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Full text of "Revue d'histoire littéraire de la France"

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^■■1 


Revue 

d'Histoke  littézaiu 

de  la  France 


CÔULOMMIERS 
Imprimerie  Paul  Brodard. 


Revue 

d'Histoiie  littéiaiie 


de  la  France 


PUBLIÉE 


Par  la  Société  d'Histoire  littéraire  de  la  France 


ye  Année.  —  igoo. 


PARIS 
LIBRAIRIE    ARMAND    COLIN 

5,    RUE    DE    MÉZIÉRES 
1900 


Revue 

d'Histoire  littéraire 

de  la  France 


COMMENT    ONT    ÉTÉ    COMPOSÉS    *  AYMERILLOT   > 
ET       LE    MARIAGE    DE    ROLAND   ■ 


I 

Parlant  des  poèmes  qui  composent  sa  première  Légende  des  sïè- 
Vidor  Iliig-o  avait  écrit  dans  sa  préface  :  «  Deux  autres  (fe 
Mariage  de  Roland,  A  \j  mer  il  lut)  sont  des  feuillets  détachés  de  la 
colossale  épopée  du  moyen  âge  (Charlemagne,  emperor  à  la  barh*1 
Jtort*},  Ces  deux  poèmes  jaillissent  directement  des  livres  de  geste 
Je  la  chevalerie.  »  En  dépit  de  cette  affirmation,  Emile  Montégul, 
qui  regardait  Aymerillot  comme  la  perle  du  recueil  et  comme  «  le 
poème  sans  égal  »,  ne  parut  pas,  en  18a9t  douter  qu'il  ne  fût  de 
l'invention  de  Hugo;  M.  Yapereau aussi,  dans  T Année  liiténir€j  en 
parla  comme  d'une  œuvre  originale;  et  hier  encore,  en  publiant  les 
variantes  de  cette  œuvre»  M.  V.  Glaehant  Ta  appelée  «  ce  récit 
poétique)  issu  tout  entier  de  la  fantaisie  de  Hugo  '  »«  Le  poète  avait 
pourtant  raison,  et  Ton  sait  depuis  longtemps  (le  mot  de  M.  Gla- 
chant n'étant  qu'une  inadvertance)  qu  Aymerillot  et  h-  Mariage  de 
Hotand  ont  été  inspirés  par  deux  chansons  de  geste  :  A  y  mer  i  de 
honne  et  Girard  de  Viane,  qui  toutes  deux  sont  du  xin'  siècle 
et  toutes  deux  ont  sans  doute  pour  auteur  le  trouvère  Bertrand 
de  Bar-sur-Aube, 

Mais  était-ce  directement,  comme  l'insinue  la  préface^  que  le 
îoète  avait  puisé  aux  sources  du  moyen  âge?  Girard  de    Viarte 

1.  Jf^viif*   universitaire,  liî  mai    i8H0T  p.  491  (Notes  OT i tiqWÊê  sur  trois  poèmes  de  ta 
nie  des  siècles  :  ÀymeHUot,  Eviradnus,  La  confiance  du  marquis  Fabrice}, 

Hï*.    D"HI3T,   MTTÉH.    Ot    t*   FnAPfCB  (7*   AûQ.k—  VII.  1 


2  REVLE    b  HISTulllF.    LITTKRAIIIE    DE    LA    FlSAMlE. 

avait  été  publié  en  partie  dès  1*29.  â  Berlin,  par  Immanuc 
Bekker1:  mais  Aymeri  #./»»  Xarl'O/tne  était  encore  inédit,  et.  s'i 
était  difficile  d'admettre  qu'un  porte  peu  érudit  eut  consulté  1 
publication  de  1829,  il  était  à  peu  près  inadmissible  qu'il  eût.  pou 
son  Aymerillol,  recouru  aux  manuscrits  de  la  Bibliothèque  natio 
nale  de  Paris  ou  du  British  Mu<eum  de  Londres. 

Pour  AymeriHot.  le  problème  a  été  k  peu  près  résolu  en  188 
par  le  premier  éditeur  d'.l////i'r»  de  Xarhomte^  M.  Louis  Demaison 
à  la  fin  de  son  introdurtinn  *.  cet  érudit  a  déclaré,  eu  effet,  qu 
HuîTii  s'était  servi  d'un  arlicb-  ingénieux  publié  par  Achille  Jubiua 
dans  b*  Mus':e  d'*s  familles  de  septembre  1843  sous  le  titre  de  L 
1'l,i)h>mi  de  Itautiet/t'ii'i'''. 

Au  château  de  Dannemarie.  à  quelques  lieues  des  bonis  de  I; 
Loire,  le  seigneur,  longtemps  retenu  au  loin  par  la  croisade 
revient  en  I2T0.  De  grandes  fêles  sont  données  en  son  bonneu: 
et  commencent  par  un  banquet.  A  l'issue  de  ce  banquet,  troi: 
trouvères  se  funt  entendre,  et  le  premier  raconte  le  lai  d'Ignaurts 
le  deuxième  expose  I*  lai  du  trot\  le  troisième  traduit  ou  résumi 
la  chanson  %Y  Aymeri  d*>  Xarhonnf.  du  vers  I2"i  au  vers  77 
environ.  i\c  dernier  récit  a  été  suivi  de  si  près  par  l'auteur  de  /< 
Légende  d**s  siècle  qu'il  devait  l'avoir  sous  les  yeux  en  écrivant 

Et  cependant  ce  n'est  pas  du  Mus?*'  des  familles  que  Hugo  s'es 
inspiré.  M.  Raoul  Rosières  Ta  brièvement  indiqué  dans  ses  remar 
quables  Ilecherrhes  sur  la  jwsie  contemporaine  \ 

Trois  ans  après  son  Château  */'»  /  *a  interna  ri*\  le  1 -r  novembre  1846 
Jubinal,  en  effet,  avait  publié  dans  le  Journal  du  dimanche  ui 
article  d'allure  plus  scientifique',  intitulé  :  tjuelaues  romans  che. 
nos  a\eiu\  <«  Les  romans  d'aventures  dans  le  genre  des  Troi*  mous 
qnetairt's  et  de  Monte-Cristo  »..  y  lisait-on.  «  remontent,  comme  oi 
va  le  voir,  beaucoup  plus  loin  qu'on  ne  le  croit  généralement:  noi 
belles  et  tendres  aïeules  du  xiT  et  du  xiu"  siècle  ne  les  lisaien 
point,  et  pour  cause,  mais  elles  se  b*<  faisaient  lire.  »  Et.  après  a 
début,   l'auteur  expose   sur   Je*   poèmes  carluvingiens    quelque: 


i.  //♦*#■  Itotnnn  ton  Fn'rafjr'tt.  /'.■■•r«-n:i/iW/.  Hi::.».  von  Immanuel  Bekker.  Berlin 
l>jy,  in-i.  I».  mi  >qij..  extraits  de  **',hnnl  wh  Vian:-:  lVpisode  célèbre  par  Hug< 
s'y  trouve  au  <r»mpl«:t. 

2.  ^jctJté  </*■*  '!/<»•  *'H#  ferle*  /"'■■'«: •■*■■».  IMiImI.  1  >^T.  i'  \n!.  in-S.  Voy.  T.  I.  p.  cccxxij 
et  suiv. 

3.  Le  Mu**:*  'tes  fanal'-*,  leoluivs  du  soir.  I»'    vulimir,  .innée  1*43.  j».  373-318. 

4.  Ces  deux  lais,  au^si  bien  «pie  le  fragment  ilMi/m^ri.  axaient  été  empnintés  pal 
Juhin.il  à  tics  manuscrits  de  la  BiMiullir-jue  uatiunale. 

5.  It'cfirrrftrM  sur  la  /.•>•■  i>  r.vnt"v\i'-i><i-H+.  1N,,,«.  in-!&.  p.  2*5. 

•ï.  Il  •■tait  d'ailleurs  précédé  de  ei*tte  rnbri«|iif  :  Lv  dimanche  scientifique,  p.  3 
•  l  suiv. 


«   AYMEKILLOT  »    ET    «    LE    MARIAGE    DE    ROLAND   ».  3 

idées  générales,  à  l'appui  desquelles  il  cite  le  même  fragment 
A'Âymeri  dont  il  s'était  servi  déjà  dans  le  Musée  des  familles. 
Seulement  il  fait  à  son  texte  quelques  corrections,  et  ces  correc- 
tions, ayant  été  en  partie  adoptées  par  Hugo,  nous  prouvent  que 
c'est  du  Journal  du  dimanche,  non  du  Musée  des  familles,  que  le 
poète  s'est  servi. 

Jubinal  écrit  maintenant  «  l'empereor  à  la  barbe  florie  »,  et  non 
comme  autrefois  «  l'empereur  à  la  barbe  fleurie  »  :  Hugo  a  cité 
les  formes  archaïques  dans  sa  préface.  —  Il  écrit  baronage  au  lieu 
de  barnage,  Dreus  au  lieu  de  Drues,  Beauléande  au  lieu  de  Beau- 
leandre,  et  ce  sont  les  formes  adoptées  par  Hugo.  —  Son  Charle- 
magne  aperçoit  maintenant  Narbonne  «  au  loin  et  bien  avant  dans 
les  terres  »,  «  il  jette  un  grand  rire  »,  et  non  un  grand  cri  :  l'un 
et  l'autre  traits  se  retrouvent  aux  vers  24  et  77.  —  Dreus  devient 
le  «  fils  d'un  gentil  chevalier  »  :  comparez  le  vers  88.  —  Ayraeri 
s'avance  «  du  milieu  de  la  foule  »  :  cf.  le  vers  260.  —  L'invincible 
empereur  s  écria,  du  vers  212,  est  textuellement  dans  l'article 
de  1846  :  celui  de  1843  portait  simplement  «  il  s'écrie  ».  —  Au 
vers  283,  Hugo  a  fait  dire  à  Aymeri  : 

Je  sais  lire  en  latin  et  je  suis  bachelier; 

bizarre  anachronisme,  qui  se  peut  comprendre  avec  le  texte  de 
1846,  «  je  suis  encore  bachelier  »  :  Hugo  l'eût  évité  sans  doute, 
s'il  eût  vu,  dans  le  texte  de  1843,  le  mot  bachelier  accompagné  de 
sa  traduction  :  «  Je  suis  encore  bachelier  (jeune  écuyer)  l  ». 

Ces  rapprochements  sont  sans  doute  décisifs.  Et,  s'ils  ne 
l'étaient  point,  il  suffirait,  pour  savoir  à  quoi  s'en  tenir  sur  la  vraie 
source  d'Aymerillot,  de  voir  quelle  est  la  source  du  Mariage  de 
Roland. 

Aussitôt  après  avoir  indiqué  la  vérité  sur  l'un  de  ces  poèmes, 
M.  Raoul  Rosières  dit  au  sujet  de  l'autre  qu'il  a  certainement  été 
tiré  de  V Histoire  de  la  poésie  d'Edgar  Quinet;  or,  celte  assertion 
est  certainement  inexacte,  le  passage,  très  court,  d'Edgar  Quinet1 
ne  parlant  ni  de  File  du  Rhône  où  a  lieu  le  combat  de  Roland  et 

1.  N'était  ce  dernier  passage,  on  pourrait  supposer  que  Hugo  a  eu  sous  les  yeux 
le  texte  de  1843  en  même  temps  que  celui  de  1846.  Ce  texte  place  les  mots  •  revient 
d'Kspagne  -  immédiatement  après  -  Charlemagne,  l'empereur  à  la  barbe  ileurie  » 
comme  dans  la  Légende.  On  y  lit  aussi  l'épithète  triste  (v.  2),  un  long  jour  d'été 
(variante  du  v.  32),  un  haut  chevalier  (var.  du  v.  100),  notre  douce  France  (v.  242), 
C Empereur  (v.  262;  Journal  du  Dimanche  :  Charlemagne),  demander  (v.  272;  J.  du 
Dimanche  :  solliciter).  Ces  ressemblances,  beaucoup  moins  importantes  que  celles 
que  nous  avons  citées  plus  haut,  doivent  être  dues  au  hasard. 

2.  Œuvres  complètes,  Pagnerre,  1857,  in-12.  T.  IX,  p.  343  (Histoire  de  la  poésie, 
ch.  X». 


»  REVCf:    D  HISTOIRE    MTTLRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

d'Olivier,  ni  de  l'épée  Haule-Claire  et  de  Closamont,  ni  de  la  belle 
Aude,  ni  de  plusieurs  incidents  qui  se  trouvent  à  la  fois  dans  le 
poème  de  Hugo  et  dans  la  chanson  de  geste  de  Bertrand  de  Bar- 
sur-Aube.  Il  faut,  ou  que  Hugo  ait  connu  le  texte  original,  ou 
qu'il  en  ait  eu  sous  la  main  une  version  récente,  plus  explicite  que 
l'analyse  de  Quinet. 

Chose  curieuse!  cette  version  suivie  par  Hugo  se  trouve  dans 
l'article  même  que  M.  Raoul  Rosières  a  signalé  le  premier.  Après 
ses  réflexions  sur  les  poèmes  carlovingiens  et  son  fragment  sur 
Ayrneri  de  Narbonne,  Jubinal,  en  effet,  emprunte  encore  un  épi- 
sode à  Girard  de  Viane  et  un  épisode  à  Raoul  de  Cambrai  combat 
de  Raoul  et  d'Ernaulr,  après  quoi,  il  conclut  en  disant  de  nos 
vieux  romans  :  »  L'on  peut  affirmer  qu'il  n'y  en  a  pas  un  seul  où 
l'on  ne  retrouve  vingt  scènes  pareilles,  que  tout  le  monde  connaî- 
trait en  France,  si,  au  lieu  d'avoir  eu  le  malheur  d'être  écrites 
dans  la  langue  de  nos  aïeux,  que  nous  n'entendons  qu'à  moitié, 
elles  l'avaient  été  dans  celle  du  Tasse,  de  Shakespeare  ou  de  Lope 
de  Vega,  que  nous  ne  comprenons  pas  du  tout  ».  L'épisode  de 
Girard  de  Viane  nous  montre  Charlemagne  mettant  le  siège  devant 
Vienne,  Roland  provoqué  par  Olivier,  Olivier  et  Roland  une 
seconde  fois  sur  le  point  de  se  battre  et  dérangés  par  Aude,  enfin 
le  combat  singulier  des  deux  preux  dans  une  île  du  Rhône.  Cette 
dernière  partie  du  récit  constitue  la  page  que  Huiro  a  suivie  dans 
son  Mariage  de  Roland. 

Ainsi  les  «  deux  feuillets  détachés  de  la  colossale  épopée  du 
moyen  Age  m  ont  été  en  réalité  détachés  d'un  même  article  de 
Jubinal.  Et  ils  l'ont  été  en  même  temps,  sans  doute  dès  la  publi- 
cation de  l'article,  en  novembre  1846.  Dans  le  manuscrit  de  la 
légende  des  siècles,  si  diligemment  décrit  par  MM.  Paul  et  Victor 
(Hachant1,  les  feuilles  qui  contiennent  le  Mariage  de  Roland  et 
Aj/merillot  ont  une  physionomie  toute  spéciale;  blanches  et  plus 
petites  que  les  autres,  elles  ont  été  collées  sur  le  papier  bleu 
in-folio  dont  est  formé  le  manuscrit;  l'écriture  aussi  les  distingue, 
car  ce  n'est  pas  l'écriture  très  haute  adoptée  par  Hugo  vers  1857, 
c'est  «  la  petite  écriture  fine  et  serrée  »  dont  usait  le  poète  avant 
l'exil. 

étudions  maintenant  ces  deux  pièces.  Nous  insisterons  surtout 
sur  la  plus  belle,  sur  AymerilloL 


i. 

ma  mut: 


I».  «t  V.  (ilachant,  Papier»  d'autrefois,  îlaohette,  18M0,  in-18,  p.  16-19  et  85  (Les 
mérita  de  Victor  Hur/o).  Cf.  l'article  ci  lé  plus  haut  de  la  Revue  universitaire. 


«  AYMERILLOT  »    ET    «    LE    MARIAGE    DE    ROLAND  ». 


II 

Puisque,  par  l'intermédiaire  de  Jubinal,  Hugo  se  trouve  imiter 
Aymeri  de  Narbonne,  il  ne  sera  pas  inutile  de  donner  quelques 
indications  rapides  sur  les  rapports  du  vieux  poème  et  de  sa 
récente  adaptation.  Nous  ne  pourrons  d'ailleurs  savoir  que  par  là 
si  ce  poème  a  été  vraiment  ignoré  de  Hugo. 

Jubinal  commence  par  paraphraser  les  cinq  premiers  vers  de 
l'épisode  choisi  par  lui  dans  la  chanson  de  geste  (v.  125-129); 
puis,  pour  opposer  aux  sentiments  des  Français  ceux  de  leurs 
vainqueurs,  il  glisse  un  fragment  basque  à  la  mode  chez  les  roman- 
tiques, le  chant  i'A  Uabicar. 

La  traduction  reprend  par  un  contresens.  Le  texte  disait,  aux 
vers  130-131  : 

Desoz  lui  ot.j.  mulet  de  Sulie; 

Des  xij.  pers  fet  chiere'molt  marrie; 

«  il  avait  sous  lui  un  mulet  de  Syrie;  en  songeant  aux  douze 
pairs,  il  faisait  une  mine  très  marrie  ».  Cela  devient  dans  Jubinal  : 
«  Le  destrier  de  Charles,  qui  lui  vint  de  Syrie,  est  triste  lui-même 
et  fait  chair  marrie  »,  et  Fauteur  met  en  note  :  «  C'est  la  même 
idée  que  celle  de  Racine,  quand  il  dit  :  «  Ces  superbes  coursiers, 
qu'on  voyait  autrefois,  etc.  »  —  Au  vers  149,  nouveau  contre- 
sens, venant  d'une  inexaclitude.  Le  texte  fait  dire  à  Charlemagne, 
songeant  à  Ganelon  :  «  Certes,  il  a  bien  honni  France!  Quatre 
cents  ans  et  plus  après  ma  vie,  on  entendra  la  chanson  de  ma 
vengeance  »  : 

«  Voire,  dist  Charles,  bien  a  France  honnie  ! 

IIHC  anz  et  plus  après  ma  vie, 

De  la  venchance  sera  chanson  oie.  » 

Au  lieu  du  mot  venchance,  Jubinal,  qui,  par  extraordinaire,  cite 
ici  le  texte,  met  Roncisvals,  et  il  fait  exprimer  par  Charlemagne 
la  crainte  qu'on  ne  parle  quatre  cents  ans  de  sa  défaite. 

Charlemagne  voit  Narbonne;  description  de  la  ville;  le  roi  en 
demande  le  nom  à  Naymes.  Dans  sa  réponse,  Naymes  dit,  au 
vers  219  :  «  Tous  nos  hommes  sont  si  las,  par  ma  foi,  que  trois 
d'entre  eux  ne  valent  pas  une  femme  »  : 

Et  tuit  nostre  home  sont  si  las,  par  ma  foi, 
Que  une  famé  ne  valent  pas  li  troi. 

Jubinal  a  atténué  ceci  en  :  «  Vos  soldats  sont  si  las,  que  chacun 
d'eux  ne  vaut  pas  une  femme  ».  Que  Hugo  ait  adopté  cette  atté- 


6  IIEVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE  DE    LA    FRANCE. 

nuation,  cela  seul  suffirait  à  prouver  qu'il  n'a  pas  connu  le  texte 
original. 

Sur  la  réponse  de  Naymes,  le  roi  entre  en  courroux;  il  est 
tout  hors  de  lui,  plus  furieux  qu'un  sanglier  (v.  233-234).  C'est 
bien  tôt,  et  il  n'y  a  plus,  à  ce  compte,  de  gradation  possible. 
Jubinal  passe  ces  indications;  mais,  quatorze  vers  plus  loin  (257), 
comme  le  Charlemagne  du  texte  est  de  nouveau  tout  hors  de  lui, 
Jubinal,  en  1843,  disait  qu'il  poussait  un  grand  cri.  Une  utile 
correction  de  1846  lui  fait  au  contraire  jeter  «  un  grand  rire  »  ;  seu- 
lement, par  la  suite,  Jubinal  fait  tantôt  rire,  tantôt  s'irriter  Charle- 
magne, sans  qu'on  voie  bien  pourquoi,  et  sans  que  le  texte  l'y 
incite  toujours.  Victor  Hugo  aura  lieu  d'apporter  ici  quelques 
changements. 

Le  même  système  de  paraphrase  continue.  D'ordinaire,  Jubinal 
abrège  ;  mais  quand  Charlemagne  dit  au  vers  259  : 

Biaus  sire  Naimes,  corn  a  non  la  cité? 

lui  écrit  :  «  Par  Dieu,  sire  Naymes,  vous  contez  bien.  Si  vous 
étiez  plus  jeune,  on  pourrait  faire  de  vous  un  jongleur.  Quel  est 
le  nom  de  cette  ville?  »  En  revanche,  comme  le  dialogue  entre 
Naymes  et  le  roi  occupe  encore  39  vers  (260-319)  sans  rien  dire 
de  bien  nouveau  ou  de  bien  important,  Jubinal  le  remplace  par 
ceci  :  «  Empereur,  c'est  Narbonne.  Tant  mieux,  dit  Charles;  car 
elle  a  un  grand  renom  de  vaillance,  et  je  la  donnerai  à  l'un  de  nos 
guerriers.  » 

Suit,  beaucoup  moins  abrégé,  le  dialogue  avec  Dreus  de 
Montdidier  (v.  320-386);  puis  voici  venir  Richard  de  Normandie. 
Un  des  manuscrits  d'Aytneri,  le  manuscrit  24369  de  la  Biblio- 
thèque nationale,  l'appelle  Rîcher;  Jubinal,  qui  s'est  servi  de  ce 
manuscrit,  conserve  ce  nom  et  le  transmettra  à  Hugo.  De  même, 
pour  l'interlocuteur  suivant,  le  texte  l'appelant  Hoel  de  Cotentin, 
Jubinal  l'a  appelé  Hue  de  Cotentin.  Hugo  a  pensé  que  Hue  c'était 
Hugues,  et  c'est  cette  forme  qu'il  a  adoptée. 

Au  vers  398,  c'est  le  tour  de  Gérard  de  Roussillon.  Charle- 
magne lui  ayant  adressé  la  parole,  «  il  baisse  le  menton,  puis  lui 
répond  bellement,  sans  querelle  ». 

Quant  cil  l'antant,  si  bessa  le  menton, 
Puis  li  respont  bêlement,  sans  tançou. 
(iOi-405.) 

Ceci  est  devenu  chez  Jubinal  :  «  Gérard  de  Roussillon  leva  la 
tête;  il  regarda  autour  de  lui,  et,  voyant  le  petit  nombre  de  ses 
gens,  son  cheval  qui  boitait,  son  enseigne  déchirée...  »  La  suite 


«   AYMEIIILLOT    W    ET    «    U     MMUVGH    f>K    ROLAND    »♦ 


dû 

m 
de 

il 


est  abrégée,  el  plus  fidèle.  Mais,  après  la  réponse  de  fiérard, 
JiiI.'Mi,lI  trouve  que  le  récit  devient  bi&fl  long,  et  il  éeril  :  k  Charlc- 
magne  appela  encore  su  massivement  Kudes,  duc  de  Bourgogne, 
O^ier  de  Danemark»  le  duc  Ernaul  de  Etatuiléande;  tous  refusèrent 
sa  proposition  »,  ce  qui  remplace  li  vers  consacrés  à  EiuK's, 
l'i  vers  consacrés  |  ûgtef  d»'  Danemark,  21  au  marquis  Salouion. 
24  à  Gondebeuf  l'allemand,  Ut  de  nouveau  a  Naymes,  20  à 
Anséis  de  Carthage,  il  où,  après  des  iinli cations  rapides  de 
dialogues  avt'c  Dôuii  de  Valrler  el  Girard  de  Yiane,  est  reproduit 

n  dialogue  avec   [bruant  de   Biaulandc,  ou,  gomme  dit  Jubiiial, 
de  Itenutéaude.  On  voit  que  Jubinal  a  supprimé  un  bon  nombre 

I  res  noms, 

I!  reprend  sa  traduction  abrégea  au  vers  581,  pour  exprimer 
avec  assez  de  force  les  plaintes  de  Ciwrifimagne  (584-639).  Mais 
l'épisode  suivant  du  poème  est  supprimé.  Ile  rua  ut,  navré  de  voir 
l'empereur  en  cette  colère,  songe  à  son  fils  Aymeri,  le  propose  à 
Charles,  va  trouver  son  fils,  obtient  sans  peine  son  acceptation  et 
ramène  devant  l'empereur.  Tout  ceci,  qui  forme  les  vers  610 
à  691»  est  supprimé  et  remplacé  par  cette  seule  ligne  :  «  Les 
barons  poussèrent  une  grande  lamentation  et  se  regardèrent  tris- 
tement ».  Après  qttot,  Aymeri  se  présente  tout  seul  :  «  Alors  on 
vit  s'avancer  du  milieu  de  la  foule  uu  jeune  homme  grand  et  bien 
(sil  », 

Pour  les  vers  692  à  771,  la  traduction  est  fort  abrégée  :  Jubinal 
I  tnihiiiimnii.  supprimé  tout  ce  qui  rappelle  les  démêlés  de  Char- 

tantftgae  avec  Girard  de  Yiaue;  il  n'a  gardé  que  ce  mot  :  «  Je  suis 

Ele  neveu  de  Girard  de  Vienne  et  me  nomme  Aymeri  i>.  —  Deux 
détails  ici  sont  à  noter.  D'abord  Jubinal,  d'après  sou  manuscrit, 
adonné  à  Àymeri  le  diminutif  d'ÀjrmertlIot,  taudis  qui*  les  autres 
manuscrits  ont  Aymeriet.  Ensuite»  au  vers  136,  Aymeri  disait  : 


' 


De  lerre  n'ai  vaillant  .ij,  paHsîs. 


«,1e  n'ai  pas  de  terre  la  valeur  de  deux  sous  parïsis  »;  Jubinal 
faïl  ce  contresens  :  «  Les  terres  que  je  possède  sont  plus  petites 
ijue  deux  pièces  de  monnaie  ». 

Après  le  vers  771,  ou  voit  Charlemagne,  rempli  de  joie,  etga- 

fo'iser  un  tournoi  et  dresser  une  quintaine  sous  les  murs  de  Nar- 
bonne,  Aymeri  se  dérober  aux  réjouissances  inutiles  pour  dresser 
une  embuscade  aux  Sarrasins,  les  Français  donner  l'assaut  et 
s  Vm  parer  de  la  ville. 
Jubinal,  ne  pouvant  conter  tout  cela,  avait  terminé  ainsi, 
en  I8i3,  le  récit  de  son  trouvère  :  «  Aymeri  tint  parole,  seigneurs 


i  H1ST0FUE    LITTÉIUÎRE    DE    LA    FlUlfCE* 

qui  mYcoulcz,  car  après  avoir  longtemps  assiégé  la  villa,  il  la 
conquit  par  sa  vaillance  et  devint  comte  de  Narbonne.  Il  épousa 
plus  tard  Orable,  fille  d'un  roî  sarrasin,  dont  il  eut  Guillaume  au 
court-nez  et  plusieurs  autres  héros  :  vous  en  connaissez  l'histoire. 
Prions  Dieu  qu'il  leur  donne  paix  dans  son  saint  paradis  et  qu'il 
nous  accorde  autant  de  gloire  qu'il  en  départit  à  ces  guerriers.  *> 
En  1846,  tout  ce  dénouement  a  été  remplacé  par  un  «  etc    ». 

11  n\-  a  aucun  doute  que  Hugo  a  eu  pour  unique  source  ce  récit 
de  Jubinal  el  n'a  nullement  connu  le  texte  du  moyen  âge.  Les 
passages  supprimés  par  Jubinal  ont  été  supprimes  par  lui;  les 
noms  propres  omis  ou  transformés  par  Jubinal  ont  été  omis  ou 
transformés  de  même;  les  contresens  ont  été  conservés;  aucun 
trait  ne  figure  dans  Hugo  el  dans  la  chanson  de  geste  qui  ne  soit 
m  même  temps  dans  Jubinal,  II  reste  donc  seulement  à  voir 
comment  Hugo  s'est  conduit  vis-à-vis  de  cette  source  unique. 


III 


Les  précieuses  noies  critiques  publiées  par  M,  Glachaut  vonl 
nous  être  ici  très  utiles.  Mais,  pour  mieux  suivre  notre  dessein , 
nous  aurons  soin  de  ne  rien  dire  des  variantes  qui  ne  nous  ren- 
seignent pas  sur  celte  question  de  l'imitation  de  Jubinal  par  Hugo, 
Nous  nous  contenterons  d'introduire  dans  le  texte,  dont  elles  ont 
d'abord  fait  partie,  les  variantes  qui  rapprochent  Hugo  de  Jubinal, 
et  d'en  supprimer  au  contraire  les  passages  ajoutés  après  coup, 
et  qui  se  trouvent  à  la  marge  du  manuscrit.  Il  sera  intéressant 
de  voir  ensuite  pourquoi  le  texte  a  été  changé,  pourquoi  les  addi- 
tions ont  été  faites  et,  par  suite,  comment  Hugo  écrit  et  com- 
pose. Peubélre,  en  dépil  de  toutes  nos  précautions,  cette  étude 
n'alteindra-t-elle  pas  le  premier  jet  de  Hugo;  peut-être  y  a-l-il  eu 
du  poème  un  premier  texte  moins  développé  et  plus  conforme  à 
son  modèle.  M.  Glachanl,  familier  avec  les  manuscrits  du  poète, 
[crise  que  «  la  pièce  est  déjà  peut-être  une  copie  ».  Si  cette  hypo- 
thèse est  justifiée.,  notre  travail  sera  moins  instructif  qu'il  n'aurait 
pu  l'être;  mais  est-ce  une  raison  pour  y  renoncer? 

Suivons  pas  à  pas  Jubinal,  et  voyons  commentai ugo  le  traduit, 
comment  il  le  reproduit,  pourrait-on  dire,  gardant  tout  ce  qui 
peut  se  garder,  modifiant  surtout  sur  les  sollicitations  de  la  rime. 
Comme,  en  vertu  du  système  de  versification  adopté,  chaque  fin 
de  vers  empruntée  de  Jubinal  entraîne  l'emploi  d'une  cheville  (qui 
d'ailleurs  peut  être  splendide)  au  vers  correspondant,  nous  met- 


«  AYMERILLOT   )>    ET    <(   LE    MARIAGE    DE    HOLAXD  ».  9 

trons  soigneusement  ce  genre  d'emprunt  en  lumière,  en  le  souli- 
gnant. 

Charlemagne,  Vempereor  à  la  barbe  florie  ',  comme  dit  le  texte,  tra- 
verse les  Pyrénées;  il  revient  d'Espagne.  La  lamentation  est  grande, 
car  son  neveu  Roland,  par  la  trahison  de  Ganelon,  a  été  tué  avec 
Olivier,  les  douze  pairs  et  toute  Tarrière-garde  de  son  armée  jusque-là 
victorieuse. 

Charlemagne,  empereur  à  la  barbe  fleurie. 
Revient  d'Espagne ,  il  a  le  cœur  triste,  il  s'écrie  : 
—  Roncevaux!  Roncevaux!  ô  traître  Ganelonl 
Car  son  neveu  Roland  est  mort  dans  ce  vallon 
5.  Avec  les  douze  pairs  et  toute  son  armée. 

Jubinal  introduit  ici  le  passage  du  chant  basque  sur  l'Etcheco- 
Jaûna  *,  et  il  met  en  note  :  «  Ces  paroles  sont  empruntées  au  chant 
basque  d'Altabicar  ».  Hugo  fait  comme  lui,  et  met  en  note  dans 
son  manuscrit,  à  côté  du  6e  vers,  ces  mots  où  se  remarquent  deux 
inadvertances  :  «  Littéral.  Etcheco-raûna  (chant  basque  d'Acta- 
bicar)  ». 

L'Etcheco-Jaùna  (le  laboureur  des  montagnes)  est  rentré  chez  lui  avec 
son  chien.  Il  a  embrassé  sa  femme  et  ses  enfants;  il  a  nettoyé  ses 
flèches  ainsi  que  sa  corne  de  bœuf,  et  les  ossements  des  héros  qui  ne 
sont  plus  blanchissent  déjà  pour  l'éternité. 

Le  laboureur  des  monts  qui  vit  sous  la  ramée 
Est  rentré  chez  lui,  grave  et  calme,  avec  son  chien; 
Il  a  baisé  sa  femme  au  front  et  dit  :  c'est  bien. 
11  a  lavé  sa  trompe  et  son  arc  aux  fontaines; 
10.  Et  les  os  des  héros  blanchissent  dans  les  plaines. 

Le  destrier  de  Charles,  qui  lui  vint  de  Syrie,  est  triste  lui-même  et 
fait  chair  marrie.  Charlemagne  pleure,  mais  ce  n'est  pas  seulement 
d'avoir  perdu  la  bataille,  sa  pairie  et  son  neveu;  c'est  de  penser  que  sa 
défaite  sera  racontée  après  lui,  pendant  quatre  cents  ans  et  plus  : 

Quatre  cents  ans  et  plus  dès  que  ma  vie 
De  Roncisvals  sera  chanson  oïe. 

Le  bon  roi  Cbarle  est  plein  de  douleur  et  d'ennui; 
Son  cheval  syrien  est  triste  comme  lui. 
Il  pleure;  l'empereur  pleure  de  la  souffrance 
D'avoir  perdu  ses  preux,  ses  douze  pairs  de  France, 
15.  Les  meilleurs  chevaliers  qui  n'étaient  jamais  las, 
Et  son  neveu  Roland,  et  la  bataille,  hélas! 

1.  Ce  que  nous  soulignons  dans  le  texte  de  Jubinal  est  aussi  souligné  dans  le 
Journal  du  dimanche. 

2.  Etcheco-sauna  dans  le  Musée  des  Familles. 


10  .  REVUE    DfHIST0IRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Et  surtout  de  songer,  lui,  vainqueur  des  Espagnes, 
Qu'on  fera  des  chansons  dans  toutes  ces  montagnes 
Sur  ses  guerriers  tombés  devant  des  paysans, 
20.  Et  qu'on  en  parlera  plus  de  quatre  cents  ans1. 

Cependant  il  chemine  toujours.  Tout  à  coup  il  arrive  sur  le  sommet 
des  Pyrénées,  et,  du  revers  aujourd'hui  français  de  la  chaîne,  il  se 
prend  à  regarder  dans  la  plaine  :  là,  vers  la  droite,  au  loin  et  bien 
avant  dans  les  terres,  il  aperçoit,  sur  une  montagne,  une  ville  bien 
close  de  murs  et  de  défenses,  que  couronnent  de  grands  arbres  verts. 
Jamais  on  n'a  vu  cité  plus  forte.  Outre  ses  murailles,  elle  est  ceinte  de 
trente  tours  en  bonne  pierre  de  liais;  au  milieu  de  ces  tours,  il  y  en  a 
une  qui  les  dépasse  toutes.  L'homme  le  plus  habile  du  monde  à  deviser 
mettrait  le  plus  grand  jour  d'été  à  la  décrire. 

•  Cependant  il  chemine;  au  bout  de  trois  journées 

11  arrive  au  sommet  des  hautes  Pyrénées. 
Là,  dans  l'espace  immense  il  regarde  en  rêvant; 
Et,  sur  une  montagne,  au  loin  et  bien  avant 
25.  Dans  les  terres,  il  voit  une  ville  très  forte, 

Ceinte  de  murs  avec,  deux  tours  à  chaque  porte. 
31  !.  Au  centre  est  un  donjon  si  beau,  qu'en  vérité 
On  ne  le  peindrait  pas  dans  tout  un  jour  d'été. 

Hugo  a  négligé  le  chiffre  de  «  trente  tours  »  :  mais  il  fait  bon 
effet,  on  y  reviendra;  la  «  pierre  de  liais  »  sonne  bien  à  l'oreille  : 
on  y  reviendra  aussi. 

Ses  créneaux  sont  tous  scellés  avec  du  plomb;  sur  chacun  d'eux 
il  y  a  un  arc  prêt  à  jeter  des  traits,  et  sur  le  faîte  de  la  tour  on  voit  une 
escarboucle  plus  brillante  que  le  soleil,  et  qu'on  peut  à  peine  regarder 
fixement  de  trois  lieues. 

Ses  créneaux  sont  scellés  de  plomb;  chaque  embrasure 
Cache  un  archer  dont  l'œil  toujours  guette  et  mesure, 
35.  Ses  gargouilles  font  peur,  à  son  faite  vermeil 
Rayonne  un  diamant  gros  comme  le  soleil. 
Qu'on  ne  peut  regarder  fixement  de  trois  lieues. 

Sur  la  gauche  étincelle  la  rive  de  la  mer,  cette  grande  onde  qui 
permet  aux  navires,  nommés  dromons,  d'arriver  jusqu'à  la  ville. 

38.  Sur  la  gauche  est  la  mer  aux  grandes  ondes  bleues,  . 
Qui  jusqu'à  cette  ville  apporte  les  dromons. 

Hugo,  qui  devait  employer  ailleurs  les  dromons,  notamment 
dans  Éviradnus,  vers  301  : 

Sur  tous  les  flots  du  Nord  il  pousse  ses  dromons, 

semble  avoir  été  peu  renseigné  sur  leur  compte  quand  il  écrivait 

i.  Quelles  que  soient  les  additions  supprimées,  nous  gardons,  pour  faciliter  les 
renvois,  le  numérotage  du  texte  définitif. 


«   AYMERILLOT  »    ET    «    LE    MARIAGE    DE    ROLAND   ».  11 

Aymerulot.  N'ayant  pas  fait  usage  pour  ses  vers  du  mot  «  navire  » 
de  Jubinal,  il  Ta  mis  en  noie  dans  son  manuscrit. 

A  ce  spectacle,  Charles  sentit  son  cœur  bondir.  Il  appela  le  duc  de 
Naymes,  son  sage  conseiller,  et  lui  parla  à  peu  près  ainsi  : 

«  Beau  sire,  quelle  est  cette  cité?  ne  me  le  cachez  pas.  Celui  qui  la 
tient  peut  se  vanter  qu'il  n'y  en  a  pas  une  pareille  dans  le  monde.  Par 
saint  Denis!  je  veux  venger  ma  défaite.  Celui  d'entre  vous  qui  désirera 
retourner  en  France  passera  par  ces  portes;  car  je  vous  jure  que, 
dussé-je  rester  ici  quatorze  ans,  je  ne  reverrai  pas  la  France  sans  avoir 
conquis  cette  ville.  » 

Jubinal  ne  dit  pas  ici  ce  qu'était  Naymes,  mais  il  le  lui  fera  dire 
à  lui-même  un  peu  plus  loin  :  «  Je  voudrais  pour  beaucoup  être 
dans  mon  royaume  de  Bavière  ».  Jugeant  à  bon  droit  utile  de  ren- 
seigner immédiatement  un  lecteur  peu  familiarisé  avec  la  poésie 
du  moyen  âge,  Hugo  a  transporté  ici  ce  détail,  en  mettant  Bavière 
à  la  rime  : 

40.  Charle,  en  voyant  ces  tours,  tressaille  sur  les  monts. 
—  Mon  sage  conseiller,  Naymes,  duc  de  Bavière, 
Quelle  est  cette  cité  près  de  cette  rivière? 
Qui  la  tient  la  peut  dire  unique  sous  les  cieux. 
Je  suis  triste,  et  je  veux  m'en  retourner  joyeux. 
45.  Je  veux  venger  l'affront  fait  à  mes  capitaines. 

Oui,  dussé-je  rester  quatorze  ans  dans  ces  plaines, 
0  mes  bons  compagnons,  Saint-Denis  m'est  témoin 
Que  j'aurai  cette  ville  avant  d'aller  plus  loin  !  — 

Naymes  a  entendu  Charlemagne  et  il  lui  a  dit  :  «  Sire,  jamais  homme 
ne  fut  plus  surpris  que  je  le  suis.  Si  vous  voulez  avoir  cette  ville,  il 
vous  faudra  la  payer;  car  je  n'en  connais  pas  de  plus  forte.  Celui 
qui  la  défend  a  avec  lui  vingt  mille  Turcs  qui  ont  chacun  double  harnais 
et  doubles  armes,  et  qui  se  moqueront,  comme  d'autant  de  boules  de 
neige,  des  traits  de  nos  arbalètes.  D'ailleurs  vos  soldats  sont  si  las,  que 
chacun  d'eux  ne  vaut  pas  une  femme;  vos  chevaliers  aimeraient  mieux 
leurs  manoirs  qu'un  assaut;  vos  barons!....  leurs  chevaux  ne  se  nour- 
rissent plus  que  de  paille;  et,  quant  à  moi,  je  vous  donne  ma  foi  que 
je  voudrais  pour  beaucoup  être  dans  mon  royaume  de  Bavière.  » 

Hugo  a  déplacé  les  arbalètes  pour  avoir  un  trait  plus  piquant  : 

Le  vieux  Naymes  frissonne  à  ce  qu'il  vient  d'entendre. 
50.  —  Alors,  achetez-la,  car  nul  ne  peut  la  prendre. 

Son  duc  a  pour  sa  garde,  outre  ses  Béarnais, 

Vingt  mille  Turcs  ayant  chacun  double  harnais. 

Quant  à  nous,  autrefois,  c'est  vrai,  nous  triomphâmes; 

Mais  aujourd'hui  vos  preux  ne  valent  pas  des  femmes, 
55.  Ils  sont  tous  fatigués  et  du  gîte  envieux, 

Et  je  suis  le  plus  las,  car  je  suis  le  plus  vieux. 


il  REVUE    D'HISTOIRE    UTTÉRÀI11Ë    DE    LA    FUam.i  . 

Sire,  je  parle  franc  et  je  ne  tarde  guère. 
D'ailleurs,  nous  n'avons  point  Je  machines  de  guerre; 
Les  chevaux  sont  rendus,  les  gens  rassasiés; 
60.  Je  trouve  quil  est  temps  que  vous  vous  reposiez 
Et  je  die  qu'il  faut  être  aussi  fou  que  vous  Têtes 
Pour  attaquer  ces  tours  avec  des  ffrtaitUf. 

«  Beau  sire  duc,  reprit  l'empereur»  n'en  parlons  plus*  Par  la  foi  que 
je  dois  à  Dieu,  je  vous  jure  que  je  ne  rentrerai  pas  en  France  sans  avoir 
conquis  cette  cité  1  * 

«  Sire,  dit  Naymes,  ayez  pîlié  de  votre  haronagey  qui  est  à  moitié 
mort  de  fatigue*  n 

Dans  l'article  de  Jubinal*  quand  Naymes  a  parlé  pour  ta  seconde 
fois,  l'empereur  lui  dil  :  «  Quel  est  le  nom  de  celte  ville?  » 
Pourquoi  ne  pas  le  lui  demander  après  sa  première  réponse,  où  le 
renseignement  n'est  pas  donné  davantage?  Et  comme  l'empereur, 
qui  veut  se  contenir,  sera  bien  plus  dans  son  rôle,  en  se  contentant 
de  répéter  obstinément  à  Naymes  sa  question!  De  là  le  teste  de 
Hugo  : 

L'empereur  répondit  au  duc  avec  bonté  : 
—  Duc,  tu  ne  m'as  pas  dit  le  nom  de  la  ûfté? 
55*  —  On  peut  bien  oublier  quelque  chose  à  mon  âge. 
Hais,  sire,  ayez:  pîlié  de  votre  hironnnge* 

Naymes  continue,  dans  Jubinal  : 

«  Vous  ûe  pourrez  prendre  la  cité.  D'ailleurs  les  Sarrasins  qui  la 
défendent  ont  creusé  trois  souterrains*  l'un  qui  va  jusqu'à  Saragosse» 
l'autre  jusqu'à  Toulouse,  et  le  troisième  jusqu'à  Orange.  Si  vous 
assiégez  la  ville,  ils  recevront  par  là  des  secours,  » 

Les  trois  villes  de  Jubinal  ne  sont  pas  assez  romantiques.  Pour 
quoi  les  Sarrasins  n'auraieiiL-ils  pas  une  communication  avec 
l'enfer?  L'enfer  remplacera  Orange,  Mais  alors,  il  faut  une  rime 
à  enfer,  et  Saragosse  devient  impossible  :  il  tant  Barcelone  rfl  mer* 
Toutomet  qui  se  termine  par  un  e  muet  ne  pourra  pas  rester  à 
l'hémistiche  avant  (e  troisième  :  ou  mettra  Bordeaux. 

71.  Les  assiégés  riront  de  vous  du  haut  des  tours* 
Ils  ont,  pour  recevoir  sûrement  des  eecaws, 
Si  quelque  insensé  vient  heurter  leurs  citadelles, 
Trois  souterrains  creusés  par  les  turcs  infidèles, 

75.  Et  qui  vont,  le  premier,  à  Barcelone  en  mer, 
Le  deuxième,  à  Bordeaux,  le  troisième  en  enfur, 

Charles  l'entend,  et  il  jette  un  grand  rire  : 
i  Par  Dieu,  sire  Naymes,  vous  contez  bien.  Si  vous  étiez  plus  jeune* 
on  pourrait  faire  de  vous  un  jongleur.  Quel  est  le  nom  de  cette  vill- 


«  AYMERILLOT  »    ET    «    LE    MARIAGE    DE    ROLAND    ».  13 

Le  «  grand  cri  »  du  texte  de  1843  était  tout  à  fait  hors  de 
propos.  Le  «  grand  rire  »  de  1846  vaut  mieux,  mais  ne  laisse  pas 
d'être  exagéré  :  Charles  doit  rester  calme. 

77.  L'empereur,  souriant,  reprit  d'un  air  tranquille  : 

—  Duc,  tu  ne  m'as  pas  dit  le  nom  (le  cette  ville  ? 

«  Empereur,  c'est  Narbonne.  —  Tant  mieux,  dit  Charles;  car  elle  a  un 
grand  renom  de  vaillance  et  je  la  donnerai  à  l'un  de  nos  guerriers.  » 

Jugeant  la  réplique  trop  simple,  le  poète  a  jugé  bon  d'introduire 
ici  une  image  plus  tard  reprise  par  lui  dans  tes  Châtiments 
(livre  VII,  6,  chanson)  : 

Berlin,  Vienne,  étaient  ses  maîtresses, 

Il  les  forçait, 
Leste,  et  prenant  les  forteresses 

Par  le  corset. 

Il  a  écrit  : 

—  C'est  Narbonne.  —  Narbonne  est  belle,  dit  le  roi, 
80.  Et  je  l'aurai;  je  n'ai  jamais  vu,  sur  ma  foi, 

Ces  belles  filles-là  sans  leur  rire  au  passage 

Et  me  piquer  un  peu  les  doigts  à  leur  corsage.  — 

Avisant  alors  un  comte  de  haut  parage,  nommé  Dreus  de  Montdidier, 
Charlemagne  l'appelle  auprès  de  lui  :  «  Dreus,  lui  dit-il,  vous  êtes  fils 
d'un  gentil  chevalier;  prenez  Narbonne  et  je  vous  laisserai  tout  le  pays 
depuis  cette  ville  jusqu'à  Montpellier.  » 

Alors,  voyant  passer  un  comte  de  haut  lieu, 

Et  qu'on  appelait  Dreus  de  Montdidier.  —  Pardieu  ! 
85.  Comte,  ce  bon  duc  Nayme  expire  de  vieillesse! 

Mais  vous,  ami,  prenez  Narbonne  et  je  vous  laisse 

Tout  le  pays  d'ici  jusque*  à  Montpellier; 

Car  vous  êtes  le  fils  d'un  gentil  chevalier; 

Votre  oncle  que  j'estime  était  abbé  de  Chelles; 
90.  Vous-même  êtes  vaillant;  donc,  beau  sire,  aux  échelles! 

L'assaut  ! 

Les  deux  derniers  vers  ont  peut-être  été  suggérés  par  le  désir 
d'employer  Montdidier  pour  la  rime.  Il  fallait  alors  deux  rimes 
féminines  en  attendant. 

«  Sire,  répondit  Dreus,  je  ne  vous  le  cache  pas,  je  serais  désolé  de 
rester  encore  un  mois  hors  de  mon  pays,  j'ai  besoin  de  me  faire  poser 
des  ventouses  et  de  prendre  des  bains,  car  je  suis  très  malade.  Je  n'ai 
plus  d'ailleurs  un  seul  palefroi  à  monter,  et  il  y  a  bien  un  an  que  je  n'ai 
couché  sans  mon  haubert.  Donnez  donc  Narbonne  à  un  autre,  car  je 
n'en  ai  que  faire.  » 


14  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Sire  empereur,  répondit  Montdidier, 
Je  ne  suis  désormais  bon  qu'à  congédier; 
J'ai  Irop  porté  haubert,  maillot,  casque  et  salade; 
J'ai  besoin  de  mon  lit,  car  je  suis  très  malade; 
93.  J'ai  la  fièvre;  un  ulcère  aux  jambes  m'est  venu; 
Et  voilà  plus  d'un  an  que  je  n'ai  couché  nu. 
(lardez  tout  ce  pays,  car  je  n'en  ai  que  faire. 

A  ces  mots,  Charlemagne  rougit,  sa  figure  s'enflamma. 

«  Charlemagne  rougit  »,  a  lu  M.  Glachant  dans  une  variante  dont 
la  fin  est  illisible.  Hugo  s'était  laissé  entraîner  par  Jubinal.  Il  s'est 
ensuite  ravisé  heureusement,  en  laissant  encore  Charlemagne 
maître  de  lui  : 

98.  L'empereur  ne  montra  ni  trouble  ni  colère. 

Jubinal  continue  en  faisant  appeler  Richer  de  Normandie 
d'abord,  Hue  de  Cotentin  ensuite.  Mais  on  vient  d'avoir  deux 
rimes  féminines.  Hue  de  Cotentin  et  comte  palatin  peuvent  très 
bien  fournir  les  rimes  suivantes,  tandis  que  Iiicher  de  Normandie 
viendra  fort  à  propos  quand  il  faudra  de  nouveau  des  rimes  fémi- 
nines. De  là  une  interversion. 

Le  texte  de  Jubinal  est  : 

et  appelant  Richer  de  Normandie  :  «  Duc,  dit-il,  vous  êtes  d'une  haute 
race  et  de  grande  seigneurie;  la  valeur  est  entrée  en  vous  avec  le  jour, 
prenez  Narbonne  et  je  vous  en  fais  bailli.  » 

«  Sire,  répondit  Richer,  je  suis  resté  si  longtemps  en  Espagne  où  le 
soleil  brûle,  que  j'en  ai  le  visage  tout  noir,  je  voudrais  être  en  Nor- 
mandie; donnez  Narbonne  à  un  autre,  car  pour  moi  je  n'en  veux  pas.  » 

L'empereur  laissa  tomber  sa  tête  sur  sa  poitriue  et  il  pensa  longtemps 
à  ce  que  lui  avaient  dit  les  trois  preux.  Enfin,  voyant  passer  Hue  de 
Cotentin,  qui  était  un  beau  chevalier  et  un  comte  palatin,  il  l'appela  : 
«  A  vous,  chevalier,  lui  cria-t-il,  Narbonne  et  ses  richesses,  si  vous  les 
prenez.  —  Droit  empereur,  répondit  celui-ci,  il  y  a  longtemps  que  je 
porte  mon  harnais,  que  je  me  couche  tard  et  que  je  me  lève  malin. 
Vous  m'offririez  tout  le  trésor  de  Pépin  pour  prendre  Narbonne,  que  je 
le  refuserais.  » 

Hugo  commence  par  ce  qui  concerne  Hue  (qu'il  appelle  Hugues) 
de  Cotentin  : 

Il  cbercha  du  regard  Hugues  de  Cotentin] 
100.  Ce  seigneur  était  brave  et  comte  palatin. 

—  Hugues,  dit-il,  je  suis  aise  de  vous  apprendre 
Que  Narbonne  est  à  vous,  si  vous  voulez  la  prendre. 
Hugues  de  Cotentin  salua  l'empereur. 

—  Sire,  c'est  un  manant  heureux  qu'un  laboureur! 
105.  Le  drôle  gratte  un  peu  la  terre  brune  ou  rouge, 

Et,  quand  sa  tâche  est  faite,  il  rentre  dans  son  bouge. 


«  AYMKRILLOT  »  ET  «  LE  MARIAGE  DE  ROLAND  ».  15 

lit.  Sire,  voilà  longtemps  que  j'ai  pour  tout  destin 
De  m'endormir  fort  tard  pour  m'éveiller  malin. 
De  recevoir  des  coups  pour  vous  et  pour  les  vôtres, 
Je  suis  très  fatigue.  Donnez  Narbonne  à  d'autres. 

Hugo  revient  à  la  transition  entre  les  deux  entretiens.  Cette  fois 
un  geste  de  découragement  est  fort  naturel,  à  condition  qu'il  soit 
vite  réprimé  : 

115.  Le  roi  laissa  tomber  sa  tête  sur  son  sein. 

Chacun  songeait,  poussant  du  coude  son  voisin. 

Et  voici  enfin  Richer  de  Normandie.  Seulement  Hugo  a  fait  deux 
dialogues  avec  ce  qui  n'en  formait  qu'un  dans  Jubinal.  Une  partie 
de  ce  que  disaient  Charlemagne  et  Richer  a  fourni  le  premier  dia- 
logue : 

Pourtant  Cbarle,  appelant  Richer  de  Normandie  : 

—  Vous  êtes  grand  seigneur  et  de  race  hardie, 

Duc;  ne  Youdrez-vous  pas  prendre  Narbonne  un  peu? 
120.  —  Empereur,  je  suis  duc  parla  grâce  de  Dieu. 
Ces  aventures-là  vont  aux  gens  de  fortune. 
Quand  on  a  ma  duché,  roi  Charle,  on  n'en  veut  qu'une. 

L'autre  partie  a  constitué  un  dialogue  avec  «  le  comte  de  Gand  »  : 

L'empereur  se  tourna  vers  le  comte  de  Gand. 

—  Tu  fis  jadis  la  guerre  à  Canut  le  brigand; 
125.  Le  jour  où  tu  naquis  sur  la  grève  marine, 

L'audace  avec  le  souffle  entra  dans  ta  poitrine, 

Baron,  dans  le  combat  tu  n'as  jamais  pâli; 

Beau  comte,  prends  Narbonne,  et  je  fen  fais  bailli. 
137.  —  Sire,  dit  le  gantois,  je  voudrais  être  en  Flandre. 

J'ai  faim,  mes  gens  ont  faim,  je  pars  sans  plus  attendre. 
143.  Et  puis,  votre  soleil  d'Espagne  m'a  hàlé 

Tellement,  que  je  suis  tout  noir  et  tout  brûlé; 
145.  Et,  quand  je  reviendrai  de  ce  ciel  insalubre 

Dans  ma  ville  de  Gand  avec  ce  front  lugubre, 

Ma  femme,  qui  déjà  peut-être  a  quelque  amant, 

Me  prendra  pour  un  maure  et  non  pour  un  flamand! 

J'ai  hâte  d'aller  voir  là-bas  ce  qui  se  passe. 

Quand  vous  me  donneriez,  pour  prendre  cette  place, 

Tout  Por  de  Salomon  et  tout  l'or  de  Pépin, 

Non!  je  m'en  vais  en  Flandre,  où  l'on  mange  du  pain. 

Pourquoi  ce  changement?  Il  semble  qu'on  puisse  le  deviner. 
Hugo,  dans  la  réponse  de  Hue  de  Cotentin,  avait  négligé  le  mot  : 
«  Vous  m'offririez  tout  le  trésor  de  Pépin  pour  prendre  Narbonne, 
que  je  ne  la  prendrais  pas  >».  Il  avait  pourtant  trouvé  le  mot  amu- 
sant, et  s'était  dit  qu'il  ferait  bon  effet  à  la  rime,  avec  pain  comme 
rime  correspondante.  Il  fallait  donc  qu'un  interlocuteur  de  Char- 
lemagne   regrettât    d'avoir   manqué    de   pain,    ou    souhaitât   de 


10 


HEYUK    D  HISTOIRE   LITTÉRAIRE    h!,    là    FRANCE- 


retrouver  du  pain.  C'était  un  homme  pratique,  et  il  convenait  qu'il 
appartînt  à  cette  race  flamande,  dont  la  peinture  a  créé  la  poésie 
de  la  vie  pratique  et  Je  la  cuisine  :  ce  serait  le  comte  de  G  (nid*  En 
outre ,  de  peur  que  le  mot  «  Tor  de  Pépin  »  n'étonnât  trop  un 
lecteur  du  xixfl  siècle,  on  l'unirait  h  une  formule  analogue,  plueér 
plus  Las  par  Jubinal  dans  la  bouche  de  Gérard  de  Roussi) Ion  : 
u  pour  tout  l'or  de  Salomon,  je  ne  voudrais  pas  nrTarrêter  à  la 
prendre  ».  La  répétition  des  deux  formules  était  monotone;  leur 
union  serait  piquante  et  contribuerait  h  la  clarté. 
.lui iin al  continuait  : 

A.  ces  paroles,  Charles  éclata  en  sanglots;  mais,  voyant  passer 
Gérard  de  Roussi! Ion... 

Charles  éclata  en  sanglots!  Non  pas!  Charles  a  pu  laisser 
échapper  un  geste  de  découragement;  mais  il  faut  qu'il  se  con- 
tienne jusqu'à  L'explosion  finale,  afin  que  cette  explosion  produise 
un  effet  d'autant  plus  grand.  D'autre  part,  il  n'est  pas  mauvais 
que  nous  sentions  une  irritation  sourde  se  former  dans  Fàme  de 
l'empereur  et  dans  la  nôtre. 

Hugo  avait  terminé  le  passage  précédent  par  des  rimes  mascu- 
lines; Gérard  de  RoussîUon^  hémistiche  tout  fait,  commencera  unv 
autre  couple  de  rimes  masculines  :  Hugo  a  donc  deux  vers  pour 
rendre  cette  intention. 

181,  Le  bon  cheval  du  roi-.. 

(reprise  habile  de  ridée  fournie  par  Jubinal  au  début) 

181,  Le  bon  cheval  du  roi  frappait  du  pied  ta  terre 
Comme  sTil  comprenait;  sur  le  mont  solitaire 
Les  nuages  passaient. 

C'est-à-dire  :  le  temps  passe  aussi  sans  amener  aucune  solution, 

et  Charles»  décontenancé,  regarde  devant  lui  sur  la  montagne  où 

les  nuages  passent,  —  machinalement.  Remarquez  encore  comme 

les  deux  enjambements  tombent  l'un  sur  Tautre  avec  une  mono- 

tomie  accablante*  —  L/empercur  fait  un  effort  pourtant,  et  les 

vers  se  relèvent  : 

Gérard  de  Roumilfon 
Était  à  quelques  pas  avec  son  kUaîîlon; 
185,  Charlemagne  en  riant  vint  à  lui. 

«  Venez  avant,  dit-il,  gentilhommede  bien,  je  vous  donne  Narbonne,  « 

—  Vailîant  homme, 
180.  Vous  êtes  dur  el  fort  comme  un  Romain  de  Rome; 
Vous  empoignes  le  pieu  sans  regarder  aux  clous; 
Gentilhomme  de  bien,  celte  ville  est  à  vous!  — 


«     VVMIJttLU»!    jj     ET    «    LE    MAULAGK    FVK    ROLAND    ». 


i: 


Gérard  de  Roussillon  leva  la  tête;  il  regarda  autour  de  lui,  et,  voyant 
le  petit  nombre  de  ses  gens,  son  cheval  qui  boitait,  son  enseigne 
déchirée  :  u  Seigneur!  reprit-il,  je  vous  demande  pardon.  Depuis  deux 
ans,  j'ai  toujours  vécu,  non  en  palais,  ni  en  maison,  mais  sous  une 
tente,  Constamment,  j'ai  porté  mes  éperons;  par  le  chaud  comme  par 
le  froid,  j'ai  été  vêtu  de  fer;  donnez  Narhonne  à  un  autre,  car  pour  totil 
l'or  de  Salomon,  je  ne  voudrais  pas  m* arrêter  à  la  prendre;  j'ai  assez 
de  terres  ailleurs.  » 

fitfrard  de  Roussi  lion  regarda  d'un  air  sombre 
190,  Sou  vjctix  ^ilet  de  fer  rouillé,  te  petit  nombre 

Dr  ses  soldats  marchant  trisiemenl  devant  eux, 

Sa  bannière  eu  baillons  et  son  cheval  boiteux. 

—  Tu  rêves,  dit  le  roi,  comme  un  clerc  en  Sorbonno. 

Faut-il  donc  tant  songer  pour  accepter  Nkrtouttl 
195.  —  Roi,  dit  Gérard,  merci,  j'ai  des  terres  aUl&ufê*  — 

Voila  comme  parlaient  tous  ces  fiers  batailleurs 

Pendant  que  les  torrents  mugissaient  sous  les  chênes. 

À  noter  la  nouvelle  intervention  de  la  nature,  —  Hugo  a 
négligé  :  «  par  le  chaud,  comme  par  le  froid,  j'ai  été  velu  de  fer  »  : 
il  s'en  souviendra.  Il  a  d'ailleurs  abrégé  tout  le  passaye,  parce  qmi 
les  héros  n'ont  même  plus  la  force  de  répondre  à  Gharlcmogne,  et 
parce  que  Charloinagne,  obtenant  des  réponses  de  plus  en  plus 
sèches,  n'aura  plus  de  raison  de  se  contenir.  Yoilà  pourquoi 
Gérard  de  Roussillon  ne  prononce  qu'un  vers;  voilà  pourquoi  on  se 
contentera  de  signaler  le  refus  d'un  grand  nombre  de  héros.  Hugo 
grossit  la  liste  de  ces  héros  à  plaisir,  sentant  bien  quelle  puissance 
aura  ici  une  énumération  accompagnée  de  quelques  traits  expres- 
sifs (bizarres  aussi,  mais  c'est  le  romantique  qui  se  fourvoie),  des- 
tinés à  montrer  combien  ces  timides  d'aujourd'hui  onl  été  autrefois 
des  vaillants  : 

L'empereur  lit  le  tour  de  tous  ses  capitaines; 

IL  appela  les  plus  hardis,  tes  plus  fougueux, 
-200.  Eudes,  roi  *ie  Bourgogne,  Albert  de  l'érigueux, 

Sîbo,  que  la  légende  aujourd'hui  divinise, 

Garîn,  qui,  se  trouvant  un  beau  jour  à  Yenise, 

Emporta  sur  son  dos  te  lion  de  Saint-Marc, 

Ernaut  de  Bauîéande,  ûgîff  de  Danemark, 
SÛSL  Roger,  enfin,  grande  âme  au  perd  toujours  prêle; 

Ils  refusèrent  tous. 

Jubinal  disait  simplement  : 

Charlemafçne  appela  encore  successivement  Eudes,  due  de  Bourgogne, 
i   dû  Danemark,  le  duc  Ernaut  de  Beauléande;  Ions  refusèrent  sa 
proposition. 

Ce  qui  suit  dans  Jubinal  <«sl  un  cadre  intéressant,  mais  ce  n'est 
qu'un  cadre.  El  comme  Hugo  Ta  rempli  merveilleusement! 

£!£¥•    ll'lUBT.   L1TTÉH.    HE  LA    F  HA*»  ("?*  AlM.).—   VII,  2 


18  HE VI  K    0  HISTOIIlg    UTTÉRAIJ1E    DE    LA    fRABUt 

Alors,  se  dressant  sur  son  cheval,  il  leva  les  yeux  au  ciel,  et,  rame 
pleine  de  douleur,  l'invincible  empereur  s'écria  : 

Alors,  levant  la  tête. 
Se  dressant  tout  debout  sur  ses  grands  étriers, 
Tirant  sa  large  épée  aux  éclairs  meurtriers, 
Avec  uu  âpre  accent  plein  de  sourdes  huées, 
210,  P;ïle,  effrayant,  pareil  à  l'aigle  des  nuées, 
Terrassant  du  regard  son  camp  épouvanté, 
L'invincible  empereur  s'écria  : —  L  Acheté! 

La  période  énumérative  avait  fini  accablée;  Li  suivante  se  dresse 
vigoureusement,  comme  le  roi  lui-mémo,  enfin  à  bout  de  paliencc. 
Puis,  elle  s'avance,  jusqu'à  l'éclat  de  ce  mot  lancé  en  fin  de  vers  : 
IncheU1!  par  une  suite  de  vers  majestueusement  réguliers,  coupés 
à  l'hémistiche  (sauf  le  vers  expressif  ;  Pâte,  effrmjfint»,),  sonores 
aussi,  avec  des  «,  des  e  sourds,  des  r  et  des  groupes  inquiétants 
de  consonnes:  tln^sfutt.  étrier$t  êciaiftf  meitrtrters.  âpre,  effrayant, 
s  écria*  VA  quelle  ampleur  de  colère  dans  ce  qui  suit! 

«  0  vous*  comtes  palatins,  Olivier  et  Roland,  que  n'étes-vous  ici!  Si 
vous  étiez  vivants,  vous  prendriez  Narbonne,  »  Puis,  se  tournant  vers 
les  seigneurs  qui  Pavaient  refusé,,.. 

0  comtes  palatins  tombés  dans  ces  vallées, 

0  géants  qu'on  voyait  debout  dans  les  nnllées, 
21  IL  Devant  qui  Satan  même  aurait  crié  merci, 

O/tiiVr  et  Roland,  que  nctcs-mits  i<t! 

itu  éHei  vivtitit$t  vous  prendriez  Jfarèôftiit, 

Paladins!  vous,  du  moins,  votre  épée  était  bonne, 

Votre  cœur  était  haut,  vous  ne  marchandiez  pas! 
I3&  Vous  alliez  en  avant  sans  compter  tous  vos  pas! 

0  compagnons  couchés  dans  la  tombe  profonde, 

Si  vous  étiez  vivants,  nous  prendrions  le  monde! 

Grand  Dieul  que  voulez-vous  que  je  fasse  à  présent? 

Mes  yeux  cherchent  en  vain  un  brave  au  cœur  puissant 
225,  Et  vont,  tout  effrayés  de  nos  immenses  tâches, 

De  ceux-là  qui  sont  morts  à  ceux-ci  qui  sont  lâches! 

Je  ne  sais  point  comment  on  porte  les  affronts  i 

Je  les  jette  à  mes  pieds,  je  n'en  veux  pas! 

u  Barons,  dil-îl,  vous  qui  m'avez  servi,  Français,  Bourguignons,  Fla- 
mands, Poitevins,  Bretons,  Lorrains,  Champenois,  Normands,  retournez 
en  vos  terres.  Pour  moi,  j'assiégerai  Nar bonne.  Quand  vous  serez  dans 
votre  douce  France,  si  on  vous  demande  où  est  le  roi  Charles,  vous 
répondrez  que  vous  l'avez  abandonné  au  siège  de  Narbonne; 

Bttromt 
Vous  qui  jusqu'à  ce  jour  suivîtes  Cbarlemagnc, 
230,  Normands,  Lorrains,  marquis  des  marches  d'Allemagne, 
Poitevins,  Bourguignons,  pen^  du  pays  Pisan, 
Bretons,  Picards,  Flamands,  Français,  allez-vous-en! 


»    AYUERLLLUT    »    ET    «    LE    MARIAGE    I>K    Hor  v  n  F» 


19 


Guerriers,  allez- vous -en  d'auprès  de  ma  personne, 

Des  camps  où  l'on  entend  mon  noir  clairon  qui  sonne; 
235,  Rentrez  dans  vos  logis,  allez-vous-en  chez  vous, 

Àllez-vous-en  d'ici,  car  je  vous  chasse  tous! 

Je  ne  veux  plus  de  vous!  Retournez  chez  vos  femmes! 

Allez  vivre  cachés,  prudents,  contents,  infâmes! 

C'est  ainsi  qu'on  arrive  à  Taire  d'un  aïeul. 
2+0*  Pour  moi,  j'assiégerai  Narbotmc  à  moi  tout  seul. 

Je  reste  ici  rempli  de  joie  et  d'espérance! 

Et,  quand  vous  serez  tous  dans  notre  douce  Fr*t 

i)  vainqueurs  des  Saxons  et  des  Aragouais! 

Quand  ?otifl  1WII  chaufferez  les  pieds  à  vos  chenets, 
215*  Tournant  le  dos  aux  jours  de  guerres  et  d'alarmes, 

Sî  l'on  vous  dit,  si>ri£panL  à  tous  vos  grands  faits  d'armes 

Oui  remplirent  longtemps  la  terre  de  terreur: 

—  Mais  on  donc  avez- vous  quille  votre  empereur? 

Vous  répondrez»  haïssant  les  yeux  vers  la  muraille  : 
250.  —  Nous  EkOOl  sommes  enfuis  le  jour  d'une  bataille, 

Si  vile  et  M  tremblants  et  d'un  pas  ij  pm 

Que  nous  ne  savons  plus  où  nous  l'avons  laissé!  — 

Juhinal  continue  par  ces  molî=  : 

mais  celui  d'entre  vous  qui  aura  besoin  de  ma  justice  viendra  la  cher- 
cher jusqu'ici,  car  je  ne  bougerai  pas  de  ce  tertre,  » 

Hugo  naeu  garde  de  le  suivre;  il  fallait  rester  sur  l'admirable 
trait  du  vers  252.  La  sublime  explosion  de  colère  du  roi  est 
vraiment  terminée,  et  elle  a  été  telle  qu'aucune  exagération  ne 
paraît  maintenant  possible,  s'il  plaît  au  poète  de  caractériser  la  voix 
que  nous  venons  d'entendre*  11  a  élé  facile  à  Leconte  de  Lisle,  fai- 
san! parler  un  spectre  mythique  dans  un  décor  mystérieux, 
d'écrire  : 

Mais  l'homme  violent,  du  sommet  de  son  aire, 
Tendit  ses  bras  noueux  dans  la  nuit,  et  voila, 
Plus  haut  que  te  tumulte  entier,  comme  il  parla 
D'une  voix  lente  et  grave  et  semblable  au  tonnerre 
Qui  d'échos  eu  échos  parle  désert  roula  K 

Mais  que  le  même  cfFet  paraisse  naturel  de  la  part  d'un  person- 
nage historique,  parlant  dans  un  décor  connu,  ce  ne  peut  être  que 
le  résultat  d'une  incomparable  éloquence  : 

Ainsi  Charles  de  France  appelé  Cbarleraagne, 
Exarque  de  Ravenne,  empereur  d'Allemagne, 
235.  Parlait  dans  ta  montagne  avec  sa  grande  voix; 
Et  les  patres  lointains,  épars  au  fond  des  bois, 
Croyaient  en  l'ente ndanl  que  c'était  te  tonnerre  K 

|.  Poème* barbare*,  Ïn-H,  p.  io,  Qain. 

2,  Ai -je  besoin  de  «lire-  qu'AymcrlUoi  a  précédé  Qaint  Hugo  avait  en  quelque 
sorte  préludé  sur  le  ton  plaisant  à  ee  trait  de  la  Légende,  quand  il  di&ait  dans  ta 
Légende  du  beau  Picopin  [Le  RAin,  XX,  5,  p.  00  de  l'éd.  définitive  in-12,  tome  11)  : 
-  Pendant  qu'il  se  parlai!  ainsi  à  lui-même,  les  habitants  de  Coma  et  de  Clisma 
croyaient  entendre  le  tonnerre  gronder  sourdement  a  l'Horizon.  Celait  le  diable 
qui  bougonnait.  - 


20 


REVUE    D  niSTOinK    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 


Les  barons  poussèrent  une  grande  lamentation,  et  se  regardèrent 
tristement. 

228.  Les  barons  consternés  fixaient  leurs  yeux  à  terre. 

Alors  on  vit  s* avancer  du  milieu  de  la  foule  un  jeune  homme  grand 
el  bien  fait;  il  regarda  touL  te  monde  avec  simplicité,  et  Rapprochant  de 
Charlemagne,  avant  que  celui-ci  Peut  interrogé,  it  dit  :  «  Dieu  garde  le 
roi  de  Saint-Denis  et  les  barons  en  même  temps.  Je  viens  solliciter  ce 
dont  aucun  seigneur  ne  veut  i  Narbonne  et  sou  pays,  h 

Tout  le  monde  resta  surpris,  Charlemagne  non  moins  que  les  autres. 
Au  bout  de  quelques  minutes,  considérant  la  jeunesse  et  l'audace  de 
celui  qui  parlait.... 

Soudain,  comme  chacun  demeurait  interdit, 
260.  Un  jeune  homme  bien  fait  sortit  des  ratios  et  dit  : 

—  Que  monsieur  saint  Denis  garde  te  roi  de  France! 
1 /empereur  fut  surpris  de  ce  ton  d'assuranco  ; 

27i.  —  Cà,  page,  qui  t'appelle  et  qu'est-ce  qui  t'émeut? 

—  Je  viens  vous  demander  ce  dont  pas  un  ne  veut^ 
L'honneur  d'être,  ù  mon  roi,  si  Dieu  ne  m'abandonne, 
L'homme  dont  on  dira  ;  c'est  lui  qui  prit  Narbanne. 

275.  I/enfant  parlait  ainsi  d'un  air  de  loyauté, 
Regardant  tout  te  mont  h  qççc  >  implicite. 

Quel  changement  de  Ion  I  on  dirait  du  La  Fontaine.  Hugo  a 
déplacé  avec  grande  raison  les  deux  Indications  sur  la  surprise  de 
Charlemagne  (cette  surprise  est  naturelle  elfes  les  premiers  mots 
du  jeune  homme)  et  l'observation  sur  l'air  de  simplicité  de  celui-ci 
(elle  sera  plus  frappante,  quand  il  aura  énoncé  celle  chose  énorme  : 
le  désir  d'entreprendre  ce  qui  a  fait  reculer  les  plus  expérimentés 
des  héros),  Hugo  a  ajouté  non  moins  heureusement  une  interven- 
tion ironique  du  comte  de  Gand,  qui  permettra  au  «  simple  »>  jeune 
homme  de  montrer  une  belle  fierté  : 

277.    Le  gantois,  dont  le  front  se  relevait  très  vile, 
Se  mit  à  rifle,  et  dit  aux  reltres  de  sa  suite  : 
—  Hé!  c'est  Âymerillol,  le  petit  compagnon. 

Il  est  vrai  qu'il  peut  paraître  bizarre  maintenant  que  Charle- 
magne fasse  comme  dans  Jubînal  : 

Charlemagne  lui  demanda  son  nom  : 

280.  —  Aymerillol,  reprit  le  roi,  dis-moi  Ion  nom,  » 

Mais  c'est  qu'Àymerillot  est  un  diminutif,  un  sobriquet  :  Charles 
ne  sait  pas  lo  nom  véritable, 

«  Je  suis,  répondit  le  jeune  homme,  le  neveu  de  Gérard  de  Vienne  : 
on  me  nomme  Aymery;  les  terres  que  je  possède  sont  plus  petites  que 
deux  pièces  de  monnaie;  mais  quand  il  plaira  à  Dieu,  je  conquerrai 


<«    AYMKKILLU1    »    £T    tt   LE   MÀftUGE    DE    BOIAM»   ».  21 

un  grand  avoir.  —  Eli  bien!  Aymerillut  [petit  Atjm**ri)%  < »n  t'appellera 
dorénavant  Aymery  de  Narbonne,  car  si  tu  prends  la  ville,  elle  est  à  toi, 
—  Sire,  merci,  dit  le  preux  ;  je  sais  encore  bachelier;  je  n'ai  pas  beau- 
coup d*oi\  d  argent,  ni  de  paille,  de  chair  ou  d'avoine;  mais,  s'il  plait  à 
Dieu,  j'en  aurai  pris  avant  peu  sur  les  Sarrasins,  n 

—  Aymery-  le  suis  pauvre  autant  iju'un  pauvre  moine. 

J'ai  vingt  ans,  je  n?ai  point  de  paille  et  point  efewàte, 

je  sais  lire  en  latin,  et  je  suis  bachelier, 

Voîlà  tout,  sire.  Il  plut  au  sort  de  m 'oublier 
283.  Lorsqu'il  distribua  les  fiefs  héréditaires* 

Deux  Jiards  couvriraient  fort  bien  l  ou  les  mes  tan 

Mais  tout  le  ^rand  ciel  bleu  Remplirait  pas  mou  ci.eur* 

J'entrerai  dans  Nat bonne  et  je  serai  vainqueur, 

Après,  je  châtierai  les  railleurs,  s'il  en  reste. 
:!«0.  Charles,  plus  rayonnant  que  l'archange  céleste, 

S'écria  :  —  Tu  seras ,  pour  ce  propos  hautain, 

Aymery  de  Narbonne  el  comte  palatin, 

Et  Ton  te  parlera  d'une  façon  civile; 

Va,  (Ils! 

Ici  encore  la  disposition  adoptée  par  Hugo  est  préférable*  Les 
deux  discours  dWymery  réduits  en  un,  et  d'ailleurs  pourvus 
d'une  noblesse  et  d'une  poésie  toutes  nouvelles,  sont  beaucoup 
plus  forts.  La  joie  de  Charlemagne  doit  terminer  le  poème,  — 
Hugo  a,  de  plus,  supprimé  la  mention  de  Gérard  de  Vienne,  qui 
ne  disait  rien  à  des  lec leurs  contemporains. 

Reste  à  donner  la  conclusion  pratique  du  récit,  la  prise  deNar- 
bonne.  Dans  son  article  de  IKïii,  Jubinal  lavait  remplacée  par 
un  «  etc.  »,  et  Hugo,  laissé  ainsi  à  lui-même,  a  sagement  voulu 
que  ce  ne  parut  être  là  qu'un  simple  détail  :  il  n'y  a  pas  consacré 
beaucoup  plus  d'un  hémistiche.  A-t-il  eu  raison  aussi  de  faire 
prendre  la  ville  dès  le  lendemain?  Ce  succès  si  prompt  est  bien 
invraisemblable,  mais  un  peu  de  merveilleux  ne  messied  pas  ici  : 

292+  Va,  fds!  —  Le  lendemain  Aymery  prit  la  ville. 


IV 

Tel  est,  sinon  le  premier  état,  du  moins  le  premier  état  que 
nous  puissions  constater  du  poème  à*AffmertUot„  Mais,  quand 
Hugo  a  terminé  ses  poèmes,  il  les  reprend,  quelquefois  pour  sup- 
primer, le  plus  souvent  pour  ajouter.  Ici  il  met  un  portrait  en 
pied  à  la  place  dune  simple  esquisse;  là  il  intercale  une  idée  ou 
une  image  nouvelle;  ailleurs  il  développe  des  discours  déjà  bien 
longs,  comme  celui  d'Éviradnus  à  Sigismond  et  à  Ladislas,  ou 
comme   celui  de  Fabrice  à  HalberL  Et  c'est  dans  ces  passage» 


ItKYLE    DHLSTOIHH    LITTERAIRE    DE    L.V    l'hAPÎCE, 

nouveaux  que,  moins  tenu  maintenant  par  son  plan,  il  étale  ses 
débuts  t*i  ses  qualités  :  prolixité,  trivialité,  bizarreries p  images 
éclatantes,  merveilles  de  style.  Hugo  a  d'autant  plus  volontiers 
procédé  ainsi  pour  Atjmeriflot,  qu'il  avait  négligé  certains  détails 
du  texte  de  Jubinal,  dont  il  n'était  pas  mauvais  de  tirer  parti. 

Au  vers  26,  il  avait  dit  que  Narbonne  était  «  ceinte  de  murs 
avec  deux  tours  (ou  six,  car  le  manuscrit  donne  cette  variante*) 
à  chaque  porte  ».  Combien  cela  faisait-il  de  tours  en  tout?  Jubinal 
disait  trente,  et  autour  de  ce  chiffre,  comme  autour  d'un  noyau  de 
cristallisation,  viennent  se  grouper  les  quatre  vers  suivants 

i:ile  olîre  à  qui  la  voit  ainsi  dans  le  lointain 
Trente  maîtresses  tours  avec  des  toits  d'étant, 
Et  des  mâchicoulis  de  forme  sarraai ne 
30-  Eneor  tout  ruisselants  de  poix  et  de  résine, 

Ce  n'est  pas  le  texte  de  Jubinal  qui  a  suggéré  l'addition  des 
vers  67-70;  mais  Hugo  a  trouvé  bien  sèche  cette  indication 
«  Sire,  ayez  pitié  de  votre  baronage  >>,  et  il  Fa  développée  dans 
ces  quatre  vers  : 

Nous  voulons  nos  foyers,  nos  lo^is,  nos  amours. 
C'est  ne  jouir  jamais  que  conquérir  toujours. 
Nous  venons  d'attaquer  bien  des  provinces,  sire, 
70.  Et  nous  en  avons  pris  de  quoi  doubler  J'empire* 

Même  intention  aux  vers  107-1 10,  où  Hugo  a  voulu  mieux  mar- 
quer l'opposition  entre  la  tranquillité  du  laboureur  que  Ton 
plaint,  et  les  souffrances  du  guerrier  que  Ton  jalouse.  Maïs 
de  plus,  le  poète  a  voulu  utiliser  un  mol  brillant  du  Gérard  de 
Koussillon  de  Jubinal  :  «  Par  le  chaud  comme  par  le  froid,  j'ai 
été  vêtu  de  fer  »  : 

Moi,  j'ai  vaincu  S&mo,  Thessalus,  Gsuficr; 
Par  le  chaud,  par  le  froid,  je  suis  vêtit  de  fef\ 
Au  point  du  jour  j'entends  le  clairon  pour  antienne; 
10.  Je  n'ai  plus  à  ma  selle  une  boucle  qui  tienne. 

Au  vers  124,  commençait  un  petit  discours  de  Charlemagne 
que  Hugo  a  jugé  trop  court*  11  Ta  développé  en  13  vers,  et  nous 
y  avons  gagné  cette  merveilleuse  expression  d'un  bruit  confus 
d'armes  s'entre-cboquant  dans  le  lointain  :  «  le  cliquetis  confus 
des  lances  sarrasines  »  : 

Tu  mis  jadis  à  bas  Maugrron  le  brigand. 
125,  Le  jour  où  tu  naquis  sur  la  plage  marine, 

L'audace  avec  le  souftJe  entra  dans  ta  poitrine; 
Bavon,  la  mère,  était  de  fort  bonne  maison; 
Jamais  on  ne  fa  fait  choir  que  par  trahison; 


K    AYHKRlU.uT    8    HT    «    Lfc    MAKI  AGE    UK    HOUM)    ». 

Ita  ;Lrne  après  la  chute  était  cneor  meilleure. 

130-  Je  me  rappellerai  jusqu'à  ma  dernière  heure 
L'air  joyeux  qui  parut  dans  ton  œil  hasardeux, 
Un  jour  que  nous  étions  eu  marche  seuls  loua  deux, 
Et  que  nous  entendions  dans  les  plaines  vnism^s 
Le  cliquelts  confus  lies  lances  sni  rasines, 

135,  Le  péril  fut  toujours  de  Ici  bien  accueilli, 

Comte,  eh  hien!  prends  Narhonne  et  je  f'«fl  fak  tittiHi. 

A  oet  allongement  <lu  discours  du  roi  il  était  naturel  que  cor* 
respondît  un  allongement  du  discours  de  son  interlocuteur,  et, 
comme  cet  interlocuteur  est  lUmand,  Hugo  on  a  profilé  pour 
mettre  dans  sa  bouche  des  rxpn usions  forl  triviales.  Supprimant 
f  hémistiche  «  je  pars  sans  plus  attendra  »,  il  a  écril  ; 

Tai  faim,  mes  gens  ont  faim;  nous  venons  d'entreprendre 
One  guerre  à  travers  un  pays  endiablé; 
I  ïU.  Nous  y  mangions,  au  lieu  de  farine  de  blé) 
Des  rats  et  des  souris,  et  pour  toutes  riboles, 
Nous  avons  dévoré  beaucoup  de  vieilles  bottes. 

Dans  le  manuscrit,  le  discours  du  Flamand  se  termine  avec  un 
feuillet,  cl  le  feuillet  suivant  (149),  écril  «  d'une  écriture  beau- 
coup plus  grosse  »,  porte  la  mention  «  À  inlercaller  »,  M,  V, 
Glachant  a  cru  que  les  28  vers  de  ce  feuillet  avaient  été  simple- 
ment recopiés.  La  comparaison  avec  le  récit  de  Jubinal  proira 
qu'il*  ont  été  faits  après  coup,  ce  qui  explique  et  la  mention  «  à 
inlercaller  -s  et  la  différence  d'écriture.  Us  ne  comprennent  du 
lexti  en  prose  que  des  détails  pris  <;à  et  là  et  que  Hugo  a  groupés  : 
les  trente  tours  déjà  signalées  au  début, —  les  malaises  dont  parle 
Drras  de  Ifootdidier  :  «  j'ai  besoin  de  me  faire  poser  des  ven- 
touses et  de  prendre  des  bains  »T  —  et  surtout  le  mot  pierre  de 
ttfits,  qui  pouvait  faire  un  si  bon  effet  par  son  air  de  précision. 
M.  CItir  Tisseur,  dans  ses  Mc4eêt€$  ôbêtTVatàHtt  sur  l'art  de 
vmifler9  p.  180,  a  déjà  remarqué  que  celle  pierre  de  dais,  dont 
parle  la  chanson  de  geste  A'Aymeri  d**  Narbontlât  n'était  point  une 
cheville  pour  rimer  avec  ouùlinis;  que  e*«st  Oubliait  au  contraire 
qui  est  amené  par  liais.  Mais  quelle  erreur  dégoût  que  d'appeler 
ce  «  j'oubliais  a  une  «  grossière  ficelle  >»!  Charlemagne,  qui  n'a 
pas  réussi  à  trouver  un  assiégeant  pour  Narhonne  en  dissimulant 
difficultés  de  L'entreprise,  adopte  une  autre  tactique  et  étale  au 
contraire  toutes  ces  difficultés  pour  voir  si  quelqu'un  se  piquera 
au  jeu  :  f  oubliais  marque  très  hien  celte  intention.  —  Le  pas- 
sage nouveau  introduit  un  personnage  dont  Jubïnal  n'avait  rien 
dit,  cl  il  est  rattaché  à  ce  qui  précède  par  un  charmant  trait  iro- 
nique contre  L'esprit  pratique  du  comte  de  (ïand. 


î*  REVUS   D  HISTOIRE   UTTÉIUIRE   uk   la  fkance, 

—  Ces  bons  flamands,  dit  Charte,  il  fruit  que  cela  mange.  — 

Il  reprît  :  —  Ça,  je  suis  stupide.  Il  est  étrange 
155.  Que  je  cherche  un  preneur  de  ville,  ayant  ici 

Mon  vieil  oiseau  de  proie,  KusUtehe  de  Nancy* 

Eustache,  à  moi!  Tu  vois,  celle  Narbonne  est  rude; 

Ella  a  trente  châteaux,  trois  fossés,  et  l'air  prude; 

À  chaque  porte  un  camp,  et,  par  dieu!  /oubliais, 
160,  Là- bas,  six  grosses  iours  en  pkfTë  Ai  liai*. 

<  .* m  douves-là  nuus  font  parfois  si  grise  mine 

Qu'il  faut  recommencer  à  l'heure  où  Ton  termine, 

Kl  que,  la  ville  prise,  on  échoue  au  donjon. 

Mais  qu'importe!  es-tu  pas  Je  grand  aigle?  —  Un  pigeon, 
103.  Un  moineau,  dît  Eustache,  un  pinson  dans  la  haie  ! 

Etoi,  je  me  sauve  nu  nid.  Mes  ^ens  veulent  kur  paie; 

Or,  je  n'ai  pas  Je  sou;  sur  ce,  pas  un  garçon 

Qui  me  fasse  cadeau  d'un  coup  d'estramaeuu; 

Leurs  yeux  me  donneront  à  peine  une  étincelle 
170.  Par  sequin  qu'ils  verront  sortir  de  l'escarcelle. 

Tas  de  gueux!  Quant  à  moi,  je  suis  très  ennu\ 

Mou  vieux  poing  tout  sanglant  n'est  jamais  essuyé; 

Je  suis  moulu,  car,  sire,  on  s'échine  à  la  guerre; 

On  arrive  à  haïr  ce  qu'on  aimait  naguère, 
ITtV   Le  danger  qu'on  voyait  tout  rose,  on  le  voit  noir. 

On  s'use,  on  se  disloque,  on  finit  par  avoir 

La  goutte  aux  reins,  l'entorse  aux  pieds,  aux  mains  l'ampoule, 

Si  bien  qu'étant  parti  vautour,  on  revient  poule. 

Je  désire  un  bonnet  de  naît.  Foin  du  cimier! 
180,  J*ai  tant  de  gloire,  ô  roi,  que  j'aspire  au  fumier. 

Remarquez  que  Hugo,  dans  ce  travail  de  remaniement,  a  allon 
les  deux  discours  du  Flamand  et  de  Charlemagne,  qu'il  a  ajouté 
deux  longs  discours  de  Cliarlemagne  et  d'Euslache.  Il  y  a  donc 
une  sorte  de  crescendo  dans  le  développement.  Puis,  Ch  a  rie  magne 
une  fois  las,  un  decrescendo  brusque  va  se  produire  par  le  dia- 
logue avec  Gérard  de  Roussillon  et  par  l'énuniération  des  preux 
consultés  en  vain.  Tout  cela  est  composé  avec   un  art  très  sûr. 

Il  ne  reste  plus  qu'une  addition,  excellente,  tout  entière  origi- 
nale» et  qui  contient  le  portrait,  vraiment  utile,  d'Ayraeri  ; 

Il  regarda  celui  qui  s'avançait,  et  vît, 

Comme  le  roi  Saiïl  lorsqu'apparut  david, 
265.  Une  espèce  d'eu  Tant  au  teint  rose,  aux  mains  blanthes, 

Que  d'abord  les  soudards  dont  L'estoc  bat  les  hanches 

Prirent  pour  une  tille  habillée  en  garçon, 

Doux,  frêle,  con  liant,  serein,  sans  écusson 

Et  sans  panache,  ayant,  sous  ses  habits  de  serge, 
270.  L'air  grave  d'un  gendarme  et  l'air  froid  d'une  vierge. 


Ces   additions,  en  se  raccordant   au  texte,   y   déterminent  de 
petites  modifications. 

Le  vers  111 ,  pour  opposer  nettement  le  sort  du  guerrier  h  celui 


\y>ii:iui  .Lût    »    ET    «   LB   MAiu\<:i     ni     im»\Mi   »,  25 

du  laboureur,  était  obligé  de  reprendre  l'apostrophe  du  vers  104  a 
Charlemagnc  ; 

Sire,  voilà  longtemps  que  j'ai  pour  tout  destin..,. 

Après  l'addition  des  vers  107  à  HO,  il  suffit  d'écrire  : 

Voilà  longtemps  que  j'ai  pour  unique  destin,.,, 

Inversement,  au  vers  271,  le  premier  texte,  qui  venait  de 
nommer  Charlemagne,  lui  faisait  dire  : 

Ça,  page,  qui  ramène,  et  qu'est-ce  qui  t'émeut? 

Après  l'addition  du  portrait  d'Ayineri,  force  est  d'indiquer  que 
l'empereur  prend  la  parole  : 

Toi,  que  veux-tu,  dit  Charïe,  et  qu'est-ce  qui  t'émeut? 

Si  les  additions  rendaient  le  poème  un  peu  moins  semblable  au 
récit  de  Jubinal,  un  certain  nombre  de  corrections  de  Hugo  amè- 
nrnl  aussi  te  même  résultat.  Quelques-unes  sont  d'ailleurs  sans 
grande  importance  :  "  ses  dromons  »  pour  les  dromons1  »,  v.  31); 

—  «  Elle  a  pour  se  défendre  »  au  lîeu  de  «  Son  dne  a  pour  sa 
garde  »t  v,  51; —  »  harassés  »  au  lieu  de  n  fatiguée  »t  y,  55; 

—  *<  les  assiégés  riraient  »  au  lieu  de  i  riront  »,  v.  71;  —  h  fort 
malade  »  pour  «  tri*  malade  »,  v.  94;  —  «  Hugo  de  Colenlin  » 
pour  «  Hugues  »,  v;  99  et  103;  —  «  une  bannière  trouée  »  pour 
«  m  hurlions  »,  v.  192;  —  m  vous  qui  m'avez  suivi  jusqu'à  cette 
montagne  »  au  lieu  de  cet  emploi  du  verbe  suivre  qui  rappelle 
mieux  le  verbe  servir  de  Jubinal    ;  «   Vous  qui  jusqu'à  ce  jour 

tes  Charlemagne  »,  v,  219. 
Aux  vers  H  et  suivants,  un  remaniement  plus  important  fait 
disparaîlre  ce  trait  emprunté  à  Jubinal  :  «  je  veux  venger  l'affront 
fait  h  nos  capitaines  ».  Hugo  écrit  maintenant  : 

Or,  je  suis  triste*  et  c*est  le  cas  d'être  joyeux* 
4o.  Oui,  dusse -je  rester  quatorze  ans  dans  ces  plaines, 
0  ^ens  de  guerre,  archers,  compagnons,  capitaines, 
Mes  enfants!  mes  lions*  saint  Uenis  m'est  témoin 
Que  j'aurai  cette  ville  avant  d'aller  plus  loin'. 

Au  vers  50 f  Bugo  avait  écrit,  conformément,  non  pas  au  texte, 
mais  à  l'esprit  du  passage  de  Jubinal  : 

Et  je  suis  le  plus  las,  car  je  sui*  le  plus  vieux  ; 

il  corrige  de  la  façon  la  plus  heureuse  : 

Et  je  suis  le  moins  las,  moi  qui  suis  le  plus  vieux. 

I.  Je  souligne  ce  qui,  dans  le  premier  texte,  rappelait  particulièrement  l'article  de 
Jubinal. 


2it 


REVUE    h  HISTOIRE    LITTERAIRE    DE    LA    PltAXCE. 


Au  vers  75,  «  Barcelone  en  mer  *  n'était  pas  heureux;  «  le  val 
de  Bas  tan  n  (près  de  Pain  pel  une)  était  pour  faire  un  meilleur  eiïet, 
surtout  rimant  avec  «  Satan»,  par  lequel  on  remplacerait  1*  «  enfer  », 
De  là  un  texte  nouveau,  un  peu  plus  éloigné  de  Jubinal  que 
l'ancien  : 

rt.  Et  qui  vont,  le  premier,  dans  le  val  de  Baslau, 
Le  second  à  Bordeaux,  le  dernier,  chez  Satan. 

Enfin  le  vers  102  disait  d'abord  :  ti  Narbonne  est  à  vous,  si 
vous  la  voulez  prendre  »,  avec  la  même  forme  hypothétique  que 
dans  l'article  du  Journal  dn  Dimanche*  Une  correction  donne  en 
texte  plus  piquant  ; 

«♦,  Narbonne  est  ù  vous  ;  vous  n'avez  qu'à  la  prendre. 

Je  m'arrête,  sans  signaler  les  corrections  qui  n'intéressent  pas 
la  composition  dn  poème  :  l'étude  en  est  facile  avec  les  notes  cri- 
tiques de  M.  V.  G  lâchant,  Je  signalerai  simplement,  parce  qu'elles 
prouvent  combien  Hugo  a  eu  pour  source  unique  l'article  de 
Jubinal,  les  hésitations  du  poète  au  sujet  des  noms  propres  que 
J u binai  ne  lui  fournissait  pas.  Au  vers  107,  le  manuscrit  porte  : 
«  Samo,  Thessalus,  fiaïfïer  »;  en  imprimant  sa  Légende^  Hugo  a 
remplace  Samo  par  Tryphon,  et,  du  coup,  Samo,  devenu  dispo- 
nible, est  allé  se  faire  diviniser  au  vers  201  à  la  place  de  Sibo. 
Vu  vers  124,  le  comte  de  Gand  a  successivement  *  mis  à  bas  n  les 
brigands  Canut,  Everard  et  Maugîron,  tant  ces  divers  personnages 
(aussi  bien  que  le  comte  de  Gand  lui-même,  et  Eusiache  de  Nancy, 
eL  Garin»  et  AlberL  de  Périgueux)  doivent  leur  naissance  à  l'ima- 
gination du  poète  et  aux  nécessités  de  la  rime  ou  de  l'harmonie* 
Au  vers  127,  il  y  a  mieux  :  le  nom  de  Bavon,  mère  du  comte  de 
Gand,  a  remplacé  l'apostrophe  Baron,  par  le  seul  changement 
d'un  r  en  v.  Si  je  n'avais  pas  fait  vérifier  le  mot  sur  le  manuscrit, 
j'aurais  cru  volontiers  que  Baron  était  d'abord  resté  dans  le  te\l<1 
et  n'était  devenu  Bavon  que  par  une  erreur  d'impression,  l'inverse 
de  celle  qui,  dit-on,  a  changé  en  rose  la  Rosette  de  Malherbe  : 

Baron,  ta  mère  était  de  fort  bonne  maison  J, 

On  voit  de  quelle  façon  curieuse  a  été  composé  ce  poème 
à'AtjmeriUoL  Un  article  de  revue  populaire  mis  en  vers;  des 
suites  de  mots,  des  phrases  entières  d'une  prose  médiocre  trans- 

1.  L'édition  ne  variHur  de  la  lépend*  ne  met  d'ailleurs  pas  de  virgule  après 
ta  mère.  Il  y  en  a  une  duns  l'éd.  de  la  première  série  donnée  nar  la  librairie 
Hachette. 


a   ÀYNE1UU0T    »    Kl    «    LE    MAIUACB    DU    RÔUKO    )>. 

portées  dans  des  alexandrins;  des  rimes  données  d  avance  comme 
dans  des  bouts-nmés;  les  intervalles  comblés  selon  les  nécessités 
de  la  rime  eL  de  la  mesure  ;  puis,  le  premier  travail  achevé,  quel- 
ques menues  retouches  ça  et  là  et  des  additions  inattendues  qui 
semblent  partir  d'une  imaginai  ion  débridée  :  y  a-l-il  là  vraiment 
«le  quoi  faire  espérer  un  chef-d'œuvre?  El  cependant!  en  dépit  de 
ses  trivialités  et  de  ses  bizarreries1,  c'est  bien  un  cln'f-d'ieuvre 
qu'Âyrn&riUûi)  el  le  plus  au  th  en  tique  des  chefs-d'œuvre.  L'article 
à  mettre  en  vers  a  été  bien  choisi;  1rs  plus  prosaïques  des  «^pres- 
sions ou  des  phrases  de  son  auteur  ont  formé,  je  ne  sais  com- 
ment, des  vers  sonores,  pittoresques,  poétiques  (£7  (pion  en 
parlera  plus  dû  quatre  vents  ans;  —  Et  sur  une  montagne,  au  loin 
et  bien  avant  Dans  les  terres  ;  — Si  vous  étiez  vivants,  vous  pren- 
driez Narbotnw.*.);  les  rimes  acceptées  en  ont  amené  d'autres,  ou 
piquantes  [Quant  à  noué,  autrefois,  c'est  vrai,  nous  triomphâmes;  — 
On  peut  bien  oublier  quelque  chose  à  m* m  âge\  —  Comte,  ce  bon 
duc  X'ttftttr  r.rpire  de  vieillesse)  ou  saisissantes  {Gérard  de  Rous- 
si Hou  regarda  d'un  a/r  s**  mitre;  —  Voilà  comme  parlaient  tous  ces 
fiera  batailleurs]  — Je  ne  suis  point  comment  on  porte  les  affronts); 
les  intervalles  entre  les  passages  reproduits  sont  le  plus  souvent 
remplis  d'idées  heureuses,  d'images  brillantes,  ou  même,  dans 
le  discours  de  Charlemagne,  d'une  éloquence  sublime.  Les 
retouches  sont  heureuses.  Les  additions,  parfois  contestables, 
ne  détruisent  pas  l'équilibre  des  diverses  parties  de  l'œuvre, 
ainsi  qu'il  arrive  ailleurs  (dans  Êviradnui,  pur  exemple,  ou  dans 
la  Confiance  du  marquis  Fabrice) \  elles  V améliorent,  au  con- 
traire, et  contribuent  à  donner  au  poème  la  marche  si  simple,  si 
sure,  si  furie  qu'on  y  admire. 


C'est  d'une  façon  tout  analogue  qu'a  été  composé  le  Mariage 
de  Roland. 

Ici  encore,  Hugo  s'en  est  tenu  au  texte  de  JubinuJ,  dont  il  a 
conservé  les  pires  erreurs  :  la  méprise  fameuse  sur  Tépée  Haute- 
claire,  qui  avait  appartenu  à  Closamonl,  el  que  le  poète  appelle 
elle  même  Closamont,  n'a  pas  une  autre  origine. 

Le  vieux  trouvère  racontait  qu'un  juif  cherchait  une  épée  pour 
Olivier  : 


1>  Par  exemple,  l'allusion  faite  en   "8  à  la  Sorbonne,  laquelle  a  été    fondée 
en  1353. 


28  m:\iE  ruiisToniL  littéraire  de  la  fjunce. 

Une  en  aporte  ke  molt  fut  onoree. 
plus  de  e.  anz  Tôt  U  lui*  gardée, 
Closamont  fut,  k'icrt  de  granl  renommée. 
\ï  emperere  de  Rome  la  loee.... 
en  leseriture  ke  il  ait  efgtpdi4 
travail  eseril,  c'est  vérité  prouvée, 
ke  Hautectaire  avoit  à  non  lespee  '. 

Juhiii.il,  prenant  le  cas  régime  Ctosamonf  pour  un  cas  sujet, 
a  écrit  : 

...  deux  ëpées,  dont  l'une  était  la  fameuse  Closamont,  nommée  aussi 
Hauteclaire,  qui  avait,  selon  la  légende,  appartenu  à  l'empereur  Cons- 
tantin. 

De  là  les  vers  : 

70.  L'épée  est  cette  illustre  et  Hère  Closamont, 

Que  d'autres  quelquefois  appellent  Haute-Claire. 

Dans  le  Mariage  comme  dans  Aymerilht)  le  poète  garde 
textuellement,  ou  presque,  des  phrases  entières  de  son  modèle  : 

u  Olivier»  lui  dit-il,  je  suis  le  neveu  du  roi  de  France,  et  je  dois  agir 
comme  un  franc  neveu  de  roi  ;  je  ne  puis  frapper  un  ennemi  désarmé  ; 
va  donc  chercher  une  autre  épée  qui  suit  de  meilleure  trempe»  et  fais- 
moi  en  même  temps  apporter  à  boire,  car  j'ai  soif.  —  Merci,  Roland  *, 

dit  Olivier. 

Çà,  dit  Roland,  je  suis  nœu  du  raidi  fVofltit, 

Je  dois  me  comporter  en  fntnc  ncreu  éê  rot 
Quand  j'ai  mon  ennemi  désarmé  devant  moi, 
B5,  Je  m 'arrête.  Va  doue  Chercher  unr  nuire  djpée, 
Et  lâche,  cette  fois,  qu'elle  soit  bien  trempée, 
Tu  feras  apporter  à  boire  en  même  temps, 
Car  j'ai  soif.  —  Fils,  merci,  dit  Olivier. 

Dans  le  Mariage,  enfin,  comme  dans  Aymeriliot,  ce  que  le  poète 
ne  peut  utiliser  à  la  place  même  où  le  lui  présente  Jubinal,  il  le 
transporte  volontiers  ailleurs,  Jubinal  parle  de  «  capuchons  de 
mailles  »  au  dénouement;  Hugo  les  a  placés  au  milieu  de  son 
récit,  Jubinal  dit  :  «  Le  duel  terrible  recommence  »;  Hugo  écrit  : 
«  le  duel  reprend  »,  et,  sans  doute  inconsciemment,  recueille 
répithete  terrible  dans  son  premier  vers. 

Cependant  l'imitation  Je  L'épisode  de  Giranl  ée  Vian*  est 
moins  heureuse,  eu  somme,  que  celle  de  l'épisode  dViymevv  de 
Narbûnne*  Le  récit  de  Jubinal  étant  plus  sec,  Hugo  a  donné  davan- 
tage carrière  à  son  imagination,  il  a  retranché,  il  a  ajouté;  et  les 
retranchements,  comme  les  additions,  prêtent  à  la  critique, 

\,  Bekker,  Der  ttotnan  von  fitaoftrar,  p.  xxxixt  v,  2675-2618  et  2691-2693, 


«  AYMERILLOT  »    ET    «    IE    MARIAGE    DE    ROLAND  ».  29 

Deux  incidents  ont  disparu,  dont  le  poète  eût  pu  tirer  un  excel- 
lent parti  :  rémotion  de  la  belle  Aude,  qui,  assistant  de  loin  au 
combat,  est  partagée  entre  son  affection  pour  son  frère  Olivier  et 
son  amour  naissant  pour  Roland;  ensuite  et  surtout  cette  inter- 
vention divine  dont  Quinet  avait  parlé  avec  enthousiasme  : 

«  lie  soir  arrive,  la  nuit  arrive,  le  combat  dure  toujours.  A  la  fin  une 
nue  s'abaisse  du  ciel  entre  les  deux  champions.  De  celte  nue  sort  un 
ange.  11  salue  avec  douceur  les  deux  francs  chevaliers  :  au  nom  du 
Dieu  qui  créa  ciel  et  rosée,  il  leur  commande  de  faire  la  paix,  et  les 
ajourne  contre  les  mécréants  à  Roncevaux.  Les  chevaliers,  tout  trem- 
blants, lui  obéissent,  ils  se  délacent  l'un  à  l'autre  leurs  casques;  après 
s'être  entrebaisés,  il  s'asseyent  sur  le  pré,  en  devisant  comme  de  vieux 
amis.  Voilà  le  seigneur  féodal  dans  ses  rapports  avec  Dieu. 

»  Tout  cela  n'est-il  pas  singulièrement  grand,  fier,  énergique?  Le 
tremblement  de  ces  deux  hommes  invincibles  devant  le  séraphin 
désarmé,  n'est-ce  pas  là  une  invention  dans  le  vrai  goût  de  l'anti- 
quité, non  romaine,  mais  grecque;  non  byzantine,  mais  homérique?  » 

Et  Quinet  ajoute  en  note  : 

«  Voilà  un  sujet  de  tableau  tout  trouvé.  Il  me  semble  fait  pour  tenter 
un  grand  peintre  '.  » 

Hugo  n'a  pas  été  tenté  :  a-t-il  reculé  devant  un  trait  de  mer- 
veilleux trop  purement  chrétien? 

En  revanche,  il  a  donné  à  tout  l'épisode  des  couleurs  plus 
sombres,  plus  effrayantes,  un  peu  criardes  :  «  on  dirait  une  monu- 
mentale parodie  »,  a  écrit  M.  Merlet*.  Les  héros,  qui  combat- 
taient deux  jours  dans  la  chanson  de  geste  et  dans  le  récit  de 
Jubinal,  ne  s'arrêtent  maintenant  qu'au  bout  du  cinquième,  après 
avoir  perdu  leurs  épées,  après  avoir  perdu  leurs  casques,  après 
avoir  lutté, 

sourds,  effarés,  béants, 
134.  A  grands  coups  de  tronc  d'arbre  ainsi  que  des  géants. 

Certes,  nul  poème  ne  contient  de  vers  plus  éclatants,  plus 
pittoresques,  plus  expressifs  que  le  Mariage  de  Roland;  mais, 
puisque  Hugo,  en  certains  passages,  suivait  son  modèle  avec 
une  si  curieuse  fidélité,  pourquoi  s'en  est-il  tant  éloigné  ailleurs? 

Comme  il  serait  fastidieux  de  comparer  le  Mariage  à  sa  source 
avec  la  même  minutie  quAymerillat,  je  me  contenterai  de  donner 

1.  Histoire  de  la  poésie,  ch.  X,  p.  343-344. 

2.  Morceaux  choisis...  cours  supérieur,  t.  I,  Poésie. 


10 


REVUE    D  HISTOIRE    LtfTtiAllIB    L*K    LA    KRAÎ1CE. 


le  passade  de  lu  binai,  eu  hou  lignant  ce  qui  est  enlré  dans  le 
poème  de  Hugo  et  en  renvoyant  aux  vers  de  ce  poème  : 

Pourtant  il  fallait  en  finir;  car,  avec  toutes  ces  batailles  successives, 
l'épopée  n'aurait  jamais  eu  de  terme.  Il  fui  donc  décidé  qu'un  combat 
particulier  entre  Roland  et  OHmer  (22  déciderait  la  querelle,  et  que  ce 
duel,  dont  tout  un  peuple  était  l'enjeu,  aurait  lieu  te  matin  (H  .  i 
tmr  tfê  tttuêê  awdessous  tf<  Vtrnur^  nu  miliiU  du  Rhône  (3  el  passim). 
L'auteur  entre  alors  dans  de  grands  détoili  RIF  la  manière  doni  on  nrmn 
Olivier  (27).  Un  vieux  juif  apporta  des  firmes  qui  amient  appartenu  i 
Salomon  (33     Uarckoviqwe  dp  \  t  i'36-37)T  puis,  les  ayant 

remises  au  jeune  héros,  celui-ci  monta  dans  une  barque  qui  devait  le 
conduire  au  lieu  du  combat. 

De  son  côté,  Roland  ne  fut  pas  en  relard,  et  foumnâni  à  In  main  (38) 
Durandal  parait  ici  pour  la  première  fois  ,  il  gagne  le  lieu  du  rendez- 
vous. 

De  son  côté,  la  belle  Aude  se  trouve  dans  une  singulière  situation, 
Son  frère  e-t-il  vainqueur,  c'est  sou  amant  qui  périt.  Son  amant  est-il 
victorieux,  il  lest  par  le  trépas  de  son  frère.  Cette  position  n'est  pas 
sans  analogie  avec  celle  de  Chimène  et  du  Cïd.  Ce  sont  à  peu  près  les 
vers  de  Corneille  : 

.,,.  0  Dieu,  l'étrange  peine! 

Eu  cet  affront  mon  père  est  l'offensé 

Et  l'offenseur  le  père  de  Chimène.   * 

Aussi  la  belle  Aude  fait-elle  entendre  des  gémissements  :  — *<  Ah! 
beau  frère  Olivier!  que  dur  est  mon  destin!  Si  je  vous  perds,  jamais  je 
ne  serai  épousée  par  Roland,  et  l'on  fera  de  moi  une  nonne  voilée.  » 

Une  fois  arrivés  dans  l'île,  les  deux  héros  marchent  droit  l'un  à 
l'autre T  et  le  combat  rommence.  Ils  n'ont  pour  témoin?  que  tes  bahî 
qui  le*  ont  conduits  \  18).  Après  um  lutte  qui  dure  un  temps  considérable 
(1-2),  Roland  tue  le  cheval  d'Otivin*  1,2),  fuit  tomber  son  casque,  et  brise 
Pêpéë  de  son  vaillant  adversaire  (48).  —  Celui-ci  recommande  son  âme  à 
Dieu  et  s  apprête  tt  mourir  50).  Roland  devine  sa  pensée  :  m  Oliub'i\  lut 
dît -if,  je  suh  le  neveu  du  roi  de  France ,  et  je  dois  agir  comme  un  franc 
neveu  de  roi;  je  ne  puis  frapper  un  ennemi  désarmé  ;  va  donc  eherehev 
un*1  autre  epée  qui  soit  de  meilleure  trempe,  et  faix-mot  en  mfmc  temps 
apporter  a  boire,  car  foi  soif <  52-58). 

*  — Merci,  Roland,  dit  Olivier  (58),  je  vous  sais  bon  gré  de  votre  parole,  *» 
//  va  trouver  alors  le  marinier  (59-00)  qui  l'avait  amené  et  fui  donne 
tordre  d'aller  a  Vienne,  ehercher  du  vin  et  des  armes  [ùi -62).  Celui-ci 
revint  bientôt  (66)  avec  du  meilleur  vin  de  Gérard  contenu  dans  un  vase 
d'or,  et  deux  épèes>  dont  Vune  était  fa  fameme  Clommont\  nommif  aussi 
Hnuteclaire  70-71),  qui  avait,  selon  la  légende,  appartenu  à  l'empereur 
Constantin.  Olivier  donne  à  koirt  a  Roland,  ei  U  combat  recommencé 
(74-78).  i  Le  bruit  en  Était  H  fart  (112),  dit  le  poète,  qu'on  l'entendait 


«  AYMERILLOT  »  ET  «  LE  MARIAGE  DE  ROLAND  ».  31 

de  Vienne  grondant  comme  un  orage  et  que  des  éclairs  sortaient  des 
épées  (80).  »  Le  jour  tout  entier  se  passe  ainsi  (82).  Enfin  le  soleil  baisse 
à  Vhorizon  et  la  nuit  arrive  (82-83). 

«  Olivier ',  dit  Roland,  je  me  sens  malade.  Je  voudrais  me  reposer;  car  je 
ne  puis  plus  me  soutenir  (83-86).  —  Soit,  dit  Olivier,  je  veux  vous  vaincre 
avec  mon  glaive,  non  avec  la  maladie.  Dormez  sur  l'herbe  verte,  je  vous 
éventerai  (80-89)  de  mon  casque,  afin  de  vous  donner  de  l'air.  —  Vassal, 
répond  Roland,  je  ne  voulais  que  vous  éprouver,  mais  je  puis  combattre 
encore  quatre  jours  et  quatre  nuits  sans  me  reposer  (91-94).  » 

Aussitôt  le  terrible  duel  recommence  (1  et  95).  Le  jour  trouve  les  deux 
guerriers  toujours  combattant  (102),  et,  à  la  fin  de  cette  seconde  journée, 
ils  allaient  peut-être  périr  chacun  de  fatigue,  quand  le  poète,  par  une 
hardiesse  bien  rare  en  ce  temps  et  tout  épique  du  reste,  fait  intervenir 
la  puissance  suprême  :  un  nuage  couleur  de  pourpre  vient  s'arrêter  au- 
dessus  des  deux  guerriers;  un  ange  en  descend,  le  signe  de  la  rédemp- 
tion à  la  main,  et,  se  plaçant  entre  eux,  il  leur  dit  qu'ils  ne  doivent 
point  périr  ainsi  par  la  maiu  l'un  de  l'autre,  mais  en  combattant  contre 
les  infidèles.  Et  il  les  ajourne  à  Roncevaux. 

A  celte  vue  et  à  ces  paroles,  les  deux  héros  se  prennent  à  trembler. 
Bientôt  ils  se  jettent  dans  les  bras  l'un  de  l'autre,  délacent  mutuelle- 
ment leurs  capuchons  de  maille  et  vont  s'asseoir  en  causant  sous  un  arbre 
(63-65),  les  pleurs  aux  yeux,  comme  deux  frères  longtemps  séparés  qui 
se  retrouvent.  «  Olivier,  dit  Roland,  vous  êtes,  après  mon  oncle  Charle- 
magne,  l'homme  que  j'aime  le  plus  au  monde.  —  Pour  vous  prouver  que 
vous  ne  m'êtes  pas  moins  cher,  reprend  Olivier,  je  vous  donne  ma  sœur 
Aude  (141-142).  »  Roland,  en  effet,  l'épousa  bientôt,  quand  Charle- 
magne  eut  fait  la  paix  avec  Gérard.  Les  deux  héros  ne  se  quittèrent 
plus,  même  pour  mourir... 

VI 

La  façon  dont  Aymerillot  et  le  Mariage  de  Roland  ont  été  com- 
posés est-elle  tout  exceptionnelle  dans  la  carrière  du  poète?  ou 
lui  est-il  souvent  arrivé  de  suivre  ainsi  de  très  près  certains 
modèles?  Nous  l'apprendrons  sans  doute  de  l'enquête  qui  est 
ouverte  et  qui  se  poursuit  vaillamment  sur  les  sources  de  ses 
poèmes. 

Eugène  Rigal. 


s* 


E    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    HC    LA    FlJIÎICi; 


RACINE    ET    PORT-ROYAL 

La  tombe  de  Racine  est  aujourd'hui  k  Saint-Etienne  du  Mont, 
près  de  celle  de  Pascal,  mais  ce  n'est  pas  là  que  l'auteur  â*AUt 
s'était  choisi  une  sépulture  :  ses  restes  s'y  trouvent  comme  en 
exil,  ou  pour  mieux  dire  en  disgrâce.  Racine  a  voulu  être  ense- 
veli, non  pas  dans  nue  église  de  Paris  à  la  manière  des  rici 
mais  dans  le  cimetière  du  dehors  d'un  monastère  de  femmes,  à 
Port-Royal  des  Champs.  C'est  après  un  séjour  de  douze  ans  dans 
celte  terre  bénie,  et  lorsque  Ton  détruisit  Port-Royal  de  fond  en 
comble,  que  les  cendres  du  poète  ont  été  transportées  à  Saint- 
Etienne  du  Mont,  paroisse  de  sa  veuve;  la  pierre  tombale  qui  recou- 
vrait son  corps  ne  Ta  même  rejoint  que  cent  ans  plus  lard,  en  1818. 
Si  Racine  a  désiré  si  ardemment  de  reposer  pour  lé  terni  té  à  Port* 
Royal,  c'est  parce  qu'il  y  avait  entre  lui  et  cette  maison  célèbre 
des  liens  indissolubles  :  il  lui  appartenait  par  sa  naissance, 
par  son  éducation,  par  le  caractère  de  son  génie  à  toutes  les 
époques  de  sa  vie,  et  enfin  par  les  généreux  sentiments  de 
vingt  dernières  années.  Alors  même  qu'on  le  considérait  a  Port- 
Royal  comme  un  enfant  prodigue  engagé  dans  la  voie  de  perdi- 
tion, il  déployait  les  qualités  que  ses  maîtres  avaient  déve- 
loppées en  lui.  Racine  serait  incompréhensible  si  Ton  ne 
disait  toujours  en  étudiant  sa  vie  et  ses  œuvres  qu'il  a  été  élevé 
à  Port-Royal  et  qu'il  a  conservé  la  marque  indélébile  de  son 
éducation.  Telle  est  la  raison  d'être  de  cette  nouvelle  étude,  où 
Ton  verra  paraître  successivement  Racine  écolier,  Racine  poète  <le 
théâtre  et  pamphlétaire,  et  enlin  Racine  pénitent  devenu  l'ami,  le 
conseiller,  le  défenseur  et  l'historien  de  Port-Royal. 

I 

Lemcàtiox. 


Ce  n'est  pas  le  hasard  qui  a  fait  entrer  Racine  à  Port-Royal  en 
1635;  ce  fils  d'un  bourgeois  de  la  Ferté-Milon  était,  comme  to&t 
bon  janséniste,  prédestiné  à  devenir  un  jour  l'élève  de  Lancelot, 
de  Le  Maître  et  de  .Nicole.  On  peut  en  effet  compter  à  la  douzaine 
les  religieuses,   les  serviteurs  et  servantes  volontaires,  les  amis 


racine  ei  runr-novAL. 


♦lu  dehors  que  la  Forté-Mîlon  a  donnés  à  Port-Boy  al  ilans  la 
première  moitié  du  xvn"  siècle,  les  Yitart,  les  Passart,  y  compris 
la  trop  fameuse  sœur  Flavie,  les  Dessaux,  les  Desnioulins  et 
enfin  les  Racine.  L'année  même  qui  précéda  la  naissance  du 
poète,  Lancclot  persécuté  dut  ramener  à  la  Ferté-Milon  un  jeune 
Yitart  dont  il  était  le  précepteur;  quelques  jours  plue  tard,  il 
y  fut  rejoint  par  Antoine  Le  Maître  et  Le  Maître  de  Séricourt,  son 
frère,  et  durant  treize  mots  ces  trois  m  messieurs  >>  logèrent  chez 
les  Vitart,  Les  rôles  furent  intervertis  dans  la  suite,  et 
M  Vilarl  reçut  l'hospitalité  pour  elle  et  pour  ses  cinq  enfants 
ilans  les  dépendances  de  PorUUoyal  des  Champs, 
Oiwut  à  Racine,  il  ifa  pas  été,  comme  on  le  croit  ordinal- 
Mit,  élevé  dès  Te n fane e  dans  les  célébras  petites  écoles.  Dès 
qu'il  fut  en  âge  (l'étudier,  on  le  plaça  au  collège  de  Beauvais, 
plus  éloigné  de  la  Ferlé -M  Mon  que  Snissons  et  que  Paris  même» 
C'était  à  dessein,  et  parce  que  ce  collège,  surveillé  de  très  près 
par  le  saint  évêque  Choart  île  Buzmval,  était  alors  un  des  meil- 
leurs de  France,  préféré  par  certaines  familles  à  ceux  de  la  capi- 
tale. Ou  y  mettait,  dît  un  historien,  a  des  maîtres  capables  d  en- 
seigner la  crainte  de  Dieu  comme  les  helles~lo Lires,  et  de 
répandre  l'onction  de  la  piété  sur  la  sécheresse  des  premières 
études  *,  Le  célèbre  Godefroy  Hemiant,  qui  fut  plus  lard  recteur 
de  T Université,  y  avait  fait  deux  rhétoriques  consécutives;  Walou 
de  Beau  puis,  Tun  des  plus  excellents  maîtres  de  Port-Royal,  y 
fut  trois  ans  rhéloricîen,  et  suivant  toute  apparence  il  en  a  été 
,k  même  pour  Jean  Racine,  qui  séjourna,  ilit-on,  cinq  ans  au 
collège  de  Beau  vais,  S'il  entra  à  Port-Royal  en  1655,  d'autres 
(Usent  en  1654,  ce  fut  après  avoir  terminé  ses  humanités,  pour  y 
faire,  sous  la  direction  de  maîtres  éminents,  ce  qu'on  appellerait 

I  aujourd'hui  une  rhétorique  supérieure*  Les  tuteurs  du  jeune 
orphelin  et  les  amis  de  sa  famille  s'élaieiit  préoccupés  de  son 
avenir,  qui  semblait  devoir  être  très  brillant;  avant  de  lui  fain* 
ri  ailier  la  philosophie  et  ensuite  la  jurisprudence,  ils  voulurent 
lui  accorder  deux  années  de  travail  tiljre.  Racine  fut  à  Port-Royal 
un  étudiant  en  lettres,  et  nullement  un  écolier.  La  fameuse  anec- 
iotl  Jn  roman  diléliodore  conlîsqué  deux  fois  par  Lancelot,  et 
livré  finalement  par  un  jeune  homme  qui  déclarait  le  savoir  par 
cwur,  en  est  la  preuve  manifeste;  inexcusable  chez  un  écolier, 
qia  se  serait  vu  aussitôt  renvoyer,  cette  frasque  pouvait  ètai 
pardonné*  à  l'étudiant,  qui  devait  avoir  alors  dix-huit  ans.  Il  ne 
faut  donc  pas  dire  de  Racine,  comme  on  le  dit  avec  raison  de 
un  de  Tillemont,  qu'il  a  fait  voir  au  monde  ce  que  pouvait 

Kiv*  o'hist.  UTTÉR.  t>E  LA  FrâKCK  (71  And,)*—  VU.  3 


M  HEVTE    &  HISTOIRE    LITTÉAjURï:    DE    LA    FIU5CC. 

produire  ï admirable  pédagogie  de  Port-Royal.  Lorsqu'il  sorlii 
de  Beau  vais  pour  aller  aux  Granges,  il  sa  rail  déjà  beaucoup 
grec  et  de  latin.  Ses  nouveaux  maîtres  eurent  néanmoins  le 
inertie  de  lui  en  apprendre  plus  encore  et  de  l'initier,  grâce 
à  des  explications  bien  faites  et  à  des  traductions  très  soignées, 
à  Tari  d'écrire  en  français.  #  On  s'appliquait,  dil  un  ancien  élfcve 
des  petites  écoles,  à  ee  que  les  traductions  fussent  d'un  français 
pur  et  exact  »,  et  comme  *  le  petit  Racine  »,  élève  chéri  de 
l'ancien  avocat  Le  Maître,  semblait  destiné  à  devenir  lui  aussi 
un  a  vont  t  célébra,  on  ne  négligea  rien  pour  lui  enseigner  la 
langue  que  parlait  alors  même  l'auteur  des  I  .fr«. 

Chassé  des  Grandes,  en  mars  1656,  par  une  descente  du  lieu- 
tenant de   police,    Racine  dut  changer  de  demeure  et  aussi  de 
maîtres.  Il  fut  logé*  sans  doute  par  le  duc   de  Luynes,    dan- 
château   de   Vaumurier  où  Pascal  écrivit  quelques-unes  de   ses 
Prtttt  s  Leiirgg^  et  l'on  aime  à  se  figurer   qu  il  put  y  contempler 
raîts  d'un  si  grand  homme.  Alors  sans  doute  il  cessa  d'expli- 
quer du  grec  avec  Lancelot;  et  Antoine  Le  Maître,  qui  aimait  tant 
son  élève,  l'abandonna  aussi  pour  éviter  la  Bastille  ou  Vincenu 
Les  professeurs  de  Racine,  durant  ces  années  si  troublées,  furent 
Nicole  Je  latiniste  par  excellence,  et  cet  admirable  docteur  llanv 
médecin  de  Port-Royal,  dont  Boileau  a  pu  dire  sans  exagération 
qu'il  était 

Tout  brillant  de  savoir,  d'esprit  et  d'éloquence. 

C'est  alors  que  Racine,  ayant  forcément  des  loisirs,  put  s'en- 
foncer, un  Sophocle  à  la  mainT  dans  les  grands  bois  qui  entou- 
raient l'abbaye  de  'Port-Royal.  S'il  gravissait  le  coteau  des 
Mollerels  à  Test  ou  celui  des  Granges  au  nord,  il  avait  à  Bftfl 
pieds  ce  beau  vallon,  si  sauvage  et  si  poétique,  ce  monastère  ou 
priaient  pour  lui  Marie  Desmoulins,  sa  grandmère,  et  SfBttf  de 
Saïnte-Thècle  Racine,  sa  tante;  cette  église  dont  les  cloches 
harmonieuses  parlaient  sans  cesse  aux  échos  d'alentour,  et  l'élan- 
et  les  prairies  bordées  de  peupliers.  Sa  jeune  Ame  s'emplissait 
alors  de  poésie,  et  il  s'essayait  à  chanter.  Il  célébrait  en  vers 
Lien  faibles  encore,  en  vers  à  peine  dignes  de  M-  de  Sacy.  les 
beautés  d'un  tel  paysage,  les  bois,  l'étang,  les  prairies  et  leurs 
troupeaux,  les  jardins  de  l'abbaye  enfin;  et  d'autres  fois  la  tnuae 
latine  lui  inspirait  quelques  vers,  d'une  facture  meilleure,  sur 
Port-Royal  persénilé.  De  retour  à  Vaumurier,  nu  à  la  maison 
îles  Granges,  quand  on  crut  n'avoir  plus  à  redouter  de  visites  domi- 
ciliaires,il  reprenait  ses  livres,  et  tout  donne  à  penser  qu'il  jetait 


KÀi;iNE    Kl    |»«mî~IU>YAl..  35 

un  regard  curieux  sur  les  ouvrages  parus  nouvellement,  sur  les 
Plaidoyer*  <!*■  L<i  Maître,  publiés  en  1657,  et  sur  les  l*njri,trfat§t% 
11  y  e  plus  :  si  nous  en  croyons  le  neveu  Je  Walon  de  Beaupuis, 
un  ancien  élève  de  Port- Royal  en  ces  années-lu,  Racine  a  du 
collaborer  à  la  traduction  latine  d>>  ces  mèmea  Provinciales.  Le 
bon  Nicole  donnait  en  effet  des  fragments  de  Pascal  en  guise  Je 
thèmes  latins,  et  les  résultais  obtenus  furent  tellement  brillants 
que  certains  de  ces  thèmes  passèrent  sans  changement  dans  la 
célèbre  publication  de  Nicole-Wetidrock. 

Telle  fut  l'éducation  donnée  à  Racine  durant  les  années  qui 
s'écoulèrent  entre  1054  ou  1G;55  et  1658.  Elle  avait  surtout  pour 
objet  de  compléter  des  éludes  secondaires  très  bien  faîtes,  et  de 
fournir  à  un  jeune  homme  admirablement  doué  les  moyens  d«- 
briller  dans  le  monde.  Aussi  instruit  que  pas  uuT  il  était  de  plus 
initié  à  d'excellentes  méthodes  de  travail,  et  Ton  pouvait  espérer 
que  les  leçons  et  les  exemples  de  ses  maîtres  devenus  ses  anus 
le  prémuniraient  contre  les  séductions  du  mal.  Ne  sachant  pas 
au  juste  quelle  profession  le  jeune  Racine  pourrait  embrasser, 
car  il  semblait  hésiter  entre  l'église  et  le  barreau,  srs  protecteurs 
déeîdère&t  de  lui  faire  étudier  la  philosophie,  introduction  néces- 
saire à  la  jurisprudence  comme  à  la  théologie,  et  ils  le  placèrent 
au  collège  d'Harcourt,  dont  le  principal  était  alors  un  Mf  Fortin, 
ami  de  Pascal,  un  de  ceux  qui  imprimèrent  clandestinement  les 
provtncttth's*  Les  biographes  de  Racine  déclarent  qu'ils  ne  savent 
rien  de  cette  dernière  année  de  sa  vie  d'écolier;  voici  quelques 
indications  puisées  à  très  bonne  source  :  elles  sont  empruntées 
aux  Mémoires  manuscrits  de  Codefroy  Ilermaut,  ancien  recteur 
de  l'Université,  et  elles  prouvent  que  Tannée  scolaire  1658-1659 
fut  pour  Racine  une  année  de  crise.  C'est  alors  qu'il  prit,  sans 
toutefois  oser  le  dire,  la  résolution  de  s'adonner  à  la  poésie.  «  Les 
épines  de  la  philosophie  avaient  peu  de  rapport  à  son  génie  », 
lisons-nous  dans  Uermaut,  et  quatre  mois  après  son  entrée  au 
collège  d  Hanourt,  il  écrivait  à  M*  d'Àndilly  «  pour  se  plaindre 
dune  ûCeupatàOO  qui  lui  paraissait  si  désagréable  ».  Philosophe 
malgré  lui,  il  cherchait  des  distractions,  ou,  comme  on  disait 
alors,  des  divertissements,  et  celui  dont  il  fait  part  à  son  pro- 
tecteur dans  sa  lettre  du  26  janvier,  c'est  une  visite  à  l'église  des 
Jésuites  de  la  rue  Saint- Antoine.  11  y  est  venu  pour  se  gausser 
des  bons  pères;  il  y  rit  à  perdre  haleine  en  voyant  apparaître  un 
jésuite  a  ligure  d'Ëscobar;  lise  donne  ainsi,  moyennant  *  un  sou 
marqué  pour  des  chaises  »,  le  plaisir  de  la  comédie.  Encore 
quelques  mois,  et  sans  doute  il  ira  pour  quinze  sous  au  parterre 


.  litiVtE    11  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    fltANM 

du  Marais  ou  de  l'Hôtel  do  Bourgogne,  ou  même  du  Palais-Royal, 
aux  premières  représentations  ries  Précieuses  ridicules. 

In  mois  |  peine  après  son  entrée  au  collège  d'Harcourl, 
Racine  perdit  son  meilleur  ami,  son  second  père,  Antoine 
Le  Matin?,  qui  mourut  à  l'âge  de  cinquante  ans  le  i  novembre  1 658, 
et  cetle  mort  te  rendit,  si  Ton  ose  dire,  plus  orphelin  que  jamais. 
M.  Hanioti,  médecin  de  Port-lîoval  ei  des  pauvres  d'alentour, 
ne  pouvait  pas  qui  lier  ses  malades;  Lancelot  L'helléniste 
contraint  de  se  cacher;  Nicole  se  cachait  de  môme  pour  mener 
à  bonne  fin  la  publication  des  Provinciales  françaises  et  latines; 
enfin  la  bonne  gramrmère  Marie  Desmoulios  et  la  tante  Agnès 
ilr  Sainte-Thècle  Racine  vivaient  cloîtrées  à  Port-Royalt  à  huit 
lieues  «lu  collège  d'Harcourl.  Ainsi  notre  jeune  philosophe,  un 
provincial  qui  jusqu'alors  n'avait  fait  que  traverser  Paris»  se 
trouvait,  ou  peu  s'en  faut,  livré  à  lui-même  les  jours  de  congé. 
Le  2t>  janvier,  nous  le  savons  par  sa  lettre  à  d'Andillv,  il  avait 
pour  camarade  et  pour  mentor  lu  grave  et  pieux  Thomas  du  Fossé, 
plus  âgé  que  lui  de  cinq  ans;  mais  ce  fidèle  Achate  de  M.  de  Sacy 
vivait  ordinairement  assez  loin  de  Paris.  Racine  était  donc, 
toutes  les  fois  qu'il  sortait  du  collège  d'Harcourl,  ou  seul  sur  le 
pavé  de  la  grand'ville,  ou  en  compagnie  de  son  cousin  Vilarl, 
ancien  élève  du  Port-Royal  lui  aussi,  mais  attaché  à  la  maison 
du  duc  de  Lu vues  el  Irï-s  entouré  dans  le  monde.  Les  principes 
de  morale  et  de  religion  que  ses  maîtres  lui  avaient  inculqués 
risquaient  fort  de  s'alTaiblir  dans  de  telles  conditions,  et  de  fait 
il  se  donna  carrière  durant  son  année  de  philosophie.  On  peut 
affirmer  sans  cm  in  h*  de  se  tromper  que  Racine  a  fait  des  vers,  et 
beaucoup  devers,  en  1669;  la  prodigieuse  différence  qui  sépare 
les  versïculels  des  odes  sur  Port-Royal  et  les  belles  stances  de 
l'ode  de  1660,  intitulée  la  Wtffnpheâ*  la  Seine,  en  sont  la  preuve 
manifeste;  les  premiers  sont  d'un  apprenti,  les  autres  sont  d'un 
jeune  maître  très  exercé. 

Mais  le  fait  de  courtiser  la  muse  française  ne  pouvait  pas 
constituer  un  crime,  même  aux  yeux  des  jansénistes  les  plus 
rigides»  Ou  sait  en  effet  que  l'austère  Sacy,  celui-là  même  qui 
enseignait  a  Pascal  à  mépriser  les  hautes  sciences,  avait  rimé  les 
Racines  grecques  de  Lancelot,  et  versifié  les  EnlvminMF 
tWhntuuïch  des  Jésuites,  en  attendant  qu'il  composât  un  Paerne 
sur  ^Eucharistie,  Dans  les  Heures  de  Porî-Rotjttl,  les  hymnes 
étaient  Induite*  en  vers  français;  M.  dWndïlly,  poète  à  ses 
moments  perdus,  avait  réimprimé  maintes  fois  ses  /' 
pour  qui  donc  enfin  le  bon  Lancelot  avait-il  joint  à  ses  savantes 


UACLNK    ET    PUIU-IUIYAL- 


81 


Méthodes  un  Trattë  de  versification  [ntnratse?  Port- Rayai  ne 
pouvait  pas  se  scandaliser  de  voir  sur  les  bancs  du  collège  d'Har- 
courl  i*  un  poète  naissant  »,  Aussi  no  parait-il  pas  qu'on  se  soit 
gendarmé  alors,  qu'on  ait  fulminé  aux  environs  de  1660  la  plus 
ère  «  excommunication  jk  Quand  il  rendit  à  son  iMaud-pére 
Seonin  le  jeune  Racine  âgé  de  vinçt  ans,  Port-Royal  pouvait  se 
dire  avec  justice  qu'il  avait  tout  fait  pour  préparer  ce  brillant 
jeune  homme  à  jouer  un  rôle  dans  le  monde;  il  avait  jeté  dans 
sou  É!H€  lôfl  semences  de  vertu  qui  font  les  grands  chrétiens,  et 
d'autre  part  it  lui  avait  donné  la  politesse  exquise  et  l'instruction 
I  la  fois  solide  et  variée  qui  faisaient  au  xvu*  siècle  ce  qu'un 
appelait  on  honnête  homme.  Racine  mourant  ne  sera  que  juste 
quand  il  parlera,  dans  son  testament,  de  a  l'excellente  éducation  » 
qu'il  avait  reçue  dans  la  «  maison  »  de  Port-Royal. 


II 


L\  iuhouE  (iiiGO-1673). 


Nous  savons  bien  peu  de  chose  sur  les  débuts  de  Racine  dans  la 
«arrière  dramatique,  et  l'on  ne  peut  dire  au  juste  à  quel  moment 
l'ancien  élevé  de  Port^Royal  se  mit  à  fréquenter  les  cens  de 
théâtre.  Les  Mémoire*  de  Louis  Racine  ne  nous  apprennenl  rien  à 
ce  sujet,  et  la  correspondance  du  jeune  poète  avec  son  cousin 
Vitart  ou  avec  l'abbé  Le  Vasseur  est  pleine  de  sous  entendus  et 
ïiceucos.  C'est  apparemment  dès  i6T»0t  et  par  l'intermé- 
diaire de  Le  Vasseur,  que  Racine  chercha  pour  ses  premiers  essais 
la  protection  d'âne  comédienne;  mais  il  n'avait  frarde  de  s'en 
vanter,  car  il  craignait  les  admonestations  de  sa  grand'mère  et  de 
sa  lante;  et  de  plus  il  était  alors  au  service  du  duc  de  Luyues,  un 
.  1  and  seigneur  janséniste,  qui  n'aurait  pas  manqué  de  lui  signi- 
fier suii  congé.  Sa  situation  était  on  ne  peut  plus  fausse  à  cette 
époque;  lui-même  a  prononcé  le  mot  d'hypocrisie  a  propos  des 
lettres  qu'il  écrivait  alors  à  sa  famille  et  des  sentiments  dévots 
«ioiil  il  y  faisait  étalage*  On  comprend  donc,  sans  pouvoir  les 
m  tout  à  fait,  ses  velléités  de  révolte  en  septembre  1660,  et 
surtout  en  juin  Hïtil,  qnand  il  se  plaignait  do  sa  tante  et  quand  il 
se  riait  des  persécutions  de  Port-Royal,  il  était  alors  dans  toute  la 
fougue  de  la  jeunesse,  avec  nue  imagination  ardente  ai  une  senei* 
bililé  des  plus  vives.  Il  avait  conscience  de  son  talent,  pour  ne  pas 
dire  de  son  génie,  il  était  ambitieux,  et  il  se  voyait  arrêté  à  tout 


KEVUE    l>  HISTOIRE    LITTI- UAIftK    \i\:    LA    FRANCE, 

moment  par  des  scrupules  de  nonnes.  Sa  grand'mère  et  sa  tante, 
qui  ne  comprenaient  rien  aux  choses  de  la  vie  littéraire,  lui  fai- 
saient des  crimes  de  ses  productions  les  plus  innocentes;  un 
simple  sonnet  lui  attirait  des  «  lettres  d'excommunication  ».  Peut- 
on  des  lors  s'étonner  si  Racine  exaspéré  sVn  est  pris  aux  docteurs 
qui  dirigeaient  ces  femmes?  De  là  ces  plaisanteries  évide  un  in  ni 
regrettables  sur  la  révocation  du  confesseur  Singlin  et  sur  la  déf- 
lation de  ses  pénitentes.  Racine  âgé  de  vingt-deux  ans  était  trop 
jeune  pour  comprendre  ce  que  souffraient  alors  ces  créatures 
angéliquest  ces  religieuses  d'un  autre  siècle.  Il  ne  connut  sans 
doute  pas  cet  admirable  interrogatoire  du  15  juillet  1G61«  dans 
lequel  sœur  Agnès  de  Sainie-Thècle  Racine  répondit  avec  tant 
de  candeur  et  de  présence  d'esprit  aux  questions  captieuses  d'un 
grand  vicaire  inquisiteur.  Il  aurait  été  touché  jusqu'aux  larmes  s'il 
avait  entendu  cette  humble  fille  déclarer  que  Iyort-Royal  Pavait 
reçue  pour  rien,  et  que  néanmoins  ou  la  traitait  a  ver  aatul  de 
charité  que  les  autres;  il  l'eut  admirée  quand  elle  disait  avec  une 
si  noble  simplicité  dans  ce  même  interrogatoire  :  «  Je  crains 
l'enfer,  mais  c  est  à  cause  que  Dieu  n'y  est  point;  et  il  me  semble 
que  je  ne  me  soucierais  pas  des  peines  pourvu  que  je  ne  fusse 
pas  séparée  de  Dieu1,  «  Mais  peut-être  aussi  Racine  n'auraiuil 
pas  compris  alors  la  sublimité  de  ce  langage,  pas  plus  que  la  sœur 
de  Sainte-Thexle  n'aurait  compris  ce  que  son  neveu  aurait  pu  lui 
dire  des  Bains  dv  Venus,  des  Atnours  d'Ovide,  de  YAmasie  ou 
même  de  la  Nymphe  de  ta  Seine. 

Une  maladie  assez  sérieuse  que  fil  alors  Racine,  et  son  séjour  h 
Uzès,  où  il  semblait  devoir  embrasser  la  profession  ecclésiastique, 
retardèrent  l'heure  des  grands  éclats.  En  juillet  1663,  après  avoir 
quitté  défini lî ve ment  le  Languedoc,  Racine  écrivait  à  sa  sœur 
qu'il  profitait  de  tous  ses  moments  de  loisir  pour  aller  à  Port- 
Royal  des  Champs  voir  sa  grandinère,  Marte  Desmoulins;  et  l'on 
est  bien  obligé  de  reporter  plus  loin  que  cette  époque  la  fameuse 
lettre  d  excommunication  que  fulmina  contre  lui,  en  la  datant  de 
PorU  Royal,  la  sœur  Agnès  de  Sainte-Thècle.  Il  avait  pu,  à  force 
d  adresse,  lui  dissimuler  ses  premières  relations  avec  les  comé- 
diens; le  moyen  de  les  lui  cacher  plus  longtemps  alors  que  la 
Thèbatde  allait  être  jouée  sur  le  théâtre  de  l'Hôtel  de  Bourgogne? 
Cest  donc  bien  à  la  fin  de  1663,  ou  même  au  commencement 
de  1664,  qu'il  faut  reporter  cetle  lettre  dans  laquelle,  après  avoir 
conjuré  Racine  «  d'avoir  pitié  de  son  âme  et  de  considérer  V abîme 

1.  •  Que  je  n'en  sois  pas  séparé!  •  telles  furent  les  dernières  paroles  de  Pascal 
mourant. 


ka<:im:   ii    roRT-Ki>\AU  UU 

dans  lequel  il  s'était  jeté  »,  elle  ajoutait  ;  «  Je  souhaite  < | u <*  i*k 
qu'on  m'a  dit  ne  soit  pas  vrai;  maïs  si  vous  êtes  assez  malheureux 
pour  ne  pas  avoir  rompu  un  commerce  qui  vous  déshonore  devant 
Dieu  et  devant  les  hommes,  vous  ne  devez  pas  penser  à  nous 
venir  voir,  car  vous  savez  bien  que  je  ne  pourrais  pas  vous 
parler.,,  Cependant  je  ne  tm*€Tti  point  de  prier  Dieu  qu'il  vous 
fasst*  miséricorde,  el  a  moi  en  vous  la  faisant,  p  ni  si]  ne  votre 
salut  m'es!  si  cher.  «  La  dernière  phrase  est  bien  tu  ne  liante,  mais 
une  telle  lettre  n'en  élu  il  pas  moins  ce  qu'on  appelle  un  congé  en 
bonne  forme;  et  il  faut  noter,  ce  qui  nTcst  pas  tout  a  fait  à  la 
louange  de  Racine,  que  Port-Royal  était  obligé  de  l'expulser  de  la 
sorte  parce  qu'il  y  venait  avec  une  grande  désinvolture,  at  que  ses 
façons  d'agir  manquaient  par  trop  do  franchise.  Ce  fut  an  reste 
une  rupture  complète;  ni  la  sœur  de  Sainle-Thècle,  ni  Arnauld 
A  Andilly,  ni  M.  Hamon,  ni  aucun  des  autres  Messieurs  ne  con- 
servèrent de  relations,  durant  les  quatorze  on  quinze  années  qui 
suivirent,  avec  l'ancien  écolier  de  Port-Royal  devenu  poète  le 
théâtre, 

lue  fois  pourtant,  en  1660,  Racine  se  souvint  de  ses  anciens 
maîtres,  mais  ce  fut  pour  les  outrager.  On  sait  l'histoire  de  ses 
«kinèlés  avec  Nicole  à  propos  du  théâtre,  et  tout  le  monde  a  lu  les 
deux  pamphlets,  deux  chefs-d'œuvre  de  langue  et  de  style,  qu'il 
composa  à  cette  occasion.  Cependant  les  faits  ne  sont  pas  encore 
suffisamment  connus,  et  bien  que  ce  soit,  comme  Racine  la 
déclaré  plus  tard  en  pleine  Académie  française,  «  l'endroit  le  plus 
honteux  de  sa  vie  »,  il  est  nécessaire  de  les  exposer  avec  quelque 
détail,  C'était  dans  les  premiers  mois  de  Tannée  1666;  Nicole, 
prenant  ta  défense  des  religieuses  de  Port-Royal  contre  Desmarels 
île  Saint-Sorlin,  avait  cru  devoir  opposer  aux  invectives  de  cet 
énergumene  un  argument  ad  komintm*  «  Chacun  sait,  disait-il, 
que  sa  première  profession  a  été  de  faire  des  romans  el  des  pièces 
de  théâtre...  Ces  qualités,  qui  ne  sont  pas  fort  honorables  au 
jugement  des  honnêtes  gens,  sont  horribles,  étant  considérées 
s.  ion  les  principes  de  la  religion  chrétienne  et  les  règles  de  TÉvan- 
L:n  faiseur  de  roman  et  un  poète  de  théâtre  est  un  empoison- 
neur public,  non  des  corps,  mais  des  âmes  d<*s  fidèles,  etc.  »  Dans 
6€  |  de  la  première  Visionnaire^  il  était  question  de  Saint- 

Sorlin  tout  seul;  maisNicole  lui  faisait  l'application  particulière  de 
ce  qu'il  considérait  comme  une  vérité  générale,  et  par  conséquent 
tous  les  faiseurs  de  romans  ou  de  pièces  de  théâtre  pouvaient  se 
considérer  comme  attaqués.  Plusieurs  d'entre  eux  ripostèrent. 
Corneille  attendit  Tannée  suivante,  et  dans  la  préface  A'ÀUila  — 


40  revu:  d'histoire   LITTÉRAIRE  DE  LA   Fil  \ NC I.. 

il  aurait  pu  mieux  choisir — il  lâcha  quelques  mois  a  l'adresse 
des  jansénistes,  qu'il  présenta  comme  des  hérétiques  et  des  sédi- 
tieux, Molière  répondit  seulement  eu  1669,  dans  la  préface  de 
Truiitffr\  el  Ton  ne  voil  pas  que  les  autres  maîtres  de  la  scène, 
Quinaull,  Montfleury  et  autres,  aient  pris  la  peine  de  relever  le 
gant.  Ce  fut  Racine,  le  plus  jeune  de  tous  et  le  moins  célèbre, 
car  il  n'avait  encore  compose  que  la  ThHniïde  et  Alexandre ,  qui 
entreprit  de  venger  ses  confrères.  Il  ne  savait  pas  au  juste 
que  Fauteur  des  Hérésies  imaginaires  et  des  Visionnaires  était  son 
ancien  mai  Ire  Nicole,  mais  il  ne  pouvait  ignorer  que  la  voii 
publique  lui  attribuait  ces  deux  ouvrages,  et  c'est  contre  lui  qu'il 
écrivit,  en  janvier  1666,  une  lettre  singulièrement  vive,  spirituelle 
et  méchante.  Il  ne  craignit  même  pas  de  s'attaquer  dans  cette 
lettre  I  Port-  Royal  tout  en  Lier ,  aux  solitaires  et  aux  religieuses, 
aux  vivants  et  aux  morts,  à  la  mère  Angélique,  bienfaitrice  de  sa 
famille,  et  même  a  cet  excellent  Antoine  Le  Maître,  qui  avait  eu 
pour  lui  la  tendresse  d'un  père.  Le  jésuite  le  plus  animé  à  venger 
sa  compagnie  des  attaques  d'un  Pascal  n'aurait  pu  être  plus  amer 
ou  plus  violent  que  ne  l'était  dans  cette  lettre  l'ancien  élève  des 
Petites  écol 

Nicole  ne  répondit  pas;  il  continua  à  s'en  prendre,  dans  les  sept 
Viïionnaifw  qui  suivirent,  au  seul  Desmarets  de  Saint-Sorlin. 
Mais  deux  écrivains  subalternes,  les  sieurs  Dubois  et  Barbier 
d'Aucour,  tous  deux  amis  de  Port-Royal,  publièrent  chacun  de 
leur  coté  une  réfutation  do  la  lettre  de  Racine,  et  Tannée  suivante, 
lorsque  Nicole  fit  réimprimer  par  les  Elzevier  les  Imaginaire*  et  les 
Visionnaires,  il  joignit  à  son  édition,  non  seulement  ces  deux 
réponses  anonymes,  mais  encore  le  petit  traité  que  lui  même 
avait  composé  contre  la  comédie  quelques  années  auparavant. 
Une  préface  générale  annonçait  au  lecteur  ces  différentes  addi- 
tions, et  Racine  y  était  visé  de  la  manière  la  [dus  directe.  Voici 
les  termes  don!  Nicole  se  servait  pour  le  désigner,  car  il  ne  le 
nommait  pas,  tandis  qu'à  la  page  suivante  il  parlait  de  Monsieur  de 
Corneille  :  u  Vn  jeune  poète,  s'étant  chargé  de  l'intérêt  commun 
de  tout  le  théâtre,  attaqua  [l'auteur  des  Visionnaire*}  par  une  lettre 
qui  courut  fort  dans  le  monde,  où  il  contait  des  histoires  faites  h 
plaisir,  et  il  enveloppait  tout  le  Port-Royal  dans  ce  différend  par- 
ticulier qu'il  avait  avec  l'auteur  des  Visionnaires,  Car  il  y  déchi- 
rait feu  M.  Le  Maître,  la  feue  mère  Angélique,  l'auteur  des  Enfn- 
)ainurt<s  et  de  la  traduction  de  Térence,  Tout  était  faux  dans  cette 
iHtre,  et  contre  le  bon  sens  depuis  le  commencement  jusqu'à  la 
fin.  Elle  avait  néanmoins  un  certain  éclat  qui  la  rendait  assez  pro- 


RACINE    Kl    PORT-ROYAL, 


M 


porlionnce  aux  petits  esprits  dont  le  moude  est  plein,  de  sorte 
qu'il  y  eul  deux  personnes  qui  crurent  à  propos  d'y  répondre,  et 
ils  [str  le  tirent  en  effet  d'une  telle  manière  que  ceux  qui  avaient 
témoigné  quelque  estime  pour  celle  lettre  eurent  honte  d'en  avoir 
ainsi  jugé,..  Si  ces  deux  personnes  n'avaient  pris  soin  de  répoudre 
pour  Tau  Leur  des  Visionnaires^  il  était  bien  résolu  de  laisser  ce 
jeune  poète  jouir  à  son  aise  de  la  satisfaction  qu'il  avait  de  son 
ouvrage.,*  » 

Le  ton  de  cet  avertissement  était,  comme  on  le  voit,  assez 
dédaigneux;  Nicole  ne  jugeait  pas  le  «  jeune  poète  n  digue  de  ses 
coups,  et  il  l'abandonnait  à  des  subalternes,  Dans  le  Traité  d- 
Comédie  qui  terminait  l'ouvrage,  il  citait  Force  vers  de  M,  de 
Coraeille,  mais  il  ne  faisait  pas  la  plus  légère  allusion  a  l'auteur 
de  la  Thëbaîde  et  d'Alexandre  fe  Grand.  Ce  dédain  exaspéra  Racine 
plus  que  ne  l'auraient  pu  faire  des  injures;  il  tira  de  ses  cartons 
une  seconde  le! Ire  qu'il  avait  composée  presque  immédiatement 
après  la  première,  et  il  résolut  de  publier  ces  deux  pamphlets  en 
les  faisant  précéder  d'une  préface  encore  plus  acrimonieuse»  Mais 
cette  publication  n'eut  pas  Heu;  Boileau,  dit-on,  fit  comprendre  ù 
son  ami  qu'il  s'attaquait  aux  plus  honnête*  gens  du  monde,  et 
cela  quand  M.  Le  Maître  de  Sacy,  l'un  d'entre  eux,  était  à  la  Bas- 
tille* Racine  se  rendit  à  ces  observations;  il  regretta  même  d'avoir 
Fait  imprimer  sa  première  lettre,  et  il  s'attacha  à  détruire  les 
exemplaires  qu'il  en  put  retrouver  chez  le  libraire  ou  ailleurs. 
Telle  est  du  moins  la  version  qu'ont  adoptée  avec  empressement 
les  deux  fils  du  poète;  mais,  tout  en  laissant  à  Boileau  le  mérite 
de  son  intervention,  on  peut  malheureusement  expliquer  la  con- 
duite de  Racine  par  des  raisons  qui  ne  lui  fout  pas  autant  d'hon- 
neur. Ine  lettre  autographe  de  Lancelota  Vitart,  demeurée  inédite 
jusqu'en  1872,  permet  de  présenter  les  choses  sous  un  tout  autre 
jour;  elle  prouve  avec  la  dernière  évidence  que  l'ancien  élève  de 
Port-Royal  était  bien  alors,  suivant  la  doctrine  augusliniennc,  un 
de  ces  justes  auxquels  la  grâce  manque  absolument  et  qui 
deviennent  ainsi  de  grands  coupables.  On  voit  par  cette  lettre  que 
Racine,  eu  1667*  le  prenait  de  très  haut  avec  ses  anciens  maîtres, 
qu'il  se  vantait  de  faire  *u  fortune  littéraire  à  leurs  dépens,  qu'il 
les  menaçait  de  sa  plume,  et  que  néanmoins  il  avait  la  faiblesse  de 
déclarer  par  écrit  qu'il  n'était  pas  L'auteur  de  sa  première  lettre. 
Maïs  il  vaut  mieux  laisser  la  [«an de  à  Lancelot  lui-même,  c'est- 
à-dire  à  l'ancien  précepteur  de  Vitart,  au  maître  incomparable 
qui  jadis  avait  donné  à  Racine  de  si  excellentes  leçons  de  gram- 
maire, et  qui  lui  donna  ce  jour-là  une  si  verte  leçon  de  morale. 


42 


HEVl  E    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA  FRANCE. 


Voici  donc  les  passages  les  plus  saillants  de  la  lettre  de  Lan- 
celol  '  : 

Ce  8  mai  1667. 

«  ...Quelque  admiration  que  vous  ayez  de  M*  EL,  il  a  des  défauts  qui 
ne  sont  pas  à  estimer,  et  Ion  ne  vous  saura  jamais  gré  de  le  soutenir  dans 
une  chose  si  insoutenable.  Et  en  vérité.  Monsieur,  je  ne  sais  m  fom  v 
avez  bien  pensé.  S'il  a  tort,  comme  vous  l'avouez  vous-même,  puisqu'il 
a  nommé  les  personnes  et  qu'il  a  commencé  le  premier,  où  est  la  ta 
faction  qu'il  en  a  faite,  et  qu'il  est  obligé  de  faire,  non  seulement  s'il 
veut  mourir  en  chrétien,  mais  même  s'il  veut  vivre  en  homme  d'hon- 
neur? Vnus  savez  qu'on  n'a  jamais  d'estime  dans  le  monde  pour  ceux 
qui  déchirent  des  personnes  à  qui  ils  ont  de  l'obligation;  et  cependant 
c'est  ce  qu'a  fait  M.  It.,et  ce  que  vous  nous  représentez  vous-même 
qu'il  est  encore  résolu  de  faire.  Quand  on  a  répondu  à  sa  lettre,  on  a 
tenu  tout  un  autre  procédé;  on  n'a  point  usé  de  fictions  ni  de  men- 
songes, on  a  fait  voir  Les  défauts  de  la  pièce  sans  rien  marquer  de  la 
personne.  On  vous  a  même  accorde  ce  que  vous  aviez  demandé,  de  ne 
le  point  nommer,  et  on  s'est  contenté  de  la  parole  que  vous  aviez 
donnée,  après  un  billet  de  sa  main  qu'on  garde  encore,  qu'il  n'en  était 
pas  l'auteur.  Quoiqu'on  fût  assuré  du  contraire,  on  a  bien  voulu  s'aveu- 
gler, et  on  prévoyait  néanmoins  qu'il  aurait  la  légèreté  de  s'en  vanter 
lui-même  dans  la  suite.  Vous  voyez  que  Ton  ne  s'est  pas  trompé,  et 
qu'on  le  connaissait  bien. ♦..  Puisqu'il  a  asser  peu  d'honneur  pour  dire 
sans  scrupule  le  ouï  et  le  non  sur  la  même  affaire,  qu'il  ne  se  plaigne 
que  de  lui,  et  qu'il  prenne  garde  qu'en  pensant  si  fort  foudroyer 
autres  et  faire  sa  fortune  à  leurs  dépens,  comme  il  s'en  est  vanté  plus 
d'une  fois,  il  ne  se  fasse  plus  de  tort  qu'il  leur  en  saurait  faire.  Le  vrai 
honneur  ne  s'acquiert  point  par  cette  voie,-,.  C'est  pourquoi,  Monsieur, 
si  vous  aimez  véritablement  votre  cousin,  portez-le  plutôt  à  demeurer 
dans  le  silence-  (Test  une  affaire  faite,  dont  apparemment  on  ne  parlera 
plu  s  qu'autant  qu'il  en  donnera  sujet  :  qu'il  s'en  tienne  là,  s'il  veut 
croire  mon  conseil...  » 


Il  est  bien  aisé,  quand  on  sait  lire  entre  les  lignes,  de  voir 
lVLFei  que  dut  produire  sur  Racine  une  lettre  si  vigoureuse  et  si 
fière,  écrite  à  son  cousin  et  faite  pour  lui  être  montrée.  Le  poète, 
qui  travaillait  alors  même  à  Andromatpie,  se  trouvait  convaincu 
par  son  ancien  maître  de  mensonge,  d'ingratitude  noire,  d'hypo- 
crisie enfin,  el  il  pouvait  s'attendre,  s'il  continuait,  à  de  vives 
représailles.  On  comprend  qu'il  n'ait  pas  osé  soutenir  plus  long- 
temps un  tel  personnage,  et  que,  n'ayant  pas  assez  de  vertu  pour 

I.  L'autographe  de  Lanrelot  est  aujourd'hui  a  Porl-Hovol  *ies  Champs,  dans  une 
•lea  titrfflétdi  roraloire-musée;  la  lettre  elle-même  a  paru  en  18T2  au  lome  VIII 
du  Racine  de  M.  Paul  Mesnard. 


IU<  INI     KT   Pi.mï-mmu 


43 


lemander  pardon,  il  ait  du  moins  suivi  le  conseil  de  Lancelot,  et 
il  île  lui-même  résigné  à  garder  un  silence  prudent. 

Les  années  qui  suivirent  s'écoulèrent  sans  qu'il  fût  question  de 
Bacille  à  Port-Royal,  et  sans  que  Fauteur  âfAfttftfMft0?tt6  parut  en 
aucune  façon  se  souvenir  de  ses  anciens  maîtres.  Apres  bien  des 
vicissitudes,  les  mères  et  les  messieurs  eurent  la  consolation  de 
voir  enfin  luire  des  jours  meilleurs  en  Hïf>s.  La  paix  de  l'Eglise, 
conclue  par  Clément  IX  maigre  les  jésuites,  rendit  la  liberté  aux 
religieuses  prisonnières,  et  parmi  elles  se  trouvait  sœur  Agnès 
île  Sainte-Tlièele  Racine,  si  étroitement  surveillée  qu'elle  n'aurait 
pu,  même  si  elle  l'eût  souhaité,  communiquer  avec  son  neveu 
durant  ces  quatre  ans  de  captivité*  Nicole,  Sacy,  Laucelot, 
Hamon  et  les  autres  sortirent  de  leurs  cachettes  ou  de  leur» 
prisons  et  publièrent  à  l'envi  des  ouvrages  estimés;  Àrnauhl  enfin 
fui  présenté  au  roi  et  put  voir  un  de  ses  neveux  ministre  d'Etat. 
Quant  à  Racine,  on  sait  qu'alors  il  marcha  pour  ainsi  dire  de 
triomphe  eu  triomphe,  et  qu'il  donna  successive  ment  au  théâtre, 
de  1667  à  1673,  Ar\(bromaquèy  les  PlaidôUTê%  Bfit&anicuS)  Baj&zei 
Wiikridûtê,  Vainqueur  de  Corneille  dans  la  lutte  trop  inégale 
des  deux  /Atô/mv's,  il  était  avec  Molière  le  plus  illustre  représen- 
tant de  Tari  dramatique  français.  L'Académie  l'accueillit  en  lfi73T 
onze  ans  avant  Boileau,  et  si  la  jalouse  rage  de  quelques 
méchants  auteurs  s'efforça  de  ternir  sa  gloire,  H  s'en  vengea  par 
de  nouveaux  chefs-d'œuvre,  et  aussi  par  des  épigiaunnes  bien 
cruelles.  Il  jouissait  pleinement  de  sa  gloire,  et  ce  que  nous 
savons  de  sa  vie  privée  à  celle  époque  montre  d'une  façon 
péiemptoire  qull  avait  oublié  les  enseignements  et  les  exemples 
de  Port-Royal. 

Et  pourtant  c'était  bien  l'ancien  élève  des  Petites  écoles  qui 
triomphait  de  la  sorte;  et,  s'il  était  possible  de  parler  ici  lon- 
guement de  l'œuvre  dramatique  de  Racine,  on  verrait  que  son 
théâtre  est  séparé  de  celui  de  Corneille  par  toute  la  distance  qui 
sépare  Port-Royal  du  Gesù,  et  Janscnïus  ou  saint  Augustin  de 
M  ►luia.  Les  héros  de  Corneille  semblent  connaître  aussi  peu  que 
possible  ce  qu'on  nomme  en  théologie  l'état  de  nature  déchue,  et 
ils  croient  en  général  avoir  la  plénitude  de  leur  libre  arbitre*  Ils 
imposent  silence  à  leurs  sentiments  les  plus  forts,  à  leurs 
passions  les  plus  violentes,  et  quand  la  voix  de  Fhonneurou  du 
devoir  s'est  Fa.il  entendre,  il  n'y  a  plus  pour  eux  ni  maîtresse,  ni 
femme,  ni  parents  ou  amis  d'aucune  sorte.  Quoi  qu'ils  aient  pu 
faire,  ils  sont  inaccessibles  au  regret,  au  repentir  ou  au  remords. 


44 


RESTE    D  HISTOIRE    UTTfrlAlftE    UE    LA    FRANCE. 


Il  n\*n  est  pas  de  mémo  des  personnages  de  Racine,  car  ceux-là 
représentée  1  vraiment  les  hommes  tels  qu'ils  sont,  de  faibles  créa- 
tures livrées  à  toute  la  fureur  de  leurs  passions,  llermione,  Néron, 
Roxane.  Mithridate.  voilà  bien  la  nature  humaine  abandonnée 
pour  ainsi  dire  à  elle-même.  El  Ton  ne  saurait  dire  que  ces  héros 
de  Racine  soient  comme  ceux  du  théâtre  grec  les  victimes  d'une 
fatalité  aveugle,  car,  aux  yeux  de  Port-Royal  et  de  Racine  son 
disciple,  les  dogmes  de  la  grâce  efficace  par  elle-même  et  «le  la 
prédesli nation  gratuite  ne  suppriment  en  aucune  façon  la  res- 
ponsabilité. Si  malheureux  que  soient  les  personnages  du  drame 
raeinicn,  leur  fin  tragique  produit  dans  Famé  du  spectateur  plus 
de  terreur  que  de  pitié. 

Ainsi  Racine,  «  poète  de  théâtre  et  empoisonneur  des  âmes  »t 
devait  à  ses  anciens  maîtres  une  partie  de  son  succès,  car  il 
appliquait  leurs  théories  psychologiques  et  leurs  doctrines  morales 
alors  même  qu'il  semblait  le  plus  en  contradiction  avec  eux;  et 
d'autre  part  il  devait  à  leur  enseignement  de  pouvoir  puiser  aux 
sources  grecques;  il  lui  devait  en  outre  de  savoir  composer  et  de 
savoir  écrire.  Mais  ces  rapprochements  qui  s'imposent  à  notre 
examen,  Racine  ne  les  faisait  pas,  et  Port-Royal  encore  moins. 
Racine  poète  dramatique  ne  croyait  pas  appliquer  les  principes 
d'une  théologie  quelconque,  et  Port-Royal  eût  été  doublement  scan- 
dalisé s  il  avait  vu  ses  théories  appliquées  de  la  sorte.  L'an  ta:, 
nisme  était  donc  aussi  complet  que  possible,  et  cependant  l'heure 
île  la  réconciliation  définitive  approchait;  bientôt  Racine  allait 
être,  suivant  ses  propres  expressions,  «  tiré  de  l'égaremeût  et  des 
misères  où  il  avait  été  engagé  pendant  quinze  années  ». 


III 

ÏM  BtTOUl  de  l'k>fant  prodigue  (1673-1677). 

On  croit  généralement  que  la  «  conversion  »  de  Racine  a  été 
soudaine,  et  qu'elle  doit  être  attribuée  h  l'insuccès  de  Phtttre  en 
janvier  1G77;  mais  il  ne  faut  pas  admettre  légèrement  des  trans- 
formations qui  tiendraient  presque  du  miracle.  Puisque  Ton 
démontre  aujourd'hui  que  Pascal  n*a  pas  trouvé  son  chemin  de 
Damas  sur  le  pont  de  Neuilly,  on  peut  démontrer  de  même  qu'il 
s'est  opéré  dans  l'âme  de  Racine  un  changement  lent,  mais  sur, 
et  que  ce  gTVtri  homme  a  subi,  bien  avant  HJ77,  ce  qu'on  peut 
appeler  un  retour  offensif  de  l'esprit  de  Port-Royal.  Considérons 
en  effet  les  différentes  phases  de  la  vie  dramatique   de  Racine, 


«AGI»:    ET    PUHT- ROYAL. 


45 


Jusqu'au  mois  de  janvier  1073,  malgré  son  ardeur  au  plaisir,  il 
déploya  la  plus  étonnante  activité.  Chaque  année,  il  donnait  au 
publie  un  nouveau  chef-d'œuvre,  et  les  demi-succès  eux-mêmes, 
bien  qu'il  y  fui  on  ne  peut  [dus  sensible,  ne  le  décourageaient  pas 
longtemps.  Irrité  de  l'accueil  que  Ton  fit  d'abord  à  BrUannicu$x  il 
imprima  sa  pièce  avec  une  préface  acrimonieuse;  même  avant  île 
la  réimprimer  avec  une  préface  plus  douce,  il  s'était  remis  au  tra- 
vail. Sept  tragédies  et  une  comédie  en  sept  ans,  tel  est  le  bilan  de 
cette  première  période.  Mais  il  n'en  est  plus  de  même  après  1  (>":{; 

>\  à  peine  si  Racine  donne  au  public  deux  tragédies  en  quatre 
ans,  It  met  dix-neuf  mois  ii  faire  FphigélM,  et  vingt-huit  omis  à 
composer  Phèdre.  Quelle  a  pu  être  ta  raison  d'un  si  brusque  chan- 
gement dans  les  habitudes  du  poète?  Faut-il  croire  qu'il  s'oubliait 
auprès  de  la  Champmeslé  dans  les  délices  de  Capoue?  Faut-il 
attribuer  à  des  froissements  d'amour-propre  un  ralentissement  si 
étrange?  Osera-t -on  dire  que  l'épuisement  ou  la  fatigue  se  fai- 
saient sentir  chez  lui  comme  chez  Corneille  ?  Aucune  de  ces 
explications  n'est  satisfaisante;  tout  s'explique  le  plus  naturelle- 
ment du  monde  si  Ton  admet  que  l'esprit  du  siècle  et  l'esprit  de 
Port-Roval  se  sont  alors  livré  de  rudes  combats  dans  Târne  du 
poète.  De  1673  a  1677,  il  n'est  jamais  question  de  Racine  el  de 
ses  amours  dans  la  correspondance  de  MJ,,r  de  Sévîgné  ;  le  nouvel 
académicien  parait  s'être  rangé  quand  il  devint  le  confrère  de 
BossueLdeFbVhîerH  de  Corneille,  et  tout  donne  à  penser  qu'il  eu i 
dfca  lors  ou  fies  remords  ou  des  scrupules  de  conscience.  Corneille 
eu  avait  aussi,  disent  ses  anciens  biographes,  et  il  paraît  que  ses 
confesseur-*  jésuites  avaient  parfois  beaucoup  de  peine  à  le  rassu- 
rer sot  ce  eh&pilre.  Ils  y  parvenaient  cependant,  puisque  Taulnir 
du  CM  a  travaillé  pour  le  théâtre  jusqu'à  soixante-huit  ans. 

Quant  à  Racine,  il  semble  avoir  été  troublé  de  cette  manière  au 
milieu  de  sa  course,  des  l'Age  île  trente-quatre  ans,  et  sans  doute 
il  commença  par  chercher  ce  qu'on  appelle  des  moyens  termes. 
L'idée  de  renoncer  au  thé  A  Ire  ne  lui  vint  pas  à  l'esprit,  mais,  sui- 
vant toute  apparence,  il  résolut  de  composer  désormais  des  tra- 
gédies telles  que  la  morale  la  plus  rigide  en  put  autoriser  la 
représentation,  Ainsi  s'expliquerait  ce  fait  qu'au  lendemain  de 
\ftthnti*rh\  qui  lai- même  succédait  à  Briiannieuii  Bérénice  et 
[i<tja:,ft.  Racine  ne  soit  plus  allé  demander  le  sujet  de  ses  pièces  à 
l'histoire  ancienne  ou  moderne.  Désireux  d'appliquer  1  la  rigueur 
les  préceptes  d'Arîstole  relatifs  â  la  moralité  du  théâtre,  il  se  mit 
à  étudier  les  modèles  que  ce  grand  moraliste  avait  sous  les  yeux 
quand  il  préconisait  Part  de  «  purger  les  passions  ».  Il  relut  alors 


4e 


riUi;    li  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE, 


ses  classiques,  dont  on  lui  avait  fait  expliquer  les  œuvres  à  Port- 
Royal,  et  il  entreprit  Je  les  transporter  sur  la  scène  française. 
C'est  probablement  en  1673,  comme  Ta  dit  un  contemporain,  qu'il 
dressa  le  plan  d'une  fphigé&ie  en  Tftun 4e  imitée  d'Euripide.  Mais 
il  y  renonça  bientôt  parce  que  la  modernisation  d*une  pareille 
pièce  lui  parut  impossible,  et  grâce  à  l'heureuse  trouvaille  du  rôle 
d'Eriphile,  il  put  Faire  Vlphîgénk  que  nous  admirons,  et  qui  res- 
semble si  peu  à  Bajazel  ou  à  M/fluitlale.  iphigénié%  on  Ta 
remarqué  cent  fois,  est  une  œuvre  exquise,  tout  imprégnée  de  chris- 
tianisme* Racine  s'est  complu  à  représenter  la  tille  d'Agamemuon 
comme  «  unr  personne  vertueuse  et  aimable  »,  et  l'érudition  que 
Ton  remarque  dans  la  préface  de  cette  tragédie  pourrait  servir  à 
montrer  combien  les  préoccupations  du  grand  poète  étaient  alors 
sérieuses, 

Avec  Phèdre^  représentée  le  ltr  janvier  1677,  Kaciue  fit  un  nou- 
veau pas  en  avant,  et  celte  fois  nous  ne  sommes  plus  en  présence 
de  conjectures,  si  vraisemblables  soient- elles;  tout  le  moude 
reconnaît  la  parfaite  justesse  de  cette  observation  de  M.  Paul 
Mesnard  ;  «  Lorsque  Kacine  écrivit  Plttkire,  les  premièrefl  impres- 
sions reçues  dans  les  écoles  de  Port -Royal  se  réveillaient  avec 
vivacité  dans  son  âme.  »  Pour  se  convaincre  de  cette  vérité,  il 
n'est  pas  nécessaire  d'étudier  la  pièce  elle-même,  il  sufQt  d'eu  lire 
attentivement  la  préface.  Elle  présente  quelques  analogies  avec 
celle  d'Iphiffénie,  mais  cette  fois  les  intentions  moralisatrices  du 
poète  apparaissent  avec  une  éblouissante  clarté.  Après  avoir 
insinué  que  Phèdre  lui  parait  h  lui-même  la  plus  raisonnable  et  la 
meilleure  de  ses  tragédies*  Racine  ajoute  aussitôt  :  «  Ce  <jue  je 
puis  assurer,  c'est  que  je  n'en  ai  point  fait  où  la  vertu  soit  plus 
mise  en  jour  que  dans  celle-ci;  les  moindres  fautes  y  sont  sévère- 
ment punies  :  la  seule  pensée  du  crime  y  est  regardée  avec  autant 
d'horreur  que  le  crime  même;  les  faiblesses  de  l'amour  y  passent 
pour  de  vraies  faiblesses;  les  passions  n'y  sont  représentées  aux 
veux  que  pour  montrer  tout  le  désordre  dont  elles  sont  cause,  et  le 
vice  y  est  peint  partout  avec  ries  couleurs  qui  en  font  connaître  et 
haïr  i&  diiïormité.  (l'est  là  proprement  le  but  que  tout  homme  qui 
travailla  pnur  le  public  doit  se  proposer;  et  c'est  ce  que  les  pre- 
miers poètes  tragiques  avaient  en  vue  sur  toute  chose*..  Il  serai I 
souhaiter  que  nos  ouvrages  fussent  aussi  solides  et  aussi  pleins 
d'utiles  instructions  que  ceux  de  ces  poètes.  Ce  serait  peut-être  un 
moyen  de  réconcilier  la  tragédie  avec  quantité  de  personnes  célè- 
bres par  leur  piété  »  I  par  leur  doctrine  qui  l'ont  condamnée  dans 
ces  derniers  temps,  et  qui  en  jugeraient  sans  doute  plus  favorable- 


rtINE    El    POKT-llOYAL.  4" 

ment  si  les  auteurs  songeaient  autant  à  instruire  leurs  spectateur* 
j|n;i  les  divertir,  et  s'ils  suivaient  en  cela  la  véritable  intention  de 
Il  tragédie.  » 

Y  m  là  bien  le  langage  d'un  homme  qui  voudrait  pouvoir 
demeurer  poète  de  théâtre,  poète  tragique  à  tout  le  moins,  et  ne 
plus  encourir  les  censures  d'un  moraliste  comme  Nicole;  que  nom 
sommes  loin  de  la  fameuse  lettre  de  1666  à  Tau  tour  des  fféréneê 
imaginaires]  Ne  semble-t-il  pas  même  que  Racine  fasse  ici  amende 
h<  moralité  à  ceux  qui  h  dans  ces  derniers  temps  ont  nm damné  la 
tragédie  »?Et  Ton  s'efforcerait  en  vain  d'affaiblir  la  portée  de  ces 
allégations  en  disaiiL  que  la  préface  de  Phi-tir* .  imprimée  en 
mars  it*77f  plus  de  trois  mois  après  l'insuccès  de  janvier,  est  d'un 
homme  que  le  découragement  a  transformé.  C'est  le  contraire  qm 
esi  yrt)  :  l'auteur  de  cette  préface  n'est  pas  encore  ce  qui  s'appelle 
converti.  Il  voudrait  continuer  à  travailler  pour  la  scène;  s'il  était 
assuré  de  réconcilier  la  tragédie  avec  ses  «  adversaires  célèbres  par 
leur  piele  et  par  leur  doctrine  »,  il  serait  heureux  de  pouvoir  com- 
poser des  pièces  encore  plus  n  raisonnables  ji  que  Phèdre.  Si  donc 
Hacine  avait  été  à  celle  date  le  pénitent  que  nous  allons  bientôt 
voir,  il  n'aurait  pas  écrit  la  préface  de  Phèdre.  U  y  a  plus,  cette 
tragédie  elle-même  n  aunui  pas  âlé  imprimée,  puisque  par  le  seul 
fait  de  sa  publication  elle  tombait  dans  le  domaine  public,  et  pou- 
vaii  désormais  être  représentée,  connue  elle  le  fut  en  effet,  sur 
tous  les  théâtre»  de  Paris  et  de  la  province.  Une  dernière  preuve 
de  la  non-conversion  de  Hacine  à  cette  époque,  c'est  la  belle  Epitre 
que  Boileau  lui  adressait  alors  même  pour  le  consoler,  et  dans 
laquelle  il  lui  rappelait  si  complaisamment  ses  triomphes  aute- 
urs. L'ami  intime  de  Hacine  eût  été  bien  maladroit  s'il  avait 
entrepris  son  ouvrage  après  avoir  reçu  les  confidences  d'un  péni- 
teûl,  Mais  on  sait  que  Despréaux  ne  travaillait  pas  vile,  et 
TK pitre  VII  fut  achevée  trop  tard,  comme  cette  fameuse  lettre  de 
consolation  qui  parvint  jadis  à  un  veuf  remarié*  Aussi  faut-il  bien 
n  marquer  la  conduite  de  Boileau  en  celte  occasion  :  il  attendit 
ins,  jusqu'en  1683,  avant  de  mettre  au  jour  ce  petit  poème  qui 
lui  fait  tant  d'honneur. 

On  ne  saurait  donc  attribuer  au  chagrin  de  Racine  en  jan- 
vier 1677  la  résolution  qu'il  prit  bientôt  de  renoncer  définitivement 
au  théâtre.  Le  succès  que  Phèdre  ne  tarda  pas  à  obtenir  aurait 
suffi  à  guérir  une  simple  blessure  d'amour-pnqirc,  et  it  faut  cher- 
cher ailleurs  la  cause  de  cette  détermination  vraiment  héroïque. 
A  la  transformation  morale  qui  s'était  opérée  depuis  lfi73  succéda 
une  véritable  conversion,  comparable  à  celles  de  Pascal,  de  Mm#de 


48 


REVUE    D  fllSTOlUK    L1TTÉÎU1KE    l>R    LA    FRANCE. 


Longueville,  du  prince  de  Conti,  Je  la  princesse  Palatine  et  de 
plusieurs  autres  personnages  de  ce  siècle  chrétien,  Mais  noua  né 
savons  rien  sur  les  événements  qui  s'accomplirent  alors,  sans 
dmite  au  temps  de  Pâques  iiïTI,  parce  qu'au  xvif  siècle  les 
choses  do  la  vie  privée  pouvaient  encore  êlre  entourées  de  silence 
et  de  mystère.  Tout  donne  à  penser,  puisque  Racine  Ta  dit  vin.i 
ans  plus  tard  dans  une  lettre  à  Mmc  de  Main  tenon,  que  le  rôle 
principal  fut  dévolu  en  cette  circonstance  à  la  sœur  Agnès  de 
Sainte-Thècle,  à  celte  vierge  au  cœur  de  mère  qui  k  Port-Royal 
des  Champs  ne  cessait  de  prier  pour  celui  qu'elle  avait  banni  de  sa 
présence.  11  dut  se  passer  alors  au  parloir  de  l'abbaye  des  scènes 
bien  louchantes,  que  l'auteur  de  Bérénice  seul  eût  été  capable  de 
décrire;  et  comme  au  temps  de  la  conversion  de  Pascal,  en  1634, 
il  y  eut  à  Port- Royal  des  «  pleurs  de  joie  »,  Le  passé  de  Tiras- 
cible  poète  de  théâtre  fut  oublié  en  un  moment,  le  doux  Nicole 
pardonna  le  premier,  puis  ce  fut  le  tour  d'Antoine  Arnautd,  de 
Le  Maître  de  Sacy,  et  sans  doute  de  Laneelot,  du  docteur  Jlamon, 
de  tous  enlin.  Racine  était  si  louché,  si  repentant*  qu'il  voulait 
quitter  le  monde  et  se  faire  chartreux;  maïs  la  sagesse  de  son 
directeur  ne  le  lui  permit  pas.  Ceux  qui  jadis  avaient  empêché 
Pascal  de  fuir  au  désert,  ceux  qui  obligèrent  le  prince  de  Conli  à 
demeurer  général  et  gouverneur  de  province,  exigèrent  de  Racine 
qu'il  restât  dans  le  monde,  et,  connaissant  le  besoin  de  tendra 
qui  remplissait  son  cœur,  ils  lui  enjoignirent  de  se  chercher  sans 
retard  une  compagne  et  de  fonder  une  famille.  (Test  ainsi  que, 
dans  l'intervalle  qui  sépara  le  15  mars  du  i*r  juin,  Racine  aban- 
donna sans  retour  T Hôtel  de  Bourgogne  et  la  Cbampmeslé  pour 
épouser  la  pieuse  et  simple  Catherine  de  Romanel. 

On  voit  assez  quel  fut  le  rôle  de  Port-Royal  en  celle  circon- 
stance; aucun  de  ceux  qui  le  composaient  alors  n'avait  fait  la 
moindre  avance,  même  après  ïphhjênie,  même  après  Phèdre*  la 
pièce  sî  raisonnable.  Tandis  que  les  jésuites  faisaient  une  cour 
assidue  à  Corneille,  leur  ancien  élève,  et  que  leurs  casuîstes  rassu- 
raient Tau  leur  du  Cid  quand  il  avait  des  scrupules  et  parlait  de  ne 
plus  travailler  pour  le  théâtre,  les  anciens  maîtres  de  Racine  affec- 
taient de  ne  le  point  connaître;  ce  fut  lui,  le  grand  poète,  le 
Sophocle  de  la  France,  qui  revint  à  eux  avec  toutes  les  marques  du 
repentir,  et  en  donnant  des  gages 4e  la  sincérité  de  ses  sentiments. 
Les  Jansénistes  ne  sauraient  être  accusés  d'avoir  frustré  la  scène 
française  des  chefs-d'œuvre  que  Racine  pouvait  encore  lui  donner, 
car  il  avait  définitivement  abandonné  le  théâtre  quand  il  revint  à 
eux.  La  fréquentation  de  ces  hommes  rigides  nétoufTa  nullement 


MACINK    VJ    PUllï-UUYAL 


49 


son  génie,  el  de  même  que  Pascal  converti  avait  écrit  les  Provm- 
\h$  et  les  Pensées,  nous  verrons  bientôt  Racine  pénitent  écrire 
jE&thcr  et  Alhaiie. 


IV 
L'expiation  (f6TM6n)é 

La  vie  publique  de  Racine  après  sa  conversion  est  parfaitement 
connue  :  historiographe  île  Louis  XIV  au  même  titre  que  Boileau, 
gentilhomme  de  la  chambre  du  roit  auteur  û*JBiik&r  et  A'Athplis,  îl 
finît  par  éprouver  une  demi-disgrâce,  et  il  mourut  prématurément 
à  rage  de  cinquante-neuf  ans.  Mais  ce  sont  les  événements  de  sa 
vie  privée  qui  seuls  doivent  trouver  place  ici,  el  Ton  peut  la 
résumer  en  deux  mots  :  Racine  employa  les  vingt-deux  dernières 
années  à  expier  ses  torts  envers  Port-Royal.  La  chose  ne  soutïrait 
pas  de  grandes  difficultés  en  1677,  sous  le  régime  de  ce  qu'on  a 


appelé  la  paix  de  l'Eglise, 


La  duchesse  de  Longue  vil  le  était  la 


protectrice  déclarée  du  monastère  où  elle  s'était  fait  bâtir  une 
somptueuse  retraite;  Arnauld  de  Pomponne,  frère  de  la  mère 
lngéHqpie  de  Saint-Jean,  était  ministre;   enfin  les  docteurs   de 

Port-Roval  entraient  dans  les  vues  du  roi  en  écrivant  contre  les 

j 

protestants.  Aussi  les  religieuses  se  croyaient- elles  en  sécurité; 
elles  avaient  des  novices»  des  postulantes,  des  pensionnaires  en 
grand  nombre.  Les  amis  du  dehors  témoignaient  hautement  leur 
apathie,  et  Tillustre  neveu  de  la  sœur  de  Sainte-Thèele  Marine 
pouvait  se  montrer  au  parloir  de  Port-Royal  sans  s'exposer  au 
courroux  du  roi. 

Mais  en  1679,  quelques  semaines  après  la  mort  de  II*1  de 
Longueville,  l'ère  des  persécutions  se  rouvrit  soudain*  Louis  XIV 
lus  sollicitations  des  jésuites  ce  qu'ils  ne  cessaient  de 
lui  demander  en  secret,  et  le  17  mai,  un  jour  que  Racine  était  en 
visite  à  Purl-Royal,  raivhrvéque  de  Paris,  Harlay  de  Ghanvalhm, 
|  vint  apporter  les  ordres  les  plus  rigoureux  :  dispersion  des 
directeurs,  défense  de  recevoir  des  novices,  renvoi  immédiat  de 
toutes  les  pensionnaires.  On  ne  chassait  pas  les  religieuses  de 
leur  couvent;  mais  c'était  L'arrêt  de  mort  de  la  communauté  qui 
lui  était  signifié  ainsi  à  l'improviste.  L'effet  produit  par  cette 
expédition  de  V archevêque  de  Paris  fut  désastreux,  et  la  disgnlce 
de  Pomponne,  qui  suivit  immédiatement ,  lit  voir  que  le  roi  vou- 
lait se  porter  aux  plus  dures  extrémités.  Les  ecclésiastiques  de 
Port-Royal  se  dispersèrent  une  dernière  fois  ;  Arnauld  quitta  pour 
jamais  la  France;  les  amis  les  plus  dévoués  comprirent  qu'il  u*y 

RéV,    n'illST,    LiTTifl,    t»K    LA    F»ANC*    {1*   ÀEU1.).  —  VU  4 


50 


utviJE  ii  iiistoihi;  littéiumk   DE   la   hunce. 


avait  plus  rien  à  espérer*  Racine  se  souvint  alors  que  deux  fois  au 
temps  de  sa  jeunesse  il  avait  ri  des  malheurs  de  Port-Royal*  et 
sans  hésiter  il  se  mit  au  service  des  religieuses  persécutées;  il  se 
fit  Ta  vocal  de  celte  noble  cause  que  tout  le  monde  croyait  perdue. 
Mais  cette  cause  il  ne  pouvait  songer  à  la  plaider  devant  le  roi, 
dont  les  préventions  contre  les  jansénistes  étaient  trop  fortes. 
Louis  XIV  les  associait  au  souvenir  de  la  Fronde,  ce  cauchemar 
affreux  de  sa  royale  enfance,  et  c'ait  dans  une  lettre  de  Racine 
à  Mmo  de  Main  tenon  que  se  lisent  ces  mots  ;  *  Je  sais  que  dans 
Tidée  du  roi  un  janséniste  est  tout  ensemble  un  homme  de  cabale 
et  un  homme  rebelle  &  l'Église.  •  Racine  s'attacha  donc  tout  d'aln  h  il 
à  prouver  par  sa  conduite  qu'il  était  le  contraire  d'un  sujet  cal>a* 
leur  et  d'un  chrétien  rebelle;  et  plus  tard,  quand  Mme  de  Maintenon 
eut  pris  sur  le  roi  l'ascendant  que  Ton  sait,  il  recourut  à  elle  avec 
toute  la  prudence  que  commandaient  les  circonstances.  Eêther  H 
Athaiie  sont  deux  plaidoyers  en  faveur  de  Port- Royal;  les  allusions 
discrètes  y  abondent,  et  quand  on  est  prévenu  elles  sautent  aux  yeux. 

Au  surplus  Racine  ne  cachait  pas  ses  relations  avec  le  mona- 
stère persécuté,  et  il  faisait  preuve  à  l'occasion  d'un  véritable  emi- 
rage.  Tout  le  monde  savait  pourquoi  il  s'éloignait  du  théâtre, 
pourquoi  il  ne  songeait  même  plus  à  ses  tragédies,  sinon  pour 
«  se  mettre  en  peine  du  compte  qu'il  aurait  à  en  rendre  quelque 
jour  ».  L'insuccès  d'Athalie  eut  pour  cause  unique  des  scrupules 
suggérés  par  les  jésuites,  car  Mme  de  Maintenon  continua  jus- 
qu'en 1115  à  faire  jouer  sur  le  théâtre  de  Sainl-Cyr  des  tragédies 
sacrées,  celles  de  Boyer  ou  de  Duché  de  Vancy,  un  Jonat/ms,  une 
Fille  de  Jephié  dont  la  donnée  était  singulièrement  scabreuse; 
Racine  seul  était  tenu  à  l'écart,  et  cela  parce  qu'il  était  suspect  de 
jansénisme. 

En  1691,  une  occasion  s'offrit  de  donner  aux  gens  de  Port- 
EtoysJ  un  témoignage  public  de  son  repentir  et  de  son  affection; 
cette  occasion.  Racine  la  saisît  avec  empressement,  sans  forfan- 
terie comme  sans  fausse  honte.  Le  grand  Arnauld  était  mort  i 
l'étranger,  léguant  son  cœur  aux  religieuses  pour  lesquelles  il 
avait  tant  souffert  toute  sa  vie.  Ce  cieur  fut  apporté  à  Port-Royal 
par  mi  ami  fidèle,  et  enterré  dans  la  partie  de  l Valise  réservée 
aux  reliques;  et  voici  ce  qu'on  peut  lire  dans  un  rarissime  imprimé 
du  temps  : 

Au  service  d'Arnauld  tout  Paris  fut  prié; 

Aucun  n'y  fui  par  politique, 

Comme  si  le  défunt  élait  un  hérétique* 

Racine,  qui  lut  convia, 

Assista  seul  à  ce  service... 


mcrttg   i;r    1*0 RI  -ROYAL. 

Boileau  même,  auteur  d'une  épîtaplie  d'Arnauld  qui  est  célèbre, 
ne  paraît  pas  avoir  accompagné  son  ami  ce  jour-là- 

LTannée  suivante,  lorsque  le  vrrlueux  Noailles  remplira  surir 
siège  archiépiscopal  de  Paris  l'indigne  Harlay  de  Chan vallon,  les 
amis  de  Port-Royal  commencèrent  à  reprendre  courage.  Au  lieu 
d'un  ennemi  perfide,  d'autant  plus  dangereux  qu'il  affectait  tou- 
jours une  politesse  exquise,  les  religieuses  avaient  pour  supérieur 
un  homme  droit)  foncièrement  lion,  cl  qui  les  révérait  sans  trop 
Oser  le  dire.  C'est  alors  que  Racine  se  multiplia,  si  Ton  peut 
s'exprimer  ainsi,  pour  rendre  à  sa  tante,  devenue  abbessc  eu  1689, 
lous  les  services  qu'elle  pouvait  attendre  de  son  affectueuse  Bfratî- 
lude.  Visites  a  Port-Boy  al,  visites  à  l'archevêché,  lettres, 
d<  marches  de  toute  nature,  rien  ne  fut  épurgé,  et  Racine  eut  la 
consola  lion  de  voir  le  prélat  qui,  comme  évèque  de  Chftlons, 
i\  lit  approuvé  le  Nouveau  Testament  du  P,  Quesnel,  témoigner 
à  Port* Royal  une  véritable  sympathie.  Sans  doute  on  ne  revint 
pas  sur  le  passé,  et  l'autorisation  de  recevoir  des  pensionnaires 
ou  des  novices  ne  fut  pas  rendue,  mais  du  moins  la  situation  ces 
d'être  in  toléra  Me,  et  l'on  ne  pouvait  espérer  davantage. 

Ravi  de  ces  lionnes  dispositions,  Racine  entreprit  d'éclairer  la 
relïpion  de  l'archevêque  et  de  lui  démontrer  la  parfaite  innocence 
des  tilles  de  Port-Royal ♦  Il  composa  d'abord  quelques  mémoires 
justificatifs,  el  bientôt,  mettant  à  profit  la  science  qu'il  n'avait 
pas  manqué  d'acquérir  en  travaillant  avec  Boileau  à  l'histoire  de 
Louis  XIW  il  lit  pour  Noailles  ce  petit  chef-d'œuvre  qu'on  appelle 
VHi$toirc  de  Port-ftogaL  On  ne  saurait  croire  ce  qu'il  lut  fallut  de 
travail  pour  met  Ire  cet  opuscule  au  point  de  perfection  où  nous  le 
rayons  aujourd'hui.  Histoires  générales  ou  particulières,  mémoires 
de  toute  sorte,  lettres  en  nombre  inlini,  sont  de  nos  jours  à  la 
disposition  de  l'historien  qui  voudrait  raconter  les  luttes  et  les 
souffrances  de  Port-Royal;  mais  il  n'en  était  pas  de  même  aux 
environs  d<  10%.  Et  comme  Racine  se  proposait  de  ne  rien 
avancer  qui  put  être  l'objet  d'une  réfutation  ou  seulement  d'un 
doute,  il  dut  se  livrer  aux  recherches  les  plus  patientes  et  les  plus 
minutieuses.  Le  but  qu'il  se  proposait  ne  fut  pas  atteint,  mais  il 
put  se  dire  avant  de  mourir  que  son  pelil  livre  verrait  peut-être  le 
jour,  et  qu'il  plaiderait  aux  yeux  de  la  postérité  la  cause  qui  lui 
était  s»  chère, 

Ce  qui  paralysa  lous  les  efforts  de  Racine,  ce  fut  la  brouille  qui 
éclata  entre  le  cardinal  de  Noailles  et  les  jésuites.  Ces  pères 
avaient  commencé  par  aduler  l'archevêque,  et  Ton  a  le  témoi- 
gnage imprimé  de  leurs  flagorneries  d'alors.  Mais  bientôt  ils  vou- 


iikvl;ê  dhistgiiœ  t.uiKiiuithi  m:  la  hiance. 


lurent  parler  en  maîtres,  elle  prélat  déclara  qu'il  ne  serait  jamais 
k  leur  valel  ».  Ils  jurèrent  donc  de  lui  faire  boire  jusqu'à  la  lie  le 
rai  ire  de  leur  colère»  et  de  là  sont  nées  les  grandes  querelles  qui 
oui  agité  tout  le  xvnr  siècle.  L'alTaire  de  la  Bulle  Unigeniius  fui 
engagée  des  lors,  cl  naturellement  les  premiers  coups  furenl 
dirigés  sur  Fort-Royal. 

Si  Racine  avait  vécu  dix  ans  de  plus,  il  aurail  vu  les  jésuites 
poursuivre  avec  acharnement  les  quelques  vieilles  qui  conser- 
vaient de  leur  mieux  les  traditions  de  la  mère  Angélique  el 
d'Arnauld;  il  aurait  vu  le  faible  et  malheureux  Noailles  signer  las 
larmes  aux  yeux  l'arrêt  vie  destruction  du  saint  monastère.  Mais 
le  spectacle  d'une  calamité  si  grande  lui  fut  épargne.  Sa  santé, 
jusqu'alors  excellente,  s'altéra  gravement  en  1698,  el  H  fui  le 
premier  a  s'apercevoir  que  ses  jours  étaient  comptés.  Alors  au&Sl, 
comme  pour  mettre  sa  vertu  à  l'épreuve  et  pour  lui  permettre  de 
mieux  expier  la  grande  faute  de  sa  vie,  sa  réputation  de  jansé- 
niste lui  valut  de  ta  part  de  Louis  XIV  une  sorte  de  demi-disgrâce. 
On  a  trop  souvent  répété  que  Racine  s'élait  attiré  la  colère  du  roi 
parce  qu'il  avait  osé  rédiger  un  mémoire  eu  faveur  du  peuple 
écrasé  d'impôts;  mais  c'est  une  fable,  et  pour  s'en  convaincre,  il 

suffit  de  lire  sa  lettre  à  M de  Mainlenon  en  date  du  4  mars  1611$, 

Après  avoir  dit  à  la  marquise  qu'il  s'était  «  attiré  une  allai n- 
pour  avoir  demandé  la  réduction  d'une  taxe  qui  grevait  lourdement 
son  hudiret  de  père  de  famille,  Racine  ajoutait  :  «  J'apprends  que 
jai  sur  les  bras  une  affaire  bien  [dus  terrible,  et  qu'on  m'a  fail 
passer  pour  janséniste  dans  l'esprit  du  roi...  »  Et  sans  rien  dissi- 
muler de  ses  véritables  sentiments,  il  essayait  de  se  justifier,  et  il 
protestait  de  son  obéissance  au  roi  et  au  pape.  Mais  c'était  peina 
perdue  auprès  du  monarque  aveuglé  qui  préférait  les  alh 
déclarés  aux  gens  suspects  de  jansénisme,  Racine  accepta  donc  la 
chose  en  esprit  de  pénitence,  et  l'on  peut  voir  par  le  reste  de  s.i 
correspondance  que  sa  sérénité  n'en  fui  point  troublée.  D'ailleurs 
il  ne  fut  à  aucun  moment  ce  qui  s'appelle  disgracié;  il  songeait 
même,  six  mois  après  sa  lettre  à  MruB  de  Mainlenon,  aux  séjours 
qu'il  aurait  à  faire  comme  gentilhomme  de  la  chambre  à  Fontai- 
nebleau ou  à  Marly.  Il  n'en  vaqua  pas  moins  à  ses  Occupations 
ordinaires,  écrivant  à  son  fils  aîné  les  admirables  lettres  que  l'on 
connaît,  mariant  une  de  ses  filles,  conduisant  lui-même  à  Taule! 
celles  quî  se  destinaient  à  la  vie  religieuse  et  qui  s'enfermaient,  mni 
pas,  liélasî  à  Port-Royal,  mais  du  moins  dans  de  bons  monastères: 
veillant  enfin  à  l'éducation  de  son  second  fils  qu'il  voulait  faire 
instruire  par  des  maîtres  bien  pensants,  par  Rollin,  Mésenguv  et 


HUGMKJII    jh     i 'fikiii  \iiil  MA1YU6GBI1    01  POflHMlOYAJ     ORf    CHAfttl1* 

1 


Hvitetvniewe  3®ttr d'f4v?rL 


<T/  ^/. 


(f  Voi  t r  SL il *> u\  cen tauatre  mn  ftjtta fetrit * 
m  vu  rut  a  Jtanj  C/acûUié  immantut  fflr/êfnb 

ïPrejire  Û)ûétatr  tn  ffieofoaio,  am  a  ùeaucoup 

affïâi&Tïnc  ceSmtfiasferopinJant  sa  in'o  . 

Su  neiu  a  tatJjt  par  jai  t&mmtnt  quahïfent- 

ti  ur&  da  u/nSf}  C  \  ■ 

(j!  mirtw.  Jfflf&iïbifjiX*  Cent  quatre  inn^ 

JïS^ncufïnirtifi/r  a  \PartJ  $tan  ffiaeincj 

ffrejonef  de  ffr*inco,  Secret  m  rc  JuSZay 
tSenitl homme  ordinaire  de  ,m  C/mm-\ 
lur;  jf.ivatf  ejtc  eleve  eea/u  a  vec  d'autre* 
pervsnncj  quiy  eJudienent  iejjcienceJ. 
Su  ayant  ej?^  ol/iyc f  de/i  jorfir,  il  juhii 
fiuctattc  itmj  lu  Venu  du  jieeJet  fffaU 
WUu  UtfJH  enjin  tournée  de  rcn*avtt. 
Urdatujm  ejprd  U  lumicreid^verifeÈ 
fu&  tJmtnt  vkKuracâ  et  de  ftwiiit?** 
datujmi  coeur  Icj  jetiiimenj  delapiefei 
SU  eu  beaucoup  daffeélnm  psureeMam- 
Jf*re;  b  tt  nom  a  don  m/ des  marque*  deA 


ty 


iX*ù. 


tyintetvnietw  %ar dMvriL 


son  ?efeÈ  ayant  employé  Jott  crédit pmu 
tiauj  prafeqei\  Son  Corpj  a  cjfc  apport* 
icy  feentcrrx  darw  le  Ctmtiicfe  de  dehott 
c&mrnt  il  lavoté  ordonne;  S/  noué  a. 
fau**c  naïf  ce/if  fiztreo  pardon  feJmmejtt 

(c  m  es  ut  J&arS&iéf  J€pt 
een **V  a<  mourut* *%$[, ?  * $ae ur  ^ran çoùt 
àmatiekne  de  Smnfc&viU  ^auAraud 
^Ke/Sotetite  ^rofejje  de  re  SfâjnaJPercj  cjiu 
en  a  &l€  .*3rrtêittt*  rftXjatiJ*  * 


RACINE    ET    PORT-HOYAL. 


S:i 


[In.  11  était  alors  si  pénétré  de  ses  sentiments  d'amour  et  de 
reconnaissance  pour  Port-Royal  que  six  mois  avant  sa  mort, 
enfermé  dans  son  cabinet  de  la  rue  des  Marais,  au  milieu  d'inn- 
bibliothèque  d'où  il  avait  à  jamais  banni  ses  tragédies,  il  écrivit  un 
testament  où  se  lisent  ces  lignai  si  louchantes;  «Je  désire  qu'après 
ma  mort  mon  corps  soit  porté  à  Port-Royal  des  Champs,  et  qu'il  y 
soit  inhume  dans  le  cimetière,  aux  pieds  de  la  fosse  de  M,  Samoa, 
Je  supplie  très  h  uni  Même  ni  la  libre  abhesse  (c'était  alors  sa  lante) 
et  les  Religieuses  de  vouloir  bien  m'accorder  cet  honneur,  quoique 
je  m'en  reconnaisse  1res  indigne,  et  par  les  scandales  (il  avait 
d'abord  écrit  les  manques)  de  ma  vie  passée,  et  par  le  peu  d'us&ge 
que  j'ai  fait  de  l'excellente  éducation  que  j'ai  reçue  autrefois  dans 
cette  maison,  et  des  grands  exemples  de  piété  et  de  pénitence  que 
j'y  ai  vus,  et  dont  je  n'ai  été  qu'un  stérile  admirateur.  Mais  plus 
j'ai  offensé  Dieu*  plus  j'ai  besoin  des  prières  d'une  si  sainte  com- 
munauté pour  attirer  sa  miséricorde  sur  moi,.,  » 

Quand  le  moment  suprême  arriva,  Racine,  qui  avait  toujours  eu 
très  peur  de  la  mort,  dit  adieu  à  tous  les  siens,  sans  oublier  Boî- 
leatn  avec  une  tranquillité  admirable.  Il  en  vint  même  à  ne  pas 
désirer  une  guérïson  que  les  médecins  lui  faisaient  entrevoir 
comme  possible.  «  Les  frais  en  sont  faits  n,  répondit-il,  el  c'est 
ainsi  qu'il  mourut,  consolé  parcelle  pensée  que  Port-Royal  tout 
entier  allait  prier  sur  sa  tombe. 

Deux  jours  plus  tard  un  carrasse  emportait  loin  «le  Paris  la 
dépouille  du  poète;  Louis  XIV  avait  permis  la  translation.  On 
célébra  un  service  funèbre  dans  l'église  de  Port-Royal  des  Champs* 
et  derrière  la  grille  les  sœurs  chantèrent  le  IHes  irm  et  le  De  pro- 
[tntfhs.  <>  n'était  plus  la  mère  do  Sainte-Thècle  Racine  qui  était 
abbesse,  mais  celle  femme  admirable,  confondue  désormais  parmi 
les  simples  religieuses,  priait  avec  confiance  pour  Son  il  lu  sire 
neveu,  et  sans  doute  elle  entremêlait  les  actions  de  grâces  aux 
supplications.  Puis  on  sorlit  de  l'église  et  l'on  entra  dans  le  petit 
cimetière  de  dehors,  réservé  aux  domestiques  et  aux  étrangers. 
Les  sœurs  n'accompagnaient  pas  le  cortège  et  elles  ne  chantaient 
plus;  la  voix  du  prêtre  seule  se  fit  entendre,  el  Racine  fut  enseveli, 
comme  il  l'avait  désiré,  auprès  de  son  ancien  maître  le  célèbre 
docteur  Hamon.  Il  n'avait  pas  songé  à  dire  dans  son  testament 
qu'il  ne  voulait  point  d'épitaphe;  on  dressa  donc  le  long  du  mur 
de  l'église  une  pierre  tumulaire,  et  une  inscription  fut  gravée  qui 
traduisait  en  beau  latin  quelques  phrases  écrites  par  Boileau. 
L'auteur  de  VÊpttre  à  Ttacine3  s'inspirant  des  sentiments  qui 
avaient   animé  son  Ame,  ne  parlait    celte  fois    ni  à'fphiffénk   ni 


M 


KfcYtiË    D  HtSTOUlE    LITTt:  HAINE    DE    LA    FRASCE. 


même  à'A  thatie*  Après  avoir  dit  en  deux  lignes  que  Racine  «  s'était 
fait  longtemps  admirer  des  hommes  par  ses  belles  tragédies  »,  il 
insistait  longuement  sur  les  sentiments  du  chrétien  mourant,  et  il 
finissait  môme  en  invitant  le  lecteur  à  «  prier  pour  cet  illustre 
morL  ;iu  lieu  de  faire  son  éloge  ». 

On  sait  le  reste  :  Racine  reposa  paisiblement  à  Port-Royal 
jusqu'en  1711,  et  alors,  en  vertu  des  ordres  de  destruction  ipie 
Louis  XIV  avait  signés,  tous  les  morts  durent  être  exhumés.  Les 
uns  furent  enfouis  dans  une  fosse  commune,  à  Saint-Lambert; 
ceux  qui  avaient  une  famille  furent  portés  dans  les  sépultures  de 
leurs  parents.  L'archevêque  de  Paris  permit  la  translation  des 
cendres  de  Racine,  mais  en  y  mettant  pour  condition  absolut* 
que  l'exhumation  et  l'inhumation  auraient  lieu  de  nuit  et  sans  la 
Atteindra  pompe.  On  obéit,  et  c'est  k  onze  heures  du  soir,  le 
2  décembre  1711,  que  les  restes  île  Racine  furent  placés  à  Saint- 
Etienne  du  Mont,  derrière  le  maître  autel  et  à  la  droite  de  Pascal. 
C'était  l'exil t  mais  du  moins  l'ancien  élève  de  Port-Roval  était 
pour  ainsi  dire  en  famille  dans  cette  nécropole  où  reposent  égale* 
ment  quelques-uns  des  grands  hommes  de  Port-Royal,  Thomas 
Du  Fossé,  son  condisciple,  Antoine  Le  Maître  et  Le  Maître  de  Saey. 

Ainsi  la  destinée,  ou  pour  mieux  dire  la  Providence,  unit 
Racine  à  Port-Royal  par  des  liens  plus  forts  que  la  mort.  Il  lui 
appartenait  dès  avant  sa  naissance;  il  lut  appartient  encore  au- 
delà  de  la  tombe.  Tous  deux  se  font  également  honneur  : 
Racine  est  un  des,  plus  beaux  litres  de  gloire  de  Port-Royal,  mais 
aussi  l'éducation  que  Port-Royal  sut  donner  à  Racine  a  beaucoup 
contribué  à  faire  de  lui  un  si  grand  poète.  D'autre  part  aussi  les 
sentiments  d'honneur,  de  droiture,  de  piété  qui  furent  inspirés  à 
Racine  dans  sa  jeunesse  ont  fait  de  ce  grand  poète  un  parfait  hon- 
nête homme  et  un  grand  chrétien,  si  bien  que  Saint-Simon  a  pu 
dire  sans  exagérai  ion  qu'il  n'y  avait  «  rien  du  poète  dans  son  com- 
merce, et  toul  de  rhonnèle  homme,  de  l'homme  modeste,  et  sur  la 
fin  de  l'homme  de  bien.  » 

A.  Gàzieh. 

APPENDICE 


Lkpitaphe  de  Raclvk. 

(HUttotrt  d'une  pitrre  tombale.) 

Itaciae  avait  demanda  par  testament  que  son  corps  lïit  enseveli  à  Port-Royal 
des  Champs,  non  pas  dans  l'église,  mais  dans  Je  petit  cimetière  du  dehors, 


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RACINE  ET  POUT- ROYAL. 


55 


aux  pieds  de  son  ancien  maître  le  docteur  Hamon.  et  la  prière  de  l'illustre 
mourant  tut  exaucée  datis  la  mesure  du  possible.  Faute  de  place,  où  mit 
Racine  au-dessus  de  M.  tlamon,  près  du  mur  de  l'église,  et  cette  circonstance 
permit  à  Boileati  de  rendre  à  son  ami  un  dernier  et  touchant  hommage.  En 
elfet  l'auteur  de*  SaftTffl  composa  une  belle  èpilaphe  que  traduisit  le  latiniste 
DodarU  et  la  pierre  sur  laquelle  on  grava  cet  élo^e  pu!  être  scellée  dans  la 
muraille  an  lieu  de  reposer  sur  le  ml,  Ellf  avait  ainsi  plus  de  chances  de 
braver  les  intempéries  de  l'air  et  de  passer  a  la  postérité;  maïs  on  avait 
compte  sans  la  fureur  des  passions  religieuses.  Douze  ans  plus  tard,  Fort- 
Royal  était  détruit  de  fond  en  comble;  après  avoir  trouble  le  sommeil  dos 
morts  eu  les  transportant  de  tous  côtés,  ou  faisait  sauter  l'église  avec  de  la 
poudre  à  canon,  et  les  pierres  tombales  étaient  dis  perses,  H  les  aussi,  au* 
quatre  vents  du  ciel.  Celle  de  Racine  fut  de  la  part  des  destructeurs  l'objet 
«l'une  attention  toute  particulière.  Ils  auraient  dû  la  mettre  à  part,  et  la  faire 
porter  à  Saint-Etienne  du  Mont,  comme  L'exigeaient  les  plus  vulgaires  conve- 
nances, puisque  le  corps  de  llacine  fut  rèiuhumè  dan*  cette  église  le  2  dé- 
cembre 171  L  Au  lieu  d'agir  ainsi,  ils  effacèrent  a  l'aide  du  ciseau  le  nom  du 
poète,  et  cette  épitaphe,  devenue  ainsi  celle  d'un  personnage  inconnu,  fut 
Laissée  au  milieu  des  décombres.  Bientôt  même  elle  lut  comprise  dans  un  lot 
de  grandes  dalles  acheté  par  le  curé  de  Magny,  un  fanatique  ennemi  de  Port- 
HoyjL,  et  elle  servit  à  paver  économiquement  une  paroisse  de  village.  Les  Ois 
de  Racine,  ignorant  ce  détail,  croyaient  IVpilaphe  de  leur  père  auéautîet  et 
durant  près  d'un  siècle  personne  n'en  soupçonna  l'existence. 

Lu  pierre  faisait  partie  dn  dallage  de  l'église,  et  elle  risquait  fort  d'être 
usée  par  les  souliers  des  fidèles;  mais  elle  était  par  bonheur  placée  sous  les 
premiers  bancs  de  la  nef,  entre  un  pilier  et  une  autre  pierre  tombale,  celle 
de  M.  de  Luzancy;  c'ait  grâce  à  cette  circonstance  qu  elle  a  pu  être  sauvée  de 
la  destruction. 

Les  choses  demeurèrent  en  cet  état  pendant  toute  la  durée  du  xviii*  siècle. 
Port'Hoyal  et  ses  environs  immédiats,  Saint-Lambert  et  Magny,  recevaient 
chaque  année  la  visite  de  pieux  pèlerins  qui  parc  oui  aient,  un  guide  à  la  main. 
les  diverses  stations  de  celte  nouvelle  tww  doulourtuât.  Ils  s'arrêtaient  à  Magny 
llV*  station;,  mais  le  NnnuH  qu'ils  avaient  à  leur  disposition  ne  parlait  de 
Racine,  auteur  d"£ifer  et  û'Attatie  (ftej,  qu'à  propos  de  Saint-Etienne  du  Mont 
station);  l'existence  de  sa  pierre  tumtilaire  continuait  à  être  ignorée  de 
tous,  Mais  au  début  même  du  six0  siècle,  en  1801 1  le  célèbre  Henri  Grégoire 
publia  la  première  édition  de  ses  très  curieuses  Ruine*  de  Port* Royal,  et  ce 
qui  restait  du  saint  monastère  fut  alors  l'objet  d'investi  gâtions  sérieuses  et 
méthodiques.  (Test  ainsi  qu'en  J805  un  prêtre  génois  nommé  Eus  tache  Degola 
tit  un  relevé  complet  des  pierres  qui  couvraient  le  sol  de  l'église  paroissiale  de 
Magoy-Lessart  J'ai  sous  les  yeux  ce  relevé  signé  de  Degola  et  daté  du  mois 
d'ietobre  1803.  Dans  l'intérieur  du  rectangle  qui  figure  une  pierre  tombale 
placée  entre  celle  de  M.  de  Ltizancy  et  le  premier  pilier  de  l'église,  je  lis  ces 
mata  écrits  par  Degola  lui-même:  Ifkjacet  nobiik  vir  Johamm  Racfae  Frofr 
ciae  thesaur,  etc..  page  (68.  ce  qui  renvoie  au  Nécrologe  de  Port  Royal  in-41  de 
1723.  Le  dessin,  tout  grossier  qu'il  est,  semble  indiquer  que  pour  sceller  la 
pierre  à  cet  endroit  on  dut  Taire  une  entaille  à  la  hase  du  pilier,  ce  qui  n'est 
guère  admissible,  ou  casser,  ce  qui  est  plus  vraisemblable,  un  des  angles  de 
L'épi  taphe. 

Ainsi  Grégoire  et  ses  amis  savaient  en  1805  que  la  pierre  tombale  de  Racine 
n'avait  pas  été  détruite;  comment  se  faît-il  qu'il*  n'en  aientrien  dit  au  public? 
Pourquoi  ce  même  Grégoire,  sénateur  et  membre  de  l'Institut,  a  Lit  publié  en 
1609,  lors  du  premier  centenaire  de  la  destruction  de  Port-Royal,  une  édition 
beaucoup  plus  ample  de  ses  Ruines,  et  nVl-il  pas  ajouté  ce  détail  à  ceux  que 
contient  son  très  intéressant  ouvrage?  L'explication  d'une  telle  réserve  est 
probablement  la  suivante  :  Napoléon  accueillit  avec  colère  la  publication  de 


56 


REVtJB    l/ïUSloïKi;    I.IÏTKRMHK    HE    LA    FRANCE. 


Grégoire,  parce  qu'en  sa  qualité  de  successeur  de  Louis  XIV,  et  par  conséquent 
de  ïils  aine  de  l'Eglise,  il  craignait  raie  résurrection  du  prétendu  jansénisme. 
Li  moment  a'était  donc  pas  bien  choisi  pour  rendre  au  janséniste  Itacine 
l'hommage  qui  lui  était  dû,  pour  demander  que  son  epitaphe  fût  placée  sur 
la  tombe  à  Laquelle  on  l'avait  destinée. 

Ce  que  Grégoire  et  ses  amis  n'osaient  pas  Taire,  un  particulier  le  tenta  on 
1810;  nu  vit  paraître  alors  une  brochure  de  4  pages  in-t"  intitulée  :  Monument 
■  utr.  —  tpiiaphë  de  Jmn  Kachw,  placée  députe  un  siècle  dans  h-  ctaur,  au- 
devant  du  maître  ûutêl,  pré*  te  premiet  pUier,  a  Motfny-tj!$$afft[  paroisse  dans 
retendue  de  taqweik  toni  rituévs  Vabbaye  </<■  Port+Rôyal  détruite  en  (709,  et  la 
fcriuf  (iel  Granges.  I/autnur  anonyme  de  cette  publication  renvoyait  à  un  cer- 
tain M+  M"*  l'honneur  de  celle  découverte  précieuse,  faite,  disait-il,  en  t8f>K, 
Il  s'attribuait,  non  sans  raison,  Je  mérite  de  donner  dans  toute  sa  pureté  le 
texte  de  Pépit&phe',  et  enfin  il  souhaitait  de  voir  mis  «  dans  un  plus  grand 
jour  j*  un  monument  qui  ■  rappelle  d'une  manière  touchante  la  mémoire  de 
deux  des  plus  grands  poètes  dont  la  France  ait  a  se  glorifier  a.  L'existence  de 
celle  intéressante  plaque  lie  n'a  pas  échappe  aux  recherches  des  derniers  his- 
toriens de  Racine:  mais  aucun  d'eux  n'est  parvenu  à  connaître  l'auteur  de  la 
découverte  de  1808;  ta  lettre  suivante,  adressée  à  Grégoire  et  dont  l'auto- 
graphe a  i'té  in séri>  par  Ce  dernier  dans  un  de  ses  plus  importants  recueils  de 
pièces,,  permet  ira  d'associer  le  nom  de  M.  Masson  à  celui  des  principaux  admi- 
rateurs de  Racine. 


24  juillet  181U. 


Monsieur  le  comte. 


Après  dix  voyages  a  Port-Royal,  le  17  juin  dernier,  j'ai  visité  de  nou- 
veau ses  ruines  célèbres,  votre  ouvrage  à  la  main.  Que  de  souvenirs! 

Dès  1808.  j'avais  reconnu  à  la  lecture  l'épïtaphe  de  Racine,  que  je 
savais  par  cœur  dès  l'enfance;  je  n'ai  pu  retourner  à  Magnvque  le  mois 
(Jeroier,  ei  j  y  ai  copié  l'épilapbe  avec  deux  amis  plus  instruits  que 
moi  ;  c'était  une  véritable  fêle  pour  noua  et  nos  enfants, 

Vous  avez  pu  remarquer  h  la  dernière  page  des  Mémoires  de  Louis 
Ratine  qu'il  assure  que  le  monument  ne  subsiste  plus. 

la  ne  dois  pas  vous  inviter,  Monsieur  le  comte,  à  engager  MM.  les 
membres  de  H  us  H  Lut,  vos  confrères,  à  demander  que  la  tombe  de  Racine 
soit  réunie  à  sou  corps,  parce  que  vous  savez  mieux  que  moï  ce  que 
vous  avez  a  faire.  Je  n  ai  que  du  zèle,  mats  je  donnerais  l'idée  de  laisser 
à  Magny  Tépitaphe,  après  lavoir  enceinte  et  restaurée:  dans  ces  lieux 
champêtres  un  pareil  monument  parle  au  cœur  :  c'est  un  reste  de  Pnrt- 
Royaldans  la  commune  de  Fort-Royal  même*.  Tout  étui-.  Racine  ne  peut 
rester  plus  longtemps  confondu  avec  la  foule  des  morts.  Qu'on  se  rap- 
pelle les  honneurs  rendus  à  Virgile  sous  Auguste,  et  on  ne  doutera  pas 


1,  Il  a  seulement  oublié  la  particule  que  après  Utndtm;  lande  m  [que]  au  Àac  sede 
wfjjrliffUHft,. 

2.  IVirl-Royal  foil  encure  aujourd'hui  partie  de  la  commune,  et  par  conséquent 
<le  la  paroisse  de  Maguj*les*Rameau*,  autrefois  Uagny-Leasart, 


RACINE    ET   POUT-ROYAI..  T»7 

que  sous  le  grand  Napoléon  le  prince  des  poètes  français  n'obtienne 

une  pierre  sépulchrale. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec   respect,  Monsieur  le  comte,  votre  très 

humble  et  obéissant  serviteur, 

E.  Massos, 

Huissier  impérial,  membre  du  Collège  électoral, 
élève  de  Pancienne  Université  de  Paris. 

Rue  de  l'Échiquier,  n<>  32,  faubourg  Poissonnière. 

J'adresse  un  exemplaire  à  chacun  de  MM.  de  la  classe  de  langue  et 
littérature  françaises,  et  à  MM.  de  la  classe  d'histoire  et  de  littérature 
anciennes. 

Les  recherches  faites  dans  les  archives  de  l'Institut,  celles  mêmes  que 
M.  Gaston  Boissier  a  bien  voulu  faire  dans  les  anciens  registres  de  l'Académie 
française,  ont  été  inutiles;  on  n'y  trouve  pas  trace  de  la  lettre  adressée  en 
1810  par  le  sieur  Masson.  C'est  la  mÊme  chose  si  l'on  compulse  à  Magny-les- 
Hameaux,  comme  l'a  fait  M.  l'abbé  Finot,  curé  actuel,  les  registres  de  la 
municipalité  et  ceux  de  la  paroisse;  nulle  part  il  n'est  question  de  Racine  et 
de  sa  pierre  tumulaire.  Et  pourtant  la  découverte  de  M.  Masson  était  signalée 
de  nouveau  à  l'attention  publique  dans  l'Annuaire  du  département  de  Seine- 
et-Oise  de  4811  (p.  319).  Ce  que  l'on  peut  apprendre  aujourd'hui  par  les  tradi- 
tions locales  se  réduit  à  fort  peu  de  chose  :  la  dalle  qui  couvrait  le  sol  de 
l'église  en  1810  aurait  été,  à  dater  de  ce  moment,  dressée  le  long  du  mur  de 
gauche,  là  même  où  se  trouve  aujourd'hui  en  si  belle  place  celle  de  Robert 
Arnauld  d'Andilly;  et  ce  serait  par  surprise,  sans  consulter  la  fabrique  et  la 
municipalité,  que  le  gouvernement  de  la  Restauration  aurait  fait  enlever 
l'épitaphe  de  Racine  pour  la  transporter  à  Saint-Étienne  du  Mont  en  1818. 
L'admiration  passionnée  que  Louis  XVlll  professait  pour  l'auteur  d'Athalie 
expliquerait  alors  l'hommage  rendu  si  tardivement  à  la  mémoire  du  poète,  et 
le  curé  de  Magny,  le  vénérable  abbé  Hue,  frère  d'un  valet  de  chambre  de 
Louis  XVI,  aurait  pris  sur  lui  d'accéder  aux  désirs  du  monarque  lettré. 

Toujours  est-il  que  Ton  organisa  pour  la  pose  de  cette  épitaphe  une  céré- 
monie moitié  religieuse  et  moitié  littéraire  dont  voici  le  compte  rendu  exact 
d'après  le  Moniteur  du  lendemain. 

Paris,  le  21  avril  1818. 

Une  intéressante  cérémonie  a  eu  lieu  aujourd'hui  à  l'église  de  Saint- 
Etienne  du  Mont,  où  Ton  a  célébré  par  un  service  funèbre  le  placement 
de  la  pierre  tumulaire  de  Racine  et  de  celle  de  Biaise  Pascal  dans  la 
chapelle  de  la  Vierge  au-dessus  du  caveau  où  les  dépouilles  mortelles 
de  ces  deux  grands  hommes  ont  été  déposées. 

Une  députation  de  l'Académie  française,  composée  de  MM.  Auger, 
Daru,  Ray nouard,  Lacretelle  jeune  et  Laya,  les  parents  de  Racine,  les 
maires  et  adjoints  du  XIIe  arrondissement1,  plusieurs  élèves  de  l'École 

I.  En  note  sur  une  copie  du  temps  :  -  M.  le  chevalier  Le  Peletier,  comte  Hector 
d'Aunay,  maire  du  vne  arrondissement  de  Puris,  est,  dit-on,  parent  de  Pascal  par 
les  femmes.  • 

Le  Journal  du  commerce,  de  politique  et  de  littérature  du  mercredi  22  avril  1818 
rendait  compte  de  la  même  cérémonie  en  ces  termes  : 

•  Aujourd'hui,  à  onze  heures,  on  a  placé  dans  la  chapelle  de  la  Vierge  à  Saint- 


58  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

normale  et  un  grand  nombre  de  gens  de  lettres  ont  assisté  à  ce  ser- 
vice funèbre,  où  M.  l'abbé  Sicard  a  officié. 

L  epitaphe  de  Racine,  qui  faisait  pendant  à  celle  de  Pascal,  était  scellée  à 
Fentrée  de  la  chapelle  de  la  Vierge,  dans  le  pilier  gauche;  il  n'en  est  plus  de 
même  aujourd'hui,  et  ces  deux  pierres  tombales,  que  le  visiteur  ne  peut  con- 
templer sans  émotion,  sont  aussi  mal  placées  que  possible.  Elles  sont  à  l'entrée 
de  la  chapelle  du  Sacré-Coeur,  ce  qui  parait  une  espièglerie  de  très  mauvais 
goût,  dans  un  coin  sombre,  derrière  une  des  portes  du  jubé,  et  c'est  avec 
beaucoup  de  peine  que  Ton  parvient  à  lire  celle  de  iUcrae.  Un  nouveau 
déplacement  est  indispensable,  et  puisque  Racine  et  Pascal  ont  aujourd'hui 
leurs  bustes  dans  deux  chapelles  latérales  de  Saint-Etienne  du  Mont,  il  est  à 
désirer  que  leurs  épitaphes  soient  transportées  dans  ces  chapelles,  en  pleine 
lumière  et  à  proximité  des  deux  bustes. 

A.  Gazibr. 


Etienne  du  Mont  les  pierres  tumulaires  de  Biaise  Pascal  et  de  Jean  Racine.  Cette 
cérémonie  a  été  suivie  d'un  service  funèbre.  La  messe  a  été  célébrée  par  M.  l'abbé 
Sicard.  MM.  le  maire  et  les  adjoints  du  xii*  arrondissement,  des  parents  de  Pascal 
et  de  Racine,  des  membres  de  l'Académie  française,  de  l'École  normale,  etc.,  y 
assistaient.  Le  cortège  s'est  rendu  ensuite  sur  le  tombeau  des  deux  grands  hommes, 
où  M.  Bizet,  curé  de  la  paroisse,  a  béni  les  deux  pierres  tumulaires;  l'église  était 
remplie  de  fidèles.  » 

—  Le  Journal  des  Débats,  absorbé  par  l'affaire  Fualdès,  n'a  pas  rendu  compte  de 
la  cérémonie  de  Saint-Ktienne  du  Mont. 


m     AMklUm  I  . 

CHATEAUBRIAND   EN   AMÉRIQUE 
VÉRITÉ   ET   FICTION 

[Suite  K) 


Les  sources. 

Où  chercher,  comment  retrouver  «  la  triste  matière,  sèche  et 
terne,  dont  les  Chateaubriand  font  des  GhefenToBUvre?  » 

Le  poète  ne  s'en  étant  guère  expliqué,  on  est  réduit  à 
dépouiller  au  hasard  les  relations  des  voyageurs  qui  l'ont  précédé 
au  Nouveau-Monde.  Donc  nous  en  avons  parcouru  un  certain 
nombre,  depuis  les  récits  de  La  Sale,  composés  à  l'extrême  fin 
du  xviT  siècle,  jusqu'à  ceux  de  Saint-John  de  Crèvecœur,  écrits 
h  F  extrême  fin  du  xvuf\  On  le  verra,  cette  recherche  n*a  point 
donné  de  résultais  complets,  et  plusieurs  des  sources  de  Chateau- 
briand nous  échappent  encore.  Aussi,  pour  éviter  une  besogne 
inutile  à  qui  achèvera  celte  ingrate  enquête,  nous  dressons  eu 
note  la  liste  des  livres  par  nous  dépouillés  et  qu'il  sera  superflu 
d'interroger  à  nouveau  :  Chateaubriand  ne  les  a  pas  connus  ou 
n'en  a  pas  tiré  parti  K  Ces  livres  éliminés,  voici  ceux  qu'il  con- 
vient de  retenir  : 

K  Voir  Irt  Hrvue  du  U  octobre  1K99. 

2,  Voici  celte  liste  : 

La  Sale,  Dernière*  découvertes  dans  F  Amérique  septentft>intflr  de  M.  de  ta  Sale. 
mites  au  four  par  ,M.  le  Chevalier  Tûnti,  gouverneur  du  fort  Saint- Louis  aux 
QUnoti,  Paris.  1697-  —Journal  hùtorùfue  du  damier  voyagé  r/ue  feu  M,  de  ta  Saie 
fit  a'ani  Ir  golfe  du  Mexique,.*  par  II.  JouteJ,  Paria,  1713.  —  Le  P>  Laval,  Voyage  de 
lu  Lt}timtmet  par  k  P,  Laval,  Paris.  1728,  —  John  Barlram,  Ooëervntitma  m  thê 
mkûMtante)  climat*,  wil,  riwr»,  productions ,  animale.*  mari?  ho  Mr.  John  Uartram 
tu  Au  iraveis  from  Penxitvania  tr>  Onondago,  Qswego  and  tke  Lake  Ontario ,  Lon- 
dres, 1751.  —  An  account  of  Euxf  Florida  uith  a  Journal  icepl  hg  John  tiarlram  oT 
Plùlodelphia...  Londres,  U65,  —  Bossu,  Nouttgaux  oaûgam  dam  fAmériqw  Mtpiwm* 
frôna/f,  Amsterdam,  1777.  —  Abbe  Robin,  Nouoeau  voyage  dam*  t' Amérique septen* 
trionûU  en  tanné*  f  ?#*.».  Philadelphie  et  Pari*,  1782.  —  I>c  ChaslelLux,  Voyages... 
faits  eu  fTêf,  il  Si  il  ffit%  Paris,  1784,  —  Michaux.  Voyage  à  Ptmisi  (/ex  Monts 
AUeghanjtJi  —  John  K,  D.  Smilh,  Tour  in  the  United  States*  rontaimay  an  aa-ount 
uf  the  protmU  sitwitwi*  of  thaf  roun/ry,  Londres  et  Dublin,  17 82  \ traduction  fran* 
pwim  par  L.  d«  DareTitnn-AlonLeha],  Paris,  171*1). —  John  Filson.  Histoire  de  hetitttcke, 
traduit  de  L'tngtiia  par  Parraud,  Paris,  1785,  —  Saint-John  de  Créveeœur,  i.ettre* 
a"  un  cuttipatêur  amérintitt  écrite*  ma  HRQ  à  il  M  pi  traduites  de  Vaugtais  par 
Rf«  S*  J.  Crèveeirur,  Paris,  1787;  —  Voyage  dans  ta  Ifaute-Petisytranie  et  dans  l'Etat 
deSeic-Vorkmpar  un  memhre  adoptif  de  la  nation  Onéida,  Paris,  an  IX(IMUi).  —  Fcnli- 
nand  M.  Baynrd,  Voyage  dam  Vitite'rienr  c/r?  titats4Jnh  pendant  filé  de  479 tt 
Paris,  1797.  —  J*  Long,  Voyagea  de  J.  Long  chez  différentes  ntitiom  sauvage*  tt? 
I* Amérique  du  Nord*  traduit»  de  l'anglais  par  te  citoyen  Billecoeq,  Parie,  an  IL  — 


«0  REVtË    l/lIlSTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FMAM  h. 

1°  En  première  ligne,  l'œuvre  da  l'illustre  père  jésuite  François- 
Xavier  de  CharleTOÎX,  rédacteur  Ju  Journal  de  Trévoux  :  Histoire 
et  description  générale  de  h  Nouvelle-France,  avec  le  Journal  histù- 
rif/ue  d'un  voyttgâ  fait  par  ordre  du  roi  dans  f  Auithif/ttr  septen- 
trionale, l'uris,  1144,  3  vol.  in-4". 

2°  Autant  qu'au  I\  de  Cliarlevoix,  Chateaubriand  est  redevable 
à  William  Barlram,  voyageur  et  naturaliste  américain,  qui 
raconta  en  171)1  des  voyages  accomplis  en  1773,  1774,  1776, 
1778  :  TraveU  through  North  and  South  Caroliua,  Gcoryifi,  Ea$l 
and  West  Fiorîda,  the  Cherokee  vouutrtf..,  Philadelphie,  17111; 
Londres,  1192;  Oublia,  1793;  1  vol-  iii-80. 

3n  Chateaubriand  exploite  encore,  mais  moins  largement, 
Jonathan  Garver  :  Travets  to  the  inierwr  parts  of  Anvricn, 
Londres,  1778,  1779,  1784;  1  vol.  in-8\ 

À  l'occasion,  mais  très  accessoirement,  Chateaubriand  prendra 
encore  quelque  chose  soit  à  : 

4°  Le  Page  du  Pratz,  Histoire  de  la  Louisiane,  Paris,  17*58, 
3  vol.  in -12°;  soit  à  ; 

5°J,  K.  Bonnet,  LeEStai9-Unù  d'Amérique  a  ta  fin  du  x\nf  sièele, 
Paris,  1795;  2  vol.  in-8". 

Chateaubriand  n'a  nommé  nulle  part,  que  je  sache,  ni  Bonnet, 
ni  Le  Page  du  Pratz*;  mais  bien  les  trois  autres»  en  passant. 
Jamais  pourtant  en  telle  manière  qu'on  put  soupçonner  la  nature 
de  ses  obligations.  Il  les  mentionne  à  l'ordinaire  en  voyageur 
qui  k  ayant,  tout  vu  par  lui-même  »  et  «  ne  suivant  personne'  », 
daigne  parfois  rectifier  ou  compléter  les  dires  de  ses  devanciers3. 


Inilav,  Topofjraficat  description  ©/  tk$  n'estent  terriiortf  of  Xorttt- America,  Londres, 
Î192,  —  T.  Gooper,  Somt infbrmaticm  n  imeHea  (1*Ï93-:*S  Londres.  i~03. — 

La  Rochefoueaubi'Lianeouri,  Voyage  dam  tsm  teints-Vain  d'Amérique,  Paria,  an  VU. 
—  Isaac  Weld*  Tuivris  ihrotitfh  ihe  sttïteK  of  Xeir  Amerfca,  HAS-T,  Londres.  1709 
{*«  édition). 

I.    à  moins    que    Pau  Leur  qu'il   appelle   Dupiat  dans   le  dénie  du  CkriêH&Ume 
(T,  IV,  H,  note  H)  ne  soit  Le  Pa*>e  du  PmtMl 

2*  Bénit  du  Christianisme,  l,  V,  i. 

X  Voiri,  uul  omission,  le  relevé  de  ces  mentions.  Chateaubriand  a  allégué 
Carver  deux  fois  :  dans  te  effraie  du  Christianisme  il,  VT  tu "■,  pour  ce  trait  que  -  le 
serpent  h  sonnettes,  ipiand  sa  famille  est  poursuivie,  la  rmjoit  dans  sa  guettje  -.  el 
dans  la  Défense  du  dénie  du  Christianisme  (noie  F),  pour  établir  que  tes  ours  d'Amé- 
rique grimpent,  enivrés  <ie  raisin,  a  Ja  ciine  des  plus  grands  arbres.  —  Qflft&l  I 
Charïevoix,  Chateaubriand  a  réimprimé,  sous  forme  d'appendice  aux  Natehes,  quel- 
ques pages  de:  Y  Histoire  de  In  Sauvette- Frrmre  qui  lui  ont  fourni  le  HenGfiG  de  son 
poème  :  ainsi  Corneille  reproduit,  au  début  de  ses  Rùrcees,  la  narration  de  Tite 
Lîve.  Chateaubriand  s'appuie  encore  de  l'autorité!  du  bon  IV  re  pour  défendra 
ours  ivres  (Défense,  ioâ  n'/.i,  al  comme  un  chapitre  du  Génie  du  Chrtstianismèy 
le»  Misait m$  de  ht  Xattrettr-Frnure  ,\\\  IV,  S),  est  composé  presque  tout  entier  de 
citations  de  Charlevoix,  imprimées  entre  gurlteimtv,  il  y  indique  des  références 
précises  à  son  Histoire.  Mrtis,  dans  le  ?ùffQ$**m  Amérique,  il  ne  nomme  Charlevoix 
qu'une  fois  pour  compléter,  en  voyageur  mieux  renseigné»  une  de  ses  allégations 


CHATEAUBRIAND  EN  AMÉRIQUE.  61 

-  Pour  rapprocher  les  descriptions  de  Chateaubriand  de  leurs 
sources,  nous  ne  suivrons  pas  toujours  le  même  procédé  :  les 
œuvres  de  Charlevoix  sont  aisément  accessibles  à  tout  lecteur; 
nous  pourrons  donc  nous  dispenser  de  réimprimer  ici  une  soixan- 
taine de  pages  du  savant  jésuite;  il  suffira  d'en  donner  quelques- 
unes  à  titre  de  spécimen,  et  de  renvoyer  aux  autres  avec  exac- 
titude. Au  contraire,  il  est  très  difficile  de  se  procurer  en  France 
les  œuvres  de  Carver  et  de  Bartram,  comme  nous  avons  pu 
nous  en  assurer  dans  les  principales  bibliothèques  publiques 
de  Paris.  Force  sera  donc  de  reproduire  ici  les  textes  de  ces 
deux  voyageurs.  S'astreindre  à  les  citer  en  anglais,  c'eût  été, 
sans  grand  profit ,  rendre  le  travail  de  comparaison  désa- 
gréable à  maint  lecteur  français  .  Et  d'autre  part ,  si  nous 
avions  proposé  des  traductions  de  notre  cru ,  nous  aurions 
risqué  de  multiplier  malgré  nous  les  coïncidences  verbales 
et  de  forcer  les  ressemblances.  Nous  avons  donc  pris  le  parti 
de  citer  Bartram  d'après  la  traduction  française  publiée  par 
P.  V.  Benoist  en  Tan  VII  \  Carver  d'après  la  traduction  donnée 
par  M.  de  C...  en  1784*.  A  l'occasion,  s'il  y  a  quelque  intérêt 
littéraire  à  déroger  à  cette  règle,  nous  communiquerons  le  texte 
anglais  original. 

Le  «  Voyage  en  Amérique  ». 

Notre  recherche  des  sources  est  restée  à  peu  près  vaine  pour 
les  80  premières  pages  du  Voyage  en  Amérique.  Assurément,  la 
plupart  de  ces  récits  sont  tout  spontanés.  Mais  de  longs  mor- 
ceaux, Y  Aperçu  des  lacs  du  Canada  (p.  48-55),  la  description  du 
cours  de  l'Ohio  et  du  Mîssissipi  (p.  64-83),  d'autres  encore, 
doivent  être  empruntés  à  des  livres  sur  lesquels  nous  n'avons  pas 

(v.  ci-dessous,  p.  y0).  —  Bartram  enfin  a  eu  l'honneur  d'élre  nommé  en  trois 
occasions  :  d'abord,  au  môme  passage  que  Carver  et  Charlevoix,  à  propos  des 
ours  ivres  du  Meschacebé,  puis  en  note  d'un  chapitre  du  Génie  du  Christia- 
nisme (1,  V,  10)  où  Chateaubriand  décrit  les  puits  naturels  des  Florides;  enfin, 
en  un  passage  plus  explicite  du  Voyage  en  Amérique  reproduit  ci-après  (p.  (>i), 
Chateaubriand  y  annonce  qu'il  communiquera  quelques  extraits  des  Voyages  de 
Bartram,  où  s'entremêleront  ses  rectifications.  —  Outre  Charlevoix,  Carver  et 
Bartram,  Chateaubriand  s'est  référé  encore,  en  un  passade  du  Génie,  à.  deux  ou 
trois  autres  voyageurs  en  Amérique.  On  verra  ci-dessous  (p.  11(5)  que  cette  référence 
est  inexacte. 

1.  Voyage  dans  les  parties  sud  de  V Amérique  septentrionale,  faits  par  \V.  Uar~ 
tram,...  traduits  en  français  par  P.  V.  Benoist,  Paris,  an  VII:  2  vol.  in-8°. 

2.  Voyage  dans  les  parties  intérieures  de  V Amérique  septentrionale  pendant  les 
années  1166,  1767  et  1768...  traduit  sur  la  3"  édition  anglaise  par  M.  de  C...  Paris. 
1784;  1  vol.  in-8". 


62 


REVUE    DrHIST01RE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 


su  mettre  la  main.  A  peine  pouvons-nous,  pour  quelques  frag- 
ments, proposer  les  rapprochements  que  voici  : 


Voyage,  p.  45. 

Lettre  écrite  de  chez  les  Sauvages 
du  Niagara. 

«  Lorsqu'une  jeune  Indienne  a 
mal  agi,  sa  mère  se  contente  de 
lui  jeter  des  gouttes  d'eau  au  vi- 
sage, et  de  lui  dire  :  tu  me  désho- 
nores. Ce  reproche  manque  rare- 
ment son  effet. 


Charlevoix  f,  p.  326. 
«  Une  mère  qui  voit  sa  fille  se 
comporter  mal,  se  met  à  pleurer. 
Celle-ci  lui  en  demande  le  sujet, 
et  elle  se  contente  de  lui  dire  :  Tu 
me  déshonores.  Il  est  rare  que  cette 
manière  de  reprendre  ne  soit  pas 
efficace.  Ordinairement  la  plus 
grande  punition...  c'est  de  jeter 
aux  enfants  un  peu  d'eau  au  vi- 
sage. » 


Ce  trait  est  reproduit  dans  Atala. 


Voyage,  p.  48. 

Le  lac  Érié  a  plus  de  cent  lieues 
de  circonférence.  Les  nations  qui 
peuplaient  ses  hords  furent  exter- 
minées par  les  Iroquois  il  y  a  deux 
siècles;  quelques  hordes  errantes 
infestèrent  ensuite  des  lieux  où 
Ton  n'osait  s'arrêter. 


Charlevoix,  p.  253. 
Le  lac  Érié  a  cent  lieues  de  lon- 
gueur de  Test  à  l'ouest.  Le  nom 
qu'il  porte  est  celui  d'une  nation 
de  la  langue  huronne,  qui  était 
établie  sur  ses  bords  et  que  les 
Iroquois  ont  entièrement  détruite. 


Par  une  singulière  interprétation  de  l'original,  Chateaubriand 
réduit  des  deux  tiers  la  circonférence  du  lac  Erié. 


Voyage,  p.  50. 
Le  lac  Huron  abonde  en  pois- 
son; on  y  pèche  Yartikamègue  et 
des  truites  qui  pèsent  deux  cents 
livres.  L'ile  de  Matimoulin  était 
fameuse;  elle  renfermait  le  reste 
de  la  nation  des  Ontawais,  que 
les  Indiens  faisaient  descendre  du 
grand  Castor. 


Charlevoix,  p.  282-3. 
Les  poissons  les  plus  communs 
dans  les  trois  lacs  sont...  Vaslika- 
mègue,  et  surtout  la  truite.  Il  y  en 
a  d'une  grosseur  monstrueuse... 
Les  Ontaouai^  qui  se  sont  retirés 
dans  les  lies  du  Lac  Michigan,  y 
sèment  du  maïs.  Les  Âraikoués  fai- 
saient autrefois  demeure  dans  ces 
lies;  cette  nation  est  aujourd'hui 
réduite  à  un  très  petit  nombre  de 
familles,  qui  ont  passé  dans  l'ile 
Manitoualin,BL\x  nord  du  lac  Huron; 


1.  Lorsque  nous  citons  Charlevoix,  sans  mentionner  aucun  titre,  jious  voulons 
désigner  son  Journal  historique,  qui  forme  le  troisième  volume  de  son  grand 
ouvrage.  Bartram  est  cité,  quand  nous  renvoyons  au  texte  anglais,  d'après  l'édition 
de  Dublin,  J797. 


CHATEAUBRIAND    EN    AMÉRIQUE. 


63 


elle  est  pourtant  une  des  plus 
nobles  du  Canada,  suivant  les 
Sauvages,  qui  la  croient  descendue 
du  grand  Castor. 

Donc,  en  ces  quatre  lignes,  Chateaubriand,  trouvant  intérêt  à 
nous  renseigner  sur  certain  poisson,  sur  certaine  lie  et  sur  les 
habitants  de  cette  île,  estropie  le  nom  du  poisson,  défigure  le 
nom  de  l'île,  et  y  transporte  une  peuplade  qui,  sans  doute,  n'y  a 
jamais  dressé  ses  wigwams. 


Voyage,  p.  57.  Journal  sans  datr. 

Je  n'avais  pas  fait  cent  pas  sous 
le  bois  que  j'ai  aperçu  un  troupeau 
de  dindes...  Le  soir,  elles  se  per- 
chent sur  les  cimes  des  arbres  les 
plus  élevés  ;  le  matin ,  elles  font 
entendre  du  haut  de  ces  arbres 
leur  cri  répété;  un  peu  après  le 
lever  du  soleil,  leurs  clameurs 
cessent,  et  elles  descendent  dans 
les  forêts. 


Bartram,  I,  p.  158. 

Je  fus  éveillé  au  matin  par  le 
babil  des  dindes  sauvages.  Pen- 
dant plus  d'une  heure,  on  n'en- 
tend que  ce  bruit  dans  tout  le 
pays;  un  peu  après  le  lever  du 
soleil,  elles  cessent  leurs  appels, 
et  quittent  les  hautes  branches 
sur  lesquelles  elles  ont  couché,  et 
descendent  à  terre,  où,  déployant 
leur  queue  argentée,  les  mâles  se 
pavanent  autour  de  leurs  femelles. 


Voyage,  p.  72. 

On  appelle  lie  en  Amérique  des 
bancs  d'une  terre  blanche  un  peu 
glaiseuse,  que  les  buffles  se  plai- 
sent à  lécher;  ils  y  creusent  avec 
leur  langue  des  sillons.  Les  excré- 
ments de  ces  animaux  sont  si 
imprégnés  de  la  terre  du  lie,  qu'ils 
ressemblent  à  des  morceaux  de 
chaux.  Les  buffles  recherchent  les 
lies  à  cause  des  sels  qu'ils  con- 
tiennent :  ces  sels  guérissent  les 
animaux  ruminants  des  tranchées 
que  leur  cause  la  crudité  des 
herbes.  Cependant  les  terres  de  la 
vallée  de  l'Ohio  ne  sont  point  sa- 
lées au  goût;  elles  sont  au  con- 
traire extrêmement  insipides. 


Bartram,  I,  p.  90. 

La  terre  de  cet  endroit  [Buffalo 
Lir.k)  est  un  argile  gras,  visqueux 
et  blanc  ou  cendré,  que  toutes 
espèces  de  bêtes  k  cornes  lèchent 
avec  avidité;  les  habitants  pensent 
que  cet  argile  est  imprégné  de 
vapeurs  salines;  mais  je  n'ai  pu  y 
trouver  aucun  goût.  11  est  d'une 
douceur  extrêmement  insipide.  Les 
bêtes  l'aiment  avec  passion ,  au 
point  que  leurs  excréments  sem- 
blent être  de  véritable  argile. 


r 


*4 


IIKVIK    D  HISTOIRE    141  1 1  ItVIKK    1*1:    LA    ih^m 


Description  de  quelque*  $ite$  dans  Vintériew  de*  Ftoridet. 
{Voyait  p.  84-88.) 

t'haleaubriand  fait  précéder  les  boites  pages  que  nous  reprodui- 
sons ici  de  ces  quelques  lignes;  c'est  la  principale  mention  qu'il 
ait  jamais  faite  de  Bartram, 

*  Immédiatement  après  la  description  du  la  Louisiane,  viennent  dans 
le  manuscrit  quelques  extraits  des  voyages  de  Bartram,  que  j'avais 
traduits  avec  assez  de  soin.  A  ces  extraits  sont  entremêlées  mes  recti- 
fications, mes  réflexions,  mes  addî lions,  mes  propres  descriptions,  à 
peu  près  comme  les  notes  de  M.  Hamond  à  sa  traduction  du  Voyage  de 
Cose  tu  Sui$9e*  Mais  dans  mon  travail,  îe  tout  est  beaucoup  plus  enche- 
vêtré, de  sorte  qu'il  est  presque  impossible  de  séparer  ce  qui  est  de 
Barlram,  ni  souvent  même  de  le  reconnaître.  » 

Nous  tâcherons  de  le  reconnaître  pourlantt  et  de  faire  ce  départ. 

Voiffttjt',  p.  84.  Barlram,  pomm, 

Nous  étions  poussés  par  un  vent  On   retrouve^  presque  à  chaque 

frais.  La  rivière  allait  se  perdre  p*ifje,  Bartram  occupé  d,  tel*  tdttu 
dans  un  lac  qui  s*o livrait  devant  davs  dnt  paysage*  analogue*  :  II 
nous,  et  qui  formait  un  bassin  redonnait  un  petit  tac,  h  fait  poitt 
d'environ  neuf  lieues  de  circonfé-  vers  toi  îlot  :  amarrage  dt>  BG 
rence.  Trois  îles  s'élevaient  du  barque  aux  arbre*  de  la  rivé*  expto- 
milieu  de  ce  lac;  nous  fîmes  voile  ration  des  richene*  naturelle*  du 
vers  la  plus  grande,  ou  nous  arri-  lac  et  de  Mût,  pêche,  ftftom,  ktr- 
vâmes  à  huit  heures  du  malin.  horisation  ,  il  n*e*i  pa*  de  tcène* 

Noua  débarquâmes  à  Torée  d'oae  plu*  familière*  au  lecteur  de  m 
plaine  de  forme  circulaire;  nous  récité, 
mimes  notre  canot  à  l'abri  sous 
un  groupe  de  marronniers  qui 
croissaient  presque  dans  l'eau. 
Nous  bâtîmes  notre  hutte  sur  une 
petite  émîoenoe,  La  brise  de  l'est 
soufflait,  et  rafraîchissait  le  lac  et 
les  forêts-  Nous  déjeunâmes  avec 
nus  galettes  de  maïs,  et  nous  nous 
dispersâmes  dans  llle,  les  uns 
pour  chasser ,  les  autres  pour 
pécher  ou  pour  cueillir  des  plantes* 
Nous  remarquâmes  une  espèce 
d'hibiscus.  Cette   herbe   énorme. 


Barlram,  I,  191  (Dublin,  104). 

Uhifnscus  ç&eemem  croit  ii  dix 

ou  douze  pieds  de  haut,  en  se  divi- 


qui  croît  dans  les  lieux  bas  et  sant  régulièrement  de  manière  à 
humides,  monte  à  plus  de  dix  ou  former  un  cône  aigu.  Ses  brandies 
douze  pieds,  et  se  termine  eu  un     se  subdivisent  de  même,  et   sont 


CHATEAUBRIAND    EN    AMÉRIQUE. 


65 


cône  extrêmement  aigu  :  les  feuilles 
lisses,  légèrement  sillonnées,  sont 
ravivées  par  de  belles  fleurs  cra- 
moisies, que  Ton  aperçoit  à  une 
grande  distance. 

L'agave  vivipare  s'élevait  encore 
plus  haut  dans  les  criques  salées, 
et  présentait  une  forêt  d'herbes  de 
trente  pieds  perpendiculaires.  La 
graine  mûre  de  cette  herbe  germe 
quelquefois  sur  la  plante  même, 
de  sorte  que  le  jeune  plant  tombe 
à  terre  tout  formé.  Gomme  l'agave 
vivipare  croit  souvent  au  bord 
des  eaux  courantes,  ses  graines 
nues  emportées  du  flot  étaient 
exposées  à  périr  :  la  nature  les 
a  développées  pour  ces  cas  parti- 
culiers sur  la  vieille  plante,  afin 
qu'elles  pussent  se  fixer  par  leurs 
petites  racines,  en  s'échappant  du 
sein  maternel. 

Voyage,  p.  85. 

Le  souchet  d'Amérique  était 
commun  dans  File.  Le  tuyau  de 
ce  souchet  ressemble  à  celui  d'un 
jonc  noueux,  et  sa  feuille  à  celle 
du  poireau  :  les  Sauvages  l'ap- 
pellent apoga  matsi.  Les  filles 
indiennes  de  jnauvaise  vie  broient 
cette  plante  entre  deux  pierres,  et 
s'en  frottent  le  sein  et  les  bras. 

Nous  traversâmes  une  prairie 
semée  de  jacobée  à  fleurs  jaunes, 
d'alcée  à  panaches  roses,  et  d'obé- 
lia,  dont  l'aigrette  est  pourpre. 
Des  vents  légers  se  jouant  sur  la 
cime  de  ces  plantes ,  brisaient 
leurs  flots  d'or,  de  rose  et  de 
pourpre  ou  creusaient  dans  la  ver- 
dure de  longs  sillons. 


ornées  de  grandes  fleurs  pourpre, 
qu'on  aperçoit  à  une  grande  dis- 
tance. 

Bartram,  Introduction,  p.  17. 
(Dublin,  p.  14.) 

Je  parvins  à  une  forêt  d'agave 
vivipara.  Je  dis  une  forêt,  parce 
que  les  hampes  de  leurs  fleurs 
avaient  près  de  trente  pieds  de 
haut.  Lorsque  leurs  graines  sont 
mûres,  elles  germent  et  poussent 
sur  les  branches  mêmes,  jusqu'à 
ce  que  la  hampe  se  dessèche  et 
meure.  Les  jeunes  plantes  alors 
tombent  par  terre,  se  Gxent  dans 
le  sable  et  poussent  des  racines. 


Charlevoix,  Histoire  de  la  Nouv.- 
France,  II,  Descr.,  p.  44 f. 
Le  souchet  de  l'Amérique  est 
une  herbe  dont  les  feuilles  res- 
semblent à  celles  du  poireau;... 
son  tuyau  est  comme  celui  du 
jonc  noueux...  Les  sauvages  de  la 
Floride  nomment  cette  plante 
apoga  matsi.  Les  sauvages  la 
broient  entre  deux  pierres  et  se 
frottent  de  son  suc,  quand  ils  veu- 
lent se  laver,  parce  qu'ils  croient 
qu'elle  affermit  leurs  chairs  et 
leur  communique  une  odeur  fort 
douce. 


1.  Cette  abréviation  désigne  une  Description  des  Plantes  de  V Amérique  septen- 
trionale, par  le  P.  de  Charlevoix,  publiée  en  appendice  au  t.  II  de  son  Histoire  de  la 
Nouvelle-France. 

Rbv.  d'hist.  uttkr.  de  la  Franck  (7e  Ann.).—  VII.  5 


66 


REVUE    £>  IllSTOIItK    MTTKBAIItK    DE    LA    FRANCE. 


