fondèrent le nom de Sakalava,
ils ont voulu garder le souvenir de leur pays d'origine; Saka-
lava^ Saka-lojig, parce que ce royaume étroit, mais long, com-
prenait la plus grande partie de la côte ouest'. » C'est de ces
Indiens que, selon le même auteur, « descendent les rois
Marousérananes et Andrévoules qui régnent sur la côte occi-
dentale, ainsi que les louha Vouhilses ou notables Mahafales,
Aniiféhérénanes et Sakalaves '. » En effet, aujourd'hui encore,
les Sakalaves ont conservé fidèlement cette tradition, que leurs
rois et les grands de leur nation furent des étrangers à Tori*
gine.
Voici la version de M. Crémazy : « Les Antanos, d'origine
indienne^ ont débarqué à Sakaléon (côte est) entre Hahéla et
Mahanoro, un peu au sud do la rivière Hanaoro. Les Antanos
ou peuple zafiiramini^ sont la même peuplade, dont le chef était
fiamini, quand elle a débarqué à Sakaléon vers l'an 1200 de
notre ère. Elle a une histoire écrite en caractères hindous, qui
se trouve entre les mains de quelques chefs Antéïmaures rési-
dant aux villages de Faron et de Matatana, au sud de la rivière
de Mananzary ; il y a aussi des documents historiques parmi les
chefs Antanos habitant la partie haute de la rivière Saint-
Augustin. Ramini, après avoir débarqué à Sakaléon, voulut
remercier Dieu de l'avoir sauvé des flots, lui et ses compagnons :
à cet effet, il fit tailler dans une grosse pierre un éléphant, qui
se voit encore à Sakaléon.
« Celte peuplade s'allia à celles du voisinage. Deux ou trois
1) Rev, Scientif.f i\ mai 1872.
2) Loc. cit.
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22 LES PEUPLADES DE MADAGASCAR
cents ans après son arrivée dans le pays, la mésinlclligence
éclata entre les chefs ; ce fut à qui s'emparerait du pouvoir. Deux
camps furent en présence. Il y eut une grande bataille livrée du
côté de Faron et de Matélanana. Le parti vaincu se réfugia vers
le sud : c'est le peuple qui s'appelle Ântanosy ; le parti vain-
queur reste sur les lieux*et forme les Antéïmoures. »
La version de M. Grandidier se tient mieux ; elle a de plus
l'avantage de concorder avec certaines traditions de la côte ouest,
et d'expliquer divers traits de mœurs des peuplades de cette
région, évidemment importés de l'Inde. Celle de M. Crémazy,
plus circonstanciée, renferme plusieurs invraisemblances.
L'auteur parait attribuer à tort aux Indiens les textes, reconnus
arabes, qui sont aux Matatanes et dont nous avons déjà parlé.
Quoi qu'il en soit, il demeure établi qu'il y eut une immigra-
tion indoue, qu'elle fut assez importante et dut se mêler à la
population de la côte est dans une région qui n'est pas con^
testée.
En dehors de cette colonie qui se transporta en masse de
l'Inde à Madagascar, il y eut de temps immémorial des relations
de commerce entre la côte de Malabar et la côte orientale
d'Afrique, peut-être en passant par Madagascar. Marco-Polo
rapporte ce [fait : « Et si vous di que les nefs de Maabar qui
viennent en ceste isle de Madéisgascar, et en l'autre de Zam-
quibar^ y viennent si tost que c'est merveille. .. '. »
Le « sieur Du Bois », dans son voyage à Madagascar de 1669
à 1672, donne un détail précis : « On appelle cette rivière, la
rivière des MâtSy parce qu'il y a de beaux bois propres à mater
des vaisseaux..., même que l'on vient des Indes en chercher*. »
Cette rivière des Mâts est située aux environs de la baie de
Bombétok sur la côte nord-ouest. C'est surtout dans cette partie
de l'île, qu'en ce siècle les Indous ont concentré leurs efforts. Le
Bron de Vexala écrit en 1846 : « Massangai (Mazangaie), bâtie
au pied du fort et longeant la baie (de Bombétok), contient tout
1) Marco Polo, loc, cit.y p. 679-80. Voy. plus haut.
2) Du Bois, loc, cit., p. 72 et suiv.
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LES PEUPLADES DE MADAGASCAR 23
au plus une centaine de maisons construites en pierres et habi-
tées par une tribu de Bamans (Indous), qui lui donnent une cer-
taine activité par leur commerce*. » En 1853, M. Delagrange
confirme le fait que les Indiens font fréquemment, pour leur com-
merce, des voyages entre Tlnde et Mazangaye*. Aujourd'hui
plus que jamais, les Indiens prennent pied sur toute la côte
ouest, imitant Texemple des Arabes et monopolisant le cabotage
avec leurs boutres et tout le petit commerce '.
Dans la légende sakalave, déjà citée, sur Torigine des* Hovas,
il est dit : « Les Hovas ont été les amis des Karany (Indiens). ))
« Les Karany ou Indiens, dit le P. de la Vaissière, sont proba-
blement des trafiquants venus à la côte ouest à une date assez
récente. Il est peu probable qu'ils ai^nt ensuite quitté Mada-
gascar. Nous pensons plutôt qu'ils se sont fondus avec les
Amboas-lambos (Hovas) ou avec quelqu'une des tribus du
littoral*. M
Il n'y a rien d'impossible à ce que les sectes bouddhistes de
Ceylan» remarquables par leur prosélytisme, aient envoyé des
missionnaires à Madagascar. II est de fait qu'au milieu de la
confusion inextricable des superstitions et des croyances reli-
gieuses de rUe, on rencontre des traces fort nettes de pan-
théisme * et même de la croyance à la métempsycose.
Grandidier signale même des usages très particuliers, d'une
origine indienne nettement caractérisée *.
1^ Revue de l'Orient.
z\ Arch, eoL Mémoire manuscrit.
3) Trois mois autour de Madagascar, par E. Génin, Douai, 1883, p. 13 et
passim.
« Les Indiens et Jes Arabes oui pratiquent ce commerce (des bois de cons-
truction) sont coroplèlemenl malgachisés. On en rencontre dans la plupart des
villages du littoral, entre Vohémar au nord et Morondava au sud-ouest. Parmi
les premiers, presque tous originaires de Bombay, beaucoup ont fait souche à
Madagascar et sont devenus sujets hovas, témoin ceux de Majunga... »
(Lettre de Madagascar dans le Temps du 15 août 1886.)
4) Vingt ans à Madagascar, p. 54.
5) Souchu de Rennefort, loc. cit,, ch. xxx. Cf. Rev. Henry W. Little, ouvr.
cité, ch.v.
6) Bévue scientifique, 11 mai 1872.
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24 LES PEUPLADES DE MADAGASCAR
CHAPITRE VIII
Sommaire : Éléments européens. — Forbans et pirates : les Malades, — Une
colonie languedocienne à l'Intérieur. — Union des Européens avec les femmes
Malgaches sur les côtes : garnisons, comptoirs, habitants, etc.
Un dernier élément, l'élémenl européen, est aussi entré dans
ce composé hybride qui constitue la population de Madagascar.
Avant que les Poi^iigais, les Hollandais, et à plus forte raison
les Français, se soient établis dans Tîle, les forbans européens
qui écumaient la mer des Indes, en avaient fait leur asile ignoré.
Ils se réfugiaient et se Ravitaillaient dans les baies du nord et
du nord-est. Leur principal point de retraite était Tîle Sainte-
Marie. « L'îlot aux forbans, vis-à-vis de l'établissement français
actuel, rappelle encore leur séjour*. » — « Ces pirates venaient
se reposera Madagascar de leurs périlleuses expéditions; ils y
arrivaient avec leurs riches captures; généreux et prodigues,
ils répandaient leurs trésors dans le pays. Proscrits par la civi-
lisation, ils se faisaient de Tîle sauvage une autre patrie; ils en
adoptaient les mœurs, s'y créaient une famille... Vers 1721
finit le règne des forbans dans les mers de l'Inde; leurs navires
furent détruits et leurs équipages dispersés. Ceux d'entre eux
qui échappèrent au désastre viarent se réfugier dans leurs
familles à Madagascar*. » Le fils de l'un d'eux, Ratsimalo,
acquit une grande autorité sur les Betsimisaraka, qui en firent
leur grand chef. « Ses enfants succédèrent à son autorité; ils
prirent le nom de Malattes (modification du mot mulâtre)j et à
plusieurs reprises les traitants de Maurice et de Bourbon, en
s'alliant à des femmes de cette famille, y firent rentrer de nouveau
le sang des blancs ^ » Ce nom de Malattes fut ensuite étendu à
tous les descendants des forbans.
De nombreux aventuriers européens s'introduisirent dans les
familles des chefs de toute la côte est.
i) Arch. col., mémoire^manuscrit de Delagrange, 1853.
2) Colonie de Madagascary par Désiré Laverdant, Paris, 1848, p. 59-60.
3) Archives coloniales^ Delagrange.
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LES PEUPLADES DE MADAGASCAR 2S
Nous avons parlé des forbans en général ; les forbans anglais
eorent une destinée particulière. « Dans les temps que les for-
bans anglois infesloient les mers de llnde, plusieurs de ces
pirates s'établirent à Madagascar, où, jouissant impunément de
leurs brigandages, ils formèrent des espèces de petites souve-
rainetés qui furent longtemps redoutables aux insulaires (l'on
peut consulter ï Histoire des forbans anglois). Insensiblement
elles s'éteignirent par la mort de la plupart de leurs chefs; leurs
descendants ne furent plus si puissants, et comme ces brigands
ne purent s*allier qu'aux femmes du pays, leur race s'abâtardit
peu à peu ; il en reste actuellement si peu de vestiges, qu'on n'a,
dans le pays, qu'une tradition assez confuse de cette race de
blancs. La langue angloiso, qu'on parloit dans celte partie de
Madagascar, y est totalement ignorée aujourd'hui; la langue
française a pris la place et les Principaux, et surtout les femmes
se font très bien entendre'. »
Grossin écrivait en 1732 : « J'ai observé que les Européens
qui ont abordé à Madagascar, depuis que les Français n'y sont
plus, s'y sont établis et se sont emparés des principales pro-
vinces; ils peuvent être à présent 3,000 de toutes les nations...
Ils peuvent nôtre point regardés comme forbans, «.. étant....
domiciliés dans une terre abandonnée (des Européens), y vivant
en habitants;... aucune puissance n'a réclamé contre; au con-
traire, toutes ont été très contentes que les mers fussent net-
toyées de pirates*... »
Les forbans et les aventuriers ne furent pas le seul élément
européen qui se soit mêlé à la population indigène. Antony de
l)Le Gentil, loc, ciL
2) Rev, de Géogr.y Dovembre 1883, p. 356.
Voy. aussi renseignements inédits sur les flibustiers de Madagascar au xvii*
siècle, fier. marU. et coL, 1873, t. XXXIII, p. 365 et suiv. :
« Dans VHistoire de Charles XII, Voltaire a donné des renseignements inté-
ressants sur le rôle que devaient jouer, d'après Ids plans d*Alberoni, ligué avec
le roi de Suède, les flibustiers de Madagascar. Leur souvenir est encore vivant
dans ces parafes ; leurs pierriers sont restés aux abords de Port-Loukez. La
tradition les dit Portugais.
« Nous trouvons dans le journal d*un voyage, fait en 1698-99, des détails
qui raontrent combien ils étaient redoutés et quelles immenses richesses ils
avaient amassées... »
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26 LES PEUPLA.DES DE MADAGASCAR
Fonlmichel émet une opinion et rapporte un fait, lesquels ne se
rencontrent que chez lui et par. là même méritent d^ètre notés :
« A la révocation de Tédit de Nantes, il n'est pas impossible que
des protestants, repoussés des colonies françaises, où ils cher-
<^haient un asile conti*e les persécutions de Louis XIV, aient été
amenés, par la nécessité de prendre terre quelque part, à se fixer
à Madagascar. Ce qui fortifierait cette conjecture, c'est qu'un
émigré, victime lui-même d'un genre de persécution encore plus
horrible, m*a dit avoir trouvé dans l'intérieur de Tîle une peu-
plade de Malgaches blancs, qui, entre eux, parlaient le patois
languedocien*. »
Depuis rétablissement des étrangers, et en particulier des
Français^ sur un grand nombre de points de Tîle, gr&ce à la sin-
gulière disposition d'esprit des maris malgaches, qui considèrent
comme un honneur que leurs femmes reçoivent les hommages
d'un blanc*, grâce aussi à l'incroyable impudeur et au tempéra-
ment étrangement lascif des femmes malgaches, les Européens
ont trouvé toutes facilités pour faire souche sur tout le littoral.
Un exemple entre mille suffira : « J'ai couru aujourd'hui un
grand danger, écrit Modave dans son journal, à la date du
8 octobre 1768'. Dian Mananzac (chef des euvirons de Fort-
Dauphin) est venu dîner avec moi. Il s'est mis de bonne humeur
à l'aide d'un peu d'eau-de-vie. Il a oublié qu'il avait reçu mes
-excuses au sujet de sa femme, qu'il voulait si généreusement me
céder. Il m*a déclaré qu'il était trop mon ami pour ne pas par-
tager son bien avec moi, et qu'ainsi il alloit m'envoier sa femme.
Il m'a tenu parole, et j'ai eu d'autant plus de peine à m'en dépê-
trer qu'elle est vieille et laide, et que ce changement ne lui
déplaisait pas ; enfin je lui ai fait entendre raison et l'ai renvoiée.
Ces peuples sont dans cet usage bizarre qui est d'autant moins
prêt à finir que les étrangers acceptent souvent leurs offres. Il
1) Voyage à Madagascar pendant les années 4823 et 4824, par Ant. de Fonl-
michel. {Nouvelles annales des voyages.)
2) Cf. Rev. J. Holding. Notes on the province of Tanibe, Madagascar.
Procced. of Roy. Qeog. Soc. 1870, t. XIV, p. 359-372. — Cf. Mém. de l'instit.
Se. Mor. et PoL, an XI, t. IV, Lescalier, p. 22.
3) Archives coloniales.
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LES PEUPLADES DE -MADAGASCAR 27
n'y a point de nation sur la terre où les femmes et les filles
soient de meilleure composition... Les fruits de cet agiotage
commencent à se multiplier. . . » Or cet agiotage^ — pour employer
la curieuse et spirituelle expression de M. de Modave, — se fai-
sait en tous les points de Tîle où se trouvaient des Européens, Il
y a tout lieu de croire que la chose n'a guère changé, en dépit
des missionnaires. En tout cas, il n'est pas douteux que le sang
blanc ne se soit mêlé dans des proportions dignes d'être notées
au sang malgache, déjà si mélangé. Un officier de marine, qui
croisait sur la côte ouest en 1885, me racontait avoir trouvé sur
de nombreux points de cette côte des traitants créoles qui avaient
pris femme chez les Mahafales et les Sakalaves, — là où elles
sont fort belles, — et avaient fondé des familles nombreuses et
d'un type vigoureux.
Fig. 3. Pirogue sakalave, à balancier. Modèle exécuté à Nossi-Bé.
(Musée d'Ethnographie.)
APPENDICE
T. Orthographe, — Nous avons, au début de celle élude, dit quelques mots
de Torthographe.
Il esl évident que l'incroyable diversité des orthographes, adoptées par les
difTérenls auteurs, provient le plus souvent de l'ignorance ou d*une connais-
sance trop superficielle de la langue malgache. Mais il est encore une aulre
cause : les hommes mêmes qui se livrent à des éludes spéciales sur la langue
malgache, les malgachisantSy les professeurs qui enseignent à Madagascar sont
divisés en deux camps bien tranchés ; là encore les Européens n'ont pas pu
s'entendre. Anglais et Français, protestanls et catholiques ont adopté deux
orthographes contraires.
Le Rév. P. Pierre Caussèque, suivant la trace des PP. Webber, Ailloud et
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28 LKS PKIIPLADES DE MADAGASCAB
Basiltile, a publié tout récemment une nouvelle Grammaire malgache (Antana-
narivo, Imp. calbol. 1886). Il y a ajouté un Appendice, publié à pari, où il
traite avec une clarté remarquable cette brûlante question de Forthograpbe.
Nous avons lu ce petit livre, écrit avec verve, savant et accessible à la fois.
Nous avons été convaincu par son argumentation serrée, lumineuse ; la raison
et le bon sens sont de son côté. Nous renvoyons à son ouvrage les personnes
que la question intéresse.
II. Des causes d'erreur cfiez les auteurs qui ont traité de l'ethnographie
malgache, et de la langue en particulier, — Dans le courant de notre travail,
nous avonô eu à relever diverses erreurs graves chez divers auteurs, et surtout
chez les auteurs anglais. Il n*y avait aucun parti-pris de notre part. Aussi bien
nous semble-t-il utile de nous expliquer clairement sur les causes de ces erreurs
persistantes chez nombre d'écrivains, moins sujets à caution d'habitude.
Tous les Anglais sans exception et les rares Allemands qui ont écrit sur
Madagascar ont dédaigné de lire ce que la France avait produit sur ce sujet
depuis le xvii* siècle ; ils ont fait table rase de l'intéressante histoire de l'île
avant le xiz« siècle, avant l'apparition historique des Hovas. Puis, partant de
ce principe que la peuplade Hova, étant politiquement pour eux la plus
importante, était par là même la seule intéressante à étudier, ils s*en sont tenus
à ce qui a été écrit depuis un siècle sur les Hovas, et malheureusement dans un
esprit trop souvent partial.
Ils ont négligé de la sorte les précieuses sources d'informations que leur
offraient nos vieux auteurs. Ils ont remplacé les vérités traditionnelles que ces
naïfs chroniqueurs avaient notées, sans y attacher d'importance et qui sont
aujourd'hui l'unique témoignage qui nous demeure, puisque les Malgaches n'ont
pas d'histoire écrite, ils ont remplacé ces vérités traditionnelles par de pures
conjectures, méconnaissant même parfois les vérités les mieux établies, et cela
pour construire des hypothèses vaines ; ils ont même été jusqu'à mêler la poli-
tique et les querelles religieuses à la science, si bien que nous avons dû, nous-
mêmes, indiquer leurs qualités de Révérends ou d'agents britanniques pour bien
marquer la valeur de leurs affirmations.
Ils ont trouvé leur juste châtiment dans les grossières erreurs qu'ils ont com-
mises.
Nous allons faire toucher du bout du doigt la vérité de ce que nous avançons
dans une question particulière soulevée déjà plus haut, celle des rapports du
polynésien, du malais et du malgache.
Nous aurous l'occasion par là même de citer un auteur grave que nous
n'avions pas encore lu.
Le D' Pr. Millier dans son savant ouvrage (Qrundriss der Spachwissenschaft,
2 vol. Wien, 1880) divise au point de vue de la langue les Malayo-Polynésiens
en trois parties :
1* Polynésiens ; 2"^ Mélanésiens ; 3<» Malais, à l'ouest des îles Paloos, habitées
par des Mélanésiens, et de la Nouvelle-Guinée, par les Papouas. « Leur
extension jusqu'à Madagascar, ajoute-t-il, doit être Hxée aux premiers siècles
de notre ère : l'idiome principal de celte fie appelé malagasi offre le type bien
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LES PEUPLADES DE MADAGASCAR 29
net des langues malaises (spécialement du baUak),ei Ton y rencontre quelques
mots empruntés au sanscrit. »
On voit qu*il rapproche le malgache, malagasi, des langues malaises et
spécialement du battak. On avait répété jusqu*ici après Jacquet qu*il avait des
rapports plus étroits avec le tiigaL
Nous essarterons tout d*abord Topinion de Jacquet {Nouv, Jour. Asiatique,
fév. 1833) qui, simplement basée sur Torthographe, ne nous offre pas d*assez
sûres garanties. D*ailleurs, on y opposerait sans peine la connaissance nouvelle
que l'on a des langues malaises de l'intérieur et sur laquelle est justement
fondée l'opinion de Fr. Mûller.
Il est à remarquer que les résultats où est parvenu Fr. Mûller détruiraient
ceux qu'avait obtenus Dumont d'Urville, moins bien renseigné sur les langues
malaises, et Ton est tenté tout d*abord d'adopter définitivement les vues du
savant Viennois, d'autant que la vaste synthèse grammaticale et philologique
qu*il a réalisée n'est pas sans en imposer.
Mais voilà justement le point où nous allons pouvoir appliquer l'observation
faite plus haut, que les auteurs anglais et allemands ont été entraînés logique-
ment à des erreurs pour avoir exclusivement étudié les mœurs et le dialecte des
Hovas. Fr. Mûller, qui est évidemment sous l'influence du bruit que l'on fait
autour du peuple d'Emyme, désigne sans aucun doute le dialecte hovat quand
il parle de Yidiome principal de Tile. Assurément, le dialecte hovaest, au point
de vue du nombre et politiquement parlant, le plus important aujourd'hui ;
mais, au point de vue historique, qui prime les autres dans cette question de
linguistique, il était dangereux de le prendre pour type.
Ce n'est plus à Tananarive qu'il faut chercher le vrai malgache, celui qui
intéresse l'ethnographe à la piste des transformations successives de la popu-
lation dans l'île, c'est chez les vieilles peuplades de l'Ile, immigrées dès le pre-
mier siècle de notre ère. Les Hovas ne sont arrivés que onze siècles après et
en petit nombre. « Une race inférieure ne saurait imposer sa langue à des races
supérieures en se mêlant directement avec elles, dit M. de Quatrefages dans un
livre récent {Introd. à VEtude des Roc. Hum.^ 1887, p. 164). Mais si cellçs-ci
arrivent successivement par petits groupes isolés et s'infiltrent peu à peu dans
une population compacte, leurs représentants ne peuvent que céder au nombre
et prendre les habitudes, les mœurs, le langage de la race au milieu de laquelle
ils sont comme noyés. » C'est à peu de chose près le cas des Hovas. Étant
Malais et relativement supérieurs aux Indonésiens, qui ont peuplé Madagascar
avant eux, mais, fort inférieurs en nombre au début, ils ont dû se courber et
s'assouplir : c'est incontestable. Et c'est ce qu'on oublie trop souvent. Ils ont
adapté leur langue à celle des anciens Malgaches, dont elle était proche parente.
Mais la langue des Antanosses par exemple, des habitants des environs de Fort-
Dauphin, est à nos yeux le type de la langue malgache et à bien meilleur titre
que le dialecte hova. Témoin l'histoire des migrations faite par nous dans la
précédente étude.
Or, les rapprochements que fait Mûller entre le malgache et le battak portent
principalement sur la prononciation de certaines lettres. Il est de fait que les
Hovas ont conservé jusqu'à ce jour une prononciation particulière ; mais le
résultat atteint par Fr. Mûller tendrait simplement à prouver que les ancêtres
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30 LES PEUPLADES DE MADAGASCAR
des Hovas sont issus plutôt de la peuplade Baltak que de telle autre deTArchipel
malais.
Et c'est ici que nous pouvons montrer la supériorité des auteurs qui ont tenu
compte, dans leurs études ethnographiques ou linguistiques, des renseignements
que nous ont légués les vieux auteurs, principalement français, du xvii^ et
du xviii* siècles. Il se trouve ainsi que les conclusions de Dumont d*Urville
que nous avons citées plus haut, et qui établissent que le malgache se rapproche
plus du polynésien que du malais, ne sont nullement entamées par les résultats
de Fr. Mûller.
En effet, Dumont d*Urville s'est appliqué surtout à puiser ses renseignements
sur le malgache à une source sûre: Il a eu entre les mains des documents recueil-
lis par M. de Froberville, remontant tous aux deux siècles précédents et émanés
de voyageurs qui avaient surtout étudié les antiques tribus des environs de Forl-
Dauphin et de la baie d'Antongil, ainsi que les notes de Chapelier qui avait, lui
aussi, surtout étudié les établissements français dans File, situés au milieu des
peuplades les plus anciennes.
Ainsi, je le répète, en laissant de côté l'importance politique acquise par les
Hovas, et en ne considérant que le point de vue scientifique de la question, ce
n'est pas à Tananarive qu'il faut chercher le vrai malgache, celui qui peut nous
révéler le secret de l'origine des premiers immigrants venus de l'Extrême-Est,
c'est à Fort-Dauphin et chez les auteurs qui nous ont transmis Gdèlement les
traditions des antiques peuplades. Sans méconnaître ce que les conclusions de
Fr. Mûller peuvent avoir de juste appliquées au dialecte et à la peuplade hova,
je crois devoir soutenir qu'elles ne détruisent en rien celles de Dumont d'Urville
et qu'elles n'éteignent nullement la lumière que ce grand navigateur avait jetée
sur les origines des plus anciennes peuplades de Madagascar.
La même argumentation nous servira à concilier deux opinions contradictoires
sur cette môme question du langage, mais qui cette fois ont trait directement à
la date des immigrations. On verra que la distinction établie par nous suffît à
tirer une vérité satisfaisante de ces questions un peu obscures.
Th. Waitz écrit {Anthropologie dcr ^^aturvœlker, Leipzig, 1860, t. II,
p. 430) : « Crawfurd {Hist. of the Ind. Archip., 1820, 1, 29), s'accordant en cela
avec Dulaurier (.V. Ann. des Voy.y 1850, II, 152), place l'invasion malaise à
Madagascar à une époque qui précéderait le commencement de llnfluence
iiidoue sur les peuples de l'archipel malais, et il se fonde sur ce fait que l'on ne
trouverait aucune trace de sanscrit dans le vocabulaire malgache ; or, les rap-
ports entre l'Inde et l'Archipel commencèrent d'après Crawfurd (lïl, 194) au
ir®, d'après Raffles (I. 474) au i" siècle après Jésus-Christ. EnOn, d'après Las-
sen {Ind. Alterthumsk, II, 1044, 1059) il faudrait les faire remonter sûrement
aiu moins un siècle plus haut. »
Waitz avoue n'être pas convaincu par cet argument. Il n'accorde que le
xii« siècle pour l'invasion malaise à Madagascar, d'après Ibn Saïd et Edrisi.
Le fait est qu'ils avaient tous raison, car ils ne discutaient pas sur les mômes
faits. Crawfurd et Dulaurier avaient étudié la langue des peuplades pré-bovas,
venues à Madagascar dès le début de notre ère, et n'y avaient naturellement
trouvé aucune trace de sanscrit. Et Waitz pouvait réclamer la fixation du
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LES PEUPLADES DE MADAGASCAR 3t
XII* siècle comme époque de rimmigration malaise^ mais de celle-là seule-
ment qui a donné naissance & la peuplade hova, et dans le dialecte de laquelle
Fr. Mûlier a trouvé, comme nous le disions plus haut, des traces de sanscrit :
ce qui prouve une fois de plus qu*il faut toujours distinguer en pareil cas à
Madagascar et que le savant viennois a eu tort de tirer des conclusions géné-
rales sur le malgache, alors qu'il n'avait étudié qu*un dialecte, secondaire au
point de vue historique, le dialecte hova, formé dix siècles au moins après les
premiers.
III. Élément nègre. — Wailz [op. cit., p. 424-9) se refusait à admettre que
les éléments nègres de Madagascar pussent être venus de Tautre extrémité de
l'océan Indien; il lui paraissait dirficile de leur donner à <ou5 « une autre origine
que TAfrique >>. Nous avons essayé de prouver le contraire, dans le cours de la
précédente étude ; aussi nous croyons-nous autorisés à trouver cette opinion de
Waitz beaucoup trop absolue, même sous la forme dubitative.
Deux auteurs allemands récents, qui avaient tous deux étudié la côte orien-
tale d'Afrique et qui ensuite ont visité chacun de leur côté, vers 1879, la côte
occidentale de Madagascar, émettent des opinions absolument contradictoires
qu'il est intéressant de rapprocher ici, ainsi que l'avait déjà fait Virchow
(Monastber, der K. Pr. Akad, der WUs. zu Bei^lin. Dec. 1880). J.-M. Hildebrandt
iZeUseh. der GeselL fur Erdk, zu Berlin, 1880, n» 86) dit clairement, page 183:
■ Je déclare publiquement que je ne saurais établir une différence tranchée entre
un représentant de ces races (nomades africains, depuis les Nubiens jusqu*aux
Cafres) et un Sakalave. » Il prouve, quelques lignes plus loin, qu'il ignore com-
plètement l'histoire des diverses races à Madagascar, quand il laisse entendire
que ce sont les hovas qui ont introduit la langue parlée aujourd'hui par les
Sakalaves. C'est toujours la même erreur, et toujours aussi funeste. Il est clair
que s*il n'avait pas été possédé de cette idée fausse que l'invasion hova est la
seule immigration malaise qui ait pénétré à Madagascar, il eût cherché peut-être,
pour expliquer le fait que des nègres parlent une langue malayo-polynésienne,
antérieure à l'invasion malayo-hova, à expliquer leur origine par une immigra-
tion venue de TExtréme-Est. El cela, sans préjudice de l'influence africaine qui
est indéniable et qui s'explique par l'importation lente et progressive de nom-
breux Cafres à la côte Ouest.
Aurel Schulz, plus éclairé sans doute, décrit avec complaisance (Zeilschrift
fiut Elhnol, Berliny 1880, p. 190. Sitzungber,) les Sakalaves du Sud et les
Antanosses émigrés et déclare nettement qu'ils n'ont rien d'Africain. Les che-
veux surtout sont absolument différents.
Virchow {loc. cil.) attribue à tort à M. Grandidier l'opinion que les Sakalaves
sont d'origine indienne. Le savant français les rattache aujourd'hui à la souche
indonésienne. Virchow admet une forte invasion malaise sur la côte ouest dans
des temps très reculés, antérieure à l'immigration hova.
U examine longuement et compare des cheveux de Sakalaves, Zoulous et
Somalis ; il parle aussi des cheveux des Hovas. Il en conclut qu'il y a eu
chez le Sakalave un mélange d'éléments africains (plutôt du Nord-Est que de la
famille Zoulou-Gafro ou Bantou), Malais et Arabe du Sud (Himyarite). Il ne
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32 LES PEUPLADES DE MADAGASCAR
met pas le nùélange en doute ; c*est la part de chacun des éléments qu'il faut
faire désormais.
Après cette minutieuse enquête, il dit qu'il serait téméraire de se prononcer
aujourd'hui avec les renseignements que l'on a et qui sont trop peu nombreux,
étant donné surtout le nombre des peuples qui sont en cause, t Unis on peut
tenir pour établi que les Sakalaves — sauf peut-être de rares exceptions —
malgré leur couleur foncée, n'ont aucun lien étroit de parenté avec les Cafres et
les Bantous. Leurs cheveux et leurs crânes n'y ont aucun rapport. »
u En revanche^ maints indices d'une parenté des Sakalaves avec les races de
TEst afficain, habitant loin au nord, sont à signaler. La peau, les cheveux, et
l'ossature nous ont fourni des points d'attache pour une telle assertion. »
L'influence de l'élément malais lui semble difficile à démêler : « On ne peut
nier que l'influence d'une race à cheveux lisses n'ait pu contribuer à étirer le
cheveu Sakalave .. Aussi dans la conformation du crâne, le sakalave se rap-
proche des races malaises. »
Il n'a pu reconnaître de mélange chinois ou surtout mongol; pas plus que des
influences directes indo-aryanes. Mais il y a dans le crâne et le visage des
points de contact avec le type indien. « Pour ce qui est des Negritos et de leurs
parents, ajoute-t-il, je ne trouve aucun trait commun. »
Le savant anlhropologiste avait pu examiner et étudier sept crânes Sakalaves
envoyés par Hildebrandt, cité plus haut.
Nous avons tenu à analyser les principales conclusions, parce qu'elles
montrent amplement combien le problème des origines à Madagascar est com-
plexe et de quelle utilité il peut être d'y jeter un peu de lumière à l'aide des
quelques traditions qui nous restent, de l'étude de la langue et des indices
de toutes sortes que les voyageurs ont glané pour l'homme de science : c*est ce
que nous avons tenté de faire dans les pages qui précèdent, dans la mesure
restreinte de nos forces.
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LES INDIENS DE L'ETAT DE PANAMA
Par m. Alphonse PINART
Les Indiens de TÉlat de Panama se divisent en plusieurs
groupes appartenant à la grande famille caraïbe continentale.
Ils sont au nombre d'environ 10.000 et se répartissent en Cunas,
Chocoes, Guaymies et Dorasques. Nous allons étudier successi-
vement chacune de ces familles el nous joindrons à cette étude
les notices que nous avons pu "recueillir sur les deux groupes
disparus qui habitaient sur le territoire de TÉtat de Panama à
l'époque de la conquête, à savoir : les Paparos et les Chichime-
cas; ces derniers présentent cet intérêt tout particulier, qu'ils
étaient probablement la dernière colonie d'origine mexicaine
vers le sud.
INDIENS GUAYMIES
Les différentes tribus de cette famille avaient pour demeure
le territoire suivant : vers Toucst, leur limite est assez vague,
elles habitaient la plus grande partie du pays qui borde la grande
lagune de Chiriqui sans cependant s'étendre aux îles, qui étaient
peuplées par les Indiens de la Talamanca. Leur centre dans cette
région était le Valle del Guaymie, aujourd'hui Valle Miranda; du
côté du Pacifique, elles s'avançaient jusqu'aux montagnes de
Boruca, mais, peu après la conquête par les Espagnols, elles
paraissent avoir été refoulées jusqu'aux montagnes de Chercha
el rio Fonseca ; le territoire qu'elles occupaient dans le Chiriqui
du sud fut repeuplé par les Dorasques. Vers Test, la limite de
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3i LES INDIOS DE l'ÉTAT DE PANAMA
leur pays est plus facile à fixer, elles s'étendaient en effet jusqu'au
rio Chagres, de là au rio Obispo et aux montagnes de laChorrera.
Une zone neutre existait entre elles et les tribus de la famille
Cuna ; elles peuplaient en outre toutes les îles qui se trouvent le
long de la côte du Pacifique, comprenant le groupe des lies des
Perles et les petites îles du golfe de Panama ainsi que celles
du golfe de Chiriqui du sud.
A l'époque de la découverte de cette partie du continent par
les Espagnols, les tribus de la famille guaymie étaient fort
nombreuses : chaque groupe de village obéissait à un chef ou
cacique et chaque groupe paraît avoir eu un dialecte différent ;
ces dialectes différaient beaucoup les uns des autres et c'est de
là que les Espagnols conclurent qu'il y avait dans ce pays une
variété considérable de langues diverses. Ces dialectes^ au dire
des Indiens, se réduisaient cependant à trois principaux dont
voici la nomenclature :
1" Le mtioi, que les mêmes Indiens affirment être la langue
la plus ancienne, la langue même d'où sont sortis les autres
dialectes. Le muoi n'est parlé aujourd'hui que par trois personnes
habitant un endroit écarté du magnifique « Valle Miranda », sur
un des affluents du rio Krikamaula ou No kri, connu sous le
nom de rio Muoi ;
2° Le Move'Valie?ite-7iorte/io ; ce dialecte est parlé aujourd'hui
par les Guaymies, habitants du Valle Miranda et épars sur la
côte nord entre la lagune du Chiriqui et le rio Bclen ; les Muites
qui vivent dans les montagnes de Caùazas et du Minerai de Vera-
guas et descendent à la mer par le rio Codé del Norte parlent
un dialecte très rapproché du move-valiente. A l'époque de la
conquête , les Moves étaient répandus par tout le territoire habité
par la famille guaymie, au sud comme au nord de la Cordillère,
et il arrivait que dans deux villages très rapprochés l'un de Tautre,
Ton parlait dans l'un move et dans l'autre murire. Les Espagnols
désignent généralement les Move-Valientes sous le nom de
Norlenos en raison de ce que, depuis la conquête, ils se sont
retirés à la côte nord et dans les massifs montagneux de la
Cordillère ;
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LES INDIENS DE L ÉTAT DE PANAMA 35
3® hQ murire'bukuela-sabaiiero ; ce dialecte était parlé prin-
cipalement par les Indiens de la famille guaymie habitant les
grandes savanes du sud de la Cordillère : leurs descendants
habitent encore en assez grand nombre ces mêmes savanes et
les vallées profondes du département de Chiriqui. Us sont connus
des Espagnols sous le nom de Sabaneros.
Le mot guaymie ou wuaymi appartient au dialecte muoi et veut
dire un hommes un indien.
Dans le volume IV de la collection de linguistique et d'ethno-
graphie publié par moi, j'ai donné les documents sur ces Indiens
laissés par le père Blas José Franco : je vais reproduire en
partie, ici, ces documents en y ajoutant les observations que j'ai
pu faire personnellement chez les Guaymies durant mes derniers
voyages dans Tétat de Panama, et plus spécialement au Valle
Miranda.
Les Guaymies sont en général très petits de stature, mais
d'une constitution robuste avec tendance à la corpulence ; la cou-
leur de la peau varie d'un brun jaune au brun très foncé : quel-
ques-uns deviennent même très noirs après un long séjour sur
les eûtes; les cheveux sont noirs, durs et lisses; la tête grosse en
proportion du corps, longue et ovale ; la face particulièrement
plate et large entre les arcades zygomatiques ; le nez est proémi-
nent, souvent épais à la base ; les yeux d'un rouge brun foncé ; la
bouche grande et les lèvres fortes ; peu de barbe et le corps abso-
lument privé du système pileux. Très indolent, paresseux même,
le Guaymie, quand la nécessité se présente ou que l'appât du
gain le meut, entreprend à pied des voyages dans la montagne,
sous forêts ou à la côte, marchant nuit et jour, mangeant à
peine et ne s'arrête qu'au moment où il est arrivé à destination,
franchissant ainsi des distances incroyables. Us portent facile-
ment, soutenus sur leur dos par un filet et une courroie passée
sur le front, des poids énormes, dans ces chemins impraticables
et périlleux de la Cordillère où ils sautent comme des chèvres de
roche en roche : leur agilité est surprenante et la facilité avec
laquelle ils supportent la faim les rend absolument maîtres de
ces immenses solitudes.
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36 LES INDIENS DE L*ÉTAT DE PANAMA
Le Guaymic croit, ainsi que la grande quantité des tribus des
deux Amériques, aux esprits bons et mauvais et à l'animisme. On
laisse les bons esprits absolument en repos, les appelant cepen-
dant quelquefois en aide contre les agissements des mauvais.
Quant aux mauvais esprits, l'on doit se les rendre favorables.
La peur est la base de la religion des Indiens : un Indien a-t-il
un canot retourné par le vent ou la vague, ou brisé contre des
rochers ; une tempête a-t-elle renversé sa misérable habitation ;
la maladie ou l'épidémie est-elle entrée dans sa famille; n'a-t-il
pas réussi à la chasse ou à la pêche, etc., il voit, dans tout cela,
l'œuvre d'un esprit malin et malfaisant et il pense alors qu'en
faisant certaines offrandes à cet esprit, il pourrait se le rendre
favorable ou au moins l'apaiser; le sukia est appelé et celui-ci
après une série d'incantations et de cérémonies diverses dans
lesquelles il prétend se mettre en rapport direct avec ces mêmes
esprits malfaisants, reçoit un gros présent pour fruit de ses ser-
vices ; la tranquillité revient alors au cœur de l'Indien jusqu'au
moment où le mauvais esprit se manifeste de nouveau.
Nous trouvons chez les Guaymies traces du système tolémi-
que : chaque tribu, chaque famille, chaque individu ayant un
animal tutélaire. Le plus répandu de ces animaux totémiques
paraît être le ore^ espèce de petit perroquet en l'honneur duquel
j'ai entendu nombre de chants.
Les fêles de différents genres sont très nombreuses parmi ces
Indiens : ils s'invitent souvent Tun l'autre à un baile de chicha,
bailc de chocolaté^ etc.; dans ces fêtes, l'on danse, l'on chante et
Ton boit, ainsi que Tindique le nom de la fête, soit de la chicha,
soit du chocolat. Ces genres de fêtes se donnent pour célébrer un
événement heureux, à la suite d'une récolte abondante de maïs,
de pijibai, d'une bonne chasse ou pêche, etc. La plus importante
de ces fêtes est celle de la balza : cotte danse était particulière
aux Guaymies : j'en donnerai ici une description plus détaillée.
Cette fête a lieu généralement au commencement de la saison
sèche et les invités s'y rendent en grand nombre. Quand un vil-
lage a décidé de donner une balzeria et que l'époque en a été
fixée, Ton expédie des messagers prévenir les autres villages et
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LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA 37
faire les invitations : ces messagers portent des lianes auxquelles
on a fait autant de nœuds qu'il y a de jours à courir avant la fêle.
On invile tout le monde, hommes et femmes, jeunes et vieux.
Suivant les dislances à parcourir, chacun par groupe de famille
se met en route de manière à arriver au lieu du rendez-vous
deux jours avant le commencement des cérémonies; chacun
apporte les provisions nécessaires, car les organisateurs de la
fête ne fournissent^ en général, que la chicha. Durant le trajet,
les invités soufflent de temps en temps dans de grosses conques
pour que leur son fasse connailrc à toute personne habitant près
du chemin, leur passage elle but de leur voyage.
L'endroit choisi pour la circonslance est généralement une
savane, près d*une rivière. Le jour désiré arrive enfin, tout le
monde est debout à la première heure et se rend à la rivière
pour se baigner ; le bain terminé on se peint tout le corps d'une
couleur unie, bleue ou rouge, la figure seule décorée de figures
très compliquées d'hommes, d'animaux ou d'arabesques ressem-
blant assez à celles que Ton trouve sur les vases tirés des guacas^
les iemmes sont les artistes. Ce travail prend un certain temps
et le soleil est déjà haut vers le zénith avant que Tinvité ne soit
prêt ; il passe autour des reins et entre les jambes un morceau
d'étoffe de humi (écorce d'arbre) , puis se coiffe d'une peau
d*animal qui retombe en flottant sur le dos ; ces animaux sont
leurs favoris, le tigre, le fourmilier, l'ours à miel, etc. Si la
peau est trop grande, on ne garde que la tête à laquelle on
pend la queue, les pattes ou même des lambeaux de la même
peau. Chacun se rend alors sur le lieu désigné, des groupes se
forment en silence, le tambour et les chants se font entendre et
l'on commence à boire la chicha disposée dans de grandes
marmites et sur lesquelles flottent quantité de petites calebasses
en guise de verres ; Ton boit en causant à voix basse ; puis,
peu à peu, la chicha commence à agir et les têtes s'échauffent ;
durant ce temps les femmes qui, elles aussi, se sont peintes, se
rapprochent des groupes et tout en buvant modérément sou-
tiennent le chant ou parlent entre elles en groupes animés. Au
bout de deux ou trois heures la chicha a produit son effet et Tun
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38 LES Indiens de l'état de panama
après Tautre se lève après avoir jeté un défi à une des personnes
du même groupe ; il est convenu que les personnes âgées doivent
donner le signal. Le groupe suit alors les danseurs et bientôt
toute la savane est couverte de groupes, les femmes se joi-
gnant à celui où se trouvent leurs maris. Les deux danseurs sont
maintenant en présence à environ 25 pas l'un de l'autre; celui
qui a jeté le défi tient dans sa main un bâton léger et spongieux
fait en bois de balza : ce bâton a environ 2 mètres de longueur,
formant boule à une extrémité et diminuant graduellement en
grosseur vers l'autre extrémité qui est tenue dans la main; le
danseur remue, en faisant en même temps mouvoir son corps, ce
bâton avec une grande vitesse d'avant en arrière, lui imprimant
un mouvement de rotation, puis le lance de toute sa force de
manière à atteindre son adversaire dans les jambes et à le faire
tomber : celui-ci, durant ce temps, danse en remuant les jambes
avec une agilité extraordinaire de manière à esquiver le coup :
si l'adversaire est touché et qu'il tombe, le vainqueur proclame
alors son triomphe en répétant très vivement Kaca, ca, ca, ca^
etc. (il est tombé) de toute la force de ses poumons et en gesti-
culant : il se précipite alors pour ressaisir son bâton pendant que
tout le groupe applaudit par ses acclamations et se rit aux dépens
de celui qui s'est laissé toucher. Si, au contraire, l'adversaire n'a
pas été louché, les rôles changent et celui qui tout à l'heure dan-
sait prend le bâton : quand l'un des adversaires est blessé, trop
fatigué ou qu'il se relire pour aller boire ou manger, alors quel-
qu'un dans la foule s'avance immédiatement pour prendre sa
place, le bâton de balza n'élant jamais en repos tant que dure la
fêle : il y a généralement un bâton pour chaque douze danseurs.
La fètc dure ainsi avec des alternatives de danses et de libations
jusqu'au moment où la chicha est épuisée ce qui, suivant les cir-
constances, peut n'avoir lieu qu'au bout de deux ou même trois
jours. A la suite de ces danses, beaucoup de ces Indiens sont
blessés grièvement, mais ceux qui peuvent y résister le plus
longtemps obtiennent par là une grande considération. Cette
fête se termine souvent dans une ivresse générale à la suite de
laquelle s'engagent des rixes personnelles où nombre de pauvres
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LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA 39
diables restent sur le carreau. Tout étant ainsi terminé et
l'ivresse passée, chacun reprend le chemin de son village.
Je ne connais de danse pouvant être rapprochée do laôalzeria
des Guaymies que le maquariy décrit par Brett dans un fort inté-
ressant ouvrage sur la Guyane anglaise* : « Le maquari, dit-il,
est un fouet d'environ trois pieds de long, capable de faire une
aflFreuse coupure, comme les jambes ensanglantées des danseurs
en témoignent; ils brandissent ce fouet en dansant, imitant en
même temps le cri d'un oiseau que l'on entend souvent sous
forêt, A quelque distance des danseurs était un couple d'hommes
se donnant avec le fouet des coups sur les jambes; celui dont
c'était le tour de recevoir le coup se tenait ferme sur une jambe,
avançant l'autre sur laquelle son adversaire, courbé en deux,
visait délibérément, en faisant un bond pour donner plus de force
à son coup, et lui infligeait une forte coupure; celui qui était
touché ne donnait aucun signe de souffrance mais esquissait un
sourire de mépris, bien que le sang ait été tiré par le coup.
Celui-ci, après une danse de quelques instants, retournait à son
adversaire le coup de fouet avec une force égale. Rien ne peut
excéder la bonne humeur avec laquelle se .passaient ces jeux.
Tout homme, à moins d'être âgé ou infirme , doit prendre part à
la danse : l'un d'eux pouvait à peine marcher, en raison des
blessures reçues. Mais, en général, après quelques coups de
fouet, ils buvaient le paiwari ensemble et reprenaient leurs
places dans le groupe des danseurs, d'où continuellement sor-
taient des couples désireux de mesurer leurs forces. »
Les Guaymies aiment passionnément la baheria, et quelques-
uns d'entre eux deviennent extrêmement experts dans l'art de
jeter la balza et de mouvoir leurs jambes afin d'esquiver les
coups. Ils apprennent ce jeu dès leur plus tendre enfance : j'ai
vu en effet des enfants de moins de trois ans, une peau sur la
tète, le corps peint et une petite balza en main, s^exerçant entre
eux. L'objet de cette danse est probablement de rendre l'Indien
souple et agile en l'habituant en même temps aux souffrances
1) H. Brett, Indian tribes ofBritish Guayana. London, 1857, p. 154.
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40 LES INDIENS DE L*ÉTAT DE PANAMA.
corporelles et de relever Ténergie qui lui est si nécessaire dans
ses courses continuelles sous forêts.
Leurs instruments de musique sont peu nombreux et surtout
peu harmonieux : un tambour fait d'un tronc d'arbre creusé et
dont Tune des extrémités est recouverte d'une peau sur laquelle
on frappe avec la main, une petite flûte en os à trois trous et la
conque marine.
Les chants sont lents, d'une cadence monotone; ils sont géné-
ralement divisés en couplets se terminant par un refrain que
répètent en chœur toutes les personnes présentes. Ces chants
sont composés dans un dialecte particulier que les sukias et les
chefs et personnages principaux comprennent seuls : ce dialecte
est le kugère pour les chants ordinaires et le chakatare pour les
chants des sukias. L'on croit généralement que ces dialectes, dits
sacrés chez les Indiens, sont des formes archaïques de la langue
parlée : je suis au contraire porté à croire par expérience que ces
dialectes sont tout simplement formés des mots de la langue
actuelle, auxquels on donne une signification nouvelle, dénaturée
ou conventionnelle ; souvent même, comme chez les Indiens du
Darien, on a recours à des périphrases que seuls les initiés
peuvent comprendre.
Je parlerai maintenant d'une fête ou cérémonie particulière
appelée fiesta clora ou urote. Les Indiens gardent à ce sujet le
secret le plus complet : les renseignements que j'ai pu recueillir
sont donc assez vagues. A certaines époques de l'année, les
sukias ou les personnes désignées par eux réunissent en grand
secret, pendant la nuit, tous les jeunes gens arrivés à l'âge de
puberté. Le rendez-vous fixé est dans un endroit très retiré, à
l'intérieur de la forêt. Une fois i?éunis en ce point, le thungun ou
chef de Yuroie prend la direction des exercices et enseigne aux
jeunes gens les anciennes traditions et les chants nationaux ; il
les exhorte à être braves à la guerre. Durant le temps que dure
Vurote, le thungun et ses aides ne se montrent aux jeunes gens
que peints et la figure recouverte de grands masques en bois
entourés do feuillage ; leur personne est absolument sacrée et ils
gardent, durant le temps do Yurote^ le plus grand mystère.
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LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA 41
Les jeunes gens qui sont arrivés à Tâge d'être reçus parmi les
guerriers subissent certaines initiations très dures : ceux qui
peuvent subir ces épreuves sans laisser échapper la moindre
plainte sont reconnus dignes du titre de guerriers; ceux au
contraire qui ne résistent pas aux souffrances des épreuves sont
traités comme des poltrons indignes d'aucune considération.
UuroÉt dure environ deux semaines, et, pendant cette période,
aucuiie communication n'a lieu avec Textérieur. Les femmes
chargées du service domestique et appelées thimgumia, rem-
plissent leurs fonctions nues, le corps barbouillé de couleurs et
la tète couverte d'un masque entouré de feuilles et de longues
tresses de mousse descendant jusqu'aux talons. Une fois les céré-
monies terminées, chacun rentre chez soi durant la nuit, et
aucune question ne peut être posée sur l'emploi du temps.
Les Guaymies vivent, ainsi que les autres tribus de l'état de
Panama, dans des maisons séparées, éparses soit sur une même
rivière, soit sur une même savane : toutes les familles ainsi
groupées reconnaissent un même chef héréditaire. A l'heure qu'il
est, les Guaymies du Valle-Miranda, ont reconnu comme grand
chef un nommé Cibicù, homme tort intelligent, qui s'efforce
à amener ses administrés en contact avec les étrangers ; il
reconnaît l'inutilité de la lutte contre la civilisation et s'est
rangé au parti de la paix. Dans les montagnes du Veraguas,
au contraire , les Milites obéissent à un autre grand chef ,
Suvala^ fils du célèbre prétendant Mocteztima, qui cherche à
isoler les Indiens dans les endroits les plus inaccessibles de la
Cordillère et à supprimer tout contact avec les étrangers.
Leurs niaisons sont bâties près d'une rivière ou d'une source,
sur une petite esplanade disposée à cet effet dans un endroit
dominant les alentours; les côtés sont en bambous ou en roseaux
blancs; les extrémités arrondies; le toit en feuilles de palmiers
de montagne, généralement arrondi; l'entrée est à l'une des
extrémités. L'intérieur est divisé en petits compartiments par des
cloisons en bambous ou roseaux, chaque membre de la famille
occupant un compartiment spécial; celui du fond, opposé à
l'entrée, est habité par le chef de la famille. Peu ou point de
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42 LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA
mobilier, si ce n'est quelques hamacs grossiers et quelques blocs
de bois pour sièges ; chaque division a son foyer séparé, bien
qu'au centre il en existe un plus grand qui sert aux usages com-
muns de la famille. Comme objets de cuisine, des pots en fer et
en fonte d'origine européenne, une pierre plate, espèce àemetate
servant à broyer le chocolat et le maïs, quelques calebasses
à usage de plats et de tasses, des gourdes pour conserver Teau ;
ajoutez à cela un mortier creusé dans un tronc d'arbre et son
pilon, servant à décortiquer le riz ou autres graines; attachés par
des cordes aux poutrelles du toit, des filets et des claies en
bambou, sur lesquels Toû garde les vêtements, les objets précieux,
les provisions, etc.; quelques arcs, des flèches et des lances, ou
bien un vieux fusil avec sa poire à poudre et le sac à plomb , com-
plètent l'aspect intérieur d'une de ces maisons. Un grand nombre
de chiens à demi-sauvages rodent toujours dans cet intérieur.
Leurs armes consistent en arcs, flèches et lances avec pointes
de bois dur, qui leur servent encore à la chasse et à la pèche,
bien qu'ils soient amplement pourvus aujourd'hui d'armes à feu.
Us emploient aussi pour la pêche des lances à plusieurs pointes,
au maniement desquelles ils sont très experts ; ajoutez à cela
rinévitable machete qui ne les quitte jamais. Autrefois ils
employaient aussi à la guerre un petit bouclier ovale fait de peau
de tapir : ces boucliers ne se rencontrent plus. Les Bukuetas ou
Sabaneros connaissaient l'usage de la sarbacane, mais je n'ai pas
pu savoir si cette arme redoutable avait jamais élé en usage chez
les Valientes.
Leur costume était des plus simples : ils se peignaient le corps
et passaient autour des reins et entre les jambes une bande
d'étoffe de fïumi ou d'écorce d'arbre; les femmes portaient la
bande de numi plus large et en forme de jupe descendant jus-
qu'aux genoux; en cas de pluie, les deux sexes portaient un
grand manteau sans manches, fait de même étoffe. Comme orne-
ments, des colliers et des bracelets de dents, d'os, de verrote-
ries, etc. Les colliers en dents de tigre étaient réservés pour les
hommes; les femmes portaient aussi des boucles d'oreilles en os
ou en verroterie. Dans les grandes cérémonies, les chefs se
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LES 1NDIE?«S DE l'ÉTAT DE PANAMA 43
paraient d'un diadème de plumes éclatantes : celles du quetzal
étaient les plus estimées. Aujourd'hui, la plupart des Guaymies
s'habillent à la manière des gens du pays.
On prétend que les Guaymies tissaient, comme les Indiens de
la Talamanca, des étoffes de coton qui remplaçaient avantageu-
sement celles en écorce d'arbre; ceux-ci n'ont conservé aucune
tradition de ces travaux : l'arbre à coton pousse encore cependant
à cftté de la plupart des maisons indiennes, mais le seul usage
auquel on l'emploie est pour la fabrique des hamacs fins. Pour
faire les filets employés au transport, ils emploient la fibre
d'aloès.
Quand la femme ressent les premières douleurs de l'accouche-
ment, elle se rend dans une petite cabane en feuilles qu'elle-
même a dressée à l'avance dans un endroit retiré, sur le bord
d'un ruisseau, loin de toute habitation et de tous regards; la
femme en couches est regardée comme souillant tout ce qui
l'approche : elle est bukuru, impure et tabu. Durant le peu de
temps que la femme reste ainsi séparée , elle ne peut avoir de
communication qu'avec certaines vieilles femmes qui lui appor-
tent sa nourriture et la lui tendent au bout d'une longue perche.
Aussitôt que l'accouchement a eu lieu, la femme coupe, avec un
morceau de bambou tranchant, le cordon ombilical, et, peu
après, se rend au ruisseau, où elle se lave ainsi que l'enfant. Cela
fait, elle se présente à quelque dislance de la maison de son mari
et attire l'attention par certains chants. On envoie immédiate-
ment chercher un mkta qui la purifie, ainsi que l'enfant, par
quelques incantations et en soufflant sur eux quelques bouffées
de fumée de tabac. La femme rentre alors chez elle, et, au bout
de deux ou trois jours, elle a repris son travail habituel.
L'enfant, durant un assez long laps de temps après sa nais-
sance, n'a pas de nom et est seulement désigné comme le fils ou
k fille d'un tel; c'est seulement après plusieurs mois , une année
peut-être, que le fils reçoit un premier nom d'après sa conforma-
lion, ses aptitudes, son caractère, etc., nom qu'il garde généra-
lement jusqu'à l'âge de puberté. Cet âge arrivé, et après la pre-
mière cérémonie do Yurote à laquelle il a assisté, l'enfant prend
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44 LES INDIENS DE l'ÉTAT DR PANAMA
un autre nom qu'il choisit lui-même, soit d'après ses qualités,
soit d'après un animal, un oiseau, etc., qu'il aura choisi comme
son animal tutélaire. Ce nom peut être changé dans la suite, et
Tony ajoute souvent d'autres surnoms. Le Guaymie, comme la
plupart des Indiens américains, a plusieurs noms, mais celui
sous lequel il est connu de ses parents et amis n'est jamais men-
tionné à un étranger; suivant leurs idées, en effet, l'étranger qui
parviendrait à connaître son nom obtiendrait sur lui un pouvoir
occulte. Quant aux filles, elles n'ont généralement aucun nom
propre jusqu'à l'époque de leur puberté. Cette époque donne lieu
à une grande fête, qui est célébrée immédiatement après les pre-
miers phénomènes de la puberté. Les parents invitent les amis et
les jeunes gens du village : Ton a préparé une quantité de chicha.
La jeune fille est alors présentée, et c'est à la suite de cette pré-
sentation qu'un nom lui est donné. Ceci fait, les chants et les
danses commencent, interrompus à intervalles pour boire la
chicha. Cela continue jusqu'à ce que la chicha soit épuisée. C'est
presque toujours durant cette] cérémonie que, les têtes échauffées
par la boisson, la jeune fille trouve son mari. Le lendemain, le
couple vient trouver les parents de la jeune fille, et, après avoir
reçu d'eux quelques conseils, après que le jeune homme a fait
quelques présents, les deux jeunes gens sont considérés comme
mariés. Il arrive que la jeune fille ne rencontre pas immédiate-
ment de jeunes gens disposés à contracter mariage, mais, dans
ce cas, il n'y a aucune défaveur pour elle à ne pas rester pure.
La polygamie est commune et la femme généralement bien traitée.
L'adultère est fort rare et puni de la mort des coupables. J'ai
souvent vu chez ces Indiens des signes d'affection vraie et
sincère de l'homme pour sa femme; l'affection des parents est
aussi très grande envers leurs ftifants. La femme a la charge de
tout ce qui concerne l'intérieur et le ménage; elle cultive les
champs et en rapporte les produits. L'homme s'occupe de la
chasse et de la pêche ainsi que de la manufacture des armes et
des filets de transport et de pêche.
Qu'il me soit permis d'ouvrir ici une courte parenthèse au
sujet du rôle de la femme dans la famille indienne. Il est com-
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LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA 45
mun de dire, parmi ceux qui n'ont pas vécu avec Tlndien de la
vie intime, que la femme est regardée chez eux comme une véri-
table bête de somme , qu'à elle échoit en partage une vie pleine
de travaux pénibles et fatigants , et à Thomme au contraire
Tcxistence facile et oisive. Il est vrai qu'il peut paraître extra-
ordinaire à l'observateur superficiel de voir la femme chargée de
lourds fardeaux et Thomme marchant en avant ne portant que
ses armes. Mais si l'observateur veut bien réfléchir un peu, il
comprendra que si l'homme ne porte que ses armes, c'est à lui
qu'échoit la responsabilité et la sauvegarde de sa femme et de
ses enfants. La vie de l'Indien, en effet, est hérissée de dangers;
en traversant une savane, une forêt, un Indien hostile peut surgir
à chaque instant; un tigre, un serpent, etc., peut se jeter sur les
voyageurs. Le rôle du mari est donc d'avoir l'œil continuellement
en recherche, les mains et les mouvements libres, pour pouvoir
immédiatement saisir ses armes et défendre ceux qui lui sont
chers. Combien de fois n*ai-je pas vu l'Indien, au moment de tra-
verser une rivière, faire arrêter sa famille , entrer dans l'eau et
reconnaître si elle n'est pas trop profonde ou le courant trop
rapide, puis visiter la rive opposée afin de s'assurer qu'il n'y a
rien d'anormal, retraverser alors la rivière, aider sa femme et
ses enfants à traverser, souvent même porter les fardeaux et
retraverser à plusieurs reprises la rivière pour transporter à dos
sa femme et ses enfants. La rivière passée, l'homme reprend
le devant avec ses armes, la femme et la famille rechargent leurs
fardeaux et la petite caravane continue alors sa roule dans le
même ordre. Une raison est aussi donnée par l'Indien pour que
ce soit la femme qui cultive les champs : puisque, dit-il, sa
femme est à même de lui donner des enfants, elle sera à même
aussi de faire produire son champ.
Aussitôt qu'une personne est gravement malade, on fait venir
le siikia; si celui-ci, après examen du malade, répond qu'il n'y
a plus d'espoir, les proches parents du moribond le trAisportent
dans la forêt et suspendent son hamac sous un petit hangar formé
de feuilles de palmier et disposé à cet effet; on l'abandonne alors
en déposant à côté de lui une gourde pleine d'eau et quelques
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46 LES INDIENS DE L*ÉTAT DE PANAMA
plantains. De ce moment, aucune personne ne doit s*approcher
du moribond, qui est bukuru. Quand on suppose qu^il est mort^
le sukia s'en assure et constate le décès ; immédiatement , Ton
étend le corps sur des feuilles de latanier que Ton replie dessus
et que Ton ligottc fortement, puis on le transporte au loin dans
la forêt et on le dépose sur un échafaudage. Je n'ai pu savoir ce
que devient le corps aprës cela, les Indiens gardant un secret
absolu à ce sujet. J'ai cependant tout lieu de penser que les
Guaymies disposent de leurs morts de la même manière, ou au
moins d'une manière analogue à celle des Indiens de la Tala*
manca*, c'est-à-dire qu'au bout d'un an, une personne spéciale-
ment employée à cet office se rend à l'endroit où a été déposé le
corps, nettoie soigneusement les ossements et en fait un petit
paquet enveloppé dans des étoffes de ftumi et solidement lié ;
ce paquet est alors transporté en grande pompe à la sépulture de
famille, située dans un endroit retiré et que l'on conserve absolu-
ment secret. Plusieurs personnes m'affirment que la sépulture a
lieu dans des guacas; d'autres, au contraire, prétendent que le
lieu de sépulture est une case en bois où les ossements sont
déposés sur des échafaudages. Chaque famille aurait ainsi sa
sépulture dans le même endroit, réunissant après la mort tous les
membres d'une même tribu.
Ils pensent qu'après la mort llndien, ou son esprit, erre pen-
dant longtemps, et qu'il doit passer maintes rivières à courant
fort rapide et traverser des forêts épaisses où fourmillent les ani-
maux malfaisants. Il arrive de cette manière à une dernière
rivière sur l'autre rive de laquelle se trouve leur paradis, endroit
où ils ont à volonté de la chasse et de la pêche et une continuelle
abondance de fruits \Je toutes espèces. Mais, une fois arrivé sur
cette rivière, il doit attendre qu'un de ses parents ou amis qui l'a
précédé dans cette région l'aperçoive et lui serve de pilote pour
faire cette dernière traversée.
Autrefois, on déposait avec le mort tout ce qu'il possédait;
maintenant que l'Indien connaît la valeur des choseî*, on ne
i) W. M. Gabb. The îndums of Costa Rica. {Proc:diwjs of ihe Philosophie al
Sociely. Philadelphie, 1876.)
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LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA 47
dépose guère avec le mort que les objets qui ne peuvent plus
servir, et, pour représenter les autres, on y ajoute des pièces de
ùumi qui les simulent, tandis que les choses véritables se distri-
buent entre les parents.
J'ai tout lieu de croire que les Guaymies sont les descendants
des constructeurs de guacas, si abondants dans Touest de l'État
de Panama. Il y a en effet chez eux une tradition qui indique
qu'avant l'arrivée des Espagnols, et même durant une période
de temps assez long après cette arrivée, ils fabriquaient de la
poterie , mais qu'en raison de la facilité avec laquelle ils se pro-
curaient, après cette époque, des pots, marmites, etc., de fer, ils
perdirent graduellement Fart de travailler la terre. Ils connais-
saient aussi le travail de For, du cuivre, et leur alliage. Nous
trouvons encore en effet assez abondamment chez les Guaymies
du Valle Miranda des ornements en or, en cuivre et en tumbaga,
qu'ils disent leur avoir été légués de génération en génération
par leurs ancêtres.
IXDIENS CUNAS
Les Indiens Cunas habitent la plus grande partie des territoires
connus sous le nom de Darie^i et une petite région du nord de
l'État du Cauca. Vers l'est, ils s'étendent jusqu'aux bouches de
VAtrato et de VAcarica; au sud-ouest, ils confinent, par le rîo
Sambu^ avec les populations Chocoe-Sambu, et, vers l'ouest, je
crois pouvoir donner comme leurs limites anciennes le rio Clia-
grès et les montagnes de la Chorrera. Beaucoup de noms divers
ont été]appliqués aux tribus de la famille cuna, tels que Mandin-
gas, ChuctmaqiieSy BayamoSy Indiens de San-Blas, Tncutis,
Tula, laie y etc.; ces noms ne donnent point le nom national mais
indiquent simplement le lieu, la rivière où habitent les Indiens.
Quant aux mots iule et yule, ce ne sont qu'une forme du mot
tvlcy vir, rhomme de nation cuna; pour se désigner entre eux,
ils emploient le mot cii?ia ou cunacuna. Bien que ces Indiens
aient été les premiers à être conquis par les Espagnols et que
leur pays n'ait cessé d'être occupé par les conquérants jusqu'après
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48 LES INDIENS DE l'ÉTAT r»E PANAMA
la révolte de 1776, ils vivent encore aujourd'hui dans un état
presque complet de barbarie; ils ne reconnaissent guère Tauto-
rité du gouvernement colombien, trop insouciant pour leur en
imposer, et n'obéissent qu'à leurs propres chefs. Seuls, ceux
qui vivent sur le rio Saji-Miguel ou Tuyra ont conservé, en raison
de leurs rapports avec les Panamenos, un état de demi-civilisa-
tion. Malgré Tétat barbare dans lequel sont encore les tribus de
la famille cuna, Toccupation espagnole a réussi cependant à
leur faire perdre leurs coutumes anciennes et leurs traditions ;
seule, leur langue paraît s'être conservée à peu près intacte. Je
me trouve donc obligé, pour donner quelque idée de leurs mœurs
et coutumes anciennes, de me reporter à l'intéressant ouvrage de
Lionel Wafer * et aux documents man^uscrits du docteur Andres
de Ariza^ et du père Blas José Franco ^ J ai examiné en outre les
différents auteurs qui ont écrit sur le Darien et sa langue, et
principalement Felipe Ferez*, Lull% Behrendt*, Cullen ' et de
Puydt^
Comme aspect physique, le Cuna ne diffère guère des Indiens
des autres parties de l'État de Panama et des autres tribus habi-
tant les côtes de Colombie et de Venezuela, et la courte descrip-
tion que j'ai donnée des Guaymies s'applique aux Cunas : leur
couleur est peut-être un peu moins foncée, et l'on trouve parmi
eux un nombre relativement considérable d'albinos. Wafer men-
tionne comme existant au Darien des Indiens à la peau blanche
et aux cheveux roux. Il parait certain que ces Indiens étaient
1) Lionel Wafer. A new voyage and description of Uœ isthmus. 1699, p. 104
et seq.
2) Andres de Ariza, Commentarios de la rica y ferlilissima provincia de
Santa-Maria la Antigua del Darien. Al virrey Guirrior, 1774. Ms.
3) Blas José Franco. Documentos. Ms.
4) Felipe Ferez. Geographia de la Nueva-Grranada, Bogota, 1856, t. I, p. 149
et seq., p. 391 et seq.
5) E,-P. Lull. {Proceedings oftheAm. Phil. Ass, Hartford, 1874, p. 104.)
6) C.-H. Behrendt. The Darien language . (Am. Hist. Record, Philadelphie,
1876, p. 54.)
7) Docteur E. CuUen. {Journal ofihe Royal Geogr. Society of London, 1851,
Vol. XXI, p. 241 . Transactions of tlie Ethnograph, Society of London, 1868,
Vol. V. p. 150.)
8) L. de PuvHl. Darien. {Journal oftlie Royal Geograph, Society of the Lon-
don, Vol. XXXVllI, p. 09.)
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UâS INDIENS DK l'ÉTAT DE PANAMA 49
des métis, produits de la visite des Qibusliers anglais ou des
Espagnols habitant le pays.
Les CunaSy comme la plupart des populations américaines,
ont la religion des esprits. Ils n'ont point Tidée d'un esprit
supérieur en bonté; ils croient à une quantité d'esprits bons ou
mauvais, surtout mauvais, appelés niyas : ces derniers doivent
être rendus favorables, et pour ces services ils se servent des
lere^ lele ou magiciens.
Us vivent pour la plupai;t très dispersés, leurs maisons étant
construites sur les bords d'une rivière ou de la mer. Chaque
groupe de maisons se trouve sous le contrôle d'un capiian ou
cacique; en cas d'absence du capitaUj le iele le remplace; en cas
d'absence de celui-ci, le comotoro prend la place du chef, et, en
dernier lieu, Yurumia. Le lele est, comme nous l'avons vu plus
haut, une sorte de magicien, prêtre et médecin; le comotoro est
le musicien officiel chargé d'organiser et de conduire les danses
et cérémonies; Vurumia est une espèce de policier dont le devoir
est de veiller à ce qu'aucun étranger n'approche des maisons
habitées par sa tribu.
Hommes et femmes allaient autrefois dans le costume le plus
primitif, l'homme absolument nu, si nous exceptons une petite
plaque en or ou en feuilles de plantain, de forme conique, res-
semblant assez à un entonnoir renversé. Us forçaient le pénis à
rintéricur de ses téguments et le maintenaient en place avec la
plaque susmentionnée , à laquelle était attachée une corde pas-
sant entre les jambes et autour des reins : le scrotum restait ainsi
exposé à la vue. Les femmes portaient pour tout vêtement une
bande d'étoile de coton ou d'écorce d'arbres tombant jusqu'aux
genoux et enroulée autour des hanches.
Dans les occasions très importantes, les hommes portaient une
espèce de robe longue, en coton, descendant jusqu'aux talons. A
cette robe étaient ajoutées de longues franges, des manches
larges, courtes et ouvertes jusqu'aux coudes.
Ils se peignaient le corps de différentes couleurs, rouge, jaune
ou bleu, dessinant des figures d'oiseaux, d'animaux, d'hom-
mes, etc. Ces figures présentaient un travail plus compliqué sur
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50 LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA
Il face. La femme servait d'artiste et paraissait prendre un plai-
sir tout spécial à décorer de la manière la plus fantastique son
mari. La peinture, dissoute dans une petite calebasse avec de
Turine et de l'huile, s'appliquait à la peau avec un petit pinceau
de bois tendre, mâché à une extrémité. Une bonne couche de
peinture ainsi donnée durait plusieurs semaines et se renouvelait
de temps en temps.
Le tatouage parait avoir eu une certaine vogue, et Ton y atta-
chait un très grand prix. La manière d'opérer était la suivante :
on dessinait d'abord sur la peau, avec un pinceau, la figure que
l'on désirait représenter, puis l'on piquait avec des épines la
surface ainsi dessinée sur laquelle on frottait ensuite la main
trempée dans la couleur que l'on employait. Le tatouage ainsi
produit durait toute la vie.
Les hommes, en temps de guerre, se peignaient la figure en
rouge, et le reste du corps, la poitrine et les épaules, en noir,
avec de grandes plaques jaunes ou bleues. Comme ornement, les
hommes portaient une plaque d'or ou d'autre matière, couvrant
la bouche de coin en coin et descendant jusqu'au dessous de la
lèvre inférieure; cette plaque avait deux pointes serrant le sep-
tum du nez, où elle se trouvait maintenue. Durant les voyages
ou les chasses, ils ne portaient qu'une plaque très étroite et très
mince , des plaques plus grandes étaient réservées pour les
cérémonies importantes ou la guerre. Au lieu d'une plaque, les
femmes portaient un anneau des mémos matières, de la grosseur
d une plume d'oie et suspendu de la même manière. Durant les
repas, hommes et femmes relevaient tout simplement l'ornement
pour permettre l'introduction de la nourriture et de la boisson,
ou, s'il était trop encombrant, on l'enlevait temporairement.
Les chefs, dans les plus grandes cérémonies, portaient, lixées
à un anneau passé dans chaque oreille, deux grosses plaques d'or
dont Tune pondait en avant sur la poitrine et l'autre en arrière,
sur l'épaule. Ces plaques avaient près d'un pied de long, de la
forme d'un cœur, la pointe en bas ; la partie supérieure portait
une autre petite plaque à travers laquelle passait Tanneau qui
suspendait le tout à roreille.
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LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA 51
Dans ces mêmes cérémonies , les chefs avaient aussi une
espèce de diadème fait d'une bande d'or d'environ huit ou neuf
centimètres de largeur, formant à sa partie supérieure comme
les dents d'une scie et garnie de petits morceaux de roseau dont
Textrémilé était ornée des plumes des oiseaux les plus estimés.
En dehors de ces ornements employés seulement dans les
grandes circonstances, il y en avait d'autres que les hommes et
les femmes portaient indistinctement. C'étaient par exemple des
colliers faits de plusieurs rangées de dents, de coquilles, de ver-
roteries, etc., couvrant la poitrine et descendant jusqu'au creux
de Testomac. Certains de ces colliers faits de dents étaient très
curieusement travaillés; les dents étaient taillées en forme de
scie, de façon que les parties saillantes d'une rangée entrassent
dans les encoches de l'autre et formassent ainsi une masse solide.
Les colliers des femmes n'avaient que peu de dents, étant com-
posés plus généralement de coquilles , verroteries , etc. Les
femmes portaient aussi des bracelets aux bras et aux jambes, ces
derniers composés de nombreuses rangées faisant plusieurs fois
le tour du membre.
Aujourd'hui, l'homme met volontiers une chemise de toile ou
de flanelle de couleur voyante, un mouchoir autour du cou et
peut-être un pantalon de toile ou de coutil. Il se peint encore
volontiers et porte les cheveux longs divisés en deux nattes et
maintenus en position par un gros peigne en bois sculpté, étroit
et de leur fabrication. La femme a un jupon court en étoffe de
coton sur lequel elle a préalablement dessiné en rouge ou en
bleu diverses figures d'animaux, d'oiseaux^ etc, et une espèce de
camisole sans manches. Le cou, les bras et les jambes sont,
comme autrefois, couverts de dents et verroteries, et du collier
pend presque toujours une pièce d'argent en forme de demi-
lune, à laquelle sont attachées diverses pièces de monnaie et
d'autres objets en argent; on appelle cet ensemble ma/a/e/e. Elles
séparent leurs cheveux comme les hommes et se peignent ainsi
qu^eux.
Leurs maisons, comme je l'ai déjà dit plus haut, sont presque
toujours éparses sur les bords d'une rivière ou de la mer* Dans
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o2 LES INDIENS DE L^ÉTAT DE PANAMA
les îles du golfe de San-Blas et de V archipel des Mulatas, les mai*
sons sont souvent groupées de manière à former un véritable
village. Ces habitations ne présentent rien de bien particulier.
Elles sont closes de murs en bambous ou roseaux, parfois
recouverts de terre. Le toit, de forme ovale, est fait avec les
feuilles de palmiers de montagne. La longueur d'une de ces habi-
tations est d'environ douze mètres, la largeur proportionnelle.
Le feu se fait au milieu de la pièce unique et la fumée s'échappe
par un trou laissé dans le toit. Il arrive que si l'endroit où doit
être construite la maison est sujet à des inondations, l'on établit
une plate-forme sur pilotis, sur laquelle s'élève alors la maison.
L'intérieur d'une de ces maisons est fort simple : chaque per-
sonne a son hamac de coton pendu aux poutres du toit, hamac
que, durant la journée, on relève sur l'une des poutrelles trans-
versales; quelques blocs de bois servent de sièges. Autour du
feu, quelques vases et calebasses, puis deux ou trois grands pots
ou marmites en fer. Dans un coin, des paniers ou filets conte-
nant les provisions et les bardes de la famille, et, passés sur les
poutrelles ou sous les feuilles du toit, une ou deux sarbacanes,
dos arcs, des flèches, des lances pour la chasse et la pêche, et
parfois un ou plusieurs fusils complètent le matériel.
Plusieurs maisons situées dans le même voisinage avaient en
commun une espèce de fort dans lequel on se retirait en cas de
guerre : ce fort élait construit suivant le style des maisons ordi-
naires, mais de plus grandes dimensions : certains de ces forts
avaient jusqu'à quarante mètres de longueur. On les élevait à
l'endroit dominant de la vallée. Les murs formés de plusieurs
épaisseurs de gros bambous de quatre mètres de hauteur étaient
percés d'une multitude de trous de la grosseur du poing par
lesquels les assiégés pouvaient voir au dehors et tirer leurs
flèches. Une porte massive faite des mêmes matériaux servait à
l'occasion à fermer la seule entrée de cette espèce d'enceinte.
Leurs armes consistaient en sarbacanes avec flèches empoi-
sonnées, en arcb, en flèches de différents genres, en lances (ils
ont aujourd'hui des fusils). Les flèches et lances avaient des
pointes en bois durci ; maintenant la plupart emploient des pointes
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LES INDIENS DE L*ÉTAT DE PANAMA 1)3
en fer. Ils sont très experts dans la fabrication du curare dont
ils enduisent l'extrémité de la parcelle de bambou ou roseau qui
sert de flèche à la sarbacane.
Leurs ustensiles de cuisine se réduisent à quelques pots et
marmites d'origine européenne et à un grand nombre de cale-
basses et gourdes de différentes dimensions : j'ai eu en mains
deux spécimens de vases enterre cuite provenant du Darien d'un
I ravail fort grossier, en terre noire et sans aucune ornemental ion.
Les objets en terre cuite du Darien sont devenus d'une extrême
rareté.
Les femmes tissaient aussi des étoffes de coton sur des métiers
primitifs, mais, à |'heure actuelle, cette industrie est presque
abandonnée en raison de la facilité avec laquelle ces Indiens se
procurent des tissus d'origine européenne ; le seul usage auquel
soit employé le coton aujourd'hui est de servir à la manufacture
de leurs hamacs. Les jeunes filles préparent les fils de coton ;
elles disposent les morceaux très fins de roseaux, de bambous,
de feuilles de palmiers, etc., dont on fait les paniers : ce dernier
travail est du ressort exclusif de Thomme qui donne à ces maté-
riaux, par la teinture, différentes couleurs et, les tressant avec
beaucoup de soin , arrive à faire des paniers absolument
imperméables. Ces paniers varient beaucoup en dimensions ot
en formes : les uns de forme ronde ou conique servent à trans-
porter les provisions et se portent sur le dos; d'autres de forme
presque carrée servent dans l'intérieur delà maison; d'autres en
forme de bouteilles conservent l'eau ou la chicha; d'autres,
enfin, de dimensions toutes petites, de formes rondes peuvent
servir de tasses. A l'homme appartient aussi la confection des
filets.
Quand la femme est sur le point d'accoucher, elle est reléguée
dans une partie de la maison et séparée du reste par une cloison,
ou bien elle se rend à quelque distance dans une hutte disposée
à cet effet; durant ce temps elle est veillée par une vieille femme
qui, aussitôt l'accouchement fait, prend la mère et l'enfant,
les porte à la rivière et, aussitôt appelle un lele qui, après
quelques paroles cabalistiques, souffle sur eux quelques bouffées
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54 LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA
de fumée. La femme et le nouveau-né se trouvant par ce fait puri-
fiés, rentrent dans la maison commune. Uenfant, durant les
premiers mois, est attaché sur une planche à la façon des Indiens
du Nord : quand il est nécessaire, on Fenlève et on le baigne
dans l'eau froide. Un petit hamac sert à déposer Tenfant pendant
que la mère est au travail. Pendant longtemps, l'enfant ne porte
d'autre nom que celui de chtichu (enfant) ; s'il est mâle, il reçoit
un nom de son père au bout de deux ou trois ans, si, au contraire,
c'est une fille, elle ne prend de nom qu'à l'époque de sa puberté.
Les noms ainsi donnés ne sont jamais divulgués aux étrangers.
L'arrivée à la puberté chez la jeune fille est le signal d'une
grande fêle : celle-ci est transférée dans une maison disposée à
cet effet au centre de laquelle on a construit une petite chambre
isolée en feuilles de tacar ou latanier ; cette chambre est appelée
chumpa. Au centre de cette chambre l'on creuse un trou d'envi-
ron deux mètres, ce trou est recouvert avec des côtes de feuilles
de palmier et sur cet échafaudage on installe un lit de feuillages
sur lequel repose la jeune fille. Toutes les femmes du voisinage
la visilent alors et répandent sur elle, chacune à son tour, une
calebasse pleine d'eau. Durant ce temps, les parents préparent
quantité de chicha. Ces préparatifs durent environ huit jours
pendant lesquels la jeune fille ne doit pas quitter la chumpa. Le
jour arrivé, tous les invités se peignent avec du chapttir (espèce
de graine oléagineuse donnant une couleur bleu foncé). Les
femmes portent solennellement des grains à la jeune fille pour
qu'elle aussi se peigne de la même couleur. Ceci fait, elle sort
du chumpa en costume de fêle et est alors présentée cérémonieu-
sement aux invités. La. danse et les libations de chicha recom-
mencent, les hommes habillés d'une manière grotesque avec les
peaux de différents animaux dont ils essayent d'imiter les mouve-
ments et les cris, les femmes seulement dans leur plus beau
costume d'apparat. Tout ceci se passe au son d'un tambour en
bois creux, de sifflets en os et d'une petite flûte en roseau. La
fête dure avec, diverses alternatives de danses, de chants et de
libations jusqu'à ce que la chicha soit épuisée, et on lui donne le
nom de chaptur igua. On Tappelle aussi la petite fête ; c'est dans
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LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA 55
celle fête que la jeune fille reçoit un nom. La grande fête ,
après laquelle la jeune fille a le droit de se marier, est donnée
durant Tannée qui suit. A cette seconde fête sont invitées
toutes les personnes du village et des villages voisins et même
éloignés. On s'y rend dans toute la richesse du costume indien.
La fête commence par de nombreuses libations de chicha, puis?
aussitôt le soleil couché^ la danse commence. Cette danse est
toutà fait particulière, hommes et femmes y prennent part, chacun
ayant les mains à plat sur les épaules de celui qui le précède»
faisant mouvoir les pieds et le corps de gauche à droite et
d'arrière en avant au son lent et monotone de la flûte du camo-
toro qui conduit la cérémonie : de temps en temps on se sépare
pour boire de la chicha e^i manger, puis on reprend la danse et
ainsi de suite altemalivement jusqu'à ce que toute la chicha
soit épuisée. C'est durant cette danse que le jeune homme qui
aurait des vues sur la jeune fille en l'honneur de qui la fêle est
donnée, après s'être préalablement concerté avec elle, disparaît
avec celle-ci; après un séjour de quelques heures au dehors
tous deux reviennent prendre leur place parmi les danseurs:
cette sortie est considérée par tout le monde comme équivalant
au mariage. Le lendemain seulement le nouveau couple se pré-
sente aux parents de la jeune fille qui reconnaissent formellement
la nouvelle alliance et reçoivent certains présents. Suivant Wafer,
les cérémonies du mariage étaient autrefois beaucoup plus
compliquées et plus longues, bien qu'au fond elles fussent k peu
près les mêmes.
L'adullère chez la femme mariée élait souvent puni de la mort
des deux participants. Les Cunas sont extrêmement jaloux de la
pureté de leur race et ne permettent aucune communication entre
leurs femmes et les blancs ou les nègres qui peuvent visiter le
pays. En dehors des fêtes que je viens de citer il y en a beaucoup
d'autres de caractère religieux ou privé; leur description n^ofl^ri-
rait pas ici, un intérêt suffisant.
Quand une personne est à la dernière extrémité et qu'il n'y
a plus d'espoir de la sauver, on prévient tout le monde aux
alentours et chacun vient voir le moribond : on appelle le lele
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56 LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA
qui fumige celui-cî des pieds à la tête avec des fumées de
cacao, de poivre, etc., prononçant, en même temps, des paroles
cabalistiques et tantôt chantant des chants sacrés sur un ton
grave et monotone. Aussitôt qu'il voit que le moribond est sur
le point de rendre le dernier soupir, le lele se retire, les parents
et les amis commencent les cris et les lamentations interrompues
de temps en temps par un orateur qui, avec une voix lugubre
et d'un ton solennel et monotone, raconte les hauts faits du mort.
Durant ce temps quelques personnes se sont rendues à la plan-
tation de plantain, de cacao, etc. du défunt; là ils nettoient dans
un endroit touffu, une superficie d'environ 25 mètres au centre
de laquelle on élève une hutte en feuilles. A Fintérieur de cette
hutte Ton creuse un trou de 2 mètres de profondeur et de § mètres
on carré. Ceci fait, l'on place au fond deux poteaux auxquels
on suspend le hamac dans lequel on a roulé et ligotté le défunt;
tout ce qu'il possédait est ensuite déposé avec lui à ses côtés.
Les lamentations, cris, chants monotones alternent durant tout
ce temps. Une fois le corps déposé , on place des côtes de
feuilles de palmiers en les croisant de façon à former une voûte
au-dessus du cadavre afin que la terre ne le touche pas. On empile
sur ces côtes des feuilles de palmier par rangées successives de
manière à fermer hermétiquement le tombeau; puis toute
l'assistance se disperse. La femme et la famille du défunt visitent
pendant une année, matin et soir, la hutte afin de la nettoyer, de
la balayer et d'y déposer de la nourriture et de la chicha.
Le nom d'une personne défunte est absolument tabu\ c'est
une injure fort grave de mentionner à un passant ou à un ami
du défunt, le nom de celui-ci.
(La suite au prochain numéro,)
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OBSERVATIONS ETHNOPtRAPHIQUES
SUR LESI IftArVAKILfi DU tàOLfrE: DE 'TADJOURA
Par le D^ L, Faitrot
Lps monlag-ues de FËtliiopif^ à l'oupst, lo jittoral du détroit de
Bab-el*Maadeb, de la Manche d'Adea au nord-est, la rivière
Aouach au sud, forment les limites du territoire occupé par une
population composée, en grande parHe, de nomades pasteurs.
Bien que cea nomades, auxquels on a donné les divers noms
de: Adelsj ûanakils, Afara, se déplacent fréquemment, la plu-
part, cependant, ne connaissent qu'une portion relativement res-
treinte de cet immense territoire. Aussi esl-il difficile d'obtenir
de ceux-ci des renseignements sur le nombre, le nom et la répar-
tition géographique do leurs diltéFentes fractions ou tribus*.
Ces fractions sont réunies nominalement en grands groupes,
tels que les Adaïls, llassoumbas^ Débenés, Modaïto, Asaïmaras.
KUes sont sous Tautorité de dardars ou sultans qui ont comme
feudataires des dardars de puissance moindre. C'est le dardar
d'Aoussa qui parait avoir le plus d'influence sur les nomades du
liUoral, Les territoires d'Obock et d' Assab étaient autrefois com-
pas dimf>.les limites de ses possessions. Tadjoura et Raheila
âont f *^^^ V^^ des dardars feudataires.
A!
. Fr, Sf-aramuchi et E, Giglioli ['Notizie sui Danakil
ii Âssttb. Areh, Anlhrop., Mantegazza, 1884), il n'y
" rnie correspondanL à Ccilui de tribu. Il est arrivé
|ur le nom de son kabaU, un dankaii du territoire
répondu par le nom de son cheik. Plusieurs
tjn document orfteiel sur Obock {Notices
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58 OBSERVATIONS ETHNOGRAPHIQUES
Dans le premier de ces villages le titre de dardar n'est pas
héréditaire, pas plus que celui de botdelta (vizir). L'un et l'autre
appartiennent alternativement aux deux plus puissantes familles.
Ainsi à la mort du sultan actuel, c'est le vizir ou un membre de
la famille de ce dernier qui prendra le titre de sultan; et ce sera
l'aîné de la famille du sultan qui aura droit à la dignité de vizir.
Le pouvoir n'est pas absolu, car toutes les fois qu'une décision
doit être prise, elle n'est rendue qu'après avis préalable des nota-
bles. Quant à la fonction de bouleïta, elle est purement honori-
fique, car, lorsque le dardar s'absente du village, c'est un des
notables qui prend en main l'administration. Durant mon séjour
à Tadjoura, une assemblée eut lieu, précédée pendant plus d'une
demi-heure du bruit d'une sorte de tambour.
Les Afara* de Tadjoura et ceux qui vivent en nomades autour
d'Obock ont la peau d'un noir de suie. Je n'ai pas observé chez
eux la coloration jaunâtre que signalent MM. Scaramuchi et
Giglioli chez les habitants d'Assab. Ils sont le plus souvent
imberbes. Lorsque la barbe existe, elle est en collier. Beaucoup
(parmi ceux qui paraissent avoir une quarantaine d'années) sont
dépourvus de cheveux sur la partie supérieure du crâne. Les
autres sont ou rasés, ce qui est rare, ou portent une chevelure
frisée dont le développement «volumineux prend un aspect très
remarquable et que l'on peut comparer à une perruque du temps
de Louis XIY. La nuque est toujours rasée. Les Danakils n'ont
jamais les cheveux tressés sur les côtés de la tête selon la mode
des Çomalis. Ils ne les imprègnent pas non plus du mélange de
chaux et de graisse dont l'usage est fréquent chez ces derniers.
La chevelure des femmes enfermée dans une coiffe est rabattue
au-dessus du front; cette disposition est absolument inverse de
colle que présente la coiffure des femmes çomalies. Enfin, tous
les jeunes garçons, jusqu'à l'âge de douze ans, ont la tête rasée,
sauf une touffe de cheveux sur le sommet de la tète. Il en est de
même chez les enfants çomalis et arabes.
i) Afara^ au singulier a/isr, est le terme par lequel les nomades se désignent;
il signifie les errants, les libres. En langue arabe, le mot as far , duquel on pour-
rait croire que afar est dérivé, signifie jaune«
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SUR LES DANAKILS DU GOLFE DE TADJOURA
59
Les traits des Danakils sont fins. Il semblerait que la couleur
de la peau et Tépaisseur des lèvres dussent seules les faire distin-
Fig. 4. Femme danakile.
guer de ceux des Européens. Le prognathisme qui m'a paru fré-
quent] chez les Gallas d'Obock est rare chez eux. Plus rarement
aussi que ces derniers, ils ont, entre les deux incisives médianes
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60 OBSEBVATIOXS CTH50GBAFH1QUCS
supérieures, on intervalle qui, aa goùl des Gallas, est on embel-
lissement.
Les membres snpéricnrs et inférieurs sont grêles; quelques
Danakils sont cependant taillés en hercule. Les mollets sonl à
peine dessinés bien que les nomades soient excellents marcheurs.
Cette conformation est peut-être une conséquence de l'habitude
qu'ils contractent dès Tenfance de s'asseoir d'une façon très par-
ticulière. Dès qu'ils ont pris leur position habituelle de repos, les
genoux se trouvent à la hauteur du menton et les jambes se flé-
chissent complètement sur les cuisses. Dans cette attitude bizarre
que MM. Scaramuchi et Giglioli ont aussi notée, les talons sont
en contact avec les ischions.
Une pièce d'étoffe large de 1",50 à2 mètres, longue de 1 mètre,
enroulée au-dessus des hanches constitue le vêtement des Dana-
kils. Ils couvrent quelquefois leurs épaules d'une autre pièce
ayant les mêmes dimensions. Ils attachent à leur cou, en guise
de parure, un ou deux petits sachets de cuir et des boules de
porcelaine blanche de la grosseur d'un œuf de pigeon. Plus rare-
ment on les voit portant au-dessous d'un genou une mince
lanière en peau de chèvre blanche, le poil en dehors. J*ai ren-
contré ces mêmes ornements chez les Çomalis-Ëssas de la côte
sud du golfe de Tadjoura\
La hampe de la lance danakile mesure deux mètres. Une
lame de fer contournée en spirale garnit son talon sur une
longueur de douze centimètres. Cette lame est destinée à faire
contrepoids à l'autre extrémité qui se termine par un fer large et
acéré. Dans les combats, les Danakils n'ont point coutume de
se servir de cetlc arme en la projetant, bien qu'ils y soient fort
habiles.
1) Les Çomalis-Essas sont vêtus et armés de la même manière que les Dana-
kils. Chez les Çomalis Haber-Aouel, une chevelure jaunie par la chaux, un tolb
ou complètement blanc ou agrémenté de grandes raies rouges entrecroisées,
deux grosses boules d*ambre sur le devant du cou et un casse-tête orné de têtes
de clous en cuivre dans une main constituent la loilette de ceux qui passent
pour être quelque peu élégants. Leur armement de guerre se compose de deux
lances, Tune de }el (dagali), Taulre {(loanè) plusgrnnde, dont ils ne se servent
que dans le combat corps a corps, d un long poignard {beliao) à lame droite, et
enfin d'un très petit bouclier en cuir de couleur claire.
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SUR LES DANÂKILS DU GOLF£ DE TÂDJOURA 61
Le jet de la lance qui, du reste est un jeu pour les jeunes car-
rons, mérite une description détaillée. C'est avec l'extrémité des
doigts de la main droite que la lance est en même temps saisie
par son milieu et maintenue horizontalement levée. Au moment
où Télan doit être donné, le bras droit est porté brusquement en
arrière et du même coup les doigts s'écartent. Le mouvement de
recul imprimé à Tarme est arrêté aussitôt par la main qui se
ferme sur la hampe. Du choc de la lance sur la paume de la main
résuite une vibration qui fait entendre un bruit sourd. Au mou-
vement de recul succède le mouvement du bras en avant par
lequel Tarme est définitivement lancée.
On parvient sans trop de difficulté à imiter celte manœuvre
dans tous ses détails. Il m'a semblé que les vibrations imprimées
à la lance lui donnaient plus de fixité dans sa position horizontale
et facilitaient ainsi sa projection. L'arme, lancée de pied ferme,
atteint un but placé à 15, 20 mètres et même au delà. La javeline
des Çomalis Haber-Aouel se manœuvre de la même manière ;
cependant lorsque ces derniers veulent la projeter en courant, ils
ont d'abord le soin de faire avec le bras armé des mouvements
de va et vient, dont la rapidité est en rapport avec celle de leur
allure. Je me suis assuré que dans ces conditions la javeline
pouvait toucher un but placé à plus de 40 mètres.
La lame du couteau danakil [guillé) a une forme légèrement
courbe. Le fourreau est terminé par un long cône de cuivre, et
orné sur une de ses faces d'une série de petits anneaux ou de
baguettes faites du même métal. Cette arme est fixée horizonta-
lement à la ceinture de façon à ce que Textrémilé de la poignée
corresponde au côté gauche du corps.
Le bouclier [(jo) ressemble, par sa forme et ses dimensions
(60 centimètres de diamètre), à celui des Éthiopiens.
Les habitations des Danakils d'Assab, décrites par M. Scara-
muchi diffèrent de celles des nomades campés prèsd'Obock.
Ces derniers construisent des huttes très petites (1",50) à
Taide de branchages, de nattes et de lambeaux d'étoffes. Leur
forme est hémisphérique. On reconnaît les emplacements que ces
huttes ont occupés à des cercles de grosses pierres dont la
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62 OBSERVATIONS ETHNOGRAPHIQUES
destination était de fixer sur le sol les divers matériaux qui en
constituaient les parois*.
A Tadjoura les Danakils sédentaires habitent des cabanes
groupées dans des enclos.
Les huttes^ demeures habituelles des nomades, sont parfois
remplacées par des abris rocheux. Sur la rive nord du Goubet-
Kharal, j'ai vu de ces abris complétés par un mur de pierres. Les
Danakils seraient donc accidentellement troglodytes.
Us n'ont d'autre industrie que celle qui consiste à fabriquer
des nattes et des paniers avec les fibres du tafi, (palmier doum)
teintes de vives couleurs. Les Çomalis de Zeyla et de Berbera
sont beaucoup plus habiles dans cette fabrication. A Tadjoura
on voit quelques artisans occupés à forger des fers de lance et
de couteau ; d'autres façonnent des boucliers et des sandales de
cuir. Le travail de la terre est inconnu et ainsi que M. Révoil Ta
dit du pays des Çomalis, « le seul champ que l'on cultive est
celui des morts. »
La confection des outres destinées à contenir l'eau ou le lait,
est réservée aux femmes. Elles aussi doivent conduire les cha-
meaux. Tenant à la main l'extrémité du licol elles marchent
courbées sous le poids d'une charge maintenue en équilibre
au-dessous des reins, au moyen d'une corde qui prend un point
d'appui sur le front. Les hommes, toujours armés, surveillent le
troupeau. Une occasion de pillage, une vengeance à exercer
peuvent les en éloigner.
L'usage veut qu'un meurtre soit vengé par la mort de l'assas-
sin. Le « prix du sang » n'est pas toujours considéré comme une
compensation suffisante. C'est ainsi que le négociant Arnoux fut
massacré (1882), bien qu'il eût payé une forte somme pour le
meurtre d'un Danakil tué involontairement par l'un de ses gens.
Pour se débarrasser de leurs ennemis ils ont, dans certaines
circonstances, recours au poison*.
1) Les tumuli entourés à dislance par un cercle de grosses pierres, signalés
par M. Révoil au camp de Berguel (fletwe d'Ethnographie, n« 1; sonl peut-être
des sépultures creusées dans Taire des huttes.
2) Je tiens le fait suivant de M. Labattut, chef de caravane, qui depuis un
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SUH LES DANAKILS DU GOLFE DE TADJOURA 63
La méfiance paraît être le trait dominant du caractère des
Danakils. Durant mon voyage, accompagné un jour de plusieurs
de leurs semblables, le hasard me conduisit au-devant d'un de
leurs groupes. Nous suspendîmes, suivant Fusage, notre marche
de façon à laisser un intervalle assez grand entre nous. Ce n'est
qu'après un échange de paroles rassurantes que deux Danakils
appartenant à chaque bande s'abordèrent : « Ouyèrè mààli. »
(Gomment as-tu passé? hé bien !) est la phrase qui leur servit de
salutations; puis allernativement ils répétèrent le dernier mot :
màdliy et cela pendant près d'une minute.
Cette méfiance n'existe pas à Tégard des personnes, frangi ou
danakils qui leur sont devenues familières. Ils abandonnent
alors leur impassibilité habituelle, souvent même ils mani-
festent de la gaieté. Leurs divertissements sont d'ailleurs fré-
quents. Dès que les indigènes employés aux travaux du port ou
au parc à charbon avaient terminé leur travail de la journée, ilg
se réunissaient en grand nombre (40 à 50) derrière le village
d'Obock construit par les marchands arabes, et là, pendant près
d'une heure ils se livraient à leur jeu favori. Ce jeu consiste
dans la poursuite, suivant certaines règles, d'une balle de cuir
qu'ils se renvoient de l'un à l'autre en la faisant bondir sur le
sol. L'entrain qu'ils mettaient à cet amusement était tel et la
mêlée devenait si confuse qu'il m'a été impossible de m'assurer
de la manière exacte dont il se conduit. Il ne me paraît pas pro-
bable que ce divertissement soit une imitation du jeu de paume,
qui, dans le camp d'Obock, avait pour acteurs les Éthiopiens
dont est composée la garde particulière du commandant civil.
Ces Éthiopiens se servaient de bâtons ou de palettes au moyen
desquels ils pourchassaient une balle. Les renseignements m'ont
grand nombre d*annèes voyage entre la côle orientale et le Choa. Une discus-
sion s'élant élevée entre un sultan de Haheïta et son vizir, ce dernier vint avec
ses partisans exposer ses griefs à Amphallé, dardar d'Aoussa. Amphallé lui
donna raison et Fautorisa à se servir du poison pour tuer le sultan. Pendant le
retour, à. deux jours de marche de Raheïta, quelques guerriers se séparèrent
de la suite du vizir et, ayant eu Toccasion de passer à Obock, annoncèrent que
le sultan venait de succomber à une maladie. Ils avaient compté sans un orage
qui relarda la marche du vizir. On sut plus tard que cette mort du sultan, pré-
sentée comme naturelle, était survenue vingt*quatre heures après la nouvelle
qui en avait été donnée à Obock.
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OBSERVATIONS ETHNOGRAPHIQUES
fait défaut au sujet d'un aulre jeu, observé à Assab par Scara-
muchi qui le désigne par le nom italien de bûchette . L'exis-
"- Vi^.^.
Fig. 5. Ahmed ben Mohammed, sullao de Tadjoura.
tcace de ce jeu m*a été révélée par la rencontre prës de huttes
danakiles d'une série de petites cavités disposées sur deux rangs.
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SUR LES DANAKILS DU GOLFE DE TADJOURA 65
Des Çomalis Haber-Aouel m'apprirent qu'elles étaient destinées
à un jeu dankali.
Je n'ai pas vu les Danakils danser^ Très fréquemment, au con-
traire, il m'est arrivé d'observer les Çomalis se livrant à cet
exercice qui, chez eux, est arrivé à une extrême simplicité. Par-
tagés en deux groupes qui se font vis-à-vis, ils se rapprochent
en frappant en cadence le sol de leurs pieds. En même temps ils
s'accompagnent de battements de mains et d'un ha! ha! crié en
chœur à tue-lêle. Ils retournent ensuite sur leurs pas pour
recommencer. L'expression de leur physionomie témoigne du
plaisir qu'ils éprouvent à faire ces mouvements et à pousser ces
cris grotesques.
Aucun mariage danakil n'ayant été célébré durant mon séjour
à Obock, je ne puis mieux faire que de citer la relation d'un
témoin oculaire^
« Le mariage n'est, bien entendu^ chez ces peuplades, qu'une
acquisition de la femme par le maii ; celui-ci donne en échange à
son futur beau-père des chèvres, des chameaux. Les affaires
d'intérêt conclues, on construit une hutte dans laquelle se place
la fiancée, puis on va chercher le futur mari. Il ne porte pas
d'armes mais il tient à la main un fouet. Tous les amis mâles des
deux familles se rangent autour de la hutte et égorgent les ani-
maux destinés au festin ; la première victime abattue doit être
une chèvre blanche. Pendant qu'elfe saigne encore, on la place
toute pantelante au seuil de la cabane et le mari doil marcher
par-dessus pour aller trouver sa femme. Ace moment, toute la
bande se met à hurler et à frapper sur la hutte avec des bâtons.
Au tapage répondent les cris de la malheureuse créature bat-
tue par son seigneur et maître. Puis ceux du dehors prennent la
victime blanche et la jettent au-dessus de la hutte. />
L'exogamie est fréquente chez les Danakils Debenés dont le
territoire est voisin de celui des Çomalis-Essas. Le dardar
actuel des Débénés, Loïta, est lui-même fils de père danakil et de
1) Ce récit, un peu abrégé, est emprunté au livre de M. C. de Sainl-Aymour,
iVos irUéréls au Soudan, Il diCTère de celui de MM. Scaramuchi et Giglioli.
VI 5
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66 OBSERVATIONS ETHlNOGRAPHIQUES SUR LES DANAKILS
mère essa. Cette cputurae ne parait pas avoir encore amené le
mélange des deux populations. Les Çomalis-Essas ont, en effet,
la peau moins noire que les Danakils, leur langage est différent
et les rivalités avec leurs voisins sont fréquentes. Ils ont conservé
l'habitude commune à tous les Çomalis, de tresser leurs cheveux
sur les côtés de la tête, le sommet restant ébouriffé. Us les
imprègnent souvent d'un mélange de chaux et de graisse. Enfin,
celles de leurs filles qui sont mariées à des Danakils conservent
néanmoins la coiffure et Thabillement en usage dans leur
pays.
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REVUES ET ANALYSES
LIVRES ET BROCHURES
E. Petitot. Traditions indiennes du Canada nord-ouest. (Les Littératures
populaires, t. XXIII. Paris, Maisonnêuve frères et Ch. Leclerc, 1886»
1 vol. in-12.)
Tous ceux qui s'occupent de linguistique el de mythologie américaines sont
familiers avec le nom de M. l'abbé Petitot. he monde savant lui doit d'impor-
tants travaux sur les langues des Esquimaux-Tcbiglit, et des peuples de la race
Denne-Dindjie, dont il a également étudié avec soin Tethnographie.
Aujourd'hui il nous donne une publication non moins intéressante que les
précédentes pour les érudits, mais accessible à un public plus nombreux ; elle
comprend les légendes et contes populaires qu'il a patiemment recueillis pen-
dant ses excursions comme missionnaire dans les régions du nord-ouest. Nul
plus que Fauteur n'était à même de mener à bien un pareil travail puisque,
familier avec les idiomes parlés dans ces régions, il a pu recueillir les récits de
la bouche même des conteurs* L'abbé Petitot a suivi, en quelque sorte, Tordre
géographique en allant du nord au sud puisqu'il commence par les contes des
Esquimaux pour finir par ceux des Pieds-Noirs.
Dans sa préface, l'auteur insiste sur certaines réminiscences bibliques dont
plusieurs semblent anciennes, mais dont quelques autres paraissent plus ré-
centes et pourraient bien être de source chrétienne.
Nous ne nous étendrons point sur la ressemblance que l'auteur pense pou-
voir établir entre l'Amérique d'une part, et de l'autre l'Extrême-Orient, l'Egypte
et rOcéanie. Les opinions de M. l'abbé Petitot à cet égard demanderaient à
être soumises à un examen critique minutieux et détaillé. En tous cas, la lé-
gende relative à la formation de la Terre qu'on nous représente comme tirée du
fond de l'Eau mérite d'être signalée ; elle offre la plus étroite affinité avec les
récits des peuples du Canada aussi bien qu*avec ceux de diverses populations
de l'Asie et même de l'Europe ; nous pouvons la considérer comme une preuve
des relations ayant jadis existé entre les deux hémisphères. Nous ne sau**
rions, au reste, nous étendre sur chacun des récits contenus dans l'intéressant
ouvrage de M: l'abbé Petitot ; comme l'auteur le remarque fort justement, ceux
mêmes qui ont évidemment un fond commun diffèrent singulièrement de tribu
à tribu. On dirait que chaque peuplade s'est plue à les déformer et à en don«
ner une version différente.
Ajoutons que l'auteur a eu soin de donner des textes indiens avec traduction
interlinéaire. C'est un soin dont les philologues lui sauront évidemment beau-
coup de gré. On trouvera aussi dans l'ouvrage en question une liste des héros,
divinités et monstres, connus des Indiens Peaux-de-Lièvres.
Les détails dans lesquels nous venons d'entrer donneront une idée de l'a-
bondance des sujets traités dans l'ouvrage de notre missionnaire et de l'intérêt
que sa lecture offrira au mythographe.
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68 LIVRES ET BROCHURES
Rappelons, avant de terminer, que le texte indigène avec traduction inlerli-
Déaire de bon nombre de ces légendes doit paraître prochainement dans les
Actes de la Société philologique. Il serait à désirer que tous les missionnaires
aient montré un zèle aussi éclairé que celui de M. Tabbé Petitot^ la science au-
rait à sa disposition unti collection importante de textes dans des langues ou
déjà éteintes ou à la veille de disparaître.
Cte DB Gharbncey.
Ubie (M.). Holz-und Bambus-Gtorœthe aus Nord West Neu Oainea
(Kœn. Ethnograph. Mus, zu Dresden), Vï, Leipzig, Klinkhardt, 1886, in-fol.
mit 7 taf. lichdt.
Au cours de son voyage dans la baie du Geelvink en 1873, M. A.-B. Meyer
avait recueilli un certain nombre de pièces fort curieuses pour Tétude des ins-
tincts artistiques des Néo-Guinéens du nord. Ce sont ces objets, aujourd'hui
déposés au Musée Royal Ethnographique do Dresde, que M. Uhle vient de
faire connaître dans la sixième partie de la luxueuse publication éditée par ce
grand établissement.
Cest principalement à ornementer leurs pirogues que ces insulaires consacrent
leur talent de sculpteurs ; de Doréï aux Iles Schouten, ils façonnent habilement
des figures de proue dont le type varie d*une tribu à l'autre. Ici, ce sont de
longues et minces branches élégamment découpées à jour, surmontées de petites
tètes humaines au nez immense et à la perruque broussailleuse. Là, au contraire,
c'est une anse massive en forme d'S, taillée péniblement en une sorte de croco-
dilien fantastique. Plus loin, dans Test, des oiseaux, des têtes accouplées sur-
montent des pièces en forme de taUy simple ou double. On trouvera de bonnes
figures de ces divers ornements de proue dans les planches I et II du fascicule
que vient de publier M. Uhle.
La planche III représente une série fort curieuse de korwars de la baie du *
Geelvink. On sait que ces korwars sont des statuettes funéraires, qui jouent un
rôle extrêmement important dans la vie des Mafoors et des autres Papouas du
nord-ouest, mais dbnt l'influence ne dure que jusqu'au moment où un nou-
veau décès nécessite la fabrication d'un korwar nouveau. L'ancien, qui pourtant
contenait l'âme du précédent défunt, et qui était appelé à intervenir à ce titre
dans tous les actes, si minimes qu'ils fussent, qui intéressaient la famille, est
annulé par l'intervention du nouveau. Ce n'est plus qu'un vieux meuble qu'on
peut vendre ou jeter. C'est ce qui explique que les korwars ne soient pas rares
dans nos musées et que la grande collection offerte au musée du Tnocadéro par
le prince Roland Bonaparte en contienne jusqu'à dix,
M. Uhle nou3met encore sous les yeux des bambous finement sculptés, des
pointes de lances découpées suivant des profils variés, des cuillers, des disques,
et enfin des appuie-tétes d'un aspect caractéristique.
J'ai à peine besoin d'ajouter que les descriptions qui accompagnent les belles
planches photo-lithographiques de celte livraison ont été rédigées par M. Uhle
avec beaucoup de netteté et d'érudition.
E. Hamy.
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CORRESPONDANCE
BourgoiDg et Czemichew; projets d'expositions ethnographiques
à la un du dernier siècle. — Chez les Fingous. — Recherches
ethnographiques dans Tlle de Lancerotte.
Paris,
Le Jardin d'Acclimatation a reçu, pendant ces dernières années, des repré-
sentants de plusieurs populations exotiques; le public a pu les voir se livrer à
leurs occupations habituelles et mener sous un ciel nouveau leur vie de tous les
jours, autant que le permettait le lieu où ils étaient établis. Les Congolais
étaient un des grands attraits de l'Exposition universelle d'Anvers, et celle
d'Amstertiam offrait à la curiosité de ses visiteurs un assez nombreux groupa
d'Indiens de Surinam. Ces expositions ethnographiques sont donc aujourd'hui
à la mode; indépendamment de l'intérêt qu'elles présentent à tous, elles ne
sont point sans avoir quelque utilité scientifîque; Télude des Indiens de Suri-
nam réunis à Amsterdam a été le point de départ des études bien connues du
prince Roland Bonaparte, et la plupart des troupes d'indigènes du Jardin
d*AccIimatation ont fourni matière à d'intéressantes recherches pour les ethno-
graphes du Muséum et de la Société d'Anthropologie.
C'est un Français qui paraît avoir eu, il y a près de cent ans, la première
idée de ces exhibitions. M. de Bourgoing> alors secrétaire d'ambassade et
plus tard ministre de France près S. M. C, après avoir décrit, dans son
Tableau de l'Espagne contemporaine (1789), le Jardin des Plantes de Madrid^
ajoute :
« Ce qu'on ébauche, avec succès, en faveur des plantes, je me suis, dans
mes rêveries, plus d'une fois occupé de l'étendre aux trois règnes à la fois, en
donnant à tout l'emplacement que le Jardin botanique laisse encore vacant le
long du Prado, une destination unique sans doute en Europe et que le seul
monarque des Espagnes serait à même de remplir. Pourquoi ne le diviserait-il
pis en autant de compartiments qu'il y a de peuplades au moins principales
sous sa domination ? Il y établirait une famille de Péruviens, une de Mexicains,
une de Californiens, une d'habitants du Paraguay, une des insulaires de Cuba,
une de ceux des Philippines, etc.; chacune d'elle y conserverait son costume,
sa manière de vivre, chacune y construirait des habitations, modelées sur celles
qu'elle aurait quittées, elle y cultiverait les arbres, les arbustes qui auraient
ombragé son berceau, les plantes qui auraient fourni à ses premiers besoins,
et entouré de ces douces illusions, avec plus de raison que le jeune Polaveri
de Bougainviile, elle se croirait encore dans sa pairie. » (Chap. viii).
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70 CORRESPONDANCE
Dans la 4« édition de son livre (1807), Bourgoing reproduit ce passage et
ajoute en note :
c< J*ai appris que M. de Czernichew, ayant lu à Londres la première édition
de mon ouvrage, a^^ait vu que le vœu que j'exprime ici ne paraîtrait peut-être
pas chimérique à Timpératrice de Russie, connue par son goût pour les entre-
prises extraordinaires et qui, dans la variété de mœurs et de climats répandue
sur la surface de son empire immense, pourrait trouver à peu près les mêmes
ressources que le roi d'Espagne pour naturaliser sur les bords de la Newa
quelques-unes des peuplades qu'il renferme. Ce projet fut présenté à Cathe-
rine II. J'ignore s'il a été accueilli. »
L. DlLAVAUD.
Belhesda, via Mohale*s Vloek^ Basutoland^ Sud de V Afrique
26 novembre 4886.
Depuis la dernière lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire, j'ai eu l'occa-
sion de faire plus intime connaissance avec les Fingous dont je vous parlais
alors, ce qui fait que je vous envoie le croquis ci-inclus. C'est le portrait d'une
jeune fille fingoue avec les ornements de la danse, on ne peut dire le costume
de la danse; le costume étant le plus possible supprimé. J'avais appris qu'une fête
allait avoir lieu dans un village distant d'environ deux heures d'ici. Je demandai à
quelques-uns de nos voisins fingous qui devaient se rendre à cette fête» si une
de leurs filles ne pourrait pas venir chez moi afin que je fasse son portrait,
j'offrais même un petit payement, ma demande fut vite agréée. Quelques jours
après, au grand scandale des chrétiens bassoutos établis autour de notre sta-
tion, arrivaient deux jeunes filles fingoues, toutes souriantes et toutes luisantes
de la graisse dont elles s'étaient enduites. Supposant que leur costume de danse
serait quelque peu décolleté, je leur avais recommandé de venir vêtues des habits
qu'elles portent habituellement, mais cela n'avait pas du tout fait leur compte,
aussi arrivaient-elles en grande tenue ; des perles de tous côtés et de toutes
façons, colliers, bracelets, bandeaux* petit tablier, ceinture, et pas plus de
honte que de costume.
Je remis à mes deux visiteuses, Nkamaka et N'gamolache, de légers foulards
pour se couvrir au retour, mais à peine dehors la maison ils furent, je n'en
doute pas, transformés en turbans.
Comme je vous le disais, dans ce pays il n'y a guère que les Fingous qui
sachent travailler les peries ; je pourrai vous envoyer quelques échantillons de
leur industrie si cela peut vous paraître intéressant pour le Musée. L'orne-
ment que Nkamaka porte sur la poitrine est une tabatière, petite boîte en fer-
blanc, portant l'effigie de la reine d'Angleterre, que vendent tous les marchands
par ici.
Du reste, l'esprit des Bassoutos comme des Fingous n'apparaît pas seulement
dans les quelques ouvrages dont je vous ai envoyé l'infage. Ils sont loin d'être
des sots ceux qui appellent un pauvre : l'homme des hommes, (en bassouto :
màthà oa bàthô)j qui disent monna mongolo (homme grand) pour vieillard, et
pour lesquels le mot voleur {lesholu) veut aussi dire : un homme qui a faim.
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CORRESPONDANCE
71
Peut-être leur malice se manifeste dans le mot mort (lefu) qui signifie égale-
ment : maladie ; en tous cas, il ne prouve pas une grande confiance dans les
médecins indigènes qui sont aussi « sorciers » à l'inverse des nôtres.
vir«m«1ra î Fifl. 6. JcuBC fille fluffous BU costume de danse. (Daprès un dessin
^itamantt . r » ^^ g p^^^^ Christol.)
Émigrer (go falla) s'emploie aussi pour : mourir.
Leur esprit s'exerce surtout dans les noms un peu hétéroclites qu'ils donnent
parfois à leurs enfants. Mosela'ntja (la queue du chien) est un nom très fréquent;
ainsi que Ma'lipelaclo (la mère des arrière-pensées).
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72 CORRESPONDANCE
On peut voir aussi yisehiseng^ faites-moi rire, ou bien : MoWUise, celui qui
s'apporte lui-même ; ma thalane, la mère de la famine ; ÏUihomkOj le père du
sommeil, etc., etc.
Les proverbes, les dictons, offrent aussi un curieux intérêt.
Leùlo le ye mothô, le voyage mange l'homme ;
Lebithla la Rkômô Kelmothô, la tombe du bœuf, c'est Thomme.
Molatô ga o bole, une faute ne pourrit pas (ne s'oublie pas).
Motsamaï o va noya, celui qui voyage à pieds mange des serpents (de tout)«
Ngaka ga e iphekôle^ le médecin ne peut pas se soigner.
Nguana easa lleng o shuella tharing, l'enfant qui ne pleure pas sur le dos de
sa mère mourra.
Lefu le Koleng ea KolOj la mort est dans la couture de l'habit (c'est-à-dire
qu'elle est partout).
Mais je m'oublie; si je voulais vous parler des superstitions, cela serait
encore long et vous pourriez voir qu'il n'y a pas qu'en pays civilisé qu'on croit
à la « jettature » ou au mauvais œil
Fred. Christol.
Arrecife {Lancerotte)^ 3 mars 4887,
Mon voyage à Lancerotte ne m'a presque fourni aucun document. J'ai par-
couru toute l'île à diverses reprises et je n'ai pas été plus heureux que mes
devanciers. (1 semble que les habitants actuels mettent le plus grand soin à
faire disparaître toute trace de leurs prédécesseurs, de sorte que je n'ai pu
rencontrer que quelques débris de vase ou quelques restes humains qui ne
méritent en aucune façon les honneurs d'un musée. En quelques mots je puis
résumer mes observations.
Les grottes sont excessivement rares dans cette île et comme elles offraient
aux indigènes un meilleur abri que les mauvaises cabanes de pierres sèches
qu'ils fabriquaient dans les endroits où les abris naturels faisaient défaut, ils
les recherchaient de préférence pour en faire leurs demeures. Il semble qu'ils
n'aient jamais déposé leurs morts dans des grottes, ce qui s'explique facile-
ment par la rareté même de ces retraites si commodes pour les vivants.
Gomme je viens de l'indiquer les grottes naturelles sont peu communes et
n'existent pas dans toute l'Ile. Aussi trouvons-nous sur plusieurs points des
habitations construites de main d'homme. Ce sont des murs en pierres sèches
de 1"»,50 environ de hauteur, affectant une forme plus ou moins voisine du
rectangle. Le toit, s'il a existé, a complètement disparu. Quelques-unes de ces
maisons présentent des niches dans l'épaisseur des murs.
J'ai également rçtrouvé ici les casas hondas que Berthelot avait signalées à
Fortaventure, mais elles ne présentent avec celles décrites jusqu'à ce jour
qu'un seul point de ressemblance : c'est d'être en partie souterraines et en
partie au-dessus du sol. Â Lancerotte les casas hondas ne se distinguent à
première vue en aucune façon des monticules résultant de l'accumulation des
pierres que Ton enlève tous les jours des terrains cultivés. Mais en examinant
attentivement la partie supérieure, on observe, sur plusieurs points de chaque
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CORnESPONDANCE 73
monlicule ancien, trois ou quatre places qui ont été comblées récemment. En
déblayant ces emplacements de tous les matériaux nouveaux on voit appa-
raître des cavités, irrégulièrement circulaires, de 1"*,75 à 2 mètres de dia-
mètre, limitées par des murs formés de pierres disposées avec soin; ces murs
arrivent à 1 mètre environ au-dessus du sol avoisinant. Vues d'en haut ces
casas hondas ont alors Taspect de Tours à ouverture supérieure ; elles commu-
niquent entre elles par des couloirs couverts qui sont la seule partie réelle-
ment abritée.
Les morts, d'après les renseignements que j'ai pu recueillir et d'après mes
propres constatations, étaient toujours déposés dans une fosse creusée dans le
sol, entourée |ou non de pierres et recouverte ensuite d'un monticule de pierres
absolument comparable à ce que Ton désigne improprement à la Grande-
Canarie sous le nom de tumulus.
Je n'ai pu me procurer qu'un seul débris humain, une calotte crânienne qui
offre très accusés les caractères suivants ; courbe régulière en avant, méplat
pariéto-KMMsipital, renflement iniaque, aplatissement de la base et grand déve-
loppement des bosses pariétales.
L'industrie rappelle absolument celle de Fortaventure : les objets en pierre,
à part les meules, sont très bruts, mais en revanche l'industrie céramique était
arrivée à un degré qu elle n'avait point atteint à TénérifTe. Je ne puis entrer
dans des détails à ce sujet ; il me suffira de vous dire que, à en juger par les
nombreux fragments que j'ai rencontrés, la forme des vases, la cuisson, l'or-
nementation qui consiste toujours en lignes tracées en creux, sont lout à fait
semblables dans les deux îles du nord.
Il est donc assez probable que la race qui peuplait Fortaventure et Lan-
cerotte était la même et, par suite, il sera permis d'appliquer à la seconde de
ces îles les conclusions qui ressortiront de la première.
Il paraît en effet que Fortaventure renferme beaucoup plus de richesses
archéologiques, et j'û déjà de nombreux documents sur cette île. Dans cinq ou
six jours je serai dans le nord et j'ose espérer être plus heureux qu'à Lan-
cerott«.
J'entreprends demain matin des fouilles dans un endroit où on me laisse
entrevoir la possibilité de rencontrer quelques restes de l'ancienne population.
Quel qu'en soit le résultat, une fois ces fouilles terminées je quitte celte île.
D' Vebneau.
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NOUVELLES
Les sectes juives en Galicib. — M. Sacber Masoch, le romancier galicien
bien connu, étant de passage à Paris, a bien voulu, sur la demande du comité
de la Société des études juives, Taire avant son départ une conférence sur les
sectes juives en Galicie. Cette conférence a eu lieu le 10 janvier, au siège de
la Société, 44, rue de la Victoire.
M. Zadoc-Khan, qui présidait la séance, a, dans une courte allocution, pré-
senté le conférencier à ses auditeurs.
M. Sacher Masoch a parlé de deux sectes principales : les «Chassidim » et
les « Karaïtes », dont on trouve de nombreux représentants en Galicie. Ces
sectes n*ont rien de commun avec les anciennes sectes de la Palestine.
La première, celle des Chassidim, est, comme l'indique Tétjrmologie de son
nom, celle des fervents, des exaltés. Le Chassid, en effet, non seulement suit
rigoureusement les prescriptions de la loi, mais doit faire plus, I] s'impose une
multitude de privations, fait subir à son corps mille macérations : il s'abstient
de viande, de beurre, de miel ; il ne mange point d'œufs, il porte un cilice
dont TétofTe rugueuse meurtrit sa peau : en plein hiver, il se jette dans Teau
glacée des rivières.
Les Chassidim s'étaient fait aussi une règle de ne jamais séjourner plus d'une
nuit dans le môme endroit ; en se fustigeant, ils pouvaient entrer, croyaient-ils,
en communication avec les anges, avec Dieu même. Le plus souvent, ils se
livraient à Tétude de la Kabbala,
Israël Balchem, dont le nom signifie : homme capable de faire des choses
merveilleuses, fut le fondateur de cette secte. La légende s'est emparée de sa
vie : on raconte qu'il rendait la vue aux aveugles, qu'il ressuscitait les morts et
qu'il avait le pouvoir de sauver les âmes de l'enfer. On le racontait de son
vivant. C'était l'époque où Cagliostro et ses adeptes avaient prédisposé tous
les esprits à la croyance au merveilleux. Balchem eut bientôt de nombreux
disciples : ceux-ci, après sa mort, se répandirent en Russie et en Pologne,
malgré les anathèmes des rabbins. Ils obéissaient à l'autorité de « zadigs »,
sorte de papes qui sont aujourd'hui une centaine environ. Le Chassid ne paye
point le zadig en argent, mais il lui fait des présents, il ne le laisse manquer de
rien. L'obéissance parfaite au zadig est, avec la croyance aveugle en Dieu, le
premier de ses dogmes. Le jour du sabbat, les Chassidim se réunissent chez le
zadig dans une sorte de pique-nique où chacun apporte sa nourriture. Le zadig
distrait ses convives par ses improvisations sur les versets de la Bible quonlui
propose ; il chante des airs gais, il s'efforce en un mot de prolonger la
réunion, parce que, tant que dure le sabbat, la béatitude règne dans les cieux
et l'enfer se repose.
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NOUVELLES 75
Les Cbassidim croient aussi à leur réunion avec Dieu par la contemplation
de la divinité ; envers celui qui n'est pas Chassid, le Chassid doit faire preuve
d'une fermeté dans sa foi allant jusqu'à Tinsolence.
Après cet exposé de la doctrine des Cbassidim, M. Sacher Masoch a raconté
un voyage qu'il fit avec son oncle dans un village où se trouvait un zadig. Ils
se rendirent à travers des rues obscures bordées de maisons de bois à la
demeure du pontife chassid; au dehors, une foule impatiente, — juifs en
manches de chemise et en bonnet de peau de mouton, juives en robe verte, —
attendait le moment d'être introduite auprès du zadig. De toutes les communes
environnantes arrivaient aussi des visiteurs dans des véhicules traînés par ces
petits chevaux qui ont fait dire à un voyageur français du xviii* siècle : « Eu
Pologne, les habitants attellent de grands chiens. »
Pour bien comprendre les Cbassidim, dit M. Sacher Masoch, il faut connaître
le milieu où ils vivent Sur ces plaines mornes, sans limites, que le printemps
fleurit et que l'hiver couvre de neige, l'homme éprouve plus que partout ailleurs
le sentiment de l'infini : son esprit apprend à se recueillir, à se concentrer en
lui-même. U devient bientôt un Hamlet ou un Faust . . .
La seconde secte dont M. Sacher Masoch a parlé est celle des « Karaïtes ».
Ceux-ci sont les jansénistes juifs. Il ne faut point servir Dieu, disent-ils, dans
Tespoir d*être récompensé ; il ne faut point lui obéir dans la crainte d'être puni*
Mats il faut suivre sa loi parce que c'est la loi : on doit être vertueux par amour
pour la vertu. « Là où la révélation et la raison sont d'accord, disent aussi les
Karaïtes, nous suivons ce qu'elles enseignent de leur double lumière ; mais, là
où elles se contredisent, nous abandonnons la raison, bien qu'elle soit une
lumière divine, car si la raison était suffisante, la révélation serait superflue. »
Les Karaïtes rejettent tous les commandements qui ne sont pas expressément
contenus dans l'Ecriture. Salomon dit lui-même qu'il ne faut pas exagérer la
pitié. Les Karaïtes admettent le divorce en cas d'adultère, ils ne croient pas
aux démons, ils croient, quoi qu'on ait pu dire, à l'immortalité de l'âme et à la
vie éternelle. Une de leurs maximes est : « Si. tu ne peux ce que tu veux, tu
dois vouloir ce que tu peux. » Les Karaïtes sont sobres ; leurs prières doivent
toujours être dites en langue hébraïque ; ils restent debout en priant. Ils
observent rigoureusement le sabbat, et 'dès le vendredi soir n'allument plus de
feu, même par les grands froids qui régnent en Galicie. Il est vrai qu'ils peuvent
le faire allumer par des chrétiens.
On trouve des Karaïtes à Alep, à Constantinople, en Tartarie, en Crimée et
en Egypte : on en compte 40.000 en Galicie seulement.
Les Karaïtes s'interdisent tout commerce. Ils ne doivent vendre que les pro-
duits de leur agriculture ou de leur industrie ; tout trafic leur est interdit.
Ils parlent une langue mi-tartare et mi-hébraïque. Depuis quatre siècles, selon
leurs statisticiens, pas un Karaïte n'a subi en Pologne la moindre condamnation.
Les Karaïtes ne prêtent pas serment en justice : ils se bornent à donner au
juge une poignée de main, en signe d'affirmation. Leurs croyances leur inter-
disent de verser le sang ; aussi furent-ils pendant longtemps exemptés du
service militaire. A Theure actuelle, on les incorpore dans le service des ambu-
lances.
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76 NOUVELLES
Pour donner à ses auditeurs une idée de la bonne foi et des vertus des
Karaïles, M. Sacher Masoch a raconté, en terminant sa conférence, Thistoire
d*un intendant karaïte dont le maître, le comte Krassewski, était mort pendant
rinsurrection de 1846. Avant d*entrer en campagne le comte avait, en cas de
malheur, remis à son intendant un portefeuille contenant sa fortune.
Le comte mort et son château livré aux flammes, saTemme, la comtesse Kras-
sewska, se croyait ruinée lorsque Tintendant vint lui rendre, intact, le dépOt
qui lui avait été confié...
Et le vendredi suivant, au commencement du sabbat, Tintendant put entrer
la tête haute dans la synagogue, sur laquelle était écrit : « C*est ici la demeure
de Jéhovab, le juste doit s<^ul franchir cette port'^. »
Salomoniens cannibales. — Une lettre, datée du 13 décembre et de la ville
d*Apia, capitale d'Upolu (îles Samoa ou des Navigateurs), nous apporte la nou-
velle d'une scène de cannibalisme qui s*était passée quelques jours auparavant.
Un certain nombre de travailleurs mélanésiens, natifs de Tile Malaîta (archi-
pel Salomon), s'étaient embarqués sur un navire à destination de leur pays. £n
route, ils ont mangé Téquipage entier et ont ensuite pillé le navire.
Cette nouvelle a produit à Apia une émotion d'autant plus vive que Ton
croyait cette terrible coutume disparue à jamais. Le capitaine et le second du
navire étaient originaires d'Upolu où ils avaient femme et enfants; Téquipage
était composé d'indigènes de Rarotonga et autres polynésiens.
Aucun détail ne nous est encore parvenu, mais il sera sans doute très difficile
de savoir si ces cannibales ont agi sous Teffet d'une provocation.
Le correspondant ajoute : « J'étais dans le port lorsque ces insulaires des
Salomons ont été embarqués, ils étaient au nombre de soixante, y compris les
femmes et les enfants. »
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NÉCROLOGIE
BAYERN
Le savant, dont on vient de lire le nom, était surtout connu en France par les
analyses que M. Ernest Chantre avait données de ses travaux les plus intéres-
sants. [Contribution à Carchéologie du Caucase. Lyon. 1882, in -8.) Nous em-
pruntons les lignes qui suivent à Tarticle nécrologique que notre collègue de
Lyon a consacré au regrettable défunt qu'il connaissait si bien.
« Fixé depuis près de quarante ans à Tiflis, dit M. Chantre, Frédéric Bayern,
avec sa vieille expérience, sa connaissance approfondie de l'isthme caucasien,
qu'il avait parcouru, en quelque sorte, vallée par vallée, village par village,
était i'ftme de cette société intelligente et laborieuse des amateurs d'archéologie
caucasienne à laquelle on doit pour une si grande part la révélation des trésors
abandonnés par Fhomme à toutes les époques dans cette admirable contrée.
Comme naturaliste, Bayern est le fondateur du musée Caucasien, auquel il céda
généreusement, alors que ce musée appartenait encore à la Société de Géogra-
phie de Tiflis, ses belles collections de géologie, de minéralogie et d'entomologie.
Comme archéologue, il fut le premier à fouiller et à faire connaître les cimetières
préhistoriques de Samtbavro, de Stepan-Tzminda et de Redkine-Lager, sur la
grande route qui du passoge central du Caucase mène d'une part dans les
steppes de la Russie méridionale, et de l'autre en Arménie et en Perse. Nous
avons longuement exposé ailleurs les travaux et les découvertes de notre illustre
ami et correspondant. Qu'il nous sufflse de rappeler que, malgré les difficultés
d'une situation voisine de la misère^ malgré l'èloignement, malgré les obstacles
sans nombre que toutes ces circonstances ont trop souvent semé sous ses pas,
Bayern sut, au prix des plus grands sacrifices, se tenir au niveau de la science
moderne, et s'il n'eut pas toujours la force de résister aux entraînements de son
imagination, il mit^du moins au service de ses théories même les plus auda-
cieusesy une érudition d'une étendue et d'une sûreté qui étonnent. »
BERGE
M. Berge, dont le nom restera à côté de celui de Bayern sur la liste des
explorateurs du Caucase, a précédé de quelques jours dans la tombe son véné-
rable collègue. Collaborateur assidu de V Annuaire statistique du Caucase, dit
encore M. Chantre, M. Berge adonné dans ce recueil si habilement dirigé par
M. deSeidlitz, de remarquables études ethnographiques sur quelques-unes des
plus importantes peuplades de l'isthme ponto-caspien.
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The Year Book of New South Wales for 4 886, Sydney, Greville, 1885, 1 vol.
io-8 cart.
Jje directeur de la Revue, L' Éditeur-Gérant ^
E. T. HAMY. Ebmst LEROUX.
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Eitelp Philastre, Ymaïzoumî, Tomii et Yamala, ïn-4, avec planchea. , 15 fr,
TOME II
Recueil de Mémoires de Mnx Mûller^ Ymnïzouinîj P. Regnaiid| L^ Fe«r,
Csoroa de KoBroes. ln-4, avec planches .,*♦., 15 fr.
TOME ITl
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Millotié. ln-4, avec 48 p tanche» , . , . , , . 20 fr,
TOME IV
Recueil de Mêmoirea par E. Lefébure ^ F. Chabas, A. Colson, P. Kegnaud^
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Boud-lhri Cfikya Mouni, depuis sa naissance jusqu*à sa prédication^ traduit du
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U, BouRJA^ïT. L'éplise copie du tombeau de Déga.
V* LonsT. La stèle fie TAraxent Ameri-fiotep,
H, DuLAc. Quatre eontes arabes en dîftiecle cairote.
V. LoHET. La toml>e de Ktiam Ha.
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Deuxième fascicule
G Maspero. Trois années de fouilles dans les tombeau s de Thèbe?
M(HnpiÛ9,
U. BouBiAKT. Les papyrus d'Akhmim
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In^4, avec dpl^ en eouleur/^ pL noires, 4Qpl. de musique^ . 40 l'r.
Troisième fascicule
U, Bo*miA.MT. Rapport au ministre de l'i instruction publique sur une mission
dans in Haule-E^ypte (18H4-1885)*
P, BAVAiâSR. F^^ssai sur l'histoire et sur la Lopograpbîe du Caire d' après Makrizi
(Palais clés Khalifes Katimites)» Avec pLins en couleur.
r^H» ViREY^ — Étude sur un parchemin rapporté de ThÈbeâ. Avec une hélio-
gravure du ppyruSj en quatre planches.
Prix : 30 fr.
Quatrième fascicule (sous presse)
PlècKS BBLATIVKS A LA FONL^ATION ET A L*HtSTOmE Dg LA MÎS5J0M AftCtlÉOLOGIQUe
FRAwgAîSE AU CAmSi peniïant In première p-^rioiietle son existence (1880-1886).
Rapï^obt sur le DÉVELOPPE!!iïE*NT DES H0MÎÊ3 ROYALES de Déiï el Bail an ^ par
M. Maspero.
Ginquième fascicule
Lss HYpoGjâsa nOYAijx ae Thèbe?, par M. lï. L^PÉiiaRE.
Ite division : Le tombeau de Séti h', publié in extenso avec la coUûboratioa
de MM. Lf» BounLiNT et V» Loret, memlires de la miBaion archéologique du
Caire et avec le concours de M. Edouard Naville.
In-ij avec 136 planches* , . 75 fr.
A^QKt^l», IMfHIMKlHl^ B L H D m KT c'», n U K GARNI Rit
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REVUE
D'ETHNOGRAPHIE
FEJÛLiAE $0US les ADSFICES DU tfmST^mC DE L INSTRUCTION POBLtaLK
El' nm RKAUX-AnTS
Par le D^ HAMV
TOME SIXIÈME
K' 2. - Hari-Avrll.
/r PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RVS OO'APARTE, 28
1887
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A
SOMMAIRE
HitMOmKS OlUGIItACK :
La. colonie de Porto Novo et le roi Tofla D' Baoim*
Le« Indieiiâ de l'Ëta.! de PaoaD] &....,...,.,»*..*....««,,,.,*«... A. Pinabt.
Lee dolmens de Guyotî^ilie, Algérie . . , . , . , * Kobsut.
Décades américaines {suiiej ..,,*» ,»,,,.,.*»... .»,,,,♦. E ,-T, Haut*
HivtES rr A^saltaës, -^ Livres et Brocburm :
Eau. (Ch.). Prehtslork Fishing in Europa and Norlh Am€t*îca.M.. B.-T. Ha«î\
}Aejaiir& a'Eslrej. Tribus aborigènes du centre de Céièhes.,. ,,.. id*
JuEi (H.)* ^^* «>^J'* rf" .^'ou/', ,,.*,♦.,**, * . ♦ , id.
Lewla. The mound$ Qf De-coo'dah „ Id.
Académies et Soc(été9 savantes ;
Académie des Intcriptioas et Betles^Leltrei , id^
ExpoimoNâ, Collections st Musses ;
La collection B aller au ni usée du Trocadéro. ..«*....*,*,. J.>E< Delaceoix.
CoRl^ES^ONl>ASci♦ ^ Nècrolooib, — Bmuû graphie Perrieb. Cuafpaptjow , . E.*T, Haut.
CONDITIOINS DE LA PUBLICATION
U REVUE D*ETHNOGRAPHIE paraît tous les deux mois, par fascîculed iii4
r&isin^ de 6 feuilles d'impression, richement illuslrées»
Prix de rabannement annuel : Paris 26 fr. *
— '— Départements ,,,»!, 27 60
— — Étnujger .,,».,.,.,, 30 j*
Un numéro, pris &u Bureau , .«..,,,...,•,.«..,.. & »
TARIF DES -\NNONCES
Une page * . . « « , 30 fr. »
Une 1/2 page. ..,.,*...... ^ , .... « 20 >
TûUâ l€S ouvrages tni^Qyés à lu Bévue y S4St*ùnî annoncés ei^ é*il y a Heu^ analysés,
S'ttdreteer, pour t^ut ce qui coaeeroe ta Hédacliou» au D^ HAMY, 40, rue de Lubeck.
ERNEST LEROUX, Éditeur, rue Bonaparte, 28,
NUMISMATIQUE DE L'ALSACE
Far AETHUE ENGEL et ERNEST LEHR
Uiî b«ftu volume in-l, arec 46 planches en pbototypie. , . , . 50 fr.
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MEMOIRES ORIGINAUX
LA COLONIE DE PORTONOVO
ET
LE ROI TOFFA
Par le D' A. HAGEN
Médecin de 2* classe de la Marine.
Depuis quelques années, les questions de colonisation sont à
Tordre du jour et préoccupent vivement en France l'opinion
publique. Chaque nation européenne dispute à sa voisine toute
parcelle de territoire inoccupée, si petite fût-elle, en Afrique,
en Océanie, en Asie. Il m'a donc paru utile d'attirer l'attention
sur une partie de la côte occidentale d'Afrique, sur un pays où
flotte noti'e pavillon, où nos commerçants trafiquent, grâce à la
protection qui leur est accordée.
La côte des Esclaves n'a pas été, jusqu'ici, le but des re-
cherches des explorateurs ; les rares géographes qui en parlent
donnent sur le pays peu de renseignements et sur la ville de
Porto-Novo, en particulier, presque aucun détail. L'insalubrité
excessive du climat, la difficulté des communications avec l'in-
térieur du continent, telles sont les causes qui, entre autres,
peuvent expliquer l'abandon dans lequel on a laissé cette con-
trée.
Cependant, pour quiconque a habité ce pays, l'intérêt y est
aussi grand qu'en d'autres points plus connus : l'ethnographe y
observe des mœurs et des habitudes nouvelles, le commerçant
peut y faire un trafic rémunérateur et le naturaliste une moisson
nombreuse de plantes inconnues, d'insectes non classés.
VI MARS-AVRrL
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82 LA COLONIE DE PORTO-NOVO
Historique. — Porlo-Novo est situé à la côte occidentale
d'Afrique, dans la partie appelée côte des Esclaves ; c'est la
capitale d'un royaume borné à Test par la colonie anglaise de
Lagos, à Touest par le Dahomey, au nord par les populations
sauvages appelées Yorubas et au sud par les bords du golfe de
Guinée.
Ce n'est pas une colonie proprement dite comme le Gabon, le
Sénégal, que la France occupe en ce point. Notre gouverne-
ment y exerce un simple protectorat ; nous avons laissé aux indi-
gènes leurs mœurs, leurs coutumes, leur roi. Mais toutes les
relations extérieures du royaume sont dirigées par le résident
français, commandant de Porto-Novo. Seul il est chargé de
régler les différends survenant entre les Européens et entre les
noirs nés en dehors du royaume. C'est de concert avec le roi
qu'il rend la justice dans les discussions qui s'élèvent entre les
blancs et les indigènes purs.
L'occupation du pays est de date toute récente ; elle remonte
à trois ans au plus. Il est vrai qu'une tentative d'occupation
avait déjà été faite en l'année 1863.
A cette époque, le roi Sodji, père du roi actuel Toffa, crai-
gnant les empiétements de ses voisins anglais, adressa une
demande de protectorat à la France, par l'intermédiaire des
commerçants établis à Porto-Novo. Le gouvernement impérial
accueillit cette demande et accorda sa protection. Nous avions
tout intérêt à prendre possession du pays ; de plus, il y avait
nécessité pour la civilisation à ce qu'une nation européenne s'y
installât afin de surveiller plus étroitement la traite des esclaves
qui se faisait toujours.
Une petite canonnière appelée « Dialmate » promenait les trois
couleurs françaises dans la lagune sur les bords de laquelle est
bâtie Porto-Novo. Son commandant était aussi chargé de l'exer-
cice du protectorat. L'administration du pays fut facile pendant
la durée du règne du roi Lodgi. Ce dernier, dévoué à la France,
ne cherchait pas à mettre obstacle au protectorat ; tous ses efforts
tendaient, au contraire, à ce qu'il fut exercé d'une façon utile,
efficace pour son pays et la civilisation.
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ET LE ROI TOFFA 83
Malheureusement, le roi Sodgi mourut en 1864. Il fut remplacé
non par son fils, mais par le prince Messi qui appartenait à une
autre branche de la famille royale. Rétif à toute influence euro-
péennne, quelle que fut la nation qui voulut la lui imposer, le
nouveau roi suscitait des difficultés continuelles au résident
français; et ne cachait pas son désir de nous voir quitter le
pays.
Aussi, à la suite d'un incident que je vais relater, le comman-
dant français se décida à abandonner le protectorat en juin 1864.
Voici cet incident : le commandant avait appris que, contraire-
ment aux traités, le roi Messi continuait à vendre et à acheter
des esclaves. 11 ne pouvait tolérer une telle violation de toutes
les conventions. 11 envoya donc son interprète faire des observa-
tions à ce sujet au roi. Cet interprète était porteur de la canne;
du résident. Or, d'après les habitudes du pays, toute insulte
faite à celui qui porte la canne d'une personne, rejaillit sur
cette personne elle-même. Dans le feu de la discussion, le roi
Messi s'emporta au point de prendre le bâton de l'interprète et
de l'en frapper.
On ne pouvait supporter une telle insulte et continuer à
protéger un pays dont le chef se conduisait si mal à Tégard de
son protecteur. Aussi, je le répète, le protectorat fut abandonné
en juin 1864. *
Cet abandon eut des conséquences fâcheuses. De 1864 à
1883, on ne vit plus apparaître que rarement des représen-
tants officiels de la France ; notre pavillon resta confié aux
maisons françaises de Marseille établies dans le pays. Aussi,
profitant de notre départ, les Anglais commencèrent à pénétrer
d'une façon plus directe dans le royaume de Porto-Novo. Us
cherchèrent à entraver les transports de nos négociants, à éli-
miner les produits français du marché. Enfin, démembrant le
royaume, ils s'agrandirent à ses dépens.
Aussi, craignant de voir les Anglais s'annexer purement et
simplement son territoire, le roi actuel, Toffa, qui avait succédé
au roi Mecpon, eut recours à la France. Après bien des pourpar-
1ers, la demande de cette Majesté en détresse fut accueillie.
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84 LA COLONIE DE PORTO-NOVO
Le 2 avril 1883, le protectorat était rétabli. 11 fonctionne depuis
cette époque.
Après cet exposé historique de notre situation et de rétablis-
sement de notre protectorat, j'entre directement dans mon sujet
et je me propose de traiter différents points qui feront connaître
au lecteur, les mœurs et habitudes des indigènes.
PortO'Novo, — Le royaume de Porto-Novo contient environ
250,000 habitants qui sont, les uns de race ^^^^^ les autres
de race nago. Les Gèges viennent du Dahomey et se sont établis
vers la fin du siècle dernier à Porto-Novo. Ils ont imposé leur
autorité aux Nagos qui ont été les premiers possesseurs du sol,
mais qui sont actuellement la race conquise. C'est des Gèges
seuls que sortent le roi et les principaux chefs. La plupart des
Nagos sont esclaves et c'étaient eux qui formaient autrefois la
cargaison des négriers à Tépoque de la traite. Ils avaient, dans
les colonies de l'Amérique du Sud, la réputation d'être de solides
travailleurs.
J'insisterai plus loin sur les caractères physiques et ethnolo-
giques qui séparent ces deux races.