La  sénéka.  abondante  dans  les 
terrains  marécageux,  ressemblait 
par  la  forme  et  par  la  couleur  à 
des  scions  d'osier  rouge;  quelques 
branches  rampaient  à  terre,  d'au- 
tres s'élevaient  dans  l'air  :  la 
Bé&ékft  a  un  petit  gnùt  amer  et 
aromatique.  Auprès  d'elle  croissait 
le  convolvulus  des  Carotînes,  dont 
la  feuille  imite  la  pointe  d'une 
(lèche.  Ces  deux  plantes  se  trou- 
vent partout  où  il  y  a  des  serpents 
à  sonnettes  :  la  première  guérit 
de  leur  morsure;  la  seconde  est  si 
puissante,  que  les  Sauvages*  après 
s'en  être  Trotté  les  mains,  manient 
impunément  ces  redoutables  rep- 
tiles. Les  Indiens  racontent  que  le 
Grand-Esprit  a  eu  pitié  des  guer- 
riers de  la  Chair- Rouge  au. r  jambes 
nues,  et  qu'il  a  semé  lui-même  ces 
herbes  salutaires,  malgré  la  récla- 
mation des  âmes  des  serpents» 

J>W%  p.  86. 
Nous  reconnûmes  la  serpentaire 
sur  les  racines  des  grands  arbres; 
l'arbre  pour  le  mal  de  dents,  dont 
le  tronc  et  les  branches  épineuses 
sont  chargés  de  protubérances 
grosses  comme  des  œufs  de  pigeon  ; 
Yarciosta  '  ou  canneberge  f  dont 
la  cerise  rouge  croît  parmi  les 
m «usses,  et  guérit  du  llux  hépa- 
tique. La  boiirgëne,  qui  a  la  pro- 
priété de  chasser  les  couleuvres, 
poussait  vigoureusement  dans  des 
eaux  stagnantes  couvertes  de 
rouille* 


Charte  voix,  Ztefcr.,  p,  36. 
La  sènéka  est  jaunâtre  en 
dedans,  blanche  en  dehors,  et 
d'un  goût  acre,  un  peu  aroma- 
tique. Elle  pousse  plusieurs  Liges, 
tes  unes  droites,  les  autres  cou- 
chées par  terre. 


Les  Sauvages  la  regardent 
comme  un  spécifique  contre  le 
venin  du  serpent  à  sonnettes. 


Charlevôix,  lk$er.t  p.  24. 
La  serpentaire  se  trouve  com- 
munément sur  la  racine  des  grands 
arbres.  —  P.  22.  L  arbre  pour  le 
mal  de  dents  a  son  tronc  et  ses 
grosses  branches  presque  tous 
couverts  de  protubérances,...  dont 
les  plus  grandes  sont  grosses 
comme  des  noix;  —  P.  30.  La 
canneberge  vient  dans  les  pays 
couverts  de  mousse;...  son  fruit 
est  rouge,  gros  comme  une  cerise. ,. 
Les  sauvages  rappellent  oloca,  on 
le  confit  et  on  l'estime  contre  le 
cours  de  ventre.  —  P.  5i.  La 
bourgène  jette  plusieurs  verges 
droites,  longues,,.,  on  prétend 
qu'avec  un  bâton  de  cet  arbris- 
seau on  chasse  les  serpents, 

1.  VArctinta.  Cette  plante  s'appelle,  selon  CUarlevoii,  non   pas  Varctmta%  mais 
Vatoca  ou  c  an  ne  berge  (p.  401, 


CHATEAUBRIAND   EN    AMÉRIQUE. 


Un  spectacle  inattendu  frappa 
nos  regards  :  nous  découvrîmes 
une  ruine  indienne;  elle  était 
située  sur  un  monticule  au  bord 
du  lac;  on  remarquait  sur  la 
gauche  un  cône  de  terre  de  qua- 
rante à  quarante-cinq  pieds  de 
haut;  de  ce  cône  partait  un 
ancien  chemin  tracé  à  travers 
un  magnifique  bocage  de  magno- 
lias et  de  chênes  verts,  et  qui 
venait  aboutir  à  une  savane.  Des 
fragments  de  vases  et  d'ustensiles 
divers  étaient  dispersés  çà  et  là, 
agglomérés  avec  des  fossiles,  des 
coquillages,  des  pétrifications  de 
plantes  et  des  ossements  d'ani- 
maux. 

Le  contraste  de  ces  ruines  et 
de  la  jeunesse  de  la  nature,  ces 
monuments  des  hommes  dans  un 
désert  où  nous  croyions  avoir 
pénétré  les  premiers,  y  causaient 
un  grand  saisissement  de  cœur  et 
d'esprit.  Quel  peuple  avait  habité 
cette  île  ?  Son  nom,  sa  race,  le 
temps  de  son  existence,  tout  est 
inconnu  ;  il  vivait  peut-être  lorsque 
le  monde,  qui  le  cachait  dans  son 
sein,  était  encore  ignoré  des  trois 
autres  parties  de  la  terre.  Le 
silence  de  ce  peuple  est  peut-être 
contemporain  du  bruit  que  fai- 
saient de  grandes  nations  euro- 
péennes tombés  à  leur  tour  dans 
le  silence,  et  qui  n'ont  laissé  elles- 
mêmes  que  des  débris. 

Voyage,  p.  87. 
Nous  examinâmes  les  ruines  : 
des  anfractuosités  sablonneuses 
du  tumulus  sortait  une  espèce  de 
pavot  à  fleur  rose,  pesant  au  bout 
d'une  tige  inclinée  d'un  vert  pâle. 
Les  Indiens  tirent  de  la  racine  de 
ce  pavot  une  boisson  soporifique; 


Barlram,  L  188  (Dublin,  p.  101). 
Sur  les  bords  de  ce  lac  [le  lac 
George,  formé  par  une  expansion 
de  la  rivière  Saint-Jean],  on  voit 
les  restes  évidents  d'une  grande 
ville  indienne.  Elle  était  située 
sur  un  monticule,  près  des  bords 
du  lac.  Sur  son  emplacement 
est  une  élévation  conique  de  terre, 
d'où  part  une  grande  chaussée 
indienne,  qui,  traversant  un  magni- 
fique bois  de  magnolias,  de  chênes 
verts,  de  palmiers  et  d'orangers, 
va  aboutir  à  une  vaste  savane. 
L'île  a  dû  être  très  peuplée  si 
Ton  en  juge  par  les  nombreux 
fragments  de  vaisselle  indienne, 
les  os  d'animaux,  et  autres  débris 
qu'on  y  rencontre  partout,  et  sur- 
tout sur  les  coteaux  et  parmi  les 
coquillages  qui  y  forment  plu- 
sieurs monticules. 


09 


RSVÏÏB    [/HISTOIRE    LITTÉÎtAIRE    DE    LA    KUVN.  I 


la  tige  et  la  fleur  ont  une  odeur 
agréable  qui  reste  attachée  à  la 
iuain  lorsqu'on  y  touche.  Cette 
plante  était  faîte  pour  orner  le  tom- 
beau d'un  Sauvage  :  ses  racines 
procurent  le  sommeil,  et  le  par  H  ira 
de  sa  Heur,  qui  survit  à  cette  Heur 
même,  est  une  assez  douce  image 
du  souvenir  qu'une  vie  innocente 
laisse  dans  la  solitude. 

Continuant  notre  route  et  obser- 
vant les  mousses,  les  graminées 
pendantes,  les  arbustes  écheveh.Vs. 
et  tout  ce  train  de  plantes  au  port 
mélancolique  qui  se  plaisent  à 
décorer  Jes  minai,  nous  obser- 
vâmes une  espèce  d  YenoihtTe  pyra- 
midale, haute  de  sept  à  huit 
pieds,  à  feuilles obîongu es* ,  dente- 
lées, et  d'un  vert  noir;  sa  Heur  est 
jaune*  Le  soir,  cette  fleur  com- 
mence a  s'entrouvrir;  elle  s'épa- 
nouit pendant  la  nuit;  l'aurore  la 
trouve  dans* tout  son  éclat;  vers 
la  moitié  du  matin  elle  se  fane; 
elle  tombe  à  midi  :  elle  ne  vit  que 
quelques  heures,  mais  elle  passe 
ces  heures  sous  un  ciel  serein* 
Qu'importe  alors  ta  brièveté  de  sa 
vie? 

A  quelques  pas  de  là  s'étendait 
une  lisière  de  mimosa  ou  de  sen- 
sitive  :  dans  les  chansons  des  Sau- 
vages, l'àme  d'une  jeune  fille  est 
souvent  comparée  à  cette  plante  '« 

Voyagr,  p.  83. 

En  retournant  à  notre  camp, 
nous  traversâmes  un  ruisseau  tout 
bordé  de  dionées;  une  multitude 
d'éphémères  bourdonnaient  à  Ten- 
tour.  Il  y  avait  aussi  sur  ce  par- 


Bartram,  11,  234  (Dublin,  404 1. 

À  quelques  milles  au-dessus  de 
Taensaipays  de  la  Mobile)  j'aper- 
çus avec  ctonnement  une  plante 
en  Heurs,  dorée  du  jaune  le  plu> 
éclatant.  Étant  monté  sur  la  côte, 
je  vis  que  c'était  une  sorte  d'auto- 
tkera;  elle  s'élève  droite  à  sept  ou 
boit  [lieds  de  haut...  et  Corme  une 
sorte  de  figure  pyramidale.  Les 
feuilles  sont  d'un  vert  foncé  t 
larges,  dentelées  profondément 
en  scie.  Les  (leurs  sont  d'un  jaune 
éclatant;  ses  Heurs  commencent  à 
s  ouvrir  le  soir;  elles  s'épanouissent 
tout  a  fait  dans  la  nuit,  et  sont  le 
matin  dans  toute  leur  beauté; 
mais  elles  se  ferment  et  se  des- 
sèchent avant  la  fin  du  jour. 


Barlram,  1,  p^  9  (Dublin,  p.  xm). 

Ce  qui  est  vraiment  admirable, 
ce  sont  les  propriétés  de  la  Dimea 
intttcipitlit.  Avançons  près  de  ce 
ruisseau,  qui  en  est  bordé;  voyez 
s  ouvrir  ces  lobes  vermeils  :  leurs 


i.  Et  non  blondtS)  comme  on  lit  dans  L'édition  Biré  des  Ment*  tfO.-T.,  h  p.  403. 

2.  Note  de  Chateaubriand  i  *  Tous  ces  divers  passages  soni  de  moi;  mais  je  dois 
à  la  vérité  historique  de  dire  que,  ai  je  voyais  aujourd'hui  ces  ruiner  indiennes  de 
r'AI&bama,  je  rabattrais  de  leur  antiquité.  * 


CHATEAUBRIAND    EN    AMLRIQCE. 


69 


terre  trois  espèces  de  papillons  : 
Tan  blanc  comme  l'albâtre,  l'autre 
noir  comme  le  jais  avec  des  ailes 
traversées  de  bandes  jaunes,  le 
troisième  portant  une  queue  four- 
chue, quatre  ailes  d'or  barrées  de 
bleu  et  semées  d'yeux  de  pourpre. 
Attirés  par  les  dionées,  ces  in- 
sectes se  posaient  sur  elles;  mais 
ils  n'en  avaient  pas  plus  tôt 
touché  les  feuilles  qu'elles  se 
refermaient  et  enveloppaient  leur 
proie. 


De  retour  à  notre  ajouppa,  nous 
allâmes  à  la  pèche  pour  nous  con- 
soler du  peu  de  succès  de  la 
chasse.  Embarqués  dans  le  canot, 
avec  les  filets  et  les  lignes,  nous 
côtoyâmes  la  partie  orientale  de 
l'île,  au  bord  des  algues  et  le  long 
des  caps  ombragés  ;  la  truite  était 
si  vorace  que  nous  la  prenions  à 
des  hameçons  sans  amorce;  le 
poisson  appelé  le  poisson  d'or 
était  en  abondance.  Il  est  impos- 
sible de  voir  rien  de  plus  beau  que 


ressorts  sont  tendus,  ils  sont  prêts 
à  se  refermer  sur  l'insecte  sans 
défiance  :  voyez  comme  une  de 
ses  feuilles  se  replie  sur  une 
mouche  ;  une  autre  a  pris  une  petit 
ver  :  elle  s'en  saisit,  et  ne  le 
lâchera  pas. 

Bartram,  I,  p.  18  (Dublin, 
p.  xvin). 
L'éclat  des  myrtes  et  des  cactus... 
attirait  plusieurs  beaux  papillons 
de  deux  ou  trois  espèces  :  il  y  en 
avait  un  noir,  dont  les  ailes  supé- 
rieures étaient...  marquées  de 
bandes  transversales  d'un  jaune 
pâle...  Une  autre  espèce  était 
d'une  grandeur  singulière  :  la 
paire  inférieures  de  ses  ailes  se 
terminait  près  du  corps  par  une 
queue  longue,  étroite  et  fourchue; 
le  fond  de  sa  couleur  était  un 
jaune  rayé  transversalement  de 
bandes  obliques,  d'un  léger  bleu 
céleste,  dont  les  extrémités  étaient 
ornées  de  petits  yeux  formés  par 
des  cercles  bleus  et  rouges.  Un 
plus  grand  nombre  était  d'une 
espèce  blanche  comme  la  neige  '. 


Bartram,  I,  p.  42  (Dublin,  p.  12). 

Nous  eûmes  bientôt  pris  quelques 
poissons,  dont  un  d'une  très  belle 
espèce.  On  lui  donne  le  nom  de 
ventre  rouge.  Il  est  grand  comme 
la  main  d'un  homme;  le  haut  de 


1.  C'est  ici  le  type  des  rectifications  que  nous  promettait  Chateaubriand  :  il 
fait  dévorer  par  la  dionea  musciputa,  habile  à  se  saisir  de  mouches  et  de  petits 
vers,  les  papillons  •  d'une  grandeur  singulière  •,  qui,  chez  Bartram,  dix  pages 
plus  loin,  voltigent  sur  des  myrtes  inofîensifs. 


70 


HKviiE  ji  insroiiu:  i.mtkràihe  i»e  la  fiunce. 


ce  petit  roi  des  ondes  :  il  a  environ 
cinq  pouces  de  long;  sa  têle  est 
couleur  d'ouiremer;  ses  cotés  el 
son  ventre  étîneellent  comme  Je 
feu  ;  une  barre  brune  longitudi- 
nale traverse  ses  lianes1;  Tins  de 
ses  larges  yeux  brille  comme  de 
l'or  bruni.  Ce  poisson  est  Carni- 
vore. 


À  quelque  distance  du  rivage,  à 
l'ombre  d'un  cyprès  chauve,  nous 
remarquâmes  de  petites  pyramides 
limoneuses  qui  s'élevaient  sous 
l'eau  et  moulaient  jusqu'à  la  sur- 
face. Une  légion  de  poissons  d'or 
Taisait  en  silence  les  approches  de 
ces  citadelles.  Tout  à  coup  Veau 
bouillonnait;  les  poissons  dur 
fuyaient.  Des  éc revisses  armées  de 
ciseaux,  sortant  de  la  place  insul- 
tée, culbutaient  leurs  brillants 
ennemis.  Mais  bientôt  les  bandes 
éparses  revenaient  à  la  charge, 
faisaient  plier  à  leur  tour  les 
assiégés,  et  la  brave,  mais  lente 
garnison,  rentrait  &  reculons  pour 
se  réparer  dans  la  forteresse. 


Le  crocodile,  flottant  comme  le 
tronc  d'un  arbre,  la  truite,  le  bro- 
chet, la  perche,  le  cannelé!1,  la 


la  tête  et  du  dos  sont  d'un  vert 
olive..-  les  côtés  [de  la  tète]  sont 
d'un  vert  de  mer,  tournant  un  peu 
vers  l'azur,,,  le  ventre  est  dun 
beau  rouge  écarlate;  ses  yeux  sont 
grands,  et  l'iris  en  est  d'une  belle 
couleur  rouge,  C'est  un  poisson 
vorace,  qu'il  est  aisé  de  prendre 
avec  une  amorce  convenable. 

Rartram,  I,  p,  87  (Dublin,  p,  43), 
L'eau  [de  la  rivière  Broad]  était 
tranquille,  claire,  et  coulait  dans 
un  lit  de  gravier. 

On  y  voyait  plusieurs  petits 
monticules  conique*,  dont  le  faite 
sYleva il  jusqu'à  la  surface  de  l'eau. 
Ces  petites  pyramides  étaient  l'ou- 
vrage de  crabes  (cancer  m&ûrourus)i 
qui  les  habitaient.  Elles  sem- 
blaient servir  de  fort  et  de  retraite 
aux  jeunes  crabes  poursuivis  sans 
relâche  par  leurs  ennemis,  les  do- 
rades ;  celles-ci,  en  grand nombiv. 
leur  donnaient  continuellement  la 
chasse,  excepté  dans  de  courts 
instants  ou  les  vieux  crabes,  quit- 
tant leurs  pyramides,  faisaient 
sur  elles  une  sortie.  Alors  tofl 
petites  dorades  fuyaient  de  toutes 
parts,  fendant  l'eau  comme  des 
sillons  de  lumière;  mais  bientôt, 
toutes  revenaient  à  la  charge  et 
sitôt  les  vieux  crabes  rentres» 
elles  entouraient  les  pyramides 
pour  atteindre  les  petits. 

Bartram,  I,  288  (Dublin,  p.  164), 

Je  vis  le  crocodile,  étendu  dans 

le    fond   de  la  source,  comme  le 

tronc  d'un  grand  arbre,  la  truite» 


f«  Celte  -  barre  brune  longitudinale  •  manque  à  la  description  de  Barlram  : 
exemple  îles  *  additions  •  promises. 

2>  Qu'est-ce  que  le  cannelett  Les  lexicographes  l'ignorent.  Mais  les  dictionnaires 
anglais- français  courants  traduisent  basa  par  perche,  rfrum  par  pamùn~himt>*nn\ 
flounder  par  carrelet*  C'est  ce  nom  bien  connu  (cf.  Lîttré,  a,  ik)  que  Chateau- 
briand aura  rencontré  dans  ion  dictionnaire,  el  mal  transcrit. 


:i 

et  toutes  les  variâtes  de  la  brème 
diaprée»  le  earlish  barbu,  le  redouté 
sLing-ra)*,  le  flounder,  le  bas*,  la 
sheepshead  et  le  dru  m,  tous  en 
troupes  séparées  et  sans  crainte 
les  uns  des  autres.  Aucun  ngoi 
d'inimitié,  aucune  tentative  pour 
s'attaquer  réciproquement.  Sus- 
pendus dam  le  Ihude  comme  des 
papillons  dans  Pair,  ils  montent  et 
redescendent...  On  croît  voir  les 
poissons  à  quelques  pouce?  de  soi; 
on  serait  tenté  de  les  saisir,  ou  de 
loucher  du  doigt  l'œil  du  croco- 
dile endormi,  quoiqu'il  soit  à  vingt 
ou  trente  pieds  sous  l'eau.., 


CH.YIKAl  ■  Bill  A  NI)    O    1HÉAIQDK 

basse,  la  brème,  le  poisson  tam- 
bour, le  poîsSOD  d'or,  tous  enne- 
mis mortels  les  uns  des  antres, 
nageaient  pèle- mêle  dans  le  lac, 
et  semblaient  avoir  fait  une  trêve 
alin  de  jouir  eu  commun  de  la 
beauté  de  la  soirée  :  le  lluide 
azuré  se  peignait  de  leurs  couleurs 
ebaage&otea.  L'onde  était  si  pure, 
que  Ton  eût  cru  pouvoir  toucher 
du  doigt  les  acteurs  de  cette  scène, 
quisejouaieut  a  vingt  pieds  de  pro- 
fondeur dans  leur  grotte  de  cristal. 
Pour  regagner  l'anse  où  nous 
avions  noire  établissement,  nous 
n'eûmes  qu'à  nous  laisser  dériver 
au  gré  de  l'eau  et  des  brises. 

Suit  [p.  90- 1 J  la  célèbre  description,  «  tout  enveloppée, 
pénétrée,  saturée  de  lumière  »,  qui  se  termine  par  ce  puissant 
mouvement  : 

A  l'orient,  la  lune,  touchant  L'horizon,  semblait  reposer  immobile 
sur  les  côtes  lointaines;  à  L'occident,  la  voûte  du  ciel  paraissait  Tondue 
en  une  mer  de  diamants  et  de  saphirs»  dans  laquelle  le  soleil,  à  demi 
plongé,  avait  l'air  de  se  dissoudre. 

Les  animaux  de  la  création  étaient,  comme  nous,  attentifs  à  ce  grand 
spectacle  :  le  crocodile,  tourné  vers  l'astre  du  jour,  lançait  par  sa 
gueule  béante  l'eau  du  lac  en  gerbes  colorées;  perché  sur  un  rameau 
desséché,  le  pélican  louait  à  sa  manière  le  maître  de  la  nature,  tandis 
que  la  cigogne  s'envolait  pour  le  bénir  an  dessus  des  nuages! 

Nous  te  chanterons  aussi,  Dieu  de  l'univers,  loi  qui  prodigues  tant 
de  merveilles!  la  voix  d*un  homme  s'élèvera  avec  la  voix  du  désert  : 
tu  distingueras  les  accents  du  faible  lils  de  la  femme»  au  milieu  du 
bruit  des  sphères  que  la  main  fait  rouler,  du  mugissement  de  Tabime 
dont  tu  as  scellé  les  portes.  » 

C'est  une  des  pages  les  plus  opulentes  de  Chateaubriand,  des 
plus  grandes,  des  plus  spontanées.  A  peine  si  Ton  peut  indiquer 
que  pour  tel  Irait  du  coloris  local,  Chateaubriand  doit  quelque 
chose  à  Bartram  :  m  Je  vis  un  crocodile  sortir  d  entre  les  fleurs 
et  les  roseaux;  Teau  sortait  à  Ilots  de  sa  gueule  béanle,  et  ses 
larges  narines  l'exhalaient  en  vapeurs...  [I,  21 2],   o 

Voyag€}  p,  U2.  Bartram,  I,  307  (Dublin,  176). 

Nous  avions  un  voisin  à  notre  Lu  te$twto  naso  cxfHndraceo  res- 
souper  :  un  trou  semblable  à  la     semble  beaucoup  à    la  tortue   de 


72                             UEVL'E    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    l>E    14    FRANCIS 

tanière    d'un    blaireau     élaiL    la 

mer.   Son    cou   s'allonge    à    une 

demeure  d'une  tortue  :  la  solitaire 

grande  longueur,..  Nous  eûmes  à 

sortit   de   sa  grotte  et  se   mît   à 

souper  une   de    ces  tortues,   très 

ni  archer  gravement   au    bord   de 

grande  et  très  grasse. 

l'eau*  Ces  tortues  diffèrent  peu  des 

tortues  de  mer;  elles  ont  le  cou 

plus  long.  On  ne  tua  point  la  pni- 

sible  reine  de  nie. 

Koyoje,  p.  93, 

Bartram,  I,  86  (Dublin,  25), 

Les  Sauvages  de  la  Floride  ra- 

La rivière  Sainte-Marie  renferme 

content  qu'il  y  a  au  milieu  d'un  lac 

plusieurs  grandes  îles-  Il  y  en  a 

une  Ile  ou  vi  ven  t  les  plus  belles  fem- 

une, entre  autres,  que  tes  Creeks 

mes  du  monde.  Les  Muscogttlgefl 

représentent  comme  un    lieu  en* 

uni  voulu  plusieurs  fois  tenter  la 

chaulé.  Elle  est,  dïsent-ils,  habitée 

conquête  de  l'île  magique;  mais 

par  une  peuplade  d'Indiens  dont 

les  retraites  élyséennes  fuyant  de- 

les   femmes    sont    d'une    beauté 

vant  leurs  canots,  finissaient  par 

exquise.  Les  chasseurs  p retendent 

disparaître  :   naturelle  image  du 

qu'en   voulant  y  aborder,  ils   se 

temps  que  nous  perdons  à  la  pour- 

trouvèrent engagés  dans  une  suite 

suite  de  nos   obi  m  ères.    Dans   ce 

continuelle  de  marais,  Perdus  au 

pays  était  aussi  une  l'on  laine  de 

milieu    de    ces    labyrinthes,    ils 

Jouvence  ;  qui  voudrait  rajeunir1? 

croyaient  toujours  s  approcher  de 

Le  lendemain,  avant  le  lever  du 

Mie;  ils  l'apercevaient  de  temps  à 

soleil  nous  avons  quitté  l'île,  tra- 

autre; mais  toujours  ils  la  voyaient 

versé  le  lac,  et  renlré  dans  la  ri- 

s'éloigner. 

vière  par  laquelle  nous  y  étions 

descendus.  Cette  rivière  était  rem- 

plie de  karmans.  Ces  animaux  ne 

sont  dangereux   que  dans  l'eau, 

surtout   au  moment  d'un    débar- 

quement, A  terre,  un  enfant  peut 

aisément  les   devancer  en   mar- 

chant  d'un   pas    ordinaire.   Pour 

éviter  leurs  embûches,  on  met  le 

feu  aux  herbes  et  aux  roseaux  : 

c'est   alors  un    spectacle  curieux 

que    de  voir    de   grands   espaces 

d  eau  surmontes  d'une  chevelure 

de  flamme, 

Bartram,  1,227-9  (Dublin,  126). 

Lorsque  le  crocodile  de  ces  ré- 

Lorsque  le  crocodile  a  atteint 

gions  a  pris  toute  sa  croissance, 

toute  sa  taille,  c'est  un  grand  et 

il  mesure  environ  vingt  à  vingt- 

terrible    animal.    J'en   ai    vu    de 

quatre  pieds  de  la  tête  h  la  queue. 

vingt  pieds  de  lonir,  cl  l'on  prétend 

i.  Celle  fontaine  de  Jouvence  floridienne  réparait  au  livre  X  des  Sntchcz. 

CHATEAUBRIAND    EN    AMERIQUE. 


73 


Son  corps  est  gros  comme  celui 
d'un  cheval  :  ce  reptile  aurait  exac- 
tement la  forme  du  lézard  com- 
mun, si  sa  queue  n'était  compri- 
mée des  deux  côtés  comme  celle 
d'un  poisson.  11  est  couvert  d'écail- 
lés à  l'épreuve  de  la  balle,  excepté 
auprès  de  la  tête  et  entre  les  pattes. 
Sa  tête  a  environ  trois  pieds  de 
long;  les  naseaux  sont  larges:  la 
mâchoire  supérieure  de  l'animal 
est  la  seule  qui  soit  mobile;  elle 
s'ouvre  à  angle  droit  sur  la  mâ- 
choire inférieure  :  au-dessous  de 
la  première  sont  placées  deux 
grosses  dents  comme  les  défenses 
d'un  sanglier,  ce  qui  donne  au 
monstre  un  air  terrible. 


La  femelle  du  kaïmau  pond  à 
terre  des  œufs  blanchâtres  qu'elle 
recouvre  d'herbes  et  de  vase.  Ces 
œufs,  quelquefois  au  nombre  de 
cent,  forment,  avec  le  limon  dont 
ils  sont  recouverts,  de  petites 
meules  de  quatre  pieds  de  haut  et 
de  cinq  pieds  de  diamètre  à  leur 
base  :  le  soleil  et  la  fermentation 
de  l'argile  font  éclore  ces  œufs. 
Une  femelle  ne  distingue  point 
ses  propres  œufs  des  œufs  d'une 
autre  femelle;  elle  prend  sous  sa 
garde  toutes  les  couvées  du  soleil. 
N'est-il  pas  singulier  de  trouver 
chez  des  crocodiles  les  enfants 
communs  de  la  république  de  Pla- 
ton? 


qu'il  y  en  a  de  vingt-deux  à  vingt- 
trois.  Il  a  le  corps  aussi  gros  qu'un 
cheval.  Sa  forme  est  exactement 
celle  d'un  lézard,  à  l'exception  de 
la  queue,  qui  est  comprimée  de 
chaque  côté.  Elle  est,  ainsi  que 
tout  le  corps,  couverte  d'écaillés 
épaisses,  impénétrables  à  toute  es- 
pèce d'armes,  même  à  une  balle 
de  carabine.  On  prétend  cepen- 
dant qu'autour  de  la  tête  et  der- 
rière les  jambes  de  devant  ils  peu- 
vent être  blessés.  La  tête  d'un 
grand  crocodile  a  environ  trois 
pieds  de  long...  les  narines  sont 
larges;  ces  amphibies  n'ont  de  mo- 
bile que  la  mâchoire  supérieure, 
qu'ils  élèvent  presque  perpendicu- 
lairement, au  point  qu'elle  forme 
un  angle  droit  sur  la  mâchoire  in- 
férieure. Sur  le  devant  de  la  mâ- 
choire supérieure  sont  deux  gran- 
des fortes  dents,  aussi  blanches  que 
l'ivoire  le  plus  poli;  elles  sont  tou- 
jours visibles,  ce  qui  donne  à  l'ani- 
mal un  aspect  effrayant. 

Bartram,  I,  225-7  (Dublin,  125). 
Voir  la  citation  de  Bartram,  ci- 
dessous,  p.  118. 


74 


l;l  \li:    D  I1JST0IRE    LlTTKIlAlItE    I»E    LÀ    FRANCE:* 


La  chaleur  était  accablante  ; 
nous  naviguions  au  milieu  des  ma- 
rais; nos  canots  prenaient  l'eau; 
le  soleil  avait  fait  fondre  la  poix 
du  bûrda&n  *. 

\~ntf(ttjt\  p,  95. 

Le  soleil  se  couvre,  les  premiers 
roulements  du  tonnerre  se  font  en- 
tendre; les  crocodiles  y  répondent 
par  un  sourd  rugissement,  comme 
un  tonnerre  répond  à  un  autre 
tonnerre.  Une  immense  colonne  de 
nuages  s'étend  au  nord-est  et  au 
sud-est;  le  reste  du  ciel  est  d'un 
cuivre  sale,  demi-transparc  ni  et 
teint  de  la  foudre.  Le  désert  éclaire 
d'un  jour  faux,  l'orale  suspendu 
sur  nos  le  les  et  près  d'éclater,  of- 
frant un  lableau  plein  de  grandeur. 

Voilà  l'orage!  qu'on  se  ligure 
un  déluge  de  feu  sans  vent  et  sans 
eau;  l'odeur  de  soufre  remplit 
Pair;  Ift  nature  est  éclairée  comme 
à  la  lueur  d'un  embrasement, 

A  présent  les  cataractes  de  l'ahi- 
me  s'ouvrent  ;  les  grains  de  pluie 
ne  sont  point  séparés  :  un  voile 
d'eau  unit  les  nuages  à  la  terre. 

Voyagé)  p.  9G, 

Le  payi  habité  par  les  Crée k s 
{la  confédération  des  Museogulgcs, 
des  Si  mi  noies  et  des  Chéroquois) 
est  enchanteur.  De  dislance  eu  dis- 
tance la  terre  est  percée  par  une 
multitude  de  bassins  qu'on  appelle 
des  pnite,  et  qui  sont  plus  ou 
moins  profonds  :  ils  communi- 
quent par  des  roules  souterraines 
aux  lacs,  aux  marais  et  aux  riviè- 
res. Tous  ces  puits  sont  placés  au 
centre  d'un  monticule  planté  des 


Barlram,  lt  248-9  (Dublin,  13<1  . 

Vers  midi  la  chaleur  devint  ex- 
cessive; pas  un  souille  de  vent,  et 
l'on  entendait  dans  le  lointain 
gronder  sourdement  le  tonnerre* 
Les  crocodiles,  par  leurs  rugisse- 
ments, répondaient  à  ces  roule- 
ments, présage  infaillible  de  la 
tempête..,  Renfermé  entre  les  bois 
et  les  savanes,  je  ne  pus  juger  des 
progrés  de  l'orage. 

Lorsqu'il  arriva,  je  fus  frappé 
d'une  terreur  soudaine.  Des  nuages 
pourprés  parcouraient  avec  vitesse 
tout  l'horizon*  En  un  instant  tout 
le  ciel  fut  en  feu  ;  les  éclairs  se 
succédaient  sans  intervalle;  le 
tonnerre  grondait  d'une  manière 
e (Trayante.  Soudain,  la  pluie  se 
mit  à  tomber  à  torrents.,. 


Comportez,  pour  h  desâripHon 
dr  ces  puits,  Bartram,  I,  p.  303-4, 
p.  30 i-o  et  p.  406-7. 


I.  J'omets  ici  vingt  lignes  (les  signes  précurseurs  de  l'ouragan)  et  vingt  ligne» 
on  peu  pilM  bas  (le  ciel  qui  se  rassérène,   ¥tyÊ$*+  n»  96). 


CHATEAUBRIAND    EN    AMÉRIQUE. 


plus  beaux  arbres,  et  dont  les 
flancs  creusés  ressemblent  aux  pa- 
rois d'un  vase  rempli  d'une  eau 
pure.  De  brillants  poissons  nagent 
au  fond  de  cette  eau. 

Dans  la  saison  des  pluies,  les 
savanes  deviennent  des  espèces  de 
lacs  au-dessus  desquels  s'élèvent, 
comme  des  îles,  les  monticules 
dont  nous  venons  de  parler. 

Voyage,  p.  97. 

Cuscowilla,  village  siminole,  est 
situé  sur  une  chaîne  de  collines 
graveleuses  à  quatre  cents  toises 
d'un  lac;  des  sapins  écartés  les  uns 
des  autres,  et  se  touchant  seule- 
ment par  la  cime,  séparent  la  ville 
et  le  lac  :  entre  leurs  troncs,  com- 
me entre  des  colonnes,  on  aperçoit 
des  cabanes,  le  lac  et  ses  rivages 
attachés  d'un  côté  à  des  forêts,  de 
l'autre  à  des  prairies  ;  c'est  à  peu 
près  ainsi  que  la  mer,  la  plaine  et 
les  ruines  d'Athènes  se  montrent, 
dit-on,  à  travers  les  colonnes  iso- 
lées du  temple  de  Jupiter  Olym- 
pien. 

Il  serait  difficile  d'imaginer  rien 
de  plus  beau  que  les  environs  d'A- 
palachucla,  la  ville  de  la  paix.  A 
partir  du  fleuve  ChataUche,  le  ter- 
rain s'élève  en  se  retirant  à  l'hori- 
zon du  couchant;  ce  n'est  pas  par 
une  pente  uniforme,  mais  par  des 
espèces  de  terrasses  posées  les 
unes  sur  les  autres. 


A  mesure  que  vous  gravissez  de 
terrasse  en  terrasse,  les  arbres 
changent  selon  l'élévation  du  sol  : 
au  bord  de  la  rivière  ce  sont  des 
chênes-saules,  des  lauriers  et  des 
magnolias  ;  plus  haut  des  sassafras 


Bartram,  I,  317. 

Nous  n'étions  plus  fort  éloignés 
de  Cuscowilla.  Après  avoir  fait 
sept  ou  huit  milles  sous  de  magni- 
fiques ombrages,  nous  entrâmes 
dans  une  forêt  de  pins  clairsemés 
sur  deux  collines  sablonneuses,  qui 
s'élevaient  en  pente  douce;  et 
bientôt  nous  vîmes  au  travers  des 
arbres  briller  les  eaux  du  lac. 


Bartram,  II,  204  (Dublin,  388). 

Nous  arrivâmes  au  bord  de  la 
rivière  Chata-Uche...  Nous  repar- 
tîmes pour  Apalachucla,  ville  con- 
sacrée à  la  paix...  A  partir  de  la 
rivière,  le  terrain  s'élève  majes- 
tueusement par  des  plateaux  suc- 
cessifs, disposés  en  amphithéâtres. 
Chacun  de  ces  repos  forme  une 
plaine,  et,  à  mesure  qu'on  s'éloi- 
gne de  la  rivière,  les  degrés  sont 
plus  hauts  et  les  plateaux  plus 
étendus. 

Les  arbres  et  arbustes  qui  crois- 
sent dans  les  terres  basses  près 
de  cette  grande  rivière  sont  plata- 
nus  occidentales ,  lyriodendron  luli 
pifrra,  laurus  sassafras,  laurusben- 
zoïn,  magnolia  grandi/lova,  ulmus 


76 


REVUE    n  HISTOinK    UTTfclUlRE    DE    LA    KHAISCE. 


çampêtiriêi  Effarai  tuberifêra, 
punis  ;  gtiefetet,  diverse*  espaces; 
juglanti  diverses  espèces,  f,uJus 
tyfoatua<  Sur  le  haut  des  plan*  in- 
clinés, on  trouve,  outre  Ieft&rbrei 
déjà  cites,  éafciw  pltfca,  çornut 
flundn,  et  tffHf'rpha.  L*  plus  élevée 
dn  ces  terrasses  est  une  plaine  unie 
d'excellente  terre,  couverte  d'une 
haute  forêt  des  aruhes  susdésignï  s 

qitt^rus     tinrfnfUi,    JH'jffUts     rUjJHI, 

kickory,  tte* 


et  des  platanes;  plus  haut  encore 

des  ormes  et  des  noyers;  enfin  la 

dernière  terrasse  est  plantée  d'une 

forêt  de  chênes,  parmi  lesquels  on 

remarque  l'espace  qui   trafne   de 

tangues    mousses    blanches.    Des 

rœhern  nus  et  brisés  surmontent 

celte  forêt1. 

Des  ruisseaux  descendent  en  ser- 
pentant de  ce b  rocher* ,  coulent 

parmtles  fleurs  et  la  verdure,  ou  tom- 
bent en  nappes  de  cristal.  Lorsque, 

placé  de  Tau  Ire  côté  de  la  rivière 

Chata-Uche,  on  découvre  ces  vastes 

degrés  couronnés  par  r&rciûtec- 

ture  des  montagnes,  on  croirait 
voir  le  temple  de  la  nature  et  le 
magnifique  perron  qui  conduit  à  ce 

monument. 

Au  pird  de  cet  ampli i  théâtre  est 
une  plaine  où  paissent  des  trou- 
peaux de  taureaux  européens,  des 
escadrons  de  chevaux  de  race  espa- 
gnole, des  hordes  de  daims  et  de 
cerfe,  des  bataillons  de  grues  et  de 
dindes,  qui  mnrhrent  de  blanc  et 
de  noir  le  fond  verl  de  la  savane. 
Cette  association  d'animaux  do- 
motiques et  sauvages,  les  huttes 
^immoles  ou  Ton  remarque  les 
progrès  de  la  civilisation  à  travers 
l'ignorance  indienne,  achèvent  de 
donner  à  ce  tableau  un  caractère 
que  Ton  ne  retrouve  nulle  part. 

«  Ici  »,  ajoute  Chateaubriand  (p,  98),  «  finit,  à  proprement  parler, 
VJtinérairc  ou  le  mémoire  des  lieux  parcourus;  niais  il  reste  dans 
les  diverses  parties  du  manuscrit  une  multitude  de  détails  sur 
les  mœurs  et  les  usages  des  Indiens.  J'ai  réuni  ces  détails  dans 
des  chapitres  communs,  après  les  avoir  soigneusement  revus  H 
amené  ma  narration  jusqu'à  l'époque  actuelle.  Trente-six  ans 

L  On  voit  que,  s'il  fallait  en  croire  Bartram,  ces  arbres  croîtraient  péle-méle 
sur  le  même  soi.  Maïs,  bien  qu'en  quelques  pays  les  ormes  et  les  chênes  puissent 
pousser  rote  à  eolu,  les  heureuses  observations  de  Chateaubriand  nous  apprennent 
que.  sur  l'amphithéâtre  d'Àpaîachucla,  ces  diverses  essences  s*étagent,  sans  se 
confondre,  de  terrasse  en  terrasse. 


CHATRAI  "BRI  A  M»    E\    À  M  Mil  QUE.  77 

écoulés  depuis  mon  voyage  ont  apporté  bien  des  lumières,  et 
changé  bien  des  choses  dans  l'Ancien  et  le  Nouveau-Monde;  ils 
ont  dû  modifier  les  idées  et  rectifier  les  jugements  de  l'écrivain  , 
Avant  de  passer  aux  Mœurs  tirs  Sauvagêt^  je  mettrai  sous  les 
yeux  des  lecteurs  quelques  esquisses  de  Vhistoive  naturelle  de 
l'Amérique  septentrionale.  *  On  le  verra  î  plusieurs  de  ces  idées 
et  de  ces  jugements  n'étaient  pas,  en  1827,  vieux  de  trmle-six  ans; 
mais  bien  de  cinquante  ans»  puisque  Bartram  a  voyagé  de  1775 
à  1778;  ou  de  soixante  uns,  puisque  Carver  a  voyagé  de  1768 
h  1768;  ou  de  cent  six  ans,  puisque  le  P.  de  Çharlovoîx  voyageait 
eu  1721 

Histoire  Natlrkllk. 

CASTORS. 

Miilheur  au  voyageur  qui  aurait  fait  le  tour  da 
globe  et  qui  rentrerait  atbée  sous  le  toit  de  ses  pires! 
Nous  l'avons  visitée  au  milieu  de  la  nuit,  (a  vallée 
solitaire  habitée  par  les  castors!..*  Et  je  n'aurais  vu 
dans  celte  vallée  aucune  trace  de  l'Intelligence  divine  !  » 
{Génie  du  Christianisme,   I,  v,  4.) 


Voyage  p*  M  —  p.  106  =  Charlevoîx,  p,  91  —  p,  107. 

('es  sept  pages  de  Chateaubriand  répondent  à  ces  douze  pages 
de  Charlevoix,  à  peu  près  en  la  manière  que  voici  : 


Ymjtti(t\  p.  105* 

La  longueur  moyenne  du  castor 
est  île  deux  pieds  et  demi  à  trois 
pieds;  sa  largeur*  d'un  flanc  à 
l'autre,  d'environ  quatorze  pouces; 
il  peut  peser  quarante-cinq  livres; 
sa  tête  ressemble  k  celle  du  rat; 
ses  yeux  sont  petits,  ses  oreilles 
Courtes,  nues  en  dedans,  velues  en 
dehors;  ses  pattes  de  devant  n'ont 
guère  que  trois  pouces  de  long,  et 
sont  armées  d'ongles  creux  et 
aigus;  ses  pattes  de  derrière,  pal- 
mées comme  celles  du  cygne,  lut 
servent  à  nager;  la  queue  est 
plate,  épaisse  d'un  pouce,  recou- 
verte d'écaillés  hexagones,  dispo- 
sées  en   tuiles  comme  celles  des 


Charlevoîx,  p.  95,  sa. 

Les  plus  grands  castors  ont  un 
peu  moins  de  quatre  ou  cinq  pieds 
sur  quinze  pouces  de  large  d'une 
hanche  à  Tautre,  et  pèsent  soixante 
livres.,.  [P,  96]  La  tête  d'un  castor 
est  à  peu  près  de  ta  ligure  d'un  rat 
de  montagne.  Il  a...  les  yeux  petits, 
les  oreilles  courtes,  rondes,  velues 
par  dehors,  sans  poil  en  dedans. 
Ses  jambes  sont  courtes,  particu- 
lièrement celles  de  devant;  elles 
n'ont  guère  que  quatre  ou  cinq 
pouces  de  long;..,  les  ongles  en 
sont  taillés  de  biais  ,  et  aigus, 
comme  les  plumes  à  écrire.  Les 
pieds  de  derrière»*,  sont  garnis  de 
membranes  entre  les  doigts;  ainsi 


78 


REVUE   IMIISÎOlftE    LtTÏ 


poissons;  il  use  de  cette  queue  en 
guise   de    truelle  et  4  e    train  eau. 


Ses  mâchoires,  extrêmementfortes, 
se  croisent  ainsi  que  les  branches 
des  ciseaux  ;  chaque  mâchoire  est 
garnie  de  dix  dents,  dont  deux 
incisives  de  deux  pouces  de  lon- 
gueur :  c'est  l'instrument  avec 
lequel  le  castor  coupe  les  arbres^ 
equarrït  leqrs  troncs,  arrache  leur 
écorce,  el  broie  les  bois  tendres 
dont  il  se  nourrît. 

L'animal  est  noir,  rarement 
blanc  ou  brun;  il  a  deux  poils,  le 
premier  long,  creux  et  luisant;  le 
second,  espèce  de  duvet  qui  pousse 
suus  le  premier,  est  le  seul 
employé  dans  le  feutre.  Le  castor 
vil  vingt  ans.  La  femelle  est  plus 
grosse  que  le  mnh\  et  son  poil  est 
plus  grisâtre  sous  le  ventre,  Il 
n'est  pas  vrai  que  le  castor  se 
mutile  lorsqu'il  tombe  vivant  entre 
les  mains  des  chasseurs,  afin  de 
soustraire  sa  postérité  h  l'escla- 
vage. Il  faut  chercher  une  autre 
étymologie  à  son  nom. 


ÊHAIIlE    UK    feft     KKANCE. 

le  castor  nage  arec  la  même  faci- 
lité que  tout  animal  aquatique. 
[P,  97].  Sa  queue  est  épaisse  d'un 
pouce*..,  couverte  d'une  peau 
ccailleuse,  dont  les  écailles  sont 
hexagones.,,  et  sont  appuyées  b«- 
unes  sur  les  autres  comme  toutes 
celles  des  poissons. 

[P.  96],  Ses  mâchoires  ont  une 
force  extraordinaire...  elles  se  croi- 
sent comme  les  deux  tranchants, 
des  ciseaux,  ♦  .  Chaque  mâchoire 
est  garnie  de  dix  dents,  dunl  deux 
incisives  et  huit  molaires.  Les 
incisives  supérieures  onl  deux 
pouces  et  demi  de  long.  T.  102 
Ils  vivent...  d'écorces...  et  de  bois 
tendre, 

[P.  95]  Dans  les  quartiers  du 
Nord  les  plus  reculés»  les  CWtOM 
sont  noirs,  mais  il  s  y  en  rencontre 
quelquefois  de  blancs  ;  dans  les  paj  1 
plus  tempères,  ils  sont  bruns... 
leur  poil  est  de  deux  sortes  :  l'un 
est  rude,  gros,  luisant...  l'autre 
poil  est  un  duvet  très  fin...  et 
c'est  celui  qu'on  met  en  œuvre. 
P.  91}  On  prétend  que  le  castor 
vit  quinze  ou  vingt  ans.  ;  P.  99 
C'est  une  folie  que  de  dire...  que, 
quand  le  castor  se  voit  poursuivi, 
il  se  coupe  ces  prétendus  testicules 
et  les  abandonne  aux  chasseurs, 
ptmr  mettre  sa  vie  en  sûretés. 
C'est  néanmoins  cette  fable  qui 
lui  a  fait  donner  le  nom  de  castor* 


Je  ne  remarque  guère,  dans  lout  ce  chapitre  du  Voyage,  qu'un 
trait  propre  à  Chateaubriand  :  dans  les  «  palais  de  la  Venise  dti 
la  Solitude  »  («  dans  cette  petite  Venise  »,  disait  déjà  Gharlevoix, 
p.  100),  il  y  at  assure  Chaloauhrîand  (p.  102)  n  des  infirmeries 
pour  les  malades  ». 


CHATEAUBRIAND   EN    AMÉRIQUE. 


•79 


OURS,    CERF,   ORIGNAL,    BISON,    FOUINE,    RENARDS,   LOUPS, 
RAT  MUSQUÉ,    CARCAJOU,   SERPENTS. 

Voyage,  p.  106-115. 

«  Nous  a?ioûs  consacré  à  l'histoire  naturelle   des 
études  que  nous  n'eussions  jamais  suspendues,  si  la 
Providence  ne  nous  eût  appelé  à  d'autres  travaux.  » 
{Génie  du  Christianisme,  I,  v,  4.) 

OURS. 

Voyage,  p.  106  =  Charlevoix,  p.  117. 

Quelques  traits  seulement  sont  pris  à  Charltvoix  :  j'ignore  la 
source  des  autres. 

CERF. 

Voyage,  p.  107. 
La  source  m'est  inconnue. 


ORIGNAL. 


Voyage,  p.  107. 
L'orignal  a  le  mufle  du  cha- 
meau, le  bois  plat  du  daim,  les 
jambes  du  cerf.  Son  poil  est  mêlé 
de  gris,  de  blanc,  de  rouge  et  de 
noir  ;  sa  course  est  rapide. 


Selon  les  Sauvages  ,  les  ori- 
gnaux ont  un  roi  surnommé  le 
grand  orignal;  ses  sujets  lui  ren- 
dent toutes  sortes  de  devoirs.  Ce 
grand  orignal  a  les  jambes  si 
hautes,  que  huit  pieds  de  neige  ne 
l'embarrassent  (.oint  du  tout.  Sa 
peau  est  invulnérable  ;  il  a  un  bras 
qui  lui  sort  de  l'épaule,  et  dont  il 
use  de  la  même  manière  que  les 
hommes  se  servent  de  leurs  bras. 


Les  jongleurs  prétendent  que 
l'orignal  a  dans  le  cœur  un  petit 
os  qui,  réduit  en  poudre,  apaise 
les  douleurs  de  l'enfantement;  ils 
disent  aussi  que  la  corne  du  pied 


Charlevoix,  p.  126-8. 

[P.  126]  L'orignal  a  le  mufle 
gros  et  rabattu  comme  celui  du 
chameau;  son  bois  est  plat  et 
fourchu  comme  celui  du  daim...  Il 
a  des  jambes  de  cerf...  [P.  128] 
Son  poil  est  mêlé  de  gris-blanc  et 
de  rouge-noir.  [P.  127]  L'orignal 
va  toujours  grand  trot... 

Il  court  parmi  ces  barbares  une 
assez  plaisante  tradition  d' un  grand 
orignal...  Il  ne  manque  jamais 
d'avoir  à  sa  suite  un  grand  nombre 
d'orignaux  qui  lui  rendent  tous 
les  services  qu'il  exige  d'eux...  11 
a,  disent-ils,  les  jambes  si  hautes 
que  huit  pieds  de  neige  ne  l'em- 
barrassent point.  Sa  peau  est  à 
l'épreuve  de  toutes  sortes  d'armes, 
et  il  a  une  manière  de  bras  qui  lui 
sort  de  l'épaule,  et  dont  il  se  sert 
comme  nous  faisons  des  nôtres. 

[P.  128]  L'on  prétend  que  l'ori- 
gnal a  dans  le  cœur  un  petit  os, 
lequel,  réduit  en  poudre,  facilite 
les  couches  et  apaise  les  douleurs 
de  l'enfantement...    [P.   126]  On 


80 


IIEVL'E    b  HlSIOlUt-     LtTTLKALKK    DE    LA    FRAXCE. 


gauche  de  ce  quadrupède  appli- 
quée sur  le  cœur  des  épïleptiqaes 
les  guérit  radicalement.  L'orignal, 
ajoulent-ilâ,  est  lui-même  sujet  à 
IVpilrp>ic;  lorsqu'il  sent  appro- 
cher l'attaque,  il  se  lire  du  sang  de 
l*o rei 11 e gatieh e  avec  la  corne  de  son 
pied  gauche,  et  se  trouve  soulagé. 


prétend  que  l'orignal  est  sujet  à 

l'épi  le  psie  et  que,  quand  ses  accès 
le  prennent i  il  les  fait  passer  eu  se 
grattant  l  oreille  de  son  pied 
gauche  de  derrière,  jusqu'à  en 
tirer  h;  sang;  ce  qui  a  fait  regarder 
la  corne  de  ce  pied  comme  un 
spécifique  contre  le  haut  mal. 


BISON. 

VoiftKft\  p.  108-9  =  {'litft  ftt  ai  r,   p.  (31- 

Le  premier  alinéa  seul  est  pris  textuellement  à  Charlevoix.  Je 
n'ai  pas  retrouve  la  source  des  autres. 

KM  INE. 

V&yage%  p.  110;  cf.  Charlevoix,  p.  133. 
11  manque  à  la  description  de  Charlevoix  certains  détails,  que 
j'ai  certainement  lus  chez  Bartram,  ou  chez  Carver;  je  ne  puis 
retrouver  le  passage. 

Il  N\HL1S. 

Voyait,  p.  HO  =  Charlevoix,  p,  133, 


locps. 


Voyage,  p.  lit. 
Il  y  a  en  Amérique  diverses 
sortes  de  loups  :  celui  qu'on 
appelle  cerner  vient  pendant  la 
nuit  aboyer  autour  des  habita* 
Lions.  H  ne  hurle  jamais  qu'une 
fois  au  même  lieu  :  sa  rapidité  est 
si  grande  qu'en  moins  de  quelques 
minutée  on  entend  sa  voix  à  une 
distance  prodigieuse  de  l'endroit 
où  ïl  a  poussé  son  premier  cri. 


Bartram,  II,  28  (Dublin,  p,  278). 

Les  renards  (tkf  fojtei)  de  la 
Caroline  et  de  la  Floride  jappent 
la  nuit  autour  des  habitations. 
mais  jamais  ils  ne  jappent  deux 
fois  au  même  endroit.  Ils  chan- 
gent de  place  précipitamment»  et 
l'instant  d'après  qu'on  les  a  enten- 
dus d'un  côté,  on  les  entend  de 
l'autre  à  une  grande  distance. 


h  \t  MrsouÉ. 
Voyage,  p    111  _=  Charlevoix,  p.  107  et  p.  399. 

Càrcjuou 
Voyage^  p.  II 1-2  =  Charlevoix,  p,  129. 

serpents. 
Voyage,  p.  113-5. 

Je  reproduis,  presque  ht  extenso  \  l'article  des  serpents,  parce 


1.  À  l'exception  des  vingt  premières  lignes  (description  du  serpent  à  sonnettes  et 
généralités),  dont  je  n'ai  pas  retrouvé  l'origine. 


CHATEAUBRIAND   £!f   AMÉRIQUE. 


81 


qu'il  nous  enseigne  avec  netteté  le  procédé  matériel  de  compo- 
sition de  Chateaubriand. 

Un  serpent  noir  qui  porte   un      Charlevoixvffis/.tfc'/rfJ\oiiiv//#»-/'VM 


anneau  jaune  au  cou  est  assez 
malfaisant:  un  autre  serpent  tout 
noir,  sans  poison,  monte  sur  les 
arbres  et  donne  la  chasse  aux 
oiseaux  et  aux  écureuils.  Il  charme 
l'oiseau  par  ses  regards,  c'est-à- 
dire  qu'il  l'effraie.  Cet  effet  de  la 
peur,  qu'on  a  voulu  nier,  est 
aujourd'hui  mis  hors  de  doute  :  la 
peur  casse  les  jambes  à  l'homme; 
pourquoi  ne  briserait-elle  pas  les 
ailes  à  l'oiseau  ? 

Le  serpent  ruban,  le  serpent 
vert,  le  serpent  piqué,  prennent 
leurs  noms  de  leurs  couleurs  et 
des  dessins  de  leur  peau  ;  ils  sont 
parfaitement  innocents  et  d'une 
beauté  remarquable. 

Le  plus  admirable  de  tous  est  le 
serpent  appelé  de  verre,  à  cause 
de  la  fragilité  de  son  corps,  qui  se 
brise  au  moindre  contact.  Ce  rep- 
tile est  presque  transparent,  et 
reflète  les  couleurs  comme  un 
prisme.  11*  vit  d'insectes  et  ne  fait 
aucun  mal  :  sa  longueur  est  celle 
d'une  petite  couleuvre. 


Le  serpent  à  épines  est  court  et 
gros.  Il  porte  à  la  queue  un  dard 
dont  la  blessure  est  mortelle. 


Le  serpent  à  deux  tètes  est  peu 
commun  :  il  ressemble  assez  à  la 
vipère  ;  toutefois  ses  têtes  ne  sont 
pas  comprimées. 


t.  II,  p.  272. 

«  On  voit  [chez  les  Iroquois]  un 

serpent  noir,  qui  monte  sur  les 

arbres  et  qui  n'est  pas*  venimeux. 


Bartram,  II,  17, 18  (Dublin,  p.  271) 
décrit  à  la  suite  le  «  serpent 
ruban  »,  le  serpent  «  vert  »  et 
le  serpent  «  piqué  »,  comme  de 
beaux  serpents  inoffensifs. 

Bartram,  I,  337  (Dublin,  p.  194). 
La  couleur  générale  de  Vanguis 
frngilis  est  bleue,  ou  verdàtre, 
transparente  comme  celle  du  verre, 
ce  qui,  en  même  temps  que  sa  fra- 
gilité, ferait  croire...  qu'il  est 
réellement  de  cette  substance.  Il 
paraît  doux  et  aussi  peu  dangereux 
qu'un  ver.  Lorsqu'il  atteint  toute 
sa  croissance,  il  a  2  pieds  et  demi 
de  long. 

Bonnet,  Les  États-Unis  d'Amérique 
à  la  fin  du  XVW*  s.,  p.  357. 
Le  serpent  à  queue  épineuse  est 
ainsi  appelé  à  cause  de  deux 
épines  qu'il  a  au  bout  de  la  queue, 
avec  lesquelles  il  pique  mortelle- 
ment. 

Bonnet,  ibidem. 
Il  est  douteux  que  le  serpent  à 
deux  têtes  forme  une  espèce.  On 
n'en  a  encore  vu  que  deux  :  l'un 
qui  fut  pris  près  du  lac  Cham- 
plain  et  donné  en  présent  à  Lord 


Rsv.  d'hist.  litt£b.  ok  la  Franck  (7*  Ado.).—  VU. 


REVUE    D'HISTOIRE   LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Amerhst,  et  Tautre  conservé  dans» 
le  musée  du  collège  d'Yale. 


Carver,  p.  117. 
Le  serpent  siflleur  est  de  la 
petite  espèce  des  serpents  tachetés. 
Lorsque  quelque  animal  approche 
de  lui,  il  s'aplatit  aussitôt,  et  Ton 
voit  ses  taches,  qui  sont  de  diverses 
couleurs,  devenir  aussitôt  plus 
colorées.  11  pousse  en  même  temps 
de  sa  bouche  un  vent  subtil  et 
nauséabond  ;  et,  si  ce  vent  est  mal- 
heureusement respiré  par  quelque 
voyageur  inprudent,  il  éprouve 
une  maladie  de  langueur,  qui,  en. 
peu  de  mois,  le  conduit  au  tom- 
beau. 


Le  serpent  sifïleur  est  fort  mul- 
tiplié dans  la  Géorgie  et  dans  les 
Florides.  Il  a  dix-huit  pouces  de 
long;  sa  pe$u  est  sablée  de  noir 
sur  un  fond  vert.  Lorsqu'on  ap- 
proche de  lui,  il  s'aplatit,  devient 
de  différentes  couleurs,  et  ouvre  la 
gueule  en  sifflant.  Il  se  faut  bien 
garder  d'entrer  dans  l'atmosphère 
qui  l'environne  ;  il  a  le  pouvoir  de 
décomposer  l'air  autour  de  lui.  Cet 
air  imprudemment  respiré  fait 
tomber  en  langueur.  L'homme 
attaqué  dépérit,  ses  poumons  se 
vicient,  et,  au  bout  de  quelques 
mois,  il  meurt  de  consomption  : 
c'est  le  dire  des  habitants  du  pays. 

On  voit  clairement  que  Chateaubriand  opérait  sur  une  collec- 
tion de  fiches.  Pour  écrire  ce  petit  chapitre,  il  en  maniait  au 
moins  huit,  compilées  au  hasard  de  ses  lectures,  d'après  Charle- 
voix,  Bar  tram,  Carver,  Bonnet,  et  d'après  un  cinquième  natura- 
liste que  nous  ne  connaissons  pas.  Nous  n'avons  pu  reconstituer 
que  six  de  ces  fiches,  et  il  manque  encore  à  notre  musée  le 
serpent  à  sonnettes  et  certain  serpent  noir  et  jaune.  Du  moins 
avons-nous  eu  la  joie  de  retrouver  le  serpent  à  deux  tètes;  nous 
l'avions  recherché  avec  un  acharnement  de  collectionneur,  car 
il  est  ce  peu  commun  ». 

Mœurs  des  Sauvages. 


MARIAGES,    ENFANTS,    FUNÉRAILLES. 

Voyage,  p.  117-134. 

«  J'ai  étudié  au  bord  de  leurs  lacs  les  hordes 
américaines.  » 

•  (Itinéraire  de  Paris  à  Jérusalem,  V  partie, 
éd.  Le  Normand,  1811,  p.  204.) 

Je  ne  sais  où  Chateaubriand  a  pris  sa  description  des  rites  du 
mariage  sauvage  —  très  semblables  à  des  scènes  de  ballet,  —  et 


CHATEAUBRIAND   EN   AMÉRIQUE.  83 

par  exemple  ces  étranges  maçons  qui,  sans  repos,  pour  cons- 
truire la  cabane  des  époux,  dansent  en  chantant  des  chansons. 
Quelques  détails  sont  dus  à  Carver,  quelques  pages  à  Charlevoix. 
Chateaubriand  doit  à  Carver  :  ses  données  sur  le  châtiment  des 
adultères  (Voy.>  p.  127,  =  Carver,  p.  282);  —  sa  description  des 
berceaux  (Voy.>  p.  131,  =  Carver,  p.  167);  —  le  rite  des  épou- 
sailles, que  Carver  rapporte  ainsi  (Voy.y  p.  125-7,  =  Carver, 
p.  279)  : 

«  Les  futurs  se  placent  sur  une  natte,  au  centre  de  la  cabane,  et 
prennent  chacun  Tune  des  extrémités  d'une  baguette  de  quatre  pieds  de 
long...  Ils  dansent  et  chantent,  après  quoi  ils  brisent  la  baguette  en 
autant  de  parties  qu'il  y  a  de  témoins  présents.  Chacun  d'eux  en  prend 
une  pièce  et  la  conserve  soigneusement...  En  cas  de  divorce,  ils  la 
jettent  au  feu  en  présence  des  parties.  » 

Carver  a  encore  fourni  à  Chateaubriand  ce  détail  (Voy.y  p.  130, 
=  Carver,  p.  285)  :  «  Les  enfants  des  sauvages  portent  toujours 
le  nom  de  leurs  mères.  C'est  que  les  enfants,  disent-ils,  sont 
l'ouvrage  du  père  quant  à  l'âme,  et  de  la  mère  quant  au  corps.  » 

Voici  le  relevé  des  emprunts  à  Charlevoix  : 

Voyage,  Charlevoix, 

p.  126.  Présents  de  noces p.  283-4 

127.  Pluralité  des  femmes,  ou  des  maris 286 

128.  Longue  continence  imposée  aux  nouveaux  époux.  .  284  et  288 

128.  Mariages  entre  beau-frère  et  belle-sœur, 284 

128-9.  Hutte  des  purifications 288 

130.  Imposition  des  noms  aux  enfants 289 

131.  Funérailles 373 

131-2.  Festins  funéraires.   .   .   .   , 351-2  et  373 

132.  Pratiques  de  deuil 375-6 

132.  Sauvages  tués  à  la  chasse 374 

132.  Temps  d'exhumation  publique 376 

MOISSONS,   FÊTES. 

Voyage,  p.  134-142: 

Quelques  données  seulement  semblent  dues  à  Charlevoix  (  Voy., 
p.  134,  cf.  Charlevoix,  p.  330;  Voy.y  p.  143,  cf.  Charlevoix, 
p.  121-3).  La  Fête  du  blé  vert  est  décrite  par  Le  Page  du  Pratz, 
Histoire  de  la  Louisiane,  1758,  t.  II,  p.  360,  ss.  Il  est  probable 
que  Chateaubriand  a  exploité  ici,  outre  Le  Page  du  Pratz,  une 
autre  source  ;  mais  Le  Page  du  Pratz  lui  était  familier,  comme  le 
prouve  cette  recette  de  cuisine  : 


84  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Voyage,  p.  135.  Le  Page  du  Pratz,  II,  p.  5. 
Les  quenouilles  de  maïs,  mises  On  fait  cuire  à  moitié  le  mahiz 
bouillir  dans  de  l'eau  de  fontaine,  dans  l'eau,  puis  on  le  fait  bien 
sont  retirées  à  moitié  cuites  et  sécher...  et  roussir...  et  on  le 
présentées  à  un  feu  sans  flamme,  remue  sans  cesse  afin  qu'il  ne 
Lorsqu'elles  ont  acquis  une  cou-  prenne  que  la  cguleur  rousse, 
leur  roussàtre,  on  les  égrainedans  Lorsqu'il  a  pris  celte  couleur,  on 
un  poulagan  ou  mortier  de  bois,  le  frotte  bien  et  on  le  met  dans  un 
On  pile  le  grain  en  l'humectant,  mortier.  Ensuite,  on  le  pile  douce- 
Cette  pâte,  coupée  en  tranches  et  ment...  avec  un  peu  d'eau...  On 
séchée  au  soleil,  se  conserve  un  concasse  ce  gruau  el  on  le  fait 
temps  infini.  Lorsqu'on  veut  en  sécher  au  soleil...  Cette  farine  peut 
user,  il  suffit  de  la  plonger  dans  se  garder  six  mois...  Pour  en 
de  l'eau,  du  lait  de  noix  ou  du  jus  manger,  on  la  mélange  d'eau... 
d'érable  ;  ainsi  détrempée,  elle  Cette  même  farine,  mêlée  avec  du 
offre  une  nourriture  saine  et  lait  et  un  peu  de  sucre;  peut  être 
agréable.  servie  sur  les  meilleures  tables. 

Quanta  la  fête  du  Feu  nouveau  (Voy.9  p.  136-140),  il  semble 
que,  pour  composer  sa  poétique  description,  Chateaubriand  ait 
combiné  des  données  prises  à  Le  Page  du  Pratz,  à  ce  passage  de 
Bartram  (II,  405,  Dublin,  p.  507-8)  :  on  y  reconnaîtra  notamment 
une  phrase  que  Chateaubriand  transpose  en  style  direct  (p.  136) 
pour  la  faire  proclamer  «  à  son  de  conque,  par  un  crieur  public  ». 

«  A  l'ouverture  de  la  fête  du  feu  nouveau,  les  Creeks,  après  s'être 
pourvus  de  nouveaux  habits,  vases,  poêles  et  autres  ustensiles  de 
ménage,  ramassent  tous  leurs  vêtements  usés,  et  les  jettent  avec  toutes 
les  ordures  des  maisons  et  le  reste  de  leurs  grains  et  provisions  dans 
un  grand  feu  qui  les  consume.  Pendant  trois  jours,  ils  prennent  méde- 
cine et  observent  un  jeûne  rigoureux.  Une  amnistie  générale  est  pro- 
noncée. Il  est  permis  à  tous  les  malfaiteurs  de  rentrer  dans  leurs  bour- 
gades; leurs  crimes  sont  pardonnes;  ils  sont  absous  et  rentrent  en  grâce. 
Le  malin  du  quatrième  jour,  le  grand  prêtre,  en  frottant  des  bois  secs, 
produit  un  feu  nouveau  au  milieu  de  la  place  publique,  où  chaque 
habitation  en  envoie  prendre.  » 

RÉCOLTE   DU  SUC  D'ÉRABLE. 

J.-E.  Bonnet,  Les  États-Unis  d'Amé- 
rique à  la  fin  du  XVI  11°  siècle. 
Voyage,  p.  143-5.  t    jji 

La   récolte  du  suc  d'érable  se         P.  290.  —  La  saison  pour  percer 

1.  Bonnet  dit  qu'il  rédige  ce  chapitre  d'après  •  le  troisième  volume  des  Tran- 
sactions de  la  Société  philosophique  américaine  »,  publication  que  je  ne  me  suis  pas 
procurée. 


CHATEAUBRIAND  EN  AMÉRIQUE. 


85 


faisait  et  se  fait  encore  parmi  les 
Sauvages  deux  fois  Tannée.  La 
première  récolte  a  lieu  vers  la  fin 
de  février,  de  mars  ou  d  avril, 
selon  la  latitude  du  pays  où  croît 
l'érable  à  sucre.  L'eau  recueillie 
après  les  légères  gelées  de  la  nuit 
se  convertit  en  sucre,  en  la  faisant 
bouillir  sur  un  grand  feu.  La  quan- 
tité de  sucre  obtenue  par  ce  pro- 
cédé varie  selon  les  qualités  de 
l'arbre.  Ce  sucre,  léger  de  diges- 
tion, est  d'une  couleur  verdâtre, 
d'un  goût  agréable  et  un  peu 
acide. 

La  seconde  récolte  a  lieu  quand 
la  sève  de  l'arbre  n'a  pas  assez  de 
consistance  pour  se  changer  en 
suc.  Cette  sève  se  condense  en  une 
espèce  de  mélasse,  qui,  étendue 
dans  de  l'eau  de  fontaine,  offre  une 
liqueur  fraîche  pendant  les  cha- 
leurs de  l'été. 

On  entretient  avec  grand  soin  le 
bois  d'érable  de  l'espèce  rouge  et 
blanche.  Les  érables  les  plus  pro- 
ductifs sont  ceux  dont  l'écorce 
parait  noire  et  galeuse.  Les  Sau- 
vages ont  cru  observer  que  ces 
accidents  sont  causés  par  le  pivert 
noir  à  tête  rouge,  qui  perce  l'érable 
dont  la  sève  est  plus  abondante. 
Ils  respectent  ce  pivert  comme  un 
oiseau  intelligent  et  un  bon  génie. 

A  quatre  pieds  de  terre  environ, 
on  ouvre  dans  le  tronc  d'érable 
deux  trous  de  trois  quarts  de  pouce 
de  profondeur,  et  perforés  du  haut 
en  bas  pour  faciliter  l'écoulement 
de  la  sève. 

Ces  deux  premières  incisions 
sont  tournées  au  midi;  on  en  pra- 
tique deux  autres  semblables  du 
côté  du  nord.  Ces  quatre  taillades 
sont  ensuite  creusées  à  mesure  que 
l'arbre   donne  sa  sève,  jusqu'à  la 


les  arbres  est  en  février,  mars  ou 
avril,  selon  le  temps  qui  règne  en 
ces  mois.  Il  y  a  toujours  une  sus- 
pension de  liqueur  dans  la  nuit,  si 
à  un  jour  chaud  succède  une  nuit 
froide.  La  quantité  de  sucre  que 
l'on  obtient  chaque  jour  d'un 
arbre  varie  de  cinq  gallons  à  une 
pinte. 


P.  293.  —  Dans  la  dernière 
partie  du  printemps  comme  dans 
l'été  ou  au  commencement  de 
l'automne,  l'arbre  à  sucre  donne 
une  eau  légère,  mais  qui  n'est  pas 
saturée  de  sucre;  c'est  une  boisson 
agréable  pendant  la  moisson. 

P.  287.  —  Les  érables  les  meil- 
leurs sont  ceux  qui  ont  été  percés 
en  cent  places  par  les  piverts  qui 
se  nourrissent  de  ce  suc.  Les 
arbres  ainsi  blessés  répandent  leur 
liqueur  sur  la  terre  et  ensuite 
prennent  une  couleur  noire. 


P.  292.  —  On  enfonce  dans 
l'érable  une  tarière  environ  trois 
quarts  de  pouce  dans  la  direction 
de  bas  en  haut,  pour  empêcher  la 
liqueur  d'être  gelée  le  matin  ou  le 
soir,  si  elle  coulait  doucement... 
On  perce  l'érable  d'abord  du  côté 
du  midi,  et  lorsque  l'effusion  de  la 
liqueur  commence  à  diminuer,  on 
l'ouvre  du  côté  du  nord...  on 
enfonce  la  tarière  jusqu'à  deux 
pouces;  on  introduit    un    tuyau 


8a                           REVUE    d'uîSTGIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

profondeur   de    deux    pouces    et 

dans  le  trou,  environ  un   demi- 

demi. 

pouce. 

Deux  auges  de  bois  sont  placées 

On  place  sous  le  tuyau  une  auge 

aux  deux  faces  de  l'arbre»  au  nord 

de   pin    blanc  ou   de    tilleul,.,  le 

et   au    midi,   et    des    tuyaux  de 

tuyau   est  ordinairement   fait   de 

sureau,  introduits  dans  les  fentes, 

bois  de  sumach  ou  de  sureau. 

servent  à  diriger  la  sève  dans  ces 

auges. 

Toutes  leg  vingt-quatre  heures, 

On  verse  tous  les  jours  la  liqueur 

on  enlève    le   suc  écoule;    on  le 

dans   un  large    réservoir;   de   ce 

porte  sous  des  hangars  couverts 

réservoir  on  le   met  sur  le  four- 

d'écorc*; on  le  faut  bouillir  dans 

neau,  —  P.  295.  La  chaudière  esl 

un  bassin  de  pierre  en  l'ëcumaût 

couverte  par  un  hangar. 

Lorsqu'il  ast  réduit  à  moitié  par 

l'action  d'un  feu  clair,  on  le  trans- 

i 

vase  dans  un  autre  bassin t  où  l'on 

continue  à  le  faire  bouillir  jusqu'à 

ce  qu'il  ait  pris  la  consistance  d'un 

sirop.    Alors,    retiré    du    feu,    il 

repose  pendant  douze  heures.  Au 

bout  de  ce  temps,  on  le  précipite 

. 

dans  un  troisième  bassin,  prenant 

soin  de  ne  pas  remuer  le  sédiment 

tombé  au  fond  de  la  liqueur. 

Ce  troisième  bassin  est  à  son 

P.  296.  —  On  met  dans  la  chau- 

tour remis  sur  des  charbons  demi- 

dière  du  beurre  ou  de  la  graisse  de 

brûlés  et  sans  flammes.  Un  peu  de 

cochon  pour  empêcher  la  liqueur 

graisse  est  jeté  dans  le  sirop  pour 

de  sortir  en  bouillonnant. 

l'empêcher  de  surmonter  les  bords 

du   vase.    Lorsqu'il    commence    à 

« 

filer,  il  faut  se  hâter  de  le  verser 

dans  un  quatrième  et  dernier  bas- 

sin de  bois,  appelé  te  refroidineur. 

Une  femme  vigoureuse  le  remue 

en  rond,  sans  discontinuer,  avec 

P.    296.    —    Le    sucre,    après 

un  bàlun  de  cèdre,  jusqu'à  ce  qu'il 

avoir  suffisamment  bouilli,  devient 

ait  pris  le   grain  du  sucre.  Alors 

grené  ;  on  le  fait  sécher,  on  le  raf- 

elle   le    coule    dans    des    moules 

fine  et  on  le  convertit  en  pain.  — 

d'écorce  qui  donnent  au  fluide  coa- 

P. 305.  Les  moules  où  on  coule  le 

gulé    la   forme    de    petits    pains 

sucre  doivent  être  faits   avec   du 

coniques    :    l'opération    est    ter- 

bois sec;  on  leur  donne  la  forme 

minée. 

d'une  trémie  de  moulin. 

Quand    il    ne    s'agit    que    des 

mélasses,  le  procédé  finit  au  second 

feu. 

L'écoulement  des  érables  dure 

CHATEAUBRIAND   E!f   AMÉRIQUE.  «7 

quinze  jours,  et  ces  quinze  jours 
sont  une  fête  continuelle.  Chaque 
matin  on  se  rend  au  bois  d'érables, 
ordinairement  arrosé  par  un  cou- 
rant d'eau.  Des  groupes  d'Indiens 
et  d'Indiennes  sont  dispersés  aux 
pieds  des  arbres;  des  jeunes  gens 
dansent  et  jouent  à  différents 
jeux;  des  enfants  se  baignent  sous 
les  yeux  des  sachems.  A  la  gaité 
de  ces  sauvages,  à  leur  demi-nudité, 
à  la  vivacité  des  danses,  aux  luttes 
non  moins  bruyantes  des  bai- 
gneurs, à  la  mobilité  et  à  la  fraî- 
cheur des  eaux,  à  la  vieillesse 
des  ombrages,  on  croirait  assister 
à  Tune  de  ces  scènes  de  Faunes  et 
de  Dryades  décrites  par  les  poètes  : 

Tu  m  vero  in  nu  mer  u  m  Faunosque 
ferasque  videres  Ludere. 

PÊCHES. 

Voyageai*.  146-8. 

Chateaubriand  consacre  ces  deux  pages  (  Voy.y  p.  175-8)  à  chanter 
«  Tépithalame  du  filet  ».  Sur  cette  curieuse  coutume,  le  P.  de 
Charlevoix  avait  dit  simplement  (p.  153)  : 

«  Les  sauvages  pèchent  aussi  avec  la  seine,  et  ils  s'y  disposent  par 
une  cérémonie  assez  bizarre.  Avant  que  de  se  servir  de  ce  filet,  ils  le 
marient  avec  deux  filles  vierges,  et  pendant  les  festins  de  noce,  ils  le 
placent  entre  les  deux  épouses.  On  l'exhorte  ensuite  fort  sérieusement 
à  prendre  beaucoup  de  poisson,  et  on  croit  l'y  engager,  en  faisant  de 
.grands  présents  à  ses  prétendus  beaux-pères.  » 

Sur  quoi  Chateaubriand  nous  rapporte,  en  bon  folkloriste, 
•comment  les  jeunes  filles  et  le  filet  étaient  mariés  par  le  jongleur 
avec  les  cérémonies  d'usage;  comment  les  nouvelles  épouses, 
enveloppées  dans  le  filet,  étaient  portées  en  grande  pompe 
jusqu'au  fleuve;  comment,  à  minuit,  après  une  pêche  aux  flam- 
beaux, le  jongleur  déclarait  que  le  filet  voulait  se  retirer  avec  ses 
deux  épouses,  comment  on  chantait  alors  la  gloire  du  filet,  vain- 
queur de  l'esturgeon,  et  des  strophes  qui  disaient  la  douleur  des 
«  veuves  »  des  poissons  :  «  En  vain  ces  veuves  apprennent  à 
nager,  elles  ne  reverront  plus   ceux  avec  qui  elles  aimaient  à 


88  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

errer  dans  les  forêts  sous  les  eaux!  elles  ne  se  reposeront  plus 
avec  eux  sur  des  couches  de  mousse!...  » 

Le  lecteur,  curieux  de  s'informer  plus  avant  sur  ces  poissons 
dont  les  veuves  ne  savent  pas  encore  nager,  les  retrouvera  tous 
dans  Charlevoix.  Exemple  : 

Voyage,  p.  147.  Charlevoix,  p.  152. 
On  peignoit  la  déroute  de  l'ar-  Le  lencornet  a  des  barbes  dont  il 
mée  entière  des  poissons  :  le  len-  se  sert  pour  prendre  d'autres  pois- 
cornet  dont  les  barbes  servent  à  sons...  P.  153  :  il  sort  de  dessous 
entortiller  son  ennemi,  le  chaou-  la  gueule  duchaousaron  une  arête 
saron,  pourvu  d'une  lance  dente-  plate,  dentelée,  creuse  et  percée 
lée,  creuse  et  percée  par  le  bout,  par  le  bout; P.  282  :  i'astikamègue 
l'artimègue  qui  déploie  un  pavil-  ou  poisson  blanc... 
Ion  blanc,  les  écrevisses  qui  précè- 
dent les  guerriers-poissons,  pour 
leur  frayer  le  chemin;  tout  cela 
étoit  vaincu  par  le  filet. 

On  remarquera  que  Chateaubriand  déforme  ici  le  nom  de 
deux  poissons  sur  trois  :  il  baptise  chaousaron  la  chaousarou,  et 
artimègue  Yastikamègue.  Il  est  vrai  que  plus  haut  (v.  ci-dessus, 
p.  62),  il  avait  appelé  ce  même  poisson  Yartikamègue. 

DANSES. 

Voyage y  p.  148-9. 

Comme  Chateaubriand  décrit  des  danses  presque  en  chacun 
des  chapitres  qui  précèdent  et  suivent,  comme  ses  sauvages  dan- 
sent en  moissonnant,  pèchent  en  dansant,  dansent  en  maçonnant, 
dansent  pour  fumer  le  calumet,  pour  chasser,  pour  se  marier, 
pour  faire  la  guerre,  la  paix,  l'amour,  il  se  trouve  ici  fort 
dépourvu.  Ses  fiches  inemployées  ne  lui  fournissent  plus  que  la 
danse  des  braves  et  deux  autres  danses  de  guerre  (Voy.,  p.  148-9). 
La  danse  des  braves  ressemble  —  mais  sans  coïncidences  verbales  — 
à  une  danse  décrite  par  Le  Page  du  Pratz,  Histoire  de  la  Loui- 
siane, II,  376-8.  Je  n'ai  pas  retrouvé  l'origine  des  deux  autres. 

JEUX. 

Voyage,  p.  149-55. 

Après  quelques  généralités,  Chateaubriand  consacre  tout  cet 
article  à  deux  sortes  de  jeux  des  Sauvages  :  le  jeu  des  plumes,  qui 
est  un  «  jeu  de  la  virilité  »,  et  le  jeu  des  osselets,  qui  est  un  «  jeu 
de  l'oisiveté  et  des  passions  ». 


CHATEAUBRIAND    EN    AMÉRIQUE.  80 

Ce  petit  chapitre  tout  entier  est  composé  d'après  Charlevoix, 
très  fidèlement  interprété  : 

Voyage,  p.  151.  Jeu  des  plumes Charlevoix,  p.  319. 

—  151-155.    Jeu  des  osselets —  260-3. 

ANNÉE.  —  DIVISION   ET  RÈGLEMENT  DU   TEMPS.  —  CALENDRIER   NATUREL. 

Voyage ,  p.  156-9. 

Chateaubriand,  par  exception,  indique  ici  ses  sources  :  «  Les 
noms  des  douze  lunes  varient  selon  le  pays  et  les  usages  des 
diverses  peuplades.  Charlevoix  en  donne  un  grand  nombre.  Un 
voyageur  moderne,  Beltrami,  donne  ainsi  les  mois  des  Sioux  et 
les  mois  des  Cipawoix.  »  Il  s'agit  sans  doute  ici  du  Voyage  de 
Baltrami  aux  sources  du  Mississipi,  publié  en  1823,  que  je  n'ai 
pas  réussi  à  me  procurer.  Pour  les  emprunts  à  Charlevoix,  cf.  son 
Journal  historique,  p.  400-2. 

MÉDECINE. 

Voyage,  p.  160-6. 

Ce  chapitre  est  dû  tout  entier  à  Charlevoix,  sauf  quelques  ali- 
néas : 

Voyage,  Charlevoix, 

p.  160.  Usage  des  simples,  garentoguen p.316,cf.His*.iV0M>.- 

Fr.,  Descr.,  p.   10 

160.  Sassafras Ibid.,  p.  10 

160.  Lychnis Ibid.,  p.  11 

160.  Bellis Ibid.,  p.  14 

160.  Hedisaron Ibid.,  p.  40-1 

161-2.  Chirurgie p.  365-6 

«162.  Boite  l'umigaloire Ibid.,  I,  p.  126 

162-3.  Femmes  accouchées  par  frayeur Journal,  p.  288 

163-4.  Imposture  des  jongleurs p.  368 

164.  Chiens  égorgés p.  372 

164-5;  Les  jongleurs  dans  la  cabane  des  sueurs.  .    .  p.  381-2 

165.  Le  petit  os p.  369 

165-6.  Malades  frénétiques p.  354 

Tous  ces  passages  de  Charlevoix  ont  été  diligemment  trans- 
posés, sauf  de  menues  trahisons.  Que  signifie,  par  exemple,  ce 
rébus?  «  Les  sauvages,  dit  Chateaubriand  (p.  160),  connaissent 
une  multitude  de  simples  propres  à  fermer  les  blessures  :  ils  ont 
l'usage  du  garenl-oguen,  qu'ils  appellent  encore  abasout-chenza, 
à  cause  de  sa  forme;  c'est  le  ginseng  des  Chinois.  »  Nous  voilà 
bien  informés,  si  par  hasard  nous  ignorons  la  valeur  du  mot 
*  abasout-chenza  en  iroquois.  Heureusement,  le  P.  de  Charlevoix  nous 
tirera  de  peine  :  «  Les  sauvages,  nous  apprend-il  (Descr.,  p.  10), 


00 


REVUE    D'HISTOIRE    LITTERAIRE    DE    LA    FRANCE. 


appellent  aussi  le  tjarent-otjuen  du  nom  A"  abesoutchenza  [et  non 
aùasoutcheuza],  qui  veut  dire  un  enfant,  à  cause  de  la  forme  de  sa 
racine.  »  D'ailleurs  colle  plante  qui,  selon  Chateaubriand,  «  ferme 
les  blessures  »,  ne  sérail  propre,  selon  Charlcvoix,  qu'à  rendre 
les  femmes  fécondes.  »  Qui  croire? 

À  la  fin  de  66  chapitre  (p.  166),  Chateaubriand  a  nommé  une 
fois  le  P.  de  Charlevoix,  mais  c'est  qu'il  avait  à  compléter  son 
information.  Charlevoix  (p.  354),  pour  montrer  jusqu'où  les 
sauvages  portent  l'extravagance  au  sujet  des  songes,  avait 
raconté  un  fait  «  attesté  par  deux  témoins  irréprochables  »,  deux 
missionnaires.  Us  avaient  vu  un  jour  un  sauvage  pris  de  fré- 
nésie. On  lui  demanda  quel  était  son  mal.  «  J'ai  rêvé,  ré  pondit- il, 
qu'un  huart  m'était  entré  dans  l'estomac.  »  Sur  quoi,  tous  se 
mirent  à  contrefaire  les  insensés  et  à  crier  qu'ils  avaient  aussi  un 
animal  dans  l'estomac,  et  à  contrefaire.,,  qui  une  oye,  qui  un 
canard,  qui  une  outarde,  qui  une  grenouille  :  le  rêveur  contrefit 
aussi  son  huart.  » 

Chateaubriand  a  remplacé  ce  huart1  (déjà  mal  commode  au 
malade,  semblait- il)  par  un  bison  :  «  Le  médecin  cherche  à 
pénétrer  la  cause  du  délire  du  malade...  J'ai  rêvé,  répond  celui-ci, 
que  j'avais  un  bison  dans  l'estomac,  La  famille  semble  cons- 
ternée; mais  soudain,  les  assistants  s'écrient  qu'ils  sont  aussi 
possédés  d'un  animal  :  l'un  imite  le  cri  d'un  caribou,  l'autre  le 
hurlement  d'un  loup;  le  malade  contrefait  à  son  tour  le  mugis- 
sement de  son  bison.  » 

Et  Chateaubriand  d  ajouter  :  «  Ces  folies,  mentionnées  par 
Charlevoix,  se  renouvellent  tous  les  jours  chez  les  Indiens.  » 

Il  reste  quatre  alinéas  de  ce  chapitre  dont  je  n'ai  pas  retrouvé 
l'origine  dans  les  œuvres  du  P.  de  Charlevoix.  J'ignore  la  source 
de  deux  d'entre  eux  (le  sac  de  médecine,  p.  162;  et  quon  ne 
prononce  jamais  le  moi  de  mort  devant  un  ami  du  ma(ad^\  p.  163)* 
Les  deux  autres  ont  été  suggérés  par  Carver.  Les  voici  :  Carver 
(p,  296-7)  raconte  qu'à  Penobscot,  dans  la  province  de  Main,  la 
femme  d'un  soldat  étant  restée  trois  jours  en  travail  d'enfant, 
malgré  les  soins  d'un  chirurgien  et  d'une  sage-femme,  une  femme 
indienne  la  délivra  en  la  bâillonnant.  Chateaubriand  rapporte, 
d'après  Carver,  cette  pratique  et  ajoute  ces  lignes  émues  (p.  162): 
«  On  avertit  toujours  la  femme  en  travail  avant  de  recourir  à  ce 
moyen;  elle  n'hésite  jamais  à  se  sacrifier.  » 

L'aulre  emprunt  à  Carver  est  cette  description  de  la  «  cabane 
des  su»  i 


I.  Espèce  de  cormoran»  dit  Ch&rlevoii,  p.  193. 


CHATEAUBRIAND   EN    AMÉRIQUE. 


91 


Voyage,  p.  461. 
La  cabane  des  sueurs  est  cons- 
truite avec  des  branches  d'arbres 
plantées  en  rond  et  attachées  en- 
semble par  la  cime,  de  manière  à 
former  un  cône  ;  on  les  garnit  en 
dehors  de  peaux  de  différents  ani- 
maux :  on  y  ménage  une  très  pe- 
tite ouverture  pratiquée  contre 
terre,  et  par  laquelle  on  entre  en 
se  traînant  sur  les  genoux  et  sur 
les  mains.  Au  milieu  de  cette  étuve 
est  un  bassin  plein  d'eau  que  Ton 
fait  bouillir  en  y  jetant  des  cail- 
loux rougis  au  feu;  la  vapeur  qui 
s'élève  de  ce  bassin  est  brûlante, 
et  en  moins  de  quelques  minutes 
le  malade  se  couvre  de  sueur. 


Carver,  p.  296. 
La  manière  dont  les  sauvages 
construisent  leurs  étuves  est  sim- 
ple. Us  placent  en  rond  six  petites 
perches,  qu'ils  attachent  ensemble 
par  le  sommet,  de  manière  à  for- 
mer une  rotonde,  et  ils  les  recou- 
vrent de  fourrures.  On  ne  laisse 
qu'une  petite  ouverture,  à  pouvoir 
se  glisser  dedans.  Au  centre  de 
cette  construction,  l'on  place  des 
pierres  rougies  au  feu,  sur  les- 
quelles on  jette  de  l'eau;  il  s'en 
élève  une  vapeur...  qui  procure  au 
malade  une  transpiration  abon- 
dante. 


LANGUES  INDIENNES. 

Voyage,  p.  167-176. 

Presque  tout  ce  chapitre  porte  sur  la  grammaire  des  Hurons. 
Or  Chateaubriand  nous  dit  en  note  :  «  J'ai  puisé  la  plupart  des 
curieux  renseignements  que  je  viens  de  donner  sur  la  langue 
huronne  dans  une  petite  grammaire  iroquoise  manuscrite  qu'a 
bien  voulu  m'envo.ver.M.  .Marcoux,  missionnaire  au  saut  Saint- 
Louis,  district  de  Montréal.  »  Plusieurs  de  ces  renseignements 
sont  «  curieux  »,  en  efFet;  tel  celui-ci  (p.  170)  : 

«  Le  huron  est  une  langue  complète,  ayant  ses  verbes,  ses  noms,  ses 
prônons  et  ses  adverbes.  » 

Sommes-nous  pourtant  redevables  à  M.  Marcoux  de  cette  pré- 
cieuse observation  philologique?  Non,  mais  encore  au  P.  de 
Charlevoix,  interprété  par  Chateaubriand,  comme  le  fait  voir  ce 
rapprochement  : 


Voyage,  p.  470. 
Le  huron  est  une  langue  com- 
plète ayant  ses  verbes,  ses  noms, 
ses  pronoms  et  ses  adverbes.  Les 
verbes  simples  ont  une  double 
conjugaison,  l'une  absolue,  l'autre 
réciproque  ;  les  troisièmes  person- 
nes ont  les  deux  genres,  et  les 


Charlevoix,  p.  197. 
Dans  le  huron,  tout  se  conju- 
gue :  un  certain  artifice,  que  je  ne 
vous  expliquerais  pas  bien,  y  fait 
distinguer  les  noms,  les  pronoms, 
les  adverbes,  etc.,  des  verbes.  Les 
verbes  simples  ont  une  double 
conjugaison,  l'une  absolue,  l'autre 


92 


KEVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE   LA    FRANCE. 


nombres  et  les  temps  suivent  le 
mécanisme  de  la  langue  grecque. 
Les  verbes  actifs  se  multiplient  à 
l'infini,  comme  dans  la  langue  chi- 
cassaise. 


réciproque.  Les  troisièmes  person- 
nes ont  les  deux  genres...;  pour  ce 
qui  est  des  nombres  et  des  temps, 
on  y  trouve  les  mêmes  différences 
que  dans  le  grec.  Les  verbes  actifs 
se  multiplient  autant  de  fois  qu'il 
y  a  de  choses  qui  tombent  sous 
leur  action. 


Outre  M.  Marcoux,  Chateaubriand  a,  en  effet,  ici  encore,  lar- 
gement exploité  le  P.  de  Charlevoix  (cf.  Charlevoix,  p.  188-9  et 
195-8).  Quelques  renseignements  sur  le  natchez  et  le  chicassais 
semblent  pris  à  Bartram  (II,  419,  Dublin,  p.  517),  mais  non  tous  : 
Chateaubriand  devait  connaître  le  dialecte  d'Atala  par  quelque 
autre  grammairien,  que  je  n'ai  pu  découvrir. 


COASSE. 

Voyage,  p.  177-191. 
Emprunts  a  Cuarlevoix  : 

Voyage,  Charlevoix, 

p.179.  Sacrifice  expiatoire  aux  âmes  des  ours p.  116 

179-80.  Raquettes  à  neige 221 

184-6.  Chasse  à  Tours 115-7 

186.  Repas  sacré  après  la  chasse  à  l'ours 300 

187-8.  Chasse  à  l'orignal 419 

190.  Chants  au  retour  de  la  chasse  et  l'alinéa  qui  suit.    .    .       118 

190-1.  Repas  de  huit  ou  dix  heures 349. 

Emprunts  a  Carver  : 

a.  Début  du  chapitre. 

Voyage,  p.  177.  Carver,  p.  208. 

Quand  les  vieillards  ont  décidé  Le  chef  des  guerriers  invite  en 

la  chasse  du  castor  ou  de  l'ours,  grande  solennité  ceux  qui  veulent 

un  guerrier  va  de  porte  en  porte  raccompagner  en    chasse.    Ils  se 

dans  les  villages,  disant  :  «  Les  peignent  de  noir  leurs  corps...  et 

chefs  vont   partir  ;  que  ceux  qui  se   préparent   au  départ   par   un 

veulent  les  suivre  se  peignent  de  jeûne  de  plusieurs  jours.  Ils  s'abs- 

noir  et  jeûnent,  pour  apprendre  à  tiennent    absolument    de     toute 

l'Esprit  des  songes  où  les  ours  et  nourriture   et  de  boisson;   ils  ne 

les  castors  se  tiennent  cette  an-  prennent  pas  même   une   goutte 

née.  »  A  cet  avertissement  tous  les  d'eau;  et,  au  milieu  de  cette  abs- 

guerriers  se  barbouillent  de  noir  tinence,  ils  paraissent  gais.  Cesin- 

de  fumée  détrempé  avec  de  l'huile  gulier  jeûne  les  dispose  à,  rêver.  Ce 

d'ours;   le  jeûne    de    huit    nuits  jeûne  étant  fini,  le  chef  donne  une 

commence  :   il  est  si  rigoureux  grande  fête  aux  chasseurs;  mais 


CHATEAUBRIAND   EN   AMÉRIQUE.  93 

qu'on  ne  doit  pas  même  avaler  une     aucun  n'ose  y  prendre  part  avant 
goutte  d'eau,  et  il  faut  chanter  in-     de  s'être  baigné, 
cessamment,  afin  d'avoir    d'heu- 
reux songes.  Le  jeûne  accompli, 
les  guerriers  se  baignent  :  on  sert 
un  grand  festin. 

b.  Chasse  au  bison,  en  embrasant  les  herbes.  Voyage,  p.  188  = 
Carver,  p.  211-2. 

c.  Chasse  au  castor  dans  les  viviers  gelés.  Voyage,  p.  182  =  Carver, 
p.  214-3.  (Les  deux  textes  ne  se  suivant  pas  exactement,  ce  dernier  rap- 
prochement est  douteux.) 

LA   GUERRE. 

Voyage,  p.  191-221. 

1°  Emprunts  a  Charlevoix. 

Voyage,  Charlevoix, 

p.  193.  La  chaudière  de  guerre p.  208 

193.  Poteaux  de  guerre,  médecine  de  guerre 424 

193-4.  Jeûne  du  chef  de  guerre 217 

194.  Mesures  qu'on  prend  pour  avoir  des  prisonniers.    ...       217 
194.  Engagements  volontaires 217 

194.  Guerriers  peints  et  tatoués 328 

195.  Armes  et  parures  des  guerriers 222 

195-6.  Discours  du  chef  de  guerre  * 216 

496.  Collier  et  chanson  de  mort 216 

197.  Le  chien  sacré 217 

198.  Traîneaux  « 221 

198.  Canots 192 

199.  Le  jour  des  adieux 221 

200.  Etendards  d'écorce 222 

200.  Distribution  des  manitous 223 

201-2.  Jongleries 219 

202.  Nouveau  discours  du  chef 218 

203.  Danse  de  la  découverte 297 

205.  Mise  à  Tépreuve  des  jeunes  guerriers 219 

207.  Admonition  aux  manitous 425 

209.  Rencontre  d'une  troupe  alliée 237 

210.  Finesse  de  l'ouïe  chez  les  sauvages 239 

212.  La  nuit  des  songes 237 

214-5.  Hiéroglyphes  (très  arrangé) 239-40* 

219.  Cruauté  des  femmes 242 

219.  Adoption  des  prisonniers 241-246. 

220.  Rencontre  d'un  père  et  d'un  fils  dans  un  combat  .  .  .      309-10. 

1.  Il  est  curieux  de  constater  qu'ici  —  et  en  plusieurs  lieux  —  Carver  (p.  223-4) 
a  fait  comme  Chateaubriand  :  il  a  pris  ce  discours  à  Charlevoix.  Mais  Chateau- 
briand a  recouru  aux  vraies  sources,  et  c'est  bien  d'après  Charlevoix  qu'il  le 
reproduit. 

2.  Le  nom  sauvage  de  metump  est  ici  ajouté  à  Charlevoix  par  Chateaubriand 
d'après  Carver,  p.  246. 


94 


REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANGE. 


2°  Emprunts  a  Carver. 


A.  —  Le  «  woop  »  de  guerre. 


Voyage,  p.  192. 
Quatre  guerriers  jettent  au  foyer 
de  ces  cabanes  un  casse-tête  peint 
en  rouge,  sur  le  pied  duquel  sont 
marqués,  par  des  signes  connus 
des  sachems,  les  motifs  des  hosti- 
lités :  les  premiers  Romains  lan- 
çaient une  javeline  sur  le  territoire 
ennemi.  Ces  hérauts  d'armes  in- 
diens disparaissent  aussitôt  dans 
la  nuit  comme  des  fantômes,  en 
poussant  le  fameux  cri  ou  woop  de 
guerre.  On  le  forme  en  appuyant 
une  main  sur  la  bouche  et  frappant 
les  lèvres,  de  manière  à  ce  que  le 
son  échappé  en  tremblotant,  tan- 
tôt plus  sourd,  tantôt  plus  aigu,' se 
termine  par  une  espèce  de  rugisse- 
ment dont  il  est  impossible  de  se 
faire  une  idée. 

B.  —  Danse  de  guerre 


Carver,  p.  227  et  p.  249. 
Pour  déclarer  la  guerre,  les  In- 
diens envoient  par  un  esclave  une 
hache  dont  la  poignée  est  peinte 
en  rouge  à  la  nation  avec  laquelle 
ils  veulent  rompre.  Les  cris  de 
guerre  consistent  en  cris  comme 
ceux-ci  :  «  où,  où,  oûp...  »  Us  sont 
modulés  en  espèces  de  notes  par 
la  main  placée  d'une  certaine  ma- 
nière devant  la  bouche. 


Voyage,  p.  204. 
Les  casse-têtes  retentissent  con- 
tre les  casse-têtes;  le  chichikoué 
précipite  la  marche;  les  guerriers 
tirent  leurs  poignards;  ils  com- 
mencent à  tourner  sur  eux-mêmes, 
d'abord  lentement,  ensuite  plus 
vite,  et  bientôt  avec  une  telle  rapi- 
dité, qu'ils  disparaissent  dans  le 
cercle  qu'ils  décrivent:  d'horribles 
cris  percent  la  voûte  du  ciel.  Le 
poignard  que*  ces"  hommes  féroces 
se  portent  à  la  gorge  avec  une 
adresse  qui  fait  frémir,  leur  visage 
noir  ou  bariolé*  leurs  habits  fan-  ... 
tastiques,  leurs*  longs*  hurlements,  •  • 
tout  ce  tableau  d'une  guerre  sau- 
vage inspire  la  terreur. 

C.  —  Le  scalp. 
Voyage,  p.  218.  Carver,  p.  245. 

On  met   le  pied  sur  le  cou  du         Ils  saisissent  la  tête  de  leur  en- 
vaincu,  de  la  main  gauche  on  saisit     nemi,  et  plaçant  leur  pied  sur  le 


Carver,  p.  196-7. 
Tous  dansent  à  la  fois.  Ils  pren- 
nent les  postures  les  plus  effrayan- 
tes.. Ils  tiennent  leurs  couteaux 
pointus,  avec  lesquels,  en  tour- 
nant comme  ils  font,  ils  semblent 
en  danger  de  se  couper  la  gorge 
les  uns  aux  autres;  ce  qui  arrive- 
rait sans  leur  extrême  adresse. 
Pour*  augmenter  l'horreur  de  la 
scène,  ils  jettent  des  hurlements 
et  des  cris  comme  au  combat... 
et  l'on  croirait  voir  des  démons 
déchaînés. 


CHATEAUBRIAND   EN   AMÉRIQUE.  95* 

le  toupet  de  cheveux  que  les  In-     cou,    ils    entortillent    leur   main 
diens  gardent  sur  le  sommet  de  la     gauche  dans  la  chevelure.  De  la 
tête;  de  la  main  droite  on  trace,     main   droite,  ils  tirent  leur  cou- 
à  l'aide  d'un  étroit  couteau,   un     teauà  scalper,  cernent  la  peau  et 
cercle  dans  le  crâne,  autour  de  la     l'enlèvent  avec  la  chevelure, 
chevelure;  ce  trophée  est  souvent 
enlevé  avec  tant  d'adresse  que  la 
cervelle  reste   à    découvert    sans 
avoir  été  entamée  par  la  pointe  de 
l'instrument  *. 

RELIGION. 

Voyage,  p.  221-9. 

t  II  est  faux  qu'il  y  ait  des  sauvages  qui  n'aient 
aucune  notion  de  la  Divinité.  Les  voyageurs  qui 
avaient  avancé  ce  fait  ont  été  démentis  par  d'autre» 
voyageurs  mieux  instruits.  Nous  les  avons  vus,  cet 
sophistes  de  la  hutte!» 

(Génie  du  Christianisme,  I,  VI,  4.) 

Voyage,  Charlevoix, 

p.221.  Sacrifices p.348 

222.  Manitous,  Songes 346 

222.  Immortalité  de  l'âme 35iet35S 

223.  Trace  des  fictions  grecques  et  des   vérités   bibliques 

dans  la  religion  des  sauvages 349 

223.      Comment  le  Grand  Lièvre  créa  la  terre 344 

223.      Areskoui 208 

223.  Michabou,  Athaënsic,  etc '.    .  344 

224.  Jouskeka,  etc 345 

224.  Messou  ou  Saketchak,  etc 399 

224-5.  Traditions  sur  le  lac  Nipissingue 283 

225.  Michabou  sur  les  lacs .       28iet283 

227.  La  belle  Endaë 352 

228.  L'arbre  du  Lac  Salé 349. 

Je  n'ai  pu  retrouver  chez  Charlevoix,  ni  ailleurs,  la  caverne  du 
Grand-Esprit  (Voy.,  p.  22S),  le  Manitou  de  soixante  coudées 
(p.  226),  ni  (p.  227-8)  l'histoire  d'Handioun,  qui  rechercha  la  helle 
Almilao,  et  «  qui  l'aima  comme  la  lune  ». 

Chateauhriand,  sans  dourte  en  peine  de  parfaire  ce  chapitre  sur 
la  Religion  dès  sauvages,  retrouva  heureusement  un  résidu  de 
fiches  inemployées  sur-  V herbe  à  la  puce,  sur  le  cèdre  blanc,  et  sur 
le  chat-huant. 

Il  lisait  sur  la  première  :  «  Quelques-uns,  en  regardant  seule- 
ment Y  herbe  à  la  puce,  sont  attaqués  d'une  fièvre  violente...,  et 
qui   est  accompagnée  d'une  grande  démangeaison    par   tout  le 

1.  La  traduction  de  Chateaubriand  fait  contresens  :  il  décrit  l'opération  comme 
s'il  s'agissait  d'enlever  non  pas  seulement  le  cuir  chevelu,  mais  la  boite  crânienne. 


96  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

corps;  elle  n'opère  sur  d'autres  que  quand  ils  la  touchent.  » 
(Charlevoix,  p.  263.) 

Il  lisait  sur  la  seconde  :  «  On  prétend  que  les  femmes  enceintes 
ne  doivent  pas  user  du  bois  du  cèdre  blanc  pour  leur  buse.  » 
(Charlevoix,  p.  255). 

Il  lisait  sur  la  troisième  :  «  La  provision  du  chat-huant  pour 
l'hiver  sont  des  mulots,  auxquels  il  casse  les  pattes,  et  qu'il 
engraisse  et  nourrit  avec  soin,  jusqu'à  -ce  qu'il  en  ait  besoin.  » 
(Charlevoix,  p.  155..) 

Et,  comme  il  avait  conversé  avec  «  les  sophistes  de  la  hutte  », 
Chateaubriand  écrivit  (Voy.}  p.  226-7)  : 

«  Athaënsic  a  planté  dans  les  îles  du  lac  Érié  Y  herbe  à  la  puce  :  si  un 
guerrier  regarde  cette  herbe,  il  est  saisi  de  la  fièvre;  s'il  la  touche,  un 
feu  subtil  court  sur  sa  peau.  Athaënsic  planta  encore  au  bord  du  lac 
Érié  le  cèdre  blanc  pour  détruire  la  race  des  hommes  :  la  vapeur  de 
l'arbre  fait  mourir  l'enfant  dans  le  sein  de  la  jeune  mère,  comme  la 
pluie  fait  couler  la  grappe  sur  la  vigne.  Le  Grand-Lièvre  a  donné  la 
sagesse  au  chat-huant  du  lac  Érié.  Cet  oiseau  fait  la  chasse  aux  souris 
pendant  Tété;  il  les  mutile  et  les  emporte  toutes  vivantes  dans  sa 
demeure,  où  il  prend  soin  de  les  engraisser  pour  l'hiver.  » 

GOUVERNEMENT. 

Voyage,  p.  229-259. 

«  Nous  avons  eu  nous-mêmes  occasion  d'observer, 
chez  les  Indiens  du  Nouveau-Monde,  toutes  les  formes 
des  constitutions  des  peuples  civilisés  :  ainsi  les  Nat- 
chez,  à  la  Louisiane,  offraient  le  despotisme  de  l'état 
de  Nature;  les  Creeks  de  la  Floride,  la  monarchie,  et 
les  Iroquois  du  Canada,  le  gouvernement  républicain.  » 
(Génie  du  Christianisme,  IV,  iv,  8.) 

LES  NATCUEZ. 

Despotisme   dans  l'état   de  nature. 

Voyage,  p.  229-40. 
Voyage,  Charlevoix, 

p.231.      Division  des  nations  en  tribus p. 266 

232.  Conseils  des  nations  indiennes 267-9 

233.  Colliers 210et305 

23540.  Gouvernement  des  Natchez 419-24 

LES  MUSCOGULGES. 

Monarchie  limitée  dans  Vétat  de  nature. 
Voyage,  p.  240-50. 
Voyage,  p.  240-1.  Bartram,  II,  p.  382  (Dublin,  p.  492). 

Les  Muscogulges  ont  un  chef  A  la  tête  du  vénérable  Sénat  des 
appelé  Mico,  roi  ou  magistrat.  Muscogulges  préside  le  Mico. 


CHATEAUBRIAND    ES    AMLRIQIE.  97 

Le  Mi  no  est  regardé  en  m  me  le 
premier  homme  de  la  tribu,  et 
reçoit  tous  les  témoignages  d'a- 
mour et  d'estime  que  son  ran 
exige.  Quand  il  préside  un  consr  îl. 
il  est  révéré  et  Irai  lé  aussi  respec- 
tueusement que  peut  l'être  le 
monarque  le  plus  despotique  de 
l'Europe;  et,  quand  il  est  absent, 
sa  place  n'est  occupée  par  per- 
sonne. 

Quoique  le  Mico  soit  électif,  il 
ne  doit  le  trône  ni  à  des  violences 
publiques,  ni  à  des  intrigues 
secrètes.  Son  apparition  est  mys- 
térieuse :  c'est  celle  du  soleil,  qui 
se  lève  sur  la  terre,  pour  la 
rendre  heureuse  et  féconde-.  Per- 
sonne ne  vous  dira  *  quand  et 
comment  il  est  devenu  roi;  mais 
il  est  universellement  reconnu 
pour  le  personnage  le  plus  consï- 
dérable- 


Le  Mien,  reconnu  pour  le  pre- 
mier homme  de  la  nation»  reçoit 
toutes  sortes  de  marquée  de  res- 
pect. Lorsqu'il  préside  le  conseil, 
on  lui  rend  des  hommages  presque 
abjects;  lorsqu'il  est  absent,  son 
siège  reste  ride. 

Le  Mico  convoque  le  conseil 
pour  délibérer  sur  la  paix  et  sur  U 
guerre;  &  lui  s'adressent  les 
Ambassadeurs  et  les  étrangers  qui 
arrivent  chez  la  nation. 

La  royauté  du  Mico  est  élective 
p(  inamovible.  Les  vieillards  nom- 
ment le  Mico;  le  corps  des  guer- 
riers confirme  la  nomination.  Il 
faut  avoir  versé  son  sang  dans  les 
combats,  ou  s'être  distingué  par 
sa  raison ,  son  génie,  son  élo- 
quence, pour  aspirer  à  la  place 
d o  Mîco.  Ce  souverain,  qui  ne  duit 
sa  puissance  qu'a  son  mérite, 
s'élève  sur  la  confédération  des 
Creeks  ,  comme  le  soleil  pour 
animer  et  féconder  la  terri'. 

Le  Mico  ne  porte  aucune  marque 
de  distinction  :  hors  du  conseil, 
!  un  simple  sache  m  qui  se 
mêle  à  la  foule,  cause,  fume,  boit 
ta  eoapa  avec  tous  les  guerriers  : 
un  étranger  ne  pourrait  le  recon- 
naîtra h  >u*  le  conseil  arôme,  où 
il  reçoit  tant  d'honneurs,  il  n'a 
que  s;i  \\>i\  ;  toute  son  influence  est 
dans  sa  sagesse  :  son  avis  est  géné- 
ralement suivi,  parce  que  son  avis 
est  presque  toujours  le  meilleur. 

La  vénération  des  Muscogulges 
pour  le  Mico  est  extrême.  Si  un 
jrune  homme  est  tenté  de  faire 
une  chose  déshonnête,  son  compa- 
gnon lui  dit  :  «  Prends  garde,  le 
«  Mïco  te  voit  »;  le  jeune  homme 
s'arrête  :  c'est  l'action  du  despo- 
tisme invisible  de  la  vertu. 

1.  BarLram  avait  compté  sans  Chateaubriand* 

Re*.    D'tttST.    LÏTTÉR.  DI  LA  FkAHCE  [1'  AtlO.)T  —  VU. 


Ses  habits  sont  les  mêmes  et  un 
étranger  ne  pourrait  distinguer 
son  habitation  de  celles  des  autres 
citoyens  ...  Hors  du  conseil,  le 
Mico  se  mêle  à  la  foule  des 
citi  >yens,  converse  avec  eux,  et  tous 
l'approchent  sans  contrainte...  Il 
|.r-  side  en  personne,  et  chaque 
jour»  au  conseil  :  mais  sa  voix  n'a 
d'autre  prépondérance  que  celle 
du  plus  sage  et  du  meilleur 
citoyen, 

,,,  Ces  peuples  agissent  comme 
>i  leur  chef,  en  restant  invisible, 
avait  l'œil  ouvert  sur  toutes  leurs 
ac  lions. 


98  REVUE    D  mSTÛIHË    LITTÉHÀLHK    UE    là    FRANCE. 

Yoijutje^  p,  242  (Le  rnico  a  la  disposition  du  grenier  public)  = 
Bartram,  p.  385  (Dublin,  494).  Par  contre,  Bartram  ne  sait  rien 
dire  des  attributions  du  Sénat,  —  Voyage,  p.  243-4  (Histoire  des 
Muscogulges)  =  Bartram,  passîm  (v.  p.  ex.,  Bartram,  II,  208-9). 


Voyage^  p.  24 i. 

Le  serf  [ chez  les  Muscogulges] 
est  logé,  vêtu  et  nourri  comme 
ses  maîtres,  S'il  se  marîe,  ses 
enfants  sont  libres;  ils  rentrent 
dans  leur  droit  naturel  par  la 
naissance.  Le  malheur  du  père 
et  de  la  mère  ne  passe  point  à 
leur  pus  lu  ri  té  ;  les  Muscogulges 
n'ont  point  voulu  que  la  servitude 
Tût  héréditaire  ;  belle  leçon  que  les 
Sauvages  ont  donnée  aux  hommes 
civilisés  ! 

Tel  est  néanmoins  l'esclavage  ; 
quelle  que  soit  sa  douceur,  il 
dégrade  les  vertus.  Le  Muscogulge, 
hardi,  bruyant,  impétueux,  sup- 
portant à  peine  la  moindre  Contra- 
diction, est  servi  par  le  Yamase, 
timide,  silencieux,  patient,  abject. 

Voyage^  p.  SMo-7. 

Les  villages  muscogulges  sont 
bàlis  d'un*  manière  particulière  : 
chaque  famille  a  presque  toujours 
quatre  maisons  ou  quatre  cabanes 
pareilles  É.  Ces  quatre  cabanes  se 
font  face  les  unes  aux  autres, 
et  forment  entre  elles  une  a mi- 
carrée  d  environ  un  demi-arpent  : 
on  en  Ire  dans  celle  cour  par  les 
qualre  angles.  Les  cabanes,  cons- 
truites en  planches,  sont  enduites 
en  dehors  et  en  dedans  d'un  mor- 
tier rouge  qui  ressemble  à  de  la 
terre  de  brique*  Des  morceaux 
décorée  de  cyprès,  disposés 
comme  des  écailles  de  tortue, 
servent  de  toiture  aux  bâtiments. 
Au  centre  du  principal  village, 

1.  Contresens. 


Bartram,  I,  321  (Dublin,  p.  181). 

Chez  les  Creeks,  les  esclaves 
des  deux  sexes  ont  la  permission 
de  se  marier  entre  eux;  les  enfants 
sont  libres  et  considères,  à  tous 
égards,  comme  égaux  aux  autres 
habitants. 

En  observant  ces  esclaves,  on 
reconnaît  au  premier  coup  d'œil, 
dans  leur  maintien,  dans  leurs 
manières,  la  prodigieuse  différence 
qu'il  y  a  de  l'esclavage  à  la  liberté... 
L'Indien  libre  est  actif,  audacieux, 
turbulent.  Les  serfs  sont  les 
hommes  les  plus  soumis,  les  plus 
dégradés  quTon  puisse  voir,  Doux, 
humbles  et  souples,  ils  semblent 
n'avoir  de  force  ni  de  volonté  que 
pour  obéir  à  leurs  maîtres. 

Bartram,  II*  137-9  (Dublin,  45-2-3). 
Dans  les  villages  muscogulges, 
la  grande  place  publique  est  ordi- 
nairement isolée  au  centre  et  dans 
la  partie  la  plus  élevée  de  la  ville. 
Elle  est  composée  de  quatre  corps 
de  logis,  formant  quatre  l&aisOQJ 
d'un  seul  étage,  de  dimen- 
absolument  pareilles.  Ils  *ont 
disposés  de  manière  à  former  un 
carré  parfait  d'un  demi-acre  de 
terre;.,,  à  chaque  encoignure  est 
un  passage.  Ces  bâtiments  sont 
construits  de  solives;..,  les  murs 
sont  proprement  enduits  avec  du 
mortier  d'argile... 


Un  de  ces  bâtiments  est  à  pro- 


CHATEAUBRIAND    EN    AN  LUI  QUE. 


99 


el  dans  l'endroit  le  plus  élevé,  est 
une  place  publique  environnée  de 
quatre  longues  galeries.  L'une  de 
ces  galeries  est  la  salle  du  con- 
seil, qui  se  tient  tous  les  jours 
pour  l'expédition  des  affaires. 
Celle  salle  se  divise  en  deux  cham- 
bres par  une  cloison  longitudi- 
nale :  l'appartement  du  fond  est 
ainsi  privé  de  lumière  ;  on  n'y 
entre  que  par  une  ouverture  sur- 
baissée, pratiquée  au  bas  de  la 
cloison.  Dans  ee  sanctuaire  sont 
déposés  le?  trésors  de  la  religion 
et  de  la  politique  :  les  chapelets 
de  corne  de  cerf,  la  coupe  à 
médecine,  les  chiehîkoués,  le  calu- 
de  paix»  l'étendard  national , 
fait  d*une  queue  d'aigle,  11  n'y  a 
que  le  Mico,  le  chef  de  guerre  et 
le  grand  prêtre,  qui  puissent  entrer 
dans  ce  lieu  redoutable. 

La  chambre  extérieure  de  la 
salle  du  conseil  est  coupée  en  trois 
parties  par  trois  petites  cloisons 
transversales,  à  hauteur  d'appui* 
Dans  ces  trois  balcons  s'élèvent 
rangs  de  gradins  appuyés 
contre  les  parois  du  sanctuaire. 
C'est  sur  ces  bancs  couverts  de 
nattes  que  s'asseyent  les  Sachems 
et  l'*s  guerriers. 

Les  trois  autres  galeries,  qui 
forment  avec  la  galerie  du  conseil 
l'enceinte  de  la  place  publique, 
sout  pareillement  divisées  chacune 
en  trois  parties;  mais  elles  n'ont 
point  de  cloison  longitudinale.  Ces 
galeries  se  nomment  galeries  du 
banquet:  on  y  trouve  toujours  une 
foule  bruyante  occupée  «II:  divers 
jeux. 

Les  murs ,  les  cloisons,  les 
colonnes  de -bois  de  ces  galeries 
sont  chargés  d'ornements  hiéro- 
glyphiques   qui    renferment     les 


prement  parler  la  chambre  du 
conseil;  c'est  là  que  Je  Mien,  les 
chefs  et  les  guerriers...  s'assem- 
blent tous  les  jours.  Ce  corps  de 
logis  diffère  un  peu  des  trois 
autres  :  une  cloison  longitudinale 
en  sépare  la  largeur  d'un  bout  à 
l'autre,  et  le  divise  en  deux  cham- 
bres. Celui  du  fond  est  absolument 
obscur;  il  n'est  perce  que  de  trois 
petites  ouvertures  voûtées;  cet 
endroit  me  parait  être  un  sanc- 
tuaire conjuré  a  la  religion.  C'est 
là  que  sont  déposées  toutes  les 
choses  sacrées  :  le  vase  médi- 
cinal,... les  chapelets  de  sabots  de 
chevreuils,  le  calumet  de  paix, 
l'étendard  royal,  fait  avec  des 
plumes  do  la  queue  de  l'aigle 
blanc. 


La  pièce  de  ce  corps  de  logis 
qui  regarde  la  place  est  en  outre 
partagée  en  trois  divisions  par 
deux  murs  ou  cloisons  transver- 
sales, à  hauteur  d'appui,  Dana 
chacune  de  ces  enceintes  sont 
trois  rangs  de  bancs  qui  s'élèvent 
l'un  derrière  l'autre  pour  recevoir 
le  sénat  el  rassemblée. 

Les  trois  autres  bâtiments  qui 
composent  la  place  sont  également 
meublées  de  trois  rangs  de  sièges, 
et  servent  de  salle  de  banquet, 
tant  pour  les  membres  du  conseil 
que  pour  les  spectateurs,  qui  y 
afUuont  de  tout  temps, 


Les  piliers,  ainsi  que  les  raurs 
des  bâtiments  qui  composent  la 
place  publique ,  sont  ornés  de 
diverses  peintures  et  sculptures. 


H» 


1ETTE    b'aiSTOntE   LI1TÙUIU   M   LA    f%JL30L. 


secrets  sacerdotaux  et  politiques 
de  la  nation.  Os  peintures  repré- 
sentent des  hommes  dans  diverses 
attitudes,  des  oiseaux  et  des  qua- 
drupèdes à  tête  d'hommes,  des 
hommes  à  tête  d'animaux.  Le 
dessin  de  ces  monuments  est  tracé 
arec  hardiesse  et  dans  des  pro- 
portions naturelles;  la  couleur  en 
est  rire,  mais  appliquée  sans  art. 
L'ordre  d'architecture  des  colonnes 
Tarie  dans  les  villages  selon  la 
tribu  qui  habite  ces  villages:  à 
Otasses.  les  colonnes  s^nt  tour- 
nées en  spirale  parce  que  les  Mus- 
eogulges  d'Otasses  sont  de  la  tribu 
du  Serpent. 


n  y  a  chez  celte  nation  une  ville 
de  paix  et  une  ville  de  sang.  La 
ville  de  paix  est  la  capitale  même 
de  la  confédération  des  Creeks,  et 
se  nomme  Apalachucla.  Dans  cette 
ville  on  ne  verse  jamais  le  sang  ; 
et  quand  il  s'agit  d'une  paix  géné- 
rale, les  députés  des  Creeks  y  sont 
convoqués.  La  ville  de  Sang  est 
appelée  Coweta;  elle  est  située  à 
douze  milles  d'Apalachucla  :  c'est 
là  que  l'on  délibère  de  la  guerre. 

On  remarque,  dans  la  confédé- 
ration des  Creeks,  les  Sauvages 
qui  habitent  le  beau  village  d'Uche, 
composé  de  deux  mille  habitants, 
et  qui  peut  armer  cinq  cents 
guerriers.  Ces  Sauvages  parlent  la 
langue  savanna  ou  savantica,  lan- 
gue radicalement  différente  de  la 
langue  muscogulge.  Les  alliés  du 
village  d'Uche  sont  ordinairement 


Ce  sont,  je  crois,  des  r-peoes 
d'hiéroglyphes,  et  comme  une 
histoire  des  événement*  politiques 
ou  sacerdotaux...  Ce  s*  nt  des 
hommes  dans  diverses  aUitu«ir:s. 
dont  quelques-unes  sont  a~-ez 
bouffonnes:  d'autres,  qui  ont  la 
tête  de  quelque  animal:...  quel- 
quefois ce  sont  ces  animaux  qui 
sont  représentés  avec  des  tête* 
d'hommes.  Ces  figures  ne  sont  pas 
mal  exécutées;  le  dessin  en  est 
hardi,  libre  et  bien  proportionné. 
Les  piliers  sont  ingénieusement 
travaillés,  imitant  de  grands  ser- 
pents mouchetés,  qui  ont  l'air  de 
monter  au  plancher  :  allusion  à 
ce  que  les  Otasses  sont  de  la  tribu 
du  Serpent. 

Bartram,  II,  204  (Dublin,  p.  380). 
Dans  la  ville  d'Apalachucla.  on 
ne  met  point  à  mort  de  prisonnier; 
lorsqu'il  s'agit  d'une  paix  géné- 
rale, les  députés  de  toute  la  con- 
fection se  réunissent  dans  cette 
capitale.  Au  contraire,  la  grande 
Coweta,  ville  située  à  environ  douze 
milles  plus  haut,  est  appelle  la 
ville  du  Sang.  C'est  là  que  lesmicos 
s'assemblent,  lorsqu'il  s'agit  d'une 
guerre  générale. 

Bartram,  II,  202  (Dublin,  p.  386;. 
La  ville  dTche  est  la  ville  in- 
dienne la  plus  grande  que  j'aie  vue. 
Je  suppose  que  le  nombre  des  ha- 
bitants pouvait  monter  à  mille  ou 
quinze  cents  personnes,  tant  hom- 
mes que  femmes  et  enfants.  Le 
langage  de  ce  peuple  diffère  radi- 
calement de  la  langue  creek  ou 
muscogulge  et  porte  le  nom  de  lan- 
gue savanna  ou  sucanuca  '.    Les 


f.  Savanuca,  dit  Bartram,  et  non  savantica. 


GHATEAUBIUA3D    £$    AMÉRIQUE 

dans  le  conseil  d'un  avis  différent 
des  autres  allies,  qui  Les  voient 
avec  jalousie;  maïs  on  est  assez 
sage  de  part  et  d'autre  pour  n'en 
pas  venir  à  une  rupture. 


101 


Uehes  sont  alliés  des  Creeks;  maïs 
ils  ne  se  mêlent  pas  avec  eux;  ils 
sont  assez  importants  pour  exciter 
la  jalousie  de  toute  confédération 
muscogulge  ;  mais  ils  sont  assez  sa- 
ges contre  des  ennemis  communs* 


Les  Siminoles,  moins  nombreux 
que  les  Muscogulges,  n'ont  guère 
que  neuf  villages,  tous  situés  sur 
la  rivière  FI  in  t.  Vous  ne  pouvez 
faire  un  pas  dans  leur  pays  sans 
découvrir  des  savanes,  des  lacs» 
des  fontaines,  des  rivières  de  la 
plus  belle  eau.  Le  Siminole  res- 
pira la  galté  f  le  contentement, 
Tamour;  sa  démarche  est  légère; 
MM  abord  ouvert  et  serein,  ses 
gestes  décèlent  l'activité  et  la 
vie  :  il  parle  beaucoup  et  avec 
volubilité;  son  langage  est  har- 
monieux et  facile.  Ce  caractère 
aimable  et  volage  est  si  prononcé 
chez  ce  peuple,  qu'il  peut  à  peine 
prendre  un  maintien  digne,  dans 
les  assemblées  politiques  de  la 
confédération. 

Voyage  p,  248. 

Les  Siminoles  et  les  Muscogulges 
sont  d'une  assez  grande  taille*  et 
par  un  contraste  extraordinaire, 
leurs  femmes  sont  la  plus  petite 
race  de  femmes  connue  en  Amé- 
rique :  elles  atteignent  rarement 
la  hauteur  de  quatre  pieds  deux 
ou  trois  pouces;  leurs  mains  et 
leurs  pieds  ressemblent  à  ceux 
d'une  Européenne  de  neuf  ou  dix 
ans.  Mais  la  nature  les  a  dédom- 
magées de  cette  espèce  d'injustice  : 
leur  taille  est  élégante  et  gra- 
cieuse ;  leurs  yeux  sont  noirs, 
extrêmement  longs,  pleins  de  laa- 


Bariram,  I,  364  (Dublin,  p.  200-10). 

Les  Siminoles  ne  sont  qu'un 
faible  peuple,  si  l'on  regarde  au 
nombre*  Mais  celte  poignée 
d'hommes  possède  un  vaste  terri- 
toire, divisé  en  milliers  d'Ilots,  par 
des  rivières  innombrables,  des  lacs, 
des  marais,  des  vastes  savanes, 

Lti  Siminole  présente  limage 
parfaite  du  bonheur,  La  joie,  le 
contentement,  l'amour  tendre, 
l1  amitié  franche  sont  empreints 
sur  ses  traits  ;  ils  se  montrent  dans 
son  maintien,  dans  ses  gestes;  ils 
semblent  former  sou  état  habituel 
et  faire  partie  de  sa  constitution; 
CM  leur  empreinte  ne  le  quitte 
qu'avec  la  vie.  Les  vieux  magis- 
trats de  ce  peuple  ont  peine  à 
prendre  dans  le*  conseils  publics 
des  manières  graves  et  sérieuses, 

Bartram,  L  II,  366  (Dublin,  485). 

Les  femmes  des  Muscogulges 
sont  bien  prises  dans  leur  petite 
stature.  C'est,  je  crois,  Ja  plus 
petite  race  de  femmes  connue. 
Rarement  leur  stature  passe  cinq 
pieds  ;  leurs  mains  et  leurs  pieds 
ne  sont  pas  plus  grands  que  ceux 
d'une  Européenne  de  neuf  ou  dix 
ans.  Cependant  les  hommes  sont 
d'une  taille  gigantesque.,.  [P.  365] 
Les  femmes  ont  le  visage  rond,  les 
traits  réguliers,  les  yeux  grands, 
noirs  et  languissants,  pleins  de 
modestie,  de  défiance  et  de  timi- 
dité. [P.  419;  Quand  on  les  entend 


102  REVCE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA   FRASCE. 

gueuretde  modestie.  Elles  baissent     parler,  sans  les  voir,  on  s'imagi- 

leurs  paupières  avec  une  sorte  de     nerait  le  babil  de  petits  enfants. 

pudeur  voluptueuse  :  si  ou  ne  les 

voyait  pas,  lorsqu'elles    parlent, 

on  croirait  entendre  des  enfants 

qui  ne  prononcent  que  des  mots  à 

moitié  formés. 

Chateaubriand  nous  rapporte  ici  un  usage  que  Bartram  semble 
avoir  ignoré  : 

«  La  troisième  nuit  de  la  fête  du  maïs  nouveau,  on  s'assemble  dans  la 
galerie  du  conseil  ;  on  se  dispute  le  prix  du  chant.  Ce  prix  est  décerné, 
à  la  pluralité  des  voix,  par  le  Mico;  c'est  une  branche  de  chêne  vert  : 
les  Hellènes  briguaient  une  branche  d'olivier.  Les  femmes  concourent, 
et  souvent  obtiennent  la  couronne;  une  de  leurs  odes  est  restée 
célèbre  : 

Chanson  de  la  chair  blanche. 

«  La  chair  blanche  vient  de  la  Virginie.  Elle  était  riche;  elle  avait  des 
étoffés  bleues,  de  la  poudre,  des  armes  et  du  poison  français  (de  l'eau- 
de-vie).  La  Chair  blanche  vit  Tibeïma  l'ikouessen. 

«  Je  t'aime,  dit-elle  à  la  fille  peinte  :  quand  je  m'approche  de  toi,  je 
sens  fondre  la  moelle  de  mes  os;  mes  yeux  se  troublent!  je  me  sens 
mourir. 

«  La  fille  peinte,  qui  voulait  les  richesses  de  la  chair  blanche,  lui 
répondit  :  Laisse-moi  graver  mon  nom  sur  tes  lèvres;  presse  mon  sein 
contre  ton  sein. 

«  Tibeïma  et  la  chair  blanche  bâtirent  une  cabane.  L'ikouessen  dis- 
sipa les  grandes  richesses  de  l'étranger,  et  fut  infidèle.  La  chair 
blanche  le  sut;  mais  elle  ne  put  cesser  d'aimer.  Elle  allait  de  porte  en 
porte  mendier  des  grains  de  maïs  pour  faire  vivre  Tibeïma.  Lorsque  la 
Chair  blanche  pouvait  obtenir  un  peu  de  feu  liquide,  elle  le  buvait  pour 
oublier  sa  douleur. 

«  Toujours  aimant  Tibeïma,  toujours  trompé  par  elle,  l'homme 
blanc  perdit  l'esprit  et  se  mit  à  courir  dans  les  bois.  Le  père  de  la  fille 
peinte,  illustre  sachem,  lui  fit  des  réprimandes  :  le  cœur  d'une  femme 
qui  a  cessé  d'aimer  est  plus  dur  que  le  fruit  du  papaya  '  »,  etc. 

Lies  folkloristes  savent  qu'il  est  difficile,  à  l'ordinaire,  de  décou- 
vrir le  germe  historique  de  pareilles  «  odes  ».  Ils  nous  sau- 
ront donc  gré  de  leur  soumettre  ce  passage  de  Bartram  (I,  300)  : 

4.  Plu*  dur  que  le  fruit  du  papaya.  Ce  fruit,  ayant  maturité,  a  la  consistance 
d'un  abricot  mûr;  mûr,  il  se  mange  &  la  cuiller,  comme  un  sorbet.  Il  est  si 
commun  qu'une  telle  méprise  —j'en  appelle  à  quiconque  a  vécu  aux  colonies  — 
suffirait  à  convaincre  que  Chateaubriand  n'a  pas  séjourné  quinze  jours  en  pays 
tropical  pendant  la  saison  des  fruits. 


CHATEAUBRIAND   ES    AMÉRIQUE. 

«  Nous  arrivâmes  au  comptoir  nommé  magasin  supérieur  de  Spal- 
dîng.  Nous  le  trouvâmes  occupe  par  un  traiteur  blanc,  qui  avait  pour 
compagne  une  très  jolie  femme  si  mi  noie*  Elle  était  fille  d'il  n  ancien 
chef  de  sa  nation»  nommé  le  capitaine  White,  qui,  avec  dix  au  douze 
personne  dfl  h  famille,  était  campé  dans  un  bosquet  d'orangers,  peu 
éloigné»,*  Ce  traiteur  est  aujourd'hui  peu  satisfait  de  sa  liaison  avec  la 
belle  sauvage.  11  était  depuis  peu  d'années  dans  ces  contrée*,  venant, 
je  croîs,  de  la  Caroline  septentrionale.  C'était  un  grand  jeune  homme 
bien  élevé*  actif,  aimable  et  noble,  II  rencontra,  pour  son  malheur, 
cette  jolie  indiennej  et  l'épousa  à  la  manière  des  sauvages.  Il  l'aima 
avec  passion»  et  il  faut  avuuer  quelle  possède  tous  les  charmes  qui 
peuvent  rendre  un  homme  heureux.  Mais  elle  fait  de  ses  attraits  un 
BSftge  si  perfide  qu'elle  a  dépouillé  son  amant  de  presque  tous  ses  biens, 
qu'elle  distribue  sans  honte  à  ses  parents  sauvages.  Il  est  à  présent 
pauvre,  maigre,  presque  fou.  Il  la  menace  souvent  de  la  tuer,  maïs  il 
n'a  pas  même  le  courage  de  Ja  quitter.  H  tâche  de  noyer  son  chagrin 
Mans  les  liqueurs  Fortes,  Le  père  de  la  jeune  femme  n'approuve  point  la 
manière  injuste  et  cruelle  dont  elle  se  conduit  avec  son  mari.  >* 

LES    U  URONS   ET   LES   IROQUOIS, 
Bépublique  dans   Vctat   de  nature, 

(  Vpy&g*i  P*  250  —  p,  239.) 
Voyage  i  Charlevoïï, 

ii  23HM.  Élection  et  succession  des  chefs  aurons.   .......  p,  2i*7-8 

251,       Condition  des  femmes .  "269 

252*       Histoire  des  Iroquois 200-2 

253-4.    Division  des  nations  iroquoises  en  tribus 2G0-7 

254-5,  Conseils  des  (roquois 268-9 

253-ih   Droit  criminel  des  Indiens  * 272-5. 

Atala. 

Si  Ton  passe  du  Voyagû  on  Amérique  à  Affila  et  aux  Nûichez^  il 
va  de  soi  qu'il  ne  saurait  plus  être  question  de  rapprochements 
aussi  nets.  .Nous  tenons  pourtant  à  laisser  à  cette  étude  un  carac- 
tère strictement  documentaire,  el  nous  n'alléguerons  jamais 
Cliarlevoix,  Carver  ou  Bartram  qu'au  seul  cas  où  nous  aurons  xtvs 
la  main  sur  la  page  même  ou  sur  la  phrase  même  exploitée  par 
Chateaubriand.    Mais,   si    Charlevoix    et    Carver    n'ont    fourni  à 


1.  Pour  Les  trois*  derniers  chapitres  du  Voyage  (Èttrf  actuel  de*  Sauvage*  de 
t  Amérique.  — Conclusion*  —  République*  espagnol*'*))  Chateaubriand  allègue  comme 
sources  partielles  de  ■£■  renseignements  un  ouvrage  anonyme  intitulé  V  tic  de  la 
Floride  occidentale  (iSH)  el  le  Voyage  de  BeUtami  (\X2rS)f  que  nous  n'avons  pas 
féusfij  à  nous  procurer.  Tour  déterminer  les  origines  de  ces  trois  chapitres 
ajoutés  à  ta  dernière  heure  au  vieux  «  manuscrit  des  Naichez  *,  il  faudrait  toute 
une  enquête  nouvelle  à  travers  ïes  relations  de  voyageurs  publiées  entre  4808  et 
1827  —  et  nous  avons  reculé. 


REVUE    D*H]$TOIRE    M  ITÉRA! RE    l>t    LA    FRANCE. 

notre  poète  que  des  matériaux  bruis  et  amorphes,  il  en  va 
autrement  de  William  liartram  :  tes  quelques  bouts  «le  phrases 
de  Barlrara  que  nous  opposerons  à  quelques  bouts  de  phrases  de 
Chateaubriand  ne  donneront  qu'une  idée  très  imparfaite  de  ce 
que  Chateaubriand  lut  doit.  Ce  Bar  tram  est  un  poète.  Si  chélîF 
soit-il  en  ses  moyens  d'expression  au  regard  de  son  prestigieux 
émule»  il  a  donné  de  la  nature  tropicale  et  des  solitudes  vierges 
des  Florides  une  ima^e  étrangement  neuve,  lumineuse  et  trou- 
blante* J'ose  dite  que  mieux  que  son  génial  interprète,  il  est 
habile  à  nous  dépayser  :  il  peint  une  nature  qu'on  sent  plus 
singulierriiient  exotique  et  pourtant  plus  réelle.  De  même,  c'est  à 
J.-J.  Rousseau  sans  doute,  c'est  à  la  chimère  édé nique  et  idyllique 
de  h  l'homme  de  la  Nature  é,  chère  à  toute  la  philosophie  du 
xviti*  siècle,  que  Chateaubriand  doit  de  s'être  épris  de  ses  sau- 
vages; maïs,  le  premier,  Barlrara  lui  a  donné  la  vision  concrète 
de  ces  aimables  Natchez,  purs,  tendres,  graves  et  biendisanls.  Si 
de  telles  influences  furent  profondes,  c'est  ce  qui  ne  se  mesure 
point  par  de  petites  citations  parallèles.  Nous  ne  pouvons  que 
supplier  qu'on  veuille  bien  lire  Barucli,  et  citer  à  titre  d'indication 
ces  quelques  lignes  de  Bartram,  prises  entre  vingt  passages  ana- 
logues :  i  Chez  les  MuflCOgulgm,  dans  la  ville  de  Mucclase,  je  fus 
accueilli  par  un  vieux  sachem,  dont  les  cheveux  étaient  blancs 
comme  de  la  neige.  Il  était  conduit  par  trois  jeunes  hommes,  dont 
deux  le  soutenaient  par  les  bras,  et  le  troisième  par  derrière» 
pour  assurer  sa  marche.  À  son  approche,  tout  le  cercle  le  salua 
d'un  :  Sois  le  bienvenu!  Le  sourire  brillait  sur  ses  lèvres,  la 
gaité  de  la  jeunesse  sur  tous  ses  traits.  Mais  le  grand  Age  l'avait 
rendu  aveugle.  C'était  de  tous  les  chefs  le  plus  ancien  et  le  plus 
respecté,  m  (II,  p.  389,  Dublin,  p.  497.) 

Ce  vieux  sachem  aveugle  ne  serait-il  pas  —  aussi  bien  que 
Démodocos  —  le  prototype  de  Chactas? 

Nous  ne  saurions  songer  à  publier  ici  tous  les  rapprochements 
qu'oïl  pourrait  instituer  entre  les  Xatehez  d'une  part  et  Bartram, 
Carver  ou  Charlevoix.  Nous  nous  en  tiendrons  à  l'épisode  d'Àtafo, 


t.  —  Rien  n'égale  en  splendeur  —  dans  l'œuvre  de  Chateau- 
briand lui-même  —  la  peinture  du  Meschacebé  : 

«  Quand  tous  les  fleuves  tributaires  de  Meschacebé]  se  sont  gonflés 
d#s  déluges  de  l'hiver,  quand  les  tempêtes  ont  abattu  des  pans  entiers 
de  forêts»  les  arbres  déracinés  s'assemblent  sur  les  sources.  Bientôt  la 


CHAI  EÀl  lin  IÀ>'D    EN    AMÉRIQUE. 


10Î> 


vase  les  cimente,  les  lianes  les  enchaînent;  et  les  plantes  y  prenant 
racine  de  tuules  parts,  achèvent  de  consolider  ces  débris.  Charriés  par 
les  vagues  écumanleâ,  ils  descendent  au  Meschacebé  ;  le  fleuve  s  en 
empare,  les  pousse  au  golfe  Mexicain,  les  échoue  sur  des  bancs  de 
sable,  el  accroît  ainsi  le  nombre  de  ses  embouchures.  Par  intervalles,  il 

l  e  sa  voix  eu  passant  sous  les  monts  et  répand  ses  eaux  débordées 
autour  des  colonnades  des  forèls  et  des  pyramides  des  tombeaux  indiens  ; 
c'est  le  Nil  des  déserts*  Mais  la  grâce  est  toujours  unie  à  la  mugnilîcence 
dans  les  scènes  de  la  nature  :  tandis  que  le  courant  du  milieu  entraîne 

s  la  mer  les  cadavres  des  pins  et  des  chênes,  on  voit  sur  les  deux 
courants  latéraux  remonter  le  long  des  rivages  des  îles  Holtantes  de 
pistiu  et  de  nénuphar,  dont  les  roses  jaunes  s'élèvent  comme  de  petits 
pavillons.  Des  serpents  verts,  des  hérons  bleus,  des  flamants  roses,  de 
jeunes  crocodiles  s'embarquent  passagers  sur  ces  vaisseaux  de  fleura  ; 
et  la  colonie,  déployant  au  vent  ses  voiles  d'or,  va  aborder  endormie 
dans  quelque  anse  retirée  du  fleuve-.,  » 

Un  a  vivement  contesté  la  réalité  pittoresque  de  ce  tableau. 
Certes  tous  les  géographes  décrivent  l'action  des  contre-courants 
du  Mississipi,  el  quant  aux  blocs  de  terres  éboulées  que  charrient 
ses  ondes,  Chateaubriand  avait  pu  retenir  ce  passage  de  Bar  tram  : 
a  Des  portions  de  ses  rives,  toujours  minées  à  leur  base  par  la 
force  ininterrompue  du  courant,  finissent  par  tomber  dans  le 
fleuve;  son  cours  impétueux  les  entraîne,  les  divise,  et  va  les 
déposer  sur  quelque  autre  rive  »  (II,  p.  274).  Mais  on  s'est  fort 

ivé —  Mersenne  surtout  —  de  ces  îles  flottantes  de  pislia  et 
nénuphar  où  s'embarqueraient  passagers  des  serpents  verts , 
des  hérons  bleus,  des  flamants  roses,  et  de  jeunes  crocodiles. 
C'était  faute,  pour  les  critiques,  d'avoir  lu  Barlram.  Chateau- 
briand n'a  fait  que  transporter  au  Meschacebé  un  phénomène 
observé  par  Bartram  à  trois  cents  lieues  seulement  du  Mississipi, 
sur  la  rivière  Saint-Jean,  dans  la  Floride  orientale  : 

«  Je  remis  de  buiine  heure  à  la  voile  sur  la  rivière  Saint- Jean  et  je  vis 
ce  jour-là  de  grandes  quantités  de  phtia  stratiotex,  plante  aquatique 
très  singulière.  Elle  forme  des  îles  flottantes  dont  quelques-unes  ont 
une  grande  étendue  et  qui  voguent  au  gré  des  vents  et  des  eaux.  Ces 
groupes  commencent  pour  l'ordinaire  ou  sur  la  côte,  ou  près  du  rivage, 
dans  les  eaux  tranquilles;  de  là,  ils  s'étendent  par  degrés  vers  la  rivière» 
formant  des  prairies  mobiles,  d'un  vert  charmant,  qui  ont  plusieurs 
milles  de  h»ng  et  quelquefois  un  quart  de  mille  de  large...  Quand  les 
grosses  pluies,  les  grands  vents  font  subitement  élever  les  eaux  de  la 
rivière,  il  se  détache  de  la  côte  de  grandes  portions  de  ces  lies  11  ot- 
lante*.  Ces  îlots  mobiles  offrent  le  plus  aimable  spectacle  :  ils  ne  sont 
qu'un  amas  des  plus  humbles  productions  de  la  nature,  et  pourtant  ils 


106 


REVUE    D'HISTOIRE    LllTÉnMRE    [>E    LA    FRANCK. 


troublent  et  déçoivent  l'imagination.  L'illusion  est  d'autant  plus  com- 
plète qu'au  milieu  de  ces  plantes  en  (leurs,  on  voit  des  groupes  d'ar- 
brisseaux, de  vieux  troncs  d'arbres  abattus  par  les  vents  et  couverts 
encore  de  la  longue  mousse  qui  pend  entre  leurs  débris.  Us  sont  même 
habités  et  peuplés  de  crocodiles,  de  serpents,  de  grenouilles,  de  loutres, 
de  corbeaux,  de  hérons,  de  courlis,  de  choucas  »  (l,  p,  167 ;  Dublin, 
p.  86), 


IL  —  Apres  ce  prologue,  le  récit  Ta  commencer.  Pour  se  pré- 
parer à  la  chasse  du  castor,  les  Nalchez  ont  prié  et  jeûné  (et  Char- 
levoix, p.  348),  les  jongleurs  ont  interprété  les  songes  (cf.  Char- 
levoix, p.  3o4)f  on  a  consulté  les  manitous  (cf.  Charlevoix,  p.  223), 
fait  des  sacrifices  de  petun  (cl*  Charlevoix,  p.  347),  brûlé  des 
filets  de  langue  d'orignal  (?);  on  a  mangé  le  chien  sacré  (cf.  Char- 
levoix, p*  217).  On  part  enfin,  et  le  vieux  sachem  aveugle, 
Chactas,  assis  sur  la  poupe  de  sa  pirogue,  raconte  à  René  les 
aventures  de  son  adolescence* 

Il  dit  comment,  au  partir  de  Saint-Augustin,  il  fut  pris  dans 
les  bois  par  une  troupe  ennemie  de  Muscogulges  eL  de  Simînoles, 
et  enchaîné  :  «  Simagban,  le  chef  de  la  troupe,  voulut  savoir 
mon  nom;  je  répondis  ;  «  Je  m'appelle  Chactas,  OU  d'Oulalbsi, 
fils  de  Miscou,  qui  ont  enlevé  plus  de  cent  chevelures  aux  héros 
muscogulges.  n  Simagban  me  dit  :  «  Chactas,  fils  d'Outalissî, 
fils  de  Miscou,  réjouis-loi;  tu  seras  brûlé  au  grand  village*  »  Je 
repartis  :  «  Voilà  qui  va  bien  »;  et  j'entonnai  ma  chanson  de 
mort.  » 

Pareillement  Charlevoix  nous  rapporte  [Histoire  de  faffoyvettê- 
Frattce,  L  I,  p*  212)  qu'un  prisonnier  sauvage,  harangué  par  un 
chef  ennemi  qui  lui  apportait  la  sentence  de  mort,  «  écouta  ce 
discours  comme  s  il  ne  l'eut  pas  regardé;  il  répondit  d'une  voix 
ferme  :  «  Voilà  qui  va  bien!  » 

Comment  Chateaubriand  a-t-ii  formé  ces  noms  de  Simagban,  de 
Chactas,  d'Oulalissi,  de  Miscou?  J'ignore  l'origine  du  nom  d'Outa- 
lissî. Il  a  dû  tirer  celui  de  Chactas  de  la  tribu  des  Tchactas, 
peuple  de  la  Louisiane1,  celui  de  Miscou  d'une  île  du  golfe 
Saint-Laurent1;  celui  de  Simaghan  provient  peut-être  d'un  petit 
dictionnaire  chîppoway  donné  par  Carrer,  où  Simaghan  est  traduit 
par  Êpée*. 


i.  Charte  yuU,  Hist.  de  ia  Nouvelle-France^  I,  330* 
2.  Charlevoix,  ibid.%  l,  221. 
X  Carver,  pu  331-33* 


chate\i:biuand  en  Amérique. 


107 


III.  —  h  Tout  prisonnier  que  j'étais,  poursuit  Chactas,  je  ne  pouvais, 
durant  les  premiers  jours,  m*empècher  d'admirer  mes  ennemis.  Le 

Museogulge,  et  surtout  son  allié  le  Siminole,  respire  la  gaieté,  l'amour, 
le  contentement.  Sa  démarche  est  légère,  son  abord  ouvert  et  serein,  îl 
parle  beaucoup  et  avec  volubilité;  son  langage  est  harmonieux  et 
facile.  I/&&6  même  ne  peut  ravir  aux  saehems  cette  simplicité  joyeuse; 
comme  les  vieux  oiseaux  de  nos  bois,  ils  mêlent  encore  leurs  vieilles 
chansons  aux  airs  nouveaux  de  la  jeune  postérité,  » 

Ce  petit  portrait  se  retrouve  dans  le  Voyage  en  Amérique  (cf.  ci- 
dessus,  p.  101)*  L'original,  on  Fa  vu,  est  de  Bartram.  Je  commu- 
nique ici  le  teste  anglais  (Dublin,  p,  209)  : 

«  The  visage,  action  and  deportmeut  of  tue  Siminoles  for  m  Ihe  most 
slriking  piclure  of  happiness  in  this  life;  joy,  contenlment,  love  and 
friendship,  without  guile  or  affectation,  seem  inhérent  in  thejn  or  pré- 
dominant in  their  vital  principle,  for  il  leaves  them  bulwilh  the  last 
breath  of  life,  It  even  seems  imposing  a  constraint  upon  theîr  ancient 
chiefe  and  senators,  to  maintain  a  necessary  décorum  and  solemnity 
in  theîr  public  eouncils  ;  not  even  the  debility  and  décrépitude  of  extrême 
old  âge  is  sulficient  to  erase  from  their  visage  this  youthful,  joyous 
simplicity  ;  but  like  Uie  gray  eve  of  a  serene  and  calm  day,  a  gtaddeuiug, 
cheering  blusb  remains  on  the  western  horizon  after  the  sun  is  set.  » 


IV,  —  Une  nuit  que  Chactas  était  assis  près  du  feu  de  la  guêtre 
(et  Charlevoix,  p.  208),  Alala  lui  apparut  pour  la  première  fois. 
«  Je  crus,  dit-il,  que  c'était  la  Vierge  des  dernières  amours,  celle 
vierge  qu'on  envoie  au  prisonnier  de  guerre  pour  enchanter  sa 
tombe.  j> 

Le  faon  P.  de  Charlevoix  eût  été  aussi  incapable  que  ses  llurons 
d'imaginer  ce  beau  nom  de  la  Vierge  des  dernières  amour*.  C'est 
lui  pourtant  qui  semble  l'avoir  suggéré  par  cette  anecdote.  Il 
nous  raconte  (Histoire  de  la  Nouvelle-France,  L  1,  p*  211)  com- 
ment des  Huroris  ayant  capturé  un  ïroquois,  Us  avaient  torturé  le 
prisonnier  sur  la  route,  lui  avaient  coupé  deux  doigts  et  écrasé 
l'autre  main  entre  des  cailloux;  «  mais,  du  moment  qu'il  était 
entré  dans  la  première  bourgade  huronne,  il  n'avait  reçu  que  de 
bons  traitements.  Toutes  les  cabanes  l'avaient  régalé,  et  on  lui 
avait  donne  une  jeune  fille  pour  lui  tenir  lieu  de  femme;  en  un  mot, 
à  le  voir  au  milieu  de  ces  sauvages  (qui  d'ailleurs,  Tayaut  revelu 


108 


REVUE    1)  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 


d'une  robe  de  castor  neuve  et  lui  ayant  mis  sur  le  front  un  collier 
de  porcelaine  en  guîse  de  diadème,  ]e  faisaient  chanter  sans 
relâche)  on  n  eût  jamais  imaginé  que  des  gens  qui  lui  faisaient 
tant  d 'amitié  dussent  èlre  Lien  16 1  comme  autant  de  démons 
acharnés  à  le  tourmenter.  j> 


\\  —  Àtala  détrompa  le  prisonnier  :  «  Je  ne  suis  point  la 
Vierge  îles  dernières  amours*  Es-tu  chrétien?  *>  Je  répondis  que  je 
n'avais  point  trahi  les  génies  de  ma  cabane*,.  Plusieurs  jours 
s'écoulèrent;  la  fille  du  sachem  revenait  chaque  soir  me  trouver... 
Le  dix-septième  jour  de  marche,  vers  le  temps  où  l'éphémère 
sort  des  eaux  {cf,  Bartram>  I,  p.  157),  nous  entrâmes  sur  la 
grande  savane  Alackua.  Elle  est  environnée  de  coteaux  qui, 
fuyant  les  uns  derrière  les  autres,  portent  en  s'élevant  jusqu'aux 
nues  des  forêts  étagées  de  copalmes,  de  citronniers,  de  magnolias 
et  de  chênea  verts.  » 

Le  vieux  sachem  traduit  ici  assez  exactement  ces  lignes  de 
Bartram  (I,  p.  3237  Dublin,  p.  185)  :  »  The  extensîve  Alachua 
savanna  is  encircled  wilh  higli,  sloping  hills,  covered  with 
wavîng  forcsls  and  fragrant  orange  groves;  the  tovvering 
magnolia  and  transcendent  Palm  stand  conspicuousamong  Ihera.  » 


VI-  —  «  Le  chef  poussa  le  cri  d'arrivée,  et  la  troupe  campa  au  pied 
des  collines.  On  me  relégua  à  quelque  distance  au  bord  d'un  de  ces 
puits  nature^  si  fameux  dans  les  Floride*.  »  Atala  le  détache  du  tronc 
de  l'arbre  où  il  était  lié,  et  lui  ayant  accordé  le  premier  baiser  :  «  Beau 
prisonnier,  lui  dit-elle,  j'ai  follement  cédé  a  ton  désir;  mais  où  nous 
conduira  cette  passion?  Ma  religion  me  sépare  de  toi  pour  toujours!*., 
—  Hé  bien!  je  serai  aussi  cruel  que  vous:  je  ne  fuirai  point;  vous  me 
verrez  dans  le  cadre  de  feu  (cf.  Gharlevoix,  p.  ^47).  «  La  jeune  fille 
s'écria  :  «  Malheureux  a  été  le  ventre  de  ta  mère,  ô  Atala  1  que  ne  me 
jettes-tu  aux  crocodiles  de  la  fontaine  ?  » 

Nous  retrouverons  dans  le  Génie  du  Christianisme  ces  puits 
naturels,  hantés  par  des  crocodiles.  (Voyez  ci-dessus,  p.  1 17.)  C'est 
un  ressouvenir  de  Bartram. 


VIL  —  «  Le  lendemain  de  cette  journée,  qui  décida  du  destin  de 
ma  vie,  on  s'arrêta  dans  une  vallée,  non  loin  de  Cuscowilla)  capitale 


CHATEAUBMÀM)    KN    AMERIQUE. 


109 


des  Siminoles.  La  fille  du  pays  des  palmiers  vint  me  trouver  au  milieu 
de  la  nuit.  Elle  me  conduisit  dans  une  grande  forêt  de  pins,  et  renou- 
vela ses  prières  pour  m'engager  à  la  fuite..,  La  lune  brillait  au  milieu 
d'un  azur  sans  tache!  et  sa  lumière  gris  de  perle  descendait  sur  la  cime 
indéterminée  des  forets.  Aucun  bruit  ne  se  faisait  entendre,  hors  je  ne 
sais  quelle  harmonie  lointaine  qui  régnait  dans  la  profondeur  des  bois; 
ou  eût  dit  que  famé  de  la  solitude  soupirait  dans  toute  Té  tendue  du 
désert,  >* 

Bartram  écrit  (II,  p.  311,  Dublin,  p.  178)  :  «  Nous  prîmes  à 
l'ouest,  au  travers  des  hautes  forêts  de  CuscoiBilfa,  Nous  conti- 
nuâmes à  marcher  dans  une  superbe  forêt  de  pins,  d  II  ajoute  : 
<•  The  sleady  breezes,  gently  and  continually  rising  and  fatling, 
fill  the  hïgli  lonesomc  forests  witli  an  awful  reverential  harmony, 
in  express  ibily  sublime,  and  nul  lo  be  enjoyed  any  where»  but  in 
thèse  native  wild  Indîan  régions.  » 

Il  manque  ici  «  la  lumière  gris  de  perle  »  de  la  lune  et  «  la 
ci  rue  indéterminée  des  forets  m  —  presque  touL  Mais  la  phrase 
de  Bartram  a  sa  grandeur  et  sa  beauté,  et  c'est  d'elle  que  vient  la 
première  étincelle. 


VIÏL  —  a  Nous  aperçûmes  à  travers  les  arbres  un  jeune  homme 
qui,  tenant  à  la  main  un  flambeau,  ressemblait  au  génie  du  printemps 
parcourant  les  forêts  pour  ranimer  la  nature.  C'était  un  amant  qui 
allait  s'instruire  de  son  sorl  à  la  cabane  de  sa  maîtresse.  Si  la  vierge 
éteint  le  (lambeau,  elle  accepte  les  vœux  offerts;  et  si  elle  se  voile  sans 
1  éteindre*  elle  rejette  un  époux,  * 

C'est  ainsi  que,  dans  les  «  délicieux  »  Natchez,  Outougamiz, 
tenant  une  torche  odorante  à  la  main,  éveille  Mila.  Notre  poète  est 
redevable  de  ridée  de  ces  deux  épisodes  gracieux  à  ce  passage  des 
Voiintjps  de  Carver  (p.  284)  :  a  L'amant  allume  au  feu  recouvert  de 
cendres  delaeabane  où  il  pénètre  une  brindille  de  bois.  Ilapproche 
du  lieu  où  sa  maîtresse  repose;  écartant  la  couverture  de  sa  tète, 
il  l'agite  doucement  jusqu'à  ce  qu'elle  s'éveille.  Si  elle  se  lève 
alors  et  éteint  la  lumière,  il  n'eu  faut  pas  davantage  pour  annon- 
cer à  son  amant  que  sa  venue  ne  lui  déplaît  pas;  mais,  si  elle  se 
recouvre  la  tète,  c'est  que  l'heure  du  berger  n'est  pas  encore 
sonnée,  » 

Aussitôt  après  la  rencontre  de  l'amant  au  flambeau,  Chactas  et 
Àtala  passent  auprès  de  la  tombe  d'un  enfant.  La  mère  arrose  la 
terre  de  son  lait*  On  lit  dans  Charlevoix  (p.  373)  :  k  On  a  vu  des 


il" 


REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIIU:    DE    LA    FftÀ>CE. 


mères  qui  ont  perdu  des  enfants,  se  tirer  du  lait  de  la  mamelle  et 
le  répandre  sur  la  tombe  de  ces  petites  créatures.  » 


IX.  —  Enfin,  Chaclas,  toujours  chargé  de  chaînes,  parvient  à 
Apalachucla,  où  il  doit  être  brûlé  :  «  Aussitôt  on  me  couronne 
de  (leurs;  on  me  peint  le  visage  d'azur  et  de  vermillon;  on  m'at- 
tache des  pertes  au  nez  et  aux  oreilles,  et  Ton  me  met  à  la  main 
un  cliichikoué.  m 

Charlevaix  écrit  (p.  253)  :  «  Les  prisonniers  s'avancent  cou- 
ronnés de  fleurs,  le  visage  et  les  cheveux  peints,  tenant  un  bâton 
d'une  main  et  le  cliichikoué  de  l'autre*  » 

«  On  me  conduit  au  lieu  de  délibérations.  Non  loin  d 'Apala- 
chucla s'élevait,  sur  un  tertre  isolé,  le  Pavillon  du  conseil.  » 


te  pavillon 

Àtaht, 

Trois  cercles  de  colonnes  for- 
maient IV lisante  architecture  de 
cette  rotonde.  Les  colon  nés  étaient 
de  cyprès  poli  et  sculpté;  elles 
augmentaient  en  hauteur  et  en 
épaisseur,  et  diminuaient  en 
nombre,  h  mesure  qu'elles  se 
rapprochaient  du  centre,  marqué 
par  un  pilier  unique. 


Du  sommet  de  ces  piliers  par- 
taient des  bandes  d*écorce,  qui, 
passant  sur  le  sommet  des  autres 
colonnes,  couvraient  le  pavillon, 
en  forma  d'éventail  à  jour. 

Le  conseil  s'assemble.  Cinquante 
vieillards,  en  habits  de  castor,  se 
rangent  sur  des  espèces  de  gradins 
faisant  face  au  pavillon»,. 


du  Conseil. 

Bar  tram,  t.  II,  p.  iti8. 

La  maison  de  ville  où  se  tien- 
nent les  conseils  [à  Cowe  ,  chez 
les  Cherokees]  est  en  forme  de 
rotonde.  Pour  la  construire,  on 
enfonce  d'abord  en  terre  un  cercle 
de  piliers  ou  de  troncs  d  arbres, 
qui  ont  environ  six  pieds  de  haut; 
en  dedans  de  ce  cercle  est  un 
autre  rang  de  colonnes  plus  fortes 
et  plus  grandes,  qui  ont  environ 
douze  pieds;  plus  intérieurement, 
un  troisième  cercle  de  piliers  plus 
hauts  encore,  mais  moins  nom- 
breux et  plus  espacés;  enfin,  dans 
le  centre  de  ces  rangs  concentri- 
ques est  un  énorme  pilier  sur  lequel 
se   réunissent   tous   les  ehevrons. 

La  couverture  consiste  en  bandes 
d'écorces.  Tout  autour  de  la 
rotonde,  à  l'intérieur,  est  un  rang 
de  siégea  composé  de  deux  ou  trois 
gradins  ou  amphithéâtres,  sur  les- 
quels rassemblée  s'assied  ou  se 
couche. 


CHATEAUBRIAND   EH   AMÉRIQUE. 


111 


Au  pied  de  la  colonne  centrale 
brûle  le  feu  du  conseil.  Le  premier 
jongleur,  environné  des  huit  gar- 
diens du  temple,  vêtu  de  longs 
habits,  et  portant  un  hibou  em- 
paillé sur  la  tête,  verse  du  baume 
de  copalme  sur  la  flamme... 


Auprès  du  grand  pilier  du  mi- 
lieu s'allume  le  feu  qui  conserve 
de  la  lumière  et  près  duquel  se 
placent  les  musiciens.  C'est  autour 
de  ce  feu  que  les  jongleurs  exé- 
cutent leurs  jeux... 


lœ  Festin  des  Ames. 


X  Alain. 

Une  circonstance  vint  retarder 
mon  supplice  :  la  Fête  des  morts 
ou  le  Festin  des  dînes  approchait. 
Il  est  d'usage  de  ne  faire  mourir 
aucun  captif  pendant  les  jours  con- 
sacrés à  cette  cérémonie. 

Cependant  les  nations  de  plus 
de  trois  cents  lieues  à  la  ronde 
arrivaient  en  foule  pour  célébrer 
le  Festin  des  âmes.  On  avait  bâti 
une  longue  hutte  sur  un  site 
écarté.  Au  jour  marqué,  chaque 
cabane  exhuma  les  restes  de  ses 
pères  de  leurs  tombeaux  particu- 
liers et  Ton  suspendit  les  sque- 
lettes, par  ordre  et  par  familles, 
aux  murs  de  la  Salle  commune 
des  aïeux.  Les  vents  (une  tempête 
s'était  élevée),  les  forêts,  les  cata- 
ractes mugissaient  au  dehors , 
tandis  que  les  vieillards  des  di- 
verses nations  concluaient  des 
traités  de  paix  et  d'alliance  sur 
les  os  de  leurs  pères. 

On  célèbre  les  jeux  funèbres,  la 
course,  la  balle,  les  osselets.  Deux 
vierges  cherchent  à  s'arracher  une 
baguette  de  saule.  Les  boutons  de 
leurs  seins  viennent  se  toucher; 
leurs  mains  voltigent  sur  la  ba- 
guette... 


Charlevoix,  p.  377-8. 
Tous  les  huit  ans,  les  Indiens 
célèbrent  une  fête  qu'ils  appellent 
la  Fête  des  morts  ou  le  Festin  des 
âmes. 


On  fait  des  présents  aux  étran- 
gers, parmi  lesquels  il  y  en  a  quel- 
quefois qui  sont  venus  de  cent  cin- 
quante lieues,  et  l'on  en  reçoit 
d'eux. 

On  se  rend  processionnellement 
dans  une  grande  salle  de  conseil 
dressée  exprès ,  on  y  suspend 
contre  les  parois  les  ossements  et 
les  cadavres  dans  le  même  état  où 
on  les  a  tirés  du  cimetière...  On 
profite  de  ces  occasions  pour 
traiter  les  afFaires  communes  ou 
pour  l'élection  d'un  chef. 


Ce  motif  de  danse  semble  suggéré 
par  un  passage  de  Carver  rapporté 
ci-dessus,  p.  83. 


«  Le  jongleur  invoque  Michabou,  génie  des  eaux  (cf.  Charlevoix, 
p.  344).  Il  raconte  les  guerres  du  grand  Lièvre  contre  Machimani- 


Ht 


REVUE   H  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCK. 


tou,  dieu  du  mal  (?).  Il  dit  le  premier  homme  et  Alhaensic  la  pre- 
mi>  ie  femme,  précipités  du  ciel  pour  avoir  perdu  l'innocence;  la 
terre  rougie  du  sang  fraternel;  Jouskeka  l'impie  immolant  le  juste 
Tahouttsaron  (et  Charlevoix,  p*  344);  le  déluge  descendant  à  la 
voiï  du  Grand  Esprit;  Massou  [lisez  Messou)  sauvé  seul  sur  son 
canot  d'écorce  (cf.  Charlevoix.  p.  31*9);  il  dît  encore  la  belle  Endac 
retirée  de  la  contrée  des  âmes  par  les  douces  chansons  de  son 
époux  (cf.  Cliarlevoix,  p.  352)*  » 


XI  Atala. 

Dans  une  vallée  au  nord  , 
s'élevait  un  bois  de  cyprès  appelé 
le  Bois  du  tang.  Au  centre  de  ce 
bois  s'étendait  une  arène,  où  Ton 
sacrifiait  les  prisonniers  de  guerre. 


On  m'y  conduit  en  triomphe.,. 
Chacun  invente  un  supplice  :  l'un 
se  propose  de  m  arracher  la  peau 
du  crâne,  l'autre  de  me  brûler  les 
yeux  avec  des  haches  ardentes.  Je 
commence  ma  chanson  de  mort  : 

«  Je  ne  crains  pas  les  tour- 
ments  :  je  suis  brave,  û  HaflCO- 
gulgesî  Je  vous  méprise  plus  que 
des  femmes..,  » 

Provoqué  par  ma  chanson,  un 
guerrier  me  perça  le  bras  d'une 
flèche  ;  je  dis  :  «  Frère ,  je  te 
remercie,  » 

Malgré  l'activité  des  bourreaux, 
les  préparatifs  du  supplice  ne 
purent  être  achevés  avant  le  cou- 
cher du  soleil.  On  consulta  le  jon- 
gleur, qui  défendit  de  troubler  les 
génies  des  ombres;  et  ma  mort  fut 
encore  suspendue  jusqu'au  lende- 
main. 


Charlevoîx. 

llistoin*  d*1  la  Nouvelle- France 
I,  213.  Le  festin  fini,  le  patient 
fut  mené  au  lieu  du  supplice,  qui 
était  une  cabane  destinée  à  cet 
usage.  Elle  portait  le  nom  de 
Cabant  de  sang  ou  dm  Tètes  cou- 
pées. 

Juunml  historique^  p.  247*  Des 
femmes  s'écrient  :  «  Ce  guerrier 
sera  brûlé;  on  lui  appliquera  les 
haches  ardentes;  on  lui  enlèvera 
Ja  chevelure. 

Journal  historique,  p.  243.  — 
«  Le  prisonnier  chante  :  <♦  Je  suis 
hrave  et  intrépide  ,  je  ne  crains 
pas  la  mort,  ni  aucun  genre  de 
tortures;  ceux  qui  les  redoutent 
Bout  moins  que  des  femmes,  »... 
K  247.  «  Un  autre  survient  qui 
adresse  la  parole  au  patient  et  lui 
dit  :  «  Mon  frère»  prends  courage, 
lu  vas  être  brûlé,  et  il  répond  froi- 
dement :  "  Cela  e*t  bien,  je  te 
remercia 

fit* faire  tie  la  Nqw*U&-FHsM&% 
I.  ll'l.  u  Sur  Tordre  du  jongleur 
on  diITéra  jusqu'au  lendemain  de 
donner  le  coup  de  grâce  à  ce  pri- 
sonnier, i 


suu 


XII-  —  «  Cependant  on  m'avait  étendu  sur  le  dos.  Des  cordes  partant 
de  mon  cou,  de  mes   pieds,  de  mes  bras,  allaient   s'attacher  à  des 


CHATEAUBRIAND    EN    AMÉRIQUE.  113 

piquets  enfoncés  en  terre.  Des  guerriers  étaient  couchés  sur  ces  cordes, 
et  je  ne  pouvais  faire  un  mouvement  sans  qu'ils  en  fussent  avertis...  » 

C'est  le  même  appareil  qui  entrave  une  femme  algonquine  dont 
Charlevoix  nous  raconte  l'évasion  (Histoire  de  la  Nouvelle-France, 
I,  277).  «  Elle  était  couchée  à  l'ordinaire  dans  une  cabane,  atta- 
chée par  les  pieds  et  par  les  mains  avec  des  cordes  à  autant  de 
piquets,  et  environnée  de  sauvages,  qui  s'étaient  couchés  sur  les 
cordes.  Elle  s'aperçut  que  tous  dormaient  d'un  profond  sommeil; 
elle  coupa  donc  les  cordes  »,  etc. 


XIII.  —  Dans  leur  fuite,  les  amants  se  nourrissent  de  pommes 
de  mai  (cf.  Bartram,  I,  p.  272)  et  de  ces  tripes  de  roche  (cf.  Char- 
levoix, p.  332),  qui  ont  offusqué  Sainte-Beuve.  Ils  boivent  l'eau 
d'une  planle  «  dont  la  fleur  allongée  en  cornet  contenait  un  verre 
de  la  plus  pure  rosée  »  ;  et  c'est  assurément  la  sarracenia  fia  va, 
dont  Bartram  (I,  p.  7)  rapporte  que  «  ses  feuilles  ont  l'air  de 
cornes  d'abondance;  chacune  contient  environ  une  pinte  d'une 
eau  fraîche,  limpide,  pure  comme  la  rosée  du  matin.  » 

Chactas  et  Atala  s'abritent  sous  des  «  cèdres  et  des  chênes  verts 
couverts  d'une  longue  mousse  blanche  qui  descend  de  leurs 
rameaux  jusqu'à  terre  »  et  que  Bartram  avait  décrite  avec  soin 
(I,  p.  64,  et  p.  170).  Chactas  bâtit  un  canot  qu'il  enduit  dégomme 
de  prunier  (cf.  Charlevoix,  p.  198),  après  en  avoir  recousu  les 
écorces  avec  des  racines  de  sapin  (cf.  Charlevoix,  p.  192).  Et  les 
amants  s'abandonnent  au  cours  du  Tenase.  Ici  comme  à  leur 
ordinaire,  ils  suivent  obstinément  des  itinéraires  tracés  par 
Bartram  : 

Atala.  Bartram,  H,  148,  153. 

Le  village  indien  de  Slicoë,  avec  Une  chaîne  de  collines,  comme 

ses    tombes    pyramidales   et   ses  un  haut  promontoire,  partage  les 

huttes  en    ruine,   se    montrait  à  plaines.  Sur  ces  hauteurs  on  voit 

notre  gauche,  au  détour  d'un  pro-  les  ruines  de  l'ancienne  et  jadis 

montoire;  nous  laissions  à  droite  célèbre    ville    de     Slicoë,    et    sa 

la  vallée  de  Kcow,  terminée  par  grande  pyramide  de  terre...  Sous 

la  perspective  des  cabanes  de  Jore,  nos  yeux  s'étendaient  la  délicieuse 

suspendues  au  front  de  la  mon-  vallée  de  Keowe,  digne  par  la  fer- 

tagne  de  même  nom.  Le  fleuve,  tilité,  les  grâces  et  la  richesse,  de 

qui  nous  entraînait,  coulait  entre  lutter  avec  la  vallée  de  Tempe,  la 

de  hautes  falaises ,  au  bout  des-  ville  de  Cowe  et  les  pics  élevés  du 

RBT.  D'HIST.    L1TTÉH.    DE   LA    FRANCE  (7«  ÀBI1.).  —  Vil.  8 


114  REVCE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

quelles   on   apercevait    le    soleil     mont  Jore.  Sur  une  pelouse  verte 
couchant.  et  fort  éloignée ',  nous  apercevions 

le  village  de  Jore,  élevé  de  plu- 
sieurs milliers  de  pieds  au-dessus, 
de  nous. 

La  description  d' A  ta  la  s'arrête  ici.  Mais  à  quelques  pages  de 
là,  Bar  tram,  redisant  une  soirée  passée  dans  cette  même  vallée 
de  Keowe,  avait  écrit  quelques  lignes  gracieuses;  Chateaubriand 
les  a  transportées  dans  ses  Mémoires  <T  Outre-Tombe  : 

Mêm.  cTO.-r.,  p.  376.  Bartram,  II,  p.  111  (Dublin,  329). 

La  soirée  fut  magnifique;  le  lac,  La  soirée   était   belle   et  tran- 

dans   un   repos   profond ,  n'avait  quille.  Un   vent  faible   sou  fil  ait  > 

pas  une  ride;  la  rivière  baignait  chargé  des  parfums  de  la  fraise  et 

en  murmurant   notre   presqu'île,  du   calycanthus,  qui  couvrait   la 

que  les  calycanthes  parfumaient  pente  des  montagnes.  De  lointains 

de  l'odeur  de  la  pomme.  Le  wheep-  échos  répétaient  le  cri  de  l'oiseau 

poor-will  répétait  son  chant;  nous  des    marais ,    et    chaque    arbre 

l'entendions,    tantôt    plus    près,  résonnait    du    chant    non  inter- 

tantôt  plus  loin,  suivant  que  Toi-  rompu  du  whip-poov-will. 
seau    changeait    le   lieu    de    ses 
appels  amoureux. 


XIV.  —  Le  P.  Aubry  réunit  en  lui  les  mérites  de  deux  de 
ces  martyrs  du  Canada  dont  Charlevoix  a  écrit  les  «  actes  »,  le 
P.  Jogues  et  le  P.  do  Brébeuf. 

Il  a  les  deux  mains  mutilées,  et  comme  Atala  s'indigne  contre 
les  Indiens  idolâtres  qui  infligèrent  ce  supplice  au  chef  de  la 
prière  :  «  Ma  fille,  dit  le  père  avec  un  doux  sourire,  qu'est-ce  que 
cela  auprès  de  ce  qu'a  enduré  mon  divin  maître?.:  Je  n'ai  pu 
rester  dans  ma  patrie,  où  j'étais  retourné  et  où  une  illustre  reine 
m'a  fait  l'honneur  de  vouloir  contempler  ces  faibles  marques  de 
mon  apostolat.  Et  quelle  récompense  plus  glorieuse  pouvais-je 
recevoir  de  mes  travaux  que  d'avoir  obtenu  du  chef  de  notre 
religion  la  permission  de  célébrer  le  divin  sacrifice  avec  ces 
mains  mutilées?  »  On  pourra  lire  dans  VHistoire  de  la  Nouvelle- 
France,  I,  250,  la  noble  histoire  de  ce  P.  Jogues,  à  qui  les  sau- 
vages tranchèrent  les  doigts  des  deux  mains  :  «  La  reine  mère  le 
voulut  voir  et  lui  fit  un  accueil  digne  de  sa  piété.  Le  pape,  à  qui 
il  demanda  la  permission  de  célébrer  les  divins  mystères  avec  ses 
mains  mutilées,  répondit  qu'il  ne  serait  pas  juste  de  refuser  à  un 


CBàTEàtiBRUffll    KN    ÀMÉHQII  g. 


lit 


martyr  de  Jésus-Christ  do  boire  le  sang  de  Jésus-Christ;  indignvm 

essel  Christ*  mfirhjrem  Christ i  non  hihere  mnguinem*  n  (1644.) 

Ayant  souffert  d'abord  la  passion  du  P,  Jogues,  le  P.  Àubry 
mourut  comme  le  P.  de  Brébeuf  (1  "oncle  du  Brébeuf  de  Boile&u)  ; 

Mort  du  Pt't -c  Àubry, 

«  Le  P,  Aubry  se  pouvait  sauver;  mais  il  ne  voulut  pas  abandonner 
ses  enfants,  et  il  demeura  pour  les  encourager  à  mourir  par  son 
exemple;  jamais  on  ne  put  tirer  de  lui  un  cri  qui  tournât  à  la  honte  de 
son  Dieu  ou  au  déshonneur  de  sa  patrie.  Il  ne  cessa,  durant  le  supplia, 
de  prier  pour  ses  bourreaux  et  de  compatir  au  sort  des  victimes.  Pour 
lui  arracher  une  marque  de  faiblesse,  les  Chéroquois  amenèrent  à  sm 
pieds  un  sauvage  chrétien,  qu'ils  avaient  horriblement  mutile,  Mais  ils 
furent  bien  surpris  quand  ils  virent  ce  jeune  homme  se  jeter  à  genoux. 
et  baiser  les  plaies  du  vieil  ermite,  qui  lui  criait  :  Mon  mfnttt,  nom 
en  spectacle  aux  angtt  et  aux  hommes.  Les  Indiens,  furieux, 
lui  plongèrent  un  fer  rouge  dans  la  gorge  pour  l'empêcher  de  parier. 
Alors,  ne  pouvant  plus  consoler  les  hommes,  il  expira.  On  dit  que  les 
Chéroquois,  tout  accoutumés  qu'ils  étaient  à  voir  des  Sauvages  sou  [Tri  r 
avec  constance  ,  ne  purent  s  empêcher  d  avouer  qu'il  y  avait  dans 
l'humble  courage  du  père  Auin-y  quelque  chose  qui  leur  était  inconnu...  » 


Mort  th,  Pén  dt  Brébeuf  [IUQ 

[Biêiùire  de  (a  Nouoell^Franç^  I,  p.  29S~3p) 

h  Le  Père  de  Brébœuf  se  riait  également  des  menaces  et  des  tortures 
mêmes;  mais  la  vue  de  ses  chers  néophytes  cruellement  traités  à  ses 
yeux  répandait  une  grande  amertume  sur  la  joie  qu'il  ressentait  de 
voir  se*  espérances  accomplies..,  Les  Iroquois  le  lire  ni  monter  seul  sur 
un  échafaud  et  s'acharnèrent  sur  lui»*.  Tout  cela  n'empêchait  pas  le 
serviteur  de  Dieu  de  parler  d'une  voix  forte,  tantôt  aux  Hurons,  qui  ne 
le  voyaient  plus,  Lautôt  à  ses  bourreaux,  qu'il  exhortait  à  craindre  la 
colère  du  cîeL..  Un  moment  après  on  lui  amena  sou  compagnon 
[le  P.  Lallemant]  qu'on  avait  enveloppé  depuis  les  pieds  jusqu'à  la  tête 
d'écorce  de  sapin,  et  on  se  préparait  à  y  mettre  le  feu.  Dès  que  le 
P.  Lallemant  aperçut  le  P,  de  Brébeuf  dans  l'affreux  état  où  on  l'avait 
mis,  il  frémit  d'ahord,  ensuite  lui  dit  ces  paroles  de  l'Àpotre  :  Nom 
avons  été  mis  en  spectacle  au  minuit',  aux  ange*  w  aux  tommet,.,  11  cou- 
rut se  jeter  à  ses  pieds  et  baisa  respectueusement  ses  plaies...  Les  bar- 
bares enfoncèrent  dans  le  gosier  du  P  de  Brébeuf  un  1er  rougi  au  feu... 
Son  courage  étonna  les  Barbares  et  ils  en  furent  choqués,  quoique 
accoutumés  à  essuyer  les  bravades  de  leurs  prisonniers  en  semblables 
occasions.  » 


116  revue  d  histoire  littéraire  de  la  france. 

Le  Génie  du  Christianisme. 

Le  serpent  et  la  flûte. 
Génie,  I,  III,  IL) 

«  Au  mois  de  juillet  1791,  nous  voyagions  dans  le  Haut-Canada,  avec 
quelques  familles  sauvages  de  la  nation  des  Onontagués.  Un  jour  que 
nous  étions  arrêtés  dans  une  grande  plaine ,  au  bord  de  la  rivière 
Génésée,  un  serpent  à  sonnettes  entra  dans  notre  camp.  Il  y  avait 
parmi  nous  un  Canadien  qui  jouait  de  la  flûte;  il  voulut  nous  divertir 
et  s'avança  contre  le  serpent  avec  son  arme  d'une  nouvelle  espèce.  A 
rapproche  de  son  ennemi,  le  reptile  se  forme  en  spirale*  aplatit  sa  tête, 
enfle  ses  joues,  contracte  ses  lèvres,  découvre  ses  dents  empoisonnées  et 
sa  gueule  sanglante;  sa  double  langue  brandit  comme  deux  flammes;  ses 
yeux  sont  deux  charbons  ardents;  son  corps,  gonflé  de  rage,  s'abaisse  et 
s'élève  comme  les  soufflets  d'une  forge;  sa  peau  dilatée  devient  terne  et 
écailleuse,  et  sa  queue,  dont  il  sort  un  bruit  sinistre,  oscille  avec  tant  de 
rapidité  quelle  ressemble  à  une  légère  vapeur*  » 

Comparez  Bartram  (Dublin,  p.  262)  :  les  mots  en  italique  sont 
exactement  traduits. 

«  He  quietly  moves  off  in  a  direct  Une,  unless  pursued,  when  he 
erects  his  tail  as  far  as  the  rattles  extend,  and  gives  the  warning  alarm 
by  intervais.  But  if  you  pursue  and  overtake  him  with  a  shew  of 
enmity,  he  instantly  throws  himself  into  the  spiral  coil\  his  tail  bg  the 
rapidily  of  its  motion  appears  like  a  vapour,  making  a  quick  tremu- 
lous  found  ;  his  whole  body  swells  through  rage,  continually  rising  and 
falling  as  a  bellows;  his  beautiful  particoloured  skin  becomes  speckled 
and  rough  by  dilatation;  his  head  and  neck  are  flattened,  his  cheeks 
swollen  and  his  lips  constricted,  discovering  his  mortal  fangs;  his  eyes 
rcd  as  burning  coals,  and  his  brandishing  forked  tongue  of  the  colour  of 
the  hottest  flame,  continually  menaces  death  and  destruction,  yet 
ne  ver  strikes  unless  sure  of  his  mark.  » 

Les  ruines  sauvages  de  ÏOhio  et  du  Scioto. 
(Génie,  I,  IV,  II  et  note  H.) 

Par  un  scrupule  rare,  Chateaubriand  a  pris  la  peine  de  nous 
renvoyer  pour  ces  quelques  pages  à  quatre  autorités  :  <  On  peut 
voir  sur  ce  que  nous  disons  ici  Duprat  [du  Pratz?] ,  Charlevoix,  etc., 
et  les  derniers  voyageurs  en  Amérique,  tels  que  Bartram,  Imley 
[Imlay?],  etc.  Nous  parlons  aussi  d'après  ce  que  nous  avons  appris 
nous-même  sur  les  lieux.  »  Or,  vérification  faite,  sa  description 


CHATEAUBRIAND    EN    AMÉRIQUE.  117 

ne  procède  en  rien  ni  de  du  Pratz,  ni  de  Charlevoix  *  ni  de  John 
Bar  tram,  ni  de  William  Bar  tram,  ni  d'Imlay.  Pour  une  fois  qu'il 
les  invoque  comme  ses  garants,  c'est  un  autre  qu'il  suit.  Nous 
ne  savons  qui. 

Le  pélican  des  bois. 
(Génie,  1,  V,  8.) 

«  Si  le  temps  et  le  lieu  nous  le  permettaient,  nous  aurions  bien 
d'autres  secrets  de  la  Providence  à  révéler.  Nous  parlerions  des  grues 
des  Florides,  dont  les  ailes  rendent  des  sons  si  harmonieux;...  nous 
montrerions  le  pélican  des  bois*  visitant  les  morts  de  la  solitude,  ne  *'«/•- 
vêlant  qu'aux  cimetières  indim$y  et  aux  monts  des  tombeaux...  » 

Où  Chateaubriand  a-t-il  pu  découvrir  cet  oiseau  singulier,  belle 
pièce  en  vérité  pour  le  Musée  des  causes  finales?  Non  loin  des 
grues  des  Florides  «  qui  battent  l'air  avec  effort  de  leurs  longues 
ailes  élastiques  »  (Bartram,  I,  258),  on  rencontre  chez  Bartram 
(I,  263)  ce  pélican  des  bois  (Tantalus  loculator,  Linn.)  : 

«  Le  pélican  des  bois  ne  va  point  par  troupes,  écrit  Bartram;  on  le 
voit  ordinairement  seul,  sur  les  bords  des  grandes  rivières,  dans  les 
marais,  dans  les  terres  inondées  et  dans  les  anciennes  plantations  de 
riz  abandonnées.  Il  se  tient  solitaire  sur  la  plus  haute  cime  de  quelque 
grand  cyprès  mort  (he  stands  alone  on  the  topmost  limb  of  ta  II  dmd 
cypress  trecs),  le  col  replié  dans  les  épaules,  le  bec  en  forme  de  faulx 
appuyé  sur  l'estomac;  immobile,  il  a  dans  cette  posture  un  air  grave  et 
triste.  » 

Comment  ces  plantations  de  riz  ont-elles  pu  se  transformer  en 
cimetières  indiens?  La  mention  du  cyprès  —  arbre  funéraire  en 
notre  Europe  —  a-t-elle  suffi  à  provoquer  la  métamorphose? 

Amphibies  et  reptiles. 
(Génie,  I,  V,  X.) 

Chateaubriand  décrit  ici  les  puits  naturels  des  Florides.  Ces 
«  charmantes  retraites  »  habitées  par  des  crocodiles  ont  particu- 
lièrement frappé  son  imagination.  Il  a  fait  asseoir  Atala  au  bord 
de  ces  sources  bouillonnantes,  et  lui-même,  d'après  le  Voyage  en 
Amérique  (p.  94)  et  les  Mémoires  d'Outre-Tombe  (p.  402),  s'y 
était  reposé.  Pour  les  dépeindre,  Chateaubriand  combine  des 
éléments  pris  à  cinq  descriptions  de  Bartram,  qu'il  serait  trop  long 

1.  Sauf  pour  quelques  rêveries  sur  certaines  coutumes  sauvages  qui  seraient 
d'origine  judaïque,  et  sur  le  dieu  de  la  guerre  iroquois  Ares-Koui,  qui  serait 
étymologiquement  identique  à  l'Are  s  des  Grecs,  cf.  Charlevoix,  p.  249  et  p.  208. 


118 


REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 


de  reproduire  ici  (Voyez  Bartram,  I,  p.  288-9,  p.  301,  p.  350, 
p.  406-7,  p.  419-21). 

A  la  page  qui  suit,  Chateaubriand  nous  indique  lui-même  qu'il 
a  traité  d'après  Bartram  son  tableau  d'une  armée  de  caïmans 
embusqués  pour  assaillir  des  bancs  de  poissons.  La  référence 
exacte  est  :  Bartram,  I,  p.  219-220. 

Il  poursuit  ainsi,  sans  plus  alléguer  Bartram  : 


Génie  du  Christinmxme. 
C'est  un  contraste  miraculeux  et 
touchant  de  voir  un  crocodile 
bâtir  un  nid  et  pondre  un  œuf 
comme  une  poule,  et  un  petit 
monstre  sortir  d'une  coquille 
comme  un  poussin.  La  femelle  du 
crocodile  montre  ensuite  pour  sa 
famille  la  plus  tendre  sollicitude. 
Elle  se  promène  entre  les  nids  de 
ses  sœurs,  qui  forment  des  cônes 
d'œufs  et  d'argile,  et  qui  sont 
rangés  comme  les  tentes  d'un 
camp  au  bord  d'un  fleuve.  Lama- 
zone  fait  une  garde  vigilante  et 
laisse  agir  les  feux  du  jour...  Aus- 
sitôt qu'une  des  meules  a  germé, 
la  femelle  prend  sous  sa  protec- 
tion les  monstres  naissants;  ce  ne 
sont  pas  toujours  ses  propres  fils, 
mais  elle  fait,  par  ce  moyen,  l'ap- 
prentissage de  la  maternité.  Quand 
enfin  sa  famille  vient  à  éclore, 
elle  la  conduit  au  fleuve,  la  lave 
dans  une  eau  pure...  et  la  protège 
contre  les  mâles,  qui  veulent  sou- 
vent la  dévorer. 


Bartram,  I,  225-2*9. 

P.  228.  —  Une  femelle  de  croco- 
dile n'est  pas  moins  attentive  à 
défendre  ou  à  nourrir  ses  petits 
qu'une  poule  qui  conduit  ses 
poussins.  Je  suppose  qu'elle  veille 
avec  soin  sur  son  nid... 

P.  227.  —  Ce  sont  de  petits 
cônes  obtus...  construits  d'œufs  et 
d'argile...  et  rangés  comme  des 
tentes  sur  le  bord  de  la  rivière. 

P.  227.  —  C'est  probablement 
la  chaleur  du  soleil  qui  les  fait 
éclore...  Quand  les  œufs  sont  éclos, 
peut-être  la  femelle  prend- elle 
sous  sa  protection  tous  les  petits 
qui  éclosent  en  même  temps.  Du 
moins  ne  sont-ils  pas  abandonnés 
à  eux-mêmes,  car  j'ai  souvent  vu 
des  crocodiles  conduisant  le  long 
des  côtes  leurs  familles  de  petits 
comme  une.  poule  conduit  ses 
poussins.  Je  crois  qu'il  en  par- 
vient peu  de  chaque  couvée  à 
l'âge  adulte;  les  grands  crocodiles 
mangent  leurs  petits  quand  ils 
sont  hors  d'état  de  se  défendre. 


Conclusion. 

Nous  livrons  au  lecteur  ces  documents  bruts.  Notre  enquête 
demeure  trop  imparfaite  :  nous  ne  saurions  encore  les  interpréter 
sûrement1. 


1.  Pourtant,  il  semble  s'en  dégager  déjà  cet  enseignement  très  secondaire,  mais 
désormais  acquis  :  les  historiens  des  anciens  peuples  indiens  feront  sagement  s'ils 
renoncent  à  exploiter  comme  une  «  source  historique  •  originale  le  Voyage  (VAmé- 


CHÀTEÀUBBUKD    KN    AMfclUUi  !  , 

Pour  T heure  nous  laisserons  a  chacun  la  joie  ilélicale  de 
mnfronler  les  rmianienients  du  poète  avec  leurs  indignes 
modèles*  C*esl  parfois  traduction  littérale  ou  simple  transcription  : 
une  humble  retouche  de  syntaxe,  ellipse  ou  inversion,  un  mot 
mis  en  sa  place,  un  membre  de  phrase  élagué,  et  la  sèche 
matière  amorphe  s'organise  et  palpite;  uu  mot  puissant,  une 
image  créée  y  projettent  comme  un  afflux  de  sève;  la  lumière 
s'y  insinue,  et  les  nombres,  et  la  vie.  Ce  n'est  qu'une  ébauche 
encore  :  le  poète  la  reprend  à  deux,  à  trois  reprises;  elle  passe 
du  Voyagé  en  Amérique  au  Génie  dn  Christianisme,  puis  aux 
iiéf&ùtret  cT(httre~Tombe  :  procédé  de  peintre;  et  chaque  trans- 
position est  création.  Comparez  par  exemple  dans  le  Voyagé  la 
Dê&oription  tle  quelque*  triiez  de  ?  intérieur  des  Floride*  à  l'épisode 
des  Deux  Floridienneê  dans  les  Mémoires  iïfhttre-Tomhe.  A 
l'origine,  ce  n'esl  qu'un  ingénieux  agrégat  de  passades  de 
Bartram,  traduits  en  toute  rigueur;  mais  parfois  y  brillent  de 
grandes  images  tristes;  une  harmonieuse  mélancolie  y  respire, 
et  quelque  chose  de  Ta  me  de  René.  l*uis,  à  vingt-cinq  ans  de 
distance,  le  poète  revient  à  ces  mêmes  pa^es  pour  les  trans- 
porter dans  ses  Mémoires  :  çà  et  là  on  touche  encore  le  tuf, 
on  retrouve  des  phrases  telles  quelles  de  Bartram;  mais  les 
Svlvaines  floridiennes  animent  le  paysage,  y  répandent  les 
parfums  émanés  d'elles,  Fégayent  {et  parfois  peut-être  le  rape- 
lissent)  par  leurs  chants  et  leurs  jeux;  le  soleil  couchant  y  verse 
des  rivières  de  lave,  des  Ilots  de  diamants  et  de  saphirs,  et  voici 
que  resplendit  cet  hymne  à  la  lumière  qu'achève  et  couronne, 
comme  la  clausule  radieuse  d'une  strophe,  une  rare  idée  de 
poète  :  «  La  terre  en  adoration  semblait  encenser  le  ciel,  et 
l'ambre  exhalé  de  son  sein  retombait  sur  elle  en  rosée,  comme 
la  prière  descend  sur  celui  qui  prie*  » 

Nous  nous  en  tiendrons  à  une  seule  remarque.  Quelques-uns 
des  rapprochements  qui  précèdent  ne  représentent  pas  simplement 
le  travail  préparatoire  nécessaire  à  tout  écrivain  de  choses  exo- 
tiques qui,  pour  peindre  une  nature  qu'il  n'a  pas  vue  et  les 
mœurs  de  peuples  qu'il  ignore,  va  chercher  là  où  on  les  trouve, 
dans  les  livres  des  voyageurs,  les  éléments  du  coloris  local.  La 
persistance  de  Chateaubriand  à  remanier  des  pages  entières 
révèle  tout  autre  chose  ;  il  semble  que  pour  créer  il  ait  souvent 
besoin  de   la  suggestion  d'une  page  déjà  écrite.  Ce  qui  expli- 


'%  Barwroft,  enln>  ;min ïb,  en  sa  grande  Histoire  de  /VIpu'h^hc,  s'y  était  laissé 
prendre  :  pour  son  histoire  des  Uuhees  et  de*  Creeks,  il  allègue  volontiers  l'auto* 
rite  i!e  notre  voyageur. 


120  REYCE  D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FBA>CL. 

qoerait  ce  renseignement  donné  par  lui-même,  qu'au  rebours  de 
J.-J.  Rousseau,  il  ne  pouvait  composer  qu'à  sa  table  de  travail  et 
la  plume  à  la  main.  C'est  à  partir  d'un  texte  déjà  fixé  par  autrui 
ou  par  lui-même  que  son  imagination  s'ébranle  et  s'élance.  Je 
ne  vois  guère  qu'un  seul  de  nos  grands  écrivains,  parmi  les 
modernes,  qui  ait  présenté  une  disposition  analogue  :  André  Ché- 
nier.  Non  par  effort  de  virtuosité,  ni  par  passe-temps  d'archéo- 
logue, mais  par  un  instinct  qui  est  à  la  racine  même  de  son 
génie,  André  Chénier.  le  moins  livresque  des  poètes,  ne  crée 
qu'en  transposant.  Mais  ce  sont  toujours  ses  pairs  qui  donnent 
le  branle  à  son  imagination  :  pour  faire  vibrer  l'infinie  délicatesse 
de  ses  sens  voluptueux,  pour  provoquer  le  ressouvenir  épuré  de 
ses  sensations  antérieures,  images,  saveurs,  parfums,  il  lui  faut 
le  beau  résonne  ment  d'un  vers  d'Homère,  la  noblesse  d'un  mou- 
vement virgilien,  la  lumière  d'un  vers  de  Théocrite.  A  Chateau- 
briand tout  est  bon,  la  prose  incolore  d'un  régent  de  collège 
jésuite,  la  prose  toute  modeste  des  Bartram  et  des  Carver  et,  à 
l'occasion,  comme  on  sait,  celle  de  MB°  de  Chateaubriand.  Et 
tandis  que  Chénier  n'a  peut-être  jamais  imité  plus  de  dix  vers 
consécutifs,  Chateaubriand  peut  suivre  obstinément  son  modèle 
pendant  des  pages. 

Une  telle  disposition  n'est  pas  accidentelle  :  Chateaubriand  ne 
s'est-il  pas  appliqué  toute  sa  vie  à  transporter  d'un  de  ses  livres 
à  un  autre,  de  V Essai  au  Génie  du  Christianisme,  du  Génie  du 
Christianisme  à  Y  Itinéraire  ou  aux  Mémoires  d'Outre-Tombe,  des 
pages  qu'il  remanie,  et  qui  prennent  à  chaque  remaniement  une 
magnificence  imprévue  et  toute  neuve1?  Comme  si   son  mode 

1.  Si  nous  considérons,  à  titre  d'exemple,  quelques  pages  du  VP  livre  des 
Mémoires,  voici  (à  partir  de  la  p.  334)  le  relevé  de  celles  qui  sont  reprises  à  des 
ouvrages  antérieurs  :  P.  334  (Francis  Tulloch),  cf.  Essai,  11,  23.—  P.  334-5  (Colomb), 
cf.  Préface  du  Voyage,  p.  xxvu-vm.  —  P.  335  (Vasco  de  Gama),  cf.  Préface  du 
Voyage,  p.  XXI.  —  P.  336  (l'Ile  Graciosa),  cf.  Estai,  II,  54.  —  P.  339,  cf.  Sa  te  fiez, 
1.  VII.  —  P.  340  [L'espace  tendu...),  cf.  Génie,  I,  III,  12.  —  P.  34!  (Descendu  de  Caire...), 
cf.  Satchez,  livre  VIL  —  P.  348  (les  Esquimaux),  cf.  Satchez,  liv.  VUI,cf.  Génie,  I,  V, 
4,  cf.  Charlevoix,  Hist.de  ia  Souv.-France,  I,  415-6.  —  P.  348-9,  cf.  Génie,  1,  V,  12. 

—  P.  350-2,  cf.  Voyage,  p.  13-17.  —  P.  354-63,  cf.  Voyage,  p.  17-26.  —  P.  363  {Quand 
je  formai...),  cf.  Introduction  au  Voyage,  p.  I.  —  P.  365-6,  cf.  Voyage,  p.  26-7.  — 
P.  367-8,  cf.  Essai,  II,  23.  —  P.  369,  cf.  Voyage,  p.  28.  —  P.  370  (J'allais  d'arbre  en 
arbre...),  cf.  Essai,  II,  57.  —  P.  370  (M.  Viollet),  cf.  Itinéraire,  II,  p.  201.  —  P.  373-6, 
cf.   Voyage,  p.  31-7.  —  P.  377,  cf.  Voyage,  p.  256-7.  —  P.  379-83,  cf.  Voyage,  p.  37-41. 

—  P.  383,  cf.  Essai,  11,  57.  —  P.  388-9,  cf.  Essai,  11,  23,  cf.  Voyage,  p.  46-8.  — 
P.  390,  cf.  Voyage,  p.  130.  —  P.  391,  cf.  Voyage,  p.  372.  —  On  peut  continuer  ainsi 
jusqu'à  la  fin  du  livre.  Notons  seulement  que  les  réflexions  mélancoliques  de 
Chateaubriand  quitté  de  ses  deux  sultanes  jonquille  (p.  413)  sont  un  extrait  de  la 
lettre  de  René  à  Célula  dans  les  Satchez  et  que,  pour  peindre  la  tempête  qui  l'as- 
saillit au  retour  d'Amérique,  notre  voyageur  a  mis  bouta  bout  une  tempête  subie 
par  Chactas  ' Satchez,  livre  VII)  et  une  autre  subie  par  Cymodocée  (Martyrs, 
livre  XIX). 


CHATEAUBRIAND    EN    AMÉRIQUE.  121 

favori  de  création  était  le  remaniement,  nous  possédons  ii'un 
grand  nombre  de  pages  de  son  œuvre  deux,  trois  ou  quatre  états 
successifs  :  quel  en  fut  le  premier  état?  Ne  peut-il  se  trouver 
parfois  dans  l'œuvre  d'autrui?  les  rapprochements  de  textes  qui 
précèdent  ne  le  laissent-ils  pas  supposer?  Pour  verser  dans  VEssai 
sur  les  révolutions  les  richesses  d'une  érudition  encyclopédique, 
pour  arrêter  après  un  an  de  travail  des  jugements  impérieux  sur 
tous  les  monuments  littéraires  de  l'Angleterre  pendant  huit 
siècles,  pour  conduire  des  origines  jusqu'à  Louis  XVI  Y  Analyse 
raisonnée  de  I  histoire  de  France,  sans  compter  cet  ample  Discours 
sur  la  chute  de  l'Empire  romain,  n'y  a-t-il  pas  indication  qu'il  a 
exploité,  selon  les  mêmes  procédés  de  transcription  géniale,  on  ne 
sait  encore  quels  Carver  et  quels  Charlevoix?  Et  les  plus  grandes 
pages  du  Génie  du  Christianisme,  de  Y  Itinéraire  et  des  Mémoires 
d' Outre-Tombe  échappent-elles  toutes  à  cette  vraisemblance,  s'il 
apparaît  que  volontiers  l'imagination  de  notre  poète  requiert 
d'une  page  déjà- écrite  le  premier  ébranlement,  et  que  nous 
sommes  là  en  présence  d'une  véritable  méthode  d'invention 
poétique? 

A  ces  questions,  que  nul  ne  se  hâte  trop  de  répondre  :  non. 
Il  faudra  manier  souvent  la  baguette  de  coudrier,  la  baguette 
divinatoire  qui  tourne  d'elle-même  entre  les  doigts  des  chercheurs 
de  sources.  «  Mille  fleuves  tributaires  fertilisent  de  leurs  eaux  le 
grand  Meschacebé...  »  La  plupart  ont,  croyons-nous,  un  cours 
souterrain.  La  baguette  de  coudrier,  promenée  comme  au  hasard, 
n'a  fait  encore  affleurer  que  trois  ou  quatre  pauvres  petites 
sources. 

Joseph  Bédier. 


MÉLANGES 


UN  IMITATEUR   OU   UN   INSPIRATEUR    DE   RABELAIS 


Dans  une  note  à  la  PantHfjruclitw  protjtuistiititturt,  les  éditeurs  Burgaud  des 
Marets  et  Ralhery  (p.  523)  indiquent  comme  source  de  quelques  plaisanteries 
de  cet  ouvrage  de  Rabelais,  les  HidintUt  $ed  jucunda  quaâdom  rtitiriniu  de 
lûachim  Slerck  van  Hingelberg  d'Anvers,  mieux  connu  sous  le  nom  latin  de 
loach.  Fortins  fUngeïbergius.  Los  Vûti&inia  t'ont  partie  de  cette  sorte  d'ency- 
clopédie, qu'il  composa  sous  le  tilre  de  Roffofif  studîi  et  où  il  est  question 
de  certaines  sciences,  y  compris  l'astrologie,  et  de  la  méthode  pour  bien  les 
apprendre 

Voici  le  passage  en  question  : 

«  Proxîmo  anno,  dit  Hîngelberg*  caecî  parum,  aut  nihîl  vîdebunt. 
surdi  maie  audient,  nmti  non  luquiintur.  Divites  mclius  se  habehunt 
quam  pauperes,  sani  quam  aegri,.*  Molli  ïnteribunt  pisees,  baves,  oves, 
porcit  caprae,  pulli  et  caponee  :  inter  aimias,  canes  et  equos  mors  non 
tantopere  saimunt...  Ssneetus  eodem  anno  eril  immedicabilis,  propter 
annos  qui  proccessemot.,.  Bellum  eril  inter  canes  et  lepores,  inter 
fêles  et  mures,  inter  lupos  et  oves,  inter  monactaos  et  ova.  j* 

Le  morceau  cité  est  traduit  presque  entièrement  par  Rabelais  et  bien  que 
son  imitation  se  borne  à  peu  de  lignes,  on  doit  admettre  que  c'est  là  ce  qui 
constitue  fosubttQttiijtqUê  viùëite  de  l'aimanach  français,  dont  La  plaisanterie 
consiste ,  en  effet t  a  présenter,  comme  des  prédictions  extraordinaires,  les 
choses  les  plus  simples  et  naturelles,  devant  évidemment  arriver, 

Une  petite  découverte  due  au  hasard  m'a  fait  connaître  une  chose  asse* 
curieuse  et  qui  n'a  pas  été  que  je  sache  jusqu'à  présent  remarquée,  Ludovico 
Guiceiardini  dans  ses  Detti  et  futti  piacevoli  et  gravi,  publiés  à  peu  près  une 
quinzaine  d'années  après  les  deux  auteurs  précédemment  cités,  répète  à  la  lettre 
quelques-unes  des  mêmes  prédictions  *,  La   première   hypothèse  qui  se  pré- 


L  La  première  édition  du  (luicclardini  est  de  1548,  celle  de  la  Pantagruel]  ne 
Pronostic  il  [..,,  rS[  nntèricure  a   \>M> 

-  Qtwmto  dit  xcht'ttiirr  sirnu  i  urotwsttchi^  et  le  predUîonit  pruvenienti  daftn 
aHrotoffia  QiudicU&ia,  H  munira  per  qUMttû  profiOêUoo  di  Pasquino  di  Rama. 

Questo  aano  prjj&simo,  i  ciech»  vedrauno  poco,  o  niante*  î  sordi  udirnnno  niai  : 
la  state  Ha  calda,  et  seeca  :  sara  gran  sole,  pioverà  lai  vol  ta,  Ulvolta  fulminera,  el 
lonerà,  et  anche  haremo  délia  tempesla;  il  verno  Ha  freddo,  el  huaiido;  régnera 
gran  vente,  piovera  assai,  et  phi  di  nolte,ehe  di  giorno.  Tra  gli  uccellalori,  et  glï 
uccelti  mrk  gran  guerra,  et  maggiore  tra  ï  pescalori,  el  i  pesci  ;  Uacqua  de'  Qumï 
correrâ  alla  china;  et  li  maggiorï  sboceberanno  ïn  marc.  JMoriranno  molli  buoi, 
monloni,  porci,  cervi,  el  infinitï  pollh  tra  îe  ber  tuerie,  tupi,  asini,  cavalli,  et  assi- 


m    IMITATEUR    OU   U>    ISM'lnATEtR    Hfc    KAUELA1*» 

sente,  c'est  que  ïiuicciardini  n  ait  fait  autre  chose  qu'imiter  soit  HïngeJber- 
gius,  soit  Rabelais  et  même  tous  les  deui  à  la  fois,  ce  qui  parait  d'autant  plus 
probable  que  l'auteur  a  puisé  librement,  pour  la  composition  de  son  ouvrage, 
à  des  sources  non  seulement  italiennes,  mats  aussi  <"■  Iran  gères,  et  il  le  déclare 
dans  sa  préface» 

Mai**  cette  première  hypothèse  a  aussi  son  côte  faible*  car  Guiceiardinî, 
loin  de  s'attribuer  le  mérite  de  l'invention,  déclare  ouvertement  qu'il  s'est  ins- 
piré, non  pas  à  l'écrivain  d'Anvers  ou  au  grand  humoriste  de  la  France,  mais 
a  ce  Pot$quinQ  rfi  Aoma,  sous  le  nom  duquel  on  a  composé  et  publié  tant  de 
choses,  Exisle-t-il  donc  un  almanach  romain,  inspirateur  de  Guiceiardinî  et 
cet  almanach  aurait-il  inspiré  à  son  tour  deux  auteurs  qui,  tout  en  étant 
étrangers,  avaient  vécu  en  Italie  et  en  connaissaient  assez  bien  les  produc- 
tions littéraires?  le  dois  avouer  que  mes  recherches,  qui  se  sont  d'ailleurs 
bornées,  faute  de  livres,  a  bien  peu  de  choses,  ne  me  permettent  pas  de 
r.- pondre  affirmativement  à  celte  question;  j'espère  toutefois  que  quelqu'un 
de  mes  savants  confrères  saura  la  résoudre*  Je  me  borne  donc  pour  le  moment 
à  signaler  les  points  de  contact  : 

rmccelb.  —  Froximo  annocaeci  parum,  aut  nihil  videbuntTsurdi  maie 
audient,  muti  non  loquuntur. 

rab,  (IHCI  livre).  —  Geste  année  les  aveugles  ne  verront  que  bien  peu, 
-ourds  o iront  assez  mal,  les  muets  ne  parleront  guèrea. 

GuiccuRtK  —  Quest'anno  prossiuio,  i  ciechi  vedranno  poeo,  o  nicnitj, 
î  sordï  udiranno  mai, 

itiNGEUi.  —  Divites  melius  se  habebunt  quam  pauperes,  sani  quam 
aegri. 

rab,  (ihitL).  —  Les  riches  se  porteront  un  peu  mieux  que  les  pauvres, 
et  les  sains  mieux  que  les  malades. 

GLTicciAEui.  —  I  ricchi  staraono  meglio  che  li  poveri  et  i  sani  ordina- 
riamente  meglio  cha  i  malati. 

mngelu,  —  Multi  interibunt  pisces,  boves,  ovesT  porci,  caprac,  pulli 
et  capones,  in  1er  simias,  canes  et  agoos  mors  uon  tan to père  saeviunt. 

in Hi,  ta  morte  non  farâ  tanta  slragÊ,  H  medesimo  annoT  la  vecchiaia,  per  cagîone 
*le  uti  anni  passalù  sure  ÏDcurabile;  saranno  molti  bisognosï,  molti  matali,  et 
alruni  moriranno  înnanzi  alla  vecchiaia.  Varia  sarft  la  rnuUlione  délie  cose  del 
AOftdo;  \n  navigaljone  del  mare  occidentale  bî  aeltenlrionale  sarà  pericolosa, 
ini-simamentc  quand*  farà  lempesta*  I  fte,  el  gli  altri  Hrîoeipî  haranno  più  che 
la  parle  loto;  et  uondimeno  non  si  eontcnleranno,  1  popoli  taï'hora  haranno  buona 
fortuné,  tal'hor  calliva,  et  qualche  volta  anche  médiocre,  ï  riccliï  slaranno  meglio, 
ett«  fi  poveri,  et  i  sani  ordioariamenle  meglio,  che  ï  tnalati.  Il  mangïare,  el  bere 
sari  mollo  necessario,  Sarà  pi  fi  stimato  Poro,  che  l'argento;  il  pïombo  aï  harè  a 
pregi  ragionevoli.  Cirea  il  mese  di  marzo  si  eompreranno  manco  i  caslroni*  che  i 
buoi,  o  i  cavaliL  Sarâ  in  aleuni  luogtal,  per  revoluiinne  <li  Satumo  peste,  el  altre 
roai&Uie;  in  altri  luogïii.  per  eaficme  deU'aspetta  di  M^rUi,  segnltofi  mortalité,  et 
hcinicidi;  Saranno  molli  giovani  innamoralu  per  causa  di  Venere;  Sarà  bnono  il 
mangiar  capponiT  slarne,  et  qtiagtie.  el  il  bere  oLLïjni  vini  lia  otliaio.  Sara  pïena 
luna  di  marzo,  o  di  aprile,  quando  cita  fia  aH'opposilo  dcl  Sole;  ma  corne  eïla 
parviene  al  capo,  o  alla  coda  dcl  dragone,  oscurerô  per  tanto  spnlîo,  quaoto  etJa 
tracirâ  delTombra  délia  terra*  Fia  grande  splendore  inlorno  alla  iperft  del  Sole, 
régner»  gran  freddo  nclle  eatreme  zone,  et  sfi  per  gli  ait»  monti;  sarâ  gran  caldo 
et  sicfira  .-îriiL*!  n-:i|iiini.tiinlt».  VÀnn  il  mur  Thircno.  et  il  mar  tonio+  lia  gran  copia 
d'huntore,  et  pïù  ancora  ne  Ha  intorno  al  mar  Oceano.  Vedrassi  la  notte  al  sennu 
tante  stelle  in  cielo,  clie  ne  huomo,  ne  donna  le  potrebbe  mai  contare.  ■ 


lii  vi  b:  d  iiisniiiu;  littlhaihi:  de  i  v 


mi  . 


hah,  [îftid.).  —  Plusieurs  moutons,  bœufs,  pnurceau*,  oisons,  poulets 
ri  canarda  mourront  et  ne  sera  si  cruelle  guerre  en  Ire  fat  Bingei  et 
dromadaires. 

lAHTh  —  Moriranno  molli  buoi,  montoni,  poreî,  cervi  et  inOniti 

pollî;  Ira  le  bertuceie,  a&ini,  eavalli  e  assiuoli  ta  morte  non  fard  tanta 
s  t  rage. 

hixgel».  —  Senectus  eodem  anno  erîl  îmmedicabilis*  propter  annos 
qui  proccesserunl. 

rab.  (iétd.).  —  Vieillesse  sera  incurable  ceslc  année,  à  cause  des 
années  passées. 

GuicciARU.  —  Il  medesirno  anno  la  veeehïaia,  per  cagione  degti  a  nui 
passati,  sorà  incurabile. 

Mais  il  y  a  ce  dernier  passage  de  Rfogelberg,  qui  ne  se  trouve  que  dans 
la  prédiction  de  Guicciardini,  et  avec  une  certaine  différence  i 

8IÎTÛ8LB.  —  Bellum  e  ri  t  inter  canes  et  lepores,  inter  fêles  et  mures, 
in  ter  lupos  et  ores,  inter  monaclios  et  ova. 

guicciard.  —  Frà  gli  uccellatori  e  gli  uccelti  sarà  gran  guerra  e  mag- 
giore  Ira  i  peseatori  e  i  pesoi. 

En  outre,  en  laissant  de  côté  l'idéalité,  mot  pour  mot,  de  la  PuntayniHinc 
ftôgnoêticûtion  et  de*  Ih'iti  de  Guicciardini,  il  va,  peut-être,  d'autres  points  de 
ressemblance,  «  En  été,  dit  Rabelais  (VIII  ch-h  il  doit  faire  chaud  et  régner 
veut  marin  «;  en  hiver  il  fera  froid  el  «  ne 'seront  ftàgM  iu\  qui  rendront 
leurs  pellices,  etc.  »  (X  ch*),  et  ailleurs  il  parle  des  édîpftefl  :Il  eh.},  se  moque 
de  l'influence  des  astres  (IM(I.  et  l,r)et  prédit  que  h  Saturne  sera  relrograd-  \ 
Vénus  directe,  Mercure  inconstant  et  (IV  eh.)  qu'il  menacera  quelque  peu  le 
persil,  que  Tannée  <c  sera  bien  fertile  avec  planté  de  tous  biens  à  ceux  qui 
auront  de  quoi  »  (IV  ch.),  qu'il  n'y  aura  <«  en  toute  ceste  année  »■  qu'une  lune 
a  encore  ne  sera  point  nouvelle  »  {VII  eh.)  et  aura  diminution  ou  accroissement 
de  sa  clarté,  selon  qu'elle  approchera  ou  s'estoignera  du  soleil  a,  ce  qu'on  peut 
rapprocher  de  ce  que  dit  Guicciardini  là-dessus  :  «  La  state  sîacaidae  secea... 
e  auche  haremo  délia  lempesta,  il  verno  sîa  freddo  et  huniido,  régnera  gran 
vento  »*î  el  pour  ce  qui  est  des  astres  :  «  sarà  in  alcuni  luoghi  perrevolutïone  di 
Saiurno  peste,  e  allre  malattie,  in  allri  luoghi  per  cagione  dell'aspelto  di  Marte, 
mortalita  e  homicidi  »  et  Vénus  rendra  amoureux  beaucoup  déjeunes  gens. 
Et  il  ajoute  : 

«  Sarà  piena  luna  dt  Marzo  o  di  Àprile,  quando  elfa  sia  aU'opposito  del 
Sole,  ma  corne  elle  perviene  ai  capo  o  alla  coda  del  dragone,  oscorerà  per 
tanto  spazio,  quonto  etla  uscirà  daU'ombra  délia  terra.  » 

Tous  les  deux  recommandent  de  bien  boire.  «  Beuvez  du  meilleur  »,  sTêcrie 
Rabelais,  et  Guicciardini  «  il  bere  otlimi  vint  sia  oUuno  *■;  tous  les  deux  se 
moquent  des  prédictions,  touchant  les  peuples.  Rabelais,  dans  sou  VI*  chap,, 
assure  «  qu'Italie,  Romanie,  Naples,  Sicile  demeureront  où  elles  esloient  Tan 
passé  »  et  Guicciardini  déclare  que  «  1  popoli  lal'hora  haranno  buoua  fortuna 
Ut  hor  catiiva  e  qualche  voila  médiocre  >>  où,  sous  un  autre  aspect,  le  fond 
de  ta  plaisanterie  demeure  toujours  le  même. 

Dans  le  reste  de  ta  ProyaotfiftgUoa,  il  y  a  toujours  ce  même  caractère,  qui 
domine  le  ftronoffiû}*  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  Rabelais  continue  le 
II*  chapitre,  où  il  n'y  a  rien  directement  de  commun  avec  les  deux  autres 
auteurs,  mais  dont  l'inspiration  n'est  pas  toutefois  différente. 


UN    IMITATEUR    OU    UN    INSPIRATEUR    DE    RABELAIS.  125 

«...  Pour  ceste  année,  les  chancres  iront  de  costé,etles  cordiers  à  reculons. 
Les  escabelles  monteront  sur  les  bancs,  les  broches  sur  les  lardiers,  et  les 
bonnets  sur  les  chapeaux...  les  puces  seront  noires  pour  la  plus  grande  part; 
le  lard  fuira  les  pois  en  qu  ares  me;  le  ventre  ira  devant,  le  c...  se  asseoira  le 
premier  »,  et  ainsi  de  suite.  Et  ailleurs  (IV  en.),  après  avoir  déclare  que  les 
riches  cette  année  «  auront  de  quoi  »,  il  ajoute  : 

«  Le  hobelon  de  Picardie  craindra  quelque  peu  la  froideur;  l'avoine 
fera  grand  bien  es  chevaux  :  il  n'y  aura  guères  plus  de  lard  que  de  pour- 
ceaux... De  bleds,  de  vins,  de  fruitages  et  lègumages  on  n'en  vit  onques  tant, 
si  les  souhaits  des  pauvres  gens  sont  ouïs.  »  Et  encore  (VI  ch.),  «  sus  le  milieu 
de  Testé  sera  à  redoubler  quelque  venue  de  puces  noires...  Allemagne,  Souisse, 
Saxe,  Strasbourg,  Anvers,  etc.,  profiteront  s'ils  ne  faillent  »,  et  à  propos  du 
printemps  (VU  ch.)  :  «  vous  verrez  ceste  saison  à  moitié  plus  de  fleurs  qu'en 
toutes  les  trois  autres...  »  et  «  selon  l'opinion  d'Avicenne,  le  printemps  est 
lorsque  les  neiges  tombent  des  monts  ».  Enfin  en  été  il  fera  chaud,  mais  «  si 
autrement  arrive,  pourtant  ne  fauldra  renier  Dieu....  Beau  fera  se  tenir 
joyeux,  et  boire  frais;  combien  qu 'aucuns -ayent  dit  qu'il  n'est  chose  plus  con- 
traire à  la  soif.  »  (VIIIe  ch.)  «  En  automne  l'on  vendengera,  ou  devant  ou 
après.  »  (IX  ch.)  En  hiver  :  «  Tenez-vous  chaudement.  Redoutez  les  catharres.  » 
(X  ch.) 

Ce  sont,  on  le  voit,  des  variations  d'un  même  motif,  qui  pourraient  continuer 
à  l'infini. 

P.  TOLDO. 


126  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE   DE    LA    FRANCE. 

UN    FRAGMENT    INÉDIT    DE    LEDIEU 
SUR    L'ÉDUCATION    DU   DAUPHIN 


Aujourd'hui  Bossue t,  à  rapproche  de  son  second  centenaire,  attire  l'attention 
de  tous  les  amisde  la  langue  et  de  la  littérature.  Un  modeste  supplément  à  ces 
manuscrits  de  Ledieu,  qui  ont  été  ici  même  ressuscites1,  ne  paraîtra  point  hors 
de  saison.  Voici  donc  la  reproduction  de  douze  pages  autographes  du  secré- 
taire de  Bossuet. 

Ces  notes  un  peu  informes,  qui  sont  entrées  d'ailleurs,  mais  seulement  en 
partie,  dans  les  Mémoires  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Bossuet,  méritent  d'être 
éditées  pour  les  renseignements  nouveaux  qu'elles  fournissent. 

Le  manuscrit  original  appartient  à  la  collection  de  M.  A.  Gasté,  professeur 
à  lTniversité  de  Caen.  Tous  les  érudits  connaissent  son  zèle  pour  la  mémoire 
de  Bossuet1.  C'est  à  lui  qu'il  faut  savoir  gré  de  vouloir  bien  mettre  sous  les 
yeux  du  public  une  des  épaves  du  vaste  recueil  de  notes  de  M.  Hoquet.  Qu'il 
soit  ici  remercié  de  me  laisser  publier  ces  pages  pendant  qu'elles  peuvent 
l'être  encore,  car  le  temps,  tempus  edax,  les  aura  bientôt  rendues  illisibles. 

Labbé  Le  dieu.  Notes  sur  Bossuet  précepteur  du  Dauphin.  42  p.  m-4°,  fortes 
taches  dhumidité.  Tel  est  le  titre  épingle  sur  ce  manuscrit.  Il  faut  dire  que  la 
note  :  fortes  taches  dhumidité  est  un  euphémisme  très  indulgent,  car  le  bas 
des  pages  est  tellement  rongé  de  vétusté,  que  les  dernières  lignes  sont  déjà 
tombées  en  lambeaux.  Il  est  donc  urgent  de  publier  ce  texte,  qui  n'est  pas  un 
simple  duplicata,  mais  un  développement  des  mémoires  deLedieu  ;  c'était  sans 
doute  un  premier  brouillon  que  le  travail  de  la  composition  aura  contribué 
plutôt  à  réduire.  Je  le  reproduis  aussi  fidèlement  que  possible;  bien  des 
lacunes  s'y  rencontreront  déjà,  tant  le  manuscrit  s'émiette  et  s'en  va  en  pous- 
sière. 

La  marge,  d'un  quart  de  page  environ,  y  est  presque  toujours  remplie  d'ad- 
ditions, mais  comme  les  renvois  en  sont  d'ordinaire  faciles  à  reconnaître,  je 
les  insère  à  leur  place,  sauf  à  avertir  en  cas  d'hésitation.  Je  maintiens  aussi, 
niais  entre  crochets,  les  mots  raturés  par  l'auteur,  et  je  mets  en  caractères 
italiques  les  surcharges,  alin  de  fournir  une  manière  de  fac-similé  imprimé  de 
ce  manuscrit  *.  Les  feuilles  jaunies  et  usées  seraient  difficiles  à  photographier. 

La  page  double  de  papier  blanc  qui  contient  ces  six  feuilles  porte,  de  la 
main  de  M.  Floquet,  ce  titre  *  : 

1.  V.  n<>"  du  15  oct.  1897  et  juillet  1898.  Labbé  bedieu,  historien  de  bossuet.  \otes 
critiques  sur  le  texte  de  ses  Mémoires  et  de  son  Journal,  par  M.  l'abbé  Ch.  Urbain. 

2.  Il  faut  ajouter  :  et  pour  les  gloires  de  la  Normandie.  Or.  parmi  celles-ci. 
Corneille  tient  la  première  place.  V.  V Histoire  de  la  querelle  du  CUL  récemment 
parue,  et  honorée  du  prix  Saintour  par  l'Académie  française.  M.  Gasté  avait  déjà 
réimprimé  À  Rouen  (1894)  en  fac-similé*  par  opuscules  séparés,  pour  la  Société  des 
bibliophiles  normands,  vingt-huit  pièces  de  cette  mémorable  guerre  de  pamphlets. 
Mais  la  seconde  édition  est  beaucoup  plus  complète.  Paris,  Welter.  1899.  in-8  de 
495  pages. 

3.  Pour  la  même  raison  et  afin  de  respecter  la  physionomie  de  ce  manuscrit,  j'en 
conserve  l'orthographe  et  les  abréviations. 

4.  Elle  a  servi  primitivement  d'enveloppe  À  un  dossier  quelconque  et  porte  sur 
la  4*  page,  maintenant  à  l'envers  :  Bedosch  député*  d'une  main  probablement  plus 
ancienne. 


l>    HiAi.MlM    wihii    PB   LOI  EU   Si  n    [/ÉDUCATION    M     BÂtiPttîff.       127 

Mas  de  Le  Dieu, 

1°  Éducation  du  Dauphin. 
2°  exposition  K 

Son  travail  pr  ms^r  le  dauphin 
Ses  occupations  a  la  cour  :  ses  amis  *. 

En  mil  occasions  de  6a  vie  lorsqu'il  s'agissoit  de  quelque  mot  de  latin» 
il  tranchoît  la  difficulté  par  des  autoritez  qu'il  avoit  très  présentes  de 
r/'  Virgile,  dhorace  de  phedre  mesme  qu'il  estinmit  très  pur, 
et  des  autres  orateurs  et  historiens  *,  dont  il  auoit  fait  une  estude 
particulière  étant  auprès  de  Msgr  le  dauphin,  on  le  peut  uoir  dans  snti 
édition  des  variorvm,  qu'il  acheta  exprez  pr  cette  estude,  et  dans 
laquelle  il  a  y  a  point  de  page  qui  ne  sott  marquée  de  son  crayon  \ 

Il  v  a  une  fahle  composée  par  M,  de  M(eaux)  et  imitée  de  phedre, 
jusqu'à  s  y  méprendre,  que  ses  amis  en  effet  crurent  estre  dftin  ancien  *t 
i|iu  fait  uoir  combien  il  s'étnit  rendu  familière  la  plus  pure  latinité, 
cent  mitres  ouuragea  le  fiint  mur  ;  comme  son  m  m  eu  ta  ira  sur  le  Ca&+ 
tique1)  et  tant  d'autres  imprimez;  îanis  surtout  trois  ou  quatre  pièces 
manuscrites  que  j*ay,  qui  sont  de  la  pureté  du  siècle  d'auguste  Bt  du 
stile  de  César  et  de  saluste  pour  la  narration,  c'est  la  lettre  de  ce  prélat 
au  pope  Inuocenl  \1.  ou  il  luy  rend  conte  de  l'éducation  de  Msgr  le  dau- 
phin, laco(nduite.i  (?)*.. ft 

ansai  estant  auprezde  Msgr  il  auoit  poussé  très  loin  ses  recherches 

sur  la  grammaire  latine  :  j'en  donne  des  exemptes  dans  les  uerbes  de 

signification  contraire  qu'il  auoit  très  curieusemt  recueillis,  sans  parier 

'le  *es  remarques  trè&  singulier**  *w  l&*  eonjonctiom  et  autre*  particule* 

stinablett  *, 

1.  Celle  note  sur  VExpmitfon,  d'ordre  purement  bibliographique*  a  ètv  pub] 
ta  Revue  de$  teîencei  rvcttmtmtiquex,  octobre  18U9,  p.  839. 
<    second  Ulre,  île  la  mam  de  Ledieu,  est  d'une  encre  plut*  récente, 
3,  Les  mois  Térenr.e  onl  été  écrits,  posKérietiremeiil,  ta  surcharge. 
t*  Ici  s'arrêtait  La  phrase.  Au  point  final  I  été  substituée  une  virgule,  et  lus  mois 
ont-ii  ajoutés  nous  reportent  à  la  mite,  écrite  en  marge. 

in  nouveau  détail  que  ne   nous  fournissent  point,  que  je  sache,  les 

<r  uvres  imprimées  de  Ledieu.  Il    pourra   servir  à   une  étude  în  Lé  restante  sur  la 

othèque  de   Dossuel.  —  Lad di lion  marginale  s'arrêtait  ici  loul  d'abord,  et  la 

aurait  donc  repris  :  *  aussi  estant  anprez...  ■  Ledieu  s'est  ravisé  encore  et  il  a 

ré  en  marge  les  additions  qui  suivent,  sur  la  latinité  de  Bossuet  et  La  pièce  in  l&eu* 

jusqu'au*  mots  ;  aux  fi  <?*  tant  aitprei.  CL  Mémoire*,  p,  HL 
\\  Fragment*  <(r  Ledieu^  t.  f,  f>.  327.  On  ai  mail  ces  supercheries  littéraires  qui 
prenaient  eu  piège  des  connaisseurs.  Huel  en  axait  une  à  son  compte,  qui  le  divertit 
fort,  mais  mortiîïa  plusieurs  éruditi  de  ses  amis,  peu  flattés  de  leur  méprise. 

1  Le  mot  est  écrit  cantiqt  suivant  un  mode  d'abré  via  Lion  pratiqué  aussi  par 
Bossuet  et  qui  consiste  dans  te  relèvement  de  la  Ligne,  terminée  en  crochet.  C'est 
presque  toujours  pouf  les  mots  terminé!  en  mené  que  ce  procédé  est  usité.  V.  M.tr- 
trttctiom  HP  tes  élati  fTwateôn  (second  traité)  publié  par  M.  E.  Levesque*  Paris, 
[hl.il,  t8*J7.  Introduction,  p.  xxviu  et  Le  fac-similé  donné  par  le  consciencieux  édi- 
teur* Je  laisserai  tomber  ici  la  plu  pari  de  <:es  narticularilés, 

H.  h  î.  non-;   siprnnu-rs.  dans  la  marge   toujours,  au  bas  de  la  page,  cl  une  Lacune 
malheureuse  interrompl  celle  cnumeration  des  pièces  latines  de  Bossuet.  Le  manus- 
crit eût  dû  être  copié  quelque  vingt  ans  plus  lot,  avant  de  lomher  en  poudre  aux 
endroits  in  Lé  ressauts. 
g*  Les  mots  en  Etatique  sont  d'une  encre  différente,  ajoutés  en  interligne. 


î 

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!  128  REVUE    D*H1ST0IRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 


v- 


Quand  donc  on  hiy  contestoit  quelque  mot  latin,  il  disoit  pr 
appuyer  dauantage  son  sentimt;  j'ay  enseigné  la  grammaire,  et 
mesme  la  rhétorique,  j'en  suis  instruit  comment  pouuez-vous  nie  le 
contester,  et  ou  donc  dans  quel  collège  f?  lui  dit  un  jour,  M.  l'Euesque 
d'autun,  son  ancien  amy  Gabriel  de  Roquette,  a  S1  Germain  luy  répliqua 
M.  de  M.j'estois  présent  a  ce  discours,  ce  fut  dans  un  disner  a  uersailles 
chez  M.  de  M.  au  mois  de...  ou  de  février  1698  je  *.... 

[P.  2]  Il  auroit  peu  dire  avec  la  mesme  raison  qu'il  auoit  enseigné 
l'histoire,  la  politique,  la  philosophie  dans  toutes  ses  parties,  et  encore 
plus  la  religion. 

En  effet  des  que  M.  de  Condon  fut  nuprez  de  Msgr  le  dauphin  il  c.o- 
mença3  par  lui  dresser  des  formules  de  prières,  un  catéchisme  *,  et 
encore  depuis  de  solides  instructions  sur  la  communion,  a  l'occasion  de 
la  1°  communion  de  ce  prince  qui  se  fit  à  pasque  1672  ou  1673  (voy 
cy -dessous  l'article  du  p.  ferrier  5). 
t  On  peut  aussi  uoir  ces  instructions  dans  le  livre  des  prières  Ecclé- 

siastiques ou  heures  du  Diocèse  de  Meaux,  ou  elles  ont  esté  imprimées  a 
ma  sollicitation,  sans  aucun  changemt  que  le  retranchemt  du  nom  de 
Msgr  le  Dauphin  et  du  tour  du  discours  [qu]  ou  la  parole  luy  estoit 
adressée  6. 

Mais  M.  de  M.  auoit  [pris  jette  de  plus  loin  les  fondems  de  la  pieté 

de  ce  prince  par  la  lecture  de  l'euangile  et  de  la  sle  écriture,  qu'il  luy 

faisoit  faire  reglemt,  auec  néanmoins  cette  précaution  qu'il  luy  retiroit 

i  ce  Hure  diuin  "et  par  pénitence,  ou  a  cause  de  quelque  faute  ou  quand 

Y  il   n'y]  en  punition  de  ce  que  [il  n'y]  quelquefois  il  n'y  apportoit  pas 

l  l'attention  ou   le  respect  conuenable.  Mais  les  reflexions  'avec  les- 

*  quelles]  dont  il  accompagnoit  cette  s1*  lecture...  [des   pseaumes]  des 
prophètes  et  des  autres...  estoient...  inspirer  ireliqun  desunt)?... 

1.  En  surcharge. 

2.  Ici  encore  la  lecture  est  malencontreuse,  car  bien  que  les  Mémoires,  p.  143, 
nous  rapportent  ce  trait,  on  eût  aimé  à  en  connaître  les  circonstances.  On  en  a  du 

£  moins  la  date  précise,  c'est  probablement  janvier  qu'il  faut  suppléer,  à  l'endroit... 

\  dévoré  par  le  temps. 

î  3.  La  première  rédaction  portait  :  //  luy  dressa  des  formules  de  prières. 

4.  Ce  catéchisme  existe  encore.  La  copie  faite  de  la  main  de  Gilbert,  le  maître  a 

écrire  du  dauphin,  se  trouve  aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  communale  d'Amiens. 

Cf.  Études  religieuses  S.  J.  20  novembre  1898,  p.  522  à  528.  Ce  «  Catéchisme  pour 

le  dauphin  •  inédit,  sera  prochainement  publié  dans  la  Revue  Bossue  t. 
4.  5.  L'article  du  P.  Ferrier  est  perdu  sans  doute.  Les  deux  dates  données  ici  sont 

\  inexactes.  C'est  le  jour  de  Noël  1674  que  le  Dauphin  Gt  sa  première  communion. 

'  Y.  Floquet,  Bossue  t  précepteur,  p.  52.  Le  P.  Ferrier,  confesseur  du  jeune  prince, 

mort  en  1673,  ne  put  y  assister.  L'article  auquel  renvoie  Ledieu  parle  peut-être  de 

*  sa  mort.  —  M.   Floquet  qui  a   tiré  parti  du  présent  ms  —  rectifie  Terreur  de  ce 
»  qu'il  nomme  Fragments  inédits,  par  opposition  aux  mémoires  imprimés. 

s  6.  V.  cette  instruction  au   Dauphin,  publiée  par  Floquet.  Beaucé-Rusand,  1828. 

£  Cf.  Lâchât,  t.  XVII,  p.  1. 

*"  Ledieu.  en  recommandant  ainsi  la  part  qu'il  a  prise  à  cette  publication  des  Prières 

£  ecclésiastiques,  nous  fournit  un  détail  nouveau  sur  cette  publication.  Le   regretté 

-:  chanoine  Denis,  bibliothécaire  du  grand  séminaire  de  Meaux,   m'a  signalé  jadis  la 
prière  au  Sacré-Cœur,  qui  se  trouve  dans  un  ancien  formulaire  du  diocèse.  Il  y 

|"  croyait  remarquer  la  manière  de  Bossuet. 


UN    K1UGNENT    I  HÉ  Bit    0G    LHUKlî    SOI    lY,IjICÀTIO>    DU    BA13PB1H,       129 

[P.  3]  Le  grand  traunil  de  nostre  illustre  auteur  sur  la  religion  est 

[le]  son  discours  a  Htsgr  k  dauphin  sur  r histoire  universelle.  C  esloil  un 

dessein»  disoit-il,  qu'il  auoît  coneendes  sa  jeunesse  et  aiîssïtost  qu'il  eut 

[acquis]  puuê  ses  premières  lumières  de  In  uerïtc  de  la  religion  dans  la 

t?  écriture  et  dans  les  ss.  pp.  (saints  pért$), 

[Dez  lorâ]  l, 

Kt  l'occasion  le  détermina  en  ce  lemps-ey  a  exécuter  ce  dessein.  Il 
anott  jette  sur  le  papier  une  espèce  de  préface  sur  [l'hisitoire)]  un  abrégé 
de  l'histoire  uniuerselle  qu'il  faisoit  noir  a  Mgr  le  dauphin,  pour  luy  en 
monstrer  l'utilité  et  la  manière  de  la  lire  auec  fruit  :  ses  amis  trouue- 

nt  ce  projet  sî  heau,  qu'ils  l'exhortèrent  a  le  conduire  a  sa  perfection. 
ainsi  au  lieu  d'une  simple  préface  sur  l'histoire,  il  en  lit  un  discours 
plein  de  rr'll««\ions  très  utiles,  qui  deiiinl  la  seconde  parlie  de  Tou- 
ttfjtge,  par  ce  qu'il  mit  l'abrégé  historique  a  la  teste  qui  en  estoit  la 
maliere  et  le  sujet,  et  y  joignit  la  3B  partie  qui  est  la  cheute  â&ê  Empires, 
il  des  sa  jeunesse  toutes  ses  lecture*  {etc.)  ■  se  tournèrent  de  ce 
eaaté  là;  et  C€  fut  le  digne  fruit  qu'il  sr  proposa  de  ses  [esludes,  de  ses] 
méditations  et  de  ses  ueïlles.  Dieu  a  donné  une  telle  benedietinn  a  son 
trnuaîl,  qu'on  ne  peut  douter  qu'il  ne  luy  en  ait  inspiré  le  dessein,  et 
que  par  conséquent  il  n'ait  suscite  ce  grand  home  en  ces  derniers 
temps,  pour  l'opposer  rome  une  colonne  d'airain  au  torrenL  des  liber- 

blins  §1  des  incrédules,  corne  II  a  suscité  les  apostres  et  les  ss  pp.  dans 
leur  temps  Contre  les  p  aven  s  et  les  philosophes  *. 
B  rouuerlure  de  e.e  savant  ou  tirage  on  uoîl  une  érudition  qui  ne  [peut, 
demande  rien  moins  que  le  travail  de  la  vie  d'un  home.  Je  ne  par- 
lerai point  de  l'histoire  dnnl  les  faits  les  plus  curieux  août  recherches 
aoec  nu  jugement  admirable  et  un  soin  infini  non  xtrulrmi  dans  les 
[auteurs]  historiens  connus,  mais  dans  tous  les  auteurs  du  temps,  ora- 
teurs, philosophes  et  autres,  c'est  dans  aristote%  dans  platon  et  les 
C  autres  (greci  <t  latins  qu'il  prend  les..*  de  ses.... 
[P.  4J  histoire,  s»ns  e'engager  dans  une  longue  discussion  de  faits 
qui  ne  ronuenoit  pas  a  son  dessein  d'un  [simple'  abrège  historique, 
ifouoir  choiaia  les  faits  singuliers  qui  font  le  caractère  des  peuples  et 
> lions  entières,  comme  des]  d'une  personne^  particulière^  : 
et  l'autre  beau  Lé,  «Ta  noir  [fait  servir  découvert  dans  ces  caractères  des 
peuples  la  suite  des  desseins  de  dieu  pour  l'êtablissenU  et  pour  la 
galion  de  la  religion,  mais  ce  n'est  laque  ce  qui  regarde  l'histoire 
[profane1  et  les  empires. 
La  religion  mesme  traïttée  corne  elle  est  dans  ce  Hure  en  est  le  pro- 


I,  Cet  alinéa,  qui  Tenait  aussitôt,  sr  trouve  reculé,  par  l'insertion  de  la  note  mar- 
ginale, écrite  d'une  enrre  moins  nnciei 

■2.  Cet  :  rtc.  faisait  le  raccord  de  li  note  marginale  ri-dessus  avec  le  paragraphe 
rotmnençaril  originairemenl  par  Dez  lors  toutes  ses  leelures.,. 

3.  Ce  rèr.-il  ùe  la  genèse  <l ti  Dincows  *«r  l'histoire  universelle  nra  pas  Hr  répété 
dan»  les  Mémoires,  et  M,  Ploquet,  chose  plus  étonnante,  n'en  a  pas  lire  parti  dans 
uet  précepteur  >  Je  ne  vois  pas  non  plus  qu'aucun  éditeur  ail  signalé  <:<vs 
détails  intéressants  sur  l'histoire  du  livre. 

Un     r>  HisT.  Lixtih,  pe  l*  Fba»çi  \7*  Ànn+),    -  VIL  0 


130 


11KVUE    n'ïllSTOlUt    LITTÉKAtltE    DE    j,.\    RUNu:, 


ition. 


diçe  et  le  merveilleux,  [de  cet  ouurage]  [non  seulement]  Elle  y  est  éta- 
blie non  seulement  par  toutes  les  preuues  tirées  de  la  s1**  écriluiv, 
des  prophéties  et  autres  Hures,  par  les  promesses  de  dieu,  par  ta  simple 
exposition  des  mystères,  par  leur  nécessité*  el  leur  uerilê  :  mais  encore 
par  tout  ec  qu'il  y  a  de  plus  fort  dans  toute  la  tradition  et  dans  les 
ss.  pp.  Je  trouue  [luy]  disois-jc  un  jour  a  l'auteur,  après  auoir  l'ait  une 
oouuelle  lecture  de  ce  Hure  (a  Germigny  a  la  fin  d'octobre  1699.)  *  que 
uous  y  auez  recueilli  les  plus  fortes  preuues  de  la  religion  tirées  des 
apologies  des  premiers  pères,  et  enfin  des  Hures  de  la  cité  de  Dieu  de 
S*  au^ustîn  qu'il  a  faits  exprès  dans  le  mesrae  dessein;  et  il  m'auoua 
qu'il  eofcoil  uray,  [De  sorte  qu'on  est  asseurè  de  trouuer]  si  ytl'îl  auoù 
miê  Atm  ce  seul]  ton  liure  tout  ce  qui  est,.,  dans  toute  la  tradi 
Maïs  il  [ne  deu  ....  y  a  plus;,.,  les  philosophes  * 

[P.  5]  et  les  idolas&res  [de  luy  mesmej  par  des  raisons  qui  n'a- 
iiMient  tuïHHê'flrf  ,jtii  ttont  jamais  este  dittes,  et  qu'il  lire  expressément 
de  ses  aduersaires  mes  mes.  ajoutez  ses  rai  sonne  m  U  sur  la  liaison 
im  Hures  ss*  (saints)  entre  eux,  et  tant  de  philosophie  et  de  mela- 
(iliy-îque  [qu'il  a  seu]  qu'il  y  employé  pr  soutenir  la  plus  sublime 
théologie. 

in.  arn.iubl  ■  dit  decetouura^e»  comeje  l'ai  appris  de  M*  de  M.mesme: 
qu'il  y  auoit  trouué  ce  qu'il  n  auoit  jamais  uu  ailleurs;  une  suite  de 
pensées,  si  uniuerselle  et  si  bien  liée,  quelle  remonloit  de  ce  temps 
au  comencement  du  monde,  daus  la  Ketigion  et  dans  les  Empires  par 
rapport  a  la  religion  toujours  la  raesme  el  toujours  inébranlable  au 
milieu  des  changemens  des  monarchies  a. 

^Vst  ce  dessein  digne  d'un  st.  père  qu'il  avoil  conceu  depuis  tant 
de  temps  pr  Je  seruice  de  l'église,  auquel  il  auoit  consacré  ses  ueïlles, 
el  qu'il  mit  enfin  dans  sa  perfection  en  acheuanl  les  esLmies  de  Msgr  le 
dauphin.  Le  eroiroil-ou?  je  le  sai  de  luy-mesme  :  Dans  le  unyage  qu'il 
lit  en  Allemagne*  en  allant  au  deuant  de  Madame  la  Dauphineauee  toute 
la  maison  deceUe  princesse,  il  mit  la  dernière  main  a  [son]  ce  chef  d'œuure, 
de  sorte  qu'a  son  retour  à  paris  il  le  fit  passer  sous  la  presse  et  le 
publia  [ém  le  mois]  avant  testé  de  Tannée  1681  *  (l'impression  en  ayant 


Ces  éléments  seraient  dune  dans  le  Journal  si 


- 


I.  Ces  mots  sont  en  marge 
l'avait  pour  celte  epoque- 

3.  Une  ligne  entière  a  ici  disparu,  sauf  le  dernier  moU 
3.  Ce  paragraphe  est  une  note  marginale  ajoutée  depuis  le  premier  jet, 
4»  Une  note  marginale  qu'il  est  difficile  d'insérer  dans  le  texte  se  rapporte  sans 
doute  à  ce  voyage  en  Allemagne  el  est  ainsi  conçue  : 

-  Au  mois  de  janu.(ier)  1680.  et  Je  mariage  de  Msgr  auec  Mad*  la  Dauphîne  se  fît  a 

Chaalons  au  mois  de  mars  suiuanl,  d"ou  Mad*  la  dauphins  fut  conduite  à  Si-Germain, 

Dans  ce  royale  d'Allemagne  M.  de  Condom  lit  MNBi  de?  un  dont  je  n'ai  aucune 

connaissance  :  j'ay  seulement  oui  compter  ce  fait  à  M.  de  fleury  Euesque  de  Frejus 

qui  en  pariott  corne  ayant  ueu  les  uers+ 

5.  La  première  rédaction  comprenant  dès  le  mois  de*.,  16*1,  suppose  que  Ledieu 
voulait  s'informer  de  la  date  précise  et  avait  laissé  en  blanc  la  date  du  mois  cher- 
che. Comme  il  ne  put  sans  doute  obtenir  cette  mention  exacte,  il  a  écrit  plus  tard 
en  surcharge  atant  Vêlé  el  rempli  par  te  mot  année  l'espace  laissé  pour  le  nom 
du  mois. 


IN    rftAGMENT    INEDIT    DE    UlUll     SI  H    L  Khi  CATION    Dt    nAieim.       131 

est*1  ac heure  H  la  fin  de   1680  !|.   El   tel  est  le  monument  que  nostre 
H-  a  élené  [a  la  gloire  je  note  a  sa  propra  gloire,  mais  a  la  gloire  de 
fggr  le  dauphin   mais]  et  bien  plus  a  la  gloire  immortelle  de  l'église  et 
de  aosire  s'  .  religion. 

wb  h  dbcoera  sur  l'histoire  universelle,  je  ne  craindrai   pm 
mettre  Lu  politique  «lu  m  es  me  auteur.  C'est  un  o mirage  égal  au  premier 
pr  la  forée,  rarodttionj  et  la  sublimité.  quel  fonderai  plus  ferme  petit- 

ton  poser,  nue  la  parole  de  dieu?  c'est  sur  quoy  est  fondé  cet  ouur 
que  pr  celte  raison,  l'auteur  a  intitulé,  politique  tiréç  desproprw  paroles 
ire  sainte.^  a  monseigneur....  '  premier,.. 
fP.  ti;  11  lu  y  en  aum!  A  /     fe*1  BOtr  la  mi'ilh'uro  partie,  corne  il  auoit 
fait  de  l'histoire  uiiiuerselle  dans  le  cours  de  Bâsétadga  :  ruais  il  nuiduit 
enfin  mettre  cel  OU  orage  en  état  de  paroi»! re  snus  son  uom.  cependant 
fea  occupations  plus  pressées  retardèrent  l'exécution  de  ce  dessein, 
jii'a  ce  que  H*,  le  duc  «le  Henuuilhers,  M,  l'abbé  Je   fenelon  et  les 

•  autres  [m  sis  très]  chargez  de  l'éducation  de  M.  le  duc  de  Bottrgogwa 
iif'oi  lilleiiif  \L  de  M.  da  leur  damier  la  politique  [qu'il,  ia  reprît 
r  h  la  leur  promît  en  1698.  [la]  [de  leur  [donn_j  rendre  parfaite  un  an 
après  I  futur  tannéf.  miu&nin  ;  owf,  leur  dit -if  fainilicreml  en  hou  amît 
je  uous  en  mettrai  dans  un  an  la  clef  a  la  main  ;  eocee  [(tarie]  an  archi- 
teele  ttdffé  d'un  hastiml  e|U*ii  doit  aeheuer  [en  un  certain  a  lampe 
marqué. 

-Ours  tu  i$#1 ,  il  uenoît  de  donner  les  pseaumes  avec  ses  notes,  et 
Iml  de  suite  il  uofrttrit  donner  les  livres  vtphviiiaux,  qu'il  regardait 

M  OHM  prepaialjnn  pr  mettre  la  dn-rtiere  main  a  la  politique, 
puis  qu'il  eu  tire  toutes  le-  maxinnsdi  Salomon.  c'est  a  qimy 

Iîl  IruuuïUa  et  ee  commentaire  l'ut  publie  ci  elTet  en  I09S  publié  en 
1693  au  mois  de  Éûay  ■'. 
Un\-  ce  temps  CpW  M.  de  M.  anal  ivpri-  la  politique  et  uers  la  fin  de 
[té&f.  tombèrent]  f&93,  an  tuerait  les  premiers  romeneemens  de  la 
mnté  de  Mad  Gtiyon  auac  M.  de  NL  Ge  lut  afore  qu'on  [parla]  tey 
proposa  d'examiner  s;<    doctrine   et  que  cette  terne   se  soumit  a  son 

I  jugement  :  et  tel  fut  l'engagerai  [dans   de  la  nuuuelle  alla  ire  qui  nm- 
suma  tant  rlaiimis.  et  qui  [ne]  s'est  enfin  terminée  par  la  condamna- 
lion  de  M.  de  Camhrav. 
Ainsy  l'ut  arreste  le    nouueau  LrauaiJ  entre(pris)|  dessein  de  finir  la 
politique...  il  yen  a  bien  la  moitié  au  net  jnsyn'u.,..  * 

I[P.  7]  cabinet.  mes*,  de  Keauuillîers  et  de  lleury  ont  des  copies  de 
la    cette  première  partie  qui  contient  les  principe*  généraux  du  gouûer- 

! ,  \\ ,  l'a  b  bë  Boa ree* ad ,  Hî s 1 0 nr  1 /<*s  ,  t i n n  *  r>  i ■/# hint bl  *fr  ff  0 uvrages 

dt  Bmstiet  (p.  18  ,  ru-  doilfli  |»<ls  La  date  de  Itarfafed  <f  imprimée,  mais  iî  nous  dit  quii 
Il  privilège  ait  du  1  !  récrier  el  que  «  le  Uvr«  a  paru  dans  Je  mois  suivanl  •,  Eu  toul 
tIÉt,  Ledieu  a  barré  la  phnise  qui!  avaiL  avanrée  sur  Ja  UaLe  de  1680. 

3.  Lacune  d'une  ligne  au  moins. 

3.  L'achevé  diiuprôucr  ost  en  tUTct  du  20  mai  !603.  Cf.  ï'abbé  Bourseaud,  op.  <*/f4, 
p.  21. 

*.  Deui  lignes  environ  manquenL  ici. 


I 


132 


1ILVIE    DHISTOIRK    LITTKHAIIIK    DK    LA    FRANCK. 


" 


•II- 
il  y 


mi  -*f  qui  est  presque  parfait  te,  mais  Us  n  ont  rien  ueu  de  la  seconde 
ou  esL  L'application  des  principes  au  détail  du  gouueruemt  [en]  par- 
ticulier [et  e*e$t  par  ce  qu'elle  n'est  encore]  et  au  et  oui  de  ta  Religion,  et 
cette  partie  vCt$i  eiiûore  qu'ébauchée  et  de  la  main  mesme  de  Fauteur. 

mais  auant  d en  nenir  a  la  religion  et  a  la  politique»  M.  de  Condom 
auoit  comencé  a  faire  unir  l'histoire  a  Msgr  le  dauphin  ;  celle  du  peuple 
de  Dieu,  et  des  anciennes  monarchies,  et  plus  particulièrement  [celle] 
V  histoire  de  france. 

II  la  jugea  plus  nécessaire  au  prince  que  toutes  les  autres,  et  il 
donna  aussi  plus  de  soin.  Il  Imj  en  faïsoit  de  uiue  noix  de  courts  récits 
iju  il  [hiy'i  l'obligeoit  de  luy]  répéter,  et  en  rnesroe  temps  il  les  luv 
laisoit  écrire  en  français  de  sa  main,  c  estoit  ensuite  la  matière  d'un 
thème,  qui  se  corrigeoit  auec  beaucoup  d'attention  en  françojs  et  en 
latin  si  bien  que  ce  trauail  ayant  duré  quelque  temps,  se  trou u a  un 
eomence nient  dThisloire  suiuie  dont  ou  pouuoit  espérer  de  faire  uu 
corps  complet. 

la  lr*  et  la  seconde  race  furent  Iraittéfif  brieuement  afin  de  uenir 
[bien    plulosl  à  la  troisième  "qu'on]  ou  Ton  s'est1...  renf*., 

[P*  8]  Ludoviei  Dêtphim  t'pihfttir  rentm  frunricantm. 
abrégé  de  I* histoire  de  france  par  Msgr  te  Dauphin. 

l'ouuragc  estant  auancé  fut  diuisé  en  plusieurs  Jiures,  cet  ord 
qu'on  y  apportait,  fut  une  adresse  de  ramener  souuent  le  prince  a  cette 
lecture,  pour  la  luy  faire  trou  ne r  nouuclle,  el  luy  [en]  remplir  l'esprit 
d'une  "eslude^  Cûan&issaACe  si  nécessaire*.  Le  premier  liure  contient 
la  première  race  :  le  second  et  le  troisie(rae),  la  seconde,  la  troisième 
race  comence  au  quatrîe{me)  liure,  cl  il  y  en  a  jusqu'au  </f>-huitieme 
liure[s  faît[>](où  Unit  le  règne  de  Charles  IX.  pour  concerner  un  si  beau 
monument,  j'en  ai  fait  mettre  au  net  plus  de  la  derniers  moitié  qui 
u  estoïl  encore  écrite  que  de  la  main  de  Msgr  le  dauphin  :  et  il  s'en* 
trouue  en  latin  et  en  François  d'une  bonne  main  jusqu'à  Louis  XL  inclu- 
sicumentqui  est  le  XIIe  liure  de  rhistoire.il  s'est  encore  Irouuë  quelques 
feuilles  de  latin  au  delà,  mnh  sans  ordre,  et  les  derniers  règnes  n  mit 
point  esté  mis  en  cette  langue,  parce  que  Msgr  le  dauphin  ne  tàisott 
plus  de  thèmes,  et  qu*>  pour  [on  se  hastoit  dauanlage  de]  luy  faire 
uoir  [toute]  plus  prompte  ment  toute  l'histoire,  et  en  conduire  le  traoa 
jusi|u  à  la  lin...,  en  francois.... 

[P«  9]  au  long,  les  guerres  des  Ànglois  et  celles  d'Italie.  Entre  les 
règnes  précédents  [règnes],  celuy  de  S*  Louis  est  [trtûlté]  raconté  ass 


- 


- 

les 

SSCI 


L  C'est  dans  CM  lignes  disparues  que  Ledïeu  racontait  sans  doute  le  dessein 
formé  de  publier  cette  histoire  sous  le  nom  du  dauphin. 