Ville européenne. Ville indigène. — La principale ville du
royaume*est Porto-Novo. Elle renferme environ 25,000 habi-
tants; c'est la seule importante de cet État. Après elle, on ne
rencontre plus que des villages de 260 à 300 habitants, très
rapprochés les uns des autres en certains points, très disséminés,
en d'autres.
Cette ville est bâtie sur les bords d'une lagune assez large et
profonde. Des navires d'un petit tonnage peuvent y naviguer
sans dangers. Ce n'est pas un marais à eaux croupissantes ; il y
existe, pendant toute l'année, un courant de cinq à six milles^
que les indigènes savent très bien utiliser pour leurs transports.
C'est par cette lagune que Porto-Novo communique, d'une part :
avec la colonie anglaise de Lagps, d'autre part, avec la mer par
l'intermédiaire de Cottonou. En ce dernier point se fait le débar-
quement des passagers et des marchandises à destination de
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ET LE ROI TOFFA 83
Porlo-Novo, qui est éloigné de 30 kilomètres. Ce lieu de débar-
quement passe à juste titre pour un des plus mauvais, un des
plus dangereux de la côte d'Afrique. Le danger provient de
l'existence d'une barre formée par des courants sous-marins ou
par des bancs de sable mouvant. On ne peut la traverser qu'à
l'aide de petites pirogues montées par des indigènes. Or, cin-
quante fois sur cent, on risque de chavirer et d'être la proie des
requins qui pullulent àCottonou.
Pendant mon séjour en ce dernier point, j'ai été témoin d'un
accident qui m'a impressionné vivement. Une pirogue venait du
large et s'apprêtait à passer la barre, lorsqu'elle chavire. Tous
les canotiers sont jetés à la mer; un d'eux est entraîné au fond
de l'eau, puis reparaît en même temps que des flots de sang se
répandent autour de lui. On le voit de nouveau disparaître et
jamais il n'est revenu à la surface. Un requin l'avait dévoré et
entraîné au loin. Les cartouches de dynamite qu'on jette en
grande quantité à la mer, ne font qu'atténuer légèrement le
danger.
Mais revenons à Porto-Novo. Cette ville se compose de deux
parties bien distinctes : l*' la ville européenne, 2** la ville indi-
gène.
C'est dans la première que sont construites les principales
factoreries européennes qui font le commerce d'amandes et
d'huile de palme. Ce sont généralement de grandes et larges
maisons bien aménagées à l'intérieur, entourées de balcons,
munies de vérandas. Cette partie de la ville est relativement
agréable à habiter; la propreté y est très grande, les travaux
de voirie n'y existent pas à Fétat rudimentaîre comme dans la
ville indigène ; de grands jardins séparent entre elles les maisons
et de larges voies permettent de communiquer d'un point à un
autre.
Je n'insiste pas davantage sur la ville européenne. Elle n'a
pas le cachet original qui appartient uniquement à la ville
indigène.
De petites ruelles étroites, tortueuses, sillonnent la ville nègre
en tous sens et de toutes parts. Los maisons sont de hauteur et
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86 LA COLONIE DE PORTO-XOYO
(retendue variable et entassées les unes sur les autres. Elles sont
construites avec des matériaux pris sur place.
La terre, destinée à former les murs, est recueillie à la porte
même de la maison future. On creuse ainsi de vastes trous qui
sont autant de cloaques remplis d'une eau croupissante. Ces
trous ne sont jamais comblés, l'indigène } jette tous les détritus
animaux et végétaux. Ils s'y altèrent lentement et sont les causes
de rinsalubrité de Porto-Novo. Pendant mon séjour en cette
ville, j'y ai vu deux cadavres humains qui sont restés pend€Lnt plu-
sieurs jours exposés aux rayons d'un soleil ardent. Il ne vint à
ridée de personne de les enfouir ; ils avaient été tués par le roi,
donc ils étaient sacrés.
Quelques indigènes construisent leurs maisons uniquement à
l'aide de bambous retenus par des lianes ou cipos. On n'emploie
jamais la pierre ; elle est inconnue dans tout le royaume de
Porto-Novo. La toiture estétayée par des solives provenant d'un
arbre très utile et abondant dans le pays, le cocaire. Cette toiture
se compose de branches, de feuilles de palmier. Le roi, seul, a le
droit de se servir de matériaux européens pour construire son
palais. Seul aussi, il peut le recouvrir avec du zinc ou avec des
tuiles.
L'intérieur de chaque case est aménagé suivant la richesse
du propriétaire. Quelquefois il n'y a qu'une seule chambre où
toute la famille se tient, fait sa cuisine et dort. Chez les grands
chefs, qui aiment à s'entourer du confort européen, il y a plu-
sieurs appartements donnant sur une grande cour entourée
d'arcades. C'est dans cette cour que les indigènes attendent avant
d'être reçus par leur cabécère (chef indigène).
La ville se divise en plusieurs quartiers placés chacun sous
l'autorité d'un chef spécial et portant un nom particulier. C'est
ainsi qu'on distingue les quartiers appelés Ataké, Sadonion,
Békon. C'est dans ce dernier point qu'est situé le palais du roi
ToÉfa. Il consiste en un amas de maisons bâties en terre et cou-
vertes avec des branches de palmier ; il sert de logement à la
famille du roi et à son nombreux sérail. La salle de réception,
qui n'est ouverte que les jours de gala, est située dans un bâtî-
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k
ET LE nOï TOFFA 87
ment spécial^ construit à l'européenne. Son ameublement consiste
en un canapé ou trône royal, et quelques fauteuils recouverts^
d'une housse, que le roi enlève lui-même, quand il fait les hon-
neurs de son palais aux visiteurs.
Le roi possède un autre palais dans Tin té rieur même de la
ville, sur la place du marché principal. Il ne diffère du premier
que par son aspect plus modeste. Enfin le prédécesseur du roi
Toffa, Mecpon, avait commencé à construire une résidence royale
pour lui et sa famille. Mais il fut détrôné par Toffa et les travaux
ont été interrompus. Il ne reste plus que des murs d'une certaine
hauteur.
Comme autre monument, il n'y a rien de remarquable. Les
mosquées des musulmans, les temples des féticheurs sont bâtis
suivant les règles de l'architecture la plus élémentaire. Le voya-
geur qui visite une première fois Porlo-Novo, est intéressé par
le spectacle des rues. Celles-ci sont en effet très animées : on ne
rencontre que femmes portant des caisses de genièvre, de muscat,
manœuvres roulant des tonneaux dé tafia, indigènes se ren-
dant aux factoreries avec leurs pots d'huile de palme ou avec
leur sac d'amandes. Les marchandes à la criée ne sont pas incon-
nues. Chacun peut acheter, dans la rue, la nourriture habituelle
de l'indigène ; poisson fumé et boulettes d'acaça (farine de maïs
bouillie). Dans les cuisines établies en plein vent, on vend au
passant des friandises qui sortent toutes chaudes de l'huile de
palme bouillante.
Mais ce qu'il y a de vraiment intéressant, c'est le grand marché
de Porto-Novo, qui se tient tous les deux jours sur la place pu-
blique où est bâti le palais du roi. Sur les côtés de cette place se
trouvent des arcades sous lesquelles des femmes accroupies
vendent des produits européens, tels que verroterie, mercerie,
liqueurs, tissuls. Tel coin du marché est réservé aux plantes mé-
dicinales ; tel autre à l'huile de palme raffinée ou au bois à brûler,
ou aux tissus fabriqués au Dahomey, ou à la maroquinerie mu-
sulmane, ou à des objets de coquetterie indigène : bracelets en
cuivre, en verre, fard, pierre rouge spéciale pour se teindre les
mains, les pieds et le bord des paupières. Enfin un autre coin du
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88
LA COLONIE DE PORTO-NOVO
marché est réservé aux bananes, cocos, oranges, mangues,
patates, ignames, etc.
Qu'on se représente cette place où se vendent les produits
africains et européens, au milieu de laquelle circule ime foule de
nègres criant, gesticulant, dépenaillés ou ornés de leurs habits
de fête et on aura un spectacle curieux. Il a toujours vivement
intéressé les rares Européens qui venaient à Porto-Novo dans le
seul but de satisfaire leur curiosité.
Pendant la nuit, la ville est très calme, excepté les jours de
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ET LE ROI TOFFA
89
fête où le roi et les grands chefs s'amusent. Le nègre ne se
hasarde pas volontiers le soir dans les rues de Porto-Novo. Il
redoute par-dessus tout les agents de police du roiToffa, c'est-à-
dire les Ambetos. Les indig-fenes chargés de ce service, se portent
Fig. 8. Statue en bois sculpté de Porto-Novo.
à l'entrée des carrefours. Ils ont pour consigne d'arrêter chaque
passant et de s'informer où il va et d'où il vient. Pour en imposer
davantage au nègre superstitieux, ils seblotissent sous une hutte
en paille mobile et construite d'une façon particulière. Cette hutte
terminée en pointe et haute de IS mètres les recouvre complète-
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90 LA COLONIE DE PORTO-NOVO
ment. Lorsqu'ils s'avancent à la rencontre d'un nègre, ils la
portent sur leurs épaules de façon à être caché des pieds à la tête.
Une ouverture placée au milieu, leur permet de reconnaître celui
auquel ils s'adressent. Aucun nègre ne se permettra de les tromper
ou de leur échapper. Tous sont persuadés qu'un génie malfaisant
est caché sous cette case ambulante.
Organisation politique. — On pourrait croire que, chez ces
populations primitives, le sentiment de Tautorité a disparu et
que seuls les hommes audacieux ou supérieurs par leur force
physique sont écoutés et obéis. Il n'en est pas ainsi. A Porto-
Novo un gouvernement stable existe, une administration régu-
lière est établie suivant des lois qui se perpétuent de génération
en génération et sont rarement transgressées.
La royauté à Porto-Novo, est absolue dans la plus entière
acception du terme. Tout au-dessous du roi, rien au-dessus. Le
roi a droit de vie et de mort sur ses sujets ; tous les biens de ces
derniers lui appartiennent. Le sol n'a pas d'autre propriétaire
que lui. Aujourd'hui il donne telle parcelle de terre à tel individu,
demain il la lui enlèvera pour la donner à un autre. Son bon
plaisir est sa seule règle, son unique loi.
La monarchie est héréditaire mais non de père en fils. Deux
familles se disputent le trône et c'est à tour de rôle que l'aîné
d'une de ces deux familles est proclamé roi et jouit des préroga-
tives attachées à ce titre.
En vertu de son traité avec le roi actuel TofFa, la France, à la
mort de ce dernier, doit installer sur la trône son fils aîné. Nous
avons dû lui promettre cette récompense au moment de l'établis-
sement de notre protectorat. Mais il est à craindre que le peuple
n'accepte pas facilement celte violation des règles suivant les-
quelles doit se faire la transmission du pouvoir.
Les occupations de ce roi indigène sont assez nombreuses. Il
fait la police, et seul a le droit de régler les différends qui
s'élèvent entres indigènes purs, c'est-à-dire entre nègres nés
dans son royaume. Il rend donc la justice, mais d'une façon
assez sommaire. Les deux parties paraissent devant lyi et ex-
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ET LE ROI TOFFA 91
pliquent l'affaire qui les concerne. A un moment donné, le roi
interrompt les plaideurs, et si Tun d'eux lui a fait un riche
cadeau, il tranche toujours en sa faveur. « Toi, tu as raison »,
dit-ii à l'un. « Toi, tu as tort », dit-il à l'autre. Pas de considérants,
pas de ministère public, pas de défense. Dans les cas embarras-
sants le roi a recours aux fétiches ou à d'autres pratiques qui
rappellent celles employées au moyen âge pour le jugement de
Dieu. L'accusé est obligé, par exemple, de porter un chapeau
pointu, muni sur ses bords de clochettes. II doit faire un certain
parcours avec ce chapeau sur la tête. Si une des clochettes se
met en branle et produit un son, l'accusé est déclaré coupable ;
si, au contraire, tout reste silencieux, c'est que le fétiche reconnaît
l'inculpé comme innocent. Dans d'autres cas on lui fera avaler
une boisson qui sera anodine ou dangereuse suivant que la famille
aura ou n'aura pas fait un sacrifice au fétiche et donné un ca-
deau au prêtre.
Avant l'installation française, le roi déclarait aussi la guerre
aux peuplades voisines. Mais depuis que la France est établie à
Porto-Novo, il a licencié son armée et transformé une partie
de ses soldats en danseurs.
Le roi donne de plus audience tous les matins,' à ses chefs ou
cabécères qui viennent l'entretenir des affaires de la ville et du
royaume ; chacun de ses sujets a aussi le droit de se présenter et
d'être admis devant sa Majesté pour lui exposer telle ou telle
palabre.
Enfin les Européens qui arrivent à Porto-Novo vont toujours
lui rendre visite et lui présenter leurs salutations. Voici comment
se passent ces audiences. D y en a deux sortes : dans l'un des cas,
la réception est simple, dans l'autre, le roi déploie un certain luxe.
Quand un visiteur de peu d'importauce désire le voir, Toffa le
reçoit dans une petite cour sur l'un des côtés de laquelle se trouve
un hangar. C'est là que sa Majesté trône sur un lit dont il ne
reste plus que les panneaux vermoulus. Une natte est étendue et
le roi y reste quelquefois couché pendant toute la durée de l'au-
dience. Il est vêtu d'un pagne ou pièce de toile blanche dans la-
quelle il se drape, comme à l'antique. Ses bras sont ornés
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92 LA COLONIE DE PORTO-NOVO
de bracelets en verre ou en cuivre, il est coiffé d'un bonnet de
colon recouvert d'une casquette d'amiral portugais ; il est géné-
ralement pieds nus. Ses ministres et favoris sont accroupis à
terre. L'un d'eux sert d'interprète, car il est défendu de parler
directement au roi. Un autre est choisi parmi les plus anciens
du royaume. Son rôle consiste à renseigner le roi sur ce qui
s'est passé avant sa naissance. Dans ces pays, il n'y a ni livres,
ni histoire écrite : il faut donc avoir recours à ceux qui ont
une vie déjà longue pour connaître les événements passés.
Quand on s'approche du roi, le cérémonial diffère suivant que
c'est un indigène ou un Européen qui se présente. Si c'est un
noir, celui-ci doit se prosterner à terre, et, faisant claquer par
un mouvement spécial, les doigts d'une main dans la paume de
l'autre, embrasser le sol trois fois avant de pouvoir se relever.
Puis il reste accroupi pendant toute la durée de l'audience. Au
moment du départ, même cérémonial. Personne n'en est exempt.
Les grands chefs, les enfants du roi doivent s'y soumettre.
Si c'est un blanc qui est reçu par le roi, celui-ci lui tend la
main, puis il lui offre une chaise près de lui. La conversation
s'établit, banale, roulant sur les récoltes, la tranquillité du pays,
etc. A un moment donné, sur un signe du roi, un des ministres
se détache du groupe et va chercher une bouteille de bière ou de
Champagne. L'étiquette défend au roi de boire en public. Mais il
a toujours soin d'offrir une boisson quelconque à tout Européen
qui vient lui rendre visite. Cela fait, on se lève, on se retire après
avoir serré la main du roi à plusieurs reprises.
Quand, au contraire, c'est un visiteur d'importance qui se pré-
sente devant lui, le roi déploie une certaine pompe. Dans une
vaste cour sont assemblés les grands chefs et cabécères, tous
accroupis à terre et accompagnés de leurs esclaves ou serviteurs.
Ils sont vêtus de leurs habits les plus malpropres ; la loi leur
défend d'être habillés d'une façon luxueuse quand ils paraissent
devant le roi. Sur un des côtés de la cour sont installés deux
grands parasols devant abriter le ou les visiteurs. Les liqueurs
et gâteaux sont préparés à Tavance. Puis, tout à coup, une porte
s'ouvre et l'on voit le roi assis sur un canapé dont le crin s'é-
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ET LE ROI TOFFA 93
chappe parplaces et dont Tétoffe est déteinte en bien des endroits.
Il est entouré de ses femmes vêtues de soie et pieds nus. Les
favorites ont le droit de s'asseoir près de lui sur le canapé. Il est
habillé d'étoffes de couleur bleue et rouge, il est chaussé de pan-
toufles brodées sur lesquelles son nom « King Toffa » est écrit ;
il porte une casquette dorée avec son chiffre. Le cérémonial, à
l'arrivée et au départ, est le même que dans la petite audience.
Les revenus du roi consistent dans les produits des vexac-
tions qu^il commet à Tégard de son peuple et surtout dans les
droits mis sur les marchandises d'exportation. Ils s'élèvent à la
somme de 200,000 francs environ qui lui servent à entretenir
son nombreux sérail. Toffa possède près de cent femmes qui lui
ont été données par ses sujets et sont devenues ses esclaves. Un
père de famille donne souvent ses filles au roi pour s'attirer ses
bonnes grâces. Ces femmes ne sont pas enfermées dans un palais
spécial, elles peuvent faire du commerce et ont le monopole de
certaines marchandises. Défense à tout indigène de les toucher :
la peine capitale serait la punition. Elles sont reconnaissables à
une manière spéciale de natter leurs cheveux. Chaque jour et
chaque nuit deux femmes sont de service près du roi ; elles sont
désignées par la duègue qui a la haute direction sur tout le sérail.
Si, par hasard, le roi jette le mouchoir à une femme qui n'ait pas
été désignée, il doit lui faire un cadeau le lendemain, lui donner
soit une pièce de tissu, soit une caisse de genièvre.
De prime abord, Toffa semble jouir de l'autorité la plus abso-
lue. Cependant, il existe, au-dessus de lui, un grand conseil qui
a le droit de manifester son opinion et de donner son avis. Les
membres, qui le composent, sont nommés par le roi, mais ce
sont eux aussi qui le nomment et le font reconnaître par le
peuple. Si l'on considère chacun d'eux pris en particulier, ils
sont peu puissants, et le roi conserve à leur égard le droit de
vie et de mort. Néanmoins, quand l'un d'eux parle au nom des
autres, il est rare que le roi ose s'élever contre leur opinion ; ils
jouent le rôle que remplissaient les grands seigneurs feudataires,
au moyen âge, près des rois de France. Ce grand conseil se
compose de :
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94 LA COLONIE DE PORTO-NOVO
1" VApologanoUy grand chef des prêtres;
2* Le Mir/an ou l'exécuteur des hautes œuvres ;
3® Le Gagan ou grand chef des soldats ;
4** là'Aboton ou ministre du commerce.
L'Aboton est de plus chargé de Fexercicc du pouvoir dans Tin-
terrègne qui sépare le décès d'un roi de la proclamation de son
successeur.
Toutes ces places sont héréditaires de père en fils ; elles rap-
portent des biens et des honneurs à ceux qui en sont investis.
En outre des cadeaux que le roi est obligé de leur faire, ils ont
le droit de pressurer le pauvre peuple taillable et corvéable. Es
arrangent les petites discussions ou palabres, mais ne rendent
pas la justice d'une façon gratuite. De plus, ils jouissent de
certaines prérogatives royales : ainsi tout indigène qui les
rencontre dans la rue, doit se prosterner à terre en embrassant
le sol avant de pouvoir se relever et continuer sa route. Es se
font précéder de deux ou trois petits enfants esclaves chargés de
porter l'un le sabre, insigne de la fonction, l'autre le parasol
réservé au roi et aux grands chefs.
La hiérarchie ne s'arrête pas à ces ministres. Au-dessous d'eux
viennent les cabécères. Es sont chargés de la police de certains
quartiers ; ils prélèvent les impôts au profit du roi et pour leur
propre compte ; quelques-uns sont placés à la tête de tel ou tel
village. Dans ce cas, leur autorité y est grande mais leur respon-
sabilité est lourde aussi. Toute révolte, toute affaire préjudiciable
au roi leur coûte souvent la tête.
L'indigène leur rend des honneurs analogues à ceux accordés
aux membres du grand conseil. De plus, leurs femmes ont le
droit de se natter les cheveux comme le font les épouses
du roi. Enfin viennent les lazis ou favoris du roi. Moins
élevés en grade que les cabécères ou les grands chefs, ils sont
peut-être plus puissants. Certainement, ils sont plus hîus par le
peuple. Ce sont généralement d'anciens esclaves que le roi a
affranchis et attachés à sa personne. Approchant à chaque instant
Sa Majesté, ils ont su capter sa confiance et s'en servir pour le
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ET LE ROI TOFFA 95
mieux de leurs intérêts. C'est par leur intermédiaire que Tofia
communique avec le résident français: ce sont eux qui sont
chargés de porter ses messages ou récades. Comme leur influence
n'a pas d'autre garantie que le caprice du iroi, ils savent en
profiter pour le mieux de leurs intérêts et se font payer leurs
complaisances le plus cher possible.
Enfin, au bas de l'administration, se trouvent des décimer es
attachés à chaque factorerie europédnne, et aux maisons de
conmierce tenues par les indigènes. Ce sont eux qui comptent le
nombre de pots d'huile de palme et de sacs d'amandes apportés
chez les commerçants ; ils fixent alors la somme annuelle que
chaque négociant doit verser au roi. La France paie les frais de
l'occupation. Il serait cependant naturel que les recettes, en
totalité ou en partie, entrassent dans la caisse de la métropole.
Un article du traité conclu avec Toffa, avait stipulé cette clause.
Malheureusement, elle est restée lettre morte.
Telle est l'organisation politique et administrative à Porto-
Novo. Le roi est obéi comme ne l'est pas un souverain en
Europe et sa police est quelquefois faite d'une façon remar-
quable.
Si nous entrons maintenant dans les détails de l'organisation
sociale, nous voyons que l'esclavage y joue un rôle capital. Je
dois donc m'arrêter un instant sur ce point ; j'essaierai de
donner sur cette institution des renseignements qui modifieront
peut-être l'idée un peu fausse qu'on a l'habitude de s'en faire en
Europe.
Orgaiùsation sociale: esclavage, — Bien des personnes croient
que, depuis la suppression de la traite, l'esclavage n'existe plus,
que tout homme naît et vit libre. Cela est vrai dans les colonies
européennes, où l'on exportait autrefois le bois d'ébène. Malheu-
reusement, il n'en est pas ainsi du centre de l'Afrique, des côtes
occidentale et orientale, et surtout du pays dont je parle et à
qui sa triste réputation a fait donner le nom de côte des Esclaves.
Voici ce qu'on y observe. Chaque année, le roi de Dahomey
puissant et belliqueux^ va faire des incursions guerrières chez
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96 LA COLONIE DE PORTO-NOVO
les peuplades voisines. Tous les prisonniers deviennent autant
d'esclaves et sont emmenés au Dahomey avec leur famille. Là,
ils sont distribués, comme récompense aux grands chefs ou
vendus pour le compte du roi.
Il y a quelques mois le gouverneur portugais de l'île Saint-
Thomas est venu à Whydah et a acheté au roi Glé-Glé un
certain nombre de prisonniers qui travaillent actuellement dans
les plantations de quinquina de cette lie.
Quand un habitant de Porto-Novo désire acheter un esclave, il
agit de la façon suivante. Certains nègres sont connus pour faire
ce commerce. Ils vont à Abeokouta ou à Abomey et de là
ramènent Tesclave qui leur a été demandé. Si Thabitant de
Porto-Novo a désiré une femme, il peut Tacheter à ce marchand
pour la somme de deux cent cinquante francs environ. Le prix
dépend de sa détérioration physique plus ou moins grande.
Un esclave mâle, adulte se vend de quatre cents à cinq cents
francs. Voici quelle est sa condition. Il n'est pas considéré
comme une bête de somme sur laquelle son maître a droit de vie
f»t de mort. Généralement, pour ne pas dire toujours, il est
bien traité et semble faire partie de la famille. On ne le bat pas,
on ne le maltraite pas, on ne le met pas aux fers. Il n'est pas
séparé violenmient de sa femme, de ses enfants, à moins que
ce soit une mauvaise tête. Il peut se faire rendre justice et se
mettre sous la protection d'un autre maître.
L'esclave, il est vrai, ne possède rien, ne peut rien posséder.
Mais son maître est obligé de le nourrir, de le loger, de le vêtir. Il
est généralement employé aux travaux des champs. De plus, il
peut travailler, trois jours par semaine, pour son propre compte
dans les factoreries européennes.
A Porto-Novo, il suffit aux esclaves pour être libres de venir
se mettre sous la protection française. Us sont alors libres en droit
mais non en fait. A peine en elfet ont-ils quitté l'hôtel de la rési-
dence, qu'ils sont saisis et garrottés par leur ancien maître, puis
vendus à des marchands qui les emmènent au loin dans Tinté-
rieur. Tous les indigènes libres et même esclaves prêteront main-
forte et assistance au maître et non à Tesclave. Celui-ci, disent-ils,
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ET LE ROI TOFFA
97
vole son maître, puisqu'il ne rend pas l'argent dont il est la ga-
rantie.
L'esclave lui-même semble admettre la légitimité deTesclavage.
Si, par hasard, il devient libre, son premier acte sera d'acheter un
y'y
/"f.
Fig. 9 et 10. Épingle-fétiche en cuivre de Porto-Novo (face et profil}.
esclave et de se faire servir par lui. Ainsi les nègres affranchis,
revenus du Brésil, sont ceux qui achètent la plus grande quantité
d'esclaves et qui oublient le plus vite la condition dans laquelle
ils végétaient auparavant.
VT 7
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98 LA COLONIE DE PORTO-NOVO
Tels sont les quelques reuseignements que Ton recueille eu
visitant le pays. Il est difficile de les obtenir, car le noir se défie
de toute interrogation du blanc. Quand ce dernier lui parle de
l'esclavage qu'il sait défendu par nos lois et coutumes, il garde
généralement un silence prudent ou ne fait que des réponses
évasives.
Usages domestiques. — Ces pays d'Afrique, si différents de
l'Europe quand on examine leur organisation politique et sociale,
le sont encore bien plus quand on entre dans les détails de la
vie domestique.
J'ai dit plus haut que la population du royaume de Porto-
Novo se divisait en deux classes bien distinctes : les Gèges et les
Nagos. Ces deux populations ne se mêlent pas Tune avec
l'autre : jamais un Gège n'épousera une femme nago ; jamais un
Nago n'osera demander une femme dans une famille ^q^q.
Leur langue est distincte ainsi que beaucoup de leurs coutumes.
La langue officielle est le gège. Bien que TofTa connaisse et
parle couramment le nago, il faut qu'on lui parle ghgù ; il
dédaigne la langue du vaincu. Pour se distinguer les uns des
autres, les Nagos portent sur les joues trois cicatrices transver-
sales, et les Gèges ou Dahomiens une seule cicatrice en forme de 7
sur le front. Jamais le Nago ne se mêlera aux fêtes célébrées
par les Gèges et réciproquement. Au point de vue moral, ils
sont encore bien plus différents ; le Nago fait commerce de sa
femme ou de sa fille ; le Gège ne se prête pas à ces calculs
intéressés et la femme^ qui se livre à un étranger, est bannie de
la famille. Pour l'aspect physique, il y a beaucoup d'analogie
entre les deux races et ce qui s'applique à l'une, s'applique à
l'autre.
Le jeune nègre est généralement assez joli, assez svelte, la
jeune négresse promet souvent de devenir une belle fenmie.
11 n'y a pas ici comme en d'autres pays, ces habitudes déplorables
qui ont pour effet de déformer la tête ou les membres des enfants.
Ceux-ci grandissent sous les yeux maternels de la nature.
Malheureusement, vers Tâge de douze ans, cette nature semble
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ET LE ROI TOFFA 99
devenir ingrate. A cet âge, en effet, les traits de la race
africaine commencent à se dessiner : les pommettes deviennent
saillantes et les lèvres lippues ; le nez s'épate, le prognathisme des
m&choires s'accentue. De plus, c'est à cet âge aussi, que les
parents font ces cicatrices qui enlaidissent le front ou les joues
des jeunes nègres.
Les cérémonies qui accompagnent la naissance d'un enfant
n'ont rien de bien curieux. Huit jours après la naissance, si
c'est un garçon, et neuf jours après, si c'est une fille, le père
assemble ses amis et ses parents. Il leur annonce quel nom il a
donné au nouveau-né. Alors, moyennant un petit cadeau,
chacun des parents assemblés a le droit de donner aussi un nom
au jeune enfant. De cette façon on voit fréquemment des
nègres ayant sept ou huit noms et même davantage.
La femme libre est sur un pied d'égalité complète avec
l'homme. On ne lui réserve pas, comme en d'autres pays, tous
les travaux rudes et grossiers, toutes les corvées fatigantes.
Rarement, elle s'occupe des travaux des champs; elle fait géné-
ralement du commerce, ou purifie, à la maison, l'huile de
palme qui doit être vendue aux factoreries.
Le fils a pour sa mère autant de respect que pour son père.
Quand il la rencontre dans la rue, il se prosterne à terre et
embrasse le sol plusieurs fois. C'est là d'ailleurs la forme de
salutation la plus employée entre supérieurs et inférieurs^ entre
parents et enfants.
La polygamie existe à Porto-Novo. L'homme aie droit d'avoir
plusieurs femmes; néanmoins, il est marié d'une façon plus
réelle avec Tune d'entre elles. Voici comment se fait le ma-
riage avec la femme qui doit être l'épouse en titre. Générale-
ment les fiançailles ont été célébrées de très bonne heure. Un
nègre âgé de sept à huit ans est souvent marié en perspective à
une jeune négresse de quatre à cinq ans. Puis, quand le moment
voulu est arrivé, vers l'âge de quinze ans pour l'homme, vers
l'âge de douze ans pour la femme, le fiancé va trouver les
parents de sa fiancée et il offre à cette dernière différents
cadeaux. l\ donne soit des sacs de cauris (monnaie indigène).
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100 LA COLOME DE PORTO-NOVO
soit des pièces de tissus, soit des bouteilles de genièvre ou de
muscat. Lui ne reçoit rien, mais il a le droit de répudier sa
femme. Celle cérémonie accomplie, on festoie, on danse et on
fait des libations abondantes.
Les musulmans seuls enterrent leurs morts dans des cime-
tières. Le nègre enterre les siens dans la case même qu'il habite.
Aussi vend-il très difficilement sa maison.
Les cérémonies, qui doivent accompagner Tenterrement,
se font trois mois environ après la mort. Elles consistent en
fêtes et danses, et surtout en coups de fusil tirés en l'honneur
du défunt. On porte le deuil en se rasant complètement la tête
et en la conservant rasée pendant plusieurs mois.
Voies et moyens de communication. — L'indigène, qui a des
besoins restreints et se contente des productions de son sol
natal, n'a pas appliqué son industrie à créer des voies de commu-
nication rapides avec les peuplades voisines. Aussi, à la côte des
Esclaves, on n'a utilisé, comme moyens de transport, que les
voies naturelles telles que les rivières et les lagupes. Aucun che-
min n^est tracé pour aller d'un point à un autre ; de petits sentiers,
praticables pour une seule personne, permettent cependant de
se rendre dans les villages. La voiture est inconnue ; le cheval
ne peut vivre à Porto-Novo ; le bœuf n'a pas encore été utilisé
comme bête de somme. Quand un Européen veut se déplacer, il
se sert du hamac. C'est un mode de locomotion rapide et assez
agréable, si la course n'est pas trop longue. Ce hamac est suspendu
par ses deux extrémités à une tige en bois très solide. Quatre
indigènes, placés deux à l'avant et deux à l'arrière, portent sur
leur tête cette tige, et le voyageur se couche dans le hamac qui
est suspendu au-dessous. Un parasol mobile est fixé à la tige et
garantit des rayons du soleil, quelle que soit leur direction. La
résistance à la fatigue et l'agilité des porteurs ou hamaquaires
est réellement extraordinaire. On emploie surtout les habitants
du Dahomey qui se sont fait une véritable spécialité de ce mode
de transport. Ils fournissent souvent plusieurs heures d'une
course aussi rapide que celle d'un cheval, en n'imprimant aucune
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ET LE ROI TOFFA 101
secousse au voyageur. Aussi, en ayant soin de louer un nombre
suffisant de hamaquaires, peut-on parcourir de longues distances
avec assez de rapidité et peu de fatigue.
Avant de faire un voyage^ l'Européen doit toujours avoir soin
de se munir d'un insigne spécial appartenant à un grand chef ou
au roi lui-même. Ainsi, au Dahomey, le libre parcours n'est
donné qu'au blanc porteur de la canne du Gha-Cha. C^est ainsi
qu'on nomme le chef chargé des relations entre les étrangers et
le roi du pays.
A Porto-Novo, Tusage de la canne ou du bâton, comme passe-
port, est très employé. La canne du roi Toffa est absolument
indispensable pour se rendre dans des villages éloignés de la
capitale, à Pokéah, par exemple. On peut alors voyager en toute
sécurité. Pour aller à Abéokouta, on doit faire demander,
au roi de cette grande ville (80,0000 habitants), un insigne
spécial. C'est une queue de cheval montée sur un manche en
ivoire. Grâce à elle, le voyageur trouve les chemins ouverts,
praticables ; s'il ne la possède pas, on lui oppose une force
d'inertie qui l'empêche de continuer sa route.
L'usage du bâton est aussi en vigueur quand on veut annoncer
son arrivée, présenter ses salutations au roi ou au chef d'un village .
Dans ce cas, on envoie un interprète porteur de la canne dont on
se sert habituellement : le roi ou le chef voient alors qu'il vient
réellement en votre nom.
Quand Toflfa a reçu une visite, et qu'il ne veut pas la rendre
personnellement, il envoie, dans ce cas, son premier lari qui
porte une canne longue de deux mètres environ, terminée par
une pomme d'argent. On décerne à cette canne les mêmes hon-
neurs qui seraient décernés au roi en personne : ainsi tout indi-
gène doit se prosterner à terre devant elle, et embrasser le sol,
avant de pouvoir se relever et continuer sa route.
Religion^ fétichisme. — La religion prédominante est le féti-
chisme. Elle compte, comme adeptes, le roi, les cabécères et
une grande partie de la population. Les prêtres sont appelés
féticheurs ; ils se recrutent dans toutes les familles et jouissent
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102 LA COLONIE DE PORTO-NOVO
d'an certain prestige. A la veille de prendre une résolution
importante, le roi doit les consulter et suivre leurs avis. Sinon,
une révolution lui apprendrait qu'en Afrique on ne s'élève pas
impunément contre Tinfaillibilité de TApologan ou grand chef
des prêtres.
Inutile de dire que leur autorité n'est basée que sur la supers-
tition du peuple, et non sur des connaissances réelles. Ils ne
font aucune étude spéciale pour se préparer à leurs fonctions
religieuses.
Cette religion, bien que primitive, n'exclut pas l'idée du bien
et du mal, ni la notion d'un Être suprême. Le nègre croit, de
plus, à l'e^ristence de certaines divinités bienfaisantes qui repré-
sentent pour lui autant de fétiches. Il se les concilie par des
offrandes, par des sacrifices : il immole soit une poule, soit une
chèvre. Chaque année, tout grand chef célèbre des fêtes en
l'honneur du fétiche qu'il a choisi ; elles durent plusieurs jours
et sont un prétexte de libations nombreuses pour le quartier de
la ville, commandé par ce chef.
Certains animaux sont consacrés fétiches ; il est défendu de
leur faire aucun mal ou de les vendre aux mécréants. Il en est
ainsi dé la poule ; on ne peut en acheter sur le marché de Porto-
Novo. Elle doit servir uniquement pour les services religieux.
Le serpent boa est aussi vénéré à l'égal d'une divinité. Son culte
est répandu sur toute la côte des Esclaves. Au Dahomey, des
temples lui sont dédiés, et des prêtresses, désignées à l'avance,
vont chaque jour porter leur nourriture aux serpents qui grouillent
dans ces temples et y jouissent de la plus entière tranquillité. A
Porto-No vo, la destruction d'un boa est la cause de palabres près
des autorités; un nègre, coupable d'une telle infraction aux
lois, est sévèrement puni. Ce culte spécial a son explication.
Tant de serpents dangereux pullulent dans ces pays, que le nègre
a cru faire acte de reconnaissance en révérant un serpent inof-
fensif comme le boa et en prohibant sa destruction.
Autrefois, le caïman était l'objet de la même sollicitude. Il
avait été réputé inofTensif jusqu'au jour où une femme, se bai-
gnant dans la lagune de Porto-Novo, fut mordue par un d'eux.
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ET LE ROI TOFFA 103
A dater de cet accident, sa consécration comme fétiche n*a plus
été reconnue et l'indigène le pourchasse comme une bête malfai-
sante. Enfin, certains arbres sont sacrés aux yeux du nëgre^
comme Tétait le ^i chez les Gaulois. Jamais la cognée ne
viendra les abattre. Les principales cérémonies religieuses seront
célébrées sous leur ombrage.
Dans chacune de ces cérémonies, les prêtresses ou féticheuses,
jouent un grand rôle. Ce sont elles qui invoquent le fétiche,
chantent des cantiques et exécutent les danses les plus échevelées
en son honneur. Elle sortent des principales familles gèges et
sont reconnaissables aux nombreuses cicatrices qui ornent leurs
joues, leurs seins ou leur dos.
Catholicisme, — Le catholicisme n'est apparu à Porto-Novo
que lors de la suppression de Tesclavage. Les nègres, victimes
de la traite, avaient été transportés en Amérique, dans les
colonies françaises, espagnoles, portugaises. Au contact de la
population blanche, ils prirent certaines habitudes européennes
et furent catéchisés par les prêtres de ces différents pays. Rendus
à la liberté, ils revinrent dans leur patrie et y conservèrent les
idées religieuses acquises au dehors. Actuellement, les catho-
liques sont à Porto-Novo, au nombre de trois mille environ,
tous fils ou descendants des anciens esclaves. Cette religion fait
peu de progrès parmi les autres habitants; la simplicité du
fétichisme a, pour le nègre, plus d'attraits que les mystères du
catholicisme. Il est regrettable que les missionnaires ne fassent
pas des prosélytes plus nombreux ; car l'influence de ceux-ci
permettra seule de lutter d'une façon efficace contre le prestige
des musulmans qui s'accroît de jour en jour.
Protestantisme. — Le protestantisme compte environ un mil-
lier d'adeptes. Ce sont, pour la plupart, des noirs originaires de
Sierra-Léone, qui se sont établis à Porto-Novo pour y faire du
commerce et s'y sont créé une famille. Ils appartiennent à diffé-
rentes sectes protestantes et sont évangélisés par des mission-
naires venant d'Angleterre et d'Amérique.
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104 LA COLONIE DE PORTO-NOVO
Mahométisme, — Depuis quelques années, la religion musul-
mane est apparue à Porto-Novo. Chaque jour elle progresse ;
chaque jour elle compte des prosélytes plus nombreux. Certai-
nement, dans un avenir plus ou moins lointain, elle sera un
obstacle sérieux à la civilisation de ces pays, et luttera d'une
façon victorieuse contre les autres religions européennes.
Cette influence mahométane vient de trois points différents. Je
vais les signaler en m'appuyant non sur des hypothèses, mais sur
des faits faciles à constater dans le royaume de Porto-Novo et
dans les autres royaumes environnants.
Un premier courant vient en ligne directe de Tintérieur du
continent africain. Les populations musulmanes du centre de
l'Afrique s*avancent de plus en plus vers la mer en vertu de cette
loi sociale « qui veut que les peuples de Tintérieur cherchent à se
rapprocher de la côte pour faciliter leur commerce. » C'est là
une loi qui se vérifie non seulement à Porto-Novo même et sur
la côte des Esclaves, mais aussi en d'autres pays, au Gabon, par
exemple, où les Pahouins refoulent^ de jour en jour, devant eux,
les tribus qui les séparent du rivage.
Ce courant m'est prouvé par l'origine d'un certain nombre de
négociants musulmans de Porto-Novo. Ceux-ci viennent de
l'intérieur, où, s'ils n'en sont pas directement originaires, ont
des relations constantes avec les populations du centre africain.
Quand un Européen a besoin de renseignements géographiques
sur les pays situés au delà de Porto-Novo, il est obligé de
s'adresser aux mahométans. L'indigène fétiche et le nègre
catholique sont d'une ignorance complète sur les contrées qui
sont en dehors de leur sphère commerciale, seul le mahométan
connaît la source de telle ou telle rivière, quel chemin il faut
prendre pour aller dans telle ou telle ville, quelles tribus le
voyageur sera obligé de traverser.
Un deuxième courant vient de la partie du Niger située au
nord-ouest de la colonie anglaise de Lagos. Autrefois, les
royaumes, établis sur ce fleuve, étaient tous païens; peu à peu,
les musulmans y ont pénétré, ont fait adopter leurs croyances
par les indigènes, et aujourd'hui, le mahométisme règne en
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ET LE ROI TOFFA 105
maître dans ces royaumes. Or, beaucoup d'habitants de Porto-
Novo viennent assurément de ces différents pays. Je les ai con-
sultés sur leur lieu d'origine, et beaucoup m'ont répondu qu'ils
arrivaient du Niger par étapes successives, et qu'ils avaient des
parents échelonnés dans les différentes tribus, séparant ce fleuve
de Porto-Novo, à Abéokouta, par exemple, ou à Ohio.
Enfin, un troisième courant vient du Maroc et du Sénégal par
l'intermédiaire des caravanes qui se rendent à époque fixe à
Sierra-Léone, et de là, sur le reste de la côte, par l'intérieur.
Pour affirmer ce courant, je m'appuie sur les faits suivants.
Les tiraiUeurs, qui forment la garnison de Porto-No vo, sont
recrutés parmi les populations musulmanes qui habitent notre
colonie du Sénégal et les rives du Haut-Fleuve. Or, de cette
colonie à Porto-Novo, il y a une distance, par mer, de quinze
jours environ ; parterre, cette distance est bien plus considérable.
Cependant, malgré cet éloignement, les tirailleurs sénégalais,
amenés pour la première fois à Porto-Novo, connaissaient de
longue date des habitants de cette dernière ville. Un d'eux, un
Saracolet, a même rencontré un de ses frères qui avait été vendu
comme esclave à une caravane et avait ensuite été transporté sur
la côte dont je parle.
Tous ces divers courants sont indéniables et pourront être
constatés par quiconque habitera un certain temps Porto-Novo.
Or, si à cette puissance de prosélytisme, à ces communications,
si fréquentes et si rapides, entre les différentes populations
musulmanes, on ajoute l'adaptation plus grande des préceptes
du Coran avec les habitudes des nègres, on comprendra pourquoi
le fétichisme est fatalement destiné à disparaître et à être rem-
placé par le mahométisme.
Cette inQuence ne se fait pas seulement sentir à la côte des
Esclaves ; d'autres auteurs ont démontré que la religion de
Mahomet était loin d'être en décadence dans le nord de l'Afrique
ou sur la côte orientale. Aussi, s'appuyant sur tous ces faits, on
peut affirmer que, dans un avenir plus ou moins lointain,
« l'Afrique ne sera pas catholique ou protestante, elle sera
mahométane. » Quelles en seront les conséquences pour la civi-
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106 LA COLONIE DE PORTO-NOVO
lisation de ce contiaeat ? Je n'ai pas besoin de les énomérer ;
elles éclatent facilement aux yeux du lecteur.
Usages agricoles. — Les mœurs et coutumes ne sont pas seules
à différencier ce pays du nôtre. Au point de vue agricole, il n'y
a pas la moindre analogie soit pour le sol, soit pour les produc-
tions.
A Porto-Novo, la végétation est magnifique de puissance et de
vigueur. Dans certaines saisons, pas un coin de terre n'apparatt à
l'œil sans être recouvert d'une plante ou d'une herbe quelconque.
Nous ayons ici, en effet, la chaleur et l'humidité propices à toute
espèce de culture.
Le sol est constitué par une terre argileuse, rougeâtre,
analogue à la terre à brique. Pas une pierre, pas une seule. Aussi
les instruments de culture sont-ils rudimentaires. L'indigène se
sert uniquement d'une plaque en fer mince, fixée dans une tige
en bois coudée à son extrémité inférieure. C'est avec cet instru-
ment qu'il creuse ses sillons ; la charrue est inconnue.
La principale culture est celle du maïs. C'est même la seule
indispensable. Il n'y a pas ici, comme en France, des demi-années,
des quarts d'année. Il y a toujours pleine et abondante moisson.
Il est vrai que l'indigène n'épargne pas l'engrais, il en met à
profusion. Déplus, il ne ménage pas ses soins. Quand le maïs
commence à lever, il va voir si une graine n'a pas germé, afin
de la remplacer immédiatement par une autre. On fait deux
récoltes par an. Le maïs met quatre mois pour arriver à maturité
complète. En outre du maïs, on cultive aussi la patate, le
manioc, l'igname. Les fruits viennent tout naturellement et en
telle abondance, que les habitants n'ont pas à se donner la
peine de les cultiver. Il en est ainsi de l'avocat, de la banane,
des mangues, des oranges, des cocos, des papayes, etc., etc.
Le principal produit du pays, le palmier, qui fait la richesse
de cette contrée, ne demande aucune culture. On exporte,
chaque année, des quantités considérables d'huile et d*amandes
de palmier. L'indigène prépare lui-même et purifie cette huile
en la faisant bouillir à différentes reprises, dans plusieurs vases.
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ET LK ROI TOFFA 107
et en la coacentrant jusqu'au degré voulu. Cet arbre est d'ailleurs
de la plus grande utilité pour les habitants ; son feuillage
leur sert de toit pour leurs maisons ; son bois est employé pour
les constructions, pour faire de petites pirogues ; son huile entre
dans la préparation de tous les aliments et constitue, avec les
amandes, le principal produit d'exportation; enfin^ son suc
fermenté donne le vin de palmier, pétillant, mousseux. Quand
il est frais, ce breuvage est excellent.
L'élevage du bétail est aussi une ressource importante pour
les indigènes. Certains propriétaires ont des troupeaux de 40 à
50 bœufs. Le roi en possède près de 200. Us lui servent pour
faire des cadeaux aux visiteurs de grande importance. Ces bœufs
n'ont pas la même taille que ceux d'Europe. Us sont petits et
grêles et ont, par rapport aux bœufs de nos pays, la même taille
que les poneys comparés aux chevaux de France.
Les chèvres, moutons, porcs vivent en grande abondance ;
mais leur viande a généralement peu de saveur. Le cheval ne vit
pasàPorto-Novo, je l'ai déjà dit; quelques colons en ont acheté
soit à Abéokouta, soit au Niger où ils sont très nombreux ; malgré
tous les soins qui leur étaient donnés, ils dépérissaient au bout
de quelques mois et succombaient finalement.
Quant aux volailles, telles que pintade, poule , etc. , elles existent
en grande quantité. Les produits et plantes d'importation euro-
péenne viennent très difficilement. La vigne donne un raisin qui
a bon goût, mais dont la pellicule est très épaisse et surtout très
amère. L'indigène ne la cultive pas ; or, lui seul, pourrait le faire.
Le climat, le soleil s'opposeront toujours à ce que l'Européen
vienne habiter ces pays dans un but d'exploitation agricole.
Arts. — Plus la civilisation est avancée dans un pays, plus les
arts doivent y fleurir. Ce n'est que lorsque le beau existe autour
de soi qu'on songe à le reproduire d'une façon plus ou moins
fidèle, soit en sculpture, soit en peinture, soit en musique. Le
sentiment artistique est aussi plus développé quand, chez un
peuple, la vie ne se passe pas d'une façon calme, placide, mono-
tone. Les beaux sentiments, les nobles actions sont seules
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i08 LA COLONIE DE PORTO-NOVO
capables d*inspirer un artiste, quand il existe, ou d'en faire éclore
quand il n'en est pas encore apparu.
Toutes ces conditions sont bien loin d'être remplies à Porto-
Novo. On ne sera donc pas étonné d'apprendre que, chez ces
populations primitives par leur littérature, leur langage, leurs
mœurs, leurs usages sociaux, ce sentiment artistique, dont je
parle, soit tout à fait rudimentaire. Le nègre, de même que Ten-
fant s'intéresse peu aux grands spectacles de la nature ; il vit
sans émotion. Ge qui le frappe, c'est le fait brutal ; ce qu'il cher-
che à représenter trop souvent, c'est l'acte grossier ou immoral.
L'imagination ne joue aucun râle, si, par hasard, elle est mise
en jeu, ce sera d'une façon dévoyée, dans un sens grotesque.
Aussi, le lecteur, en voyant les productions artistiques des
indigènes de Porto-Novo et des environs, sera surpris qu'on ose
employer le mot de sculpture quand on l'applique à des sta-
tuettes taillées à la hache, ou celui de musique, quand on parle
de la cacophonie étourdissante, si agréable aux oreilles des
nègres.
Sculpture, — A Porto-Novo même, quelque? personnes seu-
lement s'occupent de sculpture: beaucoup d'objets, que le voya-
geur rapporte, viennent d'Abéokouta ou du Dahomey. L'artiste
nègre s'est inspiré des animaux qu'il voitchaque jour ou de ceux
qu'il a divinisés, tels que le boa. C'est ainsi que la porte du
palais du roi Toffa est orné de statuettes représentant les unes
un cheval, les autres un bœuf, ou un caïman, ou un boa, ou une
poule. Elles sont taillées sur bois et peintes de couleurs diffé-
rentes, bleu, blanc ou brun, et sans que ces couleurs, appliquées
sur telle ou telle partie, correspondent à la place où la nature les
a mises sur l'animal vivant.
Les bâtons dont se servent les chefs ou cabécères, pour sou-
haiter la bienvenue aux blancs, sont généralement terminés par
une main sculptée. Suivant son caprice, le nègre ajoute soit un
chien, soit un oiseau.
L'artiste déploie surtout son talent, dans les sièges qui
servent aux féticheurs pour les grandes cérémonies. Ils se com-
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ET LE ROI TOFFA 109
posent de deux plateaux en bois, Tun supérieur, Tautre infé-
rieur, soutenus entre eux par des colonnades hautes de 0">,75
centimètres environ. Chacune de ces colonnades représente un
homme à cheval, ou une femme dont la tête supporte le plateau
supérieur et dont les pieds sont fixés au plateau inférieur, ou un
boa enroulé sur lui même. Ces différents objets sont grossiè-
rement sculptés, Tartiste n'arrondit pas les angles, il reproduit
les bras ou le corps au gré de son caprice.
Quand le sculpteur prend pour modèle Thomme ou la femme,
Fig. 11. Hache ciselée des nègres de Porto-No vo.
il représente surtout des scènes où Tacte sexuel joue le plus grand
rôle, il s'efforce de développer certaines parties du corps, telles
que les seins, le membre viril. Je n'insiste pas davantage.
On trouve fréquemment, dans les maisons des chefs, un sujet
représentant une femme à genoux présentant à son maître, d'une
main une pipe, de l'autre une calebasse contenant du tabac.
Dans chacune de ces productions, l'artiste n'oublie pas les
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110 LA COLONIE DE PORTO-NOVO
caractères extérieurs, tels que le mode de coiffure, les tatouages
ou cicatrices. Ce sont là des signes distinctifs des différentes tri-
bus. Aussi, quand on voit telle ou telle statuette, peut-on faci-
lement affirmer son origine, même quand elle vient de bourgades
très éloignées dans Tintérieur.
Peinture. — La peinture indigène n*existe pas. L'inlelligence
artistique des habitants de Porto-Novo ne va pas encore jusqu'à
reproduire par un dessin quelconque sur bois ou sur toile, les
scènes qui frappent journellement leurs yeux.
La gravure est pratiquée, mais d'une façon rudimentaire. Les
dessins gravés sur la hache représentée ci-contre (fig. H) mon-
trent suffisamment que Tindigène n'en possède que les rudiments.
Je ne reviens pas surTarchiteclure. La description de Porto-
Novo, que j'ai donnée, prouve que l'architecte nègre ne s'inspire
pas des règles de l'art dorique ou ionien.
Musique. — Les nègres aiment le bruit, mais on ne peut dire
qu'ils aient le goût musical. Ils font de la musique pour accom-
pagner les danses et non dans le but de produire un son qui leur
fasse plaisir. Cérémonies religieuses, naissances, mariage^
décès : tout est prétexte quand ils veulent s'amuser. Or, chez
eux, un divertissement comprend toujours la musique et la
danse.
Les instruments dont ils se servent sont variables. Tantôt ils
emploient une espèce de guitare telle que celle représentée par la
figure ci-après (fig. 12) : elle est formée par des morceaux de bam-
bou reliés les uns aux autres et sur lesquels sont fixées trois pla-
quettes qui tendent, à un degré variable, douze lianes de différentes
grosseur. Elle sert uniquement dans les fêtes de famille; l'indi-
gène en tire quelques sons agréables à l'oreille, et, en même
temps, il chante, sur un rythme monotone une chanson du pays.
Cette guitare est surtout fabriquée au Dahomey. Néanmoins,
son usage est très répandu sur la côte des Esclaves, et notam-
ment à Porto-Novo.
On emploie aussi un instrument formé par une planchette sur
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J
ET LE ROI TOFFA Hl
laquelle sont tendues quatre cordes; la caisse résonnante est une
calebasse.
Quand les nègres sont réunis en foule, leurs instruments sont
plus nombreux. Si les fêtes doivent durer plusieurs jours, ils
creusent un trou assez profond, au-dessus duquel ils mettent des
poutres en bois d'essence et de densité différentes. Ce trou
circulaire présente un diamètre* de 1",S0; chaque poutre est
longue de 2 mètres. Un indigène frappe alternativement avec
un maillet sur chaque poutre et produit un son que le trou ou
caisse sonore fait retentir davantage.
On se sert aussi de poteries de forme variable, percées aux
deux extrémités ou à une seule et recouvertes d*une peau plus
ou moins tendue sur laquelle on frappe avec une forte baguette
garnie d'un tampon de peau. D'autres fois, on met dans un vase
en fer des pièces de différente grosseur qu'on agite ensuite.
Enfin, le tam-tam, si usité dans toute l'Afrique se trouve à
Porto-Novo sans modifications particulières^ il est fait de la
même façon que ceux qu'on rencontre au Sénégal, au Gabon, et
sur toute la côte occidentale. On comprend qu'avec des instru-
ments aussi peu perfectionnés, la musique soit plus étourdissante
que mélodieuse. Aussi, aux jours de fête, une promenade à
travers les rues de Porto-Novo est-elle loin d'être agréable.
Mon arrivée dans cette ville, a coïncidé avec les fêtes du roi
Toffa, qui ne sont célébrées que tous les dix ans en l'honneur des
rois décédés. Quand le roi est invité à une de nos fêtes, il se
plaint toujours de ce qu'elles ne durent qu'un jour et que, le len-
demain, le travail reprenne de nouveau. Les siennes duraient
déjà depuis deux mois, et elles ne se sont terminées qu'un mois
après mon arrivée.
Fêtes et danses. — Pendant toute leur durée, défense est faite,
à tout autre qu'au roi, de tirer des coups de fusil et des salves
d'artillerie, défense aussi de planter, semer ou récolter. Le roi
s*amuse, la consigne est donc de se divertir. Le peuple doit
célébrer avec le plus de pompe et de solennité possible les sou-
verains qu'il a eu le bonheur de posséder.
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112
LA COLONIE DE PORTO-NOYO
Ces fêtes se sont terminées par trois jours d'un grand festival
musical et dansant présidé par Sa Majesté Toffa et exécuté sur
une des places publiques de Novo. Des groupes, au nombre d'une
dizaine environ, étaient accroupis à terre, et faisaient de la mu-
sique avec les instruments que j'ai cités plus haut. Devant chacun
A
Fig. 12. Guitare en bambou et lianes des nègres de Porto-Novo.
des groupes dansaient six jeunes filles ou féticheuses tenant en
main une longue tige de fer sur laquelle elles faisaient glisser
un anneau métallique. Le frottement de cet anneau contre la tige
produisait un certain son. En même temps elles exécutaient leurs
danses les plus échevelées; les coudes fixés au tronc et la tête
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ET LE KOI TOFFA 113
renversée en arrière, elles s'avançaient et reculaient alternati-
vement en faisant proéminer le torse le plus possible.
Quand un chef de grande importance passait, elles se déta-
chaient du groupe et venaient exécuter leurs danses devant lui.
Quelques bouteilles de genièvre ou de tafia étaient généralement
leur récompense.
Dans une autre partie de la place se tenaient les mahométans
qui prenaient part à ces fêtes. Leurs danses n'ont rien d'original.
Industries. — Les produits des manufactures européennes
sont importés en grande quantité sur toute la côte des Esclaves.
Cependant les habitants de ce pays ont une industrie indigène,
rudimentaire, il est vrai; néanmoins ils fabriquent de objets
qu'on rencontre seulement à Porto-Novo.
Ainsi, la vannerie consiste dans la fabrication de bonnets en
paille de mandine finement tressés ; ils sont très légers et com-
modes pour les pays chauds, alors que le soleil a totalement
disparu. Ils se vendent au prix de 1 fr. SO à 2 fr. chacun. Quel-
quefois on donne à cette paille des colorations différentes. Le
prix dépend de la finesse de la paille.
Les fenmies du roi ont le monopole de la fabrication et de la
vente de paniers faits avec des joncs, ils sont assez élégants.
L'indigène, à qui ses ressources ne permettent pas d'acheter
des tissus de provenance européenne, sait faire ses pagnes ou
vêtements avec du colon récolté dans le pays. On fabrique avec
ce même coton des nattes et des hamacs très solides.
Le commerce de la maroquinerie est entre les mains des
musulmans. On peut acheter des corbeilles de mariage formées
par une trame en joncs recouverte d'une peau sur laquelle sont
appliqués des carrés de velours rouge, violet, etc. Ce sont ces
corbeilles que le fiancé donne à sa fiancée, le jour du mariage.
On vend aussi des sacs de peau et des pantoufles qui se rappro-
chent beaucoup de celles qu'on trouve au Maroc.
Il y a aussi des usines où l'on fabrique, en plein vent, de la
poterie usuelle et des alcarazas ou gargoulettes si utiles en ces
pays où l'eau, prise dans le puits, marque + 25^
VI 8
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114 LA COLONIE DE PORTO-NOVO
Chaque roi indigène, et le roi ToflEk, en particulier , a un
orfèvre attaché à sa maison. Il ne travaille que pour lui, il est
chargé de faire des bracelets en cuivre, des plats en argent. Nulle
part, on n'extrait le cuivre ou le fer et il n'y a pas de mines
d'argent, ni d'or. Aussi, c'est à l'aide de ces métaux importés
d'Europe, ou avec de l'argent monnayé que l'orfèvre fabrique
ses bracelets. On fait aussi des fétiches en cuivre tels que celui
qui est représenté plus haut (fig. 9 et 10). Ils sont terminés en
pointe, et c'est avec ces instrumients que l'on perce les yeux des
femmes adultères.
Tous ces objets out une forme grossière. Cependant le roi a
une hache dite de guerre pour laquelle le fabricant a dû déployer
tout son talent. Elle est en cuivre poli, ciselée sur ses deux faces,
montée sur un manche en ivoire. Le roi envoyait cette hache
chez les peuplades voisines quand il voulait leur déclarer la
guerre. Depuis l'occupation française, il en a fait cadeau au
commandant de Porto-Novo pour manifester son ferme désir
de conserver la paix d'une façon durable, soit avec la France,
soit avec les tribus voisines.
CONSmÉRÂTIONS GÉNÉRALES
Après l'étude des mœurs et des coutumes des habitants du
royaume de Porto-Novo, plusieurs questions se posent :
1® Quelle idée doit-on se faire des habitants de Porto-Novo ?
2o Ces habitants sont-ils susceptibles d'un certain perfection-
nement ?
3<> Quel avenir semble destiné à cette contrée ?
Il est évident qu'on ne peut établir aucune comparaison
entre l'Europe et la côte des Esclaves. Le nègre de ces pays est
sauvage dans la plus entière acception du terme. Au point de
vue industriel, commercial ^ moral, il a tout à apprendre.
Le cerveau de chaque habitant est une pâte malléable où toutes
les superstitions viennent se modeler; l'instruction, telle que
nous l'entendons, n'existe pas chez ces noirs. Ils n'ont ni his-*
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ET LE ROI TOFFA US
toire, ni monuments écrits, ils parlent une langue qui a sur-
tout besoin de la mimique pour être comprise.
Dans Tétat actuel, on ne peut donc fonder de grandes espé-
rances sur rintelligence des nègres de cette côte. U en est de même
quand on voit le peu d'énergie physique qu'ils peuvent déployer.
L'habitant de Porto-Novo n'est pas travailleur; il n'offre pas de
ressources pour les maisons de commerce établies dans le pays.
Il pourrait trouver la satisfaction de beaucoup de besoins par un
travail qui serait bien rémunéré ; il aime mieux danser ou croupir
dans l'oisiveté. U ne se livre à une occupation quelconque
que lorsque la nécessité l'y oblige ; dans ce cas, il travaille sans
régularité, sans suite. Aussi les commerçants doivent-ils recourir
à des noirs qu'ils engagent en dehors du pays, sur la côte de
Krou, ou à Elmina^ Acrah, etc.
La civilisation européenne plaît au nègre, il en reconnaît
la supériorité; néanmoins^ il ne demande pas à ce qu'on l'in-
troduise chez lui. Bonne pour blancs, dit-il, elle est mauvaise
pour noirs. Aussi les missionnaires établis dans le pays font-ils
peu de prosélytes parmi les indigènes nés dans le royaume. Leurs
seuls adeptes sont^ on l'a vu plus haut, les descendants des an-
ciens esclaves revenus du Brésil au pays natal.
Le nègre de cette côte n'est pas susceptible de perfectionne-
ment si on le laisse parmi les siens; il faudrait qu'on pût le
sortir du milieu où il vit habituellement ; et alors, le contact
permanent avec des Européens lui ferait contracter des mœurs
nouvelles, lui permettrait d'entrevoir des aperçus autres que
ceux qu'il considère dans sa patrie. La traite est heureusement
un commerce définitivement aboli ; on ne saurait trop blâmer la
tronsportation d'individus en dehors de leur pays, ainsi que les
excès auxquels cette traite a donné lieu. Cependant si l'Européen
peut commercer sur cette côte, s'il y peut vivre et y retrouver la
civilisation dans une certaine mesure, cela tient uniquement à la
traite. C'est là un paradoxe qui demande explication. Tous les
noirs, déportés au Brésil et dans les colonies françaises, espa-
gnoles, portugaises se sont perfectionnés au contact des Euro-
péens. Les uns ont appris des métiers, tels que ceux de tonne*
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116 LA COLONIE DE PORTO-ÎÎOVO
lier, charpentier, menuisier, tailleur, etc., d'autres ont reçu de
Finstruction, savent lire et écrire, parlent, outre le dialecte du
pays, le portugais ou le français. Or, après la suppression de
Tesclavage, ils sont revenus au pays natal, et là ils servent
d'intermédiaire entre Findigëne pur et les Européens. C'est grâce
à leur concours, que les factoreries peiivent fonctionner, que les
transactions commerciales s'opèrent avec une certaine honnêteté.
Il faudrait donc pouvoir favoriser une émigration volontaire dans
les pays où vit la race blanche, tels que FAmérique ; alors le
nègre, habitant pendant un certain temps au milieu d'étrangers,
se formerait à leur contact et, rentrant dans sa patrie, y ferait
pénétrer la civilisation qu'il aurait apprise au dehors. Mais, je
le répète, le nègre, laissé dans son pays, vivant au milieu des
siens, est difficilement perfectible.
Porto-Novo n'est pas une colonie où la colonisation française
puisse se développer. L'insalubrité excessive du climat sera tou-
jours un obstacle sérieux à ce que TËuropéen s'installe dans ces
pays d'une façon définitive ; il ne peut y aller qu'en passant,
pour camper. En un mot, ce n'est pas là une colonie de peuple-
ment, mais uniquement d'exploitation. Impossible de songer à
cultiver le pays, à y établir des industries européennes ; il faut
profiter des ressources naturelles du sol, faire du commerce,
échanger les produits indigènes contre des marchandises fran-
çaises. Notre action est forcément limitée par les obstacles
innombrables que le blanc rencontre à chaque pas. Une coloni-
sation comme à la Martinique, à la Guadeloupe, au Cap, en
Australie, est radicalement impossible.
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LES INDIENS DE L'ÉTAT DE PANAMA
Par Alphonse PINART
{Suite et fin)
FAMILLE DORASQUE-CHANGUINA
Les Indiens de cette famille habitaient autrefois les régions
montagneuses du sud de la Talamamca et celles de la province
d'Alanje ou Chiriqui. Dès les premiers temps de la conquête, les
conquérants eurent à lutter contre eux, et ce ne fut que vers le
milieu du xvm* siècle qu'ils purent être réduits et transportés vers
les grandes plaines du Chiriqui où ils furent répartis dans les mis-
sions de San Joseph de Bugabà, San Miguel del Boqueron, San
Francisco de Dolega et Gualaca. Le centre principal des habita-
tions des Changuenes (Ghanguinas), était sur le rio Puan ou Ma-
nagalisca, affluent du rio Tilorio ou Ghanguinaula. Le père
Francisco de Saint-Joseph*, dans un fort intéressant m/brm^, daté
de Guatemala le 18 octobre 1697^ donne le nom de douze villages
habités par les Ghanguenes ou Ghanguinas et tous situés sur les
bords du rio Puan, ce sont :
Toruca, avec 5 maisons ; Garaga, 3 maisons ; Lengo, 7 mai-
sons ; Icaligala, 3 maisons ; Xalatu, 2 maisons ; Luvora, 2 mai-
sons; Pomaza, 4 maisons; Poruru, 3 maisons; Suiquela, 3 mai-
sons; Uribaru, 3 maisons; Pongruraza, 3 maisons; Querulu,
5 maisons. En tout 42 maisons et 625 habitants.
1) M. M. de Peralta. Costa-Rica y Colombia, Madrid, 1886, p. 99.
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118 LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA
Dans un autre informe^ des pères fray Antonio de Andrade et
fray Pablo de Rebullida *, daté de Cartago, le 10 janvier 1709, il
est dit que la nation Ghanguene (ou Changuina) était forte de
5,000 Indiens.
Dans les documents dont nous venons de parler nous ne
voyons mentionner que les Indiens Changuenes (ou Changui-
nas) et Shalivas (ou Chalivas) pour cette raison qu'ils se trou-
vaient dans les limites du gouvernement de la province de Costa-
Rica et Gartago. Les Dorasques(Doraces, Teluskies, etc.), se trou-
vaient plutôt dans la province de Teragna.
Le père Blas José Franco *, dans l'ouvrage manuscrit qu'il a
écrit à la fin du siècle dernier, et dont l'original est entre mes
mains, parle de diverses tribus de la famille Dorasque, habitant
sur le territoire de la province de Veragua — les Iribolos, les
Chiriluos et les Suasimis — il m'a été impossible de retrouver
les traces de ces tribus.
Les Indiens de cette famille sont aujourd'hui presque disparus.
Leur nombre se réduit en effet à 13 ou 14 personnes de sang pur,
parlant encore la langue dorasque-changuina , à savoir 3 ou 4
Changuinas qui habitent aux environs de Bugabita-Bugaba et
10 Chumulus, habitants des villages de la Galdera et de Potrero
de Vargas ; quant à la tribu Dorasque proprement dite, le der-
nier Indien qui y appartenait et que j'avais rencontré durant
mon premier voyage au Chiriqui, en 1882, est mort dans l'in-
tervalle de mon second voyage à Gualaca.
D'autre part, je sais.de source certaine que sur un des affluents
du Changuinaula, perdus dans les montagnes de la Talamanca,
vivent encore quelques Indiens Ghalivas, restés à l'état absolu-
ment sauvage; il m'a été impossible de les visiter ou de me pro-
curer des documents sur leur état et leur langue, bien qu'il n'y
ait aucun doute qu'ils appartiennent à la famille indienne dont
nous nous occupons.
Les quelques Indiens de la famille Dorasque-changuina qui
1) M. M. de Peralta, loc, cit., p. 133.
2) Biblioteca de linguistica y etnografia amer, publ. par Alf. L. Pinart.
San-Francigco, 1882, p. 19.
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LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA H9
existent encore aujourd'hui ont perdu tout souvenir de leur état
primitif et n'ont guère conservé que quelques bribes de leur
langue, qu'ilb parlent encore entre eux, mais fortement mêlée
d'espagnol. Je suis donc obligé, pour donner quelque idée de
leur état ancien, d'avoir recours aux documents tirés du père
Blas José Franco, et qui ont déjà été publiés dans le volume IV
de ma bibliothèque de linguistique et d'ethnographie améri-
caines S
Celui-ci nous apprend que les Dorasques croyaient à un esprit
puissant appelé bal^a^ qui habitait le volcan de Chiriqui ou
efieha : quand il y avait un tremblement de terre, ils supposaient
que l'esprit était courroucé, et, ils déchargeaient alors dans la
direction du volcan des volées de flèches tout en faisant avec
leurs instruments de musique et leurs cris un vacarme épouvan-
table afin, disaient-ils, d'effrayer Tesprit. Us avaient en outre un
grand nombre d'esprits secondaires, appelés usiy qu'il fallait
aussi propitier suivant les circonstances.
Ils vivaient en petits villages disséminés; chaque village obéis-
sait à un chef nommé yapa qui n'avait d'autorité qu'en temps de
paix : en temps de guerre on nommait à l'élection un chef de
guerre dont l'autorité était absolue, mais qui prenait fin aussitôt
la guerre terminée. Us étaient réputés très braves à la guerre et
très généralement craints de leurs voisins : afin de témoigner de
leur bravoure et de leur mépris pour les souffrances, ils avaient
l'habitude de se lacérer le corps à époques déterminées avec des
pierres aiguës : leurs corps étaient pour cette raison couverts de
cicatrices : ils allaient absolument nus, le corps couvert de pein-
tures, et seule, une bande très étroite de fiumi (écorce d'arbre
frappée et ressemblant au tapa des mers du sud) leur passait
entre les jambes et autour des reins.
INDIENS TERRABAS
Ces Indiens qui peuplaient autrefois la partie basse du sud de
la Talamanca et les îles de la baie de l'Amiral (Bahia del almi-
1) Loc. cit., p. 20.
I
L
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120 LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA
rante) et de la lagune de Ghiriqui connues soûs le nom de Tojar
(Colon, San Christoval, Bastîmentos ou Provision, Popa ou Poop
island, Crining Key, etc.), n'existent plus aujourd'hui sur les ter-
ritoires que réclame la Colombie. Les derniers survivants de
cette famille furent transportés dans une mission, San Francisco
de Terraba, aujourd'hui village de Terraba, situé sur le territoire
de Costa-Rica, sur le rio grande de Boruca, au nord ouest du Chiri-
qui, aux pieds de grandes montagnes du Cabecar et de la Tala-
manca sur le versant du golfe Dulce. Dans une informe fort
curieux des pères fray Antonio de Andrade et fray Pablo de
Robullida*, envoyé de Cartago, le 20 janvier 1709, il est dit que
la nation Terraba est de 1,000 Indiens, qu'elle parle une langue
différente de celles des nations de la Talamanca : ils vivent dis-
persés pour la plus grande partie en des endroits escarpés. De
cette même nation Terraba, sont aussi les insulaires des îles de
Tojar. Dans un autre informe du père fray Francisco de Saint-
Joseph, daté de Guatemala le 18 octobre 1697*, et ayant rapport
aux réductions d'Indiens de la Talamanca, il est dit que la langue
principale des îles est la langue terraba, bien que mêlée, à
quelques mots changuene (ou changuina), torresque (dorasqne)
et segua (Mexicain-Gbichimeca). Il y avait sur les îles 4 villages
dont les noms sont les suivants :
Canoruza, avec 32 maisons ; Puinza, 12 maisons ; Quenamaza,
22 maisons ; Urruteza, 26 maisons. Soit un total de 92 maisons,
ou environ 1,500 Indiens, Tojares ou Terrabas.
Les quelques Indiens Terrabas, au nombre d'environ 500, qui
vivent aujourd'hui dans le village de San Francisco de Ter-
raba ont depuis longtemps déjà perdu leurs mœurs et coutumes,
et leur langue même subit une impression très grande de son
contact avec les populations espagnoles : ils vivent à côté du
Borucas, dont le village n'est distant que de 5 lieues; mais
malgré cela ils ont très peu de relations entre eux.
Le Terraba est d*une taille plus élevée que la moyenne des
Indiens de Panama et de la Talamanca et d un teint plus foncé.
1) M. M. de Peralta, loc. cit., p. 131-132.
2) Id., ibiff., p. 98-i05.
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LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA 124
INDIENS SI6UAS, SE6UAS OU MEXïCAINS-CHICHIMECOS
La nation sigua, segua, plus particulièrement désignée sous le
nom de Mexicanos ou Chichimecos^ habitait, au temps de la con-
quête, le valle de Goaza, qui faisait partie de ce que Ton appelait
alors el Valle del Duy ou de los Mexicanos : cette province
embrassait le rio Tilorio ou Changinaula, la baie de Tarairal
(Bahiadel almirante ouZorobaro) et s'étendait jusqu'à celle du
Fig. 13. Statuette en tnmbaga repoassée, représentant an pouma. Dolega.
{Mus. drEthnogr,, colL Pinart, n* 10600.)
Guaymie. D'après certains renseignements je penserais volontiers
que le valle de Coazay dans lequel habitaient les Siguas-Mexica-
nos ou Chichimecos était le rio Robalo d'aujourd'hui, qui se
jette dans la lagune de Chiriqui. En 1564, le conquérant du
Guaymie et de la Talamanca, Juan Vasquez de Goronado, rencon-
tra et soumit ces Indiens. Dans l'acte de prise de possession qu'il
rédigea, il est dit qu'un cacique nommé Iztolin, des Ghimimecos
de la comarca de Hara, dans les montagnes de la mer du Nord,
province de Guaymie et valle de Goaza*, vint lui rendre hom-
mage. Ge Gacique parlait le Mexicain, et pour se faire com-
prendre de lui, Juan Vasquez de Goronade dut employer un
naguatato ou interprète Mexicain. Dans un grand nombre de
1) L. Léon Fernandez. Collecion de documentas para la historia de Costa-
Rica, t. IV. Paris, 1886, p. 297.
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Fig. 14. Vase OTOlde allongé, en terre coite décorée de ronge et de noir. Dolega.
(Mus. dEthnogr., colL Pinart, n» 10599.)
Flg. 15. Statuette en terre culte, décorée de rouge et de noir. Femme allaitant
un enfant Dolega. [Mus. d'Ethnogr.^ colL Pinart, n® 10574.)
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LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA
123
documents ces indiens sont désignés, sous le nom de Seguas ou
Signas, ou Zeguas ' : ce mot, qui appartient à la langue des
Terrabas, veut dire étranger.
Il est extrêmement intéressant de retrouver aussi loin vers
Flg, 16. Sifflet en terre culte peinte de rouge et de noir. Tête humaine. Dolega.
{Mus. d'Ethnogr., coll. Pinart, n» 10588.)
le sud une colonie de ces intrépides conquérants mexicains qui,
Fîg. 17. Petit vase en terre cuite à trois pieds pastillés en relief. Nancito.
{Mus. d'Ethnogr.y coll. Pinart, n» 10596.)
comme nous le savions déjà, avaient fondé d'autres colonies im-
1) M. M. de Peralta. Costa-Iiica y ColomUa, Madrid, 1886, p. 132. Informe
de los pp. fray Antonio de Andrade y fray P. de Rebullida et notes.
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124
LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA
portantes dans le Nicaragua et le Nicoya. Ne serait-îl pas pos-
sible de leur attribuer l'état de demi-civilisation auquel les
tribus qui les environnaient dans ces diverses régions étaient
arrivé : il est un fait incontestable, c'est que les meilleurs spé-
cimens de l'art de la sculpture, du travail des métaux et de celui
de la poterie se rencontrent dans les lieux habités autrefois par
Fig. 18. Petit vase en terre cuite, à trois pieds décorés d'ornements incisés.
Nancito. (Mus. d'Ethnogf\, coll. Pinart, n* 10565.)
des populations incontestablement d'origine Mexicaine-Nahoa,
par exemple : à Omotepec et sur les côtes du lac de Nicaragua^
dans le Nicoya, au Costa-Rica, et enfin dans la région qui nous
occupe plus spécialement ici. Si nous étudions, en effet, les
objets tirés des guacas ou tombeaux de Chiriqui, nous y trou-
verons une supériorité très gi'ande sur ceux qui ont été découverts
plus à Test vers le Veragua.
Qu'on examine, par exemple, les terres cuites peintes, à décors
polychromes (fig. 14,15,16) dont nous avons trouvé à Dolega une
collection si bizarre, qu'on regarde les élégantes et fines poteries
à décors ciselés ou pastillés en relief, que nous avons recueillies
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LES INDIENS DE l'ÉÏAT DE PANAMA 125
à Naûcito (fig. 17, 18) ou bien encore les vases à engobes et à
Fig. 19. Vu8e à eugobe ronge et dessins noirs. Environs de David.
(Mus. d'Ethnogr., coll. Charnay, n'» 16035.)
Fig. 20. Vase en terre cuite, à trois pieds, décoré d'incisures. Environs de David
(Mus. dTEthnogr., coll. Charnay, n» 16042.)
incisures des environs de David (fig. 19, 20), on constatera très
aisément que toutes ces choses sont incomparablement mieux
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126 LES INDIENS DE L^ÉTAT DE PANAMA
travaillées que celles de Panama qui sont tout à fait grossières
dans leur exécution. Le nombre des sépultures est aussi très
considérable dans le Chiriqui, tandis qu'il diminue progressi-
vement au fur et à mesure que nous allons vers Test; elles
disparaissent entièrement quand nous arrivons sur le territoire
des tribus d'origine Guna ou Darien. La conclusion est, je crois,
facile à déduire.
INDIENS SAMBUS-CHOCOES
Les Indiens Sambus-Chocoes sont en très petit nombre dans
rÉtat de Panama : leurs quelques villages se trouvent sur le rio
Sambu, qui se jette dans le golfe de San Miguel ou du Darien,
du sud, près de la pointe de Garachine. Il en existe aussi quel-
ques-uns entre cette pointe et: la frontière de TÉlat voisin du
Gaucà : ils peuvent être évalués à 500, très métissés de sang
nègre.
Ils appartiennent à la grande famille Ghocoe-Noanama-Gita-
rae, répandue dans le Choco et une grande partie de l'état du
Cauca ainsi que dans les États de Bolivar et d^Antioquia. Nous
reviendrons plus spécialement sur cette famille dans une
prochaine monographie des Indiens de TÉtatdu Gauca.
INDIENS PAPAROS
Dans l'important rapport envoyé par don Andres de Ariza,
gouverneur de la province de Darien, au vice-roi Guirior, en
1772^ et dont l'original existe à la bibliothèque nationale de
Bogota, nous trouvons, au sujet de ces Indiens, les renseigne-
ments suivants (ce sont, à ma connaissance, les seuls que nous
trouvons sur eux) :
« Avant de passer à la description des centres miniers abon-
dants qui existaient dans cette province, il ne sera pas hors de
place de donner une notice, bien que concise, sur certaine tribu
ou race d'Indiens qui y existait tout au centre de ceux dont U
vient d'être parlé (les Gunas).
Ges Indiens se nomment Paparos, dont le port et les disposi-
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LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA 127
lions étaient plus robustes et majestueuses que ceuK des Cunas.
Leur résidence principale était entre les rios Sapa et Puero, qui
tombent dans le Tuyra. Leur idiome était différent (de celui des
Cunas); leurs armes, des ûëches et des dards; leurs instruments,
non d'acier ou de fer, mais do terre et de pierre, parce qu'ils
n'avaient ni commerce, ni amitié avec aucune autre nation.
K Jamais on n'a vu dlndiens Paparos dans un village d'Es-
pagnols ou d'autres Indiens, mais on n'avait jamais appris non
plus qulls eussent fait quelque tort, même quand ils se rencon-
traient avec des étrangers ou des Indiens Cunas .
« La cause pour laquelle les Paparos n'étaient pas en relations
amicales avec les Indiens Cunas vint de ce que ces derniers se
rendaient dans les rancherias des premiers et leur volaient par
la force les jeunes gens des deux sexes afin de les vendre aux
Espagnols comme esclaves. C'est à cet effet que parut, en 1713,
un rescrit royal punissant d'amende toute personne qui aurait eu
en sa possession quelque enfant Paparo, et les juges devaient
faire attention à ce qu'aucun d'entre eux ne fut au pouvoir de
sujets ne menant pas une vie régulière ou qui ne fut pas de
bonnes mœurs, afin que ceux-ci pussent embrasser notre reli-
gion sacrée avec de bons principes.
« Bien que j aie fait toutes diligences pour découvrir l'habitat
actuel de cette nation, je n'ai pu obtenir aucun résultat. Ce que
l'on croit le plus probable, suivant ce que disent certains
vieux Indiens dignes de foi et connaissant bien ces montagnes,
c'est que les Paparos, vers l'an 1740, étaient en très petit
nombre et que les épidémies continuelles de petite vérole
les ont détruits entièrement comme cela a failli arriver aux
Cunas. »
D'après les renseignements que j'ai pu obtenir et des Cunas et
des Chocoes, il est probable que les Paparos n'étaient qu'une
tribu isolée de la famille Chocoe; celle-ci, en effet, a encore des
représentants sur le rio Sambu, à l'entrée de la grande rivière
de San Miguel et sur la côte du Darien^ depuis la pointe Gara^
chine jusqu'à l'État voisin^ du Cauca ou dans le Choco elle est
la race prédominante.
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VOCABULAIRE COMPARÉ
DES
Langues Chocoe-Sambu, Cuna-Darien» Ouaymie-Valienie, Gxiaymie-
Murire, Muoi, Dorasque, Bribri, Boruca, Terraba et Ouatuso.
Ciel
Terre
Soleil
Lune
Étoile
Eau
Rivière
Sable
Montagne
Pierre
Mer
Canot
Pagaie
Homme
Femme
Indien
Enfant
Père
Mère
FUs
FiUe
SÂMBU
Oncle
muciroa
Tante
muena
Tôle
poro
Cheveux
puda
Yeux
tau
Oreille
kuru
Nez
kù
Poitrine
hu
Bras
hua
Main
hua
Jambe
makara
Pied
hinu
Arbre
paxuru
Fruit
neta
Feuille
hitua
Branche
paxuruuï
Maïs
pe
Aji, chile
pida
Deu
Aguacate
paxa
ioro
pisia
edexo
xaxai
paôia
to
hipu
esebede
usa
hapa
toi, toe
amoxina
acoera
to^auamani
mitata
munana
minara
muxau
CUNA
nigpa
Dsibsa
tata, ipe
ni
nicheni
ti
ti
ucubu
yala
acua
telmal
hulugua
came
mastol
punagua
cuna, tule
machigua
pap
nan
diceelpadre:
^ chus '
)dice la madré:
yaffate
dice el padre :
chiscua
dice la madré :
puna
quilu
ama
chagla
chaglagua
imia
hugua
achue
tuiscal
chuncalgual
chuncal
tugualyocon
maii
chapi
ibcunet
caglia
gualcana
opa
ca
asue
GUAYMIK-
VALIBNTE*
kointa
Oobo
noana
80
muke
no
no
huma
utua
xo
meren
du
kringo
ni, nitokua
meri
move
nobo
du
meye, bi
nobo
nono
gru
gri
Ookua
Ôokuodro
ogua
olo
nidon
burude
kude
kude
nure
ngoto
kri
krinkua
kriko
krikude
xi
niva
eoga
ouAyyiE-
MURIRE
ngana
debbi
èoi
dai
beu
ôi
2i
niamantakre
ke
bali, ble
doge
kuiya
niuire
murire
kiroya
inea
cevia
kiroya
MUOI
korida
debbil
cui
daivira
veu
ci, ca, kokera
ci, 5a
ubar
hoinua
xari
bere
danega
kome
«oaimi
moïma
muoi
jagiru
ame
civima
Jagiru
caya
fagiru moima
druya
druyama
ôuga
cugama
odama
guaçava
010
guavama
ola
se, cegua
brudu
sema
igema
kana
kanauta
ko
koma
seragda
sama
seragda
greda
gaba
fl!
ga
netta
kana
naga
eu
heu
cio
Seu
gria
bu
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GUAYMIE-
OUAYMIE-
SAMBU
CUNA
VALIENTB
MURIRB
MU 01
Igname
ikade
guicubu
Irun
haya
cugu
Poisson
pau
hûçua
gua
lapa
oe
teçava
ôôDôgri
Caïman
ori
taim
surru
Tigre
imama
achuparpati
koratoron
gude
kure ôalare
Lion
imamapuru
achu quineli
kora tain
gudebere
kure dave
Singe rouge
chulu
nubuan
ëoga
coga
Singe noir
huiul
xurî
uii
unkari
Oiseau
yocucur
nukua
bdada
1 baitata
Plume
chacan
ko
ko
hia
OEuf
ala
muru^e
murue
kera
Perroquet
•/amiBO
quaqua
6uri
oie
ore
Ara rouge
para
nalu
noka
batta
1 para
Serpent
Uma
nagpe
xima
Oegebe
Oekebe
Hutte, maison
te
i neca
7.U» u
*/u
hu, hogeta
Toit
utari
! necanigpa
ugro
1 /uiîikasie
ha
Hamac
maka
1 cachi
amako
amaka
lagegama
Lance
iiiaru
1
1
pugakri
t
kuerima
Arc
; iorosia
j
tuge
1 labate
batima
Sarbacane
1 uku
! chuii
1
^
nietage
Flèche
Manger
Boire
Dormir
Chasser
Tuer
Danser
Chanter
Avoir soif
Avoir faim
Tabac
Bon
Mauvais
Grand
Petit
1
'>
4
5
6
7
10
20
Je
Tu
II
Nous
Vous
enatruroa
kareta
tohi
*/aisi
pehade
opisia
arapisi
, nimpiabui
I kacirabui
I nentroma
I ina-anikuru
baba
orne
i ompea
I kimari *
kuasoma
huasimaraba
hiiasimarano-
me
liuasimaraki-
masi
liuasimaniku-
masi
huasimanima-
numa
mui
pui
aribui
taci
para
aqueti
cune I
cope I
capie I
imalamine ,
sarsoje ;
quinegal |
namaque '
ticopeitolegue
ucuritoguete
guala
nubueti
nubuetichuli
quayartan
cheni
cuenchique
pocua
pagua
paquegua
atale
nercua
cublegue
pabaca
paquebague
ambegui
tulabuena
an
pe
ati, a
nen
pemal
buga
iMurore, kuelc
ftiae I
kobien
gridige
komite, niguc
pra/e
ke
moreretare
àiaelere
so
liokon, koin
sobra, komc
kri
kia, ëi
krati
krobu
kromo
kroboko
krorigue
kroti
krokugu
krokuo
kro bonkon
kroxoto
gre
ti
mo
ni, kua, ye
tiri, nu
niri, mu
dromeli
blire
ae
oCicoi
mabege
blabe
a>iya
bliretake
aetake
hu
no
•/useri
kueri
l»etro, siari
gdaite
gdabu
gdamai
gdalare
gdabaga
gdabo
gdaïn
gdaliga
gdatadi
gdatabu
gre
ôa
ba
cagle
bagle
cegima
I blita
kOvikae
I mabege
' ubra
kleoya
I blidiffarohitia
saKuatu
{ duga
I no
nasene
kueri, gri,gre
il»averese,8idri
I gdaite
gdabu
gdameu
gdatau
' gbabaga
I gdatiri
gdaguge
gdaike
I gdatau
gdahuva
ca
ba, va
ya, ho
ule
bule
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DORASQUE
BRIBRI
Bom;cA
TERRABA
GUATUSO
Ciel
hivat
congcutu, se-
raca
caqui
comong co-
pcvogo
tojisiqui
Terre
iri. ijaru
ichuc
tapque
crung
laca
Soleil
kerel
divo
cac
doro
toji
Lune
sirila
sivo
tebe
moc
ziji
Etoile
iixuse, viu
becvo
horumro
siyon
Eau
*-', ji» 6i, li
di
di
di
ti
Rivière
^', ji, fci, li
di
di
di
ti
Sable
halgu
tunkal
izang, xan
"P.
ara
uzija
Montagne
congbeta
cactub
crop
octe
Pierre
liak, haga
hac
ucra
ac
octara
Mer
buli
deche
quibang
dorung
tilivaticatocu-
" fa
chiu
Canot
ulu
cono
huru
tiong
Pagaie
kalua
cartac
Homme
taro
uvevi
conrojque
doben
ochapa
Femme
bia
racur
rangmoroj
uvaari
curijuri
Indien
vae
uudat
Enfant
acitraga
cabe
chaasoroj
cuosir
arapchaura
Père
kusu
che
chebejt
coc
sia
Mère
to
imi
adebe
me
su
Fils
ani
cabe
chaasoroj
gva
alafî, uran
Fille
ani-bia
alabusi
aramoroj
gva
urasifa
Oncle
-/alu
naucheque
arunca
fruca
Tante
duva
miala
fruca ora
Tôle
duku
voqui
sagra
cogo
machia
Cheveux
oga
oko
tsancu
chijtca
congso
tonaiza
Yeux
vubra
caish
bocvo
mafizicu
Oreilie
kuga
neko
cucvu
cvaga
cvongvo
tocolo
Nez
chigot
chiscah*
necvo
tain
Poitrine
irigesu
sibetsi
caa
vorbu
corisoco, pro-
sicora
Bras
kulgula
ura
bayureh
broguedoh
raaquiquitco-
ra
niacu qui chia
Main
kuIOBOl
ura
yureh
orcvo
Jambe
pergala
cruquecha
mcra
cvorvo
halu cora
Pied
ser
cru
crascva
shcong
hoquichia
Arbre
kabuoèi
car
crang
cor
cora
Fruit
kalaobe
carvo, va
crang va
shivo boh
cora curu
Feuille
kalaka
cuchuc, sig
crang cah
croga
cora aun
Branche
karikuirkala
carura
crang shijt
cogvo
cora cui
Maïs
habu
icvo
cup
cheba
îLir
ain
Aji, Chile
asi
depa
tuchju
sutuh
Aguacate
inap
amo
bu
dovorva
Igname
Poisson
tu
kisi, bara
nima
ung
ma
Caïman
6uU
toroc
eu
eu
uju
Tigre
hoSinal
namu
curah
dobon crasi-
ririn
cora quizi-
ninge
Lion
havalva
momemeh
turishevan
shuring dobon
tuehtueh
Singe rouge
toà
sar
nong
du
tiu
Singe noir
uli
vib
un
bip
uriuri
Oiseau
dul
du
du
sinuah
yisca
Plume
xul
ducvo
du cah
bacorga
olaiza
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Œuf
Perroquel
Ara
Serpent
Maison, hutte
Toit
Hamac
Lance
Arc
Sarbacane
Flèche
Manger
Boire
Dormir
Chasser
Tuer
Danser
Chanter
Avoir faim
Avoir soif
Tabac
Bon
Mauvais
Grand
PeUt
1
2
3
5
♦5
DORASQUE
10
20
Je
Tu
II
Nous
Vous
hagal
koco
koba
buli
hu
baike
xolofi
kugrega,buga
katuva
abi ya^la
kutai
wot
kabigal
okolobe
haive
kuyi
kayi
valiagua
kuririgisagua
dua
hape
irogla
hoCi
èitriga
kue
kumat
kumaS
kupaki
kulmale
kuipaka
katakalobo
kulmalmuk
kura!
ba, kone
kui
kuxuok
BR]BRI.
dorora
cochu
cucashucli
quebe
hu
hucu
quipu
shcumme
mocur
cabut
checu
ichuc
quipuc
icheburuc
iclu
iclutu
isbtsuc
(lava
boai
suruna
tain
tsidera
et
bur
m*not
quel
s*càng
terl
cugl
pagle
suricto
d'bob
d'bob buchu
che
be
ye
sa
BORUCA
icup
cunj
shooh
tebec
uh
ugaashi
cung
tuncra
cran g bot
tun casa
chara
djana
cabrah
(Jeg chura leli
chaatquiiaira
decuigui
batabayenga
duah
moren
Iza ageng rih
crïeh
istamora
eetzi
buuc
mang
bajcang
cshiscan
teshan
cujque
TEHRADA
GUATUSO
ujtan
atqui
ba
i(]ui
diiroj
dirojque
vua
bupur
uh
pogroh
cuncova
chipote
cuncova
tamarquirji
yaso
peeh
shitou uroroi
sosura
tanung
toso
laferiyoutro
dovoh
cobe
oe
c:ooquis, quis
sotirava
crara
crovii
crommiah
crobquing
crasbquingde
lerdeh
cogodeh, cra-
coc
cvongdeh,
cracvong
shcavdan,
crash cav
d'vovdeh
sagpuc
ta
fa
quimre
tan g va
fainbega
ipu
cozon
gangcoco
uh
uchia
cuji
quijitza
laça curuora
caru
tel an
chia
chufi
creque maere
mara
brazilaca
pomipurete
amim lang
tuah
aula
epe maura
niuinge caya»
ge
faja fajange
anacachuma-
ru
pon
paque quir
(4 hommes)
I posai (4 jours)
ton, ana
pu^ pomi
naye
naloti
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132 LES INDIENS DE l'ÉTAT DE PANAMA
Nota, — J'ai conservé lorlhographe des différentes langues
et dialectes suivant leur provenance. Le cuna est écrit suivant
Torlhographe espagnole, la langue ne demandant aucune adap-
tation spéciale de caractères. Le sambu, le guaymie valienle,
guaymie murîre, le muoi et le dorasque sont écrits avec
Talphabet linguistique de Lcpsius. Le bribri, le boruca, le
lerraba et le guatuso suivant Torthographe mixte adoptée
par Mgr Bernardo Agusto Thiel, évoque de Costa-Rica, dans
ses Apiuites lexicograficos de las lenguas de Costa-Rica. San
José de Costa-Rica, 1881, d'où lesdits vocabulaires sont tirés.
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LES DOLMENS DE GUYOTVILLE, ALGÉRIE
Par le D^ W. KOBELT \
De tous les ouvrages élevés par Thomme en Algérie, aucun ne
saurait captiver autant l'attention de l'observateur que ces monu-
ments de pierre énigmatiques des temps passés, que l'on
rencontre aussi souvent dans le nord de l'Afrique que dans
n'importe quel pays de l'Europe occidentale, sans en excepter
la Bretagne. Les plus connus et les plus visités — si toutefois
le touriste leur accorde quelque intérêt — sont situés à quatre
bonnes heures à peu près de la ville d'Alger, sur le plateau des
Bcni-Messous, à Guyotville.
J'entrepris, le 20 avril, pour les voir, une excursion en com-
pagnie de mon ami Joly. Nous partîmes de bonne heure pour
nous élever de la cité Bugeaud, par des lacets escarpés, sur
la montagne qui s'avance de Bouzarea dans la mer. Sur le
versant septentrional on trouve la vraie marque de la domina-
lion française, l'église de Notre-Dame d'Afrique, la patronne
des matelots comme Notre-Dame de la Garde, celle qui doit
convertir même les musulmans.
On a pourvu sa coupole romane d'un minaret où on lit on
grosses lettres, à l'intérieur : « Notre-Dame d'Afrique, priez pour
nous et pour les musulmans, » témoignage d'un amour chrétien
que franchement les Arabes sont incapables de comprendre.
Mais l'église, qui se remarque de loin en mer, est du plus bel
effet pittoresque pour cette contrée.
i) Traduction liUérale du septième chapitre du livre Reisennneiningen aus
Algérien und Tunis, publié par le docteur W. Kobelt, Frankfurt am Main,
M. Diesterweg, 1885, in-8.
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134 LES DOLMENS DE GUYOTVILLE
Les prêtres de Notre-Dame d'Afrique portent le haîk arabe et
le capuchon comme les Arabes, mais sans la mèche sacrée de
poils de chameau. C'est là, ainsi que dans la Maison Carrée, que
se trouve le quartier général des Frères Blancs, de ces troupes
héroïques du cardinal Lavigerie, qui cherchent avec ardeur et
persévérance à convaincre les mahométans de la vérité du
christianisme et des bienfaits de la domination française — car
Charles-Martial-Allemand Lavigerie est aussi ardent patriote
que pieux catholique. — Sa tactique n'est pas mauvaise. Élevés
comme des Arabes dans le séminaire de la Maison Carrée, possé-
dant à fond la langue arabe et la langue kabyle, pourvus enfin
dos connaissances médicales les plus nécessaires, les Frères
Blancs s'établissent dans les villages des Kabyles, dans les douars
des Arabes, partagent leur vie et cherchent à gagner leur
confiance. Ils ont rendu les plus grands 8er\dces à l'influence
politique de la France qui s'étend maintenant, grâce à ces mis-
sionnaires, depuis Tunis où Lavigerie a fondé, sur les ruines de
Carthage, un second établissement jusqu'à Ghadamèsetà Ghal;
mais je doute fort qu'ils aient réussi jusqu'à présent à con-
vertir un seul Arabe *.
En face de ce simple article de foi de l'islamisme : Il n'y a qu'un
Dieu et Mahomet est son prophète, — en face de promesses d'un
paradis conforme à l'imagination orientale, les dogmes de la
Trinité et de l 'Immaculée-Conception ne peuvent prévaloir, et le
culte de Marie, qui passe, aux yeux des Arabes, pour une idolâ-
trie, est doublement choquant pour eux parce qu'il s'agit d'une
femme. Par suite, les Frères Blancs ne peuvent rien faire. Ils sont
aimés chez les Kabyles à cause de leurs connaissances médicales
ou autres, on les regarde même comme des maîtres, mais ils ne
parviennent pas encore à obtenir des conversions. Ils obtien-
draient peut être de meilleurs résultats s'ils pouvaient s*unir
par des unions aux familles berbères influentes, comme l'ont
fait autrefois les Schurtfa arabes, mais leur vœu ne le leur
permet pas. Le cardinal, qui est un homme éminemment pra-
1) Lavigerie a aussi envoyé ses missionnaires dans le Soudan et à Zanzit)ar.
k
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LES DOLMENS DK CUrOTVILLE 435
lique et qui sait à merveille apprécier les qualités de ce peuple^
leur accorderait-il, à l'occasion, une dispense ou fonderait-il un
ordre demi-religieux pour lequel tout empêchement serait sup-
primé? 11 est probable que les résultats seraient considérables, étant
donné Tesprit immense de sacrifice et le fanatisme de ses fidèles.
Mais il faut qu'il se dépèche, car les Senousi gagnent tous les
jours du terrain et sont, pour les Frères Blancs, d'aussi solides
adversaires que Sidi-Mohammed el Mahdi-ben-Senousi Test
pour le vaillant cardinal. Mgr Lavigerie trouve du reste, sous
la domination française, une reconnaissance méritée et il a
louché, même dans les moments de plus grande hostilité contre
le clergé sous la jeune république, une subvention annuelle de
50.000 francs, non inscrits au budget, mais pris sur les fonds
secrets.
Nous nous élevons rapidement au-dessus de l'église en sui-
vant un sentier pavé mauresque, le seul qui unissait Alger
et Eoleah, avant que les Français aient ouvert une route surla côte
escarpée. La vue s'embellit à chaque pas et lorsque nous nous
trouvons sur l'arête, à côté des ruines du fort turc, j'avoue
volontiers à mon ami que cette vue peut rivaliser pour la beauté
à celle de Camaldoli à Naples. A nos pieds, se trouve Alger
au milieu d'une riche verdure, séparée de nous par les maison-
nettes blanches du Frais-Vallon et de la vallée des Consuls; en
arrière, s'étend le large golfe d'un bleu profond jusqu'au cap
Matifou; plus loin domine la forme hardie du Bou Zegsa; plus
loin encore se montre le Djurdjura couvert de neige. A droite,
c'est la magnifique Melidscha, avec ses champs verdoyants ol ses
\1Ilages éclatants de blancheur. On reconnaît nettement les bois
sombres d'orangers de Boufarik et de Blidah, en arrière desquels
s'élève la superbe chaîne des Béni Sala et de Mouzaia, jusqu'au
Zaccar et au Chenoua. Entre ces deux derniers , lo regard
glisse par dessus la côte septentrionale dentelée jusqu'au cap
de Tenès qui disparaît dans le bleu du lointain. Près de nous,
Tœil embrasse les pentes du Sahel jusqu'à l'embouchure du
Mazagran et la longue presqu'île de Sidi-Ferouch sur laquelle
les Français débarquèrent un jour. C'est un tableau magnifique
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136 LES DOLMENS DE GUYOTVTLLE
avec lequel il en est peu qui puissent se mesurer dans la Médi-
terranée.
Nous cheminons ensuite le long de l'arête, d'abord à tra-
vers des champs d'orge au milieu desquels le charmant gla-
diolus segetum couvre presque la moisson, nous traversons un
pâturage dans lequel se fanent des asphodèles nauséabondes.
Nous passons derrière le village de Bouzarea, près d'une
koubah à laquelle est attachée une école arabe et qui est célèbre
k cause des superbes palmiers nains qui l'entourent : je n'en
ai jamais vu d'aussi hauts ni d'aussi exubérants dans les
jardins où ils sont l'objet des meilleurs soins. Le chemin par-
court une certaine distance entre des haies de cactus et des
habitations, puis il court dans la pleine campagne. Un bois
de petits arbustes nous entoure, il est horriblement ravagé;
c'est lui qui doit surtout fournir à Algérie bois nécessaire pour
la cuisine. Il y a trente ans, on y trouvait encore de superbes
sapins, aujourd'hui disparus, aussi le nom de la riiontagne « père
de la fécondité » n'est-il plus qu'une plaisanterie. Rien n'est
triste et désert comnie une telle forêt, que les insectes mêmes
paraissent éviter. Pendant trois heures, nous voyons à peine une
créature vivante, pas un oiseau^ pas un insecte, et malgré la
quantité de fleurs, à peine un papillon. A cela près, la vue
demeure toujours ravissante. Le sentier finit par descendre,
on trouve çà et là quelques sapins rabougris, quelques bosquets
d'arbres superbes, enfin de véritables forêts. Au milieu des
pins maritimes, pousse un massif d'eucalyptus, et bien que
l'arbre d'Australie ne nourrisse naturellement aucun insecte,
une riche colonie d'insectes s'est développée sous son abri,
contrastant remarquablement avec le calme de mort de la forêt.
Nous suivons la limite d'une exploitation forestière que nous
voulions reconnaître de plus près. Immédiatement après, nous
retrouvons les fermes; des vignobles considérables nous entou-
rent de tous côtés, vignobles dont les ceps sont richement fournis.
En bas, nous rencontrons le chemin vicinal de Guyotville à
Cheraga, vers lequel devaient être les dolmens, mais c'est en
vain que nous les cherchons ; enfin, un propriétaire voisin nous
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LES DOLMENS DE GIÎYOTVILLE 137
aide à en retrouver les traces et nous indique une ferme, située
encore à deux bons kilomètres, où doivent être les tombeaux
antiques. Un chemin tiré au cordeau nous y conduit entre des
vi^obles. Une jeune dame nous accueille très cordialement el
nous montre un jardin où un homme âgé, couvert d'un immense
chapeau de paille, travaille à la vigne. Ses premières paroles
me font voir que j*ai devant moi un compatriote, un Rhein-
lander qui a passé quatre années comme instituteur de la mai-
son Berna, de Francfort, et ce temps — c'était en 1848 — il le
nomme le plus beau de sa vie. M. Kiister est alors arrivé en
France et est depuis lors resté attaché au service de Tinstruction
publique; il se plaît tout à fait dans sa place de professeur du
lycée d'Alger. Grâce aux fêtes, il se trouve accidentellement
avec sa femme, une aimable Française de Collioure, son fils et
sa fille qui parlent couramment l'allemand, dans son vignoble
qui occupe 16 hectares et qui est dans un état remarquable de
culture.
Quoique naturalisé Français^ il est resté le vrai Rheinlânder
jovial; il a pris à cœur la culture du raisin, et il me conduit
avec une fierté bien légitime, à travers les vignes très bien entre-
tenues qu'il a plantées lui-même, puis, après la visite des dolmens,
à la cave qui conserve encore quelques bonnes bouteilles, bien
que la plus grande partie de la provision ait été déjà expédiée.
Les monuments mégalithiques gisent disséminés dans le
vignoble ; il en reste tout au plus deux douzaines sur plusieurs
centaines, les autres ont servi de matériaux pour élever des
murs alors que le sol n'avait pas encore de maîtres. Le peu
qu'il en reste a trouvé un conservateur soigneux chez M. Kùster,
mais il ne peut pas empêcher que le sol fraîchement défriché
cède d'un côté ou de l'autre, que les parties latérales fléchissent
et que la toiture finisse par tomber. On ne peut songer à une
restauration devant ces masses d'un poids énorme. Tous ces
monuments se ressemblent ; deux pierres longues et deux pierres
courtes posées verticalement sur le sol forment un rectangle
allongé recouvert par une lourde dalle. Ils ne s'élèvent, en
moyenne, guère à plus de 3 pieds au-dessus du sol, la longueur
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138 LES DOLMENS DE GUYOTVILLE
atteint environ 6 à 8 pieds, la largueur à peu près la moitié.
Presque tous sont entourés d'une assise de quelques petites
pierres, mais on ne peut reconnaître une orientation suivant une
direction déterminée du ciel. Dans une fosse, les quatre pierres
pariétales 'manquaient, et la toiture gisait immédiatement sur
rassise de pierres. Les pierres proviennent toutes d'un ravin voi-
sin de rOu(id-Messous où se trouve une couche calcaire presque
horizontale, d'un pied d'épaisseur environ. Elles sont complète-
ment brutes, et même, dans les- parties qui se trouvent dans la
terre et qui étaient ainsi protégées contre l'efifritement, on ne
reconnaît aucune trace de polissage.
Une chambre sépulcrale s'était effondrée dans ces derniers
temps et la pierre de la toiture s'était brisée. M. Kûsler avait fait
déblayer les ruines avec soin et il avait trouvé que l'espace inté-
rieur était divisé par une dalle de pierre en deux parties inégales.
Dans la plus grande, se trouvaient les restes de deux squelettes;
dans la plus petite, on ne trouvait qu'une paire d'os délicats
comme ceux d'un enfant. Évidemment, il s'agissait là d'une sé-
pulture de famille. Malheureusement, on ne put avoir les crânes.
Les morts avaient probablement été ensevelis dans une position
accroupie, comme cela est la règle dans le nord de l'Afrique et
comme c'était la coutume d'après Hérodote chez les Nasamons.
Les crânes trouvés, dans les dolmens des Beni-Messous et dont le
musée d'Alger renferme divers échantillons, sont longs et étroits
comme ceux des Berbères de nos jours. A côté des os, se trou-
vaient des fragments de poterie et un bracelet de bronze riche-
ment orné. Les accessoires sont généralement rares ; une fois
seulement on a trouvé une jolie fibule, une autre fois un simple
anneau uni, et deçi-delà des armes de pierre de toute espèce.
M. Kûster a tout collectionné avec soin, mais, malheureusement,
il avait envoyé la partie principale de sa collection à l'exposition
de Toulouse où un jeune savant, M. Regnault, devait se livrer
sur ce sujet à un travail qui n'a pas encore paru «.
1) M. F. Regnault avait déjà publié sur ce sujet un mémoire intitulé : Les Dol-
mens de Beni-Missous dont on trouvera une analyse à la page 276 tome V de
la Revue (^Ethnographie, Les objets de pierre ne se trouvent point dans les
monuments mais autour.
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LES DOLMENS DE GUYOTVILLE 139
Qui a édifié ces tombeaux ? Si c'est ainsi que Ton pose la
question, la réponse est facile. Il ne peut être question, pour le
nord de TAfrique, d'aucune grande migration de peuples; toutes
les populations migratrices, depuis les blancs Tamhou de TÉgyplo
jusqu'aux Arabes, ont disparu devant les masses étroitement
fermées des peuples autochtones; les infortunés Celtes ne
peuvent jouer ici aucun rôle et on arrive ainsi à croire que
personne na érigé ces fosses de pieire si ce n^est les ancêtres
des Kabyles de nos jours. Et il y a d'autant moins lieu de douter
de ce fait, que nous savons que les Kabyles du Djurdjura avaient
coutume, jusqu'en ces derniers temps encore, de dresser des
pierres en souvenir des événements remarquables. Lorsque, entre
4737 et 1748, la confédération des Aït Iraten tint une assemblée
dans le village Aguemmoun et décida d'abolir juridiquement le
droit de succession des jeunes filles, qui choque la coutume ka-
byle, on dressa, en souvenir de cette réunion, autant de blocs de
pierre qu'il y avait de tribus ayant pris part à la délibération. On
peut attribuer une origine analogue au monument mégalithique
que Hodgkin décrit au Maroc, entre Tanger etMiknasa. C'est un
cirque de pierres de 30 à 40 mètres de diamètre, avec un tertre
central de 20 pieds environ de hauteur et dont la face supérieure
forme une plate-forme de 30 pieds de diamètre ; tout autour se
dressent environ quatre-vingts blocs de grès, parmi lesquels s'en
trouvent deux plus gros, de forme ovale, ayant respectivement 16
et 18 pieds de haut et 4 et 2,6 d'épaisseur à la base, consti-
tuant, en quelque sorte, les montants d'un portique. Mallzan
a trouvé des monuments analogues en Tunisie à Maghraua et à
Geryville, dans la région des schotts De semblables monuments
de pierre en Europe, sur lesquels s'est exercé en vain jusqu'à
présent l'esprit des archéologues, peuvent bien avoir eu une
signification analogue.
Ces sépultures ont été certainement érigées même jusqu'à
l'époque romaine, car on a trouvé dans l'une d'elles une médaille
de Faustina, comme objet accessoire de sépulture. Cependant
Berbrugger pense que ces monuments sont dus aux tribus bre-
tonnes au service des Romains (leur présence en Algérie a
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140 LES DOLMENS DE GUYOTVfLLE
d'ailleurs été conOrinée par les pierres tiimulaires), depuis sur-
tout qu*on a reconnu la richesse de TAfrique septentrionale eu
monuments de ce genre, ce qui n'a eu lieu que fort tard. (CVsl
seulement en 1859 que Rhind attira l'attention des naturalistes
anglais sur les dolmens des Béni Messous, mais on ne remarqua
son mémoire intitulé : Orthological Remaim in North Afrika
dans le trente-huitième volume de l'archéologie, que lorsque
l'interprète Féraud de Constanline fit remarquer à Tarchéologuo
Christy la quantité de dolmens placés à la source de Bou
Merzoug et qu'il publia lui-même deux écrits sur ce sujet
dans les Mémoires de la Société archéologique de cette ville,
on 1863 et 1864.) L'opinion que les Celtes auraient été les
édificateurs de ces monuments mégalthiques, perd chaque
jour du terrain et ne compterait que bien peu d'adhérents au-
jourd'hui. On trouve les monuments de pierre dans de nom-
breuses contrées qui n'ont jamais été habitées par les Celles,
tandis qu'ils manquent absolument dans les anciens pays
celtiques, comme l'Allemagne méridionale. Dans son remar-
quable ouvrage, Fergusson exprime l'idée que les dolmens
d'Algérie ont été dressés par les habitants de l'Aquitaine, qui
fuyaient devant l'invasion des Celtes vers le nord de l'Afrique,
600 ans avant J.-C. Mais l'histoire ne sait rien de cette fuite et
il est à peine concevable que les fugitifs, en passant la mer, aient
pu pénétrer jusque dans l'intérieur du pays kabyle. Les Phéni-
ciens eux-mêmes, auquels on attribue si souvent l'érection des
mégalithes, ne peuvent sérieusement entrer en ligne de compte,
depuis que Ton connaît plus exactement la distribution géogra-
phique des dolmens; on ne trouve en effet aucun monument
mégalithique, ni dans leur patrie ni dans les contrées qui furent
longtemps en leur possession, comme les environs de Carthage
et d'Utique. Ces monuments étaient d'un trop grand travail pour
des marchands navigateurs qui ne faisaient qu'un séjour de courte
durée dans les pays qu'ils visitaient.
R. Von Scala* arrive à ce résultat, que lapins grande partie dos
1) Ausiand, 1884, n« iL
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LES DOLMENi DK GUYOTVILLE 141
dolmens se trouvent dans les pays qui ont été habités autrefois
par les races de Tlbérie. D'après Rûtimeyer *, les dolmens appa-
raissent d'abord dans la Scandinavie avec des dimensions aussi
grandes qu'en Bretagne ; de là, on les voit s'élever tout le long
des côtes de la Baltique et de TÂtlantique, manquant dans les
marais de la Hollande et de la Belgique, où le défaut de ma-
tériaux rend leur absence bien naturelle, et apparaissant de
nouveau d'un côté en Angleterre, de Tautre en France. Mais les
(umuli comprennent des chambres formées de grandes pierres
plates dont l'identité avec les dolmens ne me paraît pas abso-
ment démontrée et dans lesquelles je vois seulement des tombes
géantes modifiées par suite de la nature des matériaux, les
blocs erratiques, que l'homme avait sous la main, car les
dolmens encore debout sont excessivement rares dans TAlle-
magne du nord. Si Ton fait abstraction de ces édific(*s, que
Riitimeyer invoque pour démontrer que les monuments méga-
lithiques n'appartiennent pas à un peuple déterminé, mois
représentent une époque de ci\nlisatîon de plusieurs races, un
verra que la plupart des dolmens se trouvent, d'après la carte de
Fergusson, à Touest d'une h'gne fictive tirée de Marseille à
Bruxelles, qui se recourbe toutefois au centre de la France. Us
se tiennent surtout sur le littoral, mais ils s'avancent aussi sur
le plateau central de TAuvergne et même jusque dans les vallées
des Pyrénées. On trouve des dolmens aussi grands et aussi
nombreux qu'en Bretagne sur les plateaux granitiques arides
de l'Auvergne où d'ailleurs le rocher, qui se brise en forme de
plaques, facilite la construction de ces tombeaux de pierre et où
la solidité des matériaux leur garantit une durée insolite. Tout
cela s'explique très bien, si on accepte avec Fergusson que
les habitants primitifs de la Gaule, de souche ibérique et les
descendants directs des troglodytes ont été refoulés par les
Celtes envahisseurs, dans ces régions peu hospitalières et y
ont conservé, pendant des siècles, les coutumes de leurs ancêtres
encore reconnaissables aujourd'hui dansles Auvergnats. On trouve
1) Di€ Brvtufjne, p. 86.
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142 LES DOLMENS DE GUYOTVILLE
aussi des dolmens dans le Portugal et le nord do l'Espagne ;
enfin on en rencontre un nombre considérable dans le nord de
l'Afrique. Tout cela s'accorde remarquablement avec Topinion
de von Scala, et on peut y joindre les dolmens anglais comme
à peu près exclusivement placés dans la région des Silures ibé-
riques; mais que penser des innombrables monuments de pierre
de TArabie et de la Palestine, de l'Asie centrale jusqu'en Chine,
enfin de la partie occidentale des Indes où les côtes de Malabar,
les monts Nilgherris et même tout le plateau du Dekkan sonl
couverts de tombeaux? Cela dépasse de beaucoup la limite
que les meilleurs amis des Ibères leur attribuent. II faudrait
aller plus loin et reconnaître comme constructeurs des méga-
lithes toute la postérité de Ham> toute la population préa-
rienne et non sémitique du sud, ainsi que les Kouschites de
TAfiique et de l'Asie et les fils de la brune Kudra dans Flnde.
Franchement, que savons-nous des Ibères? Le paléœthnolo-
giste exact frémit quand il est question des Celtes, comment se
soucierait-il des Ibères ? Il n*a pour celui qui s'en occupe, qu'un
haussement d'épaule, qui n'est pas tout à fait injuste pour les
Espagnols, les Français et les Basques qui se sont occupés seuls
depuis W. von Humboldt de cette question. Hehn* a malheureuse-
ment encore raison aujourd'hui, quand il dit qu'il leur a manqué
un Kaspar Zeuss, pour dissiper par les moyens et les méthodes
de la science moderne l'obscurité qui les couvre. Ce n'est pas
ici le lieu de traiter complètement cette question.
On trouve des dolmens dans le nord de l'Afrique partout
où existent des carrières convenables, où le calcaire se brise
en dalles suffisamment grandes et solides et d'une épaisseur
modérée. On est sur de trouver des tombes de pierre, par-
tout où ce calcaire existe. Apparemment on a trouvé plus com-
mode de porter les morts vers les pierres, que celles-ci vers
les morts. Aussi ne trouve-t-on que peu de tombeaux dans les
contrées cultivées ; le calcaire n'est pas propre à la culture, et la
plupart des dolmens sont situés sur le rocher nu. Ceux du
i) KuUurpflànzen^ p. 540 (3te Aufl.).
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LES DOLMENS DE GUYOTVILLE 143
plateau des Béni Messous à Guyolville font exception. Ici on a
dû briser les plaques calcaires h une certaine profondeur, mais
le plateau est à peu près le seul endroit de tout le Sahel et même
de la Metidscha, et de son cirque de nïoutagnes, où Ton trouve une
pierre convenable. Dans la province de Constantine, les mon-
tagnes calcaires avec les clivages ou les fentes en plaques, et
par conséquent les tombeaux de pierre, sont bien plus fréquents.
A Guyotville on ne trouve que des tombeaux de la forme la plus
simple. Mais ailleurs, en Algérie, nous rencontrons aussi des
édifices de pierre plus compliqués. A Tiaret où Ton voit
même des figures gravées dans la pierre, les seules qu'on ait
découvertes jusqu'à présent en Algérie, on rencontre un dolmen
dont la dalle de toiture a 19°, 5 de long, 8™, 8 de large et dont les
pierres latérales ont 2°, 85 de haut, monument dont les dimen-
sions ne sont dépassées que par le fameux dolmen géant de
Antequara, entre Malaga et Grenade, la Cueva de Mengal, qui a
27 m. de long, 7 m. de large, et qui est d'une hauteur intérieure de
5 m., mais il faut dire que la toiture n'est pas d'une seule pièce et
qu'il y a un pilier central. L'Algérie possède aussi quelques
formes particulières de monuments mégalithiques que Ton ne
trouve pas ailleurs. C'est ainsi qu'on rencontre des cercles con-
centriques de pierres, disposés en gradins ; à l'intérieur du
cercle qui a environ 30 pieds de diamètre, se trouve un
rectangle entouré sur trois côtés par des pierres dressées, et
dont le sol intérieur est pavé de petits cailloux. Flower, qui le
premier a décrit exactement ces monuments au congrès préhis-
torique de Norwick, les nomme bazinds. Ils sont congénères de
ces dolmens élevés sur une substruction de degrés en forme
d'escalier. On trouve également avec les bazinas^ mais le plus
souvent au bord des précipices les chouchaSj murs circulaires en
pierres brutes, de 5 à 10 pieds de diamètre, fermés par une mince
pierre qui sert de toiture ; l'intérieur est pavé de cailloux et on
y accède par un orifice. J'ignore quels rapports ces monuments
ont avec les sebkas mentionnées par Desor *, qui seraient consti-
1) Sahara et Allas, p. 57.
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144 LES DOLMENS DE GUYOTVILLE
luées par des tours en pierres jointes avec un caveau à Tinté-
rieur, ce nom me parait reposer sur une confusion.
Mais en outre on trouve particulièrement en Algérie les djedar^
pyramides quadrangulaires de grandes dimensions (jusqu'à 50
mètres de côté) pourvues d'un système intérieur assez compliqué
de couloirs et de chambres, et dont les portes sont formées de
pierres, glissant à travers des coulisses. On les rencontre en
divers points de la frontière, entre le Tell et les hauts-plateaux
et on les regarde comme les tombeaux des chefs indigènes qui
avaient conservé les coutumes de leurs prédécesseurs. Ces mo-
numents ont servi certainement jusqu'à l'époque romaine et
même dans l'ère nouvelle, car plusieurs d'entre eux ont été cons-
truits avec les ruines de constructions romaines et montrent des
ornements qui ont été employés pour les temples de Ravenne.
Les deux célèbres tombes royales du Medrassen et le tombeau de
la Chrétienne, ne sont autres que des Djedar de forme ronde,
d'une grandeur considérable et construits avec un luxe parti-
culier. Rutimeyer va même plus loin et se demande au sujet de
rÉgypte où les vraisdolmens manquent,'si les cavités sépulcrales,
et même les pyramides, ne sont pas autre chose que des tombeaux
de pierre, de forme géante. Je pourrais retourner laquestion, en
partie, et dire : Les tombeaux de pierre sont-ils autre chose que
des imitations des cavités et des grottes dans lesquelles on avait
anciennement coutume d'ensevelir les morts?
Les tombeaux de pierre ont d'ailleurs pour les conchyliologistes
un intérêt particulier, car on y trouve un riche assortiment de
toutes les espèces qui se trouvent dans les environs. Elles y cher-
chent un abri contre l'ardeur du soleil, et les coquilles protégées
contre la destruction se conservent remarquablement longtemps.
On trouve surtout, en quantité, de petites espèces brillantes du
^QnreFerussacia, et quelques observateurs sont disposés à croire
que pour une raison quelconque elles étaient spécialement desti-
nées aux sépultures. Mais il est probable que ces petits mollus-
ques carnivores ont été attirés par les produits de décomposition
dont ils se sont nourris, comme on l'a observé directement chez
leurs congénères d'Europe, comme la Cionella acicula. Aussi ne les
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LES DOLMENS DE GUYOTVILLE 145
trouve-t-on dans les tombeaux, que là où les espèces de ce genre
sont communes*; à Guyotville où elles sont rares, je n'ai trouvé
dans les dolmens que des espèces répandues partout [Hélix as-
persa^ H. aperta et Stenogyra decollata). Je mentionne cela à des-
sein, car Tchihatcheff, qui a visité ces dolmens en 1878, a fait
remarquer qu'on n'y a jamais trouvé des mollusques terrestres,
mais seulement une espèce marine {Pectunculus sp.). Il est pro-
bable que cette opinion repose sur une méprise; le docteur
Bourjot, avec lequel Tchihatcheff a visité les dolmens, lui a dit
probablement qu'on ne trouve pas ici les Ferussacia qui se ren-
contrent en quantité dans les autres dolmens.
Nous restâmes tant que nous pûmes, chez notre hospitalier
compatriote ; puis au retour, à trois bonnes heures et demie d'Al-
ger, nous fîmes un bout de chemin, en compagnie de M. Kûster
et de son fils. Sur le versant du Sahel, nous prîmes un chemin de
traverse qui devait nous conduire à travers f exploitation fores-
tière à une grande route au bord de la mer. L'établissement sert
à la fois de jardin d'essai et de jardin de botanique pour Alger et
je regrettai infiniment de n'avoir pas le temps d'examiner de
plus près les essences variées qu'on y cultive, La nuit appro-
chait lorsque nous atteignîmes le petit chalet dans lequel on peut
au besoin se raffraîchir, nous dûmes presser le pas, et cependant
il était déjà complètement nuit lorsque nous atteignîmes Saint-
Eugène où un omnibus nous facilita le restant de la route. Mal-
heureusement nous n'avions pas le temps de renouveler notre
visite, l'heure du départ arrivait et il nous fallut dire adieu à la
beJle ville d'Alger.
Je le regrette d'autant plus, que je ne trouve nulle part des
renseignements exacts sur cette pépinière, et Tchihatcheff
lui-même ne semble pas l'avoir visitée. Sa prospérité sur un
sol aride, montre combien il serait facile de reboiser tout le
Sahel. n existe à Alger même une Ligue de reboisement sur
les succès de laquelle je n'ai aucune expérience, car je n'eus
pas de réponse de son Président auquel j'avais demandé des
éclaircissements ; en tous cas elle peut trouver assez de travail
aux portes même d'Alger, si elle veut seulement sortir de son acti-
VI 10
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146 XES DOLMENS DE GUYOTVILLE
vite simplement théorique. L'Étal, d'ailleurs, encourage les plan-
tations boisées et les soutient par des primes, mais les sommes
employées sont trop faibles, car, d'après le rapport officiel de 1883,
elles n'atteignaient alors que 19.600 francs. Le gouverneur Tir-
man, à qui ses adversaires les plus ardents ne peuvent contester
son ardeur à relever l'Algérie, consacre à cet objet une attention
toute particulière, et il a invité par une circulaire les administra-
teurs des communes mixtes à faire des tentatives d'ensemence-
ment sur les sommets en friche. U remarque avec raison que pour
un prix modeste, la prospérité d'un petit nombre d'arbres est déjà
très rémunératrice et qu'en renouvelant les essais on finirait par
avoir une année des plus favorables. En outre chaque commune
doit recevoir à son choix et gratuitement le terrain destiné à la
pépinière. L'État lui-même limite ses attributions à l'entretien
et à l'amélioration des forêts existantes, et c'est malheureuse-
ment déjà plus que ne peut faire son petit personnel forestier. Ce
personnel se compose d'un conservateur pour chaque province,
de quinze inspecteurs qui ont chacun à surveiller cent vingt mille
hectares,etde vingt-cinq inspecteurs-adjoints. Le personnel secon-
daire s'élève à environ six cents hommes dont les trois quarts
sont Français ; il n'est pas également distribué sur tout le territoire
mais concentré là où il doit surtout exercer son rôle protecteur
comme dans les forêts de cèdres de Teniet el Haad, de Blidah et
dans les environs de Batna, enfin dans les forêts de chènes-liège
à Edough et à La Galle. Les bois de petits arbres étendus sur de
vastes espaces sont confiés à quelques gardes forestiers arabes
qui, naturellement, n'ouvrent pas toujours l'œil sur leurs corréli-
gionnaires. Lorsque la chose est possible, on cherche à créer et
à entretenir des haies, afin de pouvoir combattre plus facilement
les incendies dévastateurs. On s'est même occupé dans quelques
districts de fossés et de tranchées de protection. En outre, les
tribus confinant aux domaines forestiers sont astreintes, à raison
des bénéfices qu'elles en retirent, et pour acquitter leur droit de
pacage, à entretenir des surveillants (Hassas) en certains points
élevés, pendant les mois d'été, afin que ceux-ci puissent signaler
rincendic à son début.
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LES DOLMENS D£ GUYOT VILLE 147
Des incendies aussi terribles par leurs dégâts que ceux qui ont
été allumés à dessein, en 1881, seront ainsi prévenus à Tavenir, il
faut du moins Tespérer. La loi qui rend responsables les habitants
des dégâts d'un incendie, a beaucoup contribué à Famélioration
des choses, et pour 1883 la totalité des dommages de cette espèce
ne s'est guère élevée qu'à une centaine de mille francs. Les nou-
velles plantations, faites surtout avec le pin maritime, n'existent
jusqu'à présent que sur le Murdjadjo à Oran, dans le Sahel, à
Orléansville, autour de Bougie, et sur le Sidi Mecid à Conslantine ;
la somme inscrite au budget s'élevait à 30,000 francs environ en
1863, mais elle atteignait 140,000 francs pour 1884. Les planta-
lions particulières ne sont exécutées que sur une bien faible
échelle, et se bornent surtout à la reproduction d'eucalyptus en
des endroits appropriés. Les compagnies de chemin de fer et les
propriétaires des grandes concessions y sont obligés par la loi.
Les bois de petites essences suffisent juste aux besoins du chauf-
fage, mais la crainte du feu a retenu les capitalistes là même où
le prix du bois de construction était suffisamment élevé pour
engager à établir des forêts.
On doit toujours penser, lorsqu'il est question de reboisement
dans les pays méditerranéens, que les forêts méridionales, sur-
tout celles qui reposent sur un sol calcaire, n*ont pas supprimé
la question du réglage de Fécoulement des eaux, comme dans
nos montagnes. Dans celles-ci, c'est surtout la couche d'humus
avec son tapis de mousse, qui absorbe l'eau pluviale comme une
éponge, et ne la rend ensuite qu'avec lenteur. Les arbres ne con-
tribuent à ces effets, que par l'ombrage dont ils couvrent le sol et
en facilitant la formation de cette couche d'humus. Dans le Midi,
on ne trouve des mousses et des broussailles que sur quelques
points assez élevés et exposés aux vents humides de la mer, et
il est rare qu'il se forme une épaisse couche végétale. Il arrive
bien plus souvent que dans la plupart des hautes forêts, les arbres,
chênes ou pins maritimes, tiennent à un sol rocheux, dépouillé,
et que l'eau s'écoule aussi rapidement que sur un.sol non boisé ;
les basses forêts retiennent bien mieux l'eau, et sous ce rapport
elles sont peut-être préférables aux bois de haute futaie. Dans
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148 LES DOLMKNS DE GUYOTVILLE
tous les pays médilerranéens, ce qui serait peut-être plus impor-
tant que des reboisements pénibles, ce serait de réunir soigneu-
sement les torrents pluviaux par des barrages* non pas seulement
par ceux qui sont d'une construction importante, et dont les ca-
tastrophes successives de Perrégaux et de Sig ont montré si
nettement le danger, mais encore par ces petits travaux dans
lesquels un ravin sans valeur pourrait sans grande dépense ser-
vir de réservoir.
En tous cas, les fautes commises en matière forestière en
Algérie, ne doivent pas se renouveler. Un décret du gouverneur
général, en date du 12 juin 1879, a autorisé les agents forestiers
à aiTermer aux indigènes les clairières des forêts domaniales au
prix de 25 centimes Thectare. D'après un rapport de la Revue
géographique internatiofiale * qui s'occupe ardemment de l'état de
l'Algérie, on trouve la constatation officielle de 40 de ces clai-
rières en 1879, qui en 1880 s'élèvent déjà à 60, pour se monter
à 270 en 1881. Naturellement une telle dévastation doit avoir
les pires conséquences.
Avant toutes choses, il serait nécessaire de surveiller étroite-
tement les particuliers et les sociétés auxquels on a concédé
l'exploitation des centres forestiers importants. Les chemins de
fer, avec leur consommation de traverses, sont particulière-
ment pernicieux pour les hautes forêts, et pour réparer les
pertes, on emploie presque exclusivement le Quercus Mirbecki.
La compagnie de Paris-Lyon-Méditerranée exploite pour ses
besoins Tétendue comprise entre Edough et Bône, qui lui a été
concédée presque en totalité. Parce que le bois ne coûte rien, on
croit inutile d'injecter les traverses qu'il faut changer après huit
années de service à peine ; aussi les forêts tenues pour inépui-
sables ne peuvent plus aujourd'hui livrer les 10,000 traverses
nécessaires chaque année, et il faut aller les chercher dans les
forêts difficilement accessibles de la petite Kabylie. Telle est au
mépris des lois Texploitation des concessions forestières; même
dans les forêts de chênes-liège, on ne recule pas devant les bri-
1) 1882, p. 222.
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LES DOLMENS DE GCYOTVTLLE 1 i9
gandages de toute sorte, sans se soucier qu'on tue la poule pour
avoir les œufs d'or. Malheureusement, onnepeulatti^ndre de sitôt
une amélioration de l'état de choses, en face des fortes positions
qu'ont acquises les sociétés financières et du gros capital dont
celles-ci paient les intérêts. Il faudrait pour cela promulguer une
loi spéciale, car Napoléon III, encore en 1870, a cédé, en pro-
priété libre de toute charge aux concessionnaires, les forêts qui
devront faire retour à TÉtat dans quatre-vingt-dix ans, contre
une faible somme payable' en vingt années, à partir de 1880 (60
francs l'hectare dont on retranche encore un tiers et la surface
totale de tous les endroits incendiés).
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DECADES AMERICANtE
Mémoires d'archéologie et d'ethnographie américaine
Publiés par le Docteur E.-T. HAMY
Conserrateur da Masée d'Ethnographie.
{Suite,)
XIII
LES STATUES DE TEHUACAN DE LAS 6RANADAS
I. — Le Musée National de Mexico possède depuis de longues
années deux statues en tuf trachitique [toba traquitica) *. portant
encore des traces de peinture et incrusté de thalchihuit et autres
pierres dures; elles ont été trouvées ensemble à une époque indé-
terminée dans une fouille pratiquée à Tehuacan de las Granadas.
Cette ville, aujourd'hui simple chef-lieu de district de l'État
de Puebla, à une douzaine de lieues au sud-ouest d'Orizava,
était autrefois fort riche en monuments indigènes. « Particuliè-
rement adonnée, suivant les expressions de Torquemada, au
culte et au service des démons * » la ville de Tehuacan, dont le
nom signifie le Heu où Von possède des Dieux, contenait un vaste
1) Cf. G. Mendoza y J. Sanchez, Catdlogo de las colecciones histôrica y
(trqueolôgicadelMuseo National de Mexico. Mexico, Escalante, br. in-18,p. 35,
2) « Tehuacan... pueblo... particularraente dedicado a la cultura y servicio de
los Demonios en su antiguedad conforme a la Etiraologia del nombre, crue
parece eignificar lugar de los Diosos ; y asi era grande el numéro de los Idoios
que en aquel Pueblo hauia. » (J. de Torquemada, Tercera parte de los veinte i
un libros ritualesi Monarquia Indianœ, lib. XX, G. xliu, 2» éd., Madrid, 1723,
I. IIÏ, p. 480-481.)
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LES STATUES DE TEHUAÉAN DE LAS GRANADAS 131
panthéon que Fr. Juan de San Francisco détruisit, aussi com-
plètement que possible, peu de temps après la conquête *.
Les deux statues du Musée National avaient été probablement
enfouies avant cette exécution par quelque Indien, resté fidèle
au culte des ancêtres ; elles sont sorties presque intactes de la
cachette qui les avait soustraites au xvi" siècle aux fureurs des
émules de Zumarraga '.
Quand on se trouve en présence de ces deux uniques survivants
du panthéon de Tehuacan ', on est tout aussitôt frappé des carac-
tères communs qu'ils présentent. Ils ont exactement la même
taille (1",18), presque les mêmes contours généraux, la roche
est identique et la main-d'œuvre diffère si peu, de Tune des deux
œuvres à Tautre, qu'on se sent tout porté à croire qu'elles sont
sorties autrefois d'un même atelier.
Ce sont deux pendants, ou tout au moins deux termes d'une
série disposée symétriquement jadis dans quelque édifice reli-
gieux de la ville. Nous allons voir que les inscriptions mysté-
rieuses qu'elles portent à la nuque et qui ont échappé jusqu'ici à
l'attention des archéologues qui les ont examinées établissent
entre elles une solidarité nouvelle.
La première de ces statues, le numéro 4 du catalogue cité
plus haut, a surtout provoqué l'attention des archéologues et des
ethnographes \ Le personnage féminin qu'elle représente est bien
1) « Como el celo de! Varon de Dios era, que 'solo vn Dios verdadero fuese ado-
rado, y desLruidos todos los demas que fingidamenle ysurpaban este Nombre : hiço
recoger el stervo de Dios de estos todos los que pudo con intento, de que
en vn Dia senalado se biciese vn solemne sacriOcio a la Divina Magestad,
destraiendo y asolando publicamente esta abominacion, etc. » (Torquemada,
libr. XX. c. xLiii. 1. 111, p. 481. — Cf. Id. libr. XVII, c. xiv, t. III, p. 173 et
Vetancurt, Menologio franciscanOj p. 79.) Les dominicains s'étaient établis de
très bonne beure à Tehuacan (Torquemada, libr. XVII, c. vi, t. IIÏ, p. 222;
libr. XIX, c. IX, t. III, p. 324. — Cf. Vetancurt, Teatro MexicanOy 4 p., t. II,
p. 66. Mexico, 1698, in-f«.)
2) Nous en ayons au Trocadéro deux excellents moulages exécutés par les
soins de M. Charnay à Mexico.
3) c< No subsisten de el, dit Dupaiz en parlant de Tebuacan, sino unas grandes
ruinas de lemplo y caserias de cal y canto, situados en laderade unos cerritos. »
(Dupaix, l'* expédition, p. 5.)
4) M. Mehédin, par exemple, dafts une note datée de iSG^ {Divinité mythique
de la mort à laqueue on offrait les victimes humaines par plusieurs milliers à
la fois dans les rites religieux de Vantiquité mexicaine. Nouvelle description,
par Léoo Mébédin, Paris, Laine et Havard, in-fol.) la rapprochait de la grande
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152
DECADES A&fEBTCANiE
feît d'ailleurs pour attirer le regard. Son corps de vieille, aux
seir».flélri8 et déprimés, est surmonté d'une tête de mort ornée
\
X
V
Pig. 20. Chicoei-MiquizUi, figure symbolique de Tehuacan de las Granadas,
(d'après un moulage conservé au Musée d'Ethnographie.)
de turquoises ; ses mains aux paumes calleuses, parce qu'elles ont
beaucoup travaillé, se projettent comme pour saisir le malhcu-
idole de Teoyaomiqui. « La figure n*»" 75-76 (c'est celle.de notre statue catalo-
guée sous ces deux numéros dans son portefeuille de dessins) vue sur ses deux
laces n'est-elle point une variante très intelligible et rendue plus humaine de
cette terrible déesse de la mort, Teoyaomiqui? Ce spectre sur des épaules de
femme et la position des mains prêtes à se jeter sur les mortels ne sont-ils pas
expressifs autant que notre squelette classique armé de sa faulx?... » La statue
dite de Teoyaomiqui est une divinité complexe où la mort intervient bien ,
mais pour combiner ses symboles avec d'autres symboles du panthéon mexi-
cain, tandis que notre pièce représente exclusivement Miquizlii.
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LES STATUES DE TEHUACAN DE LAS GR AN AD A 8 15â
reax passant ; de hideux serpents à sonnettes s'entrelacent pgnr
tisser sa jupe ; enfin ses pieds aux larges doigts sont armés
d'énormes griffes. C'est bien Miquiztli, la mort, toute prête à
remplir son lugubre office, ainsi que MM. Mendoza et Sanchez,
Charnay, Lucien Biari et beaucoup d'autres l'ont très facilement
reconnu'. Mais c'est Miquiztli sous une forme redoublée et
particulièrement terrible, ainsi que le démontre Thiéroglyphe
dont le sculpteur a caché le relief derrière la tête (fig. 21). Cet
hiéroglyphe représente en effet une tête de mort vue de profil,
cnlourée de deux séries de rayons et à droite de laquelle sont
Fig. 21. Hiéroglyphe représenté en relief sur ToccI put de la statae de Miquiztli.
huit petits disques numériques. Cet ensemble doit se lire
ChicueiÇtïuii) Miquiztli {mort) ; huit, mort.
Or Chicuei Miqiiiztli est dans le calendrier astrologique
mexicain, le huitième jour de la septième treizaine (ce-quiauttl)
i) Seul de tous les archéologues <]ui ont étudié cette sculpture, M. Alfred
Chavero,,Y a vu autre chose que Miquiztli. Rapprochant ce morceau, comme
Tavait fait M. Méhédin, de la grande et célèbre statue souvent désignée sous le
nom de Teoyaomiqui, et dont u fait une représentation de Coatlkue. (A. Chavero,
La medra del Sol, XVL Anales del Mus, Nac. de Meanco, t. II, p. 293-298.)
M. Chavero attribue à cette dernière divinité la figure que nous étudions. « La
mujer, écrit-il (p. 298), tiene per cabeza una calavera adomada de lurquesas ;
las manos estan en aclitud de hacer presa, y las tiene encallecidas de tomar
bombres para la muerte ; la adorna una enagua de culebras. Es tambien Coatlicuei
la tierra en la noche, la muerte. » Et .dans ses notes au catalogue de
MM. Mendoza et Sanchez, il dit encore (Ibid,, t. II, p. 484) : a No solameote
Miquiztli f otras deidades tienen per çabeza una calavera, como son Coatlicue
i Izpapalotl : asi es que para classiQcar las justamente^ es preciso atender a
sus otros attributos. Aqui es Coatlicue que significa enagua de culebras, y en
efecto, tal enagua se ve en el idolo. Coatlicue es una de las representaciones de
la terra en cuyo seno se depositan los cadaveres,; y por eso la vemos con las
manos encallecidas de tomar muerlos. » M. Chavero n*a pas vu plus que ses
prédécesseurs les hiéroglyphes placés sur l'occiput de la statue, et sur l'étude
desquels repose Tinterprétation que je propose.
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154 DECADES AMERICAN£
et c'est le seul jour dans la série du tonalamatl où le signe
Miquiztliy nom du jour, coïncide avec le même signe Miqtnztli,
employé comme symbole du cinquième des Seigneurs de la nuit \
C'est un jour plus particulièrement placé sous la puissance de la
mort, jour terrible entre tous et dont Tinfluence était regardée
comme particulièrement néfaste. Sahagun nous apprend que
« ceux qui naissaient ce jour-là étaient mal vus et détestés de
tout le monde. » Ils avaient d'ailleurs, ajouta-t-îl, selon les
Mexicains, « toutes les mauvaises inclinations et les pires vices
qui existent '. »
n. — A cette horrible figure de la mort fait pendant, dans la
salle d'entrée du musée de Mexico, une seconde statue, aussi
trouvée à Tehuacan de las Grenadas et dans les attributs un peu
indécis de laquelle on est tout porté à chercher exactement le
contraire de ce que la première vient de nous montrer si claire-
ment. A la déesse de ténèbres et de mort on veut opposer un
dieu de lumière et de vie ; à côté de celle qui détruit on place
celui qui crée, Xiuhtecuhtlitletl, dont M.Chavero croit retrouver
les ornements symboliques en quelques parties de la sculpture'.
1) Od nomme tonalamatl le calendrier archaïque d'origine manifestement
lunaire (les Nahuas rappelaient aussi Metztlapohuallif compte de la lune) qui
se combinait chez les Mexicains avec le calendrier vulgaire divisé en vingt
treizaines. L'année y est de 260 jours. Les ligures des 20 jours de chacun des
mois du calendrier vulgaire s'y suivent dans Tordre habituel, mais la numé-
ration change à partir de 13, de sorte que la seconde treizaine ou tridécatéride
voit coïncider son premier jour avec le quatorzième de la série vulgaire. Il
résulte de cette comoinaison que dans la période des 260 jours, aucun signe
n*est affecté deux fois du même numéro d'ordre dans les treizaines, et que
par conséquent la combinaison du numéro d'ordre dans la treizaine et du nom
du jour suffit à caractériser ces 260 jours du tonalamatl. Mais le deux cent
soixante et unième jour de Tannée vulgaire répéterait exactement le premier
si une nouvelle combinaison n'intervenait. C'est celle des « nueve Duenos,
Sonores o Acompanados de la noche. » des neuf gardiens, seigneurs ou
accompagnateurs de la nuit, superposés sur le tonalamatl aux signes des jours
dans chaque treizaine, et dont les combinaisons avec ces jours et ce?' treizaines
peuvent s élever au nombre de 2340, puisque 20 X 13 X 9 = 2340.
Au huitième jour de la septième treizaine, Miguiztli^ gardien de la nuit, est
superposé à Mxquiztli^ signe du jour, et ce qui fait huit Miquiztli Miquiztli.
2) Fr. B. de Sahagun, Histoire des choses de la Nouvelle Espagne, liv. IV,
ch. xm, trad. fr. de Jourdanet et Siméon. Paris, 1880, p. 258.
3) « La otia estatua, écrit M. Chavero, dans le mémoire cité plus haut sur
la Piedra del Sol (p. 298) est un mancebo hermoso, con ojos vivos formados
de morfil ; tiena à la espalda los rayos simboles de la luz, y el haz de cuatro
hojas que forma el ciclo o xiuhmolpilli ; y en su àyatl se ve aùn una orla de
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LES STATUES DE TEHUACAN DE LAS GRANADAS
483
« L'autre statue, écrit le savant archéologue dans le mémoire
cit^plus haut sur la Piedra del Sol, représente un beau jeune
homme aux yeux vifs faits d'ivoire (?), il a sur l'épaule les rayons
Fig. 22. NaohecaU, statue symbolioue de Tehuacan de las Granadas
(d'après un moulage conservé au Musée d'Ethnographie).
symboles de la lumière et le faisceau de quatre feuilles qui
forme le cycle ou xiiihmolpilli ; sur son mantelet {ayatl) se voit
eslrellas en el azul del fîrmamento. Algunos quieren que este dîos sea Huîtzî-
lopochtH... entonces serian la madré yel hijo, ajoute l'auteur en rapprochant les
deux figures, puis il ajoute : Parecen Xiuhtecuhtlitletl y Coatlicue, el dia y la
noche, el creador y la destruciora, la vida y la muerte, los dos dioses que
estan à los extremos de la humanidad en el movimiento eterno de los mundos. d
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156 DECADES AMEBTCÂNJE
une bordure d'étoiles dans Fazur du firmament. Quelques-uns
croient que ce pourrait être Huitzilopochtli, ajoute M. Chav^ro,
les deux divinités seraient alors ]è fils et la mère. « Elles me
paraissent être, continue-t-il, Xiuhtecuhtlitletl et Coatlicue, le
jour et la nuit, le créateur et la destructrice, la vie et la mort,
les deux divinités qui dominent les extrêmes de Thumanité dans
le mouvement éternel des mondes, »
La lecture de Thiéroglyphe occipital qui a échappé à l'atten-
tion de M. Chavero, ne confirme point sa manière de voir. Cet
hiéroglyphe représente en effet une tête d'animal fantastique
(fig. 23) au grand œil ovale, au nez relevé en une sorte de
petite trompe, à la bouche ouverte d'où Ton voit sortir une
Fig. 23. Hiéroglyphe représenté en relief sur l'occiput de la
statue de' Nauhecatl.
langue bifide et pendante, et un gros crochet latéral. Cette
tête, entourée de rayons (on en voit neuf dans le profil) est la
tête symbolique de Ehecatl, la personnification du vent. Tune
des manifestations les plus vénérées du dieu Quetzalcoatl '.