2.  Il  est  superflu  de  faire  remarquer  l'intérêt  <|tie  présentent  ces  détails  sur  la 
composition  de  V Histoire  de  France,  dont  les  Mémoires  de  Ledieu  ne  partent  que 
très  sommairement.  H  est  étrange  même  que,  dans  la  discussion  que  Floquet  a 
entreprise  er  professa  pour  montrer  que  Bossue  L  est  bien  le  réel  auteur  de  celle 
Histoire  et  atténuer  ce  qu'on  lit  dan*  la  lettre  à  Innocent  XI,  S  *i  on  ne  trouve  h 
cet  endroit  (V.  Bossue t  précepteur,  p.  {M  elsuiv.)  aucune  référence  à  ces  fra*jtnentt 
médit*!  qui  pouvaient  intervenir  efficacement  en  faveur  de  la  thèse  soutenue. 


IN    FRAGMENT    INÉDIT    W    l.fctHEU    SU»    L  KDL'CATIOS    IH     DAUPHIN.       133 

nu  long;  la  sagesse  de  son  gouuememt,  son  courage  et  sa  tûffec  daûsla 
guerre  hih  équité,  sa  justice^  loti  les  ses  vertus  y  sonl  [Lien]  peintes 
par  îles  faits  bien  choisis  et  fort  particularisez,  mais  sa  pieté  y  est  dfUM 
foui  son  éclat,  M*  île  Gondom  ayant  proposé  ce  S*  roy  a  Msgr  le  Dau- 
phin corne  un  modèle  qu'il  deunit  imiter  tonte  sa  nie  el  dans  tous  ses 
dewiiffG  el  conté  son  saint  palron  auquel  il  detioil  auoîr  continuellement 

onn  pr  BQ  bien  conduire  \  La  vigueur  de  ce  S1  Roy  pfrFôistftOr  IriuL 
i us  |i«  rétablissement  des  élceLions  canoniq(ue)s  [qu'il]  dans  toutes 
les  églises  de  son  royaume1,  et  [par]  el  en  soustenant  les  droits  de  sa 
CMurutiDe  contre  les  usurpations  de  Rome1. 

[Quand  le]  Encore,  que  tout  ce  corps  d'histoire  ne  s'împriniast  point  il 
fit  u  droit  \\m  moins  donner  au  public  [la;  eeîU  vie  de  S1  Loua  ;  c'est  un 
outiraj-e  accompli  pour  la  beauté  de  la  narration  latine  et  françoi&e, 
le  choix  des  faits  la  pieté  et  Fonction  qui  y  (sont)  particulièrement 
(repai)'due.  Riais.. -   deux  lignée  disparues),.,  (desi)rablc..,  public. 

J'en  ai  à  nn*y  une  copie  qui  seruira  à  faire  connaîstre  le  mérite  de 
l'ouvrage  mais*,.*, 

T.  10]  mieux  fait,  qu'aucun  que  nous  ayons  jusqu'à  présent,  et  etoît 
auec  une  liaison  et   un  enclimsnement  non  Seulement  des  faits  partieu- 


L  on  lit,  dans  }&  Catéchisme  pou?  té  Dauphin.  -  dans   la  lc*;on  sixième    i  De  la 

Prière  de*  Saint*.    1  la  Quels  sont  e/noir  /***  autre*  Suivi*  uttt^urh  tom 

;  rtHffat  un  culte  particulier?  celle  réponse  dictée  par  Bossuet  :  *  Saint  Louis, 

mi.nv  patron  et  mon  ayeul,  Paint  Joseph,  mari  de  la  Vierge,  dans  la  confrérie  duquel 

je  me  suis  enrollé  et  mon  ange  gardien.  -  VT  Ehuteë  s.  J.  20  nov*  48tftf>  p.  5i>5. 

2«  Un  lit  déni  VRirtmre  de  France,  livré  V.  dans  la  fit  de  saint  Louis  ; 

.  li  donnait  les  bénéfices  avec  une  grandi1  circonspection  ri  ceux  qu'il  trou  volt 
les  plus  savants  et  les  plus  pieux,  afin  que  les  peuples  fussent  édifiés  parleur  vie  et 
l'ii  leur  doctrine.  Combien  an  roi  Ml  été  pliw  mgnemi  dans  ta  distribution  de 
Iclirs  grâces  s'il  eiU  eu  à  donner  les  évêehes  el  les  grandes  dignités  de  le^lise,  - 
Uehal.  l.  XXV,  p.  69. 

Cest  l  ■  seul  paseage  semblant  se  rapportera  la  question  des  élections  canonial. •>, 
en  tant  qu'il  suppose  que  le  choix  deséveques  n'est  pas  au  pouvoir  du  roL  II  n'est 
pas  question  du  rétablissement  de  tes  élections  dans  le  texte  tel  qu'il  a  été 
imprimé.  Aurait-il  été  modifié?  La  façon  dont  s'exprime  Ledieu  ferait  croire  qu'on 
doit  trouver  dans  celle  vu*  de  saint  Louis  quelque  chose  sur  celle  Pragmatique 
jii'on  lui  a  longtemps  attribuée  et  dont  Bossuet  a  dit,  dans  *mi  -crimm  sur 
\*uni(éde  l'Eglise:  *  C'est  (la  nécessité  pour  le  saint  siège  de  gouverner  les  évéques 
par  les  lois  communes  qu'il  a  lui-même  confirmées!  ce  qui  obligea  le  roi  le  plus 
niai  qui  ait  jamais  porté  la  couronne*  le  plus  soumis  au  saint  §i£ge  el  le  plus 
irdanl  défenseur  de  la  foi  romaine  (vaut  reconnaisse/  *aint  Louis)  à  persévérer 
diat  ce*  maximes  et  à  publier  une  Pragmatique^  etc.  V.  éd.  Leharq.  Œuvres  ora- 
toire<r\r  VIT  p.  123.  11  faut  lire  la  noie  que  l'éditeur  a  ici  ajoutée  sur  l'authenticité 
inspecte  de  cette  Vruamattqve  de  saint  Louis,  inconnue  de  tous  les  auteurs  jus- 
qu'en H*G,  Cf.  le  P.  de  Smedl.S.  S.%  Principesdela  crUiûMÈ  historique^  p.  25Û  el  suiv. 

3,  Le  passage  sur  les  mesures  prises  par  saint  Loin  les  utvrpaHantdt 
ftosti  •,  annoncé  par  Ledieu,  ail  plus  clairement  reconnaissante  dans  ces  phrases 
de  VHtslfitïe  de  France  :  -   Il  favorisoit  le  clergé,  tans  laisser  affoiblïr  l'autorité  de 

flniers.  Il  eon.Hirvoil  soigneusement  les  anciennes  coutumes  du  royaume,  et 
<Hif>hjiril    fût   Irts    attaché  et  très  soumis  an  saint  sié^e,  il  ne  souflTroit  pas  que  II 
le  Rome  entreprit  *ur  le*  ancien*  droits  des  prélats  de  L'Eglise  gallicane.  * 

tachai,  /.  e.,  p+  ea« 

4.  Ce  paragraphe  est  ajouté  en  marge  mais  devait  être  inséré  au  texte  dans  la 
partie  disparue.  Je  conjecture  que  le  mais  était  pour  dire  i  mats  l'ouvrage  cnti-r 
mérite  d'être  donné  au  public,  seul  mot  qui  ait,  avec  la  finale  du  mot  (desijrai'k 
*aus  doute,  été  respecté  par  le  temps. 


m 


BtWE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    l*i;    LA    FIU3CE. 


lïcrs  [d'un  m  règne,  malade  Unis  tflt  règnes  entre  eux;  i 

beau  fil  d'histoire  en  read  la  Lecture  1res  [allâ(rrjante)]  dïuertîs*anle« 
Tout  l'ouvrage  est  relie  en  six  tomes.  Le  premier  contient  le*  deux  pre- 
mières races  el  mi  comuiencemt  de  la  troisième  qui  est  dans  [quat 
autrvs  tûmes  jusqu'à  Charles  IX.  inclusivement.  Les  mémoires  des  règnes 
suiuans.  mesmede  Henry  IV,  et  de  Louis  X11L  [sûftlj  ont  este  dressez  par 
M .  de  M .  e  1  les  ex  Irai  ts  fai  is  q  u  i  se  trou  ueront  dans  ses  portefenîl  les  a  pu  r  i  > . 

Les  détails  Tournis  ici  parLedieu  sur  VHittmre  de  France  à  l'usage  du  dau- 
phin confirment  et  complètent  le  très  intéressant  travail,  publié  eu  It*5U  dans 
le  Huit*  Un  de     i  le  royale  de  Belgique  l  à  propos  du  texte  latin  de  celle 

histoire,  qui  repose  aujourd'hui,  avec  un  ni  au  user it  du  Traité  des  cause*  et  les 
t£ÉraU$  dr  la  Marale  tTArutote,  dans  la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles  *, 

■  Le  texte  français,  écrivait  M.  Marchai,  flo.il  en  IS74,  a  la  date  de  la  mort  de 
Charles  IX  ;  le  texte  latin  en  151*3,  à  la  mort  de  Louis  XI a.  »  Par  une  description 
minutieuse  et  intéressante  au  point  de  vue  bibliographique,  de  ce  manuscrit, 
accompagnée  de  la  quittance  du  scribe,  le  critique  établit  que  la  copte  fut 
achevée  vers  le  mois  de  novembre  1686,  c'est-à-dire  six  ans  après  que  l'édu* 
cation  du  Dauphin  était  terminée*  Cette  transcription,  faite  ainsi  à  une  date 
postérieure  à  l'époque  du  préceptorat,  prouverait  a  elle  seule  que  l'ouvrage 
était  bien  de  Boafaal  et  «pi  il  en  disposait  en  maître  *,  s'il  était  bien  cerLim 
que  la  copie  fut  faite  pour  son  compte*  Ses  droits  d'auteur  sur  l'ouvrage  HMrf 
plus  sûrement  garantis  par  les  affirmations  de  Ledicu.  Comment  cette  copie, 
différente,  comme  le  fait  remarquer  M.  Marchai,  du  texte  de  1  édition  de  r 
et  en   tout  cas  plus  complète T  puisqu'elle  contient  $ewh  le  latin  %  a-t-elle 


|,  Bulletin  de  f 'Académie  royale  de  Mjfiffttr,  t,  XVII.  première  partie-  1858. 
Bruxelles,  II.  Haye/,  in-8*  p.  1  ur  tmïs  nus  inédit*  de  Botsuetf  eûmpùéêe pour 

remteiçnement  du  &9*p  |  tète  entre  l  éducation  de  ce  prince  et  celle  de 

pereur  CkartÊeQwnti  notice  par  M    le  chevalier  Marchai,  membre  de  l Académie, 

1.  la -i^  sur  papier*  Stëû  et  3129  de  la  Bibliothèque  royale. 

Sauf  le  texte  latin  de  l'Histoire  de  France,  les  inss  de  Bruxelles  ne  sont  plu*  mé- 
dits,  si  toutefois  ce  sont  bien  les  mêmes  Extraits  de  la  morale  d'Anatole  que  Ton 
rencontre  dans  Lâchât,  L  XI VI,  p.  2:t-3L  C'est  le  bu  de  la  Bibliothèque  du  grand 
séminaire  de  Mearo*  que  Lâchât  a  publié,  c'est-à-dire  le  m*  original-  La  métaphy- 
sique (Traité  des  causes \  que  n'a  prurit  éditée  Lacbat,  bien  qu'il  donne  la  Lot/iqur,  au 
L  XXI IL  a  été  publiée  en  1*52  par  U.  Nourrisson  dans  son  introduction  à  la  philo- 
sophie deBotiuet*  sur  la  copie  de  M,  FloqueL  aïusi  que  les  Extraite  de  Momie, 

M.  S.  de  Uns  a  édité,  eu  IStiS,  ce  Traite  de*  causes  et  Ta  joint*  en  1811,1  ton  »  <Jm 
lion  de  la  Connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même  (Hache lie,  Ufc-tl,  p-  2*5-293).  ouvrage 
auquel  il  se  rattache  plus  naturellement   qu'à  la  Imçiqttë  ;'  m).  Il  met  eu 

doute,  p.  2s;>,  note  t,  Tau Lhen licite  du  litre  Mêtajdt  !/**</ uet  un  peu  vaste  el  ambi- 
tieux, et  rappelle  que  -  un  premier  projet  de  publication  ayant  donné  lieu  en  1140, 
à  l'examen  de  L'ouvrage,  L'attestation  du  ceaseur  royal  le  désignait  sous  le  seul 
tta  des  causes  *.  (V.  en  effet  [Bibt.  SaL  fr*  SUQ,  /*  Si]  la  pièce*  signée 

U  ajourner,  Je  24  avril  1719.) 

3,  L  c,  p,  218.  Ge  mi  pourrait  donc  fort  bien  être  celte  copie  •  eo  latin  et  en 
français  d'une  bonne  main  jusqu'à  Louis  XI  inclusivement  •  dont  parte»  p,  B,  le 
texte  de  Lcdieu* 

4-  U   faut  noter  pourtant  que  les  cahiers   du   dauphin  idu  grand   séminaire  de 
Meaui)  qui  BMliraflMj  des  parties  de  L'histoire  de  France  eu  Latin,  c'est-à-diie  lu 
thèmes  de  Téléte  de  Bossue  l,  tout  de  sa  main,  à  part  les  corrections,  parfois  clair- 
semées, du  précepteur.  Il  y  aurait  donc  lieu  de  comparer  cet  original  avec  la  e 
et  d*?  *e  rendre  compte  des  différences,  s'il  y  en  a. 

5.  Saur,  bien  entendu,  les  deux  volumes,  ou  mieux»  cahier*  latins  de  l'histoire  de 
France,  brouillon  des  thèmes  du  dauphin,  gardés  au  séminaire  de  .lleaux,  (CaHO*  D, 
n-  10,  M  et  4ï.  Le  n*  y  est  une  feuille  doi  d uniment  s  prèpttréi  par  Bossuel,  et 
écrite  de  sa  main,.  Le  troisième  cahier  contient  une  rédaction  française. 


i  v    FRAGMENT    L\tlMT    DE    LEDIEU    SUR    i/lDLCÀTION    DU    DAUPHIN.       135 

été  reviHue  de  la  reliure  qu'elle  porte  aujourd'hui,  c'est  un  problème  assez 
complexe*  *  La  reliure  de  chacun  des  deux  volumes,  lit-oo  au  Mémoire  déjà 
ciléf  n'est  pas  faite  pour  ces  volumes.  Mais,  elle  s'y  adapte  très  bien»  Elle 
est  eu  parchemin  et  antérieure  a  li)92;  La  bordure  de  chaque  garde  est  en  or, 
du  dessin  qu'on  appelle  encore  actuellement  Guirlande  d<j  Tourna  y  pour  les 
Vu  milieu  de  chacune  des  gardes,  il  y  a  dans  une  semblable  guir- 
lande un  ovale,  aussi  en  or,  renfermant  les  armoiries  de  Farchîduché  d'Au- 
fie,  supportées  par  Taille  d'Empire  ci  entourées  des  blasons  de  Hongrie, 
de  Bohême  et  des  sept  électeurs.  Celui  du  Hanovre  n'y  est  pas,  C'ait  une 
preuve  que  la  reliure  Bit  antérieure  à  l'année  tGïïi,  date  de  l'institution  de  cet 
électoral.  Les  titres  sont  en  langue  allemande  :  K>  liung,  K.  Bo*  ;  €.  lia.,  etc., 
Koniyrckh  Hungarn,  Btihtnen^  Churfumi^  Bùytm%  etc.  « 

Si  Ion  ne  doit  pas  Earâtof  outre  mesure  sur  la  date  dont  témoignent  tes 
armoiries,  puisque  la  reliure  a  pu  être  adaptée  après  coup  aux  livres  pour 
iiiels  vi\e  n'avait  peut-être  pas  été  laite,  ii  faut  hésiter  à  conclure  avec 
M,  Marchai  :  k  Tuut  porte  à  croire  que  primitivement  ces  deux  volumes  ont 
fait  partie  de  la  bibliothèque  de  Bossuet^  parce  qu'on  y  trouve  la  quittance  et 
les  détails  de  leur  transmission  »,  Celte  attestation  du  copiste,  citée  par  l'au- 
teur du  m*!1  moire*  reconnaît  seulement  que  le  scribe  a  «  reçu  de  M.  Froment 
la  somme  de  trois  cents  livres  »  pour  sa  copie  «  de  la  morale  de  la  métaphy- 
sique et  de  Thistoire  de  France  de  monseigneur  révèque  de  Meaux  ■>. 

Les  fiches  de  décompte  des  paiements  partiels  témoignent  que  les  calcula 
ont  été  faits  par  M.  de  Sainl-Laureul.  Mais  au  nom  de  qui  ce  M.  Froment  et 
.init-Laureut  traitaient-ils  avec  le  copiste  Pessole?  C'est  ce  qu'on  ne  peut 
savoir  par  le  reçu.  Orf  si  l'habillement  aux  armes  allemandes  donné  à  ces 
trois  ouvrages  e>t  vraiment  contemporain  de  ces  copies  et  antérieur  à  itiï*2t 
ou  ne  peut  guère  admettre  les  hypothèses  proposées  par  M.  Marchai  pour 
expliquer  comment  les  livres  ont  qui  tic  la  bibliothèque  de  Bossu  et. 

0  Auraient  ils  été  donnés,  suppoe6~t<it,  à  la  dauphine  Marie-Ànue-Christiae- 
YiciuiH*  de  Hmi-re,  qui  épousa  l'élève  de  Bossuet  en  1680,  et  qui  mourut 
en  (090  à  Versailles,  assistée  de  Bossuet,  eu  sa  qualité  d'ecclésiastique?  Je 
<r^T  je  fais  observer  que  la  dauphine  était  sœur  de  Maximilicn-Fmiuauuel, 
électeur  de  Bavière,  gouverneur  général  des  Pays-Bas,  et  qui  eut  jusqu'à 
l'èpoquc  de  la  mort  de  Louis  XIV  les  relations  les  plus  intimes  avec  ce 
monarque,  Ces  volumes  furent-ils  transmis  par  Bossuet  à  Fénelon  pour  l'édu* 
cation  du  duc  de  Bourgogne  et  ensuite  apportés  à  Cambrai?  Je  J'ignore  éga* 
le  m  eut.  Je  le  présumerais  cependant,  parce  que  la  coopération  de  Bossuet  aux 
travaux  de  Feue  ton  est  évidente  ffj  au  Truite  de  lu  ppUâffiH  tiré*  de  t'ërriiure 
milite.  Les  dix  premiers  livres  furent  composés  pour  le  Dauphin,  et  les  quatre 
derniers  pour  le  duc  de  Bourgogne.  (Voir  Unne  VI,  éd.  de  1743  à  1747).  »* 

Celte  présomption  ue  parait  pas  suffisante  :  car  cette  collaboration  de  Bos- 
suet consiste  à  avoir  prêté  quelques  œuvres  comme  sa  Swtmmaire,  etc.,  et  à 
r  prmdr*  copte  des  uuvrages  de  nature  a  aider  Fénelon.  Il  faudrait  sup- 
poser qu'une  copie  complète,  prêtée  par  TauteurT  ait  pu  sortir  de  la  biblio- 
thèque de  Fénelon  avant  iû92  pour  être  revêtue  de  celle  reliure  allemande, 

Fénelon,  qui,  dans  la  querelle  du  quiétisme,  objectera  à  Bossuet  un  passage 
de  ces  anciens  thèmes,  connaissait  a  coup  sûr  ï  Histoire  de  France  de  Bossuet, 
mais  probablement  par  tes  copies  dont  il  est  parlé  dans  Ledieu,  et  non  par 
cet  exemplaire  transcrit  pour  le  compte  de  Bossuet,  Qui  affirme  d  ailleurs  que 
la  transcription  de  Jtiâ5  n'a  pas  été  laite  officielle  meut,  aux  frais  du  roi,  la 
destinant  eu  cadeau,  par  exemple  au  Frère  de  la  Dauphine  1 

Dans  Fun  et  l'autre  cas,  du  reste,  il  serait  étonnant  de  voir  conservée,  dans 
ces  volumes,  l'attestation  du  copiste  donnant  quittance,  soit  à  l'homme 
r.iiT.iires  de  Uossuet,  soit  aux  officiers  royaux,  du  paiement  de  son  salaire, 

llya  donc  de  réelles  difficultés  dans  les  diverses  explications.  Avec  plus  de 
certitude,  M,  Marchai  nous  apprend  ce  qu'il  advint,  durant  les  deux  derniers 


î  M 


REYIE    H  HISTOIRE    LITTERAIRE    DR    LA    Pli. 


siècles,  des  précieux  manuscrits*  «  Ils  tarent,  écrit-il, la  propriété  du  capitaine 
Michîels  qui  vivait  sous  le  régne  de  Marie-Thérèse,  ce  qui  est  constaté  par  une 
griffe  apposée  aux  divers  manuscrits  de  ce  bibliophile  :  ib  ont  ensuite  app&r* 
tenu  à  la  bibliothèque  de  l'université  de  Louvain,  supprimée  en  17VÔ,  car  il  y 
a  en  télé  :  BibL  Lorun.  i7Êê%  de  récriture  de  Yandevelde,  dernier  bibliothé- 
caire. Ils  ont  été  transfères,  pendant  la  même  année  17%,  à  la  Bibliothèque 
de  f  école  centrale  «lu  département  de  La  Dyle,  à  Bruxelles,  en  vertu  de  ta  loi 
do!  messidor  an  tl,  concernant  le  triage  pour  les  bibliothèques  et  1rs  archives 
des  papiers  des  corporations  supprimées.  En  1815,  ils  ont  fait  partie  de  la 
bibliothèque  de  Bourgogne,  m 

Mais  ce  n'est  la,  pour  ainsi  dire,  que  1  histoire  extérieure  de  l'ouvrage.  Ce 
qui  intéresse  à  meilleur  titre,  c'est  la  question  de  l 'attribut ion  de  l'Histoire  de 
France  à  Bossue t  lui  même.  If,  Marchai  s'est  prononcé  nettement  en  ce  s* 
<  Il  faisait  avant  les  leçons,  écrit-il,  préparer  les  matériaux  par  des  pens  de 
Mires  qui  rassemblaient  les  documents  diplomatiques  et  transcrivaient  des 
extraits  du  texte  des  historiens.  Bossue!  faisait  usage  de  tous  ces  matériaux 
par  un  discours  verbal,  mêlé  de  conversations,  disant  souvent  que  I  histoire 
de  France  était  celle  de  la  famille  et  des  peuples  du  Dauphin.  Or,  quand  on 
admettait  que  le  Dauphin  aurait  eu  le  zèle,  l'activité  et  le  talent  du  duc  de 
Bourgogne,  son  fils,  il  n'aurait  cependant  été  qu'un  rédacteur  passif:  car  il  y 
a  impossibilité  qu'un  élève  de  quinze  à  seize  ans  ail  eu  l'expérience  et  le  génie 
d'un  grand  historien.  Mais  d'après  Tin;  a  pari  té  malheureusement  trop  cons- 
tatée du  dauphin,  sa  coopération  à  cette  histoire  s'est  bornée  &  quelques  mem- 
bres de  phrases  où  Ton  reconnaît  l'esprit  de  l'enfance,  et  à  ses  dictées.  Ce  fut 
tus  doute  par  courtoisie,  pour  plaire  a  Louis  XIV  et  par  encouragement, 
pour  stimuler  son  royal  élève,  que  le  titre  français  porte  Afotyé,  etc.,  par 
monseigneur  te  Dauphin  et  le  titre  latin  Srrausstntt  Mpkim  Eptttrmt  rerum 
Franeitarum,  et  que  le  quatrième  livre,  à  l'année  987,  Hugues  Capet,  com- 
mence par  ces  mots  :  *  Comme  je  tire  mon  origine  des  Capévtngjeiis,  j'ai 
dessein  d'écrire  leur  histoire  plus  au  long  que  je  n'ai  fait  celle  des  deux  races 
précédentes  *. 

L'explication  peut  être  juste.  Mais  ses  contradicteurs  —  et  M.  Marchai  cite 
avec  loyauté  leur  témoignage  —  ont  réclamé,  pour  le  dauphin,  une  part  plus 
large  dans  la  corn  positron  de  l'Histoire  de  France,  Ainsi  M.  Hoquet,  qui  dans 
son  livre  de  ftossuef  précepteur  protesta  plus  tard  contre  la  réputation  d'inca- 
pacité faite  au  dauphin  par  Saint  Simon,  et  essaya  de  prouver  que  le  labeur 
de  Bossuet  n'avait  pas  été  perdu,  même  pour  son  élève,  avait  eu  soin  déjà  de 
préparer  les  voies.  Dans  sa  note  du  13  février  1730,  il  écrivait1  :  ■  Je  n'ai  point 
rencontré  le  texte  lai  in  de  I  "Historié  de  France  composée  par  Bossuet,  ou 
plutôt  par  le  dauphin  sous  la  direction  de  Bossuet.  »  11  adoptait  donc  Topi- 
iiioii  soutenue  par  le  cardinal  de  Bausset  et  que  semble  bien  faire  sienne,  dans 
sa  lettre  a  M.  Marchai,  du  12  février  I8S0,  le  savant  M,  GosseJin  :  «  Le  car- 
dinal  de  Rausset,  dans  ÏBmlam  de  Bo&uri,  1VT  n  1  p.  318 1,  parle  assez  au  long 
de  l'abrégé  d'histoire  de  France.  11  fait  connaître  l'occasion  de  cet  ouvrage  et 
l*-s  raisons  qui  ne  permettent  pas  de  le  regarder  proprement  comme  (ouvrage 
de  Bossuet.  quoiqu'il  en  ait  dirigé  la  rédaction  et  rédigé  même  quelques  frag- 
ments, le  cardinal,  en  donnant  ces  renseignements,  avait  sous  les  yeux  les 
manuscrits  originaux  de  t'ouvra  ce  de  la  propre  main  du  dauphin,  avec  tes 
additions,  corrections  de  la  main  de  Bossuet  f.  * 

On  pouvait  répondre  a  M.  Gosselio,  ou  pour  mieux  dire  au  cardinal  de 
Bausset,  qu  il  est  loisible  d'admettre,  sans  en  tirer  les  mêmes  conclusions,  le 
fait  matériel  et  indéniable,  signalé  en  ces  termes  dans  I  Histoire  de  Bossuet  : 
■  avons  sous  les  veux,  disait  le  biographe,  les  maniucnts  ori<j mu iur  de 


I.  Citée  dans  Tanaeie  B  du  Mémoire*  p.  : 
S.  Ifcrf.  Annexe  A,  p.  tas. 


CH    FKÀCUOl    IMlDIT    De    LEDIEl     SLR    L'hULTATICtf     UV    DAUPHIN.       131 

celle  suite  de  thèmes  sur  Y  Histoire  de  France  dictés  par  Bossu  et  au  fils  de 
Louis  XIV,  La  version  latine  et  la  version  français*  sont  entièrement  écrites 
par  M  le  Dauphin  et  porter L  de  nombreuses  corrections  et  des  additions  très 
considérables  de  la  main  de  Bossuet1,  n  Nous  avons  vu  que  Ledieu  avait  eu 
entre  les  mains,  lui  aussi,  (es  textes  écrits  de  Ja  main  du  Dauphin»  mais  sans 
en  être  ébranle  :  car  il  ne  suffit  point  de  dicter  à  un  élève  une  pajje  <3«'  lai  in 
ou  de  français  »  pour  que  le  fait  que  la  copie  est  de  son  écriture,  L'en  fasse  néces- 
sairement proclamer  l'auteur. 

Ici  le  sentiment  du  secrétaire  de  Bossuel,  pour  n'être  pas  infaillible,  balance 
a  coup  sûr  l'opinion  de  Bausset»  même  appuyée  sur  une  vue  directe  d'ùrujinaux 
écrits  de  la  main  du  Dauphin*  Loin  de  dire  avec  1  historien  de  Bossuet  :  *<■  Ou 
ne  conçoit  pas  comment  on  a  imaginé  d'insérer  cette  histoire  de  France  dans 
la  collection  des  œuvres  de  Bossuel-  »,  il  est  permis  de  préférer  le  soin  pieux 
avec  lequel  Ledieu  fit  copier,  dans  l'espoir  de  le  publier  un  jour»  ce  travail  du 
précepteur  «  de  monseigneur  le  Dauphin  ». 

H  faut  Doter,  d'ailleurs,  la  différence  mise  enlre  les  deux  textes,  latin  et 
IVttDÇ&Ja,  par  les  premiers  éditeurs*  Ceux-ci,  «  en  1747  (t.  XI  ci  XII),  écrit 
M,  Maréchal,  voulant  «ans  doute  faire  aussi  leur  cour  à  Louis  XV,  alors 
régnant,  petit  fils  du  Dauphin,  disent  V.  Avertissement,  p.  xxni)  que--  l'insti- 
tuteur t'appliquait  bcaucuup  ping  à  corriger  ce  que  Msgr  Je  dauphin  compo- 
soil  en  langue  françoise  qu'a  ce  qu'il  êei  ivoit  en  latin.  Le  latin,  ajoutent-ils, 
est  aisé,  pur,  élégant,  le  françois  n'est  pas  tout  à  fait  de  même.  Il  y  a  quelque 
apparence  que  M.  Bosquet  eu  usoit  ainsi,  pour  que  celte  partie,  qui  êtaU 
dâ$tmée  à  être  mise  en  lumière,  ne  parût  pas1  du  moins  par  rapport  â  la  dic- 
tion, au-dessus  de  la  portée  d'un  jeune  prince  qui  était  encore  dans  Je  courant 
de  ses  études*  -i 

11  est  certain  que  le  texte  du  dauphin  sortait  fort  profonde  ment  modi.it'  des 
mains  du  Précepteur,  après  la  correction  du  thème,  dont  celui-ci  avait  pro- 
bablement fourni  même  le  texte  français,  tire  de  Ja  lèd action  primitive  du 
dauphin* 

Voici  pour  qu'on  en  juge  sur  pièces,  à  titre  de  spécimen ,  une  page  dont 
l'autographe,  eu  un  état  de  délabrement  assez  pileux,  est  conservé  aujourd'hui 
à  la  bibliothèque  de  Rouen11, 

11  n'y  a  sur  cette  feuille,  en  très  mauvais  élat,  que  la  traduction  latine,  for- 
tement remaniée  par  Bossuet,  de  la  pape  ci-dessous,  dont  j'emprunte  le  texte 
français  à  l'édition  Lâchât,  t>  XXV,  p.  108  et  106* 

C'est  le  passade  qui  suit  immédiatement  le  récit  du  dévouement  d'Eustache 
de  Saint- Pierre,  à  la  prise  de  Calais. 

■  Ils  étoient  (ks  bourgeois  compagnons  d'Eustache)  sur  Téchafand  prêts  à 
recevoir  le  coup  ',  lorsque  îa  reine  animal  dans  le  camp  intet&dtt  pour  eux. 
Le  rot  leur  pardonna  à  ta  considération, 

«  Ensuite,  après  avoir  fait  une  trêve  de  deux  ans,  dont  pourtant  la  lîretagne 
fut  exceptée,  ce  prince  victorieux  repassa  en  Angleterre;  quelque  temps  après 
Godefroy  de  Charny,  qui  commandoit  l'armée  de  Philippe  sur  la  frontière  de 
Picardie,  conçut  le  dessein  de  reprendre  Calais  par  intelligence*  Pour  cela  il 
tâcha  de  corrompre  Emery  qui  en  ctoil  gouverneur,  croyant  quï'lanl  Lombart 

fi.  c,  l.  1,  p*  323,  éd.  de  lêtl.  Il  s'agit  sans  doute  des  cahiers  qui  font  aujour- 
d'hui au  grand  séminaire  de  Meaui. 

2.  L.e>.  p.  3-2J,  note. 

Il,  C'est  tout  ce  qu'on  &  pu  me  présenter,  en  dépit  de  la  promesse  du  catalogue 
Offrant  sous  la  cote  3273  (côilectîoo  Leber  5181)  le  titre  Devoirs  latins  et  français 
du  grand  Dauphin  corrigés  par  Bossue L  On  a,  dit-on,  depuis  quelque  temps  cherché 
en  vain  ce  m.r,  Je  sai*  que  M.  l'abbé  Clu  Urbain  a  obtenu  celte  même  réponse.  Puissent 
ce»  cahiers  du  Dauphin  n'être  qxfègarU  cl  souhaitons  a  la  sollicitude  de  MM.  les 
conservateurs  de  La  Itjbliolhèque  de  Houeti,  dTôlre  récompensée  par  la  découverte 
de  l'introuvable  manuscrit  qu  ils  possèdent. 


138  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

il  se  laisseroit  plus  facilement  gagner,  que  ne  feroit  un  Anglois.  En  effet  il 
consentit  de  lui  livrer  la  place,  moyennant  vingt  mille  écus. 

«  Edouard,  qui  étoit  vigilant  et  bien  averti,  découvrit  bientôt  tout  le  complot. 
Il  envoya  ordre  au  gouverneur  de  se  rendre  auprès  de  lui...  » 

Je  transcris,  en  caractères  romains,  le  texte  du  dauphin,  interligné  par  les 
corrections  de  Bossuet,  imprimées  en  italiques;  les  mots  raturés  sont  mis 
entre  crochets. 

A  la  marge  supérieure,  Bossuet  a  écrit  une  de  ses  corrections,  destinée  à  la 
fin  du  premier  paragraphe,  où,  d'ailleurs,  on  la  retrouve  en  interligne. 

Excepta  ea  Eduardus  victor  (in  ')  Angliamrepetiuit  navigavit. 

Regina  adveniens  veniam  petit  [ignovit]  rex  eis  veniato 

pro  iis  régi  supplicavit  :  [atque  hujus  demutn   cujus 

[dédit  ejus~  precibus  victus   indictis  induciis] 

concessit  veniam,  tum  induciis. 

bienoalibus,  pacteis  (sic),  ex  quibus  tamen 

armorica  ex  ex  ex  excepta  est  [Eduardus] 

victor  in  Angliam  nauigauit. 

Non  ita  mullo  post  Godefridus  Charniacus 

[exercilui  Philippi  praefectus]  in  picard  ia?  finibus 

Philippi  exercitui  praefectus  aninum  induxit 

in  animo  habuit  Caletum  fraude  recipere 

ideo  quoad  potuit  effecit  emericum  praefectum 

auro  corrumpere  aggress]  tentavit  ratus 

[auro  corrumperet  ratus] 

ad  suas  partes  allicere  exislimans  hominem 

ligurem  [procliu  i  II  ici]  redimi  qumn  anglum 

longobardum  facilius  corrumpi  posse  quam 

Anglum.  reuera  consensit  ei  urbem  tradere 

negue  eum  spes  sua  fefellit  namque  is 

modo  ut  [ei]  sibi  [dederent.]  daret  viginti  mille  num 

[pro]  viginti  nummorum  rnillibus  urbem  se  traditurum  spopondit 

num  [mos]-morum  millia. 

Eduardus  animi  sagax  atque  haud  atque  ad  omnia 

pro  sua  diligentia  rem  mature  novit 

inscius  quid  ageretur  cito  cognovit  aseruit. 

[praefectum  ad  se  euocavit  ;] 

conjurationem  misitqui  praef0  dicerent 

prœfectoque  euocaot. 

On  voit  par  celte  simple  page,  combien  peu  il  demeurait  du  thème  primitif, 
après  la  correction  de  Bossuet. 
Revenons  aux  notes  autographes  de  Ledieu  : 

«  M.  de  M.  est  de  ces  auteurs  que  leur  matière  éleue  et  qui  s'éle- 
uent  aussi  en  mesme  temps  au  dessus  de  leur  matière,  c'est  ce  qui  paroist 

1.  In  est  surajouté  au-dessus  de  la  ligne,  probablement  pour  condamner  repeti- 
Uvit  qui,  sans  être  raturé,  semble  abandonné,  et  la  leçon  Victor  in  Angliam  navi- 
gavit remplace  sans  doute  dans  l'intention  de  Bossuet  :  Victor  angliam  repetivit. 


L'N    FRÀGHË.vr    IHÉOIT    DE    LKDIKI      MU    1/ IPL  CAI  lu*    Il  L     DAlMll^ 


IM 


dans  Je  corps  de  philosophie  qu'il  a  fait  pr  Msgr  le  Dauphin.  Sun 
Traitté  de  la  eonnoissauc  dfi  Qiefl  et  d<*  »oy  annuel  bit  pour  expliquer 
la  nature  de  Miami;*  son  corps,  sou  esprit  et  sïdeuor  par  la  A  la  eon- 
Doia&utâi  dn  dieu.  auee  un  slile  simple  mais  nohle  et  insinuant,  il  con- 
tient la  doctrine  la  plus  suhlirne  et  les  raisuniK-mens  les  pins  forLs  pour 
prouuer  l'existence  de  dieu.  Il  est  plein  de  principes  de  physique,  et 
encore  plus  de  metajiiivsÎLpir  et  de  Tl néologie,  les  meilleurs  esprits 
«pu  m  ont  eu  çoniunicalion,  oui  désiré  iju'il  fusl  donné  au  public  corne 
un  ou u rage  très  iieces-ain-  en  ce  temps,  contre  les  libertins,  utile  et 
1res*..  Me  ?  pour  lu  physique  particulière. ♦,.  de  Platon  et  d'Àrîstote  ne 
tend  qu'à*.*,  dont.-., 

■  ■■iiiic  d't uvip'ii  dMU  ligues.) 

[P.  11]  pour  la  mm-ale  il  a  toujours  dît  qu'il  n'en  fallait  puiser  les 

maximes   q(u<*)  dans  la  S'"    écriture  el    dans  l'éuangile.  c'est  aussi  le 

Iniidt raient  d^  mm  p*Ut  tiaitlf   de  M'U-ale,  qui  ne  contient  qu'un  simple 

*.x t l'ait  des  Murales  d'aristole  auec  ses  drlintliuns  et  diuisions  des  vertus 

- 

L;i  Jurisprudence  si  nécessaire  a  un  grAJOd  prince  n'a  pQi  este  oubliée 
par  un  si  -rand  mai  sire.  Il  en  explique  les  principe^  h  --eneraux 
d'une  manière  1res  sue.  m  te. 

En  achevant  eeev  j'êjf  recotiueii  (' Vw-^-//Mr  recouvré)  une  SOJH4  de 
la  lettre  de  M,  de  Condom  au  pape  Innocent  XI.  du  8  mars  10  U  79.  où 
il  lut  explique  la  manière  de  l'Institution  de  Msçrle  dauphin  et  le  des* 
Bffa  M  i 'exécution  des  ou  orages  dont  je  uiens  de  partir  ;  j'y  renuoye 
le  lecteur,  pour  en  es  Ire  mieux  instruit l. 

Au  reste  tous  ces  ouura^es1 sont  en  François  et  ont  esté  écrits  de  la 


L  C^tte  note  marginale,  qu'un  signe  no us  indique  comme  devant  être  placée  iri* 

nous  apprenti  que  Ledieu  écrivait  tous  ces  détails   avant  d'avoir  ttiti  tefeM 

Lettre  Je  'mê&tirfiênâ  ti*>îphini,  ci  que,  par  suite,  nous  avons  altaîreà  une  source 

riiauir  et  complémentaire  de  cette  lettre* 

On  sait  qu  elle  est  imprimée  dans  Lâchai,  dans  un  volume  dilTérenL  de  celui  iJes 

l*etlres,  en  tête  «tes  ouvrages  concernant  l'éducation  du   Dauphin,  I.  XXII L  p.  1*14 

Mflf  |«  texte  lutin*  p»  15-2'J  pour  la  traduction.  —  ElICOfl  faudra-t-il  au  moins  tfin- 

iiiqu<?r  dan*  la  série,  dironok^iqiie  îles  Uilres,  à  8a  date  du  8  mars  1670, 

lieu   it.  Il],  p.  13(1}  donne   QQelqMt  'Mail*   sur   colle  lettre  : 

►  voie*,  à  M.  l'abbé  Bossue!,  y  lit-on  m  fi  ^ptembre  1107,  la  copie  que  je  lui 

ai  fait  Taii  lliliit,  p.  123}  de  la  Lettre  latine  de  feu   M.  de  Meaux   au    pape 

I «   Les  études  et  l'éducation  de  Monseigneur  le    Dauphin.  C'est  une 

finale  que  j'ai  sauvée  du  naufrage,  car  feu  M.  de  Menus   ne  l'avoit   plus, 

et  ji  l'ai  tirce  dti  mains  du  bon  Janel  chez  qui  elle   se   seroït  perdue,.*  Sans  ma 

diligence  il  (l'ibba  Ba&suat]  n'aurait    point  aujourd'hui  cette  lettre  latine,  qui  est 

ginal    6erit  bien    mieui  el  d'un    meilleur  lour  que  le    frencoîi,  qui   n'en  est 

qu'une   version   assez  imparfaite.  Aussi  fanl-il   être  assuré   que   l'auteur  avotl    eu 

dessein  de  faire  un   ouvrage  accompli t  et  non  seulement  pour  le  iiyk    et  l'exprès* 

s\m%  MU  <  rirm.    pour  les  pensées*  de  sorte  que  c'est  sans  doute  un  de  ses  plus 

qui  contient  d'ailleurs  une  bonne  partie  de  sa  vie.  » 

Il  est  difficile  de  savoir  ai  l'envoi  fait  a  l'ahU    ftoeeuef  est  postérieur  de  beaucoup 

à  cette  découverte  et,  par  suite!  s'il  faut  dater  de   1 7 (11  la  note  ajoutée  en  marge* 

t.  Ci  seraient  là  des  autographes,  probablement  détruite,  qui  eussent  ele   înlé- 

ittU  a  retrouver,  bi '<•  que  le  grand  dauphin  fui  loin  d'être  un  caîligraphe, 

ihier*  de  tbèmeit  donl  quelques  fragments  sont  a  Meaua,  à  Rouen  et 
u inaire  de  Siint-Suipice. 


140 


REVUE    I>  HISTOIRE    LLTTtRAIRF    DE    LA    FRANCE. 


propre  main  de  Msgr  le  dauphin  dans  les  laçons  qu'on  luy  en  faisait  : 
pr  en  imprimer  la  doc  l  ri  ne  plus  auotit  dans  son  esprit  :  el  c'est  sur 
son  manuscrit  que  j'en  ai  fait  faire  des  copies  d'une  bonne  amie  *  qui 
sont  a  paris. 

Dan?  la]  Une  grande  marque  de  la  cordialité  dans  laquelle  M.  de  M. 
uiuoil  auee  M.  l'abbé  de  fenelon  fut  sans  doute  de  luy  abandonner 
tout  ce  trauaîl  pr  s  en  seruir  auprez  de  Mgr  le  due  de  Bourgogne  el 
dea  princes  ses  frères.  J'en  suis  bien  instruit,  puisque  jay  raoj  mesure 
dnnnO  Jes  nianuseriU  el  que  je  les  ai  retirez,  La  boulé  de  il.  de  M.  a 
esté  jusqu'à  permettre  a  M*  l'abbé  de  fenelon  de  tirer  une  copie  ÙB 
toute  l'histoire  de  france.  Us  en  prirent  tous  aussi  du  Traittë  de  la  con- 
noîssance  de  Dieu  et  de  soy-mesme,  et  en  un  mot  de  tout  ce  qu'ils  uou- 
lurent  et  de  tout  ce  qui  les  accommoda  :  mesme  M*  l'abbé  fieury  el  les 
autres  :  et  c'est  ainsy  qu'ils  sont  uenus  a  la  cour  tout  instruits  par  leur 
ancien  maistre,  douf  ils  ne  pou  uni  eut  se  passer  des  viues  lumières  :  et 
qui  ont]  cependant  ont  poussé  la  malignité  de  leurs  mauuais  cœur  jus- 
qu'à tenter  toute  sorte  de  voye  pour  le  rendre  méprisable  el  s'éleuer  au 
tirs  sus)  de  luy*  car  qui  ne  sait  le  discours  de  M.  l'abbé  de  Langcron 
M*  de  M,  disoit-il  est  grand. :  mais.... 

[P.  11].  11  faut  seulement  se  souuenir  *  que  ces  messieurs  ont  emporte 
des  copies  de  tant  de  beaux  nuiiragesqu  on  vient  voir*  qui  doiuenl  être 
une  raison  de  les  imprimer  un  jour  sur  de  bonnes  copies  de  M.  <3>  M. 
de  peur  cTestre  preuenus  par  d'autres  qui  le  pourroienl,  sur  de  mau* 
uoises copies,  qui  se  sont  fort  multipliées,  sur  tout  celles  Jfc  /-/  no  tuais* 
mnee  de  Dieu  el  de  sotf  tue  sine  \ 

I*  Quelle  pou  rail  èlre  celte  copiste  bénévole  à  qui  Le  dieu  put  confier  la  trans- 
cription des  cahiers  du  dauphin t  IL  faudrait  croire  que  ces  autographes  avaient  été 
laisses  à  Bosquet  el  que  par  suite  son  secrétaire  put  les  Un  copier  à  son  aise 
par  quelque  dévote,  comme  on  disait  des  peniteoles  à  qui  leur  confesseur  deman- 
dait de  ces  copies  souvent  confiées  aui  religieuses,  Si  tes  écrits  du  Dauphin 
étaient  restés  à  la  Cour,  il  faudrait  imaginer  qu'une  des  dames  attachées  A  sa 
maison  était  assez  connue  de  Ledieu  pour  entreprendre  cette  besogne  de  coj>i-i<-. 
Ea  tout  cas  le  telle  de  Ledieu  ne  me  semble  pas  susceptible  d'une  autre  lecture. 

ï_  En  face  de  ce  paragraphe,  en  marge,  en  haut  de  la  page  on  trouve  inscrit  : 

3.  Outre  cette  préoccupation  de  l'exactitude  des  copies.  Ledieu  a  aussi,  on  le 
voit,  comme  Jes  autres  familiers  de  BossueL  eetk  dfl  faire  ressortir  les  bienfaits 
prodigues  par  son  tnailre  à  Fenelon.  Cest  ainsi  que  Pheli peaux,  dans  sa  Jfr/ 
ânr  U  Qutèii*me^  avait  tellement  accentué  celte  noie,  que  Bossu*1 1  lui- même  avait 
trouvé  a  reprendre  à  cet  excès  de  zèle,  -  M.  de  Sleaus,  écrit  Ledieu,  dans  son  Jounuti. 
au  samedi  29  octobre  UQl  (t  I,  p.  241),  nous  a  parlé  de  la  Relation  de  M.  Phcli- 
peaux  sur  le  quiêtisrae,  lui  demandant  s'il  J'avoit  revue  depuis  la  dernière  lecture 
faite  le  3  octobre  précèdent,  p.  £26);  qu'if  croxoit  nécessaire  d'en  retrancher  ce 
qu'il  raconte  d'abord  de  l'abbé  de  Fenelon  que  tournant  toutes  ses  pensées  du  côle 
de  la  Cour  pour  y  devenir  précepteur  de  monseigneur  le  duc  de  Bourgogne,  il  M 
rendit  encore  plus  assidu  auprès  de  M  «Je  Meaux...  etc.  •  —  Cf.  ce  qui  al  dit  au 
jeudi  fi  octobre,  p,  V*  :  -  Qu'il  ne  fallait  point  tant  appuyer  qu'il  croyait  qu'on 
avait  tait  sur  l'envie  qu'a  voit  M.  de  l'abbé  de  Fenelon.,.  de  se  servir  du  crédit 
o>  M*  de  Meaux...  ni  donner  à  entendre  que  M.  de  M  eaux  les  eut  en  effet  servis»., 
i  et  Langeroui  dans  leur  établissement  à  la  Cour,  i 

avait  donc  à  retenir  son  entourage,  acharne  à  noircir  rareheTêqiie  Je 

Ai:  il  est  vrai  que  lui-même,  si  toutefois  il  en  faut  croire  les  comptes  rendus 

du  Journal  de  Ledieu,  se  déclarait  assez  fortement  contre  celui  qu'il 


UN    FRAGMENT    IHÉOIT    DB    1.EMRU    SUR   L  ÉDUCATION    DU    DAUPHIN.        141 


Dans  ce  trauail  si  sérieux  de  l'instruction  de  Mgr  le  dauphin, 
M,  de  GôudoiD  ne  cessoït  d'édifier  la  cour  par  toute  sorte  de  voyes. 
Sa  vie  lut  toute  ohrestienne  et  toute  philosophique  au  milieu  d\m  grand 
nombre  d'amis,  tous  gens  d'esprit  et  (/<■  lettré- s  théologiens  et  philoso- 
phe! ;  gtoaa  d'esprit]  sans  ueuê  et  sans  prétension  n'ayant  d'autre  occu- 
pation que  IVstude  et  ta  couuersaliun,  et  d'autres  plaisir  que  la  prome- 
na'le,  Les  Roules  de  SUiermain  et  celles  de  fnntaînebleau  [sonT  ont 
toute  la  vie  célébrées ch0i  M.  de  M.  parle  souuenir  de  se*  longues 
promenades  a  pied;  et  chacun  counoist  en  dernier  lieu  l'allée  des  phi- 
losophes dans  le  petit  parc  de  Versailles. 
dcitl  '. 

Le  Conciîfl  établi  chez  M.  de  CondotO  y  attira  tous  les  ecclésiastiques 
de  la  émir.  Ce  lut  une  lecture  de  1a  S("  écriture  qui  commença  de  le 
sejmir  île  la  Cour  a  S1, Germain  en  1673  un  premier  dimanche  de 
lauenl  *  a  l'issue  du  sermon  pr  tenir  lieu  de  vespres,  parce  qu'on  ne 
disoit  point  dfi  vespres  ni  dimanches  ni  fesles  dans  la  chappelle  du 
chasteau  de  S*  Germain,  si  ce  n'est  aux  grandes  Telles  qu'il  y  a  office 
pontifical  ou  que  te  seruice  se  lait  par  les  officiers  de  la  grande  rhap pelle, 

comme  e'estoit  Pauent  on  lut  Isaïc  dans  [ce  concile]  cette  assemblée 
a  qui  s  est  demeuré  depuis  le  nom  de  concile  parce  qu'un  nV  par- 
tait que  de  science  ule  la)  Slt?  écriture  el  dafTaires  ecclésiastiques  et 
que....  Relique  de$idei*antur. 

De/  1672  le  roi  passa  Thyucr  a  S*  Germain  :  et  ce  séjour  de  la 
cour  demeura  tue  pr  tu  us  les  h  y  u  ors  jusqu'en  Mï82.  ou  83,"  on  reue- 
noit  passer  Testé  a  Versailles,  et  oii  alloit  d'un  lieu  a  l'autre.  Depuis 
1682  nu  83]  la  cour  fut  tout  a  fait  établie  a  Versailles  :  je  l'y  ni  ueue  de 
ma  connoissance  depuis  I G82.  sans  (rentrer?)  du  tout  à  S1  Germain*, 

Lai  douzes  pages  du  précieux  manuscrit  de  Ledieu  s'arnHent  donc  Ici 
sont  les  autres  cahiers  qui  précèdent  et  suivent  ce  fragment?  On  a  pu  voir  qu'il 
nmpo&é  sur  le  même  plan  que  le«  Mémoires,  dout  il  forme  probablement 
unepiemiere  rédaction,  niais  plus  développée  ut  contenant  par  conséquent  un 
certain  nombre  de  renseignements,  claques  par  la  suite,  et  dont  restent  tou- 
jours avides  Ions  ceux  qu'intéresse  la  mémoire  de  Bossu  et  ;  latil  est  vrai  le 
mot  de  Fuutenelle  sur  Newton  que  M.  FloqueL  a  raison  d'appliquer  à  fîosssuel  : 
«  Lu  nom  si  grand  juslilie  les  petits  détails*.  * 


nommait*  un  parfait  livpoerile  *,  Journal  de  Lcriieu,  L  c,  p.  SS2.  —  BossueL  est 
vraiment  plus  intéressant  et  plus  beau  an  (Joncîte  de  Saint- Germai n,  où  nous  le 
montre  la  lin  de  ces  autographes  de  Lediett. 

L  Ce  tttre  est  en  marge  du  paragraphe  qu'il  annonce, 

lait  par  conséquent  le  3  décembre.  Les  Mémoires^  p.  tttô,  nous  avaient  d^jà 
fourni  ci*  Lie  dale  et  cea  de  «ails,  La  Station,  d  après  la  Liste  des  prédicateurs,  6U.fl 
prêriiùe  cette  année-là  par  •  Le  Hé ue rend  l*ere  Chausse  inerT  Docteur  en  Théologie, 
Jacobin  du  grand  couvent  •.  Mais  il  faut  noter  que  la  Liste  (p.  4)  l'indique  comme 
devant  prêcher  -  Kn  la  ville,  au  Chasteau  Royal  du  Louvre  ». 

V.  Hurel.  Le*  f'rêdieatettrs  de  ta  cour  de  Louis  XI V7  L  It  p.  ixvi. 

i,  L^tte  note  marginale,  qui  doit  évidemment  se  rapporLeraux  mois  :  dêsletf*joar 
de  la  Cour  à  Saint-Germain  en  t$73t  n'est  rattachée  cependant  au  LexLc  par  aueun 
renvoi.  De  vrai,  elle  ne  doit  point  y  être  insérée,  mais  c'esL  une  explication  annexe. 

4.  Ftoquet,  Bonnet  précepteur,  p,  xi 


t*9 


Itl  VI  K     D'iUSTOHti:    MTTÊfLURE    R£    LA    FRAMK. 


.»  Tout  cela,  disait  le  lieutenant  général  Payen,  après  une  lecture  des 
que  Ledieu  lui  uv.nt  faite,  loul  cela  peint  et  fait  connollre  un  homme 
dont  les  moindres  circonstances  doivent  être  relevées*.  * 

Grâce  au  Journal  de  Ledieu,  nous  pourrions  suivre,  pour  ainsi  dire  jour  par 
jour,  ta  composition  des  Mémoire  et,  p;ir  suite,  dater  le  fragment  cidessu=,  au 
moins  d'une  faeon  approximative.  Il  semble  bien  que  c'est  peu  de  temps  après 
la  morl  de  Bossuet,  vers  le  2U  avril  I7i!r.  que  l'abbé  Bossuet  demanda  à 
Ledieu  «  de  faire  un  mémoire  des  principales  actions  de  M*  de  Meaux*  *. 
C'était  surtout  eu  vue  de  l'oraison  funèbre  et  pour  fournir  des  documents 
au  père  de  La  Rue  qui  avait  accepté  officieusement  dès  le  15  avril,  de  la  prê- 
cher*. «  J'ai  commencé,  écrit  Ledieu,  le  mémoire  que  l'abbé  m'a  demandé 
pour  le  père  de  La  Rue  pour  servir  al  oraison  funèbre1  *,  et  l'auteur  nous  tient 
au  courant  des  différents  cahiers  >ur  cessivement  rédigés,  «décrits  »,  c'est-à- 
dire  mis  au  net  et  envoyés  a  l'abbé  Bossuet,  parti  pour  l'a  ris  dès  le  $2,  *  J'en- 
voie à  M,  l'abbé  Bossu  et,  écrit-il  le  dimanche  21  avril,  trois  cahiers  de  mes 
mémoires  contenant  les  ouvrages  de  M.  de  Meaux  par  date,  et  sa  vie  patli- 
euhere  depuis  sa  naissance  jusqu'à  sa  prêtrise.,  je  continuerai  jusqu'à  son 
é[iUcnpaL  et  son  établissement  a  la  cour,  comme  je  promets  à  L'abbé  RosMielet 
je  pourrai  en  demeurer  là,  le  reste  étant  connu  et  plus  clair  que  le  soleil  par 
les  ouvrages  publics  et  tant  d'actions  éclatantes  b,  » 

Ll  est  pr  diable  que  les  fragments  ci -dessus  ont  été  écrits  vers  le  milieu  de 
riMi  170k  On  voîl  que,  le  *J  mai,  Pabbé  Rossnet  dit  à  Ledieu  m  qu'il  est  con- 
leut  des  mémoires,  qu'il  les  trouve  bien  écrits,  ot  le  prif  instamment  de  b-s 
continuer  même  dans  le  plus  grand  détail  o  qu'il  pourra;  «  mais  cependant, 
écrit  Ledieu  »  il  me  prie  de  faire  pour  le  père  de  La  Rue,  un  mémoire  fort  cou  ri, 
et  seulement  par  dales  des  actions  de  M.  de  Meaux  depuis  1680  et  son  épiscopat, 
qui  est  le  temps  de  ses  grands  ouvrages  et  de  ses  grandes  actions0  », 

Désormais  Ledieu  distingue,  dans  son  Journal,  le  grand  mémoire  de  ee 
résumé  destiné  an  père  de  La  Hue,  Celui-ci  cependant  dut  avoir  connaissance 


L  V.  tome  II  du  Journal  de  J^ediett,  M  juin  110 1,  p.  ISO.  Il  y  a  dans  ce  passage 
une  erreur  île  IVdilmr  Guetté*  et  ta  nota  de  la  p,  120  est  inexacte.  A  propos  de  li 
phrase  ,*  «  II  il*ayen)  approuva  dans  les  Mémùfrm  la  restitution  de  ta  lumne  el  vont 
que  je  transcrive  aussi  tout  au  long  l'extrait  «lu  sermon  de  saint  Augustin  mis  en 
tableau  dans  la  chambre  de  M,  de  Meaux  »,  Guettée  a  écrit  cette  note  :  «  II  --"â^i  L  iri 
de  l'endroit  que  d'autres  critiques  lui  avaient  conseillé  de  supprimer.  »  Mais  la 
lacune  m>  concerna  nullement  le  texte  de  Ledieu,  d  Pend  roi t  qu'on  voulait  lui 
faire  relftncher,  comme  rapportant  de  trop  minces  détails,  est  relui  ob  tes  Mémoin» 
racontent  comment  une  lacune»  dans  les  œuvres  de  saint  Augustin,  lui  nunblee  par 
Bossuet,  lequel  a  restitué  le  texte  incomplet  de  l'édition  des  Bénédictins.  (Cf.  I.  XI, 
méa  't  tmviqenéa  m  i,  V,  p<  131:*,  Serm.  29H,  n*  5.  V.  Migne,  L  XXX  VIII,  cob  1370.) 
•  Ll  s'étoit  Tait,  lit-on  dans  les  Mémoires,  une  telle  habitude  de  son  style,  de  ses 
principes  et  de  ses  paroles  mêmes,  que  par  son  bon  goiït  il  a  rétabli  une  lacune 
de  huit  lignes  dans  le  sermon  ccxcix  de  l'édition  des  pères  Bénédictins,  etc.  - 
V*  Mémoires^  p.  54*  C*esl  à  ee  même  endroit  des  Mémoire»  que  Ledieu  parte  d'un 
passade  du  sermon  3fla  que  Bossuet  avait  fait  copier  et  encadrer  dans  sa  ebambi-' 
Les  éditeurs  du  tome  V,  regardant  ce  sermon  comme  douteux,  l'avaient  omis,  mais 
les  additions  du  tome  X  Pont  restitué  mit  la  foi  de  Bossuet.  IL  est  étonnant  que 
l'éditeur  des  Mrtnotrcs  n'ait  pas  reconnu  au  passage,  dans  le  Journal  l'histoire  de 

ta  taetwe,  De  Foris  (L  Xll,  p.  i-vi)  cite  du  reste  une  lettre  h  L^i de  MfcttiUoo  du 

6  aoiU  1700,  où  il  est  question  de  cette  lacune,  et  Ledieu  en  parle  dans  son  Journal 
au  il  octobre  1700,  t,  1,  p.  157.  note  1. 

2.  Joutnni,  t.  It  p.  106. 

3.  ftftf.,  p.  102. 

4.  ibid.,  si  avril  no*t  p.  tnr>, 

5.  V.  op.  cit.,  p,  109.  Cf.  p+  HO  l'indication  du  contenu  de  chacun  des  cahiers 
envovês  les  28  avril,  T',  %  3,  i  et  5  mars,  conduisant  la  vie  jusqu'à  l'époque  de  la 
nomination  à  iVvôché  de  Condom  et  â  la  place  de  précepteur. 

G.  Ledieu,  Journal,  S  mai  i  104,  p.  lit. 


UN    FRAGMENT    INEDIT    DE    LEDIEU    SUR    L  EDUCATION    DU    DAUPHIN.       143 

de  tous  les  cahiers  déjà  rédigés,  car  une  lettre  de  lui  «  demande,  dit  Ledieu, 
la  suite  de  mes  Mémoires  qu'il  trouve  trop  éloquens  par  manière  de  raillerie;  il 
les  demande  plus  simples  et  surtout  la  vie  de  la  cour1.  » 

Si  le  père  de  La  Rue  se  plaignait  aimablement  que  les  Mémoires  ne  lui  lais- 
saient plus  assez  à  faire  pour  se  livrer  à  l'éloquence,  l'abbé  Bossuet  tirait,  lui, 
grand  parti  de  leur  lecture  pour  sa  lettre  au  pape,  datée  du  lundi  5  mai,  con- 
tenant une  relation  de  la  vie  et  de  la  mort  de  M.  de  Meaux.  Ledieu  remarque 
au  12  mai,  qu'il  y  a  reconnu  ses  Mémoires,  bien  que  l'abbé  déclare  s'en  être 
peu  servi  et  seulement  en  un  point 2.  Toutefois  la  lettre  envoyée  le  mardi  6  ne 
peut  avoir  mis  en  œuvre  les  détails  concernant  le  préceptorat  que  nous  avons 
lus  plus  haut.  C'est  seulement  au  14  mai  qu'on  lit  dans  le  journal  de  Ledieu  : 
«  Mes  Mémoires  sont  prêts  :  j'ai  poussé  le.grand  jusqu'à  la  fin  de  l'éducation 
de  monseigneur  le  Dauphin,  1680,  où  j'ai  compris  la  vie  de  la  cour,  le  concile 
et  les  antres  choses  particulières 3...  » 

C'est  bien  le  sujet  traité  dans  les  douze  pages  reproduites  ici,  et  cela  devait 
répondre  au  neuvième  cahier  envoyé  par  Ledieu,  avec  le  reste  du  travail,  «  à 
Paris  ou  à  Pontoise  au  père  de  La  Rue,  en  date  »  du  15  mai  1704  *. 

Donc,  sauf  les  différences  de  rédaction  avec  les  Mémoires  imprimés,  notable- 
ment plus  courts,  notre  manuscrit  doit  être,  à  peu  de  chose  près,  daté  du  mois 
de  mai  1704. 

Quant  à  l'usage  qui  peut  être  fait  des  renseignements  contenus  ici,  on  con- 
viendra qu'en  ce  qui  regarde  par  exemple  le  Discours  sur  Chistoire  univwselle, 
VHistoire  de  France,  la  Politique  Urée  d*  l'Écriture  nous  y  trouvons  de  quoi 
servira  un  travail  intéressant,  resté  neuf  ou  à  peu  près.  Il  y  a  déjà  quinze  ans 
et  plus  que  M.  A.  Gazier  écrivait,  dans  la  préface  de  son  édition  classique  des 
sermons  (1882)  :  «  Il  y  aurait  à  faire  une  histoire  des  œuvres  de  Bossuet  qui. 
pourrait  être  bien  intéressante.  » 

Pour  un  certain  nombre  des  ouvrages  de  Bossuet,  grâce  à  ses  lettres,  ou, 
s'il  s'agit  des  dernières  œuvres,  grâce  au  journal  de  Ledieu,  on  peut  en  suivre 
la  genèse  et  la  composition,  pour  ainsi  parler,  d'heure  en  heure,  et  cependant 
cette  histoire  restera  très  probablement  longtemps  encore  à  écrire.  Elle  serait 
aussi  vaste  en  effet  que  l'action  de  ce  grand  évoque,  et  ce  cadre  effraiera  peut- 
être  toutes  les  entreprises.  Ne  peut-on  espérer  du  moins  que,  suivant  la 
méthode  de  la  division  du  travail,  quelques  monographies  rendront  possible 
un  jour  une  œuvre  d'ensemble.  Et,  puisque  les  monographies  elles-mêmes  ont 
besoin  d'être  préparées  par  des  labeurs  plus  modestes,  je  souhaite  que  tout  au 
moins  la  publication  de  ces  notes  serve  quelque  jour  à  qui  voudra  écrire  l'his- 
toire des  ouvrages  composés  par  Bossuet  durant  son  préceptorat. 


E.  Griselle,  S.  J. 


1.  Ibid.,  12  mai  1104,  p.  113. 

2.  IbitL,  p.  H2. 

3.  Ibid.  y  p.  1U. 

4.  Ibid,,  p.  114. 


COMPTES    RENDUS 


Henri  Es  tienne  et  scm  œuvre  française,  étude  d'histoire  littéraire  et 
de  philologie,  thèse  présentée  à  la  Faculté  des  Lettres  de  l'Université  de 
Paris,  par  Louis  Clémf.nt,  ancien  élève  de  l'Ecole  normale  supérieure,  pro- 
fesseur au  lycée  Jansun  de  Sailly.  —  Paris,  Alphonse  Picard  et  fils,  éditeurs, 
1898,  in-fcK 

La  première  chose  qui  frappe  dans  ce  beau  volume  de  538  pages,  grand 
in-octavo,  d'une  impression  nette,  maïs  extrêmement  serrée,  et  presque 
toutes  amplement  munies  de  noies  et  de  références,  c'est  la  somme  considé- 
rable de  connaissances  et  de  recherches  qu'il  représente.  Comment  résumer 
celle  longue  et  consciencieuse  enquête  sur  les  mœurs  et  la  langue  du 
xvi*  siècle?  Heureusement  que  Fauteur  s'est  chargé  lui-même  de  ce  soin  et 
qu'il  nous  a  très  habilement  exposé  son  plan,  m  11  va  sans  dire  que  nous 
n1  ivons  pas  eu  la  pensée  téméraire  de  prendre  Henri  Ëslienne  tout  entier, 
soit  dans  sa  vie,  soit  dans  la  multiplicité  encyclopédique  de  ses  ouvrages  et 
de  ses  éditions.  Mous  avons  délibérément  circonscrit  notre  étude  à  sou  (BUfffi 
française,  en  la  considérant  successivement  sous  son  triple  aspect  biogra- 
phique, littéraire  et  philologique,  —  Même  ainsi  délimité,  le  sujet  était  sans 
doute  assez  vaste  pour  effrayer  notre  courage,  mais  nous  n'avons  pu  nous 
restreindre  davantage ,  sans  être  trop  incumpleL  Comment  étudier  chez 
H,  Estienue  le  grammairien  en  négligeant  lécrivain,  s'il  est  vrai  qu'il  a  été  en 
même  temps  et  dans  les  mêmes  livres  l'un  et  l'autre!  Comment  connaître  le 
satiriste  et  le  polémiste  sans  interroger  l'homme?  Car  celte  œuvre  française 
a  une  histoire  qui  se  mêle  étroitement  à  la  vie  de  son  auteur.  De  la,  les  deux 
parties  essentielles  de  ce  travail,  avec  l'introduction  où  nous  avons  cherché, 
du  point  de  vue  auquel  nous  étions  placé,  à  retracer  la  figure  morale 
d'Eslieime.  Mais  devions-nous  laisser  de  côté  systématiquement  ce  qu'if  avait 
écrit  en  latin  ou  en  grec?  N'est-ce  pas  dans  les  préfaces  de  ses  éditions,  comme 
dans  ses  lettres  familières,  dans  ses  traites  didactiques,  dans  ses  poèmes 
latins  qtfEslierme  s'est  plu  à  raconter  sa  vie?  Il  y  a  plus  :  c'est  parfois  dans 
cette  prose  latine  ou  dans  ces  vers  latins  qu'il  faut  chercher  l'idée  première 
ou  le  complément  de  tel  livre  français...  Pour  comprendre  le  traité  de  la 
Conformité  du  langage  français  avec  le  grec,  il  est  bon  d'ouvrir  le  Thr.<fiurus 
tjrfirrar  Hnguts*.  Lfi  Qf  (atifiUaU  fnlso  suspecta  est  d'un  bout  à  l'autre  et  à 
chaque  ligne  une  comparaison  entre  la  langue  de  Home  et  la  nôtre.  Bref  tout 
se  tient  dans  l'œuvre  comme  dans  la  vie  d'Ëstienne.  » 

Impossible  de  reprendre  plus  adroitement  d'une  main  ce  que  l'on  a  cédé 
de  l'autre,  et  voilà  certes  un  programme  habilement  tracé.  On  n'accusera  pas 
M.  Clément  de  n'avoir  pas  su  le  remplir,  on  dirait  plus  volontiers  qu'il  l'a 
peut-cire  un  peu  trop  rempli,  mais  tout  d'abord  il  y  a  plaisir  a  enregistrer 
avec  lui  les  résultats  acquis  par  ses  investigations.  L'histoire  des  ouvrages 
dïknri  Esliemie  et  drs  persécutions  qu'ils  lin  oui  valu  nous  est  raronléfl  ifÔ0 
une  exactitude  minutieuse,  &  tel  point  qu'un  chapitre  tout  entier  est  consacré 
à  «  l'affaire  des  épïgrammes  a.  Ceux  qui  aiment  les  renseignements  biogra- 


COMPTES    RENDUS. 


I4S 


phiques  en  verront  ici  de  nouveaux  sur  un  sujet  qui  semblait  épuisé  après  tant 
de  recherches  antérieures  :  textes,  dates  et  documents  de  loule  sorte,  M.  Clé- 
ment a  su  trouver  de  l'inédit  dans  les  imprimés  comme  dans  les  archives,  et 
il  réserve  une  partie  de  ses  trouvailles  pour  une  prochaine  publication,  La 
bibliographie  et  l'histoire  littéraire  ont  leur  tour.  M.  Clément,  qui  avait  déjà 
recouvré  un  ouvrage  latin  perdu  de  la  vieillesse  d'Henri  Estienne,  le  De  Sena- 
tutu  [oemiiutyum,  n'a  pas  eu  la  main  moins  heureuse  pour  son  œuvre  Iran- 
raise.  Il  a  mesuré  très  habilement  Ja  part  d'Estienne  dans  la  composition  si 
discutée  du  DiêCOWS  merveilleux  contre  Catherine  de  Médicis,  et  it  semble 
bien  avoir  définitivement  résolu  un  problème  difficile  signalé  par  M.  Gaston 
Paris,  en  restituant  au  même  Estïenue  une  partie  notable  des  jolis  contes 
publiés  sous  le  nom  de  Bonaventure  des  Periers*  Mus  loin,  sur  une  indication 
de  M,  Brunol,  il  a  ingénieusement  discuté  un  commentaire  inédit  d'Henri 
Estienne  sur  Jonchim  du  Bellay;  grâce  h  lui  nous  pourrons  connaître  le  juge- 
ment du  grand  helléniste  sur  les  poètes  de  la  Pléiade,  jugement  curieux  el  qui 
rappelle  ce  que  certains  savants  de  nos  jours  ont  dit  des  poésies  de  Leçon  te 
de  Lisle.  Ce  commentaire  trouvera  certainement  sa  place  dans  une  réîm- 
prô&SÎon  des  omvres  de  Joachini  du  Hellay,  que  je  souhaite  prochaine,  et  qui 
il  nue  bonne  alTaire  en  m*1  me  lemps  qnfune  bonne  action,  au  prix  où  se 
vend  l'édition  épuisée  de  M.  Martv  -Laveaux,  Maïs  la  partie  principale  de  ce 
liwe  est  consacrée  à  Henri  Estienne  grammairien.  On  a  retrace  sa  longue 
résistance  à  l'jnlluencc  italienne,  on  a  recueilli  et  discuté  toutes  ses  idées  el 
ses  théories  sur  tes  patois,  les  proverbes  et  les  vocabulaires  techniques,  sur  les 
richesses  de  la  langue  française  et  les  divers  fonds  qui  la  coctétituent,  sur1  sa 
prétendue  conformité  avec  le  grec  et  ses  véritables  origines  latines.  Toutes  ces 
théorfei  sont  exposée^  avec  un  souci  de  Vexuclitudc  des  plus  louables,  un 
soin  et  un  scrupule  infinis,  une  abondance  d'exemples  vraiment  précieuse, 
niais  peut-être  aussi»  oserais-je  te  dire,  avec  un  luxe  de  restrictions,  de  correc- 
tionnel d  additions  de  toute  sotte  peut-être  excessif,  A  voir  tout»'  la  a  ience  que 
M.  Clément  se  croit  obiigé  à$  déployer  à  côté  de  son  auteur  pour  te  compléter 
ou  le  redresser,  on  craint  malgré  soi  qu  il  n'ait  un  peu  exagéré  des  mérites 
pourtant  1res  grands  pour  le  xvr-  siècle,  et  lou  m*  péril  s'eH)p$cJl£r  dfl  trouver 
qu'Henri  Kslienne  passe  un  peu  trop  souvent  du  piédestal  à  la  sellette.  Mais 
:  trop  insister  sur  une  impression  personnelle.  Hlie  sera  facilement  cor- 
rigée par  tous  ceux  (et  ils  sont  nombreux )  qui,  au  lieu  de  lire  ce  volume  d*un 
Kraft*  la  garderont  sur  leur  table  de  travail  el  \r  consulteront  assidûment 
pour  l'explication  des  auteurs  si  difficiles  du  xu°  siècle.  Ces  lecteurs- làf  pour 
user  d'une  vieille  locution,  ne  son^eronl  ^e  plaindre  que  la  mariée 

soit  Irop  belle,  ou  cette  thèse  trop  riche,  mais  seulement  a  remercier  M,  Clé- 
ment de  tous  les  secours  qu'il  met  si  libéralement  a  leur  disposition.  Âi-je 
besoin  d'ajouter  que  je  suis  le  premier  à  me  joindre  à  eui,  et  à  reconnaître  plei- 
nenttous  les  mérites  d'un  excellent  livre? 

Quelques  notes  pour  terminer  et  pour  répondre  à  loutes  celles  on  M.  Clé- 
ment a  posé  ou  résolu  tant  de  menus  problèmes.  P,  SI.  Les  »i  sermons  de 
Barlette  «  sooUîla  de  Mariette  7  Les  auteurs  de  la  Bibticthéqm  di  Cûrdre  tira 
heurs  mil  des  raisons  et  des  textes  pour  en  douter,  P.  360,  ilGL  L'ouvrage 
espagnol  le  plos  connu  des  Frmaeaif  du  xvr  siècle  ne  seraîl-il  pas  la  ftfteslfotf, 
.le  s»  a  bonne  doctrine  >s,  au  dire  de  Clément  Marot,  et  qui  eut  au  moins  six 
traductions  ou  éditions  françaises  de  t52Tà  161*8  (cf.  HagoJfl,  Jounuff  rfel  ftOttMfl, 
el  Catalogue  Soleinm  ,  tome  IV,  p.  157  à  tO).  Henri  Kstienne  ne  l'aurait  il 
pas  lue?  Elle  n'était  pas  faite  pour  lui  déplaire.  P.  3?0.  L'étymologie,  le  sens 
et  l'histoire  du  mot  Ragot  étant  également  difBctlee,  peut-être  ertt-il  convenu 
de  renvoyer  à  la  longue  notice  qu'A*  de  HûQUiIgloD  a  consacrée  a  ce  person- 
nage (Recueil  des  poésies  françaitôt  de$  XV  et  ZVt  siècles,  l.  V,  p+  Vtf  h  i  H). 
P,  179.  Il  est  question  de  deux  pièces  satiriques  de  Joachim  du  Bellay,  publiées 
en  135'.*,  la  Nouvelle  maniera  de  faire  son  profit  des  (etirtf,  et  le  Porte  courtisan* 

RtT.    DHIST,  UTTÉR,    DE  LA  FilAWCi:  (7'  ÀUtl.).  —   VU.  10 


146 


ItEVl'E    t>  MSTOIWE    LITTKHAinii    DE    LA    F1USCE. 


u  Ces  deux  pièces  forment  un  nu  me  tout  cl  elles  sont  d'une  ironie  assez  âpre 
pour  avoir  réconforté  le  cœur  de  Henri  iïslienne,  »  EL  celle  autre  pièce  sur  la 
médecine  *  italianisée  >\  qui  a  paru  la  même  année  1539,  à  Paris»  avec  un  privi- 
lège du  25  novembre  ISfffl  Y  a-t-îl  beaucoup  de  satires  d'une  aussi  belle  venue 
dans  ta  poésie  du  xvid  siècle?  Et  connaît-un  beaucoup  de  vers  aussi  pittores- 
ques avant  Régnier"? 

Le  Médecin  Court  izan*  ott  ta  nom  file  el  plus 

courte  Manière  de  parvenir  ù  ta  traye  cl 

solide  Médecine. 


A  Mesure  DORBVNO. 

Que  nous  sert  plus  longtemps  raeourcïr  nostre  vîet 

Epluchanls  les  secrets  de  la  Philosophie? 

Que  sert,  pour  le  plaisir  de  ces  menteuses  ijeurs 

Aeravanter  nos  ans  de  cent  mille  labeurs 

Et  geiner  de  soucy  nostre  Ame,  et&priaomièe 

Pour  un  art  mensonger,  plus  souvent  des  tournée 

À  contempler  tes  corps  de  ce  grand  Univers» 

Le  mouvement  du  f li -- 1 ,  on  droit  ou  de  travers. 

Les  vens,  les  tourbillons,  la  neige  et  les  orages, 

Et  les  impressions  des  célestes  images? 

Que  sert  de  distiller  nostre  cerveau  pensif. 

Quarante  ou  cinquante  ans,  pour  un  mestier  tardif; 

Chercher  et  rechercher  raccordante  harmonie 

Des  quatre  corps  divers  en  une  mesme  vie; 

Sonder  au  plus  prorond  des  secrets  arrachez 

Du  cœur  de  la  Nature!  où  il  [*]  esloyenl  cachez; 

Accorder  le  dîscord  si  quelque  guerre  estuue 

Pour  une  inimitié  au  corps  est  survenue? 

Cela  ne  peult  sinon  que  tourmenter  en  vain 

Kotire  esprit  trop  grossier,  trop  foible  et  irop  humain, 

Comme  si  nous  pouvions  avoir  laeognuissance 

h.    ce  dfttt  tel  plus  tins  rapportent  q  if  ignorance; 

Comme  si  nous  pouvions  coRnoistrc  ferme  ment 

Les  causes,  les  effets  de  tout  le  Or  marnent, 

81  la  perfection  de  noslre  âme  divine 

£<>ubs  l'Odlbre  *me  Ton  est  Docteur  en  Médecine. 

lit  qu'on  a,  feuilletant  l'œuvre  de  Ci  a  lien, 

Ou  du  vieil  Hippocrate,  appris  Tari  Dclien. 

Tout  cela  ne  noua  fait  que  mifcératolcfl  vivre, 

Avancer  nostre  mort,  ou  vieillir  sur  un  livre. 

Or  je  te  veut*  monstre  rt  Dorbuno,  comme  il  fauli 

Sans  ce  meurtrier  soucy  n*avoîr  jamais  défault 

in    réputation  et  de  bonne  apparanee 

Bntre  les  plus  fameux  de  cesle  heureuse  France. 

Je  le  veulx  par  ces  vers  descouvrir  le  moyen 

Qui  fait,  sans  llippocrate  et  sans  un  fïelien 

Et  sans  l'escript  faseheux  d'une  Pratique  indigne 

D'Egioàte  ou  Gourdon,  savoir  la  Médecine. 

11  ne  te  faull  longtemps  remascher  le  laurier; 

Il  ne  te  faull  veiller,  ainsi  qu-   L'esCOlier 

J usques  ù  la  minuit ,  .♦., 

Et  que  faut-il  donc?  Apprendre  quelques    recettes  d'apothicaire,  griffonner 
des  ordonnances  illisibles,  prendre  un  ton  d'oracle,  se  pousser  a  la  cour, 

Ainsi  donque  avancé,  il  te  failli  contrefaire 
Du  grand  et  du  sa  va  ni,  et  toutes  fois  complaire 
À  ceux  desquels  tu  peux  arracher  du  prolict. 
Avoir  lousjours  en  main  du  gingembre  confïct, 


iuMPTKS   h i:\DUS.  147 

Pour  en  lin  du  repas  le  présenter  à  Lahte. 
EL  Le  monslrer  ainsi  honneste  et  serviable, 

une  cuillîer  en  donner  à  Monsieur 
Et  à  sa  mieux  aimée,  aflin  qu'en  sa  faveur 
Tu  sois  le  bien  venu,  quand  Lu  auras  affaire 
De  L'argent  et  support  de  son  Prolhenotaire. 
Si  lu  es  appelé  pour  aller  visiter 

I  ii  malade,  il  le  fautL  pour  mieux  le  contenter 
Kt  pour  mieux  arracher  p  rôti  IL  de  Bon  dommage, 
Ayant  veu  son  urine,  ordonner  un  potage. 
Qu'il  failli  iiiitfn.irdeuieut  Loy  mesme  assaisonner, 
Tas  ter  >il  cr,i  salé,  toy  mes  me  lui  donner 
De  Paesle  du  poulet  que  Lu  miras  fa  ici  cuire  T 
Toy  inesme  Le  couvrir,  loy  mcame  3e  conduire 
A  la  selle  persêe,  et  dans  les  excréments 
Priser  les  beaux  elTecLs  de  les  medieainenLs. 

II  faull  dire  aux  parons  que  pour  la  maladie, 
Or  que  ce  ne  tast  rien,  le  danger  de  la  vit 
Esl  fort  à  soupçonner,  mois  que  lu  pense  bien 
Qu'avec  [que]  Ion  moyen  le  Lout  ne  sera  rien. 
Ainsi  uni  devant  nous  leur  richesse  augmentée 
Mille  H  mille  Tuicant,  dont  la  grandeur  vantée 
Apporte  la  bravade  a  leurs  Coyous  nep^ 
Qui  sçavenl  finement  ensuyvre  leurs  aveux 
El  ont  desjà  si  bien  endormi  nos  S  y  rai  nés, 
El  faict  siller  les  yeux  de  nos  raisons  humaines, 
Que  nous  n'esLi nions  rien  sinon  que  ce  qu'ils  font, 
Ores  qu'ils  faeent  naîslre  une  souris  dTun  mont, 
Et,  à  nostre  dommage  cssaynnU  leur  folie, 
Vendent  le  vain  orgueil  de  quelque  comédie. 

Si  j'ai  fait  de  si  longs  extraits  de  cet  le  pif1  ce,  ce  n'est  pas  seulement  parce 

qu  il  est  toujours  bon  d  entendre  de  bons  vers,  et  que  ceux-là,  quoique  cités 
dès  1863,  d  après  l'exemplaire  de  la  Bibliothèque  Maiarine,  par  M,  Baynaud 
dans  In  Médecine  et  les  Médecin*  >itt  tcmp&  de  Molière $  p.  81,  et  réimprimés  en  entier 
en  1875  d'après  un  exemplaire  identique  dans  le  iieviteîl  de  Pùé$it$  françw 

v  et  xvr  tiècies*.,  réunies  et  annotées  par  MM-  Anatole  de  Monlaigion  et 
James  de  Rothschild  (L  Xt  p,  96  à  109}  n'en  paraissent  pas  moins,  sauf  erreur 
de  ma  part,  complètement  oubliés;  mais  encore  parce  qu'ils  me  semblent 
devoir  attirer  tout  spécialement  l'attention  de  H.  Clément.  Il  vient  d  étudier 
de  très  près,  dans  son  intéressante  thèse  latine»  les  deux  pièces  de  Joachim  du 
Bellay,  le  Poète  courtisan  et  la  Noact'lle  manière  de  faire  son  profit  dm  U-ttresi,  et 
il  a  réussi,  ce  qui  était  difficile,  à  compléter  sur  quelques  points  les  recherches 
antérieures  de  M.  Bonnefon.  Puisse-til  avoir  la  nu:  nie  bonne  fortune  pour  Le 
Médecin  courti$an%  au  sujel  duquel  on  voudrait  bien  être  fixé  une  fois  pour 
toutes.  Et  d'abord  le  destinataire  de  cette  épïtre  satirique,  Messere  Dorbuno, 
esl*»l  bien  le  médecin  italien  Doidonus  ou  Dordunus,  comme  le  dit  je  Docteur 
Alfred  Fournies  dans  une  noie  de  L'édition  de  1 875 ?  (p.  97,  100.)  H  faudrait 
d'abord  prouver  que  cet  Italien  est  venu,  a  joue  un  certain  rôle  à  la  cour  de 
France.  Et  puis  quelle  raison  plausible  d'estropier  son  nom?  Ne  serait-il  pas 
plus  simple  d'admettre  que  Dorbuno  n'est  que  l'anagramme  d'un  nom  fran- 
çais comme  Bourdon,  d'un  jeune  médecin  a  ses  début!  auquel  on  conseillerait 
ironiquement  d'adopter  un  pseudonyme  italien,  en  même  temps  que  tout 
le  charlatanisme  d'outre-monts?  Toute  la  salin-  ei  la  conclusion  en  particu- 
lier ne  s'expliqueraient-eîles  pas  mieux  dans  cette  hypothèse? 

Jusqu'ïcy,  d'Orbuno,  j'ay  monstre  l'artifice 

De  pouvoir  acquérir  la  Science  nourrira 

Par  un  moyen  plus  court  que  n'ont  pas  faict  tous  ceux 

Qui  ont  laissé  L'amour  du  Loisir  paresseux, 


148  RtWK    D  HISTOIRE    UTT&fUlfUE    DE    LA    FRANCE. 

Et,  pourtant  que  je  sça\  qu'en  vain  Lu  te  lourmante 
D'acquérir  par  Ravoir  la  voix  a  p  pi  nu  d  Usante 
De  ce  monstre  d«  Court,  j'ay  descrïpt  le  moyen 
D'eslre  bon  médecin  sans  Claude  Galien. 

En  tout  cas,  ce  qui  importe  le  plus,  eesl  le  Dom  de  l'auteur.  Le  Médecin 
cotai i m tn  est  il  sorti  de  la  même  plume  que  le  Poète  ct'itii'tisan,  comme  les 
savants  éditeurs  de  1875  étaient  tentés  de  le  croire?  La  question  vaut  la  peine 
d'être  élucidée* 

LU  ILE   HO  Y, 


ÏUyuond  Toi  net.  —  Notes  pour  servir  à  V  histoire  littéraire  du 
X VII*  siècle.  Quelques  recherchât  tiuioiie  des  poèmes  héroïques- épiques  fran- 
çais  du XVIt*  sièclt.  Tulle,  Crauffon,  1890,  I-XXXVI,  et  1-304  p.  in  12. 

Sous  ce  litre  modeste,  M,  Raymond  Toinet  vient  de  publier  une  bibliogra- 
phie à  peu  près  complète  des  poèmes  épiques  du  xvu"  siècle,  si  peu  étudiés 
jusqu'à  ce  jour,  et  qui  nous  apparaissent  de  loi  a  à  travers  les  réquisitoires  et 
les  railleries  de  Boileau»  S'iLfait  entrer  dans  le  cadre  de  son  élude  les  œuvres 
burlesques  et  les  traductions,  il  a  laissé  de  colé  tout  ce  qui  n'appartient  pas 
proprement  à  l'épopée;  pour  bien  marquer  les  limites  où  il  simienne,  il 
adopte  le  ternie  héroïque-épique  ;  il  exclut  ainsi  tout  ce  qui  nTest  qu'héroïque, 
cesUà-dire  bon  nombre  de  productions  dramatiques  ou  lyriques,  auxquelles 
les  poêles  de  ce  temps,  par  un  fréquent  abus  de  lan^a^e,  ont  donné  eu  nom.  La 
plus  grands  partie  du  livre  est  réservée  à  rénuméralion  des  auteurs  el  des 
pué- mes,  qui  comprend  3UG  pages  et  94  numéros.  Pour  dresser  ce  catalogue  rai- 
sonné, te  Critique  a  du  [dus  d'une  fois  suivre  Goujel  ou  d'autres  érudits  ;  mais 
presque  toujours  il  a  lu  les  textes  originaux,  et  ce  n'est  pas  un  faible  mérite. 
IL  les  commente  brièvement,  avec  goût;  sa  science  de  bibliophile  lui  permet  de 
fournir  une  liste  aussi  exacte  que  pussible  des  éditions,  il  a  même  la  bonne 
fortune  de  posséder  dans  sa  bibliothèque  la  plupart  de  ces  rares  volume*;  enfin 
il  a  su  recourir  habilement  aux  indications  des  catalogues  anciens  et  modernes, 
il  ne  tenait  qu'à  lui  de  faire  un  travail  plus  littéraire,  mais  il  s*est  bien  gardé, 
el  avec  raison  de  reprendre»  pour  la  développer  et  la  corriger,  la  thèse  déjà 
vieillie  de  M.  Duchesne;  il  s'est  contenté  de&quisser  dans  sa  préface  l'évolution 
de  ce  genre,  qui  fut,  au  xvu0  siècle,  si  opinuïtrêment  et  si  vainement  cultivé. 
Ces  pages  sont  complétées  et  pour  ainsi  dire  illustrées  par  l'analyse  même  des 
œuvres.  L'influence  de  Ronsard  el  de  Du  Bartas  prédomine  jusque  vers 
1  .m  \ùt\i  chez  les  disciples  attardés  de  la  PUUute.  C'est  le  temps  où  Ton  voit 
paraître  les  A  de  la  France  de  Jean  Heudon  (1602),  VHepUmeron  delà 

irride  de  Pal  m  a  Cayet  (16DÎ),  la  Fro  natif  lr  de  Pierre  Drkiinlun  I  \«-i 
liers  (1604),  le  itère  de  lu  Fntiicitidr  de  CL  Garnier  (1604)  Je  cinquième  et  le 
sixième  livre  de  la  Franciade,  de  Jacques  Guillaut  (1306-1615),  la  Semaine  de 
Christophe  de  Gamou  (IGÛl»),  où  se  trouvent  des  vers  élégants  et  sincères, 
d'une  douceur  un  peu  molle,  mêlés  à  des  outrances  et  à  des  bizarreries  telles 
que  «  la  prosopopée  du  cormoran  »,  m  l'apostrophe  de  l'autruche  «,  dont  la 
mention  rapide  égaie  ta  nomenclature  parfois  aride  de  ces  innombrables 
poèmes.  Celte  école  des  précurseurs  est  du  moins,  comme  l'indique  avec  jus- 
tesse M.  Toinet,  u  curieuse  el  vivante  »>,  Mais  les  pédants  surviennent  vers  1050, 
publiant  a  lenvi  ces  œuvres  démesurées  et  informes,  composées  laborieuse- 
ment» suivant  les  règles,  écrites  le  plus  souvent  dTun  style  emphatique  et  où. 
les  valus  ornements  de  la  rhétorique  ne  peuvent  suppléer  au  ruauque  de  sin- 
cérité, lleaueoup  de  ces  poètes  oui  du  moins  réussi  à  faire  passer  leur  nom 
jusqu'à  nous.  L'auteur  les  nomme  km  s,  mais  il  ne  se  trompe  pas  sur  leur 
mérite;  ii  ne  tombe  pas  dans  ce  défaut,  propre  à  de  nombreux  critiques,  et 


comptes  Rt^ncs. 


149 


qui  consiste  à  surfaire  l'importance  du  sujet  traité;  nous  le  trouvons  même 
bien  sévère  pour  le  Cfanù  de  Desmarets,  qui  n'est  pas  «  illisible  »,  tant  s'en 
faut  !  h  du  premier  vers  au  dernier,  j*  M.  Toinet  a  rarement  cédé  au  plaisir  de 
réhabiliter  les  esprits  médiocre?,  que  la  faiblesse  des  autres  fait  ressortir  par 
rrmiraste;  il  rend  justice  à  Brébeuf,  il  il  a  raison;  il  tire  aussi  de  son  obscu- 
rité uu  certain  Nicolas  Levasseur,  qui  dans  lt$  Èrénrmmts  illustres  oit  t'Entre' 
ttrti  dit  Pornos**,  série  d'épisodes  épiques  exempts  de  banalité,  lente,  bien 
timidement,  il  est  vraït  une  sorte  de  du  tiHlet*  Cette  érudition  fine 

et  précise  reste  impartiale.  Nous  n'avons  constaté  qu'une  omission  :  Jean  de 
Schclandre  et  sa  Stuarid*  ne  sont  pas  mentionnés.  De  mr-me,  puisque 
M,  Toinet  poussait  le  scrupule  jusqu'à  indiquer  fréquemment  dans  ses  notes 
des  monographies  et  des  études  diverses»  il  aurait  pu  encore  être  plus  com- 
plet. Tel  qu'il  est,  ce  livre  sera  utile  aux  historiens  de  notre  littérature;  il 
leur  oflre  une  solide  base  de  travail. 

IL  Hailuamk 


M,  F.-T.  Perret 
L.-H,  May,  1899. 


La  Littérature  française  au  XIX3  siècle.  Paris, 


Je  m'en  voudrais  de  ne  point  donner  ans  lecteurs  de  îa  Rrvue  d'histoire  Htté~ 
retire  de  la  France  un  bref  compte  rendu  du  livre  de  M.  Perrens,  pour  deux 
raisons  que  je  sollicite  la  permission  d'ex  poser  en  commençant-  D'abord,  c'est 
là  un  ouvrage  fait  de  main  de  maître,  et  d'un  maître  arrivé  au  sommet,  non  à 
la  lin,  de  sa  carrière;  et  puis  je  rencontre  tel  une  occasion  d'affirmer  publi- 
quement ma  respectueuse  affection  a  ce  haut  et  bon  universitaire,  couvert  de 
titres  et  d'ans  si  remplis  [voir  p.  194,  not.  1],  et  qui  a  bien  vouïu^n  m'adres- 
sant  sa  plus  récente  production,  inscrire  sur  la  paye  de  garde  uu  mot  tou- 
chant de  souvenir  amical. 

Or,  cetie  note  personnelle  est  la  caractéristique  de  l'onivre  que  M.  Perrens 
a  conçue  et  parachevée  à  la  façon  des  narrations  du  bon  Hérodote,  Nous  trou- 
vons avec  plaisir  de  l'histoire  littéraire  vécue,  et  ce  n'est  pas  le  moindre 
mérite  d'un  livre  qui,  venu  après  ceux  des  N  isard,  des  Uruoelîère,  des  Lin- 
tilhac,  des  Lanson,  des  Faguet  et  des  Doumic,  n'ayant  aucune  prétention  à 
l'érudition  allemande,  éclaire  d'anecdotes  souvent  piquantes,  toujours  in  édiles, 
le  caractère  et,  par  suite,  les  œuvres  des  différents  écrivains  de  noire  temps. 

On  ne  s'attend  pas  a  ce  que  j'analyse  celle  v  Histoire  sommaire  »,  digne 
d'être  placée  entre  toutes  les  mai  os,  et  qui  contient  la  période  séculaire  d'où 
nous  ne  sommes  pas  encore  sortis,  —  travail  délicat  entre  tous,  De  l'aube  du 
xjx*  siècle,  avec  les  écoles  de  Voltaire  et  de  Rousseau,  jusqu'aujourd'hui, 
M.  Perrens  nous  informe  sur  les  initiateur*  de  noire  époque,  Umv  de  Staël 
et  Chateaubriand,  nous  montre  la  littérature  du  premier  empire,  anémiée 
et  rachilique,  et  l'élan  libertaire  qui  amena  la  rénovation  romantique*  Nous 
rencontrons,  au  cours  d'un  agréable  voyage,  la  poésie,  y  compris  celle  dei 
symbolistes  et  des  décadents,  l'histoire  et  ses  annexes  les  mémoires,  la  cri- 
tique littéraire  et  scientifique,  la  philosophie,  le  pamphlet  et  le  journalisme, 
le  roman  et  le  théâtre,  L'éloqueace  de  la  chaire  et  de  la  tribune.  En  foule  se 
pressent  sous  une  plume  a  1er  le  les  noms  familiers  :  Hugo,  Lamartine,  Musset, 
Vigny,  et  Fi  m  passible  Leçon  te  de  Lisle,  le  bohème  Richepm,  Duplessis,  Borju, 
Verlaine,  Mallarmé;  —  Aug,  Thierry,  de  Parante,  (luizot,  Mi^net,  Michelet, 
Thiers,  et  Vaulabelle,  d'Awmale,  Fustel  de  Coulanges,  et  même  Monod  et 
Vandal;  —  Ville  ma  in,  Saint-Marc  Girardin,  Planche,  D*  N  isard,  Sainte-Beuve, 
Scherer,  Faguet;  —  Laromiguière,  l'ineffable  Cousin,  et  ses  disciples  Jouffroy, 
Saisset,  Simon,  Levêque,  ainsi  que  Bouillïer  et  Janet,  déjà  disparus  à  l'heure 
où  j'ai  lu  les  lignes  que  leur  consacre  M.  Perrens;  Àug.  Comte,  Renan,  de  la 


m 


R  E  ?tJ  E    U  IU  ST01  RE    LITTKR  A  IRE    DE    LA    KR  A  *  C  K , 


famille  des  Français  graves,  Taïne,  le  mallre,  et  Darntesteter,  ce  digne 
élève;  —  Cormenin,  Lamennais,  Quiuet,  Tocqueville,  Lantrey,  Prévost-Paradoï, 
figure  tragique;  —  Stendhal,  G*  Sand,  Sue,  Saudeau,  Murger,  Feuillet, 
Dumas  père,  Balzac,  Mérimée,  Flaubert,  les  frères  Concourt,  Zofa,  Maupassant, 
À.  Daudet,  À  bout,  Cherbulîez,  Theuriel,  Bourget,  toute  celle  flore  tantôt  ano- 
dine, tantôt  vénéneuse,  épanouissement  fantastique  de  l'esprit  de  notre  géné- 
ration névrosée,  éprise  concurremment  «les  grands  coups  d'épée  et  des  étude* 
sentimentales,  du  panache  et  du  cloaque,  amoureuse  à  la  fois  du  roman 
d'aventures  et  née  au  roman  psychologique,  courant  applaudir  sur  les  scènes 
es  plus  diverses  Augier,  Dumas  fils,  Saxdou,  Pailïeron,  Labiche,  Reeque, 
Brieux,  lier  vieux,  Donnay,  de  liornicr,  Coppéc,  et  Lavedan  l'académicien,  et 
Rostand  qui  pourra  l'être;  suivant  les  conférences  de  Lacordaire,  deRavïgnan, 
tes  cours  de  Caro,  dWulard,  de  Larroumet,  les  lutles  à  la  tribune  d'Odikm 
Barrol,  de  Dufaure,  de  Ledru-Rollin,  de  Michel  de  Bourges,  de  Falloux,  de 
Favre,  de  Ganibetla. 

Comme  M.  Perrens,  j'en  passe  en  cette  longue  énuméralïon,  —  selon  sa 
parole,  non  omnia  ptmumuà  omurs,  — et  j'en  viens  avec  lui  à  cette  conclusion 
optimiste  que  notre  siècle  si  agité  et  si  critiqué  fera  bonne  ligure,  avec  le 
recul  des  ans,  à  côlé  du  svjr  et  duxvu";  que  la  comparaison  ne  lui  sera  certes 
pas  de  tous  poinls  défavorable  et  que  même,  pour  les  sciences  sociales, 
politiques,  économiques,  pour  les  découvertes,  pour  l'industrie,  il  pourra 
revendiquer  une  notoire  supériorité.  Littérairement  d  sern  l'époque  de  la 
critique  documentaire  et  fouillée,  de  la  philosophie  fondée  sur  une  base  autre- 
ment solide  que  celles  du  sentiment,  et  nous,  qui  aurons  vécu  d'une  existence 
plus  pratique,  qui  serons  passés  dans  le  domaine  des  faits  contrôlés  et  réels, 
après  notre  longue  excursion  dans  le  pays  chimérique  de  la  théorie,  de 
l'idéal  et  du  rêve,  —  pour  lequel  nous  gardons  un  coin  de  tendresse,  —  nous 
verrons  finir  le  xu°  siècle  avec  la  sérénité  d'âme  que  procure  la  conscience 
ferme  d'un  progrès  réalisé. 

PlE&RK   BRUW. 


PÉRIODIQUES 


AcAdentj*  —  N°  1421  ;  Ma  n  toux,  La  jeune  France  et  le  vieux  Shakspcare*  — 
NQ*1 1-4  :  G*  Guizot,  Montaigne. 

Allgeairlnr  Zriiuntf.  Beilitge.  —  N*  200-207  :  Fr.  Friedrich,  Cyrano  de  Ber- 
gerac 

L'Amateur  anuto^rnpitrK.  —  15  octobre;  Maurice  Tourneux  et  Anatole 
France,  Etienne  GkaravaUt  —  ¥..  de  \\eUig&,  Correspoitdati'r  inédite  de  j .-F.  buci* 
(suite).  — Georges  Monval,  List*  alphabétique  des  sociétaires  du  Tkéû&rê'FrûnçûU 
(suite).  —  15  novembre  et  15  décembre;  Léonce  de  Bretonne,  Sources  de  la 
aofTêepondanjee  de  Napoléon  f*r.  —  IL  de  Refuge,  Gorr&êponda\  de 

J. -F.  /tacts  (suite).  *—  Georges  Monval,  Liste  alphabétique  des  sociétaires  du 
Théétri-FrançaU  (suite), 

Arrlftiv  fiiriliis  Stiiilîiiiii  ilprnrurrrrn  Sprarlien  iind  Llltrriituren   — CHL, 

nouvelle  série  IIL  1  K  2  :  Rathe  Schiruuieher.  Voltaire  (Caret1  )>  —  Fest,  Der 
mite*  gloriimu  in  det  fraw*  KamÔdie  vtm  Beçinn  der  Hmaistanoe  bù  zu  Molière 
sfel}.  —  Klein,  ùet  Chor  in  dm  wichtigeten  Tragôdien  der  front*  Bsnatoumce 
(Cloetta),  —  Franke,  Fr<im,  Styt&tfik  iTobîer).  —  Quiebe,  Franz,  Aussprtiehe  und 
BpTQekfrrttykeU  (Tobler  l 
Atiienaeuni   —  N°  3744  :  Balzac.  Comédie  humaine,  p.  Saintsbury,  40  vol. 

—  J  tisserand,  Shahpeace  in  Fraure  nnder  fhe  uneimf  régime*  —  N*3749  :  Li 
{irfs  du  'jtmvemernenl  des  rôle.  —  Np  3750  :  Larroumet,  Nourrîtes  études  de 
critique  dramatique.  —  V  3733  :  Karénine,  George  Sand,—  N*  3756  :  Scbrœ- 
der,  L'abbé  Fïéwêt, 

Bulletin  éIii  bibliophile  et  *ln  bibliothécaire.  —  1  >  Octobre;  Fu;rène  Asse, 
Les  petiéi  roiuantitfues  :  Edouaul  d\\n*flcmont  (stiile).  —  Maurice  lleuriet,  Le 
deuxième  centenaire  de  liacine  a  la  Biaiio$hèQue  nationale  (suite).  —  Georges 
Vicaire,  lierue  des  publication*  nûuerihs.  —  15  novembre;  Maurice  Tourneux, 
D'il  fivtitut  tic  Beuchol*  —  Eugène  Àsse,  Les  petits  romantiques  :  Edward  d*Àn- 
glcmont  (suite),  —  Maurice  lîenriet,  Le  deuxième  centenaire  de  Rannc  à  la 
Bibliothèque  nationale  (suite).  —  Georges  Vicaire,,  Rente  de*  publication*  nou- 
*  elles.  —  19  déceuihv;  Georges  Vicaire,  Noie  sur  un  livre  ayant  appartenu  à 
leon  r**.  —  Georges  MonvaL,  Unis  relique  et  un  manusrriL  —  BugèQe  Àsse, 
Les  petits  romantiques  :  Kdouard  d  Anglemont  (suite).  — Georges  Vicaire,  Revue 
des  publications  nain  vit 

Le  t'orrcKpomlniit*  —  25  septembre;  H.  Druon,  Bossuet  à  Meaur*  IL  — 
L«  de  Lanzan  de  Laborie.  Une  correspondance  de  Montaumbatt.  —  Ui  titmeset 
les  hommes,  courrier  mensuel  de  la  littérature*  des  arts  et  du  théâtre*  —  iO  octo- 
bre; IL  Druon,  Bassuet  à  Meaux.  JIL  —  Clarisse  Itadar,  La  statue  du  duc 
dWumafe  a  Chaut  ilh/.  —  Henri  CUautuvoine,  Voltaire*  d^aprfs  un  livre  récent. 

—  35  octobre;  Edmond  Kfé,  Une  correspondante  inédite  de  Paul  FèOûL  —  Lié 
antvres  et  tes  hommes,  courrier  inemuel  de  la  lit tt  rature,  des  arts  et  du  théâtre 

—  25  novembre;  L«  de  Lanzac  de  Laborie,  Les  petits  papiers  d'un  grand  fM) 
(Victor  Hugo).  —  Les  œuvres  et  tes  hommes,  courrier  mensuel  de  la  littérature f 
des  arts  et  du  théâtre,  —  (0  décembre;  Gabriel  Syveton,  Études  de  littérature  ; 


152 


BEVUE    D'HISTOIRE    UTTÉn.tlIlE    DU    LA    FlUtiCE, 


V évolution  de  M.  Anatole  France:  de  arôme  conservatrice  nu  mysticisme  révoht* 

tionnain  . 

Da<*  nenc  Jahrluuulert.  —  N"  3  :  Leopold  Kalscher,  George  Sand. 

ikruts^he  l,itrr:iiur/eitutiff.  —  Kù  29  :  Morf,  (ieseh.  der  neueren  franz.  Lite- 
rutur,  L*—  V  31  :  FflOl,  Dêr  littfél  yloyiosus  m  der  featt^  KùmÙ~du  von  Bcfftm 
der  lUnai&sanei  bk  tu  Kofon  MahrenholU)-  —  Nu  33  :  Bertrand,  L*i  fin  du 
(Engwtr).  —  R*  M  :  Héïièfftie,  tffrft  tff  ttftatftb  (Fûffit),  —  N*  3*  : 
Hendreîcb,  Musset  ci*  Vcrieetcr  des  esprit  gaulait  (Enget).  —  Glacbant,  ftgrfm 
{Tautrtfoû  (Beckerj.  —  N*  42  :  G.  Guiiol,  tfonUtiane  \  \\  iese). 

Deuisciit»  Wiirlionbiatt.  —  XU,  37  :  P.  Bornstein,  Die  franz.  Chanson  im 
XIX  Jahrhaudert, 

flic  im'ik  reu  Spraeheu.  —  VII,  "t  :  K.  Beekmann,  Metenridotjisches  aus 
ThUr%%  Expédition  cTËgypte.  —  VU,  fi  i  P.  Bode,  Fertattarsi  in  Grenoble,  — 
Bobnstcdt,  ynne.ij.  —  Bierbaum  et  Hubert,  Salhr,  Schanzenbacb,  Sleuerwald, 
Hoiuricb.  Sehmidt,  Krun,  Uwtt  scalaires 

Grenzhotrn    —  IAI11,  40  :  KltW  MU  Ftffcft  BUd  WtBH  von  Shi.'t. 

Jonriuit  den  débat»  politique*  et  Utléralrew.  —  14  et  15  septembre; 
Pierre  de  Bonehaud,  Un  ami  du  Ponsard  :  Chartes  Retjnand.—  t8  septembre; 
Emile  Pagne!,  ha  semaine  dramatique.  —  19  septembre;  Edouard  Rod,  Un 
historien  de  ta  Suisse  contemporaine  Alexandre  Gavard).  —  ftl  septembre; 
Augustin  Filon,  W'altrr  SôOtt  [3*  article).  —  2n  septembre;  Emile  Fnguet,  La 
semaine  dramatique,  —  27  septembre;  G.  Maspero,  La  poésie  amoureuse  des 
Égyptiens.  —  29  septembre;  Félix  Heyssié,  Lamennais  avant  (8*30-  —  2  octobre; 
Emile  Faguet,  La  semaine  dramatique,  —  4  octobre;  Arvède  Barine,  George 
Sand  et  la  Hume.  —  6  octobre;  Christian  Schefer,  Paul  Janet.  —  7  octobre; 
Maurice  Spronck,  Ktienne  Charavay.  —  ft  octobre  ;  Emile  Faguet,  La  semaine  dra- 
matique. —  13  octobre;  André  Hallays,  Une  promenade  à  Ma  intenon.  — 
jtï  octobre:  Emile  Faguet,  La  semaine  dramatique.  —  19  octobre;  •  ûkù$i$ 
vues  *  (2f  série,  par  Victor- Hugo).  .—-  22  octobre,  Christian  Schefer,  M.  Derou- 
tède  vt  C Académie. —  23  octobre;  Emile  Faguet,  La  semaine  dramatique.  —  S., 
Hwtmur  et  humoristes.  — *  24  octobre;  Fêïix  Hcyssié,  Lamennais  après  1830*  — 
27  octobre;  Henri  Chantavoine,  A  l'institut  (séance  publique  des  cinq  acadé- 
mies). —  30  octobre;  Émite  Faguet,  La  semaine  dramatique.  —  Le  eentenaire 
de  M  muante!.  —  3t  octobre;  André  Beaunier,  MarmOfUeL  —  Paul  Gautier, 
la  direction  de  ht  librairie  sous  //■  premier  empire*  —  1er  novembre;  Z.,  Un 
manusrrit  d'André  Chénier.  —  H.  B,,  Un  Une  médit  de  M0*  de  Slaët,  — 
6  novembre;  [Emile  Faguet,  La  semaine  dramatique,  —  9  novembre;  Félix 
Ressaie,  Maurice  de  Guérin.  —  Ernest  Seillière,  Sur  les  droits  de  t* histoire.  — 
13  novembre;  Emile  Faguet,  La  semaine  dramatique,  —  15  novembre,  Camille 
Vergniol,  Virù  noir  ipar  M-  Gaston  Volnay).  —  10  novembre;  Henri  Bidou, 
Ctio  (par  M,  Anatole  France).  —  20  novembre;  Emile  Faguet,  La  semaine 
dramatique.  —  S.,  Poètes  et  poésies.  —  23  novembre;  Georges  Micbel,  Léon  Sa  y, 
sa  vie  et  ses  œuvres.  —  24  novembre;  Maurice  Spronck,  Le  dernier  de  M.  Emile 
Zola.  —  25  novembre:  Henri  Chantavoïne,  A  l'Académie  [séance  publique 
annuelle),  —27  novembre;  Emile  Faguet,  La  semaine  dramatique.  —  S.,  Ima- 
tjeries  (par  M.  André  R  ivoire).  —  "29  novembre;  Augustin  Filon,  Daniel  De  foc 
et  le  n  Journal  de  la  peste  ».  —  !"r  décembre;  André  Hallaya,  Le  monument  de 
Louis  Veuiltot.  —  4  décembre;  Emile  Faguet,  La  semaine  dramatique.  —  S., 
Bouuet  (par  M.  Alfred  Rebellïau),  —  6  décembre;  Henry  Bidou,  Le  buste  de 
Heine.  —  il  décembre;  Emile  Faguet,  ht  semaine  dramatique.  —  15  décembre; 
André  Hallays,  Le  tombeau  de  Henri  Heine.  —  17  décembre;  Henry  Bidou,  La 
sincérité  religieuse  de  Chateaubriand.  —  18  décembre;  Emile  Faguet,  Ut  semaine 
dramatique.  —  20  décembre;  Augustin  Filon,  Le  théâtre  espagnol  et  le  théâtre 
anglais,  —  24  décembre;  Y+1  Le  patais  des  poètes.  —  25  décembre;  Emile 
Faguet,  La  semaine  dramatique.  —  30  décembre;  Henri  Chanlavoine,  A  C Aca- 
démie française  (réception  de  M.  Lavedan). 


PClUÔDKHES, 


\  M 


Jouraal  de*  %»v«nl»    —  Mai;  Michel  Bréal,  Volney  orientaliste  et  ht* 
(Un).  —  Juin  et  août;   Lêopold  Uelisk\  Vente  de  m<r*H$eriis  du  comte  d'Ash- 
burnham,  —  Novembre;  H*  Wallon,  Mémoires  de  Saint  ^  "ition  de  Rois- 

Hsïe,  t.  XIV), 

Llterari«ehr«  OntralbUtt    —  N  Vlain  Ctiartier,  Le  Curial,  p.  Heu- 

ckenckamp,  —  Vj  ii  :  Uriebt  Charte*  île  Y î tiers* 

LHerafiirbltttt  fllr  serina  nUe  lie  md  romnnKche  Phîltil«Kle  —  Sù  10  ; 
ArnouhJ,  H'icau  (Danohefaser). —  Champion,  Volt<urr  iMihrenholl*!  —  N  11  : 
Lindquisi,    Le   dèttteppemtnt  des   d  tt  de  fin  /<i 

!■» conjugaison  latine  dans  les  langues  romanes  (Meyer-Liibke).  —  Texte,  Kr 
de  littérature  M0}ftfaUI#|  Schneetfans).  — IttSSef&Qd,  Shakspavv  m  Fit  mu*  sous 
Vaurien  régime  (Schueegans).  —  N*  12  :  Van  Itamel,  fiei  lelterkundige  ieven  Ml 
Frankrijk  (MinckwitaU  —  De  Meaux*  Montalembert  (Mahrenholtei, 

Jtiuellnngen  1114  der  IHslorisehra  I  Iteraiur.  —  XXVI l,  4  :  Sakmann,  f;i>r<r 
ungedruekte  Voltaire  Correspondent  (MahrenhoîU). 

NenpliïlAlogteehe*  Ce  titrai  triait.  —  XIII,  10  :  Wand Schneider,  Spraehge* 
brunch  bei  Alphonse  hatniet  (Puilïppslhall. 

La  nouvelle  Revue  —  i"r  octobre;  E.  Ledrain,  Critique  littéraire.  —  Jules 
C&se,  Critique  dramatique.  —  15  octobre  ( nouvelle  série);  Jules  Case,  Critique 
italique.  —  I*  novembre;  E.  Ledrain,  Trois  femmes  dé  hUm  <i,i,temporaines 
(M*"  Krvsinska;  M»fl  Stanislas  Meunier;  Mmfl  Manoët  de  Grandfortl*  —  Jules 
Case,  Critique  dramatique  —  15  nove  mhre;  Adrien  Bernheim,  La  Comédtê- 
Franraîse,  —  Jules  Case,  Revu*  dramatique.  —  t*'  décembre;  Adrien  Rernheîm, 
ta  Comédie- Française  (lin).  —  Gustave  Reynier,  Les  oriqtnes  de  la  presse  fran* 

M  :  te  «  Merruir  tjalmt  »<  —  à,  H.  N* itou,  t.*  s  rfiffmtl  êi  Siège*,  — 
15  décembre;  A,  de  Mages,  George  Sand  #n  Ritsifa,  —  Jules  Case,  fteriie  «fri- 
fnaii'fue. 

kreti*<ii<ie]ie  Jahrbvielier  **■  Novembre;  0.  Hermnnn,  lo/Min*  ad  Crie  lois- 
vcrouttfer, 

La  tynJnzainc.  —   16  septembre;  L'abbé  L.  Foltioley,  La  jeunesse  de  Louis 
Veuilf't.  racontée  par  son  frère.  —  I*  et  t6  octobre;  Henri  Potes,  Le  romantisme 
fronçais  et  Cm  fluctue  anglaise.  —  10  novembre;  Paul  Souday,  ThMtre  contem- 
porain :  après  Henri  llccgnc.    -  l'r  dérembre;  Gustave  Le  Poiltcviu,  La  lit 
de  ta  presse  depuis  la  tiewtution.  VI.  Consulat  §i  Kmpire, 

Bevac  bleue  fhevue  politique  et  littéraire).  —  23  septembre;  Paul  Sirven, 
Voltaire  ci  Vttalic.  —  Paul  Rnnnelbti,  Gascons  de  jadis  :  Mare  de  Muittiet.  — 
K.  Dufauret,  Les  variantes  allemandes  de  ta  légende  de  llotand.  —  30  septembre; 
Antoine  Guilland*  L'Allemagne  nouvelle  tt  se*  historiens  :  Théodore  Mommsen. — 
Joseph  Pabre,  La  chanson  de  Roland  (suite),  —  Adolphe  Hatzfeld,  Aristophane 
et  Molière.  —  7  octobre;  Charles  Dejob,  Le  solttat  dans  fa  littérature  frant-ame 
au  XVI  II*  siècle.  —  15  octobre;  Léon  Séché,  Alfred  de  Vigny  et  Marie  horvnt.  — 
M  octobre;  Jules  Levallois,  Few  WAlhénaïs  likhelet;  Pauline  Franck; 

Maria  OeraismesL  —  28  octobre;  A.  Meriïlon,  La  pféêté  et  le  droit  commun.  — 
Erne^l  Tissot,  Un  roman  féministe  :  h  Femmes  nomOêUm  -  .  El  Poid  et  Victor 
MaryueriUe.  —  J*  Guillemot,  Les  événements  du  srtV/f,  d*a\u<  \   fin 

(Tannée.  —  Josepli  PiJbrt,  ÏA  okmèom  dé  Itotnnd  (suite).  —  4  novembre;  Joseph 
Fabre,  La  chanson  de  Hohind  (Un).  —  il  novembre;  Albert- Emile  Sorel,  «  La 
jeunesse  pensive  »,  éé  M  AMgmtê  Dorehain,  —  18  novembre:  Zadi^,  Silhouettes 
parisiennes  :  tf.  ffefirjf  Fouquier-  —  Alfred  Rêbelliau,  La  morale  dans  la  prédi- 
ration  de  Bossuet.  —  Paul  Souday»  Théâtres  :  Thédtre-Attt'àne,  s  le  Perc  natu- 
rel «»;  Odéont  *Chèn*W*wr*\  Gymnote^  *  Petit  chagrin  >».  —25  novembre;  Léon 
Séché,  Madame  Al fret l  ds  Vigny*  —  Zadig,  Silhouettes  parisiennes  :  le  rieomte 
Eugène  Melchtor  a*e  Vogiié.  —  Paul  Souday,  ThMtres  :  Ambigu,  a  Cartouche  *; 
Opéra-Comique,  i  Fra-/)fotH>fc  ».  —  %  décembre;  ZadigT  Silhouettes  pari- 
siennes :  M.  Ludovic  Halevy.  —  Gustave  l.&ason»  Les  stances  du  itiariaac  dam 
f  h  École  des  Femmes  »,  —Paul  Souday,  Thêdtres  :  Vaudeville,  «  le  Faubourg  ■ 


m 


REVUE    ï>  HISTOIRE    LITTERAIRE    DU    U    FRANCK» 


Variétés,  m  ^  BW/<'  fféftftiii;  Bouffes,  «  Shakespeare  >»-  —  9  décembre;  Louis 
Delaporte,  If.  Amifote  France.  —  Zadig,  Silhouettes  parisiennes  t  M,  Faut  fkrou- 
léde<  —  15  décembre;  Zadig.  SiïAoueHw /wnsù-u»^  ;  If,  Henn  de  iïornier,  — 
23  décembre;  Léon  Sèche,  tes  amitié*  littéraires  d*  Alfred  de  Yiyny  :  lïdor 
Etape.  —  Zadig,  Silhouettes  parisiennes  :  M.  Paul  Htrrieu.  —  30  décembre; 
Zadi£,  Silhouette*  parisiennes  :  If,  Henri  Lavedan.  —  Paul  Souda  v,  Théâtres  : 
Cotne'die- Françoise^  fannirersaire  de  Racine;  Odéon,  matinées  chimiques* 

M*m  rrUiqnc  dliiatolre  et  ilr  liitérniure.  —  Nu  38  :  Garsou,  Barthélémy 
et  Méry  (H.  Rosières).  —  R°  39  :  Tourneux.  Imlerot  d  Calhrrhie  II  iRosîèresi.  — 
RP  il  :  Souriau,  P&fiûCJ  |A.  Molinier);  JoryT  Spieitèye  de  Vitry  (A.  Cf.  — 
Na  42  :  Spingarn,  La  critique  sous  la  Reunissanc<  [Ch.  Bastide).  — NM3  ;  Gode* 
froy,  Lrt  (eftrç  A/  </»  Complément  du  Diction  nuire  de  l'ancienne  tangue  frunçai$e 
(X.  Delboulle).  —  N°  44  ;  Schrteder,  Vabbé  Prétûêi  (IL  Rosières]  ;  Hitler,  Soles 
sur  Madame  tir  Staël  (A.  C*);  GuilLon,  Sos  t'erienins  militaires,  II  (A.  G.)  ;  Lar- 
roumet,  Soute  tirs  Stades  de  critique  dramatique  dL  Bosières).  —  N°  45  :  Web 
sehinger,  Lu  missiiai  de  Mirab&SU  a  Hertii*  i.A.  C);  J,  Beinach,  tissais  de  poli- 
tique 1 1  d'histoire  (A.  C.).  —  fi*  4d  :  Perroud,  Saphir  tlrantchamp  (A.  C*).  — 
\y  47  :  Enperand,  A*f«  Pitou  (A,  C);  Fagaet,  Fiant,  rt  \i\.  Rosières,).  —  N°49: 
Couland,  ha  pédagogie  es  Haletais  (C,*E.  IL);  Perrons,  L«  liïtérafurc  française 
au  XIX°  siècle  (IL  llusiêres);  Iteuss,  Hmdoai  de  Ç  ha  ha  unes  et  sa  comédie  de  ta 
Tribu  (A.  C);  Corréard,  ta  France  sons  te  Connu  ta  t  \\.  CA  ;  Joret,  Les  Frd" 
à  fa  cour  rff  Wcimar  (A.  C). 

ttnuf  fn<  y<loped!quo .  —  23  septembre  1899;  Camille  Mauelair,  LVrofa- 
tion  littéraire,  ses  tendantes  sociales.  —  30  septembre;  Charles  Maurras,  ïieeue 
littéraire  :  BTftifttfg  tirs  mfÊUTS]  poétêS*  —  14  octobre;  Gustave  Geffroy,  La  eri- 
tique  dramatique  {Humas  fils,  i.-J.  Weisst  Francisque  Surcey t  Critiques  disparus) , 

—  21  octobre;  Btaé&r  Hougicr,  Poètes  du  terroir  provençal.  —  28  octobre; 
Charles  Maurras,  Rente  littéraire.  —  4  novembre;  Tableau?  de  la  ouerre 
d*Oprè&  tûS  icriVûifiS*  —  H  novembre;  Armand  Dauphin,  Le*  origines  de  ta 
renie  :  Aristophane  it  Uoileau  tevuistes.  —  18  novembre;  Gustave  GetTniy,  La 
crttiqtte  dramatique  (critiques  vicants),  —  2  décembre;  Diok  M.i>\  Laurre 
sociologique  de  M.  Tarde,  —Gustave  GelTrov.  lit-rae  dramatique.  —  ï* décembre; 
Adolphe  Tbalasso,  Le  Théâtre  turc  contemporain.  —  Dick  May,  V Œuvre  socio- 
logique de  M.  Tarde  (Fin)*  —  10  décembre;  Mario  Roques,  V histoire  de  ta 
lanque  française.  —  Charles  Maurras,  Revue  littéraire.  —  23  décembre;  Alcidâ 
Bonn  eau,  Thêtttre  populaire  poUerin. 

Imeli  P:iri«.  —  I*»  octobre:  Victor  Hugo,  À  Reims  (1825-1838.  — 
Antoine  Guilland,  Henri  de  Treitsrhke,  —  George  Sand,  Autour  d'un  enfant   II. 

—  15  octobre  et  \fr  novembre:  André  Chéaier,  Œuvres  inédites.  1  et  IL  — 
i«*  novembre;  Georges  Monval,  La  décadence  de  ta  Comédie -Fiançaise  en  IH1* 
*—  15  novembre  et  i*f  décembre;  George  Sand,  Autour  d'un  enfant.  III  et  IV,  — 
15  décembre;  Michel  Brcal,  Les  commencements  du  verbe.  —  Félix  Qocqnam, 
fia  ^tt/te  rcroîutionnairt*. 

Il <M a r  de*  Deux  Mondes.  —  i*r  octobre;  A+  Jeanroy*  La  poésie  provençale 
au  moyen  âge,  IL  La  poésie chet  les  troubadours,  —  15  octobre;  Kenê  Houmic, 
Revtfg  tittrraire  :  Sos  huimmstes.  —  lrr  novembre;  Paul  GauLïer,  Madame  de 
Staël  et  la  République  en  i79S.  —  la  novembre;  Hené  Doumic>  Haut:  drama- 
tique :  La  question  de  ta  Cotné'tieFrdneaisc—  T.  de  Wyzewa,  Revuu  etrnn- 
v  I.-iiikv  de  Citrthe  et  ti  torique  allemande,  —  1rr  décembre;  Ferdinand 
Brunetiére,  Lfi  littérature  européenne  au  MX'  ticcle.  —  15  décembre;  Hené 
Douraic,  Revue  dramatique  :  «  France...  tVahoid  >»T  a  ft iléon:  Le  «  Faubourq  », 
au  Vaudeville;  »  Petit  chagrin  ».  un  ftymnase;  »  ta  tonsdenae  de  l'enfant  »fd  fa 
Comédie- Française.  —  T+  de  Wyzewa,  La  correspondance  de  R.  L.  Sterenson. 

Reine  de»  l'nlveriillé»  frnn^alseK  et  étrangères  —  Octobre-décem- 
bre i8'J9:  J.  Vîaney,  Les  poésies  antiques  de  Ckenier  et  C  épopée  contemporaine, 

—  Ch.  Joret,  A/**  de  Staël  et  la  cour  littéraire  de  Weimar  (ltr  article). 


pÉniomQiTs. 


m 


Lr  Temps  —  14  septembre;  Quelque*  poètes  contemporains  :  Émifr  Vtr- 
hnertn,  — ■  17  septembre;  Gaston  DeschampSt  La  vie  littéraire  :  une  hmmUi 
édition  des  Mémoires  * l'outre- tombé.  —  18  septembre;  Gustave  Larroumet,  Chro- 
nirjttr  théâtrale,  —  21  septembre;  Quelques poètes contemporains  :  Jacquet  JVor- 
mand.  —  23  septembre;  Adolphe  BHsson,  Promenades  et  visitas  :  il  Juif  errant 
â  Viehu.  —  24  s^ptemhie;  Gaston  Dc?champs,  La  vie  littéraire  :  histoire  tCun 
complut.  —  21}  septembre;  Gustave  Larroutnet,  Chronique:  théâtrale.  —  Victor 
Hugo  à  Viunden*  —  29  septembre;  Paul  Souday,  Vue  enquêta  sur  h  feuilleton 
populaire.  —  lPr  octobre;  Gaston  Oescliamps,  La  nid  littéraire  :  Ira  lettres  de 
Mm*  de  Staël.  —  2  octobre;  Gustave  Larroumet,  Chronique  théâtrale,  — 
7  octobre;  Alfred  Mézieres,  Vaut  Jouet,  —  S  octobre;  Gaston  Desehamps,  La 
Uttêrairt  :  ta  fin  d'un  monde*  —  9  octobre;  Gustave  Larroumet,  Chronique 
théâtrale.—  Un  convaincu  (Paul  JanetL  —  11  octobre;  Al  fredMé  t\  ères,  M.  Butf&t. 

—  12  octobre:  Adolphe  Brisson,  Promenade* et  risttes  :  le  ferblantier  de  Boorqê 
Sand.  —  13  octobre;  Fécondité  (par  ÈrniteZoîa). —  ti  octobre;  Adolphe  Bris- 
son, Promenades  et  visite*  :  UêU  <hunmure  et  m  eo'av,  —  t;i  octobre;  Gaston 
Desohamps,  La  vie  littéraire  :  jeune*  conteurs.  —  16  octobre;  Gustave  Lar- 
roumet, Chronique  théâtrale,  —  18  octobre;  Choses  vues  (par  Victor  Hugo). — 
S2  octobre;  Gaston  Deschamps»  La  ne  littéraire  :  contre  ta  dépopulation.  — 
23  octobre;  Gustave  Larroumet,  Chronique  thedtrale.  —  La  France  qui  rime.  — 

-ictobre;  Adolphe  Brisson ,  Promenades  et  tiiefl  i  :  Maurice  Batlinat  péchettr 
de  truites,  —  29  octobre;  Gaston  Deschamps,  La  vie  littéraire  :  lo  il  de  Victor 
Huuo,  —  30  octobre;  Gustave  Larroumel,  Chronique  théâtrale,  —  C.  TM  Un 
hommaqe  à  Marmontet,  —  2  novembre;  Alfred  Mézières,  Fraqments  et  souvenirs 
tt.n  rouit*-  dt  Êtontalivet,  —  3  novembre;  Adolphe  Brisson,  Promenades  et 
visites  :  f  école  de  journalisme.  —  5  novembre;  Gaston  Desebamps,  La  vie  lit  te- 
\U  temps  où  îa  reine  Berthc  filait...  —  6  novembre:  Gustave  Larroumet, 
Chronique  théâtrale.  —  7  novembre:  T.  de  Wyzewa,  Le  nouveau  roman  de 
M.  hudaart  Kiptintj.  —  R,-A.t  Les  manuscrits  de  Victor  lluqo.  —  1!  novembre; 
Adolphe  Brisson,  Promenades  et  vtsitts  :  Vante  nouvelle  de  Paul  Bourqet. — 
12  novembre;  Gaston  Deschamps,  La  vie  littéraire  :  retour  vers  fa  vite  anttqtte. 

—  13  novembre;  Gustave  Larroumet,  Chronique  tfohïtrale.  —  17  novembre; 
Quelques  poètes  contemporains  :  Maurice  Bouchur.  —  18  novembre;  Adolphe 
Brisson,  Promenades  et  visites  :  les  livres  àe  Sateey.  —  19  novembre;  Gaston 
Deschamps,  La  où  littéraire  ;  lr  poète  SMasticu-Charles  Leçon  te.  —  Verlaine  ci 
/*'  comeil municipal.  —  20  novembre;  Gustave  Larroumet,  Chronique  théâtrale. 

—  Pour  la   tangue  français*.  —  2:>  novembre;  T,   de  Wyiewa.   Le  nom 
roman  du  comte  Tolstoï.  —  Henry  Michel,  Académie  française  :  les  prix  de  vertu. 

—  20  novembre;  Gaston  Deschamps,  Lu  rte  trUntuee  ;  ta  Byzantins  et  M.  Paul 
Adam.  —  27  novembre;  Gustave  Larroumet,  Chronique  théâtrale*  —  29  novem- 
bre; TH  de  Wyzewa,  Le  nouveau  roman  du  comte  Tolstoï.  —  \"F  décembre; 
Ernest  Legouvë,  Un  souvenir  de  Ponsard  et  &c  l'Académie.  —  3  décembre; 
Gaston  Deschamps,  La  vie  littéraire  :  ta  fin  du  roman  pèychotogiqu&t  —  4  dé- 
cembre; Gustave  La  rrou  me  t,  Chronique  théâtrale.  8  décembre;  Cinquante 
OUI  fïtituilié  (Quinel  et  MicheJel).  —  10  décembre;  Gaston  Deschamps,  La  rie 
littéraire;  un  conte  de  Boccace.  —  H  décembre;  Gustave  Larroumet,  Chronique 
théiltratc  —  14  décembre;  T.  de  Wyievva,  Un  roman  de  mœurs  socialistes.  — 
lfl  décembre;  Adolphe  Brisson,  Promenades  et  visites  ;  ta  rie  et  le  caractère  de 
Jacques  Offenbaeh*  —  17  décembre;  Gaston  Deschamps,  La  vie  Uttératre  :  Bas- 
suct  6t  )t  Alfred  Rébellion.  —  18  décembre  ;  Gustave  Larroumel,  Chronique 
théâtrale.  -^  22  décembre  ;  Simplifions  ta  grammaire.  —  R.-A.  Les  manusents 
de  Miche  tel  —  23  décembre;  R.*À.,  Les  y  ru  tuh  hommes  au  Panthéon,  Lstmar* 
tinc  et  ses  descendants.  —  24  décembre;  Gaston  Deschamps,  La  vie  littéraire  : 
tournoi  pour  tu  reine  Blanche.  —  25  décembre;  Gustave  Larroumet,  Chronique 
théfUrale.  —  26  décembre;  R.-A.,  Les  gnmtk  homme*  au  Panthémi  :  Edgar 
Quinel.  —   27  décembre;   Adolphe  Brisson,  Promenades  et  visites:  M.  Frank 


156  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Nohain,  poète  amorphe.  —  ti9  décembre  ;  Claude  Bernard  et  le  P.  Didon.  — 
30  décembre  ;  Pour  la  langue  française.  —  Henry  Michel,  Académie  française  : 
réception  de  M.Lavedan.  —  31  décembre;  Gaston  Deschamps,  La  vie  littéraire  : 
«  Résurrection  »  (par  le  comte  Tolstoï). 

Zeitschrfft  fur  fr&nztfslsche  Sprache  und  Litteratur.  —  XXI,  3  :  W.  Horn, 
lur  Lautlehre  der  franz.  Lehn-und  Fremdwôrter  im  Deutschen.  —  G.  Kôrlting, 
Kleine  Beitrâge  zur  franz.  Sprachgeschichte.  —  W.  Wetz  ,  Ueber  Taine  ans 
Anlass  neuerer  Schriften. 

Zeltschrlft  fur  franzosJche  Sprache.  —  XXIII,  4  :  Kôrting,  Formenlehre 
der  franz.  Sprache  (E.  Subak).  —  Li  livres  du  gouvernement  des  rois,  p.  Mole- 
naer.  —  Marchot,  Le  roman  breton  en  France  au  moyen  âge. 


LIVRES    NOUVEAUX 


Aatlebrand  { Philibert).  Soidnts,  portes  tî  tribuns.  Petits  mémoires  du 
xi*44  siècle. Parh,  Calmajin  Lévy*  !n-18  jcsus,  de  323  p. 

HHIri  \i^y  Mliarlis-Kélix  i.  In  portrait  inconnu  dé  Bttfftitf.  Parts,  Picard. 
Sraud  m  n,  de  20  p,  el  portrait  (Extrait  de  CUnircrsttr  cnlholiaue}. 

Hem  ara  i Claude).  Introduction  à  fétude  de  lu  médeûim  expérimentale,  avec 
des  notes  criltquea  par  h  K,-P*  Sektillasges,  dominicain*  Paris,  Poussielf/ue. 
In- 18  jésust  de  147  p. 

Benoit  (Raôttl-Àlbert-Reoé).  Étude  sur  le  ,  littéraire  contêm\ 

dan*  u$  rapport*  uoe*:  ta  nétropathii,  Bord&tw,  tioututuithou.  lir8,  de  63  p+ 

Bernard  «Lucien),  tftBUVr*  dramatique  êê  Ltkai  Tutstoi.  Pari*,  Hrrw  d\irt 
dramatique.  In-16,  oV  24-  p. 

Biiindei  [le  chanoine) i  Le  cardinal  Du  Rwrott,  ofcfa&dçtM  tte  Sens, 
BMndfcfef  <te France  (4$5fM6i8}.  S€JW,  h'fhemin.  In-8,  de  4Q  p.  et  grav.  (Extrait 
du  litiiU'tiu  delà  tôciêté  archéologique  dé  Sens), 

BosHort.  Lrttrts  rvrîsrrs  WT  foi  tit>nntsr.rits  nul  par  le  P«    GrïSELLR, 

S,  i.  Parte,  >-trriictjm  Jn*8,  de  82  p.  {Extrait  il  m»  mthult>f uê 

BourtLilone  Lettre  inédite  Û  François  BotkaH  Ûê  SofOTl,  4u4qU4  <fe  CtefffiûKt 
(5  septembre  1701 1,  publiée  el  annotée  par  le  P.  Henri  Cuérot,  S,  J.  ParU, 
JieftiM.'-.  In  8?  de  7a  p. 

Botirduiouc.  Kh  rftscauw  tnèf/tJ  tic  Bourdaloue,  publie  et  annoté  par  le  P.  E. 
Ghisùllc;,  S,  J,  Lille,  BergH.  Ju-8,  de  il  p.  (Extrait  delà  nVtw  des  sciences 
tia$Hquê$). 

Brrisafl  [<>•)■  L7h>friictf0»i  primiin-  dans  le  Gers  pendant  lu  période  révolu* 
Honnaire.  Aucht  C&hin,  In-tfi,  de  55  p- 

iiàbaii*  s  Docteur)  Botaft  ij/ïwé.  Fora,  Chartes,  ln~4^  de  128  p.  avec  por* 
traits  et  fac-similés. 

Cave*  <:E  l  fîpvrtrafcJ  tnx,nreu  du  bienheureux  François  de  Salesy  CPetqvto  de 
Beneve.  tiré  par  Estienne  Gavei.  ahanoim,  en  4  832,  Nouvellement  réimprimé 
parles  soins  de  Léon  GiiLB*  Moutiêft,  Ihtchz.  In-iti,  de  xxx3£-!83  p. 

l'imiuphm  (Kdiuej.  introduction  aux  Essai*  dé  Maniait/ ne.  Paris,  Armand 
Cofin.  lii-îi>,  de  xi i-3 iti  p 

Chut  en  ah  ri  a  ml.  Mémoire*  cf outre-t&mbê*  Nouvelle  édition  avec  une  introduc- 
tion, des  notes  et  des  appendices  par  Edmond  Dire.  Parte)  Gantier,  In- 18  Jésus, 
T.  !•*  Lv-iê4  p. 

f:ii:tii»:iubriniitt.  Mémoires  d1 outre-tombe*  Edition  abrégée  avec  étude  et 
noU-s  parL.-A.  Mulie*.  tffon*  VUÈe*  ln-8,  de  434  p.  et  portrait. 

l'Iiénier  (André  de).  (Euvres  poétique^  avec  une  notice  et  des  notes  par 
Raoul  Goillabd.  Paris,  Lemerre.  S  vol.  petit  in-12.  T.  1".  xxxii»32:î  p.  el  portrait; 
t.  11,  311  p.       - 

ririiH'ut  (L.).  Di  âdWffni  Tiiniebi,  rcoii  professons,  prafationibits  et  pa-maiis 
[thèse).  /Vms  Picard.  In-8,  de  <;i*  p. 

Callin  (Rogftf).  Jfe  fa  eontrefanm  littéraire  et  mfMqUê  illusei.  Pari*,  I(ùUS- 
seau,  ln-8,  de  340  p. 

Iirtfciilmrili  (E.).  Ilie  Metapher  in  den  Dratntn  Victor  Hugm,  L  Programme 
de  Wiesbaden.  in-4u,  de  35  p. 


I5S 


lUlVU:    1»  HISTOIRE    LITTERAIRE    UE    LA    FRANCE* 


Dr  job  (Charles),  Le  juif  dans  la  romc  lie  au  X  VU  P  km  s  BwfaGAff. 

In-8,  de  t5  p.  (Extrait  de  Rt&flfl  (fc*  études  juires). 

De  lui  mit  flah  hé  Théodore),  ÈùSêuei  et  M.  Hmnetiêre.  Pur  te  t  Sueur-Charruçtj  < 
Ïn-S,  de  fcO  p,  (Extrait  de  fn  BtfOfM  de  Lille). 

Dent»  i Jacques}-  Pareil,  V homme.  Mémoire  inédit.  Caen,  Bclesqncs.  Iu-8,  de 
44  p.  {Extrait  des  M? mt fîtes  de  l'Académie  de  Caen). 

UtMihrr  (Léon),  Les  atmanachs  ptdtevina  OUX  types  de  Larivey,  de  dWrgohj 
et  de  Milan,  Poitiers,  Etait  et  llvtj.  In-8,  de  12  p.  I Extrait  du  Bulletin  de  ta 
iOCiété  de>  aHtitptaircs  de  fUWst  , 

Deweartrfi,  QBItvrff,  publiés  par  Charles  Adam  et  Paul  Tanxery,  sous  les 
auspices  du  ministère  de  l'inslruction  publique.  Correspondance.  T.  III  (jan- 
vier 16*0  juin  1643),  Ptor%  (kff<  In 4,  de  720  p, 

Donnadien  (Frédéric).  La  tie  et  /  de  Philippe  Tomizetj  de  Lar~ 

tt»jne,  discâor*.  BèiitTSi  Saptê.  In-*,  de  kl  p. 

Du  val  (Georges)*  La  vie  vvridique  de  William  Shakespeare.  Paris,  OUendorff. 
IniBjéstis.  de  87?  p.  Prix  :  3  IV 

F» g ii ri  (Emile).  F/au6*f*.  Poils,  Hachette.  In-lfi,de  192  p.  et  portrait.  Prix  : 
2  IV.    I    >  Grands  Kcrivains  français!. 

FënMuii.  Lettre  a  PAeadéfnie  française*  Édition  classique  accompagnée  de 
remarques  et  notes  littéraires,  philologiques  et  historiques  et  précédée  d'une 
introduction  biographique  par  M. -À,  DUBOIS.  Paris,  Iklafain,  ln-12,  de  vn-92  p. 
Prix  :  Û  IV.  80. 

Fenrion.  lettre  à  V Académie,  Édition  publiée  conformément  au  texte  de 
l'édition  de  lTlti,  avec  une  introduction,  des  notes  et  des  appendices  par  Albert 
Cahen,  Paris,  Hachette.  In  IG,  de  xxv-248  p.  Prit  :  1  fr.  50. 

Féntlun  Lettre  à  l'Académie.  Nouvelle  édition  par  Ed.  Decove,  Parti, 
Lr  offre.  ln-18,  de  I3W  p. 

Florins  (J.-P.-C.  de).  Fables.  Illustrées  par  A.  VttUE.  Paris,  hturens.  In-4,  de 
vn-138  p. 

ftuclié  (F.).  La  rhétorique  du  peuple*  ou  la  lettre,  ta  convocation  et  le  dis- 
cours public  à  l'usage  des  cours  d'adultes  et  de  renseignement  primaire. 
Introduction  par  M.  Antoine  HtNOisr,  Atate,  Veffri<  rc.  In- 10,  de  109  p. 

Gratry  (Le  H.  P.).  Pages  choisies,  avec  une  introduction  par  l'abbé  Picbot. 
Pans.  Armand  Odîn.  Iu-i6,  de  xx~3J0  p. 

GrKcitr,  S,  J.  (Le  P.'.  Bourdatom  inédit ,  Un  sermon  pour  une  profession 
religieuse.  Parte*  rwmoutifi.  In-8t  de  23  p.  (Extrait  des  Êtudeé), 

Gi-tariie,  S.  J,  (Le  P.  E.),  Une  récente  biographie  de  saint  FranQôti  de 
Paris,  Sitmr-t'hanuetj,  ln-8,  de  13  p.  i Extrait  de  la  Hcet(c  de  Lille}. 

GuUot  (Guillaume),  Montaigne,  Etudes  et  fragments.  Sam  posthume 
publiée  par  M.  AttL'uste  S^les,  Préface  de  M,  Emile  Fa<;l-et.  Paris,  Hachette. 
In-lfi,  de  su-2711  p.  Prix  t  3  fr.  30. 

Il  é  m  i»  îi  (Félix).  Cours  de  littérature.  XIII  :  Mm*  de  Main  tenon;  Saint  Simon, 
Parts,  fkfagravt*  la- J H  jésus,  de  t3U  p.  Prix  :  \  fr,  50. 

Ilrriitf  ëm  <-le*  (A.).  Conférences  lifta, nr-s.  I1  série  :  le  Pléiade  néoclas- 
sique, précédée  d'une  étude  sur  les  différentes  écoles  littéraires  dm  siècle* 
Paris,  Soctitc  française  d'imprimerie  et  de  librairie,  In-18  Jésus,  de  46  p.  Prix  : 
\  franc. 

Hugo  (Victor).  Œuvres  inédites.  Choses  vues*  Nouvelle  série.  Paris,  Calmann 
Lvi-y,  lu  |g  jf'Mis,  de  340  p.  Prix  ;  3  fr,  o0f 

ln;iiii£iir:ittoii  du  monument  des  de  Mahtre  a  Chamhertj,  te  20  août  (899. 
Élojje  de  Joseph  de  Maistre  par  M^1  Turinaz,  Discours  prononcés  à  la  cérémo- 
nie de  remise  du  monument  à  la  ville  de  Chambéry  par  MM.  le  général  Borson, 
Jules  GhftUters  le  marquis  Costa  de  Beau  regard  et  François  0  esc  os  te  s,  Paris, 
Pcrrin.  In-8,  de  7  p. 

Joly  (Henri),  Les  moraliste*  français  des  X VIP ,  XV IIP  et  Xf\- aieelcs,  extraits 
avec  une  introduction  et  notes.  Paris,  Lecoffre,  In-(8  jésust  de  xn-406  p. 


LIVHES    NOUVEAUX. 


159 


klinger  (L.-Jh  Uehet  die  TraoMdien  Casimir  D'lt>  ianes.  L  Programme  de 
WaMenbutg,  lu-i»,  de  18  p. 

Krnncr  <Krirl).  the  L'iu>jinn$letjew!t\  dm-  tOttsfehun>{  und  Aushreitttn>j  j 

[ru jo   Litcratur.  Dissertation  de  Munster,  lu  8,  dt*  59  p. 

>i:ti-iiirn  (Edmond1.  Cutaloaii*?  dei  hirittKittfïs  de  la  bibliothèque  mua 
de  Grenoble,  Jfdctm,  Vrotnt.  ln-8,  île  xiv*49Q  p.  et  3  planches. 

M:* f si ■•!•  (Joseph  de).  Lettres  inédite*,  avec  notice  rxpliealive  de  M,  Fmn- 
çois  Dkscqste-;.  Parts,  (fe  ,NVyc,  lu  -!i,  de  99  pf  (Ex  Ira  a  du  fWns/^Jn/^rif  .i 

fliirtiii  (Le  l\  Jj.  rVft&fcj  iiitnvot<ts  du  ft  Jean  Martin  (i 674- 1752},  publiées 
sous  le  titre  dé  «  Bouquet  de  cauquos  tlouretos  eueillidt*  su!  Paruasso  biter- 
ii  eti  i  J:i  id  '.l| très  Tunique  exemplaire  connu,  avec  une  notice  bin*biblio- 
graphique  el  des  noies  par  Frédéric  Don  *a  dieu.  &xters,  Sapte,  lu  S,  de  r»k-  p> 

llussllliiii,   t.rtttv  uiMite  puhli  »  irgèa    Ûoîiblet.  Ttattttuse,  Chant  in. 

lu  -.s,  de  7  p.  <  Extrait  du  Bulletin  de  ta  wçL  flogiquê  du  Midi}, 

Molière.  L^ivctftf,  /<-  Misanthntpe,  scènes  choisies  et  présentées  par  Mau- 
rice BûCCBOft.  (Répertoire  des  lecture*  populaires,  ir"  volume,)  Pans,  Hachette. 
in- in,  de  iiu  p. 

Uulière.  />'■  Misanthrope,  comédie.  Édition  publiée  conformément  au  texle 
des  Grands  Écmaîni  de  ta  Krancc,  avec  une  notice*  une  analyse  el  des  notes 
par  H.  Lavkwc.  Pari»)  Uavhtttr.  lu-lti,  de  Iti*  pt  i*rïx  :  i  franc, 

Hoaileillle  (Henri  de).  La  ehirwtjie  dé  maitre  Henri  de  Monderilte,  traduc- 
tion contemporaine  de  fauteur  publiée  par  le  Dr  A.  Bos+  Tome  IL  Paris, 
Firmht  iiid<d.  Ia-8,  de  347  p.  (Sûdèté  des  anciens  lextes  français), 

Montesquieu  et  J.-J.  Rousseau .  L'esprit  des  lois  (!•■  livre),  par  Montes- 
quieu; Contrat  $ôciat  (livres  1  et  II),  par  J.  J,  Rousseau*  Édition  classique 
avec  introduction  et  notes  par  Henri  Jolw  Iiu18,  île  141  p. 

Olivier  (D1' Paul).  A  pfùpoi  tir  f étude  des  voyelles  par  Jtf.  M&têjfê*  Clcrmont 
(Oise)  fiifi.  ln-X}  de  12  p.  (Extrait  de  la  H<rue  international*:  de  rhinoloftic, 
ôtotoQie  ft  taryngotùQiû)* 

tlmoiii  (Henri).  Catalogue  des  éditions  ft  dé  Dena*  Janot,   Hhaire 

parisien  tl829-i$45).  Hogettf dt  ht \trou\  DaupeÂêy-Ocuvêrniur,  lu-*,  de  90  p, 
i  Extrait  des  Vtfmoiroj  &  tu  société  ils  Chtst<nre  Ai  Paru  w  de  llle-dr-France)* 

Pari?*  (Gaston).  La  littérature  normande  tuant  ïanne.ciuh  [9 12*1204),  discours 
à  la  séance  publique  de  la  Société  des  antiquaires  de  Normandie.  PfcHs, 
Bouillon,  ln-8,  de  57  p. 

Perrod  (Mauric  ij    Lt4  fctifaf  el  fa  eoti  dins  jusqu'en   t8ÊQ+  Besatoyn. 

Jacquin,  ln-8,  de  l>0  p. 

tV}s*ottiilé*  avocat  général,  tbdrott  magistrat  et  auteur  dramatiquet  discours 
prononça  le  16  octobre  l£§9  à  l'&oéîeoûa  dé  rentrée  do  la  cour  d'appel  d'Or 
b'sms.  Orlvatis,  impr,  ortéannisr.  In-8t  de  2~  ]*■ 

IN»iieelier  (Maurice).  Lé  thfain*  tin  peuple.  Renaissance  et  destinée  du 
lliêalre  populaire.  Paris,  Ollenior/f.  In-tH  jésu?,  de  xxi-58fc  p.  Prix  :  3  fr.  :.u, 

Pou^ens  (C.  de),  ihiet/ues  lettre*  médites  dt  Charles  de  Powfns,  publiées  par 
L.  i.  Pilissier,  Paru,  Lcvterc  tt  Car nuau>  Ift-%\  de  19  p.  (Extrait  du  Bulletin  da 
bibliophile), 

guinei   (\i,,H   IvliMi  '.  Cinquante  tins  <r amitié.  ÊHehtM'Quinei  (1825-1875). 
Armand  Coiin.  In-ls  jésut,  de  377  p. 

Rminr  Ihitaunkus,  tragédie.  Nouvelle  édition  avec  une  étude  et  un  com- 
mûutaire  par  Joseph  Viam  y.  Parié,  Uwffre.  In-18,  de  177  p, 

Heure  (fabbé).  Le  «  Vùtyùge  a  Sue  *  du  chamelier  de  lllospitiiC  Lyon,  Wal- 
tetirf.  In-8p  de  21  p.  (Extrait  de  la  lier  ta  du  Lyemnc 

Rorliette  (A.).  L'Alexandrin  chei  Victor  Bugo.  Lyon,  Yîtte*  ïn-8,  de  71  p. 
(fixtrail  de  r/  tum-sde  catholique), 

Rosanbo  (marquis  de).  Heminiseenees  iCombourg,  Une  vieille  demeure  de 
Chateaubriand.  Nantes.  Urituautl.  lu-tti,  de  x-75  p,  et  gravures. 

Houmrjoux  (A.  de),  Uosr<  ilon  (P.  de)  et  VlUcuelef  (P.),  Bibliographie  gêné- 


160 


REVCE    U  HISTOIRE    LITTLIUIUE    DE    LA    FRANCE. 


raie  du  Përigord,  T.  III  (P*-Z.)  Pcritiunu.  tmp,  de  la  liordogne.  In-8,  de  fit- 
293  p.»  à  2  col. 

RouKMfau  |J.-J.}.  Voy.    llon(«*sqïiicn. 

Hnu*sHot  (abbé).  La  phonétique  exper mentale  ;  son  objet,  appareils  et  per- 
fectionnements nouveaux.  ClermotU  (Oise),  BaLr.  in- 8,  de  ii  p.  (  Extrait  de  la 
Revue  de  rhinotogie). 

Itou*   (Emile).    Francisque  Sarcey  à  Grenoble.   Grenoble^   Falque  et   /' 
Grand  in-8»  de  11)  p,  avec  grav.  (Extrait  de  la  Revue  dauphinoise). 

Safntc-Bctivr,  Payes  choisies  >  publiées  par  Henri  Bernés.  Parts,  Armand 
Colin,  lu- 18  Jésus»  de  iu-42;i  p.  Prix  :  3  Ir.  50. 

Sauté  Mu).  L'orthographe  française  considérée  surtout  au  point  de  rue  de  la 
meui'jin  de*  poto  et  de  Faction  du  sens  intime  sur  la  prononciation.  Chef  bourg t 
Le  Maour*  ln-8t  de  242  p. 

Srhrhliiti;  0.),  Bossuvts  SttUung  zur  Heformatïonsbenwjung.  Programme  de 
llamhoui^  In  +"T  de  50  p. 

Sclirclter  (A.).  Die  Uehandhmj  dtrAnttke  bei Racine.  Dissertation  de  Leipzig. 
Leipzig^  Fock*  In  8%  de  1 III  p, 

s*\i^iié  (M'""  de),  Hifîf  lettres ,  publiées  avec  une  notice  et  des  noies  par 
Gustave  Lax$o\>  Paris,  Haehette.  In- 10,  de  120  p.  Prix  :  0  fr.  75. 

Si^ij^ni'  i\\tu''  de i.  Lettres  choisies,  avec  un  avertissement  et  des  notes  par 
C.  Poussé  de  Sac  y,  ffepîf,  Butter,  lu  *8,  de  41 G  p.  et  illustrations. 

>iliiik^ii(':iiT.  Z.<*s  sonnets  tle  Shakspcarc^  traduits  en  sonnets  français,  avec 
introduction,  unies  et  bibliographie  par  Fernand  Henry.  Paru,  OUendorff, 
ln-4°t  de  xxxn-180  p, 

Slffger*fturftl':S.}.  L<n  contemporain  iïjarc  au  XV  IIP  <iéete.  Les  projets  de 
l'abbé  de  Saint-Pierre  [J6S8-1743).  Paris,  Rousseau.  Jn-8,  de  2#2  p 

S|i<ieiiM nii  4e  Lovèiijnui  (vicomte  de).  Poésies  de  Théophile  GauMsr  mises 
en  jMtsique.  Parti,  Leden  et  Cornu  i m.  lu-8>  de  23  p.  (Extrait  du  Bulletin  du 
bibliôphti 

filtuHll  (F4mniiT)  Les  annales  da  théâtre  et  dt  la  musique  (21e  année,  1 8***8) . 
Préface  pur  M*  Augustin  Kilon*  Pari*,  Oltendorff,  in-18  jésus,  de  xxxjir-620  p- 
Prix  :  3  ii ■.  50, 

TMMt  (Auguste).  Utteratair  du  lUrnj  (Poésie).  Les  xvr3,  xviret  ma»  siècles 
avec  François  llaberl.  Michel  Baron.  GobrieL  Bouhyn,  Guimond  de  La  Touche. 
Paris,  Laot.  In-St  Je  630  p.  Prix  :  10  fr. 

Il  mu  nu  Beitrage  mfû&chfahtû  and  Charakterislik  des  Refrains  inder  feanz. 
Chanson»  Berlin,  Felber.  10  mark. 

Tohirt   ftayi»ond).  Nûim  pour  urwr  a  Chiêioin  littéraire  du  AT// 
Quelques    rechercher    autour    des    poèmes    héroïques -épiques   français    du 
ivu*  siècle.  Toile,  Crauffon,  In- IC,  de  xxn-318  p. 

Iriser  (0  P  rV*  lieurteiluwj  Corneille^  und  seine  eigenen  dntmatischen 
Thôùrten  und  X>  ueetttnjèn.  Dissertation  de  Leipzig,  Jn-80,  de  73  p. 

Vu  pèlerinage  a  ht  campagne  et  à  iû  û&héêruk  'le  Bosswt  en  (773,  publié 
par  AL  Armand  Caste,  '  a<tt,  Interne*,  in-*,  d*  t>  p.  (Extrait  des  Mémoires  de 
l'Académie  de  Ci*en). 

Vantliiurr  il.    et  Luni»ine  (L+).  Les  grandes  idées  morales  et  /  tnora- 

Jtifeff*  Pa^es  choisies.  La  philosophie  morale  au  xvnr  siècle,  Paris,  Picard  et 
Kaan.  In -lo,  de  1&6  p,  Prix  :  i  h\  50. 

Verlaine  Paul).  Confessions.  Illustrations  de  F.  À.  Cazals,  Paris,  BUdto- 
thèque  artistique  et  littéraire,  lu- ni,  de  269  p. 

V«  ullloi  (Eugène:-.  ï/tuÀS  Veuillot  (1813-I87Ï),  Paris,  ReViux.  In-8,  de  X-5ol  p, 

ci  portrait. 


CHRONIQUE 


—  34.  Louis  Arnould  a  roussi  à  déterminer,  d  après  un  leite  des  manuscrits 
de  CunrarlT  le  véritable  lieu  de  naissance  de  ïiacan  et  n'a  pas  manqué  de  Je 
dire  dans  l'importante  thèse  qu'il  a  consacrée  ace  poète  et  dont  il  a  été  ques- 
tion ici-même,  en  sou  lefflp&  Aussi  les  compatriotes  de  Racan,  dûment 
informés  de  cette  trouvaille,  se  sont  empressés  d'inaugurer  une  plaque  com- 
mémora tive  de  la  venue  au  monde  du  poète  sur  la  façade  de  son  logis  natal, 
te  domaine  de  Chain  pniariii,  commune  d'Àlibigné,  dans  la  Sarthe,  apparte- 
nant actuellement  à  M.  le  marquis  de  Clermont -Tonnerre.  La  cérémonie  a  M 
lieu  le  1er  octobre  18U9,  et  elle  a  été  des  plus  cordiales,  si  Ton  en  juge  par  le 
récit  qui  en  a  été  tracé  dans  une  brochure  consacrée  au  souvenir  de  cet  évé- 
nement local. 

—  Nous  avons  signalé  à  son  heure  (1899,  p.  159)  le  travail  de  M.  Alfred 
Barbier  sur  le  lieu  de  naissance  de  Descartes.  L'auteur  prétend  que,  contraire* 
ment  à  î "opinion  reçue,  le  philosophe  n'est  pas  né  a  La  llayet  mais  bien  sur  la 
grand'route  de  Cltatetlerault  à  La  Haye,  durant  un  voyage  entrepris  par  sa 
mère  pour  aller  faire  ses  couches  eu  famille.  Il  fallait  s'attendre  à  ce  que  cette 
thèse  trop  ingénieuse  fût  combattue.  Elle  Ta  été  par  IL  Louis  de  Ghandmmson 
dans  de  Nouvelk*  rcherches  sur  {origine  et  ta  lieu  demttïsatuc  de  DfiMl 
[Bibliothèque  de  fi  m  ti  r,  l  &W,  p-  423),  AL  de  Graudmaison  fait  remar- 
quer que  J'aflirmation  de  M.  Barbier  s'appuie  seulement  sur  une  tradition  qui 
paraît  de  tr^s  fraîche  date  et  ne  repose  sur  aucun  texte  ancien  et  précis,  tandis 
qu'on  peut  invoquer  eu  faveur  de  la  naissance  a  La  Haye  des  autorités  com- 
pétentes, des  assertions  probantes  et  une  tradition  plus  que  séculaire,  en 
outre  de  la  vraisemblance  qu'il  y  a  à  admettre  sans  conteste  un  fait  aussi 
naturel  et  de  Vin  vraisemblance  dune  mise  au  monde  aussi  anormale  que  celle 
dont  parle  M.  Barbier. 

—  Sous  ce  titre  Une  lettre  ■>  perdue  m  tle  ifottttrtaf,  M.  G.  Monchawp  a  remi» 
au  jour  dans  les  Btdlelim  de  t'Académu  royale  tle  Belgique  1899,  p,  &3$-6ifr), 
une  lettre  adressée  le  13  décembre  !uiî  par  Del  >n  l\  Mn-mm-  et 
insérée  déjà  dans  un  discours  préliminaire  mis  par  L'abbé  Emery,  en  1811 ,  M 

d  un  recueil  de  l'eunees  de  Desearles  bar  ta  rttîgiôm  et  la  MWûk*  Mw  signa- 
lant dans  te  Journal  dei  Wmanti  (novembre,  p,  7S8J  la  publication  de  AL  Mon- 
champ.  \L  Léopold  Delisle  fait  remarquer  que  l'original  de  la  lettre  de  De*- 
cartes  est  actuellement  conservé  dans  les  collections  de  M.  Morrison,  à  Lon- 
dres, et  que  le  texte  en  a  été  publié  dans  la  seconde  série  du  catalogue  de 
cette  collection  (L  M,  18Û0,  pt  t&M06}< 

—  Le  cercle  français  de  l'Université  Harvard  a  eu  la  pensée  de  donner,  pour 
sa  treizième  représentation  annuelle,  le  Pédant  jt>w\  comédie  de  Cyrano  de 
Bergerac,  et  il  a  eu  l'aimable  aileutiun  d'en  adresser  le  programme  à  la  Société 
d'histoire  littéraire  de  la  France,  C'est  une  joie  bien  vive  de  recevoir  ain>i,  a 
travers  l'Océan,  un  pareil  souvenir  imprimé  à  nos  couleurs  nationales  et  qui 
montre  quels  sentiments  ou  garde  pour  notre  littérature  aux  Ltals-Unis, 

HtVt   B'«tJ*T,    LITTÉK,    DE   tA   t'TUXCE  {7*  ÀHO,).-  Vif.  1  I 


162  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    U    FRANCE. 

  cet  envoi  était  joint  un  exemplaire  de  l'édition,  remaniée  pour  la  circon- 
stance, de  la  comédie  do  Cyrano.  Ces  adaptations,  en  trois  actes,  avec  ballets, 
oo t  été  faites  avec  goût  et  discernement  par  M+  le  professeur  Bernard.  l,e 
volume*  très  élégant  d'aspect,  s'ouvre  par  une  alerte  pi éïace  dn  professeur  Fer- 
dinand Bûcher,  survie  d'une  élude  très  bien  informée  et  1res  juste  de  ton  de 
M.  Il-  11.  Slanton,  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Cyrano  de  Bergerac. 

—  M.  Georges  Montât  poursuit,  dans  /  Atruttettr  d'autographes t  la  publication 
de  la  Listv  alphabétique  dt$  socuHuiirs  du  T/iëtHre-Françaisf  avec  le  fac-similé 
de  la  signature  de  chacun  d'eux.  Molière  est  mentionné  sous  le  n°  263  de 
celle  ènuméralion  (i*o  novembre)  et  cinq  signatures  de  lut  y  sont  reproduites 
(19H,  1B50,  16^7,  et  deux  de  1670). 

—  M.  Gustave  Lanson  a  trouvé  l'original  qui  a  donné  l'occasion  à  Molière 
des  stances  du  mariage  dans  VEcoir  d*&  ftpfltitts  (acte  111,  scène  II),  Ce  sont 
des  hexamètres  de  saint  Grégoire  deNaxiauie  intitules  Instruction  a  Qhjmpias, 
et  qu'on  trouvera  dans  les  œuvres  du  Père  de  l'Église,  édition  de  la  Patrologie 
grecque,  t.  III.  col*  IHV2.  Il  est  vrai  qui  les  vers  grecs  avaient  été,  quelque 
temps  auparavant t  fort  maladroitement  traduits  et  très  platement  rendu!  par 
Uesmarets  de  Saint-Sorlîn  dans  ses  Attira  a-nvre*  poétiques  (1040,  îo-4  , 
page  95:  Précepte*  de  mariage  dé  $aint Grégoirt  de  Nazianzv,  envoyée  a  ohjmpïus, 
le  jour  'te  t£$  flûC0it  sttmce*).  C'est  la  évidemment  le  modèle  que  Molière  s'est 
proposé  de  ridiculiser  en  le  parodiant*  On  sait  que  (a  tirade  de  Molière  fut 
l'objet  de  tfaes  attaques  de  Visé,  de  lioursault,  de  Hobinet,  et  d 'autres  peut- 
être.  C'eût  élé  certainement  bien  pis  si  les  contemporains  avaient  soupçonné 
la  vérité  louL  entière  et  connu  la  première  source  des  plaisanteries  de  l'auteur 
comique  (Revue  bleue,  g  décembre  I89ï>j. 

—  Le  musée  de  la  Comédie -Française,  qui  possédait  déjà  la  hourse  de  Cor- 
neille et  la  montre  de  Molière,  vient  de  s'enrichir  du  portefeuille  de  Racine, 
provenant  des  collections  du  château  de  Valeneay.  C'est  un  grand  portefeuille 
de  42  centimètres  sur  32,  en  maroquin  noir  doublé  de  satin  bleu,  avec  recou- 
vrement en  maroquin  rouge,  semé  île  tlcurcttes  d'or,  avec  lïlels  et  fleurs  de 
lys,  à  serrure  d'argent,  à  crémaillère  en  argent,  et  portant  frappés  sur  le  plat 
ces  mois  ;  M.  Racine. 

Presque  eu  même  temps,  les  archives  de  la  Comédie-Française  entraient  en 
pQtteeaion,  par  toit*  d'un  don  de  Louis  Moland,  l'éditeur  bien  connu,  du 
manuscrit  des  Importuna  de  Chalenay7  une  comédie  de  Malézieu,  qui,  repré- 
sentée à  Sceaux  devant  le  duc  et  la  duchesse  du  Maine,  semble  n'avoir  jamais 
été  imprimée.  C'est  une  imitation  des  Fdcheux  de  Molière,  dans  laquelle 
Malézieu  remplissait,  sous  son  propre  nom,  le  rôle  principal. 

—  M,  l'abbé  Urbain  a  consacré,  dans  la  Revue  des  études  historiques  de 
décembre  1 809  (p+  436*400),  une  très  importante  bibliographie  critique  à  Bos- 
sue* et  à  ses  teuvres,  qui  rendra  de  signalés  services  à  tous  ceux  qui  voudront 
se  mettre  au  courant  de  la  littérature  d  un  sujet  aussi  vaste, 

C*est  !e  propre  de  semblables  travaux  qtie  l'avenir  y  ajoute  toujours  quelque 
chose.  Déjà  il  faudrait  joindre  à  la  liste  dressée  par  l'abbé  Urbain  le  récent 
livre  de  M.  Alfred  Bébelliau,  si  nourri  et  si  plein  de  faits  et  d'aperçus  dans  sa 
forme  aouefee.  NOOl  aurons  bientôt  l'occasion  d'y  revenir  eu  détail.  Il  y  fau- 
drait joindre  aussi  Quelques  documents  sur  Bossuet  insérés  par  le  P.  G  fuselle 
dans  la  fie  tue  des  sciences  ecclésiastiques  (octobre  1890).  Ces  documents  sont 
au  nombre  de  trois  ;  une  note  bibliographique  se  rapportant  à  fhïstoire  des 
iaa  de  ['Exposition  dé  lu  foi  catholique \  un  acte  passé  par  Dossuet,  le 
88  novembre  1079,  en  qualité  de  prieur  du  Plessis-Grimoult;  une  note  fournie 
à  Ledieu  par  les  supérieurs  du  séminaire  des  missions  étrangères  sur  leurs 
rapports  avec  BossueL 


dlKOHlQUE. 


103 


—  UÀnutteur  (TiffttQQmphei  citmoncc  (1 Î3  décembre'*,  d'après  le  numéro  du 
8  novembre  de  V Àntiquitâten-Zeitunç,  que  l'on  a  découvert  dans  la  biblto- 
fhéque  royale  de  Turin  le  manuscrit  autographe  d'un  sermon  de  Bossuet.  C'est 
le  panégyrique  de  saint  François  de  Sales,  que  le  roi  Charles- Albert  lil  acquérir 
le  17  mars  1840. 

—  Les  Investigations  de  divers  membres  de  la  Compagnie  de  Jésus  autour 
des  tpuvres  de  Bourdaloue,  leur  illustre  confrère,  continuent  à  donner  des 
résultats  excaitoots, 

Le  1\  Henri  CnÉnor,  poursuivant  ses  recherches  sur  la  correspondance  de 
Kunnlaloue,  vient  de  mettre  la  main  sur  une  nouvelle  Jellre  inédite  de  lui, 
adressée  à  François  Bochart  de  Saron,  évéque  de  Germon l  (5  septembre  l?(K). 
C'est  la  trente  sixi 'me  qui  suit  actuellement  connue,  et  elle  a  l'avanlag"  de 
montrer  Bourdaïoue  sous  un  jour  nouveau,  comme  critique  -1  ■■;  ûquenœ  sacrée. 
L'original  eu  est  conservé  au  Brilish  Muséum,  En  le  mettant  au  jour,  le 
P,  C hé rot  Ta  accompagné,  comme  il  le  fait  d'ordinaire»  d'éclaircissements 
nombreuT  et  précis. 

Le  Ph  Eugène  Gmhhj  s'occupe  plus  volontiers,  lui,  des  discours  inconnus 
de  Bourdaloue.  Il  a  réussi  a  déterminer  qu'un  d<  s  sermons  anonymes  du 
recueil  Phelipeaux,à  la  Bibliothèque  nationale»  devait  être  restitué  I  Botirdà- 
loue.  C'est  un  sermon  pour  une  profession  religieuse,  et  le  texte  en  a  été 
publié  dans  lee  tîudet  du  S  septembre  !HrJ9  Outre  qu'un  peut  y  apprendre,  en 
le  com parant  avec  d'autres  discours  sur  le  même  objet,  comment  Bourdaloue 
savail  rafraîchir  son  inspiration  en  parlant  des  sujets  qu'il  avait  déjà  traités, 
il  semble  qu'on  y  saisisse  mieux  la  verve  naturelle  du  prédicateur  que  dans 
l'édition  officielle  de  ses  sermons  publiée  par  le  P.  Bietonneau. 

—  I  e  Jtftn  tt'ti  des  Débats  du  t;i  octobre  annonce  qu'on  vient  de  retrouver  la 
maison  habitée,  à  Annecy,  par  M"1*  de  VVarens  et  par  J.-J,  Rousseau  pendant 
les  années  de  sa  jeunesse.  Le  passage  derrière  l'habitation  et  le  ruisseau  qui 
la  baigne  ont  été  conserves;  seul  le  pont  en  planches  a  été  remplacé  par  un 
puni  en  fer,  surélevé  d'un  mètre. 

«  lin  croyait  généralement,  d'après  une  légende  qui  avait  pris  naissance  on 
ne  Mit  comment,  que  cette  maison  avait  été  démolie  en  1784  eu  même  temps 
>|ui<  fe  couvent  des  Cordeliers,  sur  l'emplacement  duquel  est  bâti  Tévêché 
actuel.  Dp  l'autre  côté  du  pont  existe  encore  une  partie  des  jardins. 

h  Après  de  très  longues  recherches,  M">B  Carrey,  veuve  de  l'ingénieur  et 
fille  du  doyen  des  journalistes  de  la  llaule-Savoie,  à  qui  revient  tout  l'honneur 
de  la  découverte,  a  retrouvé  des  documents  authentiques  établissant  que  la 
maison  de  Mfc"f  de  Warens  était  bien  restée  debout.  La  Société  florimontane 
d'Annecy,  après  avoir  reçu  la  communication  de  Mmt  Carrey,  en  a  reconnu  le 
bien  fondé.  » 

—  Les  papiers  d'André  et  de  Marie-Joseph  Chénier  possédés  par  un  des 
membres  de  leur  famille,  LiahrieL  de  Chénier,  ont  été  données  à  ta  Biblio- 
thèque nationale  en  1892,  quelque  temps  après  la  mort  de  celui-ci,  pour  y 
être  conservés  et  n'être  communiqués  au  public  que  sept  ans  plus  tard.  Ce 
délai  expirait  donc  en  1899,  et  M  Gaston  Paris,  qui  ne  l'ignorait  pas,  eut  la 
pensée  de  mettre  en  éveil  l'attention  de  M.  À  bel  Lefbanc,  Celui-ci  a  eu  la  pri- 
meur de  ces  papiers  et,  en  attendant  l'êdiiion  complète  qu'il  nous  promet  des 
œuvres  inédites  de  l'exquis  poêle,  il  a  communique  un  important  fragment  en 
prose  Sur  la  pvr fer  lion  des  nrts  à  la  Hevue  de  Paris  (15  octobre  et 
i9'  novembre  1899).  C*e*l  là  une  parité  des  matériaux  recueillis  par  André 
Chénier  pour  un  important  ouvrage  dans  lequel  il  parait  avoir  voulu  rechercher 
le*  muses  et  tes  effets  de  la  perfection  et  ta  décadence  des  lettres,  et  dans  lequel 
aussi,  par  une  ingénieuse  application  des  théories  de  Montesquieu,  il  aurait 
cherché,  semble -t-il,  à  dégager  les  lois  de  révolution  des  genres  littéraires  et 


REVlfK    |i  HISTOIRE    LITTKItAIRR    HE    LA    FR A  ^  i 


artistiques  el  à  marqu  lapes  h  1  r«  leur  développement.  Toute  une  liasse 

des  papiers  d'Anrin'  Cbênrer,  de  970  feuillets,  est  composée  de  pièces  et  d'ou- 
rfagea  inédits  dont  M.  A  bel  l.efranc  a  déjà  fait  l'étude  el  qui  verront  ultérieu- 
rement le  jour  dans  le  volume  qu'il  prépare. 

—  Signalons  encore  deux  articles  sur  André  Chénier  publies  l'un  et  Tautre 
à  trois  mois  d'intervalle  dans  la  Heiw  des  lettres  fmmnls g i  et  Mmnçèrt&, 

Le  premier  en  date  (juillet  1899)  étudie  IShumaimtM  de  Chanter  ci  son 
poème  sur  l'Invention,  et  a  pour  auteur  M.  Ë,  Ziromski.  C'est  un  extrait  d'un 
livre  prochain  dans  lequel  l'œuvre  de  Chénier  sera  examinée  e  m  entier. 

En  attendant,  M.  Zyrornski  s'eiïoree  de  démontrer  que  Chèuier  a  créé  deux 
sortes  d'ouvrages  procédant  de  qualités  divergentes.  Les  uns,  fruit  de  son 
imagination,  sont  la  combinaison  de  ses  souvenir*  littéraires  et  représentent  un 
effort  artificiel  et  factice,  bien  que  délicieux  et  subtil.  Les  autres,  produits  par 
sa  éligibilité,  sont  moins  charmants,  mais  plus  modernes,  plus  personnels 
aussi  et  partant  plus  nécessaires  I  bien  connaîtra*  M-  £yroin-ki  voit  le  point 
de  contact  de  ces  qualités  diverses  dans  le  poème  de  Vbtrcntion  et  c'est  pour 
cela  qu'il  l'analyse  avec  tout  le  soin  qu'exige  une  œuvre  aussi  importante. 

Dans  le  second  article  sur  L?s  poésies  antiques  de  Ghénier  et  F épopée  rontem- 
poraïne  (octobre  1899),  M,  Joseph  Vianet  dit,  en  parlant  de  l'u?uvre  antique  de 
<  h  nier:  «  D* autres  ont  montré  combien  elle  est  artificielle  et  charmante.  Je 
vomirais  faire  voir  que,  sî  factice  qu'elle  soit,  elle  est  Tune  des  sources  princi- 
pales d'où  a  jailli  non  seulement,  ce  qui  est  bien  connu,  la  poésie  des  Leçon  le 
de  Lille  et  des  Kèrédia,  mais  toute  l'épopée  contemporaine,  n  Et  fauteur 
montre  que  cette  partie  de  l'œuvre  de  Ghénier,  à  laquelle  celui-ci  sans  doute 
n  attachait  qu'une  importance  secondaire  el  qui  ne  fut  peut-être  que  des  exer- 
cices prolongés  d'humanisme,  a  contribué  puissamment  h  renouveler  la  concep- 
tion du  genre  épique  tel  que  Jes  contemporains  Vont  compris  et  mis  en  pra- 
tique, dans  des  fragments  indépendants,  morcelés  el  cependant  unis  par  un 
lien  général  et  une  inspiration  analogue;  et  vraisemblablement  ['Hermès  et 
VAmêriqm,  li  le  poète  avait  pu  les  achever,  n'auraient  jamais  produit  sur  Ja 
poésie  contemporaine  une  influence  aussi  profonde  et  considérable  que  les 
morceaux  incomplets  el  plus  rares  échappés  à  celte  inspiration  diligente  et 
laborieuse. 

—  Le  59  octobre  dernier  on  a  inauguré  un  médaillon  de  Marmontel  placé 
sur  la  tombe  de  celui-ci  dans  le  cimetière  de  Saint-Aubin-sur  Gai  lion,  petite 
localité  du  département  de  l'Eure, 

M,  Gaston  Boissier  représentait  l'Académie  française  â  cette  cérémonie.  Il  j 
a  pris  la  parole  et  tracé  un  portrait  très  vivant  el  très  fin  de  celui  qui  fut  son 
prédécesseur  dans  les  fonctions  de  secrétaire  perpétuel  de  la  compagnie. 

—  Les  Lettres  înéditet  de  Joseph  de  Mahtre  publiées  par  M.  François  Descostes 
dans  te  Cùrrt$pondemi  du  25  juillet  sont  adressées  à  la  famille  Huber,  de 
Genève,  et  ont  été  écrites  à  Pétersbourg,  tandis  que  de  Maistre  y  êlait  ambas- 
sadeur de  la  maison  de  Savoie.  Ce  sont  des  pages  affectueuses  et  simples, 
pleines  de  générosité  et  d'abandon,  que  l'éditeur  a  eu  seulement  le  torl  de  ne 
pas  publier  en  entier»  On  y  trouve  aussi  intercalées  deux  lettres  a  Henri  Costa 
et  deux  autres  à  sa  belle-sœur  M"lfl  de  Morand* 

—  Sous  ce  titre  :  Madame  de  Staël  el  ia  République  en  (798,  M,  Paul  Gautier 
publie,  dans  la  Revue  des  ïh\u  Mondes  du  1"  novembre,  un  important  article 
dont  les  éléments  lui  ont  été  fournis  par  un  ouvrage  inédit  de  cette  femme 
illustre  intitulé  :  Dto  circonstance*  netueths  qui  peuvent  terminer  ta  Rérotutiott 
et  des  principes  qui  doivent  fonder  hi  République  en  France*  C'est,  comme  on  le 
voit  par  ce  seul  énoncé,  un  exposé  de  vues  politiques  a  un  moment  particu- 
lièrement délicat  des  destinées  de  la  France,  c'est-à-dire  après  le  coup  d'État 


chbosioue.  165 

du  18  fructidor  et  le*  élections  de  Tan  VI,  alors  que  Bonaparte  était  ea  Egypte* 
Nous  n'avons  pas  à  analyser  ici  ces  vues,  ce  qui  nous  entraînerait  assez  loin 
de  l'objet  de  nos  études.  Il  nous  suffit  de  les  signaler  et  de  remarquer  que  *i 
les  idées  de  M,t]r  de  Staël  sont  parfois  assez  utopirjues,  elles  sont  toujours  libé- 
rales et  généreuses.  Le  commentaire  doui  omp&gaéfti  M,  Paul  Gautier 
les  met  pleinement  en  lumière  et  sert  à  faire  valoir  ce  qu'elles  ont,  à  cette  dit, 
de  personnel  et  de  courageux* 

t—  La  Revue  de  Paris  a  publié  sous  ce  litre  Autour  Sun  infant  (13  septembre, 
tM  octobre*  15  novembre  et  im  décembre) les  lettres  échangées  par  George  Sand 
avec  un  financier  éclaire,  Edouard  Rodrigues,  à  l'occasion  d*un  jeune  enfant 
du  Berrv  auquel  la  grande  roman nère  portait  une  affection  qu'elle  réussit  à 
faire  partager  par  son  correspondant.  Ce  sont  des  lettres  pleines  des  expres- 
sions d*un  intérêt  maternel  et  de  clairvoyance  comme  Ump  Sand  en  témoigna, 
bien  qu'à  uu  degré  moindre,  à  un  certain  nombre  de  ses  protégés,  Mais  on  y 
trouve  aussi  des  renseignements  précieux  sur  l'écrivain  lui-même,  sur  ses 
ouvrages  et  sur  ses  dispositions  intimes  à  certains  moments  de  sa  vie.  Cette 
correspondance,  qui  débute  en  août  18tit,  prend  fin  en  juillet  ISW,  un  peu 
moins  d'un  an  avant  la  m  »rl  de  George  Sand. 

—  Signalons  encore  les  lettres  inédiles  de  George  Sand  insérées  dans  la 
Revue  des  Revues  du  15  octobre  cl  du  1er  novembre  par  M.  George  d'HKYLU. 
Celles-ci  sont  adressées  à  la  fille  même  de  George  Sand,  Mmr  Solange  Kis- 
singer, et  elles  oui  d'autant  plus  d'intérêt  pour  les  lecteurs  que,  par  suite  de 
dissentiments  de  famille,  la  correspondance  imprimée  de  George  Sand  ne  con- 
tient pas  une  des  lettres  de  celle-ci  a  sa  fille.  Il  est  à  regretter  qu<j  l"s  Mires 
qui  ont  servi  à  faire  la  présente  publication  n'aient  été  utilisées  que  par  frag- 
ments et  non  pas  imprimées  en  entier.  C'est  là  un  procédé  vicieux  qui  peut 
donner  plus  de  rapidité  au  récit,  mais  qui  lui  enlève  beaucoup  de  L'autorité 
bien  établie  qu'on  aime  à  trouver  dans  une  publication  documentaire. 

—  Enfin  nous  nous  contenterons  de  mentionner  aujourd'hui  le  début  du  tra- 
vail consacré  par  M*  lï+  Mon  in  à  George  Sund  et  la  Révolution  de  (848,  dont  le 
premier  fragment  a  paru  dans  la  Révolution  française  du  14  novembre  dernier. 
C'est  une  étude  critique  sur  la  conduite  de  George  Sand  de  février  à  juin  1848, 
sur  les  mobiles  de  cette  conduite  et  sur  la  nature  de  ses  idées  à  cette  époque. 

El  nous  y  joindrons  deux  articles  de  M*  Adolphe  lïrisson,  dans  le  Temps  du 
12  el  du  14  octobre,  qui  montrent  combien  le  souvenir  de  George  Sand  demeure 
vivant  dans  son  pays  natal. 

—  A  L'occasion  de  la  publication  de  la  seconde  série  des  Choses  vues  par 
Victor  Hugo,  dans  laquelle  M.  Thiers  est  ju^é  avec  quelque  sévérité,  la  famille 
de  celui-ci  a  communiqué  au  journal  te  temps  (19  octobre)  un  billet  plus  flat- 
teur, écrit  par  Victor  Hugo  à  M*  Thïers,  le  14  décembre  1840,  en  lui  adressant 
un  exemplaire  de  son  poème  sur  la  translation  des  cendres  de  Napoléon  aux 
Invalides. 

—  On  a  inauguré,  le  29  novembre,  un  monument  symbolique  eommémo- 
ratif  à  la  mémoire  de  Louis  Veuillot  dans  la  basilique  du  Sacré-Coeur  de  Mont- 
marte.  Le  buste  de  l'écrivain  est  placé  sur  une  colonne  romane,  entre  deux 
figures  allégoriques  de  la  Religion  et  la  Foi*  Sainl-Pierre  de  Rome  et  Notre- 
Dame  de  Paris  se  dessinent  clans  le  fond  du  bas-relief, 

—  La  Correspondance  inédite  de  PatrfFéval  mise  au  jour  par  SI,  Edmond  Bluk 
dans  te  Correspondant  du  2a  octobre  lui  a  élé  adressée  a  lui-même*  ltien  que 
l'éditeur,  pour  des  raisons  de  convenance  personnelle,  n'ai  pas  cru  devoir 
publier  ces  lettres  intégralement,  elles  sont  néanmoins  intéressantes  et  servent 


166  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE  LA    FRANCE. 

à  mieux  connaître  la  psychologie  du  fécond  romancier,  qui  s'y  abandonne  à 
sa  verve  abondante  et  primesautière.  Ce  sont  des  causeries  sans  prétentions  et 
débridées,  un  peu  lourdes  d'inspiration,  entraînantes  pourtant,  sans  malice, 
malgré  l'exagération  des  mots  et  des  formules. 

—  M.  Eugène  Bodvy  vient  de  dresser  et  de  publier  la  table  de  vingt  années 
(1879-1898)  des  Annales  de  la  Faculté  des  lettres  de  Bordeaux  et  Revue  des  Uni- 
versités du  Midi.  Ce  consciencieux  travail  rendra  plus  accessibles  aux  lecteurs 
les  recherches  dans  un  recueil  qui  contient  d'importants  articles  sur  tous  les 
sujets  de  renseignement  universitaire. 

—  L'université  de  Strasbourg  propose  pour  le  prix  Lamey  des  recherches  sur 
«  la  poésie  anacréonlique  en  Allemagne  au  xviuc  siècle  et  ses  rapports  avec  la 
poésie  lyrique  de  société  en  France  ». 

Le  concours  est  ouvert  à  tout  le  monde,  sans  condition  d'âge  ou  de  natio- 
nalité, et  le  prix  est  de  2400  marks;  il  sera  décerné  le  1er  mai  1901. 

Les  travaux  écrits  en  allemand,  en  français  ou  en  latin  doivent  être  présen- 
tés avant  le  1er  janvier  1901  et  remis  au  secrétaire  de  l'Université.' Ils  doivent 
être  munis  d'une  devise,  inscrite  aussi  sur  une  enveloppe  close,  avec  l'adresse 
et  le  nom  de  l'auteur,  qui  ne  doit  pas  être  autrement  connaissable. 

La  non-observation  de  ces  prescriptions  aurait  pour  conséquence  l'exclusion 
du  concours.  On  ouvrira  seulement  l'enveloppe  de  l'auteur  du  travail  à  qui  le 
prix  est  décerné.  L'université  n'est  pas  obligée  de  rendre  les  ouvrages  non  cou- 
ronnés à  ceux  qui  ne  sont  pas  admis  à  cause  de  vices  de  forme. 


0U ESTIONS    ET    REPOSES. 


m 


QU  ESTIONS 

Epictète    chrétien.  Dans    un   livn-     i    </    <uiicux    dfl    WH1    siècle,  k 

Itenilti   <nipietett\  tnrr  det    refit  viOU  le  la  montlc  de   f Evangile,  par 

AL  Coequelin,  chancelier  de  l'Eglise  et  Université  de  Paris,  docteur  de  la  mai- 
100  et  sociélé  de  Sorbonne  (Paris,  chez  Claude  Barbîn,  M*  DC<  I. XXXVIII,  pet, 
în-8°,  550  p>),  je  trouve  (p.  137)  riudicntiun  suivante  ;  «  Au  reste,  écrit  l'auteur, 
je  ne  dois  pas  mesrne  passer  pour  avoir  voulu  te  premier  Taire  un  livre  chré- 
tien du  manuel  d'Epictète,  on  a  déjà  fait  un  ouvrage  intitulé  YEpictète  chrè- 
tien..,  »  Mais  il  s'abstient  malheureusement  de  nous  dire  le  nom  de  l'auteur  et 
la  date  de  cet  ouvrage,  qu'il  se  défend  bien  d'avoir  tu  pour  composer  le  sien. 
Toutes  mes  recherches  pour  retrouver  ce  livre  ont  été  infructueuses.  Quelqu'un 
le  connaîtrait- il,  et  pourrait-il  compléter  les  indications  un  peu  trop  som 
maires  de  Cocu. u clin  ! 

Vjctoû  Giraub, 

Ben  sera  de  ou  Bensserade?  —  Quelle  est  la  véritable  orthographe  du 
nom  de  ce  poêle?  On  le  trouve  tantôt  écrit  Benscradeel  tantôt  Bensserade.  Il 
n'est  pas  étonnant  que  les  contemporain*  se  Botaot  souvent  trompés  sur  l'or- 
tographe  d'un  nom  aussi  variable  et  qu'ils  aient  adopté  tantôt  une  Tonne  et 
tantôt  l'autre.  Mais  la  où  la  chose  devient  tout  a  Tait  piquante,  c'est  que  Ben- 
serade  lui-même  s'y  est  trompé  fréquemment,  Non  seule  ment  il  signa  Ben* 
%tradst  mais  encore  Bensserade  (lettre  adressée  au  chancelier  Seguier,  Bulletin 
du  Iktuqmnistet  l*ip  aoiVt  1360),  et  même  Bensseradde,  dans  une  quittance  du 
16  février  1030.  À  quoi  faut-il  s'arrêter  après  cela?  et  faut-il  dire,  comme  dans 
l'exemple  fameux  de  la  grammaire!  l'un  et  l'autre  s'écrit  ou  s'écrivent  ? 

Cubiosus. 

Notk  dr  la  ItÉbAcnoN.  —  Il  semble  que  la  dernière  forme  Bensseradde  soit, 
au  contraire,  la  première  eu  date  et  c'est,  en  tout  cas,  celle  que  l.i  famille  du 
poète  avait  adoptée  et  celle  dont  elle  usa  le  plus  longtemps,  Beuserade  lui-même 
l'avait  adoptée  au  déhuT,  comme  le  prouve  la  quittance  de  1036,  citée  ci-dessus, 
mais  il  ne  larda  pas  à  la  modifier  :  il  commença  par  supprimer  de  sa  signature 
le  second  d,  tout  eu  y  laissant  subsister  le  deuxièmes,  et  enfin  il  adopta  et  pra- 
tiqua, depuis  htXi  au  moins,  la  dernière  variante  de  son  titre  :  hOOG  de  Ben- 
fe,  celle  qui  a  prévalu  et  qui  est  ordinairement  suivie  aujourd'hui, 

La  fille  de  Marcelline  Desbord  es  Valmore.  — Ha  beaucoup  été  ques- 
tion, ces  temps  derniers,  et  ici  même,  de  la  femme  qui  fut  un  poète  si  déli- 
cat. Les  biographes  ont  fouillé  sa  vie  et  dit  les  secrets  de  son  intimité. 

On  a  parlé,  a  cette  occasion,  de  sa  fille  Ondine  Valmore,  qui,  en  réalité,  se 
nommait  Hyacinthe,  qui  fil  des  vers  comme  sa  mère  et  mourut  le  IS  fé- 
vrier 1853,  àgèe  seulement  de  trente-deux  ans.  Elle  avait  dû,  dit-on,  épouser 
Sainte-Beuve.  Quelle  valeur  poétique  ont  les  vers  qu'elle  a  composés  *i  Je  n'en 
ai  vu  citer  nulle  part,  que  je  sache,  et  je  ne  serais  pas  fâché  d'en  connaître 
quelques-uns,  s'il  est  possible  d'en  trouver. 


Le  manuscrit  duo  sermon  de  Bossuet.  —  Sait-on  ce  qu'est  devenu  le 
manuscrit  du  sermon  de  Bossuet  pour  fa  Profession  de  MH*  de  La  VaUiéret 
manuscrit  qui  faisait  partie  naguère  de  la  collection  d*Â*  Floquet  ? 

G.  U, 


168  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE   LA    FRANCE. 


RÉPONSE 


La  fille  de  Marcelline  Desbordes-Valmore.  —  Je  suis  en  mesure  de 
fournir  dès  maintenant  quelques  indications  sur  la  question  posée  ci-dessus. 

M.  le  vicomte  de  Spoelberch  de  Lovenjoul,  dont  les  travaux  sur  l'histoire 
littéraire  du  xixe  siècle  sont  bien  connus  et  les  collections  célèbres,  —  ses  car- 
tons renferment  les  papiers  de  Sainte-Beuve,  —  publie  dans  la  Revue  hebdoma- 
daire du  20  janvier  les  lettres  de  Marcelline  Desbordes-Valmore  à  Sainte-Beuve 
(1836-1855),  et  l'une  d'elles  (avril  1840)  contient  précisément  une  invitation  en 
vers  d'Ondine  Val  more  à  Sainte-Beuve.  Le  morceau  est  un  peu  trop  long  pour 
que  nous  puissions  le  reproduire  ici. 

Mais  voici  un  fragment  plus  court  que  je  recueille  dans  le  Journal  des  jeunes 
personnes,  t.  I  (1833),  p.  208.  11  est  intitulé  A  un  père,  et  la  rédaction  du  jour- 
nal Ta  fait  suivre  de  la  note  ci-dessous  :  «  Nous  nous  empressons  d'insérer  ce 
touchant  hommage  adressé  à  un  grand  poète  par  une  enfant  qui  semble  avoir 
appris  des  Pleurs  de  sa  mère  tous  les  secrets  de  l'élégie.  » 

0  Lamartine!  6  toi  que  le  ciel  a  formé 
De  tout  ce  qu'il  avait  de  pur  et  de  suave! 
Se  peut-il!  se  peut-il  !  ton  àme  douce  et  grave 
Est  triste  de  la  vie  et  pour  avoir  aimé! 
C'est  donc  triste  d'aimer?  Quand  la  lyre  divine 
Berçait  l'enfant  joyeux  par  ton  cœur  adoré, 
La  mort  le  regardait;  de  sa  piquante  épine 
Elle  cherchait  le  cœur  de  Parbuste  pleuré- 
Père,  console-loi!  Ta  fille  bien-aimée 
Est  montée  où  la  mort  n'entre  que  désarmée! 
C'est  Dieu  qui  l'a  voulu,  c'est  Dieu  qui  l'aimera  : 
Ainsi  ne  pleure  plus,  père,  il  te  la  rendra. 

Et  le  morceau  est  signé  :  Une  petite  fille  de  onze  ans,  Ondine  F**". 

P.  B. 


Le  Gérant  :  Paul  Bonnefon. 


Coalommiers.  —  ïrap.  P.  BRODARD. 


Revue 

d'Histoire  littéraire 

de  la  France 


LES  PROVINCIALES 
ET  LE  LIVRE  DE  LA  THÉOLOGIE  MORALE  DES  JÉSUITES 


Comment  Pascal  fît-il  les  Provinciales?  Il  n'est  pas  douteux 
qu'il  fut  aide  par  les  jansénistes.  II  a  dit  lui-même  qu'il  a  lu 
Eseobar,  et  qu'on  lui  a  apporté  les  passages  des  autres  casuistes'. 
H.  Gazier  a  publié  une  intéressante  «note  janséniste  OÙ  le  concours 
apporté  à  Pascal  par  Arnauld  et  Nicole  est  affirmé'.  Naïvement, 
MM.  de  Port-Royal  s'imaginèrent  parfois  qu'ils  contribuaient  l'es- 
sentiel dans  cette  Collaboration  :  Nicole  se  laissa  aller  à  appeler 
Pascal  un  ramasseur  de  coquilles*,  Lorsque  le  dissentiment  quî  les 
avait  heurtés  contre  Pascal  vers  la  fin  de  sa  vie  devint  public,  ils 
eurent  l'ingratitude  et  l'imprudence  de  le  traiter  un  peu  légère- 
ment :  k  Sans  consulter  lui-même  les  écrits  dont  il  tirr  les  preuves 
de  ce  qu'il  avance,..,  il  se  contenta  des  mémoires  que  lui  fournis- 
saient quelques-uns  de  ses  amis*  ». 

La  collaboration  de  Pascal  et  de  MM.  de  Port-Royal  pour  les  Pro- 

-i  incontestable.  Mais  tout  ce  qu'un  en  dit  est  vague.  Si 

MM.  de  Port-Royal  eurent  part  au  travail,  quelle  est  leur  part?  S'ils 

donnèrent  les  matériaux,  jusqu'à  quel  point  les  avaient-il  préparés? 

comment  étaient-ils  dégrossis?  le  style  est  de  Pascal,  sans  doute; 

i.  ttecueU  d'Uirtckt*  elté  dans  BainMieuYt,  III.  Uî-143. 

2    tluLde  ta    L  H  de  in  Utt*  franc.,  l.   1VT  p.  594, 

imte-Beuve,  UK  381. 
i+  Utirr  fCtt.'i   théotogiin  à  un  de  «eê  ami*  eut  ie  sujet  de  ta  déclaration  de  M,  le 
curé  de  Saint-Etienne*.*  (15  juillet  1666),  p.  81. 

iUv.  d'hiht.  t*trrin.  Dit  la  PlAttCBi  (T*  Ann.)+~-  V]|É  (2 


170  m:\TL    D'HISTOIRE    LtTTÉJUlIlÇ    DE    LA    FRAHCK, 

mais  la  composition,  mais  l'usage,  rinterprélation,  l'exploitation 
i  I  comme  la  fécondation  des  textes,  cela  est-il  tout  de  Pascal?  où 
bien  MAL  de  PorURoyal  donnèrent-ils  le  canevas  des  lettres  avec  les 
n  talions?  Quelle  fui  enfin  la  besogne  de  celui  qui  fut  le  secrétaire  de 
Port-Royale  Je  n'ai  pas  trouvé  jusqu'ici  de  réponse  précise  à  cette 
question  \ 

Wesl-il  pas  possible  d'aller  un  peu  au  delà  de  la  constatation 
d'une  collaboration  indéterminée?  Je  le  crois,  et  Tai  indiqué  dans 
l'article  Pascal  de  la  Grande  Encyclopédie.  Si  Ton  avait  les  matériaux 
recueillis  par  les  jansénistes,  si  l'on  voyait  comment  ils  pouvaient 
les  arranger  et  présenter,  et  si,  en  face  de  leur  travail,  on  plaçait  la 
rédaction  de  Pascal,  alors  l'originalité  serait  déterminée  avec  une 
précision  rigoureuse.  Or,  précisément,  cela  est  possible,  et  nous 
avons  ces  matériaux,  du  moins  pour  une  partie  des  Provinciales, 
pour  les  Lettres  1V-X.  Quand  Pascal,  en  eflet,  se  rabattit  sur  les 
Jésuites,  ses  amis  lui  mirent  entre  les  mains  un  petit  livre  jadis 
publié  par  euxf  où  toutes  les  accusations  efficaces  et  toutes  les 
citations  topique»  étaient  ramassées.  Les  Jésuites  s'en  aperçurent 
bien  :  des  leur  Première  réponse,  par  la  plume  du  Père  de  Lîn- 
gendes,  ils  firent  savoir  que  toute  la  matière  des  lettres  dirigées 
contre  leur  ordre  était  [irise  à  un  libelle  intitulé  la  Théologie 
morale  des  Jésuites  >  extraite  fidèlement  de  leurs  livres. 

Ce  libelle,  qu'on  a  attribué  à  Àrnauld,  ou  à  M.  Rallier  (avant 
(fuil  fût  de  nos  atnîs,  comme  dira  le  bou  père  de  la  quatrième 
Provinciale)^  avait  paru  eu  ltî43'«  l'ne  seconde  édition  revue  et 
augmentée  fut  donnée  Tannée  suivante  *.  L'attaque  avait  éié 
ignorée  du  grand  public  ;  mais  elle  avait  louebé  au  vif  les 
Jésuites,  Leurs  Pères  Pinlhereau,  Caussin,  Le  Moine  t  Ànnat 
s'employèrent  à  réfuter  les  accusalions  portée»  contre  la  compa- 
gnie". Et  les  jansénistes,  probablement  Arnauld,  avaient  répliqué 


i.  Cf.  Sainte-Beuve,  IR,  73,  US,  lia,  l  »ti,  1*7:  —  lia/.ier.  dans  VULit.de  h  L  et  ée 
ta  tilt,  />%,  i.  IV,  j>.  5^4.  —  V.  Gir&ud,  Patcal,  ,►.  ifc 

3.  BibL  nat,  Inv.  0,  23773  -  la- 13,  s,  1.  n.  é.f  45  |  Le  véritable  .-tuteur  *"si 

ArnauM  t<-f.  l'relace  du  t.  19  dfl  fcnti  (&uvres),  ItaUier  j'ieijL-éLre  lui  donna  l'idêt 
du  ira  va.il  et  lui  fournit  quelques  notes.  On  lit  dans  les  Œuvres  d'ÀrnauId  (L.  £9, 
p.  A4)  a  la  fin  de  la  réimpression  du  tit>etle  :     Compote  tpfèn  le  mois  d'aoûi  u 

3.  Kilit.  nah  Inv,  D,  S6nk  :  P.iris,  MjU+  in-12,  fil  pages.  La  Théologie  murale  de* 
Je  tuile  s  n'occupe  à  vrai  dire  que  les  pages  i  -41»  du  volume.  La  lin  regarde  les 
Jùsuï  tes  d'Angleterre,  Jes  rapport  fl  de  I*  compagnie  avec  les  e  vaques,  et  les  désaveui 
qu'elle  Tait  des  livres  de  ses  membres, 

4,  (PinlhercHU),   lm   fa  t  te»  ignorance*  du  libelle  intitulé  :  La  thédl 
morale  des   Jésuites,  par  l'abbè  de  Boîsîc;  RéponH  ifEtuèèe  nu  thtkdogten  de  rôét 
courte.  —  Caussin,  Héponse  au  tihelle  intitulé  La  lb.  m  or.  des  J.  —  Le  Muine,  Manu 
fertr  fipoloa rff/ue  pour  ta  doctrine  des  religieux  de  fa  compagnie  des  Jésit*.  —  (Annat), 
Le  libelle  intitulé   Th.   tiioi\  des  J*  rontredit  et  eonPOiaCM  *yn  toits  ses  chefs  par  un 

;ien  de  ta  compagnie  de  Jésus,  Toulouse.  Toutes  ees  réponses  sont  de  ttiM. 


LES   PROVINCIALES    ET    LA   THÉOLOGIE    MORALE    DES   JÉSUITES.  171 

en  les  maintenant !.  Aussi  n'est-il  pas  étonnant  que,  douze  ans 
après,  la  mémoire  de  cette  vive  escarmouche  fût  encore  fraîche 
chez  les  Jésuites. 

Par  une  étrange  chance,  l'indication  qu'ils  donnaient  n'a  pas 
été  suivie  sérieusement.  Sainte-Beuve  a  sans  doute  tenu  entre  les 
mains  le  libelle,  et  n'y  a  jeté  qu'un  coup  d'œil*.  L'abbé  Maynard3 
n'en  dit  qu'un  mot,  pour  dériver,  après  le  Père  Nouet4,  le  libelle 
janséniste  d'une  source  protestante,  le  Dénombrement  des  tradi- 
tions romaines  de  Dumoulin;  il  ajoute  pourlant  qu'Arnauld  avait 
fait  des  emprunts  au  Teafro  Jesuitico  attribué  à  l'évèque  de  Malaga 
lldefonse  de  Saint-Thomas.  Mais  personne  à  ma  connaissance  ne 
s'est  appliqué  à  considérer  le  rapport  qui  existe  entre  les  Provin- 
ciales et  le  livret  de  1643-44.  La  raison  en  est  sans  doute  que  la 
conformité  des  titres  a  fait  confondre  souvent  cet  opuscule  avec 
un  gros  ouvrage  plus  facile  à  rencontrer  :  je  veux  parler  de  la 
Théologie  morale  des  Jésuites  et  nouveaux  casuisles  parue  en  1666  et 
mise  alors  à  l'Index,  et  réimprimée  à  Cologne  en  1699  (6  parties 
en  4  vol.  in-8).  Barbier,  dans  son  Dictionnaire  des  ouvrages  ano- 
nymes et  pseudonymes,  fait  la  confusion  qu'ont  bien  évitée  les 
PP.  de  Backer  et  Sommervogel  dans  leur  excellente  Bibliothèque 
de  la  compagnie  de  Jésus 8. 

Je  reproduis  ici,  d'après  l'édition  de  1644  *,  la  partie  du  petit 
livre  de  la  Théologie  morale  qui  contient  la  matière  des  Provinciales. 
Je  signalerai  à  la  rencontre  les  passages  employés  par  Pascal.  On 
verra  ensuite  les  conséquences  qui  découlent  de  la  comparaison 
des  textes. 


{.Lettre  de  Polémarque  à  Eusébe;  Lettre  d'un  théologien  à  Polémarque  (1644).  On 
les  trouve  à  la  tin  de  la  traduction  française  des  Notes  et  éclaircissement*  de  Wen- 
drocke  par  M"*  de  Joncoux  (t.  111,  p.  252-3(>8),  et  dans  les  Œuvres  d'Arnauld,  t.  29, 
p.  95-172.  —  Hallier  répondit  aussi  et  fut  en  polémique  avec  le  P.  Pinthereau. 

2.  Saint-Beuve,  Poi t-Royal,  III,  109. 

3.  Pascal,  sa  vie  et  son  caractère,  t.  I. 

4.  Lettre  écrite  à  une  personne  de  condition,  sur  la  conformité  des  reproches  et 
calomnies  que  les  Jansénistes  publient  contre  les  PP.  de  la  compagnie  de  Jésus  avec 
celles  que  le  ministre  Dumoulin  a  publiées  devant  eux  contre  l'Église  Romaine  dans 
son  livre  des  Traditions  imprimé  à  Genève  en  Vannée  1632. 

5.  La  Préface  du  tome  29  des  Œuvres  d'Arnauld  (Paris  et  Lausanne,  in-4°,  1179) 
met  en  garde  contre  cette  confusion. 

6.  Arsenal,  13819,  H,  t.  17,  Pièce  7.  —  B.  Nat.  Inv.  D.  23774.  —  Arnauld,  Œuvres, 
t.  29,  p.  74,  94.  —En  reproduisant  exactement  le  texte  de  la  Théologie  morale,  je 
modifie  légèrement  la  disposition  typographique.  Le  livret  de  1G44  porte  en  man- 
chettes les  références  aux  passages  des  auteurs  incriminés  :  j'ai  supprimé  les  man- 
chettes, et  placé  les  notes  en  italiques  à  la  fin  de  chaque  passage;  là  où  la  réfé- 
rence ne  visait  pas  tout  l'article,  mais  une  idée  particulière,  j'ai  marqué  par  un 
chilTre  d'appel  le  point  où  la  référence  s'appliquait. 


m 


RKVUEl    li  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRÀtfCli, 


THEOLOGIE  Morale  des  Jésuites  |j  exlraicle  fidellement  [[  de  leurs 
Liures»  Con  ||  tre  la  Morale  dires  ||  tienne  en  général. 

Deuxiesmc  Edition  reteuï  H  \\  aiiy  tuent  t't\ 

A  PARIS 
M.  D,  G,  XXXMUl 

[P.  1.)  Théologie  Morale  ||  des  îésuites  ||  exlraitte  fidellement 
de  leurs  Hures. 

Contre  la  ||  Morale  Curbstïennb  ||  en  général* 

I.  IL  n'y  a  presque  plus  rien  qu'ils  ne  permettent  aux  Chresliens,  en 
réduisant  toutes  choses  en  probabilités,  &  enseignant,  Qu'on  peut  quitter 
la  plus  probable  opinion  que  Ton  croit  vraye,  pour  suiure  la  moins 
probable;  En  soustenant  en  suitte  qu'vne  opinion  est  probable,  aussi* 
lost  que  deux  Docteurs  renseignent,  voire  raesme  un  seul. 

Tous  leurs  Casuistes,  Vasquez,  Valentîa,    Enriquez,  Lessius,  etc. 
Saneliez,  ht  Oecat.  1. 1,  c,  a.  Emman,  Sa,  in  sunmi.i  verk.  dubhtm  K 

II.  Tour  obliger  le  monde  à  suiure  les  nouueautez  principales  qu'ils 
ont  introduites  dans  ta  Morale  Chrestienne,  Ils  enseignent,  Que  nous 
deuons  apprendre  la  reigle  de  nostre  Foy  des  Anciens  Pères  :  mais  que 
pour  celte  des  mœurs,  il  la  faut  tirer  des  Docteurs  nouueaux,  quiestvne 
chose  très  injurieuse  à  tous  les  Pères  de  l'Eglise. 

Valenlîa,  Uc-inaldus  et  Ccllot,  de  HierH  1.  8,  c.  16,  p.  714*. 

(2).  111.  II  n'y  a  presque  personne  qui  ne  puisse  trouuer  des  excuses 
à  ses  crimes,  si  l'on  admet  les  conditions  qu'ils  maintiennent  eslre 
nécessaires,  afin  qu'une  action  soit  mortelle,  ne  voulant  pas  qu'elle  le 
puisse  estre»  ri  rite  ne  procède  d'homme }  oui  poye,  *jui  §çockex  qui  pénètre 
t-equtl  y  a  d§  Ken  et  de  moi  en  elU,  Et  soustenant;  Qu'avant  cette  p r- 
quûilion,  cette  veur  &  cette  réflexion  de  Vesprïi  ieteuê  te$  qualité*  bonnes 
ou  mauunist's  4e  ta  ehùsê  à  laquelle  on  s' occupe ^  Faction  auec  laquelle  un 
hi  fait  ffe$t  pas  volontaire* 

Bauny,  Som.  des  peckez%  p.  906,  éd*  51* 

t.  Pascal,  y  Pw.,  éd,  fougère,  Haonctie  et  C%  ISSfl,  t.  1,  p.  113  et  suiv*  P.  114  ; 
voici  comme  ils  en  partent  tous  généralement,  Sanchez  cité*  P.  H  5  :  Santhea  cité, 
P.  116  :  Emmanuel  Sa,  dans  son  aphorisme  de  dubïo.  P.  117*  références  a  Va*quuz, 

2*  Pascal,  Prov.  5,  l.  ï,  p.  *20  :  Les  Pères  étaient  hans  pour  l<t  morale  de  four  temps, 
mtiis  itx  xonl  trop  éloignés  pour  celte  du  nôtre*  Ce  ne  sont  plus  eur  qui  ta  rèatent* 
ce  sont  les  nouveaux  casuixles.  Ecoutez  notre  P.  Cetlot,  de  Hier.,  I.  VIII,  C,  XVI,  p.  714, 
qui  suit  en  cela  notre  fumeur  P.  Begmalduê. 

3.  Pascal,  Prou.  4,  p+  77-7N,  la  citation  du  P.  Bauny,  On  remarquera  la  phrase 
et  de  ta  cinquième  édition  encore ,  pour  vous  montrer  qu*  cent  un  bûn  in  te,  Dr  la 
5«  éd.  avait  paru  en  1041  i  mais,  depuis,  il  y  en  avait  eu  au  moins  Irais  autres.  Ou 


LES    PROVINCIALES    ET    LA   THÉOLOGIE    MORALE   DES   JÉSUITES.  173 

IV.  Garasse,  dont  leur  Bibliothèque  (composée  par  vn  de  leur  Com- 
pagnie, auec  Approbation  de  leur  General,  et  de  plusieurs  autres  de 
leurs  Théologiens)  parle  auec  de  grands  Eloges,  veut  faire  croire  que  la 
vanité,  la  bonne  opinion  de  soy-mesme,  qui  est  la  peste  la  plus  dan- 
gereuse des  mœurs,  est  vne  recompense  que  Dieu  donne  à  ceux  qui  ne 
méritent  pas  l'estime  et  les  louanges  des  hommes.  C'est  un  effet, 
(dit-il)  de  iustice  commuta liue,  que  tout  trauail  honnesle  soit  récompensé 
ou  de  louange  ou  de  satisfaction.  Quand  les  dons  Esprits  font  un  ouurage 
e.rce  1(3)  lent,  ils  sont  iustement  récompensez*  par  les  applaudisse  mens  et 
par  les  louanges  communes,  etc.  Quand  vn  pauvre  esprit  travaille  beau- 
coup pour  ne  rien  faire  qui  vaille,  il  nest  pas  iuste,  ny  raisonnable  qu'il 
attende  des  louanges  publiques,  car  elles  ne  luij  sont  pas  deuës.  Mais  afin 
que  ses  trauaux  ne  demeurent  pas  sans  récompense,  Dieu  luy  donne  vne 
satisfaction  personnelle  laquelle  personne  ne  luy  peut  enuier  sans  une 
iniustice  plus  que  barbare.  Ce  qu'il  explique  par  vne  comparaison  ridi- 
cule (Page  419..  Tout  ainsi  que  Dieu,  qui  est  iuste,  donne  de  la  satisfaction 
aux  grenouilles  de  leur  chant. 

Garasse,  Somme  théol.,  1.  2,  p.  419  '. 

V.  Ils  ont  tant  de  peur  qu'on  ne  restitue  le  bien  d'autruy,  que  Cellot 
ne  craint  point  d'appeller  le  Liure  d'vn  Casuiste,  qui  auoit  empesché  un 
homme  de  faire  une  restitution  ordonnée  par  son  Confesseur,  et  qu'il 
alloit  accomplir,  vn  Effet  de  la  Prédestination  de  cette  personne,  et  le 
prix  du  sang  de  Iesvs  Ciiiust. 

De  Hier.,  Mb.  8,  c.  16,  p.  717  2. 

VI.  Ils  ont  ruyné,  autant  qu'ils  ont  pu,  l'obligation  que  les  Pécheurs 
ont  de  se  séparer  des  occasions  prochaines  du  péché;  Et  sur  cela 
Bauny  enseigne,  que  ce  n'est  pas  vne  occasion  de  péché  (4)  qu'on  soit 
obligé  de  quitter,  que  d'awtir  une  femme  chez  soy  avec  qui  on  pèche  vne 
ou  deux  fois  le  mois. 

Bauny,  Somme  des  péchez,  c.  1,  der.  édit.,  1 3. 

VII.  Il  enseigne  au  mesme  lieu  que  de  ieunes  gens  qui  se  corrom- 
pent auec  des  femmes,  ne  sont  pas  obligez  de  quitter  leur  conuersation, 

voit  clairement  par  là  que  Pascal  prend  sa  citation  dans  le  libelle.  P.  KO,  81,  82: 
développement  des  deux  premières  lignes  de  l'article  du  livret.  lient  soyez-vous, 
mon  Père,  qui  justifiez  ainsi  tes  yens,  elc.  P.  91,  la  citation  de  P.  Bauny,  qui  continue 
celle  de  la  p.  "S  :  la  partie  citée  par  l'article  de  la  Théologie  morale  se  retrouve  ici. 
On  voit  bien  en  même  temps  comment  Pascal  s'est  reporté  au  livre  pour  compléter 
ici  et  là  les  citations  de  1044  et  en  démêler  la  portée. 

1.  Prov.  9, 1. 1,  p.  274-5  :  Se  pensez-vous  pas  que  la  bonne  opinion  de  soi-même  et  la 
complaisance  qu'on  a  pour  ses  ouvrages  est  un  péché  des  plus  dangereux?  et  ne  serez- 
vous  pas  bien  surpris  si  je  vous  fais  voir...  que  c'est  au  contraire  un  don  de  Dieu?  Suit 
la  citation  où  Pascal  abrège  encore  plus  le  texte  déjà  coupé  par  MM.  de  Port-Royal. 
Mais  Pascal  n'a  eu  garde  d'omettre  la  comparaison  signalée  en  1644  comme  ridicule: 
il  en  fait  le  trait  final,  assez  efficace  de  lui-même  sans  avoir  besoin  d'être  souligné 

2.  Prov.  8,  t.  I,  p.  244.  Pascal  donne  in  extenso  la  pieuse  re flexion  du  P.  Cellot. 

3.  Prov.  10,  t.  1,  p.  319.  le  P.  Bauny  allégué  avec  les  mots  :  une  ou  deux  fois  par 
mois. 


174  REVUE    DfHISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

s'ils  ne  le  peuuent  faire  sans  donner  occasion  au  monde  de  parler,  ou 
sans  en  receuoir  de  V incommodité  l. 

Ibidem. 

VIÏI.  Enfin  le  mesme  Autheur  soustient  généralement,  que  le  précepte 
d'euiter  ce  qui  allèche  V homme  au  vice,  pour  en  estre  l'occasion  quasi  cer- 
taine, ne  nous  oblige  qu'à  ne  rechercher  pas  de  gayeté  de  cœur  ce  qui 
porte  au  péché. 

Ibidem. 

IX.  Suarez  enseigne  qu'un  homme  estant  au  péché  mortel,  peut  faire 
cet  Acte  positif  et  formel  sans  aucun  péché,  mesme  véniel  :  le  ne  veux- 
pas  maintenant  me  conuertir  à  Dieu. 

Suarez,  t.  4,  disp.  15,  sect.  5,  num.  17. 

X.  Ils  ne  trouuent  aucun  péché  à  vne  femme  qui  se  pare  avec  vne 
curiosité  excessiue,  Encore  quelle  ait  connoissance du  mauuais  effet  que 
sa  diligence  à  se  parer  opereroit,  g-  au  corps  #  en  Vdme  de  ceux  qui  la 
contemple roient  ornée  de  riches  et  précieux  habits,  pourueu  quelle  n'ait 
pas  formelle($)ment  intention  de  les  porter  au  mal  :  Mesprisant  ainsi  les 
Oracles  des  deux  Princes  des  Apostres  (Tim.  2,  v.  9,  et  I,  Petr.  3,  v.  3.), 
qui  défendent  si  expressément  aux  femmes  chrestiennes  de  rechercher 
ces  vains  ornemens  -, 

Bauny,  Som.  des  perliez,  p.  1093,  éd.  G.  Sanchez,  en  sa,  Somme, 
t.  2,  1.  l,c.  6. 

XI.  La  pernicieuse  doctrine  des  Iésuites  en  cette  matière,  le  désir 
qu'ils  ont  d'attirer  les  Gens  du  monde  par  vne  dangereuse  complai- 
sance *,  ayant  porté  le  Père  Lambert  (de  leur  Compagnie)  à  prescher  le 
Dimanche  deuant  la  Toussainct  dernière,  dans  leur  Eglise  d'Orléans, 
Que  les  femmes  dans  toutes  leurs  pompes  et  agreemcnt,  ayant  le  sain 
modestement  descouuert,  pouuoient  acquérir  une  cminente  sainteté;  Et 
ayant  rapporté  sur  ce  sujet  ces  paroles  de  Saint  Pierre,  Sic  enim 
aliquando  mulieres  sanctx  ornabant  se  subjectœ  vins  suis,  pour  autho- 
riser  la  vanité  des  ornemens  du  corps,  par  un  Passage  qui  la  condamne 
expressément,  et  qui  ne  parle  que  des  ornemens  de  l'Ame,  Monseigneur 
l'Evesque  d'Orléans  a  été  obligé  de  le  faire  retracter  en  pleine  chaire. 

Xïï.  Ils   enseignent  qu'vne  personne  peut  en  conscience  louer   sa 

1.  Ibid.  :  la  citation  du  P.  Bauny  :  cCy  demeurer  quand  ils  ne  pourraient  les  quitter 
sans  bailler  au  monde  sujet  de  parler,  ou  sans  en  recevoir  de  Vinconnnodité.  Pascal 
s'est  diverti  au  livre  françois  du  P.  Bauny,  et  il  en  garde  l'archaïsme  savoureux  : 
bailler  sujet.  MM.  de  Port-Royal  ne  voient  que  l'idée,  et  substituent  sans  donner 
occasion.  Mais  là-dessus,  cf.  plus  loin,  p.  189.  11  se  peut  que  Pascal  ait  pris  la  cita- 
tion de  le  40*  Prov.  dans  la  Lettre  du  theoloyien.  Dans  la  5*  Prov.  (p.  112),  citant  le 
même  texte,  il  mettait  donner  sujet. 

2.  Prov.  9,  t  1,  p.  283  :  la  citation  de  Bauny,  p.  1094.  Pascal  ôte  la  restriction  finale. 
Renvoi  à  Sanchez.  La  contradiction  de  l'Écriture  est  indiquée  par  Pascal. 

3.  Prov.,  t.  I,  p.  317  :  0  mon  Père,  que  ces  maximes-là  attirent  de  gens  à  vos  con- 
fessionnaux! —  Aussi,  dit-il.  vous  ne  sauriez  croire  combien  il  y  en  vient. 


LES    PROVINCIALES   ET    LA   THÉOLOGIE    MORALE    DES   JÉSUITES.  175 

maison  (6)  pour  en  faire  vn  lieu  de  desbauche,  sans  mesme  auoir  aucune 
raison  qui  luy  puisse  seruir  d'excuse,  etiam  nulla  iusta  causa  excusante. 
Sanchez,  in  DecaL,  1.  I,  c.  7.  Valentia,  q.  2,  disput.  5, 
q.  20,  puncl.  3. 

XIII.  Ce  qu'ils  ont  fait  eux-mesmes  au  Collège  de  Marmoutier,  fait 
bien  voir  iusques  où  dans  leurs  Principes,  ils  peuuent  porter  la  cupidité 
des  hommes,  puisqu'ils  ont  osé,  à  la  face  de  Paris,  changer  une  maison 
de  Religieux,  en  des  Boutiques  mercenaires,  &  en  la  demeure  de  plu- 
sieurs femmes,  et  de  mesnages.  Et  ce  qui  passe  toute  créance,  louer 
la  nef  d'vne  Chappelle  à  vn  menuisier,  pour  en  faire  sa  Boutique  :  8c 
changer  le  Chœur  en  vn  Grenier  à  foin. 

Procez-verbal  fait  par  le  Commissaire  Charles,  à  la  requête 
du  Recteur  de  V  Vniversité. 

XIV.  L'on  sçait,  &  on  le  prouuera  s'il  est  besoin  par  pièces  authen- 
tiques, qu'ils  exercent  marchandise,  8c  qu'ils  ont  fait  des  Contracta  d'asso- 
ciation, au  nom  de  leur  Compagnie,  auec  des  Marchands  de  Dieppe. 

On  a  lr  Con  tract  en  main,  druêmêt  Colla tiôné,  et  signé 
do  deux  Notaires. 

(7)  Contre  les  Commandements  de  Diev 

Et  premièrement  contre  les  deux  Commandemens  généraux,  de  V Amour 
de  Dieu  et  du  Prochain. 

Ils  ont  ruyné  par  diuerses  voyes  le  Commandement  d'aymer  Dieu 
par  dessus  toutes  choses,  qui  est  le  fondement  de  la  Religion  Chres- 
tienne  '. 

De  Hier.,  l.  3,  c.  3,  p.  122  et  p.  107. 

1.  Cellot  enseigne,  Que  la  loy  de  Moyse  donnoit  la  Grdce  aussi  bien  que 
VEuangile,  $  quelle  conduisait  au  Ciel  par  la  crainte,  comme  la  Loy 
Euangelique  par  amour1.  Contre  la  définition  expresse  de  S.  Paul,  qui 
dit  (G  ilat.,  2,  v.  Il)  :  Que  si  la  loy  de  Moyse  auoil  eu  le  pouooir  de  iusti- 
fier  les  hommes,  Iesvs  Christ  serait  mort  en  vain.  Et  contre  la  première 
Notion  du  Christianisme,  qui  nous  asseure  que  les  biens  Eternels  ne  sont 
préparez  qu'à  ceux  qui  aiment  Dieu,  qutv.  pnvparauit  Doits  diligen- 
Hbusse. 

IH.  Ils  ne  peuuent  souffrir  qu'on  enseigne  aux  ^hrejtief.s,  aue«:  Saint 
Paul  et  les  (8)  Pères,  l'obligation  qu'ils  ont  de  rapporter  toutes  leurs] 

i.  Prov.  i0,  t.  I.  p.  32S:  C'est  ainsi  que  nos  Pères  ont  déchargé  tes  hommes  d?  l'obli- 
gation pênih'p  d'aimer  Dieu  actuellement...  P.  331  :  on  viole  le  grand  commandement  gui 
comprend  la  loi  el  les  Prophètes...  on  ruine  ce  que  dit  Saint  Jean.  Les  pages  330-332 
de  Pascal  sont  le  développement  et  commentaire  de  cette  simple  phrase,  et  des  mots 
«  contre  la  doctrine  du  christianisme  •  de  l'article  I. 

2.  Pascal  a  laissé  Cellot,  ayant  trouvé  chez  le  P.  Pinthereau,  réfutateur  de  la  Théo- 
logie morale  (Cf.  plus  loin,  p.  189)  un  passage  plus  fort  sur  la  comparaison  des 
deux  lois. 


l'Ô  REVUE    B  HISTOIRE    MTTKJUINS    DE    LA    fRÀHCE» 

actions  à  Dieu*  Et  ont  mesme  osé  dire,  que  Iesvs  Christ  luit  pu  taire 
des  actions  de  Vertu,  sans  les  rapporter  à  la  gloire  de  son  Père, 

An  t.  Syrmondt  en  son  Liure  de  l*t  dêfmcê  dr  lu  reriuY 
traitté  3,  p.  301. 

111.  lis  diminuent  autant  qu'ils  peuuent  l'obligation  de  ce  grand 
Commandement  ■,  Comme  l'appelle  Iesvs  Christ;  &  ils  ont  passé  jusques 
è  ce  point  d'Impiété,  de  souslenîr  ouuertemenl,  Que  Pacte  intérieur 
d'Amour  de  Dieu,  n'esloit  que  conseillé  et  non  point  commandé  !.   ' 

/lient,  (raillé  ït  p.  0  et  p.  22, 

IV*  Que  Dieu,  en  nous  commandant  de  l'aymer, Nû Miff  obUgeoii  poi 
tant  dr  laijmet\  que  de  nr  l*  point  hayt\  Ce  qu'il  n'y  a  que  les  diables 
qui  puissent  faire,  &  ainsi  à  moins  que  d'auoir  autant  de  malice  qu'eux, 
on  ne  pourrait  violer  le  Commandement  d'armer  Dieu. 

/WrfM  p.  18  et  19  \ 

V*  Qu  on  pouuoil  estre  sauué,  sans  auoir  iamais  aimé  Dieu  en  sa 
rie,  &  qu'il  suffisoit  d'accomplir  ces  (tti)  préceptes,  §<Mtl  mtenHon  "H 
affection  pour  luy*. 

Ihtdemt  p.  18  et  H< 

VI.  Anthoine  Syrmond  a  enseigné  toutes  ces  Erreurs  et  Iinpielez,  qui 
vont  (9)  au  renuersement  de  la  Religion  Chrestienne  *  dans  un  Liure 
approuué  par  quatre  Théologiens  de  son  ordre  :  Se  qunt  on  luy  en  a 
voulu  représenter  l'excez,  par  un  extraict  qu'on  a  fait  voir  de  ces 
mauvaises  propositions,  il  lésa  soustenues  auec  vne  telle  insolent, 
qu'il  a  oaê  nommer  cet  extraict  un  Libelle  diffamatoire,  et  traitter 
d'Impie  celuy  qui  en  estoit  l'Auteur. 

hum  un  petit  Liure  f/uif  o  intitulé  :  Iksponsr  à  vu  Libelle 
diffamatoire. 

Et  dans  ce  Liure,  il  a  eu  la  hardiesse  d'attribuer  sa  mauuaise  doctrine 
à  feu  monsieur  du  Val,  en  cottanl  1  endroit  &  la  page  de  son  Liure, 
quoy  que  cette  opinion  y  soit  condamnée  en  termes  formels  en  ce 
mesme  endroit  d'Erreur  et  d'Impiété. 

i+  Prov.  10,  L  I,  p.  'A21  :  Notre  F,  Antoine  Sirmond**.  dans  son  admirable  Kwi 
de  lé  Déftnte  da  ta  vertu*  ait  il  parle  français  en  Francis  comme  il  ilil  au  lecteur, 

1.  Prûtf-  10,  L  I,  p.  'J'Si  :  te  grand  cemmandtmeni  y  ni  oomprtné  ta  loi  et  les  Pro- 
phète* > 

3,  Prov.  10,  l,  l,  p.  328:  Le  commencement  de  La  cilalion  du  P.  A.  Sitttiondt  ort  il 
«lit  ce  dont  Dieu  se  contenu. 

i.  Fro*.  tu,  t.  I,  328  ;  U  ne  nom  est  pas  tant  commandé  de  Vaimêrt/uc  <ie  ne  le  pas 
hav\ 

5.  Prov.  I0t  t*  L  p-  328   *  la  citation   de  Sirmond  :  sinon  (sans  affection)  nous  ne 

laisserons  pourtant  en   rigueur  d*obèir  au  commandement  en  ayant   tes  irutres.  Ici 

Pascal  feuillette  ce  traité  et  ne  s'arrête  pas  toujours  anx  mêmes  phrases  que  les 

jansi-nistea,  mais  c'est  le  même  passage  :  la  Théologie  morale  renvoie  aux  pages  20» 

t,  IB  eU9,  18  et  21  :  Pascal  aui  p.  12,  13,  14,  etc.,  Itf.  19,  2**28, 

|,  piitv,  10,1,  K  p+  331  :  la  licerue  qu'on  a  prise ..,  se  porte  jusqu'au  renversement 
entier  de  loi  de  Dieu. 


LES   PROVINCIALES   ET    LA   THÉOLOGIE   MORALE    DES   JÉSUITES.  177 

VIL  Ils  enseignent  contre  le  précepte  d'aymer  son  Prochain,  Qu'il  n'y 
a  point  de  péché  mortel  d' auoir  une  aliénation  telle  et  si  violente  contre 
quelqu'un,  que  pour  quoy  que  ce  fût,  on  ne  veuille  lui/  pardonner  quand 
il  recognoit  auoir  failli/  $  se  met  à  la  raison. 

Bauny,  Somme  des  péchez,  p.  124  et  135  de  l'édit.  5. 

VIII.  Bauny  dit  que  l'Enuie  n'est  pas  vn  péché  mortel,  quand  elle  est 
conceuë  pour  le  bien  temporel  du  Prochain,  &  la  (10)  raison  qu'il  en 
apporte  est  tres-dangereuse,  &  va  aussi  bien  à  excuser  le  Larcin  que 
l'Enuie  :  Car,  dit-il,  le  bien  qui  se  trouue  es  choses  temporelles  est  si 
mince,  et  de  si  peu  de  conséquence  pour  le  Ciel,  qu'il  est  de  nulle  consi- 
dération deuant  Dieu  et  ses  Saints.  Et  cependant  c'est  pour  ce  bien 
temporel,  de  nulle  considération,  qu'il  permet  le  Macquerelage,  propter 
temporalem  commo  dilate  m  l,  et  qu'il  souffre  que  des  personnes  demeu- 
rent dans  les  occasions  prochaines  de  péché  lorsqu'ils  n'en  peuuent 
sortir  sans  en  receuoir  de  l'incommodité. 

Bauny,  Som.  des  Péchez,  p.  123,  éd.  5. 

IX.  Garasse  a  ruyné  l'obligation  que  les  Maistres  ont  d'instruire  leurs 
serviteurs  dans  la  crainte  de  Dieu,  à  peine  de  respondre  de  leurs  péchez, 
s'ils  arrivent  par  leur  négligence,  par  défaut  d'instruction.  Car  il 
enseigne,  Que  iamais  la  faute  du  valet  ne  fut  iustement  imputée  au 
mnistre;  #  qu'il  n'est  pas  à  un  seruiteur  comme  d'vn  fils  de  famille, 
#  d'un  disciple.  Parce  que  les  fautes  des  Enfans  sont  auec  quelque  iustice 
reiettees  sur  les  espaules  de  leurs  Parens,  g  les  Précepteurs  sont  auec 
quoique  apparence  responsables  des  fautes  que  (11)  commettent  leurs  Dis- 
ciples, pour  le  moins  quand  ce  sont  Pédagogues  domestiques,  d'autant 
qu'il  g  a  ie  ne  sçag  quelle  obligation  mutuelle  entre  Père  $  fils,  Précep- 
teur jj-  disciple  pour  le  fait  de  l'éducation.  Mais  entre  valet  et  Maistre* 
il  n'y  en  peut  auoir  autre  que  de  iustice  :  tant  seruy,  tant  payé;  au 
partir  de  là,  nulle  relation  naturelle. 

Garasse,  Somme  TheoL,  1.  2,  p.  375. 

X.  Ils  iugent  ces  iniures  qu'on  fait  au  Prochain  selon  les  règles  de 
la  vanité  du  monde,  &  non  point  selon  les  règles  de  l'Euangile  :  Le 
mesme  Garasse  disant,  Que  lorsqu'vn  gentilhomme  donne  un  soufflet  à  un 
Villageois,  c'est  un  pèche  de  cholère  qui  n'entre  pas  en  considération.  De 
Villageois  à  Villageois,  c'est  vne  offense  ridicule,  dont  on  ne  fait  point 
d'estal.  Mais  si  vn  Villageois,  ou  vn  homme  de  néant,  auoit  la  hardiesse  de 
donner  vn  soufflet  à  vn  gentilhomme,  l'offense  ne  se  peut  reparer  que  par 
la  mort  du  criminel 2. 

Garasse,  Somme  Theol.,  1.  2,  p.  294. 

1.  Prov.  9,  t.  I,  p.  215.  La  citation  du  P.  Bauny,  c.  7,  p.  123  des  5*  et  6#  éditions. 
Pascal  reprend  la  jolie  distinction  du  bien  spirituel  et  du  temporel,  et  laissa  la 
chose  deshonnéte  qui  ne  se  peut  nommer  sans  grossièreté  ! 

2.  Pascal  a  trouvé  mieux  dans  Escobar,  Azor,  et  Lessius  :  Prov.  1,  p.  493-194.  Il  a 
donc,  laissé  Garasse. 


178  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 


Contre  le  Dêcalogue. 

I.  Vasques  dit,  qu'on  peut  adorer  non  seulement  les  Images,  mais 
aussi  toutes  les  créatures  mesmes  inanimées,  comme  representans  Dieu. 

Vasquez,  lib.  3,  de  Ador.,  dîsput.  I,  c.  2. 

(12)  II.  Les  prophanations  du  service  Diuin,  ne  sont  en  leur  estime 
que  des  offenses  légères,  et  Bauny  citant  faussement  Gaietan  est  d'opi- 
nion, Que  Ton  peut  sans  péché  mortel  y  chanter  des  chansons  mon- 
daines, pouruue  qu'elles  ne  contiennent  que  de  la  vanité. 

Bauny,  Som.  dp*  Péchez,  p.  6,  édit.  5. 

III.  Us  autorisent  autant  qu'ils  peuuent  les  simonies  palliées,  &  Ema- 
nuel  Sa  soustient,  qu'on  peut  sans  simonie  permuter  un  Bénéfice  de 
peu  de  reuenu  contre  vn  plus  grand,  en  suppléant  la  plus-valeur  en 
argent  pour  les  égaller. 

Emman.  Sa,  Verbo  simonianum. 

IV.  Touchant  le  second  Commandement  Bauny  prétend,  Que  prendre 
Dieu  à  tesmoin  d'vn  mensonge  léger,  n'est  vne  irreuerence  pour  laquelle 
il  veuille  et  puisse  damner  vn  homme. 

Bauny,  Som.  des  Péchez,  p.  845,  édit.  5. 

V.  Ils  veulent  que  ces  paroles  de  iuremens  et  blasphèmes  ordinaires, 
Mort ,' Teste,  Ventre,  etc.,  pourueu  qu'elles  ne  soient  prononcées  que  par 
cholere,  §  non  par  indignation  enuers  Dieu,  ne  sont  pas  des  blasphèmes; 
parce  quil  est  vray  que  Dieu  s'estant  fait  homme,  il  a  comme  homme  ces 
parties",  éç  qu  ainsi  ce  nest  quvn  péché  véniel,  quand  il  est  sans  pariure 
$  sans  scandale  :  comme  (13)  s'il  se  pouuoit  faire  que  ces  paroles  d'im  - 
piété  ne  fussent  pas  scandaleuses  '. 

Bauny,  Som,  des  Péchez,  p.  95,  édit.  5. 
Layman,  lib.  2,  tr.  10,  c.  6.  Bauny,  ib.,  p.  101,  édit.  5. 

V.  Pour  le  Commandement  d'honorer  son  Père  &  sa  Mère,  sans  parler 
maintenant  des  Pères  spirituels,  Bauny  excuse  généralement  de  péché 
mortel  les  Enfans  qui  prennent  le  bien  de  leurs  Pères  et  Mères,  &  il  se 
fonde  sur  vne  raison  très  pernicieuse;  D'autant,  dit-il,  que  les  Parens 
ne  sont  cernez  vouloir  obliger  leurs  Enfans  h  n  entreprendre  sur  le  leur 
sous  cette  peine,  y  ayant  de  F  apparence  quils  aymeroient  mieux  voir  tout 
leur  bien  fondu  entre  leurs  mains,  que  leursdits  Enfans  en  disgrâce  auec 
Dieu.  Comme  si  ce  sentiment  ne  deuoit  pas  estre  commun  à  tous  les 
Chrestiens,  ou  comme  si  ce  n'estoit  pas  un  pèche  d'outrager  les  gens 

1.  Pascal,  qui  vient  du  monde,  sait  bien  qu'on  ne  s'y  scandaliserait  pas  de  voir 
que  les  Jésuites  ne  damnent  point  les  gens  pour  dire  Morbleu,  Téteôleu  et  Venlrebleu. 
Aussi  ne  relève- t-il  pas  ce  grief. 


LES    PROVINCIALES    ET    LA   THEOLOGIE  MORALE    DES   JÉSUITES.  17<> 

de  bien,  sous  prétexte  qu'ils  font  profession  de  pardonner  les  iniures 
qu'on  leur  fait. 

Bauny,  Som.  des  Péchez,  p.  205. 

VIL  C'est  une  chose  horrible *  que  ce  qu'ils  ont  enseigné  depuis  peu 
d'années  publiquement  dans  leurs  Escholes  contre  le  sixiesme  Com- 
mandement de  ne  point  tuer;  sçavoir,  Qu'on  peut  tuer  pourueu  que  ce 
soit  en  cachette  &  sans  scandale,  ceux  qui  médisent  de  nous,  si  (14)  Ton 
ne  peut  autrement  arrester  la  médisance,  quand  mesme  la  chose  dont 
on  nous  accuseroit  seroit  vraye,  pourueu  qu'elle  fust  cachée.  Et  ils 
rapportent  pour  raison  de  ceste  abominable  doctrine,  une  maxime 
générale  la  plus  pernicieuse,  &  la  plus  contraire  à  l'Euangile  qui  se 
puisse  imaginer,  sçauoir,  Que  le  droit  naturel  que  nous  auons  //  nous 
défendre  s es  tend  généralement  à  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  se  prc~ 
seruer  de  toute  iniure. 

Le  P.  Héraut  dans  ses  escriis  que  Von  a,  et  dont  on  a  dressé 
Procez  verbal  par  deuât  vn  Commissaire2. 

VIII.  Et  le  mesme  Professeur  en  Théologie  Morale,  a  dit  dans  les 
mesmes  Escrits,  qu'vne  fille  qui  auroit  été  forcée,  peut  procurer  la  perte 
de  son  fruit  auant  qu'il  soit  animé. 

IX.  Sous  prétexte  du  faux  honneur,  ils  authorisent  l'usage  abominable 
des  Du^ls3,  lorsqu'on  est  appelle,  &  ne  trouuent  point  de  péché  mortel, 
de  se  mettre  en  estât  de  tuer  ceux  qui  nous  ont  fait  venir  au  combat, 
&  mesme  de  les  tuer  efîectiuement. 

Hurtado  de  Mendosa,  in  q.  2,  t.  2,  disp.  170,  sect.  18,  S  100 4. 

X.  Quant  au  septiesme  Précepte  qui  regarde  la  chasteté,  ils  ont 
enseigné  à  la  Flèche,  que  le  péché  qu'on  commet  auec  vne  •femme 
mariée,  lorsque  son  (14)  mary  y  consent,  n'est  point  adultère. 

On  en  produira  les  écrits  si  besoin  est. 

XL  Bauny  ne  recognoist  pour  stupre  que  celuy  qui  se  commet  par 
force  et  par  violence,  et  prétend  que  ce  n'est  qu'vne  simple  Fornication 
de  corrompre  vne  Fille5  quand  elle  y  consent,  quelques  prières  cl  persua- 
sions qui  soient  interuenuës  de  la  part  de  l'homme,  quoy  que  les  Juris- 
consultes, mesmes  Payens6,  ayent  égalé  à  la  force  les  persuasions 

1.  Pvov.  7,  p.  195  :  Cela  me  parut  si  horrible  (la  doctrine  sur  l'homicide). 

2.  Prov.  7,  p.  195  :  Le  P.  Héreau,  dans  ses  écrits  de  V Homicide,  p.  193.  Le  passage  du 
P.  Héreau  que  la  Théologie  morale  avait  cité,  es!  signalé  comme  suivant  mot  à  mot 
Lessins,  dont  Pascal  donne  le  texte. 

3.  Prov.  7,  p.  188  :  Montrez-moi...  qu'il  soil  permis  de  se  battre  en  duel. 

4.  Prov.  7,  p.  187  :  Notre  grand  Hurtado  de  Mendoza...  Et  Pascal  donne  le  passage, 
rapporté  dans  Diana. 

5.  Pascal  omet  tous  ces  cas  scabreux,  et  se  contente  d'une  allusion.  Cf.  Prov.  8» 
p.  23S,  et  9,  p.  281.  Il  va  où  on  le  renvoie,  au  P.  Bauny,  et  de  la  p.  143  qu'indiquait 
la  référence  du  livret,  il  court  à  la  p.  148,  où  il  saisit  un  passage  qu'on  peut  citer. 

6.  Pascal  {Prov.  7,  p.  282)  aux  jurisconsultes  païens  substitue  les  poètes  païens, 
et  compare  Catulle  et  le  P.  Bauny. 


180  REVCE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA   FRANCE. 

importunes  violentes  Se  que  mesme  en  un  sens,  le  dernier  soit  un  plus 
grand  crime  que  l'autre,  par  ce  qu'en  l'vn  on  ne  corrompt  que  le  corps, 
&  en  l'autre  on  corrompt  le  corps  Se  l'esprit. 

Bauny,  Sorti,  des  Péchez,  p.  143. 

XII.  Le  mesme  Auteur  veut  qu'en  ce  cas  de  persuasion  Se  de  prières, 
on  ne  soit  point  obligé  de  doter  vne  fille  qu'on  auroit  corrompue. 

Ibidem. 

XIII.  Us  permettent  aux  Valets  Se  aux  Seruantes,  de  seruir  d'instru- 
mens  aux  desbauches  de  leurs  Maistres  &  Maistresses;  Bauny  soustient 
qu'vn  Valet  ou  vne  Semante,  peuuent  porter  des  poulets,  donner  des 
assignations,  &  entretenir  tout  le  reste  de  ces  mauvaises  pratiques, 
pourueu  qu'en  cela,  il[s]  ne  re  (16)  gardent  que  leur  commodité  tempo- 
relle, modo  id  fiât  pmpter  temporalem  commoditatem  l. 

Sanchez,  in  Sum.,  lib.  I,  c.  7.  Ema.  Sa,  Verbo  peccalïï,  num.  9. 
Azor,  t.  2, 1 .  22.  c.  ul t.  Bauny,  Som.  des  Péchez,  ch .  dern. ,  édition  1 . 

XIV.  Contre  le  septiesme  Commandement,  Bauny  excuse  de  l'obliga- 
tion de  restituer,  ceux  qui  par  ignorance  de  fait  ou  de  droit,  auroiêt  pris 
le  bien  d'autruy,  encore  que  par  après  on  leur  fasse  reconnoistre  l'in- 

iustice  de  leurs  acquisitions. 

Bauny,  Som.  des  Péchez,  p.  238  *. 

XV.  Dans  toutes  les  palliations  qu'ils  ont  trouuees  pour  authoriser 
l*Vsure,  il  n'y  a  plus  maintenant  que  les  simples  qui  en  puissent  faire 
scrupule;  Se  Bauny  donne  des  inuentions  pour  pouvoir  sans  blesser  sa 
conscience,  donner  son  argent  à  interest,  Se  le  prendre,  non  seulement 
au  dernier  des  rentes  constituées,  mais  tel  que  la  discrétion  et  la  pru- 
dence de  celuy  qui  preste  iugera  à  propos  :  Et  il  a  pris  la  peine  d'en 
dresser  le  Contract,  Se  mesme  les  compliments  qu'on  se  doit  faire  l'vn 
à  l'autre  dans  ces  rencontres3. 

Bauny,  Som.  des  Péchez,  p.  331  et  suivantes,  éd.  5. 

XVI.  Le  mesme  Bauny  enseigne  :  Que  les  Valets  qui  se  plaignent  de 
leurs  gages,  les  peuuent  d'eux  mesmes  croistre,  en  se  garnissons  les  mains 
d'autant  de  bien*  appar(il)  tenant  à  leurs  Maistres,  comme  il  s'imaginent 
en  estre  nécessaire  pour  égal  1er  lesdits  gages  à  leurs  peines. 

Som.  des  Péchez,  p.  213,  édit.  5*. 

i.  Prov.  6.  t.  1,  p.  16t.  La  citation  de  la  Somme  des  Péchés,  -  en  la  pape  HO  de  la 
première  impression  •.  Pascal  a  noté  avec  soin  l'indication  de  l'édition,  sachant 
que  le  P.  Pinthereau  avait  accusé  Arnauld  d'avoir  forgé  le  passage,  par  ce  que  le 
P.  Bauny  n'avait  pas  osé  le  reproduire  en  sa  hardiesse  dans  son  livre  français. 

2.  Pascal  a  trouvé  mieux  dans  Escobar  (Prov.  8,  p.  231-236)  et  dans  Lessius  (p.  235). 

3.  Prov.  8,  p.  225-28.  Pascal,  averti  de  la  peine  qu'avait  prise  le  père  Bauny,  n'a 
eu  garde  de  négliger  ce  contrat  et  ces  compliments  :  mais,  au  lieu  de  qualifier, 
il  cite. 

4.  Prov.  6,  p.  162.  Pascal  a  allongé  la  citation.  C'est  le  passage  de  Jean  d'Alba.  Ici 
Pascal  a  pris  la  6*  édition. 


LES   PROVINCIALES    ET    LA  THÉOLOGIE    MORALE   DES   JÉSUITES.  481 

XVII.  Le  mesme  Auteur  veut  qu'on  ne  soit  pas  obligé,  sous  peine  de 
péché  mortel,  à  rendre  ce  qu'on  a  pris  par  quantité  de  petits  larcins, 
quelque  grande  que  puisse  estre  la  somme  totale. 

Bauny,  Som.  des  Péchez,  p.  220. 

XVIII.  Il  n'oblige  pas  aussi  à  restitution  des  dommages,  Celuxj  qui  aura 
prié  vn  soldat  de  frapper,  battre  son  voisin,  ou  de  bruster  sa  grange,  &c. 
pour  ce,  dit-il,  qu'il  n'a  pas  violé  la  Justice  en  priant  vn  autre  d'une 
faueur,  qui  demeurait  tousjours  libre  à  l'accorder  ou  la  nier,  nen  ne  l'obli- 
geant  de  le  faire  que  la  bonté,  douceur  ou  facilité  de  son  Esprit l,  attribuant 
ainsi  les  crimes  qui  se  font  par  la  persuasion  d'autruy,  à  la  bonté,  dou- 
ceur, &  faculté  de  l'esprit  de  celuy  qui  les  commet  :  &  trouuant  que 
c'est  une  grande  douceur,  de  frapper  &  battre  le  monde,  et  brusler  des 
Granges  2. 

Bauny,  Som.  des  Péchez,  p.  307. 

XIX.  Contre  le  huitiesme  Commandement,  Ils  authorisent  le  men- 
songe par  la  doctrine  des  Equivoques  &  des  restrictions  Mentales  qu'ils 
ont  introduites  \  et  qu'ils  pratiquent  parfaitte(18)ment  bien  en  toutes 
rencontres,  tesmoin  le  desaveu  des  Liures  d'Angleterre,  dont  depuis  il 
se  sont  reconnus  publiquement  pour  Aulheurs. 

XX.  Bauny  excuse  la  mesdisance  de  péché  mortel,  quand  la  personne 
dont  on  mesdit  est  de  soy  vile,  ou  ne  s'en  soucie  que  peu  ou  point,  &  ce 
d'autant  qu'elle  tient  à  honneur  ce  de  quoy  ou  la  blasme.  Ainsi,  dit-il, 
ce  n'est  péché  de  dire  d'un  gentilhomme  (sans  distinguer  si  ce  qu'on  dit 
est  vray  ou  faux)  Qu'il  est  haut  à  la  main;  qu'il  a  fait  vn  Duel;  quvn 
soldat  entretient  chrz  soy  vne  Gare**  ;  quil  est  allier, glorieux, caioleur,  Sec. , 
pour  ce  que  telles  gens  font  trophée  de  ces  choses. 

Bauny,  Sont,  des  Péchez,  p.  361. 

Doctrine  des  Iésuites  touchant  les  Sacremens 

Du  tiaptême  (p.  18-19,  articles  i-iii). 

De  la  Confirmation  (p.  20-21,  art.  iv-x). 

De  l'Eucharistie. 

XI.  Cellot  fait  le  Diacre,  Ministre  ordinaire  pour  distribuer  le  Corps 
de  Iesvs  Cdrist,  contre  le  Canon  20  du  Concile  de  Nicee,  selon  la  version 
deRuffm;  le  Canon  38  du  quatriesme  Concile  de  Carthage;  le  Canon  15 
du  deuxiesme  Concile  d'Arles;  le  Canon  23  du  Synode  In  Trullo;  le 

i.  Prov.  8, 1. 1,  p.  232-233,  Pascal  cite  le  brûleur  de  grange,  et  il  juge  que  le  passage 
mérite  d'être  donné  in  extenso. 

2.  Ici  Arnauld,  ou  l'auteur  quel  qu'il  soit,  a  esquissé  un  mouvement  personnel. 
Pascal  ne  Ta  pas  perdu  :  Je  fus  sur  le  point  d'éclater  de  rire  delà  bonté  et  douceur 
d'esprit  <Cun  brûleur  de  grange  (p.  233). 

3.  Prov.  9.  t.  1,  p.  278-289.  Une  chose  des  plus  embarrassantes...  est  d'éviter  le  men- 
songe... C'est  à  quoi  sert  admirablement  notre  doctrine  des  équivoques...  Cela  est  nou- 
veau :  c'est  la  doctrine  des  restrictions  mentales. 


IM'2 


HMVUE    H  IIISTOllCk    LITÎIJIAIHI      M      1^     IIU\U. 


dé(22  rret  du  Pape  Gelase  ad  SpUcopOê  ùueanùei  cap.  10;  le  Concile 
d'Yorck  sus  allègue;  les  statuts  d*Udot  Euesque  de  Paris,  Capitule  de 
amenta  ÀUnris,  Canc&O  8;  la  pratique  ancienne  de  l'Eglise;  le  sen- 
timent des  Pores  &  des  Théologiens. 

Cell..  de  //io\,  lib.  7,  c.  4,  p,  563* 

XII.  Dut  un  Liure  intitulé»  le  Paradis  nu  vert  par  cent  deuolions  à 
la  Vierge»  ipproané  par  leurs  seuls  Théologiens,  ils  ont  voulu  introduire 
vne  de  uo  lion  phaiHaslique  ',  qui  est  que  n'ayant  point  de  reliques  de  la 
Vierge»  on  msiU  U*  S,  Sacrement  avii*;  ctftt  principale:  intention,  (Fcdler 
honorer  la  précieuse  Heliqui  de  la  ckàir  de  itorie,  qui  se  trouue  dans  ie 
Vénérable  Reliquaire  qui  h  contient  §  repose  nir  hùè  Antrls  :  fi  ht  fait*' 
quelque  particulière  prière  $  dévotion.  Gemme  nous  fnhons  lors  qw  nous 
allons  vitiier  tei  lieux  nu  Autels  où  reposent  les  lieiiques  drs  Saint*,  Qui 
est  une  chose  cxLrauagnnle,  injurieuse  au  Fils  de  Dieu,  &  désagréable 
à  sa  Mère,  qui  veut  que  tous  les  honneurs  qu'on  luv  rend,  soient  rap- 
portez à  son  Fils;  et  non  ceux  de  son  Fik  rapporter  à  elle. 

Paul  de  Barry,  c.  3,  deuotion  8. 

XI  11.  Tonte  leur  conduite  ne  va  (23'>  qu'à  multiplier  les  Communions, 
sans  se  mettre  en  peine  des  dispositions  que  l'on  y  apporte,  S  le  Père 
NoulSI  I  osé  preseher,  Que  si  les  premiers  ehresliens  qui  estoienL  si  ver- 
tueux, eommunioïenl  tous  les  fourgon  le  deuoit  bien  plustnst  taire  auiou- 
d'hut  que  In  vertu  est  si  languissante;  poussant  ainsi  à  Communier 
d'autant  plus  suuuenl.qu  on  y  est  moins  bien  disposé. 

Dus  leur  Eglise  de  S.  Luuys,  le  dimanche  16  Àoust. 

XIV.  Quelques  crimes  que  les  hommes  apportent  à  la  sainte  Commu- 
nion, ils  ne  commettent  quasi  plus  de  sacrilèges,  depuis  qu'authur: 
Faueuglement  qui  leur  oste  la  congnoissanee  de  leur  indignité,  on  leur 
enseigne  qu'il  suftità  vne  personne»  pour  Cou  mu  nier  dignement,  &  rece- 
voir la  Grâce  du  Sacrement,  de  ne  se  croira  pas  en  péché  mortel,  encore 
niesme  qu'elle  en  doute  pourueu  que  passant  par  dessus  son  doute*  elle 
se  persuade  estre  en  bon  estai, 

Emman,  Sa,  Vetbo  tiuïttarisiht,  num+  23. 

XV*  Us  veulent  que  l'on  salifiasse  au  Précepte  de  l'Eglise,  de  com- 
munier tous  les  ans  par  vue  Communion  indigne  X:  par  un  sacrilège, 
contre  l'opinion  des  anciens  Théologiens,  Se  contre  (84)  tes  propres 
teraea  de  J'Ordonnance  de  l'Eglise,  qui  oblige  de  Communier  avec  révé- 
rence; ce  que  ne  font  pas  ceux  qui  prophanentle  Corps  du  Fils  de  Dieu, 

Suarez,  t,  3,  disp*  70,  sert.  1 
Azor,  lin.  7,  cap.  41,  q.  â.  Valenlîa  &  autres. 


L  Pnw.  u,  p,  265-268.  Pascal  nTa  pas  laissé  tomber  ce  renseignement,  et    il  a 
trouvé  clans  le  livre  du  P    fiarry  tout  te  que  promettait  la  Théologie  morale. 


LES  PROVINCIALES  ET  LA  THEOLOGIE  MORALE  DES  JÉSUITES.     183 

XVI.  On  peut  icy  adiouster  tous  les  abus  qu'ils  ont  introduits  ou 
qu'ils  entretiennent  en  l'administration  de  la  Pénitence  !,  parce  que 
seruat  de  disposition  à  l'Eucharistie,  et  les  Chrestiens  ne  se  confessans 
guère  que  pour  Communier,  autant  de  mauvaises  absolutions  que  Ton 
.donne,  sont  autant  de  Communions  Sacrilèges,  &  de  prophanations  de 

la  chair  divine  de  Iesvs  Christ  que  Ton  fait  commettre. 

De  la  Pénitence 

Les  excès  qu'ils  ont  commis  contre  ce  Sacrement  sont  infinis,  et  tout 
ce  que  Ton  peut  faire,  pour  ne  s'engager  pas  à  faire  vn  Volume,  est  de 
monstrer  par  l'exposition  de  quelques  vnes  de  leurs  maximes,  qu'ils 
l'ont  ruynee  en  toutes  ses  parties2. 

XVII.  Pour  la  Contrition  :  11  n'y  a  (25)  rien  qu'ils  ne  facent  pour 
descharger  les  Pescheurs  de  l'obligation  qu'ils  ont  d  avoir  vn  vif 
repentir  de  leurs  crimes,  &  de  se  convertir  à  Dieu  sérieusement,  &  dans 
le  cœur  :  Ils  enseignent,  Que  c'est  une  douleur  suffisante,  auec  le  Sacre- 
ment, d'auoir  douleur  de  ce  qu'on  ri  a  pas  assez  de  douleur.  Et  Bauny  met- 
tant en  pratique  cette  Maxime,  dit  :  qu'il  faut  demander  au  Pénitent 
s'il  a  regret  de  ses  fautes  :  $  s'il  ri  a  pas  de  douleur  suffisante  pour  estre 
absous;  Il  luy  faut  demander,  s  il  ne  voudroit  pas  bien  auoir  vne  douleur 
suffisante,  «j-  s'il  n'est  pas  marry  de  ne  la  pas  auoir;  Se  s'il  dit  qu'ouy,  on 
le  doit  absoudre 3. 

Emmanuel  Sa,  Verbor.  Conlritw,  num.  5.  Bauny,  de  Sacr., 
tract.,  4,  9,  15. 

XVIII.  Et  dans  leurs  Thèses  contre  monsieur  l'Euesque  d'Ypre,  ils 
attribuent  cette  opinion  à  toute  leur  Société  :  Que  la  seule  crainte  des 
peines  d'Enfer,  sans  aucun  motif  d'amour  de  Dieu,  est  vne  disposition 
suffisante  au  Sacrement  de  Pénitence;  &  condamnant  d'erreur  tous  ceux 
qui  ne  sont  pas  en  cela  de  leur  sentiment,  &  qui  croyent  auec  toute 
l'Antiquité,  Que  la  crainte  purement  seruile;  comme  est  celle  qui  n'en- 
ferme aucun  amour  de  Dieu,  &  qui  ne  regarde  que  la  (26)  seule  peine 
appartenant  à  la  vieille  Loy  &  à  Testât  des  Esclaves,  ne  peut  estre  une 
disposition  suffisante  pour  recevoir  les  Sacremens  de  la  loy  de  grâce  et 
d'amour. 

Thèses  societalis,  c.  2,  art.  18  4. 

XIX.  Quoy  qu'ils  ayent  presque  réduit  tout  le  Sacrement  de  Pénitence 
à  la  seule  confession,  Se  qu'ils  ne  demandent  presque  autre  chose  aux 

i.  Prov.  9,  t.  I,  p.  287  :  Je  veux  vous  faire  voir  maintenant  comment  on  a  adouci 
l'usage  des  sacrements,  et  surtout  celui  de  la  Pénitence  :  car  c'est  ta  où  vous  verrez 
ta  dernière  bénignité  de  ta  conduite  de  nos  Pères. 

2.  Prov.  10.  Klle  embrasse  toute  la  matière  de  ces  articles  xvu-xxxv. 

3.  Prov.M),  p.  314  :  mais  Pascal,  ayant  reçu  de  nouveaux  matériaux,  substitue  à 
Bauny  Filiulius  dont  les  termes  sont  à  peu  près  identiques. 

4.  Pascal  les  a  lues,  ces  thèses  :  Prov.  10,  p.  325. 


184  BEVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Penitens,  qu'vne  fidelle  déclaration  de  leurs  crimes,  ils  n'ont  pas  laissé 
néantmoins  d'auancer  des  maximes  qui  en  ruynenl  l'intégrité,  comme 
lors  que  Bauny  dit,  quon  peut  absoudre  celuy  qui  par  ignorance  $  de 
bonne  foy,  ne  se  serait  Confessé  de  ses  fautes  quen  gros,  sans  en  déterminer 
aucune  en  particulier,  sans  qu il  soit  besoin  de  tirer  de  sa  bouche  la  répéti-% 
lion  aVicelles  fautes,  si  l'on  ne  le  pouuoit  commodément  faire,  à  cause 
qu'on  est  pressé  des  penitens,  qui  n'en  donnent  le  loisir. 

Bauny,  Som.  des  Péchez,  p.  991,  édit.  5. 

XX.  Tout  le  monde  sçait  avec  quelle  opiniastreté  Suarez  a  soustenu 
sô  opinion  de  la  validité  de  la  Confession  par  lettres,  &  comme  il  Ta 
maintenue  mesme  après  la  détermination  de  Clément  VIII. 

(27)  XXI.  Pour  ce  qui  est  de  la  Satisfaction,  à  bien  parler  ils  n'en  ont 
gardé  que  le  nom,  principalement  dans  la  Pratique  :  Et  il  y  en  a  mesme 
qui  ont  enseigné  que  le  Pénitent  n'estoit  point  obligé  d'accepter  la  Péni- 
tence que  le  Prestre  luy  impose,  mais  qu'il  pouuoit  reseruer  en  Purga- 
toire à  satisfaire  à  Dieu  f.  Et  que  si  le  Prestre  vouloit  obliger  le  Péni- 
tent à  receuoir  déterminément  vne  sorte  de  Pénitence  qu'il  ne  voulust 
pas  accomplir,  il  pourroit  ayant  la  Contrition  s'en  contenter,  &  se 
passer  de  l'absolution  et  du  sacrement. 

Peltanus,  de  satisfact.  nostra,  sect.  8. 

XXII.  Pour  ce  qui  est  de  l'Absolution,  selon  les  erreurs  proposées  sur 
lesuiel  desEuesques,  ils  donnent  souuent  le  pouuoir  d'absoudre  aux 
Religieux  lors  qu'il  n'en  ont  point,  au  grand  péril  des  âmes  qu'ils  trom- 
pent, par  ces  absolutions  nulles  &  inualides,  comme  le  Pape  d'appre- 
sent  l'a  formellement  déclaré. 

Voyez  V article  contre  les  Euesques. 

XXIII.  Us  ont  réduit  en  vn  ministère  bas  &  servil,  la  puissance  toute 
diuine  que  Iesvs  Christ  a  donnée  au  Prestre,  déjuger  les  Pécheurs  en 
sa  (28)  place,  l'obligeant  à  suiure  l'opinion  de  son  Pénitent  pourueu 
qu'elle  soit  probable,  c'est-à-dire,  soustenue  par  vn  Docteur  ou  deux,  en 
sorte  qu'il  soit  tenu  de  l'absoudre  contre  son  sentiment  et  ses  lumières, 
soumettant  ainsi  ridiculement  le  Pasteur  à  la  Brebis,  &  le  luge  au 
Criminel  *. 

Bauny,  de  Sacr.,  tract,  de  Pœnitèt,  q.  13. 
Sanchez,  in  Decalog.,  1.  l,c.  9.  Valentia,  Suarez  et  autres. 

XXV.  Et  ils  sont  passez  iusques  à  cet  excès  d'extrauagance,  de  con- 
damner de  péché  mortel,  vn  confesseur  qui  ne  voudroit  pas  absoudre 
son  Pénitent  après  l'avoir  ouy,  ne  le  pouuant  faire  qu'en  suivant  vne 
opinion  qu'il  croit  fausse,  mais  que  d'autres  tiennent  probable.  De  sorte 
que  dans  l'estendue  qu'ils  ont  donnée  à  ces  probabilitez  il  n'y  a  presque 

1.  Prov.  10,  p.  312.  Pascal  a  retrouvé  cette  décision  dans  Escobar. 

2.  Prov.  5,  p.  119  :  la  citation  de  P.  Bauny,  tr.  4,  de  PœniL,  q.  13,  p.  93.  Et  Pascal 
ajoute  aussi  les  œuvres  de  Suarez  et  Sanchez  :  il  remplace  Valentia  par  Vasquez. 


LES  PROVINCIALES  ET  LA  THÉOLOGIE  MORALE  DES  JÉSUITES.     185 

plus  personne,  quelque  indisposée  qu'elle  puisse  estre,  qui  ne  puisse 
obliger  son  Confesseur  à  l'absoudre,  sous  peine  de  péché  mortel  l  :  Car 
ils  enseignent. 

Les  mesmes  autheurs. 

XXV.  Qu'un  homme  est  capable  d'Absolution,  dans  quelque  ignorance 
qu'il  se  trouve  des  mystères  de  nostre  foy,  &  quoy  qu'il  ne  connoisse  ny 
la  Trinité,  ny  l'Incarnation  de  nostre  Sei(29)gneur  Iesvs  Christ,  qui 
sont  les  deux  fondemens  de  toute  la  Religion  Chresticnne. 

Bauny,  de  Sacr.,  tract.  4,  de  Pœnit.f  q.  12. 

XXVI.  Qu'on  doit  mesme  absoudre  ceux  qui  ignorent  ces  Mystères 
par  vne  négligence  criminelle. 

Sanchez,  Summ.,  1.  2,  c.  3,  num.  21. 

XXVII.  Que  le  Confesseur  ne  doit  point  persuader  à  son  Pénitent  de 
quitter  vne  profession  qu'il  déclare  ne  pouuoir  exercer  sans  s'y  perdre 
&  sans  s'y  damner. 

Alor.,  tom.  I,  1.  8,  c.  7,  q.  3  &  c.  8qu.  ult.  Bauny  ubi  supr. 

XXVIII.  Qu'on  doit  absoudre  celuy  qui  demeure  dans  une  occasion 
prochaine  de  péché,  pourueu  qu'il  ait  vne  ivste  cause  de  ne  point 
quitter  cette  occasion.  Et  ils  ne  demandent  point  autre  chose,  pour  estre 
une  iuste  cause  de  ne  point  quitter  vne  occasion  prochaine  qui  nous 
engage  dans  des  crimes,  qu'vne  commodité  temporelle:  Parce,  disent-ils, 
qu'en  ce  cas  ce  n'est  point  l'occasion  du  péché  que  nous  recherchons,  ny 
le  péché  dont  elle  est  cause,  mais  seulement  le  bien  temporel,  dont  nous  ne 
iofdrions  pas  si  nous  quittions  ou  euitions  cette  occasion. 

Bauny,  ib.,  q.  17.  Bauny,  tract.  14.  Layman,  lib.  5,  tr.  G,  cap.  4,  num.  8. 

XXIX.  Ils  passent  encore  plus  loin,  &  soutiennent,  qu'on  peut  recher- 
cher di(30)rectement9  primo  et  per  se,  vne  occasion  prochaine  de  pécher 
pour  quelque  bien  temporel  ou  spirituel,  de  nous  ou  de  nostre  Prochain*. 

Emman.  Sa,  &c.  Bauny,  ib. 

XXX.  Selon  ces  maximes  pernicieuses,  Ils  veulent  que  les  Prestres 
absoluent  une  femme  qui  reçoit  en  sa  maison  vn  homme  avec  lequel 
elle  pèche  souuent,  lorsqu'elle  ne  l'en  peut  chasser  honnestement,  ou 
qu'elle  a  quelque  raison  de  l'y  retenir3. 

Bauny,  ibidem,  q.  15. 

XXXI.  Qu'on  doit  absoudre  vn  homme  qui  retient  vne  mauvaise  fami- 

1.  Prov.  5,  p.  119.  Pascal  réfléchit  sur  ce  péché  mortel  :  Je  croyais  que  vous  ne  saviez 
qu'ôter  les  péchés  ;  je  ne  croyais  pas  que  vous  en  sussiez  introduire. 

2.  Prov.  5,  p.  112,  et  Prov.  10,  320.  Le  nom  de  Basile  Ponce,  en  ces  deux  endroits, 
est  dans  la  Lettre  d'un  théologien  (Cf.  plus  loin,  p.  189,  n.  8). 

3.  Prov.  10,  p.  319-320. 

Rev.  d'hist.  littér.  dc  la  France  (7«  Ann.).  —  VU.  J3 


186  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

liarité  avec  vne  femme  qui  l'engage  souuent  dans  des  crimes,  lorsqu'il 
a  quelque  raison  de  le  faire,  ou  utile  ou  honneste l. 

Bauny,  ibidem. 

XXXII.  Que  c'est  une  fausseté  de  croire  qu'on  doit  refuser  l'Absolu- 
tion à  un  homme  qui  retombe  tousjours  dans  ses  crimes,  &  que  la  seul*' 
véritable  opinion  sur  ce  suiet,  est  qu'on  le  doit  absoudre*. 

Bauny,  ibidem. 

XXXIII.  Mais  s'il  arrive,  adioustent-ils  (pour  ne  rien  obmettre  de  tous 
les  excez  imaginables),  que  cette  personne  ne  profite  point  de  tous  les 
aduertissements  quon  luy  a  donnez?  Si  elle  na  point  gardé 2  (31)  les  pro- 
messes quelle  auoit  faites  de  changer  de  vie?  Si  elle  na  point  travaillé  à 
purifier  son  cceur,  $  à  surmonter  ses  vicieuses  habitudes?  Il  n'importe, 
disent-ils,  #  quoyque  quelques  vns  tiennent  quon  luy  doit  en  ce  cas  refuser 
l'absolution,  néantmoins  la  véritable  opinion  que  l'on  doit  suiure,  est 
qu'il  la  luy  faut  accorder3. 

Bauny,  ibidem.  Sanchez,  Sum.,  lib.  2,  c.  32,  num.  43. 

XXXIV.  Us  soustiennent  aussi,  Qu'on  doit  absoudre  celuy  qui  avoue 
que  l'espérance  d'estre  absous,  l'a  porté  à  pécher  auec  plus  de  facilité 
qu'il  n'eust  fait,  s'il  n'eust  point  eu  celte  espérance4. 

Bauny,  ibidem. 

XXXV.  Et  en  fin,  pour  aller  au  delà  de  tout  ce  qu'on  pourroit  croire, 
ils  s'emportent  iusque  à  maintenir,  que  Ton  ne  doit  ny  refuser,  ny 
mesme  différer  l'absolution  à  des  personnes  qui  sont  dans  des  habitudes 
de  crimes  contre  la  loy  de  Dieu,  de  la  Nature,  ou  de  l'Eglise,  encore  que 
Ton  n'y  voye  aucune  espèce  d'amendement.  Etsi  emendationis  futurs 
*pes  nulla  appareat. 

Bauny,  ibidem  5. 


De  l'Ordre  (p.  32-34,  art.  xxxvi-xli). 

XXXVÎI1.  Il  reprend  comme  un  crime,  la  plainte  que  les  gens  de  bien 
font  d'vne  trop  grande  multitude  de  Prestres,  &  proposant  vne  exlra- 
uagante  métamorphose  de  tous  les  hommes  qui  sont  au  monde,  des 
femmes  mesmes,  des  bestes  brutes,  &  des  choses  inanimées  en  Prestres 


1.  Prov.  10,  p.  319  :  mais  ici  Pascal  mêle  Escobar  à  Bauny. 

2.  Prov.  10,  p.  316  :  ciialion  de  P.  Bnuny  plus  complète. 

3.  Prov.  10,  p.  316-317  :  la  citation  du  P.  Bauny. 

A.  Prov.  10,  p.  317  :  la  citation  du  P.  Bauny,  q.  15. 

5.  Prov.  10,  p.  317  :  la  citation  du  P.  Bauny,  q.  22,  p.  100. 


LES    PROVINCIALES    ET    LA   THÉOLOGIE    MORALE    DES   JÉSUITES.  1*7 

de  Iesvs  Christ,  il  soustient  qu'il  n'y  auroit  pas  suiet  de  se  plaindre  d'vn 
trop  grand  nombre  f. 

Ibid.  (Cell.,  de  Hier.),  l.l,c.  11. 


Dk  l'Extrème-Onction  (p.  35,  art.  xlvi). 
Du  Mariage  (p.  34-35,  art.  xliii-xlii). 

XLV.  C'est  vne  chose  horrible,  de  quelle  manière  honteuse  Sanchez  a 
violé  la  sainteté  de  ce  sacrement,  par  des  questions  infâmes  &  diabo- 
liques, capables  de  faire  rougir  l'impudence  mesme. 

Dans  son  Liure  du  Mariage*. 

Contre  l'Église  et  la  Hiérarcbie  (p.  36-40,  art.  i-xiii). 

Contre  le  Pape  (p.  40-41,  art.  xiv-xix). 

Contre  les  Évesques  (p.  43-47,  art.  xx-xxxii). 

(P.  47).  Ces  maximes  pernicieuses  exlraitteslidelementdes  Liures  des 
lesuites,  ne  sont  qu'vn  eschantillon  de  leur  mauuaise  doctrine.  Et  il 
seroit  facile  d  en  recueillir  beaucoup  d'autres  sur  toutes  les  autres 
matières  de  la  Théologie,  &  de  faire  voir  qu'ils  l'ont  corrompue  en  toutes 
ses  parties,  par  la  licence  qu'ils  se  sont  donnée,  de  sousmetlre  celte 
science  toute  diuine  à  la  faiblesse  du  raisonnement  humain,  &  de 
rechercher  l'intelligence  des  mystères  de  Dieu  dâs  les  ténèbres  de  leur 
esprit,  plustost  que  dans  les  lumières  de  l'Escriture  Sainte  (48),  et  de  la 
Tradition  des  Saints  Pères,  qui  sont  les  sources  sacrées  d'où  les  véritables 
Théologiens  doiuent  puiser  leurs  décisions3. 

Ces  mauvaises  Maximes  nous  ont  parues  si  contraires  au  sens  commun 

1.  Celle  belle  pensée  du  P.  Cellot,  glissée  au  milieu  d'une  série  de  propositions 
relatives  au  sacrement  de  Tordre,  et  qui  ne  pouvaient  loucher  le  grand  public,  n'a 
pas  été  perdue  pour  Pascal.  Prov.  6,  t.  I,  p.  153  :  J'oserais  dire  avec  noire  Père  Cellot... 
je  fm  si  surpris  de  cette  imagination  bizarre  que  je  ne  pus  rien  dire. 

2.  C'est  ce  livre  sans  doute,  et  les  autres  de  môme  propos  qui  faisaient  dire  à 
Pascal  :  Prov.  9,  2S1  :  Mo*  pflres  sont  plus  réservés  sur  ce  qui  regarde  la  chasteté! 
Ce  n'est  pas  qu'ils  ne  traitent  des  questions  assez  curieuses  et  assez  indulgentes,  et 
principalement  pour  les  personnes  mariées  et  fiancées.  —  J'appris  sur  cela  les  ques- 
tions les  plus  brutales  qu'on  puisse  s'imaginer.  Il  m'en  donna  de  quoi  remplir  plusieurs 
Lettres',  mais  je  ne  veux  pas  seulement  en  marquer  les  ciiations...  La  Théologie  morale, 
faite  pour  rester  entre  les  théologiens,  n'avait  pas  la  même  raison  de  ne  pas 
nommer  le  livre  de  Samrhez. 

3.  Cette  phrase  contient  le  thème  fondamental  des  Provinciales.  Tout  l'effort  de 
Pascal  tend  à  faire  apparaître  la  contradiction  de  la  morale  des  Jésuites  à  celles 
des  Pères  de  l'Évangile,  à  dénoncer  cette  œuvre  de  l'esprit  humain,  de  la  raUon  cor- 
rompue, qui  corrompt  l'enseignement  divin.  Prov.  5,  p.  120-123  :  Les  Pères  étaient 
bons  pour  la  morale  de  leur  temps...  Prov.  7,  p.  184  :  Nos  Pères  ont  trouvé  mo'/en.. 
P.  185  :  {'alliance  que  7ios  Pères  ont  fait  de*  maximes  de  l'Évangile  avec  celles  du 
monde...  Prov.  8,  p.  222  :  Il  est  bien  pénible  de  voir  renverser  toute  la  mirai*  chré- 
tienne... Prov.  9,  p.  283  :  Que  répondent  donc  vos  auteurs  aux  pa  sages  de  VÈcri- 
turel...  Prov.  12,  p.  398  :  C'est  ainsi  que  vous  vous  jouez  de  la  religion...  Votre  Père 
Vatentia  débite  ses  songes... 


188  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 


de  la  fov,  que  nous  n'auons  pas  cru  qu'ils  eussêt  besoin  d'estre  réfutées  '. 

Il  ne  faut  pas  s'estonner,  si  on  en  a  marqué  quelques  vnes,  que  Cellot 

dit  auoir  expliquées.  Car  1.  ces  déclarations  sont  pour  la  pluspart  rem- 

p-  plies  d'équivoques,  &  on  voit  qu'il  n'a  rien  appréhendé  d'avantage,  sinon 

*"'  "  que  Ton  creust  qu'il  eust  esté  capable  de  quelque  erreur,  ayant  éuité  pour 

cela  soigneusemèt  le  mot  de  retractation.  2.  Leur  faction  ayant  res- 

pandu  ce  Hure  par  toute  la  terre,  et  ces  Déclarations  n'ayant  esté  veuës 

que  de  peu  de  personnes,  elle  ne  remédient  pas  au  mal  que  ces  mau- 

uaises  maximes  peuuent  auoir  fait  dans  les  esprits.  3.  Leur  Biblio- 

J  •-  theque  approuuée  par  leur  General  marquant  cet  Ou u rage  de  la  Hierar- 

\'  chie.  ne  fait  aucune  mention  de  Retractation,  ou  de  Déclaration  que 

l'autheur  eust  faite.  &  ainsi  autorise  par  (49)  ce  silence  toutes  les 

?"  faussetez,  erreurs,  &   Hérésies,   qui  y    sont   contenues.    Ce  qui    est 

j  d'autant  plus  vray,  que  ces  erreurs  sont  respanduës  par  tout  le  Hure  *, 

l .  &que  tout  l'Ouvrage,  estant  fondé  sur  la  diuision  chimérique  et  erronée 

?  de  l'Église  en  trois  Hiérarchies,  on  ne  peut  Iuy  donner  aucune  autorité, 

î  qu'on  n'autorise  ces  excez.  -I.  Et  enfin  ce  qui  plus  considérable,  c'est 

qu'après  le  violentent  public  qu'ils  ont  fait  des  deux  Déclarations 

solennelles  données  à  Messeigneurs  les  Prélats,  Tan  4633.  l'une  touchant 

les  Lîures  d'Angleterre,  &  l'autre  touchant  les  approbations  des  Réguliers 

pour  Confesser  &  pour  Prescher,  on  ne  peut  plus  s'arrester  à  aucune 

de  leurs  Déclarations,  ces  exemples  faisant  voir  trop  clairement,  que 

quelque  desaveu   qu'ils  donnent,   ils  sont  touiours  prests  de  renou- 

ueller  les  mauuaises  propositions  qu'ils  ont  vne  fois  aduancees. 

DErx    déclarations  |  solennelles  données   par  les  Jésuites   à   Mes  \ 
^  seigneurs  les  Prélats.  L'un*  sur  le  suiet  des  |  Liures  d'Angleterre,  contre 

la  Hiérarchie  \  &  le  Sacrement  de  Confirmation  ;  Et  t autre  \  touchant  la 
nécessité  que  les  Religieux  ont    \  d'estre  approuuez  par   les  Euesques, 
pour  Con  \  fesser  $  fwur  Prescher.  |  AUEC  ;  LES  CONTRAVENTIONS  I 
publiques  qu'ils  y  ont  faictes*.  (P.  50-61.) 

Ayant  mis  entre  les  mains  de  Pascal  leur  Théologie  morale  des 
Jésuites,  MM.  de  Port-Royal  lui  donnèrent  aussi  la  réfutation 
qu'on  en  tenta,  et  leurs  réponses.  En  divers  endroits  Pascal  pro- 
fita des  réfutations.  II  cite  dans  sa  lettre  XI  celles  des  PP.  Annat, 
Caussin.  Pinthereau  et  Le  Morne*;  dans  la  lettre  X,  celles  des 
P.  Annat,  Pinthereau  et  Le  Moyne  \  auquel  il  ajoute  le  P.  Sirmond. 

1.  Voilà  où  Pascal  est  d'un  autre  avis.  U  croit  que  cela  a  besoin  d'être  réfuté, 
et  il  réfute. 

2.  Cette  partie  du  livre  de  1644  n'a  pas  été  reproduite  dans  Y  édition  des  œuvres 
d'Arnauld. 

3.  P.  373,  éd.  Faugere. 

.  4.  P.  328.  —  Le  P.  Sirmond  ne  répondit  pas  à  la  Tkéol.  mor.;  mais  Amauld  ayant 
fait  contre  lui  un  Extrait  des  principales  erreurs  du  livre  De  la  défense  de  ta  vertu, 
Sirmond  se  défendit  par  une  Réponse  à  un  libelle  diffamatoire,  où  il  essayait  de 
justifier  sa  doctrine  de  l'amour  de  Dieu. 


LES   PKOVnOAllS    El    LA    TBÊ0LO€t£    KÔHALE    DES    Jl  si  IIES. 


m 


Dans  la  même  lettre  X,  il  extrait  des  morceaux  curieux  defl  réfu- 
tations «le  Caussin1  et  de  Pi nlhereau  (celui-ci  sous  le  nom  de  Fabbé 
de  Boisic)*.  Quant  aux  répliques  de  Port-Royal,  la  lettre  de  Polê- 
marque  ir  Eusèéc  Paver  tissa  il  de  regarder  Y hmiyo pti$fti  sentit.  II 
n'y  a  pas  manqua  au  début  de  m  cinquième  lettre  :  mais  tandis 
que  Polémarque  n'y  prenait  qu'une  impertinence  des  Jésuites  h 
Tégarf]  des  puissances  ecclésiastiques  et  temporelle*  qu'il  voulait 
leur  aliéner,  Pascal  a  goûté  l'extraordinaire  saveur  de  ridicule  que 
possèdent  ces  orgueilleux  témoignage*  du  succès  de  la  compagnie4. 
Polémarque  aussi  avait  lu  le  P.  Le  Moyne,  il  avail  remarqué  ce 
«  style  si  fleuri,  que  quelques  curieux  ont  voulu  malicieusement 
faire  croire  ressentir  plus  l'afféterie  d'un  petit  auteur  de  romans  et 
d'un  poète  coquet  que  la  piélé  sérieuse  d'un  religieux  et  la  sainte 
gravité  d'un  prêtre  *>*.  Voilà  le  thème  :  Pascal  le  développera  dans 
ses  lettres  IX :  el  XI \  La  Lettrr  d*tffi  théologien  à  PùUmairqUê aida 
Pascal  à  compléter  le  livret  de  la  Théologie  morale  :  il  s'y  fournit 
de  citations  nouvelles.  Il  en  recueillît  deux  bons  passages  de  Bauuy 
sur  les  occasions  prochaines7*  Parfois  il  y  lit  les  citations  plus 
complètes  ou  plus  exactes H-  Il  v  vuit  comment  les  Jésuites  essaient 
de  parer  les  coups,  et  comment  on  peut  les  confondre  dans  leurs 
justifications  frauduleuses,  Et  il  doit  à  la  Lettre  d'un  théologien*  la 
remarque  sur  la  belle  direction  d'intention  que  recommande 
Bauny  aux  valets  qui  aident  leurs  maîtres  dans  leurs  amours 
déshonnèles lf . 

Si  maintenant,  au  Heu  de  rapporter  les  Prorim:  talcs  aux  écrits 
antérieurs,  nous  les  regardons  elles-mêmes,  si  nous  les  suivons 
dans  leur  ordre  en  y  rapportant  la  Théologie  morale  et  les  deux 
Lettres,  nous  verrons  les  extraits  et  citations  de  1644  former  le 
tissu  de  l'ouvrage  de  Pascal.  Le  tableau  suivant  en  fera  foi. 


1.  P.  318, 

2.  P,  321  et  SS 

3*  Prm  3,  l.  L  p.  102.  El  Pror.  10,  p.  !i08  et  318, 

i.  Les  ['ravine  tu  h*,  éd.  de  Um  de  JoiuiMitx,  t.  UI,  p.  254, 

5.  Ptm\  9,  p.  270.  87*. 

G.  Pw  ,  If,  p,  $68  -  DÎTtfl-wrîtf  aae  lu  manière  H  profane  et  ut  epqmHê  (tùn)l   9ùir§ 
P.  Le  Mu'ftir...  t  n  itprit  pfein  de  vnnifr  <•(  '/'f  ta  ftjUe  'in  monde*,.  Est-ce  une  / 
éignè  tTun  prêtre  que  eeUe  ùde.**î 

1.  Uttrt  ttun  throt.  fcï  de  M"'  deJoncoux,  i,  III,  p,  lH*m  —  Prov.  1U„  i 
pascal  cite  lout  d'une  snile  ce  qui  isi  divisé  duns  El  Lettre  d'un  thêdoçien  :  c'est 
le  passage  iur  la  Liberté  dYntirr    daftl  lei    mauvîik    lieux    pour    convertir   Les 
femmes  perdues. 

8,  Ainsi  pour  la  citation  de  Bauuy  dont  j'ai  fait  mention  ci-dessus  (p.  111),  la 
lettre  tfttn  théologien  (Joncoux,  lit*  p*  211)  porte  Miter  et  non  donner-  Basile 
l'once,  dont  la  Théologie  nierait  ne  prononçait  pas  le  nom,  est  allégué  diins  les 
citations  de  la  Lettre  d'un  théologien  (p.  211,  212  et  218)»  Voyez  Prou*  10.  p.  WÔ« 

9.  Joncoux,  lit,  J&S,  2Kx, 

1U.  Prov,  6,  p,  161  :  Que  ces  confesseurs,  dit-il,  remarquent  bien.,.,  etc. 


190  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Prov. 

IVe  p.  77-78,  91.  Conditions  du  péché Thèol.  mor.,  I,  3. 

V°  p.  101 .  L'imago Lettre  de  Polémarque, 

p.  252  !. 

p.  112.  Opinions  probables,  Bauny ThèoL  mor.,  IV,  29. 

p.  114-116, 117.  Opinions  prob.,  Sanchez,  Emm. 

Sa,  Vasquez ThèoL  mor.,  1,  1 . 

p.  119.  Les  opinions  probables  et  la  confession.     ThèoL  mor.,  IV,  23,24. 
p.  120-122.  Les  docteurs  substitués  aux  Pères..     Thèol   mot:,  I,  2. 

VIe  p.  159.  Le  P.  Cellot,  Bruta  anima  lia Thèol   mor,,  V,  38. 

(  ThèoL  mor.,  III,  13. 

p.  161.  Sur  les  valets  porteurs  de  poulets <  Lettre  d'un  théologien, 

(      p.  285,  288. 
p.  162.  Sur  les  valets  qui  se  payent  de  leurs  mains.     Thèol  mor.,  III,  16. 

VIIe  p.  187.  Sur  le  duel,  Hurtado  de  Mendoza ThèoL  mor  ,  III.  9. 

p.  19*- 1^5.  Tuer  pour  des  médisances,  le  P.  Hereau.     ThèoL  mor.,  III,  7. 

VIIIe  p.  227-228.  Modèle  de  contrat  usuraire ThèoL  mor.,  III.  15. 

p.  233.  Le  brûleur  de  granges,  Bauny ThèoL  mor.,  III,  18. 

p.  244.  Sur  la  restitution,  le  P.  Cellot ThèoL  mor.,  I,  5. 

IXe  p.  265.  Le  livre  du  P.  Barry Thèol.  mor.,  IV,  12. 

p.  270.  Le  stvle  galant  du  P.  Le  Moyne Lettre  d'un  théologien, 

p.  254. 
p.  275.  Sur  Tamour-propre  d'auteur,  Garasse...     Thèol.  mor.,  I,  4. 

p.  275-276.  Sur  l'envie,  Bauny Thèol.  mor.,  11,8. 

p.  278-279.  Équivoques  et  restrictions  mentales.     Thèol.  mor.,  III,  19. 

p.  283.  Sur  la  parure  des  femmes,  Bauny Thèol.  mor.,  I,  10. 

Xe  Sur  la  pénitence Thèol  mor.,  IV,  17-35. 

p.  312.  Sur  l'expiation  remise  au  purgatoire....     ThèoL  mor.,  IV,  21. 

f  ThèoL  mor.,  1,6, 7;  IV, 
p.  317-319.  Sur  la  fuite  des  occasions  prochaines,  )     30,  32-35. 

Bauny i  Lettre  d'un  théologien, 

p.  277 


(  Thèol.  mor.,  IV,  29. 


p.  320.  Occasions  prochai  nés,  Bauny,  Basile  Ponce.  <  L  tire  d'un  théologien, 

(      p.  271,  278. 

p.  320.  Entrer  dans  les  lieux  de  débauche,  Bauny.     Lettre  d'un  théologien, 

p.  271-272. 

p.  325.  Attrition,  Thèses  de  la  société Théol.  mor.,  IV,  18. 

p.  327-328.  Amour  de  Dieu,  Ant.  Siruiond Th.  mor.,  Il,  1-5;  IV,  17. 

Ne  suffit-il  pas  de  regarder  ce  tableau  pour  apercevoir  que 
toule  la  matière  de  Provinciales  IV-X  est  dans  la  Théologie  morale 
et  dans  les  deux  Lettres  qui  la  complètent?  La  Théologie  morale, 
avec  son  complément,  fournit  aisément  le  canevas  des  sept  lettres, 

1.  On  peut  juger  à  quel  point  toutes  les  choses  furent  réellement  fournies  à  Pascal 
par  ses  amis,  en  parcourant  les  écrits  jansénistes  antérieurs  aux  Provinciales.  Le 
hasard  d'une  recherche  me  met  sous  les  yeux  un  passage  d'une  réponse  de 
YVniversité  de  Parût  à  P Apologie  pour  les  Jésuites,  imprimée  par  tordre  d'icelle  Uni- 
rersité  à  Paris,  4 €44,  On  y  lit  :  «  Ces  soudaines  métamorphoses,  ces  changements 
de  personnages  de  comédie,  ces  souplesses  de  l'esprit  jésuite,  indignes  de  vrais 
chrétiens,  et  à  plus  forte  raison  d'une  société  d'anges  plutôt  que  d'hommes,  comme 
vous  vous  appelez  vous-mêmes...  •  (Arnauld,  Œuvres*  t.  2S,  dern.  page.)  Et  voilà 
justement  le  mot  comiquement  scandaleux  de  l'Imago  primi  seculi  que  Pascal  pro- 
duira. 


LES    PROVINCIALES    ET   LA   THÉ0L0GIF    NOAALE    l»ivS   JKSUITES. 


191 


dès  qu'on  dispose  les  citations  dans  Tordre  que  Pascal  leur  a 
donné.  La  quatrième  Provinciale  est.  faîte  d'une  proposition  Au 
Bauny  coupée  en  deux,  et  se  développe  entre  les  deux  moitiés, 
passant  du  lliéologique  au  philosophique.  La  cinquième,  tirant 
son  prologue  d'un  passage  de  la  Lettre  dr  PoUmarqv6%  est  bâtie 
sur  quatre  articles  de  la  Théologie  m*  traie  :  un  article  posant  une 
opinion  probable,  un  second  expliquant  la  théorie  de  la  probabi- 
lité, un  troisième  déclara  ni  l'obligation  imposée  aux  çnn  fesse  ura 
d'absoudre  les  péchés  couverts  par  une  opinion  probable,  et  le 
quatrième  déclarant  la  préférence  donnée  aux  nouveaux  docteurs 
sur  les  Pérès.  Toute  la  lettre  est  là,  dans  ces  quatre  propositions* 
De  mémo,    l«k    dessin  de  la  neuvième   est    donné  pur  le  rappro- 

I  chant  de  cinq  ou  six  passages  de  la  Théologie  m&rate  et  de  la  Lettre 
d'un  théologien*  qui  indiquent  les  développements  sur  le  P.  Barry 
et  le  P<  Le  Moyne,  sur  l'amour-propre  d'auteur,  l'envie,  les 
équivoques  et  restrictions  mentales,  et  la  parure  des  femmes* 
Enfui  la  dixième  lettre  n'esl-elle  pas  donnée  par  tant  de  propo- 
sitions qui  se  groupent  naturellement  sous  trois  ofaefs,  ta  pénitence, 
la  réforme  de  la  vie,  et  l'amour  de  Dieu? 
Dans  les  cadres  que  forment  ainsi  par  leur  rapprochement  les 
propositions  extraites  de  la  Théologie  momie  et  des  deux  Lettres, 
les  ci  lai  ion  s  principales  apparaissent,  Bauny,  Celh>l,  Emmanuel 
Sa,  Sanchez,  Vasques,  Yaleniîa,  presque  tous  les  plus  célèbres 
auteurs,  avec  leurs  plus  fameux  passages,  sont  donnés  a  Pascal  par 
la  Théologie  morale  et  les  deux  Lettres.  11  suffit,  pour  étoffer  1*J 
développement,  d'amasser  de  nouvelles  citations  qui  s'inséreront 
sans  peine  parmi  les  autres  et  s  y  raccorderont.  Au  reste,  la  casuis- 
tique a  continué  son  œuvre  depuis  lfiii;  de  nouveaux  livres  ont 
paru,  ou  sont  venus  a  la  connaissance  de  MM.  de  Porl-ltoyal.  C'est 
ainsi  que  Diana  (édition  de  Lyon,  1646),  Caramuel  (éd.  de  Lou- 
vain,  1013,  île  Francfort,  1653),  Lessîus  {éd.  de  Lyon,  1653), 
absents  de  la  Théologie  morale %  entrèrent  dans  les  Prortncitil.es.  Les 
amis  de  Pascal,  comme  on  sait,  lisaient  pour  lui  ces  gros  livres,  et 
lui  apportaient  les  extraits*  Lui,  il  regardait  le  petit  Escobar,  et 
l"*»n  s  aperçoit  de  la  différence.  Caries  autres  Casuistes  ne  ligurenl 
dans  les  Provinciale*  que  par  leurs  pensées;  Kscobar,  au  con- 
traire, y  entre  dans  sa  forme  sensible;  c'est  le  volume»  non  pas 
seulement  la  doctrine,  qui  nous  apparaît  avec  celle  image d^un 
agneau^  qui  est  sur  un  lutte  scellé  de  sept  sceaux,  avec  celte  pré- 
face allégorique,  ses  quatre  animaux  et  ses  vingt* quatre  vieillards. 
On  voit  qu'un  oeil,  et  non  pas  seulement  un  esprit  de  théologien, 
s'est  posé  sur  l'in-quarto*   Mais  pour  qui  sait  voir,   toute    celte 


192 


REVUE    H  HISTOIRE   litti.raiiu:    DE    Là    FRANCE- 


ill 
is 


matière  nouvelle,  je  le  répète,  se  distribuait  aisément  clans  le  cadre 
fourni  par  les  extraits  de  la  Théologie  mùtûlCt 

Il  me  paraît  donc  que  ce  petit  livret,  avec  les  deux  Lettres  qui  le 
suivirent,  nous  représente  bien  exactement  le  mode  et  la  mesure 
delà  collaboration  des  jansénistes  aux  Provincial**,  Ce  qu'ils  ont 
pu  apporter  d'extraits  et  citations  complémentaires  en  1GSG  rien 
change  pas  le  caractère  :  nous  avons  sous  les  yeux  par  les  écrits 
de  1644  ce  qu'ils  étaient  en  état  rie  faire.  Ils  fournissaient  toute  la 
doctrine,  imite  l;.i  substance.  1rs  allégations  et  leurs  preuves.  Mais 
s'ils  indiquaient  tout,  ils  n'expliquaient  rien,  ils  ne  dévelop- 
paient rien,  ils  ne  démontraient  rien.  Souvent  même  ilsnecitaienl 
pas,  ils  renvoyaient  au  livre,  à  la  page  ;  allait  y  voir  qui  voulait. 
Ils  ne  liaient  pas  :  ils  numérotaient  bonnement  leurs  articles, 
les  défilaient  autant  qu'il  y  en  avait,  À  peine  si  une  fois  ou  deux 
rénormilé  du  scandale,  la  bizarrerie  de  l'invention  éclairaient  d'un 
sourire  imperceptible  leur  austère  sécheresse  :  «  El  il  (Bauny)  a 
pria  la  peine  dVn  dresser  le  contrat  et  même  les  compliments  que 
l'on  se  doit  faire  l'un  à  l'autre  dans  ces  rencontres  »  (III,  15)  ;  €  Bt,  et 
trouvant  qUe  r>s/  „„,>  gramte  douceur  de  frapper  et  de  battre  le 
monde»  et  brûler  des  granges  »  (III,  18).  L'évidence  do  leur  cause 
les  remplissait;  et  dans  leur  sereine  bonne  foi,  ils  croyaient  n'avoir 
qu'à  signaler  les  scandales;  ils  écrivaient  :  «  Ces  mauvaises 
maximes  nous  ont  paru  si  contraires  au  sens  commun  de  la  foi 
que  nous  n'avons  pas  cru  qu'elles  eussent  besoin  d'être  réfutées. 

Pascal  a  cru,  lui,  qu'elles  avaient  besoin  d'être  réfutées,  et 
d'abord  d'être  exposées*  Et  c'est  la  double  tâche  à  laquelle  il  s'est 
appliqué.  Les  jansénistes  ne  regardaient  que  la  vérité  et  la  doc- 
trine ;  Pascal  a  regardé  le  public.  Il  n'a  pas  dit  tout  ce  qui 
choquait  la  doctrine,  mais  il  n'a  rien  omis  de  ce  qui  pouvait 
choquer  le  public.  Àrnauld  avait  bien  suivi  un  certain  ordre,  mais 
un  ordre  impersonnel,  extérieur,  qui  se  lirait  des  divisions  de  la 
théologie,  II  avait  distribué  comme  en  compartiments  les  maximes 
scandaleuses  : 

Contre  la  morale  chrétien ne  en  <.i  înêaai  . 

inr  les  o>\iv\\]>kMENTs  D£  Dieu,  $t  premièrement 

ratifie  tes  (leur  cofttmûndeiftenk  généraux. 

t\mire  h  Décatôgue. 
Doctrine  des  jésuites  touchant  les  sacremt 

Du  Bapt&mc* 

Dr  fa  Confirmation* 

De  r Eucharistie. 

De  te  Pénitence. 

fie  rO/dftf, 


: 

se 
ir 

». 

oi 
et 


PROVINCIALES    ET    LÀ    TIlROLOfilK    MQHALt    I>ES    JISUMKS. 

De  f  E.rtnhnr-ihirHoti. 
Du  }fari<t*jv. 

CUNTIIE   t/jBOLlSE   ET   U    NfÉHÀHCUIE- 

Contre  te  Vtt)u\ 
Coi  Èvéçuis, 

Ùevx  itk<:i  \tt  \th  »v>  SOLENNELLM...  avec  les  fômJrfftWft- 
ttom  pttbîiquii  çu'ik  y  ont  faiies* 


■ 


ilà  un  bel  ordre    théulogique,  analytique»  exact,  instructif, 
aride?  et  froid. 

Pascal  va  le  bousculer.  Et  d'abord,  il  faille  la  moitié  de  celle 
matière.  Ce  que  les  Jésuites  ont  pu  dire  contre  Vordre^  oufexiréfnê* 
onction,  ou  le  baptême,  ou  la  confirmation,  peul  êlre  grave  théolo- 
gîquemeul  :  le  public  n'en  aura  cure.  Le  public,  aussi,  ne  sers 
pas  faiblement  Bcandalisable  sur  les  attentats  de  jésuites  contre  la 
hiérarchie  ecclésiastique»  l'autorité  ponliJieale  et  ëpiscopale  :  ces 
rivalités  cléricales  ne  le  touchent  pas.  A  quoi  bon  l'en  entretenir 
non  plus  que  i le  leurs  déclarations  et  de  leurs  contraventions  à  leurs 
déclarations  sur  leurs  livres  d'Angleterre  que  personne  eu  France 
nTa  lus,  ou  sur  un  point  de  droit  ciiijoil  dont  les  laïques  se  désinlé- 
ressenl?  Il  ne  faut  occuper  le  public  que  d#  ce  qui  peut  intéfe&êer  h 
publie  :  première  règle  posée  par  Pascal,  et  +lt>nt  nul  à  Port-Royal 
ne  s  était  encore  avisé.  Voilà  comment,  de  toutes  les  violations  de 
la  morale  chrétienne»  Pascal  retient  seulemenl  les  violations  de' 
cette  partie  de  la  morale  chrétienne  dont  tout  le  monde  se  sert;  il 
ne  parle  que  de  ce  qui  concerne  la  vie  commune,  les  obligations 
iitiellrs  et  connues*  de  ce  qui  choque  visiblement  la  notion  vul- 
gaire de  la  religion  et  le  sens  commun  de  la  conscience  chrétienne. 
Il  laisse  seulement  le  mariage,  comme  une  matière  trop  délicate. 

Après  s'être  ainsi  allégé  de  la  moitié  de  la  matière,  il  bouleverse 
l'autre  moitié.  A  Tordre  méthodique  et  secd'ArnauId.  il  substituera 
on  ordre  à  lui,  un  ordre  personnel,  vivant,  où  les  valeurs  des 
idées  sont  gardées,  où  la  matière  se  distribue  par  plans,  s'éclaire 
inégalement,  s'enchaîne  simplement.  A  cet  égrènement  de  proposi- 
ons sans  lieu,  juxtaposées  sous  une  môme  étiquette,  et  rattachées 
seulement  par  la  série  d<-  chiffres  qui  les  note,  il  substitue  l'unité 
aisée  de  la  le! Ire  qui  entraîne  dans  la  continuité  de  son  mouve- 
ment et  groupe  sous  une  idée  générale  les  maximes,  les  citations, 
les  discussions,  les  preuves.  Car  en  même  temps  qu'il  crée  son 
ordre,  il  étoffe  ses  sujets.  Non  par  des  apports  nouveaux  de  textes; 
mais  il  explique,  il  développe»  il  démontre,  et  commente;  il 
fait  lui-même  toute  la  besogne  que  le  rédacteur  de  la  Théologie 
morale  invitait  paisiblement  le  lecteur  à  faire. 


|y*  EEVTE    bfll>IvlE£    LITTÉftJklEE  h£    LA    FE13CE. 

Arnauld  remarquait  l'autorisation  donnée  aux  valets  d'accroître 
leurs  rage*  aux  dépens  de  leurs  maîtres.  Pascal  met  la  chose  en 
râleur  par  l'histoire  de  Jean  d'Alta'.  Arnauld  indiquait  que  le 
P.  Bauny  dressait  un  contrat  usuraire  qu'il  déclarait  licite.  Pascal 
donne  le  texte  dans  son  insolente  fantaisie:  et  le  comique  en  sort 
et  fait  ;a  preuve  *.  Arnauld  avertissait  que  les  Jésuites  déchargeaient 
les  pécheurs  de  l'obligation  d  aimer  Dieu;  Pascal  souligne  et 
i Lamine  la  pensée  d'un  mot,  d'un  adjectif  :  ils  ont  déchargé  les 
ko*  me*  de  t rJJïgaù-jtx  pénible  d 'aimer  Dieu*.  C'était,  disait 
Arnauld.  ruiner  le  commandement  qui  est  le  fondement  de  la  morale 
cÂr^tienmei  Pascal,  après  une  démonstration  minutieuse,  ful- 
mine cette  conclusion  en  troi*  pages  véhémentes". 

On  peut  dire  que  la  quatrième  Provinciale  est  née  de  la  cita- 
tion du  P.  Bauny.  que  Pascal  a  coupée  en  deux  :  mais  par  quel 
effort  de  génie  est-elle  née  !  II  n'y  a  presque  personne  qui  ne 
trouve  des  excuses  à  ses  crimes,  si  Ton  admet  les  conditions 
qu'ils  maintiennent  être  nécessaires  afin  qu'une  action  soit  mor- 
telle. >  Cest  bien  cela,  et  Pascal  ne  dit  pas  autre  chose  dans  le 
merveilleux  couplet  des  pa^es  $0-81  :  O  mon  père,  le  grand  bien 
fMe  »oieim.m  1!  dit  la  même  chose,  mais  comment  la  dit-il?  Et  quelle 
discussion,  que  ne  donnait  pas  Arnauld.  des  conditions  d'imputa- 
hîlité?  est-ce  vrai  par  l'expérience?  est-ce  vrai  par  l'Ecriture?  est-ce 
vrai  pour  tous  les  hommes?  est-ce  vrai  pour  les  justes?  El  quand 
Terrear  théoîogique  du  P-  Bauny  et  de  s*s  acolytes  est  ruinée  à 
foctd.  alors  seulement  est  produite  la  seconde  moitié  de  la  sentence. 
qai  précend  énoncer  une  vérité  philosophique:  et  la  discussion 
s'eUfciit  et  se  pousse  vivement  sur  les  conditions  qui  font  l'acte 
volontaire  et  sur  le  sens  du  passage  d'Aristote:  en  un  clin  d'oeil  la 
dé£ake  du  Jésuite  se  charge  en  déroute.  Et  l'ordre  de  Pascal 
triomphe  ici  :  théologiquement.  il  est  pis  pour  un  Jésuite  de  se 
tromper  sur  la  grâce  que  sur  Aristote:  mais  humainement,  pour  le 
monde,  il  est  plus  ridicule  pour  le  Jésuite  d'être  baitu  sur  un  sens 
d" Aristote  que  sur  la  question  abstruse  de  la  grâce  :  la  gradation  de 
Pascal  est.  pour  le  monde,  excellente. 

La  cinquième  Provinciale,  début  à  part,  est  toute  dans  les  quatre 
px-^xges  que  j'ai  rapprochés.  Mais  il  fallait  aller  chercher  çà  et  là 
ims  ;a  Théologie  Morale  ces  quatre  passages,  tirer  celui-ci  de  la 
pne-n^re  partie,  celui  là  de  la  quatrième  du  libelle.  Puis  il  fallait 


LES  PROVINCIALES  ET  LA  THÉOLOGIE  MORALE  DES  JÉSUITES,     195 

mettre  ces  morceaux  en  lumière.  Voyez  comme  Pascal  le  fait  :  il 
dénonce  la  doctrine  des  opinions  probables  :  il  en  fait  voir  le 
danger  et  la  politique.  Mais  il  faut  prouver  :  avant  d'expliquer  la 
probabilité,  il  la  fait  jouer  sous  nos  yeux  ;  il  choisit  une  opinion 
bien  scandaleuse  (1er  extrait  de  la  Théologie  morale),  que  son  Jésuite 
n'approuve  pas,  et  que,  sans  l'approuver,  il  offre  à  suivre  au  fidèle 
qui  le  consulte.  Comment  cela  se  peut-il?  Par  la  probabilité  dont 
le  mécanisme  est  ici  étalé,  démontré  (2e  extrait  de  la  Théologie 
morale).  Mais  quelle  garantie  a-t-on  en  suivant  cette  doctrine? 
quelle  sûreté  de  n'être  pas  trompé,  c'est-à-dire  damné?  La  confes- 
sion, avec  l'obligation  imposée  au  confesseur  d'absoudre  le  péni- 
tent que  couvre  un  seul  docteur  (3e  extrait  de  la  Théologie  morale). 
Mais  c'est  une  nouveauté  inouïe  dans  l'Eglise?  Justement  les 
Pères  étaient  bons  pour  leur  temps  :  les  nouveaux  docteurs  sont 
pour  celui-ci  (4e  extrait).  Et  ici  on  sait  comment  triomphe  la  verve 
de  Pascal,  comment,  résolvant  en  noms  individuels  la  terne  expres- 
sion collective  de  docteurs  nouveaux,  il  fait  passer  devant  nos 
yeux,  sonner  à  nos  oreilles  la  kyrielle  fantastique  de  noms  espa- 
gnols, basques,  portugais,  italiens,  flamands,  allemands,  noms 
inconnus  et  bizarres  qu'on  substitue  aux  noms  glorieux  et  aimés 
des  Pères  :  la  seule  opposition  des  sons  fait  preuve. 

Voilà  comment  MM.  de  Port-Royal  ont  tout  mis  entre  les  mains 
de  Pascal,  et  comment,  recevant  tout,  Pascal  a  pourtant  tout  créé. 
Et  je  ne  parle  pas  de  la  beauté  de  la  langue,  des  grâces  de  l'esprit, 
de  la  vie  du  dialogue  :  je  ne  regarde  que  ce  qui  est  de  l'invention, 
et  de  l'ordre,  qui  est  invention  encore.  MM.  de  Port-Royal  avaient 
trouvé  tout  ce  qu'il  y  avait  à  dire  sur  la  morale  des  Jésuites  : 
mais  ils  n'avaient  pas  trouvé  moyen  de  le  dire.  Ils  connaissaient 
la  mine  et  l'exploitaient.  Pascal  a  dessiné  et  bâti  l'édifice.  On  le 
comprend  mieux,  je  crois,  et  Ton  fait  plus  justement  à  chacun  sa 
part,  quand  on  a  regardé  le  petit  livre  de  la  Théologie  morale;  on 
sait  plus  exactement  ce  qu'il  faut  penser  du  ramasseurde  coquilles, 
et  dans  quelle  mesure  il  convient  de  parler  de  la  collaboration  de 
MM.  de  Port-Royal  aux  Provinciales  de  Pascal.  Et  pour  qui  veut 
apprendre  ce  que  c'est  qu'écrire,  quelle  invention  et  comme  quelle 
fécondation  de  la  connaissance  sèche  fait  l'écrivain,  je  ne  sais  pas 
de  meilleure  et  plus  efficace  leçon  que  la  comparaison  de  leur  livret 
avec  les  lettres. 

Gustave  Lanson. 


196  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA   F  RAS  CE. 


LE  MÉLODRAME  ET  GUILBERT  DE  PIXÉRÉCOURT 


Guilbertde  Pixérécourt,  «  prince  du  boulevard  »,  eut  une  destinée 
singulièrement  mélancolique.  Pendant  un  quart  de  siècle,  une  pro- 
duction formidable,  ininterrompue,  des  succès  comme  n'en  avait 
jamais  connus  notre  scène,  universels,  irrésistibles,  spontanés,  une 
admiration  où  rien  ne  se  mêle  de  convenu,  sans  snobisme  surtout, 
les  genres  consacrés  semblant  disparaître  devant  un  genre  nou- 
veau qui  ne  prétend  à  rien.  En  1840  encore,  les  romantiques  venus, 
Pixérécourt  jette  sur  son  passé  un  regard  de  satisfaction  ;  quand 
on  le  compare  aux  plus  grands  de  son  époque,  il  s'en  défend 
comme  d'une  insulte;  l'Académie  regrette  qu'il  n'ait  pas  voulu 
venir  à  elle;  Nodier  admire  ses  vertus,  son  art,  jusqu'à  son 
lyrisme!  Puis,  tout  à  coup,  l'oubli.  On  n'a  plus  souvenir  que  de 
quelques  titres,  dont  on  sourit.  Son  nom  surnage  vaguement, 
n'évoquant  plus  de  personnalité  précise.  Tout  ce  que  Ton  admira 
apparaît,  quand  on  y  revient,  définitivement  perdu,  —  ce  qui  est 
pire  —  grotesque.  Le  théâtre  décidément  ne  se  suffit  pas  à  lui- 
même. 

Il  est  puéril,  certes,  de  se  livrer  au  petit  jeu  des  réhabilitations 
tardives.  Ceux-là  eurent  tort,  qui  furent  vaincus.  Si  pourtant  ils 
ont  joué  un  rôle  dans  l'histoire,  il  vaut  la  peine  de  s'en  occuper. 
Du  fait  même  de  leur  succès  —  quoique  injuste,  —  ces  mélo- 
drames existent.  Si  vulgaires  qu'elles  soient,  ce  n'est  pas  vainement 
que,  pendant  trente  ans,  des  œuvres  auront  fait  frémir  une  géné- 
ration :  il  en  reste  toujours  quelque  chose  dont  elles-mêmes  ne 
profitent  pas,  mais  qui  chez  d'autres  devra  se  retrouver.  Il  n'y  a 
pas  de  révolutions  en  littérature  et  des  personnalités  médiocres 
jettent  parfois  une  vive  lumière  sur  certaines  époques  de  l'histoire 
de  l'art. 

A  cet  égard,  les  mélodrames  de  Pixérécourt  méritent  mieux  que 
l'oubli.  En  eux  s'achève  l'évolution  logique  de  tout  le  théâtre  du 
xviu*  siècle;  à  leur  école  se  prépare  le  public  qui  défendra  le 
drame  romantique. 

I 

C'est  vers  un  théâtre  populaire,  en  effet,  que  nous  conduit  l'évo- 
lution un  peu  confuse  de  l'art  dramatique  au  xvme  siècle.  Le  mélo- 


LE    MÉLODRAME    ET    GILBERT    DE    PUÉRECOCRT, 


m 


drame  historique  —  intrigues  compliquées  où  s'ébattront  les  plus 
invraisemblables  fantoches,  en  des  décors  évoealeurs  de  vagues 
souvenirs  —  est  bien  le  véritable  terme  de  celte  marche  de  la 
tragédie  s* adressant  à  un  publie  de  plus  en  plus  nombreux,  renon- 
çant aux  fines  analyses  de  jadis,  avide  de  mouvement  sous  prétexte 
de  vie*  La  faveur  croissante  de  Shakespeare  est  significative  à  ûêt 
égard  :  car,  pour  ses  admirateurs  d'alors,  Shakespeare  n'est  guère 
que  le  poète  ennemi  des  délicatesses  françaises,  ignorant  des  trois 
unités,  n'hésitant  pas  à  mettre  tout  en  spectacle-.  Il  est  le  barbare 
que  Ton  goûte  pour  faire  pièce  aux  raffinés,  —  et  parce  qu'il  esta 
la  mode  d'être  impétueux  et  naturel,  —  mais  que  Ton  édulcore 
soigneusement  en  le  traduisant.  Quant  à  comprendre  l  âme  pro- 
fonde d'HamleL,  à  voir  dans  Othello  aulre  chose  qu'une  Turquerie 
plus  brutale  que  BajazetL.. 

Dans  cette  décadence»  la  tragédie  va  rejoindre  la  comédie.  Tandis 
que  Tune  tend  vers  le  mélodrame  historique,  le  mélodrame  domes- 
tique se  dégage  tout  naturellement  de  la  seconde.  Il  est  aisé  de  se 
faire  «les  illusions  sur  la  portée  véritable  du  drame  bougeois.  Sans 
doute,  à  l'envisager  seulement  chez  La  C haussée ,  son  créateur,  ou 
dans  te  Philoêophe  sans  h  savoir,  son  chef-d'œuvre,  la  tentation 
est  forte  d'y  trouver  le  germe  de  notre  comédie  moderne;  la  filia- 
tion semble  évidente  entre  ces  tragédies  intimes  et  les  pietés  de 
Dumas  fils  :  mêmes  intrigues,  semble-L-il,  avec  seulement  plus 
d'adresse  chez  celui-ci;  personnages  de  condition  semblable,  même 
genre  d'émotion;  et  les  thèses  surtout  :  droits  du  fils  naturel, 
question  du  divorce... 

Remarquons  cependant  qu'entre  la  dernière  pièce  de  La  Chaussée 
et  la  première  d'Emile  Augîer  il  s'est  écoulé  près  d'un  siècle, 
sans  que  rien  fasse  le  pont  de  Tune  à  l'autre,  —  car  je  ne  suppose 
pas  qu'en  dehors  de  ses  déplorables  leçons  de  metteur  en  scène,  on 
attribue  à  Scribe  une  influence  quelconque;  — que,  d'ailleurs,  la 
comédie  de  mœurs  moderne  est  sortie  bien  moins  d'une  imitation 
féconde  que  d'une  simple  réaction  contre  le  théâtre  lyrique,  et  que 
les  créateurs  de  l'école  du  bon  sens  se  soucièrent  peu  de  se  relier 
à  Sedaine,  Celui-ci  mis  à  part,  il  n'est  pas  un  seul  des  successeurs 
directs  de  La  Chaussée  qui  ait  fait  reposer  une  œuvre  vivante  sur 
une  représentation  lidèle  de  la  vie  bourgeoise.  Tous  ont  l'ambition 
de  créer  une  tragédie  d'un  genre  nouveau,  tragédie  qui  s'aceom- 
modéra  d'un  certain  réalisme  de  surface,  qui  subordonnera  les 
caractères  aux  fantaisies  du  hasard,  mettra  en  scène  les  héros  du 
monde  moyen,  non  ses  personnages  habituels,  —  qui  sera  le  mélo- 
drame, en  un  mot*  £4  Philosophe  sans  te  savoir  se  joue  au  moment 


198  KfcYlfc    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRA.1CE. 

où  le  genre  nouveau  est  encore  en  voie  de  formation.  Ayant  pris 
conscience  de  lui-même,  il  donnera  Vlndigent,  XathaJie  ou  la 
Brouette  du  vinaigrier. 

On  ne  fait  pas  toujours  à  Diderot  la  pari  qui  lui  est  due  en  ces 
matières:  il  s'est  contenté,  dit-on.  de  changer  l'étiquette  du 
genre.  Celait  beaucoup,  c'était  tout  peut-être.  Lui-même,  à  vrai 
dire,  ne  s'en  est  pas  douté.  Mais  s'il  fallait  savoir  ce  que  Ton  fait, 
pour  faire  quelque  chose!...  Jl  proclame  de  bonne  foi  son  dé«irde 
plus  de  vérité  dans  l'œuvre  comique;  il  parle  de  simplicité,  mais  il 
Tf  écrit  des  phrases  de  ce  genre  :  «  La  poésie  veut  quelque  chose 

1  d'énorme,  de  barbare  et  de  sauvage  •»,  ou  cet  aphorisme  encore  : 

«  Un  plan,  c'est  une  histoire  merveilleuse  »,  et  celui-ci  :  «  Le  fonde- 
[  ment  de  l'art  dramatique,  c'est  l'histoire  ».  Il  rejette  avec  colère 

ce  qui  est  miraculeux,  mais  c'est  pour  y  substituer  «  ce  qui  est 
extraordinaire  ».  Sur  la  nécessité  de  subordonner  les  caractères  à 
l'action,  il  o'hésite  pas  une  seconde;  voici  d'ailleurs  une  formule  : 
!  «La  fatalité  et  la  méchanceté  sont,  dans  l'un  et  l'autre  genre,  les 

r  bases  de  l'intérêt  dramatique  ».  Entendez  par  «  méchanceté  »  la 

!  noirceur  d'âme  des  troisièmes  rôles  sur  les  théâtres  du  boulevard, 

\z  par  <•  fatalité  »  le  hasard  fécond  en  ressources  :  à  peu  près  tous 

|  les  éléments  du  mélodrame  futur  se  réunissent  et  prennent  corps. 

Et  sans  doute,  en  pressant  le  texte  du  «  discours  »,  on  en  pour- 
rait tirer  tout  le  contraire,  —  car,  dans  Diderot,  il  y  a  tout  en 
^  même  temps:  —  mais  c'est  beaucoup  que  l'on  en  puisse  tirer  cela. 

\  Or  c'est  cela  surtout  qu'on  en  a  tiré.  La  comédie  du  genre  moral, 

i-  la  pièce  philosophique  qu'il  a  entrevue,  la  comédie  à  thèse,  tout 

cela  est  mort  et  ne  renaîtra  que  plus  tard,  sans  qu'il  y  soit  pour 
rien.  Dès  à  présent,  le  mé'odrame  va  vivre. 

Dans  le  Traité  du  tkéitr»  de  Mercier,  il  a  pris  pleine  con- 
science de  lui-même.  C'en  est  fait  des  œuvres,  comiques  ou  tragi- 
ques, qui  n'avaient  pour  but  que  la  peinture  abstraite  de  l'être 
humain.  Cen  est  fait  aussi  de  celles  qui  songeaient  à  poser  de 
grands  problèmes  généraux,  à  discuter  des  devoirs  ou  des  condi- 
tions. Au  vieux  principe  :  €  Il  n'est  de  vérité  que  générale  »,  s'est 
substitué  celui-ci  :  «  Il  n'est  de  réalité  que  particulière  ».  Et 
comme  le  particulier  est  sans  règle,  domaine  du  hasard,  comme 
aussi  il  n'intéresse  qu'à  la  condition  d'être  surprenant,  la  porte  est 
ouverte  aux  plus  mélodramatiques  invraisemblances,  la  rtalité 
elle-même  reléguée  dans  le  détail  extérieur,  dans  le  souci  simple- 
ment de  tri  accessoire  :  brouette  grinçante  du  vinaigrier,  vraies 
taches  de  vraie  boue  sur  la  vraie  blouse  d'un  p*y*an  archi-faux. 
Cela  suffit,  et  l'on  peut,  à  ce  prix,  faire  reparaître  à  satiété  le 


LE    NfcXOUIWME    El    CUII  BKItl     hK    P1XÉRKCOUHT. 


IW 


vertueux  tisserand,  1»'  pervers  gentilhomme,  le  capitaine  de 
vaisseau  dont  les  voyages  «  ont  élargi  le  cœur  ».  Un  père  pi  al 
s'apercevoir  soudain  qu'il  allait  épouser  sa  fille,  ou  retrouver 
son  fils  qu'il  avait  égaré  jadis  et  auquel  il  ne  songeait  plus.  Ces 
choses-là  sont  simples  :  on  pleure  d'attendrissement,  on  s'embrasse 
et  chacun  part,  content  de  lui-même  et  de  tout.  Le  monde  est  le 
théâtre  de  toutes  les  vertus;  quelques  méchants,  certes,  mais  seu- 
lement pour  qu'on  ait  le  bonheur  de  les  voir  convertis  ou 
désarmé*.  Quand  on  songe  que  h  Juge,  que  F  Indigent  et  que 
\kaiie  furent  écrits  par  haine  de  la  convention!,.*  L'histoire 
littéraire  a,  comme  l'autre,  des  enchaînements  singuliers. 

D'ailleurs,  ce  que  fait  Mercier  n'est  rien,  auprès  de  ee  qu'il  rêve: 
ici,  il  ne  connaît  plus  de  limites.  11  est  proprement  la  caricature 
de  ce  qu'il  y  a  de  plus  excessif  en  cette  fin  du  xvm  siècle.  La  sen- 
sibilité est  chez  lui  plus  outraneîère  que  chez  personne;  il  est  dans 
un  perpétuel  frémissement.  Le  théâtre  tel  qu'il  le  conçoit  doit 
«  exercer  toute  notre  sensibilité,  ouvrir  tous  les  trésors  du  cœur 
humain  ii.  Lui-même  s'exalle  sur  les  spectacles  atroces.  Il  admire 
un  homme  quî  suit  les  exécutions  en  place  de  Grève  :  «  Quelle 
source  de  pathétique  et  d'intérêt!  Que  de  choses  neuves  et  non 
encore  aperçues!  Que  d'expériences  faites  sur  le  cœur  humain!..». 
Ce  iTesl  pas  qu'au  fond,  Mercier  ait  l'Ame  violente.  D'abord 
jacobin  enragé,  il  a  pilié  bientôt  du  sort  des  victimes,  et  risque  de 
le  partager  pour  s'en  être  attendri,  À  part  son  rôle  effacé  h  la 
Convention,  il  est  tour  à  tour  professeur,  contrôleur  à  l'adminis- 
tration de  la  loterie,  membre  de  l'Institut,  puis  professeur  encore  : 
toutes  situations  assez  régulières.  Maïs  il  porte  partout  son  impé- 
tuosité naturelle.  Il  passe  à  travers  la  vie,  échauffé  et  fumeux, 
sorte  de  cabotin  sincère,  ayant,  sans  méchanceté,  des  haines 
féroces  :  contre  Voltaire  qui  a  corrompu  son  siècle,  contre  Raphaël 
et  le  Titien  qui  ont  corrompu  le  monde,  contre  Galilée  qui  a  sou- 
tenu que  la  terre  tourne!  Et  ces  haines  se  satisfont  à  s'exprimer 
violeinmenL  IL  croit  aux  «  explosions  du  génie  »,  il  raille  «  la 
flûte  n  et  «  les  mosaïques  *  de  Racine,  il  tlélril  les  «  Idïologuos  », 
Il  a  le  calembour  frénétique,  et  le  coq-â-l'àne  truculent.  «  Accu» 
muiez  les  couleurs!  »,  s'écrie-t-il.  comme  d'autres  :  *  Faisons  du 
bruit!  * 

Ses  idées  se  réduisent  à  quelques-unes;  il  est  vrai  qu'il  y  tient 

rage.  Etant  simples,  elle*  se  condensent  aisément  en  apho- 

rismes  :  c'est  ainsi  que  les  romantiques  les  aimeront.  *  Les  rois 

sont  des  tyrans  »,  *  des  têtes  à  diadèmes  »,  *  de  vils  automates  »  ; 

cela  n'est  pas  très  compliqué,  niais  cela  suflit,  si  d'autre  part  on 


900 


BEVUE    D  HISTOIRE    UTTUIUIIIE    DE    LA    FllAM.K. 


: 


est  poêle,  pour  faire  entrer  dans  la  légende  des  siècles  un  roman 
ccro  assez  savoureux.  —  «  Richelieu  fui  un  assassin  n  ;  voilà 
presque  de  quoi  concevoir  Mari  on  de  Lorme.  —  «  Les  orages 
civils  sont  le  garant  de  la  santé  des  peuples  *,  dît-il  encore  quand 
il  fait  un  effort  de  réflexion  philosophique. 

À  Tégard  des  poêles  classiques,  il  devance  les  ftévérités  du 
romantisme*  Racine  a  bien  quelque  talent,  comme  M11*  de  Scudéry, 
une  certaine  souplesse  de  forme;  mais  ses  personnages  se  res- 
semblent tous.  À  part  son  Tartuffe,  Molière  a  gaspillé  son  génie* 
Quant  à  Corneille,  lui,  du  moins,  fut  un  éloquent  républicain,  mais 
il  n'a  pas  su  naître  au  bon  moment.  Aucun  d'eux,  à  vrai  dire,  ne 
nous  apparaît  «  l'auguste  bienfaiteur  i  que  doit  être  le  poète. 
Et  cet  auguste  bienfaiteur.  Minier  nous  le  décrit-  Ce  n'est  pas  le 
chapitre  le  moins  pittoresque  du  traité,  que  celui  des  «  idées  du 
poète  ».  Car  le  poète,  tout  en  ayant  pour  devoir  d'être  libre,  a 
pour  devoir  aussi  de  se  bien  pénétrer  d'un  ce r tain  catéchisme 

«  II  doit  surtout  avoir  une  idée  haute  de  la  nature  humaine. 
H  doit  croire  que  l'homme  est  né  bon*  »  ■ —  «  11  doit  s'enflammer 
pmir  la  vérité,  être  enthousiaste  de  toute  vertu.  »  —  «  IL  doit  voir 
tomber  les  barrières  qui  séparent  les  nations  n%  et,  en  même 
temps,  il  doit  «  aimer  la  guerre  >k  (Il  n'est  pas  obligé  d'être 
logique*)  —  «  Qu'il  sache  que  les  lois  de  la  société  ne  doivent 
pas  contredire  les  lois  de  la  nature.  »  —  «  Qu'il  sache  que  tout 
système  politique  doit  être  posé  sur  le  droit  naturel,  n  —  J'en 
passe;  il  y  a  des  aphorîsmes  de  ce  genre  pendant  plusieurs  pages* 

Fidèle  à  ces  principes,  les  sujets  ne  lui  manqueront  pas.  Us 
naissent  d'eux-mêmes  entre  les  mains  de  Mercier,  et  tels  précisé- 
ment que  les  retrouvera  Pixérécourt  :  l'honnête  cultivateur, 
l'homme  voluptueux,  l'homme  endellé,  et  tant  d'autres.  Veut-on 
un  mélodrame  historique  :  «  On  peut  immortaliser  l'innocent 
Opprimé  par  le  pouvoir  le  plus  formidable  »,  et  ce  sera  te  Proscrit 
au  V Homme  o  trois  visages,  le  Masqn*  <fe  ftt9  voire  même  Bemani\ 
le  cycle  des  bannis  est  inépuisable.  —  Le  préfère-ton  contem- 
porain :  «  Qui  empêche  de  faire  servir  le  théâtre  aux  honneurs 
publics?  Lot  si] u  un  héros  aura  sauvé  ou  vengé  la  patrie,  au  lieu 
de  faire  jaillir  ces  feux  d'artifice  (jeux  d'enfants  dissipateurs),  si 
Ion  portait  sur  la  scène  la  te  nie  du  général?...  »;  que  de  larmes 
n'a  pas  fait  couler  (n  ÇatÇMôâe  du  père  BugMm&l  —  Et  le  mélo- 
drame judiciaire,  et  les  catastrophes  domestiques,  et  les  tableaux 
(l'hôpital,  et  tous  les  monstres!  Mercier  frémit  devant  ce  qu'il 
imagine  :  «  Je  m'égare,  je  me  trouble,  la  plume  fuit  de  mes  mains. 
Des  monstres  encore  plus  noirs  passent  devant  mon  imagination. 


LE    MÉLODRAME   ET   GUILBERT   DE    PIXÉRÉCOURT.  201 

La  douleur  m'oppresse  et  je  sens  que  je  n'aurai  pas  la  force 
d'achever!...  »  Comme  l'on  voit,  le  mélodrame  a  trouvé  jusqu'à 
la  forme  de  style  qui  lui  convient.  La  décadence  de  la  tragédie, 
Tavortement  de  la  comédie  sérieuse,  l'influence  du  dehors,  tout  a 
concouru  à  lui  donner  ses  caractères  essentiels. 

Est-il  besoin  de  noter  enfin  combien  les  circonstances  exté- 
rieures sont  et  vont  demeurer  favorables  à  son  développement?  Le 
mélange  de  violence  et  d'humanitarisme  de  la  fin  du  xviu0  siècle, 
le  goût  de  l'action  précise  et  le  lyrisme  mouillé,  la  conviction  que 
la  nature  est  bonne  et  r absence  de  scrupules  avec  laquelle  on 
élague  ce  qui  la  corrompt,  ces  enfantillages  et  cette  énergie,  cette 
froideur  calme  dans  l'action,  ce  dévergondage  dans  le  rêve,  tous 
ces  personnages  entraînés  dans  un  tourbillon  de  faits  qu'ils  pro- 
voquent quelquefois  et  dont  ils  ne  peuvent  plus  arrêter  les  con- 
séquences, ces  dévouements,  ces  clameurs,  ces  héros  qui  sont 
des  assassins,  ces  assassins  qui  deviennent  des  victimes,  cet 
appareil  tantôt  solennel  et  tantôt  sanglant,  puis  le  long  rêve 
héroïque  de  l'empire  :  ne  serait-ce  pas  un  formidable  mélodrame, 
si  toutes  ces  invraisemblances  n'avaient  été  vraies.  Et  ces  années 
de  fièvre  passées,  il  en  restera  quelque  chose  de  maladif;  les 
esprits  d'élite  tomberont  en  un  dégoût  de  la  platitude  présente,  et, 
hautains,  se  plairont  à  la  rêverie.  Quant  à  la  foule,  elle  n'est  pas 
faite  pour  désespérer  en  silence.  Elle  demandera  au  théâtre  de  lui 
rendre  ces  angoisses  violentes,  que  ne  lui  donne  plus  la  réalité; 
c'est  là  qu'elle  ira  entendre  ces  grands  mots,  qui,  pQur  la  toucher, 
n'ont  presque  plus  besoin  d'avoir  un  sens;  elle  y  trouvera  ces 
héros  dont  elle  rêve,  ces  grandes  aventures,  ces  grandes  actions, 
ces  grands  crimes,  les  émotions  de  ces  sujets  extravagants,  et 
la  consolation  de  ces  dénouements  attestant  en  toutes  choses 
l'intervention  inévitable  de  la  providence.  Pendant  une  vingtaine 
d'années,  le  mélodrame  sera  tout  notre  théâtre;  par  lui,  lente- 
ment, se  préparera  la  révolution  de  1827. 


II 

L'année  même  où  Mercier  achevait  son  Traité  du  théâtre,  Guil- 
bert  de  Pixérécourt  naissait  à  Nancy.  Jusqu'à  1830  il  devait  fournir 
leur  répertoire  aux  théâtres  du  boulevard.  C'est  avec  lui  seulement 
que  le  mélodrame  se  constitue  avec  tous  ses  caractères  définitifs, 
et  il  ne  lui  survivra  pas,  en  tant  que  genre  littéraire  du  moins. 

Il  y  a  peu  de  vies  consacrées  d'une  manière  si  persévérante  à  la 

Rrr.  d'hist.  littér.  d*  la  Franck  (7#  Ann.).—  VII.  44 


20S  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE   LA    FRANCE, 

poursuite  d'un  même  but.  Rien,  une  fois  engagé  dans  cette  rouir, 
ne  len  a  pu  détourner;  on  ne  l'a  pas  vu,  grisé  par  un  suceèd 
prodigieux,  se  proposer  jamais  un  autre  idéal,  et  tous  les  mal- 
heurs de  ses  dernières  années  ne  l'ont  pas  engagé  davai 
chercher  des  consolations  en  dehors  de  ses  essais  favoris.  Il  est 
le  mélodrame  fait  homme.  Il  en  pratique  k  la  fois  toutes  les 
variété».  En  une  même  année,  il  passe  de  fa  Forteresse  du  Danube 
à  tfûifl  actes  sur  Roàinson,  de  Marguerite  rf Anjou  aux  Ruines 
tir  Babylone*  Cela  pendant  plus  de  trente  ans,  a  ver  une  fécondité 
toujours  égale.  Il  en  arrive  à  écrire  ainsi  120  pièces,  faisant  un 
total  de  32!)  actes  :  lui-même  a  dressé  cette  statistique  glorieuse. 
Et  le  public  l'acclame  sans  marquer  jamais  de  lassitude,  500  repré- 
sentations, voilà  pour  l'ordinaire;  il  s'élève  à  1022  avec  CHom 
à  trois  visages %  à  1158  avec  le  Chien  de  Montargtsy  à.  134G  avec 
Femme  à  deux  mort*,  et  dépasse  1500  avec  le  Peler  in  blanc,  «  Le 
succès  de  ce  mélodrame  fut  de  courte  durée  »,  écrit  E.  de  Vaula- 
belle  à  propos  de  Christophe' Cohmè,  joué  126  fois* 

Cette  souplesse  admirable  donne  le  vertige  aux  critiques  de 
l'époque.  Geoffroy  le  couvre  d'éloges  presque  sans  réserve  :  a  Le 
boulevard  semble  aujourd'hui  la  grande  sphère  d'activité  de  notre 
poésie  dramatique.  Sur  ce  Parnasse  nouveau,  chaque  mois  voit 
éclore  un  chef-d'œuvre,  tandis  que  nos  plus  nobles  théâtres, 
frappés  d'une  stérilité  honteuse,  abusent  du  privilège  de  la  noblesse 
et  vivent  sur  leur  ancienne  gloire'».  Pour  les  autres,  il  est  un  Dieu, 
un  roi  tout  au  inoins.  On  parle  de  «  son  sceptre  »,  on  l'appelle 
«  le  prince  du  boulevard  »,  le  Corneille  du  mélodrame,  dont  Guignez 
est  le  Racine  et  Cuvelier  de  Trye  le  Crébillon,  Certains  même  vont 
jusqu'à  invoquer  !r  nom  de  Shakespeare.  *  Votre  cousin  gi  rmaiii 
Shakespeare...  »,  lui  écrit  à  propos  du  IMvvder  le  chevalier  de 
Marchangy*.  Et,  au  fond,  je  ne  suis  pas  sûr  que  Pixérécourt  trouve 
flatteuse  la  comparaison,  car  on  sait  que  les  pièces  de  Shakespeare 
finissent  souvent  mal,  qu'elles  sont  d'allure  fort  libre  et  que  la 
morale  en  est  flottante  parfois. 

Quarante-deux  ans  consacrés  ainsi  à  imaginer  des  pièges  tendus 
à  la  vertu  et  à  l'en  faire  sortir  toujours  triomphante,  cela  suppose, 
en  même  temps  qu'une  singulière  force  de  travail,  un  optimisme 
admirable  et  dont  il  n'a  pas  tort  en  définitive  d'être  fier.  C'est  cet 
optimisme  surtout  qui  lui  donne  sa  physionomie.  11  ne  met  pas, 
comme  Mercier,  une  rage  à  soutenir  que  l'homme  est  né  bon, 
mais  il  a  une  confiance  sereine  dans   les  décrets  de  la  Provi- 

\>  Feuilleton  sur  La  femme  à  deux  maruy  1802, 
2*  Lettre  du  10  décembre  181». 


I 


^m 


M     MÉLODRAME    ET    GCILBKRl     DE    PIXtéRÉCOUitT. 


203 


dence.  Peut-être  est-ce  à  cause  des  secousses  de  sa  vie*  Il  n'est 
rien  de  tel  que  d'être  expose  à  Ions  les  désastres,  pour  se  raccro- 
cher désespérément  à  une  Foi  dans  l'avenir.  Et  puis,  ces  dangers 
de  la  jeunesse  ont  toujours  quelque  chose  de  séduisant.  II  s'est 
plu  à  nous  raconter  ses  premières  années;  elles  sont  pleines  de 
poésie,  an  sens  où  Ton  entendait  ce  mot  à  la  On  du  siècle  dernier  : 
clairons  et  musettes,  héroïsme  H  sensibilité.  Passé  à  l'armée  des 
princes,  sur  Tordre  de  son  père  ci  sans  savoir  pourquoi,  il  ne  Fait 
qu'y  ébaucher  un  roman  d'amour;  voilà  déjà  qui  s'annonce  bien. 
À  ce  roman,  rien  ne  manque  de  ce  qui  est  traditionnel  ;  comme 
décor,  un  monastère  aux  bords  de  la  Moselle,  comme  person- 
Mgta,  le  bon  curé  Millier,  une  abbesse  imposante,  la  jeune  fille 
ourvue  de  toutes  les  grâces,  le  guerrier  sensible  qu'est  alors 
Pixérécourt;  et  ce  sont  des  lectures  faîtes  en  commun,  des  accents 
d'orgue,  des  attendrissements  ;  puis  l'ordre  de  départ,  le  chaste 
baiser;  quelques  semaines  après,  la  funeste  nouvelle,  le  retour 
atïoléf  T  «  aine  céleste  »  qui  s'en  vole*. .  Pixérécourt  rentre  en 
France,  il  arrive  à  Paris;  ayant  tout  à  craindre,  et  rien  pour  vivre, 
il  enlumine  des  éventails  dans  un  grenier,  comme  FavarL  dans 
une  cave.  Enfin  l'amitié  de  Carnot  lui  rend  la  sérurilé,  e!  le 
voilà  plongé  dans  la  lecture  des  drames  de  Mercier  et  des  nou- 
velles de  Florian.  Avec  eux,  il  achève  d'acquérir  l'expérience  de 
la  vie;  comment  ne  sentit-il  pas  bien  informé? 

Ceci  n'est  pas  un  détail  sans  importance.  Même  en  composant 
ses  mélodrames  les  plus  poignants,  il  n'oubliera  jamais  ses  pre- 
mières lectures.  «  Je  n'ai  jamais  vu  Florian,  dit-il  en  1841,  mais 
il  a  été  l'auteur  Favori  de  mon  enfance;  il  m'a  toujours  inspiré  un 
sentiment  de  prédilection;..-  il  a  déterminé  ma  vocation  pour 
la  carrière  dramatique.  »  On  ne  s'attendait  guère  à  voir  Tau  leur 
d' Estel lr  parmi  les  précurseurs  du  mélodrame  :  il  en  est  ainsi 
cependant.  Pïxérécourt  lui  emprunte  sa  première  pièce,  Selico  ou 
lê$  nèffres  généreux]  [dus  lard,  il  lui  devra  encore  les  Maures  d'Es- 
pagne. On  voit  aisément  les  conséquences  de  ce  goût  :  le  mélo- 
drame va  perdre  cette  âprcié  que  lui  voulait  Mercier,  et  s'orienter 
dans  le  sens  d'un  optimisme  pleurard*  «  J'écris  dans  le  genre  de 
Bedaine  »,  dira  encore  Pixérécourt;  ce  qui,  pour  lui,  revient  exac- 
tement au  même. 

Perdant  son  âpreté,  le   genre   nouveau  va    oublier  aussi  ses 

rétentions    batailleuses.    Pixérécourt  n'est   fait    pour  violenter 

ersonne,  il  apporte  en  toutes  choses  une  modestie  ingénue.  Roi 

ans  son  domaine,  il  reconnaît  sans  difficulté  qu'il  en  est  de  plus 

glorieux.  La  tragédie    lui    inspire   le   plus    profond    respect;    il 


*io; 


REVUE    D'HISTOIUK    l  1 ITIUAIUI:    ME    LA    K1UNCE. 


l*admire  pour  son  passé,  pour  sa  grandeur  solennelle,  pou 
conventions  mémo  auxquelles  elle  se  soumet  :  les  unités»  les  cinq 
actes,  l'emploi  du  vers,  ce  sont  là  îles  éléments  de  beauté  supé- 
rieure. D'être  plus  libre,  le  mélodrame  lui  paraît  littérairement 
inférieur,  Aussi  use-t-il  de  cette  liberté  avec  une  extrême  prudence. 
S'il  ne  s'astreint  pas  aux  unités,  il  s'en  écarte  Cependant  le  moins 
possible  :  a  Pour  me  conformer  autant  que  possible  à  la  régie  des 
unités,  dit-il  à  propos  de  Ckriêtophé  Colomb^  je  suis  parvenu,  non 
sans  beaucoup  de  peine,  à  conserver  dans  mon  drame  celles  de 
tetxipfl  et  d'action;  ma  pièce  ne  dur*.*  que  vinirt-qualre  heures  »,  Et 
quand  il  lui  Arrive  de  les  violer  trop  nettement,  inquiet,  il  prévient 
le  public  dès  le  litre  même  :  La  Fille  de  Vexité^ou  huit  moi&  en  deux 
heures.  Par  modestie  encore,  il  s'interdit  de  dépasser  les  limites  de 
trois  actes.  Les  cinq  actes  doivent  être  réservés  aux  genres  supé- 
rieurs. Avant  1 820,  il  ne  se  risque  qu'une  fois  à  eo  écrire  qualre  [la 
Citerne i  1809),  puis  deux  fois  encore,  eo  182G  et  1827  (le  Moulin 
étang*  et  If  Tête  de  mort).  La  coupe  par  tableaux  surtout  lui 
semble  sacrilège*  Il  s'y  décide  bien  après  1830;  mais  c'est  qu'à  ce 
moment,  les  romantiques  venus,  l'anarchie  est  abominable;  des 
gens  qui  se  disent  poètes   couvrent   la    tragédie    de    sarcasmes. 
Devant  le  drame  nouveau,  le  mélodrame  n'est  pas  disposé  à  rester 
humble  :  c'est  lui  maintenant  qui  représente  la  tradition;  «  il  n \ 
a  plus  de  boulevard,  les  Pyrénées  du  mélodrame  sont  abaissées  a* 
dit  un  article  du  Figaro^  et,  conquête  suprême,  ta  Ferme  et  te 
Château  cl  Lalude  sont  en  S  actes  chacun.  Ce  sont,  en  1834,  les 
dernières  pièces  de  Pixérécourt. 

Voici  enfin  qui  est  mieux  que  tout,  Une  seule  fois  et  sur  les 
instances  d'amis  qui  voudraient  le  voir  académicien,  il  a  écrit  un 
acte  en  vers  pour  le  Théâtre-Français.  Il  s'agissait  de  s'affirmer 
ainsi  homme  de  lettres,  de  «  légitimer  ses  bâtards  .,  et  c'était 
d'ailleurs  une  formalité  toute  pure.  La  pièce  {Une  viêite  de  M**  de 
fa  Vattièrs)  est  reçue  avec  enthousiasme,  M"*  Mars  est  ravie  de 
son  rôle..-  C'est  l'auteur  lui-même  qui  retire  son  œuvre,  n'osant 
pas  risquer  la  lutte  sur  un  terrain  qui  n'est  pas  le  sien  :  du  même 
coup,  il  renonce  à  l'Académie.  Il  se  contentera  de  s'autoriser  des 
dignités  des  autres,  et,  dans  l'édition  de  ses  œuvres  choisies,  de 
faire  précéder  ses  pièces  de  notices  dues  à  tout  ce  qu'il  connaît  de 
célèbre  :  «  ses  amis  membres  de  l'Institut  »,  comme  on  lit  sur 
la  couverture*  Si  on  veut,  ceci  est  bien  de  l'orgueil,  mais  un 
orgueil  si  jeune  et  si  naïf,  qu'il  en  devient  de  la  modestie. 

Telle  est   donc,  en  son  principe,  la  déformation  que   subit  le 
mélodrame  entre  les  mains  de  Pixérécourt.  Il  y  avait  dans  le  pro- 


LE    MÉLODHAME    ET    GUILBERT    DE    PIXÉRÉCOURT.  205 

gramme  de  Mercier  deux  choses  à  peu  près  inconciliables  :  la 
volonlé  de  s'adresser  au  peuple  d'une  part,  et,  de  l'autre,  la  préten- 
tion de  créer  une  beauté  nouvelle,  de  substituer  Un  art  profond  et 
vrai  comme  la  vie  à  un  art  qui  lui  semblait  de  pure  convention. 
Nous  savons  combien,  en  définitive,  il  resta  au-dessous  de  ses 
promesses.  Pixérécourt  a  le  mérite  d'abord  d'être  plus  prudent. 
Il  sent  à  merveille  que,  pour  gagner  la  foule,  il  ne  faut  pas  lui 
apporter  des  théories  à  grand  fracas,  et  que,  sans  prétentions 
d'aucune  sorte,  on  peut  faire  encore  une  œuvre  utile,  et  belle  par 
son  utilité.  C'est  ce  que  nous  indique,  avec  une  netteté  de  vues,  je 
dirai  presque  touchante,  la  brochure  qu'il  consacra  en  1818  à  la 
défense  du  mélodrame.  De  sa  valeur  littéraire,  il  n'hésite  pas  à 
faire  bon  marché;  mais,  sans  parler  de  son  attrait,  il  lui  reste 
encore  un  double  mérite  :  il  travaille  au  développement  moral  de 
la  foule,  et  aussi  à  son  développement  intellectuel,  car  il  lui  fait 
connaître  par  des  adaptations  les  pièces  les  plus  belles  du  dehors. 
Il  n'a  besoin  ni  de  philosophie  profonde  ni  d'éclats  de  génie,  il  fait 
œuvre  modeste  de  vulgarisation.  «  On  ne  peut  refuser  au  mélo- 
drame cette  justice  que  c'est  lui  qui  nous  retrace  le  mieux  et  le 
plus  souvent  les  sujets  nationaux,  genre  de  spectacles  qui  doit 
être  représenté  partout.  Il  offre  à  la  classe  de  la  nation  qui  en  a 
le  plus  besoin  de  beaux  modèles,  des  actes  d'héroïsme,  des  traits 
de  bravoure  et  de  fidélité.  On  l'instruit  par  là  à  devenir  meilleure 
en  lui  montrant,  même  dans  ses  plaisirs,  de  nobles  trails  peints 
de  nos  annales...  Le  mélodrame  sera  toujours  un  moyen  d'instruc- 
tion pour  le  peuple,  parce  qu'au  moins  ce  genre  est  à  sa  portée... 
Enfin,  il  me  semble  qu'au  lieu  de  verser  le  ridicule  sur  les 
hommes  de  lettres  qui  l'ont  adopté,  on  devrait  au  contraire  leur 
savoir  gré  de  transporter  sur  notre  scène  l'élite  des  pièces  alle- 
mandes et  anglaises  :  ce  qu'ils  ne  font  toutefois  qu'après  les  avoir 
améliorées,  en  leur  donnant  une  forme  régulière.  » 

Guilbert  de  Pixérécourt  se  fait  bien  quelques  illusions,  à  vrai 
dire,  sur  la  portée  de  ses  adaptations.  Parmi  les  écrivains  qui 
commencent  à  jeter  les  yeux  sur  les  littératures  du  dehors,  il  est 
un  de  ceux  à  coup  sûr  qui  les  comprennent  le  moins.  11  suffit  de 
l'entendre  parler  avec  mépris  des  libertés  des  demi-sauvages.  En 
fait  de  goût,  il  s'en  tient  encore  aux  exigences  de  Voltaire,  et  il  est 
moins  informé  que  lui.  On  a  très  vite  fait  le  tour  de  ce  qu'il  nomme 
«  l'élite  »  des  pièces  étrangères.  Quelques  romans  de  Walter 
Scott,  le  Robinson  Crusoë,  YAbelino  de  Zchote,  le  Calcb  Williams 
de  Godwin;  avec  cela,  les  traductions  du  comte  de  Saint-Aulaire, 
sa  «  Collection  des  théâtres  étrangers  ».  Et  c'est  bien  peu,  mais 


206  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

cela  suffit  pour  l'usage  qu'il  en  veut  faire.  Il  ne  touche  ni  à  Gœthe, 
ni  à  Schiller,  ni  à  Shakespeare,  et  Ton  n'a  garde  de  lui  en  vouloir, 
quand  on  lit  Marguerite  d'Anjou  et  qu'on  se  rappelle  Richard  III. 
Le  travail  d'adaptation  auquel  il  se  livre  ne  laisse  pas,  en  effet, 
subsister  grand  chose  de  ses  modèles.  Il  ne  veut  y  trouver  que 
quelques  situations  propres  à  s'accommoder  à  sa  sauce  douceâtre, 
quelques  effets  de  décor  et  de  costume  et  quelques  grandes  leçons. 
Après  cela,  il  est  homme  à  vider  en  un  tour  de  main  le  drame  le 
plus  riche  de  toute  la  substance  qu'il  peut  avoir.  Ainsi  dépouillés, 
il  n'est  plus  de  chefs-d'œuvre  qui  dépassent  l'intelligence  du  public. 
Cherchez  une  différence  entre  la  pièce  qu'il  emprunte  au  nébuleux 
Werner  et  celles  qu'il  doit  à  la  languissante  Mme  Coltin  ou  à 
Ducray-Duminil,  cher  aux  adolescents  de  1815  '. 

Et  de  même,  sa  façon  de  concevoir  la  morale  au  théâtre  ne  va 
pas  sans  naïveté.  Il  a  une  confiance  excessive  dans  le  pouvoir  de 
ses  dénouements;  il  est  trop  convaincu  qu'à  voir  les  grands  crimes 
punis  on  devient  vertueux,  et,  comme  portée  philosophique,  son 
optimisme  est  très  inférieur  à  celui  de  Rousseau,  voire  même  à 
celui  de  Mercier.  Mais  tout  le  monde  autour  de  lui  partage  cette 
illusion,  ce  qui,  en  une  certaine  mesure,  le  justifie.  Il  n'y  a  qu'une 
voix  pour  le  proclamer  grand  moralisateur  des  foules.  Écoutez 
Charles  Nodier  :  «  Je  l'ai  vu,  dans  l'absence  du  culte,  suppléer  aux 
instructions  de  la  chaire  muette  et  porter,  sous  une  forme 
attrayante  qui  ne  manquait  jamais  son  effet,  des  leçons  graves  et 
profitables  dans  l'âme  des  spectateurs...  »  Que  si  l'on  réclame  des 
preuves  :  «  Le  long  espace  de  lemps  embrassé  par  ce  théâtre  est 
le  plus  pur  de  toute  espèce  d'attentats,  dont  les  registres  de 
nos  tribunaux  aient  conservé  le  souvenir  »,  et  il  rappelle  ces 
paroles  d'un  homme  de  bien  s'efforçant  de  détourner  un  criminel 
de  ses  projets  :  «  Malheureux!  Tu  n'as  donc  jamais  vu  repré- 
senter une  pièce  de  Pixérécourt!  »  Que  voulez-vous  répondre  à 
cela?  Pixérécourt  a  tout  au  moins  inspiré  l'horreur  du  crime  aux 
honnêtes  gens;  peut-être  le  pouvoir  de  tous  les  moralistes  ne  va 
pas  plus  loin. 

C'est  ainsi  que  toutes  les  insuffisances  de  Pixérécourt,  le  peu 
de  profondeur,  mais  la  netteté  logique  de  ses  vues,  la  candeur  de 
ses  préjugés,  mais  la  noblesse  de  ses  intentions,  tout  a  contribué  à 
rendre  son  influence  plus  profonde.  Après  tout,  pour  préparer  un 
public  aux  poètes  dramatiques  du  lendemain,  il  est  inutile  d'être 
soi-même  poète  :  Hardy  ne  le  fut  pas  plus  que  lui.  Il  est  nécessaire 

1.  Le  Monastrre  abandonne.  —  La  Fille  de  l'exilé.  —  Cêlina 


IL    MLUKiKAMi:    Kl    i.LIlBKItï    DR    PlXÛrUXUl'IlT.  207 

en  revanche  d'être  homme  de  théalre,  et  tous  deux  le  furent  de 
façon  analogue» 


Pixérécourt  a  le  sens  inné  de  ce  qui  convient  à  la  foule*  Tout 
d'abord,  il  comprend  à  merveille  qu'elle  ne  tient  pas  à  voir  sur  la 
scène  des  types  faits  à  son  image,  que  la  pièce  populaire  n'excitera 
pas  sftn  enthousiasme.  À  cet  égard,  là  Brouette  du  vinaigrier  était 
(lue  erreur.  Le  peuple  aime  le  style  noble.  "  Il  est  dans  la  nature 
du  mélodrame,  comme  dit  Geoffroy,  Je  frapper  l'imagination  par 
des  noms  fameux  qui  réveillent  de  grands  souvenirs1*  »  Du  jour 
ou  Diuaux  et  Ducange  travailleront  dans  Trente  ans  ou  la  fou  dan 
"tir  a  te  rapprocher  de  la  vie,  c'en  sera  fait  de  lui.  Pixérécourt 
ne  louche  jamais  a  des  sujets  domestiques  sans  les  élever  ;  les 
pères  de  ses  jeunes  filles  séduites  sont  régulièrement  vieux  soldats 
ou  infirmes,  aveugles  de  préférence,  ce  qui  suffi l  a  les  transformer 
en  «  respectables  vieillards  », 

Encore  préfère- 1- il  d'ordinaire  s'en  tenir  aux  «  gens  de  condi- 
tion h  et  aux  sujets  historiques.  Singulière  histoire,  il  est  vrai,  il 
la  connaît  a  travers  de  vaguea  souvenirs  de  Walter  Scott  et  des 
dramaturges  allemands-.  Seules,  certaines  époques  existent  pour 
lui,  particulièrement  expressives  :  notre  wur  sièele,  OÙ  des  ofli- 
ciers  tombent  follement  amoureux  des  maîtresses  du  roi,  franchis- 
sent des  murs  pour  le  leur  dire,  et,  pour  avoir  déplu,  languissent 
pendant  des  trente  ans  au  fond  de  cachots  humides;  l'Espagne  au 
pouvoir  des  Maures;  l'Ecosse  de  Marie  Stuart;  l'Italie  de  la  renais- 
sance avec  ses  proscrit*,  ses  brigands,  s«-s  conjurations  tramées 
dans  des  jardins  parfumés  de  fleurs  cl  peuplés  de  statues,  la  solen- 
nité de  ses  doges,  la  perversion  élégante  de  ses  grands  seigneurs. 
De  Venise  et  de  Fur  rare  surtout  il  a  une  vision  savoureuse.  Quelle 
matière  poétique  le  théâtre  peut  y  trouver  ;  le  chatoiement  des 
costumes,  les  sérénades  pendant  les  belles  nuits,  les  rapières  jail- 
lissant du  fourreau  pour  un  regard,  un  traître  ou  un  héros  ven- 
geur caché  dans  chaque  taillis!  Sans  peine  et  juste  au  bon  moment, 
le  personnage  attendu  sort  d'un  buisson,  d'un  rocher,  d'une  grotte, 
d'une  citerne  ou  d'un  vieil  aqueduc;  veut-il  disparaître,  un  coup 
de  pishdet...  une  gondole  est  là.  En  plein  conseil,  un  bandit 
arrache  sa  barbe,  et  ce  bandil  se  retrouve  grand  seigneur  :  tout 
était  perdu,  tout  est  sauvé.  Des  jeunes  filles  «  anges  tutélatres  » 
ou  «  démons  femelles  »  courent  les  chemins  avec  un  choix  inépui- 

i.  Article  sur  les  ruines  de  Babylone. 

2.  Le  tiège  de  Nancy  se  pique  d'une  exarULude  plus  gronde;  il  l'a  fait  précéder 
d'une  étude  stratégique  du  colonel  Bergère  avec  cartes  et  plans. 


208  REVUE    D  HISTOIRE    LITTERAIRE    DE    LA    FRANCE. 

sable  de  déguisements  :  en  «  génies  mystérieux  »,  en  vieillards, 
en  magiciens,  en  femmes  quand  elles  ont  le  temps,  mais  plutôt  en 
pages.  Tous  les  théâtres,  dit  Pixérécourt,  ont  dans  leur  troupe  des 
jeunes  personnes  capables  de  porter  ce  costume,  et  cela  fait  plaisir 
à  voir.  Et  comme  tous  ces  personnages  parlent  le  langage  de  leur 
temps!  Dès  les  premiers  mots,  la  pièce  est  située.  Faut-il  évoquer 
la  Pologne,  une  phrase  suffit  :  «  Qui  supposera  jamais  que  la  belle 
Floreska  soit  enfermée  au  château  de  Minski,  dans  un  affreux  désert 
au  milieu  des  monts  Krapack?1  »  Est-ce  l'Espagne  du  xv*  siècle  : 
«  Abencerrages,  le  vaillant  Abufar  a  vaincu  les  Zégris;  la  tendre 
Zima  son  épouse...  *»  On  est  vite  fixé.  11  n'est  pas  jusqu'aux  Caraïbes 
de  Christophe  Colomb  qui  ne  poussent  des  «  kouloubi  »  et  des 
c  licotamali  »,  ce  qui  veut  dire  «  diable  »,  et  «  à  mort!  »  «  Il  eût  été 
complètement  ridicule  de  prêter  notre  langage  à  des  hommes  qui 
voient  pour  la  première  fois  des  Européens.  J'ai  donc  donné  aux 
habitants  de  l'île  Guanahani  l'idiome  des  Antilles  que  j'ai  puisé 
dans  le  dictionnaire  caraïbe  composé  par  le  R.  P.  Raymond  Breton 
et  imprimé  à  Auxerre.  »  Sans  doute  ce  genre  de  couleur  locale, 
cet  amour  enfantin  du  bric-à-brac  n'ont  rien  à  voir  avec  l'esprit 
historique  véritable  :  ils  en  sont  souvent  même  exclusifs.  Ils 
témoignent  pourtant  d'une  curiosité  intéressante  à  cette  date  et 
d'un  sentiment  exact  des  nécessités  de  la  scène.  Lamartellière,  qui, 
dans  sa  préface  des  Francs  Juges,  semblait  promettre  beaucoup  plus, 
a  tenu  beaucoup  moins3. 

Pixérécourt  ne  promet  rien  qu'il  ne  tienne.  Il  sait  fort  bien  que 
l'histoire  ainsi  comprise  n'est  plus  qu'un  cadre.  Par  elle-même, 
elle  se  trouve  d'un  intérêt  médiocre,  mais  elle  a  l'avantage  de 
situer  une  aventure  touchante,  de  lui  prêter  quelque  vraisemblance 
et  de  lui  fournir  le  prestige  des  costumes  et  du  décor.  «  Ces  fac- 
tions, écrit  Geoffroy  à  propos  de  la  Rose  Blanche  et  la  Rose  rouge, 
n'inspirent  aujourd'hui  aucun  intérêt  (peut-être  va-t-il  un  peu  loin, 
mais  il  parle  au  nom  du  public);  mais  on  est  convenu  de  s'in- 
téresser dans  tous  les  temps  au  sort  des  amants  malheureux.  » 
Après  cela,  l'histoire  d'amour  qui  fait  le  fond  de  ce  mélodrame  se 
déroulerait  aussi  aisément  parmi  les  désordres  d'une  petite  prin- 
cipauté italienne.  Les  situations  ont  pour  Pixérécourt  une  valeur 

i.  Les  mines  de  Pologne  (1, 1). 

2.  Les  Maures  d'Espagne  (I,  1). 

3.  •  J'ai  eu  l'idée  de  rassembler  dans  un  cadre  dramatique  tout  ce  que  les  chro- 
niques du  temps  nous  ont  laissé  de  renseignements  sur  les  statuts,  les  formules, 
les  mœurs  et  les  usages  de  cette  association  monstrueuse,  qui,  pendant  plusieurs 
siècles,  a  tenu  dans  la  stupeur  et  l'asservissement  la  plus  grande  partie  de  la  Ger- 
manie •  (1807).  C'était  déjà  la  conception  du  drame  historique  suivant  la  formule 
naturaliste,  ou  suivant  la  méthode  de  M.  Sardou. 


LE    MÉLODRAME    ET   GL'ILBERT    DE    PIXÉRÉCOL'KT.  20» 

propre,  absolument  indépendante  du  milieu  où  les  jette  sa  fan- 
taisie. Aussi  les  déplace-t-il  à  son  gré.  Le  Hugo  Grotius  que 
Dumaniant  et  Thuring  doivent  à  Kolzebue  lui  offre  une  aventure 
dramatique;  mais  «  un  savant  en  us,  qui  a  écrit  tous  ses  livres  en 
latin,  serait  un  singulier  personnage  dans  un  mélodrame  »  :  il 
devient  le  chevalier  Evrard;  on  ne  voit  pas  Arminiens  et  Goma- 
ristes  se  livrant  aux  charmes  de  l'indispensable  ballet  :  ils  cèdent 
la  place  à  des  paysans  de  Souabe;  l'empereur  d'Allemagne  aura 
plus  d'allure  qu'un  petit  prince  d'Orange,  et  la  pièce  prend  pour 
titre  :  la  Forteresse  du  Danube.  Je  ne  sais,  du  reste,  si  Geoffroy  a 
tort  de  louer  ces  «  embellissements  ».  Aux  yeux  de  la  foule,  et 
quoi  que  Ton  fasse,  un  drame  ne  vaut  que  par  la  situation  qu'il 
met  en  scène  :  le  reste  n'est  qu'ornement  accessoire  dont  on  peut  se 
servir  à  son  gré.  La  Citerne  de  Pixérécourt  se  transporterait  sans 
difficulté  en  Sicile  ou  son  Belvéder  aux  Baléares,  mais,  de  l'aveu 
même  de  M.  Sardou  —  et  Ton  connaît  ses  scrupules  d'historien 
exact,  —  son  drame  de  Patrie  «  s'est  promené  de  Venise  à  Londres  » 
avant  de  se  fixer  dans  les  Flandres.  Relisez  la  préface  de  la  Haine  : 
la  pièce  déjà  conçue  :  «  Je  pensai  à  la  Fronde,...  je  me  rabattis  sur 
la  Ligue,...  je  remontai  jusqu'à  Charles  VII,...  je  compris  qu'il 
n'était  que  temps  d'émigrer,  et,  franchissant  les  Alpes,  nous  nous 
trouvâmes  en  pleine  Italie  du  xivft  siècle  ».  C'est  toujours  le  mot 
de  Dumas  père  :  «  Soyez  en  possession  d'un  bon  sujet  dramatique; 
l'histoire  vous  fournira  toujours  le  cadre  qui  le  met  le  plus  en 
relief.  L'histoire  est  bonne  personne...  »  Bonne  personne,  personne 
point  encombrante  surtout,  quand  on  sait  en  user. 

Pas  plus  que  de  l'histoire,  et  pour  la  même  raison,  le  mélodrame 
ne  se  soucie  des  caractères  :  cela,  c'est  affaire  aux  genres  nobles. 
Il  ne  veut  que  des  personnages  aux  traits  nettement  définis.  Rien 
n'est  plus  simple  que  l'humanité  telle  que  la  conçoit  Pixérécourt  : 
il  y  règne  un  ordre  admirable.  Des  héros  d'un  côté,  des  misérables 
de  l'autre,  et,  comme  il  importe  que  l'on  s'y  reconnaisse  vite,  sur 
la  physionomie  des  premiers  l'image  visible  de  toutes  les  vertus, 
aux  seconds  des  traits  repoussants.  Les  uns  et  les  autres  se  côtoient, 
se  heurtent,  se  combattent  sans  se  mêler  :  les  bons  n'ont  jamais 
un  sentiment  vil  ou  seulement  médiocre;  quant  aux  méchants,  si 
parfois  —  la  morale  l'exige  —  ils  deviennent  bons,  ils  se  conver- 
tissent d'un  seul  coup,  et  totalement.  C'est  par  une  série  de  coups 
de  théâtre  que  l'on  arrache  les  applaudissements,  non  par  une  pro- 
gression insensible.  Seul  l'imprévu  frappe  le  public.  Les  nuances 
sont  un  principe  de  confusion.  La  vérité  importe  peu;  il  faut  seu- 
lement que  toutes  choses,  pour  être  claires,  soient  bien  arrêtées. 


210  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE   DE    LA    FRANCE. 

Il  reste  donc  que  le  mélodrame  est  purement  un  drame  de 
situations  :  situations  tour  à  tour  attendrissantes  et  terribles, 
exceptionnelles  toujours.  Dès  lors,  l'art  de  l'écrivain  se  réduit  à  deux 
choses  :  imaginer  des  coups  de  théâtre  saisissants,  et,  de  l'un  à 
l'autre,  soutenir  l'attention;  le  don  du  mouvement  et  le  sens  du 
relief.  A  cet  égard,  Pixérécourt  est  un  maître,  j'entends  quelqu'un 
dont  l'exemple  a  été  fécond.  Il  excelle  à  tisser  ses  invraisemblances, 
à  trouver  les  combinaisons  d'événements  les  plus  imprévues  et  à 
les  entrecroiser  pour  le  plus  grand  plaisir  d'un  public  assez  disposé 
à  se  laisser  prendre. 

Dès  le  premier  acte  de  Célina,  sa  première  pièce  à  succès  \  il 
fait  preuve  d'une  aisance  où  se  reconnaît  le  dramaturge  marqué 
par  le  destin  ;  aucune  qualité  d'écrivain,  certes,  mais  un  art  de  dire 
ce  qu'il  faut  que  l'on  sache,  de  laisser  entrevoir  ce  qu'on  doit 
deviner,  de  préparer  le  terrain  aux  péripéties  futures,  de  mettre  le 
public  en  haleine.  A  chaque  nouveau  triomphe,  ces  qualités  appa- 
raissent plus  étonnantes.  Les  critiques  vont  de  surprise  en  surprise, 
c  Quelle  imagination,  si  vive  et  si  extravagante  qu'elle  fut,  s'écrie 
le  Journal  de  Paris  *,  pourrait  se  figurer  seulement  la  dixième  partie 
des  inventions  extraordinaires  que  M.  de  Pixérécourt  vient  de  pro- 
diguer comme  en  se  jouant,  et  dont  nous  sommes  encore  émer- 
veillés! » 

Ce  ne  sont  que  déguisements  et  combats,  fuites  et  poursuites, 
personnages  qui  se  perdent  et  qui  se  retrouvent,  tout  cela  d'une 
verve  et  d'une  précision  dont  on  n'avait  pas  d'exemple.  Et  cet  art 
d'enrichir  les  idées  d'autrui  et  de  secouer  l'attention  même  avec  un 
sujet  dont  le  fond  est  connu  !  Je  ne  parle  pas  de  son  Itobinson,  dont 
il  était  si  fier,  mais  du  Belvéder 3  ;  comme  le  Jean  Sbogar  de  No- 
dier parait  de  peu  de  matière  auprès  des  efforts  de  ces  pirates  pour 
reconquérir  leur  chef  pris  du  désir  d'être  honnête  homme  malgré 
eux!  N'était  ce  diable  de  style,  son  lyrisme  et  son  éloquence,  on 
goûterait  encore  ces  histoires.  Une  fois  même,  dans  Valentine i,  il 


1.  2  septembre  1800. 

2.  Article  sur  la  Citerne,  14  janvier  180'J. 

3.  10  décembre  1818. 

4.  15  décembre  1821.  —  De  toutes  les  pièces  de  Pixérécourt,  Valentine  est  la  seule, 
où,  malgré  certaines  surcharges  traditionnelles  le  drame  soit  intérieur  plus 
qu'extérieur.  Avec  les  circonstances  les  plus  atténuantes  du  monde,  la  fille  d'un  vieil 
invalide  (aveugle  naturellement)  s'est  laissé  séduire  par  un  jeune  homme  qu'elle 
croit  de  condition  semblable  à  la  sienne.  Un  mariage  secret  a  calmé  ses  scrupules; 
mais  elle  découvre  successivement  que  celui  qu'elle  aime  est  le  propre  Gis  d'un 
très  grand  seigneur;  —  puis,  qu'il  est  marié  déjà  avec  une  autre  femme.  Fureurs  et 
malédiction  du  père,  désespoir  de  Valentine  qui,  malgré  tout,  —  telle  Blanche  du 
Roi  s'amuse,  —  continue  à  aimer  son  séducteur,  et  un  seul  dénouement  possible  : 
la  mort. 


LE    MÉLODRAME    ET   GUILBERT    DE   PIXÉRÉCOURT.  211 

est  arrivé  presque  à  la  grandeur  véritable  :  un  sujet  assez  simple, 
un  enchaînement  assez  vraisemblable,  des  sentiments  presque 
naturels  et  une  scène  au  moins,  à  la  (in  du  deuxième  acte  que 
Dumas  père,  dans  ses  bons  jours,  aurait  pu  signer.  Il  est  vrai  que 
Valenti ne  est  une  exception  dans  soïi  œuvre  et  que  d'ordinaire  il 
se  travaille  à  paraître  plu£  compliqué. 

Il  y  réussit  aisément.  De  tous  les  effets  classiques  du  mélo- 
drame, il  y  en  a  peu  qu'il  n'ait  pas  découverts.  Il  devine  la  dose 
exacte  de  comique  que  comporte  le  genre  nouveau,  le  pouvoir, 
pour  exciter  le  rire,  des  types  traditionnels.  Il  a  le  secret  des  gestes 
expressifs  :  gestes  simples,  gestes  nobles  et  gestes  furieux;  gestes 
à  faire  pleurer  —  la  victime  opprimée  tendant  les  bras  au  ciel;  — 
gestes  à  faire  frémir  —  Lord  Lindesay  broyant  de  son  gantelet  de 
fer  le  poignet  de  Marie  Stuart l;  —  le  geste  dit  tant  de  choses  à  si 
peu  de  frais!...  Il  trouve  la  formule  qui  résume  une  situation  : 
«  Sous  le  nom  de  Vivaldi,  je  ne  puis  échapper  au  décret  qui  proscrit 
ma  tète  ;  sous  le  nom  d'Edgar,  je  suis  en  butte  au  poignard  des  con- 
jurés, et  enfin,  sous  celui  d'Abelino,  je  m'expose  à  une  mort  infa- 
mante !  (Avec  enthousiame)  Mais  qu'importe  la  mort  à  qui  peut  s'im- 
mortaliser !  *  »  Il  connaît  les  principes  essentiels  :  un  revirement  doit 
être  inattendu,  et  le  bandit  Cari,  ennemi  féroce  de  la  reine,  se  jette 
à  ses  pieds  quand  il  la  voit  à  sa  merci3.  Les  grandes  actions  doi- 
vent se  préparer  à  la  lueur  des  éclairs,  et  voici  le  début  du  Démon 
femelle  :  «  Marco  (une  lanterne  sourde  à  la  main)  :  Paix!  n'avancez 
pas...  j'ai  cru  entendre...  — Flora  (enveloppée  de  la  tète  aux  pieds 
dans  une  mante  noire)  :  Rien  que  la  foudre  qui  gronde!  Ah! 
Marco,  j'aime  cet  orage!...  »  —  «  La  belle  nuit  pour  une  orgie  à 
la  tour!  »,  comme  on  dira  dans  la  Tour  de  Nesle.  Et  cette  loi  enfin, 
qui  résume  toutes  les  autres  :  à  la  scène  à  faire  (déjà!)  l'homme  de 
théâtre  doit  tout  sacrifier  :  non  pas  seulement  la  vérité  historique, 
ni  celle  des  caractères,  mais  le  simple  bon  sens.  Avant  Victor 
Hugo,  il  comprend  que  rien  parfois  n'a  si  belle  allure  au  théâtre 
qu'une  sottise;  comme  lui,  il  sait,  à  l'occasion,  faire  dire  à  ses 
héros  le  contraire  exactement  de  ce  qu'ils  diraient  dans  la  réalité, 
et  Tétrangeté  même  de  leurs  discours  nous  les  fait  paraître  grands, 
exceptionnels  en  tout  cas,  et  par  conséquent  poétiques.  Même  pour 

1.  L'Évasion  de  Marie  Stuart  (I,  9).  —  Celui-ci,  c'est  le  «  grand  geste  »  du  duc 
de  Guise  dans  Henri  III.  Il  serait  facile  de  multiplier  les  rapprochements  de  ce  genre. 
Imitations  ou  réminiscences,  non,  car  Pixérécourt  fut  un  trop  petit  personnage 
pour  être  relu  ;  mais  rencontres  toutes  naturelles  entre  gens  ayant  du  théâtre  une 
conception  analogue,  et  s'inspirant  des  mômes  modèles.  Ici,  le  modèle*,  c'est  VAbbé 
de  Walter  Scott. 

2.  L'Homme  a  trois  visages  (II,  12). 

3.  Marguerite  iV Anjou  (II,  8).  —  Cf.  Tékéli  (III,  15). 


212  REVUE  .D  HISTOIRE    LITTERAIRE    DE    LA    FRANCE. 

parvenir  à  un  but  très  simple,  ils  prennent  des  voies  si  compli- 
quées, que  souvent  ils  s'étonnent  eux-mêmes,  t  Les  moyens  que 
vous  employez...  »,  objecte  le  Marco  du  Démon  femelle;  et  Flora  : 
«  Ils  sont  bizarres,  c'est  pour  cela  que  je  les  ai  choisis!  *  »  Il  n'y  a 
rien  à  répliquer. 

Notez  que  ce  dramaturge  si  sûr  de- lui  et  de  son  public  est 
capable  même,  de  temps  en  temps,  d'être  sobre.  Son  style,  qui 
déploie  toutes  ses  pompes  dans  les  monologues  solennels,  se 
résigne  parfois  à  se  serrer  pour  laisser  courir  l'action  haletante. 
Ses  fins  d'actes  sont  en  général  des  modèles  du  genre.  Seuls,  ses 
dénouements  sont  médiocres;  il  se  contente  le  plus  souvent,  pour 
arranger  les  choses,  de  supposer  des  revirements  assez  singuliers: 
il  a  recours  au  «  génie  de  la  reconnaissance  »  fournissant  tout  à 
coups  des  secours  inattendus*,  au  pouvoir  de  l'enfance  désarmant 
les  méchants  3,  à  la  conversion  brusque  des  pécheurs.  Ceci  est 
peut-être  une  preuve  nouvelle  de  sagesse.  D'abord,  la  morale  y 
trouve  son  compte;  et  puis,  à  quoi  bon  se  torturer  l'esprit  pour 
chercher  des  habiletés  inutiles!  quand  le  public,  pendant  trois  actes, 
a  souhaité  le  salut  d'une  victime,  il  ne  chicane  pas  sur  les  moyens 
qui  viennent  enfin  l'assurer. 

Il  est  vrai  de  dire  qu'ici  le  plaisir  des  yeux  supplée  d'ordinaire  à 
ce  qui,  d'autre  part,  serait  insuffisant.  Pixérécourt  aime  que  le  rideau 
se  baisse  dans  un  éblouissement,  il  célèbre  par  un  luxe  prodigieux 
de  mise  en  scène  l'heureux  succès  de  ses  aventures.  Ce  sont  les 
fêtes  militaires  de  Tékéli  et  des  Maures  d'Espagne;  c'est  le  ballet 
du  Pèlerin  blanc,  l'assaut  de  Charles  le  Téméraire,  la  forêt  incendiée 
de  Marguerite  d'Anjou,  l'explosion  de  la  Citerne,  le  départ  du 
bateau  de  Robinson,  matelots  dans  les  vergues  et  mousses  aux  cor- 
dages, le  panorama  du  Belvéder,  cet  effet  de  soleil  de  Daguerre 
qui  marque  une  date  dans  l'histoire  de  la  décoration,  l'éruption 
du  Vésuve  de  la  Tête  de  mort.,.  Nous  sommes  loin  de  la  mise  en 
scène  de  l'ancien  drame  bourgeois,  très  au-dessus  des  splendeurs 
de  l'opéra  primitif  et  tout  près  de  la  féerie  moderne.  Tous  les  genres 
anciens  sont  venus  se  fondre  dans  le  mélodrame,  ils  lui  ont  donné 
leurs  richesses  extérieures,  sans  rien  toutefois  de  ce  qui  faisait  leur 
valeur  d'art,  —  l'art  étant  la  seule  chose  dont  le  public  ne  se 
soucie  pas. 

Aux  applaudissements,  les  machinistes  ont  leur  part  désormais; 
mais  le  premier  des  machinistes  c'est  encore  l'auteur,  car  c'est 

1.  VAnye  tutélaire  ou  le  démon  femelle  (I,  1). 

2.  Hobinson  Crusoc. 

3.  Les  Maures  d'Espagne. 


LE   MÉLODRAME   ET   GUILBKRT   DE   PIXÉRÉCOl'RT.  213 

lui  qui  a  pris  soin  de  tout  établir.  Ici  plus  que  partout  il  nous 
apparaît,  si  Ton  peut  dire,  l'homme  de  théâtre  intégral,  celui  qui 
ne  se  contente  pas  d'écrire  sa  pièce,  mais  qui  lui  donne  la  vie,  la 
porte  sur  la  scène,  en  règle  tous  les  détails  et  tous  les  mouve- 
ments. Diderot  déjà  et  Beaumarchais  tenaient  à  fixer  le  costume 
et  les  attitudes  de  leurs  personnages.  Pixérécourt,  lui,  est  à  la 
fois  le  décorateur,  le  costumier,  le  metteur  en  scène  et  le 
régisseur. 

D'une  sévérité  parfois  fatigante  pour  ses  interprètes1,  on  le  suit 
cependant  comme  le  chef  qui  mène  à  la  victoire.  «  Il  n'était  pas 
seulement,  écrit  Piccini*,  l'auteur  de  ses  pièces,  mais  encore  il  en 
dessinait  les  costumes  aux  peintres,  donnait  le  plan  de  ses  déco- 
rations, expliquait  aux  machinistes  le  moyen  d'exécuter  les  mou- 
vements. Scène  par  scène,  il  donnait  aux  acteurs  des  intentions 
sur  leurs  rôles.  Ses  ouvrages  eussent  beaucoup  gagné  s'il  eût  pu 
remplir  tous  les  personnages.  »  Il  sait  exactement  quelles  sont 
comme  herses,  costières,  trappes  et  trappillons  les  ressources  des 
théâtres  où  Ton  joue  ses  pièces;  lisez  la  notice  où  il  règle  l'inon- 
dation de  la  Fille  de  l'exilé.  Aussi  a-t-il  des  trouvailles  d'homme 
du  métier  :  la  forêt  qui  marche  de  Robinson  Crusoè',  l'effet  d'orage 
avant  le  lever  du  rideau  sur  le  premier  acte  de  Christophe  Colomb  : 
€  (On  entend  derrière  le  rideau  ces  commandements  faits  d'une 
voix  forte  par  le  maître  d'équipage  et  toujours  précédés  de  coups 
de  sifflet  :)  Cargue  la  grand'voileî  Cargue  la  misaine,  Cargue  l'ar- 
timon !  (le  tonnerre,  la  pluie,  la  grêle,  le  mugissement  des  vagues... 
A  un  moment  de  calme  succède  tout  à  coup  un  effroyable  cra- 
quement; le  maître  d'équipage  crie  :)Nous  touchons!  (On  tire  deux 
coups  de  canon).  Tout  le  monde  sur  l'avant!  (On  entend  le  bruit 
que  font  tous  les  gens  de  l'équipage  en  courant  de  l'arrière  à 
lavant).  Du  monde  à  la  pompe  !  Charpentier  à  la  cale!  Bouche  la 
voie  d'eau!  (A  ce  violent  tumulte  succède  par  degrés  le  beau  temps 
dont  l'orchestre  exprime  le  retour)3...  »  N'est-ce  pas  une  véritable 
ouverture  d'opéra? 


1.  Dalayrac,  lettre  du  :\  janvier  1805. 

2.  Octobre  1840. 

3.  Pour  la  for<H  qui  marche,  d'ailleurs,  il  se  souvient  de  Macbeth;  et  de  la  Tempête 
pour  le  début  de  Christophe  Colomb.  Mais  il  est  curieux  de  voir  comme  il  adapte  ses 
emprunts  selon  son  esthétique  spéciale  :  il  supprime  ce  qu'il  y  avait  d'humain  dans 
Shakespeare  (les  encouragements  inquiets  du  roi  de  Naptes,  la  rudesse  du  bosse- 
man,  la  bonhomie  du  conseiller  Gonzalo,  les  injures  furieuses  d'Antonio  et  de 
Sébastien,  cet  affolement  qui  rapproche  toutes  les  dislances  devant  le  danger)  — 
pour  ne  laisser  subsister  que  l'elfet  extérieur,  V effet  musical. 


214  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 


III 


Tels  sont  les  principaux  mérites  de  Pixérécourt.  Il  en  est  de  plus 
relevés  sans  doute;  mais  des  qualités  du  même  ordre  ont  fait 
la  gloire  de  certains,  qui  ne  les  eurent  qu'après  lui.  Il  est  évident, 
toutefois,  que  les  grandes  espérances  de  Mercier  sont  loin  d'être 
réalisées.  Le  mélodrame  n'a  pas  tenu  ses  promesses.  De  ses  pré- 
tentions du  début,  il  n'en  a  conservé  qu'une,  celle  de  s'adresser  à 
la  foule,  et,  pour  rester  fidèle  à  celle-là,  il  a  dû  sacrifier  toutes 
les  autres.  L'on  peut  dire  que  c'est  un  avortement  :  c'est  aussi  ce 
qui  fait  son  importance  dans  l'histoire  de  notre  théâtre.  La  portée 
d'un  drame  ne  se  mesure  pas  toujours  à  sa  valeur.  Dans  ce  fatras 
de  pièces,  on  en  chercherait  vainement  une  seule  d'un  caractère 
personnel,  car  aucune  ne  présente  ce  qui  fait  la  personnalité  d'une 
œuvre,  à  savoir  un  effort  nouveau  vers  la  beauté.  Rien  ne  res- 
semble plus  à  un  mélodrame  de  Pixérécourt  qu'un  mélodrame  de 
Caignez,  si  ce  n'est  un  mélodrame  de  Frédéric.  Personnages,  sujets, 
situations  sont  une  sorte  de  fond  commun,  d'où  chacun  tire  à  son 
gré,  sans  souci  du  voisin.  Ils  ne  conçoivent  pas  que  Ton  puisse 
parler  de  plagiat,  n'étant  pas  le  moins  du  monde  «  hommes  de 
lettres  ».  Cette  «  mise  en  commun  »,  comme  dit  Bouilly,  nous 
semblerait  cynique,  n'était  la  médiocrité  générale.  Sans  scrupules, 
on  emprunte  leurs  effets  aux  romans  qui  ont  réussi.  Pixérécourt 
imite  Laya,  qui  imitait  Godwin.  L'Ouvrier  de  Messine  de  Caignez 
devient  le  Courrier  de  Naples  de  Boirée  d'Aubigny  et  Poujol,  qui 
deviendra  le  Courrier  de  Lyon.  Ce  sont  toutes  œuvres  presque 
anonymes  comme  la  foule  qui  les  écoute,  mais  par  là,  justement, 
elles  ont  agi  sur  cette  foule. 

Il  n'est  pas  sans  intérêt  d'établir  le  bilan  de  cette  influence.  Et 
d'abord,  tous  les  genres  différents  de  pièces  populaires  que  notre 
siècle  a  connus  sont  en  germe  dans  les  œuvres  de  Pixérécourt  et 
de  ses  rivaux.  Mélodrames  historiques  et  mélodrames  de  cape  et 
d'épée  à  grand  spectacle,  mélodrames  militaires  avec  le  Maréchal 
de  Luxembourg  et  le  Maréchal  de  Villars  de  Frédéric,  mélodrames 
domestiques  et  mélodrames  judiciaires  avec  la  Pie  voleuse  de  Cai- 
gnez ou  la  Famille  dWnglade  de  Frédéric,  mélodrames  comiques 
avec  J/mc  Antjot  au  sérail  de  Constantinople,  féeries  avec  le  Pied 
de  mouton  :  ces  litres  en  disent  assez.  Nous  trouvons  ici  sous  leur 
première  forme  des  œuvres  qui,  maintes  fois  remaniées,  en  sont 
arrivées  à  ne  plus  appartenir  à  personne  :  le  Petit  Poucet ,  F  Auberge 


Il     HÉLOMUMK    ET    CUILBERT    DE    PUÉRÉCÛUHt, 

de*  Àéreto  de  Benjamin  Saint-Amant  et  Paulyantc,  le  Juif  errant 
dij!  Caignez,  Jeunes  premiers  élégants,  vieux  soldats  intrépide*  et 
brusques,  eanliniers  polirons,  comtes  respectables  et  vicomtes 
débauchés,  ingénues  bêlantes,  paysans  naïfs,  Gascons  hâbleurs, 
Anglais  flegmatique*,  criminels  en  babil  noir,  chambellans  d'opé- 
rette idiots  sous  leurs  chamarrures  :  tnut  un  monde  nouveau  s'est 
emparé  de  certains  théâtres,  et  n'en  sortira  plus. 

Les  musiciens  même,  je  ne  dis  pas  les  plus  médiocres,  se  pas- 
sionnent pour  ces  nouveautés.  Jusqu'ici  les  sujets  bibliques  ou 
héroïques  avaient  régné  presque  sans  partage  sur  la  scène  de 
l'Académie  ltoyale.  Vainement,  en  1780,  Hochon  de  Chabannes, 
avec  son  Seigneur  bienfaisant^  avait  essayé  de  réagir,  et,  dans  un 
avertissement  célèbre,  avait  dit  ses  raisons  :  les  gros  succès  allaient 
toujours  aux  Danaîdes,  aux  Pénélope,  aux  Endytnion^  au  Taiioft 
(foi\  aux  Phèdre  et  au\  Sa&L  II  fallut  le  succès  du  mélodrame 
pour  décider  librettistes  ut  musiciens  h  chercher  antre  chose;  sans 
peine,  le  public  les  suivît  et  ce  furent  faa  Ain  sf  Ferna 

n  ou  le  Conseil  fl?s  dix. 

Des  fors,  la  bataille  est  gagnée;  Topera  moderne  va  naître, 
tout  différent  de  l'ancien.  Ces  visions  historiques  peuvent  lui 
donner  sa  couleur;  ces  personnages  si  peu  complexes  se  Inokri- 
senl  sans  peine  musicalement;  les  grands  etl'eis  dt>  mise  en  scène 
prêtent  au  développement*  harmonique;  il  n'est  pas  jusqu'aux 
ballets  qui  ont  leur  place  marquée.  Piccini,  le  petit-fils  de  Taulcur 
«le  DidonA  sVst  fait  le  compositeur  ordinaire  de  Pixéréeourt;  Boïel- 
dieu  lui  demande  des  livrets1;  Méhul  et  Gaveaux  se  disputent  la 
Rose  blanche.  Meyerbeor  surtout  est  enthousiaste;  il  a  mis  en 
musique  Marguerite  d'Al\fou  et  réclame  autre  chose  :  «  Veuillez 
me  dire  si  vous  avez  fini  vos  Natch<>z.  Tout  ce  qui  sort  de  votre 
plume  m'intéresse  prodigieusement,  et  je  suis  sur  que  j'en  ferai 
un  opéra  pour  l'Italie,  quand  vous  les  aurez  fait  imprimer.  Il  y  a 
plus  de  quinze  ans  que  je  suis  amoureux  de  vos  drames  ;  ils  ont 
été  tous  traduits  en  Allemagne  et  en  Italie  et  mis  en  musique  avec 
un  succès  formidable.  Vous  no  sauriez  vous  imaginer  quelle 
immense  réputation  vous  aves  à  l'étranger.  J'ai  eu  l'honneur  de 
vous  le  dire  souvent,  je  n'ai  jamais  laissé  échapper  une  seule  de 
vos  pièces  sans  la  lire  et  j'en  ai  composé  beaucoup  ;  elles  sont  toutes 

»  merveilleusement  coupées  pour  la  musique  »  K  A  celte  date,  Pau- 
lent  du  Betvéder  est  directeur  du    théâtre  Feydeau  et  il  vient  de 
evoir  Robert  le  Diable.  Le  terrain  est  préparé,  Scribe  peut  aller 

L  Lellrc  du  i>  mars  18Û6. 
â.  LeUr e du  SU  juin  1827. 




216 


HEM  K    D  HISTOIRE    LITTÉRAIEH    M     LA    FRANCE, 


de   l'avant;  en  1865  encore,  Sclika  de  l'Africaine  sera  proche 
parente  de  Selico  le  bon  nègre. 

De  cela,  î  vr;iî  dire,  il  est  permis  de  ne  pas  savoir  beaucoup  de 
gré  h  Pisérécourt,  Mais  où  son  rôle  devient  tout  à  fait  considé- 
rable, c'est  en  tant  que  précurseur  au  théâtre  des  poètes  roman- 
tiques. Au  fond,  les  audaces  de  ces  révoltés  furent  beaucoup  moins 
nouvelles  qu'ils  ne  l'ont  cru,  leurs  î  aspirateurs  beaucoup  plus 
proches  qu'ils  ne  Font  dit.  Il  serait  banal  de  railler  leurs  illusions 
au  sujet  de  Shakespeare,  Quant  aux  dramaturges  allemands, 
ils  les  connurent  un  peu  mieux  sans  doute  que  Pixérécourt,  sans 
les  comprendre  tout  à  fait.  La  préface  de  Cromwetl  est  un  mani- 
feste bruyant  :  il  n'aurait  pas  renouvelé  le  théâtre,  si  certaines 
œuvres  n'eussent  déjà  préparé  à  le  comprendre  une  partie  du 
public.  Les  uns  en  applaudirent  l'audace;  d'autres  s'indignèrent  de 
voir  «  le  mélodrame  »,  jusqu'ici  modeste,  afficher  tant  de  préten- 
tions. 11  revendiquait  pour  la  première  fois  ses  litres  de  genre 
noble,  il  voulait  détrôner  L'ancienne  tragédie,  s'installer  sur  les 
grandes  scènes.  La  prédiction  de  Geoffroy  se  réalisait  :  «  Si  on 
s'avise  d'écrire  le  mélodrame  en  vers  et  en  français,  si  on  & 
l'audace  de  le  jouer  passablement,  malheur  à  la  tragédie!,.. 
Malheur  ait  TluViin--Franc,ais  quand  un  homme  de  quelque  talent 
s'avisera  de  faire  des  mélodrames!.,-  »  Avant  que  se  levât  la  toile 
sur  la  première  scène  iVHernani,  on  était  prêt  à  ht  lutte;  mis  eu 
mauvaise  prose  et  joué  sur  une  scène  des  boulevards,  il  n'aurait 
choqué  personne. 

Geoffroy  avait  vu  juste.  Nodier  pense  comme  lui  ;  «  La  tragédie 
et  le  drame  de  la  nouvelle  école  ne  sont  guère  autre  chose  que  des 
mélodrames  relevés  de  la  pompe  artificielle  du  lyrisme  ».  Il  y  a 
dans  celte  phrase  un  mot  fâcheux;  dans  son  ensemble,  elle  exprime 
une  vérité.  À  le  considérer  uniquement  en  tant  que  drame,  le 
drame  romantique  en  somme  n'apporte  pas  grandVhose  de  nou- 
veau. Ce  qu'il  réclame  comme  mouvement  et  comme  vie  n*est 
plus  inconnu  sur  la  scène  française.  Il  ne  faut  pas  se  laisser 
tromper  par  le  ton  de  certaines  formules.  <i  Ce  n'est  pas  à  la 
surface,  proclame  Victor  Ilugo,  que  doit  être  la  couleur  locale, 
mais  au  fond,  dans  le  ca^ur  même  de  l'œuvre,  d'où  elle  se  répand 
au  dehors  »;  on  sait  jusqu'à  quel  point  il  tient  cette  promesse  et 
que  l'histoire  de  Ituij  Blas  n'est  pas  plus  «  profonde  »  que  celle 
du  Proscrit  de  Venise,  —  Il  part  en  guerre  contre  les  unités  qu'il 
viole  à  plaisir;  le  mélodrame  les  violait  avec  regret,  mais  les 
violait  tout  de  même.  —  Il  fait  grand  état  de  la  fusion  des  genres  : 
tout  se  heurte  dans  la  nature,  le  grotesque  et  le  tragique,  le  rire 


LE    MÉLODIUNK    II     i.l  Jl.BEHT    DE    PIXÉRÉCOURT. 


217 


et  les  pleurs;  Tari  doit  reproduira  la  vie.  Pîxérécourt  n'a  pas 
cherché  si  loin  :  celle  union,  pourtant,  il  l'a  réalisée  dans  toute! 
ses  pièces;  il  a  renoncé  h  fondre  gaité  el  tristesse  dans  une  sorte 
d'attendrissement  souriant,  comme  T  avait  rêvé  Se  J  ai  ne;  il  les  a 
le  premier  opposés  violemment.  Il  est  vrai  que  son  comique  est 
de  qualité  vulgaire;  il  s'en  tient,  pour  L'ordinaire,  à  dos  valets  pol- 
trons ou  à  des  Gascons  bavards,  mais  au  moins  une  fois,  dans  sou 
Picaro  au  nom  expressif,  il  a  esquissé  une  figure  assez  savoureuse 
de  bainlïL  à  la  manière  romantique1. 

Personnages  roman  tiques  encore,  ceux  qui  mènent  les  m  vrai- 
semblances de  ses  mélodrames.  Quand  apparaissent  les  Bernant, 
les  Buy  Blas,  les  Rodolfo,  le  public  les  reconnaît  sans  peine. 
Pixé  ré  court,  pendant  vingt  ans,  a  accoutumé  ses  fidèles  aux  bizar- 
reries de  la  fatalité  romantique.  Il  les  a  fait  frémir  devant  ces 
héros  marqués  au  front,  criminels  philanthropes,  bannis  héroïques, 
jeunes  gens  aux  manières  étranges,  aux  yeux  profonds,  à  la  vois 
creuse,  qui  poursuivent  un  rêve  connu  d'eux  seuls,  hantés  pendant 
les  nuits  de  visions  mystérieuses,  liés  par  des  devoirs,  par  de* 
Complicités  terribles,  par  «les  vengeances  que,  magnanimes»  ils  se 
refuseront  à  satisfaire,  le  moment  venu.  .1'/  augu&ta  le  plus 
souvent,  toujours  per  aiujusia*  Ils  se  carrent  dans  le  mélo- 
drame, avec,  déjà,  toute  leur  fierté,  leur  mépris  des  conventions 
et  des  nécessités  vulgaires  de  l'existence,  héros  au  verbe  excessif 
qui  ne  mangent  ni  ne  dorment  et  promènent,  sans  jamais  tes 
salir,  à  travers  les  pires  hasards,  leurs  courages  reluisants,  leurs 
plumes,  leurs  pourpoints  et  leurs  bot  tes  molles.  Écoutez  parler 
Vivaldi  :  «  Les  hommes  de  tous  les  jours,  ces  êtres  comme  on  eu 
voit  par  milliers  se  traîner  dans  les  rues  de  Venise,  ressemblent 
aux  insectes  qui  rampent  sous  nos  pieds!,..  Loin  de  moi  la  honte 
dune  pareille  destinée!  Ce  qui  est  rare,  ce  qui  est  extraordinaire 
a  seul  droit  à  l'estime  de  nos  contemporains  el  à  l'admiration  de  la 
postérité...  Crois-tu  que  je  puisse  rougir  du  rôle  que  je  joue? 
Jamais!  Quand  des  siècles  se  seront  écoulés  sur  notre  cendre, 
quand  la  mer  aura  abandonné  ces  rivages,  quand  le  soc  du  labou- 
reur sillonnera  la  place  où  existent  ces  palais  magnifiques,  mon 
nom  encore  fameux  vivra  dans  l'univers,  tandis  que  le  tien  et 
beaucoup  d'autres  demeureront  ensevelis  dans  la  nuit  des  temps!  * .» 
Sur  ces  sottises  il  ne  restera  plus  qu'à  mettre  de  la  poésie.  C'est 
ainsi  que»  deux  siècles  avant,  Alexandre  Mardy  préparait  les 
voies  a  la  tragédie  future*  Discuté  au  Théâtre  Français,  le  drame 


4,  La  Citerne* 

t.  l  homme  à  trou  vtioçti  {II,  12). 

RKV,    t/illSÎ.   LtTTtR.   Dfc  LA    FWA^ClE  (7*  Aqn.), —   VU. 


13 


Î18 


REVUE    TMIKIOITIK    UTTKRAIRE    t*K    IV    KIIAM'I.. 


romantique  trouve  aussi  loi  sur  les  boulevards  des  auditeurs  ins- 
truits h  le  goûter  »  Pondant  quAntony^  Lucrèce  Borgia  et  la  Tour 
Veste  triomphent i  taPorle-Saini-Marlin,  on  applaudit  à  la  Galle 
ta  Lettre  de  nuit*'!,  Ç  Abbaye  aux  bois,  ?  Allée  des  veuve*  :  le  style 
même  des  unes  el  des  autres  n'est  pas  de  qualité  très  différente. 

La  préface  de  Çromwell,  c'est  donc,  en  somme,  le  mélodrame 
prenant  conscience  de  ses  moyens  et  de  sa  dignité  littéraire.  (In 
no  diminue  pas,  à  l'avouer,  l'importance  de  ce  manifeste.  Car  de 
ce  jour  seulement,  et  g  race  à  lui,  un  genre  qui  jusqu'ici  n'avait 
fait  que  tâtonner  sur  les  contins  de  la  littérature,  >  pénètre  glo- 
rieusement. Lrs  timides  ont  toujours  LorL  Les  amis  de  Pixérccourt 
frémiretil  devant  les  audaces  romantiques,  ils  crièrent  au  scandale 
devant  ces  jeunes  gens  aux  mépris  excessifs,  disposés  à  jeter  bas 
les  idoles  tes  plus  respectables.  Il  faut  entendre  Bouilly  regretter 
L'âge  d  or  ;  «  Cotte  honorable  association  qui  formait  en  France 
une  corporation  à  laquelle  on  était  heureux  el  fier  d'appartenir 
est  devenue  une  meulr  affamée  courant  après  toute  bête  fauve  dont 
elle  aspire  la  curée  :  rien  ne  l'arrête  dans  sa  course,  ni  la  fleur 
naissante  qu'elle  écrase  sous  l'herbe,  ni  la  colombe  plaintive  quelle 
force  à  s'éloigner  de  son  nid.  Insensés  qui  croyez  vous  approprier 
de  la  sorte  le  plus  beau  gibier  du  domaine  d'Apollon!,.. l  » 

Le  «  poète  lacrymal  »,  auteur  des  ContêB  ùuxenfantsdeFr€tncei 
n'était  pas  homme  à  sentir  ce  qu'a  de  fécond  l'esprit  de  révolte. 
C'est  par  lui  cependant,  que,  sans  valeur  théorique,  sans  idées 
nouvelles, —  on  serait  tenté  de  dire  sans  idées,  tant  l'afflux  des 
mots  les  submerge,  —  la  préface  de  Oomvell  a  donné  à  notre 
théâtre  la  secousse  qui,  pour  un  temps  au  moins,  devait  lui  rendit 
la  vie.  Les  nouveautés  de  Pixérécourl  semblaient  honteuses 
d'elles-mêmes.  Les  romantiques  les  reprennent  et  les  arborent 
n\rr  orgueil,  lis  leur  suscitent  des  ennemis,  niais,  avoir  des 
ennemis,  c'est  vivre.  A  col  égard,  la  soirée  ise  tïHernani  a 

fait  beaucoup  plus  que  les  triomphes  coutumiers  à  Pixérécourl. 
Nous  te  sentons  encore  :  il  n'est  rien  de  plus  banal  et  de  plus 
commun  que  le  PrôBcril  de  I  eusse;  Henri  III  et  Marie  Tudar  Boal 
à  peu  près  bâtis  sur  le  même  modèle  :  pourtant,  un  soufllc  de 
jeunesse  les  anime  toujours. 

11  y  a  autre  chose*  Pixérécourt  avait  trouvé  le  cadre  du  drame 
nouveau;  il  n'avait  pu  lui  donner  une  Ame.  IL  s'était  contenté  d'y 
accumuler  les  rencontres  du  hasard  el  les  froides  prédications 
morales,  Les  romantiques  y  liront  enlrer  l'amour  :  et  cecîcsl  tout 


1.  N  m  Lice  s  tir  h' s  Mitte*  fie  Poîfiytie, 


HKI  ODHAME 


LBKkT    DE    PIYfc 


RI. 


219 


simple»  car  bien  d'autres  lavaient  fait  avant  eux,  et  ceci  est 
énorme,  car  ils  le  firent  à  leur  manière.  Eux-mêmes,  il  est  vrai, 
pensaient  devoir  leur  immortalité  à  d'autres  mériles;  ce  genre 
d'originalité  leur  eût  paru  trop  mince,  il  leur  fallait  des  litres  de 
gloire  plus  reluisants.  Voilà,  pourtant,  que  tout  a  vieilli  de  leur 
théâtre,  sauf  quelques  pages  de  passion  frémissante.  Des  draines 
de  Hugo,  Mario*  Efahrme  reste  le  plus  pénétrant,  et,  si  quelque 
chose  dans  Hemani  vil  encore,  ce  n'est  pas  l'acte  du  tombeau.  Il 
est  à  remarquer  que  tous  les  renouvellement  successifs  de  notre 
théâtre  se  ramènent  en  définitive  à  cela.  l'nc  loi  régulière  dirige 
sou  évolution  :  on  veut  échapper  à  la  peinture  de  l'amour  par 
haine  de  la  Fadeur,  et,  forcément,  on  y  revient  pour  reprendre 
pied  dans  la  vérité.  Après  les  horreurs  froides  de  Médée,  c'est  la 
issïon  du  Cid,  c'est  Andromaque  en  face  d'Àgéâil&Bj  ce  sont  les 
>médies  de  Marivaux  succédant  aux  sécheresses  de  Lasage,  c'est 
AuUtnij.  ee  sera  la  Dcrtneûux  camélia*  :  nous  sommes  une  race  de 
seositifs  et  de  psychologues. 

Sous  prétexte  d'abord  de  mettre  en  scène  la  vie  humaine  tout 
entière,  par  scrupules  moraux  ensuite,  le  mélodrame  avait  écarté 
la  peinture  de  la  passion.  Les  amoureux  de  Pixérécourt  sont 
d'une  médiocrité  que  Scribe  ne  dépassera  pas,  ou  alors  d'une 
corruption  à  faire  frémir.  Il  connaît  les  devoirs  de  l'homme  de 
théâtre  et  ne  présente  l'amour  que  pour  en  montrer  les  dangers  : 
•  ih  ore  Ta-t-il  exclu  de  tous  ses  cbefe-d'çetme,  Là  surtout  est  le 
secret  de  leur  froideur.  Cherchez,  au  contraire,  ce  qui  fait  vivre 
AfUony.  Ce  n'est  certes  qu'un  mélodrame  de  construction  assez 
ordinaire,  dune  vraisemblance  médiocre,  d'un  style  k  n'envier 
rien  à  ses  prédécesseurs.  Mais  le  fond  de  ce  mélodrame  est  une 
histoire  d'amour,  et  cela  suffît  pour  qu'il  soït  proche  de  nous,  plein 
d'humanité.  L'intérêt  n'est  plus  un  intérêt  de  curiosité  vulgaire» 
le  drame  est  intérieur;  peu  importent  les  invraisemblances,  la 
naïveté  de  quelques  effets  :  l'emphase  devient  du  lyrisme,  nous 
sommes  dans  la  vie* 

L'esprit  de  révolte  passant  de  l'auteur  aux  personnages,  la 
I teinture  de  l'amour  avec  toutes  ses  fougues,  le  lyrisme  n'a  pas 
d'autres  sources  dans  le  théâtre  romantique.  Ici,  il  ne  doit  plus 
rien  à  Pixérécourt,  et  Pixérécourt  se  déclare  son  ennemi.  Ses 
«  dernières  réflexions  sur  le  mélodrame  »  sont  attendrissantes  ; 
a  Dans  les  drames  modernes,  on  ne  trouve  que  des  crimes  mons- 
trueux qui  révoltent  la  morale  et  la  pudeur*  Toujours  et  partout, 
l'adultère,  le  viol,  l'inceste,  le  parricide,  la  prostitution,  les  vices 
les  plus  éboulés,  plus  sales,  plus  dégoûtants  les  uns  que  les  autres, 


220  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA   FRANCE. 

Qu'en  est-il  résulté?  Que  les  mères  de  famille  ont  déserté  les  spec- 
tacles où  les  jeunes  filles  ne  pouvaient  plus  se  présenter  sans 
scandale  et  sans  danger.  Malheureusement  il  existe  à  Paris  une 
immense  quantité  de  femmes  galantes  et  libertines,  qui  ont  suffi 
pour  accréditer  ce  genre  sale  et  obscène...  »  Vieux  maintenant, 
ruiné  par  l'incendie  de  son  théâtre,  aveugle  aux  trois  quarts,  il 
s'obstine  toujours  :  «  J'ai  vu,  pendant  plus  de  trente  ans,  toute  la 
France  accourir  aux  représentations  multipliées  de  mes  ouvrages. 
Hommes,  femmes,  enfants,  riches  et  pauvres,  tous  venaient  rire 
et  pleurer  aux  mélodrames  bien  faits...  Depuis  dix  ans,  on  a  pro- 
duit un  très  grand  nombre  d'œuvres  romantiques,  c'est-à-dire 
mauvaises,  dangereuses,  immorales,  dépourvues  d'intérêt  et  de 
vérité.  Eh  bien,  au  plus  fort  de  ce  mauvais  goût,  j'ai  composé 
Latude  avec  le  même  goût,  les  mêmes  idées  et  les  mêmes  prin- 
cipes... »  Et  le  malheureux  repousse  comme  une  honte  ce  qui 
restera  son  seul  titre  à  quelque  reconnaissance  et  à  quelque 
attention.  «  Pourquoi  donc  les  auteurs  d'aujourd'hui  ne  font-ils 
pas  comme  moi?  Pourquoi  leurs  pièces  ne  ressemblent-elles  pas 
aux  miennes?  C'est  qu'ils  n'ont  rien  de  semblable  à  moi,  ni  les 
idées,  ni  le  dialogue,  ni  la  manière  de  faire  un  plan.  C'est  qu'ils 
n'ont  ni  mon  cœur,  ni  ma  sensibilité,  ni  ma  conscience.  Ce  n'est 
donc  pas  moi  qui  ai  établi  le  genre  romantique!...  Il  est  très 
pénible  pour  moi,  malade  et  presque  aveugle,  de  m'être  trouvé 
dans  la  nécessité  de  toucher  cette  corde  brûlante.  Mais  on  m'y  a 
forcé.  La  question  est  là.  Les  faits  sont  là.  Je  laisse  au  public 
impartial  le  soin  de  me  juger!...  » 

Cet  orgueil,  sans  doute,  était  bien  naïf.  Peut-être  en  a-t-il  été 
puni  Irop  sévèrement. 

Jules  Marsan. 


QUELLE  EST  LA  VÉRITABLE  PART  DE  PERRAULT  DANS  SES  CONTES?       221 


QUELLE  EST  LA  VÉRITABLE  PART  DE 

CHARLES  PERRAULT 

DANS  LES  CONTES  QUI  PORTENT  SON  NOM1? 


Sur  une  haute  cheminée,  toute  resplendissante  d'un  feu  clair, 
devant  lequel  un  gros  chat  s'est  voluptueusement  blotti,  brille  une 
chandelle  de  cire,  déjà  plus  qu'à  demi  consumée. 

Cette  chandelle  éclaire  quatre  personnes  de  conditions  et  d'âges 
fort  divers. 

Une  paysanne,  vêtue  d'une  camisole  à  collet  rabattu  et  à  man- 
ches retroussées,  d'un  jupon  de  couleur  sombre  et  d'un  tablier 
blanc,  chaussée  de  gros  sabots,  coiffée  d'un  bonnet  à  bandes 
plates,  est  commodément  installée  en  face  de  l'âtre,  et  tout  en 
filant  à  la  quenouille,  débite  ses  contes  de  vieille  à  une  assistance 
fort  différente  de  celle  qui  fréquente  d'ordinaire  les  veillées  villa- 
geoises. 

Une  demoiselle  du  plus  grand  monde,  en  fontange,  en  corsage 
lacé,  qui,  malgré  le  feu  du  foyer,  a  fourré  ses  mains  dans  un 
épais  manchon,  se  serre  contre  la  bonne  femme  qu'elle  regarde 
attentivement;  près  d'elle  un  jeune  garçon,  appuyé  sur  les  genoux 
de  la  conteuse,  semble  faire  un  violent  effort  pour  fixer  dans  sa 
mémoire  les  récils  qu'il  écoute,  tandis  qu'un  auditeur  assez  distrait, 
étendu  sur  une  chaise,  le  dos  au  feu,  parait  plus  sensible  au  bien- 
être  de  cet  intérieur  qu'aux  histoires  qu'on  y  raconte. 

Telle  est  la  petite  scène  qui  forme  le  frontispice  de  l'édition  ori- 
ginale des  Histoires  ou  contes  du  temps  passé.  Avec  des  moralitez. 
publiées  chez  Claude  Barbin,  en  seize  cent  quatre-vingt-dix-sept. 
Sur  la  porte  de  la  chambre  où  elle  se  passe  sont  gravés  ces  mots  : 
Contes  de  ma  mère  Loye. 

D'après  les  bibliographes  les  plus  compétents,  l'auditoire  de  la 
bonne  femme  est  composé  des  enfants  de  Charles  Perrault,  et  le 
jeune  garçon  si  attentif  n'est  autre  que  Pierre  Perrault  Dafman- 
cour,  son  second  fils,  alors  âgé  de  dix-neuf  ans.  Quant  à  la  con- 
teuse, quelle  est-elle?  Peut-être  une  bonne  d'enfants,  ancienne 

1.  Cette  étude  posthume   nous  est  communiquée  par  la  famille  de  M.  Marty- 
Laveaux;  l'auteur  la  destinait  à  la  Revue  d Histoire  littéraire. 


222 


REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    lït    LA    FRANCE, 


dans  la  maison,  ou,  mieux  encore,  une  nourrice,  car  c'est  surtout 
par  elles  que  ces  récils  se  sont  conservés. 

Le  volume  comprend  huit  contes  :  La  Belle  au  bois  dormant  t  1$ 
Petit  Chaperon  Rouffet  la  Barbe  Bieue%  le  Maitre  Chat  ou  l<-  Chai 
Botté ,  tes  Fëè$t  CendrilUm  ou  fa  Petite  Pantoufle  de  vetret  Piquet  à 
ta  houppe,  le  Petit  Poucet,  C'est  Darmancour,  le  second  lils  «le 
Perrault,  qui  ligne  la  dédicace,  le  privilège  est  eu  son  nom,  c'est 
lui  qui  le  cède  à  Claude  Barbîn,  et  le  libraire  hollandais  qui  con- 
trefait le  recueil  n'bésile  pas  à  mettre  sur  le  litre  ;  Par  le  fils  de 
Moniteur  Perrault  de  V Académie  Françoise, 

A  prendre  ces  documents  à  la  rigueur,  Charles  Perrault  n'a 
pris  aucune  pari  aux  coules  qui  ont  rendu  son  nom  si  populaire. 
C'est  ce  qu'il  est  impossible  d'admettre  s  toutefois,  avant  d'essayer 
de  se  former  une  opinion  à  cet  égard,  il  est  bon  d'examiner  celle 
des  contemporains. 

In  assez  lin  critique,  fort  au  courant  de  la  question,  l'abbé  de 
ViUiers,  lit  paraître  en  1699,  deux  ans  après  ta  publication  des 
Histoires  du  Temps  passé,  un  agréable  petit  livre  intitulé  :  Entre- 
tien* sur  tes  routes  de  fées  et  sur  tes  autres  ouvrages  du  temps,  pour 
servir  de  préservatif  contre  le  mauvais  f/ont,  dédiez  à  Messieurs  de 

C Académie  Françoise.  Dans  le  second  de  ces  entretiens,  qui  ont 
pour  interlocuteur  un  Provincial  el  un  Parisien,  la  manie  des 
récits  merveilleux,  dont  toules  les  sociétés  d'alors  étaient  engouées, 
est  censurée  avec  esprit. 

Selon  le  Provincial  les  meilleurs  contes  imitent  la  simplicité 
des  nourrices.  «  C'est  pour  celte  seule  raison,  ajoulc-l-il,  que  je 
vous  ai  vu  assez  content  de  ceux  qu'on  attribue  au  fils  d'un  célèbre 
académicien.  » 

Là- dessus  le  Parisien,  s  étend  an  l  sur  les  qualités  que  demande 
ce  genre  de  style,  termine  en  disant  :  «  Quelque  estime  que  j'aie 
pour  le  fils  de  l'Académicien  dont  vous  parlez,  j'ai  peine  à  croire 
que  le  père  n'ait  pas  mis  la  main  à  son  ouvrage.  » 

Voilà  donc  ce  qu  on  pensait  alors  : 

L'ouvrage  est  du  lîls  et  le  père  y  a  mis  la  main. 

N 'est-ce  pas  là  en  effet  le  plus  probable?  Quel  motif  aurait  eu 
Cbarles  Perrault  de  ne  point  faire  paraître  ce  recueil  sous  son 
nom?  Dira-L  on  qu'il  aurait  pu  craindre  de  compromettre  sa  dignité 
d'Académicien  par  ta  publication  de  ces  contes,  et  qu'il  s'est  servi 
de  Darmancour  à  la  façon  de  ces  seigneurs  de  village  qui  chargent 
leur  fils  de  tenir  sur  les  fonls  l'enfant  du  jardinier*  Le  scrupule 
£Ul  été  un  peu  lardîf  pour  qui  avait  déjà  fait  paraître  trois  coules 
de  fées  eu  vers  ;  Griiétidiê,  les  Souhaits  ridicule*  et  Peau  d\\mem 


tyOftLtf   KSI    LV   VKUITADLE   l'AFM    IHi   l'KRRAUT    l>^   M-S   DO«TKS?       225 

Prêtions  un  peu  les  choses  comme  on  nous  les  donne  et  admet- 
tons que  Dur  ma  il  cour  a  pu  avoir  dans  la  composition  des  BistQi 
du  temp$  pOBêé  nue  pelite  pari  que  l'indulgence  paternelle  a  pris 
plaisir  à  exagérer. 

Nous  allons  voir  d'ailleurs  qu'il  v  .1  entra  les  contes  en  vers, 
incontestablement  composés  par  Charles  Perrault,  et  les  contes 
en  prose,  des  différences  si  profondes,  une  opposition  de  procédé 
si  frappante,  que,  même  en  négligeant  les  témoignages  que  nous 
venons  de  réunir,  on  serait  fondé  à  prétendre  que  les  deux  ouvrages 
ne  sont  pas  de  la  même  main, 

Charles  Perrault  publia,  en  1lï9i,  ta  MwrquitB  4e  Saturne  ou  la 
Patience  de  Grisétidis%  nouvelle  imilée  de  Boceare. 

Traduire  Boccace  c'était  aller  sur  les  brisées  de  La  Fontaine; 
mais  loin  d'imiter  son  indépendante  exactitude,  dont  Musset  a  su 
retrouver  le  secret  dana  le  joli  conte  de  Sim*tnet  Perrault  cherche 
à  embellir  son  auteur,  et  se  jette  à  tout  propos  et  souvent  hors  de 
propos  en  d'interminables  digressions,  fort  mal  justifiées  dans  une 
longue  apologie  placée  en  tète  de  l'ouvrage. 

Au  mois  de  novembre  de  Tannée  1693,  il  fait  insérer  dans  le 
Mercute  Galant  le  conte  des  Souhaits  ridicules  :  ici  son  impru- 
dent désir  de  lui  1er  contre  notre  grand  fabuliste  se  montre  avec  la 
dernière  évidence. 

Ihs  le  début  nous  tombons  sur  une  imitation  malheureuse  de 
La  Mort  et  le  Bûcheron  ;  quant  au  conte  en  lui-même,  c'est  la  mise  en 
œuvre  d'une  rédaction  triviale  d'un  vieux  récit  indien,  traité  avec 
une  philosophie  bien  plus  haute  dans  les  Souhaite  de  La  Fontaine. 

Les  souhaiieura  de  celui-ci  ne  se  laissent  pas  égarer  par  une 
gourmandise  grossière,  leur  premier  vœu  est  celui  de  presque 
tous  les  hommes  :  la  richesse,  mais  à  peine  Tont-ils  obtenue 
qu'ils  s'en  trouvent  gênés,  comme  le  Savetier  de  la  fable;  ils 
rappellent  la  médiocrité,  enfin  ils  souhaitent  la  sagesse,  dont  ils 
étaient  bien  dignes,  et  que  déjà,  leur  demaude  le  prouve,  ils  pos- 
sédaient dans  une  certaine  mesure- 
Les  Souhaits  rtdimfes  surit  loin  de  se  tenir  à  cette  hauteur,  mais 
l'enfantine  vulgarité  du  récit,  et  surtout  son  extrême  brièveté,  leur 
ont  valu,  a  la  suite  et  en  dehors  des  contes  en  prose,  une  place 
qu'ils  ont  délinitivement  conservée. 

En  1694,  avec  la  seconde  édition  de  Gfi*itidi&l  paraît  la  pre- 
mière de  Peau  dWsnf.  Ce  récit,  joli  en  lui-même,  s'était  depuis 
longtemps  transmis  de  bouche  en  bouche  sans  recevoir  une  forme 
définitive.  Dès  1678  cependant  il  attirait  I  attention  de  La  Fontaine, 
qui  s'écriait  avec  sa  bonhomie  charmante  : 


224  BEVUE   0  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    i>E    LA    FltANCE. 

Si  Peau  dAsne  m'estoit  conté 
J'y  prendrois  un  plaisir  extrême. 

C'en  était  assez  pour  engager  Perrault  à  traiter  ce  sujet,  maïs  il 
perdit  entre  sei  mains  une  partie  de  son  agrément.  Quand  on  voulut 
plus  lard  joindre  aux  coules  en  prose  celle  narration  ainsi  (investie, 
elle  formait  ave**  eux  Une  disparate  si  choquante  qu'en  1781, 
soixanle-dix-huit  ans  après  la  mort  de  Charles  Perrault,  un 
inconnu  crut  devoir  la  traduire  en  prose;  néanmoins  elle  détonne 
au  milieu  des  autres  histoires  et  ne  peut  tromper  une  oreille  déli- 
cate* Sainte-Beuve  le  remarque,  sans  s'y  arrêter.  Il  dit,  en  parlant 
de  son  précieux  exemplaire  de  l'édition  de  lti*J7  :  «  Peau  d'Ànev 
mise  eu  vers  d'abord,  puis  retraduite  60  prose,  n'en  fait  point  parti*-, 
et  mon  admiration,  je  l'avoue,  la  laisse  un  peu  en  dehors,  i> 

On  voit  combien  l'excellent  critique  a  senti  la  différence  des 
deux  procédés.  Elle  le  frappe,  maïs  il  passe  sans  poursuivre  l'idée 
qui  s'offre  à  lui,  sans  accentuer  la  distinction  qu'il  a  nettement 
entrevue. 

On  n'a  fias  assez  remarqué,  du  reste,  ce  que  les  Cùnteê  du  tempe 
né  ont  de  nouveau  et  j ■  ainsi  dire  d'inouï  au  \\W  siècle. 

Noire  temps,  où  tout  se  recueille,  où  tout  s'imprime,  les  tradi- 
tions les  plus  informes,  les  plus  plates  chansons  populaires,  les 
moindres  devinettes  d'enfants;  où  l'on  institue  des  prix  pour  qui 
les  réunit,  des  missions  pour  qui  court  les  rechercher  au  fond  des 
provinces,  dans  les  chaumières  les  plus  reculées,  ne  peut  se  faire 
une  idée  de  l'aversion  que  ces  sortes  de  choses  inspiraient  à  ceux 
qu'on  appelait  alors  les  honnêtes  gens.  Rien  n'était  plus  contraire 
à  l'élégance,  appréciée  avant  tout.  C'est  pour  cela  que  Charles 
Perrault  avait  essayé  d'entourer  de  toutes  sortes  d'agréments  cette 
Peau  d'Aine  mis?  en  vers  que  Boileau,  dans  sa  juste  sévérité,  a 
déclarée  le  modèle  du  parfait  ennuyeux.  Au  moment  où  elle  parut, 
la  sociélé  polie  n'était  pas  encore  très  familiarisée  avec  les  sujets 
de  ce  genre;  la  dédicace  en  donne  une  preuve  assez  curieuse. 
Charles  Perrault,  qui  y  parle  des  *  contes  d'Ogre  n,  croit  indis- 
pensable d'ajouter  au  bas  de  la  page  la  note  suivante  ;  «  Homme 
sauvage  qui  mangeoit  les  petits  enfants  »,  Ce  mot  Ogre  n'était  pas 
alors  bien  compris;  il  ne  figure,  du  reste,  dans  aucun  dictionnaire 
contemporain. 

Les  choses  changèrent  rapidement  de  face.  Tout  en  échouant, 
Perrault  avait  ouvert  une  voie  nouvelle  :  il  s'agissait  de  remplacer 
les  fables  par  les  contes  de  fées  et  d'élever  à  la  hauteur  d'un 
genre  littéraire  les  antiques  récits  des  nourrices.  Beaucoup  de 
belles  dames,  moins  sévères  que   Despréaux,  s'y  intéressèrent; 


giKI.I>:  E&l    U   VÉRITABLE   PARI   DE   l'KUKAVM    n\>s  >\.s  i.nMi>?      225 

enfin ,  chose  capitale  en  France,  ils  devinrent  à  la  mode.  Il  n'y  eut 
bientôt  plus  de  distraction  littéraire  mieux  accueillie;  on  la  pré- 
féra aux  portraits,  aux  madrigaux  cl  aux  maximes,  et,  dans  un 
grand  nombre  de  sociétés,  on  s'exerça  à  qui  donnerait  à  ces  his- 
toires leur  forme  la  plus  vive  et  la  plus  attachante. 

Ces  divertissements  devaient,  on  le  conçoit,  offrir  à  la  famille  de 
Charles  Perrault  un  attrait  particulier. 

Le  père  réunissait  sous  sa  présidence  foule  une  petite  académie 
défi  contes  de  féesT  dont  Darmaneour  était  le  rédacteur  principal, 
le  véritable  secrétaire  perpétuel;  le  frère  aîné,  si  nous  en  jugeons 
par  son  attitude  dans  le  frontispice  que  nous  avons  décrit,  n'y 
prenait  pas  une  part  bien  active;  la  sœur  s'en  mile,  mais  n'écrit 
rien,  elle  cause,  elle  écoute,  elle  protège,  elle  remplît  dans  ce  petit 
cercle  ce  rdk  d'intermédiaire  si  recherché  des  femmes,  qui  s'en 
croient  nécessairement  investies  auprès  des  académies. 

En  [©96,  mi  an  avant  l'impression  des  contes  en  prose»  une 
amie  de  la  famille  Perrault,  KUi  Lliéritier,  public  un  petit  récit, 
Marmoiêcn  ou  Flnnocmtë  Tromperie^  dont  elle  adresse  la  dédicace 
à  cette  influente  jeune  fille.  Nous  trouvons  dans  cette  é  pitre  des 
renseignements  f»>rl  précieux  :  dans  une  compagnie,  où  il  était 
question  de  Chartes  Perrault,  «  on  parla  de  la  bonne  éducation 
qu'il  donne  à  ses  enfants;  on  dit  qu'ils  marquent  tous  beaucoup 
d'esprit;  et  enfin  on  tomba  sur  les  contes  naïfs  qu'un  de  ses  jeun*  s 
élèves  s  mis  depuis  peu  sur  le  papier  avec  tant  d'agrément  ».  Invitée 
a  réciter  quelque  chose,  M'"  Lhérilier  dit  le  conte  de  Sfarmùisan 
♦*l  la  compagnie  l'engage  à  le  communiquer  à  ce  jeune  auteur  qui 
occupe  si  spirituellement  les  amusements  de  son  enfauce  »«  <*  Je 
vais  vous  dire  ce  conte,  ajouLe-l-elle,  tel  à  peu  près  que  je  le 
raconta  y.  J'espère  que  vous  en  ferez  part  à  votre  aimable  frère,  et 
vous  jugerez  ensemble  si  cette  fable  est  digne  d'être  placée  dans 
son  agréable  recueil.  » 

Voilà  à  peu  près  tout  ce  que  nous  pouvons  savoir  ou  conjecturer 
quant  à  la  petile  société  de  conteurs  établie  ehei  Charles  Perrault, 
et  au  rôle  très  actif  qu'y  jouait  son  fils  Pierre  Darmancour, 

Si  peu  que  cela  soit,  c'est  assez  pour  nous  expliquer  d*où  vint 
la  détermination  toute  nouvelle  qui  porta  le  père  à  écrire  désor- 
mais ses  contes  de  fées  en  prose  et  dans  un  style  bien  dtffêr 
Comme  il  a  tenu  a  le  constater  en  mettant  l'ouvrage  au  nom  de 
sou  fils,  c'est  à  cet  enfant  si  heureusement  doué  qu'en  appartient 
l'Initiative.  Dans  sa  dissertation  sur  les  contes  de  fées  attribués  à 
Perrault,  Walckenaer  nous  indique  en  ces  ternies  comment  les 
choses  ont  dû  se  passer  : 


226 


HI.M'I-:    Il  illSTUlUK    LLiTËHMRE    DE    Lk    FRANCE, 


«Il  livra  d'abord  à  son  jeune  fils,  dont  l'éducation  l'occupait 
beaucoup,  ces  récita  a  composer  comme  exercice  d'étude,  et  la 
naïveté  ilt ta  phrases  enfantines  du  jeune  Perrault  haniiam'our  lui 
ayant  paru  Favorable  à  ce  genre  de  composition,  il  la  conserva  en 
partir  et  disposa  le  tout  pour  l'impression  », 

S'il  en  a  réellement  été  ainsi,  comme  tout  semble  l'indiquer, 
ce  petit  chef-d'œuvre  résulle  de  la  fusion  inattendue  de  trois  élé- 
iii en! s  bien  distincts  : 

\"  La  narration  naïve  des  nourrices; 

2"  La  rédaction  brève,  précise»  correctement  enfantine  de  Dar- 
maneour; 

3"  Les  traits  d'un  esprit  délicat  dont  son  père  Ta  ornée  en  y 
mettant  la  dernière  main. 

Sans  oser  nous  piquer  d'une  rigueur  absolue,  nous  allons 
tâcher  d'indiquer  la  part  de  cliacun  de  ces  trois  éléments. 

Commençons  par  ce  qui  appartient  à  la  tradition. 

Il  est  à  peine  nécessaire  de  rappeler  le  mode  de  transmission 
de  ces  coules;  les  témoignages  contemporains  sont  à  cet  égard 
aussi  nombreux  que  Formels  :  Charles  Perrault,  dans  la  préface  de 
ses  récits  en  vers,  dit  que  «  Peau  d'Aine  est  conté  tous  les  jours 
à  des  enfants  par  leurs  gouvernantes  et  par  leurs  grand'mëres  ». 
Dans  un  madrigal  qui  lui  a  été  adresse  *  par  une  jeune  demoiselle 
de  beaucoup  d'esprit  *,  Mademoiselle  Lhéritier,  suivant  toute 
apparence,  nous  lisons  : 

Le  conte  de  Peau  d'Asne  est  icy  raconté 

Avec  tant  de  naïveté, 
Qu'il  ne  ui\i  pas  moins  divertie 
Que  quand,  auprès  du  feu,  ma  nourrice  ou  ma  mie 
Tenoient  en  le  Faisant  mon  esprit  enchanté; 

Elle  s'exprime  encore  ainsi,  à  la  fin  de  V Adroite  Princesse  : 

Cent  et  ce  ut  fois  ma  gouvernante. 
Au  lieu  de  fnbles  d'animaux, 
M'a  raconté  les  traits  moraux 
De  cette  histoire  surprenante. 

Enfin,  comme  nous  le  remarquions  en  commençant,  le  frontis- 
pice même  des  Histoires  du  temps  passé  nous  montre  une  fileuse 
entourée  des  enfants  de  Perrault  qui  écoutent  ses  récits.  C'est 
donc  aux  nourrices,  ou  plutôt  à  leur  narration,  pour  ainsi  dire 
impersonnelle,  qu'appartient  h*  premier  fond,  la  matière  même  des 
contes,  elles  ne  leur  ont  guère  prêté  que  le  secours  de  leur  voix» 


OJtttLLE   EST   LA    MUITAIIIK    PART    DE    IMlURÀl LT   DAN>   MS  CONTES?       217 

et  ils  oui  passé  de  bouche  en  bouche,  presque  sans  changement 
dons  les  termes,  souvent  même  avn-  mu-  tradition  d'inflexion  et 
d'accent  plus  constante,  [dus  immuable  que  celle  qu'un  observe 
aujourd'hui  dans  les  conservatoires  officiels* 

Dans  ces  histoires  les  personnages  principaux  nous  frappent 
tout  d'abord  par  l'exagération,  par  l'outrance,  comme  on  dirait 
maintenant,  de  leurs  qualités  bonnesou  mauvaise*,  tant  physiques 
que  morales  :  la  fille  de  roi  que  te  rhal  botté  fuit  épouser  à  SOD 
maître  est  «  la  plus  belle  Princesse  du  monde  »,  la  fiancée  de 
Hiquet  à  la  houppe  est  «  plus  belle  que  le  jour  »,  quant  h  lui,  il 
vint  au  monde  *  si  laid  et  si  mal  fait  qu'on  douta  longtemps  s'il 
avait  une  forme  humain*  i,  unis,  une  fois  métamorphosé,  il  parait 
immédiatement  aux  yeux  de  la  princesse  «  l'homme  du  monde  l«* 
plus  beau,  le  mieux  fait  et  le  plus  aimable  qu'elle  eust  jamais  vu  ». 
Barbe -Bleu  6  *  estoît  si  laid  et  si  terrible  qu'il  n'esloit  ni  femme 
ni  fille  qui  ne  s'enfuit  devant  luy  »,  etc.,  elc< 

Cet  artifice  de  narration  populaire  est  encore  pratiqué  de  nos 
jours  :si  le  Petit  Journal  raconte  qu'une  jeune  fille  s'est  jetée  d;ius 
la  Seine,  il  ne  manque  guère  d'ajouter  qu'elle  était  «  d'une  beauté 
rare  »;  un  voleur  vient-il  d*être  arrêté,  *  c'était  un  malfaiteur 
de  la  pire  espèce  ».  Ainsi  le  veut  la  poétique  populaire,  fort  dif- 
férente en  cela  de  celle  d'Aristote  qui  conseille  au  contraire  an 
poète  de  faire  choix  d'un  héros  qui  ne  soit  m  tout  à  fait  bon,  ni 
tout  à  fait  mauvais. 

La  répétition,  dont  l'art  classique  n'use  qu'avec  discernement» 
est  poussée  dans  les  récits  rustiques  à  l'excès  le  plus  incroyable; 
les  Contes  tin  l&mpê  i  tassé,  beaucoup  plus  sobres  sur  ce  point  que 
les  narrations  populaires  recueillies  dans  ces  dernières  années,  de 
la  bourbe  même  des  paysans,  en  offrent  pourtant  de  nombreux 
exemples. 

Dans  la  si  courte  histoire  du  Chaperon  Rougst  c'est  le  toctoc  du 
loup,  puis  l'explication  qu'il  donne  à  la  porte,  bientôt  suivie  du 
loctoc  du  chaperon  rouge  et  de  la  même  explication, 

Dans  la  Barbe  lifeue,  l'éternelle  question  :  *  Anne,  ma  sœur 
Anne,  ne  vois-ïu  rien  venir?  »  et  l'éternelle  et  navrante  réponse  : 
«  Je  ne  voy  rienquele  soleil  qui  poudroyé  et  l'herbe  qui  verdoyé,  » 

Dans  le  Chat  Botté,  le  discours  aux  faucheurs  textuellement 
répété  aux  moissonneurs,  etc, 

Il  va  ainsi,  à  chaque  instant,  clans  les  contes  populaires,  des 
refrains  dont  quelques-uns  ne  sont  peut-élre  qu'une  vague  rémi- 
niscence et  comme  une  sorte  d'écho  lointain  des  formes  poétiques 
autrefois  traversées  par  certains  d'entre  eux. 


228 


REVUE    I)  HISTOIRE    UTTfcUAlUE:    DE    LA    Fin 


Tout  cela  vient  de  la  nourrice:  c'est  à  elle  aussi  qu'appartien- 
nent les  termes  rustiques;  en  effet  ils  ne  sauraient  èlre  attribués 
ni  à  Darmancour,  qui,  suivant  toute  apparence,  ne  les  connaissait 
guère,  ni  à  Charles  Perrault  qui,  loiu  d'en  ajouter,  a  dû  au  con- 
traire détacher  ceux  qui  n'étaient  pas  engagés  trop  avant  dans  la 
trame  du  récit»  et  les  remplacer  par  des  mots  du  bel  usage,  *  Tire 
la  chevillelte,  la  bobinettô  chera  »,  ce  cri  de  la  mère-grand  T  redit 
bientôt  parle  loup  en  vertu  de  cette  recherche  de  la  répétition  que 
nous  venons  de  constater,  décrit  en  termes  villageois,  avec  une 
précision  pittoresque,  la  fermeture  élémentaire  de  nos  anciennes 
chaumières. 

11  en  es!  de  même  pour  tout  le  mobilier  rustique,  lescnbelle,  la 
huche;  pour  les  travaux  du  ménage  énuuiérés  avec  exactitude,  et, 
ce  qui  nous  semble  tout  simple,  mais  ce  qui  alors  était  une  nou- 
veauté, nommés  ici  par  leur  vrai  nom. 

Pourquoi  le  chaperon  rouge  porte- t-il  une  galette  à  sa  mère- 
grand?  Parce  que  sa  mère  a  cuit,  c'est-à-dire  mis  at*  four  sa  pro 
vision  de  pain. 

Quand  L'ogre  croit  avoir  tué  le  petit  Poucet  et  ses  frères,  il  dît  à 
sa  femme  d'aller  les  habiller^  se  servant  du  mot  employé  par  le 
boucher  ou  la  ménagère  pour  exprimer  l'action  de  dépecer  la 
viande,  et  l'ogresse  est  «  fort  estoimée  de  la  bonté  de  sou  mary, 
ne  se  doutant  pas  de  la  manière  qu'il  entendoit  qu'elle  les  habillast 
et  croyant  qu'il  luy  ordonnoit  de  les  aller  vestir  ». 

Les  Conte*  nous  ont  aussi  conservé  quelques-unes  de  ces  jolies 
expressions  anciennes  qui,  perdues  pour  la  langue  commune,  se 
sont  perpétuées  dans  les  patois* 

Les  deux  mots  poudroyer  et  verdoyer,  que  nous  avons  eu  occa- 
sion de  citer  tout  à  l'heure,  avaient  été  repoussés  de  nos  diction- 
naires. La  Bruyère  regrette  le  second  :  «  verdure  ne  fait  plus 
verdoyer  »,  dit-il.  11  eut  été  satisfait  de  lui  voir  reprendre  ici  une 
nouvelle  existence. 

L'emploi  des  archaïsmes  n'a  pas  toujours  été  aussi  heureux  el 
a  même  parfois  donné  lieu  à  de  véritables  contre-sens. 

On  lit  dans  la  Itarbe  ilh-ue  :  «  La  clef  estoit  Fée,  et  il  n'y  avaiL 
pas  moyen  de  la  nettoyer  tout  à  fait  *,  et  dans  le  Petit  Poucet  :  «  les 
hottes  esloient  fort  grandes  et  fort  larges;  mais  comme  elles 
estoienl  Fées,  elles  avoient  le  don  de  s  agrandir  et  de  sapetisser 
selon  la  jambe  de  celuy  qui  l*-s  oh&uasoit  ». 

Notez  que  Fée  est  imprimé  avec  une  initiale  capitale,  comme 
le  sont,  dans  l'édition  originale  des  Contes,  la  plupart  des  substan- 
tifs. 11  est  bien   clair  toutefois  que  ce  mot  est  très  différent  de 


Q0KU*S  ES*  U  vrrsnuu.K  part  dk  pEUiurLT  ftàKS  sfa  COMTES?      2Î9 

Deltli  qui  désigne  une  fée*  C'est  le  participe  passé  féminin  du 
verbe  f<it;t\  ft<t't\  phéer\  il  signifie  :  enchantée,  ensorcelée,  et  devrait, 
comme  créée,  décrire  avec  trois  e  :  / 

Le  litre  de  Cmdrillon  ou  ta  Petite  Pantoufle  de  oerre  e«t  encore 
plus  surprenant,  Rien  dans  le  conte  n'explique  ni  ne  motive  cette 
bizarrerie  d'une  pantoufle  en  verre;  bien  an  contraire,  à  la  sortie 
du  bal,  Cendrîllon  la  laisse  tomber,  et  les  plus  sensés  d'entre  les 
jeunes  lecteurs  ont  dû  se  demander  comment  elle  ne  se  cassait 
point.  C'est  tout  simplement  parce  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  de  v?rre9 
mais  de  vair  ou  de  ver,  c'est-à-dire  d'une  fourrure  de  couleur 
variée  (du  latin  portsm),  qu'on  croît  être  du  petit-gria 

Cette  confusion  n'a  pas  échappé  à  Littré  :  «  C'est,  dit-il,  parce 
qu'on  n'a  pas  compris  ce  mot,  maintenant  peu  usité,  qu'on  a 
imprimé  dans  plusieurs  éditions  du  conte  de  G6fhéïiiiûfit  souliers 
de  verre  (ce  qui  est  absurde)  au  lieu  de  souliers  de  vah\  c'est- 
à-dire  souliers  fourrés  de  vair  ». 

Litlré  a  cru,  on  le  voit,  à  une  erreur  relativement  récente, 
taudis  qu'ici,  comme  pour  le  mot  fé%  nous  avons  un  échantillon 
curieux  îles  méprises  qui  peuvent  se  produire  dans  les  récils 
transmis  longtemps  de  bouche  en  bouche  et  imprimés  fort  tardi- 
vement* 

La  part  de  Darmancour  dans  les  contes  est,  de  beaucoup,  la 
plus  difficile  à  déterminer;  nous  savons  très  peu  de  chose  sur  lui, 
nous  sommes  certains  néanmoins  qu'il  a  reçu  une  éducation  libé- 
rale et  indépendante  dans  cette  étrange  famille  des  Perrault  dont 
Boileau  blâme  la  bizarrerie  et  dont  Sainte-Beuve  vante  l'originalité. 

On  lit  dans  les  m« moires  de  Perrault  adressés  par  lui  h  ses 
enfants,  qu'étant  en  philosophie  au  collège  de  Beau  vais,  sur  une 
observation  un  peu  vive  du  professeur,  il  quitta  un  beau  jour 
la  classe  pour  n'y  jamais  rentrer*  emmenant  avec  lui  un  de  ses 
camarades  intimes,  nommé  Beaurain,  Ensuite,  pendant  près  de 
quatre  années,  ils  étudièrent  librement  ensemble 

I.  ii  tel  écolier  serait  fort  illogique,  si,  devenu  père  de  famille, 
il  appliquait  à  ses  enfants  les  principes  rigoureux  en  usage  sous 
rancien  régime;  mais,  si  nous  pouvons  constater  les  généreuses 
dispositions  du  père,  il  nous  est  bien  difficile  de  connaître  leurs 
résultats  sur  le  fils*  Nous  n'avons  pas  même  la  ressource  incer- 
taine de  rechercher  dans  l'homme  fait  le  caractère  de  l'enfant,  car 
il  mourut  le  2  mars  1700,  trois  ans  après  la  publication  des  contes; 
c'est  donc  par  eux  seulement  que  nous  pouvons  deviner  ce  qu'il 
a  été, 

Les  qualités  particulières  qu'on  y  trouve,  et  dont  il  n'y  a  nulle 


230  HKW  i:    l>  HISTOIRE    l.l  1 1  lin  vtlin:    DE    LA   FHANCK. 

ii  née  ni  dans  les  contes  en  vers  de  son  père,  ni  dans  les  autres 
coules  en  prose  de  son  temps,  paraissent  lui  appartenir  en  propre*  On 
sent  il:iris  ses  récits  l'amour  de  la  campagne,  de  la  vie  rustique; 
on  comprend  que  l'en  fruit  a  dû  défendre  avec  l'en!  Atome  ut  de  la 
première  jeunesse  certains  détails  considérés  comme  grossiers, 
quelques  expressions  paloises,  aussi  soigneusement  évitées  alors 
quelles  étaient  recherchées  par  Ronsard,  et  qu'elles  le  sont  de 
nouveau  aujourd'hui  par  toute  une  école  littéraire.  11  est  proba- 
blement le  seul  qui,  au  milieu  de  relie  petite  société  raffinée,  se 
soit  montré  simple  et  naturel,  Son  attitude,  dans  le  frontispice  des 
Contes^  suffit  à  témoigner  dâ  SOU  ardeur  passionnée  à 
recueillir.  Il  a  été  vraiment  ce  petit  Poucet  de  génie  dont  parle 
Madame. 

Anime  d'un  singulier  besoin  de  précision  et  de  vivacité,  il  est 
parvenu  à  substituer  au  pénible  enchevêtrement  de  périodes  dans 
lequel  se  perdent  souvent  les  conteurs  campagnards,  celle  phrase 
claire,  hâtée,  à  l'haleine  un  peu  courte.  La  rapidité  de  ces  descrip- 
tions faites  d'an  mot,  de  ces  détails  indiqués  d'un  trait,  la  netteté 
nu  peu  maigre  el  un  peu  nue  de  ce  style  sont  une  grande  nou- 
veauté en  1697. 

Pour  retrouver  dans  sa  perfection  cette  prose  narrative  dont  les 
Contes  nous  présentent  1  ébauche,  il  faut  descendre  jusqu'à  la 
sr ronde  moitié  du  xvuf  siècle.  En  effet,  si  Ton  ne  considère  que 
le  procédé,  sans  l'arrêter  à  l'usage  auquel  il  sert,  la  rapidité  pré- 
cise du  début  du  Chaperon  Rouge  fait  ranger  à  celui  de  Candide. 

Il  est  aussi  étrange  qu'incontestable  que  cet  instrument  simple 
et  puissant  a  été  découvert  à  celte  date,  el  il  est  lout  à  fait  inad- 
missible qu'il  ait  été  laborieusement  façonné  [Kir  un  poète  de 
cour,  qui  renchérissait  sans  cesse  sur  les  galanteries  et  les  élé- 
gances* Il  y  a  là  un  caractère  frappant  de  jeunesse,  d'imprévu  ;  et 
l'inconscient  trait  de  génie  de  Darmaucour  a  été  précisément  de 
ne  presque  rien  changer  aux  récits  qu'il  recueillait  avec  une 
charmante  ingénuité. 

S'il  en  est  ainsi,  si  notre  imagination  ne  nous  a  pas  trop  égaré, 
c'est  à  lui  et  non  à  son  père  que  revient  cet  éloge  exquis  de 
Sainte-Beuve  :  «  II  a  pris  les  contes,,»  à  même  la  tradition  orale, 
sur  les  lèvres  parlantes  des  nourrices  et  des  mères.  Il  a  bu  à  la 
source  dans  le  creux  de  sa  main  ». 

En  lisant  pour  la  première  fois  un  des  petits  contes  de  son  fils, 
Charles  Perrault  dut  Irouver  qu'il  avait  assez  bien  réussi  pour  son 
âge,  et  ne  lui  refusa  pas  sans  doute  un  sourire  de  satisfaction  ; 
maïs  à  cette  marque  de  bienveillance  du  père  devait  se  mêler  le 


Ql'KLLE   EST  LA   VÉRITABLE    PART    DE    PkMÎALU    UA\>  SES  COÎHTE*  ?       23* 

dédain  du  versificateur  de  salon  pour  des  récits  aussi  naïfs»  Il  eut 
néanmoins  le  mérite  de  s'être  senti  assez  touché  de  celte  grâce 
enfantine  pour  ne  l'avoir  ni  découragée  ni  éteinte. 

Dbfl  lors  sa  seule  préoccupation  fut  (raccommoder  au  goût  du 
jour  ces  récits  de  nourrice  transcrits  par  son  fils  avec  une  fidélité 
trop  scrupuleuse  à  son  gré. 

Il  imagina  de  les  égayer  en  les  terminant  par  des  moralité 
vers.  II  était  coulumierdu  fait  ile$$uufiatts  ridicules  ou  possédaient 
une,  qu'ils  ont  conservée;  quant  à  celle  qui  terminait  Pam 
dyA$ne,  elle  n'avait  pas  moins  do  vingt-quatre  vers,  niais  laiT-m- 
geur  résolu  qui  a  mis  ce  conte  en  prose  en  a  supprimé  vingt,  eu 
laissant  seulement  subsister  l'agréable  quatrain  que  tout  le  monde 
sait  par  cœur. 

Cûttti  besogne  des  moralités  ne  coûte  rîen  à  Charles  Perrault; 
il  ne  se  contente  pas  d'en  compenser  une  par  conte;  six  sur  huit 
en  ont  deux  :  la  Barbe  Mette,  le  Chai  Bottét  tes  Fiess  Cendritton  et 
Riquet  à  fn  Houppe. 

Inutile  de  s'évertuer  à  prouver  qu'elles-  sont  d'un  autre  Ion,  et 
même  d'une  autre  main  que  les  contes;  pour  s'en  convaincre,  il 
suffit  de  les  parcourir;  nous  y  renvoyons  donc  le  lecteur. 

Nous  pouvons  d'ailleurs  alléguer  l'irrécusable  jugement  de 
Sainte-Beuve,  qui,  mieux  que  personne,  sent  combien  elles  sont 
étranges,  d'un  goût  douteux  et  comme  elles  terminant  mal  ces 
contes  d'un  caractère  si  différent*  Il  voudrait  les  écarter,  et  ne  les 
subit  qu'à  conlre-cœur.  «  Les  petites  moratitéê  tinales  en  vers, 
dit-il,  sentent  bien  un  peu  l'ami  de  Quinanlt  et  le  contemporain 
gaulois  de  La  Fontaine,  mais  elles  ne  tiennent  que  si  l'on  veut  au 
récit,  elles  en  sont  la  date.  »  Revenant  plus  tard  sur  le  même 
sujet,  il  Fait  encore  meilleur  marché  de  ces  importuns  appendices  : 
*<  C'est  assez  que  dans  la  rédaction  parfaite  (je  ne  parle  pas  des 
moralités  en  vers  qu'il  ajoute),  il  ail  conservé  le  cachet  de  la 
littérature  populaire  :  la  bonhomie  ». 

(le  n'est  pas  tout  ;  Charles  Perrault  ne  s'est  point  contenté 
d'ajouter  aux  Contes  ces  agréments  extérieurs,  il  a  eu  à  cœur  de 
les  mettre  eux  mêmes  un  peu  à  la  mode,  alin  de  faire  sourire  les 
mères  et  d'arriver  par  elles  à  ses  véritables  lecteurs  :  les  enfants. 

Si  Ton  avait  aujourd'hui  un  pareil  recueil  de  contes  à  faire,  on 
se  rapprocherait  des  traditions  mythiques,  on  développerait  les 
descriptions,  où  entrerait  la  couleur  locale,  on  abuserait  des  patois* 
on  ferait  en  un  mot  un  ouvrage  plus  curieux,  plus  sincère,  maïs 
moins  amusant»  moins  français  surtout,  et  que  les  enfants,  même 
ceux  d'aujourd'hui,  auraient  toutes  les  peines  du  monde  à  lire, 


a32 


REVU     I»  HISTOIRE    1.117! CHAIRE    HE    LA    FRANCK. 


Au  xvnr  siècle  h*  procédé  élail  tout  différent.  Dans  ce  temps-là, 
nous  l'avons  dit,  la  mode  n'était  point  aux  récits  rustiques, 
que  Ton  voulait  r  Viaii-nt  des  remarques  fines,  des  mois  spirituels, 
des  allusions  à  l'époque  où  Ton  vivait,  aux  costumas,  aux  ameu- 
blements, aux  usages  contemporains. 

Charles  Perrault  s'applique  à  satisfaire  ce  goût  en  modifiant  en 
ce  sens  la  rédaction  des  contes.  Celte  périlleuse  entreprise  est  con- 
duite par  lui  avec  l'habileté  d'un  écrivain  peu  épris  de  son  sujet, 
peu  amoureux  de  ce  qu'il  raconte.  Ces  récits  dont  le  sentiment  lui 
est  étranger,  il  va  les  tourner  sans  scrupule  en  une  spirituelle 
parodie,  rien  que  par  l'opposition  des  époques  légendaires  où  ils 
sont  censés  se  passer  et  des  détails  de  la  vie  du  ivri*  siècle  qui  y 
sont  introduits  presque  à  chaque  ligne, 

Chodzko,  attaché  aux  plus  anciennes  et  aux  plus  simples 
rédactions  de  ces  légendes ,  regarde  comme  une  sorte  de  profana- 
tion d'en  modifier  le  caractère;  il  ne  comprend  rien  au  procédé  de 
Perrault  et  prétend  qu'il  "  a  métamorphosé  ses  héroïnes  en 
autant  de  précieuses  coiffées  à  la  Maintenon,  avec  du  fard  et  des 
mouches  »,  Nous  allons  voir  ce  qui  a  pu  servir  de  prétexte  à  celle 
accusation,  à  certains  égards  assez  fondée, 

La  tendance  à  la  parodie  s'est  manifestée  de  bonne  heure  chez 
Charles  Perrault.  Il  nous  raconte,  dans  ses  Mémoires ,  qu'il  avait 
composé  avec  son  ami  Beaurain  une  traduction,  en  vers  burlesques, 
du  plus  beau  livre  de  VBnêide,  du  sixième,  où  e*ï  racontée  la 
descente  d'Enée  aux  Enfers,  et  il  s'applaudit  fort  un  peu  plus  loin 
d'avoir  dit,  dans  un  poème  comique  intitulé  Les  murs  de  Trotte  ou 
De  F  origine  du  burlesque,  que  les  mots  de  ce  style  avaient  été 
appris  par  Apollon  des  maçons  et  des  manœuvres  qui  construi- 
saient les  murailles  de  la  ville.  Quoi  d'étonnant  à  ce  que,  n'ayant 
respecté  ni  Virgile  ni  la  mythologie,  il  en  ait  pris  à  son  aise  avec 
des  contes  de  nourrice  et  les  ait,  sans  aucun  scrupule,  égayés  de 
quelques  plaisanteries? 

Dès  le  début  du  premier  conte  :  La  Belle  au  hois  donnant  f  nous 
trouvons  un  de  ces  anachronîsmes  volontaires  et  spirituels  qui  font 
partie  des  procédés  de  l'auteur. 

u  II  eatoît  une  fois  un  Boi  ef  une  Reine  qui  estoient  si  faschez 
de  n'avoir  point  d'enfans,  si  faschez  qu'on  ne  sauroit  dire.  Ils 
allèrent  à  toutes  les  eaux  du  monde...  » 

Qui,  en  lisant  ce  passage,  au  moment  où  le  recueil  parut,  ne 
songeait  au  voyage  de  Louis  XIII  et  d'Anne  d'Autriche  à  Forges 
et  à  son  heureux  résultat? 

La  liste  des  gens  de  la  Belle  au  bois  dormant  semble  copiée  sur 


QUELLE  EST  LA  VÉRITABLE  PART  DE  PERRAULT  DANS  SES  CONTES?   233 

celle  de  la  maison  du  Roi,  et  il  est  quelques-uns  des  derniers  ser- 
viteurs dont  les  fonctions  appartiennent  en  propre  au  xvn'  siècle  : 
les  suisses  par  exemple,  et  les  galopins,  terme  qui  désignait  alors 
officiellement  les  valets  de  cuisine. 

«  La  petite  Pouffe,  petite  chienne  de  la  princesse,  qui  estoit 
auprès  d'elle  sur  son  lit  »  ne  semble  pas  porter  un  nom  imaginaire, 
et,  si  je  ne  craignais  de  risquer  une  de  ces  conjectures  dont  les 
faiseurs  de  clés  se  montrent  si  prodigues,  je  serais  tenté  de  sup- 
poser que  c'était  celui  de  la  chienne  de  Mademoiselle,  à  qui  ces 
contes  sont  dédiés. 

Une  fois  mariée,  «  la  Belle  »  passe  avec  son  époux  «  dans  un 
Salon  de  miroirs  »  qui  fait  songer  à  la  Salle  des  glaces  de  Ver- 
sailles, puis  suivant  le  cérémonial  du  palais,  «  la  dame  d'honneur 
leur  tira  le  rideau  ». 

Dans  le  même  conte,  l'ogresse  ne  se  contente  pas  d'exiger  qu'on 
lui  serve  à  son  diner  la  petite  Aurore,  elle  ajoute  «  et  je  la  veux  à 
la  sauce-Robert  ». 

Parmi  les  meubles  de  la  Barbe  Bleue  figurent,  outre  des  cabi- 
nets  et  des  guéridons,  dessophas,  terme  que  de  Gaillières,  en  1692, 
croit  devoir  expliquer  dans  ses  mots  à  la  mode. 

Dans  la  Barbe  Bleue  également,  les  deux  frères  de  sa  femme, 
qu'elle  attend  si  impatiemment  pour  la  délivrer,  sont,  l'un  un 
dragon,  l'autre  un  mousquetaire. 

Quand  les  deux  sœurs  de  Cendrillon  se  préparèrent  pour  le  bal, 
«  on  lit  acheter  des  mouches  de  la  bonne  Faiseuse  ».  C'est  cette 
phrase  qui,  plus  que  tout  le  reste,  a  exaspéré  Chodzko. 

Au  bal,  Cendrillon  les  aborda  et  leur  «  fit  part  des  oranges 
et  des  citrons  que  le  Prince  lui  avoit  donnez  ».  Aujourd'hui  le 
présent  paraîtrait  mince,  l'attention  peu  flatteuse,  mais  au 
xvne  siècle,  la  distribution  de  ces  fruits,  alors  assez  rares,  était 
faite  parcimonieusement  et  donnait  lieu  à  toutes  sortes  de  luttes 
d'amour-propre;  en  voici  un  exemple  curieux  où  Ton  retrouve 
presque  les  mêmes  termes  :  Madame  de  Sévigné  nous  dit,  le 
10  juin  1671  :  «  Mademoiselle  de  Croqueoison  se  plaint  de  Made- 
moiselle du  Cernet  parce  que  l'autre  jour  il  y  eut  des  oranges 
douces  à  un  bal  qu'on  lui  donnoit, dont  on  ne  lui  Ht  pas  de  part». 
Les  Contes  sont  en  outre  animés  d'un  esprit  frondeur  qui  a 
peut-être  contribué  à  leur  succès.  La  noblesse  y  est  parfois  raillée 
avec  une  malice  contenue. 

Dans  le  Petit  Poucet,  le  seigneur  du  village  envoie  au  bûcheron 
et  à  sa  femme  «  dix  écus  qu'il  leur  devoit  il  y  avoit  longlemps  et 
dont  ils  n'espéroient  plus  rien  ».  A  la  fin  du  même  conte,  il  est 

R.EV.    D'HIST.    LITTÉR.    DE   LA  FrAMCB  (7*   ADO.).     -   VII.  16 


234  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

dit  que  le  Petit  Poucet  «  achepta  desOflices  de  nouvelle  création 
pour  son  père  et  pour  ses  frères,  et  par  là  il  les  établit  tous,  et 
fit  parfaitement  bien  sa  cour  en  même  temps  ». 

Quelquefois  même  les  souverains  ne  sont  pas  fort  ménagés. 
Dans  le  Chat  Botté,  le  roi,  qui  s'est  en  toute  occasion  montré  fort 
crédule,  «  charmé  des  bonnes  qualitez  de  Monsieur  le  marquis  de 
Carabas...  et  voyant  les  grands  biens  qu'il  possédoit,  lui  dit,  après 
avoir  bu  cinq  ou  six  coups  :  Il  ne  tiendra  qu'à  vous,  monsieur  le 
Marquis,  que  vous  ne  soyez  mon  gendre  ». 

Il  y  a  là  comme  le  point  de  départ  des  extravagances  de  ces  rois 
de  féeries,  qui  font  retentir  des  éclats  d'un  rire  si  frais  et  si  harmo- 
nieusement argentin  la  salle  du  Châtelet  toute  remplie  d'enfants. 

C'est  bien  encore  à  Charles  Perrault  qu'appartiennent  en  propre 
certaines  observations  de  mœurs  très  délicates,  très  fines,  parfois 
même  un  peu  trop  fines,  dont  voici  quelques  exemples. 

La  future  de  la  Barbe  Bleue,  traitée  par  lui  avec  magnificence, 
«  commença  à  trouver  que  le  maistre  du  logis  n'avoit  plus  la  barbe 
si  bleue  ». 

Pierrot,  le  frère  aîné  du  Petit  Poucet,  est  plus  aimé  de  sa  mère 
que  tous  les  autres  «  parce  qu'il  estoit  un  peu  rousseau,  et  qu'elle 
estoit  un  peu  rousse  ». 

Dans  les  Fées,  quand  la  mère  voit  revenir  de  la  fontaine  sa  fille 
cadette  qu'elle  n'aimait  point  et  qu'il  sort  à  celle-ci  des  diamants 
de  la  bouche,  elle  lui  dit  :  «  Ma  fille  »,  et  le  conteur  interrompt  son 
récit  pour  faire  la  remarque  suivante  :  «  Ce  fut  là  la  première  fois 
qu'elle  l'appela  sa  fille  ». 

Enfin,  lorsque,  dans  le  Petit  Poucet,  l'ogresse  aperçoit  ses  filles 
égorgées  et  nageant  dans  leur  sang,  elle  s'évanouit,  et  Perrault 
fait  cette  remarque  assez  déplacée,  qui  montre  bien  à  quel  point  il 
entre  peu  dans  le  sentiment  de  son  récit  :  «  C'est  le  premier  expé- 
dient que  trouvent  presque  toutes  les  femmes  en  pareilles  rencon- 
tres ». 

On  a  pu  observer  que  nous  ne  signalons  aucune  addition  de 
Perrault  pour  le  Petit  Chaperon  Rouge.  À  peine  serait-on  tenté  de 
voir  une  légère  retouche  dans  cette  phrase  :  «  La  pauvre  enfant  ne 
sçavoit  pas  qu'il  estoit  dangereux  de  s'arrester  à  écouter  un  loup», 
phrase  ainsi  commentée  dans  la  moralité  : 

Je  dis  le  loup,  car  tous  les  loups 
Ne  sont  pas  de  la  mesme  sorte. 

Ce  conle,  le  chef-d'œuvre  du  genre,  semble  avoir  échappé  à  la 
revision  en  vertu  d'un  heureux  hasard.  Par  sa  nature  exclusive- 


QUELLE  EST  LA  VÉRITABLE  PART  DE  PERRAULT  DANS  SES  CONTES?   235 

ment  rustique,  il  ne  s'y  prêtait  guère  et  les  allusions  à  la  cour  de 
Versailles  eussent  été  là  particulièrement  déplacées. 

Son  dénouement  funeste,  j'ai  presque  dit  tragique,  le  seul  de 
cette  espèce  qu'on  trouve  dans  ces  huit  récits,  ne  répond  guère  à 
ce  que  Perrault  nous  annonce  dans  la  préface  de  son  recueil  : 
«  Par  tout  la  vertu  y  est  récompensée,  et  par  tout  le  vice  y  est 
puny  ». 

L'auteur  attache  en  effet  une  grande  importance  au  but  moral  de 
ses  contes,  il  y  revient  à  toute  occasion  et  notamment  dans  ce 
passage  assez  singulier  :  «  N'est-il  pas  louable  à  des  Pères  et  à  des 
Mères,  lorsque  leurs  enfants  ne  sont  pas  encore  capables  de 
gouster  les  véritez  solides  et  dénuées  de  tous  agrémens,  de  les  leur 
faire  aimer,  et  si  cela  se  peut  dire,  de  les  leur  faire  avaler  en  les 
enveloppant  dans  des  récits  agréables  et  proportionnez  à  la  fai- 
blesse de  leur  âge  ». 

Nous  ne  saurions  être  ici  d'accord  avec  Perrault  *  le  danger  de 
ces  charmants  récits  est  précisément  dans  cette  prétendue  morale. 
Inoffensifs  si  on  nous  les  donne  pour  ce  qu'ils  sont,  de  simples 
contes,  ils  deviennent  inquiétants  lorsqu'on  les  présente  aux 
enfants  comme  une  règle  de  conduite 

Les  remarques  auxquelles  se  livre  Charles  Perrault,  soit  dans 
les  dénouements  de  certains  récits,  soit  dans  les  moralités,  sont  de 
telle  nature  que  souvent  on  a  cru  devoir  les  faire  disparaître  des 
éditions  enfantines;  quand  il  dit  à  la  fin  du  Chat  Botté  : 

L'industrie  et  le  sçavoir-faire 
Vallent  mieux  que  des  biens  acquis. 

On  ne  peut  se  dissimuler  qu'ici  V industrie  du  chat  a  consisté  h 
pénétrer  chez  un  ogre  qui,  tout  ogre  qu'il  était,  n'avait  pas  cherché 
à  lui  nuire,  et  son  savoir-faire  à  le  croquer  pour  s'emparer  de  son 
palais.  C'est,  convenons-en,  une  conduite  que  les  plus  fougueux 
apologistes  de  la  lutte  pour  la  vie  oseraient  seuls  justifier. 

Il  en  est  à  peu  près  de  même  de  celle  du  Petit  Poucet,  qui 
étant  «  chargé  de  toutes  les  richesses  de  l'Ogre,  s'en  revint  au 
logis  de  son  père  où  il  fut  receu  avec  bien  de  la  joie  ». 

Ce  dénouement  légendaire  trouble  un  peu  Perrault  qui  se  sent 
animé  du  double  désir  de  terminer  le  conle  d'une  façon  plus 
morale  et  plus  piquante  en  même  temps.  «  Il  y  a  des  gens, 
ajoute-t-il,  qui  prétendent  que  le  Petit  Poucet  n'a  jamais  fait  ce 
vol  à  l'Ogre.  »  Afin  d'arranger  les  choses,  il  imagine  que  l'enfant 
se  fit  courrier  à  l'aide  des  bottes  de  sept  lieues,  volées,  il  est  vrai, 
à  l'ogre;  mais,  dit  Perrault,  «  il  n'avoit  pas  fait  conscience  de  les 


236 


ItEVIE    D  HISTOIRE    LIÎÎKU.UHK    l>F,    LA    KlUNT*;. 


lui  prendre,  parce  qu'il  ne  s'en  servait  que  pour  courir  après  les 
petits  enfans  n. 

Où  en  sommes-nous  si  Ton  enseigne  à  la  jeunesse  qu'il  est 
légitime  de  s'emparer  dos  biens  que  leurs  possesseurs  emploient 
à  un  mauvais  usage?  Enfin  passe  pour  les  boites,  et  voyons  un 
peu  ce  que  le  Petit  Poucet  va  en  faire. 

h  I  ne  infinité  de  Dames  luy  donnaient  tout  ce  qu'il  voulait 
pour  avoir  des  nouvelles  de  leurs  Amans,  cl  ce  fut  là  son  plus 
grand  irain.  Il  se  trouvoit  quelques  femmes  qui  le  chargeoienl  de 
Lettres  pour  leurs  maris,  mais  elles  le  payoient  si  ma!  et  cela 
alloil  a  si  peu  de  chose,  qu'il  ne  daîgnoit  mettre  en  ligne  de 
compte  ce  qu'il  gagnoit  de  ce  côté-là.  >■ 

Perraull  se  rappelle-Uil  bien  à  qui  il  s'adresse  lorsqu'il  écril 
ce  passage?  Parle-t-îl  aux  petits  enfants?  N'est-ce  pas  plutôt  à 
leurs  mères  qu'il  décoche  ces  fines  malices?  C'est  à  ellos  encore 
qu'est  destinée  la  charmante  conclusion  de  Riçuel  à  la  Bouffi 
Après  avoir  dit  quil  déviai  m  l'homme  du  monde  le  plus  beau  », 
le  conteur  ajoute  :  "  Quelques-uns  assurent,.,  que  l'amour  seul 
lit  cette  métamorphose...  que  la  Princesse.*,  ne  vit  plus  la  diffor- 
mité de  son  corps,,,  que  sa  bosse  ne  luy  sembla  plus  que  le  bon 
air  d'un  homme  qui  fait  le  gros  dos;  et  qu'au  lieu  que  jusqu'alors 
elle  Pavot t  vu  boiter  effroyablement,  elle  ne  luy  trouva  plus  qu'un 
certain  air  penché  qui  la  char  moi  t  »*  C'est  là  une  délicate  adap- 
tation a  ce  petit  cadre  du  beau  morceau  do  Lucrèce  sur  l'aveu- 
glement des  amants,  si  bien  traduit  par  Molière  dans  h  Misan- 

Cette  moralité  n'est  point  corruptrice,  et  c'est  beaucoup,  mais 
elle  est  absolument  incompréhensible  pour  les  jeunes  lecteurs  des 
Contes,  et  ne  pourrait  avoir  que  beaucoup  plus  tard  cette  utilité 
pratique  dont  Charles  Perrault  semble  bien  mal  à  propos  préoc- 
cupé* 

Nous  ne  nions  point  futilité  des  Contes,  mais  elle  est  ail- 
leurs, elle  est  tout  entière  dans  la  préparation,  dans  la  culture  de 
l'imagination  enfantine.  Par  eux  tout  un  côté  de  la  petite  âme 
est  charmé;  ils  la  disposent  à  croire  à  un  au-delà  proportionné  à 
l'intelligence  encore  confuse,  qui  n'est  susceptible  de  se  déve- 
lopper que  sous  l'influence  du  merveilleux.  Les  jeunes  lecteurs 
ne  s'arrêtent  qu'à  la  fiction,  ils  ne  s'inquiètent  guère  du  reste, 
c'est  le  conte  pour  le  conte  qui  leur  importe;  ils  recommencent 
sans  cesse  l'histoire  déjà  connue,  chaque  fois  elle  leur  cause  le 
même  plaisir,  chaque  fois,  phénomène  plus  étrange,  le  même 
étonuement.  Les  mères  connaissent  toutes  cet  :  encort  \  à 


QUELLE  EST  LA  VÉRITABLE  PART  DE   PERRAULT  DANS  SES  CONTES?       237 

la  fois  câlin  et  impérieux  par  lequel  les  bambins  redemandent,  à 
peine  achevé,  le  récit  dont  il  semble  qu'ils  devraient  être  rebattus. 
Ce  n'est  pas,  comme  nous,  le  nouveau  qu'ils  recherchent,  c'est  la 
constante  répétition  de  ce  qui  leur  a  plu,  de  ce  qu'ils  ont  d'abord 
entrevu  avec  joie,  de  ce  qui,  peu  à  peu,  pénètre  et  se  grave  dans 
leur  esprit. 

Les  Contes  ont  été  pour  la  foule  de  ces  jeunes  êtres  le  baume 
des  souffrances  physiques,  si  insupportables  à  l'enfance,  la  dis- 
traction des  petits  chagrins  (petits  pour  nous,  grands  pour  eux) 
qui  les  éprouvent  si  cruellement. 

Pour  quelques-uns,  natures  délicates  et  nerveuses,  artistes  ou 
écrivains  de  l'avenir,  ils  ont  été  davantage  :  TA  B  C  de  l'imagi- 
nation, la  petite  flamme  qui  allume  et  entretient  un  grand  et  pur 
foyer,  la  clé  du  trésor  infini  de  l'idéal. 

Ceux  d'entre  nos  contemporains  qui  ont  la  haine  innée  du  sur- 
naturel partout  où  il  se  trouve,  ont  bien  reconnu  cette  influence 
des  contes  de  fées  et  l'ont  signalée  comme  un  péril  public.  Ils  ont 
prétendu  que  de  tels  livres  empêchaient  les  enfants  d'apprendre  à 
raisonner,  de  saisir  le  côté  positif  des  choses,  ils  n'ont  pas  trouvé 
le  Petit  Poucet  assez  pratique,  ni  le  Chat  Botté  assez  industrieux, 
ils  sont  parvenus  à  jeter  la  terreur  dans  l'âme  des  parents  qui 
élèvent  de  futurs  ingénieurs  pour  le  xxe  siècle,  et  ont  écrit  pour 
cette  jeunesse  des  ouvrages  illustrés  où  il  n'y  a  que  des  faits 
scientifiques,  des  termes  scientifiques,  des  gravures  scientifiques 
et  où  l'imagination  la  plus  ingénieuse  ne  saurait  à  quoi  se 
prendre. 

Peine  perdue!...  nos  intelligents  bébés  se  gardèrent  de  lire  une 
seule  ligne  de  ces  beaux  livres;  ils  parcoururent  seulement  les 
images  avec  cette  curiosité  de  l'œil,  moins  délicate  et  moins  diffi- 
cile à  satisfaire  que  celle  de  leurs  jeunes  esprits,  et  les  rudiments 
scientifiques  qui  devaient  détrôner  les  antiques  contes  de  fées 
échouèrent  d'une  façon  piteuse. 

Un  autre  vulgarisateur  survint,  non  moins  technique,  mais 
plus  avisé.  Aux  notions  exactes  il  sut  joindre  le  merveilleux, 
seulement  il  en  transposa  la  date;  au  merveilleux  en  arrière,  il 
substitua  le  merveilleux  en  avant,  aux  Contes  du  temps  passé,  ceux 
du  temps  à  venir.  Les  familles,  qui  ne  songent  plus  comme  Per- 
rault, à  faire  avaler  la  morale  aux  enfants,  mais  à  leur  faire  avaler 
la  science,  parurent  satisfaites  de  cette  transaction. 

Les  contes  continuent  néanmoins  à  ravir  l'enfance;  moins  à  la 
mode,  ils  pénètrent  plus  loin,  plus  bas,  dans  les  provinces,  dans 
les  chaumières  d'où  ils  sont  anciennement  sortis;  mais,  en  dépit 


238  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE   DE  LA    FRANCE. 

de  tout,  c'est  le  vieux  fond  légendaire  qui  l'emporte  à  la  longue, 
s'identifie  dans  notre  souvenir  avec  celui  de  notre  première  jeu- 
nesse, et  malgré  nos  cheveux  blancs,  nous  amuse  et  nous  charme 
encore.  Chacun  de  nous  revient  d'instinct  à  la  forme  primitive  et 
impersonnelle  de  ces  histoires,  notre  esprit  remonte  à  notre  insu  au 
delà  de  ce  que  nous  avons  lu,  renoue,  sans  en  avoir  conscience,  la 
chaîne  interrompue  de  la  tradition,  et  si  nous  cherchons  dans  notre 
mémoire  de  vieillard  un  récit  qui  puisse  tromper  la  souffrance  de 
quelque  cher  petit  malade,  ce  n'est  pas  la  rédaction  spirituellement 
sceptique  de  Charles  Perrault  qui  revient  sur  nos  lèvres  :  les 
agréments  ajoutés  s'efTacent,  les  broderies  disparaissent,  tout  ce 
qui  est  d'un  lieu,  tout  ce  qui  est  d'un  temps  s'anéantit,  le  contour 
de  la  simple  narration  recueillie  par  Darmancour  se  dessine, 
s'accuse;  il  ne  demeure  rien  que  ce  fait,  unique  dans  toutes  les 
littératures,  d'un  enfant  qui  s'adresse  aux  enfants  et  leur  parle 
leur  langage.  Ce  qui  persiste,  ce  qu'on  entendra  sans  relâche, 
jusqu'à  la  postérité  la  plus  reculée,  c'est  cette  petite  voix  grêle; 
elle  traversera  les  siècles,  pour  redire,  sans  y  rien  changer,  aux 
générations  successives  de  bambins  attentifs,  les  vieux  contes  de 
sa  nourrice. 

Ch.  Marty-La veaux. 


I.i:    ROMAN    DE    OASIM1H    DEUVICISE.  239 


LE  ROMAN   DE  CASIMIR  DELAVIGNE 

D'APRÈS 

LES  MANUSCRITS  DE  LA  BIBLIOTHÈQUE  DU  HAVRE 

(Suite  et   fin  i.) 


V 

Les  Messéniennes. 

Déjà  dans  les  Messéniennes  de  1827  apparaît  l'esprit  nouveau 
que  j'ai  essayé  de  caractériser,  bien  que  l'ode  politique  soit  un 
genre  peu  favorable  aux  effusions  du  cœur.  C'était  surtout  comme 
auteur  des  premières  Messéniennes  que  C.  Delavigne,  à  la  villa 
Paolina,  avait  été  bien  accueilli  par  tout  le  monde,  et  surtout  par 
Elisa,  qui  l'appelle  «  son  messénien  » 2.  C'est  aux  Messéniennes  que 
le  poète  s'attelle  dès  son  retour  à  Paris,  ayant  à  peine  le  temps 
d'écrire  à  Mmo  de  Courlin3,  barcelé  par  les  circonstances  poli- 
tiques, forcé  de  faire  paraître  son  recueil  au  plus  vile  pour  ne 
pas  manquer  le  bon  moment  :  il  est  question  d'aggraver  les  lois 
contre  la  presse  ;  l'opinion  s'émeut  :  il  faut  profiter  de  l'occasion 
pour  lancer  les  Messéniennes  :  «  Je  me  suis  défendu  contre  le 
monde.  Je  sors  peu  et  je  travaille.  Il  y  a  longtemps  déjà  que  je 
vous  aurais  écrit,  si  les  lois  dont  on  nous  menace  ne  me  forçaient 
à  m'occuper  sans  relâche  des  Messéniennes  que  je  veux 
publier4  ». 

Et  plus  loin  :  «  Nous  sommes  dans  un  temps  où  les  souverains 
ne  reviennent  pas  impunément  sur  les  lois  qu'ils  ont  jurées  :  les 
sujets  se  révoltent 5  ».  C.  Delavigne  prend  une  part  importante  au 
mouvemeq^de  résistance  qui  tourne  en  effet  à  la  révolte  partout, 
même  à  l'Académie  française.  On  sait  que  les  Académiciens 
s'honorent  en  donnant  l'exemple  de  la  protestation6.  On  connaît 
moins  le   rôle  que   Delavigne  joue  dans   l'affaire,  et  que  nous 

1.  Voir  Revue  d'histoire  littéraire  de  la  France,  1899,  p.  537. 
S.  Mss.  11,  27.  ' 

3.  Mss.  I,  84. 

4.  Mss.  1,  54. 

5.  Mss.  II,  U. 

6.  Mesnard,  Histoire  de  V Académie  française^  p.  303-306. 


210 


UEVUE    D  HISTOIRE    LITTI- Il  Vtlii:    UK    LA    HU  ><!•:. 


indique  le  Journal  de*  DibûisK  Lacretelle  propose  à  ses  collègues 
de  porter  aux  pieds  du  roi  l'expression  de  leurs  inquiétudes; 
aussitôt  les  journaux  ministériels  insultent  l'Académie.  L/arehe- 
vêque  de  Paris  refuse  d'assister  à  la  séance  où  l'on  doit  délibérer 
sur  cette  proposition  :  il  exprime  même  par  lettre  ses  craintes 
«  que  T Académie  ne  soit  menacée  dans  son  existence  »  si  elle 
s*obsline.  Ainsi  morigénés,  les  Académiciens  chargent  Chateau- 
briand, Lacre telle  et  Villemain  de  rédiger  l'adresse.  La  réponse  du 
pouvoir  ne  se  fait  pas  attendre  :  Laeretelle  est  révoqué  de  ses 
fonctions  de  censeur,  Villemain  chassé  du  Conseil  d'Etat,  Michaod 
destitué  de  sa  place  de  lecteur  du  roi.  A  la  séance  suivante,  les 
trois  Académiciens  sont  accueillis  avec  transport,  embrassés  par 
leurs  collègues,  et  C.  Delavigne  propose  que  l'Académie  envoie 
une  délégation  au  domicile  des  a  trois  victimes  du  despotisme 
ministériel,  pour  leur  porter  non  des  compliments  de  condoléance, 
mais  des  félicitations  sur  le  nouvel  honneur  qu'ils  viennent  de 
recevoir  ».  Sur  le  désir  des  intéressés  qu'on  ne  fasse  pas  â  leur 
propos  une  manifestation  sans  précédent,  l'Académie  renonce  à 
son  intention,  en  décidant  que  ce  témoignage  de  son  estime  sera 
consigné  dans  ses  registres.  On  comprendra  mieux  maintenant 
la  portée  de  cette  lettre  écrite  à  Mm  de  Cour  tin  par  C.  Del  a  vigne 
le  211  janvier  1827  :  «  Des  intérêts  que  je  ne  pouvais  pas  négliger, 
car  ils  sont  plutôt  ceux  des  lellres  que  les  miens,  m'ont  privé 
jusqu'à  présent  du  plaisir  de  vous  répondre.  Je  ne  m'excuse  point 
ici,  je  sais  que  vous  me  louerez  d'avoir  sacrifié  mon  plaisir  et 
mon  bonheur  a  un  devoir.  Vous  savez  par  les  journaux  ce  qui 
s'est  passé  à  l'Académie,  et  vous  comprendrez  pour  quelle  raison 
je  ne  vous  en  parle  point.  C'est  pour  l'Académie  que  je  vous 
abandonne.  Elle  s'honore  trop  aujourd'hui  pour  que  je  ne  sois 
pas  juslilié  par  ce  seul  mol"  ». 

Plus  que  jamais  il  se  hâte  de  faire  paraître  ses  Môêténiôtme*, 
afin  de  répondre  à  l'impatience  du  public  vibrant  d'indignation 
contre  le  ministère.  Pour  mieux  défendre  son  temps,  il  s'est 
réfugié  à  la  Madeleine;  il  y  est  relancé  par  son  libraire  :  <*  Le 
mien  est  en  bas.  Il  est  arrivé  en  poste  depuis  trois  jours,  et  il  ne 
^e  de  me  tourmenter,  de  me  harceler  pour  les  Messëniejines. 
Il  me  garde  à  vue,  et  me  demande  compte  le  soir  de  mon  travail 
pendant  la  journée  *  ».  C.  Delavigne  veut  aboutir  vite  :  laissant 
de  côté  la  tisane  de  fleurs  d'oranger  que  lui  recommandait  la  pru- 


i.  Journal  des  Débats,  numéros  du  13  au  26  janvier  1827. 

2.  Mas.  I,  T>. 

3,  Msa.  I,  71, 


LE  ROMAN  DE  CASIMIR  DELAVIGNE.  241 

dente  Élise,  il  prend  du  café,  ayant  besoin  pour  travailler,  «  de 
l'ivresse  lucide  et  de  la  légère  agitation  qu'il  puise  dans  ce  poison 
lent1  »;  sur  sa  table,  il  dispose  quelques  fleurs  :  «Vous  savez  qu'il 
me  faut  un  bouquet  pour  travailler  :  où  puiserai-je  jamais  de  la 
poésie,  si  ce  n'est  dans  les  fleurs  *?  »  Mieux  que  le  café  et  que  les 
roses,  ce  qui  l'inspire,  c'est  la  pensée  toujours  présente  de  la 
femme  aimée  :  «  Je  cherche  parmi  mes  pensées  celles  que  votre 
esprit  choisirait  de  préférence.  Je  m'abandonne  avec  plus  de 
complaisance  au  sentiment  qui  me  semble  devoir  le  plus  toucher 
votre  cœur8  ».  De  tout  cela  nous  pourrions  déjà  conclure  que, 
d'une  manière  générale,  l'amour  anime  les  passions  politiques  du 
poète  des  Messéniennes.  D'une  façon  très  précise,  nous  savons 
que  nous  devons  à  Mme  de  Courtin  les  plus  beaux  vers  de  ce 
recueil  :  «  A  la  fin  des  adieux  à  Rome,  j'ai  célébré  celui  des  poètes 
que  vous  aimez  le  plus.  Mais  trouvez-vous  que  je  me  suis  élevé  à 
la  hauteur  du  sujet  dans  ces  stances  que  l'air  de  l'improvisation 
me  réduit  à  faire  si  courtes  et  si  minces?  Trouverez-vous  dans  ces 
vers  cette  flamme  qui  doit  animer  une  invocation  pareille? 
N'aurai-je  pas  été  un  bien  faible  interprète  de  votre  admiration 
que  je  partage?  Si  cela  est  ainsi,  fermez  le  livre,  et  relisez  quelque 
scène  du  Cid  ou  des  Horaces.  Vous  rendrez  à  notre  vieux  Corneille 
un  hommage  plus  digne  de  lui,  et  en  même  temps  vous  lui 
demanderez  pardon  pour  moi4  ».  Mme  de  Courtin  dut  être  con- 
tente, car  rarement  C.  Delavigne  atteint  pareille  force  de  pensées  : 
inspiré  par  ses  souvenirs  du  Miserere  à  Saint-Pierre,  ému  par  la 
grandeur  de  Virgile  et  du  Tasse,  il  les  chante  sur  son  «  luth  »,  en 
style  de  l'époque,  puis  s'arrête  : 

Je  sentis  les  accords  s'affaiblir  sous  mes  doigts, 
Pareils  au  bruit  plaintif,  aux  notes  expirantes 
Qui  se  perdent  dans  l'air,  quand  du  Miserere 
Les  sons  au  Vatican  s'éteignent  par  degré. 
Jaloux  pour  mon  pays,  je  cherchais  en  silence 
Quels  noms  il  opposait  à  ces  noms  immortels; 
11  m'apparalt  alors,  celui  dont  l'éloquence 
Des  demi-dieux  romains  releva  les  autels  : 
Le  Sophocle  français,  l'orgueil  de  sa  patrie, 
L'égal  de  ses  héros,  celui  qui  crayonna 
L'àme  du  grand  Pompée  et  l'esprit  de  Cinna; 
Ému  d'un  saint  respect  je  l'admire  et  m'écrie  : 

i.  Mss.  I,  76. 

2.  Mss.  I,  76. 

3.  Mss.  I,  54. 

4.  Mss.  I,  54. 


242  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA  FRANCE. 

Chantre  de  ces  guerriers  fameux, 

Grand  homme,  ô  Corneille,  ô  mon  maître, 

Tu  n'as  pas  habité  comme  eux 

Cette  Rome  où  tu  devais  naître  ; 

Mais  les  dieux  t'avaient  au  berceau 

Révélé  sa  grandeur  passée, 

Et,  sans  fléchir  sous  ton  fardeau, 

Tu  la  portais  dans  ta  pensée! 

Ces  deux  derniers  vers  sont  très  beaux;  ils  auraient  dû  rassurer 
le  poète,  mais  l'amour  le  rend  timide  :  «  J'ai  corrigé  les  dernières 
ennuyeuses  épreuves  des  Messéniennes.  J'y  vois  des  défauts,  des 
faiblesses,  des  langueurs,  que  le  temps  ne  me  permet  pas  de  faire 
disparaître.  Pardonnez-les  moi1  ».  A  mesure  que  le  jour  de  la 
publication  se  rapproche,  ses  inquiétudes  augmentent.  Comme 
tous  les  amoureux  sont  fétichistes,  et  que,  revenant  d'Italie,  il 
croit  un  peu  au  mauvais  œil,  il  compte,  le  grand  jour  arrivé, 
arborer  une  cravate  noire  qui  lui  vient  d'Élise,  pour  porter  bon- 
heur à  son  livre2.  Jamais  il  n'a  désiré  plus  ardemment  le  succès, 
car  il  ne  s'agit  plus  seulement  de  séduire  le  public  :  «  Mes  vers 
vous  plairont-ils?  que  je  le  désire  ardemment!  Avec  quelle  joie  je 
l'apprendrais!  Que  de  suffrages  ne  donnerais-je  pas  pour  le  vôtre! 
tous,  mon  Elise,  tous  pour  un  seul.  Que  votre  cœur  batte,  qu'il 
soit  ému,  et  tout  mon  orgueil  de  poète,  toute  mon  ambition  insa- 
tiable sera  satisfaite3  ».  Ses  rêves  sont  exaucés  :  le  Journal  des 
Débats  du  17  mars  1827  constate  le  succès,  sans  marchander 
l'éloge;  Vinet  admire  ces  beaux  vers,  «  en  quelque  sorte  trouvés^ 
que  la  précision,  la  plénitude  et  le  naturel  fixent,  comme  trois  clous 
d'or,  dans  les  plus  ingrates  mémoires4  ».  La  critique  est  satis- 
faite; la  femme  aimée  est  charmée  :  elle  se  décide  à  quitter  Are- 
nenbcrg  et  sa  protectrice  pour  venir  vivre  à  Paris,  plus  près  de 
son  Messénien. 

Aimant,  aimé,  célèbre,  C.  Delavigne  connaît  à  ce  moment  la 
plénitude  du  bonheur.  C'est,  comme  toujours,  le  moment  où  le 
malheur  vous  guette.  Le  premier  coup  qui  frappe  ce  cœur,  tou- 
jours sensible  à  l'amitié,  c'est  un  échec  retentissant  de  son 
camarade  d'enfance,  de  Scribe,  dont  le  Mariage  d'Argent  échoue 
d'une  façon  piteuse,  le  3  décembre  1827,  au  Français5.  Nous 
connaissons  cet  échec  de  Scribe  par  une  lettre  de  C.  Delavigne, 

1.  Mss.  I,  84. 

2.  Mss.  I,  52.  54. 

3.  Mss.  I,  54. 

4.  Étude  sur  la  littérature  française  au  XIX*  siècle,  II,  61-62. 

5.  Moniteur  du  4  décembre  1827. 


LK  ROM  A3  I)K  CASIMIR  DELAVIG3E.  243 

qui  fait  grand  honneur  à  un  auteur,  à  un  dramaturge  surtout,  car 
la  jalousie  littéraire  sévit  peut-être  plus  encore  là  qu'ailleurs,  et 
l'on  s'y  console  vite  de  l'échec  d'un  ami.  C.  Dclavigne  est  au- 
dessus  de  ces  mesquineries  :  il  écrit  à  M""'  de  Courtin,  qu'il  avait 
quittée  pour  aller  assister  à  la  première  du  Mariage  d'Argent  : 
«  J'avais  besoin  de  toute  ma  félicité  du  matin  pour  supporter  ma 
soirée  d'hier.  L'ouvrage  dont  je  vous  avais  fait  l'éloge  a  été  reçu 
sévèrement.  L'assemblée,  qui  l'écoutait  à  peine,  a  été  pour  lui 
dure  jusqu'à  l'injustice  :  je  me  sentais  tressaillir  à  chaque  mur- 
mure. Je  tremblais  de  tout  mon  corps.  J'avais  peine  à  me  tenir 
debout,  et  je  ne  pouvais  rester  assis.  Quelle  agonie,  mon  Élise! 
Quelle  est  donc  cette  passion  étrange  qui  vous  pousse  à  rechercher 
les  suffrages  de  quinze  cents  personnes,  dont  pas  une  peut-être 
n'est  capable  de  faire  ce  qu'elles  blâment,  ce  qu'elles  repoussent 
avec  tant  de  mépris. 

«  Fasse  le  ciel  que  vous  n'ayez  jamais  le  tourment  de  voir  un  de 
mes  ouvrages  en  butte  à  ces  orages  d'un  public  capricieux,  violent 
comme  la  mer,  et  aussi  impitoyable  qu'elle...  Je  suis  allé  ce  matin 
consoler  celui  dont  j'avais  partagé  tous  les  tourments.  J'ai  fait 
pour  lui  tout  ce  qui  a  été  en  moi.  Il  souffre,  amie,  il  est  malade, 
et  demain  j'irai  à  sa  place  assister  sur  le  théâtre  à  la  représenta- 
lion  de  sa  pièce.  Je  suis  si  heureux  par  vous  que  peut-être  je  lui 
porterai  bonheur  '  ». 

Ni  son  amour  ni  son  bonheur  n'allaient  le  protéger  lui-même 
contre  le  premier  insuccès  qu'il  eut  encore  éprouvé,  et  qui  dut  lui 
être  d'autant  plus  sensible  qu'il  avait  associé  Mme  de  Courtin 
elle-même  au  sort  de  son  œuvre,  en  contant  une  partie  de  leur 
propre  roman  dans  la  Princesse  Aurélie. 

La  Princesse  Aurélie 

Il  est  convenu  maintenant,  dans  la  critique  courante,  que  cette 
comédie  tomba  parce  qu'elle  n'était  qu'une  pièce  de  circonstances, 
un  brûlot  politique  lancé  contre  le  ministère  Villèle,  et  que,  le 
ministère  étant  tombé  avant  la  première  représentation,  cette  pièce 
satirique  fit  long  feu  *.  Et  certainement  C.  Delavignc  était  trop 
combatif,  trop  ardemment  mêlé  aux  luttes  de  son  temps  pour 
n'avoir  pas  songé  à  faire,  dans  les  portraits  du  comte  de  Sassane, 
du  duc  d'Albano  et  du  marquis  de  Polla,  la  caricature  des  trois 
principaux  personnages  du  ministère  Villèle.  Mais  ce  n'était  pas 

1.  Mss.  n,  5. 

2.  Lenient,  La  comédie  en  France  au  XIXe  siècle,  II,  28. 


244  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

pour  cela  qu'il  avait  composé  sa  pièce,  et  il  y  avait  longtemps  qu'il 
travaillait  à  sa  Princesse  Aurélie,  la  quittant,  la  reprenant  suivant 
les  préférences  de  son  inspiration.  Il  l'avait  commencée  à  Arenen- 
berg,  à  son  premier  voyage  probablement,  d'après  cette  lettre 
sans  date  :  «  J'ai  laissé  là  Louis  Onze  pour  quelques  mois.  J'ai  repris 
la  Princesse  A  urélie,  qui  vous  plaisait,  et  dont  les  premiers  vers 
ont  été  faits  près  de  vous.  Il  me  fallait  un  ouvrage  où  l'amour  pût 
trouver  place.  Là  un  souvenir  plein  de  chaleur  et  de  charme,  un 
souvenir  qui  règne  sur  moi  sans  partage,  m'inspire  et  me  soutient; 
il  jettera  quelque  flamme  dans  mes  vers,  quelques  traits  délicats 
dans  un  dialogue  qui  ne  peut  vivre  que  par  la  grâce  et  l'esprit1  ». 
En  effet,  tout  le  rôle  du  comte  Alphonse  d'Avella,  qui  est  écrit  d'une 
plume  alerte,  avec  une  alacrité  et  un  charme  nouveaux  dans 
l'œuvre  du  poète,  C.  Delavigne  l'avait  joué  pour  son  propre  compte 
aux  pieds  de  Mme  de  Courtin  :  «  Pour  mon  pauvre  jeune  homme, 
c'est  un  peu  moi.  C'est  moi  à  Rome  : 

Quels  jours  plus  beaux  alors,  mieux  remplis  que  les  miens? 

Je  l'aimais,  l'admirais,  et  dans  ses  entretiens, 

Dans  ses  éclairs  d'esprit  dont  la  flamme  est  si  vive, 

Dans  le  mol  abandon  de  sa  grâce  naïve, 

Dans  ses  yeux,  dans  ses  traits,  je  puisais  chaque  jour 

Ce  poison  dévorant  qui  m'enivrait  d'amour. 

Ma  tête  se  perdait  :  jugez  de  mon  délire, 

Je  crus  que  daus  les  miens  ses  yeux  avaient  su  lire. 

Vingt  fois  je  crus  les  voir,  pleins  d'un  trouble  enchanteur 

Se  reposer  sur  moi,  s'attendrir...  Ah!  docteur, 

Quels  regards  !  Mon  cœur  bat  quand  je  me  les  rappelle, 

Et  semble  me  quitter  pour  s'élancer  près  d'elle. 

Voilà  ce  que  dit  mon  Alphonse,  et  bien  d'autres  choses  sem- 
blables ».  Et  plus  loin  :  «  Vous  souvenez-vous  de  cette  fierté 
désolante  qui  m'a  déconcerté  à  Tivoli  et  à  Saint-Pierre,  quand 
vos  regards  semblaient  m'encou rager  : 

Ils  égaraient  mes  sens;  je  cédais;  mes  efforts 

Ne  pouvaient  dans  mon  sein  contenir  mes  transports; 

Vaincu,  j'allais  parler...  jamais  beauté  plus  fière 

Ne  vous  fit  d'un  coup  d'œil  rentrer  dans  la  poussière  ; 

Jamais  plus  froid  sourire  à  la  cour  n'a  glacé 

Sur  les  lèvres  d'un  sot  un  aveu  commencé. 

Je  restais  confondu,  muet,  tremblant  de  rage  ; 

Mais,  en  la  détestant,  je  l'aimais  davantage. 

1.  Mss.  I,  85. 


LE    ROMAN    DE    CASIMIR    DELAVIGNE.  245 

C'est  encore  Alphonse  qui  parle.  El  moi,  quand  je  partais  pour 
la  villa,  avec  quels  battements  de  cœur  je  me  rapprochais  de  vous. 
Que  la  course  me  semblait  longue.  Combien  de  fois  je  me  suis 
surpris  courant  à  perdre  haleine,  et  m'arrèlant  tout  à  coup  de  peur 
d'arriver.  Car  je  mourais  d'envie  de  vous  revoir,  et  je  craignais  en 
même  temps  de  vous  retrouver  plus  réservée  et  plus  froide  que  la 
veille  :  que  dit  Alphonse?  lisez  : 

...  je  pars,  docteur,  j'accours. 
Quels  siècles  se  traînaient  dans  ces  instants  si  courts, 
Où  mes  vœux  empressés  dévoraient  la  distance  ! 
J'arrive  :  du  néant  je  passe  à  l'existence; 
Mais  triste,  mais  ravi,  plein  de  crainte  et  d'espoir, 
Je  vais,  je  viens,  je  brûle  et  tremble  de  la  voir. 
Ah!  je  vous  le  demande,  est-on  plus  misérable? 
Trouble  toujours  croissant,  contrainte  insupportable, 
Mal  d'autant  plus  cruel  que  j'aime  à  le  souffrir, 
Que  je  sens  ma  folie,  et  n'en  veux  pas  guérir! 

Je  ne  vous  dirai  rien  de  plus  sur  la  Princesse  Aurélie.  En  voilà 
bien  assez  de  mes  vers,  et  je  ne  vous  en  parlerai  pas  de  longtemps. 
Je  suis  content  de  moi,  j'ai  tenu  ma  parole,  et  j'ai  le  droit  d'être 
bien  amoureux  dans  mes  prochaines  lettres.  Tout  ce  qui  s'est 
glissé  de  tendre  dans  celle-ci,  ce  n'est  pas  moi  qui  l'ai  dit,  c'est 
Alphonse.  Ah!  plaignez-le,  ce  pauvre  Alphonse  qui  me  ressemble 
tant.  Il  aime  de  si  bonne  foi,  il  est  si  malheureux!  ou  plutôt 
aimez  et  plaignez  votre 

Casimir  » !. 

Par  une  délicatesse  d'homme  profondément  épris,  il  veut  bien 
se  mettre  lui-même  dans  son  ceuvre,  et  montrer  à  la  femme  qu'il 
aime  un  reflet  de  sa  passion  pour  elle  dans  un  héros  fictif,  mais 
il  ne  veut  pas  faire  pour  des  profanes  un  portrait  de  celle  qui 
n'appartient  qu'à  lui  :  la  princesse  Aurélie  n'est  pas  Mme  de  Courtin, 
ni  même  la  reine  Hortense,  malgré  certains  traits  de  ressem- 
blance1, c'est  la  grande-duchesse  de  Bade  :  «  Tenez,  voici  un 
portrait  que  vous  m'avez  tracé  souvent,  et  dont  le  modèle  est  une 
grande  dame  très  connue  et  très  admirée  de  vous.  Cependant 
j'avoue  à  ma  honte  que  pendant  les  huit  jours  qu'elle  a  passés  au 
château  d'Arenenberg,  elle  n'a  pas  pu  tirer  un  mot  de  moi;  mais 
à  qui  la  faute?  à  moi,  parce  que  je  ne  veux  écouter  que  vous,  et  à 
vous,  parce  que  votre  conversation,  dont  vous  faites  si  peu  de 

1.  Mss.  I,  86-8". 

2.  Mss.  H,  11. 


246  KEVUK    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

cas,  a  cent  fois  plus  de  charme  que  la  sienne.  Enfin  voyez  si  le 
portrait  ressemble  à  celte  personne  que  vous  m'aviez  si  bien 
peinte  : 

Assemblage  imposant  de  grâce  et  de  noblesse, 

Bonne  avec  fermeté,  naïve  avec  finesse, 

La  princesse  Aurélie  aux  honneurs  qu'on  lui  rend 

A  droit  par  son  esprit  bien  plus  que  par  son  rang. 

Elle  sait  opposer  la  ruse  à  l'artifice, 

Calculer  mûrement  ce  qu'on  croit  un  caprice, 

Tolérer  nos  défauts  afin  de  s'en  servir; 

Sans  faiblesse  apparente,  elle  sait  à  ravir, 

Nous  cachant  ses  secrets  et  devinant  les  nôtres, 

Tourner  à  son  profit  les  faiblesses  des  autres. 

Enfin  je  la  crois  femme  à  jouer  à  la  fois 

Et  sa  cour  de  justice  et  ce  conseil  des  Trois 

Où  siège  des  régents  la  sagesse  profonde, 

Et  vous,  son  médecin,  qui  jouez  tout  le  monde. 

N'y-a-t-il   pas  dans  tout  cela  quelque    chose    de   la   grande- 
duchesse?1  » 

On  voit  que  si  la  politique  n'est  pas  absente  de  l'œuvre,  du 
moins  elle  n'est  qu'épisodique,  et  que  l'essentiel  du  sujet,  c'est 
l'amour.  Quant  aux  intrigues  secondaires,  elles  sont  relevées  par 
un  esprit  très  jeune,  presque  gamin  par  moments,  et  qui  n'est 
que  l'expression  très  exacte  des  propres  dispositions  du  poète,  ' 
ramené  par  la  nouveauté  de  son  amour  à  de  véritables  enfan- 
tillages :  «  Que  diriez-vous  donc  si  vous  saviez  qu'un  travail  d'une 
bien  autre  importance  réclame  encore  mes  instants?  J'ai  commencé 
sur  mon  genou  un  ouvrage  en  soie,  une  ganse  d'un  bleu  céleste 
comme  votre  robe  de  religieuse.  Oui,  mon  amie  Elisa,  c'est 
maintenant  que  je  puis  vous  appeler  mon  camarade  :  je  vais  sur 
vos  brisées,  je  travaille  dans  votre  genre.  Vous  auriez  un  peu 
envie  de  rire  si  vous  pouviez  me  voir,  le  genou  en  l'air,  et  la  tète 
penchée  sur  la  frêle  épingle  qui  tient  mon  ouvrage,  murmurer 
des  vers  de  comédie  en  faisant  des  points  et  des  nœuds  pour 
enchaîner  mon  Élisa.  Un  grand  malheur,  c'est  que  j'oublie  ma  soie 
en  m'abandonnant  à  mes  idées,  et  qu'ensuite  je  perds  mes  idées 
pour  courir  après  ma  soie.  J'ai  beau  me  donner  du  mal,  ma  ganse 
et  ma  comédie  se  font  bien  du  tort  l'une  à  l'autre,  et  ce  sont  deux 
ouvrages  où  vous  trouverez  beaucoup  à.  dire2  ».  L'imprudent 
amoureux  a  beau  ajouter  qu'après  ses  distractions  il  se  reprend 

i.  Mss.  I,  85-86. 
2.  Mss.  II,  9-10. 


LE    ROMAN    DE    CASIMIR    DELAVIGNE.  2*7 

au  travail  avec  plus  d'ardeur1,  Mmc  de  Courtin,  prenant  très 
sérieusement  5.  cœur  ses  devoirs  d'amie  du  poète,  le  gronde  de 
perdre  ainsi  son  temps,  et  lui  déclare  très  nettement  qu'il  faut  se 
mettre  à  la  besogne,  sinon  plus  d'entrevue  :  «  Vous  me  donnez  un 
jour  de  plus  pour  travailler.  Vous  l'ai-je  demandé?  La  condition 
qui  m'est  ùrévocablement  imposée  par  vous  est  que  j'aurai  achevé 
mon  ouvrage  avant  de  vous  revoir.  Eh  bien,  je  l'accepte.  Mercredi 
mon  ouvrage  sera  terminé.  Je  le  veux  ainsi...  Je  ferai  de  tels 
efforts  que  j'en  serai  surpris  moi-même.  Vous  doublez  la  force  de 
mon  esprit  par  l'obstacle  que  vous  m'opposez1  ». 

En  effet,  le  15  janvier  1828,  sa  pièce  est  terminée,  lue  devant 
le  comité  de  la  Comédie-Française,  et  le  poète,  transporté  de 
l'accueil  fait  à  son  œuvre  par  les  sociétaires,  s'empresse  d'écrire  : 
«  Grand  succès,  mon  Élise!  tant  de  bonheur  devait  amener  du 
bonheur.  J'ai  lu  avec  une  verve  extraordinaire.  J'ai  mis  dans  les 
scènes  d'amour  une  flamme  et  un  entraînement  de  souvenir  qui 
les  a  transportés.  Ange  bien-aimé,  c'est  à  vous  que  je  dois  de  les 
avoir  touchés...  Ah!  que  cette  lettre  vous  porte  un  peu  de  la  félicité 
que  je  vous  dois...  Je  le  jure  devant  Dieu,  ce  triomphe  ne  m'a  été 
doux  que  par  le  plaisir  qu'il  devait  vous  causer.  Je  le  mets  à  vos 
pieds.  Dieu,  donnez-moi  de  la  gloire,  pour  que  je  l'en  couvre, 
pour  que  je  l'en  rassasie3  ».  Pour  le  récompenser,  les  rendez-vous 
recommencent,  à  Sainte-Geneviève  notamment v.  Cela  lui  permet 
de  résister  à  l'ennui  des  répétitions.  Cela  lui  rend  aussi  la  con- 
fiance, ébranlée  par  des  lectures  qu'il  fait  de  sa  pièce  en  divers 
salons  pour  t<Uer  et  préparer  l'opinion  :  «  J'ai  fait  hier  une  nouvelle 
lecture  de  ma  princesse  pour  lui  assurer  les  protecteurs  dont  elle 
a  besoin.  Les  hommes  qui  l'entendaient  avaient  exercé  le  pouvoir, 
et  se  croyaient  appelés  à  le  reprendre.  J'ai  senti  à  leur  manière 
d'écouter  et  de  rire,  bien  qu'ils  soient  dans  l'opposition,  toute  la 
portée  de  certains  traits.  J'ai  vu  dans  leurs  yeux  quels  obstacles 
ma  pauvre  Aurélie  aurait  à  vaincre6  ».  11  devait  pourtant  bien  s'y 
attendre.  Il  y  a,  dans  la  situation  d'un  ministre,  des  misères  inhé- 
rentes à  la  fonction,  et  dont  la  satire  ne  fait  pas  rire  les  libéraux 
quand  les  autoritaires  sont  au  pouvoir,  parce  qu'ils  voient  dans 
le  portrait  de  leurs  adversaires  quelque  chose  qui  pourrait  bien 
devenir  leur  propre  caricature  si  un  mouvement  de  bascule  par- 
lementaire les  amenait   au    pouvoir.   Les  ennemis  politiques  de 

1.  Mss.  II,  9. 

2.  Mss.  II,  H. 

3.  Mss.  II,  13. 

4.  Mss.  I,  64. 

5.  Mss.  I,  68. 


248  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

C.  Delavigne  ne  pouvaient  donc  applaudir,  et  ses  amis  ne  le 
voulaient  pas.  Quant  au  grand  public,  habitué  à  chercher  dans  les 
pièces  précédentes  de  C.  Delavigne  un  intérêt  de  malignité,  de 
sous-entendus,  il  chercha,  et  ne  trouva  presque  rien  :  la  pièce 
tomba,  et  Casimir  Delavigne  écrivit  très  simplement,  très  digne- 
ment, dans  une  courte  préface  :  «  Je  ne  me  défendrai  point  :  si 
mon  ouvrage  renferme  des  beautés  réelles,  il  vivra  malgré  les 
critiques;  si  le  contraire  est  vrai,  je  le  défendrai  en  vain  :  il  est 
juste  qu'il  meure  ».  On  ne  vit  pas  alors  à  la  scène  ce  que  la  lecture 
de  la  pièce,  aidée  par  le  dépouillement  de  ces  manuscrits,  nous 
révèle.  Dans  la  collection  générale  des  pièces  tombées  au  théâtre, 
et  qui  se  relèvent  à  l'impression,  celle-ci  est  une  des  moins  connues 
et  des  plus  jolies.  C'est  proprement  un  délice  que  de  savourer 
cette  langue  excellente,  ces  vers  spirituels,  cette  délicatesse  dans 
la  passion,  telle  que  la  comprenait  alors  le  fiancé  d'Elisa.  11  dut 
être  vexé  dans  son  amour-propre  (l'amoureux,  inquiet  de  savoir 
si  son  échec  n'allait  pas  le  diminuer  aux  yeux  de  Mme  de  Courtin  : 
mais  il  fut  vite  rassuré,  car  elle  était  brave;  et  puis  il  allait  prendre 
une  éclatante  revanche  avec  un  nouveau  drame. 


Marino  Faliero. 

Le  30  mai  1829,  la  Porte-Saint-Martin  représentait  son  Marino 
Faliero  avec  un  succès  tel  que  l'École  romantique,  par.  la  plume 
de  Nodier,  réclama  comme  sien  tout  au  moins  le  style  de  la  pièce, 
et  reconnut  l'importance  de  l'œuvre  :  «  Dans  Marino  Faliero,  le 
dialogue  est  presque  toujours  plein,  animé,  propre  à  la  situation 
et  aux  personnages,  empreint  de  la  mollesse  du  courtisan,  de 
l'énergie  du  conspirateur,  de  la  dignité  du  doge,  de  la  naïveté 
austère  de  l'homme  du  peuple;  il  est  quelquefois  si  vif,  si 
naturel,  si  bien  coupé  comme  de  l'excellente  prose,  qu'on  croirait 
que  le  romantique  a  passé  par  là...  C'est  un  triomphe  loyal,  un 
triomphe  complet.  C'est  quelque  chose  de  plus  qu'un  fait  littéraire; 
c'est  un  événement  essentiel,  c'est  une  date  qui  ne  s'effacera 
point1  ».  Il  y  avait  longtemps  que  le  poète  portait  ce  sujet  dans 
son  esprit;  il  y  songeait  dès  le  mois  de  juin  1826,  à  Venise 
même,  où  il  avait  éprouvé  de  fortes  émotions  :  «  Je  suis  descendu 
dans  les  prisons  de  l'inquisition  d'Etat,  sous  le  canal  du  palais. 
J'y  ai  retrouvé  des  vestiges  qui  font  supposer  d'horribles  choses... 
Quand  je  parcourais  la  place  Saint-Marc  et  la  salle  des  Doges, 

i.  Ch.  Nodier,  Revue  de  Paris,  1829,  p.  51. 


LE    ROMAN    DE    CASIMIR    DKLAYlfp.NK. 