A droite du signe hiéroglyphique sont quatre signes numé-
riques et l'ensemble se lit Naui (quatre) Ehecatl (vent) et par
contraction Nauhecatl. i ■
Nauhecatl (quatre vents), quatrième jour de la septième trei-
zaine, était encore un jour fort important dans le tonalamatL « On
1) La figure de Xiuhtecuhtlillell, qui re\ientsifréquemmentdansle tonalamail
comme symbole du premier « de los senores o acompanados de la noche » n*a
rien de commun avec l'hiéroglyphe, dont le lecteur a la reproduction sous les
yeux (fig. 23) et la description de son image dans Sahagun {trad, cit., p. 28 et
suiv.) ne suggère aucun rapprochement avec celle de la deuxième statue de
Tehuacan.
2) Ce type de Ehecatl paraît dérivé par une série de déformations successives
de celui du singe soufflant qui représente si souvent le Dieu.
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LES STATUES DE TEHUÂCÂN DE LÂS GRÂNÂDAS 137
tuait ce jour-là, nous dit Sahagun, les malfaiteurs qui étaient en
prison , le roi avait la superstition d'y faire sacrifier quelques
esclaves. Les marchands et les négociants affichaient et vantaient
les joyaux qu'ils mettaient en vente, les exposant au grand jour
pour que tout le monde les vît et, la nuit étant venue, ils man-
geaient et se livraient à la boisson. Ils se pavanaient alors sous
les fleurs, continue le vieil historiographe, fumaient leurs tubes
parfumés et s'asseyant sur leurs sièges, chacun commençait à se
vanter des gains qu'il avait faits, des pays lointains où il était
parvenu, et il parlait des autres avec mépris, disant qu'ils
valaient peu de chose, qu'ils étaient moins riches et qu'ils
n'avaiçnt pas été en pays aussi lointains. Ils faisaient ainsi
grand bruit les uns et les autres jusqu à une heure avancée de
la nuit'.
Et plus loin, revenant sur ce jour de nauhecatl qu'il qualifie
d'indifférent soit en bien soit en mal> mais dont il dit pourtant
que chacun se méfiait, et qu'il était de mauvais augure ; il nous
raconte que, pendant sa durée, Ton tuait la nuit ceux qui
s'étaient rendus coupables d'adultère, pour les jeter à l'eau
aussitôt le jour venu ; qu'on mettait dea cardons aux fenêtres
pour faire fuir les sorciers ev les nécromanciens qui opéraient,
ce jour-lii^ leurs enchantements et leurs maléfices, que les
acxoteca (marchands riches) honoraient le signe nauhecatl par
les sacrifices et les cérémonies dont il a déjà parlé et qu'il raconte
de nouveau avec prolixité *, etc., etc.
1) Id., trad, cit., p. 80.
2) Les marchands riches appelés acxoteca honoraient le siçne de ce jour, et
c'est pour cela qu'ils mettaient en évidence toutes les belles choses qu'ils
avaient dans leurs maisons, comme pierres précieuses, riches joyaux, plu-
mages de couleurs variées, peaux d'animaux travaillées, marchandises de
cacao, couvercles' en écailles pour tecomates, tous les bijoux enfin qu'ils possé-
daient. Us plaçaient ces objets en ordre sur une étoffe riche dans la cour du
ce^ulco; ils brûlaient en môme temps de Tencenset ils offraient du sang de
carlles. Ils disaient que c'était en l'honneur de ce signe qu'ils étalaient ces
belles choses comme s*ils les avaient exposées au soleil pour les réchaufTer.
Après avoir fait leurs dévotions, tous les marchands et invités commençaient à
prendre part au banquet. Chacun recevait des fleurs et des roseaux à fumer ;
bientôt la fumée formait autour d'eux comme un brouillard. La nuit étant venue,
les marchands, les vieillards et les vieilles femmes s'enivraient. Alors chacun se
vantait de son gain, des pays qu'il avait parcourus, etc., etc. » (Id., trad, cit.
p. 257.)
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158 DECADES AMERICAN JS
Nauhecail, dont ces extraits de Sahagun mettent déjà bien en
lumière le rôle particulièrement important dans le calendrier,
ne présidait pas seulement le quatrième jour de la septième Irei-
zaine qui lui était consacré. 11 tenait la treizaine toute entière
sous sa domination, et c'e st sa représentation symbolique que
Ton peignait au centre de la page correspondante du tonala-
matl\ C'est un personnage surchargé d'ornements bizarres et
compliqués que le statuaire a nécessairement supprimés pour la
plupart en lui laissant seulement un mantelet [ayatl) simplifié,
formé de découpures qui lui pendent dans le dos, le devantier
ou maxtli, et les jambières ornées de petites coquilles qui
décorent presque constamment le dieu Quetzalcoatl ', dont
Ehecatl n'est qu'une des manifestations. Un creux, percé au-
dessous des cordons du mantelet, recevait le joël du vent fait
de la coquille sciée d'un grand strombe et d'autres petits trous
ménagés au pourtour de la face pouvaient loger les supports
de quelque grande tiare mobile surmontant le demi masque
qui cache en partie la face du dieu dans le TonalamalL
Mobile était aussi l'insigne que le dieu tenait de la main
droite relevée jusqu'à la hauteur de l'épaule.
M. Chavero, revenant sur son interprétation première, a émis
dans un nouveau chapitre de son étude l'opinion que l'objet
disparu de la main droite de notre statue devait être une lance,
et cette hypothèse l'a conduit à voir dans notre personnage le
compagnon militaire de Quetzalcoatl, Totec qui, en effet, a
souvent la lance à la main '.
{) Kingsborough, t. II, Cod, Va(tc.,41.
2) Cf. Sahagun, irad, cit.y p. 16.
3) M. Chavero a changé d'idées, comme je Tai dit plus haut,pendant la période
de temps qui a séparé la publication des chapitres xvi et zvur du mémoire
sur la Pierre du Soleil, Dans ce dernier chapitre, en effet (Anales del Museo
Nacional, t. II, p. AZ7), il déclare que « el idolo de piedra blanca, companero
de la Miquiztli (il appelait celle-ci Coatlicue, dans les textes cités plus haut), que
esta en el Salon de arriba en el Museo tambien es Totec. En el hueco de su
mano derecha se ve claramente que debio tener la lanza; en sus paÂos se
observan huellas de astros, rojos y blancos segun costumbre, sobre cielo azul ;
y en la espalda tiene los cuatro fajas de los tlmpilli^ 6 sea el cielo de 52 anos.
y de el penden los très rayos de los très astros. » M Chavero a reproduit cette
interprétation presque dans les mêmes termes dans la note /, annexée au cata-
logue déjà cité de MM. G. Mendoza et J. Sanchez {Anales del Museo Nadonal,
\
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LES STATUES DE TEUUÂCAN DE LâS GRANADAS 159
Mais si l'artiste avait réellement voulu armer d'une lance la
droite de sa statue, comme le pense M. Chavero, il aurait fait ce
que savaient si bien faire les sculpteurs mexicains; il aurait
complètement évidé la paume de la main pour y glisser la
hampe en métal ou en bois qui devait porter baut la pointe et le
panache de Tarme sacrée, tandis que le pouce vient s'appliquer
àrplat sur la main légèrement entr'ou verte, et qui n'offre plus
qu'une sorte de douille incomplète à l'objet plus ou moins
raccourci qu'elle doit soutenir. Cet objet devait être, à mon
avis, le rayon que M. Gumesindo Mendoza reconnaît à la même
place dans la peinture du Codex Yaticanus ^ Dans l'autre main,
en partie brisée, mais où se distinguent encore les restes d'une
excavation cylindrique, pouvait être placé le sceptre serpenti-
forme que brandit Quetzalcoatl-Eheoatl, quand il commande aux
quatre vents du ciel.
La seconde statue de Tehuacan représente donc, dans mon
sentiment, Nauhecatl. Or, comme rien dans les qualités ou dans
les attributs propres à cette manifestation spéciale de Quetzal-
coati ne justifie un parallélisme rigoureux établi entre cette idole
et celle de Chicuei-Miquiztli, je me suis demandé si l'on ne
pourrait pas expliquer le rapprochement de ces deux œuvres, en
y cherchant autre chose que des pend«mts symétriquement
opposés l'un à l'autre. Or naui-ehecatl et chicuei'Tniquiztliy dont
les hiéroglyphes mystérieux se dissimulent derrière les têtes de
nos deux personnages, sont deux termes, le quatrième et le hui-
tième, d'une tridécatéride^ qui est la septième du Toimlamatl,
appelée ce-quiauitl du nom de son signe initial. Onze autres
statues de même grandeur et de même style pouvaient fort bien
t. Il, p. 484). « Segun estudio que ûltimamenle se hecho y publicado en el
segundo tomo de ios Anales del Museo, este idolo représenta à Totec. Le falta
Ja Janza que empunaba en la mano derecha, cuya actitud claramenle se
observa; y le faltan tambien Ios adornos del capillo à tocado, en el cual se ven
Ios pequenos agûjeros que Ios sostenian. Pero pueden observarse aûn clara-
menle, en su vestido, Ios adornos de estrellas sobre cielo azul, y à la espalda
las cuatro fajas de Ios tlalpilli^ que formam el cielo de 52 anos, y Ios rayos de
Ios très astros, sol, luna y estrella de la tarde.
1) G. Mendoza, Mitos de Ios Nahuas^ IV. {Anales del Mus. Nac, de Mexico,
t. III, p. 32, lam. 3, fig. 3, 4882. Ce rayon est plutôt un nœud dans la figure
correspondante du manuscrit Letellier.
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160 DECADES ÂMERICAN£
avoir orné avec les deux qui nous restent un téocalli consacré
à Quetzalcoatl-Ehecatl, adoré spécialement sous sa forme de
Nauhecatl, ou maître des quatre vents du ciel.
Des fouilles nouvelles pratiquées à Tehuacan feront peut-être
découvrir quelque jour d'autre têtes d^idoles décapitées par les
moines du xvi' siècle.
Si Tun ou Tautre de ces débris porte un hiéroglyphe de la
série ce-quiauitl^ l'hypothèse que je me permets d'émettre en
terminant ce court mémoire se trouvera complètement justifiée.
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REVUES ET ANALYSES
LIVRES ET BROCHURES
Ch. Rau. Prehistoric Fishing in Europa and North America.
{Smilhson, Contrib.^ n® 509.) Washington. Smithsonian Institution, 1884, in-i.
L'histoire si curieuse des premières industries relatives à la pêche ou à la
chasse des animaux marins a séduit bien des archéologues et bien des voya-
geurs, et le nombre des publications qui se rapportent à ce chapitre particuliè-
rement intéressant de l'ethnographie générale est déjà fort considérable. Le
savant conservateur des collections préhistoriques de Tlnslitulion Smithso-
nienne, M. Charles Rau, à la prière de la commission des pèches des Htals-
Unis, vient de coordonner Tensemble des documents de cette nature recueillis
en Europe et dans TAmérique du Nord, et le n© 509 des Smithsonian Contribu-
tions ta Knowledge renferme le résultat de ses recherches sur la pêche primitive
dans ces doux parties du monde. C'est tout un gros volume, imprimé avec le
soin qui préside à la confection des publications de Tlnstitution Smithsonienne,
et illustré de 405 gravures sur bois, fort bien exécutées pour la plupart.
La première partie de l'ouvrage est consacrée à notre vieille Europe. M. Rau
y fait connaître les rares données que Ton possède ou que Ton croit posséder
sur Toutillage de pêche des premiers habitants de l'Ancien-Monde. On sait que
MM. Prestvvich, Ch. Lyeli et quelques autres, ont supposé que les silex gros-
sièrement travaillés que Ton découvre dans les vallées de la Somme, de la Seine,
de la Tamise, etc., pourraient avoir servi aux pêcheurs primitifs à trancher la
glace pour ouvrir des trous à travers lesquels ils jetaient leurs filets, à la façon
des Indiens de la baie d'Hudson, autrefois décrits par Hearne.
Le matériel de pêche de Tàge du renne est mieux connu, et M. Rau emprunte
aux mémoires de Lartetet Christy et de MM. Chaplain-Duparc, Piette,Massénat,
Sauvage, etc., les données très positives et très intéressantes qu'ils renferment,
et grâce auxquelles nous sommes assez complètement renseignés sur les engins
de ces troglodytes, si voisins de ceux des habitants des régions circumpolaires,
et sur les produits de leurs pèches ou de leurs chasses maritimes.
Vers la fin de cet âge du renne, les populations de l'Europe occidentale sont
en possession de harpons en bois de ruminants finement barbelés qui ont leurs
analogues dans le matériel des Groënlandais modernes, de flèches à poissons
V il
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162 LIVRES ET BROCHURES
dont rarmature est toute semblable à celle des armes de même nature, usitées il
y a quelques années encore dans les tles de Californie^ de hameçons composés
d'un crochet de silex, sans barbule, appliqués sans doute sur une plaque de
bois, d os ou de coquille, et tout à fait identiques aux hameçons bien connus
qu'emploient encore certains Eskimos du nord du Labrador.
Pendant la période néolithique j les industries de la ri/ière et de la mer ont
pris une importance plus considérable encore ; l'homme est initié aux premiers
principes de la navigation et possède une véritable batellerie. Quelques-unes de
ses tribus vivent dans des huttes b&ties sur pilotis à la surface des lacs ;
munies de flotteurs d'écorce et de pesons en pierres trouées, elles utilisent des
filets de divers modèles, et possèdent des lignes de fond armées de hameçons
taillés dans le bois du cerf ou dans les dents de Tours, et garnies de pierres à
rainures toutes semblables à celles que nous trouvons entre les mains des
Fuégieiis actuels. D'autres pécheurs néolithiques se confectionnent des hame-
çons en silex finement taillés, des fouènes à pointes d'os ou des javelines à
poissons armées de petits éclats de silex.
Lorsque les métaux leur parviennent par le commerce avec les peuples de
rOrient, nos pécheurs primitifs s'empressent d'en tirer des hameçons simples
ou doubles armés de crochets récurrents, presque aussi parfaits déjà que les
hameçons de la période actuelle.
Après avoir exposé avec méthode tout cet ensemble de faits qu'il connaît fort
bien et dans l'énumération desquels on ne peut signaler que quelques omissions
peu importantes, M. Ch. Bau passe à Tétude des observations beaucoup plus
nombreuses qu'il a recueillies sur les pêcheries primitives du Nouveau-Monde.
Les engins des pécheurs nord-américains qu'il étudie successivement sont le
hameçon dont il dessine un grand nombre de formes, depuis le quart de cercle
en silex taillé du Groënlandais, jusqu'à la plaque de coquille évidée et presque
circulaire de l'insulaire de l'archipel Californien, le harpon en os ou en bois
d'élan des lies Aléoutes, des rivières et des grands lacs des États-Unis, la
flèche, k pointe d'os et celle à pointe de cuivre de l'Alaska, du Wisconsio, etc.,
le peson de ligne^ à une ou deux rainures transversales ou à gorge plus ou
moins évidée, idL pierre de filet trouée, le gi'and couteau à découper, en ardoise,
en pierre ou môme en fer de la côte Nord-Ouest.
M. Rau expose ensuite ce que Ton sait des bateaux de pèche et de leurs
accessoires, rames, écopes, pierres d'ancre, etc. Un chapitre est consacré aux
restes d'habitations qui sont en rapport plus ou moins étroit avec les anciennes
pêcheries, et aux kjœkkenmœddings, ou débris de cuisine, abandonnés par
les indigènes le long des côtes des États-Unis. .M. Rau fait enfin connaître les
représentations de poissons et autres animaux aquatiques dessinées par les
naturels.
Un volumineux appendice reproduit un bon nombre de textes empruntés à des
voyageurs et à des archéologues, qui ont traité de la pêche chez les Indiens du
Nouveau-Monde. On peut lire enfin quelques notices sur les engins de pêche
anciennement usités au sud du Mexique et sur les représentations des choses
de la mer qui nous ont été conservées. Les plus remarquables de ces dernières
sont une pierre en forme de poisson, rapportée de Costa-Rica, des figures en
or trouvées au Chiriqui et qui représentent un squale et un silure, des vases du
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TRIBUS ABORIGÈNES DU CENTRE DE CÉLÈBES 163
Pérou façonnés en poissons, enfin les célèbres poissons d*argenl des îles
Chincha publiés jadis par Squier.
11 y aurait beaucoup à ajouter à ce supplément qui est fort incomplet et ne
donne qu'une idée très insuffisante de la pèche et de la navigation chez les
Américains qui vivaient ou vivent encore au sud des États-Unis ; espérons que
M. Ch. Rau, qui a si complètement étudié la pêche primitive dans l'Amé-
rique du Nord, en comparant les faits qu'il recueillait avec ceux que lui fournis-
sait Tarchéologie de l'Europe, voudra compléter ce beau travail en réunissant
dans un nouveau volume les documents considérables que possède aujourdliui
la science sur la navigation et les pêcheries au Mexique, dans l'Amérique cen-
trale» au Pérou, etc.
]']. IIamy.
Meyners d Bstrey (D. G.). Tribus aborigènes du centre de Célèbes.
Les Topantonnasa. {Rev, de Géogr., février-mars 1887.)
M. Riedel, dont les lecteurs de la Revue d'Ethnographie connaissent fort
bien la compétence en matière d'ethnographie indonésienne S & récemment
publié dans les Actes de l'Institut des Indes-Néerlandaises la description
ethnographique de certains indigènes du canton de Célèbes, description que
M. Meyners d'Estrey a résumé dans deux courts articles de la Revue de
Géographie.
Ces indigènes^ désignés comme tant d'autres montagnards de l'archipel Indien
sous le nom d^Alfours, forment un grand nombre de tribus, dont vingt et une,
localisées aux environs du lac Rano-Poso, sont particulièrement étudiées par
M. Riedel dans sa monographie. Elles sont connues sous le nom collectif de
Topantunuasu, ou mangeurs de viande de chien, mais possèdent chacune un
nom distinct commençant toujours par le préfixe (o. Leurs traditions sont toutes
les mêmes ; leurs ancêtres, descendus du rotang, dont la cime montait jadis
jusqu'au ciel, auraient détruit les Touta, premiers hommes sortis de la terre,
après que celle-ci se fut élevée au-dessus de la mer. Ces Touta ne peuvent être
que les Négrilos, dont on trouve partout le souvenir dans les îles Indiennes, et
que les Malais de Malacca appellent encore aujourd'hui Orang-Toua, les
vieux hommes.
Les Topantunuasu, après avoir empoisonné les Touta, se répandirent dans la
région centrale de Célèbes, où s'est creusé depuis le lac nommé plus haut,
sous l'influence des luttes des esprits qui firent trembler la terre. Douze de
leurs tribus se développèrent à l'ouest du lac, et neuf autres en peuplèrent la
rive orientale ; elles comptent toutes ensemble cent mille individus au moins.
M. Riedel est bref sur les caractères anthropologiques de ces sauvages, qui
semblent rentrer sans difficulté dans notre groupe indonésien. Il décrit un peu
plus longuement leurs occupations journalières qui n'ont d'ailleurs rien de
bien typique, et nous fait visiter des villages sur pilotis, qui ne semblent point
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d64 LIVRES ET BROCHURES
se différencier d'un manière bien notable de ceux des autres montagnards de
l'Archipel. L'auteur insiste plus longuement sur les institutions sociales qu'il
paraît avoir étudiées avec prédilection. On trouvera dans son travail ou dans
le résumé que M. Meyners d'Estrey a bien voulu nous en faire, des renseigne-
ments précis sur la hiérarchie, la propriété foncière, la justice des Topantu-
nuasu, leurs croyances religieuses, leur culte pour les esprits, leurs cérémonies
diverses. Les rites funéraires sont particulièrement curieux : « Après la mort,
écrit M. Meyners d'Eslrey, le corps est lavé et enveloppé dans un ou plusieurs
sarongSf selon les moyens de la famille. Les gens du commun sont immédiate-
ment enterrés hors de la négarie (village) ; ceux appartenant à la classe des
kabusenjd (haute noblesse) ou à celle des ingkai (noblesse du second ordre) sont
enfermés dans une caisse close hermétiquement avec de la résine et conservés
dans la maison jusqu'à l'arrivée de tous les membres de la famille. Le cercueil
est ensuite transporté dans la forêt pour y être posé sur des pierres ou bien
sur des branches de grands arbres. Un an plus lard, après la récolte du riz, on
retourne chercher les os qui sont nettoyés, enduits d'huile et enveloppés de
nouveau dans des sarongs pour être enterrés ou conservés dans quelque
caverne.
« Après l'enterrement on recouvre la tombe de pierres : on en place deux
grosses à la tête et aux pieds des femmes et une seule à la tête des hommes.
Avant d'envelopper les ossements, les taduaja (sorcières) constatent qu'ils sont
au complet; les armes, les plats et autres objets appartenant au défunt sont
déposés dans la caverne ou enterrés. Pendant le nettoyage et la purification
des os on organise des fêtes (motcngke) qui durent six jours; c'est alors que le
défunt reçoit un autre nom. Pour chaque mort on fabrique une image, pemia.
En guise de deuil, les femmes portent des sarongs blancs ; on attache aussi
des morceaux d'étoffe blanche aux arbres et aux meubles... Tout le temps que
le corps d'un chef décédé reste au village, en attendant qu'on ait pu couper les
têtes nécessaires à l'enterrement, il est expressément défendu de faire du bruit
ou de se livrer à aucune espèce de travail... » On comparera avec intérêt ces
extraits aux notes qu'a ressemblés M. J.-E. de La Croix dans le petit travail
sur les funérailles maories que nous publions plus loin.
E. H.
Jus (H.) Les oaBis du Souf du département de Gonfitantine (Sahara
Oriental). {BuU de l'Acad. d'Hippone, no 22, fasc. I, 1887.)
On nomme habituellement Souf une petite région très circonscrite du sud du
département de Constantine, ayant pour chef-lieu El-Oued et comprenant huit
villages peuplés d'environ quinze mille habitants. M. Jus, qui connaît admira-
blement tout ce pays, prend ce terme dans une acception plus large et l'étend
à tout le désert des dunes, communément appelé Areg, entre la chaîne des
Chotts, rOued-Rir et l'ighargarà l'ouest, Ghadamès au sud et les montagnes de
la Tripolitaine à l'est. Les habitants de ce territoire sont tous pour lui des
Sou&fas, dont il décrit l'habitat de la manière suivante : « La disposition on-
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THE MONUMENTAL TORTOISE MOUNDS OF DE-COO-DAH i6S
ginale de leurs maisons étonne, en ce qu'elle qu'elles n'ont rien de commun
avec celles des oasis des autres régions; ce sont des espèces de cubes recou-
verts d'une demi-sphère surmontée d'un cône tronqué. Isolées, elles ressemblent
à une ruche, et leur réunion forme un assemblage bizarre, dont l'uniformité
n est rompue que par une mosquée qui est un peu plus haute, tout en conser-
vant cette forme classique. Les matériaux employés pour la construction de ces
maisons sont des cristaux de gypse collés ensemble avec du plâtre fabriqué
avec quelques-uns d'entre eux, construction assez légère et qui offre une soli-
dité relativement médiocre. » Ce sont encore des cristaux de gypse qui servent
à faire sur la crête des dunes de petits murs destinés à proléger les jardins
contre l'envahissement des sables. Ces jardins, d'une contenance de vingt à
soixante palmiers, sont creusés en forme de cuvettes au milieu des dunes. « Ces
cavités, qui portent le nom de ghitan, ont parfois de huit à dix mètres de pro-
fondeur... La cavité déblayée, on fait un petit trou pour chaque jeune palmier,
dont les racines, en grandissant, plongent facilement dans la nappe d'eau qui
se trouve ordinairement entre trois et cinq mètres du sol... Rien n'est plus
curieux que de voir à distance l'aspect de ces buttes couronnées d'un panache
vert qui n'est autre que le sommet des palmiers s'élevant au-dessus de l'exca-
vation. »
« On obtient l'eau dans les villes, les villages et les jardins , dit plus loin
M. Jus, au moyen de puits qui, comme les maisons, ont une construction uni-
forme : ce sont des trous de soixante à quatre-vingts centimètres de diamètre,
en forme de silos, creusés jusqu'à quarante ou soixante centimètres au-dessous
f^e la nappe d'eau qui est renfermée dans des sables purs ou des sables gyp-
seux, selon les localités. Ces trous ou excavations sont enduits d'une couche
de plâtre pour maintenir les terrains dans lesquels ils sont creusés, et sont
protégés contre l'envahissement des sables par une margelle de cinquante à
quatre-vingt-dix centimètres de hauteur, à laquelle est joint un petit réservoir
pour vider la kotarat qui sert à puiser l'eau. On nomme kotarat une espèce de
seau fabriqué avec une peau de bouc ou bien avec des feuilles d'alfa, de
drin, de palmier tressées et goudronnées, de manière à ce que l'eau ne
puisse s'échapper. Le mode de puisement est également le môme dans toute la
région du Souf : deux poteaux soutiennent une pièce de bois chargée d'un
bloc de gypse à l'un des bouts, faisant un peu plus qu'équilibre à un kotorat
plein d'eau que l'on accroche à l'autre extrémité. » C'est presque exactement
le chadouf des bords du Nil. Avecces procédés élémentaires les Souâfas arrosent
cent-cinquante-quatre mille dattiers et cinquante mille autres arbres ou arbustes.
Ces dattiers leurs rapportent plus de 1,500,000 francs par an. Ils font pour
100,000 francs de tabac, et la richesse de leur pays, d'aspect pourtant si
mi&érable, est évaluée aujourd'hui à 6,763,000 francs.
E. H.
T. H. Lewis. The « monumental Tortolse » moundsof « De-coo-dah. »
{Americ. Joum. of Archœology, Jan. 1886.)
Il a paru en 1853 à New- York un livre étrange, intitulé : Tradilions of De-
eoo-dah and Antiquarian Researches, écrit ou tout au moins inspiré par un cer-
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166 LIVRES ET BROCHURES
tain William Pidgeon,qui avait été traitant chez les Indiens du haut Mississipi.
L'ouvrage contenait notamment un grand nombre de dessins représentant,
disait-on, des travaux en terre découverts dans les territoires du Nord-Ouest,
dont l'histoire et l'explication étaient empruntées à De-coo-dah lui-même « le
dernier prophète de la nation des Elans ». Les dessins étaient si nouveaux
dans leur symétrie et leur complication, les commentaires si inacceptables,
qu'aucun ouvrage sérieux ne tint compte alors des élucubrations de William
Pidgeon. Mais dans ces derniers temps, de nouveaux écrivains, moins difficiles
que Baldwin et Poster, ont accepté les prétendues découvertes du traitant amé-
ricain et vulgarisé ses dessins et parfois aussi ses interprétations. C'est ainsi
que M. Conant, dans ses Foots prints of Vanished Races de 1879, Mrs Ellen
Russeîl Emerson, dans ses Mythes Indiens, empruntent plus ou moins à l'auteur
des Traditions of De^coo^dah, Les Matériaux pour l* histoire de C homme 9 ont
reproduit une partie de ses figures , d'après le livre de M. Conant * et
M. deNadaillac* les a données de nouveau dans son Amérique préhistorique.
Or, il résulte de l'enquête que vient de faire un archéologue consciencieux
et instruit de Saint-Paul, Minnesota, M. T.-H. Lewis, qu'une partie au moins
des levés de M. Pidgeon sont absolument fantaisistes. M. T.-H. Lewis a notam-
ment étudié en octobre 1884 avec le plus grand soin le groupe de tertres défini
sous le nom de « Title mound of the Black Tortoise » et qui se composerait sui-
vant Pidgeon du relief d'unetortue qu'encadreraient vingt-cinq autres élévations
de terre symétriquement disposées, de façon à former toutes ensemble un
vaste parallélogramme 3. M. Lewis a bien retrouvé le mound central, dont la
forme s'écarte d'ailleurs assez sensiblement de celle que Pidgeon lui avait
attribuée, mais il a constaté que ce contour incorrect était tout ce qu'il y avait
d'exact dans les plans du Monumental Tortoise Mound. Le tumulus central
est entouré de six autres tumulus circulaires, irrégulièrement dispersés, et de
dimensions très diverses. L'un de ces tumulus, qui occupe le sud du groupe,
atteint quatre-vingts pieds de diamètre, tandis que trois sis à l'ouest, à l'est, au
sud du mound testudiniforme (?) ne dépassent point des diamètres de 20 à 22
pieds. Une banquette, longue et étroite, s'élève à quelque distance dans le
sud-est. C'est de cet ensemble que Ton a composé « la sépulture de la Tortue
Noire » avec les tertres de deuil de la tribu, ceux qui indiquent que la u Tortue
Noire était le dernier de sa race » ceux qui mesurent a l'importance de cette
race et de la dignité qui lui appartenait, etc., etc. » Or, rien de tout cela n'existe
et n'a jamais existé. Rien n'est exact non plus, de ce que Pidgeon a rapporté
du sud-ouest du Wisconsin ou du nord-est de l'Iova. Et quant à De-coo-dah,
le dernier prophète des Élans, les interprétations qui lui seraient empruntées
et que M, Conant et ses imitateurs ont complaisamment répandues, n ont pas
plus de valeur historique que celles que Ton voudrait chercher sur les tribus
perdues dans le livre des Mormons.
E. H.
J) Mat, pour l'homme, i* série, t. XII, p. 507-512 cl 510, 18tl.
?l n' **«, N'»<**»"aC' ^'Amérique préhistonquf. Paris, 1883. in-«, p. 8», 112, elo
4. . . ® »non»'npnt figuré p. 512 du %olume cité des Afaténanr el p. 126 d<» VAnirrioue
prentstonqtie^ *^ '
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REMARKS ON THE EDITIONS OF DIEGO DK LANDa's WRITîNOS 167
Brinton (D.-G.). Crltical Remarks on the Editions of Diego de
Landais Writings. (American Philosoph. Society,. Jan. 7, 1887.)
Aucun document sur la civilisation des ancieni Mayas ne dépasse en impor-
tance l'ouvrage composé par Diego de Landa, le second évoque de Mérida, qui
résida au Yucatan de 1549 à 1579. On sait que la description, qu'il avait tracée
du pays et de ses habitants, a été découverte à Tétat de manuscrit dans la
bibliothèque de TAcadémie royale de Madrid, par Tabbé Brasseur de Bour-
hourg, qui se hâta d'en faire une copie et de la publier, avec des notes et une
traduction française, en 1884. u Les siogularités, bien connues, de Tabbé Bras-
seur, dit M. Brinton, la liberté avec laquelle il traite ses autorités, la licence
qu'il accorde à son imagination, ont toujours entouré cet ouvrage d'une atmos-
phère d'incertitude, » qu'il était d'autant plus nécessaire de dissiper, que c'est
dans un de ses chapitres que se rencontrent les seuls renseignements connus
sur les hiéroglyphes mayas. Aussi a-t-on vu avec plaisir le savant espagnol,
Don Juan de Dios de la Rada y Delgado, entreprendre la publication intégrale
et fidèle du texte de Landa. Malheureusement cette édition définitive, placée
comme appendice à la suite de la traduction espagnole du grand ouvrage de
M. Léon de Rosny sur les écritures hiératiques de l'Amérique centrale, n'a été
tirée qu'à deux cents exemplaires, et est restée très rare.
L'éditeur n'a presque point mis en lumière les améliorations qu'il a apportées
au texte de Landa, et l'on se rendrait difficilement compte de la valeur relative
des deux éditions de l'ouvrage, si M. Brinton n'avait pas pris la peine de les
étudier avec le soin qu'il sait apporter à tous ses travaux, et de résumer nette-
ment les résultats de son examen dans trois paragraphes consacrés à critiquer
le texte, la traduction et les hiéroglyphes. Le premier de ces paragraphes nous
apprend qu'un sixième environ de l'ouvrage a été omis par Brasseur, que la
division en sections de son édition est entièrement de sa main, qu'il en a parfois
altéré le texte pour donner, après coup, un sens à une mauvaise copie ; enfin,
que les mots indigènes sont assez souvent transcrits avec une véritable négli-
gence.
Le second paragraphe de la notice de M. Brinton relève une série de pas-
sages traduits d'une manière défectueuse ; il veut bien accorder dans le troi-
sième, à Brasseur de Bourbourg, une certaine fidélité dans la reproduction des
hiéroglyphes. Il n'y aurait même qu'une erreur un peu sérieuse dans la trans-
cription des caractères mayas.
M. Brinton conclut ses remarques en remerciant Don Juan de la Rada y Del-
gado du soin avec lequel il a établi son texte et ses figures ; nous ne pouvons
que nous joindre à notre savant collègue de Philadelphie, en regrettant toute-
fois avec lui que l'édition espagnole de Landa ait été établie dans des conditions
qui la rendent difficilement accessible aux américanistes.
E. H.
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ACADÉMIES ET SOCIÉTÉS SAVANTES
ACAKHIB DES INSCEIPTIOIVS ET BELLES-LETTRES
Séance du ^6 juillet 1886, — M. Maspero rend compte à TAcadémie des tra-
vaux archéologiques qui ont été poursuivis pendant l'hiver de 1885-1886 en
Egypte et en particulier dans les ruines de Louqsor et autour du grand sphynx
de Gizeh. II fait connaître ensuite la découverte d*une tombe tbébaine de la
20* dynastie à Qournet-Mouraï, et donne des renseignements détaillés sur le
dépouillement des momies royales du musée de Boutaq.
La tombe de Qournet-Mouraï était celle de Sennotmou « domestique [des i*ois
défunts) dans llsU Maît (la maison vraie) », sorte de conservateur des tombes
royales, qui vivait sous les premières années du règne de Ramsès IV. On y a
trouvé avec les corps de ce personnage et de dix membres de sa famille, un
mobilier funéraire très intéressant. <» Ce mobilier est le plus curieux du monde,
dit M. Maspero, et comme c'est le premier que des Européens aient trouvé
encore en place depuis plus d*un demi-siècle, je me suis appliqué à en dresser
l'inventaire aussi complet que possible. Les pièces les plus importantes sont
deux traîneaux superbes, sur lesquels on avait mené les morts à Thypogée. On
connaissait les traîneaux par les peintures, qui nous les montrent tantôt char-
gés sur les épaules des parents, des amis ou des esclaves, tantôt tirés par des
attelages d'hommes ou de bœufs. Le rituel exigeait, en effet, que le corps quit-
tât cette terre sur les bras de ses proches, mais comme le chemin était long de
la maison mortuaire à la tombe et que l'appareil funèbre pesait lourd, on avait
eu recours à un subterfuge, qpii sauvegardait à la fois les intérêts de la loi
religieuse et les forces des affligés. Le traîneau était porté pendant quelques
minutes, puis posé à terre et mené par les bœufs ; d'ordinaire c'était la béte ou
les bétes du sacrifice qu'on employait à cet office. 11 était descendu dans la
tombe et y restait quand la famille était assez riche pour en payer la valeur.
Les Arabes ont l'habitude de le briser quand ils le découvrent ; ils en vendent
les panneaux peints aux voyageurs, comme débris de cercueils et se servent des
parties non décorées comme de bois à brûler. C'est là ce qui explique l'extrême
rareté de ces objets, comme de beaucoup d'autres du même genre; les fouilleurs
n'en connaissant ni l'usage ni la valeur, ne les recueillent pas ou les détruisent.
Les deux nôtres sont d'une conservation merveilleuse. Le plancher est établi
sur deux poutres épaisses, recourbées en avant, munies en dessous de deux
anneaux en bois rapporté, où passer les bâtons destinés à enlever Tappareil et
à le soutenir, pendant les quelques minutes qu'il demeurait sur les épaules de
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ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES 469
la famille ou des amis. Deux trous, pratiqués dans les façons courbes de
Tavant, recevaient les cordes de traction. Un des traîneaux a conservé quel-
ques fragments de la corde. Elle était en fibres de palmiers et grosse à peine
comme le petit doigt. Le cercueil placé, on l'entourait dé panneaux mobiles,
bauts d'un mètre et plus, qu'on maintenait au moyen de chevilles insérées dans
des trous ménagés d'avance, puis on recouvrait le tout d'un couvercle à cor-
niche, qui donnait à Tensemble Taspect d'un petit temple sans porte ni ouver-
ture d'aucune sorte. Les deux catafalques appartenaient à Sennotmou et à sa
femme. Un des cercueils, celui de Khonsou, était placé sur un lit, le troisième
que je recueille en trois ans. C'est un cadre en bois, long, monté sur des pieds
très bas, et peint en blanc : deux serpents, l'un à tôte de chacal, sont dessinés
en noir sur les côtés. Sennotmou avait pour s'asseoir un beau fauteuil, deux
tabourets à quatre pieds avec fond de toile peinte imitant la tapisserie, un
pliant. A première vue^ on croirait qu'il était fort riche de son vivant ; mais à
considérer les choses de plus près, on s'aperçoit que ses meubles sont en bois
commun et que les incrustations d'ivoire, de pierres et de métaux précieux dont
ils paraissent être couverts, ne sont que des trompe-l'œil. Son luxe est avant
tout un luxe économique. De même les boîtes à figurines et les coffrets à
bijoux : ce ne sont que des contrefaçons habilement combinées des boîtes et
coffrets de prix, dont les grands propriétaires se servaient pendant la vie et
après la mort. Du moins les figurines sont-elles du meilleur travail. Elles étaient
au nombre de cent, en bois, en terre cuite, en calcaire, les unes hautes de
10 centimètres à peine, les autres de 30 ou 35 centimètres. Une douzaine envi-
ron étaient couchées dans de petits cercueils en calcaire blanc, chargés d'inscrip-
tions. Je confondis d'abord avec elles quatre cercueils de môme style, mais
longs de 40 centimètres, et qui étaient enveloppés d'une toile fine cousue et
sans légende. Mais quand j'eus déroulé et ouvert l'un d'eux, je m'aperçus
qu'ils contenaient les viscères et remplaçaient les canopes. Ce n'est pas la
première fois, tant s'en faut, qu'on rencontre le cœur, le foie et les autres parties
internes du corps dans des réceptacles où on ne les cachait pas d'ordinaire;
dans des coffres en bois, dans des statuettes creuses d'Osiris, dans des vases à
liqueurs ou à parfums ; c'est la première fois, si je ne me trompe, qu'on les
trouve dans des cercueils d'oushbiti. A ces objets de première nécessité on avait
joint des gargoulettes en terre commune, bariolées au pinceau de fieurs, de
feuillages et de bandes concentriques, des bouquets de fleurs montés sur tiges
de palmiers, comme ceux qu'on voit dans les tableaux qui représentent le con-
voi des gens riches ou aisés, des paniers en paille tressée, pleins de pain et de
fruits secs. Le mort avait emporté avec lui ses instruments de travail, sa cou-
dée, son équerre, un niveau de maçon triangulaire avec son peson, un autre
niveau de forme plus compliquée, destiné au même usage auquel nous
employons nos niveaux d'eau à bulle d'air. On avait poussé l'attention jusqu'à
lui fournir un rudiment de bibliothèque : car un grand éclat de pierre, long d'un
mètre et écrit avec soin, gisait en deux morceaux à côté de son cercueil. Ce
n'est pas le morceau le moins précieux de la trouvaille, car il nous a rendu les
premières lignes des Mémoires de l'aventurier Sinouhit, qui manquaient au
papyrus de Berlin, n° 2. Sennotmou aimait probablement à lire des romans
pendant sa vie, et on a vou'u lui procurer après sa mort cette distraction
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170 ACADÉMIES ET SOCIÉTÉS SAVANTES
comme on assurait à d'autres le plaisir de jouer aux dames et au solitaire, à la
balle et à la poupée, quand il s'agissait de petits enfants. On a écrit soigneuse-
ment pour lui les premières lignes du conte de Sinouhit, puis on a cassé la
pierre sur laquelle était tracée la copie, on Ta tuée de la sorte et son double est
allé rejoindre le double de l'homme quelle devait divertir. Beaucoup des
ostraca qui nous ont conservé des fragments de contes ou de morceaux litté-
raires passaient pour provenir des tombeaux ; mais comme celte attribution no
reposait que sur le témoignage toujours suspect des Arabes, on l'avait révo-
quée en doute et écartée presque complètement. Le fait est aujourd'hui assuré,
et l'explication que j'en propose est la plus plausible : on donnait des livres aux
morts comme on leur donnait des provisions de bouche, des vêtements, des
outils, des armes et des jouets, pour flatter leur goût et pour leur prêter la
nourriture de l'esprit en même temps qu'on leur procurait celle du corps. »
M. Maspero communique ensuite des renseignements circonstanciés sur le
dépouillement des momies royales conservées au Musée de Boulaq. Une des plus
remarquable^ de ces momies est celle de Séti P', dont le visage, parfaitement
conservé, rappelle très fidèlement les nombreux portraits sculptés ou peints
que l'on connaissait de ce grand monarque. L'examen de la momie de Rasquenen,
montre que ce prince a succombé à trois blessures de guerre. Enfin, un corps
a été trouvé dans des conditions toutes spéciales. C'est celui d'un adulte de
25 à 30 ans, remarquablement musclé ; il ne porte aucune inscription qui
puisse déceler son origine, ce qui est déjà fort étrange pour une sépulture
princière. En outre, au lieu d'embaumer le corps à la manière ordinaire, on l'a
momifié sans déplacer les organes internes et on Ta enveloppé d'une épaisse
couche d'un mélange à la fois gras et caustique. L'attitude générale (les jambes
tendues, les pieds serrés l'un contre l'autre, les mains crispées) et Texpression
anxieuse du visage démontrent que ce jeune inconnu a péri de mort violente
dans d'atroces souffrances. M. Maspero s'est même demandé un moment s*il ne
se trouvait point en présence d'un embaumement pratiqué sur le vif, mais
lès médecins qui ont examiné la momie, le D' Fouquet en particulier, croient
plutôt à un empoisonnement à l'aide d'une substance convulsivante. Il fallait
faire disparaître le corps du délit; comme il s'agissait d'un haut personnage, on
ne voulut pas le détruire, soit par respect pour la race royale, soit par préjupt^
religieux, et on opéra secrètement et rapidement l'opération qui terminal ce
drame de palais.
Séance du 30 juillet. — M. Barangeon envoie la copie d'une inscription
relevée sur une couleuvrine rapportée du Tonkin. Cette inscription, encore
incomprise, est formée des lettres ANESANIOHNENSIHEO.
Séance du 43 août, — M. Faurot fait savoir qu'il a découvert dans l'île de
Karamane (Mer Rouge) une inscription d'une vingtaine de lignes, probable-
ment en caractères himyarites.
M. J. Halevy lit un mémoire intitulé : Considérations supplémentaires sur le
x« chapitre de la Genèse, qui forme le vni* chapitre de ses Recherches bibliques.
On trouvera dans ce mémoire, imprimé depuis lors par la Société des Étwtt'S
Juives, de nouvelles identifications pour plusieurs noms géographiques qui
n'avaient pas encore été bien expliquées et des considérations fort intéressantos
sur l'ordre dans lequel les généalogies y sont présentées et sur le but et la
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ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES 171
signification de cet arrangement. M. Halévy s'attache à montrer que les peuples
sont énumérés constamment dans un môme ordre géographique et estime qu'il
se cache dans cette composition « Tarrière-pensée de pousser les Israélites à
une alliance avec les Japhétides ou peuples du Nord contre les Phénicien?,
dont la prépondérance causait alors de grands soucis aux Hébreux. »
Séance du 20 août. — M. Maspero soumet à l'Académie une hypothèse
sur l'origine du nom d'Asie, qui fut d'abord attribué par les Égyptiens de
Touthmès III à l'Ile de Chypre, et étendu peut-être plus tard à toufle conti-
nent par les Grecs.
M. Ch. Robert présente une note de M. John Evans, président de la Société
des Antiquaires de Londres, sur divers objets trouvés à Felixstowe, Suffolk,
et en particulier sur une scie de bronze, la seule que l'on ait découverte jusqu'à
présent en Grande-Bretagne.
M. J. Halévy examine le récit biblique relatif à la tour de Babel et exprime
lopinion qu'il n'est question dans ce texte que des Sémites déjà séparés des
en&nts de Cham et de Japhet, et chez lesquels seuls se seraient produits, suivant
l'écrivain biblique, la confusion des langues et la dispersion qui en a été la
conséquence*
Séance du 40 septembre, — M. D, Charnay communique un Essai de res-
tauration de la pyramide et du temple de Ka-Bul^ à Izamalf Yueatan, En
s'aidant des renseignements qu'il a pu recueillir sur place et en les complétant
par des inductions tirées de la ressemblance générale de tous les monuments
du même genre. M. Charnay a exécuté une restitution dont il ne garantit
d'ailleurs que les grandes lignes. Le caractère le plus frappant de l'architec-
ture yucatèque, c'est l'emploi de la polychromie, qui est restée en usage dans les
constructions les plus récentes de la presqu'île. Le temple d'Izamal devait
servir encore au cuUe au moment delà conquête; on a trouvé au pied des
murs deux espingoles du xvi^ siècle, soigneusement enfouies, la crosse en
l'air, et l'on a supposé, non sans quelque raison, que c'étaient des trophées
consacrés par les Mayas à la divinité du temple.
St^ance du /•' octobre, — M. D. Charnay met sous les yeux de r.\cadémie une
photographie d'une des ruines d'Uxmal (Yueatan), désignée vulgairement sous
le nom de palais des Nonnes, et étudie quelques détails de l'architecture de ce
monument, et en particulier de ses voûtes. Il montre que les deux murs formés
de dalles dont la supérieure dépasse toujours l'inférieure vont en se rappro-
chant peu à peu, sans se rejoindre tout à fait. Ce mode de construction est
habituel aux anciennes constructions maya-toltèques.
M. Casati lit un mémoire sur les origines étrusques de la gens romaine.
Séance du 45 octobre. — M. Bloch étudie les textes épigraphiques relatifs
aux trente-cinq tribus de Rome sous l'Empire.
E. H.
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EXPOSITIONS.. COLLECTIONS ET MUSÉES
La Collection Buller an Musée da Trocadéro.
Au cours de ses éludes sur TExposilion coloniale et indienne qui s'est tenue
à Londres Tannée dernière, le docteur Hamy, directeur de ce recueil, avait
insisté sur Timportance exceptionnelle des collections ethnographiques recueillies
en Nouvelle-Zélande par sir W. L. Buller *. Plusieurs pièces fort intéressantes
de cette collection ont été généreusement offertes, par leur propriétaire, à notre
Musée d'ethnographie et sont venues enrichir la section océanienne, récemment
réorganisée dans le vestibule de Paris '.
Parmi les objets qui figurent dans cette galerie sous le nom de sir Walter
Buller, nous pouvons mentionner des bâtons de commandement artistement
ouvragés, de petites massues en bois ciselé, une trompe de guerre très rare et
très ancienne faite d'une conque marine, des panneaux travaillés à jour et une
série de haches de pierre représentant les diff'érents types en usage chez les
Maoris avant la découverte de la Nouvelle-Zélande. Mais la pièce la plus remar-
quable est sans contredit la belle tombe en bois sculpté qui a été placée dans
le vestibule' et qui peut être considérée à juste titre comme Tun des spécimens
les plus complets et les plus curieux de Tart sauvage en Océanie.
A côté de sa valeur artistique, cette pièce en présente une autre, bien plus
considérable, aux yeux de l'ethnographe, car elle est la première et la plus
complète du genre qui soit parvenue en Europe ; il est même probable, pour
des raisons que nous allons expliquer, que c'est le seul et unique échantillon
de monument funéraire néo-zélandais qui sera jamais exposé dans un musée
européen.
Les statistiques ofGciellesdu gouvernement de la colonie nous apprennent en
effet que le peuple maori est en pleine voie de décroissance ; il disparaît avec
une rapidité vraiment effrayante, et, phénomène curieux, non seulement la
race autochtone, mais encore la faune et la flore indigènes reculent et meurent
devant Tenvahissement des espèces européennes nouvellement introduites.
Les causes multiples de cette disparition à brève échéance sont sufBsamment
connues, et les Maoris eux-méme ne se font aucune illusion sur le sort qui les
attend ; ils savent que leur race est marquée au sceau de la décadence et disent,
dans un langage empreint de tristesse : « Depuis le jour où les Pakehas (les
i) Bévue ttEthnographie, t. V, p. 356.
^ si C'est par l'entremise de l'auteur de <
l'eUiDogniphie. M. J.-B. de la Croix avai
l'une mission à i'Expasition CA>loniale de
l'objets. d' Australie, de NouTclle-Zélandc, (
3) La Itevue d'ethnographie en a déjà donne une 6gure (t. V, p, 350).
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EXPOSITIONS, COLLECTIONS ET MUSÉES 173
étrangers) ont débarqué dans noire île, tout ce qui existait a commencé à
mourir. Les oiseaux, les animaux disparaissent ; les plantes elles-mêmes sont
tuées par les herbes étrangères ; les Maoris, eux aussi, disparaîtront à leur
tour et bientôt il ne restera, pour les rappeler, que les noms de leurs rivières
et de leurs montagnes. »
Les effets de cette implacable loi de la nature se sont fait ressentir aussi
bien dans Tordre moral que dans Tordre physique ; les vieilles croyances
maoris ont succombé également devant Tintroduction de doctrines plus civilisées.
La population indigène est aujourd'hui presque entièrement chrétienne et obéit
aux prescriptions des nouveaux cultes. Leurs cérémonies religieuses sont
devenues à peu près les mêmes que chez nous ; ils enterrent leurs morts ainsi
que nous le faisons nous-mêmes , aussi le monument funéraire qui figure au
Trocadéro peut-il être regardé comme Tun des derniers vestiges * d'une foi qui
s'éteint et d'un rite passé dont nous allons essayer de donner quelques détails
à nos lecteurs.
Les cérémonies des funérailles n^étaieut pas les mêmes pour tous les indivi-
dus ; elles étaient d'autant plus compliquées que le défunt avait occupé, durant
sa vie, une situation plus haute.
Dès qu'un chef maori avait rendu le dernier soupir, des émissaires étaient
aussitôt envoyés de tous côtés afin d'annoncer la fatale nouvelle et de convoquer
les membres de la tribu. Vingt-quatre heures après la mort, la famille procédait
à la toilette du corps qui, après avoir été lavé, était enveloppé dans une étofTe
précieuse en fils de phormium et ornée de riches broderies. La figure, laissée à
découvert, était peinte en ocre rouge, la couleur sacrée ; la tête était surmontée
d'un bouquet de plumes noires et blanches provenant de la queue d*un oiseau
rare, le Hina. Dans sa main droite, on plaçait le mère pounamout sorte de
casse-tête en diorite, symbole du pouvoir, le sceptre de la tribu; on pendait à
son cou VHeUiki de jade vert représentant Timage de l'ancêtre fondateur de la
tribu ; on fixait à ses oreilles les tangiwaiSy précieux ornements en serpentine
translucide.
Ainsi paré avec le luxe barbare de ïêige de pierre, le cadavre était placé sur
une petite plate-forme disposée à l'entrée de la maison. De tous côtés arrivaient
alors les membres de la tribu pour prendre part au tangiy sorte de vocero
funèbre.
Ainsi que cela se passe dans la plupart des pays, et même en Europe, un
repas accompagnait toujours la cérémonie des funérailles. Les amis et autres
membres de la tribu apportaient des vivres et les festins funèbres prenaient des
proportions telles que souvent la misère et la famine succédaient, pendant
plusieurs mois, à ces manifestations de la douleur publique.
Entre temps, les parents et amis personnels du défunt se livraient au plus
profond désespoir; les chants alternaient avec les lamentations, et afin de don-
ner à leur affiiction une intensité plus vraie, les femmes et les jeunes filles,
armées de coquillages tranchants, se faisaient sur le corps des entailles pro-
fondes ; les joues, la poitrine et les bras ruisselant de sang, elles hurlaient les
1) Si nos rcnseigneinontit soot cxacU, il u'existo plus, à la Nuuvellu-ZélaDdo, qu'un seul tombeau
an même genre ; c*est à Matata, petit village de la baie d'Abondance.
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174 LA COLLECnOJN BULLER AU MUSÉE DU TROCADÉRO
louanges du chef, et ce supplice volontaîre était poussé d'autant plus loin que
le mort avait été plus puissant et plus célèbre.
Ces démonstrations lugubres et les festins doraient en général une huitaine
de jours, parfois même davantage. Dans l'intervalle, les artistes et sculpteurs
de la tribu s'occupaient activement à construire le tombeau du chef, sorte de
sarcophage temporaire que Ton élevait dans un endroit calme et paisible, sur
la lisière d*un bois ou sur la berge d'un lac ou d'une rivière.
Le travail achevé, le corps était porté en grande pompe et déposé dans le
monument au milieu des lamentations et des cris de désespoir; on plaçait
auprès du chef ses ornements, ses armes et les objets précieux hérités de ses
ancêtres. Puis le peuple se retirait lentement, chacun s'en retournait dans son
village et remplacement du tombeau devenait taboUf c'est-à-dire sacré. Tous
ceux qui avaient touché le cadavre ou pris part à la construction du tombeau
devenaient également tabous et il leur était interdit de communiquer avec leurs
semblables. Ils ne pouvaient même toucher à un aliment quelconque ; assis
silencieusement dans leur hutte, les bras croisés derrière le dos, ils recevaient
leur nourriture des mains d'une jeune fille qui la leur tendait à distance afin
d'éviter tout contact.
Cette période de tabou durait jusqu'à ce que les tohungas ou prêtres eussent
accompli la cérémonie de purification connue sous le nom de whakanoanga.
Nous avons oublié de mentionner que le haut du sarcophage restait ouvert
afin que le corps soumis aux intempéries des saisons et à l'action de l'air se
décomposât plus rapidement. L'œuvre de la nature s'achevait en six ou sept
ans ; alors commençait la seconde partie des funérailles appelée hahunga^ c'est-
à-dire le nettoyage des os.
La tribu était convoquée de nouveau ; les festins recommençaient avec le
même cérémonial, accompagnés de lamentations et de pleurs ; les femmes s'in*
nigeaient les mêmes tortures ; le sang coulait, et, au milieu des géHÛssements,
les orateurs se livraient aux discours les plus extravagants sur les vertus du
chef défunt, apostrophant les jeunes gens et les excitant à imiter les hauts faits
et les prouesses du héros qui les avait quittés pour toujours.
Le peuple se rendait ensuite à l'endroit où reposait le corps; le sarcophage
était ouvert et démantelé, les objets précieux étaient retirés et le mère pouna^
mou, l'emblème de l'autorité, était rendu à la tribu après avoir été purifié par
les prêtres. Les ossements étaient grattés avec des coquillages et soigneuse-
ment nettoyés jusqu'à ce qu'il ne restât trace de chairs ou de ligaments ; puis,
ils étaient enveloppés dans une étoffe neuve et transportés en grande cérémonie
au lieu de repos définitif, soit dans le cimetière commun de la tribu, soit dans
une caverne profonde cachée au fond des bois ou dans quelque cratère de
volcan éteint.
Tous ceux qui avaient joué un rôle actif dans cette seconde cérémonie
devenaient plus tabous encore qu'auparavant, et tous les objets qu'ils touchaient
devenaient également tabous. Toute infraction à cette coutume était immédia-
tement punie de mort et la pénitence ne cessait que lorsque le sarcophage et
les objets ayant servi au culte avaient été brûlés et réduits en cendres.
Ce dernier détail explique suffisamment pourquoi il est, pour ainsi dire,
impossible de trouver» à la Nouvelle-Zélande, des spécimens de monuments
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EXPOSITIONS, COLLECTIONS ET 31 USÉES 175
funéraires ; mais les anciens usages ont disparu peu à peu, le vieux rite maori
a succombé devant la religion nouvelle et le tabou lui-même a perdu de sa
sévérité. C'est grâce à ce nouvel état de choses que sir Walter BuUer, Téminent
avocat des Maoris, a pu obtenir le monument qui figure aujourd'hui dans notre
Musée. ProQtant d'une grande influence acquise dans les tribus, de sa connais-
sance profonde de la langue indigène i il a pu réussir, malgré une opposition
énergique, à force de patience, de diplomatie et même de sacrifices pécuniaires,
à se procurer le tombeau dont il a généreusement doté le Trocadéro.
Sir W. Buller a du reste été témoin d'une cérémonie funèbre pareille à celle
que nous venons de décrire , l'une des dernières probablement qui se soient
reproduites à la Nouvelle-Zélande. La scène s'est passée au charmant petit
village de Te-Tahehe, sur les bords du lac Rotoiti, localité bien connue dans la
région des lacs chauds. C'est là le territoire de l'antique ei puissante tribu
Arawa dont les ancêtres ont été les premiers colons de la Nouvelle-Zélande,
lors de la grande migration polynésienne. Chaque groupe, qui mit alors le pied
sur la nouvelle île, conserva le nom du canot qui l'avait amené d'Hawailii, sa
terre d origine. Le canot Arawa atterrit à Makatu, dans la baie d'Abondance, et
les descendants des émigrés ont perpétué son nom.
Le grand chef de la tribu, le fameux Waata-Taranui, célèbre par ses vertus
sauvages 6t sa valeur guerrière, mourut il y a quelques années. On lui fît de
magnifîques funérailles ; pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, les artistes
de la contrée travaillèrent à lui ériger un tombeau digne de lui.
Le sarcophage est en forme de coffre , mesurant (trois mètres de long sur
deux mètres de haut et un mètre environ de largeur ; les faces sont formées
de panneaux massifs taillés dans un bois imputrescible > le iotara. Chaque
panneau représente, sculpté en relief , un personnage mythologique (l'un des
ancêtres de la tribu) qui tire la langue, ce qui^ chez les Maoris, est le sym-
bole du courage militaire ; les yeux sont figurés par des rondelles de nacre
découpées dans une coquille marine. Les panneaux sont reliés entre eux par
des liteaux en bois noir ornés de petites touffes blanches de plumes d'albatros.
Une pièce horizontale, disposée en cimaise , maintient les panneaux verti-
caux. Le monument est surmonté du iekoteho, l'effîgie du défunt peinte en
blanc, avec les creux en noir afin de mieux faire ressortir les tatouages du
corps ; la figure de la statuette porte le moko , sorte de tatouage héraldique,
le blason du chef; la tête est recouverte, en signe de deuil, d'un énorme bou-
quet de plumes noires. Sous les pieds du chef, ainsi qu'il convient, une seconde
figurine en bois sculpté représente la femme du défunt dans une posture
dHnfériorité et de soumission. Enfin , tout le monument est recouvert d'une
couche d'ocre rouge» la couleur tabou.
C'est dans ce sarcophage que fut déposé le corps de Waata Taranui. Il y
resta sept ans, après lesquels eut lieu la seconde cérémonie dont nous avons
parlé plus haut.
Les os furent retirés, soigneusement nettoyés et portés en gran(^ pompe
à leur sépulture définitive, au centre du cratère éteint du vieux volcan Tara-
wera.
Mais son repos ne devait pas être de longue durée. Après un sommeil de
plusieurs siècles, suivant la tradition maori, le volcan se réveilla de nouveau
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176 EXPOSITIONS, COLLECTIONS ET MUSÉES
Tannée dernière. L'ancien cratère s'ouvrit soudain ; une éruption terrible secoua
et bouleversa la contrée entière, répandant la désolation et la ruine sur une
région de 1,300 kilomètres carrés; de nombreux villages furent ensevelis, avec
leurs habitants, sous une pluie de boue et de matières volcaniques, et le lac
Rotomabana fut englouti.
Dans cette effroyable convulsion de la nature, que sont devenues les cendres
du héros Waata Taranui?,..
C'est le tombeau que nous venons de décrire, c'est le sarcophage même du
vieux chef qui figure aujourd'hui au Musée d'ethnographie du Trocadéro.
J. E. DE LA Croix.
CORRESPONDANCE
Teux artificiels des momies d'Arica^ Pérou — Exploration
du Hant-Orénoque.
PariSy 7 mars 1887.
J'ai confié à M. de Rochebrune, mon aide- naturaliste, qui vient de terminer
la révision des céphalopodes du Muséum, l'examen des yeux artificiels de
momies d'Arica que vous avez bien voulu me montrer. Il résulte de l'étude
qu il en a faite avec moi que ce sont bien réellement des cristallins de Poulpe
du genre Octopus^ appartenant probablement à l'une des quatre espèces de
grande taille qui vivent sur les côtes parcourues par les habitants d'Ârica.
Les seiches manquent , au contraire, sur ces rivages et leurs cristallins n'ont
pas d'ailleurs cette forme de dé à coudre si caractéristique des yeux des momies
d'Arica. Ce ne sont pas davantage des yeux de Calmar. Les cristallins des Loligo,
Ommastrephes, etc., sont globuleux, ceux des poissons sont sphériques
Edmond Perrier,
Professeur-admiiiistrateur au Muséum d'histoire naturdle.
Ciudad Bolivar, 26 mars 1887.
Je suis de retour des sources de l'Orinoco, que j'ai découvertes le 18 dé-
cembre dernier, après avoir étudié la communication hydraulique de ce fleuve
et de l'Amazone. J'ai, par mon dernier courrier, envoyé mon rapport au minis*
tère de l'instruction pubfique, et je vous adresse avec celte lettre seize caisses
de collections. Vous trouverez dans cet envoi beaucoup d'ethnographie prove-
nant des Indiens Maquiritaris, Macas, etc., une dizaine de crânes, dont un fort
curieux par la déformation de son os frontal, et deux squelettes de Piaroa et de
Maca, encore entourés de leurs enveloppes funéraires.
Je vai#, avant de rentrer en France, faire un autre voyage dans Tintérieur;
je pars dans quelques jours et ne serai de retour qu'en mai ou juin... Ma santé,
quoique très ébranlée par les fièvres qui ne me quittent pas, ne m'empêche pas
de continuer. D'ailleurs ici il faut s'habituer à cette désolante compagnie....
Chaffanjon.
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NÉCROLOGIE
G. BUSK
George Busk, mort à Londres, le 10 août dernier, à l'âge de 79 ans, avait
consacré une partie de sa longue carrière scientifique à Tétude de Tancienneté
de rhomme dans les cavernes et dans les alluvions. II avait pris une part active
aux fouilles de Gibraltar en 1864 et faisait partie la même année de la conf'é-
rence d*AbbevilIe, où se discutait la célèbre découverte de Moulin Quignon. On
doit à George Busk divers mémoires importants sur les cavernes d*Ângleterre
et il avait commencé sous le titre de Crania lypka un grand ouvrage de cra-
niologie ethnique dont il n*a paru que quelques fragments.
E. U.
A. GARBIGLIETTl
Antonio Garbiglietti , né à Biella en 1807» est mort à Turin le 24 janvier,
après une longue et douloureuse maladie. Il laisse une grande quantité d'arti-
cles sur des sujets fort divers, parmi lesquels il s'en trouve i»n certain nombre
consacrés à des^queslions ethnographiques, telles que Torigine des Etrusques
ou ridenlité des Akkas et des Pygmées de l'Antiquité.
E. H.
A. WYLIË
Né à Londres en 1815, Alexandre Wylie, qui vient de mourir dans cette
ville le 6 février, était parti pour la Chine en 1847 comme directeur de l'impri-
merie de la London Missionary Society, et il y avait séjourné jusqu'en 1^.
Passé au service de la British and Foreign Bible Society ^ il retourna une
seconde fois en Chine en 1864, et publia en 1867 à Changhaï son principal
ouvrage : Notes on Chinese Literature. Rentré en Europe par suite du mauvais
état de sa santé, il a consacré les dernières années de sa vie à fai'e connaître
divers ouvrages ethnographiques chinois. Le Journal of the Anthropolûgical
Instituie contient la traduction des trois livres d'une History of the former
Han Dynastie, relatifs aux nations étrangères, et le premier volume de la
Revue de l' Extrême-Orient de M. Henri Cordier renferme VEthnography of
the after Han Dynastie, traduite en anglais et commentée par ce savant
modeste et sympathique. M. H. Cordier a lu le 18 avril à la Royal Asiatic
Society une notice encore inédite sur la vie et les travaux d'Alexandre Wylie.
E. H.
VI 12
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Boa F.). Sammlung aus ««^/^-^«f " (?'?-f ^ ft.T ^AS îsSf;
Abtheilung der Kônigl. Mus. zu Berlin Jahrg I ^f 2-3 s 31-33, 886.
TH Miltheilunnen ùber die Vilxula-Indianer. (Ibui., hf. 4, s. 177-182, 1886.)
BrinSD GO Criliml Remarks on the Editions of Diego de Lan^'s Writing
Pl beforethe American Philosophical Society, Jan. 7, 1877). Phdadelpb.e,
Ch^l^m Eapédition au Yucatan. (BuU. de la Soc. d'Antftrop. de Paris,
^» sér t. X p. 65-78, 1887.)
Goeken.'oas religiôse Leben der Bella-Colla Indiar^r. (Original Mtlth^ aus
X Ethnolog. AbtheUung de,- Kônigl. Mus. zu Berlin. Jahrg. I, ht. /i,
Hlnset{^rlu)^Mutions à ranthr^ologiedes(WoenJ^nMUMux.
IBuU. de la Soc. d;Anthrop. de Paris, 3« sér., t. IX, p. 609-617, 18860
Seler (E) Notizen ûber die Sprache der Colorados von Ecuador (Original
Mittheilungen aus der Ethnolog ischen Abtheilung der Kôn. Mus. zv Berlin,
Jahri? I, hf. 1, s, 45-56, 1885.)
Steinen (K. von den). Die Sammlung der Schingu-Expedilion. (Ibid., Jahrg.,
I, hf. 4, s. 187-207, 1886.)
OCÉANIE
Kubarv (J -S.) Die Todten Bestûllung auf dem Pelau Insein. (Original MU-
theUungen àus der Ethnologischen Abtheilungen der Kônigl. Mus. zu Berlin.
Jahrg. I, hf. 1, s. 4-11, 18850 „ , , , „iv,
Id. Dk Verbrechen und das Slrafveefahren auf dem Pelau Insein. (Ibid.,
hf. 2-3, s. 77-910
Le Directeur de la Revue, VÉditeur-Géranl,
E. T. HAMY. Ebnest LEROUX.
ANOKnS, mPHIllElUE BIRDIH W C'«, KOB OABNIBR, 4.
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ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
MISISTJRE Pi l'INSTRECTlON PmiOBt ET DIS BEAO-ARTS
ANNALES DU MISÉE GUIMET
TOME I
Recuôil de Mémoire» de MM, Galmet, Hignard F Ghabas, E. Nasille,
Eitel, PhUaslre, Ymaïzoïiini, Tomii et Yamala. ln-4, avee planches. . 15 fr
iTOME II
Recyeil d© Mémoireide Max Mùller, Ymakoumi, P, Bôguaud, L. Feer,
Csoma de KaîrŒ&. ln-4, avec planches ..,,**....• 1^ i"*-
TOMB m
Le BOîiddhlBme au Tibet» par E. de SchUgînLwdt, traduit P^^* ^' j?^
Milbué. în-4,avec 48 plftiïches ^ ^^*
TOME IV
Recueil de Mémoires par E. Lefèbure, K Chabas, A. Colson, P,Regijaud,
J, Edkins.L.deMilWué. Iti-4, avec i2plancbeB ^^^^^
TOME V
Le Kandjour, recueil des livres sacrés du Tibet* Fragmenls traduits par
Léon Feer, In ^4. de 600 pages 20 Tr.
TOME VI
Le Lalita Vigtara (développenieni des jeux), contenant rhistoire du
Bouddha Cakva Mauni, depuis sa naissance jusqu à sa prédication, traduit du
Sanacril par ^Ph. Ed. Foucaui. 1'*^ parUe, traduction française, l^i*^^* ^^r^
planches . , •
TOME VU
Recueil de Mémoires par A. Bourquin, Senathi Radja^ L. de Millouê,
A. Locard, Coomara Swamy, J. Gerson da Gunha, P. Regnaud. I^^;^^ de
508 page» et 6 planches. • ^^ '''*
TOME VIII
Le Tl KiBg ou Livre des changements de lu dyiiasUe des Tcheou, traduit
pour la première fois du cbinaïs en français avec les cûmmentaires, par P, L.
f, Philaslre. Id-4 ...-..-■- *^ '^•
TOME IX
Les hypogées royaux de Thèbes. par M. E, Lefébure. Le .tombeau de
Séti l"/un volume m-4. avec 136 planches . - , ^o ir.
TOMEX
hors Uxte • •
TOMES XI et XU
Tii-fAtflR des Chinois, annuellement célébrées à Émoui (Amoy). Etude
con'-cernmY/relig^n po"[aire des Chinois, par J. M. de Groot. 2 valu^e,
in-*, ayec ai planches en héliogravure «u ir-
V«c rcwlse Je «5 »/. «t oBtUe .ui achctenn d« I« coIImUo» eémpléle.
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ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
Rue Bonaparte, 28
mmtu n l'instroction pdbliqui et m mn-km
MEMOIRES
PUBUis FAR LES HiUBRES DE LA
MISSION ARCHÉOLOGIQUE FRANÇAISE
AU CAIRE
Sous U direction de M> MASPÉRO, membre de l'Iostitui
25 fr.
Premier fascicule
U. BouRiAWT. Deux jours de fouilles à Tell el-A marna.
V* LoRBT* Le tombeau de rAmspnt Amen-Hotepi
Ù. BouftiA3?«T. L'édise copie du lombeau de Déga.
V. LoftïT* La stèle de l'Am^ent Araen-Hotep.
H, DuLAc, Quatre eontes arabes eu dialecte cairote,
V. LoHKT. La ttïtnbe de Kham Ha,
fn-4| avec 9 pbucbes noires et en couleur, > > *
Deuxième fascicule
G, Maspkro. Trois années de fouilles dans les tombeaux de Th&beé et do
Memphis.
U* BouRiAST. Les papyrus d'Akhmira,
V, LoBET. Quelques docutnents relatifs à la littérature et à la musique papa-
îaires de la Haute- Egypte.
Iii-4j avec 9 pi. en couleur, 2 pL noires^ lOpL de musique* . 40 fr.
Troisième fascicule
U, BouRiANT. Rapport au mioîstre de riostruction publique sur une mission
dans la Haute-Egyple (ISSA-^ISSB).
P. Bavaissb. Ëssat sur rtiistoire et sur la topographie du Caire d'après Makrîxi
(Palais des Khalifes Patimites], Avec plans en couleur.
Ph, ViRËY* — Étude sur un parchemin rapporté de Thèbes. Avec une héliez-
gravure du papyrus.
Prix : 30 fr.
Quatrième fascicule (sous presse)
PlèCiS RELATIVES A LA FONDATION ET A l'bLSTO[RE HE LA MISSION AlCHÉOLOOIQtJB
mA.^ïÇAiSE AU CAïas, pendant îa première période de son existence (1880^1386).
Hafpoht sun le développement des HO^ms hotalës de Déïr el Baharî, par
M. Maspero.
Cinquième fascicule
Las HYPOGÉES ROYAUX DE Thèbés, par M , G- Lefébïjre.
!'• division : Le tombeau de Sétj I^?, publié in extenso avec la collaboration
de MM, Uf BouaiANT et V* Loret, membres de la mission archéologique du
Caire, el avec le concours de M. Kdouard Navîllè.
In-4j avec 1 36 planches. . - 75 fr,
4!t0RB3« mp* BmUift ET 0 ^, Rtlk UAn^lléH. i.
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DE
REVUE
D'ETHNOGRAPHIE
PUBLIÉE SOUS LES AUSPICES DU 5ll?!ISTi^:HK DK L^lM&TBtlCTION PUBLIQUE
KT DKS FKAnX-AUTS
Par le D« HAMY
TOME SIXIÈME
N° 3. — Mai- Juin.
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, hue: BONAPARTE, '2H
1887
Bta.iii
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M
SOMMAIRE
niale rt indienne île Londres (/«'»)-.■• ••';•; tautaii».
^*''*'Mélbode de dasslBcQUon daos les mutée. d'elhMgraplile Oru T. MA.*.
RtvvES «T Anautses. - Livais w BuocHirnss : ^ ^^^^^^
Hutial (Z.). The Terrn Cotia Heuds of Teolihuacan ■ ■ • ^
AcAftÈMlEâ ET SOCifeTtS SAVAKtES: ^ ^^^^^
Académie des lascriplïcîas cl Belles -LeUrcâ. - " '
Eiposmows, Collections et Misées :
Le. calleclion. etboagraptiia"^» clu cablnel d^bi.toire neiiureUe .^^
de Cherbourg "* -
COBttE3»'0«0.^NCR. - NlfeCHOLOOIE. - BlûLlOOnAPtlIF.
CONDITIONS UE LA PUBLICATION
La BEVOE D'ETHNOGRAPHIE paraît iom les deux mois, par rascicules in-8
raisin, fie 6 feuillfis rj'impressior», richement illastrées.
Prix de l'aboMement annuel : Pans. - _
_ _ Dèparlemenls - ■ ■ *^ °"
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Un nuinére, pria m Bureau ...**. .<,»<--
TAttIF DES ANNONCES
20
Un€ page - * - • -^ ' * "
sÏdrl" poL loulcfq»! e..«:.rue 1. U.dacllou. «u D^ HAMÏ. «. rue de LubecL.
ERNEST LEROUX, Éditeur, rue Bonaparte, 28.
NUMISMATIQUE DE L'ALSACE
Par ARTHUR ENGEL et ERNEST LEHB
Uo bMu volume ln-4, arec 46 plinebes en pbotûlypie. • . . -
50 fr.
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AA5
j^U^CO.^, .
ME M OI RCS^CmTanV AUX
LE NAM-GIAO DE HANOI
Par M. G. DUMOUTIER
inspecteur de l'Enseignement au Tonkin.
Un Nam-giao est un temple en plein air, où les empereurs
viennent en personne officier et offrir des sacrifices au Ciel. Il
se compose d'un tertre quadrangulaire soutenu par des murs,
chacun des côtés est pourvu d'un escalier, Tentrée principale
est orientée au sud, d'où le nom de Nam-giao qui signifie com-
muniquer avec le sud.
n ne faut pas confondre ces monuments avec les tertres de
même forme nommés tich-dien que l'on trouve dans toutes les
capitales de province, et qui sont des temples à la mémoire de
l'empereur chinois Than-nong, génie de l'agriculture. Les tong-
doc y font des sacrifices annuels et ouvrent le premier sillon dans
la rizière.
Le Nam-giao n'existe que dans les capitales de royaumes ; il y
en a un à Hué, il y en avait un autrefois à Hanoï, lorsque cette
ville était le siège de la dynastie des Le. Le Nam-giao de Hanoï
se trouvait au delà des faubourgs de la ville, sur la route de Hué,
près du village de Phong-van *.
U subit, en 1663 de notre ère, sous le règne de l'empereur
Ganh-tri ', d'importantes modifications ; quelques années plus
tard, sous le règne de l'empereur Vinh-tri, neveu du précédent,
on construisit, sur le tertre découvert, une riche pagode flanquée
de deux bâtiments annexes formant ailes en retour.
i\ Phopg-yan si^niBe vent et nuage.
2) Canh-tri ou Kieng-tri, de son nom privé Duy-cu, 19<^ de la dynastie des
Lé, régna 9 ans. Il est connu dans l'histoire sous le nom de Lé Huyen-tong.
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182 LE NAM-GIÂO D£ HANOI
En 1680, une inscription commémorative de ces divers tra-
vaux fut gravée sur une grande stèle de pierre noire, soutenue
par un piédestal monolithe recouvert de jolies sculptures.
Aux temps troublés des Tay-son et sous la dynastie des Ngu-
yen les sacrifices impériaux eurent lieu à Hué ; le Nam-giao de
Hanoï n'en conserva pas moins, à cause des souvenirs historiques
et des traditions religieuses qui s^ rattachaient, une grande
réputation de sainteté; c'était le but de pieux pèlerinages, et les
pauvres gens qui voyageaient sur la route mandarine venaient
s'y reposer à l'abri des ardeurs du soleil.
Vers 1830, un incendie dû à l'imprudence de quelques pèlerins
qui faisaient cuire leur riz dans un des bâtiments annexes
détruisit tout l'édifice. Hanoï ayant depuis longtemps cessé d'être
la capitale des empereurs d'Ânnam, le Nam-giao ne fut pas
reconstruit ; on se contenta de bâtir , à quelques centaines de
mètres et plus à proximité du village de Phong-van, une pagode
bouddhique (chua) qui existe encore ; cette pagode est desservie
pai* des bonzesses ; quelques monuments funéraires assez remar-
quables et deux colomies la signalent de loin à l'attention.
Quant au vieux monument des empereurs Le, il a presque
entièrement disparu. Le tertre primitif forme, au milieu des
rizières, une sorte de tumulus aplati recouvert de débris de
tuiles, de briques, de pierres et de fragments de poterie.
Les abords sont envahis par les tombes ; les fervents n'ont
pas oublié les faveurs spéciales dont bénéficient les âmes au
voisinage des lieux saints. Les deux rampes de pierre du grand
escalier subsistent encore , elles sont à moitié enfoncées dans la
terre ; les sculptures qui les recouvrent représentent des nuages
traversés par des flammes. Il y aurait intérêt à sauver ces
épaves d'une destruction complète \
La stèle commémorative protégée par un édicule en maçon-
1) Rappelons en passant une des attributions de TAcadémie tonkinoise, fon-
dée par Paul Bert, par arrêté en date du 3 juillet 1886 : « Prendre des mesures
pour la conservalion des stèles , inscriptions et monuments quelconques, épars
sur le territoire, les rechercher, les signaler, les faire transporter en lieu sûr
lorsquUls se trouveront dans des pagodes ruinées ou hors de l'action d'une
protection efficace. »
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LE NAM-GIAO DE HANOI 183
nerie est restée intacte, c'est assurément le plus beau monument
de cette nature qui soit dans la contrée. L'inscription est en
chinois ; en voici la traduction.
« Inscription commémorative composée à Toccasion de la
réparation du Chien-su Nam-gio, près du village de Phong-van,
canton de Kim-lien, la 4* année du règne de l'empereur Vinh-tri
de la djmastie des Le.
« Ce monument, qui se nommait autrefois Nam-giao, a ajouté
à ce nom celui de Chieu-su, parce qu'on y adore le ciel.
H Le roi qui vient sacrifier sur le Nam-giao acquiert les plus
grandes qualités; il lui est aussi facile de gouverner son
royaume que de tourner la main.
« Les souverains de la dynastie Le ont pu reculer les limites
de Tempire et lui donner des frontières de 10,000 li d'étendue.
Il» ont fondu le vase à trois pieds *, construit des murs d'en-
ceinte et des citadelles pour la défense du pays.
« Lorsqu'ils érigèrent ce monument, ils cherchèrent le lieu
propice et déterminèrent l'orientation, toutes ces choi^es sont
suivant les rites et agréables au ciel
« Le sud est la patrie des Le ; c'est pourquoi cet autel est
tourné vers le sud.
« Dès l'origine, il a été décidé que chaque année, au 10"* jour
du 1*' mois, il serait fait un sacrifice à cet endroit, et cela,
jusqu'à la fin des postérités.
« Mais sous les injures du temps l'autel se dégradait, les
ornements étaient flétris et indignes du Maître du ciel.
« Il fallut qu'un roi pieux autant que savant se présentât
pour donner au monument la majesté qui lui convient.
« Vinh-tri, héritier et continuateur des vertus et des traditions
des Le, fit deux parts de son temps ; il consacra la première à
i) Métaphore chinoise, qui signifie fonder une dynastie par allusion au par-
tage de la Chine en Irois Etats (tam-cuoc), Nguy, Thuc et Ngo. Le vase à trois
pieds symbolise Tempire, on en trouve le modèle dans le livre Léky, la forme
8*est perpétuée dans les accessoires du culte. Les chefs de chaque dynastie
avaient coutume d'en faire fondre un semblable, qui se transmettait dans la
famille. On dit dans la rivière Noire que DinhKiuc, le chef des Muong-bi, garde
encore le vase dynastique des Dinh ; il est si grand, dit la légende, qu^n y
peut faire cuire trois buffles à la fois.
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184 LE NAM-GIAO DE HANOI
l'adoration du ciel et la seconde à la pacification de son peuple ;
or, de ces deux choses, la seconde étant directement subordonnée
à la première, il commença par adorer le ciel afin de se concilier
son aide dans sa mission de pacificateur.
« Le premier jour de chaque année le roi, accompagné de ses
mandarins, se rendait en personne pour sacrifier à Tautel de Chieu-
su Nam-giao, mais cela ne suffit pas à sa grande piété. Alors,
après avoir déterminé le jour propice, il réunit les charpentiers,
leur donna des mesures, fit venir des bois solides pour renou-
veler les vieilles colonnes et les vieilles charpentes de la pagode.
« Les travaux ont commencé à l'automne, le neuvième mois
de Tannée Qui-mao, la première du règne de Canh-tri ; ils étaient
terminés à la fin de Tannée Giap-thin, deuxième du même règne.
« Les fondations sont très vieilles, ce sont celles du Nam-giao ;
mais le reste est neuf et rien n'égale la beauté des ornements
intérieurs et extérieurs.
• « Ce temple a pour objet d'honorer le roi pieux qui Ta restauré
et embelli, et de perpétuer à jamais ses mérites, c'est pourquoi
cette inscription a été gravée sur la pierre impérissable.
« Les vertus de Vinh-tri furent innombrables, aussi devra-t-il
vivre de longues années.
« Le ciel lui accordera les cinq bonheurs ' et pendant dix mille
ans ses fils et ses neveux seront heureux par son exemple.
« Son Excellence Ho-sî-ruong, au renom glorieux -, président
du ministère des travaux publics, membre du conseil privé, né
au village deHoan-han, de l'arrondissement de Qui-huu, a com-
posé cette inscription pendant Thiver de la quatrième année du
règne de l'empereur Vinh-tri. »
1) Les cinq bonheurs : phu, gtxî, tho, khang, ntnA, c'est-à-dire bonheur,
richesse, longue vie, santé, tranquillité. Les Saïgonnais n'indiquent pas le
mot bonheur (phu), dans celte série, il est, d'après eux, le résultat des çiuatre
autres, mais ils ajoutent à la nomenclature, fmao chuna manh^ qui signifie
bonne mort. Les cinq bonheurs sont représentés symboliquement par des
chauve-souris, probablement parce que les deux caractères chinois, qui signifient
bonheur et chauve-souris, ont la même phonétique.
2) Par modestie. Le qualificatif « Excellence au renom glorieux, » appariient
aux mandarins de second rang du premier ordre, dont font partie les présidents
des six ministères. Ho-si ruong devait être compris dans les mandarins du pre-
mier rang, j)ar son titre de membre du Conseil privé, et avait droit au qualifi-
catif de w Excellence au renom éclatant. >>
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ÉTUDES ETHiNOGRAPHIQUES ET ARCHÉOLOGIQUES
SUR ^EXPOSITION COLONIALE ET INDIENNE
DE LONDRES
Par le Doctedr E.-T. HAMY
Gonserratenr da Musée d'Ethnographie
(Suite,)
V
EMPIRE INDIEN
L'empire Indien [Empire of India) est assurément Tune des
contrées de la terre qui offrent aux investigations des ethnolo-
gues le plus vaste champ d'étude. Les trois principales branches
de l'humanité s'y sont successivement développées avec vigueur,
et la population de 253,891,821 habitants qu'on y compte, offre
des représentants plus ou moins nombreux des races les plus
éloignées '.
Les Négritos, qui ont été les premiers hommes du sud-est de
Tancien monde, semblent avoir erré dans l'Inde presque entière à
une époque bien antérieure à toute tradition. Du moins retrouve-
t-on aujourd'hui les débris de leurs tribus dispersés en petites
fractions depuis l'Himalaya jusqu'au cap Comorin.
1) Le nombre des langues parlées dans Tempire indien était estimé à 106 au
recensement de 188i .
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186 ÉTUDES SUR l'exposition COLONIALE
A côté d'eux vivaient d'autres sauvages, apparentés de près
aux Australiens actuels, et dont les régions montagneuses de
rinde centrale nous ont conservé quelques rares descendants *.
Australoïdes et Négritos étaient les seuls habitants de la pres-
qu'île, lorsque, à une époque fort ancienne mais indéterminable^
commencèrent les migrations des peuples de race jaune. Les
premiers de ces Indo-Touraniens, comme les nomment les
ethnologues anglais, furent les Kolariens, qui pénétrèrent dans
le pays par son angle nord-ouest. Puis surgirent les Dravidiens,
proches parents des Kolariens. Us descendaient du Bélouchislan,
où ils avaient laissé les Brahuis et pénétrèrent dans le cœur du
pays entre l'Indus et la Nerbouddha, où les Gonds des provinces
centrales, les Ouraons du Chutia Nagpour, les Malers du
Rajmahal rappellent leur séjour. Ils parvinrent enfin dans les
territoires de la Présidence de Madras, et y fondèrent les puis-
santes nationalités des Tamouls ou Tamils, des Telougous, etc.
Deux mille ans avant notre ère, apparaissent enfin les repré-
sentants des races blanches ; ce sont les fameux Aryens, les
Indous proprement dits ; ils traversent l'Indus, conquièrent le
Penjâb et longeant le Gange prennent Oudh et étendent leur
domination jusqu'au Bengale. Kolariens et Dravidiens sont
rejetés dans l'Himalaya ou reculent sur le plateau central. Ceux
des anciens habitants qui n'ont point fui devant l'envahisseur^
sont obligés de prendre rang dans les castes inférieures d'une
société étroitement hiérarchisée. Mais l'humble situation impo-
sée aux vaincus entretient chez eux une animosité profonde et
lorsque le bouddhisme vient réveiller leurs espérances, ils sont
les premiers à embrasser une croyance qui leur assure l'égalité
avec leurs conquérants. Sous Açoka (250 ans avant notre ère),
rinde presque entière est devenue bouddhiste et le demeurera
pendant une dizaine de siècles. Mais l'Indouisme n'est pas mort
et reparaît sous des formes nouvelles : les sectes Vichnouïte,
Sivaïte et Jaïnite se partagent à peu près égedement les popula-
tions arrachées au culte de Bouddha, à la suite de longues et san-
glantes révolutions religieuses.
1) Cf. Crania Ethnica, p. 325.
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ET INDIENNE DE LONDRES i87
Les vieilles dynasties ont disparu^ mais au moment où les
Radjpoutes établissent solidement leur domination, Tinvasion
musulmane introduit dans Tlnde de nouveaux éléments de lutte
et finit par assujettir à l'Islam près d'une moitié des habitants de
la péninsule.
Ces mouvements de peuples, ces conflits de croyances se suc-
cèdent et s'enchaînent ainsi pendant quarante siècles, et les euro-
péens qui arrivent aux Indes en 1498 y rencontrent partout la plus
inextricable confusion de races, de langues, de religions et de
mœurs. Les progrès de la linguistique et de Tarchéologie, de l'an-
thropologie descriptive et de Tethnographie ont dissipé lentement
depuis lors une partie des ténèbres qui enveloppaient les origines
indoues; on distingue peu à peu les langues aryennes de celles
qui ne le sont point et on établit l'antériorité de celles-ci par rap-
port à celles-là ; on fixe les caractères spéciaux et la chronologie
des écoles d'art qui ont fleuri dans l'Inde et l'on déchifi're quan-
tité d'inscriptions extrêmement importantes pour l'histoire et la
géographie ancienne de la presqu'île; on se rend compte des
traits les plus essentiels des principales races et Ton recueille
des collections considérables de leurs œuvres les plus caracté-
ristiques*. Grâce à tous ces efforts, chacun des éléments violem-
ment mélangés jadis se dégage et reprend sa place naturelle^ et
la c< stratification » ethnologique se retrouve et se reconnaît.
Andaman. — Les Négritos forment, je Tai déjà dit, la couche
ethnique la plus ancienne, ainsi que le montre nettement leur
répartition actuelle dans les lieux les plus insalubres ou les plus
inaccessibles de la péninsule, où les ont refoulés les immigrations
postérieures. C'est aux îles Andaman seulement, jadis unies à la
terre ferme, mais séparées du continent assez tôt pour avoir été
soustraites aux envahissements de la période préhistorique, que les
Négritos se sont conservés relativement nombreux jusqu'aujour-
i) Je mentionnerai en particulier les 14,000 pièces de Vlndia muséum mises
très libéralement à ]a disposition des visiteurs de l'exposition par l'administra-
tion de South- Kensington.
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188 ÉTUDES SUR l'exposition COLONIALE
d hui '. C'est donc par ce petit archipel que nous devons com-
mencer notre rapide voyage à travers les collections ethnogra-
phiques de rExposition indienne.
On connaît si complètement les caractères physiques, intellec-
tuels et moraux des Andamans qu'il est devenu bien difficile de
produire quelque chose de neuf à leur sujet. M. George Watt, qui
était chargé de la partie ethnologique de l'Exposition de l'empire
Indien *, s'est donc borné à faire exécuter quatre statues de gran-
deur naturelle, reproduisant avec plus ou moins de fidélité les
particularités de la race, et les a entourées des choses les plus
typiques de leur ethnographie. Ces statues, fabriquées comme
toutes celles que nous allons passer successivement en revue,
par les artistes indigènes de Krishnagar % sont bien médiocres
au point de vue artistique ; modelées dans des poses à peu près
uniformes, elles sont plantées en quinconces, sans aucun grou-
pement , dans des espaces trop restreints. J'ajouterai que leur
exactitude scientifique laisse également beaucoup à désirer;
l'anthropologiste instruit se sent mal à Taise en présence de ces
reproductions par à peu près de la nature indienne. Il est vrai
que l'ethnographe trouve dans Fexamen des accessoires de ces
piteuses statues un ample dédommagement aux déceptions que
leur vue a pu lui procurer.
^os quatre personnages andamans ont sur le corps ou dans
les mains à peu près toutes leurs richesses. Les femmes sont
1) Il y en aurait 2,000 sur la Grande-Andaman et 1,000 à 1,500 sur la Petite.
Le reste de la population de Tarchipel, 11 à 12,000 individus, se compose de
convicts amenés de toutes les contrées de Tlnde , et répartis en trente stations
pénitentiaires.
2)^ On doit à M. George Watt d abondants renseignements sur cette partie
de 1 exposition indo-coloniale, accumulés dans la deuxième partie du catalogue
officiel de l'Empire des Indes sous ce titre : A Guide to the Elhnological Models
and Eœhibits snown in the Impérial Court. (Empire of India, Spécial Catalogue
of Exhibits by the Government of Indin and private Exhibitors, London,
W. Cloves, 1886, in-8, p. 159-189.)
3) Les fabriques de modèles en terre de Krishnagar sont depuis longtemps
connues. Cette industrie, dont les produits se rencontrent aujourd'hui dans
presque tous les musées d'ethnographie, ne fabriquait dans Torigine que des
idoles, mais elle a peu à peu élargi son domaine par la représentation de
scènes mythologiques, de types professionnels, etc. On fait aussi des modelages
à Calcutta et ailleurs, mais ils sont bien inférieurs à ceux de Krishnagar, qui,
lorsquHls se maintiennent dans les petites dimensions qui conviennent à ce
genre de travail, sont souvent dignes d'intérêt.
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ET INDIENNE DE LONDRES 189
couvertes d'ornements tout primitifs ; colliers de eoquilles à trois
rangs^ sautoir en écorce grossièrement barbouillée de rouge et
de blanc, vertèbres enfilées, etc. Les hommes portent leurs
armes, et notamment le fameux arc décrit pour la première fois
jadis par Colebrooke. Tout cela est extrêmement connu de la
plupart des lecteurs et je ne puis que les renvoyer aux belles
photographies qui accompagnent le remarquable mémoire consa-
cré aux Andamans par M. Man dans le douzième volume du
Journal de FlnstUut anthropologique de Grande-Bretagne et
dirlande. J'appellerai seulement en passant Tattention des
spécialistes sur quelques objets rares exposés dans une vitrine à
côté des statues des insulaires andamans. Ce sont notamment
deux haches en pierre, grossièrement fabriquées, mais complète-
ment polies S puis des éclats d'obsidienne taillés, et enfin des
couteaux fabriqués avec des coquilles du genre pinna.
Nicobar. — Il n' y a pas de Négritos dans les îles Nicobar,
situées pourtant bien près des Ândaman> qu'elles prolongent dans
la direction d'Atjeh. Le centre de la Grande-Nicobar nourrit bien
un petit peuple profondément distinct de celui de la côte, mais
ce peuple Shom-Pén, sur lequel on n'avait, avant la récente
exploration de M. Man, que des renseignements très vagues^
n'appartient point h la race négrito, comme on l'avait tout
d'abord supposé.
Tandis que les Nicobariens de la côte sont donnés comme une
population mixte formée d'éléments siamois, indonésiens et
malais, les Shom-Pén sont considérés comme homogènes et
apparentés, dit M. Man, aux races mongoliques ''. J'en ferais
volontiers, pour mon compte, des Indonésiens purs. Les photo-
graphies de M. Man représentent, en effet, des sujets fort sem-
blables à ceux de l'intérieur des grandes îles de l'Archipel
Indien.
1) Aucune étiquette n'en éclaircit Toriglne; seraient-ce les pièces trouvées
par Roepstorf et Stoliczka dans ie kjœkkenmœdding de Hope Town ?
2) Man (E.-H.). A briefaccount ofihe Nicobar Islanders^ with spécial refe^
rence to the Inland tribe of great Nicobar. (The Journ. of the Anthrop. Instit.,
vol. XV, p. 428-450, pi., XVII-XIX 1885.)
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490 ÉTUDES SUR l'exposition coloniale
Les statues de Nicobariens exposées par M. G. Watt nous
montrent des individus du littoral, dont les coiffures sont parti-
culièrement curieuses. L'un des deux sujets porte comme cha-
peau un cylindre ouvert par le haut, garni d'étoffe et surmonté
de deux longues baguettes droites terminées par des ornements
de papier ; l'autre a une calotte d'écorce toute frangée en arrière
de faux cheveux façonnés de la même matière *.
Cochùiy Travancore, Madras. — On retrouve des Négritos, plus
ou moins purs et plus ou moins semblables à ceux des îles Anda-
man, dispersés en petits groupes au milieu des jungles de l'inté-
rieur du Dekkan ; mais c'est plus particulièrement dans les États
de Travancore et de Cochin qu'ont été recueillies les preuves les
plus significatives de la survivance de ces habitants primitifs de
la presqu'île cisgangé tique. J'ai commenté ailleurs * les obser-
vations recueillies par Leschenault de la Tour et Fryer dans
les monts Gattalam et Anamalah, qui bordent à l'est et au nord-
est Travancore et Cochin. Les Kaders (c'est le nom donné à
l'ensemble des pygmées dont Fryer nous a le premier fait con-
naître les caractères extérieurs), les Kaders s'intitulent Se/ywewrs
des monts et les traditions des populations de la plaine leur
reconnaissent une sorte de suprématie d'un caractère fort vague
sur les territoires qu'elles occupent. Les Kaders sont foncés de
teint et de petite taille, et leur chevelure est légèrement crépue.
Ce sont des Négritos, légèrement altérés sans doute par des croi-
sements avec les Dravidiens qui les cernent de toutes parts et
finiront par les absorber tout à fait.
Les recherches de Newbold, de Logan, de Campbell, etc.,
tendent à démontrer que les chaînes qui bordent de toutes parts
le plateau du Dekkan ont donné asile, dans leurs retraites encore
inaccessibles, à de petites agglomérations de montagnards,
toutes semblables à celles dont il vient d'être brièvement ques-
1) Les Nicobariens de Nancowry sont depuis longtemps connus par leur pré-
dilection pour les coiffures de haute forme.
2) Cf. Congrès international des sciences géographiques. Session de Paris,
1875, t. I, p. 288-290.
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ET INDIENNE DE LONDRES 191
lion. L'Exposition indienne de Londres nous apporte, à l'appui de
cette manière de voir, un certain nombre de faits nouveaux et d'un
intérêt extrême. Parmi les collections photographiques extrême-
ment nombreuses que Ton y peut étudier * figurent des épreuves
obtenues par un artiste anglais, M. Penn, d'Ootacamund, et qui
nous mettent en présence de plusieurs groupes de véritables
Négritos' dont on n'avait rien dit jusqu'à présent. C'est dans les
jungles d'Aznaad, à l'ouest du massif des Nilgherries, que vivent
Fig. 25. Naiker des jungles d'Aznaad (d'après une photographie de M. Penn).
ces petits sauvages, sous les noms de Naikers, de Punniers et de
Sholajas.
Les Naikers sont représentés, dans la collection de M. Penn,
par quatre personnages : un homme, deux femmes et une fillette.
1) Ces collections de photographies, dispersées dans tout l'ensemble de Tex-
position indienne, accrochées partout où il y avait le moindre panneau vide,
n'ont été que partiellement inventoriées et je n'ai malheureusement pas pu m'en
procurer ae catalogue détaillé.
2) Ces photographies m'ont été pour la première fois signalées par M. le
docteur P. Rey, qui m'en a procuré des exemplaires déposés en son nom dans
les collections de photographies du laboratoire d'anthropologie du Muséum.
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192 ÉTUDES SIR L* EXPOSITION COLONIALE
L'homme^ dont la figure ci-jointe reproduit les traits (fig 25),
rappelle à s'y méprendre comme ses compagnes, les Négritos de
Luçon des albums de MM. A.-B. Meyer et Montano. Il est petit,
trapu ; il a les cheveux laineux et le teint foncé ; la tète est forte
pour le corpSy la face est sublozangique et le prognathisme sous-
nasal assez hien accentué. Le nez est un peu court pour sa lar-
geur et les lèvres, épaisses et charnues, surplombent un menton
fuyant. Le tronc est mince et élégant de forme dans ses petites
proportions ; les membres supérieurs sont longs et maigres^ mais
la musculature en est bien apparente; les avant-bras, relative-
ment développés, sont terminés par des mains qui manquent de
finesse. Les femmes diffèrent surtout de lliommepar la longueur
des cheveux tombant sur les épaules et plutôt frisés que laineux,
l'expression de la physionomie, plus étonnée que farouche, la
finesse des attaches et l'adoucissement des contours. Les jambes
sont maigres, longues et sans mollets, le pied est creux et le
gros orteil en est bien détaché. L'homme'a une petite pièce
d'étoffe nouée à la ceinture, les femmes dissimulent leurs
formes à l'aide d'une robe serrée à la taille et dont le bord supé-
rieur passe sous Tun des bras pour aller se nouer sur l'épaule du
côté opposé.
Les Punniers offrent à peu près les mêmes traits, mais moins
accentués et leurs cheveux sont à la fois moins frisés et plus
longs. Une vieille femme, qui fait partie du groupe, a dans la
narine gauche l'anneau des gens de la plaine, et son bras, qui
tient une espèce de pic à pointe de fer destiné à extraire du sol
les tubercules comestibles, est orné de bracelets de laiton.
Les Sholajas sont plus voisins encore que les Punniers des
individus des dernières castes du monde dravidien. Sur trois
hommes photographiés par M. Penn, un seul est véritablement
laineux et offre les traits, un peu modifiés seulement, des Négri-
tos ; un second, encore très frisé, s'éloigne beaucoup par son
visage du type de la race ; un troisième a les cheveux droits et
la figure mongoloïde. Une jeune mère de famille est légèrement
frisée et quelque peu négritoïde (on me pardonnera ce néolo-
gisme), mais de ses trois enfants, un seul reproduit la physio-
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ET INDIENNE DE LONDRES 193
nomie maternelle ; les deux autres ont les cheveux lisses et res-
semblent à de petits Indous de basses castes.
L'exposition de Madras nous montre en outre un certain
nombre de photographies, d'aquarelles et plusieurs statues de
Erishnagar, qui nous mettent en présence d'autres montagnards
de la présidence de Madras, célèbres auprès des ethnographes,
malgré leur petit nombre , par leur apparence extérieure bien
spéciale, leurs idées religieuses fort particulières et leurs mœurs
très primitives. Je veux parler des Todas, dont les descrip-
tions de M. Marshall et les photographies de M. Janssen, si
bien interprétées par M. de Quatrefages, sont connues de tous
nos lecteurs. Il n'y a pas lieu de s'arrêter plus longuement
devant ces représentations que devant celles des Irulas et des
autres indigènes des Nilgherries. Toutes ces figures sont vrai-
ment trop imparfaites. Mais je transcrirai en passant la statis-
tique détaillée des tribus de montagnes que nous fournit l'admi-
nistration de Madras \
Lors du dénombrement de J88i, il y avait encore dans les
massifs montagneux de la présidence 362,894 individus recensés
à part comme aborigènes et formant neuf groupes. Les quatre
premiers de ces groupes, resserrés dans les Nilgherries, sont les
Todas (689 individus seulement), les Badagas, 24,398; les
Irulas, 37,053, et les Kurumbas, 7,873. Les autres, beaucoup
plus largement dispersés et bien plus importants, sont appelés
Erakalas (48,883) ; Enadis (69,099) ; Koravas (55,645) ; Vedans
(31,854) ; enfin Malayalis (67,396).
Il aurait fallu inscrire à la suite de ces neuf noms de peuples
bien d'autres noms encore, ainsi que M. Watt le fait judicieuse-
ment observer'. En effet, non seulement on ne trouve pas de
trace dans le cemm britannique des petites tribus de négritos dont
je viens de parler, mais ce document n énumère aucune des popu-
1) J'ai transcrit avec beaucoup de soin tous les chifTres détaillés que j'ai pu
me procurer sur la population de l'Inde. Ces données statistiques ont en
effet été publiées depuis l'apparition du volume sur l'Inde de la Géographie uni-
verselle de Reclus, et on ne les rencontre dans aucun des ouvrages que je viens
de consulter.
2) G. Watt, toc. cit,p. 181.
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194 ÉTUDES SUR l'exposition COLONIALE
lations demi-sauvages étudiées par M. Shorti dans la présidence
de Madras et qui ont été probablement confondues dans les castes
inférieures de la population dravidieime*. Cette dernière forme
plus de 92 0/0 du nombre total des habitants de Madras.
Ce chiffre total s'élevant à 31,170,631 d'individus, 28,853,267
sont donnés comme parlant tamil, telougou, malayalam, kana-
rese ou kamataka et toulou ou toulouvou. Le reste des indigènes
est considéré comme aryen ou comme aryanisé et parle ouriya
(1,128,495), indoustanî (696,105) et mahratte (230,006) *.
Cette population mélangée des basses terres de la présidence
de Madras et des États de Travancore et de Cochin , est très
laborieuse et ceux de ses produits, exposés dans la galerie des
arts industriels [Art ware Courts) sont nombreux, variés et
intéressants. On y remarque la collection de peintures à Thuile
du maharajah de Yiazinagram, dont plusieurs représentent de
curieuses scènes de la mythologie indoue , un modèle réduit en
marbre du Darmaraja's Rath des Sept Pagodes , les instruments
de musique qui composent un orchestre complet du Dekkan, des
collections de bijoux anciens du sud de l'Inde, et en particulier
de Yizagapatam et de Cochin, de Madras et du Godaveri, ras-
semblés par le maharajah de Cochin et MM. Léman et Turner ;
anneaux d'oreilles et de nez, de poignets et de bras, bagues
de mains et de pieds, ornements pour la chevelure , emblèmes
de mariage, etc., etc. ; des instruments de bronze d'un beau
travail, lampes, cloches, vases de sacrifices ; des armes de luxe,
présentées principalement par le maharajah de Yiazinagram,
un lingam et un yoni en cristal de roche, des poteries glacées et
non glacées, enfin des palampores, ou cotons imprimés avec
les blocs en bois gravé qui portent les dessins à reproduire.
Les vitrines qui renferment les plus précieux de ces objets, les
1) Les Dravidîens de Madras ont pris aux Aryens leur système des castes,
au'ils ont incroyablement développé. On compte chez eux jusqu'à 19,044 noms
de castes différentes, que Ton peut, il est vrai, faire rentrer dans 257 subdivi-
sions groupées elles-mêmes en 15 grandes classes.
2) Nous n'avons pour Travancore, Cochin, Mysore, Coorg, Hyderabad que
des chiffres bruts : Travancore a 2.401,158 hab.; Cochin, 600,278; Mysore,
4,186,188; Coorg, 178,302; Hyderabad, 9,845,594.
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ET INDIENxNE DE LONDRES 195
panoplies qui groupent artistiquement les autres, sont encadrées,
comme toutes les choses similaires des diverses contrées de
rinde, d'un portique en charpente {Screen) sculpté dans le style
d'architecture particulier à la province. Cette disposition , em-
pruntée à Texposition de Calcutta (1883), où on l'avait tout d'abord
appliquée, ace premier avantage de donner dans les galeries une
place proportionnelle à son importance à l'une des industries
artistiques les plus remarquables de l'Inde. Elle permet, en
outre, de grouper sous les yeux des visiteurs des reproductions
des différents styles usités dans la décoration ancienne et
moderne des édifices publics et privés, décoration qui accumule
plus particulièrement ses ornements, comme Ton sait, sur les
linteaux des portes et les balustrades des vérandas.
Ces modèles, généralement bien choisis, prêtaient à des com-
paraisons intéressantes pour l'homme de science comme pour
l'artiste et j'ai pu, pour ma part, y trouver, à diverses reprises,
des preuves manifestes d'influences ethniques importantes à
constater.
Le portique de Madras, Travancore et Gochin est sculpté dans
le style de l'architecture dravidienne du sud, de la période de
Vijaynagar (xv^-xvi° siècle), dont on a toutefois éliminé, autant
que possible, les excentricités grotesques. Un des caractères les
plus spéciaux de cette architecture se tire de l'usage d'un sys-
tème compliqué de consoles superposées remplaçant l'arche des
constructions indo-sarrasmes. Ces consoles sont richement
sculptées et la poutre qu'elles supportent est divisée en panneaux
couverts d'oiseaux et de feuillages, de griffons et d'autres
monstres de la mythologie indoue.
Ce travail a été exécuté, pour le gros œuvre, par vingt sculp-
teurs de Madras et fini par un artiste de Ranmad (Madura) du
nom de Minakshi Asari.
Mysore^ Coorg^ Hyderabad. — La population de ces États est
si semblable à celle de la présidence de Madras qu'il n'a pas
paru nécessaire aux organisateurs de l'exposition indienne de
consacrer rien de spécial à son ethnographie. On trouve toute-
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196 ÉTUDES SUR l'exposition COLONIALE
fois dans la galerie des arts décoratifs de Tlnde, des expositions
particulières où Mysore brille par ses bijoux, ses tissus et ses
marqueteries ; Coorg, par ses armes blanches aux lames larges
et massives ; le Nizam d^Hyderabad, par ses laques, ses brode-
ries et ses ouvrages en métal. C'est dans le Nizam que se trouve
la petite ville de Bidar qui fabrique , depuis une époque très
reculée, le métal qui porte son nom [bidrt)^ mélange de cuivre,
d'étain et de plomb, auquel on donne les formes les plus
diverses et qu'on incruste avec art de gracieux ornements
d'argent*. La ville d'Hyderabad est célèbre par ses épées et ses
dagues en acier de Hanamkunda; Baingaupali, par ses laques
appliquées en bosse [mmiabathi) ou à plat {lajawardiy ; Zelgan-
dal et Kamam confectionnent des statuettes représentant les
diverses classes de la société du Nizam, ou des animaux gro-
tesques; Raichor a ses mousselines et Aurangabad ses éblouis-
santes broderies d^or dont Texposition nous montre des spécimens
d'une extravagante richesse.
L'exposition de Mysore et de Coovg est séparée de celle de
Madras par des arcades en bois, copiées par des artistes
indigènes sur celles du Daria Dauiat Bagh (palais du jardin)
construit à Seringapatam par le fameux sultan Tippoo. Toutes
les surfaces planes de cette enceinte ont été utilisées pour exposer
des photographies de la contrée et des peintures qui repré-
sentent des scènes de la mythologie locale.
L'exposition de Hyderabad, placée en face de celle de Mysore,
est entourée d'arcades ornées, à la façon du pays, dont cette
décoration résume les principales manifestations artistiques :
panneaux en cuivre repoussé^ en bois laqué, en imitation de
1) Cf. Revue d'Ethnographie, t. II, p. 262-268, fig. 100-104.
2) Les hidris, si recherchés quand ils sont anciens, continuent à se fabriquer
à Bidar et coûtent encore cher, quoiqu'ils n'aient plus aujourd'hui la solidité et
la beauté de travail qu'ils possédaient autrefois. Les commandes sont surtout
très importantes de la part des riches mahomélans, chez lesquels un trousseau
de mariée n'est pas considéré comme complet s'il ne renferme tout un assorti-
ment d'objets usuels iabriaués en métal. Le prix élevé que les artisans deman-
dent oblige même souvent le père de famille à commencer ses collections long-
temps avant que sa 6lle soit nubile. Une partie des pièces du trousseau doit
aussi être composée de pièces laquées de Baingoupali.
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ET INDIENNE DE LONDRES 197
bidri, tentures en tapisseries et en satin^ etc. Le centre dnscreen
est un tazzidy semblable à ceux que Ton construit pendant les
fêtes du Mohorram pour représenter le mausolée de Hussein ;
dans de petites arcades, de chaque côté du tombeau, on voit
deux buraksy images du coursier céleste que monte le Prophète
pour visiter le paradis. Les dessins des corniches ont été copiés
sur les façades des vieilles mosquées d*Hyderabad.
Bombay j Baroda, Bhavnagavj lunagad^ Cutch. — L'enceinte
commune des expositions d'art industriel de la présidence de
Bombay et des États indigènes de Baroda, de Bhavnagar, de
Junagad et de Cutch, est admirablement sculptée en bois de tek
et destinée à donner une idée aussi exacte que possible de Fart
local et de ses diverses variétés. Les modèles en sont empruntés
aux mosquées d'Ahmedabad, aux maisons de Surate, aux palais
du Takur Saheb de Bhavnagar et du Nawab de Junagad, etc.
Ce sont les ouvrages en argent et en or qui attirent avant tout
l'attention dans les vitrines qu'entourent ces riches arcades :
bijoux anciens de S. H. le Thakur Saheb de Bhavnagar, noix de
coco couverte d'une plaque d'or enrichie de pierres précieuses et
que tient dans la main celui des membres de cette famille prin-
cière qui préside une pompe religieuse ; siège en or du dieu Siva ;
ornements de tète du même métal de Junagar; modèle en argent
massif de l'éléphant, superbement enharnaché, qui porte, dans
les fêtes officielles, le Gackwar (Guicovar) de Baroda, etc., etc.
Puis ce sont des bijoux inférieurs fabriqués pour l'exportation,
des armes et des armures modernes de Cutch, plus ou moins
richement décorées, destinées aux panoplies de nos curieux
d'Occident. Un peu plus loin on remarque le chariot à bœufs de
Cambaye, usité dans les grandes circonstances par les dames de
la cour de Bhavnagar, un modèle en pierre à petite échelle
d'un vieux temple de Baroda, la réduction en ébène et ivoire
du tombeau construit à Junagad pour le dernier souverain par
deux artistes indigènes, Dalpat Nathu et Atmaram Nathu. Enfin,
posé au centre de la galerie, un gracieux pigeonnier sur pilier, en
bois sculpté dans le style indo-sarrasin pour S. H. le Guicovar.
VI 14
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198 ÉTUDES SUR l'exposition COLONIALE
Les habitants de Baroda, du Guzerate, etc., ont l'habitude
d'élever ces sortes de constructions ; c'est, à leurs yeux, un acte
méritoire de donner ainsi l'hospitalité aux oiseaux, et Ton voit
le matin hommes et femmes aller jeter du grain devant les piliers
comme s'ils accomplissaient une cérémonie religieuse.
Ces indigènes de la présidence de Bombay et des territoires
qui s'y rattachent^ sont bien plus mélangés encore que ceux de
Madras, et l'élément aryen joue dans cette population un rôle
notablement plus important. Dix millions de Mahrattes environ
se sont, en effet, établis à une époque ancienne, dans la région
nord-occidentale du Dekkan et occupent encore aujourd'hui tout
le plateau à Test de Bombay et de Goa. Une collection de bijoux
de Pouna, des idoles, des vases, des guéridons, des lampes, des
sonnettes, etc, en bronze et en cuivre, fabriquées dans la même
ville ou à Nasik ; quelques vêtements de soie et de coton de
Yeola, des chaussures brodées, sont à peu près tout ce que
l'exposition nous montre de l'ethnographie de ces Marhattes.
On y trouve également fort peu de renseignements sur les
Parsis de Bombay ou sur les Djsunas de Goudzerat, que quelques
photographies rappellent seules à notre souvenir.
M. Watt s'est, avec raison, préoccupé davantage de grouper
sous les yeux des visiteurs les documents beaucoup plus inté-
ressants que MM. A.-B. Gupte, J. Griffiths et W.-F. Sinclair
avaient rassemblés sur les peuples, si mal étudiés jusqu'à pré-
sent, des montagnes de la Présidence, et notamment sur les
Katkaris, les Warlis, les Son Kolis et les Thakours.
Les Katkaris, aussi nommés Kathodis, habitent, dit M. Gupte,
les districts de Thana et de Kolaba et les abords de Pouna, de
Nasik et du Bhor-Ghât. Ils sont sauvages, mais pacifiques, et
vivent des produits de leurs chasses dans les forêts. Leur arme
principale est l'arc, toujours garni de deux cordes de bambou;
la flèche, à pointe de basalte ou de fer, est plate et latéralement
amincie. Leur seul outil est la koita, sorte de crochet à bet,
1) Bombay compte sans les États feudataires 16,454,414 et avec ses annexes
23,395,663 hab.; Barodaen a 2,185,005.
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ET INDIENNE DE LONDRES 199
attaché sur la hanche droite , le dos en avant ^ par une ceinture
curieusement plissée et bordée; leur seule industrie est la prépa-
ration du cutch^ à Taide du bois de khair bouilli. Ils sont
pauvres, et leurs ornements sont composés, sans art, de laiton et
de fibres végétales.
Les Warlis ou Varlis, qui habitaient autrefois le Varalat, l'un
des sept Konkans, sont aujourd'hui voisins des Katkarisdans le
district forestier de Thana. Loin de vivre largement dispersés
comme ceux-ci , en petites colonies de chasseurs , ils se sont
confinés dans des territoires de culture bien circonscrits. Leur
nomlure} en 1882, était de 70,015. Beaucoup plus sociables que
les Katkaris, ils descendent dans la plaine travailler aux champs,
mais pour retourner, aussitôt le labour ou la moisson terminés,
dans leurs chères montagnes. Ils vivent principalement de riz et
d'autres céréales, mais ils savent aussi se contenter, dans les
temps de disette, des parties tendres des bambous. Ils mangent
toute espèce de viandes, sauf celles du bœuf, du zébu et du
nitgaî où antilope à pattes noires, et on peut les voir attendre
patiemment à Taffût pendant des journées entières le cerf ou l'an-
tilope à courtes cornes, le paon et les autres gibiers à plumes de
la jungle qu'ils tirent avec de vieux fusils. L'homme va la tète
nue, et se couvre rarement d'autre chose que d'une étroite cein-
ture; la femme se drape dans une pièce d'étoffe dont un des pans
est ramené sur les épaules et sur les seins.
Les Warlis adorent l'esprit du tigre ou Vaghia, qui leur parle
par l'entremise d'un des leurs temporairement possédé ; mais le
bouddhisme a pénétré chez eux et il n'est pas rare d'en voir les
idoles dans leurs maisons communes. Les corps de ceux qui
succombent à des maladies de peau, comme la lèpre par exemple,
sont enterrés, tous les autres corps sont brûlés.
Les Thakours du Sahyàdris et du Konkan du Nord sont inter-
médiaires aux Katkaris et aux Warlis par leur ethnographie. Ce
sont des gens de mœurs douces et simples, qui vivent en grande
partie d'un petit millet qu'ils cultivent à l'aide d'une charrue
toute primitive.
Ils vivent dans des huttes de boue plaquée sur clayonnages et
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200 ÉTUDES SUR L'E2a>0SlT10N COLONIALE
couvertes de feuilles de palmiers^ et leur équipement se compose
d'une couverture brune et d'une petite culotte en colon, d'une
pochette en cuir à ceinture de corde et de la koita du Kalkari,
logée dans Vakhadi ou fourreau de corne ou de bois.
Quant aux Son-Kolis, ce sont les aborigènes des rivages; ils
ont leurs quartiers principaux dans le Konkan et leur chef ou
Sar-Patel vit à Alibag dans le district de Kolaba. L'autorité de
ce chef, qui repose sur une convention de caste, va, dit-on, jus-
qu'à lui donner le droit de vie et de mort sur tous les Son-Kolis
et s'exerce à la fois sur les territoires directement soumis aux
Anglais et sur les territoires indigènes. Les sujets du Sar-Patel
vivent principalement de la mer; c'étaient autrefois des pirates,
ils sont aujourd'hui pilotes, pêcheurs, etc. Leur vêtement de
travail consiste en une coiffure rouge, dont la forme varie de
village en village, un mouchoir de même couleur fixé autour des
reins par une ceinture de corde et un couteau de fer sans
manche attaché au cou. Les femmes se différencient de celles
des autres castes, par l'absence du cholé ou petite veste et la pri-
vation d'ornements quelconques au bras droit. Elles offrent ces
ornements à la mer le jour de leur noce en faveur de leurs maris
et ne les remplacent jamais. Les principaux temples des Son-
Kolis sont ceux de Khandoba, de Bahiri et de Bhanani, et leurs
pèlerinages les conduisent surtout à Karli, Jojuri et Nasik.
Rajputana, Ce?itral India and the Central Provinces. — Les
territoires de l'Indoustan central, subdivisés actuellement en
États radjpoutes [Radjputana States *), États de l'Inde centrale
{Central India States ') et provinces centrales de l'Inde britan-
niques {Cetitral Provinces '), offrent les aspects les plus divers.
Du côté de l'ouest, le pays n'est qu'un vaste désert, le Bikanir,
1) LesEUts Radjpoutes sont Jeypore, 2,534,357 hab.; Karauli, H8,670;
Bhartpour, 645,540; Dhol pour, 249,567; Kotah. 517,275; lodhpour, 1,750,403;
Ulwar, 682,926; Bikanir, 509,021 ; etc, la population totale est de 10,268,392 hab.
2) Les principaux Etats de l'Inde centrale sont: Bhopal, 954,901 hab.;
Gwalior, 2,993,652; Indore, 1.048,842, etHewah, 1,305,124 ; la population totale
est de 9,261,907 hab.
3) La population des Central Provinces atteint le chiffre de 11,548,511 habi-
tants, dont 9,838,791 en territoire britanique.
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ET INDIENNE DE LONDRES 201
que parcoiireni seulement des caravanes plus ou moins impor-
tantes; du côté de Test se massent d'immenses forêts encore
en partie inexplorées ; le centre enfin est hérissé de petites
montagnes, d'où sortent d'innombrables ruisseaux, c'est le
terrain de chasse des Bhils, dont la barbarie n'a pas été influen-p
cée encolle par la civilisation, qui monte de toutes parts à l'assaut
de leurs retraites.
Les premières tentatives de pénétration dans les montagnes
des Bhils ont été faites, il y a longtemps déjà, par les princes
de rinde du Nord. Chassés de leurs domaines par les révolutions
politiques qui ont si souvent agité cette contrée, ils ont construit
des places fortes dans le centre du pays, et s'y sont peu à peu
découpé de petites principautés, dont quelques-unes ont pu
atteindre un certain degré de grandeur, comme Ujain dans les
temps anciens, Gwalior, Bhopal, Sindia, etc., dans la période
moderne. Grâce aux difficultés naturelles du pays et à la bra-
voure de ses habitants, ces petits États ont conservé leur indé-
pendance, pendant que le reste de llnde succombait sous les
coups des musulmans. Et aujourd'hui encore, les Indous réfugiés
dans rinde centrale ont conservé maintes coutumes originales,
maintes traditions antiques, qui partout ailleurs ont été bruta-
lement supprimées, tandis que la population ancienne a gardé en
grande partie son originalité.
Ces Indous, de race blanche, sont principalement des Radj-
poutes, dont le Rajputana porte le nom. Les Radjpoutes sont
aujourd'hui les représentants les mieux caractérisés de la seconde
des castes créées par Manou, celle des Kshatrya ou guerriers. On
les appelle quelquefois la race royale de tlnde^ parce que toutes
les grandes familles actuelles, qui comptent dans leur lignée de
puissants souverains , sont de sang radjpoute. Ils continuent
d'ailleurs à considérer le métier des armes comme l'apanage de
leur caste et il est rare de trouver une famille radjpoute qui
n'ait point un de ses membres dans les troupes anglo-indiennes.
A quelque tribu, à quelque clan qu'ils appartiennent^, les Radj-
1) Les Radjpoutes se divisaient origiDairementen deux branches égales : les
^uruihami ou fils du soleil et les Chandrabansi, ou fils de la lune, auxquels
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202 ÉTUDES SUR l'exposition coloniale
poules sont de beaux hommes, grands^ bien faits, fortement
musclés, et appartiennent, en somme, à Tun des types les plus
élevés des races indo-européennes. Les documents qui les con-
cernent à l'Exposition indienne nous les montrent franchement
dolichocéphales, avec une face d'un ovale régulier, le nez droit,
un peu aplati du bout^ les narines dilatées, les yeux horizontaux
largement fendus, bruns et parfois gris&tres, les cheveux noirs
et ondulés. Dans la portion du territoire où le Desarming Act
n'est pas en vigueur, ils portent le bouclier, le fusil à mèche et
le sabre, auquel ils ajoutent souvent encore une dague.
Les Minis, vaincus par les Radjpoutes, ont cependant réussi
à conserver le second rang dans la société constituée par leurs
envahisseurs. Ils prétendent même aujourd'hui être des demi-
sangs Radjpoutes, et certaines photographies de Texposition
indienne confirment dans une certaine mesure cette prétention.
En Djaipour, ils sont les gardes héréditaires des biens de la
couronne et ont le privilège de couronner le prince, quand il
prend possession de la royauté. Hs sont aussi relativement
influents dans l'Alwar, le Bhartpour et le Dholpour (ils entrent
pour 20,000 dans la population de ces deux derniers pays). Les
Minas de la montagne sont encore aujourd'hui de sauvages et
hardis maraudeurs^ suivant Texpression d'un voyageur anglais,
mais ceux de la plaine sont devenus depuis longtemps déjà des
agriculteurs laborieux.
Les Méos sont des Minas convertis à la religion musulmane, on
les trouve surtout nombreux dans les Étatsde Bhartpour et d'Alwar.
Les Bhtls occupent les monts Aruali ou Aravali, le Meywar et
le Sirobi, que l'on désigne administrativement sous le nom de
Bhîl Tracts. Au point de vue linguistique, ils sont kolariens^ tan-
dis que les Gh6nds, leurs voisins, sont dravidiens; au point de
vue ethnique, ils sont extrêmement mélangés, leurs traits et
leur couleur surtout varient énormément. L*exposition nous
s'ajoutèrent plus tard les quatre tribus des fils d'Agni ou du feu, Pramara,
Parihara, Chalukiya et Chauhan. On compta alors 3ô tribus satcha ou roules,
et plus de 100 gotras ou clans. Les tribus et les clans avec leurs subdivisions
(cam'pa), dépassent aujourd'hui, d*après le lieutenant-colonel Harris, le nombre
det^OO.
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ET INDIENNE DE LONDRES 203
montre plusieurs statues de ces Bhtls : la iplus intéressante est
celle d'un guerrier portant le bouclier rond de cuir à quatre cabo-
chons de métal, un arc à corde de bambou et un carquois large
et plat, orné de clochettes et de grelots. Une autre statue repré-
sente une femme bhll, armée de la fronde avec laquelle elle va
lancer une pierre (c'est un exercice que les femmes bhîls pra-
tiquent avec beaucoup d'adresse); elle a orné ses oreilles de
curieux appendices formés de larges plaques de métal dé-
coupé.
Les Gh6nds sont dravidiens de langue, ainsi que je l'ai déjà
rappelé, et leur empire, le Ghondwana, qui forme aujourd'hui la
plus grande partie des territoires des Provinces centrales, était
puissant au moment de Tinvasion des Mahrattes.
Refoulés pas à pas jusqu'aux sommets rocheux et aux hautes
vallées, oîi la charrue ne peut plus être utilisée, ils ont dû rêve-*
nir aux procédés de culture les plus primitifs, tandis que leurs
frères de la plaine, absorbés dans le système social des vain-
queurs, tombaient aux derniers rangs des castes les plus
méprisées.
Les Gh6nds ont conservé, dans leur décadence, quantité de
choses anciennes fort curieuses, sur lesquelles on a trop fré-
quemment insisté, pour qu'il soit utile d'y revenir, et au sujet
desquelles il n'existe d'ailleurs rien d'inédit dans les collections
que j'examine rapidement ici.
Les caractères extérieurs des Ghônds nous sont ainsi donnés
par M. T.-N. Mukharji. « Leur taille est un peu inférieure, dit
cet ethnographe, à celle des Européens, et leur teint est plus
foncé que celui de la généralité des Indous ; leur corps est bien
proportionné, mais leurs traits sont plutôt laids. La tête est
ronde, le nez large, la bouche grande ; les lèvres sont épaisses,
les cheveux sont noirs et droits, la barbe est rare. Bref, traits et
pelage sont décidément mongoliques. » C'est chez ces Ghônds,
qu'on ne l'oublie pas, que l'on a signalé plus spécialement l'exis-
tence de sujets offrant des analogies plus ou moins grandes avec
les indigènes du continent australien, analogies qui expliquent
beaucoup mieux que les affinités purement mongoles invoquées
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204 ÉTUDES SUR L*EXPOSITION COLONIALE
par M. Mukharji, une partie des traits de la description que nous
lui avons empruntée.
Ghônds et Bhtls des montagnes ont aujourd'hui une ethnogra-
phie fort simple, et leurs industries ne sont figurées à l'Exposi-
tion que parles accessoires des statues qui les représentent. Mais
leurs frères des villes ont leur part dans les nombreuses collec-
tions accumulées dans les courts réservées à llnde centrale.
Ces courts sont au nombre de trois. Celle des Central Pro-
vincesy encadrée de charpentes sculptées à Nagpour y contient
principalement des cuivres de Bhandara, des cotonnades teintes
et imprimées de Chanda et de Gahra, des soies de Sambalpour,
des broderies de Bourhanpour et quelques bijoux d'or grossiers.
Toutes ces choses sont d'ordre inférieur, Tart du sculpteur en
bois atteint seul, dans ces provinces isolées, un certain degré de
perfection.
La court des Central India States^ dont l'enceinte reproduit
des motifs d'ornementation copiés à Khajurahu, dans le Bundel-
kand, à Sanchi, à Gwalior, montre de fines étoffes de Sarang-
pour, renommées dans l'Inde entière pour leur supériorité, des
mousselines de Chanderi, brodées de soie ou d'or, de la plus
grande finesse, de belles armes blanches anciennes et modernes
de Charkhari et de Datia, des bijoux émaillés dlndore et de
Rutlam, etc., etc., enfin une trentaine de statuettes en terre de
Gwalior : divinités avec leurs emblèmes, personnages et cos-
tumes des diverses classes de la société indigène.
La court des Radjputana States est subdivisée en huit sub-
courts. La première, celle de Bikanir et de Tonk a ses charpentes
de bois ornées au patron à l'aide d'un procédé fort simple, spécial
à ces contrées, d'un décor rouge, noir et or. On y voit exposés
des cuivres ciselés, des poteries et des bois chargés d'enduits au
patron, des cuirs ornementés de même, etc» La seconde sub-
court j celle d'Ajmère, qu'isolent des arcades construites suivant
les formes employées dans l'architecture urbaine de la capitale
de cet Ëtat, renferme principalement des spécimens d'étoffes
teintes pour costumes, pagrisy takriSy etc., de bijoux d'une orne-
mentation spéciale aux Radjpoutes, d'ivoires tournés, blancs ou
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ET INDIENNE DE LOIIDRES 205
laqués, etc. On remarque dans lesub-court de Kotah les articles
en bois et en corne d'Ëtawab, incrustés d'ivoire et de nacre, et
ceux dlndragarth tout ornés d'enduits colorés ; dans celles de
Karauli^ de Bhartpour et de Dholpour^ des grès ciselés et de petits
ouvrages en bois délicatement fouillés ; dans celles de Johdpour
et d'Ulwar, des armes blancbes et des reliures en cuir célèbres
dans le Radjpoutana tout entier ; enfin dans celle de Jeypove des
émaux champlevés et des réductions de modèles en bronze d'un
fort beau travail. Les deux screens de Kotah et de Jodbpour sont
Fun en bois brun de shisham incrusté d'ivoire et l'autre en bois
de teck; celui de Karauli est en grès rouge des environs de cette
ville, celui d'Ulwar est décoré de marbres blancs et noirs, enfin
celui de Jeypour est formé de panneaux assemblés, découpés
dans le style sarrazin modifié {modified Saracenic) qui est en
grande vogue dans toute l'Inde supérieure et dans le Radjpou-
tana en particulier. L'exposition de Jeypour, qui est de beaucoup
la plus importante de celles des États radjpoutes^ est complétée
par un nakar-kana ou drum-hotise, maison des timbales, qui sert
d'entrée à la galerie des arts industriels de l'Inde et mérite d'at-
tirer quelques instants l'attention.
Les grandes portes des temples et des palais de l'Inde sont
ordinairement surmontées d'une loge dans laquelle des musiciens
exécutent leurs concerts de timbales et d'autres instruments à
certains intervalles, en l'honneur des dieux ou des princes. C4'est
ce que Ton nomme la nakar-khana, du mot arabe imkara, qui
veut dire timbale. Le maharadjah de Jeypour a fait ériger à l'en-*
trée de son exposition une de ces portes surmontée d'une loge
toute tendue de mushu et garnie de son orchestre complet. Les
deux frontons de la porte [Jeypore Gateway) sont ornées des
images symboliques du soleil, ancêtre des maîtres du Jeypour, et
de la lune dont descendent les chefs de Karauli^ etc. Au-des-
sous de la figure solaire se lit la devise royale : « Yato dharm
statojaya » Ubi virtuSy ibi Victoria. L'on voit suspendus, non
1) Elle a son catalogue spécial intitulé Handbook of the Jeypore Courts ^ by
T.-H. Hendley. Calcutta, 1886, in-8.
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206 ÉTUDES SUR l'exposition golonule
loin de là, le paneh rang, baoniëre à einq couleurs du maha-
radjah eilemahimaharatib, sjnmbole de la plus haute noblesse,
composé d'une tète de poisson en or et de deux houles dorées,
montées sur des hampes distinctes. Ces illustres insignes ont été
envoyés de Delhi sous le règne de l'empereur mongol Feroksha
et si grand fut Thonneur ainsi fait au souverain de Jeypour que
les musiciens jouèrent trois jours et trois nuits sans discontinuer
dans son nakar-khana, pendant que toute la ville se livrait à des
réjouissances officielles.
North'West Provinces and Oudh. — Un autre monument, beau-
coup plus important, attire les regards du visiteur instruit, lors-
qu'il pénètre dans la section des « provinces du nord-ouest. » C'est
un double pilier de marbre magnifique découvert récemment dans
la citadelle d'Agra, en creusant les fondations d'un corps de
garde. Les sculptures en sont toutes semblables à celles du Tadj-
Mahal, cet admirable monument élevé par Chah-Djahanà Ardja-
man-Banou, sa femme ; ce sont des spécimens parfaits de l'art
persan, tel qu'il s'était développé à la cour des empereurs mon-
gols. On suppose que ce précieux morceau faisait partie d'une
construction de cette époque, le Ditoan-i-Khas, et ont été enfouis
au moment de la prise d'Agra par Souraj-Mull, rajah de Bhart-
pour. Il est offert par le gouvernement des provinces du nord-
ouest aux collections nationales de South-Kensington '.
Les industries principales des artisans d'Agra sont encore
aujourd'hui celles qui leur furent enseignées lors de la construc-
tion du Tadj-Mahal : l'incrustation des marbres, la taille des
mosaïques, le sertissage des pierres précieuses, lapis lazuli, tur-
quoise, etc*. Agra a aussi ses ciseleurs en métaux, ses sculp-
1) Ces piliers forment le c«^nlre de la décoration du scrcen des provinces nord-
ouest et de rOudh. Cette décoration est complétée par des spécimens de sculp-
tures en pierre des maçons de Muttara« et aes sculptures en bois qu'on trouTe
dans les vieilles maisons de Lucknow. A l'extrémité est de cette sub-court est
un remarquable portique en bois dont les panneaux sont décorés d'appliques en
bronze.
2) « L'ouvrier bordelais Âustin est le grand artiste, inconnu dans sa patrie, qui
forma Tëcole des mosaïstes d*Agra; les indigènes lui avaient donné le surnom de
Nadir el Asour « prodige du siècle p. (E). Reclus, Nouvelle géographie univer-
selle, t. VIII, p. 348. 1883.)
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ET INDIENNE DE LONDRES 207
leurs en stéatiie, ses imprimeurs sur étofFes, ses tisseurs de
rfwm, etc., dont plusieurs sont venus à Londres exercer sous les
yeux du public leurs intéressantes industries.
Mirzapour a ses tailleurs de pierre, qui ont envoyé un bon
modèle réduit de temple hindou. Nagina a ses graveurs en bois
qui exposent tout un assortiment d*objets usuels en ébène quel-
quefois incrustés de cuivre ou de nacre. Bandah sculpte l'argent,
le jaspe, la cornaline, et Khurja couvre de décors éclatants ses
poteries glacées. Bénarès tisse les brocarts d'or, Lucknow enfin
fabrique des cithares, polit les cuivres à facettes que les Anglais
nomment diamond-cut silver omamenis, modèle et fond la vais-
selle d*or et d'argent, damasquine les armes blanches, enfin
répand dans le commerce d'exportation des figurines en terre
peinte parfois très expressives, et qui reproduisent les castes et
les professions du pays. On peut voir dans l'exposition de Luck-
now des portraits en terre de trois des modeleurs exposants et
dans la section économique le plan en relief de tout un village de
rOudh. Le Zamindar, ou fermier général, est assis sous sa veran-
dah et tout en rendant la justice à quelques-uns de ses adminis-
trés groupés autour de lui, écoute le putwari ou comptable qui le
met au courant des rentrées de l'impôt. Le village s'étend tout
autour de cette scène : on y voit un brahmane décorant cérémo-
nieusement l'idole locale ; des artisans se livrent dans leurs
échoppes à diverses occupations. Une paire de bouvillons fait
laborieusement tourner une grossière presse à sucre. Plus loin
on ferre un bœuf ; une vieille femme mène un troupeau de porcs,
pendant que des chiens disputent aux corbeaux et aux vautours
la carcasse d'une bète morte. Puis [ce sont les divers procédés
d'irrigation en usage chez les paysans du nord-ouest et les opé-
rations du labourage et de la culture des yams et du tabac ^
1) Je signale ici, pour n'y plus revenir, les autres modèles exposés dans la
section économique: une maison de cultivateur aisé du Bengale, de race hin-
doue, une maison de cultivateur musulman de la même présidence; deux musul-
mans labourant et semant, d'autres paysans roulant et nivelant, d'autres encore
maniant la houe et le sarcloir; des modèles de voitures à fumier du Bengale,
d'auge à irrigation, de paniers pour le même usage; puis des scènes rus-
tiques encore, la récolte à la faucille, le battage à la main, le vannage, le près*-
sage du ricin et de la canne à sucre. Je mentionnerai, en outre, une grande
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208 ÉTUDES suB l'exposition coloniale
' Les autres documents iconographiques relatifs aux provinces
du nord-ouest concernent presque exclusivement les races plus
ou moins sauvages dont elles ont conservé des représentants, et
notamment celles des Mahras, des Bogshàs, des Tharûs, des
Bhùtis, des Kanjars et des Bandelas. Les Bandelas ou Boun-
delas qui ont donné leur nom au Bandelkhand (Boundelkhand)
sont des Radjpoutes profondément altérés au contact des indi-
gènes qui habitaient ce pays sous les noms de Ponwars et de
Dhandelas, lorsqu'ils ont été contraints à y chercher refuge au
moment de la conquête de TOudh par les mahométans.
Les Bhùtis sont des métis de Radjpoutes Ehasias et de Hunias
de race mongolique descendus des hauteurs de l'Himalaya occi-
dental. Les Mahras et les Boghsâs, les Tharus, divisés en Sonsâs,
Khunk&Sy Rajiâs^ Dhungr&s, Gusais et Kazâs, se réclament
aussi des Radjpoutes, dont ils ont perdu presque toutes les qua-
lités de race par des alliances avec les Tibétains. Quant aux Kan-
jars, ce sont de misérables nomades, appartenant probablement
à une couche ethnique très ancienne, mais sur Torigine desquels
il serait imprudent de se prononcer dans Tétat actuel de la
science.
Ces divers groupes de métis vivent demi-nomades tantôt sur
les pentes de THimalaya, tantôt dans le ieraî^ région de marais
et de jungles qui sépare les montagnes des plaines. Celles-ci sont
occupées presque exclusivement ^ parles Indous les plus purs de
tout rindoustan.
Les BrahmanSy qui appartiennent surtout aux tribus Gaur '
collection de charrues, de rouleaux et de toutes sortes d^instruments d'agri-
culture, souvent très primitifs et par là même fort intéressants au point de vue
ethnographique, qui sont disposés en larges panoplies sur les murs de la gale-
rie. On y peut aussi voir quatre boutiques avec leurs marchands et leurs ache-
teurs, quatre statues représentant des paysans, enfin un groupe de femmes fai-
sant de la farine avec une meule à main munie d'un guide en oois.
i) La population des provinces du nord-ouest et de l'ouest est de 44,1Û7>868
individus, d'après le recensement de 1881; sur ce nombre 38,053,394, soit
86 0/0, sont Indous. On compte 5,92^,886 mahométans, 79,9o7 jaïnas et 51,632
sujets de races mêlées, en majorité chrétiens •
2) Les nombreuses tribus de Brahmans, dispersées dans tout rindoustan»
appartiennent à une grande famille, mais cette famille est divisée en centaines
de factions par des dissensions intestines. La famille a deux grandes branches :
rcelles de Gîaur et celle de Draviraf divisées Tune et l'autre en cinq grandes
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ET INIAeNNB de LONDRES 209
constituent, dit-on, la huitième partie de la population ; les
Kchatryas ou Radjpoutes sont aussi très nombreux et très riches.
Les Vaisyas se sont développés d'une manière étonnante depuis
la domination anglaise et Ton voit des castes inférieures, comme
les Ahir ou Gorpa, qui ne sont que des bergers, se vanter d'ap-
partenir à la race du dieu Krischna, tandis que de simples pay-
sans, les Kourmis et les MouraOySe donnent tous comme de véri-
tables Indous.
Punjab. — La terre des Cinq-Rivières^ c'est le sens du mot
Punjab ou Penjab^ compte aussi de nombreux Aryens dans sa
population. Si, en effet, la statistique par religion ' ne signale
qu'un peu plus de neuf millions d'Indous sur près de vingt-trois
millions d'habitants, la statistique des langues nous apprend que
la grande majorité de ces habitants parle des langues indo-euro-
péennes et les enquêtes ethnologiques que les Anglais ont insti-
tuées, ont démontré que les tribus du Punjab sont^ par-dessus
tout aryennes (/>reemm^n//yaryan). Même dans THimalayales
caractères mongoliques tendent à s'effacer vers l'ouest, tandis
qu'ils sont extrêmement accusés dans l'est de la chaîne, ainsi
qu'on le verra plus loin.
Parmi les éléments aryens plus particuliers à la province, il
faut surtout mentionner les Jàts ou Djàts, du milieu desquels
sont sortis, à la fin du xv* siècle, ces vaillants guerriers sikhs,
tribus séparées. Les cinq tribus Gaur, Kanouiiya ou Kauga Kubja, Saraswat,
Gaur» Maithila et Utkaiu, sont établies dans Tlnde du norof, au nord, au nord-
est et nord-ouest de la Nerbuddha. Les cinq tribus Dravira vivent au sud» au
sud-est et au sud-ouest de cette rivière ; elles se nomment Maharashtra, Tailanga
ou Andhra, Dravira, Karnata et Guriâr. C'est une des tribus Gaur, celle des
Adi Gaur |Gaur originaux) qui réclame la suprématie sur toutes les autres
tribus de Brahmans. Les Adi Gaur se rencontrent principalement à Saharan-
pour, Mozuffemugger, Meerut et Bijnour, et aux environs de Delhi, Rohtuck et
Hissar. Une partie de cetle tribu célèbre est même descendue dans le Bengale
propre.
1) Ce mot tire son nom des cinq affluents de Flndus : le Shilam, le Chenab, le
Ravi, le Bias et le Sutlei.
2) La population totale de Punjab est de 22,712,120 habitants ; les mahomé-
tans dépassent la moitié de ce nombre, 11,662,434, les Indous sont 9,252^295;
les Sikhs, 1,716.114; les Jaïnas, 42,678, les chrétiens, 133,699 ; les bouddhistes,
3,251 ; les sectateurs d'autres religions, mentionnées, pris en bloc dans le recen-
sement, ne dépassent pas 1,649.
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Fig. 26. Bas-relief de Kaliujar, repréFentant un guerrier armé d'uDe hache
en pierre emmanchée (d'après une photographie de M. Rivett-Camac ')«
1) L'exposition des provinces dû nord-ouest,- comme celles de la plupart des
autres provinces, abonde en matériaux de toute espèce (peintures, aquarelles, des-
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ÉTUDES SUR L*EXP0SITI05 COLONIALE ET INDIENNE DE LONDRES 211
<c disciples » du réformateur Nanak, qui ont si longtemps dis-
puté aux Anglais le nord-ouest de l'Indoustan, et qui, ruinés par
cette lutte acharnée, ne sont plus aujourd'hui qu'une secte reli-
gieuse, groupée principalement autour de la cité sainte d'Am-
ritsar\ Les Djâts, qui entrent pour 4,432,750 dans la population
du Punjab', offrent assez généralement un type ethnique supé-
rieur, qui rappelle celui de la plupart des Tziganes d'Europe. Ils
ont la tête ovale et allongée, le front un peu fuyant, le nez busqué,
les pommettes effacées, mais les angles de la mâchoire inférieure
saillants et le menton triangulaire et pointu. Leur teint est
bronzé, leurs cheveux sont foncés et frisés, et leurs yeux noirs
sont profondément logés sous des arcades sourcilières épaisses
et saillantes (Gg. 27).
Les Beloutches ou Biluchs, venus du Beloutchistan, forment,
dans le Punjab, 51 tribus qui comptent en tout 355,238 tètes.
Les Pathans sont beaucoup plus nombreux (859,582) et vivent
en majorité dans les districts du Trans-Indus.
sins, photographie»] relatifs à l'archéologie de l'empire des Indes. Ces docu-
ments sont même si nombreux que les catalogues imprimés ont énuméré en
bloc les séries les plus importantes et omis complètement les autres. 11 m'a
donc été impossible de mentionner, même en courant, les reproductions pour-
tant si intéressantes de monuments indous de toute espèce accumulées dans
les galeries indiennes de l'exposition. Je me bornerai à placer sous les yeux des
lecteurs (Û^. 26) la reproduction d'un bas-relief de Kalinjar, dont je dois la
photographie à M. Rivett-Garnac et qui présente cet intérêt tout à fait excep-
tionnel de mettre en scène un danseur brandissant dans la main gauche une
hache grossièrement emmanchée, qui ne peut être ((u'une hache de pierre.
Cette représentation d'un guerrier de la période néolithique n'est pas aussi
ancienne qu'on pourrait le croire, étant données les observations recueillies
dans nos contrées sur les instruments en pierre polie. Suivant M. Rivett-Carnac,
en effet, le monument en question appartiendrait au yii<> siècle de notre ère et
démontrerait qu'à cette époque les haches en pierre emmanchées étaient encore
en usage au cœur de l'Indoustan, au moins dans certaines danses religieuses.
On sait que M. Rivett-Carnac a exhumé un grand nombre de ces haches dans
les fouilles qu'il a pratiquées dans le district de Bandah.
1] Leur nombre ne représente qu'un peu moins des 38 centièmes de la popu-
lation Djât, relevée au Hunjab.
2) L'une de leurs confréries les plus célèbres est celle des Akalis ou Nihangs.
Comme les anciens guerriers sikhs, qui devaient constamment avoir sur eux un
objet d'acier, poignard, etc., les AJcaiis s'obligent à porter exclusivement des
ornements de ce métal* Un curieux mannequin montre un de ces dévots per-
sonnages vêtu d'une blouse teinte à l'indigo et la tête coiffée d'un immense cha-
peau conique en drap de môme couleur, recourbé légèrement du bout et garni
d'un fronton d'acier en forme de feuille de fougère, composé d'une trentaine de
lames de couteau et de quatre ou cinq pointes de flèches.
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212
ÉTUDES SUR l'exposition COLONULE
On compte aussi, dans cette province, un certain nombre de
Persans, qui exercent surtout des industries libérales et conti-
nuent une propagande plusieurs fois séculaire en faveur de leur
art national. Sir Edward C. Buck, voulant faire valoir, dans la
Préface qu'il a placée en tête du Catalogue spécial^ l'avantage
Fig. 27. Sikh (d*aprè8 une photographie du colonel Tytkr).
du classement géographique adopté par la commission pour les
produits de Tart industriel (Art ware courts) des Indes anglaises,
cite à titre d'exemple l'exposition du Pundjâb, où il est ainsi
aisé d'observer l'influence spéciale exercée par le voisinage de
la Perse '.
1) It 18 easy to observe for instance, the greater effed of Persian influence
on many art manufactures in the Punjab when thèse are compared with thèse
of Provinces further South: this drcumstance being due to the fact thût the
Punjaby has always been from its position the first province to be overrun by
successive inroads of invaders from beyond the North-West Frontier, [hoc.
cit., p. 1.)