2'»  9 


j'en  voulais  aux  Français  d'avoir  détruit  cette  forte  et  mystérieuse 
république  de  Venise,  mais  la  vue  des  cachots  m'a  réconcilié  avec 
eux1  »,  Outre  ces  impressions  immédiates,  il  avait  été  ému  par 
toute  celte  vieille  grandeur  éteinte  ;  deux  MM  après,  il  se  rappelait 
encore  les  profondes  rêveries  qui  l'avaient  alors  assailli  :  «  La 
belle  soirée  que  celle  où  seul,  occupé  de  Votre  image,  de  mes 
regrets  et  de  mes  espérances,  je  vous  écrivais  auprès  de  ma 
fenêtre  ouverte  sur  le  grand  canal  de  la  Giudeea.  De  temps  en 
temps  mes  yeux  se  relevaient  involontairement  pour  admirer  ce 
ciel  brillant  d  étoiles,  cette  éclatante  nuit  de  Venise.  Je  vous 
regrettais,  je  vous  appelais,  pour  jouir  avec  vous  de  l'impression 
profonde  qu'on  éprouve  à  l'aspect  d'un  ciel  qui  luit  toujours  le 
même,  toujours  aussi  pur  et  aussi  éblouissant  de  lumière,  sur  une 
ville  morte  et  une  gloire  à  jamais  éteinte  :  je  me  sentais  destiné  à 
reproduire  ces  merveilles  dans  mes  vers,  à  faire  revivre  la  Venise 
que  je  pleurais  i  s*.  Sur  les  lieux  mêmes,  il  songeait  déjà  à  ressus- 
citer dans  un  drame  ces  splendeurs  mortes,  et  il  écrivait  à 
Mmc  de  Courtin,  le  S  juin  1826  :  «  Que  vous  diraî-je  de  Venise, 
si  ce  n'est  que  je  voudrais  vous  y  voir,  pour  recueillir  vos  impres- 
sions, pour  m'en  inspirer,  pour  jouir  de  votre  tristesse  comme  je 
jouis  de  la  mienne,  au  milieu  de  ces  palais  détruits  du  Rialto, 
sous  les  vieilles  voûtes  du  palais  Saint-Marc,  dans  cette  cour  de 
1  Escalier  des  Géants  où  Marino  Faliero  fut  décapité.  C'est  un 
sujet  que  lord  Byron  a  manqué,  et  que  je  trouve  original  et 
tragique;  dites-moi  :  faites  cet  ouvrage,  et  je  l'oserai3  ».  La 
réponse  fut  celle  qu'il  attendait  ;  mais  c'est  plus  tard,  revenu  en 
France,  qu'il  peindra  Venise  de  mémoire  :  «  Oui,  mon  Elise,  lui 
écrit-il  le  19  janvier  1828,  je  devais  la  célébrer  à  vos  pieds,  dans 
le  recueillement  d'un  bonheur  partagé,  sous  votre  inspiration 
toujours  présente,  et.ee  jour  est  arrivé!,..  C'est  chez  vous,  c'est 
près  de  vous  que  mon  imagination  viendra  chercher  des  couleurs 
pour  peindre  tous  ces  objets  que  mes  yeux  s'attristaient  de  voir 
sans  vous.  Je  vous  conduirai  dans  cette  place  Saint-Marc  où  si 
souvent  mes  lèvres  ont  murmuré  votre  nom.  Je  vous  ferai  des- 
cendre dans  ces  gondoles  où  il  me  semblait  que  vous  vous  balan- 
ciez près  de  moï.  J'admirais  Venise  avant  de  la  connaître,  et  vous 
me  l'avez  rendue  éternellement  chère.  J'y  peindrai  merveilleuse- 
ment l'amour,  car  j'y  ai  tant  aimé.  J'y  serai  touchant,  car  mou 
cœur  s'y  consumait  de  mélancolie.  Mais  que  seront-ils  ces  vers 

i.  Msa.  I,  50, 
2.  Mss,  î,  61. 
X  Hu  I,  50. 

Rtv.  i»*in*T.  LitTin.  de  la  Khaïice  (1*  Ann.}.—  Vil.  17 


^^■^^^^^H 


m 


REVUE    D  HISTOIRE    LHTÉHAIRK    JJE    LA    FRANCE. 


où  je  répandrai  toute  mon  âme,  où  tous  mes  souvenirs  d'Italie 
viendront  se  réfléchir,  où  vous  serez  présente  partout  sans  être 
nommée  nulle  part,  où  je  me  promènerai  avec  ma  sœur  de  Home 
dans  le  Colisée  désert,  au  pied  des  cascatclles,  dans  les  nefs  de 

ut-Pierre.  Ah  ï  mon  Élise,  mon  unique  amie,  j'aurai  cessé  d'êlre 
poète,  ou  ces  vers  doivent  être  les  plus  beaux  qui  soient  jamais 
sortis  de  mon  cœur1  »,  Et,  de  fait,  la  tendresse  déborde  de  sou 
coeur  quand  il  songe  que  quelques  mois  seulement  les  séparent 
de  leur  mariage  :  «  L/automne  doit  nous  réunir.  Sur  la  route, 
combien  la  tristesse  du  paysage  sera  gaie  pour  nous.  Chaque  feuille 
qui  tombera  des  arbres  sera  un  présage  de  bonheur,  un  signal  de 
rendez-vous.  Tombez,  feuilles,  tombez;  dites-moi  de  retourner 
près  d'elle  pour  ne  plus  me  séparer  d'elle.  Il  me  semble  que  les 
brouillards  d'octobre  seront  plus  salutaires  pour  ma  poitrine,  plus 
beaux  pour  mes  yeux,  que  l'air  bienfaisant  et  pur  du  ciel  de  Rome. 

«  Il  y  aura  mille  accents  de  joie,  mille  promesses  d'amour,  dans 
le  souffle  et  le  bruit  des  vents  qui  me  chasseront  de  mon  exil.  La 
patrie,  c'est  le  modeste  salon  d'EIisa,  c'est  le  canapé  bleu  oA 
j'écoute  sa  harpe,  c'est  le  coin  de  son  foyer  où  les  heures  sont  si 
courtes  : 

...  ù  bien  qu'aucun  bien  ne  peut  rendre, 
0  patrie,  ô  doux  nom  que  l'exil  fait  comprendre! 

Blisa,  chère  Élisa,  vous  qui  connaissez  la  mienne,  me  repro- 
cherez-yous  maintenant,  comme  à  Fernando,  de  ne  savoir  aimer 
que  la  patrie?*  » 

Le  sentiment  fort  et  doux  qui  remplit  son  cœur  est-il  bien  celui 
qui  convient  aux  passions  de  ce  drame?  Notre  poète  n'est  pas  un 
lion  romantique,  superbe  et  rugissant,  quoi  qu'il  en  dise  dans  une 
lettre  où  il  supplie  Mm*  de  Courtin  de  lui  donner  de  ses  nouvelles 
le  plus  souvent  que  le  lui  permettra  son  horreur  de  la  plume  : 
r  Immolez-vous  donc,  chère  victime,  et  j  aurai  Tégoïsme  d'accepter 
vos  douleurs,  de  me  faire  une  cruelle  joie  de  la  torture  à  laquelle 
je  vais  mettre  votre  paresse.  Voyez  comme  j'ai  l'âme  vénilienne, 
et  comme  votre  lion  de  Saint-Marc  prend  les  mœurs  des  hommes 
qu'il  fait  parler!  Puisse-t-ïl,  quand  il  vous  reverra,  apporter  à  vos 
pieds  une  noble  proie!  puisse  mon  Élise  trouver  digne  d'elle  son 
lion  quelle  tient  en  laisse  comme  un  agneau,  qui  se  plaît  dans  ses 
liens,  vu  mirait  passer  sa  vie  à  baiser  les  mains  qui  l'enchaînent, 
et  ne  voit  qu'un  seul  bien  au-dessus  de  celte  liberté  dont  il  est  ido- 

1.  MssT  I,  67-63. 

%  Mss.  I.  M,  lettre  non  paginée,  entre  le  folio  iti  et  le  folto  H. 


i    UOMÀK    hK   i.\>nni!    ih.i.wii.m-;, 


251 


latre,  sou  esclavage  '  *k  On  serait  tenté  de  crier  a  ce  lion  trop  appri- 
voisé ;  —  Bien  bêlé»  lion!  — C'est  lanuomrux,  c'est  attendrissant, 
c'est  honorable  pour  l'homme,  mais  c'est  inquiétant  pour  l'artiste. 
C,  Delavïgne  s'en  rend  bien  compte  :  il  n'a  qu'une  passion  au 
<iii'm\  et  il  doit  en  exprimer  d'autre»  d'une  bien  différente  nature  : 
u  Voyez  cependant,  amie,  la  belle  disposition  où  je  suis  pour 
composer  un  ouvrage,  pour  faire  parler  tour  a  tour  la  haine  ou  la 
fureur,  pour  cesser  d'être  moi-même,  et  devenir  chacun  des  per- 
sonnages dont  je  dois  exprimer  les  passions  différentes!  Je  n'ai 
qu'une  passion,  moi,  je  n'en  ai  qu'une;  je  ne  veux  ni  élever  ni 
ivn verser  des  Etats,  je  veux  revoir  mon  Êlisa,  couvrir  ses  mains 
des  baisers  les  plus  tendres  qu'un  amant  ait  jamais  donnés.  Voilà 
mon  seul  désir,  mon  unique  ambition  *  »,  Comme  le  remarque 
À.  Pîchot*,  pour  rendre  le  personnage  de  Kalicro,  il  aurait  fallu 
savoir  fctflr»  et  Ci  Delà  vigne  ne  sait  qu'aimer.  Son  amour  môme 
lui  cause  des  distractions,  comme  pour  la  Prince&st  Aurélia  :  «  Je 
travaille  depuis  le  matin.  Je  viens  d'écrire  une  partie  de  mon 
second  aele.  Je  m'interromps  tout  a  coup  au  milieu  de  mes 
fureurs  poétiques  pour  le  demander  si  lu  ne  m'as  pas  oublié.  Il  y 
a  des  moments  où  je  laisse  mes  conspirateurs  le  poignard  levé 
pour  courir  après  toi  dans  les  bosquets  de  la  Madeleine...  Pauvre 
doge!  il  lui  arrive  dix  fois  le  jour,  dans  ses  plus  violents  mouve- 
ments d'éloquence,  de  s'écrier  soudain  :  Élisa,  mon  Élisa  chérie! 
J'aurai  bien  de  la  peine  à  ne  pas  laisser  échapper  ce  nom  dans  un 
vers1  »,  Si,  à  cause  même  de  son  amour  honnête  el  pur, 
G,  Delavigne  n'a  p&B  pu  donner  à  son  Marino  la  farouche  gran* 
deur  qu'il  a  dans  la  tragédie  de  ByroB,  en  revanche  c'est  à  cette 
passion  si  active  qu'il  doit  la  surexcitation,  rhypereslhésie poétique 
qui  lui  sont  nécessaires  :  m  C'est  toi  que  je  consulte  en  travaillai!!, 
c'est  pour  toi  que  je  cueille  des  fleurs;  Lien»,  voici  une  feuille  de 
notre  laurier*  Regarde  comme  elle  est  verte;  est-ce  un  augure? 
Conserve-la,  et  qu'elle  te  rappelle  un  jour  celle  scène  dont  je 
m'occupe  dans  mon  exil,  Souviens-loi,  si  Ton  y  trouve  de  nobles 
pensées,  que  je  ne  les  ai  dues  qu'à  loi  seule.  Oui,  bien  que  tu  t'em- 
pares trop  violemment,  trop  uniquement  de  toutes  mes  E&Ctlltés, 
l'agitai  ion  dans  laquelle  tu  ne  cesses  d'entretenir  mon  Ime  *et 
heureuse  et  inspirante.  Je  l'espère  du  moins,  el  bientôt  tu  seras  mon 
juge*  »,  C'est  donc  à  M""*  de  Courtin  que  nous  devons  les  plus  beaux 

i.  Mss.  U,  40, 

ï.  Msa.  Il,  37, 

3.  Bévue  dé  Paru,  (832T  XU,  18L 

4-Ms*.  II,  37, 

3.  5lss*  ]1,  31 


252  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

mouvements  de  ce  drame,  les  cris  humains  qui  ont  remplacé  les 
tirades  un  peu  sèches  d'autrefois;  le  3  mai  1828  il  lui  écrit  que 
c'est  pour  elle  qu'il  travaille,  qu'il  fera  sa  tragédie,  «  non  pas  avec 
mon  imagination,  mais  avec  mon  cœur.  Je  la  remplirai  de  ce  feu 
que  j'ai  pris  dans  tes  yeux,  de  ces  inspirations  qui  coulent  de  tes 
lèvres.  J'y  répandrai  ce  sentiment  de  mélancolie  profonde  qui  me 
reste  après  t'avoir  vue,  et  les  femmes,  diront  un  jour  en  pleurant  : 
il  aimait,  quand  il  a  fait  ces  vers.  Oui,  femmes,  et  c'est  elle  que 
j'aimais.  Près  d'elle  je  me  consumais  de  désir,  et  loin  d'elle  je 
perdais  mes  jours  à  la  regretter.  J'aurais  donné  tous  les  éloges  du 
siècle,  tous  les  vains  applaudissements  du  monde  pour  une  larme 
de  plaisir  que  mes  vers  faisaient  rouler  dans  ses  yeux  *  ».  C'est  ce 
qu'il  dit  publiquement,  presque  dans  les  mêmes  termes,  en  cet 
Épilogue  qu'il  écrivit  le  lendemain  de  la  première  de  Marino 
Faliero  : 

Oui,  ces  frémissements  d'un  plaisir  douloureux, 
Ces  cris  des  spectateurs,  ces  pleurs  versés  par  eux, 
Ce  pouvoir  d'exciter  l'espoir  ou  les  alarmes, 
D'emporter  avec  soi  les  cœurs  dans  son  essor, 
Ce  triomphe  enivrant  a  d'ineffables  charmes; 
Mais  un  de  ses  regards  m'enivrait  plus  encor, 
Et  j'aurais  tout  donné  pour  une  de  ses  larmes! 

Un  seul  critique  avait  deviné  à  moitié  le  secret  du  poète*.  Grâce 
aux  manuscrits  du  Havre,  ce  n'est  plus  par  hypothèse,  mais  avec 
certitude,  que  nous  pouvons  expliquer  les  causes  cachées  du 
progrès  dramatique  et  psychologique  qui  sépare  Y  École  des  Vieil- 
lards de  Marino  Faliero,  de  ce  succès  éclatant  qui  ne  se  borna  pas 
à  Paris,  puisque  l'écho  lointain  de  ce  triomphe  alla  jusqu'à  Rio- 
de-Janeiro  où,  en  1830,  au  milieu  de  la  grande  bataille  romantique, 
on  parlait  encore  du  Faliero  de  C.  Delavigne*. 

Louis  XI. 

Dans  cette  nouvelle  pièce  on  constate  que  le  talent  du  poète 
s'est  singulièrement  agrandi.  Son  triomphe  n'est  plus  dû  à  la  mode 
ni  aux  circonstances.  C'est  un  succès  de  bon  aloi  auquel  la  critique 
rend  hommage.  Un  journal  allemand  du  temps  proclame  l'analyse 
des  caractères  c  tout  simplement  admirable  »  \  Le  charme  dure 

i.  Mss.  II,  17-18. 

2.  Cap.  Casimir  Delavigne,  p.  23. 

3.  Revue  de  Paris,  1830,  t.  XIV,  p.  114. 

4.  Magazin  fur  die  Literalur  des  Auslandes,  Berlin,  23  mars  1832. 


LE    ROMAN    DE    CASIMIR    hï.UVIGSE. 


1\A 


encore t  puisque,  tout  dernièrement,  M,  Emile  Faguet  le  reconnais- 
sait :  l'action  du  poète  sur  te  public  subsiste  après  deux  tiers  de 
siècle,  et  Ton  rient  de  célébrer  «  les  noces  de  diamant  de  C  Dela- 
vigne  avec  la  foule  '  ».  Francisque  Sarcey,  luttant  avec  son 
robuste  bon  sens  contre  les  préventions  que  les  plaisanteries  cou* 
rantes  sur  C.  Delà  vigne  lui  avaient  inspirées,  Unissait  par  lâcher 
le  mol  suprême  de  I  admiration,  à  propos  de  la  grande  scène  autre 
Nemours  et  le  Roi  :  «  Ah!  que  c'est  là  une  trouvaille  iûgéttieoaa! 
Ingénieuse  n'est  pas  assez  dire;  c'est,  quoiqu'elle  soit  de  C*  Dela- 
viue,  d'un  poète  de  transition,  une  trouvaille  de  génie  »*. 

ait  peu  de  temps  avant  son  mariage  que  l'amoureux  poète 
avait  terminé  cette  pièce  à  laquelle  il  pensait  depuis  longtemps  :  il 
l'écrivit  dans  son  cabinet  de  bibliothécaire  du  Palais-Royal;  une 
lettre  du  Itt  décembre  1820  nous  montre  que,  une  fois  installé 
devant  son  bureau,  C.  Delavignc  songeait  îrcs  peu  àla  bibliothèque 
dont  il  était  le  conservateur  :  «  Mo  voici  installé  dans  mon  cabinet 
du  Palais-Royal.  Il  faut  que  je  le  consacre  par  un  peu  de  bonheur: 
je  veux  que  nnm  Elise  l'habite  un  moment  avec  moi.  C'est  peu  de 
rêver  à  elle.  Je  lui  écris  a  ».  C'est  encore  là  qu'il  composa  son 
Lnuts  XI,  demandant  des  inspirations  à  ses  souvenirs  de  tendresse  : 
«  Inspirez-moi,  mon  Elise  bien- aimée.  Que  n'avez- vous  voire 
harpe  pour  me  répéter  sans  Û0&5C  mou  air  de  Naples,  qui  réveille 
en  moi  de  si  doux  souvenirs  ».  Quelquefois  son  amour  tourne  à 
l'hallucination  :  il  croit  voir  Mm*  de  Courtin  au  coin  de  son  feu  : 
«  Laissez-moi,  ne  parlez  plus,  ne  me  regardez  [dus.  Je  me  recueille 
en  moi-même;  je  suis  loin  de  vous;  me  voilà  tout  à  Louis  XI.*. 
Tiens,  mon  Elisal  je  vois  un  point  blanc  a  votre  soulier  de  satin!  l  » 
C.  Delavigne,  nous  l'avons  vu,  était  eoulumier  de  pareilles  dis- 
tractions :  il  aimait  a  se  faire  gronder  par  M'11"  de  Courtin  qui  lui 
reprochait,  sans  trop  d'amertume,  de  perdre  son  temps  à  songer  a 
elle. 

Le  poète  reçut  enfin  la  récompense  de  sa  longue  fidélité  :  eu 
novembre  1830,  il  se  mariait,  te  même  jour  que  son  frère  Germain. 
Tandis  que  d'autres  écrivains,  après  la  poésie  des  fiançailles,  ont 
connu  la  prose  désenchantée  du  mariage,  C,  Delavïgne  fut  plus 
heureux  :  je  n'en  donnerai  qu*un  exemple,  la  lellre  «  confiden- 
tielle »,  comme  dit  l'adresse,  qu'il  envoie  à  sa  femme,  quatre  ans 
après,  de  son  cabinet  du  Palais-Royal  :  il  écrit  à  Mme  Delavïgne, 
qu'il  vient  de  quitter  à  l'instant,  ce  simple  mot  : 

t.  Journal  des  Ù46ai9,  i">  septembre  1898. 
2.  U  Temp*,  19  septembre  i898. 
Si  M*s.  II,  3L 
4.  Mss.  Il,  3i. 


254  REVUE    DHISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

«  ...  Comme  au  couvent.  Es-tu  contente,  adorée?1  »  La  lettre 
est  courte,  mais  éloquente.  C'est  un  cri  du  cœur  toujours  amou- 
reux, et  reconnaissant  de  son  bonheur.  Delavigne  avait  des  façons 
originales  et  ingénieuses  d'associer  la  femme  aimée  à  sa  vie  litté- 
raire. Il  lui  avait  donné  une  bague  sur  laquelle  il  avait  fait  graver 
le  nom  de  leur  premier  grand  succès,  c  Faliero  »,  en  ajoutant  : 
«  Ah!  je  veux  vous  en  donner  une  autre,  et  bien  d'autres,  plus 
glorieuses  encore  *  ».  Après  Louis  XI \  ce  furent  les  Enfants 
d'Edouard. 

Les  Enfants  d'Edouard. 

C'est  peut-être  surtout  dans  celle  pièce  de  C.  Delavigne  qu'éclate 
dans  toute  sa  fraîcheur  le  renouveau  de  son  talent.  Après  avoir 
vécu  longtemps  sur  les  premières  affections  de  la  jeunesse,  amour 
de  la  famille,  de  la  patrie,  le  poète  avait  connu,  à  leur  vraie  date, 
les  grandes  passions  qui  épanouissent  le  cœur,  l'amour,  la  ten- 
dresse paternelle.  C'est  comme  une  rosée  abondante  sur  des  fleurs 
flétries  :  tout  se  relève  et  tout  brille.  Il  allait  tirer  de  cet  esprit 
nouveau  les  plus  touchantes  inspirations,  les  émotions  les  plus 
dramatiques.  La  seule  annonce  de  son  nouveau  drame  consolait 
le  Théâtre-Français  du  départ  de  Hugo  pour  la  Porte  Saint-Martin  \ 
L'apparition  de  la  pièce  montra  que  ces  espérances  n'étaient  pas 
trompeuses  :  «  Au  milieu  de  ce  déluge  de  drames  sans  conscience, 
sans  principes,  partant  sans  avenir,  c'est,  dit  la  Revue  de  Paris, 
une  véritable  consolation  que  la  pièce  de  M.  Casimir  Delavigne. 
Au  moins  dans  cette  œuvre  apparaît  la  trace  d'une  incubation 
vraiment  littéraire;  c'est  autre  chose  qn'une  idée  dégrossie  et 
charpentée  pour  la  scène...  Il  a  sans  doute  voulu  montrer,  comme 
leçon  aux  équarisseurs  dramatiques,  la  puissance  d'une  exécution 
soignée1  ».  Naturellement  les  romantiques  exaspérés  protestent. 
A.  Dumas  compare  la  pièce  de  Delavigne  au  drame  de  Shake- 
speare, pour  écraser  le  poète  classique  :  «  La  statue  gigantesque, 
le  colosse  de  Rhodes  entre  les  jambes  duquel  passaient  les  hautes 
galères,  est  deveuu  un  bronze  à  mettre  sur  une  pendule,  une 
réduction  de  Barbedienne5  ».  Mais  le  Colosse  de  Rhodes  a-t-il 
jamais  pu  être  autre  chose  qu'une  monstruosité?  Et,  d'autre  part, 
n'est-ce  pas  une  œuvre  d'art  bien  adaptée  à  la  vie  moderne,  qu'un 

1.  Mss.  II.  U. 

2.  Mss.  II,  32. 

3.  Revue  de  Pans,  4833,  XLVI,  55. 

4.  Revue  de  Paris,  1833.  L,  265. 

5.  Mémoires,  IV,  51-58. 


LE    ROMAIN    DE    CASLMIII    MLAVIGM:. 


bronze  de  Barbedieune?  À  coup  sûr  c'est  très  supérieur  aux  <<  zinc 
d'art  »  de  la  maison  Dumas.  C'eslsurtout  IV.  Hugo  qu'il  convient 
de  comparer  C.  Delavigne,  et  la  chose  a  été  faite,  de  façon  déli- 
ilîUvc,  par  M.  Larroumet1.  Oui,  C,  Delavigne,  comme  poète,  est 
inférieur  à  Hugo;  oui  encore,  tomme  homme  de  Ihéâtre,  il  est 
de  premier  ordre.  Sa  grande  habileté  consiste  à  avoir  su  donner  à 
ses  personnages  les  sentiments  profondément  humains  que  la  vie 
lui  avait  fait  connaître  et  savourer.  Il  faut  qu'une  pièce  soit  d'une 
vérité  bien  humaine  pour  que,  même  dans  un  rôle  aussi  secondaire 
que  celui  du  geôlier  Tyrrel,  on  trouve  des  vers  aussi  touchants 
que  ceux-ci  : 

...  Que  voulez-vous?  je  t'aime» 
J'aime  en  lui  le  seul  bien  qui  m'ait  cooir  des  pleurs  : 
Mon  Tumy,  mon  trésor  de  joie  et  de  douleurs, 
L'astre  qui  rayonnait  sur  mes  nuits  enivrantes, 
L  enfant  qui  m'a  baisé  de  ses  lèvres  mourantes. 
TrailPï-moi  de  rêveur,  de  fou,  si  vous  voulez  : 
Mais  quand  je  vois  ses  yeux,  ses  longs  cheveux  boucléSi 
Je  me  sens  tressaillir  jusqu'au  fond  des  entrailles  ; 
Lorsque  leurs  cris  aigus  frapperaient  ces  murailles, 
C'est  de  mon  tiis,  milord,  que  j'entendrais  les  cris  : 
Je  ne  peux  pas  pour  vous  assassiner  mon  fils. 

C'était  <lans  son  cœur,  dans  son  propre  amour  pour  son  fils 
Albert,  que  C.  Delavigne  avait  trouvé  ces  m ts.  Qu'on  en  juge  par 
cette  lettre  d'adieu  écrite  à  sa  femme  et  à  son  enfant,  qu'il  laissait 
à  la  Madeleine  pour  aller  redemander  un  peu  de  repos  et  de  sauté 
aux  environs  de  Pau  :  «  Malheureux!  bien  malheureux  de  vous 
avoir  quittés  :  plus  que  tu  n'as  pu  le  voir  dans  mes  yeux  qui  Bé 
défendaient  de  pleurer  pour  ne  pas  ajouter  h  ton  chagrin,  quand 
je  vous  regardais  en  partant;  plus  "qu'il  n'est  possible  de  te  le  dire. 
Ne  pleure  pas  cependant,  égayé  notre  adoré  enfant-  Qu'il  ne 
s'aperçoive  pas  de  mort  absence,  et  qu'il  soit  bien  joyeux  de  mon 
retour.  Jusqu'à  ce  que  je  revienne,  sois  son  pire  et  sa  mère*  Je  te 
lé  confie.  Je  le  confie  à  toi-même.  Garde-moi  tous  mes  trésors... 
Ah!  que  je  suis  malheureux"  »...  Les  quelques  jours  qu'il  passe 
dam  h  Midi  lui  semblent  un  long  exil.  Il  se  refuse  toutes  lei 
excursions  qui  attirent  les  autres  touristes,  pour  revenir  le  plus 
vite  possible,  sitôt  la  santé  reconquise  :  »  Non,  amie,  je  n'irai  pas 
voir  Gavarnie  et  la  broche  de  Roland.  Il  faudrait  pour  faire  cette 
excursion  retarder  de  cinq  jours  mon  arrivée  à  Paris,  et  après 

1,  Revue  des  Cours  et  Conférences  f  avril  1196,  pp.  30,  19  el  41. 
2<  Mus.  Il,  45. 


m:\ii;    ihhmoihk    Ltnïiuim     DE    LA    FRANCE. 


une  si  longue  absence,  j'avoue  que  ce  supplice  serait  au-dessus 
de  mon  courage.  Non,  je  sais  trop  combien  durent  cinq  jmjrs  :  j'en 
ai  fait  à  Plombières  ta  dure  expérience,  et  je  la  fais  encore  ici. 
Les  cinq  derniers  jours  qui  précéder] L  le  départ...  ne  finissent 
jamais.  J'ai  beau  changer  Je  système  pour  que  le  temps  nie  pèse 
moins,  laisser  là  ma  sauvagerie,  m'apprivoiser,  prendre,  quand 
je  me  promène,  un  visage  qui  invite  à  m  aborder,  saluer  de  mon 
balcon  ceux  qui  passent,  de  manière  h  leur  demander  une  visite  : 
peines  et  avances  perdues!  rien  n'y  fait-  Le  temps  ne  m'accablr 
pas  moins  de  son  poids.  D'autres  lieux,  un  nouveau  spectacle 
auraient-lift  le  pouvoir  d'écarter  l'idée  qui  m'obsède?  Ne  le  crois 
pas,  ma  bien-aimée,  et  certes  je  n'en  ferai  pas  l'essai.  Ce  qu'il  nie 
faut,  pour  calmer  mon  impatience,  c'est  le  mouvement  d'une  voiture 
qui  m'entraîne,  et  qui  m'entrai  ne  vers  vous.. .  J'arriverai,  dît-on,  vers 
huit  heures  du  matin,  dans  la  cour  *!<*  la  diligence  Laffiite  et  Gail- 
lard, où  je  dois  avoir  la  première  placedu  coupé.  Vers  huit  heures 
et  demie,  je  monterai  quatre  à  quatre  le  grand  ou  le  petit  escalier 
qui  me  conduira  à  la  chambre  dénies  deux  adorés.,.  Et  notre 
Albert,  crois-tu  que  je  ne  le  roulerai  pas  sur  ton  petit  canapé  de 
rilermitage,  au  risque  de  mettre  en  désordre  par  mes  caresses  toutes 
les  boucles  de  sa  belle  chevelure  blonde?  Dis-lui  qu'il  n'a  qu'àlmm 
se  tenir  l»,«. 

Les  Œuvres  delà  fin. 


Delavigne  ne  rapportait  malheureusement  du  Midi  qu'une  amé- 
lioration passagriv  de  sa  sauté.  Les  jours  du  poète  étaient  désor- 
mais comptés.  Usé  par  la  vie  double  du  cœur  et  de  l'esprit,  trop 
frêle  pour  supporter  le  poids  du  bonheur  et  du  travail,  G.  Dela- 
vigne n'avait  plus  de  longues-  années  à  vivre-  Mais  il  allait 
suppléer  au  temps  et  à  la  force  vitale  par  Tardeur  au  travail  et  par 
l'énergie  nerveuse.  Nul  ne  se  pourrait  douter  que  ses  dernières 
comédies  si  gaies,  si  vivantes,  ont  été  composées  au  milieu  des 
tristesses  physiologiques  et  du  déclin  des  forces* 

Son  Don  Juan  if  Autriche  paraît  à  un  bon  juge  une  des  comédies 
les  plus  amusantes  de  notre  époque*.  Pour  nous,  qui  vivons  grâce 
à  ses  lettres  dans  l'intimité  de  son  cœur,  nous  voyons  de  plus 
i  "inbiuriily  a  mis  de  lui-même  :  Doua  Florinde,  respirant  l'odeur 
des  jasmins,  dit  à  sa  duègne  :  «  N'as-tu  pas  éprouvé  quelquefois, 
Dorothée,  combien  un  son  vague,  une  boulTée  d'air  réveille  forte- 

i,  Mss,  II,  47-48. 

2.  Legouvé,  Soixante  ans  de  souvenirs t  I,  40. 


LE  ROMAN  DE  CASIMIR  DELAVIGNE.  257 

ment  certaines  impressions  de  plaisir  ou  de  -peine,  et  fait  revivre 
un  souvenir  jusqu'à  la  réalité?  »  C'est  une  impression  personnelle 
au  poète,  écrite  à  Mmc  de  Courtin  plus  de  huit  ans  auparavant,  et 
presque  dans  les  mêmes  termes  :  «  Dans  un  bal  magnifique,  donné 
par  MIle  Mars,  je  suis  resté  une  partie  de  la  nuit  assis  derrière 
une  dame  qui  n'est  ni  belle  ni  jolie,  que  je  ne  connais  pas,  et  à 
laquelle  je  n'ai  point  parlé.  Devinez  ce  qui  me  retenait  près  d'elle? 
C'était  le  parfum  de  votre  plante  indienne.  N'avez-vous  pas 
éprouvé  combien  les  parfums  ont  de  puissance  pour  réveiller  nos 
souvenirs,  et  leur  donner  une  force  qui  nous  saisit,  qui  nous 
arrête,  et  va  presque  jusqu'à  la  réalité?  Les  yeux  fermés  pour  ne 
pas  perdre  mon  illusion,  je  suis  resté  là  bien  longtemps,  et  trop 
longtemps,  dircz-vous,  puisque  j'ai  quitté  le  bal  avec  un  violent 
mai  de  tête  :  mais  moi,  je  disais  comme  sur  le  lac  :  je  souffre  pour 
elle1  ». 

C.  Delavigne  savait  du  reste  sortir  de  sa  vie  intérieure,  et 
composer,  au  sein  du  bonheur  domestique,  quelque  drame  bien 
noir  comme  Une  famille  au  temps  de  Luther.  La  pièce  n'a  pas 
d'ailleurs  grand  succès.  Le  poète  est  obligé  de  relancer  le  baron 
Taylor,  qui  ne  se  soucie  pas  de  faire  représenter  bien  souvent  ce 
drame  lugubre  et  peu  goûté  :  il  lui  écrit  le  16  février  1838  : 
«  Depuis  deux  mois,  vous  ne  m'avez  pas  donné  deux  fois.  Je  n'ai 
point  l'habitude  de  me  plaindre,  et  je  ne  vous  écris  point  pour  le 
faire.  Je  veux  seulement  vous  prier  de  ne  plus  annoncer  mes 
ouvrages  quand  vous  ne  devez  pas  les  représenter.  Les  annonces 
trompent  mes  amis,  et  m'exposent  à  des  embarras  qui  me  sont 
pénibles.  Je  profite  de  cette  occasion  pour  vous  remercier  de  la 
nouvelle  preuve  d'obligeance  que  vous  m'avez  donnée,  en  refusant 
l'offre  que  M11"  Mars  vous  a  faite  de  rentrer  dimanche  à  l'Odéon 
pour  l  École  des  Vieillards  »  Ces  lettres  au  baron  Taylor  nous 
montrent  un  auteur  soigneux  de  ses  intérêts,  ce  qui  est  tout 
naturel,  de  sa  réputation,  ce  qui  est  plus  légitime  encore,  et  ne 
laissant  pas  le  Théâtre-Français  en  prendre  à  son  aise  avec  un  des 
poètes  qui  l'avaient  le  mieux  servi. 

La  mise  en  scène  de  la  Popularité  traînant  un  peu,  C.  Delavigne 
écrit,  de  la  Madeleine,  au  baron  Taylor,  le  6  septembre  1838, 
l'ultimatum  suivant  :  «  J'ai  pris  un  engagement  avec  vous;  voici 
l'époque  où  je  dois  le  tenir  :  je  suis  prêt.  Vous  avez  dit  à  mon 
frère  queMUe  Mars  avait  accepté  avec  reconnaissance,  ce  sont  vos 
expressions,  un  rôle  dans  la  Popularité.  Vous  m'avez  dit  à  moi 

1.  Mss.  1,  56. 


258  RE  VIE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE   LA    FRANCE. 

qu  elle  serait  à  Paris  le  15  septembre  ou  le  20  au  plus  tard.  Je  sais 
combien  elle  est  fidèle  à  une  parole  donnée,  et  comme  vous  avez 
dû  exiger  la  sienne  avant  son  départ,  son  retour  ne  peut  être  que 
très  prochain.  Veuillez  donc  m'indiquer  le  jour  où  tous  mes 
acteurs  sans  exception  seront  réunis  pour  m'entendre.  Si  quelque 
obstacle  s'oppose  à  l'exécution  pleine  et  entière  d'un  engagement 
que  j'ai  dfi  regarder  comme  sacré,  il  n'entrera  jamais  dans  mon 
intention  de  vous  forcer  à  le  tenir:  je  m'abstiendrai  même  comme 
je  le  fais  depuis  longtemps  de  tout  reproche  envers  vous.  Je  vous 
prie  seulement  de  m'écrire  deux  mots  pour  me  rendre  ma  parole, 
et  je  m'empresserai  de  vous  rendre  la  vôtre.  » 

Cette  raideur  ne  lui  nuisit  pas,  puisque  la  Comédie-Française 
joua  successivement  la  Popularité,  la  Fille  du  Cid  et  le  Conseiller 
rapporteur,  un  vrai  bijou  celui-ci;  c'est  un  petit  chef-d'œuvre 
dans  le  genre  Scribe,  avec  la  note  bien  personnelle  de  C.  Delà- 
vigne.  Il  y  riposte,  de  la  façon  la  plus  galante  du  monde,  à 
M"e  de  Girardin  qui,  dans  ses  Lettres  parisiennes,  avait  un  peu 
daubé  sur  la  Popularité  '  : 

Crisfl*. 
Il  se  nomme  Corniquet?  C'est  un  nom  qui  promet,  si  jamais  il  se 
marie. 

Labrasche. 

Il  n'a  eu  garde  d'y  manquer.  11  a  épousé  une  femme  auteur,  ce  qui 
a  fait  rire. 

Crispin 

Je  le  crois  bien.  Le  mari  d'une  femme  auteur  n'a  pas  besoin  d'être 
autre  chose  pour  être  ridicule. 

C.  Delavigne  aurait  eu  de  l'esprit  méchant  s'il  l'avait  voulu. 
Mais  il  savait  que  c'est  la  façon  la  plus  facile  et  la  plus  vulgaire 
d'avoir  de  l'esprit.  Il  avait  du  reste,  pour  se  protéger  contre  les 
brocards,  la  meilleure  cuirasse  :  le  bonheur.  Il  n'était  pas  méchant, 
parce  qu'il  était  heureux,  parce  que  l'amour  illuminait  toujours 
sa  vie.  On  trouve  encore  jusque  dans  ce  vaudeville  un  reflet  inat- 
tendu du  soleil  d'Italie  :  ce  n'est  pas  Dorante,  parlant  de  Julie  à 
son  secrétaire  Labranche,  c'est  C.  Delavigne,  causant  avec  sa 
femme,  de  Rome  et  de  la  villa  Paolina,  qui  s'écrie  :  «  La  vois-tu 
sur  les  ruines  de  Rome?  Nous  vois-tu  tous  deux?...  Quel  voyage! 
Ce  beau  ciel,  le  Tibre  et  le  Capitole,  quel  spectacle  inspirateur 
pour  le  génie  !  » 

Si  le  poète  n'a  pas  été  gêné  par  l'impersonnalité  du  genre  dra- 

1.  Lettres  parisienne*,  lettre  111,  du  7  décembre  1838,  p.  249-250. 


le;  roman  de  Casimir  delavigne.  259 

matique  pour  mettre  en  œuvre  ses  sentiments  propres,  on  devine 
combien,  plus  largement  encore,  il  a  puisé  dans  son  trésor  de 
souvenirs  personnels  pour  les  quelques  pièces  lyriques  qu'il  com- 
posa vers  sa  fin.  Les  stances  à  la  Madeleine  ont  une  grâce,  une 
pureté  incomparables  :  le  regret  de  quitter  la  villa  qu'il  aimait  et 
où  il  avait  aimé,  qu'il  vendait  pour  suivre  plus  régulièrement 
l'éducation  de  son  unique  enfant,  nous  a  valu  des  vers  délicieux, 
qui  seraient  son  chef-d'œuvre  s'il  n'avait  pas  écrit,  pour  son  poème 
un  Miracle,  ce  chant  des  Limbes  qui  contient  ce  qu'il  y  a  eu  de 
meilleur  dans  le  talent  et  dans  le  cœur  du  poète,  revus  et  corrigés 
par  l'amour.  L'ancien  voltairien,  le  chansonnier  du  vendredi- 
saint,  avait  compris,  grâce  à  sa  femme,  tout  ce  qu'il  y  a  de 
poétique  dans  certaines  croyances  du  catholicisme  :  le  père  du 
petit  Albert  avait  mis  aussi  un  peu  de  sa  tendresse  paternelle 
dans  ces  stances  : 

Comme  un  vain  rêve  du  matin, 

Un  parfum  vague,  un  bruit  lointain, 

C'est  je  ne  sais  quoi  d'incertain 

Que  cet  empire; 
Lieux  qu'à  peine  vient  éclairer 
Un  jour  qui,  sans  rien  colorer, 
A  chaque  instant  près  d'expirer, 

Jamais  n'expire. 

Partout  cette  demi-clarté 

Dont  la  morne  tranquillité  ' 

Suit  un  crépuscule  d'été, 

Ou  de  l'aurore 
Fait  pressentir  que  le  retour 
Va  poindre  au  céleste  séjour, 
Quand  la  nuit  n'est  plus,  quand  le  jour 

N'est  pas  encore! 

L'air  n'entrouvre  sous  sa  tiédeur 
Que  (leurs  qui,  presque  sans  odeur, 
Comme  les  lis  ont  la  candeur 

De  l'innocence; 
Sur  leur  sein  pâle  et  sans  reflets 
Languissent  des  oiseaux  muets  : 
Dans  le  ciel,  l'onde  et  les  forêts, 

Tout  est  silence. 

Loin  de  Dieu,  là,  sont  renfermés 
Les  milliers  d'êtres  tant  aimés, 


260  REVUE    d'hISTOIKE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Qu'eif  ces  bosquets  inanimés 

La  tombe  envoie; 
Le  calme  d'un  vague  loisir, 
Sans  regret  comme  sans  désir, 
Sans  peine  comme  sans  plaisir, 

C'est  là  leur  joie. 

Là,  ni  veille  ni  lendemain! 

Ils  n'ont  sur  un  bonheur  prochain, 

Sur  celui  qu'on  rappelle  en  vain, 

Rien  à  se  dire  : 
Leurs  sanglots  ne  troublent  jamais 
De  l'air  l'inaltérable  paix  ; 
Mais  aussi  leur  rire  jamais 

N'est  qu'un  sourire. 

Sur  leurs  doux  traits  que  de  pâleur! 
Adieu  cette  fraîche  couleur 
Qui  de  baiser  leur  joue  en  fleur 

Donnait  l'envie! 
De  leurs  yeux  qui  charment  d'abord, 
Mais  dont  aucun  éclair  ne  sort, 
Le  morne  éclat  n'est  pas  la  mort, 

N'est  pas  la  vie. 

Rien  de  bruyant,  rien  d'agité 
Dans  leur  triste  félicité  ! 
Ils  se  couronnent  sans  gaité 

De  fleurs  nouvelles. 
Us  se  parlent,  mais  c'est  tout  bas  ; 
Us  marchent,  mais  c'est  pas  à  pas; 
Us  volent,  maison  n'entend  pas 

Battre  leurs  ailes... 

Corrigeant,  comme  Lamartine,  à  force  de  sensibilité  et  de  ten- 
dresse, ce  qu'il  y  a  d'impitoyable  dans  les  dogmes  catholiques,  il 
envoie,  dans  le  chant  III  de  ce  poème,  Jésus-Christ  ouvrir  la  porto 
des  limbes,  et  donner  à  ces  pauvres  petites  âmes  la  volée  vers  le 
Paradis.  Si,  comme  on  a  dit  d'Arvers  qu'il  était  «  l'auteur  du 
sonnet  d'Arvers  »,  et  de  M.  Sully-Prudhomme  qu'il  est  «  l'auteur 
du  Vase  brisé  »,  on  ne  dit  pas  de  C.  Delavigme  qu'il  est  «  l'auteur 
des  Limbes  »,  c'est  que  son  répertoire  lyrique  et  surtout  son 
bagage  dramatique  sont  assez  riches  pour  qu'on  n'ait  que  l'em- 
barras du  choix  :  il  est  tout  simplement  l'auteur  d'une  œuvre 
considérable,  trop  longtemps  et  trop  injustement  dédaignée,  œuvre 
dont  j'ai  essayé  d'expliquer  la  genèse  au  cours  de  cette  étude. 


LE    ROMAN    DE   CASIMIR    DELAVIGNE.  261 


VI 

Ce  genre  de  critique  appartient  à  la  biographie  littéraire,  genre 
que  je  crois  légitime  et  bon,  avec  Lamartine,  lorsqu'il  écrit  à  M.  de 
Genoude  :  «  Quoi  que  les  sots,  qui  ne  savent  lire  que  ce  qui  est 
écrit  en  puissent  dire,  j'ai  toujours  pensé  qu'un  grand  écrivain 
valait  encore  mieux  que  son  plus  beau  livre  ».  C.  Delavigne,  en 
effet,  vaut  encore  mieux  que  son  œuvre.  Il  aurait  tout  à  gagner  à 
ce  que  des  chercheurs  d'inédit  publiassent  sa  correspondance, 
aujourd'hui  disséminée.  Sa  mémoire  n'y  perdrait  rien.  Il  y  gagne- 
rait peut-être  un  renouveau  de  cette  popularité  qui  ne  l'abandonna 
pas,  même  à  sa  mort.  Quand  le  cortège  funèbre  quitta  la  maison 
de  la  rue  Bergère,  des  jeunes  gens  demandèrent  à  traîner  eux- 
mêmes  le  char2,  fidèles  jusqu'au  bout  à  l'homme  qui  avait  été  si 
longtemps  le  poète  de  la  jeunesse,  en  même  temps  qu'il  était  le 
préféré  de  la  critique  classique.  Dans  les  polémiques  qui  suivent 
son  manifeste  contre  la  littérature  facile,  c'est  surtout  de  G.  Dela- 
vigne que  s'autorise  Nisard  pour  attaquer  Hugo3;  si  bien  que, 
quoi  qu'en  aient  dit  le  même  Nisard  et  M.  Biré  *,  c'est  à  se 
demander  si  Hugo  ne  songeait  pas  à  Delavigne  plutôt  qu'à  Dumas, 
quand  il  instituait,  dans  son  morceau  oratoire  sur  Mirabeau,  une 
comparaison  entre  l'homme  de  génie,  c'est-à-dire  Hugo,  et 
l'homme  de  talent  dont  la  médiocrité  se  sert  pour  attaquer 
l'homme  de  génie.  Cela  expliquerait  peut-être  les  fureurs  des 
sous-romantiques  contre  C.  Delavigne8,  et  les  tristesses  qui  pre- 
naient quelquefois  le  poète,  quand  il  voyait  combien  on  lui  faisait 
payer  cher  cette  réputation  que  ses  partisans  appelaient  de  la 
gloire,  et  que  lui-même  n'osait  pas  caractériser  ainsi6.  L'éclatante 
lumière  de  V.  Hugo  a  longtemps  offusqué  C.  Delavigne,  comme 
tant  d'autres  du  reste,  et  pourtant  il  n'en  reste  pas  moins  vrai  que, 
l'immense  supériorité  poétique  de  V.  Hugo  étant  pleinement 
avérée,  il  faut  reconnaître  ceci  à  la  louange  de  C.  Delavigne  :  il 
n'a  rien  dû  à  V.  Hugo,  ni  une  image,  ni  une  forme  de  vers,  ni  une 
situation,  ni  une  pièce;  ce  qu'on  a  voulu  appeler  chez  lui  imitation 
du  romantisme  n'est  que  la  libre  évolution  de  son  talent;  comme 
valeur  dramatique,  ses  pièces  en  vers,  tout  bien  balancé,  forme 

i.  Correspondance ,  II,  48. 

2.  Le  Goffic,  p.  25. 

3.  Revue  de  Paris,  1834,  II,  19. 

4.  Revue  de  Paris,  1834,  II,  11;  Victor-Hugo  après  1S30,  I,  117-118. 

5.  Mary  Lafon,  p.  24. 

6.  Mary  Lafon,  p.  22-23. 


262  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE   LA    FRANCE. 

et  fond,  viennent  immédiatement  après  celles  de  V.  Hugo,  le 
répertoire  de  C.  Delavigne  étant  nettement  supérieur  aux  pièces 
en  vers  de  Dumas  et  de  Vigny,  surtout  pour  les  œuvres  qui  sui- 
vent le  voyage  d'Italie. 

Malheureusement  pour  lui,  il  a  été  attaqué  avec  cette  arme 
empoisonnée  qu'on  nomme  le  ridicule,  et  qui  en  France,  malgré 
le  dicton,  ne  tue  que  les  bonnes  choses  et  que  les  braves  gens. 
Combien  s'imaginent  avoir  jugé  définitivement  C.  Delavigne, 
quand  ils  ont  répété,  avec  un  sourire  qu'ils  croient  spirituel,  ces 
vers  de  Desnoyers  qui  sont  méchants  et  bêles  : 

Habitants  du  Havre.  Havrais, 

J'arrive  de  Paris  exprès 

Pour  démolir  la  statue 

De  Delavigne  (Casimir)  ; 

Il  est  des  morts  qu'il  faut  qu'on  tue,  etc. 

Pour  moi,  j'opposerai  à  cette  calomnie  rimée,  et  je  présenterai 
aux  lecteurs,  comme  conclusion  de  cette  étude,  comme  jugement 
équitable  sur  la  valeur  de  C  Delavigne,  cette  adaptation  du  sonnet 
de  Sainte-Beuve  à  Ronsard  : 

A  toi,  poète,  à  toi  qu'un  sort  injurieux 

Depuis  cinquante  ans  livre  aux  mépris  de  l'histoire, 

J'élève  de  mes  mains  l'autel  expiatoire 

Qui  te  purifiera  d'un  arrêt  odieux. 

Non  que  j'espère  encore,  au  trône  radieux 
D'où  jadis  tu  régnais,  replacer  ta  mémoire  ; 
Tu  ne  peux  de  si  bas  remonter  à  la  gloire  ; 
Vulcain  impunément  ne  tomba  point  des  cieux. 

Mais  qu'un  peu  de  pitié  console  enfin  tes  mânes; 

Que,  déchiré  longtemps  par  des  rires  profanes, 

Ton  nom,  d'abord  fameux,  recouvre  un  peu  d'honneur! 

Qu'on  dise  :  il  osa  trop,  mais  l'audace  était  belle; 

Il  lassa,  puis  sut  vaincre,  une  langue  rebelle, 

Et  de  moins  grands,  depuis,  eurent  plus  de  bonheur. 

Maurice  Souriai:. 


LA    COMÉDIE    FRANÇAISE    DE    LA    RENAISSANCE.  263 

LA  COMÉDIE  FRANÇAISE  DE  LA  RENAISSANCE 

{Suite  et  fin  t.) 


Les  Corrivaux  se  composent  de  deux  éléments  principaux  :  le 
valet  qui  remplace,  son  maître  à  l'aide  d'un  déguisement  et  le 
jeune  homme  qui,  étant  surpris  entre  les  bras  de  celle  qu'il  aime, 
remédie  à  sa  faute  par  un  mariage. 

Ce  sont  là  deux  sujets  dont  nous  avons  déjà  vu  bien  des 
exemples.  Un  valet  se  moque  d'un  mari,  par  un  procédé  sem- 
blable, dans  le  Viluppo  du  Parabosco,  et  les  amoureux,  à  l'aide 
d'un  déguisement,  se  remplacent  mutuellement  en  plusieurs  comé- 
dies françaises  du  xvie  siècle. 

L'auteur  a  dû  puiser,  selon  toute  probabilité,  son  inspiration 
soit  à  la  pièce  de  Godard,  soit  à  la  comédie  italienne,  soit  encore 
aux  Plaisanteries  de  Poggio,  aux  Cent  Nouvelles  nouvelles,  à 
YHeptaméron,  au  Grand  Parangon,  etc.  *.  Il  n'y  a  que  l'embarras 
du  choix.  On  peut  répéter  la  même  chose,  pour  le  mariage  forcé 
du  jeune  homme3  qui  rappelle  le  sujet  de  maintes  nouvelles. 

Le  prologue,  où  le  prologueur  est  exposé  aux  tours  d'un 
personnage  appelé  le  Caché,  qui  se  moque  de  lui  en  l'appelant 
€  capitaine  l'Oison  »,  n'est  pas  sans  offrir  une  certaine  ressem- 
blance avec  celui  d'une  pièce  française  du  siècle  précédent,  la 
Fidélité  nuptiale*. 

Ici  le  prologueur  est  de  même  en  butte  aux  railleries  d'un 
inconnu  masqué  et  caché,  et  nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de 
remarquer  la  variété  de  certains  prologues  du  théâtre  d'Italie. 

Les  personnages  de  cette  pièce  de  Trotterel  ressentent,  en 
partie  au  moins,  l'influence  de  la  comédie  de  Varie.  Bragard, 
armé  d'un  «  coutelas  de  bois  »  (I,  1),  n'est  qu'un  zanni  trans- 
planté sur  la  scène  française,  avec  quelques  traits  de  l'ancien 
parasite  et  du  fanfaron. 

1.  Voyez  Revue  d'histoire  littéraire  de  la  France,  1897,  p.  336;  1898,  p.  220  et  554; 
1899,  p.  571. 

2.  Voyez  le  fabliau  -  le  Meunier  d'Arleux  »  ;  Cfr.  Montaiglon,  t.  II,  p.  31  sqq.), 
Sacchetti  (nouv.  206),  Poggio,  Facezie  (xxvi,  xli),  Mambriano  (nouv.  II),  Cent  Noue, 
nouv.  (ix),  Heptaméron  (ix),  Grand  Parangon  (xxxv),  etc. 

3.  Voyez  les  exemples  offerts  par  la  Lucelle  et  les  Déguisés  et  les  pièces  italiennes 
auxquelles  elles  ressemblent. 

4.  Voyez  le  chap.  précédent. 


264  REVUE    d'hISTOIKE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Morbleu!  que  je  me  sens  estrangement  hardyî 
Comme  le  cœur  m'en  dit!  Corbleu!  que  je  suis  brave! 
Que  je  donnerois  bien  ores  dans  une  cave, 
Pleine  de  fort  bon  vin...  (té.) 

Il  appartient  à  la  lignée  d'Arlequin,  et  comme  celui-ci,  dans 
son  contact  continuel  avec  le  capitaine,  il  a  fini  par  en  contracter 
quelque  peu  le  caractère  héroïque.  Il  s'arme,  menace,  fait  le  brave, 
mais  au  moindre  embarras  il  se  sauve  avec  une  vitesse  que  seule- 
ment son  maître  sait  égaler.  En  effet,  Gaullard  n'a  pas  le  pareil 
pour  menacer  l'ennemi  absent,  quitte  à  céder  le  camp  au  moindre 
bruit. 

Lorsque  le  maître  et  le  valet  veulent  surprendre  Brillant,  ils 
s'encouragent  réciproquement  : 

Gaullard.  —  Sus!  courage! 

Bragard  .  —  Prenons-le  sur  le  faict 

Va,  marche  le  premier,  et  iîerement  luy  donne 
Un  si  grand  horion  que  son  cœur  s'en  étonne. 

Bragard.   —  L'honneur  vous  appartient  de  marcher  tout  devant 
Allez,  je  vous  iray  bien  hardiment  suivant.  (I,  3.) 

C'est  de  la  môme  manière,  que  Prouventard,  dans  les  Desguisez, 
voudrait  se  faire  précéder  à  l'assaut,  par  son  laquais  : 

Prouventard.  —  Marche. 

Vadupiè.  —  Marchés,  mon  maître 

Je  ne  suis  que  le  serviteur  ; 
Allés  le  premier  par  honneur. 

Bragard  aime  la  bonne  table,  hume,  avec  une  satisfaction 
infinie,  les  parfums  de  la  cuisine  (III,  1),  et  il  peut,  comme  Potiron, 
s'écrier  que  c'est  là  son  «  lit  d'honneur  ». 

Clorette  continue  la  tradition  de  la  femme  -éhontée  et  facile, 
telle  que  la  nouvelle  et  la  comédie  du  xvic  siècle  l'avait  reçue  du 
moyen  âge  et  de  l'ancienne  nouvelle.  Au  lieu  de  la  femme  mariée 
de  Y  Eugène  et  de  la  Trésorière,  nous  avons  ici  une  jeune  fille,  mais 
la  physionomie  en  est  toujours  la  même,  bien  que  le  dénouement 
final  la  mette  au  nombre,  sous  un  certain  rapport,  des  filles  de  la 
comédie  italienne  et  de  la  française  de  la  période  précédente. 

La  pièce  de  Trotterel  a  la  marche  libre  et  l'esprit  railleur  d'une 
nouvelle  de  Boccace.  L'auteur  ne  se  soucie  nullement  de  la  vrai- 
semblance des  situations  qu'il  crée  coup  sur  coup  et  qui  se  suivent 
de  près  sans  le  moindre  ordre  logique. 


LA   COMÉDIE    FRANÇAISE   DE    LA    RENAISSANCE.  265 

Il  arrive,  par  exemple,  qu'Almérin,  à  peine  a-t-il  conçu  l'idée 
de  jouer  un  tour  à  Clorette,  rencontre  tout  de  suite  son  maître, 
trouve  le  narcotique,  le  lui  donne,  entre  dans  la  maison  de  la 
jeune  fille,  y  dort  et  en  sort,  tout  cela  dans  une  scène  (II,  4). 
Ailleurs  (III,  1),  Bragard  et  Gaillard  arrêtent  de  se  venger  de 
Brillant  et  de  boire  pour  s'encourager  à  l'assaut.  Les  voilà 
buvant  et  mangeant  tant  que  le  vin  produit  son  effet.  Alors  ils 
chantent,  s'endorment,  se  réveillent,  s'arment  et  tombent  par 
terre,  et  la  dernière  scène  n'est  pas  moins  d'une  rapidité  invrai- 
semblable. 

Les  types  des  Corrivaux  n'ont  aucun  développement  et  ils  restent 
à  l'état  de  simples  ébauches  représentées  à  peu  de  traits,  et  entiè- 
rement soumises  à  l'action. 

Le  mérite  de  l'auteur  consiste  surtout  dans  la  facilité  du  style, 
la  vivacité  de  sa  pensée,  la  variété  des  scènes,  mais  on  doit 
constater  aussi  que  sa  pièce,  loin  de  marquer  un  progrès,  se 
rapproche  de  beaucoup  des  débuts  du  xvi*  siècle. 

L'autre  comédie  due  à  sa  plume,  Gillette,  a  des  défauts  encore 
plus  sensibles  et  parait  tout  à  fait  contemporaine  des  essais  de 
Jodelle  et  de  Gré  vin. 

Les  personnages  sont  réduits  à  un  nombre  très  limité,  et  deux 
d'entre  eux,  le  Gentilhomme  et  la  Damoiselle  n'ont  pas  même  de 
nom,  rentrant  par  là  dans  la  personnification  des  sotties*.  La 
comédie  est  divisée  en  cinq  actes,  dont  chacun  se  compose  de  deux 
scènes,  mais  celles-ci  sont  en  effet  plus  nombreuses,  car  l'auteur 
oublie,  comme  dans  la  pièce  précédente,  d'indiquer  par  des  scènes 
l'entrée  ou  la  sortie  de  ses  personnages.  Le  vers  des  Corrivaux  est 
remplacé  par  celui  de  huit  syllabes. 

La  dédicace  adressée  «  à  monsieur  son  intime  »  porte  la  date 
du  12  août  1619,  et  Trotterel  y  déclare  qu'il  a  composé  sa  comédie 
sur  une  historiette  qu'on  lui  a  rapportée,  «  entre  autres  bons 
comptes  du  tems  »,et  il  l'expose  sans  lui  donner  d'autre  impor- 
tance que  celle  que  mérite  une  facétie.  Ce  n'est  pas  là  pourtant 
l'avis  d'un  certain  D.  D.  P.  V.  qui  fait  précéder  la  pièce  de  quatre 
quatrains  à  la  louange  de  l'auteur. 

Au  commencement  de  l'action,  le  gentilhomme  se  plaint  du 
poids  de  la  «  nopeière  loy  »  : 

1.  Entre-parleurs  : 
Le  Gentilhomme,  amoureux  de  Gillette  sa  servante. 
Gillette,  servante. 

Mathurin,  grand  laquais  du  gentilhomme,  aussi  amoureux  de  Gillette. 
La  Damoiselle,  maistressc  de  Gillette  et  femme  du  gentilhomme. 
Maistre  Jossb,  prestre  vicaire. 

Re*.  d'hist.  utter.  de  la  France  (!•  Ann.).  —  VU.  18 


266  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Certes  l'adage  est  véritable 
Qui  dit  que  dessus  une  table 
Un  mets  trop  souvent  présenté 
Rend  nostre  estomach  degousté 

La  damoiselle  vieillit  et  le  marie  s'écrie  : 

...Pour  me  rafraischir 
Il  me  faut  les  bornes  franchir.  » 

11  jette  pourtant  son  dévolu  sur  Gillette,  qu'il  croit  «  belle 
monture  ». 

Le  gentilhomme  ne  se  met  pas  en  frais  d'imagination  pour 
obtenir  les  faveurs  de  sa  servante.  En  suivant  le  procédé  très 
simple  de  ses  pareils,  il  l'appelle,  et  lui  dit,  sans  trop  de  façon  : 

...sans  faire. la  hautaine 
Prends  pitié  de  ma  dure  peine... 
Gillette  je  te  fay  promesse 
De  te  faire  du  bien  sans  cesse, 
,  Et  pour  encor  plus  t'émouvoir 

Je  te  promets  de  te  pourvoir 
En  te  mariant  à  ton  aise  : 
Or  sus  vien  ça  que  je  te  baise 
Et  que  je  touche  ton  teton. 

Gillette  fait  la  sourde  oreille,  mais  le  gentilhomme  sait  bien  à 
quels  arguments  il  faut  avoir  recours,  et  il  lui  offre,  sans  laisser 
paraître  une  générosité  excessive,  tout  d'abord  un  ducat  et  après 
deux  pistoles.  La  jeune  fille  parle  de  son  honneur,  mais  on  devine 
facilement  que  ce  n'est  pas  là  une  raison  trop  solide  pour  elle.  Le 
dialogue  est  interrompu  par  l'arrivée  de  la  damoiselle;  le  gen- 
tilhomme quitte  la  scène  et  il  s'ensuit,  entre  les  deux  femmes,  un 
dialogue,  qui  nous  permet  de  pénétrer  dans  l'intérieur  du  ménage 
d'un  gentilhomme  de  cette  époque. 

La  damoiselle  n'est  pas  mal  satisfaite  du  zèle  et  de  l'activité  de 
Gillette  et  cause  avec  elle  du  poids  du  beurre  et  se  réjouit  de  ce 
que  les  vaches  donnent  beaucoup  de  lait  : 

...les  autres  mois 
Elles  n'avoient  tant  de  laictage, 
Mais  c'estoit  faute  de  fourrage. 

Elle  demande  ensuite  à  sa  servante  le  menu  du  dîner,  qui  est 
d'une  simplicité  extraordinaire  : 


LA    COMÉDIE    FRANÇAISE    DE    LA    RENAISSANCE.  267 

...de  bons  choux  à  pomme, 
Avec  du  bœuf  qui  s'y  consomme, 
Et  du  lard  et  du  mouton  gras. 

La  pauvre  femme  est  si  loin  de  soupçonner  l'infidélité  de  son 
mari! 

Au  deuxième  acte,  on  voit  paraître  Mathurin,  un  paysan  de  la 
souche  de  Guillaume,  mais  qui  est  pourtant  assez  entreprenant 
pour  embrasser  tout  de  suite  Gillette,  qui  lui  a  touché  le  cœur 
et  qu'il  espère  pouvoir  épouser.  Gillette,  dans  l'accolade,  perd  sa 
coiffe,  mais  elle  ne  repousse  pas  tout  à  fait  le  jeune  lourdaut; 
elle  comprend  bien  qu'à  bout  des  comptes  un  mari  n'est  pas  à 
dédaigner. 

Le  gentilhomme  continue  ses  poursuites  et  Gillette,  loin  de  s'en 
plaindre,  admire  avec  une  certaine  coquetterie,  la  passion  qu'elle 
lui  a  su  inspirer  : 

Voy  comme  il  se  met  sur  la  montre, 
Et  comme  il  est  par  tout  poliy 
Le  tout  pour  me  sembler  joly. 

Elle  feint  pourtant  de  se  défendre  en  prétextant  les  sermons  de 
son  curé,  mais  le  gentilhomme  s'en  rit  et  ne  paraît  pas  trop  se  fier 
à  la  vertu  des  gens  d'église  : 

...Hà,  hà,  vrayment 
11  presche  ore  ce  document 
Cassé  de  la  grande  faiblesse 
Qui  l'accompagne  en  sa  vieillesse, 
Mais  durant  ses  beaux  jeunes  ans, 
Il  se  donnoit  bien  du  bon  temps, 
Ne  faisant  nulle  conscience 
De  vivre  en  sainte  continence. 

Cette  dispute  donne  occasion  au  gentilhomme  de  se  déclarer 
calviniste  : 

Bien  que  rna  foy  prenne  origine 
De  la  fine  presche  Calvine, 

et  c'était  là  probablement  la  religion  de  l'auteur.  Enlin  le  gen- 
tilhomme promet  à  Gillette  de  garder  le  silence  le  plus  absolu  et 
que  son  amour  n'aura  pas  de  suites  à  craindre. 

Que  cela  ne  te  face  peur 

Je  scay  prévenir  ce  malheur  (d'engrosser) 

Par  une  certaine  science 

Dont  j'ay  parfaite  expérience. 


208 


I»  IIISTûlIlt:    LITTERAIRE    DE    LA    FIU!IC£. 


Cette  promesse,  tirée  de  la  Trésorière^  finît  par  remporter  sur  la 
faihle  vertu  de  Gillette* 

Au  troisième  acte  Mat  burin  se  rend,  malheureusement  trop 
lai  fi,  cli* '/.  le  curé,  «  maîstre  Josse»,  afin  d'invoquer  son  aide  contre 
les  poursuites  du  gentilhomme. 

Le  prêtre  promet  de  sermonner  la  jeune  fille,  mais  celle-ci 
paraît  sur  la  scène  afin  de  renseigner  le  public  sur  ce  qui  s'est 
pa&aé  entre  elle  et  son  maître  et  qui  rend  parfaitement  inutile 
l'intervention  de  Josse. 

Celui-ci  pourtant  se  présente  à  Gillette  dans  Pacte  suivant,  mais 
la  belle  répond  avec  tant  d'humilité,  et  affecte  un  air  si  innocent» 
que  le  bonhomme  en  reste  édifié  et  peut  assurer  à  Matburin  qu'il 
aura  là  une  épouse  digne  en  tout  et  partout  de  son  amour,  Ce 
n'est  pas  là  cependant  l'avis  de  la  damoiselle,  qui,  ayant  8e 
l'intrigue,  intervient  tout  à  coup,  un  bâton  à  la  main,  dont  elle 
frappe  sa  rivale  et  Matburin  accouru  à  ses  cris, 

Au  cinquième  acte,  on  a  le  dénoùment  auquel  on  s'attendait 
depuis  longtemps;  le  valet  épouse  Gillette,  et  le  gentilhomme  n*a 
pas  l'air  de  s'en  fâcher* 

Tout  dans  celle  pièce  est  issu,  comme  nous  venons  de  ie  dire  du 
souvenir  des  premiers  essais  de  la  Renaissance  :  Gillette  n'est 
qu'Agnès  avant  le  mariage  et  la  Damoiselle  est  la  femme  jalouse 
de  la  vieille  littérature  du  moyen  Age. 

On  peut  remarquer  seulement  quelque  progrès  dans  le  dévelop- 
pement de  Faction  et  ce  qu'un  demi-siècle  a  fait  faire  au  style 
comique,  Que  Ton  ajoute  que  le  dialogue  entre  le  curé  et  la  jeune 
fille  ne  manque  pas  de  verve.  Le  regrès  chez  Trolterel  est  donc 
évident. 

En  1616,  c'est-à-dire  entre  les  deux  pièces  précédentes,  Adrien 
de  Montluc,  prince  de  Chabanaîs  et  comte  de  Carmain  (1367-1 641), 
auteur  des  Jeuxde  C inconnu  et  d'autres  compositions  badines,  com- 
posa sa  Comédie  des  pfûverbei,  qui  ne  parut  cependant  qu'en  1633. 
La  Comédie  (tel  Proverbes  appartient  au  genre  des  bizarreries 
comiques,  au  même  titre  du  GaUmattOi  (1639),  tragi-comédie  de 
Dorofcicrs  Bcaillieu,  et  de  la  C&médiedeè  chansons  (1G40)\ 

C*est  un  tour  de  force  où  l'auteur  se  donne  la  peine  de  citer  à 

1.  Le  Galimatias  se  composa  4e  Vftfl  incohérents  qui  ont  un  sens  très  vague  et 
qui  forment  fort  souvent  une  absurdité  harmonique,  comme  les  poésirs  ilotiiennes 
du  Burchiellt),  auquel  l'auteur  t»ijuri&ii  bien  s'inspirer. 

Pour  la  Comédie  des  ohanrtm,  qui  rappelle  jwur  *n  forme  la  -  Farce  de  Cal  bain  * 
du  temps  de  Louis  XII  et  quelque  peu  le  -  Jeu  de  Robin  et  de  Marion  *  de  m 
que  ta  hroi  défi  *  DeiH  savetiers  »,  eïc,     voyez  Julien  Ttersot:  Histoire  de  Laehantùn 
pop,  tn  faute*  [Parla,  i sku,  ebap*  IV,  p.  soi-. 

Pour  la  Comédie  des  prot*  rÀe*, Je  suis  Téd*  Jannel. 


LA    COMÉ 01 E    KRANÇ.AISE    l»K    LA    RENAISSANCE.  260 

peu  près  deux  mille  proverbes,  qui  ne  tombent  pas  toujours  fort  à 
propos,  maïs  qui  ont  cependant  le  mérite  de  nous  faire  connaître 
une  des  richesses  de  la  langue  à  celle  époque.  L'action  n'est  donc 
qu'un  prétexte  à  l'application  de  ces  proverbes. 

La  pièce  est  diviser  GO  trois  actes  et  précédée  par  un  prologue, 
ri  rVsl  là  la  première  fois  où  nous  rencontrons  une  comédie 
avec  celle  division  qui  est  propre  aux  scerutri  du  Scala  el  dont  on 
aura  bien  lut  plusieurs  exemples.  Montluc  emploie  la  prose  pour 
appliquer  ses  proverbes  avec  plus  de  facilité  et  le  sujet  qu'il  déve- 
loppe est  un  mélange  de  la  comédie  érudite  et  de  celle  de  l'arte, 
voici  en  peu  de  mots,  Lidias  aime  la  fille  du  docteur  Thésaurus 
(Flurinde),  dont  celui-ci  a  déjà  dispose,  en  la  fiauçanl  malgré  elle 
au  capitaine  Fierabras,  Le  jeune  homme,  conseillé  et  aidé  par  son 
serviteur  Adaigne  el  par  Philippin,  valet  du  docteur,  enlève 
Florin  de  et  se  sauve  avec  elle, 

Thésaurus  cl  Fierabras  sont  au  désespoir  et  méditent  une  ven- 
iuee  éclatante.  Les  fuyards,  suivis  des  deux  valets,  se  retrouvent 
au  milieu  des  champs  et,  vaincus  par  la  fatigue,  ils  s'endorment. 
Des  bohémiens,  qui  voient  leurs  habits,  s*en  emparent,  croyant 
par  là  se  soustraire  aux  poursuites  de  la  justice,  de  sorle  que  les 
quatre  malheureux,  en  se  réveillant,  sont  obligés,  faute  de  mieux, 
de  s'aiïubler  du  costume  de  leurs  voleurs.  Ce  déguisement  forcé 
en  bohémiens  n'est  pas  sans  leur  réussir  jusqu'à  un  certain  point 
agréable,  car  ils  pensent  que  par  là  ils  pourront  se  présenter  au 
Docteur  et  en  lui  disant  le  sort  le  contraindre  de  consentir  à  leur 
mariage, 

Aussitôt  dit,  aussitôt  fait,  Le  Docteur  Thésaurus,  de  même  que 
la  femme,  accueillent  les  faux  bohémiens  avec  empressement,  et  le 
Docteur  les  appelle  «  les  beaux  Taharins  »,  allusion  évidente  à 
ce  personnage  comique  de  l'Italie.  Les  bohémiens  leur  persuadent 
d'accueillir  les  fuyards  avec  bonté,  et  le  capitaine  mord  lui  aussi  à 
l'appât  ,  en  se  prenant  d'amour  pour  la  bohémienne  à  laquelle  il 
trouve  une  ressemblance  extraordinaire  avec  Florinde.  Les  bohé- 
miens lui  disent  le  sort,  en  se  moquant  joyeusement  de  ses  fanfa- 
ronnades. «  Vous  ne  meniez  jamais  si  vous  ne  parlez.  Vous  estes 
aussi  prudent  que  valeureux  :  quand  vous  avez  rsté  battu,  vous 
n'en  dites  mot  à  personne-  Vous  faites  des  miracles  en  vos  com- 
bats; ceux  que  vous  avez  luez  se  portent  bien...  »  (III,  2.) 

Ce  portrait  Halle  extrêmement  la  vanité  de  Fierabras.  Bref,  toute 
chose  irait  à  souhait  si  la  justice  ne  s'en  mêlait.  Le  prévôt  prend 
les  fuyards  pour  les  véritables  bohémiens  qu'il  doit  arrêter,  mais 
Lidias  se  découvre  au  prévôt  comme  son  frère,  et  celui-ci,  loin  de 


210  BEVUE    D  HISTOIRE    LITTERAIRE    DE    LA    FRANCE. 

les  emprisonner,  les  aide  dans  leur  entreprise.  Le  Docteur,  enfin, 
consent  au  mariage,  d'autant  plus  que  Florînde  lui  fait  accroire 
qu'elle  ne  s'est  pas  enfuie  avec  son  amoureux,  mais  qu'elle  a  été 
sauvée  par  celui-ci,  au  moment  où  des  bandits  voulaient  lui  faire 
un  mauvais  parti.  Fierabras  voudrait  s'opposer,  mais  ses  menaces 
n'en  imposent  à  personne  et  il  se  console  par  la  pensée  «les  futurs 
exploits,  qui  rendront  son  nom  célèbre  dans  les  siècles  à  venir. 

On  voit  que  malgré  ses  proverbes  et  sa  division  en  trois  actes, 
la  comédie  de  Montluc  reconnaît,  en  partie,  l'influence  qui  présida 
à  la  formation  du  théâtre  précédent.  Cette  même  division  en  trois 
actes  nous  rappelle  celle  des  scenari  du  Scala,  où  l'on  voit  aussi 
fort  souvent  des  bohémiens,  ou  vrais  ou  supposés,  disant  le  sort  et 
se  moquant  de  tout  le  monde.  Flaminia,  par  exemple,  se  déguise 
en  bohémienne  dans  les  Tappeti  Alessandrini:  des  zingari  jouent 
un  rôle  important  dans  le  Capitano  et  la  comédie  érudite  avait  vu 
déjà  paraître  la  Cingana  du  Giancarli  (4545). 

Dans  les  Tappeti  Alessandrini  du  Scala  il  y  a  le  même  détail  du 
capitaine  qui  fait  jouer,  sous  les  fenêtres  de  la  jolie  bohémienne, 
une  sérénade  interrompue  par  l'arrivée  du  prévôt  et  de  son  escorte, 
et  une  pareille  aventure  d'une  sérénade  brusquement  interrompue 
forme  une  des  scènes  enjouées  du  Fido  amico  (Scala). 

D'ailleurs  les  éléments  italiens  paraissent  dans  le  docteur  The- 
saurus,  défiant  la  sagesse  et  la  science  de  Socrate,  de  Platon, 
d'Aristote  et  de  Cicéron,  «  magister  magistrorum,  doctor  doctorum, 
praceptor  praceptorum  ». 

Malgré  son  latin,  le  pauvre  docteur  est  tellement  sot,  qu'on  lui 
ferait  accroire  que  «  les  nuées  sont  des  poésies  d'airain  »  et  il  est 
d'autant  plus  la  dupe  de  tout  le  monde,  qu'il  se  croit  très  (in  et 
très  rusé.  A  côté  du  docteur  Thésaurus,  on  voit  paraître  une  autre 
de  nos  anciennes  connaissances,  ce  capitaine  Fierabras,  dont  le 
nom  rappelle  un  héros  de  l'épopée  ancienne. 

Malgré  ses  rodomontades  hyperboliques  et  la  richesse  dont  il 
mène  grand  bruit,  il  est  «  plus  poltron  qu'une  poule  »,  et  sa  misère 
Ta  forcé  de  «  vendre  son  cheval  pour  avoir  de  l'avoine  ».  Il  s'appelle 
«  général  des  régimens  de  Tartarie,  Moscovie  et  autres  »  et  de 
temps  en  temps  il  dit  quelques  petits  mots  espagnols.  La  servante 
Alizon,  dans  des  à-part  fréquents,  prend  soin  de  prier  le  public 
de  n'ajouter  jamais  foi  à  ses  vantardises,  en  jouant  ainsi  un  rôle 
réservé  jadis  au  parasite  ou  au  valet. 

Il  va  sans  dire  que  le  capitaine  n'est  terrible  qu'avec  les  ennemis 
absents,  et  à  l'approche  des  archers,  il  conclut  sa  sérénade  par  les 
vers  suivants  : 


LA   COMÉDIE    FRANÇAISE    DE    LA    RENAISSANCE.  271 

L'ignorance  fait  les  hardis 

Et  la  considération  les  craintifs. 

Bien  courir  n'est  pas  un  vice  : 

On  court  pour  gagner  le  prix  :  » 

C'est  un  honneste  exercice 

Un  bon  coureur  n'est  jamais  pris.  (III,  3,  4.) 

D'ailleurs,  l'importance  de  la  pièce  n'est  ni  dans  le  sujet,  ni  dans 
les  personnages,  c'est  dans  ce  tour  de  force,  dont  nous  venons 
de  parler  et  qui  consiste  à  placer  à  tout  moment  ces  proverbes, 
qui  n'ont  pas  toujours  un  air  naturel  et  dégagé. 

Avec  les  proverbes,  notre  auteur  emploie  une  phraséologie  très 
riche,  puisée  à  la  langue  vive  et  populaire,  ce  qui  est  d'autant  plus 
remarquable  chez  un  écrivain,  appartenant  à  la  société  la  plus 
choisie.  Chaque  personnage  parle  le  langage  qui  est  propre  à  son 
rang,  de  sorte  que  les  valets  ne  se  distinguent  que  trop  par  des  bou- 
tades, des  phrases  et  même  des  actes  on  ne  pourrait  plus  plats.  (II,  3.) 
Tel  étant  le  caractère  de  cette  comédie,  on  ne  doit  pas  trop 
s'étonner  si  ses  personnages  se  livrent  souvent  à  de  véritables 
exercices  linguistiques. 
En  voici  un  exemple  : 

«  Philippin.  Vous  n'avez  qu'à  commander,  je  me  mettrois  en 
quatre  et  ferois  de  la  fausse  monnoye  pour  vous  :  je  prendrois  la 
lune  avec  les  dents;  je  ferois'  de  nécessité  vertu,  pour  vostre  ser- 
vice..., etc  »  et  à  Alaigne  qui  veut  se  moquer  de  lui  :  «  Tu  es  un 
frelempier,  c'est  bien  à  toi  que  j'en  voudrois  rendre  compte!  Je 
crois  que  tu  as  fait  ton  cours  à  Asnière...  Tu  es  un  sçavant  prestre, 
lu  as  mangé  ton  bréviaire.  Aga,  tu  n'es  qu'un  sot,  tu  seras  marié 
au  village.  Il  n'y  a  que  trois  jours  que  tu  es  sorty  de  l'hospital,  et 
tu  veux  faire  des  comparaisons  avec  les  gueux.  Si  tu  estois  aussi 
mordant  que  tu  es  reprenant,  il  n'y  auroit  crotte  dans  ces  champs 
que  tu  n'allasses  fleurant...  »  (I,  7.) 

On  devine  facilement  que  tout  ces  proverbes  et  cette  phraséo- 
logie, appliqués  à  tout  propos  et  dans  toutes  les  variantes  possibles, 
gênent  fort  souvent  la  clarté  de  la  pensée  et  nous  font  retomber 
dans  une  sorte  de  galimatias. 

Il  arrive  aussi  que  les  personnages,  se  préoccupant  surtout  de 
déployer  les  richesses  de  la  langue,  se  soucient  le  moins  du  monde 
de  l'action  en  elle-même.  Aussi  parlent-ils  fort  souvent  à  tort  et 
à  travers,  et  au  moment  où  il  leur  faudrait  se  hâter  pour  empêcher 
quelque  malheur  ou  lorsque  la  passion  les  entraine,  on  les  voit  sur 
la  scène,  les  mains  baillantes,  comme  les  chœurs  des  opéras, 
répéter  à  l'envi  leurs  proverbes. 


«--2  IU.VUE    !>  IIISTQIBE    LlTîfiBÀIRS    m:    LA    FRANCK. 

On  apprend  à  Ifaeée  que  sa  fille  a  été  enlevée,  et  celle-ci  «le 
sfécrler  : 

«  Il  n'y  a  plus  que  le  nid,  les  oiseaux  se  son!  envolez!  nous 
sommes  réduits  au  bissac;  nous  sommes  volez  et  minez  de  fond  en 
comble.,.  Marchand  qui  pari  ne  petit  rire;  qui  perd  son  bien  perd 
son  sang;  qui  perd  sou  bien  <-t  son  sang  perd  doublement...  Chat 
éch&udé  cniiut  Teau  froide.  Ce  n'est  pas  tout  il*-  presefaer*  il  Faut 
faire  la  queste  :  vous  ne  vous  remue/  non  [«lus  qu'une  épousée 
qu'on  atourne,  ny  qu'une  poule  qui  couve. 

Thésaurus,  lui  aussi,  perd  son  temps  a  enfiler  des  sentences 
latines  et  Françaises  tandis  qu'on  amène  sa  fille,  «  Patientià  tnneit 
omnia*  Taris  la  grande  vîlle  ne  fui  pas  faite  en  un  jour  (I,  IL)  »  et 
pour  compléter  ce  tableau  des  incohérences,  nom  rappelons  que 
les  deux  fuyards,  au  lieu  de  continuer  leur  route,  s'amusent  à 
écouter  les  débats  et  les  jeux  de  mots  de  leurs  \ralets.  (It  7.) 

Mmitluc  se  plaît  parfois  à  certaines  bizarreries,  comme  la  sui- 
vante ;  «  lléi  frère  Dominicle,  viens  voir  la  musique  auprès  de 
nostre  bouticle  *>,  et  aux  citations  latines,  espagnole*  et  italiennes. 
Ces  dernières  laissent  beaucoup  à  désirer  bous  tous  les  rapports'. 

Ce  n'est  donc  pas  avec  Sfontllic  que  la  comédie  pourra  faire 
progrès  que  Trotterel  n'a  su  nous  monlrer;  il  paraît  que  les  écri- 
vains du  nouveau  siècle,  entourés  par  une  foule  de  genres  divers 
qui  s'offrent  au  théâtre,  ne  sache  ni  à  quoi  se  tenir,  Trotterel 
revient  aux  débuts  «lu  xvr  aièele;  Montluc  emploie  son  esprit,  qui 
ne  manque  pas  pourtant  d'une  certaine  supériorité,  dans  les  extra- 
vagances d'un  art  d'académie. 

h  ii Heurs,  l'auteur  lui-même  ne  donnait  pas  trop  d'importance 
a  son  caprice  liltéraire  de  grand  seigneur,  pour  qui  les  lettres  ne 
forment  qu'un  amusement  passager  : 

«  Philippin.  Finis  coronat  opits,  comme  dit  le  docteur:  la  fin  cou- 
ronne les  taupes.  Tirez  le  rideau,  la  farce  est  jouée.  Si  vous  ne  la 
trouvez  bonne,  faites-y  une  sausse,  ou  la  faites  rostir  ou  bouillir 
et  traîsner  par  les  cendres;  et  si  n'estes  conlens,  couchez-vous 
auprès  :  les  valets  de  la  feste  vous  remercissenl.  Bonsoir t  mon 
père  et  ma  mère  el  la  compagnie.  « 

llu  voit  que  ce  n'est  pas  le  Prince  qui  daigne  remercier  son 


I.  -  Qui  va  plane  va  gène,  et  qui  va  sane  va  ton  unie,  qui  va  lonlane  va  bene  ». 
(Ij  Si)  Qui  ben  eala  non  »i  move.  (Prol.) 

Il  aurait  fallu  dire  ;  -  Chi  va  piano  va  sano,  chi  va  sano  va  tonlano,  e  chi  va 
iOnUttO  va  bene  r,  bien  qu'on  iJise  communément:  •  Cbi  va  piano  va  «arm  e  va 
lonlono  •.  L'autre  proverbe  italien  que  nous  avons  déjà  lu  dans  les  Nèapoliiaine* 
s'écrit  ;  •  Chi  ben  sla,  non  H  muovt  -,  ou  mieux  encore:  *  Chi  sta  bene,  non  si 
miiove  *. 


LA    c;o>li-;|»|l     FRANÇAISE    DE    1,A    itl- 


2~3 


auditoire.  Il  eu  laisse  le  soin  aux  valets,  qui  s'y  prennent  d'une 
m  a  n  i  è  r  e  fa  v  l  i  r  r  é  v  é  r  e  n  c  i  e  u  s  e , 

Il  faudrait  placer  ici  deux  comédies  que  les  frères  Parfait1  noua 
indiquent  aux  diiles  de  1618  et  de  1620  dans  leur  Histoire  du 
théâtre.  On  ne  possède  malheureusement  de  la  première  que  le 
titre  l'Amour  médecin,  avec  la  notice  qu'elle  fut  composer  par 
Pierre  de  Sainte-Marthe.  <i  Nous  ne  connaissons  —  disent  les 
auteurs  de  V Histoire  *ht  Théâtre  —  que  le  titre  de  cette  pièce  indi- 
quée par  quelques  catalogues;  peut-être  les  auteurs  n'en  savaient  - 
ils  |ias  davantage.  » 

Le  litre  a  bien  l'air  d'annoncer  une  véritable  comédie  d'un  tour 
peut-être  plaisant,  mais  à  cela  se  borne  toute  hypothèse  possible. 

L'autre  pièce  porte  pour  titre  :  les  Rtimotieurs,  et  le  catalogue 
Dtivul  y  attribue  la  date  de  1621.  (5  actes,  prose,  troupe  royale, 
1621.)  Je  remarque,  en  passant,  que  le  même  catalogue  et 
d'antres  encore  attribuent  à  Breton,  sieur  de  Lad  m,  une  comédie, 
de  même  eu  cinq  actes  et  en  prose,  qui  aurait  été  jouée  au 
théâtre  de  l'hôtel  de  Bourgogne  en  1554,  sous  le  titre  U Ramoneur y 
et  qu'on  ne  possède  plus. 

Y  aurai Ut -il  quelque  rapport  entre  te  Ramoneur  et  les  Ramo- 
H0ttra*î 

Je  rapporte  ici  ce  que  les  frères  Pariait  nous  disent  de  cette 
pièce  et  qui  suffît  pour  s'en  former  une  idée  générale. 

te  Les  Ramoneur^  comédie  en  cinq  actes  et  en  prose»  par  un 
auteur  anonyme...  Cette  pièce  n* existe  que  manuscrite,  l'Auteur 
en  est  inconnu,  et  Ton  ne  peut  sçavoir  que  par  conjecture  le  temps 
où  elle  a  pu  être  représentée.  »  Une  note  qui  se  trouve  à  la  tête, 
nous  assure  k  qu'elle  parait  avoir  été  jouée  vers  1G29,  attendu 
qu'il  y  est  parlé  de  Coeflier,  traiteur,  qui  était  de  ce  temps»  et 
qu'on  y  parle  aussi  des  Justes  d'or,  qui  est  le  nom  des  pièces  sous 
Louis  XIII.  » 

Nous  croyons  cependant  qu'elle  a  paru  dès  1620  et  voici  sur 
quoi  nous  nous  fondons. 

Le  docteur  demande  à  un  homme  de  province  s'il  ira  voir  les 
beautés  de  Paris  :  "  L'équité  veut,  ajoute-t-il,  que  vos  curio- 
sités donnent  la  préférence  à  ce  sacré  temple  du  Palais,  où 
Thémts  rend  ses  oracles,  et  dont  la  dernière  conflagration  n'a  fait 
qu'embellir  les  superbes  édifices.  »  La  grande  salle  du  Palais 
fut  consumée  par  un  incendie,  en  1618.  II  y  a  toute  apparence 
que   fauteur   pouvait    faire  parler  de  la  sorte  ses  personnages 

!.  Frères  Parfait,  ouv,  cité,  M.  Mercier,  IH7,  I.  IV,  pag.  285  et  335  sqq. 

2.  Les  Ramoneurs  sont  indiqués  aussi  par  te  catalogue  Soleinne  comme  un  mss. 


274  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

en  1620,  époque  où  cet  édifice  venait  d'être  réparé  tout  nouvel- 
lement. 

Au  reste,  le  sujet  de  la  comédie  est  assez  plaisant;  mais  aux 
<lépens  des  bonnes  mœurs,  on  y  introduit  sans  façon  des  femmes 
de  mauvaise  vie  et  des  libertins  de  toute  sorte. 

Un  jeune  homme,  amoureux  de  la  sœur  d'un  capitaine  qui 
tient  cette  fille  enfermée,  sans  permettre  à  personne  l'entrée  de 
sa  maison,  ne  peut  pénétrer  dans  la  chambre  de  sa  maîtresse 
qu'en  passant  par  la  cheminée,  déguisé  en  ramoneur,  et  accom- 
pagné de  son  valet.  Il  se  fait  connaître  à  sa  belle,  qui  consent 
à  se  laisser  enlever  et  à  prendre  un  pareil  habillement.  Enfin 
tout  se  raccommode  :  on  emploie  les  menaces  et  les  discours 
pour  forcer  le  capitaine  à  accepter  le  jeune  homme  pour  beau- 
frère. 

Le  capitaine  se  console  de  cette  aventure  en  épousant  une  fille 
publique,  que  son  père  vient  chercher  à  Paris,  dans  l'intention 
de  la  faire  enfermer  :  mais  il  change  de  dessein  en  faveur  de  ce 
mariage. 

Nous  le  répétons  encore,  cette  pièce  est  très  passable  pour  le 
temps;  on  y  trouve  même  d'assez  bonnes  plaisanteries.  De  Villiers 
s'est  servi  de  ce  sujet  pour  en  composer  une  comédie  d'un  acte, 
sous  le  même  titre,  et  où  il  n'a  pas  oublié  certaines  grossièretés 
qui  se  trouvent  en  plus  grand  nombre  dans  celle-ci.  Le  capitan, 
la  courtisane,  le  docteur,  le  jeune  homme  qui  s'introduit  secrète- 
ment chez  celle  qu'il  aime,  la  licence  du  langage,  le  valet  qui  suit 
et  aide  son  maître  dans  ses  entreprises,  voilà  des  éléments  pas  du 
tout  douteux  et  qui  nous  assurent,  sur  la  simple  trace  donnée  par 
les  frères  Parfait,  que  nous  avons  affaire  à  une  vraie  comédie  de 
la  Renaissance. 

On  pourrait  trouver  en  outre  une  certaine  analogie  entre  cette 
pièce  et  les  Jaloux  que  Larivey  avait  tirés  des  Gelosi  du  Gabbiani. 

Vincent,  qui  aime  Magdelaine,  est  mis  à  la  porte  par  le  frère  de 
sa  belle,  le  capitaine  Fierabras.  Il  se  fait,  par  une  ruse  de  son 
valet,  recevoir  par  le  capitaine  même,  en  se  faisant  tout  d'abord 
transporter  dans  un  sac,  puis  lui  faisant  accroire  qu'il  est  un 
gentilhomme,  poursuivi  pour  un  duel  et  qui  a  recours  à  sa  protec- 
tion. Vincent  enlève  la  jeune  fille,  Fierabras  poursuit  les  fuyards, 
crie  et  menace,  mais  enfin  il  doit  s'apaiser. 

Peut-être  retrou  veraii-on  quelque  chose  de  plus  qu'une  simple 
analogie  si  ce  manuscrit,  que  je  n'ai  su  retrouver  nulle  part, 
pouvait  revoir  le  jour.  Cependant,  l'incident  du  déguisement  en 
ramoneur  me  parait  tout  à  fait  nouveau  et  assez  plaisant. 


LA    COMÉDIE    FRANÇAISE    DE    LA    UEIUISSAISCE.  275 

La  dernière  pièce  dont  nous  allons  nous  occuper  porte  pour 
titre  :  Les  galanteries  du  duc  d'Ossonne  et  parut  pour  la  première 
fois  sur  la  scène  en  1627 !. 

Son  auteur,  Jean  de  Mairet,  nous  fait  entrevoir  l'époque  clas- 
sique et  tout  le  monde  doit  se  rappeler  ses  luttes  malheureuses 
avec  Pierre  Corneille  et  le  succès  éclatant  de  sa  Sophonisbe*. 

-Je  laisserais  même  de  côté  cette  pièce,  pour  me  borner  à  la 
rigueur  à  ce  qui  n'appartient  qu'à  la  comédie  de  la  Renaissance, 
s'il  n'y  avait  là  comme  un  dernier  écho  de  l'influence  exercée,  à 
cette  époque,  par  la  nouvelle  sur  le  théâtre. 

Le  sujet  de  la  pièce  se  rapporte  à  la  vie  d'un  personnage  bien 
connu  et  qui  venait  de  mourir,  lorsque  le  poète  se  permit  de  le 
présenter  sur  la  scène 3. 

Mairet  a  fait  retour  à  ce  vers  hendécasyllabique  que  Trotterel 
avait  déjà  fait  connaître  au  théâtre.  Il  divise  la  pièce  en  cinq  actes 
et  en  scènes,  et  la  régularité  de  ces  divisions  paraît  déjà  dans 
toute  sa  rigueur.  L'action  se  passe  à  Naples.  Le  duc  d'Ossonne 
s'est  épris  d'Emilie,  femme  de  Paulin  et  belle-sœur  de  Flavie, 
«  amoureuse  du  duc  ».  Emilie  entretient  une  relation  intime 
avec  son  «  favory  »  Camille,  ce  qui  n'est  pas  sans  donner  beau- 
coup de  jalousie  au  mari  de  cette  femme,  rien  moins  que  fidèle. 
Paulin  arrête  de  faire  tuer  son  rival,  par  un  bravo,  mais  Camille 
peut  se  sauver  et  Paulin  doit  demander  un  abri  au  duc,  pour  se 
soustraire  aux  conséquences  de  son  crime.  Le  duc  est  bien  aise 
d'avoir  en  son  pouvoir  le  mari  de  celle  qu'il  aime;  il  lui  fait  un 
accueil  excellent,  l'éloigné  de  Naples,  sous  prétexte  de  sa  sûreté, 
et  se  rend,  en  bon  Espagnol,  sous  les  fenêtres  d'Emilie  lui 
déclarer  sa  passion. 

Tandis  qu'il  soupire  dans  les  ténèbres,  une  croisée  s'ouvre  tout 
doucement  et  Ton  voit  en  descendre  une  de  ces  échelles  en  soie, 
qui  ne  manquent  jamais  dans  les  pièces  espagnoles.  Le  duc,  en 
chevalier  entreprenant,  ne  reste  pas  douteux.  Il  profite  de  ce 
secours,  tombé  pour  ainsi  dire  du  ciel,  monte,  pénètre  dans  la 
maison  de  sa  belle  et  trouve  celle-ci,  en  personne,  habillée  en 

1.  Voyez  cetlc  comédie  dans  le  recueil  cité  de  M.  Fournier,  qui  la  fait  précéder  par 
une  notice  très  soignée.  Les  Galanteries  furent  jouées,  comme  nous  venons  de  le 
dire,  en  1625,  mais  l'auteur  fit  imprimer  la  pièce  seulement  en  1636,  avec  une  pré- 
face où  Ton  voit  déjà  sa  jalousie  pour  Corneille.  Cette  pièce,  dit  Al.  Fournier,  «  lit 
alors  plus  de  bruit  que  lorsqu'elle  avait  été  représentée  -. 

2.  Voyez  G.  Bizos  :  Étude  sur  la  vie  et  les  iruvres  de  Jean  de  Mairet,  Paris,  1817. 

3.  «  Le  duc  d'Ossonne  que  île  Mairet  met  en  scène  n'était  rien  moins  que  Don 
Pedro  Tellez-Giron,  vice-roi  de  Naples,  bien  connu  pour  sa  #a\anteric  et  sa  libé- 
ralité. Le  même  sort  eut  sa  femme  qui,  après  sa  mort,  devint  un  personnage  de  la 
Belle  invisible  de  Bois-Ilobert. 


»76  REVTE    i/bISTOIRÊ    LITTERAIRE    l>E    LA    FRANCK* 

homme  et  sur  le  point  de  refaire  à  rebours  le  chemin  du  doc,  La 
rencontre  est  tout  à  fait  inattendue  d'un  coté  et  de  l'autre t  maïs 
Emilie  ne  se  cache  pas  et  déclare  a  son  visiteur  extraordinaire 
qu'elle  est  en  train  de  rendre  visite  à  son  Camille*  qui,  à  cause  de 
son  aventure,  est  obligé  de  garder  le  lit*  Elle  se  trouve  même 
dans  un  embarras,  d'où  seulement  le  duc  peut  la  tirer.  Son  mari 
jaloux  la  force  de  dormir  a  ver  une  vieille  femme  chargée  de 
veiller  sur  elle,  La  vieille  pourrait  se  réveiller  dans  son  absence 
et  s'apercevoir  de  son  équipée.  Le  duc  veut-il  avoir  la  complai- 
sance de  prendre  sa  place  pour  peu  d'instants?  Celui-ci  est  médio- 
crement flatté  de  la  proposition  que  la  belle  dame  vient  de  lui 
adresser  et  il  ne  cache  pas  qu'il  préférerait  une  tout  autre  compa- 
gnie. Cependant  il  ne  se  fait  pas  prier  et  se  couche  à  côté  de  la 
vieille  femme»  en  se  tenant  «  dessus  le  bord  du  lîct  »,  de  crainte 
de  se  trouver  trop  à  contact  avec  ce  d  vieux  sujet  de  rume  et  de 
décrépitude  *>. 

Mais  tout  à  coup,  tandis  qu'il  est  sur  le  point  de  regretter  sa 
courtoisie  chevaleresque,  il  entend  sa  compagne  se  plaindre  et 
soupirer,  en  prononçant  son  nom,  d'une  voix  mélodieuse,  Leduc, 
poussé  parla  curiosité,  allume  une  chandelle,  regarde  et  aperçoit, 
avec  plaisir  et  étonnement,  qu'il  a  le  bonheur  d'avoir  à  côté  une 
femme,  on  ne  pourrait  plus  jolie.  C'est  Fia  vie,  la  belle-sœur 
d'Emilie,  qui,  par  un  caprice  de  celle-ci  (laquelle  ne  croit  point 
que  la  plaisanterie  aura  des  suites  fâcheuses)  a  été  donnée  au  duc 
pour  compagne  de  lit  Flavie,  qui  aime  le  vice-roi,  profile  de  l'oc- 
casion favorable,  et  comme  elle  a  entendu  sa  belle-sœur  la  qualifier 
de  vieille  et  de  laide,  elle  soupire  de  sorte  à  exciler  chez  le  due 
le  désir  de  se  persuader  de  ses  yeux  qu'elle  ne  mérite  pas  du 
tout  son  mépris. 

On  comprend  facilement  ce  qu'il  arrive  et  ce  que  l'auteur 
explique  d'une  manière  assez  claire,  jusqu'au  moment  qu'il  croit 
à  propos  que  «  les  deux  toiles  (du  lit)  se  ferment  ».  (III,  à.) 

Cette  aventure  se  complique,  dans  les  actes  suivants,  avec 
une  intrigue  encore  plus  enjouée.  Camille  se  prend  tout  à  coup 
d'amour  pour  Flavie,  le  lui  écrit  dans  une  lettre  passionnée,  et  la 
jeune  fille,  désirant  se  venger  du  tour  de  sa  belle-sœur,  dont  elle, 
pourtant,  ne  devrait  pas  se  plaindre,  donne  rendez-vous  au  jeune 
homme.  D'autre  part  Emilie,  qui  sait  ce  qui  s'est  passé  entre  le 
vice-roi  et  sa  belle-soeur  et  qui  surprend  la  lettre  de  Camille, 
veut  se  venger  à  son  tour  et  permet  au  duc  de  lui  rendre  visite  à 
la  nuit. 

Les  deux  amoureux  pénètrent  donc  tous  les  deux,  à  la  même 


LA   COMÉDIE    FRANÇAISE    DE   LA    RENAISSANCE.  277 

heure  et  à  l'insu  l'un  de  l'autre  dans  la  maison  de  la  femme  du 
malheureux  Paulin,  mais  comme  ils  se  trouvent  dans  les  ténèbres, 
il  arrive  qu'Emilie,  au  lieu  du  duc,  amène  chez  elle  son  ancien 
«  favory  »  et  que  Flavie  se  trouve  de  nouveau  entre  les  bras  de 
son  ami  de  la  veille.  Il  s'ensuit  d'un  côté  et  d'autre  des  plaintes, 
des  reproches,  mais  comme  les  torts  sont  réciproques,  tout  le 
monde  va  se  mettre  d'accord,  lorsque  tout  à  coup  le  mari  survient. 

Le  duc  trouve  aussitôt  un  remède  pour  éloigner  cette  visite 
désagréable.  11  feint  que  Camille,  suivi  d'une  escorte,  assaille  la 
maison,  pour  surprendre  Paulin,  qui,  ne  croyant  pouvoir  résister 
à  son  ennemi,  rebrousse  chemin,  à  la  grande  joie  de  nos  amoureux. 

Le  duc  propose  qu'on  oublie  le  malentendu  de  tout  à  l'heure  et 
conclut  la  pièce  en  s'écriant  : 

Allons  et  que  chacun  d'oresnavant  s'applique 
A  conserver  la  paix  dans  nostre  republique. 

Que  Ton  ajoute  aux  personnages  que  nous  venons  d'indiquer, 
Octave,  valet  de  Camille,  qui  joue  le  rôle  de  plaisant  de  la  comédie, 
et  les  commérages  de  la  servante  Stéphanille  qui  se  plaint  du 
prix  élevé  des  genres  au  marché f. 

Cette  pièce,  où  l'inspiration  espagnole  paraît  à  plusieurs 
endroits,  renferme  dans  son  épisode  principal  une  vieille  nou- 
velle, passée  de  l'Italie  en  France  au  xvie  siècle  et  qui  s'y  accli- 
mata merveilleusement. 

Masuccio  Salernitano,  dans  la  41e  nouvelle  de  son  Novellino, 
nous  conte  comment  une  dame  se  moqua  d'un  jeune  homme 
en  le  faisant  coucher  auprès  d'une  jeune  fille  qui  l'aimait  et  en 
lui  faisant  accroire,  en  même  temps,  qu'il  se  couchait  avec  son 
mari.  Le  jeune  homme  n'eut  pas  à  se  plaindre  du  tour  qu'on 
venait  de  lui  jouer  lorsqu'il  s'aperçut,  au  matin,  que  ce  qui  avait 
formé  pendant  quelque  temps  le  sujet  de  ses  craintes  et  de  sa 

1.  (IV.  4.)  Octave  répond  à  Camille,  qui  voudrait  se  venger  de  Paulin,  en  s'écriant 
que  la  vengeance  est  un  friand  morceau  : 

Bon  pour  vous  qui  possible  avez  déjà  disné  : 
Mais  pour  vostre  valel  qui  n'a  pas  desjeuné, 
Croyez-moy  qu'un  chapon  avec  un  bon  potage 
Et  fust-»ce  h  vos  despens,  luy  plairoit  d'avantage. 

Voici  ce  que  dit  à  son  tour  Stéphanie  : 

Madame,  en  vérité  c'est  que  tout  est  si  cher, 
Qu'on  n'oseroit  qua*i  regarder  la  viande, 
Si  l'on  en  veut  donner  tout  ce  qu'on  en  demande. 
Les  poulets,  les  chapons,  les  ramiers,  les  perdrix, 
En  un  mot  la  volaille  est  toute  hors  de  prix. 
Pour  moy  je  voudrois  bien  qu'on  reglast  ce  désordre 
Et  vrayment  la  police  y  devroit  un  peu  mordre. 


278 


[lEUîfc;    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    L\    FRANCE. 


répulsion  était  mie  bile  charmante,  qui  soupirail  pour  lui  et  qui 
Tannait  depuis  lon^lnnps. 

Ce  conte  passa  tout  entier  dans  le  exux'  «lu  Moyde  ad 
turettx  .  Le  discours  des  amours  de  deux  gentilshommes  français  et 
Ci$$ue  favorable  qu*ilê  receutent.  On  le  trouve  eu  Italie  encorr, 
daus  lêa  Diporti  «lu  Paraboseo  ( Journée  lp:,  nouv.  II)  :  m  Due 
caiu  sanesi  am&no  due  genHldonne)  funo  *lt*  quatt  perché  ffihro 
f'tutifttu  si  goda,  entra  lu  un  grandiseimo  pericolo,  et  poseùt  ff  rot 
bêttùsitov  inconnu  rawedendoii,  lie$i$$i$tw  si  r  ,  &i  c*£st  à 

cette  source  que  puisa  librement,  sans  même  changer  la  jiatrïe 
des  deux  jeunes  hommes,  l'auteur  du  cxxviii"  des  freris  : 

[h>   deux  jouvenceaux  siënots,  amoureux    de    dêuQ    a1,  tnoiselles 
espagnoles  ;  Cun  deêqueh  se  présenta  au  danger  pour  faire  pJo**- 
cheiteà  lajouiuance  cfe  ton  Of&y,  et  qui  tuy  tourna  à  grand  cou? 
temeni  et  plaisir  »>. 

De  là  cette  nouvelle  passa  tout  entière  dans  la  Précaution 
inutile  de  Searrou.  et  avec  quelques  modifications  dans  les  carac- 
tères des  personnages,  et  surtout  dans  le  châtiment  que  l'on 
îttfitge  à  un  fat,  on  la  voit  reparaître  successivement  chez  La  Fon- 
taine (Le  Gascon pu  ni),  chez  François  Caillères  (Des  bons  mots,  elc-, 
Paris»  1692,  p.  226)  et  chez  Antoine  de  Terriol  (Le  Fat  ptlflî), 
qui  la  présenta  de  nouveau  au  Théàtre~Frane.ais,  le  7  avril  Î739, 
avec  le  plus  grand  succès. 

Il  faut  pourtant  observer  qu'entre  le  duc  d'Ossonne  et  les 
contes  de  Masuceio,  du  Paraboseo,  des  Joyeux  Devis  et  deScarron, 
il  y  a  des  différences  dignes  de  remarque. 

Le  jeune  homme  qui  court  cette  aventure  est  toujours,  ûhôz 
les  derniers,  accompagné  d'un  ami,  et  c'est  uniquement  pour 
servir  aux  amours  de  celui-ci,  qu'il  se  prête  à  remplacer  la  dame 
dans  le  lit  conjugal.  Ce  n'est  donc  pas  à  côté  d'une  vieille  femme 
qu'il  se  croit  couché,  maïs  avec  un  mari,  et,  qui  pis  est,  avec  un 
mari  fort  jaloux. 

On  comprend  le  surcroît  de  la  gène  du  jeune  homme,  mêlé  dans 
cette  version  à  une  peur  fort  Légitimé*  Il  y  a  donc  deux  variantes 
notables,  et  on  pourrait  admettre  aussi  que  le  conte  soit  arrivé  à 
Mairet  par  une  autre  voie  qui  échappe  âmes  recherches.  Cepen- 
dant eette  adaptation  nécessaire  pour  que  l'épisode  tiré  de  la 
nouvelle  put  rentrer  dans  le  cadre  de  la  comédie,  pourrait  bien 
être  le  fait  de  Mairet  lui-même. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  avous  encore  l'exemple  d'un  conte  rais 
en  action,  et  cest  bien  à  ce  titre  que  j'ai  voulu  finir  mon  étude 
sur  la  comédie  de  la  Renaissance  par  la  pièce  de  l'adversaire  peu 


LA    COMÉDIE    FRANÇAISE    DK    LA    RENAISSANCE.  27fr 

redoutable  de  Corneille.  Pour  le  reste,  elle  ne  vaut  pas  grand'chose, 
mais  la  forme  est  toujours  plus  soignée  que  celle  des  essais  du 
xvii0  siècle  que  nous  venons  de  voir. 

Un  an  après  Les  galanteries  du  duc  d'Ossonne,  Jean  Rotrou 
commence  à  faire  paraître  ses  comédies,  dont  des  études  récentes 
ont  fait  connaître  l'étroit  rapport  avec  le  théâtre  d'Italie  *.  L'année 
suivante,  en  1629,  Corneille  livre  au  public  sa  Mélite  où,  tout  en 
s'inspirant  de  l'Espagne,  il  dévoile  un  talent  comique,  qui  n'est 
pas  sans  originalité.  A  la  même  date,  Pichou,  le  traducteur  de  la 
F  Mi  di  Sciro  de  l'Italien  Bonarelli,  fait  jouer  une  pièce,  où  l'in- 
fluence espagnole  est  très  sensible.  Ses  Folies  de  Cardenio  déve- 
loppent un  épisode  du  roman  célèbre  de  Cervantes,  en  faussant  le 
caractère  de  Don  Quichotte,  sous  lequel  il  fait  paraître  fort  à  tort 
le  Capitaine  fanfaron*.  C'est  là  une  erreur  provenant  de  l'influence 
de  ce  type  si  répandu. 

A  ce  moment  la  production  des  comédies  proprement  dites, 
qui  vient  de  subir  un  moment  d'arrêt,  reprend  sa  marche  glorieuse 
et  ses  aspects  nombreux  et  variés.  L'influence  du  théâtre  comique 
du  xvi°  siècle,  que  nous  venons  d'examiner,  se  propage  même  à 
certains  genres,  qui  paraissent  de  prime  abord  n'avoir  aucun 
rapport   avec   lui3  et  dans  toutes  les  comédies  successives,  en 

1.  Voyez  sur  Rotrou  les  études  suivantes  :  I.  Jarry  -.Essais sur  les  œuvres  drama- 
tiques de  Jean  Rotrou.  Paris,  1858;  —  Joseph  Vianey,  Deux  sources  inconnues  de 
Rotrou,  Dole,  1891  (extraitdes  Archives  historiques,  artistiques  et  littéraires)  ;  —  Stiefel  : 
Unbekannte  italienische  Quellen  Jean  de  Rolruu's,  in  Zeitschrift  fur  franziisische 
Sprache  und  Littéral.,  1890,  mai,  et  en  général  pour  tous  ces  écrivains  :  M.  V.  Four- 
nel:  les  Contemporains  de  Molière,  recueil  de  comédies  rares,  etc.,  jouées  de  1050  à 
1680,  3  vol.  (Paris,  Didot). 

2.  En  effet  Don  Quichotte,  tel  que  Cervantes  l'a  conçu,  n'est  pas  du  tout  un  fan- 
faron ridicule. 

Bien  au  contraire,  il  est  un  brave,  qui,  enflammé  par  sa  fantaisie  héroïque,  affron- 
terait les  dangers  même  les  plus  terribles,  saus  éprouver  le  moindre  frisson.  En 
d'autres  termes  c'est  la  folie  chevaleresque  qui  le  domine,  mais  non  pas  la  poltron- 
nerie parée  d'un  faux  courage.  Les  folies  de  Cardenio  ont  inspiré  une  foule  de  pièces 
dramatiques,  celles  de  Guérin  du  Bouscal,  de  Destouches,  de  Dufresny,  de  Dancourt, 
et,  en  1720,  la  comédie  de  Pichou  parut  transformée  en  ballet. 

3.  A  la  date  de  162S,  parut  «  Vantiquité  du  triomplie  de  lieziers  au  jour  de  V As- 
cension, contenant  les  plus  rares  histoires  qui  ont  esté  représentées  au  susdit  jour 
ces  dernières  années.  Besiers,  Jean  Martel,  1628  -.  (La  2*  partie  fut  publiée  en  1644 
par  le  même  éditeur).  Voyez,  en  outre  :  •  Le  théâtre  de  Reziers,  ou  recueil  des  plus 
belles  pastorales  et  autres  pièces  historiques  représentées  au  jour  de  l'Ascension 
en  la  dite  ville,  et  employées  par  divers  auteurs,  en  langue  vulgaire  ».  Bèziers  chez 
Domairion  et  autres,  1844-1853,  2  part.  in-8°.  Cette  réimpression  forme  les  livraisons 
X,  XI,  XU  (avec  supp.  à  la  XII*  s.)  de  la  Société  archéologique  de  Beziers.  (Les  pièces  de 
ce  recueil  vont  de  1616  à  1657.)  Consultez  ce  que  dit  sur  ce  théâtre  Auguste  Baluffe 
dans  son  Molière  inconnu  (Paris,  Didier,  1886,  p.  126  sqq.)  et  le  11*  vol.  de  la  Bibl. 
du  Thédtre  Français  (Dresde,  Crœll,  1768,  V,  2). 

Un  autre  recueil  de  pièces  comiques  provençales  dues  à  la  plume  de  Claude  Brucys 
et  de  Charles  Feau  parut  successivement  aux  dates  de  1628  (vol.  II)  et  1665  (111). 
«  Lou  jardin  deys  musos  provençulosi  ou  recueil  de  plusieurs  pessos  en  vers  pro- 
vençaus,  etc.  (Voy.  Bibl.  citée,  V,  2,  p.  19  sqq.) 

Ces  productions  provençales  ne  rentrent  pas  directement  dans  mon  sujet,  soit 


280 


REVUE    DHfSTÛIRË    LlilKUAlUIS    DE    LA    PftAflCE. 


arrivant  jusqu'à  Molière  et  en  Molière  lui-même,  on  peut  voir  que 
les  efforts  des  novateurs  n'ont  pas  été  perdus.  La  marche  a  été, 

parce  qu'elles  se  trouvent  a  La  dernière  limite  de  la  période  dont  il  B'&git  iri»  soit 
à  cause  de  Unir  caractère  qui  tient  plutôt  à  d'autres  genres  dramatiques  qu'a  la 
comédie  proprement  dite.  Cependant  rinfiutriee  de  l'rirt  nouveau  ;  parall  en  plu- 
BÎeura  endroita,  il  <  >  i  rappurt  tjue  j'en  dirai  quelques  mots* 

On  ne  saurait  déterminer  au  juste  depuis  quelle  époque  on  célébrait  k  Bëîïers 
ces  *  gentillesses  historiées  ■,  U  l'honneur  d'un  Héros  légendaire,  le  capitaine  Pierre 
Pecruce  (l'epesuc),  qui  l'aurait  délivré*-  d'un  ennemi  plus  ou  moins  fabuleux.  Os 
*  gentillesses  «  allégoriques  se  transformèrent  peu  a  peu  en  farces,  dans  une  accep- 
tion très  large  de  fie  mot,  qu'on  représentait  au  carnaval  et  à  la  Suim-Jean.  sur  les 
tréteaux  el  sur  le  /  M  marchaîtfts^  avec  une  gouaillerie  à  outrance  cl  hr.au- 

coup  de  chansons.  M,  Jean  Bonnet,  avocat,  en  devint  l'auteur  le  plus  fécond  on  au 
moins  le  plus  connu,  Dans  les  allégories  les  dieux  de  la  mythologie  grecque  jouaient 
toujours  un  n\le  considérable,  et  lorsque  ces  pièces  subirent  une  transformation 
radicale,  les  dieux  de  l'Olympe  ne  furent  pas  totalement  supprimés. 

Aussi  voyons-nous  dans  une  hhtuire  paitoralë  dn  recueil  cité,  Iliane  eL  Mégère  à 
côté  de  personnages  modernes,  parmi  lesquels  le  seigneur  De  Hïolan,  qui  a  une 
origine  bien  connue. 

11  se  présente  sur  La  scène  en  se  plaignant  de  son  trop  de  chance  dan*  l'amour  : 
Sy  rt>  BÉili  biaBfé  i>"  Siti  jm>" 
ijtie  je  itroéi  »y  j'eatui?  9 

liïv.n  w  nii  «y  pretant  nv  pour^uitte^ 

Ne  ù'miirolii    pns   ^uiltii  l#  .-séjour   (1.     , 

Ou  je  icnoM  un  rsiiut  *nf  toai  1-*  BVWïrt* 

ii,  que  lu  Lue  nuis.  Bnmi\èy  que  lu  tue  faeli» -n  '. 

S«.n  laquais  ne  s'en  moque  pas  mal,  et  en  s*adressant  au  public  déclare  que  son 
maître 

811  «voit  son  bon  «cas,  il  serait  «ans  «teCTaut  (A,  I), 

De  Riolan  représente  donc  la  moitié  du  rô  te  dumiteifl  lor  iosas;  l'autre  moitié  parait 
en  Jean  de  Nivelle  : 

■  Je  Rikis  Jeun  de  Nivela,  un  *i«*  brave*  du  monde 
De  qui  U  renomante  en  ai  jn  fait  la  rond.-, 
S*nn  gîgotntatârtf  ni  1  muflier  du  (mmer* 
J'ay  par  élVft»  chapliù  gai£ne  plu*  de  Jorier 
Qu'onçue»  n'cual  Charlcmajrne  avec  q  ne  **  joyeuse 
Durandal  haute  cUire  et  Kinher*re  U    fruse.,.. 
Roland,  Renaud*  Hoirer,  *ft« leur*  aventure* 
N'ont  point  fjiil  comme  mu  y  tant  de  de!»eoaû  turcs*  ■ 

Ce»  deux  personnages  parlent,  comme  on  foit,  en  français,  el  Le  franchis  dans  celte 
pièce  et  ailleurs  se  mêle  nu  provençal,  un  provençal  du  xvr~  siècle,  c'c*l-à -dire  a  une 
époque  oîi  ceu*  qui  écrivaient  en  cette  langue,  s'efforçaient  d'y  introduire  mie 
foule  de  mois  et  de  tournures  françaises  et  surtout  des  mots  abstraits.  Une  autre 
pièce  (la  M"  «le  l'éd.  de  la  Soc.  arch.  de  B.)<  jouée  en  1623,  est  toul  à  fait  dans  le 
goût  de  la  Renaissance.  On  y  voit  Don  Bravas  Le,  un  espagnol  fanfaron,  qui  parle  la 
langue  de  son  pays  :  «  Todo  la  lierra  es  pienn  de  mi  viilor  *,  suivi  d'un  parasite 
(Salcissot),  et  d'un  autre  cÔtî  se  préaenle  à  nos  yeux  un  couple  non  moins  connu,  le 
docteur  Potingue  et  Arlequin  son  valet.  Polïngue  parle  le  Latin  macaroni  que  d 
camarades  italiens;  Arlequin,  qui  s'est  formé  à  son  école,  ne  veut  pas  lui  rester 
Inférieur. 

Pûti: 
IVl  irions  tgO  wm    lluilfi-N'T    fOTttM  COpolla. 

ijui  baitoQM  Etoealcpa  «i  rJfpfNMtvto,  holl* 
Arlequin,  mon  amy,  quidam  my  parente 
Nuaubt  Unie  mi  capanUlo. 

Aaleuuix, 

Ego  sum  mûïiniu?,  mnKifter  Arliquînu*t 
|/..rii->LuiJinti»êimuft  robabilb  mediAhmi  ■. 

Le  Docteur  esl  un  charlatan,  et  Arlequin  en  débite  le  spécifique  à  Don  Bravaste» 
en  Lut  tenant  ce  discours,  que  Tabarin  n'aurait  pas  dédaigné; 

Mnnseiprneur  L*£*p«tgaaJ  voua  prie  de  le  croire 
iju  \pollon  ne  «ait  rien  qoî  ne  ine  aoit  notoire, 


LA   COMÉDIE    FRANÇAISE    DE   LA   RENAISSANCE.  281 

sans  doute,  très  lente  et  a  subi  même,  de  temps  à  autre,  des 
reculs,  mais  les  conquêtes  en  sont  désormais  fixées  de  la  manière 

Sur  tout  la  cantaride  avec  lipoménés, 

La  toille  vierge  avec  baralipomménés, 

Enlicatollicon  et  la  babo  escumante, 

Des  chevaux  du  soleil  et  du  porc  de  rimante, 

Tout  cela  bien  broyé  cent  foys  cuit  et  recuit, 

Puis  dans  un  alambic  distillé  jour  et  nuit, 

Produit  une  liqueur  claire  comme  la  roche, 

Qui  fait  vendre  une  Ûlle  et  vous  la  met  en  broche. 

Le  Jardin  deys  musos  provençalos  présente  à  peu  près  les  mômes  caractères  du 
théâtre  précédent,  soit  dans  la  division  en  actes  et  en  scènes  (ici  les  actes  sont  cinq, 
tandis  que  leur  nombre  varie  dans  les  pièces  de  Béziers),  soit  dans  le  mélange  de 
français  et  provençal,  soit  encore  dans  la  présence  de  quelques  éléments  modernes. 
La  première  de  ces  pièces  (Comédie  à  sept  personnaiges  :  Carlin,  Pelegrin,  Pauline, 
Nicleto,  Donno  Saumiero,  Cassandrin,  Brigadeou)  s'inspire  évidemment  de  ce  cycle 
de  nouvelles  où,  pour  répéter  le  sujet  de  la  20*  nouv.  de  YHeptaméron  «  un  gen- 
tilhomme est  inopinément  guari  du  mal  d'amour,  trouvant  sa  damoiselle  rigou- 
reuse entre  les  bras  de  son  palafrenier  ». 

Avant  Marguerite  de  Navarre,  ce  thème  de  satire  à  la  fragilité  féminine  avait 
formé  le  sujet,  en  Italie,  de  quatre  nouvelles  de  Masuccio  (Novellino  22%  24%  25%  28-) 
et  de  la  24*  de  Morlini  et  c'est  au  premier  (25e)  qu'emprunta  son  récit  l'auteur  des 
Comptes  du  monde  adv.  (XXI)  :  -  d'une  jeune  fille  qui  mit  toute  la  discrétion  de  ses 
amours  en  la  puissance  d'un  More.  »  (Voy.  aussi  la  54e  et  la  58*  des  Cent  Nouv.  nouv.  ) 

Dans  cette  comédie  provençale,  Carlin  (valet),  Dono  Saumiero  (entremetteuse)  et 
l'allure  du  dialogue  et  du  sujet  ne  laissent  aucun  doute  sur  l'influence  de  l'art  nou- 
veau; l'auteur  se  complaît  môme  fort  souvent  aux  citations  mythologiques. 

Aussi  lisons-nous  : 

Leys  fouortos  armos  do  Ciprino  (Carlin,  Act.  I.  se.  1)  » 

...  Son  beau  visagi....  es....  deis  Caritos  lou  séjour  (Ib.  se.  2)  » 

Le  courissès  me  donço  Parquo 

Caron  preparo  leou  ta  barquo  (Carlin,  »/>.),  etc. 

Ailleurs  on  rappelle  le  Clouquier  de  Piso  (p.  IL),  PArétin  (p.  32),  Lucresso  (p.  36) 
et  la  description  burlesque  que  Carlin  fait  des  beautés  de  la  fille  qu'il  aime,  pour 
l'opposer  à  celle  de  son  maître,  est  dans  le  goût  de  ce  genre  de  poésie  auquel  Berni 
imposa  son  nom,  et  où  il  chanta  «  le  chiome  d'argento  •  e  «  i  denti  d'ebano  »de  sa 
belle,  sujet  fort  répété  dans  les  poésies  gaillardes  de  cette  époque. 

La  Comédie  de  Vintérez  ou  de  la  ressemblanço  à  huech  personnagis  est  fondée  sur 
ces  ressemblances  merveilleuses  qui  ont  défrayé,  sur  le  modèle  classique,  pendant 
le  xvi*  siècle  et  le  suivant,  le  goût  comique  du  théâtre  italien,  et  le  rôle  du  Poète 
qui  parle  mi-provençal,  mi-latin,  de  même  que  celui  de  Tricasso,  type  de  matamore, 
la  font  rentrer  encore  davantage  dans  le  tableau  de  notre  étude.  Voici  un  essai  des 
rodomontades  de  Tricasso  :  (A.  IV,  s.  1.) 

>•  You  siou  plus  dangieirous,  messieurs,  que  la  tempesto, 

Yvepon  pas  em  é  you,  que  quan  siou  en  furie 

Prendriou  emé  lcy  dents  un  pan  per  un  Fournie  : 

Degun  non  mi  counoi,  coûye  coumo  despeci, 

Mettrai  tout  en  achis  si  me  ven  lou  defeci, 

Hengearai  l'ennemi  coumo  de  restes  d'ailiers, 

Ley  vous  enûelarai  coumo  de  chapelets, 

So  vesiaa  (lin*  mon  counr  ly  a  un  embarras  de  fardos, 

De  mousquets,  de  pougnaux,  d'e«pasos,  d'halabardos...  » 

Une  autre  pièce  du  premier  volume,  c'est-à-dire  imprimée  en  1628,  nous  pré- 
sente une  variante  assez  curieuse  de  la  nouvelle  contenue  dans  le  chant  XXVlll*  de 
YOrland  furieux  de  TArioste,  nouvelle  qu'on  trouve  aussi  dans  les  Mille  et  une  nuits 
et  chez  Sercambi  (éd.  Renier,  Turin,  1889,  p.  294-209.)  Voyez  la-dessus  Pio  Rajna, 
Le  fonti  de  VOrlando  furioso,  Firenze,  4876  (ch.  xv,  p.  382  sqq.)  et  «  Di  una  novella 
arioslea  e  del  suo  riscontro  orientale  attraverso  ad  un  nuovo  spiraglio  »,  art.  inséré 
dans  les  Atti  Accad.  Lincei,  1889  (S.  IV,  vol.  V,  4  Sem.,  p.  208-216)  et  la  nouvelle 
édition  des  Fonti. 

La  source  de  cette  comédie  provençale  peut  bien  être  l'Arioste,  dont  le  poème 

REV.   DHIST.   L1TTÉR.   DE  LA  FRANCE  ("•  Ànn.).  -    VII.  49 


IHt  IEVTE   DHISTOIEE    LITTERAIRE   DE    LA    FRANCE. 

la  plus  absolue  et  sur  les  fondements  de  l'époque  précédente,  et  à 
la  suite  de  cette  préparation  que  nous  venons  d'étudier,  on  pourra 
bâtir  le  théâtre  splendide  de  la  France  du  xvu*  siècle.  Le  bilan 
des  profits  peut  d'ailleurs  se  reconstruire  sans  trop  de  peine. 

Au  commencement  de  celte  période,  on  a  été  frappé  par  le 
mépris  profond,  auquel  le  genre  comique  était  en  butte.  Avant 
Jodelle,  Grévin.  Larivey.  les  esprits  éclairés  se  refusaient  d'em- 
ployer leurs  talents  dans  un  jeu  qui  paraissait  réservé  aux  far- 
ceurs de  la  dernière  espèce,  et  il  fallut  que  la  Renaissance  invoquât 
les  noms  classiques  de  Ménandre,  d'Aristophane,  de  Plaute  et  de 
Térence,  et  ceux  plus  modernes  du  cardinal  Bibbiena.  de  l'Arioste 
et  de  Lorenzino  des  Médicis,  il  fallut  qu'elle  rappelât  aussi  l'en- 
thousiasme des  patriciens  de  Rome  et  des  cours  d'Italie  pour  que 
des  gens  de  lettres  eussent  la  hardiesse  de  se  «  mêler  du  jeu 
comique  »  et  que  des  princes  français  encourageassent  les  poètes 
de  la  nouvelle  école1. 

D'ailleurs,  avant  Jodelle  point  de  règles,  point  de  méthode,  et 
voilà  que  les  écrivains  de  la  Renaissance,  avec  cette  patience  qui, 
sans  constituer  le  génie,  est  pourtant  une  condition  nécessaire  à 
son  développement,  apprennent  sur  les  modèles  de  Rome  et  de 
l'Italie  l'art  de  composer  une  comédie,  depuis  le  titre  désormais 
étranger,  jusqu'à  la  division  en  actes  et  eu  scènes,  à  la  partie 
technique  de  la  mise  en  action,  au  mouvement  des  personnages, 
à  la  suite  logique  des  événements,  à  la  conclusion  préparée  et 
amenée  par  les  faits. 

Au  début  tout  sujet  paraissait  passable;  on  prenait  un  conte 
populaire,  un  petit  événement  qui  avait  défrayé  la  chronique  plus 
ou  moins  scandaleuse  de  l'époque,  et  c'est  de  là  qu'on  tirait  le  sujet, 

était  devenu  à  cette  époque  l'inspirateur  de  beaucoup  de  pièces  de  théâtre  iVoy. 
I"  enap. ,  mais  il  pourrait  se  faire  que  l'inspiration  dérivât  de  la  tradition  orale. 

U  «'agît  de  deux  amis  qui,  trompés  par  leurs  femmes,  les  quittent  et  délibèrent 
de  faire  ménage  à  trois  avec  une  servante,  qu'ils  font  dormir  entre  eux.  Mais  celle- 
ci  trouve  le  moyen  de  se  dérober  à  leur  vigilance  et  de  les  tromper  tous  les  deux 
avec  un  troisième  galant,  un  serviteur,  qu'elle  introduit  dans  le  lit  de  ses  maîtres 

Les  deux  maris  «apercevant  alors  qu'on  ne  pourrait  se  soustraire  à  l'infidélité 
féminine  et  aux  malheurs  inséparables  du  mariage,  arrêtent  de  pardonner  à  leurs 
femmes  et  de  s>e  réunir  â  elles. 

La  légende  du  prince  Schachriar,  du  roi  Manfredi  et  du  roi  Astolphe  a  subi  bien 
des  modifications.  Les  personnages  de  la  pièce  appartiennent  à  la  bourgeoisie;  les 
maris  ne  se  distinguent  pas  par  une  beauté  exceptionnelle  et  leurs  femmes  n'ont 
pas  lecours  à  des  monstres  pour  les  tromper.  Voyez  une  analyse  assez  détaillée 
de  cette  comédie,  dans  la  Bibl.  du  Th.  Franc,  que  je  viens  de  citer,  vol.  II.  p.  19.) 

1.  Dans  les  oeuvres  de  Bruscambille  (Rouen.  La  Motte.  16^0..  il  y  a  un  discours 
prologue  en  faveur  de  la  comédie,  oii  l'auteur  proteste  contre  Y  infamie  comique  et 
rappelle  -  Hoscius,  qui  de  son  temps  marchoit  au  pair  avec  les  plus  grands  sei- 
gneurs de  Rome....  Athènes  et  Rome  n'ont  eu,  pendant  le  temps  de  leur  prospérité, 
passe-temps  plus  recommandable  que  celui-ci  ». 


LA    COMÉDIE    FRANÇAISE    DE    LA    RENAISSANCE.  283 

farci  par  les  longs  dialogues  et  les  discours  inutiles  et  ennuyeux. 
Mais  la  lecture  des  chefs-d'œuvre  de  l'antiquité  et  les  modèles 
italiens  firent  comprendre  la  valeur  d'une  intrigue  variée,  com- 
plète et  des  situations  capables  de  réveiller  la  curiosité  du  public. 
Il  s'ensuivit  une  foule  de  moyens  comiques  liés  nécessairement 
à  cette  forme  de  sujet;  travestissements,  substitutions,  surprises, 
quiproquos,  reconnaissances,  ruses  de  valets  et  d'amoureux,  un 
petit  monde  jusqu'alors  inconnu  et  qui  vint  animer  la  scène  par 
la  verve  pétillante  d'un  dialogue  agité  et  rapide. 

Les  anciennes  personnifications  des  farces,  le  mari,  la  femme,  le 
paysan,  le  varlet,  disparaissent  serrés  de  près  par  les  types  de 
la  comédie  latine  et  italienne;  le  docteur,  le  capitaine,  le  zanni, 
l'amoureux  s'acclimatent  peu  à  peu  dans  leur  patrie  nouvelle,  et 
donnent  bientôt  origine  à  des  variétés  indigènes. 

Cet  échafaudage  bâti  avec  tant  de  peine  aurait  disparu  au 
moindre  souffle  de  venl,  si  le  génie  comique  de  la  France  n'eût 
présenté,  dès  les  débuts  du  xvne  siècle,  un  certain  nombre  d'écri- 
vains doués  d'un  talent  remarquable  qui  s'emparent  de  tous  ces 
matériaux  en  y  ajoutant  d'autres  tirés  soit  de  l'Espagne,  soit  de 
l'Italie,  et  qu'ils  transforment  en  éléments  .bien  français. 

A  la  lecture  des  modèles  succède  peu  à  peu  l'observalion,  tout 
d'abord  superficielle,  ensuite  profonde  et  philosophique,  de  la 
société  humaine,  des  passions,  des  vices,  des  vertus  étudiées 
d'après  nature.  Devant  la  lumière  éblouissante  de  la  vérité,  les 
masques  tombent,  les  types  conventionnels  deviennent  des  fan- 
tômes, disparaissent  ou  se  transforment,  la  raison  réclame  sa  part 
aux  rires  et  les  caractères  s'imposent  dans  leur  variété  infinie  et 
sans  cesse  renaissante. 

C'est  là  l'œuvre  de  Molière,  qui  pourtant  n'aurait  pu  se  déve- 
lopper, dans  toute  sa  grandeur,  sans  le  substralum  nécessaire  des 
éléments  comiques,  que  la  Renaissance  venait  de  lui  apprêter. 

P.  Toldo. 


MÉLANGES 


CHARRON  PLAGIAIRE  DE   MONTAIGNE 


Dans  une  étude  sur  Charron  publiée  eu  1854  {Causeries  du  lundis 
L.  XI),  Sainte-Beuve  a  écrit  :  «  Qui  prendrait  la  peine  de  lire  plume  en 
main  Montaigne,  et  dV  relever  tout  ce  qui  est  dit  sur  les  divers  sujets  i-t 
litres  qui  se  rencontrent  dans  la  Sagesse  de  Charron,  trouverait  non 
seulement  le  fond  et  la  substance  de  ses  pensées,  mais  encore  la  forme 
même  et  le  détail  de  ses  expressions»  »  Nous  avons  pris  cette  peine,  et 
après  avoir  relevé  tous  tes  passages  des  Essais  copiés  servilement  par 
Charron,  il  nous  semble  difficile,  très  difficile,  de  ne  pas  conclure  à 
une  tricherie  de  sa  part,  quoique  t'illustre  critique  soit  d'un  avis  diffé- 
rent, et  l'estime  «  incapable  d'un  pareil  procédé  ».  Pour  l'excuser  on 
pourrait  peut-être  alléguer  qu'en  ce  temps-là  on  ne  se  faisait  guère  scru- 
pule de  grossir  son  œuvre  de  t'ouvre  daulrui,  et  d'y  prendre  textuel- 
lement ce  que  Ton  trouvait  à  sa  convenance.  Ainsi,  pour  ne  citer  qu'un 
seul  exemple,  Guillaume  Paradin  ayant  à  décrire  dans  son  Histoire  de 
noêfri  temp*  (1561)  l&fêta  célébrée  à  Home  à  l'occasion  de  la  naissance 
du  duc  d'Orléans,  fils  de  Henri  II,  y  intercale  toute  la  Sciomachie  de 
Ltabelais*  en  y  faisait  ça  et  là  quelques  légers  changements,  et  en  se 
gardant  bien  de  citer  l'auteur  dont  il  fut  le  contemporain. 

Pourtant,  au  xvr  siècle,  en  1584,  le  jurisconsulte  Jean  Duret  avait 
qualifié  durement  les  plagiaires,  ce  qui  est  une  preuve  que  dès  cette 
époque,  quoiqu'on  dise  Anatole  France  dans  sa  très  spirituelle  Apologie 
pour  te  plagiat  (Vie  littéraire,  L  IV),  «  on  s'était  mis  dans  la  tête  qu'une 
idée  peut  appartenir  à  quelqu'un  *.  Voici  les  paroles  de  Jean  Duret  : 
i  Quant  à  ceux  qui  voilent  les  volumes  entiers,  usurpent  la  peine  d'au- 
truy,  cherchent  injustement  leur  gloire,  et  dépouillent  de  l'honneur  qui 
leur  est  dû  ceux  qui  ont  mis  la  main  à  la  plume,  ce  sont  les  plus 
signalez  larrons  quon  sçauroit  pens*r  ».  Charron  est-il  de  ceux-là  ?  Fran- 
chement nous  ne  serions  pas  éloigne  de  le  croire.  Ses  rencontres  avec 
Montaigne  ne  sont  pas  dues  au  hasard  de  la  mémoire  ;  il  pille  avec 
choix,  avec  discernement.  Il  sait  que  son  style  est  plat,  quoique  géné- 
ralement correct,  froid  et  terne  :  pour  lui  donner  du  relief,  l'égayer,  le 
colorer,  il  prendra  ici  à  Montaigne  un  mot  signifiant,  plaisant  ou  pitto- 
resque; là  un  trait  saillant,  ua$  de  ces  maximes  qui  frappent  l'esprit, 


CHARRON    PLAGIAIRE    DE    M0NTA1GNB. 


285 


et  le  tiennent  en  éveil  ;  ailleurs  enfin  et  très  souvent  de  longs  passages 
qu'il  copie  textuellement.  C'est  à  lui  qu'on  peut  appliquer  justement  ce 
mot  de  La  Mothe  Le  Vayer  :  Quand  il  dérobe,  ce  n'est  pas  à  la  façon  des 
abeilles,  mais  de  la  fourmi  qui  enlève  le  grain  tout  entier.  Du  reste,  le 
lecteur  en  jugera  par  la  comparaison  des  deux  textes  que  nous  mettons 
en  face  l'un  de  l'autre.  Pour  la  Sagesse  nous  citons  une  édition  de  1782, 
suivant  la  vraie  copie  de  Bourdeaux  ;  pour  les  Essais,  l'édition  de 
Louandre. 


Charron. 

Un  fait  courageux  ne  conclud  pas  un 
homme  vaillant. 

(Liv.  I,  chap.  1,  p.  7.) 

Bref  (l'homme  est)  la  plus  calami- 
teuse  et  misérable  chose  du  monde. 

(1,2,  a.) 

L'homme  est  un  sujet  merveilleuse- 
ment divers  et  ondoyant,  sur  lequel 
il  est  bien  malaisé  d'y  asseoir  jugement 
assuré. 

(I,  5,  35.) 

L'on  se  dédaigne  d'aller  voir  naistre 
un  homme,  chacun  court  et  s'assemble 
pour  le  voir  mourir.  On  se  cache,  on 
tue  la  chandelle  pour  le  faire  à  la  dé- 
robée; c'est  gloire  et  pompe  de  le  dé- 
faire. 

(L  6,  37.) 


Les  pedans  clabaudeurs,  après  avoir 
questé  et  pilloté  avec  grand  estude  et 
peine  la  science  par  les  livres,  en  font 
monstre,  et  avec  ostentation  questueu- 
sement  et  mercenairement  la  dégor- 
gent et  mettent  au  vent. 

(1,  6,  56.) 

Il  est  ici  bas  logé  au  dernier  et  pire 
étage  de  ce  monde,  plus  éloigné  de  la 
voûte  céleste,  en  la  cloaque  et  sentine 
de  l'univers,  avec  la  bourbe  et  la  lie, 
avec  les  animaux  de  la  pire  condi- 
tion..., et  se  fait  croire  qu'il  est  le 
maître  commandant  à  tout.  En  ce 
sens  l'oison  en  pourroit  dire  autant, 
et  peut-être  plus  justement  et  constam- 
ment. 

(1,7,61.) 


Montaigne. 

Un  faict  courageux  ne  doibt  pas  con- 
clure un  homme  vaillant. 

(Liv.  11,  chap.  1,  p.  49.) 

La   plus  calamiteuse  et  fragile  de 
toutes  les  créatures,  c'est  l'homme. 
(II,  12,  279.) 

Certes,  c'est  un  subject  merveilleu- 
sement vain,  divers  et  ondoyant  que 
l'homme  :  il  est  malaysé  d'y  fonder 
jugement  constant  et  uniforme. 
(I,  1»  7.) 

Chascun  fuyt  a  le  veoir  naistre, 
chascun  court  a  le  veoir  mourir... 
Pour  le  construire,  on  se  musse  dans 
un  creux  ténébreux,  et  le  plus  con- 
trainct  qu'il  se  peult.  C'est  le  debvoir 
de  se  cacher  et  rougir  pour  le  faire, 
et  c'est  gloire,  et  naissent  plusieurs 
vertus  de  le  défaire. 

(III,  o,  453.) 

Nos  pédantes  vont  pillotants  la 
science  dans  les  livres,  et  ne  la  logent 
qu'au  bout  de  leurs  lèvres,  pour  la 
dégorger  seulement  et  la  mettre  au 
vent. 

(I,  24,  179.) 


Elle  (cette  calamiteuse  créature, 
l'homme)  se  sent  et  se  veoid  logée  icy 
bas  parmy  la  bourbe  et  le  fient  du 
monde,  attachée  et  clouée  à  la  pire, 
plus  morte  et  croupie  partie  de  l'uni- 
vers, au  dernier  estage  du  logis  et  le 
plus  esloingné  de  la  voulte  céleste, 
avec  les  animaux  de  la  pire  condition, 
et  se  va  plantant  par  imagination  au- 
dessus  du  cercle  de  la  lune. 

(II,  12,  279.) 

Car   pourquoi   ne    dira  un    oyson 


REVUE    IUHSTOIRE    UTTKIU1KE    DE    LA    FRAltCB. 

Charron  Mo\tmlne 


Le     plus    grand    argument    de    ta 
vérité,  c'est  le  gênerai  consentement 
du  monde.  Or  le  nombre  des  fols  nip- 
passe de  beaucoup  celui  des  sages. 
(1,  16,  137.J 

Lft  meilleure  touche  de  la  vérité, 
e*esl  la  multitude  des  ans  et  des 
croyans  '  or  les  fols  surpassent  de 
tant  les  sages. 

(1,7,  Éê.) 

Il  leur  taille  (aux  animaux)  les  mor- 
ceaux; et  îeur  distribue  telle  portion 
de  faculté  et  de  forces  que  bon  lui 
semble...  Comment  peut  L'homme 
connaître  les  branles  internes  et  se- 
crets des  animaux  ? 

(1,8,09-70.) 


Ainsi  y  a-l*il  un  grand  voisinage  et 
cousinage  entre  l'homme  et  Jes  ani- 
maux. 

(I,  8,  W,) 

I. 'homme  est  le  seul  animal  dis- 
gracié de  nature,  abandonné,  nud  sur 
la  terre  nue,  sans  couvert,  sans  armes, 
lié,  carotté,  eans  instruction  de  ce  qui 
lui  est  propre,  là  ou  tous  les  autres 
sont  revêtus  de  coquilles,  gousses, 
êcorce,  poils,  laine,  bourres,  plumes, 
écailles,  armés  de  grosses  dents,  cor- 
nés,  gniïes  pour  assaillir  et  défendre, 
instruits  a  nager,  courir,  voler,  chan- 
ter, chercher  sa  pâture,  et  l'homme 
ne  içftfl  cheminer,  parler,  manger,  ni 
rien  que  pleurer,  sans  apprentissage 
et  peine.  Toutes  ces  plaintes.,,  sont 
fautes.  Rostre  peau  est  aussi  suffisam- 
ment pourvue  contre  les  injures  du 
temps  que  la  leur,.»  Nous  tenons  aussi 
découvertes lei  parties  qu'il  nous  plait, 
voire  les  plus  tendres  et  sensibles,  la 
face,  la  main,  iestomach,  les  dames 
même  délicates,  la  poitrine. 

(I,  H,  70-71.) 


aussi  :  «  Toutes  les  pièces  de  l'univers 

me  regardent,  etc.  » 

(K,  12,  m.) 

11  y  a  du  malheur  d'en  estre  là, 
que  la  meilleure  louche  de  ta  vérité, 
ce  soit  la  multitude  des  croyans.  en 
une  presse  ou  les  fols  surpassent  de 
tant  les  sa^es  en  nombre. 

(in,  2,  m.) 


C'est  par  la  vanité  de  ceste  mesme 
imagination  qu'il  s'egualeâDieu,.,  lait 
le  les  parts  aux  animaux  ses  frères  et 
compagnons,  et  leur  distribue  telle 
portion  de  t'acultezet  de  forces  que  bon 
lui  serti  bits  Comment  cognoist-il,  par 
l'effort  de  son  intelligence,  les  branles 
internes  et  secrets  des  animaux  T 
(II,  12,  270.) 

Quant  a  ce  cousinage  la,  d'entre 
nous  et  les  testes,  je  n'eu  fays  par 
grande  recepte. 

«1,  H,  25.) 

Nous  sommes  le  seul  animal  aban- 
donné, nud  sur  la  terre  nue,  lié,  ga- 
rot  té.  n  \nani  de  quoy  s'armer  et  cou- 
vrir que  la  dépouille  d'autruy;  là  ou 
toutes  les  autres  créatures  nature  les 
a  revestues  de  coquilles,  de  gousses, 
d'escorce,  de  poil,  de  laine,  de  poiuc- 
les,  de  cuir,  de  bourre,  de  plume, 
d'escaille..,  ;  les  a  armées  de  grilles, 
de  dents,  de  cornes  pour  assaillir  fit 
pour  deiïendre,  et  les  a  elle  même 
instruises  a  ce  qui  leur  est  propre,  a 
nager,  a  courir,  a  voler,  aehantei  ;  la 
ou  l'homme  ne  seait  ni  cheminer,  ny 
parler,  ny  rien  que  pleurer,  sans  ap- 
prentissage. (Suit  une  citation  de  Lu* 
erece.)  Ces  plainctes  la  sont  faus- 
Nostre  peau  est  pourveue,  aussi  snf- 
lisammeut  que  la  leur,  de  fermeté 
contre  les  injures  du  temps...  Toula 
les  endroicts  delà  personne  qu'il  nous 
plaist  descouvrir  au  vent  et  a  l'air,  se 
trouvent  propres  a  le  souffrir,  le  vi- 
sage, les  mains,  les  jambes,  les  es- 
paules,  la  teste..,  et  nos  dames,  ainsi 


CHARRON    PLAGIAIRE    DE    MONTAIGNE. 


287 


Charron. 


Le  pleurer  est  aussi  commun  aux 
bestes  :  la  plupart  des  animaux  se 
plaint,  gémit  quelque  temps  après 
leur  naissance. 

(I,  8,  71.) 

Les  liaisons  et  enmmaillotemens  ne 
sont  point  nécessaires,  témoins  les  La- 
cedemoniens. 

(1,8,71.) 


Qu'est-ce  autre  chose  que  parler 
cettefaculté  que  nous  leur  voyons  (aux 
animaux)  de  se  plaindre,  se  rejouir, 
s'entr'appeler  au  secours,  se  convier  a 
l'amour? 

(I,  8,  72.) 


Mont  \  igné. 

molles  et  délicates  quelles  sont,  elles 
s'en  vont  tantost  entr'ouvertes  jusques 
au  nombril. 

(II,  12,  p.  286-287.) 

Nostre  pleurer  est   commun   à  la 

pluspart  des   animaux,   et    n'en   est 

guère  qu'on  ne  veoye  se  plaindre  et 

gémir  longtemps  après  leur  naissance. 

(Il,  12,  287.) 

Les  liaisons  et  emmaillottemens  des 
enfans  ne  sont  plus  nécessaires,  et  les 
mères  des  Lacedemomiens  eslevaient 
les  leurs  en  toute  liberté  de  mouve- 
ments de  membres. 

(II,  12,  287.) 

Car,  qu'est-ce  autre  chose  que  par- 
ler, ceste  faculté  que  nous  leur  veoyons, 
de  se  plaindre,  de  se  réjouir,  de  s'en- 
tr'appeller  au  secours,  se  convier  a 
l'amour,  comme  ils  font  par  l'usage 
de  la  voix? 

(H,  12,  290.) 


Quant  au  parler,  l'on  peut  bien  dire         Quant  au  parler,  il  est  certain  que, 

îe  s'il  n'est  point  naturel,  il   n'est  s'il  n'est  pas  naturel,  il  n'est  pas  neces- 

.:_*  -j. :—  saire. 

(1,8,72.)  (11,12,289.) 


que 

point  nécessaire 


L'usage  du  manger  est  aussi  en  eux 
{les  animaux)  et  en  nous,  tout  naturel 
et  sans  instruction.  Qui  doute  qu'un 
•enfant,  arrivé  a  la  force  de  se  nourrir, 
ne  sçut  quesler  sa  nourriture?  Kt  la 
terre  en  produit,  et  luy  en  offre  assez 
pour  sa  nécessité,  sans  autre  culture  et 
artifice. 

(I,  8,  72.) 

Elles  (les  bestes)  s'entr'entendent 
bien  toutes,  non  seulement  de  même 
espèce,  mais  qui  plus  est  de  diverse  : 
en  certain  abboyer  du  chien,  le  cheval 
connaît  qu'il  y  a  de  la  colère,  et  en 
autre  voix,  il  connait  qu'il  n'y  en  a 
point. 

(I,  8,  73.) 

Le  cheval  accoustumé  à  la  guerre, 
dormant  en  sa  litière,  trémousse  et 
frémit,  comme  s'il  estait  a  la  meslee, 
conçoit  un  son  de  tambour,  de  trom- 
pette, une  armée  ;  le  lévrier,  en  songe, 


Quant  à  l'usage  de  manger,  il  est 
en  nous  comme  en  eulx,  naturel  et 
sans  instruction.  Qui  l'aie t  doubte 
qu'un  enfant,  arrivé  a  la  force  de  se 
nourrir,  ne  sceut  quester  sa  nourri- 
ture? Et  la  terre  en  produict  et  luy 
en  offre  assez  pour  sa  nécessité,  sans 
aultre  culture  et  artifice. 

(11,  12,  288.) 

Elless'entr'entendent.nonseulemenl 
celles  de  mesme  espèce,  mais  aussi 
d'espèces  diverses.  En  certain  abboyer 
du  chien,  le  cheval  cognoist  qu'il  y  a 
de  la  cholere;  de  certaine  aultre 
sienne  voix,  il  ne  s'effraye  point. 
(II,  12,  281.) 


Un  cheval  accoustumé  aux  trom- 
pettes, aux  harquebusades  et  aux 
combats,  que  nous  veoyons  trémousser 
et  frémir  en  dormant,  estendre  sur  sa 
litière,  comme  s'il  estoit  en  la  meslée, 


REVUE   D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 


Charron. 

hallettant,  allongeant  la  queue,  se- 
couant les  jarrets,  conçoit  un  lièvre 
spirituel. 

(I,  8,  79.) 


Les  opinions  de  la  beauté  sont  bien 
différentes  selon  les  nations.  Aux  Indes 
la  plus  grande  beauté  est  en  ce  que 
nous  estimons  la  plus  grande  laideur; 
sçavoir  en  couleur  basanée,  lèvres 
grosses  et  enflées,  nez  plat  et  large... 
En  Espagne  la  beauté  est  vuide  et  es- 
tri  liée,  en  Italie  grosse  et  massive.  Aux 
uns  plaist  la  molle,  délicate  et  mi- 
gnarde;  aux  autres  la  forte,  vigou- 
reuse, fière  et  magistrale. 

(I,  H,9T.) 

Un  gueux  interrogé  comme  il  pou- 
voit  aller  ainsi  nud  en  hiver,  repondit 
que  nous  portons  bien  la  face  nue,  que 
Jui  était  tout  face. 

(I,  14,  HO.) 


Montaigne. 

il  est  certain  qu'il  conçoit  en  son  ame, 
un  son  de  tabourin  sans  bruict,  une 
armée  sans  armes  et  sans  corps. 

Ce  lièvre  qu'un  lévrier  imagine  en 
songe,  après  lequel  nous  ne  le  voejons 
haleter  en  dormant,  alonger  la  queue, 
secouer  les  jarrets...  c'est  un  lièvre 
sans  poil  et  sans  os. 

(II,  12,  331.) 

Nous  en  fantasions  les  formes  (de  la 
beauté)  à  nostre  appétit.  Les  Indes  la 
peignent  noire  et  basannée,  aux  lèvres 
grosses  et  enflées,  en  nez  plat  et  large... 
Les  Italiens  la  façonnent  grosse  et 
massifve;  les  Espaignols  vuide  et  es- 
trillee..  Qui  y  demande  de  la  mignar- 
dise et  de  la  douleur;  qui  de  la  lierté 
et  majesté. 

(Il,  12,  333-334.) 


C'est  (la  raison)  un  instrument  de 
plomb  et  de  cire,  il  plie  s'allonge,  s'ac- 
corde a  tout,  plus  souple,  plus  facile 
que  l'eau  que  l'air. 

(I,  16,  133.) 

—  Cette  comparaison  plaisait  à 
Charron,  car  on  la  trouve  antérieure- 
ment dans  son  livre  des  Trois  Veritez  : 

Or  est  la  raison  un  outil  ondoyant  ; 
règle  de  plomb,  changeant,  mal  assuré. 
(193,  édit.  1595.) 

Son  action  (de  l'esprit)  est  toujours 
quester,  fureter,  tournoyer  sans  cesse 
comme  affamé  de  savoir. 

(I,  16,  133.) 
Il  advient  de  la  qu'il  s'empestre  en 
sa  besogne  comme  les  vers  a  soye. 
(I,  16,  436.) 


Je  ne  sçais  qui  demandoit  a  un  de 
nos  gueux,  qu'il  veoyoit  en  chemise  en 
plein  hyver,  aussi  scarbillat  que  tel  qui 
se  tient  emmitonné  dans  les  martes 
jusqu'aux  oreilles,  comme  il  pouvoit 
avoir  patience.  «  Et  vous,  monsieur, 
respondict-il,  vous  avez  bien  la  face 
descouverte  :  or  moy,  je  suis  tout 
face  ». 

(I,  35,  338.) 

C'est  un  instrument  de  plomb  et  de 
cire,  allongeable,  ployable,  et  accom- 
modable  a  touts  biais  et  à  toutes  me- 
sures. 

(Il,  12,  480.) 


Il  ne  faict  que  fureter  et  quester,  et 
va  sans  cesse  tournoyant,  bastissant  et 
s'empestrant  en  sa  besogne,  comme 
nos  vers  a  soye. 

(III,  13,  252.) 


C'est  un   outil  (l'esprit)  vagabond,        Il  n'est  rien  si  souple  et  si  erratique 


CHARRON    PLAGIAIRE    DE    MONTAIGNE. 

Charron.  Montaigne. 


289 


muable,  divin...  C'est  le  soulier 
Theramenes,  bon  a  tous  pieds. 
(I,  «6,  135.) 


de 


Voila  comme  la  raison  humaine  est 
a  tous  visages,  un  glaive  double,  un 
baston  a  deux  bouts. 

(1,  16,  135.) 


C'est  un  miracle  de  trouver  un 
grand  et  vif  esprit  bien  réglé  et  mo- 
déré, c'est  un  très  dangereux  glaive 
qui  ne  le  sçait  bien  conduire. 

(I,  10,  139.) 

Ceste  grande  faim  d'honneur  et  de 
réputation  basse  et  belitresse,  qui  la 
fait  coquiner  envers  toutes  sortes  de 
gens,et'par  tous  moyens,  voire  abjects, 
a  quelque  vil  prix  que  ce  soit,  est  vi- 
laine et  honteuse;  c'est  honte  d'être 
ainsi  honoré. 

(I,  22,  164.) 

Ce  qui  est  propre  aux  femmes,  les- 
quelles  souvent  se  courroucent,  afin 
que  l'on  se  contre-courrouce. 
(I,  27,  180.) 

Dont  le  peintre  représentant  diver- 
sement et  par  degrés  le  deuil  des 
parents  et  amis  d'Iphigenie  en  son 
sacrifice,  quand  ce  vient  au  père,  il  le 
peignit  le  visage  couvert,  comme  ne 
pouvant  l'art  suffisamment  exprimer 
ce  dernier  degré  de  deuil...  La  (dou- 
leur) médiocre  ou  bien  la  plus  grande, 
mais  qui  par  quelques  laps  de  temps 
s'est  relâchée,  s'exprime  par  larmes, 
sanglots,  soupirs,  plaintes  : 
Curœ  levés  loquentur,  ingénies  stupent. 
(1,  33,  194.) 


Elle  (la  vieillesse)  nous  attache 
encore  plus  de  rides  à  l'esprit  qu'au 
visage,  et  ne  se  voient  point  d'âmes 
qui  en  vieillissant  ne  sentent  l'aigre 
et  le  moisi. 

II,  36,  204.) 


que  nostre  entendement,  c'est  le  sou- 
lier de  Theramenes,  bon  a  toutz  pieds. 
(III,  H,  199.) 

La  raison  humaine  est  un  glaive 
double  et  dangereux,  et  en  la  main 
m  es  me  de  Socrates...  Voyez  a  quants 
de  bouts  c'est  un  baston  ! 

(II,  17,  85.) 

C'est  un  outrageux  glaive  a  son  pos- 
sesseur mesme  que  l'esprit,  a  qui  ne 
sçait  s'en  armer  ordonneement  et  dis- 
crètement. 

(II,  12,  469.) 

Desdaignons  ceste  faim  de  renom- 
mée et  d'honneur,  basse  et  belis- 
tresse,  qui  nous  le  faict  coquiner  de 
toute  sorte  de  gents,  et  a  quelque  vil 
prix  que  ce  soit  :  c'est  déshonneur 
d'estre  ainsi  honoré. 

(IV,  10, 180.) 


Elles,  de  mesme,  ne  se  courroucent 
qu'afin  qu'on  se  contre  courrouce. 
(11,31,184.) 


A  l'adventure  reviendroit  à  propos 
l'invention  de  cet  ancien  peintre, 
lequel  ayant  à  représenter,  au  sacri- 
fice de  Iphigenia,  le  deuil  des  assis- 
tants, selon  les  degrez  de  l'interest 
que  chascun  apportait  à  la  mort  de 
ceste  belle  fille  innocente,  ayant 
espuisé  les  derniers  efforts  de  son  art, 
quand  ce  vint  au  père  de  la  Yierge, 
il  le  peignit  le  visage  couvert,  comme 
si  nulle  contenance  ne  pouvoit  rap- 
porter ce  degré  de  deuil...  Toutes 
passions  qui  se  laissent  gouster  ou 
digérer,  ne  sont  que  médiocres. 
Curie  levés  loquuntur,  ingénies  stupent. 
(1,2,11.) 

Elle  nous  attache  plus  de  rides  en 
l'esprit  qu'au  visage;  et  ne  se  veoid 
point  d  âmes,  ou  fort  rares,  qui  en 
vieillissant  ne  sentent  l'aigre  et  le 
moisi. 

(III,  2,  348.) 


Ce  sont  hommes   (les  souverains)        Les  âmes  des  empereurs  et  des  sça- 


•290 


HEVCE    I)  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    lit:    LA    FM 


CsAitaoN. 

jettes  et  faits  au  moule  des  autres,  et 
assez  souvent  plus  mal  nés  et  partagés 
de  nature  que  pinceurs  du  commun; 
il  semble  que  leurs  actions,  parce 
qu'elles  son!  de gfâDd  poids  et  impor- 
tance, soient  aussi  produites  par  causes 
pesantes  et  importantes;  mais  il  n'en 
est  rien,  cVst  par  mes  rues  ressorts 
que  celles  du  commun.  La  même 
raison  qui  nous  Tait  lanicr  avec  un 
voisin,  dresse  entre  les  princes  une 
guerre  ;  celte  qui  fait  fouetter  un 
laquais  tombant  en  un  roi,  fait  ruiner 
une  province.  Ils  veulent  aussi  légè- 
rement que  nous,  mais  ils  peuvent 
plus  que  noue,  pîiri'ils  appelits  agitent 
une  mouche  et  un  éléphant. 

(I,  te,  l!ii2,) 

* 
La  tourbe  populaire  est  mère  d'igno- 
rance, injustice!  inconstance, 
il.  18,  867.) 


Montai  g  m:. 

vatiers  bqq(  jectées  k  rnesme  moule  : 

considérant  l'importance  des  actions 
des  princes  et  leur  poids,  nous  rouis 
persuadons  qu'elles  sont  prodn: 
par  quelques  GttfeMfl  ausa ■  poisanles 
et  importantes;  nous  nous  trompons: 
ils  sont  menez  et  ramenez  en  leurs 
mouvements  par  les  mesmes  ressorts 
que  nous  lomtnea  aux  uostres;  la 
mesme  raison  qui  nous  fait  tanser 
avecques  un  voisin  dresse  entre  les 
princes  une  guerre;  la  me^me  raison 
qui  nous  fait  fouetter  un  taquay,  tom- 
bant en  un  roi  îuy  faict  ruyuer  une 
province;  ils  veulent  aussi  h-gie  renient 
que  nous,  maïs  ils  peuvent  plus  ; 
pareils  appétits  agitent  un  ciron  cl 
un  éléphant. 

il,  12,  :mj 

La  voix  de  la  commune  et  de  la 
tourbe,  mère  d'ignorance,  d'injustice 
et  d'inconstance, 

(It.M.-lt.) 


La  science  est  à  la  ver i lé  un   bel  Cest   un  grand   ornement   que  là 

ornement,  un  outil  très  utile  à  qui  en  science,  et  un  util  de  merveilleux  ser 

srail  bien  us>r.  vice. 

{î,  57,280.)  (1,25,  201.) 


La  sagesse  est  un  maniement  réglé 
de  notre  ame,  avec  mesure  et  propor- 
tion. 

(Liv.  II,  1,  -2m,) 

Le  vray  moyeu  d'obtenir  et  se 
maintenir  en  celte  lil«erlé  de  juge- 
inenl..,,  c'est  d'avoir  un  esprit  uni- 
versel, jetant  sa  vue  et  considération 
sur  tout  l'univers,  et  non  l'asseoir  en 
certain  lieu,  loi,  coutume  et  manière 
de  vie**,,  être  citoyen  du  monde  comme 
Socraics,  et  non  d'une  ville,  embras- 
sant par  affection  tout  le  genre  hu- 
main. Cest  sotîse  et  foi  blesse  que  de 
penser  que  Ton  doit  croire  et  vivre 
partout,  comme  en  son  village,  en  son 
pajs,  et  que  les  accidents  qui  avien- 
neni  ici  touchent  et  sont  communs  au 
reste  du  monde. 

(11,  2,  307.) 


La  sagesse  est  un  maniement  réglé 

de  notre  ame,  et  qu'elle  couduict  avec 
ques  mesure  et  proportion. 

tIL  2,  liij 

Il  se  lire  merveilleuse  clarté  pour 
le  jugement  bu  main  de  la  fréquen- 
tation du  monde,..  On  demandoit  à 
Socrales  d'où  il  estoil;  il  ne  respondît 
pas  d'Athènes,  mais  du  monde  :  luy 
qui  avoit  l'imagination  plus  plein 
plus  esteudue,  jectoit  ses  cognoi^- 
sauces,  sa  société  et  ses  affections  en 
tout  le  genre  humain,  non  pas 
comme  nous  qui  ne  regardons  que 
sûubs  nous.  Quand  1rs  rtïtes  <  fêtent  en 
mon  i  tiititft?,  mon  frustre  m  nrtjumcnte 
<fe  Dîru  sttr  M  rare  humain?,  — 
Charron,  qui  était  prêtre,,  a  cru  sans 
doute  devoir  omettre  ce  trait  piquant, 
par  égard  pour  son  ordre. 

IL  13,  Mf.) 


Chacun    appelle    barbarie    ce    qui        Chaseun    appelle    barbarie    ce    qui 
n'est  pas  de  sou  goût  et  usage*  n'est  pas  de  son  usage. 

(H,  2,  Î07.)  (1,  30,  307.) 


CHARRON    PLAGIAIRE    DE    MONTAIGNE. 


291 


Charron. 

Il  faut  bien  savoir  distinguer  et 
séparer  nous-mesmes  d'avec  nos  char- 
ges publiques  :  un  chacun  de  nous 
joue  deux  rôles  et  deux  personnages, 
l'un  étranger  et  apparent,  l'autre 
propre  et  essentiel.  11  faut  discerner 
la  peau  de  la  chemise. 

(H,  2,  317.) 


Et  si  Ton  y  prend  bien  garde,  Ton 
trouvera  parmi  les  paysans  et  autres 
pauvres  gens,  des  exemples  de  pa- 
tience, constance,  equanimité,  plus 
pure  que  tous  ceux  que  l'école  en- 
seigne. 

(II,  3,  326.) 


La  cérémonie  nous  deffend  d'ex- 
primer les  choses  naturelles  et  licites, 
et  nous  l'en  croyons  :  la  nature  et  la 
raison  nous  dérend  les  illicites,  et 
personne  ne  l'en  croit.  —  Et  Charron 
ajoute  ce  trait  qui  est  digne  de  Mon- 
taigne —  :  L'on  envoyé  sa  conscience 
au  bordel,  et  l'on  tient  sa  contenance 
en  règle.  (II,  3,  328.) 

Repentance  est  un  désaveu  et  un 
desdit  de  la  volonté. 

(II,  3,  338.) 

L'assagissement    ou    amandement 
qui  vient  par  le  chagrin,  le  degout  et 
faiblesse,    n'est    pas    vrai    ni    cons- 
ciencieux, mais  lâche  et  catharreux. 
(II,  3,  338.) 


Ce  n'est  pas  respecter  et  honorer  le 
nom  de  Dieu  comme  il  faut,  mais 
plutôt  le  violer,  que  de  le  mêler  à 
toutes  nos  actions  et  paroles  légère- 
ment et  promiscuement...  ou  bien 
tumulluairement  et  en  passant. 
(11,8,361.) 


Montaigne. 

La  plus  part  de  nos  vacations  sont 
farcesques.  Il  fault  jouer  duement 
nostre  roolle,  mais  comme  roolle, 
d'un  personnage  emprunté  :  du  masque 
et  de  l'apparence  il  n'en  fault  pas  faire 
une  essence  réelle;  ny  de  l'estranger 
le  propre  :  nous  ne  sçavons  pas  distin- 
guer la  peau  de  la  chemise. 

(III,  10,  160.) 

Regardons  a  terre  :  les  pauvres 
gens  que  nous  y  veoyons  espandus,  la 
teste  penchante  après  leur  besongne, 
qui  ne  sçavent  ni  Aristote,  ni  Caton... 
de  ceulx  la  tire  nature  tous  les  jours 
des  efforts  de  constance,  et  de  patience, 
plus  purs  et  plus  roides  que  ne  sont 
ceulx  que  nous  estudions  sérieusement 
en  l'escole. 

(III,  12,207.) 

La  cérémonie  nous  deffend  d'ex- 
primer par  paroles  les  choses  licites 
et  naturelles,  et  nous  l'en  croyons;  la 
raison  nous  deffend  de  n'en  faire  point 
d'illicites  et  mauvaises,  et  personne 
ne  l'en  croit. 

(II,  17,  44.) 


Le  repentir  n'est  qu'une  desdicte  de 
notre  volonté. 

(III,  2,  332.) 

Nos  appétits  sont  rares  en  la  vieil- 
lesse; une  profonde  satiété  nous  saisit 
après  ce  coup;  en  cela  je  ne  vois  rien 
de  conscience  ;  le  chagrin  et  la  faiblesse 
nous  impriment  une  vertu  lasche  et 
catarrhe  use. 

(III,  2,  345.) 

Ce  n'est  pas  sans  grande  raison,  ce 
me  semble,  que  l'église  deffend  l'usage 
promiscue,  téméraire  et  indiscret  des 
sainctes  et  divines  chansons  que  le 
Saioct-Esprit  a  dicté  à  David...  Ce 
n'est  pas  en  passant  et  tumultuaire- 
ment  qu'il  fault  manier  un  estude 
sérieux  et  vénérable. 

(I,  56,  70-71.) 


La  prospérité  nous  emporte  au  delà         Les  François  semblent  des  guenons 
de  nous  :  c'est  la  ou  l'on  se  perd,  l'on     qui   vont   grimpant    contre  mont   un 


292 


REVCE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 
Charroi.  Moxtaigxe. 


se  noie.  Ton  se  fait  moquer  de  soi. 
C'est  comme  la  guenon  qui  monte  de 
branche  en  branche  jusqu'au  sommet 
de  l'arbre,  et  puis  montre  le  cul. 
«H,  7,  380.) 

Voici  donc  des  plus  remarquables 
(coutumes)  en  estrangeté...  aux  hôtel- 
leries prêter  leurs  enfants,  femmes  et 
filles  à  jouir  aux  hôtes  en  payant  : 
bordeaux  publics  de  maies  ;  les  vieil- 
lards prêter  leurs  femmes  à  la  jeu- 
nesse; les  femmes  être  communes; 
honneur  aux  femmes  d'avoir  accointé 
plusieurs  maies,  et  porter  autant  de 
belles  houppes  au  bas  de  leurs  robes. 
«Il,  8.  393.) 


Saluer  en  mettant  le  doigt  à  terre 
et  puis  le  levant  vers  le  ciel...;  les 
hommes  pisser  accroupis  et  les  femmes 
debout. 

(II,  8,  395.) 

Un  qui  se  mouchoit  tousjours  de  la 
maio,  repris  d'incivilité,  pour  se  dé- 
fendre, demanda  quel  privilège  a  voit 
ce  sale  excrément  qu'il  lui  faille  ap- 
prêter un  beau  linge  à  le  recevoir,  et 
puis  qui  plus  est  à  l'enipacqueter, 
serrer  soigneusement  sur  soy  ;  que 
cela  devoit  faire  plus  mal  au  cœur  que 
de  le  verser  et  jetter  ou  que  ce  soit. 
(II,  8,  397.) 


Les  loix  et  coutumes  se  maintiennent 
en  crédit,  non  parce  qu'elles  sont  justes, 
mais  parce  qu'elles  sont  loix  et  cou- 
tumes; c'est  le  fondement  mystique  de 
leur  autorité;  elles  n'en  ont  point 
d'autre.  (II,  8,  400.) 

Les  plus  belles  âmes  et  mieux  nées 
sont  les  plus  universelles,  les  plus 
communes ,  applicables  à  tout  sens, 
commuoicatives  et  ouvertes  à  toutes 
gens. 

(Il,  9,  405.) 

L'affirmation  et  opiniâtreté  sont  si- 
gnes ordinaires  de  bêtise  et  igno- 
rance. (II,  9,  406.) 


arbre,  de  branche  en  branche,  et  ne 
cessent  d'aHer  jusqu'à  ce  qu'elles 
50}  ent  arrivées  à  la  plus  haute  branche, 
et  y  montrent  le  cul  quand  elles  v  sont. 
(II.  17,  69. r 

Il  en  est  (des  peuples)  ou  les  pères 
prestent  leurs  enfants,  les  maris 
leurs  femmes  à  jouyr  aux  hostes,  en 
payant...  ;  où  il  se  veoid  des  bordeaux 
publics  de  masles...  Ailleurs  les  vieux 
maris  prestent  leurs  femmes  à  la  jeu- 
nesse pour  s'en  servir,  et  ailleurs  elles 
sont  communes  sans  péché;  voir,  en 
tel  pais,  portent  pour  marque  d'hon- 
neur autant  de  belles  houppes  fran- 
gées au  bas  de  leurs  robes  qu'elles 
ont  accointé  de  masles. 

(1,22,  142.i 

Où  l'on  salue  mettant  le  doigt  à 
terre,  et  puis  le  haulsant  vers  le  ciel... 
Elles  pissent  debout,  les  hommes 
accroupis. 

(I,  22,  141.) 

Un  gentilhomme  françois  se  mou- 
choit tous  jour  de  sa  main,  chose  très 
ennemie  de  notre  usage...  II  me  de- 
manda quel  privilège  avoit  ce  sale 
excrément,  que  nous  allassions  luy 
apprestant  un  beau  linge  délicat  à  le 
recevoir,  et  puis,  qui  plus  est.  à  l'em- 
paqueter et  serrer  soigneusement  sur 
nous;  que  cela  debvoit  faire  plus  de 
mal  au  cœur  que  de  le  veoir  verser 
ou  que  ce  feust.  (I,  22,  137.) 

Les  loix  se  maintiennent  en  crédit, 
non  parce  qu'elles  sont  justes,  mais 
parce  qu'elles  sont  loix  :  c'est  le  fon- 
dement mystique  de  leur  auctorité, 
elles  n'en  ont  point  d'autre. 

"       (III,  13,  260.) 

Les  belles  âmes,  ce  sont  les  âmes 
universelles ,  ouvertes  et  prestes  a 
tout  ;  sinon  instruites,  au  moins  ins- 
truisantes. 

(II,  47,  81.) 


L'affirmation    et   opiniâtreté    sont 
signes  exprez  de  bestise. 

(III,  13,  266.) 


CHAlUUn    H.\f.lURE    DE    JIONTAÎG 


-m 


Cbarro*. 

Épaminondas,  le  premier  de  la 
Grèce,  enquis  lequel  il  eslimoit  le  plus 
de  trois  hommes,  lui,  Chabrias  et 
Iphtcrates,  répondit  :  il  nous  faut  voir 
premièrement  mourir  tous  trois,  avant 
en  résoudre.  ilï,  il,  422.) 

Celle  est  la  meilleure  mort  qui  est 
bien   recueillie   eu   soy,  quïete,  soli- 
taire, et  toute  a  celuy  qui  est  h  même. 
(Il,  11,  446.) 

H  avoit  Je  cœur  Lrop  gros  de  nature, 

dit  Tite  Live  de  Sa  pion,  pour  savoir 

eslre  criminel,  el   se  démettre  à  la 

bassesse  de  deffendre  son  innocence, 

(II,  12,  3t.) 


Et  de  fait  la  fortune  pour  montrer 
son  autorité  en  toutes  choses ,  et 
rabattre  notre  présomption,  n'ayant 
pu  taire  les  malhabiles  sages,  elles  les 
fait  heureux  a  l'envi  de  la  vertu.  Dont 
U  a  vient  souvent  que  les  plus  simples 
mettent  à  fin  de  1res  grandes  besou- 
gnes  et  publiques  et  privées. 


La  plus  grande  chose  est  de  savoir 
eslre  soi,  la  vertu  se  contente  de  soi  : 
gagnons  sur  nous  de  pouvoir  à  bon 
escient  vivre  seuls,  et  y  vivre  à  notre 
aise;  apprenons  à  nous  passer  et  nous 
desprendte  de  toutes  liaisuns  qui  nous 
Attachent  a  autruv. 

LUI,  6,  13.) 


Il  y  a  deux  sortes  de  gens  a  estres 
flattés.*,  sça voir  les  princes  chez  qui  les 
u  léchants  gagnent  crédit  par  là,  et 
femmes;  car  il  n'y  a  rien  de  pro- 
pre el  ordinaire  a  corrompre  la  chas- 
teté des  femmes,  que  les  paistre  et 
entretenir  de  leurs  louanges, 

(lllt  8,  40.) 

C'est  générosité  de  se  mettre  du 
parti  battu  de  la  fortune,  pour  se- 
courir les  aftligés...  comme  lit  Cbe- 
lonis.  fille  et  femme  du  roy,  laquelle 
ayant  suu  père  et  son  mary  mal  en- 


MONTMGNK. 


Épaminondas,  interrogé  lequeJ  des 
trois  ij  estimoit  le  plus,  ou  Chabrias, 
ou  Iphicrates,  ou  soy  mesme  :  «  Il 
nous  fault  venir  mourir,  dit-il,  avant 
que  d'en  pouvoir  résouldre. 

;L  10,  84.) 

Je  me  contente  d*uoe  mort  re- 
cueillie en  soy,  quiète  et  solitaire, 
toute  mienne,  convenable  à  ma  vie 
retirée  et  privée.         (Ml,  9,  lûiij 

Il  avoit  le  coeur  trop  gros  de  nature 
et  accoustumé  I  trop  h  au  II*'  toi  lune, 
dict  Tite  Live,  pour  savoir  estre  cri- 
minet,  et  se  démettre  à  la  bassesse  de 
deffendre  son  innocence. 

W,  B,  !  : 

La  fortune,  pour  nous  apprendre 
combien  elle  peult  eu  toutes  choses, 
et  qui  prend  plaisir  a  rabbalre  nostre 
présomption,  n'ayant  pu  faire  les  mal- 
habiles sages,  elle  les  faîct  heureux 
à  Tenvy  de  la  vertu...  I)  où  il  se  veoid 
tous  les  jours  que  les  plus  simples 
d'entre  nous  mettent  à  fin  de  1res 
grandes  besougnes  et  publiques  et 
privées.  (|||,  H,  30.) 

Puisque  nous  entreprenons  de  vivre 
seuls,  et  de  nous  passer  de  campai- 
gnîc,  faisons  que  nostre  contentement 
dépende  de  nous;  desprenons -nous 
de  toutes  les  liaisons  qui  nous  atta- 
chant à  aultruy;  gaiguons  sur  nous 
de  pouvoir  a  escient  vivre  seuls,  et  y 
vivre  a  notre  aise. 

(I,  3fi,  358.) 

11  n'est  chose  qui  empoisonne  tant 
les  princes  que  la  flatterie,  ny  rien 
par  où  les  meschants  gaignent  plus 
arsement  crédit  autour  dï-wlx  :  ni 
macquerelage  si  propre  et  si  ordinaire 
a  corrompre  la  chasteté  des  femmes, 
que  de  les  paistre  et  entretenir  de 
leurs  louanges.  (Il,  1C»,  23.) 

Combien  volontiers  je  considère  la 
belle  humeur  de  Chelonis,  fille  et 
femme  de  roy*  de  Sparte!  Pendant 
que  Cleorabrolus,  son  mary,  au*  dé- 
sordres de  sa  ville,  eut  advantage  sur 


2i>t 


REVUE    D  HISTOIRE    LITTERAIRE    DE    LA    FRANCE. 


Charron. 

semble,  lorsque  le  mari  eut  le  des- 
sus contre  son  père,  fit  la  bonne  fille 
suivant  et  servant  son  père  partout 
en  ses  afflictions;  puis  venant  la 
chance  à  tourner,  et  son  père  étant  le 
maître,  se  tourna  du  côté  de  son 
mari,  raccompagnant  en  toutes  ses 
traverses. 

(III,  9,  150.) 

Ce    doivent   être    (les  précepteurs) 

gens   de   bien ,  bien   nés ,   doux    et 

agréables,  ayant  la  teste  bien  faite, 

plus  pleine  de  sagesse  que  de  science. 

(III,  14,  176.) 


Montaigne. 

Leonidas  son  père,  elle  fait  la  bonne 
fille,  et  se  r'allia  avecques  son  père, 
en  son  exil,  en  sa  misère,  supposant 
au  victorieux.  La  chance  veint-elle  a 
tourner?  La  voyla  changée  de  vouloir 
avecques  la  fortune,  se  rangeant  cou- 
rageusement a  son  mary,  lequel  elle 
suyvit  partout  où  sa  ruyne  le  porta. 
(III,  13,  310.) 

Je  vouldrois  aussi  qu'on  feust  soin- 
gneux  de  luy  choisir  (à  l'enfant)  un 
conducteur  qui  eust  plus  tost  la  teste 
bien  faicte  que  bien  pleine. 

(1,  25,  202.) 


Il    doit    le    duire    (son    élève)    et  Ou'on  luy  mette  en  fantaisie  une 

façonner  a  une  honneste  curiosité  de  honneste  curiosité   de  s'enquérir  de 

sçavoir  tout.  toutes  choses. 

(111,  14,  198.)  (I,  25,  212.) 


Voici  la  leçon  et  l'avis  que  je  donne 
ici:  il  ne  faut  pas  s'amuser  a  retenir 
et  garder  les  opinions  et  le  savoir 
d'autrui,  pour  puis  le  rapporter  et  en 
faire  montre  et  parade  a  autrui,  ou 
pour  profit  sordide  et  mercenaire. 
Mais  il  les  faut  faire  nôtres.  11  ne  faut 
pas  les  loger  en  notre  ame,  mais  les 
incorporer  et  transubstantier. 

(III,  14,  191.) 


L'estui  de  la  science  et  des  biens 
acquis  est  la  mémoire. 

(III,  14,  182.) 

Les  mouches  à  miel...  en  tirent 
l'esprit  (des  fleurs),  la  force,  la  quin- 
tessence, et  s'en  nourrissent,  en  font 
substance,  et  puis  en  font  le  très  bon 
et  doux  miel  qui  est  tout  leur,  ce 
n'est  plus  thym  ni  marjolaine. 

(III,  14,  192.) 

Par  quoi  a  cet  exercice  tout  servira, 
même  les  petites  choses,  comme  la 
sottise  d'un  laquais,  la  malice  d'un 
page,  un  propos  de  table. 

(III,  14,  197.) 


—  Ce  passage  de  Charron  est  com- 
posé de  morceaux  pris  çà  et  là  dans  le 
chapitre  24  : 

Nous  prenons  en  garde  les  opinions 
et  le  sçavoir  d'aultruy,  et  puis  c'est 
tout.  (I,  24,  181.) 

Elle  (la  science)  passe  de  main  en 
main,  pour  ceste  seule  fin  d'en  faire 
parade.  (I,  24,  180.) 

Il  ne  fault  pas  attacher  le  sçavoir  à 
l'àme,  il  l'y  faut  incorporer. 

(I,  24,  186.) 

Cest  le  réceptacle  et  l'estuy  de  la 
science  que  la  mémoire. 

(H,  17,  78.) 

Les  abeilles  pillotent  deçà  delà  les 
fleurs;  mais  elles  en  font  aprez  le  miel 
qui  est  tout  leur;  ce  n'est  plus  thym  ni 
marjolaine. 

(I,  25,  205.) 


Or  à  cest  apprentissage  tout  ce  qui 
se  présente  à  nos  yeulx  sert  de  livre 
suffisant  :  la  malice  d'un  page ,  la 
sottise  d'un  valet,  un  propos  de  table, 
ce  sont  autant  de  nouvelles  matières. 
(I,  25,  207.) 


L'instruction  de  Cyrus  en  Xenophon,        Aslyages,  en  Xenophon,  demande  à 


CHARRON    PLANAIRE    DE    MONTAIGNE. 


295 


CUARRON. 

pour  sa  leçon  lui  propose  ce  fait  :  un 
grand  garçon  ayant  un  petit  saye,  le 
donna  à  un  de  ses  compagnons  de 
plus  de  petite  taille,  et  lui  ôta  son 
saye  qui  estoit  plus  grand,  puis  lui 
demanda  son  avis  sur  ce  fait.  Cyrus 
repond  que  cela  allait  bien  ainsi,  et 
que  tous  les  deux  garçons  demeu- 
roient  ainsi  bien  accommodés.  Son  ins- 
tructeur le  reprend  et  le  tanse  bien 
aigrement  de  ce  qu'il  avoit  considéré 
seulement  la  bienséance  et  non  la 
justice,  qui  doit  aller  beaucoup  de- 
vant, et  qui  veut  que  personne  ne  soit 
forcé  en  ce  qui  est  sien. 

(111,  14,  197.) 


Après  l'ame  vient  le  corps,  il  en 
faut  avoir  soin  quant  et  quant  l'esprit, 
et  n'en  faire  point  à  deux  fois.  Tous 
deux  font  l'homme  entier. 

(III,  14,  201.) 

Il  fault  souffrir  doucement  les  loix 
de  nostre  condition.  Nous  sommes 
pour  vieillir,  affaiblir,  douloir,  estre 
malades;  il  faut  apprendre  a  souffrir 
ce  que  Ton  ne  peut  éviter. 

(111,  22,  249.) 

Ceux  qui  la  mettent  au  plus  haut 
(la  volnpié)  et  en  font  le  souverain 
bien,  comme  les  Épicuriens,  ne  la 
prennent  pas  ainsi ,  mais  pour  une 
privation  de  mal  et  de  plaisir,  en  un 
mot,  indolence.  Selon  eux,  le  n'avoir 
point  de  mal  est  le  plus  heureux 
bien-être  que  l'homme  puisse  espérer 
ici. 

Nimium  boni  est,  cui  nihil  malt. 

...L'autre  première  sorte  de  vo- 
lupté est  active,  agente  et  mouvante... 
Car  ce  chatouillement  qui  semble 
nous  élever  au-dessus  de  l'indolence, 
ne  vise  qu'à  l'indolence,  comme  a  son 
but;  comme,  par  exemple,  l'appétit 
qui  nous  ravit  a  l'accointance  des 
femmes,  ne  cherche  qu'à  fuir  la  peine 
que  nous  apporte  le  désir  ardent  et 
furieux  à  l'assouvir,  nous  exempter 
de  cette  fièvre  et  nous  mettre  en 
repos. 

(III,  38,  285286.) 


Montaigne. 

Cyrus  compte  de  sa  dernière  leçon  : 
c'est,  dit-il,  qu'en  nostre  eschole  un 
grand  garçon  ayant  un  petit  saye  le 
donna  a  l'un  de  ses  compagnons  de 
plus  petite  taille,  et  luy  osta  son  saye 
qui  estoit  plus  grand  :  nostre  précep- 
teur m'ayant  faict  juge  de  ce  diffé- 
rend, je  jugeay  qu'il  falloit  laisser  les 
choses  en  cest  estât,  et  que  l'un  et 
l'aultre  sembloit  estre  mieulx  accom- 
modé en  ce  poinct  :  sur  quoy  il  me 
remonstra  que  j'avois  mal  faict;  car 
je  m'estois  arresté  a  considérer  la 
bienséance,  et  il  falloit  premièrement 
avoir  prouveu  à  la  justice,  qui  vou- 
loit  que  nul  ne  feust  forcé  en  ce  qui 
luy  appartenoit.  (I,  24,  190.) 

Ce  n'est  pas  une  ame,  ce  n'est  pas 
un    corps    qu'on    dresse  ;    c'est    un 
homme,  il  n'en  fault  pas  faire  à  deux. 
(I,  25,  229.) 


Il  fault  souffrir  doulcement  les  loix 
de  nostre  condition  :  nous  sommes 
pour  vieillir,  pour  affaiblir,  pour  estre 
malades ,  en  despit  de  toute  méde- 
cine. 

(III,  13,289.) 

Voyla  pourquoi  la  secte  de  philoso- 
phie, qui  a  le  plus  faict  valoir  la  vo- 
lupté, encore  Ta-t-elle  rangée  a  la 
seule  indolence.  Le  n'avoir  point  de 
mal,  c'est  le  plus  avoir  de  bien  que 
l'homme  puisse  espérer,  comme  disoit 
Ennius  : 

Minium  boni  eut,  cui  nihil  est  mali. 

Car  ce  mesme  chatouillement  et 
aiguisement  qui  se  rencontre  en  cer- 
tains plaisirs,  et  semble  nous  enlever 
au-dessus  de  la  santé  simple  et  de 
l'indolence,  ceste  volupté  active,  mou- 
vante... celle-là  mesme  ne  vise  qu'à 
l'indolence,  comme  a  son  but;  l'ap- 
pétit qui  nous  ravit  a  l'accointance 
des  femmes,  il  ne  cherche  qu'a  chasser 
la  peine  que  nous  apporte  le  désir 
ardent  et  furieux ,  et  ne  demande 
qu'à  l'assouvir  et  se  loger  en  repos 
et  en  l'exemption  de  ceste  fiebvre. 
(II,  12,  352.) 


296  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Ce  travail  serait  beaucoup  plus  long,  s'il  eût  fallu  indiquer  tous  les 
passages  abrégés,  raccourcis,  ou  rendus  à  sa  manière,  que  Charron  a 
pris  dans  les  Essais.  Je  n'ai  cité  que  les  endroits  transcrits,  comme  on 
Ta  vu,  à  peu  prés  mot  pour  mot.  Il  est  des  chapitres  tout  entiers, 
comme  ceux,  entre  autres,  de  la  Comparaison  de  l'homme  avec  les  autres 
animaux,  Du  devoir  des  parents  et  enfants,  où  Ton  rencontre  difficilement 
quelques  idées  qui  lui  appartiennent  :  c'est  partout  du  Montaigne,  sauf 
le  caprice  et  la  fantaisie,  sauf  ce  Moi  qui  chez  lui  seul  peut-être  n'est 
pas  haïssable.  Il  n'est  pas  jusqu'à  certains  mots  très  rares,  qu'on  ren- 
contre dans  les  Essais,  comme  affaireux,  farcesque,  principesque,  fïllage, 
rincer  le  nez,  dont  il  n'ait  fait  son  profit.  Il  n'est  pas,  je  crois,  d'écrivain 
à  la  fin  du  xvi*  siècle  qui  emploie  aussi  fréquemment  que  Montaigne  les 
verbes  comme  substantifs  :  en  cela  encore  Charron  l'imite.  Il  dit  «  le 
parler  faux,  le  commander  de  l'homme,  cet  obéir  des  bestes,  son  bran- 
ler et  son  mouvoir,  au  jouir  et  user  des  choses,  l'affectionner  et  haïr 
les  biens,  un  languir  douloureux,  les  plis  du  visage  qui  servent  au 
rire  servent  aussi  au  pleurer,  le  posséder,  le  non  avoir,  un  bon  mourir 
vaut  mieux  qu'un  mal  vivre,  etc.,  etc.  » 

A.  Delboulle. 


DIT    FKACMBST    1>K    PASCAL    SI  H    I    INFINI    K:N    PETITESSE. 


2»! 


UNE    SOURCE    PROBABLE   DU   FRAGMENT  DE  PASCAL 
SUR  L'INFINI  EN   PETITESSE 


Personne  ne  saurait  mettre  en  doute  l'originalité  de  Pascal;  mais  il  n'en  est 
pas  moins  vrai  qu'au  contraire  de  Descentes,  lequel  rompait  avec  te  passé  en 
oubliant  volontairement  ses  lectures,  Pascal  a  dû  méditer  un  grand  nombre 
d'ouvrages  contemporains  ou  antérieurs  à  lui,  et  que  plus  d'une  de  ses  pensées 
lui  fut  suggérée  par  le  livre  qu'il  venait  de  fermer.  Qu'on  nous  permette  de 
signaler  aux  lecteurs  de  la  revue  un  rapprochement,  que  nous  ne  croyons  pas 
dénué  d'inii'rct,  entre  le  fameux  fragment  du  riron  et  une  page  de  Guillaume 
de  la  Perrière,  un  familier  de  Marguerite  de  Navarre,  sœur  de  François  Ier, 

Parmi  les  ouvrages  qui  nous  sont  parvenus  de  cet  écrivain  ignoré  (et  qui 
mérite  île  l'être),  il  en  est  un  qui  porle  le  titre  suivant  : 

«  Im  MVrWOphiâ  di  GuiUavme  tir  t>*  PÊ&rièVâ,  Tolosain^  contenant  cent 
emblèmes  moraux,  illustrez  de  cent  Le  trafique*  latins,  réduits  en  aulant  de 
quatrains  françoys,  a  Lyon,  par  Macé  Bonhomme,  !5">3,  n  À  la  suite  :  «  Les 
Considératioiu  des  quatre  moiùfcf,  a  savoir  est  :  Divin,  angelique,  céleste  et  sen- 
sible, coruprinses  en  quatre  centuries  de  quatrains,  contenant  la  cresme  de 
divine  et  humaine  philosophie  par  Guillaume  de  la  Perrière  lojosan,  à  Lyon, 
par  Macé  lion  homme,  1H52  *  (les  deux  non  paginés),  (liib.  Nation.,  Y.,  4559). 
On  lit  dans  les  C&rti&déftitioni  [préface  de  la  lrr  centurie)  S  «  Ut  graine  de 
moustarde  est  estimée  la  plus  menue  et  de  plus  petit  corps.,.  Or,  qui  vouldra 
lever  son  esprit  â  spéculer  intellectuellement,  il  cou^nuislra  que,  n  nubien 
qu'un  grain  de  moustarde  soit  très  petit  de  corps»  si  ha  il  en  soy  une  vigueur 
incompréhensible  et  sans  terminal  ion.  .,  Si  lu  veux  considérer  (lecteur)  quert 
un  si  peiii  grain  ai  une  grand  plante  avec  *cs  branchés,  feuillu  fi  flenr$t  et 
(quand  viendra  le  temps  par  nature  ordonné;  infinie  multitude  de  graine  et 
semence,  en  Utquetle  aura  tâmbtabte  vertu  de  muttiphetttion  yua  li  première,  et 
stoueent  réitérer  en  t"n  entendement  eeste  mullipticalion,  tu  trouveras  que  la 
dicte  multiplication  Uni  souvent  reitene  sera  à  Ion  esprit  incompréhensible, 
VOtrv  que  $i  par  acte  iê  tfn  uit  expliquer  [et  tfUê  U  Gk&ÛUn  fies  <lirtz  fjratns  ett 
complique)  il  surpasserait  le  concept  et  appréhension  de  tous  les  hommes  de 
ce  sensible  monde.,,  * 

Que  la  pensée  exprimée  dans  ce  passade  soil  quelque  peu  différente  de  celle 
de  Pascal  dans  le  fragment  du  eiron,  nous  ne  le  nions  pas.  Pour  La  Perrière, 
la  graine  renferme  un  infini  virlueï,  pour  Pascal,  le  cirou  renferme  un  infini 
actuel.  Mais  des  deux  côtés  l'intention  est  la  même  ;  il  s'agit  de  concevoir 
Tin  fini  dans  un  objet  très  petit;  seulement  Tau  leur  du  ht  siècle  songe  4  la 
multiplication,  â  l'infini,  tandis  que  Pascal  a  en  vue  la  divisibilité  à  l'infini, 
I/un  prend  comme  exemple  la  graine  qui  reproduit,  l'autre  l'insecte  qui  se 
dïstèque.  Nous  savons  d'ailleurs  par  Méré  (voir  ta  frimeuse  lettre  à  Pascal  citée 
en  noie  par  M.  llavet)  que  Pascal  avait  d'abord  pris  comme  point  de  départ 
un  grain  de  pavot, 

i  les  raisons  qui  nous  portent  â  croire  que  Pascal  a  connu  l'ouvrage  de 
la  Perrière  ; 

i  D&QS  les  deux  passages,  nous  trouvons  le  même  souri  do  donner  par  une 
accumulation  de  détails  sensibles  la  sensation  de  finliiii  (Pascal  pousse  d'ail- 
leurs beaucoup  plus  loin  l'analyse)  :  branches,  feuilles,  fleurs,  graines  dans 
lu  ii  —  jambes,  jointures,  veines,  etc.,  dans  i  autre. 

RfcV.    &'ll  UT,     LITTÉR,    t>fc    LA    FhAMCR    (T*   AnD,),   —    VII.  20 


398  REME    H  HISTOIRE    IJTTLKAIEË    DE    LA    FRANCE. 

Le  mouvement  de  ta  pensée  est  analogue  :  les  deux  auteurs  nous  mènent 
tu  terme  de  f  analyse  concevable,  pour  noua  la  faire  recommencer  indéfini- 
ment, et  nous  laisser  enfin  stupéfaits,  Tun  devant  la  multiplication  incom- 
préhensible, l'autre  devant  le  néant  inaccessible, 

2D  De  plus,  nous  rencontrons  chez  La  Perrière  bien  d'autres  passages  dont 
Pascal  nous  oïTre  comme  de  vagues  réminiscences, 

«  Tant  est  la  caverne  aux  formÎK  que  toute  la  terre  aux  monarehes  et  princes. 
—  Tout  ce  pour  lequel  nous  navigeons.  dotons  en  mer,  corn  datons,  tracassons, 
mous  tourmentons,  et  finalement  nous  tuons,  Jt'itf  quun  très  petU  fraw- 
fl  In  proportion  du  eieL  » 

f  Préface  de  ja  3'  centurie.) 

L'homme  est  a  le  plus  grand  miracle  et  le  plus  grand  chef-dYruvre  du 
monde  sensible.  —  L*hojnme  croit  comme  les  plantes»  sent  commf  les  bête  f  et 
enleud  comme  les  tntyc*.  —  L'homme  ha  este  créé  entre  deux  choses  fort 
séparées  :  d'autant  qu'il  ha  esté  créé  inférieur  aux  anges  et  supérieur  aux 
leste*  :  par  quoy  faut  qu'il  ait  symbolizalion  avecques  ses  deux  rstnim 
Vuuc  pins  iiniil(\  raulttr  phts  hnsse. 

[Préface  de  la  4*  centurie.) 

«  La  majesté  incompréhensible  et  moins  encore  explicable  du  monde  divin,» 

(Préface  de  la  3*  centurie.} 

h  D'abondant  est  il  chose  souz  la  sphère  céleste  ou  Ton  ne  treuve  évidente 
contint  h  h  ,  retN  rimtinut'llt'  distension...  Le  philosophe  sloîque  dit,  que  jamais 
l'homme  ne  peult  v  raye  ment  estre  dit  sa^e,  que  avant  il  ne  se  repute  estre  fol. 
Et  a  Topposite,  quand  il  se  repute  estre  sa^c,  c'est  lors  qu'il  est  du  tout 
SpftfOBéi  Kt  ce  d'autant  que  tout  jugement  d'acte  vertueux  doil  procéder  d'autre 
que  soy,  ciintre  la  gramie  flaoïtercssc  que  kl  Gréez  appellent  Vhilautie  (cf.  le  moi 
est  haïssable). 

[Préface  de  ta  Moro»opliie.) 

3°  Enlin  nous  trouvons  chez  La  Ferriëre  la  célèbre  définition  du  monde,  que 
mademoiselle  de  Gournay  répétera  dnns  sa  préface  aux  œuvres  de  Montaigne, 
et  que  Babelais  avait  déjà  donnée  [Elle  est  aussi  dans  les  Frisons  de  Margue- 
rite de  Navarre,  mais  ce  poème  était  resté  inédit), 

Descrivanl  Dieu  mathématiquement 
Dieu  est  rondeur  de  telle  préférence 
Qu'elle  ha  par  tout  son  centre  cs^aliemcnt 
Sans  recevoir  en  soy  circonférence* 

Les  rapprochements  que  nous  avons  cites  plus  haut  nous  portent  à  croire 
que  c'est  ici  que  Pascal  a  trouvé  cette  définition.  La  Perrière  l'avait  d'ailleurs 
empruntée  à  Nicolas  de  Cuse  (qu'il  cite  plusieurs  lois  au  cours  de  ses  pré- 
faces); il  mentionne  le  De  doda  ignoraniia;  or  nous  savons  par  il,  Lefrane 
\Marij.  tle  Navarre  et  ie  pi  Min),  de  l'École   des   Chartes,  I,   LVIIL 

p.  259  suïv+)  que  la  définition  dont  il  s'agit  s'y  trouve  tout  au  long- 

Ainsi,  sans  pouvoir  affirmer  que  Pascal  ait  eu  entre  les  mains  le  bizarre 
volume  de  l'ami  de  Marguerite  de  Navarre,  peut-être  sommes-nous  autorisés 
à  croire  cette  hypothèse  1res  vraisemblable,  vu  les  ressemblances  que  nous 
avons  signalées. 

E,  Partl'iihb. 


LOCIS   EtàClB  KT  U  COMIESPU?*  DATiGC   DE  JKAX-BAPTtSTE  ROCSSlÀtL       2fl9 

LOUIS  RACINE  ET  LA  CORRESPONDANCE 
DE  JEAN-BAPTISTE  ROUSSEAU 


NOTES  INEDITES 


Presque  aussitôt  après  la  mort  de  Jean-Bapliste  Bousseau,  son  exécuteur 
testamentaire.  Segtty,  gouverneur  du  prince  héréditaire  de  la  Tour  et  Taxis, 
se  préparai l  à  mettre  au  jour  une  édition  définitive  de  Ml  œuvres  et  laissait 
annoncer  que  celle-ci  contiendrait  un  grand  nombre  de  lettres  de  Rousseau. 
De  fait,  lorsqu'elle  parut,  cette  édition  s'achevait  par  une  cinquantaine  de 
lettres,  qui,  si  elles  pouvaient  donner  une  idée  du  talent  épîatotaîre  de  Rous- 
seau, étaient  loin  de  représenter  tout  ce  qu'il  avait  écrit  en  ce  genre,  Couti- 
n nullement  éloigné  de  France,  durant  les  trente  dernières  années  de  sa  vie, 
il  avait  beaucoup  correspondu,  en  effet,  avec  les  personnes  qui  lui  étaient 
demeurées  fidèles  et  le  recueil  de  ceLte  correspondance  ne  pouvait  pas  man- 
quer d  intérêt. 

Aussi  la  publication  n'en  était  que  partie  remise»  En  1750  paraissaient  cinq 
petits  volumes  de  Lettres  de  Rousseau  mr  différents  sujets  (Genève,  Barri  Ilot  et 
fils),  qui  abordaient  plus  complètement  le  sujet,  sans  l'épuiser  toutefois.  Le 
fond  eu  était  composé  de  la  collection  des  lettres  de  Rousseau  a  l'avocat  lyon- 
nais Brossette,  que  celui-ci  avait  soigneusement  conservées  et  auxquelles  on 
avait  joint  un  ensemble  d'autres  lettres  venues  de  diverses  parts  qui  les  com- 
plètent heureusement  et  achèvent  de  fournir  une  idée  exacte  du  caractère 
de  llousseau. 

C'est  Louis  Racine  qui  donna  ses  soins  à  cette  publication.  Mais  dans  quel 
esprit  le  lît-ilf  Certes,  il  était  assez  dévoué  à  la  mémoire  de  llousseau  et  avait 
assez  de  goût  pour  s  acquitte r  de  la  mission  à  l'honneur  de  celui-ci  comme  à 
l'avantage  des  lettres.  Pourtant,  on  avait  alors,  en  fait  de  publications  pos- 
thumes, des  façons  d'agir  qui  ne  nous  satisfont  guère  maintenant  :  ou  élaguait, 
on  modifiait,  on  parait,  taudis  que  nous  exigeons  qu'on  respecte  scrupuleuse- 
ment L'original.  L,  Haciue  a  fait  de  mènn*  et  ceci  n'était  pas  pour  déplaire 
à  J*-U.  Bousseau,  qui  souhaitait  être  traité  de  la  sorte*  Lui-même,  prévoyant 
le  <  <  oirespondaiiee  verrait  le  jour,  demandait  qu'on   le  traîlat  au 

préalable  «  comme  le  P.  Bre tonneau  a  tait  a  l'égard  des  sermons  du  P.  lîour- 
daloue  ».  En  corrigeant  comme  il  l'entendait  les  passades  sujets  à  modifica- 
tions, L.  Racine  était  donc  parfaitement  dans  les  intentions  de  Rousseau. 

Lui-même  va  nous  dire  comment  il  a  procédé  et  ce  qu'il  eût  souhaite  faire, 
ivait  eu  la  liberté  pleine  de  ses  mouvements,  La  Bibliothèque  nationale 
possède  un  exemplaire  du  recueil  des  lettres  de  Rousseau  avec  des  annotations 
manuscrites  de  Louis  Racine  bonnes  à  recueillir.  Cet  exemplaire  est  conservé 
h  la  réserve  du  département  des  imprimés  sous  la  cote  Z  SS&S»$lti,  et  il  est 
seulement  incomplet  du  tome  tl.  tout  entier  consacre  à  la  correspondance 
avec  Brossette  et  qui  a  été  égaré,  On  y  a  ajouté  (Z  '2302)  un  exemplaire  du 
Mémoire  de  Boindïn  pour  servir  à  ïhistoifé  dêâ  ùonpiéto  tle  /7/f>,  qui  a  «gaie- 
ment appartenu  à  Louis  Racine.  Celui-ci  a  écrit  sur  tous  les  volumes  de  nom- 
breusea  notes  de  sa  main  que  nous  allons  donner  ci-dessous.  Outre  qu'elles 
èelaïrciront  quelques  obscurités  du  texte  de  Rousseau,  elles  feront  connaître 


,300 


REVUE    D  HISTOIRE    UÎTtfHAlRt:    DE    U    fRÀMCR. 


comment  il  a  été  imprimé.  Racine  débute  par  une  longue  noie  qui  commence 
sur  le  feuillet  de  garde  du  premier  volume,  se  continue  sur  les  gardes  des 
nuire*»  et  se  poursuivrait  sans  interruption,  n'élaït  la  lacune  que  nous  avons 
sipnalée  ci-dessus.  Cfc&t  cette  note  assez  lonpue  que  nous  avons  reproduite  la 
première.  Les  autres  viendront  à  leur  ordre  et  dans  leur  suite  logique.  En  les 
reproduisant,  nous  avons  indiqué  leur  place  véritable  et  ce  qui  pouvait  servir 
à  les  faire  entendre,  Mais  Louis  Racine  s'est  assurément  permis  avec  le  texte 
de  Rousseau  plus  de  libertés  qu'il  n'en  avoue.  On  ne  saurait  s'en  tenir  exclu- 
sivement à  ce  qu'il  confesse  et,  si  la  lecture  de  ses  notes  peut  être  de  quelque 
utilité,  elle  ne  saurait  cependant  dispenser  de  l'élude  attentive  du  texte  qui- 
conque veut  être  bien  et  sûrement  informé. 

Tome  I,  premier  ftviliH  d*-  gœtén  :  Utin&m  qui  edhlii,  ptusjudiciï  in 
rttgeudts  rfitnm  in  cotiser  en  dis  schediïs  adhibuti&et.  (Quintilien.) 

C'est  ce  que  je  puis  dire,  n'ayant  point  été  L'éditeur  de  ces  lettres;  je 
n'en  ai  été  que  le  censeur,  Elles  me  furent  remises  avant  que  de  1  être 
au  libraire;  j'ai  eu  le  droit  d'effacer  les  traits  qui  pouvaient  déchirer 
quelques  personnes  :  ce  que  j'ai  fait.  Si  j'avais  été  le  maître  du  manus- 
crit, je  l'aurais  réduit  à  un  volume  qui  n'eût  contenu  que  des  choses 
excellentes1;  maïs  on  voulait  le  vendre  au  profit  des  héritiers  df 
M.  Rrosselle,  si  un  libraire  donne  plus  d'argent  d'un  manuscrit  dout 
il  peut  faire  plusieurs  tomes  que  d'un  petit  ouvrage. 

J'ai  fait  ce  que  j'ai  pu  pour  rassembler  d'autres  lettres  de  Rousseau  : 
plusieurs  sont  perdues;  d'autres  m'ont  été  refusées  par  ta  haine  de 
ceux  que  le  nom  de  Rousseau  effraie.  M.  l'abbé  de  Breleuil  m'eut  très 
volontiers  remis  celles  écrites  à  monsieurson  père.  Maisclîrs  ion*,  m*a-t- 
il  dit,  entrr  tes  mains  de  ma  sœur  [M™"  du  Châtelel]  et  Voltaire  ne  lai  \ 
mettra  pas  de  fai  donner.  Il  les  a  peut-être  fait  brûler.  J'ai  fait  demander 
à  Vienne  celles  écrites  au  prince  Eugène.  On  m'a  répondu  que  l'héri- 
tière de  ce  prince,  la  princesse  d'Hildbourghausen  (sic),  avait  brûlé 
comme  inutiles  tous  les  papiers  de  celle  succession  qui  n'étaient  ni 
contrats  ni  billets. 

On  ne  doit  pas  être  surpris  de  ce  procédé  d'une  Allemande,  mais  de 
ce  que  la  même  chose  est  arrivée  chez  les  Jésuites  à  la  mort  du 
1\  Tournemine.  Ses  papiers,  parmi  lesquels  il  y  avait  plusieurs  lettres 
de  Rousseau,  sont  disparus  et  peut-être  ont  été  brûlés.  Ce  qui  est 
arrive  parce  que  le  P.  Tournemine  avait  dans...  [Le  rrste  du  la  note 
matKftfr  :  if  devait  fif/uree  sans  doute  sur  1rs  feuillets  de  garde  da  tom$  //, 
qui  *>st  perdu). 

Tohk  1  II T  pfGtitier  feuillet  de  gwde  :  Rousseau  demeurait  dans  cette 
maison  "ehea  M,  du  Coudray],  où  venaient  souvent  M"*#  LmivancourL, 
trois  sœurs,  dont  l'une  qui  plaisait  trop  au  rnaitre  déplaisah  à  la  maî- 
tresse. Rousseau,  qui  élait  du  parti  de  Mmr  du  Coudray,  fit  une  rail- 
lerie do  cette  demoiselle,  qui  déplut  à  M.  du  Coudray.  Rousseau  fut 
renvoyé  de  la  maison. 


i.  C'esl  ce  nue  L.  Racine  a  dit  à  peu  près  dans  les  mêmes  termes  diins  mn  Jciire 
insérée  au  Mercure  d'août  î  140,  p.  m. 


LOUIS   RACINE   ET   LA  COlinFAPONDÀNCE   DE   JEAH*R.U>TISTK   ROUSSEAU 


301 


Les  ennemis  de  Rousseau  ont  répandu  sur  son  compte  des  histoires 
très  fausses.  Il  a  eu  des  ennemis  1res  vifs,  des  amis  très  froids,  dont 
quelques-uns  ont  été  inlidèles.  Sur  la  lin  de  ses  jours  il  a  eu  à  se 
plaindre  de  trois  prêtres  qu'il  avait  cru  ses  amis  :  de  l'abbé  Desfon- 
taines, l'abbé  d'Olivet  et  l'abbé  Lenglet.  J'ai  retranché  quelques  IraiLs 
sur  L'abbé  d'Olïvctf  qui,  dans  ces  lettres,  parait  toujours  son  ami*  ainsi 
que  l'abbé  Desfontaines;  et,  par  conséquent,  j'ai  supprimé  une  dou- 
zaine de  lettres  qui  révèlent  l'horrible  perfidie  de  l'abbé  LengleL 

Ce  prêtre,  qui  a  ta  ut  fait  imprimer  d'ordures,  étant  à  Vienne,  a  obli- 
gation à  -Rousseau,  qui  donnait  aisément  sa  confiance  et  était  fort  ser- 
viable.  Par  reconnaissance,  l'abbé  Lenglet  fit  imprimer  en  Hollande, 
sous  le  nom  de  Brossette,  un  libelle  contre  Rousseau;  on  découvre  enfin 
que  l'abbé  Lenglet  est  l'auteur  de  ce  libelle,  car  il  l'avoue  dans  la  lettre 
écrite  et  signée  de  lui  qui  est  parmi  toutes  les  lettres  que  j'ai  de  Bous* 
seau. 

J'ai  eu  la  curiosité  de  questionner  sur  la  vie  de  Rousseau  les  per- 
sonnes qui  l'avaient  connu  et  qui  n'avaient  aucun  intérêt  à  déguiser  la 
vérité.  Je  n'ai  jamais  entendu 

Tomk  1\\  premier  feuillet  4e  gcretâ  :  raconter  de  lui  aucune  mauvaise 
action,  ni  infidélité,  ni  m  en  songe,  ni  mauvaises  mœurs.  Ceux  qui  ont 
voyagé  en  Allemagne  attestent  tous  qu'il  était  fort  estimé  pour  la 
sagesse  de  sa  conduite,  à  Bruxelles  et  à  la  cour  de  Vienne, 

A  regard  des  fameux  couplets,  il  est  justifié,  et  par  quelques-unes 
de  ces  lettres,  et  par  M.  Titon  dans  son  Partiaux:,  el  surtout  par  Boin- 
din  qui  fut  autrefois  impliqué  dans  cet  alïreux  mystère  d'iniquité  et 
était  eontr&irâ  à  Rousseau.  11  dépose  aujourd'hui,  et  le  dit  à  qui  veut 
l'entendre,  que  ces  couplets  furent  composés  par  La  Moine,  Saurin  et 
Mallafère.  Tout  le  parlî  Pontehartrain  était  contre  Rousseau,  à  cause  de 
quelques  vers  conlre  l'abbé  Bïgnon,  et  Rousseau  avait  fait  une  chanson 
contre  le  premier  président  de  Mesmes  reçu  a  l'Académie  française. 
Ainsi  le  parti  conlre  Rousseau  était  très  puissant  et  indisposa  contre 
lui  M**  la  chancelïére  Voisin  et  Mm*de  Mainlenon. 

Rousseau  fut  condamné  comme  suborneur  de  témoins,  et  voici  com- 
ment il  le  fut.  Vi\  faux  ami  lui  conseilla  de  donner  un  louis  à  un  décrot- 
leur  qui  avait  déposé  contre  lui  pour  le  faire  rétracter.  Rousseau  donna 
dans  le  piège,  el  le  déerotleur  alla  accuser  Rousseau  d  avoir  voulu  le 
corrompre  par  de  Forgent, 

Quand  il  vint  à  Paris  deux  ans  avant  sa  mort,  il  y  vint  dans  l'espé- 
rance qu'il  lui  sérail  permis  d'y  rester,  M.  de  Sénozan,  qui  en  avait  parlé 
au  cardinal  dô  FJcu  ry,  lut  ayant  assuré  que  ce  ministre  ne  sy  oppose- 
rait pas.  Et,  en  **lTet,  le  cardinal  de  Fleury  était  bien  disposé  pour 
Hoiisseau;  il  n'eut  pas  cependant 

Tous  V,  premier  feuillet  de  gardé  :  la  force  de  le  soutenir-  Il  n'eut 
pour  obstacles  ni  H.  le  maréchal  de  Noailles,  ni  If.  le  chincelier;  mais 
il  eut  contre  lui  M.  de  Maure  pas,  peut-être  à  cause  de  l'ancienne  haine 
des  Pontehartrain, 


303 


REVUE    1»  HIM01HE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRASCK, 


Tome  l,  sur  la  gard**  :  Boindin,  qui  était  tous  les  jours  au  café  de 
Procope,  disait  à  qui  voulait  l'en  tendre  que  Rousseau,  contre  lequel  il 
avait  lui-même  déposé  dans  le  temps  n'était  point  L'auteur  des  couplets 
et  qu'il  en  laisserait  en  mourant  la  preuve  par  écrit.  Il  a  tenu  parole, 
et,  avant  que  île  mourir,  il  a  déposé  à  M.  Bienfait  un  mémoire  où  tout 
ce  mystère  d'iniquité  est  dévoilé.  Ce  mémoire  deviendra-t-U  public?  Il 
faut  attendre*  Je  crains  bien  que  les  ennemis  de  Roussau  ne  le  fassent 
supprimer. 

Un  des  ennemis  de  Rousseau  dans  le  Parlement  fut  le  président 
Maison,  parce  que  Mmc  de  Maison  était  nièce  de  l'abbé  Cour Un»  contre 
lequel  Rousseau  avait  fait  une  épigramroe. 

Sut  un  feuillet  uih/rtift' pu  tito  du  MJwnt  :  Yoicî  le  fait  de  la  disgrâce 
de  Rousseau  de  la  part  du  prince  Eugène. 

On  était  a  table  chez  le  marquis  de  Prié,  gouverneur  de  Bruxelles; 
sa  femme  parla  fort  mal  de  toute  la  maison  d'Orléans  et  dit  des  choses 
très  peu  respectueuses  de  la  reine  douairière  d'Espagne,  retirée  au 
Luxembourg.  II.  de  Bonneval,  qui  était  allié  à  la  maison  d'Orléans  - 
en  cette  qualité  et  comme  bon  Français,  répondit  avec  vivacité  à 
M1**  de  Prié.  La,  dispute  s'échauffa.  M.  de  Bonne  val  t  outré  des  propos 
de  M™"  de  Prié,  dit  très  haut  :  OW  fewntiê  711*  j  tarif  (tin si  des  princes  ti 
des  priant  ssts  mé'Uifuii  Mfofl  lui  enupàt  la  mh*1.  Le  marquis  de  Prié  se 
prétendit  offensé  dans  le  mot  dit  sur  sa  femme  et  prétendit  que, 
comme  il  représentait  l'Empereur,  c'était  l'Empereur  même  qui  avait 
été  insulté.  Rousseau  courut  à  Vienne  pour  parler  en  Faveur  de  M.  de 
Bonneval  et  le  reste-  arriva  comme  je  F  ai  raconté  dans  ma  lettre 
imprimée.  M.  de  Bonneval,  voyant  que  la  cour  de  Vienne  était  irritée. 
>  Vu  fuit  et  fut  condamné  à  perdre  la  tète. 

Voici  la  véritable  cause  de  la  disgrâce  de  Rousseau  de  la  part  du  duc 
d'Are  mberg. 

Rousseau,  à  qui  son  édition  de  Londres  avait  valu  par  la  générosité 
des  seigneurs  anglais  trente  mille  livres  de  notre  monnaie,  les  avait 
mises  dans  les  actions  dXJstende.  Étant  à  table  clici  le  duc  d'Aremberg, 
où  étaient  douze  personnes,  le  duc  reçoit  des  lettres  qu'il  ouvre  ;  un  luj 
demande  s  il  y  a  quelque  chose  de  nouveau,  Onj,  dit-il.  DM  m 
fju'wit'  des  conditions  de  lu  pair  MM  &  supprimer  la  roui  pagine  i/7J.<- 
knêe*  Rousseau,  alarmé,  va  chez  quelques  amis  demander  conseil  sur 
le  parti  qu'il  prendra.  Tout  Bruxelles  sait  bientôt  que  la  compagnie 
d'Oslende  Mri  supprimée.  La  cour  de  Vienne,  très  fâchée,  demande  qui 
a  débité  cette  nouvelle;  le  duc  d'Àremberg  accuse  Rousseau  d'avoir 
divulgué  un  secret  qull  avait  dit  à  ses  amis  et  il  se  servit  du  prétexte 
de  la  lettre  de  Rousseau  sur  Voltaire  pour  le  disgracier. 

On  donne  quelquefois  à  Londres  une  représentation  a  la  comédie  au 
prolit  d'un  acteur  ou  d'une  actrice.  N<ms  avons  en  cela  imité  les  Anglais. 
Rousseau  était  à  une  de  ces  représentations  qui  valut  à  Tacteur  pour 
qui  elle  était  donnée  quarante  mille  livres.  Eh  Kent  dit  Rousseau, 
nous  autres,  malheureux,  travaillons  bien  nos  vers;  ce  comédien,  en  deux 


LOUIS  IIACtBE  ET   LÀ  COltRESPONDASCE   DE  JEAS-BAPTIHTE  ROUSSEAU.       3ttf 

heures,  fait  une  fortune  qu'un  jyoête  ne  fait  pas  en  quarante  a  m  de  tra- 
vail. 

Rousseau  voulut  faire  imprimer  à  Paris  l'épi  Ire  X  qu'il  m'a  adressée. 
M*  le  chancelier  s  y  opposa.  Sur  quoi  Rousseau  écrivit  à  M.  Boulet  la 
leUre  suivante  : 

a  Je  crains  pour  toos,  monsieur,  lorsque,  avec  le  rhume  que  vous 
ave&,  vous  osez  vous  aller  exposer  à  Tair  de  la  campagne,  dans  un  prin- 
temps aussi  hivernal  que  celui-ci*  11  en  règne  un  autre  dans  les  cer- 
veaux» qui,  Dieu  merci,  n'a  pas  passé  jusqu'à  nous  et  dont  je  ne  laisse 
pas  par  malheur  de  sentir  le  contre-coup  par  la  tracasserie  que  me  faîL 
le  chancelier  au  sujet  de  lëpRre  que  j'ai  adressée  à  M.  Racine,  dont  le 
nom  porte  dans  son  esprit  un  cararlèf*  de  réprobation,  tl  voudrait  se 
raccommoder  avec  les  Jésuites  ;  je  doute  pourtant  qu'il  y  réussisse  par 
de  pareilles  voies.  Ces  messieurs  ne  sont  pas  dupes  et  savent  que  celui 
qui  passe  le  but  s'en  éloigne  autant  que  celui  qui  demeure  en  deçà.  Ils 
ne  craignent  point  d'annoncer  mon  épllre  comme  un  ouvrage  égale- 
ment utile  aux  mœurs  et  à  la  religion;  mais  la  dévotion  politique  de  ce 
magistrat  lui  a  mis  dans  la  bêta  que  ers  mots  Jansênistr  et  Kunn.- 
étaient  termes  synonymes  auprès  des  Jésuites*  Kn  quoi  il  leur  fait  grand 
tort»  et  ne  se  fait  honneur  ni  envers  le  parti  qui!  déserte,  ni  envers 
celui  qu'il  feint  d'embrasser*  Je  crains  que  cette  même  raison  n'em- 
pêche la  publication  de  l'excellent  ouvrage  qu'à  fait  M.  Racine  sur  la 
Mtltfion^  que  nos  beaux  esprits  modernes  ne  ces>eul  de  tourner  en 
ridicule,  à  la  honte  de  ceux  que  Dieu  a  mis  en  place  pour  la  Aéfeftdte  *** 

Tomb  I,  page  vin,  ligne  8  (Notes  marginale*.  Sur  les  garants  de 
Rousseau;,  lintre  autre  M*  Blanchard,  de  l'Académie  des  Bell^-L'Llres. 

L.  ti2  (sur  ta  Monade).  Il  n'avait  que  duuze  ans  quand  la  Muhndr 
parut.  Elle  était  dune  nommé  LourdeL 

L.  30  (On  m'a  assuré  qu'il  n'avait  jamais  été  renvoyé  d'une  maison 
respectable  où  il  demeurait).  De  chez  M.  du  Goudray.  Il  *>>t  faux  qu'il 
Tait  trouvé  chez  lui  faisant  des  vers  contre  lui.  Cette  table  a  été  crue 
longtemps* 

P.  x,  I.  il  (II  eut  dans  la  suite  une  disgrâce  véritable).  Celle  du  duc 
d'Àremberg.  Rousseau  n  eut  jamais  aucun  tort  vis-à-vis  lut. 

P.  xi,  L  13  (sur  le  premier  président  de  Mesmet,  qui  avait  été  pu  - 
féré  à  Rousseau  par  l'Académie  française),  H  lit  un  couplet  sur  le  pré- 
sident de  Mesrnes  :  Jugagm  te  déplaces,  »le. 

I'  \iii.  L  3  (Sur  Rollin  et  le  testament  de  Rousseau).  Il  faut  voir  la 
note  qui  est  à  la  dernière  page  du  second  tome  du  livre  intitulé  Parte- 
frniltr  de  Rousmau,  chez  Key,  à  Amsterdam,  1751.  — C'est  ce  qui  iÇl 
encore  rapporté  dans  PAlogfl  de  M.  Rollin  par  M,  de  Boze.  Mémêfam  de 
FAcodémie  tfsj  &e&v~fefJw*,  t.  XVI,  p.  190* 

L.  4  (N  ayant  pu  obtenir  la  consolation  de  mourir  dans  sa  patrie). 
11.  de  Maure  pas  s  y  opposa,  à  cause  de  Tépisramme  sur  l'abbé  Ri -mm. 

P.  xv%  I.  2  {L.  Racine  parle  de  lui-même  à  l'occasion  dW  Flamand 
qui  le  croyait  cartésien).  Et  qui  me  croyait  janséniste. 


304 


RCTTJB    d'|MST0IHE    LITTÉRAIRE    DE    LA    F1M.NCE. 


P.  xvii,  h  9  (C'est  dans  les  lettres  écrites  à  Messieurs  Boulet,  les 
confidents  de  toutes  ses  peines»  que  j'ai  le  plaisir  de  le  suivre 
depuis  171  i)t  Excepté  dans  les  années  dans  lesquelles  on  ne  trouve 
point  de  lettres,  parce  que  M.  Seguy  qui  les  avait  prises  chez  M.  de 
Monlhérv  ne  les  lui  a  jamais  rendues. 

1\  xvit  I.  Ut.  11  (Rousseau)  a  reçu  jusqu'à  sa  mort  des  secours  de 
H.  (BoutetJ  de  Monthéry. 

1*.  xx,  1.17  (Sur  les  tableaux  de  Rousseau).  J'ai  vu  ces  tableaux,  qui 
eussent  eu  un  mérite  s'ils  avaient  été  originaux* 

P,  xxi,  L  27  (De  quelle  perfidie  i'accuse-l-on  depuis  sa  sortie  de 
France?).  Et  dans  sa  jeunesse  il  n'a  été  coupable  d'aucune, 

P.  xxtiy  I.  29  'Des  hommes  qui  ne  lui  avaient  que  des  obligations). 
L'horrible  perfidie  de  l'abbé  LcngleL 

P.  xxiv,  h  1  (Sur  les  lettres  de  Rousseau  qui  furent  communiquées 
à  TëdiLeurj.  Combien  d'autres  plus  importantes  m'ont  été  refusées,  et 
même  brûlées  et  sacrifiées  h  Voltaire. 

P.  26,  L  10(11  n'est  presque  rien  arrivé  à  Rousseau  qui  ne  soîtiueix- 
tionné  dans  ses  lettres  à  MM.  Boutet).  Ce  qui  serait  très  vrai  sans  la 
lacune  dont  j'ai  dit  plus  haut  la  raison. 

P.  2u\  1. 11  (Le  poème  auquel  Rousseau  fait  allusion  là  est)  Son  7or- 
ti<t>lis> 

P.  43,  1.  7  (Comme  tout  ce  qui  porte  le  nom  de  *..  me  doit  faire  hor- 
reur). Ponlehartraîn  .  Toute  cette  maison  était  contre  lui  à  cause  de 
l'épigramme  sur  l'abbé  Bignon* 

P,  44, dernière  ligne  (A  l'égard  de  M.  ..*  il  nVest  indifférent).  Dagues- 
seau,  alors  procureur  généra]. 

P,  47,  I.  2  (Je  vous  remercie  d  avoir  fait  ma  cour  à  M.  le  premier 
président)  de  Meemes. 

P.  48,  1.  il  (M.  Blanchard).  M,  Blanchard,  de  l'Académie  des  belles- 
lettres,  qui  a  demeuré  longtemps  chez  M.  de  Villeroi. 

P,  49,  lettre  du  la  avril  1712  :  J'ai  retranché  de  cette  lettre  des 
choses  qui  auraient  pu  blesser  les  juges, 

T.  80,  dernière  ligne  (M,  de  D***  ).  M.  de  Dreux. 

P.  51,  à  la  fin  de  la  lettre  :  La  manière  dont  il  parle  dans  cette  lettre 
sur  ce  jugement  est  très  remarquable.  On  verra  dans  le  cinquième 
volume  que  ce  jugement  lut  rendu  sans  avoir  observe  les  règles. 

P,  50  et  51  (L.  Racine  a  écrit  sur  un  feuillet  blanc  intercalé  entre  ces 
deux  pages  des  passage»  qui  .sont  évidemment  ceux  qu'il  a  retranchés 
de  la  lettre  de  Rousseau.  Les  voici  :  )  «  Après  toutes  les  injustices  que 
j'ai  essuyées,  je  ne  devrais  être  surpris  de  rien.  Cependant  je  ne  m'ac- 
coutume point  encore  assez  h  l'iniquité  des  hommes  pour  voir  de  sang- 
froid  la  dernière  qui  m'a  été  faite.  J'ai  vu  un  infâme  scélérat  triompher 
de  la  vérité  et  de  la  justice  ;  j'ai  vu  ces  crimes  couronnés  d'une  justifi- 
cation éclatante,  au  mépris  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  saint  sur  la 
terre*  Je  devais  regarder  comme  une  conséquence  nécessaire  ce  qui 
m'arrive  aujourd'hui,  Yoîlà  donc  ce  grand  ouvrage  d'iniquité  entière- 


LOUIS  RACINE    HT    \.\   r.eitKKMnM>A\(  C    l>K   JhW-UU'nSH    MÛSSSAtt.       305 

ment  consommé,  mais  je  ne  comprends  pas  sous  quel  prétexte  on  a  pu 
fonder  un  jugement  si  honteux  à  ceux  qui  Tout  rendu,  Si  c'est  sur  la 
subornation,  il  est  bien  doux;  si  c'est  sur  les  vers  qu'on  a  eu  le  front 
de  m'attribuer,  il  l'est  encore  trop-  Mais  comment  a -t-on  pu  prouver 
l'un  et  l'autre  sans  faire  pendre  huit  témoins  qui  ont  tous  dit  la  même 
I  lioset  et  si  on  ne  Ta  pu  prouver,  comment  a-t-oa  pu  me  condamner? 
Si  je  suis  banni  pour  mes  épigrammes,  etc.  » 

(Le  passage  qui  précède  est  le  début  de  la  lettre  du  15  avril  1712*  Ce 
qui  suit  en  est  la  fin).  «  Dieu  me  préserve  de  laisser  jamais  croire  à  un 
homme  que  je  me  tiens  son  redevable,  quand  il  me  laisse  opprimer,  en 
donnant  lieu  à  toute  la  terre  de  penser  que  je  suis  coupable  du  crime 
d'autrui  et  que  je  suis  encore  mieux  traité  que  je  ne  mérite.  » 

P,  53,  L  13  (Il  est  donc  vrai  que  M.  G.  est  mort  insolvable).  M.  G  limé, 
qui  avait  l'Opéra. 

P.  54,  1.  15  (J'ai  rei;ii  une  fort  jolie  lettre  du  jeune  M.  A  rouet).  11  ne 
s'attendait  pas  alors  qu'il  serait  son  plus  cruel  ennemi. 

P.  55,  dernière  ligne  (M.  de  "*  me  doit).  M.  Rouillé  du  Coudrây, 
P*  74 ,  lettre  nu  pensionnaire  Heinsius.  Cette  lettre  n'empêcha  pas 
l'édition  de  Gacon  de  paraître. 
P.  78,  LS.  Saurin  el  La  AI ot lie. 
P.  105,  K  14 (A  regard  de  P.).  Palaprat. 

P.  110, 1. 12  (Pour  la  pensée  où  vous  êtes  que  les  dômes  ont  beaucoup 
de  pouvoir  sur  mon  esprit,  je  puis  vous  assurer  qu'elle  est  des  plus 
mal  fondées  :  on  ne  pense  pas  à  quarante  ans  comme  à  dix-unil).  Voilà 
tout  ce  qu'il  dit  sur  cet  article,  quoiquVcrivant  à  un  jeune  homme,  et, 
dans  toutes  les  lettres  de  llousscau  que  j'ai  lues  manuscrites,  je  n'ai 
jamais  trouvé  un  mot  de  badio&ge  sur  les  femmes  ni  sur  la  galanterie. 
P.  115  (Mousse a u  à  M.  D...).  Au  baron  deBreleuiL 
P.  125,  L  18  (La  charge  que  nous*  avons  prise).  De  conseiller  au  Chà- 
telet. 

P.  128, 1. 16  (Sur  la  Btnriade),  11  (Uousseau)  en  parla  tré*  ditTéremment 
dans  la  suite.  Il  jugeait  quelquefois  par  passion. 

P,  133,  I.  8.  Ils  sont  traduits  des  vers  latins  faits  par  M,  Le  Beau, 
P.  138,  1.  4  (Directeur  des  haras  du  Parnasse).  Ce  chef  est  l'abbé 
Btfjnmm,  qui  était  h  la  tête  du  Journal  fct&MMn/J.riaiis  lequel  Rousseau 
avait  été  maltraité.  J'ignore  qui  étaient  alors  ces  quatre  journaliste*, 

P,  140,  I.  10  (Sur  le  supplément  des  œuvres  de  Rousseau).  Les  épi- 
grammes  obscènes  dont  il  a  toujours  témoigné  son  repentir.  On  verra 
dans  les  derniers  volumes  <v  qu'il  en  dît  euroiv. 

P;  £0  (A  Londres].  Un  seigneur  anglais  l'engagea  (Housseau)  à  lui 
faire  connaître  celles  dont  il  éLait  l'auteur. 

P.  147,  L  1.  Cependant,  comme  je  l'ai  dit  dans  ma  lettre,  ce  fut  la 
cause  du  refroidissement  du  prince  Eugène  pour  lui. 

P.  148,1.  17  (Le  ermite  de  Bonneval  a  eu-  tort  dans  tn  forme  et  grande 
raison  dans  le  fond»).  Il  s'emporta  contre  M*",:  de  Prié,  qui  parlait  très 
mal  de  la  reine  d'Espagne. 


306 


REVUE    DHISTOHu:    I  11TI --.UAIHK    DE    LA    FfiANCE, 


IV  150,  1.  I.  H  (Bon  ne  val)  fut  condamné  à  perdre  la  tête  ei  il  &e  lit 
Turc. 

P.  153,  l,  H.  Le  prince  Eugène  commenta  à  se  refroidir  pour  lui 
(Rousseau). 

P.  151,  1.  5-  Tout  ceci  est  la  preuve  de  ce  que  j'ai  raconté  dans  nia 
première  le  tire 

P.  157,  I,  15.  H  veut  parler  de  la  Henriade  de  Yollaire. 

P.  159,  la  17,  Il  parle  du  recueil  des  poésies  de  Roy, 

P.  160,  L  5.  Il  parie  d'une  nouvelle  édition  de  la  Hem  uni*1,  faite  avec 
beaucoup  de  changements. 

P.  161,  à  la  fin  de  la  lettre.  Si  on  avait  la  suite,  on  verrait  ce  qu'il  a 
écrit  sur  l'affaire  de  M,  de  Ronneval;  mais  on  trouvera  bientôt  une  la- 
cuite,  parce  que  M.  Seguy  a  pris  plusieurs  lettres  à  M,  Boute  L 

P.  1B5,  1,  18,  Il  parle  de  Voltaire. 

P.  180  (Lettre  au  P.  P,  M...),  Au  P,  Marsy,  qui  quitta  depuis  les  Jé- 
suites. 

P.  10  (M.  le  duc...].  Le  duc  d'Àremberg  pour  la  colère  contre  lui 
n'eut  qu'un  très  léger  motif.  Rousseau,  dans  un  écrit  sur  sa  querelle 
avec  Voltaire,  avait  mis  :  Ceci  s'est  passe  devant  .1/.  letfne  d Xeemherrj. 
Ce  seigneur  fut  irrité  d'avoir  été  nommé,  sans  que  Rousseau  lui  en  eût 
demande  la  permission. 

P.  183, 1.  6  (Les  premières  lettres  de  rappel  de  Rousseau),  IL  en  pensa 
mieux  dabnrd,  Voy.  p.  87. 

P.  185»  1.  17  (Une  expiation  des  fautes  dont  il  n'appartient  qu  a  Dieu 
seul  éf  m  réserver  la  punition.},  IL  a  tort,  puisqu'il  dit  lui-même  en 
d'autres  endroits  qu'il  a  mérité  sa  punition  par  ses  êpigrammes,  page 
49. 

P.  186, 1. 11  (Un  ami  dune  fidélité  impénétrable).  Il  (Rousseau)  trouva 
dans  la  suite  en  lui  {l'abbé  Desfontaines)  un  ami  infidèle. 

P,  187,  a  la  lïn  de  lu  lettre.  Quelle  raison  pouvait  l'engager  à  écrire 
Mur  4M  KM  à  k'abèé  Desfontaincs?  Avait-il  quelque  intérêt  à  jouer  avec 
lui  le  rôle  d'hypocrite? 

P.  18*»,  L  :>.  Saurin  avait  été  condamné  en  Suisse  pour  un  vol,  Jai 
vu  l'original  de  la  sentence. 

P.  iïM>t  L  15  (Les  mauvais  offices  que  m'a  rendus  un  ami).  L'abbé 
d*0livet,  qu'il  reconnut  n'être  pas  son  véritable  ami. 

P.  200,  L  19  (Rousseau  parle  des  tableaux  qu'il  a  et  qu'il  dit  d\m 
grand  prix),  Il  le  croyait;  j'ai  vu  ces  tableaux  chez  M,  de  Monlhéry. 

P.  313, 1.  5.  J  ai  laissé  cette  lacune  pour  ne  pas  faire  connaître  quel* 
ques  railleries  sur  M,  te  chancelier  Dagueasau,  qui  refusa  la  permission 
de  faire  imprimer  Vépltre  de  Rousseau  parce  qu'elle  m'élftît  adressée 
et  que,  comme  dit.  Rousseau,  Racine  et  Jansénisme,  lui  paraissent  même 
chose. 

P.  31»,  I.  1M  W*  ).  M.  Chauveliu. 

P.  2âH,  L  3  (Un  valet  de  chambre  de  votre  premier  ministre)-  Barjac, 
qui  protégeait  le  fils  de  Saurin. 


LOI  IS   RACIH1   H  LA   COIlRESPOSDAffCE   DG  TIliffil  if  TUTTI   HlHJSSEAU,       307 

P.  231,  L  5.  II  lil  celte*  êpijçrranune  sur  M*  Lasserê. 

P.  231,  I,  15  iM"*ï.  Jolj  île  Flcury,  procureur  général,  qui  lui  avait 
fait  dire  que  l'air  de  Paris  ne  lui  va  lai  L  rien. 

P.  235,  I.  8,  et  p.  -238,  L  23  (M"*;.  Jnly  de  Fleury. 

P.  248,  L  10  (M'"  du  *").  M»*  du  Chàtelct,  à  qui  il  d-uine  encore  un 
Bût  fort  impie  que  j'ai  supprima 

P.  130,  L  -  (Que  peut-on  craindre?...),  11  ajoutait  :  A-t-on  fp>nt'  fu*ii  <y 
ail  du  JansthtLimr? 

P.  258,  L  20  (Rousseau  voulait  qu'on  corrigeât  ses  lettres  avant  de 
les  publier:.  Il  ne  s>* attendait  pas  que  c'était  ce  que  je  ferais  moi- 
même, 

P.  266,  1.  20  (M,  le  duc  de...).  Le  duc  d'Aremberg,  qui  se  repentait  de 
sa  première  vivacité. 

P.  375,  L  52  (Mort  du  comte  du  Luc.i.  Sa  douleur  sur  cette  mort  est 
d'autant  plus  estiuiahir  que  le  comte  du  Lue  l'abandnnna  quand  il  vînt 
à  Paris,  lui  qui  L'aimait  lorsque  sa  compagnie  l'amusait  à  Soîeure. 

P,  275,  1.  7  i  L'exemple  de  M.  Le  Franc).  Parce  que  M,  Le  Franc  lut 
exilé  a  muse  d'un  discours  public  dans  lequel  il  avait  parlé  nmhv  cer- 
tains abus  dans  la  finance* 

k  Bft,  1 17  (v;,.  k  VoJuiwr. 

P.  31.15*  1.  5  Le  P,  Berruyer  assista  Rousseau  mourant!.  J'avais  écrit 
d'abord  qu'il  le  confessa,  parce  que  le  domestique  de  Rousseau  me 
l'avait  mandé,  Mais  le  P,  Berruyer  m'a  fait  dire  qu'il  n'avait  fait  que 
lui  rendre  des  visites  qui  lire  ut  croire  apparemment  au  domestique 
qu'il  avait  confessé  son  maître. 

T.  9QA.  Ces  lettres  sont  écrites  à  un  M.  deSainl-Rambert,  de  Bruxelles, 
qui  était  pour  quelque  temps  à  Paris,  où  il  faisait  les  affaires  du  duc 
d'Àremberg. 

P.  307,  L  17    M.  le  ...  ).  Le  marquis  de  La  Faye. 

P.  311,  L  13.  L'ëvéque  de  Mines,  La  Parisière. 

f,  315J.22   PènML.,  .  U  ï\  Girard. 

V.  :i2;LL  80.  (M-*),  Crêbillon. 

P.  326,  I.  20.  Un  cachet  sur  lequel  on  avait  gWé  les  lèles  de  Des- 
cartes, Bayle  et  Fonlenelle, 

P.  32!),  L  22.  Voltaire, 

P.  332,  à  la  fin.  Voyet  dans  les  Mnmlfa  KfflAwvr,  t.  VI IL  p*  134, 
une  liste  d'ouvrages  faussement  attribués  à  Housseau  dans  l'édition  de 
Rotterdam,  1742. 

(Sur  le  dernier  feuillet  de  garde  à  la  fin  du  volume  :)  Quand  Saurin 
fut  mort,  MM,  de  Berne  écrivirent  à  Fontenelle  qu'il  fallait,  dans  l'éloge 
qu'il  en  ferait  à  l'Académie,  louer  son  savoir  treométrique,  mais  que  s'il 
louait  sa  conversion  comme  sincère  ou  sa  probité,  ils  dnnneniîivnt  des 
preuve*  du  contraire.  Fiuitenelle  loua  l'ami  de  LaMidhc  de  tonte  façon, 
B&D8  avoir  égard  à  la  lettre  de  MM.  de  Berne,  qui  firent  imprimer  dans 
b>  Mercure  suisse  des  mémoires  qui  l'ont  connaître  Saurin.  Ils  sont 
dans  les  volumes  de  ce  }frrcun\  avril  1736  et  janvier  1741.  M,  l'abbé 


30K 


REVUE    t>  HISTOIRE    uriLUÀlUK    HK    LA    FRANCE. 


Goujel,  qui  m'a  appris  relie  particularité,  les  cite  adroitement  dans 
l'article  Sauiun  du  supplément  de  Muréri,  1749. 

Voy.  outre  cela  la  Bibliothèque  germanique,  vol.  XXXV,  el  la  ffihlîo- 
îhiquê  raisonnée^  vol.  XXVI,  où  on  trouve  une  lettre  qui  prouve  que 
Sa u ri n  était  un  fripon  elun  hypocrite. 

Tome  III,  premier  feuillet  de  garde,  (Sur  le  départ  de  Rousseau  de 
chez  Rouillé  du  Coudrny}.  M-  Blanchard  nVa  ainsi  raconté  la  chose.  On 
avait  Tait  une  chanson  sur  MlL"  Louvaneourt  dans  laquelle  on  disait: 

Charmante  Louvancourl, 
ijui  chaque  jour 
Donnes  de  l'amour. 

On  la  chantait  devant  Rousseau,  qui  dit  :  Au  lieu  tir  donnez,  oh  pou- 
rttit  (fin-  prenez*  M.  Du  Coudray,  irrité  de  celte  plaisanterie,  pria  Rous- 
seau de  sortir  de  sa  maison  et  lit  accroire  qu'il  avait  l'ait  des  vers  pour 
l'insulter*  Sa  colère  venait  de  plus  loin.  La  véritable  cause  était  que 
Rousseau,  chargé  de  l'éducation  rie  si  in  fils,  lui  dit  un  jour  qu'il  n'en 
ferait  jamais  rien  et  qu'on  n'en  pouvait  rien  faire  :  ce  qui  s'est  trouvé 
très  vérilable. 

P<  9,  I.  12.  Ces  paroles  sont  remarquables  ;  Rousseau  se  rend  justice 
else  sent  très  inférieur  à  Marot,  pour  le  style,  quand  il  veut  l'imiter. 

P.  10,  t,  S  (Sur  les  épigrammes  libres  de  Rousseau).  Il  en  a  toujours 
parlé  de  même  et  elles  n'ont  été  publiques  que  malgré  lui. 

P.  16,  I.  7    M.  de  fi#É*j.  M.  de  Barcos. 

P.  50,  I,  8  (Sur  Baron  que  Rousseau  regretta  seul).  Cela  est  trop  forL 

P.  87,  I.  22  (Sur  YAndromaque  de  Racine).  Jugement  excellent* 

P.  10f>,  I.  19  (Sur  des  vers  de  Rmsseltc}.  Est-il  sincère  quand  il  fai- 
sait cet  éloge  des  vers  de  Brossette? 

P.  119,  l.  ^u\  Il  avait  lait  ces  vers  sur  Samuel  Bernard, 

P*  125,  L  5  (Sur  M™4*  Deshoulièresj.  U  a  raison  de  mépriser  cette 
dame,  à  qui  trois  ou  quatre  pièces  ont  acquis  parmi  nous  trop  de  répu- 
tation* 

P.  137,  1.  5.  On  voit  qu'il  ne  veut  point  donner  la  clef  de  certains 
ouvrages,  el  la  prudence  est  très  louable. 

P.  204,  1.  11  (F—),  Fontenelle. 

P.  233.  Fontenelle  fut  très  fâché  de  trouver  ici  cette  épitaphe. 

Pi  239  Sur  le  P*  BerruyerU  Les  Jésuites  furent  très  fâchés  de  trou- 
ver ce  morceau  sur  le  P.  Berruyer.  Fallait-il  le  supprimer?  et  n'est-il 
pas  important  de  faire  connaître  l'impression  que  La  lecture  de  ce  livre 
fit  sur  un  homme  tel  que  Rousseau?  Si  elle  le  révolta  h  ce  point,  ceux 
qui  dans  l'Église  s'élevèrent  contre  ce  livre  ne  durent  dotlO  pas  être 
accusés  de  n'agir  que  par  haine  contre  les  Jésuites.  Rousseau  n'était 
pas  sans  mérite  et  H  a  pensé  de  ce  livre  comme  en  ont  pensé  ceux  quToû 
a  accusés  d'être  sans  mérite. 

Un  a  retranché,  à  la  vérité,  toutes  les  extravagances  les  plus  scanda- 
leuses de  la  première  édition,  mais  malgré  ce  retranchement  on   a 


l  ul  IS   BACIKB   ET   LA  C0nRÏISJ>OM>À%Cfc   DE  JKAN-BAPT1SIK  IlOlSSKAL.       3CW 

eu  raisun  de  dire  que  M,  Hollin  avait  écrit  l'histoire  profane  en  style 
saint  et  le  P.  Berruyer  avait  écrit  l'histoire  sainte  en  style  profane, 

P.  2HL  I.  14  (Sur  le  commentaire  de  tinileau  par  Brossellej.  Il  veut 
parler  de  l'édition  donnée  par  l'abbé  Souchay. 

Tome  IV,  p.  16.  Toutes  les  lettres  a  M*  Crousaz  m  Vint  été  remises  par 
M.  Luys  Duché seau,  son  petit-fils.  Je  les  garde  originales,  et  les  copies 
y  sont  conformes. 

P.  93,  L  15  (La  vertu  et  la  joie  sont  rares).  Maxime  qui  a  besoin 
ûV&xplicalioQ. 

I\  lin  Lettre  que  M.  Loys  a  écrite  à  M*"),  ftaeine.  Cette  lettre  m'a 
été  écrite  par  M.  Loys  Duchcseau. 

P,  181»  1*  20  (Sur  la  satire  de  YÊtjuivoqtw  de  Boileau).  Combien  dé 
gens  ne  connaissent  pas  comme  Rousseau  le  mérite  de  cet  ouvrage! 

P,  202,  1.  8  (Sur  la  MoHnde).  Cette  preuve  est  sans  réplique.  Il  avait 
retenu  cette  pièce  par  cœur,  et,  comme  on  la  lui  avait  entendu  réciter, 
on  crut  qu'il  en  était  l'auteur. 

i  Nota  a  la  fin  du  volume,  j  A  la  page  202  de  ce  volume,  on  voit  que 
Rousseau  n'a  jamais  composé  la  Monade*  Combien  de  personnes  croient 
encore  aujourd'hui  qu'il  en  est  Fauteur! 

P.  204 (Sur  l'ode  à  Mm*  de  Fériol).  Celle  application  qu'on  fit  de  l'ode 
1  Hm  de  Fériol,  chez  laquelle  allait  sauvent  le  maréchal  d'Huxelles, 
fui  cause  qu'il  ne  Ta  jamais  mise  dans  ses  œuvres,  même  après  la  mort 
des  personnages  et  quoique  cette  ode  soit  pleine  de  poésie.  Celte  pru- 
dence lui  fait  honneur, 

P.  210,  L  17  (Sur  Tépigramme  ChrysQtorju"  toujours  opiné).  Elle  était 
sur  Tabbé  Bïgnon. 

P.  244.  Lettres  à  M,  Hardi"  m,  qui  m'a  remis  les  originales. 

P.  244>  1.3  (H.  H*").  Racine. 

1\  2UT  I.  <»  (Poème  de  M,  R"ÉÉj.  Le  poème  de  la  Reltpon. 

P.  204,  L  J4.  Sur  les  Popes  français  et  sur  les  Voltaires  anglais. 

P.  SM».  I.  S  I  M de  B..«).  Rupelmonde. 

P.  ï88,  I.  18  et  17,  p,  289,  l,  10  (M.  '").  M.  de  Maurepas. 

P.  290,  1.  19.  Il  ajoute  :  «  Voudrait-il  être  pejor  pesshno,  e"est-à~dire 
encore  plus  méchant  que  snn  père  le  comte  de  Pontchartniin  »,  Trait 
que  j'ai  retranché. 

P.  300,  l,  2-1  et  25.  M.  le  chancelier  et  M.  le  maréchal  deNoailles. 

(Note  à  la  fin  du  volume.)  On  voit  par  ces  dernières  lettres  que 
M,  de  Maurepas  fut  celui  qui  s'opposa  à  son  retour.  Rousseau  dit  dans 
une  de  ses  lettres  :  Que  penser  de  ce  ministre,  prévenu*  comme  vans  dm 
le  mandez,  contre  un  homme  tel  que  }/.  /tue i ne'/  Cet  endroit  m'a  appris 
«pu  M.  de  M  au  repas  était  déjà  prévenu  contre  moi.  J'en  ai  toujours 
ignoré  la  raison.  Quand  il  s'est  agi  pour  moi  d'une  place  de  pension- 
nai! v  i\  l'Académie,  il  a  bien  fait  connaître  qu'il  m'était  contraire.  Que 
lui  avaîs-je  Tait? 

Tome  V,  mr  te  premier  feuillet  de  tjarde.  Lorsque  M.  de  Jonvilte, 
chargé  des  affaires  de  France  à  Bruxelles,  donna  une  fête  pour  la  nais- 


312 


REVUE    D*MSTOITtlC    LlTTÉItAlRK    l*E    LA    FRANCE  * 


l'article  inséré  dans  le  [Hctionïmire  de  Chaufepïé  m'avait  révolté.  Je 
correspondais  dans  ce  temps-là  fort  amicalement  avec  M:  Louis  Racine 
et  nous  trailiiMis  souvent  ce  sujet  dans  nos  lettres.  Vous  trouverez, 
monsieur,  dans  les  derniers  volumes  de  la  Bibliothèque  impartiàU* 
diverses  lettres  qui  y  sont  relatives.  Un  anonyme  y  fcémoiglM  beaucoup 
d*acharnement  contre  la  mémoire  de  J.-B.  Rousseau  et  s'emporte  avec 
une  vraie  fureur  contre  moi  de  ce  que  je  pense  à  Ja  réhabiliter. 

Je  ne  voulus  pas  pousser  plus  loin  cette  désagréable  controverse, 
mais  je  lis  l'ouvrage  qui  est  en  manuscrit  chez  le  libraire  Delalain.  J  y 
ai  démonté,  pour  ainsi  dire,  l'article  du  dictionnaire  de  Chaufepïé  et 
j'ai  mis  à  la  suite  du  venin  qu'il  répand  l'antidote  qui  m'a  paru  pouvoir 
lui  être  opposé.  Je  nVi  puisé  que  dam  des  sources  publiques,  mais 
je  crois  avoir  rassemblé  d'une  manière  assez  complète  tout  ce  qui  peut 
servir  h  V histoire  de  J,-B\  Rousseau  et  de  ses  démêlés  avec  H.  de  Vol- 
taire,  J'y  ai  joint  l'histoire  de  M.  Saurin  le  géomètre,  qui  m'a  paru  s'y 
lier  naturellement. 

Je  proposai,  il  y  a  trois  ans,  je  crois,  à  M,  Fréron  de  procurer  l'im- 
pression de  ce  manuscrit.  Il  s'y  prêta  et  il  arriva  un  incident  causé  par 
les  Trais  du  courrier  qui  furent  exorbitants,  au  lieu  que  j'avais  demandé 
à  nos  commissionnaires  que  le  manuscrit  fut  envoyé  par  le  chariot  de 
poste.  Cela  a  fait,  si  je  ne  me  trompe»  entre  80  et  100  livres.  Le  libraire 
Delalain  a  payé  ce  port  et  a  mis  dans  ses  catalogues  l'annonce  du  livre 
(avec  mon  nom,  contre  mon  intention)  comme  devant  être  imprimé 
chez  lui*  Depuis  ce  temps  jusqu'à  votre  lettre,  monsieur,  je  n'en  ai  pas 
ouï  parler.  J'ai  supposé  que  les  difficultés  de  la  censure  arrêtaient  et 
que  cela  venait  peut-être  d'égards  pour  M,  Saurin,  actuellement  de 
l'Académie  française,  quoiqu'il  ne  me  paraisse  pas  que  la  mémoire  de 
son  père  soit  blessée  dans  ce  que  j'en  ai  écrit. 


Berlin,  le  15  juin  1171, 

Je  suis  bien  charmé  que  les  témoignages  de  ma  confiance  vous  aient 
été  agréables,  monsieur;  ils  étaient  naturellement  dus  aux  avances 
d'estime  et  de  politesse  dont  vOWfl  m'avez  honoré  et  je  n'ai  point  d'autre 
manière  de  procéder  que  celle  dont  vous  pouvez  juger  par  là.  La  lettre 
ci-jointe  au  sîeur  Delalain  que  j'écris  à  votre  réquisition  vous  en  con- 
vaincra de  plus  en  plus.  Vous  verrez  comment  il  se  tirera  de  ce  pas  : 
|S  ne  lui  marque  pas  un  iota  qui  ne  soit  exactement  de  fait.  Je  serai 
bien  aise  d'être  instruit  de  l'issue. 

Je  n'ai  qu'une  remarque  à  ajouter  vis-à-vis  de  vous,  monsieur;  cVst 
que  je  n'entends  pas  me  constituer  votre  débiteur  des  83  livres  que  voua 
donnerez  pour  retirer  le  manuscrit.  Cela  remonte  toujours  à  l'état  pri- 
mitif de  la  question  :  ces  83  livres  n'ont  jamais  du  être  sur  mon 
compte.  Delalain  a  voulu  les  payer  :  c'était  à  ses  risques;  h  présent, 
monsieur,  vous  voulez  les  rembourser  à  Delalain  :  il  en  est  de  même, 
et  vous  ne  devez  le  faire  que  dans  l'attente  de  tirer  de  l'acquisition  de 


LOUIS  RACINK  ET  LA  CORRESPONDANCE  DE  JEAN-BAPTISTE  ROUSSEAU.      313 

ce  manuscrit  de  quoi  vous  dédommager  de  ce  débours.  Quant  à  ce  que 
je  pouvais  espérer  pour  parvenir  aux  200  livres  que  j'avais  stipulées 
avant  cet  incident,  vous  serez  toujours  parfaitement  le  maître,  mon- 
sieur, de  cet  article-U,  et,  quoi  qu'il  arrive,  je  compterai  pour  beau- 
coup de  vous  avoir  obligé  et  d'avoir  acquis  votre  amitié.  Je  suis  bien 
sensible  au  souvenir  obligeant  de  M.  Fréron  et  je  vous  prie  de  l'en 
assurer... 

Connaissez- vous  M.  de  La  Gondamine  ou  voudriez-nous  faire  connais- 
sance avec  lui?  Alors  je  vous  prierais  d'aller  un  jour,  à  votre  commo- 
dité, le  voir,  le  saluer  de  ma  part,  et  lui  dire  que  je  lui  ai  écrit  le  der- 
nier, que  je  compte  qu'il  a  bien  reçu  :  1°  les  programmes  des  questions 
pour  les  prix  auxquels  il  s'intéresse;  2°  les  derniers  volumes  des 
Mémoires  de  notre  Académie,  qui  ont  été  mis  avec  ceux  pour  M.  d'Alem- 
bert  dans  un  envoi  que  M.  Bernouilli  a  fait  à  Paris  de  son  ouvrage 
intitulé  Recueil  pour  les  astronomes.  Je  souhaiterais  fort  que  M.  de  La 
Condamine  me  donnât  de  ses  nouvelles. 

L'anonyme  de  la  Bibliothèque  impartiale  était  un  vieillard  nonagé- 
naire. 11  doit  être  mort  depuis  longtemps.  Mais  Voltaire  vit. 

Je  croyais,  monsieur,  que  mon  ouvrage  pouvait  vous  être  utile  à 
titre  de  compilation  exacte,  qu'il  vous  épargnerait  des  recherches  et 
que,  si  M.  Delalain  vous  le  cède  pour  ce  qu'il  lui  en  coûte,  le  marché 
ne  sera  pas  désavantageux.  J'ai  été  le  seul  perdant  dans  cette  affaire. 
J'avais  stipulé  200  livres  pour  mon  honoraire,  M.  Fréron  m'avait  mandé 
que  je  les  recevrais  et  l'incident  susdit  a  tout  dérangé.  Je  serais  bien 
aise  si,  au  défaut  de  mon  utilité  particulière,  il  pouvait  encore  résulter 
de  mon  travail  quelque  chose  qui  tournât  à  l'utilité  publique. 

Je  me  félicite  d'avoir  acquis  la  connaissance  d'un  homme  de  votre 
mérite,  je  la  conserverai  avec  plaisir  et  vous  me  trouverez  en  toute 
occasion  disposé  à  vous  donner  des  preuves  de  la  considération  distin- 
guée avec  laquelle  j'ai  l'honneur  d'être...  Forme  y. 

Disons  en  terminant  que  le  manuscrit  du  travail  de  Formey  n'est  pas  perdu. 
Il  porte  pour  litre  :  Les  vies  de  Jean-Baptiste  Rousseau  et  de  Joseph  Saurin. 
(A  Genève,  chez  les  frères  Cramer,  1767),  et  il  est  également  conserve  mainte- 
nant à  la  bibliothèque  de  Chartres  sous  le  n°  835.  C'est  une  compilation  qui 
ne  contient  rien  d'inédit,  mais  qui  expose  avec  mesure  la  vie  et  le  caractère 
de  J.-B.  Rousseau. 

P.  B. 


R«V.  DHI8T.    UTTÉR.  DE  LA  FRANCE  (7«  Alin.).   —   Vil.  21 


314 


REVUE   Il'HlSTOIRK    LITTÉRAIRE    DE    LA   FRANCE. 


LES  ENFANTS  DE  JEAN-JACQUES    ROUSSEAU 


Mm*  Frederika  Macdonald  a  publié  dans  îa  Berne  des  Bévues  du  15  mars  (000 
un  article  :  FfW  ta  réhabilitation  de  Jean- Jacques  Rousseau  (lu  légende  de  &?$ 
cnfimt*),  qui  Tait  suile  à  deux  autres,  du  J*r  octobre  1898  :  Comment  Romteau 
fut  mlotnnié;  et  du  ifi  août  1899  ;  Lu  réhabilitation  de  Rousseau, 

Sans  entrer  dans  la  discussion  des  idées  que  M'"*  Macdonald  a  indiquées, 
et  qu'elle  voudra  sans  doute  développer  dans  l'ouvrage  qu'elle  prépare,  je 
présenterai  des  observations  sur  deux  points» 

I,  Au  livrr'  ¥11  des  Confessions,  Uoussean  parle  du  séjour  qu'il  fît  à  CUenon- 
ceaux  eu  1747,  Mais  il  a  fait  dans  ce  château  deux  séjours,  en  174G  et  en  1747  ; 
c'est  ce  qui  ressort  de  sa  lettre  à  Mn,c  de  Warcns,  du  17  décembre  1747  ; 

«  fl  tfj  a  que  six  jours,  ma  très  chère  maman,  que  je  suis  de  retour  de 
Chenonceaux*  En  arrivant,  j'ai  reçu  votre  lettre...  je  vois  que  vous  n'avez  pas 
reçu  celle  que  Je  vous  avais  écrite  de  la...  Dans  réloi^nement  où  j'étais  de 
tout  bureau  pour  affranchir,  je  hasardai  ma  lettre  sans  affranchissement... 
Ce  qui  m'avait  enhardi  a  hasarder  cette  lettre,  c'est  que  l'année  dernière,  il 
vous  en  était  parvenu  une,  que  j'avais  hasardée  de  la  m^me  manière.  » 

VAiU$  Ûé  Sylvie  et  la  première  grossesse  de  Thérèse  se  placent  dans  le  pre- 
mier de  ces  deux  séjours.  En  elTet  Jean-Jacques  a  dit  dans  YÂltée  de  %/> 

Déjà  île  mon  septième  lustre 
Je  vois  le  termu  s'avancer. 

Et  il  était  né  le  ÎÎ8  juin  1712.  —  Quant  à  la  naissance  du  premier  enfant  de 
Thérèse,  il  faut  la  placer  sans  doute  dans  l'hiver  de  17i6  à  1747.  On  se  rappelle 
en  effet  que  la  liaison  de  Rousseau  et  de  Thérèse  date  de  l'été  de  4745. 

%  Je  ne  partage  pas  l'avis  de  madame  Macdonald  sur  le  silence  qu'auraient 
tfardé  les  anciens  amis  de  Rousseau  snr  le  chapitre  de  ses  enfants.  Comment 
Voltaire  a*l~il  su  te  secret  de  Housseau,  qu'il  a  révélé  dans  le  Sentiment 
rituyens,  en  décembre  17641  Deux  ans  plus  tard,  le  3  novembre  1766,  Voltaire 
écrivait  encore  à  M.  de  Ghabanon  ;  «  Voyefc  Jean-Jacques  Rousseau,  il  traîne 
avec  lui  la  belle  mademoiselle  Le  Vasseur,  sa  blanchisseuse,  a  fiée  de  cin- 
quante ans,  a  laquelle  il  a  fait  trois  entants,  qu'il  a  pourtant  abandonnés  pour 
s'attacher  à  l'éducation  du  seigneur  Emile,  et  pour  en  faire  un  bon  menuisier.  » 

Par  qui  Voltaire  a-t-il  élé  informé?  Cest  Grimm  sans  doute,  dans  le  séjour 
qu'il  a  fait  à  Genève  en  17iV.lT  qui  a  mis  Voltaire  au  courant;  à  moins  que  ce 
ne  soit  Tronchin.  Dans  les  lltreunrs  chrétienne*  I  vingtième  année,  Genève,  1893) 
j'ai  publié  une  lettre  du  docteur  Tronchin  à  son  fils»  datée  du  lçr  juillet  \7iY*>  : 
w  On  dit  qu'il  ilioftasettu)  est  enragé,  et  qu  il  veut  se  retirer  en  Ecosse,  C'est 
grand  dommage  que  cet  homme  n'ail  que  l'appareil  de  la  vertu.  Et  c'est  ce 
qui  explique  comment,  ayant  vécu  dans  l'impureté,  et  ayant  eu  plusieurs 
enTants  d'une  concubine,  il  les  a  lous  exposés.  Quiconque  peut  manquer  au 
premier  sentiment  de  la  nature,  tient  bien  faiblement  à  tous  les  autres,  m 

EUGBWE  RlTTEfl. 


LE    SEftMOH    DES    CINQUANTE. 


315 


LE  SERMON   DES  CINQUANTE 


Dans  un  article  de  la  Revu?  des  Deux  Mondes,  du  {'6  mars  1880»  M.  Rru ne- 
utre a  exactement  marqué  la  date  où  parut  le  Sermon  de$  cingwanU,  La  pre- 
mière mention  de  cette  brochure  est  dans  une  lettre  de  Moullou  à  Jean-Jacques 
Rousseau,  du  21  août  1762  :  «  Je  viens  de  lire  un  petit  ouvrage  qu'on  m'a  dit 
de  Voltaire,  et  qui  est  bien  marqué  à  son  coin,  intitulé  ;  Sermon  des  cinquante* 
C'est  une  chose  horrible.,.  Je  ne  doute  pas  cependant  que  cet  ouvrage  n'ait 
été  imprimé  à  Ueuève.  i 

M.  lfrn«esco,  dans  le  second  volume  de  sa  Bibliographie  de  Voltaire  (t885)t 
pages  IIS  et  suivantes,  ne  cite  pas  cet  article  de  II,  Brunit  iére,  ni  la  lettre  de 
Moullou;  et  il  mentionne  seulement  les  lettres  des  mois  de  septembre  et 
octobre  17 fi 2,  où  Voltaire  a  parlé  du  SffMfl  ttes  cinquante.  On  vient  de  voir 
que  la  publication  en  est  antérieure  d'un  mois  à  l'époque  indiquée  ainsi 
par  M>  Bengeseo, 

Mais  quand  Voltaire,  au  mois  d'août  1702, a  fait  imprimer  le  Sermon  dm 
rinqiifititi\  rst-ce  qu'il  venait  de  l'écrire?  (Test  Tavis  de  M*  Brunetiere  t  *  Le 
Sermon  des  ctnffuttnti%  dit-il,  lut  uue  réponse  de  Voltaire  à  la  Profession  de  foi 
du  tricairt  iaooyQrd.  IL  fut  composé  pour  disputer  à  Housseau  l'honneur  d'avoir 
attaqua  seul  en  lace  l'élertielle  ennemie  des  philosophes,  «  {lievtte  des  Itetiz 
Mondes  des  IS  mai  1878  et  ta  mars  1880.) 

C'est  aussi,  semhle-t-iL  l'avis  de  M.  Beugeseo,  d  après  lequel  «  c'est  a  tort 
que  titimm,  dans  sa  Correspomlancû  littéraire  (édition  Tourneux,  VU,  147)  dit 
que  le  Svrmott  dus  cinquante  fut  prononcé  à  Berlin  pendant  le  séjour  du 
patriarche  h  la  cour  du  roi  de  Pruss» 

Mais  un  document  qui  avait  échappé  jusqu'ici  aui  chercheurs  vient  donner 
raison  a  lin  ni  m, 

La  Beau  nielle,  dans  sa  Heponse  au  Supplément  du  Siècle  de  Louis  Xt\\ 
Colmar,  IToi,  a  réimprimé  des  pièces  qui  avaient  déjà  été  publiées  antérieu- 
rement, entre  autres  un  mémoire  de  Voltaire  S  daté  de  Berlin,  27  janvier  (753. 
a  m:  dfs  apostilles  de  La  Beaumelle,  datées  de  Paris,  3  mars  1753.  Voltaire 
avait  dit  dansée  mémoire,  en  parlant  de  La  Beau  nielle  :  «  C'est  cet  homme 
proscrit  dans  tous  les  pays,  que  Maupertuis  recherche  dès  qu'il  est  arrivé,  et 
qu'il  va  soulever  contre  moi...  u  Et  La  Beaumelle  apostille  ainsi  ce  passage; 

«  Promit?  Hans  quel  pays,  et  pourquoi?  Serai  s -je  l'auteur  de  ce  Sermon  de 
(sic)  riuqiumte,  qui  ne  peut  devenir  public  que  le  prédicateur  ne  soit  mis  en 
pièces  par  tous  les  peuples  qui  vivent  sous  la  toi  de  Christ,  de  Moïse,  ou  de 
Mahomet?  » 

Evidemment  La  Beaumelle»  pendant  son  séjour  à  Berlin  en  1752,  avait 
entendu  parler  du  Sermon  de*  cinquante,  qui  est  ainsi  antérieur  de  dix  ans  à 
la  publication  de  V Emile. 

EUGÈNE   RlTTCH, 


L  On  trouve  ce  mémoire  dans  l'édition  Motand,  t.  XV,  dans  une  note  de  la  page  95. 


316 


ntvrE  d  HiSTOiHK  i  rn  i  haihe  de  la  krànœ. 


SUR   LE  PORT-ROYAL   DE   SAINTE-BEUVE 


Tous  ceux  qui  s^inléresserit  à  la  littérature  du  stx*'  siècle  ont  entendu  parler 
des  magnifiques  archives  qu'a  constituées,  avec  tant  de  zèle  et  de  perso vi  - 
rance,  l'érudii.  helpe,  le  vicomte  de  Spoelberch  de  Lovenjoul.  Bien  des 
ouvrages  qui  ont  paru  en  ces  dernières  années,  sur  les  ccuvres  et  les  hommes 
(ou  les  femmes)  de  celle  époque,  ont  puisé  IA  quelques-unes  de  leurs  révélations 
les  plus  curieuses,  quelques-uns  de  leurs  documents  los  plus  précieux,  —  et 
elles  contiennent  encore  beaucoup  d'autres  trésors  inconnus  du  grand  public. 
Il  in\i  été  donne  récemment  d'apprécier,  en  même  temps  que  riu^pitaliére 
complaisance  du  propriétaire,  la  richesse  de  ces  archives.  Sachant  que  je 
m'occupais  Ûe  Sainte-Beuve,  M,  de  Lovenjoul  a  bien  voulu  mettre  â  ma 
disposition  les  nombreux  papiers  du  critique  qu*i!  avait  acquis  en  bloc,  1  no 
main  dévouée  les  a  classés  et  répartis  en  un  certain  nombre  de  dossiers,  en 
sorte  qu'il  est  facile  de  s'y  retrouver.  J'y  ai  pu  jeter  un  coup  d'œil,  malheu- 
reusement trop  rapide*  Il  ne  me  paraît  pas  sans  intérêt  d*ezpOier  ici*  avec 
l'autorisation  de  M*  de  Lovenjoul,  ce  que  j'ai  trouvé  dans  l'un  d'entre  eux,  le 
dossier  de  Port- Royal. 

Ce  dossier  devait  renfermer  Je  manu^rii  des  leçons  que  Sainte-Beuve  a 
professées  à  Lausanne;  et,  s*îl  était  complet,  il  nous  présenterait  comme  une 
première  édition  du  magistral  ouvrage  auquel  ce  cours  a  donné  naissance. 
Malheureusement,  toutes  les  leçons  n'y  sont  plus.  Sans  doute,  Sainte-Beuve 
en  aura  utilisé  nu  certain  nombre  pour  J'im pression  du  livre  tui-même;  ou 
bien,  il  en  aura  distrait  d'autres  de  L'ensemble,  soit  pour  les  Insérer  dans  l'un 
de  ses  cours  à  l'École  normale,  soit  pour  les  employer  dans  un  article  ulté- 
rieur. Quoi  qu'il  eu  soit,  je  n'ai  plus  trouvé  réunies  que  les  leçons  26,  Si  à  56» 
et  59  à  Si,  soit  27  en  tout;  Sainte-Beuve  en  avait  fait  8L 

La  première  chose  qui  m'ait  frappé,  quand  j'ai  parcouru  ces  manuscrits, 
c'est  la  perfection  de  la  rédaction.  Ce  ne  sont  point  des  notes  plus  ou  moins 
incomplètes,  un  canevas  plus  ou  moins  étendu;  ce  sont  au  contraire  des 
développements  suivis,  soignés  dans  le  détail  même,  au  point  qu'on  aurait  pu 
remettre  telle  quelle  chacune  de  ces  leçons  à  l'imprimeur.  On  serait  tefité 
de  croire  que  Sainte-Beuve  les  a  htes  ;i  ses  auditeurs.  Cependant,  il  s'en 
défend;  et,  à  l'en  croire,  il  entendait  ne  point  s'asservir  à  ses  notes. 
M.  Roustan,  professeur  au  lycée  de  Lyon,  a  bien  voulu  me  communiquer 
quelques  lettres  médites,  écrites  par  Sainte-Beuve  à  un  ami  Lyonnais,  Col- 
lombet.  Jy  liss  à  la  date  du  3$  décembre  1837  : 

m...  LY-Lude,  vous  le  savez,  a  de  grands  charmes,  et  les  jours,  avec  elle,  ne 
comptent  pas.  Quand  on  a  trois  leçons  a  faire  par  sem;iin«':  et  qu'on  était 
accoutumé  à  la  rêverie  libre  et  à  la  paresse  de  la- bas,  on  subît  \m(\  brusque 
métamorphose.  Je  ne  m'en  trouve  pas  mal.  Mon  cours  va  :  j'ai  trouvé  ici  un 
intérêt  à  ta  fois  bienveillant  et  sérieux,  qu'en  vérité  je  n'eusse  reocODtre,  je 
crois,  à  ce  dc^ré,  nulle  part  ailleurs.  On  s'y  intéresse  à  ces  matières  et  je  puis 
y  pénétrer  en  détail  sans  chercher  de  digressions  et  sans  les  dissimuler,  I 
toutes  mt$  leçcnt,  et  pourtant  f  improvise,  ou  du  moins  je  faù  une  demi+imi 
tisatiint,  t  n  /  me§  papier*  que  je  ne  suis  que  pour  te  sens  et  le  grog. 

Comme  pourtant  tout  est  écrit,  fy  gagne  d'avance  sinon  tit  rédaction  définit 
du  moin$  ta  matêrvtwc  </r  mon  livre*  Si  la  santé  tient  bon  les  cinq  derniers 
mois  qui  me  restent,  je  ne  me  repentirai  certes  pas  de  ma  campagne,  ** 

Puisque  le  cours  avait  été  tout  entier  écrit,  il  n'est  pas  étonnant  qoe  Sainte- 


SUU    LE    PORT-llOYAI.    DE    SAINTË-BI  l  H  . 


317 


Beuvc  ait  parfois  conservé  dans  son  livre  définitif  des  phrases  textuelles  ou 
des  pages  de  sa  première  rédaction.  Et,  en  effet,  sans  les  avoir  spécialement 
cherchées,  j'en  ai  découvert  un  certain  nombre.  Pour  n'eu  citer  qu'un 
exemple»  le  développement  qui  termine  le  chapitre  G  du  livre  V  :  n  Les  dix 
années  qui  suivent-.»  »  (1.  IV,  p.  109),  est  exactement,  ou  a  très  peu  de  chose 
près,  Fexorde  de  la  leçon  <U,  consacrée  à  Nicole. 

Mais  si  Sainte-Beuve  a  transporté  dans  ses  volumes  des  fragments  intacts 
de  ses  leçons,  il  n*t  cependant  point  reproduit  sans  changement  l'ordonnance 
générale  de  son  cours.  Un  cours  a  toujours  quelque  chose  de  plus  libre,  de 
plus  lloltant  qu'un  livre;  et,  un  peu  lassé  déjà  de  l'austérité  de  son  sujet, 
jaloux  de  ne  point  rebuter  son  puUlh  ftj  sérient  qu'il  iiH,  désireux  d'ailleurs 
de  tirer  pour  sou  compte  loua  les  gaulages  possibles  de  son  travail,  il  cher- 
chait a  ne  rien  abandonner  de  cette  liberté.  Le  25  janvier  1838,  il  écrivait 
encore  à  Collombet  : 

«,,.  Je  suis  toujours  attaché  sans  désemparer  à  mon  labourage  ;  je  compte 
les  sillons,  ee  que  j'en  ai  fait,  el  ce  qui  me  reste  à  l'aire.  J'atteindrai  bientôt 
la  moi  lié  de  ma  glèbe*  J*ai  abordé  Pascal,  et  jf*  fais  à  eê  propùê  (dbtm  nttr 
fônguû  pat€tothè$ê)  Montaient?.  Je  ne  perd*  awime  oetûsion  d? élargir  mon  sujet  ff 
de  irir  donner  tout  sun  développement.  Quand  je  tenu  sorti  tU*  là, /aurai  rami 
bien  tirs  bordées  <lam  toute  ta  longueur  tk  notre  littérature,  et  je  me  féliciterai 
de  ce  dont  je  ne  me  repens  pas  aujourd'hui N  mais  qui  pourtant  me  pèse,..  » 

Assurément,  il  y  a  encore  dans  le  Port -Royal,  tel  que  nous  le  connaissons» 
bien  des  digressions,  bien  des  échappées  burs  des  murailles  resserrées  du 
couvent  janséniste  —  et  nous  ne  nous  en  plaignons  pas.  Mais  enfin,  pour 
ordonner  son  récit,  Sainte-Beuve  a  dû  leur  chercher  la  place  qui  leur  con- 
venait le  mieux,  en  restreindre  quelques-unes,  en  supprimer  quelques  autres. 
Il  a  donc  fait  subir  à  son  plan  primitif  un  certain  nombre  de  modifications. 
Cela  est  facile  à  constater,  lorsqu'on  essaye  de  retrouver  ce  quiT  dans  le  livre, 
correspond  aux  leçons  que  nuus  possédons  encore. 

Certaines  d'entre  elles  ont  à  peu  prés  conservé  leur  place  dans  l'ensemble 
du  récil,  ou  même  leur  ordre  réciproque,  —  Ainsi,  la  leçon  o*  (Tillemout  et 
Rancé)  se  trouvait  déjà  vers  la  fin  de  la  parlie  du  eours  consacrée  au\  École* 
de  Port-hmjnl,  comme  Je  font  les  chapitres  Ci  et  7  du  livre  i\\  qui  la  repro- 
duisent; —  les  litç/ms  ;i'J  et  00  [M.  llumon),  61  à  êi  (Nicole),  6o  et  66 
(MUMh  de  Lun^ueville  et  de  Sablé,  M11"  de  Vertus)  ont  formé  respectivement  les 
chapitres  i  a  fi,  7  et  8,  *J  à  H  du  livre  V;  —  les  leçons  1\  i  voyages  d'Arnauld) 
et  72  i.  Arnauld,  Ualebrancbe  et  Leibniz)  ont  formé  Tune  le  chapitre  4,  L'autre 
les  chapitres  5  et  il  du  livre  VI;  —  1rs  Leçons 76  (ÛD  d'Arnauld),  77-78  (du  Gué), 
79-81  (Racine)  ont  formé  les  chapitres  7,8  et  9,  10  et  11  du  livre  VI. 

En  revanche,  un  certain  nombre  d'autres  ont  été  déplacées,  le  sujet  dont 
elle  traitaient  a  été  disposé  autrement  dans  lu  rédaction  définitive;  ou  bien 
ellt-s  ont  été  dissoutes  en  quelque  sorte,  et  les  éléments  dont  elles  se  compo- 
saient dispersés  un  peu  partout  à  travers  l'ouvrage;  ou  bien  encore  elles  ont 
été  soit  considérablement  réduites,  sort  rejetées  dans  des  appendices,  soit  à 
peu  prés  complètement  supprimées;  ou  bien  enfin  elles  ont  subi  à  ta  fois  ces 
divers  traitements. 

Pans  sa  20"  leçon,  Sainte-Beuve  achevait  de  parler  d' Arnauld  dÂndilly,  il 
en  arrivait  a  La  Fontaine  et,  en  particulier,  à  son  poème  de  la  GaptitUé  de 
Saint-Maie,  —  Ce  sont  des  choses  qui  se  trouvent  aujourd'hui  réparties  entre 
les  chapitres  15  du  livre  11  et  9  du  livre  V.  Il  y  a  donc  entre  les  divers  fra^ 
mrnts  de  celle  unique  leçon  une  distance  assez  considérable  et  c'est  une 
preuve  que,  sur  ce  puinl,  le  récit  a  été  profondément  reinani' 

La  5*6*  leeon  n  a  pas  été  moins  déplacée  ni  morcelée.  Elle  traitait  du  poètt 
latin  Santé ul,  et  de  la  querelle  qu'il  s'était  laite  avec  les  jésuites  pour  son 
imprudente  épitaphe  d'Arnauld.  Elle  suivait  immédiatement  la  leçon  consacrée 
à  Tillecnout  et  a  Rancé»  et,  comme  celle-ci,  était  rattachée  aux  Êcotes  de  Port- 


318 


REVUE    DTHI3T01KK    LITTÉRAIRE    b£    LA    FRANCE. 


Royal  :  elle  faisait  donc  partie  de  ce  qui  est  devenu  le  livre  IV.  Or,  mainte- 
nant, l'essentiel  s'en  retrouve  au  ehapilre  7  du  livre  VI,  divers  fragments  en 
sont  dispersés  *;à  et  là,  enfin,  une  grande  partie  en  a  été  rejetée  en  appendice 
(t.  Y,  p.  575),   * 

Plus  maltraitée  encore  a  été  la  56e  leçon*  Celle  là  aussi  était  rattachée  aux 
Écoles  dâ  Port-Royal^  et  Sainte-Beuve  y  étudiait  longuement  Daguesseau.  cou 
sidéré  comme  le  type  des  élèves  indirects  de  Port-Royal.  Sainte-Beuve  n'en  a 
laissé  au  chapitre  7  du  livre  IV  qu'un  très  court  résumé  d'une  vingtaine  de 
lignes  (t.  IV.  p.  104),  et  il  a  réparti  chemin  faisant  les  renseignements  qu'elle 
contenait  sur  Daguesseau. 

Certaines  choses  des  leçons  67  à  70,  sur  Boîleau,  et  74  à  75,  sur  Bossue t,  se 
retrouvent,  les  unes  au  chapitre  lt  les  autres  ou  chapitre  5  du  livre  VI;  mais 
ces  leçons  aussi  ont  été  dispersées  et  n'ont  point  véritablement  donne  des 
chapitres  du  livre, 

La  73'  leçon,  sur  Do  mal*  a  subi  à  peu  près  le  même  sort  que  la  leçon  sur 
Daguesseau.  Sainte- Bcuve  n'en  a  conservé  qu'un  court  résumé  (chapitra  7  du 
livre  Vli;  mais,  cette  lois,  il  a  expliqué  pourquoi  :  h  Si  j'avais  écrit  il  y  a 
quelques  années,  j'y  aurais  donne  aussi  «  dans  cette  étude  du  déclin  »]  une 
place  à  Doinat*  un  des  amis,  un  de  ceux  qu'on  pourrait  quai t lier  les  a&Si> 
libres  de  Po  il -Royal,  et  qui  mourut  deux  ans  après  ArnauJd  (1690).  Mais  cela 
nous-  engagerait  dans  des  lectures  qui  sont  peu  de  notre  ressort,  et  Domat 
d'ailleurs  a  été  le  sujet  de  publications  et  de  discussions  assez  récentes  » 
(t.  V,  p,  520). 

I  h  lin t  la  81*  leçon,  ou  plutôt  la  dernière  partie  de  cette  leçon,  a  été  trî-s 
développée,  puisqu'elle  a  donné  les  chapitres  12  et  4  3  du  livre  VI»  Sainte- 
Eeuve,  dans  son  cours,  avait  passé  rapidement  sur  La  mort  de  Port- Ui>  val;  il 
a  senti  que  dans  son  livre  il  devait  insister  un  peu  sur  les  convulsions  der- 
nières. 

Sur  les  feuilles  manuscrites  de  ces  leçons  mêmes,  ou  sur  des  feuilles  ajou- 
tées, ou  retrouve  encore  la  trace  du  travail  de  la  rédaction  définitive.  On  voit 
par  exemple  que  Sainte-Beuve  a  eu  successivement  l'idée  de  plusieurs  épi- 
graphes» D'abord,  il  voulait  donner  la  même  a  tout  l'ouvrage  :  k>„.  Eu  sorte 
que  l'histoire  de  Port-Royal  est,  à  proprement  parier,  le  plus  beau  morceau 
du  xvn,!  siècle  ».  (Dora  Clémence  L  Préface  de  l'Histoire  tfètwrale  tlv  Pori-Roynt. 
Puis,  il  a  cherché  des  épigraphes  dilïê renies,  pour  les  diverses  parties  du 
récit  :  les  volumes  III  et  IV  auraient  conservé  celle  qu'on  vient  de  lire;  les 
volumes  I  et  II  auraient  eu  celle-ci  »  «  Qui  ne  connaît  pas  Port-Royal  ne  con- 
naît pas  1  "humanité  »-»  (Royer-Collard.) 

Mais  voici  quelques  lignes  inédites  qui  m'ont  paru  mériter  vraiment  d'être 
tirées  de  l'oubli.  On  sait  que  Sainte-Beuve  avait  publié  sa  Leçon  d'ouverture 
dans  la  Revue  des  Drux  Mondes  {15  décembre  1837)  et  qu'elle  sert  actuellement 
dT  in  traduction  générale  sous  le  titre  de  Discours  pretîrnmnù'e*  Ce  discours, 
comme  il  convient,  commence  par  des  remerciemenis  aux  autorités  et  aux 
corps  qui  avaient  appelé  Sainte-Beuve  à  l'Académie  de  Lausanne,  Il  avait  eu 
l'idée  d'enlever  à  celte  introduction  sou  caractère  de  discours,  sou  ton  de 
circonstance;  et,  pour  cela,  il  avait  songé  à  remplacer  Je  premier  paragraphe 
par  l'exorde  suivant  : 

*  Je  veux  écrire  avec  simplicité  l'histoire  d'une  entreprise  religieuse  qui 
remplit  tout* le  xvne  siècle,  qui  commença  par  la  réforme  d'un  couvent  de 
filles  et  à  laquelle  les  plus  grands  esprits  et  les  plus  savants  hommes  sV 
ciërent  bientôt  étroitement.  Je  m'attacherai  moins  au  détail  des  querelles, 
qui  serait  infini  —  et  qu'on  peut  lire  ailleurs  dans  des  livres  déjà  faits  —  qu'à 
l'esprit  même  et  aux  phases  successives  de  l'entreprise»  qui  ne  lut  pas  en  tout 
temps  la  même,  qui  se  modifia  et  s'altéra  en  se  continuant»  Elle  resta  grande 
durant  tout  le  xvn°  siècle,  et  je  ne  îa  suivrai  rapidement  au  delà  que  pour  eu 
montrer  à  regret  les  conséquences  de  plus  eu   plus  forcées  et  rélrécies.  Du 


SUR   LE   PORT-KOYÀL   DE    SAINTE-BEUVE.  319 

moins,  de  saints  hommes,  de  justes  et  beaux  caractères  s'y  rencontrent 
jusqu'au  bout  et  consolent.  Je  m'arrêterai  surtout  devant  ceux  du  xvn°  siècle  : 
a^ec  complaisance,  avec  respect,  heureux  de  reconnaître  en  eux  les  derniers 
vrais  modèles  de  cette  autorité  morale  dont  nul  aujourd'hui  n'est  investi, 
heureux  d'oublier  un  peu  dans  leur  commerce  sévère  la  connaissance  des 
hommes  de  nos  temps  :  plus  heureux,  qui,  favorisé  d'en  haut !,  apprendrait 
d'eux  à  se  retremper  soi-même  !  » 

On  voit  quelle  sincérité  émue  anime  ces  paroles;  et,  il  est  curieux  de 
comparer  ces  lignes  si  chrétiennes  de  ton  et,  pour  ainsi  dire,  d'espérance, 
avec  la  conclusion  qu'en  août  4857  Sainte-Beuve  a  mise  à  son  œuvre  achevée. 
Cette  conclusion  aussi  est  émue,  mais  combien  différemment!  L'espoir  a 
disparu,  et  l'amour,  et  le  charme  ;  et  si  l'incrédulité  n'est  point  affirmée  sans 
regret,  elle  l'est  du  moins  sans  réserves.  Il  y  a  vingt  ans  de  distance, 
vingt  ans  de  vie,  entre  ce  débat  et  cette  lin. 

G.  Michaut. 

1.  Sainte-Beuve  avait  d'abord  mis  :  «  Dieu  y  aidant  »;  la  correction  est  déjà 
significative. 


COMPTES    RENDUS 


Karl  Maktzii  s.  —  Skuespilkunstens  Historié  (Histoire  de  l'art  drama- 
tique), Vol.  ML  Copenhague,  librairie  GyldendaL  1897-1891». 

M.  ManUiius,  sociétaire  du  Théâtre  Royal  danois,  s'est  proposé  de  présenter 
au  public  Scandinave  une  histoire  complète  du  développement  de  l'art  drama- 
tique a  travers  les  temps  et  les  différentes  nations.  Son  travail,  dont  les  deux 
premier*  volumes  ont  déjà  paru,  est  le  fruit  de  recherches  laborieuses  entre- 
prises pendant  une  série  de  vacances,  dans  les  bibliothèques  de  Copenhague» 
de  Paris  et  de  Lo&dfei.  Avant  de  se  vouer  au  culte  de  Thahe,  M.  Manlzius  s'oc- 
cupait des  lettres  et  cultivait  avec  zèle  la  philologie  romane;  malgré  ses  grands 
succès  de  théâtre,  il  n'a  jamais  onblié  ses  premières  amours,  qui  lui  rendent 
bien  son  dévouement.  Son  nouvel  ouvrage  est  savant  et  solide  non  moins  que 
clairet  hien  composé;  il  est  en  même  temps  original  h  plusieurs  points  de 
vue.  Dans  le  premier  volume,  il  étudie  les  origines  de  Tait  dramatique,  et, 
après  un  aperça  sommaire  du  théâtre  des  Chinois,  des  Japonais  et  des  Hindous, 
il  étudie  tout  spécialement  le  théâtre  de  l'Antiquité,  Le  deuxième  volume,  qui 
intéressera  plus  particulièrement  les  lecteurs  de  cette  revue,  traite  le  Moyen 
Age  et  la  Uenaissanee,  et  c'est  surtout  ici  que  se  montre  l'originalité  de 
M.  Mautiius  :  il  est  si  rare  que  les  littérateurs  qui  s'occupent  de  l'histoire  du 
théâtre  soient  experts  eux-mêmes.  En  sa  double  qualité  d'acteur  et  d'historien, 
M.  Manlzius  a  su  expliquer  maint  détail  technique  de  l'arrangement  delà  scène 
d'une  manière  plus  satisfaisante  que  ses  prédécesseurs.  Ainsi  pour  prendre  un 
seul  exemple  :  son  explication  de  la  très  curieuse  miniature  de  Jean  Fouquet 
diffère  notablement  en  plusieurs  points  de  celle  qu'adonnée  M.  Germain  Uapst 
[E&stii  sur  thistuire  du  théâtre,  p.  33).  Je  n'entrerai  pas  ici  dans  une  an  a 
détaillée  de  la  nouvelle  histoire  de  l'art  dramatique;  écrite  en  danois,  elle 
trouvera  probablement  peu  de  lecteurs  hors  des  pays  Scandinaves  et  germa- 
niques. Mais  je  me  fais  un  plaisir  d'attirer  l'attention  sur  une  partie  du  livre 
dont  la  langue  n'entrave  pas  La  compréhension,  savoir  les  illustrations  qui 
sont  nombreuses  et  très  bien  choisies;  il  y  eu  a  mrmo  qui  iront  pas  été  repro- 
duites autre  part,  et  qui  intéressent  tout  particulièrement  la  littérature  fran- 
çaise. La  grande  Bibliothèque  (loyale  de  Copenha^u^  poseèda  une  coliectiou 
importante  d'anciennes  gravures  concernant  le  vieux  théâtre  français  et  l'ita- 
lien ;  on  y  trouve  entre  autres  choses  des  portraits  très  curieux  des  farceurs  et 
des  comédiens  et  plusieurs  scènes  de  leur  répertoire.  Recette  collection  trop  peu 
utilisée  jusqu'à  présent,  M.  Mantzîus  a  fait  reproduire  une  gravure  de  II.  Ùàf- 
rinck  «entre  1571)  et  (580)!  représentant  une  scène  de  farce.  La  légende  pnrte  ; 
«  Comédie  ou  farce  de  six  persontjH.îges  i>.  Je  ne  suis  pas  arrivé  à  déterminer 
quelle  est  cette  farce,  mal  y  ré  les  renseignements  détaillés  de  la  gravure  ;  mais 
de  plus  habiles  que  moi  y  arriveront  sans  doute  facilement.  On  voit  au  milieu 
de  la  scène  une  jeune  femme  couronner  de  deux  cornes  un  vieillard  barbu 
qui  ressemble  un  peu  au  Pantalone  italien,  sauf  qu'il  est  arme  d'une  courte 
êpée,  A  leur  droite  se  tiennent   une  femme  plus   âgée,    probablement   une 


COMPTES   RENDUS.  321 

entremetteuse,  et  un  capitan  très  élégant.  A  la  gauche  du  vieillard,  un  valet 
vêtu  d'un  costume  assez  bizarre;  il  est  en  train  de  s'en  aller  et  étend  le  bras 
droit  en  désignant  le  capitan  d'un  air  moqueur.  A  l'extrémité  gauche  de  la 
scène,  on  voit  la  tête  et  les  pieds  d'une  femme  derrière  un  rideau,  elle  parait 
à  peine  vêtue,  les  pieds  sont  nus  et  la  tète  est  coiffée  d'un  bonnet  de  nuit;  elle 
lève  l'index  et  parait  gronder  les  autres  personnages  '. 

Le  livre  de  M.  Mantzius  nous  apporte  aussi  la  reproduction  d'une  autre  gravure 
(de  lluret),  représentant  quatre  farceurs  :  Michau,  comme  vieillard  ridicule, 
Boniface,  en  habit  de  docteur  à  l'imitation  du  Dottore  Graziano,  Alison,  habillé 
de  vieille  femme,  et  Philipin,  fagoté  comme  une  sorte  d'Arlequin.  Au-dessous 
de  ces  portraits  se  trouvent  les  vers  suivants  : 

Michau,  Boniface,  Alison, 
Et  Philipin  qui  les  seconde, 
Se  mocquent  avecque  raison 
Des  impertinences  du  monde. 

Michau  ne  plaist  pas  moins  aux  yeux 
Qu'il  est  agréable  aux  oreilles, 
Boniface  le  sérieux 
Ne  raconte  que  des  merveilles. 

Alison  se  fait  admirer, 
Philipin  raille  sans  mesdire 
Et  tous  ensemble  font  pleurer 
Mais  i 'en tends  à  force  de  rire. 

Boniface  et  Alison  appartenaient  à  l'Hôtel  de  Bourgogne;  on  ne  sait  rien 
sur  Michau  et  Philipin,  leurs  noms  sont  même  restés  inconnus  jusqu'à  présent, 
que  je  sache;  c'est  pourquoi  j'ai  jugé  utile  d'attirer  l'attention  des  amateurs 
français  sur  la  gravure  de  Huret,  que  M.  Mantzius  a  le  mérite  d'avoir 
fait  connaître. 

Kr.  Nyrop. 


Sainte-Beuve.  —  Causeries  du  Lundi,  Portraits  littéraires  et  Portraits  de 
femmes.  Extraits,  avec  une  introduction,  par  Gustave  Lanson. 

On  a  déjà  publié  des  Extraits  de  Sainte-Beuve,  en  adoptant  l'ordre  chrono- 
logique de  l'histoire  littéraire,  en  rangeant  les  fragments  empruntés  aux 
Lundis  ou  aux  Portraits  par  époques,  depuis  l'antiquité  jusqu'à  nos  jours.  Et 
les  recueils  ainsi  formés  sont  d'une  incontestable  utilité  pour  rélève  de  rhé- 
torique en  quête  de  quelque  jugement  tout  fait,  pour  le  candidat  à  l'Ecole 
normale  ou  à  la  licence,  beaucoup  plus  préoccupé  de  trouver  une  opinion  que 
de  s'en  former  une,  et  de  dérober  une  expression  piquante  que  de  rendre  avec 
franchise  et  simplicité  ses  impressions  personnelles.  De  pareils  livres,  je 
l'avoue,  quoique  composés  par  des  professeurs  très  distingués,  font  le  plus 
grand  mal  à  l'enseignement,  s'il  est  vrai  qu'ils  peuvent  aider  non  seulement 
le  candidat  au  baccalauréat,  mais  même  l'aspirant  licencié  ou  agrégé,  à 
acquérir  un  savoir  encyclopédique  et  superficiel  qui  fait  illusion,  pour  quel- 
ques heures,  aux  juges  le  plus  compétents;  et  je  voudrais,  comme  dit  l'autre, 
«  qu'on  en  eût  fait  pendre  quelqu'un  ». 

Mais  enfin,  n'envisageons  point  ici  les  inconvénients  pédagogiques  de  pareils 
recueils;  prenons  ces  livres  pour  ce  qu'ils  croient  ou  veulent  être.  Ils  veulent, 
j'imagine,  nous    donner   ainsi    un  résumé,  une   synthèse,  de  l'immense  et 

1.  Cette  gravure  a  aussi  été  reproduite  dans  YHistoire  de  ta  langue  et  de  la  litté- 
rature française,  vol.  111,  p.  296,  mais  la  reproduction  de  M.  Petit  de  Julleville  ne 
donne  pas  le  nom  du  graveur. 


322 


KCVUt    D  HISTUlHE    UTTËHAIIŒ    DE    LA    FHAM  B* 


complexe  enquête  critique  à  laquelle  s'est  livre,  pendant  plus  de  quarante  ans, 
Sainte-Beuve*  Or  il  serait  logique,  peut-être,  île  découper  ainsi,  et  de  classer 
dans  les  cases  de  la  Chronologie  littéraire,  au  mépris  de  leur  date  propre,  les 
articles  ou  les  livres  de  Vîltemaio,  de  Saint- Marc  fiirardin,  de  Nisard,  tous,  à 
leur  manière,  gens  de  doctrine,  à  principes  fixes,  à  peu  pr^s  semblables  à. 
eux-mPmes  d'une  année  a  l'autre,  Sainte-Beuve,  au  contraire,  a  pris  soin  de 
nous  avertir  lui-même,  et  assez  clairement,  qu'il  était  tmdo\fWHi  et  dirent;  et 
l'épigraphe  qu'il  &  mise  en  tête  de  ses  Portraits  coitîvmpur titts  déviait  être 
celle  de  son  œuvre  tout  entière  :  i  Nom  sommes  mobiles,  et  nous  jugeons 
des  êtres  mobiles  *.  —  La  date  est  donc  un  Je  nos  premiers  éléments  d'ap- 
préciation, quand  nous  voulons  juger  un  jugement  de  Sainte-Beuve.  Nous 
serons  bien  d'accord  en  elTet  sur  ceci,  c'est  que,  quand  nous  lisons  les  Lundi* 
ou  les  Portraits,  nous  n'y  cherchons  pas  ce  que  nnus  trouverions  dans  un  die* 
tronnaire  on  dans  un  manuel,  mais  plutôt  la  mise  en  couvre  originale  de  ces 
documents  trivials.  Je  n'étudierai  point  dans  Sainte-Beuve  la  biographie  de 
Boileau:  mais  je  serai  curieujt  de  savoir  comment  le  romantique  du  cénacle, 
puis  le  iundistê  du  Ct:nistittitiftnnelt  enfin  celui  du  Moniteur  ont  jugé  Hoiîeau. 
.T'aimerai  à  saisir,  d'un  article  à  l'autre,  les  variations  du  critique  devant 
l'œuvre  immobile  qu'il  anime  de  ses  sensations  présentes,  surprendre  ses 
procédés  d'analyse  et  de  synthèse,  sa  façon  de  commenter  un  document  pour 
y  trouver  ce  qu'il  lui  faut,  de  classer  les  faits  suivant  l'importance  qu'il  leur 
donne,  de  rassembler  des  conclusions  en  faveur  de  sa  thèse. 

Voilà  précisément  ce  que  je  puis  faire  avec  les  Extraits  publiés  par 
M,  Gustave  Lansou.  Sous  ce  titre  si  modeste,  c'est  un  livre  de  critique;  c*est 
mieux  encore  :  un  modèle  qu'il  faudra  suivre,  si  l'on  veut  nous  faire  connaître 
un  jour  dans  leur  évolution  les  Taiue,  les  Ben  an,  et  plusieurs  autres.  Une 
introduction  de  forme  incisive  et  serrée,  où  M,  Lanson  s'efforce  surtout 
d'expliquer  Sainte-Beuve  par  lui  même,  prépare  le  lecteur  à  l'usage  rélléchi 
et  méthodique  du  livre  lui-même»  Et  cet  usage  me  parait  être  le  suivant  : 
prendre  chacun  de  ces  articles,  le  replacer  à  sa  dale  pour  en  saisir  autant 
que  possible  les  sous-entendus,  pour  y  constater  la  déformation  correspon- 
dante des  sentiments  et  des  idées;  —  comme  on  établirait  scientifiquement, 
dans  une  observation  astronomique,  une  déviation  dont  il  faudra  tenir  compte 
dans  tous  les  calculs  postérieurs.  Après  quoi,  ou  étudiera,  et  Ton  comparera 
les  procédés  critiques,  si  précis,  si  pénétrants,  lucides  et  iïgflft,  —  ruais  peut- 
être  moins  variés  qu'on  ne  le  croit.  En  elTet,  a  considérer  de  près  les  diffé- 
rents articles  si  bien  choisis  par  M,  Lanson,  c'est  toujours  la  même  analyse 
patiente,  cherchant  à  faire  sortir  de  la  biographie  le  trait  caractéristique  du 
personnage,  et  de  l'œuvre  les  rapports  avec  la  société  environnante.  Sainte- 
Beuve  fait  rtvixrn  l'homme,  et  explique  l'ouvrage;  mais  c'est  tout.  Les  conclu- 
sions sont  chez  lui  des  résumés  rapide*  et  suggestifs;  on  y  souhaiterait  plus 
d'autorité,  plus  de  largeur,  et,  pour  tout  dire,  un  peu  de  celte  raideur 
philosophique  ou  de  celte  fermeté  morale  qui  donnent  de  l'accent  et  de  la 
flamme  aux  Taiue  et  aux  Brunetièrc. 

Je  signalerai  tout  particulièrement,  comme  excellents  sujets  d'étude,  tes 
articles  sur  Madame  de  Staël  (mai  1835),  —  sur  Madame  Récamier 
(novembre  1849),  un  des  plus  désagréables  que  je  connaisse,  et  où  le  ton 
parait  faux  d'un  bout  à  l'autre,  —  sur  Sieyès  ( décembre  1851),,  un  chef* 
d'œuvre  en  son  genre,  —  sur  Marivaux  (janvier  1854),  auquel  ou  ne  change- 
rait rien  aujourd'hui*  —  Et  si  Ton  veut  faire  des  comparaisons  utiles,  on  peut 
preudre  les  deux  articles  sur  Chateaubriand,  celui  de  1830  ifiammeni  }L  de 
t'hateaubriund  aimait]  et  celui  de  1854  (Atutitersairr  du  titUiir  du  (hvïttia- 
nhme).  On  ira  rechercher  alors  les  pftgêf  écrites  sur  Ira  Mémoires  (foutre  tombe 
en  1834,  el  sur  la  VU  de  Htincfi  en  1844,  —  avec  ta  note  dans  laquelle  Sainte- 
Beuve  se  justitie  d'avoir  jugé  plus  sévèrement  Chateaubriand  dans  «  les  deux 
volumes  dont  celui-ci  est  le  sujet  et  le  centre  ».  De  tout  cela  finira  par  se 


COMPTES   RENDUS.  323 

former  une  impression  d'ensemble  :  on  retrouve  le  fll,  et  Ton  sort  du  labyrinthe 
plus  amusé  que  convaincu.  J'aime  fort  aussi  cet  article  sur  Ronsard  écrit 
en  1855  par  l'auteur  assagi,  et  un  peu  désillusionné,  du  Tableau  de  1827... 
Mais  est-ce  bien  là  de  Yhistoirç  naturelle  des  esprits,  est-ce  de  la  science'?  et  la 
recherche  du  vrai  a-t-elle  fait,  comme  le  veut  M.  Lanson,  «  le  but  constant, 
l'unité  interne  de  sa  vie  »?  Oui,  Sainte-Beuve  fut  toujours  sincère;  mais 
cette  sincérité  fut  elle-même  conditionnée,  et  son  vrai  fut  relatif  et  chan- 
geant; et  si  sa  méthode  critique  peut  nous  guider  et  «  nous  apprendre  à 
lire  »,  elle  nous  avertit,  par  ses  variations  et  par  ses  résultats,  de  son  insuf- 
fisance. Il  me  parait  exagéré  de  dire  qu'il  est  «  un  des  esprits  directeurs  de 
ce  siècle  »;  à  moins  que  M.  Lanson  n'entende  par  là  que  Sainte-Beuve  a 
entraîné  peu  à  peu  la  critique  vers  le  dilettantisme  et  l'impressionnisme.  Et  j'en 
appelle  de  ces  éloges,  un  peu  absolus,  à  M.  Lanson  lui-même,  qui,  dans  son 
Histoire  de  la  littérature  française,  consacre  à  Sainte-Beuve  trois  pages  vrai- 
ment décisives,  et  dont  la  conclusion  me  semble  bien  plus  équitable  que  celle 
de  son  introduction  aux  Extraits, 

Mais,  tout  de  même,  que  voilà  un  livre  intelligemment  conçu  et  sûrement 
composé!  On  ne  saurait  trop  apprécier  chez  son  auteur  cette  puissance  de 
travail  et  cette  maîtrise  d  exécution,  qui  lui  permettent  d'entreprendre  tant  de 
choses  et  de  donner  à  chacune  d'elles  la  forme  achevée,  à  la  fois  scientiûque 
et  élégante,  dont  son  nom  est  toujours  la  garantie. 

Charles-Marc  des  Granges. 


PÉRIODIQUES 


AlJgeim-im*  Zeliunc  Bellay.  —  N-  9  :  G,  Paris,  La  littérature  normande 
avant  tannrjttm  jMincûwilzi. 

V AtiiAtriir  *inutotfrrt|itir»  —  15  janvier  1900;, E,  de  Refuge,  Correspon- 
dant inédite  de  J.-F.  Dlicii  (flnj.  —  Lettres  inédites  de  Laeordairet  M  on  taie  m* 
f>n  t  rf  George  Sand  sur  la  tolérance  religieuse.  —  Georges  Monval,  Liste  alpha- 
bétiqUi  au  tfftiétuim  du  Théâtre  Français  (suite).  —  15  février;  Vicomte  de 
Spoelbercb  de  Lovenjoul,  Une  enùjme  sans  mot  (In  chapitre  inexpliqué  de  la 
Physiologie  du  mariage)*  —  R.-B*,  Mirabeau  H  sa  femme,  —Georges  Monval, 
Liste  alphabétique  des  MCiétOireê  du  Théâtre- Français  (suite),  —  15  mars;  Une 
lettre  êê  jeunesse  du  /\  Lacordaire.  —  Georges  Monval,  Liste  alphabétique  des 
sociétaire*  du  Théâtre- Français  (i.uite). 

Arclilv  lur  du*  Sludimii  der  nrucrni  Sprarhrn     —    103,   3-4  :    Wrentz, 

FranzôslÈàÂei  im  meeàlenb.  Platt  iGlode).  —  la  Cariai,  par  Alain  Char  lier, 
Ed.  Heiïi  kenkimp  (A*  Krause),  —  Pariselle,  Siehn  Erznhlnnyen  von  L>  ttalëvy* 
Muupa>sant,  iuppee,  Daudet,  Theurïet,  Zola,  MaêWOn  Forestier  (G*  Carel).  —  His- 
toire de  la  langue  et  de  ta  littérature  française  des  origines  a  IDOtL  p.  Petit  de 
JullaviJIti    |Ad.  Tobler).  —  Loselb,  Ûi  (1  Foltjeuete  <(A4»  Toblcr). — 

A>ei\  The  tragk  heroinu  of  Corneille  Œ.  Brauubollz). 

Athenwnm.  —  N°  3758  :  11.  Pari  go  L  Le  drame  d'Alexandre  humas,  étude 
dramatique,  sociale  et  litttmire.  —  NQ  370o  :  H,  de  Balzac,  Lettres  à  Pitoranfère* 
—  Nyrop,  Gramm,  hisL  dé  \q  tangué  française,  I. 

Bi»jrr  /Hist-lirin  fur  RtaKtliul^ rst  n  —  VU,  V  ;  Linz,  Lebens  und  Cha- 
rakterbitder  atts  ti  r  frauz.  Lifrtiittn  itYruikcl). 

Biiiiiir  und  Welt.  —  II,  6  î  E.  von  Jaguw,  Dus  moderne  franz.  lirait 
Vrteik  F  mite  Auaiers. 

llullciindu  hlbliopHile  et  du  bibliotlirrairt*.  —  15  janvier  1900;  Pli.  Ile 
nnuunl,  L  I   fotldeun  di  Caractère*  parUien*  et  leur  clientèle  de  prueinre  è  (a  fin 

du  XYtF  siècle*  —  Paul  Laeombe,  Julet  Cousin*  conservateur  de  ta  bibliothèque 
et  des  collection*  tte  fa  tille  de  Paru  (fin).  —  Eugène  Àsse,  Les  petits  routant  i- 
uues  :  Edouard  d  Anglemont  (sude).  —  Maurice  Henriet,  Le  deu.rinne  centenaire 
de  Racine  a  ta  Bibliothèque  nationale  (mite)*  —  Georges  Vicaire,  Ht  rue  de 
publications  nouvelles.  —  io  février;  reruand  boarnou  et  Gaston  Durai,  fit! 
graphie  des  travaux  de  M*  A.  de  Mont  aiglon  :  Supplément.  —  Ph.  (tcnoitard, 
I*es  fondeurs  de  caractères  parisiens  et  leur  clientèle  de  province  a  la  fin  du 
XV  IF  siècle  (liu),  —  Eugène  Asse,  Les  petits  romautû/ues  :  BàQU&rd  àPÂnglêy 
munt  (Ûo).  —  Maurice  Henriet,  Le  deuxième  centenaire  de  HaeJne  a  la  Hitdiu- 
tkèûuê  nationale  (fUt).  —  Georges  Vicaire,  lie*  nt  det  publication*  nouoellêe,  -^ 
15  maris;  Lèopold  Ueli^ile,  À  propos  d'un  ex-librts  franeats  du  temps  tte  PfOft- 
çois  lrr.  —  Mi  tui  Cordier,  tue  lettre  d'Alfred  de  Vigny,  —  Camille  Couderc, 
Document*  inédits  sur  Guillaume  Fkhet  et  ta  faatille.  —  G.-V.,  Le  m  lloltm  »  de 
VEmpercur*  —  A.  L'rbain»  Le*  éditions  originales  du  germon  sur  l'unité  de  l  Eylise. 
—  Abbé  Tougurd,  Une  lettre  de  GabroH  Peignot*  —  Frédéric  Lacbèvre.  L'édi- 
tion originale  des  poésie*  dé  If,  Vauquelin  des  Yeeteaux.  —  Georges  Vicaire, 
Revue  de  publication*  nouvelles. 

Le  iurrr««|HMifl;ii»r  —  *Sà  décembre;  L.  de  Lanzac  de  Laborie,  17»  nouveau 
portrait  tte  Bussuet.  —  L  si  tRfim  et  les  hommesr  courrier  mensuel  de  la  littéra- 


lu  luunroi  ks. 


325 


tttre,  Ai  art*  et  du  théâtre,  —  10  cl  2:ï  janvier;  Théodore  JoufTroy,  Pf*f&| 
inédites.  —  10  janvier:  IL  Levesque*  La  .*  lU-nte.  p>  Hossutt.  —  2!j  janvier; 
autw*  r«  tea  hommm^  courrier  mensuel  de  ta  litt/rature,  dê$  ttrU  et  du  rA. 

—  10  lévrier:  vicomte  Henri  de  Boruier,  Vht  -  théâtre.  —2:,  lévrier; 
L,  de  Lanzae  de  Lehorîe,  Un  familier  de  la  maison  t  s  :>s  r/  f\;u  . 
te  journal  intime  de  CwiUUr-Fkury,  —  La  waoru  ei  k$  hommêâi  courrier  men- 
suel de  la  littérature^  dit  urU  rt  </><  théâtre.  —  10  mars;  Gtorget  lii=rLriu,  (  ha- 
tetnihrtffil  rt  S<Ùntê~BtttV€  '.  Lu  problème  d'histoire  lilhi  ,/,  BflUM  wf- 
z7  HH  fflttsmi 

Dt?r  TUKrmcf   —  I.  8  :  P,  Seli^er*  RactfM. 

n<  in^i-iif  iJi^raiiii/4  itim-        \,(  43  :  Bra  ne  Itère,  iVatuiei  nfa  t  histoire*  de 
la  littérature  fnmçakt  [Freyroonâ1)*  -  N*  U  :  Sch  roder,  L'aofrtf  Frêvoil  \  l'obier). 

—  i\°  47  :  Mortensen,  XtedetittUdrauu  t  i  Frankriàa  {SoderfajeJin  t  .  : 
Sakrnann,  Lme  ttutfrdmehte  Voltaire                ndent  (Seniteider). 

IKr  nrorrcn  Hpracheti  —  VIff  7<ft  :  Klopper,  BtUrÛQl  zut  /fam&,  Stylistik; 
Edm.  Franke,  Franz.  Sftjtîstik:  J.  Michelet,  TaUeatt  de  ta  France;  PlalLmT 
Ausfuhtivhr  Grammatik'der franin  $prache(H.  KLînghardl  . 

Li*  Figaro.  —  irr  janvier;  f*ne  Dieulafoy,  MeWutô  intimé,  —  Henry  Fou* 
quier,  Les  théâtre*  :  Vaudeville,  Ma  cousine.  —  4  janvier;  Philippe  Gîïle,  fal 
v.  —  7  janvier;  Gaston  Descliamps,  If.  fftnrî  de  L  OTCfVf*  — 

Henri  Fou  qui  en  Lee  théâtres  ■  (tymnatty  VI.  Etoonet»  par  Jf.  de  Faramond  -k  jan- 
vier; Jnlea  Suret,  VètoQe  de  Meithae  ti  i'A,atl< (,m.  —  il  janvier;  Henry  Fou- 
quier,  Les  théâtre*  :  Thédtre-Ànt&înç,  En  Paix,  par  If.  train  Brvyetr*.  — 
il  janvier;  Philippe  Gilte,  Le*  Laies,  —  16  jauvir  i  ;  tient)  PofUgoier,  Le* 
théâtre*  t  tnutim-xtàire  <fr  Molière*  —  19  janvier;  Émik  Uerr,  ChfZ  tes  huma- 
mhtei.  —  20 janvier;  Henry  Fonquiet\  he$  théâtres  :  Théâtre  libre i  le.  DruiL  delà 
Rière,ptff  M*'  ro/'/  ihfnan.  —■  22  janvier;  D&mblatoaaes,  Là  e^nau»  et  la  Uello 
Hélène.  —  23  janvier;  Henry  Fouquier,  Theàh>s  ;  Théâtre  irtfoine,  la  liiLane, 
par  Jeu n  UtehejriH.  —  -2,\  [anvier;  Henry  Fouquier,  Théâtres  ;  Athntee  eomiguet 
L'Homme  à  Foreille  eonpéfi  y"'r  If.  /  r  ...s,,/        l"i.  30  al  ;H  janvier; 

A/T  tinmetirrs  n  ll>me.  —  Henry  Fo\iq«ier,  Théâtre  ;  Ûd407l,  l^s  Fouieham- 
baulL  —  2  février;  Jules  Gardocœ,  l  /  Jr ^ideiule  fran  n  de  SL  Pmd 

Ûwchûnel  —  8  février;  Jule?  llurei,  Bf^  dilii  ûic  :  cfas  /oHi-iCari  tfuyt- 
ma«s*  — ^8  février;  Philippe  liille»  /  -.  i  [(  t  ;   Henry  Fouquier, 

Lfs  /  ',  le  Bèguîn^par  If,  Piwr*   tt^of/1,  —  10  février;   Henry 

FoaÇUÏer,    L«  th><tve>   :   The^lrr   de   ht  tUpubiiQMi    la   Fille  du  gardien    de  la 

pjri*t  par  ïï.  Ga$tùt\  Marot  —  ti  révrier;  Ilenrv  Pou  qui  er^  I  fila- 

/i-/w,  Iffehe]  Strogoff.  —  iîS  février;  Henry  Fouquier.  h  thedtftS  :  fldHVtfauWt, 
les  If  aria  de  Léoniine,  par  M*  Àtfrtd  Çapuf*  —  i*>  février  ;  Jules  Cardone, 
V élection  d'hier  à  I'  [codé/Me.  —  Itf  lévrier;  Pierre  Loti,  r*  ï/fl  Lûïl-  — 

20  février;  Henry  Fouquier,  Lfi  théâtre»  :  CamMie-FrançaUSt  Diane  de  Lji.— 

■r  ■;  Henry    Fouquier,    £*f    t  huîtres  :  Audrt^n,  \e    Moineau   franc, 
IflT.  Qugenhiitn  et  Le  Faure.  —  2»i  février;  Alfred  DeliHia,  Mort  de  Martel 
ftrûhan*    —   l,r   mars;   Philippe  Giilf,    J>a    Lines.  —  2   niars:  Jules    llurel, 
Ittih'tr  *t  te  domaine  publie*  —  Henry  Fouquier,  tra  Un 

Doroplot,  par  MM.  AUsondt  i>  "  ei  Jean  Gascogne.  —  a  mers;  Henry 
Fouqnier,  Lei  tht>tt<<-  :  rà^dlrt^fttomei  TEmpreinte,  parJf,  Aèel  Hermant; 
Poil  de  CeroltQ,  par  \L  Jules  Urnatd  —  't  mars;  Jules  Btiret,  Un  bibliophi 

bibliothèque  (M,  de  Lovenjoiil  B  mors;  Indr4  Maurel,  Vacadb 

—  h  mars;  Philippe  Gtlle,  hse   Livres*  —  *>  niera;   L 

Thàdtre*Fi*ançQi*.  —  H  mer»;  Henry  Fouquier,  /. -s  thedtr^  :  Athénée,  lln- 
téiirn,  par  M*  L.  Leijemhe.  i:t  murs;  Adolphe  Briston,  L'fttmtuf  Hosi  ind.  — 
15  mars;  Henry  FouquierT  /.'-s  the,itn-s  :  Vaudeville^  h\  Robe  roiiye,  /'«r 
jV*  iirieti.r.  —  liî  ni?irs;  Pierre  Loti,  L?  voyage  d*   t.  /,.       Henrv  Fouquier, 

feéS  théâtres  .  Theôtte  Sarah  lin  nhardt,  l'Aiglon,  i/»'  A/.  Edtwtnd  RctâmiÂ.  — 
17  mars;  Henry  Fouquier,  Cei  ttu^tns  :  Ambigu,  Le  Duchesse  de  Herry,  par 


326 


REVUE    DÏTISTGIIIE    ÎJTTÉRÀÎftE    DE    LA    KTUKCE. 


M.  Bemède.  —  18  mars;  Henry  Fouquier,  Les  théâtres  :  Variétés,  Éducation  de 
prince,  par  Jf,  Maurice  Donnait*  —  20  mars;  La  vèrit*1  au  théâtre.  —  22  mars; 
Henry  Fouquîer,  Les  théâtres  :  Ctunu,  Un  soir  d'hiver»  par  M.  Emeut  Btnm.  — 
Philippe  Gillc,  tH  Liens.  —  26  mars;  Pierre  Loti,  Le  voyage  de  Loti.  — 
28  mars;  Charles  Chincholle,  Louis  Knttuft.  —  Alfred  Deliliia.  La  Comedte-Fran* 
çaise  a  POdèvn.  —  20  mars;  Philippe  Cille,  Les  Livres, 

(tvinim^tum^  —  XVII L  2  :  Ulrich,  Charte*  Ht  YiUers  (Grole). 

Journal  il  en  dôbïits  ui>lltiqu<-H  et  Ultérairr*  —  1*r  janvier;  Eruile  Faguet, 
Ld  srtnaine  tlramatique.  —  2  janvier;  Arvède  Baritie,  Lettres  tramour  (M.  et 
Mmo  Browning).  —  6  janvier;  Ernest  Berlin,  La  Cour  de  Chartes  X  de  182$  à 
4830  d'après  te  Journal  de  CueUfier-Fleury.  —  8  janvier;  Emile  Faguet,  La 
UmaÛM  dramatique.  —  10. janvier;  Emile  Gebhart,  Chateaubriand  voyageur  et 
peintre  d&  paysayes.  —  15  janvier;  Maurice  Spronck,  Querelles  de  vaudrr  il  listes. 

—  15 janvier;  Emile  Faguet,  La  semaine  dramatique. —  16  janvier;  Christian 
Schefer,  Shakespeare  et  la  mise  en  scène  moderne.  —*■  51  janvier;  Maurice  Muret, 
Un  poète  de  In  nature  italienne  :  M,  Giovanni  Paseoli*  —  22  janvier;  Emile 
Faguet,  La  semaine  dramatique,  — 24  janvier;  Augustin  Filon,  Une  tragédie  de 
M.  Su  inhume.  —  29  janvier;  Emile  Faguet,  La  semaine  dramatique.  —  ltr  février; 
Ferdinand  Bruuetière,  La  Modernité  de  Bossuet*  otmfihr&noe  fait1  à  Rame.  ■ — 
3  février;  Henri  Chantavoine,  A  l'Académie  française  :  réception  de  Jf,  Faut  Des- 
chanet.  —  René  Doumic,  Un  ennemi  de  ïe.vatisme  au  XVI*  siècle  :  Henri  Est  terme. 

—  5  février;  Emile  Faguet,  La  semaine  dramatique,  —  7  lévrier;  Arvède  Baririf, 
Lettres  d*aiuom\  IL  —  9  février  ;  Edouard  Sarrmlin,  Oit  est  née  AI™**  de  Main* 
tenon? —  (0  février;  Maurice  Muret,  La  nourelk  pièce  de  JT.  Gérard  Hanptmann. 

—  12  février;  Emile  Faguet,  La  semaine  dramatiques  —  1i  février:  Emile 
Gebhart.  Lu  misères  d'un  rot  en  exil  (Stanislas  Leczsinski).  —  16  février; 
Félix  Reyssié»  Eugénie  de  (iuerin  et  MmP  de  Lamartine,  —  17  février;  L,  Deux 
immnrtefs  (MM.  Faguet  et  Paul  Hervieu).  —  H  el  ifl  lévrier;  Emile  Faguet, 
La  semaine  dramatique.  —  27  février;  André  lîeaunier,  Madeleine  lirohan,  — 
28  février;  Henri  Chantavoïne,  M,  Henri  de  Hegnier.  —  5  mars:  Emile  Faguet, 
Lu  st-maiw  dramatique.  —  6  mars  ;  André  Michel,  ï  Enseignement  de  V histoire 
de  fart.  — 7  mars;   Henri  Bidou,  La  Jeune  Académie  {Académie  Concourt 

—  Arvêde  Marine,  G*rthe  et  Hettina*  —  0  mars;  Maurice  De  maison,  La 
presse  en  Frawe  aetnt  le  journal .  —  11  mars;  Paul  Bltiysen.  Vincendk 
du  ThedtreFrançais,  notes  d'un  témofa*  —  12  mars;  Emile  Faguet,  La  semaine 
dramatique.  —   14  mars;    Emile  Gebhart,    La  §mêtû  d'un  conte  de  Bocrace. 

—  15  mars;  Le  Père  Didtm.  —  Georges  Berger,  La  reconstruction  du 
Théâtt'-Fnitieais,  —  lloiisard  au  Parc  Monceau.  —  16  mars;  A.  Albert-Petit, 
François  Pansa  rd  et  la  fin  du  thetttre  romantique.  —  10  mars;  Emile  Faguet; 
La  semaine  dramatique.  —  2n  mars;  Maurice  Muret,  Akjondrc  Yinet.  — 
21  mars;  Augustin  Filon,  tes  Drames  romantiques  d'Anthony  Hopc* —  22  mars; 
Maurice  Muret,  Un  petit  lever  chez  George  Sand.  —  24  mars;  la  UihUothègne 

W,  dr  Viliruruy*:.  —  E.  Haguenin.  Alfredo  BascellL  —  26  mars;  Emile 
Faguet,  la  Semaine  dramatique. 

IJtcrartsHir*  t  eittralhluU.  —  N°  47  ;  Glachant,  Papiers  d'autrefois.  — 
"N  "i0  :  remuer,  Bas  frattz.  Theater  tfer  Geaenwart,  —  Filon,  De  humas  a  Rq$- 
fttml,  —  N"  8  :  >'yrop.  Grauun.  MtêùT,  de  la  lanque  française. 

rUrr:itui'bl;ift  fiir  g<?rma»isclie  iinil  romanl^rhe  Plillnlosle.  —  N"  1  : 
Dorez,  La  mori  de  Jacques  tirértn  (Be^ker).  —  Szymank,  Lnuis  XIV  lu  srinen 
Schriftcn  und  un  Spivtjet  der  zeitgen.  îhchtung  (MahreuhollzK  —  Faguet,  FioU- 
hert  fSchneegans}.  —  N^  2  :  Nyrop,  (iramm.  hi^tur.  tte  ta  langue  française,  ï 
(Herzog).  —  Gauchal,  Étude  sur  te  raitz  des  vaches  ftihourgeois  iMorlï.  —  N°  [\  : 
Suchicr  und  Birch-Hirschfeld,  Gcsch.  der  fram*  Lltmitur.  1  (Scbneegans),  — 
G,  Paris.  La  littérature  nnrmamte  avant  V annexion  (Minckwiu).  —  Quy\  Adan 
de  le  Haie  (Schneegans).  —  Guizot,  Mtmtaiqne,  études  et  fragments  (Schnee- 
gans).  —  DEichthal,  Alexis  de  Toequeeittv  {Uàhrenholiz). 


PftRIODlQCES. 


327 


Modem  Lingaage  \ato*.  —   XIV,  I  ;  Miehaelis-Passv,  Ml.  ptolfa   ffe   /a 

tanu>o   française  (A.  Rambeau),  —  Dottin,  fj  tassa  if?  des  pin  ht*  du  Bas-Maine. 

—  Segal,  jln  Esitmate  ûf  BérongW  6j/  GœÊae.  —  Hancock,  Ta*>  Fnnch  Iletoiu- 
tiun  and  the  Fmjlisk  poets  liluhtie  j.  —  Cameron,  Sélections  from  Edmond  and 
Jutes  de  Goneonrt  (Gayj,  —  XV,  i  :  Levî,  The  sources  of  l'Avare*  —  rSyrnp. 
(irammaire  historique  de  In  tannîic  française  (Armstrong).  —  Faguet,  Drame 
annrn  et  drame  moderne  [Thieme).  —  Welter,  Mistral  (MinokwîU). 

Muséum    —  Vil,  12  :  Buur^mu  et  Saberda  de  Grave,  Précis  de  phonéfi 
française  (Van  H  a  me  II 

Nrno  Wbtobm  Zeltunff.  —  N°*  25-33  :  L.  P.  Betz,  Editai  Allait  l'oe  uwl 
Charles  Baudelaire ,  ein  Phtinomen  der  WelUiteratur. 

tyimrterly  Itrv  jeu    —  379  :  Monlcsauien  in  Itahj* 

La  Qnlnftainc.  —  lh  décembre  1899:  Emile  de  Saint-Auban,  Chronique  dm- 
matittue,  —  irr  janvier  iLM>0:  abbé  L.  Follioley,  Montalcmbert  et  Mtjr  Pat* 
d'après  des  documente  inédits  :  Vannée  fSio.  —  Jean  Lionnet,  «  Fécondité  » 
(par  Emile  Zola),  —  16, janvier;  abbé  L.  Follioley,  Mimtnlcmbert  et  Mgr  Pat 
d'après  des  documents  im-dite  :  f année  (S £5*  —  Eniite  de  Saint-Auban,  Chro- 
nique dramatique*  —  tl,r  février;  Victor  Du  Bled,  Les  hommes  d'esprit  à  ta  fin 
du  XVII P  siècle,  —  16  février;  Emile  Faguet,  In  philosophe  politique  iM.  I  Yr 
dinand  Bruuetièrej.  —  Emile  de  Saint- Auban,  Chconoptr  dramatique* 

Re*ue  b]bllo-iconfi|^rapliM|iir.  —  Juilhaoctobre:  Firmin  Maillard,  La  vie 
MttêtûÊrë  au  XIX"  siècle  (suite).  —  Eugène  Asse,  Un**  nièce  Ai  QT**à  Caf%eUU  : 
MM"  Bernard  (suite)*  —  F.-E.-V,,  «  Eux  par  moi  >s  une  fausse  a/ttifattnm  d'au- 
trur.  —  Novembre;  Gustave  Mouravil,  Edouard  Tri.otid  et  ses  Variétés  hïtjtioyra- 
phiquts.  —  Firmin  Maillard,  Lu  vie  liiteraire  au  XIX  tièekt  (suite).  —  Eugène 
Asse,  Une  nièce  du  grand  Corneille  :  M"c  Bernard  (suite).  —  Décembre;  Gustave 
MourmYiU  Edouard Tricotel et  m  Variétés  bddin:truphi(iues{$u\te).  —  Janvier  190i>; 
Jules  Adelîne,  Tatma  archéologue,  bibliophile,  dessinateur  peul-tUre,  —  Gustave 
.Mon ravit,  Edouard  Tricote t  et  ses  Variétés  bibliographiques  (suite).  —  Firmin 
Maillard,  La  rie  titlftaire  au  XIX'  siècle  (suite).  —  Février;  Alex.  Mouttet,  La 
rente  du  cabnul  des  présidents  Saint- Vincent.  —  Eugène  Louis,  Tatma  ar 
logue  et  bibliophile.  —  Charles  tiJincl,  .U"1  Racket*  documente  biographiques  et 
bibliographiques.  —  Gustave  Mouravitf  Edouard  Tricotel  et  ses  variétés  biblio- 
graphiques (fin  i .  —  Mars:  Firmin  Maillard,  La  rie  littéraire  au  XIX*  siècle  (suite) 

—  A  l  e  \ .  M  ou  1 1  e  L  La  ren  te  d  tt  c  ab  in  et  des  p  résidents  Sa  int-Vinr  ens  à  A  ix  en  tH£t 
(suite).  —  Ch.  Gîinel.  .If1*  Racheta  documents  bioqinphiqucs  et  bibliographie 
(fin).  —  Eugène  Asse,  Une  nièce  du  grand  Corneille  :  Ml,n  Bernard  (fin).  — 
Inretidi* ï&t  la  O&mMÙ -Française.  — Le  testament  (ïoncaurt* —  Avril;  d'Eylac, 
ha  vente  fi,  de  Villeneuve.  —  Gustave  Mon  ravit,  Un  mot  encore  à  propos  des 
Variétés  de  Tricotel.  — Alex,  Mou  tic  t,  La  vente  du  cabinet  des  présidents  de  Saint- 
V  incens  (suite).  ~-  Kir  min  Mail  lard  t  La  rie  littéraire  au  XI  X°  siècle  (suite).  — 
A. -F.,  M.  de  Lorc ajout ,  Bahtic  et  te  domainr  public. 

Sevve  Mme.  (Revue  politique  et  littéraire).  —  6  janvier  1900;  L£on  Séché, 
Âlfrci  /  P%Hf  et  Marie  Dorent.  —  Jules  Guillemot,  Les  événements  du  siècle 
et  les  revues  de  fin  #40mir*  «  A-  Aulard,  Voltaire  professeur  de  mensonge.  — 
13  janvier;  Zadïg,  Silhouettes  parisiennes  ;  M.  Jean  Richepin.  —  L'abbé  Ber^ 
trin,  Voltaire  professeur  de  QMMSûftp*.  —  Jaeques  du  Tillet,  Théâtres  :  Theùtre* 
Antoine.  En  paix,  par  M,  L,  liruycrrc,  —  20  janvier;  Lévy-Bruhl,  La  mcrûh 
stxiale  dWuQusle  Comte.  —  27  janvier;  Frédéric  Lolïée.  La  politique  à  I'A<  r- 
demie  ;  Paul  DeschmeL  —  Zadig,  Silhouettes  parisien  m  s  :  U.   Victorien  Sardf^U. 

—  3  février;  Gustave  Lanson,  Les  Jésuites  et  l'enseitpiement  laïque.  —  Zadip, 
Sdhouettes  parisienne*  :  M.  Sully  Prudhomme.  —  Jacques  du  Tillet,  Théâtres  : 
Théâtre- Antoine^  la  Gitane,  par  M.  Jggn  Itichepin.  —  10 février;  Léon  Séché, 
Les  amitiéi  littéraires  d'Alfred  de  Vigny  ;  Delphine  et  Marceline.  —  Etienne 
CoquereU  Bossuet  à  Rome.—  17  février;  Ëmiîe  Fattuet, Chateaubriand  et  Sainte- 
Beuve.   -  Zadig,  Silhouettes  parisiennes  :  M.  J.-K.  Uuysmans.  —Le  baron  d'Avril, 


328 


REVUE    DHISTOtlU;    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCK, 


La  légende  de  Itoifflitl  en  France.  —  H  février;  Zadiç,  Silhouettes  parisirtinrs  : 
M,  Emile  FaytteL  —  Jules  Trmibat,  Une  page  contestée  ée$  »  Mémoires  «  dé  Gh&- 
trtnthit'iitti,  —  Paul  Souday,  Molière  et  J.J.  Weiss.  —  Jacques  du  Tidet, 
Th eti t res  :  No u e  eau  tés,  les  Maris  de  Léo n l i n e ,  pu r  M .  A Ifred  Ça pus,  —  3  mars; 
Mulpy,  .1/  l'ont  Ibtiieu,  —Jacques  du  Tillet,  Théâtres  :  Comedie-Franeaise, 
Diane  de  Ly«,  p*f  Aiaxnndre  Dumas  fît*.  —  10  mars;  René  Doumîc,  I 

littéraire  en  (900.  —  Cuvîllier-Fleury,  Souvenirs.  —  laèv:,  Silhouette* 
littéraires  :  M    Paul  BourQel*  —  Léon  Séché,  Le»  mûnwteriti  des  *  Mtmoifti 

Revue  rrltiiiur  il'hUtnlre  et  de  1  il  ter  Mure  —  >°  1  :  Coulure,  Un  /<•.-• 

&  Pascal  (U.  Rosière*}.  —  Na  8  :  Gadeftoy*  Les  Mira  >*  ef  G  dti  GonipftnttitJ  du 
dtrtiannaire  tte  ronronne  langue  française  (A.  l>elbouJle)+ —  N1*  4;  Kaguet,  Po/i- 
tiguel  f|  NtoraJfcJef  du  V/A'  ifecfc  [Ch.  DejobL  —  N*€î  Bats,  £'J  littérature  com- 
parée (À--Ci)  —  N°  y :  8*  Berger,  Le*  roofr  savants  en  ûieux  françaù  [A.  Thomas). 

Kruir  île  Piiri**.  —   l#f   et    1,t    janvier;    Marv   J*    Ilar  me^teier,    Le*    MPWJ 
Brtmtt,  Il  et  Ut.  —  lri  février  ^  II.  Bergsoo,  b  râ*.  1.  —  15  février;  H.  Bi 
son,  Le  lire.  IL  —  L.  Levy-Bruhl,  Flaubert  philosophe,  —  Georges  Bourdon, 
L«S  tfitiàtrr<i  timjlais. 

Be%uc  «les  Pru%  Honde*,  —  lrr  janvier;  À.  Dastrt\  Ihtfftm  et  les  Critiques 
de  ?  Butoir*  nt.it  nrettt\  —  15  janvier;  Ben£  Uoumîc,  Revue  littéraire  :  le  bilan 
d'une  génération,  —  T*  de  Wyiewa,  Hevum  étrangères  :  tant  ans  de  Uttératvr* 

(Uhmandt.  —  Ifî  février;  Arvèrie  Hartne.  La  Grand*'  Mû  fam&tielfa  :  te  théâtre  et 
son  influence,  —    René    Doumic,  Rente  littéraire  :  U  noVtètOU  roman  du  comte 
Tolstoï.  —  T.  de  Wyiewa,  Hevues  étrangères  :  Itt  GQlTêtpondance  de  Bmkin 
RoesetH.  —  irr  m  art;  Emile  Fagtiet,  La  renaissante  tin  roman  historique*  — 
15  mars:  Emile  Michel,  Claude  Fabriée  Peiraa .    -  René  Doumic,  Amie  dmi 
tique  :  Diane  de  Lys,  â  fa  Cftfltâii  ••< ■■;  les  FourchamtuiulL,  d  rOtféoft. 

Revue  oncyrlopcditiiii1.  —  fi  janvier  1MIM);  Henri  [JchLenbergâf,  La  ttttéra* 
tnrr  ttirtzsrfiit •uu>\  —  E+  Rlocbel,  Lt$  adltr  et  UV4  nuits,  —  2i)  janviet  ;  Charles 
Maurras,  Hifimé  ntu rater.  —Georges  Pellissier,  m  Fécondité  ».  par  limite  tola. 

—  <i  u  Slave  frôflroy,  Rf0tl«  dramatique.  —    A^uilora,  La   tflteni'rtn-   ûOhtêmpo* 

raind  en  Espagne,  —  .\rthtrmie  française  n  d«  i/   Hr^rï  Lavcdan.  — 

3  février;  G,  LejeaL  A,  Uaudrillart,  !^.  Bootry,  H.  Welschîflgér,  A.  Mell ion t 
G,  Lôtb,  Rm?tt«  ItisfnrtifHe.  —  10  février;  Eu^ètie  Huntt,  LfOf<  cbmDcrafifiM  otn 
/rm/»s  f<i€Hà.  —  Cbaiiea  Maurras,  Revue  littéraire.  —  Georges  Pellissier,  <  lietia- 
reetian  »T  ot<  Tolstoï.  —  Gustave  Getfroy,  iï*vae  dramatique,  —  *t  mars;  Gabriel 
Mourev.  John  Huikin  (($10*1900).  ^  Gustave  G^ltïov,  Hernie  dramatique .  — - 
Ctfmît  francam  :  tert'^tiou  de  ,ïï,  Pdul  bcsehuneh  —  17  mare;  Alexandre 

HiMiois.    l/.ttt  rantemprïrtiin  en    linssie,  —  Charte*  Manmsf -Bévue  littrruire.  ^- 

Il ii ni  i  radier,  Lo  littérature  chinoise  contemporaine,  —  Inauguration  <ln  monu+ 

vient  tle  tOUtê   Vendit  a  o^ 

Un  lle\iie  lipiMloinacInlpe.  —  '2  décembre  ÎHii\;  Charles  Hmll«\  Armand 
Barihct  et  ■  U  Moineau  ttr  U&bie  ».  —  Ifaniioe  rahneyr,  Une  étale  dé  jour- 
autisme.  —  t»  décembre;  Henry  Bordeaux,  Les  Unres  *t  les  mmam  :  roman* 
tiers  tf  ' 'Uttttrs.  —  H*  M.  Fariyi  Chronique  dramatique  :  «  /'  Faubourg  »\  «  ta 
Bette  Hélène  »  —  i^déaaojbré;  il  m.  Ferry,  Chronique  dramatiques  a  Franc* 
d'abord!  ^>  —  £3  dêoetuhra;  Henry  Bordeaux,  Les  lèvres  et  h  ;  soeioto- 

tt  vôyaaewv  — ft  janvier  1900;  H.  Gaiii.  l'tuti  Oérouiède  raconté  par  lui- 
même,  i    —  Heary  Bordeaux,  Les  livrée  H  les  mmurs  Uem  »•  — 

13  janvier;  IL  Galli,  Paul  Déroul  u  tttiinthne.  IL  —  Louise  Itead, 

M!ti  Ackermann  intime,  — R.  M.  Ferry,  Chronique  dramatique  :  Canni 
de  Racine',  «  ta  Conscience  de  Tenfanl  -.  —  â0 janvier;  Marcelîtn*  [kaebordea* 
Valmore,  Lettre*  a  Sainte-Beuve  (< 83 fi- {63 5),  publiées  par  le  vîcamie  de  Spnel- 
herch  de  LnvenjouL  —  H.  G^illi,  ptml  iMranlide  *aùmt4  par  Jufanéme  III. — 
Pranti  Punck-BrentaBo,  Les  médecim  de  Molière.  —  Henn  H^niraux,  L*&  / 
et  les  moeurs  \  4f-  Pavé  Desçhanei  -  ïl  janvier;  H.  G&Wi,  J*nut  hertnili  fie 


PÉRIODIQUES.  329 

raconté  par  lui-même.  IV.  —  R.  M.  Ferry,  Chronique  dramatique  :  l'anniversaire 
de  Molière-,  «  En  paix  ».  —  3  février;  Henry  Bordeaux,  Les  licres  et  les  mœurs  : 
les  discours  de  combat  de  M.  Brunetière.  —  17  février;  Henry  Bordeaux,  Les 
livres  et  les  mœurs  :  critiques.  —  24  février;  vicomte  de  Spoelberch  de  Loven- 
joul,  Un  roman  inachevé  de  Sainte-Beuve  :  Arthur.  I.  —  R.  M.  Ferry,  Chronique 
dramatique  :  «  le  Béguin»;  «  le  Ressort  ».  —  3  et  10  mars;  Sainte-Beuve,  Arthur 
(suite  et  fin).  —  3  mars;  Henry  Bordeaux,  Les  livres  et  les  mœurs  :  Jacquou  le 
Croquant. 

Le  Temps.  —  1er  janvier  1900;  Gustave  Larroumet,  Chronique  théâtrale.  — 
o  janvier;  Les  grands  hommes  au  Panthéon  :  Balzac  et  Renan.  —  6  janvier; 
Adolphe  Brisson,  Promenades  et  visites  :  A/me  Pauline  Viardot.  —  7  janvier; 
Gaston  Deschamps;  La  vie  littéraire  :  Michelet  et  Quinet.  —  8  janvier;  Gustave 
Larroumet,  Chronique  théâtrale.  —  44  janvier;  Gaston  Deschamps,  La  vie  litté- 
raire :  le  procès  de  Masséna.  —  15  janvier;  Gustave  Larroumet,  Chronique 
théâtrale.  —  Emile  Faguet,  Notice  sur  Francisque  Sarcey.  —  16  janvier; 
Adolphe    Brisson,   Promenades  et  visites  :  les  têtes  de  M.   Hermann  Paul.  — 

19  janvier;  Une  préface  de  M.  Faguet.  —  Paul  Souday,  Sur  Ponsard.  —  21  jan- 
vier; Gaston  Deschamps,  La  vie  littéraire  :  le  roman  d'un  député.  —  22  janvier; 
Gustave  Lraroumet,  Chronique  théâtrale.  —  23  janvier;  Trois  lettres  ittédites 
sur  la  tolérance  (Lacordaire;  Montnlembert;  George  Sand).  —  25  janvier; 
Adolphe  Brisson,  Promenades  et  visites  :  la  géométrie  de  M.  Caran  d'Ache;  — 
28  janvier;  Gaston  Deschamps,  La  vie  littéraire  :  le  coin  des  poètes.  —  29  jan- 
vier; Gustave  Larroumet,  Chronique  théâtrale.  —  2  février;  Adolphe  Brisson, 
Promenades  et  visites  :  les  imaginations  de  M.  Rohida.  —3  février;  Henry  Michel, 
Académie  française  :  réception  de  M.  Deschanel.  —  4  février;  Gaston  Deschamps, 
La  vie  littéraire  :  au  pays  de  Montaigne.  —  5  février:  Gustave  Larroumet, 
Chronique  théâtrale.  —  Joris-Karl  Huysmans.  —  M.  Brunetière  au  Vatican.  — 
7  février;  Les  grands  hommes  au  Panthéon  (Michelet,  Pasteur,  David  d'Angers). 
—  Un  Allemand  chez  Victor  Hugo.—  11  février;  Gaston  Deschamps,  La  vie  lit- 
téraire :  le  culte  d'André  Chénier.  — -  12  février;  Gustave  Larroumet,  Chronique 
théâtrale. —  14  février;  Fragments  inédits  de  Stendhal.  —  18  février;  Gaston 
Deschamps,  La  vie  littéraire  :  les  Français  à  Rome  en  1798.  —  19  février;  Gus- 
tave Larroumet,  Chronique  théâtrale.  —  «Le  malade  imaginaire  »  devant  la 
médecine  moderne.  —  Boris  de  Tannenberg,  Un  grand  romancier  espagnol  : 
Perez  Galdos.  —  20  février;  Adolphe  Brisson,  Promenades  et  visites  :  Anacréon 
(M.  Charles  Coran).  —  24  février;  Sainte-Beuve  et  Chateaubriand.  —25  février; 
Gaston  Deschamps,  La  vie  littéraire  :  nouveaux  fabliaux  de  Maupassant.  — 

20  février;  Gustave  Larroumet,  Chronique  théâtrale.  — 27  février;  Sainte-Beuve 
et  Chateaubriand.  —  28  février;  Adolphe  Brisson,  Promenades  et  visites  : 
M.  Clodomir.  —  4  mars;  Gaston  Deschamps,  La  vie  littéraire  :  Chateaubriand  et 
M.  Joseph  Bèdier.  —  5  mars;  Gustave  Larroumet,  Chronique  théâtrale.  — 
9  mars;  Sainte-Beuve  et  Chateaubriand.  —  10  mars;  Gustave  Larroumet, 
La  Comédie- Française.  —  11  mars;  Gaston  Deschamps,  La  vie  littéraire  :  les 
mémoires  tfun  diplomate  hollandais.  — 12  mars;  Gustave  Larroumet,  Chronique 
théâtrale.  —  13  mars;  Paul  Souday,  Sainte-Beuve  et  Chateaubriand.  —  18  mars; 
Gaston  Deschamps,  La  vie  littéraire  :  plaidoyers  pour  la  poésie.  —  P.  S., 
Saint-Beuve  et  Chateaubriand.  —  19  mars;  Gustave  Larroumet,  Chronique 
théâtrale.  —  Le  nationalisme  dans  la  critique,  —  23  mars;  T.  de  Wyzewa, 
Le  nouveau  roman  de  M.  (FAnnunzio.  —  25  mars;  Gaston  Deschamps,  La  vie 
littéraire  :  un  nouvel  ouvrage  de  M.  Albert  Vandal.  —  26  mars;  Gustave  Lar- 
roumet, Chronique  théâtrale. 

ZelUchrift  fur  franz.  Sprache  und  Literatur.  —  XXI,  5,7  :  W.  Wetz, 
Uebcr  Taine  aus  Anlass  neuerer  Schnften.  —  i.  Bethge,  lur  Technik  Molieres. 

ZcltHchrlft  fur  romanlsehe  Philologie.  —  XXIV,  4  :  P.-A.  Becker,  Jacques 
Grevin  und  Joh.  Sambucus.  —  Limberg,  Les  fonctions  verbales  figées  dans  la 
langue  française  (A.  Schulze). 

Rev.  d'hist.  littéb.  de  la  France  (7*  Aon.). -«VU.  22 


LIVRES    NOUVEAUX 


Acfcer  (Paul).  Humour  et  humoristes.  Paria,  Simonin  Emph.  In- 18  je  su-  di 
x-236  p.  Prix  :  3  n\  m. 

4lmanacli  du  bJi>liopliile  pour  ïannêc  1899  (2f  année),  Paris  t  Pelle tan. 
Petit  in-8T  de  n-29l  p.,  avec  38  gravures  par  KJorian. 

Barantc  (Baron  de).  SûUVtnSn  (1782*1866),  publiés  par  son  petit  IHs  Claude 
de  Baratte.  T.  VU,  Paris  t  Calmaun-Lèvy.  ln-8,  de  W7  p.  Prix  7  fr,  £0. 

Barbier  (l'abbé).  Un  petit  fils  àe  La  Fontaine  a  Fumiers,  et  lettres  a  lui  adres- 
sées par  Louis  Racine*  Faix,  Gadrat.  Iq-8,  de  24  p*  (Extrait  du  Bulletin  de  la 
ode  ttes  ïtitiucs,  lettres  et  arts,  1898). 

BctUge  (!*},  Zur  Technik  Motieres.  Dissertation  de  Berlin*  In-8,  de  24  p. 

Bol  le  au.  Œ\u  tes  classique*.  Edition  annotée  par  l'abbé  Lafontaîxk.  Paris, 
Pouwielgue.  ln-16t  de  xx-Glti  p* 

BoLriiuiiin  iW  f,  Frtirizttsifiïher  Euphemismm.  Dissertation  de  Berlin,  ln-8,  de 
60  p. 

Bosquet*  Discouru  sur  V histoire  universelle.  Edition  classique  par  E.  Lekhanc, 
Troisième  partie  :  les  Empires*  Parti,  Dclatain,  In-12^  de  112  p* 

ItosHuet.  Trait**  de  la  connaissance  de  Dieu  et  de  soi-m^mc,  avec  une  introduc- 
tion et  des  notes  par  M*  L*  ttossuixEiii,  Paris,  Lecoffre*  !n~18>  de  îk%  p, 

Baltel  [Julien).  Le  Bannissement  de  Jean -Baptiste  Rousseau,  discours  por~ 
nonce  â  l'audience  solennelle  de  rentrée  de  la  cour  d'appel  de  Pau,  le  16  or- 
tM.re  1899.  Pau,  Garet.  lfi-8.  de  34  p. 

riiïiirauhri.'iiicl.  L  I  Mattynt  Livre  VI,  publié  avec  une  notice  biographique, 
une  introduction  el  dei  noies  par  L.  Ma&illeau*  Paris,  Rackette.  Petit  in- le, 
dfi  OS  p. 

Darniretteter  (Mary  James)*  La  reine  de  Navarre  (Marguerite  d'Angoule'me). 
Traduction  de  l'anglais  par  Pierre  Mehcieux*  Paris,  Catmnnu-Lévy*  ln-8  Jésus, 
de  1*386  p* 

l><  (mhiiIm  i  Lucien  .  Recherchée  d'histoire  locale.  Notes  et  souvenirs.  Le  théâtre 
à  Bennes,  llnut>   <  SfrROfL  ln-8,  de  157  p. 

Delataln  (Paul).  L'imprimerie  et  la  librairie  a  Paris  de  §789  à  4813,  rensei- 
gnements recueillis,  classés  et  accompagnés  d'une  introduction.  Fan*,  Delà- 
laia.  In  8,  de  lx  36tî  p.  et  trois  fragments  du  plan  de  Paris  en  1810*  Prix  :  20  fr. 

Dominique  i  L'abbé  J.).  Le  poète  Brownintj  a  $aîn6 •■Marie-en-Pornic,  La 
légende  de  la  chevalière  d*or.  Vannes.  Laftdtje.  Jn-8,  de  24  p.  (Extrait  de  la 
Revue  de  litefagne,  de  Vendée  et  d'Anjou.) 

Draeger  (R.),  Moliere's  Don  Juan  historiseti-genetisek  neu  heteuchtet.  Disserta- 
tion de  Halle,  1*1*0,  de  35  p* 

Du  CthMicI  (Le  comte  Emcrie),  Le  candidat  <te  la  beauté  :  Gabriel*  d'An- 
tfunziiK  Victy  Ventre.  Itl-16,  de  32  p. 

Durand  i  Ij  uk-  .  Joseph  Vomit,  honrne  poliiii/ut'f  écrivain,  poète.  Étude 
bio-bibliographique.  Fémutp,  Durand.  In -T.1,  de  71  pages  et  portrait* 

Élladr  (Poinpiliu:.  JJe  l 'influence  française  IMT  t r  esprit  pu\dir  en  Roumanie.  Les 
nies  Etude  sur  l'état  de  la  société  roumaine  à  l'époque  des  régnes  phana- 
ri  oie  s.  Paris,  Leroux.  ln-8,  de  xi-443  p* 


LIVRES   NOUVEAUX.  331 

Faguet  (Emile).  Politiques  et  moralistes  du  XIXe  siècle.  3«  série.  Paris, 
Société  française  d'imprimerie  et  de  librairie.  In-18  Jésus,  de  xxn-381  p.  Prix  : 
3  fr.  50. 

Févnl  (Paul).  Le  premier  amour  de  Charles  Nodier.  Avant-propos  de  Maurice 
Tourneux.  Illustrations  de  Vogel.  Paris,  Rouquette.  In-8,  de  vu-4l  p. 

Frolssart  (Jehan).  Chroniques.  Deuxième  livre,  publié  pour  la  Société  de 

l'histoire  de  France  par  Gaston  Raynaud.  T.  XI  (1382-1385);  depuis  la  bataille 

de  Roosebeke  jusqu'à  la  paix  de  Tournay.  Paris,  Laurens.  In-8  de  lxxvu-492  p. 

Gahler  (J.).  Le  théâtre  libre  :  François  de  Curel.  Nantes,  Biroché  et  Dantais. 

In-8,  de  52  p. 

G  as  té  (Armand).  Une  demi-victime  de  Boileau.  Les  poésies  de  Jean  Bardou, 
curé  de  Cormelles-le-Royal,  près  Caen  (1621-1668).  Caen,  Delesques.  In-8,  de 
43  p.  (Extrait  des  Mémoires  de  l'Académie  nationale  des  sciences,  arts  et  belles- 
lettres  de  Caen.) 

Ghlca  (Jean  T.).  La  propriété  littéraire  et  artistique  en  Roumanie.  Paris, 
Rousseau.  In  8,  de  173  p. 

Glraud  (Victor).  Pascal  :  l'homme,  V œuvre,  l'influence.  Notes  d'un  cours  pro- 
fessé à  l'Université  de  Fribourg  (Suisse)  durant  le  semestre  d'été  1898.  Paris, 
Fontemoing.  In-16,  de  x-252  p.' 

Glrod   de  l'Ain  (Maurice).  Vie  militaire  du  général  Foy.  Paris,  Pion.  In-8, 

de  436  p.  avec  2  portraits,  6  cartes  et  3  fac-similés  d'autographes.  Prix  :  8  fr. 

Gourcuff  (Olivier  de).  Un  contemporain  de  Brizeux  :  M.  Charles    Coran. 

Vannes,  Lafolye.  In-8,  de  1 1  p.  (Extrait  de  la  Revue  de  Bretagne,  de  Vendée  et 

d'Anjou.) 

Gourmont  (Rémy  de).  Les  petites  revues,  essai  de  bibliographie.  Paris, 
librairie  du  Mercure  de  France.  In-8,  de  39  p.  (Extrait  de  la  Revue  biblio-icono- 
graphique.) 

Grisclle  (Le  P.  E  ).  S.  J.  Les  Mélanges  de  Bourdaloue.  Paris,  Sueur-Charruey. 
In-8,  de  15  p.  (Extrait  de  la  Science  catholique.) 

Goilland  (Antoine).  V Allemagne  nouvelle  et  ses  historiens  :  Niebuhr,  Ranke, 
Momnisen,  Sybei,  Trcitschke.  Paris,  Alcan.  In-8,  de  262  p. 

Raiera  (Mgr).  Louis  Veuillot,  discours  prononcé  à  l'inauguration  du  monu- 
ment de  Louis  Veuillot  dans  la  basilique  du  Sacré-Cœur.  Paris,  Retaux.  In-8, 
de  42  p. 

Jovellanos.  La  satire  de  Jovellanos  contre  la  mauvaise  éducation  de  la  noblesse 
(1787),  publiée  et  annotée  par  Alfred  Morel-Fatio.  Paris,  Fontemoing.  In-8,  de 
48  p.  (Bibliothèque  des  Universités  du  Midi,  fasc.  5.) 

Kerviler  (René).  Répertoire  général  de  bio-bibliographie  bretonne,  avec  le  con- 
cours de  MM.  A.  Apuril,  X.  de  Bellevue,  Ch.  Berger,  V.  du  Bois-Saint-Séverin, 
R.  de  l'Estourbeillon,  A.  Gaiibourg,  etc.  Livre  Ipr  :  les  Bretons.  T.  XII,  32e  fas- 
cicule ;  Dem-Dez.  Rennes,  Plihon  et  Hervé.  In-8,  de  160  p. 

Le  Bourallère  (A.  de).  L'imprimerie  et  la  librairie  à  Poitiers  pendant  le 
XVI0  siècle,  précédé  d'un  chapitre  rétrospectif  sur  les  débuts  de  l'imprimerie 
«lans  la  même  ville.  Paris,  Paul  et  Guillemin.  In-8,  de  lxx-399  p.,  avec  fac- 
similés. 

La  Servlère  (J.  de).  S.  J.  Un  professeur  d'ancien  régime  :  le  Père  Charles 
Porée,  S.  J.  (1676-1741).  Paris,  H.  Oudin.  Grand  in-8,  de  xv-490  p. 

Latrellle  (C).  De  Petro  Bocssatio  (1683-1662)  ac  de  conditione  titteratorum 
rirorum  in  Delphinatu  eadem  œtate  (thèse).  Vienne,  Ogeret  et  Martin.  In-8,  de 
88  p. 

Lerigne  (L'abbé  C).  Poètes  de  chez  nous  :  J.  Aubry  et  C.  Droulers.  Paris, 
Sueur-Charruey.  In-8,  de  14  p.  (Extrait  de  la  Revue  de  Lille). 

Lecomte  (L. -Henry).  Curiosités  théâtrales  :  Marie  Dorval  au  Gymnase  (1838- 
1839).  Notes  biographiques  et  critiques.  Paris,  Y  auteur,  40,  rue  du  Dôme. 
In-16,  de  40  p. 
Lecomte  (L.-Henri).  Curiosités  théâtrales  :  Odry  et  ses  œuvres  (1780-1853). 


332  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Notes  biographiques  et  critiques.  Paiis,  fauteur,  40,  rue  du  Dôme.  In-16,  de 
52  p. 

Lcnage.  Gil  Blas  de  Santillane.  Édition  réduite  et  revisée  par  Léo  Claretie. 
Paris,  Charavay  et  Martin.  In-4,  de  xx-275  p.  avec  grav.  en  noir  et  en  coul. 

Longin  (Emile).  La  Franche-Comté  et  la  Gazette  de  France  de  4668  à  4674. 
Besançon,  Jacquin.  In-8,  de  17  p. 

Lncas  (Hippolyte).  Correspondance  pendant  le  Siège  et  la  Commune.  Vannes, 
Lafolye.  In-8,  de  40  p.  et  portrait. 

Lyonnet  (Henry).  Le  théâtre  hors  de  France.  3-  série  :  le  théâtre  en  Italie. 
Paris,  OUendorff.  In-18  Jésus,  de  390  p.  avec  47  photogravures.  Prix  :  3  fr.  50. 

Meunier  (L'abbé  J.-M.).  Les  parlers  du  Nivernais,  discours.  Nevers,  Cloix.  In-8, 
de  18  p. 

Michel  (Georges).  Léon  Say,  sa  vie,  ses  wuvres.  Calmann-Lévy.  In-8,  de 
285  p.  et  portrait.  Prix  :  7  fr.  50. 

Hlchelet.  Histoire  et  philosophie.  Introduction  à  l'histoire  universelle.  Vico. 
Luther.  Élude  par  Albert  Sorel.  Paris,  Calmann-Lévy.  In-18  jésus,  de  xxxvi- 
245  p.  Prix  :  3  fr.  50. 

Hlchelet  (J.).  Œuvres  complètes.  Histoire.  Révolution  française.  T.  Y  : 
la  Convention.  Paris.  Calmann-Lévy.  In-18  jésus,  de  494  p.  avec  grav. 
Prix  :  3  fr.  50. 

Hlchelet  (J.).  Révolution  française.  T.  VI  :  la  Terreur.  Calmann-Lévy.  In-i& 
jésus,  de  xxxvin-484  p.  et  grav.  Prix  :  3  fr.  50. 

Hlchelet  (J.).  Révolution  française.  T .  VIII.  Robespierre.  Paris,  Calmann-Lévy .. 
In-18  jésus,  de  477  p.  et  portrait. 

Molière.  Les  Femmes  savantes.  Illustrations  d'Henri  Pille.  Paiis,  Charavay 
et  Martin.  In-IG,  de  128  p. 

Olivier  (Jean-Jacques).  Voltaire  et  les  comédiens  interprètes  de  son  théâtre* 
Étude  sur  l'art  théâtral  et  les  comédiens  au  xvmc  siècle,  d'après  les  journaux,, 
les  correspondances,  les  mémoires,  les  gravures  de  l'époque  et  des  documents 
inédits.  Paris,  Société  française  d'imprimerie  et  de  libraitie.  In-18,  dexxxv-441  p. 
et  3  gravures  coloriées.  Prix  :  10  fr. 

Oraunt  (Henri).  Bibliothèque  nationale  :  Catalogue  général  des  manuscrits 
français.  Nouvelles  acquisitions  françaises.  T.  11.  NuS  3i  01-6500.  Paris  t  Leroux. 
Iu-8,  de  .w-465  p. 

Pavie  (André).  Un  cas  d'évolution  littéraire:  la  tradition  classique  dans  le 
théâtre  de  VirtorHugo.  Angers,  Germain  et  Grassin.  In-8,  de  351  p.  (Extrait  de 
la  Revue  de  l'Anjou). 

Petit  de  Jnllevlile  (L.).  Histoire  de  la  littérature  française  des  origines  à  nos- 
jours.  Nouvelle  édition  contenant  un  index  des  auteurs  et  des  ouvrages  cités. 
Paris,  Masson.  In-16,  de  600  p. 

Prondbon  (P.-J.).  Commentaires  sur  les  Mémoires  de  Fouché,  suivis  du  Paral- 
lèle entre  Napoléon  et  Wellington.  Manuscrits  inédits  publiés  par  Clément 
Rocbel.  Paris,  OUendorff.  In-8,  de  xvu-298  p. 

Rébellian  (Alfred).  Bossuet.  Paris,  Hachette.  In-16,  de  208  p.  et  portrait. 
Prix  :  2  fr.  (Les  grands  écrivains  français). 

Renan  (Ernest).  Études  sur  la  politique  religieuse  du  règne  de  Philippe  le  Bel. 
Paris,  Calmann-Lévy.  In-8,  de  n-489  p. 

Renouvler  (Ch.).  Victor  Hugo  :  le  philosophe.  Paris,  Armand  Colin.  In-16,. 
de  385  p.  Prix  :  3  fr.  50. 

Rimbaud  (Jean-Arthur).  Lettres  (Egypte,  Arabie,  Ethiopie),  avec  une  intro- 
duction et  des  notes  par  Paterne  Berrichon.  Paris,  Société  du  Mercure  de 
France.  In  18  jésus,  de  274  p.  Prix  :  3  fr.  50. 

Saint-Pierre  (Bernardin  de).  Paul  et  Virginie.  Illustrations  de  Maurice 
Leloir.  Paris,  Charavay  et  Martin.  In-16,  de  xu-120  p. 

Saint-Simon.  Mémoires.  Nouvelle  édition,  collalionnée  sur  le  manuscrit 
autographe,  augmentée  des  additions  de  Saint-Simon  au  Journal  de  Dangeau  et 


LIVRES   NOUVEAUX.  333 

de  notes  et  appendices,  par  A.  de  Boislisle.  T.  XIV.  Paris,  Hachette.  In-8,  de 
709  p.  Prix  :  7  fr.  50.  (Les  grands  écrivains  de  la  France.) 

Sambae  (M.).  Le  socialisme  de  Pourier.  Paris,  Larose.  In-8,  de  n-211  p. 

Séménoff  (E.).  Alexandre  Pouchkine  (1789-1899).  Paris,  Stock.  In-18  Jésus, 
de  vi-77  p.  Prix  :  2  fr. 

Sérand  (J.).  U  habitation  de  Mm*  de  Warens  à  Annecy.  Annecy,  Abry.  In-8, 
de  15  p.  (Extrait  de  la  Rnme  savoisienne.) 

Simon  (Joseph).  Catalogue  des  manuscrits  de  la  bibliothèque  de  la  ville  de 
Nimes.  T.  II.  Nimes,  Chastanitr.  In-4,  de  172  p. 

Sorel  (Alexandre).  Recherches  historiques  sur  l'imprimerie  et  la  librairie  à 
Compiegne  avant  4  789.  Compiegne,  Lefebvre.  In-8,  de  32  p.  (Extrait  du  Bulletin 
de  la  société  historique  de  Compiegne). 

Tamiserai  (J.-B.-Émile).  Étude  généalogique  sur  les  Bourdaloue,  avec  divers 
appendices  par  Henri  Chkrot,  S.  J.  Parts,  Retaux.  In-8,  de  128  p. 

Yermorel  (À.).  Mirabeau,  sa  rie,  ses  opinions  et  ses  discours.  T.  Ier.  Parts, 
Pfluger.  In-32,  de  190  p. 

Vllère  (A.  de).  Jean  Racine,  d'après  sa  correspondance.  Paris,  Sueur -Gharruey . 
In-8,  de  67  p.  (Extrait  de  la  Revue  de  Lille.) 

Voltaire.  Candide.  Illustrations  par  Adrien  Moreau.  Paris,  Charavay  et  Martin. 
In-16,  de  132  p. 

Yaflhorgne  (L.).  Notice  biographique  sur  Jean  Pillet,  historien  du  Gerberoy 
(1615-1691).  Beauvaû,  Lamiable.  In-8,  de  22  p. 

WoIns  (J-J).  Molière.  Préface  par  le  prince  Georges  Stirbky.  Paris,  Cal- 
mann-Lévy.  In-18  jésus,  de  xx-291  p.  Prix  :  3  fr.  50. 

Wjïcwa  (Teodor  de).  Le  roman  contemporain  à  F  étranger.  Paris,  Perrin. 
In-16,  de  x-325  p. 


CHRONIQUE 


—  Les  adhérents  à  la  Société  d'histoire  littéraire  de  la  France  recevront  avec 
ce  numéro  de  la  Revue  la  table  analytique  des  cinq  premières  années  dont 
nous  sommes  redevables  à  notre  confrère  M.  Maurice  Tourneux. 

—  Sous  ce  titre  Un  recueil  «  cTadversaria»  autographes  de  Girolamo  Aleandro 
(Extrait  des  Mélanges  d'archéologie  et  d'histoire  publiés  par  l'École  française  de 
Borne),  M.  Louis  Delà  ruelle  appelle  l'attention  sur  un  manuscrit  du  Vatican 
qui  contient  des  annotations  ignorées,  de  la  main  de  Jérôme  Méandre.  Ce  sont 
surtout  des  notes  philologiques  rassemblées  au  hasard  des  lectures  et  des  tra- 
vaux, mais  on  y  trouve  aussi  quelques  détails  biographiques  qui  ne  sont  pas 
sans  intérêt. 

—  Le  Sermon  inédit  de  saint  François  de  Sales  pour  le  premier  jour  de  Van  4612, 
publié  et  annoté  par  le  P.  Eugène  Grisellb,  S.  J.,  l'a  été  d'après  les  principes 
adoptés  par  Dom  Mackey  dans  l'édition  qu'il  donne  des  œuvres  du  prélat,  sous 
les  auspices  de  la  Visitation  d'Annecy  (Extrait  de  la  Revue  des  sciences  ecclésias- 
tiques). L'autographe  de  ce  discours,  qui  a  été  retrouvé  à  Beauvais,  est,  selon 
toute  vraisemblance,  un  feuillet  extrait  du  manuscrit  de  Turin,  qui  a  servi  à 
l'édition  des  sermons  du  saint,  et  cette  publication  nouvelle  comble  heureuse- 
ment une  lacune  et  fait  disparaître  un  vide  du  recueil  actuellement  en  cours 
de  publication. 

—  M.  Louis  Arnould,  qui  s'est  voué,  comme  on  le  sait,  à  l'étude  de  Bacan, 
continue  à  publier  d'intéressantes  trouvailles  sur  celui-ci.  Il  a  inséré,  dans  la 
Quinzaine  du  1er  mars  dernier,  un  article  sur  la  Naissance  de  Racan,  dans  lequel 
les  amateurs  de  notre  littérature  du  xvu°  siècle  trouveront  une  partie  d'une 
lettre  inédite  du  poète  à  Michel  de  Castelnau  et  aussi  trois  stances  également 
inconnues. 

—  Les  admirateurs  de  Bossuet  se  préparent  à  commémorer  dignement  en 
1904  le  deux  centième  anniversaire  de  la  mort  de  l'illustre  orateur.  En  attendant 
cette  date,  ils  ont  pensé  à  consacrer  un  recueil  périodique  trimestriel,  la  Revue 
Bossuet,  à  la  glorification  du  prélat.  Cette  revue,  qui  est  publiée  par  l'edminis- 
tration  du  Correspondant,  est  dirigée  par  M.  l'abbé  E.  Levesque,  bibliothécaire 
du  séminaire  de  Saint-Sulpice.  Elle  insérera  des  œuvres  inédites,  des  docu- 
ments et  des  articles  bibliographiques,  dont  nous  ne  manquerons  pas  de 
donner  dorénavant  le  dépouillement  à  nos  lecteurs. 

Signalons  dès  maintenant  un  article  de  M.  l'abbé  Ch.  Urbain  sur  le  Jansé- 
nisme de  Bossuet  dans  la  Revue  du  clergé  français  (1er  août  1899). 

—  Le  panégyrique  de  saint  François  de  Sales,  par  Bossuet,  dont  le  manuscrit 
autographe  a  été  récemment  découvert  à  la  bibliothèque  de  Turin,  ainsi  que 
nous  lavons  annoncé  dans  notre  précédent  numéro,  vient  d'être  publié  par 
Dom  Mackey,  dans  les  Études  rédigées  par  des  religieux  de  la  compagnie  de 
Jésus  (octobre  1899).  Le  texte,  qui  est  accompagné  des  éclaircissements  dési- 
rables, est  orné  du  fac-similé  de  la  dernière  page  de  l'autographe  de  Bossuet. 


CHRONIQUE.  335 

—  V Étude  généalogique  sur  les  Bourdaloue  publiée  par  M.  J.-B.-Emile  Taus- 
serat  est  abondante  et  précise.  Elle  rendra  des  services  à  tous  ceux  qui  vou- 
dront bien  connaître  les  alentours  du  célèbre  prédicateur.  Le  P.  Chérot  y  a 
joint  divers  appendices  qui  complètent  l'ensemble  et  ne  sont  pas  sans  intérêt. 

—  Dans  le  Bulletin  de  la  commission  de  F  histoire  des  Eglises  wallonnes,  t.  VII 
(La  Haye,  1898).  p.  279  et  suivantes,  M.  Kan  a  publié  un  catalogue  des  lettres 
inédites  de  Baylc  qui  sont  conservées  dans  quelques  bibliothèques.  M.  Kan 
indique  pour  chaque  lettre  la  date  et  le  destinataire. 

La  bibliothèque  de  l'Université  de  Leyde  possède  plus  de  quatre-vingts  lettres 
de  Bayle,  adressées  à  divers;  —  la  bibliothèque  de  l'Université  d'Utrecht,  cin- 
quante-deux lettres  de  Bayle,  adressées  à  Theodorus  Janssonius  ab  Almeloveen  ; 
—  la  bibliothèque  royale  de  la  Haye,  trente-trois  lettres  échangées  entre  Bayle 
et  Cupertis;  —  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris,  vingt  et  une  lettres  de 
Bayle  à  l'abbé  Nicaise. 

—  Vopinion  de  Voltaire  sur  le  Canada  a  donné  lieu,  à  l'Académie  des  sciences 
morales  et  politiques,  à  un  échange  de  vues  qu'on  trouvera  exposées  dans  le 
compte  rendu  de  ses  travaux  (1900,  t.  I,  p.  412).  M.  Levasse ur  avait  essayé,  on 
s'en  souvient,  de  laver  Voltaire  du  reproche  d'avoir  écrit  la  fameuse  phrase  sur 
«  les  quelques  arpents  de  neige  sur  le  Canada  ».  (Voy.  Revue  oYhist.  litt.%  t.  II, 
p.  308,  et  t.  III,  p.  153).  Tel  n'est  pas  le  sentiment  de  M.  Paul  Leroy-Beaulieu 
qui  estime  que,  si  ce  texte  n'est  pas  littéralement  exact,  il  exprime  bien  le 
sens  de  la  pensée  de  Voltaire  et  contient  les  termes  dont  celui-ci  se  sert  d'or- 
dinaire en  parlant  du  Canada.  Mais  M.  Levasseur  maintient  qu'en  parlant 
comme  il  le  faisait.  Voltaire  songeait  non  au  Canada  entier,  mais  à  une  partie 
de  l'Acadie  et  du  Canada  sujette  à  contestations  depuis  le  traité  d'Utrecht. 

.  —  Le  recueil  périodique  Souvenirs  et  mémoires  a  publié  (novembre  et 
décembre  1899,  janvier,  février  et  mars  1900),  sous  ce  titre  :  Le  poète  Colardeau 
et  le  curé  de  Pithiviers,  une  correspondance  inédite  que  le  poète  ne  cessa  d'en- 
tretenir pendant  toute  sa  vie  avec  l'abbé  Hegnard,  curé  de  Saint-Salomon  de 
Pithiviers,  qui  avait  été  aussi  son  tuteur.  Ces  lettres  sont  indispensables  à 
connaître  pour  bien  saisir  le  véritable  caractère  de  Colardeau,  qui  s'y  révèle 
prosateur  aimable  et  plein  de  verve. 

—  La  Correspondance  inédite  de  J.-F.  Ducis  avec  le  prince  Louis-Eugène  de 
Wurtemberg,  publiée  par  M.  E.  de  Refuge,  qui  en  possède  les  originaux, 
s'étend  sur  dix  années,  1763-1773,  et  se  compose  de  vingt-six  lettres  (Extrait 
de  V Amateur  d'autographes).  Ducis  avait  connu  le  prince  au  cours  des  voyages 
qu'il  fit  en  Allemagne  comme  secrétaire  du  comte  de  Montazet.  Il  en  résulta 
plus  tard  un  échange  de  lettres,  assez  espacées  d'abord,  mais  qui  devinrent 
très  fréquentes  en  1771.  Le  recueil  publié  par  M.  de  Refuge,  en  outre  des  ren- 
seignements qu'il  apporte  sur  le  compte  même  de  l'écrivain,  est  une  histoire 
suivie  de  cette  année  et  des  événements,  tant  politiques  que  littéraires,  qui  la 
marquèrent.  C'est  une  très  utile  contribution  au  tableau  de  Paris  à  cette  date, 
que  rendent  plus  utile  encore  les  nombreuses  annotations  dont  le  texte  est 
accompagné. 

—  M.  Paul  d'EsTRÉE  a  trouvé  dans  les  Archives  de  la  Bastille,  à  la  biblio- 
thèque de  l'Arsenal,  et  publie  dans  la  Correspondance  historique  (juillet  4899) 
divers  documents  sur  la  Jeunesse  de  Suavd.  Elle  fut,  au  dire  de  ses  biographes, 
agitée  et  querelleuse,  et  les  documents  mis  au  jour  par  M.  Paul  d'Estrée  con- 
firment à  cet  égard  le  récit  de  Carat  sur  Suard.  Ce  sont  deux  lettres  du  duc  de 
Randan,  gouverneur  de  Besançon,  aux  ministres  Maurepas  et  d'Argenson,  pour 
faire  appréhender  Suard  qui  s'était  réfugié  a  Paris,  chez  un  oncle,  à  la  suite 
d'une  affaire  avec  un  officier  de  la  garnison  de  Besançon. 


336 


R EVITE    BHJSTO-IHE    LITTËUAIRE    l>K    LA    FRANCE- 


—  Le  Corr&pùtodmt  des  (0  et  1*5  janvier  publie  environ  deux  cents  r 
inédites  de  Théodore  Jou/froij.  Ce  sont  les  sentences  dans  lesquelles  l'illustre 
penseur  enfermait  pour  lui-même  eu  de  brèves  formules  le  résultat  de  ses 
méditations  ou  le  trait  saillant  de  ses  observations.  Elles  sont  rangées  dans  un 
ordre  méthodique,  dans  le  manuscrit  original,  et  passent  successivement  en 
revue  la  vie  et  la  mortT  l'âme  et  le  corps,  la  nature»  la  raison  et  la  critique, 
l'histoire,  l'humanité,  la  vie  morale,  religion  et  philosophie,  art  et  littérature, 
la  civilisation,  tous  les  grands  problème»,  en  un  mot,  qui  se  posent  à  Tenten* 
dément  humain  et  sur  lesquels  Jouffroy  a  tenu  à  donner,  pour  lui-même,  un 
sentiment  sincère  et  clairvoyant.  Nous  reproduisons  ici  quelques-unes  de  ces 
pensées,  saisies  au  hasard  de  la  lecture,  comme  un  spécimen  de  ces  hautes 
réflexions, 

—  i  Craindre  la  mort,  c'est  faire  trop  d'honneur  à  la  vie. 

—  v  H  faut  bien  du  goût  pour  échapper  à  celui  de  son  siècle. 
-  ■   Qui  comprend  l'histoire  ny  jouera  jamais  un  ■ 

—  *  La  mélancolie  est  une  habitude  de  sentiments  pénibles  tournée  au  besoin. 

—  «  N'est  pas  égoïste  qui  veut  :  les  bons  cœurs  le  savent. 

—  t  Si  la  grande  morale  tue  la  petite,  la  petile  le  lui  rend  bien, 

—  m  Consoler,  c'est  rappeler  à  l'èçoïsnie  »* 

—  Dissertant  en  Sorbonue  sur  la  sincérité  de  Chateaubriand,  M.  l'abbé 
Georges  Bertiun  a  cru  qu'il  importait  a  sa  thèse,  d'ailleurs  fort  hasardée,  de 
laisser  planer  un  soupçon  sur  la  probité  littéraire  de  Sainte-Beuve  et  de  faire 
entendre  que  celui-ci  avait  imaginé,  pour  les  besoins  de  sa  cause,  un  passage 
fameux  qu'il  a  cité  maintes  fois  sur  les  motifs  du  voyage  eu  Orient,  et  qui  ne 
se  retrouve  pas  dans  les  éditions  imprimées  des  Mémoires  tf  outre tombe.  Les 
esprits  vraiment  critiques  ou  simplement  scrupuleux  n'ignorent  pas  qu'avant 
de  lancer  pareille  insinuation,  il  ne  suffit  pas  d'avoir  u  parcouru  deux  ou  trois 
fois  d'une  main  infructueuse  *>  un  leste  imprimé,  comme  M,  Bertrin  se  vante 
fie  lavoir  fait;  ils  savent  qu'il  convient  d'étudier  avec  soin  les  transformations 
du  texte  manuscrit  et  de  déterminer  avec  le  plus  d'exactitude  possible  ce 
que  ces  transformations  purent  être.  M.  Hertrin  s'est  avisé  un  peu  tardive- 
ment de  recourir  à  cette  méthode  critique  et  il  a  dû  reconnaître  que  c'était 
par  lit  qu'il  aurait  fallu  commencer.  Dans  un  article  du  Correspondant  {iû  mars; 
où  il  revient  sur  cette  question  sous  ce  litre  :  Chateaubriand  *t  SatftJà-BéiftM  : 
un  problème  *f  histoire  li(ttroin\  Satute  Heure  est-if  un  faussaire!  M.  Bertrin  a 
confessé  que  le  susdit  passage,  qui  manque  dans  les  imprimés,  se  trouve, 
sous  une  forme  différente,  il  est  vrai,  de  celle  citée  par  Sain  le- fleuve,  dans 
un  manuscrit  des  Mémoires  tf'viare-tiatthe,  parfaitement  authentique,  écrit  de 
la  main  de  Pilorge,  le  secrétaire  de  Chateaubriand,  que  possède  actuellement 
M.  Champion,  libraire,  et  qui  provient  des  papiers  de  Mme  Hécamier.  M.  Bel  - 
triu  sWorce  de  démontrer  que  les  différences  du  texte  imprimé  sont  le  fait 
de  Sainte-Beuve.  Les  esprits  critiques  ne  le  suivront  pas  dans  son  essai  de 
démons! ration,  parce  qu'ils  estimeront  qu'un  texte  qui  a  été  modifié  une  fois 
par  l'auteur  peut  parfaitement  l'avoir  été  une  autre  fois  et  que  l'argumenta- 
tion de  M.  Bertrin  est  trop  spécieuse  pour  convaincre. 

D'ailleurs  celte  conclusion  de  M,  Bertrin  est  combattue  par  des  critiques 
favorables,  en  principe,  à  sa  thèse  de  la  sincérité  religieuse  de  Chateaubriand. 
Voyez  en  particulier  à  ce  sujet  la  brochure  de  M-  ë-  Mïchaul  sur  Chateau- 
briand et  Sainte-Beuie  (Frîbuurg,  \b\m  .  M.  G.  Michaut  v  démontre  que  Cha- 
teaubriant  reloucha  sans  cesse  le  texte  de  ses  mémoires  et  qu'il  eu  Ht  de 
nombreuses  communications  partielles  avant  la  publication,  c'est-à-dire  les 
deux  points  qui  sont  nécessaires  pour  mettre  hors  de  cause  la  bonne  foi  de 
Sainte-Beuve  et  le  vice  de  l'argumentation  de  M.  Hertrin. 

—  Le  vicomte  de  Spoelberch  de  Love.njoil,  qui  a  acquis  les  papiers  de 
Sainte-Beuve  et  qui  les  conserve  avec  soin  dans  ses  collections  d'autographes, 


CHRONIQUE.  337 

a  trouvé  parmi  ces  papiers  vingt-deux  lettres  ou  billets  adressés  par  Marce- 
line Desbord  es-Val  more  au  célèbre  critique  en  diverses  circonstances,  depuis 
1836  jusqu'en  1855.  Cette  correspondance  ne  fut  donc  guère  suivie  puisqu'elle 
s'espace  sur  près  de  vingt  ans,  ce  qui  ne  fait  guère  qu'une  lettre  échangée  par 
an.  Quant  aux  lettres,  presque  toutes  sont  écrites  «  dans  un  tumulte  de 
cœur  »,  comme  le  dit  quelque  part  Desbordes-Valmore  elle-même.  Ce  sont 
des  élans  d'une  sensibilité  troublante  et  maladive,  toujours  douloureuse, 
émue  d'une  âpre  volupté.  A  vrai  dire,  une  seule  de  ces  lettres  est  de  première 
importance  :  celle  du  18  mars  1851,  dans  laquelle  Desbordes-Valmore,  à  la 
demande  même  de  Sainte-Beuve,  donne  son  sentiment  sur  H.  de  Latouche, 
qui  venait  de  mourir  et  qui  avait  été  l'objet  des  élégies,  amoureuses  de  la 
femme  poète.  Quoiqu'on  ne  puisse  pas  écrire  un  jugement  «  avec  des  larmes 
dans  les  yeux  »,  celui  de  Marceline  Desbordes-Valmore  est  pénétrant  et  motivé. 
C'est  un  portrait  psychologique  tracé  d'une  main  indulgente,  mais  experte, 
et  qui  devait  à  tous  égards  être  sauvé. 

Les  lettres  de  Marceline  Desbordes-Valmore  à  Sainte-Beuve  ont  été  publiées 
dans  la  Revue  hebdomadaire  du  20  février  4000. 

—  Le  vicomte  de  Spoelberch  de  Lovenjoiil  a  également  tiré  des  papiers  de 
Sainte-Beuve  et  fait  paraître  dans  la  Revue  hebdomadaire  (2i-  février,  3  et 
10  mars)  un  roman  inédit  et  inachevé  de  Sainte-Beuve  intitulé  Arthur. 

C'était,  parait-il,  la  mise  en  œuvre  de  divers  épisodes  de  la  vie  du  poète 
Ulric  Guttinguer  qui  devait  inspirer  un  livre  que  les  deux  écrivains,  Sainte- 
Beuve  et  Guttinguer,  lui-même,  se  proposaient  d'écrire  en  commun.  Mais  Gut- 
tinguer ne  persévéra  pas  jusqu'au  bout  dans  son  dessein  et  il  composa  et 
publia  seul  le  livre  qui  devait  étr<*  fait  à  deux.  Son  collaborateur  avait  déjà 
exécuté  une  partie  du  travail,  mais  il  semble  qu'il  eût  renoncé  à  l'achever. 
En  rendant  compte,  dans  la  Revue  des  Dette  Mondes  du  15  décembre  1836,  du 
roman  de  Guttinguer,  Sainte-Beuve  se  contente  de  faire  allusion  au  sien  et 
d'en  citer  un  fragment.  C'est  tout  ce  qu'on  en  connaissait,  avec  un  autre  extrait 
inséré  dans  les  Portraits  et  critiques  littéraires  et  quelques  vers  placés  dans 
ses  recueils  de  poésies,  jusqu'à  ce  que  M.  de  Spoelberch  de  Love  nj  oui  en 
publiât  intégralement  le  manuscrit  inachevé.  Kcrit  en  avril  1830,  cet  essai 
incomplet  est  donc  l'œuvre  d'un  auteur  de  vingt-cinq  ans  et  il  a  la  fougue  et 
les  défauts  de  la  jeunesse. 

—  M.  C.  Douais  —  aujourd'hui  évéque  de  Beauvais  —  a  publié,  l'an 
passé,  un  choix  de  Lettres  au  baron  (luirawl.  Cette  brochure  précède,  parait-il, 
un  recueil  plus  important  de  la  correspondance  du  poète  du  Petit  Savoyard  et 
donne  un  avant-gont  de  ce  que  sera  la  collection  complète.  En  attendant,  on 
trouvera  dans  la  plaquette  de  M.  C.  Douais,  à  la  suite  d'une  introduction 
délicate  et  émue  sur  Guiraud,  des  lettres  de  Brit'aut,  du  comte  Daru,  de  Sophie 
Gay,  d'Alfred  de  Vigny,  de  Victor  Hugo,  de  Léon  d'Aurevilly  (frère  de  Jules 
Barbey  d'Aurevilly),  de  Quinet,  de  Saint-Marc-Girardin,  de  Lamartine,  de 
Jules  de  Rességuier,  de  Villemain,  de  Mole,  de  Salvandy,  de  Mgr  Dupanloup, 
de  P.  de  Havignan,  de  Poujoulat,  de  Mme  Récamier,  de  Ballanche,  d'Ampère 
et  de  Lacordaire.  La  variété  de  ces  noms  dit  assez  l'intérêt  des  révélations  de 
M.  Douais. 

—  Sous  ce  titre  :  Guillaume  tiuizot  et  Taine,  M.  Victor  Giuaud  a  exhumé,  à 
l'occasion  du  très  remarquable  ouvrage  de  Guillaume  Guizot  sur  Montaigne, 
des  pages  que  Taine  avait  consacrées  à  G.  Guizot  dans  la  Revue  de  l'Instruc- 
tion publique  du  10  mai  1853,  et  dans  le  Journal  des  Débats  du  12  janvier  1866. 
La  prose  de  Taine  est  accompagnée  d'un  commentaire  ingénieux  et  substantiel. 

—  L'Amateur  d" autographes  a  mis  au  jour  quelques  lettres  qu'il  convient  de 
signaler.  Ce  sont  d'abord  (Lr>  janvier  1900)  des  lettres  de  Lacordaire,  de  Monta- 


338 


MEVCC    »  IUSTOIHK    LUTI-UAIUK    D£    LA    Ht 


lembert  et  de  George  Sand  adressées  à  un  ruerne  de*tinataire  à  propos  d'un 
même  ouvrage  —  le  pasteur  Schœffer  et  sou  livre  sur  r  Avenir  de  la  iolëruna^  — 
et  qui  donnent  l'opinion  de  trois  esprits  si  différents  sur  une  question  aussi 
essentiel  le. 

Nous  mentionnerons  à  côté  une  autre  lettre,  absolument  dissemblable 
d'allure  et  de  ton  avec  la  précédente,  écrite  par  Lacordaire,  à  IMge  de  dix- 
neuf  ans,  à  un  camarade  d'étude  (15  mars  1900). 

En  lin,  nous  ajouterons  deux  lettres  de  George  Sand  adressées  à  Louis  Blanc, 
sous  l'Empire»  et  qui  montrent  une  vivacité  de  sentiment  qu'il  faut  connaître 
pour  juger  cette  phase  de  la  vie  de  George  Sand  {Carnet  hî*torUiue  et  litté- 
raire, lî>  mai  1819). 

—  On  annonce  la  publication  $tricte?*mt  n  J£  exemplaire*  tlout  IS  tsulemeni 
seront  mi*  dan*  le  eommerce,  de  différentes  lettres  inédites  de  Mérimée,  impri- 
mées intégralement  d'après  les  autographes.  Les  annonces  font  savoir  que  le 
recueil  s'ouvrira  par  une  introduction  de  M,  P.  Cbamïjon  contenant  des  rensei- 
gnements curieux  sur  la  jeunesse  de  Mérimée,  ses  années  d'études  au  Lycée 
et  à  l'école  de  droit,  sur  sa  famille  et  de  nombreuses  lettres  inédites  adressées 
par  Victor  Cousin,  Lebrun,  Mîgnet,  Barthélémy  Saint-Bïlaire,  Thiers,  etc  ,  à 
Mérimée  avec  quelques  réponses  de  celui-cî. 

Quant  à  ta  correspondance  proprement  dite  de  Mérimée  ainsi  mise  au  jour, 
elle  se  composera  de  lettres  adressées  à  Hoissonade,  à  Victor  Cousin,  à  l'aniiii 
et  à  Requien,  imprimées  conformément  aux  autographes.  Ces  lettres  sont 
suivies  ilu  rfcfové  de-  p^st&ges  supprimAa  dans  L'éditîtM)  ^ï*s  Lettrct  à  Pami^ 
et  qui  sont  intégralement  publiés  dans  cet  ouvrage,  destiné  seulement  — ftit-0 
besoin  de  le  dire?  —  aux  curieux  des  dessous  de  l'histoire. 

—  M*  D.  Johpell  poursuit  la  lâche  qu'il  a  entreprise  l'année  dernière  de 
dépouiller  annuellement  les  revues  françaises  et  de  publier  le  résultat  de  Bel 
inventaire.  La  deuxième  année  (1H98)  vient  de  paraître  en  un  gros  fascicule 
de  2T0  pages  à  deux  colonnes,  imprimées  en  un  caractère  d'un  ceil  mince, 
quoique  fort  lisible,  et  contient  la  nomenclature  des  articles  de  fond,  insérés 
par  2"*  7  revues;  cette  liste  est  dressée  à  la  fois  par  ordre  alphabétique  des 
matières  et  par  ordre  alphabétique  des  noms  d'auteurs,  et  ce  simple  énoncé 
suffit  pour  apprendre  aux  travailleurs  qu'ils  trouveront,  en  consultant  cet 
utile  répertoire,  toutes  les  facilités  d'une  bonne  et  prompte  information. 

—  Poursuivant  les  recherches  bibliographiques  qui  ont  déjà  donné  de  si 
buns  résultais,  M,  Emile  Bonnet  vient  de  consacrer  un  nouveau  et  important 
fascicule  à  la  Bihl lot yr aphte  du  tUûûèiâ  de  Montpellier  (anciens  diocèses  de  Mague- 
loue-Montpcllier,  Béliers,  Àgdc,  Lodêve  et  Sain t- Pons- de-Thomières).  C'est 
donc,  comme  on  le  voit,  un  chapitre  d'histoire  religieuse  et  d'histore  locale. 
Mats  les  sujets  ne  se  peuvent  tellement  déterminer  qu'ils  n'empiètent  les  nus 
sur  les  autres  et,  si  les  relevés  bibliographiques  sont  surtout  utiles  en  vue 
d'un  ordre  de  travaux,  il  est  rare,  quand  ils  sont  bien  faits,  qu'ils  ne  puissent 
servir  peu  ou  prou  dans  des  cas  moins  spécieux  ou  à  des  études  moins  res- 
treintes. C'est  à  ce  titre  que  nous  signalons  ici  le  très  consciencieux  volume 
de  M.  Emile  Bonnet. 

—  La  Faculté  des  Lettres  de  rUniversité  de  Fri bourg  en  Suisse  met  au 
concours  pour  1903  le  sujet  suivant  :  De  Montaigne  a  Pascal,  élude  critique  sur 
les  sourees  fm ut  aise*  de*  «  FtUflOi  ».  L'u  prix  de  2  500  francs  sera  décerné  au 
meilleur  Mémoire  sur  ce  sujet*  Le  concours  est  ouvert  à  tout  le  monde,  sans 
distinction  d'âge,  ni  de  nationalité:  les  mémoires  devront  être  rédigés  en  fran- 
çais et  adressés,  avant  le  1,M  mars  \\KVA,  au  Doyen  de  la  Faculté  des  Lettres, 
—  Pour  le  programme  et  les  conditions  du  concours,  s'adresser  à  la  Chancel- 
lerie de  rtînïversité. 


QUESTIONS   ET    RÉPONSES*  339 


QUESTIONS 


Une  comédie  française  à  retrouver.  —  En  1891,  j'ai  publié,  en  danois, 
une  étude  de  littérature  comparée  intitulée  Nej  (Non)1;  j'y  ai  recueilli  et 
examiné  les  différentes  versions  du  thème  suivant  :  Un  mari,  obligé  de  faire 
une  longue  absence,  recommande  à  sa  femme  de  ne  jamais  répondre  que  non 
à  tout  ce  qu'on  lui  dira.  Après  le  départ  du  mari,  l'amant  se  présente,  et  à 
toutes  ses  questions  il  n'a  pour  réponse  que  non;  il  pose  alors  ses  questions 
de  telle  manière  que  les  non  qu'il  reçoit  équivalent  à  des  oui.  La  prescription 
du  mari,  exécutée  trop  fidèlement  par  sa  femme,  tourne  ainsi  absolument 
contre  ses  intentions.  Ce  thème  se  retrouve  dans  les  littératures  italienne, 
espagnole,  portugaise,  française,  russe,  allemande  et  danoise,  et  il  est  très 
intéressant  d'étudier  le  rapport  de  toutes  ces  versions  et  de  suivre  de  près  les 
variations  qu'a  subies  la  donnée  primitive  dans  les  différentes  nations. 

On  connaît  jusqu'à  présent  de  ce  sujet  trois  versions  françaises.  La  plus 
ancienne  se  trouve  dans  l'Élite  des  Contes  du  sieur  d'Ourdie  (réimprimée  par 
G.  Brunet,  Paris,  1883, 1,  p.  24)  :  «  Dune  jeune  demoiselle  nouvellement  mariée  ». 
Ce  conte  a  été  traduit  en  allemand  sous  le  titre  Von  eincr  neu  getrauten 
Jungfrau  et  cette  traduction  est  probablement  la  source  des  deux  petits  opéras 
comiques  Die  Millier  in  und  ihre  drei  Licbhaber  et  Die  doppelt  betrogen  Eifersucht. 
Le  conte  du  sieur  d'Ouville  a  aussi  passé  le  détroit  et  défrayé  une  comédie  de 
Edward  Ravenscroft  intitulée  The  London  Cuckolds  (Les  cocus  de  Londres), 
représentée  pour  la  première  fois  en  1682.  La  deuxième  version  a  pour  titre 
Les  petits  comédiens  ou  La  nièce  vengée.  Cette  petite  pièce,  où  la  donnée  primi- 
tive a  été  singulièrement  épurée,  est  due  au  vaudevilliste  Charles-François 
Panard;  elle  fut  représentée  au  Théâtre  de  la  Foire  en  1731  et  a  servi  de  base 
à  une  saynète  de  Ramon  de  la  Cruz.  La  troisième  version,  enfin,  a  pour  auteur 
le  comte  de  Chévigné;  c'est  la  poésie  badine  Oui  et  Non,  qui  fait  partie  des 
Contes  Rémois. 

Il  est  indubitable  qu'il  a  dû  exister  une  quatrième  version  française.  Feu 
Reinhold  Kuhler,  dont  l'obligeance  était  inépuisable,  m'a  écrit  que  notre  thème 
avait  fourni  le  sujet  à  une  comédie  de  Madame  de  Genlis.  Il  connaissait  même 
le  titre  de  cette  comédie,  elle  s'intitulait  Le  seul  mott  mais  il  me  fit  savoir  en 
même  temps  que  c'était  un  renseignement  de  seconde  main,  il  n'avait  jamais 
lui-même  vu  la  pièce  en  question.  Je  regrette  que,  de  mon  côté,  je  ne  sois  pas 
arrivé  à  retrouver  Le  seul  mot;  cette  comédie  ne  se  trouve  dans  aucune  des 
éditions  de  Madame  de  Genlis,  que  possèdent  les  bibliothèques  de  Copenhague2. 

J'ajouterai  enfin  qu'on  a  représenté  à  Londres  un  petit  vaudeville  intitulé 
So,  dû  à  Frédéric  Reynolds  et  qui  roule  sur  le  même  sujet.  L'édition  imprimée 
de  1829  porte  sur  le  titre  Adapted  from  the  French.  Comme  fia  n'a  aucun  rap- 
port avec  Les  petits  comédiens,  ni  avec  le  conte  du  sieur  d'Ouville,  deux  questions 
se  posent  :  le  vaudevilliste  anglais  s'est-il  servi  de  la  comédie  de  Madame  de 
Genlis,  ou  la  pièce  anglaise  représente-t-elle  une  cinquième  version? 

Kr.  Nyrop. 


1.  Une  analyse  détaillée  de  mon  livre,  duc  à  M.  Charles  Joret,  se  trouve  dans  la 
Revue  critique,  4893,  I,  p.  413-416. 

2.  Au  moment  de  corriger  les  épreuves  de  cette  petite  notice,  M.  J.  Jusserand, 
actuellement  ministre  de  France  à  Copenhague,  m'écrit  :  -  M.  de  Boislisle,  qui 
avait  bien  voulu  se  charger  de  faire  une  petite  chasse  pour  trouver  «  Le  seul  mot  - 
n'a  rien  découvert.  En  tout  cas,  la  pièce  n'est  pas  à  la  Bibliothèque  Nationale.  » 


340  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA   FRANGE. 

Sur  un  chapitre  énigmatique  de  Balzac.  —  Dans  sa  Physiologie  du 
mariage,  méditation  xxv,  paragraphe  I  (tome  XVI,  p.  563-564  de  l'édition  de 
1846,  Furne,  Dubouchet  et  Hetzel),  se  présente  un  passage  hiéroglyphique, 
pour  lequel  je  désirerais  savoir  s'il  existe  une  clef,  une  grille  ou  quelque  autre 
moyen  de  l'expliquer.  Ou  bien  est-ce  là  un  grimoire  inintelligible  et  un 
assemblage  de  lettres  quelconques  sans  signification?  J'ai  souvent  posé  cette 
question,  mais  je  n'ai  pas  encore  reçu  de  réponse  satisfaisante  et  c'est  pour 
cela  que  j'ai  recours  à  ce  sujet  à  mes  confrères  de  la  Société  d'histoire 
littéraire  de  la  France. 

J.  Teissier. 


RÉPONSE 

Sur  un  chapitre  énigmatique  de  Balzac.  —  Cette  énigme  a  préoccupé 
en  effet  tous  les  lecteurs  de  la  Physiologie  du  mariage  et  elle  a  provoqué 
d'innombrables  questions,  auxquelles  il  n'a  pas  été  fait,  que  je  sache,  de 
réponse  satisfaisante. 

L'homme  le  plus  qualifié  pour  parler  pertinemment  de  Balzac,  le  vicomte 
de  Spoelberch  de  Lovenjoul,  s'en  est  récemment  occupé  dans  l'Amateur  d'auto- 
graphes  :  Une  Énigme  sans  mot,  à  propos  d'un  chapitre  de  là  Physiologie  du  mariage 
par  Honoré  de  Balzac  (15  avril  1899)  et  Une  Énigme  sans  mot,  post-scriptum 
(15  février  4900).  Si  M.  de  Spoelberch  de  Lovenjoul  n'apporte  pas  une  réponse 
formelle  à  cette  question,  il  en  donne  une  explication  qui  paraît  fort  vrai- 
semblable. La  voici  : 

«  Notre  avis  à  nous,  jusqu'à  preuve  du  contraire,  est  que  Balzac  a  volontaire- 
ment laissé  celle  partie  de  son  œuvre  sans  la  rédiger.  Ce  n'est  là  qu'une 
très  habile  façon  d'échapper  à  l'obligation  de  formuler  une  opinion  quel- 
conque sur  le  délicat  sujet  qu'il  annonçait  au  titre  du  chapitre.  Une  note  de 
l'auteur  nous  confirme  encore  dans  cette  supposition.  Elle  fait  partie  des 
errata  de  la  première  édition,  et  se  rapporte  uniquement  aux  pages  en  ques- 
tion. Elle  a  disparu  de  toutes  les  réimpressions  de  la  Physiologie  du  mariage 
publiées  après  1834.  La  voici  :  Pour  bien  comprendre  le  sens  de  ces  pages,  un 
lecteur  honnête  homme  doit  en  relire  plusieurs  fois  les  principaux  passages,  car 
l'auteur  y  a  mis  toute  sa  pensée.  Cette  ironique  et  malicieuse  manière  d'appeler 
l'attention  du  lecteur  sur  ces  lignes  indéchiffrables,  nous  semble  un  témoi- 
gnage tout  à  fait  concluant  en  faveur  de  notre  opinion.  En  tout  cas,  cette 
note  écarte  absolument  l'hypothèse  de  la  composition  tombée  en  pâte.  » 

Balzac  reçut,  à  propos  de  ce  fameux  passage,  un  certain  nombre  de 
demandes  d'explications,  dont  il  ne  semble  pas  qu'il  ait  jamais  fait  grand  cas. 

P.  B. 


Le  Gérant  :  Paul  Bonnefon. 


Coulommiers.  —  Imp.  P.  BRODA  RD. 


Revue 

d'Histoire  littéraire 

de  la  France 


RONSARD  ET  LES  MUSICIENS  DU  XVI8  SIÈCLE 

Contribution  à  l'histoire  de  la  Pléiade. 


Parmi  les  nombreux  mérites  #de  Ronsard,  il  en  est  un  dont  le 
poète  se  montre  particulièrement  jaloux  :  c'est  d'avoir  restauré 
l'antique  alliance  de  la  poésie  et  de  la  musique.  Il  voulait  que 
ses  vers  pussent  être  accompagnés  de  musique  et  chantés;  il  les 
versifia,  à  quelques  exceptions  près,  de  façon  à  rendre  possible  la 
collaboration  du  musicien. 

En  soi,  le  fait  est  assez  connu,  car  il  devait  attirer  l'attention  des 
lettrés  i  ;  mais  il  n'en  reste  pas  moins  entièrement  à  étudier  l'in- 
fluence de  la  musique  sur  la  versification  de  Ronsard,  et  à  recher- 
cher quelles  sont  celles  de  ses  poésies  qui  pouvaient  être,  ou  qui 
ont  été  en  effet,  mises  en  musique. 

Pour  qui  entreprend  cette  étude,  le  principal  obstacle  tient  à  la 
musique  même,  qu'il  faut  aller  chercher  dans  des  recueils 
imprimés  devenus  presque  aussi  rares  que  des  manuscrits,  parfois 
même  introuvables  à  l'état  d'exemplaires  réunissant  toutes  les 
parties;  de   tel  recueil,  par  exemple,  la  partie   de  Superius  se 

i.  Il  a  été  signalé  par  Gandar,  dans  sa  thèse  sur  Ronsard  imitateur  d'Homère  et 
de  Pindare  (Metz,  1854,  p.  86);  par  P.  Blanchemain,  dans  son  édition  de  Ronsard, 
t.  II,  p.  13,  note;  t.  VIII,  pp.  77,  96-98);  par  M.  G.  Pellissier,  dans  le  chapitre  sur 
Ronsard  et  la  Pléiade  qu'il  a  écrit  pour  l'Histoire  de  ta  littérature  française  de 
M.  Petit  de  Julleville  (t.  III,  p.  175).  M.  Julien  Tiersot  Ta  exposé  un  peu  plus  lon- 
guement dans  son  Histoire  de  la  Chanson  populaire  en  France  (pp.  432,  434, 437,  481), 
se  bornant  d'ailleurs,  suivant  le  plan  de  son  ouvrage,  à  l'examen  de  certains  thèmes 
musicaux. 

Hcv.  d'hist.  uttér.  de  la  Franck  (7«  Ann.).—  VII.  23 


342 


REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE- 


trouve  rue  Richelieu,  et  les  quatre  autres  à  Upsal  (Suède)1.  Sans 
doute,  il  est  aujourd'hui  Facile  de  connaître  quelques-uns  îles 
maîtres  musiciens  de  la  Renaissance  française  par  les  belles 
transcriptions  de  M.  Ilenrv  Expert1,  qui  a  voué  sa  vie  à  la  tâche  de 
reconstituer  leurs  œuvres;  mais  le  dessein  de  M.  Expert  ne  sau- 
rait l'amener  à  grouper  autour  du  nom  d'aucun  poète  les  éléments 
de  sa  publication,  et,  quant  à  Ronsard,  la  plupart  des  œuvres 
musicales  composées  jadis  sur  ses  poésies  ne  sont  pas  près  de 
sortir  de  l'oubli  où  elL-s  demeurent,  après  un  silence  de  plus  de 
trois  siècles. 

Tout  récemment,  un  curieux  essai  de  restitution  musicale  a  été, 
avec  un  grand  succès,  tenté  par  MM.  Julien  Tiersol  et  Paul  Des- 
champs, lesquels  ont  fait  interpréter,  par  les  Chanteurs  de  Saint- 
Gervais,  des  morceaux  de  Goudimel,  de  Certon,  de  Janequin,  de 
Muret,  d'Orlande  et  de  Philippe  de  Monte,  transcrits  par  eux  en 
notation  moderne.  Grâce  à  MM.  Tiersot  et  Deschamps,  la  musique 
des  poésies  de  Ronsard  a  pu  être  chantée  exactement  comme  à 
l'époque  où  le  roi  des  poètes  était  le  poète  des  rois3.  Mais  elle  pour- 
rait entrer,  par  suite»  dans  le  répertoire  profane  des  Chanteurs  de 
Saint-Gervais,  sans  que  l'importante  question  des  rapports  de  la 
versification  de  Ronsard  ivec  la  musique  cessât  d'être  pleine 
d'obscurités  et  même  ignorée.  Peut-être,  en  groupant  ici  les  élé- 
ments de  cette  question,  réussirons-nous  à  montrer  tout  l'intérêt 
qu'elle  présente  pour  l'histoire  littéraire  de  la  Renaissance  fran- 
çaise. 

1,  De  cette  ancienne  musique  des  poésies  de  Ronsard,  noire  Conservatoire  ne 
conserve  presque  rien  :  cependant  il  possède  un  exemplaire  des  plus  précieux  de 
(a  musique  jointe  à  la  première  édition  des  Amour*  La  Bibliothèque  Nationale  et 
la  Bibliothèque  StiotA-Ctatettère  *out  moins  pourra,  mais  on  n'y  trouve  que  très 
peu  de  rerueils  qui,  réunissant  foutes  les  parties,  permettent  de  faire  une  trans- 
cription authentique,  Le  reste  est  enfoui  dans  le»  bibliothèques  de  Bruxelles,  de 
Bologne,  de  Vienne,  de  Munich,  d'Upsal,  pour  m;  riLer  que  Us  principales  ;  et  ce 
fait  seul  explique  que  bien  des  lacunes  de  notre  étude  étalent  inévitables.  Ajoutons 
que, sauf  dans  !es  recueils  uniquement  consacrera  Ronsard,  le  nom  du  poète  n'est 
pour  ainsi  dire  jamais  indiqué. 

2,  Les  Maîtres  Musiciens  de  ht  Renaissance  Fmnrttisr,  éditions  publiées  par  M*  Henry 
Expert;  Paris,  Alphonse  Leduc,  ISOi  et  années  suivantes,  La  publication  se  pour- 
suit en  livraisons. 

3,  Une  première  audition  a  été  donnée  à  motel  de  Ville  de  Versailles,  sous  la 
(Erection  de  MM,  Deschamps  et  Tiersot,  le  5  novembre  imi*  au  cours  d'une  confé- 
rence faite,  sur  Homard  et  tes  Musiciens  du  AT/'  tièote,  par  M*  Charles  Comte,  à  une 
séance  publique  rie  la  Société  des  sciences  morales,  lettres  et  arts  de  Seine-et-Ûise; 
M.  Julien  Tiersot  a  dirigé  seul  une  seconde  audilîon,  le  18  janvier  B90I,  le  sujet  ayant 
été  repris,  sous  la  forme  d'une  communication  très  brève,  a  une  séance  publique  de 
la  Société  des  Humanistes  français;  puis,  le  12  mars,  une  troisième  audition»  devant 
Que  I  'r<*  nombreuse,  à  Tune  des  matinées  musicales  «le  M0"  Jameson. —  De 
son  coté,  M*  P.  Laumonier,  sans  se  douter  du  travail  de  son  collaborateur  actuel, 
lit  à  la  Faculté  des  lettres  de  l'Université  de  Poitiers,  en  mai  et  juin  l&ïn,  une  série 
de  conférences  sur  les  rapports  de  la  musique  et  des  Odes  de  Ronsard,  conférences 
renouvelées  et  développées  en  mai  et  juin  1899. 


KONSARD    ET    Lf:s    KÎÏSICIEKS    DL    \\'\€   SIÈCLE, 


3*3 


«  >,,  EL  feray  encores  revenir  (si  je  puis)  l'usage  de  la  Iyn\ 
aujourd'hui  ressuseïlée  en  Italie,  laquelle  lyre  saule  doit  et  peut 
animer  tea  yars  et  leur  donner  le  juste  poids  de  leur  gravité1.  » 
Dans  ces  lignes  de  VÉptireau  lecteur  qui  précède  la  première 
édition  des  (kirs  i  KioÛ),  Ronsard  annonçait  l'intention  d'imiter  les 
Italiens,  qui,  depuis  le  milieu  du  xve  siècle,  chantaient  leurs 
madrigaux  et  leurs  villanelh's  ;ï  plusieurs  parties,  en  s 'accompa- 
gnant du  luth  ou  plutôt  en  soutenant  leur  voix  sur  cet  instrument. 
L'imprimeur  vénitien  <  H luvîano  Petrucci  avait  édité,  en  1503,  un 
recueil  de  \'M  chants  a  quativ  voïl  des  principaux  auteurs  madri- 
galesques  de  la  fin  du  siècle  précédent,  parmi  lesquels  figurent 
•d'ailleurs  des  musiciens  belges,  français  et  allemands,  qui  avaient 
montré  la  voie  aux  Italiens  -.  De  1,">Û4  à  1508  le  même  imprimeur 
avait  édité  une  série  de  recueils  d*Qde,  Fruttote  et  Sonetti,  mis  en 
musique  à  quatre  parties.  Josquiu  Després,  qui  vécut  longtemps  eu 
Italie,  avait  mis  en  musique  les  sonnets  de  Pétrarque.  En  1->JT, 
Adrien  WilUert  avait  fondé  à  Venise  une  école  musicale  qui 
mêlait  le  religieux  au  profane  dans  un  style  moitié  savant,  moitié 
populaire.  A  Naples,  où  brilla  le  prince  Gesualdo,  on  écrivait  à 
plusieurs  voix  d'indolentes  chansons  de  pêcheurs.  A  Florence 
excellait  Corteccia,  dont  les  madrigaux  à  quatre,  cinq,  six  et 
huit  voue,  avaient  paru  de  1531  à  1517  chez  l'imprimeur  vénitien 
Antoine  Gardanc,  ainsi  que  ceux  de  Constant  Festa,  de  l'école 
romaine. 

Ronsard  avait  eu  sans  doute  l'occasion  d'entendre  des  musiciens 
italiens,  soit  en  France,  suit  lors  de  son  séjour  dans  le  Piémont]  où 
il  avait  été  attaché  à  la  personne  du  vice-roi  La&gey  du  Bellay  ;  et, 
quelques  années  plus  tard,  écrivant  ses  odes  et  ses  sonnets,  il  avait 
SOIlgé  au  parti  qu'il  pouvait  tirer,  pour  rehausser  l'éclat  de  ses  vers, 
dTune  musique  vocale  et  instrumentale  qui  s'adaptait  si  bien  aux 
genres  qu'il  pratiquait  lui-même,  Ikuisard  pensait  aussi  qu'à  cet 
égard,  comme  à  tant  d'autres,  l'imitation  des  Italiens  était  une 
façon  de  faire  renaître  en  France  Part  ancien;  chanter  ses  vers  au 
ion  du  luth,  c'était  ressusciter  le  procédé  des  lyriques  grecs,  Ana- 

1.  Manche  II,  13.  —  Les  deux  chiffrés  que  l'on  trouvera  à  la  sutle  de  nos  cita- 
lions*  de  Ronsard  se  rapporteront  uniformément  au  tome  et  a  la  page  de  l'édition 

BLanchemnin,  l?i  ^ule  qui  soit  d'un  usage  courant*  Ou  t»e  rappellera  que  le  iojm;  I" 
contient  les  Amovr$l  et  le  tome  II  les  Odes. 

2.  Voir  FéUa,  Biographie  vnwerneUt  des  mttsicienst  article  s  Compère,  Castelani, 
Josquîn  Despres. 


344  ffEVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

créon,  Sapho,  Terpandre,  Arion,  Pindare,  qu'il  se  représentait, 
non  sans  raison,  tenant  une  lyre  en  mains  et  accompagnant  leurs 
propres  vers.  Malgré  sa  surdité  fameuse,  n'avait-il  pas  la  préten- 
tion de  figurer  à  son  tour  dans  cette  attitude?  N'était-il  pas  le 
Pindare  français?  De  leur  côté,  ses  contemporains  ne  lui  mar- 
chandaient pas  les  assimilations  de  ce  genre.  Lors  de  la  publication 
des  Amours,  son  maître  Daurat  l'appelait  un  nouveau  Terpandre, 
dans  un  distique  grec  imprimé  au  titre,  et  qui  n'est  d'ailleurs  qu'un 
médiocre  jeu  de  mots  :  le  Tép7ravopo;  moderne  sera  aussi  un 
Tfcproy'jvvU  • 

TépTCfltvôpo;  wplv  Crépit'  avîpaç  jaôvov,  à>Xà  yjvatxa; 
NOv  Tépicei,  vOv  àp  Tepiwp>vTiç  gaexat. 

Par  quelle  puissance  de  séduction  nouvelle  le  poète  des  Amours 
allait-il  devenir  un  charmeur  de  femmes,  sinon  par  l'harmonie, 

Langue  que  pour  l'amour  inventa  le  génie, 
Qui  nous  vint  d'Italie,  et  qui  lui  vint  des  ci  eux? 

Sur  la  passion  de  Ronsard  pour  la  musique,  sur  l'admiration 
qu'il  ressentait  pour  les  musiciens,  sur  le  culte  qu'il  vouait  à  la 
personne  ou  à  la  mémoire  des  plus  grands  d'entre  eux,  sur  sa  pré- 
occupation constante  d'allier  la  musique  à  la  poésie,  les  témoi- 
gnages abondent. 

«  La  musique  lui  esloit  à  singulier  plaisir,  écrit  son  bio- 
graphe Claude  Binet,  et  principalement  aimoit  à  chanter  et  à 
ouyr  chanter  ses  vers,  appelant  la  musique  sœur  puisnée  de  la 
Poésie,  et  les  Poètes  et  Musiciens  enfans  sacrez  des  Muses,  que 
sans  la  Musique  la  Poésie  estoit  presque  sans  grâce,  comme  la 
Musique  sans  la  mélodie  des  vers,  inanimée  et  sans  vie1.  »  Que 
la  musique  lui  fût  à  singulier  plaisir,  Ronsard  lui-même  Ta  fait 
assez  voir  dans  l'épitre  à  Charles  IX  qui  sert  de  préface  au  Mel- 
lange  de  Chansons  tant  des  vieux  autheurs  que  des  modernes 
paru  en  1572*.  Cette  épître  a,  par  endroits,  le  ton  d'un  hymne  à  la 
musique.  On  y  sent  un  enthousiasme  qui  n'a  rien  de  factice,  et 
comme  la  prédilection  d'un  professionnel  pour  son  art.  C'est  à 
croire  que  Molière,  quand  il  faisait  parler  le  maître  de  musique  de 
M.  Jourdain,  avait  lu  ces  lignes  de  Ronsard  :  «  Car  celuy,  Sire> 
lequel  oyant  un  doux  accord  d'instrumens  ou  la  douceur  de  la 
voyx   naturelle,  ne  s'en  resjouit  point,  ne   s'en    esmeut  point, 

1.  Vie  de  Ronsard,  dans  l'édition  des  Œuvres  de  1609,  p.  1164.  Cf.  Bl.,  VIII,  51. 

2.  BL,  VII,  337  sq.  Une  première  édition  avait  paru  en  1560,  avec  une  préface 
dont  le  texte  est  un  peu  différent. 


RONSARD    ET    LES    MUSICIENS    DU    XVIe    SIÈCLE.  345 

<îommc  doucement  ravy,  et  si  ne  sçay  comment  desrobé  hors  de 
soy;  c'est  signe  qu'il  a  l'ame  tortue,  vicieuse,  et  dépravée,  et  du 
<juel  il  se  faut  donner  garde,  comme  de  celuy  qui  n'est  point 
heureusement  né.  Comment  se  pourroit-on  accorder  avec  un 
homme  qui  de  son  naturel  hayt  les  accords?  Celuy  n'est  digne  de 
voyr  la  douce  lumière  du  soleil,  qui  ne  fait  honneur  à  la  musique, 
comme  pelite  partie  de  celle,  qui  si  armonieusement  (comme  dit 
Platon)  agitte  tout  ce  grand  univers1.  » 

Guillaume  Colletet  nous  fournit  des  renseignements  plus  précis 
encore  que  ceux  de  Binet  :  «  Comme  il  avoit  ajusté  ses  vers  de 
telle  sorte  qu'ils  pouvoient  estre  chantez,  les  plus  excellents 
musiciens  tels  qu'Orlande,  Certon,  Goudimel,  Jannequin  et  plu- 
sieurs autres  prirent  à  tasche  de  composer  sur  la  plupart  de  ses 
sonnets  et  de  ses  odes  une  musique  harmonieuse;  ce  qui  pleut  de 
telle  sorte  à  toute  la  cour  qu'elle  ne  resonnoit  plus  rien  autre 
chose,  et  ce  qui  ravit  tellement  Ronsard  qu'il  ne  feignit  point 
d'insérer  à  la  fin  de  ses  premières  poésies  ceste  excellente 
musique*.  »  Sauf  pour  Orlande,  qui  n'a  rien  composé  sur  des  vers 
de  Ronsard  avant  son  arrivée  à  Paris  en  1571,  Colletet  fait  ici 
allusion  aux  airs  notés  sur  32  feuillets  3  h  la  suite  de  la  première 
édition  des  Amours  imprimée  en  1552  chez  la  veuve  Maurice  de 
La  Porte,  publication  très  importante,  qui  nous  fait  voir  le  con- 
cours des  meilleurs  musiciens  acquis  à  Ronsard  dès  le  succès  de 
ses  premières  œuvres.  En  tète  du  livret  de  musique  se  lit  un 
Adverlissement  au  Lecteur  par  A.  D.  L.  P.  à  la  rédaction  duquel 
Ronsard  n'a  pas  dû  rester  étranger  :  «  Ayant  recouvré  le  Livre  des 
Amours  du  Seigneur  P.  de  Ronsard,  et  le  cinquiesme  de  ses  odes, 
avec  aultres  siens  Opuscules  :  Et  puis  après,  entendu  que  pour 


1.  «  Le  Maître  de  musique.  —  Sans  la  musique,  un  État  ne  peut  subsister...  Tous  les 
desordres,  toutes  les  guerres  qu'on  voit  dans  le  monde,  n'arrivent  que  pour  n'ap- 
prendre pas  la  musique...  La  guerre  ne  vient-elle  pas  d'un  manque  d'union  entre 
les  hommes? 

«  Monsieur  Jourdain.  —  Cela  est  vrai. 

-  Le  Maître  de  musique.  —  Et  si  tous  les  hommes  apprenoient  la  musique,  ne 
seroit-ce  pas  le  moyen  de  s'accorder  ensemble,  et  de  voir  dans  le  monde  la  paix 
universelle? 

-  Monsieur  Jourdain.  —  Vous  avez  raison.  » 

Ronsard  avait  pu  s'inspirer  d'un  passage  de  la  République  de  Platon  (livre  IV). 
Charles  IX  n  était  pas  moins  convaincu  que  Ronsard  de  ces  hautes  vérités.  On  lit, 
aux.  considérants  de  ses  lettres  patentes  établissant  une  Académie  de  musique  : 
•  La  plupart  d«.'s  esprits  des  hommes  se  conforment  et  comportent  selon  qu'elle 
est,  de  façon  que  où  la  musique  est  désordonnée,  là  volontiers  les  mœurs  sont 
dépravées,  et  où  elle  est  bien  ordonnée,  là  sont  les  hommes  bien  moriginés.  » 
V.  Molière,  éd.  Despois-Mesnard,  t.  VIII,  p.  56,  n.  1,  et  p.  58,  n.  2. 

2.  Bl.,  VIII,  51-52. 

3.  Au  Conservatoire  national  de  musique  (cote  :  26  235).  Cet  exemplaire,  unique 
en  France,  est  relié  à  la  suite  d'une  seconde  édition  du  texte,  celle  de  1553. 


346  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

ton  plaisir  et  entier  contentement  il  a  daigné  prendre  la  peine  de 
les  mesurer  sur  la  lyre  (ce  que  nous  n'avions  encores  apperceu 
avoir  esté  faict  de  tous  ceux  qui  se  sont  exercités  en  tel  genre 
d'escrire)  Suyvant  son  entreprise  avec  le  vouloir  que  i'ay  de  luy 
satisfaire,  et  pour  l'amour  de  toy,  lecteur  :  i'ay  faict  imprimer,  et 
mettre  à  la  fin  de  ce  présent  livre,  la  Musique,  sur  laquelle  tu 
pourras  chanter  une  bonne  partie  du  contenu  en  iceluy  :  le  pro- 
mectant  à  l'advenir  de  continuer  ceste  manière  de  faire  (en  ce  qui 
s'imprimera  de  la  composition  du  dict  Ronsard)  si  ie  congnoy 
qu'elle  te  soit  aggreable.  » 

Dans  les  œuvres  mêmes  du  poète,  les  titres  de  certaines  pièces 
nous  donnent  des  indications  assez  significatives  sur  le  caractère 
musical  de  leur  production  :  «  Stances  à  chanter  sur  la  lyre  pour 
Favant-venue  de  la  royne  d'Espagne  à  Bayonne  (IV,  137);  Stances 
promptement  faites  pour  jouer  sur  la  lyre,  un  joueur  respondant  à 
l'autre  (VI,  319);  Chant  triomphal  pour  jouer  sur  la  lyre,  sur 
l'insigne  victoire  qu'il  a  plu  à  Dieu  de  donner  à  Monseigneur 
frère  du  Roy*  (V,  144)  ;  Comparaison  du  Soleil  et  du  Roy,  récitée  par 
deux  joueurs  de  lyre  (IV,  148);  Sonnet  pour  chanter  à  une  mascarade 
(IV,  192);  etc.  »  Mais  à  quoi  bon  multiplier  ces  citations,  et  pour- 
quoi donnera  ces  morceaux  un  faux  air  d'exceptions,  puisque  nous 
aurons  précisément  à  montrer  qu'il  y  eut  adaptation  musicale  pour 
quantité  d'œuvres  de  Ronsard  dont  le  texte  à  nous  transmis  semble 
n'en  porter  aucune  trace? 

11  serait  plus  intéressant  de  relever  tous  ces  passages  des  Odes 
où  Ronsard  exalte  l'élément  musical  de  sa  poésie  et  associe  à  la 
technique  des  vers  la  pratique  des  instruments.  Au  temps  d'Alfred 
de  Musset,  quand  le  poète  s'accoude  à  sa  table  pour  aligner  quel- 
ques rimes,  c'est  au  figuré  qu'il  se  fait  dire  par  la  Muse  :  «  Poète, 
prends  ton  luth!  »  car,  depuis  Malherbe,  le  luth,  comme  la  lyre, 
n'est  plus  pour  nos  poètes  qu'un  instrument  muet,  un  accessoire 
non  praticable,  une  vaine  métaphore  ;  mais,  au  temps  de  la  Pléiade, 
c'est  au  sens  propre,  et  en  dehors  de  toute  métaphore  qu'il  faut 
comprendre  les  mots  mis  en  italique  dans  les  vers  suivants  de 
Ronsard  : 

Ores  il  ne  faut  pas  dire 

Un  bas  chant  dessus  ma  lyre, 

Ny  un  chant  qui  ne  peut  plaire 

Qu'aux  aureilles  du  vulgaire,... 

(II,  54  ;  Odes,  I,  6.) 

1.  C'est  l'hymne  sur  la  victoire  de  Moncontour;  il  porte  le  titre  indiqué  ci-dessus 
au  C   livre  des  Poèmes,  en  1569. 


RONSARD   ET   LES    MUSICIENS   DU   XVIe   SIÈCLE.  347 

Premier  j'ay  dit  la  façon 
Raccorder  le  luth  aux  odes,... 

(II,  HO;  ib.y  I,  14.) 

Mais  la  mienne  *  emmiellée 
Qui  sçait  les  loix  de  mon  doy, 
Avec  les  flustes  meslée, 
Chassera  l'oubly  de  toy. 

(II,  62;  ib.,  1,7.) 

Certes  telle  gloire  douce 
Crie  qu'elle  est  seule  à  toy, 
Obéissant  à  la  loy 
De  ma  lyre  et  de  mon  pouce. 

(II,  126;  16.,  1,21.) 

Vien  à  moy,  mon  Luth,  que  j'accorde 
Une  ode,  pour  la  fredonner 
Dessus  la  mieux  parlante  corde 
Que  Phœbus  t'ait  voulu  donner,... 

(II,  137;  t'6.,11,3.) 

Ça!  page,  donne  ce  Catulle, 
Donne-moy  Tibulle  et  Marulle, 
Donne  ma  lyre  et  mon  archet, 
Depcns-la  tost  de  ce  crochet.., 

(VI,  344;  Gayeté  II.) 

Ne  sonner  à  son  huis 

De  ma  guitierre 
Ny  pour  elle  les  nuis 

Dormir  à  terre 2. 

(II,  220;  Odes,  III,  16.) 

Ronsard  nous  apprend  que  sa  guilare  porte  sur  le  fût  des  pein- 
tures de  scènes  mythologiques,  et  que  le  nom  de  Cassandre  y  est 
«  joint  en  chiffre  avec  le  sien,  en  mains  laz  d'amour,  en  maint 
amoureux  lien  »  (II,  387). 

Il  nous  introduit  aussi  chez  son  maître  Daurat,  dans  ce  cabinet 
de  travail  où  gisent  pèle-mèle,  sur  une  table,  des  cahiers,  des 
livres,  un  Ovide,  un  Tibulle, 

Auprès  de  son  luth  délectable, 
Fidèle  compagnon  des  vers. 

(II,  151;  Odes,  II,  11.) 

1.  Sa  -  lyrique  faconde  ». 

2.  Cf.  II,  273,  A  sa  Lyre-,  387,  A  sa  Guiterre;3M,  A  son  Luth  (ces  deux  dernières 
pièces  dans  les  Odes  retranchées).  Cf.  II,  51,39,61,  98,99, 100,  108,  116,  132,  136, 137, 
142, 149,  151,  215,  224,  299,  414,  422,  428,  449,  460,  etc. 


348  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

La  dernière  ode  du  premier  livre,  A  sa  lyre,  où  il  s'inspire 
d'Horace  :  Quem  tu  Melpomene  semel,  et  dans  laquelle  il  se  flatte 
d'avoir  créé  une  forme  nouvelle  de  poésie,  est,  si  on  veut  la  bien 
comprendre,  un  chant  triomphal  sur  le  succès  d'une  versifisation 
façonnée  pour  la  première  fois  suivant  les  exigences  de  la 
musique  : 

Heureuse  lyre!  honneur  de  mon  enfance! 

Je  te  sonnay  devant  tous  en  la  France 

De  peu  à  peu  :  car,  quand  premièrement 

Je  te  trouvay,  lu  son  h  ois  durement, 

Tu  n'avois  point  de  cordes  qui  valussent, 

Ne  qui  respondre  aux  loix  de  mon  doigt  peussent. 


Par  toy  je  plais,  et  par  toy  je  suis  leu; 
C'est  toy  qui  fais  que  Ronsard  soit  esleu 
Harpeur  français,  et,  quand  on  le  rencontre, 
Qu'avec  le  doigt  par  la  rue  on  le  monstre... 
Certes,  mon  Luth,  cela  vient  de  ta  grâce. 

Fier  du   succès,  le  poète  ne  veut  pas  qu'on  ignore  le  labeur 
qu'il  lui  a  coûté. 

Non  saus  labeur  j'entrepris  si  grand  chose, 
dit-il  au  poète  Jean  de  la  Peruse,  et  la  grande  chose,  c'était 

De  marier  les  odes  à  la  lyre, 
Et  de  sçavoir  sus  ses  cordes  eslire 
Quelle  chanson  y  peut  bien  accorder, 
Et  quel  fredon  ne  s'y  peut  en-corder. 

(VI,  43;  Poèmes,  livre  Ie'.) 


II 

L'œuvre  musicale  entreprise  par  les  artistes  du  xvie  siècle  sur 
le  texte  de  Ronsard  est  représenté  pas  un  nombre  très  considé- 
rable de  productions.  On  peut  faire  des  recueils  musicaux  qui, 
du  vivant  de  Ronsard,  lui  sont  consacrés  en  tout  ou  en  partie, 
deux  catégories,  correspondant  à  deux  générations  de  musiciens, 
celle  de  Goudimel  (1505-1572)  et  celle  d'Orlande  (1530-J594),  et  à 
deux  périodes  dans  la  vie  du  poète,  celle  de  sa  maturité  (1550-1570) 
et  celle  de  sa  vieillesse  (1571-1585).  Un  passage  de  rÉpitre-préface 
à  Charles  IX,  tout  en  nous  éclairant  sur  les  admirations  du  poète 
pour  les  «  excellents  ouvriers  en  cet  art  »,  nous  aidera  à  fixer  la 


RONSARD    ET   LES    MUSICIENS    DO    XVIe   SIÈCLE.  349 

chronologie.  «  Entre  lesquels,  dit  Ronsard,  se  sont,  depuis  six  ou 
sept  vingts  ans,  eslevez,  Josquin  des  Prez,  Hennuyer  de  nation, 
et  ses  disciples  Moulon,  Vuillard,  Richaflbrt,  Jannequin,  Maillard, 
Glaudin,  Moulu,  Jaquet,  Cerlon,  Arcadet.  Et  de  présent  le  plus 
que  divin  Orlande,  qui  comme  une  mouche  à  miel  a  cueilli  toutes 
les  plus  belles  fleurs  des  antiens,  et  outre  semble  avoir  seul  desrobé 
rharmonie  des  cieux,  pour  nous  en  resjouir  en  la  terre,  surpassant 
les  antiens,  et  se  faisant  la  seule  merveille  de  nostre  temps.  » 

PREMIÈRE   PÉRIODE. 

De  tous  les  recueils  de  poésies  de  Ronsard  mises  en  musique,  le 
plus  ancien  et  le  plus  précieux,  c'est  ce  livret  de  32  feuillets  d'airs 
notés,  publié,  en  1552,  à  la  suite  de  la  première  édition  du  pre- 
mier livre    des  Amours  et   du   cinquième  livre  des   Odes.   Nous 
en  avons  déjà  signalé  l'importance  pour  la  connaissance  fonda- 
mentale du  sujet,  et  nous  aurons  l'occasion  d'y  revenir  à  propos 
des  formes  du  sonnet  musical.  Il  contient  10  morceaux,  à  quatre 
parties,  imprimées  non  pas  en  fascicules  séparés,  comme  celles 
des   autres    recueils,    mais    ensemble,    sur    les    deux   pages   en 
regard.  Les  au  leurs  sont  :  Pierre  Certon,  maître  des  enfants  de  la 
Sainte-Chapelle;  Claude  Goudimel,  qui  avait  donné,  Tannée  pré- 
cédente son  premier  livre  de  Psaumes  de  Marot;  Clément  Jane- 
quin,  déjà  vieux  à  cette  époque,  et  qui  s'était  fait  connaître  par 
ses  recueils  de  chansons  à  quatre  voix;  et  M.-A.  Muret,  qui,  d'après 
les   initiales,  est  vraisemblablement  le  célèbre   humaniste   Marc- 
Antoine   Muret1,  commentateur  de  ce  livre  môme  des  Amours. 
Outre  six  sonnets,  dont  nous  réservons  l'examen  au  chapitre  sui- 
vant, nous  trouvons  là  de  la  musique  de  Goudimel  sur  l'ode  pin- 
darique  à  Michel  de   l'Ilospital,   qui  fut,  dil-on  la  plus  admirée 
des  contemporains  :  Errant  par  les  champs  de  la  Grâce  (II,  68), 
un  air  pour  la  strophe  et  l'antistrophe,  un  autre  pour  l'épode;  et  de 
Goudimel  encore   sur  l'ode  :   Qui  renforcera   ma  voix  (II,    313). 
L'éditeur  prévient  obligeamment  le  lecteur  qu'il  pourra  chanter 
les  72  strophes,  antislrophes  et  épodes  de  la  première  ode  et  les 
40  strophes  de  la  seconde  sur  ces  trois  airs.  Enfin  Janequin,  qui, 
après  Goudimel,  a  le  plus  travaillé  pour  ce  recueil,  y  donne  la 
musique  d'une  chanson  :  Petite  Nymphe  folastre  (I,  377). 

Cette  rencontre  de  Ronsard,  grand  ennemi,  comme  on  sait,  des 
protestants,  et  de  Goudimel,  le  musicien  du  psautier  huguenot,  est 

1.  Dans  un  recueil  publié  par  N.  Du  Chemin  en  15*°  2,  on  trouve  un  air  de  Muret 
sur  l'ode:  Ma  petite  colombclle  (II,  100). 


350  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA   FRANCE. 

intéressante  à  noter;  mais  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que,  en 
1552,  les  Psaumes  de  Marot  n'étaient  pas  encore  convertis  au  pro- 
testantisme, qu'on  pouvait  les  lire,  voire  les  chanter,  sans  sentir  le 
fagot,  et  qu'enfin  Goudimel  lui-même  était  encore  attaché  au  catho- 
licisme, puisque,  deux  ans  plus  tard,  il  publiait,  comme  éditeur  ou 
comme  compositeur,  des  messes,  des  motets  et  des  Magnificat. 
Quelles  relations  y  eut-il,  d'ailleurs,  entre  ces  deux  hommes?  Nous 
l'ignorons,  mais  nous  venons  de  constater  que  ni  la  sympathie  de 
Ronsard  pour  le  talent  de  Goudimel  ne  fut  assez  vive,  ni,  peut-être, 
son  courage  assez  grand,  pour  qu'il  daignât  ou  osât,  dans  sa  pré- 
face à  Charles  IX,  citer  le  nom  de  Goudimel  parmi  ceux  des  prin- 
cipaux musiciens  de  son  temps.  La  Préface  est  de  1572,  et  cette 
année-là  Goudimel  était  assassiné,  le  28  août,  dans  la  nuit  de  la 
Saint-Barthélémy  lyonnaise. 

Avant  cette  date  de  4552,  on  doit  trouver  plus  d'une  poésie  de 
Ronsard  dans  les  recueils  de  chansons  à  plusieurs  parties  imprimés 
à  Paris  chez  Nicolas  du  Chemin  ;  mais  nous  n'avons  pu  relever 
qu'une  chanson  :  Qui  veut  sçavoir  Amour  et  sa  nature  (I,  216), 
mise  en  musique  par  Goudimel,  dans  un  Cinquiesme  Livre  paru 
en  1550. 

Nous  venons  de  nommer  l'éditeur  musical  Du  Chemin,  et  on 
a  vu  plus  haut  que  les  airs  notés  à  la  suite  des  Amours  avaient 
été  publiés  par  la  veuve  Maurice  de  La  Porte.  A  partir  de  main- 
tenant, tous  les  recueils  musicaux  que  nous  aurons  à  passer  en 
revue  sortiront,  s'ils  sont  imprimés  à  Paris,  des  presses  d'Adrien 
Le  Roy  et  de  son  beau-frère  Robert  Ballard,  qui  acquièrent,  en  1552, 
le  privilège  de  l'impression  de  la  musique. 

Un  premier  livre  de  chansons  à  quatre  parties  parait,  cette 
année-là,  chez  Le  Roy  et  Ballard  '.  Il  n'a  aucune  importance  pour 
le  sujet  qui  nous  occupe,  mais  il  ouvre  une  série  de  recueils  de 
chansons  continuée  et  réimprimée  durant  tout  le  cours  du 
xvie  siècle.  Pour  la  musique,  les  principaux  auteurs  sont  alors 
Arcadet,  Beaulieu,  de  Bussy,  Certon,  Entraigues,  Goudimel, 
Hérissant,  Janequin,  Adrien  Le  Roy  (l'éditeur),  Leschenet,  Mail- 

1.  Premier  livre  de  chansons,  en  quatre  volumes,  nouvellement  composées  en 
musique  à  quatre  parties,  par  M.  Pierre  Certon  :  maistre  des  en  fans  de  la  S.  Cha- 
pelle du  palays,  à  Paru.  A  Paris,  de  Vimprimerie  d'Adrian  le  Roy  et  Robert  Ballard, 
imprimeurs  du  Roy,  rue  S.  lean  de  Beauvais,  a  renseigne  S.  Geneviève,  1552.  — 
Les  autres  livres  sont  publiés  sous  des  litres  différents  d'où  le  nom  de  Certon 
disparait.  La  Bibliothèque  Nationale  possède  trois  parties  de  la  musique  des  huit 
premiers  livres  (Vm  1, 184-191),  et  des  exemplaires  plus  incomplets  encore  de  plu- 
sieurs des  livres  suivants.  Le  répertoire  de  M.  Robert  Eitner  :  Bibliographie  der 
Musik-Sammelwerke  des  XVI  und  XVII  Jahrhunderts  (Berlin,  Liepmanssohn,  1877), 
quoique  très  incomplet,  est  particulièrement  utile  pour  la  classification  des  recueils 
de  celte  collection. 


RONSARD   ET   LES   MUSICIENS    DU    XVIe   SIÈCLE.  351 

lard,  Millot,  Mitou  (ou  Mitthou),  Moullu,  Cyprian  de  Rore,  Ant.  de 
Villcrs.  Plus  tard,  d'autres  noms  se  joindront  à.  ceux-là  ou  les 
remplaceront  définitivement,  et  le  plus  célèbre  sera  celui 
d'Orlande. 

Quant  aux  textes,  le  bizarre  assemblage  qui  en  est  fait  dénote, 
chez  ces  musiciens,  un  éclectisme  impartial  exempt  de  pudibon- 
derie, qui  va  des  thèmes  les  plus  populaires  aux  formes  les  plus 
recherchées  et  aux  inspirations  les  plus  nobles  de  la  poésie  lyrique. 
Somme  toute,  c'est  plutôt  celle-ci  qui  est  négligée,  et  dans  cette 
collection  si  intéressante,  dont  le  petit  format  atteste  la  grande 
diffusion,  Ronsard  ne  prend  que  très  peu  de  place. 

Voici  celles  des  compositions  adaptées  à  ses  vers  que  nous 
trouvons  à  citer  :  de  Briault,  la  chanson  :  Tay  toy  babillarde  aron- 
delle  (II,  486);  de  Certon,  le  sonnet  :  Las!  pour  vous  trop  aimer 
(I,  402),  et  la  chanson  :  Je  suis  un  demy-dieu  quand,  assis  vis-à-vis 
(I,  210);  de  Claudin  le  Jeune,  le  sonnet  :  Las!  je  me  plain  (I,  21); 
d'Entraigues,  le  sonnet  :  Que  dis-tu,  que  fais-tu  (I,  211);  de  Gou- 
dimel,  le  sonnet  :  Certes  mon  œil  (I,  92),  les  chansons  :  Du  jour 
que  je  fus  amoureux  (I,  131),  Bonjour,  mon  cœur;  bonjour,  ma 
douce  vie  (I,  169),  Plus  tu  cognois  que  je  brusle  pour  toy  (I,  411), 
l'ode  :  Tu  me  fais  mourir  de  me  dire  (I,  289),  et  la  Gayeté  :  Une 
jeune  pucelette\  de  Janequin,  la  chanson  :  Pourquoy  tournez-vous 
vos  yeux  (I,  429),  et  l'ode  :  Bel  aubespin  verdissant  (II,  275);  de 
Millot,  le  sonnet  :  Dictes,  Maistresse  (I,  406),  la  chanson  :  Plus  tu 
cognois,  l'ode  :  Bel  aubespin  verdissant,  et  l'ode  retranchée  :  En 
mon  cœur  nest  point  escrite  (II,  386). 

En  1566,  le  succès  de  Ronsard  s'étant  depuis  longtemps  affirmé, 
Pierre  Cléreau,  maître  des  enfants  de  chœur  de  la  cathédrale  de 
Toul,  publie  à  Paris  un  recueil  qui,  d'après  le  titre  :  Premier 
livre  d'Odes  de  Ronsard,  mis  en  musique  à  trois  parties,  semble 
entièrement  consacré  à  la  poésie  du  maître.  Titre  singulièrement 
trompeur!  D'une  part,  en  effet,  Cléreau  met  en  musique  des 
poésies  de  toute  provenance,  si  bien  qu'en  fait  d'  «  Odes  de 
Ronsard,  »  on  trouve  des  pièces  comme  celle-ci  : 

Sans  lever  le  pied  j'abatray  la  rousée... 
En  un  jardin  seullette  suis  allée,  etc. 

et  comme  cette  autre,  mise  en  musique  aussi  par  Orlande  et  par 
Willaërt  : 

Hélas,  ma  mère!  hélas,  maman! 
Hélas,  ma  mère,  les  dents! 


352  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

D'autre  part,  on  n'y  peut  relever,  de  Ronsard,  que  six  morceaux 
tirés  des  Odes  :  Comme  un  qui  prend  une  coupe  (II,  41),  Le  comble 
de  ton  sçavoirel  Ton  nom  que  mon  vei*s  dira,  épode  II  et  strophe  III 
de  l'ode  Je  suis  troublé  de  fureur  (II,  43);  0  dieux  que  fay  de 
plaisir,  strophes  III,  IV  et  V  de  l'ode  Cassandre  ne  donne  pas 
(II,  145);  Ma  petite  colombelle  (II,  160);  D'où  vient  cela  (mon  prélat) 
que  les  hommes  (II,  223);  plus  une  chanson  :  D'un  gosier  masche- 
laurier  (I,  130),  qui  appartient  au  recueil  des  Amours.  Il  s'agissait 
de  faire  vendre  le  recueil,  et  le  grand  nom  de  Ronsard  couvrait 
toute  la  marchandise  de  l'honnête  Cléreau. 

En  1570,  Guillaume  Costeley  (1531-1606),  organiste  ordinaire 
et  valet  de  chambre  du  roi  Charles  IX,  donne,  sous  le  simple  titre 
de  Musique,  un  recueil  *  dont  beaucoup  de  morceaux  allaient 
devenir  très  populaires  au  xvie  siècle.  Ici,  le  titre  ne  pouvait  avoir 
rien  de  trompeur;  bien  au  contraire,  c'est  parmi  des  chansons  de 
Marot  et  d'autres  poètes,  parfois  très  orduriers,  qu'il  faut  décou- 
vrir ce  qui  appartient  à  itonsard,  à  savoir,  trois  chansons  :  Las! 
Je  n  eusse  jamais  jyensé  (1,  81),  D\in  gosier  masche-laurier  (l,  130), 
La  terre  les  eaux  va  boivant  (II,  286  )  ;  deux  odes  :  Mignonne,  allons 
voir  si  la  rose  (II,  117),  Venus  est  par  cent  mille  noms  (II,  437, 
ode  retranchée),  et  une  odelette  tirée  des  Meslanges  de  1555  :  Je 
veux  aymer  ardantement  (VIII,  146). 

C'est  également  à  celte  première  période,  et  même  au  com- 
mencement, que  nous  pouvons  rattacher  ce  recueil  de  chansons 
à  5,  6,  7  et  8  parties,  que  Ronsard  a  honoré  de  sa  Préface  au  Roi 
sur  la  Musique  *.  La  seule  édition  que  nous  ayons  pu  consulter  est, 
il  est  vrai,  de  1572,  mais  une  première  édition,  contenant  120  chan- 
sons, avait  été  publiée,  dès  1560,  avec  la  même  préface  de 
Ronsard,  et  c'est  précisément  cette  collaboration  de  notre  poète 
qui,  pour  nous,  est  le  principal  élément  d'identité  entre  les  deux 
recueils.  En  1560,  c'était  François  II  qui  recevait,  comme  protec- 
teur éclairé  des  musiciens  de  son  règne,  les  mêmes  louanges  que 
Ronsard  devait  décerner  douze  ans  plus  tard  à  Charles  IX,  mais 
c'était  alors  à  Arcadet  que  le  poète  attribuait,  parmi  les  artistes 
contemporains,  cette  place  d'honneur  où,  en  1572  il  fait  figurer  le 

4.  Au  complet  à  Sainte-Geneviève;  transcrit  par  M.  Henry  Expert  (op.  cit.). 

2.  Livre  de  Mesla?iges,'  contenant  six  vingtz  chansons,  des  plus  rares  et  plus 
industrieuses  qui  se  trouvent,  soit  des  autheurs  antiques,  soit  des  plus  mémorables 
de  noslre  temps...  —  Paris,  A.  Le  Roy  et  R.  Ballard,  1560.—  Mellanye  de  chansons 
tant  des  vieux  autheurs  que  des  modernes,  a  cinq,  six,  sept  et  huict  parties.  — 
16.,  1572.  —  M.  J.  Tiersot  dit  (op.  cit.,  p.  433,  n.  2)  que  ce  dernier  ouvrage  n'est,  à 
peu  de  chose  près,  qu'une  réédition  du  précédent;  mais,  en  réalité,  il  n'y  a  guère 
que  la  moitié  des  148  chansons  de  l'édition  de  1572  qui  se  trouvent  déjà  dans 
celle  de  1500.  —  Nous  ne  connaissons,  en  France,  aucun  exemplaire  de  1560.  La 
Bibliothèque  Nationale  possède  le  Superius  de  1572;  les  autres  parties  sont  à  Upsal. 


RONSARD    ET    LES    MUSICIENS    DU    XVIe    SIÈCLE.  353 

«   plus  que  divin  Orlande   ».  Ajoutons   qu'en   1560,  aussi  bien 
qu'en  1572,  le  grand  nom  de  Goudimel  est  passé  sous  silence1. 

Dans  le  recueil  de  1572,  où  d'ailleurs  la  poésie  est  assez  sou- 
vent de  forme  archaïque  et  populaire,  Ronsard  n'a  qu'une  très 
petite  part  comme  poète.  Une  seule  de  ses  chansons  et  trois  de 
ses  sonnets  s'y  trouvent  mis  en  musique,  à  savoir,  la  chanson  : 
Douce  Maisfresse,  touche  (I,  225),  par  Millot,  et  les  sonnets  : 
Amour  me  tue  (I,  27),  par  Goudimel;  Que  dis-tu,  que  fais-tu 
(I,  211),  par  Gardane;  Rossirpiol,  7non  mignon  (I,  410),  par  Claudin. 

SECONDE  PÉRIODE   ET    FIN   DU   XVIe   SIÈCLE. 

En  1571,  le  musicien  belge  Roland  de  Lassus,  dont  le  nom, 
italianisé  en  Orlando,  s'est  refrancisé  en  Orlande,  arrive  de  Bavière 
à  Paris,  où  sa  réputation  le  fait  accueillir  avec  les  plus  grands 
honneurs  par  les  musiciens  français.  Il  est  hébergé  par  l'éditeur 
Adrien  Le  Roy,  qui  le  présente  à  Charles  IX,  et  qui  relate  avec 
orgueil  cet  événement,  glorieux  pour  sa  maison,  dans  une  préface 
latine  écrite  pour  un  premier  recueil  de  la  musique  de  son  hôte 
publié  aussitôt  après  :  Primus  liber  modulorum  (1571).  A  partir 
de  ce  moment,  jusqu'à  la  fin  du  siècle,  les  recueils  d'Orlande  sont 
imprimés  et  réimprimés  sans  interruption  *.  De  même  que  Ron- 
sard est  le  grand  poète,  celui  qui  attire  les  lettrés,  Orlande  est  le 
musicien  le  plus  aimé  du  public,  et  les  éditeurs  abusent  de  son 
nom  comme  certains  musiciens  de  celui  de  Ronsard.  On  l'imprime 
en  tête  des  recueils,  alors  môme  que  sa  musique  n'y  occupe  qu'une 
place  très  restreinte.  C'est  ainsi  que,  dans  un  recueil  de  1571 
{Vingtième  liwe  de  chansons),  sur  17  morceaux,  4  seulement  sont 
d'Orlande,  tandis  qu'il  y  en  a  5  de  Millot. 

1.  «  Et  de  nostre  temps  Arcade t,  lequel  ne  cède  en  la  perfection  de  cet  art,  aux. 
anciens,  pour  estre  inspiré  de  son  Apollon  Charles  Cardinal  de  Lorraine.  » 

2.  La  liste  en  est  trop  longue  pour  qu'on  puisse  énumérer  complètement  ici  les 
recueils  mômes  qui  peuvent  contenir  des  poésies  de  Ronsard.  En  1571  paraît  un 
premier  Livre  de  chansons  nouvelles  à  cinq  parties,  en  môme  temps  qu'un  autre 
recueil  intitulé  Vingtième  livre*  dans  la  collection  commencée  par  Certon  (V.  plus 
haut).  L'ouvrage  de  beaucoup  le  plus  important  est  :  Mes  langes  de  la  musique 
d'Orlande  de  Lassus,  à  IV,  V,  VI,  VIII  et  dix  parties.  Paris,  Le  Roy  et  Ballard,  1576. 
—  La  Bibliothèque  Sainte-Geneviève  en  possède  un  exemplaire  complet,  dont 
M.  Henry  Expert  a  commencé  la  transcription  en  notation  moderne  (Premier  fasci- 
cule; Paris,  Leduc,  1894).  La  Bibliothèque  Nationale  possède,  également  au  com- 
plet, une  réimpression  de  1619.  —  Plusieurs  des  nombreux  Livres  de  chansons  qui 
portent  le  nom  d'Orlande  se  trouvent  aussi,  mais  très  incomplets,  à  la  Nationale.  — 
En  1593,  parait  à  Cologne,  chez  Paul  Marteau  :  Le  Thresor  de  musique  d'Orlande  de 
Lassus,  prince  des  musiciens  de  nostre  temps  (Bibliothèque  Nationale  :  4  volumes 
sur  5).  —  Sur  tous  ces  ouvrages,  voir  la  bibliographie  générale  de  M.  R.  Eilner 
(op.  cit.),  et,  du  même  :  Chronologisches  Verzeichnisz  der  aedruckten  Werke  von.., 
Orlandus  de  Lassu*  (Berlin,  Bahn,  1874). 


33* 


niIVCE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 


Le  nombre  des  compositions  écrites  par  Orlandc  sur  des  vers 
de  Ronsard  n'a  pas  du  être  aussi  considérable  qu'on  pourrait  se 
L'imaginer,  car  Orlande  avait  un  faible  pour  la  poésie  populaire, 
et  même  populacière.  Voici,  en  loul  cas,  celles  des  pièces  de 
Ronsard  que  nous  avons  relevées  : 

Sonnets  :  Amour,  Ajfiour  (I,  7),  Jespere  et  crain  (8),  0  doux 
parler  (32),  Rfn^moy  mon  cœur  (108),  Que  dis-tu,  que  fais-tu  (311). 
Chanson  :  Bon  jour  nu  \  bon  jour  ma  douce  vie  (I,  I69), 

Odes  :  C  un  gui  prend  une  coupe  (II,  il),  Ton  nom  que  m 

vers  diraf  strophe  III  de  l'ode  :  Je  sut*  troublé  de  furet 
Ores  (pue  je  liêpo$t  sixain  final  de  l*ode  :  JTay  Fesprti  tout 

ennuyé  (162),  La  terre  les  eaux  va  hoivant  (286),  Verse-motj 
dow'f  du  rru,  strophe  dernière  de  l'ode   retranchée   : 

Lorsq  u e  lia cch  us  entr  e  eftrz  w  ou  (43 

En  1575 1>  chez  des  éditeurs  de  Louvaîn  ei  d'Anvers,  ou  des 
musiciens  les  plus  féconds  de  l'époque,  Philippe  de  Monte,  maître 
de  chapelle  de  l'empereur  Rodolphe  II,  usant,  avec  plus  de  réserve 
toutefois,  du  procédé  de  Cléreau,  publie,  à  cinq,  six,  et  sept 
parties,  sous  le  litre  Ae  Sonnets  de  Piet*re  de  Ronsard  *t  un  mélange 
de  sonnets  et  d'autres  pièces  de  notre  poète,  parmi  lesquels  il 
glisse  un  certain  nombre  de  morceaux  de  Marol  et  de  divers 
auteurs,  dont  il  n'est  pas  toujours  facile  de  découvrir  la  person- 
nalité. 

Les  sonnets  sont  :  Amours,  livre  1°%  Quand  ma  maistresse  (I,  41), 
Lp  premier  jour  (53),  Tout  me  de$platst  (55),  Le  doux  sommeil  (U3)f 
iKhte  dittes-vous  (121);  Amours  diverses  :  Que  me  servent  mes 
(385);  Pièces  retranchées  :    Fous,  ne  le  voulez  pas  (397),  Dictes, 
Jfat  (406),  Mil  Dieu  du  ciel  (408),  Las!  sans  espoir  [415), 

Si  trop  îôUVent  440).  Au  nombre  des  autres  pièces  nous  trouvons 
le  «  Baiser  »  des  Amours  :  Quand  de  ta  lèvre  à  demi/  close]  quatre 
chansons  :  Bonjour  mon  cœur  (I,  JG9),  I/emandes-tu,  chère  Ma* 


1,  Nous  ne  connaissons  aucun  des  recueils  de  Castro,  qui  paraissent  à  cette 
époque  chez,  les  mêmes  éditeurs,  mais,  d'après  les  listes  de  morceau*  données  par 
M.  U.  Kitner  dans  sa  Bibiiogi  101  ralevûDl  plusieurs  poésies  de  Ilunsud, 

comme  :  Bon  jour  mon  cœur  (I,  169),  Plus  tu  cannois  (I,  411),  Venons  ers  rot 
viji  (II,  :2flJ),  L'un  dit  la  prisr  tirs  murailles  {II,  487). 

BOfiAti  de  Pierre  de  Ronsard,  mie  en  musique  a  cinq,  six  et  sept  parties,  par 
\|.    PblUpp«  de   Monte,  Maistre  de  la  Chappelle  de   l'Empereur.    A   Lovais,   cfaet 
Pierre  Phaîese,  imprimeur  de  Musique  et  en  Anvers  chez  Jean  Bellere,  Jibraii 
PAiftle  dTnr*  1515,  —  La  Bibliothèque  Nationale  possède  les  parties  au  complet  en 
cinq  volumes  :  Superius,  Contratenor,  Ténor,  Bassus,  Quînta  pars, 

3.  Ce  sonnet  est  plutéi  un  madrigal, car  les  quatre  premiers  vers  sont  répètes  comme 
second  quatrain,  et  la  musique  de  Ph.  de  Monte  n'indique  pas  cette  répétition* 

4.  Variantes  dans  Ph.  de  Monte  :  Demandes-tu  douce  ennemie.  Dans  te  reste  de  la 
pièce,  Marie  est  remplacé  par  Mamie. 


RONSARD   ET    LES    MUSICIENS    DU   XVIe    SIÈCLE.  355 

(172),  Veu  que  tu  es  (198),  Plus  tu  cognois  (411);  et  deux  odes 
anacréontiques  :  Pour  boire,  dessus  l'herbe  tendre  (II,  161), 
Corydon,  verse  sans  fin  (391). 

Le  nom  de  notre  poète  se  trouve  associé  à  celui  de  Desportes 
dans  le  titre  d'un  recueil  de  chansons  de  Nicolas  de  la  Grotte  \ 
valet  de  chambre  et  organiste  du  roi.  Les  pièces  qui  sont  de 
Ronsard  ne  sont  pas  toujours  indiquées  comme  lui  appartenant, 
mais  on  peut  aisément  les  identifier  *.  Elles  sont  au  nombre  de  dix; 
ce  sont,  avec  sept  chansons  des  Amours  :  Las!  je  n  eusse  jamais 
pensé  (I,  81),  Ma  maistresse  est  toute  angelette  (163),  Demandes-tu, 
chère  Marie3  (172),  Mais  voyez,  mon  cher  esmoy  (180),  Quand 
j'estois  libre  (214),  Quand  ce  beau  printemps  je  voy  (220),  Douce 
maistresse,  touche  (225),  le  «  Trophée  d'amour  »  :  Je  suis  Amour, 
le  grand  maistre  des  Dieux  (IV,  131;  Elégies,  1565,  pièce  22),  le 
Chant  triomphal  :  Tel  qu  un  petit  aigle  sort  (V,  144,  Poèmes,  1569, 
pièce  4),  et  les  Stances  :  Autant  quon  voit  aux  cienx  de  flammes 
(VI,  319). 

Si  Ronsard  prenait  soin  d'adapter  sa  versification  à  la  musique 
il  était  naturel  que  les  musiciens  daignassent  adapter  leur  musique 
à  sa  versification,  et  rendre  à  la  poésie,  en  exactitude,  ce  qu'ils 
avaient  reçu  d'elle  en  complaisance.  Or,  on  sait  que  l'Académie 
de  musique  d'Antoine  de  Baïf  et  de  Joachim  Thibault  de  Courville 
avait  pour  objet,  non  pas  d'établir  l'accord  entre  les  musiciens, 
ce  à  quoi  nul  homme  de  sens  n'a  jamais  songé,  mais  d'assurer, 
entre  musiciens  et  poètes,  un  échange  de  bons  avis  et  de  bons 
offices.  Les  musiciens  qui  profitèrent  le  plus  des  entretiens  de 
l'Académie  durent  être  les  étrangers,  lesquels  y  vinrent  avec  cette 
idée  qu'en  matière  de  versification  française  ils  avaient  quelque 
chose  à  apprendre.  L'un  d'eux,  Fabrice  Marin,  dit  Caïetain  (c'est- 
à-dire  de  Gaëte),  auteur  d'un  recueil  d'Airs  mis  en  musique  à  quatre 
parties1   sur   les   poésies  de  Ronsard   (1578),  écrivait,   dans    sa 

1.  Chansons  de  P.  de  Ronsard,  Ph.  Desportes  et  autres,  mises  en  musique  par 
N.  de  la  Grotte,  vallet  de  chambre,  et  organiste  du  Roy.  —  Paris,  A  le  Roy  et  R. 
Ballurd,  1575.  —  La  Bibliothèque  Nationale  possède  le  Superius.  Un  fac-similé  en  a 
été  publié  en  1873,  par  la  librairie  Bachelin-Deflorenne,  avec  une  notice  de  M.  A. 
de  Rochambeau. 

2.  La  pièce  anonyme  :  Ah!  Dieu  que  c'est  un  estrange  martire^  qui  se  trouve  entre 
deux  pièces  de  Ronsard,  est  de  Desportes. 

3.  Mêmes  variantes  que  dans  Ph.  de  Monte. 

4.  Airs  mis  en  musique  à  quatre  parties  par  Fabrice  Marin  Caietain,  sur  les  Poé- 
sies de  P.  de  Ronsard  et  autres  excelens  Poètes.  Premier  livre.  —  Paris,  A.  le  Roy 
et  R.  Ballard,  1578.  —  La  Bibliothèque  Nationale  possède  le  Ténor.  —  Entre  ce  pre- 
mier livre  de  Caïetain,  et  un  second  livre  û}Airs  Chansons,  Villanelles,  Napolitaines, 
et  Espagnoles  (1578),  se  trouve  intercalé  :  Premier  livre  d'airs  tant  Français,  Ita- 
lien qu'Espaignol,  reduitz  en  Musique,  à  quatre  et  cinq  parties.  Par  M.  G.  Thes- 
sier.  —  Paris,  A.  le  Roy  et  R.  Ballard,  1582. 


356  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

dédicace  à  Henri  de  Lorraine,  duc  de  Guise,  que  pour  «  bien  appro- 
prier les  airs  sur  les  lettres  françaises,  »  il  avait,  se  défiant  de 
ses  forces,  «  fréquenté  Tescole  de  messieurs  de  Courville  et 
Beaulieu,  l'ung  l'Orphée,  l'autre  TArion  de  la  France.  »  Il  est  à 
croire  que  ce  disciple  reconnaissant  et  courtois  aurait  pu  s'exercer 
encore  davantage  à  «  approprier  les  airs  »,  car  il  donne,  comme 
«  air  pour  chanter  tous  sonnets,  »  la  musique  du  sonnet  de 
Ronsard  :  Hé!  Dieu  du  ciel,  je  ri  eusse  pas  pensé  (I,  408),  avec  une 
seule  mélodie  pour  les  deux  tercets,  dont  les  rimes  sont  précisé- 
ment contrariées  :  ccd,  ede! 

De  Ronsard,  le  recueil  de  Caïetain  contient  en  outre  le  sonnet  : 
Amour  y  amour  (I,  7);  les  chansons  :  Las!  je  ri  eusse  jamais  pensé 
(I,  81),  Mais  voyez,  mon  cher  esmoy  (180),  Qui  veut  sçavoir  (216), 
Douce  maistresse,  touche  (225),  Petite  Nymphe  folastre  (377),  Plus 
tu  cognois  (411);  les  odes  :  Ma  petite  colombelle  (II,  160),  Le  petit 
enfant  Amour  (270),  Sur  toute  fleurette  desclose  (342),  En  mon  cœur 
ri  est  point  escrite  (386);  la  Mascarade,  récitée  par  deux  joueurs 
de  lyre  :  Le  Soleil  et  nostre  Roy  (IV,  148);  la  Gayeté  :  Une  jeune 
pucelette  (VI,  353),  et  l'Epître  à  Jean  du  Thier  :  Qui  fait  honneur 
aux  Roys,  il  fait  honneur  à  Dieu  (VI,  150). 

Un  premier  livre  d'airs  français,  italiens  et  espagnols,  de 
G.  Thessier,  a  été  joint  au  recueil  de  Caïetain.  Thessier  n'a  qu'une 
pièce  de  Ronsard,  l'ode  :  Le  petit  enfant  Amoui  (II,  270). 

En  1578,  les  Amours  sont  mises  en  musique  par  Antoine  de  Ber- 
trand *,  qui  prend  le  titre  peu  ambitieux  de  «  natif  de  Fontanges 
en  Auvergne.  »  En  tête  du  recueil  se  lisent  trois  sonnets  à  l'auteur, 
deux  de  «  Monsieur  de  Rangouse,  conseiller  en  la  cour  de  parlement 
de  Tholose,  les  deux  autres  de  J.-A.  Grevin.  M.  de  Rangouse 
se  demande  d'où  Bertrand  «  de  Phœbus  le  plus  cher  nourrisson, 
cet  autre  Arion,  ce  nouvel  Orphée,  prend  ses  célestes  accords, 

Les  accordz  qui  rendroient  les  tygres  d'iïyrcanie 
Comme  les  Aignelets  paisibles  et  concors... 

Grevin,  lui,  se  révèle  un  fervent  de  l'alliance  poético-musicale  : 

J'adjousteroy,  Bertrand,  que  tu  as  esté  né 
Et,  aux  François  heureux,  bienheureux  destiné 
Pour  donner  à  leurs  vers  l'ame  de  ta  musique, 
Et  pour  donner  encor  aux  plus  parfaitz  accordz, 

1.  Premier  livre  des  Amours  de  P.  de  Ronsard,  mis  en  musique  à  nu  parties  par 
Anthoine  de  Bertrand,  natif  de  Fontanges  en  Auvergne.  —  Paris,  A.  le  Roy  et  R. 
Bailard,  4518.  —  A  la  suite  :  Second  livre,  etc.;  Troisiesme  livre,  etc.  —  La  Biblio- 
thèque Nationale  possède  la  partie  de  t^nor. 


RONSARD    ET    LES    MUSICIENS    DU    XVIe    SIÈCLE.  357 

Qui  tousjours  paravant  estoicnt  demeurés  mortz, 
Le  prcsant  plus  parfait  de  l'ame  Poétique. 

Le  musicien  a  choisi  dans  les  Amours,  les  sonnets  qui  suivent  : 

Livre  Ier  :  Qui  voudra  voir  (1),  Nature  ornant  (2),  Entre  les  rais  de  sa 
jumelle  flamme  (3),  Pareil  j'égale  au  soleil  que  f  adore  (4),  Ces  liens  d'or 
(5),  Bien  qu'à  grand  tort  (7),  Amour,  Amour  (7),  Tes  yeux  divins  (15), 
Ces  deux  yeux  bruns  (15),  Las!  je  me  plain  (21),  Doux  fut  le  trait  (23), 
Ah!  seigneur  Dieu  (24),  Je  voudrois  estre  (26),  Amour  me  tue  (27),  Je 
veux  mourir  (27),  Mon  Dieu!  mon  Dieu!  (29),  Qui  voudra  voir  dedans 
une  jeunesse  (37),  Quand  ma  maistresse  [M),  Je  meurs,  Paschal,  quand  je 
la  coy  si  belle  (48),  Douce  beauté  à  qui  je  doy  la  vie  (48),  Douée  beauté 
qui  me  tenez  le  cœur  (40),  Avecque  moy  (55),  Tout  me  desplaist  (55), 
Devant  les  yeux  (58),  Si  doucement  (02),  Amour  archer  ((33),  Je  vey  ma 
nymphe  (04),  Le  Ciel  ne  veut  (67),  Je  parangonne  (13),  Ce  ne  sont 
quhaims  (76),  Œil  qui  mes  jtleiws  (76),  Heureuse  fut  (78),  Ce  lis  plus 
doux  (79 j,  Que  toute  chose  en  ce  monde  se  mue  (85),  Certes  mon  œil  (92), 
Je  sens  portraits  (102),  Cet  œil  bcsson  (119);  —  Livre  ïï  :  Prenez  mon 
cœur  1 152,  donné  comme  Madrigal),  Marie,  qui  voudroit  ^157],  Beauté, 
dont  la  douceur  (160),  Sinope,  baisez  moy  :  jion,  ne  me  baisez  pas  (195); 
—  Pièces  retranchées  :  Las!  pleust  à  Dieu  (389),  Quand  en  songeant  (392), 
Vous  ne  le  voulez  pas  (397).  Je  7ic  suis  seulement  (398),  Las!  pour  vous 
trop  aimer  (402),  Je  ne  sçaurois  (405),  Dictes,  Maistresse  (406),  Plus  qu» 
jamais  (407),  Hé!  Dieu  du  ciel  (408),  Quand  je  serois  (409),  Pource  que 
tu  srais  bien  (410),  Quand  je  vous  dis  adieu  (410),  Donrqnes  pour  trop 
aimer  (411),  Las!  sans  espoir  (415),  Si  jamais  homme  (419)  '. 

Parmi  ces  sonnels  se  trouvent  aussi  six  chansons  des  Amours  : 
Je  veux  chanter  (153),  Demandes-tu,  chère  Marie  *  (172),  Veu  que 
tu  es  (198),  Je  suis  tellement  amoureux  (200),  Je  suis  un  demy-dieu 
(210),  Pourquoy  tournez-vous  vos  yeux  (429),  et  une  chanson  qui 
se  trouve,  dans  Blanchemain,  aux  Œuvres  inédites  :  Celuy  qui 
veut  sravoir  (VIII,  143). 

Dans  les  dernières  années  du  xvie  siècle,  le  texte  des  Amours 
est  repris,  en  musique  à  quatre  parties,  par  Guillaume  Boni3, 
maître  des  enfants  de  chœur  à  Saint-Etienne  de  Toulouse. 

Les  sonnets  des  Amours  sont  les  suivants  : 

Livre  1er  :  Je  ne  suis  point  (3),  Lorsque  mon  œil  (6),  Le  plus  touffu 
(6),  Je  pais  mon  cœur  d'une   telle  ambrosie  (7) ,  J'espcrc  et  crain  (S), 

1.  Variantes  dans  Bertrand  :  Dans  le  serain  de  sa  jumrfte  flamme  (3),  Je  paran- 
gonne au  soleil  que  f  adore  (4),  Je  meurs,  hélas,  (48),  Qu'en  tout  endroit  toute  chose 
se  mue  (85),  Telle  qu'elle  est  dedans  ?na  souvenance  (102),  Mignonne,  baisez-moi  (195). 

*2.  Mêmes  variantes  que  dans  Ph.  de  Monte. 

3.  S'metz  de  P.  de  Ronsard  mis  en  musique  à  111 1  parties  par  Guillaume  Boni.  — 
Paris,  Le  lloy  etBallard.  La  Bibliothèque  Nationale  possède  le  premier  livre  :  ténor 
et  taille,  et  le  second  livre:  taille  (iii'J3  ;  plus  la  réimpression  de  it>24  :  haute-contre. 

Rkv.  d'hi&t.  littéb.  dc  la  Framci  (?•  AnoJ.—  Vil.  24 


358  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Pour  estre  en  vain  (9),  Un  chaste  feu  (12),  Je  voudroy  bien  (13),  Cent  et 
cent  fois  (14),  Ce  beau  coral  (14),  Ange  divin  (18),  Quand  au  premier 
(20),  D'un  abusé  (20),  Puisse  advenir  (21),  Contre  mon  gré  (24),  Quand 
au  matin  (25),  Ores  la  crainte  et  ores  l'espérance  (26),  Mille,  vraiment 
(30),  Verray-je  point  (33),  Quel  Dieu  malin  (33),  De  quelle  plante  (41), 
Que  n'ay-je  Dame  (42),  Si  je  trespasse  (46),  Douce  beauté  (48),  Estre 
indigent  (51),  Quand  je  vous  voy  (56),  Z«s/  sans  la  voir  (57),  Devant  les 
yeux  (58),  Franc  de  raison  (67),  Contre  le  ciel  (91),  //a/  Bel-accueil,  que 
ta  douce  parole  (95),  Ce  /bl  penser  (97),  /c  wc  swis  potwf  (98),  Ny  les 
desdains  (98),  0  traits  fichez  (99),  Amour  et  Mars  (100),  Son  chef  est  d'or 
(104),  Ce/wy  g'î/i  /?£  (113);  L'homme  est  vraiment  (116),  Quand  je  te  voy 
(120);  —  Livre  II  :  Marie,  vous  avez  (148),  Mignonne,  levez-vous  (164), 
C'est  grand  cas  que  d'aimer  (165),  Hé!  que  voulez-vous  dire  (171),  Quand 
je  vous  voy  (178),  Quand  je  suis  tout  baissé  (194),  Si  j' est  ois  Jupiter 
(194),  Que  dis-tu,  que  fais-tu  (211);  —  Pièces  retranchées  :  Las!  pleust 
à  Dieu  (389),  A  ton  frère  Paris  (390),  0  ma  belle  maistresse  (402), 
Rossignol,  mon  mignon  (410),  Las!  je  ne  veux  (414),  Las!  sans  espoir 
(415),  Si  trop  souvent  (440)  \ 

Les  recueils  de  Boni  contiennent  encore  la  musique  de  la 
chanson  :  Le  printemps  ri  a  point  tant  de  fleurs  (I,  172)  et  du  ma- 
drigal :  Comment  au  départir  (I,  177). 

Boni,  qui  mit  aussi  en  musique  les  Quatrains  du  sieur  de  Pibrac, 
avait  appris  la  modestie  à  l'école  de  ce  dernier.  En  un  sonnet 
liminaire  d'une  bonhomie  aimable,  il  s'excuse  de  livrer  au  public 
un  travail  de  sa  jeunesse; 

Ne  pense  point,  toy  qui  enten  ces  chans, 
Que  pour  avoir  quelque  bruit  en  cet  aage 
Je  mette  au  jour  ce  mien  petit  ouvrage, 
Que  j'ay  tracé  durant  mes  tendres  ans. 

Il  sait  bien  qu'il  est  inégal  aux  plus  savants,  mais  il  fait  ce  qu'il 
peut  et  réclame  l'indulgence  : 

Et  si  comme  eux  doctement  je  n'escris, 
Et  ma  musique  à  la  leur  ne  ressemble, 
Si  est-ce  au  moins  que  je  dois,  ce  me  semble, 
Estre  excusé,  faisant  ce  que  je  puis. 

Ce  musicien  sans  prétention  pouvait  cependant  s'enorgueillir 
de  l'admiration  du  vieux  Daurat,  qui  lui  octroya,  en  distiques 
latins,  un  brevet  de  génie,  dont  on  ne  prendra  connaissance  que 

1.  Variantes  dans  Boni  .  Je  me  nourris  d'une  telle  ambrosie  (7),  Ores  Teffroy  et 
ores  l 'espérance  (26),  Ha!  Bel  accueil,  quand  ta  douce  parole  (35),  Mon  fol  penser 
(97),  Mignonne,  vous  avez  (US). 


RONSARD   ET    LKS   MUSICIENS    DU   XVIe   SIÈCLE.  359 

plus  loin,  car  il  y  est  question  surtout  du  génie  de  Ronsard.  Il  dut 
aussi  se  réjouir  d'un  certain  succès  de  librairie;  son  recueil  était 
encore  réimprimé  en  1624.  Faut-il  croire,  par  là,  que  l'impri- 
meur-éditeur  Pierre  Ballard  ne  partageât  pas  le  dédain  de  ses 
contemporains  pour  le  poète  «  trébuché  de  si  haut,  »  ou  bien 
qu'il  trouvât  encore  dans  sa  clientèle,  en  dépit  de  Malherbe,  un 
nombre  suffisamment  considérable  de  ronsardisants? 

Nous  pensons  plutôt  que  c'était  la  popularité  de  Boni  qui  sur- 
vivait à  la  gloire  de  Ronsard  !  On  en  jugera  par  les  extraordinaires 
libertés  qu'un  éditeur  de  1593  *  prenait  avec  le  texte  de  Ronsard 
par  respect  pour  la  musique  d'Orlande,  qu'il  voulait  conserver  à 
la  postérité,  mais  qu'il  souffrait  de  voir  accolée  à  une  «  lettre 
sotte,  lascive  »,  et  pleine  de  «  puantises  ».  Sans  pudeur,  ou  plutôt 
par  excès  de  pudeur,  on  transformait  les  sonnets  amoureux  et  les 
odes  bachiques  en  chansons  dévotieuses  et  en  brocards  contre 
T ivrognerie.  Ren  moy  mon  cœur,  ren  moy  mon  cœur,  pillarde,  La 
terre  les  eaux  va  boivant  et  Ores  que  je  suis  dispos  Je  veux  boire 
sans  repos,  devenaient  : 

Ren  moy  mon  cœur,  que  d'une  main  pillarde 
Le  péché  tient  en  ses  lacs  arresté... 
La  terre  son  Dieu  va  louant, 
Et  chante  sa  bonté  notoire... 
Ores  que  tu  sois  dispos 
Faut-il  boire  sans  repos? 


III 

Pour  faciliter  l'alliance  intime  de  la  poésie  et  de  la  musique, 
Ronsard  dut,  suivant  l'expression  très  juste  du  temps,  mesurer  ses 
vei9s  à  la  lyre,  c'est-à-dire  composer  des  strophes,  stances  ou  cou- 
plets qui  fussent,  dans  la  même  ode  ou  chanson,  identiques,  d'un 
côté,  par  le  nombre  et  la  longueur  des  vers,  et,  s'il  y  avait  lieu, 
par  l'ordre  des  vers  de  différentes  mesures;  de  l'autre,  par  l'agen- 
cement des  diverses  rimes,  et  surtout  par  la  succession  des  rimes 
féminines  et  masculines. 

En  principe,  une  construction  musicale  peut  s'adapter  à  toute 
espèce  de  construction  métrique,  et  même  à  de  la  prose;  mais  en 
laissant  de  côté  la  prose,  il  est  bien  évident  qu'une  même  mélodie 
ne  pourra  se  répéter  absolument  semblable  que  sur  des  strophes 
d'une  similitude  absolument  parfaite,  du  moins  quant  à  la  mesure 

1.  Voir  p.  353,  n.  2. 


360  RI^VUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

des  vers  et  à  la  place  des  rimes  féminines  qui,  pour  le  musicienr 
allongent  le  vers  d'une  syllabe.  Celte  évidence  même,  et  la  sim- 
plicité de  cette  conception  relative  à  la  collaboration  du  poète  et 
du  musicien,  pourraient  faire  juger  trop  grandiose  l'idée  que  le 
poète  se  faisait  de  son  labeur.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  là 
est  tout  le  secret  de  ses  innovations  :  il  s'est  astreint  à  une  suc- 
cession régulière  des  rimes  de  divers  genres  dans  la  plupart  des- 
pièces  lyriques  contenues  au  tome  II  ou  disséminées  dans  les 
autres  parties  de  l'édition  Blanchemain. 

Dans  Y  Abrégé  de  Fart  poétique,  Ronsard  a  formulé  lui-même  ce- 
principe  fondamental  de  la  versification  nouvelle  :  «  A  l'imitation 
de  quelqu'un  de  ce  temps  ',  tu  feras  tes  vers  masculins  et  fœmi- 
nins  tant  qu'il  te  sera  possible,  pour  estre  plus  propres  à  la  Musique 
et  accord  des  instrumens ,  en  faveur  desquels  il  semble  que  la 
Poésie  soit  née...  Si  de  fortune  lu  as  composé  les  deux  premiers- 
vers  masculins,  tu  feras  les  deux  autres  fœminins,  et  parachèveras 
de  mesme  le  reste  de  ton  Elégie  ou  Chanson,  à  fin  que  les  musi- 
ciens les  puissent  plus  facilement  accorder.  Quant  aux  vers  lyriques,, 
tu  feras  le  premier  couplet  à  ta  volonté,  pourveu  que  les  autres 
suivent  la  trace  du  premier.  » 

Ici  comme  ailleurs,  Ronsard  grammairien  s'exprime  avec  plus 
de  hauteur  que  de  précision.  Il  semble  toutefois  qu'on  peut  dégager 
de  ce  passage  deux  règles  catégoriques  bien  distinctes  :  1°  l'alter- 
nance est  obligatoire  dans  les  rimes  suivies,  c'est-à-dire  dans  une 
suite  de  rimes  plates;  2°  l'alternance  n'est  pas  obligatoire  dans 
les  constructions  strophiques,  qu'elles  se  composent  uniquement 
de  rimes  plates,  croisées,  embrassées,  avec  ou  sans  répétition  de 
rimes,  ou  bien  encore  d'un  mélange  de  ces  divers  systèmes;  mais 
il  faut  que  toutes  les  strophes  qui  se  suivent  ou  qui  se  corres- 
pondent dans  une  même  pièce  soient  de  forme  identique. 

On  ne  doit  pas  s'étonner  que  la  première  règle,  qui  vise  la- 
chanson  en  même  temps  que  l'élégie,  s'applique  à  la  rime  plate. 
En  effet,  Ronsard  est  dominé  par  celle  idée  que  toute  succession 
régulière  de  rimes  sera  telle  parce  que  la  musique  pourra  s'y 
adapter  avec  uniformité;  or,  la  rime  plate  est,  à  cet  égard,  aussi 
régulière  que  tout  autre  système,  puisqu'elle  peul  être  suivie  dans 
une  chanson  ou  dans  une  ode  chantée*.   C'est  un  peu  le  raison- 

4.  Allusion  probable  à  Jean  Bouchet,  •  rhéloriqueur  •  de  Poitiers,  qui  soupçonna 
l'importance  esthétique  de  l'alternance.  Elle  est  observée  par  lui  dans  ses  Opuscules 
(1520).  Voir,  toutefois,  le  commencement  de  Deploration  de  l'Église. 

2.  D'autre  part,  plusieurs  chansons  de  Ronsard  sont,  comme  on  le  verra  bientôt,. 
en  rimes  suivies,  avec  ou  sans  division  strophique,  et  ou  verra  aussi  que  même 
des  pièces  en  alexandrins  à  rime»  suivies  ont  pu  être  mises  en  musique. 


RONSARD   ET    LES    MUSICIENS    DU   XVIe   SIÈCLE.  361 

ncment  post  hoc,  ergo  propter  hoc.  Il  est  moins  aisé  de  s'expliquer 
-l'expression  de  «  vers  lyriques  ».  S'agit-il  des  vers  de  huit,  sept, 
six,  cinq,  quatre,  et  trois  pieds  auxquels  Ronsard  donne  ce 
nom  plus  loin1?  Nous  ne  le  croyons  pas,  car  il  faudrait  alors 
n'attribuer  à  la  chanson  que  le  décasyllabe  et  l'alexandrin,  pour 
enlever  ensuite  ces  deux  vers  à  la  strophe,  malgré  l'usage  fré- 
quent que  Ronsard  en  a  fait,  du  premier  surtout,  dans  la  poésie 
lyrique.  En  réalité,  quand  il  donnait  ces  deux  règles,  Ronsard 
commettait  une  assez  grave  confusion.  Tout  entier  à  la  rime,  et 
perdant  de  vue  la  mesure,  il  n'en  risquait  pas  moins  cette  expres- 
sion de  «  vers  lyriques,  »  qui  semble  se  rapporter  à  la  mesure 
même. 

Passant  de  la  théorie  à -l'application,  nous  avons  maintenant  à 
Techercher,  par  l'examen  des  textes,  quels  types  de  la  versification 
•du  poète  devaient  répondre  aux  exigences  du  musicien,  et  pour 
■quelle  raison  certains  autres  types  devaient  être  ou  ont  été  écartés 
•comme  réfractaires  à  la  musique.  Nous  verrons  incidemment 
qu'il  ne  faut  pas  prendre  tout  à  fait  à  la  lettre  les  prescriptions 
•de  Ronsard,  qu'il  a  écrit  maintes  pièces  qui  y  dérogent  et  que  ces 
•pièces  ont  été  néanmoins  chantées.  Comme  il  ne  saurait  être  ques- 
tion de  passer  en  revue  toute  la  versification  de  Ronsard,  il 
suffira  d'étudier  les  formes  vraiment  irrégulières  ou  moins  exactes 
pour  démontrer  ensuite  la  légitimité  ou  faire  apprécier  la  valeur 
-esthétique  des  autres. 

i. 

PIÈCES   NON  MESURÉES. 

A.  Pièces  à  runes  suivies,  sans  alternance.  —  Les  pièces  à  rimes 
suivies,  sans  alternance  régulière,  sont  toutes,  sauf  une  épigramme 
insignifiante  (VI,  406),  retranchées  des  recueils  de  Ronsard. 
Nous  les  citons  en  suivant  Tordre  des  mesures.  Il  n'y  en  a  aucune 
en  alexandrins. 

1.  Sus,  lulh  doré,  des  Muses  le  partage  (V,  283). 

2.  Il  estoit  nuit  et  le  présent  des  cieux  (VI,  332). 

3.  En  may,  lors  que  les  rivières  (II,  466). 

4.  0  Dieu  des  exercites  (II,  451). 

5.  Si  cet  enfant  qui  erre  (II,  403). 

Pour  Ronsard,  et  pour  nous  aussi,  à  première  vue,  celle  facture 
«ans  alternance,  négligée  et  archaïque,  devait  rester  étrangère  à 

i.  Au  chapitre  de  Y  Abrégé  intitulé  :  Des  autres  vers  en  général. 


3G2 


îiEVUE  i)  uismuu:  i.inntAirtE  m:  la  FRANCE. 


la  musique.  Cependant  certains  musiciens  paraissent  avoir  été 
lout  prêts  ;i  oc  pas  exiger  de  Honsard  les  sacrifices  que  ses  scru- 
pules <le  iiK'iririei»  loi  imposaient.  La  preuve,  c'est  que  nous  trou- 
vons dans  le  8a  livre  des  Chansons  de  Certon,  etc.  une  compo- 
sition musicale  adaptée  à  une  suite  de  22  vers»  du  type  irrégulier 
condamné  par  notre  poète,  Gfittil  liossit/nol  casanier  (f*  10  verso), 
dont  les  onze  rimes  nous  offrent  la  succession  suivante  :  mat,  Mffli 
ff\  //',  mm,  mmr  f}\  mm,  //',  miff,  mm.  W  suffisait  Qu'en  pareil  cas  la 
musique  accompagnât  les  paroles  jusqu'au  bout,  ce  qui  se  voit 
pour  la  composition  de  Cerlon;  et  un  musicien  accommodant  eut 
pu  s  exercer  sur  des  pièces  plus  longues  encore. 

B,  Piècêt  à  sirop  fies  dissemo/tthies.  — -  n  II  est  certain,  dit 
Ronsard  de  L'ode  à  Jacques  Pelelier  du  Mans  (II,  402),  que  telle 
ode  est  imparfaite  pour  n'eslre  mesurée  '  ne  propre  à  la  lyre,  ainsi 
que  Iode  le  requiert,  comme  sont  encore  douze  ou  treize  que  j'ai 
mises  en  mon  Bocage*,  sous  autre  nom  que  d'Odes,  pour  cesle 
m  es  me  raison,  servans  de  tesmoignage  par  ce  vice  à  leur  anti- 
quité. »  De  telles  pièces  ne  sont  pas  prvpreB  à  la  lyre  parce  qu'au- 
cune ne  ji  ré  son  te  une  similitude  complète  entre  les  strophes  qui 
la  suivent  ou  qui  se  correspondent  :  1  "aire  i  ire  nient  des  divnscs 
rimes  est  le  plus  souvent  identique3,  mais  il  n'y  a  pas  régularité 
quant  à  leur  genre.  Dix  d'entre  ces  pièces,  ainsi  que  les  trois  der- 
nières du  groupe  précédent,  ont  été  énumérées  1res  exactement  par 
M.  Henri  (îliamard1  d'après  L'édition  princepa  de  1550,  Nous  y 
ajouterons  quelques  pièces  qui  présentent  la  même  sorte  d'irré- 
gularité, et  nous  les  distinguerons  par  un  astérisque  : 

i.  *  Un  enfant  dedans  un  bocage  (1,  434). 
2t  *  Saus  avoir  lien  qui  m  estraigne  i  II,  M 2  . 


i.  Nous  trouvons  aussi  d*fii  Pûntui  *U-  Tjird  l'eipteiftioD  de  *  chanl  non 
mesuré  *  :  éd.  M  art  y- La  veaux*  p.  Si  ^succession  îrrépuJïère  de  rîmes  féminiiH  -  .1 
masculiriï's  dans  des  stances  aabb;  cf.,  p.  tîD,  dans  des  stances  aai 

J,  Le  premier  Hocatje  a  paru  h  la  suite  d&sqaatre  premiers  livres  d'Ode*  en  Li5(h 
La  plupart  de  t&*  odes  imparfaites  cmt  été  réimprimées  d*m  Ifi  second  ftoao^*,  eu 
1554,  puis  dnns  les  Odes,  édition  collective  de  iSGÛ,  et  finalement  la  pu 
r*;trnmlH]es  d<:  >un  édition  définitive. 

3+  Exceptions  ;  Au  n*  2  du  tableau  qui  suit,  une  strophe  abah  (ta  21"),  parmi 
SS  itrophen  ttbba* 

j,  AniMjr.  itditi»  le»  flan-- m, 
Âilie il  là  douceur,  Ui  rigueur. 
EL  bief,  jidion   t'iutas  kts  damna 
Oui  m  'i«ni  JL-hili?  brufllu  le  cuiir. 

Pcul-étre  doit-on  corriger  en  lUanl  le  4*  vers  après  le  ("?  —  Au  n*  8  la  dernière 
strophe  de  ti  vers,  aabech*  ftfNTèf  Û9M  ttrophei  de  S.  <tabcc%  est  amenée  pour  t 
pléler  la  dernière  rime  b.  —  Au  n'1  14,  la  dernière  strophe  i-st  en  aabb  après  5  abba. 

4.  Uvvu?  flbistuire  UHtrairt  dt  la  FPû  '.tvjer  1899,  p.  37.  Ces  odes  se  i  mu- 

rent i  la  tin  du  tome  IL  pp+  S9t,  366,  im,  wiAMAZi.  453, 434, 4^6?  si?:i,  m.  ifc9,  »:o. 


RONSARD   ET    LES    MUSICIENS    DU   XVIe  SIÈCLE.  363 

3.  Puis  que  la  Mort  ne  doit  tarder  (II,  400). 

4.  Quand  je  seroy  si  heureux  de  choisir  (II,  402). 

5.  Maclou,  amy  des  Muses  (II,  404). 

6.  *  Où  allez-vous,  filles  du  ciel  (II,  419). 

7.  *  Que  nul  papier  dorénavant1  (II,  450). 

8.  Le  printemps  vient,  naissez  fleurettes  (II,  453). 

9.  Esperons-nous  l'Italie  estre  prise  (II,  454). 

10.  Deux  et  trois  fois  heureux  ce  mien  regard  (II,  456). 

11.  *  Si  les  Dieux  (II,  464). 

12.  Que  tardes-tu,  veu  que  les  Muses  (II,  469). 

13.  Délaisse  les  peuples  vaincus  (II,  470). 

14.  *  Si  tost,  ma  doucette  Ysabeau  (II,  485). 

15.  *  J'ay  varié  ma  vie  en  dévidant  la  trame  (VII,  311)  *. 

Deux  odes,  qui  se  présentent  avec  un  double  système  stro- 
phique,  sont  doublement  irrégulières  : 

16.  Si  autre  fois  sous  l'ombre  de  Gastine  (II,  394). 

17.  Soyons  constans,  et  ne  prenons  souci  (II,  398). 

Toutes  ces  pièces  ont  été  supprimées  par  Ronsard  de  son  édition 
définitive  de  1584,  sauf  le  n°  2,  qui  est  resté  au  livre  V  des  Odes, 
et  le  n°  15,  qui  est  posthume. 

2. 

PIÈCES  M0N0STROPHIQUES   OU   A   RIMES  LIBRES. 

Cinq  autres  pièces  très  courtes3,  du  genre  erotique,  bachique  ou 
épigrammatique,  présentent  aussi  une  forme  irrégulière  par 
suite  du  désordre  au  moins  apparent  des  rimes.  Pourtant,  elles  ont 
pu  être  mises  en  musique  parce  qu'on  pouvait  les  traiter  comme 
des  pièces  à  strophe  unique. 

1.  Quand  de  ta  lèvre  h  demy  close  (I,  124). 

2.  La  terre  les  eaux  va  boivant  (II,  286). 

3.  Tu  me  fuis  d'une  course  viste  (II,  427). 

4.  L'un  dit  la  prise  des  murailles  (II,  487). 

5.  Tu  veux  qu'à  tous  coups  d'un  valet  (VI,  417). 

i.  Une  slrophe  mfmf  précédant  10  strophes  fmfm. 

Que  nul  papier  d'orénavant 
Par  moy  ne  s'anime  sans  mettre 
(Docte  prclat)  ton  nom  devant 
Pour  donner  faveur  à  mon  mètre. 

Il  serait  facile  de  corriger  en  lisant  ces  vers  dans  Tordre  4,1,2,3. 

2.  On  peut  ajouter  deux  épitaphes  :  VII,  221  et  275.  Quand  à  l'ode  :  La  terre  les  eaux 
va  boivant  (II,  286),  elle  peut  être  considérée  comme  une  pièce  monostrophique  de 
8  vers,  ou  comme  une  ode  à  système  slrophique  double  (V.  plus  bas). 

3.  Auxquelles  on  pourrait  ajouter  quelques  épigrammes  au  tome  VI. 


364  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

La  plus  longue  de  ces  pièces  (n°  3)  n'a  que  19  vers  et,  par  con- 
séquent, est  encore  plus  courte  que  certaines  strophes  régulières 
de  Ronsard;  néanmoins,  on  peut  la  considérer  comme  une  pièce  à 
rimes  libres.  Quant  aux  deux  premières,  elles  sont  si  bien  des 
strophes  lyriques  à  strophe  unique,  qu'elles  ont  été  mises  en 
musique,  le  n°  1  par  Philippe  de  Monte,  le  n°  2  par  Costeley  et 
par  Orlande,  le  n°  3  par  Castro. 

Nous  entrons  ainsi  dans  le  domaine  de  la  versification  appro- 
priée à  la  musique. 

3. 

PIÈCES   A  RIMES   D'UN   SEUL  GENRE. 

A.  Pièces  isométriques  à  rimes  suivies  sans  division  strophique. 
—  Ces  pièces  sont  au  nombre  de  trois  seulement. 

Rimes  féminines  : 

1.  On  trouve  ainsy  que  de  Beze  et  d'Espense  (VIII,  133). 

Blanchemain  a  tiré  cette  prétendue  «  chanson  »  d'un  manuscrit 
de  la  Bibliothèque  Nationale.  On  ne  saurait  la  diviser  ni  en  cou- 
plets de  quatre  vers,  ni  en  stances  de  six.  Elle  est  attribuée  à  la  col- 
laboration de  Lancelot  Caries,  de  Ronsard  et  de  Baïf  :  jusqu'à 
quel  point  cet  exemple  unique  intéresse-t-il  la  versification  de  notre 
poète? 

Rimes  masculines  : 

2.  Jeanne,  en  te  baisant  tu  me  dis  (II,  391). 

3.  Dieu  crespelu  qui  autrefois  (II,  413). 

Le  n°  2  est  une  odelette  de  10  vers  seulement,  le  n°  3  une  ode 
retranchée. 

B.  Pièces  isométriques  à  division  strophique. 

4.  Qui  veut  sçavoir  Amour  et  sa  nature  (I,  216). 

5.  0  belle,  plus  que  belle  et  agréable  aurore  (II,  481). 

6.  Je  suis  homme  né  pour  mourir  (II,  385). 

7.  Je  suis  tellement  amoureux  (I,  200). 

8.  Las!  je  n'eusse  jamais  pensé  (I,  81). 

9.  Je  suis  amoureux  en  deux  lieux  (I,  441). 

C.  Strophes  hétéromêtriques. 

10.  Lict  que  le  fer  industrieux  (II,  409). 

11.  Belle  dont  les  yeux  doucement  m'ont  tué  (II,  376). 


RONSARD    ET   LES    MUSICIENS    DU    XVIe    SIÈCLE.  365 

12.  Mon  âge  et  mon  sang  ne  sont  plus  en  vigueur '  (II,  377). 

13.  Nuict,  des  amours  ministre,  et  ministre  fïdelle  (V,  268). 
M.  A  ce  malheur  qui  jour  et  nuit  me  poingt  (l,  436). 

Quoi  qu'en  dise  Ronsard  dans  son  Abrégé,  de  telles  formes 
étaient  considérées  par  les  musiciens  comme  parfaitement  régu- 
lières. C'est  ainsi  que  Goudimel  et  Caïetain  ont  mis  en  musique 
le  n°  4,  N.  de  la  Grotte  et  Caïetain  le  n°  8.  D'ailleurs,  quantité  de 
chansons  en  rimes  uniquement  féminines  ont  éternises  eu  musique 
au  xvie  siècle,  par  exemple  le  psaume  xxin  de  Marot,  en  distiques 
décasyllabiques,  et  le  dialogue  de  Desportes  :  Ah!  Dieu!  que  c'est 
un  estrange  martire,  qu'on  trouve  dans  N.  de  la  Grotte,  d'une 
facture  tout  à  fait  semblable  à  celle  du  n°  4.  Il  semble  même  qu'il 
s'était  introduit  dans  notre  versification  un  type  régulier  de  déca- 
syllabes à  rimes  toutes  féminines,  grâce  à  l'importance  littéraire  et 
musicale  de  l'hendécasyllabe  italien,  analogue  au  décasyllabe 
féminin  français.  Ce  fait  est  à  constater  notamment  pour  le  Capi- 
lolo,  devenu  le  Chapitre  ou  suite  de  tercets,  par  exemple,  dans  les 
trois  chapitres  pour  le  luth,  en  rimes  féminines,  de  Melin  de  Sainct- 
Gelays*,  et  dans  les  tercets  féminins  qui  ont  inspiré  les  musiciens 
des  recueils  de  Certon.  Quant  aux  rimes  toutes  masculines,  la 
tradition  française,  avant  l'influence  italienne,  les  tenait  en  grande 
faveur  pour  les  vers  de  huit  pieds  et  au-dessous,  comme  ceux  qui 
viennent  d'être  cités  de  Ronsard.  Notre  poète  suivait  en  cela 
(était-ce  un  reste  de  ses  goûts  pour  la  vieille  poésie  gauloise?)  les 
procédés  des  chansonniers  du.xv"  siècle3  et  de  Marot.  De  celui-ci, 
nous  pouvons  citer  la  chanson  :  Amour  au  cœur  me  poingt,  mise 
en  musique  parClemens  non  papa  dans  les  Mélanges  de  1512,  et 
les  chansons  I,  XVI,  XIX. 

11  n'y  a  donc  aucune  incompatibilité  entre  la  rime  d'un  seul 
genre  et  la  musique.  Mais  ce  qui  reste  vrai,  et  ce  que  Ronsard  a 
bien  senti,  c'est  que  cette  forme  de  pièce  lyrique,  vestige  d'un  art 
antérieur,  est  inférieure   esthétiquement  à   celle  qui  observe  la 

1.  Les  n0'  M  et  12  sont  les  deux  odes  en  vers  saphiqur.s  que  Ronsard  fait  précéder  de 
cette  note  :  •  Les  vers  saphiques  ne  sont,  ny  ne  furent,  ri  y  ne  seront  jamais  agréa- 
bles, s'ils  ne  sont  chantez  de  voix  vive,  ou  pour  le  moins  accordez  aux  instru- 
irions, qui  sont  la  vie  et  l'àme  de  la  poésie.  •  On  voit  par  cette  note  que,  pour  Ron 
sard,  l'influence  de  la  musique  sur  la  poésie  s'étend  jusqu'aux  pièces  non  chantées, 
et  c?la  concorde  avec  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut  pour  expliquer  les  règles  de 
Y  Abrégé. 

2.  Edition  Blanchemain,  I,  69,  220;  II,  182.  Môme  facture  dans  I,  61.  Cf.  Des  portes  : 
Fleurs  et  soupirs,  je  vous  ouvre  ta  porte  (éd.  Michiels,  p.  83.) 

3.  Dans  le  recueil  de  Chansons  françaises  du  xv*  siècle  de  M.  Gaston  Paris,  les  n0- 8, 
44,15,  17,  20,  30,  36,  45,  46,  47,  52,  54,  62,  74,  77,  88,  82,  89,  101,  123,  127  sont 
complètement  en  rimes  masculines.  M.  Gevaert  en  a  reproduit  les  airs  monopho- 
niques à  la  (in  du  volume. 


366  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

succession  régulière  des  rimes  féminines  et  des  masculines. 
Aussi  a-t-il  retranché  de  son  édition  définitive  de  1584  la  moitié 
des  numéros  de  cette  série  :  3,  5,  6,  9,  10, 13,  14. 

4. 

PIÈCES  MESURÉES,   SANS   DIVISION   STROPHIQUE. 

A  part  une  élégie,  dont  la  forme  est  une  imitation  du  dislique 
élégiaquc  gréco-latin  :  Si  quelquefois  le  dueil  et  les  grieves  tris- 
tesses (VII,  202),  et  une  ode  de  forme  bizarre  :  En  quel  bois  le  plus 
séparé  (11,212),  qui  n'est  pas  rimée,  mais  qui  conserve  l'alternance 
d'une  finale  féminine  et  d'une  finale  masculine  d'un  bout  à  l'autre, 
les  pièces,  dans  lesquelles  Ronsard  observe  l'alternance,  et  qui 
ne  présentent  aucune  division  strophique,  sont  toutes  sur  une 
seule  mesure  et  à  rime  suivie.  Elles  sont  naturellement  très  nom- 
breuses, puisque  c'est  la  versification  des  Discours,  de  la  Fran- 
ciade,  et  de  la  plupart  des  œuvres  de  Ronsard  en  dehors  des 
poésies  d'un  caractère  lyrique. 

Pour  cette  raison  même,  on  pourrait  être  tenté  de  négliger,  au 
cours  d'une  étude  comme  celle-ci,  les  œuvres  en  alexandrins  ou 
en  décasyllabes,  comme  destinées  toujours  à  la  lecture  et  non  au 
chant,  si  Ronsard  ne  nous  avait  avertis  lui-même  dans  son  Abrégé 
que  cette  forme  n'est  pas  plus  que  d'autres  affranchie  des  règles 
musicales. 

Et  de  fait  nous  trouvons,  non  sans  surprise,  dans  la  musique 
sur  Ronsard,  jusqu'à  des  poèmes  en  alexandrins,  tels  que  l'épitre 
à  Jean  du  Thier  :  Qui  fait  honneur  aux  Roys,  il  fait  honneur  à 
Dieu  (VI,  150).  C'est  Caïetain,  qui,  dans  son  recueil  de  1578,  est 
l'auteur  de  cette  composition,  moins  bizarre,  au  demeurant,  que 
les  essais  de  ses  contemporains  Orlande  et  Ph.  de  Monte  sur  les 
hexamètres  des  poètes  latins  anciens  et  modernes. 

Quant  au  décasyllabe,  si  fréquent  chez  Ronsard,  on  en  remarque 
l'emploi  dans  des  pièces  visiblement  lyriques,  comme  :  Quand  je 
te  veux  raconter  mes  douleurs  (I,  199;  Chanson);  Or  que  l'hiver 
roidit  la  glace  éjjesse(l,  218;  Amourette);  Fameux  Ulysse,  honneur 
de  tous  les  Grecs  (I,  224;  Le  chant  des  Serenes);  Quand  je  voudrois 
célébrer  ton  renom  (II,  48  ;  Ode). 

Le  vers  de  neuf  pieds  n'apparaît  qu'à  l'état  d'exception  signalée 
par  Ronsard  :  Cher  Vesper,  lumière  dorée  (II,  274;  Ode). 

11  faut  s'attendre  à  trouver  plus  fréquemment  que  tous  les  autres, 
le  vers  de  huit  pieds  dans  les  pièces  faites  pour  être  chantées  : 


SIÈCLE.  367 

1.  Le  printemps  n'a  point  tant  de  fleurs  (I,  172;  chanson). 

2.  Je  te  hay  bien  (croy-moy),  maîtresse  (I,  398;  chanson). 

3.  Que  les  formes  de  toutes  choses  (II,  208;  ode). 

4.  Sur  toute  fleurette  déclose  (II,  342;  ode). 

5.  D'où  viens-tu,  douce  colombelle  (II,  365;  ode). 

6.  En  vous  donnant  ce  pourtrait  mien  (II,  367;  ode). 

7.  Hé!  mon  Dieu  !  que  je  te  hay,  Somme  (II,  392;  ode). 

8.  Laisse-moy  sommeiller,  Amour  (II,  393,  ode). 

9.  Gentil  rossignol  passager  (II,  420;  ode). 

10.  J'oste  Greavin  de  mes  escris  (II,  436;  ode). 

11.  Ma  maîtresse,  que  j'aime  mieux  (II,  441  ;  ode). 

12.  Mon  petit  bouquet,  mon  mignon  (II.  475,  ode). 

Le  n°  4  a  été  rais  en  musique  par  Caïetain. 

Le  vers  de  sept  pieds  est  d'un  emploi  un  peu  moins  fréquent  : 

13.  Petite  Nymphe  folastre  (I,  377  ;  chanson). 

14.  J'ay  l'esprit  tout  ennuyé  (II,  162  ;  ode(. 

15.  Du  malheur  de  recevoir  (II,  164;  ode). 

16.  Somme,  le  repos  du  monde  (II,  257  ;  ode). 

17.  Pourquoy,  chetif  laboureur  (II,  269;  ode). 

18.  Du  grand  Turc  je  n'ay  soucy  (II,  276;  ode). 

19.  J'avois  les  yeux  et  le  cœur  (II,  283;  ode). 

20.  Je  veux,  Muses  aux  beaux  yeux  (II,  353;  ode). 

21.  Ah!  fiévreuse  maladie  (II,  442;  ode). 

Le  n°  13  a  été  mis  en  musique  par  Janequin  dans  le  recueil  de 
1552,  et  plus  tard  par  Caïetain;  le  n°  14  par  Orlande  (ulfeslanges, 
1516).  Une  autre  pièce,  très  longue,  qui  fait  partie  des  Gayetez  : 
Une  jeune  pucelette  (VI,  353),  a  été  notée  par  Goudimel  et  par 
Caïetain. 

Il  est  à  remarquer  que,  loin  de  suivre  jusqu'au  bout  le  texte  de 
ces  pièces  mesurées,  mais  non  divisées,  les  musiciens  n'en  pre- 
naient au  contraire  qu'une  très  petite  partie,  sixain  ou  huitain, 
offrant  un  sens  à  peu  près  complet.  On  peut  alors  considérer  leur 
composition  comme  adaptée  à  un  morceau  monostrophique 
détaché,  puisque,  par  définition,  ces  pièces  n'étaient  pas  divisées 
en  strophes,  et  en  fait  ne  sont  pas  divisibles  par  six  ou  huit.  Par 
exemple,  Caïetain  ne  note  que  le  sixain  initial  du  n°  4,  Janequin  et 
Caïetain  que  le  huitain  initial  du  n°  13.  Le  choix  d'Orlande  est 
encore  plus  significatif  :  il  a  pris  le  sixain  final  du  n°  14,  montrant 
bien  son  intention  de  le  traiter  comme  unité  strophique.  Mais, 
pour  peu  qu'on  veuille  y  prendre  garde,  la  notation  d'un  sixain, 
même  initial,  suffit  à  prouver  que  le  musicien  n'entendait  pas 
indiquer  au  chanteur  un  air  à  suivre  dans  le  reste  de  la  pièce, 


368  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANGE. 

puisque  celui-ci,  après  un  groupe  commençant  par  une  rime  fémi- 
nine, eût  rencontré  un  groupe  commençant  par  une  rime  mas- 
culine, et  réciproquement.  Bref,  si  un  second  huitain  pouvait 
être,  en  certains  cas,  chanté  sur  le  même  air  que  le  premier,  un 
second  sixain  ne  pouvait  l'être  jamais. 

5. 

LA   STROPHE   LYRIQUE. 

Restent  les  odes  parfaites  et  vraiment  lyriques,  les  seules  aux- 
quelles Ronsard  réserve  ce  nom  dans  son  Abrégé.  Ce  sont  de  beau- 
coup les  plus  nombreuses,  et  c'est  à  elles  que  les  musiciens  ont 
donné  la  préférence l. 

A.  Système  simple.  —  Elles  sont  divisées  en  strophes  identiques, 
c'est-à-dire  que  la  strophe  initiale,  où  le  poète  construit  «  à  sa 
volonté  »  les  vers  masculins  elles  vers  féminins,  d'égale  ou  d'iné- 
gale longueur,  sert  de  patron  à  toutes  les  autres.  Dans  le  chapitre 
de  ce  même  Abrégé  inlitulé  :  Des  autres  vers  en  général,  Ronsard 
s'explique  assez  clairement  sur  l'emploi  de  différentes  mesures 
dans  une  même  strophe,  mais  il  ne  s'occupe  que  des  vers  de  huit 
pieds  et  au-dessous,  oubliant  un  peu  trop  l'usage  qu'il  a  fait  lui- 
même  de  l'alexandrin  et  du  «  vers  commun  »,  de  dix  syllabes, 
dans  la  strophe  lyrique.  «  Tels  vers  sont  merveilleusement  propres 
pour  la  musique,  la  lyre  et  autres  instrumens;  et  pour  ce  quand  tu 
les  appelleras  lyriques,  tu  ne  leur  feras  point  de  tort,  tantost  les 
allongeant,  tantost  les  accourcissant,  et  après  un  grand  vers  un 
petit,  ou  deux  petits,  au  choix  de  tonaureillc,  gardant  tousjours  le 
plus  que  tu  pourras  une  bonne  cadence  de  vers  pour  la  musique 
et  autres  instrumens'.  »  On  sent,  à  la  lecture  de  ces  lignes,  non 
seulement  comme  Ronsard  était  préoccupé  de  l'harmonie  musi- 
cale de  ses  vers,  mais  encore  quelle  prédilection  il  avait  pour  ce 
type  d'ode,  qui  réalisait  à  son  époque  le  maximum  de  variété  dans 
l'unité,  qui  rappelait  si  fréquemment,  et  avec  tant  de  bonheur,  la 

\.  Il  arrive  parfois  que  le  musicien  insère  dans  son  recueil,  el  offre  comme  spé- 
cimen, non  pas  une  strophe  initiale,  mais  une  strophe  intérieure  ou  finale  de 
l'ode.  Par  exemple  Cléreau  choisit  la  strophe  :  Ton  nom  que  mon  vers  dira  (II,  46), 
Pcpode  le  Comble  de  ton  sçavoir  (II,  44),  la  strophe  0  Dieu  que  j'ai  de  plaisir  !  Dans 
les  Mélanges  d'Orlande,  on  trouve  la  strophe  intérieure  Ton  nom- que  mon  vers  dira 
et  la  strophe  finale  Verse  moi  donc  du  vin  nouveau  (II,  435).  Et  cela,  sans  qu'il  soit 
toujours  possible  de  discerner  les  raisons  du  choix. 

2.  Vil.  332.  —  D'après  ce  que  Ronsard  vient  de  dire  de  la  mesure  des  vers,  appe- 
lant le  décasyllabe  un  vers  de  10  à  H  syllabes,  l'octosyllabe  un  vers  de  8  à  9  syl- 
labes, il  est  vraisemblable  que  ces  expressions  «  les  allongeant,  les  accourcissant  « 
doivent  être  interprétées  comme  se  rapportant  &  l'emploi  d'un  même  vers  tantôt 
féminin,  plus  long,  tantôt  masculin,  plus  court. 


ÎIONSAHD    ET    LES    MUSICIENS    DU    XVIe    SIÈCLE.  369 

tétrastichie  des  strophes  d'Horace,  et  qui,  en  outre  (il  est  bon 
de  faire  à  chacun  sa  part),  avait  été  imposé  à  l'admiration  générale 
par  Clément  Marot,  «  seule  lumière  en  ses  ans  de  la  vulgaire 
poésie  ».  (II,  p.  10.) 

B.  Système  double.  —  Nous  devons  faire  ici  une  place  distincte 
aux  pièces  dont  le  système  strophique  est  double,  c'est-à-dire  dont 
les  strophes  impaires  sont  d'un  certain  type,  et  les  strophes  paires 
d'un  autre  type.  Cette  ordonnance  «  dissymétrique  »,  produit  d'un 
art  curieux  que  nos  lyriques,  modernes  adopteront  si  volontiers,  se 
rencontrait  déjà  dans  certaines  chansons  du  xve  siècle  et  dans  quel- 
ques psaumes  de  Marot;  l'œuvre  de  Ronsard  en  offre  onze  exemples 
dans  les  pièces  mesurées. 