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ET INDIENNE DE LONDRES 213
Celte influence se traduit, en effet, de tous côtés dans les dessins
et les photographies archéologiques de Delhi et de Lahore, conune
dans les modèles réduits du Durbar Sahib des Sikhs d'Amritsar,
dans les papiers mâchés de Kamagri, comme dans les bois
sculptés d'Udoki * ou de Gurdaspour, et les laitons niellés de
Mouradabad, dans les peintures et les gravures comme dans le
Fig. 28. — Komur (d'après une photographie du colonel Tyller;.
mobilier et la bimbeloterie de Delhi, qu'exécutent, à côté de leurs
compatriotes d'Agra ou de Bénarès, quelques-uns des plus
habiles artisans de cette ville envoyés à l'Exposition.
Kashmir. — Mais c'est surtout dans Tart industriel du Cache-
mire que cette influence persane se manifeste avec le plus d'in-
tensité. Les appliques décoratives en papier mâché ^ les tables, les
boîtes, les vases, etc., de la même matière ne sont que des imita-
i) Le Screen de Punjab est fait par des charpentiers sikhs d'Udoki et de
Lahore, dans un style dérivé de Tarchitecture mongole.
VI 15
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214 ÉTUDES SUR l'exposition COLONIALE
tions de choses beaucoup plus parfaites exécutées en Perse ;
les plats, les aiguières, les coupes, les candélabres, les cra-
choirs, etc., etc., en métal ciselé, s'inspirent des modèles per-
sans, dont ils compliquent les motifs sans en égaler la finesse,
tout en dépassant de beaucoup par leur exécution les pièces
du Turkestan ou de T Afghanistan; les éléments les plus essen-
tiels du décor persan se retrouvent sur les châles et les autres
étoffes de laine qui ont rendu le Cachemire célèbre * et sur ces
incomparables broderies en soie, en coton ou en laine, dont les
vitrines de l'Exposition renferment de si remarquables spéci-
mens. Enfin la sculpture sur bois, dont l'enceinte de la galerie
cachemirienne est un bon spécimen S prend surtout ses modèles
dans les monuments de l'architecture des Mongols '.
Népal''. — Tout indépendant qu'il est en réalité, l'état du
Népal est uni par tant de liens étroits aux provinces anglaises, que
l'administration de l'Empire n'a point hésité à lui faire une place
dans son exposition , en respectant d'ailleurs dans son catalogue
l'autonomie de son voisin [The Independent State of Népal).
Cette exposition népalaise est intéressante à divers égards ; on y
voit, en effet, certains produits industriels peu connus des mon-
tagnards du Nord, tels que des dhokas, sortes de paniers soutenus
par une courroie qui passe sur le front, des manteaux de pluie
en paille, des instruments de musique, trompettes, tambours, etc.,
des poteries sans vernis, etc.
Les objets d'art sont principalement des coupes en corne de
rhinocéros, des boucliers ronds de la même matière, .des car-
1) On sait que l'industrie des cb&les, oui assurait au Cachemire un revenu de
plus de 2,000,000 de francs il y a quelques années encorei est aujourd'hui
presque complètement morte. Fort heureusement une autre industrie créée par
un de nos compatriotes, M. Bigex, la fabrication des carpettes, utilise aujour-
d'hui la main-d'œuvre inutilisée des tisserands cachemiriens, arrachés parles
caprices de la mode à leurs métiers séculaires.
2) C'est la reproduction en deodar de la véranda d'une mosquée en bois, du
dernier siècle, qui existait près de Chakoti.
3) L'exposition ne renferme aucun document sur l'ethnographie des indigènes
du Ladak, Dardis, Ladakis, etc., qui dépendent du Cachemire.
4)11 n'y a pas de statistique exacte de la population du Népal ; les estimations
varient énormément : pour les uns, il y aurait 5,000,000 d'habitants, qui se
réduiraient à 2,000,000 pour les autres.
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ET INDIENNE DE LONDRES 215
quois ornés de bosselles mélalliques, des kukri el des koras,
sabres à Iranchanl concave, pointus ou carrés à rextrémité,
des vases de bronze, d'argent ou d'or, d'une ornementation
toute particulière, des coiffures de parade souvent surchargées
de pierres précieuses montées en argent, enfin des sculptures
en bois fort artistiques, dont le screen de \a. Nepalese Court,
copié à Patan dans un couvent bouddhique du xvii° siècle,
résume bien les dispositions originales. On y voit s'imbriquer
dans un gracieux désordre des figures de divinités et d'ani-
maux fantastiques, des rinceaux et des fleurs, très habilement
emmêlés. Ce sont les Lokarmi qui découpent ces frontons,
ces balcons, ces piliers; mais cette caste, qui appartient à la
race vaincue des Newars, est loin d'être prospère, et l'art qu'elle
représente dans la société du Népal tend malheureusement à
disparaître depuis l'invasion des Gorkhas.
Ces Newars, mêlés d'Indous et de Tibétains, forment encore
aujourd'hui la masse de la population ; le commerce, l'agricul-
ture, les métiers, sont toujours presque exclusivement entre
leurs mains; mais ils sont dominés par une caste militaire, celle
des Gorkhas ou Khas, qui ont conquis les vallées népalaises en
1767. Ces derniers, à s'en rapporter aux photographies qui nous
les représentent , seraient , comme les Newars, des demi-sang
Indo-Mongols, issus d'alliances contractées^ suppose-t-on, dans
la montagne, par des Brahmanes expulsés de la vallée du Gange
par l'invasion musulmane. Les Newars sont en majorité Boud-
dhistes [Buddhimargis) et divisés en Banhras, Udas et Jaffas ;
les Gorkhas se considèrent comme appartenant à la seconde
caste de l'Indouisme, celle des Kshatryas. Les Magars, les Gu-
rungs, dont les clans sont aujourd'hui dispersés à travers toute
Ja contrée, mais plus nombreux dans les vallées de l'Est, sont
presque à tous égards de véritables Tibétains. Originairement
Bouddhistes , ils se sont convertis à la religion des Gorkhas en
se mettant à leur service, et composent aujourd'hui une portion
notable des troupes népalaises,
Hhutan. — Les tribus de type mongolique ne prennent vrai-
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216 ÉTUDES SUR l'exposition COLONIALE
ment de Timportance, je viens de le dire, que dans lamoilié
orientale du Népal dont tout Touest est encore dominé par des
populations fortement aryanisées. Au Sikhim, dépendance de la
présidence de Bengale, qui prolonge le Népal, au Bhoutan, pays
indépendant, situé plus loin encore du côté de FOrientS l'élé-
ment tibétain devient prédominant. Les Kirats ou Kirantis,
les Limbous, les Lepchas, les Bhoutias ou Bhôts, sont les plus
connus de ces montagnards. L'exposition indienne en possède
des portraits qui ne diffèrent pas sensiblement de ceux que
la grande publication de MM. J. Forbes Watson et J.-W. Kaye*
avait depuis longtemps fait connaître. Les Kirats et les Lim-
bous s'y montrenl assez divers d'aspects et offrant les com-
binaisons les plus variées de caractères mongoliques et aiyens'.
Les Lepchas, au contraire^ sont de vrais Tibétains, petits de
taille, massifs, avec des membres très musclés, mais des extré-
mités fines et délicates. Leur teint est olivâtre pâle; leur face
est large et plate, de forme losangique, le nez est déprimé
et les yeux sont obliques. Ils n'ont que quelques poils à la lèvre
supérieure et leurs cheveux touffus et noirs sont rassemblés en
une énorme queue , tressée le plus souvent à plat. Leur
vêtement consiste en une sorte de grande chemise de coton
blanc rayé de bleu et de rouge; ils portent de longues boucles
d'oreilles de métal, suspendues à de larges anneaux et couvrent
souvent leur tète d'un chapeau conique à bords légèrement
évasés, surmonté d'un long plumet. Ils sont constamment armés
d'un long et lourd couteau à lame droite qu'ils appellent ban,
tandis que les Limbous se servent du Kuhri népalais \
Les Bhoutias ou Bhôts sont aussi tibétains de sang que les
1) Le Bhoutan aurait 1,452,000 habitants, d'après Pimberton.
2) The People of India, A séries of Photographie Illustrations, with descrip-
tive Lelterpress, of the Races and Tribes of Hindustan, originally nrepared
under the AtUhority of the Govemment- of India, etc. London, India Muséum,
1868, in-4, vol. I, n" 41 et suiv.
3) On compte dans le Sikkim seul 5,000 Limbous. Il y en a plus encore dans
le Népal entre les rivières Doud Kousi et Kanki, mais on n'en voit presque pas
au Boutan.
4) Les Lepchas sont au nombre de 4,000, d'après le Census de 1881. Ils se
subdivisent en Hong et en Khàmba.
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ET INDIENNE DE LONDRES 217
Lepchas. Sir S. D. Hooker assigne les mêmes traits aux deux
populations et tous ceux qui ont visité Daijiling, insistent sur
Taspect tout à fait mongolique des Bhoutias qu'ils y ont vus. Us
s'habillent de robes flottantes serrées à la taille par une ceinture
de cuir, dans laquelle ils passent leurs pipes de fer ou de cuivre
et qui supporte, en outre, leur couteau, leur poche à tabac, leur
boite à briquet, leurs pincettes, etc. Les femmes sont couvertes
de longs jupons et de corsages de flanelle sur lesquelles elles
drapent un court manteau tenu autour de la taille par un cercle
de cuivre ou d'argent, qui porte leurs ciseaux et leurs couteaux.
Les deux sexes ont des anneaux et des ornements d'oreilles
garnis de turquoises et des amulettes carrés appliqués au cou
et aux bras. Les cheveux sont tressés en deux queues et le cou
est chargé de grains de corail et de verre, mêlés de gros mor-
ceaux d'ambre et d'agate.
La religion des Bhoutias est, suivant Pimberton, une forme
du bouddhisme dont les cérémonies sont surtout remarquables
par le bruit qui les accompagne : des clarinettes en métal ou en
bois, des trompettes en corne ou en coquille, des cymbales, des
tambours et des gongs forment en l'honneur des idoles les con-
certs les plus épouvantables.
Assam. — L*Âssam occupe, comme Ton sait, l'angle nord-est
des possessions anglaises ; il s'étend au nord jusqu'au pied de
THimalaya oriental, au nord-est et à l'est, il confine à l'Etat
indigène de Manipour et aux régions sauvages de la Birmanie
supérieure. On y distingue trois grandes divisions naturelles, la
première formée des six districts de la vallée du Brahmapoutra^
la seconde des plaines de la Sunna, et la troisième des régions
montagneuses qui séparent les deux vallées l'une de l'autre.
L'ensemble de ces trois territoires est peuplé par 4,881,426 habi-
tants, qui appartiennent à plus de quarante petites nations dis-
tinctes par la langue, l'état social, les coutumes et souvent aussi
par les caractères physiques.
Ce morcellement exceptionnel de la population est dû, sans
aucun doute , à la situation toute spéciale de TÂssam qui est
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218 ÉTUDES SUR l'exposition COLONIALE
Tune des entrées de Tlnde et qu'ont du traverser à maintes
reprises les tribus qui venaient du nord-est tenter un établis-
sement dans ce pays. En s'avançant le long du Brahmapoutra
vers le Gange, les envahisseurs ont laissé sur leur route des
colonies qui se sont maintenues plus ou moins distinctes jusqu'à
nos jours ^
M. George Watt groupe les nombreuses tribus Assamaises en
cinq grandes sections \ La première renferme sous le vocable de.
Bodo Fenscmble des indigènes fixés depuis longtemps au cœur
du pays sous les noms deKacharis,Laloungs, Gâros, Choutiyas,
Mêchs, Kôchs ; la seconde comprend les tribus Shân, Ahom,
Khamti, Singpho, etc., venues du Sud à une époque comparati-
vement récente et dont nous avons dit quelques mots en résu-
mant les documents relatifs à la Birmanie. La troisième section
est formée par les Lopas établis dans le nord et le nord-ouest de
la province, Akas, Duflas , Miris, Mishmis, Abôrs; la qua-
trième est composée de montagnards Nagas^ de la frontière du
nord-est, Angamis, Kuchas, Rengmas, Semas, Lhotas, Banfa-
ras, Jaktungias, Hathizorias, et comprend en outre différentes
petites tribus Nagas du Manipour. Dans la cinquième enfin ,
M. Watt fait entrer tout ce qui représente des éléments ethniques
communs à TAssam et aux autres contrées de Tlnde et en parti-
culier ce qu'il nomme les Aryens de TAssam, les Kolitas, caste
inférieure qui a conservé néanmoins assez bien dans ses traits et
dans sa langue le cachet de son origine.
Les Lopas sont des Bhôts, atténués quelque peu dans
Texagération de leurs caractères mongoliques. L'une des
siib-courts de TAssam nous montre une collection de curieux
mannequins de Lopas ; un des personnages mis en scène est
Mishmi Chulikata : deux autres sont Daflas , un quatrième est
Abôr. Le Mishmi, vêtu d'une étoffe de coton à raies sombres.
1) Les Santals du Choutia-Nagpour, dont il sera question plus loin, se disent
entrés ainsi dans l'Inde par le nord-est de l'Himalaya. Il paraît même qu'ils ont
une tendance à revenir aujourd'hui sur leurs pas et à regagner l'Assam par le
Gange et le Brahmapoutra.
LWatt. Op. cit., p. 164-172. — Ces cinq groupes comptent ensemble
,426 têtes.
2) G. [^
4,811,426
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ET INDIENNE DE LONDRES 2i9
porte tout un arsenal d'armes offensives et défensives, son
sabre, droit, à poignée sans garde, ornée de glands de cuir, est
logé dans un fourreau de cuir garni de cuivre, son poignard, à
bout carré *, est cerclé de bandes de rotin; Tare est muni d'une
poignée en bois découpé et la corde, qui est double, a un fort
doigtier en coton ; le carquois est en bois, orné de liens de rotin,
et fermé d'un couvert cylindrique. Un grand bouclier cordiforme,
tressé en paille et en rotin, est pendu à la ceinture du guerrier
et une hotte en vannerie , de forme bizarre , est fixée sur ses
épaules. Le Dafla attire l'attention par sa singulière coiffure en
forme de casquette de jokey, surmontée de deux plumes recour-
bées, son énorme hausse-col en argent ciselé, quadrilatère, à
bords concaves, presque aussi large que ses épaules, et ses deux
disques d'oreilles, du même métal également ciselé, portés sur
un cylindre de bois qui traverse le lobule. La femme de ce per-
sonnage est vêtue d'un pagne à carreaux et d'un chapeau sans
fond, fait d'une simple bande d'écorce repliée. L'Abôr a un
bonnet de vannerie, orné de deux dents de sanglier; son arme
est un couteau dont le fourreau tout primitif supporte la lame
sans l'enfermer, à l'aide de quelques bandes de rotin '. Il porte
de curieux vases en bois et en calebasse, cylindriques ou coni-
ques, auxquels des cercles de bambous forment de larges anses.
Deux mannequins Gâros représentent dans une seconde sub-
court l'ensemble des tribus Bod(5s, dont les produits divers font
d'ailleurs assez curieuse figure dans la galerie des Arts indus-
triels. Ce sont des bijoux d'or ou de cuivre : anneaux d'oreilles,
bracelets, etc., des ornements bizarres en plumes de paon, des
colliers de verroteries ou de grains de bois laqués, enfin, des
étoffes en soie, en coton, en écorce d'arctocarpée, etc., etc. Les
mannequins Gards que l'on nous montre sont surtout re-
marquables par la profusion d'ornements de métal dont ils
1) Un Singpbo qu'on voit à côté, est armé d'un sabre à bout carré, le dao
semblablement fixé à un fourreau de bois et que supporte un cercle de bambou
porté en sautoir.
2) Le Musée d'ethnographie du Trocadéro possède un vieux sabre de cava-
lerie d'origine européenne, garni d'un fourreau fort analogue. Cette pièce vient
de la vallée du Niger.
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220 ÉTUDES SUR l'exposition colonule
sont couverts. La femme possède en particulier des boucles
d'oreilles énormes, formées de deux larges cercles de cuivre
passés, Fun dans Tourlet, Tautre dans le lobule, et dont chacun
supporte lui-même dix à douze autres anneaux enfilés ; elle est
chargée en outre de colliers, de bagues, de bandeaux, de bra-
celets : de ces derniers les uns sont demeurés ouverts à la façon
antique, les autres sont soudés et portent une sorte de chaton en
relief. La coiffure de Thomme Gàro se compose d'une pièce de
coton drapée autour de la tète et dont un des bouts tombe à
gauche, à la façon des turbans qui couvraient les chaperons à la
fin du moyen âge.
Quelque intérêt que puissent avoir ces représentations des
peuples Bod(5s, Shans, ou Lopas, on ne saurait les comparer
à aucun titre aux étonnantes figures dont le commissaire de
TAssam a emprunté les éléments aux montagnards Nagâs. Il
y a là surtout deux chefs, en costumes officiels, qui défient
presque toute description. Un devanlier bleu foncé, orné de
rangées de coquilles, cache le haut des jambes ; un court man-
telet de coton, teint de rouge et de bleu, pend sur les épaules;
plusieurs fils de perles bigarrées tournent autour de la tête^
suspendant des coquilles^ autour d'un bonnet conique en paille
tressée, le tout frangé de poil de chèvre teint en rouge. Puis
ce sont des ornements d'oreilles formés d'un petit cône en
ivoire d'où pendent des flots de poils rouges, de grandes
appliques rondes en cuivre, sertissant des graines rouges et
blanches et toutes entourées de crins noirs, de longues boucles
de cheveux humains provenant des ennemis massacrés, et entre-
mêlées de poils de chèvre rouges et de coquilles^ des anneaux de
bras en ivoire, de forme cylindrique, etc. Les armes sont une
grande lance de bois dur, à pointe et à soc de fer, toute ornée de
poils rouges taillés courts en manière de gros velours , un arc
avec ses flèches, un carquois en bambou, enfin, un grand bou-
clier plat en peau de tigre , en forme de quadrilatère, légèrement
excavé sur ses plus longs côtés, orné sur son bord supérieur de
trois énormes plumets. Cet ensemble guerrier rappelle immé-
diatement à l'esprit l'équipement splendidement barbare des
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ET INDIENNE DE LONDRES 221
chefs des tribus des grandes lies indiennes , de Bornéo à
Timor.
Déjà Riebeck avait recueilli dans le Chittagong* des collec-
tions ethnographiques dont les pièces principales, étoffes poly-
chromes, métiers à tisser, vanneries, fétiches, etc., rappelaient
de la manière la plus frappante les objets analogues des insu-
laires de Tenimber, Letti, Bourou, figurés dans Tatlas de Salo-
mon Millier. J'ai relevé, dans le chapitre précédent, des faits de
même ordre observés chez les Karens. M. Dévéria en a récem*
ment donné d'autres dans sa Frontière indo-sinique. Enfin, tout
ce que nous savons des Muongs de la rivière Noire, des Khàs du
plateau d'Âttopeu, etc., tend à les rapprocher tout à la fois des
Karens d'une part et de l'autre des Dayaks, des Battaks et en
général des populations qui habitent le centre des grandes îles
malaises.
J'ajouterai que les caractères fournis par la cràniologie, et en
particulier ceux qui se tirent de la disharmonie du crâne allongé
d'avant en arrière et de la face dilatée en travers autorisent aussi
à rapprocher dans un même groupe ethnique, les montagnards
du nord-est de l'Inde anglaise et ceux du centre de l'Indo-Chine
que j'ai classés, dès 1880, dans mon groupe indonésien.
BengaL — La présidence du Bengale» subdivisée en Bengale
propre, Behar, Orissa et Choutia-Nagpour * comprend en outre
i) D' Riebeck. The Chittagong HUl-Tribes, Results ofa Journey made in the
Year, 1882. London, Asher, 1885, in-fol.— Cf. Rev. d'Ethnogr,, t. IV, p. 362.
1885.
2) La population totale de la présidence était en 1881 de 69,536,861 individus,
ce qui représentait en moyenne 360 têtes par mille carré. En ne tenant compte
que du Bengale propre, le nombre d*babitants s'élevait alors à 506 personnes
par mille ; les provinces nord-ouest en avaient 403, Madras 221, Bombay 133,
le Peniab 159, les Central Provinces 102. On sait qu'en Angleterre et dans le
pays de Galles, le môme nombre atteint 445, qu*il s'abaisse à 121 en Ecosse,
à 35 en Russie et à 13 en Norvège. Les 69,536,861 habitants de Ja présidence
du Bengale se décomposaient au point de vue religieux en 43,452,806 indous,
21 ,704,724 mahométans, 128,153 chrétiens, 155,809 bouddhistes el2,092,369 abo-
rigènes, ne rentrant par leurs croyances dans aucun des groupes précédents.
Au point de vue des castes on comptait 4,897,428 individus de hautes castes,
2,777,124 de castes moyennes, 9q3,159 coaunerçants, 4,115,377 pasteurs,
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222 ÉTUDES SUR l'exposition coloniale
dans ses annexes plusieurs contrées , qui se rattachent bien
plutôt à celles qui viennent d'être passées en revue, le Sikkim,
par exemple, dont il a été dit quelques mots à propos du
Bhoutàn, le Tipperah et le Chittagong, dépendances naturelles
de TAssam. Ces dernières contrées sont peuplées de tribus
fort mêlées et communément divisées en Khyoungtha ou enfants
de la rivière et Thoungtha ou enfants de la montagne.
Les collections de l'Exposition Indienne ne nous apprennent
rien de nouveau à leur sujet. Mais elles renferment des docu-
ments intéressants sur l'ethnographie de l'Orissa et du Choutia*
Nagpour.
Les Khands ou Kbonds des montagnes qui s'élèvent entre les
bassins du Godaveri et du Mahanadi et qu'il ne faut pas confondre
avec les Gonds dont j'ai parlé plus haut, y sont représentés à la
fois comme plus petits, plus noirs et plus crépus, en un mot
plus négroïdes que leurs voisins. Les docimients de l'Exposition
indienne nous les montrent tête nue, drapés dans une pièce
d'étoffe et armés de la hache et parfois aussi de l'arc et des flèches.
Ces Khonds, qui parlent une langue dravidienne, sont surtout
connus par les sacrifices humains qu'ils offrent à leur dieu
Pennou. Les victimes^ dit M. Watt, sont appelées /oAt, keddij
ou plus ordinairement meriahs, et fournis par les Pàn, Indous de
basse caste, qui vivent en pays Khond et commercent avec les
gens des plaines auxquels ils achètent des enfants volés. Les
Khonds traitent avec vénération les enfants ainsi devenus meriah
et ont pour ces malheureux beaucoup d'égards, jusqu'au moment
où les rites les réclament. Alors c'est avec la plus terrible cruauté
qu'ils accomplissent leurs cérémonies infâmes ; les corps des
pauvres petits sont littéralement mis en pièces, et chacun des
délégués en emporte un petit morceau pour l'offrir dans son
village au sanguinaire Pennou. Un petit trou ayant été creusé
dans un champ choisi à cet effet, le chef du village, auquel la
924,984 s'occupant d'industries alimentaires, 6,875,193 agriculteurs, 2,804,008
domestiques j, 4,482,471 artisans, 1,619,344 tisseurs, 546,839 laboureurs,
142,417 fruitiers et poissonniers, 2,131,4^ marins et piêcheurs, 43,255 musi-
ciens et danseurs, etc. (Watt).
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ET INDIENNE DE LONDRES 223
chair humaine a été remise s'approche à reculons et dépose
avec les deux mains placées derrière le dos l'offrande sacrée dans
le trou qu'il couvre de terre sans le voir. Ces sacrifices sont
rigoureusement interdits depuis plus de trente ans par les au-
torités anglaises, et ce n'est que de loin en loin qu'un meriah
peut encore être offert au dieu des Khonds.
Les Ourâons du Choutia-Nagpour rappellent par leurs carac-
tères physiques les Khonds de l'Orissa. A en juger par les photo-
graphies de M. Dalton, ils seraient même plus voisins encore que
ces derniers de la race négrito, dont les montagnes du Deccan
ont conservé le type à peu près pur, ainsi que je l'ai déjà dit.
Mais les statues de TExposition n'ont tenu aucun compte des
découvertes de M. Dalton, et le type ourâon que deux d'entre
elles représentent est fort différent de celui que le savant ethno-
logue a représenté dans son célèbre ouvrage.
Les documents recueillis par M. Watt nous apprennent que
le groupe des Ouràons compte plus de SOO,OÔO tètes^ que son
langage est apparenté de très près à celui des Tamouls, que
certaines particularités ethnographiques le rapprochent des
Assamais, enfin que le culte s'y adresse moins à l'Être suprême,
dont la tribu reconnaît l'existence, qu'aux mauvais Esprits, dont
elle redoute l'intervention. Les Malers duRadjmahal, aussi petits,
presque aussi négroïdes de traits que les Ourâons, leurs voisins,
sont bien plus clairs de teint et bien plus rapprochés par leurs
croyances et leur manière de vivre des castes indoues inférieures.
Les Bhuiyas ou Bhuinyas qui habitent la même province peuvent
être considérés comme semi-hindtdsed suivant l'expression de
M. Watt*.
Il subsiste d'ailleurs à côté de tous ces Dravidiens, des Kola-
Iriens fort nombreux. Les principales nations kolariennes du
Choutia-Nagpour sont celles des Santals , des Mundaris ou
Munda-K(5ls, des Hôs ou Larka-K(5ls, et enfin des Bhumis.
Ces quatre groupes représentent ensemble plus de deux mil-
1) Les Bhuiyas compteraient, d'après cet ethnographe, 60,000 âmes environ ;
les Malers seraient au nombre de 150,000.
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224 ÉTUDES SUR l'exposition coloniale
lions d'habitants*. Leur ethnographie est encore très imparfaite,
et l'Exposition ne contient rien de bien utile à mentionner sur
leurs traits ou sur leurs mœurs. Elle ne nous fait rien savoir non
plus de bien intéressant sur les gens du Behar, ni sur ceux du
Bengale propre, dont elle nous présente seulement quelques
sujets vivants exécutant laborieusement sous les yeux du public
divers travaux artistiques dans la cour du Palais Indien.
Les principaux produits de l'art de ces bengalais sont des
peintures, assez médiocres d'ailleurs, exécutées à Shahabad et à
Puri, des sculptures d'un Xype tout conventionnel, produites par
les tailleurs de pierre de Gayà et de Dainhât, les modelages en
terre de Krishnagarh dont nous avons déjà longuement parlé,
enfin les décors sur terre cuite de Kalighât, de Dinajpour, etc. Le
Rajah Sir Sourondro Mohan Tagore, Kt. Mus. Doct. C. L E., que
connaissent les mélomanes du monde entier, a exposé sa célèbre
collection instrumentale, et divers agents du gouvernement
indien ont rassemblé de précieuses séries de filigranes d'or et
d'argent, de vases, de coupes, etc., en métaux précieux, de sta-
tuettes de divinités, d'armes offensives et défensives, d'ivoires,
de laques, de bois et de pierres dures, etc., etc.
Le public admire surtout, dans le Bengalese Screen, les célè-
bres mousselines de Dacca. Quoique Ton prétende chez certains
connaisseurs que ces minces étoffes sont aujourd'hui très infé-
rieures à celles qu'on faisait autrefois, les acheteurs s'étonnent
toujours de voir peser seulement 1,600 grains (103 gr. 66) une
pièce qui mesure quinze yards de long sur un yard de largeur,
soit 12 mètres carrés 1/2 *. Ces tissus, d'une finesse si surprenante,
ont d'ailleurs reçu dans le commerce les noms fort expressifs de :
dew of evening (rosée du soir), running water (eau courante);
woven air (zéphir tissé), etc., etc.
Les screens bengalais contiennent encore des cotonnades
1) Il résulte, eneflet, des statistiques qui nous ont été communiquées, que les
Santals sont aujourd'hui au nombre de 1,087,202; que les Munda atteignent le
chifTre de 591,858 et que les nations Ko et Bhumij comptent respectivement
190.000 et 300,000 individus.
2) On assure que d'anciennes mousselines de Dacca pesaient 900 grains
seulement (58 grammes 31) à la pièce de 15 yards sur 1 (12 mètres carrés 54).
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ET INDIENNE DE LONDRES
225
imprimées au bloc, à Calcutta et à Patua, des lainages et des
soieries de Bhagalpour et de Batikura, des broderies de soie et
Fig. 29. Tourneur bengalais (d'après une photographie de M. Mallitte).
de métal de Murshidabad et de Birbhum, enfin de curieuses van-
neries, dont Monghyr a la spécialité. Les screens qui encadrent
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226 ÉTUDES SUR l'exposition coloniale
toutes ces curieuses choses sont imités du temple de Krishna à
Kantanagar et de la mosquée bâtie à Gaur^ Tancienne capitale
du Bengale, par Nusrah-Shah en 1530.
A TExposilion bengalaise se rattache plus spécialement le
palais indien (indian palace) ^ qui est sans contredit la chose la
plus remarquée de l'Exposition tout entière. Voici en quelques
mois rhistoire et la description de cet important ouvrage. Dési-
reux de montrer aux visiteurs de l'Exposition indienne, non-
seulement, les produits les plus remarquables des industries
d'art de l'empire, mais aussi les procédés à l'aide desquels les
indigènes savent en assurer l'exécution, la commission supé-
rieure avait résolu de réunir dans un bâtiment spécial un assez
grand nombre d'artistes indous pour organiser sous les yeux du
public de petits ateliers en action. M. C. P. Clarke, Keeper de
V Indian Muséum^ fut envoyé dans Tlnde, et il en rapporta le plan
général des screens dont nous avons parlé et du palais que je
vais rapidement décrire.
L'entrée du monument est occupée par une énorme porte en
pierre, offerte au South -Kensington Muséum par S. H. le Maha-
radjah Scindiah. Cet énorme morceau de sculpture, tout couvert
d'arabesques et d'animaux en relief, a été dessiné et exécuté
sous la direction du major Keith, de V Archxological Survey of
India.
Au delà de la porte est la cour dite Karkhaneh^ entourée de
treize chambres où travaillent des imprimeurs sur colon, des
fabricants de tapis et de brocard, des orfèvres, un graveur, un
tourneur, etc. Les visiteurs qui ne connaissent point l'Orient
sont fort étonnés de la simplicité des moyens d'action utilisés
par ces artisans habiles et de la grossièreté des instruments
avec lesquels ils parviennent à fabriquer des choses si jolies et si
fines. Ce qui m'a paru encore plus remarquable que la rudesse
des outils indous, c'est l'habileté prodigieuse avec laquelle les ou-
vriers les guident de la main et même du pied. La figure ci-jointe
montre, par exemple, un tourneur conduisant ainsi entre les deux
pieds le ciseau qu'il tient de la main gauche, tandis que sa main
droite fait fonctionner l'archet qui imprime le mouvement à
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ET INDIENNE DE LONDRES 227
Tarbre de son tour. Les échoppes des travailleurs indiens occupent
trois côtés de la cour; le quatj'ième est formé par le Durbar
Hallj supporté par une série de colonnes monumentales, formant
une sorte de porche (hall of columm) y qui conduit à un vesti-
bule orné d'une fontaine et drapé en manière de tente, puis à
un salon intérieur installé avec beaucoup de goût et de richesse,
à la manière indienne par deux artistes de Bhera, et qui sert de
lieu de réception au prince de Galles, président du Comité de
l'Exposition, dans les grandes circonstances. On trouve dans le
passage qui contourne la tente-vestibule, une très belle collec-
tion de soieries indiennes {Silk Court) qui permet d'apprécier les
progrès énormes qu'a faits dans l'Indoustan, depuis quelques
années, l'industrie de la soie. Ce curieux ensemble architectural
construit à si grands frais n'est heureusement point destiné à
disparaître, comme les palais de tant d'autres expositions uni-
verselles ou nationales; palais et collections de Flnde appar-
tiennent au gouvernement, qui s'est fait également remettre les
objets recueillis par les comités officiels des autres possessions
de la couronne. Or, grâce à Tintervention personnelle du prince
de Galles, l'œuvre toute provisoire de l'Exposition de South-
Kensington devient en ce moment quelque chose de définitif.
Malgré l'opposition intéressée des marchands de la Cité, qui
auraient voulu continuer à imposer aux colonies et à la métro-
pole un onéreux courtage, un établissement spécial se crée à
Londres et un musée permanent de Tlnde et des colonies sera le
principal moyen d^action de l'institution nouvelle. L'Exposi-
tion de 1886 en est déjà comme le noyau. Ce musée permanent
est utilitaire avant tout sans aucun doute ; les hommes qui s'inté-
ressent plus particulièrement aux choses de la science et de l'art
y trouveront cependant de nombreux éléments d'étude, ainsi que
je crois l'avoir surabondamment démontré dans les pages que
l'on vient de lire.
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QUELQUES RENSEIGNEMENTS
SUR LES BOBO
Par le Dr TAUTAIN
Sur la carte du capitaine Regnauld de Lannoy de Bissy, on
remarque, par environ 7** long, ouest et 10**,40 lat. nord, le nom
de Bobo en caractères semblables à ceux que l'auteur emploie
pour les noms de contrées. Aucune allusion n'est faite à la popu-
lation qui habite le pays Bobo, et étant donnée la position, on
suppose généralement que ce pays doit être peuplé par des Man-
dingues et plus spécialement par des Bamana. En effets le Bobo
se trouverait à une très petite distance à Test de la route de
Caillé, en plein pays mandingue, et, d'un autre côté, le seul
nom de village porté sur la carte de M. de Lannoy, Meggara ou
Mengera ou Mengrera, est le nom d'un village mandingue.
En premier lieu, le nom de Bobo doit être notablement
remonté vers le nord et repoussé vers Test. D'après mes rensei-
gnements, le Bobo ou les Bobo se trouve ou se trouvent à Test
du Minianka (Miniandougou) vers 6** long, ouest et 12%30 lati-
tude nord. Je tiens cette information de plusieurs individus de
différentes races que j'ai pu interroger au cours de ma mission
de cette année; et j'ajouterai que ce dire concorde avec le récit
qu'un Bamano du Bano m'avait fait, en 1880, d'une visite chez
des anthropophages. (La route de retour du pays Bobo était
presque exactement est-ouest vers Bamako.)
En deuxième lieu, les Bobo forment un peuple spécial qui
diffère notablement, au point de vue de la langue et au point
de vue des mœurs des Mandingues du voisinage. Je ne parle
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QUELQUES RENSEIGNEMENTS SUR LES BOBO
229
Fig. 30. Sacoche de cavalier bobo.
(Musée (ï Ethnographie, — Don de M. Tautain.)
16
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230 QUELQUES RENSEIGNEMENTS
pas du point de vue physique, n'ayant pas eu Toçcasion de voir
un seul Bobo.
Voici les quelques renseignements que j'ai pu me procurer
sur les mœurs des Bobo en interrogeant quelques dioula et
quelques individus qui ont été en expédition dans le pays.
Les Bobo ne font pas d'esclaves ; ils ont une horreur profonde
pour Tesclavage. Jamais un Bobo n'a pu être vendu comme
esclave, il préfère se tuer.
Les Bobo sont cannibales. Leur cannibalisme tie provient pas
du besoin, car ils élèvent, dit-on, de nombreux troupeaux de
bœufs, de moutons (une autre raison pour ramener leur pays
vers le nord). Ils tueraient au moyen de la fumée de certaines
piaules, et c'est même une scène de ce genre qui avait mis en
fuite mon informateur de 1880 et ses compagnons. Le dépouille-
ment et le débit du corps se feraient souvent, si ce n'est toujours,
dans un endroit spécial, sur une grande roche plate. A côté de
beaucoup de ces abattoirs se trouverait une grossière statue en
terre représentant un homme de grandeur naturelle. La statue
est blanchie au moyen de la cendre d'os.
Pour l'un de mes informateurs, les Bobo ne rendraient aucun
culte à cette statue, qui ne serait point du tout une idole, et dont
la seule utilité serait de servir de piège pour se procurer des
victimes. Dans le voisinage, en effet, des abattoirs, il y aurait
toujours quelqu'un de garde; les enfants entre autres jouent
dans le voisinage ; si un étranger — et statues et abattoirs se
trouvent près des chemins — si un étranger s'arrête surpris de
la bizarrerie de la statue, les gens du village sont aussitôt pré-
venus et accourent pour mettre à mort l'indiscret qui a voulu
pénétrer leurs mystères ou peut-être leur jeter un mauvais sort.
Mon informateur était sans doute un peu trop sceptique, et,
d'après son propre récit, il faudrait, sans repousser complètement
ridée de piège, admettre que Tabattoir au moins est consacré.
Certaines parties du corps humain ne sont pas consommées :
les mains, les pieds, la tête et les fesses. On les abandonne
autour de Tabattoir.
Chez les Bobo on tuerait une partie des gens qui tombent
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SUR LES BOBO 231
sérieusement malades et on les mangerait. Je dis une partie,
car les funérailles existent dans certains cas au moins.
Au sujet de celte coutume court une histoire assez amusante.
Un dioula, accompagné de sa femme, vint un jour trafiquer en
pays Bobo. Arrivé dans un village où il connaissait quelqu'un,
il continua seul sa route dans les villages environnants, laissant
sa femme pour pouvoir marcher plus vite.
Après avoir terminé ses ventes et ses achats, le dioula revient
chez son hôte ; à peine est-il arrivé dans la case, que le Bobo
arrive apportant un sac : « Voici 60,000 cauris; peu après ton
départ, ta femme est tombée malade; elle maigrissait rapide-
ment, et j'ai vu que si je la laissais mourir seule, elle perdrait
beaucoup de sa valeur; aussi, prenant en mains tes intérêts
comme j'aurais pris les miens, me suis-je empressé de Fabatlre
et de la vendre au marché. C'est cette vente qui a produit
60,000 cauris. » A moins d'être un véritable ingrat, le dioula
était tenu de remercier son hôte, ce qu'il fit du reste.
En temps ordinaire, les vêtements des Bobo sont des plus
simples, car ils se réduisent, pour Thomme comme pour la
femme, à un simple langouti. Dans les parties les plus reculées
vers le sud-est du pays, la toilette serait encore moins com-
pliquée. Les hommes porteraient simplement une bandelette
de cuir assez lâchement passée autour des reins, à l'aide de
laquelle la verge serait appliquée contre le ventre. Quant aux
femmes, elles se contenteraient d'un léger badigeon de koheul
autour des organes sexuels. Les hommes sont circoncis, quant
aux femmes, je ne sais si elles sont excisées.
Il paraît d'ailleurs qu'il serait fort imprudent de témoigner
quelque hilarité en voyant des gens ainsi équipés ; on risquerait
fort de se faire tuer et manger.
Les Bobo ont quelques fusils, surtout les chasseurs ; le fusil
préféré est à un coup, à pierre, à canon très long. Mais l'arme
habituelle est l'arc. Les flèches sont empoisonnées, et voici les
caractères qu'on m'a signalés pour ce poison : le sang coulant
abondamment d'une plaie, est instantanément arrêté par le
contact du poison. Si on pose sur la peau non excoriée une
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232 QUELQUES RENSEIGNEMENTS
flèche enduite de poison, il survient au bout de peu de moments^
une sensation de brûlure cruelle, la partie devient rapidement le
siège d'une notable tuméfaction, les vaisseaux sanguins faisant
spécialement saillie.
Les funérailles d'un chef sont une chose fort intéressante. On
creuse en terre une fosse vaste et profonde, dans le fond de
laquelle on dispose un de ces lits qui se nomment tara vers le
Khosso, kalaka dans le Bélédougou et qui sont trop connues
pour que j'en parle ici. Le lit est recouvert de plusieurs nattes. A
côté, on place un vase en terre contenant de l'eau, un peu de
sel, quelques cauris et enfm du feu. Souvent aussi un homme
qui a récemment perdu un parent ajoute pour lui quelques
objets que lé nouveau décédé se chargera de remettre à desti-
nation.
Cela fait, on couche le corps sur le lit, la fosse est fermée à
l'aide de madriers, de planches grossières et enfin de terre, et les
amis et parents se placent au-dessus pour faire d'abord un festin,
puis un bal.
Le festin a ceci de particulier qu'il est en partie composé de
chair humaine. Les plus riches ou les plus nobles parents du
mort apportent, en venant aux funérailles, un captif, produit
d'une guerre récente ou d'un achat fait dans ce but chez les gens
du voisinage. Ce captif est abattu et on consomme la moitié de
sa chair; l'autre moitié est emportée et n'est mangée qu'au
retour du donateur chez lui.
Les funérailles d'un chef seraient les plus grandes fêtes des
Bobo. C'est dans ces occasions-là surtout qu'on les voit s'habiller
un peu plus sérieusement. Les étoflfes qu'ils portent dans ces
circonstances sont généralement étrangères (Toubo, Nyamina,
Ségou, Dienné ou Europe), car eux-mêmes tissent très peu et
très grossièrement.
Il va sans dire qu'il n'y a pas de bonne fête sans une ample
consommation de bière de mil, et la leur enivre davantage,
paraît-il, que celle des Mandingues.
Le mariage ne serait pas un véritable achat, — les Bobo ayant
l'esclavage trop en horreur pour suivre cet usage général. — Un
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SUR LES BOBO 233
jeune homme qui recherche une jeune fille apporterait seulement
au père de la belle une dizaine de naltes, un coq et une poule.
Si le présent est accepté et gardé, le mariage est fait. D'aucuns
prétendent que le mariage doit être consommé coram populo,
La femme travaille autant, peut-être un peu plus que
l'homme. Les Bobo sont très laborieux, paraît-il ; il est en effet
probable que, n'ayant pas d'esclaves, ils doivent travailler nota-
blement plus que les Mandingues et autres peuples voisins.
La naissance ne serait accompagnée d'aucune cérémonie;
mais il y aurait une petite fête au moment où l'enfant sait
marcher ; ce serait du reste à ce moment qu'on lui donne un
nom.
Homme se dirait
Nama.
Divinité
Killo.
Enfant
Khompré.
Femme
Ntakharé.
Bière de mil
Tourné [T mouillé).
Cauri
Pénét'é {TmoniWé).
Un
Voun.
Deux
Piffo.
Dans les salutations, on entendrait continuellement le motFo;
« Fo goué ; Fo tiana ; Fo ; Fo ; Fo ; Fo, » En saluant, on agite
continuellement l'un des bras, l'avant-bras étant à peu près
vertical, et on termine en se pressant l'occiput avec la main.
Pour saluer, les femmes sont à genoux, les fesses appuyées
sur les talons, le corps penché en avant, le bras dirigé en bas,
l'avant-bras en l'air et les coudes venant frapper les genoux.
Demande : No ntakharé tiana ? Comment va ta femme ?
Réponse : Tiana ma goué. Bien.
Il y a incontestablement des familles mandingues au milieu
des Bobo *.
1) J'envoie au musée d'ethnographie (fîg. 30), par rentremisede M. le capitaine
Loyer un travail bobo , une sacoche de cavaher, ou mieux de palefrenier. Le
travail en est fort original et absolument spécial. Je n'ai jamais rien vu d'ana-
logue ni comme forme, ni comme procédé d'ornementation, ni enfin comme
couleur de cuir (blanc) chez les Maures^ les Mandingka, les Soninka, les Ba-
mana ou les Foulbé.
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SUR QUELQUES OBJETS INDIENS
TROUVÉS PRÈS DE GUAYMAS (MEXIQUE)
Par le D' h. TEN KATE
J'ai fait, dans la Revue d'Ethnographie (tome II, p. 325),
mention d'une trouvaille d'objels anciens découverts près de
Guaymas, dans l'État mexicain de Sonora, par un employé de
de chemin fer, M. Emeric, peu de temps avant mon second séjour
dans cette ville.
Depuis lors, j'ai eu l'occasion de voir les pièces en question,
conservées au Musée des Antiquités de l'Institution Smithso-
nienne à Washington. J'ajoute la description sommaire de ces
pièces à celle d'un des objets de même provenance, que j'ai pré-
senté dans le temps au Musée du Trocadéro, et dont je faisais
également mention dans l'article rappelé plus haut.
Je dois à l'extrême obligeance de feu M. Ch. Rau les dessins .
des pièces conservées au Musée de Washington, que je reproduis
ci-joint sous les figures 31 à 37.
Les figures 31 et 32 représentent en demi-grandeur « l'objet
en forme de tortue » dont j'ai déjà parlé ici même il y a quatre
ans et qui fait actuellement partie des collections du Trocadéro.
L'espèce de tortue que le sculpteur indien a voulu représenter
dans le marbre plus ou moins verdâtre dont est fait l'objet, est
une forme marine, la Sphargis [Dermatochelys) Coriacea, qui
habite les eaux de TOcéan Pacifique.
Il est évident que l'objet en question, comme celui que je
figure ci-joint sous le n° 33, est un fétiche ou amulette, dans le
genre des fétiches de File de Saint-Nicolas (Californie) décrits
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SUR QUELQUES OBJETS INDIENS TROUVÉS PRÈS DE GUAYMAS 235
et figurés par M. Léon de Cessac* dans la Revue (T Ethnographie
de 1882.
Bien avant M. de Cessac, feu Paul Schumacher avait fait
connaître de semblables images d'animaux ou de fétiches trou-
vées dans ses intéressantes fouilles sur le littoral et dans les
îles de la Californie méridionale. Ces pièces, recueillies par
Schumacher, sont conservées dans les collections de l'Institution
Smithsonienne. J'ignore cependant si, dans les collections for-
mées par Schumacher pour Washington et par M. de Cessac
pour Paris, il se trouve une image de tortue semblable à notre
pièce.
Fig. 31-32. Sculpture en marbre, représentant une tortue {Spharois Coriacea),
Environs de Guaymas. (Musée d'Ethnographie. — Collection Ten Kate, n* 1.)
Le fétiche-tortue en question indique non seulement une cer-
taine habileté de facture, mais encore un grand esprit d'observa-
tion. Grâce à cette dernière qualité, le sculpteur ne nous laisse
aucun doute sur la signification de son œuvre. Malheureuse-
ment la pièce représentée sous la figure 33 n'a pas la même
précision de contours.
Quoiqu'il y ait quelque ressemblance entre cet objet et les
ébauches de fétiches représentant des orques, figurés par
M. de Cessac', j'hésite cependant à classer notre fétiche dans
cette catégorie. Cela ne m'empêche pas cependant de ne pas
1) Revue fV Ethnographie, t. I, p. 30-40.
2) Loc. ciL, p. 31-32, fig. 26-3 i.
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236
SUR QUELQUES OBJETS INDIENS
considérer celte image comme « de forme conventionnelle »,
ainsi que feu Ch. Rau semblait le faire.
Le fétiche représenté en demi-grandeur sous la figure 33 est
Fig. 33, Sculpture en albâtre, représentant un orque. Environs de Guaymas.
{Smtthson. Institut.)
fait en albâtre blanc. L'épaisseur de cet objet au milieu est de
22 millimMres, de sorte que l'objet peut reposer sur sa base
aplatie.
Fig. 34-35. Objet indéterminé eu terre schisteuse. Environs de Guaymas.
(Smilhson. Institut.)
Les figures 34 et 35 ci-jointes représentent à la même échelle
un objet en pierre schisteuse, de couleur verte foncée ; je ne
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TROUVÉS PRÈS DE GUAYMAS (mEXIQUE) 237
puis que soupçonner la signification et l'usage de celte pièce.
L'épaisseur, au milieu, mesure 6 millimètres environ, sans tenir
compte du bandeau en relief qui s'entrecroise sur l'une des sur-
faces de la pièce et traverse l'autre.
L'objet que je représente au quart de sa grandeur naturelle,
sous le n° 36, ressemble à un celt. Il consiste en grès d'un jaune
terne et mesure seulement 15 millimètres au milieu. Une pièce
i
h ig. 36. Objet en forme de celt, en grès jaune.
{Smithson. Institut,)
Fig. 37. Lissoir en pierre schisteuse.
{Smithson. Institut.)
semblable, et de même matière, longue de 135 millimëlres,
a été également trouvée par M. Emeric et présentée par lui à
rinstitution Smithsonienne.
Il me reste à dire un mot sur la pièce figurée sous le n° 37,
au quart de sa grandeur naturelle, et qui représente probable-
ment un lissoir.
Cet objet mesure 11 millimètres au milieu; les extrémités sont
obtuses et toute la surface est bien polie. La matière dont est fait
ce lissoir est une pierre schisteuse de couleur verte foncée. Le
musée de Washington possède un autre objet de même forme
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238 SUR QUELQUES OBJETS INDIENS TROUVÉS PRÈS DE GUAYMA8
et de même matière, long de 26 centimètres environ, également
trouvé par M. Emeric. Si ma méVnoire ne me trompe pas, j'ai
présenté dans le temps, au Musée du Trocadéro, une ou deux
pièces tant soit peu analogues à celles dont je viens de parler.
Ces pièces m'avaient été gracieusement offertes par M. Emeric,
à mon passage à Guaymas.
Je regrette de ne pas pouvoir ajouter à ce que j'ai dit dans ma
première communication de nouveaux renseignements sur le
lieu de la trouvaille, l'origine et le véritable usage de toutes ces
pièces intéressantes.
En effet, la question est singulièrement compliquée à cause
de la disparition totale, en tant que tribu, des indiens Guaymas
qui jadis habitaient cette contrée, et auxquels nous pouvons,
sans trop nous risquer, attribuer la fabrication de ces objets. Les
ouvriers yaquis que M. Emeric entretenait de cette trouvaille, ont
montré, à tort ou à raison, une parfaite ignorance du sujet. Ce
n'est donc que par analogie avec des pièces semblables, dont
l'origine et la signification ne laissent point de doute, que nous
pouvons en essayer l'interprétation.
L'opinion que l'origine des objets que je viens de décrire
remonte à une certaine antiquité, paraît assez plausible. Comme
je le répète, ils ont été trouvés, au moins en partie, sous les
blocs de lave couvrant la pente des collines qui bordent, vers le
sud, la côte près de Guaymas. Or, aucune éruption volcanique
ne paraît avoir eu lieu de mémoire d'homme dans ces parages*.
1) Je saisis l'occasion qui se présente de corriger une faute qui s'est glissée
dans ma communication sur les pictographies californiennes, imprimée au t. II
de la Revue tV Ethnographie. Les figures 116 et 117 de la page 323 ont été ren-
versées par erreur.
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VARIETES
MÉTHODE DE OLASSIFIOATION DANS LES MUSÉES
D'ETHNOGRAPHIE
L'éditeur de cette revue m'a prié de donner mon avis sur la Méthode de clas-
sification des matériaux ethnographiques, et j'avoue que j'accède à son désir
avec beaucoup d'hésitation; d'abord, parce que je ne crois pas que dans tous
les musées, la classification puisse être la même; ensuite, parce que mes
propres idées subissent, à ce sujet, des modifications continuelles.
■ Le système que j'ai suivi au Musée national de Washington, tant pour les
grandes séries d'étude que pour les collections exposées aux yeux du public,
peut s'appeler la Méthode d'histoire naturelle.
Je me suis efforcé de donner une place appropriée à chaque invention
humaine, à toutes choses faJ^riquées et employées par l'homme, et de placer ces
objets de façon à ce qu'ils représentent avec éloquence les progrès de la civili-
sation. •
Les questions sérieuses qui embarrassent le conservateur d'un musée, sont
nombreuses. Quelques-unes ont un caractère administratif, d'autres sont d'une
importance vitale. Au Musée national de Washington, nous avons cherché à
résoudre les difûcultés administratives de la façon suivante :
1^ En établissant lès armoires, tiroirs, vitrines, etc., d'après des types
uniques, susceptibles d'être déplacés ou de se remplacer mutuellement sans
inconvénient;
2» De donner à ce nombreux mobilier une facilité de manipulation qui per-
mette à une simple équipe d'employés de les déplacer en une nuit, et de leur
donner ainsi pour le lendemain matin une disposition toute différente en créant
ainsi une leçon nourelle;
3<* En établissant une unité de type, soit simple, soit complexe. Le but de
cette méthode est de trouver uoe place pour toutes sortes de collections.
Une aiguille en os est une unité de type, s'il est impossible d'en avoir
d'autres. Une aiguille et du fil constituent une unité plus haute ; mais une
aiguille, du fil et un morceau de broderie à moitié achevée fournissent une
unité encore plus complète. Une pagaie est une unité, et j'ai installé une pano-
plie de pagaies de tous les pays du monde. Mais un bateau complètement
équipé, cbargé de tous ses engins de propulsion et autres appareils qui con-
viennent à la destination du bateau, est une unité plus finie, plus rare et plus
précieuse.
Un soulier est une unité, mais un vêtement complet est une unité plus impor-
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240 VARIÉTÉS
lante; et un assortiment de costumes pour hommes, femmes et enfants Test
encore davantage. L'unité la plus haute, la, plus rare et la plus instructive est
une complète série technique d'une tribu organisée.
Le Musée national ne possède pas une telle unité, et il est peu probable
qu'aucun musée au monde puisse exposer une unité ethnique.
C'est un fait reconnu que les spécimens du collectionneur, comme « AU Gaul »
par exemple, se divisent en trois parties : objets ou spécimens, dessins ou
peintures d'échantillons, et leur description.
En d'autres termes, nous avons à nous occuper de l'administration du
musée, des galeries et de la bibliothèque. Nous avons, en outre, nos labora-
toires et nos salles d'exposition.
Dans le laboratoire, la facilité d'accès, la sécurité des spécimens, le catalogue
commode, et le matériel d'études sont de première nécessité.
Dans les salles d'exposition, le seul but est ïinstruction; aussi avons-nous
complètement exclu du Musée national tous les objets n'ayant au point de vue
ethnographique, qu'une simple valeur de curiosité ou de bizarrerie.
Tout objet doit avoir sa signification, représenter un certain fait, ou témoi-
gner d'une découverte importante.
Voilà pour la partie administrative de notre travail, la partie scientifique n'est
pas aussi facile à expliquer. Je n'entrerai pas ici dans les détails minutieux de
ma méthode, je dirai seulement que je considère tous les systèmes, procédés
et productions de l'industrie humaine comme les résultats de forces dont l'origine
et le mode d'évolution se retrouvent dans les autres branches de l'histoire natu-
relle. Dans la même catégorie d'inventions et soumises a\ix mêmes lois, se
placent toutes les institutions, les langues et les croyances des hommes.
A quelque point de vue que l'on considère la nature, au point de vue théolo-
gique ou athéologique, il est impossible de séparer les résultats de l'activité
humaine des lois de la nature.
Dans un sens purement scientifique, les inventions humaines peuvent se
diviser en deux familles, genres et espèces. Elles peuvent être étudiées dans leur
ontogénie, c'est-à-dire qu'on peut suivre le développement de chaque chose
individuelle depuis sa naissance, jusqu'à son état parfait. On peut les considérer
comme des produits d'évolution spécifique commençant à des objets naturels,
légèrement modifiés pour les besoins humains et se perfectionnant jusqu'à la
machine la plus délicate. Ils peuvent être transformés par des influences mu-
tuelles, en séries, équipements, appareils, commerce, industrie ethnique, etc.,
de même que l'insecte et la fleur se transforment simultanément. Ils subissent
la loi du changement due à l'influence du milieu et à la distribution géogra-
phique. En réalité je ne connais aucune méthode d'étude suivie par les natura-
listes, qui ne puisse et ne doive être suivie par ceux qui se livrent à l'étude
de la culture humaine. Ce n'est qu'en procédant de cette façon que Ton pourra
comprendre l'histoire de l'homme, et réunir toutes les pièces de cette mer-
veilleuse mosaïque qui s'appelle la civilisation.
Quiconque entreprend la classification de matériaux doit tout d'abord posséder
certaines notions, certaines idées ou caractéristiques qu il considère comme fon-
damentales, et au moyen desquelles il pourra établir les séparations nécessaires ;
c'est ce que j'ai appelé la Conception Classifique,
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MÉTHODE DE CLASSIFICATION 241
f
Tous les conservateurs de musée devraient constamment agir sous l'influence
de la conception classiQque suivante :
i^ Matériaux. — Certains musées sont organisés à ce point de vue, le
<( Royal Irish », par exemple. En effet, nous avons tous la coutume de parler
des âges de pierres, de bronze et de fer.
2o La race. — Je désigne ainsi le sang, la consanguinité. Plusieurs musées
ont essayé cette méthode, et ces expositions sont extrêmement attrayantes.
Mais, avec tout le respect qui leur est dû, je me permettrai de dire qu'elles ne
sont pas scientifiques.
3o La nationalité. — Les musées historiques seront toujours Torgueil des
peuples; mais ils sont d'un ordre purement sentimental, et sont peu scienti-
fiques.
4<» Provinces et régions géographiques. — • C'est un sujet d'étude anthropo-
logique que l'on a beaucoup négligé, mais récemment le D' Bastian a organisé
le Musée de Berlin d'après ce système qui nous fera sans doute des révéla-
tions étonnantes.
5* Le milieu. — Peu différent du précédent, quand ce terme est envisagé
dans la large acception que lui donne M. Spencer.
6^ Forme et Fonction. — C'est la méthode purement scientifique qui place
les objets ensemble, parce qu'ils se ressemblent ; elle a aussi l'avantage de
permettre au conservateur de donner, d'après quelques spécimens types, la
plus grande valeur à des objets mal déterminés.
7* Lélaboration. — Appelée aussi progrès, évolution. La croyance au progrès
de l'histoire est universelle, et les objets d'une classification peuvent être dis-
posés de façon à le bien démontrer, à condition cependant que Ton tienne
compte des successions, des survivances et des réapparitions.
8*» Relations mutuelles ou adaptation. — Nous avons là un merveilleux sujet
d'étude, la découverte, par exemple que certains peuples, depuis longtemps
disparus, avaient les mains petites, à en juger simplement par la poignée de
leurs armes ou le manche de leurs outils.
Ainsi donc, je me rangerai à l'opinion déjà émise, que le seul sujet de con-
testation entre les conservateurs des musées ethnographiques est l'ordre dans
lequel ces classifications doivent se suivre. Tous, nous les reconnaissons, nous
les employons et nous les exigeons chez les autres. Le degré de prééminence
donné à l'une de ces classifications se réglera de lui-même. Cela dépendra des
études du personnel des musées, de la richesse des matériaux dans certaines
classes, de la disposition du bâtiment, et môme de ceux qui viennent journelle-
ment étudier les collections.
En Amérique, nous avons nombre de gens intelligents de professions diverses
qui dépensent leur argent pour des choses qui les intéressent, la poterie, les
armes, la bijouterie, les vieilles monnaies, etc., et nous pouvons nous assurer
le concours réel de ces amateurs en donnant à la classification nP 6, une impor-
tance plus considérable. Dans le cas où un certain nombre de gens, peut-être
un amateur heureux, aurait épuisé une région de manière que sa civilisation
complète puisse être exposée et étudiée, il serait préférable alors d'assigner
un local spécial pour cette région en lui donnant la physionomie la plus avan-
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242 MÉTHODE DE CLASSIFICATION
t
En somme, la perfection serait de pouroir ainsi oi^aniser des sections hono-
raires après un examen rigide des spécimens.
J'ajoaterai, au risqae de me répéter, qne le Musée National des États-Unis
n'a en aucune façon le projet de séparer les objets depuis longtemps classés
ensemble. Quelques critiques facétieux nous ont accusé d adopter ce système;
nous mettons, disent-ils, le couvre-chef d'un individu dans une salle, ses bottes
dans une autre, et ainsi de suite ; rien ne serait certainement plus ridicule !
Notre but est de trouver la place de chaque chose. Si nous pouvons avoir
des squelettes entiers, tant mieux ; sinon, nous ne rejetons jamais les cr&nes
et autres ossements, pas plus que nous ne les mêlons aux spécimens ethnogra-
phiques.
Nous ne mettons pas les squelettes avec les vêtements, ni avec les outils,
et cela parce que les anatomistes voudront, en efiet, étudier les ossements pen-
dant que les tecbnologistes étudieront les arts. Quelques spécimens sont monor-
ganiques, d'autres sont poly organiques, les objets distincts sont séparés, et les
objets trouvés ensemble restent réunis.
Je terminerai cette trop longue lettre par une courte observation sur
les nombreux exemplaires d*un même objet. La classification des matériaux
basée sur les industries et les besoins de Thomme, demande de nombreux
exemplaires. Le même arc et sa flèche appartiennent aussi bien à l'équipement
d'un pécheur qu'à une série d'armes. La crécelle marque Tenfance de la mu-
sique à l'époque où le rythme existait sans la mélodie. Elle représente aussi
le monde des esprits, de la sorcellerie et de la médecine. Finalement, comme
produit de l'art, ce petit engin est remarquable comme ciselure, sculpture et
souvent comme combinaison de couleurs.
Je ne voudrais pas pour un instant me poser en critique de mes savants con-
frères, qui dans différents pays et de maintes façons, visent le même but et
cherchent à déchirer le voile qui recouvre Thisloire de l'humanité. Je suis con-
vaincu que chaque méthode atteindra son but, et qu'un jour un esprit supérieur
surviendra, qui réunira nos travaux et nous saura gré de l'œuvre de prépara-
tion que nous aurons déjà accomplie.
Otis t. Masson.
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REVUES ET ANALYSES
LIVRES ET BROCHURES
A. de Quatrefages, Les Pygmôes, Paris, J.-B. Baillère, 1887. in-16, 31 fîg.
La question des Pygmées avait préoccupé les esprits depuis la plus haute
antiquité, mais jusqu'à notre époque ou ne connaissait ces êtres que par les
récits souvent très vagues des auteurs classiques, Aristote, Pline, etc. C'est
seulement dans ces derniers temps que la connaissance plus approfondie de
Tethnologie exotique a permis de mettre en regard des textes de l'antiquité des
descriptions d'après nature qui en établissaient le contrôle. Il est devenu dès
lors possible de vériQer, dans ce qu'elles avaient d'exact, les assertions des
anciens géographes et de dégager la vérité des erreurs qui la dissimulaient
depuis tant de siècles. Cela a été l'œuvre de MM. Schweinfurth, Hamy, Gar-
biglietti, etc., enQn de l'éminent doyen des anthropologistes français, M. de
Quatrefages, qui dans une série d'études publiées dans divers recueils et notam-
ment dans cette Revue même, a tracé un tableau très scientifique de l'ethnologie
des Pygmées,
Malheureusement ces mémoires, parus à des époques diverses, et dispersés
dans des recueils spéciaux, étaient peu connus de la majorité des lecteurs. C'est
donc avec une vraie joie que nous signalons l'apparition du petit volume dont
on a lu plus haut le litre et qui offre cet intérêt de rassembler en un seul tout
les notices éparses que M. de Quatrefages avait consacrées à l'une des questions
les plus intéressantes de Tanthropologie. Nous avons ainsi sur les Pygmées
un tableau d'ensemble remarquable tout à la fois par la largeur de vues et par
la richesse des détails.
Dépouillés du voile mystérieux qui les recouvrait, les Pygmées nous appa-
raissent dans le livre de M. de Quatrefages tels qu'ils sont en réalité, des
hommes sauvages, de petite taille, chélifs et grêles, mais toujours des hommes,
qui ne rappellent, même de loin, ni les fameux adversaires des grues des
anciens, ni les hommes pithécoïdes de certains écrivains modernes.
Après avoir passé en revue les opinions de l'antiquité sur les Pygmées, et
fait le départ entre la fable et les renseignements exacts, M. de Quatrefages
arrive à cette conclusion que les auteurs classiques ont distingué deux groupes de
Pygmées : les Pygmées asiatiques ou orientaux et les Pygmées africains ou
occidentaux» Les premiers sont représentés aujourd'hui par les Négritos pro-
prement dits (Aetas, Mincopies, etc.), et les seconds par les Négrilles, ainsi que
M. Hamy les a nomnoiés (Akkas, Babonkos, etc.) L'aire de l'extension de ces
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244 LIVRES ET BROCHURES
peuplades était beaucoup plus vaste dans les temps primitifs que de nos jours :
les Akkas, les Aëtas, les Sakayes ne sont que les tristes débris de peuples jadis
répandus depuis le Japon jusqu'au Sénégal, en passant par la Malaisie et par
rinde. A défaut de textes anciens on aurait pu reconnaître cette expansion pre-
mière par le seul examen de certains sujets que Ton rencontre parmi les Japo-
nais, les Malais, les Dravidiens et les Nègres, et qui présentent, plus ou moios
accusés, les traits caractéristiques du Négrille et du Négrito : petitesse de
taille, chevelure laineuse, brachycéphalie, etc.
L'ouvrage de M. de Quatrefages présente des monographies de chacun des
peuples importants du groupe Négrito : Aëtas des Philippines, Mincopies des
Andamans, Sakayes de la presqu'île Malaise, Djangals de Tlnde méridionale,
Akkas du Mombouttou, Akoas et Babonkos de 1 Afrique occidentale, etc. Le
type physique, le type moral, les mœurs, les institutions, l'industrie, la religion,
tout cela est traité avec un soin égal et une érudition exemplaire.
De nombreuses Ggures, en partie inédites, aident à Tintelligence du texte et
permettent au lecteur de saisir d'un coup d'œil les différences et les ressemblances
que présentent entre elles les peuplades décrites par l'auteur.
Un chapitre spécial, à la fin du volume, est consacré aux croyances reli-
gieuses des Hottentots et des Boschismans, deux peuples qui, sans être des
Pygmées proprement dits, se rapprochent cependant du groupe de ce nom par
plusieurs traits de leurs mœurs et de leur type physique.
Nous souhaitons que le volume de M. de Quatrefages soit largement répandu
dans le public; il contribuera à propager des idées justes et des notions précises
sur des peuplades auxquelles on attribue encore volontiers des qualités surna-
turelles et des traits extraordinaires.
J. Deniker.
Putnam (F.-W.)* Rômarks upon chipped Stone Implements. {Bull, of
the Essex Instituley vol. XV, Salem, 1885, in-8.)
Cette note, accompagnée de dix-neuf gravures sur bois, est le résumé d'une
communication, déjà ancienne, adressée à l'Institut d'Essex par M. F.-W. Put-
nam, alors vice-président de cette Compagnie. Elle a pour objet de mettre en
présence un certain nombre d'instruments en pierre , plus ou moins primitifs ,
montés ou non montés, recueillis en Amérique, et qui font partie des collec-
tions du Peabody Muséum de Cambridge ou du cabinet d'antiquités de
M. Dodge. On y retrouve, assez artistement représentés, les instruments primi-
tifs en argilite des graviers quaternaires de Trenton ; les couteaux de silex,
grossièrement emmanchés au bout d'une poignée de bois, des tombeaux de
Santa Barbara (Californie) ; les flèches de pierre, habilement fixées à leurs
hampes par les Navajos, les Pah-Utes, les anciens Péruviens ou les Fuégiens.
On y voit figurer, en outre, sept de ces curieuses pointes de lances, que
M. Edouard Palmer a trouvées dans les cavernes de Coahuila (Mexique). Ces
pointes foliacées, finement retouchées sur leurs faces et sur leurs bords, sont
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LES GRANDS ESQUIMAIX 243
collées à la hampe fendue qui eo saisit la base à Taide d'une sorte de gomme,
qui semble provenir d'un cactus.
M. Putnam a fait graver, à titre de comparaison, une scie australienne en
éclats de quartzite, à peu près semblable à celle que nous avons figurée ici
môme {Rev, d'Ethnogr., t. V, p. 34, W* 8), et une hache emmanchée, toute
pareille à celle que nous avons aussi donnée dans ce recueil {Ibid., n^ 4), et
qui venait, sans le moindre doute, de Gippsland (Victoria). M. Putnam pré-
sente ce dernier instrument comme venant de Tasmanie, c'est une erreur de
provenance qu'il devra s'empresser de rectifier.
E. H.
Emile Petitot (R. P.). Les Grands Esquimaux» ouvrage accompagné d'une
carte et de sept gravures, d'après les croquis de l'auteur. Paris, E. Pion,
Nourrit et C^% 1887, 1 vol. in-12.
L'auteur commence son introduction par ces mots : a Ce volume n'est point
destiné à la jeunesse. » S'il avait ajouté que le volume n'est pas destiné non
plus au monde savant, je ne l'aurais pas contredit. Le livre du R. P. Petitot
est une relation condensée de ses longs et pénibles voyages comme mission-
naire parmi les Esquimaux Tchiglit et les tribus voisines des Peaux-Rouges ;
il est amusaiU et plein d'esprit, mais ne contient que très peu de choses qui
révèlent les qualités scientifiques de son auteur. C'est regrettable, parce qu'un
ouvrage à bon marché comme celui-ci aura une publicité beaucoup plus consi-
<iérable que les grands voulûmes coûteux déjà publiés par le savant auteur, et
traitant les mêmes sujets très importants.
Il n'est pas moins fâcheux q'ue l'ouvrage soit en grande partie consacré à
relever des ressemblances accidentelles entre certains détails du costume, des
bateaux, des rames, des voiles, des ustensiles, des calumets des Tchiglit et
ceux des Chinois, des Malais, des Hindous, des Égyptiens, etc., ressemblances
qui ne prouvent qu'une chose, c'est qu'il n'y a rien de plus dangereux pour la
science ethnologique que les idées préconçues, et qu'il faut s'en débarrasser le
plus tôt et le plus complètement possible. Les tribus hébreuses émigrées, qui
reviennent si souvent sous la plume du R. P, Petitot, sont vraiment bien
âgées aujourd'hui.
Sous ces réserves, il faut admettre que le livre est bon et beaucoup plus
amusant que ne le sont ordinairement les ouvrages de ce genre. Le style en est
pittoresque et attrayant, quoique rendu fatigant par l'emploi trop fréquent des
mots esquimaux dans le texte, emploi qui n'est pas toujours correct. En par-
lant de la numération, par exemple (p. 74), l'auteur dit qu'un Tchiglek « comp-
tait couramment jusqu'à six, arbuati ; après quoi il reprenait : six-un, six-
deux, six-trois, etc. ; arbuati-aypa, arbuati-ilkia, arbuati-tchitamaty etc.,
jusqu'au chiffre dix, hrolit, c'est-à-dire un tout complet. » Ceci n'est pas exact.
La signification de arbuati est , en effet, cinq-un , et celle de arbuati-aypa,
cinq-deux, de arbuati-iHaa, cinq-trois. Le système est purement demi-décimal,
comme chez toutes les tribus qui parlent des dialectes esquimaux, et comme
VI 17
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246 LIVRES ET BROCHURES
dans la plupart des langues américaines. Si d'ailleurs on consulte Pezcellent
Vocabulaire français-esquimau, dialecte des Tchiglit, de M. Enaile Petitot lui-
même, on y verra que le mot pour six s'écrit d'une manière essentiellement
différente (agvén^lwgit); quelle forme est la vraie?
SoREN Hansbn.
Lewis (T.-H.). Efflgy mounds In lowa. {Science^ n»146, 1885.) — Snake
and Snake-like Mounds in Minnesota. (Science^ n<» 220, 1887.)
M. T.-H. Lewis, qui a fait si bonne justice du malencontreux livre de
William Pidgeon sur les Antiquités indiennes \ s'est donné la mission de
substituer aux inventions de cet archéologue d'occasion des renseignements
rigoureusement exacts. Ainsi que nous l'avons déjà dit, il explore minutieuse-
ment depuis plusieurs années les groupes de monuments les plus importants
de riowa, du Minnesota, du Wisconsin, etc., et publie, en rentrant de chacune
de ses excursions, des notes sommaires qui en résument les résultats. Nous
avons sous les yeux deux de ces notes qui font connaître, la première, divers
mounds représentant des animaux (ef/i^ mounds) découverts dans l'Iowa, la
seconde> d'autres mounds en forme de serpents trouvés dans le Minnesota.
Les effigy mounds dont M. Lewis nous donne le plan et la description,
s'élèvent près du village de North Me Gregor, dans le comté de Clayton ; ils
s'alignent irrégulièrement, au nombre de treize, sur la croupe d'une colline et
occupent, si l'on comprend dans leur ensemble des banquettes allongées un
peu plus loin dans la direction du nord-ouest, une longueur de 2,000 pieds.
Les animaux figurés sont dix mammifères et trois oiseaux, dont il faut
d'ailleurs renoncer à déterminer l'espèce, tant les contours en sont élémentaires.
Les dimensions en longueur de chacun des animaux varient de 79 à 109 pieds,
leur relief atteint deux ou trois pieds seulement*.
Les mounds serpenti formes du Minnesota, dont nous parle M. Lewis, sont
situés soit à Afton, à l'ouest du lac Sainte-Croix, soit près de Red Wing, à
l'est de Spring-Greek, soit enfin au sud du !ac Koronis. Le plus important,
presque droit, atteint une longueur de 534 pieds, c'est-à-dire un peu plus de
la moitié des dimensions du fameux serpent de VOhio ; on distingue assez bien,
à l'extrémité de la queue, trois renflements qui correspondent aux sonnettes de
l'animal. D'autres de ces tumulus serpenti formes s'enroulent de diverses manières
sur des longueurs de !:^ et 300 pieds. On trouvera dans l'article de M. Lewis
la description minutieuse et les mesures détaillées de sept de ces monuments
levés par lui dans les comtés de Washington, Meeker, etc.
Ë. H.
f ) Rmu€ d.Kthnographte. t, VI, p. 165-166.
S) On retrooTC deax de ces maromirères et deux de ces oiseaux en relief dan« ua autre groupe
de qaatre-Tingt.douze monumeuts, exploré près de Soy Me (iill. à trois railles de Clayton, par
M. Frank Hodges.
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THE TERRACOTTA HEADS OF lEOTIHUACAN 247
Zelia Nuttal. The Terraootta Heads of Teotihnaoan. (American Journal
of Archaeology. Baltimore, 1886.)
Presque toutes les collections d'antiquités mexicaines renferment des séries
plus ou moins considérables de petites têtes humaines en terre cuite, hautes
de trois à six centimètres et de formes très variées. On en trouve beaucoup
dans le nombre qui sont simplement des fragments de petites idoles ;
mais la plus grande partie de ces têtes présente un aspect particulier qui
semble indiquer une destination différente. C'est à Tétude de ces têtes, qui
sont trouvées presque toutes aux environs des grandes pyramides de Téoti-
huacan, que M™* Nuttall vient de consacrer un petit ouvrage plein d'intérêt.
Elle a étudié les collections du Museo nacional de Mexico, des musées de
Washington, de Philadelphie, de Cambridge, de Newhaven, et elle possède
elle-même une collection considérable. En mêmetemps qu'elle analysait ces maté-
riaux, M°*® Nuttall consultait avec beaucoup de soin les ouvrages des anciens
écrivains espagnols, où elle a trouvé une foule d'indications de grande valeur,
à peu près négligées jusqu'aujourd'hui. La solution qui résulte de ces études
approfondies n'est pas al)solument neuve, mais elle n'a jamais été présentée
aussi nettement qu'ici, et d'ailleurs l'ouvrage de M"' Nuttall contient nombre
d'observations nouvelles et de grand intérêt.
Les têtes en question, selon l'avis de l'auteur, sont les portraits des per-
sonnes décédées, et en même temps très souvent une sorte d'idoles ornées des
attributs symboliques des dieux divers avec lesquels les décédés étaient en
relations quelconques. Si, par exemple, une personne s'était noyée, elle était
représentée par une tête avec les attributs du dieu Tlaloc; si elle avait été
sacrifiée en l'honneur de Tezcatlipoca, on la représentait avec les attributs de
ce dieu, etc. Les têtes simples, sans coiffure quelconque, seraient les représen-
tations duprofanum vulgus, des morts ordinaires décédés sans phrases et sans
prétentions. Cette opinion est sans doute correcte, et beaucoup des interpré-
tations spéciales de l'auteur sont fort justes et fort intéressantes. Je cite
notamment l'explication frappante et nouvelle de la tête marquée III B sur la
planche*. Elle représente un jeune homme dont la figure est couverte d'un
masque fait de la peau d'une victime sacrifiée en l'honneur de la déesse
Centéotl à l'occasion de la fête Tlacaxipehualixtli.
Il est à regretter cependant que M™« Nuttall n'ait pas pu disposer de maté«-
riaux plus complets ; elle aurait évité quelques erreurs dans la détermination
des pièces, erreurs peu graves, du reste, et elle aurait pu classer les formes
diverses avec plus de précision. C'est seulement faute de matériaux suffisants
que l'auteur regarde ces têtes comme des portraits à ressemblance indivi-
duelle. Il existe en effet des doubles sans aucune différence visible, et c'est un
fait assez remarquable, parce qu'il prouve qu'on regardait la représentation
symbolique de la divinité comme plus importante que celle de la personne
décédée. Il y avait, sans aucun doute, dans l'ancien Mexique, des fabriques
où on faisait ces têtes pour les vendre, tout à fait comme les petites idoles en
I) Le musée du Trocadéro possède six eieroplaires de ce genre.
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2i8 LIVRES £T BROCHURES
terre cuite, poussées également daus un moule. Je reviendrai plus loin sur cette
question.
M. le D' Hamy m'a demandé d'ajouter à une brève analyse de Timportant
ouvrage de M"« Nuttall, un aperçu de la grande collection de tètes en terre
cuite qui se trouve dans le musée du Trocadéro.
Une révision de ces matériaux, dont le nombre est de cinq à six cents pièces,
m'a permis de constater qu'il y existe une série de types bien caractérisés, qu'on
pourrait classer suivant un système qui diiïère essentiellement de celui pré-
senté par M™« Nuttall. Ce système serait fondé sur la forme des corps auxquels
ont appartenu les têtes. Quoique ces corps soient inconnus pour le plus grand
des groupes et relativement rares pour les autres, je crois pourtant que cette
classification est assez pratique. Je sais bien que la seule classification, vrai-
ment naturelle, serait celle ayant pour base les classes d'hommes représentées
par les tôles, mais c'est une chose qu'on ne peut réaliser sans une étude
approfondie comme celle de M°^* Nuttall, et beaucoup plus étendue.
Le premier de mes groupes serait celui des têtes à cou rond ou à pivot, qui
ont été attachées probablement à un corps inconnu formé d'une matière quel-
conque qui n'a pas résisté à l'action du temps. Le cou rond et court n'a jamais
ni perforations ni rainures qui pourraient indiquer un attachement par une
ficelle. La tête doit donc avoir été collée au corps, comme le croit aussi
M^^ Nuttall. Il est du reste bien possible que ces corps n'aient jamais existé, et
que les têtes aient été employées seules. La plus grande partie des têtes à cou
rond sont des têtes pyriformes, les plus nombreuses de toutes et les mieux
connues : le musée du Trocadéro en possède plus de deux cents. Le front n'est
jamais aplati, et il n'y a ni oreilles ni aucune sorte de coiffure, mais la figure
est généralement bien faite et montre beaucoup d'expression. Puis viennent les
têtes triangulaires, avec ou sans coiffure. Ces formes sont très rares, mais on
les retrouve toutes parmi les têtes à cou plat^ qui sont presque aussi nom-
breuses que celles de la première catégorie, mais bien différentes entre elles.
Les têtes à cou plat sont les fragments supérieurs de petites figurines en forme
de momies munies généralement de perforations transversales, dont on voit
souvent des traces bien distinctes aux bases des têtes détachées. Les figurines
entières sont relativement rares, et il paraît que M°« Nuttall n'en a pas vu,
tandis qu'elle a donné une figure d'un corps de cette sorte sans tête (fig. 34).
Il y a deux formes fréquentes et bien caractérisées de ces figurines, et plusieurs
dont on ne connaît que des spécimens uniques, sans grand intérêt. L'une de
ces formes fréquentes montre une personne assise ou accroupie, dont on ne
distingue guère les membres, l'autre représente une personne étendue et enve-
loppée à peu près comme une momie égyptienne. On ne peut pas douter que
les deux formes représentent en effet des momies ou plutôt des corps préparés
pour la crémation. Les figurines rappellent beaucoup les représentations des
morts des manuscrits mexicains, dont M™^ Nuttall a reproduit une vingtaine, et
les yeux des têtes sont toujours fermés. La forme des têtes de ces figurines et
des têtes détachées à cou plat est très variée, mais commune aux deux formes
des corps. (Les têtes pyriformes sont les seules qui n'aient jamais le cou plat,
c'est-à-dire qui n'aient jamais appartenu a des corps en forme de momies).
Généralement le front est aplati et élargi, en sorte que la figure devient plus
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THE TERRACOTTA HEADS OF TFOTIHUACAN 249
OU moins triangulaire, mais cette forme est le plus souvent modifiée par la
coiffure. Les têtes, sans coiffure, portent quelquefois dans le bord supérieur
une encoche plus ou moins prononcée. Une rainure transversale au-dessus des
yeux est un premier vestige de coiffure et ne signifie pas, comme le croit
M™® Nuttall, que la tête a porté une coiffure, en matière différente, aujourd'hui
disparue. Je ne dis pas que les têtes en terre cuite n'ont jamais été munies dune
telle parure, mais je n'en ai jamais trouvé des traces certaines, et jq crois que
M™® Nuttall a exagéré la valeur de celles qu'elle a cru avoir trouvées. A cette
rainure horizontale s'ajoutent des rainures verticales, des rainures horizontales
ondulées, puis viennent les coiffures plus ou moins compliquées dont la des-
cription et l'interprétation spéciale sortiraient du cadre de cette analyse.
Le troisième de mes groupes comprend les têtes en reliefs détachées d'une
plaque. Elles sont peu nombreuses, leur origine et leur destination sont sou-
vent douteuses. En généra], la coiffure de celles-ci est très compliquée, et
la figure elle-même est ornée de symboles divers, surtout de ceux bien connus
des dieux Tezcatlipoca et Tialoc.
Un quatrième groupe est formé des masques. Comme l'indique de nom, ces
têtes n'ont jamais de cou ; elles sont assez souvent creusées par derrière et se
rapprochent graduellement des grands masques sculptés en pierre, en bois ou
en mosaïque. La destination de ces pièces me paraît douteuse, et je n'ose pas,
en tout cas, les ranger sans réserve parmi les représentations des morts^
interprétées par M"« Nuttall. Sans doute il y en a beaucoup qui ont eu une
telle destination, celles par exemple qui ne diffèrent que par l'absence du cou ,
mais le seul fait que les yeux sont assez souvent ouverts doit nous mettre en
garde.
En dehors de ces quatre groupes bien distincts, il y a un grand nombre de
têtes très difficiles à classer. Je ne parle pas des têtes d'idoles parmi lesquelles
notamment celles de la déesse Tonantzin ; je ne parle pas non plus des nom-
breuses têtes d'animaux, généralement d'un travail grossier ou des têtes qu'on
ne peut pas déterminer du tout parce que leur état de conservation est trop
mauvais. Ces pièces n'ont pas grand intérêt, mais il y a, par exemple, une
assez grande série de têtes de singes à cou rond tourné en arrière. Elles sont
coiffées d'un casque pointu, ornées d'énormes pendants d'oreilles et semblent
représenter, suivant M. Hamy, le dieu Quelzalcoatl dans sa forme de Ehecatl,
mais leur destination est jusqu'aujourd'hui inconnue. Probablement elles ont
été employées comme les autres. Parmi les pièces uniques, je ne cite qu'une
très petite tête coiffée d'une sorte de perruque et d'un travail extrêmement fin.
Les représentations des morts par ces figurines en terre cuite, dont les têtes
ont été une des grandes énigmes de l'archéologie mexicaine, appartiennent en
partie à l'époque des Aztèques jusqu'au temps de la conquête, mais la cou-
tume à laquelle elles se rattachent remonte assurément à des temps beaucoup
plus reculés. La collection du musée du Trocadéro contient par exemple de ces
têtes pastillées que M. Hamy a depuis longtemps montré appartenir à la
période toltèque et des séries intermédiaires dont le style caractéristique prouve
qu'il ne s'agit pas exceptionnellement de pièces mal réussies. Ces têtes, aux
figures comiques, sont très souvent ornées des mêmes coiffures qu'on retrouve
plus tard développées el variées. Elles sont faites à la main, et la complication
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250 REVUE DES UVRES
des coiffures prouve que nous n'avons pas affaire à un produit à bon marché
ftibriqué par ou pour les pauvres. Il y en a plusieurs qui présentent les der-
nières traces d'un pastillage sur des figures extrêmement conventionnelles et
grossièrement travaillées, mais on peut suivre le développement de cette spé-
cialité de la céramique mexicaine jusqu'à la fin de la période aztèque, où on
employait des moules finement modelés pour y pousser soit des figurines, soit
des têtes feules. M™* Nuttall a fait justement remarquer que les cous ont été
ajoutés plus tard, mais je ne crois pas avec elle que les têtes aient été cuites
auparavant, puis recuites. Quoiqu'il en sôit, les tètes de bon travail affectent
toutes les formes connues, et les têtes archaïques, les mêmes formes moins
développées, preuve suffisante que c'est l'art de reproduction qui a fait des
progrès, tandis que la coutume de faire un emploi religieux de ces têtes avec
leurs coiffures et leurs attributs divers, demeurait la même. La religion est
toujours et partout conservatrice, et c'était le côté religieux de ces représen-
tations qui était le plus important.
SôREN Hansbn.
Mensignac (de). Sur quelques objets d'Afrique et d'Ooéanie, appar-
tenant au musée préhistorique et ethnographique de Bordeaux.
(Bull, de la Soc. d'Anthrop. de Bordeaux et du Sud-Ouest, U III, p. 68-75,
et pi., 1886.)
Les objets, au nombre de huit, dont il est question dans cette note, sont de
provenances fort diverses, mais offrent ce caractère commun de représenter,
tous, des personnages mâles ou femelles, dont les organes sexuels ont été
exagérés à dessein. M. de Mensignac tire de l'ensemble de ces représentations
la preuve de la persistance de ce qu'il appelle le culte pfiallique jusqu'à la
période actuelle. En ce qui concerne l'Afrique occidentale, la démonstration
est depuis longtemps faite, et ce que répète M. de Mensignac est généralement
connu des ethnographes. Mais on n'en saurait dire autant de la Nouvelle-
Calédonie et des Nouvelles-Hébrides, dont les sculptures ne font que repro-
duire, sans aucune intention spéciale, l'attitude habituelle aux indigènes. Les
pièces, décrites avec soin par M. de Mensignac, n'ajoutent rien à ce que l'on
sait des grandes fougères sculptées de Fatz, ou des pieux de huttes ciselés de la
vallée du Diahot, etc. Quelques lignes sont aussi consacrées par l'auteur à
décrire deux sculptures Maoris où il voit avec raison des figures d'ancêtres repré-
sentées dans leur rôle de générateurs de tribus, et deux statues masculine
et féminine de Râpa Nui, qu'il croit uniques, et qui représentent à ses yeux les
père et mère des habitants de l'île. Le musée du Trocadéro possède deux per-
sonnages des mêmes types qu'il a reçus de M. Cousino ; la déesse mesure
soixante-six centimètres de haut et le dieu en atteint quarante-six. Ils sont
^us deux remarquables par la confection de leurs yeux dont les pupilles sont
formées d'un éclat d'obsidienne enchâssé dans une londelle d'os. Nous revien-
drons quelque jour sur l'étude détaillée de ces deux curieuses idoles, dont la plus
grande semble bien, en effet, symboliser la fécondité et la vie.
E. H.
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ACADÉMIES ET SOCIÉTÉS SAVANTES
ACADEMIE DES HVSCRIPTIOIVS ET DELLSS-LETTRES
Séance du 29 octobre 4886, — M. Maspero analyse diverses publications de
M. LoRBT sur la musique ancienne et moderne de TÉgypte, sur la botanique
des textes hiéroglyphiques, sur les parfums en usage chez les anciens Égyp-
tiens, et présente à TAcadémie des spécimens du kyphi et du tasi, deux par-
fums antiques recomposés sous la direction de M. Loret par MM. Rimmel et
Domerc, et sous lesquels, dit M. Maspero, « se dissimulaient mal certains c6tés
malpropres des mœurs égyptiennes. »
Séance du 42 novembre. — M. Ch. Robert, rectifiant un texte épigraphique
qu'il a autrefois publié, montre que les Gaulois du nord-est comptaient parmi
leurs divinités inférieures, non seulement des déesses mères, matrones, mais
aussi des Minerves, dont le culte est surtout à rapprocher de celui des Junons,
ces poétiques génies des femmes, dont on trouve le souvenir dans la Province
romaine, dans les Belgiques et dans les Germanies.
Séance publique du 49 novembre. — M. Maspero lit un mémoire d'ensemble
sur les momies royales du musée de Boulaq.
Séance du 2S décembre. — M. Heuzey, à l'occasion d'une inscription trouvée
à Paimyre, montre, une fois de plus, combien les déplacements étaient fré-
quents et parfois considérables, sous la période romaine. L'inscription de Paimyre
a appartenu à un citoyen de la colonie romaine de Beyrouth, et l'on trouve
des habitants de cette colonie jusqu'à Pouzzoles, près de Naples.
Séance du 29 décembre. — M. Bbrgaigne étudie les interpolations de cer-
tains hymnes de la Rig Veda Sanhita.
Séance du 4 S janvier 4887. — M. de Nadaillac présente à l'Académie le
bâton de commandement de Montgaudier, qu'avait montré M. Gaudry à l'Aca-
démie des sciences, le 19 juillet précédent. (Cf. Rev, d'Elhnogr., t. V, p. 557.)
M. G. Perrot appelle l'attention de ses collègues sur les fouilles exécutées
au nord de Sfax, par le D' Vergoutre, dans une vaste nécropole de la fin de la
période romaine.
Séance du 24 janvier. — M. Al. Bertrand fait connaître une découverte
récente, faite dans une tombe de femme de l'époque mérovingienne, à Gondre-
court (Meuse). Cette tombe renfermait, entre autres objets, un coffret orné de
lames de bronze estampées, de travail romain, et à l'intérieur duquel étaient les
bijoux, de style barbare, de la défunte. Il n'est pas commun de rencontrer,
ainsi confondues, les œuvres des deux civilisations.
Séance du 4 février. — M. d'Hervey de Saint-Denys a reçu du capitaine
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2o2 ACADÉMIES ET SOCIÉTÉS SAVANTES
Delaunay, de Farlillerie de marine, un morceau d*étofFe de coton, un écbeveau
de fil de soie de cinq couleurs, un petit miroir et un imprimé bouddhique en
langue chinoise, qui se trouvaient enfermés tous ensemble à Tintérieur d'une
idole adorée dans un des temples de Hué. La pièce imprimée porte une date
qui correspond à notre année 1830. « Nous avons là, dit M. d'Hervey de
Saint-Denys, un exemple moderiie d'une pratique ancienne, décrite dans cer-
tains ouvrages chinois. On pensait que l'étoffe représentait la chair ; les fils de
soie, les nerfs et les vaisseaux et le miroir, Tintelligence ; Je tout devait complé-
ter l'incarnation de la divinité figurée par la statue. » C'est après l'introduction
du bouddhisme, que les Chinois ont commencé à représenter des esprits sous
des formes sensibles, mais c'est seulement à l'époque des Tângs (viiMx« siècles),
qu'ils ont imaginé de renfermer ces symboles matériels à l'intérieur de leurs
idoles.
M. Al. Bertrand présente une collection de bijoux francs, trouvés à Cour-
billac, près Jarnac (Charente), par M. Delamain, et insiste sur l'intérêt de cette
découverte. On sait, en efTet, que les sépultures de cette période sont très
rares entre la Loire et la Garonne.
Séance du 44 février, — M. Héron de Villbfosse communique une note de
M. le lieutenant-colonel de la Noé sur un calendrier de l'époque gallo-romaine,
trouvé à Grand (Vosges). Ce calendrier a la forme d'un disque de bronze, me-
surant exactement un pied romain de diamètre ; il est percé, à peu de distance
de la circonférence, d'une série de petits trous, qui correspondent chacun à un
jour de l'année. Des inscriptions, placées en face de quelques-uns de ces trous,
désignent les calendes, les nones et les ides de chaque mois. Il y avait ainsi
quarante-huit jours dans l'année dont le nom était inscrit sur le disque, le nom
des jours auxquels correspondaient les trous non pourvus d'inscriptions est,
dès lors, facile à suppléer au moyen d'un calcul très simple. L'objet principal
de l'instrument était d'indiquer la longueur du jour à chaque époque de
l'année. Un point a été fait dans le disque entre le centre et la partie de la cir-
conférence consacrée aux mois d'hiver, et placé de telle sorte que sa distance
aux trous des divers jours est proportionnelle à la longueur de ces jours, et
inversement proportionnelle à celle des nuits de la même époque de l'année.
On sait que chez les Romains, la connaissance exacte de la longueur des jours
était nécessaire pour régler les clepsydres. On comptait, en effet, douze heures
en toute saison du lever au coucher du soleil, et l'heure augmentait ou dimi-
nuait selon la saison, en proportion de la durée du jour. Le calendrier de Grand
semble réglé pour la latitude de Rome.
M. Héron de Villefosse fait observer que ce calendrier, dont la construction
paraît appartenir au ip siècle de notre ère, devait porter une réglette pivotante,
qui en facilitait la lecture.
M. d'Arpois de JuBAiNViLLE étudic les nomenclatures géographiques des
domaines ruraux de l'ancienne Gaule, et montre que leurs noms sont, pour
une certaine part, des noms de familles (-gentilicia) rotaaines, auxquels on a
accolé le sufBxe gaulois ac. Les autres sont des dérivés en actis de cognomina,
ou bien des composés dont le mot magus, champ, est le second terme, le pre-
mier terme étant un cognomen.
Séance du 48 février. — M. Deloche, à propos des études de M. d'Arbois
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ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES 253
DE JuBAiNYiLLE sur la nomenclature des domaines ruraux en Gaule, compare
Téiat de la propriété foncière chez les Gaulois à ce qu'était cette propriété chez
les Arabes d'Algérie au moment de la conquête. Nous avons trouvé parmi les
indigènes deux régimes de propriété des terres. La plus grande partie du sol
était exploitée en commun par chaque tribu ; le cheikh désignait chaque année
les terres à cultiver et celles qu*on devait laisser en jachère, et, d'autre part, il
existait des fermes, composées d'un bâtiment entouré d'un domaine, qui appar-
tenaient à des particuliers. Ne pouvait-il exister de même chez les Gaulois une
propriété commune et des propriétés privées ?
M. d'Arbois de Judainville ne le pense point. Au temps de l'indépendance,
chacun des trois cents peuples gaulois était propriétaire de son sol, qu'exploi-
taient les citoyens les plus aisés, auxquels le peuple en affermait la possession
à titre précaire. Par le fait de la conquête, toute la terre fut réunie à Yager
publicus de Rome, mais les particuliers qui la cultivaient en conservèrent
l'usage, et la création d'un cens transfo/ma cette possession en propriété effec-
tive.
Séance du 4 mars. — M. Heuzey fait une communication sur quelques
cylindres et cachets en hématite de l'Asie-Mineure, récemment donnés au Louvre
par M. Sorlin-Dorigny, et provenant des populations antiques désignées habi-
tuellement aujourd'hui sous le nom des Hittites. Le dessin des figures gravées
sur ces petits monuments rappelle celui des produits similaires de l'art chal-
déen, mais ce qui caractérise particulièrement la glyptique de l'Asie-Mineure
et la distingue bien de celle des Assyriens et des ^Babyloniens , c'est l'abon-
dance des bordures et des encadrements à ornements enroulés, qui rappellent
la décoration de Mycènes.
M, Perrot signale à ce propos une nouvelle, répandue en Angleterre depuis
quelques jours, suivant laquelle le capitaine Couder, du Palestine Exploration
Found, aurait trouvé la clef du déchiffrement des inscriptions hittites, et se pré-
parerait à publier sur la matière un mémoire très important.
Séance du 44 mars. — M. de la Blanchère résume les découvertes les plus
récentes faites en Tunisie, et en particulier celles de M. Texereau à Arch-
Zara, et de M. le D' Vercoulre au nord de Sfax. M. Texereau a mis au jour,
dans l'ancienne Sallectum, toute une catacombe, dont la disposition est celle
des catacombes de Rome, et M. Vercoutre a successivement rencontré les
restes d'une église, d'un baptistère, de tombeaux de l'ancienne communauté
chrétienne de Taphrura.
Séance du 25 mars. — M. Heuzey lit un mémoire intitulé : La colonne en
briques inventée par les architectes chaldéens.
Séance du 4^' avril. — M. Abel des Michels lit un mémoire sur le Chi-lou-
koué-kiang-yU'tchi, traité de géographie des seize royaumes, pour la plupart
d'origine hunnique, qui furent fondés au commencement de notre ère dans le
nord de la Chine. M. des Michels prépare une traduction de cet ouvrage, qui
mettra à la portée des historiens et des géographes une source d'informations
abondantes.
Séance du 6 avril. — M. Philippe Berger communique une inscription
phénicienne de Dali (Chypre), qui donne les noms de trois rois d'une dynastie
phénicienne qui régna sur une partie de cette Ile au v« siècle avant J.-G. Le
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S5i ACADÉMIES ET SOCIÉTÉS SAVANTES
retour de la prédomifiance grecque mil fin au pouvoir du dernier de ces rois,
Ters Tan 410, mais on pea plus tard, à la chute d*Evagoras, uoe nouvelle
dynastie phénicienne s'établit dans le pays et s'y maintint jusqu'à l'arrivée des
Ptolémées, vers Tan 312.
Séance du 45 avril, — M. Charnay communique un mémoire intitulé : La
monnaie de cuivre en Amérique avant la conquête. Après avoir rappelé que
les Mexicains et les Péruviens savaient travailler le cuivre avant la venue des
Espagnols, M. Ghamay décrit les haches de ce métal,- dont il est question dans
les listes de tributs payés à Montézuma par certaines petites villes, et s'efiforce
de montrer que les pièces en forme de haches qu'on a découvertes au Mexique»
ne peuvent pas être toutes des armes ou des instruments de travail, mais que
certaines de ces pièces, remarquables par leur petite taille et leur minceur,
doivent avoir servi de monnaie. Il montre à l'Académie une série de ces haches-
monnaie, de grandeur et d'épaisseur variées, provenant de l'Etat d'Oaxaca.
M. BuHOT DE Kbrsbrs aunoucc la découverte d'une sépulture gauloise sous
un petit tumulus, à Lunery (Cher). La sépulture contenait un squelette, à côté
duquel gisaient une épée de fer, un bracelet et un rasoir de bronze.
Séance du 29 avril, — M. Bertrand résume ce que l'on connaît des décou-
vertes faites autrefois par M. Joly-Leterme, dans la grotte duChaffaud, com-
mune de Savigné, près Civray (Charente), et décrit notamment un os gravé
représentant des rennes et qui, catalogué d'une manière erronée au musée de
Cluny parmi les objets celtiques, a repris sa vraie place dans la série des
antiquités de l'âge du renne, depuis qu'il a été déposé dans les collections du
musée de Saint-Germain.
M. J. Halévy lit un mémoire sur la langue du peuple asiatique connu sous le
nom de Khéta, Haïti ou Hittim, Il étudie spécialement les noms d'hommes et
les noms de lieux mentionnés dans les textes assyriens consacrés à ce peuple
et conclut cet examen en assurant que les Hittites ou Khéta parlaient une
langue sémitique intermédiaire au phénicien et à l'assyro-babylonien.
M. Oppsrt admet qu'une partie des noms cités par M. Halévy sont en effet
d'origine sémitique, mais il fait remarquer que pQur un bon nombre d'autres
il est actuellement impossible de dire de quelle langue ils proviennent. Il paraît
d ailleurs à M. Oppert que l'étymologie de quelques noms propres, fût-elle
d'ailleurs sûrement établie, ne saurait fournir des conclusions assurées sur la
langue parlée dans la région où ces noms se rencontrent.
Séance du 6 mai, — M. Oppert analyse divers contrats babyloniens du
temps de Nabuchodonosor et de ses successeurs, dans lesquels sont men-
tionnés des Juifs vivant en Babylonie.
M. Pavet de Courteille lit la pré&ce d'une traduction du Tezkereh^ qu'il
termine, d'après un manuscrit ouïgour de la Bibliothèque nationale.
E. H.
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EXPOSITIONS, COLLECTIONS ET MUSÉES
Les collections ethnograpiiiqnes dn cabinet d'histoire naturelle
de Cherbourg.
La ville de Cherbourg possède, depuis i830^ un cabinet d'antiquités et d'his-
toire naturelle, primitivement composé d'oi^ets achetés aux héritiers d'un col-
lectionneur instruit, et enrichi, depuis lors, de dons assez nombreux, dus sur-
tout à la marine.
Le port de Cherbourg a longtemps armé au long cours un certain nombre
de navires, qui visitaient des archipels encore peu fréquentés, et en rappor-
taient en particulier des objets ethnographiques, aujourd'hui devenus très
rares.
Les premiers accroissements du cabinet ont donc été assez rapides ; mais,
par suite de circonstances de force majeure, cet établissement se trouva relé-
gué, pendant plusieurs années, dans un des greniers de l'hôtel de ville
où il a beaucoup souffert. Le malheureux musée renaît aujourd'hui de ses
ruines ; le public s'y intéresse, on lui a donné un local assez convenable, et
l'on vient de mettre à sa tète un des hommes les mieux préparés à prendre
la direction d'un établissement de ce genre, le commandant Jouan, dont nos
lecteurs connaissent les écrits, nombreux et variés, sur les contrées lointaines
où l'ont conduit de longues campagnes maritimes.
Dès son entrée en fonctions, M. Jouan a mis de l'ordre dans la collection
ethnographique, et il en a dressé un état sommaire, qu'il a bien voulu nous
transmettre, et dont voici l'analyse :
Il résulte d'abord de cet inventaire, que l'on n'a fait aucune tentative jusqu'à
présent dans la Manche pour recueillir les débris de l'ethnographie locale, et
que les seules collections indigènes sont des collections d'instruments en
pierre et en bronze ramassés dans les environs de Cherbourg. Les stations
de l'âge de la pierre polie, explorées au profit du cabinet, sont celle de Bret-
teville-en-Saive, à quatre kilomètres à Test de la ville, qui a fourni une qua-
rantaine de silex taillés de divers types, et celle de la Hougue, représentée par
dix-neuf pièces. D'autres haches en silex, en diorite, etc., plus ou moins bien
polies, ont été trouvées dispersées ; l'une d'elles est remarquable par sa lon-
gueur, qui atteint vingt-six centimètres, et sa belle coloration de café au lait
clair.
Les celts en bronze se rencontrent fréquemment dans certaines parties du
département de la Manche ; un grand nombre de ces pièces ont été jadis mises
à la fonte par les fabricants de chaudrons de Villedieu-ies-Poëles. Le mu8é«
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256 EXPOSITIONS, COLLECTIONS ET MUSÉES
de Cherbourg en possède néanmoins une belle série, et l'on y voit aussi des
épées du même métal, des fibules, enfin un moule en bronze à couler les celtSj
découvert à Thédille, à quatorze kilomètres à l'est de Cherbourg, moule qui a
été longtemps le seul connu de son genre.
Les collections asiatiques de Cherbourg se composent principalement d'une
belle suite de monnaies chinoises , dont quelques-unes très anciennes ; les
légendes en ont été traduites par le R. P. Dulac, missionnaire en Chine, qui
fut massacré, avec d'autres Européens, quelques jours avant l'entrée de l'armée
franco-anglaise à Pékin, en 1860. Le musée a reçu, en outre, de cette expédi-
tion, une hallebarde chinoise, à manche peint en rouge et dorée, provenant
d'une pagode du Peïho ; quatre fusils à mèche, des forts de l'entrée de cette
rivière ; un arc chinois ; une cloche en fonte de fer, haute de 0™,49 et large, à
la base, de 0™,38 ; deux magots sculptés dans des racines ; une statuette en
bois doré d'un ancien empereur; deux tablettes ancestrales, en bois, creusées
en niches et peintes d'un rouge vif; le tableau d'arrière d'une jonque, portant
à son centre les caractères qui correspondent au mot Canton; enfin, un ex-voto
provenant d'une pagode de cette dernière ville. Cet ex-voto est un grand
tableau rectangulaire, de l'",50 sur 1™,12, arrondi aux angles et bordé de bois
sculpté, où se découpent des dragons, des fleurs, etc. Au milieu du fond,
peint en bleu foncé, se lisent deux grands caractères dorés, emblèmes du
« Bonheur. » D'autres inscriptions, peintes en rouge, doivent, suivant M. Albert
Fauvel, de Cherbourg, ancien officier des douanes chinoises, se lire de la ma-
nière suivante. Cefle d'en haut signifie : Par faveur impériale ; celle de
gauche : Offert par le ministre Ouang-Tchen, de la province de Canton; celle
de droite : 7* année, 12* mois, 5* jour du règne de Tchen-Fung.
Le Japon n'est représenté que par cinq volumes illustrés modernes ; contes
et légendes populaires» récits d'histoire naturelle à l'usage des enfants ; l'Inde,
par un de ces grands boucliers ronds en cuir noir, à six clous de métal, qu'ornent
de beaux dessins dorés représentant des oiseaux et des fleurs ; la Corée, enfin,
par un portrait de femme, grossièrement colorié, haut de 75 centimètres, et un
sabre, qui diflière peu des sabres japonais ^ Des chapeaux coniques , des
chaussures de femmes et cinq cris de formes différentes, rappellent la Malaisie.
Les autres parties de l'Océanie sont beaucoup plus riches, et la collection des
Marquises est particulièrement intéressante.
La pièce la plus remarquable de cette dernière série est un morceau de tuf
volcanique sculpté, de couleur rouge brique, mesurant C'",28 dans sa plus grande
longueur, et qui représente une tête de porc(fig. 38). « Cette tête, ditM. Jouan,
a été trouvée, en 185i, dans un ancien lieu de sépulture, véritable lucus, près
duquel les naturels ne passaient qu avec épouvante, dans le haut de la vallée
de Havao, baie de Taio-haë, île Nukahiva. Nous avions coupé, pour des répa-
rations indispensables au gouvernail de notre navire, une branche d'un énorme
kalophyllum inophyllum dans cet endroit, très iapu, et les naturels ne man-
quèrent pas d'attribuer à ce sacrilège l'invasion d'une épidémie de grippe, qui
1) « Il oe diffère des sibres japonais, dit M. Joaao qui a rapporté cette pièce de la prise de Kong-
Hua en 1S66, que par aoe plaque de fer, de forme octogonale, guillochce et bordée de cuivre jaune.
î)es caractèrei chinois sont peints en rouge sur un des raté* du fourreau qui est noir et chagriné. i*
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COLLECTIONS ETHINUGRÂPH1QUES DE CHERBOURG
257
sévit sévèrement sur notre équipage. Avec la tête de porc, nous trouvâmes
une grande quantité d*ossements humains en décomposition, des os de cochon,
plusieurs tiki en pierre rouge pareille, dont un, haut de près de 0™,80, est
actuellement à Cherbourg... Dans toutes les îles polynésiennes, ajoute
M. Jouan, on trouve des idoles de pierre, mais ces idoles rappellent plus ou
moins la figure humaine. Cette tête de porc pourrait bien être unique.,. »
Les images de Tiki dont il est question dans la note que nous venons de
transcrire, sont à peu près les seules que la sculpture reproduise aux îles Mar-
quises. Tiki est presque le seul dieu du panthéon noukahivien, dont nous con-
naissions la figure ; il a, le plus souvent, Taspect d'un personnage masculin,
sans emblèmes particuliers, mais couvert de tatouages. On le voit figuré^ plus
^ Ho«ijj?^m. )|(.
Fig, 38. — Tète de porc en tuf volcanique. Vallée de Havao, Nakahiva.
{Musée de Cherbourg,)
ou moins naïvement, sur les bâtons de fêtes, les manches d'éventails, les
pédales d'échasses, etc., etc. La forme la plus remarquable qu'il affecte, est
celle d'amulette pour la pêche. Le cabinet de Cherbourg possède un de ces tikis
en lave, que les marius de Noukahiva jettent à la mer, attaché à leurs filets,
pour avoir une pêche heureuse.
Les bâtons ornés du tiki sont appelés, suivant M. Jouan, tokotoko pioo, et
portés par les femmes dans les koika, ou grandes fêtes publiques. Ce sont des
bâtons en bois dur (toa), de 1",60, terminés par une pomme en cheveux
tressés ; le cabinet de Cherbourg en possède deux exemplaires. On y voit éga-
lement un grand casse-téte (i™,30), (uu)^ à face humaine, bizarrement sculptée
sur sa palette ; une sagaie en bois dur ; deux de ces larges pagaies (hoé), ser-
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258 EXPOSITIONS» COLLECTIONS BT MUSÉBS
yant à la lois de gouvernail et de massue, et dont la longueur atteint 2m,20 ;
deux marche-pieds d'échasses (tapu-vaè) ; un pilon en lave pour écraser le fruit
de Tarbre à pain dans la fabrication de la popoi (ekea tuki popoi) ; deux pièces
d'étoffe (tapa), faites avec le liber battu du mûrier à papier ou du ficus reli-
giosa ; deux boucles d*oreilies (jputatata), sculptées en ivoire de cachalot, et qui
se portaient passées dans un trou pratiqué au lobule ; une série d'ornements
en cheveux pour la ceinture [hope moa), les poignets {tope pu), les chevilles
(poè) ; un autre ornement de même matière, mais garni d'une calotte et d'un
cordon en tapa, que les hommes tiennent à la main dans les cérémonies des
koika*', un éventail, insigne des chefs Marquesans, en fibres de corypha
tressées et dont le manche en bois est sculpté en forme de tiki; un paè kouachi,
coiffure des vieillards, formée d'une simple feuille de dracama repliée sur elle-
même ; le tavaha, cet ornement si caractéristique que les hommes portent dans
les fêtes, et qui encadre toute la face dans un énorme éventail de plumes de
coq, de 50 à 60 centimètres de diamètre : enfin, le patoka, trompette de guerre
faite d'une grosse coquille de triton variegatus, munie d'une embouchure
formée d'une petite courge évidée.
Les autres archipels océaniens sont représentés par une quarantaine d'objets,
plus ou moins précieux, parmi lesquels nous mentionnerons un beau masque
de danse de la Nouvelle-Islande, haut de 25 centimètres, large de 19 et long
de 37, représentant une tête monstrueuse, et un beau casse-tête tongan, en
forme de pagaie aplatie, très finement ciselée. L'Afrique compte quarante-
cinq pièces environ, toutes du Sénégal, du Gabon ou de Madagascar. Les plus
remarquables sont un sceptre pahouin, en bois noir très dur, terminé par une
tête humaine à barbe pointue, grossièrement sculptée, et une flèche pahouine,
à pointe de fer, au tranchant transversal. Enfin, l'Amérique montre une
dizaine d'objets eskimos, rapportés par la corvette la Recherche, armée à
Cherbourg en 1834 pour aller explorer les parages où s'était perdue la canon-
nière la Lilloise, commandée par Blosseville.
La plupart des objets que nous venons d'énumérer sont en bon état, et la
collection qu'ils forment, si petite qu'elle soit encore, mérite d'être signalée à
l'attention des spécialistes. Confiée au zèle éclairé du commandant Jouan, elle
ne peut manquer de reprendre un développement momentanément interrompu,
et d'absorber à bref délai les nombreuses séries d'objets exotiques, pénible-
ment recueillis jadis par nos vieux marins de Cherbourg, et qui se perdent
dans les greniers, les caves ou les jardins de la ville, gr&ce à l'ignorance ou à
l'incurie de leurs possesseurs actuels.
E. H\MY.
I) Ces dWers ori^sments ont pu ètrH conrectionoés autrefois avec des cheveux denneniin tuésiû U
guerre, comme on se pUît-à le répéter. M. Jouan nous assure qu'aujourd'hui ils se fabriquent avec
des cheveux de femme.
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CORRESPONDANCE
Notes ethnographiques et archéologiques recueillies au M aroo
Sèvres, 4 mai 1887,
Voici ]e très courl relevé de mes notes marocaines relatives à Tethnographie
et à Tarchéologie. La coiffure des Berbères du Rif, qui ont une colonie à
Tanger, consiste en une touffe de cheveux longs sur le c6lé droit, réunis en une
grosse tresse qui pend jusqu'au niveau de la mâchoire. Le côté gauche de la
tête est entièrement rasé. Le fils du caïd des Beni-Metîr, qui vivent au sud
du chemin de Fâs à Mekn&s, avait aussi la longue mèche à droite. Monté à
poil sur son coursier, ce gamin de quinze ans aurait pu donner une idée juste
des cavaliers maurétaniens ; j*avais gagné sa confiance en causant en route et
je comptais le photographier au camp ; il avait disparu... Les Beni-Met!r, dont
ce jeune garçon faisait partie, nous avaient fourni une escorte ; mal montés,
assez sales, ils parlaient berbère et quand je les interpellai dans leur langue,
ils furent littéralement stupéfaits.
^'ai vu près de Mahdouma, sur la roule de F&s à Mekn&s, un ancien cime-
tière formé de tombes ovales, dont des pierres enfoncées en terre marquaient
les contours ; sur la même route, une fois TOuâd Djedéïda dépassé, à gauche
du chemin, il y a une grande enceinte de pierres brutes, ouverte du côté est.
Serait-ce un oratoire musulman ? D'autres enceintes ovales de pierres brutes
se voient à Sidi-Ël-Yemani. Elles ne peuvent pas être des tombes musulmanes,
puisque ni Tune ni Tautre des extrémités ne regarde le sud-est.
J'ai encore noté l'existence d'un cimetière avec tombes préhistoriques autour
d'un marabout, entre i'Ou&d Meharhar au nord et l'Ou&d Melilih au sud.
Les têtes de deux habitants d'Açilâ que j'ai mesurées avaient, la première
0in,53 de tour et 0°^,23 de la naissance des cheveux à l'extrémité du menton,
la seconde 0",58 de tour et 0™,20 de la naissance des cheveux à l'extrémité
du menton.
H. DUVEYRIER.
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NECROLOGIE
SAMUEL KLEINSCHMIDT
Un des plus remarquables américanistes de notre temps est décédé en
février 1886, à Godthaab, Groenland. Né dans ce pays de parents allemands,
appartenant aux frères Moraves, Samuel Kleinschmidt a vécu longtemps comme
missionnaire parmi les Esquimaux Groenlandais, mais des dissidences, dans le
détail desquelles il est inutile d'entrer ici, le séparèrent de la société des
Moraves. Le gouvernement danois lui offrit alors une place de professeur au
séminaire ecclésiastique de Godthaab, il a occupé cette modeste position jusqu'à
ses dernières années.
Kleinschmidt a publié une grammaire esquimaude. Grammatik der grôn-
làndischen Sprache mit theilweisen Einschluss des Labrador dialekts, Berlin,
4854^ œuvre très importante, qui est encore aujourd'hui la source principale
de nos connaissances en cette langue. Son dictionnaire grôniandais-danois :
Der grônlandske Ordboçy Copenhague, 4874 , est un des vocabulaires les plus
complets qui existent d'une langue primitive. Kleinschmidt avait aussi préparé
un vocabulaire danois-grônlandais qui n'est pas encore publié et traduit en grôn-
landais et imprimé lui-même une grande partie de la Bible et toute une série de
livres d'enseignement.
 côté de ces travaux de linguistiqu e, il nous faut mentionner encore les
recherches géographiques de Kleinschmidt, auxquelles on a dû, jusqu'à ces
dernières années, la carte la plus exacte du pays, et surtout mettre en lumière
ses efforts infatigables pour améliorer la condition sociale de ses chers
Grônlandais par l'instruction publique et par une sorte de constitution relative-
ment indépendante.
SôREN Hansen.
CH. MANO
Ch.' Mano, mort à bord du Saint-Simon, le 30 avril, au moment où il rentrait
en France prendre un repos largement mérité, s'était depuis de longues années
voué à l'étude de l'Amérique latine, qu'il avait parcourue en tous sens, accom-
pagné de sa courageuse femme. Ses recherches et ses découvertes dans les
Républiques du Centre, le Mexique, le Brésil, etc., sont consignées dans un volu-
mineux manuscrit que Mano comptait publier après son retour et que M°* Mano
a rapporté en France avec les collections d'histoire naturelle et d'archéologie
de son mari. Espérons que ces écrits, qui paraissent renfermer beaucoup de
choses inédites sur les antiquités et l'ethnographie du Nouveau Monde, pourront
prochainement paraître, et que tant d'efforts péniblement poursuivis ne demeu-
reront pas inutiles au progrès des études américaines.
E. J.
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BIBLIOGRAPHIE
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ris, Hachette, 1 vol. in-12, 68 grav. et 2 cart.
Pilatte (D""). Sydney, liouméa , baie du Sud, souvenirs et impressiojis de
voyage. {Bull, de la Soc. de géogr. de Marseille, t. XI, p. 337-364, 1887.)
Le Directeur de la Revie, L' Éditeur-Gérant,
K, T. HAMY. Kr.nbst LEROUX.
ANGERS, IMPRIMERIE DURDIN ET C^^ RUE GARNIER.
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ERNEST LEHOUX, ÉDITEUR
Eue BonapMtQ; 26
ÏINISTÎRÏ DE L'ISSTRtCTKlN PlIBLlIillE ET DES «EAUX-ARTS
ANNALES DU MUSÉE GUIMET
TOMK I
Becueil de Mémoires de MM. Gui m et, Hîgnard, F. Chabas, E. NavilJe^
E. Lefèbure, Garciïi de Tassy. P. Regnaud, C. Aiwift^ L. HeMillouè, J.Dupoîs^
Eileî, Phibstre, Ymaùoumi, Tomii et Yamata. in-4, avec planches, . !5 fr^
TOME 11
Becueil de MémoîreatJe Max Wullêr, Ym^iïzôumî, P. Regnaud; L. Fetr^
Csomri df Kœrœs. în-4j avec pîafichea , . . * - » . * , , . 15 fr.
TOME m
Le BouddMsme au Tibet, par E. rie SrhfaginUveit, traduit par L. de^
MiHoué, Iiï-4, avec 48 planches - 20 fr,
TOME IV
Hecneîl de Mémoires par E. Lefébur^, F* Chabas, A. Coiioi), P,Regnaud,.
J. Edkîne^ L, lieMilloué, ln-4, avec 12 planches 15 fr.
TOME V
Le Kand jour, recueil des Urres sacrés du Tibet. Frûgments Iraduils par
Uwt Peer, ln-4, dedOO pages .*.....**..*. 20 fr,
TOME Vï
Le Lalîta Vistajfa (dêveloppeTunnt <îeg jeux), CûTîtenanl l'histoire <fii»
Bouddha Çakya Moimi, depuis sa naîssunce jusqu'à pa prédication, traduit du
Sanscrit par 'Ph, Ed. Foucaux, l^»* partie, traduclian française/ ln-4, avec
planches, ........-,.....,*.., 15 fr,-
TOME VU
Recueil de Méznoîres par A. Bourquio, Scnalhï Radja, L, de M il loué»
A. Locftfff, Coonmni Swaniy* J, Herson da Cunha, P. Regnatid. In-4 de-
508 page5 el 0 planches. . ' , , . . 20 fr.
TOME vm
Le Ti Ëjng, ou Livre des changements de la dynastie des Tcheou, traduit
pour la première fois du chinois en français a?ec !ï*s comroentaîreSi par P. L.
F. Philaslre. Iti-i .,.,.....-. 15 Ir,
TOME IX
Les hypog'éefi royaux de Thèbes, par M. Ë. Lefébure. Le fombeau de
Séti I*^^ Un volume in-4| avec 136 planches ,.*,,...> 75 fr.
TOMEX
Recueil de Mémoires de MM. C* Rau, José Veri^simo, S. Habt'l,.
A. BasLian. Tomii, S. J. Warren, P, Regnaud, J. Lieblein, Baïin, A. Wîede-
manrt^ L, de Millouè^ V* Loret, ClermonUQanneau, etc. fn4, avec 24 planches
hors texte , , . , 30 fr,
TOMES XîetXH
Les fêtes des Chlnoia* annuefïement célébrées à Émoui {Amny), Étud^
concernant la religion popufaiie des Chinois, par J* M, de Qrool. 2' voîutnea
m-4| avec 24 planches en héliogravure . , , . , 40,fr-
Vne remîne «le 2S */g «af offerte niix iic1i«t«tirft île Ia eAlleellan e^mplète
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ERNEST LEROUX, Editeur
28, HIE BOXAPABTE, 28
RECUEIL
D'ARCHÉOLOGIE ORIENTALE
CH. OLEBMONT-GANNEAU
COHHESJiO.XDÏNT l>!« l.'lXSTITl'T
limKCTÏtJK-AWOlST A CtClitt Dli3 KACTg»-l!Tlini!»
LE ftËCUEIL D'ARCHÉOLOGIE OHIENTALE publié par M Clih.
UrtîTT-GAXNKA,:, parail pa,- fafçicult^ dt cinq f.uilk, in-S acte planche, et gravures.
S tMcJculrtâ formant un volume. — CUiqoe faacicate se veod 5 tnju».
Ou «uscrit a» v^ilume complet â l'ecevoir ft-anoa (par fa.cl<!«le» ou n^ vol,nn^)
ras'frJw ~ ''" P"'*'''""'°° "^"^ '«'«'»« teruiiaée, te prii eu ,era porté
SOMMAIRE
cealss.- L- sceau' Je ObaJyJ.o^, CT^nZc^Zs^ itrJ^ ^'T. '"^^'"
(I planches et ^ gravures dacia le le^te,)
(tî plauchea et S7 gravure» ài^m le teste.)
ifcrilure cypriote. - Eip ralfon d'in inT^nJ/W^'''"?' j'™ "»»«'«• J«n«
gîre, ^ iQàrr oUon îÎu Mlifi» Fi y^.iut £,'*^«î*^'«e nu premier a^ècle de Hé-
eanela .ûlr/irri.n Q^ ouf^^^^^^^^ .P'^^'^e du traité
(1 p(aucbe et ti grarurei Jaiu le teste.)
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REVDE
D'ETHNOGRAPHIE
PURLIÊE SOCS LES AUSPTCKS DU MtXÎSTÈlïlr: DI! L'INSTRUCTION PDBUQUE
ET DES Bi:\UX*AttTS
Par le D^ HAMY
TOME SIXIÈME
N- 4. - Juillet 'Août.
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, HiîK nnxMMUTi:, 28
1887
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SOMMAIRE
Les Sauv^igea d u Pér û u . . . é . p , . , * « . t < ,..,...* D. Okïm» aiur.
Les PjgiDêes à Maduga^car *-*,..»***♦.,,.,..,,..,,.-,, M. Leclshc,
Les Insulaires de Runié {ile das Pios) .....,,.»,.,..*,,-.,,.., Giaukoht,
BiattoQ» préhULoriqueà de fout^d Rir' » , . * . . . , * , H. Jm,
Vahiétés : s
A propoa de Tamoanchau . .., » ♦♦i ,,.,..,..,..,., * .... , . . , D. Chaiw/it.
RftVllES ET A.HALYSES* ^ LlVHKS Et BnOCm^RKS 1
IL JouujL PrîtpUmeni de fa Pot^néjtie . . . . , , * ... -,...*. M. Leclerc.
H. Jouan. Les légeadi*ii de^ îles llawiti .* ,.....,.,.,....*. Id.
Maû. .4 brkf aa:tmtii of Ihe Nkohfîr Islands ♦ .,*.,... Dk-viker .
tinischet. Linguiitk Fftmiiies of iha Indîan Trîhes Nvrth of
Mexico .♦.»•,.,..,..» ,.. ^ .,,....-..,,*. . . ... ,,**.,.» Jd*
CONDITIONS DE LA PUBLICATION
La REVUB D^ETHNOGRAPHIE paraît lous les deui mois» par ûtscicules m-^
rmEUïf de 6 ftïuilles d'Impression, richement iUugirées .
Prix de L*aboiiiiôm6&t annuel • Paris. , .-*... 25 fr. »
^ ^ DépurleiDénls *...., . 27 50
^ — ihranger.. **..,*,......,. , 30 «
' Un numéro, pris aa Bureati . * . , 5 »
TARIF DES ANNONCES
Une page ,,.... , . . ^ ►*.,..,....,. 30 fr, t»
Une 1/2 page, .,, , . . - - 30 »
Touâ tes outrages envoyés à la l:ievue y seront annoncés et ^ s*il i^ a Ueu^ unalyjiés,
S'adres&er, pour iouLce qui concfitoe U llûdiictiou, au D' HAMY. 40, me de Lubnck»
EllNEST LEliOUX, éditeur, rue Bonaparte, 28, Paris,
G. DUMOUTIEH
IflSPECIiim DS L*BMSE|0:VB3IB.>T rBA?£^;0'A^f3JAMITE AU TOfîM«
ESSAI SUR LA PHARMACIE ANNAMITE
Détermina lion de 300 plantés et prodiitls indï^t-nes, avec leur nooi en onnamitt'i
fit français, t*n latin et *^n cluuoiâ, et riiidif^^itlon dt* \eurt> quîUUcsî thérapeutiques
d'aprt'ê iési'phiirmacopécs amiamites et cbijioîries. lû-S , » , , . 2 Ir. 30
LES DÉBUTS DE UENSElGNIilENT FRANÇAIS AU TONKIN
1(1-8. • . i rr. 50.
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MÉMOIRES ~0tlIGIN AUX
LES SAUVAGES DU PÉROU
Par m. olivier ORDINAIRE,
Vice-Consul de France au Caliao.
I
Les Indiens du Pérou qui, par la multiplicité de leurs langues,
semblent avoir des origines très diverses, se classent en deux
groupes: 1° Ceux qui sont soumis aux lois de TËtat; 2° ceux
qui ne dépendent du gouvernement de Lima par aucun lien
administratif.
Les premiers peuplent la côte du Pacifique, la Sierra et
quelques vallées de la Montaùa. Ils faisaient partie déjà de
Tempire des Incas, et ils ont laissé de nombreux monuments de
leur civilisation antérieure à la conquête. La plupart com-
prennent plus ou moins l'espagnol, mais ils parlent communé-
ment entre eux leurs langues primitives, dont la plus répandue
est le quichua. Les Indiens de cette première catégorie ont été
et sont actuellement l'objet de nombreux travaux ethnogra-
phiques, les investigations étant faciles dans un pays ouvert
aux étrangers et dont le climat est d'une éternelle sérénité, où
nulle végétation ne masque les ruines, où les moindres reliefs
ressortent sur un sol nu, où la terre enfin semble avoir la pro-
priété de préserver de la décomposition les corps organisés
qu'elle recouvre .
Les indigènes du second groupe, auxquels je consacre cette
VI JUILLET-AOUT.
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266 LES SAUVAGES DU PÉROU
étude, vivent exclusivement à Test des Andes, dans la Montaûa
ou région des forêts, aussi humide que la côte est sèche. On
leur donne au Pérou les noms de Sauvages^ Barbares ^ Chunchos^
ou encore ceux de Gentils et A'InfidèleSy le nombre de ceux qui
pratiquent le culte catholique étant relativement 1res minime. Ils
se subdivisent en une infinilé de nations, pour employer le mot
admis dans la patrie des Incas, et dont on décore parfois de
minuscules tribus.
II
Résultats des missions en pays Campas. — Types, costumes, armes, industrie,
agriculture et cuisine. — Une nation qui ne connaît pas l'argent. — Pro-
priété el possession. — Les amazones.
La plus importante des nations sauvages du Pérou est celle
des Campas ou Antis qui, du neuvième au treizième degré de
latitude sud, occupent d'immenses territoires dans la zone fores-
tière la plus rapprochée des .Andes. D'anciennes statistiques des
missionnaires espagnols, qui pénétrèrent dans la Montafta dès
Tan 1635, portent leur nombre à vingt mille. Le centre de leurs
domaines, leur citadelle en même temps, est le Grand Pajo-
ftaly vaste plateau compris entre les rios Péréné, Ucayali et
Pachitea.
Si les efforts des moines franciscains pendant un siècle, pour
les convertir au christianisme, n'eurent pas le résultat cherché,
ils ne furent pas non plus tout à fait stériles. Profitant des voies
ouvertes par les religieux, de nombreux colons s'installèrent
dans les vallées qui touchent aux Andes, non seulement pour y
cultiver le cacao, la canne à sucre, le café el autres plantes de
rapport, mais encore pour s'y livrer à de lucratifs échanges avec
les tribus du voisinage. Leurs haciendas étaient prospères, par-
ticulièrement dans la vallée du Chanchamayo, sur la ligne
directe de Lima au Pajonal, lorsqu'en 1742 les Campas, obéis-
sant au chef connu sous le nom de Juan Santos Atahualpa,
s'insurgèrent contre les Elspagnols. Et, dans une lutte qui ne
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LES SAUVAGES DU PÉROU 267
dura pas moins de dix ans, ils les firent reculer, qu'ils fussent
laïques ou clercs, jusque sur les hauteurs de la sierra.
Après cet exploit, les néophytes revinrent à leur sauvagerie
primitive, non sans conserver toutefois une foule de noms
empruntés aux saints de notre calendrier, certains usages du
culte catholique, et quelques connaissances pratiques, dontuue
seule, celle du fer et d'un moyen de l'extraire du minerai, suffi-
rait pour leur créer une supériorité sur quantité d'autres races.
En somme, leur contact avec les Européens leur a laissé dc3
marques indélébiles.
Les Campas sont de taille moyenue, bien découplés, svcltes
sans maigreur. Ils ont la main et le pied petits. Il y a chez eux
des éphèbes de quatorze à seize ans dont les formes sont d'une
parfaite élégance et la physionomie agréable. Mais, sous Faction
continuelle du grand air, leur figure se creuse de rides précoces,
innombrables stries, qui leur donnent un air rébarbatif peu en
rapport avec leur caractère. Une certaine obliquité dans les
Hgnes des yeux, le nez plus ou moins camus, et les saillies des
joues rappellent vaguement le type mongolique. Leur peau est
bistrée plutôt que bronzée. Ils sont imberbes : s'il y a des excep-
tions à cette règle, elles sont, je crois, fournies en réalité par
des métis. Leur chevelure, d'un noir terne, abondante et longue,
sans ondulations ni frisures, dure au toucher, ressemble à une
crinière. Ils se coiiTent d'un serre-tête ou cercle de bois blanc, le
madzeri généralement orné d'une plume d'ara qu'ils portent sur
l'occiput. Leur vêtement est la ciisma qui ne dilîère d'une toge
d'avocat ou de professeur que par l'absence des manches et par
la couleur. Sa teinte brune, uniforme comme la couche de fond
d'une toile de paysagiste, s'harmonise avec les tons de la forêt.
Cette couleur brou de noix foncé est encore celle du sac à ban-
doulière où ils mettent leurs provisions de voyage, telles que
du chumayro (écorce de liane), du malki (feuilles de coca) et un
limpre, petite calebasse contenant de la chaux dont ils assai-
sonnent le malki et le chumayro qu'ils mâchent sans cesse
pour maintenir ou stimuler leurs forces. Leur ornement le plus
habituel est un large chapelet de grains, à rangs serrés, auquel
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268
LES SAUVAGES DU PÉROU
ils attachent des dépouilles d'oiseaux et qu'ils portent majes-
tueusement comme une écharpe maçonnique ou un grand
cordon de la Légion d'honneur.
L*arme commune des Antis est un arc* en bois noir de palmier
Fig. 39. — Arc, flèches, sac à provisions, serre-tôte et sautoirs des Campas.
(Mus, (VEthnogr.^ coll. Ordinaire,)
chonta [Bactris Ciliata), tendu avec une corde dont les folioles
ou les fibres d*un autre palmier ont fourni la matière première.
La hampe de leurs flèches, empennée de reclrices d'ourax ou
de pénélope, n'est autre que l'appendice supérieur ou tige
florale de la caha brava {Gynerium Sagùiaium). Elles se ter-
1) lis nomment Tare canoch^ la flèche chacopi.
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LES SAUVAGES OU PÉROU
269
minent soit par une pointe barbelée de chonta, soit par une
sorte de coutelas de bois à double tranchant, soit par une boule
ou un petit pavillon qui a le double avantage de présenter une
surface relativement large, condition nécessaire pour atteindre
le petit gibier, et de tuer les oiseaux sans endommager leur
duvet. Et c'est souvent pour la plume autant que pour la chair,
que les Antis chassent. Avec Thabileté de dissecteurs consom-
més, il retirent le corps du volatile de son enveloppe emplumée
qu'ils destinent à leur ornementation personnelle ou à celle de
leurs épouses.
Les jolies filles sont rares chez eux. Il y en a cependant. Elles
Fig. 40. — Collier en os des femmes Campas. (Mus. 'd'Ethnogr,, Col/, Ordinaire.)
possèdent des formes arrondies mais dont la fermeté est aussi
éphémère que la pureté de leur visage, très vite envahi par les
rides. Leurs dents sont d'une inaltérable blancheur, leurs extré-
mités presque fines. Elles se tracent sur la figure avec de
Tachiote {bixa orellana) ou du liuito [genipa oblongifolia)^
c'est-à-dire en rouge brique ou en noir, des dessins fantaisistes
dont nous nous refusons généralement à reconnaître la séduc-
tion. Les hommes de leur côté en font autant. Les deux sexes
ont le même goût pour la toilette et les colifichets. Les femmes
Antis portent des bracelets de coton tissés sur le bras même,
des chapelets de graine de styrax, des colliers de dents de singe
ou d'osselets taillés en forme de croix à doubles branches. Enfin
les plumes jouent un grand rôle dans leur parure : chatons
multicolores tombant sur la poitrine ou le dos, guirlandes de
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270 LKS SAUVAGES DU PÉROU
lanagras et de colibris, gorges ou collerettes empruntées à des
ailes d'ara.
En très bas âge, les Campas étonnent par la souplesse de
leur corps, le délié de leurs mouvements ; un peu plus tard, par
leur mémoire et la précocité de leur intelligence. Mais tandis
que leurs facultés d'observation physique et d'imitation attei-
gnent un perfectionnement extraordinaire, tandis qu'ils arrivent
à répéter comme de véritables échos le chant d'un oiseau ou
les phrases d'une langue qu'ils ne comprennent pas, leur déve-
loppement intellectuel s'arrête net vers l'âge de douze à qua-
torze ans. Et, pendant le reste de leur vie, on les retrouve pareils
à des enfants.
Ce n'est pas dans une tribu d'Antis ni dans aucune autre
nation péruvienne qu'Orellana a pu trouver ses amazones. Chez
ces Indiens le sexe mâle a le monopole exclusif des armes et la
responsabilité de la défense commune. Les femmes soignent les
enfanls et s'occupent du jardin ou chacra. Elles filent le coton
sans rouet et le tissent sur des métiers aussi rudimentaires que
possible. La confection de l'étoffe nécessaire à une cusma exige,
dans ces conditions, un temps considérable. Aussi les tissus de
fabrique, ont aux yeux des Campas une très grande valeur. Les
colons établis dans leur voisinage, et qui ont besoin de leur
aide pour exploiter le caoutchouc, le savent bien. Si l'on joint
aux tissus de coton, des haches et des machetes, des verroteries,
quelques fusils et munitions de chasse, on a la liste à peu près
complète des objets qu'ils reçoivent actuellement de l'industrie
européenne.
Ils ne connaissent pas l'argent, ne savent pas ce que c'est que
le capital, et n'ont aucune notion de la propriété foncière. Et
comment en auraient-ils conçu l'idée dans cette Montafta dont
les territoires sont si vastes et les habitants si clair-semés? Les
colons qui, d'après la loi du Pérou, deviennent propriétaires des
terrains qu'ils défrichent, à la condition d'en faire la demande
et de supporter les frais de délimitation, les colons, dis-je,
négligent eux-mêmes ces formalités. En fait d'immeubles, on
ne connaît en pays campa que la possession.
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LES SAUVAGES DU PÉROU 271
De tout ce que nous pouvons raconter aux Anlis, soit que
nous parlions leur langue, soit qu'ils aient appris la nôtre, ce
qui paraît les surprendre le plus, c'est qu'il y ait des villes où,
dans un espace relativement étroit, vivent autant d'hommes
qu'il y a d'arbres, par exemple, dans un hectare de forêt. —
Comment tout ce monde peut-il se nourrir? demandent-ils. Et
l'explication du mécanisme social par lequel s'opère ce miracle
est tellement au-dessus de leur portée, qu'il est inutile de l'en-
treprendre. La chasse étant la base de leur alimentation, ils ne
comprennent que la vie isolée qui permet à l'homme de s'ali-
menter de chasse.
Leurs habitations, simples toits en feuilles de palmier, à deux
versants soutenus par des pieux, sont disséminées à travers la
forêt. Très peu ont des parois de bambou. Autour de ces
cabanes ou panguchis^ ils brûlent et rasent la haute futaie, et,
dans l'aire ainsi ouverte, ils plantent ou sèment des bananiers,
de la coca, du maïs, des yuccas [manhiot aïpi), des haricots, des
magonas et des uncuchas^ solanées analogues à la pomme de
terre. Les cotonniers semblent pousser spontanément dans le
voisinage de ces habitations comme les orties près des nôtres.
Le panguchi est toujours sur une hauteur où à proximité d'une
rivière.
Les Campas couchent sur des nattes étendues à terre, souvent
sur le sol nu, sans oreiller d'aucune espèce, les pieds très près
du feu qu'ils entretiennent constamment. En fait de cuisine, je
n'ai mangé dans leurs carbets que des choses rôties, fumées ou
bouillies, sans addition d'aucune graisse. Heureusement ils font
usage du sel, inconnu de leurs voisins les Lorenzos et qu'ils
tirent du fameux Cerro de la Sal. Lorsqu'ils ne peuvent consom-
mer le soir tout le gibier qu'ils ont tué dans la journée, ils le
fument en l'exposant aune certaine hauteur au-dessus du foyer.
Pour allumer le feu, ils se servent de briquets, d'un amadou
qu'ils font eux-mêmes avec un bois spongieux, et d'un morceau
de copal impur qui, sous la forme de masse grisâtre et de faible
densité où on le ramasse au pied de l'arbre résineux, est très
facilement inflammable.
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272
LES SAUVAGES DIT PÉROU
L'isolement étant pour eux, en général, une condition d'exis-
tence, les groupes de plus de trois familles sont rares. Il existe
*^.'//im.hIêfttL -_^1-^
Fig. 41. — Jeune chef Campa (d'après une photographie).
cependant sur le Grand Pajonal quelques hameaux ou Saaîm-
rinchis. Cette exception provient sans doute de ce que le Pajonal
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LES SAUVA'ÎES DU PÉROU
273
étant en partie couvert de pâturages, graminées et cypéracées,
les Campas y possèdent des troupeaux de bœufs, dont la race
fut importée jadis dans la Montaûa par les Espagnols.
Fig. 42. — Tchaîapi, jeuae femme Campa (d'après un dessin de M. Henri Michel).
On sait qu'ils doivent encore aux Espagnols de précieuses
notions de métallurgie. Ils savent forger le fer à chaude en
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274 LKS SAUVAGES DU PÉROU
fabriquer quelques objets grossiers comme le couteau ou ipudie
que j'ai rapporté, et le tirer du minerai. Leurs fourneaux sont
établis d'après la méthode catalane. Le fait a été signalé pour la
Fig. 43. — Couteau ou ipudie fabriqué par les Campas. (Mus, d'Ethnogr.,
Colf. Ordinaire.)
première fois en 1870 par le colonel péruvien Cardenas, qui fit à
cette époque un voyage de découverte dans les environs du
Cerro de la Sal. 11 est à remarquer que Tempire des Incas a
connu l'or, l'argent et le bronze, mais non le fer, et que les
Antis sont actuellement les seuls habitants du Pérou qui
exploitent les minerais de l'utile métal, bien qu'ils abondent
dans presque toutes les parties du territoire. Les colons qui
vinrent chercher fortune au Pérou, après les conquêtes de
Pizarre, se contentèrent, sur la côte du Pacifique, des instru-
ments de fer que des navires leur apportaient de la mère-patrie,
tondis qu'ils furent obligés, dans la Montaîia, de se pourvoir par
leur propre industrie, dont les sauvages ont profité.
III
2.— Idées religieuses des Antis. — Le cultedu soleil. Pratiques d'origine chré-
tienne. — Les Litanies de Juan Sanlos Atahualpa. — La fraternité chez les
Campas.
Il n'existe, à l'heure actuelle, sur tout le territoire campa,
qu'un seul établissement de missionnaires, celui de Quillasu,
dans une petite vallée du versant occidental des monts Yana-
chaga. Les constructions matérielles se réduisent aune chapelle
aux murailles de torchis, au toit de palmes artistement nattées
par les sauvages, et à une très rustique maison dont les parois
sont de simples palissades ou claies de bambou. Deux ou trois
pères franciscains, détachés du couvent d'Ocopa, y résident
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LES SAUVAGES DU PÉHOU 275
habituellement. L'un d'eux me raconta qu'un beau jour tous les
néophytes disparurent de leurs panguchis éparpillés dans le voi-
sinage. A leur retour, au bout d'un mois, on les questionna sur
ce qu'ils avaient fait durant leur absence, et ils avouèrent
qu'ils étaient allés au Pajonal prendre part aux fêtes du Soleil.
En me narrant cette aventure, le religieux qui les avait caté-
chisés et baptisés semblait en proie à une affliction mêlée de
découragement.
Quand ils ont préparé la chicha^ sorte de bière de msûis, les
Campas, avant de commencer à boire, en répandent à terre une
coupe pleine, pour faire une offrande au soleil, auquel ils
adressent quelques mots d'invocation ou de prière, en tenant les
mains jointes par le bout des doigts, à la hauteur du front.
Enfin, ils se réunissent en grand nombre, à certaines époques,
particulièrement sur le Cerro de la Sal et sur le Pajonal, pour
célébrer, en l'honneur de l'astre souverain, des fêtes qui sont
comme un souvenir de Ylmpic-Raîmi et du Capac-Raïmi des
Incas.
Les Antis ne transforment guère leurs idées. Leur conversion
toujours incomplète, est une superposition, plutôt qu'une substi-
tution d'un culte à un autre, de sorte qu'on peut étudier les
croyances qui forment leur fonds commun, à peu peu près
comme le géologue étudie les couches d'un terrain.
Ces croyances datent au moins de trois époques. La plus
récente est l'époque des missions espagnoles brusquement
interrompues au milieu du siècle dernier. Elle fut immédia-
tement précédée par celle des Incas qui firent, eux aussi, de
nombreuses tentatives pour soumettre les Chunchos à leur loi.
Enfin ils ont des idées religieuses qu'ils n'ont empruntées ni
aux chrétiens ni aux Incas, et qu'ils partagent avec la plupart
des autres peuplades de la Monta&a. Ces idées étant d'origine
plus ancienne que les autres, on peut dire, par comparaison,
qu'elles sont de l'époque primitive.
Dans son exploration du Péréné, Wertheman trouva chez les
Campas des croix ornées de fleurs.
Lorsqu'ils se marient, ils se prennent la main en présence du
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276 J^ES SAUVAGES DU PÉROU
plus ancien de la tribu, qui prononce quelques paroles sacramen-
telles. Dans toutes les tribus vivant à l'ouest du Pajonal et qui
semblent avoir reçu plus fortement que d'autres l'empreinte du
christianisme^ ils n'ont qu'une seule épouse chacun, tandis que,
dans le voisinage du haut Ucayali^ où ils sont en contact avec
des races polygames, ils ont coutume d'en prendre plusieurs. Je
ne puis dire s'ils pratiquent le baptême par aspersion, mais j'ai
constaté qu'ils donnent à leurs enfants parrain et marraine, et
qu'ils connaissent l'origine catholique de cette coutume. Un
Antis à qui je demandais des explications à ce sujets me répondit
en se faisant un signe de croix sur le front. Ils n'ont pas de
noms de famille et ils donnent à leurs enfants le nom d'un
animal ou celui d'un saint. Ainsi ils appelleront leurs filles
Giiatate (grenouille), Shumo (crapaude), Pimpiri (papillon), et
leurs fils Santiago , Pedro , Pascual , Antonio. D'autres se
nomment Intschoquiri , Tahuanchi , Uguinchire , Chungui-
gate, etc.
On sait que les Quichuas adoraient sous le nom de Pacha-
camac le Dieu invisible auquel ils élevèrent bien avant l'arrivée
des Incas un temple magnifique, dont on peut voir encore les
ruines sur la côte du Pérou. Or les missionnaires ne relatent
nulle part qu'ils aient trouvé chez les Campas une conception
semblable. Un voyageur péruvien, M. Samanes, déclare bien que
les riverains de l'Apurimac et du Tambo ont une idée vague de
la divinité qu'ils nomment Génoquire, mais il est permis d'ad-
mettre que cette idée est une semence des franciscains qui ont
eu des établissement dans le bassin des rivières précitées. Rien
dans mes observations personnelles ni dans celles des colons
que j'ai interrogés, n'indique que les Campas des pays où j'ai
passé aient la notion d'un Dieu créateur. Ils doivent aux mission-
naires des pratiques et des mots, mais il semble qu'ils niaient
pu retenir de leurs leçons aucune idée abstraite.
Cependant je les ai souvent entendus réciter une espèce de
prière sur un ton rappelant étrangement le ton habituel des
oraisons dans une église. C'est une suite de versets qu*ils
récitent à deux, debout, Tun donnant à l'autre les répons, sans
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LES SAUVAGES DU PÉROU 277
que la présence d'un étranger paraisse les troubler ou les dis-
traire. Mais, lorsqu'ils sont au bout du chapelet, si on leur en
demande le sens^ ils feignent de ne pas comprendre la question
et s'écartent sans répondre, comme pour se livrer à quelque
conjuration.
De ce que j'ai pu comprendre de cette litanie et de tout ce qui
m'en a été dit, il ressort qu'elle est en quelque sorte leur loi, un
décalogue plus long que celui de Moïse, mais dans lequel il ne
serait question d'aucune divinité.
« Quand tu auras recours à mon aide^ ce ne sera pas en vain,
dit l'un, car tu es Campa, et les Campas doivent s'aimer entre
eux d'une franche et solide amitié.
« Si tu es attaqué par nos ennemis^ répond l'autre, je te
défendrai, fût-ce au péril de ma vie, car tu es Campa et les
Campas etc.
« Si tu as faim, je partagerai avec toi ma chasse ou ma pêche
et les fruits de machacra, car tu es Campa...
« Si tu tombes malade, je sèmerai pour toi le maïs, pour toi
je récolterai la coca et le chumayro, car tu es Campa... »
Tous les cas dans lesquels deux membres d'une même famille
peuvent avoir à se prêter assistance ou secours sont ainsi passés
en revue. Le récitatif dure trois quarts d'heure.
Ce morceau, que tous savent par cœur est, suivant moi,
d'origine catholique ou, pour mieux dire, c'est l'œuvre de Juan
Santos Âlahualpa, le célèbre indien du Cusco qui, avant de
prendre la Cusma et de soulever les Antis, avait reçu l'ensei-
gnement des jésuites avec lesquels il était allé en Espagne. Ce
roi prophète que l'inquisition accusait de se faire passer pour
Tune des trois personnes de la sainte Trinité*, ce chef rebelle qui
1) Lire le très curieux rapport de Fray José de San Antonio, intitulé :
Segunda Relacion de la Doctrina, Errores y Heregias que enseûa el fingido
Rey Juan Santos Atagualpa Apuinga Guainacapac en las misiones del Cerro de
la Sait Indio Rebelde, enemigo declarado contra la ley de Bios y traidor al
Rey nuestro Sefior que Bios guarde. Recueil de rapports ^ cedules royales et
bulles pontificales, publié à Rome en 1758. Ex typographia Rev. Cameroe Apos-
tolicœ, folio 63.
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278 LES SAUVAGES DU PÉROU
rêva de disputer le Pérou à la couronne d'Espagne, ne put
concevoir son héroïque projet et le réaliser au point que Ton
sait, sans que les tribus qu'il commandait fussent unies et soli-
daires. Et Ton comprend qu'il ait fait de cette union même et
des principes propres à la cimenter la base de sa loi.
Quoiqu'il en soit, les Campas, dans leurs relations mutuelles,
donnent des preuves quotidiennes de leurs sentiments de fra-
ternité.
Dans mon dernier voyage, je dus m'arrêter pendant plusieurs
jours chez un colon, don Guillermo, établi au bord du rio
Chuchuras, où il entretenait de bonnes et fructueuses relations
avec les sauvages. Un Campa déjà vieux et que la petite vérole
avait rendu aveugle vinl, accompagné de sa femme et de ses
deux enfants en bas âge, le trouver de fort loin pour faire un
marché : il lui proposa de nettoyer sa chacra des mauvaises
herbes qui commençaient à l'étouffer, s'il voulait lui donner
pour récompense de son travail quelques coudées de colonnade.
Sa femme, obligée de pourvoir à tout dans le carbet isolé, ne
pouvait trouver le temps de lisser, et les cusmas de la famille
tombaient en loques. La proposition était des plus avantageuses
pour don Guillermo, qui l'accepta. Donc, les nouveaux venus
s'installèrent sous Tauvent de sa maison de bambou et, dès le
lendemain, ils se mirent au travail.
Dans le marché, il n'avait pas été question de leur nourriture.
11 va de soi, me disaift-je, que don Guillermo la leur doit. Je me
trompais, car s'il leur fit quelquefois goûter son dîner, ils parta-
gèrent plus souvent le leur avec lui et, par le fait, avec moi.
Tous les jours les Campas du voisinage se chargeaient d'y
pourvoir, faisant parfois une longue course pour leur apporter,
à tour de rôle, qui un poisson, qui un singe rôti ou un quartier
de tapir, qui un régime de bananes ou une charge de yuccas.
Voilà, pensais-je, qui vaut bien nos fourneaux économiques. Et
je quittai les bords du rio Chuchuras, convaincu que l'homme
se distingue des autres animaux par quelque chose de plus que
n'a dit Beaumarchais.
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LES SAUVAGES hV PÉROU 279
IV
Croyances primitives : Le camagari, les magiciennes, la métempsychose. —
Musique et danses campas. — Les chiens Ochitis, — L'escorte d*une sau-
vagesse. — Les nouveaux conquérants de la Montana.
Si les Antis tiennent des Espagnols et des Incas le bagage
religieux que je viens d'inventorier, ils en ont un autre, qu'ils
possédaient avant l'arrivée des Espagnols et qui leur est commun
avec d'autres nations n'ayant pas connu les Incas.
Parmi leurs dogmes primitifs, est la croyance à un être mal-
faisant^ le Camagari^ qui est, pour eux, la cause de toutes les
douleurs^ de toutes les déceptions, do toutes les catastrophes
dont l'enchaînement constitue la vie de l'homme. Ils croient
qu*ils est possible de se mettre en relation avec cet Esprit du
mal, soit pour provoquer, soit pour prévenir son action, par des
sortilèges et des exorcismes. Cette théorie les pousse à des
crimes abominables. Si la maladie entre dans une famille, ils
ne doutent pas qu'elle n'ait été envoyée par le Camagari, à la
suite des pratiques de sorcellerie, ou sous rinfluence, même
involontaire et inconsciente, d'une femme de la tribu. Pour savoir
laquelle a commis le méfait, ils emploient la méthode suivante :
Tout en songeant à quelque ftlle de leur connaissance^ ils
mâchent des feuilles de coca pour les cracher, mêlées de salive,
dans le creux de la main qu'ils ferment ensuite et secouent long-
temps en divers sens. Quand ils la rouvrent, si la coca forme sur
la peau certain signe qui, dans leur esprit, équivaut à une affir-
mation, ils restent persuadés qu'ils ont deviné juste. Si le signe
est négatif^ ils songent à une autre fille et recommencent
l'épreuve. Lorsqu'ils ont par ce moyen découvert la coupable,
ils la tuent en lui tordant une liane autour du cou. Elle peut
être de la famille même de l'exécuteur ou d'un groupe voisin.
Dans ce dernier cas, les parents ou alliés de la malheureuse,
convaincus eux-mêmes de son pouvoir diabolique et de sa cul-
pabilité, ne cherchent ni à la défendre, ni à la venger.
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280 LES SAUVAGES DU PÉROU
Certains voyageurs rapportent que les Antis ont coutume de
jeter leurs morts à la rivière. C'est une erreur. Ils ne le font
précisément que quand il s'agit de suppliciés pour cause de sor-
cellerie. Lorsque le courant a entraîné le cadavre hors de vue,
ils s'emplissent la bouche de jus de tabac, substance à laquelle
ils attribuent une vertu cabalistique, et le crachent en l'air, pen-
sant empêcher ainsi l'âme du mort de les poursuivre.
Pour conjurer TËsprit malin, soit pendant une éclipse ou un
tremblement de terre, soit dans un de ces terribles ouragans
qui bouleversent de temps à autre la Montaûa, soit enfin à l'oc-
casion de tout phénomène qui leur cause de l'épouvante, ils
marmottent certaines paroles. Le voyageur Gastelu, d*origine
Quichua, qui a vécu huit ou neuf ans au milieu d'eux, affirme
que ces formules appartiennent à une langue différente de leur
langue usuelle et que probablement ils ne comprennent pas.
D'après les missionnaires d'Ocopa*, les sauvages de l'Ucayali
usent aussi, dans certaines cérémonies, d'une langue religieuse
spéciale.
Les Antis croient non seulement à l'existence de l'âme, mais à
sa survivance et à sa transmigration, après l'anéantissement de
Tenveloppe humaine, dans le corps d'un animal. Lorsqu'un
Campa meurt, de mort naturelle, les siens l'enterrent sous le
Panguchi même qu'il habitait, puis ils désertent le lieu pour
aller s'installer ailleurs. Toutefois, avant de partir, ils sèment
autour de la tombe du sable fin qu'ils reviennent inspecter peu
de temps après, et le premier être dont ils y reconnaissent
l'empreinte, serpent ou quadrumane, insecte ou pachyderme,
bête fauve ou petit oiseau, est, à leur yeux, celui que l'âme du
défunt hante désormais.
La langue des Campas est douce, presque musicale, avec de
nombreuses terminaisons en i. Ils chantent en parlant. Quand ils
chantent pour chanter, on pourrait croire qu'ils récitent du
i) Noticias Historicas de las misiones de Fieles e Infieles del Colegio de
Propaganda Fide de Santa Rosa de Ocopa^ por los R. P. Fray Feraando
Pallares y Fray Vicenle Calvo (Barcelona, Iroprenta de Magriîia y Subirana,
1870).
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LES SAUVAGES DU PÉROU 281
plain-chani. On m'a traduit quelques mots de la mélopée d'un
Aûlis auprès d'un malade. « Peut-être tu ne mourras pas, lui
disait-il, car celui qui t'a envoyé le mal peut aussi le guérir. »
Dans certain chant, ils conversent avec les astres et les nuages ;
dans un autre, ils racontent un voyage des animaux dans le
firmament.
Us savent faire, soit avec le maïs, soit avec le manioc, soit
avec divers fruits des boissons légèrement alcooliques, chicha^
noaseriy massato, dans lesquelles la salive mêlée à une certaine
quantité de pulpe mâchée sert de ferment. Ces breuvages, dont
la préparation incombe aux femmes, ne se trouvent guère chez
eux qu'à l'occasion des fêtes du soleil et de certaines réunions
nocturnes qui se renouvellent tous les mois. Ces réunions ont
toujours lieu pendant la pleine lune. Le rendez-vous, où se ren*
contrent deux ou trois familles, est une plate-forme soigneuse*
ment appropriée dans la clairière. Les invités forment le cercle
autour du cobitt, grand vase de terre de fabrication campa qui
contient le liquide. On récite la litanie habituelle, on répand à
terre une coupe de chicha, puis on boit et on danse, sous le
regard placide d'Arror\ la reine des nuits, qui a aussi une part
dans le culte des Campas. La musique se compose d'un tambour
eu bois de cédrel et peau de singe hurleur, d'un flageolet en os
ou en roseau et d'un sankali, flûte de Pan, à cinq ou huit tubes.
Les Campas sont ravis de ce trio dont l'effet m'a paru monotone
et mélancolique. Us dansent sur un rythme lent, les hommes
.d'un côté, les femmes de l'autre, en deux files qui se réunissent
de temps à antre pour former une chaîne. Une sereine clarté
baigne le décor des grands arbres d'où tombent autour de la
clairière des draperies de lianes. Le signal du départ est donné
par la penélope barrigni^ dont le chant aigu, précurseur de
Taube, traverse Tair comme le déchirement prolongé d'un rideau
de soie. On vide alors le coéi^/ jusqu'à la dernière goutte, mais
les choses ont été calculées de telle sorte que personne n'est
ivre.
i) En campa, le soleil s'appelle Yam[Mmi, la lane Àrror, les étoiles AjHmi,
TI 20
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282 LES SAUVAGES DU PÉROU
Moins sages sont les Quichuas de la Sierra qui, le jour de la
fête du village, ne manquent pas d'entourer l'Église d'une guir-
lande d'individus ivres-morts.
Les Antisne connaissent pas le curare. En fait de poison, ils
ne se servent que du cubi ou barbasco (menisperum cocculus),
pour pêcher d'un seul couple poisson retiré dans quelque coin
de rivière.
Beaucoup moins habiles dessinateurs que les sauvages de
rUcayali, particulièrement les Gonibos, qui ornent leurs fines
poteries de curieuses arabesques, ils savent cependant marquer
leurs limpres (calebasses du Crescencia Ctijete), de figures plus
ou moins géométriques.
Us sont encore inférieurs aux tribus riveraines des grands
affluents de TÂmazone dans Tart du canotage. Aux altitudes où
ils habitent, la plupart des cours d'eau n'étant qu'imparfaite-
ment navigables, ils se contentent de petits radeaux construits
avec les tiges légères du palo de balsa [Ochroma piscatoria).
Les superbes canots faits d'une seule pièce, tronc de cédrel
{Cedrela brasilensis), ou d'aguano {Swietenia mahogani), si
communs sur l'Ucayali, se voient peu sur leurs rivières. La
chasse les occupe plus que la pêche. Leurs chiens, ou ochiiis,
sont d'une race unique : taille moyenne, corps allongé, poil
blanc et noir, tètes pointues, oreilles droites et raides^ intelli-
gence très inférieure. Mis sur la piste d'une bête, tapir ou
venado, ils chassent longtemps.
Les Campas possèdent, non à l'intérieur du carbet, qui est
proprement tenu, mais au dehors, quantité d'autres animaux
apprivoisés par eux: perroquets, paujils {Ourax galeata)^ pené-
lopes diverses, singes, ronsocos {Bydrochœrus capybara), jus-
qu'à des sangliers et des tapirs; et il est curieux de voir toutes
ces bêtes faire escorte à la maîtresse du logis lorsqu'elle va par
exemple puiser de l'eau à la rivière. Si leur présence autour du
panguchi attire parfois le puma ou le tigrillo^ elles arrêtent au
passage des insectes et de petits serpents infiniment plus dan-
gereux pour rhomme que les fauves de la Montana. Leur atta-
chement à leurs maîtres est d'autant plus solide qu'il est volon-
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LES SAUVAGES DU PÉROU 283
taire, puisque rien ne les empêche de gagner le large et qu'il est
sans danger pour elles, car les Campas, plus délicats que nous
sous certains rapports, ne mangent pas les animaux qu'ils ont
élevés ou qui ont fait partie de leur société. On voit par là com-
bien ils sont loin des anthropophages. En revanche il n'est pas
rare de voir une sauvagesse donner tour k tour le sein à son
enfant et à quelque jeune singe.
Pendant les trois années que je passai sur la côfe du Pérou,
on ne cessa de me représenter les Campas comme dangereux et
sanguinaires. Leur réputation date de Tinsurrection de Santos
Âtahualpa à laquelle se rattachent, comme à la plupart des
insurrections, des images de pillage et de massacre. Elle s'ap-
puie encore sur la liste assez longue des voyageurs, des mis-
sionnaires et des colons qui ont servi de points de mire à leurs
flèches. Quant à moi, je n'ai eu qu'à me louer de leurs procédés,
de même que le vaillant et illustre Raymondi, qui fit plusieurs
excursions sur leur territoire, de même que M. Samanes qui
explora, en 1884, les rios Ené, Apurimac etTambo.
Pour les juger, il faudrait, en regard de la liste de leurs
méfaits, établir celle de leurs griefs à notre endroit, et c'est à
quoi l'on n'a jamais songé. Là où l'on a cherché à les civiliser à
coups de fusil, comme en Chanchamayo, il est naturel qu'ils
aient conçu peu de sympathie pour la civilisation. Les Euro-
péens qui sont allés chercher fortune dans leur pays ont trop
souvent voulu les contraindra par la force au travail qu'ils ne
pouvaient se résoudre à donner volontairement. Aujourd'hui
encore, il existe dans la Montafla de nombreux aventuriers dont
je parlerai à l'occasion des Lorenzos et dont toute l'industrie
consiste à voler aux plus inoffensifs habitants de la forêt des
femmes et des enfants pour les vendre comme esclaves. Ils n'y
a donc pas lieu de s'étonner que les blancs leur inspirent de la
défiance, particulièrement les explorateurs, dont ils ne peuvent
soupçonner le mobile, surtout lorsqu'ils arrivent chez eux,
comme l'a fait M, Werlheman, avec une escorte armée de
rifles.
Dans la plupart des tribus, les premiers missionnaires furent
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284 LES SAUVAGES DU PÉROU
reçus avec toutes sortes de prévenances et de témoignages de
sympathie. Mais les chemins qu'ils ouvrirent ayant été prompte-
ment suivis par des chrétiens que le monde civilisé repoussait,
les Campas se fâchèrent. Un fait suffit d'ailleurs pour expliquer
Téchec des missions au siècle passé, c'est que les religieux ont
voulu grouper, pour leur donner avec plus de facilité leur ensei-
gnement, des Indiens qui avaient toujours vécu et ne pouvaient
vivre qu'isolés.
Chez plusieurs colons des frontières sauvages, j'ai trouvé de
petits Campas, faisant la cuisine et toutes sortes de menus
ouvrages, et cela dans le voisinage même des leurs. On se louait
de leur bonne volonté, de leur intelligence, de leur facilité à
apprendre l'espagnol ou le quichua. Mais il arrivait un moment
où la vie lihre de leurs frères de la forêt les attirait à ce point
qu'il devenait nécessaire de leur ouvrir la cage. Ce qui prouve
que le fonds de cette race est bon, c'est que s'ils avaient été bien
traités, ils restaient, une fois libres, dévoués à leurs anciens
maîtres.
Le Cahuchero don Guiilermo, dont j'ai déjà parlé, vint s^éla-
blir il y a six ans au confluent des rios Chuchuras et Palcazu
où, avant son arrivée, il n'y avait que trois ou quatre cases de
Campas. On en compte aujourd'hui soixante, éparses il est vrai,
dans un cercle de plusieurs lieues de rayon, mais toutes en rela-
tion avec le centre commun. Don Guiilermo, qui par sa seule
présence protège ces Campas contre les agressions des Pirates
de la Montana, fait sa fortune avec le produit du travail, bien
que très irrégulier, qu'il sait obtenir d'eux à force de tact et de
patience. Le moyen d'en tirer parti est de leur créer des besoins,
pour leur donner ensuite, comme récompenses de leurs efforts,
la possibilité de les satisfaire. Le mieux est d'attendre, me
disait le cahuchero, qu'ils viennent d'eux-mêmes ofi*rir leurs
services, ce qu'ils font lorsqu'ils ont besoin, par exemple, de
remèdes dont on leur a fait connaître refi*et, d'étoffe pour renou-
veler leurs cusmas, de poudre pour leurs fusils. Don Guiilermo
leur avait donné six fusils, mais il leur faisait payer les muni-
tions. De fait, ils récoltaient pour lui mille arrobes de caout
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LES SAUVAGES DU PÉROU 283
chouc par an, valant environ soixante mille francs à Iquitos,
principal port de FÂmazonie péruvienne, et, d'après son calcul,
chaque arrobene lui revenait qu'à un franc. De plus, les sauvages
le pourvoyaient abondamment de gibier et lui témoignaient une
véritable affection. Les colons de cette école sont de véritables
conquérants de la Montafïa.
L'âge de pierre au xix« siècle. — Les Correrias. — t^rigine du nom
des Lorenzos, — Les Crétins du Pozuzo.
L'existence des Lorenzos n'est guère connue à Lima. La' Carie
des Missions de rUcayali, publiée en 1833, pas plus que celle de
Sobreviela (1791) ne fait mention de cette tribu. Les seules cartes
où j'ai trouvé leur nom sont celle de Paz Soldan et celle du père
Gonzalès, dressée en 1880. Dans cette dernière, leur territoire est
indiqué au nord-est des monts Yanachaga par les mots : Indios
Lorenzos en numéro escasos y méticulosos.
Les Lorenzos vivent sur les deux rives du rio Palcazu, entre
l'embouchure du Pichis et celle du Chuchuras, dont l'un des
petits affluents se nomme le rio Lorenzo.
Si l'homme sauvage proprement dit existe quelque part dans
l'Amérique du Sud, c'est là.
En parlant des Cashibos anthropophages, que l'on trouve,
comme les Lorenzos, dans le bassin du Pachitea, le père Calvo
dit : « Heureusement, leurs arcs sont très grossiers et manquent
de l'élasticité nécessaire pour lancer à de grandes distances leurs
flèches pesantes. Pour les armer, il faut une force herculéenne.
Grâce à ces défauts, les Cashibos ne sont dangereux que de
près. » Or, comme il est facile de s'en rendre compte en compa-
rant les spécimens que j'ai remis au Musée d'Ethnographie, l'arc
et la flèche du Lorenzo sont encore plus lourds et grossiers que
l'arc et la flèche du Cashibo. Et par ce fait même, il se trouve vis-
à-vis des autres races dans un état d'infériorité manifeste. Si le
Campa esta l'âge de fer, le Lorenzo à l'âge de pierre. Les haches
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286
LES SAUVAGES DU PÉROU
Fig. 4H. ^Arc, flèches, sac, couronne, collier et pectoral des^Lorenzos.
(Mus. d'Ethnogr., ColL Ordinaire).
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LES SAUVAGES DU PÉROU
287
polies, en diorite et aulre roche dure, qui sont avec l'arc ses ins-
truments perfectionnés, méritent une description spéciale. Elles
portent à la tête ou partie opposée au tranchant, des appendices
plus ou moins horizontaux que Ton a soigneusement ménagés en
dégrossissant la pierre. Ces oreilles servent à retenir une sorte
de poix ou de caoutchouc que Ton adapte à l'instrument quand
elle est à Tétat pâteux, et qui forme une masse destinée à englo-
ber et fixer le manche. Une fois durcie, cette masse unit très for-
tement le bois à la pierre.
Après avoir comparé le bien-être relatif des Campas à la
misère des Lorenzos, si on compare la hache de ceux-ci et
Fig. U. — Hache en pierre des Lorenzos. (Mtts, (TElhnogr., Coll. Ordinaire,)
VIpudié ou couteau de fer de ceux-là, on voit que le degré qu'ils
occupent réciproquement dans Téchelle humaine est à peu près
en raison inverse du poids de ces objets.
Près de Chuchuras, je rencontrai un vieux sauvage suivi de
plusieurs enfants. Dès qu'ils m'aperçurent, Tun des enfants courut
se cacher derrière un tronc d'arbre. Les autres, continuant leur
marche, vinrent à moi, la tête haute, la plume droile sur le
madzeri. Ceux-ci étaient des Campas^ celui-là un Lorenzo que les
Campas avaient chez eux depuis peu de temps.
Dans la maison du cahuchero don Guillermo, je trouvai deux
autres petits Lorenzos. Plusieurs jours encore après mon arrivée,
ils fondaient en larmes et poussaient des cris de terreur dès que
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288 LES SAUVAGES DU PÉROU
je m'approchais d'eux. Je leur produisais l'impression que peut
causer à un enfant de civilisé l'apparition d'un jaguar ou d'un
crocodile. Us finirent cependant par s'apprivoiser. Cet instinct
craintif s'explique par ce fait qu'à l'état libre, les Lorenzos
sont constamment obligés de fuir, et qu'ils n'ont pas à redouter
en effet de bête féroce plus féroce que l'homme, particulièrement
le blanc.
Les Indiens de TUcayali, Piros, Conibos, Sipibos etSétébos,
qui sont polygames, paraissent avoir toujours eu la coutume de
remonter les affluents de ce fleuve et de faire des razzias pour se
procurer des femmes. Actuellement, ils font ces expéditions,
connues au Pérou sous le nom de correrias, moins pour leur
compte propre que pour celui d'un certain nombre d*industriels
qui vendent à beaux deniers comptant les femmes et les enfants
enlevés. Les Lorenzos, considérés comme une proie sans
défense, sont constamment traqués. A l'époque de mon voyage,
un petit Lorenzo de sept à dix ans valait, pour les cahucheros de
l Ucayali» de 280 à 350 francs, une fille bien faite de 300 à
400 francs. On ne cherche pas à prendre vivants les adultes
m&les, car on sait qu'ils s'échapperaient, si loin qu'on les
emmène, ou qu'ils ne tarderaient pas à mourir.
Les abominables gredins à face blanche qui consacrent leur
temps à organiser les correrias et y prennent part, ont absolu-
ment besoin, pour qu'elles réussissent à leur gré, de l'aide des
Indiens dressés à ce genre de chasse, car jamais des Européens ne
réussiraient seuls à surprendre les sauvages. Lorsque des Piros
ou des Conibos font main basse sur les femmes d'un carbet, aGn
d'éviter toutes contestations ultérieures sur la propriété d'icellcs,
ils ont pour règle de tuer leurs père, frères et époux, puis ils
mettent le feu à la cabane vide... pour qu'elles aient moins de
regret de la quitter.
En arrivant chez don Guillermo, j*appris qu'une bande de
quinze à vingt Lorenzos, hommes, femmes et enfants, fuyant
devant une correria, avaient passé la veille en cet endroit,
épuisés de fatigue, mourant de faim. Chose inouie chez ces sau-
vages à qui la vue de toule figure blanche donne des ailes, ils
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LES SAUVAGES DU PÉROU 289
s'étaient arrêtés pour demander à manger» semblables aux
oiseaux qui en temps de neige vont becqueter aux vitres des
maisons habitées. On leur donna des racines de }rucca et des
bananes qu'ils dévorèrent avidement. L'un d'eux, vieillard de
haute taille, avait reçu en pleine poitrine une charge de gros
plomb au moment où il cueillait des fruits près de son ajoupa.
On avait pris ses enfants et assommé sa femme trop vieille
pour être vendue. Il avait ^ en fuyant, donné l'alarme aux
autres.
Ces Lorenzos étaient nus comme tous ceur que l'on rencontre
dans la forêt.
Ils savent cependant ourdir des filets, comme le sac muni de
sa courroie, et de grossiers tissus, comme le bandeau formant la
base d'un diadème de plumes que j'ai remis au musée, avec un
autre ornement en plumes ayant la forme d'une bavette et divers
colliers en os et graines de la forêt. Ils ne connaissent pas
l'usage du sel, et comment le connaîtraient-ils si le sel gemme
n'existe pas dans leur territoire et s'ils n'ont de commerce direct
ou indirect ni avec les Campas qui occupent le Cerro de la Sal,
ni avec les blancs ? Les deux enfants de Lorenzos que j'eus l'oc-
casion d'étudier, repoussaient avec un visible dégoût tous les
aliments salés. En revanche, on avait grand peine à les empê-
cher de manger de lalerre qu'ils se mettaient en boulettes dans
la bouche.
J'ai recherché d'où provient le nom de Lorenzos donné à ces
sauvages. L'histoire des missions d'Ocopa, de 1770 à 1882, ne
les mentionne que dans cette seule phrase : « Les Lorenzos, dit
le père Gonzalès, sont des êtres si craintifs qu'ils prennent la
fuite au moindre bruit. » Mais dans le Compendio Bistorico du
père Amich, qui embrasse la période écoulée de 1635 à 1771, se
trouve la curieuse relation qui suit :
« L'an 1767, les pères Manuel Gil, commissaire des missions,
Fray Francisco et Valentin Arrieta remontèrent le Palcazu,
venant du Pachitea et de TUcayali où d'autres religieux de leur
ordre avaient été massacrés par les Conibos. Le 28 août, ils
s'arrêtèrent sur une plage du Palcazu, dont ils n'ont pas déter-
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290 LES SAUVAGES DU PÉROU
miné Texacle position géographique, mais qui se trouve dans la
partie comprise entre le Pichys et le Mayro.
« Les soldats qui les accompagnaient étant allés, dit le père
Amich, chasser pendant l'après-midi, Fray Valentin-Arrieta prit
son fusil et entra dans la forêt, pour voir s'il ne trouverait pas aussi
quelque chose. En inspectant le terrain, il découvrit deux arcs et
un faisceau de flèches. Il les prit, et tout à coup il se trouva en
présence de deux Indiens nus qui se mirent à genoux devant
lui. « Père, lui dit Tun d'eux, ne nous tue pas ! » Le père les
embrassa et les conduisit à la plage où étaient le commissaire et
Fray Francisco. Aux questions qu'on leur posa, l'un d'eux qui
parlait un peu l'espagnol répondit qu'il était de Pozuzo *, d'où,
étant domestique {siendo moso), il s'était enfui avec sa femme,
qu'il s'appelait /.or^nso et sa femme Maria, qu'ils étaient chré-
tiens, mais que leurs enfants n'avaient pas été baptisés, qu'enfin
ils avaient leur pueblecùo à environ trois lieues de là. Les reli-
gieux leur demandèrent s'ils avaient des vivres, leur offrant, en
échange, une paire de haches. Ils répondirent qu'ils en apporte-
raient le lendemain et prirent congé.
« Le 29, à huit heures du matin, arrivèrent à la plage l'Indien
Lorenzo et toute sa famille qui ne comptait pas moins de trente
individus des deux sexes et de tous âges. Ils étaient chargés de
yucca, de bananes, de maïs et autres provisions. Pas n'est besoin
de dire s'ils furent bien reçus. Après midi, le père commissaire,
le père Arrieta et quelques hommes de leur suite, les accompa-
gnèrent jusqu'au pueblecùo, qui était dans une pampa très
fertile. Ils y passèrent la nuit et revinrent à la plage le jour sui-
vant, avec les habitants du hameau, chargés de vivres. Ces
Indiens firent de vives instances pour retenir auprès d'eux le
père Arrieta, disant qu'ils voulaient être chrétiens, mais on ne
put alors donner suite à leur demande. Les religieux leur pro-
mirent de revenir au printemps prochain et leur firent quelques
petits cadeaux, après quoi on se quitta fort satisfait de part et
d'autre. »
1) Dans la vallée du rio Pozuzo, affluent du Palcazu.
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LES SAUVAGES DU PÉROU 291
Les pères Manuel Gil et Valenlin Arrîeta revinrent en efifet au
mois d'août de Tannée suivante, mais le hameau de Lorenzo
était abandonné, sa plantation dévastée. De ses habitants, qu'ils
cherchèrent pendant un mois, ils ne trouvèrent trace.
Ce récit est, suivant toutes apparences, Torigine du nom des
Lorenzos qui vivent dans la pampa du Palcazu, où le père
Arriela fit sa découverte.
Sont-ils vraiment les rejetons du fugitif du Pozuzo, con-
damnés à être perpétuellement fugitifs eux-mêmes et qui, n'ayant
eu avec le reste de l'humanité d'autres relations que celles du
pigeon avec l'épervier, sont retournés à Tàge de pierre ? Dans ce
cas, ils seraient d'origine amage^ car la vallée du Pozuzo, décou-
verte en 1712, était habitée au siècle dernier par des Indiens de
ce nom. Ces Amages, que les missionnaires représentent comme
ayant un caractère serviable et doux, se laissèrent facilement
soumettre par les Espagnols. Il convient d'ajouter qu'on ne
trouve plus aujourd'hui, au Pozuzo, un seul individu de leur
race pas plus qu'uu seul descendant des premiers colons. La fer-
tile, mais étroite et profonde quebrada du Pozuzo, est aujour-
d'hui le siège d'une colonie allemande, qui vint s y établir il y a
vingt-neuf ans et qui est à peu près sans communication avec le
reste du monde, les sentiers qu'elle ouvrit vers la Sierra ayant
été obstrués rapidement par la végétation, dont la puissance
destructive est terrible- dans cette région. La colonie allemande
se composait au début de quarante-cinq familles saines et fortes.
Or il arriva que les neuf dixièmes des enfants engendrés en cet
endroit naquirent goitreux, atteints d'affections encéphaliques i
crétins au premier chef, destinés à passer leur existence dans
l'ordure comme des pourceaux.
Il n'y a donc pas lieu d'être surpris de la disparition complète
des premiers habitants de la vallée du Pozuzo.
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292 LES SAUVAGES DU PÉROU
VI
Rapport de Fray Simon Jara. — Portrait des Garapachos par le père Girbal.
— La barbe chez les Indiens de la Montafta. — Retour de civilisés à la
vie sauvage.
La carte de Sobreviela (1790) place sur les confins du pays
actuel des Lorenzos et sur la rive gauche du Pachitea, des
Amages et des Garapachos, en faisant suivre chacun de ces mots
de la mention N. B. (Nation Barbare), que les missionnaires appli-
quent à toutes les tribus qui n'ont pas été catéchisées. Or, dans la
Monlaûa, on ne connaît pas plus aujourd'hui de Carapachos que
d' Amages ou Amaches.
La découverte des Carapachos date de 1734. Avant cette
époque, les missionnaires avaient trouvé, plusieurs fois déjà,
tant dans la pampa du Palcazu que dans celle du Sacramento qui
lui fait suite au nord, des cases dont les habitants s'étaient
enfuis à leur vue et n'avaient pas reparu. Dans le courant de
1734, fray Simon Jara vint à leur recherche avec une nom-
breuse suite de Fronterizos ou Indiens des versants de la Cor-
dillère qui touchent à la Montaûa. Bs trouvèrent une grande
case entourée de plusieurs petites cabanes, où il y avait une
importante provision.de maïs et de yucca. Le père Jara s'y ins-
talla, considérant que les sauvages ne pouvaient manquer d*y
revenir, ne fût-ce que pour chercher leurs vivres. Aussi bien, il
était obligé de s'arrêter là, plusieurs de ses gens étant tombés
gravement malades, effet fréquent du climat chaud et humide de
la pampa sur les naturels de la Cordillère.
« Le 27 septembre à dix heures du matin, dit Amich, alors
que le moine assistait un agonisant (cinq de ses malheureux
compagnons étaient dans le même état), arrivèrent environ cent
indigènes, nus et peints, avec des couronnes de plumes de
diverses couleurs et des chapelets de dents d'animaux aux bras
et aux jambes. Bs se présentaient en armes et avec leurs chefs.
Les Fronterizos y croyant qu'ils avaient des intentions belliqueuses,
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LES SAUVAGES DU PÉROU 293
se mirent à crier. Les infidèles lancèrent en Tair [por aito) des
flèches dont Tune en retombant traversa le mollet du père age-
nouillé^ en ce moment, près du moribond. Aussitôt, il ordonna à
ses hommes de jeter leurs armes. Ce que voyant, les sauvages
s'approchèrent pacifiquement. L'habit du moine les stupéfia. Sa
blessure leur ayant inspiré de la pitié, ils la soignèrent et la
guérirent, en y appliquant, après les avoir mâchées, des pousses
de caha brava. Le père Jara leur donna des verroteries et
quelques couteaux qu'ils reçurent avec un vif plaisir, et ils parti-
cipèrent à rinhumation de deux Fronterizos morts dans la ma-
tinée. On ne put savoir de quelle nalion étaient ces Gentils
{Indios gentiles) parce que, de tous les chrétiens qui se trouvaient
là, il n'y en eut pas un qui put comprendre leur idiome, bien que
le père Jara fût très versé dans la langue générale et dans celle
des Amages. Et parce qu'on les voyait nus, on les appela Cara-
pachos (Carapaces), bien que cette toilette leur soit commune
avec tous les infidèles de la Montaûa. A la tombée de la nuit les
sauvages se retirèrent avec des démonstrations d'amitié, et le
père Jara, craignant de perdre tout son monde dans cette pampa,
retourna au Pozuzo... »
L'année suivante, on fit une autre expédition dans les mêmes
parages et Ton y trouva encore une centaine d'indiens qui firent
preuve comme les premiers d'un bon naturel.
Lorsque Fray Simon Jara, dans le passage que j'ai traduit
plus haut, dit que la nudité des carapaces est une toilette com-
mune à tous les sauvages, il ne peut entendre qu'ils ne con-
naissent d'autre toilette que celle-là ; car de son temps comme
du nôtre, un grand nombre de tribus avaient Tusage dérobes ou
sacs de coton. Mais sa phrase est vraie dans ce sens que l'on
rencontre souvent des Indiens de toutes races complètement nus.
Les Campas eux-mêmes ont coutume d'ôter leur cusma dans la
forêt dès que la pluie vient à tomber. Ils l'enroulent alors dan)
quelques grandes feuilles et la portent sous le bras pour la
remettre sèche dès que le soleil reparaît.
La description que donne le même religieux, des Carapa-
chos, peut s'appliquer aux Lorenzos que l'on voit toujours nus^
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294 LES SAUVAGES DU PÉROU
qui ont des couronnes ou diadèmes de plumes do diverses cou-
leurSy des bracelets et des colliers. Mais elle peut aussi plus ou
moins convenir à d'autres tribus. LesLorenzos sont-ils done des
Amages ou des Carapachos ? Il est probable que celte quest^i^n
est pour la première fois posée et qu*avant qu'elle ne soit résolue»
il ne restera plus des uns comme des autres que le nom.
Le dernier missionnaire qui déclare avoir vu des Carapachos,
est le père Girbal qui, en 1794, remonta le rio Pachitea. Il les
accuse d'avoir tué par trahison un des Indiens Panos qui l'ac-
compagnaient, et fait d'eux le portrait suivant :
« Les Carapachos présentent l'anomalie {la rareza) d'être
extrêmement blonds, corps et cheveux, et d'avoir de si beaux
visages qu'on ne voit pas à Lima de plus beaux types que ceux
de ces barbares des deux sexes '. »
Pour saisir toute la portée de cette phrase, il faut se rappeler
que les Liméniennes, andalouses et créoles, passent pour les
plus jolies femmes de l'Amérique du Sud. Il est certain que l'on
trouve parmi les sauvages du Pérou des figures correctes et des
formes agréables, particulièrement chez les Yahuas et chez les
Capanahuas indomptés de la quebrada Panacha. Mais de deux
choses l'une : ou le père Girbal a fait un portrait de pure imagi-
nation, ou ses Carapachos ne sont pas ceux dont nous parlent
les précédents missionnaires, entre autres le père Jara. Car le
père Jara, qui a noté que les plumes de leurs couronnes étaient de
diverses couleurs, aurait vraisemblablement remarqué la cou-
leur de leurs cheveux, s'ils eussent présenté l'anomalie vrai-
ment curieuse en ce pays d'être blonds. Le fait avancé par le
père Girbal n'est pas, à tout prendre, impossible, car il peut y
avoir eu là du sang espagnol, et comme le fait observer un auteur
français en parlant des Madrilènes : C'est une erreur de croire
qu'il n'y a pas de blondes en Espagne.
La description du père Girbal a inspiré à M. Paul Marcoy les
1) Deduccion del Diario y notidas verbales del Padre Girbal, Reconovimiento
de los Rios Ucayali et PachUea verificado el ano de 4794. Note accompagnant
la carie dressée par le père Girbal et reproduite avec commentaires dans El
Peru de Raimondi.
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LES SAUVAGES DU PÉROU 295
réflexions suivantes, dans le très humoristique récit do son
Voyage à travers V Amérique du Sud.
« Nous aurions voulu pouvoir confirmer au public ce que
depuis longtemps il est accoutumé de lire dans les géographies,
à savoir que les Antis, comme quelques nations que nous verrons
plus tard, tiennent de la nature ou ont gardé de leur contact
avec d'autres races, et notamment avec celle des Espagnols, un
teint blanc et rose comme celui que de^ missionnaires enthou-
siastes ont donné aux Carapachos de la rivière Pachitea, aux
Conibos de la rivière Ucayali, ou des barbes de sapeur comme
celles dont ils ont gratifié les Mayorunas de la rivière Tapichi,
teint blanc et barbes noires que nos géographes et nos voyageurs
modernes ont vantés sur parole. Par malheur nous n'avons
trouvé parmi les Antis et leurs congénères rien de semblable ou
même d'approchant. »
Si des missionnaires enthousiastes ont donné aux Conibos
un teint blanc et rose^ ils ont eu le plus grand tort. Quant aux
barbes, elles existent réellement. Qu'elles soient chez les sau-
vages une exception rare ou une anomalie, et qu'ils les tiennent
de leur contact avec les étrangers, cela ne parait pas douteux,
mais il y en a. M. Paul Marcoy reconnaît lui-même que la peau
de leur visage n*est pas impropre à toute végétation pileuse
lorsqu'en parlant de l'un de ses jeunes rameurs campas il dit
qu' « une ligne de duvet noir estompait comme une traînée de
fusain sa lèvre supérieure. »
Le vieux Lorenzo qui passa chez le colon du Cbuchuras pen-
dant mon voyage avait une barbe d'une belle venue. Les Indiens
qui lui donnèrent la chasse, et que je rencontrai quelques jours
après, me firent même la déclaration que le pauvre diable avait
dû la vie à cette barbe qui leur avait inspiré du respect. Dans
la quebrada Purkealc, qui descend du Pajonal au Pichis, il y a
un important samatrinchi. Là vit un (]ampa du nom de Pascual
qui passe dans la tribu pour un habile forgeron et qui est porteur
d'une longue barbe. Ce Campa a certainement dans les veines
du sang espagnol et il ne l'ignore pas, bien qu'il ne parle que la
langue des Antis.
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296 LES SAUVAGES DU PÉROU
A toutes les époques, depuis la découverte du Pérou, un cer-
tain nombre de blancs allèrent se réfugier chez les sauvages
dont ils adoptèrent les mœurs et la nationalité. Dès leur arrivée
dans la Montafla^ les missionnaires signalent des faits de ce
genre. Ainsi, en 1641, une petite troupe de chercheurs d'or
espagnols ayant été massacrée dans une embuscade au Cerro de
la Sal, sauf un certain Galicien et un nommé Francisco Vilan-
ueva, il arriva que ces deux individus acceptèrent les offres de
paix des sauvages qi se livrèrent à eux. Le Galicien se maria à
la mode indienne, eut plusieurs enfants, et mourut, dit la chro-
nique franciscaine, en cet état de bai*barie. Quant à Francisco
Yilanueva, il avait si bien adopté la nationalité campa, qu'en
1645 on le signala comme prenant part, dans leurs rangs, à un
combat contre les soldats espagnols du capitaine Bohorques.
Lorsqu'en 1742 éclata Tinsurrection dite de Santos Atahualpa,
les Européens qui ne purent gagner à temps la Sierra,
durent passer chez les tribus voisines et ennemies des Campas.
Enfin, de 1742 à 1752, ces derniers s'emparèrent d'un assez
grand nombre de femmes blanches qu'ils ne rendirent jamais
et auxquelles ils donnèrent, paraft-il, tous les soins dont sont
capables des sauvages.
De tous ces faits il résulte que des civilisés reprennent de
temps à autre, soit par goût soit par force, la vie sauvage, il n'y
a pas lieu d^^ s'étonner que Ton trouve parfois dans les tribus
des caractères physiques plus spécialement propres aux races
blanches.
VII
Le cannibalisme religieux. — Une observation psychologique du voyageur
Osculati chez les Mayorunas. — Les Cashibos. — Les serfs de la Montana.
Le Fumoir.
En descendant de la Cordillère à l'Ucayali par le bassin du
Pachitea, après avoir traversé le territoire des Lorenzos et celui
que les anciennes cartes donnent aux Amages et aux Carapachos
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LES SAUVAGES DU PÉROU 297
j'entrai, dans la région que ces mêmes cartes attribuent aux
Cashibos.
Parmi toutes les races du Pérou, un petit nombre sont,
à des degrés divers, adonnées au cannibalisme. Les mission-
naires ou les voyageurs ont désigné comme telles, sur la rive
droite de TUcayali, les Gapanahuas et les Mayorunas, et, dans
la Montaûa comprise entre TUcayali et les Andes, les RuanahuaSy
les Cumabus et les Cashibos dont le nom signifie, d'après le père
Calvo, vampire ou suceur de sang.
Les Cumabus et les Ruanahuas ont été signalés, en 1686, sur
la rive gauche du Taraba qui est, d'après la carte de Sobreviela,
Tun des affluents du rio actuellement connu sous le nom de
Tambo. Dans un rapport du père Biedma qui, à cette époque,
explora le rio Tambo, accompagné d'un chef Conibo, du nom de
Cayâ-bay, on lit en effet : « Cayâ-bay dit qu'en remontant de
sept lieues le Taraba, on trouve un grand nombre de Cumabus
et de Ruanahuas qui mangent la chair humaine. Quand un des
leurs est trop vieux pour être apte à la guerre, ils le tuent et le
mangent *. » De son côté, le père Calvo déclare que, par wie
sorte de piété à leur manière *, les Capanahuas mangent leurs
parents défunts, fumés ou rôtis, comme le gibier de la forêt. Il
en dit autant des Remos, qui passent pour très inoffensifs.
Des Cumabus et des Ruanahuas, il n'est plus fait aucune men-
tion, ni dans les récits des voyageurs contemporains, ni dans
ceux des missionnaires du siècle passé, qui eurent cependant des
établissements sur le rio Tambo. Aussi peut-on supposer que
ces cannibales ont complètement disparu, comme tant d'autres
races, à moins qu'ils n'eussent appartenu à quelque tribu déta-
chée des Capanahuas ou des Mayorunas. Quant aux Cashibos,
ils ont commis depuis une centaine d'années assez de méfaits
pour que leur existence ne puisse être révoquée en doute.
1) « Dijo Cayà-bay que siete léguas Taraba arriba desde alli babia mucbas
gentes de Cumabus y Ruanahuas que comian carne bumana, y cuando algun
ndio por ser viejo no sirve para la guerra, lo malan y se lo comen. » (Compendio
Historico de las Misiones, Amicb.)
2) « Por una especie de piedad a su manera. » {Noticias Histoiicas,)
VI 21
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298 LES SAUVAGES DU PÉROU
Les annales franciscaines, en faisant connaître quelques-unes
de leurs victimes, les représentent comme étant un sujet d'hor-
reur et de haine pour tous les autres Indiens^
Cependant, lorsque M. Raimondi écrivit, en 1862, ses Apun-
tes sobre la Provmcia littoral de Loreto, il doutait encore qu'ils
fussent anthropophages dans le sens le plus commun et le plus
complet du mot. « S'il est vrai,. comme on l'affirme, disait-il,
qu'ils mangent leurs parents, cet usage est plutôt le résultat
d'une superstition qu'une marque de cruauté. En efiFet on raconte
que lorsqu'on annonce au vieillard qu'il va être victime , il se ré-
jouit, parce qu'il croit qu'il va bientôt retrouver ses pères. Cette
coutume existe, paraît-il, chez d'autres sauvages du Pérou. Et la
preuve qu'elle est due à une croyance religieuse ou à une tradi-
tion qui n'implique pas l'idée de férocité, c'est le fait suivant dont
fut témoin le voyageur Osculati chez les Mayorunas^ dans son
voyage à l'Amazone par le rio Napo. Un Indien de cette tribu
qui s'était fait chrétien, voyant sa mort approcher, était tombé
dans la tristesse et pleurait. On lui demanda la cause de ses
larmes : « Je suis bien malheureux, répondit-il, parce qu'étant
tt chrétien, je serai mangé par les vers, au lieu de servir de nour-
« riture à mes parents ! » De ces deux façons d'être mangé^ la
seconde lui paraissait donc infiniment plus noble que la pre-
mière. »
Les circonstances qui suivirent le meurtre des deux officiers
de marine West et Tavara, et que M. Raimondi rapporte lui-
même dans son Histoire de la géographie du Pérou * fournirent
au consciencieux savant, la preuve que le cannibalisme des
Cashibos est une question de goût ou d'appétit autant que de
principe.
L'an i866y le gouvernement péruvien voulant savoir à quel
point le Pachitea est navigable, confia la mission de l'explorer
au petit vapeur Putumayo , auquel appartenaient les deux offi-
ciers sus-nommés. Le Putumayo^ en remontant le fleuve,
1) Antonio Raimondi. El Peru, tomo 11 L Hisloria de la Geografia del Féru,
Lima, imprenta del Estado, 1879.
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LES SAUVAGES DU PÉROU 299
•éprouva une avarie à Chonta-Isla et dut séjourner plusieurs
jours en cet endroit, qui parait être le Puerto Desgraciado
des anciens missionnaires. Des Cashibos apparurent sur une
rive et engagèrent par signes les marins à aller près d'eux. West
et Tavara répondirent à l'invitation et gagnèrent la berge dans
un canot chargé de présents. Les sauvages les reçurent avec des
transports de joie, puis, comme pour compléter la fête, ils
tuèrent les deux officiers à coups de macanahs et disparurent
dans le bois emportant les cadavres.
L'année suivante , trois vapeurs de la flotille armée que le
Pérou possédait alors sur l'Amazone , transportèrent à Chonta-
Isla une petite troupe éclairée par des Indiens, dans le but de
châtier les coupables. Ceux-ci furent surpris à deux lieues du
fleuve, au moment où ils étaient en pleine orgie, à l'occasion
sans doute d'une de leurs cérémonies funèbres. On leur prit
quatorze enfants et trois femmes. L'une d'elles était l'épouse du
chef Yanacuna. Elle écumait de rage, dit le rapport du colonel
Araua, commandant l'expédition, et ressemblait à une véritable
furie. Interpellée au sujet de la mort des deux marins, non seu-
lement elle avoua le crime, mais, poussée par la vengeance, elle
alla chercher dans un coin de sa case un petit collier de dents
humaines à demi calcinées, et le jeta aux pieds de l'officier péru-
vien, comme pour évoquer le souvenir de la scène de canniba-
lisme qui avait eu lieu quelques mois auparavant.
Les Cashibos, effrayés par le bruit des armes à feu, avaient
d'abord pris la fuite , mais ils ne tardèrent pas à reparaître, en
faisant retentir la forêt de clameurs sinistres, et ils attaquèrent
à leur tour avec un courage et un acharnement extrêmes. Leur
nombre croissait à chaque instant et l'issue de la lutte eût été
fatale pour le colonel Arana sans les ordres précis laissés aux
commandants des petits vapeurs qui attendaient au milieu du
fleuve. Les sauvages s'étant massés sur la plage pour couper la
retraite aux blancs, les pièces d'artillerie, dont ils ne pouvaient
soupçonner l'existence à bord des steamers, se démasquèrent
subitement et firent un massacre exemplaire.
Au mois de décembre 1885, un peu avant le coucher du soleil,
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300 LES SAUVAGES DU PÉROU
j*arrivais en canot à Chôata-Isla, accompagné seulement de
deux Indiens. Dans Tile pittoresque qui fait face à la célèbre
plage, j'aperçus un grand toit ou galpon couvert de palmes, et,
devant cette habitation, un homme vêtu d'une cusma et dont la
lèvre supérieure était marquée d*un point lumineux que je ne
pouvais m'cxpliquer. Je me décidai à aborder. L'homme était un
Conibo établi en cet endroit avec sa famille, comprenant deux
épouses et trois ou quatre marmots ; le point brillant était une
patène d'argent de la grosseur d'une pièce de cinquante cen-
times, objet que les Gonibos ont coutume de se suspendre sous
le nez dont la cloison médiane est à cet effet percée d'un trou.
Fig. 43. — Patène d'argent, ornement de nez des Gonibos. (Mus, d'Elhnogr.^
coll. Ordinaire.)
Les Cashibos, auxquels les Gonibos et d'autres font une guerre
acharnée ont, depuis trois ou quatre ans, déserté ces parages
pour se retirer dans les vallées des rios Aguaïtia etPisqui. Je
devais cependant avoir la bonne fortune de rencontrer et même
de photographier plusieurs individus de leur race.
Les Gashibos sont moins sveltes que les Gampas. Ils ont le
nez plus épaté, le ventre plus proéminent et les jambes relative-
ment grêles. Ils sortent généralement nus ; toutefois , ils se
couvrent, dans leurs cases, de très courtes cusmas. Leur langue
dérive de la langue pana^ que parlent les Gonibos, les Sipibos
et les Sétébos du rio Ucayali. Ils se divisent en plusieurs tribus,
dont les dialectes varient sensiblement, de même que le degré de
férocité. Gela explique comment le père Galvo put en 1856,
alors qu'il descendait aussi le Pachitea, répondre à leur appel et
s'arrêter une demi-heure environ au milieu d'eux sans être
l'objet d'un guet-apens. G'est d'ailleurs le seul missionnaire qui
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Fig. 46 et 47. — Flèche à pointe de bois et flèche à palette des Cashibos.
(Mus, a*Elhîiogr„ Coll. Ordinaire.)
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302 LES SAUVAGES DU PÉROU
eut à enregistrer pareille faveur, et lorsqu'il revint Tannée sui-
vante, il faillit lui aussi être victime. De toutes leurs tribus, les
plus redoutées sont celles des Buninahuas et des Puchanahuas.
Il semble même que ce soit les seules qui se livrent régulière-
ment à la chasse de Thomme, considéré comme gibier. Qs
assomment pour les manger, non seulement leurs parents sur le
déclin de Tâge, mais toute femme stérile et tout individu majeur
qui, pour un motif ou pour un autre, ne peut pourvoir à sa sub-
sistance.
Dans la Montafîa, les correrias, qui ont pour but la destruction
de ces êtres monstrueux, sont considérées comme légitimes et
utiles. Malheureusement, sous prétexte de Cashibos, on pour-
chasse d'autres tribus qui sont, comme je l'ai dit, inoffensives.
Il existe actuellement, dans la vallée de TUcayali, une cen-
taine de Cashibos mansos , c'est-à-dire apprivoisés. Les petits
sauvages qui ont été pris au nid, sont généralement bien traités
par leurs possesseurs, dont les bons procédés sont intéressés.
Dans ces conditions il en meurt plus de la moitié, combien en
resterait-il si on les malmenait ? L'habitude est qu'ils appellent
le maître de la maison papa, que celui-ci soit ou non le meur-
trier de leurs véritables parents, et sa femme marna. Lorsque
leurs forces physiques ont atteint un suffisant développement,
on les émancipe dans une certaine mesure en les envoyant
rejoindre les travailleurs qui, divisés par groupes, exploitent le
caoutchouc dans la forêt. On leur donne alors un machete^
une hache, un couteau, de la farine de yucca, quelques usten-
siles de chasse et de pêche, quelquefois même un fusil. A
celte occasion, on leur ouvre un compte et quel compte!...
Ils payent en caoutchouc. Mais il faut qu'ils renouvellent
bientôt leurs provisions. On leur a fait connaître aussi le
goût du rhum et du genièvre , dont on leur fournit de temps à
autre une bouteille. Quels que soient leurs efforts, ils n'arrivent
jamais à s'acquitter. Beaucoup n'y songent même pas. Quand
leur maître veut faire un coup de commerce ou quitter le pays,
il les vend, ou ce qui revient au même, il vend leur prétendue
dette. C'est ainsi que ces Indiens changent assez souvent de
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LES SAUVAGES DU PÉROU 303
papa. Lorsqu'ils se rencontrent dans les bois, à la recherche du
caoutchouc, ils ne se demandent pas les uns aux autres : « Pour
qui travaillez- vous ? » mais : « A qui êtes- vous ? » Et ils se
répondent : « Nous sommes à un tel, » ou, s'ils appartiennent
encore à leur premier patron : « Nous sommes les enfants d'un
tel. »
A ces fils soumis ou pour mieux dire asservis, viennent se
joindre un certain nombre d'Indiens libres : Pîros, Conibos, etc.»
qui, depuis longtemps en relation avec les blancs , se sont créé
des appétits qu'ils ne peuvent satisfaire qu'en donnant aussi
leur contingent de travail. Ce sont ceux-là surtout qui, pour
payer leurs dettes, s'adonnent aux correrias, la chair vivante
ayant plus de valeur encore que le jebe ou caoutchouc. Parmi
les ouvriers de la forêt, les Cashibos mansos, qu'ils soient nés de
parents manso^ eux-mêmes, ou qu'ils aient été pris en bas âge,
sont très recherchés, non pas pour leur intelligence, — sous ce
rapport les Campas, que l'on ne voit guère mêlés à d'autres sau-
vages, leur sont supérieurs, — mais pour leur courage à la
besogne et leur soumission. Sachant que leur race est proscrite
et que les Indiens mêmes avec lesquels ils sont en contact jour-
nalier ne les tolèrent que parce qu'ils sont asservis, la servitude
est devenue pour eux une seconde nature.
Si j'avais pu conserver quelques doutes sur le cannibalisme
des Cashibos^ les nombreux faits qui me furent attestés pendant
mon voyage , les eussent levés. Les correrias contre les
Buninahuas et les Puchanahuas étant avouées, les détails
abondent.
Au mois de septembre 1884, le nommé L. Renjijon, ayant
débarqué à la tombée de la nuit, avec une quinzaine d'Indiens
non loin de Chonta-Isla, une flèche vint se planter à côté de lui
dans un tronc d'arbre. Elle avait été lancée par un Cashibo aux
aguets qui, aussitôt après l'avoir décochée, prit la fuite. On lui
adressa deux ou trois coups de fusil et on le vit tomber. Mais
L. Renjijon, craignant une embuscade, regagna de suite le canot
avec ses hommes. Le lendemain ils entrèrent dans la forêt par
un autre point et, après sept ou huit heures de marche, ils sur-
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304 LES SADVAGEB DU PÉROU
prirent les Cashibos autour d'un feu sur lequel rôtissait leur
congénère tué ou blessé la veille.
Dans le courant de juillet 1885 le cahuchero J. G. s'engagea
avec ses Indiens dans une des vallées qui s'ouvrent du Pachitea
à TAguaïtia. Un de ses éclaireurs disparut. Deux jours après,
en suivant une piste formée par le passage d'une bande de
Cashibos, ils arrivèrent & un carbet où il n'était resté qu'une
femme. Sur le fumoir, claie de bois suspendue au-dessus du
feu, ils virent & côté d'un singe maquisapa {ateles niger) la tète
de celui qu'ils avaient perdu en route. La femme — une Buni-
nahua — avoua sans la moindre réticence que ses compatriotes
avaient mangé le reste. Et, le cahuchero qui me rapporta ce
fait ajouta : « Ce qui m'étonne, c'est que tous nos sauvages,
grands mangeurs de singes, ne soient pas anthropophages. Il* y
a si peu de différence, lorsqu'ils sont rôtis, entre un homme et
un maquisapa ! »
vm
Piros, Conibos, Sîpibos et Sétébos. — Action des mosquilos et des zancudos
sur le physique de ces Indiens. — Armes, ornements et garde-robe des
Gonibos. — Les arts céramiques chez les Indiens de race pana. — Circon-
cision féminine.
Les véritables seigneurs de l'IJcayali, de ses plages comme
de ses eaux que sillonnent leurs légères et solides pirogues,
sont, à partir de Torigine du fleuve jusqu'à son confluent avec
le Maraîion : les Piros, les Conibos, les Sipibos et les Sétébos.
Les Piros portent aussi les noms de Simirinches et de Chonta-
quiros {chonta, palmier noir et quiros, dent) parce qu'ils ont
coutume de se teindre les gencives et les dents en noir avec le
Peperofiia ^mc/onbïrfe5. Le vêtement des hommes est une sorte de
burnous ou cusma à capuchon, celui des femmes est la pampa-
nilia, pièce de cotonnade, généralement ornée de quelques des*
sins comme le spécimen que j'ai rapporté, et qui couvre le corps
de la ceinture aux genoux. Elles ont la face large et le nez aplati.
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LES SlUVAGES DU PÉROU SOS
Les pères franciscains représentent les Pipos comme des bret-
leurs (pendencieros) d'un caractère jovial et versatile, mais dont
la bruyante loquacité n'est qu'un masque jeté sur un fond hypo-
crite et pervers. On prétend même que s'ils ont & plusieurs
reprises envoyé au Gusco des députations chargées d'amener
chez eux des missionnaires, c'était toujours avec Tidée pré-
conçue de les assassiner pour hériter des herramientas (instru-
ments ou ustensiles de fer) dont les religieux ont toujours une
provision. La mission de Santa Rosa de los Piros, fondée en 1815
par le père Plaza, au cœur de leur domaine, a été plusieurs fois
saccagée. Reconstituée en 1879, elle fut abandonnée de nouveau
en 1881, époque & laquelle elle ne gouvernait plus qu'un seul
néophyte et quelques femmes.
Les Pires, dit M. Samanès, dans son journal de voyage,
croient à un être suprême, principe du bien et créateur de l'uni-
vers, qu'ils appellent Huyacali^ et à un principe du mal qui
intervient dans toutes leurs affaires et qu'ils nomment Saminchi,
Leur langue ne se confond avec celle d'aucune autre nation.
Les Conibos, Sipibos et Sétébos ont le même genre de vie et
parlent la même langue, une langue rugueuse, toute hérissée
d'aspirations dures. Elle est connue sous le nom de langue pana.
C'est en effet celle que parlaient les indiens Panos. dont les mis-
sionnaires, dans leurs premières explorations du bas Ucayali,
trouvèrent une tribu qui fut convertie au christianisme, et dont
il ne reste aujourd'hui que quelques rejetons plus ou moins
métissés.
Le Conibo est loin d'avoir les formes harmonieuses du Campa.
Il est épais et lourd. Sa tête semble rentrer dans ses épaules.
Ses yeux sont obliques, ses narines épaisses, fortement arquées-
Le front a été artificiellement aplati et allongé au moyen d'une
couple de planchettes que Ton assujettit fortement avec un
bandeau, Tune sur le front, l'autre sur l'occiput du nouveau né.
Le crâne, non encore soudé, s'élève et fuit entre ces deux bar-
rières dont on délivre l'enfant à son sixième ou septième mois.
L'épiderme de ces Indiens est tellement raboteux et dur que cer-
tains voyageurs les représentent comme couverts d'écaillés,
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306 LES SAUVAGES DU PÉROU
d^autres comirie ayant le corps entouré d'écorce. Ce fait est dû
aux piqûres des mosquitos, des zancados, des tébanos et autres
mouches ou moucherons venimeux qui affectionnent les rives
de rUcayali et infligent au voyageur dont la peau n'est pas encore
acclimatée y un véritable martyre. J'ai constaté par moi-même que
la piqûre du mosquito fait apparaître sur le derme un point
sombre, formé par du sang coagulé. Les piqûres se multipliant,
les points se rapprochent et se rejoignent, de sorte qu'au bout
d'un certain temps, la figure et surtout les mains se trouvent
couvertes d'une croûte uniforme. Cette cotte de mailles, sans
mettre la chair complètement à l'abri, la rend un peu moins sen"
sible aux attaques nouvelles.
Les Conibos la renforcent généralement d'une couche de
génipa à laquelle ils donnent, suivant la place qu'elle occupe, la
forme de gants ou de bas, de cothurnes ou de mitaines. Le
suçoir des zancudos, qui travaillent surtout la nuit et dont on ne
peut se défendre qu'en se fourrant sous un moustiquaire, traversé
sans difficulté cette double cuirasse, mais les Indiens affirment
qu'elle atténue l'effet de la piqûre du mosquito.
Outre la cloison nasale qui doit porter la patène d'argent, ils
se percent la lèvre inférieure pour y planter une petite spatule
de bois, longue d'un pouce environ, et dont le bout large se ter-
mine en fourche ou croissant. Ils ont des colliers de grains
(mapichi) auxquels ils attachent des dépouilles d'oiseaux, des
becs de toucans, des ongles de tapir, des griffes de tigre ou des
bouquets d'une herbe odoriférante. Avec les chaquiras, perles
de jais et de porcelaine d'importation européenne, ils se font des
cols et des bavettes. Ils s'attachent aux jambes, pour danser, des
chapelets de grelots fournis par les noyaux de la schacapa {Ger-
bera peruana). Leur cusma ou kart, couleur café, est souvent
entourée ou couverte de dessins symétriques que l'on retrouve
dans les mosaïques de verroteries qui leur servent de cravate, et
qu'ils reproduisent volontiers dans leurs maquillages au genipa
et au rocou. J'ai remis au Musée un exemplaire de chacun de
ces ornements, y compris ceux de la bouche et du nez. J'ai rap-
porté aussi des cayanas et des macahuas, écuelles et coupes de
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LES SAUVAGES DU PÉROU 307
terre cuite d'une parfaite régularité de formes. Ces très fines pote-
ries, confectionnées parles femmes, sans tour ni moule d'aucune
sorte, sont ornées par elles d*entrelacs et de dessins diversement
coloriés, qui dénotent un goût et une sûreté de main extraordi-
naires chez des sauvages. Leurs grands vases, analogues aux
tinajas de la sierra pour faire fermenter et conserver les liquides,
montrent des courbes réussies. On les enterre jusqu'au col pour
y puiser le massato les jours de gala.
Leurs armes sont Tare, la sarbacane et le macanah^ sorte de
massue en bois, ou d'épée à deux mains, ayant la forme vague
d'une fleur de lis allongée. La sarbacane, qui a de trois à quatre
mètres de long, est un produitde l'industrie spéciale des Indiens
de Rioja et de Lamas dans le district de Moyobamba. Les
Conibos en font communément l'acquisition en échange de
poisson salé {Vastres gigas) ou Païchi. Elle sert & lancer de3
virâtes pareils à des aiguilles à tricoter, arnriées d'une tète en
coton ou en soie de bombax qui entre à frottement dans le tube.
La pointe est enduite du fameux curare que les Conibos ne
savent pas non plus préparer et qui leur est fourni par diverses
tribus du Maraîion. On se fait peu idée de la force de projection
de ces sarbacanes. Un virote soufflé par un Conibo, à dix ou
quinze pas sur un tronc d'arbre, se plante si fortement dans le
bois qu'il est difficile de le retirer.
Ils ont toujours pendu au cou un petit couteau courbe nommé
uchate qu'ils façonnent à leur manière, avec do vieux machetes
et autres ferrailles provenant de la métallurgie européeni;ie.
Lorsqu'ils se sont enivrés de massato et se querellent, ils ne
manquent pas de jouer de ce couteau, se faisant souvent de
graves blessures.
Les traits de mœurs observés chez les Xonibos se retrouvent
chez leurs congénères les Sipibos et les Sétébos, et plus ou moins
chez les Piros. Tous ces Indiens sont polygames, les Piros étant
ceux qui ont coutume de prendre le plus grand nombre
d'épouses. Les Conibos se contentent généralement de deux. La
condition de la femme m'a paru inférieure dans ces tribus à ce
qu'elle est chez les Campas de la Ceja de la montaha (sourcil de
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308 LES SAUVAGES DU PÉROU
la montagne, ou premier échelon des Andes) Tous les travaux
fatigants lui incombent et les plus rudes sont réservés aux plus
vieilles. Leurs maîtres et seigneurs les échangent parfois, ou les
vendent comme des mules. Cette dégradation peut s'expliquer
par ce fait qu'ils comptent souvent parmi leurs femmes^ une ou
plusieurs esclaves prises dans les tribus voisines. C'est une con-
séquence des correrias fomentées elles-mêmes parla polygamie.
Ils ont une singulière coutume qui consiste, pour employer
l'expression consacrée par les missionnaires, à circoncire les
pucelles. Le père Pallares décrit comme il suit l'opération :
« Lorsqu'une fille atteint l'âge de onze & douze ans, on célèbre
une grande fête à laquelle sont conviés les parents et amis qui
arrivent revêtus de leurs cusmas neuves et très soigneusement
peints. La vierge qui doit être circoncise apparaît, couverte jus-
qu'au milieu du corps de chaqiiiras de diverses couleurs et la
tête ornée d'une couronne de plumes. Des danses se forment au
son de petits tambours et se répètent pendant sept jours, accom-
pagnées de quelques soûleries. Le huitième jour, au lever du
soleil, ils font boire la pauvrette jusqu'à ce qu'elle perde le sen-
timent; alors deux femmes expérimentées s'emparent d'elle,
rétendent sur une barbacoa (table) appelée quischiqiiepiti, pré-
parée de longue main, et réalisent la sanglante opération. Elles
arrêtent l'écoulement du sang par l'application d'une herbe
spéciale*. »
Le père Sabate donne quelques détails de plus :
« Les libations et festins terminés, dit-il, tous les invités qui
sont encore en état de se tenir sur pied, se réunissent pour assis-
ter à l'acte de la circoncision*. De vieilles femmes sont les prê-
tresses chargées du sacrifice. Armées d'un bistouri de bambou,
elles tranchent avec cet instrument grossier la petite membrane
de la patiente* qui, bien qu'ayant la sensibilité émoussée par son
état d'ivresse, pousse des cris à fendre l'âme.
i)Noticias historicas de las misionespor los Reverendos Padres Pray Pemando
Pallares y Pray Vicente Calvo^ cap. xci. Barcelona, 1870.
2). « El acto de la circoncision de la muchacha. »
3) « El pedacito de carne de la infelis paciente. »
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LES SAUVAGES DU PÉROU 309
u Cette barbare opération termine la fête, à moins qu'elle ne
finisse par un acte plus barbare encore, ce qui a lieu si par mal-
heur il se trouve là quelque prisonnier d'une autre nation. L'un
quelconque des assistants^ lui assénant sans plus de façons un
coup de macanah, lui partage la tète en deux morceaux comme
on ouvre une grenade, et cela, sans que personne songe à dire :
« Pourquoi le tuer? » ou manifeste le moindre étonnement^ n
Religion des Gonii>os. — Les Yulumis ou Mucroyas. — Le Yurima. — Le
spiritisme chez les sauvages et chez lés civilisés de la Moataâ a. —Traditions
orales. — Les missions dans la vallée de l'Ucayali.
On peut remarquer que les tètes artificiellement aplaties des
Conibos rappellent les crânes A'At/marao en forme de cônes tron-
qués que l'on trouve dans certaines Huacas; et que les Conibos
sont de tous les habitants de l'Amérique du Sud ceux qui, après
les sujets des Incas ont apporté le plus de perfection dans la
céramique. Enfin il est à noter que les indiens de l'Ucayali en-
enterrent leurs morts dans leurs maisons, ficelés dans des sacs
comme les momies de la côte et de la Sierra. Cependant il ne
semble pas que la langue Pana ait rien de commun avec le
quichua ou avec l'aymara.
La religion des Conibos est un spiritisme mêlé de magie noire.
Us désignent leurs prêtres, médiums ou sorciers j par les mots de
Mucroya et de Yutumis.
Si j'emploie l'expression de sorcier, c'est que les Yutumis sont
considérés comme ayant de très importantes relations avec le
diable ou Yurima, qui, pour les Conibos aussi bien que pour les
Campas, est l'auteur de tous nos maux. Une conséquence natu-
relle de cette théorie est que le Yutumis est aussi le médecin.
Or, si par sa collaboration avec le Yurima, il peut chasser les
maladies, il peut plus facilement encore les attirer. En somme,
il est très redouté dans son voisinage, où son autorité est
absolue.
1) Viage de los Foudres Misioneros del Convenlo del Cm«co, por el R. P. Fray
Luis Sabate, cap. xxiu Lima, 1877.
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310 LES SAUVAGES DU PÉROU
Lorsqu'un Conibo, souffrant d'une douleur locale, a recours
au yutumis, celui-ci, après s'être livré à quelques exorcismes,
applique ses lèvres à la place indiquée et aspire avec force, fai-
sant Toffice d'une ventouse. Le malade s'imagine qu'il retire
ainsi d'imperceptibles échardes de chonta qui ont pénétré dans
son corps à la suite des sortilèges d'un yutumis quelconque et
sont la cause de son mal. De même que les autres Indiens, ils
font encore usage comme remèdes, internes ou externes, d'un
certain nombre de plantes dont la tradition leur a appris les pro-
priétés et auxquelles ils attribuent une vertu cabalistique.
J'entrai un jour avec un interprète dans une case où il y avait
un Conibo gravement malade. Je demandai à ceux qui l'entou-
raient quelle était la cause de son mal.
— Le yutumis, dirent-ils.
— Mais encore, insistai-je, comment l'a-t-il rendu malade?
— Par son pouvoir, me répondit le groupe d'une seule voix,
et je dus me contenter de cette explication.
Une partie essentielle de leur culte est l'évocation des esprits.
L'assemblée a lieu au clair de lune. Les assistants forment trois
groupes : celui des femmes, celui des jeunes garçons et celui
des hommes mariés. Le mucroya, très orné, la tète chargée d'une
espèce d'abat-jour en feuilles longues, échancré sur la figure,
se tient d'abord dans une petite cabane. Sa voix, que l'on entend
du dehors, débute par un murmure, s'enfle peu à peu et finit par
devenir tonitruante. S'étant mis de cette façon en communication
avec l'esprit ou tute^ il se présente à l'assemblée silencieuse et
béante comme s'il allait se produire un événement considérable.
Le mucroya fait alors des évocations, dans une langue spéciale,
inconnue du vulgaire, et que l'on retrouve dans une litanie dont
les néophytes n'ont pu donner le sens aux missionnaires. Si
l'esprit ne répond pas, il l'appelle avec fureur, s'agite comme un
énergumène, pousse des cris désespérés. Lorsque l'esprit daigne
se présenter, il annonce triomphalement le fait aux assistants
pour lesquels le dit esprit continue à rester invisible, et il leur
parle en son nom.
L'entrée dans l'ordre des mucroyas ou yutumis est précédée
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LES SAUVAGES DU PÉROU 311
d'un noviciat, sorte de retraite de deux mois pendant lesquels
l'aspirant est soumis à un jeune rigoureux, ne recevant pour sa
nourriture quotidienne qu^une portion congrue de bananes
bouillies. Il fume du matin au soir dans une pipe au court tuyau
d'os de singe, et dont le fourneau en bois a la contenance d'une
de ces dames-jeannes en porcelaine que fument les Allemands.
Enfin, il lui est interdit, durant cette retraite, de parler à àme
qui vive, si ce n'est au mucroya chargé de son initiation.
Les Sipibos considèrent comme étant yutumis de naissance les
indiens Cocamas du district de Nants^, dont un certain nombre
habitent la vallée basse de TUcayali. C'est pourquoi ils les ont
en très respectueuse considération. Si un Sipibo refuse de vous
vendre un objet auquel il tient, sa pirogue, par exemple, trou-
vez un Cocama et chargez-le de faire le marché pour votre
compte. Le Sipibo lui laissera l'embarcation pour la moitié du
prix que vous aviez offert, dans la crainte que le Cocama, usant
de son pouvoir infernal, ne fasse quelque maléfice et ne lui
souffle dans le corps des barbes de chonta.
U semble que les sauvages, avec leur spiritisme, ont fait, sans
le vouloir ni le savoir, plus de prosélytes parmi les colons de
cette partie de la Montaûa, où Ton compte, il est vrai, beaucoup
de métis, que les missionnaires n'ont fait de conversions parmi
les sauvages.
— Les Conibos, demandai-jeà un Brésilien qui habite à Tem-
bouchure du Pachitea où il possède un important établissement,
les Conibos croient aux sortilèges ?
— Non seulement ils y croient, me répondit-il, mais ils en
font!
— Hum ! Hum ! me disait un autre à propos de l'évocation des
esprits, on trouve parfois chez les sauvages des vérités que les
civilisés reconnaissent plus tard.
Enfin, la plupart de ceux que je mettais sur ce chapitre se
tiraient d'aBfaire avec les deux mots stéréotypes de l'Amérique
du Sud : Quien sabe ?,.. Qui sait ?...
Les pères Pallares et Calvo, du couvent d'Ocopa, qui ont
passé de longues années au milieu des Indiens de l'Ucayali,
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312 LES SAUVAGES DU PÉROU
déclarent qu'ils n'ont pas trouvé chez ces sauvages Tidée de
Dieu*.
« D'aucuns opinent, disent-ils, que les infidèles dont nous
parlons, ont une croyance explicite en l'existence d'un seul
Dieu, suprême créateur de toutes choses, auquel ils attribuent
tout le bien qui leur anive... Nous ne discuterons pas ce qu'il
peut y avoir de vrai dans cette opinion, nous ne pouvons dire
qu'une chose, c'est que nous n'avons rien observé qui la con-
firme. Cependant nous inclinons & croire qu'ils ont quelque
tradition relative aux morts, car nous les avons vus placer des
lampes sur les tombes, sans que nous ayons su toutefois dans
quel but.
« Enfin, les néophytes aussi bien que les infidèles, sont très
superstitieux. Ds attribuent aux sorciers la cause de tous leurs
malheurs, des maladies et de la mort. En vain cherchons-nous
à les détourner de ces sottes préoccupations, ils en sont tellement
imbus que nos efforts sont inutiles. »
Tout porte à croire que les Conibos, Sipibos et Sétébos sont
issus d'une même souche. Chacune de ces tribus, cependant, se
considère comme beaucoup plus noble que les autres. Les Indiens
d'autres races sont désignés par eux sous le nom de Nakuas^
terme général qui, dans leur langage, signifie Infidèles.
J'obtins d'un groupe de Sipibos des deux sexes, moyennant
quelques chaquiras, qu'ils restassent un instant immobiles devant
mon appareil photographique.
— Ne vous y trompez pas, me disaient-ils, pensant ainsi mé-
riter une considération exceptionnelle et un cadeau plus impor-
tant : Nous sommes de véritables Sipibos !
Lorsque deux sauvages se rencontrent, l'usage veut qu'ils se
fassent mutuellement et à tour de rôle, la narration de tout ce
qu'ils ont vu ou entendu depuis leur dernière entrevue. Et l'on
admire la patience avec laquelle ils écoutent, sans une inter-
ruption, des discours qui durent parfois plus d'une heure. Grâce
à cette coutume, bien que ne connaissant aucun système d'écri-
1 iVbh'ctos historicas^ pages 80 et 81.
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LES SAUVAGES DU PÉROU 313
ture, ils conservent la tradition des événements notables. C'est
ainsi qu'en 1686, le père Biedriia apprit des Conibos que le
moine franciscain lUescas, le premier homme de race blanche
qui descendit le cours des nos Tambo et Ucayali, avait été,
quarante-cinq ans auparavant, surpris par les Sipibos,près du rio
Aguaïtia, pendant son sommeil, et assassiné.
Les premières missions eurent lieu chez les Sipibos en 16S7,
chez les Sétébos en 1661, chez les Conibos en 1685. Elles eurent
pour épilogue le massacre ou la fuite obligée des missionnaires.
Un siècle plus lard, les Franciscains reprenant leur œuvre, fon-
dèrent chez ces peuplades divers établissements connus sous le
nom de Missions de Manoa, leur centre ayant été le couvent
établi au bord du rio Manoa. Elles eurent au bout de six ans
la même fin que les précédentes. Un massacre général des reli-
gieux eut lieu au mois d'octobre 1766.
En 1791, le père Girbal fonda le couvent de Sarayaco^ dans la
vallée de ce nom où il avait trouvé un petit groupe de Panos et
de Conibos. Si on suit lliistoire des missions, on voit que les reli-
gieux conçoivent invariablement à leur arrivée chez les sauvages
des espérances qui ne se réalisent jamais. Le couvent provisoire
de Sarayaco, en clayonnage, était à peine achevé que déjà huit
cents Indiens des diverses races de TUcayali campaient dans le
voisinage, demandant le baptême. Après des alternatives de
prospérité et de revers, la mission de Sarayaco eut à peu près
le même résultat que les autres. Si les religieux n'y furent pas
assassinés, ils virent peu à peu se former autour d'eux un vide
qu'ils attribuent, entre autres causes, & Tinconstance naturelle
aux Indiens et aux manœuvres des organisateurs de correrias
contre lesquelles ils prêchent.
Ils abandonnèrent définitivement Sarayaco en 1863, pour se
retirer au bord d'un affluent de la rive droite de TUcayali^ dans
leur petit couvent de Callaria où il n'y avait à l'époque de mon
voyage que deux religieux, et, comme paroissiens, vingt-cinq à
trente familles d'Indiens de diverses races. La mission de Callaria
est avec celle de Quillasu, chez les Campas, tout ce qui reste
à l'heure actuelle de plus de cent cinquante établissements
VI 22
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314 LES SAUVAGES DU PÉBOU
que les franciscains fondèrent dans cet immense bassin de
i'Ucayalî.
D'après la statistique d'Ocopa, soixante>dix religieux de cet
ordre sont morts dans la Montana de la main des sauvages.
Leur labeur a été rude et la moisson qu'ils se proposaient presque
nulle. C'est à eux cependant que la science doit les premières
données géographiques sur cette région, ce sont eux qui ont
ouvert toutes les voies que le commerce suit aujourd'hui. Sic vos
non vobis.
\X
Les Aguanteas. — Trait de ressemblance entre les Moyobambinos «t les
Carapacbos du père Girbal. — Trophées de Jivaros. — La Chancha-Tucui
ou Danse des tôtes. — L'Inca Tupac-Yupanqui dans la Montana. — Les
Missions de Maynas. — Statistiques. — Les disparus. — Destruction pro-
gressive des races indiennes.
Outre les sauvages dont j'ai parlé dans le précédent chapitre,
et que Ton désigne parfois sous le nom général de Harpies de
rUcayali, d'autres Indiens habitent la vallée de ce nom. Toute-
fois on ne les rencontre que par exception sur les rives mêmes
du fleuve où ils ont de si féroces ennemis.
M'étant surtout appliqué, dans mon voyage, à Tétude du
bassin si peu connu du Pachitea, je serai sobre de détails sur ces
tribus, et plus encore sur celles qui hantent les vallées du
Maraûon et du Huallaga dont j'ai remonté le cours jusqu'à
Yurimaguas.
Les Campas n'apparaissent guère sur TUcayali qu'à son ori-
gine, au confluent des rios Tambo et Urubamba et à l'embou-
chure du rio Unini. Là, ils ont pris quelques coutumes de leurs
voisins les Pires et les Conibos. Cela explique comment M. Paul
Marcoy a pu voir un Campa portant, sous le nez^ une patène
d'argent et, sur le dos, une chemise à capuchon^ objets inconnus
des Antis dans les régions où ils sont seuls.
A Poricnt du rio Urubamba vit une tribu de Pucapacuris qui
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LES SAUVAGES DU PÉROU 315
se plantent^ comme ornements de toilette, des plumes dans la
figure.
En quittant les Pucapacuris pour traverser du sud au nord
les forêts situées à Test de TUcayali, on trouve d'abord les Ama-
huacas que les Pires appellent Impetiniris, nom qui dans leur
langue est celui du craintif ronsoco, puis on arrive chez les Remos.
Les uns et les autres sont l'objet d'incessantes correrias.
Il y a quelques années les religieux d'Ocopa cherchèrent à
convertir les Amahuacas. Dans ce but ils s'établirent à deux
reprises au bord du rio Tamaya, mais les Impetiniris pillèrent
et brûlèrent leurs chapelles. Ils mirent en loques les chasubles
pour s'en servir, dit le père Ibanez, dans leurs mascarades et
danses grotesques {mojigangas). Les moines expulsés redescen-
daient au mois de décembre 1878 le rio Tamaya, lorsqu'ils croi-
sèrent une centaine de canots de Conibos et de Sipibos qui
allaient, comme des caïmans en chasse, chercher à leur tour les
Amahù£^^as, et qui les saluèrent au passage de sarcasmes et de
cris de guerre.
La destruction des Remos a été telle, dans ces dernières
années, qu'en me montrant chez un colon une petite fille dont je
me hâtai de faire la photographie, on m'assura qu'elle était l'un
des derniers représentants de leur race. Au lieu de se peindre
avec de l'achiote ou du genipa, comme les autres sauvages du
Pérou, les Remos se font des tatouages indélébiles en se
piquant la peau avec une épine pour y faire pénétrer ensuite
la fumée produite parla combustion d'un copal.
Dans la pensée de protéger les Remos contre les correrias,
le père Calvo fonda en 18S9 la mission de Callaria dans la vallée
du même nom. Mais, comme certains commerçants, dit-il, ne
cessaient de demander aux Sipibos des enfants en échange de
haches et de machetes, le couvent cessa d'être un porte-respect
suffisant, et les Remos ayant été plusieurs fois attaqués, le petit
nombre de ceux qui échappèrent se retira à l'intérieur du Pi3ruya.
On ne put savoir, ajoute le père Calvo, quelle fut leur retraite
exacte. Depuis, les Harpies de TUcayali se chargèrent de la
découvrir.
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316 LES SAUVAGES DU PÉROU
Ëa allant toujours vers le nord, ou rencontre, après les
RemoSy les Gapanahuas ou Busqulpanis^ puis les Mayorunas dont
j'ai dit quelques mots en parlant des anthropophages. Ces deux
tribus sont également redoutées des chercheurs de caoutchouc
qui s'aventurent dans leurs forêts. L'arme habituelle des Mayo-
runas, Indiens que l'on retrouve sur le bas Marafion et sur le rio
NapOy est une lance en chonta, véritable hdsta qu'ils savent
lancer comme un dard à de grandes distances. Ils se plantent
dans les lèvres de petites baguettes et des plumes.
Sur la rive gauche du bas Ucayali, entre le canal Sapote et la
rivière Pacaya, existent une trentaine de familles de Puinahuas,
nom qui signifie en langue pana hommes d'excréments et qui
leur a été donné pour leur malpropreté. Ils sont d'ailleurs très
timides et inoffensifs. Leur idiome dérive du cocama que parlent
les Indiens de Nauta sur le Maraûon. Leur vêtement habituel
est une sorte de sac d'écorce.
Us ont pour voisins les AgtuirUeas dont aucun auteur, je crois,
n'a signalé l'existence. Celte tribu habitait primitivement dans
le pays actuel des Omahuas, sur la rive gauche du Maraûon,
entre Nauta et Iquitos. Une guerre sans trêve avec les Cocamas
les obligea, il y a une cinquantaine d'années, & émigrer, et on
les trouve aujourd'hui vers les cabeceras de la quebradaPacaya.
Le premier sentier que les Espagnols ouvrirent de la côte du
Pérou à la Montaûa passe par la vallée de Moyobamba, qui fut
découverte par Alonso de Âlvarado en 1639 et qui aboutit au
rio Huallaga, l'un des grands affluents du Marafion. Les Moyo-
bambinos d'aujourd'hui sont des métis chez qui les caractères
de la race blanche prédominent. Les femmes ont les traits régu-
liers et le teint d'une remarquable fraîcheur. J'ai constaté que
l'on ne trouve pas à beaucoup près de type aussi agréable dans
les races hybrides de TAmazonie brésilienne. Le savant Rai-
mondi, qui a fait plusieurs séjours à Moyobamba^ a remarqué,
parmi les métis de cette vallée, des chevelures blondes % ce qui
donne une vraisemblance aux Garapachos du père Girbal.
1) « Algunos pocos tienen el pelo casi rubio, lo que les acerca mas todavia a
la raza blanca. » — Apuntes soore la Provinoia litoral de Loreto.
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LES SAUVAGES DU PÉROU 317
Les Moyobambinos parlent Tespagnol el le quichua. Ils ont
pour voisins : au sud, les Suchiches et les Lamas, passés maîtres
dans la fabrication des sarbacanes et d'un poison dont Faction
diffère quelque peu du curare des Ticunas ; au nord^ les Jeberos
qui sont les Indiens les plus robustes et les plus travailleurs du
Pérou. Ce sont eux qui cultivent la plus grande partie des terres
de Moyobamba et qui transportent, sur le dos, les ballots de mar-
chandises là où les mules refusent de passer. Leur bourg de
maisonnettes en clayonnage est d'une remarquable propreté. Us
parlent le jebero ou le quichua et pratiquent le culte catholique.
On voit que cette race, bien que les Jeberos ne connaissent
d'autre vêtement que la pampanilla est tout aussi civilisée
que les races de la côte ou de la sierra.
Elle n'a pas moins subi la loi fatale, et n'a cessé de dimi-
nuer en nombre depuis 1637, époque où elle se soumit à la vie
civile.
Plus au nord, entre le Pongo de Manseriche, fameuse gorge
du Maraûon, et le rio Pastaza, et au delà des frontières de
l'Equateur, on trouve les Jivaros qui sont habituellement nus
et dont l'arme favorite est la lance. Leurs diverses tribus : Anti--
pas, AguarunaSf AyuHs, Huambisas, Muratos, Cherembos, etc.,
obéissent à des chefs ayant chacun une espèce de cour ou de
garde d'honneur et sont entre elles en perpétuel état de guerre.
Le trophée auquel ces sauvages ajoutent le plus de prix est la
tète du chef ennemi. Après l'avoir séparée du tronc par une
section nette, ils en retirent le cr&ne et autres parties osseuses,
puis ils lui font subir une sorte de tannage et une>étraction uni-
forme qui la réduit à la grosseur d'une orange sans détruire
le type du visage. (Voir le spécimen que j'ai remis au musée.)
Ils gardent sur leur procédé un secret farouche, ou donnent des
explications incompréhensibles. Tout ce que j'ai pu savoir, c'est
que dans une certaine partie de Topération^ ils se servent de
petites pierres ou de sable chauffés.
Au milieu des longs cheveux rudes qui tombent comme une
queue de cheval de la tète minuscule, ils attachent des dépouilles
d'oiseaux et des guirlandes irisées d'élytres de coléoptères.
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318 LES SAUVAGES DU PÉROU
Ils s'ornent de ces trophées ou les suspendent à un T pour les
agiter en Tair, dans la fête sauvage od ils célèbrent leurs victoires
et qu'ils nomment chancha^tiicui ou danse des têtes.
Outre leur langue spéciale, beaucoup de Jivaros parlent le
quichua. Cette remarque s'étend à la plupart des tribus des
provinces de Moyobamba et de Tarapoto. Les relations que ces.
Indiens ont de temps à autre avec les FrorUerizos de Ghacha-
poyas ne peuvent. expliquer un fait aussi général. Pour en trou-
ver l'origine, il faut remonter à une époque antérieure à Touver-
ture du premier sentier des Espagnols, et se rappeler que le
grand conquérant Tupac Yupanqui avait soumis à l'empire des
Incas une partie de la région dont je m'occupe et qui était alors
connue sous le nom de Muyupampa*.
Dans le courant de ces dernières années , des cahucheros ont
pénétré jusqu'au cœur du pays des Jivaros, lesquels ont fini,
comme les Indiens de TUcayali , par récolter pour le compta
d'autrui la précieuse gomme élastique. Les Antipas du haut
Maraôon sont aussi d'utiles auxiliaires pour les colons qui
recueillent la salsepareille, le copal et l'ivoire végétal.
Le capitaine de corvette péruvien Vargas qui, en 1867, remonta
çn steamer le rio Morona, sur une longueur de 2^8 milles, dit que
les Ayulis ont le teint clair, de beaux yeux et de la barbe*. « Tout
porte à croire, ajoute-t-il, qu'ils ont dans les veines du sang
européen, et Ton doit admettre la tradition d'après laquelle,
après avoir détruit, il y a environ cent ans, la ville de Logrofto et
autres pueblos espagnols, dont ils décapitèrent tous les habitants
mâles, ces Jivaros emmenèrent avec eux les femmes, y compris
les nonnes du couvent de Logrofto, »
Entre le Morona supérieur et le Napo, aux cabeceras du Paz-
taza, on trouve, entre autres nations, celles des Canelos qui ser-
virent de guides à l'explorateur équatorien Proafto dans son
second voyage sur le haut Morona, lorsqu'il quitta le steamer du
1) Garcilaso, Comentarios reaies. Parte I», libro VïII, cap. m.
2) Parte del capitan de corbeta graduado, D. Mariano-Adrian Vargas, en el
viaje de exploracion hecho a los rios « Alto Maranon » y « Morona ». — Ei
Peruano de 24 de déciembre de 1867.
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LES SAUVAGES DU PÉROU 319
capitaine Vargtts pour se rendre à Guayaquil, sa patrie. Les
Canelos qui ont des relations, tantôt avec les riverains du Mara-
fton, tantôt avec les pueblos de l'Equateur, sont quelque peu
civilisés.
En descendant le Huallaga, on rencontre succcessivement les
Cholones et les Hibitos^ Indiens de mœurs paisibles, qui accueil-
lirent les missionnaires dès 1676, puis les Cocamillas, d'une
adresse et d'une audace hors pair pour franchir en pirogue les
pongos et les rapides semés de roches du torrentueux et formi-
dable Huallaga. Les Cocamillas sont soumis à la vie civile. Leur
village le plus important, La Laguna, renfermait en 1861,
époque à laquelle il fut visité par M. Raimondi, plus de mille
habitants. Il en compte à peine cent cinquante aujourd'hui. Ces
Indiens, de même que les Cocamas, les Llameos et les Omahuas
qui habitent le district de Nauta, sont baptisés, mais ils n'ont
abandonné pour autant aucune de leurs croyances et pratiques
primitives. Us sont généralement vêtus d'un pantdon et d'une
petite cusma blanche, noire ou bleue, suivant la tribu. Les
femmes se contentent d'un pagne et d'une chemisette qu'elles
portent plus souvent sous le bras que sur les épaules.
D'Iquitos au rio Javari, on rencontre encore , outre les Mayo-
runas dont j'ai parlé, des Orejones , des PebaSy des Yakuas et
des Ticunas. Un certain nombre de ceux qui habitent sur les
rives du Marafîon se considèrent comme chrétiens et civilisés.
En réalité ils ne diffèrent de leurs congénères de l'intérieur des
forêts que par ce fait, que les uns portent un pantalon et que les
autres s'en passent généralement. Toutes ces tribus sont exper-
tes dans la préparation du curare connu aussi sous le nom de
poison des Ticunas. Ils en fabriquent diverses variétés d'intensités
inégales et qu'ils conservent, suivant l'espèce, dans des tubes de
bambou ou dans de petits pots de terre. On sait qu'ils emploient
dans cette opération chimique le cocculus toxicoferus^ que les
Orejones nomment bobugoy et divers strychnoSy entre autres le
strychnos castelneana (Wedd,) que les mêmes Indiens désignent
sous le nom de taraiu. Mais il paraît que le curare ne doit ses
terribles propriétés qu'à une seule de ces lianes vénéneuses.
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320 LSS SAUVAGES DU PÉROU
Les Orejones doivent leur nom aux dimensions de leurs
oreilles, dont le lobe inférieur est souvent allongé au point de
toucher Fépaule. Ils arrivent à ce résultat en y suspendant des
rondelles de bois dont le poids est gradué de façon à étirer pro-
gressivement le cartilage, comme un morceau de caoutchouc,
sans le rompre. Ils se passent encore à travers le nez de petites
baguettes auxquelles ils attachent divers ornements. — On sait
que les longues oreilles, agrandies par le même procédé, étaient
Fun des attributs de la race royale chez les Incas.
Toutes ces peuplades du bas Maraôon passent une partie de
leur existence dans des hamacs, dont le fil est extrait des folioles
du palmier chambira.
Les YahiLOS, dont j'ai rencontré à Pebas et admiré plusieurs
familles, présentent, par le galbe splendide de leurs formes et la
grâce de leur physionomie, le type le plus parfait des races péru-
viennes et vraisemblablement de toutes les races indiennes. Le
teint d'abricot de ces Apollons et de ces Vénus de FAmazone est
plus clair que celui de leurs voisins qui paraissent, à côté, d'une
nuance terreuse. Il semble d'ailleurs qu'ils cherchent à se distin-
guer des autres tribus par tous les moyens en leur pouvoir.
Ainsi, ils se coupent les cheveux courts, presque ras. Les deux
sexes portent une ceinture d'où tombent des franges de cham-
bira, dont l'objet paraît être de décorer autant que de cacher. Un
voile de même matière leur flotte sur le dos, attaché au bandeau
d'écorce fine qui leur ceint la tète. Enfin des houppes et des bra-
celets de chambira frisée , sur le haut des bras et sur les mol-
lets, complètent, je ne dirai pas leur costume, mais leur parure.
Pour peindre leur caractère^ Raimondi emploie l'adjectif espa-
gnol carifïosoy qui signifie, suivant les cas, affectueux ou cares-
sant.
Si, pour pourvoir à leur subsistance , les Indiens des forêts
voisines de la Cordillère sont obligés de vivre disséminés,
comme les Campas, ou bien en tribus nomades comme ces hordes
du Palcazu et du Pachitea, que les missionnaires du siècle passé
ne rencontraient jamais deux ans de suite à la même place, il
n'en est pas de même des riverains de l'Ucayali et du Marafion,
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LES SAUVAGES DU PÉBOU 321
qui trouvent, soit daos ces grands fleuves^ soit dans les lacs et
canaux adjacents, une quantité de poisson, de tortues, de iamen-
tins, etc., bien plus que suffisante pour leur alimentation. Aussi,
ces peuplades formaient, c^ et là, lorsqu'elles furent décou-
vertes, des groupes relativement importants.
Les missions de Ma]mas, dont la capitale fut ce bourg de la
Laguna, dont j'ai signalé plus haut Tétat d'abandon, comp-
taient, en 1689, sous la direction du père Fritz, quarante villages
dont il ne reste pas la moitié.
Le père Pallares, voulant faire la statistique des Indiens de la
vallée de TUcayali, remonta, en 1854^ non seulement ce fleuve,
mais chacun de ses affluents, sur un parcours de huit à dix
lieues. Il avait eu Tidée originale d'emporter avec lui un orgue
de Barbarie dont il tournait de temps à autre la manivelle pour
faire sortir les sauvages de leurs retraites. De l'embouchure du
rio Santa Catalina à celle du Tambo, c'est-à-dire sur une Ion*
gueur de cent quatre-vingts lieues, qui représente à peu près
la moitié du cours de TUcayali, il compta dix-sept cents quatre-
vingts sauvages, y compris les femmes et les petits enfants. Il
nota que le plus grand nombre meurent avant l'&ge de douze
ans, ce qu'il attribue à la négligence des parents qui laissent
leurs enfants manger de la terre, ce vice ayant pour résultat un
monstrueux gonflement du ventre qui entraîne habituellement
la mort au terme de trois ou quatre ans.
Le moyen d'attraction imaginé par le père Pallares était
insuffisant, car les missionnaires qui vinrent après lui déclarent
que son chiffre était sensiblement au-dessous de la vérité.
n ne ressort pas moins de son travail que, des tribus décou-
vertes par les Franciscains, les unes étaient, déjà en 1851,
complètement anéanties, les autres réduites à des effectifs relati-
vement infimes. Ainsi, du pueblo de San Miguel où il y avait en
1685, deux mille Conibos, il ne restait que la place ; ainsi, de la
tribu des SensiSj qui fut découverte par le père Plaza, en 1811,
près du rio Guanacha et comptait alors un millier d'individus, il
ne restait que douze hommes, dont deux seulement avaient plus
de trente ans, quinze femmes et neuf enfants. H faut les inscrire
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322 LES Sauvages du Pérou
aujourd'hui dans la liste des disparus. Ont disparu de même les
Maspos du rio Manipoboro, chez qui le përe Biedma avait trouvé
en 1686, un village de cinq cents habitants, et les Pichabos et les
Soboyobos de la rive droite de TUcayali, et les Chipeos et les
Muchubus de la rive gauche. H ne reste non plus que le nom des
VinabiSy des ChuntiSj des SmabuSy des Ormigas du père Girbal,
et de tant d'autres dont il serait plus long de faire Ténumération
que dé compter ceux qui leur ont survécu.
Depuis l'arrivée des blancs, les Indiens, qu'ils soient restés
complètement indépendants ou qu'ils aient été à demi civilisés,
pnt donc diminué de nombre suivant une progression si con-
tinue et si rapide, que Ton peut prédire Fépoque plus ou moins
proche de leur complet anéantissement.
M. Raimondi estime que la petite vérole, qui fait d'épouvan-
tables ravages dans ces tribus où, comme bien on pense, la vac-
cine est inconnue, est Tune des principales causes du dépeuple-
ment de la Montaîia. Cette opinion prouve que dans l'esprit de
l'éminent américaniste, la variole, qui fut importée du centre de
l'Afrique en Europe par les Sarrasins, serait pour les peuplades
américaines un don des Européens.
Mais ce n'est pas seulement en lui apportant ses virus et ses
vices, ses liqueurs fortes et ses épidémies que le Blanc est fatal
à rindien. Dans ces régions reculées, à peu près sans communi-
cation avec le siège du gouvernement, l'exploitation du faible
par le fort est d'autant plus dure qu'il ne peut y avoir, en l'état
actuel, de répression efficace. J'ai parlé des correrias, je pour-
rais citer d'autres abus criminels dont souffrent aussi bien les
Indiens soumis à la vie civile que les véritables sauvages.
L'étude de cette meurtrière oppression m'entraînerait loin des
limites de mon sujet, et je dois me résumer en disant que là où
la civilisation apparaît sans ses gendarmes, elle est pire que la
barbarie.
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LES, PÏGMÉES À MADAfiASCAR
Jja publication récente d'un ouvrage.de M, de Quatrefages sur
les Pygmées* nous a décidé à réunir ce que nous savons de la
question en ce qui concerne Madagascar. Aussi bien le livre du
savant maître, si riche en documents et informations de toute»
sortes, est muet sur les Pygmées de la grande île africaine : ceU
tient sans doute à ce que les auteurs modernes, qui ont écrit sur
Madagasc^r^ se sont refusés à étudier de près Tantique tradition
des Pygfnées dans rile.
Ce dédain ne nous semble pas justifié^ et c'est ici le lieu dé
citer la conclusion de M; de Quatre fages à la fin du chapitre où
il traite des négiîlles ou Pygmées d'Afrique* : « La science mo*
derne, parfois égarée par sa sévérité, s'est longtemps arrêtée
uniquement à ce qu'il y avait d'inacceptable dans ce que la tra-
dition rapportait des petits hommes d'Asie ou d'Afrique et a
rejeté le tout en bloc. Nous venons de voir qu'elle a eu tort... >>
C'est ce que nous voudrions prouver à notre tour pour Mada-
gascar en particulier.
Nous n'avions rien dit des Quimos ou Kimos — c'est le nom
que la tradition donne aux Pygmées à Madagascar — nous n'en
avions rien dit dans notre étude sur les Peuplades de Mada-
gascar^, ce sujet nous semblant relever plutôt de la légende que
de l'histoire, par ce fait même qu'aujourd'hui, dans les relations
des voyageurs les plus récentes, il n'est plus parlé de ce peuple
nain, dont on s'était un peu occupé aux xvu' et xivlii* siècles, et
i) Un vol. in-12, avec 31 fig. Paris, J.-B. Baillière.
2) loc. ci(.,p. 274.
3) Voy. Revue d'ethnographie, 1886, n^ô. — 1887, n« 1.
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324 LES PTGMÉES A MADAGASCAR
qu'il ne semble plus jouer aucun rôle positif et défini dans le
composé ethnique qui constitue la population malgache. H est
bon de revenir maintenant à loisir sur la légende délaissée et de
voir si la découverte relativement récente de véritables peuples
nains en Afrique ne Téclaire pas d'un jour particulier.
Flacourt^ qui, le premier en cela comme en mille autres des
choses malgaches, nous rapporte la légende, dit en son Avant-
propos : « Quelques-uns ont voulu faire accroire qu'il y avoit
des Géans et des Pygmées : je m'en suis informé exprès, ce sont
des fables que racontent les joueurs dlierravou*. J'ay veu
un endroit proche dltapère, où Ton m'a dit que c'étoit des
Pygmées qui y estoient enterrez. Ces Pygmées estoient venus
en grand nombre faire une course dans lé païs d'Ânossi, dont ils
furent repoussez jusqu'à la rivière dltapère, laquelle n'ayans pu
passer faute de batteaux, ils furent tous mis à mort, et pour
marque de victoire les victorieux les enterrèrent tous^ et dres-
sèrent ces pierres. »
On voit que Flacourt traite dès l'abord ces traditions de fables
et lui, esprit d'ordinaire si curieux, ne chercha pas à approfon-
dir. Presque tous ceux qui vinrent après lui, connaissant tout le
poids, la véracité et la conscience de l'auteur, s'en tinrent à sa
décision, comme à parole d'Évangile, et partagèrent son scepti-
cisme. C'est surtout parmi les auteurs récents qui écrivirent sur
Madagascar que cette foi absolue dans le jugement de Flacourt
eut pour conséquence de perpétuer sa propre incuriosité.
Plus d'un siècle après Flacourt, on se met à parler de nouveau
des Pygmées de Madagascar, mais cette fois d'une façon beaucoup
plus précise. C'est Modavc qui donne le branle. M. de Modave,
1) Hist. de la grande isle de Mad. Paris, )d4s 1658.
2) Herravou ou érahou , instrument de musique formé d*une moitié de cale»
basse tendue d'une seule corde que Ton met en vibration au moyen d'un archet.
•— Les joueurs d'érahou sont des sortes ô'aèdes, moitié poètes, moitié sorciers.
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LES PYGMÉES A MADAGASCAR 325
homme fort éclairé, esprit chercheur et observateur, fut, de 1768
à 1770, gouverneur de nos établissements dans Tlle. Il y occupa
fort bien son temps et rédigea un journal conservé emsi Archives
coloniales : nous y avons déjà puisé nombre de documents inté-
ressants pour nos précédentes études. Or, voici ce qu'il dit à la
page 21 de son journal manuscrit :
a Raimouza est le plus instruit de tous les Madécasses que j'ai
vus jusqu'à présent : il entend fort bien le français et il connaît
l'intérieur du pais de manière à en tirer de grands éclaircisse-
ments. Il a été au païs à'Alfissach et y a vu la vigne. Il a traité
plusieurs fois avec les Quimos^ cette nation singulière qui forme
un peuple à part et dont je vais parler.
« Les Quimos sont une race de petits hommes, qui, au rapport
de Raimouza n'ont pas plus de trois pieds et demi de haut. Ce sont
les Lapons des nègres. Ils habitent une grande vallée entourée
de montagnes à peu près au centre de l'isle, à la hauteur de Ma-
nanzari. Ces hommes portent une grande barbe. Us sont gros et
trapus. On prétend que leur caractère est doux et sociable et
qu'ils cultivent bien la terre; leurnation est assez nombreuse,
puisque leur pais égale, dit-on, en étendue et en population la
vallée d'Amboule. Ils obéissent à un chef qui les gouverne avec
douceur et auquel le fils aîné succède toujours. Ils sont armés de
fusils qu ils traitent avec les noirs qui commercent avec nous.
Us forgent des sagayes beaucoup plus longues et plus fortes que
celles dont les autres nègres se servent, et ils les lancent avec
beaucoup de roideur et de dextérité. Ils ont beaucoup de mines
de fer et ils sçavent très bien le travailler. Le père de Mainbou
les attaqua autrefois dans leur pais et il fut tué dans cette guerre
contre les petits hommes. On assure qu'ils sont fort hospitaliers
et qu'ils reçoivent très bien les étrangers. »
Certains points de cette description paraissent hasardés ; Mo-
dave, mieux renseigné, les rectifiera plus tard dans un mé-»
moire.
Le savant naturaliste Commerson, qui avait passé de longues
aimées à Madagascar — il l'appela une terre de promissions mot
qui a fait fortune — et aux Mascareignes, avait visité Tile juste-
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326 LES PYGBfÉES A MADAGASCAR
ment à Tépoquè où Modave commandait nos établissements.
C'est ainsi qull eut l'occasion de recueillir de curieux renseigne-
ments sur les Quimos ou Kimos. Il adressa à ce sujet une lettre à
M. de la Lande qui fut insérée dans le Supplément au voyage de
M. de Bougainviile, etc., par M. de Fréville*. Cette lettre fut
reproduite, en ce qui concerne les Quimos, par Alexis Rochon
dans ses Voyages à Madagascar j au Maroc et aux Indes Orien-
tales*.
Commerson y parle de « ces demi-hommes de Fintérieur de la
grande île de Madagascar, qui y forment un corps de nation
considérable, appelé Quimos ou Kimos, en langue madécasse.
Le caractère naturel et distinctif de ces petits hommes est d'être
blancs, ou du moins plus pâles de couleur que tous les noirs
connus, d'avoir les bras très allongés, de façon que la main
atteint au-dessous du genou sans plier le corps ; et pour les
femmes, de marquer à peine leur sexe par les mamelles, excepté
dans le temps qu'elles nourrissent... Quant aux facultés intellec-
tuelles, les Quimos le disputent aux autres Madécasses, que l'on
sait être fort spirituels et fort adroits, quoique livrés à la plus
grande paresse ; mais on assure que les Quimos, beaucoup plus
actifs , sont aussi plus belliqueux... Ils n'ont jamais pu être
opprimés par leurs voisins... Ils ne communiquent pas avec les
différentes castes madécasses dont ils sont environnés, ni par
commerce, ni de quelque autre manière que ce soit, tirant tous
leurs besoins du sol qu'ils possèdent... Leurs armes sont la sa-
gaie et le trait qu'ils lancent on ne peut plus juste.
« A trois ou quatre journées de Fort-Dauphin, les gens du
pays montrent, avec beaucoup de complaisance, une suite de
petits monticules, ou tertres de terre en forme de tombeaux,
qu'ils assurent devoir leur origine à un grand massacre de Qui-
mos, défaits en pleins champs par leurs ancêtres. Quoi qu'il en
soit, cette tradition constante dans ces cantons, ainsi qu'une no-
tion généralement répandue par tout Madagascar, de l'existence
1) Paris, chez Saillant, 1772.
2) Pans, Prauit, an X de la Rép. in-lS, 1. 1, p. 128 et sqq.
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LES PTGMÉES A MADAGASCAR 327
encore actuelle des Quîmos, ne permettent pas de douter qu'une
partie de ce qu'on raconte ne soit véritable.
« ... J'attesterai comme témoin oculaire que dans le voyage
que je viens de faire au Fort-Dauphin (sur la fin de 1770), M. le
comte de Modave me procura enfin la satisfaction de me faire
voir parmi ses esclaves une femme quimose, âgée d'environ trente
ans, haute de trois pieds sept pouces, dont la couleur était en
effet de la couleur la plus éclaircie que j'ai vue parmi les habi-
tants de cette île ; je remarquai qu'elle était bien membrue dans
sa petite stature, ne ressemblant point aux personnes fluettes,
mais plutôt à une femme de proportion ordinaire dans le détail,
mais seulement raccourcie dans sa hauteur; que les bras en
étaient effectivement très longs et atteignant, sans qu'elle se
courbât, à la rotule du genou ; que ses cheveux étaient courts
et laineux ; la physionomie assez bonne, se rapprochant plus de
l'européenne que de la madécasse; qu'elle avait habituellement
l'air riant, l'humeur douce et complaisante et du bon sens à en
juger par sa conduite. Quant aux mamelles, il ne s'en trouva
que le bouton. Enfin, peu avant notre départ, Tenvie de recou-
vrer sa liberté, autant que la crainte d'un embarquement pro-
chain, portèrent la petite esclave à s'enfuir dans les bois. »
Rochon cite ensuite * un mémoire de Modave consacré spé-
cialement à cette peuplade de nains, et qui complète heureuse-
ment les renseignements un peu sommaires de son Journal.
Modave raconte qu'à son arrivée, en septembre 1768, à Fort-
Dauphin, on lui remit un mémoire « qui concernait quelques par-
ticularités, sur ce peuple singulier, nommé en langue madécasse
QuimoSy qui habite l'Ile de Madagascar par la latitude de 22''.
J'en avois déjà entendu parler, ajoute-t-il, plusieurs fois, mais
avec tant de confusion que je n'avois ^presque donné aucune
attention à un fait qui mérite d'être éclairci. »
« Il s'agit d'un peuple de nains, vivant en société, gouverné
par un chef, protégé par des lois civiles.
c< Après avoir pris au Fort-Dauphin et aux environs toutes les
1) Loc. cU., p. 134 et sqq.
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328 LES PTGMÉES A MADAGASCAR
informations possibles, je résolus, il y a deux mois, d'envoyer à
la découverte du pays des Pygmées. Cette entreprise n'eut aucun
succès, par l'infidélité et le peu décourage des guides. Mais j'en
ai tiré du moins l'avantage de m'assurer qu'il y a réellement une
nation de nains, qui habitent une contrée de cette lie,
« La taille moyenne des honunes est de trois pieds cinq
pouces ; ils portent une barbe longue et arrondie : la taille des
femmes est de quelques pouces plus petite que celle des
hommes. Les Quimos sont gros et trapus. La couleur de leur
peau est moins bazanée que celle des autres insulaires, et leurs
cheveux sont courts et cotonés. Ils forgent le fer et l'acier, dont
ils font des lances et des sagayes. »
n raconte ensuite deux expéditions contre les Quimos que fit
un chef malgache, dont il a connu le fils appelé Maimbou. Le
chef avait pris pour guide un nommé Remouzai, — le même
qu'il appelle Raimouza dans son Journal cité plus haut. — Ce
Remouzai donna à Modave des détails précis sur ces deux expé-
ditions :
a Maimbou^ avec lequel j'ai eu de grandes relations pour
l'approvisionnement de Fort-Dauphin, n'était pas en âge d'ac-
compagner son père à cette expédition contre les Quimos, mais
il avait conservé contre eux une aversion telle qu'il devenait
furieux lorsque je lui en parlais. Il voulait m'engager à exter-*
miner cette race de singes (car il ne leur donnait jamais que
cette injurieuse dénomination).
« Un chef des Mahaf ailes, pays voisins de la baye de Saint-
Augustin, dit devant mes officiers qu'il avoit été plusieurs fois
dans le pays des Quimos, et que même il leur avoit fait la
guerre. Ce chef ajouta que, depuis quelqes années, cette nation
était fort tourmentée par les peuples voisins, et qu'on leur avait
brûlé plusieurs villages...
« D'après les relations de ce chef et celles de Remouzai, je
dois croire la vallée des Quimos très riche en troupeaux et en
toutes sortes de subsistances. Ces petits hommes sont laborieux
et bons cultivateurs... Je n'ai pu connaître retendue de la vallée
qu'ils habitent; je sais seulement qu'elle est entourée de très
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LES PYGMÉES A MADAGASCAR 329
hautes montagnes, et que sa situation par rapport au Fort-Dau-
phin est au N.-O., à soixante lieues de distance. Le pays des
Matatanes la borne dans la partie de l'ouest. Leurs villages sont
assis sur de petits mondrains, dont Fescarpement est d'autant
moins facile à gravir, qu'ils ont encore multiplié les obstacles
qui en défendent les approches.,. »
Modave donne ensuite le signalement de la femme dont parle
Commerson : il concorde parfaitement.
« Si l'entreprise que j'ai faite il y a deux mois, ajoute Modave
en terminant, avoit mieux réussi, je naurois certainement pas
laissé échapper cette occasion d^envoyer en France deux de ces
pygmées de Tun et de l'autre sexe... Une vraie race de Pygmées,
vivant en société, est un phénomène qu'il n'est pas permis de
passer sous silence. »
Et Rochon conclut : « Au récit de MM. de Modave et de Com-
merson, on peut ajouter celui d'un officier qui s'était procuré un
Quimos et voulait, à ce qu'il m'a dit lui-même, l'envoyer en
France ; mais M. de Surville, qui commandait le vaisseau sur
lequel il était embarqué, lui en refusa la permission. »
On accordera tout au moins à ces témoignages une grande
précision et une sincérité absolue. Nous verrons plus tard à en
tirer les conséquences.
Mais Modave et Commerson ne tardèrent pas à rencontrer un
contradicteur, véhément et bien en place, — deux choses qui
l'aidèrent à faire impression.
Le Gentil, membre de l'Académie des sciences, envoyé dans
la mer des Indes pour observer le passage de Vénus, vécut quel-
que temps à Madagascar et y rencontra Commerson. Il combattit
dans la suite Topinion émise par celui-ci. Il nie d'abord* que le
mot Quimos soit d'origine malgache, ainsi que Commerson
l'avance. Il suppose une étymologie portugaise, vraiment mal-
heureuse ( Quiros , Quevedo et Mosse de Moca , femme de
chambre!), — mais peu importe. — Puis il se contente de nier
formellement qu'il existe une semblable tradition à Madagascar
1) Voyages dans les mers de finde. Paris, m-4, 1781. t. II, p. 503 çt sqq.
VI 23
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330 LES PYGMÉES A MADAGASCAR
et en particulier à Fort-Dauphin. U n'a rien entendu de pareil
pendant son séjour dans Tîle, et MM. Commerson et de Modave,
qu*il a beaucoup fréquentés, ne lui en ont jamais soufflé mot. —
On avouera que ces raisons sont pauvres. L'ignorance n'a jamais
tenu lieu d'argument. Le Gentil, pour conclure, se borne à citer
le passage deFlacourt. Mais Flacourt pouvait être trop sceptique
ou moins bien renseigné que Commerson ou Modave.
Si nous avons tant insisté sur cette querelle faite par Le Gen-
til à deux auteurs dignes de foi, c'est que sa thèse a été reprise
par un écrivain de ce siècle, un des pionniers de la science
ethnographique, auteur d'une remarquable notice sur les peu-
plades malgaches et dont les opinions sont toujours mûrement
réfléchies : nous voulons parler de M. Eugène de Froberville*. Il
semble que cette fois sa sagacité soit en défaut.
Il s'appuie sur ce qu'ont dit Flacourt et Le Gentil pour mettre
en doute la véracité de Commerson et de Rochon. Il traite de plai-
santerie la lettre de Commerson. Il reproche à Rochon d'être
colère : cela n'empêcherait point en tout cas les Quimos d'avoir
existé ! Il passe sous silence Modave, que Rochon cite tout au
long. Modave n'est pourtant point une autorité à dédaigner ; je
ne sais pourquoi M. de Froberville l'omet. L'opinion de Modave
a pour nous au contraire un grand poids. Il n'était pas de pas-
sage dans nie; il y a vécu plusieurs années et les renseigne-
ments qu'il a recueillis avec soin et qu'il expose avec précision
sont de nature à contrebalancer le témoignage et l'opinion de
Flacourt d'ordinaire décisifs, mais qui cette fois semblent sujets
à révision. Rien d'impossible d'ailleurs à ce que les légendes de
Joueurs dUerravou soient des fables en elles-mêmes : et, telles que
les rapporte Flacourt, elles en ont bien le caractère; mais il est
très plausible aussi qu'elles avaient un point de départ dans la
réalité, — et c'est celte réalité que Modave a observée. Modave
était plus sur ses gardes encore que Flacourt : il avait beaucoup
vécu, beaucoup vu; c'était une intelligence ouverte, droite et
fort cultivée; il s'était même quelque peu frotté aux encyclopé-
1) Voy« IntrodUclion à Touvroge de Leguével de Lacombe«
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LES PYGMÉES A MADAGASCAR 331
distes : tout cela était une médiocre préparation au rôle de
n£uf.
« Le Gentil, ajoute M, de Froberville, a réfuté victorieusement
toute cette histoire, dont maint savant a été la dupe et que
réveille de temps à autre quelque auteur paradoxal. » Nous avons
montré plus haut de quelles piètres raisons Le Gentil s'était armé
et nous doutons fort qu'elles suffisent à lui assurer cette victoire.
Mais M. de Froberville se ravise; il n'abandonne pas il est
vrai son idée que la tradition des Pygmées est une fable, — bien
excusable en cela, puisqu'il écrivait aune époque où Ton n'avait
pas encore découvert de spécimens de la race, — mais il cherche
à en expliquer l'origine. (( La fable des Kimos ou peuplade de
nains existe en Afrique d'où elle aura passé à Madagascar'. A
Mombase, le lieutenant Thomas Boteler, qui faisait partie de
de l'expédition du capitaine Owen sur la côte d'Afrique, reçut
des naturels l'assurance positive qu'il existait, à un mois et
demi de marche dans l'intérieur, un district peuplé par une race
de Pygmées dont la taille atteignait à peine trois pieds. Ce
peuple s'appelait AfôenAwio*. »
A l'époque où écrivait Froberville, on n'osait pas encore
s'aventurer à chercher une part de réalité dans les récits des
peuples primitifs, comme celui que rapporte Boteler. On conti-»
nuait à y voir une simple légende au même titre que celle d'Ho-
mère. Nous n'avons plus aujourd'hui les mêmes raisons d'être
sur nos gardes, de peur de donner à rire ; nous savons que des
nains existent « au cœur de l'Afrique ». Nous pouvons donc exa-
miner sans prévention ni scepticisme les documents que nous ve-
nons de citer, pour tenter d'y démêler la vérité qui s'y cache '.
U
C*e8t Schweinfurth qui le premier a jeté la lumière des faits
i) Ëdrisi parle d'une nation de petits hommes qui habitent une île ou une
contrée orientale de l'Afrique. Voy. la trad. de M. Amédée Jaubert, té V, des
Mémoires de la Soc. Géogr, de Paris, 1836, p. 50.
2) Boteler's narrative of a voyage of discorery lo Africa and Arabia, Londres^
1835, t. II, p. 212.
3) Nous n'avons point parlé chemin faisant de deux autres auteurs du
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332 LES PYGMÉES Â MADAGASCAR
sur cette obscure question, enveloppée de nuages depuis Ho-
mère. « Il dut pour cela quitter le bassin du Nil, gagner celui dft
l'Ouellé, dépasser le pays des Niam-Niams et arriver jusque
chez les Mombouttous... C'est à la cour de Mounza qu'il décou-
vrit cette race naine, encore appelée dans le pays du nom d'Ak-
kas, que Mariette avait lu, à côté du portrait d'un nain, sur un
monument de l'Ancien Empire égyptien*. » Les Akkas vivent
dans un pays étendu, soumis à un état social organisé, tout
comme les Kimos dont Modave avait entendu parler, et, pas
plus que Modave chez les Kimos, Schweinfurth ne réussit à
pénétrer dans le pays des Akkas. De même encore que Modave,
Schweinfurth n'eut jamais en sa possession qu'un unique indi-
vidu, spécimen de cette race étrange. Comme Modave il voulait
l'envoyer en Europe, et comme lui il en fut empêché. Les me-
sures et les notes recueillies par le voyageur allemand ont été
détruites dans un incendie, de sorte qu'il ne nous rapporte rien
de plus précis sur les Akkas que ce que Modave lui-même nous
a laissé sur les Kimos. Pourquoi donc douterait-on du dire de
Modave, tandis qu'on accorde foi entière aux récits de Schwein-
furth?
Les Quimos ont trois pieds et demi de haut; ce sont les La-
pons des nègres, dit Modave; ils sont gros et trapus, comme les
Akkas. Ce sont les plus pâles parmi les Malgaches, disent Com-
merson et Modave. « Le teint des Akkas rappelle la couleur du
xviiie siècle qui, eux aussi, ont révoqué sommairement en doute l'existence
d'un peuple de nains à Madagascar.
Le naturaliste Sonnerat, dans son Voyage aux Indes et à la Chine (Paris,
in-4% 1782, t. II, p. 57), considère le sujet possédé par Modave, et qu'il a vu,
comme un « phénomène particulier » ; il ne s'inquiète point des traditions et
passe outre sans donner ses raisons.
Lescalier, envoyé en mission politique dans nos établissements de TOcéan
Indien en 1792, fît une lecture à l'Institut, le 17 fructidor an IX (Mém. de
VInsiUut, Se. mor. et poL, 1803, t. IV, p. 1-26), sur Madagascar : il accuse
d'erreur Raynal, l'auteur de V Histoire j)hilosophique et politique des deux Indes,
pour avoir accueilli favorablement le fait de l'existence d'un peuple de Pyçmées
dans l'île. Il s^ contente d'afBrmer qu'il s'agit de « quelques individus nains et
mal conformés par accident », sans fournir aucune raison à l'appui de ce qu'il
avance. Il est bon d'ajouter que Lescalier, qui avait voyagé en proconsul,
n'était resté que quelques jours à peine à Madagascar.
1) Do Quatrefages, lot. cit., p. 253. — E. T. Hamy Bull. Soc. d'Anthrop.
3* sér., t. II. p. îrr, 1879.
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LES PYGMÉES A MADAGASCAR 333
café légèrement brûlé'. » Les Quimos ont les bras si allongés
qu'ils descendent au-dessous du genou. « Les membres supé*
rieurs, chez les Akkas, sont longs...; les inférieurs sont courts
relativement au tronc'. » « Quant aux mamelles, dit Gommerson
parlant de la femme kimos qu'il observa chez M. de Modave, il
ne s'en ti'ouva que le bouton. » Ailleurs : « Les femmes marquent
à peine leur sexe par les mamelles, excepté dans le temps où
elles nourrissent. » « Les femmes akkas paraissent ressembler
beaucoup à leurs maris. » Et en effets les portraits que donne
M. de Quatrefages (p. 258) confirment pleinement son dire. —
Les cheveux de la femme Quimos étaient courts et laineux, au
contraire du type malgache le plus général. Les cheveux lai-
neux, chez les Akkas, ne sont pas insérés par touffes, mais
couvrent uniformément tout le crâne. — Les Quimos étaient
très guerriers et très braves. Ils se servaient fort adroitement et
vigoureusement de leurs armes. Ils ont battu les Antanosses,
peuplade puissante. Ils sont adroits; ils sont laborieux: ce qui
les différencie encore nettement du reste des Malgaches, terrible-
ment paresseux. Les Akkas aussi sont très courageux : « Ce
sont des hommes, disait d'eux un chef africain, et des hommes
qui savent se battre. » Ils sont grands chasseurs d'éléphants :
ils les tuent fort habilement et hardiment. — On nous représente
la femme Kimos de Modave comme intelligente, sociable,
gaie, mais fort amoureuse de sa liberté. Dans leurs classes,
les deux Akkas, amenés en Europe par un voyageur italien,
se sont montrés supérieurs à leurs compagnons d'études euro-
péens âgés de 10 à 12 ans.
Ce rapprochement peut sembler artificiel à la longue; il n'en
fait pas moins ressortir nettement tout ce qu'il y a de plausible,
de vraisemblable dans ce qu'ont rapporté Modave et Gommer-
son. Où voulez- vous en venir, nous dira-t-on, puisqu'aussi bien
il n'est plus question de peuple nain à Madagascar ? Gomment
ce peuple aurait-il existé à la fin du siècle dernier et serait-il
1) De Quatrefages, loc. Ht-, p. 261.
2) Loc. cit., p. 264.
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334 LES PYGMÉES A MADAGASCAR
aujourd'hui complfelement disparu? Et puis le feriez- vous venir
d'Afrique ? N'auriez- vous pas quelque répugnance à cela après
avoir démontré que la grande majorité, pour ne pas dire la tota-
lité» du fonds ethnique à Madagascar était d'origine indoné-
sienne?
Nous ferons d'abord remarquer que, si ce peuple ne vient pas
d'Afrique, son nom semble cependant en avoir été importé. Com-
ment ne pas rapprocher ce nom de Kimos du passage précé-
demment cité de Boteler, où il est question d'un peuple de nains
appelé, selon lui, MberiA/mo, et de cet autre passage duR. P. L.
des Avranchers dans une lettre à M. d'Abbadie* : « La présence
des Pygmées est un fait certain... Sur la foi de nombreux rap-
ports, je crois à l'existence des Pygmées d'Afrique. A Zanzibar,
on leur donne le nom de Wa-Beri&tmo (peuple de deux pieds). »
Nous serions même disposé à admettre que ces Kimos viennent
d'Afrique, comme les Vazimbas, « les premiers ihattres de la
terre à Madagascar • », — et, chose curieuse, Flacourt, dans la
légende citée plus haut, fait des monolithes qu'il vit dans
la vallée d'Amboule, le tombeau des Kimos défaits, tandis qu'au-
jourd'hui les Hovas attribuent le même rôle, mais pour les Va-
zimbas, aux monolithes que l'on rencontre aussi dans TAnkova';
or, les Vazimbas, de même que les Kimos, paraissent avoir défi-
nitivement disparu comme unité ethnique indépendante et défi-
nissable : les restes misérables qu'en a rencontré M. Grandidier
et qu'on lui a désignés, comme tels ne répondent guère au signa-
lement traditionnel, historique que nous possédons.
Mais» puisque nous considérons l'existence des Kimos comme
certaine au xviii* siècle, nous devons bien admettre qu'aujour-
d'hui ils subsistent encore sous un autre nom : d'où la nécessité
de les identifier avec une peuplade malgache connue, ou de les
y fondre.
Les missionnaires anglais ont voulu reconnaître les Quimos
dans les Hovas ; on sait le crédit qu'il faut accorder aux élucu-
1) BuU. Soc. de 6éog., t. XIV, p. 171. — 1876.
2) Voy. notre article dans la Revue, t. V, n» 5, p. 402 à 410.
3) Voy. loc, cit., p. 408 et gravure, p. 407,
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LES PYGMÉES A MADAGASCAR 335
brations prétendues scientifiques de ces dignes révérends. D'ail-
leurs plusieurs raisons militent contre eux. D'abord, le lieu bien
déterminé de l'établissement des Kimos, tels que les décrit Mo-
dave, est en désaccord absolu avec ce que nous savons des Hovas
à cette époque. Les Hovas étaient bien plus au nord et jouaient
un tout autre rôle que celui qui est attribué par Modave aux
Kimos. D'autre part, le type kimos^ dont nous sommes parvenu
à fixer quelques traits, en les juxtaposant justement à ce que Ton
sait des Akkas ou négrilles africains, nous paraît s'opposer à un
pareil rapprochement. Et puis l'empiétement en quelque sorte
de la légende Kimos sur la légende Vazimba nous semble sin-
gulièrement caractéristique et accentue, selon nous, la domi-
nante africaine dans ce problème ethnographique *.
Nous serions plutôt portés à croire que les Betsiléos actuels
sont les Kimos de Modave ou du moins qu'ils ont absorbé ce
peuple nain. Nous ferons remarquer, avec Froberville, qu'ils
occupent exactement l'emplacement marqué par Modave. Les
Betsiléos qu'on a appelé, bien à tort du reste, les Hovas du Sud
à cause de leur couleur olivâtre plus claire que celle du Malgache
ordinaire, n'ont rien de malais ; on pourrait donc attribuer cette
couleur pâle non pas à un élément malais, — leurs mœurs et
leurs traditions s'y opposent, mais justement au mélange d'élé-
ments venus d'Afrique, analogues aux Akkas, avec d'autres
éléments plus franchement nègres, analogues aux Antanosses
ou aux Sakalaves. Les Betsiléos vivent dans des villages fortifiés
et construits sur des hauteurs ou des monticules, comme les Qui-
raos. (Commerson dit des Mondrains.)
Une autre hypothèse s'ofifre encore ; elle a été émise pour la
première fois par M. le docteur Hamy, dans son cours au Mu-
séeum, en 1881 : les Kimos existeraient encore aujourd'hui dans
le sud de l'Ile, dans la région, inconnue du temps de Flacourt,
que Modave essaya en vain de pénétrer et qui de nos jours encore
demeure en blanc sur les cartes. Avis aux courageux que le dé-
mon de l'exploration tentera et qui s'attaqueront à ce vaste inconnu.
1) Voir au prochain numéro la noie concernant les Vazimbas.
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ETHIVOOÉIVIB
DES INSULAIRES DE KUNIÈ
(île des Pins)
Par m. GLAUMONT
Pour Rochas et quelques autres, les insulaires de Kunié sont
de même race que les Néo-Calédoniens de la grande terre ;
mais comme, à la grande terre, il y a quantité de races mélan-
gées, nous ne sommes guère renseignés, par cette comparaison,
sur Tethnogénie des Kuniens.
J'ai trouvé à Tîle des Pins plusieurs éléments.
Premier élément. — Un premier élément est originaire du
centre de la grande terre, comme le prouvent les noms néo-calé-
doniens de localités qui existaient sur la grande île et qui ont
été donnés à certains lieux de l'Ile des Pins, comme Gadji,
Ouameni, Ouatchia, etc.
Gadji était et est encore la résidence royale, elle se trouve
dans la partie nord de Tîle et fait face à la Nouvelle-Calédonie.
On y voit encore une case, dite Case royale, entourée d'énormes
poteaux sculptés grossièrement. La porte d'entrée se trouve
creusée dans un banian colossal.
Un autre élément de la grande terre est celui qui a créé Uro-
Kuto. Celui-ci vient du sud de la Calédonie, où nous trouvons en
effet Kute et Iré et Kunié même ; le nom de l'île a beaucoup de
rapport avec Unia.
J'ai du reste fait un tableau comparatif de soixante-quatre
mots, pris dans les différentes tribus du sud de la grande terre,
Tuauras, Goro, Unia, île Ouen, Yaté et Kunié, et il est facile de
se convaincre à première vue que la langue est sensiblement la
même, sauf de légères modifications locales, ou quelques cor-
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ETHNOGÉNIE DES INSULAIRES DE KUNIÉ 337
ruptions apportées par rimmigralion d'autres éléments (Lifu
et Tonga), etc.
Le système décimal est également, non seulement le même
comme base (à base 5), mais presque semblable phonétique-
ment parlant.
Les indigènes que j'ai interrogés savaient tous compter, mais
certains s'arrêtaient à dix, quelques-uns allaient jusqu'à vingt,
avec toutes les peines du monde. Il est vrai que bien des gens
en France, il y a cent ans, auraient été fort en peine de oomp*
ter jusqu'à vingt sans se tromper.
Deuxième élément. — Un second élément est venu des Nou-
velles-Hébrides. Les indigènes se souviennent encore de la
légende qui s'y rapporte ; la voici telle qu'elle m'a été racontée :
« A une époque reculée, une femme des Nouvelles-Hébrides
se promenant au bord de la mer, y voulut prendre un bain, et fut
avalée par un poisson gigantesque (une loche).
M La femme voyagea longtemps comme cela, emportée par le
poisson dans sa course vertigineuse. Enfin elle sentit que le
poisson était arrêté, elle avait son couteau que toutes les femmes
portent à leur ceinture, couteau fait d'une valve de l'huître per-
lière {osirea margaritifera) et allait en couper le poisson, lorsque
celui-ci , qui n'était que sur un récif, reprit sa marche.
« Deux ou trois fois^ les mêmes arrêts se reproduisirent, mais
le poisson reprenait sa course presque aussitôt. Enfin il s'arrêta
tout à fait.
c( La femme néo-hébridaise le déchira dans toute sa longueur
avec son couteau et sortit de son ventre.. Elle se trouvait à File
des Pins, ce lieu fut nommé Vao.
« On l'adora pendant sa vie, et bien longtemps après sa mort
ce fut une divinité puissante. »
Cette légende, commune à bien des peuples, montre une chose,
c'est qu'à une époque quelconque, très reculée probablement,
une immigration vint des Hébrides.
Les arrêts répétés du poisson, ne sont autres que les courtes
relâches que firent les immigrants sur quelques récifs, sur
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338 ETHNOGÉME
quelques îlots, avant d'atteindre Tîle des Pins au lieu nom-
mé Vao.
Or, nous trouvons ce nom de Vao dans les Hébrides, c est
celui d'une île peuplée d'indigènes féroces.
La Dives y débarqua en 1886; les officiers voulurent se diriger
vers le village, ils Taiteignirent, mais eurent à peine le temps de
regarder les cases, les temples, entourés de poteaux ornés de
crânes; la population furieuse les obligea à déguerpir leste-
ment. Ce fait m'a été raconté par M. de Stabeurade, alors en-
seigne à bord de la Dives.
Les indigènes de Vao étaient du reste les plus féroces de Fîle
des Pins avec ceux de.Upi et Upé venus également des Hé-
brides, où il y avait une île d'Api.
Troisième élément. — A une époque plus rapprochée et qui ne
date guère que de trois ou quatre générations au plus, des Cana-
ques des Loyal ty,. venant de Lifu, abordèrent à Gadji, île des Pins.
Ils croyaient l'endroit inhabité, dit la légende, lorsqu'une fu-
mée vint les aveugler. C'étaient les indigènes de Gadji qui cui-
saient leur repas.
Le chef de Lifu et ses gens, furieux, se levèrent, attaquèrent
les Kuniens (élément calédonien) et les défirent.
Ceux-ci, ayant pu juger dans le combat de la valeur des gens
de Lifu, voyant qu'ils étaient plus beaux, plus grands, plus forts
qu'eux (c'est un descendant de ces gens de Lifu qui parle), les
choisirent pour chefs, élurent un d'entre eux roi , et, aidés de ces
nouveaux alliés, attaquèrent plus tard les gens de Vao et les
défirent. Dès lors la royauté fut solidement établie à Gadji où
domine depuis lors la race do Lifu.
Le chef Abel, qui règne actuellement à Kunié, est de cette
race dominante.
C'est un grand bel homme , à la figure intelligente, à la barbe
longue et frisée, soignée, épaisse, mais plus noir que ses sujets.
C'est lui qui a succédé à la reine Hortense et à Samuel. Comme
il n'a qu'une fille, ApoUonie, il a adopté son neveu, Samuel, le
fils de son frère Guillaume et lui léguera la chefferie.
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DES INSULAIRES DE KITNIÉ 339
Les hommes, et les femmes surtout, ne passent devant lui que
courbés en deux et feraient un long détour plutôt que de passer
derrière lui.
Quatrième élément. — J'étais étonné cependant de ne pas trou-
yer[ trace dans la mémoire des Kuniens d'une immigration poly-
nésienne. Il y en a certainement eu plusieurs, mais je désirais
savoir s'ils s'ep rappelaient quelqu'une.
Ce n'est qu'au bout de deux ans que j'ai pu obtenir la con-
fiance d'un nommé Fileto, de Komania (Kunié), à la figure
presque européenne , aux longs cheveux bouclés et à la fine
moustache soyeuse.
Ce Canaque, qui descend aussi de naturels de Lifu, parle très
bien le français, il m'a raconté ce que lui avaient appris les anciens.
« Il y a trois ou quatre générations, m'ont dit les vieux, une
pirogue double , brisée par les lames , vint s'échouera File des
Pins, à un endroit nommé Aiou*i, près de Upi.
« Cette pirogue était montée par dix hommes et six femmes.
« Ces gens, fuyant leur pays en guerre, s'étaient embarqués et
voguèrent longtemps à l'aventure ; poussés par les courants et
par les vents, ils parvinrent enfin près de l'île des Pins et, ne
connaissant pas la côte, se brisèrent sur les récifs devant Aiou-i.
« Le roi de Kunié, qui habitait Gadji, résidence royale, fut
averti par ses sujets, de l'autre côté de l'île, que des hommes
jaunes, aux cheveux longs et lisses et pas du tout semblables aux
Canaques, venaient d'atterrir.
« Le roi envoya immédiatement des hommes chercher ces
gens-là et les fit amener en sa présence.
« On les interrogea, ils firent comprendre qu'ils venaient de
Tonga, et, comme il y avait un chef, on les traita bien, et ils
restèrent dans l'île dix ignames, c'estrà-dire plus de dix ans.
« A cette époque, poussés par l'esprit de N'do (l'esprit du mal),
les hommes s'emparèrent d'une pirogue du roi de Kunié et s'en-
fuirent à Lifu oiî ils demeurèrent.
« Les femmes restèrent.
« Mais , pendant ces dix années, ils s'étaient mariés avec des
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340 ETHNOGÉNIK
femmes do Kunîé, pendant que celles qu'ils avaient amenées
avec eux^ s'étaient jointes de leur côté à des Kuniens ; il naquil
des enfants nombreux. La race polynésienne se mélangea donc un
peu avec la race mélanésienne, mais la proportion était très faible.
« Us nous donnèrent beaucoup de connaissances que nous
n'avions pas, ils nous apprirent à construire des pirogues
doubles comme les leurs, car auparavant, les nôtres étaient
simples, avaient deux voiles et une chambre sur le pont.
« Us nous apprirent à nous tatouer par piqûre, quand jusque
là nous nous tatouions avec le feu.
« Ils nous apprirent aussi à nous diriger en mer la nuit
par les étoiles, et enfin nous apportèrent le tonga. »
Voilà donc, d'après les légendes kanaques :
1** Un élément de la grande terre, impur et très composé, dont
nous reparlerons.
2'' Un élément néo-hébridais ;
2"» Un élément lifu;
3"* Un élément tongien ou pol}niésien.
Ce qui s*est passé depuis quatre générations s*est nécessaire^'
ment produit souvent auparavant, pourquoi en serait-il autre-
ment? Nous sommes donc porté à croire que des immigrations
successives, mais interrompues par un laps de temps considé-
rable, ont pu s'introduire à Kunié.
Nous retrouverons la même chose sur la grande terre» où cer-
taines tribus se rapprochent beaucoup des Polynésiens par leur
couleur, leurs usages, etc., et où d* autres, celles du centre ou de
Touest, ressemblent énormément à la race papoua.
Une chose à remarquer, c'est que cette affreuse maladie, cette
espèce de lèpre, qui fait tant de ravages parmi les Calédoniens,
est appelée presque dans toute la Calédonie du même nom tonga,
U semble dès lors bien rationnel de croire que ce sont les Ton-
giens qui ont apporté cette maladie aux Canaques de la Nou-
velle-Calédonie.
Un mot encore sur le peuple de Kunié :
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DES LNSULÂlRfiS DE KUNIÉ 341
Le peuple ancien était un peuple de guerriers, réputé féroce
en Nouvelle-Calédonie. Bien souvent, deux ou trois fois par an,
les Kuniens passaient sur leurs pirogues et venaient ravager la
grande terre, Unia, Yaté, principalement; ils faisaient des
razzias, emmenaient des femmes et des esclaves qui cultivaient
leurs champs pour eux.
Mais un beau jour, il n y a pas trente ans, les Canaques d'Unia
et de Yaté s'entendirent et, sous les auspices de leur chef Damé,
tendirent àleurs ennemis un piège dans lequel ceux-ci tombèrent.
Us invitèrent les Kuniens à un immense pilou-pilou qui devait
se faire à Yaté. *
Autour de la case de réception on planta des pieux aiguisés
par en haut de façon à ce qu'aucun Kunien ne pût échapper.
Les Kuniens arrivent avec leurs femmes, leurs enfants ; on
leur fait fête et, pour prendre leur repas pantagruélique, on les
fait entrer dans la salle de réception.
Et, au milieu du repas, alors qu'ils étaient sans défiance, à un
signe du chef Damé, les gens d'Unia et de Yaté tombèrent sur
les Kuniens et les massacrèrent tous.
Les femmes jolies furent gardées comme femmes et esclaves :
les vilaines eurent les seins coupés et mangés; c'est le morceau
que le Canaque préfère, paraît-il.
Jamais, depuis, les Kuniens ne revinrent ni à Unia, ni à Yaté
faire la guerre.
Le peuple actuel tend à se civiliser, il s'y trouve des Canaques
fort intelligents, beaucoup savent lire, écrire et compter en
français, et c'est l'œuvre de la mission.
C'est peut-être le seul point de la Nouvelle-Calédonie et des
dépendances où l'on entende le Canaque parler notre langue et
non l'anglais, ou le biche-la-mar.
Us ne parlent que leur langue maternelle et le français.
Je crois que c'est ce même chef Damé qui, pendant l'insur-
rection de 1867, trama un complot qui heureusement avorta; il
réunit les Canaques de Tuauru, Uen, Goro, Unia, Yaté. En
une seule nuit ils devaient arriver à Nouméa, égorger la troupe
et mettre la ville à sac.
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3i2 ETHNOfiÉNlE DKS INSULAIRES DE KUNIÉ
Heureusement ils n'arrivèrent pas. Au moment où Ton son-
nait le réveil^ ils étaient en bas du sémaphore ; Taffaire était
manquée. Cependant, pour laisser une trace de leur passage, ils
massacrèrent les gardiens du sémaphore et les mangèrent.
Or, ils avaient fait plus de 80 kilomètres. Pas de chemins, des
montagnes à gravir, plusieurs rivières à traverser.
Les gens d'Unia et de Yaté d'aujourd'hui ne sont que des tri-
bus venant de Nouméa, d'abord refoulées au pied du mont d'Or
par la civilisation blanche, puis obligées de fuir plus loin encore
et d'aller demander l'hospitalité aux Yaté et aux Unia.
Ceux-ci accueillirent les émigrants ; maïs au bout d'un cer-
tain temps, des discordes éclatèrent, et les Yaté et les Unia
furent presque complètement détruits par les Nouméa. Il n'en
existe presque plus à l'heure qu'il est.
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STATIONS PRÉHISTORIQUES
DE L'OUED-RIR'
Par m. h. jus.
Ingénieur honoraire des sondages du sud de la province de
Constantine,
Les explorateurs du Sahara ont signalé l'existence de stations
préhistoriques dans la région d'Ouargla, à Ba Mendil, et sur
divers points du parcours de FOued Mia. Mais, jusqu'à présent,
aucun d'eux n'avait observé de traces de silex taillés dans la
vallée de l'Oued Rir'.
D'après les traditions, la création des oasis de l'Oued Rir' date-
rait de l'année 918 de l'hégire (1575 de J.-C).
En avril 1883, lors de l'exécution du puits artésien deCoudiat
Sidi Yahia, M. le lieutenant Genvot, directeur de Tatelier de
sondages, collectionna une série de flèches, admirablement
taillées, que les vents du nord-ouest avaient mises à découvert.
Le Goudiat Sidi Yahia dépend des propriétés de la Société
agricole et industrielle de fiatna. Il est situé à 153 kilomètres de
fiiskra, près de la route de Tougourt. Ce mamelon ne diffère en
rien des autres mamelons de l'Oued Rir\ Sa surface gjrpso-sa-
bleuse, mesure environ 400 mètres. En y exécutant de minu-
tieuses recherches, j'y ai trouvé, épars sur plus de 50 mètres
d'étendue :
1* De belles flèches taillées, de formes et de couleurs diverses.
2» Une grande quantité de pointes de flèches et de javelots.
3° De petites haches, plus ou moins finies ou ébauchées.
i"* Des scies, avec des dents très apparentes, bien travaillées^
et dont la plus grande mesure O'^jO? de longueur ;
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344 STATlOiNS PRÉHISTORIQUES
go Des instruments taillés en pointe, avec une entaille sur le
côté, par où on les saisissait sans doute, lorsqu*on s'en servait
pour travailler le bois ou les os ;
60 Des grattoirs ou racloirs, en silex plus ou moins trans-
parent ;
1^ Des couteaux à lames droites et courbes, dont le plus grand
mesure 0"*,07S de longueur ;
8® Des lames de couteaux à pointes fines ou arrondies ;
9** Des clous, des poinçons, etc. ;
10** Des débris de coquilles d'œufs d'autruche.
Si l'on en juge par le fini des objets et le choix des silex em-
ployés, on peut admettre que le Coudiat Sidi Yahia était une des
stations les plus importantes de FOued Rir'.
Plus tard, je découvris une deuxième station à Ourir', près de
la Kouba de Sidi-Makfi. L'oasis d'Ourir' dépend également des
propriétés de la Société agricole de Batna. Elle est située à envi-
ron 96 kilomètres de Biskra, sur le bord occidental du Chott
Melrir', à Taltitude de 16 mètres au-dessous du niveau de la
mer.
Sur le mamelon qui domine la propriété, les silex se trouvent
épars sur le sol sur une étendue d'environ 40 mètres. La collec-
tion que j'ai recueillie sur ce mamelon comporte la même série
d'instruments que j'ai énumérés pour Sidi Yahia, et, par le
fini des objets, le choix des silex, je suis amené à conclure que
ces deux stations étaient aussi importantes l'une que l'autre.
£n 1884, je découvris une nouvelle station entre Sidi Rached
et El Harihira. Les silex taillés étaient épars sur le sable des
dunes sur plus de 40 mètres d'étendue, mais les vents du sud
ayant soufilé violemment la veille de mon passage, je n'ai re-
cueilli que des débris de peu d'intérêt.