1.  Belle  et  jeune  fleur  de  quinze  ans  (1,  169). 

2.  Descen  du  ciel,  Calliope,  et  repousse  (II,  134) 

3.  Quand  tu  tiendrois  des  Arabes  heureux  (II,  139). 
I.  Cassandre  ne  donne  pas  (II,  145). 

5.  Ma  petite  colombelle  (II,  160). 

6.  Gaspar,  qui,  loin  de  Pégase  (II,  233). 

7.  La  terre  les  eaux  va  boivant !  (II,  286). 

8.  Plus  dur  que  fer  j'ay  fini  mon  ouvrage  !  (II,  378). 

9.  Les  fictions  dont  tu  décores  (II,  414). 

10.  Le  temps,  de  toutes  choses  maistre  (II,  446). 

11.  Ta  génisse  n'est  pas  drue  (II,  448). 

t 

Il  est  évident  que  les  pièces  mesurées  de  ce  genre2  exigeaient 
deux  mélodies,  comme  le  Soir  de  Lamartine,  mis  en  musique  par 
Gounod.  Pour  Ronsard,  nous  citerions  l'exemple  de  la  musique 
d'Orlande  adaptée  au  n°  7,  si  cette  ode  ne  devait  pas  plutôt  être 
considérée  comme  monostrophique;  mais  nous  remarquons 
qu'Orlande  a  réuni  en  une  seule  chanson  deux  fins  de  pièce 
(II,  162  et  435)  d'inégale  mesure. 

Faut-il  rattachera  ce  groupe  les  deux  pièces  mesurées  à  refrain, 
Hélas!  je  naij  pour  mon  objet  (I,  430)  et  En  mon  cœur  nest  point 
escrite  (II,  386)  que  Ronsard  a  retranchées,  sans  doute  parce 
qu'elles  sont  composées  à  la  mode  de  ses  prédécesseurs,  ou  plutôt 
à  la  mode  populaire,  qui  a  persisté  dans  toutes  les  chansons  jusqu'à 

{.  Qu'on  pourrait  aussi  classer  parmi  les  pièces  mesurées  sans  division  stro- 
phique. 

2.  A  cette  catégorie  se  rattacheraient  les  deux  odes  :  Si  aulwfois  sous  l'ombre  de 
Gastine  (11,  3îU)  et  :  Soyons  constans,  et  ne  prenons  souci  (11,  398),  si  elle9  étaient 
mesurées  et  pouvaient  être  chantées,  mais,  comme  Ronsard  n'a  tenu  compte  que  de 
l'agencement  des  rimes  et  en  a  négligé  la  nature,  nous  avons  dû  les  classer  anté- 
rieurement. 


370  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

nos  jours?  Il  faut  noter,  en  tout  cas,  que  le  refrain,  intimement  lié 
à  la  strophe  par  le  sens,  s'en  détache  absolument  par  la  facture1. 

C.  Système  de  F  ode  pindarique.  —  Pour  ce  qui  est  des  14  odes 
pindariques*,  Ronsard  se  soumit  toujours  à  l'obligation  de  com- 
poser sur  un  patron  unique  toutes  les  strophes  et  antistrophes 
d'une  même  ode,  puis  les  épodes  sur  un  autre  patron,  l'épode 
étant  «  toujours  différente  du  strophe  et  antistrophe8  »,  de  telle 
façon  que  le  musicien  pût  adapter  un  air  aux  strophes  et  antis- 
trophes, et  un  autre  air  aux  épodes.  C'est  ce  que  l'éditeur  des 
Amours  de  1552  a  soin  de  nous  faire  remarquer  pour  l'ode  à 
Michel  de  l'Hospital  (II,  68)  Errant  par  les  champs  de  la  Grâce, 
mise  en  musique  par  Goudimel.  Voici  en  effet  Tordre  des  rimes 
dans  les  strophes  et  antistrophes  :  fmfmf*m*f*m*f*m*m*f*;  et 
voici  cet  ordre  dans  les  épodes;  m  f fmm* m*  f* m* m*  f*.  Ajoutons, 
pour  donner  une  idée  de  la  richesse  des  combinaisons  rythmi- 
tiques  chez  Ronsard,  que  chacune  de  ces  quatorze  odes  est  cons- 
truite sur  un  type  particulier,  qu'aucune  combinaison  n'est 
répétée,  sauf  celle  de  l'épode  de  l'ode  9,  qu'on  retrouve  à  l'épode 
de  l'ode  12,  si  bien  que  l'ensemble  eût  exigé  des  musiciens 
27  airs  différents. 

l'alternance  dans  Ronsard. 

D'après  ce  qui  précède,  on  voit  que,  dans  ses  odes,  chansons  et 
stances,  Ronsard,  le  plus  souvent,  a  observé  à  la  fois  la  règle  de 
la  succession  invariable  des  rimes  féminines  et  masculines,  et 
celle  de  la  division  strophique,  simple  ou  double. 

Cette  succession  régulière  des  deux  genres  de  rimes,  à  laquelle 
son  émule  Du  Bellay  ne  voulait  pas  d'abord  plier  la  facture  de 
•  ses  vers,  craignant,  comme  il  le  dit,  «  de  contraindre  et  geiner  sa 
diction  pour  l'observation  de  telle  chose*  »  s'est,  en  fin  de  compte, 
imposée,  du  fait  de  la  musique,  à  toute  la  versification  lyrique  de 
la  Pléiade,  puis  à  tous  les  genres  de  la  versification  française,  par- 

1.  Trois  autres  pièces  :  Malgré  Veiwy  je  suis  du  tout  à  elle  (I,  442),  Sainct  Biaise 
qui  vis  aux  deux  (V,  257),  et  Quand  mon  prince  espousa  (II,  241)  ont  aussi  des 
rerrains.  Les  deux  premières  rappellent  les  formes  les  plus  simples  de  la  chanson  à 
couplet  de  quatre  et  de  six  vers;  la  seconde  a  comme  refrain  deux  vers  de  môme 
mesure  que  ceux  de  la  strophe;  c'est  la  formule  antique  redoublée  :  0  hymen, 
hymenée.  Hymen,  6  hymenéel  Enfin,  le  refrain  du  dithyrambe  Tout  ravy  d'esprit  je 
forcené  (VI,  317)  se  rattache  à  la  catégorie  des  vers  libres. 

2.  Livre  1er,  odes  1-7  et  9-15,  l'ode  8  n'appartenant  pas  à  ce  genre. 

3.  Kpitre- préface  des  odes  (II,  11). 

4.  Préface  des  Vers  lyriques  (éd.  Becq  de  Fouquières,  p.  102).  Cf.  Défense  et  Illus- 
tration, II,  9,  fin  :  «  11  y  en  a  qui  fort  superstitieusement  entremêlent  les  vers  fémi- 
nins avec  les  masculins,  comme  on  peut  voir  aux  Psaumes  traduits  par  Marot.  - 


RONSARD    ET    LES    MUSICIENS    DU    XVIe    SIÈCLE.  371 

ticulièrement,  sous  la  forme  simple  de  l'alternance,  à  l'épopée,  à 
la  comédie,  à  la  tragédie  et  à  la  satire. 

En  dépit  des  hautaines  revendications  de  Ronsard,  il  doit  par- 
tager Thonneur  de  celte  réforme  avec  de  nombreux  devanciers. 
On  trouve  avant  lui  l'observance  de  la  succession  des  rimes  par 
couplets  dans  mainte  poésie  chantée,  par  exemple  dans  les  chan- 
sons populaires  du  xvc  siècle1,  dans  celles  de  Marguerite  de 
Navarre,  surtout  dans  les  chansons  et  les  psaumes  de  Marot, 
comme  l'ont  fait  remarquer  Du  Bellay  et  Etienne  Pasquier2.  Les 
combinaisons  rythmiques  des  psaumes  sont  déjà  d'une  remar- 
quable variété,  et  Marot,  grand  amateur  de  musique,  lui  aussi,  ne 
le  cède  nullement  à  Ronsard  pour  la  régularité  des  strophes3. 
Ce  dernier  s'en  attribua  la  gloire,  parce  qu'il  en  avait  mieux  senti 
que  tout  autre  la  valeur  esthétique  et  qu'il  Férigea  en  loi.  Mais  ce 
qui  était  vraiment  nouveau,  dans  l'entreprise  de  Ronsard,  c'était  de 
vouloir  restaurer,  dans  sa  savante  complexité,  l'union  si  chère 
aux  Grecs,  de  la  musique  et  de  la  poésie;  c'était  de  ranimer, 
au  souffle  de  la  musique,  l'ode  élevée,  quasi  religieuse;  c'était  de 
soumettre  aux  exigences  d'un  rythme  musical  des  strophes  de 
plus  de  10  vers,  comme  celles  des  odes  pindariques.  La  strophe, 
ainsi  comprise,  devait  acquérir  ce  qui  lui  manquait  en  ampleur, 
en  souplesse,  en  régularité,  si  bien  que  l'on  peut  considérer  le 

1.  Les  recueils  de  chansons  françaises  avec  musique  à  plusieurs  parties  sont 
édités  très  nombreux,  de  1500  à  1550,  soit  à  l'étranger,  surtout  à  Anvers  et  à  Venise, 
soit  en  France  chez  l'éditeur  de  musique  Pierre  Attaignant,  qui  publia  une  Collection 
de  Trente  cinq  recueils,  chacun  de  25  chansons  en  moyenne  (Cf.  Fétis,  article  Cerlon). 
—  Rabelais  [Pantagruel,  Nouveau  Prologue  du  4'  livre),  cite  près  de  60  musiciens 
de  son  temps,  auteurs  de  chansons  à  plusieurs  voix,  parmi  lesquels  Josquin  Des- 
près,  Gombert,  Arcadclt,  Janequin.  —  Cf.  Tiersot,  op.  cit.,  p.  462  :  ■  La  mode  des 
chansons  en  parties  est  de  date  très  antérieure  à  la  Renaissance.  Pendant  toute  la 
durée  du  xv"  siècle,  dès  le  xiv*  même,  c'était  en  France  dans  les  milieux  aristocra- 
tiques un  engouement,  une  passion.  ». 

2.  -Le  premier,  Ronsard  garda  cette  police  de  f.iire  suivre  les  masculins  et  les 
féminins  sans  aucun  mélange  d'iceux;  et  surtout  dedans  les  odes,  sur  le  règlement 
du  masculin  et  du  féminin,  par  luy  pris  au  premier  couplet,  tous  les  autres  qui 
suivent  vont  d'un  môme  fil.  Quelquefois  vous  en  trouverez  de  tout  féminins, 
quelquefois  de  tout  masculins,  chose  toutefois  fort  rare;  mais  tant  y  a  que  sur  le 
modèle  du  premier  couplet  sont  composés  tous  les  autres....  Mais  je  ne  passerai 
sous  silence  ce  que  j'ai  observé  en  Clément  Marot;  car  aux  poèmes  qu'il  estimoit 
ne  devoir  être  chantés,  comme  épîtres,  élégies,  dialogues,  pastorales,  tombeaux, 
épigrammes,  complaintes,  traduction  de  deux  premiers  livres  de  la  métamorphose, 
il  ne  garda  jamais  l'ordre  de  la  rime  masculine  et  féminine.  Mais  en  ceux  qu'il 
estimoit  devoir  ou  pouvoir  tomber  sous  la  musique,  comme  étoient  ses  chansons 
et  les  cinquante  Psaumes  de  David  par  lui  mis  en  français,  il  se  donna  bien  garde 
d'en  user  de  même  façon;  ainsi  sur  l'ordre  par  lui  pris  au  premier  couplet,  tous 
les  autres  furent  de  même  cadence,  voire  que  le  premier  couplet  étant  ou  tout 
féminin  au  tout  masculin,  tous  les  autres  sont  aussi  de  même.  *  (Recherches  de  la 
France,  édition  Feugère,  II,  pp.  43-45.) 

3.  Mis  en  musique  sous  forme  de  motets  par  Pierre  Certon,  Goudimel,  Janequin, 
Gombert  et  autres  de  1546  à  1560.  Voir  O.  Douen,  Clément  Marot  et  le  Psautier 
huguenot. 


372  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

recueil  de  1552  comme  l'acte  de  naissance  de  notre  grande  poésie 
Jyrique. 

Par  une  étrange  contradiction,  il  a  fallu  que  fût  consommé  le 
divorce  de  la  poésie  et  de  la  musique  pour  que  les  modernes  allas- 
sent plus  loin  que  Ronsard  dans  la  voie  de  la  régularité!  Ils  ont 
fini  par  s'imposer,  non  seulement  la  règle  de  l'alternance  absolue 
dans  la  strophe,  mais  encore  celle,  toute  byzantine,  de  l'alter- 
nance intertrosphique.  Nous  n'avons  pas  à  insister  là-dessus,  mais, 
évidemment,  c'est  pour  avoir  été  dégagés  de  toute  préoccupa- 
tion musicale  que  les  uns,  comme  Lamartine  et  Casimir  Delavigne, 
ont  multiplié  les  stances  libres,  les  autres,  comme  Hugo,  Leconte 
de  Lisle,  et  tous  les  Parnassiens,  les  strophes  dissymétriques.  En 
un  mot,  pour  prendre  les  formes  les  plus  simples,  la  strophe  fm 
mfy  répétée,  nous  représenterait  un  type  musical  de  la  Pléiade; 
la  double  strophe  fm  m  f>  m  ffm  un  type  de  la  poésie  moderne  non 
chantée  '. 

Non  seulement  Ronsard  n'a  pas  recherché  une  alternance  inter- 
slrophique  qui  eût  toujours  exigé  du  musicien  une  notation 
double;  autrement  dit,  non  seulement  une  strophe  peut  très  régu- 
lièrement commencer  sur  une  rime  du  même  genre  que  la  der- 
nière de  la  strophe  précédente,  mais  encore  il  parait  avoir  consi- 
déré comme  parfaitement  régulière  la  strophe  sans  alternance, 
pourvu  que  la  succession  des  rimes  fût  invariablement  répétée. 
Nous  n'en  voulons  pour  preuve  que  les  strophes  des  odes  pin- 
dariques  :  sur  28  modèles  de  slrophes-anlistrophes  ou  d'épodes, 
nous  en  trouvons  16  sans  alternance  suivie;  l'épode  de  l'ode  à 
Michel  de  l'Hospital,  dont  on  a  vu  plus  haut  le  schéma,  peut  servir 
d'exemple. 

LE   SONNET. 

Une  autre  originalité  de  Ronsard,  et  qui  mérite  de  retenir  toute 
notre  attention,  c'est  d'avoir  traité  comme  la  strophe  un  genre  à 
forme  fixe  tel  que  le  sonnet,  que  les  poètes  antérieurs  avaient 
considéré  comme  indépendant  de  la  musique.  Un  du  Bellay,  un 
Melin  de  Sainct-Gelays,  pouvait  encore  se  permettre,  quant  au 
genre  des  rimes,  toutes  les  libertés.  Dans  YOlive,  par  exemple, 
point  d'alternance  régulière  entre  quatrain  et  tercet,  ni  entre  les 
deux  tercets,  ni  même  entre  les  deux  rimes  d'un  même  quatrain. 

i.  Des  exceptions  comme  celle  du  Soir  de  Lamartine  ne  prouvent  rien  là  contre, 
car  le  poêle  n'a  pas  écrit  sa  pièce  pour  le  musicien.  Ajoutons  que  les  exemples 
de  strophes  dissymétriques  plus  compliquées  abondent  dans  la  poésie  moderne, 
souvent  avec  des  diiTérences  de  mesure  entre  les  vers. 


ItQXSAItD    ET    LES    MUSICIENS    LU:    W["    SIKCLE. 


373 


C'est  au  point  que,  pour  llfi  sonnets,  VOlive  eût  offert  au  musi- 
cien près  de  soixante-dix  combinaisons  différentes! 

Avec  Ronsard  tout  change,  et  l'influence  de  la  musique  sera 
telle  que  le  sonnet  prendra  chez  lui,  du  premier  coup,  les  formes 
régulibree  du  sonnet  moderne,  y  compris,  nous  ignorons  pour 
quelle  raison,  l'alternance  entre  le  deuxième  quatrain  et  le  pre- 
mier tercet,  analogue  à  cette  alternance  interstrophîque  que  Ron- 
sard n'a  pas  voulu  s'imposer  d'autre  part. 

Que  voyons-nous»  en  effet,  dans  le  recueil  de  1552?  Quatre 
musiciens,  Certon,  Janequin,  Goudimel  et  Muret,  mettent  en 
musique  des  sonnets  des  Amoursf  tous  décasyllabiques.  Ort  les 
sonnets  notés  nous  présentent,  sans  autre  variété,  les  quatre  types 
bien  connus  du  sonnet  régulier,  suivant  que  la  pièce  commence 
par  un  vers  féminin  ou  masculin,  et  que  la  quatrième  rime,  c'est-à- 
dire  la  deuxième  du  premier  tercet,  se  trouve  être  au  dernier  ou  à 
ravant-dernier  vers  ; 

I.  —  2  {fmm  f'u  itthn^fy  m*m*p 
IL  ~  a  (m//1  m),  n  W\  rfm* 
lu,  —  a  fm  m  f)t  **»•/*,  myv 

IV.  —  2  (m  /y  m),  /7^\  Fm*f* 

Le  type  I  est  mis  en  musique  par  Janequin  :  Qui  voudra  voit 
comme  un  dieu  me  surmonte  (I,  1)  et  par  Muret  :  Las!  je  me  pin  in 
t(>>  mille  et  mille  (21);  le  type  II  par  Certon  :  Bien  qu'à  grand  tort 
il  te  plaint  d'allumer  (5),  et  par  Janequin  :  Nature  ornant  la  dame 
qui  devait  (2);  le  type  III,  par  Certon  :  Xespere  et  crain7  je  me 
tais  et  supplie  (8);  le  type  IV  par  Goudimel  :  Quand  j'appet 
ton  beau  chef  jaunissant  (38). 

L'éditeur  de  1552  nous  donne,  à  la  fin  du  recueil,  de  longues 
listes  de  tous  les  sonnets  du  premier  livre  des  Amour*  qui  doivent 
être  chantés  sur  telle  ou  telle  de  ces  musiques,  suivant  ta  succes- 
sion de  leurs  rimes  :  92  sur  Qui  voudra  pour  (type  I),  59  sur 
iWature  ornant  (type  IL),  14  sur  J'espère  et  crains  (type  III)  et 
enfin  3  sur  Quand  j'apperçotj  (type  IV}. 

En  feuilletant  le  recueil  de  1552,  nous  avons  donc  sous  les  yeux, 
cette  musique  dont  parle  Colletai,  cette  musique  harmonieuse  qui 
ravît  Honsard  et  qui  enchanta  la  cour.  Elle  nous  permet  de 
répéter  que  celte  publication  marque  une  date  de  quelque  impor- 
tance dans  notre  histoire  littéraire,  car  te  sonnet,  de  forme 
jusque  là  incertaine  et  fluide,  se  cristallisa  en  quelque  sorte,  ou, 
si  Ton  veut,  se  solidifia  dans  ces  quatre  moules  que  la  musique 
lui  offrait.  C'est  grâce  aux  musiciens  que  le  sonnet  devint  vraï- 

tU¥.    lï'jllST,  LITTÉH,    DE  LA   FRANCE  [7»  ÀMI.).  —  VIL  2"> 


374  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉKAIRE    DE    LA   FRANCE. 

1 1  ment  un  genre  à  forme  fixe.  Et  comme  chacun  des  quatre  types 
consacrés  a  été  traité  par  l'un  de  nos  quatre  musiciens,  on  pour- 
rait en  toute  justice  donner  à  ces  types,  suivant  Tordre  que  nous 
avons  établi,  les  noms  de  sonnet  Muret,  de  sonnet  Janequin,  de 
sonnet  Certon  et  de  sonnet  Goudimel. 

Ronsard  agit  avec  ses  sonnets  à  peu  près  de  la  même  façon 
qu'avec  ses  odes.  Il  en  retrancha  dix1,  qui  ne  ressemblent  à  aucun 
des  quatre  modèles  de  1552.  Mais  il  fit  grâce  à  certains  sonnets 
tout  aussi  irréguliers,  tels  que  Aurat,  après  ta  mort  (I,  456), 
Mignonne  levez-vous  (164),. Tay  Vame  pour  un  lict  (210),  Que  dis-tuy 
que  fais-tu  (211)  Tant  de  fois  s  appointer  (293),  Vous  me  dites,  Mais- 
tresse  (301),  Comme  une  belle  fleur  (305),  etc.  Des  airs  ont  été 
composés  sur  quelques-uns  de  ces  sonnets,  retranchés  ou  non,  par 
Orlande,  Ph.  de  Monte,  Bertrand,  Boni,  etc.,  car  leur  irrégularité 
n'était  nullement  incompatible  avec  la  musique. 


IV 

Nous  avons  parcouru  les  recueils  des  musiciens,  puis  étudié  au 
point  de  vue  de  la  musique  la  versification  de  Ronsard  ;  demandons- 
nous  maintenant  ce  qu'étaient  ces  compositions  musicales  qui, 
pour  un  lecteur  non  musicien,  ne  sont  encore  que  des  titres  de 
morceaux  et  des  thèmes  purement  métriques. 

L'époque  de  Ronsard  est  l'âge  d'or  du  contrepoint  et  de  la  musique 
polyphonique.  Rappelons  que  la  science  du  contrepoint,  c'est-à- 
dire  de  la  combinaison  dés  mélodies  en  vue  de  produire  un  chœur 
harmonieux,  s'était  constituée  au  xive  siècle,  après  sept  cents  ans  de 
tâtonnements;  que  dès  cette  époque  on  l'avait  appliquée,  non  plus 
seulement  à  la  musique  religieuse,  mais  encore  à  celle  des  rondels, 
des  ballades,  des  chansons  et  des  madrigaux;  qu'elle  s'était  rapi- 
dement développée  dès  le  milieu  du  xve  siècle,  grâce  aux  écoles 
franco-flamandes;  que  les  maîtres  belges  et  italiens,  surtout 
Orlande  et  Palestrina,  dont  les  noms  résument  tout  l'effort  de  la 
Renaissance,  avaient,  justement  au  temps  de  Ronsard,  doué  le 
contrepoint  d'une  merveilleuse  complexité,  et  qu'il  trouvait  alors 
ses  moyens  habituels  d'expression  dans  la  polyphonie,  à  quatre  ou 
cinq  parties,  parfois  même  à  six,  sept,  huit  et  dix  parties. 

Parmi  les  ressources  propres  à  enrichir  le  contrepoint  figure  au 

1.  Je  vous  envoyé  un  bouquet  (I,  397),  Vous  ne  le  voulez  pas  (39"),  0  toy  qui  n'es  de 
rien  (401),  Las!  pour  vous  trop  aimer  (402-,  C'est  trop  aimé  (405),  Pour  ce  que  tu 
sçais  bien  (410),  Quand  je  vous  dis  adieu  (410),  Je  veux  lire  en  trois  jours  (413),  A 
pas  mornes  et  lents  (414),  Le  jour  me  semble  (439). 


*    V    P    C    ■    I    V    s 


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(Lnuttrt  pitctnr nulk nomv,Ef  [nr  Lcnr  ixutft  julrn  Eu  mutin,  Dcvpjuurci  Amuirx 
Ducragffi       L'un U  du  plu* Jure  que  ici  I.'juiic  li  luinommb  vu  Enki  Er  frui  rc  lj  ntfiitmt  cm^g^c  errr  jreé 


«nngéi\  L'un Lj-pdlc  Irt^ryt  A plcufi  L  -uttc cnlldle      Jt  JouIcl-o    ti  (mut  li       Jtk^eu 

c     Jji.ï'r'cifo,  Mnimoy  pourtc  quVLLc  J  tinii(uiin.lJ"i'    projet,  imtt  jiuuuti,  le  b  luinumiM 

-4*ttUfTfT.HU«4#nHtfUtTr*l^i 

Il     liliTfr  .11,  (uCi4C  K   U  ■LjJJVUlULTlE  11  (utlCr         b     iuLtfc.  .1). 


G0NT&ATEN4a. 


ammniiin.ui.ntfr' 

Enui  fi  pu  «ci  indJt  ûtirn«,Er  pu  crac  rtliUc  lutrF»  lumom*,.  Dn  pjuum  Air  jnn 

ii^^3|lllf;?î{T!i!liî:ffi;  1 1 

oumgéf,        L  un  h  dit  plu)  dur?    ^i*r  fer  L  lucre  Li  fg  men-.m*  vn  Enfer    II  FiLtftC  Urwnrnt  tAngéc 

|iuniiitiiiiiitUU..|Hiuiini1' 

Btfigce       enrigle,        LWrjp^Itt^r^tRpil^ttfcyf^iafpteutiLiLitrctrlfltirei  flcdouJcur^  tr^utir 
U    dcfrfpcn?*  M*:smcvfoutLtqutU«itmii'jCjti,t:rtt  projet  ■  ttitt  UiKuitt,  I C  L  lLirmimmEl*(u 

m  f.i  h  1 1  ri  it'tti T jjjauiigHHia^ 


a-    le.         ii. 


U  Ai  n  ce-    le  It  Ikunutruific  U  bc  u  c 


ODE    Dr;    RONSARD    (I*,S4, 

OJti  retranchée*  (ÉDITION  P,    Blanchimain,    Ti>«ï    II,    page    437), 


T    t    N    O   R. 


L  n  a  •■  h  11  pa  »  *  l  ni  nul  le  nomf,  Et  pu  ttnl  raHilk  «ttrtl  furnomv,    D«  pjuur»  A  m*MZ 
euttjgrc,        LubL  dit  ptui  Jure    que  ter  LuitrtL*  fui  nomme.  vnE  nier     Er  fcuHÉ  litwmmccufjgrc 


rnrjg,=  c       cnrjf  r^        L  him  bp^cUr fo-jcVi  &  pleun  foiKjri  fc  pltun  L'ium  rnftclTri  Se  doutcuii  £i  fiiirre 

I 


lIîÉïëi 


\*   uefctpcrrc  Maiiinoypa^cci]dVlklroLi(||Oun,£ncpropi££Îm0»nM»(v  le !i fiinwmnn Ij  lu- 

Ptitm»»ttfLiïiia^^HT»tfttii.a 

tréc    U  uurtc    Llucicc  *ii,  ULLmurutne  Jj  tut  ue.       L'y!  kit     L  lutr.ee  .i/. 


n  a   s   s  v   ■; 


Enaiert  pu  RM  mile imn*,  El  pu  COM  milkaurm  farnurm,  Dnpigureï  Aninit 
eut  ripêe*  L  "uo  Jj  dif  p  Lui  dure    qu*  Fer  L  auï«  U  (iiTTvommt-  Vd  Ertftt  Er  butte  [j  nomiiii  ettr i  g« 

iin..iiuiu..lct«Bi 


^-lëïiOi 


enr*£«         L un  lippette  [oucyt  iplevM  t  luHMrifidTn&dautcuri      Er  fiutic  lj    dcJcfptrct 
M»lï  moy  puurcc  au etU  «  rou^ou  r»kt  fl  r  propierl  »  m*i  utkiu  rt,         I  c  b  (ù  momme  U  fut  rée  l<  (g  tTf - 


tjfacjcr  y.  Jt  U    Lmapni  U  (n*ffe.       U  fy>rèr         L  furtc.  Li. 


I    * 


Reproduction  réduite  du  fol.    is  des  quatre  volumes  de  te  Mmiqut 
deCosteley,  publiée  par  Adrun  Le  Roy  et  Robert  Billard,   rçyi}, 


Un  S  s  vît  D    ET    LES    MUSICIENS    l>U    XVlr    SIÈCLE. 


375 


premier  rang  Yirtutatton,  ou  reproduction,  flans  une  partie,  d'une 
phrase  précédemment  entendue  dans  une  autre;  quand  celte 
reproduction  est  absolument  exacte,  on  a  ce  que  les  musiciens 
appellent  le  canon,  et  le  morceau  est  disposé  de  tells  façon  que  les 
différentes  parties  de  la  mélodie  peuvent  être  chantées  à  la  suite  ou 
se  superposer  les  unes  aux  autres,  et  se  servent  ainsi  mutuel  le- 
mnni  d'accompagnement'*  L:i  fugue  est  une  autre  espèce  d'imita* 
lion  :  un  sujet  initial  constamment  rappelé  par  les  différentes 
parties  en  constitue  l'unité,  tandis  qu'un  ou  plusieurs  épisodes  y 
apportant  l'inépuisable  variété  de  leurs  dessins. 

Or,  c'est  sous  la  forme  du  canon,  ou  de  la  fugue,  que  se  déve- 
loppent les  airs  composés  sur  le*  poésies  de  Ronsard  :  un  thème 
plus  ou  moins  varié  par  le  contrepoint  circule  en  quelque  sorte  «le 
partie  eu  partie,  cl  est  rendu  en  suri  ensemble  par  un  orchestre  de 
voix,  sans  aucun  accompagnement;  ou  bien,  si  quelque  chanteur 
a  recours  à  un  instrument,  c'est  pour  soutenir  sa  propre  partie, 
abstraction  faite  de  toutes  1ns  autres. 

Est-ce  à  dire  que  toute  la  musique  de  Fépoqiie  de  Ronsard  fiit 
écrite  ainsi?  Non,  sans  doute,  La  mélodie  simple,  «m  chant  mono- 
dique,  soutenue  ou  non  par  un  accompagnement  instrumental, 
n'avait  pas  cessé  d'exister  depuis  lés  trouvères,  et,  bien  que  rejelée 
dans  Fumure  par  le  brillant  essor  de  Fart  polyphonique,  elle 
avait  si  bien  continué  sa  route,  elle  avait  gardé  un  tel  prestige 
jusque  dans  les  milieux  les  plus  raffinés,  que  c'est  à  elle  que 
revinrent  les  novateurs  de  l'époque  de  Henri  IV  et  de  Louis  XIII. 
Karot,  Mellin  de  Sainct-Gelays  durent  chanter  souvent  leurs  vers 
sur  un  air  connu,  à  une  seule  voix,  en  Raccompagnant  du  luth  OU 
de  Pépinette*.  Ronsard  lui-même,  au  moment  où  il  composait  ses 
vers,  les  chantait  ainsi  dans  le  silence  du  cabinet*,  mais,  sa  pii 
un*'  fois  éerile,  c'était  sur  les  contrapointbtes  qu'il  comptait  pour 
en  faire  un  chant,  car  la  musique  monodique  paraissait  vraisembla- 
blement un  art  trop  simple  et  comme  rudimentaire  à  notre  poète 
aristocratique;  rêvant  surtoul  aux  chœurs  dont  retentissaient  les 
jeux  solennels  de  la  Grèce  antique,  il  laissa  au  vulgaire  les  airs 
traditionnels  des  chansons  populaires  avec  le  môme  dédain  qu'il 
condamna  les  genres  poétiques  «les  siècles  précédents  et  la  manière 
naïve  de  ses  devanciers. 

Une  poésie  savante  devait  exiger  une  musique  savante,  ajoute- 


i.  Un  ries  canons  les  plus  co&RUfl  Sit  la  cbt&BOD  populaire  de  Frère  fûC^U 
Ct  TiersuL,  op.  <**.,  p.  43  i  et  *;ifl. 

3.  -  Je  Le  veux  aussi  tilen  ndvertir  de  hautement  prononcer  tes  vers  quiDd  La  loi 
feras,  ou  plus   losi  les  chanlcr,  i[uel<[iie  voîi  <jue  puuses  avoir  .  -  t'&M 

poétique  (VU,  139  . 


?7f  BETTE   IMUSTOIfcE    UTTÉAXIKE    DE   Là   FRANCE. 

rions-nous  Tolontiers  d'après  ce  qoe  nous  savons  de  Ronsard,  et 
d'après  le  caractère  de  l'œuvre  musicale  accomplie;  mais  il  faut  se 
garder  d'attribuer  au  poète  les  tendances  artistiques  de  ses  musi- 
ciens. Ceux-ci,  ne  l'oublions  pas,  faisaient  aux  couplets  les  plus 
populacièrs  aussi  bien  qu'aux  strophes  les  plus  pindariques  l'hon- 
neur d'y  dessiner  les  contours  les  plus  compliqués  de  leurs  compo- 
sitions polyphoniques.  Celte  musique  était  la  plus  savante,  sans 
doute,  et  comme  telle,  Ronsard  s'en  est  accommodé  à  merveille, 
mais  on  ne  saurait  trop  répéter  qu'elle  n'avait  rien  de  spécialement 
adéquat  à  la  poésie  du  maître.  Et  qui  sait?  peut-être  Ronsard,  en 
parcourant  ces  recueils  où  sa  Mignonne  tient  compagnie  à  la 
Grosse  garce  noire  et  tendre  et  où  la  Meunière  de  Vernon  est 
traitée  avec  le  même  cérémonial  que  sa  Fleur  angevine  de  quinze 
ans.  peut-être  a-t-il  souhaité  une  musique  qui  fût  d'une  pompe 
moins  égalitaire,  et  murmuré  quelque  chose  comme  le  mot 
d'Alceste  :  «  Je  veux  qu'on  me  distingue!  Et  c'est  n'estimer  rien 
qu'estimer  tout  le  monde.  » 

Nous  ne  voyons  pas,  en  tout  cas.  qu'il  ait  souhaité  une  musique 
plus  expressive,  car  c'était  bien  d'accord  avec  lui  que  l'éditeur  de 
1552  donnait  ces  listes  interminables  de  sonnets  à  chanter  sur  une 
même  musique,  et  choisissait  tout  bonnement,  comme  type,  le  pre- 
mier sonnet  qui  se  présentait  sous  une  forme  déterminée;  il  ne 
semble  pas  non  plus  que  Caïetain  ait  eu  à  demander  à  Ronsard 
pardon  de  la  liberté  grande  en  écrivant,  sur  Hé!  Dieu  du  ciel  je 
n  eusse  pas  pensé  un  «  air  pour  chanter  tous  sonnets  ».  Là  92  son- 
nets, et  ici  tous  les  sonnets  à  chanter  sur  le  même  air!  Pouvait- 
on  reconnaître  de  façon  plus  ingénue  que  l'air  n'était  expressif 
pour  aucun? 

Non  seulement  cette  musique  était  trop  généralement  inexpres- 
sive, même  dans  les  compositions  adaptées  à  une  seule  pièce,  mais 
elle  avait  un  autre  inconvénient  qui  nous  a  frappés  chaque  fois  que 
nous  avons  entendu  l'interprétation,  excellente  pourtant,  des  Chan- 
teurs de  Saint-Gervais  :  c'est  qu'on  ne  distingue  à  peu  près  rien  des 
vers,  alors  même  qu'on  les  sait  par  cœur.  Le  texte  est  disloqué 
entre  les  parties,  dont  les  paroles  ne  se  superposent  pas  toujours 
exactement,  tronqué  dans  l'une  par  des  silences,  défiguré  dans- 
l'autre  par  des  répétitions.  Qu'on  en  juge  par  cette  partie  de  la 
musique  d'Orlande  :  Ton  nom.  Tout  le  monde  remplira  de  ta  louange 
notoire.  Xe  sçacent  si  bien  que  moy  comme  il  faut  sonner  ta  gloire- 
Il  s'agit  de  reconnaître  la  strophe  : 

Ton  nom,  que  mon  vers  dira, 
Tout  le  monde  remplira 


RONSARD    ET    l.KS    HGftClERS    M]    WT    MKCIJ?*  377 

De  ta  louange  notoire  : 
Un  tas  qui  chantent  de  toy 
Ne  suivent  si  bien  que  moy 
Comme  it  i'aut  sonner  ta  gloire. 

Avait-on,  au  xvi"  siècle,  l'oreille  plus  perspicace?  Arrivait-on, 
plus  aisément  qu'aujourd'hui,  avec  ces  disjecH  rnembra  poète,  à 
reconstituer  le  corps  entier?  Il  nous  semblerait  plutôt  que  la  surdité 
de  Ronsard  fût  de  nature  à  expliquer  chez  lui  certains  enthou- 
siasmes. 

Est-ce  sous  celte  forme»  si  peu  populaire,  que  les  poésies  de 
Ronsard  parvenaient  à  toutes  les  oreilles?  On  serait  tenté  de  le 
croire,  d  après  ces  distiques  que  Daurat  a  écrits  pour  être  placés 
-en  tète  du  recueil  de  Boni  et  où  il  est  dit  que,  si  le  génie  d'Homère 
a  fourni  au  poète  aveugle  les  yeux  de  lecteurs  sans  nombre,  de 
même  la  musique  de  Boni  va  rendre  au  poète  sourd  les  oreilles  de 
.milliers  d'auditeurs  : 

Audîerat  Netnsiù  Gr&ds  instar*?  Potfum 

Qui  cunctorum  itntu  vertertt  in  s*>  oeuha, 
fnmdet  atquû  ûcuUê  puertim  tr  privât  ^  ffawere  : 

Sed  4funt  ttCtorti  /"/  tihi  su  ut  nmïi. 
Âwfiit  ri  yemt'sis  Gatlh  insturr  PotUttM 

Qui  cunctorum  in  w  verdict  aurtcutas, 
Invidû  mox  juvenit  Bon$arderîibi  ohtudit  àuret^ 

A  rie  sua  BONIUS  quns  h  ht  trstituii; 
Num  dut  dnw  Manda  modulât  ur  rarmum  cttntuy 
Mille  tiùi  audiluxt  miltt'  dnt  auriruias. 

  la  cour,  le  fait  est  certain  et  nous  le  connaissons  déjà  par 
Guillaume  Collclet,  ce  fut,  dans  l'entourage  de  Henri  H,  un  grand 
succès  dès  le  début,  lors  de  la  publication  des  Odes  et  des  Amours. 
C'est  au  concours  des  maîtres  musiciens  autant  qu'à  la  protection 
de  Marguerite  de  France  et  de  Michel  de  l'Hospital  que  Ronsard 
dut  de  vaincre  les  résistances  qu'il  rencontrait  dans  un  milieu  tout 
acquis  à  Mellin  de  Sainct-Gelays,  Plus  tard,  dans  la  suite  des 
œuvres  du  poète,  les  nombreuses  pièces  chantées  aux  fêtes  de  la 
Cour  sont  autant  de  témoignages  de  la  faveur  que  la  Musique 
valut  à  la  Poésie  restaurée.  Dans  la  société  littéraire  et  artistique, 
-chez  les  poètes,  les  musiciens,  les  érudils,  les  amateurs,  il  est 
aussi  hors  de  doute  qu'il  y  eut  un  furieux  engouement  :  on  n'a 
qu'a  lire  tous  ces  sonnets,  tous  ces  distiques,  bien  plus,  cetle  pré* 
face  même  de  Ronsard,  qui  ornent  les  premières  pages  des  recueils 
que  nous  avons  étudiés*  Sous  rinlluence  de  Ronsard  et  des  grands 


Tî%  REVCE  D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRASCE. 

compositeurs,  les  tendances  nouvelles  s'accusèrent  de  plus  en  plus 
jusqu'à  la  mort  du  poète.  L'institution  de  l'Académie  de  musique 
n'avait-elle  pas  surtout  pour  objet  de  diriger  les  efforts  des  débu- 
tants vers  l'idéal  que  Ronsard  s'était  proposé  pour  lui-même? 

Quant  à  la  question  de  savoir  quel  a  pu  être,  en  dehors  des 
cercles  de  lettrés  et  d'artistes,  le  succès  des  poésies  de  Ronsard 
mises  en  musique,  on  ne  peut  guère  répondre  sans  distinguer  au 
préalable  le  fond  poétique  de  la  forme  musicale  et  sans  chercher 
i  découvrir  si  une  musique  moins  aristocratique  n'aurait  pas 
contribué  à  propager  l'œuvre  de  Ronsard  dans  les  milieux  bour- 
geois et  populaires  à  la  ville  et  en  province. 

Une  bonne  part  de  ses  odes  et  de  ses  chansons,  tout  en  gardant 
une  physionomie  littéraire  et  très  artistique,  dut  pénétrer  dans  la 
bourgeoisie,  s'y  répandre  et  y  conserver  la  même  vogue  que  les 
chansons  sans  prétention,  familières  à  tous;  elles  durent  avoir  la 
fortune  des  chansons  de  Béranger.  de  Désaugiers.  ou  de  Pû-rre 
Dupont,  et  ce  Ronsard  là  devient  populaire.  L'hypothèse  n'a  rien 
de  téméraire,  si  l'on  songe  à  toutes  ses  pièces  erotiques  et 
bachiques  qui  sont  exemptes  d'allusions  mythologiques,  et  qui.  en 
dépit  ou  à  cause  des  imitations  horatienneS  et  anacréontiques, 
restaient  dans  la  note  bien  française  et  gauloise  des  chansons 
anciennes.  Peu  à  peu,  sous  l'influence  manifeste  des  musiciens. 
ces  poésies  légères  avaient  perdu  leur  caractère  personnel,  et,  au 
lieu  de  s'adresser  à  telle  ou  telle,  dont  le  nom  disparait  du  texte, 
elles  étaient  devenues  les  chants  joyeux  ou  les  plaintes  mélanco- 
liques de  tout  amant. 

Mais,  il  faut  le  reconnaître,  c'est  plutôt  sous  la  forme  mono- 
dique  que  certaines  poésies  de  Ronsard  furent  véritablement  popu- 
laires. Les  arguments  ne  manquent  pas  qui  confirment  cette  opi- 
nion. En  1576,  Jean  Chardavoine,  de  Beaufort-en-Vallée,  fit 
imprimer  un  recueil  de  chansons  monodiques  célébrant  le  vin  et 
l'amour  «  en  forme  de  voix-de-ville.  »  Or,  nous  y  trouvons  cinq 
poésies  de  Ronsard  :  les  odes  Mignonne,  allons  voir  si  la  rose,  et 
Ma  petite  colombelle,  plus  trois  chansons  proprement  dites  :  Quand 
festois  libre  ains  que  Vamour  cruelle,  Douce  Maistresse,  touche, 
Quand  ce  beau  printemps  je  voy.  M.  J.  Tiersot  a  noté  la  mélodie 
de  cette  dernière  à  la  page  438  de  son  Histoire  de  la  Chanson  popu- 
laire. Autres  preuves  :  «  Plusieurs  livrets1  de  chansons  en  vogue 
jusqu'aux  premières  années  du  xviii*  siècle  renferment,  à  coté  de 
vaudevilles  et  de  vraies  chansons  populaires,  de  nombreuses  poé- 

i.  Voir  :  Sommaire  de  tous  les  recueils  des  plus  e  relient  es  chansons,  tant  amou- 
reuse*, rustiques  que  musicales  (Paris,  Bonfons,  1582}. 


HUSSARD    ET    LES    MUSICIENS    UU    \\i°    SIÈCLE. 


379 


sies  de  Ronsard*  Parmi  les  timbres  citéfi  m  t<He  d'autres  chansons 
des  mêmes  recueils,  nous  relevons,  a  côté  de  la  Volte  de  Provence 
et  du  Branle  du  Poitou,  celui  de  Quand  ûê  $£6if  printemps  je 
VQtfi  sur  lair  duquel  devait  se  chauler  une  complaiule  d'un  amant 
à  sa  dame,  Celte  chanson  des  Autours  tl<-  Mnne  figure  aussi  dans 
une  Fricassée  de  chansons  populaires  à  côté  de  la  vieille  chanson 
de  la  Përonelle,  de  Sur  te  pont  d'Avignon  «.l  Quand  la  bârffèfe  va 
aux  ck&mpà  \  i 

Il  y  a  mieux;  il  ressort  d'une  page  d'un  conteur  breton  du 
XVI"  siècle,  Noël  du  Fail,  conseiller  au  Parlement  de  Hennés,  que 
certaines  poésies  de  Ronsard  se  chantaient  en  Bretagne  avec 
accompagnement  de  ytoli  et  faisaient  p&rtiâ  du  répêïtoife  dèfl 
ménétriers  de  cette  province  lointaine  et  peu  cultivée,  au  même 
titre  que  les  complaintes  traditionnelles  du  moyen  âge  :  v  Et  sans 
aller  si  loin,  quand  notre  Mabile  de  Renues  chantait  im  lay  de 
Tristan  de  Léonnois  sur  sa  viole,  ou  une  ode  de  ce  grand  poète  II 
sfinl,  n'eussiez- vous  jugé  que  cesluy-cit  soit  s  te  désespoir  éê  sa  t 
tGndrCj  M  voulust  confiner  et  rendre  eu  la  plus  étroite  observance 
et  harmilagc  qui  soit  sur  le  Mont- Ferrât,  et  l'autre,  laissant  son 
Yseult,  se  fourrer  et  jeter  aux  dépite  uses  poursuites  de  la  bêle 
Glatissant5?  » 

Enfin  M  n'y  a  aucune  différence  entre  certaines  odes  de  Ron- 
sard, comme  Si  to*f,  ma  tlottrefte  fsobeati  (II,  48'i),  En  mon  cœur 
nesl  point  write  (H,  ÏI8G)  et  les  Chansons  populaires  du  xv*  siècle 
recueillies  par  M.  Gaston  Paris. 

En  faut-il  davantage  puur  nous  faire  admettre  que,  grâce  au 


|.  Fleur  des  ehoauùnê  amoureuse*  (Kouen,  A.  de  L&unay,  iGOO).  &.!■  Tïersol.  op, 

hl.  Ctmii  Wpett  éd.  Jouaust  (Paris,   1813),  tOUW  l'\  P»  Mli 

3+  Une  niiir  preuve  de  la  popularité  de  ltoii*nriJt  cV-s!  qu'on  Irouve  dans  un 
Recueil  des  pins  belle*  chat*  sons  de$  comédiens  fronçait,  imprimé  h  Gaen  en  1616  (ef. 
VauX'de-inre  d^ôlitier  lia MtfJ in  et  de  Jean  te  Btmxt  éd.  I».  L.  Jacob),  dfea  pi<ccs  direc- 
tement imitées  de!  bdeu  hurhiques  et  l'pirurienncs  de  Ronsard,  par  «-m- m  pie  :  Je 
il'aj  qtu  faire  de*  Anglais  {p.  iiti2),  Cette  chanson  normande  est  la  conLamiualion 
de  trois  odea  de  Ronsard. 

Du  Snj>hy  poiût  M  nu:  *miria. 
Du  Turc,  ni  du  Suudùu  ftttl 

Gf.  Etewffti,  ih 
Cj»f  mt&nâ  j'ai  btut.  Ua  î  il  m*  MmMfl 
u,i,-  m««  ûolfrèi  woft  Lont  plein*  il "■  ^r. 
EL  n;ifeïi  -  h  le 

A  Crocus,  et  Mydn*»  fHOOfj 

(CL  riouiard,  11.  43J.) 
Boy  vunt^en  lotit  de  m  i 
Car  ceuns  il   u  y  a  personne 
Qui  su  eue  s'il  vivra  dauiaiu. 

tCf.  Homard,  II,  HT.) 

Enflu  dans  les  Vaux-de-uire  de  Jean  le  Houx,  il  existe  maints  couplets  imités  de 
Ronsard  \ibid„  pp.  H2T  51,  82,  102,  127,  et.. 


HO 


AE  VUE   D  HISTOIRE    L1TTLHAIRE    !*E    LA    FRANCE. 


chant  et  à  la  musique,  Ronsard  a  pu  charmer  les  milieux  les  plus 
provinciaux  et  les  plus  bourgeois,  du  moins  par  celles  de  ses 
u-uvres  lyriques  qui  ressemblent  le  plus,  pour  le  fond  et  la  forme, 
aux  chansons  et  romances  de  tous  les  temps?  Il  faut  bien  aussi 
admettre  que  la  meilleure  partie  de  son  œuvre,  ses  stances,  ses 
baisers,  ses  odelettes,  ses  chansons,  perdent  beaucoup  de  leur 
valeur  première  parce  que  nous  ne  les  chantons  pas  :  à  les  lire 
seulement,  nous  rîquons  de  nous  faire  une  idée  très  inexacte,  très 
incomplète  de  cette  poésie  qui  lit  les  délices  de  la  France  sous  les 
derniers  Valois.  Le  chant  dissimulait  la  lourdeur  ou  la  rudesse 
d'une  langue  qui  n'était  encore  ni  assez  souple  ni  assez  harmo- 
nieuse pour  se  suffire  à  elle-même.  Comme  le  disait  Ronsard,  la 
musique  a  été  rame  de  ses  vers,  et,  quand  cette  musique  se  fut 
lue,  ses  strophes  remplies  de  heurts,  de  rejets  inexpressifs,  dln- 
versions  forcées p  de  termes  techniques  rebutants  et  d'insipides 
métaphores,  semblèrent  une  œuvre  morte  aux  gens  du  xvir  et  du 
xvui*  siècle ,  tel  un  livret  d'opéra  sans  la  musique ,  telles  des 
danses  sans  accompagnement  d'orchestre. 


Il  est  temps  de  nous  résumer  et  de  conclure. 

On  a  vu  comment  Ronsard  fut  amené  à  suivre  un  certain 
nombre  de  règles  nouvelles,  après  que  la  musique  avait  déjà 
imposé  à  la  versification,  pour  toute  pièce  destinée  au  chant,  la 
succession  régulière  des  rimes  féminines  et  des  masculines,  avec 
ou  sans  alternance, 

Ronsard  soumit  aux  exigences  d'un  rythme  musical  des  groupes 
de  vers  plus  considérables  qu'auparavant»  par  exemple  des  poèmes 
à  rimes  suivies,  et  des  systèmes  plus  compliqués,  tels  que  Iode 
pindariquc. 

De  plus,  il  établit  définitivement  la  succession  régulière  des 
rimes,  par  sujétion  à  la  musique,  et  l'alternance  dans  les  pièces 
à  rimes  suivies,  par  un  sentiment  esthétique  de  même  nature  que 
celui  des  musiciens. 

Enfin,  la  musique  étant  devenue  plus  savante  et  l'instrument 
de  la  versification  plus  parfait,  Ronsard  soumit  aux  exigences  du 
musicien  des  sortes  de  poésie  antérieurement  indépendantes  de  la 
musique,  et  c*est  ainsi  que  la  musique  fit  du  sonnet  un  genre  à 
forme  ûxe. 

En  tout  cela,  Ronsard,  loin  d'innover  et  de  rompre  avec  les 


ROPSARD    ET    LES 


DO    \Vlr    SIECLE* 


381 


habitudes  nationales,  est  resté  un  poète  de  tradition,  du  moins  au 
point  Ar  vue  qui  nous  occupe*  Il  a  cru,  ou  a  feint  do  croire,  qu'il 
importait  en  France  les  mœurs  artistiques  de  la  vieille  Grèce  ou 
de  fftiliQ  moderne;  en  réalité  il  est  resté  le  disciple  et  le  conti- 
nuateur des  poètes  français  du  moyen  âge,  du  xv*  siècle  et  de  la 
génération  de  Clément  Marot.  S'il  ne  fut  pas  poète-musicien 
comme  Adam  de  la  Jlale  ou  Guillaume  de  Mâchant,  il  fut  un  ama- 
teur passionné  de  musique ,  et  ne  conçut  pas  ses  vers  lyriques 
autrement  que  chantés,  comme  la  plupart  de  ses  prédécesseurs. 

Mais  si  sa  tentative  était  loin  d'être  neuve,  elle  marque  du 
moins  un  grand  progrès.  Ronsard  a  fait  mieux  que  les  poètes 
précédents  :  il  s'est  préoccupé  beaucoup  plus  qu'eux,  et  que  Marot 
lui-même,  des  procédés  de  versification  qui  communiquent  au  vers 
le  charme  destiné  à  captiver  l'oreille,  et  facilitent  ainsi  la  tâche 
du  musicien.  Avec  celte  idée  préalable  que  ses  vers  devaient  être 
écrits  pour  être  chantés  dans  des  milieux  aristocratiques,  il  com- 
bina ses  mesures  et  ses  rimes  plus  rigoureusement  et  plus  artis- 
tiquement qu'on  ne  l'avait  fait  avant  lui.  Bien  que  les  musiciens 
composassent  leurs  airs  sur  ses  poésies,  et  non  pas  lui  ses  vers 
sur  leurs  mélodies,  on  peut  dire  qu'il  asservît  la  Muse  aux  règles 
de  la  Musique,  et  qu'il  Ta  ainsi  douée  d'une  élégance  et  d'une 
harmonie  encore  inconnues,  dont  fut  charmé  le  xvl'  siècle. 

La  disgrâce  de  Ronsard  commença  du  jour  où  les  musiciens 
délaissèrent  odes,  sonnets  et  chansons  pour  produire  leurs  talents 
dans  les  ballets  de  la  Cour  et  dans  la  musique  dramatique  ou 
expressive,  qui  détrôna  la  musique  polyphonique  dès  le  temps  de 
Henri  IV.  Les  adorateurs  de  Ronsard  disparurent  avec  ses  derniers 
auditeurs;  le  temple  du  dieu  se  vida  quand  les  chants  eurent  cessé, 
et  la  statue  fut  reléguée  au  rang  des  vieilles  idoles.  Voilà  comme 
s'expliquent  à  la  fois  la  faveur  prodigieuse  et  le  brusque  déclin  de 
celui  que  la  musique  avait  vraiment  élevé  au  rang  de  Pindare;  et 
aujourd'hui,  pour  bien  comprendre  le  culte  quasî  officiel  dont  fut 
l'objet  Ronsard  vivant,  en  France  et  dans  toute  l'Europe,  îl  faut 
fermer  le  livre  et  se  représenter  un  Philippe  de  Monte  dirigeant  les 
sept  parties  de  Corijdon  à  la  cour  de  Rodolphe  IIf  ou  un  Gosteley 
faisant  chanter  sa  Mignonne  et  les  compositions  du  «  plus  que  divin 
Orlande  »  devant  Charles  IX,  dans  quelque  grande  salle,  aux 
lambris  fleurdelisés  d'or,  de  Chambord  ou  de  Fontainebleau, 


Charles  Comte  et  Paul  Laumonier, 


382  EEVTE   D  llSTOlftE   LITTÉRJUftE   DE   UL   FEASCE. 


SAINTE-BEUVE  ET  LES  MÉMOIRES  D'OUTRE-TOMBE 


Une  mauvaise  querelle  a  été  cherchée  dernièrement  à  Sainte- 
Beuve,  pour  avoir  publié  une  page  des  Mémoire*  d'outre-tom&e 
qui  ne  se  retrouve  pas  dans  l'œuvre  posthume  de  Chateaubriand. 
Cette  page,  éminemment  chevaleresque,  qui  semble  détachée  d'un 
roman  de  Cour  d'amour,  où  l'Alhambra  est  assigné  comme 
rendez-vous  pour  prix  des  épreuves  traversées  pendant  le  pèleri- 
nage de  l'Itinéraire,  n'était  connue  que  d'un  public  aristocratique 
et  d'élite,  —  très  peu  nombreux  par  conséquent,  et  dont  la  race  se 
perd,  —  pour  qui  Chateaubriand  plane  encore  sur  le  xjx*  siècle. 
Une  polémique  récente  a  eu  pour  résultat  de  la  répandre  et  de  la 
Caire  passer  sous  l'œil  de  tous,  qui  ne  professent  pas  toujours  le 
même  respect. 

Les  Notes  (où  on  la  retrouvera),  qui  font  l'objet  de  la  présente 
publication,  prises  par  Sainte-Beuve,  en  1834,  sur  le  manuscrit 
des  Mémoires  de  Chateaubriand,  pour  écrire  son  article  de  la 
Revue  des  Deux  Mondes,  —  réédité  depuis  dans  les  Critiques  et 
Portraits  littéraires  et  dans  les  Portaits  contemporains ,  —  nous 
dispensent  de  faire  ici  double  emploi  en  la  reproduisant  de  nou- 
veau. On  lira  donc  plus  loin,  à  sa  place  et  dans  son  vrai  cadre,  à 
la  suite  de  ces  quelques  lignes  d'explications,  cet  «  obscur  et 
murmurant  passage  »,  qui  laissait  à  Sainte-Beuve  l'impression 
d'un  «  parfum  profond  comme  d'un  oranger  voilé  ».  —  C'est  bien 
naturel  à  Grenade.  C'étaient  des  parfums  d'Alhambra. 

Le  critique,  qui  resta  doublé  d'un  poète  toute  sa  vie,  écrivait 
encore  des  vers  en  1834,  et  il  se  proposait,  comme  on  le  verra 
dans  ses  Notes,  d'en  adresser  à  Chateaubriand  «  sur  le  point  délicat 
des  Mémoires,  —  amour.  —  Combien  attentif,  ajoute-t-il,  en  écou- 
tant, à  saisir  les  moindres  mots  mystérieux  de  ce  que  son  cœur 
ne  trahit  pas  !...  »  (En  écoutant,  veut-il  dire,  la  lecture  des 
Mémoires  dans  le  salon  de  l'Abbaye-au-Bois.)  Cette  inquiétude, 
cette  préoccupation  de  surprendre  ce  que  cache  le  «  parfum 
d'oranger  voilé  »  trahit  ici  le  psychologue.  On  a  dit  de  l'impiété 
qu'elle  était  la  plus  grande  des  indiscrétions.  11  n'est  pas  donné, 
en  effet,  à  tout  le  monde  de  connaître  et  d'approfondir  la  nature 


SAÏHTE-DEUVfc    ET    LES    MEMOIRES 

des  dieux.  Tout  le  monde  n*a  pas  non  plus  des  curiosités  de  mora- 
liste, surtout  en  présence  d'une  figure  presque  olympienne. 

Sainte-Beuve  faisait  du  besoin  de  pénétration  qui  l'aiguillonnait, 
dans  le  cas  qu'il  vient  d'indiquer,  une  des  conditions  de  la  critique, 
créée  par  lui,  a  pour  connaître  un  homme,  cest-a-dire  autre 
idiose  qu'un  pur  esprit  ».  lï Éloge  de  Chateaubriand,  «  le  plus 
grand  sujet  littéraire  du  xix*  siècle  »,  a-t-il  dit,  mis  au  concours 
par  1*  Académie  française  en  1862,  fut  pour  lui  l'occasion  de  s'ex- 
pliquer une  fois  pour  toutes  sur  les  principes  de  sa  méthode  natu- 
relle, telle  que  la  pratique  et  l'expérience  lui  en  avaient  fourni  les 
règles,  essentiellement  variables  dans  leur  application.  Vue  des 
questions  qu'il  s'y  pose,  au  sujet  d'un  au  leur,  et  auxquelles,  dit-il, 
tant  qu'on  n'a  pas  répondu,  «  ne  fût-ce  que  pour  soi  seul  et  tout 
bas,  on  n'est  pas  sur  de  le  tenir  tout  entier  »,  est  celle-ci  :  «  Corn- 
ment  se  comportait-il  sur  l'article  des  femmes?1  »  On  peut  se  la 
poser  pour  Sainte-Beuve  lui-même*  mais  jusqu'à  présent  elle  a  été 
lourdement  et  grossièrement  traitée. 

Il  lui  a  manqué  ce  qu'il  avait  été  pour  Chateaubriand,  un  peintre 
fin  et  délicat,  l'auteur  en  un  mot  des  Portraits  de  femmes,  sachant 
graduer  les  nuances,  depuis  les  nobles  Sémélé  que  la  seule 
approche  de  Jupiter  embrase  et  consuma  &e  SOU  rayonnement, 
jusqu'à  rauleur  hon  etrfftrtt  îles  B7tëh<tnteift8nl&  d*  Prudence,  dont 
on  conteste  aujourd'hui  les  récits  francs  et  naturels,  — peut-être 
parce  qu'ils  sont  trop  naturels.  —  Sainte-Beuve  avait  reçu  les  pre- 
mières confidences  de  L'aimable  et  sincère  Hurleuse,  philosophe  M 
lettrée,  sur  ses  rencontres  et  promenades  avec  Chateaubriand,  et 
leurs  parties  fines  de  YAre-en-e/ef,  près  du  Jardin  des  Fiantes,  où. 
elle  lui  chantait  au  Champagne  de  tendres  refrains  de  Déranger 
qu'il  répétait  avec  elle  et  qui  mouillaient  la  paup&re  de  Roné 
vieilli.  L'autour  de  Chateaubriand  et  son  groupe  littéraire sov*  tEnv* 
ptre,  â  la  fin  de  cl»  livre  —  le  meilleur  peut-être  de  soi)  iKuvr© 
critique  et  qui  ne  lui  a  pas  encore  été  pardonné  — adonné  dis- 
crètement la  primeur  de  cette  histoire  amoureuse,  où  le  dieu  rede- 
venait familièrement  homme  et  déposait  son  auréole.  M.  de  Pout- 
martin  m'a  dit  un  jour  â  moi-métin1.  chez  Michel  Lcvy,  qu'il  n'y 
croyait  pas*  Sainte-Beuve  y  croyait  simplement,  comme  à  une 
chose  toute  naturelle.  Il  n'avait  aucune  raison  d'en  douter.  L'hypo- 
crisie de  parti  —  ennemie  du  vrai,  à  quelque  parti  qu'elle  appar- 
tienne —  ne  l'aveuglait  pas.  Il  rst  aussi  dans  les  Enehantem 
de  Prudence,  On  aurait  mauvaise  grâce  a  l'en  défendre. 


U  Chateaubriand  jugé  par  un  ami  intime  en  i$0X  (Nouveaux  Lundis,  t,  III,  1862). 


JS4  REVtt   D*HlSTOIIfcE    LïrTEHUftR   DE    U    F1U5CE. 

Le  critique  des  Lundi*,  qui  avait  déjà  traité  dans  les  Causeries' 
cette  question,  tant  controversée  aujourd'hui,  de  Chateaubriand 
amoureux ,  n'avait  pas  attendu  la  mort  de  Chateaubriand  pour 
publier  la  page  supprimée  dans  les  Mémoire*  d'ouire-iambe.  Elle 
avait  paru  dès  1836,  dans  les  Critique*  et  Portrait*  littéraire*  \ 
avec  des  commentaires  et  des  rapprochements  qui  la  rehaussaient 
d'esprit  critique*  Chateaubriand  ne  s'en  plaignit  pas,  et  deux  ans 
après,  le  i  octobre  1838,  il  écrivait  à  Sainte-Beuve  qui  préparait 
alors  sa  notice  sur  Fontaues  :  «  ...  Je  vous  remercie  mille  fois, 
monsieur,  pour  la  mémoire  de  Fontaues  :  c'était  un  homme  fait 
pour  vous  connaître  et  vous  admirer*.  * 

Le  bruit  fait  autour  de  la  page,  sauvée  désormais  de  la  destruc- 
tion et  de  l'oubli,  nous  a  décidé  à  publier  intégralement,  et  dans 
sa  sincérité  première,  le  dossier  de  .Votes,  prises  par  Sainte-Beuve 
sur  le  manucril  des  Mémoire*  Je  Chateaubriand»  en  1834,  Nous  en 
devons  la  communication  à  l'obligeance  de  M,  le  vicomte  de 
Spoelberch  de  Lovenjoul,  possesseur  à  Bruxelles  des  papiers  de 
Sainte-Beuve.  C'est  un  cahier  de  vingt-quatre  pages,  qui  a  tout 
l'aspect  d'un  grimuire.  Nous  sommes  parvenu  à  le  déchiffrer 
presque  entièrement;  nous  avons  laissé  en  blanc  les  mots  que  nous 
n'avons  pu  lire.  Ces  notes  succinctes,  d'une  écriture  1res  iîne,  sui- 
vent pas  à  pas  les  Mémoires  d'outre-tombe  :  nous  avons  pu  ainsi  y 
constateret  y  relever  d'autres  variantes  et  d'autres  lacunes,  moins 
importantes,  il  est  vrai,  que  la  suppression  du  fameux  morceau 
sur  le  bonheur  qui  attend  l'illustre  voyageur  à  l'Alhambra,  à  son 
retour  de  Jérusalem. 

Une  noie  des  Portrait*  eoniemporaêmt  ajoutée  à  l'article  de  1834, 
exprimait  le  vœu,  sous  la  il  de  Chateaubriand,  que  «  l'illustre 
écrivain,  dans  son  inquiétude  du  mieux,  s'abstînt  de  retouches  et, 
comme  on  dit  en  peinture,  de  repentir*!  qui  ne  sauraient  que  com- 
pliquer une  première  ligne  heureuse  ».  La  même  note  se  termine 
par  le  regret  que  ce  «  vœu  tout  littéraire  ...  n'ait  pas  été  exaucé  **, 
et  que  «  l'auteur,  en  y  repassant,  n'ait  pu  se  retenir  de  gâter  quel- 
ques endroits  i  ». 

Des  préoccupations  extralïttéraires  déterminèrent  parfois  ces 
remaniements,  et  c'est  pour  avoir  conservé  aux  Lettres  une  page 
curieuse,  que  la  bonne  foi  de  Sainte-Beuve  a  pu  être  mise  en 
suspicion  par  de  maladroits  défenseurs  de  Chateaubriand. 


t.  Causerie*  du  Lundi,  L  U,  \ H 50. 

%  T.  II.  \>.  m,  Paris.  Eugène  fienducl,  1836,  in-S. 

3-  Portrait*  contemporains,  i.  I,  p.  H2.  édition  de  (869,  chez  Cal mann  Lévy. 

4.  Portraits  contemporains,  t.  |t  j>.  25  (édition  Lëvy,  I869j, 


S\nTK-BELVE    ET    LES    HÊMOERRS    r>  OUTRE-TOMBE.  385 

La  façon  de  travailler  du  critique  était  aussi  naturelle  que  sa 
méthode.  Nous  la  surprenons  dans  le  document  que  nous  allons 
publier.  II  commençait  par  prendre  possession  du  sujet,  avant 
d'écrire  un  article.  Il  ne  se  serait  jamais  contenté  de  l'a-peu-près, 
même  en  1834,  et  une  simple  audition  de  la  lecture  des  Mémoires 
à  haute  voix,  dans  le  salon  de  M*e  Récamier,  ne  lui  aurait  pas 
suffi,  comme  on  Ta  malencontreusement  supposé,  pour  en  parler 
avec  scrupule.  11  avait  trop  le  respect  de  la  Critique  et  de  l'autorité 
déjà  attachée  à  sou  nom  pour  cela.  Il  prit  des  notes  sur  les  Mémoires 
de  Cliuloauhrïaud,  et  nous  nous  demandons  comment  il  aurait  pu 
en  prendre  tout  le  cahier  qu'on  va  lire,  qui  forme  comme  un  nou- 
veau texte,  condensé  et  serré,  de  l'œuvre  posthume  de  Chateau- 
briand, si  le  manuscrit  ne  lui  en  avait  été  communiqué  officieuse- 
ment. Nous  ne  comprenons  même  pas  qui!  ait  pu  s'élever  des 
doutes  à  ce  sujet  de  nos  jours.  I/espritde  malveillance  a  seul  pu 
faire  dévier  à  ce  point  l'esprit  de  critique.  Qu'on  relise  seulement, 
sans  prévention,  les  appendices,  qui  sont  comme  autant  de  pages 
de  ses  propres  Mémoires,  ajoutés  par  Sainte-Beuve  à  ses  deux 
articles  sur  Chateaubriand ,  dans  l'édition  de  1869  des  Portraits 
Contemporains,  et  Ton  sera  édifié  sur  ce  qui  étonne  tant  aujour- 
d'hui : 

J'ai  souvent  pensé,  y  dit  Sainte-Beuve,  combien,  malgré  tous  les 
soins  qu'on  prend  pour  peindre  la  société  de  son  temps  et  pour  en 
donner  l'idée  aux  générations  survenantes,  on  y  réussit  peu  et  quelles 
étranges  images  s'en  font  ceux  qui  se  mêlent  ensuite  d'en  écrire.  Ainsi 
un  feuilletoniste,  qui  s'efforce  de  nVétre  agréable,  dira  par  exemple  ; 
<*  Jeune,  quand  vous  alliez  a  l'Àbbaye-au-Bois,  vous  écoutiez;  mainte- 
nant, c'est  votre  tour  de  parler,  on  voua  écoute...  »  Il  semblerait  en 
vérité  que,  dans  ce  charmant  salon  ou  présidaient  la  politesse  et  le 
t,  M.  de  Chateaubriand  eût  charge  de  rendre  des  oracles  et  que  le 
rôle  des  autres  fut  de  l'écouter  bouche  béante.  Mais,  chers  messieurs, 
sachez  donc  que  nous  parlions  alors  comme  nous  n'avons  jamais  fait 
depuis;  que,  pleins  de  rêves  et  d'espérances  ou  de  généreuses  colères, 
nous  parlions  beaucoup  plus  et  beaucoup  mieux  qu'aujourd'hui  ;  et  que, 
lorsqu'on  avait  le  lact  de  ne  prendre  la  parole  et  de  ne  la  garder  qu'à 
propos,  H.  de  Chateaubriand  était  le  premier  à  se  plaire  à  nos  discours 
et  à  nous  en  savoir  gré  en  tfj  mélmiL  Notre  verve  plus  d'une  fois  pro- 
voqua la  sienne  et  la  fit  jaillir...  i 

Les  Notes  qui  vont  suivre  sont  un  abrégé  des  Mémoires  d%  outre- 
tombe.  Elles  les  complètent  et  leur  restituent  une  valeur  originale 
sur  certains  points.  À  défaut  du  manuscrit  de  1834,  si  souvent 
modifié  depuis,  elles  sont  comme  un   nouveau  texle  —  le  plus 


38& 


REVUE    D'HISTOIRE    UTTIItVilli:    M!    LA    HtWU-l. 


ancien  peut-être  et  le  plus  sûr  —  de  ce  Livre,  donl  un  ami 
(M.  Cherttray),  qui  en  possède  aussi  une  copie  de  la  main  de 
M"""  RécaïDÎer,  nous  dît  que  c'est  le  plus  baau  livre  du  xul*  siècle, 
Noos  [l'avons  eu  nous-mf'me  en  vue  que  la  cause  et  l'intérêt  de 
la  littérature,  que  nous  servons  sans  parti  pris,  en  accomplissant 
ce  travail  de  transcription  et  de  restitution  littéraire,  analogue  à 
celui  qui  fut  fait,  en  1861,  sur  les  Lettres  de  Mma  de  Sévigué,  qui 
s'enrichirent  de  hardiesses  épistolaires,  devant  lesquelles  avaient 
reculé  les  premiers  éditeurs. 

Jcles  Trûuiut, 


NOTES    SUR    LES   MÉMOIRES    DE    CHATEÀL'BWANh  '- 


Commence  4  octobre  181  it  Àulnay  —  près  de  ces  arbres  ai  petits 
qu'il  leur  donne  de  l'ombre  quand  il  se  place  entre  eux  ei  le  soleil  *- 

Son  pure  dur  contriste  sa  jeunesse. 

Né  gentilhomme,  quelle  influence  sur  t'ai;  trois  Ages  des  aristocra- 
ties :  i"  des  supériorités  j  2°  des  privilèges;  3°  des  vanii 

Généalogie  antique  discutée  —  descend-il  des  premiers  comtes, 
ensuite  ducs  de  Bretagne? 

Trois  branches  de  Chateaubriand  :  la  baronnie,  les  Chateaubriand 
de  Beau  fort,  les  Chateaubriand  de  Guêrande.  «  Mais  n'est-ce  pas  là 
d'étranges  détails,  des  prétentions  mal  sonnantes  dans  un  temps  où  Ton 
ne  Veut  que  personne  suit  le  lits  de  son  père?  VoUà  bien  îles  vanités  à 
une  époque  de  progrès,  de  révolution*...  » 

V  »les  Chateaubriand  de  Beau  fort,  les  deux  autres  branches  étant 
faillies»1  —  Il  a  un  oncle  aîné,  prêtre,  qui  fait  des  vers,  un  autre 
Le  crudit  à  Paris  faisant  des  recherches  historiques  et  recevant 
416  livres  par  an.  son  lopin  <!»■  cadet  \  Frère  aîné  qui  fait  des  vers, 
M™*  île  Farcy  en  fait.  M111"  Lucile  a  laissé  defl  page*.  —  Son  père»  pauvre  à 
quinze  ans,  pour  ne  pas  être  un  fardeau  à  sa  mère,  obtient  de  partir  : 
«  Va  où  Dieu  veut  que  tu  ailles  a. dit  la  mère. —  Il  s'emhanjua  Blir  une 
goélette  armée,  fut  au  secours  de  Stanislas  assiégé  dans  Daotzïck;  puis 

tk  Nous  avons  supprimé,  t'acceoJ  eiftxmltaxe,  tracé  par  Sainie-Bcuve,  d'une  main 
rapide,  sur-  [«  premier  ..-,  ilori  QQ4  I "Hnographe  du  nom  nVlaïl  pus  en»  ■ 
comme  elle  l'a  été  depuis  par  Sainte-Beuve  lui- môme. 

_\  Nous  avons  désigne  par  NûUi  t celles  que  Sainte-Neuve  avait  écrites 

h  h   dehors  du   leste,  en  les  repartant  toutefois,  autant  que  poftfUfcle,  I  leur  p 
rationnelle*  C'est  ainsi  que  nous  avons    transposé    la   première   qui    s'olTre    ici   : 
-  Sobre  pourtour  •,  h  un  autre  i      -  tge  qn]  y  correspond  naturellement,  vers  la  lin 
du  manuscrit, 

3.  Ce  pftsaifi  :  i  Mais  n'esl-eepas  là  -,  Jusqu'à  *  révolution -,  cité  par  Sainte-Beuve 
dan*  son  article  de  i>  i  el  dam  les  éditions  suivante*,  où  il  L'a  reproduit,  n'a  pas  la 
même  netteté  dans  les  Mémoires eCoutn-tombr.  on  il  se  relrotiYto  amplifié  et  affaibli. 

4.  Faillie*  est  le  mot  rn^ine  employé  dans  les  Mémoires  imprimés. 

5.  Note  n/tififtufiir.  —  s^na  les  nommer  et  par  rapport  a  lui.  [S'il  s'agit  des  oncl 
ils  sont  désignes  par  leurs  prènums  dans  les  Mémoire  Lmpriltii 


SAINTE-BEUVE    K.T    LKS    MÉMOIRES    lïOl  IRE-TON  BK. 


3R7 


passa  aux  lies,  cfiargé  de  son  dernier  frère  Pierre  :  lui,  René  ',  Contracté 
une  grande  vigueur  de  caractère,  le  contraire  du  hnmi  ignora  mail;  le 
malheur  a  ses  duretés  comme  ses  tendresses.  Grand,  s$e,  CCI  aquilin, 
lèvres  minces  et  pâles,  yeux  entoures  »t  p«W  OU  (flanques  comme  ceux 
des  lions2  ou  des  anciens  barbares.  Dans  la  colère,  prunelle  qui  se 
détache  et  vient  vous  frapper  comme  une  balle  enflammée.  Orgueil  du 
m  un,  tristesse  profonde  par  la  décadence  de  sa  famille,  et  silence  dont 
il  ne  sort  que  par  des  emporte  tue  ni-  \ 

Bu per bernent  ?Ôtu.  Fastueux  dam  aés  habits  et  ses  manières,  comme 
Jean-Antoine  de  Mirabeau*  magnifique  avec  ses  hôtes,  fi  au  tain  avec 
les  gentilshommes,  dur  tkvec  m  vassaux»  taciturne  et  despotique  dans 
son  intérieur  Dta  génie*  —  Épouse  à  son  retour,  en  17*>'J,  ,b:j une- 
Suzanne  de  Bedêe. —  Mrao  de  BoisteiUeil],  aïeule,  meurt  vieilli*;  mère 
de  M110  de  Bedée,  élevée  à  Samt-Cyr  dans  les  derniers  temps  de 
Mro*  de  Maintenons  La  mère  de  M,  de  Chateaubriand  savait  tout  Cyma 
par  cœur.  KléganLe  de  manières,  conlrariée  par  son  mari,  devient 
rêveuse,  mélancolique,  soupirante  et  silencieuse.  Pieuse.  —  Établis 
à  Boiut-Mllo,  lors  du  mariage.  A  Saint-Malo,  né  dans  la  même  rue 
que  l'abbé  de  La  Menaais,  Duguay-Trouin,  Lamettrie,  Maupertuis, 
Trublet,  de  La  Bourdonnais.  François-Auguste  S  né  le  dernier  de  dix 
enfants.  Six  vivent,  quatre  sieurs  et  un  frère  aine  Né  rue  des  Juifs  en 
face  de  la  mer.  Né  sur  un  rocher,  en  face  de  la  tempête;  reçoit  son  nom 
de  son  frère  mort.  Idée  mélancolique  de  la  vie.  —  Mis  en  nourrice  à 
Piancoêt1.  Combourg  acheté  |>ar  le  perc  de  >L  de  G.,  que  plusieurs 
branches  des  Chateaubriand  avaient  possédé.  Grande  tour  de  Combourg 
Mlie  eu  1 100. 

Le  maréchal  duc  de  Duras  avait  vendu  Combourg  au  père  de 
M,  de  Chateaubriand  :  il  le  tenait  de  sa  femme,  une  Coëtquen,  par  ses 
parents.  Plus  lard,  comme  ailté,  il  présente  à  Louis  XVI  M,  de  Châ- 
teau h  ri  and  et  son  frère. 

Son  frère  ataé  le  comte  de  Combourg,  Le  préféré*. 

Le  chevalier.  —  Sa  mère  le  néglige;  aime  sa  nourrice,  la  bonne 
f  Uleneuvet  et  aime  la  quatrième  de  ses  sœurs.  Lui  i le,  maigre,  trop 
grande  pour  son  ftge,  bras  dégingandée,  air  timide,  robe  dïspmpor- 


t.  Le  père  de  Chateaubriand  l'appelait  aussi  René  et  c'est  de  lui  qu'il  s'agit  ici. 

2,  \'otc  jtwr'jiiutlt*.  —  llûviviscenci;  des  lien*  génies  vieux,  —  ÀtlmirabU'  di 

pen<  ud'r  jutr  ht.  Tout  te  siècle  —  et  \L  de  Chateaubriand  dew 

t r , i ■  i  i-,  ii.  IHofnère  «tu  jeune  siècle,  toujours  présent,  toujours,  Pfgttre  ût  lion. 
Institution  deeeu  temps.  (L'Homère  du  j*une  né&Te  revient  déni  l'article  île  1831, 
ainsi  que  In  ■  UUdê  thn  ■  «fn  |ière.  dont  Sainte-Beuve  prête  h  gravité  an  fila,) 

S,  Dernier  nette*  de  Ia  première  pa^e,  —  Faculté  d1ndigDftUon?«"ho«* 

nen'  M™*  de  Dura-  ri  eûimu  tu  comble  de  sa  ploïre.  —  Deux  grands  dmhv 

ceaux  toétaph)  Biques  el  peîfl  Iques.  le  ne  bais  pas  ces  indignations  qui  renouvellent  le 
matin  (?)  d'une  Ame  après  de  tîèdes  intervalles. 

\.  Chateaubriand  t'appelait  PrançûifrHÊnf,  et  non  Ftfntroî^Auff ttxteAWa  retilM 
lui-même  au  chapitre  de  sa  naissance,  dana  s<>s  Mémoires* 

5«  Moé  ftr,  —  Voué  au  blanc  jusqu'à  sept  ans, 

i,.   \  ,/r  marginale,  -*  Le  frère,  comte  de  Chateaubriand,  Taînê,  destine  à  être 
conseiller  au  Parlement;  lui,  à  la  marine  royale* 


i 


388  REVUK    DHLSKHUH    LrTTtll.URK    DE    tk   FRANCK, 

tionnée.  Corps  roïde,  collier  de  fer  garni  de  velours  brun,  toque  d'étoffe 
noire  sur  la  tête. 

M ""^  de  Bedée,  la  gr&nd'mère,  habite  à  V  Abbaye,  hameau  près  Plan- 
coët,  avec  sa  sœur  Mu*  de  BoisLeillcul,  maigre,  petite,  qui  chaule  le 
comte  de  Trémigon,  Cette  vie  peinte,  coup  de  pincettes  qui  frappe 
quatre  heures  contre  la  plaque  de  la  cheminée.  M11"  de  Boisteilleul  el 
trois  vieilles  filles  entrent.  MIU*  de  Ville-de-nœuds '■  Jeu  de  quadrille, 
querelles  —  rire  au  récit  de  M.  de  Bedée,  oncle,  fils  de  M*'  de  Bedée, 
qui  avait  été  à  Funtcnoy.  IL  habitait  d'ordinaire  Mouchons* 

a  Cette  société,  ijue  j'ai  remarquée  la  première  dans  ma  vie,  est 
aussi  la  première  qui  ait  disparu  à  mes  yeux*  J'ai  vu  la  mort  entrer 
sous  ce  toit  de  paix  et  de  bénédiction,  le  rendre  peu  à  peu  solitaire, 
fermer  une  chambre  et  puis  une  autre  qui  ne  se  rouvrait  plus  *,  J'ai  vu 
ma  grand'mère  forcée  de  renoncer  à  sa  quadrille,  faute  des  partners 
accoutumés;  j'ai  vu  diminuer  le  nombre  de  ces  constantes  amies,  jus- 
qu'au jour  où  MIU  de  Boisteilleul  tomba  la  dernière.  Je  suis  peut-être 
le  seul  homme  au  monde  qui  sache  que  ces  personnes  ont  existé.  Vingt 
fois,  depuis  cette  époque,  j'ai  fait  la  même  observation;  vingt  fois  des 
sociétés  se  sont  formées  et  dissoutes  autour  de  moi.  Cette  impossibilité 
de  durée  et  de  longueur  dans  les  liaisons  humaines,  cet  oubli  profond 
qui  nous  suit,  cet  invincible  silence  qui  s'empare  de  notre  tombe  et 
sTétend  de  là  sur  notre  maison,  me  ramènent  sans  cesse  à  la  nécessité 
de  l'isolement.  Toute  main  est  bonne  pour  nous  donner  le  verre  d'eau 
dont  nous  pouvons  avoir  besoin  dans  la  fièvre  de  la  mort,  Àh!  qu'elle 
ne  nous  soit  pas  trop  chère!  car  comment  abandonner  sans  désespoir 
la  main  que  Ton  a  couverte  de  baisers,  et  que  Ton  voudrait  tenir  éter- 
nellement sur  son  cœur3!  » 

Monchoix;  sanglier  privé  qui  suit  M**  de  Bedée;  vie  joyeuse*.  Heleré 
de  son  vteu.  On  lui  parle  de  Palestine. 

Vieux  mots,  Le  couvent  au  bord  du  chemin  senvietllitiait  d'un  quin- 
conce d'ormes  du  temp^  \h>  Jeun  V  de  Bretagne*  —J'aime  moins  les 
châteaux  qui  entombaimt  leurs  aïeux.  —  Un  des  premiers  plaisirs  que 
j'aie  goûtée,  était  de  lutter  contre  les  orages,  de  me  jouer  emmi  les 


1.  Le  le* les  imprima  orthographie  ainsi  ce  nom  VUdémua.  —  Il  nous  est  impos- 
sible de  déchiffrer  quelques  mois  1res  fins  au  bas  el  dans  l'angle  de  la  page  2 
des.Yo/rt  <iu  Sainte-Beuve* 

2,  S  otmth*  —  Et  de  se  croire  plus  unique,  plus  privilégiée  du  sort  qu'elle 
ne  l'est  en  effet,  Le  génie  en  cela  s'abuse.  Il  porte  la  douîeur  sans  fléchir,  il  en 
mesure  tout  le  poids. 

De  se  eroifi  pUli  privilégié  en  douleur:  il  n>st  privilégié  qu'en  génie.  (Ce*  nota 
sont  ie  premirrjet  trtitte  idée  ttunt  on  retrouve  les  termes  dans  l'article  de  i$34), 

3,  A  partir  de  «  vingt  fois  -,  cet  alinéa  se  trouve  reproduit  textuellement  dans 
les  Mémoires  d'oulre-iombe.  Ce  qui  précède,  I  partir  de  -  Celle  société  •,  offre 
quelques  variantes,  donl  la  plus  importante  est  que  quadrille  est  mis  au  masculin, 
peut-être  par  *i«'s  éditeurs  inalle  utils,  dans  le  texte  imprime,  tandis  que  dans  les 
notes  de  Sainte-Beuve,  il  y  a  bien  :  ta  quadrille,  qui  était*  en  efTel*  du  féminin 
dans  l'ancienne  tangue, 

4.  W  *J  inter  linéaire.  —  OWadriton  (ÇormHfy)'  [.\oas  écrivons  comme 
nous  lisons,  soumettant  ces  deux  noms  propres û  plus  savant  que  nous.) 


SAÏ\TE-BEt:\E    ET    LtS    MEMOIRES    U  OtTnE-ÎOMUK. 


389 


vagues  qui  se  retiraient1.  —  Polissonneries  à  Saint-Main,  déboulonné, 
débraillé.  —  Impressions  sérieuses,  religieuses  aux  fêles,  aux  stations, 
à  la  cathédrale.  Les  petits  enfants  avec  les  bougies  allumées  prés  de 
leurs  Heures,  Tant  uni  &rgû  chanté.  «  Je  voyais  les  eieux  ouverts,  les 
anges  offrant  notre  encens  et  nos  vœux  à  rêLernel.  Je  couifr&îi  mon 
front  :  il  n  était  point  encore  chargé  de  ces  ennuis  qui  pèsent  ai  horri- 
blement qu'un  est  tenLé  de  ne  plus  relever  la  tête  lorsqu'on  Va  tocUhéâ 
au  pied  des  autels,  » 

Gesril  garni Q,  demeure  à  Saint*Ma!o  dans  le  même  hôtel  que  le  jeune 
de  Chateaubriand.  Véritable  de  mon ,  espiègle  i  devenu  officier  de  ma- 
rine, il  fut  pris  à  l'affaire  de  Quiberon;  l'action  tinie  et  les  Anglais  con- 
tinuant de  canonner,  tïcsrîl  s'approche  des  vaisseaux,  dit  aux  Anglais 
de  cesser  le  feu*  leur  annonce  le  malheur  et  la  capitulation.  On  le 
-voulut,  sauver  en  lui  filant  une  corde  et  le  conjurant  de  monter  abord  : 
«  Je  suis  prisonnier  sur  pan i le  »3  >ï'rrie-t-il  du  milieu  des  Ilots,  et  ii 
retourne  à  terre  a  la  nage-.  Il  fui  fusillé  avec  Sombrent!  et  ses  compa- 
gnons. —  Espiègleries  ensemble.  Gcsril  pousse  toujours  les  autres.  — 
Ib'llexions  sur  l'éducation  qui  est  bonne  même  sans  méthode.  Ces  flots, 
■ces  vent*,  celte  solitude,  furent  ses  instituteurs  sauvages.  Aiumiu  sys- 
tème d'éducation  n'est  préférable  à  un  autre  système.  Les  hommes  que 
Dieu  destine  à  un  rôle  arrivent  bien. 


LIVRE  DEUXIÈME 

Dieppe,  ' 
M.  de  Chat,  écrit  là,  exilé  de  Paris.  A  Dieppe,  petite  ville  ibï  Iniques 
dans  ses  maisons,  d'ivoire  dans  s**s  boutiques,  à  rues  propres,  à  belle 
lumière  (Vilcl)3.  Souvenirs  de  garnison  en  1788,  y  continue  ses 
mémoires  en  face  de  la  mer.  —  «  Sulul*  mer  naufrageuse  \  mon  ber- 
ceau et  mon  image!  *  —  Mis  au  collège  à  Dol,  sur  la  route  de  Saint- 
Malo  à  Combourg.  Sa  mère  tient  à  ce  qu'il  ait  une  éducation  classique, 
elle  qui  savait  le  Cyru$\  d'abord  en  secret,  ensuite  û  dérouvert,  mais 
avant  il  rejoint  avec  sa  mère  son  père  à  Corn  bourg. 

Printemps    en    Bretagne    pllM    tôt   qu'à    Pu  ris   et   plus    doux.   Cinq 

L  Suit  marginale*  —  Nous  avotrt  entendu  dire  :  »  Qu'a-t-Uf  pourquoi  esl-il  tri>i^, 
tout  ne  lui  sourit-il  pas?  er.  luS^mème  ne  sait-il  pas  sourire ï  ■  Bonne*  gens,  cela 
eiupéehe-t-il  de  sourira  quand  un  DOtlS  »Olt,  parce  que  <"■  ^f,»>1  le  m-.tnl  îles  choses? 
Cda  empêclie-Lol  de  smUr  avec  une  n>ur  parce  que  chaque  soir  revjeul  (ici  MM 
Manc  dans  le  test*}  et  sombre  chèque  matinée  de  soleil  na-t-rju  pas  un  peu  «je 
printemps?  (Un  trouvera  tout  te  détmtoppamanU  de  cette   note  dans  Partiel*  de  1Sâ4.) 

î.  Soie  martjinatf.  —  Un  récii  9a  i.î)  sacré.  Gt*rilt  non,  un  nom  en  plus 

[ici  VU  mot  iUiiibiû),  Vous  fies  mon  eu  héros;  el  qui  vous  connai!  cependant? 
Heureux  ceux  que  )e  poète  (fa  nûl€  réel*  ttin.si  suspendue,  put*  rtprrnd).  Cela  prouve 
que  la  gluire  est  un  {moi  tltisibte),  mai*  que  le  plus  sur  est  le  génie  i  mois 

illisibles),  La  Muse  cet  encore  celle  qui  ne  trompe  pas.  <Voir  l'article  de  183  J  et  les 
Mètt  ■  r-toihhf  sur  l'épisode  de  Geeril). 

3.  Sainte-Beuve  rappelle  tel  te  livre  de  Louis  Yitet  sur  Dieppe  (Bittûîrt  des 
ancienne*  tjHlë*  de  fiance.,.),  Paris,  is:jj,  3  val-  in-S. 

4.  Ce  mol,  nauf rageuse ,  ne  se  relrouve  pas  dans  les  diverses  éditions  des 
Mémoires  d'outre -tombe.  SainU-Ueuve  l'a  répété  dans  sou  article  de  1834. 

luv.  d  HiiT,  uni*,  dk  ut  Faine*  (V  Aniu).  —  Vil.  26 


iîjwmlex.  fiîr»âei>-  î*  >:•***£.  ie  o:ott«_  U  euL3e  et  Le  r*j»arir:-I-  I  ar.- 
2f:-ei2HLL.  Terre  ce-rrert*  de  aarraerites.  de  £**&?**-  àt  }i:ï^es. 
lytrjLXKS-  tarasses.  rnooc?Jes-  iuska^.  CXainére*  Upèfsées  de 
5:«trere&.  x*a»Ks  et  a?>Ks  ave*  ievrs  fte«r*  p»<ée*  ^»k  •:<**  £*»p_k-~s 
d"-2C-  Ess*:»*  et  aàds  a  t£uq:>£  pas.  Fosse*  tecsé*  erjcstît^ect  x^e  prr- 
;«st«0  forêt,  petites  rivières  dos  uvûaiies.  Futaies  i  ^t:  ie 
arejêres.  laades.  p&ateasx  pelés.  champs  roweàtres  de  sarrislx.  :, 
eas.pazx»es  pè&azktsras. 

G  o*âer  4*  îane  sur  la  dmt  en  Bretarne.  Cette  aux!*?  de  *»:■!.  ?r  >-t 
qsi  s  asèocpit.  ilnclme  et  disparaît,  dans  la  moî>  inL=a&e-sot-  re  dsn  lit 
de  vaz-jes.  A  peine  c>:<sche>.  an  souffle  semant  do  larre  brise  îlaaze  des 
constellations-  comme  oa  éteint  des  flambeaux,  qcand  jine  îéte  esi  Lcie. 

Aidiez»  T*T*ze§  lents.  Premier  vovaze  de  Saint-Mai-:*  à  G:-xl*:  ar> 
dans  la  rrvs=*  beriîne  *.  Inscription  de  C;<mb»j«rr.  de  dtâtea*.  L*  i-*:if 
■mû',  le  7^iW  ■*»/  cour  verte,  devant  le  perron,  an  delà  da  p>£a^er. 
entre  les  deux  mails  .  De  l'antre  côté  du  perron,  an  midi  et  â  l'es;,  on 
a  Cosribttrz.  le  clocher,  le  villaze  devant  soi.  —  Beao  paysage. 

Apre*  quinze  jours,  remis  aux  mains  -Je  l'abbé  Porcher.  pria??p*!  «in 
e»U?^e  4e  Dol.  A  Doi.  a  pj*r  précepteur  particulier  l'armé  Leprin  re, 
qai  ï:J  apprêt» i  son  B*zo*l.  Très  apte  anx  mathématiques,  as  liûn. 
fait  Batareuemetit  des  vers  latins,  et  l'a  ht*  Ezault  l'appelle  YÉiS:  i  v~'- 
Sait  tr>otes  ses  tables  de  logarithmes  depuis  1  jusqu'à  10  (MX 

Va  passer  les  vacances  â  Combourg.  Un  peu  préoccupé  d-  centriste 
de  la  vie.  d'avoir  assisté  anx  courses  de  la  Qtttntaim*  et  à  la  proclama- 
tion des  br*Ats  de  Th^mum*. 

Société  de  Combourz.  M.  Potelet.  ancien  capitaine  de  ruisseau, 
marin  qui  conte  ses  histoires  de  P-.«n-iiehérv.  les  coudes  s  :r  Ii  tii-ie. 
II.  Launa*  de  la  Billardiére.  entreposeur  des  tabacs,  et  le  sénéchal 
Gerbert,  le  procureur  fiscal  PetiL  Le  curé  Serin,  qui  est  si  î  >c_:  à 
croire  que  le  çamin  soit  l'homme  devenu  célèbre.  Détail  sur  son  naturel 
rancunier  et  non  vindicatif.  Dans  le  premier  mouvement  dune  offense, 
il  la  sent  â  peine,  mais  elle  se  grave  dans  sa  mémoire,  s'irrite,  dort, 
puis  se  réveille  avec  une  force  nouvelle- 
Projet  *ie  descente  â  Jersey.  Camp  à  Saint-Malo.  Entend  parier  de 
Pari*,  va  pour  la  première  fois  au  spectacle.  Scènes  spirituelles  à  l'état 
d'esprit,  ce  qui  est  m  fins  dans  ses  autres  ouvrages. 

La  troisième  année  au  collège  de  Dol.  marquée  par  la  révolution 
d'âme  et  de  sens,  Un  How*  non  ci.âtié.  et  le  livre  des  Ç:  *'--*\  •<* 
mil  f<ii(etz  d'un  cité,  volupté  et  secrets  incompréhensibles,  de  l'autre 
flammes  et  chaînes.  Il  sent  des  lors  échapper*  quelques  étincelles  de  ce 
feu  qui  est  !a  transmission  de  la  vie  et  qui  dure  jusqu'à  ^y«;'n>. 

I.  \..-*  *t:~  >-/*«/«.  —  De*  '.  ri  ehes  en  *>  mencées  de  bl*  noir.  A  partir  ce<  »*.::•./  et 
tes  .-.  ■;'.  >.  \<\\k  T.ir>  ^a^s  lr*  M*m<-î*f*  <£ vutrtAomb*  :  on  a*y  re:roj^e  ni  ie 
tar-i/st  :-i  .*?  fr\rK+4  en!*ërt+-w+t  4*  Mi  noir. 

i.  Y^.^  n:-r;.'>*aif.  —  Pcleriaa^e  «iu  ffenie. 

5.  .Voie  rf.aryir^U.  —  A  onze  aa*  et  demi. 


SAISTE-BEt'VE    ET    LES    MEMOIRES    D  DL'TRF>TOM|JE. 


391 


Quatrième  livre  de  VEn&d%  et  le  T4lémaque»  Les  volumes  de  Massillon, 
où  sont  les  sermons  de  VEttf<mt  prodigue  et  de  la  t*tkkêfê$$e.  S'il  a 
peint  plus  tard  avec  vérité  les  entraînements  du  coeur,  mêlés  aux 
syndérèses  chrétiennes,  il  Ta  du  à  cette  double  connaissance  simul- 
tanée. 

Ce  qu'on  dît  d'un  malheur  qui  n'arrive  jamais  seul,  on  le  peut  dire 
des  passions;  elles  viennent  ensemble  comme  les  Muses  on  comme  les 
furies.  Avec  le  penchant  voluptueux,  arrive  l'idée  d'honneur,  excitation 
de  l'aine  qui  maintient  lecteur  incorruptible  au  milieu  delà  corruption, 
principe  réparateur  près  du  principe  dévorant.  Histoire  des  œufs  depïe. 
Fottdt  que  veut  donner  L'abbé  Egault,  préfet  de  semaine,  résistance 
héroïque  et  comique  *. 

Continue  à  la  Vallée-aux-Loups,  décembre  1813.  —  Retourne  au  col- 
lège. Première  communion*  Confession,  réticence,  combats,  triomphe 
de  la  vérité.  «  Quand  l 'hostie  Tut  déposée  sur  mes  lèvres,  je  me  sentis 
comme  tout  éclairé  en  dedans.  »  Confirmé  à  Combourg  sur  le  perron. 
\Ta  achever  ses  études  au  collège  de  Rennes,  d  où  sortirent  Ginguené 
et  Geoffroy;  hérite  du  Ht  du  chevalier  de  Parny;  étudie  avec  Moreau  et 
Limotdaii,  —  Mariage  de  sa  sœur  la  comtesse  de  Farcy,  Va  à  Brest  au 
sortir  du  grand  collège  de  Rennes  *«  A  Brest*  au  milieu  des  construc- 
tions, comme  Télémaque  à  Tyr. 

Admirable  quand  remontant  le  torrent  qui  se  jette  dans  le  port 
jusqu'à  une  certaine  hauteur  et  ne  voyant  plus  rien  qu'une  Vallée 
étroite  et  stérile,  il  tombe  en  rêverie,  et  si  le  vent  lui  apporte  le  bruit 
du  canon  d'un  vaisseau  qui  met  a  la  voile,  il  tressaille  et  pleure,  Ins- 
tinct du  voyageur  qui  se  développe  aux  récits  des  vieux  matelots.  Part 
sans  permission  pour  Combourg  et  quitte  le  service  de  la  marine. 

Ifontboisftter,  1817*  —  Continuation  excitée  par  le  gazouillement 
d  une  grive.  Sentiment  mélancolique.  Naître,  désirer,  mourir,  c'est 
tout»  «  Je  n'ai  plus  rien  à  apprendre,  rîen  à  découvrir;  j*aï  marché 
plus  vite  qu'un  autre  et  j'ai  déjà  fait  le  tour  de  La  vie,,.  Combien  de 
temps  me  proménerai-je  encore  au  bord  des  bois?  Le  navigateur,  qui 
quille  pour  jamais  un  rivage  enchanté,  écrit  son  journal  à  la  vue  de  la 
terre  qui  s'éloigne  et  qui  va  bientôt  disparaître.  j> 

Habitation  à  Combourg.  Ses  trois  Heure  mariées.  Son  frère  plus  sou- 
vent à  Paris  qu'à  Rennes,»  occupé  à  vendre  sa  charge  de  conseiller  [mur 
service,  puis  pour  la  diplomatie,  épouse  M1"  de  llosambo,  petite-fille 
de  M*  deMalesherbes* 

Lncile,  reçue  chanoinesse  au  chapitre  d'Argenliêre,  devait  passer  à 


i.  Note  marginale.  —  H  y  a  dans  JeanJacques  de  l'homme  qui  a  été  fatfétle,  Il  y 
(ta  note  s'nrtt  ti<  là  pour  ruprênéw  ainsi)  :  bien  autrement  chastn  et  relevé,..  MaU 
cela...  comme  Rousseau  chez  M11*  L&mbercier. 

2.  Sotr  marginale.  —  *  Peut-être  n'avais- je  déjà  plus  cette  innocence   qui    nous 

fait  un  charme  de  tout  ce  quï  est  innocent  :  ma  jeunesse  n'était  plus  enveloppée 

d&nfl  M  Heur,  et  le  temps  commençait  à  la  dëdore.  ■    >  RM,  citée  par  Sainte- 

fkutpen  noie  dans  son  article  '^J  tSS4^  êtt  très  décolorée  dan*  le  texte  imprimé  des 

tes.  On  lui  a  enlevé  sa  fleur  de  poésie,) 


PM 


BEYCfc    D  HISTOIRE    LÎTTKRAlBB    DE    LA    FRANCE. 


cdui  de  Remïremont;  en  attendant,  elle  restait  à  la  campagne.  Boit 
achever  ses  études  à  Dinan,  et  embrasser  l*état  ecclésiastique;  mais 
Dinan  est  a  quatre  lieues  de  Combourg*  et  il  y  revient  perpétuellement. 

Vie  de  Coin  bourg.  Rares  visites,  arrivant  l'hiver  à  cheval*  avec  le 
portemanteau  en  croupe,  reçues  par  le  père,  tète  nue,  sur  le  perron. 
Coûtant  les  guerres  de  Hanovre*  Couchés  dans  Je  grand  lit  de  la  tour 
du  nord.  Le  lendemain  matin  on  les  voit  chevaucher  sur  la  chausse 
solitaire  de  l'étang. 

Humeur  taciturne  et  insociahle  du  père  qui  ne  parait  qu'une  fois  Fan 
à  la  paroisse,  le  reste  du  temps  entendant  la  messe  à  la  chapelle  du 
château.  Les  logis  des  quatre  maîtres  et  des  valets1*  Caractère  d'un 
père  qui  lui  a  fait  sentir  les  a /fret  de  ta  vie;  il  n'aurait  osé  entrer 
quand  il  le  voyait  sur  le  perron*  (Quelques  beaux  Lahleaux  de  grands 
maîtres  dans  la  chapelle,  et  des  glaces  de  Venise  dans  l'appartement 
de  la  mère.)  Promenade  du  père*  les  soirs  d'automne,  dans  le  grand 
salon;  vêtu  d'une  robe  de  ratine  blanche  on  plutôt  d'une  espèce  de 
manteau  que  je  n*ai  vu  qu'à  lui.  Sa  tête  demi-chauve  couverte  d'un 
grand  bonnet  blanc  qui  se  tenait  tout  droit*  Silence,  et  si  tacite  et  le 
chevalier  échangeaient  quelques  mots,  il  disait  en  passant  d'un  ton 
sévère  ;  «  De  quoi  parliez-vous?  «  Terreur  et  silence*  A  dix  heures 
juste,  il  s'arrêtait ,  ses  mouvements,  son  coucher,  joie  et  silence  qui  se 
paye  cher,  lui  sorti.  —  On  veut  assassiner  son  père.  —  Histoire  de  n 
liants.  —  Histoire  racontée  par  H*'  de  Chateaubriand  «  moins  l'ima- 
gination merveilleuse  de  ma  mère  «t  du  sire  de  Beau  manoir  et  de 
Jehan  de  Tinlèuiac  ■■  Lui,  dans  sa  chambre  de  la  tour,  lorsque  son  père 
lui  dit  :  *  M.  le  chevalier  aurait-il  peur?  >'  il  l'eût  fait  coucher  avec  un 
mort.  Quand  la  mère  :  «  Mon  enfant,  rien  n'arrive  que  par  la  volonté 
de  Dieu  »,  rassuré  et  fortifié  doucement, 

«  Tout  devient  passion  chez  lui  en  attendant  les  passions  mèui 
Chasse,  aumnr  de  la  eh&ase.  i  Franchir  les  fossés *  parcourir  les  champs, 
les    marais,  les  bruyères,    me    trouver   avec   un   fusil    dans  un    lieu 
désert,  avant  puissance  et  solitude;  celait  ma  façon  d'être  naturelle,  a 

Portrait  de  sa  sœur,  grande,  belle,  sérieuse,  visage  pâle  avec  de  longs 
cheveux  noirs,  regards  pleins  de  tristesse  et  de  feu,  tout  lui  était  smn-i* 
chagrin,  blessure*  «  Je  l'ai  vue  un  bras  jeté  sur  sa  tête,  rêver  imniu- 
bile  et  inanimée;  par  son  attitude,  sa  mélancolie*  sa  vénusté,  elle  r 
semblait  à  un  génie  funèbre.  »  Dans  une  des  promenades  du  grand 
Mail,  Lucile,  lui  entendant  parler  avec  ravissement  de  la  solitude,  lui 
dit  :  *  Tu  devrais  peindre  cela!  »  Ce  mot  me  révéla  la  Muse;  un  souffle 
divin  passa  sur  moi*  -—  Morceaux  admirables  et  grecs  de  Lu  ci  le,  u 
ttiLunï,  (Innocence,  f£n 


i.  Nûie  marginale*  —  Cuisinière  dans  la  grosse  tour,  domestique  dans  les  sou- 
terrains, lui,  le  chevalier,  dans  le  donjon. 

S.  Celle  hialutre  du  sire  de  Beaumanoîr  et  de  Jehan  de  fintéaiae,  mentionnée 
par  Sainte-Beuve  dans  son  article  de  1834,  a  été  signalée,  enlre  autres*  par  M.  Léon 
Séché,  comme  ne  se  retrouvant  pas  dans  le*  Mémoire*  imprimèm, 


SAI3TE-BBUVE    ET    LES    MÉMOIRES    D  OUTRE-TOMBE.  393 

Vallée-aux-Loups,  1817.  Au  moment  où  il  vend  sa  terre.  Sylphide. 
Le  soir  quand  il  est  retiré  dans  son  donjon.  Premier  sentiment  de# 
plaisir  avec  la  jeune  femme  du  voisin,  près  de  la  fenêtre.  Il  se  compose 
une  femme  de  toutes  les  femmes  qu'il  a  vues  ou  qu'il  a  rêvées  dans  l'his- 
toire. Grandes  dames  du  temps  de  François  Ier.  Délire  durant  deux  ans1. 

Le  vaste  du  ciel,  la  religieuse  aguimpée.  La  suit  dans  les  prairies,  par- 
tout, surtout  dans  les  scènes  de  l'automne  :  le  temps  des  neiges  et  des 
frimas.  Ces  feuilles  qui  tombent  comme  nos  ans,  ces  fleurs  qui  se  fanent 
comme  nos  heures,  ces  nuages  qui  fuient  comme  nos  illusions.  «  Je 
voyais  avec  un  indicible  plaisir  le  revenir  de  la  saison  des  tempêtes,  le 
passage  des  cygnes  et  des  ramiers,  le  rassemblement  des  corneilles  en 
noirs  bataillons  dans  la  prairie  de  l'étang  et  leur  perchée  à  l'entrée  de 
la  nuit  sur  les  plus  hauts  chênes  du  grand  Mail.  »  Le  soir,  embarqué  sur 
l'étang*;  à  cette  fureur  de  sens  se  joint  l'idolâtrie  morale  pour  la  syl- 
phide; cette  bayadère  était  aussi  la  gloire  et  surtout  l'honneur,  elle 
était  la  vertu,  lorsque  elle  accomplit  ses  plus  nobles  sacrifices;  le  génie, 
lorsque  il  enfante  la  pensée  la  plus  rare.  —  Blandices  des  sens  et  jouis- 
sances de  l'àme.  —  Désir  de  mourir,  de  passer  inconnu  à  la  fraîcheur 
du  matin;  à  cette  pensée,  le  rouge  du  désir  me  montait  au  visage;  l'idée 
de  n'être  plus  me  saisissait  le  cœur  à  la  façon  d'une  joie  subite. 

Dans  les  erreurs  qui  ont  égaré  ma  jeunesse,  j'ai  souvent  souhaité  de 
ne  pas  survivre  à  l'instant  du  bonheur;  «  il  y  avait  dans  le  premier 
succès  de  l'amour  un  degré  de  félicité  qui  me  faisait  aspirera  la  des- 
truction. »  Cette  même  idée  dans  Atala,  dans  Velléda*  sur  le  cœur  (?)...  *. 

Dégoût  de  tout,  Lucile  malheureuse,  sa  mère  ne  le  console  pas,  son 
père  lui  fait  éprouver  les  affres  de  la  vie.  Quand  il  revenait  de  ses 
courses  sauvages  et  qu'il  apercevait  son  père  assis  sur  le  perron,  on 
l'eût  tué  plutôt  que  de  le  faire  rentrer  au  château.  Essaie  de  se  tuer 
avec  un  fusil  chargé  de  trois  balles  :  l'apparition  d'un  garde  l'inter- 
rompt. Maladie  presque  mortelle. 

Destiné  à  laisser  l'état  ecclésiastique  et  à  passer  aux  Grandes  Indes. 
Va  à  Saint-Malo,  rappelé  à  Gombourg  et  apprend  de  son  père  qu'on 
a  obtenu  un  brevet  de  sous-lieutenant  au  régiment  de  Navarre. 

Quitte  son  père  pour  la  dernière  fois,  baise  ce  visage  ridé  et  sévère, 
cette  main  décharnée.  Revoit  trois  fois  Gombourg  :  1°  après  là  mort 
de  son  père;  2°  une  autre  fois;  3°  en  partant  pour  l'Amérique. 

1821.  Ambassadeur  à  Berlin.  —  Part  pour  Paris  avec  M11"  Rose.  (Gai). 
Le  cousin  Moreau.  Mme  de  Ghastenay,  femme  de  douce  accortise. 

En  garnison  à  Cambrai.  Fait  l'amour  pour  La  Martinièrc  et  paie 
les  verres  d'eau  de  groseille.  Apprend  la  mort  de  ion  père.  1786. 

1.  Sole  marginale.  —  La  sylphide  dispense  de  beaucoup  de  choses  et  les  résume 
idéalement.  —  C'est  un  idéal,  l'allégorie,  le  fantôme  responsable,  parfois  le  dégui- 
sant. (Voir  l'article  de  1834,  où  la  même  idée  est  développée.) 

2.  Sole  marginale.  —  Le  laissé  de  la  mer,  le  long  des  vagues. 

3.  Sole  marginale.  —  Velléda.  Manière  dont  ces  passions  sont  touchées. 

4.  Ici  quelques  mots  que  nous  ne  pouvons  déchiffrer  (p.  8  du  manuscrit  de 
Sainte-Beuve). 


394  REVUE   D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE   DE    LA    FRAXCE. 

Retourne  à  Combourg,  puis  à  Marigny  chez  sa  sœur,  en  est  rappelé 
par  une  lettre  de  son  frère  qui  veut  le  faire  présenter1.  Arrivé  à  Paris, 
lit  du  grec,  Ja  Cyropédie,  l'Odyssée.  Sa  présentation,  mais  ne  va  pas  au 
jeu  de  la  reine.  Jour  des  carrosses.  Chasse  avec  le  roi.  La  jument 
l'Heureuse.  Ne  mène  pas  plus  loin  l'affaire  de  la  présentation,  arrive 
après  bien  des  soucis  à  faire  insérer  dans  YAlmanach  des  Muses  une 
idylle. 

Chapitre  des  gens  de  Lettres.  Delisle  de  Sales  qui  ne  s'attendait 
guère  à  pareil  honneur.  C'était  en  Allemagne  qu'il  faisait  ses  remontes 
d'idées.  A  son  buste  chez  lui  avec  cette  inscription  :  Dieu,  rhomme  et  la 
nature,  il  a  tout  expliqué. 

Flins,  fils  d'un  maitre  des  eaux  et  forêts  de  Reims.  Pauvre  vie  ché- 
tive,  jugée  un  peu  aristocratiquement  *.  Parny,  ne  sentant  point  son 
auteur  :  «  Je  n'ai  point  connu  d'écrivain  qui  fût  plus  semblable  à  ses 
ouvrages  :  poète  et  créole,  il  ne  lui  fallait  que  le  ciel  de  l'Inde,  une  fon- 
taine, un  palmier  et  une  femme  *.  »  —  Ginguené,  mince  personnage, 
jugé  sévèrement,  mais  se  l'est  attiré.  //  fut  initié  au  secret  des  meurtres 
révolutionnaires  *. 

Le  mobilier  du  galetas  de  Lebrun  jugé  en  grand  seigneur. 

La  Harpe  arrivant  avec  trois  gros  volumes  de  ses  Œuvres  sous  ses 
petits  bras.  Champfort  le  plus  méchant  sans  contredit.  —  Etat  de  cette 
société  où  le  bon  ton  était  d'être  américain  à  la  ville,  anglais  à  la  cour, 
prussien  à  l'armée. 

M.  de  Malesherbes.  Sylphide  revient  à  Paris,  un  peu  factice. 

Tout  l'épisode  de  Bretagne  et  des  Etats.  Morceau  politique.  Le  jeune 
officier  reçoit  la  cléricature  de  11.  de  Pressigny,  évêque  de  Saint-Malo. 
Environs  de  Saint-Malo,  peints  dans  le  rayon  de  cinq  ou  six  lieues. 
Bords  de  la  Rance  avec  les  palais  des  riches  armateurs,  bastion  avec  des 
herbes  et  des  plantes  de  toutes  les  rives,  les  femmes  belles  avec  sept 
bagues  au  doigt.  Quelque  chose  des  Walkiries  ou  des  canéphores 
d'Athènes. 

Histoire  de  M.  Livoret  régisseur.  Soigne  un  fou,  idée  sur  la  folie. 
Hélas!  beaucoup  de  personnes  que  j'ai  connues  et  aimées  sont  devenues 
folles  auprès  de  moi  «  comme  si  je  portais  le  germe  de  la  contagion 5  ». 

Peinture  de  Tannée  89  à  Paris.  Prise  de  la  Bastille.  La  nation  qui  se 


i.  Sote  marginale.  —  Tout  ceci  gai  et  spirituel  pour  éluder  un  peu  le  sérieux. 

2.  Xote  marginale.  —  Flins  y  a  une  part  moins  belle  que  dans  Y  Essai,  mais  encore 
très  satisfaisante.  Quel  bonheur  a  eu  cet  homme  d'esprit!  enchâssé  dans  le  marbre 
blanc  de  cette  colonne  comme  une  mouche  ou  un  scarabée,  désormais  immortel. 
{Sainte-Beuve  a  retranché  la  mouche  et  le  scarabée  de  sa  phrase  dans  rarticle 
de  1834.) 

3.  Sote  marginale,  —  Parny  dont  les  plaisirs  se  changeaient  en  gloire.  Ce  texte, 
cité  par  Sainte-Beuve  entre  guillemets  dans  son  article  de  1834y  a  été  a/faibli  dans 
les  Mémoires  d 'outre- tombe  où  on  lit  :  -  ses  plaisirs  qui  touchaient  en  passant  sa 
lyre  •. 

4.  Sote  marginale.  —  Ginguené  maltraité,  Champfort  trop.  {La  note  reste  ina- 
chevée. Sainte-Beuve  a  complété  sa  pensée  dans  l  article  de  1834.) 

5.  La  dame,  entre  autres,  de  l'Alhambra  et  sa  sœur  Lucile  ({'Amélie  de  René). 


SAINTE-BEUVE    ET   LES   MÉMOIRES    D  OUTRE-TOMBE.  395 

trompe  sur  la  grandeur  du  fait  matériel,  ne  se  trompe  pas  sur  la  gran- 
deur du  fait  moral.  Voit  les  têtes  de  Berthier  et  de  Foulon. 

5  octobre.  Entrée  du  roi  à  Paris.  Assemblée  constituante  sévèrement 
jugée.  Mirabeau,  orateur.  Son  accent  mêlé  de  provençal  et  de  gâtinois, 
lourd. 

Mirabeau,  malgré  son  immoralité,  n'avait  jamais  pu  fausser  sa 
conscience1;  il  n'était  corrompu  que  pour  lui.  A  un  dîner  touche  le 
jeune  homme  sur  l'épaule  de  sa  main  épatée. 

Paris  de  ce  temps-là  admirablement  peint.  Vie  de  clubs,  de  bals,  de 
députations,  de  Palais-Royal,  de  théâtre.  Les  trois  nièces  de  Grétry  dans 
les  allées  des  Tuileries  et  la  belle  Mme  de  Buflbn  dans  le  phaéton  du 
duc  d'Orléans2.  Idée  juste,  y  voit  dans  la  Terreur  l'origine  des  maux, 
des  violences  de  l'Europe,  des  invasions  de  1814  et  15. 

«  Du  reste,  force  duels  et  amours,  liaisons  de  prisons  et  fraternité 
politique,  rendez-vous  mystérieux  parmi  des  ruinas,  sous  un  ciel 
serein,  au  milieu  de  la  paix  et  de  la  poésie  de  la  nature;  promenades 
écartées,  silencieuses,  solitaires,  mêlées  de  serments  solitaires3  et  de 
tendresses  indéfinissables,  au  sourd  fracas  d'un  monde  qui  fuyait.  » 

Se  décide  à  partir  pour  l'Amérique.  Départ  à  Saint-Malo. 

Livre  VI.  1822.  —  De  Londres.  Ambassadeur.  Souvenir  de  misère. 
Traversée  admirable.  Toutes  les  peintures  et  tout  le  vocabulaire 
poétique  de  la  vie  maritime.  «  Les  rides  qui  traversent  le  front  du 
matelot  ressemblent  aux  plissures  de  la  voile  diminuée.  » 

Toutes  les  parties  et  descriptions  déjà  placées  dans  le  Génie  du  Chris- 
tianisme et  dans  l'usât  sur  les  Révolutions,  remises  là  à  leur  place, 
dans  leur  esprit  intime  et  dramatique. 

Histoire  du  passager  Tullock,  déjà  dans  Y  Essai,  II,  378  *. 

Kelàche  à  Miquelon  près  Terre-Neuve.  La  jolie  marinière.  Fantaisie 
comme  il  y  en  aura  tant  dans  la  suite.  Glisse  sur  les  rochers.  Guillaumy. 
Son  chant  des  Missions.  Puis,  quand  elle  saute  dans  le  bateau,  seule, 
déployant  la  voile  et  assise  au  gouvernail,  on  l'eût  prise  pour  la 
Fortune5. 

Chant  de  Notre-Dame-de-Bon-Secours  en  mer. 

«  Quand  je  transportais  cette  description  dans  le  Génie  du  Christia- 
nisme, mes  pensées  étaient  analogues  à  la  scène;  mais  quand  j'assis- 

4.  Note  marginale.  —  Idée  profonde. 

2.  Note  marginale.  —Moine  à  demi  défroqué.  —  Dans  un  cercle  de  femmes  folles, 
«ne  religieuse  gravement  assise.  (Se  reporter  au  chapitre  Société.  Aspect  de  Paris,  des 
Mémoires  d'outre-tombe.) 

3.  Le  texte  imprimé  des  Mémoires  cVoutre-tombe  dit  :  éternels.  Sainte-Beuve  se 
sera  trompé  en  copiant,  car  il  n'aurait  pas  répété  deux  fois  le  même  mot.  Du  reste 
tout  ce  passage  est  reproduit  littéralement  dans  les  Mémoires,  sauf  qu'on  y  lit  : 
«  fraternité  de  politique  »,  au  lieu  de  :  «  fraternité  politique  ». 

4.  Les  renvois  de  Sainte-Beuve  à  Y  Essai  coïncident  avec  l'édition  de  Y  Essai  sur 
les  liérotutions,  qui  forme  les  deux  premiers  volumes  des  Œuvres  complètes  de  Cha- 
teaubriand, publiées  chez  Lad  vocal  en  4826,  in-8. 

o.  Note  marginale.  —  Velléda  gracieuse.  (Le  nom  de  Guillaumy  est  emprunté  au 
récit  même  de  cette  rencontre  dans  le  chapitre  intitulé  :  Jeux  marins.  —  Ile  Saint 
Pierre,  des  Mémoires  d'outre- tombe.) 


396  REVUE    D HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

tai8  au  brillant  spectacle,  le  vieil  homme  était  encore  tout  entier  au 
fond  du  jeune  homme.  Etait-ce  Dieu  seul  que  je  contemplais  sur  les. 
flots  '...?  non,  je  voyais  une  femme  et  les  miracles  de  son  sourire  *.  » 

Aborde  à  Baltimore. 

Voyage  avec  Tullock. 

Arrivée  en  Amérique  *.  Visite  à  Washington.  Sa  réponse  :  «  Mais  il 
est  moins  difficile  de  découvrir  le  passage  du  nord-ouest  que  de  créer 
un  peuple  comme  vous  l'avez  fait.  »  Comparaison  de  Bonaparte  et  de 
Washington  faite  en  ce  livre,  de  peur  que  plus  tard  cela  ne  manque 
comme  le  livre  VIIIe  de  Castelnau  \ 

Il  a  écrit  Buonaparte  et  les  Bourbons  dans  d'autres  temps  et  circons- 
tances. S'appuie  de  Lanjuinais,  de  Chénier,  de  MBe  de  Staël,  de 
Benjamin  Constant.  Au  reste,  il  avait  droit  d'écrire  ainsi  sur  Napoléonr 
s'étant  séparé  de  lui  lors  du  duc  d'Enghien,  et  ayant  en  1807  écrit  le 
grand  article  du  Mercure  :  «  Lorsque  dans  le  silence  de  l'abjection,  Ton> 
n'entend  plus  retentir  que  la  chaîne  de  l'esclave  et  la  voix  du  déla- 
teur... l'historien  paraît  charge  de  la  vengeance  des  peuples  »,  qui  fit 
supprimer  le  Mercure.  La  destinée  de  Buonaparte  est  un  miracle  (?)  comme 
toutes  les  grandes  destinées. 

En  quittant  Albany  prés  de  Niagara,  se  croyant  en  pleine  solitude, 
rencontre  sous  un  hangar  une  danse  de  sauvages  menée  par  un 
M.  Violet,  ancien  marmiton  près  du  général  Rochambeau. 

1.  Note  marginale.  —  Aveu  précieux.  Ajouter  cela  à  l'article  et  rapprocher  du 
morceau  sur  Venise  et  Jérusalem.  Comme  plus  tard  en  allant  en  Palestine.  Curiosité  (?)> 
avec  laquelle  j'épie  (?)  ces  passages,  mais  comme  Byron  il  élude,  il  ne  dit  pas  le 
plus  cher  de  son  secret,  pourtant  assez,  endroits  où  Ton  sent  un  parfum  profond 
comme  d'un  oranger  voilé.  —  On  sent,  comme  il  le  dit  à  propos  de  son  mariage, 
un  mystère  caché.  Mettre  là  les  vers  dans  un  chapitre  délicat  et  intime.  (On  tait 
déjà  par  nos  explications  préliminaires  que  Sainte-Beuve  a  extrait  ce  ■  parfum 
d'oranger  voilé  •  de  deux  passages  rapprochés  par  lui,  dans  son  édition  de  -IS36  :  celui 
qu'on  lira  plus  loin  sur  «  Venise  et  Jérusalem  »,  dont  on  a  contesté  l'authenticité 
parce  qu'il  ne  se  retrouvait  pas  dans  les  Mémoires  d 'outre-tombe,  et  celui  dont  il  est 
question  ici  {sur  la  vision  entrevue  dans  les  flots),  auquel  il  a  ajouté  cette  note  en  la 
reproduisant  dans  la  1i*  Leçon  de  son  Chateaubriand  et  son  groupe  littéraire  sous 
l'Empire  :  ■  Je  donne  le  texte  tel  que  je  l'ai  transcrit  en  1834,  avant  les  dernières 
corrections  de  l'auteur.  »  Il  y  a,  en  effet,  dans  les  Mémoires  imprimés,  des  variantes 
qui  Va/faiblissent.) 

2.  Note  marginale.  —  Peut-être  une  de  ces  femmes  dont  il  parle  par  allusion, 
nées  du  sang  anglais  et  indien,  qui  unissent  à  la  beauté  du  sang  de  Clarisse  la 
délicatesse  de  Sacontala. 

3.  Soie  marginale.  —  Et  aussi  pour  voir  les  lieux  pour  un  poème  des  Satchczr 
car  (la  note  reste  ainsi  inachevée). 

4.  Dans  le  Parallèle  de  Washington  et  de  Bonaparte,  des  Mémoires  d' outre- tombe  r 
Chateaubriand  raconte  que  Castelnau,  ambassadeur  comme  lui  en  Angleterre  et 
écrivant  comme  lui  une  partie  de  sa  vie  à  Londres,  arrivé  à  la  dernière  pnge  du 
livre  VU-,  remit  un  fait  à  dire  au  livre  VIII",  et  que  ce  VIIIe  livre  des  Mémoires  de 
Castelnau  n'existe  pas.  C'est  pourquoi  il  se  hâte  de  profiter  de  la  vie,  pour  écrire- 
son  Parallèle  au  moment  même  où  •  Bonaparte  achève  à  peine  de  mourir  ».  — 
Lorsque  les  Mémoires  d'outre-tombe  parurent  dans  la  Presse  en  1848,  un  journal,  le 
Corsaire  (n°  du  40  mars  1849),  signala  d'importantes  mutilations  dans  ce  célèbre 
Parallèle,  qui  avait  paru  en  1827  dans  la  onzième  livraison  des  Œuvres  complètes  de 
Chateaubriand  (2  vol.  in-8,  chez  Ladvocat),  et  avait  été  reproduit  par  le  Courrier 
français  du  7  décembre  1827.  (Le  Corsaire  s'est  trompé  en  renvoyant  au  Globe). 


SAINTE-BEUVE   ET    LES   MÉMOIRES   D'OUTRE-TOMBE.  391 

Image  de  l'Amérique.  Civilisation  nettement  portée  aux  confins  des 
bois.  Descriptions  des  savanes.  «  C'est  dans  ces  nuits  que  m'apparut. 
une  Muse  inconnue,  que  je  recueillis  quelques-uns  de  ses  accents  et 
que  je  les  notai  sur  mon  livre  de  route,  à  la  clarté  des  étoiles.  » 

Près  de  la  cataracte  de  Niagara  :  «  Je  ne  pouvais  communiquer  les 
pensées  qui  m'agitaient  à  la  vue  de  ce  désordre  sublime.  Dans  le  désert 
de  ma  première  existence,  j'ai  été  obligé  d'inventer  des  personnages 
pour  la  décorer...  Qu'est-ce  qu'une  cascade  qui  tombe  éternellement  tx 
l'aspect  insensible  de  la  terre  et  du  ciel,  si  la  nature  humaine  n'est  là 
avec  ses  destinées  et  ses  malheurs!  Ainsi  j'ai  placé  les  souvenirs 
d'Atala  et  de  René  au  bord  de  la  cataracte  de  Niagara.  J'ai  assis 
Velléda  sur  les  rochers  de  l'Armorique,  Cvmodocée  sous  les  portiques 
d'Athènes,  Blanca  dans  les  sables  de  l'Alhambra.  Comme  Alexandre 
créait  des  villes  partout  où  il  courait,  j'ai  laissé  des  songes  en  forme  de 
femmes !  partout  où  j'ai  traîné  ma  vie.  » 

Il  a  le  bras  cassé  à  la  cataracte  en  tombant. 

Les  Bois-Brûlés,  métis  nés  du  commerce  de  nos  aventuriers  français 
et  des  filles  sauvages.  Petite  sauvage  à  la  perle,  modèle  de  Mila,  à 
quatorze  ans  dans  Yavrillée  de  son  âge.  —  Tout  cela  mêlé  du  dîner  à 
Windsor- Lodge. 

A  Y  orée  d'une  plaine2.  Deux  Indiennes  modèles  pour  Cêluta  et  Atala. 
Floridiennes,  filles  peintes2;  magiciennes,  l'une  si  fière  et  l'autre  si 
triste,  «  partagé  qu'il  était  entre  la  crainte  et  la  compatissance  *  ». 

Abordent  à  une  île  sur  le  cours  du  Mississipi.  Ile  des  ruines. 

Voyage,  soleil  couchant,  chaud  paysage.  Tortue  couverte  d'herbes 
fraîches,  de  pois  de  senteur,  de  clématites,  la  fière  s'assied  sur  son  dos, 
la  triste  présente  du  lait  de  noix  dans  un  nœud  de  bambou  à  la  bête 
paresseuse.  Il  se  couche  sous  un  magnolia.  Son  repos  flottait  sur  un 
fond  vague  d'espérance.  Se  réveille  entre  les  deux  Floridiennes.  11  y 
eut  là  ce  qu'il  y  eut  plutôt  dans  la  campagne  romaine  avecCynthie8. 

Trouve  dans  une  cabane  un  soir  un  bout  de  papier  avec  les  mots  : 
Flight  of  the  kiny.  Repart  pour  la  France,  naufrage  admirable  entre 
l'île  de  Guernesey  et  celle  d'Origny.  Cantique  de  Notre-Dame-de-Bon- 
Secours,  chanté  par  quelques  matelots  français.  Homme  qui  surgit 
au  gouvernail  abandonné.  Un  de  ces  hommes  qui  surgissent  des  événe- 
ments et  qui  sont  les  enfants  spontanés  du  péril.  —  Demi-naufrage. 
—  Aborde  au  Havre.  —  Revient  chez  sa  mère,  on  le  marie  avec 
Mn°  Delavigne,  amie  de  ses  sœurs  et  qu'il  a  à  peine  vue,  pour  lui  pro- 

1.  Le  texte  imprimé  des  Mémoires  dit  seulement  :  «  des  songes  •.  T.  I,  p.  353, 
èdit.  Penaud,  in-8,  sans  date. 

2.  Xote  marginale.  —  Le  mot  orée  se  trouve  dans  V Essai.  (Sous  Cavons  rencontré 
dans  le  chapitre  À7//,  t.  Il,  p.  169  de  Védition  Ladvocat). 

3.  Tille  peinte  (une  courtisane),  c'est  la  définition  qu'en  donne  Chateaubriand 
dans  ce  chapitre  des  Mémoires  :  Fontaine  de  Jouvence. 

4.  Soie  marginale.  —  Analogue  à  la  Sylphide  comme  réalité. 

5.  \ote  marginale.  —  Voix  de  Bois-Brûlé  qui  appelle. 

On  repart  en  pirogue;  elle  était  toute  honteuse  et  souriait  lorsque  la  pagaie 
résistait  à  son  bras  fatigué. 


TA  *nri  *'wH*m*r  irrnE&uu  m.  l&  frime. 

o«rer  >  mo-jea  de  toctcne  de  k  faire  fcaer  as  «Mi»»  te  La  eamat  de 
rémrrai*>fi~  Il  **  btasyt  îûre.  DéSieai  portrait  de  sa  Jeauae.  &e  Fia- 
fctew*  4e  ce  maria**  isr  sa  desûne*.  «  Smuk  Uttte.  e*î-£  certain 
q*e  le  m*n*zt  ait  rite  ma  destinée?  —  5ï  je  se  m*  fnss*  pas  marié. 
ma  Sûbbe***  te  m'ajïraît-elle  peu  livré  en  proie  à  qneijK  in-£izx%e  créa- 
tare  *  ci  asraîé^e  pa*  raspil»é  et  *ali  bm«  hewes  comme  t>ri  Bvron? 
Anyo«H  b-:I  qoe  je  m'enfonce  dans  les  années,  toaîes  oe*  folies 
*exaie*t  fASsées...  La  pleine  licence  4e  ne*  désirs  narrait  pas  ajouté 
«ne  corde  ce  pîas  â  ma  Ivre,  on  ko  pîcs  cmc  à  ma  voix.  La  •:  ctnicte 
4e  mes  «estiment*,  le  mjslére  de  nés  pensées  on*  pent-être  axxmenté 
Ténerrie  de  mes  accents,  animé  nés  ouvrazes  4  une  fièvre  interne, 
d'sne  flamme  cachée  qcî  se  fût dissipée  â  lair libre  de Famvur...  Elle  a 
rem*fn  ma  vie  (lus  «rave,  plus  noble,  plus  honorable,  en  m  Inspirant  le 
respect,  sinon  la  force  des  deroîrs.  * 

Sèvere  pour  Bernardin  de  Saint-Pierre  comme  poor  Bjron.  Bernardin 
de  Saint-Pierre  manquait  d'esprit  comme  Saint-Ange,,  et  maiheureose- 
ment  son  caractère  était  encore  au-dessous  de  son  esprit.  Saut- Ange. 
arec  quelque*  talents,  se  tenait  à  quatre  poor  n'être  pas  béte.  mais  il 
ne  pouvait  «'en  empêcher. 

Talmaj'jzé  :  *  5e  demandez  pas  âTalma  le  monde  intermédiaire.  Il 
ne  sait  pas  le  g*nûlkf/mmez  Talma  est  loi,  son  siècle  est  tempe  antiqoe. 
fl  a  l'inspiration  funeste,  le  dérangement  de  génie  de  la  révolution  à 
travers  laquelle  il  a  passé.  Immortel  Oreste  tourmenté  depuis  trois 
mille  ansf.  +  Danton  bien  juré.  Camille  Desmonlins  trop  sévèrement  -. 

Discoars  de  M.  de  Nalesherbes  pour  justifier  en  droit  rémizration  '. 
Émigré  par  Lille,  arrive  à  Tourna*-.  —  Bruxelles  quartier  général  de 
la  hante  aristocratie  et  de  l'émigration  fa  te.  —  Rejoint  l'armée  des 
princes  â  Trêves,  avec,  sous  la  tente,  le  manuscrit  de  son  voyage  dans 
le  havresac.  A  Thionville.  Souvenir  de  cette  vie  militaire,  priât  au 
sixième  livre  des  Martyrs,  quand  Eudore  se  raconte  an  camp  romain 
en  Germanie.  —  Blessé  à  Thionville  à  la  cuisse,  traverse  les  Ardennes. 
a  la  petite  vérole,  rencontre  des  bohémiennes.  Défaillait  au  bord  du 
fossé,  â  la  fin  du  jour.  —  «Je  saluai  de  toute  la  douceur  de  ma  pensée 
l'astre  qui  avait  éclairé  ma  premier?»  jeunesse  dans  mes  bruyères 
paternelles.  »  Ramassé  par  des  conducteurs  de  fourgons,  retourne  à 
Bruxelles  par  Namur.  S'embarque  à  Oètende,  arrive  à  Jersey,  se  décide 
â  passer  en  Angleterre  par  South amp ton.  loin  de  ses  amis  et  parents. 
*  La  mort  de  nos  amis  ne  compte  pas  du  moment  où  ils  meurent,  mais 
de  celui  où  nous  cessons  de  vivre  avec  eux.  —  Si  Ton  pouvait  dire  au 
temps  :  Tout  beau!  on  l'arrêterait  aux  heures  des  délices:  mais  comme 
on  ne  peut,  ne  séjournons  pas  ici-bas:  allons-nous-en  avant  d'avoir 
vu  fuir  nos  amis  et  ces  années  que  le  poète  trouvait  seules  dignes  de 

\.  (>/.*.*-.  ^finition  de  Talma  s*  retrouve  à  rimpar.'aiL  avec  moins  d'énergie  et 
de  concision,  dans  le  chapitre  des  Mémoires  :  Anne*  de  ma  rie  1&ûi.  Tcima. 

2.  S<>t*  marginale.  —  Jacobins  j  :sïs  plus  sévèrement  que  dans  l'Eisai. 

3.  Soie  marginale.  —  Imite  des  raisons  .?.  de  VEuaiy  Th  ras  y  bu  le.  II.  HT. 


SAINTE-BEUVE  ET    LES   MÉMOIRES   D  OUTRE-TOMBE.  399 

Ja  vie  :  Vita  dignior  œtas1.  Ce  qui  enchante  dans  l'âge  des  liaisons 
devient  dans  i'âge  délaissé  un  objet  de  souffrance  et  de  regret.  On  ne 
souhaite  plus  le  retour  des  mois  riants  à  la  terre;  on  le  craint  plutôt  : 
les  oiseaux,  les  fleurs,  une  belle  soirée  de  la  fin  d'avril,  une  belle  nuit 
lunaire2  commencée  le  soir  avec  le  premier  rossignol,  achevée  le  matin 
avec  la  première  hirondelle,  ces  choses  qui  donnent  le  besoin  et  le 
désir  du  bonheur  vous  tuent.  De  pareils  charmes,  vous  les  sentez 
encore,  mais  ils  ne  sont  plus  pour  vous...  la  fraîcheur  et  la  grâce  de  la 
nature  en  vous  rappelant  vos  félicités  passées  augmentent  la  laideur  de 
vos  misères.  » 

A  Londres  malade  et  pauvre,  se  met  à.  écrire  YEssai  sur  les  Révolu- 
tions. Pelletier,  rédacteur  des  Actes  des  Apôtres,  le  lui  place  et  le  loge 
chez  l'imprimeur  Baylie  et  procure  des  traductions  de  latin  et  d'anglais 
que  M.  de  Chateaubriand  fait  de  jour,  comme  Mirabeau  en  Hollande. 

Hingant,  conseiller  au  Parlement  de  Bretagne,  La  Boëtardaye',  Pel- 
letier, misère  et  vie  aventurière  à  la  Gil  Blas A. 

Charmante  peinture  de  l'Angleterre  et  de  la  campagne.  Partout  la 
petite  église  solitaire  avec  sa  tour,  le  cimetière  de  campagne  de  Gray, 
de  jolis  petits  chemins  sablés,  des  vallées  où  paissent  des  vaches...  Mais 
peu  de  bois,  peu  d'oiseaux  et  le  vent  de  la  mer.  Histoire  de  Charlotte. 

A  quatre  lieues  de  Beccles,  dans  une  petite  ville  appelée  Bungay, 
demeure  le  révérend  M.  Ives,  helléniste  et  mathématicien.  Sa  femme  et 
sa  fille  de  quinze  ans.  Liaison  avec  la  jeune  fille,  thé,  musique,  ques- 
tions sur  la  France,  plans  d'études,  lecture  de  Dante  et  du  Tasse  ;  nous 
recueillons  la  passion  dans  le  souffle  du  poète.  Les  années  de  Char- 
lotte et  les  miennes  concordaient,  bonheur  de  ces  liaisons  contempo- 
raines, mélancolie  des  autres  inégales.  «  L'un  a  marché  dans  une  soli- 
tude au  -  delà  d'un  berceau  ,  l'autre  traversera  une  solitude  en 
deçà  d'une  tombe.  Le  passé  fut  un  désert  pour  le  premier,  l'avenir 
sera  un  désert  pour  le  second.  »  Chute  de  cheval,  il  est  traité 
chez  le  révérend.  Scène  de  table.  La  mère  reste  seule  avec  lui.  «  Je  suis 
marié  »,  mot  fatal,  la  retrouve  à  Londres  après  vingt  ans,  les  vingt  sept 
ans  qui  avaient  passé  sur  sa  tête  et  ne  lui  avaient  laissé  que  leur  prin- 
temps (lady  Sulton).  —  Epouse  l'amiral  Sulton  trois  ans  après  le  départ 
d'Angleterre  de  M.  de  Chateaubriand,  demande  de  protection  inutile. 

Émigration  peinte  par  son  côté  plus  aristocratique.  L'abbé  Deliile. 
Son  chef-d'œuvre  est  sa  traduction  des  Géorgiques  :  c'est  comme  si  on 
lisait  <c  Racine  traduit  dans  la  langue  de  Louis  XV.  On  a  des  tableaux 
de  Raphaël,  merveilleusement  copiés  par  Mignard*.  » 

1.  Note  marginale.  —  Belle  justification  de  la  tristesse  profonde  de  M.  de  Cha- 
teaubriand. 

2.  Tout  ce  passage  se  retrouve  dans  les  Mémoires  d? outre- tombe,  sauf  le  mot 
lunaire,  qui  en  a  été  retranché. 

3.  Les  Mémoires  imprimés  orthographient  La  Bouëtardais. 

4.  Sote  marginale.  —  Pelletier  l'envoie  pour  déchiffrer  les  manuscrits  français  du 
xue  siècle  dans  une  entreprise  d'Antiquaires. 

5.  Cette  dernière  comparaison  de  Raphaël,  copié  par  Mignard,  a  clé  retranchée 
des  Mémoires  d'outre-tombe. 


400  ftEYCE    bfllSTOIftE    LITTéBJklBE    BE   LA    FIlVE. 

«  Nais  très  certainement  à  cette  époque.  M**  la  duchesse  de  Duras, 
récemment  mariée,  était  à  Londres:  je  ne  devais  la  connaître  que  dix 
ans  pi  a*  tard.  Que  de  fois  on  passe  dans  la  vie,  sans  le  deviner,  à  côté 
de  ce  qui  en  ferait  le  charme,  comme  le  navigateur  franchit  les  eaux 
d'une  terre  aimée  do  ciel  qu'il  n'a  manquée  que  d'un  horizon  et  d'un 
jour  de  voile!  * 

Le  18  fructidor  amène  à  Londres  M.  de  Font  ânes.  Eloge  de  Fontanes. 
Ses  pensées  et  ses  images  sont  enchantées  ou  comme  on  disait  autre- 
fois; sont  fées.  Ses  deux  petits  volumes,  l'un  de  prose,  l'autre  de  vers, 
seraient  le  plus  élégant  monument  funèbre,  urne  d'ivoire,  sur  la  tombe 
de  l'école  classique1. 

II.  de  Fontanes  récompensé  et  couronné  pour  avoir  eu  l'intelligence 
du  monde  nouveau,  ouvert  par  M.  de  Chateaubriand.  Lettre  de 
H.  de  Fontanes*  :  c  Travaillez,  travaillez,  mon  cher  ami:  devenez 
illustre.  Vous  le  pouvez,  l'avenir  est  à  vous.  (Juillet  98.  Ecrivez-moi  : 
que  nos  cœurs  communiquent,  que  nos  Muses  soient  toujours  amies! 
ne  doutez  pas  que  lorsque  je  pourrai  me  promener  librement  dans  ma 
patrie,  je  ne  vous  y  prépare  une  ruche  et  des  fleurs  à  côté  des 
miennes.  » 

Juillet  08.  Lettre  de  M"*  de  Farcy  qui  conseille  de  ne  plus  écrire, 
en  lui  apprenant  la  mort  de  leur  mère.  11  jette  au  feu  des  exemplaires 
de  l'Essai,  puis  idée  d'expiation,  conception  du  Génie  du  Christianisme. 
Grande  dissertation  sur  l'âme.  «  Un  homme  supérieur,  athée  et  maté- 
rialiste à  trente  ans.  douteur  à  quarante,  croira  plus  tard  à  Dieu  et  à 
l'âme,  et  s'il  vieillit,  il  a  des  chances  de  mourir  chrétien.  Je  dis  chance, 
je  devrais  dire  :  certitude.  Le  christianisme  catholique  est  la  consé- 
quence logique  du  déisme.  »  Le  christianisme,  loin  d'être  à  son  terme, 
entre  à  peine  dans  la  seconde  période.  L'Evangile  est  loin  d'être 
accompli.  Quand  il  aura  atteint  son  développement  final,  les  difficultés, 
qui  sont  encore  au  fond  de  ia  société,  les  dernières  inégalités  de  la  pro- 
priété et  des  rangs  s'effaceront  pour  toujours. 

Ardeur  de  travail,  matériaux  amassés  d'ailleurs.  «  Je  travaillais  avec 
l'ardeur  d'un  fils  qui  bâtit  un  mausolée  à  sa  mère.  »  Le  manuscrit  pri- 
mitif des  Xatchez.  de  2  393  pages  in-folio,  contient  tout  ce  qu'il  faut  au 
Génie  du  Christianisme  de  descriptions.  11  traverse  dans  ses  courses 
autour  de  Londres  le  village,  le  cimetière  d'Harrow,  où  Byron  était  à 
l'école.  Sévère  pour  Byron,  ou  du  moins  ombrageux  et  s'inquiète  longue- 

1.  L'rne  d'ivoire  constitue  ici  une  variante  et  ne  se  retrouve  pas  dans  le  texle 
imprime  des  Mémoire*  d'outre -tombe  En  revanche,  on  y  lit  celte  note  à  la  suite  du 
•  plu?>  élégant  monument  funèbre  qu'on  pût  élever  sur  la  tombe  de  l'école  clas- 
sique •  :  •  Il  vient  d'être  élevé  par  la  piété  filiale  de  M"*  Christine  de  Fontanes. 
M.  de  Sainte-Beuve  a  orné  de  son  ingénieuse  notice  le  fronton  du  monument.  • 
'Paris,  note  de  1830.)  (Mémoires  doulre-tombe,  chapitre  Fontanes...  T.  11.  p.  108  de 
l'édition  Penaud,  in-8,  sans  date.) 

2.  Sole  marginale.  —  Durant  que...  encataeombaient,  mot  vilain,  surtout  dans  la 
bouche  de  Fontanes.  Nuages  qui  projetaient  leur  ombre  fuitite.  (Sainte-Beuve  a 
noté  ce  dernier  mot.  dans  son  article  de  1834,  parmi  ceux  qu'il  a  relevés  dans  la 
langue  du  moyen  âge  de  Chateaubriand.) 


SAINTE-BEUVE    ET    LES    MÉMOIRES    D  OUTRE-TOMBE.  401 

ment  de  quelques  ressemblances  naturelles.  —  Portraits  de  Burke  qu'il 
voit;  —  accablé  de  la  mort  de  son  fils  unique,  il  avait  fondé  une  école 
pour  les  enfants  des  émigrés;  touchante  intention!  —  de  Georges  III  et 
de  Pitt,  qui  est  déjà  touché  dans  Y  Essai.  Drôle  de  portrait  de  Pelletier 
qui  lui  fait  faire  des  courses  à  Bleinheim,  Hampton-Court,  avec  ses 
relais  d'espérances;  une  crevée  sous  lui,  il  en  enfourchait  une  autre;  et 
en  avant,  jambe  de-ci,  jambe  de-là,.  jusqu'au  bout  de  la  journée!  — 
Enfin  il  faut  rentrer  en  France.  Adieu  l'asile  virginal  et  silencieux  de  la 
solitude,  il  faut  entrer  dans  le  carrefour  souillé  et  bruyant  du  monde. 
Au  printemps  de  Tannée  1800,  j'abordai  la  France  et  le  siècle. 


DEUXIÈME  PARTIE 

PRAGUE 

Commencé  Paris  1833.  Infirmerie  de  Marie-Thérèse. 

Description  de  sa  maison  rue  d'Enfer.  —  Montrouge.  Ses  change- 
ments. Desnoyers !,  le  Moulin  janséniste,  la  petite  maison  de  Lauzun.  — 
Sur  les  boulevards  extérieurs  quelquefois  deux  amoureux  sous  un  orme 
au  pendant  d'une  ondée...  belle  tirade  amoureuse  :  On  nest  rien  que 
par  le  bonheur!  —  Misanthropie  un  peu  factice.  «  Je  dois  demander 
pardon  à  mes  amis  de  quelques-unes  de  mes  pensées.  Je  ne  sais  rire  que 
des  lèvres;  j'ai  le  spleen,  tristesse  physique,  véritable  maladie  dont 
l'attachement  le  plus  noble  devrait  pourtant  me  guérir;  mais  quiconque 
a  lu  ces  Mémoires  a  vu  quel  a  été  mon  sort.  Je  n'étais  pas  à  une  nagée  du 
sein  de  ma  mère,  que  déjà  toutes  les  tourmentes  m'avaient  assailli.  » 

Lettre  de  la  citadelle  de  Blaye,  mai  1833,  de  la  duchesse  de  Berry. 

Il  part  dans  une  vieille  calèche  autrefois  construite  à  l'usage  du 
prince  de  Talleyrand,  avec  Hyacinthe  Pilorge,  par  Basle.  Charmante 
description  de  chaque  chose,  bords  du  Rhin;  «  chevaux,  ânes,  porcs, 
chiens  et  chats,  poules  et  pigeons,  étaient  aux  champs  avec  leurs 
maîtres  ». 

Le  Rhin,  fleuve  guerrier,  semblait  se  plaire  aussi  bien  de  cette  scène 
pastorale,  comme  un  vieux  soldat  logé  un  moment  chez  des  laboureurs. 

A  propos  des  femmes  de  Moskirch,  rêveries  de  voyage. 

Il  est  arrêté  à  la  frontière  d'Autriche  à  Haselbach  par  le  chef  de  la 
douane.  Jeune  fille  qu'il  rencontre  à  Waldmiinchen,  sur  la  porte.  «  Je 
la  quittai  comme  une  fleur  sauvage  qu'on  a  vue  dans  un  fossé  au  bord 
d'un  chemin  et  qui  a  parfumé  votre  course.  » 

Paysage  de  Bohème.  «  Ce  qui  manque,  c'est  la  lumière  et  avec  la 

1.  «  Desnoyers  bâtit  ses  salons  de  cent  couverts  pour  les  soldats  de  la  garde  impé- 
riale qui  venaient  trinquer  entre  chaque  bataille  gagnée,  entre  chaque  royaume 
abattu.  Quelques  guinguettes  s'élevèrent  autour  des  moulins,  depuis  la  barrière  du 
Maine  jusqu'à  la  barrière  du  Montparnasse.  Plus  haut  était  le  Moulin  janséniste  et 
la  petite  maison  de  Lauzun  pour  contraste.  »  (Mémoires  d'outre-tombe,  Paris,  rue 
d'Enfer,  9  mai  1833,  t.  V,  p.  358  édition  Penaud.) 


40*  BETTE   BBSIOIEE   L1TTÉBAIKE   DE   LA   FBA5CE. 

lumière.  la  rie;  tout  est  éteint,  pèle,  blêmissant:  l'hiver  semble  avoir 
prié  l'été  de  lai  garderie  givre  jusqu'à  sm  prochain  retour.  —  Un  petit 
morceau  de  lune  qui  entreluisait  me  fit  plaisir,  car  il  me  prouva  que 
tout  n'était  pas  perdu.  L'astre  avait  l'air  de  me  dire  :  «  Comment!  te 
voilà  i«:i?  te  souvient-il  que  je  t'ai  vu  dans  d'autres  forêts?  te  souviens- 
tu  des  tendresses  que  tu  me  disais  quand  tu  étais  jeune?  vraiment,  tu 
ne  parlais  pas  trop  mal  de  moi.  D'où  vient  maintenant  ton  silence? 
Où  ras-tu  seul  et  si  tard?  tu  ne  cesses  donc  comme  moi  de  recom- 
mencer ta  carrière  ?  » 

«  0  lune!  tous  avez  raison;  mais  quand  je  parlais  si  bien  de  vous, 
vous  savez  les  services  que  vous  me  rendiez.  Vous  éclairiez  mes  pas, 
lorsque  sur  les  montagnes  ou  le  long  de  la  mer  je  me  promenais  avec 
mon  fantôme  d'amour.  Vous  m'inspiriez;  je  donnais  à  vos  rayons  la 
flamme  qu'ils  avaient  quand  ils  caressaient  dans  les  bois  certain  chas- 
seur. Aujourd'hui  que  ma  tête  est  argentée  comme  votre  visage,  vous 
vous  étonnez  de  me  trouver  solitaire.  Vous  me  dédaignez!  j'ai  pourtant, 
madame,  passé  des  nuits  entières  avec  vous;  osez  nier  les  rendez-vous 
que  vous  me  donniez  sur  les  gazons.  Astre  ingrat  et  moqueur,  vous  me 
demandez  où  je  vais  si  tard  ?  ne  sentez-vous  pas  combien  il  est  dur  de 
me  reprocher  la  continuité  de  mes  voyages?  Ah!  si  je  marche  autant 
que  vous,  je  ne  rajeunis  pas  à  votre  exemple,  vous  qui  rentrez  chaque 
mois  sous  le  cercle  brillant  de  votre  berceau!  je  ne  compte  plus  de 
lunes  nouvelles,  mon  décours  n'a  d'autre  terme  que  ma  complète  dis- 
parition, et  quand  je  m 'éteindrai,  je  ne  rallumerai  pas  mon  flambeau, 
comme  tu  rallumes  le  tien  !  '  » 

Admirable  peinture  de  l'intérieur  de  Prague,  de  Hradschin.  Visite  à 
neuf  heures  du  soir;  puis  le  lendemain  dix  heures  du  matin  au  dauphin, 
à  Charles  X. 

Puis  aux  enfants,  puis  à  dîner  avec  le  roi.  —  Le  soir  question  aux 
enfants.  Partie  de  whist  entre  le  roi,  le  dauphin,  M.  de  Blacas  et  le 
cardinal  de  Latil.  M.  de  Chateaubriand  témoin  et  Técuyer  O'Hëgerli. 

Mot  désobligeant  sur  l'abbé  de  Lamennais,  après  une  citation  de 
Mickiewicz.  «  L'abbé  de  Lam...  qui  n'avait  qu'une  marche  de  plus  à 
monter  à  l'autel  pour  être  poète,  a  dit2...  » 

Histoire  érudite  de  Prague  et  description  du  pays,  mêlée  à  tout  cela. 

Jean  Huss  el  la  littérature  slave. 

Discussion  des  chances  d'une  Restauration  de  la  légitimité  et 
correction  (?;  de  Charles  X.  Tout  à  fait  développée. 

Grand  développement  politique  sur  l'avenir  de  la  France.  En  citer3. 

\.  Toute  cette  invocation  à  la  lune  —  astre  préféré  de  Chateaubriand  —  est 
remaniée  et  affaiblie  dans  le  texte  imprimé  des  Mémoires.  Le  mot  décours  y  est 
même  changé  en  décompte  (Prague,  23  mai  1833,  t.  V,  p.  398,  édition  Penaud). 

2.  Le  reste  en  blanc.  Nous  n'avons  pas  retrouvé  ce  mot  sur  La  Mennais  dans 
les  Mémoires  imprimés. 

3.  L'article  de  Sainte-Beuve,  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  du  15  avril  1S34,  est 
suivi  en  effet  d'une  -  citation  sur  l'avenir  du  monde  »,  extraite  des  Mémoires,  «  que 
la  bienveillance  de  l'auteur,  dit  Sainte-Beuve,  noirs  a  permis  de  détacher.  • 


SAINTE-BEUVE    ET    LES    MÉMOIRES   D  OUTRE-TOMBE.  403 

Visite  à  la  dauphine  à  Carlsbad  —  puis  toute  l'histoire  des  eaux  de 
cette  vallée  de  la  Tèple,  les  vers  latins  de  Lobkowitz  sur  le  SprudeL 

A  propos  du  serment.  M.  Laine  Ta  prêté  par  faiblesse,  M.  Roycr- 
Collard  par  orgueil.  L'un  en  mourra,  l'autre  en  vivra,  mais  parce  qu'il 
vit  de  tout  ce  qu'il  fait,  ne  pouvant  rien  faire  que  d'admirable. 

Parti  de  Carlsbad.  Songe  la  nuit  à  ces  légions  d'étoiles  qui  sont  des 
mondes,  à  la  petitesse  de  la  terre  au  milieu  de  ces  mondes  —  puis 
tout  d'un  coup  :  «  N'ayez  pas  peur,  Cynthie;  ce  n'est  que  la  susurration 
des  roseaux  inclinés  par  notre  passage  dans  la  forêt  mobile  »  —  et 
il  approche  avec  Cynthie  du  tombeau  de  Cecilia  Metella.  Tout  est 
baigné  de  la  lune,  de  parfums,  de  l'améthyste  et  l'azur  des  clartés  phé- 
béennes,  de  la  fragrance  des  tubéreuses  sauvages.  Les  mânes  blancs1 
de  Délie,  de  Laiagé,  Lydie,  Lesbie,  Olympia  flottent  dans  cette  mer 
de  rayons.  Songe  voluptueux  a.  Sans  doute  un  souvenir.  Il  en  est 
réveillé  en  sursaut  par  l'homme  qui  lui  crie  dix  kreutzer  à  la  barrière 
d'Egra. 

Plus  loin  à  Bischofsheim,  pendant  le  dîner,  hirondelle  à  sa  fenêtre. 
Dialogue  anacréontique.  «  François,  ma  trisaïeule  logeait  à  Combourg 
sous  les  chevrons  de  la  couverture  de  la  tourelle...  ma  grand'mère 
logeait  à  Bungay,  à  la  croisée  de  Charlotte.  Etc.  »  Et  la  réponse  : 
«...  comme  toi,  j'ai  aimé  la  liberté  et  j'ai  vécu  de  peu...  » 

Arabesques.  Retour  à  Paris.  Histoire,  à  propos  de  son  âge,  de  la 
dame  de  Lyon  qui  lui  écrit  pour  vouloir  bien  conduire  sa  fille  à  Paris. 
Gai,  varié. 

Lettre  à  la  dauphine.  «  Madame,  vos  malheurs  sont  montés  si  haut 
qu'ils  sont  devenus  une  des  gloires  de  la  Révolution.  »  Etc. 

Lettre  de  la  duchesse  de  Berry. 

Venise.  Celle  d'autrefois,  la  plus  triomphante  cité  qui  fût  au  dire  de 
Comines,  et  celle  d'aujourd'hui  :  c'est  surtout  aux  pays  en  décadence 
qu'un  beau  climat  est  nécessaire.  Il  y  a  assez  de  civilisation  à  Venise 
pour  que  l'existence  y  trouve  ses  délicatesses  :  les  débris  d'une 
ancienne  société  qui  produisit  de  telles  choses,  en  vous  donnant  du 
dégoût  pour  une  société  nouvelle,  ne  vous  laissent  aucun  désir  d'avenir. 
Vous  aimez  h  vous  sentir  mourir  avec  tout  ce  qui  meurt  autour  de 
vous...  La  nature,  prompte  à  ramener  de  jeunes  générations  sur  des 
ruines  comme  à  les  tapisser  de  fleurs,  conserve  aux  races  les  plus 
affaiblies  l'usage  des  passions  et  l'enchantement  des  plaisirs.  » 

Echos  des  rames  des  gondoles  que  répètent  les  palais  plus  retentis- 
sants, parce  qu'ils  sont  vides. 

A  propos  de  Vérone,  il  énumère  tous  les  rois  et  ministres  morts. 
«  En  dehors  de  cette  réunion  pompeuse,  que  n'ai-je  point  encore  perdu? 

1.  Le  mot  blanc*  et  celui  d'Olympia  ne  se  retrouvent  pas  dans  les  Mémoires 
d'outre-tombe  (t.  VI,  p.  49,  édition  Penaud).  Nous  n'y  retrouvons  pas  non  plus 
-  cette  mer  de  rayons  »  et  le  mot  fragrance,  que  nous  copions  tel  que  nous  le 
lisons,  est  remplacé  tout  simplement  par  la  «  senteur  des  tubéreuses  sauvages  ». 

2.  Songe  à  la  Jean-Paul,  mais  d'un  beau  pur. 


VM  MTCE    l»ll«7vlft£    UfTLKJUftC    IHE    LA    FUV1. 

ma  dernière  et  noble  amie  la  duchesse  de  Duras  n  Vt-eile  pas  emporté 

dam  la  tombe  les  lettres  où  je  Ici  racontais  ce  qui  se  passait  sous  mes 

rera?  * 
v-  A  Venise-  visite  chez  M"*  Albrizzi,  qui  parle  de  lord  Bvron  -.  —  Visite 

a  la  prison  où  fut  Pellico,  à  la  Zanze,  sa  çardienne,  qui  depuis  est 

mariée  et  a  trois  enfants  s. 
Rousseau.  Souvenir  de  la  Zulietta.  «  A  travers  le  charme  du  style, 

du  vulgaire  et  du  cynique.  » 
-  L'autre  lai  et  noble  don  Juan  :  Bvron  et  la  Fornarina  s. 

•  Jolie  colère  de  la  Zanze.  La  réfutation  qu'elle  fait  du  récit  de  Pellico. 
>                                  Blé  nie  avoir  été  alors  en  amour. 

j  Soirée  chez  la  comtesse  Benzoni  :   réponse  à  ce  qu'on   lai  dît  : 

*■*.  «  rota  faites  U  vieux...  »  —  Monsieur,  vous  me  traitez  mal  :  il  faut  être 

fc,  vieux  à  Venise  pour  la  gloire.  Sur  vos  cent  vingt  doges,  plus  de  cin- 

l  quante  sont  illustres,  à  l'âge  où  les  autres  décroissent. 

!:  Revenu  au  Lido.  —  La  mer,  cette  patrie  qui  voyage  avec  nous. 

*  Souvenir  de  Yltinéraire.  —  J'adressai  des  paroles  d'amour  aux  vagues, 
•'  nos  fidèles  compagnes:  je  plongeai  mes  mains  dans  la  mer.  je  portai  à 
f  ma  bouche  son  eau  salée  sans  en  sentir  l'amertume.  U  écrit  un  nom  sur 

le  sable,  ce  n'est  qu'au  sixième  déroulement  qu'elles  l'ont  emporté 
lentement  et  lettre  à  lettre.  «  Je  sentis  qu'elles  effaçaient  ma  vie.  • 
it  Souvenir  de  la  tempête  aux  côtes  d'Afrique  le  26  décembre  1806  et 

£-  de  la  bouteille  jetée  à  l'eau,  scellée  avec  son  nom  : 

«  Hais  ai-je  tout  dit  dans  Y  Itinéraire  *  sur  ce  voyage  commencé  an 
port  de  Desdémona  et  d'Othello?  al lais-je  au  tombeau  du  Christ  dans  les 
dispositions  du  repentir?  une  seule  pensée  m'absorbait,  je  comptais 
avec  impatience  les  moments.  Du  bord  de  mon  navire,  les  regards 
attachés  sur  l'Étoile  du  soir  (comme  lÂandre).  je  lui  demandais  des 
vents  pour  cingler  plus  vite,  de  la  gloire  pour  me  faire  aimer.  J'espérais 
en  trouver  à  Sparte,  à  Sion,  à  Memphis,  à  Carthage,  et  l'apporter  à 
TAlhambra.  Gomme  le  cœur  me  battait  en  abordant  les  côtes  d'Espagne  ! 
aurait-on  gardé  mon  souvenir  ainsi  que  j'avais  traversé  mes  épreuves? 
que  de  malheurs  ont  suivi  ce  mystère!  Le  soleil  les  éclaire  encore!  la 
raison  que  je  conserve  me  les  rappelle.  Si  je  cueille  à  la  dérobée  un 
instant  de  bonheur,  il  est  troublé  par  la  mémoire  de  ces  jours  de  séduc- 
tion, d'enchantement  et  de  délire.  » 
Et  plus  loin  :  «  Inutilement  je  vieillis;  je  rêve  encore  mille  chimères; 

1.  Je  ne  retrouve  pas  cette  visite  dans  les  Mémoires  imprimés,  pas  plus  que  la 
réponse  sur  les  doges  de  Venise,  dont  il  est  question  quelques  lignes  plus  loin  chez 
la  comtesse  Benzoni. 

t.  Sole  maryinale.  —  Rêverie  au  Lido.  Dernier  cahier. 

3.  Maîtresse  de  Byron,  à  Venise,  ainsi  surnommée,  disent  les  Mémoires  d'outre- 
tombe,  à  cause  de  l'état  de  son  mari. 

4.  Tout  ce  passage,  même  la  bouteille  scellée,  jetée  à  la  mer,  qui  le  précède,  a 
disparu  des  Mémoires  d'outre-tombe,  et  c'est  ce  qui  a  donné  lieu  à  tant  de  contes- 
tation», résolues  à  la  lin  par  la  rencontre  ou  la  découverte  d'une  variante  écourtée 
de  cette  paire.  désormais  célèbre,  dans  un  manuscrit  des  Mémoires,  possédé  par 
l'honorable  éditeur  M.  Champion. 


SAINTE-BEUVE    ET    LES    MÉMOIRES   D  OUTRE-TOMBE.  405 

les  ans  qui  auraient  dû  m'assagir  n'ont  réussi  qu'à  chasser  ma  jeunesse 
extérieure,  à  la  faire  rentrer  dans  mon  sein.  » 

Ferrare,  le  Tasse,  admirable  peinture  du  malheur  des  poètes  et  de 
l'ingratitude  du  magnanime  Alphonse*. 

Voit  la  duchesse  de  Berry  qui  arrive  à  Ferrare  et  qui  en  repart,  lui 
donnant  rendez-vous  à  Padoue. 

La  duchesse  de  Berry  arrêtée  dans  son  voyage.  M.  de  Chateaubriand 
continue  jusqu'à  Prague,  puis  revient f . 

Jour  de  Saint-François  en  voyage  :  époque  annuelle  d'examen  de 
conscience. 

«  Quand  les  semences  de  la  religion  germèrent  la  première  fois  dans 
mon  âme,  je  m'épanouissais  comme  une  terre  vierge  qui,  délivrée  de 
«es  ronces,  porte  sa  première  moisson.  Survint  une  bise  aride  et  glacée 
et  la  terre  se  dessécha.  Le  ciel  en  eut  pitié;  il  lui  rendit  ses  tièdes 
rosées;  puis  la  bise  souffla  de  nouveau.  Cette  alternative  de  doute  et  de 
foi  a  fait  longtemps  de  ma  vie  un  mélange  de  désespoir  et  d'ineffables 
délices  *.  » 

11  cherche  dans  la  religion  une  sensation  même,  un  aiguillon  à  l'épi- 
curisme.  Voilà  notre  faible  à  tous  de  son  école. 

11  revoit  les  ormes  de  son  boulevard  et  les  réverbères  agités  dont  la 
lumière  demi-éteinte  vacillait  comme  la  petite  lampe  de  sa  vie  4. 

Phrase  quelque  part  en  parlant  de  René  :  «  Quand  je  peignis  René, 
j'aurais  dû  demander  à  ses  plaisirs  te  secret  de  son  ennui.  » 

Mot  de  Vauvenargues. 

Dites-nous  le  secret  :  vous  ne  le  dites  qu'à  demi. 

Passages  délirants  dans  Rancé,  vous  avez  mis  le  nom  de  MIle  Ta- 
glioni. 

M.  de  Chateaubriand  est-il  triste  naturellement,  ou  est-ce  un  rôle5? 

Profonde  mélaucolie  de  René,  (ennui),  réelle  mais  recouverte  d'une 
seconde  nature  qui  devient  à  la  longue  essentielle.  —  Chateaubriand  les 
promenant  à  Montrouge.  C'est  assez  pour  qui  a  tant  vu,  mais  pour  nous 
qui  n'avons  rien  vu,  ces  plaines  pelées  sufllsent-elles? 

Admirable  imagination  de  détail  dans  Atala.  «  Cette  religion  qui 

1.  Sole  marginale.  —  11  y  a  de  tout  dans  ces  Mémoires,  de  l'amour,  du  chrétien, 
du  royaliste,  du  républicain.  L'unité  y  peut  manquer,  mais  la  seule  unité  est-elle 
de  Vartl 

2.  Sole  marginale.  —  Le  gouverneur  de  Venise  lui  retire  le  passage.  M.  de  Cha- 
teaubriand court  à  Prague  par  le  Tyrol.  11  arrive  au  moment  où  la  famille  va 
partir  pour  Butschirad  à  six  lieues  de  Prague,  sur  la  route  de  Carlsbad,  afin 
d'échapper  à  l'arrivée  de  la  duchesse  de  Berry,  et  aux  jeunes  gens  qui  viennent 
saluer  la  majorité.  Esprit  de  cette  narration,  ironie  juste,  et  leste  et  tendre.  Effet 
de  l'arrivée  de  ces  honnêtes  jeunes  gens. 

3.  Ce  passage,  cité  par  Sainte-Beuve  dans  son  article  de  1834  et  dans  celui  des 
Causeries  du  Lundi,  t.  X  (1854),  ne  se  trouve  pas  dans  les  Mémoires  à  l'endroit 
indiqué  ici,  à  la  suite  de  la  Saint-Franyois,  mais  dans  le  chapitre  Bamberg 
(2  juin  1833).  Certaines  éditions  ont  imprimé  brise  pour  bise.  Cela  devait  être. 

4.  Mémoires  d'oulre-lombe,  l.  VI,  p.  163,  édit.  Penaud. 

5.  Sole  marginale.  —  Son  tort  est  de  se  croire  privilégié  dans  les  malheurs,  son 
privilège  est  dans  le  génie  qui  les  exprime  et  les  peint. 

Rev.  d'iiist.  uttér.  de  la  Fhance  {*•  Ann.).  —  VII.  27 


<m 


Kl  va;    D  lUSTOIlU:    LllîLKAIKE    DE    LA    FRANCE. 


auftit  seule  pour  les  vaincre  (passions),  quand  tout  les  favorise,  et  le 
secret  des  bois  et  l'absence  des  hommes  et  la  fidélité  des  &mbre$  '  !  * 

*<  Ses  beaux  yeux  étaient  fermés,  ses  pieds  modestes  étaient  joints.  » 

Fond  de  M.  de  Chateaubriand.  Artiste,  glu  ire;  second  plaisir, 
amour,  femmes,  vanité*  Troisième  :  pouvoir  du  monde  et  politique, 
Ligne  pure ,  correcte  (sobre)  de  son  style ,  colonne  droite  ;  styles  à 
eolonne*  2  au  lien  que  Lamartine  est  un  style  à  ilôts;  —  mais  an 
fond  et  quel  que  soit  le  grave  ou  le  maniéré  du  premier  plan,  le 
grand  au  fond,  l'horizon,  1a  mer3. 

Bon  sens  mêlé  au  faste  comme  pour  Louis  XIV  \ 

Ln  lisant  bien  V Essai  sur  ies  f (évolutions,  on  y  voit  quelles  lectures 
nombreuses,  indigestes5,  avait  fait  le  jeune  homme,  quelle  préoccupa- 
tion littéraire  avant  tout  avait  été  la  sienne,  quand  il  parle  du  triomphe 
de  l'insertion  d*une  idylle  dans  VÀtmanaeh  des  Muses,  C'est  vrai.  Il  avait 
commencé  son  épopée  des  nations  avant  de  partir  et  son  voyage  a  pour 
idée  de  l'achever. 

Voir  ses  notes  de  Y  Essaie  curieuses.  Oioguené  et  Champfort  mieux 
jugés  que  plus  tard  ■,  Républicain  et  royaliste,  ne  sont  que  deux  mots 
pour  la  même  chose,  indifférence  politique.  Plus  tard  seulement  avec 
le  Génie  du  Christianisme ^  rôle  trouvé,  pris,  suivi,  magnifique. 

Quand  il  juge  actuellement  les  terroristes  7T  il  est  comme  M*  Daunout 
remarquable.  Alors  ce  qu'il  dit  du  système  de  perfection  plus  juste. 

Bien  du  xvm°  siècle  à  l'origine.  Homme  sensible,  respect  des  gens  de 
Lettres,  Cela  d'abord  et  avant  tout*  Laborieux,  à  quoi  il  pense  seul,  à 
quoi  il  passe  ses  matinées.  L'amour  est  la  gloire  des  Lettres,  l'amour 
flatteur  et  qui  le  couronne  et  l'adore. 

Cfi  qu'il  fait  dans  YEmri  plein  de  rapprochements  historiques  est 

1.  Soie  marginale*  —  Les  souvenirs  <!<■  L'amour  dâni  le  cœur  d'un  vieillard 
sont  comme  le*  feu*  du  jour,  ré  fléchis  par  l'orbe  paisible  de  ta  lune»  lorsque  le 
aoiei)  est  couché  et  que  te  silence  plane  sur  les  buttes  des  sauvages.  {Aiulti). 

2.  Sole  matinale.  —  Toules  les  richesses  avec  des  lianes  du  désert  pour  cJiftpf* 
teauît.  {Se  retrouve  dans  le  passage  de  Partiek  de  lê$4  auquel  nous  rentùyont  dans  Ut 
note  ci-tiprèi.) 

3.  ftoU  marginale,  —  Nobles  {moi  ttiisible}  qui  ont  toujours  rétabli  iVqui libre» 
Tordre,  la  réalité. 

4.  Sote  marginale.  —  Sobre  pourtour.  Ne  s'attarda  ni  pas.  Malgré  la  métaphore* 
sa  parole  se  retrempe,  piquant  (ï)  droit  à  ht  pensée,  il  ne  s'amuse  pas  dans  la 
métaphore.  Il  \  va  el  en  revient  iS^us  trii  icivette  note  qui  ne  trouve  tout 
en  têU  du  dossier  de  Sainte-tteuvc  parce  qu'elle  concorde  avec  tout  te  pat$a0ê  de  son 
tirtictr  vu  tt  FtippTùCht  Somme  Sri!  le  style  de  (  hatrutduiand  du  faste  de  Luaix  XtV,  — 

Voir  pour  plu*  d*'  facilité  FéêUUm  Michel  f  \t  des  Portrait»  contemporains, 

t,  L  p.  t:i  et  i$,  au  SaMe+Beuwt  park  OMUi  dêa  lectures  indigestes  qu'avait  dû  fane 
fauteur  de  FlC 

(,  HoU  marginale.  —  {Met  ittiôbU).  Itàkage  de  Pliai  et  d<  Bucboniatoo,  de 
Simonide,  de  Konlanes,  [mût  UtUibU)t  du  Miuscrii  et  du  Mohûbarota* 

6.  Sote  marginale.  —  bernardin  de  Saint-l'ierre,  plus  indulgemnieul.  Estai)  1, 
Etoosaetti  utiti,  U  ims. 

1.  Note  marginal.  —  En  W,  comme  M.  de  (mot  illisible),  il  écrit  sur  la  Révolu- 
tion* Admirable  coup  tVœil  sur  ta  gravité  des  événement*.  Essai,  I,  ii^i.  —  Grajn 
hrau!  ^  Amour  de  Rousseau  et  de  la  vie  sauvage,  ],  ^S6.  Admirable.  Misanthropie. 
ItàtftficoUe  sceptique,  durable*  qui  se  retrouve  dans  le*  Mi-moires,  moins  chrétiens* 
Eêsau  II,  m. 


S.VINTE-BECVE    ET    LES    MÉMOIRES    d'oUTHE-TOMBE* 


407 


bien  naturel,  et  il  est  peu  déjeunes  gens  qui,  sous  l'influence  politique 
des  grandes  années,  n'ait  fait  ainsi  ses  premières  lectures  et  ses  pre- 
mières noies» 

Grande  curiosité  historique,  érudite  et  politique  qui  se  mêlait  dès 
l'abord  à  la  poésie  chei  le  jeune  Chateaubriand.  Algèbre,  singulière 
politique.  Esmi%  I.t  20It  après  les  ébauches  déjà  laites  d*ÀUta  et  de  René, 

Étrange  et  beau  chapitre  de  V  Essai  t  11,  71,  S>pn ration  de  l'homme 
de  la  nature  d'avec  l'homme  de  la  société;  républicain,  s'il  le  croyait 
possible;  mais  idée  de  corruption  et  de  la  monarchie  meilleure.  Le 
suivre  un  peu  dans  ses  variations  politiques,  Suus  l'Empire,  position 
prise  et  noble  rôle.  H  va  un  peu  loin  sous  la  Restauration,  quoiqu'il 
comprenne  dés  lors  la  liberté  Ûlle  des  lumières  autre  que  la  liberté,  fille 
des  mœurs;  maïs  enferré  fréquemment  dans  le  chevaleresque  et  le 
parti  ultra  et  dérivant  par  la  louange.  Les  convenances  arliGcietles. 
Depuis  1830,  double  position.  Brochures  publiées. 

Comme  on  va  sur  le  pré  noblement,  mais  citer  l'admirable  morceau 
politique  :  Du  progrès  futur» 

Rapprochement  avec  Bêranger.  Bel  exemple  donné  par  Chateau- 
briand; devrait  être  toujours,  et  si  Lamartine...  il  y  reconnaît  que  celte 
chanson  n'a  semé  ni  envie  ni  haines.  De  même  que  le  chansonnier 
apprenait  la  noblesse  de  cette  Ame  qui  vient  d'écrire  que  le  peuple  '... 

On  foïl,  Essai,  11,  131,  la  différence  de  ses  sentiments  philosophiques 
sur  les  rois  alors  et  de  son  jargon  bourbonien  de  plus  tard  —  des  saines 
doctrines  et  du  panache  d'Henri  IV. 

Adresser  des  vers  à  Chateaubriand  sur  le  point  délicat  des  Mémoires, 
amour.  Combien  attentif,  en  écoutant,  à  saisir  les  moindres  mots  mys- 
térieux de  ce  que  son  cœur  ne  trahit  pas  V. 

Essai,  11,  156.  Admirable  chapitre  sur  le  malheur,  sur  la  faim,  l'in- 
suflisançe  des  moralistes3;  conseil  au  pauvre,  fuir  dans  les  campagnes, 
loin  des  jardins  publics  et  du  fracas;  ne  sortir  qu'à  la  brune;  voir  de 
loin  les  réverbères  aux  porles  des  hôtels;  mais  en  voyant  les  petites 
lumières  à  la  fenêtre  du  faubourg,  il  se  dit  :  14  j'ai  des  frères** 

Étude  de  la  botanique*  Puis  un  livre  qu'un  a  bien  de  la  peine  à  se 
procurer*  un  livre  qu'on  tire  3...  va  remplir  les  heures  du  silence. 


i.  La  dîflkulLé  de  déchiffrer  certains  mots,  jointe  à  l'inachevé  de  ces  noies, 
nous  fail  reporter  au  passade  de  L'article  de  Sainte-Beuve,  OÙ  Château briand  •  <\ 
rapproché  de  Mèranger  :  «  Bèrtfiger  se  v.nnv  d'être  du  peuple,  M.  de  Chateaubriand 
revendique  Jea  anciens  comtes  de  Bretagne,  maïs  lotis  les  deux  se  rencontrent 
fans  I  idée  il ii  siècle,  dans  la  république  future»  et  ils  se  tendent  la  main*  •  C'était 
écrit  en  1SJ1.  [Portraits  contemporain*,  t.  I,  p*  25*  édition  d<3  is 

2.  Noté  marginale.  —  A  propos  de  la  langue  de  Chateaubriand.  Il  n'y  a  pas 
d'ancienne  langue  écrite  é*  cœurs. 

3.  Sote  marginal**  — Rapprocher  Chateaubriand  pauvre  a  Londres  d'André  Ché- 
nier  somhre  et  triste  dans  sa  taverne.  |fo]  Huait 

4.  Note  mat  g  ma  te.  —  Au  lieu  de  cela,  dans  les  Mémoire^  pas  ^e  fi'èreê  :  tout  aboutit 
à  une  statue.  fc 

lu  II  m.-  qu'on  a  eu  bien  de  la  peine  à  se  proeuivr.  en  lis  je  qu'on  tîre  précicu- 
Bernent  du  lieu  obscur  où  on  :  ntpli  r  ces  heures  de  silcn* ■»■ 

*ur  tv*  Révolution*,  t.  HT  ehap.  xuj.  Aux  infortunés,  p.  171 1  édition  Lad  vocal.,  1S2G.) 


408  REVCE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE   DE   LA    FRANCE. 

L'Essai  et  les  jugements  sur  les  encyclopédistes  et  philosophes 
sont  pins  justes  que  les  notes.  Diderot  est  terriblement  traité  dans  ces 
notes  :  V Essai  est  plus  enthousiaste,  mais  moins  factice.  11,  275. 

Assez  beaux  vers  dans  le  cimetière  de  Gray  :  Ainsi  brille  la  perle,  etc. 

Dans  V Esclave  :  Musulmane,  aux  longs  yeux,  etc. 

A  propos  du  rôle  joué  et  adopté  par  M.  de  Chateaubriand  dès  4800, 
parle  de  l'avantage  de  ces  choses  même  factices.  Il  faut  de  ces  grands 
emplois  au  génie.  Cela  remonte  la  vie  comme  une  machine  au  moment 
où  Je  courant  turbulent,  naturel,  de  la  jeunesse,  s'affaiblit.  Inconvé- 
nients de  la  vue  pure  de  la  réalité  à  cet  âge. 

...  Rides1  à  la  beauté,  même  au  génie. 

Fin  des  notes  prises  par  Sainte-Beuve  sur  le  manuscrit  des  Mémoires  de 
Chateaubriand  *. 

Pour  copie  conforme, 

Jules  Tboubat. 

1.  Un  mot  illisible  précède  Rides. 

2.  Au  moment  de  mettre  sous  presse,  une  révélation  curieuse  et  piquante  nous 
est  faite  par  le  livre  de  M.  G.  Pailliès,  récemment,  paru  chez  Garnier  frères  :  Du 
nouveau  sur  J.  Jouberl.  Chateaubriand ,  F  ont  ânes  et  sa  fille.  Sainte-Beuve.  L'auteur 

.nous  y  apprend  que  c'est  lui  qui  s'aperçut  le  premier  (et  qui  en  fit  part  à  d'autres) 
que  la  fameuse  page  en  litige  sur  le  rendez-vous  donné  à  l'Alhambra  ne  se  retrou- 
vait pas  dans  les  Mémoires  a* outre-tombe.  M.  Pailhès  se  sert  de  gros  mots  pour 
blâmer  Sainte-Beuve  d'avoir  publié  celte  page.  C'est  étonnant  chez  les  premiers 
éditeurs  de  Chateaubriand  et  son  groupe  littéraire  sous  l'Empire. 


CHANTS    HISTORIQUES    FRANÇAIS    DU    XVIe    SIÈCLE.  409 


CHANTS   HISTORIQUES   FRANÇAIS   DU  XVIe  SIÈCLE 

.  .      (Suite*.). 


128.  —  Chanson  lamentable  sur  le  chant  :  0  combien 
est  heureuse....  1545. 

Voyez  la  grand'offense 
Faite  parles  meschans... 
•(13  couplets  de  6  vers.) 

Cette  pièce  est  une  complainte  inspirée  par  l'effroyable  destruction 
des  villages  de  Mérindol  et  de  Cabrières.  Le  massacre,  qui  a  marqué 
d'un  sanglant  stigmate  les  noms  du  président  Meynier  d'Oppède  et  du 
cardinal  de  Tournon,  eut  lieu  au  mois  d'avril  1555.  Les  détails  en  sont 
trop  connus  pour  que  ntius  ayons  besoin  de  les  rappeler. 

Le  timbre  de  la  complainte  est  une  chanson  souvent  citée  de  Mellin 
de  Saint-Gelais  : 

0  combien  est  heureuse 
La  peine  de  celer... 

(Éd.  Blanehemain,  I,  p.  66.) 

Les  couplets  de  Saint-Gelais  ont  été  reproduits  dans  un  grand 
nombre  de  recueils  du  xvie.  siècle.  Jean  Chardavoine  nous  en  a  con- 
servé la  mélodie  dans  son  Recueil  des  plus  belles  et  excellentes  chansons 
en  forme  de  voix  de  ville,  éd.  de  1588,  fol.  117. 

On  chantait  sur  le  même  air  : 

1.  La  bonté  et  clémence 

Du  Seigneur  veux  chanter... 

(Recueil  de  plusieurs  chansons  spirituelles...  [par  Mathieu  Malingre], 
1555,  p.  257  ;  Chansons  spirituelles  à  l'honneur  de  Dieu,  1596,  p.  419.) 

2.  La  langue  envenimée 
D'un  envieux  maudit... 


(Ibid.,  1555,  p.  103;  —  1596,  p.  114.) 


1.  Voir  le  n°  2,  avril  1894,  pp.  143-158,  et  le  n°  3,  juillet  1894,  pp.  290-307;  le  n*  1, 
janvier  1895,  pp.  36-58  et,  le  n«  4,  octobre  1895,  pp.  550-576;  le  n*  3,  juillet  1896, 
pp.  376-408,  et  le  n°  2,  avril  1899,  pp.  225-252. 


410  EETCE   DHISTOIEE    LITTÉBAIBE    DE    LA    FEA5CE. 

3.  L'ardeur  qui  me  tourmente 
M'a  sceu  si  bien  dompter... 

(Recueil  et  Eslite  de  plusieurs  belles  chansons  joyeuses.,,  eolligees  des 
plus  excellents  poètes  français  par  J.  \Y\acsbergc~j  AnTers,  chez  Jean 
Waesberge,  1576,  în-12,  fol.  114;  —  L Excellence  des  chansons  tes  plus 
joyeuses  et  récréatives  composées  de  ce  temps...  Lyon,  par  Benoist  Rigaud, 
1584,  in-16,  fol.  65.) 

4.  Mon  Dieu,  fais  par  ta  grâce 
Nos  cœurs  illuminer... 

(Le  Accueil  de  toutes  sortes  de  chansons  nouvelles...  Paris,  veufve 
Nicolas  Buffet,  1557,  in-16,  fol.  95  v.) 

5.  0  combien  est  heureuse... 

(Recueil  de  plusieurs  chansons  spirituelles  [publié  par  Mathieu 
Malingre],  1555,  p.  62  Voy.  Le  Chansonnier  huguenot,  II,  p.  444.) 

6.  0  combien  fut  heureuse 
La  Vierge  quand  receut... 

(Nicolas  Denisot,  Aoéb,  1545,  n°  1  ;  réimpression  de  1847,  p.  13.) 

7.  Trop  soudaine  aliance 

Ne  peut  longtemps  durer... 

(Ample  Recueil  des  chansons,  tant  amoureuses,  rustiques,  musicales, 
que  autres...  ;  Lyon,  par  Benoist  Rigaud,  1582,  in-16,  fol.  46.) 

Bibliographie. 

A.  —  Recueil  de  plusieurs  chansons  spirituelles  tant  vieilles  que  nou- 
uelles,  auec  le  chant  sur  chascune,  afin  que  le  Chrestien  se  puisse 
esiouir  en  son  Dieu  &  l'honorer  :  au  lieu  que  les  inûdelles  le  desho- 
norent par  leurs  chansons  mondaines  &  impudiques.  M.  D.  LV  [1555]. 
S.  /.,  in-16  de  269  pp.,  p.  190. 

B.  —  Le  Chansonnier  huguenot,  1871,  pp.  341-345. 


129.  —  Chanson  sur  le  chant  de  :  0  cruaulté  logée  en  grand 
beaulté,  etc.,  Description  de  V extérieure  beaulté  et  pompe 
papalle,  et  de  sa  chute  future.  Par  Ecstorg  de  Beaulieu.   1546. 

1.  0  grand  beaulté,  qui  loges  cruaulté, 
0  cruaulté  logée  en  grande  beaulté, 
Quand  soubz  habits  si  tresbeaux  sentiras 


CHANTS   HISTORIQUES    FRANÇAIS   DU   XVI*   SIÈCLE.  411 

Que  Ton  congnoit  ta'grand  desloyautté, 

Plus  père  sainct,  je  croy,  ne  te  diras!  (Matt.,  23  a.) 

2.  Quand  les  lacquais  qui  ton  corps  ont  porté 
Et  tes  mignons,  tant  pleins  de  braveté, 
Te  laisseront,  et  que  plus  ne  voirras 

Des  cardinaulx  assis  à  ton  costé, 

Plus  père  sainct,  je  croy,  ne  te  diras.  10  (Luc,  20  g.) 

3.  Quand  tes  pardons,  qui  nous  ont  tant  cousté, 
Ne  courront  plus,  et  te  sera  osté 

Terres,  pays,  thresors  et  ce  qu'auras, 

Comme  sainct  Jean  en  son  livre  à  cothé.  (Apo.,  18.) 

Plus  père  sainct,  je  croy,  ne  te  diras. 

4.  Prince  rommain,  a  tort  pater  sancte, 
En  brief  de  temps,  tu  seras  absenté, 
Et  de  ton  hault  au  plus  bas  tomberas. 

Lors,  te  voyant  de  tous  poinctz  débouté,  (II  Thés.,  2  abc.) 
Plus  père  sainct,  je  croy,  ne  te  diras.  (Apo.  19  d.) 

Le  recueil  d'Eustorg  de  Beaulieu  ne  contient  qu'un  petit  nombre  de 
pièces  pouvant  être  considérées  comme  des  chants  historiques:  ce  sont 
celles  qui  sont  dirigées  contre  le  pape.  Nous  croyons  pouvoir  en  citer 
quelques-unes. 

Le  timbre  de  la  présente  chanson  est  emprunté  à  Clément  Marot 
(éd.  Jannet,  II,  p.  189).  La  chanson  : 

0  cruauté  logée  en  grant  beaulté, 
0  grant  beaulté  qui  loges  cruaulté... 

se  trouve  déjà,  mise  en  musique  par  Claudin  de  Sermisy,  dans  les 
Trente  et  sept  chansons  musicales  a  quatre  parties  (Paris,  par  Pierre 
Attaingnant,  mars  1532,  n.  s.,  in-4  obi.),  fol.  3  v°,  et,  accompagnée 
d'une  mélodie  de  Clément  Jannequin,  dans  le  Cinquiesme  Livre  conte- 
nant XXV  chansons  (Paris,  Pierre  Attaingnant  et  Hubert  Jullet,  1540, 
in-4  obi.),  fol.  14.  Voy.  Eitner,  Bibliographie,  pp.  855  et  645. 

Bibliographie. 

Chrestienne  ||  Resiouyssance.  ||  Composée  par  Eustorg  de  Beaulieu, 
||  natif  de  la   ville  de  Beaulieu  :  au  bas  ||  pays  de  Lymo6in.  ||  Iadis 
Prestre,  Musi-||cien  &  Organiste  :  en  la  faulce  E- 1|  glise  Papistique, 
&  despuis,  par  ||  la  miséricorde  de  Dieu,  Mi  ||  nistre  Euangelique  :  en  || 
la  vraye  Eglise  de  ||  Iesus  Christ.  ||  Chantez  à  l'Eternel  Chanson  nou- 


412  HEVL'E   DHI9T0IKC   LfTTÉftAlftE    DE    LA   FKA5CE. 

uelle.  |!  &  que  sa  louange  soit  oaye  ea  la \[  Congrégation  îles  fidelles.  \* 
P*al.  H».     1546.  ï|  U  12.  dTAougsi.  S.  I.  [Genrce],  in-8de8  ff.  Iim_ 
227  7î* .  229]  pp.  et  5  AT. 

Le  f.  qui  suit  le  litre  contient,  au  r*,  un  quatrain  de  Guillaume  Gue- 
roult,  «  poète  natif  de  Rouen  »f  et  on  quatrain  de  Fauteur.  Au  v  est 
indiquée  la  division  du  volume.  La  première  partie  contient  160  chan- 
sons dont  M.  Bordier  a  donné  la  table  sommaire  dans  Le  Chansonnier 
huguenot,  H,  pp.  432-439,;  la  seconde  est  occupée  par  «  aulcunes 
aultres  matières  joyeuses  et  vertueuses  ». 

Les  5  ff.  qui  viennent  ensuite  sont  remplis  par  une  épitre  (en  prose) 
m  A  tous  ceulx  et  celles  qui  parmy  tous  peuples  et  nations  de  la  terre 
se  disent  croire  en  Jésus  Christ  ».  Cette  épitre  a  été  réimprimée  dans 
Le  Chansonnier  huguenot.  H,  pp.  428-432. 

Au  8*  f.  lim.  sont  trois  petites  pièces  d'Eustorg  de  Beau  lieu. 

Le»  chansons  chrétiennes  pp.  1-167*  sont  pour  la  plupart  des  adap- 
tations de  chansons  profanes.  Le  poète  avertit  p.  90,  cotée  91 ,  qu'il  a 
composé  les  mélodies  des  trente-neuf  chansons  qui  suivent  (n"  102-1 10», 
et  il  ajoute  qu'il  espère  pouvoir,  s'il  trouve  un  imprimeur  commode, 
les  communiquer  à  toute  l'Eglise. 

Les  pièces  qui  composent  la  seconde  partie  ont  presque  toutes  un 
intérêt  historique,  mais  ce  ne  sont  pas  des  chansons.  On  y  trouve  la 
Coppie  de  f  instrument  et  mémorial  de  la  perte  du  dieu  des  frères  Jacoppins 
de  Lyon (2  juillet  1536  , p.  170;  VEpitaphe  de  Pierre  de  Cornibus,  p.  175; 
Le  Dieu  gard  de  tautheur  a  la  ville  et  aux  citoyens  de  Genève,  la  pre- 
mière fois  qu'il  y  veinl  (1er  mai  1537),  p.  178;  des  vers  sur  Claude  Fiwa, 
p.  183;  sur  Pierre  Giron,  p.  184;  sur  Richard  Du  Bois,  ibid.;  sur 
Françoys  de  Bonyvard,  p.  185;  sur  Niclaus  von  Wattenwil,  p.  186;  sur 
Roudolf  de  Diesbach.  p.  187;  sur  Hans  Cotter,  p.  186  (=188):  sur 
Wolffgang  de  Erlach,  ibid.;  sur  Hans  von  Erlach,  p.  187  =  189  ;  sur 
A.  Zebedée,  p.  190;  sur  T.  Malingre,  ibid.;  sur  Marti[n]  Cru  m,  p.  191  ; 
sur  J.  Yvoire,  p.  191;  sur  G.  Calesi,  ibid.  ;  sur  A.  Froument  p.  192;  sur 
Marguerite  de  Bourbon,  ibid.;  sorLegier  Du  Four,  p,  193;  sur  la  cité 
de  Genève,  p.  194  (cotée  190);  à  Marguerite  de  France,  fille  du  roir 
p.  195;  à  Marguerite  de  Saint-Simon  en  Sain  longe,  jadis  écolière  de 
Fauteur,  p.  198;  à  Clément  Marot,  pp.  204,  207. 

Aux  pp.  215  (cotée  187;-226  est  une  pièce  en  prose  :  La  gênera  lie 
Croisade,  anciennement  donnée  et  despuis  nouvellement  confirmée  par 
nostre  sainct  père;  avec  plusieurs  grands  privilèges,  pardons,  etc. 

Le  v°  de  la  p.  227  et  les  4  ff.  qui  suivent  contiennent  la  Table. 

Le  dernier  f.  est  occupé,  au  r°,  par  les  Faultes  d  imprimerie  obmises  à 
corriger.  Le  v°  en  est  blanc. 

La  présente  chanson  est  le  n°  20,  p.  17. 

Biblioth.  imp.  de  Vienne.  —  Biblioth.  du  château  de  Chantilly  (exem- 
plaire provenant  d'une  vente  faite  par  les  frères  Trossen  1867). 


CHANTS    HISTORIQUES    FRANÇAIS    DU    XVIe    SIÈCLE.  413 

130.  —  Chanson  sur  le  chant   de  :  En  attendant    le  languir  me 
tourmente.  Par  Eustorg  de  Beaulieu.  1546. 

1.  En  attendant  le  languir  me  tormente. 

Est  ce  bien  faict  qu'un  prince  ne  consente 

Les  faictz  de  Christ  estre  à  tous  relatez 

Et  en  commun  lengage  translatez  (Act.  2  a  b.  —  I.  Cor.  14.) 

Comme  Dieu  vetjlt  et  TEscripture  chante?  (5  Act.) 

2.  Je  ne  croy  point  qu'un  tel  prince  ne  sente 
Quelque  malheur  et  que  Dieu  ne  l'absente 
De  plus  régner,  veu  ses  ferocitez, 

Tant  qu'il  perdra  ses  villes  et  citez 

Et  sera  mis  dehors  par  main  puissante.  (Dan.,  4  fg.)       <0 

3.  Mais  n'est  ce  pas  une  chose  meschante 

Qu'un  batelleur  ou  sourcier  qui  enchante  (Levi.,  19  f.) 

Soit  escouté  en  ses  dicts  mal  fondez, 

Et  soit  permis  tenir  cartes  et  dez  (Psal.  78.) 

Plus  que  les  loix  que  Dieu  seul  nous  présente  !  (Josué,lb.) 

Nous  n'entreprendrons  pas  d'exposer  les  mesures  prises  par  la 
Sorbonne  et  par  François  1er  contre  les  traductions  françaises  de  la 
Bible.  Les  historiens  de  la  Réforme  les  ont  fait  connaître  et  les 
chansons  du  temps  contiennent  l'écho  de  l'indignation  causée  par  une 
défense  aussi  monstrueuse.  Henri  Estienne,  racontant  dans  son  Apologie 
pour  Hérodote  «  comment  nos  prédécesseurs  se  sont  laissés  oster  ou 
falsifier  la  sainte  Escriture  »,  cite  le  début  d'une  chanson,  faite,  dit-il, 
en  1544,  et  qui  doit  être  rapprochée  de  la  notre  : 

Vous  perdez  temps  de  me  vouloir  défendre 
D'estudier  en  la  saincte  Escriture  : 
Plus  m'en  blasmez,  plus  m'en  voulez  reprendre, 
Plus  m'esjouit,  plus  me  plaist  la  lecture...  *. 

i.  Apologie,  éd.  Ristelhuber,  II,  p.  If 2. 

La  chanson  est  antérieure  à  la  date  indiquée  par  Estienne.  Elle  avait  été  imprimée, 
dès  1540,  dans  la  ville  d'Agen,  à  la  suite  de  La  Françoyse  chrestienne  (voy. 
A.  Claudin,  Le  premier  livre  imprimé  à  Agen,  extr.  de  la  Revue  de  PAgenais,  1894,  p.  6). 

Le  timbre  original  est  emprunté  à  Clément  M  a  rot  (éd.  Jannet,  H,  p.  192).  Il  a 
servi  pour  plusieurs  chansons  : 

1.  Vous  perdez  temps  de  mespriser  l'Eglise, 
Gens  qui  voulez  divertir  ma  créance... 

Par  frère  Legier  Bon  Temps. 

(Troisiesme  Livre  du  Recueil  des  chansons;  à  Paris,  chez  Claude  de  Montre-œil, 
1519,  in-16,  fol.  52  v°.) 

2.  Vous  perdez  temps,  gent  maligne  et  rebele, 
D'ainsi  vouloir  contre  Dieu  entreprendre... 

(Chansons  spirituelles,  1569,  n°  112  (voy.  Le  Chansonnier  huguenot,  II,  p:466); 
Chansons  spirituelles,  1596,  p.  224.) 


Ir'     » 


414  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE   DE    LA    FRANCE. 

La  chanson  d'Eustorg  de  Baulieu  vise  directement  François  Ier,  à 
qui  sont  prédits  les  malheurs  les  plus  sinistres.  La  mort  du  roi, 
arrivée  Tannée  suivante,  n'amena  malheureusement  pas  la  On  des 
persécutions. 

La  chanson  dont  Eustorg  a  reproduit  le  timbre  ne  semble  pas  avoir 
été  très  répandue;  nous  ne  l'avons  rencontrée  dans  aucun  des  recueils 
que  nous  avons  eus  entre  les  mains. 

Bibliographie. 

Chrestienne  resjouyssance...,  1346  (voy.  le  n°  129),  p.  22,  n°  27. 


131.  —  Chanson  sur  le  chant  de  :  C'est  à  grand  tort  que  moy, 


r  paouvrette,  endure.  Par  Eustorg  de  Beaulieu.  1546. 

C'est  a  grand  tort  que  maint  peuple  murmure 
,"  ■'  Contre  Luther,  pour  ce  qu'a  sa  venue... 

■  '  (3  couplets  de  4  vers  de  dix  syllabes.) 

{■  Eustorg  de  Beaulieu  fait  en  ces   quelques  vers  une   apologie    de 

Luther. 
La  chanson  dont  il  a  emprunté  le  timbre  commençait  ainsi  : 

C'est  a  grand  tort  que  moy,  povrette,  endure, 
Et  que  je  suis  de  si  trescourt  tenue... 

;  On  la  trouve  dans  les  Trente  et  quatre  Chansons  musicales  a  quatre 

parties    imprimées    à   Paris,    par    Pierre   Attaignant,    au    mois    de 

*  janvier  1529  (n.  s.),  fol.  15.  On  la  rencontre  plus  tard,  dans  d'autres 

recueils,  avec  des  mélodies  de  Clemens  non  Papa  et  de  Josquin  Baston 

■  (voy.  Eitner,  Bibliographie  der  Musik-Sammelwerke,  pp.  471  et  401). 
Elle  est  citée,  en  1538,  dans  Le  Disciple  de  Pantagruel,  autrement  dit 
La  Navigation  du  compaignon  à  la  bouteille  (p.  39  de  la  réimpression 
de  1867). 

;; ,  Le  même  timbre  a  été  suivi  dans  une  chanson  protestante  qui  com- 

mence ainsi  : 

C'est  à  grand  tort  que  moy,  messe,  tant  dure, 
Et  que  je  soye  pour  si  bonne  tenue... 

:'  [Le  Chansonnier  huguenot,  I,  pp.  134-136.) 

Bibliographie. 

A.  —  Chrestienne  Resjouyssance....,  1546  (voy.  le  n°  129),  p.  55, 
n°71. 

B.  —  Le  Chansonnier  huguenot^  1871,  I,  p.  105. 


CHANTS   HISTORIQUES   FRANÇAIS   DU   XVI6   SIÈCLE.  415 

132.  —  Chanson  sur  le  chant  de  : 

Touchez  nous  l'antiquaille, 
Et  nous  la  danserons,  etc. 

Par  Eustorg  de  Beauliel\  1546. 

Preschez  leur  rien  qui  vaille 
Et  ils  nous  brusleront. 
Le  pape  et  cardinaulx 
Font  des  esdicts  nouveaulx... 
(8  couplets  de  4  vers  et  un  refrain  de  2  vers.) 

Cette  pièce,  comme  le  n°  129,  est  une  invective  contre  le  pape. 

La  ronde  de  l'antiquaille,  à  laquelle  Rabelais  fait  allusion  (éd.  Jannet, 
II,  p.  117),  est  citée  aussi,  en  1538,  dans  La  Navigation  du  compaignon 
à  la  bouteille  (réimpression,  p.  40).  Elle  servait  de  timbré  à  une  autre 
satire  contre  le  pape  : 

Le  pape  et  les  siens  tous, 
C'est  un  troupeau  de  loups... 

(Le  Chansonnier  huguenot,  I,  p.  129.) 

Bibliographie. 

A.  —  Chrestienne  Resjouyssance...,  1546  (voy.  le  n°  129),  p.  85, 
n°il)0. 

B.  —  Le  Chansonnier  huguenot,  1871,  I,  pp.  124-126. 

133.  —  Chanson  sur  le  chant  de  :  Plaisant  Bordeaux,  noble  et 
royal  domaine.  Par  Eustorg  de  Beaulieu.  1546. 

1.  Plaisant  Bordeaux,  noble  et  royal  domaine, 

Du  grand  honneur  qu'aux  ydolles  as  faict  (Dan.,  4  f.) 

Crie  mercy  à  Dieu  seul  tout  parfaict, 

Affin  qu'un  jour  tu  n'encoures  sa  hayne.  (Ebr.,  10  f.) 

2.  Lorsqu'il  tiendra  sa  grand  court  souveraine,  (Mat.,  25  cd.)  5 
Chascun  verra  plainement  ton  meffaict. 

Je  te  pry  donc  que  de  ton  grand  forfaict 

Soys  repentant  de  pensée  humble  et  saine.  (Luc,  3  abcd.) 

3.  Regarde  bien  si  l'Eglise  rommaine 

Te  peult  saulver,  ou  si  Christ  par  effect,  (Apo.,  18.)       10 

T'a  rachapté  et  pour  toy  satisfaict, 

Ce  qui  est  vray  et  chose  trescertaine.  (I.  Tim.,  26.) 


4ff  MTCfc   frBIST<HB£    UTTÉEjUfcE    K   Là    rtlKL 

Ea*t/>n?  de  Beaulieu  arait  habité  pendant  an  certain  temps  Bordeau: 
où  il  arait  soutenu  un  procès  contre  sa  mère  et  contre  ses  frères,  et  < 
3  avait  fait  imprimer  à  plusieurs  reprises  Z>»  Gestes  des  solliciteurs 
Dam  une  de  ces  chansons  il  censure  Tîrement  les  religieuses  de 
Guyenne  : 

Les  Bonnains  de  Bordeaux 
Font  des  petits  moyneaulx. 

Le  Ckantonmer  protestant.  I,  p.  126. 

Noos  arouons  ne  pas  connaître  la  pièce  originale  que  le  poète 
transformée  en  cantique. 

Bibliographie. 
Chrestienne  Resjouyssance...,  1546  tôt.  le  n*  129-,  p.  97- 

134.  —  Chanson  sur  le  chant  de  :  Paix  là!  Sus,  ho  là! 
Paix  là,  etc. 2.  Par  Ecstobg  de  Beacuec.  1546. 

Paix  là!  Sus,  ho  là!  Paix  là! 
Escoutez  que  je  vueil  dire.    Isa.,  i,  2. 

1 .  J'ay  ouy  à  ce  matin 
Le  saioct  Evangile  lire, 
Duquel  parle  tant  Martin, 

Disant  qu'il  nous  doibt  souffire.    H  Ti.  3  d.) 
Paix  là!  Sus,  ho  là!  Paix  là!  5 

Car  cecy  n'est  pas  pour  rire. 

Paix  là,  Sus,  ho  là!  Paix  là,  etc. 

2.  Du  quel  parle  tant  Martin  'surnommé  Luther), 
Disant  qu'il  nous  doibt  souffire. 

Le  pape  estoit  trop  enclin 
A  Jésus  Christ  contredire.  10 

Paix  là!  Sus,  ho  là!  Paix  là!  (Dan.  8  fg.) 
Car  cecy  n'est  pas  pour  rire.  (Apoca.,  13) 

Paix  là,  Sus,  ho  là,  elc. 

3.  Le  pape  estoit  trop  enclin 
A  Jésus  Christ  contredire  ; 

1.  Voy.  Calai.  Rothschild,  I,  n-  518  et  519. 

2.  On  lit  en  manchette,  dans  le  recueil  de  1546  :  Chante  cette  par  deux,  aussi  si  tt 
veulx.  Des  chiffres  placés  en  marge  indiquent  Ja  division  des  couplets  entre  les  deiu 
▼oix.  Les  deux  premiers  vers  sont  accompagnés  du  n°  2  et  les  autres  du  n*  1. 


CHANTS    HISTORIQUES    FRANÇAIS   DU    XVIe    SIÈCLE.  417 

Pour  ce  vient  il  a  déclin,  15 

Comme  sainct  Paul  vient  prédire.  (Il  Thés.,  2  abc.) 
Paix  là!  Sus,  ho  là!  Paix  là!  (Il  Tim,  3  abc.) 
Car  cecy  n'est  pas  pour  rire. 

Paix  là!  Sus  ho  là!  etc. 

4.  Pour  ce  vient  il  a  déclin. 

Comme  sainct  Paul  veint  prédire.  20 

0  que  Satan  fut  bien  fin  (II  Cor.,  11  cd.) 
Quand  il  le  veint  introduire! 
Paix  là!  Sus  ho  là!  Paix  là! 
Car  cecy  n'est  pas  pour  rire. 

Paix  là!  Sus  ho  là!  Paix  là,  etc. 

3.  0  que  Salan  fut  bien  fin  25 

Quand  il  le  veint  introduire, 
Et  tant  de  prestres  sans  fin  (Act.,  20  f.) 
Qui  ne  nous  faisoyent  que  nuire.  (Rom.,  16  c.) 
Paix  là!  Sus  ho  là!  Paix  là! 
Car  cecy  n'est  pas  pour  rire.  30 

Paix  là!  Sus  ho  là,  etc. 

6.  Et  tant  de  prestres  sans  fin 

Qui  ne  nous  faisoyent  que  nuire. 

La  moynaille  d'Augustin 

Faisoit  gaillard  son  pot  cuyre.  (Phili.,  3  d.) 

Paix  là!  Sus  ho  là!  Paix  là!  35 

Car  cecy  n'est  pas  pour  rire. 

Paix  là!  Sus  ho  là,  etc. 

7.  La  moynaille  d'Augustin 
Faisoit  gaillard  son  pot  cuyre; 
Celle  de  Thomas  d'Acquin 

Faisoit  rage  de  séduire.  (II  Pier.,  2.)  40 

Paix  là!  Sus  holà!  Paix  là! 
Car  cecy  n'est  pas  pour  rire. 

Paix  là!  Sus  ho  là,  etc. 

8.  Celle  de  Thomas  d'Acquin 
Faisoit  rage  de  séduire; 

Mais  Françoys,  ce  franc  touppin,  45 

Sçavoit  mieulx  les  gens  induire 


418  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE   DE   LA   FRASCX- 

Paix  là!  Sas  bo  là!  paix  là!  (Jade,  I. 
Car  cecy  n'est  pas  pour  rire. 

Paix  là!  Sus  ho  là!  etc. 

9.  Mais  Françoys,  ce  franc  touppin,  so 

Sçavoit  mieolx  les  gens  induire 
Que  carme  ne  celeslin, 
Ne  capbard  qu'on  sceost  eslire. 
Paix  là!  Sus  bo  là!  Paix  là!  (Matth.,  23. 
Car  cecy  n'est  pas  pour  rire. 

Paix  là  !  Sus  holà,  etc. 
Nous  n'avons  pas  retrouvé  la  chanson  qui  servait  de  timbre  à  celle-ci. 

Bibliographie. 
Chrestienne  Resjouyssance...  1546  (voy.  le  n*  129),  n*  133,  p.  1181 

135.. —  Chanson  sur  le  chant  de  : 

Te  remues  tu, 
Te  remues  tu,  gentil  fillette,  etc. 

Par  Eustorg  de  Beaulieu.  1546. 

Dormoys  tu, 
Dormoys  tu,  dy,  grosse  beste, 
Dormovs  tu? 
(7  couplets  de  4  vers,  plus  le  refrain.) 

Voici  encore  une  satire  contre  le  pape. 

Le  volume  d'Eustorg  de  Beaulieu  en  contient  plusieurs  autres  que 
nous  devons  renoncer  à  citer,  bien  qu'elles  dussent  peut-être  Ggurer 
dans  un  recueil  de  chants  historiques. 

La  chanson  dont  Eustorg  a  emprunté  le  timbre  commençait  ainsi  : 

A  Paris  a  troys  fillettes. 

Te  remu  tu,  gentil  garsette?... 

On  la  trouve,  avec  une  mélodie  de  Jacques  Godebrie,  dit  Jacotin, 
dans  les  Trente  huyt  Chansons  musicales  a  quatre  parties  (Paris,  Pierre 
Attaingnant,  1529,  in-4),  fol.  7. 

Les  paroles  de  notre  poète  ne  reproduisent  qu'imparfaitement  la 
coupe  de  la  chanson  primitive;  mais  il  sollicite  lui-même  (p.  114;  l'in- 
dulgence du  public  pour  un  certain  nombre  de  pièces  «  défectueuses 
en  vraye  mesure  poétique  ». 


CHANTS    HISTORIQUES    FRANÇAIS    DU    XVIe    SIÈCLE.  419 

Bibliographie. 

A.  —  Chrestienne  Reiouissance...,  1546  (voy.  le  n°  129),  p.  123,  n°  135. 

B.  —  Le  Chansonnier  huguenot,  I,  pp.  127-128. 

136.  —  Chanson  sur  le  chant  : 

Dictes  que  c'est  du  mal,  m'amye, 
Dictes  que  c'est  du  mal  des  dentz,  etc. 

Par  Eustorg  de  Beaulieu.  1546. 

C'est  la  prestaille  et  moinerie 
Laquelle  abuse  tant  de  gens. 

S'on  ne  veult  qu'on  estudie 
La  saincte  Escriture,  emplye 
De  divins  enseignements... 
(18  couplets  de  3  vers,  plus  le  refrain.) 

Eustorg  combat  ici  non  seulement  le  pape,  mais  les  prêtres  et  les 
moines.  Il  faut  rapprocher  les  attaques  auxquelles  il  se  livre  contre 
ceux  qui  ne  veulent  pas  permettre  l'étude  de  la  Bible,  de  la  pièce  citée 
sous  le  n»  130. 

La  chanson  :  Dictes  que  c'est  du  mal,  etc.,  Ggure  dans  les  recueils 
suivants  :  Plusieurs  belles  chansons  nouvelles  (Paris ,  Alain  Lotrian  , 
1543,  in-8  goth.),  fol.  32;  —  Chansons  nouvellement  composées  (Paris, 
Jehan  Bonfons,  1548,  in-8  goth.),  n°  59;  —  Le  Recueil  de  toutes  sortes 
de  chansons  (Paris,  veufve  Nicolas  Buffet,  155i,  in-16),  fol.  54. 

Bibliographie. 

A.  —  Chrestienne  Resjouyssance...  1546  (voy.  le  n°  129),  p.  150,  n°  153. 

B.  —  Le  Chansonnier  huguenot,  I,  pp.  169-173. 

137.  —  Chanson  nouvelle  faicte  et  composée  sur  Les  regrets  du  1res- 
passement  du  treschretien  roy  de  France ,  sur  le  chant  :  Faulce 
trahison.  31  mars  1547. 

1 .  France,  aussi  la  Picardie, 
Tu  dois  bien  pleurer  et  gémir 
D'avoir  perdu  un  si  hault  prince, 
Le  noble  roy  des  Fleurs  de  Lys. 
CTestoit  François,  premier  du  nom,  5 

Qui  partout  avoit  grand  renom. 


420  -REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Prions  Jésus  trestous  ensemble 
Qu'a  son  ame  face  pardon. 

2.  Quand.le  tresnoble  roy  de  France 

Sentit  la  mort  qui  le  pressoit,  10 

Faisant  regretz  a  grand  puissance, 

Son  ame  a  Dieu  recommandoit, 

Disant  a  Dieu  a  son  lignage, 

Premier  a  son  filz  le  daulphin, 

Sans  oublier  sa  noble  fille,  15 

Marguerite  des  Fleurs  de  Lys. 

3.  De  rechef  il  dist  au  daulphin  : 

«  A  Dieu,  mon  fils  et  mon  amy. 

»  Je  vous  prie  tant  que  je  puis, 

»  Gardez  l'honneur  de  Jesuchrist,  20 

»  Tenez  en  paix  votre  pays  : 

»  Ainsi  vous  vivrez  longuement. 

»  Faictes  justice,  je  vous  prie, 

»  Autant  aux  petitz  comme  aux  grans.  » 

4.  «  A  Dieu,  ma  fille  Marguerite,  25 
»  M'amye  et  mon  cher  enfant. 

»  Les  regretz  que  j'ay  de  mourir, 

»  Ce  n'est  que  de  vous  seulement, 

»  Que  ne  vous  ay  en  mon  vivant 

»  Mariée  a  vostre  plaisir.  »  30 

Voila  tous  les  piteuz  regretz 

Que  le  roy  avoit  a  mourir. 

5.  «  A  Dieu,  m'amye  Alienor, 

»  Sœur  de  l'empereur  des  Romains. 

»  Quand  je  vous  prins  pour  mon  espouse,       35 

»  Je  iismes  paix  à  tous  humains. 

»  Je  prie  au  roy  souverain, 

»  C'est  Jesuchrist,  le  roy  des  roys, 

»  Qu'il  vous  doint  treslonguement  vivre 

»  En  paix  avecques  les  François!  »  40 

6.  Quand  le  tresnoble  roy  de  France 
Rendit  a  Dieu  son  esperit, 

Vous  eussiez  vu  le  bon  daulphin 

Souspirer,  plorer  et  gémir, 

Disant  :  «  Mon  père  et  mon  amy,  45 


CHANTS   HISTORIQUES    FRANÇAIS    DU    XVI0   SIÈCLE.  42! 

»  Voicy  tresdur  département. 

».Las!  je  n'ay  plus  père  ne  mère  : 

»  Plus  ne  sommes  que  deux  enfants.  » 

7.  Dedans  le  chasteau  Rambouillet 

Le  roy  François  si  trespassit.  50 

Prions  Jésus  que  sa  pauvre  ame 

Soit  en  repos  en  paradis. 

Or  prions  Dieu  pour  son  doulx  filz 

Que  de  mal  le  vueille  garder; 

Par  quoy  chantons  a  haulte  voix  : 

«  Vive  Henry,  roy  des  François  !  » 

Fin. 
42.  esprit.  »  49.  de  Rambouillet. 

Cette  touchante  complainte  offre  le  caractère  de  la  poésie  populaire. 
Les  vers  n'ont  de  rime  ou  d'assonance  que  de  deux  en  deux,  et  cette 
règle  n'est  même  pas  régulièrement  observée. 

La  chanson  :  Faulce  trahison,  etc.,  dont  nous  n'avons  pas  retrouvé 
le  texte,  servait  de  timbre  à  un  noël  commençant  ainsi  : 

Noël  pour  l'amour  de  Marie 
Nous  chanterons  joyeusement... 

(H.  Lemeignen,  Vieux  Noëls,  1876,  I,  p.  38.) 

Le  recueil  que  nous  venons  de  citer  contient  (III,  n°  8)  une  mélodie 
dont  nous  ne  pouvons  garantir  l'authenticité. 

Une  complainte  sur  la  mort  de  Henri  II  dont  nous  parlerons  plus, 
loin,  fut  chantée  sur  le  même  air. 

Bibliographie. 

A.  —  Chansons  nouuellement  composées...,  1548  (voy.  le  n°  66),  fol. 
£v  v°  de  la  réimpression  de  1869. 

B.  —  U  Amateur  d 'autographe* ,  1873,  XI,  n°  240,  avec  une  notice  de 
M.  Tricotel. 

Additions  et  Corrections. 

Nous  sommes  arrivé  à  la  mort  de  François  Iep,  c'est-à-dire  presque  à 
la  moitié  du  xvi°  siècle.  Nous  ne  croyons  pas  devoir  attendre  la  fin  de 
ce  travail  pour  y  faire  quelques  rectifications. 

Nous  citerons  aussi  diverses  pièces  qui  nous  ont  échappé  et  qui 
devraient  être  intercalées  dans  les  précédentes. 

RKT.   D'HIST.   L1TTKR.   DB  LA  FftANCS  (76  ÀITO.).  —  VII.  28 


422  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 


3  a.  —  Chanson  des  galiotz.  1507. 

Sy  je  suis  triste  et  plain  d'ennuy, 
Nul  ne  s'en  doit  esmerveiller... 
(4  couplets  de  8  vers,  dont  le  6e  n'a  que  quatre  syllables.) 

Cette  pièce  est  une  complainte  faite  par  un  galérien  qui  espérait  être 
remis  en  liberté  après  avoir  subi  sa  peine,  et  surtout  au  moment  où  le 
roi  rentrait  en  France.  Elle  nous  parait  avoir  été  composée  en  1507,  au 
moment  où  Louis  XII  revenait  de  son  expédition  contre  Gènes,  expédi- 
tion à  laquelle  Prigent  de  Bidoux  (cité  au  v.  22)  avait  pris  une  grande 
part. 

La  chanson  de  1507  ouvre  la  série  à  laquelle  appartiennent  les  pièces 
étudiées  sous  les  n"9  (v.  1513),  53  (v.  1525)  et  62  (1530). 

Bibliographie. 

A.  —  Sensuyuent  vin  belles  chansons  nouuelles...  (recueil  réimprimé 
par  Durand  frères,  à  Chartres,  en  1874),  n°  6. 

B.  —  Montaiglon,  Recueil  de  Poésies  françoises,  VIII,  pp.  315-317. 

4.  —  Le  second  vers  de  la  chanson  doit  se  lire  ainsi  : 

Qui  plus  infait  estoit  qu'un  [mauldict]  chien. 

5.  —  M.  H.  Hauser,  professeur  à  l'Université  de  Clermont,  nous  fait 
observer  que  la  chanson  : 

Vive  France  et  son  alliance. 

dut  être  composée  en  1525,  pendant  la  captivité  de  François  Ier.  On  lit 
en  effet,  sous  cette  date,  dans  le  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  : 

«  Item  aussi  fut  défendu,  sans  faire  cry  public,  aux  maistres  des 
basses  escoles  de  ne  souffrir  chanter  par  les  rues  les  petis  enfans  allans 
et  venans  de  Tescole  :  Vive  France  ne  son  alliancel  ne  faire  roy  a 
escolle1.  » 

L'observation  de  M.  Hauser  est  très  importante,  parce  qu'elle  permet 
de  déterminer  avec  plus  de  précision  la  date  de  La  Farce  de  Calbain. 
Cette  pièce,  que  Ton  attribue  d'ordinaire  au  règne  de  Louis  XII,  doit 
appartenir  au  règne  de  François  Ior. 

9 .   —  A  la  ligne  7   des  notes    qui    suivent  la   chanson ,  lisez   : 
Du  Bellay. 
Dans  la  Bibliographie ,  article  E,  ligne  2,  lisez  :  1543. 

1.  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  le  règne  de  François  premier,  publié  par 
Ludovic  Lalanne,  1854,  p.  233. 


CHANTS    HISTORIQUES    FRANÇAIS    DU    XVI»   SIÈCLE.  423 

15.  —  Ajoutez  à  la  Bibliographie  : 

E.  —  Montaiglon,  Recueil  de  Poésies  franc.,  VIII,  pp.  317-318. 

49.  —  Ligne  3,  lisez  :  Giorgio. 

36  a.  —  Chanson  sur  Antoine  de  La  Marck, 
abbé  de  Beau  lieu.  1523. 

0  maistre  Antoine  de  Bcaulieu, 

Tu  te  disois  fils  de  la  Marche... 

Ou: 

Messire  Anthoine  de  Beauliea... 

Nous  avons  parlé  incidemment  de  cette  pièce,  qui  a  servi  de  timbre 
aux  trois  chansons  suivantes  : 

1°  De  Suze  nous  sommes  partis 

Cinq  enseignes  de  compaignie...  1536. 

*  (Voy.  notre  n°  72.) 

.2°  Therouenne,  noble  cité. 

Pour  le  roy  ville  de  frontière...  1537. 

(Voy.  notre  n°91.) 

3°  Vive  le  noble  roy  Françoys 

Avecques  sa  bonne  alliance...  1538. 

(Voy.  notre  n°  98.) 

Il  nous  suffit  de  renvoyer  à  la  note  qui  accompagne  le  n°72. 

36  b.  —  Lamentation  et  Complaincte,  par  manière  de  chanson,  de 
la  mort  du  bon  Baj/ard;  faicte  par  les  adventuriers  au  retour  de 
Lombardie,  après  sa  mort.  30  avril  1524. 

1.  Aydez  moy  tous  a  plaindre, 
Povres  adventuriers, 

Sans  point  vous  vouloir  faindre, 

Ung  si  noble  pilier. 

Le  vaillant  chevalier,  5 

Il  pensoit  nuyt  et  jour, 

Car  dedans  ung  millier 

Ung  tel  n'avoit  en  armes. 

2.  Le  jour  de  sainct  Eutrope, 

Bayard,  noble  seigneur,  10 

Aux  ennemys  en  trope, 
Il  monstra  sa  valeur  ; 


424  QGVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

C'estoit  par  la  faveur 
.    De  la  faulce  canaille 

Dont  lu  y  vint  le  malheur.  15» 

Maudict  soit  la  bataille! 

3.  Plorez,  plorez,  gensdarmes 
A  cheval  et  a  pied! 
C'estoit  le  singulier 

Dessus  tous  les  gens  d'armes;  20 

Il  a  tenu  bon  pied 
Sans  faire  au  roy  tort, 
Dont  a  luy  fut  le  pis, 
Car  gaigné  a  la  mort. 

4.  Ne  vous  en  venist  pis,  2S 
•    Car  (?)  jamais  d'homme  d'armes 

Comme  pourroit  bailler 

Aux  gens  du  roy  secours. 

Adonc  il  print  le  cours 

Contre  ses  ennemys,  30 

Dont  ses  jours  en  sont  cours, 

Vous  voyez,  mes  amys. 

5.  Ha,  povre  Daulphiné, 

Tu  peulx  bien  dire  :  «  Helas  !  » 

Avant  qu'il  soit  fine  35 

Tu  en  seras  bien  las. 

Tu  as  perdu  ton  soûlas 

Et  encor  de  rechief 

Tu  peulx  bien  dire  :  «  Helas  !  » 

Il  te  coustera  cher.  40 


8.  Impr.  en  larmes.  —  il.  Voyant  les  ennemys.  —  16.  Mauldicte.  —  20.  Sur  tous- 
—  24.  Dans  Védilion  que  nous  avons  sous  les  yeux,  celle  de  Paris,  «  en  la  rue  neufve 
nostre  Dame  a  Vensigne  de  saint  Jehan  Baptiste  -,  le  vingt-quatrième  vers  est  placé 
le  cinquième,  —  38.  Même  édition  :  encore. 


Bibliographie. 

A.  —  Les  Gestes,  ensemble  la  vie  du  preux  cheualier  Bayard... 
Champier  (pour  les  diverses  éditions,  voy.  Brunet,  I,  col.  1773-1775), 
fol.  Oiiij  v°  de  l'édition  de  Paris,  â  l'enseigne  saint  Jehan  Baptiste, 
v.  1530,  in-4  goth. 

B.  —  Cimber  et  Danjou,  Archives  curieuses ,  lre  série,  II,  p.  197. 


CHANTS   HISTORIQUES   FRANÇAIS   DU   XVIe   SIÈCLE.  425 

36  c.  —  [Chanson  sur  le  connétable  de  Bourbon 
qui  voulut  prendre  Marseille.]  1524. 

Quand  Bourbon  vit  Marseille 
Il  a  dict  a  ses  gens... 

(6  couplets  de  4  vers.) 

Le  siège  de  Marseille  dura  du  19  août  au  28  septembre  1524.  Le  con- 
nétable de  Bourbon  et  le  marquis  de  Pescaire,  qui  pensaient  entrer 
facilement  dans  la  ville,  durent  se  retirer  devant  l'attitude  héroïque 
<les  habitants. 

Chansonnier  Maurepas,  tome  Ier  (Biblioth.  nat.,  ms.  franc.  12616,  p.  11. 
—  Brantôme,  éd.  Laïanne,  III,  195;  éd.  Mérimée  et  Lacour,  IV,  p.  19. 

Le  Roux  de  Lincy,  II,  96-97. 

55.  —  Première  ligne  de  la  chanson,  lisez  : 

Hélas,  Bourbon,  commentas  tu  pencé... 

35  a.  —  [Chanson  sur  la  mort  du  connétable  de  Bourbon.]  1527. 

Bourbon  a  grant  puissance... 

Cette  pièce  est  citée  comme  timbre  de  la  chanson  : 

Au  fond  de  ma  pensée..., 

qui  fut  condamnée  comme  hérétique  par  l'inquisiteur  de  Toulouse, 
-entre  1540  et  1549.  Voy.  Bordier,  Le  Chansonnier  huguenot,  II,  p.  427. 

55  b.  —  Chanson  sur  la  mort  du  connétable  de  Bourbon.  1527. 

1.  Quand  ils  fur'  sur  la  brèche  par  où  fallait  passer  : 

«  Lequel  donc  de  nous  autre'  qui  passera  le  premier?  » 
Ce  dit  le  grand  Bourbon.  Mit  le  pied  sur  la  brèche, 
Et  se  sentit  frappé  d'une  balle  en  l'oreille. 

2.  Quand  le  prince  d'Orange  il  vit  son  cousin  mort,         5 
Son  manteau  d'écarlate  lui  jeta  sur  le  corps; 

Avec  son  mouchoir  blanc  lui  a  couvert  la  face, 
De  peur  que  les  soldats  n'auraient  perdu  courage. 

3.  «  Courage,  mes  enfants,  car  Bourbon  n'est  pas  mort.     10 

«  A  l'assaut,  à  l'assaut!  Ayons  un  grand  courage, 
«  Et  le  bien  des  Romains  nous  l'aurons  en  pillage!  » 


4.  A  SaintPierre  de  Boise  Bourbon  fat  enferré; 
li  n'était  pas  tout  seul;  fat  bien  accompagné: 
Fvt  bien  accompagné  de  cinquante  mille  hommes. 
Dont  la  plupart  j'étions  barons  et  gentilshommes. 

Cette  pièce  «'est  conaerrée  jusqu'à,  nous  par  la  tradition  orale;  elle  a 
tîé  recueillie  à  La  Motte,  près  Loudéae,  par  M.  Robert  Oheix^  et  com- 
mofiiqoée  par  loi  à  M.  Arthur  de  La  Borderie,  qui  la  publiée  dans  la 
Meeme  de  Bretagne,  de  Vendée  et  d'Anjou  (XI IL,  1895,  p.  33,.  On  est  sur- 
prit  de  toit  que  le  connétable  de  Bourbon,  traître  au  roi  et  à  la  France, 
vainqueur  de  Rome  et  du  pape,  ait  pu  être  chanté  par  des  Bretons;  mais, 
comme  le  remarque  M.  de  La  Borderie,  Loudéae  s'élèTe  au  centre  des 
anciens  domaines  des  Rohan,  et  ce  sont  peut-être  des  soldats  hugue- 
note qui  y  auront  apporté  et  propagé  la  chanson. 

57  bis  a.  —  [Chanson  sur  la  condamnation  de  Jacques  de  Beauney 
seigneur  de  Semblancay).  Août  1527. 


0  pauvre  trésorier, 
Tu  es  mal  a  ton  ayse... 


Cette  pièce  serrait  de  timbre  à  un  noêl  commençant  ainsi  : 

J'ay  peur  que  au  fîlz  de  Dieu 
Noël  par  trop  desplaise... 

La  condamnation  de  Semblançay,  à  laquelle  nous  supposons  que 
se  rapportait  la  présente  chanson,  fut  prononcée  au  mois  d'août  1527. 

Bibliographie. 

Noelz  nouuelle- 1|  ment  composez  a  l'honneur  de  la  Xalîuite  ||  de  nostre 
saulueur  redépleur  lesu  ||  christ,  qui  se  chantêt  sur  le  chat  /  de  plu- 
sieurs belles  chansons.  ||  On  les  vend  a  Lyon  en  la  maison  ||  de  Claude 
JSourry,  dict  Le  Prince.  S.  d.  c.  1530],  in-8  golh.  de  8  ff.  de  24  lignes  à 
la  page,  sign.  a.  —  4*  et  dernière  pièce. 

L'exercice  de  Claude  Nourry  à  Lyon  dura  de  1502  à  1532. 

Biblioth.  du  Musée  Condé  à  Chantilly.  (Cigongne,  n°  1287.) 


87  bis  b.  —  [Chanson  en  Vhonneur  du  duc  de  Savoie.]  Vers  1528. 

Monseigneur  de  Savoye, 
Que  Dieu  vous  fasse  honour... 

Cette  pièce,  dont  nous  ne  pouvons  fixer  la  date  précise,  servait  de 
timbre  à  un  curieux  noël  en  patois  lyonnais  : 


CHANTS   HISTORIQUES   FRANÇAIS  DU   XVIe   SIÈCLE.  427 

Lessy  chôma  le  pioche, 
Bonne  gens  de  labour... 

La  chanson  doit  être  à  peu  près  du  même  temps  que  la  précédente  ; 
elle  a  pu  être  composée  lors  de  la  réunion  des  États  généraux  de  Savoie, 
en  1528. 

Bibliographie. 

Noelz  nouuelle-  ||  ment  composez...  v.  1530  (voy.  le  n°  précédent, 
3e  pièce). 

59.  —  Bibliographie.  Lisez  : 

D.  —  Sensuyt  plu-  ||  sieurs  belles  chansons  nouuelles  et  fort 
ioy- 1|  euses...  1543  (voy.  le  n°  67),  fol.  lij. 

E.  —  Haupt,  etc. 

66.  —  Cette  pièce  est  une  de  celles  que  Louis  Du  Bois  a  réimprimées 
en  1821  à  la  suite  des  Vaux-de-Vire  d'Olivier  Basse  lin,  p.  201. 
M.  Paul  Lacroix  Ta  également  reproduite  à  la  suite  des  Vaux-de-  Vire 
d'Olivier  Bas  se  lin  et  de  Jean  Le  Houx,  1858,  p.  256. 

L'auteur  signe  à  la  fin  : 

Un  noble  adventurier. 

Lequel  est  de  Grenoble,  du  lieu  de  Dauphiné. 

Ce  doit  être  ce  Jehan  Lescot,  à  qui  nous  devons  le  n°  72  et  probable- 
ment aussi  le  n°  100. 

Même  article,  Bibliographie,  lettre  C  :  près  le  collège  de  Reims.  1551. 
Lisez  :  1557. 

72.  —  Jehan  Lescot,  lequel  est  d'ailleurs  inconnu.  Ajouter  :  mais  qui 
parait  avoir  composé  aussi  les  n°*  66  et  100. 

83  bis  a.  —  Chanson  nouvelle  faicte  et  composée  sur  La  Capelle  en 
Terache;  sur  le  chant  : 

Les  Bourguignons  mirent  le  camp 
Devant  la  ville  de  Peronne.  1536. 

1    Dieu  gard  de  mal  le  roy  Françoys 
Et  tout  le  noble  sang  de  France, 
Car  il  s'est  monstre  bien  courtoys 
De  faire  trois  chasteaulx  en  France, 
Dont  La  Capelle1  est  la  plus  grande,  5 

Pour  combatlre  ses  ennemis. 
De  jour  en  jour  ont  congnoissance 
De  Valenciennes  et  du  pays. 

1.  La  Capelle-en-Thiérache,  chef-lieu  de  canton  de  l'arrondissement  de  Vervins. 
(Aisne). 


428  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA   FRANCE. 

2.  Vive  monsieur  de  Heraullcourt, 

Aussi  tous  ceulx  de  sa  séquelle;  10 

Commissaire  il  est  pour  ce  jour, 

Capitaine  de  La  Cappelle1. 

Il  nous  amené  des  cappettes  *, 

Qui  sont  trestous  vestus  de  gris; 

C'est  pour  aller  a  Valenciennes  15 

Et  y  pourter  la  FJeur  de  Lys. 

3.  Monsieur  le  capitaine  André 
N'a  pas  dormir*  en  ses  affaires  : 
Au  matin  le  premier  levé, 

C'est  pour  achever  La  Ca pelle.  20 

Tel  est  au  ventre  de  sa  mère, 
Qui  mauldira  les  jours  et  nuictz 
Qu'onques  fut  faicte  La  Capelle 
Et  les  cappettes  de  drap  gris. 

4.  Le  sire  Antoine  Du  Chasteau.  25 
A  bien  tenu  tousjours  sa  trasse 

A  deviser  ung  lieu  si  beau  : 

C'est  La  Capelle  en  Terarche, 

Car  c'est  la  plus  tresforte  place, 

Especiale  et  de  hault  prix;  30 

C'est  par  le  moyen  de  la  garde 

Des  cappettes  faictes  de  gris. 

5.  On  a  bien  veu,  le  temps  passé, 
Les  Anoyers  par  leur  cautelle 

Qui  se  venoient  tous  amasser  35 

Au  villaige  de  La  Capelle; 

Maintenant  n'y  ont  plus  que  faire 

Pour  visiter  nostre  pays, 

Car  il  y  a  des  gens  de  guerre 

Qui  sont  trestous  vestus  de  gris.  40 

6.  On  leur  pourroit  ramentevoir 
Quant  a  Hyron  fut  la  journée  : 
Ils  nous  pensoient  tous  decepvoir, 
Mais  la  chance  fut  bien  tournée. 

1.  Sur  le  baron  de  Haraucourt,  tué  à  Hédin  le  7  avril  1537,  voy.  la  note  sur  le 
n°  89,  v.  31. 

2.  Ces  soldats  portaient  sans  doute  un  petit  manteau  (cappella)  de  couleur  grise. 

3.  On  a  vu  précédemment  des  exemples  de  la  confusion  faite  par  les  Flamands 
de  l'infinitif  et  du  participe  passé  (nM  36,  v.  3  et  4  ;  54,  v.  2). 


CHANTS   HISTORIQUES    FRANÇAIS    DU    XVIe   SIÈCLE.  429 

Ce  leur  fut  povre  destinée,  45 

Car  plusieurs  ont  esté  tuez. 
On  les  menoit  par  charretée; 
C'estoit  pour  remplir  les  foussés. 

Je  prie  a  Dieu,  sa  mère  aussi, 

Pour  le  tresnoble  roy  de  France  50 

Et  pour  monseigneur  le  daulphin, 

Aussi  toute  son  alliance, 

Le  duc  d'Orléans  sans  doubtance 

Et  les  princes  de  son  pays, 

Qu'i  leur  donne  force  et  puissance  55 

A  rencontre  des  ennemys. 

Amen. 

Finis. 

Ak.  fut  et  bien.  —  45.  detinee.  —  56.  de  leurs  ennemis. 

Bibliographie. 

La  présente  chanson  est  une  de  celles  que  nous  a  conservées  le  pré- 
cieux placard  de  la  Bibliothèque  de  Dijon.  Elle  y  est  imprimée  la  der- 
nière, bien  qu'elle  soit  plus  ancienne  que  les  quatre  autres  pièces.  Voy.  le 
tv»  90. 

9i.  —  Juillet  1527.  Lisez  :  Juillet  1537. 

92.  —  Fin  de  l'article  :  Voy.  le  n°  113  ci-après. 
Lisez  :  Voyez  le  n°  114  ci-après. 

D".  —  Juin  1539.  Lisez  :  1538. 

59.  —  Lisez  :  Bons  chrestiens,  trestous  ensemble. 

Emile  Picot. 
(A  suivre.) 


430  REVUE    D  HISTOIRE    LITTERAIRE    DE    LA   FRANCE. 


A    TRAVERS    LES    MANUSCRITS    INEDITS 
DE   TALLEMANT   DES   RÉAUX 

(Fin  «.) 

IV 

Quelques  amis  et  connaissances  de  l'auteur 
des  c  Historiettes  ». 

Un  des  types  les  plus  curieux  des  salons  du  xvne  siècle  est  assu- 
rément Marie-Catherine-Hortense  des  Jardins,  qui  fut  une  des 
connaissances  de  notre  auteur.  Dans  ses  Historiettes,  éditées  par 
Monmerqué  (Cf.  tome  X,  pp.  221  sqq.),  il  lui  a  consacré  plusieurs 
pages,  extraites  des  manuscrits  mêmes  dont  nous  nous  occupons* 
Dans  ces  mss.  (672,  f0i  196-204)  figurent  un  certain  nombre  de 
pièces  de  vers  qui  intéressent  la  rapide  étude  que  j'ai  l'intention 
de  faire  ici  sur  cette  physionomie  tout  à  fait  singulière. 

Fille  d'un  officier  et  d'une  dame  d'honneur  attachée  à  la  personne 
de  Mme  de  Montbazon,  Marie  des  Jardins  naquit  à  Alençonen  1632. 
Enfant,  elle  se  fit  remarquer  par  ses  manières  charmantes  et  sa 
conversation  légère  à  ce  point  que  Voiture,  qui  la  connut  dès  sa 
jeunesse,  prédit  à  la  fois  qu'elle  aurait  beaucoup  d'esprit,  et  qu'elle 
serait  folle.  Pronostic  assez  juste;  mais  sa  folie,  que  je  crois,  fut 
de  la  démence  hystérique. 

Longtemps  elle  habita  la  province,  qu'elle  parcourut  en  tous 
sens,  et  vraisemblablement  en  qualité  de  comédienne.  En  tous  cas, 
elle  s'est  vantée,  au  moment  de  sa  mort,  «  d'avoir  fait  courir  tout 
Narbonne  au  théâtre  de  Molière,  afin  de  la  voir  ».  J'indique  cette 
piste  à  quelque  érudil  qui  pourra  refaire  un  Roman  comique. 
Quoi  qu'il  en  soit,  en  1657,  elle  vint  à  Paris  et  fut  familièrement 
reçue  par  les  duchesses  de  Montbazon  et  de  Chevreuse.  Sorte  d& 
George  Sand  de  son  époque,  et  toutes  proportions  gardées,  elle 
fut  tôt  célèbre  par  ses  œuvres,  —  romans  et  pièces  de  théâtre,  — 
et  aussi  par  ses  galanteries.  On  l'exalta  outre  mesure;  on  la  mit 
«  au-dessus  de  Mlle  de  Scudéry  et  de  tout  le  reste  des  femelles  ». 

Ah!  qu'en  termes  galants  ces  choses  là  sont  mises! 

i.  Voyez  Revue  d'Histoire  littéraire,  1898,  p.  538  ;  1899  p.  403  et  424. 


A    TRAVERS    LES    MANUSCRITS    DE    TALLKMAST    DES    IlLALX. 


4:<1 


C'est  une  vie  ggilée  et  pleine  de  scandales  de  tout  genre  que 
mène  des  lors  MtlG  des  Jardins,  excentrique  aussi  bien  dans  ses 
collels  trop  courts,  auxquels  elle  rajoute  des  rubans  poétiques,  que 
dans  ses  passions  qui  se  succèdent  avec  la  même  violence  et  comme 
si  chacune  pouvait  et  devait  être  unique,  La  plus  connue  sans 
doute  est  sa  liaison  avec  M,  fa  La  Vitledieu,  qu'elle  rencontre  dans 
un  bal,  emmène  chez  elle,  soigne  durant  une  maladie  de  six 
semaines,  avec  un  dévouement  de  sœur  de  charité;  suit  en  dépit 
qu'il  en  ait,  lassé  bien  vile;  dont  elle  prend  le  nom  et  qu'elle  pleure 
lorsqu'il  est  tué  à  la  guerre.  Son  désespoir  n'a  pas  de  bornes;  elle 
veut  ensevelir  son  deuil  dans  un  couvent  st.,,  sTunïtavee  le  mar- 
quis de  La  Chasse  de  la  façon  la  moins  religieuse*  L'âge  est  venu, 
et  la  sagesse  du  diable  qui  se  fait  ermite.  Elle  se  retire  à  Cliache- 
mare,  dans  le  Maine,  et  y  meurt  eo  16S3* 

Comme  toutes  les  personnalités  en  vue  de  ce  demi-monde  étin- 
celant  du  xvn*  siècle,  M,lD  des  Jardins  a  fort  écrit  et,  dès  1662,  on 
publiait  s<>  œuvres.  Elles  furent  complétées  dans  l'édition  de  1702 
(10  vol.  in-12),  et  redonnées  eo  172 L  Presque  toutes  sont  bien 
inconnues  aujourd'hui»  mais  combien  avaient  été  lues,  dans  leur 
passage  sous  le  manteau,  les  Désordres  de  VAfnourt  té  Portrait  des 
Faiblesses  humaines %  les  Mémoire*  du  Sérail  et  unhvs  productions 
de  son  si  beau  feu  —  ainsi  qu'on  parlait  alors,  —  notamment  feg 
Relations  galantes,  publiées  en  1608  par  Barbin,  sous  le  patronage 
bizarre  de  Mu"  de  Sévigné!  Combien  avaient  été  applaudies!  sa 
tru;ri-eomédie  Ma  ni  tus  f  dédiée  ù  la  (ïrande  Mademoiselle  et  éditée 
chez  Qiiinet,  en  ib"62;  sa  tragédie  Nitétis,  adressée  au  duc  de 
Saint-Aignan  et  donnée  par  le  même  Quittât  en  1664;  sa  Lrai:i- 
comédic  le  Favori,  jouée  par  Molière  et  sa  troupe  dans  les  pre- 
miers jours  de  juin  1665,  et  portée,  le  13  du  même  mois,  à  Ver- 
sailles devant  le  Roy,  comme  en  témoigne  la  Gazette  de  Robinet! 

Je  n'insiste  point  sur  toutes  ces  œuvres,  acclamées  par  les  snobs 
de  l'époque,  qui  mettaient  M,u  des  Jardins 

...  au  rang  des  neuf  Sœurs 
Pour  ses  poétiques  douceurs, 

Nous  avons,  pardicu!  bien  assez  de  romans  et  de  nouvelles  quel- 
conques, sans  compter  ceux  de  mérite;  bien  assez  de  tragédies  et 
de  tragi-comédies  médiocres,  sa  us  compter  celles  de  valeur,  et 
d'ailleurs  nous  n'avons  dessein  d'étudier  ici  M"*  des  Jardins  que 
d'après  les  manuscrits  inédits  de  Tallemaut,  en  la  replaçant  avec 
lui  dans  ce  cadre  des  précieuses  de  son  époque,  dont  Edm.  Ros- 
tand a  versifié  une  journée ,  en  ces  salons  où  elle  connut  tant  de 


432  REVIT  E    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

galants  et  entreprenants  gentilshommes,  tant  d'abbés  musqués  et 
ambrés.  Nous  l'y  verrons  rivalisant  avec  eus  de  musc  et  d'ambre, 
d'entreprises  et  de  galanteries.  Mais  auparavant  je  tiens  à  indi- 
quer ce  qui,  dans  son  œuvre  littéraire,  est  de  beaucoup  supérieur 
à  tout  le  reste,  et  Molière  ne  s'y  est  point  trompé,  ni  Tallemant 
qui  Ta  consigné  tout  au  long  (672,  P*  196-200).  C'est  le  Récit  en 
prose  et  en  vers  des  Précieuses,  qu'on  attribue  à  Somaize.  On  y 
rencontre  Gorgibus,  Marotte,  Madelon  et  Margot,  et  les  caractères 
sont  tracés  de  telle  sorte  que  le  terrible  Molière  n'eut  encore  une 
fois  qu'à  reprendre  son  bien  par  un  de  ses  plagiats  accoutumés. 

Marotte.  —  Elles  sont  là-haut  dans  leur  chambre 
Qui  font  des  mouches  et  du  fard, 
Des  parfums  de  civette  et  d'ambre 
Et  de  la  pommade  de  lard. 

Et  Gorgibus,  «  paladin  françois  »,  poli  comme  un  habitant  de  la 
Gaule  celtique,  allègue  ce  siècle  en  lequel  les  femmes  ne  portaient 
que  «  des  escofions  et  des  sandales  », 

Où  les  parfums  csloient  de  fine  marjolaine, 
Le  fard  de  claire  eau  de  fontaine; 
Où  le  talc  et  le  pied  de  veau 
N'approchoient  jamais  du  museau... 

et  reçoit,  avec  le  même  effarement  que  son  homonyme  des  Précieuses 
ridicules,  cette  réponse  dédaigneuse  quand  il  appelle  sa  fille  et  sa 
nièce  Madelon  et  Margot  : 

Mon  père,  hantez  les  écoles 
Et  vous  apprendrez  en  ces  lieux 
Que  nous  voulons  des  noms  qui  soient  plus  pretieux. 
Pour  moy  je  m'appelle  Clymène 
Et  ma  cousine  Philomène. 

Malheureusement  Mlle  des  Jardins  n'a  que  trop  rarement  de 
telles  rencontres.  En  général,  elle  se  borne  au  Madrigal  ordinaire, 
aux  Stances  suivant  la  formule,  et  de  ce  genre  Tallemant  a  recueilli 
pour  nous  les  conserver  plusieurs  exemples  que  je  vais  transcrire. 

Voici  d'abord  des  Madrigaux  : 

I  (672,  f°  200). 
Lisis  se  plaint  de  ma  rigueur. 
11  dit  qu'il  est  discret,  complaisant  et  fidelle, 
Qu'il  m'adore,  quoyque  cruelle, 
Mais  qu'il  ne  peut  toucher  mon  cœur. 


A  TRAVERS  LES  MANUSCRITS  DE  TALLEMANT  DES  RÉAUX.       433 

Je  connois  l'ardeur  de  sa  flamme, 
Ses  vertus,  son  esprit,  la  grandeur  de  son  ame; 

Mais  tous  ses  soings  sont  superflus, 
Car  je  ne  puis  donner  un  cœur  que  je  n'ay  plus. 

Voilà  de  l'amour  solide  pour  le  prédécesseur  de  Lisis. 

•II  (672,  id.,  verso). 

Amour,  ton  pouvoir  estextresme; 
Tu  triomphes  de  ma  rigueur 
Et  je  m'apperçois  que  mon  cœur 
Est  bien  plus  a  toy  qu'à  moy  mesme. 
J'ay  veu  Tirsis  sans  le  biasmer; 
Sa  présence  m'a  sceu  charmer, 
Mes  yeux  ont  trahi  mon  courage, 
Et  par  leurs  regards  adoucis 
Ont  dit  d'un  amoureux  langage  : 
Ah  !  je  t'ayme  encore,  Tirsis. 

Heureux  Tirsis!  Plus  heureux  certes  que  ce  Philène,  amoureux 
repoussé,  que  fait  parler  la  poétesse  : 

III  (û/.,f>  201,  verso). 

Vous  que  rien  ne  peut  attendrir 
Et  dont  la  rigueur  sans  seconde 
Laisse  cruellement  périr 
Le  plus  fidelle  amant  du  monde, 
Ha!  pour  punir  vostre  rigueur, 
Ou  pour  venger  le  malheureux  Philène, 
Que  n'ay-je  vos  appas,  adorable  Chimène, 
Ou  bien  que  n'avez-vous  mon  cœur? 

Passons  aux  Stances  : 

Sur  un  Départ. 

I  (ïtf.,  f°  200). 

Cher  Tirsis,  objet  de  ma  flame, 
C'en  est  fait,  tu  quittes  ces  lieux. 
Le  sort  t'esloigne  de  mes  yeux, 
Mais,  hélas!  rien  ne  peut  t'esloigner  de  mon  ame. 

Malgré  l'effort  des  Destinées 
Tu  verras  mon  fidelle  cœur 
Suivre  son  illustre  vainqueur 
Jusqu'à  ce  que  la  Parque  ayt  tranché  mes  années. 


434  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Mais  ma  vertu  semble  offensée 

De  me  voir  pousser  des  soupirs. 

Vertu!  pardonne  a  mes  désirs! 

Si  je  suis  mon  Tirsis,  ce  n'est  que  de  pensée. 

Il  est  vrai!  Je  me  précipite 
Dans  un  trop  amoureux  transport; 
Mais  je  suis  proche  de  la  mort, 
Et,  quand  nous  expirons,  notre  raison  nous  quitte. 

'II  (îrf.,  f°  201,  verso.) 

Iris,  quand  je  vous  voy  sy  belle, 
Je  sens  renaistre  ma  langueur. 
Quoy  que  vous  soïez  infidelle, 
Vos  yeux  sçavent  encor  le  chemin  de  mon  cœur. 

Vous  pouvez,  malgré  ma  collère, 
Remettre  mon  cœur  sous  vos  loix. 
Vous  pouvez  encore  plus  faire, 
Vous  pouvez  me  tromper  une  seconde  fois. 

Mais,  Iris,  une  amour  nouvelle 
Doit  r'allumer  de  nouveaux  feux. 
Devenez  un  peu  plus  fidelle, 
Je  seray,  s'il  se  peut,  encor  plus  amoureux. 

Un  Impromptu  et  une  Eglogue  ne  marquent  guère  autre  chose 
que  la  fluide  facilité  du  talent  des  Trasyle  et  autres  Théodamas. 
Je  reproduis  le  premier  :  (id.9  f°  201). 

On  a  banny  la  complaisance; 
On  n'a  plus  de  plaisir;  on  n'a  plus  de  constance. 

Hélas!  on  ne  sçait  plus  aimer. 
Amour,  dont  le  pouvoir  autrefois  fut  extresmc, 

N'entreprens  plus  de  me  charmer 
Ou  me  fais  un  amant  qui  mérite  qu'on  l'aime. 

La  seconde  de  ces  piécettes  —  Y  Eglogue  —  est  un  dialogue  entre 
Amarillis  et  Doris.  Elle  a  d'ailleurs  «  esté  corrigée  »  d'après  une 
annotation  de  Tallemant.  On  s'y  nomme  «  adorable  berger,  » 
comme  on  s'appelle  «  ange  ou  démon  »  dans  le  roman  de  Barbe- 
muche;  il  y  est  parlé  de  «  houlettes  »  rimant  avec  des  «  musettes.  » 
C'est  du  Des  Houlières  de  qualité  inférieure. 

Trois  pièces  enfin  présentent  un  plus  vif  intérêt  en  ce  que,  der- 
rière l'écrivain  quelconque,  on  aperçoit  une  femme,  que  je  vous 
affirme  point  banale. 


A  TRAVERS  LES  MANUSCRITS  DE  TALLEMANT  DES  RÉAUX.      435 

Une  lettre  adressée  à  l'abbé  Du  Buisson  (td.,  f°  203),  la  montre 
d'une  jolie  audace,  d'une  audace  qui  n'a  rien  à  perdre,  rien  ou  peu 
de  chose.  Mllc  des  Jardins  écrit  que  l'abbé  est  très  galant  auprès 
d'elle;  qu'il  ne  se  passe  point  de  jour  qu'il  ne  la  visite,  la  blâmant 
alors  qu'elle  s'est  absentée.  Et  pourtant  leur  amitié  toute  neuve 
ne  justifie  ni  pareille  assiduité  ni  telle  familiarité  grondeuse,  et 
elle  conclut  en  ces  termes  : 

Depuis  le  jour  de  notre  connoissance 
Vous  me  cherchez  avec  empressement  ; 
Vous  trouvez,  dites-vous,  mon  entretien  charmant; 
Vous  craignez  déjà  mon  absence 
El  me  louez  en  tous  lieux  hautement. 
Si  vous  voulez  qu'en  confidence 
Je  vous  dise  ce  que  j'en  pense  : 
Vous  en  tenez,  mon  brave,  asseurement. 

Telle  est  bien  la  femme  qui  fit  scandale,  en  une  autre  conjecture, 
en  envoyant  à  l'abbé  Parfait,  qui  l'avait  soutenue  de  son  bras  un 
jour  qu'elle  était  tombée  en  pâmoison,  l'impertinence  suivante, 
sous  forme  de  Madrigal  : 

Quoy  !  Tirsis,  bien  loin  de  m'abattre 

Vous  m'empeschez  de  succomber! 
Quoy!  Vous  me  relevez  lorsque  je  veux  tomber 

Et  vous  prêtez  des  bras  pour  vous  combattre! 
Après  cette  belle  action 
On  verra  vostre  nom  au  Temple  de  Mémoire, 
Et  Ton  vous  nommera  le  héros  de  ma  gloire 
Mais  aussi  le  bourreau  de  votre  passion. 

Il  y  a,  sûrement,  de  la  crânerie  dans  celte  moquerie  du  «  qu'en 
dira-t-on?  »  et  MI,e  des  Jardins  est  plus  qu'une  passionnée  en  sa 
cynique  impudeur.  Elle  se  montre  plus  «  amoureuse  »  dans  les 
deux  Sonnets  qui  me  restent  à  citer. 

Ici,  c'est  le  chant  d'un  amour  malheureux  qui  essaie  d'être 
«  généreux  »  et  se  brise  en  un  sanglot  de  désespérance  (id.,  f°  200, 
verso)  : 

Ne  formons  plus,  mon  cœur,  d'inutiles  désirs; 
De  mes  tristes  malheurs  je  veux  finir  l'histoire 
Et  bannir  pour  jamais  de  ma  sombre  mémoire 
L'inexorable  autheur  de  tous  mes  desplaisirs. 

Reprenons  aujourd'hui  mes  tranquilles  plaisirs; 
Remportons  sur  nous  môme  une  illustre  victoire; 


436  REVUE    DSÎSTOtRS    MTTLILURë    DE    LA    FRANCK. 

Songeons  a  noslre  honneur»  songeons  a  noslre  gloire 
Et  songeons  aux  mespris  qu'on  fait  de  nos  soupir*. 

Il  est  vray  que  Tirsis  a  d'invincibles  armes; 
Maïs  le  cruel  me  liait;  il  mesprise  nies  larmes, 
Faisons  pour  l'oublier  un  généreux  effort! 

Mon  cœur,  fuïez  Tirsis  pour  conserver  ma  vie... 
Hais  qu'est-ce  que  je  pense?  À  mon  ame  ravie 
Vivre  sans  voir  Tirsis  est  bien  pis  que  la  mort. 