Poursuivant mes recherches, je parcourus en 1885-1886, tous
les chrias, tous les mamelons de la cuvette de l'Oued Rir'.
Dans les environs de Sidi Yahia, je n'ai rencontré que quel-
ques flèches égarées, par ci, par là, mais aucun indice de stations.
Sur les hauteurs de Sidi Khelil, le sol est tapissé de silex, de
calcédoine, d'agate, etc.
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DE l'oued-rir' 345
Je m'attendais à rencontrer sur ce point une station aussi im-
portante que celles que je viens de décrire, mais malgré des
recherches de plusieurs jours, je n'ai pas trouvé une seule pierre
taillée de main d'homme. Il n'en a pas été de même dans les
environs de Sidi Khelil et de Mraïer.
Sur le sommet des chrias El Eolta, El Hamed, Lavouïn Bou-
krara, Lechelouche et Aïn Dockraia, situés à l'ouest de la route
de Biskra à Tougourt, j'ai recueilli des flèches, des grattoirs, des
lames de couteaux à pointes fines ou arrondies, et des débris de
coquilles d'œufs d'autruche^ parmi les silex taillés qui recouvrent
le pourtour de ces chrias. Je considère donc tous oes points
comme de vraies stations, mais peut-être moins importantes
que celles du Coudiat Sidi Yahia et d'Ourir'.
Au chria Lechelouche, j'ai recueilli, pour la première fois, de
petits ronds en coquilles d'œufs d'autruche, d'une régularité
parfaite, mesurant 0",006 à 0™,007 de diamètre, et percés d'un
trou de 0",002 à 0",0025. Tjout laisse à supposer que ces petites
couronnes servaient de grains de chapelet ou de parure, ou
même de monnaie courante, si toutefois la monnaie était con-
nue à cette époque dans le Sahara.
Dans les environs d'Ourir' sur le sommet des chrias Achey ben
Zim, près d'Ensira, Ouled Moussa, Mœris, ben Merouan, j'ai
encore recueilli des flèches, des clous et une quantité considé-
rable de débris de silex taillés et de coquilles d'œufs d'autruche,
qui attestent également l'existence de stations un peu moins
importantes que les précédentes.
Enfin, il y a quelques jours, le sous-lieutenant Clottu, du
d^ bataillon d'Afrique, a reconnu deux nouvelles stations à Stah
el Hameraïa et à Sif Menadi, pendant qu'il dirigeait les recher-
ches d'eaux jaillissantes destinées à assurer les étapes de la nou-
velle route de l'Oued Souf, par la traversée du Chott Melrir'.
A la suite d'un fort coup de vent du nord-ouest, cet officier a
récolté, en quantité suffisante pour déterminer l'existence de
stations, des grattoirs ou racloirs en silex transparent, des clous,
des aiguilles, et de petites couronnes en coquilles d'œufs d'au-
truche.
VI 24
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346 STATIONS PRÉHISTORIQUES DE l'oUED-RIR*
Dans l'Oued Rir', on nomme chria (nid), un petit mamelon,
qui domine la plaine environnante, au centre duquel se trouve
un entonnoir occupé par une petite source, ombragée par un
bouquet de palmiers. Le plus souvent, des coupures de main
d'homme, dans le pourtour de Tentonnoir, permettent à la
source de s'écouler au dehors.
Si la formation de ce mamelon, ordinairement sablo-gypseuse,
était due à l'action des vents, ainsi qu'on en trouve plusieurs
exemples dans le Sahara, il y a des siècles que cette source
aurait disparu, et que Taction des sables l'aurait comblée.
De sa persistance, on doit admettre forcément que les vents
ne possèdent pas Faction que certaines personnes leur attribuent,
et que^ pour la généralité, les chrias et leurs sources sont
naturels.
Ce serait, du reste, perdre son temps que d'essayer de prou-
ver que ces sources proviennent de puits artésiens creusés de .
main d'homme, puisque les stations qui y sont établies et que j'ai
signalées en sont une preuve irréfutable.
Rien d'extraordinaire alors dans le choix de ces chrias pour
l'établissement de stations ; là, les tailleurs de pierre trouvaient
au moins de Teau potable pour leur alimentation.
Mais on se demande comment ces mêmes ouvriers pouvaient
vivre aux stations de Stah el Hameraïa et de Sif Menadi, où il
n'existe actuellement que des puits d'eau salée, dont on peut pré-
ciser la construction.
Ce fait nous amène évidemment à supposer qu'il existait, sur
les bords du Chott Melrir', certaines sources d'eau douce qui ont
disparu depuis cette époque.
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VARIÉTÉS
A PROPOS DE TAMOANCHAN
Qu'une tradition ne soit pas une page d'histoire, d'accord ; on ne saurait lui
demander une date, encore moins une certitude. On se contentera d'aperçus
nébuleux du milieu desquels se dégageront certains faits ou certaines coutumes
anciennes, se reliant à des faits ou à des coutumes modernes et par conséquent
servant de liens entre le passé et le présent. Mais il ne lui faut pas nous pré-
senter des contradictions flagrantes qui lui enlèvent toute espèce de valeur.
C'est ce que nous allons montrer en examinant la courte citation de
Sahagun au sujet de Tamoanchan, et certes nous ne mettrons pas Sabagun
en cause, mais ceux qui lui ont dicté sa relation ; car nous savons comment il
composa son ouvrage qui ne contient que le récit fidèle de tout ce qu'on lui
rapportait; encore que Ixtlîxochitl l'accuse d'avoir souvent accueilli ces faits
avec trop de complaisance.
Pour les choses de l'époque ou d'une époque moderne, tout parait vraisem-
blable et peut compter comme renseignements historiques; mais, pour le passé
lointain, quelle confiance pouvons-nous accorder à la mémoire d'Indiens supers-
stitieux qui durent répéter en la modifiant sans cesse la légende qu'ils se trans-
mettaient d'âge en âge?
C'est ce que démontrent clairement les contradictions du récit que nous
allons examiner. Pourquoi, d'ailleurs, ne trouve-t-on guère cette légende de
Tamoanchan que dans Sahagun, quand nous voyons les autres répétées à
satiété et commentées par tous les historiens?
C'est à la page 673 de la traduction de MM. le docteur Jourdanet et R. Si-
méon en un chapitre intitulé des Mexicains, que Sahagun parle de Tamoanc?ian.
« Il y a, dit-il, un nombre indéterminé d'années que les premiers habitants
arrivèrent dans cette partie de la Nouvelle-Espagne; venus par mer, ils abor-
dèrent au port qui se trouve vers le nord. »
Mais vers le nord de quoi? La terre était déserte, Mexico n'était pas fondé à
cette époque et, par conséquent, ce port ne pourrait en tous cas être désigné
quepar sa latitude!
« Comme ils débarquèrent en cet endroit, on l'appela Panotlan ou Panoyan,
c'est-à-dire lieu où l'on arrive par mer. Présentement on dit Pantlan. »
C'était Panuco^ le Tampico d'aujourd'hui.
« Partant de ce port, ils se mirent en route en suivant la plage (ils vont donc
à pied?) à la vue des sierras nevadas et des volcans, jusqu'à ce qu'ils arri-
vassent à la province de Guatemala. »
Quelles sierras et quels volcans pouvaient voir les voyageurs? Il n'y a que
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348 VARIÉTÉS
rOrizaba de visible, et de loin, eo mer. Et puis, voilà certes un étrange voyage
pour des émigrants qui délaissent des terres fertiles pour courir après un but
imaginaire et des provinces inconnues et innommées; car pourquoi parler du
Guatemala qui n'existait pas, puisque ces hommes' étaient les premiers qui
eussent abordé dans le pays? C*estune absurdité. Puis, voyez ces individus en
troupe, c'est-à-dire nombreux, entreprenant à pied, sur les bords du golfe, un
voyage de près de cinq cents lieues ; traversant les rivières et les lagunes de
Tabasco, contournant les terres arides de la presqu'île yucatèque, pour aller
tomber dans le vaste estuaire appelé aujourd'hui le golfe d'eau douce au nord de
la province dite Guatemala]! ! !
« Ils étaient guidés par un grand prêtre qui portait sur lui leur dieu dont ils
suivaient les conseils en tout ce qu'il convenait de faire. Ils furent habiter
Tamoanchany où ils résidèrent longtemps. »
Tamoanchan était-il donc dans le Guatemala? Et puis ce Tamoanchan existait-
il déjà, ou bien est-ce ce nom là que les nouveaux venus donnèrent à leur
colonie?
« Jamais ils n'avaient cessé de compter parmi eux des hommes sages ou
devins appelés Amoxoaques (ceci nous rappelle le Teoamoxlli, la bible loltèque),
c'est-à-dire hommes initiés au langage des peintures anciennes. Mais ces
hommes ne restèrent point avec les émigrants, ils s'embarquèrent de nouveau
et, avant de partir, ils adressèrent cette allocution à ceux qui restaient : Saches
que notre seigneur Dieu vous ordonne de réussir dans ce pays (le Guatemala)
dont il vous fait les maîtres; il s'en revient au point d'où, il est venu et nous y
allons avec lui. S'il s'en va néanmoins, ce n'est que pour revenir vous rendre
visite lorsqu'il sera temps q.ue le monde unisse. »
Nous voilà en pleine légende de QuetzalcoatI qui est toltèque.
« Ces prêtres partirent donc avec leur idole enveloppée dans des mantas; ils
s'en furent ainsi vers Varient! !! »
Mais si le dieu s'en retournait au point d'où il était venu, il ne venait donc
pas du nord, puisque maintenant, se trouvant dans le Guatemala il se dirige
vers l'orient, c'est-à-dire le long de la côte du Honduras. Quel galimatias !
(c II ne resta d'autres sages avec les nouveaux colons que les quatre dont les
noms suivent : OxomocOi Cipactonal^ Tlaltetecuin et Xochieauaca, »
Ce sont là des noms aztèques; or, les Aztecs n'arrivèrent que vers le xn« siècle
sur les plateaux de l'Anahuac et ne pénétrèrent que beaucoup plus tard, à la fin
du XV* siècle, sous le règne d'Ahuizotl, dans le Guatemala.
« De Tamoanchan les nouveaux colons allaient faire des sacrifices au lieu
appelé Teotiuacan où ils élevèrent deux monticules en l'honneur du soleil et de
la lune. C'était dans cette ville qu'on élisait ceux qui devaient gouverner le
peuple, etc. »
Eh quoi ! de Tamoanchan dans le Guatemala, ces nouveaux colons abandon-
nant leurs terres^ leurs semailles, leurs habitations, s'en vont à quatre cent
cinquante lieues de là, élever dans un lieu inconnu des pyramides en l'honneur
du soleil et de la lune, et dans une ville qui ne saurait exister, naturellement,
puisque ces colons étaient les premiers qui eussent encore mis le pied sur le
continent américain 1!
<c A l'époque où les gens dont nous parlons étaient réunis à Tamoanchan,
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TAMOACHAN 349
(ils avaient regagné le Guatemala?) certaines familles s*ea allèrent habiter les
provinces que Fon appelle aujourd'hui Olmeca Uixtotin, »
Ces émigrants avaient donc quitté le Guatemala pour se fixer sur les hauts
plateaux? Mais nous savons que les Olmecs vinrent du nord et non pas du sud!
<c Ces émigrants, dans les temps passés, étaient très versés dans la pratique
des maléfices et des sorcelleries. Leur chef et seigneur avait un pacte avec le
démon. Son nom était Olmecatl Uixtotli, C'est de là que les gens de son
peuple s'appelaient Olmeca Uixtotin, On raconte qu'ils marchèrent à la 5uite
des Toltecs, lorsque ceux-ci s*en allaient de leur ville de Tullan dans la direc-
tion de Torient. Ils emportaient avec eux les secrets de leurs sorcelleries, mais
arrivés au port, n'ayant pu s'embarquer, ils restèrent sur la rive et c'est d'eux
que descendent ceux qu'on appelle aujourd'hui Anauaca Miœteca, Ce fut là
dans le Mixteca), que s'établirent, en effet, leurs aïeux, parce que celui qui
était alors leur roi fît choix de ce district à cause de sa richesse et de sa ferti-
lité. »
Comment ce chef peut-il faire choix d'une localité située à plus de cent lieues
de l'endroit où il se trouve? Sahagun ne nous le dit pas.
« Ce fut là qu'ils inventèrent l'art de faire le vin du pays. Ce fut une femme
qui enseigna la première à creuser les magueys pour en extraire la sève qui se
convertit en vin. Cette invention eut lieu sur la montagne de Chichinauhia et
comme ce vin forme de l'écume, on appela celle montagne Popoçonaltepetl,
c'est-à-dire montagne écumeuse. Le vin étant fait, ses inventeurs invitèrent les
gens de distinction, vieux et vieilles, à venir sur la montagne susdite. Ils y
donnèrent à manger, et à boire le vin qu'ils venaient de fabriquer. Ils mirent
quatre tasses à la disposition de chacun des invités. Personne n'en eut cinq
afin d'éviter qu'on s'enivrât. Mais il y eut un Cuextecatl, chef et seigneur des
Cuextecay qui en but cinq tasses qui lui firent perdre la raison. Étant dans cet
état, il jeta sa ceinture et découvrit ses parties honteuses. Les inventeurs du
vin, offensés et humiliés de cette conduite, s'assemblèrent pour en assurer le
châtiment. Le CuexteciUl l'ayant su en eut honte et prit la fuite avec ses sujets
et tous ceux qui parlaient sa langue. Ils s'en allèrent à Panotlan appelé Pantlan
aujourd'hui, et Panuco par les Espagnols, c'était de là, du reste, qu'ils étaient
venus. »
Ce passage vaut qu'on s'y arrête, car, dans la première partie, lorsque Saha-
gun nous raconte que les Olmecs suivirent les Toltecs avec lesquels ils
s'étaient amalgamés, lorsque ceux-ci abandonnèrent leur ville de Tullan pour
s'en aller dans la direction de l'Orient, Tabasco, Chiapas et Yucatan, ils empor-
taient avec eux les peintures renfermant les secrets de leurs sorcelleries; c'est
nous dire (avec d'autres historiens, cette fois) qu'ils avaient emporté avec eux
leur système graphique; ce qui nous donne tout lieu de croire que les inscrip-
tions de Palenqué, de Lorillard, de Tikal et du Yucatan nous représentent bien
l'écriture hiératique toltèque.
£n second lieu, dans le décousu et dans le vague de la phrase : arrivés au
portt n'ayant pu s'embarquer, nous retrouvons une citation de Torquemada
disant qu'une partie des émigrants toltèques remontèrent au nord dans la
Huaxteca, Sahagun dit Mixteca; mais il y a certainement erreur de la part de
l'historien qui devait connaître les deux provinces, car si le vieux chef, honteux
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350 VARIÉTÉS
de son ivresse, abandonDa le pays suivi des siens pour se rendre à Panoco, il
descendait des hauteurs de la Huazteca qui sont voisines de ce port et non de
la Mixteca qui en est éloignée de plus de deux cent cinquante lieues.
Nous nous en tiendrons là, encore que la suite du chapitre ne présente qu*un
chaos d'anachronismes et de faits contradictoires ; cela doit nous suffire pour
affirmer qu*il ne faut accorder nulle importance à cette légende de Tamoanchan,
qu'elle n'ajoute rien à l'histoire et qu'elle vient, au contraire, y jeter la confu-
sion.
Désiré Charnay.
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REVUES ET ANALYSES
LIVRES ET BROCHURES
Jouan (H.). A propos du peuplement de la Polynésie. Cherbourg.
1884, br. in-8, extraite des Mémoires de la Société Nationale des Se. Nat.
et Math, de Cherbourg, — Les légendes des lies Hawaii et le peu-
plement de la Polynésie. Cherbourg, in*8, extr. des mômes mé-
moires.
L^auteur est un de ces officiers de marine qui font profiter la science de leur
longue expérience et de leurs studieux loisirs.
Il se propose, dans son premier mémoire, de dire son opinion sur quelques
points de la thèse soutenue par M. de Quatrefages, attaquée par M. A. Lesson *,
et cela à propos d'un travail de M. Zaborowski. (Rev. Scient., 20 octobre 1883.)
Ayant à son service une érudition étendue, M. H. Jouan rappelle les princi-
paux points acquis grâce aux travaux de Quatrefages, Gaussin, Dumont
d'Urville, Hamy, etc. Étant admise la division artificielle, mais devenue clas-
sique, de rOcéanie par d'Urville en quatre grandes régions : Mélanésie, Malaisie,
Micronésie, Polynésie, d'où viennent les hommes rencontrés sur les îles épar-
pillées de ce vaste espace qui constitue la Polynésie?
Plusieurs explications avaient été données : 1. Les lies seraient les restes
d'un continent submergé' et leurs habitants des descendants des autochtones de
ces terres disparues en partie. — 2. D'autres y voient les restes des tribus
d'Israël qui ne revinrent pas de Babylone. — 3. D'autres veulent que chaque
île, chaque archipel ait été un centre de création pour les hommes comme pour
les animaux et les plantes. M. A. Lesson met en avant l'origine autochtoniste
néo-zélandaise des Polynésiens. — 4. On fait venir aussi les Polynésiens
d'Amérique en suivant le cours des vents alizés et les courants marins équato-
riaux. (P. 17 je lis : «Les caractères zoologiques des Polynésiens et des Amé-
ricains présentent beaucoup plus de différences que de ressemblances. » Com-
ment trouvez-vous zoologiques? Les Darwinistes eux-mêmes n'en demandent
pas tant. Mettons que c'est un mot malheureux.) — 5. Enfin on en vint à
placer le berceau des populations brunes du Pacifique quelque part dans le
sud du continent asiatique ou dans les grandes îles qui le prolongent vers le
sud-est. — Cette hypothèse, résultat de travaux considérables mûrement réflé-
chis, fut émise et développée par M. de Quatrefages (reprenant une idée de
1) Lei Polynésiens, leur origine, leurs migrations, leur langage, par le docteur A. Lesson*
ancien médecin en cher de la marine. 4 volumes parus, 1880-1884. l'aris, Leroux.
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352 LIVRES ET BROCHURES
Horatio Haie) dans son beau livre des Polynésiens et leurs migr(Uions (Paris,
1866). Chacun connaît et les arguments et les conclusions de ce travail dont
M. Jouan fait une limpide analyse. Il ajoute des détails empruntés aux tra-
ditions recueillies dans les excellents ouvrages de sir Georges Grey et du Révé-
rend Taylor.
On peut admettre comme conclusion de ces travaux, avec M. Zaborowskî,
que le a peuplement des principaux groupes de la Polynésie a eu lieu dans un
intervalle relativement court, de mille à mille deux cents ans, et qu'il est rela-
tivement récent et s'est accompli à la lumière de l'histoire. » Mais certaines de
ces terres ainsi colonisées étaient habitées déjà, semble-t-il, par des Mélané-
siens. Des crânes retrouvés, des traditions viennent à Tappui. C'est le cas des
îles Hawaii.
Cette théorie de M. de Quatrefages est attaquée, comme toutes les autres
d'ailleurs, par le docteur A. Lesson, ancien compagnon de Dumont d'Urville et
qUi réunit une foule de qualités précieuses chez Thomme qui veut discuter de
tels problèmes. Or, M. Lesson nie formellement Torigine malaisienne des Poly-
nésiens. « Il établit la succession des migrations à très peu près comme M. de
Quatrefages jusqu'à ce qu'il arrive aux îles Samoa. Mais ces dernières, au lieu
d'avoir été le point de départ des colons pour le reste delà Polynésie, auraient
été peuplées par les îles Tonga, qui, elles-mêmes, auraient reçu leur population
de la Nouvelle-Zélande ; ainsi celle-ci, loin d'avoir été la dernière à recevoir la
race polynésienne, aurait. été, au contraire, son point de départ. » M. A. Les-
son ne donne jusqu'à présent que les époques relatives des diverses migrations;
dans un prochain volume il traitera sans doute la question des dates absolues.
En tous cas, on peut déjà lui faire de graves objections sur sa chronologie. Si
certains détails viennent à Tappui de l'opinion de A. Lesson sur la Nouvelle-
Zélande, d'autres, empruntés, comme les premiers, au règne végétal *, nous
forcent à admettre la venue de migrations malaisiennes. D'où une sérieuse
objection au système de A. Lesson qui fait de la Nouvelle-Zélande un centre de
création pour les végétaux et les animaux, de même que pour une espèce
humaine dont le maori serait la vraie langue mère. Or, comme le fait remarquer
M. de Quatrefages, des faits parfaitement caractérisés semblent exiger, si Ton
fait de la Nouvelle-Zélande un centre d'émigration, que cette môme contrée ait
reçu ses premiers habitants et leurs animaux domestiques du dehors. M. Jouan
se prononce pour M. de Quatrefages, mais sans nier les grands services rendus
par M. A. Lesson par ses immenses travaux.
Passant aux éléments que peuvent offrir à la solution du problème la géolo-
gie, la géographie, la zoologie, etc., M. Jouan examine l'hypothèse d'un conti-
nent submergé^ ayant laissé comme témoins les terres océaniennes : elle peut, dit-
il, très bien se comprendre pour ce qui est des grandes terres qui occupent
l'ouest et le sud-ouest du Pacifique. Cependant, si on laisse les données géolo-
giques, on constate que la flore et la faune de la Nouvelle-Zélande et de la
Nouvelle-Calédonie diffèrent beaucoup plus de celles de l'Australie et de la Tas-
1) Rappelons, à ce propog, que le capitaine H. Joaan a pabtié sur ce sujet à plusieum reprises
dos lra>aui fort précieux dans les Mémoires de la Société Nationale des Sciencet naturellei et
mathématiques de Cherbourg.
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LÉGENDES DES ILES HAWAII ET PEUPLEMENT DE LA POLYNÉSIE 3S3
manie que la situation de IVchipel par rapport à ces terres ne pourrait le faire
supposer. « Si les animaux marins de la Nouvelle-Zélande sont pour la plupart
identiques à ceux des autres parties de l'Océan Austral, les animaux terrestres
sont, au contraire, presque tous diCTérents de ceux qui ont été observés
ailleurs. »
La constitution géologique des autres îles répandues dans le Paciûque est
beaucoup plus simple que celle des grandes terres de Touest et du sud-ouest,
et ne permet point d'admettre cette fois qu'elles soient les témoins laissés par
un continent submergé. D'autres considérations s'y opposent encore : <c La
création dans la Polynésie insulaire^ si elle est quelquefois riche en individus,
est relativement pauvre en espèces; n'aurait-elle pas été plus riche, n'aurait-elle
pas montré une plus grande variété de végétaux et d'animaux sur un conti-
nent? Et ce continent n'aurait-il pas laissé plus de traces de ses richesses ? Main*
tenant la Polynésie insulaire a-t-elle toujours été telle que nous la connaissons
aujourd'hui? Il ya de grandes présomptions pour la négative. Les tles, les
archipels devaient communiquer par des « piles de ponts » aujourd'hui sub-
mergées. On retrouve, d'un bout à l'autre de l'Océanie, les mêmes oiseaux; les
plantes réclament bien davantage encore la nécessité de communications immé-
diates dans un âge antérieur. On en est réduit nux conjectures et M. Jouan en
est amené à dire : u Tout cela est encore bien mystérieux ! »
Passons à la population. Les Maoris trouvèrent une population noire fixée à
la Nouvelle-Zélande dès avant leur arrivée ; c'est un fait incontestable. Mais
rien n'autorise à voir en eux des Australiens qui auraient habité la Nouvelle-
Zélande avant qu'elle ait été séparée de l'Australie^ ou qui seraient venus soit
volontairement, toit par entraînement, 11 est plus logique de voir des Papouas
dans les prédécesseurs des Maoris.
D'où vient le rat de la Nouvelle-Zélande, Mus Afaortcum? Mystère jusqu'ici.
Et le chien? M. Jouan n'est pas du tout prêt à y voir, une variété du Dingo
de l'Australie. Il y a de fortes présomptions en faveur de sa provenance sud-
asiatique.
M. Jouan a eu le courage vraiment scientifique, d'avouer, en achevant ce
premier mémoire, daté de 1883, qu'il ne se croit encore autorisé à tirer aucune
conclusion. Il a montré surabondamment quelle énorme quantité de faits, de
documents on a réunis sur l'Océanie. Il s'agit de les examiner d'un peu plus
près encore. Il reste, il est vrai, de petits faits à glaner, à peu près négligés
jusqu'à présent, et ce sont ces petits faits qui peuvent aider à la solution du
problème; un détail, non encore entrevu, peut ouvrir des horizons nouveaux.
En appendice M. Jouan donne une analyse du IV* volume de M. A. Lesson,
consacré aux migrations des Maoris. Selon M. Lesson, partis de l'ile du milieu
de la Nouvelle-Zélande, ils gagnèrent l'île du nord, puis, poussés par les vents
de l'ouest et du sud-ouest, les îles Tonga, l'archipel Samoa. Des éclaboussures
de Maoris se seraient étendues sur des contrées bien plus éloignées encore de
leur patrie d'origine, jusqu'à Madagascar, comme nous avons eu déjà l'oc-
casion de le montrer dans cette Revue, M. H. Jouan déclare en rester quand
même aux conclusions de M. de Quatrefages.
Dans son deuxième mémoire, Les légendes des (les Hawaii^ etc., M. H, Jouan
reprend la question à propos d'une brochure publiée par M. A. Lesson, qui
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354 LIVRES ET BROCHURES
prétend tirer des arguments en faveur de sa thèse d'un ouvrage récent de
M. Abraham Fornander S juge àMaui, une des îles Hawaïennes. « II n'est pas,
dit M. Jouan, sur la Polynésie de travail plus consciencieux, plus riche de
faits et d'érudition » que le livre de M. Fomander. Ce dernier fait peupler les
tles océanienes par des émigrants partis du grand archipel d'Asie, auxquels il
donne le nom de pré-malais, parce qu'ils y étaient avant les Malais. Mais, de
plus, — et c'est là le principal objet de son livre, — il s'attache à établir leurs
liens étroits de parenté avec deux des plus vieilles races connues dans le temps»
les Ari^as et les KushUes. Pour faire la preuve de ses assertions, M. Fomander
s'appuie quelque peu, mais très peu, sur les faits naturels. Presque tous les
éléments de son argumentation lui sont fournis par des similitudes de noms,
dans la nomenclature géographique, des comparaisons d'usages, de croyances
et tout le foïk'lore polynésien. Il est plus partisan que personne de l'origine
asiatique des Polynésiens, et pourtant M. Lesson déclare que rien ne peut être
plus favorable à sa thèse que les légendes publiées par M. Fornander.
M. Jouan reproduit in extenso une grande partie de l'argumentation de
M. A. Lesson. Il est vrai que celui-ci reproche à M. Fornander de n'avoir pas
su tirer lui-même les conclusions vraies.
M. Jouan examine alors à son tour l'ouvrage de M. Fomander. Dans le grand
archipel d'Asie et dans toute l'immense étendue occupée par les Polynésiens, on
trouve une grande quantité de noms de lieux et de noms de choses à peu près
identiques, ou très peu différents les uns des autres ; plus loin dans l'Hin^
doustan, plus loin encore dans le golfe Persique et dans l'Arabie méridionale
mêmes simiUtudes, en face desquelles il n'y a rien de déraisonnable à supposer^
sinon à admettre, que les contrées continentales et les îles où ces noms sont
encore en vigueur aujourd'hui ont pu être habitées par des individus de la même
race.
D'autres coïncidences s'ajoutent à celles-là. Longtemps on a voulu voir dans
les Polynésiens une branche du tronc malais. Or il est prouvé d'abord qu'ils ne
constituent point une race homogène. Tout, au contraire, rapproche les pre-
miers des Pré' Malais j qui occupèrent le grand archipel Asiatique avant les
Malais : parenté étroite des dialectes polynésiens et des dialectes des pré-
malais vivant encore de nos jours. Du grand archipel asiatique, les peuples
auraient émigré vers l'ouest en suivant les deux routes du nord de la Nouvelle-
Guinée et du détroit de Torrès au sud, séjournant longuement aux Fidji où les
mots polynésiens sont communs, abondants même.
Voici donc le rapport établi entre les Pré-malais et les Polynésiens : des
faits d'un autre ordre vont nous permettre de remonter, sur leurs traces, beau-
coup plus loin à l'occident.
On ne doute plus aujourd'hui de l'immense influence exercée, aux époques
pré-historiques, par une race d'hommes que les anciens historiens grecs bapti-
sèrent Éthiopiens et auxquels les traditions iraniennes assignent pour demeure
la contrée de Kush-Dwipa, d où le nom de Kushites, Leur influence se serait
I) An Account of ihe Polynesian Bace, Us Onoin and Migrations and the andent ffitlory of
me Htttoaitan reople to the Time of Kamehameha. London, i87S-80, 2 vol., in-8.
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A BRTEF ACCOUNT OF THE NTCOBAR ISLANDERS 355
étendue des Colonnes d*Hercule aux abords de rExtrême-Orient. Plus tard,
rinfluence des Aryas, puis celle des Sémites, se superposèrent dans ces con-;
trées à celle des Kusbites. Or, les ressemblances fréquentes des traditions, des
croyances, des institutions des Polynésiens avec celles de ces anciens peuples
autorisent à voir entre eux, selon M. Fornander, des liens de parenté.
M. Jouan analyse les arguments et les documents fournis par M. Fornander,
puis il pose des conclusions, auxquelles nous renvoyons. Il nous suffira de dire
ici qu'il est impossible à M. Jouan d*y trouver quoique ce soit qui confirme les
théories de M. A. Lesson, et rien qui infirme celles de M. de Quatrefages. Le
livre de M. Lesson n'en reste pas moins, grâce à la quantité prodigieuse de*
faits qu'il contient, à la méthode scientifique qui a présidé à sa rédaction, un
point de départ indispensable pour toute étude sur les Polynésiens.
Il nous reste à remercier M. Henri Jouan d'avoir résumé et discuté avec
une expérience consommée et une grande sûreté de méthode ces savants travaux^
qu'il a contribué à nous faire mieux connaître, et dit le mot d'un chercheur
impartial dans une grande querelle où tous n'ont pas, au même degré que lui,
une compétence éclairée pour sainement juger les choses.
Max Lbclbrc.
E. H. Man. A Biief Aooonnt of the Nioobar Islanders, with spécial
référence to the Inland Tribe oî GreAt Nioobar. (Joum. of the
Anthrop. Institute, t. XV, p. 428, 1886 (une carte et deux photogravures).
On a déjà dit dans un précédent numéro de cette Revtie, que la population
des tles Nicobar est formée de deux éléments bien distincts : l'un. Malais, qui
habite la côte, l'autre qui vit dans l'intérieur, le Chom-Pen, dont M. Man
vient de faire l'étude.
Sur 7 à 8,000 habitants des îles, il y a à peine un millier de Ghom-Pen.
Les Malais du littoral des îles Nicobar ressemblent en tout aux autres Malais
des côtes ; un léger mélange de sang siamois ou birman est peut-être leur
seul caractère différentiel, mais les Ghom-Pen méritent toute l'attention des
ethnographes et des anthropologistes.
Les renseignements sur ces sauvages étaient fort rares et très vagues jus-
qu'à ces derniers temps. Cependant l'opinion que les Chom-Pen sont des
Négritos, semblables aux Mincopies des îles Andaman, s'était établie parmi les
savants, sans que personne ait d'ailleurs jamais vu de près ces sauvages, et
quand Roepstorff est parvenu enfin, en 1875, à rencontrer deux de ces indigènes,
il a été tout étonné de les trouver plus clairs de couleur que les Nicobariens, avec
une chevelure lisse et des yeux mongoloïdes. C'est à lui que revient l'honneur de
la première description des Chom-Pen, faite de visu. M, Man a examiné tout
récemment (1884-86) cinq campements de Chom-Pen sur différents points dé
l'île et il en donne une description complète, accompagnée de photographies i
Les Chom-Pen habitent exclusivement la Grande Nicobar ; on ne les ren-
contre nulle part ailleurs dans l'archipel. Ils se tiennent dans l'intérieur, et on
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386 LIVBES ET BROCHURES
ne les a sigoalés ou vus que sur cinq points de la côte où ils descendent pour
trafiquer avec les Malais-Nicobariens. Ces points sont : les criques de Lafoul
et de Ganges, sur la côte orientale ; la baie de la Galathée, sur la côte sud ;
Poulo-Babi, Kachindou et Poulo-Pet, sur la côte occidentale.
D'après leur type et leur langue, les Cbom-Pen ne ressemblent ni aux
Malais ni aux Négritos ; ils forment un peuple à part qui semble tenir le milieu
entre les Indonésiens et les Birmans. Ils sont de taille moyenne (l"*,65), ou
au-dessus de la moyenne (jusqu'à 1*^,75) et bien faits ; leur peau est plus
claire, je Tai déjà dit, que celle des Malais et des Nicobariens ; leurs cheveux
sont droits, raides, lisses et noirs ; leur système pieux est peu développé ;
Tœil est bridé, mongoloïde ; le visage est allongé, les lèvres sont assez minces.
Il n*y a pas tle prognathisme marqué.
Ces insulaires habitent les jungles ou les collines, à cinq ou six kilomètres
au moins de la côte» dans des huttes arrondies rappelant les ruches d*abeilles,
établies sur des pilotis. Ils ne connaissent pas la poterie et font cuire leurs
aliments dans des vases faits d'une pièce d'écorce pliée en deux, comme un
sac ou comme un paquet. Peureux et défiants, ces indigènes qui vivent, en
général, en petits groupes isolés, abandonnent leurs habitations à rapproche
de tout étranger. Leur vêtement consiste en un court jupon d'écorce battue*
La coutume de déformer la tête des enfants (aplatissement de l'occipital),
si fréquente chez les Nicobariens, n'existe pas chez les Chom-Pen, L'em-
ploi de l'arc et des flèches leur est inconnu, et la seule arme qu'ils possèdent
est le hin-yuan, espèce de pique de bois dont le bout pointu est quelquefois
remplacé par une pointe de fer très grossière.
Leur occupation principale est la chasse ; leur agriculture se réduit à la plan-
tation de quelques cocotiers ou pandanées, et de certaines plantes à racine
comestible ; les seuls animaux domestiques sont des porcs et des poules. Dans
certaines tribus on construit des pirogues pour la navigation sur les rivières.
La langue diffère complètement de celle des Malais. Il n'y a pas d'écriture,
mais on conserve le souvenir des faits chronologiques à l'aide d'encoches pra-
tiquées sur des baguettes.
Enfin, les Chom-Pen enterrent leurs morts dans l'attitude accroupie, et n'on
pas la coutume de déterrer ensuite les os comme le font les Nicobariens.
J. Deniker.
Linguistio families of the Indian tribes North ol Mexico, with
provisional List of the principal tribal names and ssmonyms.
(Washington, Governm. Print. Off. s. d., br. in-8.)
La brochure dont on vient de lire le titre est un simple catalogue des noms
des familles linguistiques, dans lesquelles peuvent se classer les tribus indiennes
qui habitent l'Amérique du Nord, moins le Mexique, et de ces tribus elles-mêmes,
avec les synonymes employés par les différents auteurs qui les ont décrites. Or,
ce catalogue a 55 pages in-8, tant étaient nombreux les petits groupes d'in-
dividus disséminés jadis dans tout le continent américain, tant sont grandes
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CORRESPONDANCE 357
aussi les variations de la nomeDclature usitée par les voyageurs des différentes
nations aux diverses époques de la découverte. Tout ce qu'il faut retenir de
cette interminable liste, c'est que le nombre des familles linguistiques distinguées
par les agents scientifiques de l'Institution Smithsonienne s'élève à cinqtiante'Six,
et que les noms des tribus, en y comprenant les synonymes qu'on a pu recon-
naître, atteignent le chiffre bien inattendu de 2,351. Il est regrettable que les
auteurs de ce catalogue n'aient pas toujours mis à côté de la transcription du
nom ethnique, celui de l'auteur qui s'en est servi le premier. Cette indication ,
que l'on rencontre seulement par places dans la brochure, eût ajouté beaucoup
à son utilité et à son intérêt.
E. H.
CORRESPONDANCE
Prétendas bœafii à trois oomes des Fonlbé. — Maillets en pierre
de Célèbes.
Bamako, 20 février i887.
Vous vous rappelez que je vous ai toujours dit qu'il était impossible, à mon
avis, d'admettre le bos triceros comme une race à part, et qu'il n'y avait, dans la
production de la troisième corne , qu'un phénomène pathologique. J'ai fortifié
cette manière de penser chez les Foulbé. •...
J'ai en ce moment sous les yeux un troupeau de cent vingt bœufs, qui vient
singulièrement à Tappui de ma façon de voir, qui est d'ailleurs celle des bergers
foulbé. Ce troupeau, composé d'adultes, est originaire du Macina et du Bakhou-
nou, et, par conséquent, vient de Foulbé ou de Maures. Parmi les cent vingt
animaux qui le composent, il y en a à peine dix qui n'aient pas subi l'inocu-
lation préventive de la préripneumonie. Aussi peut-on observer, sur le nez où
s'est pratiquée l'inoculation, toutes les variétés possibles de cicatrisations : cica.
trices simples, la peau restant assez souple, mais adhérente à l'os et naturel-
lement dépourvue de poils ; légères bosses scléreuses ; petite couche de tissu
coméen ; cornes à peine esquissées, enfin cornes de toutes dimensions.
Mais ce qu'il y a aussi à noter, et ce qui se voit admirablement sur cette série,
c'est l'irrégularité des cornes ou des apparences de cornes, comme forme ou
direction, et l'aspect constant de corne ou d'ongle malade. Je regrette de ne pas
avoir un appareil photographique : une bonne série d'une vingtaine de museaux
en dirait très long contre la race triceros.
J'ajouterai que j'ai vu des moutons dans le même cas. Ces moutons sont rares
(aussi n'a-t-on pas fabriqué d'ovis triceros 1), mais la raison en est simplement
que peu, très peu de pasteurs songent à inoculer leurs moutons
D' Tautain.
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358 NÉCROLOGIE
Dresden, <8 août 1887.
... Â propos du maillet de pierre d*un tumulus du Honduras, que vous
figurez p. 453 de la Revue (1886) et que vous mettez en parallèle avec les maillets
de bois que les insulaires des archipels Hawaii, Samoa, etc., confectionnent
pour battre leurs étoffes végétales, je rappellerai que j'ai rapporté de la partie
centrale de la baie de Tomini, Célèbes, un maillet de pierre tout semblable,
mais sans poignée. Cette pierre sillonnée servait, en fait, à battre Técorce
mouillée, pour en faire ces étoffes brunes et blanches qui sont en vogue à
Célèbes ; une poignée en bambou était attachée au maillet avec du rotang.
L'exemplaire est actuellement au Musée d'ethnographie de Berlin.
A.-B. Meyer,
Directeur du Musée royal anthropologique
et ethnograptiique de Dresde.
NÉCROLOGIE
J. VON HAAST
Sir Julius Von Haast, qui vient de mourir brusquement à Christchurch le
16 août dernier, s'était surtout fait connaître du monde savant par des re-
cherches géologiques et paléontologiques, longuement poursuivies dans les
territoires les moins connus de la Nouvelle-Zélande. C'est au cours de ces
recherches qu'il avait découvert en grande abondance les restes des oiseaux
éteints qu'on nomme moas dans la langue maori, et les plus anciens vestiges
de l'existence de Fhomme signalés jusqu'à présent dans l'archipel néo-zélan-
dais. Julius Von Haast a publié les résultats de ses investigations dans les
Transactions de Clnstitut de la Nouvelle-Zélande , et nous avons brièvement
résumé ses travaux en rendant compte de la belle exposition qu'il avait orga-
nisée l'année dernière à Londres. {Rev. d'ethnog., t. V, p. 354.) Né aux envi-
rons de Bonn en 1824, Julius Von Haast avait passé les trente dernières
années de sa vie au service de la colonie, dans laquelle il était venu s'étabUr
en 1858.
E. H.
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Le Directeur de la Revue, L Éditeur-Gérant,
E. T. HAMY. Erkest LEROUX.
AI«0KB9. — UIP. A. BCRDIN BT C}^, 4, RUB OARMIBR.
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ERNEST LEROUX, Éditeur, 28, rue Bonaparte.
MliMOlMS D'ETHNOGKAPHIE fîT D'ANTHROPOLOGIE
HÀMY (Qf E^-T.J. DncuiïjeuU iuéiills
sur Jei Botigor» du gouveriiemeni do
Toniïk (Sib*ït jut, In-S, 6g. , , 1 fr
— Cuup d ceil &ur l*iiulhropologie â\i
Cambodge. JSll, m-8 . ... 1 fr.
— ^ote Éur fea osÊeiueûl& humains
trouvés dana le (iliocènc jrjfmûurd*^
Savone. tS70, br. bi-8 . . . nu c.
— Quelqiit;3 olj?t:'rvaliùaa atiîUoiuiqiit's^
et etbuoîogîqiiua à propos d'uji crflin*
Uuinaiu trouvé liboa k^â i^ahkt» {|U«i-
tprnairtâ de UtOrk (lîoht'mti, 187U,
br* iij-8, t pL Jitli» . * . i fr 25.
— Noteâ pour servir à raiilbrôpologîtj
préhistoritïue de la Koniiandie. ïm^,
br. m-S. ,>...,.. 1 fr,
— Noie* d'authropokïgie paU^outologi-
qiie pria**» à ràxpoËiUoti dti Havie.
1880, br, inS, n^* , . , . . i /r,
^ Eduimrd Lu rie L Discourir prononcé
au Congrèa de Bruielles. i87^, hr,
iD-8 i fi\
— L'Aothropolo^e à J"Expo?ilîau iiî-
ternttLîODalu des sctûueeâ géographi-
ques. i87W, br. iii-8. . , , . I fr.
- Rapport aur Je d^%'eloppeTii«Mtt et
l'ètfit actaci des coUectioiis clhuo-
grapb^ueé appartenant au iliojsttrû
lie J'IuslrucUojj publiant?. 18«y, br.
iu^8 . 1 fr,
- Cook et Dalryiuple. ISTil, brocb.
m-8 .......... l fi'.
— Les Alfourous de (Siloto, d aprcs do
nouveaux reuaeigncûjenlê- 181 7. br.
in-8 1 fr.
— Les Négrilos & Formofe et d&Qiâ
rarcliipeUaponaîa. t873,br. ia-S 1 Tr.
- Notice sur le* Penmgs-Pnikg, 1873,
br. in-s, t fig. ...,,. l fn
" Étiide sur un pqu^lelte d*Aeta dea
environs de Biunugonau» N.-E. de
LuQon. Br. io-4. 2 pL IHh . 3 fr. SU
— Quelques obser^utions elîmologiquo*
au sujH dedans tijicru(épijalet;anjé-
rirains désignés nous lu nom i1\\z-
Utques. 187-^, br. in-Sj2 fig. l*fr.25
— Le^ ToUèqueB, 1882. br. inHK. ! fr-
— L(2â premiers habilauts du JJexiqne.
1875*, br, in-8, pi I fr. 2B
— La croix de Téotihuncan an musée
dn Trocadéro, 1882, br. in- 8, 9 ùgn-
re« - . . - I fr. 25
— Essai de coordination det; nialériaox
récemment recueillis sur IVlhnolcijçie
des uéj^rUles ou pygmécs de KAfrique
équaloriale, 1879, br. fn*8 . , 1 fr,
— Les iXégres de la vatl^^e du NiL Im*
pressions et souvenir?. 188 ï» br.
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tiona gravées sur la roche à El ïladj
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ptmuvnt dts îuhea cèrébrnti.t de a
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lu-8, Ir, , 1 fr. 51)
— Elude *uf Je* peintures tlh niques
d'un tombeau ili*)bttin de la IS** dy-
nastie. In 8, fig. . / . . . 2 fr.
— lïifecades américaine?* In-8, illustré.
^Eludes etboogropliîques et aroliéo-
loglqut's à Tel position coloniale et
indienne de Londres, jn-g, illustré,
Gnidi dam la galerie américaine du
MuBée d'ethnographie d 11 Trooad^ro
par k U*^ Ikukv, cun^fTvaitur du
muf êe, 1883, in-S/illuslrè (souspregge).
gUATREEAfiFS /A. ile. membre do
rinsUtut), Nouvel le s Etndct sur la
di&lributlau géitgroidnque des Né-
firitoé et sur leur îaenlification avtç
Ci PygméeB asiatiques de Ctèsîas et
de Ptiue. 1882, m-ë, illuî^trè. 3 fr. âO
QUATRE FAGES (A. de) et HA.MÏ,
Races humaines fj^ssilee, mésaticè*
phalea. 1875^ br. in-è. . , , 50 e.
— 'f(i\*iè o^âeuses âe» races humaines
fosi^ifes et nctiitflles. Nir^toire de Ea
erAniologia ethnique, 1875, brocb,
in-4 . SO c.
— Crâniologie des races n^grito el né-
grîto-|>ttTione. 1877t br. ïn-4, , 5D c.
— Criintolofïîe. La race tagmatiienue,
1878, br. in-i 50 c.
*- Crânkilogic^do la race pououa, 1R7S,
br. in-*. .^, ,.,;.. SO c.
— Crûnioiogie des races austraUenoci,
1879, br,, ÎI1-4 ..,,.. 50 e,
^ CiAniûioi^le des races nègres niri-
cnîne^. Raees non dolû^boeépbflle^,
Um, br. in--* 10 c.
— CrAoioloiiie des rac*is nègres afri-
caines. Races doUcbocèphales, 1880,
br, in-4. .,,,,,.. 50 c.
— Crànlologio des races mougoUque?
et blaacbeF. 1832, br. iii-4 , . m c.
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KRKEST LEROUX, éditeur, 28. rue Bonaparte, PARIS
ARTHUR ENGEL et RAYMOND SERRURE
rtE:r>EiTiTOTrî,E
DES SOURCES IMPRIMÉES
DE LA NUMISMATIQUE FRANÇAISE
(Le tome I vknl de paraïtrt*. — Le totoo H paraîlra eu uiarâ 18S80
NUMISMATIQUE DE L'ALSACE
Par AIlTHUll ENOKL el EUNEST LEHR
tfa beau volume lii~4, avec *6 pluû^lies eu pUoiQlypie CO fr.
NUMISMATIQUE ET SIGILLOGRAPHIE
DES NORMANDS DE SICILE ET D'ITALIE
Phf AHlmr EISOEL
Un hmn Tolmoe in-i^ »vecl plaochea. . * . Œ5 fr,
R. GAGNAT
NOUVELLES KXPLOIIATIOMS
ÈPIGRAPHIQUES ET A iiCHÉO LOGIQUES
iû-8 ............ a fr. ea
INSCRIPTIONS INÉDITES D'AFRIQUE
Extraites des pnpterK de t. RENIER
^P-8- ■ ^ y ,...,. 3 fr. 50
EUG. MUNTZ
fUlX-^fillVATElHI DE L'ÉCOiE f<ATIO:£ALB DKii WEADX-ARTS
LES ANTIQUITES DE LA VILLE DE ROME
AUX XI V^ XV* ET XVi' SIÈCLES
TOPOGlIAPHtE, MONUMENTS, COLLECTIONS)
DIAPRÉS 0£S DOCUMENTS NOUVEAUX
ln-% avec 4 planches liors texte.
If} fr.
LA BIBLIOTHÈQDE DU VATICAN AU XVP SIÈCLE
NOTES ET ÛOGOMENTS
ln-18 de îuïe, .,,,.. , S fr SO
ÉTUDES iconographiques" ET ARCHÉOLOGIQUES
SUR LE MOYEN AGE
lu-lS de luie, illustré * , , C fr.
IiiB pftTemaoU hiitorié» du IV^ ftti Xïl* lièeîe. — L» déoorAtioa d'un*
bMiUi£Uft arienne an V^^ siècle, — Lai légendes de OhaTlôinagne dani rarl
du moyeu âge ^ La mtni&tare irlandabe et anglo-eaionne an IX^ tiàole.
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JUL y \i>âi
REVUE
D'ETHNOGRAPHIE
I>[;DUÉ1^ sous LKS AUSPICKS ÙU MlNlSrfeBK niS. t INSTRUCTION PDBUQUE
ICT DES BKAUX-ARTS
Par le D*^ HAMY
Cuiiscrvftkur ilu Mii-iée irKtlititi{rr.i|jlié(?.
TOME SIXIEME
W 5-6. — Septembre à Décembro.
ERNEST LEROUX. ÉDITEUR
28, UUE BONAPAlia'Ë, âS
1887
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SOMMAIRE
L'iudiii^lrîe de In pie ne cbeiî li:e ancien» habltaaU de Far chipe l
caiiai iGQ. ., , . . , , , 0t H, VtîHWKAtJ,
Les tours Riaras de la provinre de Biûh-Diûb ♦ * , , Ch. Lehim.
Le Dioula-Doiigou ©l Je Sénéfo , ..,^,ii D^ Tautaw.
Le* races humàiQes de la P*ïrse . . . * , , , . , < Col*' Oubouôsït,
L'art capillaire nhea 1 et peu pLeâ prlmiti fa. ..*.*.,.*,.., Shwe Blon&el*
Note sur lea tornbeaujt de Tu-Duc et de Miuli-Mang,. . . Mari,
ObaervaUon;* etbnographit^ues dan* l'tle de Kamaraue * D^ L. Faurot.
Uûe visite aui ruiueâ de Xocbîcalco. , , , F. BorcAUT.
Une nécropole royale d^^cou verte à Salda , , J. K.^mdy-Brv.
Va Ml ÉTÉS V
Letlre a M, D. Briotoo, à propos de en brochure Whm*^ the
Tùttecf an hîstoric naiiona/itt/ ... , . . . <..,.,,,..*♦,.,...,,. D* CitAKi^AY.
Notes «ur Madagîi&car .... , , M. Lecukhc.
REVLJES et Al^ALYSEâ. — LIVRES ET BnocHunEs :
Chantre. Heihei^hes ttnthpopohîfiqueJi dans te Vaucatt...*, ,, A, ijk Quatrefagis
Marquer* Lvs éiablUsemtuii fran^'ais en Océanie . . . ... ,...,., E,-T* Hast-
Boas (F.)- Cen$jiÊ und H^JfervatioTts of ike Kwakiuii nation * , . » Id,
De ChareDcey . Textes en langue tnrasque ,.*..».,,*,.»..,*,,,, Id.
Lewis tT*-H*J. Ana'ent Rock Inscripthmt m En^tern Ùakota , . . , Id.
AQAr>ËXIR^ KT ^QÇLïkfk% SAVA.XTES ;
Associa iioD française pour r^vaneemeai deg^scleoees. Sesâioo
de Toulouse , D^ F, Diusi.k.
NOUViLLfeS. — CoBnaSPOSfDATTCK. — NiCllOLOOIE. — BlBiaOORApJIÏE* — TaJiLK des MATIÈnES.
CONDITIONS DE LA PUBLICATION
Li BEVUE D'ETHNOORAPHtE paraii lotis îes deux mois, par fascicules in-S
rtîSJiî, de 6 feuilles d'^i m pression, ricbement illoetrées-
Prix de l'aboimômenl annuel ; Paris. ...... 26 fr. »
■^ *- Départements ..,*,, Zl 50
— -- Étraiîger. . ^ , 30 »
Un ntimèrQ^ pris au Bureau ,«..,.«.. 6 •
TARIF DES .mNONCES
Une page ,....,.,*,...•-• - SO fr. *
Une 1/2 page ..,,.-,,.....,.,_.,,..<,. 20 *
Tous les outrages envoyés d /a Revue y seront annoncés et, s'il y a tieu^ analysé*»
S'adresser, pour tout ce qui concerne la Rédaction, au D^ UAMY, 40, rue de Lubeck.
ERNEST LEROUX, éditeur, rue Bonaparte, 28, Paris.
HISTOIRE DE TAFRIQUE SEPTENTRIONALE
DEPUIS LES TEMPS LES PLUS RECULÉS
JUSf^U'A LA rarVQUÉTE FRA!VÇA|§e (1810)
Par EHNEST MERCIER
2 volumes in-S, avec cartes , 16 Tr*
Le Tome 1»» vient de paraître
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MEMOIRES-ORIGINAUX
^INDUSTRIE DE LA PIERRE
CHEZ LES ANCIENS HABITANTS DE L'ARCHIPEL CANARIEN
Par le D' R. Verneau
I
Au xv** siècle, lorsque les Européens s'emparèrent des îles
Canaries, ils y rencontrèrent des populations qui étaient loin
d'occuper le degré le plus inférieur de Tétat social. Les habitants
de tout l'archipel se livraient à l'élevage des troupeaux ; ils
savaient même tirer du sol, au moyen de la culture, une partie
de leur alimentation. Il peut donc paraître surprenant, au pre-
mier abord, que ces agriculleurs n'aient connu aucun des métaux
en usage depuis de longs siècles chez des peuplades parfois
moins élevées dans l'échelle sociale.
Ce fait s'explique cependant de la façon la plus naturelle ; les
insulaires des Canaries n'avaient pas de relations avec les autres
peuples et ils ne trouvaient pas chez eux les métaux qu'ils
auraient pu utiliser. En effet, le seul métal quelque peu abon-
dant dans ces îles est le fer ; mais il n'existe guère que dans les
sables ferrugineux, assez pauvres d'ailleurs, dont le traitement
offrait, pour les anciens habitants, des difficultés insurmontables.
De nos jours même, ces sables ne sont pas exploités.
Les autres minerais sont si rares que leur existence n'avait
pas été signalée. J'en ai pourtant recueilli quelques échantil-
VI SEPTEMBRE-DÉCEMDRE
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362
L INDUSTRIE DE LA PIERRE
lons^ dans le cours de mon dernier voyage, mais je dois ajouter
que les exemplaires sont peu nombreux, de petit volume, et
que j'ai constamment rencontré ces fragments à l'état erratique,
dans quelques ravins. Nulle part ils n'ont encore été trouvés en
place et il est probable que leurs gisements sont situés à une
assez grande profondeur. Il est fort possible que les minerais
que l'on récolte de temps à autre aient été rejetés à l'état de
fragments par les volcans qui les auraient détachés des assises
profondes du sol. Si celte hypothèse paraît trop hasardée, il faut
admettre que les débris dont il s'agit proviennent de couches
aujourd'hui recouvertes par les éruptions volcaniques. Dans l'un
ou l'autre cas, leurs gisements ne devaient pas être accessibles
aux anciens Canariens.
C'est sans doute à cette cause qu'il faut attribuer l'absence de
toute industrie métallurgique dans l'archipel. A l'époque de leur
arrivée, les premiers habitants de ces îles, les Guanches^ igno-
raient, selon toute probabilité, l'usage des métaux; les condi-
tions dans lesquelles ils se sont trouvés placés n'étaient guère de
nature à hâter leurs progrès dans ce sens. Mais aux Guanches sont
venus se mêler, à diverses époques, des individus partis du nord
du continent africain. Ces invasions^ qui se sont répétées depuis
la conquête espagnole, se sont assurément produites dès les
temps anciens. Je crois avoir mis ce fait suffisamment en lumière
dans plusieurs mémoires* pour me dispenser de m'étendre ici
sur ce sujet. Je me bornerai k rappeler que des inscriptions
gravées sur des rochers, en caractères numidiques, ne peuvent
laisser de doutes sur l'arrivée de Numides dans les îles de Fer et
de la Grande-Canarie ; que l'étude des caractères physiques
montre incontestablement l'existence de Sémites- au milieu de
l'ancienne population. Parmi ces envahisseurs, il en était qui
1) Ces minerais comprennent du fer oxydulé ou magDétic[ue, de la galèn,
(sulfure de plomb), des carbonates de cuivre et quelques pyrites.
2) V. dans les Bulletins de la Société d'Anthropologie : Delà pluralité des races
anciennes de Tarchipel canarien (1878) : Les Sémites aux îles Canaries (1884) :
Les anciens habitants de la Isleta (1881), etc. et dans la Revue d' Anthropologie :
Habitations et sépultures des anciens Canariens (1879) ; La race de Cro-
Magnon, ses migrations, ses descendants (1886). V. encore : Rapport sur une
mission scientifique dans Tarchipel canarien, in Archives des missions ^ 4887,
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CHEZ LES ANCIENS HAUITÂNTS DE l'âRCHIPEL CANARIEN 363
connaissaient les métaux. Comment expliquer dès lors qu'ils
n'aient pas introduit Fusage d'outils métalliques ? On en peut
donner des explications fort plausibles.
Les immigrants, qu'ils aient été amenés dans ces parages
volontairement ou accidentellement, étaient des navigateurs qui
ne comptaient probablement guère de métallurgistes parmi eux.
Eussent- ils été capables d'extraire des métaux qu'ils se seraient
vus dans la nécessité de renoncer à cette industrie, en présence
de la pénurie de minerais que je viens de signaler.
Ce qui est certain, c'est que, jusqu'à ce jour, il n'a pas été
trouvé un seul objet en métal dans les habitations ni dans
les sépultures des anciens Canariens. Ce ne fut qu'au xv* siècle
que Jean de Béthencourt et ses Normands', puis les con-
quérants espagnols, importèrent avec eux les métaux dans ces
îles*.
Dans de telles conditions, la pierre devait forcément jouer un
grand rôle au point de vue industriel. Les instruments en pierre
sont cependant fort rares dans les collections ; cette rareté ne
saurait s'expliquer que par l'absence presque complète de ces
pièces bien travaillées qui attirent l'attention des amateurs les
moins compétents. Une foule d'objets intéressants ont dû être
dédaignés par les chercheurs ou jetés dans les ravins par les
pasteurs ignorants qui ont profané tant de grottes. En explorant
avec soin, on rencontre encore aujourd'hui d'assez nombreux
outils qui, malgré leur grossièreté, ont sûrement été utilisés
par l'homme.
Si les instruments en pierre dont se sont servi les vieux insu-
laires de l'archipel canarien sont habituellement grossièrement
travaillés, il n'est pas bien difficile 'd'en comprendre la raison,
Les roches qui se taillent le mieux, celles qu'utilisaient nos
ancêtres, n'existent pas là-bas. Le silex, par exemple, fait peut-^
1) On ne peut pas dire toulefois que, depuis la conquête, il se soit déve-
loppé une industrie métallurgique dans les îles Canaries. Les artisans actuels
se bornent à forger quelques outils ; ils tirent tous leurs métaux d'Europe,
d'Angleterre principalement, tant il est vrai que le pays ne fournit pas de
minerais susceptibles d*étre exploités.
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^/> *Am^'.Kï»^Tn«m', l*^fiiu: .:itt raa aSnuir xi.a ta r»Ton trait,
p^r*, ï>^ l'i.'VHUruv*^ -t :; '.ra 1* pi i-i ^^^a^^eat trï^iiL-h»* le» •
r^r^^i^>,ïv;W', p^n rverr.»^n: er*.v,r»>' er^nalas srêîiw Lé*s tri-îs pre-
u^.^rfi'^ r^^j,-^ ^ r»^n*tôr.*r>nt p-ir. :-:ir, mais îl a'ea est pas de
rjr,^ ^i>f #ïrj<^>;i^^ {>o^dL* ilml:^- Aa*§L malgré t:a5 1-^ aTs»-
U^f:^ ^o>,.^ prév^ti^ poar la £ahr>atîoo d'instruments tran-
^,J»4ftt^, ni5 A^rriblft-t-frlie avoir été qne don asaz^ assez peo
fép^uAu. J^ doî» ajonl^r qne l'obsidienne des Canaries offre mie
tUrifkafîon în#y>nipl^le et qn'el!^- a t-rajoors été utilisée sons
forme d'e/.Uu hnjtA, tranchants sur les bords. Aucun des outils
qri^T j#; rjmwi\% ne peut être comparé à ces remarquables instru-
mf'.uin d'ohftidif;nne, si nombreux au Mexique : les plus beaux
de» riAtres ne sauraient pas même soutenir la comparaison avec
Un plu» ^ros^iers de F Amérique.
J'aurai a signaler quelques objets remarquables, en fort petit
nombre d'ailleurs; je veux parler de haches polies en chloromé-
lanite. On n a trouvé, dans rarchipel, aucun gisement de cette
roche; je dirai mAme que, à ma connaissance, il n'en a été
recueilli aucun fragment. Les minéralogistes que j'ai 'consultés
sont à peu prfes unanimes à la considérer comme tout à fait
étrangère au pays; il faudrait donc admettre qu'elle a été
importée. Deux hypothèses se présentent alors : elle a pénétré
ou bien par voie d'échanges, ou bien accidentellement, rejetée,
par exemple, parla mer sur quelque plage. Dans le premier cas,
elle aurait pu être déjà travaillée et livrée sous forme de haches
polies, ce qui expliquerait Tabsence presque totale d'autres
inulrumenls on pierre polie et porterait à croire que les anciens
habitants ignoraient Tari do polir leurs outils ; mais cette hypo-
Ihèiin o«l on complet désaccord avec les dires des vieux histo-
rlonM ; tous, en eilet^ affirment que les Canariens n'avaient pas
do relations avec le reste du monde, qu'ils n'avaient pas la
moindre notion do la navigation et qu'ils ne communiquaient
m^m«» pas d'une tlo h Taulro. Il est vrai que les auteurs auxquels
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CHEZ LES ANCIENS HABITANTS DE LARCHIPEL CANARIEN 363
je me réfère entendent parler de relations habituelles ; il ne s'en-
suivrait pas qu'il ne fût pas arrivé dans ces parages quelque
navire isolé, et j'ai dit plus haut que le fait s'était assurément
produit à diverses époques. Quoi qu'il en soit, que Ton adopte
l'une ou l'autre des deux hypothèses, on comprend aisément
l'eigcessive rareté d'objets fabriqués avec une roche qui n'existe
pas dans cet archipel.
II
La pierre était bien souvent utilisée par les anciens habitants
des Canaries telle qu'ils la rencontraient, sans qu'ils lui fissent
subir le moindre travail. Nous savons, par tes historiens du
XV* siècle, qui ont assisté à la conquête de ces îles, que les
armes de jet de prédilection des vieux insulaires consistaient en
pierres brutes et surtout en cailloux roulés, qui se trouvent en
abondance dans tous les ravins. Lorsque, dans une bataille, Tun
des partis occupait une hauteur, il précipitait sur ses adversaires
d*énormes blocs que les guerriers se bornaient à rouler jusqu'au
bord des pentes. Pour ces usages, les pierres n'avaient évidem-
ment pas besoin d'être taillées.
Les cailloux roulés, dans la main des Canariens^ ne se transfor-
maient pas seulement en projectiles dangereux; ils servaient
encore à des usages multiples; Dans une foule de grottes, situées
dans des endroits élevés, j'ai rencontré des fragments de roches
diverses qui, après avoir été entraînés par les eaux des torrents
ou roulés par la mer et avoir eu leur surface polie de cette ma-
nière, avaient été recueillis et utilisés soit comme percuteurs,
soit comme molettes ou comme pilons.
Les percuteurs étaient le plus souvent de forme cylindrique
et servaient indistinctement par l'une ou Tautre de leurs extré-
mités; il est rare de constater à un seul bout des traces de chocs.
Le motif qui faisait rechercher pour cet usage des pierres cylin-
driques, c'est sans doute qu'elles étaient mieux en main.
Les molettes consistaient en pierres plates de forme circulaire
ou bien en cailloux de forme plus ou moins conique. J'en con-
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366 l'indfstbie de la pierre
Dais une qui affecte grossièrement la forme d*un pied; la partie
qui correspond au bas de la jambe était tenu à la main à la façon
d*uu manche. Quelle que soit leur forme, ces molettes n*ont que
fort rarement été travaillées par Thomme. Malgré cette absence
de travail, il est incontestable qu'elles ont servi à broyer :
l'usure qu'a produit le frottement sur une de leurs faces ou
même sur plusieurs, l'ocre qui colore encore quelques-unes
d'entre elles, ne sauraient laisser le moindre doute à cet égard.
La pierre sur laquelle on triturait les substances qu'on vou-
lait réduire en poudre ne subissait elle-même aucune prépa-
ration. On ne lui demandait que d'offrir une surface à peu près
plane, et les fragments présentant cette condition ne font pas
défaut. H arrivait toutefois, au bout d'un certain temps, que le
frottement prolongé de la molette usait, sur un espace limité, la
pierre qui se creusait alors quelque peu; il en résultait une
sorte de mortier rudimen taire peu profond, dont j*ai rencontré
plusieurs échantillons.
J'ai dit que des cailloux roulés étaient encore utilisés en guise
de pilons. On choisissait naturellement à cet effet les plus allon-
gés, mais il fallait en outre que la roche présentât une certaine
dureté et un grain assez fin. Il est assez rare de trouver des
pilons façonnés de main d'homme, ce que l'on conçoit aisément
si l'on songe que dans tous les ravins et sur toutes les plages les
habitants rencontraient en abondance ces instruments tout
façonnés.
Mais si nos insulaires se procuraient sans peine leurs armes
de jet, leurs percuteurs, leurs molettes, 'eurs pierres à broyer
et leurs pilons, il n'en était plus de même lorsqu'il s'agissait
dlnstruments tranchants; il fallait encore que Tintelligence
humaine intervint.
III
Les anciens habitants de Tarchipel canarien étaient assez
industrieux : ils travaillaient avec soin Tos, le bois, etc. ; leurs
poteries dénotent souvent une certaine habileté. Aussi est-on
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CHEZ LKS ANCIENS HABITANTS DE L ARCHIPEL CANARIEN
367
surpris, tout d'abord, de voir leurs outils de pierre si gros-
sièrement travaillés pour la plupart. On se croirait en présence
d*instruments de nos plus anciennes stations quaternaires. J'ai
dit plus haut que cette anomalie pouvait s'expliquer par la na-
ture des roches employées. La basalte, en effet, qu'ils avaient
partout sous la main et que, par suite, ils utilisaient dans le
plus grand nombre de cas, ne se prête guère à de fines re-
touches. C'est pour ce motif apparemment que presque tous les
outils en basalte semblent , à première vue , de simples
ébauches.
Fig. 48. — Couteau en basalte (Fortaventure).
Lescouteaux,parexemple, affectent, àpeu près constamment, la
forme de prismesàtroisfaces (fig. 48). L'une d'cllesest fort réduite,
dentelle sorte que la pièce se trouve très aplatie etqu'undesesbords
est infiniment plus tranchant que les deux autres. Cette forme tient
assurément à ce que le basalte se divise avec la plus grande faci-
lité, parfois même d'une manière spontanée, en prismes à nombre
variable de faces. Les prismes à six et à trois faces sont des plus
fréquents. Dans une foule de grottes basaltiques, on rencontre de
ces lames qui se détachent au moindre choc, lorsqu'il s'est pro-
duit des infiltrations aqueuses. Ces fragments qui prennent
naissance, pour ainsi dire, spontanément, sont tellement iden-
tiques à ceux que je considère comme des couteaux, qu'on pour-
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368 L*INDUSTRIE DE LA PIERRE
rait être tenté de se demander si ces derniers ont bien été réelle-
ment utilisés par rhomme ou» tout au moins, fabriqués par lui. Il
est fort probable que, parmi ces éclats, il en est qui ont été
recueillis tout façonnés par les anciens Canariens. Ces gens que
nous avons vu ramasser dans les ravins ou sur les plages des
cailloux roulés pour en faire des percuteurs, des molettes, des
pilons, ne devaient pas dédaigner les éclats tranchants, lorsqu'ils
en rencontraient. Mais il est également vraisemblable qu'un bon
nombre de ces couteaux ont été fabriqués intentionnellement.
Je pourrais même, à cet égard, être entièrement affirmatif, car
on trouve quelquefois le bulbe de percussion qui n'existe jamais
sur les prismes basaltiques d'origine spontanée. Étant donnée la
facilité avec laquelle le basalte se laisse diviser en lames tran-
chantes, à priori il n'était guère permis de supposer que des
individus capables de tailler les outils relativement compliqués
dont je vais avoir à m'occuper, n'eussent pas su fabriquer des
couteaux aussi simples.
Ce qui ne saurait être mis en doute, c'est que ces éclats aient
réellement servi à l'homme. Dans une foule de grottes, ouvertes
non plus dans du basalte, mais dans des roches de toute autre
nature, j'ai rencontré de ces petits prismes basaltiques de forme
triangulaire; ils avaient donc été fabriqués là où je les ai trouvés
ou apportés intentionnellement. Dans quel but? C'est ce qu'on
devine à la simple inspection de l'objet : Tun de ses bords est
tranchant ; on a donc dû s'en servir en guise de couteau. Dans
tout l'archipel, les habitants employaient ce couteau de basalte
en forme de prisme triangulaire aplati.
Quelquefois cependant ils faisaient usage, dans le même but,
de lames un peu différentes. Ce sont des éclats qui ne présentent
plus que deux faces ; Tune d'elles, à peu près plane, a été déta-
chée du bloc par un coup sec ; l'autre, au contraire, a été taillée
de façon à obtenir deux bords tranchants. Ces couteaux, qui rap-
pellent ceux qu'on trouve chez nous dans toutes les stations de
l'époque paléolithique, sont infiniment plus rares que les pre-
miers.
Les instruments que nous allons maintenant passer en revue
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CHEZ LES ANCIENS HABITANTS DE l'aRCHIPEL CANARIEN 369
ne peuvent laisser aucun doute sur leur mode de fabrication :
presque tous ont été obtenus à Taîde du percuteur *.
Je signalerai d'abord les éclats d'obsidienne qui, à cause du
tranchant de leurs bords, étaient toujours utilisés, quelle que fût
leur forme. Il est d'ailleurs à remarquer qu'ils ne présentent
presque jamais cette forme de lames allongées que nous sommes
habitués à considérer comme caractéristique des couteaux et
qu'on tire si facilement de certaines obsidiennes, celles de l'Amé-
rique centrale, par exemple.
En général irrégulièrement triangulaires, losangiques ou
elliptiques, ces éclats peuvent comprendre la partie corticale ou
bien être tirés du milieu d'un bloc. Tous semblent avoir été
utilisés, sans doute parce que cette roche donne une cassure très
tranchante et qu'elle ne se rencontre que sur quelques points fort
limités *.
S'il fallait en croire S. Berthelot % les éclats d'obsidienne, que
les Guanches désignaient sous le nom de tabona^ ne servaient
guère qu'à l'ouverture des cadavres qu'on se proposait d'embau-
mer. Mais cet auteur se réfère à un passage de Viera y Clavijo *
qui ne cite nullement l'obsidienne ; il parle de couteaux de silex,
mais il a certainement employé le moi pedemcUàdM^ le sens vul-
gaire de pierre. Il n'est pas nécessaire d'avoir recours à une
hypothèse gratuite pour expliquer la rareté des outils en obsi-
dienne : il suffit de tenir compte de la rareté de la roche elle-
même sans qu'il soit besoin de supposer que ses éclats fussent
réservés à des opérations spéciales. Il fallait faire de véritables
voyages pour se la procurer et, quels que fussent les avantages
qu'elle présentât, on se servait de préférence des roches qu'on
avait partout sous la main.
1) J'ai recueilli quelques nucléus de basalte qui, à en juger par l'étendue des
facettes, n'ont donné que des éclats de petites dimensions.
2) L'obsidienne existe en grande abondance au sommet du pic de Teyde,
dans Tîle de Ténériffe ; elle se trouve en petite quantité dans quelques localités
peu nombreuses de la Grande-Canarie.
3) P. Barker Webb et Sabin Berthelot, Histoire naturelle des îles Canaries,
i" partie, Ethnographie, par Berthelot.
4) José de Viera y Clavijo, Noticias de la Historia gênerai de las Islas Cana-
rias, t. I, p. 159.
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1
370
LINDTIST«ÏE DE LA PIERRE
Les pointes de lance ou de javelot sont toutes à peu près aussi
grossièrement taillées que les couteaux. Grandes ou petites, c'est
à peine si elles offrent quelques éclats enlevés sur une de leurs
faces.
Le type le plus simple pourrait se comparer aux premiers
couteaux que j*ai décrits : au lieu de prismes triangulaires, nous
trouvons des pyramides à trois faces dont Tune est fort réduite.
Fig. 49. — Pointe de lance eu rorme de pyramide triangulaire (Fortaventare).
C'est toujours sur la face la plus large que se* trouve le bulbe de
percussion, lorsqu'il existe (fig. 49).
Un autre type de pointe correspond à la seconde forme de
couteaux : une des faces est plane (celle qui porte le bulbe),
tandis que, sur l'autre, plusieurs éclats ont été enlevés. Ces
éclats sont habituellement assez étendus ; il est exceptionnel de
voir de petites retouches sur les bords (fig. 50 et 51).
J^ai dit que le bulbe de percussion se rencontrait toujours sur
la face la plus large des pointes, lorsqu'il existait. De même que
sur les couteaux il n*est pas rare qu'il fasse absolument défaut.
Peut-être s'agit-il de pointes obtenues accidentellement en vou-
lant façonner d'autres outils. Elles n'en ont pas moins dû être
utilisées : plusieurs, en effet, offrent des angles si aigus qu'elles
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CHEZ LKS ANCIENS HABITANTS DE l'aBCHIPEL CANARIEN 371
n'ont pas pu être délaissées par les anciens insulaires qui avaient
rhabitude d'armer de pierres Textrémité de leurs lances et de
leurs javelots, quand ils ne la durcissaient pas au feu.
Un autre instrument, très analogue à ceux qui précèdent, se
termine par une extrémité plus étroite et plus allongée. La plu-
part des archéologues n'hésiteraient pas à le qualifier de perçoir.
Ce qui est certain, c'est qu'il a pu tout aussi bien servir à perforer
Fig. 50. Fig. 54.
Face et profil d'une pointe de lance taillée sur une seule face (Grande Canarle).
les disques de bois, de coquille ou d*os qui se rencontrent assez
fréquemment, qu'à armer le bout d'une lance .
Je dois noter que toutes les pointes dont il vient d'être question
appartiennent au type dit du « Moustier », c'est-à-dire qu'elles
ne sont taillées que sur une seule de leurs faces. J'ai cependant
trouvé deux haches de petites dimensions qui, comme celles de
Saint-Acheul, ont été travaillées des deux côtés. La plus grande,
que représentent les figures 52 et 53, ne mesure que 8 centimètres
de longueur sur 6 de largeur. Fortement convexe sur ses deux
faces^ elle offre une épaisseur maxima de 4 centimètres.
Par sa forme, elle rappelle complètement la hache amygda-
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372
L INDUSTRIE DE LA PIKRRE
loïde de la vallée de la Somme. Elle est taillée à grands éclats
comme tous les autres instruments des îles Canaries.
La deuxième petite hache taillée des deux côtés, rencontrée,
comme la précédente, dans une grotte de la Caldera de Ban-
dama^ à la Grande-Canarie, affecte une forme ovale allongée.
Moins renflée que la hache amygdaloïde, elle peut encore se
comparer à des outils similaires extraits des dépôts quater-
naires du nord de la France.
C'est avec intention que je viens de me servir des expressions
type du Moustier, type de Saint-Acheul. 11 ne saurait, en effet.
Fig. 52. Fig. 53,
Pointe ou hache du type de Saint-Acheul, face et profil (Grande Canarie).
venir à Tidée de personne de regarder les haches canariennes
comme contemporaines de nos instruments quaternaires. J'ajou-
terai que là-bas les deux types sont contemporains : je les ai
trouvés à côté Tun de l'autre, dans la même grotte et dans la
même couche. Chez nous, le fait a été plus d'une fois observé;
il Ta été également en Amérique. Il est donc impossible d*assi-
gner une date à un outil en ne tenant compte que de sa forme.
En employant le mot type^ j'ai eu en vue « une forme d'outil et
non pas un ensemble d'instruments représentant l'industrie d'un
pays à une époque donnée \ »
1) E.-T. Hamy, Précis de paléontologie humaine, p. 226.
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CHEZ LES ANCIENS HABITANTS DE LARCHIPEL CANARIEN 373
IV
Parmi les ustensiles de pierre que j'ai récoltés dans Tarchipel
canarien, il en est un certain nombre qui, après avoir été taillés,
ont subi, à Tusage, par suite de frottements répétés, un certain
polissage; je veux parler des pierres à polir les poteries, des
meules ou moulins à gofio et des mortiers. Je décrirai à la suite
de ceux-ci les lampes en pierre qui présentent avec eux certaines
Dans plusieurs grottes habitées à une époque antérieure à la
conquête espagnole, j'ai rencontré de petits fragments de lave à
fines vacuoles, de forme aplatie, polis sur une de leurs faces.
Cette face polie est presque toujours légèrement concave. Ces
fragments devaient servir à polir les poteries à l'extérieur ; la
concavité qu'ils présentent s'adaptait à la convexité des vases.
Plusieurs motifs m*ont amené à cette détermination. Des
pierres de ce genre ont été trouvées à côté d'objets en terre,
dont les uns n'étaient pas encore cuits et dont les autres n'étaient
qu'ébauchés. L'endroit de la découverte, situé à l'air libre, ne
pouvait être qu'un atelier de potier. Ces morceaux de lave ser-
vaient à l'artisan à dégrossir ses produits comme ils servent
encore aux potiers modernes, qui continuent à ne pas employer
le tour et qui effectuent leur travail comme il devait se faire
avant la conquête. C'est aux vieux insulaires que les habitants
actuels ont emprunté leur mode de fabrication, les formes de
leurs vases et, dans certains cas, les noms mêmes par lesquels
ils les désignent. Il est donc probable que les pierres dont il
s'agit, qui servent aujourd'hui à polir les poteries étaient jadis
destinées au même usage.
Les meules étaient fort répandues : les insulaires se nourris-
sant de farine de grains préalablement torréfiés {gofio), le moulin
devait se rencontrer partout. Partout il se composait de deux
blocs délave, et c'est encore cette matière première qu'on utilise
pour la fabrication des meules modernes.
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374 l'industrie de la pierre
Les deux pierres étaient grossièrement taillées sur les bords
pour leur donner une forme à peu près circulaire. Leur dia-
mètre varie généralement entre 35 et 55 centimètres. L'infé-
rieure, qui déborde à peine celle du dessus, n'ofifre jamais le
petit rebord qu'on voit sur les petites meules employées de nos
jours (fig. 54).
Dans ce moulin, comme dans tous les moulins primitifs, la
meule supérieure se meut à plat sur celle du bas qui est toujours
fixe. Chacune des pierres doit donc présenter une face plane. Il
est presque superflu d'ajouter que cette surface pleme regarde en
haut, si Ton considère la meule inférieure, tandis qu'elle est
tournée en sens inverse sur celle du haut.
Fig. 54. — Moulin à gofio (Ténériffe).
Ce n est que sur les bords et en dessus que la pierre du bas
porte des traces de travail; dans le reste de son étendue, elle
est, en général, absolument brute. Il n'en est pas de même de
l'autre ; non seulement le bord et une face en ont été taillés, mus
on observe encore^ jusque sur la face supérieure, des signes
évidents de travail humain. Près de la périphérie, on voit tou-
jours une ou plusieurs petites cavités, irrégulièrement espacées,
qui recevaient l'extrémité du bâton destiné à mettre la meule
en mouvement.
A son centre, la pierre du haut est notablement plus épaisse
que sur les bords, de sorte qu'elle affecte souvent la forme d'un
c&ne tronqué très surbaissée Parfois même elle offre, dans ce
point, un prolongement cylindrique. Dans tous les cas, on ren-
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CHEZ LES ANCIENS HABITANTS DE l'aRCHIPEL CANARIEN 375
contre à cet endroit une ouverture circulaire de 5 à 7 centi-
mètres de diamètre, véritable entonnoir par où était introduit le
grain qu'on voulait moudre.
Dans toutes les lies, le moulin était identique^ c'est à peine si
les divers exemplaires que nous avons vus présentent quelques
légères différences tout à fait insignifiantes.
Pour broyer certaines substances, les ocres * notamment, les
anciens habitants des Canaries se servaient de mortiers tantôt
en lave, tantôt en basalte ou en trachyte. La forme en est presque
toujours allongée (fig. 85) ; je n'en connais qu'un seul, brisé en
bas, de forme circulaire. Le broyage s*effectuait donc générale -
Fig. 55. — Mortier à ocre (Grande Ganarie).
ment en imprimant au pilon non pas un mouvement de rotation,
mais bien un mouvement de va-et-vient dans le sens de la lon-
gueur.
Parmi ces mortiers, il en est qui atteignent 40 centimètres
dans leur plus grand diamètre^ tandis que d'autres ne dépassent
guère la moitié de cette dimension. Leur profondeur est très
variable ; quelques-uns sont tellement profonds qu'on est obligé
1) A la Grande-Canarie, il se faisait une consommation d'ocre bien plus con*
sidérable que dans les autres îles. Les naturels s'en servaient non seulement
pour décorer leurs poteries, mais aussi pour se peindre le corps. Aussi ne
doit-on pas être surpris de trouver dans cette île beaucoup plus de mortiers
que dans le reste do rarchipel. Il est d'ailleurs hors de doute que les instru-
ments dont nous parlons aient servi à broyer de Tocre : la plupart en ont encore
leurs pores remplies.
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376 l'industrie de la pierre
d'admettre que ces ustensiles étaient d'abord creusés en enle-
vant des éclats à Taide de coups répétés : le frottement seul
aurait exigé, pour produire une telle cavité, un temps si long
qu'on doit forcément renoncer à cette supposition.
Le pilon, ai-je dit, se composait le plus souvent d'un simple
caillou roulé, de forme cylindrique. Il en existe pourtant plu-
sieurs qui ont été façonnés par la main de Thomme. Ils affectent,
comme les autres, une forme cylindrique, ou plutôt légèrement
conique, l'extrémité qu'on tenait à la main étant un peu moins
épaisse que Tautre.
Les lampes de pierre ressemblent grossièrement aux mortiers ;
les unes ont une forme elliptique, les autres sont presque trian-
gulaires. Elles sont creusées d'une cavité peu profonde à fond
irrégulier. Ce caractère peut à lui seul permettre d'affirmer que
ces instruments n'ont pas servi à broyer, car le fond en serait
la cavité d'une de ces lampes porte encore les traces de la calci-
nation d'un corps gras. Dans quel but a-t-on brûlé de la graisse,
dans ces pierres /creusées ? Pour répondre à cette question, il
me suffira de rappeler que certaines populations modernes font
encore usage de lampes analogues : les Esquimaux , par
exemple, brûlent, pour s'éclairer, de la graisse dans des réci-
pients de schiste creusés qui, tout en étant mieux travaillés que
nos ustensiles canariens, ne leur en sont pas moins compa-
rables. Je puis citer un fait plus probant encore : la lampe
ancienne a persisté chez quelques pasteurs modernes des îles
Canaries et sa forme est restée la même. En 1877, à la Punta de
Ânaga, dans Tile de Ténériffe, j'ai vu des pierres creusées exac-
tement de la même façon que celle dont je donne la figure ; or
ces pierres n'étaient autre chose que des lampes. Pour s'en ser-
vir, le berger, dans la cabane duquel je les ai vues, commençait
par remplir la cavité de suif de chèvre ou de mouton ; des herbes
sèches, tordues ensemble, et débordant la lampe d'un côté, fai-
saient l'office de mèche. Avant de l'allumer, notre homme avait
le soin de recouvrir la graisse d'une pierre plate, afin que le feu
ne s'y communiquât point.
A cette époque, mon attention fut vivement attirée par un
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CHEZ LES ANCIENS HABITANTS DE l'aKCHIPEL CVNARIEN 377
instrument aussi rudimentairc * ; j'avais pensé tout d'abord que
ce mode d'éclairage avait été emprunté aux Guanches par les
pauvres gens de Tarchipel qui ont conservé tant de coutumes
anciennes. Les découvertes que j'ai faites récemment de lampes
exactement semblables à celles du pasteur d'Anaga, dans des
grottes qui n'ont assurément pas été habitées depuis la con-
quête, sont veriues me confirmer dans ma première opinion.
Les lampes d autrefois étaient presque toujours en lave. Une
de celles que j'ai recueillies .est percée à une extrémité, et en
bas d'une ouverture qui aurait pu servir à passer une corde pour
suspendre l'objet. Elle est malheureusement incomplète, de
Fig. 56. Lampe en lave (tirande CaDarie).
même que deux autres qui ne portent pas de trous. La seule que
j'aie trouvée entière provient d'une grotte de la Fortaleza de
Sta. Lucia de Tirajana ; c'est celle que représente la figure 56.
Elle présente une forme irrégulièrement triangulaire et mesure
vingt-six centimètres de long sur dix-neuf dans sa plus grande
i; On se servait jadis, avant l'arrivée des Espagnols, et on fait encore usage
•ie lampes plus simples. Ce sont de vulgaires coquilles univalves (des patelles)
qu'on remplit de graisse à laquelle on met le feu.
Mais, à côté d'instruments aussi primitifs, on trouvait chez quelques habi*
tants de la Grande-Canarie, des lampes en terre cuite qui portaient à leur
partie inférieure un ou plusieurs trous pour le passage des mèches. Deux seuls
exemplaires me sont connus et les deux proviennent de la même île. Ce sont,
sans doute, des spécimens d'une industrie spéciale, importée par ces immi-
grants dont j ai déjà eu Toccasion de signaler la présence à la Grande-Canarie.
Je rappellerai enfln que les fragments de tea (pinus canariensis), bois trèR
résineux» jouaient apparemment comme de nos jours, un rôle important dans
IVclairage.
•-.'6
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378
L INDUSTKIE DE LA PIEttRK
largeur. La mèche devait être placée dans Tangle le plus aigu
qui correspond au sommet du triangle. Cette pièce ne se diffé-
rencie en rien de celles que j'ai rencontrées dans la cabane du
berger de Ténériffe.
V
Les véritables instruments polis étaient fort rares dans lar
chipel canarien. Je nen connais que sept échantillons S parmi
Fig. 57. Fig. .j8.
Hache polie en chloromélanite, face ei profil (Grande Canarie).
lesquels six ont été trouvés à la Grande-Canarie ; le septième
provient de San-Sebastian, dans Tlle de la Gomère. Ces objets
polis comprennent cinq haches en chloromélanite. une hache
en grès micacé et une sorte de pointe triangulaire en limo-
nite.
Les haches en chloromélanite appartiennent à trois types. Les
1) Mon excellent ami, M. Diego Ripoche, connaît une huitième pièce polie:
c'est une hacfie en chloromélanite, rencontrée à la Grande-Canarie. Je n ai pu
rezamtner et dois, par conséquent, me borner à la mentionner dans cette énu-
méraiion.
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CHKZ LES ANCIENS HABITANTS DE L ARCHIPEL CANARIEN
379
unes, au nombre de trois, sont convexes sur leurs deux faces;
uile des extrémités se termine en pointe, tandis que l'autre
forme ua tranchant très arrondi {lig. 57 et S8). C'est une de
ces haches qui a été trouvée à la Gomëre.
Un autre type, représenté par un exemplaire unique trouvé
à Gaïdar (Grande-Canarie), rappelle les formes des haches en
bronze ; mais notre outil s'en différencie par la convexité notable
de ses deux faces (fig. 89 et 60). Ses deux côtés sont légèrc-
Fig. 59. Fi«. 60.
Hache polie en chloromélauite, face et profil (Grande CaDarie).
ment concaves ; son tranchant|, sensiblement plus large que
l'extrémité opposée, est bien moins arrondi que dans le premier
type.
Notre dernier outil en chloromélauite est une sorte de petite
hachette qui ne mesure que cinquante-trois millim. de longueur et
trente^cinq millim. dans sa plus grande largeur. L'extrémité la
plus étroite mesure encore près de vingt-cinq millim. Ses deu;^
faces, presque planes, sont aussi presque parallèles ; elles se rap-
prochent toutefois légèrement vers le sommet. Les deu^ côtés,
au lieu d'être concaves» comme dans le cas précédent, sont
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380 l'industrie de la pierre
quelque peu convexes. Enfin, le tranchant, à peu près reclîlignc,
affecte la forme d'un coin.
La hache en grès, que j'ai recueillie dans le ravin de Tirajana,
a été roulée depuis Tépoque de sa fabrication ; sa figure n^a
cependant pas été altérée. C'est une sorte de hache-marteau de
forme allongée qui fait songer à certaines pièces de Danemarck.
Elle ne porte pas de trou pour l'emmanchure ; mais sa lèle
élargie, ses côtés concaves, son Iranchant un peu arrondi et ses
deux faces légèrement renflées lui donnent Taspect d'un outil do
la péninsule danoise.
Fig. 01. - Pointe polie en limonite (Grande Canarie).
Le dernier objet poli que j'ai cité plus haut provient de la
Caldera de Bandama ; il a été rencontré à côté d'instruments
grossièrement taillés. C'est, je l'ai dit, une sorte de pointe,
très régulièrement .triangulaire, en limonite (fig. 61). Ses bords
sont droits ; ses deux faces, sensiblement parallèles, sont Tune
un peu concave, l'autre légèrement convexe ; le sommet pré-
sente la même épaisseur que le reste de la pièce. Il est donc
difficile de voir dans cet instrument, qui n'aurait pénétré
qu'avec les plus grandes difficultés, une pointe de lance. S'il
portait un trou de suspension, on n'hésiterait pas à le consi-
dérer comme une amulette; je crois que c'est ainsi qu'il faut
le qualifier, malgré l'absence de ce trou.
Les premières haches que je viens de décrire oH'rent un type
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«.HKZ r.KS \N<:iBNS HABITANTS DK i/aRCHIPEL CANARIEN 38i
qui se retrouve chez nous dans un certain nombre de collections.
Mais les haches de cette forme que nous connaissions depuis long-
temps et que Ton regarde comme des instruments de noire pays
n'ont, d'après M. de Mortillet, jamais été trouvées en place.
Aussi <^et archéologue, se basant sur l'existence de pièces ana-
logues dans les lies Canaries, est-il disposé à attribuer une
origine canarienne à ces haches répulées françaises. Il m*est
difficile de partager cette manière de voir. J'ai dit, au début de
cette note, que la chloromélanite n'a pas encore été signalée
dans Tarchipel canarien ; il n'est donc guère admissible que les
vieux habitants aient pu, avec une roche aussi rare chez eux,
qu'ils ne se procuraient qu'accidentellement, fabriquer un grand
nombre d'outils. Et, on effet, malgré les recherches les plus
actives, poursuivies depuis un bon nombre d'années, il n'a été
possible de réunir que cinq pièces faites de cette substance-
Rien n'autorise donc à supposer qu'on en ait rencontré jadis,
alors qu'on ne faisait pas de recherches,- un nombre suffisant
pour en pouvoir faire chez nous une vraie importation. Je
croirais plus volontiers que ces haches ont été importées aux
Canaries avant [l'époque de la conquête. Le même type a été
trouvé dans d'autres contrées, notamment en Amérique, tandis
qu'il semble entièrement étranger à l'industrie des Guanches. Il
est fort probable que les premiers habitants de l'archipel igno-
raient l'art de polir la pierre ; partout, en effet, nous rencontrons
des instruments taillés fort grossièrement. Ce n'est guère qu'à
la Grande-Canarie qu'on a découvert quelques objets peu nom-
breux en pierre polie. Or, c'est dans cette île que les croisements
ont été les plus fréquents et les plus divers, ce qui revient à dire
que c'est là que sont arrivés le plus d'étrangers. Il n'y aurail
donc rien de surprenant à ce que certains de ces nouveaux
venus aient apporté avec eux quelques-uns de ces outils fabri-
qués avec une roche étrangère au pays.
Pour terminer l'énumération des objets en pierre trouvés dans
les demeures ou les sépultures des anciens habitants de ces îles,
il me faut citer quelques grains de collier présentant la forme
d'un petit baril minuscule, percés d'un trou dans le sens de la
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382 L'rNDUSTRlK DE JA PIRRRE DANS l' AHCHIPKÏ. rvWllIKN
longueur. Ces grains sont d'ailleurs aussi rares que sont abon-
dants ceux en terre cuite ou les pendeloques en bois, en
coquille et en os.
CONCLUSIONS
En résumé, l'industrie de la pierre ne nous montre aucun
caractère spécial aux Canaries. Les vieux insulaires se servaient
d'instruments analogues à ceux des hommes quaternaires de
notre pays. Nous avons vu en même temps chez eux des meules
semblables à celles des Romains, des mortiers comparables à
ceux des Indiens de Californie, des lampes qui rappellent celles
des Esquimaux.
Les types d'outils du Moustier et de Saint-Acheul se ren-
contrent, dans ces îles, à la même époque.
La race primitive (les Guanches) semble avoir ignoré le
polissage de la pierre : les quelques outils polis trouvés dans
l'archipel ont pu y être importés par quelques-uns des nombreux
envahisseurs qui sont venus s'y établir et qui ont fait si profon-
dément sentir leur influence sur le type physique, sur les mœurs,
sur les coutumes et l'industrie des premiers habitants. Tout au
moins est-on en droit de penser que si des instruments polis ont
été fabriqués sur place, ce sont les nouveaux arrivants qui ont
introduit cet art avec eux, puisque dans les îles où le type ancien
est resté le plus pur, on ne trouve que des objets simplement
taillés.
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LES TOURS RIAMS
DE LA PROVINCE DE BINH-DINH (annam)
Par m. Ch. LEMIRE
Résident «!«• Franr*» jui Riiih-Diiili.
Il existe dans la province de Binh-Dinh un grand nombre de
tours disséminées sur les hauteurs et dont la construction est
attribuée aux Kiams.
Ce peuple habitait autrefois le pays compris entre Cao-Bangau
Tonkin et Baria» frontière de la Gochinchine française. Il y a en-
viron huit C(ït)ts ans, le roi Pô-Klong, poussé vers le sud par les
empiétements des Annamites» se construisait une capitale, appelée
la ville des Sapins à l'endroit mffme où est la capitale actuelle
des rois d* Annam. Plus tard, le royaume de Tsiampa « eut pour
capitale Qui-Nhon, ville située à peu de distance au nord du chef-
lieu actuel de la province de Binh-Dinh. Enfin, au xv« siècle, leur
capitale était Phan-Ry, port du Binh-Thûan. Ils étaient encore
puissants à cette époque, puisqu'un roi de Java épousa la fille
d'un roi Kiam. Mais alors commence Tinvasion annamite et, vers
1658» ces Kiams étaient refoulés dans les montagnes du Binh-
Thùan sous le nom de Hot « les barbares » .
Ces Kiams, ainsi dispersés, forment encore une population de
cinquante mille âmes au Binh-Thùan, de dix mille en Gochinchine,
de soixante mille au Cambodge et de dix mille au Siam, soit en
tout cent vingt à cent quarante mille habitants. Opprimés à ou-
trance par les Annamites, ils ont vu en nous des libérateurs. Il
n'est pas sans importance, tout en améliorant leur situation,
1) Ou Tjampa« ou Ciampa, ou Lamâp, ou Cham, ou Tjam.
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384 LES TOIRS KlAMS
f
de s'occuper des vestiges imposants qu'ils ont laissés derrière eux.
Les Kiams sont, les uns mahométans. les autres brahmanistes.
La religion de Brahma a précédé le mahométisnxe et le boud-
disme et s*est perpétuée dans un mélange de superstitions et de
pratiques bouddhistes ; ainsi , chez les Kiams, il n y a pas de
bœufs, Us en ont une sorte d'horreur sacrée, parce que , disent-
ils, ce sont les bœufs qui les portent dans Tautre monde. Évi-
demment^ c'est là une tradition brahmanique.
Chez la plupart des Kiam^ du Binh-Thùan^ ce sont les filles
qui font les demandes en mariage et non les garçons. Elles n'ont
pas les yeux bridés et leur type est bien supérieur à celui des
Annamites.
« Ce peuple, dit M. Aymonier, eut un grand passé. C'est une
race à part, intéressante entre toutes dans notre empire colonial ;
sa langue, son écriture, ses religions, ses coutumes diffèrent to-
talement de celles des Annamites. Moins importants que ceux du
Cambodge, leurs monuments indiquent du goût et une civilisa-
tion presque identique. »
« Ici les conquérants n'ont été que de barbares dévastateurs.
A chaque pas nous en voyons la preuve. Une quantité innon^-
brables d'inscriptions sanscrites ou kiams ont été sysYématique-
ment détruites par les Annamites. »
Au'Gambodge,les Siamois, bien que bouddhistes aussi fervents,
ont été plus acharnés contre les monuments religieux en vue du
pillage. Ici les statues, les ornements, les sculptures n'ont pas
été saccagés aussi complètement.
D'énormes monolithes, destinés à des ponts ou à des colonnes
gisent abandonnés sur place, les vainqueurs ne pouvant remuer
ces masses énormes que les Kiams savaient élever jusqu'au
faite de leurs constructions.
Les monuments, dont les ruines sont encore debout, sont prin-
cipalement des tours carrées ou rectangulaires. Elles sont ordi-
nairement réunies plusieurs ensemble et situées sur les hauteurs.
Cependant, on rencontre des tours en terrain bas : par exemple
les deux tours de Qui-Nhon. Autrefois la mer venait jusque-là.
C'est l'entrée de la vallée qui conduit au chef-liou.
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DE LA PROVINCE DK BINH-DIMI 38S
Los autres monuments de la province sont les tours d'argent
(Bang^-It) au nombre de quatre, les tours d'or (Troc-Loc), les
trois tours divoire (Duong-Tong), les tours de cuivre (Canh-Tîen),
la tour de Binh-Lam,
Ces tours sont à la fois en granit, en grës et en briques rouges.
La photographie ci-jointe donne une idée de leur architec-
ture. On ignore encore comment et d'où ces blocs énormes de
grès furent amenés; ils sont rectangulaires ou cubiques et juxta-
posés sans ciment. Comment a-t-on pu les élever pour les mettre
en place ?
Toutes ces pierres portent, comme celle d'Angcor et des
autres monuments khmers, un ou plusieurs groupes de trous
espacés de dix à quinze centimètres, de deux centimètres de
diamètre et trois centimètres de profondeur. Cette pratique,
qui est générale dans tous les monuments, ici comme au Cam-
bodge, ne pouvait, malgré ce que disent les habitants, avoir pour
but de relier les pierres par des crampons en fer et encore moins
de rekouvrir les monuments d'un placage métallique ou autre.
M. de Lagrée, qui a décrit les carrières des mêmes pierres au
Cambodge^ dit qu'aucune ne présentait dans ces carrières la
trace de ces trous qui he servaient donc pas au transport, mais à
l'élévation des blocs et à leur mise en place, qu'on se servît de
griffes, de leviers ou de tous autres instruments.
Les deux tours de Qui-Nhon sont à ciel ouvert, ce dont onjie
se douterait pas en les voyant en dehors. Il est à croire, ce-
pendant, que la voûte se rejoignait et s'est écroulée. A Tintérieur,
il n'y a pas de corniches, mais des trous ronds sur deux faces et
deux trous carrés sur deux autres faces, opposés les uns aux
autres, devaient recevoir des traverses en bois supportant un
plafond en planches qui masquait la voûte. Ces plafonds étaient
ordinairement en bois sculpté ainsi que les portes qui étaient à
deux battants, massives et encastrées dans des crapaudines
pratiquées en haut et en bas des monolithes de granit qui for-
ment Tencadrement des portes.
Dans les tours d'argent, les voûtes sont basses et ogivales. Ces
voûtes sont construites de la même façon qu'au Cambodge : les
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380 LES TOIJHS KIAMS DK LA PKOVLNCK DK HLXH-DLNH
piorres superposées de chaque côté par assises horizonlales se
correspondent et se rapprochent, chacune dépassant celle qui est
au-dessous. On abattait les extrémités intérieures des pierres
depuis la naissance jusqu'au sommet, de manière à obtenir la
coupe ogivale, la surface étant ensuite polie et quelquefois peinte.
Ici les tours n'ont qu^une porte qui est carrée et s'ouvre à Test ;
les autres tours en ont tantôt quatre se coupant selon les quatre
points cardinaux et formant une sorte d'arc de triomphe; tantôt
deux, comme la tour d'argent, orientées nord et sud. Les
tours de Qui-Nhon ont sur chacune do leurs trois autres
faces de grandes fausses portes ogivales , pleines , très en
relief, dont la quadruple ogive est bordée de quatre rangs
concentriques de moulures de feuillage. La tour du nord a
quatre mètres sur chaque face intérieure ; l'épaisseur des murs
est de deux mètres. Il y a huit étages, à partir du fût des colonnes
jusqu'au sommet, formant un dôme à base carrée. Sur chaque
face, les briques forment cinq hautes colonnes carrées au-dessous
desquelles s'étagent les pierres en grès qui se rapprochent par
assises horizontales et prennent la forme convexe jusqu'au som-
met qui se terminait en pointe et qui était, suivant la tradition,
surmonté d'une boule et d*une flèche dorées.
Le granit qu'on trouve dans les tours de Binh-Dinh est sem-
blable à la pierre que les Cambodgiens appellent Bay-Kriém ,
« riz grillé », parce qu'elle a la couleur, la forme et l'apparence du
riz agglutiné.
A côté d'un puits, voisin des tours, est une pierre de ce genre
qui a trois mètres cinquante de longueur, deux mètres de lar-
geur et quatre-vingts centimètres d'épaisseur. Os pierres iie
sont pas susceptibles d'être sculptées.
Les pierres sculptées sont en grès gris, pareil à celui d'Ang-
cor. D'un grain fin et susceptible d'un poli parfait, cette pierre
est tendre à la taille en carrière et devient dure à l'air, mais pas
assez pour résister à la pluie, au soleil et au vent. C'est cotte
même pierre que les Cambodgiens appellent Ahmâpok « pierre
de boue ». Les sculptures de ces pierres sont si délicates, si
bien fouillées et si bien finies que, suivant une tradition répan-
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Fig. 62. — La tour de BiDh*Lam
(d'après une photographie de M>"* Marie Lemire).
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388 LKS TOURS KlAMS
due dans le peuple et chez les grands au Cambodge et rapportée
par M. de Lagrée, les matériaux des monuments khmers étaient
façonnés de toute pièce avec de la terre et de Teau et moulés à
l'état liquide suivant les formes assignées par le grand architecte
de l'univers Préa Pusnuka, délégué de Préa En (Indra, roi des
génies).
Ces tours renfermaient des statues. Il y en avait probablement
en or et en argent avec des yeux en rubis et des dents en dia-
mants, elles ont disparu les premières ; celles en pierres ont été
enlevées plus récemment. On a creusé les murs pour en arracher
les images qui y étaient adhérentes et qui étaient probablement
en pierres et assises.
Une niche ogivale se trouve au-dessus de chaque porte à l'in-
térieur. Elle renfermait'à demi-relief un buste nu de femme por-
tant une riche coiffure et tenant à la main une fleur de nénuphar.
L'un de ces bustes est ici et l'autre à Hanoï; tous deux sont des-
tinés à la France.
Les huit étages de ces tours se rapportent encore aux tradi-
tions indiennes sur les reliques du bouddha. Lorsqu*il mourut, on
brûla son corps^ on fit huit parts de ses ossements qu'on ren-
ferma dans huit urnes destinées à être déposées dans des tours
à huit étages.
La plupart des statues, soit en métaL soit même en pierre,
étaient dorées. A cet efi'et, dit M. de Lagrée, la statue était recou-
verte d'une peinture noire résineuse semblable à celle qu'em-
ploient encore aujourd'hui les Cambodgiens et qu'ils appellent
Marak. Pardessus, on appliquait le vermillon et la dorure. Pour
les grandes statues qui devaient être exposées à l'air, on mélan-
geait le marak à une pâte de cendres formant un enduit de quatre
à cinq millimètres d'épaisseur. J'ai pu recueillir quelques-unes
de ces statues; la dorure a disparu presque entièrement, mais le
vernis est inaltérable.
Ces tours, analogues à celles que les Cambodgiens appellent
les Preat-Sat^ servaient probablement de sépultures à d'an-
ciens rois. Au-dessus de leur tombeau de pierre s'élevait sans
doute leur statue.
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DE LA PKUVINCE DE BlNIi-DlNH 389
Ici comme au Cambodge, non seulement les statues ont été
brisées, mais encore leurs socles ont été bouleversés. On
est donc porté à croire que les vainqueurs au temps des luttes ou,
depuis la décadence des habitants du pays, sont venus chercher
des objets qu'ils y supposaient enfouis. Les cendres des grands
personnages étaient, en effet, recueillies dans des vases précieux
ou entourées d'objets précieux, et Fusage d'enfermer leurs cen-
dres dans des pyramides s^est continué jusqu'à nos jours. Si des
fouilles n'ont pas été faites dans ces tours, il y aurait peut-èlre
un intérêt scientifique à en pratiquer.
Ce qu'il y a de curieux, c'est que les chapiteaux et les bases
des colonnes, qu^elles soient en pierres ou en briques, rappellent
à s'y méprendre le mode grec des plus beaux temps ; c>st le
même dessin général, ce sont les mêmes moulures, les mêmes
ornements travaillés avec une perfection presque égale, dit M. de
Lagrée, qui avait fait une étude spéciale de la Grèce.
Le linteau qui surmonte les colonnes offre une série de dan-
seurs à la façon cambodgienne : les jambes écartées, les bras en
Tair. Sur les pierres détachées se déroulent 'des serpents à têto
humaine et à deux bras, les nagas.
Des bandes doubles de pierres en saillie forment le couron-
nement de ces édifices. Le milieu de chacunede ces bandes est
occupé par un personnage , dieu ou roi, portant le sceptre ou
l'épée, comme au palais d'Angcor.
De chaque côté, des lions à crinière se tiennent accroupis et le
regardent ; puis ce sont des femmes qui tiennent une fleur de lotus,
puis des griffons à la queue relevée en panache. A chaque bande
supérieure, le personnage du milieu est flanqué de deux petites
niches ogivales symétriquement posées qui diminuent de gran-
deur à chaque étage.
Aux angles , se détachent des Kruts ou Garoudas. Ce sont
des personnages qui ont le buste, les jambes et les bras d'une
femme, une tête et un bec de chouette, des griffes et des ailes
par lesquelles ils se rattachent aux murs. Sur la tête du
Krut de la première bande est posé, les jambes écartées^ un
homme , probablement Vishnon, dont le Garouda est la mon-
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'190 LKS TOURS KIAMS
tare. Ce personnage brahmanique est mêlé aux figures du boud-
dhisme .
A la tour d'argent, ce sont des Yaks^ monstres humains, à la
bouche fendue, à la face grimaçante et aux yeux en saillie. A la
tour d*or , c'étaient des hommes à tête d'éléphant couronné, portant
d'une rtiain le sceptre et dont la trompe repose dans Tautre main.
J ai recueilli une de ces figures en grès dont on a brisé la tiare
et le sceptre. C'est l'éléphant hiératique qui est le symbole de la
haute intelligence et de la puissance.
On sait que le Bouddha est mort, suivant la légende, 343 ans
avant Jésus-Christ. C'est 78 ans après Tère chrétienne que le boud-
dhisme fut introduit au Cambodge. Il eut des luttes à soutenir ;
mais il rallia les masses et se substitua ou même se superposa à
la religion de Ta-Prâhm , Tancêtre Brahma, dont l'empreinte est
restée marquée dans l'architecture et le culte des Khmers et des
Kiams. Les bouddhistes n'ont jamais manifesté d'aversion
pour les figures brahmaniques; mais ils ont soin, dit M. Feer,
de subalterniser tout à leur Bouddha, de telle sorte que Brahma
et les dieux de son panthéon semblent rendre hommage au Boud-
dha et n'être que les premiers des bouddhistes.
Le rapprochement et l'association entre les figures brahma-
niques et les figures bouddhiques n'avaient pas été signalés d'a-
bord ; de même que la construction des tours de ce pays avait été,
au début des explorations dans cette région, attribuée à tort aux
Cambodgiens, alors qu'elle est due aux Kiams, les rois cambod-
giens n'ayant pas dépassé Bien-Hoa en Cochinchine.
Bien que différents entre eux, les caractères de l'architec-
ture des Cambodgiens, des Kiams et des Indous ont une même
origine indienne et ces trois peuples ont eu de constantes rela-
tions. C'est ainsi qu'un grand intérêt s'attache à une statuette
en bronze que j'ai récemment découverte enfouie dans la mon-
tagne auprès de la tour d'argent, en raison du lieu où elle a été
extraite. C'est un Brahma à cinq têted et à dix bras : quatre tètes
regardent les quatre points cardinaux et la cinquième domine les
quatre autres.
Il est hors de doute que ces édicules et monuments avaient un
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DE LA PROVINCE DE BINH-DINH • 391
but religieux et politique. Nous avons rappelé que leur construc-
tion offrait de grandes analogies dans diverses parties avec Tar-
chilecture classique de la Grèce.
K Si l'on élève les yeux, dit M. de Lagrée, vers les voûtes ogi-
vales de ces énormes tours, si, laissant les entrelacements régu-
liers de liges, de fleurs et de feuilles, on porte les regards plus
haut, sur la foule grimaçante des monstres de la mythologie
bouddhique, sur les naïves figures d*anges et de saints en prière,
sur les nombreuses corniches et découpures des parties supé-
rieures fouillées partout en haut-relief, on se sent transporté dans
notre moyen âge occidental. Que de preuves on y recueille de
cette analogie ! Les contours diaboliques, les gueules de dra-
gons, les longues grilles ressemblent à s'y méprendre à ce que
nous voyons dans nos anciens monuments. Souvent aussi de
nobles et saintes figures, agenouillées dans le recueillement et la
candeur, ne sont pas surpassées dans nos vieilles cathédrales. »
J'ai recueilli un bloc de grès provenant des tours d*argent qui
retrace deux rangées de ces figures dont l'attitude est celle de
religieuses en prière (fig. 63). »
Les tours d'argent offraient sous ce rapport des séries de sculp-
tures remarquables. La dernière statue qu'abritait la voûte a été
transportée en France en 1886. Près de quatre-vingts tonnes de
pierres sculptées, destinées au musée de Lyon, furent envoyées
par le paquebot le Mê-Kong, en 1887, par les seins du docteur
Morice. Le Mê-Kong ayant fait naufrage sur la côte de la mer
Rouge, les Çômalis crurent avoir trouvé une bonne aubaine en
ramenant au rivage ces caisses si pesantes et si nombreuses. Ils
n'y trouvèrent que des pierres, désormais perdues pour la
science, et le docteur, déjà malade en France, mourut de cha-
grin en apprenant le sort de ses laborieuses et pénibles re-
cherches.
Il résulte de cette étude qu'ici comme au Gamt^odge les édi-
fices anciens sont placés sur les sommets ; que le culte de Brah-
ma a précédé le culte du Bouddha et s'est en partie mélangé avec
ce dernier. Yishnou est souvent représenté dans les sculptures des
tours Kiams et dans celles des Khmers. Ces tours étaient consa-
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^ H'piLrjr//^%, J'.
Fiff. 63. — Deux pierres sculptées des tours kiams
(d'après une photographie de M"® M. Lemire).
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DE LA PROVINCE DE BINH-DINH 393
crées d'abord au culte de Vishnou, à celui de Çiva et plus tard à
celui de Bouddha. Les Kiams ont donc professé la religion de
Brahma, comme les Cambodgiens, avant d'être bouddhistes ou
musulmans. L'introduction du mahométisme est d'ailleurs pos-
térieure de plusieurs siècles à celle du bouddhisme.
D'autre part on croit que les Kiams étaient répandus dans le
Cambodge et dans TAnnam. Ceux du Cambodge furent absorbés
sur place ; ceux de laCochinchine se trouvant entre les Cambod-
giens et les Annamites furent écrasés par ces derniers.
Toutes ces données étant acquises par les travaux de M. de
Li^ée et de ses collaborateurs et par la mise en lumière des
documents publiés par M. de Villemereuil, se trouvent corrobo-
rés par l'étude de monuments existant dans la province de Binh-
Dinh et semblables à ceux qu'on a décrits au Cambodge. Les
monuments Kiams du Bing-Thuân ont été visités et étudiés par
mon collègue Aymonier, qui y a relevé quelques rares inscrip-
tions. Je ne suis ici qu'un profane ; j'ai pensé toutefois que der-
rière le savant il pouvait y avoir place pour le vulgarisateur.
Le temps et les hommes continuent à dégrader ces monu-
ments antiques. Les monolithes des portes sont sans soubasse-
ment, les angles sont désagrégés, les sommets sont effondrés,
les plus belles parties ont été enlevées sans profit par suite d'un
naufrage. L'une des tours est inclinée et s'affaisse.
La végétation et surtout les banians enlacent de leurs mille
replis les géants de pierre, disloquent leurs membres, les
étouffent et les écrasent, comme fait un serpent boa de sa proie
inerte. Bientôt ces monuments auront disparu.
Ayant pieusement recueilli quelques débris de sculptures et
d^intéressantes statuettes, j'ai cru utile de rassembler les rensei-
gnements que nous devons à nos devanciers sur ces vestiges
d'un brillant passé. On y reconnaîtra l'existence d'un lien plus
étroit entre les Kiams et les Khmers et l'on verra que les traces
de ces deux peuples s'étendent sur un espace bien plus considé-
rable qu'on ne l'avait cru d'abord, c'est-à-dire du Tonkin jusqu'à
Angkor.
Après le Binh-Thuan, région dont les montagnes sont aujour-
VI 27
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394 • LES TOURS KlAMS DE LA PROVINCE DE BINH-DINH
d'huî occupées par quatre-vingts villages Kiams, comptant près
de cinquante mille âmes, le pays où il est le plus intéressant de
recherclier les traces du royaume et de la civilisation des Eiams
est certainement la province de Binh-Dinh, puisqu'ils y eurent
une capitale. La présence au Binh-Thuân d*un résident de
France, de celui-là même qui a fait connaître en détail le passé et
le présent de laraceKiam, dont je ne pouvais que signaler l'exis-
tence en 1868, sera pour cette population si opprimée et si digne
d'intérêt la garantie d'une efficace protection sous le pavillon de
notre patrie. De même que le royaume de Cambodge nous doit
son existence actuelle, de même c'est à nous que la race Kiam
sera redevable d'avoir échappé à une destruction certaine et
complète.
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LE DÎOULA-DOUGOD ET LE SÉNÉFO
Par m. le D^ TAUTAIN
Des Sénéfo j'ai encore moins à dire que des Bobo dont j'ai
dernièrement parlé*. Je me suis assez peu occupé à la vérité de
recueillir des renseignements sur eux, en premier lieu, parce
que Bamako était un meilleur centre de renseignements que les
points que je parcourais à la hâte; en second lieu parce que
j'avais appris qu'une mission ne tarderait pas à visiter leur
pays.
Sur la rive droite du Niger, au delà du Ba-oulé ou Majel Ba-
lével et de quelques-uns de ses affluents, vers 8 degrés de longi-
tude ouest et 10 à 12 degrés de latitude nord, se trouvent un grand
nombre de petits pays, portant des noms très divers, des noms
probablement doubles du reste, et qui sont généralement connus
sous la dénomination générale de Dioura-dougou, ou Dioula-
dougou; deux mots identiques puisque dans tous les dialectes de
ces contrées on passe de la lettre L à la lettre D et de D à R,
et réciproquement avec la plus grande facilité.
Le Dioula-dougou est le pays des Dioula, c'est-à-dire des
marchands voyageurs dont le commerce est connu depuis long-
temps. Et seuls les Dioula du Dioula-dougou ont droit au nom
de Dioula; onn'appelle decenom,que par extension, ceux d'autres
provenances, d'autres origines. J'ai plusieurs fois demandé Tély-
mologie de ce mot : dioula. Une seule fois j'ai eu une réponse,
on m^a dit que cela voulait dire : « misérable, pauvre », mais
dans quelle langue ?
1) Cl". Rw. d'Ethnoyrapft., U VI, p. '22^.
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396 LE DIODLA-DOUGOU ET LE SÉXÉFO
Le Dioula doug^ou est occupé par deux catégories de popu-
lation bien différentes : Tune, les Dioula, estMandiiiguo(Soninké
et Bamana) ; l'autre est Sénéfo. Dans tous les villages, on trouve
les deux populations. Les Sénéfo sont, au moins aujourd'hui, les
maîtres du sol, les chefs des villages, et ils cultivent. Les Dioula
sont en route presque toute Tannée.
Je laisse les Sénéfo de côté pour la raison que j'ai donnée
plus haut et je groupe seulement quelques renseignements
sur les Dioula.
Les vrais Dioula se donnent aujourd'hui comme appartenant
à une race spéciale, sans parenté avec les Bamana, les Soninké
et les Mandingké; mais leurs noms de famille et leurs traits les
démentent. Ce sont bien des Mandingucs ; seulenient chez
quelques-uns le type a été parfois altéré par le mélange avec une
autre race, les Sénéfo.
Le vrai Dioula, le Dioula du Dioula-dougou, se peigne selon
la mode mandingue ; il a la tète couverte d'un bonnet à deux
pointes, le bonnet mandingue (ban-foula), long et en étoffe rouge
.d'origine européenne (drap garance, drap écarlate). Le bonnet
n'est jamais porté les deux pointes relevées sur les côtés, mais
au contraire toujours abattues Tune sur le front l'autre sur l'oc-
ciput.
Le vrai Dioula est presque toujours armé d'un arc et de
flèches. Il n'y a même guère plus que lui, que l'on puisse
rencontrer sur la rive gauche du Niger avec cette arme ; et, si
d'autres la possèdent parfois, ce sont le plus souvent les Dioula
qui les ont vendus. Vous connaissez cet arc et ces flèches souvent
empoisonnées; l'arc et sa corde sont en bambou, la hampe de la
flèche en roseau, la pointe en fer, le carquois est généralement
en bambou, avec ou sans couvercle (paille, cuir).
Le vrai Dioula passe pour ne jamais mourir hors de son pays.
Lorsqu'il tombe gravement malade, au moyen de certaines in-
cantations et de certains gris-gris, il rentrera, fût-ce à pied, au
Dioula-dougou et c^est là, seulement, que la vie l'abandonnera
définitivement. On comprend que si les Bamana et les Soninké
ont de pareilles superstitions sur les Dioula, ils ne manquent pas
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LE DIOULA-DOUGOU ET LE SÉNÉFO
397
de leur attribuer un pouvoir magique considérable en tout
genre. Ls vrai Dioula est toujours fétichiste à Tinverse des
autres.
Le Dioula du Dioula-dougou ne fait guère le commerce de
captifs qu'exceptionnellement. Il vend presque exclusivement
des kola {gourOy woro) contre du sel et un peu d'étoffe.
U va chercher le kola dans le Woro-dougou (encore un nom
d'ensemble : le pays du kola) situé au moins un degré ou un
degré et demi plus bas que sur la carte du capitaine de Lannoy^
c'est à dire vers le 9" degré latitude N, ou à la hauteur, par con-
séquent du Sud du Sankaran ; et sans doute encore plus bas vers
8** ou 8**,30, car c'est là qu'il semble qu'on puisse fixer la limite
nord du Sterculia acuminata.
Que l'on consulte, du reste, Caillé qui a été assez maladroite-
ment corrigé par les contemporains sur ce chapitre, comme sur
bien d'autres et qui fait venir les noix de Kola, de quinze jours
au sud de Timé (soit 200 kilomètres), c'est à dire avec l'erreur
de direction de 7*» 30' à 8*» de latitude nord.
Les Séuéfo à côté desquels vivent les vrais Dioula, occuperaient
du nord au sud le pays compris entre le nord du Dioula-
dougou et le sud du Woro-dougou (corrigé), c'est-à-dire iraient
approximativement du 7'' au 10^ 30' latitude nord. Dans le sens
est-ouest, mes renseignements sont plus que médiocres. J'ai seu-
lement entendu dire qu'ils arrivaient jusqu'au Foulon ou Eou-
louna qui serait un pays'Sénéfo, ou pour mieux dire en partie
Sénéfo. — Au sud ils touchent aux Assaut i ou Santiy comme
disent les Dioula qui descendent parfois jusqu'à la côte de
Guinée.
Voici quelques mots sénéfo :
Un
Nidia.
Sept
Bara souoni.
Deux
Souoni,
Huit
Bara taré.
Trois
Taré.
Neuf
Boutiéré.
Quatre
Sitiéri.
Dix
ré{t momWé)
Cinq
Kaboulou.
Vingt
BocUeregué.
Six
Barani
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398
LE DIOULA-DOUGOU ET LE SÈNÉFO
Avant d'aller pi
us loin je noterai que kaboulou : cinq, est un
mot d'origine
mandingue {boulon veut dire main), qui est veau
remplacer un
mot
primitif que Ton retrouve dans six, sept, huit .
Le mot Té
qui
signifie dix veut dire, en sénéfo, main ou pro-
bablement mains.
Homme
Naw.
Femme
l^érewé.
Enfant
Nokhopilé.
Bœuf
No.
Cheval
5on^ (voyelle nasale, et y de Bringen) mot
mandingue.
Mouton
Bia.
Ane
D'où fané [d mouillé).
Esclave
Pieu {e muet ou eu français).
Pays
Tadé,
Village
Rang (comme Song, cheval).
Maison
Pinkhé.
Fleuve.
Biva (w représentant le ow demi-voyelle fai-
blement prononcé) .
Eau
Logho [gh représentant le kh arabe très
adouci ; un g avec aspiration).
Feu.
Na.
Arbre
Tigué {gu n'est que le g dur).
TeiTe
Tara.
Soleil
Takha [t mouillé).
Lune
légué {gu = g dur).
Pluie
Zakha.
Nuit
/ebelegé (ne semble-t-il pas qu'on ait affaire
au mot lune avec un infixe : Bêlé).
Hivernage
Nou-mokko.
Saison sèche
Nou-békhé.
Baobab
Sin-khé.
Borassus flabelli-
formis
Tamarinier
Arbre à beurre
Wol'tigé.
Sian-tigué {Sian : Y a est nasal).
Lo'tigué.
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LR DI0ULA-D0U60U ET LR SÉNÉFO
399
Tabac
Sara.
Arachide
Toro.
Riz
Moné.
Mil (en général)
Siolo.
Indigo
Gara.
Termite
Deuno {eu, e muet français^ parait être un
0 sourd).
Moustique
Diakhalé,
Lait
Dtrmé.
Sel
Soulouma.
Beurre végétal.
Lodigui {gu = g dur).
Bière de mil
Smé.
Arc
Sidala.
Flèche
Nagtié {gu = g dur).
Pirogue
Korogué {gu = g dur).
Route
Kologo.
1
Bambara
Sinameri.
Mandingka
Takhadiémé.
Poullo
Foulabn.
Chef
Folo.
Blanc (adjectif)
Noir
Ofigué (gu = g dur).) 3 mots suspects. Une par-
y 1 , /lie seulement est bonne
Jawokho. \ comme rindique le mot
Rouge
Nafïékhé. \ suivant.
Bonnet des Dioula
Nédmfiékhé {fi = mouillée).
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LES RACES HUMAINES DE LA PERSE
Par m. le colonel E. DUHOUSSET
J*ai lu avec le plus graod intérêt le mémoire sur les races
humaines de la Perse, que M, Houssay a présenté à la Société
anthropologique de Lyon. L'auteur, qui faisait partie, comme
naturaliste, de la mission scientifique de M. Dieulafoy, nous
prévient dès le début que, sans songer à résoudre entièrement
le problème compliqué des races de la Perse actuelle, il se con-
sidérera comme satisfait si les renseignements qu'il apporte, en
s'ajoutant à ceux de ses devanciers, peuvent jeter quelque
lumière sur ce coin peu exploré au point de vue de rhisloire
naturelle de Thomme.
En effet, Touest de l'Iran, peu visité, reste dans une obscurité
qui (faute de documents pris sur les lieux habités par les popu-
lations éloignées du centre du gouvernement de la Perse) a
grand peine à se laisser pénétrer pour jalonner, scientifiqu«3ment,
les étapes des nombreuses peuplades méridionales de l'Irak
Hadjemi, dont il est si important d'analyser physiquement les
différents types.
Nous devons donc remercier M. Houssay des nouveaux docu-
ments, ethnographiques, concernant les limites occidentales d'un
pays peu connu^ qu'il a parcouru et exploré pendant dix-huit
mois consécutifs; toutes ses observations sont faites entre
Chiraz, Suse et Téhéran, en remontant du sud au nord, contrai-
rement à l'itinéraire suivi par le petit nombre des visiteurs de
ces lointaines contrées.
Le voyageur s'est surtout appliqué à mesurer et à décrire les
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LES RACES HUMAINES DE LA PERSE 401
races des tribus les moins visitées, celles des Bakhtyaris, des
Loris et des Susiens , malgré les difficultés considérables
auxquelles on se heurte lorsqu'on veut opérer sur les musulmans.
Nous allons emprunter quelques citations au mémoire de
M. Houssay. Il commence par constituer Tensemble des sujets
persans en six familles : 1* les Aryens, représentés par les
Farsis et les Loris ; 2® les Mongoliques, représentés par les Tur-
comans et les Aderbeidjanis ; 3" les Mongolo-Aryens, repré-
sentés par les Arméniens^ Hadjemis, Tadjiks, Illiats ; 4^ les
Mongolo-Sémites, représentés par les Bakhtyaris ; 5* les Sémites,
représentés par les Arabes, Séides et quelques Juifs; 6» les
Ario-Negroïdes, représentés par les Susiens modernes. Quant
aux Guèbres, il n'y a pas lieu de les considérer comme les repré-
sentants purs de la race antique. Ils forment, dans l'Etat, un
groupe très isolé par la religion, mais depuis Tinvasion arabe
seulement. Ils appartiennent à toutes les races surtout, à la
vérité, aux Tadjiks et aux Hadjemis.
Ces hommes, d'origines très diverses , sont suffisaminent
localisés, comme on peut s'en convaincre en jetant les yeux sur
la carte.
Jusqu'à ce jour on a analysé particulièrement les populations
touraniennes et tourano-aryiennes, et c'est sur ces bases que
Ton a établi le type dit Iranien.
Khanikoff, en s'appuyant sur l'étude du Vendidad et du poème
de Ferdouzi, a conclu en disant : « Les fertiles vallées situées
entre l'Hindo-Kouch, la chaîne de Poughman et du Kouh-i-Baba
de même que les plaines de Hérat, du Seistan et de Kirman ont
été le théâtre de la première activité de la race iranienne. C'est
un territoire où les Persans sont de vrais aborigènes et où, par
conséquent, on peut espérer trouver le type primitif de la race. »
M. Houssay admet que cette région fut occupée, dans les
temps légendaires, par des tribus aryennes très pures, mais il
conteste qu'on puisse y retrouver, aujourd'hui, le type primitif
de la race.
« En contact avec les hordes mongoliques, en lutte constante
avec elles, les peuples du nord et de l'est de la Perse n'ont pas
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402 LES RACES HUMAINES DE LA PERSE
pu conserver intacts les caractères aryens. Ils ont été pénétrés
et profondément modifiés par les Turcomans, pendant la longue
période qui va des temps les plus reculés au règne des derniers
Sassanides. Ces Tadjiks, comme on les nomme, ne sauraient
servir de point de départ pour une étude des habitants de la
Perse. C'est une race métisse offrant les caractères des deux
peuples qui ont contribué à la former.
« Au reste, les faits justifient cette manière de voir; les
crânes tadjiks mesurés par M. Ujfalvy portent bien la marque
du type turcoman. »
Le rapport passe ensuite en revue, en les caractérisant, les six
familles énoncées plus haut, ce sont :
«Les Farsis, aux cheveux moins foncés, aux yeux en amande,
à la belle prestance, coiffés de la haute mitre de feutre souple,
avec leur barbe très longue et très fournie, à la fois élégants et
vigoureux, ils sont comparables aux plus beaux représentants
du rameau européen de la race. Jls ont la peau très blanche dans
les parties recouvertes parles vêtements, facilement mordue par
le hâle sur la figure et les mains. Les cheveux et la barbe sont
plus souvent châtains que noirs. On trouve même quelques
blonds aux yeux bleus. Ils ont le milieu de la tète rasée du front
à Tocciput, mais Tabondante chevelure qui croît sur les côtés
retombe sur le cou en épaisses boucles. Les Perses qui ont servi
de modèle aux sculpteurs de Persépolis étaient leurs ancêtres
directs. C'est exactement le même type, à peu près le même
costume.
« 2° Les Zom, de même que les Farsis, sont les fils des Perses,
les Loris semblent être les descendants des Aryens de Médie.
Cette contrée possédait, dès les temps historiques, deux éléments
ethniques différents. Occupée par les Aryens d'abord, selon la
précieuse donnée d'Hérodote, elle fut envahie par les Mèdes
d'origine touranienne. Le trône appartint à des princes de
cette race ; le peuple demeura aryen. Il est resté encore aujour-
d'hui sans mélange dans les montagnes où ne se sont pas aven-
turés les cavaliers turcomans. On les distinge assez rapidement
des Farsis. Leur taille est généralement plus haute ; ils sont
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LES RACES Hl^MAlNES DE LA PEHSE 403
très robustes. La barbe et les cheveux sont très abondants et
extrêmement noirs ; ils ne se rasent que le frontal ; la peau est
aussi moins blanche. On rencontre peu de blonds, mais il y a
parmi eux un certain nombre d'individus qui offrent ce contraste
d'une barbe et d'une chevelure noires avec des yeux très bleus. »
A propos des Mongoliques^ l'auteur dit que tout au nord de la
Perse, au sud de la mer Caspienne, se trouvent les tribus turco-
manes pures du Mazenderan et du Ghilan. Elles imprègnent
très fortement les populations depuis Téhéran jusqu'à Koum.
Dans cette région même on ne parle point le persan. La langue
du peuple est le turc. De Koum jusqu'au delà d'Ispahan, vers
Abadeh, s'étend l'Irak Hadjemi, habité par des populations
métisses de Turcomans et d'Aryens médo-perses. Ils se nom-
ment eux-mêmes Hadjemis ; nous pouvons les désigner par
ce nom.
L'indice céphalique, si éloigné de celui des Loris, Farsis,
Hindous et Afghans, nous permettra aisément de reconnaître
les peuples mélangés de Turcomans, car c'est le caractère que
cette race mongole impose surtout.
Au contraire, elle perd assez facilement ses caractères secon-
daires (nez épaté, jambes arquées et courtes, buste long et
fort) pour se rapprocher des proportions plus harmonieuses de
la race aryenne. Elle s'améliore rapidement au contact de
celle-ci.
Viennent ensuite chez les Mongolo-Aryiens :
1° Les Hadjemis. — Ces métis forment la plus grande partie des
populations de la Perse. Ils s'étendent depuis Téhéran, au nord,
jusque vers Dehbid. dans le sud. De Test à l'ouest, ils vont de
Khorassan au Louristan. Us habitent donc la région des hauts
plateaux, et la fusion, qui n'a pas pu s'opérer dans les pays de
montagne où Loris et Farsis ont conservé leurs types, s'est ici
effectuée d'une façon complète, au point de donner une race bien
nette. Les villes de Téhéran, d'Ispahan, de Koum, de Koumi-
chah, etc., leur appartiennent; peuples industrieux, au reste,
ils tirent bon parti du sol ingrat qu'ils habitent. Leurs jardins
fruitiers, leurs cultures de coton, de tabac, de riz sont fort
soignés. C'est actuellement la partie riche de la Perse.
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404 LES RACES HUMAINES DE LA PERSE
D'ailleurs on peut trouver des Hadjemis en tous les points du
royaume. Presque tous les soldats sont recrutés dans l'Irak
et dans le Mazenderan, les gouverneurs des provinces et leurs
nombreuses suites en viennent ; c'est cette race qui domine le
pays tout entier.
2® Les Tadjiks , dont le nom n'est pas connu dans la Perse
méridionale et occidentale, désigne les populations de la fron-
tière orientale de l'Iran. La zone qu'ils habitent part du Kho-
rassan, au nord, et pénètre, au sud, entre l'Afghanistan et le
Fars.
Je ne crois pas qu'il faille séparer, au point de vue ethnogra-
phique, les Tadjiks des Hadjemis. C'est la même race produite
par le mélange des mêmes éléments. Comme pour les Hadje-
mis, elle est plus touranienne au nord, ainsi que le montre
l'indice 8231 donné par M. UQalvy pour les habitants d'Is-
sikoul ou d'Aphrosiab. Elle est au contraire plus aryenne
dans le sud, ainsi que cela ressort des nombres indiqués par
Khanikoff pour les populations du Yezd et de Kirman.
3® Leslllials. — Ceux-ci n'appartiennent pas aune seule race.
Pendant l'été, on les rencontre par petits campements ; ils
marchent jusque vers Ispahan, en hiver ils se replient dans le
sud et descendent dans les parties basses du Fars, vers le golfe
Persique. « Les uns sont Turcs, les autres sont Arabes. Nous
avons un jour rencontré, près de Chiraz, une de ces tribus. Celle-ci
paraissait fort riche. Ils étaient, autant que j'ai pu m'en rendre
compte, près de deux mille et d'origine arabe, mais fortement
mélangés de Farsis. L'hiver approchait, et ils se dirigeaient à
petites journées vers Bender-Abbas. »
i^ Les Arméniens. — Contrairement à l'opinion générale qui
place les Arméniens dans le groupe des Iraniens, l'avis de
M. Houssay est que ceux-là ont du sang touranien, sinon tout
à fait pur, du moins dans une forte proportion, et fait la citation
suivante : « J'ai observé à Djoulfa, près d'Ispahan, les descen-
dants des Arméniens de Djoulfa sur l'Araxe que chah Abbas I"
transporta en 1605 au centre de son empire. Depuis cette
époque, ils ne se sont point mélangés aux Ispahanis, leurs
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LES RAGES HUMAINES DE LA PERSE 405
voisins de l'autre côté du Zende-Roud. Us m'ont semblé
beaucoup plus touraniens encore que les Hadjemis. Le crâne est
plus court, les pommettes plus saillantes, le buste est fort et
trapu ; la taille n^est point marquée, même chez les femmes. Les
deux côtés du thorax tombent droit sur la hanche, ce qui con-
tribue à donner aux Arméniens une allure lourde et peu élégante.
Le nez est gros et court en général. Toutes ces indications
concordent parfaitement avec leur indice céphalique qui, d'après
M. Chantre, oscille entre. 84 et 86. Ils sont donc tous aussi bra-
chycéphales que les purs Turcomans. Je sais bien que ceci ne
s'accorde point avec la linguistique qui rapproche les Arméniens
des Aryens. Mais à mon sens, on ne doit pas, pour la classifi-
cation, hésiter entre une donnée physiologique comme le langage
et une donnée morphologique. Il est très facile à un peuple
d'abandonner sa langue primitive pour adopter celle d'un voisin
ou d'un vainqueur. Il lui est impossible de changer son indice
céphalique et ses traits. »
5° Les MongolO'Sémites. — M. Houssay trouve qu'en parlant
des Bakhtyaris, j'ai trop généralisé la description, sans tenir
compte des différentes tribus, mais en 1859, l'aide capital de
la photographie me manquait, et le groupe des sujets de ce pays
que j'avais quotidiennement sous les yeux, me parut répondre à
la description que j'en fis alors, très heureux de les trouver do-
ciles, malgré les doutes émis par Khanikoff ; celui-ci n'est peut-
être pas très éloigné de la vérité en disant que, suivant lui, « la
tête du Bakhtyaris laisse comme image l'idée de trois empreintes
différentes, savoir : le diamètre longitudinal rappelant les Persans,
le transversal, les Turcs et le vertical, les Arabes »; jusqu'à ce
qu'on ait une assez grande quantité d'observations pour établir une
moyenne convenable, cette hypothèse est au moins descriptive.
M. Houssay désigne les montagnes des Bakhtyaris comme
asile de fugitifs, refuge protégeant indifféremment Aryens, Tou-
raniens et Sémites, il nous dit « qu'il a résidé douze jours au
milieu de ces tribus, mais que le peu de confiance qu'il inspirait,
le mauvais accueil et les querelles qui éclataient chaque jour,
ne lui permirent pas d'opérer avec sécurité, et qu'il trouva seu-
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406 LES RACES HUMAINES DE LA PERSE
lemenl à Meidowid, une tribu de Jauikis qui y mit plus de com-
plaisance. » Il en résulte que ce qui effrayait Khanikoff, lorsque
je lui parlai, au camp de Sultanieh, de décoiffer les hommes
pour juger l'aspect d'une réunion comparative de plusieurs indi-
vidus, c'est-à-dire d'amener à ce résultat d'inspection les Musul-
mans et surtout les Bakhtyaris, très indépendants par nature,
présenta des difficultés qui ne manquèrent pas au récent
voyageur, malgré l'occasion de parcourir les différentes tribus
de ces Bakhtyaris dans leur montagneux habitat, entre les
Loris et les Farsis, et le désir de donner à ses observations
un résultat graphique. Combien nous regrettons que les sept
individus, figurant sur la planche de la page 27 du mémoire, n'y
soient pas en file indienne, sans rien sur la tête (on ne saurait
trop, à ce propos, recommander l'emploi de la photographie
pour donner les profils), nous aurions ici, venant du pays même,
l'aspect réel de types moins brachycéphales que ceux du camp
de Sultanieh que j'ai mentionnés ; du reste l'avis de l'auteur est
que, dans son exemple, les individus cités sont, comme appré-
ciation d'ensemble, moins Bakhtyaris que les autres.
Somme toute, cette partie du travail ne fait pas beaucoup
avancer la question, pour la solution de laquelle la conclusion
nous apparaît seulement au delà de recherches nouvelles, d'un
grand intérêt anthropologique assurément, mais bien épineuses.
Enfin, pour les Aryo-Négroïdes^ dans lesquels M. Houssay
place les Susiens, les hypothèses s'appuient d'abord sur les
figures des bas-reliefs coloriés dont les têtes et les mains sont
noires.
On lit dans MM. Perrot et Chipiez, Histoire de Fart dans l'an-
tiquité, « le nom d'Éthiopiens, souvent appliqué par les auteurs
grecs aux riverains du golfe Persique et de la mer d'Oman,
rappelle le lien de parenté qui, d'après les généalogies
hébraïques, rattache les Kouchites d'Asie à ceux de l'Afrique. »
Dans les Cranta ethnica, MM. de Quatrefages et Hamy disent
aussi que le type négroïde représente Télément primitif de la
Susiane, et que ses habitants sont probablement le produit de
quelque métissage de kouchite et de nègre.
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LES KACES HUMAINES DE LA PERSE 407
L'auteur de la brochure, que nous avons sous les yeux, nous
indique la différence facile à établir, après quelque temps de
séjour, entre les Farsis et les Susiens. Ces derniers ne s'éloi-
gnent pas seulement des premiers par le langage et le costume,
mais aussi par les traits du visage. Le front du Susien est bas,
le nez écrasé, la bouche large et lippue, ce qui amène, tout de
suite, Tobservateur à concevoir un élément que l'on ne sait pré-
ciser, mais étranger aux races du pays, et que M. Houssay croit
être le négrito, Tinfluence du noir lui paraissant produite par
une petite race de couleur qui ferait remonter les Susiens aux
Négritos signalés en Asie de longue date.
La dissemblance avec les Hadjemis leurs voisins est, d'après
l'auteur, fortement marquée chez les Susiens modernes qui,
avec leurs caractères négroïdes, sont bien moins intelligents que
les Persans, comprennent lentement et mal; menteurs, voleurs,
débauchés, craintifs au delà de toute expression, ils Sont tenus
dans le plus grand mépris par tous leurs voisins de la plaine et
de la montagne ; ceux-ci les battent et les dépouillent sans merci
dès qu'ils s'aventurent hors des villes. Les habitants de Dizfoul
ont les caractères négroïdes les plus indiqués; ils sont très
laids ; la séparation est donc franchement établie.
C'est dans ce pays que se trouve le centre le plus important
des Susiens, et ensuite à Ram Hormuz ; ils y vivent mêlés aux
Bakhtyalis et aux Arabes, distincts des uns et des autres par le
type et le costume, dont les étoffes ont toujours des couleurs
éclatantes. A Chouster, une faible partie de la population est
Susienne, la majorité est d'origine Bakhtyaris.
M. Houssay résume ainsi la conclusion finale de son impor-
tant travail : « Je me suis attaché à montrer que les habitants
actuels de l'empire persan sont en majorité d'origine turcomane.
La classique antithèse d'Iran et de Touran, qui exprime l'anta-
gonisme de deux peuples différant par la langue, par Porigine,
et perpétuellement ennemis, n'a plus aujourd'hui tout à fait le
même sens. Sans doute l'Aryen de Chîraz est le sujet, un peu
méprisant, du Turcoman de Téhéran plutftt que son compatriote ;
le souvenir des luttes antiques persiste vîvace, mais les deux
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408 LES RACES HUMAINES DE LA PERSE
mots anciens ne peuvent servir à traduire Tantipathie actuelle.
Le Touran a été vainqueur et a envahi llran, la ligne de démar-
cation a été reculée très loin dans le sud et les Aryens ont été
dépossédés du sol.
« L'Iran ne leur appartient plus, ils n'ont pu garder que
quelques régions montagneuses : le Fars et le Louristan, à peine
égales au tiers de la surface de la Perse. Cela ne veut même pas
dire que les Aryens forment le tiers de la population persane,
car leur pays est un des moins peuplés de TEmpire.
« Il nous semble maintenant hors de doute que la Susiane a
été primitivement peuplée par une race noire, de petite taille et
de faible capacité crânienne. On en retrouve des traces chez les
habitants actuels de la contrée. Des petites tribus de ces noirs
habitent encore Tlnde et Tlndo-Chine. Au Japon, ils sont noyés
dans les populations métisses. Us occupaient aussi la Susiane.
Ce fait reconnu augmente Textension, déjà considérable, de la
race. Il est de plus fort intéressant pour l'anthropologie, car les
Negritos insulaires ne nous sont connus que depuis très peu de
temps. Les Negritos susiens ont au contraire été en contact avec
les peuples méditerranéens, dès la plus haute antiquité, et l'on
peut espérer retrouver des traces de leur civilisation propre
avant la conquête du sol par les Aryens de Perse.
« Cette conquête n'a pas dû se faire sans luttes. Bien que ter-
minées dès les temps héroïques, il semble en rester des traces
dans certaines expressions du peuple. De même que l'Arabe ne
connaît pas d'injure plus vigoureuse que « fils de chiens » ; le
Farsi des environs de Chiraz ne sait rien de plus insultant que
contât cyâh « figure noire ». C'est le même mépris que marquent
les Hindous en appelant peuples de singes les Negritos des
monts Vindhyas. »
Les observations de M. Houssay sont consciencieusement
relevées, et les anthropologistes l'en remercieront ; malheureu-
sement la difficulté d'obtenir, par de nombreuses mensurations
dans les pays explorés, les résultats solidement acquis des
moyennes concluantes, fait qu'il nous paraît prudent de ne pas
adopter entièrement sa conclusion, admettant, dès à présent, le
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LES RACES HUMAINES DE LA PERSE 409
Négrilo seul comme origine de Télément négroïde se mêlant,
dans le principe, aux Parlhes et aux Perses, tout en reconnais-
sant rimporlance et en tenant compte d'un travail fait au milieu
d'une population hostile et de difficultés dont, nous-même,
avons pu juger les effets par un séjour assez prolongé dans le
nord de la Perse, c'est-à-dire au milieu des populations les plus
policées de ces régions asiatiques.
Nous regrettons cependant que M. Houssay, parlant souvent^
comme longueur et coloration, de la chevelure des habitants
qu'il décrit, ne signale qu'à propos d'un janikis la texture du
système pileux de ses différents sujets, si habiles à se teindre
dans toute la Perse. Le voyageur ne doit pas ignorer l'impor-
tance qu^on attache aujourd'hui à ces documents, et surtout
dans l'intéressante question des Susiens actuels et de leurs pré-
décesseurs, jusqu'à présent présumés Africains. Je me base,
pour parler ainsi, un peu sur le rapport de M. Dieulafoy, le
faisant présumer, à propos des précieuses découvertes de briques
émaillées dont Tensemble , réconstitué , nous présente des
guerriers (Aden, 15 juin 1885).
«... Mains et pieds étaient noirs; il était même visible que
toute la décoration avait été préparée en vue de l'assortir avec
le ton foncé de la figure. »
« Seuls les puissants personnages avaient le droit de porter de
hautes cannes et des bracelets ; seul, le gouverneur d'une place
de guerre pouvait en faire broder l'image sur sa tunique. Or le
propriétaire de la canne, le maître de la citadelle est noir, il y a
donc les plus grandes probabilités pour que TElam ait été l'apa-
nage d'une dynastie noire et, si l'on s'en réfère même aux carac-
tères de la figure déjà trouvée, d'une dynastie éthiopienne.
Serait-on en présence de l'un de ces Éthiopiens du Levant dont
parle Homère? Les Nakhuntas étaient-ils les descendants d'une
famille princière apparentée aux races noires qui régnèrent au
sud de l'Egypte? » M. Dieulafoy trouve ces hypothèses sédui-
santes, et moi je ne suis pas de l'avis qu'il faille les rejeter;
c'est après avoir remarqué que les habitants de Chouster, de
Dizfoul et des villages de la région présentaient un grand nombre
VI 28
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410 LES RACES UUMÂlNkS DE LA PERSE
de caractères des races noires, que Fauteur du rapport dalé
d'Aden 1885, a chargé M. Houssay de faire l'étude comparée des
indigènes de TÉlam et des contrées limitrophes, et de chercher
si, dans la population actuelle de la province, on ne trouverait
pas une modification du type éthiopien^ due à un croisement
persan ou arabe.
« ... Le roi noir, dit encore M. Dieulafoy, les palmelles égyp-
tiennes, la rampe d'escalier, proviendraient donc de monuments
détruits bien avant l'avènement des Achéménides , puisque
avant cette époque on les avait ramassés dans des ruines et on
les avait fait entrer dans le corps de nouveaux édifices. »
On sait que les races du type éthiopique ou à peau noire
forment deux groupes. Le premier a la chevelure lisse ; celle-ci
pouvait être, dans son ensemble, droite, ondée, bouclée ou frisée
avec le cheveu gros, fin, raide ou souple.
Le second groupe, également noir, a la chevelure laineuse, for-
mant de petites touffes crépues que Ton nomme chevelure à grains
de poivre, lorsqu'ils sont très serrés les uns contre les autres ;
quelquefois ces espèces de grains, moins serrés, se prennent
comme des torsades dures et affectent l'aspect de franges.
M. Houssay , auteur du travail de 1 887, a raison de dire qu'en 1 859,
il y a près de trente ans, je n'avais, dans mes notes, aucune pré-
tention à conclure ,je tenais surtout à me tenir en dehors des diver-
gences et des subtilités scientifiques.Mon modeste bagage ne cons-
tituait que la valeur restreinte d'une observation consciencieuse,
pouvant servir de point de départ à des travaux plus autorisés.
J'ai donc été non moins étonné que flatté, lorsqu'on 1866,
recevant le mémoire sur l'ethnographie de la Perse du voyageur
académicien de Saint-Pétersbourg, j'y vis l'honorable place que
j'y tenais; mais Khanikoff, lui, comme chef d'une mission scien-
tifique, avait à terminer son récit par une certaine conclusion, il
fallait parler de la race et des familles des- peuples qu'il visitait,
difficulté que tout d'abord il signala. Devait-il, avec l'illustre
Kant, tenir grand compte de la coloration de la peau ; l'opinion
de Forster s'y oppose, et le savant Blumembach, avec son
important bagage d'observations craniomé triques, préconise
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LES RACES HUMAINES DE LA PERSE 41 i
haulement les formes, les dimensions et rattache de la tête,
comme devant tout primer en ethnographie. Enfin, la physio-
logie, la zoologie et la linguistique, ne font-elles pas partie inté-
grante, depuis quelques années, des conclusions ethnogra-
phiques ; comme plus récemment encore, la recherche des
habitudes, des coutumes et de la tradition, semblent naturel-
lement s'imposer à tout travail de ce genre.
Le docteur Vogt venait à peine d'éditer son remarquable
ouvrage, et Broca, de classer les instructions devant donner un
grand essor aux recherches anthropométriques, si étroitement
liées à l'ethnographie des peuples, lorsque Khanikoff fit son
voyage ; son expérience était donc insuffisamment éclairée
en 1861, lorsqu'il le termina. Je demande au lecteur la per-
mission de citer une petite anecdote à l'appui de ce que j'avance.
En 1859, l'armée du Shah de Perse contenant un spécimen de
toutes les tribus, composant cet empire, était réunie dans la vaste
plaine de Sultanieh, au chiffre approximatif de trente mille, en
y comprenant la nombreuse cavalerie indépendante , d'un effet
très pittoresque; j'étais, comme instructeur, chargé de la
direction des manœuvres des troupes dites régulières. Après la
première revue que je passai d'une telle agglomération d'indi-
vidus, si disparates d'aspect, groupés par régiments de mille
hommes, à peu près uniformément vêtus, mais ayant, dans
chacune de ces unités militaires, des traits de ressemblance
caractéristiques entre eux, l'idée me vint de profiter de cette
occasion, unique, de comparer les uns avec les autres ces
éléments dont le hasard offrait un grand nombre de sujets à mes
observations, avec des conditions devant aplanir et simplifier les
difficultés de la mensuration ; sans vouloir abuser du pouvoir
d'un chef, j'affirmais seulement l'intention d'en profiter dans des
limites forcément restreintes, mais visant une idée scientifique.
Il est d'usage, en Perse, que chaque voyageur de distinction
se fasse accréditer, le plus ouvertement possible, par son ministre
plénipotentiaire et tente d'être présenté au Shah. Le souverain
était au camp'et Khanikoff, pour voir le chef de la légation de
son pays, arriva où le siège de TÉtat se trouvait transporté pour
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412 LKS RACES HUMAINES DE LA PERSE
plusieurs mois. C'est donc à Sultanieh que je vis pour la première
fois le savant de Saint-Pétersbourg, dont le nom était déjà connu
et j'avoue que ce fut sous le coup d'une grande déception que je
sortis de cette entrevue. En effet ayant, tout d'abord, développé
très franchement devant lui le désir que j'avais d'utiliser par le
dessin et la constatation numérique, les éléments pittoresques
que ce rassemblement fortuit mettait à ma disposition, je fus
surpris, lorsqu'après m'avoir silencieusement écoulé, Khanikoff
me fit entendre le langage le plus désillusionnant, et sur le but
à atteindre, et sur Tapplication des moyens que j'énonçais pour y
arriver. Nous nous quittâmes sous l'impression de ces fâcheux
préliminaires et je le revis seulement trois ans après, à Paris.
J'eus alors la satisfaction de constater, lorsqu'il étudia mes
documents (actuellement dans la bibliothèque du Muséum), que
l'opinion du savant avait complètement changé; car, pour
compléter ses notes, il me demanda d'utiliser mes recherches,
reconnaissant qu'ayant eu un contingent de représentants mâles
et valides des populations les plus diverses, il m'avait été facile
de réunir des données qu'un voyageur, même le mieux inten-
tionné, ne pourrait recueillir qu'en nombre très limité, et au prix
de très grandes peines.
Après la digression peut-être un peu longue, et toute person-
nelle, que je viens de faire en dehors du sujet qui devrait m'oc-
cuper, je dirai que si j'ai émis quelques réserves, à propos du
nombre minime de données touchant spécialement à la craniomé-
trie, servant aux conclusions deM.Houssay,loin de moi la pensée
de vouloir astreindre les recherches anthropologiques à la seule
rigidité des chiff'res. J'ajouterai même que, depuis vingt ans, la
photographie a apporté à cette science l'appoint qui lui manquait,
lorsque, en se familiarisant avec les lointains pays par la facilité
des voyages, on^eut à réagir sur les seuls documents composés
de portraits où la fantaisie et les dispositions artistiques du dessi-
nateur prédominaient. Telles furent, cependant, les premières
notions anthropographiques dans lesquelles le sentiment typique
du pays natal de l'artiste se faisait trop retrouver.
Nous n'en sommes plus à des images seulement, et le côté
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LES RACES HUMAINES DE LA PERSE 413
graphique a subi d'heureuses modifications. Le voyageur qui
dessine, ayant laprélenlion de rapporter un renseignement utile,
doit joindre les connaissances zoologiques aux recherches de
Tethnographe, pour que le résultat soit un peu scientifique et fixer
son attention recueillie, pour apprendre à voir juste par des
études comparatives auxquelles, toute idée pittoresque à part,
son œil aussi bien que son crayon durent s'habituer ; ce qui, sans
nuire au sentiment artistique du dessinateur, lui fait faire de
Y anthropologie d'intuition qu'on aurait tort de négliger. Car nous
croyons pouvoir aftîrmer, par expérience, qu'il faut toujours
tenir grand compte de la première impression qu'on ressent à
l'étranger, et surtout en Orient, lorsqu'on croit y reconnaître un
indice typique.
Personne mieux qu'un artiste ne formulera cette impression ini-
tiale que la fréquentation el, pour ainsi dire, la prise de possession
du pays détruit fatalement au bout de quelque temps, en ne lais-
sant plus qu'un souvenir dont les petits détails affaiblissent l'en-
semble caractéristique produit, à première vue, sur l'observateur.
Celui-ci ne doit pas manquer d'en faire la constatation par écrit à
côté du dessin ou de la photographie, de même qu'il notera
les colorations des yeux, de la peau, des cheveux et des poils
ainsi que leur texture.
Tel est le rôle utile, mais très modeste , auquel les voyageurs
ont dû presque toujours forcément se réduire ; nous ne craignons
pas d'affirmer que cette contribution artistique est, dans un très
grand nombre de cas, la plus efficace pour la compréhension
anthropologique.
Nous ne pouvons que féliciter M. Houssay des documents
précieux que contient son travail, tout en approuvant ses pru-
dentes réserves, qui expriment notre manière de voir, sur le
même sujet, et nous terminons en souhaitant que d'autres explo-
rateurs aussi bien préparés, aussi bien disposés que lui, apportent
une aussi ample et intéressante récolte, comme contribution
scientifique à l'étude des races de l'Asie occidenlale.
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UART CAPILLAIRE
CHEZ LES PEUPLES PRIMITIFS
Par m. Spire BLONDEL
Sauvages
L'histoire de la coiffure, à ses débuts, se rattache à l'histoire
primitive de Thumanilé. Les nombreux vestiges des temps préhis-
toriques prouvent, en eiïet, que nos premiers ancêtres ne restèrent
pas étrangers au luxe et à la coquetterie, ces deux points de
départ de toute civilisation.
Ainsi, par exemple, les femmes se couvraient de parures
formées de coquillages ou de dents d'animaux*, elles arran-
geaient leurs cheveux avec une certaine élégance.
Sous ce ciel sans ardeur et sans humidité
Nul tissu ne couvrait leur belle nudité :
Les femmes s'ombrageaient avec leur chevelure,
Qu'elles tressaient en frange autonr de leur ceinture *.
Bien au contraire, les bras et le cou chargés d'ornements en
signe de noblesse ou d'autorité, les hommes portaient les cheveux
flottants et, pour donner plus de relief aux traits de leur visage,
faisaient tomber une partie de la mâle toison qui distinguait
leur sexe.
1) Voyez, Recherches sur les bijoux des peuples primiiifSy par Spire Blondel,
dans la Revue de Philologie et d'Ethnographie, 1876, t. II.
2) Lamartine, La chute d'un Ange. Vision première.
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l'art capillaire chez les peuples primitifs 415
D'ailleurs, les fouilles archéologiques exécutées depuis plus
de vingt années sur tous les points du globe, notamment dans
les tourbières du Danemark, ainsi que dans les habitations
lacustres de la Suisse et de la Savoie, ont permis aux savants
de constater, à des époques extraordinairement éloignées, l'emploi
de peignes. A* épingles à cheveux et de rasoirs, dont la fabrication
révèle un certain art rudimentaire, non dépourvu d'originalité.
On trouve des exemples de cette recherche chez les sauvages
qui, de nos jours, représentent les hommes à Tétat de nature,
comme aux premières périodes de Tâge de la pierre. Chez eux,
c'est principalement à la coiffure qu'on attache le plus grand prix,
et la chevelure est l'objet d'un soin particulier, surtout de la part
des femmes, qui se plaisent à l'orner de plumes d'oiseaux, de
coquillages, de fleurs, de verroteries, etc.
Ce ne sont pas les parures qui manquent. Les femmes des
peuplades de l'Amérique, entre autres, portent les cheveux longs
et y attachent des tuyaux de métal, avec des plumes de diverses
couleurs ; les hommes en font autant pour la houppe de cheveux
qu'ils laissent croître au milieu de la tête, après avoir épilé tout
le reste. Les habitants de ces tribus ont celte coiffure en si grand
honneur, qu'ils payent quelquefois au prix d'un cheval quelques
plumes d'aigle dont ils se servent pour Torner. Mais tous n'ont
pas le droit de se parer de cette marque de distinction ; il faut
avoir livré un combat à l'ennemi pour pouvoir mettre une plume
d'aigle sur sa tête, et le nombre de plumes attachées à la cheve-
lure du guerrier montre combien de fois il a combattu.
A la Nouvelle-Calédonie, c'est autre chose. Les hommes
teignent d'abord leurs cheveux en jaune, avec de la chaux, après
quoi ils les parsèment de grains de corail et de perles de verre.
D'après le Père Gobien [Histoire des îles Marianiies)^ les femmes
de la Micronésie blanchissent au contraire les leurs avec des eaux
préparées.
Les habitants de Taïti, se coiffent à peu près de même que les
autres sauvages. Du temps du navigateur Cook, les femmes por-
taient les cheveux coupés autour des oreilles, tandis que les
hommes les laissaient flotter en grandes boucles sur leurs épaules.
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416 l'art capillaire
on les relevaient en touffes snr la tête. Aujourd'hui, les femmes
suivent la mode adoptée par leurs époux. Selon P. Jérusalémy,
dans V Extrait d'un travail sur Taïti « Amurausâra a te Mataïti
api»*, les Taïtiennes réservent leur plus belle coitfure pour la fête
nationale du jour de Fan. Elles portent alors les cheveux, gras de
mowoï (huile de coco épurée et parfumée) « tombant le long des
épaules en deux tresses, dont les deux bouts sont réunis par un
ruban noir, ou relevés en double fronde vers la nuque, et reluisant
au soleil comme des morceaux de jais ».
Dans la cosmogonie taïtienne, les déesses portent de même
les cheveux longs, et leurs adorateurs ont un mot propre qui
sert à les désigner : « Alors Taaroa vit quMl n'y avait pas
d'hommes sur la terre, et en bas il aperçut Tapaparaharaha^
c'est-à-dire la déesse à la chevelure flottante sur fepaule, »
Ajoutons que les Polynésiens utilisent les cheveux du mort.
« Les sauvages d'Otaïti, dit un écrivain du siècle dernier, font
avec ces cheveux des espèces de ficelles d'une longueur prodi-
gieuse ; on en conserve plusieurs brasses au Musée de Londres.* »
Nous ne pouvons parler des Taïtiens sans rappeler Tamusante
entrevue que le docteur Thiercelin eut un jour avec la reine
Pomaré, de célèbre mémoire. « Quand je la vis pour la première
fois, c'était chez un marchand. Elle était en négligé et avait
même oublié ses souliers. Mais, qu'importe cela? Son peignoir
était long, et quand on lui voyait les pieds, on pouvait en
admirer la beauté. Elle venait d'acheter un peigne. Le marchand
m'engagea à lui offrir la main, ce que je fis volontiers, en lui
disant simplement : « Bonjour, Pomaré. » Elle me répondit par :
« Bonjour, Monsieur », en me tendant la main. Pour se débar-
rasser du peigne qu'elle venait d'acheter, elle le ficha dans ses
cheveux, comme fait un coiffeur pendant les travaux de son
métier'. »
Quelques peuplades de l'Afrique centrale et de l'Océanie se
1) Voir la Revue Britannique d'octobre 1876.
2) M"® de Gonlis, Dictionnaire d^s Étiquettes.
3) Journal d'un baleinier. (Voyages en Oeéanie),
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CHEZ LES PEUPLES PRIMITIFS 417
font seules remarquer par des particularités étrangères aux
autres sauvages. Au reste, comme Ta dit le docteur Livingslone,
en Afrique, les contrastes sont nombreux : « Les moutons y sont
couverts de poils, et la laine y croît sur la tète des hommes. »
En effet, chacun sait combien la chevelure crépue des nègres
diffère de celle des autres peuples. Si Ton en croit le célèbre
voyageur que nous venons de citer, quand un indigène des
bords du Zambèze s'est coupé les cheveux, il a soin de les brûler
ou de les enterrer secrètement, de peur qu'un sorcier ou qu'un
individu qui a le mauvais œil ne vienne à s'en emparer et ne s'en
serve pour Taffliger de maux de tète.
La même observation peut s*appliquer aux insulaires des îles
Sandwich. Jacques Arago, dans ses Voyages, s'exprime ainsi à
leur égard : « N'est-ce pas une imitation de la nature, imparfaite
et bizarre du sol, que ces usages si étranges d'une moustache
sur une lèvre, tandis que l'autre est épilée? de ces cheveux
longs d'un côté, courts ou ras de l'aulre ? »
Bien qu'il soit ici question de moustaches, on peut dire que,
quant à la barbe, les sauvages l'ont généralement peu fournie.
Ceux qui en possèdent la coupent, comme les insulaires de 1 ile
de Pâques, lesquels se servent, pour cette opération, d'une
simple pierre tranchante, ainsi que nous Tapprend une lettre du
missionnaire Eugène Eyraud, publiée en 1864 : « Les doigts et
la première pierre venue, voilà tous leurs instruments. Au
surplus, ils ne savent pas se servir d'un instrument européen.
S'agit-il de se couper la barbe ? Ils prendront une pierre tran-
chante. La pierre encore leur servira pour couper le fil, eussent-ils
des ciseaux à la main. »
Les indigènes de l'ile de Java ne portent point non plus leur
barbe. On lit dans le tome VIII de VHistoire générale des
Voyages qu'ils se l'arrachent avec des instruments inventés pour
cet usage, dans la seule vue, paraît-il, de plaire à leurs femmes,
qui les traitent de boucs lorsqu'elles les voient barbus.
Il en est de même des Taïtiens. Ceux-ci ont tellement horreur
des poils, qu'ils les épilent jusque sous les aisselles. Selon Cook
et Gemelli Carreri, ils accusaient les Anglais de malpropreté.
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418 L*ART CAP1LLATBE
parce qu'ils ne suivaient pas leur exemple. Les insulaires des
lies Philippines, qui pratiquent également l'épilation^ portent pour
cela des petites pincettes de métal suspendues à leur cou.
Les sauvages des îles Maldives font exception. Au rapport de
Bougainville, ils se rasent les moustaches et le tour de la
bouche, et ne conservent au menton qu'une petite touffe terminée
en pointe.
Les barbiers publics sont inconnus aux Maldives. Chacun se
fait la barbe avec des rasoirs d*acier, ou des ciseaux de fer ou
de fonte. Quelques-uns se rendent mutuellement ce service. Le
roi et les principaux seigneurs sont rasés par les gens de la cour,
qui se font un honneur de cette fonction sans en retirer aucun
salaire.
Il existe cependant quelques contrées primitives où la barbe
est respectée et ornée avec soin. Loyer, dans ses voyages, vit un
roi dlssiny qui portait la barbe tressée en vingt petites boucles,
mêlées de soixante morceaux d'oygris, c'est-à-dire de soixante
pierres précieuses. D'autres nègres y attachent des grelots.
II
Les Mexicains et les Péruviens, peuples à demi-civilisés qui
ont laissé des annales, des poèmes et des monuments, se coiffaient
à peu près de la même manière que les sauvages modernes de
TAmérique; seulement, au lieu de plumes d'aigle et de perles de
verre, les hommes ornaient leurs cheveux de plumes de couleur
et de lanières de cuir rouge.
Boturini nous apprend*, d'après les vieux chroniqueurs, que
les prêtres du Soleil, chez les Chichimèques-Toltèques, prédé-
cesseurs des Aztèques ou Mexicains, laissaient croître leurs
cheveux en signe d'autorité. De là leur nom de Papahua-Hama-
cazquiy « ministres aux longs cheveux ». Selon le Père Sahagun%
ces longs cheveux étaient tressés et pendants sur les épaules.
1) Idea de una Nueva historia, etc.
2) Hist. di las Cosas di Nueva-Espaùn, 1. X, ch. xxix.
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CHEZ LES PEUPLES PRIMITIFS 419
Sous le règne suivant, à Tollan, les prêtres du temple toltëque
de la Déesse des eaux^ appelée la Dame au jupon d'azur, portaient
également les cheveux tombants par derrière *. Cette coutume
était donc générale parmi le clergé. Aussi Cortez, après la prise
de Cbampoalla, fit-il saisir les prêtres idolâtres elles oblîgea-t-il,
suivant l'historien Herrera, à couper leurs insignes capillaires,
avant d'assister à la métamorphose de leur temple en chapelle
catholique.
Si Ton en croit Torquemada', le civilisateur Quetzalcoatl
aurait apporté parmi les Toltëques Tusage des cheveux longs
chez les jeunes seigneurs et les princes du sang. Ces derniers
seuls avaient droit à la longue chevelure. Cela explique pourquoi
les prêtres, qui s'étaient attribué le monopole de l'éducation et
retenaient auprès d'eux les enfants des deux sexes, leur laissaient
croître la chevelure jusqu'au jour de leur mariage, époque où on
la leur coupait.
Quant aux monarques mexicains, ils avaient une coiiïure
particulière qui leur était propre. Lorsque le roi Moctheuzoma II
monta sur le trône, « on lui coupa les cheveux dans la forme où
les rois avaient Thabitude de les porter », lit -on dans IdiChronique
de Thistorien aztèque Alvarado Tezozomoc (ch. lxxxu). Il
résulte de ce passage que le souverain, contemporain de la con-
quête (1520), appelé à tort Montézuma par les Européens, portait
d'abord la chevelure longue et flottante, et qu'on la lui raccourcit
de moitié au moment de son élévation au trône. En effet, au dire
d'Antonio de Solis, surnommé l'Hérodote espagnol, les cheveux
du roi « descendaient jusqu'au-dessous de ses oreilles^ ». La
même cérémonie dut avoir lieu pour ses prédécesseurs ; mais, à
leurmort, on leur en coupait une poignée que Ton conservait
soigneusement.
Du temps du premier Moctheuzoma, dit le Vieux (1455), les
guerriers mexicains portaient les cheveux relevés sur la nuque
1) Veytia, Hist. antig, de Mexico, t. I., ch. xxviii.
2) Monarch, md., 1. VI, ch. xxiv.
3) Hist, de la conquête du Mexique.
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420 l'art capillaire
et attachés, comme nous Tavons dit, avec une lanière de cuir
rouge. Alvarado Tezozomoc, qui nous fournit ce renseignement
(ch. xxvii), ajoute que le ruban de cuir pour tresser les cheveux
s'appelait matemecatl (ch. lxxvi), et il nous montre Moctheu-
zoma I" remetlanJ, entre autres présents, pour être offerts aux
rois de Tomba et de Tezcuco « des cordons de cuir qu'on se tress©
dans les cheveux et des bijoux d'or » (ch. xxxvii). Ces insignes
étaient non seulement destinés aux princes et aux seigneurs,
mais on les donnait encore comme récompense à ceux qui se
distinguaient par leur valeur. C'est ainsi que, toujours d'après
Tezozomoc (ch. xxxvi), les officiers de première classe do la
cour de Moclheuzoma-le-Vieux, avaient obtenu, à cause de leurs
services, « de tresser avec un cuir rouge, comme les princes et
les principaux conseillers, les cheveux qui leur pendaient jusqu'au
milieu du dos, de se raser les deux côtés delà tête et de s'attacher
à un pied un grelot d'or, pour montrer qu'ils se jetaient au
milieu des ennemis comme des fous furieux ». Les chefs de
seconde classe, nommés otomis, portaient également les cheveux
pendants jusqu'au milieu du dos et tressés avec des lanières de
cuir de cerf*. « C'était, dit encore Tezozomoc (ch. xcv), la
marque distinctive des TequihuaqueSy c'est-à-dire, de ceux qui
avaient fait des prisonniers à la guerre. » Ces derniers, en rece-
vant cette espèce de décoration, s'élevaient d'un degré dans la
hiérarchie militaire, et de Macéhuales ou vassaux qu'ils étaient
auparavant, passaient dans la classe des Tequihuaques ou
vaillants guerriers.
Le clergé, la noblesse et l'armée avaient donc seuls le droit
de porter la longue chevelure. Le peuple, au contraire, con-
servait les cheveux courts et se les coupait avec des couteaux de
métal ou des rasoirs dé pierre, Coitez, dans ses lettres, en
décrivant le grand bazar de Mexico, ce marché modèle, deux fois
1) Cette coutume des Mexicains avait une grande analogie avec celle des
Allemands de Tacite. On rasait, en effet, la tête des guerriers qui avaient pris
des ennemis sur le champ de bataille, en ne leur laissant qu'une longue tresse
de cheveux que Ton relevait sur la nuque el que l'on tressait quelquefois avec
un cuir rouge, quelquefois avec des plumes précieuses.
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CHEZ LES PEUPLES PRIMITIFS 421
grand, dit-il, comme celui de Salamanque, raconte que là se
trouvait exposé aux regards d'une foule toujours renouvelée,
ce qui servait à la vie, à rhabillement, à la parure. «Il y a, ajoute
le Conquistador, de petites rues pour le gibier, pour les légumes
et les objets de jardinage ; il y a des boutiques où des barbiers,
avec des rasoirs d'obsidienne, rasent la tête. » En effet, dans le
Dictiomiaire de Molina, vocabulaire mexicain et castillan, on
trouve la mention suivante : « Pierre d'obsidienne, ou tz/Zi,
c'est-à-dire navaja de barbero (rasoir de barbier). » L'obsidienne,
comme le fait remarquer Solis, est une espèce de verre naturel
auquel les Mexicains savaient donner un tranchant parfait ; mais,
suivant le même auteur, ils se servaient également de rasoirs
effilés faits de cuivre allié à Tétain. Parmi les antiquités mexi-
caines du musée d'ethnographie du Trocadéro on remarque de
nombreuses lames de couteaux en obsidienne, dont quelques-
unes ont pu servir de rasoirs.
Si la plupart des Mexicains portaient les cheveux ras, à l'excep-
tion d'une touffe sur le sommet de la tète ou d'une tresse pen-
dante dans le dos, il n'en était pas de même des Mexicaines.
Les femmes aztèques, dit Prescolt, d'après ce qu'en ont laissé
les écrivains espagnols contemporains, étaient jolies et ressem-
blaient peu à leurs pauvres descendantes, qui n'ont conservé que
la teinte sérieuse et mélancolique de leur physionomie. Leur
chevelure noire, flottant en longues tresses sur leurs épaules,
était souvent entremêlée de fleurs, et, dans les classes plus
riches, de rangs de pierres précieuses et de perles du golfe de
Californie.
Plusieurs des bas-reliefs découverts dans le Sud du Mexique en
offrent des exemples : on y voit des femmes avec de longues
tresses tombant par derrière et que terminent des espèces de
nœuds en forme de glands.
Dans l'Anahuac, les cheveux {tzon^ tzontlt) étaient le plus
souvent coiffés. De là, dit de Humboldt, dans ses Vues des Cor-
dillièresy la dénomination de «cihuatl », c'est-à-dire femme
reconnaissable aux cornes, ou plutôt aux bourrelets formés par
sa chevelure. L'expression de « mère », dans les signes hiéro^
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422 l'art capillaire
glyphiques de l'ancien Mexique, remarque à ce sujet Tainéri-
caniste Brasseur de Bourbourg, est en effet figurée par une tète
de femme, ayant deux espèces de cornes sur le front et les cheveux
descendant en rouleau sur le cou, genre de coiffure particulier
à toutes les femmes aztèques, représentées sur les peintures
mexicaines.
Aujourd'hui, selon le même auteur, les femmes indigènes du
Mexique et de TAmérique centrale forment de leurs cheveux
deux tresses qu'elles relèvent comme une couronne autour de la
tète. Au Yucatan, contrairement à celte coutume, toutes les
femmes métisses et indiennes portent les cheveux relevés à la
chinoise, formant un gros chignon à l'occiput '.
Ajoutons que les cheveux blonds sont très rares au Mexique et
par conséquent très estimés. Quand, par hasard, on se procurait
des tresses blondes ou dorées, on en faisait l'ornement des riches
éventails ou chasse-mouches, ainsi que nous l'apprend Alvarado
Tezozomoc (ch. xlix), ou on les réservait comme présents (id.
ch. Lix). Moctheuzoma II, lors de la dédicace de Coatlan, donna
aux princes qui assistaient à la cérémonie, des vêtements brodés
et des « tresses de cheveux nommées cuauhtlaplilloni ou tresses
des braves » (id. ch. xcv). Il ne faut donc plus s'étonner que le
compagnon de Cortez, le célèbre Alvarado, à cause de ses grands
cheveux blonds bouclés, ait reçu des Mexicains le nom du soleil,
Tonatiuh.
De même qu'au Mexique, la noblesse et le clergé du Pérou se
réservaient l'usage des cheveux longs et tombants sur les épaules.
Ceux des femmes étaient séparés en deux tresses réunies à leur
extrémité derrière la tête, et maintenues par deux cordons de
couleur. Aussi, selon Ulloa, la plus cruelle injure que Ton pût
faire aux nobles indiens de Quito, c'était de leur couper les
cheveux.
Les gens du peuple se contentaient des cheveux courts, qu'ils
entretenaient comme les Mexicains, avec des couteaux de pierre.
1) Archives de la Commission scientifique du Mexique, t. II, p. 46. Paris,
1855.
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CHEZ LES PEUPLES PRIMITIFS 423
Garcilasso de la Vcga rapporte cette parole caractéristique d'un
Péruvien qui ne pouvait se lasser d*admirer l'invention des
ciseaux, en comparaison des couteaux d^obsidienne ou de silex,
qui servaient aux indigènes pour se couper les cheveux : « Sans
mentir, disait-il, les Espagnols n'auraient fait que nous apporter
des rasoirs et des ciseaux, cela pouvait suffire pour nous obliger
à leur donner libéralement tout ce que nous avons d*or et
d'argent. »
Suivant le même historien, les Péruviens convertis au chris-
tianisme avaient grand soin, comme le font encore les Turcs, de
mettre en lieu sûr les rognures de leurs ongles et les cheveux
qu'ils se coupaient ou qu'ils faisaient tomber en se peignant, et
cela dans le but de se retrouver au complet quand viendrait le
jour de la résurrection.
Une autre particularité curieuse, c'est que les cheveux frisés
ou crépus, chose rare au Pérou, étaient considérés comme une
grande beauté. M. Ernest Desjardins rapporte qu'une pièce du
temple du Soleil, à Guzco, était consacrée à la planète de Vénus,
honorée comme la suivante du Soleil, et appelée Chasca, qui en
ancien péruvien signifiait cheveux crépus *.
Au xi* siècle de notre ère, pour distinguer les princes du sang
impérial des autres personnages de la cour et les désigner au
respect de la foule, Manco-Gapac, ou plutôt le roi Manco %
ordonna qu'à son exemple, tous les hommes de sa famille eussent
la tète rasée, et qu'on ne leur laissât qu'une touffe de cheveux
au sommet du cr&ne. Mais, d'après le témoignage de Pierre
Pizarre, vieux conquérant qui suivit l'expédition, les succes-
seurs de Manco-Gapac ne paraissent pas s'être tous conformés à
cet usage. Lorsque François Pizarre s'empara d'Atahualpa, le
dernier souverain du Pérou, s'élançant sur l'Inca, il le saisit par
les cheveux, et cela si violemment, qu'il le fit tomber à terre.
Sa chevelure était parée d'ornements en or.
Quant au Gundinamarca (Golombie), un des centres de l'an-
1) Le Pérou avant la conquête espagnole.
2) Capac signifie roi.
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421 l'aht capillaire
cienne civilisalion américaine, la manière de porter les cheveux
différait un peu dans cette contrée des habitudes du Pérou. « Les
hommes, dit Ternaux-Compans, divisaient, au sommet de la
tète, leurs cheveux, qui tombaient sur leurs épaules ; les femmes
au contraire, les portaient épars et très longs. Le plus grand
châtiment qu'on pût infliger à un Indien était de lui couper les
cheveux, et de déchirer ses vêtements \ »
m
Le civilisateur Quetzalcoatl, dont le mythe appartient à Tàge
d'or de TAnabuac, était blanc et barbu, comme l'indique une
peinture mexicaine conservée à la Bibliothèque du Vatican.
Mais quoique les Aztèques eussent peu de barbe, tout porte à
supposer que l'exemple du grand législateur fut suivi. D après
le Père Sabagun, les barbiers étaient connus au Mexique dès la
fin du dixième siècle, comme en Europe et en Asie '.
D'ailleurs, ce serait une erreur de croire que les indigènes de
l'Amérique soient imberbes, rapporte l'abbé Brasseur de Bour-
bourg. « Tous, dit le savant mexicologue français, ont des mous-
taches plus ou moins fournies et une mouche quelquefois assez
grande au menton ; mais anciennement ils s'arrachaient la barbe
excepté la moustache et la mouche, et les barbiers étaient char-
gés de cet office ' ». Dans les Monumeiits anciens du Meocique et
du Yucaian du même auteur, planche 46, on voit deux per-
sonnages ayant toute leur barbe et faisant deux prisonniers de
guerre qui sont imberbes. La planche 39 représente un cacique
debout, avec barbe et moustaches.
On est pourtant forcé de convenir que la mouche {hm) et la
moustache (chi) des Aztèques étaient bien peu de chose à côté
des fortes barbes espagnoles. Lorsque Cortez eut fait son entrée
1) Essai sur l'ancien Cundinaquarca*
2) lîist. de las Cosas de Nueva-Espanay 1. IIÎ, ch. v.
3) Hist. des nations civilisées du Mexique, t. I, p. 350.
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CHEZ LES PEUPLES PRIMIIIF3 425
à Ténochillan, l'ancienne Mexico, le 8 septembre 1519, le roi
Moctheuzoma II vint lui rendre visite, après Tavoir comblé de
présents, et, dans un discours où il Tappelait brave général^ il
termina par ses paroles: « Nous savons aujourd'hui que vous
êtes des hommes comme nous, bien que votre teint ne soit pas
le même et que vous ayez le visage couvert de poils. »
Enfin les Tlascaltèques, habitants du royaume de Tlascala et
ennemis de Moctheuzoma, n'étaient pas moins surpris que ce
dernier de la beauté des barbes espagnoles. « Ils s'étonnaient
avec ingénuité, dit Solis, de la couleur et des vêtements de nos
Européens, et tenaient pour monstureuses les barbes que lana-
ture avait refusées à leurs visages. »
Il faut attribuer en partie les succès de Pizarro, au Pérou, au
profond respect ou plutôt à la crainte que les indigènes ressen-
talent pour les étrangers à longue barbe. Lorsque le pays fut
tout à fait conquis, les Espagnols exploitèrent la population
avec une rapacité et un cynisme sans exemple. Non seulement,
raconte un historien, on les forçait d'acheter à des prix énormes
des mules moribondes, des marchandises avariées et d'autres
articles de commerce sans valeur, mais encore, chose presque
incroyable, on faisait entrer dans les approvisionnements qu'ils
étaient contraints d'acquérir au poids de l'or, des rasoirs, des
bas de soie, des lunettes, alors que les Espagnols savaient fort
bien que les Indiens n'ont pas ou presque pas de barbe, qu'ils
vont toujours nu-pieds, qu'ils ont la vue excellente, et que le
luxe y est étranger *. Aussi les naturels, au rapport de Zarate, les
traitaient entre eux avec mépris de « gens bannis et qui avaient
des cheveux au visage ».
Ulloa nous apprend, en effet, que les anciens Péruviens s'ar-
rachaient la barbe avec le plus grand soin. On a trouvé à plu-
sieurs reprises dans d'anciennes sépultures nommées huacas^
toutes sortes d'objets enterrés avec les défunts, au nombre des-
quels, selon Bollaert *, on remarque « des miroirs de pierre
1) Prescott, Hist. de la conquête du Pérou.
2) ArUiquarian researches,
VI 29
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426 l'art capillaire
polie et de métal, et jusqu'à des pinces de cuivre pour épiler les
poils de la face ».
Les habitants de l'ancien Cundinamarca,.dans la Colombie^
paraissent au contraire, avoir eu la barbe en honneur. D'après
le docteur Posada*Arango \ plusieurs idoles retirées du lac
Guatavita et de diverses sépultures ou tunjoSy portaient des
favoris et des moustaches. Mais comme aujourd'hui la plupart
des indigènes sont imberbes, ils portent des pendants en or pour
le nez, qui imitent d'énormes moustaches.
IV
Comme nous le disions en commençant, l'histoire de la coif-
fure se rattache^ plus qu'on ne croit^ à l'histoire des peuples. Il
semble même que quelques-unes des modes bizarres que nous
venons d'énumérer donnent à réfléchir ; ils absolvent la civilisa-
tion d'avoir inventé le luxe des coiffures en cheveux et certaines
formes de ce luxe. « On admire, dit un historien philosophe, les
papillottes et les chevelures postiches des insulaires du détroit de
Torrès. La coutume de porter des cheveux tantôt courts, tantôt
longs et disposés en édifice, tantôt plats, tantôt en houppe, se
retrouve chez diverses tribus, comme à la cour de Louis XIV.
Quant aux hommes, ils nous dépassent fort par ce genre de
parure, même si on remonte au temps où nous portions per-
ruque. Aucun seigneur de la cour de Louis XV ne mit au-
tant d'heures à s'occuper de sa chevelure postiche que les
chefs de sauvages insulaires de Viti ; ils ont un coiffeur spécial
auxquels ils donnent plusieurs heures tous les soirs. Il ne faut
pas moins de temps pour disposer et tenir en bon état des che-
velures qui ont habituellement trois pieds et quelquefois jusqu'à
cinq pieds de circonférence. Qu'est-ce donc dans les cas où les
teintures les plus compliqués viennent s'y ajouter ? Les uns se
teignent tout en noir, en blanc, en jaune ou en rouge ; d'autres
aiment à réunir diverses couleurs pour une même chevelure :
1) Essai ethnographique sur les aborigènes de l'Etat d'Antiquia,
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CHEZ LES PEUPLES PRLMITIFS 427
un tiers sera couleur cendre, le reste sera tout noir, et l'arran-
gement des cheveux est des plus cooipliqués. Ceux-ci se font
raser par place et gardent quatre ou cinq rangées de bouquets
de cheveux plantés droit ; ceux-là laissent croître de longs cor-
dons qu'ils enroulent ou laissent tomber derrière le cou. En
vérité, on serait tenté d'opposer à ce paradoxe, qu'on a nommé
la simplicité de la vie sauvage, un paradoxe bien moins invrai-
semblable : la simplicité de la civilisation ^ ! »
1] Baudrillart, Histoire du luxe^ t. I.
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NOTE
LES TOMBEAUX DE TU-DUC ET DE MINH-MANG
Par M. Marx.
- Le palais royal de Hué, les palais de Thieu try el d'été,
silués dans la citadelle même, peuvent à juste titre passer pour
des monuments curieux, et qui révèlent la grandeur passée de
la cour d'Annam. On ne peut cependant se faire qu'une idée
imparfaite de la valeur et de la puissance décorative de Tart
annamite, si Ton n'a visité les tombeaux de Tu-Duc et de Minh-
Mang. Une promenade à ces mausolées est un régal pour un
esprit épris de pittoresque, curieux des manifestations des arts
et des civilisations exotiques.
Ces tombeaux ne sont pas seulement des édifices funéraires
fort remarquables : ce qui ajoute encore à leur originalité, ce
qui en fait la beauté distinctive, ce sont les pagodes, véritables
palais, qui sonl construites à côté d'eux, constituant un en-
semble merveilleux situé au milieu de jardins, de bassins, dont
les dimensions et les styles rappellent les splendeurs de Ver-
sailles, et où Ton retrouve les inspirations de l'art français
apporté en Annam par la première mission envoyée sous
Louis XVI à la cour de Hué et qui, en architecture surtout,
inculqua aux Annamites les traditions du siècle de Louis XIV.
Il n'y a pas en Annam comme en Europe, d'endroit spéciale-
ment réservé aux sépultures. On ne trouve de cimetière ni aux
abords des villes ni aux environs des villages. L'Annamite mort
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NOTE SUR LES TOMBEAUX DE TU-DUC ET DE MINH-MANG 429
est enseveli dans un terrain quelconque, au milieu d'un champ,
au bord d'un chemin. Toutefois la terre où il repose devient
sacrée, inaliénable. C'est le terrain des ancêtres.
Les Annamites professent pour les morts un culte qui est,
avec celui des Esprits, toute leur religion : ils les entourent de
respect. Les tombeaux sont Tobjet de soins pieux. Chaque année,
à Tépoque du Tet (renouvellement de Tannée), les familles font
réparer les tombes détruites ou dégradées.
Suivant son rang, suivant sa fortune, on élève au défunt un
simple tumulus protégé par des cactus, ou des mausolées en
pierre, entourés d'un mur destiné à les mettre à Tabri des pro-
fanations du fait de l'homme ou plus généralement des ani-
maux. ^
Les landes désertes, qui s'étendent à l'ouest de la route de Hué
à Tourane jusqu'aux mamelons, sont couvertes de tombes dont
quelques-unes, celles des riches mandarins, sont de véritables
monuments avec autel ou plutôt esplanade sur laquelle se font
les sacrifices qui honorent le culte des morts. Cette plaine porte
le nom de plaine des tombeaux. Elle commence à quatre kilo-
mètres environ de la rivière après le village d'An-Cu et sa lon-
gueur est de sept à huit kilomètres. Souvent toute une famille
est enterrée, les tombes sont groupées sur un même espace :
celles des ascendants plus grandes et autour, celles des descen-
dants.
L'Annamite choisit et désigne, avant sa mort, le lieu où il
désire reposer, généralement dans une de ses propriétés, dans un
site qu'il affectionne.
Les rois et les princes font de leur vivant même, commencer
la demeure où ils dormiront l'éternel sommeil. C'est sur leurs
plans, leurs indications, que sont exécutés les travaux confiés
à quelque mandarin connu pour sa science architecturale.
Tu-Duc, qui fut avec Gia-Long le plus grand empereur de
l'Annam, le plus illustre monarque de la dynastie des Le, avait
choisi un site merveilleux de grandeur sauvage, à peu de dis-
tance de la rivière, au milieu des mamelons boisés de la rive
droite.
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430 NOTE SUR LES TOMBEAUX
On peut aller au tombeau de Tu-Duc en remontant la rivière,
dont le cours est des plus pittoresques, longeant la face sud-
ouest de la citadelle, s*engageant entre des rives ombragées do
bambous, où se cachent les villages de Kim-Lon avec la tour de
Confucius sur la rive gauche, de Phu-Cam sur la rive droite.
Plus loin la vallée se resserre et la rivière coule entre des ma-
melons peu élevés et couverts de végétation.
A cinq kilomètres environ de Hué, un débarcadère en pierre,
avec des escaliers monumentaux, donne accès sur une avenue
plantée de deux rangées d'arbres immenses formant une route de
verdure que le soleil ne perce jamais.
Large de vingt mètres, cette avenue n'a pas moins de mille
deux cents mètres de longueur ; elle vient se heurter à un mur
élevé dont le développement, d'environ trois mille mètres,
enserre le tombeau et ses dépendances.
Lorsqu'on pénètre dans cette enceinte par une large porte, on
reste un moment étonné devant la succession de terrasses plan-
tées d'arbres et de fleurs^ garnies de balustres en tuiles colorées
qui s'étagent depuis des bassins de marbre, véritables pièces
d'eau avec ponts en marbre également, reliant des îles où s'é-
lèvent des kiosques à moitié dissimulés sous la verdure.
Le tombeau lui-même est bâti sur la terrasse la plus élevée,
ombragée de pins. Une porte monumentale en fer ouvragé, sur
laquelle se dessine le dragon aux cinq griffes emblème de la
royauté : en avant, un bassin entouré de fleurs odorantes,
d'arbres à la végétation luxuriante, et sur une terrasse moins
élevée, un immense portique, sorte d'arc de triomphe sous lequel
une pierre énorme d'un seul bloc, porte gravée toute la vie du
grand empereur : de chaque côté deux hautes colonnes, pyra-
mides étroites en briques de couleur semblables à deux senti-
nelles géantes.
Au sud de ces monuments qui constituent le tombeau lui-
même, une seconde enceinte au-dessus de laquelle on aperçoit
des toits bizarrement relevés, aux faites découpés représentant des
animaux symboliques : ce sont les pagodes, palais où habitent
les femmes de Tu-Duc, les serviteurs chargés des sacrifices et du
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DE TU-DUC ET DE MINU-MANG 431
culte du mort. Là aussi sont conservés, véritable musée du sou-
verain, les objets dont se servait celui qu'on peut appeler le
grand Roi, avec d'autant plus de vraisemblance que tout ce qui
entoure sa dernière demeure semble emprunté au siècle de
Louis XIV.
Nul ne pénètre dans le tombeau.
On prétend même que ce n'est qu'un sarcophage officiel et que
ce n'est pas là que repose réellement le corps de Tu-Duc.
De la terrasse qui précède le tombeau, la vue s'étend au delà
des bassins sur des mamelons couverts de pins, des vallons cul-
tivés, et à l'horizon sur la chaîne montagneuse.
La route de terre qui mène de Hué à Tu-Duc traverse cette
campagne, circulant à travers les vallons, et ce n*esl qu'au
moment d'arriver qu'on aperçoit du haut d'un mamelon boisé le
tombeau et ses dépendances.
L'ensemble est grandiose. C'est d'abord les bassins avec leurs
ponts de marbre, leurs kiosques perdus dans le fouillis de
petites îles bâties sur le rocher. Puis les terrasses ombragées
qui semblent des parterres charmants, s'étagent jusqu'au por-
tique flanqué de deux pyramides qu'on pourrait plutôt comparer
pour leurs formes à des obélisques, et, dominant le tout, le tom-
beau. A gauche, les toitures et les portiques des pagodes. Le
mur, en saut de loup devant les bassins, enserre ce tableau
auquel la verdure d'arbres élevés et touffus sert de cadre.
Le tombeau de Minh-Mang est situé sur la rive gauche de la
rivière, à trois kilomètres au delà de celui de Tu-Duc. On n'y
peut guère aller que par eau. Le voyage est d'ailleurs fort
agréable et la vallée devient de plus en plus resserrée, prenant
en s'approchant de la montagne un caractère de grandeur sau-
vage.
L'aspect de Minh-Mang est tout autre que celui de Tu-Duc. Il
est bâti en terrain plat, à cinq cents mètres environ du bord de
la rivière, au milieu d'une véritable forêt. Il reproduit dans son
ensemble le palais royal de Hué. On pénètre dans un parc,
rappelant par ses dimensions et ses dispositions celui de Ver-
sailles. Une pièce d'eau, un lac et au milieu deux îles, l'une fort
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432 NOTE SUR LES TOMBEAUX DE TU-DUC ET DE MINH-MANG
grande où s'élèvent les pagodes, l'autre située en arrière, plus
petite, où se trouve le mausolée. Des ponts en marbre fort larges
avec des parapets en briques de couleur formant mosaïque les
relient à la terre et entre elles.
Dans la grande île, une première pagode semblable à celle qui
forme la première salle du palais royal ; celle où le roi Dang-
Kan reçoit les ambassadeurs de la République française. Devant,
une vaste cour dallée, plantée d'arbres, et de chaque côté do
laquelle des statues en marbre, statues de guerriers en costume;
de chevaux, d'éléphants, tous les attributs de la royauté et,
comme à Hué, deux immenses dragons en bois doré.
Au delà de cette pagode, deux autres servent de logement aux
femmes et aux serviteurs de Minh-Mang. Dans Tune, les objets
dont il se servait, véritables merveilles d'originalité et de
richesse ; son cachet en or massif ; un service à thé ; des aiguières
en émail d'un travail exquis rehaussé par des ornements d'ar-
gent; des boites en ivoire; des incrustations d'une finesse
achevée.
Le pont, qui fait communiquer les pagodes avec le tombeau, est
surmonté d'un triple portique en bronze sculpté, dont le sommet,
découpé à jour, encadre les images en émail de la lune et du
soleil.
Le tombeau, fermé comme celui de Tu-Duc, par une porte de
fer ouvragé, est ombragé d'arbres magnifiques et on y arrive par
un escalier dont chaque marche est flanquée de vases en bronze
ou en porcelaine qui sont de véritables objets d'art.
L'impression que l'on ressent en visitant Minh-Mang est toute
différente de celle qu'on éprouve devant Tu-Duc. Ici c'est une
sensation de calme, de recueillement délicieux; c'est la retraite
d'un esprit fatigué des grandeurs humaines se reposant au milieu
de ce que l'art et la nature combinés peuvent produire de plus
grand et de plus doux à la fois.
A Tu-Duc, au contraire, on sent que le souverain a voulu mar-
quer d'un sceau éternel sa toute-puissance et s'entourer par delà
la mort des grandeurs de la nature et des splendeurs humaines.
Hué, le 16 mai 1887.
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OBSERVATIONS ETHNOGRAPHIQUES
DANS L'ILE DE KAMARANE
Par le D' L. FAUROT
Cette île, longue de dix à douze milles et large de quatre milles^
^^ s'étend parallèlement à la côte d'Arabie. L'intérieur est inhabité
X et sans végétation. Sur le bord de la mer seulement, des massifs
de palétuviers et quelques palmiers-dattiers s'élèvent, là où les
villages sont construits.
Parmi ces villages qui sont au nombre de quatre, Kamarane
est le plus important en raison de la profondeur de sa rade qui
permet l'approche des navires de tort tonnage. Un va-et-vient
continuel de sambouks et de pirogues établit des relations
fréquentes avec le village deSalif, situé à huit milles de là sur la
côte d'Arabie. Les habitations sont presque toutes construites à
l'aide de nattes importées de ce dernier pays. Elles se composent,
pour chaque famille, d'un certain nombre de cabanes très
rapprochées et en communication immédiate les unes avec les
autres. Le village se trouve ainsi formé par une cinquantaine de
ces cabanes groupées à la façon des quartiers d'une ville. Les
rues sont limitées à droite et à gauche par les palissades, égale-
ment faites de nattes, qui enclosent chacun de ces quartiers. J'ai
retrouvé à Tadjoura une répartition semblable des habitations, et
il est probable qu'elle est fréquente en beaucoup d'autres loca-
lités voisines de l'Arabie. Les Turcs, auxquels l'île appartient,
sont en petit nombre à Kamarane. Les Éthiopiens, venus de
Massaouah, sont un peu plus nombreux, et les filles de ces étran-
gers, sont, paralt-il, très recherchées en mariage par les
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434 OBSERVATIONS ETHNOGBAPHIOVES
insulaires. Quant à ces derniers, qui m'ont paru ne différer en
rien des Arabes venus de Salif, il en est un grand nombre dont
la peau a une teinte cuivrée, plus évidente sur la face palmaire
de leurs mains. Cette coloration, que je n'ai point retrouvée chez
les Arabes d'Aden (habitants ou nomades venus par caravane)
est-elle le résultat d'une descendance hymyarite, ou du mélange
des deux races : arabe et éthiopienne?
Les pèlerins, venus de Tlnde pour se rendre à la Mecque, font
dans Tîle un séjour rendu obligatoire par les quarantaines
imposées par la Commission sanitaire internationale. Leur
nombre est assez considérable pour assurer entre TArabie et
Tîle un important commerce de denrées. Avec les pèlerins
arrivent aussi quelques Banians qui achètent des perles prove-
nant surtout de la côte occidentale de la mer Rouge. Voici ce
qui me fut raconté sur trois de ces commerçants, à la fois frères
et associés, qui se trouvaient à la même époque que moi, dans
Fîle : toutes les fois que l'un d'entre eux achetait des perles,
elles étaient déposées dans un coffret propriété, commune aux
trois frères, et dont l'inventaire ne devait être fait qu'à la fin du
voyage. Le coffret ne devait être ouvert ou fermé qu'en présence
des trois intéressés, à Taide d'une clef unique, et le gardien élaît
mis dans Timpossibilité de s'en servir à l'insu des deux autres
membres de l'association, par suite de l'artifice suivant : une
boîte métallique cadenassée et assujettie à sa ceinture, renfer-
mait en temps ordinaire la clef du trésor, et elle ne pouvait en
être extraite qu'au moyen de l'une des deux autres clefs dont
chacun des deux autres associés était pourvu.
En outre du commerce, la pêche des requins, fort nombreux
dans la rade de Kamarane, occupe un certain nombre d'insu-
laires. Fréquemment, sur la plage, gisaient vingt à trente de ces
poissons ramenés par les filets des pêcheurs. Leur longueur
n'excédait pas 0"*,50 à 0",60. La couche épaisse de muscle adhé-
rente aux ailerons est la seule parlie du corps de ces animaux qui
soit utilisée comme nourriture. Les foies pétris avec de la terre
servent à calfater les embarcations. Quant aux ailerons, ils se
vendraient comme engrais aux colons des îles Mascareignes.
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DANS LILE DE KAMARAXE
435
Cette pèche des requins se fait sur les deux côtes de la mer
Rouge.
Une autre occupation des habitants est celle qui consiste à
filer. On l'observe chez les oisifs qui parcourent les rues du
village ou qui kalament devant leur porte. La manœuvre de leur
fuseau (fig. 64) exige la station debout. Tenant le fil assez haut
dans la main gauche, ils impriment, avec la paume de la main
droite, un mouvement rapide de rotation à la longue extrémité
Fig. 64. Fuseau des iosulaires de Kamarane.
du fuseau préalablement appliquée sur la face externe de la cuisse
du même côté. Le même instrument a été observé par Livingstone
chez les populations de l'Afrique australe. Dans le premier
volume du récit des explorations de l'illustre voyageur, se trouve
reproduite une gravure tirée de l'ouvrage de Wilkinson sur les
anciens Egyptiens *. On y voit une femme ayant les mêmes
attitudes que les fileurs de l'ile de Kamarane (fig. 65).
Ce n'est pas là le seul indice que Tantique civilisation a laissé
dans le pays. Le vieux fort situé près du village et la mosquée
1) J. G. Wilkinson, Mannersand Customs ofthe ancient EgyptianSy vol. Il,
p. 60, n« 91. London 1827 in-8.
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436
OBSERVATIONS ETHNOGRAPHIQUES
d'Iraki-baba qui en est distante de trois kilomètres, présentent,
dans Tarchitecture de leurs substructions, des marques évidentes
du séjour des constructeurs de pyramides. Dans la mosquée,
près d'un tombeau, je découvris un bloc de basalte à labrador,
couvert de carractères que je suppose appartenir, soit àThymya-
rite, soit à Télhiopien. Autour de Tinscription, se trouve figurée,
en double contour, la forme d'une stèle *.
Des trois autres villages de Tîle, je n'ai pu visiter que celui
qui porte le nom de Yémen. Il est très voisin de la côte d'Arabie
(2 milles environ). Avec Tintervention obligeante du comman-
dant du Mytho^ auprès du moudir, j'obtins un caporal turc pour
Vin
Fig. 65. Fileuscs égyptiennes du Moyen-Empire (d'après une peinture de
Beui-Hassan, reproduite par Wilkinson).
me guider. Sur le trajet se trouve une élévation de trente mètres.
Lorsqu'on en gravit le sommet, on y voit de nombreuses
cavités ménagées au milieu d'un amoncellement considérable de
pierres. Ces cavités, en forme d'entonnoir, au nombre de trente
ou quarante, sont très rapprochées les unes des autres. Je n'ai
pas pu en connaître la destination. L'élévation porte le nom de
Djebel ïémen, c'est la plus haute de l'île, elle domine une grande
plage de sable près de laquelle est bâti le village.
Non loin de là, entre le Djebel Yémen et Kamarane, se trouvent
les ruines de constructions rectangulaires, faites de pierres, sans
trace apparente de mortier. Chacune d'elles a de 3 à 4 mètres
1) Le document nécessaire pour retrouver cette pierre a été communiqué ù
TAcadémie des inscriptions et belles lettres (sept. 1886).
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DANS l'île de kamara?œ 437
carrés de surface. Aux environs, nulle trace de puits et de végé-
tation.
Yémen est une agglomération de douze à quatorze cabanes,
pour la plupart inhabitées. Il n'existe aucun puits pour alimenter
ce misérable hameau, mais il y a une citerne que nous n'avons pu
visiter. Quelques habitants vinrent nous proposer des perles très
petites et bosselées, des œufs, des poulets d'une maigreur exces-
sive, des poissons séchés au soleil. Un de ces indigènes, parais-
saut très kgé, avait une barbe blonde, un peu jaunâtre. Je ne pense
pas que ce fût là sa couleur naturelle. Mes doutes à cet égard
proviennent de ce que, dans la suite de mon voyage, j'ai pu me
convaincre que par l'usage prolongé d'un mélange de chaux et
de graisse les Çomalis obtiennent une couleur semblable pour
leur chevelure.
Elle est très appréciée dans tout TOrient. J'ai vu à Aden, au
village de Malla^ une femme çomali en toilette de fête, ayant
le visage complètement teint en jaune rougeâtre, me rappelant
en cela les figures des personnages peints sur les bas-reliefs
égyptiens. On sait d'ailleurs que dans l'Afrique du nord, les
femmes se colorent les mains et les pieds avec du henné, parfois
aussi elles (ouled naïls) se chargent la tète de nattes en laine
rougeâtre. Les cavaliers de cette même contrée se servent aussi
du henné pour teindre les boulets, l'extrémité de la queue et de
la crinière de leur monture *.
On ne peut douter qu'autrefois l'ile de Kamarane eut une
population plus nombreuse et plus civilisée, car, en outre des
ruines du djebel Yémen, il en est d'autres plus importantes
auxquelles nous avons déjà fait allusion, et qui mériteraient
encore quelques détails.
L'examen des subslructions anciennes de la mosquée
1) La couleur alezane était, diseni les Algériens, celle du cheval de Mahomet.
Et à propos de ce prophète, je cite [hict, philosop. de Voltaire, articles Arol
et Marot) ce passage d'un récit imaginé par Abou Horaïra son contemporain ;
il a rapporta une vision de Mahomet, au cours de laquelle Tange Gabriel lui
apparut : c( Ses cheveux étaient blonds , ses jambes teintes d*un jaune
de saphir , j'aperçus près de lui 70.000 cassoleUes pleines de musc et de
safran, »
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438 OBSERVATIONS ETHNOGRAPHIQUES DANS l'iLE DE KAMARANE
dlraki-baba me conduisit à rechercher dans ses environs immé-
diats, s'il n'existait pas d'autres vestiges d'antiquité. En effet,
à cinq cents mètres plus àl'ouest, au ras du sol, il existe une large
voûte en épaisse maçonnerie qui devait supporter un édifice
considérable. Un cimetière moderne qui se trouve près de là est
couvert de matériaux empruntés à ces ruines. Malheureusement,
à en juger par une excavation pratiquée dans la voûte e.t actuel-
lement obstruée par un éboulement, des fouilles y ont dû être
déjà pratiquées par les gens du pays ou les pèlerins du lazaret.
Quant au vieux fort situé près du village de Kamarane, il
existe à son sujet une tradition qui témoigne de sa haute anti-
quité. M. Giovanelli, directeur du lazaret, m'apprit que selon les
Arabes, cette construction a été élevée par les Perses, Plus tard,
un roi d'Arabie, en raison du climat de l'île, considéré comme
très salutaire, et malgré l'hostilité des habitants, en aurait relevé
les ruines, afin d'y loger sa fille gravement malade. A cette
époque, bien indéterminée *, le fort aurait eu trois étages. Un
souterrain que fit creuser ce même roi mettait le fort en com-
munication avec le continent. Il est presque inutile d'ajouter
que ce dernier détail est fabuleux.
1) Vers 601, un roi hymyariie appela Ghosroès H, roi des Perses, pour
délivrer l'Yémen du joug des Ethiopiens. Masrouk, le roi de ces derniers, fut
battu. La domination éthiopienne, qui avait duré soixante-douze ans, cessa, et
des vice-rois gouvernèrent le pays au nom de la Perse , jusqu*au jour où
Mahomet le soumit à ses armes. (Ouillain, Documents historiques, géograph, et
commère. Voyage à la côte orientale d'Afrique.)
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UNE VISITE AUX RUINES DE XOCHICALCO
Par M. A. Boucart.
A six lieues au sud-est de la ville de Cuernavaca; capitale du
département dlturbide, et sur la pente occidentale de la Cordil-
lère d'Anahuac s'élève la colline de Xochicalco*.
La main de l'homme a donné à cette colline une forme conique
assez régulière et Ta divisée en cinq assises ou teiTasses, dont
chacune est revêtue de maçonnerie.
Les assises ont près de vingt mètres d'élévation, se rétrécis-
sant vers la cime et sont inclinées au sud-ouest.
Les Indiens ont tiré un très bon parti de la pente naturelle de
la colline et des roches dont elle est composée pour élever les
murs des terrassements inférieurs.
Elle est entourée d'un fossé large et profond qui a une lieue
de circonférence.
La hauteur de la colline est d'environ cent mètres.
Le sommet présente une plate-forme oblongue qui, du nord
au sud, a quatre-vingts mètre, et de l'est à Touest, quatre-vingt-
douze; cette plate-forme est entourée d'un mur de pierres posées
les unes sur les autres, mur dont la hauteur est de deux mètres.
Il reste très peu de choses de ce mur dont les pierres ont ser>'i
aux propriétaires des fermes voisines pour construire des habi-
tations, et, malheureusement, ils ne se sont pas borné à ce
1) Xochicalco signifie dans la maison des fleurs,de Xoc/dtl, (ieiirs ycalli, mai-
son et du suffixe co.
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440 TNE VISITE
simple enlèvement; ils ont délruit en partie le palais et emporté,
pour le même usage, une grande quantité de pierres sculptées
qui ornaient cet édifice.
Au centre de la plate-forme se trouve le palais de Xochicalco,
ancien temple lollèque qui servait aussi de forteresse et que
Ton désigne encore aujourd'hui sous le nom de Caslillo (châ-
teau).
Alzate dit qu'il avait cinq étages; c'est du moins ce que con-
firmaient les Indiens de Tellama* en 1750; mais, d'après Nébel
qui dit avoir vu les ruines de trois portails au second étage, on
doit supposer qu'il n'en avait que deux ; ces portails indiquant
l'entrée des habitations dans lesquelles s'accomplissaient les
sacrifices religieux.
Aujourd'hui il n'existe plus qu'une partie du premier étage, le
coin sud du second était encore debout en 1777.
Dans la pièce principale existait un trône appelé chimotatle qui
était d'une seule pierre très bien polie et ornée d'hiéroglyphes,
on ne sait pas ce qu'il est devenu.
On ne peut que louer le poli et la coupe des pierres avec
lesquelles on a construit ce monument, elles sont parfaitement
ajustées les unes aux autres, sans l'emploi d'aucun morlier;
chacune des figures sculptées sur lesdites pierres occupant plu-
sieurs d'entre elles, il est évident que ces sculptures n'ont été
exécutées qu'après Tachèvement complet de l'édifice.
Parmi les hiéroglyphes qui ornent les murs extérieurs et inté-
rieurs du temple, on voit des dragons jetant de l'eau par la
gueule, des guerriers ou dieux, assis les jambes croisées, ayant
sur la tête des casques ornés de longs panaches en plumes et
d'une tête de serpent, des lapins, des vestiges de fleurs et
d'autres signes qu'il est presque impossible de reconnaître exac-
tement.
Ce qu'on ne peut s'empêcher d'admirer en regardant ce qui
reste de ces belles ruines, c'est la solide construction que pré-
1) Tetlama est un village situé à trois quarts de lieue de Xochicalco dont ie
terrain leur apparlienl.
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AUX RUINES DE XOCHICALCO lil
sentait l'édifice, ce sont les difficultés qu'il a fallu surmonter pour
amener dans ces lieux des pierres si considérables.
En effet, on ne connaît à plusieurs lieues à la ronde aucune
carrière qui fournisse les pierres utilisées à Xochicalco, et il a
fallu les amener de très loin et les hisser à force de bras jusqu*au
faîte de la pyramide.
Le fossé dont la colline est entourée, le revêtement des assises,
la muraille qui défend rapproche du temple, tout confirme que
Xochicalco a dû servir de forteresse.
Vue d'en bas, la colline a l'aspect d'un colimaçon.
Comme il était tout à fait impossible d'escalader la muraille
d'une assise à l'autre; il fallait forcément faire près d'une lieue
en tournant, sans cesse exposé aux coups de l'ennemi pour
arriver jusqu'à la plate-forme.
Parvenu là, on se heurtait à la dernière fortification, la plus
formidable de toutes.
Tout cela prouve que les Toltèques étaient passablement
avancés dans l'art de la guerre ; aujourd'hui encore cette colline
fortifiée serait un point militaire très important.
Au nord de la colline, au bas de la première assise, se trouve
l'entrée d'un souterrain assez profond, divisé en plusieurs gale-
ries dont la principale aboutit à un salon qui a douze piètres de
long sur dix de large.
Dans ce salon on voit encore deux piliers on maçonnerie qui
soutenaient le plafond ; le sol est lisse, formé d'une épaisse
couche de chaux peinte en ocre rouge.
Dans un des coins de cette pièce existe un conduit de forme
conique, parfaitement conservé, au moyen duquel l'air et la
lumière pénétraient dans cette habitation souterraine.
Une communication existait entre cette habitation et le
temple.
Selon rindien qui remplissait les fonctions d'alcade (maire) de
Tetlama en 1777, il existerait un autre souterrain bien plus consi-
dérable que celui-ci et dont l'entrée se trouverait à plusieurs
lieues ; mais Alzate dit n'avoir pas eu le temps de s'y faire con-
duire.
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[ 442 UNE VISITE
I En 1769, on pouvait voir à Touest de la colline, sur la roule
qui va àMiacallan, une grande et belle pierre sculptée recou-
)/ vrantuntrou.
Elle représentait en demi-relief un aigle déchirant les entrailles
d'un Indien. En 1777, quand Alzate visita ces ruines, il ne put
retrouver que des fragments sur lesquels on apercevait quelques
parties de Taigle.
On remarque encore, aux environs de la colline, les vestiges de
quatre grandes et belles routes qui aboutissaient à Xochicalco.
Elles partaient exactement des quatre points cardinaux
Pour moi, ce temple a été bien certainement construit en
rhonneur de Quetzalcoall.
Je fonde mon opinion sur les bases suivantes :
1* Le mot Quetzalcoatl veut dire serpent emplumé ou serpent
à plumes vertes, de quetzal\ plumes vertes, ei coati, serpent.
Or la figure principale qui se retrouve tout le long de l'édifice
est celle d*un guerrier assis avec un casque sur la tête, orné
d'un long panache en plumes retombant en arrière : sur le
devant de ce casque s'avance la tête d un serpent; c'est le ser-
pent emplumé, c'est-à-dire Quetzalcoatl lui-même qui est sculpté
tout le long de l'édifice.
2*^ Ce casque a la forme d'une mitre, ce qui se rapporte bien
aux descriptions de Clavijero, Sahagun, Solis et autres auteurs
qui sont tous d'accord pour dire que, quand Fernand Cortez
détruisit le temple de Cholula, élevé en l'honneur de Quetzal-
coatl, ils remarquèrent tout d'abord la mitre qu'il avait sur la
tête.
3*" Tous les auteurs, en parlant de ce dieu, disent qu'il est
parti de Tula, est resté quelques années à Cholula, puis est
descendu vers le Goatzacualco où il s'est embarqué.
i) Quetzal. Il existe encore aujourd'hui dans la province de Quetzallenango,
qui sert de frontière au Guatemala et au Mexique, un oiseau assez commun
connu sous le nom de quetzal, nom qui a dû lui être donné à cause des belles
plumes vertes qui ornent sa queue.
C'est le Pharomarcus Moeina de la Slave, que nous connaissons vulgairement
sous le nom de couroucou.
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AUX RUINES DE XOCHICALGO
ui
En venant de Tulaà Cholula, il se serait arrêté à Xochicalco
qui se trouvait sur sa route. *
4* Enfin, le nom même de Xochicalco, qu'a conservé ce monu-
ment jusqu'à nos jours, le prouverait aussi ; car il est presque
certain que c'est Quetzalcoatl qui abolit les sacrifices humains des
Toltèques et les remplaça par des sacrifices d'animaux et de
fleurs. N'est-ce pas pour perpétuer ce souvenir qu'on aurait
élevé l'édifice auquel on a donné le nom de Xochicalco, dans
la maison des fleurs?
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SUR UNE NÉCROPOLE ROYALE
DÉCOUVERTE A SAIDA
Par m. J. HAMDY-BEY
Je suis arrivé le 20 avril 1887 à Smyrne pour faire part à
mon ami et collègue Démosthënes-Bey Baltazzi de la mission
archéologique qu'on nous avait confiée; il s'agissait de nous
rendre à Saïda pour étudier une riche nécropole tout réc^emment
découverte et d'extraire, de ses caveaux profonds, une série de
sarcophages qui venaient d'y être signalés.
Le 30 avril, en arrivant à Saïda^ nous nous sommes rendus
immédiatement sur le terrain et je suis descendu au moyen d'une
corde au fond du large puits qui donnait accès aux caveaux
contenant les sarcophages.
Ce puits, creusé dans une épaisse couche de calcaire, avait
une profondeur de 13 mètres. J*ai visité successivement les ca-
veaux; ils étaient au nombre de sept, et j'ai été frappé par la
richesse, la beauté et la variété des sarcophages en marbre qui
s'y trouvaient. Sur dix-sept sarcophages, neuf étaient couverts
de très belles sculptures polychromes.
Le lendemain, nous prenions toutes nos mesures pour pro-
céder sans retard à leur extraction, ce qui était loin d'être facile :
le plus grand d*entre eux mesurait 3'",30 de longueur et pesait
près de 15 tonnes.
Avec l'aide bienveillante de Sadik-Bey, gouverneur de Saïda,
qui a mis à notre disposition tout ce dont nous avions besoin,
et le concours intelligent de Béchara-Effendi, ingénieur en chef
du vilayet, un tunnel avec une pente de 12 0/0 fut percé, et tous
1) Cf. Revue archéologique , 3c sér., l. X, p. 138.
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SUR UNE NÉCROPOLE ROYALE DÉCOUVERTE A SAIDA 445
les sarcophages furent rétirés sans aucun accident. Le tout fut
l'affaire de vingt-cinq jours.
Cette riche nécropole sera l'objet d'une monographie déve-
loppée. Une partie du contenu est à la veille d'être expédiée au
Musée impérial de Constantinople.
Une seconde nécropole a été découverte par nous. Pour l'in-
telligence de la description que j'essaierai d'en faire, je joins
à ce mémoire un plan et une coupe générale des deux nécropoles
à la fois. (Voir p. 446 et p. 447.)
A l'angle nord-ouest du caveau V de la première nécropole et
au-dessus du sarcophage n"" 10 (voir la coupe), on remarquait
un trou irrégulier où un homme pouvait à peine s'introduire.
J'ai voulu me rendre compte de ce qu'il pouvait être et où il
pouvait aboutir; faisant donc venir une échelle, j'ai pu facile-
ment l'atteindre et y entrer à moitié, de façon à bien examiner
l'intérieur à la lumière d'une lampe.
J'ai reconnu sans peine un tombeau phénicien, que les viola-
teurs de la nécropole avaient dépouillé par ce petit trou qu'ils
avaient pratiqué. Ces violateurs avides frappaient avec un fer
les parois des caveaux et partout où ils entendaient un son creux,
ils devinaient l'existence, de l'autre côté, d'un tombeau ou d'un
caveau qu'aussitôt ils ouvraient. Celui-ci était absolument vide ;
pourtant, en ramenant par ce trou ce qu'il contenait encore de
terre et d'ossements, on avait trouvé, avant notre arrivée à
Saïda, quelques fragments de bronze informes. Une question se
présentait naturellement : c'était de savoir par où l'on avait
creusé ce tombeau et d'où l'on y avait introduit le mort dont je
voyais là les ossements. En y entrant alors tout à fait, j'en ai
examiné la partie supérieure et j'ai pu voir et compter cinq
grandes dalles qui le fermaient par en haut, posées transversa-
lement sur le tombeau.
Je fis part de mes observations à mon ami Baltazzi-Bey et
nous décidâmes, le 22 mai, d'ouvrir un puits de façon à tomber
juste sur ces dalles.
Le lendemain, après avoir enlevé 1"',20 de terre végétale,
nous rencontrâmes le grès calcaire ; faisant avancer alors nos
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i^^v.\i^îSî^^îS.>t^;;v^:^^p^
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448 SUR UNE NÉCROPOLE ROYALE
ouvriers de 2 mètres plus loin vers le nord, nous continuâmes
do creuser et, le 24, nous pûmes reconnaître les quatre parois
taillées à pic d'un grand puits rectangulaire. Les grands côtés
du sud au nord mesuraient 4 mètres, les petits côtés 3°,20;
ajoutons que les parois de ce puits étaient taillées avec soin. Il
descendait à travers une couche de grès calcaire très friable et
était rempli de décombres de même nature, mêlés de temps en
temps à de la terre végétale. Les ouvriers ont trouvé, posée
dans un creux sur la paroi du puits, une lampe en forme de
patère évasée et repliée, semblable à celles que M. Renan avait
recueillies à Saïda et que, d'après M. de Saulcy, on aurait ren-
contrées pareillement dans les tombeaux des rois à Jérusalem.
A 5 mètres de profondeur, nous avons aperçu les assises su-
périeures d'un mur sur le côté donnant au nord (voir la coupe).
Évidemment, nous avions là un mur qui fermait l'entrée d'un
caveau et nous étions heureux de constater qu'il était absolu-
ment intact. A 0'',50 plus bas paraissait sur la paroi opposée la
partie supérieure d'un caveau, précisément celui où se trouvait
le tombeau violé. Il n'était pas muré et on voyait qu'il était litté-
ralement rempli de décombres de même nature que ceux qui
remplissaient le puits. Le même jour, ont été trouvées d'autres
lampes semblables à la précédente.
Le 28 mai^ nous avons atteint, à une profondeur de 7", 50, le
fond du puits où la couche de grès calcaire (appelé dans le pays
ramlé) finissait et où paraissait le calcaire dur.
Le 29, de bonne heure, je suis descendu dans le puits accom-
pagné de Béchara-EfTendi et de quelques ouvriers, et j'ai fait pra-
tiquer une brèche dans ce mur intact en faisant retirer quelques
assises; alors, au moyen d'une lampe à magnésium, j'ai vu que
ce caveau ne contenait aucun sarcophage, que le plafond était
taillé en voûte, qu'il était, ainsi que les murs, revêtu d'un cré-
pissage épais et que ce crépissage s'était en grande partie détaché
et couvrait entièrement le sol.
J'ai observé aussi sur les murs du caveau de grands trous
qu'on avait symétriquement pratiqués, trous destinés à recevoir
de part en part d'immenses poutres dont on se servait pour des-
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DÉCOUYEBTE A SAIDA 449
cendre, au moyen des cordes qu'on y attachait, les sarcophages
ou les blocs de pierre de grandes dimensions. Partant, j'avais
lieu d'espérer de trouver, une fois le caveau nettoyé, des dalles
et sous ces dalles quelque sarcophage. J'ai fait entièrement dé-
barrasser la porte du mur qui l'obstruait en grande partie et J'ai
mis les ouvriers à déblayer le caveau.
Le caveau mesure 4™, 60 sur 3",40.
C'est alors que dans l'angle nord-ouest nous avons trouvé,
renversées et démontées par la chute du crépissage des murs et
du plafond, deux torchères en bronze et quelque» lampes en
terre cuite semblables aux précédentes. Ce crépissage atteint par-
fois une épaisseur de 0™,20; il est recouvert d'un mince enduit
gris bleu.
Les torchères sont d^une belle conservation et d'une jolie
patine ; elles ne sont pas de hauteurs égales. La plus grande
mesure 1",70 et l'autre 1",55. Elles se composent chacune de
trois parties. Un bois longeant intérieurement la tige les reliait;
ce bois était tout à fait pourri.
Une fois le caveau entièrement débarrassé de ce qui l'encom-
brait, j'ai vu qu'il était dallé de six blocs immenses dans le sens
transversal de sa longueur (page 450, plan 1"). Ces dalles étaient
en grès calcaire et de largeurs différentes, qui varient de 0",50 à
0",80 et avaient une longueur de 2", 60. La dernière, au fond du
caveau, plus élevée que les autres de O^jlS, formait une sorte
de banquette. En les dégarnissant des petites pierres taillées qui
faisaient bordure sur les quatre côtés, j'ai constaté que leur
épaisseur était de 0°*^65 et qu'elles reposaient elles-mêmes sur
d'autres blocs posés en sens inverse.
Il a fallu plus d'un jour pour briser et enlever cette première
rangée de dalles. Comme disposition, la seconde rangée était
toute différente de la première ; elle se composait d'une immense
dalle rectangulaire posée au milieu du caveau mesurant 3", 62
sur 1*,80, bordée de six dalles; celles-ci n'allaient pas jusqu'au
mur dont le crépissage continuait de descendre (p. 450, plan 2®).
En faisant enlever les six blocs qui servaient ainsi de bordures,
je fus tout étonné de trouver au-dessous une troisième rangée et
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Coupe jurKjL
S^Plaii
Grande pierre ^i cou^rre le Sarcophaye
^ H
't— ^ ^ -' ■ -'- lioM
Fig. 68. — Plan et coupe de la nouvelle nécropole.
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SUR UNE NÉCROPOLE ROYALE DÉCOUVERTE Â SÂIDÂ 451
de voir que la pièce du milieu descendait encore plus bas que
cette dernière (p. 450, plan 3*).
Le lendemain j'ai fait enlever cette troisième et dernière ran-
gée de bordures et le caveau ne contenait plus alors qu'un im-
mense monolithe rectangulaire, long de 3",42, large de 1°,70 et
épais de 1"^60, cubant 9",30 (p. 450, plan 4'). Le monolithe oc-
cupait le milieu du caveau dans son sens longitudinal. Il portait
dans la partie supérieure de son épaisseur huit rainures en fer à
cheval, trois sur chacun de ses grands côtés et une sur les petits;
les rainures avaient 0",12 de largeur et autant de profondeur.
Elles avaient servi à recevoir les câbles pour opérer la descente
de ce couvercle colossal, d'abord au fond du puits et ensuite
dans le caveau. On voyait parfaitement, par le grain de la
pierre, que ce grand bloc, ainsi que toutes les dalles qui l'entou-
raient, avaient été transportés d'ailleurs.
Le couvercle une fois dégagé de tous côtés, nous avons fait
venir deux crics, et» les mettant simultanément en action^ nous
sommes parvenus à le soulever d'un côté de 0",10 à 0",15, et
c'est alors seulement que j'ai pu voir, au moyen d'un jet de
lumière de magnésium, que ce monolithe recelait un magni-
fique sarcophage en marbre noir, de forme anthropoïde, admi-
rablement conservé et couvert d'inscriptions (p. 450, plan 5«).
Ce n'est que le lendemain, 30 mai, que j'ai commencé à faire
détailler ce monolithe par couches horizontales, de façon à
l'amincir de deux tiers de son épaisseur, afin de pouvoir le
soulever et le renverser contre les parois du caveau pour livrer
passage au beau sarcophage.
Cette opération terminée, nous avons pu enfin examiner
à notre aise cet objet presque unique et remarquable à tous
égards.
Onze lignes d'écriture hiéroglyphique couvraient en lignes
longitudinales^ le bas du couvercle à partir du large collier ter-
miné par un globe ailé ayant à sa gauche et à sa droite d'autres
signes hiéroglyphiques. Une inscription phénicienne gravée
avec soin couvrait à son tour la partie horizontale des pieds ;
cette inscription a sept lignes et demie. Comme dans le sarco-
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432 SUR UNE NÉCROPOLE ROÎÀLE
phage d'Eshmounazar, le collier est attaché sur les épaules par
deux têtes d^épervier.
Voici les différentes mesures du couvercle :
Longueur de la tête au pied 2", 30
Largeur des épaules l^jlO
Largeur des pieds 0",80
Épaisseur des pieds O^jiO
Longueur des lignes hiéroglyphiques 0",70
Largeur — — 0",10
Longueur de Tinscription phénicienne 0",37
Une bande d'écriture hiéroglyphique fait extérieurement le
tour de la cuve ; celle-ci est de même forme que celle du sarco-
phage d'Eshmounazar.
La fosse où était déposé cet objet précieux était admirable-
ment taillée; on avait pris à cet effet des soins tout particuliers.
Ces bords et ces parois étaient d'une netteté remarquable : un
parallélépipède parfait, ayant 2", 60 sur 1",20 et 1",50 de pro-
fondeur. On n'avait pas oublié de prendre le milieu de chacun
des petits côtés en le marquant d'un trait rouge, afin de poser les
sarcophages juste sur Taxe longitudinal. Il touchait presque les
parois du côté des épaules; on avait aussi rempli de petites
pierres et d'une sorte de mortier le peu d'espace qui restait tout
autour. Tout ceci rendait l'ouverture et l'extraction du sarco-
phage très difficiles. Nous avons pourtant réussi à le faire sans
qu'aucune ébréchure ni rayure se soit produite.
Nous avons d'abord enlevé le couvercle que nous avons dé-
posé immédiatement dans une caisse provisoire en attendant
qu'un passage lui fût préparé à travers le caveau opposé et le
tombeau violé n° l (p. 446), que les ouvriers déblayaient déjà.
Nous avons préféré l'extraire en le passant ainsi dans l'autre
nécropole et lui faire prendre le tunnel que nous avions déjà
percé pour la sortie des sarcophages de la première nécropole.
Le sarcophage contenait le corps d'un homme relativement
fort bien conservé. Toute la partie supérieure, émergeant d'une
couche do vaso jaunAtro qui remplissait le fond de la cuve, était
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DÉCOUVERTE A S AIDA io3
décharnée. La poitrine était défoncée» le sternum et les doigts
des pieds ainsi que les mains avaient disparu. Un bandeau en
feuilles d'or très mince de 0",20 de longueur, se trouvait sur la
clavicule gauche. J'ai fait sortir le corps, et, l'ayant étendu sur
une planche, je Tai fait porter dehors (Voy. pi. IV). Murad-
Ëffendi, le médecin municipal de Saïda, a bien voulu se charger
de le nettoyer et de le mettre en état d'être transporté à Cons-
tantinople. Tous les muscles des parties postérieures sont par-
faitement conservés^ ainsi que les organes intérieurs du thorax
et de l'abdomen. Dans le principe, le cadavre était étendu sur
une planche légèrement concave occupant le fond de la cuve et
en prenant la forme. Cette planche, parfaitement conservée, est
en bois de sycomore; elle a 1°,84 de long, 0™,32 de large du
côté de la tête et 0",21 du côté des pieds. De chaque côté elle
était munie de six anneaux en argent, dont un existe encore sur
la planche. Ils étaient fixés au moyen de clous dont les pointes,
après l'avoir traversée de part en part, ont été repliées à coups
de marteau. On ficelait fortement le cadavre des pieds à la tête
le long de cette planche sur laquelle on voit encore très distinc-
tement, près des anneaux, la trace qu*ont laissée les cordons.
Dans un autre grand sarcophage anthropoïde et parfaitement
intact qu'il nous a été donné d'ouvrir, nous avons également
trouvé le corps étendu sur une planche identique de forme ;
mais, au lieu d'anneaux, on s'était contenté de pratiquer de
simples trous qui servaient à ficeler le corps. J'ajoute que nous
avons trouvé dans un troisième sarcophage anthropoïde en mar-
bre blanc la même planche portant des anneaux en bronze fixés
de la même façon. Dans plusieurs autres tombeaux phéniciens,
nous avons recueilli autour du cadavre, absolument détruit par
l'humidité, des fragments nombreux de bandelettes. Les Phé-
niciens, suivant en cela la mode égyptienne, avaient la préten-
tion de momifier leurs morts, mais ils pratiquaient fort mal cette
opération. Dans le tombeau qui nous occupe, nous n'avons
trouvé aucune trace de bandelettes. Il semblerait donc que le
corps a tout simplement été embaumé. J'ajouterai que nous avons
observé l'existence dans ce sarcophage d'une certaine quantité
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454 SUR UNE NÉCROPOLE ROYALE
de sable très fin ; nous en avons également trouvé dans trois
autres sarcophages anthropoïdes qu'il nous a été donné d'ouvrir
avant celui-ci.
Pendant que nous nous occupions à sortir ce beau sarcophage
royal de la fosse profonde où il se trouvait^ plusieurs de nos ou-
vriers avaient déjà achevé de déblayer le caveau du sud; nous
avons pu donc nous mettre aussitôt à ouvrir le tombeau n"" 2. Il
était excessivement mal fait et tout à fait semblable à celui que
les violateurs de Tautre nécropole avaient dévasté. Dans ce
tombeau, le corps ainsi que la planche à laquelle il était attaché
avaient tout à fait disparu. Nous avons recueilli les objets sui-
vants :
1 bandelette en feuille d'or;
1 collier en or ;
2 bracelets en or;
2 yeux symboliques en or ;
13 perles en or;
1 bracelet historié avec pierres de couleurs, ayant au milieu un
œil de chat;
1 cylindre onyx dont un bout porte une cage en or ;
13 perles en cornaline;
1 œil symbolique en cornaline ;
7 petites perles en émail bleu;
2 gros kalkals en argent;
1 épingle en argent dont le bout porte une tète de serpent;
1 épingle plus petite en argent ;
1 étui brisé en argent ;
12 anneaux minces en argent;
1 miroir en bronze uni, avec poignets;
Différents objets en ivoire (brisés);
7 anneaux en bronze qui appartiennent à la planche sur la-
quelle on avait étendu et attaché le corps.
Les deux tombeaux, n"* 4 et n"" 5 (p. 446), n'avaient ni dalles
ni couvercles. Les fosses étaient simplement couvertes de terre
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DÉCOUVERTE Â SÂIDÂ 45S
et de pierres presque jusqu'à la voûte du caveau et l'entrée de
celui-ci était murée.
En dehors de quelques fragments d'ossements qui tombaient
en poussière aussitôt qu'on les touchait, nous n'y avons rien
trouvé. Le caveau du sud, ainsi que les tombeaux qu'il conte-
nait, étaient d'une exécution très défectueuse.
Le terrain sur lequel ces deux nécropoles ont été découvertes
se trouve dans la plaine en bas de Hilalié, entre l'aqueduc et les
jardins. Celui qui le longe s'appelle Bostan-el-Mazara (jardin des
grottes). On y voit en effet l'entrée de deux grottes allant de
l'ouest à Test et s'engageant sous notre terrain.
Le terrain est connu sous le nom de Ayaa. Ce mot n'est pas
arabe. Parmi les habitants d'Alep, on parle, me dit-on, d'une
reine juive légendaire qui s'appellerait Ayaa, Ainsi, à une
femme qui se donne des airs de grandeur en marchant, on dit
qu'elle marche comme Ayaa.
J'ai remarqué qu'ici, en parlant l'arabe, on remplace la lettre
kaph par avn. Ainsi, au lieu de Kaleh, Kassir^ Kariby ils disent
Aalehy Aassir et Aarib. Supposons donc la même corruption dans
le mot Ayaa; il faudrait chercher si Kayaa a une signification
en arabe.
Le terrain des nécropoles se trouve à 34 mètres de hauteur
au-dessus de la mer et il en est éloigné de 1,250 mètres.
En dehors du tombeau n^ 1 qui avait été dévasté par les vio-
lateurs de la grande nécropole, tous les autres avaient heureuse-
ment échappé à la convoitise des violateurs de sépultures.
Je dois dire, à mon très grand regret, que ceux d'aujourd'hui
ne sont pas moins terribles que ceux des âges précédents. La
même rapacité et le même vandalisme continuent leur œuvre de
destruction, et, ce qui est le plus désolant, c'est que de soit
disant Européens, représentant à Saïda certaines grandes puis-
sances^ dans leurs propres intérêts et animés du plus grand
esprit mercantile, se mettent à la tête de cette dévastation ; non
contents de cette spéculation clandestine, on nous assure que,
dans un village des environs de Saïda, ils patronnent une
fabrique d'objets antiques et de fausses inscriptions ; mais pour
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456 SUR UNE NÉCROPOLE ROYALE DÉCOUVERTE A SAIDA
sauvegarder les întérêls de la scîence et pour que les explora-
teurs archéologues ne soient plus exposés à être dupes, je n'ai
pas manqué de prendre les mesures administratives les plus
sévères, afin de mettre un terme à cet état de choses déplorable.
J ajoute en terminant que, quoique Saïda et ses environs aient
été bien saccagés, il y aurait encore de véritables trésors à y dé-
couvrir.
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VARIÉTÉS
Lettre à M. D. O. Brinton, à propos de ta broohnre « Were
the Tolteos an historié nationality. »
Mon cher monsieur Brin ton,
Je viens répondre à votre brochure, mais je veux le faire comme de vive voix,
comme si nous causions tous les deux et sans être obligé de reprendre en sous-
œuvre les historiens dont les citations émaillent mon ouvrage les Anciennes
villes du Nouveau Monde, ainsi que mon étude sur la civilisation loltèque pu-
bliée dans la Revue d'ethnographie. J'espère qu*à vos yeux cela n*enlèvera rien
de scientifique à ma réponse : cela m'évitera un travail long et fastidieux puisque
je Tai déjà fait et cela me rendra plus facile à comprendre. Car c'est surtout la
clarté après laquelle je cours, et c'est pour cela que je me suis cantonné dans
les temps historiques et que je me suis attaché k Thistoire proprement dite,
plutôt qu'aux mythes que vous cultivez avec ardeur, et auxquels le public et
moi nous n'avons jamais rien compris.
Car, qu'est-ce qu'un mythe ? C'est, dit Littré : <c un récit relatif à des temps
ou à des faits que l'histoire n'éclaire pas et contenant soit un fait réel trans-
formé en notion religieuse, soit ^invention d'un fait à laide d'une idée. Le
mythe est un trait fabuleux qui concerne des divinités ou des personnages
qui ne sont que des divinités déQgurécs. )>
Un mythe est donc ce qu'il y a de plus incertain, une chose au sujet de la-
quelle, chacun selon son système, la tournure de ses études ou de son esprit,
peut se livrer aux interprétations les plus diverses.
Et qu'est-ce que l'histoire ? Inutile n'est-ce pas de vous en donner la défini-
tion que tout le monde connaît. Je sais bien que votre siège étant fait, vous la
nierez cette histoire, quoique vous appuyant quelquefois sur les auteurs
mêmes qui la défendent ; c'est que dans ces compilations naïves et précieuses,
pleines d'anachronismes et de contradictions, chacun suivant le système qu'il
préconise peut trouver dans le même historien, des armes pour défendre une
cause et des armes pour la combattre. Telle citation choque par son invraisem-
blance et telle autre vous frappe par son air de vérité ; il faut savoir choisir.
Les anciennes chroniques du vieux monde sont également pleines de récits
fabuleux qu'il faut éliminer et Fernando Hamirez, le plus remarquable et le plus
savant des Mexicains modernes, vous l'admettrez comme moi, le prend de haut
quand il parle des historiens et des chroniqueurs de son pays. « Je ne consi-
dère pus, dit-il, comme plus authentiques les renseignements contenus dans les
histoires grecques et romaines, que ceux que nous trouvons dans Ixtlixochitl,
VI ol
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458 VARIÉTÉS
TézozomoCy Veytia et tant d*autres qui ont puisé à des sources aussi claires
que celles où se sont abreuvés Hérodote, Quinle-Curce et Denys d'Halicar*
nasse etc. »
J*ai donc cru, vous qui m'accusez, pouvoir accorder toute confiance aux
historiens que vous citez vous-même, encore que vous ayez oublié parmi les
anciens, Herrera, Torquemada, Sahagun, Cogolludo, Il est vrai que la plupart
se sont plus ou moins copiés les uns les autres, mais tous nous font, au sujet
des Toltecs, un tableau historique si complet, ils s'accordent si bien pour nous
dire d'où ils viennent, ce qu'ils ont fait et où ils allèrent après leur chute, qu'il
st impossible que l'ensemble de ces relations puisse être classé parmi les
fables. Mais nous pourrions même au sujet de ces Toltecs qui ont le privilège
de vous exaspérer, nous pourrions nous en rapporter au seul Landa qui, lui,
écrivait son Histoire des choses du Yucatanvecs 1560, ne connaissant rien de ce
qu'avaient écrit ou de ce que devaient écrire ses collègues, puisque rien ou
presque rien, n'avait encore été publié à ce sujet. Il ne s'inspira donc de per-
sonne, et cependant il nous dit des Toltecs, de leur migration et de leur arrivée
dans la presqu'île yucatèque, par l'orient et par le midi ce que devaient nous en
apprendre plus tard les autres historiens qui ne connaissaient pas plus Landa
qu'il ne les connaissait. Il avait donc recueilli sur place les traditions qu'il nous
donne, traditions qui avaient cours dans la péninsule comme sur les hauts
plateaux, ce qui leur prête, il faut bien l'avouer, un caractère de vérité incon-
testable.
Maintenant vous indiquez sous le vocable humoristique d'orthodoxes tous les
modernes qui, comme moi, ont attribué aux Toltecs la civilisation de l'Amérique.
Mais vous semblez oublier, mon cher monsieur Brin ton, que ces hommes s'ap-
pellent Hambolt, Fernando Ramirez, Prescott, Orozco y Berra, Stephens dont
rien ne pouvait dérouter l'imperturbable bon sens, le baron de Fridrichsshal, et
tant d'autres qui certes n'étaient pas les premiers venus. Et il ne s'agit pas
d'une foule, constituant ce fameux consentement universel qu'on invoque
comme preuve d'une vérité plus haute -^ non, il s'agit d'une élite de penseurs^
de savants, d'historiens et de voyageurs dont le mérite, la science et l'esprit
d'observation ne sauraient être mis en doute et dont les opinions ne sauraient
être mises à néant par l'interprétation douteuse de mythes plus douteux encore*
Et ne voyez-vous pas qu'en récusant comme vous le faites l'autorité de tant
d'hommes remarquables, anciens et modernes, vous sapez par la base l'histoire
de l'Amérique, qu'il n*en reste plus rien et que toute discussion devient impos-
sible ? Serez-vous le seul à la fonder celte science, à la rétablir cette histoire ?
Et sur quels fondements ? Sur l'interprétation de textes que vous êtes seul à
comprendre I Mais me prenant à part, vous dites dans Tune de vos notes : « Et
Chamay va jusqu'à nous donner dans son ouvrage : Anciennes villes du Nouveau
Monde f une carte de l'émigration de^ Toltecs I » Vous semblez à ce sujet vous
voiler la face et crier à l'abomination de la désolation. Je n'ai cependant fait là
mon cher Brinton, que l'office d'un reporter ; j'ai pris du nord-ouest à Tula
l'itinéraire que nous ont donné Veytia, Ixtlixochitl et d'autres, itinéraire con-
firmé par les stations des émigrants et les monuments qu'y ont retrouvés
les explorateurs modernes. Ces monuments appartiennent à quelqu'une des
tribus nathuas n'est-ce pas? peut-être à plusieurs? Et comme toutes ces
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« WERE THE TOLTECS AN HISTORIC NATIONALITY » 4S9
tribus sont de même race et que partout, en fait de monuments, ces monuments
se ressemblent comme nous l'avons déjà démontré, et comme nous le démon-
trerons encore tout à Theure, on pourrait au besoin en attribuer une part à
chaque tribu sans exclure les premières, olmèques et toltèques.
 partir de Tula pour aller dans le sud, Yucatan et Guatemala, j*ai suivi
également les historiens cités plus haut qui divisent Témigration toltèque en
deux branches, l'une se dirigeant par les rivages du Pacifique, Tautre suivant
les bords du golfe par Tabasco et la presqu'île yucatèque. Mais, en vérité, je ne
crois pas avoir fait preuve d'une grande audace puisque les faits sont venus
confirmer tout ce que nous avaient dit ces mêmes historiens au sujet de Texode
de la race toltèque, après les calamités qui provoquèrent sa dispersion.
C'est que, je ne m'en suis pas tenu aux témoignages des chroniqueurs ; j'ai
voulu voir par moi-môme ; j'ai cherché des preuves matérielles qui concor-
dassent avec leur dire, et je les ai trouvées. Il s'agit des monuments, pyra-
mides, temples et palais qui par étapes, dans l'Amérique centrale, affirment le
passage de la race civilisatrice. C'est ainsi que, la suivant presque instinctive-
ment à la piste, j'ai été conduit au Blasillo, à Comalcalco (Centla) d'où, pre-
mière bifurcation d'une branche se rendant à Potonchan dans la péninsule
yucatèque pendant qu'une autre branche s'établissait à Palenqué, pour essai-
mer plus tard au sud et au sud-est à Ocosingo, à Lorillard, à Tikal et de là,
s'enfoncer au sud dans le Guatemala, tandis qu'une autre remontait au nord
dans la presqu'île, où cette branche, les Tutulxius, vase heurter contre la pre-
mière, la branche des Gocomes arrivée avant elle. Et ces noms je ne les ai pas
inventés, mon cher monsieur Brinton, c'est encore Landa, comme d'auU'es après
lui, Herrera, Torquemada, Cogoiludo, etc., qui nous les a donnés; nous pouvons
leur joindre parmi les écrivains modernes, Juan Pio Perez, Eligio Ancona, et
l'évéque Crescentio Carîllo y Ancona qui, dans leurs ouvrages, ont si bien vul-
garisé cette histoire qu'elle a cours dans la jeunesse yucatèque et au Mexique
comme la venue des Francs dans la Gaule et l'arrivée des Anglais en Amérique.
Quant à l'itinéraire du Pacifique, avec embranchement de Tikal dans le sud
qui nous conduit à Gopan, où se réunissent les descendants des anciens émi-
grés, je l'ai démontré par l'étude des monuments qui, pour la première fois,
prennent un caractère composite.
Vous pourriez bien me dire encore que ces monuments ne signifient absolu»
ment rien et qu'ils peuvent appartenir à des races diverses. L'objection ne
serait pas sans valeur si ces palais et ces temples étaient divers et si chacun
d'eux avait une physionomie particulière; mais non, ils se ressemblent tous et
par leur configuration générale et surtout par leur décoration*
Ainsi, vous devez connaître, vous connaissez certainement les ruines de
Xochicalco * qui sont toltèques, au dire des historiens, et point aztèques comme
nous le démontrerons tout à l'heure. Eh bien I j'ai les photographies de Xochi-
calco devant moi et je voudrais pouvoir vous montrer sur l'un des grands pan-
neaux de pierre le Quetzalcoatl sculpté sous une forme identique à celle où nous le
retrouvons dans le manuscrit Troano, page xxvii de la première partie. Le corps
du sujet est accompagné de signes symboliques, cartouches et katunes sem-
I) Voy. plus hant, p; 43t)-443.
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460 VARIÉTÉS
blables à ceux de Palenqué, du Yucatan et du Guatemala. De la bouche du
dieu s^échappe la double volute, symbole de la prédication, de la prière ou de la
parole que nous voyons également dans la figure du manuscrit Troano, comme
aussi chez les personnages des bas-reliefs, de toutes les villes de l'Amérique
centrale et jusque sur les bas-reliefo de Santa-Lucia Gosumalwhuapa, où cette
même volute est simple au lieu d'être double.
Une autre de ces photographies nous offre un bas-relief avec personnages
assis à Torientaie avec costumes et coiffures qui reproduisent absolument ceux
que nous ont donnés Stephens etMaudslay sur la tranche de l'autel de Copan.
Ce sont là, en dehors de beaucoup d'autres, des analogies si frappantes qu'elles
désignent un même peuple ou tout au moins un seul et même civilisateur
comme Tauteur de tous ces monuments.
Pour vous, si j'en crois voire brochure, les Aztecs seraient les seuls repré-
enfants de la civilisation américaine. C'est, permettez moi de le dire, une raison
qui donne un démenti flagrant à l'histoire la mieux connue et aux relations les
plus claires touchant les Aztecs.
La légende des tribus qui sortirent des caves s'étale dans tous les chroni-
queurs, et ils nous donnent par rang d'ancienneté l'ordre dans lequel chacune
d'elles se dirigea vers la vallée de Mexico. Les premiers de ces gens furent les
Xochimilcas, puis les Chalcas, les Tepanecas, les Tlaluicas et en dernier lieu
les Mexicas. Le père Duran dit les Mexicanos, ou les Aztecas.
Les Aztecs vinrent donc les derniers, et si dans leur migration ils s'arrêtèrent
à Tula, je le sais comme vous, mais ce fut longtemps après l'exode des Toitecs
et ce fut après l'occupation de celte même ville par les Ghichimecs, double
occupation que j'ai signalée et dont les traces sont bien visibles dans les modi-
fications et les raccords que chaque occupant fit subir aux anciens édifices.
Il est donc bien avéré que les Aztecs arrivèrent les derniers et fort tard dans
a vallée de Mexico, occupée déjà par des peuplades civilisées, couverte déjà
de belles et grandes villes, et si parfaitement occupée, que les malheureux
n'y trouvèrent pas de place. Cependant, après maintes tribulations que vous
connaissez comme moi et qu'il est inutile de rappeler, après avoir été les
esclaves du roi de Culhuacan, on les tolère dans les iles fangeuses de la
lagune, où malgré les difficultés du milieu ils prospèrent et se multiplient. Ce
fut alors que, commençant à se sentir plus robustes, et désireux de rompre
avec les populations environnantes pour se constituer un caractère propre, en
rapport avec leur nature sauvage, ils massacrèrent la fille d'Achitometl, roi de
Culhuacan, pour en faire leur déesse Toci. Plus tard et jusque sous le règne
de leur quatrième empereur Itzcoatl, 1425 à 1438, ils n'étaient encore qu'un
pauvre peuple sans monuments et subissaient le vasselage des rois tépanèques
d'Azcapotzalco. Cela ne prouve-t-il pas bien clairement qu'ils se présentèrent en
mendiants, qu'ils étaient des plus misérables, qu'ils apprirent des autres tout ce
qu'ils acquérirent plus tard et qu'ils ne furent jamais des civilisateurs ?
Je m'étais promis dans cette causerie d'éviter les citations; mais vous semblez
vous appuyer beaucoup sur le père Duran pour nier l'existence des Toitecs. Or, au
chapitre lxxix de son ouvrage, tome II, page 73 et suivantes, Duran nous parle
de Topiltzin, nous dit que c'était un prêtre et que ce nom était synonyme de
QuetzalcoatI; c'était en même temps le nom d'un empereur toltèque. Il ajoute ;
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« WERE THE TOLTECS AN HISTORIC NATIONALTTY » 461
<c Cet homme vivait chasle et dans la pénitence; il s'appliquait à construire
des autels et des temples; il dormait dans les temples mêmes qu'il avait édi-
fiés (mais pas tout seul je pense) et c'était là que ses disciples auxquels il
apprenait à prier et à prêcher se réunissaient. L'on appelait ces disciples Tolte-
cas, ce qui veut dire, officiers ou sages en certains arts. » Plus loin :
<c Ce Topiltzin était venu de pays lointains^ ou bien il semble être apparu
sur cette terre, parce que Ton n'a peu de relations exactes de l'endroit d'où i^
serait venu. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'aussitôt son apparition, lui et ses
disciples commencèrent à construire des autels et des temples, se consacrant à
l'éducation des peuples. Ils allaient ainsi prêchant dans les vallées, faisant des
choses merveilleuses qui passaient pour des miracles, de sorte que dans leur
admiration , les peuples leur donnèrent le nom de Toltecas ; et lorsque je
demandais : Qui donc a fait cette ouverture dans la montagne ? Qui donc fit jaillir
cette fontaine ? Qui construisit ce temple ? Ils me répondaient : Ce sont des
Toltecas. »
Vous avouerez que rien de tout cela ne peut s'appliquer aux Aztecs qui, du
reste, étaient bien loin d'entrer en scène à cette époque, tandis que tout se
rapporte à cette tribu civilisatrice inconnue selon Duran, qu'on nous a présentée
sous le nom de Toltecs, et que lui-même appelle aussi Toltecas ; puis Duran
nous parle de la grande persécution soulevée contre Topiltzin Quetzalcoati, par
Tezcallipoca, persécution racontée tout entière dans les historiens et qui, comme
toujours, est bien antérieure aux Aztecs, et il ajoute parlant des manuscrits :
« Quant aux autres figures, ce sont celles des disciples qu'on appelait Toltecas
et fils du soleil, ces gens qui laissèrent tant de grandes choses et d'œuvres
mémorables; ils eurent leur siège principal à Cholula, encore qu'ils coururent
toute la terre, ils occupèrent cet emplacement avant que des Cholultecas n^arri-
vassent; et ils furent les civilisateurs des montagnes de Tlaxcala, dont ils appe-
laient les gens Chichimecs, les géants, etc. »
Ici, mon cher monsieur Brinton, nous ne sommes plus en présence d'un
mythe, mais d'une légende, qui dans sa concision et sa demi-obscurité, s'ac-
corde si parfaitement avec les historiens de la civilisation toltèque, que je me
borne à la citer presque sans commentaire; carne vous semble-t-il pas que
enseigner la morale, prêcher une religion nouvelle, construire des édifices,
c'est civiliser; ne vous semble-t-il pas que ce prêtre, ce dieu ou ce roi avec ses
nombreux disciples ou sujets, font œuvre de civilisateurs, et n'est-il pas étrange
que l'auteur même que vous citez pour nier leur existence, vienne justement pré-
coniser leur rôle ? Mais n'avons-nous pas d'autres exemples d'un même rôle joué
par d'autres civilisateurs et dans des circonstances semblables? Tels des
Bouddhistes, en bien petit nombre, qui civilisèrent Java et couvrirent l'île
entière de monuments comme les^Toltecas, en couvrirent les plateaux de l'Ana-
huaca et les plaines et les montagnes de l'Amérique centrale.
Et puis, remarquez, je vous prie, cette phrase que j'ai soulignée et qui renverse
de nouveau votre théorie aztèque : « Ils occupèrent (les Toltecas) cet emplace-
ment avant que les Cholultecas n'arrivassent. » C'est-à-dire, bien plus long-
temps encore avant l'arrivée des Aztecs.
Eh I bien, mon cher monsieur Brinton, dans cette histoire que je me suis
efforcé de reconstruire en m'appuyant sur les documents que je cite et sur le
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462 VARIÉTÉS
monuments que je présente, tout le monde m'a compris ; c'est que toute chose
vraie paraît claire et que dans ma poursuite de l'histoire toltèque, tout se tient,
s'enchaîne, se raccorde et s'harmonise ; et vous me pardonnerez de vous dire,
que l'éloge qui m*a été le plus sensible, est celui de gens absolument neufs
dans les choses d'Amérique, m'assurant que dans mon ouvrage, tout leur
paraissait si clair qu'il leur semblait impossible que cela pût être autrement.
Ce n'est pas tout à fait votre avis et je le regrette fort, car amener à mes
opinions et convaincre un homme comme tous, me serait une g loire incompa^
rable. Mais, ne serait-ce point ce nom de Toltec qui vous choque ? Il est facile
d'admettre qu'un nom puisse vous être, comme une personne, instinctivement
des plus antipathiques, et vous semblez abhorrer celui-là?
Dans ce cas, nous pourrions peut-être nous entendre ; car les Toltecs aussi
bien que les Olmecs et les Xicalancas appartenaient comme les six tribus & la
même race et à la même langue. Ils se fondirent même si bien avec ces deux ^
premiers, qu'ils ne firent qu'un seul peuple, et puis: « Whafs in a name?
That which we call a rose, by any other name would smell as sweet. » Qu'est-ce
qu'un nom? Ce que nous appelons une rose, nous donnera-t-il moins de
parfum pour s'appeler d'un autre nom ? Et toltèque, olmèque ou xicalanca cette
civilisation n'en restera pas moins une, obéissant du nord au sud à une même
impulsion, et datant à peu de chose près de l'époque qu'on lui prête ; laissons-
lui donc le nom de toltèque qu'elle porte depuis plus de trois siècles et qu'il
serait bien difficile de changer aujourd'hui.
Je termine, mon cher monsieur Brinton, mais non pas comm« vous, qui
nous appelez Orthodoxes d'abord, pour nous accuser ensuite de n'être pas
des scholars. Je sais que vous êtes un vrai scîwlarf et l'un des meilleurs et des
plus savants... en fait de mythes. Tout le monde coni>aîtvos recherches et vos
nombreuses publications ; mais à quoi cela vous servira-t-il si vous n'êtes poin^
dans la vérité?
Désire Charnay.
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NOTES SUR MADAGASCAR 463
NOTBS SUR MADAGASCAR
RITES FUNÉRAIRES
Dans le numéro de mai-juin 1886 de la Revue (t. V, n» 3, p. 213-232),
M. Alfred Grandidier publiait un tableau d'ensemble des rites funéraires à Ma-
dagascar, mais il se réduisait à ne tracer que les grandes lignes, s'interdisanl
d'entrer dans le détail des cérémonies.
Nous voudrions y ajouter aujourd'hui quelques traits et éclairer quelques
points restés forcément dans l'ombre.
Parti à la recherche des restes du docteur Rutemberg, massacré parles naturels
du pays d'Ambre, le voyageur allemand J.-M. Hildebrandt, mort lui-même
k la peine dans la grande île, explora la côte ouest en 1879 et 1880.
Il écrivit d'Hellviile (Nosi-Bé) à M. Virchow pour lui rendre compte de sa
mission ; le professeur académicien fit b l'Académie des sciences de Berlin, au
nom dUIildebrandt, le 19 décembre 1879, une communication où nous relevons te
passage suivant : « J*ai découvert ici (Nosi-Komba) un lieu de sépulture des
Sakalaves', qui se trouve dans les interstices des rochers de la côte, formant
des sortes de grottes, à un endroit presque inaccessible dans les profondeurs
éloignées du littoral. Les Sakalaves de ce pays choisissent en général des lieux
semblables *. Ces lieux sont « fadi » (tabou) pour les étrangers, tandis que les
Sakalaves visitent, à certaines époques, les reliques de leurs ancêtres et leur
font des offrandes Ainsi j'ai trouvé des vases de parfums, des bouteilles pleines
de rhum, etc.
« Les cadavres (vingt environ en cet endroit) sont en grande partie enfer-
més dans des cercueils ; et, en général, on a employé à cet usage la moitié d'une
pirogue préalablement recouverte.
u L'ouverture formée par la coupe opérée transversalement est fermée avec une
planche de bois. Cette planche est munie d'une poignée : il est à présumer
qu'elle est retirée pendant les cérémonies et qu'alors le squelette devient visible.
Le crâne est placé à l'entrée.
« Un des cadavres, — qui paraissait avoir été placé 1& récemment, — était
entouré d'un vêtement de lames de bambous, aplaties en planchettes, qui l'en-
fermaient complètement. »
Ce passage méritait d'être reproduit, parce que Hildebrandt est bien le pre-
mier et le seul jusqu'ici, à notre connaissance, qui ait découvert et signalé, à
Madagascar, ce singulier mode de sépulture, consistant à employer comme
cercueil la moitié d'une pirogue coupée en deux transversalement.
Sans quitter les Sakalaves, citons quelques traits des funérailles d'un chef
chrétien, empruntés au R. P. Taix (Ann. de la Prop. de la Foiy t. XLII (1870)
Il MonaUbericht der A. Preuss. Akad. der Wisientch. su Berlin, Pebniar 1880, p. 113.
Nosi-Komba se trouvant à la côto nord-est, noas serions plutôt porté à croire qu'il s'agissait de
sépultures antankares.
21 Voy. Bev. arEthnog. t. V, n* 3, p. 2fS-216, cas analogue cité par M. Grandidier; cercueil
de bois rapporté par M. Germinet de Nosv-Loapasana (ilc du Sépulcre, baie de Diègo-Suarez), et
t. VI, n* 1, p. 8, le cas que nous citons d'après M. Victor Marin-Darbel : « Sur la cote nord-ouest
de la baie Mahajamba, dit cet offlcier de marine, nous avons examiné une grotte naturdle remplie
de débrist de cercueils en bois tombant mi poussière, et de squelettes. »
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464 VARIÉTÉS
p. 375') : « Au jour de la sépulture, les parents du défunt revêtent le corps
de plusieurs lambas ou tapis, évalués en moyenne à vingt-cinq francs chacun.
On met dans la bouche du mort autant d*argent qu'elle en peut contenir, et on
place auprès de lui les objets les plus précieux qu'il a acquis dans sa vie. Du-
rant trois od quatre jours, on chante, on fait de la musique devant la bière
richement ornée, tandis que les parents, accroupis dans un coin, semblent plon-
gés dans la plus profonde consternation. C'est cependant un jour d'orgueil
pour la famille, et elle tient à tout ce mouvement plus qu*à la vie. On tue des
bœufs, des moutons, de la volaille pour nourrir les visiteurs qui viennent en
foule pleurer quelques minutes, et qui, de leur côté, offrent aux parents un peu
d'argent en cadeau, chacun selon ses moyens. Le temps du deuil dure jusqu'à
la sépulture, pour laquelle on attend d'ordinaire que le cadavre soit près de la
décomposition et qu'on ne puisse plus le garder dans la maison ; alors seule-
ment on se résout à le mettre dans le tombeau en pierre qui lui est préparé. »
Au début de cette description, le P. Taix signale la coutume de remplir la
bouche du mort d'autant d'argent qu'elle en peut contenir : c'est également la
première fois que nous rencontrons mention de pareil fait à Madagascar.
Hildebrandt, cité plus haut, pénétra, en juin 1879, dans un village Antankor-
rana Nosi-na-Ândiana, sur la côte ouest, non loin du cap Saint-Sébastien, l^es fils
du chef qui le reçurent « s'excusèrent de ne pouvoir le recevoir dans un cos-
tume plus soigné : il y avait un cadavre dans le village et ils devaient se vêtir
le plus simplement possible. »
u Je dus bientôt, raconte le voyageur allemand*, faire connaissance plus
intime avec ce cadavre par l'ouïe, par la vue et par l'odorat. Il se trouvait
étendu dans le village, sous un petit toit, sur des pieux d'environ i^,^ de
haut, fourchus à la partie inférieure, les pieds plus bas que la tête. Il était là
depuis six jours et, par suite, en complète décomposition. On Tavait dépouillé
de ses vêtements, mais non lavé, puis revêtu d'une enveloppe de planchettes
de bambou indépendantes les unes des autres, mais reliées entre elles par des
fils de raphia. Ces liens sont, à partir du troisième jour après la mort, resserrés
plus étroitement chaque jour et si solidement que la chair décomposée se résout
en un liquide qui s'écoule par les interstices ou les fentes et se déverse goutte
à goutte dans un fossé profond de 50 centimètres. C'est une horrible puanteur
tout alentour ; mais personne ne peut faire un geste de dégoût, ni se boucher
le nez, ni cracher ; sinon il devrait être mis à mort « selon la coutume ». On ne
peut vraiment reprocher à ces gens de s*enivrer jour et nuit pour supporter
pareille épreuve. Le boire et le manger jouent naturellement un grand rôle
dans les cérémoaies funéraires... On tire des coups de fusil, tant qu'on a de la
poudre. Au chevet du cadavre flambe sans cesse un feu ; auprès des épaules
et des pieds sont placés des brûle-parfumn, où Ton consume de la résine. La
nuit trois hommes couchent tout près du cadavre, un de chaque côté et le troi-
sième perpendiculairement aux pieds.
« Quand les ressources de la famille du mort sont épuisés par les festins,
(cela dure souvent jusqu'à deux mois), on place les restes du cadavre dans un
1) Et reproduits dans Mélutine, t. III, col. 461-2.
i) Zeitschrift der Geseil. fur Érdkunde. Berlin, i880, n* 86, p. 275 et %(\{\.
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^ NOTES SUR MADAGASCAR 465
cercueil, formé d'un canot (lakka) coupé en deux par le milieu, perpendiculai-
rement à la quille. Ce fut le cas le deuxième jour après mon arrivée. Quatre
amis portèrent le cercueil à Taide de branchages sur leurs épaules. Ils cou-
rurent en avant aussi vite que possible, suivis de tout le peuple qui tir«dt des
coups de fusils et poussait des clameurs.
« Dans le fond du cercueil est pratiqué un trou, qui laisse échapper le
liquide putride. On m'assure de divers côtés que les esclaves d'un roi mort
devaient se frotter et se barbouiller le visage avec cet horrible liquide. Un roi
est-il mort, on ne prononce plus son nom ; on ne dit pas : « il est mort % »
mais « le pays est dévasté. » Est-il malade, on dit : « il est brûlant. » Chaque
sujet qui apprend l'état brUlant de son roi doit lui apporter un présent. On
dit que les rois sont rarement en bonne santé. L'héritier du trône est toujours
Taîné des fils ; les Antankarana n'accordent jamais la couronne à une femme,
fait qui se produit souvent au contraire chez les Sakalaves. Ce que laisse le
1] On nous excusera de citer ici quelques notes que nous avons publiées sur ce sujet dans Mélu-
sine, t. III, col. 416-417 :
u COLTB DtS aiUQVIS BT POUYOIB BOYAL
u Kadama !•' (roi des HoTas,) qui connaissait bien l'importance de cette place [Majonga, port très
• fréquenté de la cdte nord-ouest], s'y rendit avec son armée en 18S4. Apr^s de nombreux combats
•« avec les belliqueux Sakalaves, il s'empara, par trahison, dit-on, du fort et ensuite do la ville fortifiée
-> qu'il brûla. Mais les Sakalaves se soulevaient touiours. Alors quelqu'un donna à Radama le con-
• seil d'apporter dans le fort les membres sacrés au vieux roi des Sakalaves oui étaient placés au
H sommet d'une colline voisine. Ce conseil fut suivi et les Sakalaves firent leur soumission no
N pouvant pas combattre celui qui possédait leurs plus grandes reliones * .. »
M Cet exemple est typique pour celui qui connaît la haine inexpiaole que le Sakalave a vouée au
llova, l'instinct farouche d'indépendance du premier et les horrioles massacres, pillages et incen-
dies, œuvre du second. U fallait que le respect sacré du Sakalave pour les reliques de son roi fût
bien rrand pour qu'il sa rendit enfin à son mortel ennemi, le Hova.
« M. Mann-Darbel, lieutenant de vaisseau, qui commandait le Boursaint dans ces parages en
18S5, a recueilli de la bouche même d'une reine Sakalave diverses traditions et entre autres celle
que nous venons de dter. Mais son impression était plus compliquée : il voulut bien nous en faire
part. D'après lui, il résultait de ses conversations et observations personnelles qu'il fallait attacher
une idée plus mystérieuse à ce fait qui marqua dans l'histoire du peuple sakalave. Ils ne se sou-
mirent pas simplement par un culte oanal pour les reliques de leur roi« mais parce que, dans leur
esprit, la royauté est à celui qui possède ces reliques : une sorte de droit divin qui s'attache à celui
qui les a en sa possession.
€ CABAcrkax bkugibl'X du bbspbct knvcbs lb cnar
« Nous sommes amené naturellement par ce qui précède à dter quelques autres preuves singu-
lières du caractère religieux que revêt le respect envers le chef.
« La fidélité au chef, au niaitre, d'où dépend la solidité du système féodal, est très grande ches
« les Malgaches : elles n'est pas seulement dans leurs mœurs, elle semble foire partie de leurs
M principe* religieux. Dans leurs rapports avec eux, les Européens ont eu souvent à s'étonner de
«• la force de ce sectiment... Ce respect pour le chef continue après sa mort d*une manière assez
« bizarre. Son nom de>ient sacré ; on ne doit plus le prononcer, serait-il un des mots les plus
. usuels du langage. Ainsi, les Sakalaves de Nosi-Bé ont cessé d'employer le verbe orne : donner,
. parce qu'il entre dans le nom de leur ancienne reine Tsi-ome*ko (Je no donne pas). Cet usage
u est sans doute une des raisons qui ont produit les différences du langage à Madagascar**. »
M Un auteur plus récent, également bien renseigné, nous rapporte une autre coutume se ratta-
chant à la personne royale ; elle fait honneur à l'habileté des chefs malgaches qui l'ont implantée
et elle a, croyons-nous, le mérite d'être difficile à retrouver ailleurs.
c La personne royale est sacrée, non pas seulement pour les sujets, mais même pour le soldat
• qui sert dans le camp opposé. Un roi ne peut être atteint que par le roi, son adversaire, avec lequel
u seul U doit se mesurer en combat singulier Si un guerrier s'oubliait et oubliait ses devoirs au
u point de diriger intentionnellement son arme contre le roi ennemi, le malheureux serait à l'instant
u mis à mort, (Tordre de ses chefs, et tous les siens subiraient le même sort que lui. Ainsi le renient
• les lois de la guerre, faites assurément par les rois dans un intérêt bien compris de conservation
M personnelle et acceptées par toutes les peuplades indistinctement**'. »
•) Zeiischrift der GetelUchaft fur Erdkunde su Berlin, 1880, p. 91. J.-M. Hildebrandt, Wett-
Madagaskar- Beiseskizse,
**) Architfeê coloniales. — Mémoire manuscrit par G. Delagrangc, gouverneur de Sainte-Marie de
Maoagascar, 1855. Voy. sur le même sujet Grandidier, loc. cit., p. 224.
***)Bev. marit. et col., octobre 1882. Notes sur Madagascar. (Ch. intitulé : Quelque* coutumes
des Sakalaves de la côte occidentale.)
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466
VARIÉTÉS
mort, quand c^est un simple Ântankarana, est partagé également entre ses
enfants, Ois et filles. L'atné seul est avantagé. La hutte d'un mort est détruite
et transportée dans la forôt, souvent aussi brûlée ; mais le village n*est pas,
comme chez les Sakalaves, abandonné. »
Un autre voyageur allemand, Aurel Sohulz, alla vers la môme époque à la
côte sud-ouest ; il visita les États de Resoumaneiri, roi des Antanosses émigrés,
aux environs de Tulléar. « Les tombeaux sont très longs, dit-iP, formés
d'amas de pierres dressées avec soin, sous lesquels les morts reposent. J*ai
vu aussi des sépultures de terre sur lesquelles s'élevait une croix de bois ; sur
les deux branches de la croix, des colombes très facilement reconnaissables
étaient sculptées dans le bois. A Textrémité de la partie verticale étaient placées
des cornes de bœufs ' Quelqu'un vienUl à mourir, ses proches manifestent
1) Zeiîaehrift fur Ethnolog. Berlin, 1880. Sitzungbor. p. i92.
2) Que siniifie cette juxtaposition de symboles et de fétiches ? Nous avons essayé dans Mèluaine
{loe. cU.) (M démêler cet écheveau mi-païen, mi-chrétien :
« pbrsistaucb dbs tuaditioms
c Voici un curieux exemple de la sttr>'ivance des traditions indigènes à l'introduction des pra-
tiques chrétiennes. 11 arrive ainsi aux peuples néophytes de ereffer Tune sur l'autre arec le plus
ffrand sérieux, dans un rapprochement parfois comique, la religion apportée d'outre-roer et le culte
légué par les ancêtres.
Fig. 69. — Champ funéraire (d*après Leguénel de Lacombe).
c Chez la plupart des tribus de Madagascar, Ton place sur la tombe du mort, des pieux où sont
enfilés les crânes des bœufs tués à l'occasion des funérailles, ou bien l'on plante ces crânes armés
de cornes dans le sol même. (Voy. Fiç. 69.) Le voyageur étonné rencontre souvent des champs hérissés
do cette singulière végétation. Témoin ce passage d un chant populaire parmi les Hovas au commence-
ment de ce siècle •, inUtulé La OuerredeMoéli •*. u Mais le lendemain... après que leslott/ouro*ar« ■••
*) Ant. de Fontmichel, Nouv. Ann. dâi Voyages, 1821,
*') Moéii ; une des lies Comores.
***) Loulouvokart : vampires, la quatrième des sept sortes d'esprits de la mythologie malgache,
dont parle Placourt {Hist, de la Grande Me de Mad, Paris, 1661, ch. xvii), — oui après la
mort, reprennent vie, courent les bois et les lieux solitaires et se font voir la nuit aux hommes.
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NOTES SUR MADAGASCAR 467
leur douleur en tirant des coups de fusils, eu chantant et en dansant. Le
cadavre est porté au tombeau, placé à la suite de Pâmas de pierres déjà décrit
et recouvert de pierres. De la sorte, les tombeaux 8*étendent indéfiniment en
longueur, et j*en ai vu quelques-uns qui mesuraient jusqu'à cent mètres
Bien remarquable aussi la coutume de répandre sur les tombeaux tous les
débris de vaisselle cassée. »
Nous donnons ici (Fig. 70), un croquis reproduisant ces singuliers monu-
ments mégalithiques que les voyageurs rencontrent sur la route de Tamatave
à Ântananarivo, véritables menhirs de plusieurs mètres de hauteur, que les
Hovas entourent d'une vénération superstitieuse et qui sont, disent-ils, le tom-
beau u des maîtres de la terre », du temple primitif de Madagascar, des
Vazimbas. (Voy. Rev. d'Ethnog,, t. V, m 5, p. 407, la fig. 115, et p. 408).
LES VAZIMBAS
Nous avions cru, dans nos précédentes études (voy. la Revue, t. V^ n^ 5,
p. 410 et note 3) pouvoir et devoir avancer Thypothèse de Torigine africaine
des Vazimbas, malgré l'opinion contraire de M. Grandidier.
Sans revenir sur ce qui a été dit précédemment *, t. VI, n** 4, à propos de la
tradition Kimos, nous avons un nouvel argument à Tappui de cette thèse.
A la page 405, nous montrions l'identité des Vazimbas et des Ontisatroua et
nous citions (p. 406, note 2) un passage de Flacourt : « J'aurois bien parlé
d'une nation que l'on m'a dit avoir esté autres fois dans l'isle, laquelle se nom-
mait Ontaysatroùha, et habitait les montagnes qui sont entre le païs des Ana-
ehimoussi et la rivière de Ranoumene, Cette nation n'avoit aucune communi-
cation avec ses voisins, mais leur faisoit la guerre, se servait de Varc et de la
flèche » C'est là une nouvelle différence, et capitale, avec les autres peu-
plades malgaches, peuplades d'origine indonésienne*; (les Bara, qui habitent
c furent rentrés sous leurs tètes de bœufs ; alors ou vit.. » C'est ce (fue le c bonhomme Homère »
disait dans une langue moins franche : c Quand |>arot Taurore aux doigts de rose... » — < Quelques
« familles placent auprès des rillages, en souvenir de leurs morts, des poteaux de bois portant a
« leur sommet une figure humaine ou un oiseau grossièrement sculptés et sur les diverses faces des
dessins plus on moins réguliers et des figures d'animaux, tels que bœufs, oiseaux et surtout croco-
. diles * ; un lambeau de toile Planche flotte à Textrémité de ce poteau, auquel sont en outre cloués
M les frontaux de bœub immolés au moment dos funérailles. » — a Autrefois (chex les Hovas) ou
.1 déposait sur la tombe ou tout autour, comme cela se pratitiue encore chex les ÈetsUeo, les Bexano-
xano. etc., les crânes des bœufs tués à l'occasion des funérailles **. •
u ôr, Toici comment d'ingénieux Sakalaves, convertis au christianisme, ont concilié les rites chré-
tiens avec leur antique coutume : c J'ai vu chex les Sakala%es, dit un voyageur allemand (1879),
u des sépultures de terre sur lesqueUes s'élevait une erùie de boù ; sur les deux brancbei de la
« croix oes colombe*, très facilement reconnaissables. étaient sculptées dans le bois. A l'extrémité
« de la partie verticale étaient placées des corne* de hcBnf***. »
« Assurément, on peut discuter sur la question de savoir si c'était bien des colombe*^ les colombes
symboliques de la religion chrétienne, ou les oiseaux que les anciens Malgaches sculptaient déjà
sur les pieux plantés dans le sol des sépultures, mais reste toi^ours la croix surmontée de corues
de hcpuft. •
1) iîeo. d^Ethnog., p. 334-5.
2) Dans le Bulletin de la Soc, de $éog. (2* série, t. II, 1839), M. Eug. de FrobervUle publia des
« Recherches *ur la race oui habitait Mttdagaiear avant l'arrivée de* Matai* > ; il y cite les
papiers inédits de Mayeur, wterprète de Béniowsky, et, après une argumentation fort intéressante ,
conclut à l'origine africaine des Vazimbas.
*) Dans l'Extrême-Orient (Archipel Indien) comme à Madagascar, on représente des crocodiles
sur les monuments funéraires.
*•) Grandidier. loc, ci/., p. 22S, 226, 229, 23t.
•••) Loc. eit.
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NOTES SUR MADAGASCAR 469
dans le sud de Tile une immense contrée inexplorée, mènent une existence de
nomades pasteurs, et n'ont pu encore être vus d'assez près pour qu*on puisse
scientiQquement déduire leur origine, les Bara senties seuls, avec ces Outisalroua
de Flacourt, à se servir de Parc et des flèches). En effet M. Grandidier disait dans
son discours à llnstitut {Madag. et ses habitantSy p. 18, note 1) : « Les Mal-
gaches comme les Indonésiens emploient la lance à la guerre, à l'exclusion
de l'arc et des flèches. »
MIGRATIONS POLYNESIENNES
Dans un de nos précédents articles {Rev, d'Ethnog, t. V, n® 5, p. 416, note 3,
et p. 425, note 1), nous cherchions à expliquer par le rôle des courants et en
citant des exemples analogues, à faire admettre comme une certitude ce fait,
d'abord étrange, des Malais et des Indonésiens traversant des espaces immenses
sur leurs frêles esquifs pour venir coloniser Madagascar ; nous citions le cas
signalé par M. Ten Kate d'une colonie mélanésienne retrouvée à la pointe sud
de la presqu'île californienne.
M. G. de Varigny, dans la Revue des Deux-Mondes du !«' septembre 1887
(p. 184), nous fournit un nouvel argument, qu'on nous permettra de repro-
duire ici :
« Le rôle de ces grands courants (marins, en Océanie), comme agents de colo-
nisation, n'est pas moins important (que leur action sur la flore océanienne).
Il n'est pas douteux qu'ils aient contribué au peuplement des îles situées sur
leur parcours, et qu'ils aient à plusieurs reprises entraîné, des rivages asiatiques,
des barques de pêcheurs surprises au large par des bourrasques subites. J'ai
pu constater le fait par moi-même k Tlle d'Oahu, en 1860. Une jonque japo-
naise, emportée par le courant des vents, vint échou<!r à l'extrémité ouest de
l'île. Elle contenait quatre hommes ei trois femmes mourant de faim et de soif.
Recueillis par les indigènes et transportés à Honolulu, cinq survécurent, dont
deux furent rapatriés sur leur demande ; les trois autres se fixèrent dans leur
nouvelle patrie. Non seulement les annales havaïennes relatent beaucoup de
faits analogues, mais les recherches auxquelles je me livrai alors et celles que
je fis faire plus tard et que facilita ma situation de ministre des affaires étran-
gères du royaume havaïen, me confirmèrent dans Tidée que la Polynésie a
été peuplée en grande partie par les indigènes des grands archipels de la
Malaisie.
M Entre les indigènes de Tahiti et ceux de Sandvdch, séparées par mille lieues
de mer, l'analogie de langue et de race est complète ; Torigine commune des
deux peuples ne saurait faire l'ombre d'un doute. L'incident que nous avons
relaté plus haut, et dont nous avons été témoin, nous confirme dans la pensée
que l'archipel des Sandwich avait été colonisé par des émigrants involontaires
du même grand archipel asiatique qui, plus au sud, peuplaient la Micronésie
et la Polynésie méridionales. »
Max Lbclbrc.
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470 VARIÉTÉS
' ' ERRATA
■■'..'"■
V. t. V, n® 5 : >•* Les Peuplades de Madagascar. »
P. 401, ligne 17 : langues malaises^ lire malayo-polynésiennes.
P. 403, ligne 21 : ic M. Wake voit, — il est seul à voir, — des analogies
profondes entre le Cafre et le Malgache. » En effet, son opinion ainsi absolue
exclusive, est fausse. Un certain nombre de Cafres, importés comme esclayes,
ont eu cependant une influence assez grande sur le type de certaines tribus
(voy. plus bas, p. 411-412).
P. 403, ligne 47. — Voy. plus bas, p. 408, ligne 13.
P. 408, note 1. — Voy. plus bas, p. 432, note 2.
P. 408, note 3. -- Voy. p. 407 la fig. 115.
P. 410, ligne 12 : la description de Leguével de Lacombe, ajouter : confir-
mant celle déjà faite par Flacourt (citée p. 406, note 2).
P. 411, lignes 15, 16, 17. — Voy, Revue (TEthnog., t. V, n« 1, p. 31,
appendice III.
P. 415, ligne 28. — Voy. p. 423, note 1.
P. 416, note 2. — Voyez à la fin du deuxième article, t. VI, n» 1, la Cig. 3,
p. 27.
P. 420, note 2. — Au lieu de : p. 20, lire p. 4/2.
P. 421, ûg, 116 (d'après M. Laillet), lisez : (d'après M. Dés. Charnay).
Nous avions emprunté cette figure à un livre de M. Laillet, — très nul,
d'ailleurs, — qui la donnait comme originale ; or elle se trouve dans la collec-
tion de photographies donnée au Muséum par M. Dés. Charnay et a été déjà
publiée par lui dans le Tour du Monde.
P. 423, note 1, ligne 22 : voy. p. 414, note 2, et la fin, p. 415.
P. 423, note 2 : voy. t. VI. n» 3. Appendice II, p. 28 ^t sq.
P. 424, ligne 22 : plus loin, ajouter : p. 429, note 5.
P. 424, note 1, ligne 51 : au lieu de : p. /4, lire : p. 4/2.
T. VI, no 1. .
P. 6, ligne 27 : l'emplacement, ajouter : probable.
P. 19, ligne 21 : « Les Zaffi-Ibrahim, habitants de Tile Sainte-Marie et des
terres voisines. »— Voir la carte de Grossin, publiée par M. G. Marcel (mémoire
cité Rev. d'Ethnog, t. V, n« 5, p. 398-399 et p. 419) : toute la côte de
Tamatave où la baie d'Antongil est marquée comme étant occupée par les
« Zaffe-Hibrahim. »
P. 29, ligne 15 : au lieu de : sans en imposer, lire : sans imposer.
P. 31, ligne 19 : au lieu de Monastber, Wre Monalsber.
T. VI, n» 4.
P. 323, au titre « les Pygmées à Madagascar » ajouter t par M. Max
Leclerc.
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REVUES ET ANALYSES
LIVRES ET BROCHURES
E. Chantre. Recherches anthropologiques dans le Caucase. — Paris,
Ch. Reinwald; Lyon, H. Georg, 1885-1887, 5 vol. gr. in^, avec 304 figures
et 130 planches.
Le nom de M. Chantre, sous-directeur du muséum de Lyon» est bien connu
de tous ceux qui s*intéressent aux questions préhistoriques. Indépendamment
de nombreuses notes et de mémoires plus ou moins développés, ce savant a
publié un grand ouvrage consacré & Tâge du bronze et au premier âge du fer
de la région qu*il habite *. Cela même Tavait conduit à tourner ses regardsvers
rOrient, vers cette Asie où nos études nous ramènent chaque jour davantage, à
mesure que nous pénétrons plus avant dans ce lointain passé, dont nos pères
n'avaient pas même Tidée. Il avait déjà visité la Grèce, l'Étrurie, la Scandi-
navie, une partie de la Russie du nord et étudié les collections réunies dans la
plupart de nos capitales ; il voulait aller bien plus loin, car, pour lui, les régions
orientales de la Méditerranée n'étaient qu'une des étapes de la xaarche suivie
par le bronze, des confins méridionaux de TAsie jusqu'en Europe.
En 1879, M. Chantre reçut, du ministère de l'instruction publique, une
première mission pour la Russie méridionale. Accompagné de M. de Poust-
cliine, jeune naturaliste russe, il recueillit une première série d'observations
anthropologiques dans^la vallée de Térek, séjourna à Tiflis, où il eut à sa
disposition toutes les collections réunies par les savants russes, et revint par la
mer Noire et la Crimée^ dont il étudia les dolmens et les antiquités grecques.
— Un Rapport détaillé adressé au ministère, fît connaître les principaux résul-
tats de cette mission *.
Grâce aux recommandations du gouvernement de Saint-Pétersbourg, grâce,
sans doute, aussi aux sympathies qu'il sut gagner, M. Chantre reçut dans ce
premier voyage l'accueil le plus empressé et le plus libéral des autorités locales
et des savants. Il se loue en particulier de Bayem, dont il fait à diverses
reprises, un éloge qui paraît être bien mérité. Disons tout de suite qu'il en a
été de même lors de sa seconde expédition.
En 1881, notre compatriote repartait chargé d'une nouvelle mission. Il était
accompagné cette fois de deux Français, M. le commandant Barry et M. Don-
nat-Motte, préparateur au musée de Lyon. Cette fois, pour atteindre le Caucase,
1) Èiude» paléoethnologiques dans i*i baitin du Hhône i -^ Age du bronze ou origine de la
métallurgie en France^ 3 vol. iii-4, 1875-1876, avec carte» et atlas ia-lol. — Premier âge du fer^
1 vol. in-4, 1879.
3) Hecherehes paléoethnologiques daàa là BAssie méidiôndU ki spécialement aa Caucase et en
Crimée» 1881.
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472
LIVRES ET BROCHURES
il traversa la Syrie septentrionale, la haute Mésopotamie et atteignit TArménie
russe par les hauts plateaux du Kurdistan, les régions du lac Van et TArarat.
M. Chantre se propose de publier plus tard le récit de ce voyage dont il a seu-
lement fait connaître quelques résultats dans diverses publications * mais nous
pouvons dès à présent juger de Timportance de ce travail. Le voyageur nous
dit, et on peut Ten croire, qu'il a relevé près de deux mille mensurations cépha-
lométriques sur les populations arabes, ansariés, kurdes et arméniennes et
Fig. 11. — Jarre pour le vin en Khakélie.
rapporté plus de cinq cents photographies de types, de monuments ou de
paysages. En outre cette expédition a valu au muséum de nombreuses collec-
tions de plantes et d'animaux, dont quelques-unes ont déjà Tourni les matériaux
de mémoires intéressants *.
M. Chantre atteignit enfin le Caucase et y reprit ses anciennes études anthro-
pologiques et archéologiques. L'ouvrage qu*il vient de publier fait connaître les
résultats de cet ensemble de recherches et cet ouvrage est considérable. Il
1) Aperçu tur les caractères ethniques des Amariés et des Kurdes. — Vàge de la pierre et
l'âge du bron%e dans VAsie oedientale (Bull, de la Soc. d'anthr. de Lyon, 188S). ^ Bappcrt sur
tme misston scientifioue en Asie occidentale et spécialement dans les régions de VArarat et du
Caucase (Arch. des Miss. fc. et litt, 1883). — La nécropole de Kobanen^ Csséthie (Mat. pour
l'Hisl. prim. et Dat. de rHommc, i882). ^ Aperçu sur les caractères céphalométriques des
Ossèthes (Bull, de la Soc. d'antbr. de LyoD, 1883).
2) Sauvage. Catalogu» dês poissons recueillis par M. E, Chantre dans son voyage en Syrie,
Mésopotamie, Kurdistan et Caucase (Bull, de la Soc. philom. de Paris, 1881). — Notice sur la
faune ichthyologique de tAsie et plus particulièrement sur les poissons recueillis par Hf. Chantre
pendant son voyage dans cette région (Nouv. Arch. du Mus. d'hipl. nat. de Paris, 1884).
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RECHERCHES ANTHROPOLOGIQUES DANS LE CAUCASE
473
comprend 737 pages, imprimées avec luxe dans un format très grand in-4,
accompagnées de 304 figures intercalées dans le texte et de 130 planches, re-
présentant une foule d'objets (fig.7i), des types humains (Gg. 72-77) et un certain
nombre de têtes osseuses. Enfin une carte de Tisthme ponto-caspien et une carte
Fig. 72. — Jeune lillti abkase de Soukoum Kalé.
ethnographique du Caucase complètent cet ensemble de documents figurés. Le
livre de M. Chantre est divisé en quatre tomes ou parties, intitulées Période prd-
historiquet période protohistoi^ique^ période historique et populations actuelles .
J'aimerais à suivre l'auteur pas à pas dans Texposé des faits qu'il rappelle ou
nous découvre. Mais une grande partie de son ouvrage est essentiellement du
VI 32
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474 LIVRES ET BROCHURES
ressorl de Thistoire ou de Tarchéologie pure, ci je dois m'avouer incompétent
pour en juger. Je me bornerai donc à examiner ici ce qui est relatif à l'an-
thropologie proprement dite et à l'ethnologie, sauf à emprunter à Fhistoire ou
à Tarchéologie les renseignements propres à éclairer quelques points.
La première partie du livre de M. Chantre comprend une Préface et une
Introduction. Dans la première, l'auteur énumère les travaux de ses prédéces-
seurs et les caractérise brièvement. A en juger par le nombre des noms qui
Ogurent sur cette liste, Ténumération doit être bien près d'être complète, si elle
ne Test entièrement. Toutefois je n'en aurais rien dit, si je n'avais tenu à
signaler les réflexions faites par l'auteur au sujet des voyages et du livre de
Dubois de Monlperreux. Il parait que quelques écrivains français, trop fiers de
ieur connaissance de la littérature étrangère actuelle, en ont oublié ou
méconnu les mérites que M. Chantre se plaît à faire ressortir. J'ajouterai que
ses remarques à ce sujet trouveraient une juste application ailleurs qu'à l'his-
toire des explorations du Caucase.
Dans son Introduction, M. Chantre passe rapidement en revue la géogra-
phie et la géologie du Caucase ; il signale quelques-uns des traits qui rap-
prochent ou distinguent la faune et la flore locales des faunes et des flores
européennes. En faisant 'connaître la position géographique des populations
principales, il montre combien leur répartition a été influencée par les con-
ditions orographiques. Enfîn Tauteur résume en quelques pages les notions
hislcmques acquises sur ces régions depuis les Grecs jusqu'à nos jours; puis il
passe à ce qui fait le sujet réel du livre et à la période préhistorique.
Pour M. Chantre comme pour la plupart des savants qui s'occupent des
questions préhistoriques, cette période se divise en deux âges seulement, celui
de la pien^e et celui du bronze *. Le premier comprend les époques paléoli-
thique et néolithique. L'époque paléolithique n'a jusqu'ici fourni que des
données incertaines relativement à l'existence de l'homme au Caucase pen-
dant les temps quaternaires. Seule la grotte de Pigani, sur le versant méri-
dional de la chaîne, a fourni des ossements humains associés à ceux de
Vursus spelœus et de quelques autres espèces animales encore indéterminées.
Tous ces ossements ont été fendus et o.it subi l'action du feu. Ces faits
pourraient indiquer des restes de repas de quelque tribu anthropophage.
Mais la grotte n'a pas été fouillée avec le soin et la méthode qu'exige l'état
actuel de la science et les recherches du prince Mossa Chvili demandent à être
reprises.
Il est à remarquer que, d'après les renseignements recueillis par M. Chantre,
on n'a encore trouvé au Caucase, ni dans cette grotte, ni dans les terrains sédi-
mentaires, tertiaires ou quaternaires, explorés pourtant avec soin, aucun de ces
outils ou armes de pierre que l'on a rencontrés en si grande abondance sur tant
de points différents.
La présence de l'homme au Caucase pendant l'époque néolithique est au
i) Ou Mit que depuis les recberdies de M. de Pulxki, bien des savants admettent un âf/e, ou tout
au moins une époque du cuivre. Je rappellerai aussi nue de? ronsid/Tations géologiques et arrbéo-
logiques m'ont conduit à admettre un âge du chien, place entre 1 époque puléoiilhique et l'époque
néolithique.
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RKCHERCHES ANTHROPOLOGIQLES DANS LE CAUCASE 475
contraire attestée par de nombreux restes de son industrie. On a recueilli sur
divers points des objets isolés* couteaux, grattoirs, pointes de flèches, haches,
marteaux, etc., on a constaté depuis longtemps l'existence de nombreux dolmens
dans cette région ; et Dubois de Montperreux a donné de la distribution des
principaux dans le nord-ouest de la contrée, une carte que reproduit M. Chantre.
Tous ces monuments, dont notre auteur donne plusieurs Ogures empruntées à
Bayern, ressemblent entièrement par leur forme et leur dimension & ceux que
Ton connaît partout ailleurs et jusque dans nos contrées occidentales. Malheu-
reusement ils ont presque tous été violés depuis longtemps. Un savant russe,
M. Félitzine, qui en a fouillé un très grand nombre, n'a trouvé des débris de
sépulture que dans deux seulement.
Un crâne de vieillard entier retiré de Tun d'eux, est brachycéphale. M. Félit-
zine a cru pouvoir en conclure que ce dolmen remontait à l'époque de la pierre
polie et M. Chantre ne fait aucune réflexion à ce sujet. Pourtant la question me
paraît au moins douteuse. En Angleterre, les hommes des Long-BarrowSf qui
n'employaient que la pierre, étaient tous dolichocéphales. Dès que les brachy-
céphales viennent se mêler à eux dans les Round- Barrows, le bronze apparaît
dans les sépultures. Il a été évidemment apporté par les derniers venus. Peut*
être de nouvelles recherches montreront-elles qu'au Caucase, comme en An-
gleterre, ce sont les brachycéphales qui ont substitué le métal à la pierre polie.
Les régions caucasiennes ont aussi leurs cités lacustres ; et M. Chantre aurait
voulu visiter celles dont Bayern a signalé l'existence au lac Paléostrom. Mais
il fut arrêté par les premiers accès d'une fièvre violente contractée dans ce delta
qu'il traite de pestilentiel, et dont il a souffert longtemps après son retour en
France. On voit que notre missionnaire a payé lui aussi le tribut si rarement
épargné aux voyageurs et Ton doit lui savoir doublement gré de conquêtes
scientifiques achetées aux dépens de sa santé.
Le chapitre relatif à Vdge du bronze est en entier consacré à des faits et à des
discussions purement archéologiques. Je ne m'y arrêterai donc pas. Notons seu-
lement que M. Chantre combat victorieusement l'opinion de quelques antiquaires
qui ont voulu voir dans les montagnes de la Transcaucasie le foyer métallurgique
primitif, d'où le bronze se serait répandu à la fois en Europe et dans l'Asie occi-
dentale. En effet, si le Caucase possède de nombreuses et riches mines de
cuivre, jadis exploitées à Taide de haches et de marteaux en roches dures
(diorite et quartzite), Télain y fait entièrement défaut. Or les deux métaux sont
nécessaires pour faire du bronze. Il faut donc reporter plus loin et probablement
dans l'Inde selon MM. de Mortillet et Chantre, le point où cet alliage a été
obtenu pour la première fois. D'autres savants ont placé ce point dans les
régions ouralo-altaïques. Toutefois les renseignements publiés par Baër en
1876 et par M. OgorodnikofT en 1886, sur des mines d'étain du Khorassan
qui avaient été signalées déjà par Strabon et qui sont encore exploitées au-
jourd'hui, permettraient sans doute de regarder comme étant moins éloi-
gnée du Caucase la région capable de fournir de l'étain aux anciens métallur-
gistes '.
I) JVmprunto ce» donnée!» au :»vant i*t curicut travail de M. Berthelot luisant partie du premiei*
volume de la Collection des aneieni alchttniêtes precs^ p. 226.
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476 LIVRES ET BROCHURES
Au reste je ferai remarquer que le travail de M. Andrée sur ce qu'il a appelé
le polygénisme métallique a placé la question sur un terrain tout nouveau et que
rindustrie du bronze, comme celle des autres métaux, peut fort bien avoir eu.
non pas un seul foyer primitif, mais plusieurs. Cela même expliquera sons
doute un jour comment ont pu se produire à ce sujet des opinions différente.'',
Fîg. 73. — Lesghien de Gounib (vu de profil,.
qui, en fin de compte, se trouveront également fondées. J'ajouterai que Texis-
tence au Caucase de mines de cuivre exploitées avec des outils de pierre,
autorise à penser que dans cette contrée, comme en Autriche, en Espagne, en
France même, T&ge du bronze, a été précédé par une époque où Thorome utili-
sait à Tétat de pureté celui des deux métaux qui fait le fond de cet alliage.
M. Chantre revient sur la question du bronze en abordant l'étude de sa
Période prolohistorique. J'ai dit ailleurs pourquoi cette appellation me parait
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RECHERCHES ANTHROPOLOGIQUES DANS LE CAUCASE
477
devoir être repoussée'. Elle semble supposer un commencement de données
historiques positives, qui en réalité font à peu près toujours défaut. Je préfére-
rais celle de Fremier âge du fer^ qui sert de sous-titre à cette partie de l'ou-
vrage et qui la comprend tout entière; car l'auteur n'indique aucune division
dans cette période.
i ig. 74. — Lesgliien de Gounib (tu de face).
Ici les documents de toute sorte deviennent plu s nombreux et se prêtent à des
appréciations plus précises. D'une part les industries se sont perfectionnées et
présentent des caractères spéciaux; d'autre part, les populations ensevelissent
leurs morts, au lieu de les brûler ; et les tombes inviolées livrent, à ceux qui
1) Préface à l'ouTrage de M. E. Cartailhac, intitulé : Les âges préhiîtoriques de VEipagne et
dm Portugal,
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478 LIVllES ET BROCnUUES
les fouillent, des restes humains que Tanthropologiste peut étudier. De vastes
nécropoles, remontant à cet âge, ont été découvertes et exploitées déjà au g^rand
proBt de la science ; elles gardent peut-être bien des découvertes intéressantes
aux explorateurs futurs.
On a signalé au Caucase plus de vingt localités où se trouvent des tooQ beaux
méritant d'attirer l'attention des archéologues. Mais tous ne sont pas du même
ftge. M. Chantre ne regarde, comme pouvant être franchement rapportées au
premier âge du fer, que celles de Koban, Samthavro, Kazbek, Kislovodosk,
Gori et Redkine-Lager. La plupart des autres datent des temps historiques ; naais
il en est aussi où se trouvent réunis des objets appartenante deux époques. En
outre, les tombes sont parfois superposées, comme à Samthavro où Ton trouye
jusqu'à quatre assises distinctes remontant à divers âges. Depuis quelques
années ces mines de documents ont été exploitées par les savants russes. Mal-
heureusement les fouilles n'ont pas toujours été exécutées avec les précautions
désirables ; et parfois il est résulté de là, dans les collections, un mélange
d'objets de dates dilférentes pouvant induire en erreur.
M. Chantre n'a pas exploré par lui-même toutes ces nécropoles, mais il a
exécuté des fouilles dans quelques-unes des principales et il Ta fait avec tout le
soin et la méthode dont Texpérience a démontré la nécessité^ Il a pu ainsi
corriger les méprises échappées à ses devanciers et apporter un contingent im-
portant de documents nouveaux et précis. En outre, toutes les collections
recueillies précédemment ont été mises à sa disposition avec une libéralité cor-
diale, qu'il ne manque jamais de signaler. Cette abondance de matériaux Ta
conduit adonner plus de développement à cette partie de son livre. A elle seule,
la période du premier âge du fer comprend 223 pages de texte, 184 tigures
intercalées et un atlas de 67 planches.
On comprend que je ne saurais suivre M. Chantre dans les détails qu'il
donne sur l'histoire d'une dizaine de ces stations et sur les milliers d'objets
qu'on a retirés. Je me borne à dire quelques mots de celle de Koban, une des
plus intéressantes, des plus complètement explorées et à laquelle les recherchas
personnelles de M. Chantre viennent donner une importance spéciale.
Koban est un petit village ossèthe dont la nécropole occupe environ deux
hectares. Rien ne révèle au dehors l'existence des anciennes tombes, qui sont
ensevelies dans une couche de terre de un à trois mètres d'épaisseur. Il y a une
quarantaine d'années, une inondation ravina le terrain et en mit quelques-unes
à découvert. Le propriétaire du champ, M. Kanoukoff, comprit l'intérêt que
devait présenter leur contenu. Il commença bientôt des fouilles qu'il a conti-
nuées depuis. Il a exploré plus de cinq cents tombeaux et recueilli plus de
vingt mille objets, dispersés aujourd'hui dans diverses collections et dont un
certain nombre figurent dans nos musées du Trocadéro, de Saint-Germain et
de Lyon.
M. Chantre a ouvert vingt-deux de ces sépultures. Dix d'entre elles lui ont
permis de reconnaître exactement la structure des tombeaux et la disposition du
mobilier funéraire. Les tombes consistent, tantôt en une caisse formée de dalles
brutes, tantôt en un rectangle (ait de gros cailloux. Elles ne sont pas orientées.
Les corps sont couchés parfois sur le dos, plus souvent sur le côté, dans la posi-
tion d'un homme endormi. Sept croquis, dessinés par l'auteur, montrent ces
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RECHERCHES ANTHROPOLOGIQUES DANS tE CAUCASE 479
dispositions et la manière dont sont distribués les divers objets ensevelis avec
le cadavre.
Notre missionnaire a étudié tous ces objets et en a figuré plusieurs centaines;
il les a comparés aux objets de même nature regardés comme caractéristiques
de notre premier âge du fer européen ; il a fait le même travail pour les autres
stations indiquées plus haut. De toutes ces comparaisons, il a tiré une conclu-
sion d*une importance capitale ; savoir que, à part un petit nombre d*exceptions
soigneusement signalées, Tindustrie et les arts du premier âge du fer caucasien
présentent la plus étroite ressemblance avec ce que Ton connaît en Europe; si
bien qu'à Koban, à Samthovro, à Kazbek, etc., on trouve des incrustations du
fer dans le bronze, comme en Suisse et en Autriche; des poignards en fer à
antennes identiques avec ceux de Hallstatt et ceux des tombes du Tarn et du
Doubs; des torques semblables à ceux de. la Bosnie et du Jura; des ceintures
estampées en bronze mince, des épingles, des fibules, des pendeloques que Ton
croyait être spéciales au Tyrol et à, quelques contrées voisines; des brassards
en spirales rencontrés fréquemment dans les tombes de la Bourgogne, des
Alpes et de la vallée du Danube, etc.
M. G. de Mortillet a proposé de désigner le premier âge du fer européen pa^
l'éphitète d'Hallstattien empruntée au nom d'une station célèbre. M. Chantre
l'appelle l'âge Kobanieriy lorsqu'il s'agit du Caucase. Il a eu raison d'agir ainsi.
En adoptant une dénomination unique et commune aux deux régions pour dési-
gner les temps où le fer commence à se mêler au bronze en Europe et en Asie,
on aurait semblé admettre un synchronisme qui bien probablement n'a pas
existé. Sans doute il y a eu des relations étroites entre les populations dont les
manifestations artistiques et industrielles se ressemblent d'une façon si frap-
pante; mais les plus éloignées ont bien probablement précédé les autres dans
cette voie.
Faut-ii donc regarder le Caucase comme la région où serait née la civilisa-
tion dont on a découvert tant de curieuses traces? M. Chantre ne le pense pas.
C'est dans un Orient plus lointain et encore indéterminé qu*il faut, selon lui,
chercher le foyer primitif de ces arts, de ces industries qui se sont répandus
dans l'Europe entière. Cette manière de voir concorde entièrement avec l'en-
semble des idées que j'ai exposées à diverses reprises et en particulier dans un
livre publié l'année dernière ^ Je ne puis qu'être heureux de voir l'histoire du
bronze venir à l'appui des conclusions auxquelles m'avait conduit l'étude de
l'âge de la pierre.
Les ossements humains, contenus dans les anciens tombeaux du Caucase,
sont habituellement très mal conservés, et, exposés à l'air, ils tombent rapide-
ment en poussière. Pourtant, en les imprégnant de gélatine, M. Chantre est
parvenu à conserver un squelette de femme et six têtes osseuses de Koban,
dont il donne les figures et les mesures principales. La longueur des fémurs
du squelette indique une taille d'environ 1"»,55, chiffre qui, pour une femme
doit être bien près de la moyenne. Les six crânes donnent pour l'indice hori-
zontal moyen 76,48. Us sont donc mésaticéphales tout en se rapprochant de la
dolichocéphalie.
1) Introduction à f étude des racet humaines.
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480 LIVRES ET BROCHURES
M. Chantre s*en est tenu à cette dernière observation. Mais le tableau des
mensurations placé à la fin du chapitre et les figures de Tatlas renferment des
enseignements dignes d*étre signalés.
Sur les six crânes rapportés par notre missionnaire, cinq ont la voûte plus ou
moins surbaissée et ce trait est très prononcé sur l'un d'eux dont le front est
très bas. En revanche, la région occipitale inférieure est très développée, c*est
un peu comme si Tensemble de la botte crânienne avait été refoulé d'avant en
arrière et en bas. Ces crânes rappellent, par leur forme générale, ceux de cer-
taines populations se rattachant à la branche finnoise du tronc blanc. Le
sixième crâne présente au contraire des courbes remarquables par leur rég^ula-
rite et leur harmonie. Ces faits sont encore trop peu nombreux pour que Ton
puisse en tirer des conclusions positives; mais ils suggèrent Tidée d*un mélange
ethnique accompli dès cette époque.
La face manque malheureusement en tout ou en partie à quatre de ces têtes
osseuses. M. Chantre n'a pu donner que trois indices orbitaires et deux indices
nasaux, mais les nombres qu'il a obtenus n'en sont pas moins remarquables.
Deux des indices orbitaires, pris sur les têtes à crâne surbaissé, sont très
élevés. L'un d'eux atteint 105,55. Ce caractère tendrait â rapprocher les anciens
Kobaniens des races jaunes actuelles. Ce même indice est seulement de 78,94
dans le beau crâne dont je viens de parler; et celte différence justifie encore ce
que je disais de la différence des races.
Les indices nasaux sont plus curieux encore (61,91 et 71,87). Le plus élevé
arrive presque au chiffre maximum trouvé par Broca sur plus de douze cents
tètes osseuses et il est singulier de le rencontrer précisément sur la tète dont
le crâne présente les belles proportions que j'ai signalées plus haut. Le plus
faible est encore bien supérieur à l'indice moyen général. Les vieux Kobaniens
semblent donc devoir prendre place dans le groupe des races platyrrbîniennes
qui se compose aujourd'hui exclusivement de nègres.
La forme générale du crâne, labsence de prognathisme, les indices cépha-
liques et orbitaires ne permettent pourtant pas de les rattacher à ce type, et il
faut admettre qu'il y avait chez eux une juxtaposition de traits caractéristiques
vraiment inattendue.
Les tètes osseuses deKoban ont une importance toute spéciale, en ce qu'elles
nous font connaître les caractères normaux de cette antique population. Il en
est de même d'un certain nombre de têtes tirées de diverses stations. Mais,
dans la plupart de ces dernières, et en particulier à Samthavro, on en trouve
aussi qui sont fort intéressantes â un autre point de vue. Chez celles-ci, le
crâne a été déformé artificiellement ; et, dans Tun des cas, la face s'est res-
sentie des manœuvres employées dans ce but.
L'inspection de ces têtes permet de reconnaître aisément les procédés mis en
usage pour modifier les formes de la boîte crânienne. Parfois, une large ban •
delette embrassait tout le pourtour de la tête et refoulait le crâne en arrière et
en haut. Mais d'ordinaire on employait deux liens prenant leur point d'appui
commun sur l'occipital. L'un passait sur la région frontale, l'autre sur le breg-
ma ou dans son voisinage. De là, résultaient deux dépressions séparées par
une saillie antérieure, parfois très accusée.
La coutume des déformations crâniennes a persisté au Caucase et dans
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RECHERCHES ANTHROPOLOGIQUES DANS LE CAUCASE
481
diverses contrées, plus ou moins Toisînes, A la suite de ses mensurations prises
sur le vivant, M. CJyanlre estime h prûportion *hs crânes déformés fi 38 0/0
chesÈ les Armômena du KurdiEtan et chez les Ansariès, h 60 Ô/O chez les Koba*
nirns moclemes^ et à 7^ 0 0 dm l<?^ Kurde? <le l'Araraï et du hç Van. Il n\- ^
Fif , 7Sp — KJievsoure eu aruiei,
donc rien d'étrange ïi rencontrer dans des lombes, tlalant du divers temps his-
toriqueSt des crânes présentant la mOme particularité. On sait que quelques^
uns d^eiitre euîTt venant de Crimée, ont été étudiés dès b siècle dernier, par
Olumenbach, et plus réct^tument par Ralkê, par Ba*ir, etc.
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482 LIVRES ET BROCHURES
Mais ce qu*il importe de rappeler a?ec M. Chanli-e, c'est que des crânes,
déformés de la même manière, ont été découverts dans presque toute l'Europe,
et jusqu'en Angleterre. Parmi ceux qui ont été trouvés en France, ceux de
Voiteur (Jura) et de Corveissiat (Jura) , ont été décrits par Broca ' et par
M. Chantre lui-même* qui a montré qu'ils remontaient au premier âge du fer
de nos régions occidentales. Cette diffusion d'une coutume aussi singulière et
l'emploi de procédés évidemment identiques ont naturellement fait penser à une
importation et l'on s'est demandé quel peuple avait été l'objet de cette dissémi-
nation. M. Chantre examine cette question difficile, sans donner une conclusion
bien précise, et c'est un des points sur lesquels je dois m'avouer entièrement
incompétent.
Mais notre missionnaire aurait pu ajouter que TEurope et l'Asie ne possèdent
pas seules des têtes osseuses présentant les déformations que je viens d'indi-
quer. Il en est de même de l'Amérique. Les crânes d'Aymaras ressemblent, à
s'y méprendre, aux crftnes les plus caractérisés de Samthavro. N'y a-t-il là
qu'une simple coïncidence? Faut-il admettre qu'une colonie, partie de régions
caucasiennes, a transporté dans le haut Pérou la coutume et les procédés de
cette déformation crânienne? Il y a bien peu d'années, cette dernière question
aurait paru plus que paradoxale. Peut-être est-il permis de la poser aujourd'hui.
Plus nous pénétrons dans le passé des diverses populations humaines, plus
nous reconnaissons combien elles ont été de tout temps, et comme par accès,
mobiles et voyageuses. Le peuplement de l'Amérique par des migrations parties
de l'ancien continent, est maintenant admis, même par despolygénistesautochto-
nistes^. Les Caucasiens ont-ils fourni leur contingent au nouveau monde?
Ont-ils emprunté l'étrange coutume de la déformation céphalique à quelque
peuplade plus rapprochée du nouveau continent et qui aurait été la souche des
Aymaras? Les uns et les autres ont-ils eu cette peuplade pour ancêtre commun*
C'est ce que l'avenir nous apprendra peut-être.
Je ne dirai que peu de chose de la partie du livre consacrée par M. Chantre
à la période historique, ou mieux aux plus anciens temps de cette période, qui
s'étendent, pour l'auteur, du vu'' siècle avant notre ère à notre vu* siècle. C'est
là pour notre auteur, V époque scytho-byzantine. Ces dix siècles sont représentés
au Caucase par de nombreuses nécropoles. Mais notre missionnaire a fouillé
seulement les tombeaux superposés ou juxtaposés à ceux de l'âge précédent,
dans les stations de Koban et de Samthavro. Toutefois, grâce à la libéralité des
savants russes, il a pu profiter de tous les matériaux et des documents recueillis
par ses devanciers, les réunir, les discuter et en tirer des conclusions person-
nelles. Mais ce travail est essentiellement historique et archéologique, et je ne
saurais suivre Fauteur sur ce terrain.
On a trouvé de nombreux ossements humains dans les nécropoles et les
kourganes ou tumuli de cette époque. Malheureusement ils ne paraissent pas
avoir été étudiés seuls, MM. Bogdanow et Tilchomiroff ont examiné avec soin
diverses séries provenant des kourganes du nord du Caucase, et les résultats de
leurs recherches ont paru dans le compte rendu de congrès de Moscou (1879)*
\) Bulletin de la Société d'anthropologie de Paris, 1864.
2) Première àqes du fer, tumulus et nécropoles, 1880.
3) précis d'anthropologie ^ par A. Hotelacque et G. Hervô. 1887.
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RECHERCHES ANTHROPOLOGIQUES DANS LE CAUCASE 483
Ce travail a élé publié en langue russe. M. Chantre eir donne une analyse, mais
je n'ai pas à en parler, puisqu'il n'appartient pas à notre missionnaire. Je dirai
seulement que, aux yeux de savants moscovites, les crdnes des kourganes dont
il s'agit rappellent, à beaucoup d'égards, ceux d'Alexandropol, qu'avait étudiés
Baër et que ce dernier regardait comme ayant appartenu à des Scythes ou à des
Tchoudes ou ralo-al laïques.
En abordant l'examen des populations qui habitent aujourd'hui le Caucase,
M. Chantre les partage d'abord en deux grands groupes distincts. Le premier
comprend les Caucasiens proprement dits; le second, les peuples sporadiques
au Caucase. Les Caucasiens sont ceux qui ne sont représentés nulle part
ailleurs que dans cette région; les sporadiques, au contraire, ne sont que des
raction s détachées de populations plus ou moins développées sur d'autres points
du globe. Notre missionnaire place dans cette catégorie, diverses tribus de race
ouralo-aitaïque, sémitique, iranienne et européenne. Quant aux Caucasiens pro-
prement dits, M. Chantre les regarde comme formant « un groupe qui doit
avoir la même valeur que ceux qui portent les noms d'arien, de sémite et de
mongol ou ouralo-altaïque ». Ici, j'ai le regret de ne pouvoir partager la
manière de voir de notre voyageur. On pourrait peut-être accepter cette équiva-
lence entre les groupes caucasien et ouralo-altaïque, tel que M. Chantre com-
prend ce dernier. Mais les groupes aryen et sémite ont une bien autre impor-
tance. Ils constituent les deux principales divisions de la race blanche, les deux
plus grandes branches du tronc blanc.
Je n'en ai pas moins reconnu depuis longtemps que les Caucasiens doivent
former un groupe distinct, ayant sa place dans la classiGcation'. Mais où faut-il
les mettre dans un cadre méthodique? La ressemblance que j'ai indiquée plus
haut, comme existant entre les anciens crûnes du Caucase et certains crânes
finnois, en ce qui touche la forme générale, pourrait faire songer à les rattacher
à la branche finnoise. Mais les caractères de la face ne permettent pas de faire
ce rapprochement. Au reste, les documents que nous possédons, sont encore
trop peu nombreux pour qu'il soit permis de conclure. Je préfère donc, jusqu'à
nouvel ordre, laisser les Caucasiens parmi les groupes incertœ sedis et en faire
un rameau de la branche allophyle du tronc blanc.
M. Chantre partage l'ensemble des Caucasiens en cinq groupes secondaires,
savoir : le groupe Kanthévilien, comprenant entr'autres, les Grousiens ou Géor-
giens; le groupe Tcherkesse, auquel il rattache les Adighis; le groupe Ossèthe,
le groupe Tchétchène et le groupe Lesghien. Pour établir ces groupes, notre
missionnaire a consulté surtout les caractères physiques. Le premier, il a eu
l'idée d'appliquer sur le vivant, à l'étude de ces populations, les procédés scien-
tifiques modernes. Il a pris plus de deux mille mesures, sur près de trois cents
individus, appartenant à vingt et une tribus différentes. Il a été imité par le
général von Erckert.
Malheureusement ce dernier n'a pas suivi les instructions si logiques et si
sûres qui ont fait adopter à peu près partout, le mode de mensuration de Broca.
Par suite, les résultats obtenus par les deux voyageurs ne sont pas toujours
comparables. Toutefois, M. Chantre a pu utiliser une partie des nombres donnés
1) Rapport sur les progrès de l'anthropologie en France, 1867.
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484 LIVRES ET BROCHURES
par M. Erckert. Il y a jf^int ceux que ses prédécesseurs avaient recueillis sur
des têtes osseuses. Enfin, il a tenu compte des analogies et des diflérences de
mœurs, de coutumes, etc., existant entre les diverses tribus.
M. Chantre examine successivement tous les groupes admis par lui et leurs
subdivisions. 11 signale pour chacun d'eux, lorsque les documents ezislent, les
caractères physiques, traits du visage, couleur des cheveux et des yeux, etc.;
les caractères ethnographiques, vêtements, parure, armes, etc. ; les traits essen-
tiels de mœurs, de coutumes, etc. Un chapitre spécial est toujours réservé à la
craniométrie. Deux sortes de tableaux en mettent les résultats sous les yeux du
lecteur. Les uns donnent le détail des mensurations céphaliques et de la colora»
tion des cheveux et des yeux. Dans les autres, les têtes osseuses sont placées
en série, de manière à montrer dans quelle proportion sont répartis les divers
indices caractéristiques. De nombreuses figures» insérées dans le texte« ou fai*
sant partie de Tatlas, complètent cet ensemble de renseignements. A peu près
toutes sont des phototypies et constituent par conséquent, autant de véritables
pièces justificatives.
On comprend que je ne saurais suivre M. Chantre dans Texposé de cette
foule de détails. Je serais, forcément, à la fois très incomplet et trop long. Je
me bornerai donc à indiquer quelques-uns des résultats généraux qui ressortent
de ces études.
Bien qu'ils aient été établis en tenant compte de tous les caractères, les
groupes admis par M. Chantre sont loin d'être homogènes au point de vue phy-
sique et ne coïncident pas toujours avec ceux qu'on a voulu fonder sur la lin-
guistique seule. L'auteur cite comme exemple le groupe des Karthévéliens. Les
langues, les traditions, les mœurs, les destinées historiques semblent attester
l'unité ethnique des familles qui le composent. Pourtant, des Grousiens aux
Lazds, l'indice céphalique moyen varie de 80,58 à 87,48. L'histoire, les tradi-
tions, les légendes font comprendre cette diversité. Toutes s'accordent pour
nous montrer la chaîne caucasique comme ayant servi de refuge à des popula-
tions errantes ou fugitives, aux vaincus de tous les peuples qui se heurtaient
dans son voisinage et se disputaient les régions moins ftpres placées au pied de
ses deux versants. Un immense métissage de races et de langages s'est donc
accompli dans ces montagnes. Ce mélange remonte au moins jusqu'à ces temps
appelés protohistoriques par M. Chantre et quelques autres archéologues,
mais qui, je dois le dire, me paraissent en réalité presque aussi préhistoriques
que l'âge du bronze lui-même, et nous en voyons le résultat.
Toutefois, des recherches de M. Chantre se dégage un résultat général fort
intéressant, savoir : que depuis l'époque la plus ancienne à laquelle remontent
nos renseignements jusqu'à nos jours, la forme àes ôrftnes caucasiens s'est de
plus en plus modifiée dans le sens de la brachycéphalie. C'est ce que semble
bien attester le curieux tableau où Tauteur a mis en série dix-sept indices
moyens pris sur autant de populations anciennes ou modernes. On voit cet
indice grandir progressivement d'âge en âge depuis 71,55 (Samtbayro, pro-
tohistorique), jusqu'à 86,48 (Ossèthes de Koban modernes). En particulier» les
habitants de cette dernière localité, aujourd'hui brachycéphales purs, étaient,
comme je l'ai dit plus haut, presque dolichocéphales à l'époque protohisto-
rique.
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RECHERCHES ANTHROPOLOGIQUES DANS LE CAUCASE
,483
Tous ces faits viennent à l'appui d'une opinion admise aujourd'hui je pense,
par la plupart des savants, opinion que j ai toujours soutenue et que M. Chantre
Fig. 76. — Mingréiien des environs de Koutaïs. i
a également adoptée. Le Caucase n*a pas été Le point d'origine des races aux-
quelles il a donné son nom, il n*a pas été un foyer d'émigrations. Bien au con-
traire, il a reçu de toute part des immigrants de toute race, parlant des langues
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486 LIVRES ET BROCHURES
diverses; mais en pénétrant dans ces hautes vallées, les étrangers y trouvaient
une population primitive qui les avait devancés, avec laquelle ils se fondaient et
dont ils ont plus ou moins modifié le type et le langage, tout eh laissant à
celui-ci ses caractères fondamentaux.
Des considérations anatomiques et archéologiques ont porté M. Chantre à
penser que Ton pourrait aller chercher la patrie des premiers habitants du Cau-
case dans les montagnes du sud de la Perse et les contrées euphratiques ou
mésopotamiennes. La linguistique conduirait probablement à des conclusions
diiïérentes ; et Ton peut regretter que M. Chantre ait à peu près entièrement
négligé cet ordre de faits. Sans doute, il est aujourd'hui impossible d'être uni-
versel. Mais Tanthropologiste anatomiste peut demander aux linguistes les
résultats de leurs recherches; et la comparaison de ces résultats avec ceux de
ses propres études, lui fournit bien souvent des renseignements qu'on aurait
tort de négliger. Cette remarque générale me semble pouvoir s'appliquer au cas
actuel.
M. Chantre signale à maintes reprises divers éléments ouralo-altaïques, ira-
niens, sémitiques, européens comme étant venus se mêler au fond primitif dans
le Caucase; et ses phototypies justifient souvent ces appréciations. De son côté,
M. Maury, nous dit, dans son excellent petit livre intitulé La Terre et l'Homme :
« La famille des langues caucasiennes peut être regardée à la fois comme un
anneau qui lie les langues indo-européennes aux langues ougro-japonaises, et
comme nous offrant une première phase de développement des idiomes qui de-
vaient aboutir aux langues iraniennes ».
On voit que la linguistique et l'étude des caractères physiques aboutissent à
des conclusions très semblables pour le fait général.
Toutes les. langues caucasiennes en sont encore à l'agglutination, c'est-à-dire
à la seconde forme du langage. L'ossèthe fait seul exception à cette règle géné-
rale. Mais M. Chantre lui-même ne voit là qu'un fait accidentel, résultant sans
doute de quelque invasion qui a imposé une langue iranienne à une population
d'ailleurs franchement caucasienne par ses caractères physiques.
M. Maury insiste sur les affinités que les langues du Caucase présentent,
d'après M. Schiefner, avec les langues ougro-japonaises. Le touch^ dialecte du
khistéy parlé dans la vallée d'un affluent du Térek, présente des ressemblances
avec le manchou, le samoyède et même le thibétain. Ce dernier langage appar-
tient à la grande division des langues monosyllabiques. Les langues tcherkesses
aussi, d'après M. Maury, conservent des traces manifestes d'un monosyllabisme
primitif; et il est à remarquer que M. Chantre regarde les Tcherkesses comme
ayant conservé les vieilles mœurs et les anciennes coutumes plus qu'aucune
autre des tribus du Caucase. Ici la linguistique se rencontre avec l'ethno-
graphie.
Enfin, toujours d'après M. Maury, les langues caucasiennes se rapprochent
des américaines par certains traits.
On voit que toutes ces affinités ramènent la pensée vers les contrées du
centre, du nord et de Test de l'Asie, et non vers la région du sud-ouest, où
régnent les langues à flexion. J'ajoute que les traces de monosyllabisme, cons-
tatées par les linguistes dans les langues dont il s'agit, tendent à faire rejeter
dans un passé extrêmement lointain le premier peuplement du Caucase; car pour
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RECHERCHES ANTHROPOLOGIQUES DANS LE CAUSASE 487
si haut que remontent Thistoire, les traditions ou les légendes de ces mon-
tagnes, elles ne mentionnent rien, je crois, qui puisse expliquer ce fait.
D'après le dernier recensement, datant de l'année actuelle (1887), et cité par
M. Chantre, le chiffre total des diverses populations du Caucase, s'élève en
nombre rond à six millions cinq cents mille âmes. Une carte ethnologique, pla-
cée à la fin de l'ouvrage, en montre la répartition et résume une foule de ren-
seignements dispersés dans le texte. Entre autres elle montre bien comment,
dans le sud, les populations ouralo-altaïques, parsemées de nombreux îlots ira-
niens, arrivent jusqu'à TiQis et entament plus ou moins profondément l'aire des
Caucasiens à l'est et au nord-est. Elle met surtout nettement en lumière les
résultats de la guerre si héroïquement soutenue contre la Russie par Schamil et
ses murides. La teinte qui représente les Russes occupe un bon tiers de la sur-
face totale et remplace à peu près complètement les couleurs répondant aux
Tcherkesses et aux Tchétchènes. Ces deux groupes ne sont plus représentés
que par quelques rares flots isolés. Encore quelques années, nous dit M. Chantrci
et ces vieilles races auront complètement disparu du sol qu'elles occupaient
naguère entièrement.
Je ferai pourtant remarquer qu'elles n'auront pas été anéanties pour cela. On
sait qu'elles ont émigré et sont allées chercher un refuge en Turquie chez leurs
coreligionnaires. Certes, les espérances qu'on avait fait naître chez elles ont été
trop souvent déçues, les promesses qu'on leur avait faites ont été rarement
tenues, et des milliers de ces émigrants ont péri de misère, mais d'autres ont
été plus heureux et se sont mêlés aux populations de l'Asie-Mineure. Il en est
qui se sont groupés, comme dans le villayet de Sivas. Là, les Kabardiens
occupent neuf cent soixante et dix maisons, contenant de douze à trente ou
quarante individus (Chantre), ce qui permet d'admettre une population d'environ
vingt mille âmes, y compris les esclaves. Ces exilés ne se marient qu'entre eux;
et par conséquent conservent intact le type de la race. A coup sûr, ils n'ont pas
renoncé à leur langue maternelle. Ainsi les Tcherkesses, les Tchétchènes,
éteint? dans leur patrie originelle, seront peut-être un jour un élément im-
portant de la population qui les a accueillis, et juxtaposeront une langue cau-
casienne aux idiomes de la Turquie d'Asie. Ces faits, accomplis sous nos
yeux, en font comprendre bien d'autres que présente l'histoire des races hu-
maines, et que l'on a longtemps regardés comme autant d'énigmes impossibles
à déchiffrer.
. Je n'ai pu, dans ces quelques pages, donner qu'une idée incomplète du livre
de M. Chantre. Toutefois, on a dû comprendre ce que l'auteur s est proposé. En
somme, il a voulu embrasser l'histoire complète des races du Caucase, depuis
les temps géologiques jusqu'à nos jours. Toutefois s'il rappelle rapidement les
faits historiques proprement dits ou légendaires, c'est essentiellement l'ar-
chéologie, la craniométrie et l'élude des populations vivantes qu'il interroge.
Ainsi comprise, la tâche n'en est que plus difficile, parce que les documents
font trop souvent défaut, aussi l'auteur met*>il à formuler ses conclusions une
réserve que le lecteur a parfois le droit de trouver trop prudente. Mais il a
groupé tous les documents recueillis par ses prédécesseurs; il en a ajouté un
grand nombre d'autres, parmi lesquels il en est d'importants et d'entièrement
nouveaux, il a^ le premier, appliqué aux Caucasiens la méthode des mensura-»
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Fig. 77. — Avar de GouDib.
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LES ÉTABLISSEMENTS f^RANÇAlS EN OCÉANlE 48Ô
lions et en a fait comprendre l'utilité. Par cet ensemble de recherches sur les
populations anciennes et actuelles, il a fourni un point de départ solide aux
travaux des savants qui viendront après lui, et on peut dire qu'il a posé une
assise de l'édifice futur.
A. DE QUATREFAGES.
Marquer (commandant). Les établissemen' français en Océanie.
(Société Bretonne de Géographie. Mars-avril 1887, pp. 20-62.)
La conférence faite par M. le capitaine de frégate Marquer à la Société Bre-
tonne de Géographie, le 22 août dernier, renferme quelques renseignements
ethnographiques intéressants recueillis par cet ofBcier pendant une récente
campagne dans l'Océan Pacifique. Les modifications introduites dans la vie des
insulaires de Taïti. depuis l'arrivée des Européens, y sont surtout examinées
avec détail. On y voit qu'ils ont, par exemple, complètement oublié les procédés
qu'ils employaientautrefoispourfabriquerleurs vêtements. «Jadis ils se couvraient
de nattes et de belles étoffes appelées tapa, faites d'écorces d'arbres, non tissées,
mais écrasées sous un maillet à quatre faces cannelées. Les cannelures variaient
d'épaisseur sur chaque face. On commençait par frapper avec la face à grosses
cannelures^ puis on passait à la suivante, ensuite à la troisième et enfin à la
dernière dont les arêtes étaient fines, à fraises saillantes et très rapprochées.
On soudait ensemble plusieurs écorces par le martelage aidé d'aspersion d'eau
gommée de façon à faire de grandes pièces qu'on illustrait quelquefois de
feuillages imbibés de teinture rouge et imprimés à la main «. Ce travail était
exclusivement réservé aux femmes, et comme il était très fatigant, les premiers
missionnaires anglicans n'eurent pas de peine à convaincre les naturels qu'il
serait plus décent, plus agréable au Seigneur et plus profitable à Albion et à
eux-mêmes d'y substituer des cotonnades britanniques '. Aussi aujourd'hui le
vêtement fondamental des deux sexes... est \epareo, sorte de tablier d'indienne
qui fait une fois et demie le tour de la taille et tombe jusqu'aux genoux. Les
hommes y ajoutent une chemise et un paletot, les femmes une bande d'étoffe
pour soutenir les seins et une longue robe dont elles relèvent la traîne d'un
geste plein de grâce et de modestie. >» Tout le monde va pieds-nus, ajoute
M. Marquer : « Le roi de Taïti est le seul qui mette des souliers dans la vie
ordinaire, et lorsque dans les réunions officielles, les princesses chaussent des
bottines, elles sont horriblement embarrassées et ne tardent généralement pas
à boiter piteusement. » Elles ne portent d'ailleurs pas de bijoux, et elles ont
continué à s'orner, comme par le passé, des fleurs de tiare ou des gerbes du
rêva rêva. « En môme temps que l'industrie des tapas, dit encore M. Mar-
quer, a disparu celle des outils de pierre. Les haches antiques se trouvent
1) Le musée d'EUmographie possède deux pièces d'étoffe ainsi (abriqfuées. L'une dos deux vient
de M. le D' R. P. Lessoo, pour lequel elle a été fabriquée, et dont eUo porte le nom polynésien
jReto.
i) Les Taïtiennes sont si paresseascs. que bien que leur toilette soit des plus simples, elles ont
toutes une machine à coudre. S
V. 33
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490 LIVRES ET BROCHURES
encore assez facilement, mais reléguées dans quelque coin ou tombées à Tétat
de pierres à repasser. Seul, le penu ou pilon de pierre sert encore à broyer
la bouillie et, comme on a cessé d'en fabriquer, Toulil se fait rare et les
indigènes le cèdent très difficilement. » Les anciennes cases ont très générale-
ment abandonné la place à des maisons de bois garnies de vérandabs, peintes,
tapissées et meublées à l'européenne. Les grandes barques doubles ont dis-
paru, mais les petites pirogues sont restées ce qu'elles étaient jadis. Tout
Taïtien est charpentier, et Ton voit aujourd'hui construire à Papeete des cotres
de huit et dix tonneaux sans plan et sans modèle. L'outillage de pèche a peu
changé, le hameçon de nacre^ la boule en fragments de porcelaine montée sur
un axe de bois, la fouène, etc., sont à peu près les mômes que Bougaiuville et
Cook rapportaient au siècle de leurs expéditions.
Les anciennes fôtes ont presque toutes disparu, une seule des danses natio-
nales s'exécute encore en cachette, c'est la upa-upa^ et les concours à'hymenes
ont beaucoup perdu de leur ancienne importance... On a bien souvent signalé
la dépopulation, qui a accompagné à Taïti les modifications dans la vie des
indigènes, que nous venons de rappeler en partie. Il n'est pas sans intérêt de
faire remarquer avec M. Marquer une heureuse modification qui s'est produite
depuis quelques années dans la statistique taïtienne. Le nombre des indigènes,
qui n'était plus que de 7,212 en 1857, dépasse actuellement S,000. A Moorea, il
y a 1,400 insulaires, à Huahine et Tubuaï Manu, 1,300, à Raïatea 1,400, à
Taha 800, à Bora Bora 1,100 et 500 à Maupiti. On en compte 7,500 aux îles
Tuamotou ; les Tubuai en ont 725 (il n'y en avait plus que 450 en 1832). La
population des Marquises est évaluée à 6,000, celle des Gambier à 600, enBn
celle de Bapa à 170. C*est donc, plus de 30,000 habitants que comprennent nos
établissements océaniens ; 11,000 sont catholiques et 15,000 protestants.
E. H.
Boas (F.). Census and Réservations of the Kwakiutl nation. {Bull,
of the American Geogr. Soc, 1887, pp. 225-232.)
Les tribus indiennes de la Colombie britannique se subdivisent en un grand
nombre de bandes, qui réclament chacune comme leur propriété une certaine
zone de terrain donnée à leurs ancêtres par la Divinité, et comprenant générale-
ment pour chacune d'elles un emplacement pour la pêche, et des districts pour
lâchasse et pour la récolte des baies comestibles. On a tenu compte autant que
possible, dans le système de réservation employé dans la Colombie, de ces
besoins et de ces traditions, et le petit travail de M. Boas fait connaître, avec
carte à l'appui, les réserves officielles de la nation Kwakiutl, avec la capacité de
chacune et les ressources qu'elle présente. Cette nation, dont les habitants
comptent, suivant les statistiques. 1,889 à 2,264 individus, est divisée en dix
groupes occupant la côte nord-est de Vancouver, les îles voisines et les entrées
qu'elles couvrent. (Nahwitli, Fort Rupert, Nahwartoq, Mamalelequela, etc.)
Malgré les efforts des missionnaires et l'action du gouvernement, ils sont
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ANCIENT ROCK INSCRIïrrlONS IN ËASTERN DAKOTA 491
demeurés altacbés avec une remarquable ténacité à leurs vieilles coutumes et à
leur ancien genre de vie, et s'adonnent presque exclusivement à la pêche et à
la chasse. E. H.
Gharencey (H. de). Textes en langue tarasque. {Muséon, 1887.)
La langue tarasque, qui est celle de Tancien Michoacan, à Touest de l'Ana-
huac, n'est guère connue que par des citations empruntées à un livre du
R. F. Angel Serra, imprimé à Mexico en 1697 est un vieil Arle de Lagunas
devenu fort rare et dont le D' Nicolas Léon, prépare à Morelia, une réimpres-
sion. Cet idiome, dit M. de Cfaarcncey, ne paraît offrir de ressemblance bien
accusée avec aucun des autres dialectes du voisinage et se distingue surtout
par la douceur de sa prononciation. A cet égard, ajoute notre collaborateur,
il pourrait soutenir sans trop de désavantage, la comparaison avec le chiapa-
nèqu3 que Ton a surnommé l'italien du Mexique. E. H.
Lewis (T. H.) Ancient Rook Inscriptions in Eastem Dakota. {Ame-
rican naturaliste mars 1886).
Les inscriptions découvertes dans la réservation des Dakotas Sisseton et
Wahpeton et figurées par M. T. H. Lewis dans cette courte note représentent
grossièrement des empreintes de mains ou de pieds. Elles sont connues sous
les noms de Thunder BirdCs Tracks {les traces de Voiseau de la foudre) et de
Thunder Bird's Track's Brother,
Voici la légende qui circule au sujet de ces empreintes parmi les Dakotas.
Wakiyan ou Thunder-Bird avait son nid sur une motte élevée, formée de bois
et de broussailles, au centre d'une gorge large et profonde, à dix milles au
nord-ouest du lac Travers. Un jour une grande tempête inonda tout le pays ;
Thunder-Bird, chassé de sou nid par les eaux qui montaient toujours, s'envola
furieux et vint se poser sur le rocher Wakiyan Oye, le seul endroit qui ne fût
point couvert par les eaux, et sur lequel il laissa Tempreinte de ses pattes
(Thunder Bird's Tracks) retrouvée et dessinée par M. T. H. Lewis,
E. H.
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ACADÉMIES ET SOCIÉTÉS SAVANTES
ASSOCIATION FRANÇAISE POUR l^'AVANCERENT DES SCIENCES
SESSION DE TOULOUSE.
11* SECTION. — Anthropologie.
Comme dans les sessions précédentes ce sont les questions d'anthropologr'C
préhistorique et archéologique qui ont la plus grande place dans les travaux de
la section. Cependant quelques communications dont nous ne donnerons que
kîs titres ont abordé des questions d'anthropologie générale.
M. le D^ TopiNARD a de nouveau fait Texposé des conditions nécessaires
pour mener à bien une enquête sur la couleur des yeux et des cheveux en
France.
M. le D' Fauvelle a traité de l'origine ancestrale de Thomme par le système
dentaire et M. G. de Mortillet de la pénalité au point de vue anthropologique
et archéologique.
M. l'abbé DuiLHB DE Saint-Projet a présenté une note sur l'éducation intel-
lectuelle et morale d'une enfant sourde, muette et aveugle. L'observation est
fort intéressante, mais les conclusions se ressentent du caractère môme du pré-
sentateur.
M. Gross, de NeOville (Suisse), fait l'histoire des falsifications d'antiquités
acustres du lac de NeuchdtcL — On en fabriquait déjà dès l'année 1850 lors
de la fouille faite à la station de Concise (lac de Neuchâtel). Elles cessèrent
lorsque par l'abaissement du niveau des lacs de Bienoe, les palafilles furent
mises à découvert et d'une exploitation relativement facile. Plus tard, lorsque
les fouilles furent terminées et que les stations lacustres ne fournissaient plus
de récoltes surBsantes, les pêcheurs se mirent à confectionner avec de la matière
première trouvée dans les stations (cornes de cerf, serpentine, etc.), des objets
imitant ceux qu'ils avaient trouvés pendant leurs fouilles. Ensuite ils confec-
tionnéreQt une foule d'objets en corne de cerf de type «nouveau recouverts d'or-
nements qu'on n'avait pas observés jusqu'alors. «
Les contrefaçons se reconnaissent à leur poli exagéré et aux stries qui les
recouvrent en majeure partie, et qui, examinées à la loupe, ne laissent aucun
doute sur l'emploi d'instruments modernes. Entre ces objets de corne et de
pierre» on a rencontré aussi des contrefaçons de métal. Au moyen d'une plaque
de cuivre ces pécheurs ont confectionné des poignards, de gros boutons, des
amulettes, etc., o'ojets qui se distinguent des pièces authentiques par leur tra-
vail grossier et leur patine artificielle. Afin d'éclairer la question, la société
d'histoire du canton de Neuchâtel, fit faire à Cuvaillod des fouilles sérieuses
dirigées par un de ses membres. Elles amenèrent un résultat négatif, c'est-à«
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ASSOCIATION FRANÇAISE POUR l'aVANCEMENT DES SCIENCES 193
dire que les ouvriers ne retirèrent aucun objet semblable à ceux qui doivent
avoir été trouvésidans le môme emplacement par les faussaires.
M. le D' Delisle fait observer que les pièces de métal présentées par
M. Gross ne témoignent pas en faveur de Thabileté des faussaires. Ils se sont
servi de cisailles et n'ont pas fait de retouches et selon M. G. de Mortillet on a
tort de trop révéler les imperfections des pièces fausses.
D» Prunièrbs. Castors de VXmérique du Nord, du Kansas, etc., travaux
des rongeurs. — Il y a seize ans, M. le D^ Prunières annonça à la Société d'an-
thropologie de Paris que la légendaire ville engloutie du lac Saint-Andéol n'était
qu'une cité de castors. Cette découverte, niée au début, finit par être acceptée,
mais la science de salon nia encore obstinément et lorsqu'elle dut se rendre, elle
continua à jeter le trouble dans les esprits en ne cessant d'affirmer que s'il y a
eu des castors au lac Saint-Andéol, il y a eu certainemet aussi une cité lacustre
ou au moins un temple quelconque pour l'adoration du lac, etc.
M. le D' Pru.nières continua cependant ses recherches et ses études compa-
ratives. Pour cela il s'est fait envoyer des têtes de castor et des bois rongés,
non seulement du Kansas, mais encore de l'Extrème-Nord Amérique, des bords
du lac de l'Esclave, etc.
Toutes ces pièces, il les présente à la section d'anthropologie, en même
temps que d'autres bois extrêmement ramollis, mais admirablement conservés
qui ont été extraits des blancs -fonds du lac Saint-Andéol.
Les copeaux détachés par les castors américains, comme ceux qui proviennent
de Saint-Andéol où ils sont en quantité prodigieuse, sont absolument iden -
tiques.
M. Prumères fait remarquer que les incisions sur les bois américains comme
sur les vieux bois de l'Aubrac sont parfois très étroites, cela tient à l'âge de
l'animal : les petits castors font avec leurs étroites incisives des rainures qui ne
sont pas plus larges que celles faites par les gros rats et à cette occasion
M. Prunières montre plusieurs têtes de rongeurs de tailles diverses recueillies
dans les dolmens avec les os qu'ils ont rongés.
Les bois rongés sont ordinairement des bois blancs, mais les castors ron-
geaient aussi le chêne comme ils le font encore aujourd'hui au Kansas : d'ailleurs
les grands chênes du lac Saint-Andéol sont identiques à ceux extraits des lacs
de la Suisse et qu'on peut voir au musée de Saint-Germain.
M. le D' PoMUEROL demande à quelle époque les castors du lac Saint-Andéol
ont vécu et ont fait les constructions dont vient de parler M. Prunières. A
propos des pèlerinages qui se font encore au bord du lac, il parle de ce qu'ont
dit les auteurs au sujet du lac de Toulouse. A cette époque ancienne, les lacs et
les sources étaient l'objet d'un culte spécial.
M. le D^ Prunières dit que les processions autour du lac se font de plus en
plus rares. Elles se faisaient d'après certains rites. 11 ne lui est pas possible de
donner une date pour l'époque de l'existence des castors qui n'existaient plus
déjà à l'époque romaine.
M. le D' Delisle donne quelques renseignements sur l'ancien lac de Toulouse
dans lequel les Tectosages qui avaient accompagné le Brennus en Grèce, jetè-
rent les trésors provenant du pillage du temple de Delphes, pour apaiser les
dieux irrités.
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494 ACADÉMIES ET SOaÉTÉS SAVANTES
D' Prunièrbs. Fouilles de trente tumuli de la Lozère, — Au congrès de
Clermont en 1876 et à celui de Rouen en 188i, M. le D' Prunières communi-
qnait ses premières recherches dans les tumuli des causses lozériens. Depuis,
il a fouillé trente tumuli dans les communes de Sainte-Enimie, Chanas, Lava],
Saint-Georges et Massegros. Un seul, celui de Rocherousse a été fouillé sur la
rive droite du Lot, dans la commune d'Esclahèdes dont ie plus grande partie
appartient encore au causse de Sauveterre. Ce dernier tumulus a donné une
très belle épée en bronze avec sa bouteroUe et ses rivets de bronze à la poig-née,
correspondant à l'aine du mort, au niveau de la main droite, tandis que la pointe
était au côté droit de la tête. Un beau vase en terre reposait derrière la tète qui
était à Torient avec les pieds à l'occident. Ce fut à Toccasion de celte fouille que
M. Je D' Prunières découvrit le dolmen d'Uel Bougo.
Un tumulus du territoire des lacs renfermait de belles fibules, un rasoir en
bronze, un petit anneau en or couvert de ciselures.
Dans deux tumuli il y avait des coupes en bronze ; l'une était dans un vase
en terre à la télé du mort, Tautre sur le bassin du squelette à côté de deux
pointes de javelot en bronze et ù douille.
Les objets d'industrie, très nombreux dans tous ces dolmens sont de grands
vases très épais et très abondants, des vases en bronze plus rares, des bagues,
des bracelets, des anneaux de jambes, des rasoirs, des lances, des fibules, etc.
Quant aux restes humains, il est aisé de reconnaître que lés populations
étaient fort mélangées et tous les degrés sont représentés de la dolicbocéphalic
à la brachycéphalie.
D' Pineau, d'Oléron. Recherches sur Varchéologie de la Charente-Inférieure,
présentation de silex taillés, récoltés aux environs d'un dolmen dit de Saint-
Louis, rive gauche de la Charente, entre Taillebourg et Saint-Savinien. Le dol-
men a été démoli il y a quelques années par le propriétaire du champ. Les silex
étaient répandus au voisinage en quantités considérables sur une étendue de
quinze à vingt hectares environ.
Ils présentent deux formes et deux patines très différentes se correspondant
respectivement, c'est-à-dire que les grattoirs de patine moins épaisse sont de
formes plus fines, plus arrondies, plus minces ; les plus cacholonnés au con-
traire, sont très généralement plus épais, plus allongés, plus frustes. 11 y aurait
là, d'après le D' Pineau, la trace de deux établissements successifs néolithiques
sur le même point.
Le D' Gosse, de Genève, présente à la section une série d'objets d'ethnogra-
phie américaine très remarquables et parmi eux des objets de parure en argent
des Araucaniens sur lesquels on voit le iSwastika ; un racloir emmanché prove-
nant de la Patagonie et des objets préhistoriques en bronze et en pierres re«
cueillis en France et en Suisse.
MM. Bleicher et Barthélémy communiquent les résultats de leurs dernières
fouilles dans les camps anciens de la Lorraine. Ils présentent ensuite une étude
lithologique des matériaux vitrifiés et calcinés des remparts d'Affrique et de la
Fourasse.
M. LE D' PoMMEROL a observé dans ses excursions en Auvergne, un certain
nombre de pierres à bassins et à écuelles. Elles sont au nombre de quatre. La
première, haute de 1™,50, en forme de pyramide irrégulière, se dresse à l'est du
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ASSOCUTION FRANÇAISE POUR l' AVANCEMENT DES SCIENCES 495
village de Loubeyrat. Sur le milieu de la face sud est une écuelle très régulière,
ù fond horizontal, elliptique, se déversant à l'extérieur par une échancrure.
La seconde est un gros bloc de granit, à la base de la montagne dite le Rey
de sol, commune de Lachaux. Sur la face supérieure, est un grand bassin à
fond plat, à échancrure sur la paroi verticale, et qui est évasé en son milieu.
Une seconde cavité à fond horizontal, demi-circulaire, creusé à son centre d'une
petite cupule de quelques centimètres de diamètre, est creusée sur l'une de ses
faces. D'après une légende, on sacrifiait sur ce bloc des animaux et même des
hommes.
La troisième roche à écuelle est au sommet d'une montagne, au nord de celle
de THermitage, près de Noirélable. C'est une grande cavité, régulièrement
circulaire, creusée dans un gradin naturel. On peut s'y asseoir avec facilité. On
lui a donné le nom de chaise au Roi. Elle est évasée en avant, à fond plat, à
parois verticales et polies. D autres écuelles circulaires sont taillées sur des
rochers voisins.
EnGn, un dernier bloc est situé près du village de Champeaux, au sud de la
montagne de Gravenoire ; sa hauteur est de quatre mètres. Cinq bassins sont
creusés suivant une ligne demi-circulaire, étages les uns au-dessus des autres et
communiquant ensemble par des échancrures régulièrement disposées. Le bas-
sin inférieur, le plus profond, se déverse sur la paroi verticale de la roche ; le
supérieur est à fond sphérique, les autres à fond plat. Tous sont plus ou moins
évasés> creusés en leur milieu ou à la partie inférieure. Quand il a plu, trois
de ces cavités gardent l'eau, ce qui a fait donner au rocher le nom de pierre
aux trois bénitiers. Une petite écuelle arrondie est évasée sur un des angles
de la face supérieure.
D'après des légendes, de grands serpents ayant des ailes vivent dans l'inté-
rieure de la roche, et se nourrissent du sang des personnes qui tenteraient de
profaner le monument. De plus, ces fabuleux serpents peuplent le vallon,
habitent des cavernes où ils gardent des colliers de pierres précieuses.
Ces rochers sont de granit blanc ou gris, à grains plus ou moins gros, à con-
texture dense, serrée, homogène. Bassins et écuelles sont faits de[main d'homme,
il n'en faut pas douter.
M. Émîle Rivière a découvert des Ateliers néolitiques^ dans les bois de Cha*
ville et des Fausses-Reposes {Seine-et-Oise), dans le courant de cette année ;
le premier, le 17 avril 1887, à l'entrée du bois de Chaville, à droite de la route
de Paris à Versailles, contre la voie ferrée et les bois de Ville-d'Avray. A la
surface du sol et sans faire des fouilles profondes, il a récolté plus de deux cents
silex taillés. Le second a été découvert le 5 juin dernier, à un kilomètre du pré-
cédent au bois de Fausses-Reposes, commune de Ville-d'Avray. Les silex y sont
beaucoup plus abondants et à la surface du sol.|
MM, H. ET L. SiRET. Fouilles arcfiéologiques dans le sud de l'Espagne
relatives aux premiers âges du métal. — C'est assurément l'une des plus inté-
ressantes communications faites à la section d'anthropologie. Les documents
sur le préhistorique espagnol sont relativement peu nombreux, et les travaux
de MM. Siret nous font connaître diverses phases de la vie d'une partie des
anciennes populations de l'est de FEspagne.
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496 ACADÉMIE DES SOCIÉTÉS SAVANTES
D'après eux, les découvertes faites dans les deux provinces de Murcie et
d*Alméria, se rapportent à trois époques.
1» Néolithique, — Les constructions agglomérées en bourgades, sont très
primitives, et on pratique l'inhumation des corps. Comme instruments il y a des
haches polies, des couteaux, des pointes de flèches en silex, des poinçons en
08, des percuteurs, des meules en pierre, etc. On trouve comme objets d'orne-
ment, des bracelets en pétoncles, des colliers en steatites, ou en coquillages,
cônes, cyprées, dentales, etc.
2® La deuxième époque montre la transition de la pierre au métal. L'outillage
est néolithique et le métal apparaît sous forme de bijoux, bracelets et g^raîns de
colliers en bronze importés par un pauple plus avancé en civilisation. La métal-
lurgie indigène, fort primitive encore, confectionne des outils de cuivre. L'inci-
nération des morts est en usage ; les habitations et la poterie sont mieux établies
qu'à Tépoque précédente.
30 Enûn, l'âge du métal apparaît; les indigènes ont découvert les mines d'ar-
gent des Herrerias, et le métal précieux est utilisé à la confection de parures, et
même d'outils. Des envahisseurs se montrent, il faut défendre le sol aussi bien
que la famille, et l'on construit des bourgades bien défendues dans des positions
bien choisies. Les morts sont enterrés à l'intérieur des habitations et le plus
souvent dans de grandes urnes en terre cuite, où ils sont placés accroupis,
revêtus de leurs plus précieux effets, de leurs armes, de leurs bijoux. Auprès
d'eux on place des aliments. L'incinération est abandonnée. On trouve dans les
sépultures des haches en cuivre, des couteaux-poignards, des lances, des halle-
bardes, des poinçons, des épées de cuivre ou de bronze avec rivets en argent
pour maintenir les montures. Les bijoux sont des bracelets, des boucles ^d'oreille,
des bagues en cuivre, bronze, or ou argent, des colliers de substances diverses.
L'os et le silex sont encore en usage. Les crânes appartiennent au races de
Cro-Magnon, de Furfooz avec mélange d'un type qui se retrouve chez les Basques
de Zaraus.
M. DK Laurière. — Présentation de photographies. Il s'agit d'un groupe
de pierres situées sur un plateau désert à une heure et demie de marche, à l'ouest
de la petite ville de Macomer (Sardaigne), près du Nouragh, connu sous le
nom de Tamuli. Ces pierres, de forme à peu près conique, hautes d'environ
1"',50, offrent cette intéressante particularité qu'elles sont munies de deux
proéminences ressemblant à des seins de femme. Ainsi façonnées, évidemment
avec intention, elles sont rangées sur une seule ligne à peu près circulaire. Les
unes sont encore debout, les autres renversées.
M. Félix Rkgnault. Sur la grotte de Gargas. — L'auteur donne le résultat
de ses dernières fouilles, dans un foyer situé à l'entrée de la grotte, il repose
sur le gisement à ours, hyène, chai, rhinocéros, etc. Il se compose d'une couche
épaisse de 0",70 à 1 mètre, renfermant des ornements cassés de cheval, cerf,
bœuf, ours ; le renne y est fort rare, les silex sont peu abondants et d'une taille
très primitive. Il y avait deux poinçons en silex et une dent de cheval perforée.
D'Prunières. Le Dolmen d'Ucl-Bouguo, — Tel est le nom d'un monument
mégalithique qui couronne la crête d'une colline qui sépare la vallée du Lot de
celle d'un de ses affluents, le Jordan. Cela veut dire la borne de Vcèil ou de
la vue.
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ASSOCIATION FRANÇAISE POUR l' AVANCEMENT DES SCIENCES 497
On avait récemment enlevé une partie des pierres constituant rédifice, pour
les utiliser dans des constructions, mais Tespace qu'elles circonscrivaient était
très visible, et une vaste excavation rectangulaire indiquait la place de la Cella.
Il y avait encore six squelettes en position et d'autres débris bumains. Tout
autour de la Gella, les fouilles permirent de reconnaître de très nombreux restes
d'enterrements.
A l'intérieur, M. Prunières trouva une boucU en bronze, une pointe de flèche
en silex, une épingle en argent, la première qu'il ait jamais trouvée dans un
dolmen.
' Au dehors, on ramassa une petite hache polie, des restes de colliers en coquil-
lages, en pierre calcaire, en bronze, en ambre, en jais, etc.; un grain de collier
très grand, formé d'un caillou roulé irrégulier, très poli, analogue à ceux trouvés
en Bretagne.
A en juger par la longueur des fémurs réunis au cours de cette fouille, les
individus ensevelis étaient de grande taille, l'un d'eux devait avoir deux mètres.
M. Prunières a encore découvert dan& une cachette des rondelles crâniennes,
Tune d'elles porte des traces de cicatrisation.
M. LE COMTE DE Marsy dit qu'il est heureux d'annoncer à la section d'Anthro-
pologie, que l'on s'est décidé à publier la nouvelle loi sur la conservation des
monuments mégalithiques. Le Journal officiel du 25 septembre contient un
décret portant expropriation des emplacements de Karnac, non encore acquis
par l'État.
M. Makcelin Boulk. Temps] quaternaires et préhistoriques du Cantal. —
L'auteur expose pour quelles raisons il ne peut croire à la taille intentionnelle
des silex tortoniens du Puy-Courny, et il essaye de réfuter les arguments
invoqués en faveur de la taille intentionnelle par M» Rames. Il expose rapide-
ment l'histoire du volcan du Cantal, depuis Tépoque pliocène dont la fin a vu
s'établir les premiers glaciers. Il résume ensuite les travaux de M. Rames et y
ajoutant ses propres observations, il admet comme ce dernier, plusieurs périodes
glaciaires et explique le sens qu'il attribue à ce mot période, en faisant remar-
quer que cette théorie, peu favcrablement accueillie au début, a fait brillam-
ment son chemin. Parmi les nombreux géologues qui la soutiennent, on peut
citer, sans parler des Français : Penck, Dames, Nehring en Allemagne, Tor-
rell en Suède, Geikie en Angleterre et tous les géologues américains*
Les silex taillés du type de Saint-Acheul, ont été trouvés dans une terrasse
renfermant des éléments morainiques. On a aussi trouvé des silex du même type
à la surface du sol, sur les moraines de la première période et en dehors de la
sphère d'activité des derniers glaciers.
Des silex du type du Moustier ont été récoltés en grand nombre à la surface
du sol.
M. Boule signale les fouilles de M. Delort dans les abris sous roche de i'&ge
du renne dans les environs de Murât ; il fait ensuite l'inventaire des monu-
ments mégalithiques et autres du Cantal, ainsi que des découvertes isolées
d'objets en pierre polie, en bronze ou en fer; de plus, il présente à la section
une carte préhistorique du département.
Il rappelle enfin que les premiers puits d'extraction du silex de l'époque
néolithique signalés en France, ont été décrits par lui dans cette région.
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498 ACADÉMIE DES SOCIÉTÉS SAVANTES
Discussion, — M. E. Chantre dit que dans le bassin du Rhône, dont il étudie
depuis près de vingt ans les terrains quaternaires, on n*a pas trouvé les
traces des deux périodes glaciaires, et il ne croit pas que la théorie des deux
périodes soit si généralement admise. Il ne les a observées ni dans les
.PyrénéeSf ni en Scandinavie, ni dans le Tyrol, ni dans le Caucase où il a atten-
tivement étudié les Aonioes.
Il n*a pas une opinion bien arrèttfe poar le Cantal, qu'il connaît insufûsam-
ment, mais il proteste contre la généralisation de la théorie que M. Boule vient
de développer,
M. LE D' PoMMBROL dit quo les dépôts glaciaires sont toujours à un niveau
élevé et il ne paraît exister qu'une période glaciaire dans le Puy-de-Dôme.
Les conglomérats de Perrier sont traversés par des lits épais de cailloux, mais
cela ne prouve pas l'existence de plusieurs périodes glaciaires, mais de retraits
momentanés ou de variations de climats pendant la même période. C'est aussi
l'avis de M. Chantre.
M. BouLK -est fort étonné de voir M. le D' Pommerol se servir comme argu-
ment des conglomérats do Perrier très discutés, et nier l'existence des moraines
du fond des vallées admises par tout le monde. Ce n'est pas d'ailleurs sur Per-
rier, qui appartient au Puy-de-Dôme, que M. Boule peut s'appuyer en parlant
du Cantal. Pourtant, il doit faire remarquer que reconnaître comme glaciaire
la formation de Perrier, dans laquelle se trouve une faune séparée de la faune
quaternaire par celle de Saint-Prest, c'est reconnaître l'existence même de deux
périodes glaciaires.
M. LE D' Prunièrbs dit que M. Boule se trompe eu disant que la Lozère n'a
pas eu d'époque glaciaire. Le sol de l'Aubrac a été raviné par les glaces qui
de divers côtés ont laissé des dépôts de nature diverse, sable, cailloux.
M. G. DB MoRTiLLBT trouvc que M. Boule s'avance beaucoup en disant que
l'on trouve les deux périodes glaciaires dans le Cantal, tandis qu'elle s'est
maintenue sans interruption dans les Alpes, que dans les Vosges moins élevées
que le Cantal il n'y a qu'une période glaciaire.
Pour ce qui est de la Lozère, M. Boulb répond qu'il a fait allusion à certains
points signalés par des auteurs comme glaciaires et auxq uels il ne peut leur attribuer
cette origine. Dans la Margeride il n'a rien trouvé. Dans les Alpes et dans les
Vosges, Iqs vallées sont plus anciennes qu'en Auvergne, et, s'il y a eu plusieurs
périodes glaciaires, les traces doivent être bien moins distinctes dans les Vosges
que dans le plateau central.
M. Marcelui Boulb. AUuvions ariciennes à silex taillés de Malzieu (Lozère).
La localité de Malzieu (Lozère), est bâtie au centre d'un petit bassin ter-
tiaire. La Truyère, au régime torrentiel, coulant ordinairement dans des gorges
profondes, aux parois abruptes, s'étale en ce point et sur une longueur de
quatre à cinq kilomètres, sur un lit d'alluvions récentes, produit d'inondations
redoutables.
Mais en dehors de la sphère de l'activité actuelle de ces eaux, à peine pour-
tant au-dessus du niveau des plus grandes crues, à sept ou huit mètres
environ au-dessus de l'étiage, se trouvent des lambeaux de terrains d'allu-
vions anciennes, très riches en silex taillés de formes diverses, pouvant se
rattacher à celles dites du Moustier. Ces silex sont semblables à ceux de
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ASSOCIATION FRANÇAISE POUR l'aVANCEMENT DES SQENCES 499
Tatelier signalé autrefois par l'abbé Delaunay, à Saint-Léger de Malzleu. Cet
atelier, où Ton peut faire encore d'abondantes récoltes, est situé dans un champ
de grande étendue, où sont parsemés de gros blocs (un mètre cube environ),
d'un silex particulier d*eau douce à éclat gras, translucide et se prêtant mer-
veilleusement à la taille. Beaucoup de pièces travaillées appartiennent à ce
silex. J'ai recueilli d'autres éclats d'un silex renfermant des fossiles marins
(Pecten). Or, on ne trouve aujourd'hui aucune trace de formation marine, ni
aux environs de Malzieu, ni dans le bassin de la Truyère. La présence de cer-
tains de ces blocs est donc très difficile à expliquer. L'auteur appelle particu-
lièrement l'attention sur ce fait qu'à l'époque des alluvions à silex taillés, cette
vallée où coule une rivière au régime torrentiel était à peu près complètement
creusée.
M. Pallary. Sur quelques stations du département d'Oran.
M. Emile Rivièrb. Vépoque néolithique^ à Champigny (Seine),
Cette station a été fouillée A diverses reprises, en i867 et 1868, par M.Carbon-
nier, qui publia une notice en 1875. M. E. Rivière y pratiqua de nouvelles fouilles
en 1874 et cette année môme (1887), M. Le Roy de Closugeus, ingénieur, a fait
de nouvelles recherches dans ces parages. En voici le résultat. On a découvert
une série de foyers affectant la forme de véritables cuvettes creusées dans le
sol et contenant, chacune, un certain nombre de silex taillés et de haches polies
de l'époque néolithique, d'assez nombreuses poteries grossières, plusieurs
anneaux en pierre et quelques rares ossements d'animaux des genres Sus^ BoSy
EquuSf Cervusy etc.
M. Eugène Trutat. Sur des cailloux taillés des terrasses de la Garonne.
Les silex présentés par M. Trutat ont été récoltés dans un gisement situé
à Fontsorbes (20 kii. de Toulouse), sur la troisième terrasse de la Garonne.
A côté de types semblables à ceux trouvés dans les gisements connus, se
trouvent des sortes de disques formés d'une face plane obtenue par cassure et
sans retouches : les bords au contraire ont été retouchés, mais les éclats portent
sur la face brute du caillou. Le gisement de Fontsorbes contient presque exclu-
sivement des objets taillés suivant ce type et ce n'est qu'exceptionnellement
que l'on y rencontre des spécimens taillés en amande, forme de Saint-Acheul.
Son Age serait le même que celui de l'Infernet.
M. l'Abbé Cau-Durban. Cimetière à incinération de Bordes-sur-Lez {Ariêge),
Dans la partie sud de la commune de Bordes-sur*Lez, s'ouvre une vallée
étroite et profonde qui s'élargit au nord, en un plateau circonscrit par des
collines de moraine, et que limitent deux cours d'eau. C'est là que se trouve un
cimetière à incinérations, ayant quelque trait d'analogie avec les cromlecks de
la plaine de Rivière (Haute-Garonne). Ce cimetière se composait de nombreuses
enceintes affectant diverses formes, circulaires, semi-circulaires ou rectangu-
laires. Dans l'intérieur de ces enceintes, M. Cau-Durban a recueilli un grand
nombre d'urnes remplies d'ossements humains brûlés. Ces urnes, de dimensions
variées, en terre rouge, sont faites à la main. Toutes sont ornées de cordons
en saillie, de mamelons, de dents de loup. Elles étaient recouvertes d'un galet
ou d'un plat à cône tronqué.
Autour de ces urnes, il a été recueilli quelques objets appartenant à la
période néolithique, des fragments de bronze, torques, boutons» bracelets, des*
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50il ACADÉMIE DES SOCIÉTÉS SAVANTES
grains d'ambre. Dans une seule urne on a trouvé un bracelet en fer et un
fragment de boucle de même métal.
Suivant TAbbé Cau-Durban, cette nécropole appartient à la fin de Tâge de
bronze et au commencement de l'âge du fer. Elle constitue avec les nécropoles
d'Âvezac et de la plaine de Rivière un document important pour Thistoire des
anciennes populations du nord des Pyrénées.
M. Emile Cartailhac présente une série d'instruments en os et en bois de
renne, des dents de divers animaux plus ou moins ornementées et quelques-
unes perforées. Parmi ces objets se trouve un bois de renne sur lequel un
aurochs est gravé avec une grande perfection.
M. Ch. Bosteaox, Les fouilles du cimetière gaulois des ChampS'Cugn'c^'s, à
Prunay (Marne).
Ce cimetière, sis près de la route de Reims à Bar-le-Duc, sur une éminence,
a élé découvert en décembre 1885. Divers chercheurs ont déjà fouillé une cen-
taine de tombes.
Les sépultures sont tantôt groupées comme par familles, tantôt isolées. Elles
sont creusées dans la craie et leur profondeur varie de 0",60 à 1",20. Le
squelette est toujours recouvert de cendres noires et jamais on n'a trouvé de
pierre au-dessus des squelettes.
Le mobilier des tombes est celui de Tépoque gauloise, des torques, des bra-
celets, des bagues, des fibules en bronze et en fer, un collier composé de
trente-huit branches de corail, de six grains d'ambre et de sept grains de vpr-
roterie, et un bracelet composé de treize grains d'ambre.
Les objets en bronze sont tous plus ou moins ciselés ou tordus.
La céramique est de deux qualités difrérente3 ; certains vases en terre noire,
lustrés, sont ornés de dessins en creux faits à rébauchoir, d'autres sont en terre
jaune de nature plus tendre. Les plus finement faits sont de forme élancée et
plus ou moins peints en rouge ; les dessins sont des spirales et des grecques.
Un très petit nombre de vases sont intacts.
Les armes sont des épées en ibronze avec fourreau en fer, des lances en
bronze, des couteaux, un rasoir et des ciseaux ou forces.
Quelques tombes renferment deux sujets, un guerrier avec ses armes ou une
femme avec les objets de parure, torq ues, bracelets, etc.
M. Nicolas. Recherches pi^éhistoriques faites aux environs d* Avignon. —
Ce travail continue l'exposé des fouilles faites dans la grotte de la Masque dont
il a été question au congrès de Nancy, en 1886. M. Nicolas, depuis cette
époque, a déblayé de nouvelles salles. Les ossements d'animaux sont disséminés
sans ordre ainsi que des débris de poteries.
Dans les niveaux supérieurs, il a trouvé des restes de sanglier, chat, lièvre,
lapin, renard, chien, cerf, chevreuil, cheval, bœuf; les ossements humains sont
en petit nombre.
Les armes datent de l'époque néolithique, hache polie, couteaux, pointes Je
flèches, poignard en silex.
Au voisinage de la grotte de la Masque, il y a ^des abris sous rochers, très
étendus, où on a trouvé de nombreux silex taillés.
M. Gaillard de Plouharj<bl. Des menhirs isolés , des talus et de leur
concordance avec les dolmens, avec diverses fouilles à l'appui. — L'auteur cite
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ASSOCIATION FRANÇAISE POUR l'aVANCEMENT DES SaENCES 50 i
plusieurs exemples de menhirs qu'il appelle menhirs de témoignage et dont
l'éreclion en un point déterminé au voisinage du dolmen devait permettre de le
retrouver facilement. Quelquefois, au lieu d*un seul dolmen, il y a de véritables
alignements.
Très souvent les menhirs ont été détruits et leur disparition rend plus difficile
la découverte du dolmen.
Ailleurs, ce sont des talus qui permettent de reconnaître la présence des dol-
mens, et leur orientation est toujours concordante. Souvent, le dolmen a été
détruit tandis que menhirs et talus existent encore. Les taius n'aboutissent
pas directement sur les dolmens, mais sont presque toujours à une certaine
distance.
M. Emile Cartailhac, en présentant une série de crânes toulousains offrant
la déformation dite toulousaine, dit qu'on ne doit pas regarder la description de
Broca comme un type fixe et immuable. L'examen de la série qu'il met sous les
yeux de ses collègues en est la preuve évidente.
C'est aussi l'opinion du D^ Delisle, qui croit qu'on doit tenir grand compte du
type ethnique des individus. Cette déformation est en voie de disparition. Après
avoir donné la distribution géographique de la déformation dite toulousaine,
M. le D' Delisle rappelle ce qui a été dit par les anciens auteurs à propos de la
France et de la Belgique.
D'après M. G. de Mortu-let, on trouve sur les monuments égyptiens des
types manifestement déformés. M. Siret ayant dit que des Espagnols présen-
taient la déformation toulousaine, M. le D' Delisle fait observer que l'usage du
mouchoir serré, dès l'enfance autour de la tôte, chez les Catalans principale-
ment, peut provoquer une déformation, mais il ne pense pas que l'effet produit
soit le même.
M. E. Chantre rappelle qu'il a eu l'occasion d'observer les déformations
inio-frontales et inio-bregmatiques dans la région du Caucase. Elles remonte-
raient à la première période de l'âge du fer. Ses dernières observations lui ont
fait découvrir des traces certaines de cette coutume en apparence spéciales aux
Kurdes, aux Ossèthes, aux Arméniens et aux Géorgiens, chez plusieurs familles
Tatares, Tcherkesses et Lesghiennes.
M. Paul Cabanne. Silex ci^aquelés et étonnés à l'air des environs de Sainte-
Foy-la-Grande (Gironde), — Ce mémoire, très clair, vient apporter une preuve
concluante de plus à ceux qui rejettent les silex de Thenay ; ils présentent non
pas seulement une simple analogie, mais une identité absolue avec ceux de la
célèbre station signalée par l'abbé Bourgeois.
C'est aux environs de Sainte-Foy-la-Grande (Gironde), dans le vallon du
Bréjou, commune de Saint-André-et-Appelles, que M. Cabanne a recueilli ces
silex craquelés. Ils étaient tous disséminés exclusivement à la surface des nom-
breux tas de cailloux formés depuis plusieurs- années dans les champs et au
voisinage des sentiers. Jamais il n'en a été trouvé dans les couches inférieures.
M. Cabanne a étudié le craquelage avec soin : ses expériences l'ont conduit à
écarter l'action du feu, qui produit des effets différents.
« C'est un fait physique bien connu, que tout silex, jeté dans un foyer ardent,
une fois retiré et refroidi, a sa coloration complètement modifiée lorsqu'elle n est
n'est pas entièrement disparue. Il deviendra en môme temps opaque, *»
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502 ACADÉMIES ET SOCIÉTÉS SAVANTES
Rien de semblable sur les silex craquelés de M. Cabanne. « Us ont conservé
entièrement et leurs vives couleurs, et leur translucidité, t L*ftcUon du feu,
écartée, reste celle des agents atmosphériques qui peut fort bien provoquer des
modîGcations moléculaires intenses.
Aussi, sa conclusion est-elle logiquement déduite des faits. <c Ici, en petit,
là-bas (à Thenay), sur udo vaste échelle, et cela d'autant mieux, que le soleil
miocène de Tbenay devait avoir, ainsi que le prouve la végétation tertiaire, des
rayons autrement brûlants que le pâle soleil de notre pays et de notre
époque. » Les mêmes causes ont produit des efTets semblables.
Enfin, M. le D' Mouston a présenté un gros volume sur le Préhistorique dans
le pays de Montbéliard et les contrées circonvoisines. Il y a de tout dans ce
livre et nous croyons que Tauteur n'a pas bien su reconnaître les différences qui
séparent les diverses théories scientifiques qu'il passe successivement en revue.
Monogénisme et polygénisme, théories de Lartet et de M. de Mortillet, tout y
est emmêlé. Toutes les questions les plus diverses concernant l'anthropologie
préhistorique et l'ethnographie viennent là sans raison. M. Mouston a fouillé la
grotte de Rochedane, dans la vallée du Doubs.
D' F, Delisle.
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EXPOSITIONS, COLLECTIONS ET MUSÉES
Exposition de M. Joseph Martin, au Musée dn Trooadèro
Une très intéressante exposition des collections qu'a rapportées, de son
nouveau voyage dans la Sibérie orientale, un explorateur bien connu, M. Joseph
Martin, vient d*étre ouverte au palais du Trocadéro.
Envoyé pour la seconde fois sur les rives de la Lena aGa d*y étudier les
nombreuses mines en exploitation, M. Martin entreprit de parcourir cette fois
la vaste contrée inexplorée comprise entre cette rivière et le fleuve Amour.
Le voyage de notre compatriote, qui a duré cinq ans, a donné des résultats
très importants; ses relevés topographiques permettront de rectifier les caries
antérieures de la Sibérie orientale, toutes fautives, de préciser l'orographie des
bassins de rOleckma, de la Zéa et de TAmour, et feront connaître la configura-
tion exacte d'une partie de la chaîne des monts Slanovoï. Les collections de
botanique, zoologie, géologie, minéralogie, d'ethnographie et d'échantillons
commerciaux, enrichiront nos musées de pièces rares et d'espèces nouvelles.
Plusieurs peuples se partagent la Sibérie orientale, ce sont les Tschouktchis,
les Yakoutes, les Toungouses, les Mandchous et les Ghiliaks. Les régions de la
Lena et des monts Stanovoï visitées par M. Martin sont peuplées presque
exclusivement par des Yakoutes et des hordes Toungouses, et c'est auprès
d'eux qu'il a recueilli les pièces les plus importantes de la collection ethnogra-
phique.
Pandant son séjour parmi les Toungouzes et au cours de sa longue explo-
ration en compagnie de plusieurs familles indigènes, M. Martin a eu l'occasion
d'assister plusieurs fois à des cérémonies religieuses de ces peuples encore
adonnés au chamanisme, — culte qui disparaît rapidement depuis que les
Busses proscrivent et poursuivent à outrance ceux qui s'y adonnent, — et a
pu ainsi se procurer un costume complet de sorcier ou Chamane Toungouse
qui figure dans l'exposition. C'est le premier que l'on ait rapporté en Europe et
le musée de Moscou lui-même n'en possède pas; il est destiné à enrichir le
musée d'ethnographie du Trocadéro.
Rien n'est plus étrange que cet accoutrement à la fois misérable et préten-
tieux, composé de pièces disparates associées les unes aux autres.
Il se compose d'une grande robe en peau de renne tannée et d'une tunique
semblable soutachée d'arabesques en peau teinte et bordée d'une frange de
lanières de cuir ; partout pendent de longues bandes d'étoffes différentes ou de
peaU) auxquelles sont fixées quelques queues et dépouilles d'animaux et un
grand nombre de figurines grossièrement découpées dans des plaques de fer
poli et travaillé à la forge, qui représentent des rennes, des poissons et des
animaux de toutes sortes auxquelles ces barbares attachent un caractère sacrée des
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504 EXPOSITIONS, COLLECTIONS ET MUSÉES
plaquettes de cuivre, des grelots et autres bibelots qu'ils ont pu se procurer sur
frontières mongoles. Sur la poitrine tombe un plastron en cuir recouvert,
comme le reste du costume, de ces amulettes. Comme chaussure, des bottes en
peau. La tête est abritée sous une calotte en drap de diverses couleurs ; sou-
tenue par une carcasse en lames de fer qui supporte une pièce de fer repré-
sentant des cornes de renne ; des morceaux de peau de cet animal sont enche-
vêtrés dans les branches. Cette coiffure maintient en Tappuyant sur le front,
un masque grossier en cuivre rouge battu et qui complète bien l'ensemble de ce
costume sauvage et grotesque.
Le principal instrument de culte des Cbamanes est le tambour magique, qui
leur sert à s'accompagner dans leurs chants et leurs danses et à étonner les
esprits en complétant par un bruit sourd et sonore l'horrible cliquetis de toute
la ferraille qui recouvre leurs vêtements. La forme de cet instrument caracté-
ristique n*est pas identique chez tous les peuples adonnés au chamanisme ;
celui rapporté par M. Martin est formé d'une peau tendue sur une membrane
de bois, de forme ovoïde, au moyen de sortes de chaînes en fer forgé. 11 est
orné de peintures rouges et bleues formant bordures, représentant des rennes
et divers sujets et on le fait vibrer avec un battoir courbe en os recouvert d'un
côté de peau avec son poil et dont le manche figure une tête de renne. Il
diffère sensiblement des objets analogues provenant d'autres peuples chama-
niques qui existent déjà dans les collections du musée d'ethnographie du
Trocadéro.
Celui des Lapons, de dimensions un peu moindres, orné de figures plus
compliquées, et qui représentent, outre des rennes, des profils de tentes, des
croix ou swastikas, etc., est constitué, tantôt par un bloc de bois creusé avec
une traverse de même substance, tantôt par un cercle de bois mince avec des
tendeurs en cordes de boyaux. Le battoir est un petit marteau en os de la forme
d'un T, auquel sont suspendues des pendeloques de métal. Le prêtre, lorsqu'il
veut tirer un horoscope, finit par le laisser tomber sur le tambour, prétendant
lire dans les signes touchés par la pendeloque ou le marteau, la réponse aux
questions qui lui sont posées, et qui, presque toujours, sont relatives aux rennes
malades ou égarés. Enfin le tambour des Tschouklchis se réduit à un petit
cercle de bois emmanché, couvert d'une peau d'intestins de poisson et muni,
en guise de baj-uette, d'un éclat de fanon de baleine.
Les cérémonies du culte des Toungouses sont jusqu'ici restées à peu près
inconnues, aucun voyageur ne les ayant étudiées spécialement. La publica-
tion par la maison Hachette du grand ouvrage de M. Martin sur son voyage,
dont l'apparition est attendue avec impatience par les ethnographes, jettera
certainement beaucoup de lumière sur cette question. Les seuls renseignements
que nous ayons à ce sujet sont fournis par un article publié en russe à propos
des recherches du même voyageur dans un journal illustré de Pétersbourg.
Un des hommes de l'escorte étant mort, le plus ancien Toungouse, raconte
M. Martin, revêtit les insignes religieux pour célébrer les obsèques. Le
corps du défunt fut placé près d'un grand feu autour duquel tout le monde se
tenait debout, faisant entendre des chants qui se terminèrent par des plaintes,
des pleurs et des cris, tandis que le prêtre, frappant sur son tambour, appelait
les bons génies, et conjurait les démons. Le Chamane s'adresse avec une
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EXPOSITION DE M. JOSEPH MARTIN, AU MUSÉE DU TROCADÉRO 505
éloquence véhémente aux divinités des eaux et des airs, à la petite rivière, à la
"grand'mère montagne, objurgue tous les animaux, la lune, le soleil et les
«toiles. Il invoque aussi le chef des méchants génies : « Et toi, Chandaï, Satana
des Satana, vieux comme les pierres et dur comme elles, ne maltraite pas notre
frère; » puis il jette en Tair du beurre et de Falcool, en arrose le feu, répand du
lait de rennes, pour remercier les dieux et apaiser les démons. Alors commence
Tensevelissement. On place le corps dans un tronc d'ai*bre et à ses côtés, tous
les instruments de chasse et les idoles qui lui ont appartenu de son vivant. Le
cercueil est juché sur une charpente à quelques mètres du sol, et en s'éloi-
gnant, chaque Toungouse marque avec sa hache, en passant, un signe ?ur le
tronc d'arbre qui le soutient.
Ce n'est pas seulement lorsqu'un des leurs meurt, mais à l'occasion de tous
les actes de la vie que ces peuplades recommencent les mêmes invocations. Les
naissances, les maladies, le retour des saisons, la mort d'un animal sacré, tel
qu'un ours, le départ pour un voyage, le passage d'un torrent, tout pour eux
est un motif de conjuration. Us poussent la superstition si loin que les guides
toungouzes s'opposaient absolument, non seulement à ce que M. Martin
emportât les crânes humains trouvés dans les tombes anciennes, mais même à
ce qu'il prît les têtes et les pattes des animaux tués à la chasse, prétendant
qu'il fallait absolument attacher ces ossements, enfermés dans un morceau de
peau, aux branches élevées d'un arbre, et les y abandonner, sous peine d'attirer»
sur la caravane les plus grands malheurs. On peut juger par ce seul fait des
difficultés auxquelles se heurte un voyageur lorsqu'il veut former des collections
zoologiques dans un pareil pays.
Malgré ces obstacles, M. Martin est parvenu à réunir une série très impor-
tante d'idoles, grossières statuettes de bois noirci par le temps, munies d'yeux
de verre, habillées de fragments de peau, ornées de mâchoires de rennes sau-
vages. L'une d'elle est une divinité phallique. D'autres, plus informes,
sont de simples morceaux de bois surmontés de deux pointes, qui ont l'inten-
tion de symboliser les bêtes à cornes et servent à la fois de fétiches et de jouets
d'enfants.
La collection de M. Martin comprend également un certain nombre de vête-
ments, objets divers et idoles yakoutes.
Les Yakoutes, qui habitent à l'ouest des Toungouses, sont en général plus
civilisés que leurs voisins, et l'influence russe a changé plus profondément
leurs mœurs. Certaines tribus habitant des districts éloignés n'en sont pas
moins encore très fanatiques et ont conservé leur ancien culte et leurs dieux.
Elles ont, raconte Billings, tout un panthéon de divinités : Aar-Toyon, l'auteur
de la création : Koubey-Khatoun, sa femme; Ouchsyt, qui, disent-ils, a sou-
vent paru parmi eux, tantôt sous la forme d'un cheval blanc, tantôt sous celle
d'un oiseau ; Chessougoï-Toyon, leur protecteur spécial ; puis des esprits mal-
faisants, infiniment nombreux, divisés en trente-cinq tribus, auxquelles ils
offrent incessamment des sacrifices et des prières. Convaincus qu'ils sont d'être
en état de démonocratie^ c'est-à-dire sous l'influence immédiate des esprits
malfaisants, c'est à ceux-ci surtout que s'adresse leur culte, exercé, comme
chez les Toungouzes, par l'intermédiaire de Chamane et sous une forme
similaire.
VI 34
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506 EXPOSITIONS, COLLECTIONS ET MUSÉES
En outre du soin de leurs troupeaux de rennes et de chevaux, leurs princi-
pales occupations sont la chasse et la pêche qui procurent la nourriture,
des vêtements et des peaux dont ils font un important commerce avec les colons
russes. Ils ne craignent pas d'attaquer Tours avec un épieu à gros manche^
armé d*une lame aiguë très large et épaisse. Pour s'emparer des petits animaux,
à fourrure, martres, zibelines, etc., ils ont des pièges très ingénieux. M. Martin
en a rapporté plusieurs spécimens.
Leur instinct nomade est poussé à un tel point qu'ils ne veulent pas rester
plus de six jours à un même endroit et qu'ils transportent malgré tout leurs
tentes, ne fût-ce qu'à une trentaine de mètres, prétendant que leurs yourtes,
au bout de ce temps, prennent une odeur malsaine et désagréable. M. Martin
a eu souvent occasion de rencontrer des métis Toungouses, Yakoutes et Toun-
gouses Tschouklcbis. Dans certaines localités les mélanges de sang ont été
tels, qu'aujourd'hui les résidents eux-mêmes ne peuvent plus discerner d'après
les traits d'un indigène à quelle race il appartient.
L'exposition de M. Martin comprend, comme nous l'avons déjà dit, une très
belle collection de minéralogie formée d'environ treize cents échantillons des
rochers et des minerais appartenant aux terrains qu'il a traversés et étudiés.
Déjà, à son premier voyage, il avait rapporté une série importante de miné-
raux des rives de la Lena et de la Transbaïkalie qui a fourni à M. Vélain,
directeur du laboratoire des hautes éludes de géologie à la Sorbonne, les maté-
riaux d'un mémoire de la plus grande importance qui a éclairci bien des points
obscurs de la géologie de ces contrées et fait connaître plusieurs espèces
absolument nouvelles. M. Vélain va pouvoir continuer et compléter ses recher-
ches.
Il n'a guère été plus aisé de former cette collection de géologie que celles
d'ethnographie ou d'histoire naturelle. M. Martin a eu, en effet, à lutter contre
le mauvais vouloir de ses porteurs, qui jetaient en cachette les pierres qu'il
ramassait, et lorsqu'il s'en aperçut, lui répondirent qu'il trouverait sur les bords
de l'Amour autant de cailloux qu'il le voudrait, sans leur donner la peine de
les porter si loin !
L'étude des documents variés apportés par ce voyageur offre un vif intérêt
d'actualité en ce moment où l'attention de l'Europe est attirée sur les posses'
sions russes d'Asie. Elle nous fait mieux connaître, en effet, l'importance com-
merciale et politique d'une contrée appelée sans doute à jouer un grand rôle
par suite de sa proximité avec la Chine qu'elle limite sur une g rande étendue
et de ses ports immenses et sûrs, libres de glace la plus grande partie de
Tannée, qui sont les seuls que l'empire russe possède sur l'Océan.
{La Nature)» F. LANonm.
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NOUVELLES
L'émigration des Tartares de Crimée.
La presse russe a souvent parlé de rémigration des Tartares de Crimée
phénomène qui, bien qu'il n*ait pas cessé de se produire depuis l'annexion de
la Tauride à la Russie, a pris dans ces dernières années» sous l'influence de la
réforme militaire, des proportions plus considérables que par le passé. Nous
trouvons à ce sujet dans la Voix, un article intéressant. Ce journal est d^avis
que l'introduction du service militaire obligatoire ne peut point être considérée
comme la cause déterminante de la recrudescence de Témigration des Tartares,
« la vraie cause est plus profonde, dit-il, et doit être cherchée dans les rapports
qui ont existé entre notre gouvernement et la population musulmane de la
Crimée à partir de leur passage sous la domination russe. La Russie, ajoute
la Voix, a été indifférente et peu soucieuse des intérêts des Tartares de Crimée ;
rien à peu près n*a été fait durant un siècle pour améliorer les conditions maté-
rielles et morales des Tartares, et il n'y a point à s*étonner que leurs sympathies
restent acquises, comme vers le milieu du siècle dernier, à la Turquie, à
laquelle les rattache Tunité de croyance. La réorganisation du service militaire
n'a été qu'un prétexte à l'émigration, qui n'avait point discontinué pendant les
quatre-vingt-dix dernières années, i La Voix retrace ensuite l'historique de
l'émigration tartare, en exposant en même temps la politique suivie à cet égard
par notre gouvernement.
L'annexion à la Russie de la Crimée, de Taman et du territoire de Kouban
eut lieu en vertu d'un manifeste portant la date du 8 avril 1773, dans lequel il
était dit, entre autres choses, que les populations du territoire annexé jouiraient
à l'avenir des droits attribués à la condition de chacune d'elles par les lois de
Tempire, et que nulle atteinte ne serait portée à l'exercice de leur culte. Dans
le courant de la même année, le gouvernement autorisa le passage des Tartares
nomades de la Crimée sur les rives du Volga et de l'Oural, ceux-ci ayant
manifesté le désir d'émigrer dans ces contrées ; en même temps, on n'opposa
aucun obstacle à l'émigration des Tartares en Turquie. Bientôt, cependant,
cette émigration prit des proportions qui obligèrent notre gouvernement à
songer à des mesures propres à en arrêter la marche croissante. Le prince
Potemkine exprima l'avis que, tout en n'empêchant pas le départ des Mourzas
(nobles) et des Tartares citadins, il fallait s'opposer à l'émigration des Tartares
campagnards. Avec le vrsû tact de l'homme d'État, Potemkine voyait bien la
véritable cause de l'émigration, et estimait que de bonnes mesures gouverne-
mentales seraient d'une efQcaciié bien plus grande que des décrets prohibant
la sortie.
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508 NOUVELLES
« Nos nouveaux sujets, écrivait en 1787 le prince Potemkine au gouverneur
du territoire de Tauride, requièrent Tentière sollicitude du gouvernement ; la
sécurité et le repos de chacun d'eux doivent être garantis, et, s'il en était
ainsi, ils ne songeraient pas h abandonner le pays de leurs pères. Les départs
qui ont eu lieu prouvent le mécontentement des Tartares ; tâchez d'en découvrir
la cause et faites votre devoir avec fermeté en donnant satisfaction à tous les
griefs légitimes. Les bons procédés peuvent nous gagner les cœurs, mais la
justice seule est en état de nous concilier la conGance de la population. »
Il ne suffisait cependant pas d exercer la justice pour contenter des habitants
barbares et fanatiques, qui considéraient comme une oppression et une iniquité
toute réforme tendant à les rapprocher d'un état social civilisé ; aussi l'émi-
gration en Turquie poursuivit-elle son cours pendant les règnes de Catherine If,
de Paul !•' et de l'empereur Alexandre I*". Le gouvernement changeait à tout
moment sa ligne de conduite, tantôt se montrant indifférent aux départs des
Tartares et tantôt y opposant des mesures plus ou moins rigoureuses.
Par un rescrit impérial du 29 août 1803, il fut décidé que les Tartares pro-
priétaires fonciers auraient toute liberté de quitter le pays, mais que, dans ce
cas^ leurs lots de terre deviendraient propriété du fisc. Vers la fin de l'année
suivante, lorsqu'on s'aperçut que l'émigration privait de travailleurs les proprié-
taires fonciers des steppes, il fut décidé que Tautorisation en question ne serait
applicable qu'aux Tartares habitant la région montagneuse de la presqu'île et
les départs devinrent par suite moins fréquents. Sauf en 1818, il n'y eut plus,
depuis ce temps, d'émigration en masse jusqu'aux années qui suivirent la guerre
de Crimée. A cette époque, c'est-à-dire en 1856, le signal de l'émigration fut
donné par ceux des Tartares qui, pendant la guerre, avaient passé à l'ennemi,
par une grande partie des habitants de la ville d'Ëupatoria et par une certaine
partie de la population des districts d'Ëupatoria, de Pérécop et de Sym-
phéropol.
Là-dessus les départs devinrent moins fréquents et ne se renouvelèrent que
quatre, ans plus lard, mais cette fois avec une intensité qu'on n'avait point eu
occasion d'observer jusqu'alors. Dans l'espace de deux ans, — de 1860 à 1862,
— près de 200.000 Tartares s'expatrièrent en Turquie, et il est hors de doute
que l'émigration aurait atteint des proportions plus considérables si on ne lui
avait point opposé une barrière. Quelle était la cause de ce regrettable pbéno-
nomène? Voici ce que la Voix croit pouvoir dire à ce sujet : « La défection d'une
partie des Tartares lors de la guerre d'Orient et la crainte assez naturelle que
cela pouvait, le cas échéant, se reproduire encore, avaient amené nos hautes
sphères gouvernementales à envisager sans regret l'émigration des Tartares
Cette manière de voir fut communiquée confidentiellement à l'administration
supérieure locale qui, sans provoquer le départ des Tartares, ne s'y opposait
plus du tout, en s'appliquant à régler l'émigration dans le but d'éviter au pays
une crise économique. Dans le courant de l'année 1860, l'administration délivra
aux émigrants tartares jusqu'à cent quatre-vingt mille passeports. Au mois de
mars 1860, on déclara aux Tartares, afin d'arrêter le courant de l'émigration, que
les émigrés n'auraient plus l'autorisation de rentrer dans le pays; cette mesure
demeura sans résultat. Au mois d'août de la même année, il fut décidé de limn
ter à un cinquième du total de la population tartare le nombre de ceux auxquels
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NOUVELLES 509
des passeports pourraient être délivrés; cela ne fit que multiplier lesTrequétes,
chacun craignant de rester en dehors du nombre de ceux qui seraient libres de
partir. Enfin, au mois de décembre, les départs furent complètement interdits,
sauf pour des motifs spéciaux dont l'appréciation appartiendrait au gouverne-
ment général de la Nouvelle-Russie. C*est alors que l'aide de camp général
Vassiltchikow fut envoyé en mission en Crimée pour étudier les causes et les
conséquences de Témigration tartare et les moyens d*y remédier. Le prince
Vassiltchikow fit une enquête personnelle très approfondie et constata une sou-
mission parfaite et sincère des Tartares au gouvernement de l'empereur, ce qui,
joint à leurs mœurs douces et tranquilles, rendait la tâche facile à Tadministra-
tion. D'autre part, cependant, l'enquête fit découvrir que l'administration et
surtout les propriétaires fonciers usaient, envers les paysans tartares, de pro-
cédés extrêmement durs : c'est dans le poids des charges fiscales et dans les
redevances considérables et indéterminées envers les propriétaires fonciers, et
non pas dans le fanatisme de la population, que, de l'avis du prince Vassiltchi-
kow, il faut chercher la cause du mécontement sourd et obstiné qui pousse les
Tartares à l'émigration.
Les mangeurs d'arsenic
En Styrie on fait grand usage d'acide arsénieux Ou de sulfure d'arsenicl
Certains sujets en pretinent en une seule fois jusqu'à dix centigrammes, quan-
tité énorme, quand on sait qu'en médecine un seul centigramme pris en une
seule fois constitue déjà une forte dose. Les docteurs Buchner et Knapp ont
examiné dernièrement des mangeurs invétérés de Styrie. Tous ces mangeurs
s'accordent à dire qu'ils emploient l'arsenic pour se trouver toujours dispos et
se prémunir contre les maladies épidémiques. Le docteur Buchner affirme qu'il
n'a jamais rencontré chez eux de gens abrutis; au contraire, ils se distinguent
par une véritable aptitude au travail. Enfin, contre la croyance générale,
l'usage continu de l'arsenic n'amènerait pas l'embonpoint. Le corps des man-
geurs n'est nullement déformé par la graisse, et pour se maintenir en bonne
santé il n'est pas besoin d'augmenter sans cesse la dose, comme on l'a répété
à tort. Bref, les mangeurs d'arsenic sont des gens robustes et d'excellents tra-
vailleurs. Nous n'y contredirons pas. Mais ils sont de Styrie. Nous connaissonà
tous, du reste, les vertus de l'arsenic et les chevaUx de course aussi. Seule-
ment partout l'abus est un défaut.
H. DE Parville.
L'âge de pierre au Congo
Le capitaine commandant d'artillerie ZboTnski, envoyé en mission par le roi
des Belges au Congo en 1884 et en 1885, a observé sur la rive gauche du grand
fleuve, dans la région des cataractes, aux environs de Manyanga-Sud, un
champ couvert de fragments de quartzite, roche qui affleure en ce point. En
examinant ces débris, il crut remarquer que c'étaient des pierres taillées, rappe-
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SIO NOUVELLES
lant par leurs formes et par leur travail les instruments de pîefre de nos pays
européens. Il en recueillit cinq spécimens et, à son retour de Belgique, un
nouvel examen ne fit que le confirmer dans son opinion.
M. le commandant Zboïnski a bien voulu nous soumettre ces objets. Je n*hé-
site pas de mon côté à y reconnaître des instruments de pierre grossièrement
taillés, et fort analogues k ceux que Ton rencontre abondamment chez nous à la
surface du sol» au milieu des débris de Tépoque néolithique. On y observe,
entre autres, les inévitables grattoir et perçoir,
La découverte de M. Zboïnski a une sérieuse importance ethnographique.
Elle ne nous fait pas seulement connaître la présence d'outils en pierre dans
cette partie de l'Afrique ; il y a en outre lieu de croire qu'en ce point du Congo,
la pierre était extraite et taillée sur place et non apportée des localités plus ou
moins lointaines. Ce serait, en d'autres termes, un atelier de taille. De sorte
que Texistence d'un Age de la pierre, propre à ces régions, s'annonce sur les
côtes occidentales de l'Afrique ave un ensemble de caractères qui ne peuvent
guère le laisser révoquer en doute.
Cette conclusion est d'autant mieux justifiée que M. Zboïnski^ ayant eu
l'occasion de se rendre dans les possessions portugaises voisines, a recueilli
d'autres pierres taillées dans la région de Mossamédès ; trois d'entre elles sont
cette fois, non plus en quartzite, mais en silex et aussi grossièrement travaillées
que ceux de Manyanga. Un silex, d'un travail également primitif, a été ren-
contré à quarante kilomètres à lest dans la plaine GirauU.
Ed. Dupont.
Les arcbiyes internationales d'ethnographie
Nous sommes heureux de souhaiter la bienvenue à un nouveau recueil consa-
cré à des études qui nous sont particulièrement chères. Ce recueil, essentielle-
ment ethnographique, sera intitulé Internationales fur Ethnographie, Il est
fondé par notre collègue, M. Serrurier, conservateur du Musée royal ethnogra-
phique de Leyde ; les principaux collaborateurs sont MM. Bahnson, de Copen-
hague, G. Cora, de Turin, Dozy, de Noorwisk, Pétri, de Saint-Pétersbourg,
Schmeltz et Serrurier, de Leyde. On se propose d'étudier plus particulièrement,
dans cette publication internationale, Vethnographî^ analytique qui n'a point,
jusqu'à présent, dit M. Serrurier, « de publication périodique qui lui soit prin-
cipalement vouée ».
E. H.
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CORRESPONDANCE
Notes ethnologiques sur l'île de Mallicolo. — Monuments méga-
lithiques du DJebel-Oum-Settas et de POned-Derbela. — Non-
Telles du Congo français. -- Découvertes d'antiquités à la Gua-
deloupe, à la Désirade et à Marie-Galante. ^ Fouilles avix,
environs de Taehkend. — Analyse d'une hache du Mexique.
Konif 19 janvier 1887.
Je suis heureux que les envois que j'ai fait au Muséum ' soient arrivés en bon
état. Je ne sais comment sont parvenus à Paris les poissons et les serpents de
Mallicolo que j*ai expédiés. Les serpents peuvent être curieux ; ils ne sont pas
les mêmes que ceux que j'ai envoyés des îles Loyalty ; en Galédonie et à Tiie
des Pins, îles très voisines, l'on n'en trouve aucun de l'espèce terrestre.
Quant aux crânes, la déformation spéciale à l'île de Mallicolo leur est donnée
artiQciellement. L'enfant à peine né est remis entre les mains des matrones qui
lui malaxent la tête et l'entourent de lianes: les liens sont renouvelés jusqu'à
l'Age de trois ans ; à cette époque le crâne a acquis la configuration voulue.
Vous avez dû remarquer que les crânes de femmes manquent tous des deux
incisives supérieures ; c'est encore une pratique spéciale dans l'Archipel, à l'île
de Mallicolo : quand une jeune fille se marie, on lui enlève ces deux incisives»
soit en les frappant à petits coups avec une pierre dure, soit en les extirpant
une fois qu^elles sont ébranlées, soit en les cassant violemment. J'ai eu occa-
sion de voir trois jeunes filles de Tile qui n'avaient pas voulu se soumettre à
cette coutume barbare, de crainte de la douleur ; l'une d'elles restait non mariée
dans la tribu, objet de la réprobation unanime, les deux autres étaient envoyées
à la Compagnie des Nouvelles-Hébrides. J'ai recueilli nombre de documents
<^urieux au sujet de l'anthropophagie pendant mon séjour dans l'Archipel. Les
indigènes n'en veulent pas parler et nient toujours l'avoir pratiq uée, mais de
côtiers, des pêcheurs de biches de mer du « Coprah-Makas n, ceux que Ton
dépeint sous le nom de a frères de la côte », m'en ont cité bien des cas auxquels
ils ont assisté. Du reste, sur un espace de quelques lieues carrées, à Malli-
collo, se trouvent une dizaine de tribus qui sont toujours en guerre. La
cause en est que lorsqu'un guerrier quelque peu important meurt, pour ne pas
le laisser partir seul, il faut tuer un guerrier de la tribu voisine I De là les
1) Cette lettre nous est communiquée par M. de Quatrefages.
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512 CORBESPONDAIfCE
haines et les guerres. Je n'c^i jamais vu ud homme à Mallicolo marcher
sans son fusil (Sniders, Martini-Henry ou autre) sur l'épaule et à la main
un arc avec des flèches empoisonnées. Pour venir faire leurs achats au
magasin de la Compagnie des Nouvelles-Hébrides situé près du camp, ils
prenaient toujours la voie de mer, n^osant pas passer sur le territoire des tnbus
voisines de quelques centaines de mètres seulement. Les crânes des ennemis
tués ainsi sont conservés, enduits de terre glaise pour représenter les muscles
et colorés en rouge ; j'ai pu m'en procurer deux spécimens qui doivent être
arrivés en France et que je réserve au muséum. A Mallicolo, à rencontre de
ce qui se passe dans les autres îles de l'archipel, les natifs se défont &cilement
des crânes de la tribu moyennant quelques francs la pièce ; c'est ainsi que j*ai
pu vous en envoyer. Malgré mes recommandations à tous les capitaines côLiers
et recruteurs, je n'en ai pu obtenir des autres îles, que deux, fort cassés, re-
cueillis à Âmbrjm.
L'archipel se dépeuple très vite ; maintes fois dans mes courses j'ai rencontré
des villages abandonnés ; la cause en est aux guerres, à Fanthrophagie, aux
maladies, principalement à la syphilis, et enfin â l'émigration. Les indigènes
qui vont à Queensland n'en reviennent pour ainsi dire jamais; le climat y
est fort meurtrier pour eux ; il en est de même de ceux qui vont aux Fidji et
à Honolulu ; ils y contractent un engagement de dix ans et il est rare ique
l'on en voie revenir; aussi les prix que demandent les chefs sont-ils de jour
en jour plus élevés pour laisser partir leurs sujets.
J'ai envoyé à ma soeur à Paris nombre d'objets destinés au Muséum ou au
musée d'ethnographie, je la prierai de vous les faire parvenir et vous voudrez
bien garder pour votre établissement ce que vous jugerez utile et envoyer le
reste au Trocadéro. Il y a notamment deux haches, non en pierre, car la pierre
n'existe pas à Mallicolo, mais en morceaux d'hippopus, ce grand bénitier
commun en Océanie. On ne fabrique plus de ces instruments et je les crois
rares et curieux.
J'ai encore trouvé ici, dans le Nord, plusieurs spécimens de poterie canaque
datant de longtemps, car les indigènes ne se servent plus que de marmites en
fer ; quelques-uns de ces objets sont ornés de petites sculptures et pourraient
être intéressants comme spécimens d'une industrie disparue complètement.
Veuillez me dire, monsieur, comment je pourrai les expédier au musée du
Trocadéro.
Veuillez, etc.
D' E. Cailliot.
Camp d'El Gueirah, 1" juin 1887.
... Les archéologues, qui ont visité cette contrée, ont signalé depuis long-
temps la présence de ruines mégalithiques, dolmens, tumuli, cromlechs, etc.
Mais la région dont nous nous occupons a été moins explorée que celle de Sigus.
Les ouvrages, qui ont trait à ces ruines, indiquent seulement qu'on a aperçu des
dolmens sur le Mazela de Bou-Nouara. Mais aucun ne fait mention de ceux du
Djebel-Oum-Settas. Personne n'indique non plus une date approximative del'é-
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CORRESPONDANCE
513
poque à laquelle ces monuments ont été construits. On est généralement d'ac-
cord pour affirmer qu*ils sont antérieurs à tout ce qui est connu de l'histoire de
ce pays. Pourtant on est en droit de se demander si ce ne serait pas là une trace
du passage des légions auxiliaires du Rhin, qui remplacèrent la troisième
légion Augusta après son licenciement, d'autant plus que ces ruines se trouvent
toujours dans les environs des ruines romaines. Ce n'est d'ailleurs pas par
centaines, c'est par milliers qu'ils faut compter ces restes.
Dolmens. — Les dolmens sont peu élevés (l«n,50 au plus) et sont formés d'une
table à peu près ovale, qui mesure parfois jusqu'à 3 mètres de longueur, table
soutenue par deux pieds-droits. Ils sont toujours entourés d'un cercle de grosses
Flg. 78. — Fragment de roche" gravée de la Guadeloupe (collection Guesde),
pierres non taillées. Us sont situés sur la crête du Djebel-Oum-Settas et sur ses
pentes nord. On les retrouve en nombre bien plus considérable sur le flanc ouest
du Mazela de Bou-Nouara.
Tumuli, — Sur les croupes voisines, on remarque des tumuli • Généralement
circulaires, ils se présentent sous la forme d'une calotte sphérique de 4 mètres de
diamètre et de 0">,60 de hauteur. Au milieu et au sommet sont deux ou trois
pierres verticales, entourées d'un petit cercle entouré lui-même d'un autre^cercle
qui suit le pourtour du monument. Ce dernier cercle n'est pas fait sans prin-
cipes; il se compose d'une série de pierres placées verticalement, séparées par
trois ou quatre pierres horizontales.
On en rencontre (mais ils sont rares) qui ont une forme rectangulaire; le rec-
tangle mesure 3 mètres de longueur sur 1«,50 de largueur.
Plusieurs d'entre eux ont été fouillés. Ces fouilles ont amené la découverte de
débris d'ossements humains, qui se réduisaient en poussière au contact de la
main. Pourtant nous avons trouvé des morceaux de radius et de cubitus et une
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su
CORRESPONDANCE
mâchoire à laquelle étaient encore adhérentes trois dents assez bien conservées.
11 n'y avait aucun fragment de crâne. Dans quelques-uns des monuments nous
rencontrions des débris de vases en terre. Un vase entier, qui avait dû recevoir
un coup de pioche pendant la fouille, s'est complètement effrité quand on a
voulu le soulever.
Ces lumuli se trouvent principalement sur la rive gauche de TOued-Derbela.. .
C. Sauret.
Lieutenant au 49^ régiment de ligoe.
Pointe-à'Pitrey 11 septembre 1887.
J'ai le plaisir de vous annoncer que j'ai enfin pu ajouter à ma collection
d'antiquités caraïbes une pierre portant une inscription. Le dessin que com-
Fig. 79. Hache & encoches de la Desirade (coll. Guesde).
porte cette pierre, et que je reproduis ci-joint (fig. 78), n'est malheureusement
qu'une partie de l'inscription totale. La pierre que je possède est un fragment
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CORRESPONDANCE 515
d*une pierre plus grande, elle est fortement oxydée, par suite de son séjour dans
Teau, en sorte que, en dehors des deux figures complètes, on voit à droite et à
gauche des traces non douteuses d*un dessin plus compliqué. Je suis mille
fois heureux de cette trouvaille, car il y la onglemps que je poursuivais la pos-
session d'une pareille pièce.
Je vous communique en môme temps le croquis (fig. 79)d'une hache que j'ai
découverte à la Désirade. Jusqu'à ce jour j'avais rencontré quelques haches
ayant une grande tendance à se rapprocher du type des Guyanes, mais je
n'avais jamais eu le bonheur de mettre la main sur un spécimen aussi pur. Le
malheur veut que cette hache ne soit pas complète ; toutefois elle a conservé les
encoches qui en caractérisent Torigine.
J*ai bon espoir que cette communication vous intéressera.
J'ai également trouvé à la Désirade une idole mastoïde, en granité à face hu-
maine, très intacte. Voilà deux pièces en granit que je trouve à la Désirade,
quand, partout ailleurs, je n'ai jamais rien rencontré taillé dans cette pierre,
l'autre pièce est aussi une idole mastoïde» mais figurant une simple pyra-
mide, elle est représentée dans l'album que j'ai offert au Trocadéro.
J'ai bon espoir de pouvoir vous montrer ma collection dans dix-huit mois,
car la colonie tient beaucoup à ce qu'elle figure à l'exposition de 1889.
J'allais omettre de vous dire que j'ai trouvé quelques outils en silex taillé dans
la pièce de terre, dont il a été question oans une de mes précédentes lettres
(Revue d^ ethnographie, t. !•') mais aucun de ces outils n'est complet. J'ai trouvé
un couteau semblable à ceux de Mane-Galante.
Recevez, etc. . Guesde.
Com5(X, 10 septembre 1887.
Lorsqu'au mois de juin dernier, le capitaine Pleigneurécrifait à M. Maunoir
qu'il pensait que vous voudriez bien me présenter comme membre de la Société
de Géographie de Paris, je comptais vous écrire aussitôt. L'affreux malheur qui
nous est arrivé excusera mon retard.
Nous nous étions quittés le 3 juillet à Kakamucke, sur le Kuillou, lui remon-
tait à Macabana, d'où il devait redescendre par le Niari, faisant des observa-
tions précises pour reconnaître le niveau du commencement des rapides, et je
retournais à Loudima par Loango. C'est le 1er août que j'ai a ppris par des
noirs la terrible nouvelle. Je n'y voulais pas croire d'abord, cependant, je me
mis en route immédiatement.
Cet excellent ami est mort le 20 juillet, dans les rapides sous Kitabi ; son corps
n'a pas été retrouvé, et d'après les témoins de l'accident, il n'a pas crié, il n'a
pas reparu.
Quelle triste fin I Lui» plein d'avenir, de santé, aimé de tous ; dévoué, prêt à
rendre service et à faire plaisir, mourir ainsi ! Son travail était presque fini,
une journée encore et il n'y avait plus de dangers.
Un de ses parents était mort quelque temps auparavant, lui laissant une cer-
taine fortune; il me disait à Loango que son travail terminé, il permuterait et
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516 CORRESPONDANCE
pour être bien sédentaire, irait dans la gendarmerie où dans là garde répu-
blicaine et se marierait. J'ai été cruellement frappé de cette mort, et ici tous
le regrettent.
Il avait presque terminé le bassin du Niari, encore une ou deux petites rivières
que je devais lui remettre et il se rendait à Brazzaville par la rivière Lalli, au
nord du Niari.
. De Loango, il avait envoyé tous.ses calculs à M. Ballay, lieutenant gouverneur
en cas d'accident, et on n*a trouvé dans ses papiers que quelques itinéraires.
Je vais me mettre en quatre pour continuer ce travail, mais ce r\^ sera plus
la même cbose.
Jusqu'à présent, je n'ai pu m' occuper que très peu de réunir des objets
curieux ; seulement ce qui m'est tombé entre les mains ; j'ai toujours couru et
les postes étaient dans une telle pénurie, que je me faisais scrupule de rien dé
penser. C'est en allant dans la rivière Lalli, chez les Bayacks, que je pourrai
avoir quelque chose ; métiers à tisser, etc.
Je vous avais parlé, il y a quelques mois, de M. Brussaux. cet agent est
actuellement chargé des travaui de la roule dans la forêt de Mayombe ; où il
va faire une collection sans précédente, la collection des bois et des lianes; il
est d'une famille de forestiers et il a vu à Nancy comment on s*y prenait. D
compte en plus d'un herbier, qu'il n'est pas certain de réussir avec l'humidité
permanente, photographier chacun aes arbres. De plus, il ramassera tous les
genres de minéraux et de pierres qu'il rencontrera.
M. Brussaux s'occupe aussi de naturalisation et il a déjà une collection d'oi*
seaux très remarquable
Le capitaine Pleigneur s'était débarrassé à mon proBt d'un appareil à photo-
graphier qui l'encombrait; j'ai demandé en France des produits qui manquaient,
et je ne désespère pas d'avoir, après quelques essais, des vues et des types sur-
tout, plus ou moins remarquables.
J. Choi^bt.
chargé de la zone du Niari-Loudima.
Tackkendy 29 novembre 1887 *.
... Pendant le cours de cet été, il a été ouvert un assez grand nombre de tertres
arrondis sur une colline à trois ou quatre kilomètres de Tackhend , mais il n'a
pas toujours été possible de trouver l'entrée de la sépulture, ni cette dernière
que révélait cependant le tertre. L'année passée, en labourant, on a mis à nu
de petits sarcophages en terre cuite, avec couvercle. L'un d'eux est au tnusée
d'ici. C'est ce qui a révélé le lieu d'inhumation. Les fouilles de cette année se
sont faites près de l'emplacement de ces premières trouvailles. Ces dernières
tombes se trouvent à environ deux mètres ,sous terre et leurs auteufs ont dû y
àrrivei" par un clierain en pente ; cela se reconnaît à la plus grande mollesse de
a terre par endroits. La longueur intérieure de ces tombes est d'environ deux
mètres sur quatre-vingts centimètres de largeur et autant de hauteur. Le sé-
' 1) Communiquée par H. Cb. Schefcr, membre de l'InsUtut.
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CORRESPONDANCE 517
pulcre esU en somme, un caveau à voûte elliptique, simplement creusé dans le
loess et qui a été toujours été très soigneusement rempli de terre, après avoir
reçu son dépôt. Ce remplissage explique pourquoi il a toujours été difficile d'en
retirer les objets sans les détériorer plus ou moins.
Ces sépulcres contenaient parfois plusieurs squelettes et toujours une ou
plusieurs cruches, tasses ou vases de terre cuite, parfois très bien conservés^
d*autres fois mauvais et se brisant au moindre effort par suite des impuretés
(gros sable) mêlées, probablement à dessein, à la terre noirâtre, dont ils avaient
été faits. Quelques-unes de ces cruches à panse sphérique, de trente centimètres
par exemple de diapètre, avaient été intentionnellement aplaties avant la cuisson,
probablement pour qu'on pût les transporter plus facilement à dos d'animal en
les suspendant par leur anse. Ces vases que nous retirions remplis de terre
avaient cependant dû contenir des aliments, car une poudre brune qui se trou-
vait généralement sur le fond l'indiquait : de plus, des os d'animaux trouvés a
côté prouvent encore cette coutume de l'approvisionnement ; la place des vases
près de la tête le confirme aussi.
Ce n'est que grâce â un travail très patient, qu'on a réussi à reconnaître d'où
provenaient des morceaux de métal, fer, cuivre et quelques objets de pierre et
d'os retirésjavec la terre tout à fait meuble et granuleuse, dont avaient été soi-
gneusement remplis ces caveaux. Une cruche portait l'empreinte d'un cachet ou
d'une pièce de monnaie d'environ vingt millimètees de diamètre, mais il n'a
pas été possible de le déchiffrer.
Quelques-unes des anses de cruches portaient des têtes d'animaux grossiè-
rement formées. J'ai trouvé un squelette ayant à ses pieds, dans un enfonce-
ment spécial, une moitié de cruche reposant horizontalement sur son renOement
et sans qu'aucun autre débris du même genre l'accompagnât. Ce fait, bien vé-
rifié me donna à penser que la chose n'était pas accidentelle et. devait avoir sa
signification. Celle de l'emblème d'une existence, brisée comme .cette cruche,
est la première qui m'ait frappé, quoique rien ne me confirmât encore dans cette
opinion, vu que, par hasard, j'avais commencé le déblayage du caveau par le
côté des jambes. Rendu ainsi encore plus attentif à mon travail par ce désir de
contrôler une supposition qui s'imposait à moi, novice, j'ai réussi à mettre à
nu le squelette d'un homme de taille moyenne, couché sur le ventre, la
tête légèrement tournée du côté gauche. Un sabre de fer, un peu recourbé vers
le bout dont le métal se détachait en lamelles ou se brisait lorsqu'on le prenait,
reposait sur les os du bras droât, la poignée était à la hauteur de l'épaule et
tout près de quelques os ds mouton, parmi lesquels se trouvait un petit cou-
teau de fer d'environ quinze centimètres, manche compris. Le fer du sabre
portait encore des traces de bois provenant probablement du fourreau. Près du
poignet droit se trouvait un ornement ou amulette d'os d'environ trente milli-
mètres de diamètre, sur cinq à six d'épaisseur, plat, rond, perforé au centre.
Au milieu des os de la main gauche il y avait les débris d'un poignard que la
rouille avait totalement désagrégés.
Le fémur droit était brisé vers le milieu et quand Je crâne a été relevé il
s'est tout disjoint comme dans les fouilles précédentes. On pouvait facilement
reconnaître l'empreinte d'un violent coup d'instrument contondant (bâton)
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518 CORRESPONDANCE
qui avait produit un enfoncement très visible des os de la partie supérieure
de l'avant du crâne. Le débris trouvé au commencement était donc symbo-
lique.
Lorsque je dégageai la tête de la terre à peu près sèche de celte tombe, j*ai
trouvé quelques tout petits fragments de peau que j*ai reconnus pour tels à leur
souplesse d'abord, puis pour les avoir comparés avec de la peau ordinaire en me
servant d^une loupe.
Dans un autre sépulcre, on a trouvé les ossements d'un cheval avec des fers
et un mors. Des cailloux de marbre dont un ou plusieurs côtés avaient été usés,
ont été également rencontrés. Je m'arrête là pour cette fois...
Emile Mullbr,
Professeur au Lycée de Tackhend.
Dresden, 8 décembre 1887.
Un de mes amis, le D' Engelbrecht, de Hambourg, a publié l'analyse chi-
mique d'une hache de bronze trouvée à Atotonilco, sur la frontière des états
de Puebla et;de Vera-Cruz. Cette analyse a été publiée dans le X® volume des
Abhandlungen ans dem Gebiete der Natunoissenschafften herausgegeben vom
naturwissensckaftlichen Verein in Hamburg 1887, et je vous l'envoie pour
\^ votre Bévue, afin qu'elle soit aussi connue en France.
\ La hache se trouve dans la collection Strebel et est de la forme la plus
' simple. Voici les résultats de M. Engelbrecht; l'analyse a été faite avec
2gr.0640. 11 a été trouvé:
Cuivre 98,05
Étain 1,91
Plomb • Traces
Antimoine. - Traces
Bismuth Très faibles tr.
Fer . Très faibles tr.
99,96
Pas de traces d'argent, de zinc, ni de soufre.
L'auteur ne décide pas si l'étain a été ajouté artificiellement, ou s'il s'est
trouvé dans le minerai de cuivre...
A.-B. Meybr.
Directeur du Musée royal anthropologique
et ethnographique de Dresde.
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NÉCROLOGIE
ZAWISZA
Le comte Jean Zawisza, de Varsovie, qui avait été l'un des premiers à
s'occuper d'ethnographie préhistorique dans l'Europe orientale, est mort le
22 février 1887, à l'âge de 64 ans. Il avait publié dans les Wiadomosci ArcJieo-
logiczne de Varsovie un certain nombre de travaux fort intéressants sur les
grottes de Wierszchow, qu'il avait étudiées avec un très grand soin et où il
avait recueilli des documents particulièrement curieux. M. Zawisza suivait avec
assiduité les congrès internationaux d'archéologie et d'anthropologie préhisto-
riques, auxquels il a communiqué à diverses reprises des notices sur ses fouilles.
II était fort aimé de tous ses collègues que son exquise urbanité et son esprit
aimable séduisaient dès le premier abord.
Les membres français du Congrès de Moscou n'ont pas oublié la fête char*
mante et magnifique que M. Zawisza a bien voulu leur donner à leur passage
à Varsovie, et celui d'entre eux qui écrit ces lignes se fait l'interprète de ses
compagnons d'alors en exprimante la famille du cher défunt les regrets sincères
que nous a causés son décès. K. H,
F.-L. CORNET
L'ingénieur belge F.-L. Cornet, qui a découvert avec M. A. Briart les gise-
ments de Spiennes si intéressants pour nos étufles, est mort, il y a quelque
temps, à Mons, où il exerçait la profession d'ingénieur. Il était particulièrement
expérimenté dans l'étude de la géologie et de la paléontologie quaternaires et
ses travaux n'ont pas peu contribué au développement des études préhistoriques
chez nos voisins du Nord. E. H.
Ch. RAU
L'un des derniers numéros de la Revue d'Ethnographie contient l'analyse
d'un volume de M. Ch. Rau : Prehistoric Fishing in Europa and Norlh Ame-
nca. Ce Hvre a été la dernière œuvre de cet ethnographe enlevé, le 25 juillet
dernier, à la science qu'il cultivait avec tant de succès, à l'Institution smithso-
nienne qu'il servait avec tant d'éclat depuis près de treize ans. Ch. Rau était
né en Belgique, en 1826; il était venu s'étabHrà Beiville (Illinois), en 1848, et
c'est en 1875 qu'il est entré comme archéologue au musée de Washington. Il a
mis au service des collections de ce grand établissement un esprit méthodique
et une science étendue, et publié sur les antiquités américaines un grand
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520 NÉCROLOGIE
nombre de bons travaux parmi lesquels nous rappellerons principalement les
volumes intitulés: The Archœological Collections ofthe U, S, National Muséum;
{SmithsonContrib, to Knowledge, n© 287, 1876); The Palenque TabUt {Ibid.,
n*» 331, 1879) ; Observations on Cup-Shaped and other lapidarian Sculptures in
the Old World and in America [Contribut, to North American Ethnology, vol. V);
et un certain nombre de mémoires de moindre étendue, réunis sous le titre :
Articles on Anthropological subjects, E. H.
SPENCER BAIRD
L'Institution smithsonienne a fait une autre perte non moins cruelle en la
personne de son secrétaire, Spencer F. Baird, mort à Wood*s HoU (Massachu-
setts), le 19 août 1887. Né à Reading (Pensylvanie), le 3 février 1823, cet émi-
nent naturaliste avait succédé à Henry dans Tadministration des affaires de
rinstitulion , il s'acquittait de la façon la plus habile des fonctions délicates et
compliquées qui lui avaient été confiées. Ses relations avec les établissements
scientifiques étrangers étaient actives et courtoises. Il a largement contribué à
faire coonaitre et apprécier en Europe, à sa réelle valeur, Tceuvre puissante dont
il avait la direction. Nous devons à son intervention de nombreuses et intéres-
santes collections ethnographiques qui sont venues combler de larges lacunes
dans les salles du Trocadéro, ' E. H.
J. DESNOYERS
Jules-Pierre-François-Stanislas Desnoyers, membre libre de l'Académie des
Inscriptions et belles-lettres, bibliothécaire du Muséum, décédé à Launay,
près Nogent-le-Rotrou, le 1°^ septembre 1887, n'était pas seulement un histo-
rien fort instruit ; il cultivait aussi les sciences naturelles, la géologie et la
paléontologie en particulier, et il avait écrit sur les Cavernes pour le Diction-
naire universel d'histoire naturelle (Paris, 1865), un article resté classique. On
sait que c'est à ce regretté savant que sont dues les premières indications rela-
tives à la coexistence de l'homme et des grands mammifères de la fia des temps
tertiaires (Compt. rend. Acad, Se, 8 juin 1863 et Lyell. Ane. A^, pp. 94-
108). Il avait fait en outre des recherches très étendues sur les antiquités de
l'âge de pierre du département d'Eure-et-Loir. E. H.
J.-Ch. GESLIN :
Jean-Charles Geslin, architecte, peintre et archéologue, ancien inspecteur du
musée du Louvre au département des Antiques, est mort récemment à l'âge de
73 ans. Il avait été le fidèle et dévoué collaborateur de Longpérierdans le clas-
sement du musée Campana, et il a laissé un grand nombre de documents pré-
cieujc pour l'étude de l'art et de l'ethnographie dans l'antiquité. E. H.
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NÉCROLOGIE S2l
P.-Ch. ROBERT
Nous avons aussi perdu, le 15 décembre 1887| à Tâge de 76 ans» M. Pierre-
Charles Robert, membre libre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres»
membre du Comité des travaux biitoriques, ancien intendant en chef des armées
de la Loire»
La vaste érudition de M. Robert embrassait l'archéologie tout entière, mds il
était surtout épigraphiste et numismate, et il a écrit sur les inscriptions et les
monnaies de Rome et de la Gaule des mémoires fort importants.
Parmi ceux de ses travaux qui intéress|ent plus particulièrement les ethno-
graphes, nous mentionnerons un curieux mémoire sur les Étrangers à Bordeaux
sous la domination romaine et une étude très remarquée sur les monnaies gau-
loises publiée, en 1880, par hi Société française de numismatique et d'archéo-
logie.
M. Robert n'avait pas seulement un esprit éclairé ; il possédait des qualités
de cœur rares et précieuses. Sa bienveillance était particulièrement acquise aux
jeunes travailleurs qui trouvaient toujours auprès de lui appui solide et bons
conseils. Aussi a4-îl laissé parmi nous d'unanimes regrets.
E. H.
VI 35
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BIBLIOGRAPHIE
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TABLE DES MATIÈRES
DU
Tome VI de la REVUE D'ETHNOGRAPHIE.
MÉMOIRES ORIGINAUX
Piges.
BouGART (A). Une visite aux ruines de Xochicalco 439
DuHoussBT (E). Les races humaines de la Perse. ••.,.. 400
DuMouTiBR (G). Le Nam-Glao de Hanoï • . • . 181
Faurot(L.). Observations ethnographiques sur les Danakih du golfe
de Tadjoura • • 57
— Observations ethnographiques dans Tile de Kamarane. 433
Glaumont. Etfanogénie des insulaires de Kunié (île des Pins)* . • 336
Hagbn (D'). La colonie de Porto-Novo et le roi Toffa . • • • . 81
Hamdy-Be^. Sur une nécropole royale découverte à Saïda. ... 444
Q H AH Y (E. -T.). Décades américaines (smïe) •»•••• ^ • 150'
-^ Études ethnographiques et archéologiques sur l'expo-
sition coloniale et indienne de Londres , » , • 185
Jus (H). Stations préhistoriques de Toued Eir* , 343
KoBELT (W.). Les dolmens de Guyotville (Algérie) ....... 133
Lbclbrg (M.)* Les peuplades de Madagascar ••••... 1
— Les pygmées à Madagascar . • • . .... 323
Lemirb (Ch.). Les tours Kiams de la province de Binh-Dinh (Annam). 383
Marx. Note sur les tombeaux de Tu-Duc et de Minh-Mang ... 428
Ordinairb (0.). Les sauvages du Pérou .••.•.... 265
PiNART (A.). Les Indiens de rÉtat de Panama . 33, 117
Spire Blondbl. L*art capillaire chez les peuples primitifs .... 414
Tautain (D'). Quelques renseignements sur les Bobo 228
— Le Dioladougou et le Sénéfo • . • 395
Tbn-Kate (H). Sur quelques objets indiens trouvés prés de Guaymas
(Mexique) . 234
Vbrnbau (R.)* L'industrie de la pierre chez les anciens habitants de
l'archipel canarien 36i
VARIÉTÉS
Charnay (D). a propos de Tamoanchan •....,.., 347
— > Lettre à M. D. Brinton à propos de sa brochure : Were
Ihe Toltecs an historic natianalUy ...... 457
Leclerc (M.). Notes sur Madagascar 463
Mason (O.-T.). Méthode de classification dans les musées ethnogra-
phiques , 239
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TABLE DES MATIÈRES 527
REVUEÀ fit ANALYSES — LIVRES ET BROCHURES
... ... P«8««
Boas. Ceiisus and, réservation of the Kwakiutl nation. • . • • 490
Brinton (D.). Çritical remarks on the Citions of Diego de Landa 's
Writings ....,.•.. 167
Chantre (E,). Recherches anthropologiques df ns le Caucase . « • 471
Charencey (H. de). Textes en langue tarasque 491
Gatschet. Linguistio families of the Indian tribes north of Mexico» . 356
Jouan (H.). A propos du peuplement de la Polynésie • • • • . 351
— Les légendes des îles Hawaii et le peuplement de la. Po«
lynésie • • • 353
Lewis (T.-H.). Efflgy mounds in lowa . 240
— Snake mounds in Minnesota. • 246
— The monumental Tortoise mounds of Decoodah . . 165
— Ancient Rock Inscriptions in eastem Dakota ... 491
Jus (H.). Les oasis duSouf du département de Constantine » . « 164
Marquer. Les établissements français en Océanîe 489
Man (E.-H.). a brief account of the Nicobar Islands « ^ . » . 355
Mensionac. Sur quelques objets d'Afrique et d'Océanie. • . • . 250
Meynbrs d'Estrey. Tribus aborigènes du centre des Gélèbes . . . 163
NoTTAL (Z.). The terra cottaHeads of Teotihuacan 247
PETrroT (E,). Traditions indiennes du Canada nord-ouest .... 67
— Les grands Esquimaux 245
PuTNAM (F.-W.). Hemarks upon chippedstone Impiements. . . . 244
QuATREFAGES (A. de). Les Pygmées • ^ 243
Rau (Ch.). Prehisloric Fishing in Europaand North America. . . 361
Uhle (M.). Hoiz-und Bambus-Gersthe aus Nord West Neu Goinea • 68
ACADÉMIES ET SOaÉTÉS SAVANTES
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres • » * . 168» 251
Association française pour l'avancement des sciences . • . • \ 492
EXPOSITIONS, COLLECTIONS ET MUSÉES « . .
La collection BuUer au musée du Trocadéro 172
Les collections et^inographiques du cabinet d'histoire naturelle de
Cherbourg . • , 255
L'exposition de M. Joseph Martin au musée du Trocadéro. . • . 503
CORRESPONDANCE
Analyse d'une hache du Mexique . .....•.••. 518
Bourgoing et Gzernichew. Projets d'expositions ethnographiques i la
un du dernier siècle .••.•• • • • 69
Chez les Fmgous .•.•.••••..••.•. 70
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558
TABLE DBS MATi&RBS
Découverte d'antiquités à ht Guadeloupe, à la Désirade et à Marie-
Galante • •• f •••*•• •
Exploration da haut Orénoque
Fouilles aux environs de Tachkend •..,'.
Monuments-mégalithiques du^jebel Oum-Settas et de TOued^Derbela.
Maillets en pierre des Gélèbes. ••.••••..•.
Notes ethnologiques sur nie tieMallicoIo
Notes ethnographiques et archéologiques recueillies au Maroc. . »
Nouvelles du Qongo françds
Prétendus bœufs à trois cornes des Foulbé • .
Recherches ethnographiques dans l'île *de Lancerotte .....
Yeux artificiels des momies d'Arica (Pérou)
NOUVELLES
L'âge de pierre au Congo ^
Les archives internationales d'ethnographie ........
L'émigration des Tartares de Grimée
Les mangeurs d*ar8enic
Salomoniens cannibales
Les sectes juives en Galicie ^
NÉCROLOGIE
Bayem . , . . . .*•.'. , '
Berge .
BuBk(G.).
Cornet (F.-L.)
Desnoyers (J.)
Garbiglietti
Geslin. .
Haast (J. von) . . '
Kleinschmidt (S.)
Mano* . «
Rau(Ch.)
Robert (Ch).
Spencer Baird
Wylie (A.) . -
Zawisza . ' . • . '
P»ges.
515
176
517
512
358
511
259
513
357
72
176
509
510
507
509
76
74
77
77
177
519
520
177
520
358
260
260
519
521
520
177
519
BIBUOGRAPHIE
78, 478, 261, 359, 522.
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TABLB DES NOMS d'aUTBURS 529
Pages.
Boucart ........... 439
Cailliot » 51i
ChafTaDJon , I75
ChareDcey(H. de) Ç7
Ctarnay 347,457
Cholet 5i4
Gbristol ' 70
Croix (J.-E. de la) 172
Delavaud 59
Delisle 492
I>eniker . l 243,355
Duhousset (colonel) 400
Dupont (Ed.) 510
Dumoutier. • 181
Duveyrier. • » 259
^Faurot 57,433.
Glaumont 337
Guesde ^ 516
Hagen (D') 81
Hamdy-Bey 444
Hamy(E..T.) 68,150,161,177,185,245,
250, 356, 359, 520.
Hansen (P.) . 247, 260
Jus (H.) 343
Kobelt 133
Landrin 503
Leclerc(M.) 1,323,351,353,463.
Lemire 383
Marx 428
Meyer(A..B.) 358,519
Muller(Ein.) 517
Ordinaire (0.) 265
Olis T. Mason . 239
Parville (de) . . . . , 509
Perrier I75
PinartCA.) , . 33^117
Quatrefages (A. de) 471
Sauret 512
Spire Blondel 414
Taulain(DO 228,357,395
Ten Kale (H.) 235
Vemeau (R.) 72, 361
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ANGERS, IMPRIMERIE BURDIN ET C^c, RUE OARNIER, 4.
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i^hef de la marine* Eludes sur les Ouo-
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^ Elude sur les Peuh de Sèoégambie*
J815, in-8 ,......*■■ 1 fr'
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vertes réceuLés sur Ibistoire aocienue
du Cttmbodge. 1&8S, in 8, . 1 fr^ 50
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faites datas la province d'Alger (Hïver
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Sur la mensuralion *le la capftcile ou
crâne. 1873, iu-8. fig. * * * 2 ^f- SU
^ Sur rorigiue el la réparti Lion de la
IflDgue basque; Basques françaia et
Rasque-i espagnols* 1S75^ lû-8, carie
el plancbe . , ♦ * : .. ^i
-^ Recherclies eue nndlce orbiUilre,
lS76Jn-e, flg. • \-Ai,^,
^ 8ur la topographie cranio -cérébrale,
ou sur les rapporta auatomlques do
erâue et du cerveau, 1876, in-R,
Rg 3 fr-
_ Sur Tauglc orbilo-occipital, i877,
iû^ft, flg. rpïaoche S fr.
Sur la iréjmuiiliou du crâne elles
aaïuleltes crauieûneâ à Tépoque iiéo-
Uirûqiif?. IS77, iu-8, ïig. * . 3 fr 50
CALX LïE âl-AYVlOUU. Etude sur que -
nues ujonumeuts itîé|tnlftblque&de la
Taltèe de l'Oise. 1875, ia-8, arec
plan^-bea el ûgurea *,.*-* S fr
CAPELLINL Les traces de Tbomme
pHoGéue en Toecane* 1871, ln-8,
i phuclie , . 1 fr. 25
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CHABAS (F\ correspondant de Una-
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mie el d*ethuologie sur le précur-
seur de l'homme. i877,îu-8, flg. 2 fr
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les Fuégiena de Farchipel du cap
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JULIEN (Alexis) - Des différeulej déft-
nitîoua de la main el du pied, i 877,
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lion des crflucs bulgares, 4875. m-B,
planche • < 1 fr. 50.
KUUFF (Dn. Noie sur quelques fémurs
préhislorlquet. i87S, m-8, * l fr 2a
LAGNEAU (Gustave), Etbnogénic des
uopulatious du nord-ouesl de la
France, 4876, ln-8 ï h, hù
LEMIRE. Les Tours Kiauis de la pro-
viuce de Biuli-Dlnh (Aunacn). !887,
iu-8 - . , . • * ^^^'^
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LESSON (P. -A, aQcica médecin eu
chef deà établi asûiii en U fraùi;ûU tie
1'0c6Bni^> Vapikarû et ses Liabitiialf,
\nn, in-a ifr.su
— Le» rncBi noires de Timor. ISlfi^
br, iU'S. , . 1 fr
— TrMd^tiouï iJca Uea Samoa. 1S76, hv.
\u*% i tr. nù
LlZfCRAY (H:k Etude aur la raca cel-
tique, t874, î»-8 iiO C*
MAUTIN (m EnieslJ. ïastpuclmna sin-
ranlbr-opologie au Japou. ISIU,
in-!l . . .,,.,,.-.. t fr
MIH:UZI:jEWSKI, NoU »nrloa eerveauï
d'iiHolH Gu gi>fiéni1,iivecladescn[itioa
d^uu nouveau caa d'idiotie. 1^76,
Iti-S . . ...,.,.,.. 1 fr,
M0H1CË (Df AA Sur la patbologie des
Indigèuea de la B^s^e-Co^- bilirubine et
eo particulier des Aunauiite». 1*15,
iU'i. ..,...,-... l fr. 30
*> Qaetques tDotê&ur J'occVioiiiteuieut
des racea liuDiaïue!^ i-t dei auimaus
d&oa la Basie-Coebincbine- 1S7Ô.
m-% ,.,... i fr, i5
MORTILLET (<i. de,!. Us ^lud*** pré-
tiistoriquei dt^viiut J'oribodoiia. IS15,
iD*8 ,..,... 50 c.
— T^bleuii arâbéotû^iqu^ de Ja Oaulo»
1 fatiille .,,.., 2 U\
— Orîgiaa du l>rDnzé. 1B7<*, iti-8,
plaiicli^ - . . ♦ l fr. 5U
— Ile V u e pr*>bi *lo ri qu e , 1 870 . i n-S . 1 fr . 50
— Cantrîlmtiûn à 1 bbtotre des superâ-
titîQiis Amuktlea Ruulolses el galla-
ramaities, 1^76, ïii-8Ji»|. . . l fr.2S
— Ilnvae pri^-blstonque. J877,tn'8 lfr.25
NEliRl (A. el G, de)* Des tissua imur-
préïi du Pt*roij. IHBS, Ui-8 , , . i tr.
OBËDItVAUE lU ). Leg Celtes dû VEn*
rope orienlMle, lu-^ . , . . 1 fr. 50
PENEY. Méuiairi-âur retliDographJù du
,Sour]Au Égy^tif^H. Iq-B - t t ï ff. oU
PBilllLlt. lii^lVjiclJong ODlhropolo^iqueâ
pour [fi littoftil de ia mer Houj^ts.
iS64, iii-a i fr.
PlNAllT (A. LJ. Cataiû^ue de» coïlec-
t lo u B rap po rtèeâ de 1 A m é ri q u c^ r u ss e
f tB rri 1 0 i te d * A 1 i aska) . 1 8T;i J n 8 . 2 i r,
— Los Al^outtîâ Et icur orîgiuL'. 1374,
îû*S. p . , . . , 1 fr. SU
-^ Sur les Alaûbs. 1S75, ui-S. 1 fr. 25
— La cb^^se am ûuhjiaus iimriiid *4
Itfi pêdiertna cbez les iadlgcut^^ de U
côle nord *mi Cil d'Autùriqae. 187j,
îfl-8 - . . . , 2 fr.
— Sur uu ahfi-i5i*[HiIlijre d*îâ audcuâ
Aléoiite;^ d'Akju*rîb. Un flOutig-i, ar-
chipel Sbiituji^iu, 1875, îii4, 1 k.M
— Lis IndJens de i'EUt -de Pduama.
ig87, la-8.iUaatré. .... 2 fr. nu
PonilEll* Lcâ iumuhia de la Uma
.in Til^h«mt. ism, mS . . 1 (r. 50
HOZiil (i>f Sattjuel). Note sur b' irer-
TeuM d'uui^ îujbécjlê. 4375, lu 4,
«g. . . * t fr.
rtOtîHïlT. LeA Dùlmeiii dv GuYotville
(Aîgéde]. 18S7, iu-8 * . . , 1 fr. 50
EOtJIRB. Noie aur W dolmcuè d«ï
rEMda. 18Sâ, lu-8, itluatré . 1 fr.
ROUSSELET (LDiîisJ. Tableau de* ra-
oei dâ ritiiie «eptealnoii^le- liî^t
ln-8. i îr- SS
ROTER fCléDieocc). Le feu cbei les
peiplaaes prirailives. î875,lo-& î 50
— Le» dte^ ruoèraire» %^\ èp«>que»
I prébitilonqueâ, et leur origiue. Iblfîr
fn-a ...;...,,... 1 fr. 5<>
— Ueuat bvpotbè«e« sur rbérédité. I^TI,
] iQ-8, /, - , i fr 50
SASSE (Docieur A.), ^lémaire aur les
erâuca de Gertruideuborg, 187a,
I in-8 , . l f r,
I — Étudti «ur ka crâuea LkéerïaDdaJf.
iii76, iû-S Ifr 50
I SEBiLLOT. Lea maùous ruilique^ en
' iLiiite- Bretagne. 18S5. in-S . . I fr,
— L^ laugue ureloaue, lî in il es et ^in-
I lifltique, 188^^ iû», cariée , . 2 fr.
— Les liiûquilleade m^r, itt87aa-8 2 fr
SillHNOW. Notice eur lea Avarea du
I Da^be&tan. i871i. iii-8 ..... îiO c
TAtfTAlN (m L.). Sar retbu.dojiçie el
rutbuograpbiu des peupli'a du barsiu
du Séu*^«fll tS86Jn S, llluat. 2 fr, W
TES KXTK, Npvea etbua^rapJiiquea sur
les CoiDftorhei?. \Mî>, iu-â . i fr. G»
! TOPINAHD (P.i. Élude sur Pierre Cam-
I per et 1 augle facial dU de Camper.
mik, in-8 f fr. 25
i — Note aur lea métiii d'Australiena et
d'Européens. 1875, iti-8 , . . . I fr,
^ Etude iur k taille, comjidértç âui-
vaut P4ge, le %txe, Tiadlvidu, le^^
Lullieux 6l lea races, lSli>, ia^S. f! fr.
^- De a anomallea de uonibrc ûp. la
calotme veriébmle rbei l'bomme.
1877. m-a 2 fr. 50
Vov, Faidborba^
TSCnotjmLfîFF, Etude sur la ûà^è-
ui^re^ceuce pbyslûlo^iq^é des peti-
ceoce des peyplea civillaèe^ 187t*.
io-l, H|ï. 2 fr,
TLlHiNO D'V-^iO' Recbercbea d^jnîtbni-
pi>(o«i*î ioeide. i&77, iu-8 . - 1 fr.
YhJltjL'ET (L.}* Arofiii ou San Qim-
lovai ^i ses babilauta. 1885, tu- S.
%urea :! fr. SU
VEHNEAr; Llûdutitrïtf de la pierre
chez lea aticieii^ li.ibitaTit& de ïêr"
cliUml Cauarien. ÎS^7, iû-8 . 1 fr. ïS
VILAIN. Le doloieu des Beiil-Briasaeia
(Moroc). 1885, lu 8. ïilu4rc. 1 fr. 50
\VAkË (Stanilatid), La Slariage coui-
mmm). 1875» iû-S. '. l fr.
— Aï<i^ociâLiaD bHlaauiqitu pour ravaa-
ct^ujijutdes scii^ucea^ cougrà* de lft75
ù UrEslol. liroch. iu-8 . . « . €0 c.
WElSHN*.iEN. Note sur lOued-llir et
ses babitttiitâ et sur q^ii^lqui^a aiouii<
moula du Sahara algùrieu, IBSo^in-S,
illustré 2îi\
WJENEll (Charles). Le livre d'Ëstlit^r.
EëâdL etbaogrâpbique et liU^ruire.
1875. iu^8. . * . , , 2 fr.
AxaEïi!;ij inniiur,mi; («uitiïiR la ii^v^ Hug t:iAHiMBii+ i.
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