Là,  c'est  Vénus  tout  entière  à  sa  proie  attachée,  c'est  la  passion 
physique  toute  pure,  sans  aucun  voile  de  pudeur*  M114  des  Jardins 
était  à  la  campagne,  à  Dampierre.  Les  duchesses  de  Chevreuse  et 
de  Montbaaon  »  lui  rcprochoicul  qu'on  ne  sçavoït  plus  ce  que  son 
tendre  estoit  devenu,  »  et  M""  de  Morangis,  fort  dévote  personne > 
qui  entretenait  commerce  avec  un  jacobin,  le  P.  Louvet,  maïs 

faisait  des  tableaux  couvrir  les  nudités, 

et  se  brouilla  à  tout  jamais  avec  notre  poétesse  à  la  suîle  des 
mis  que  nous  allons  transcrire,  insista  pour  lui  faire  appeler  la 
Muse  délaissée. 

Sonnet  (id^  t>2Ql)i 

Aujourd'hui  dans  tes  bras  j'ay  demeure  pasmée; 
Aujourd'hui,  cher  Tirsis,  une  amoureuse  ardeur 
Triomphe  impunément  de  toute  ma  pudeur, 
Et  je  cède  aux  transports  dont  mon  asme  est  charmée. 

Ta  tl ame  et  ton  respect  m'ont  enfin  désarmée; 
Dans  nosembrassemenls  je  mets  tout  mon  bonheur, 
Et  je  ne  connois  plus  de  vertu  ni  d'honneur 
Puisque  j'aime  Tirsis  et  que  j'en  suis  aimée. 

0  vous,  faibles  esprits,  qui  ne  connaissez  pas 
Les  plaisirs  les  plus  doux  que  Ton  goûte  îcy  bas, 
Apprenez  les  transports  dont  mon  ame  est  ravie  : 

Une  douce  langueur  m  os  te  le  sentiment. 

Je  meurs  entre  les  bras  de  mon  fidelle  amant 

Et  c'est  dans  cette  mort  que  je  trouve  la  vie. 

Cette  sœur  de  Ninon  aimait,  comme  elle,  «  la  volupté  d'Epicure  »* 
Aux  érudits  curieux  de  ces  petits  scandales  à  trouver  si  c'est  Vil* 
ledîeu  ou  quelque  autre  qui  a  inspiré  de  pareils  vers.  Est-ce> 
Alfred  de  Musset?  Est-ce  Pagello?  SIU<  des  Jardins,  de  peur,  sans. 


A    TIUVKRS    LI£S    MÀNUSCIUTS    I>E    TALLIIMAM     D1-S    UKAI.V. 


437 


doute,  de  confusion  fâcheuse,  appelle  lous  ses  mourante  du  même 
prénom  dr  Tirsis. 

Un  aulre  ami  de  Tallemanl,  le  compère  de  La  Fontaine,  Fran- 
çois Maucroix,  «  fils  de  maistre  Louis,  procureur,  et  de  damoiselle 
Marie  de  Rive  »,  naquit  à  No  von  le  7  janvier  1619,  commença  ses 
éludes  à  Château-Thierry  sur  les  mêmes  bancs  que  son  frère  et 
que  le  fabuliste  futur,  les  continua  à  Paris,  fit  son  droit  avec  la 
bienveillante  protection  de  Palru  et  de  Conrart  et  fut  par  eux 
introduit  dans  la  société  de  gens  de  lettres  et  de  savants,  tels  que 
Pcrrotd'Àblancourt,  Fureliere,  Pellisson,  Vion  d'AIibrav,  le  mathé- 
maticien Le  Railleur,  le  traducteur  d'Aristotc  Cassandre,  et  Vau- 
gelas,  et  l'abbé  d'Aubjgnac,  et  Benserade,  et  les  deux  Corneille, 
que  je  cite  sans  ordre,  au  hasard  du  souvenir.  Mais,  parmi  lous, 
et  même  après  que  Maucmïx  se  fui  lié  plus  tard  avec  le  P,  Bouhours, 
Coulanges,  Richelet,  Racine,  Boileau,  Bossue t,  Molière,  le  plus 
aimé  FutTallemant  des  Réaux. 

En  ce  cercle  élégant,  Maucroix  devait  se  livrer  a  ces  jeux  poéti- 
ques qui  furent  la  gloire  passagère  des  ru  ri  les  et  alcôves^  et  il  lit 
des  vers  comme  tout  le  monde.  Bien  après  leur  production,  ses 
piécettes  furent  imprimées,  —  car  elles  datent  de  1(36 el  ne  dépas- 
sent guère  1650,  —  dans  divers  Recueils  qu'il  faul  toujours  con- 
sulter, tels  que  les  Poésies  chùiêieë  de  Scrcy,  ifi60.  La  nous  avons 
retrouvé  V Elégie  à  Olympe,  le  Sonnet  à  Mademoiselle  tic  Joyeuse, 
les  Stances  au  marquis  de  Lénoncourt^  son  fiancé  qui  mourut, 
comme  on  sait,  au  siège  de  Thionville,  VE pitre  à  Caemndref  V Epi- 
gramme  à  Philis.  C'est  un  débordement  banal  de  Chansons,  Airs, 
Quatrains,  lîouttnles,  EffiogucB  dans  le  goût  de  Théocrite  et  de 
Virgile,  Elégie^  Madrigaux  a  !ris,  à  Sylvie,  à  Diane,  dont  il  n'y 
a  rien  à  dire,  vers  de  précieux  et  de  jeune  raffiné  gâté  par  la 
mode*  Toutefois  il  nous  a  plu  de  relever,  dans  une  Ode  à  Coimtrf 
qui  date  de  celle  période,  une  phrase  poétique  qui  rappelle  de  bien 
près  celle  de  Malherbe  à  du  Périer  : 

La  mort  de  ses  rigueurs  ne  dispense  personne. 
L'auguste  éclat  d'une  couronne 
Ne  peut  en  exempter  les  rois, 


Avocat,  Maucroix  réussissait  moins,  Nous  sommes  informés,  par 
une  de  ses  lettres  adressée  au  I\  Tourret,  que  sa  timidité  rem- 
pécha  de  plaider  plus  de  cinq  ou  six  fois,  Son  père,  le  bon  procu- 
reur, navré  de  cette  déplorable  réussite,  le  rappela  et  le  lit  entrer 
comme  conseil  dans  la  maîsonf  de  M.  de  Joyeuse,  lieutenant  du 

IlEV.    D*HIST.   LÏTTtR.    DE   LA  FllASCl  (7"  ABU.].  —    VIT,  29 


REVUE    t»  HISTOIRE    UTTLRAlltE    i»E    LA    FltA3CC. 


roi  au  gouvernement  de  Cliarp|»a^  M  lia  Maucroix  n'avait  pas 
plus  de  goût  pour  la  chicane  assise  que  pour  la  chicane  debout  et, 
plutôt  que  de  plaider  les  procès  du  mari,  il  fît  de  la  musique  avec 
la  femme  et  s 'éprit  4e  la  fille,  Il  en  ri  elle.  Ici  commence  ce  roman 
<]'    sa  vie»  auquel  fut  mêlé  Taliemant. 

M"*  de  Joyeuse  fut  fiancée  au  marquis  de  Lénoncourt,  et  Mau- 
croix, désespéré,  sVnfuil  de  Eteins.  Arrêté  au  passage  par  l'amitié 
de  La  Fontaine,  il  passa  quelques  semaines  à  Château-Thierry* 
puis,  pour  tromper  sa  désolation,  se  rendit  à  Paris.  Tallemaut  le 
reçut  et  lui  conseilla  le  mariage,  C'est  la  formule  appliquée  :  un 
clou  chasse  l'autre.  Il  lui  répondit  qu'il  demandait  à  y  songer  toute 
sa  vie  et,  comme  opportunément  survint  la  mort  de  Lénoncom  L 
il  reprit  la  roule  de  Reims,  Vainement  ;  car  Henriette  épousa 
bientôt  le  marquis  des  Brosses. 

Alors  Maucroix  se  fit,.,  ermite,  ou  plus  exactement  chanoine 
par  dépit  amoureux.  Il  y  a  quelquefois  de  ces  vocations.  Il  semble 
n  avoir  annoncé  ce  projet,  en  ses  lettres  amicales,  qu'après  qu'il 
eut  été  mis  à  exécution.  Il  obtint  de  son  père  une  avance  d  hoirie 
et,  profitant  de  ce  que  André  Buridan  résignait  son  canonical,  il 
Tacheta,  Rîchelet  a  noté  la  date  de  l'installation  de  Maucroix 
comme  chanoine  en  L'église  4e  tteims  relie  eut  lieu  le  3  avril  1647  : 
et  tous  ses  amis  parisiens  furent  ravis  de  sa  décision,  qui  fut  vite 
suivie  d'une  réputation  universelle  dans  les  cercles  rémois-  Seul, 
Fuiviifir  n  admit  pas  cet  avatar  et  gourmanda  en  vers  le  poète- 
avocat,  tout  en  lui  dédiant  d'ailleurs  son  Jeu  de  boults  des  Procu- 
reurs, 

Cependant,  malheureuse  en  ménage  et  persuadée,  —  les  femmes 
du  xvii*  siècle  se  laissaient  si  facilement  convaincre  de  ces  choses 
flatteuses,—  que  Maucroix  s'était  fait  d'église  par  regret  de  l'avoir 
perdue  deux  fois,  Henriette  de  Joyeuse  le  manda  sous  le  prétexte 
vraisemblable  de  le  consulter  sur  certaine  clause  de  son  contrat 
de  mariage.  11  fit  part  de  cet  appel  à  Tallemant,  qui  ne  nous  paraît 
point  avoir  été  enchanté  de  voir  son  ami  c<  r'enflamé.  »  Reçu  ainsi 
dans  la  maison  des  Brosses,  l'amoureux  rappelé  suivit  le  ménage 
dans  les  Àrdenncs,  au  moment  des  pourparlers  du  traité  de 
Westphaliâ%  et  tomba  en  pleines  hostilités.  Il  ne  s'y  montra  rien 
moins  qu'un  foudre  de  guerre,  ainsi  qu'il  s'en  confesse  plaisam- 
ment dans  deux  Épttreâ  en  vers,  adressées  lune  à  Cassaudre, 
l'autre  à  Asllbel.  Nous  n'ignorons  pas,  grâce  à  une  note  du  manus- 
crit de  Maucroix,  découvert  jadis  à  Reims  par  Louis  Paris t  que 
Ton  avait  donné  à  Tallemant,  chez  la  marquise  de  Rambouillet,  le 
nom  de  cet  AsUbel,  «  sage  enchanteur,  favorable  à  Amadis  »,  Et 


A   TRAVERS   LES   MANUSCRITS    DE    TALLEMAÏST   DES    RÉAUX.  439 

dans  YÉpitre  qu'il  lui  adresse  sous  ce  nom,  Maucroix  prêche  le 
désarmement,  mais  pour  d'autres  raisons  que  le  tzar  de  Russie. 

A  quoy  bon  aussi  ceste  guerre 
Qu'a  mettre  tant  de  gens  par  terre 
Que  Ton  envoie  en  Paradis 
Sans  un  pauvre  De  profundis* 
Aussy,  tiens-j e  quasi  pour  beste 
Tout  homme  qui  n'a  qu'une  teste 
Et  va  l'exposer  au  canon. 
Chacun  a  son  amour,  dit-on  ; 
La  mienne  est  d'être  un  peu  poltron. 

Et,  pareil  à  Horace  qu'il  aime,  il  jette  son  bouclier. 

Il  revint  d'ailleurs  sur  cette  idée  dans  une  autre  ÉpUre,  encore 
envoyée  à  Tallemant,  lors  du  siège  de  Paris,  et  dans  laquelle  il 
l'engage  à  ne  point  se  faire  tuer. 

Puisqu'on  n'a  qu'une  vie,  il  la  faut  bien  garder. 

Cette  poltronnerie  avouée  ne  favorisait  guère  son  amour  pour 
Henriette.  Cette  dernière  refusait  de  céder  par  crainte  religieuse 
car  ses  confesseurs  lui  représentaient  qu'elle  commettrait  un  sacri- 
lège. Elle  se  contentait  de  jurer  à  Maucroix  «  qu'elle  l'aimait  plus 
que  sa  vie,  »  et  s'en  tenait  là.  Bientôt  elle  le  désespéra  encore 
davantage.  Elle  se  fît,  en  effet,  enlever  par  la  marquise  de  Mire- 
poix,  sa  cousine,  qui  l'emmena  à  Paris  où  passa  la  peur  du  sacri- 
lège et  où,  loin  de  la  surveillance  du  marquis  des  Brosses,  elle  se 
laissa  aller  à  des  aventures  à  la  fois  plus  glorieuses  et  moins  dan- 
gereuses pour  son  salut  éternel.  Infortuné  Maucroix  !  S'il  avait 
cru,  grâce  au  froc  de  Tartuffe,  donner 

De  l'amour  sans  scandale  et  du  plaisir  sans  peur, 

il  dut  s'apercevoir  qu'il  avait  été  loin  de  compte  et  se  replier  sur 
Reims.  Sa  consolation  fut  d'informer  Tallemant  de  son  insuccès, 
et  sa  ressource  de  se  jeter  dans  la  politique.  Était-ce  déjà  le  refuge 
des  désespérés  ?  L'anarchie  régnait  en  France  et  Reims  était  contre 
le  Mazarin,  que  sa  qualité  d'étranger  rendait  fortement  suspect. 
Dans  une  autre  lettre,  adressée  à  Tallemant,  son  confident  préféré, 
le  chanoine  annonce  qu'il  va  entrer  en  campagne  ;  mais  Henriette 
vint  le  rejoindre.  Dès  lors  il  abandonne  ses  plans  politiques.  Tal- 
lemant, qui  voit  le  danger,  mande  à  Paris  Maucroix  de  la  façon 
la  plus  affectueuse  et  la  plus  pressante.  Peine  perdue!  Henriette, 
abandonnée  par  son  mari  et  très  malade,  a  déjà  été  recueillie  dans 


440  «EVtK    D0ISTOIBE    MTTÉ&MBE   DE    LA    HU5CE. 

la  maison  qoe  le  chanoine  partage  arec  son  frère,  soignée  avec 
on  dévoûment  rare,  et  plenrée  lorsqu'elle  meurt.  Prévenu  du 
désespoir  de  son  ami,  Tallenfent  accourt  à  Reims  et,  pour  l'arra- 
cher à  ces  lieux  funèbres  où  tout  lui  rappelle  sa  douleur.  l'emmène 
de  force  à  Paris.  C'est  de  ce  séjour  chez  Tallemant,  qui  fit  l'im- 
possible afin  de  panser  une  plaie  qui  saignait  encore  quarante 
ans  après,  que  date  une  Épitre  adressée  à  Rosaliane,  —  c'est  la 
femme  de  des  Beaux,  —  dont  la  gaité  est  forcenée  et  capricante,  et 
que  son  état  de  grossesse  avancée  n'empêche  point  de  se  livrer  à 
la  danse,  son  amusement  favori. 

De  retour  à  Reims,  et  après  une  mission  diplomatique  en  Italie, 
à  laquelle  mit  fin  la  chute  du  surintendant  Fouquet,  Maucroix  fut 
l'âme  d'un  cercle  littéraire  que  fréquentaient  les  abbesses  de  Saint- 
Pierre  et  de  Saint-Etienne,  la  comtesse  de  Lhéry,  M"*  de  Ber- 
rieux,  la  comtesse  d'Aubeterre,  M"**  Biscara,  de  Sillery,  Pape  t  te 
Pinguis,  etc.  C'est  en  cette  réunion  que  furent  composées  la  saynète 
intitulée  Mademoiselle  Soin,  qui  a  été  éditée,  et  qui  figure  dans  les 
manuscrits  de  Tallemant  ;  la  comédie  La  Vespière,  dont  le  sujet 
avait  été  fourni  par  Tallemant,  qui  avait  connu  cet  authentique 
personnage,  dont  il  parle  dans  Yhistoriette  de  Mne  de  Gondran  ; 
et  enfin  une  autre  pièce  anodine,  pour  pensionnats  déjeunes  filles, 
en  cette  époque  fortunée  où  les  fillettes  se  plaisaient,  paraît-il,  à 
la  farce  badine,  à  l'espièglerie  peu  méchante,  au  lieu  de  rêver  au 
dernier  roman  de  M.  Bourget  ou  même,  ce  dit-on,  de  M.  Catulle 
Mendès. 

Tallemant  nous  Ta  conservée  (672,  f*  4-13)  : 

Une  pensionnaire,  M"e  de  Saint-Estève,  a  réuni  les  élèves  de 
la  grande  classe  dans  sa  chambre  et  Ton  y  complote  d'un  tour  à 
jouer  au  chanoine  Maucroix,  qui  a  ses  entrées  dans  la  maison  : 

Tandis  que  je  vous  tiens  toutes  icy  dedans, 
Mes  sœurs,  assistez-moi  de  vos  avis  prudens, 
Pourvu  qu'avis  prudens  soyent  dans  votre  cervelle... 
Car,  pour  moy,  je  ne  puis  laisser  passer  un  jour 
Sans  luy  faire  une  niche  et  lui  jouer  d'un  tour. 

Biscaye  VAince. 
Madame,  c'est  bien  dit.  Tost,  tost,  que  Ton  l'attrape! 

Et  après  cette  rapide  exposition,  qui  a  le  mérite  de. la  netteté, 
toutes  nos  écervelées  se  disputent  l'honneur  d'inventer  quelque 
farce  piquante.  Les  voilà  à  l'œuvre,  mais,  malgré  leurs  efforts,  — 
le  croirait-on?  Et  Maucroix  est-il  vraiment  psychologue?  —  l'ima- 
gination de  ces  demoiselles  est  stérile. 


A   TRAVERS    LES    MANUSCRITS    DE    TÀLLEMANT   DES    BEAUX.  441 

Mademoiselle  Meunier. 

Mon  esprit  aujourd'hui  va  comme  une  ecrevisse 
El  j'ay  perdu  la  clé  de  mon  coffre  a  malice. 

Elles  vont  y  renoncer  ;  car  leur  esprit  est,  à  Jes  entendre,  «  passé 
dans  leurs  talons  ».  La  présidente  est  mieux  inspirée. 

Ah  !  j'y  suis  a  ce  coup  !  Ecrivons  luy  si  bien 
Qu'il  lise  tous  nos  mots  et  n'y  comprenne  rien. 
Forgeons  des  mots  nouveaux  a  notre  fantaisie 
Qui  semblent  inspirez  par  pure  frénésie... 
Comme  c'est  un  chanoine,  il  ne  s'y  connoist  gueres 
Et  prendra  nos  jargons  pour  langues  estrangères. 

A  ce  trait  de  génie,  le  groupe  manifeste  bruyamment  son  admira- 
lion  et,  cette  fois,  l'esprit  inventif  des  fillettes  a  beau  jeu.  Chacune 
de  faire  sa  lettre  : 

Simone. 
Voicy  du  baragouin  de  la  terre  flamande. 

Une  autre. 
Voicy  du  baragouin  de  la  terre  allemande. 

Une  troisième  apporte  du  polonais,  suite  de  mots  non  moins  bis- 
cornus que  longs,  et  Mtoe  de   Saint-Estève  se  déclare   satisfaite, 

Car  les  Topinambous  parlent  ainsy  sans  doute. 

Biscaye  VAinée. 
Drox,  drix,  drix,  drox,  drux,  drex, 
Je  pense  en  vérité  que  c'est  le  parler  grec. 

M,,e  Rebours  arrive  à  la  suite  : 

Pugine  marge  bospoem  malamum  ; 

et,  inextinguibles,  les  rires  éclatent. 

Madame  de  Saint-Estève. 

Ne  riez  pas  si  haut!  Paix!  Cervelles  frivoles! 
Nostre  communauté  vous  prendroit  pour  des  folles. 

Mais  MIIe  Meunier  veut  dire  aussi  sa  phrase  : 

Strauf  mensdrop  dror  vivozernest  braquimadé. 

La  gaité  redouble  de  fureur  ;  on  crie,  on  pleure  de  joie  : 


Wl  bette  h  nmtoWL  untaMUL  k  l*  nujcc 

lomt  de  bon?  En  riant  j'ai  rompt  mot»  lacet — 
—  J'en  ay  mal  au  eosté-, 

—  J'en  ayinalaa  brinchet —  — 
S'en  ay  mal  à  la  jambe... 

—  Et  mer,  je  vous  assure 
Que  je  pente  en  avoir  humecté  ma  ehaassare. 

Alors  M"*  de  Saint-Estère  bit  mander  son  petit  ralet  «  qui  joae 
aux  noix,  *  et  l'envoie  porter  an  chanoine  le  paquet  de  ces  billets 
inintelligibles,  dus  à  la  collaboration  des  étourdies. 

Hou*  n'avons  aucunement  le  dessein  de  suivre  Maucroix  jusqu'à 
la  fin  de  sa  longue  carrière.  Ailleurs  nous  compléterons  une  Bio- 
graphie dont  les  passages  ébauchés  ici  ont  eu  pour  unique  prétexte 
le  Tallemant  dont  nous  étudions  les  manuscrits  inédits. 

Il  convient  pourtant  d'extraire  encore  de  ces  Xss  une  Epiiaphe 
bâte  par  Maucroix  pour  le  cardinal  Antoine  Barberin,  homme 
remuant  de  sa  nature  et  ayant  emprunté  à  sa  race  son  esprit  d'in- 
trigue et  d'adresse  (672,  fr  98,  verso). 

Cy  gist  un  prélat  estranger 
Fort  propre  a  faire  un  messager, 
Fort  mal  propre  a  la  prelature, 
Car  il  couroit  toujours.  Et  sy 
On  couroit  dans  la  sépulture, 
Il  n'auroit  garde  d'estre  icy. 

Enfin  relevons  cet  hommage  posthume  rendu  par  le  chanoine  à 
son  ami  Tallemant  :  «  Le  10  de  novembre  4692,  mourut  à  Paris, 
dans  sa  maison  près  la  porte  de  Richelieu,  mon  cher  amy,  M.  des 
Beaux  :  c 'estait  un  des  plus  hommes  d'honneur  et  de  la  plus 
grande  probité  que  j'aie  jamais  connu.  Outre  les  grandes  qualités 
de  son  esprit,  il  avait  la  mémoire  admirable,  escrivoil  bien  en  vers 
et  en  prose  et  avec  une  merveilleuse  facilité.  Si  la  composition  lui 
eust  donné  plus  de  peine,  elle  auroit  pu  eslre  plus  correcte  ;  il  se 
contentoit  un  peu  trop  de  ses  premières  pensées  ;  car,  du  reste,  il 
avoit  l'esprit  beau  et  fécond,  et  peu  de  gens  en  ont  autant  que  luy. 
Jamais  homme  ne  fut  plus  exact;  il  pari  oit  en  bons  termes  et  faci- 
lement, et  racontoit  aussy  bien  qu'homme  de  France.  » 

Tallemant  avait  connu  Particelli  d'Emcri,  et  c'est  à  cette  con- 
naissance que  nous  devons  sans  doute  de  trouver  dans  ses  manus- 
crits inédits  ces  triolets  du  fameux  Marigny,  dont  nous  avons  déjà 
parlé,  écrits  sur  une  maladie  du  surintendant  qui  avait  fait  quelque 
bruit.  Le  premier  date  de  la  maladie  même  (673,  f>  41,  verso)  : 


A   TRAVERS   LES   MANUSCRITS    DE   TALLEMANT   DES   RÉAOX.  443 

Mourra  t'il?  Ne  mourra  t'il  pas? 
Ira  t'il  jusqu'au  quatorzième? 
Il  me  semble  qu'il  est  bien  bas. 
Mourra  t'il?  Ne  mourra  t'il  pas? 
Ses  esclaves  font  des  hélas 
Et  disent  dans  leur  peur  ex  très  me  : 
Mourra  t'il?  Ne  mourra  t'il  pas? 
Ira  t'il  jusqu'au  quatorziesme? 

Le  second  (673,  P  42)  suit  la  guérison  : 

Médecin,  vous  êtes  un  fou 
De  saigner  la  surintendance; 
Vous  valez  moins  qu'un  tron  de  chou, 
Médecin,  vous  estes  un  fou. 
Recipe  trois  pies  de  licou  ; 
C'est  la  véritable  ordonnance. 
Médecin,  vous  estes  un  fou 
De  saigner  la  surintendance. 

Boyer,  la  tête  de  turc  de  Racine,  de  Boileau  et  de  Furetière, 
l'infortuné  auteur  de  Judith,  qui  «  mit  si  méchamment  à  mort  ce 
pauvre  Holopherne,  »  fig-ure,  ainsi  que  Quinault,  le  créateur  de 
l'Opéra,  et 

...  de  ces  lieux  communs  de  morale  lubrique 
Que  Lully  réchauffa  des  sons  de  sa  musique 

dans  la  galerie  de  Tallemant. 

De  Boyer  nous  avons  des  vers  à  la  louange  (toujours  !)  de  Louis 
le  Grand  (673,  f°  138,  verso)  : 

Quoy!  Toute  la  Franche  Comté, 
Grey,  Salins,  Bezançon  et  Dole 
Vous  avoir  si  peu  résisté! 
Apres  que  j'ay  bien  médité 
Sur  tout  ce  qu'on  m'en  a  conté, 
Ma  Muse  est  au  bout  de  son  rôle. 
Cette  estonnante  nouveauté 
M'oste  l'esprit  et  la  parole. 
Prez  de  vous  rien  n'est  sy  frivole 
Que  tout  ce  que  nous  a  chanté 
La  fabuleuse  antiquité. 
Prez  de  vous  toute  autre  clarté 
Est  moindre  qu'une  girandole 
Prez  de  Phebus  en  plein  esté. 


444  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Le  grand  Louys  est  respecté 
Plus  que  le  Dieu  du  Capitole; 
Il  est  plus  fort,  plus  redouté 
Que  l'invincible  amant  d'Yole, 
Et,  lorsqu'il  ravage  et  désole 
Toute  la  campagne  Espagnole, 
Il  passe  la  rapidité 
Des  meilleurs  postillons  d'Eole. 
Aussy  ce  que  dans  la  Boussole 
L'Aiguille  ressent  pour  le  Pôle, 
Ce  que  sent  un  cœur  enchanté 
Pour  une  charmante  beauté, 
Chaque  mortel  pour  son  idole, 
Mon  cœur  de  zèle  transporté 
Le  sent  pour  Vostre  Majesté. 

De  Quinault,  qui  d'ailleurs  avait  une  autre  envergure  que  Boyerv 
relevons  cette  jolie  plainte  sur  les  difficultés  de  marier  cinq  filles- 

Madrigal  (1618),  (673,  f°  2-22)  : 

Ce  n'est  pas  l'Opéra  que  je  fais  pour  le  Roy 

Qui  m'empesche  d'estre  tranquille; 

Pour  luy  rien  ne  m'est  difficile. 

C'est  que  j'ay  cinq  filles  chez  moy 

Dont  la  moins  âgée  est  nubile. 
Il  faut  les  eslablir.  Je  voudrois  les  pourvoir; 
Mais  a  suivre  Apollon  on  ne  s'enrichit  guère. 
[Dans  Testât  ou  je  suis  c'est  un  fascheux  devoir 
De  se  sentir  pressé  d'estre  cinq  fois  beau  père  f] 

Quoy!  cinq  actes  devant  notaire 

Pour  cinq  filles  qu'il  faut  pourvoir. 

0  ciel!  Peut-on  jamais  avoir 

Opéra  plus  fascheux  a  faire? 

Tallemant  fut,  on  le  sait,  uni  durant  toute  sa  vie  par  une  tendre- 
affection  avec  son  frère  François,  homme  de  lettres  assez  esti- 
mable, en  dépit  de  l'opinion  de  Boileau2,  aumônier  du  Roy, 
membre  de  l'Académie  française,  qui  s'occupa  avec  ferveur  de 
traductions  de  linguistique  et  de  grammaire.  Le  vol.  675,  f°  78,  — 
qui  porte  encore  le  n°  130  de  la  collection  faite  par  des  Réaux  et 
dont  nous  avons  parlé,  — renferme  une  letlreau  tographe  de  l'abbé, 
adressée  à  Ménage. 

1.  Les  deux  vers  entre  crochets  ont  été  raturés,  mais  sont  encore  lisibles,  ainsi 
qu'on  le  voit. 

2.  «  Le  sec  traducteur  du  français  d'Amyot.  > 


A    TUAYUts    LES    MAMÎSUUTS    DE    TAUJiMÀNT    DES    KÛAUX.  445 

À  Mon  sieur, 

Monsieur  Ménage 

Au  Cloistre  NosLre  Danie. 

/fc  paye  f|  .  Je  vous  envoyé  ainsy  que  vous  Pavez  ordonné  l'en- 
droit (te  la  vie  de  Ciceroii  ou  il  est  parlé  du  Sphinx.  Cicâfùn  un 
jour  en  parlant  à  H  mien  s  tu  s  devant  beaUôQUp  de  ai  onde  httj  dit 
quelques  parolfes  ambiguë*  et  picquantes.  BortensiiÀË  répondu  qu'il 
n  entendait  pas  les  Enigmes  et  Ciceron  lut  répliqua:  fié  te  devroienl 
pourtant  entre  fort  intelligibleê  pui&qu*  tu  Qê  chez  tojf  un  Sphinx 
pour  les  expliquer1.  I*ay  mis  a  U  marg6  :  Le  sphinx  estoit  un 
monstre  qui  avait  autrefois  expliqué  les  Enigmes. 

Je  vous  denianday  hier  s'il  falloit  dire  Arclion  d'Athènes  ou 
Archonte  ||  kJ  pagt  comme  Pont  imprimé  MAL  de  lirïanville 
el  Charpentier.  M,  Amyot  traduit  toujours  prévoit  d*Athenes,  je 
n'ay  pas  cru  le  devoir  suyvre  en  cola.  Et  comme  on  ne  dit  point 
Keaophonte,  Bemophontc,  LycopltronLe  ou  Bellerophonle,  je  crois 
qu'on  ne  doit  point  dire  Archonte,  ei  sans  doute  ce  sera  la  vostre 
sentiment  sans  avoir  égard  a  ceux  qui  craignent  une  semblable 
terminaison. 

Mandez  moy*  s'il  vous  plaist.  [|  3"  page  |  s'il  faut  dire  le  Roy 
Ptolomec  ou  Plotemee.  M.  Amyot  met  le  premier  et  je  Tay  suivy. 
M.  Corneille  en  a  usé  de  mesme  dans  la  tragédie  de  Pompée.  11  y 
en  a  qui  veulent  qu'on  die  Plolemee  pour  signifier  le  nom  des  Roys 
d'Egypte,  mais  que  pour  signifier  l'astronome  on  die  Ptolomee. 
A  quoy  on  pourroit  respondre  qu'il  faudroit  donc  dire  en  parlant 
du  grand  père  du  Boy  d'Angleterre  le  Roy  Jecques  et  dire  Jacques 
en  parlant  du  valet  de  M.  de  SegraisvJe  finiray  avec  mon  papier  |j 
verso  de  la  /r0  page  ;  en  travers  |  en  vous  assurant  que  l'abbé  Talle- 
niant  est  tellement  vostre  serviteur  qu'il  ne  se  peut  davantage.  [| 

Pour  en  finir,  à  cette  fois,  avec  les  Mai  inédits  de  Tallemant 
des  Réaux,  il  est  bon  que  je  signale  aux  érudils  toute  une  partie 
des  voL  672  et  673  que  j'ai  cataloguée  sous  le  titre  suggestif  de 
Musée  Secret  au  cours  de  ma  longue  étude  de  ces  textes  si  pleins 
d'intérêt,  et  dont  je  veux  donner  une  idée»  autant  que  me  le  per- 
mettra le  respect  que  Boilcau  déclarait  avec  raison  exigé  par  le 
lecteur  français. 

Je  renverrai  donc  aux  I01,des  Mss  plus  souvent  que  je  les  citerai. 

Les  attaques  ordurieres  sont  nombreuses  contre  les  femmes  de 
tout  rang  qu'a  connues  Tallemant,  depuis  la  reine  in  partibtts% 
MŒ0  de  Maintenon,  jusqu'à  Ninon  de  Lenclos, 

i.  Toul  le  passage  cal  souligné  dans  le  texte  de  l'abbé  Tallemant. 


^^H 


446  REVUE   D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA   FRANCE. 

Mme  de  Montausier  (673,  f°  135)  est  fort   maltraitée  pour  ses 
prétendues  complaisances  à  l'égard 

De  notre  grand  Roy  Louys  de  Bourbon; 

la  duchesse  de  Chaulnes-Villeroy  à  cause  de  son  mariage  avec 
Viguier,  marquis  d'Hauterive  (673,  F  135),  qui  lui  faisait  perdre 
«  le  tabouret  »  : 

Quoy  que  Ton  en  die  a  la  Cour, 
Quoy  que  la  ville  en  détermine, 
Je  tiens  que  fourrure  d'Amour 
Vaut  mieux  que  fourrure  d'Hermine.... 


Des  «  lerelanleres  »  cruels  contre  Louis  XIV  vieilli  et  contre  les 
soins  impuissants  de  Mme  de  Montespan  pour  essayer  de  le  rajeunir 
figurent  au  î°  215  du  vol.  673. 

Id.9  ibid.,  nous  trouvons  cette  attaque  à  la  veuve  de  Scarron  : 

On  s'estonne  avecque  raison 

De  la  faveur  de  la  Scarron. 

Les  plus  fins  n'en  sçavent  que  craire. 

Que  dirait  le  petit  tortu, 

S'il  vivait,  de  se  voir  c... 

Par  le  plus  grand  Roy  de  la  terre. 

Coulanges  supportait,  parait-il,  avec  une  cynique  et  spirituelle 
résignation,  ses  malheurs  conjugaux,  dont  MM.  de  Saint-Aubin  et 
de  La  Trousse  étaient  les  heureux  agents.  Il  écrivait  lui-même  ce 

Couplet  (672,  f°  99)  : 

Si  l'on  en  croist  Saint  Aubin, 
Coulange  a  la  peau  douce. 
Coulange  y  va  le  matin 
Et  le  soir  son  grand  Cousin 

La  Trousse, 

La  Trousse. 

Toutes  les  «  filles  »  de  la  reine,  M1,e*  de  Compain,  de  la  Vieu- 
ville,  notamment,  sont  déshabillées  de  la  façon  la  plus  scandaleuse 
en  des  couplets  que  Ton  chantait  sur  des  airs  de  vaudeville  à  la 
mode.  Il  en  est  de  même  pour  Mœc  Gourdon  (672,  f0'  101-120), 
Mme  de  Mailly  (673,  f°  128,  verso),  Mmc  de  Longueville  (672,  f°  31), 
Ninon  (673  f6  147  verso),  et  même  cette  pauvre  M,le  de  Scudéry» 
(673,  f°  109)  : 


A   TRAVERS   LES   MANUSCRITS   DE   TALLEMANT   DES   RÉAUX.  447 

Bien  des  rubis  brillent  sur  mon  visage 

J'approche  des  quarante  ans; 
J'ay  fort  bien  mis  tous  péchés  en  usage 

Pendant  mon  jeune  temps. 
Mais  maintenant  je  conseille  les  belles... 


Et  cette  peste  de  Tallemant  mit  en  note  :  «  M11*  de  Scudery  est 
sy  mal  informée  qu'elle  se  vante  qu'on  n'a  jamais  rien  dit  d'elle  ». 

Il  est  de  lui-même,  et  signé  de  ses  initiales  D.  R.,  ce  Madrigal 
sur  le  chancelier  Seguier  (673,  f°  33)  : 

Qu'il  est  dur  au  salut,  ce  fat  de  chancellier! 
Cela  le  fait  passer  pour  un  esprit  altier, 

Vain  au  delà  de  toutes  bornes. 
Ce  n'est  pas  pourtant  qu'il  soit  fier  : 
C'est  qu'il  craint  de  montrer  ses  c 

Un  Lerelanlère  de  Racine  sur  le  mariage  de  La  Ferté-Seneterre 
avec  la  fille  de  la  maréchale  de  La  Ferté,  M"°  de  Joussy,  est  relevé 
au  vol.  673,  f°  170;  ?d.,  f°  18,  une  Ëpigramme  de  Maynard  faite 
contre  Anne  d'Autriche,  «  au  moment  où  Ton  remit  sur  la  porte 
Palais  Cardinal  au  lieu  de  Palais  Royal1  ;  »  id.,  f°  11  verso,  un 
fragment  malheureusement  bien  court  d'une  lettre  autographe  de 
M,lc  de  Lenclos,  adressée  à  Tallemant,  qui,  au  dos  du  papier, 
avait  inscrit  une  note,  d'ailleurs  illisible  : 

«  plus  mais  ils  m'ont  demander  ||    et  ie  n'ay  pu  m'en  || 

exemter.  bon  iour  mon  ||  cher  monsieur.  Quant  vous  ||  aurez  le 
loisir  vous  me  ||  le  manderez...  »  et  qui  établit  les  bonnes  rela- 
tions courtoises  qui  existaient  entre  «  la  moderne  Leontium,  » 
comme  dit  Saint-Evremond,  et  l'auteur  des  Historiettes. 

J'estime  que  désormais  le  voyage  autour  des  manuscrits  inédits 
de  Tallemant  des  Réaux  est  terminé  et  qu'il  n'y  aura  plus  lieu  d'y 
revenir.  Les  quatre  articles  que  je  viens  de  donner  dans  une 
publication  aussi  importante  que  la  Revue  d'Histoire  Littéraire  de 
la  France,  et  aussi  lue  de  tous  les  curieux  de  notre  littérature, 
ont,  que  je  crois,  édifié  sur  leur  réelle  valeur  et  satisfait  les  curio- 
sités légitimes  qu'inspiraient  ces  trois  volumes,  dont  on  ne  con- 
naissait guère  que  l'existence  dans  le  fonds  municipal  de  la  Rochelle. 

Je  n'ai  l'intention  de  rien  exagérer  par  rapport  à  mon  très 
mince  mérite,  de  vanter  outre  mesure  l'exhumation  qu'a  par  deux 

1.  Note  de  Tallemant. 


448  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRAÎSCE. 

fois  signalée  un  grand  journal  mondain !,  à  laquelle  a  applaudi 
une  vaillante  Revue  régionale*,  qu'a  critiquée  une  importante 
feuille  du  midi*,  et,  tout  le  premier,  j'avoue  de  bon  cœur,  comme 
on  dit,  que  la  collection  patiemment  faite  par  Tallemant  des  Réaux 
n'ajoute  pas  infiniment  à  sa  gloire,  ni  à  celle  des  écrivains  de  tout 
poil  dont  il  a  recueilli  et  sauvé  les  fantaisies,  non  plus  qu'elle  ne 
diminue  les  figures  de  ceux  que  ces  fantaisies  attaquent  parfois 
avec  tant  de  brutal  cynisme.  Mais  je  déclare  en  même  temps  que 
j'ai  eu  une  grande  satisfaction,  —  la  plus  pure  sans  doute  qui 
puisse  échoir  à  un  modeste  fervent  du  xvne  siècle,  —  d'en  avoir 
fait  les  honneurs,  en  qualité  de  cicwone,  à  tous  ceux  qu'intéresse 
encore  à  juste  titre  celte  époque  si  fertile  et  si  féconde  de  notre 
histoire  littéraire  nationale. 

Pierre   Brun. 


1.  L'Écho  de  Paris,  20  nov.  1898  :  Tallemant  poète  tragique;  et  9  déc.  1898  :  La 
maison  de  Tallemant. 

2.  La  Revue  de  Sain  ton  g  e  et  cTAunis,  lw  mars  1899. 

3.  La  France  de  Bordeaux  et  du  Sud-Ouest,  reproduisant,  en  son  n°  du  29  nov.  1898 
la  première  note  de  l'Écho  de  Paris  avec  commentaires  assez  faiblement  longuet». 


MÉLANGES 


UN   POEME   INEDIT  DE   CLAUDE   PERRAULT 


En  examinant,  comme  il  Ta  fail  uans  le  précède  ut  numéro  île  la  Mevtte,  la 
question  de  Ja  paternité  *ks  contes  attribués  à  Charles  Perrault,  le  regretté 
M.  Marty- La  veaux  a  montré  tout  au  moins  combien  le  sujK  est  délicat  el  conv 
bien  il  soulève  de  points  d'interrogation  auxquels  il  est  difficile  dTopposer  des 
réponses  péremptoïres.  Ce  n'est  pas  là,  d'ailleurs,  la  seule  matière  à  discus- 
sion que  présente  l'histoire  d'une  famille  h  laquelle  Boileau  trouvait  de  la 
bizarrerie  d'esprit,  et  que  nous  estimons,  nous,  avoir  été  doué**  grandement 
d'originalité  et  de  hardiesse.  Ennemis  déclarés  de  la  routine,  on  peut  dire 
sans  exagération  des  Perrault  que  chacun  d'eux  a  liai  autrement  qui!  n'avait 
commencé  et  trouvé  son  originalité  propre  dans  une  voie  différente  de  celle 
où  il  s'était  engagé  au  début.  C'est  le  trait  commun  de  la  famille,  qu'il 
serait  aisé  de  mettre  en  relief,  mais  qui  nous  retiendrait  beaucoup  trop  long- 
temps. 

Précisons  seulement,  en  passant,  quelques  dates  jusqu'à  maintenant  assez 
indécises  et  marquons  avec  exactitude  une  généalogie  assez  flottante.  Les 
documents  analysés  par  Jal  dans  son  Dictionnaire  n-itique  (2*  édition,  supplé- 
ment, verbo  Perrault)  nou£  y  serviront;  mais"  nous  les  compléterons  à  l'aide 
d'autres  renseignements  authentiques.  Le  père  de  la  Liguée,  Pierre  Perrault, 
avocat  au  Parlement  de  Paris,  originaire  de  Tours,  mourut  en  W>il  et  l'ut 
inhumé  à  Saint-Etienne  du  Mont,  i<  proche  la  chapelle  de  saint  Claude  »,  Sa 
femme,  Perrette  Le  Clerc,  vint  l'y  rejoindre  huit  ans  après,  Ile  cette  union 
naquirent  une  fille,  Marie,  morte  à  quatorze  ans,  et  six  fils  i  !■  Jean,  l'aîné, 
avocat  comme  le  père,  mort  et  enterré  à  Bordeaux .,  en  1660 1  pendant  un 
voyage  qu'il  y  faisait  en  compagnie  de  son  frère  Claude;  —  2°  Pierre*  le  rece- 
veur général  des  finances  à  Paris,  qui,  né  le  2  avril  luit,  trépassa  postérieu- 
re ment  à  1675;  —  3°  Claude»  le  médecin,  qui  devint  architecte»  né  le  25  sep- 
tembre 1613»  mort  le  11  octobre  i G88  ;  —  4Û  Nicolas,  le  docteur  en  Sorbonne, 
qui,  né  le  7  juin  1624,  mourut  en  1602;  —  5°  et  6*  Charles,  le  conseiller  du 
roi  et  contrôleur  de  ses  bâtiments,  le  futur  auteur  des  Contes,  né  le  13  jan- 
vier 1628,  en  compagnie  d'un  jumeau,  François,  qui  mourut  six  mois  après, 

Claude  Perrault  fut  l'exemple  te  plus  éclatant  de  cette  diversité  d'aptitudes 
dont  nous  parlions  en  commençant.  Médecin  et  porte  par  ses  goûts  vers  les 
recherches  d'histoire  naturelle,  il  se  révèle  tout  à  coup  architecte  de  grand 
talent,  et,  grâce  à  ColberL  réussit  à  construire  la  colonnade  du  Louvre  et 
l'Observatoire.  Cela  surprit  bien  des  gefiB,  et  il  y  avait  de  quoi,  non  qu'il  fût 
bien  étonnant  que  Claude  Perrault  eût  réussi  à  convaincre  de  ses  aptitudes 
nouvelles  un  ministre  prudent  sur  lequel  il  avait  de  faction;  niais  l'inattendu 
de  l'aventure  l'ut  que  le  médecin  réussit,  sans  conteste,  dans  une  entreprise 
que  les  architectes  de  profession  n'avaient  pas  menée  à  bien.  On  ne  se  lît  pas 
faute  de  railler  et  l'écho  de  ces  plaisanteries  faciles  est  venu  jusqu'à  nos 
Oreilles»  amplifié  et  grossi,  dans  Les  vers  de  lîoileau.  Celui-ci  n'aimait  pas 


450  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Claude  Perrault.  Il  finit  même  par  le  détester  cordialement,  et  la  chose  est 
d'autant  moins  compréhensible  que  les  conceptions  architecturales  de  Per- 
rault, nobles,  larges,  pleines  de  mesure  et  d'harmonie,  auraient  dû  plaire  à 
l'esprit  bien  ordonné  de  Boileau.  Il  est  vrai  que  Boileau  prétend  —  mais  l'as- 
sertion est  absolument  insoutenable  —  que  les  conceptions  dont  Perrault  était 
réputé  l'auteur  ne  sortirent  jamais  de  son  cerveau.  Jamais,  sans  doute,  on  ne 
pourra  désormais  tirer  au  clair  et  analyser  avec  certitude  le  talent  architec- 
tural de  Perrault,  car  le  recueil  de  ses  dessins,  conservé  à  la  bibliothèque  du 
Louvre,  a  péri  avec  elle  au  milieu  des  flammes  allumées  par  la  Commune. 
Mais  on  peut  chercher  d'un  autre  côté,  et  peut-être  est-il  possible,  avec  quelque 
discernement,  de  trouver  quelle  put  être  la  cause  du  dissentiment  entre  Boi- 
leau et  Claude  Perrault. 

Sans  doute,  à  l'origine,  ce  dut  être  d'abord  une  forte  antipathie  de  l'un  pour 
l'autre.  Les  Perrault  étaient,  par  nature,  fort  irrévérents  et  se  moquaient 
surtout  des  choses  que  Boileau  estimait  le  plus.  Claude,  comme  les  autres,  ne 
sut  pas  résister  à  la  tendance  familiale  et  se  mêla,  comme  ses  frères,  au 
plaisir  malin  de  ridiculiser  ce  qui  ne  lui  plaisait  pas.  Lorsque  Charles  Perrault 
s'avisa  de  traduire  burlesquement  le  VIe  chant  de  V Enéide,  Claude  prit  sa  part 
du  délassement  et  c'est  lui  qui  orna  le  manuscrit  de  l'œuvre  de  dessins  à 
l'encre  de  Chine.  Il  prit  même  si  bien  goût  à  la  chose  que  Charles  ayant  com- 
mencé un  nouveau  poème  burlesque  sur  les  Murs  de  Troye,  Claude  .fit  une 
grande  partie  du  premier  chant  et  composa  à  lui  seul  un  second  chant  resté 
inédit.  Voici  comment  Charles  Perrault  s'exprime  à  ce  propos  dans  ses  Mé- 
moires  :  «  Cet  ouvrage  (la  traduction  de  Virgile)  nous  donna  occasion  de  faire 
celui  des  Murs  de  Troye  et  de  Vorigine  du  burlesque,  dont  le  premier  livre  a 
été  fait  en  commun  et  publié;  le  second  n'est  que  manuscrit  et  a  été  com- 
posé tout  entier  par  mon  frère  le  médecin.  Le  ridicule  est  poussé  un  peu  trop 
loin  dans  ces  Murs  de  Troye,  mais  il  y  a  d'excellents  morceaux.  En  gros,  le 
sujet  en  est  beau,  car  il  est  ingénieux  de  dire  qu'Apollon  a  inventé  la  grande 
poésie  comme  fils  de  Jupiter,  puisque  cette  poésie  s'appelle  le  langage  des 
dieux;  qu'il  a  inventé  la  poésie  champêtre  ou  pastorale  pour  avoir  été  berger 
chez  Admète,  et  qu'il  a  imaginé  le  burlesque  pour  avoir  bâti  les  murs  de 
Troye  avec  Neptune,  parce  que  c'est  dans  les  ateliers  des  maçons  et  de  toutes 
sortes  d'ouvriers  qu'il  a  appris  les  expressions  triviales  qui  entrent  dans  la 
composition  du  burlesque.  Il  ne  manque  à  cette  imagination  que  d'être 
ancienne  pour  être  estimée  des  savants.  » 

C'est  beaucoup  prétendre  assurément,  mais  sur  ce  point  Claude  n'est  pas 
moins  prétentieux  que  son  frère  Charles,  comme  on  va  le  voir  par  la  préface 
publiée  en  tête  du  poème  imprime*  ci-dessous  pour  la  première  fois.  11  est,  en 
effet  demeuré  inédit  jusqu'à  ce  jour,  et  le  volume  intitulé  Murs  de  Troye  ou 
Vorigine  du  burlesque  (Paris,  Louis  Chamhoudry,  1653,  in-4<>,  de  xxxn-5*  p.)  ne 
contient  que  le  premier  chant.  Mais  si  la  suite  de  cette  facétie  fut  ignorée  du 
public,  elle  ne  demeura  assurément  pas  inconnue  de  ceux  qui  avaient  quelque 
intérêt  à  la  connaître.  L'auteur  d'ailleurs  n'était  pas  difficile  à  deviner  : 
l'homme  de  science,  l'architecte,  Claude  Perrault  par  conséquent,  s'y  révé- 
laient à  chaque  page,  et  c'en  était  assez  pour  que  Boileau  lui  sût  mauvais  gré 
d'une  pareille  débauche  d'esprit  contre  tout  ce  qui  était  respectable  aux  yeux 
du  poète  satyrique.  Pareil  procédé  irrespectueux  était  un  outrage  à  ce  que 
Boileau  admirait,  et,  pour  le  venger,  il  ne  fallait  pas  faire  grâce  au  coupable, 
mais  bien  le  poursuivre  au  contraire  d'une  main  vengeresse  et  impitoyable. 
Là  est  évidemment  la  première  raison  —  et  la  meilleure  —  d'un  dissentiment 
qui  ne  cessa  point  et  que  les  épigrammes  échangées  de  part  et  d'autre  ne 
purent  qu'augmenter.  Boileau  s'est  montré  particulièrement  dur,  injuste 
même  et  fielleux  à  l'égard  de  Claude  Perrault.  Pour  expliquer  de  pareils  sen- 
timents, il  fallait  des  divergences  profondes  sur  des  points  essentiels.  Peut-être 
les  vers  qui  suivent  vont-ils  les  faire  sentir. 


l>    P0ÊM£    INÉDIT    DE    CLAUDE    PRRRALLT. 


4Si 


Nous  les  publions  d'après  le  manuscrit  n°  2956  de  la  bibliothèque  de  l'Ar- 
senal, où  ils  se  trouvent  à  la  suite  de  ce  qui  *s1  rléj/i  imprimé  du  poème  des 
Murs  de  Troye.  Ils  sont  précédés  d'une  préface  tnèdttâ  qui  n'est  pas  inutile  pour 
expliquer  les  visées  de  Claude  Perrault,  Celui-ci,  comme  on  le  verra,  y  expose 
des  théories  littéraires  qui  devaient  faire  honnir  Boile&u  d'indignation.  Quant 
au  poème,  il  est  long,  filandreux  et  d'un  comique  laborieux  et  lourd.  Ce  n'est 
jkis  la  verve  sans  prétentions  de  Scarron  qui  s'empressait  de  rire  de  tout  pour 
n'avoir  pas  à  pleurer  sur  lui-même.  Le  poète  cette  rois-ci  à  des  arrière* pen- 
sées et  son  inspiration  s'en  ressent,  bien  qu'elle  soit  le  plus  souvent  facile  et 
enjouée.  Le  premier  chant  du  poème  /es  Murs  de  Troye  n'a  qu'un  rapport 
assez  vague  avec  le  second.  Aussi  n'est-il  pas  utile  de  le  résumer  toi  avant  de 
publier  l'autre.  Disons  seulement  —  et  le  lecteur  s*en  apercevra  bien  vite  — 
qu€  l'orthographe  des  vers  de  Perrault  a  été  modernisée.  Le  manuscrit  qui 
nous  les  a  conservés  est  de  la  main  d'un  copiste  qui  ne  méritait  assurément 
pas  qu'on  respectât  scrupuleuse  ment  si?s  façons  d'écrire.  Seules  quelques  cor- 
rections et  les  notes  mises  à  la  marge  des  payes  sont  de  la  main  de  Claude  Per- 
rault. On  les  trouvera  ici  au  bas  des  pages,  eu  référence  aux  passages  qu'elles 
visent» 

P.  B, 


MYTHOLOGIE  DES  MURS  DE  TIIOYE 

Je  ne  doute  point  que  la  plupart  de  ceux  qui  liront  le  poème  des 
Muvsd*'  Troije  ne  le  prennent  pour  une  froide  et  fade  raillerie  ;  il  est 
impossible  d  en  faire  un  autre  jugement  à  moins  que  de  s'apercevoir  que 
l'intention  de  l'auteur  a  été  de  rendre  cette  raillerie  froide  et  fade  en 
apparence*  Mais  de  même  qu'une  grimace  parait  moins  ridicule  quand 
on  sait  qu'elle  a  été  faite  à  dessein  de  contrefaire  quelqu'un,  ceux  qui 
sauront  que  ce  poème  est  une  satire  contre  la  poésie  des  Anciens,  ou 
plutôt  contre  celle  des  Modernes  qui  ont  affecté  d'imiter  les  Anciens, 
reconnaîtront  que  le  froid  ne  dégoûte  pas  toujours  et  que  le  fade  peut 
recevoir  quelque  assaisonnement. 

Il  y  a  beaucoup  d'apparence  que  les  premiers  qui  ont  écrit  en  vers 
burlesques  n'ont  point  eu  d'autre  dessein  que  de  se  railler  de  cette 
imitation  des  Anciens,  qui  remplit  la  poésie  de  mille  choses  ridicules, 
nu  du  monts  qui  nous  paraissent  telles  parce  qu'elles  sont  contraires  au 
goût  de  nuire  siècle,  et  peut-être  Contai  le  bon  sens.  Or,  la  manière  par- 
ticutière  de  cette  raillerie  est  d  outrer  les  choses  et  de  les  porter  à  un 
excès  qui  marque  plus  distinctement  le  ridicule  que  Ton  veut  reprendre, 
ainsi  que  l'ont  les  peintres  qui  affectent  de  charger  et  d'augmenter  ce 
qu'il  y  a  de  difforme  dans  les  traits  d'un  visage  pour  lu  rendre 
plus  reconnaissante;  l'accoutumance  qui  nous  a  rendu  la  manière  des 
anciens  poètes  supportable  et  même  agréable  a  besoin  de  cette  augmen- 
tation et  de  cet  excèfl  pour  nous  faire  apercevoir  de  ces  défauts.  Et  je  ne 
sais  si  l'on  peut  bien  défendre  les  Anciens  contre  celte  sorte  de  satyre, 
en  supposant  que  teurs  poêles  n'ont  point  été  jusqu'à  cet  excès,  et  que 
n'y  ayant  que  l'excès  qui  soit  vicieux.,  tout  le  ridicule  tombe  et 
demeure  sur  le  burlesque,  car  il  est  certain  qu'il  y  a  des  abus  qui  sans 


IlEVl'E    DHISTOIMS    LITTEIUIUE    DE    U    FttAWtE. 


être  parvenus  jusqu'à  l'excès  ne  laissent  pas  d'être  vicieux.  Quoi  qull 
en  soit,  sans  examiner  sî  Ton  peut  trouver  quelque  chose  à  reprendre 
avec  raison  dans  la  poésie  des  Anciens»  il  ne  s'agil  ici  que  de  faire 
voir  que  cette  manière  de  se  moquer  de  l'ancienne  poésie  est  le  sujet 
du  burlesque  et  que  ce  poème,  soit  que  ce  soit  à  tort  ou  autrement,  ne 
s'est  point  proposé  d'autre  but. 

S'il  y  a  quelque  chose  à  reprendre  dans  la  poésie  des  Anciens  c'est  le 
mauvais  usage  des  fictions  et  des  ornements,  où  il  y  a  te  plus  souvent 
de  l'indécence,  de  l'affectation,  de  la  bassesse.  Quand  les  poètes  qui 
donnent  des  rochers  à  Hector  et  à  Diomède  font  que  Phëbus  conduit 
ses  chevaux  lui-même,  comme  un  charretier;  que  Jupiter  se  sert  de 
son  fils  comme  d'un  laquais  pour  faire  des  messages  et  lui  donne  une 
vache  a  garder;  que  Minerve  assomme  de  coups  mal  à  propos  une 
pauvre  tapissière  dont  elle  est  jalouse  k  cause  qu'elle  travaille  mieux 
qu'elle,  on  ne  peut  pas  dire  que  ce  ne  soit  abuser  de  la  fiction;  car  sup- 
posé que  la  fiction,  lorsqu'elle  représente  simplement  par  des  personnes 
les  qualités  et  les  attributs,  puisse  être  reçue  parce  que  certaines 
choses  ont  des  noms  de  même  que  des  personnes,  comme  Puisa  in 
Sagesse,  Désir*  Principauté,  il  est  constant  que  celte  fiction  devient 
ridicule  aussitôt  qu'on  fait  faire  à  ces  personnes  des  choses  contraire* 
ce  qui  les  fait  cire  les  personnes  quelles  sont.  Ainsi  quand  le  burlesque 
dit  Madcum  fttKfence,  âfarfwiottfHe'/tifltcetfeflt  pour  faire  voir  par  l'abus 
outré  de  la  fiction  qu^Oll  se  moque  des  abus  que  les  poètes  en  font  en  attri- 
buant ii  là  prudence  et  à  lu  justice  et  a  d'autres  choses  qu'il-  feîgueul 
Mrs  des  personnes  tout  ce  qui  peut  convenir  a  une  personne  et  même 
quelquefois  es  qui  ne  convient  pointa  des  personnes,  comnif  quand  ils 
pilent  Cérës  dans  un  mortier  pour  faire  du  pain,  qu'ils  foulent  Baechns 
aux  pieds  pour  faire  du  vin  ou  qu'ils  enferment  Vuleain  dans  de  la 
corne  pour  faire  une  lanterne.  Et  il  ne  faul  point  dire  que  !■•  McmiêUr 
,1  la  Madame^  qui  ne  sont  point  dans  les  Anciens,  fait  tout  le  ridicule, 
puisqu'il  y  a  apparence  qu'ils  naurruent  pas  manqué  de  donner  à  des 
personnes  nussi  honnêtes  que Prudence  et  Justice  peuvent  être  les  litres 
(ThouaeuT  que  nous  donnons  aux  honnêtes  gens,  si  c'avait  été  l'usage 
parmi  eux  connue  parmi  nous. 

Pour  ce  qui  est  des  comparaisons,  des  descriptions  et  des  figures  qui 
font  l'élégance  de  leur  poésie»  elles  sont  telles  que  notre  burlesque 
serait  quelque  chose  de  fort  élégant,  s'il  était  traduit  en  latin,  de  même 
que  le  latin  des  poètes  les  plus  sérieux  deviendrait  burlesque  en  fran- 
çais. Cary  a-l-il  rien  de  plus  burlesque  pour  faire  entendre,  par  exemple, 
l'affection  que  Junon  a  pour  les  Carthaginois  que  de  dire  qu'elle  les 
considère  à  cause  du  plaisir  qu'ils  lui  font  de  serrer  ses  meubles  et  <!»• 
lui  prêter  une  remise  pour  son  carrosse?  Est-ce  pas  une  chose  ridicule, 
pour  représenter  Hector  qui  entre  dans  une  armée  sans  s'émouvoir  des 
traîls  qui  sont  tancéfl  sur  lui,  que  de  le  comparer  à  un  Ane  entré  dans 
une  pièce  de  blé  qui  se  moque  d'une  troupe  d'enfants  qui  l'en  veulent 
chasser?  De  descendre  à  un  détail  aussi  peu  nécessaire  qu'est  celui  qui 


l\  POÈME  IHÉDtî  DE  CLAUDE  PEURAULT. 


453 


fait  l'entretien  d'Ulysse  avec  une  jeune  princesse  qu*fl  trouve  au  bord 
d'un  ruisseau  lavant  la  lessive  et  se  plaignant  du  prince  son  frère  qui 
toutes  les  nuits  court  le  bal  et  change  si  souvent  de  linge  qti'ilh*  ne 
peut  suffire  à  lui  blanchir  des  chemises  et  des  cravates?  J>e  prendre  des 
comparaisons  de  choses  sales  avec  aussi  peu  de  nécessité  qu'il  y  en  a 
lorsque,  pour  décrire  une  mouche  à  miel  quï  n'est  pas  de  la  bonne 
espèce,  on  dit  qu'elle  ressemble  à  une  chose  que  je  ne  nomme  point, 
qu'on  jette  avec  lu  bouche  sur  la  poussière  et  que  Virgile  appelle  par 
son  nom?  Caria  vérité  est  que,  même  sans  la  remise  de  carrosse  et  les 
cravates  qui  ne  sont  point  dans  Homère  et  dans  Virgile,  les  peosééf  et 
les  expressions  de  ces  poètes  ne  laissent  pas  d'être  peu  selon  le  goût 
de  notre  siècle.   Four  ce*  qui  est  des  expressions  basses  en  des  choses 
relevées  et  des  expressions  emphatiques  en  des  choses  de  rîen,  ils  en 
sont  tout  pleins,  Quand  il  s*agit  de  décrire  la  beauté  du  palais  du 
Soleil,  où  tout  est  éclatant  de  lumière  et  de  propreté»  on  met  auprès  du 
trône  de  ce  dieu,  entre  ses  quatre  pïus  familiers  favoris,  une  personne 
sale  et  vilaine,  le  corps  tout  poissé  d'avoir  foulé  une  cuve  de  vendange. 
Quand  pour  décrire  uu  frelon  on  dit  qu'il  s'en  va  avec  son  gros  ventre 
sans  aucun   souci  de   la  gloire,  et  quand  pour  signifier  In   pesanteur 
4' une  cuirasse  on  dit  que  Salary  et  Phegeux  avaient  de  la  peine  à  la 
porter,  n'est-ce  pas  écrire  en  burlesque?  El  quand  on  met  lin  il  Cham- 
pagne et  lu  Verdure  ajouterait-on  quelque  chose  au  ridicule  qu'il  y  a 
de  mettre  des  noms  qui  ne  servent  de  rien,  la  pesanteur  de  cette  cui- 
rasse étant  assez  bien  exprimée  en  disant  que  deux  hommes  en  étaient 
char. 

Quand  donc  le  burlesque  donne  des  pistolets  et  une  tabatière  a  Mars 
et  à  Vénus  un  buse  et  un  éventai lt  ce  n  est  point  outrer  la  fiction  et 
cette  manière  d'outrer  n'est  point  d'une  autre  espèce  que  celle  de  faire 
forger  le  tonnerre  en  Sicile,  qui  est  une  chose  aussi  ridicule  que  de  le 
faire  forger  en  forêts  ou  à  Sedan.  Quand  dans  une  tempête  linée  se 
lamente  de  ce  qu'il  sera  mangé  par  dessous,  et  quand  dans  la  descrip- 
tion du  cheval  de  Troye,  qui  était  un  bâtiment,  on  y  met  de*  aisances, 
ce  sont  des  exemple  d'un  détail  outré,  mais  qui  ne  L'eftt  pas  davantage 
que  celui  des  noms  des  valets  qui  portent  la  cuirasse.  Quand  on  fait 
dire  de  grosses  et  vilaines  injures  à  Vénus  par  Jupiter,  c'est  une  indé- 
cence dont  il  y  a  mille  exemples  dans  les  Anciens,  de  même  que  de 
toutes  les  autreschoses  qui  ne  sont  point  selon  notre  usage  et  qui  peut- 
être  ne  sont  pas  aussi  du  bon  goût. 

Pour  avoir  des  exemples  qui  fassent  voir  le  ridicule  de  limitation  que 
les  Modernes  ont  faite  des  Ancien»,  qui  est  dune  autre  nature  que  celle 
des  auteurs  burlesques»  parce  que  les  auteurs  non  burlesques  l'ont 
fuite  aussi  sérieusement  que  ridiculement,  il  ne  faut  que  lire  Ronsard, 
car  il  n'y  a  point  de  page  dans  ce  poète  ou  Ion  ne  trouve  de  ces 
exemples.  Voici  ce  que  j'ai  rencontré  à  l'ouverture  du  livre,  l'n  jeune 
homme,  nommé  Printemps,  envoie  Zêphîre  mettre  des  filets  depuis  le 
lever  du  soleil  jusqu'à  son  coucher,  c'est-à-dire  tendre  un  grand  tre- 

llETd    d'h»T.    UTTKH.    PE    LA    PflASCK   (7"   Ami.)*  —  Vil. 


454 


ItKYUtt    H  &LST01KC    LIH  KltAIIŒ    l»L    LA    FRANCE. 


buchet  pour  y  attraper  une  fil  Le  dont  il  est  amoureux»  Voilà  la  fiction. 

Il  Faut  voir  comme  il  dit  ce  que  c'eal  que  celle  fille,  et  savoir  qu'il  ne  là 
décrit  pas  comme  elle  était  quand  Zèphire  l'attrapa,  mais  simplement  re 
que  c'est  que  Flore  —  c'est  le  nom  de  ta  fille.  —  Il  dit  qu'elle  a  une 
ceinture  d'argent,  et  il  faut  remarquer  que  les  Anciens  n'auraient  pas 
manqué  de  dire  un  demi-ceint,  s'il  y  avait  eu  des  demî-ceints  de  leur 
temps,  de  même  qu'ils  se  seraient  bien  donné  de  garde  d*oublier  le  tré- 
buche l,  s'ils  en  avaient  eu,  pour  ne  pas  priver  de  cet  ornement  leur 
discours ,  dans  lequel  ils  ail'ectent  toujours  de  particulariser  les  choses 
pour  le  rendre  plus  sublime,  au  contraire  de  nous  qui  trouvons  que 
c'est  le  détail  qui  le  fait  ramper.  Celle  Flore  donc,  avec  sa  ceinture 
d'argent,  lient  en  sa  main  un  panier  de  fleurs,  comme  qui  dirait  que 
saint  Pierre  est  un  vieil  homme  qui  lient  des  clefs  en  sa  main;  car  il 
parait  que  Ronsard  a  cru  que  pour  dire  qui  est  Flore,  il  n'y  a  qu'à  la 
représenter  telle  qu'elle  esl  dans  les  statues  et  dans  les  tableaux, 
nmirne  s'il  n'y  avait  rien  à  dire  de  Flore  qui  soit  essentiel.  Mais  il  faut 
croire  qu'en  cela  Ronsard  a  voulu  imiter  Virgile,  qui  dit  que  Didoo 
s'ennuie  de  regarder  la  bosse  du  ciel,  parce  qu'on  représente  le  ciel  sur 
les  épaules  d'Atlas,  comme  un  globe  dont  la  ligne  esl  bossue. 

Je  pourrais  apporter  beaucoup  d'autres  exemples  du  ridicule  de  ces 
imitations,  mais  on  connaîtra  que  ce  poème  en  contient  assez  quand 
j'aurai  expliqué  à  quoi  sont  bonnes  la  plupart  des  fadaises  dont  il  est 
rempli.  Il  faut  donc  savoir  première  ment  que  son  titre  est  une  imita- 
tion de  l'affectation  des  Anciens,  qui  ne  traitaient  jamais  que  des  sujets 
appartenant  à  Thébes  ou  à  Troie.  Le  poème  n'est  point  achevé,  parce 
que  VEnêkh'esl  imparfaite,  et  il  est  certain  que  Ronsard  n'avait  garde 
d'achever  sa  Frmriadt  par  celle  raison.  L'ouvrage  commence  par 
l'aven lure  surprenante  d'un  embrasement  et  c'est  ainsi  que  la  ÇUliêl  la 
CtéopâtrGi  le  Crmid  Cyrus,  qui  débutent  par  un  tremblement  de  terre, 
par  un  embrasement,  par  un  naufrage,  onl  imité  VÊnêîdt,  qui  n»iu- 
menée  par  une  tempête .  L'histoire  commence  par  le  milieu  :  son  premier 
et  véritable  commencement  est  dans  un  récit  fait  par  Dilucule,  valet 
d'Apollon,  qui  ne  manque  pas,  imitant  les  Anciens  et  leurs  imitateurs, 
de  particulariser  les  choses  contre  toule  apparence  et  de  rapporter  au 
long  des  discours  qu'il  est  impossible  que  celui  qui  a  fait  le  récit  ait 
jamais  entendus. 

Les  fictions  de  Neptune,  vieillard  amoureux  de  la  princesse  ïfésîone, 
fille  de  Laomédon,  roi  de  Troye,  qui  affectent  le  bel  aîr  et  rétégau 
du  discours,  donnent  occasion  à  Apollon,  qui  a  sujet  d'être  chagrin  et  de 
mauvaise  humeur,  d'affecter  le  contraire,  en  mêlant  dans  tout  ce  qu'il 
dit  les  proverbes,  les  allusions  et  les  quolibets  qui  font  le  mauvais  bur- 
lesque. L'enlèvement  de  Neptune  par  une  grue,  les  métamorphose*  des 
peignes  de  Thêtis  en  poissons,  Ja  prédiction  de  la  naissance  du  monstre 
appelé  burlesque,  qui  doit  s'engendrer  sous  les  plâtras  et  sous  les 
immondices  des  bâtiments  deTroye,  sont  des  fictions  dignes  de  celles 
que  les  anciens  ont  faites  de  Neptune  et  d'Apollon  maçons  àTroye,  Car 


l«*    POÈME    INÉDIT    DE    CLAl  l>fc    PKEllUl  I.T. 


455 


on  peut  dire  que  comme  l'antiquité  n'a  rien  imaginé  de  plus  bizarre, 
on  ne  pouvait  pas  aussi  choisir  un  sujet  plus  heureux  pour  ce  poème. 

Les  autres  imitations  sont  encore  de  la  même  force,  mais  les  princi- 
pales sont  sur  ce  que  l'ancienne  poésie  s  est  proposé  comme  le  plus 
noble  sujet  qu'elle  eût  à  traiter  et  a  chobi  l'explication  des  choses  de 
la  nature  par  des  choses  morales  et  historiques.  Dans  notre  poème 
L'explication  du  point  du  jour,  de  la  rosée  du  matin,  des  couleurs  que 
le  ciel  prend  au  coucher  du  soleil,  du  crépuscule,  du  passage  du  soleil 
dans  les  douze  signes,  de  la  génération  des  métaux  dans  le  fond  de  la 
terre,  de  la  pluie,  de  l'amertume  de  la  mer,  du  désordre  que  les  vents 
causent  dans  les  tempêtes,  des  grandes  inondations,  du  passage  de 
quelques  poisons  de  la  mer  dans  l'eau  douce  des  rivières,  de  l'origine 
dos  fontaines  et  plusieurs  autres  sont  de  cette  nature.  La  nouvelle  expli- 
cation des  changements  de  Protee,  du  voyage  des  Argonautes,  des 
enchantements  de  Médêe,  du  cheval  de  Troye  sont  des  exemples  de 
l'impertinence  de*  mylliologies  qui  donnent  des  éclaircissements  à 
quelques  faits  de  l'histoire-  fabuleuse  par  d'autres  faits,  qui,  à  la  vérité, 
n'ont  rien  d'extraordinaire  et  d'incroyable,  mais  aussi  qui  n'ont  rien  de 
certain;  comme  quand  Dares  Phrygïus  dit  que  la  fable  du  cheval  de 
Troye  est  fondée  sur  une  vérité,  qui  est  que  sur  une  des  portes  de 
Troye,  qui  fut  ouverte  aux  Grecs  par  la  trahison  d'Enée,  il  y  avait  un 
cheval  en  peinture,  car  Dares  Phrygïus  est  lui-même  une  fable,  cet 
auteur  étant  supposé. 

Enfin  rien  de  ce  que  ce  poème  contient  ne  doit  être  pris  à  la  lettre*  La 
préface  même  qui  fait  entendre  que  le  burlesque  ne  consiste  que  dans 
un  enjoùment  qui  peut  avoir  son  prix,  de  même  que  le  style  grave  a  le 
sien,  ne  dit  pas  tout  ce  qui  en  est  et  son  sérieux  est  affecté.  Les  appro- 
bations que  Ton  feint  avoir  été  données  par  les  poètes  du  temps  dont 
les  noms  ne  sont  designés  que  par  leurs  premières  lettres  et  par  leurs 
différents  styles  que  Ton  a  lâché  d'imiter,  sont  aussi  pour  se  railler  de 
la  vanité  des  auteurs  qui  croient  que  les  ouvrages  sont  reçus  pour  le 
prix  que  les  amis  de  l'auteur  leur  donnent.  L'épltre  qui  dédie  le  livre  à 
la  jatte  de  M.  Scarron  est  aussi  du  genre  des  approbations,  et  la  fiction 
de  cette  jatte,  fondée  sur  une  raillerie  de  M.  Scarron  qui  dit  qu'il  est 
un  cul-de-jatte,  et  dont  on  fait  ici  un  capital,  quoiqu'on  -ùt  que  c  est 
une  particularité  qui  dans  peu  de  temps  ne  sera  sue  des  personnes  non 
plus  que  beaucoup  de  choses  de  la  mode  qui  changeront  bientôt,  tout 
cela  n'est  que  pour  faire  voir  que  l'auteur  qui  les  a  mises  dans  son 
ouvrage  ne  s'est  point  fait  une  idée  de  l'éternité  comme  les  auteurs 
s'en  forment  ordinairement  une  pour  leurs  poèmes;  et  c'est  dans  le 
ridicule  de  ces  particularités  basses  et  rampantes  qu'il  n'a  pas  contre- 
fait les  imitations  des  anciens» 

Après  tous  ces  avis,  le  dernier  que  j'aie  à  donner  est  que  Ton  peut 
prendre  encore  si  Ton  veut  la  plupart  de  ces  avis  pour  burlesques,  c'est-à- 
dire  pour  des  choses  qu'on  ne  veut  point  être  prises  a  la  lettre,  à  regard 
de  beaucoup  de  propositions  que  l'on  n*a  avancées  que  comme  four* 


456 


REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 


nissant  quelques  couleurs  pour  faire  connaitre  l'abus  que  plusieurs 
font  de  l'imitation  des  Anciens.  Car  je  puis  assurer  que  l'auteur  du 
poème  a  non  seulement  beaucoup  d'estime  pour  les  poètes  anciens, 
mais  même  pour  la  plupart  de  ceux  qui  les  imitent,  et  qu'il  est  charmé 
de  Virgile,  d'Ovide,  de  Lucain,  de  Juvénal,  de  Martial,  quoiqu'il  ne 
trouve  pas  que  les  ouvrages  de  ces  grands  personnages  égalent  ceux 
des  poètes  de  notre  temps. 


LES  MURS  DE  TROYE 

LIVRE   SECOND. 


-  Dilucule  ayant  escampé 
Et  par  sa  fuite  ainsi  trompé 
L'espérance  de  la  princesse, 
Il  laissa  beaucoup  de  tristesse 
Et  peu  de  satisfaction 
De  sa  longue  narration 
Dans  sa  pauvre  âme  inquiétée 
Et  cruellement  agitée 
D'un  ardent  désir  de  savoir 
Quel  dessein  Phébus  peut  avoir. 

«  Dans  cette  impatience  extrême, 
Il  faut,  dit-elle,  que  moi-même 
Désormais  et  sans  tarder  plus 
Je  l'arraisonne  là-dessus, 
Afin  de  savoir  sa  pensée. 
Je  dirai  que  je  suis  pressée 
D'un  très  impatient  désir 
De  l'entretenir  à  loisir 
Sur  cent  choses  que  j'imagine 
Et  peut-être  que  je  devine 
Touchant  son  inclination, 
Sa  vie  et  sa  condition. 
Ensuite  il  faut  que  je  lui  dise 
Que  cet  habit  qui  le  déguise 
Ne  saurait  cacher  à  mes  yeux 
Un  certain  air  majestueux 
Qui  ne  fait  que  trop  bien  connaître 
Qu'il  n'est  pas  ce  qu'il  veut  paraître. 
Et  qu'au  reste  je  plains  bien  fort 
L'étrange  cruauté  du  sort 
Qui  le  persécute  et  l'afflige, 
Mais  que  je  ne  sais  qui  l'oblige 
A  vivre  dans  la  noire  humeur 
Qui  le  fait  être  si  rêveur, 


Lui  de  qui  la  seule  présence 
Verse  les  biens  et  l'abondance, 
Le  plaisir,  la  joie  et  l'amour 
Sur  tout  ce  qui  reçoit  le  jour. 
Lors,  s'il  m'aime,  poursuivait-elle, 
Et  que  par  respect  il  me  cèle 
L'objet  qui  le  fait  soupirer, 
Il  pourra  me  le  déclarer. 
Et  moi  je  dirai,  si  je  l'ose, 
Que  son  mérite  me  dispose 
Peut-être  à  ne.  le  pas  haïr, 
Ensuite  pour  ne  pas  trahir 
Les  chers  intérêts  de  ma  gloire, 
Mes  actions  lui  feront  croire 
Que  j'aime  la  discrétion 
En  cor  plus  que  sa  passion.  » 

Avec  de  telles  rêveries 
Et  mille  autres  badineries, 
Hésione  s'entretenant 
Et  sur  les  murs  se  promenant 
Passa  toute  la  matinée, 
Qui  lui  dura  plus  d'une  année, 
Car  Phébus  ne  vint  que  bien  tard 
A  cause  qu'il  faisait  brouillard; 
De  sorte  que  la  belle  infante, 
Lasse  d'une  si  longue  attente, 
Put  contrainte  de  s'en  aller 
Sans  le  voir  et  sans  lui  parler. 

Comme  elle  était  en  cette  peine, 
Sa  confidente  Lysiméne, 
A  qui  toujours  comme  à  sa  sœur 
Elle  avait  découvert  son  cœur 
Et  de  toutes  ses  amourettes 
Les  intrigues  les  plus  secrètes, 


US    POÈMC  INÉDIT    DE    CLAUDE    PERRAULT.                               451 

Vint  pour  l'avertir  qu'à  la  cour 

Afin  de  leur  prêter  main  forte 

Thé  In  mon  était  de  retour.      [Grèce 

S'il  fallait  rompre  quelque  porte, 

Ce  prince,    un   des  premiers  de  Kl  faire  quelque  grand  effort 

Était  aîmé  Je  la  princesse 

On  dans  la  ville  ou  sur  le  p 

Avant  que  le  mai  Ire  du  jour 

Lynuitnr  étant avertie 

L'embrasât  d'un  nouvel  amour, 

De  cette  galante  partie. 

Et  la  passion  de  l'infante 

Sans-savoir  le  tort  qu'ÀpolloQ 

Pour  ce  Grec  fut  s*  violente, 

Faisait  au  pauvre  Thé  In  mon, 

Que  la  haine  et  l'aversion 

Voyant  la  princesse  attrfàtée 

Que  Troye  a  pour  sa  nation 

Vint  l'aborder  fort  empressée, 

Lui  taisant  perdra  l'espérance 

Et  croyant  bien  la  réjouir 

Qu'on  approuvât  son  alliance. 

Quand  elle  lui  ferait  ouïr 

Elle  rengagea  de  trouver 

L'imagination  plaisante 

Quelque  moyen  pour  l'enlever. 

Dont  par  une  ruse  excellente 

Thëlamon,  retournant  en  lîn    r. 

Thëlamon  s'était  avisé 

Avait  si  bien  par  son  adresse 

De  venir  ainsi  déguisé, 

Ménagé  les  esprits  des  siens, 

Elle  lui  tint  un  tel  langage 

Déjà  m  al  contents  des  Troyens, 

Considérant  son  équipage  : 

Que  le  bon  Acacus,  son  p*>ref 

«  II  fait  beau  voir  sortir  ainsi 

Et  le  prince  Phocus,  son  frère, 

Et  comme  une  je  ne  sais  qui 

Avant  approuvé  son  dessein, 

La  grande  princesse  Hésione. 

Jurèrent  que  pour  mettre  à  lin 

D  ou  venez- vous,  Dieu  me  pardonne, 

Cette  glorieuse  entreprise 

Avec  ce  beau  déshabillé, 

Ils  vendraient  jusqu'à  leur  chemise, 

Plein  de  plâtre  et  tout  ëraîllè? 

De  fait  déjà  le  pauvre  amant, 

Vont  êtes  dïgû6  de  risée 

Sans  se  douter  du  changement 

Si  ce  n'est  qu'ainsi  déguisée 

De  son  infidèle  princesse. 

Vous  voulez  par  cette  façon 

Pour  exécuter  sa  promesse 

Imiter  votre  beau  maçon,  i 

Étant  de  retour  s'était  mis 

h  Ah!  mauvaise,  ce  dit  l'infante, 

Avec  plusieurs  de  ses  amis 

Toute  émue  et  toute  tremblante, 

Parmi  les  Limousins  de  Troye, 

Prenant  cela  pour  Apollon 

Et  quittant  son  habit  de  soie 

lit  sans  songer  à  Thëlamon  ; 

S'était  coiffé  d'un  vieux  chapeau 

Dis- mot  donc  avec  quelle  adresse 

Et  n'avait  rien  dessus  sa  peau 

As-tu  découvert  sa  finesse 

Que  la  toile  et  la  bure  grise 

Et  comment  l'as-tu  reconnu?  » 

Pour  mtéUx  couvrir  son  entreprise. 

u  Comment? Lui  même  îl est  venu, 

Son  cadet  le  prince  Phocus, 

Répond  aussitôt  Lysimène, 

Avec  leur  bon  père  Acaeus, 

Avec  son  gros  bonnet  de  laine, 

Ainsi  que  lui  dans  Salamine 

Ses  guêtres  et  son  pourpoint  gras, 

Ayant  laissé  sa  bonne  mine, 

Me  prendre  et  tirer  par  le  bras. 

Avait  pris  l'air  et  la  façon 

Car  je  vous  proteste  et  vous  jure 

De  manœuvre  et  d'aide  à  m  néon. 

Qu'avec  son  treillis  et  sa  bure 

Or  leur  dessein  et  leur  finesse 

Il  parait  si  fort  déguisé 

Était  de  lâcher  par  promesse 

Que  je  crois  qu'il  est  malaisé 

De  corrompre  quelques  maçons, 

Qu'il  soit  jamais  pris  de  personne 

Enivrant  les  meilleurs  garçons, 

Pour  l'illustre  amant  d'Hésione.  » 

136                         REVUE    U  HISTOIRE    LtTTÉtAlEE    DE    Là  71U3CE. 

La  princesse  dans  ce  moment 

Durant  que  la  troupe  emplatrée 

Rougissant  â  ce  nom  damant  : 

Sur  terre  comme  lui  vautrée 

«  Vraiment  ta  malice  est  extrême 

;  Achevait  sans  trop  se  peiner 

Crois- Lu,  lui  dit-elle,  qu'il  m  aime?  »  Le  reste  de  son  déjeûner. 

il  vous aime  ?  Héla-,  u  bon  dieux 

!  Déjà  l'un  mettait  sa  jambe  lie 

Reprit-elle  en  haussant  les  yeuxt 

Nonchalamment  dans  sa  pocher 

Puis  les  baissant  sur  Hésione. 

Avalant  son  dernier  morceau 

Quoi!  voir  une  telle  personne 

Apres  avoir  bu  dans  un  seau. 

Dans  le  fin  fond  d'un  atelier, 

Un  autre  essuyait  de  sa  basque  ' 

Parmi  le  plâtre  et  le  mortier. 

Les  moustaches  d'un  vilain  masque 

Travailler  comme  un  misérable 

Que  la  sueur  sur  son  minois 

Pour  vous  pouvoir  être  agréable, 

Loi  fit  en  passant  des  gravois. 

Et  pu  is  demander  m  aime-L-il? 

Lorsque  l'heure  étant  achevée 

Cela  me  semble  fort  gentil. 

Qui  pour  manger  est  réservée. 

Mais  parlons  un  peu  d'autre  chose. 

Le  sommeil  du  dieu  fut  rompu 

Savez- vous  bien  qui!  se  dispose 

Par  maint  et  maint  coup  de  lestu  \ 

A  vous  enlever  des  ce  soir, 

Par  maints  racle menls  de  truelles, 

Et  qu'il  est  dans  le  désespoir 

D'auges,  de  rabots  et  de  pelles 

De  ce  qu'hier  le  sort  contraire 

Par  maints  Lraînements  de  sabots 

L'empêcha  de  le  pouvoir  faire. 

Sur  les  planches  des  éehalauds, 

Lorsque  pour  mieux  couvrir  son  jeu 

Par  la  rude  et  triste  harmonie 

H  avait  lait  mettre  le  feu 

Des  sons  aigus  dune  poulie, 

Tout  ici  près  dans  cette  grange, 

Joints  aux  plaintifs  gémissements 

Qui  par  une  merveille  étrange 

De  toute  sorte  d'instruments. 

Fut  «teint  en  un  tourne-main, 

Ce  dieu  triste  et  mélancolique 

Le  vent  ayant  cessé  soudain. 

Prit  plaisir  à  cette  musique 

Ce  soir  il  doit  encor  de  même 

Et  son  réveil  fut  as*ez  doux 

Tenter  un  autre  stratagème, 

Quoique  fait  par  de  rudes  coup-  : 

Pu  moins  si  vous  lui  permettez, 

La  voix  d'un  moulinet  de  grue 

Vous  qui  dites  que  vous  doutez 

Tantôt  grave  et  tantôt  aiguë 

Par  une  ingratitude  extrême 

Jointe  avec  celle  d'un  engin1 

S'il  vous  adore  et  s'il  vous  aime,  i 

i  Charma  quelque  temps  son  chagrin. 

Alors  le  roi  mal  à  propos 

Pendant  que  ces  bizarreries 

Vient  interrompre  leur  propos 

Entretenaient  ses  rêveries 

Et  la  princesse  en  diligence 

Et  que  sur  terre  ainsi  couché 

Se  retira  de  sa  présence, 

Bt  parmi  les  plâtras  caché 

De  crainte  qu'il  ne  la  surprit 

Il  n  est  aperçu  de  personne. 

Si  tard  en  son  habit  de  nuit. 

IL  entend  nommer  Hésione 

Cependant  las  et  tout  en  nage 

Par  deux  hommes  qui  prés  de  lui 

De  son  pénible  maçonnage 

Venaient  tirer  de  l'eau  d'un  puits. 

Neptune  In  ventre  au  soleil 

Ce  nom  qui  le  frappe  et  Té  veille 

Goûtait  un  paisible  sommeil, 

Lui  fait  soudain  prêter  l'oreille 

1.  Note  de  P'TniuU  ;  Un  1653,  les  basques  des  pourpoints  élaîent  d'une  grandeur 

énorme. 

2.  NoL.!  de  IVrr.-iiill  :  Marlrnu  des  Limousin;. 

3.  Noie  Ue  l'crrauLl  :  Espèce  de  grue, 

UN    1*0 Ê M K    IMiOJT    DE    CLAUDE    PEnHAULT. 


Wi 


A  ces  gens  qui  dans  ce  moment 
Parlaient  avec  étonnement 
D'un  des  leurs  qui  sur  la  muraille 
Posait  utie  pierre  de  lai  lie. 

C  était  un  grand  Limousin  Grec, 
Droitde  corps,  un  peu  maigre  et  sec, 
D'un  visage  assez  triste  et  pâle» 
Mais  d'une  majesté  royale, 
Qui  pour  un  homme  du  métier 
Craignait  grandement  le  mortier 
Et  le  plâtre  encor  davantage* 
Si  bien  que  son  plus  grand  ouvrage 

t  d'essuyer  bien  souvent 
Ses  deux  mains  contre  son  devant* 
NepLuneeut  quelque  défiance 
Voyant  sa  belle  contenance 
Kl  connut  enfin  tout  de  bon 
Que  c'était  le  roi  Thèlamon. 

Or  pendant  que  ce  jeune  prince 
Remuait  avec  une  pince 
€elte  pierre  pour  la  poser 
Ou  plutôt  pour  se  reposer, 
Nus  tireurs  d'eau  près  de  Neptune 
S'entretenaient  de  sa  fortune, 
Faisant  fort   lentement  dans  l'eau 
Descendreet  remonter  leur  seau,  [te*, 

«  Ju  m'attends,  dit  l'un  de  ces  dru- 
Que  cet  homme  a  plus  de  pistolet 
Que  nous  n'en  avons  vous  et  moi 
Et  peut-être  plus  que  le  mi  ; 
On  dit  qu'il  en  a  cent  hotte  es 
Qu'il  a  de  la  Grèce  apportées 
Pour,  boire  et  pour  rire  avec  nous; 
Mais,  Léonard,  le  croyez-vous?» 
«  Au  diable  Bot,  répondit  1  autre, 
C'est,  par  moi  Ame,  un  bon  apôtre 
Je  crois  qu'il  a  d'autres  desseins 
Que  d'enivrer  des  Limousins, 
Si  vous  saviez  comme  il  caresse 
Les  servantes  de  la  princesse 
Et  comme  il  était  gai  ce  soir 
Qu'on  dit  qu'elle  nous  viendrait  voir, 
Voua  diriez  qu'il  a  dans  la  tête... 
Allez,  je  ne  suis  qu'une  bête, 
Mais  souvenez-vnus  aujourd'hui 
Que  j Vï  vu  quelque  chose  en  lui... 


Je  sais  bien  ce  que  je  veux  dire. 
Mais  si  le  bon  roi,  notre  sire, 
Savait  totit  ce  qui  s'est  passé 
Et  tout  ce  qu'on  a  trar.: 
Finir  gagner  les  gens  d'Hésione,», 
Ce,  n'est  pas  que,  Dieu  me  pardonne 
J'en  veuille  parler  autrement, 
Mais  je  ne  sais  pas  bonnement,. 
Or  bien  ce  n  est  pas  notre  affaire  : 
C'est  à  nous,  Marceau,  de  nous  taire. 
Néamoins,  sans  comparaison. 
Je  ne  suis  qu'un  pauvre  maçon* 
Mais  je  n'aime  pas  ces  vétilles  : 
Le  bon  Dieu  m'a  donné  deux  tilles 
Que  je  hâterais  bien  d'aller. 
Si  ton  venait  les  cajoler»  » 

«  Ma  foi,  votre  raison  est  bonne, 
Dît  Marceau  ;  pour  moi,  je  m'étonne 
Que  Ton  permette  à  des  maçons 
De  faire  toutes  ces  façons, 
Car  ces  dons  et  cette  largesse 
Ne  se  font  que  pour  la  princesse. 
Je  ne  puis  pourtant  deviner 
Pourquoi  nous  tant  paleltoer* 
Âlin  de  soulTrir  qu'il  travaille 
Avec  nous  à  cette  muraille? 
Car  il  sait  que  nous  voyons. bien 
Que  sa  besogne  ne  vaut  rien 
El  qu'il  ne  fait  tout  ce  ménage 
Qu'aiîn  de  gâter  notre  ouvrage. 
Cependant  pour  vous  en  parler, 
N'est-ce  pas  proprement  voler^ 
Léonard?  Quant  à  mot,  je  pense 
Qu'il  y  va  de  la  confiance, 
Car  si  chacun  suivait  ce  train, 
Pour  aujourd'hui  ou  pour  demain 
Qu'on  viendra  siéger  cette  ville, 
Un  pauvre  homme  avec  sa  famille 
Croira  dormir  en  sûreté 
Se  fiant  sur  la  fermeté 
D'une  haute  et  forte  muraille 
Que  dès  la  première  bataille 
Sans  ahaner  ni  peu  ni  point 
On  mettra  bas  d'un  coup  de  poing,  s 

«  La  malice  serait  bien  noire, 
Reprît  l'autre,  et  je  ne  puis  croire 


iGO 


ttEVIÎE    U  HISTOIRE    LITTbftAIRE    Î>E    LA    FltAXCE. 


Une  si  grande  trahison 

De  ce  vieux  bonhomme  prison, 

Ni  qu'aucun  des  siens  soit  capable 

D'une  action  si  détestable  ; 

On  dit  qu'il  passe  pour  un  saint. 

Que  son  monde  l'aime  et  le  craint 

Et  l'écoute  comme  un  oracle, 

Même  qu'il  a  fait  un  miracle. 

Do  île  ses  maçons  in *a  conté 

Qu'il  a  vut  le  dernier  été. 

Quand  '  il  fit  par  toute  la  Grèce 

Lue  si  grande  sécher*- - 

Que  tout  périssait  faute  d'eau, 

Se  faire  un  miracle  fort  beau 

Par  les  prières  de  cet  homme* 

Je  tic  sais  pas  comme  il  se  nomme. 

Celui  qui  m'en  fit  le  récit, 

Ce  maçon  qui  Fa  vu,  m'a  dit 

Qu'il  ne  put  plus  gâcher  son  plaire 

Et  jure  qu'il  veut  qu'on  le  chaire 

S'il  n'abandonna  le  métier 

Et  si  pendant  un  mois  entier  * 

On  maugea  viande  que  rôtie 

Et  d'autre  soupe  qu'à  la  pie; 

Il  fallut  même  qu'à  la  lin 

On  lit  la  barbe  avec  du  vin.  »[ble! 

«  Ah!  dit  Marceau,  l'acte  exécra- 
Cela  le  scmble-t-il  croyable? 
Bon  Dieu,  quelle  méchanceté 
Que  le  bien  de  Dieu  soït  -aie  I 
Il  ne  faut  plus  qu*  on  s ébahisse  [nisse 
Que -tous  les  jours  Dieu  nous  pu- 

i  C'est  mon.  dit  Tant re  Limousin, 
Mais  entends  qu  elle  fut  la  fin. 
En.  ce  temps  personne  qui  vive 
N'osa  ni  faire  la  lessive, 
Ni  laver  ses  mains  ni  sa  peau  ; 
On  défendit  aux  buveurs  d'eau 
Le  sucre  el  la  pâtisserie 
Les  ragoûts  et  l'épicerie, 
Les  artichauts,  les  champignons, 


Les  cervelas  et  les  oignons 
Les  saucisses  et  les  an  douilles. 
Il  ma  juré  que  les  grenouilles 

i  ouvérenl  pendant  ce  temps 
Plus  chères  que  les  ortolans; 
Que  le  revenu  d'une  ville 
N'aurait  pu  payer  une  anguille 
Kt  du  plus  grand  roi  la  rançon 
Une  salade  de  erc&sozL 
De  sorte  que  l'eau  rare  et  chère. 
Comme  marchandise  étrangère, 
Dans  de  petils  vaisseaux  jolis 
Se  vendait  comme  rosolis. 
C'est  tout  dire  :  dans  Salamine 
On  n'en  trouva  qu'une  chopïne 
Et  maint  royaume  tout  entier 
N'en  avait  pas  denu-septîer. 
More  certaine  vieille  fille 
Qu'ils  appellent  une  sy  bille 
Leur  dit  qu'il  fallait  s'adresser 
Pour  tous  ces  maux  faire  cesser 
À  quelque  homme  de  sainte  vie_ 
Son  ordonnance  fut  suivie  : 
Ce  bon  homme  tel  réputé 
Par  tous  les  Grecs  fut  député 
Pour  mettre  fin  à  leurs  misères 
Par  la  force  de  ses  prières. 
En  effet  le  vieillard  le  fit, 
Lorsqu'à  Jupiter  il  bâtit 
Un  beau  temple  cl  Tort  magnifique 
Tout  de  marbre  et  d'ordre  ionique,  * 
«  Qui?  ce  bon  homme  au  noir  cha- 
tte prit  incontinent  Marceau,  [peau, 
A  bâti  d'un  ordre  ionique 
Un  Le  m  pie  de  marbre  ou  de  brique? 
11  ne  m'importe  pas  de  quoi, 
Mais  au  diable  si  je  le  croL 
Voyons-nous  pas  bien  son  ouvrage? 
El  quel  beau  fichu  maçonnage 
Il  a  fait  dans  ce  bastion 
Auprès  du  château  d'il  ion  ï 


1.  Note  «le  Perrault  :  Dlodore,  livre  'S,  îNiint  Augustin  fait  mention  de  ce  mîmr-le, 
qui  fut  uni;  pluie  qu'on  estimait  avoir  été  obtenue  du  ciel  par  Jilaciià  dans  une 
grandi  sécheresse,  Livr.  2  de  la  Cité  de  Dieu. 

2.  Gfolodl  Perrault  :  Imitation  de  la  description  d'une  sécheresse  duos  le  Tasse 
livre  '1  de  la  Jérusalem* 


us  ft>£m   m  un   OU  CUUBE  PEfcfUOLT,  I 

Déjà,  Léonard,  i!  me  tarde  Vint  à  lui  la  face  Hante, 

Que  je  ne  voie  quelque  bombarde  Toute  rouge  et  toute  suante, 

Tirer  contre,  et  du  premier  coup  Pour  avoir  couru  promptement, 

Abattre  et  culebutter  tout*  m  Lui  dire  avec  empressement 
Léonard  dit  :  «  Vous  pensez  rire?  Une  nouvelle  d'importance 

Ma  foi,  je  me  suis  laissé  dire  Et  qui  devait  en  apparence. 

Que  les  Grecs  et  leurs  potentats  Ainsi  qu'elle  lit  en  ftffét, 

bvrril  des  gens  dans  leurs  états  Le  rendre  beaucoup  satisfait. 


Pour  venir  par  mer  et  par  terre 
Dans  ce  pays  faire  la  guerre 
Et  venger  certains  chapeliers 
Qu'ils  nomment  Argobalelîers  ', 
Parce  qu'en  venant  de  l'empiète 


»  Mon  maître,  se  prit-il  à  dire, 
La  nouvelle  n'est  point  tant  pire; 
Ne  vous  chagrinez  plus  de  rien. 
Le  diable,  comme  on  dit  fort  bien. 
N'est  pan  toujours  à  une  porte. 


Que  dans  Cholcos  ils  avaient  faite  Je  veux  aujourd'hui  qu'il  m'emporte 
Des  fameuses  toisons  et  peaux  Si  vous  ne  nous  payez  du  vin. 

Dont  on  fait  les  meilleurs  chapeaux»  Enfin,  vos  souliers  neufs,  en  lin. 


Et  rasant  le  coté  Tmyenne 
Pour  s'en  retournera  Mycène, 
Ils  furent  ici  malmenés 
Où  Ton  leur  cogna  bien  le  nez. 
Quand  par  un  artifice  infâme 
Jason  et  sa  catin  de  femme 
Vendirent  au  père  d'Hector 
Un  vigogne  pour  un  castor. 
Il  est  vrai  que  cette  Médée 
Faisait  mie  telle  pipée 
Que  les  plus  tins  et  plus  rusés 
Etaient  les  premiers  abusés, 
Outre  que  cette  misérable 
Avait  un  secret  admirable 
Pour  rajeunir  un  vieux  chapeau 
Et  le  rendre  tellement  beau 
Par  la  force  de  sa  teinture 
Qu'il  semblait  changer  de  nature. 
Le  vieil  chapeau  du  boa  >'Eson, 
Père  de  ce  maître  Jason, 
En  rendit  une  preuve  illustre 
Quoiqu'il  eût  son  vingtième  lustre 
Et  qu'il  fût  tout  des  plus  méchants 
Après  avoir  servi  cent  ans; 
Ce  secret  eut  bien  la  puissance 
De  le  remettre  en  son  enfance.  » 

Ainsi  raisonnait  ce  maçon 
Lorsque  Julien,  son  garçon f 


Qui  vous  ont  causé  tant  de  larmes 
Et  nous  ont  donné  tant  d'alarmes, 
Des  tlammes  ont  été  sauvés; 
C'est  moi  qui  les  ai  retrouvés.  » 

Léonard  à  cette  nouvelle 
Haussa  vers  la  voûte  éternelle 
Ses  deux  grands  yeux  émerveillés 
Et  ses  gros  doigts  écarquillés  ; 
Mais  la  joie  el  l'incertitude, 
La  surprise  et  sa  promptitude 
Lui  dérobèrent  à  la  fois 
Et  le  jugement  et  la  voix. 
Julien  tout  enflé  de  gloire 
Poursuivit  ainsi  son  histoire  : 

«  Nous  avons  déjà  néanmoins 
Bien  enfourné  des  coups  de  points 
Pour  cette  admirable  chaussure 
Que  par  une  étrange  aventure 
Je  viens  de  trouver  ce  matin 
Dans  le  cotïre  du  grand  Martin,   i 

Léonard  reprenant  l'usage 
Du  sentiment  et  du  langage, 
Ému  de  joie  et  de  douleur 
Enfin  s'écria  :  «  Le  voleur! 
Le  méchant!  qui  dans  mon  estime 
Avait  passé  pour  mon  intime! 
Le  traître!  Je  les  lui  montrai 
Le  jour  que  je  les  achetai. 


1,  Note  de  Perrault  ;  Argon  au  le  s. 


46a                         HEVCE    ^HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    U    llUttCB. 

Croyant  que  l'amitié  sacrée 

A  cause  de  la  jalousie 

Que  cet  ingrat  m'avait  jurée 

Qui  lui  troublait  la  fantaisie, 

Me  défendait  de  lui  cacher 

Et  si  l'autre  ne  l'eûi  pressé 

Un  bien  que  je  tenais  si  cher. 

Avec  son  pauvre  nez  cassé 

Il  est  vrai  que  mon  imprudence 

Et  sa  façon  elTaroucli 

Excuse  beaucoup  son  offense 

Sun  âme  était  si  peu  touchée 

Et  le  malheur  du  Lydien 

Du  danger  où  Phébus  était 

Qui  souhaita  que  de  son  bien1 

Que  froidement  il  s'enquêtait 

Son  ami  du  moins  eût  la  vue 

Du  sujet  de  celte,  bagarre, 

En  lui  montrant  sa  femme  nue 

Lorsqu'un  caillou  sans  dire  gare 

Me  devait  rendre  plus  prudent 

Vint  si  rondement  faire  lac 

Dedans  uti  pareil  accident; 

Sur  le  haut  de  son  estomac 

Mais  enfin  celle  destinée 

Que  sa  bile  en  fut  échauffée. 

Dans  le  ciel  était  ordonnée»  » 

Jamais  la  plus  rude  houlïée 

Le  dieu  de  la  mer  attentif 

Dont  Aquilon  insolemment 

Ecoutait  ce  discours  naïf, 

Le  sou  Me  te  en  son  élément 

Parce  qu'il  avait  espérance 

Ne  le  fit  oneque  en  un  orage 

Qu'ils  rentreraient  en  conférence 

Écumer  d'une  telle  rage, 

Sur  le  sujet  de  Thélamon, 

Comme  lorsque  ce  ricochet 

Lorsqu'il  aperçut  Paie  mon 

Lui  passa  dessus  le  bréchet, 

Qui  tout  sanglant  par  le  visage 

Car  dune  manière  insensée 

S'en  courait  devers  le  rivage 

11  s'en  alla  lé  le  baissée 

Criant  avec  un  grand  effroi  : 

lilasphémant ainsi  qu'un  chartier 

«A  moi,  ii  moi,  mon  maître  à  moi!  > 

Et  courut  droit  vers  le  quartier 

En  même  temps  un  grand  tumulte 

;  Où  la  mêlée  était  plus  forte 

D'écbafauds  que  Ton  eulebute 

Suivi  d'une  grande  cohorte 

D'un  froissement  d'air  et  de  seaux, 

De  tritons  et  de  dieux  marins 

De  dêfoncemenls  de  tonneaux. 

Armés  d'outils  de  Limousine. 

De  cris  confus  parmi  la  grêle 

Là  ne  respirant  que  tuerie, 

De  plâtras  tombant  pêle-mêle 

Le  premier  sur  qui  sa  furie 

Sur  reins,  sur  té  Les  et  sur  dos» 

Lui  fit  décharger  à  l'abord 

Sur  pelles  et  sur  tombereaux, 

Tombe  s 'écriant  :  "Je  suis  mort! 

Dont  s'élevait  une  poussière 

D'une  façon  badine  et  sotte» 

Qui  du  ciel  cachait  la  lumière, 

Car  on  ne  perça  que  sa  cotte 

Le  fit  relever  promptement 

Où  le  trident  entrevêché 

Avec  un  grand  clonnemcnL 

Tint  longtemps  Neptune  empêché. 

Palémon  le  voyant  parailre 

Qui  le  retirant  de  rudesse 

Se  mit  à  crier  :  «  Notre  mailre, 

Alla  tomber  à  la  renverse 

On  assomme  votre  neveu» 

Au  milieu  d'un  tas  de  mortier 

Je  vous  jure,  ce  n'est  point  jeu  », 

Qui  l'ensevelit  presque  entier. 

Ce  dit-il,  quand  il  vit  sourire 

De  là  se  relevant  à  peine 

Neptune  qui»  pour  le  vrai  dire, 

De  chaux  la  face  toute  pleine 

Aurait  tout  de  bon  souhaité 

Et  sa  barbe  et  ses  cheveux  verts 

Qu'Apollon  eût  été  froUc 

De  morlierpresque  tout  couvert  s. 

1.  Note  de  Perrault  :  Hérodote,  livre  2, 

07*    PO  KM  K    INÉDIT    DE   CL  AIDE    Î'EIUIAI  ■LT,                              Wâ 

Comme  un  pourceau  quand  il  se  vautre,  Tous  ses  coups  contre  son  flanc 

Ses  gens  le  prirent  pour  un  autre, 

Et  sous  sa  poitrine  poissée      f  noir, 

Kt  reconnaissant  d'assez  loin 

Bruire  mainte  vague  froissée, 

Le  trident  qu'il  avait  au  point 

Si  la  fureur  des  aquilons, 

S  «  -rièrent  :  «  Voila  le  traître» 

Les  caprices  des  tourbillons, 

Et  l'ennemi  de  notre  maître 

Et  les  feux  dont  l'air  étincelle 

Qui  sans  doute  l'a  désarmé 

De  la  mer  prennent  la  querelle, 

EU  peut-être  même  assommé 

Tout  ce  que  peut  faire  la  poix 

Hélas!  avec  ses  propres  armes.  » 

La  force  et  l'épaisseur  du  bois, 

Ce  disant  tous  ces  liers  gendarmes 

Des  nochers  l'art  et  le  courage 

Vinrent  tellement  le  charger 

C'est  de  retarder  le  naufrage, 

Dans  le  dessein  de  le  venger 

Enfin  le  délabré  vaisseau 

Que  si  Phébus  par  bonne  encontre 

Est  contraint  de  céder  à  l'eau; 

Ne  se  fût  trouvé  là  tout  contre 

L'orguei lieuse  vague  s  obstine 

Qui  les  tira  de  cette  erreur 

Et  d'une  manière  mutine 

11  fût  arrivé  du  malheur. 

Baisse  la  tête  et  reculant 

Neptune  dans  la  conjoncture 

Vient  d'un  elTortplus  violent, 

D'une  si  fâcheuse  aventure 

Et  sans  quitter  son  entreprise, 

Outrageusement  affligé 

Enfin  le  renverse  ou  le  brise. 

Que  son  rival  l'eût  obligé, 

Ainsi  l'escadron  redouté 

Courut  décharger  sa  colère 

Dont  Neptune  était  escorté* 

Sur  Thélamon  et  sur  son  père. 

Malgré  la  résistance  brave, 

Or  le  bon  vieillard  ;Eacus 

Les  barricades  et  l'entrave 

Avec  Thélamon  et  Phocus 

Qu'on  opposait  à  sa  fureur, 

Étaient  derrière  une  charrette 

Fit  tout  plier  sous  sa  valeur. 

nui  jointe  avec  une  brouette 

Le  dieu  de  sa  triple  fourchette 

Une  civière,  un  tombereau,     [d'eau 

D'un  coup  renverse  la  charrette, 

Une  échelle,  un  grand  mutd  plein 

Et  furieux  comme  un  démon 

Faisait  contre  une  vieille  porte 

Fut  pour  attaquer  Thélamon, 

Une  barricade  assez  forte; 

Qui,  cédant  à  celte  puissance, 

Et  couverts  de  cet  embarras 

Fit  sa  retraite  en  diligence» 

A  coup  de  régie  et  de  plâtras 

Lore  Neptune  courant  après, 

Ils  tenaient  avec  grand  courage 

Quoiqu'il  le  poursuivit  de  près. 

Contre  l'insolence  et  la  rage 

Tout  à  coup  le  perdit  de  vue: 

De  tous  les  maçons  de  Phébus 

Le  prince  entra  dans  une  grue 

Acharnés  sur  ceux  d\4<!acus, 

Qui  sur  son  chemin  se  trouva. 

Qui  se  mirent  tous  a  la  fuite 

Et  dans  la  roue  il  se  sauva. 

Quand  Neptune  avecque  sa  suite 

Lors  d'une  force  redoublée 

Comme  un  torrent  impétueux 

Dans  la  grande  roue  ébranlée 

S'avança  pour  fondre  sur  eux. 

IL  courut  et  grimpa  si  fort 

Ainsi  qu'un  vaisseau  qui  tient  tête  Que  le  cable  avec  grand  effort 

Contre  une  légère  tempête, 

Et  par  une  étrange  fortune 

Laissant  blanchir  sans  s'émouvoir 

Entortillant  le  dieu  Neptune  • 

I,  Noie  de  Perrault  :  Imitation  de  Virgile  qui  fait  que  Turnus,  courant  après  le 

fantôme  d'Hnée,  est  enlève  et  amené  malgré  lui  dan*  un  vaigseau.  Enéide^  liv.  VIII. 

464                         RBVOI    lÙNSTOÏttE    LlTTÉItAME    UE    LA    FUANCE. 

Viol  l'accrocher  si  bien  h  point 

«  Ah  !  je  veux  sur  votre  aventure 

Au  derrière  de  son  pourpoint 

Laisser  â  la  race  future 

Par  l'agrafe  qui  fend  Ut  pierre 

Do  marques  de  ressentiment 

Qu'il  vous  l'enleva  hors  de  terre 

Oui  durent  éternellement  I 

EL  le  fit  doucement  hausser 

Nont  non,  ce  dit-il,  vos  cadavres 

Sans  qu'il  pût  se  débarrasser, 

N'iront  point,  palissants  et  hâves, 

Bien  qu'il  tâchât  de  mainte  sorte 

De  Ilot  en  Ilot  me  reprochant 

Et  par  mainte  secousse  forte 

Que  je  suis  un  méconnaissant.  * 

D'échapper  en  se  démenant 

A  ce  mot  la  mer  hérissée 

Pendant  qu'il  montait  en  tournant 

*  Frémit  et  comme  courroucée 

A  ce  spectacle  pitoyable 

Se  noircit  de  ces  petits  flots 

Des  Nymphes  la  troupe  honorable  Qui  font  pâlir  les  matelots. 

Qui  près  des  bords  de  Ténèclos 

Toutefois  ce  mauvais  visage 

Ayant  répandu  sur  leur  dos 

Ne  fui  point  un  signe  d'orage 

Les  ondes  de  leur  chevelure, 

Mais  bien  de  Tenorl  véhément 

Hors  de  l'eau  jusqu'à  la  ceinture 

Que  la  mer  lit  en  ce  moment 

Se  peignaient  aux  rais  du  soleil, 

Pour  rendre  la  forme  changée 

Eu  haut  par  hasard  levant  l'œil 

De  cette  troupe  submergée 

Ressentirent  leur  à  me  atteinte 

Aussitôt  en  plusieurs  façons 

De  pitié,  d'horreur  et  de  crainte. 

Elle  fut  changée  en  poisons, 

Doris  à  cet  objet  nouveau 

Les  peignes  en  lire  ni  Taré  te 

Laissa  choir  son  peigne  dans  l'eau; 

Et  l'étui  Je  corps  de  la  bête, 

Cymodocé  levant  la  vue 

Dont  le  bord  tout  autour  frangé 

Au  cri  de  Doris  éperdue 

En  des  nageoires  fut  changé. 

Laissa  choir  aussi  son  miroir 

Du  dieu  la  puissante  parole 

Qu'elle  oc  put  jamais  revoir, 

Transforma  le  plus  long  en  sole; 

Et  depuis  seulement  dans  l'onde 

Un  d'ivoire  fort  applali 

Elle  mira  sa  tresse  blonde; 

En  carrelet  fut  converti; 

La  demoiselle  de  TcLhîs 

Un  grand  d'écaillé  de  tortue 

Laissa  tomber  tous  les  outils 

Devînt  une  grande  barbue 

Qu'elle  apportait  à  sa  maîtresse 

Et  le  dernier,  fail  de  roseau, 

Pour  sou  visage  et  pour  sa  Iresse 

Comme  il  nageait  encore  sur  l'eau* 

Les  pincettes,  poinrons  et  fera. 

Étant  le  moindre  de  la  bande, 

Les  petits  pots  blancs,  bleus  et  verts 

Parut  en  petite  limande, 

Tout  fut  à  fond,  hormis  les  mouches  Les  boites  et  les  petits  pola 

Qu'on  voit  encore  toutes  farouches  Roulant  de  même  sous  les  flots 

L'automne,    quand    le    temps    est  N'eurent  pas  les  dieux  moins  pro- 

Jouer  sur  la  face  de  l'eau.       [beau, 

[piees;* 

Neptune  du  haut  de  sa  grue 

Les  uns  devinrent  écrivisses, 

Sur  la  mer  étendant  sa  vue 

Les  autres  coquilles  de  prix, 

Considérait  la  larme  a  l'œil 

Les  pommades  en  ambre  gris 

Des  siens  la  tristesse  et  le  deuil  ; 

Et  corail  furent  transformées 

Ces  pauvres  peignes  et  ces  boettes  Dans  leurs  couleurs  accoutumées* 

Et  tant  d'outils  beaux  et  honnêtes 

Une  boite  allait  trépasser 

Noyés  à  son  occasion 

Pleine  de  pâte  à  décrasser 

L'émurent  à  compassion. 

Qui  fut  convertie  en  tortue 

UN  POÈME  INÉDIT  DE  CLAUDE  PERRAULT. 


465 


Et  la  pâte  en  coquesigrue  '. 

Mais  ces  belles  nymphes  des  eaux 
Malgré  ces  miracles  nouveaux 
Ne  purent  bannir  la  tristesse, 
Le  déplaisir  et  la  détresse 
Que  la  peine  où  Neptune  était 
Au  profond  du  cœur  leur  mettait. 
Entre  toutes  la  plus  contrite 
Fut  la  bonne  femme  Amphitrite, 
Quand  elle  aperçut  son  mari 
Tourner  comme  en  un  pilori 
Au  milieu  d'une  populace 
Qui  se  riait  de  sa  disgrâce  ; 
Car  tout  le  tumulte  cessa 
Dans  le  moment  qu'il  commença 
A  s'élever  un  peu  de  terre, 
D'autant  que  le  roi  vint  grand  erre 
Accompagné  de  ses  soldats 
Afin  de  mettre  les  holas. 

Ce  prince  accourut  en  personne 
Parce  qu'il  apprit  qu'Hésione, 
Quand  le  bruit  avait  commencé, 
Avait  secrètement  passé 
Par  une  porte  de  derrière 
Qui  répondait  sur  la  rivière, 
Et  le  bonhomme  se  doutait 
Avec  raison  pourquoi  c'était. 
On  l'avait  averti  naguère 
Que  certaine  flotte  étrangère 
Près  de  la  côte  avait  paru; 
De  plus  un  bruit  avait  couru 
Que  les  Grecs  avaient  dans  la  ville 
Intelligence  avec  sa  fille. 
Ce  soupçon  lui  fit  promptement 
Commander  à  son  régiment 
De  se  rendre  sur  le  rivage 
Quand  il  entendit  le  ravage 
Que  firent  les  gens  d'^Eacus, 
De  Thélamon  et  de  Phocus, 
En  excitant  une  querelle 
Parmi  la  gent  porte-  truelle. 
Leur  but  était  que  ce  sabbat 
Et  ce  ridicule  combat, 


En  donnant  une  fausse  alarme, 
Empêchât  parmi  ce  vacarme 
Les  soldats  qui  sont  dans  le  fort 
De  prendre  garde  sur  le  port 
Lorsque  les  navires  de  Grèce 
Viendraient  enlever  la  princesse. 
De  fait,  le  roi  fut  abusé, 
Ainsi  qu'ils  s'étaient  proposé; 
Et  la  crainte  et  la  batterie 
Se  changèrent  en  raillerie, 
Quand  la  majesté  du  vieillard 
Et  la  mièvretédu  soudart, 
Qui  vint  flober  sur  trois  ou  quatre, 
Eut  chassé  l'ardeur  de  se  battre 
De  leurs  courages  inhumains, 
Faisant  tomber  hors  de  leurs  mains 
Maint  ferrement  et  mainte  pierre 
Dont  ils  se  faisaient  rude  guerre, 
Et  retourner  à  leurs  pieds  bots 
Ces  savates  et  ces  sabots, 
Qui  dans  le  fort  de  la  tempête 
Allaient  et  volaient  à  la  tête. 

Le  tumulte  étant  donc  cessé 
Et  chaque  chapeau  ramassé, 
Non  pour  mettre  sur  chaque  tête, 
Mais  par  certain  respect  honnête 
Sous  chaque  aisselle  être  serré, 
Neptune  fut  considéré 
Et  sa  mine  fut  contrôlée 
Par  une  honorable  assemblée. 
Le  roi  témoignant  s'en  fâcher 
Voulait  qu'on  l'ailât  décrocher, 
Mais  .la  princesse  un  peu  railleuse 
D'une  façon  malicieuse 
Avec  ses  filles  le  gaussa; 
Dont  tellement  il  s'offensa 
Que  lors  son  amour  fut  changée 
En  une  colère  enragée 
Qui  disposa  fort  ses  esprits 
A  n'avoir  plus  que  du  mépris 
Pour  cette  maîtresse  insensible. 
Faisant  donc  encore  son  possible 
Pour  se  pouvoir  détortilier, 


i.  Note  de  Perrault  :  Un  poisson  informe  et  très  imparfait,  ressemblant  à  dé  la 
pâte. 


M                    HEVUE  u'histoike   LtTttHAllIB  Dft  l\  riUflCt- 

11  se  remit  à  gambïller, 

Kst  bien  funeste  et  bien  cruelle! 

Ce  qui  fit  faire  a  rassemblée 

Plût  au  ciel  qu'une  amour  nouvelle 

Un  nouvel  éclat  de  ri 

T'engageât  encor,  eher  époux, 

Qui  toucha  sa  chère  moitié 

Et  que  nous  l'eussions  parmi  nous. 

Par  de  nouveaux  traits  de  pitié. 

Si  je  fus  jamais  en  colère 

Sa  douleur  parut  sans  seconde, 

De  voir  qu'une  autre  ait  pu  te  plaire, 

De  ses  pleurs  elle  accrut  son  onde, 

Je  te  proteste  que  mon  en  m 

Et  vint  à  dire  en  se  mouchant 

Conçoit  toute  une  autre  douleur 

Je  ne  sais  quoi  de  si  louchant* 

De  te  voir  être  la  rifée 

De  si  funeste  et  de  si  tendre. 

D'un  peuple  et  de  celle  rusée 

Que  Thélis  ne  la  put  entendre 

De  qui  le  mépris  outrageant 

Ni  les  nymphes  pareillement 

Vient  m'afflige r  en  me  vengeant.  ■ 

Sans  pleurer  très  amèrement. 

Durant  ce  discours  pathétique  - 

La  mer  par  ces  larmes  troublée  Le  devin  fut  fort  pacifique. 

Devint  plus  acre  et  plus  salée, 

A  voir  son  grand  menton  chenu  3 

Dont  fut  altéré  le  poumon 

Penché  sur  son  estomac  nu, 

A  mainte  alose,  k  maint  saumon, 

Sas  yeux  ijrhësi  sur  la  filasse 

Qui  pour  rencontrer  dans  le  Xanlhe  De  son  ondoyante  barbasse, 

Une  eau  douce  et  rafraîchissante, 

Ses  deux  longs  sourcils  abaissés 

Troupe  a  troupe,  grands  et  petits, 

Et  très  timidement  plissés. 

Délaissant  les  eaux  de  Thétis 

Les  prominences  de  sa  moue 

Et  les  élables  de  Protliée, 

Faites  aux  dépens  de  sa  joue, 

De  leur  belle  écaille  argentée 

Et  son  nez  soufflant  et  poussif 

S'en  vinrent  enrichir  les  eaux 

Où  le  jugeait  Lien  attentif. 

Des  rivières  et  des  ruisseaux. 

Mais  la  plainte  étant  achevée  * 

Le  pasteur  des  plaines  humides  l 

Sa  posture  fut  bien  eh&Qgé 

Aperçut  ses  élables  vîdôa 

Le  corps  lui  devint  pantelant 

Et  voyant  ses  troupeaux  filer 

Et  le  regard  étineelant  ; 

Kl  dans  les  fleuves  se  couler, 

Sa  prunelle  parut  plus  verte, 

Il  les  voulut  suivre  à  la  piste 

Sa  bouche  se  tint  entrouverte, 

Et  vint  où  cette  bande  triste 

Et  ses  grands  doigts  écarquillés 

Piteusement  se  lamentant 

Dessus  ses  deux  flancs  écaillés 

Dans  ses  larmes  allait  Huilant. 

Aux  Naïades  firent  entend re 

Lorsqu'Àmphitrile  et  Galathée 

Que  cette  extase  allait  le  prendre 

Aperçurent  le  dieu  Prolhée» 

Où  son  esprit  se  ramassant 

Il  renouvela  leurs  douleur- 

Conçoit  par  un  effort  puissant 

Et  leur  fit  redoubler  leurs  pleurs. 

Tout  ce  que  le  destin  minute 

n  Ah!  cher  ami,  dit  Amphilrile, 

Cent  ans  avant  qu'il  l'exécute. 

L'aventure  qu'on  m'a  prédite 

Quand  il  eut  quelque  temps  clé* 

Qui  devait  retirer  un  jour 

Dans  cette  posture  arrêté, 

Mun  mari  de  son  fol  amour, 

Il  reprit  un  air  moins  farouche, 

1.  Note  de  Perrault  :  Protliée. 

2.  Ni ite  •[■■  iVrr.mH  ;  Mythologie  du  changement  de  ProLhée. 

3,  Noie  de  Perrault  :  Premier  changement. 

*•  Note  de  Perrault  :  Second  etm  n  cernent. 

5,  Note  de  Perrault  :  Troisième  changement. 

LT!S    POÈME    INÉDIT    UE    CLAUDE    PERRAULT. 


4G7 


rnn^rmi  pi  us  doux  et  moin  s  louche*  Comme  on  brûle  par  m  illiasses 
El  sa  bouche  insensiblement  Les  puces  dedans  leurs  paillasses, 

Par  un  souris  plein  d  agrément  Les  chenilles  dans  leurs  bouchons, 

S'ullongeant  devers  chaque  oreille  Comme  les  pauvre*  limaçons 
S'ouvrit  et  remplit  de  merveille        Sont  écrasés  clans  leur  coquille» 


La  bonne  princesse  des  ilôts 
Alors  qu'il  lui  tint  ce  propos, 
Le  Ihéâlre  de  sa  grimace 
Ayant  change  trois  lois  de  face  : 
«  Déesse,  tu  te  plains  à  torl 
Des  rigoureuses  lois  du  sort; 
Taris  la  si  m r ce  de  tes  larmes. 
Fais  cesser  toutes  ces  alarmes, 
Que  ton  amour  te  donne  en  vain 
El  crois  ce  que  dit  ton  devin. 
Dans  peu  !a  Torl  une  changée 
Te  rendra  pleinement  fun 
De  tous  ceux  qui  ma!  à  propos 
Troublent  aujourd'hui  ton  repos. 
Souviens-toi  que  ce  qui  t'afflige, 
Cet  instrument  sous  qui  voltige1 
Ton  pauvre  Neptune  é perdu 
Dans  la  posture  d'un  pendu 
Sera  celui  de  ta  vengeance, 
Lorsque  pour  punir  l'insolence 
De  ce  peuple  lier  et  mutin 
Par  un  juste  effet  du  destin 
La  machine  tant  importune 
Qui  fait  qu'on  se  rit  de  Neptune, 
Enfin  nous  fera  quelque  jour 
Des  Troyens  rire  â  noire  tour* 
Cet  instrument,  dis-je,  lui-même 
Causera  le  malheur  extrême 
Qui  les  doit  réduire  aux  abois 


Ainsi  les  Troyens  dans  leur  ville 
Seront  cruellement  grillés 
El  par  les  Grecs  écarbouillés» 
Que  cet  objet  épouvantable 
M*'  forme  une  idée  agréable, 
Quand  je  me  représente  un  Mars 
Qui  foudroyant  de  toutes  parts 
Pour  tout  tuer  et  tout  abattre 
Fait  là  dedans  le  diable  à  quatre! 
Que  la  rage  et  Thorreur  flottants 
Sur  le  sang  de  ces  habitants 
Qui  ruiselle  dans  chaque  rue 
Plaisent  grandement  à  ma  vue! 
Et  queje  suis  en  belle  tumeur 
De  voir  parmi  cette  rumeur 
Yulcaîn  qui  danse  des  courantes 
Avec  ses  flammes  voltigea  nies, 
EIl  qui  sur  ces  murs  abattus 
Fait  rage  de  ses  pieds  tortus! 
En  attendant  cette  vengeance, 
Qui  doit  exterminer  l'engeance 
Du  perfide  Laomedon 
Sans  ressource  et  sans  nul  pardon f 
Du  ciel  la  colère  ennemie 
Ne  se  tiendra  pas  endormie  : 
Je  nourris  un  jeune  poisson 
Qui  quel  que  jour  a  la  façon, 
A  ce  que  je  juge  à  sa  trogne, 
De  leur  tuilier  de  la  besogne. 


Quand  ainsi  qu'un  cheval  de  hoU-  .lésais  qu'avant  qu'il  soit  trois  ans 
Portant  sur  soi  mille  gendarmes      Les  bourgeois  et  les  paysans 
Avec  leui  et  leurs  armes,    Sauront  quels  étranges  ravages 

Il  les  haussera  dix  à  dix  11  causera  sur  leurs  rivages.  »» 

El  les  posera  tous  brandis  Alors  chacun  jeta  les  yeux 

Au  haut  de  ces  murs  imprenables;  Sur  un  monstre*  horrible  et  hideux 
Lors  jugez  si  ces  misérables  Qui  s'en  vint  pour  Daller  ProU-e 

Et  par  le  fer  et  par  le  feu  Avec  son  écaille  crottée. 

Verront  chez  eux  jouer  beau  jeu.     Il  avait  h- thz  de  faodk«f, 

i.  Note  <te  Perrault  ;  Li  Crut* 

2.  Note  de  Perrault  :  Cl- Ut!  machine  est  décrite  j>ar  Vigies* 

3.  Note  rie  Perraull  :  Munilre  empoté  de  aept  quollbftl* 


_ 


468                          REVUE    tHUSTOlKE    LITTERAIRE    D&    là    KHANCE. 

Toute  ht  queue  et  le  flanchet 

Emplissant  tout  à  l'euviron 

Avec  la  crête  de  morue 

De  sale  écume  et  de  limon* 

Et  je  ne  sais  quai  dans  la  vue 

Dieu  sait  aussi  comme  nos  tilles 

Qui  tenait  de  l'œil  de  merlan, 

Se  feront  belles  et  gentilles 

Le  d o i  de  mrpe  la rçe  it grau d 

Des  bijoux  et  des  affiquets 

[féeailk  mve  et  fort  vilaine 

Quelles  trouveront  au  palais, 

Et  In  nature  4b  baleine. 

Et  comme  elles  iront  par  bande, 

^Lce  monstre  n  est  suffisant. 

Du  moins  celles  qui  sont  friandes, 

Ce  dit  Prolhèe  en  poursuivant, 

Aux  boutiques  des  épiciers 

Pour  mander  toutes  ces  canailles 

EL  dans  les  fours  des  pâtissiers  : 

Et  pour  abattre  leurs  murailles, 

Combien  de  sortes  de  dragées 

Le  ciel  d'ailleurs  saura  trouver 

Et  de  tourtes  seront  mangées! 

Les  moyens  de  les  achever. 

Mais  dans  la  désolation 

Saturne  deviendra  malade 

D'une  telle  inondation 

Pour  avoir  logé  rétrograde 

U  ne  se  trouvera  personne 

Dons  TÉcrevisse  tout  l'hiver 

Déplus  muhrailé  qu'Hésiooe. 

Fort  froidement  et  mal  couvert  '. 

Notre  bon  vaurien  de  poisson 

Si  m  nez  distillant,  de  roupie, 

Fera  tant  le  mauvais  garçon, 

Son  ventre  enflé  d'hvdropisie 

Tant  de  hissextre  et  tant  de  foudre 

Et  sa  rate  Feront  tant  d  en  u 

Qu'enfin  il  faudra  se  résoudre 

Qu'il  en  coulera  un  ruisseau, 

Pour  sauver  1  étal  du  danger 

Maint  grand  orage  et  mainte  ondée  De  la  lui  donner  a  manger, 

Dont  la  mer  sera  débordée. 

Selon  l'ordonnance  et  la  verve 

Jugez  si  selon  son  désir 

De  la  prêtresse  de  Minerve, 

Neptune  aura  lors  du  plaisir 

Je  sais  bien  qu  Hercule  viendra, 

De  voir  ses  ondes  triomphantes 

Qui  d'abord  la  délivrera 

Kt  superbement  bruissantes 

Mais  aussi  je  sais  que  son  père, 

Parmi  la  vMIe  sYpaneher; 

En  lui  refusant  pour  salaire 

De  voir  sur  Je  eoq  d'un  clocher  [ges  Les  chevaux  qu'il  aura  promis, 

Triton  monté  domine  un  Saînt-Geor 

'-  Se  rendra  mortels  ennemi- 

Et  Glaueus  le  pied  sur  la  gorge 

Hercule  et   ses  compatriotes 

Du  plus  superbe  bastion 

Les  preux  et  vaillants  Argonauf- 

Qui  soit  dans  les  murs  d'ilion; 

Qui  pour  en  avoir  la  raison 

De  voie  nos  poissons  fiers  et  braves 

Et  venger  celte  trahison 

Ravager  tout  au  fond  des  caves; 

Viendront  l'assommer  dans  sa  ville* 

Les  saumons  (Vais  et  les  harengs 

Alors  sa  coqnetle  de  fille 

Aller  par-ci  par-là  courant 

Qui  fait  àPhébus  les  yeux  doux 

Descendre  par  les  cheminées 

Kt  se  moque  .Im  votre  époux, 

Et  dans  les  âLres  ruinées 

Dans  le  saceagement  de  Troye, 

Éparpiller  cendre  et  charbons, 

Ainsi  qu'une  fille  de  joie 

Iteriverr-erfriquets  et  chaudrons, 

Sera  remise  à  Ta  ban  don 

PoélonSf  grilfl  et  poêles  à  frire 

Entre  les  ruai  us  de  Thëlamon, 

Et  tout  ce  qu'on  a  pour  les  cuire, 

De  Thëlamon  qu'elle  déteste 

1,  Nota  de  Perrault  :  En  c*'  temps  il  plut  presque  toujours  pendant  deux  ou  in 
ans.  La  lie  du  peuple  des  philosophes  disait  ijue  c'était  parce  ipie  Saturne  était 
rétrogradé  dans  FÉ&rcvj 

UN    POÈME    iNÊDtT 

DE    CLAUDE    PEftfcADLT,                              460 

Et  qu'elle  hait  plus  que  la  peste. 

Qu'ils  ont,  il  faut  que  je  le  diet 

Du  moins  votre  pauvre  mari 

Entrepris  fort  à  lVtourdïe; 

Que  le  mépris  aura  guéri 

Car  c'est  justement  dans  ce  lieu 

Pourra  goûter  celte  vengeance; 

Que  la  majesté  de  ce  dieu 

Car  il  faut  qu'il  perde  espérance 

Qui  tient  le  sceptre  du  bien  dire 

De  recevoir  de  paiement 

S'en  va  perdre  tout  le  pouvoir 

Pour  ce  malheureux  bâtiment  : 

QiM>n  hu  vit  autrefois  avoir. 

il  n'en  aura  jamais  un  double  *f 

Eu  ce  Heu  la  crasse  et  i  ordure 

Laomédon  perfide  et  double 

Gagnant  au  delà  de  sa  bure 

Chassera  par  un  lâche  tour 

Glisse  déjà  dans  son  esprit 

L'oncle  et  le  neveu  de  sa  cour 

Et  celui  qui  jadis  apprit 

En  leur  donnant  pour  récompense  Le  langage  des  dieux  aux  hommes 

Des  maudissons  en  abondance. 

Fait  voir  dans  le  siècle  où  nous  sommes 

Mais  surtout  votre  beau  neveu 

Le  mieux  disant  de  tous  Les  dieux 

Qui  se  rit  et  qui  prend  au  jeu 

Étudier  celui  des  ftueux. 

Cette  injure  et  cette  insolence 

Es  ce  lieu,  dans  des  eaux  croupies  *f 

Dont  on  outrage  en  sa  présence 

Sous  les  plairas  et  les  orties 

Un  si  vénérable  vieillard 

Et  parmi  les  decombrements 

S'en  repentira  tôt  ou  tard. 

Des  ruines  des  vieux  bâtiments, 

Je  prévois  qu'un  jour  cette  lyre 

Se  forme  de  leur  pourriture 

Qui  fait  qu'aujourd'hui  l'on,  admire  Un  monstre  d'étrange  nature 

Toutes  les  chansons  qu'il  vous  dit  Qui  dans  peu  fera  repentir 

Perdra  beaucoup  de  son  crédit. 

Pbébus  de  l'avoir  fait  nounr  : 

Lors  cette  belle  poésie, 

Sa  voix  sera  basse  et  vulgaire, 

Plus  douce  a  présent  qu'ambroisie  Sa  langue  épaisse  et  Fort  grossière, 

Et  que  nectar  délicieux 

Sur  la  terre  il  ira  rampant 

Au  goût  de  l'esprit  de  ces  dieux, 

Comme  un  misérable  serpent, 

Semblera  fade  et  mal  plaisante, 

Ne  se  plaisant  que  dans  Tordure* 

Insupportable  et  dégoûtante 

Son  extravagante  figure 

Aux  plus  affamés  des  mortels. 

K  tonnera  tout  Tu  ni  vers 

En  ce  temps  au  lieu  des  autels 

De  ses  caractères  divers. 

Qu'aujourd'hui  l'on  fait  aux  poètes  Tantôt  sa  figure,  ironique, 

On  leur  donnera  les  sonnettes, 

Mêlée  avec  l'hyperbolique, 

La  marotte  et  le  capuchon, 

Choquera  le  peuple  ignorant; 

Leur  laurier  deviendra  bouchon, 

Tantôt,  comme  un  loup  dévorant, 

Parmi  s  s  r:  deviendra  taverne, 

Il  cherchera  partout  à  mordre 

Leur  lyre  deviendra  guiterne 

Et  causera  bien  du  désordre 

Et  le  révérend  Apollon 

Par  le  poison  pernicieux 

Sera  traité  de  violon. 

Qu'il  ira  vomir  en  tous  lieux* 

Or  le  sujet  sur  toutes  choses 

Souvent  en  forme  de  satyre 

De  toutes  ces  métamorphoses 

il  fera  tout  crever  de  riret 

Et  le  premier  commencement 

Plus  souvent  froid  comme  un  glaçon 

Est  ce  beau  chien  de  bâtiment, 

Il  viendra  donner  le  frisson. 

1.  Ancienne  monnaie. 

S*  Noie  de  Perrault  :  Naissance  d'une 

monstre  appelée  Burlesque, 

Rev.  d'hi»t.  lîttëh.  ue  la  Fhakce  (T  Àan«),—  VU.                                                    31 

r.o 


D  HISTOIRE    ttTTÊlUlUË    DE    LA    FUANCE. 


Alors  de  son  haleine  infecte 
On  verra  maint  et  maint  insecte 
S'édore  dessus  des  papiers, 
Qui  rongera  tous  les  lauriers. 
Or  cette  aventure  menace 
Tout  le  royaume  du  Parnasse, 
Car  par  celte  corruplinu 
Des  poètes  la  nali-n 
Sera  tellement  avilie 
Qu'on  fera  passer  pour  folie 
Ce  nom  célèbre  et  glorieux 
Qui  les  rendait  égfta?  aux  dieux, 
Apollon  qui  par  ses  augures 
Croit  voir  dans  les  choses  futures 
Aussi  clair  comme  en  plein  midi 
Se  trouvera  bien  étourdi, 
Voyant  qu'avec  tous  ses  augures 
Il  a  si  mal  pris  ses  mesures 
Et  connaîtra  que  mes  avis 
Doivent  toujours  être  suivis. 
Quant  à  notre  maître  Neptune, 
Bien  que  je  plaigne  sa  fortune. 
Il  a  ce  qull  a  mérité 
Pour  son  opiniâtreté  : 
Il  ne  prête  jamais  Toretlle 
A  rien  de  ce  qu'on  lui  conseille. 
Il  me  souvient  que  je  lui  dis1 
Même  avant  qu'il  eut  entrepris 
Et  conclu  cetl<k  bail*  nflaire  : 
«  Non  ce  n'est  pas  à  vous  à  faire  ■ 
De  vous  mrler  dans  le  mortier  : 
Vous  vous  perdrez  dans  ce  métier. 
Au  bout  quelle  est  la  récompense 
De  tant  de  peine  et  de  dépense? 
Vous  consommez  vos  propres  eaux 
Pour  aller  bâtir  «les  châteaux 
Contre  qui  vos  values  poussées 
Seront  tous  les  jours  fracassées 
Et  vous  nous  ferez  tous  pâtir 
De  votre  rage  de  bâtir. 
D'ailleurs  étant  hors  votre  rive 


Si  quelque  malheur  vous  arrive 

Nous  ne  pourrons  vous  secourir 
Quand  bien  vous  y  devriez  périr. 
Mais  il  ne  fit  jamais  que  rire 
De  tout  ce  que  je  pus  lui  diref 
Aimant  mieux  croire  son  neveu 
Qu'il  devrait  fuir  comme  le  feu, 
Lui  qui  par  plaisir  rembarrasse 
Parce  qu'il  voit  qu'il  osi  burinasse, 
N'étant  pas  des  plus  dess^  I 
Et  qui  sans  ces  écervelcs 
Dont  toujours  quelqu'un  le  réveille 
Cl  lui  va  soufflant  à  l'oreille 
Quelque  chose  pour  l'émouvoir 
N'aurait  pas  beaucoup  de  pouvoir. 
Même  sans  que  Phébus  le  hante1, 
Celte  humeur  revéche  et  piquante 
Qui  souvent  cause  a  votre  cœur 
Tant  d  amertume  et  de  douleur» 
Serait  toujours  paisible  et  douce , 
Car  le  dieu  va  comme  on  le  pousse» 
Pour  moi,  j'admire  sa  bonté  ; 
N'est-ce  pas  une  indignité 
De  voir  comme  Phébus  s'en  moque, 
Alors  qu'il  lui  fait  une  toque 
D'un  gros  vilain  papier  brouillard 
Dont  il  affuble  le  vieillard, 
A  tin  que  sang  qu'il  s'en  avise 
Tout  à  loisir  il  le  conduise 
El  le  fasse  insensiblement 
Sortir  hors  de  sou  élément? 
Il  a  cent  autres  artifices 
Et  cent  autres  noires  malices 
Qu'il  emploie  à  le  tourmenter, 
Lorsqu'il  peut  le  faire  monter 
Jusque  dans  le  second  étage 
Du  palais  qui  fut  le  partage 
De  notre  père  Jupiter; 
C'est  là  que  le  tenant  en  l'air 
Phébus  avec  sa  seeur  la  Lune 
Se  plaisent  à  faire  à  Neptune 


i.  Note  de  Perrault  :  Allégorie  sur  les  chû&ea  naturelles. 

2,  Note  de  Perrault  :  L'eau  de  la  mer  ne  vaut  rien  à  faire  le  mortier,  \ïtruvef 
livre  2. 

3,  Noie  de  Perrault  :  Quelques  philosophes  estiment  que  l'amertume  de  la  nier 
\ienl  de  la  chaleur  du  soleil  qui  la  brûle. 


i  H    î'OÉME    1K£d1T    DE    CLAUDE:    PERRAULT. 


m 


Chaque jour  un  nouvel  affront: 
Phéhus  loi  f-aiL  peindre  te  front 
De  mai  nie  couleur  ridicule 
Par  son  grand  valet  Crépuscule, 
Et  puis  après  le  plus  souvent 
Il  lahandimne  au  gré  du  Vent 
Qui  s'en  divertit  et  s'en  joue. 
Il  déguise  en  mille  façons 
Notre  pauvre  dieu  des  poissons, 
En  bâtes  grosses  et  menues 
Et  mille  chimères  cornues. 
Bien  souvent  ce  malicieux 
Le  fait  courir  par  tous  les  deux, 
Il  le  mène  et  puis  le  ramène 
Du  seul  souffle  de  son  haleine. 
'Souvent  aussi  pour  Té  tonner 
Ju piler  se  met  à  tonner 
Et  fait  choir  loin  de  leurs  rivages 
Sibs  Ny mphes  dans  des  lieux  B&UYages 
Sur  rochers,  sur  monts  et  sur  vaux, 
D'où  sans  endurer  maints  travaux 
Kt  ^ans  passer  beaucoup  d'Années 
€es  pauvres  ondes  égarées 
Ne  peuvent  retourner  chez  lui. 
Mais,  quoi?  ce  n'est  pas  d  au  jour- 
Que  Jupiter  nous  porte  envie, [d'hui 
Car  il  Ta  fait  toute  sa  vie. 
Chacun  sait  que  depuis  le  temps 
■QuHI  a  rembarré  les  Titans, 
Parce  qu'il  vint  que  son  tonnerre 
A  réussi  dans  cette  guerre, 
Il  croit  que  tous  les  Immortels 
Lui  doivent  bâtir  des  autels, 
Et  que  depuis  cette  victoire 
Tout  ce  bon  dieu  s  en  fait  accroire  : 
Nous  ne  tenons  tous  aujourd'hui 
La  vie  et  les  biens  que  de  lui. 
Cependant  en  sa  conscience 
Il  sait  que  sans  notre  assistance 
Il  n  en  cassait  que  d'une  dent 
Son  foudre  sans  notre  trident; 
Enfin  tousses  feux  sans  notre  onde, 
Plus  faibles  que  des  coups  de  fronde, 


N'auraient  parmi  ces  fiers  géants 

Passé  que  pour  des  jeux  d'enfants. 

En  effet,  alors  qu'  Encelade 

Fit  la  fameuse  barricade 

Où  posant  rocher  sur  rocher 

Plus  haut  que  le  plus  haut  clocher, 

Secondé  par  ceux  de  sa  liguet 

Il  bâtit  cette  forte  digue 

Pur  qui  l'Olympe  fut  bloqué, 

Jupiter  s'en  allait  croqué. 

Déjà  Typhon  et  sa  cohorte 

Marchait  pour  enfoncer  la  porte 

Et  Uéryon  prêt  adonner 

N'en  aurait  fait  qu'un  déjeuner, 

Si  pendant  que  par  la  fenêtre 

On  fanait  péter  le  salpiHre 

EL  que  les  dieux  perdaient  le  temps 

A  chamailler  sur  les  Tilans, 

Neptune  et  sa  troupe  marine 

N'eût  fait  écrouler  la  machine 

De  ces  rocs  mal  pilotiség, 

Sous  qui  les  géants  écrasés 

Ou  du  moins  renversés  par  terre 

Mirent  bientôt  fin  à  la  guerre, 

Faisant  bmi  marché  de  leur  peau 

A  Mars  qui  de  son  grand  couteau 

N'aurait  pu  devant  cette  cliute, 

Cette  opportune  cullebute, 

Atteindre  en  haut  de  leurs  souliers 

Ni  couper  que  leurs  cors  aux  pieds. 

Néanmoins  Jupiter  enrage 

Et  s'il  avait  cru  son  courage 

11  nous  aurait  extermines, 

Parce  que  souvent  à  son  nez 

Je  soutiens  qu'en  cette  victoire 

Neptune  a  la  plus  grande  gloire, 

Et  qu'en  cas  d'ébranler  rocher» 

De  remuer  monts  et  clochers 

EL  faire  chanceler  la  Terre 

La  mer  peut  plus  que  son  tonnerre1.* 

Durant  que  le  dieu  babillait, 

La  troupe  des  Nymphes  baillait 

Et  semblait  fort  inquiétée 


\.  Noie  de  Perrault  :  Neptune   est  appelé  EnosiehLhon  par  Hésiode,  c'est-à-dire 
qui  ébranle  la  terre.  Homère  lui  donne  aussi  La  infime  épi  t  lié  le. 


472 


REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    ÛK    LA    FRANCE. 


Du  long  entretien  de  Protée  ; 
Car  depuis  qu'il  eut  commencé 
A  leur  parler  du  temps  passé, 
De  la  ligue  et  des  barricades, 
Ces  jeunes  sottes  de  Naïades 
Avaient  sans  cesse  badiné  : 
L'une  avait  toujours  patiné 
Une  petite  carpe  œuvée, 
L'autre  une  limande  privée 
Qui  la  suivait  comme  un  bichon 
Et  se  cachait  dans  son  manchon  ; 
L'autre  d'une  façon  coquette 
Incessamment  de  sa  manchette 
Liait,  déliait  les  rubans, 
Tournait  et  regardait  ses  gants, 
Haussait  et  rabaissait  son  voile; 
L'autre  sans  cesse  battait  l'aile 
Ou  frappait  de  son  éventail 
Ou  de  «on  busqué  de  corail. 


De  quoi  s'apercevant  Protée, 
D'une  mine  un  peu  refrognée 
Il  blâma  leur  légèreté 
Et  sur  cette  incivilité 
Fit  à  cette  joyeuse  bande 
Une  assez  rude  réprimande. 
Après  quoi  le  devin  se  tut 
Et  s'étant  plongé  disparut, 
Laissant  là  toute  l'assistance 
Dans  un  morne  et  profond  silence  ; 
Le  seul  bruit  agréable  et  doux 
D'un  flot  écumant  sans  courroux, 
Qui  vint  faire  une  pirouette 
Comme  un  sabot  quand  on  le  fouette,. 
Autour  du  grand  trou  refermé 
Où  le  Dieu  s'était  abtmé, 
Crevant  cent  petites  bouteilles, 
Frappa  doucement  les  oreilles. 


BIOUOGIIAPHIE    I*KS    OXVRES    HE    TA  INI-:. 


473 


BIBLIOGRAPHIE   DES  ŒUVRES   DE  TAINE 


D'un  livre  qui  va  prochainement  paraître  aux  librairies  Werlh  (Fribourg), 
et  Hachette  (Paris),  sous  ce  litre  :  Essai  sur  Tainetson  œuvre  et  son  htpnr.nret  je 
détache  les  pa^es  qui  vont  suivre.  Le  livre,  qui  fera  partie  des  Coitectanta 
fribwrçcntia  (public  al  ion  académique  de  l'Université  de  Kri bourg  en  Suisse), 
ne  devant  être  tiré  qu  à  un  nombre  Tort  restreint  d'exemplaires,  il  m'a  paru 
qu'il  était  d'un  intérêt  général  que  cette  modeste  bibliographie  put  être  à  la 
disposition  du  plus  grand  nombre  de  travailleurs  possible,  Je  n'ai  rien  négligé 
pour  qu'elle  fût  aussi  complète  et  aussi  exacte  qu'il  fallait  le  souhaiter.  Mais» 
à  dépouiller,  numéro  par  numéro,  je  ne  sais  combien  d'années  du  t&utH&l  dit 
Débats  ou  de  la  Revue  de  final ructian  puUit/ue  \  on  apprend  à  déplorer 
l'absence  des  tables  des  matières,  et  rinsuflisance  de  ses  propres  facultés 
d'attention,  Il  est  donc  probable  qu'il  y  aura  dans  cet  inventaire  quelques 
inexactitudes,  surtout  peut-être  quelques  lacunes,  deux  qui  voudront  bien  me 
les  signaler  auront  droit  à  toute  ma  reconnaissance,  à  celle  aussi  — j'en  parle 
un  peu  par  expérience  —  de  tous  les  amis  des  lettres  françaises.  On  ne  peut 
faire  avec  toute  la  précision  désirable  l'histoire  de  ta  pensée  de  Taîne,  si  Ton 
n*a  pas  comparé  entre  elles  les  diverses  éditions  de  ses  œuvres,  et  si  Ton  nTa 
pas,  —  en  attendant  la  publication  de  sa  Correspondance  et  de  ses  fameux 
carnets,  —  consulté  les  articles  qu'il  a  négligé  de  recueillir.  De  ces  articles, 
j'ai  eu  la  bonne  fortune  de  retrouver  une  quarantaine.  Ils  ne  contiennent  pan 
une  page  banale,  pas  une  qui  ne  soit  tout  a  fait  digne  du  Taine  que  nous  con- 
naissons 3,  et  peut-être  le  mot  d'admirable  n'est-il  pas  trop  fort  pour  carac- 


C.  M1"  Taîne  a  bien  voulu  nie  fournir  quelques  indications  qui  m'ont  été  fort 
utiles.  Je  lui  en  exprime  ici  ma  respectueux  RrMitudr.  j*ai  ai)s5]  été  aide  d*JU  mm 
recherches  par  un  de  mes  jeunes  camarades  d'Ecole  normale,  M*  Augustin  !.- 
qui  a  eu  l'amabilité  de  nie  communiquer  les  notes  qu'il  avait  recueillies,  pour  une 
•intéressante  étude,  encore  inédite,  sur  Tain?  et  rAnf/leterre^  el  qui  s'est  livré  pour 
moi,  au  ElriLîsh  Muséum,  à  un  très  fastidieux  supplément  d'enquête.  Je  le  prie 
d*igréer  mes  plus  cordiaux  remerciements. 

2.  Donnons  un  exemple  pris  absolument  au  hasard.  Je  remprunte  à  un  article 
sur  VHistoire  de  la  philosophie  modern*,  par  le  docteur  Henri  Rilter,  traduction  et 
introduction  par  M.  Chailemel-Larour,  article  qui  ■  paru  dans  les  D*haU  du 
28  aoûi  iStil.  Apres  un  paragraphe  sur  H*  Hitler,  Taîne  continue  en  ces  termes  : 
•  Aussi  bien,  n'est-ce  pas  de  M.  Hitler  que  j'ai  voulu  parler,  niais  de  M.  Challenn*lt 
-son  traducteur;  celui-là  a  du  style..*  On  reconnaît  un  orateur,  une  âme  passionnée, 
un  homme  d'imagination.  Il  a  écrit  sur  les  HUéraLures,  il  a  senti  lei  poi  Le*,  il  a 
gOftU  les  peintres,  il  a  vovajjé,  il  a  vécu,  il  ■  parte  en  public,  et  on  voit  qu'il  s'en 
souvient.  Ceux  qui  l'ont  entendu  s'en  soutiennent  encore  mieux  que  lui*  En  effet, 
peu  d'hommes  ont  été  plus  richement  doués  el  plu»  abondamment  munis  de  tous 
Je»  dons  et  de  toutes  les  facultés  qui  maîtrisent  un  auditoire  !  une  action  véhé- 
mente et  variée,  une  voix  vibrante,  un  ^estc  exercé  et  toujours  juste,  une  abon- 
dance naturelle  de  phrases  qu'on  pourra  il  écrire,  par-dessus  tout  le  souffle  continu 
intérieur  qui  porte  l'auditeur,  qui  I  emporte,  même  dans  le  sujet  le  plus  ingrat, 
même  h  travers  les  abstractions  les  plus  sèches,  sans  jamais  lui  permettre  de  se 
ralentir  ou  de  s'arrêter,  Je  l'ai  entendu,  il  y  a  dix  ans,  dans  un  concours,  faire  une 
lêcon  MIT  la  théorie  de  la  démonstration  d'Arislote;  tout  le  monde  comprenait, 
suivait;  on  l'aurait  volontiers  entendu  sur  le  même  sujet  encore  une  heure;  quoi- 
qu'eu  Sorbonne,  on  avait  envie  de  l'applaudir  :  tes  mains  nous  démangeaient;  il  y 
a  deux  mois,  au  Bâton  des  Arts-Unis,  dans  des  conférences  sur  la  peinture  et  les 
m  livres  de  l'Exposition,  les  mains  nous  démangeaient  encore.  Heureusement,  cette 


474 


REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA   FRANCE. 


têrïser  quelques-unes  d'entre  elles,  Il  Faut  souhaiter,   et,  pour  ma  part»  je 

souhaite  vivement  que  d'heureux   chercheurs  puissent  encore  augmenter  1& 
nombre  de  oc»  articles  presque  inédits. 


I 

ARTICLES  ET  LIVRES  PUBLIÉS  DU  VIVANT  DE  TAINE 

1853  (mai,)  —  Essai  sur  lks  fables  iïe  La  Funtaine,  thèse  pour  te 
doctorat  es  lettres  présentée  à  la  Faculté  de  Paris*  par 
H-  Taine,  licencié  es  lettres,  ancien  élève  de  l'École 
normale  (i  vol.  in-8u,  200  p.,  Paris,  Ve  Joubert,  I853J. 

La     2      édition    fl   voL    in-8ût    206    p.,  Paris,    Ve   Jou- 

bert,  1854)t  ne  porte  pas  extérieurement  le  titre  de  thèse» 
mais  n'offre,  par  rapport  à  Ja  première ,  que  des  différences 
de  pagination.  Le  seul  autre  changement  qu'on  y  poissa 
signaler  consiste  dans  un  1res  court  Avertissement  qui  ne 
ligure  que  dans  celte  seule  édition.  — La  3*  édition  il  vol. 
In- 18  Jésus,  354  p.,  Pans,  Hachette,  1*61)  est  précédée  de 
ces  deux  lignes  tfÂvertiêtei&ent  :  ci  Ce  livre,  comme  le 
Voyage  aux  Pyrénées,  a  été  refondu  et  récrit  presque  en 
entier,  »  Le  titre  est  modifié  (La  Fontaine  et  ses  fable- 
restera  désormais  tel  dans  toutes  les  éditions  ultérieures.  — 
La  6e  édition  (i  voL  in-16,  vi-331  p«,  Paris,  Hachette,  1875), 
comprend  en  outre  une  VrSfnce  de  deux  pages ,  celle- là  même 
qui  figure  dans  les  éditions  actuelles,  et  qui  peut-être 
figurait  déjà  dans  la  4°  et  la  o°  éditions  ;  aucun  autre  chan- 
gement par  rapport  k  la  3*  édition.  —  7*  édition  (1879),  — 
8*  édition  (1881).  —  9*  édition  (1883).  —  En  1899,  l'ou- 
vrage était  parvenu  à  la  14e  édition.  Toutes  ces  éditions 
reproduisent  la  6e  '. 

(mai).  —  De  PERsoNisrLATOMCis'commeritationemscripsitlLTaiae 
ad  doctoris  gradum  promovendum.  Partsiis,  ftpw) 
yiom  Joubert  bibliopulam.  Via  dicta  des  Grés,  n"  11 
(1  vol.  iD-8",  1853,86  p.). 

Va  pas  été  rééditée,  Mais  la  substance  en  a  en  partie 
passé  dans  l'article  sur  Les  jeunes  genê  de  Pin  ton  (y,  plus 
basu  L'ouvrage  est  dédié  a  JUL  Durand,  professeur  de  rhéto- 
rique au  lycée  Bonaparte.  En  voici  la  table  des  matières  : 
PrmfatiiQ,  —  Cuput  1.  De  adolescent  ikus*  —  IL  De  - 
ribu*.  —  111,  De  sophisti*.  —  IV.  De  phitosophis*  —  V.  IJf 
Sacrai e,  —  Epilogue 

fois,  Ja  salle  était  moins  austère,  et  le  public  a  pu  louer  sans  ménagement  et  tout 
,i  »  m  3i*t!  un  des  talents  les  ptus  rares  qu'il  y  ait  en  France,  celui  d'un  homme  qui, 
de  style,  d'accent,  de  geste,  d'esprit,  «l'instinct,  est  orateur,...  -  —  Cette  page 
me  semble,  serait  à  joindre  aux  discours  académiques  que  M,  Hanotaux,  en  sucre- 
danl  à  ChaHemet-Laeour,  vi  M.  de  Vogiié,  en  répondant  à  M.  Hanolaux,  ont  pro- 
noncés il  y  a  deux  ans*  —  Mm*  Taiue  a  bien  voulu  m'auloriser  à  publier  dans  mon 
livre  de  courts  ex  ira  ils  de  ces  pages  perdues;  mais  elle  me  prie  de  faire  savoir 
que  toute  autre  reproduction  eut  rigoureusement  interdite* 

i.  Kien  de  plus  variable,  m  a-t-il  été  assuré,  que  le  tirage  des  diverses  éditions 
des  ouvrages  de  Taine. 

2.  Taine  a  soutenu  ses  deux  thèse*  le  30  mai  lSa3, 


BIBLIOGRAPHIE    DES    (El  VJŒS    T>H    TAINK. 


475 


1853  (!°F  février.)  —  Caractères  dé  Lu  Bruyère  [fievue  de  rin$trvctt<>» 
publitpie). 

Recueilli  dans  les  Nouveaux  essais  de  çritnpic  et  d'histoire 
|J"  éd.,  18oot  et  sqq.)  sous  le  titre  :  La  Bruyère  ». 

(15  février.)  —  *  Histoire  de  la  Floride  contenant  1rs  trois  voyages 
faiii  m  icette  par  certain*  capitaine*  et  pilotes  français, 
décrits  par  le  capitaine  Latidonniêre,  Bibl,  eliévirîenne 
{He vue  de  V Instruction  pubtique),  article. 
Non  recueilli  en  volume  a. 

(22  février.)  —  llenaissance,  par  M.  Michelet,  7°  volume  de  YHts- 
toire  de  France  [ttevue  de  rinutruction publiqu 

Recueilli  dans  les  Essai*  de  critiqué  et  d'histoire^*"  éd.» 
4858,  eL  sqq«)  sous  le  titre  :  If,  MkheleL 

(15  et  22  mars*)  —  Macaulay,  CriUcaland  kistorical  ££ssayst  5  vol. 
(Hevue  de  l'Instruction  publique),  2  articles. 

Recueillis  dans  les  Essais  ris  critiqué  et  d'histoire  (tr*  éd., 
1858)  sous  le  Litre  :  M,  Macaulay ,  puis  dans  le  tome  IV  de 
V Histoire  de  la  littérature  anglaise  ;  tes  Contemporains 
{i"  éd.,  1864,  et  stfq.).  Ce  tome  IV  forme,  à  partir  de  la 
3e  éd.  (1S731,  le  tome  cinquième  et  complémentaire  de 
ï Histoire  de  ta  littérature  anglaise. 

1,  Disons  ici,  une  fuis  pour  boule*,  que  tous,  ou  presque  tous  les  articles  —  il 
faut  pourtant  faire  exception  pour  celui-ci,  sur  La  Bruyère  —  que  Taine  a  d'abord 
publics  dans  des  journaux  ou  revues,  et  qu'il  a  ensuite  recueillis  en  volume,  ont 
été  soigneusement  re  louches  et  corrigés,  en  passant  du  journal  dans  le  livre.  Per- 
sonne n*a  tait  avec  plus  de  conscience  et  de  scrupules  que  Taine  son  métier  d'écri- 
vain. Ces  retouche*  et  ces  correc  Lions  mérikr.innr  une  étude  approfondie  :  ri  les 
ii- -lis  apprendraient  plus  de  choses  qu'on  ne  croit  peut-être  sur  l'histoire  des  idées 
el  *  lu  style  d«  L'auteur  de  lu  Littérature  anglaise*  Eu  voici  quelque  exemples.  Le 
bel  article  des  Nouveaiu;  Essais  de  critique  et  d'histoire  sur  Mare -A  arête  se  termine, 
dans  le  livre,  par  les  lignes  suivantes  :  «  Nous  avons  beaucoup  appris  depuis  seize 
sièeîea;  mais  nous  n'avons  rien  découvert  en  morale  qui  atteigne  à  lu  hauteur  el  à 
ta  vérité  de  ceLte  doctrine.  Notre  science  positive  a  mieux  pénètre  le  détail  des 
lois  qui  régissent  le  monde;  mais,  sauf  des  différences  de  langage,  c'est  h  celle  vue 
d'ensemble  qu'elle  aboutit.  *  L'article  avait  d'abord  paru  dans  les  Débats  du 
25  mars  1858,  el  se  terminait  ainsi  :  •  Quelque  jugement  qu'on  porte  sur  celte 
doctrine  fase  demander  si  les  gens  qui  aujourd'hui  pensent  ou  essaient  de  penser 
d'après  M  arc- Aura  fe  ont  l'esprit  bas  et  immoral.  *  El  celte  variante  nous  avertît  que 
l'article  était,  dans  la  pensée  de  TaineT  un  plaidoyer  pro  domo%  une  réponse 
quelque  peu  hautaine  à  certaines  objections  et  â  certaines  critiques-  En  réimpri- 
mant, sepL  ans  après,  son  article,  il  en  a  sans  doute  jugé  le  ton  trop  vif  et  trop 
personnel*  —  Ailleurs,  dans  un  article  des  Débats  sur  Trophntj  ei  Montalembert^  il 
avait  primitivement  écrit  :  «  Confinés  dans  un  coin  de  l'espace  el  de  la  durée,  éphé- 
mères, abrégés  demain   peuL-étre  par   le  contre-coup  d'une  explosi par  le 

hasard  d'un  mélange,  nous  pouvons  cependant  découvrir  plusieurs  de  ces  lois  tl 
concevoir  l'ensemble  de  celle  vie.  Cela  seul  vaudrait  la  peine  de  vivre,  el  dans 
l'immense  chaos  des  destinées  mortelles,  nous  ne  sommes  pas  les  plus  maltraités.  » 
HevoyanL  Tannée  suivante  (5W58)  son  article  pour  le  joindre  à  eeui  qui  Composent 
la  première  édition  des  Essais  de  critique  et  d'histoire,  il  écrit  :  *  Cela  vaut  la 
peine  de  vivre,  la  fortune  et  la  nature  nous  mit  bien  traités  »,  On  voit  que,  d'une 
année  à  l'autre,  l'optimisme  de  Taine*  —  cet  optimisme  qu'on  a  si  souvent  con- 
testé, et  que,  pour  ma  part,  je  ne  puis  guère  mettre  en  doute,  —  e*l  devenu  plue 
robuste,  plus  nflinnatif* 

2.  Pour  faciliter  les  recherches,  les  articles  non  recueillis  en  volume  ont  été 
marqués  d'un  astérisque. 


476  REVUE   D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE   LA   FRANCE. 

1 855  (12  avril).  —  *  Histoire  de  Washington  et  de  la  fondation  de  la  Répu- 
blique,  par  C.  de  Witt,  avec  une  Étude  sur  Washington, 
par  M.  Guizot  (Revue  de  V Instruction  publique),  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

(19  avril.)  —  *  Analyses  et  Comptes  rendus  :  Maximes  morales  de  La 
Rochefoucauld  (Revue  de  r Instruction  publique),  article. 
Non  recueillit  eu  volume. 

(avril.  —  Votacb  aux  eacx  des  Pyrénées,  par  H.  Taine.  Illustré 
de  65  vignettes  sur  bois  par  G.  Doré  (I  vol.  io-18  jésus, 
274  p.,  Paris,  Hachette,  1855). 

La  2«  édition  (1  vol.  in-18  jésus,  vu-351  p.,  1858)  est 
annoncée  par  la  Bibliographie  de  la  France  du  10  juillet. 
Elle  ne  se  trouve  pas  à  la  Bibliothèque  nationale  ;  mais  tout 
fait  supposer  qu'elle  n  offre,  par  rapport  aux  éditions  ulté- 
rieures, que  des  différences  de  pagination.  Le  titre  (Voyage 
aux  Pyrénées)  a  été  modifié,  et  le  texte  «  a  été  refondu  et 
récrit  presque  en  entier  ».  — 3e  édition,  illustrée  par  Gustave 
Doré,  gr.  in-8°,  vi-354  p.,  1860  'annoncée  par  la  Bibliogra- 
phie de  la  France  du  17  décembre  1859).  En  1893,  celte  3e  édi- 
tion n'était  pas  encore  épuisée.  —  4e  édition,  revue  et  cor- 
rigée, in-18  jésus,  vi-350  p.,  i$62  (Bibl.  de  la  France,  23  mai). 

—  5e  édition,  revue  et  corrigée,  in-18  jésus  vi-350  p.,  1867. 
Ces  trois  éditions  sont  à  la  Nationale  :  il  ne  semble  pas  que 
le  texte  en  diffère  du  texte  actuel,  ni  du  texte  de  1860,  ni, 
je  pense  ,du  texte  de  1858,  qui  serait  ainsi  le  texte  définitif. 

—  Dans  ce  format,  le  volume  (avec  ou  sans  gravures)  en  1886 
était  parvenu  à  la  8'  édition;  —  en  1683,  à  la  9e;  —  en  1893, 
à  la  13*. 

(3  mai.)  —  *  Tolla,  par  E.  Aboat  (Revue  de  V Instruction  publique), 
article. 

Non  recueilli  en  volume. 

(10  mai.)  —  *  Ménandre,  étude  sur  la  comédie  et  la  société  grecque  9 
étude  par  Guillaume  Guizot  (Revue  de  V Instruction 
publique) ,  article. 

Non  recueilli  en  volume. 

(14  juin.)  —  Laromiguière,  Leçons  de  philosophie  (Revue  de  r  Ins- 
truction publique),  article. 

Recueilli  dans  les  Philosophes  classiques  (1™  éd.,  1857,  et 
sqq.). 

(19  juillet.)  —  Réforme,  8*  vol.  de  YHistoire  de  France,  par 
M.  Michelet  (Revue  de  l Instruction  publique),  article. 

Recueilli  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire  (i«*  éd.,  1858, 
et  sqq.)  sous  le  titre  :  if.  Michckt. 

(1er  août.)  —  D'un  nouvel  essai  de  philosophie  religieuse  :  Ciel  et 
Terre,  par  M.  Jean  Reynaud  (Revue  des  Deux  Mondes), 
article. 


^m 


BltlLKiGftAPHlK    DBS    GEUVilES    OE    1  Y1M\ 


Recueilli  dans  les  Nownc^rix  essais  de  critique  et  d'histoire 
flF*  éd*,  I86$f   et  sqq,)  sous  le  litre:  Philosophie 
M.  Jean  Hef/naud. 

1853  (13  septembre,   18  octobre,)  — Las  jeunes  gens  de  Platon  (ftevuè 
de  r  Instruction  publique) ,  2  articles* 

Recueil  Us  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire  (l™  éd. 
1858,  et  sqq  i  sous  le  même  titre, 

(8  novembre*)  —  M.  Cousu:  ;  Le  style  de  M.  Cousin  [Revue  de  t Ins- 
truction publique)^  article  '« 

(15  novembre,)  —  M.  C&utin:  M*  Cousin  historien  et  biographe 
(ffeno  dé  llnstfachon publique) t  article. 

(27  noverabre.l  —  M,   Cousin  :  M.   Cousin  philosophe  { /{évite   eh 
l'Instruction  publique \,  article. 

(6  décembre.)  —  }L  Cousin  :  Théorie  de  lu  raison  pur  M,  Connut 
(lie rue  de  t  Instruction  publique),  article. 

{13  décembre* )   —  AL    Cousin  :    Jf,    Cousit*  érudit  et  philologue 
{/te  rue  de  t Instruction  pu  h  tique  \t  article. 

Ces  cinq  articles  oui  été  recueillis  dans  tes  Philosopha  clas- 
sique* {ïra  éd,  1857,  et  sqq,), 

1856  (17  et  31  janvier*) —  lie  fa  littérature  chts  les  Barbares.  Angles  et 
Saxons  (lie vue  fie  i  Instruction  publique) ,  2  articles» 

Refondus  dans  V Histoire  dé  la  littérature  onffo&t,  qui  était 
annoncée  dans  une  note. 

(1er  février*}*—  Charles  Dickens^  son  talent  et  ses  teucces  [/teinte  des 
Deux  Mondes),  article. 

Recueilli  dans  les  Essais  de  critique  et  (T histoire  (t1  éd*: 
1858  ,  50ns  le  titre  :  Chartes  Dickens,  puis  dans  le  tome  IV 
de  V Histoire  de  la  littérature  anglaise  :  tes  Contemporains, 
(lr*  éd.,  ISG4  et  sqqJ.  Ce  tome  IV  forme,  h  partir  de  ta 
3*  éd.  (1883),  le  tome  cinquième  et  complémentaire  de 
['Histoire  de  ta  littérature  anglaise. 

(28  février*)  — L'esprit  français  importe  en  Angleterre.  Normand* 
(Reçue  de  l'Instruction  publique],  article. 

(13  mars.)  —  Jeffrey  Chaucer  (Iteme  île  l'Instruction  publique  t 
article. 

CM  deux  articles  ont  été  retondus  dans  V Histoire  de  la 
littérature  anglaise* 

(27  mars,)  —   L'oiseau,    par  J.   Michelet  (Revue,  de  rinstruction 
publique) ,  article* 

I,  Cet  article  était,  dans  la  Revue*  accompagné  de  la  note  suivante  :  »  La  Revue  a 
déjà  inséré,  dans  son  numéro  du  M  juin  IS55,  un  ariicle  de  M,  Taiiie  sur  Lawmiguièr* 
Cet  article  et  veux  que  la  Revue  se  propose  de  publier  sur  les  principaux  écrivains 
du  xix"  siècle,  dont  empruntât  a  une  série  de  volumes  qui  doivent  paraître  à  la 
librairie  de  MM,  L.  Machette  et  C",  -  —  S'il  fallait  en  croire  cette  note,  et  aussi  la 
rubrique  générale  de  l'article  :  Études  sur  tes  principaux  écrivains  du  XtX' 
les  Philosophes  classiques  auraient  eu  pour  Origine  lea  circonstances,  on  serait  tenté 
de  dire  la  raclai  aie  d'un  éditeur,  bien  plu  lût  qu'un  dessein  très  arrêté  d'avance, 
et  comme  un  désir  de  représailles  de  ta  part  de  Taine. 


478  REVUE   D  HISTOIRE  LITTÉRAIRE   DE   LÀ   FRANCE. 

Recueilli  dans  les  Essais  de  critique  et  d  histoire  (tr*  éd. 
1858,  et  sqq.)  sous  le  titre  :  M.  Michelet. 

1856  (17  avril.)  —  Macaulay,  Histoire  d'Angleterre,  t.  IV-VIIi  (Revue, 
de  l'Instruction  publique),  article. 

Recueilli  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire 
(1™  éd.  1858),  puis  dans  le  tome  IV  de  V Histoire  de  la  litté- 
rature anglaise  :  les  Contemporains  (i™  éd.,  1864,  et  sqq.)-  Ce 
tome  IV  forme,  à  partir  de  la  3*  éd.  (1873),  le  tome  cinquième 
et  complémentaire  de  Y  Histoire  de  la  littérature  anglaise. 

(avril.)  —  Essai  sur  Tite-Live,  par  H.  Taine,  ancien  élève  de 
l'École  normale,  docteur  es  lettres.  Ouvrage  couronné 
par  l'Académie  française  (1  vol.  in-18  jésus,  vui-348  p., 
Paris,  Hachette,  1856). 

L'ouvrage  était  terminé  en  manuscrit  à  la  fin  de 
Tannée  1833  et  fut  présenté  au  concours  académique  de  1854. 
Il  aurait  été  couronné,  si  quelques  pages  n'en  avaient  pas 
provoqué  d'assez  vives  critiques.  Le  concours  fut  prorogé  à 
1855,  les  pages  critiquées  corrigées,  et  le  candidat  couronné. 
En  publiant  son  mémoire  en  1856,  Taine  y  joignit  une  courte 
Préface  et  le  rapport  de  Villemain.  —  2e  édition,  1860.  —  En 
188Q,  l'ouvrage  était  parvenu  à  la  4e  édition;  —  en  1890,  à 
la  5e  (v-334  p.);  —  en  1893,  à  la  6e.  —  Les  éditions  actuelles 
portent  à  partir  de  la  5e,  la  mention  «  revue  et  corrigée  »; 
mais  il  m'a  été  impossible  d'y  découvrir,  par  rapport  à  la 
lre  édition,  d'autres  différences  que  des  différences  de  pagi- 
nation. 

(8  mai.)  —  M.  Royer-Collard  (Revue  de   F  Instruction  publique), 

article. 

Recueilli  dans  les  Philosophes  classiques  (lr*  éd.,  1857  et 
sqq.). 

(5  juin.)  —  Histoire  de  la  Révolution  d'Angleterre,  par  M.  Guizot 
(Revue  de  C Instruction  publique),  article. 

Recueilli  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire  (lr*  éd., 
1858,  et  sqq.)  sous  le  titre  :  M.  Guizot. 

(8  et  10  juillet.)  —  L'Anabase  de  Xénophon  (Revue  de  VInstruction 
publique),  2  articles. 

Recueillis  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire  (2«  éd., 
1866,  et  sqq.)  sous  le  titre  :  Xénophon. 

(15  juillet.)  — Shakespeare,  son  génie  et  ses  œuvres  (Revue  des  Deux 
Mondes),  article. 

Refondu,  et  très  retouché,  dans  l'Histoire  de  la  littérature 
anglaise  (1M  éd.,  1864  et  sqq.). 

(31  juillet.)  —  M.  Maine  de  Biran  (Revue  de  l'Instruction  publique), 
article. 
Recueilli  dans  les  Philosophes  classiques  (!'•  éd.,  1857  et  sqq.). 


BIBLIOGRAPHIE    DES   ŒUVRES   DE   TAINE.  479 

1856  (31  juillet,   3  et  6  août.)  —  Mémoires  du  duc  de  Saint-Simon 

(Journal  des  Débats),  3  articles. 

Recueillis  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire  (lr°  éd.,  1858 
et  sqq.)  sous  le  titre  :  Saint-Simon. 

(14  août.)  —  M.  Jouffroy  :  V Homme  (Revue  de  V Instruction  publi- 
que), article. 

(21  août.)  —  A/.  Jouffroy  :  le  Psychologue  (Revue  de  V Instruction 
publique),  article. 

(28  août.)  —  M.  Jouffroy  :  le  Moraliste  {Revue  de  VInstruction 
publique),  article. 

Ces  trois  articles  ont  été  recueillis  dans  les  Philosophes 
classiques  (1™  éd.,  1857,  et  sqq.). 

(4  et  11  septembre.)  —  Le  succès  de  V éclectisme.  L'analyse  (Revue  de 

r Instruction  publique),  2  articles. 
(9  octobre.)  —  Conclusion   :  le  Système  (Revue  de  l'Instruction 

publique),  article. 

Ces  trois  articles  ont  élé  recueillis  dans  les  Philosophes 
classiques  (lr0  éd.,  1857,  et  sqq.). 

(30  octobre  et  6  novembre.)  —  Causes  de  la  poésie  anglaise  au 
xvic  siècle  (Revue  de  l'Instruction  publique),  2  articles. 

Refondus  dans  l'Histoire  de  la  littérature  anglaise  (lro  éd., 
1864,  et  sqq.). 

(4  novembre.)  —  Le  Voyage  du  pèlerin,  par  le  chaudronnier  John 
Bunyan  (1628-1688)  (Journal  des  Débats),  article. 

Refondu  dans  Y  Histoire  delà  littérature  anglaise  (l1*  éd., 
1864  et  sqq.). 

(13  novembre.)  —  Mémoires  de  Fléchier  sur  les  Grands  Jours 
(Journal  des  Débats),  article. 

Recueilli  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire  (lrc  éd., 
1858,  et  sqq.),  sous  le  titre  :  fléchier. 

(20  et  27  novembre.)  —  Ben  Jonson  (Revue  de  V Instruction  publique)^ 

2  articles. 
(18  et  25  décembre.)  —  Spenser  (Revue  de  VInstruction  publique), 

2  articles. 

Ces  quatre  articles  ont  été  refondus  dans  VHistoire  de  la 
littérature  anglaise  (1^  éd.,  1864,  et  sqq.). 

1857  (janvier.) —  Les  Philosophes  français  du  xix8  siècle,  par  H.Taine, 

ancien  élève  de   l'École    normale,    docteur   es  lettres 
(1  vol.  in-18  jésus,  367  p.,  Paris,  Hachette,  1857). 

La  lro  édition  est  précédée  d'un  court  Avertissement.  —  La 
2e  édition,  «  revue  et  corrigée  »  (vin-371  p.,  1860),  a  remplacé 
cet  Avertissement  par  la  Préface  qu'on  lit  encore  dans  les 
éditions  actuelles  :  le  ton  en  est  moins  vif  et  moins  provo- 


480  REVUE   D  HISTOIRE   LITTÉRAIRE   DE   LA   FRANCE. 

cant;  mais  les  retouches  de  style  et  d'idées  ne  sont  pas 
très  importantes.  Par  exemple,  le  chapitre  intitulé  Théorie 
de  la  raison  par  M.  Cousin  ne  présente  aucune  différence  dans 
les  deux  premières  éditions.  —  La  3e  édition  «  revue  et  cor- 
rigée »  (x-367  p.,  octobre  1868),  «  diffère  assez  notablement 
des  précédentes  »  ;  un  nouvel  Avertissement,  daté  d'avril  1868, 
nous  en  prévient,  et  nous  signale  quelques-unes  des  modifi- 
cations qui  y  ont  été  apportées.  Mais  ce  que  Taine  ne  nous 
dit  pas,  c'est  que  le  ton  de  cette  3*  édition  a  encore  été 
adouci.  Un  exemple  purement  littéraire.  Dans  les  deux 
premières  éditions  (lre  éd.,  p.  111),  il  avait  écrit  :  «  Corneille 
et  Racine  ont  fait  des' discours  admirables,  et  n'ont  pas 
créé  un  seul  personnage' vivant.  »  Dans  la  troisième  (p.  117), 
il  se  repent,  et  écrit  :  «  n'ont  pas  créé  un  seul  personnage 
tout  à  fait  yivant.  »  Enfin,  le  titre  a  été  changé  :  les  Philo- 
sophes classiques  du  XIX9  siècle  en  France.  Le  texte  est  cette 
fois  définitif,  et  a  été  reproduit  dans  toutes  les  éditions  ulté- 
rieures. —  5°  édition,  1882.  —  En  1893,  le  livre  était  arrivé  à 
la  6e  édition;  —  à  la  7e,  en  1897. 

4857  (1er  janvier.)   —    William   Thackeray,   son  talent  et  ses  œuvres 
.  (Revue  des  Deux  Mondes),  article. 

Reproduit  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire  (lr«  éd., 
1858),  puis  dans  le  tome  IV  de  ï Histoire  de  la  littérature 
anglaise  (mêmes  observations  que  pour  l'article  sur  Macaulay). 

(25  février.)  —  Mme  de  La  Fayette,  la  Princesse  de  Clèves  (Journal 
des  Débats),  article. 

Recueilli  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire  (1™  éd., 
1858,  et  sqq.).  —  Sert  aussi  de  préface  à  l'édition  de  la  Prin- 
cesse de  Clèves,  in-8°,  publiée  chez  Quanlin  en  1878. 

(28,  29,  30  avril.)  —  M.  Troplong  et  M.  de  Montalembert  (Journal 
des  Débats),  3  articles. 

Recueillis  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire  (1«*  éd., 
1858,  et  sqq.). 

(4  juin.)  —  Esprit  de  la  Réforme  en  Angleterre  (Revue  de  l'Instruc- 
tion publique),  article. 

Refondu  dans  ['Histoire  de  la  littérature  anglaise  (1™  éd., 
1864  et  sqq.). 

(45  juin.)  —  Hilton,  son  génie  et  son  temps  (Revue  des  Deux  Mondes), 
article. 

Refondu,  et  considérablement  remanié,  dans  Y  Histoire  de  la 
littérature  anglaise  (lrc  éd.,  1864,  et  sqq.). 

1858  (24  janvier.) —  Préface  des  Essais  de  critique  et  d'histoire  (Journal 
des  Débats). 

Recueillie  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire  (in  édition 
seule,  1858). 

(février.)  —  Essais  de  critique  et  d'histoire,  par  H.  Taine  (1  vol. 
'   in-18  jésus,  xv-412  p.,  Paris,  Hachette,  1858). 


M  BLLOr.lt  A  MUE    DES    uKUYRfcS    DE   UlîiE. 


4SI 


La  1ro  édition  contient»  outre  ta  Prefare  i,  10  morceaux 
rangés  dans  l'ordre  suivant  :  .V.  M  avait  fa  y  \  —  Ftechicr;  — 
Charles  Dickens  \  —  M.  Gttizot;  —  Thaekiray\  —  Les  jetmtf 
gens  de   Platon  ;  —   Saint-Simon  ;  —    M**    de    Im   Fayette  ; 

—  M.  Michetet;  —  jf.  Troplong  et  H.  d$  Monta  trmhen,  — 
La  2a  éilttioii  (mars  181Ï6)  comprend,  outre  uns  Préface  nou- 
velle, datée  de  mars  1366,  et  qui  a.  été  conservée  dans  toutes 
tes  éditions  ultérieures,  les  tO  morceaux  suivants  :  Ftêchier; 

—  Stendhal;  —  if,  GuiÉOt't  —  C.  Selden;  —  Xvaophon;  — 
*V.  Miche  tel;  —  Pin  ton  :  —  Suint-Simon;  —  J/tD*  de  La 
Fayette]  —  M.  TtôpfatoQ  et  M.  de  MontalemberL  —  Dans  la 
3e  édition  (1874»  xxxn*460  p,)*  les  études  sur  Stendhal  et  sur 
C,  Seîtfen  ont  disparu,  et  ont  été  remplacées  par  d'autres  sur 
jftM  ^'A^/^oy,  —  r Ecole  tic*  f't'iiLr -arts  et  tes  beaux-arts  en 
Franc*,  —  Sainte  Odile  et  tphioèaie  en  Tauridt,  —  f  Opinion  tn 
Allemagne  et  les  cùnditiomûe  la  poto.  —  La  4e  édition  M  882, 
489  p.),  L'édition  définitive*  comprend  en  outre  une  élude  sur 
Ghifre*.  —  6°  édition  (LS04.  1X11)402  p.).  —  En  1896,  le 
volume  avait  atteint  la  7°  édition. 

1858  (3  février,)  —  Balzac  :  ta   Vie  et  te  caractère  de  Balzac  {Débats  i, 
orlîelc, 

t.  La  Préface  de  cette  première  édition,  complètement  remaniée  dans  les  édi- 
tions ultérieures,  contient  un  admimhle  portrait  de  Saïnle-Heiive  qui  n'a,  malheu- 
reusement, pas  été  conservé.  Le  voici  :  «Peindre,  c*esL  faire  voir,  et  c'est  un  emploi 
tout  spécial  que  de  faire  voir  les  personnages  passés.  Si  quelqu'un  s'y  efforçait,  il 
faudrai I  qu'il  eût  ''lé  préparé  à  ce  travail  d'artiste  par  des  éludes  d'artiste;  quTil 
eût  été,  dans  sa  jeunesse,  romancier  coin  nie  Waller  Scott,  ftt  m^me  poêle;  qu'à 
ce  Litre  il  apcn;iït  naturellement  et  de  prime -saut  les  plus  légères  nuances  et  les 
plus  Fr&giLei  attaches  des  sentiments;  que  peu  à  peu  le  progrés  de  L'âge  et  les 
repïoiements  de  la  réflexion  aient  ajouté  en  lui  le  psychologue  à  L'nrtisLe;  que  La 
finesse  française,  la  délicatesse  parisienne.  L'érudition  du  xixm  siècle,  ï'epimnsme  de 
la  curiosité,  La  science  de  L'homme  et  des  hommes,  lui  aient  composé  un  laet 
exquis  et  unique.  Ainsi  doué  et  ainsi  muni,  il  entreprendrait  pour  les  Lettrés  et 
Les  délicats  une  galerie  de  portraits  historiques.  Il  glisserait  autour  de  son  per- 
sonnage, noLant  d'un  mot  chaque  attitude,  chaque  geste  et  chaque  air;  il  revien- 
drait -m  ^-  | . . i - .  nuançant  ses  premières  couleurs  par  de  nouvelles  teintes  plus 
Légères;  il  irait  ainsi  de  retouches  en  retouches,  ne  se  lassant  ptfl  de  poursuivre 
le  contour  complexe  et  changeant,,  la  frêle  et  fuyante  Itunlèra  qui  esL  le  signe  cl 
comme  la  fleur  de  la  vie.  Pour  l'atteindre,  ce  ne  serait  pas  assez  d'un  por trait;  il 
sentirait  que  la  peinture  doit  varier  avec  le  personnage;  il  îe  décrirait  adolescent, 
jeune  homme,  homme  fail,  vieillard,  a  la  cour,  û  la  guerre,  sous  lous  ses  habits 
sous  tous  ses  visages;  il  égalerait  La  mobilité  du  temps  et  de  l'âme, par  te  renou- 
vellement de  ses  impressions  et  de  ses  esquisses.  Il  n'aurait  pas  assez,  pour  une 
telle  truvre,  du  style  simple  des  logiciens  el  des  classiques.  Il  aurait  besoin  de 
phrases  plus  enroulées,  capables  de  se  lempérer  et  de  s'atténuer  les  unes  les 
autres,  de  mots  plus  spéciaux,  traînant  avec  eu*  un  long  collège  d'alliances  eL  de 
souvenirs,  Il  faudrait  moins  le  tire  que  le  (jouter:  ce  serait  un  de  ces  parfums  com- 
posés el  précieux  m  Ityn  respire  h  la  fins  vingt  essences  choisies  et  adoucies  par 
leur  moLucl  aeeord.  En  décrivant  legenre^j'ai  décrit  l'homme.  Le  lecteur  a  nommé 
M.  Sainte-Beuve  ;  mais  le  genre  n'appartient  quTa  l'homme,  et  on  ne  peut  imposer 
à  personne  la  maladresse  ou  l'iiu pertinence  de  L'imiter»  •  (P.  x-xi.)  —  Connaît-on 
beaucoup  d'écrivains  qui  fussent  capables  d'assex  d'abnégation  littéraire  pour 
sacrifier  une  telle  page? 

2.  Je  n'ai  pu  découvrir  quelle  était  la  dale  exacte  de  cet  arlicle  sur  iîleyret  ni  le 
recueil  ou  journal  où  il  avait  paru  pour  la  première  fois.  L'article  ayant  été  publié 
à  propos  du  livre  de  Charles  Clément  sur  Gteyre,  qui  est  annoncé  par  la  Bibliogrù- 
phie  delà  France  du  23  novembre  1817,  je  suppose  que  l'article  doiL  être  ou  de  1S"7 
ou  de  1878. 


482  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

1858  (4  février.)  —  Balzac  :  l'Esprit  de  Balzac  (Fd.),  ibid. 
(5  février.)  —  Balzac  :  le  Style  de  Balzac  (id.),  ***^" 
(23  février.)  —  Balzac  :  le  Monde  de  Balzac  (Fd.),  ibid. 
(25  février.)  —  Balzac  :  les  Grands  personnages  (Fd.),  ibid. 
(3  mars.)  —  Balzac  :  la  Philosophie  de  Balzac  (ld.),  ibid. 

Ces  six  articles  ont  élé  recueillis  dans  les  Nouveaux  Essais 
de  critique  et  d'histoire  [in  éd.,  1865,  et  sqq.). 

(18  mars.) —  Une  guerre  au  xive  siècle,  fragment  inédit  pour  une 
nouvelle  édition  du  Voyage  aux  Pyrénées  (Revue  de  FFns- 
truction  publique),  article. 

Recueilli  dans  le  Voyage  aux  Pyrénées  (2e  éd.,  1858  et  sqq.). 

(25  mars.)  —  Marc-Aurèle  (Journal  des  Débats),  article. 

Recueilli  dans  les  Nouveaux  Essais  de  critique  et  d'histoire 
(l«*éd.,  1865,  et  sqq.). 

(23  juillet.)  —  Racine  :  I.  Esprit  de  son  théâtre  {Journal  des  Débats), 

article. 
(24  et  27  juillet.)  —  Racine  :  II  et  III.  Mœurs  de  son  théâtre  (Fd.), 

2  articles. 
(41  août.)  —  Racine  :  IV.  Les  bienséances  de  son  théâtre  (Fd.),  article. 

Ces   quatre  articles  ont  été  recueillis  dans  les  Nouveaux 
Essais  de  critique  et  d'histoire  (lre  éd.,  1865,  et  sqq.). 

(15  août.)  —  Sioift,  son  génie  et  son  œuvre  (Revue  des  Deux  Mondes), 
article. 

Refondu  dans  Y  Histoire  de  la  littérature  anglaise  (I1*  éd., 
1864,  et  sqq.). 

(15  novembre.)  —  *  Assollant,  les  Scènes  de  la  vie  aux  États-Unis 
(Journal  des  Débats),  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

(18  novembre).  —  M.  deSacy,  Variétés  littéraires,  morales  et  histo- 
riques (Revue  de  VFnstruction  publique),  article. 

Recueilli  dans  les  Derniers  Essais  de  critique  et  d'histoire 
(1894). 

(1er  décembre.)  —  John  Dryden,  son  talent,  son  caractère  et  ses 
œuvres  (Revue  des  Deux  Mondes),  article. 

Refondu  dans  Y Histoire  de  la  littérature  anglaise  (lr«  éd., 
1864,  et  sqq.). 

1860  (2,  4,  6  et  7  janvier).  —  Addison,  son  talent  et  ses  œuvres  (Journal 
des  Débats),  4  articles  '. 

Ces  quatre  articles  ont  été  refondus  dans  V Histoire  de  ta 
littérature  anglaise  (lte  éd..  1864,  et  sqq.). 

-'  1.  Dans  les  Débats,  il  y  avait  (à  la  fin  de  la  première  partie  du  premier  article) 
cette  note  qui  a  été  supprimée  dans  le  livre  :  •  En  écrivant  cet  article,  j'ai  pensé 
plus  d'une  fois  à  l'aimable  et  excellent  M.  Rigault.  »  ... 


.       BIBLIOGRAPHIE    DES   ŒUVRES    DE    TAIIHE.  48a 

1860  (12  janvier.)  —  Préface  pour  la  seconde  édition  des  Philosophes 
classiques  (Revue  de  V Instruction  publique). 

Recueillie  dans  les  Philosophes  classiques  (2e  éd.,  1860,  et 

sqq.). 

(1"  février.)  — *M.  Jules  Simon,  la  Liberté  de  conscience,  3e  édition 
(Journal  des  Débals) ,  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

(5  mars.)  —  *  Lettre  à  M.  Alloury  (Journal  des  Débats). 
Non  recueillie  en  volume. 

28  avril.)  —  La  Fontaine  :  V Esprit  gaulois  (Journal  des  Débats), 

article. 
(2  mai.)  —  La  Fontaine  :  V Homme  (Id.),  ibid. 
3  et  4   mai.)  —  La  Fontaine  :  son  talent  et  ses  œuvres  (Id.), 

2  articles. 

Ces  quatre  articles  ont  été  recueillis  dans  La  Fontaine  et  ses 
fables  (3e  éd.,  1861,  et  sqq.). 

(1er  mai.)  —  La  Comédie  anglaise  sous  la  Restauration  des  Stuarts  : 

I.  le  Public  (Revue  des  Deux-Mondes),  article. 
(15  mai.)  —  La  Comédie,  etc.  :  II.  les  Poètes  (/d.),  ibid. 

Ces  deux  articles  ont  été  refondus  dans  V Histoire  de  la  lit' 
térature  anglaise  (lro  éd.,  1864,  et  sqq.). 

(30  et  31  octobre.)  —  Carlyle  :  I,  II.  Son  style  et  son  esprit  (Journal 

des  Débats),  2  articles. 
(6  novembre.)  —  Carhjle  :  III.   De  l'introduction  des  idées  aile- 

mandes  en  Europe  et  en  Angleterre  (Id.)^  ibid. 
(7  novembre.)  —  Carhjle  :  IV.  Le  philosophe  (ld.),  ibid. 
(8  novembre.)  —  Carhjle  :  V.  L'historien  (Id.),  ibid. 

Ces  cinq  articles  ont  d'abord  formé  le  volume  intitulé  : 
ridéalisme  anglais,  étude  sur  Carlyle  (lre  éd.,  1864,  et  sqq.), 
puis  ont  été  recueillis  dans  le  tome  IV  de  VHistoire  de  la 
littérature  anglaise  :  les  Contemporains  (ite  éd.,  1864,  et  sqq.). 
[Cf.  pour  les  transformations  de  ce  tome  IV,  les  observations 
faites  à  propos  de  l'article  sur  Macaulay.] 

1861  (30  et  31  janvier.)  — *   M.  Jules  Remy,  le    Voyage  au  pays  des 
Mormons  (Journal  des  Débats),  2  articles. 

Recueillis  dans  les  Nouveaux  Essais  de  critique  et  d'histoire 
(1™  éd.,  1865,  et  sqq.). 

(1er  mars.)  —  John  Stuart  Mill  et  son  Système  de  logique  (Revue  des 
Deux  Mondes),  article. 

A  d'abord  formé  le  volume  intitulé  :7e  Positivisme  anglais, 
étude  sur  Stuart  Mill  (lro  éd.,  1864,  et  sqq.),  puis  a  suivi  les 
destinées  de  V Étude  sur  Carlyle  (cf.  plus  haut). 

(3  avril.)  —  Tennyson  :  I.  Son  talent  (Journal  des  Débats),  article. 


484  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

1864  (4  avril.)  —  Tennyson  :  II.  Son  œuvre  (Id.),  ibid. 
(6  avril.)  —  Tennyson  :  III.  Son  public  (Id.),  ibid. 

Ces  trois  articles  ont  été  recueillis  dans  le  tome  IV  et  com- 
plémentaire de  l'Histoire  de  la  littérature  anglaise  :  les  Con- 
temporains (i*  éd.,  1864,  et  sqq.),  et  en  ont  suivi  les  vicissi- 
tudes (cf.  plus  bas). 

(5  août.)  —  *  Cournot,   Traité  de  V enchaînement  des  idées  fonda- 
mentales  (Journal  des  Débats),  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

(28  août.)  —  *  Histoire  de  la  philosophie  moderne,  de  Rit  ter,  traduite 
par  Challemel-Lacour  (Journal  des  Débats),  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

(3  septembre.)  —  Jefferson  [Journal  des  Débats),  article. 

Recueilli  dans  les  Nouveaux  Essais  de  critique  et  d'histoire 
(1"  éd.,  1865,  et  sqq.  ). 

(let  décembre.)  —  Les  Mœurs  et  les  lettres  à  la  fin  du  xvme  siècle 
en  Angleterre  :  I.  la  Religion  et  la  politique  (Revue  des 
Deux  Mondes),  article. 

(45  décembre.)  —  Les  Mœurs,  etc.  :  II.  le  Roman  et  les  romanciers 
(Id.),  ibid. 

Ces  deux  articles  ont  été  refondus  dans  Y  Histoire  de  la  lit- 
térature anglaise  (lre  éd.,  1864,  et  sqq.). 

4862  (3,  4  et  8  janvier.)  —  Les  Poètes  anglais  au  xvme  siècle  :  Pope 
(Journal  des  Débals),  3  articles.    .  ^ 

(9  janvier.)  —  Les  Poètes,  etc.  :  les  Successeurs  de  Pope  (Id.), 
article. 

Ces  quatre  articles  ont  été  refondus  dans  l'Histoire  de  la 
littérature  anglaise  (lre  éd.,  1864,  et  sqq.). 

(10  mars.)  —  Les  Saxons  en  Angleterre,  leurs  mœurs  et  leur  poésie 
(Revue  nationale),  article. 

Refondu  dans  Y  Histoire  de  la  littérature  anglaise  (1™  éd. 
1864,  et  sqq.)- 

(22  mars.)  —  *  Victor  Duruy ,  la  Grèce  ancienne  (Journal  des  Débats)^ 
article. 
Non  recueilli  en  volume. 

(10  avril  et  10  mai.)  —  La  Hé  forme  en  Angleterre  au  xvie  siècle 
(Revue  nationale),  2  articles. 

Refondus  dans  YHistoire  de  la  littérature  anglaise  (in  éd., 
1864,  et  sqq.). 

(2  août.)  —  *  C.  Selden,  Daniel  Vlady  (Journal  des  Débats),  article. 

Recueilli  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire  (2e   édi- 
.  tion  seule,  1866).  —    ■ 


bibliographie:  des  oeuvres  de  TAISE.  485 

1862  (45  septembre.)  —  La  poésie  moderne  en  Angleterre  :  I.  Les  pré- 

curseurs et  les  chefs  d'école  (Revue  des  Deux  Mondes), 
article. 
(15  octobre.)  — La  poésie,  etc.  :  II.  Lord  Byron  (Id.),  ibid. 

Ces  deux  articles  ont  été  refondus  dans  VHistoire  de  la  lit- 
térature anglaise  (lre  éd.,  1864,  et  sqq.). 

(16  décembre.)  —  Chaucer  et  son  temps  :  I.  En  quoi  Chaucer  est  du 

moyen-âge  :  poèmes  d'imagination  (Journal  des  Débats), 

article. 
(17  décembre.)  —  Chaucer,  etc.  :  II.  Poèmes  d'amour  (Id.),  ibid. 
(18  décembre.)  —  Chaucer,  etc.  :  III.  En  quoi  Chaucer  est  Français  : 

poèmes  satiriques  et  gaillards  (Id.),  ibid. 
(24  décembre.)  —  Chaucer,  etc.  :  IV.  En  quoi  Chaucer  est  Anglais 

et  original.  Ses  portraits  et  son  style  (Id.),  ibid. 
(25  décembre).  — V.  Im  décadence  du  moyen-âge  (Id.),  ibid. 

Refondus  dans  VHistoire  de  la  littérature  anglaise  (lre  éd., 
1864,  et  §qq.). 

1863  (1er  janvier).  — Les  Mœurs  et  les  lettres  en  Angletetre  au  moyen-âge 

(Revue germanique),  article. 

Refondu  dans  l'Histoire  de  la  littérature  anglaise  (lrc  éd., 
1864,  et  sqq.). 

(3  janvier.)  —  Notes  sur  Paris,  par  Frédéric  Graindurge  (la  Vie 
parisienne),  article. 

L'article  n'est  pas  signé;  ou  plutôt,  comme  tous  les  autres 
articles  qui  ont  paru  d'abord  dans  la  Vie  parisienne  (le  pre- 
mier numéro  du  journal  est  celui  du  3  janvier  1863),  et  qui 
devaieut  former  le  volume  des  Notes  sur  Paris,  en  1867,  il 
est  signé  Frédéric-Thomas  Graindorge.  Cet  article  forme  le 
premier  chapitre  du  livre;  mais,  dans  le  livre,  il  y  a,  en  plus, 
une  page  sur  «  Àkeste  »  à  VOpcra. 

(22  janvier.)  —  Les  Poètes  anglais  de  la  Renaissance  :  I.  Les  causes, 
les  mœurs  et  V esprit  de  la  Renaissance  (Journal  des 
Débats),  article. 

(23  janvier.)  —  Les  Poètes,  etc.  :  II.  La  culture  et  les  modèles  de  la 
Renaissance.  Les  précurseurs.  Surrey  (Id.),  ibid. 

Refondus  dans  VHistoire  de  la  littérature  anglaise  (l1*  éd., 
186'*,  et  sqq.). 

(7  février.)  —  Notes  sur  Paris,  II.  (là  Vie  Parisienne),  article. 
(14  février.  )  —  Notes  sur  Paris,  III.  Ln  salon  (Id.),  ibid. 

Recueillis  dans  les  Notes  sur  Paris  (lre  éd.,  1867,  et  sqq.) 

(5  mars.)  —  Les  Poètes  anglais  de  la  Renaissance  :  III.  Sir  Philip 

Sidney  (Journal  des  Débats),  article. 
(10  mars.)  —  Les  Poètes,  etc.  :  IV.  La  poésie  pastorale  (Id.),  ibid. 

REV.    D'HIST.    LITTtR.    DE    LA  FRANCE  (7'   AmO. —  VII.  32 


486  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

1864  (24  mars.)  —  Les  Poètes,  etc.  :  V.  Spenser.  Son  esprit  [Id.),  ibid. 
(25  mars.)  —  Les  Poètes,  etc.  :  VI.  Spenser.  Son  poème  (Id.),  ibid. 
Refondus  dans  YHistoire  de  la  littérature  anglaise. 

(1er  avril.)  —  Le  théâtre  anglais  de  la   Renaissance,  1er  article 

(Revue  germanique). 
(4  avril.)  —  Notes  sur  Paris,  IV.  Les  bals  publics. 

Refondus  dans  les  Notes  sur  Paris  (lr*  éd.,  1867,  et  sqq.). 

(9  avril.)  —  Alillon  (Revue  de  l'Instruction  publique),  article. 
Refondu  dans  l'Histoire  de  la  littérature  anglaise 

(1er  mai.)  —  Le  théâtre  anglais  de  la  Renaissance,  2*  article  (Revue 
germanique  ). 

Refondu,  ainsi  que  l'article  du  1er  avril,  dans  YHistoire  de 
la  littérature  anglaise. 

(3  juin.;  —  Les  Prosateurs  anglais  de  la  Renaissance  :  I.  La  fin  de 
la  poésie  et  le  commencement  de  la  prose  (Journal  des 
Débats),  article. 

(4  juin.)  —  Les  Prosateurs,  etc.  :  II.  Robert  Burton  et  sir  Thomas 
Browne  (Id.),  ibid. 

(5  juin.;  —  Les  Prosateurs,  etc.  :  III.  Bacon  (Id.),  ibid. 

Refondus  dans  V Histoire  de  la  littérature  anglaise. 

(6  juin,  4  et  41  juillet).  —  Motes  sur  Paris  :  les  jeunes  filles  (la 
Vie  parisienne),  3  articles. 

Refondus  dans  le  livre  du  même  nom  *. 

(30  octobre.)  —  Voyage  en  Angleterre   :   I.  Le  climat  et  l'homme 

(Journal  des  Débats),  article. 
(31  octobre.)  —  Voyage,  etc.  :  II.  L'industrie  et  VÊlat  (Id.),  ibid. 
(3  novembre.)  —  Voyage,  etc.  :  III.  LÈtat  et  la  religion  (Id.),  ibid. 

Ces  trois  articles  ont  été  refondus  dans  YHistoire  de  la  lit- 
térature anglaise,  dont  ils  forment  la  conclusion. 

(5  novembre.)  —  Sheridan  (Revue  de  V Instruction  publique),  article. 
Refondu  dans  YHistoire  de  lu  littérature  anglaise. 

(21  novembre.)  —  yoles  sur  Paris  :  la  Parisienne  (la  Vie  pari- 
sienne?, article. 

(lrrdécembre.)  —  L'Histoire,  son  présent  et  son  avenir  (Revue  germa- 
nique), article. 

I.  Dan*  son  numéro  du  22  août  18rt3,  la  Vie  parisienne  publiait  le  Monde  des  eaux, 
par  II.  laine,  avec  cette  note  de  M.  (Marcelin)  :  •  Cette  amusante  boutade  est 
extraite  du  Voyage  aux  Pyrénées  de  M.  Taine,  dont  la  librairie  Hachette  vient  de 
publier  une  4'  édition.  On  n'a  pas  assez  dit,  selon  nous,  qu'à  côté  du  grave  philo- 
sophe, il  y  a  dans  M.  Taine  un  humoriste  plein  de  verve  et  de  bizarrerie.  ». 


BIBLIOGRAPHIE    DES   ŒUVRES   DE   TAINE.  487 

Refondu  dans  Yllistoire  de  la  littérature  anglaise,  dont  il 
forme  V Introduction  *. 

1864  (12  décembre.)  —  Notes  sur  Paris  :  Conseils  à  mon  neveu  Anatole 
Durand  sur  la  façon  dont  il  doit  se  conduire  dans  le 
monde  {la  Vie  parisienne),  article. 
(19  décembre.)  —  Notes,  etc.  :  Proposition  yiouvelle  et  conforme 
aux  tendances  de  la  civilisation  moderne,  etc.  (la  Vie 
parisienne),  article. 

Recueillis  dans  les  Notes  sur  Paris. 

(Fin  décembre  *.)  —  Histoire  de  la  littérature  anglaisk,  par 
H.  Taine,  1863  (3  vol.  ia-8°  de  xlviii-527  p.  ;  —  706;  — 
677  p.),  Paris,  Hachette. 

Les  trois  volumes  de  YHistoire  de  la  littérature  anglaise  sont 
annoncés  par  la  Bibliographie  de  la  France  du  2  janvier  1864. 
Le  8  octobre  suivant,  le  même  Journal  annonçait  le  tome  IV 
et  complémentaire,  les  Contemporains  (in-8°,  ni-494  p.).  Ce 
tome  IV  comprend  les  études  sur  Dickens,  Thackeray, 
Macaulay,  Carlylc,  Stuart  Mill,  Tennyson,  dont  les  trois  pre- 
mières faisaient  jusqu'alors  partie  des  Essais  de  critique  et 
d'histoire  (elles  n'en  feront  plus  partie  dans  la  2e  édition, 
1866),  et  qui  toutes  ensemble,  y  compris  la  Préface,  forment 
à  partir  de  1873  le  tome  Vet  complémentaire  de  YHistoire  de 
la  littérature  anglaise.  Ce  tome  IV  a  dû  être  tiré  à  un  nombre 
fort  considérable  d'exemplaires.  Jusqu'en  1873,  il  se  vendait 
aussi  à  part  sous  le  titre  :  les  Écrivains  anglais  contempo- 
rains; c'est  le  même  ouvrage  avec  un  autre  titre.  —  La 
2e  édition  de  YHistoire  de  la  littérature  anglaise,  «  revue  et 
augmentée  »  (4  vol.  in- 18  jésus,  de  412,  523,  426  et  483  p.)  a 
paru  en  1866.  Il  n'y  avait  pas  de  cinquième  volume  dans 
cette  édition  ;  le  volume  in-8°  des  Éci'ivains  anglais  contem- 
porains en  tenait  lieu.  En  dépit  des  promesses  de  son  titre, 

1.  Dans  la  Revue  germanique,  cette  Introduction,  demeurée  si  justement  célèbre, 
se  terminait  ainsi  :  •  C'est  donc  principalement  par  l'étude  des  littératures  que  l'on 
pourra  faire  l'histoire  inorale  et  marcher  vers  la  connaissance  des  lois  psycholo- 
giques, d'où  dépendent  les  événements. 

-  On  y  marche  et,  par  cette  voie,  à  voir  le  nombre  des  travailleurs,  la  persistance 
de  leur  effort,  et  leur  unanimité  involontaire,  nous  pouvons  espérer  qu'on  arri- 
vera. » 

Cette  dernière  phrase  a  été  supprimée  dans  le  livre,  et  remplacée  par  une  page 
qu'on  trouvera  dans  toutes  les  éditions. 

2.  Posons  ici  un  tout  petit  problème  bibliographique.  Mais  rien  n'est  indifférent 
dans  l'histoire  des  grandes  œuvres  littéraires.  ÙHistoire  de  la  littérature  anglaise 
a-t-elle  été  publiée  à  la  fin  de  1863?  M.  G.  Monod  {les  Maîtres  de  V histoire,  p.  107) 
l'affirme.  Et,  de  fait,  l'ouvrage  ayant  été  proposé  pour  un  prix  académique  en  1864, 
devait  être  entièrement  imprimé  au  31  décembre  1863.  Mais  n'aurait-il  pas  été  mis 
en  vente  et  •  lancé  •  un  peu  plus  tard?  Du  moins,  je  ne  le  vois  annoncé,  comme 
venant  de  paraître,  pas  avant  la  fin  de  janvier  1861,  au  plus  tôt  :  le  24  janvier,  par 
le  Temps;  le  2  février,  par  les  Débats;  le  4  février,  par  la  Revue  de  V Instruction 
publique.  L'ouvrage  figure,  d'autre  part,  parmi  les  ouvrages  déposés  au  bureau  de 
cette  même  Revue  du  14  au  21  janvier.  Or,  la  Revue  de  V Instruction  publique  était 
dirigée  par  les  éditeurs  de  la  Littérature  anglaise,  et  Taine  y  collaborait  :  si  le  livre 
avait  été  réellement  publié  en  1863,  n'y  aurait-il  pas  été  «  déposé  »  et  annoncé 
plus  tôt? 


488  REVUE    D'HISTOIRE   LITTÉRAIRE   DE    LA    FRANCE. 

il  oe  m'a  pas  paru  qu'elle  offrît  quelque  changement  par  rap- 
port à  la  lrc  édition  et  aux  éditions  ultérieures.  —  La  31*  édi- 
tion «  revue  et  augmentée  »,  en  5  vol.  in-18  Jésus  (le  5e  vol. 
(  remplace  désormais  le  tome  IV  de  l'édition  princeps  et  le 
volume  des  Écrivains  anglais  contemporains),  a  paru  en  1873  : 
elle  reproduit  la  précédente.  —  4e  édition,  1879.  —  5e  édi- 
tion, 1881.  —  6°  édition,  1886.  —  7«  édition,  1890.  Toutes  ces 
éditions  se  reproduisent  entre  elles.  —  8e  édition,  1892, 
«  revue  et  augmentée  d'un  appendice  bibliographique  », 
(xlix-432  p.;  —  535  p.;  —  438  p.;  —  497  p.;  —  490  p.)  : 
c<  M.  J.  J  tisserand,  écrit  Taine  dans  Y  Avertissement  du 
1er  volume,  l'un  des  cinq  ou  six  Français  qui  connaissent 
toute  la  littérature  anglaise,  a  bien  voulu  m'indiquer  les 
corrections  nécessaires,  et  dresser  lui-même  les  cinq  tables 
ou  index  de  la  présente  édition.  »  Il  ne  m'a  point  paru  que 
le  texte  primitif  de  l'ouvrage  eût  été  retouché.  Le  tome  V 
comprend,  outre  l'appendice  bibliographique,  un  court  index 
alphabétique  des  principaux  auteurs  anglais  cités  dans  les 
5  volumes.  Cette  8e  édition  est  en  tout  cas  l'édition  définitive. 
En  1897,  l'ouvrage  était  parvenu  à  la  9e  édition. 

L'Histoire  de  la  littérature  anglaise  a  été  traduite  en  anglais  •* 
History  of  English  Literalure,  by  H.  A.  Taine,  translated  by 
H.  van  Laun,  one  of  the  masters  at  the  Edinburgh  Academy, 
with  a  préface  by  the  author  (2  vol.  8°,  xn-53l;  ^-  550  pages, 
Edinburgh,  Ed  m  on  s  ton  and  Douglas,  1871).  La  courte  Pré- 
face du  traducteur  (en  anglais)  nous  avertit  que  toutes  les 
citations  faites  par  Taine  ont  été  vérifiées,  et  que  «  rien  n'a 
été  épargné  pour  rendre  cette  Histoire  de  la  littérature 
anglaise  digne  et  de  l'auteur  et  du  sujet  ».  Taine  y  a  joint 
un  Avertissement,  daté  de  Paris,  octobre  1871  (2  pages  en 
français)  :  «  Une  nation,  comme  un  homme,  est  une  per- 
sonne qui  se  développe  et  dure  —  mais  plus  longtemps.  Sa 
littérature  nous  la  montre  aux  différentes  périodes  de  sa 
croissance.  »  Ce  sont  ces  données  que  Taine  a  essayé  d'or- 
ganiser. «  Peut-être  valait-il  mieux  laisser  ce  soin  aux 
gens  de  la  maison  ;  ils  diront  qu'ils  connaissent  mieux  le 
personnage,  puisqu'ils  sont  de  sa  famille.  Cela  est  vrai; 
mais,  à  force  de  vivre  avec  quelqu'un,  on  ne  remarque  plus 
ses  particularités.  Au  contraire,  un  étranger  a  cet  avantage 
que  l'habitude  ne  l'a  point  émoussé;  involontairement,  il  est 
frappe  par  les  grands  traits;  de  cette  façon  il  les  remarque. 
C'est  là  toute  mon  excuse;  je  la  présente  au  lecteur  anglais 
avec  quelque  confiance,  parce  que,  si  j'examine  mes  propres 
idées  sur  la  France  j'en  trouve  plusieurs  qui  m'ont  été 
fournies  par  des  étrangers  et  notamment  par  des  Anglais.  » 
—  Cette  traduction  a  élé  abrégée  et  adaptée  à  l'usage  -des 
classes  [The  class-room  Taine)  :  History  of  English  Literature 
by  H.  A.  Taine;  abridged  from  the  translation  of  H.  van 
Laun,  and  edited  with  chronological  table,  notes,  and  index, 
by  John  Fiske  (1  vol.,  vin-502  p.  in-8°,  New- York,  Holt  and 
Williams,  1872).  —  La  traduction  de  H.  van  Laun  a  été 
réimprimée,  mais  sans  Y  Avertissement  de  Taine  (London, 
Chatto  and  Windus,  Piccadilly,  1886,  4  vol.  in-8°). 

L'Histoire  de  la  littérature  anglaise  a  aussi  été  traduite  en 
allemand,  et  annotée  avec  l'autorisation  de  Taine,  par 
G.  Gerlh  et  L.  Katscher  (3  vol.  in-8°,  Leipzig,  1878-80).  Eu 


BIBLIOGRAPHIE    DES    OEUVRES   DE    TA1NE.  489 

voici  le  titre  exacte  H.  Taine,  Gcschichtc  d.  englischen  Lileratur. 
Autoris.  deutsche  Ausg.  Bearb.  und  mit  Aumerkungen  vers- 
chen  v.  G.  Gerth  u.  L.  Katscher  (3  Bde.  Gr.  in-8°.  Lpz. 
1878-80). 

1864  (janvier.)  —  Le  Positivisme  anglais,  étude  sur  Stuart  Mill 
(1  vol.  in-18  jésus,  vni-i57  p.,  Paris,  Germer  Baillière, 
1864). 

La  lrc  édition  est  annoncée  par  les  Débats  du  16,  la  Biblio- 
graphie de  la  France  du  23,  et  la  Revue  de  l'Instruction 
publique  du  26  janvier.  Elle  est  la  reproduction,  mais 
remaniée,  et  précédée  d'une  Préface,  de  l'article  de  la 
Revue- des  Deux-Mondes.  Cette  étude  faisait  aussi  partie  (mais 
sans  la  Préface)  du  tome  IV,  puis  du  tome  V  de  Y  Histoire  de 
la  littérature  anglaise  (cf.  l'article  précédent).  —  2e  édition, 
1878.  —  N'a  pas  été  rééditée  depuis. 

(février.)  —  L'Idéalisme  anglais,  étude  sur  Carlyle  (1  vol.  in-18 
jésus,  191  p.,  Germer  Baillière,  Paris,  1864). 

La  première  édition  est  annoncée  par  la  Bibliographie  de 
la  France  du  27  février,  et  la  Revue  de  l'Instruction  publique 
du  3  mars.  Mêmes  observations  que  pour  l'article  précédent. 
2°  édition,  1878.  —  N'a  pas  été  rééditée  depuis. 

—  Notes  sur  Paris  :  Le  monde  (la  Vie  parisienne,  1864, 
p.  63),  article. 

—  Notes  sur  Paris  :  Aux  Italiens  (Id.,  ibid.,  p.  161). 

—  Notes  sur  Paris  :  Un  diner(Id.,  id.,  p.  181)). 

—  Notes  sur  Paris  :  Un  mariage  (Id.,  ibid.,  p.  203). 

La  date  de  ces  4  articles  n'est  pas  indiquée  dans  la  Revue. 
Ils  ont  été  recueillis  dans  les  Notes  sur  Paris. 

(1er  mars.)  —  'Stendhal,  Bouge  et  noir.  (Nouvelle  Revue  de  Paris), 
article. 

Recueilli  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire  (2e  édition 
seule,  1866).  La  Nouvelle  Revue  de  Paris  venait  de  se  fonder 
(le  premier  numéro  avait  paru  le  15  février).  About  et  Sarcey 
y  collaboraient. 

(3  mars  )  —  Die  Religion  des  Buddha,  par  M.  Kœppen  :  I.  Les  ori- 
gines {Journal  des  Débals),  article. 

(4  mars.)  —  Die  Religion,  etc.  :  II.  Caractères  du  bouddhisme  (Id.), 
ibid. 

(5  mars.)  —  Die  Religion,  etc.  :  III.  La  spéculation  (Id.),  ibid. 

(6  mars.)  —  Die  Religion,  etc.  :  IV.  La  pratique  (Id.),  ibid. 

Ces  quatre  articles  ont  été  recueillis  dans  les  Nouveaux 
Essais  de  critique  et  d'histoire  (lro  éd.,  1865  et  sqq.). 

(11  mai.)  —  Franz  Wœpke  (Journal  des  Débats),  article. 

Recueilli  dans  les  Nouveaux  Essais  de  critique  et  d'histoire 
(lro  éd.,  1865,  et  sqq.). 


490  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

1864  (18  juin  et  6  juillet.)  —  Notes  sur  Paris  :  Les  jeunes  gens  (la    Vie 
parisienne),  2  articles. 

Recueillis  dans  les  Notes  sur  Paris. 

(6  juillet.)  —  *  Cours  de  philosophie  positive,  par  Auguste  Comte, 
2e  édition,  préface  par  M.  Littré  (Journal  des  Débats) , 
article. 

Non  recueilli  en  volume. 

(3  septembre.)  —  Notes  sur  Paris  :  La  Morale  (la  Vie  parisienne), 
article. 

Recueilli  dans  les  Notes  sur  Paris. 

(11  novembre.)  —  *  Les  Mémoires  inédits  de  M.  de  Bostaquet  et  la 
Cité  antique  de  M.  Fustel  de  Coulanges  (Journal  des 
Débats),  article. 

Non  recueilli  en  volume. 

(12  novembre.)  —  Notes  sur  Paris  :  Les  artistes  (la  Vie  parisienne), 
article. 

Recueilli  dans  les  Notes  sur  Paris. 

(3  décembre.)  —  *  Nouvelle  édition  de  la  Vie  de  Jésus,  de  Strauss, 
traduction  française  (Journal  des  Débats),  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

(10  décembre.)  —  Notes  sur  Paris  :  L'ambassade  (la  Vie  parisienne), 
article. 

Recueilli  dans  les  Notes  sur  Paris. 

(15  décembre.)  —  L'Italie  et  la  vie  italienne,  souvenirs  de  voyage  : 
I.  Naplcs  (lievue  des  Deux  Mondes),  article. 

Refondu  dans  le  Voyage  en  Italie  (lre  éd.,  1865,  et  sqq.). 

(30  décembre.)  —  Renaud  de  Montauban.  (Journal  des  Débats), 
article. 

Recueilli  dans  les  Nouveaux  Essais  de  critique  et  d'histoire 
(lrcéd.,  1865,  et  sqq.). 

(A  suivre.)  Victor  Giraud. 


COMPTES    RENDUS 


F.-Augusto  de  Benedetti.  —  Il  pessimismo  nel  La  Bruyère.  Saggio  cri- 
tico.  Un  vol.  in-8,  96  pp.  et  xiv  pp.  d'errata.  Turin,  Baravalle  et  Falconieri. 

Cet  opuscule  est  le  premier  essai  publié  en  Italie  sur  La  Bruyère,  si  Ton 
excepte  une  note  du  philologue  Teza,  «  Délia  voce  Zombaya  nei  Caractères  », 
parue  à  Venise  en  1893,  et  c'est,  ou  peu  s'en  faut,  le  début  de  l'auteur,  déjà 
connu  comme  historien,  dans  la  critique  littéraire.  Le  travail  témoigne  de  plus 
de  bonne  volonté  que  d'expérience,  et  est  quelque  peu  hésitant  dans  sa  marche 
et  ses  conclusions.  Introduction  :  l'auteur  s'étonne  qu'on  n'ait  jamais  étudié 
le  pessimisme  dans  les  classiques  français  du  xvn*  siècle;  il  veut  commencer 
cette  étude  par  La  Bruyère,  après  avoir  constaté  l'importance  qu'aurait  une 
étude  analogue  sur  Pascal  et  La  Rochefoucauld.  I.  Recherche  et  examen  du  pes- 
simisme dans  les  Caractères  :  citation  de  toutes  les  pensées  qui  semblent 
empreintes  de  pessimisme,  avec  commentaire;  on  pourrait,  ce  semble,  en 
allonger  la  liste;  ensuite  citation  de  quelques  pensées  ironiques,  l'ironie 
étant  une  forme  adoucie  du  pessimisme  ;  l'auteur  n'insiste  pas  ici,  sentant  la 
difficulté  de  définir  l'ironie  chez  La  Bruyère.  IL  Genèse  du  pessimisme  de  La 
Bruyèi*e.  L'auteur  cite  parmi  les  causes  probables  de  la  philosophie  de  son 
héros  son  hérédité,  son  tempérament  (qu'il  définit  timidité  réfléchie),  sa  vie 
{difficultés  des  débuts,  jusqu'à  trente-six  ans,  condition  subalterne,  fréquen- 
tation quotidienne  de  son  élève,  monstre  moral,  probablement  infortune 
amoureuse)  son  milieu  (tableau  des  mœurs  françaises  du  xvii0  siècle,  som- 
maire, mais  exagéré)  :  «  La  Bruyère  étant  porté  à  la  mélancolie  par  les  vicis- 
situdes de  sa  vie,  à  l'observation  par  son  caractère,  l'objectivité  du  monde 
extérieur  se  superposa  à  sa  structure  psychique  personnelle,  et,  comme  sa 
bonté  et  sa  sagesse  intimes  le  portaient  à  juger  tous  les  actes  en  les  compa- 
rant aux  exigences  de  ses  idées  morales,  il  y  trouva  un  coefficient  d'attrac- 
tion vers  le  pessimisme  ».  III.  Physionomie  du  pessimisme  de  La  Bruyère.  Il 
n'arrive  pas  à  la  conception  du  mal  radical  ;  il  n'est  pas  profond,  il  est  tem- 
péré par  la  foi;  il  considère  le  pessimisme  comme  un  instrument  pour  corriger 
1  homme;  il  y  a  dans  son  pessimisme  une  part  d'optimisme.  IV.  Position  et 
influence  historique  du  pessimisme  dé  La  Bruyère.  De  La  Bruyère  dérivent  plus 
ou  moins,  selon  Benedetti,  tous  les  moralistes  français  du  siècle  suivant,  Vau- 
venargues,  Chamfort,  Schopenhauer,  Stendhal.  V.  Le  pessimisme  de  La  Bruyère. 
La  valeur  objective  du  concept  pessimiste.  Considérations  générales  sur  le  pessi- 
misme, d'après  Max  Nordau,  Magalhaes,  Mantegazza,  Guyau,  Fogazzaro, 
Graf,  Durckheim,  Caro,  M.  Edmond  Thiaudière,  etc.  L'auteur  parait  s'écarter 
ici  beaucoup  de  son  sujet,  et  sa  dissertation  est  longue  et  lourde  pour  un 
résultat  assez  mince,  et  qu'il  eût  peut-être  été  aisé  d'atteindre  sans  un  si  grand 
appareil  philosophique. 

L.-G.  Pélissier. 


La  fin  du  théâtre  romantique  et  François  Ponsard,  par  M.  C.  Latreille, 
docteur  es  lettres  (Hachette,  1899). 

435  pages  sur  Ponsard  !  Voilà  qui  est  beaucoup,  s'écrierait-on  très  volon- 
tiers, si  l'on  ne  retenait  que  la  deuxième  partie  du  titre.  On  aurait  tort  cepen- 


402 


REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAlfU:    OË    LA    FRANCE. 


daut,  et  pour  deux  raisons  essentielles  :  rune,  que  dans  la  thèse  de  M.  Laireille, 
l'étude  propre  ment  dite  de  Ponsard  n'occupe  qu'un  seul  litre  sur  trots  (de  la 
page  123 à  342  exactement);  l'autre,  qu'on  serait  t^nlè,  après  avoir  fermé  le 
volume,  de  faire  à  l'auteur  le  reproche  absolument  opposé,  et  de  lut 
demander  :  Pourquoi  ne  pas  avoir  réservé  TQé  133  pages  au  seul  Ponsard? 

Le  premier  livre  en  effet  contient  t  histoire  du  théâtre  en  France  de  t8Ô0  I 
1343;  à  chacune  des  trois  tendances  dramaitques  de  la  première  moitié  dur 
siècle  correspond  nn  chapitre  :  un  sur  tes  semi-romantiques,  un  autre  sur  les 
romantiques,  un  troisième  sur  la  tragédie  durant  cette  période.  Histoire 
déminent  sommaire,  condensée,  dans  laquelle  il  a  fallu  dire  très  vile  des 
choses  essentielles»  el  laisser  au  lecteur  le  regret  d'être  entraîné,  au  pas  de- 
courset  à  travers  ces  chapitres  qui  parfois  ont  assez  l'air  d'un  «  précis  ».  Certes, 
M,  Latreille  a  évité  recueil,  grâce  a  sa  langue  souple,  aisée,  entraînante  interne  ; 
c'est  une  causerie  distinguée  et  facile,  qui  ne  prend  jamais  le  Ion  de  la  docte 
dissertation.  D'ailleurs,  à  travers  ce  fouillis  d'oeuvres  et  de  noms,  l'auteur 
su  discerner  fort  heureusement  les  oeuvres  les  plus  significatives  et  tes  noms 
les  plus  importants  pour  l'histoire  générale  de  notre  théâtre.  Mais  enfin.  OC 
n'est  pas  la  partie  la  plus  v  nouvelle  »,  ni  par  suite  la  plus  intéressante  il 
thèse  :  les  conclusions  dégagées  par  M.  Latreille,  nous  les  connaissions  à 
l'avance;  il  lui  restera  le  mérite  fort  appréciable  de  les  avoir  fait  précéder  d'un 
eiposè  nel,  intelligent  et  agréable  à  lire,  du  mouvement  théâtral  dans  la 
première  moitié  du  siècle.  C'est  beaucoup;  ce  n'est  pas  tout,  et  Tau  leur  a  su 
montrer  qu'il  avait  des  qualités  bien  plus  éminenles  et  d'un  tout  autre  ordre. 

Expose  très  intelligent,  disais-je,  mais  font- nient  incomplet.  Voyez  «  ce  que 
fut  le  romantisme  »,  d'après  cette  étude*  Vous  serez  loin,  très  loin,  j'en  suis 
sur,  de  connaître  l'opinion  véritable  de  l'an  leur  sur  la  révolution  littéraire  que 
les  novateurs  audaneux  lenléreiit  au  théâtre.  Je  n'ai  guère  retenu  que  les 
défauts,  dira  M+  Lalreiïle,  car  mon  chapitre  devait  aboutir  à  la  catastrophe 
des  Bur'jifites,  Cela  est  vrai,  mais  avec  ce  procédé  ne  risque-l-on  pâl 
d'encourir  un  grave  reproche?  Celui  de  ne  nous  avoir  donné  qu'une  vue 
imparfaite  des  choses.  Dans  ceLle  tulle  entre  les  romantiques  et  leurs  adver- 
saires, je  veux  qu'on  me  dise  comment  les  uns  et  les  autres  étaient  armes,  el, 
à  coté  des  causes  des  défaites  subies  par  ceux-ci  ou  ceux-là,  peut-être  est -il 
indispensable  de  me  donner  celles  Je  leurs  victoires*  fussent- elles  passagères. 
Si  donc  l'auteur  ne  pouvait  pas  le  faire,  si  les  li miles  mêmes  de  son  ou?i 
ne  lui  permettaient  pas  d'utiliser,  comme  il  l'aurait  voulu,  les  docuifl 
innombrable*  recueillis  sur  celte  période  dont  il  a  une  connaissance  parfaite, 
ne  valait-il  pas  mieux,  sinon  supprimer  celte  partie  au  grand  préjudice  du 
plan  môme  de  la  thèse  tout  entière,  du  moins  la  réduire  aux  proportions 
d'une  véritable  préface,  exposer  les  conclusions  brièvement  et  passer  de  suite 
à  Ponsard?  Ce  n'est  pas  nous,  en  tout  cas,  qui  l'aurions  regretté. 

Nous  regretterions  plutôt,  encore  une  fois,  que  M.  Lalreïlle  n'ait  pas  con- 
sacré plus  de  place  à  Ponsard.  La  parlie  intitulée  «  Biographie  sommaire  de 
Ponsard  »  est  peut-être  la  plus  documentée  à  la  fois,  la  plus  personnelle  et  la 
plus  vivante  de  tout  l'ouvrage.  Compatriote  de  Ponsard,  M.  Lalreïlle  appartient 
à  cette  province  du  Dauphtné  où  plus  d'un  lettré  modeste  conserve  respec- 
tueusement te  culte  et  les  souvenirs  des  bommes  illustres  du  pays;  i!  a  grandi 
sous  le  même  ciel,  il  a  connu  des  amis  du  poète,  qu'il  a  interrogés  longue* 
ment,  mettant  en  regard  leurs  témoignages  et  les  corrigeant  l'un  par  l'autre 
avec  un  tact  in  Uniment  sur;  il  a  dû  en  outre  à  M.  le  vicomte  Spoelberch  de 
Lovenjoul  de  connaître  jusqu'aux  moindres  écrits  de  son  auteur.  11  y  a  mieux  ; 
de  bonne  heure  en  relation  avec  la  famille  du  poète,  il  a  obtenu  de  son  lîls 
M*  Franrois  Ponsard,  la  communication  d'une  correspondance  volumineuse 
et  inédite,  avec  l'autorisation  de  s'en  servir,  et  de  sa  cousine  Mlle  Ponsard  la 
permission  de  fouiller  les  tiroirs  où  sont  conservés  mille  documents  manu? 
crils  et  imprimés,  héritage  précieui  et  gardé  avec  une  touchante  piété.  Eu, 


COMPTES    RENDUS. 


*9:i 


bien  ï  j'ai  presque  envie  de  regretter  que  M  Latreille  n'y  ait  pas  puisé  plus  lar- 
gement. Sans  doutet  il  est  sorti  de  tout  cela  une  biographie  singulièrement 
captivante  :  nul  n'aurait  pu  de^a^er  avec  plus  du  perspicacité  les  influences 
qui  ont  agi  sur  l'imagination  de  PonsariL  et  qui  nous  expliquent  son  tour 
d'esprit;  nul  n'aurait  pu  taire  aimer  davantage  l'homme  et  le  poêle.  Hais  sur 
Ponsard  «  intime  *>,  M,  Latreille  en  a  tant  dit  qu'il  nous  fait  penser  qui! 
aurait  pu  dire  bien  davantage  :  cette  «  esquisse  »,  comme  il  écrit  lui-même, 
BOm  lait  songer  à  ce  qu'aurait  pu  être  le  tableau.  J'ai  pu  moi-même  apprécier 
quel  trésor  inestimable  M.  Latreille  a  eu  à  sa  disposition,  et  je  sais  tout  ee 
qu'il  a  dû  sacrifier  de  ces  matériau*  inédits  ',  qui  auraient  donne  tant  de 
piquant  k  la  narration  de  la  romantique  existence  de  ce  demi -classique,  le 
nore  pas  non  plus  à  quels  scrupules  il  a  obéi.  Sêd  fifcriK  H'<n  fiflrt  hiê 
temptflt,  dirait-il  volontiers  en  changeant  nu  peu  le  vers  d'Horace.  Conten- 
tons-nous donc  de  ce  qu'on  nous  offre.  Aussi  bien,  nous  sortons  de  cette  lec- 
ture avec  celle  impression  que  fauteur  du  livre  aime  profondément  son  poêle, 
qu'il  a  pour  lui  cette  alTeetiun  clairvoyante  qui  ne  ferme  pas  les  yeui  sur  les 
défauts  et  découvre  les  plus  secrètes  qualités;  et,  trouvant  dans  Ponsard  un 
modèle  d'amitié  sûre,  de  dévouement  absolu t  de  naïve  sincérité,  il  s'attendrit 
discrètement  sur  la  lin  du  poète  qui,  atrocement  torturé  parla  maladie,  s'en- 
dort enfin  dans  te  pur  rayonnement  de  la  gloire*  *  A  charge  ou  à  décharge, 
déclarait  Jean-Jacques,  je  ne  crains  point  d'être  vu  tel  que  je  suis.  »  AL  Latreille 
a  montré  que  Ponsard  aurait  pu  en  dire  autant,  et  il  l'a  montré  avec  une 
réelle  sympathie. 

La  sympathie  du  biographe  ne  l'empêche  pas  de  voir  les  défauts  de  l'homme 
qu'il  étudie,  celle  du  critique  ne  lui  cache  pas  les  imperfections  du  poète. 
M.  Latreille  passe  successivement  en  revue  chacune  des  pièces  de  fonsard,  et 
s'arrête  surtout  à  hucrètt,  dont  Msard  disait  qu'elle  élait  une  date  littéraire, 
et  au  Lion  ammtrtu&,  qui  lui  paraît  l'oeuvre  la  plus  parfaite  et  la  plus  vérî* 
tabl émeut  seonique  de  toutes.  J'aurai  tout  dit  de  cette  partie  de  l'ouvrage 
quand  j'en  aurai  loué  sans  réserves  la  netteté  des  analyses,  la  marche  entrai- 
D fente  des  développements,  le  bon  goût  de  la  critique  et  la  sûreté  des  juge- 
ments. Voici  les  Tragédies  el  les  Etudes  Antiques,  les  Comédies  et  le  drame 
de  Raillée,  Vient  alors  l'exposé  des  «  doctrines  a  de  Ponsard,  si  tant  est 
que  le  mot  puisse  être  employé  en  la  circonstance.  Le  poète  me  semble  en 
effet  avoir  plutôt  manqué  de  cette  décision  qui  fait  les  dogmatiques  et  les 
auteurs  d'Art  poétique.  11  faut  la  conviction  solidement  enracinée  d'un  Eoileau 
on  hardiment  aventureuse  d'un  Hugo  pour  écrire  des  manifestes  littéraires, 
Ponsard  n'eut  jamais  rien  de  tel.  Mais  enfin,  il  suffit  d'un  peu  de  complaisance 
pour  trouver  très  légitime  le  chapitre  sur  n  les  théories  n  de  Ponsard,  Le 
poète  a  réfléchi  sur  son  art,  il  a  dans  quelques  article;-  de  la  Revus  dv  Yurnne 
ou  du  €orv8litUti(mnBif  dans  quelques  m  observations  n  qui  ont  précédé  ses 
pièces,  dans  de  véritables  prê  laces,  dans  sou  Discours  de  Réception,  et  dans 
quelques  lettres  inédites,  développé  la  conception  qu'il  se  faisait  du  genre 
tragique  et  du  genre  comique.  M.  Latreille  résume  cette  conception  en  décla- 
rant qu'elle  marque  «  un  efibrt  consciencieux  vers  la  nature  el  la  vérité  »,  En 
conséquence,  Ponsard  ne  veut  être  ni  un  sous-Campislron,  ni  un  sous- Hugo  : 
il  veut  *e  tenir  â  èt:ale  distance  du  classicisme  et  du  romantisme,  D'a£6ûrd; 
reste  â  savoir  si  c'est  par  suite  d'une  vue  exacte  des  tendances  du  théâtre 
contemporain  et  des  exigences  du  public,  d'un  sentiment  précis  de  ce  qu'atten- 
dait la  scène  française,  ou  tout  simplement...  par  suite  du  caractère  même 
de  son  «  L^énie  ■-.  Ponsard  avatt-il  assez  de  «  tempérament  »  pour  chercher  a 


U  Signalons  à  ce  propos  qu'une  partie  de  ces  matériaux  a  été  utilisée  pour  une 
étude  parue  dans  notru  Revue,  sur  les  rapports  de  Ponsard  et  de  Lamartine. 
Peut-être  même,  pourrions-nous  faire  prévoir,  sans  indiscrétion,  une  prochaine 
étude  sur  Ponsard,  homme  politique  ;  elle  ne  manquerait  pas  d'intérêt î 


49t 


RBVOE    d'hISTÛIHE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 


atteindre  a  la  pendra lisation  des  types,  san>  laquelle  la  tragédie  est  un  simple 
exercice  de  rhétorique  suivant  la  formule»  ou  pour  tenter  la  création  pais&aoa- 
nient  intense  de  personnages  vivant  très  loin  de  nous,  mais  Lrèa  poétiquement 
vivants?  M,  Latreille  rapproche  son  nom  de  celui  d'Ingres,  Sans  doute,  siiiv.nn 
l'opinion  de  M.  CI».  Blanc,  «  Ingres  en  ramonant  l'école  à  l'élude  île  la  nal 
Ta  desinfectée  de  deux  poisons  qui  s'appellent  îe  chic:  et  le  poncif..,;  le  chic 
est  le  poncif  des  romantiques,  comme  le  poncif  est  le  chic  des  classiques  »,  Mais 
il  y  a  autre  chose  dans  les  romantiques,  il  y  a  autre  chose  dans  les  classiques 
que  du  chic  el  du  poncif!  Avoir  délivré  îa  peinture  ou  la  poésie  de  l'un  el 
l'autre,  cela  est  très  bien,  et  nous  devons  en  être  reconnaissants  à  Ingres  ou  à 
Ponsard.  Mais  h  In^n's  <■  a  voilé  de  fais  roule  son  école  »,  s*  «  il  est  tombé 
dans  la  sécheresse  des  contours  découpes,  dans  le  mépris  des  moyens  purement 
pittoresques  »,  n'est-ce  pas  précisément  parce  que  a  les  grandes  compositions 
dépassaient  la  mesure  de  ion  imagination  »,  parce  que,  pour  tout  d 
h  c'était  un  ^énic  de  courte  haleine  '  *?  Et  alors,  nous  voilà  fixés.  Pour  le* 
tes  de  cette  sorte,  comme  pour  beaucoup  d  autres  d'ailleurs,  ne  sommes- 
nous  pas  trop  tentés  d'attribuer  a  une  systématisation  arrêtée  ce  qui  est  tout 
simplement..'  impuissance  de  taire  autre  chose/  M.  La  treille  voit  fort  bien 
imperfections  du  théntre  de  Ronsard,  il  en  signale  les  faiblesses  au  poinl  cfa 
vue  dramatique  et  surtout  au  point  de  vue  du  style  :  je  crains  qu'avec  heau- 
coup  d'iugémotité  et  non  moins  d'esprit,  il  ait  non  pas  exagéré  l'importance 
du  théâtre  de  Ponsard,  mais  qu'il  ait  malgré  toul  exagéré  l'importance  de  ses 
«  théories  »*  et  de  sa  «  doctrine  ->.  El  cela  nous  conduit  à  la  troisième  partie. 
Elle  a  pour  but  de  fc  situer  <>  Ronsard  dans  l'histoire  de  la  poésie  drama- 
tique, et  dt1  marquer  son  influence  sur  le  théâtre  français  dans  La  d 
moitié  du  si+cle.  Ponsard  est  un  véritable  chef  d  École,  le  chef  de  J"  Eco  le  du 
Ituii  Sens  :  *U>  la,  l'exagération  qi  nalais  plus  haut.  On  a  dit  que  cette 

école  n'avait  jamais  existé.  M,  Latreille  se  charge  de  démontrer  le  contre 
elle  a  existé  d'abord  dans  la  pensée  de  ceux  qui  la  composaient,  c'est-à-dire 
du  triumvirat   formé  par  Ponsard,   Augier,  Latour  (Saint-Vharsi    Voila  les 
chefs,   dira-t-on,   mais  ou  sont  tes  soldats?  Ils  furent  peu  nombreux 
ment  et  de  valeur  assez  médiocre,  M.  Latreille  est  le  premier  a  le  reconnaître: 
mais  ils  u>n  ont  pas  moins  combattu,  les  uns  hors  des  rangs  enmm 
Gtrarditt,  les  autres  dans  les  rangs  comme  cet  Arlhur  Ponroy  dont  le^  àel 
forent  si  lamentables  !  Elle  a  ensuite  existé  dans  la  pensée  de  ses  adversah 
après  tout,  cite  savait  au  moins  recruter  ses  «  auxiliaires  »>,  puisqu'en  f  S  ; 
la  bataille  de  Tragaldahas  elle  met  en  déroule  l'armée  de  Vacquerie,  Mïch 
cl  Gautier.  Prenons- la  donc  au  sérieux,  conclut  l'auteur,  et  il  serait  diflicile 
de  ne  pas  conclure  comme  lui.  D'ailleurs  Augier  en  a  défini  la  poétique  ê\ 
te   Spectateur  rvpuhheain^  el,  avant  h  Q  M.  Poirier,  il  est  clair  — 

après  la  lecture  du   livre  de  M,  Latreille  —  qu'Àugïer  a  été  un  di* 
Ponsard,  qu'il  s'est  engagé,  un  peu  a  Imitons  il  est  vrai,  dans  la  vote  que  lui 
montrait  le  mettre.  Il  faut  voir  comment  dans  Philibertc  (1853),  Augier  répon- 
dait par  la  bouche  du  chevalier  de  Talmay  an  cri  des  romantiques  ;  «  Vivent 
les  anglais  et  les  Allemands!  *,  comment  il  s'élevait  au  nom  du  Bon  Sens 
contre  les  peuples  d'oulre-tlhin  qui  aiïublent  la  poésie  d*  «  un  mac 
brouillards  »,  Mais  celte  Éi-ole  marquait  une  fin  :  M.  Latreille  en  est  persuadé» 
pas  assez  peut-être  pour  le  dire  très  nettement.  11  avoue  que  la  durée  éphén- 
de  cette  École,  la  médiocrité  de  ses  productions  font   que   sou  bilan  est  des 
plus  minces;  mais  il  va  peut-être  un  peu  loin  quand  il  la  rapproche  de  «  ces 
écoles  intermédiaires  qui  portent  en  elle  le  germe  de  l'avenir  ».  J'aime  mieux 
répéter  avec  lui  qu*  «  elle  nÉa  tracé  qu'un  léger  sillon  dans  le  champ  forte- 
ment labouré  par  l'imagination  de  Hugo  »,  Et  alors  je  reconnaHrai  fort  vol 


l.  J'emprunte  toute  cette  citation  au  livre  de  M.  Ch.  Blanc  :  Ingrex%  *«  vie  et  hs 
«ucra^ej,  iS^U,  auquel  M*  Latreille  nous  reavoic  dans  une  note  du  ta  pi 


COMPTES    RENDUS.  495 

tiers  tout  ce  que  nous  lui  devons,  et  je  louerai  de  tout  cœur  51.  Latreille  de 
nous  l'avoir  si  bien  indiqué  dans  une'œuvre  si  bien  conduite  et  si  bien  écrite. 
C'est  par  là  que  je  voudrais  finir.  Le  livre  est  un  de  ceux  qui  rendent  la 
science  aimable,  et  qu'on  lit  avec  la  ferme  intention  de  le  reprendre  à  l'occa- 
sion avec  le  plus  grand  plaisir.  N'est-ce  pas  là  une  des  garanties  d'un  durable 
succès?  Car  enfin  tout  ce  qu'il  y  a,  dans  cet  ouvrage,  de  qualités  solides, 
sérieuses,  d'érudition  profonde  et  sûre,  de  travail  consciencieux  et  opiniâtre, 
tout  cela  suffirait  pour  recommander  une  thèse  en  d'autres  temps  ou  en 
d'autres  pays.  Mais,  par-dessus  tout,  le  livre  sur  François  Ponsard  est  une 
thèse  «  à  la  française  »  ;  c'est  dire  assez  qu'il  plaît  par  la  forme  même,  alerte 
et  attachante  :  en  faut-il  davantage  pour  que  cet  agrément,  joint  à  la  solidité 
remarquable  du  fond,  fasse  de  cet  ouvrage  un  livre  qui,  suivant  un  mot  spiri- 
tuel, soit  —  provisoirement  —  définitif? 

Marius  Roustan. 

N.  B.  —  Signalons,  à  la  première  page,  un  portrait  de  Ponsard  d'après  le 
tableau  de  Lehmann.  Quantum  mutatusl...  Le  Ponsard,  connu  généralement, 
j'allais  dire  le  Ponsard  «  classique  »,  a  le  front  dégarni  et,  suivant  son  bio- 
graphe, «  quelque  chose  d'affaissé  qui  trahit  l'inquiétude  des  combats  perpé- 
tuels ».  Le  Ponsard  de  Lehmann,  avec  sa  chevelure  ondulée,  son  beau  front 
sans  rides,  ses  yeux  rêveurs  et  profonds,  sa  barbe  fine  cachant  à  demi  le  col 
d'une  blancheur  éclatante,  est  tout  à  fait  le  portrait  d'un  romantique  de  la 
première  heure;  on  croirait  que  cette  redingote  fermée  cache  le  gilet  rouge  à 
la  Gautier. 

Et,  à  ce  propos,  ai-je  besoin  d'ajouter  que  dans  les  passages  du  livre  où  ce 
dernier  nom  est  agrémenté  d'une  «  h  »  parasite,  il  y  a  tout  simplement  une 
erreur  d'impression,  qui  a  échappé  à  l'auteur  lorsqu'il  a  revu  les  épreuves? 
Même  remarque  pour  le  mot  «  ridiculariser  ». 

M.  R. 


Maurice  Clouard.  —  Documents  inédits  sur  Alfred  de  Musset.  Paris, 
Rouquette,  1900,  in-8,  de  269  p.  et  fac-similés. 

Le  recueil  de  M.  Clouard  se  compose  de  cinq  études  sur  :  les  Portraits 
d'Alfred  de  Musset,  —  Alfred  de  Musset  et  George  Sand,  —  Quelques  œuvres  iné* 
dites  ou  peu  connues  d'Alfred  de  Musset,  —  Notice  bibliographique  sur  la  corres- 
pondance d'Alfred  de  Musset,  —  Alfred  de  Musset  bibliothécaire  du  ministère 
de  l'Intérieur  et  lauréat  de  V Académie.  Tous  ces  morceaux  ont  déjà  paru  dans 
des  revues  et  nous  n'avons  pas  manqué  de  les  signaler  à  leur  heure.  L'un 
d'eux,  Quelques  œuvres  inédites  ou  peu  connues  d'Alfred  de  Musset,  a  même  été 
inséré  ici  et  nos  lecteurs  en  ont  trop  bien  gardé  le  souvenir  pour  qu'il  soit 
utile  d'y  revenir,  quoique  l'auteur,  en  le  réimprimant,  y  ait  fait  certaines 
modifications  qui  ne  sont  pas  sans  intérêt. 

M.  Clouard  énumère  un  grand  nombre  de  portraits  d'Alfred  de  Musset, 
mais  son  étude  se  résume  en  ces  quelques  lignes  qui  pourraient  lui  servir  de 
conclusion  :  «  Tous  les  portraits  d'Alfred  de  Musset  se  rapportent  à  quatre 
types,  dessinés,  peints  ou  sculptés  du  vivant  du  poète  par  David  d'Angers, 
Eugène  Lami,  Charles  Lan  délie  et  Gavarni;  lesquels,  après  1857,  ont  servi  de 
modèle  à  ceux,  peintres  ou  sculpteurs,  qui  ont  voulu  le  représenter  ».  Et  il 
ajoute  :  «  Je  ferai  remarquer  que  ce  sont  les  portraits  les  plus  ressemblants 
qui  sont  les  moins  connus  ». 

L'étude  sur  Alfred  de  Musset  et  George  Sand  est  de  beaucoup  la  plus  impor- 
tante du  volume,  et  par  ses  dimensions  et  par  les  résultats  auxquels  elle 
aboutit.  C'est  une  des  pièces  principales  de  l'enquête  si  passionnante  ouverte 


496  HEVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

sur  les  relations  des  deux  amis  et  leur  rôle  respectif  à  l'égard  l'un  de  l'autre. 
Non  seulement  elle  contient  des  documents  qui  n'étaient  pas  connus  avant 
que  M.  Clouard  les  mit  au  jour,  mais  encore  par  la  pondération  de  son  juge- 
ment et  son  esprit  d'impartialité  l'auteur  semble  être  sur  la  voie  de  la  sen- 
tence définitive  que  l'avenir  portera  un  jour  à  ce  sujet.  Pour  faciliter  ce  juge- 
ment, M.  Clouard  ne  s'est  pas  contenté  de  faire  connaître  ce  qu'il  possédait 
d'inédit;  il  a  joint  à  son  étude  V Index  bibliographique  de  tout  ce  qui  a  été 
imprimé  sur  cette  question  et  y  touche  de  plus  ou  moins  près. 

C'est  le  môme  intérêt  de  relevé  documentaire  qu'offre  la  Notice  bibliogra- 
phique sur  la  correspondance  d'Alfred  de  Musset.  On  y  trouve  la  liste  de  110» 
lettres  du  poète,  imprimées  de  diverses  parts,  intégralement  ou  en  partie,  et 
qui  ne  peuvent  que  servir  à  le  mieux  faire  connaître.  Enfin,  M.  Clouard  a 
donné  sur  Alfred  de  Musset  bibliothécaire  du  Ministère  et  lauréat  de  l'Académie 
des  renseignements  que  nous  avons  analysés  déjà  (1899,  p.  331),  et  qui  com- 
plètent heureusement  dans  sou  nouveau  volume  les  indications  qu'il  a  si 
abondamment  recueillies  et  qu'il  sera  désormais  nécessaire  de  connaître  pour 
parler  de  Musset  en  connaissance  de  cause. 

P.  B. 


Firmin  Maillard.  —  Le  salon   de  la  vieille  dame  à  la  tête  de  boia. 

Paris,  J.-Olivier  Affolter,  1899,  in-8,  de  182  p.,  papier  vergé. 

Ce  titre  énigmatique  et  prétentieux  cache  tout  simplement  une  histoire 
anecdotique  des  élections  à  l'Académie  française  sous  le  second  Empire. 
Hàtons-nous  de  dire  que  le  livre  vaut  mieux  que  son  enseigne.  Il  est  vif, 
agréable  à  lire  et  bien  informé^  et,  sans  apporter  des  faits  intimes  et  précis 
comme  en  font  connaître  les  lettres  de  quelques  académiciens  d'alors,  Mérimée, 
par  exemple,  Guizot  ou  Laprade,  il  recueille  des  racontars,  des  allusions,  des 
anecdotes,  épars  de  tous  côtés  et  qu'il  serait  difficile  de  retrouver  ailleurs. 
Les  Français  ont  toujours  pris  plaisir  aux  choix  académiques  et  sous  le 
second  Empire,  semble-t-il,  plus  encore  qu'en  tout  autre  temps.  Les  élections 
académiques  étaient  alors  une  des  formes  de  l'opposition  constitutionnelle,  et,, 
à  un  moment  où  la  presse  ne  pouvait  guère  parler,  où  les  discussions  législa- 
tives n'étaient  pas  libres,  les  harangues  académiques,  avec  leurs  sous-entendus, 
leurs  allégories  et  leurs  finesses,  avaient  un  écho  qu'elles  ne  retrouvèrent  pas 
toujours  depuis.  C'est  donc  une  période  intéressante  de  l'histoire  de  l'Aca- 
démie française  et  M.  Firmin  Maillard  a  eu  raison  de  vouloir  la  retracer.  Ce 
qu'il  conte  surtout  c'est  l'histoire  extérieure  de  l'illustre  compagnie  durant  les 
vingt  années  du  second  Empire,  de  ses  choix  depuis  Alfred  de  Musset,  élu  en 
1852,  jusqu'à  Marinier,  des  convoitises  qu'ils  excitèrent,  de  l'accueil  fait  par 
le  public  aux  nouveaux  élus.  M.  Maillard  a  retrouvé  et  mis  en  valeur  à  peu 
près  tout  ce  qu'il  était  possible  de  savoir  de  cette  chronique  vieille  au  moins 
de  plus  d'un  quart  de  siècle.  Quant  à  l'histoire  intime,  intérieure,  de  l'Aca- 
démie en  ce  temps-là,  il  faudra  attendre  pour  l'écrire  que  la  correspondance 
de  ceux  de  ses  membres  auxquels  nous  faisions  allusion  tout  à  l'heure  soit 
livrée  au  public,  car  il  y  faudra  recourir  et  on  apprendra  de  Ja  sorte  des 
secrets  amusants  dont  le  vulgaire  ne  se  doute  pas. 

P.  B. 


PÉRIODIQUES 


Allgemelne  Zeitung  (Beilage).  —  N°  64:  W.  Fred,  Balzac's  Lettres  à  l'Étran- 
gère. 

L'Amateur  d'autographe».  —  15  avril;  R.  Bonnet,  Trohi  lettres  de  Rachel 
au  marquis  Astolphe  de  Custine  (1839-1840).  — ■-  Maurice  Clouard,  Deux  lettres 
inédites  de  Paul  de  Musset.  —  Georges  Mon  val,  Liste  alphabétique  des  sociétaires 
du  Théâtre-Français  (suite).  —  15  mai;  Th.  Lhuillier,  Vu  oublié  :  le  poète 
Alexandre  Lainez.  —  Georges  Mon  val,  Liste  alphabétique  des  sociétaires  du  Théâ- 
tre-Français (fin).  —  15  juin;  Th.  Lhuillier,  Un  oublie  :  le  poète  Alexandre  Lainez 
(fin).  —  R.  B.,  A  propos  du  sonnet  d'Arvers. 

Archlv  fur  das  Studlum  der  neueren  Sprachen  und  Literaturen.  —  104, 
1-2  :  P.  Toldo,  Le  courtisan  dans  la  littérature  française,  et  ses  rapports  avec 
l'œuvre  du  Castiglione.  —  II.  Saure,  Franz.  Lesebuch,  Franz.  Lesestoffe,  Tableau 
chron.  de  la  litt.  française  (F.  Kalepky).  —  L.  Clément,  Henri  Esticnne  et  son 
œuvre  française  (Ad.  Tobler).  —  G  Paris,  La  littérature  normande  avant  l an- 
nexion (Ad.  Tobler)  —  Vogué,  Les  mots  quiparlent  (Ad.  Tobler). 

Bulletin  du  bibliophile  et  du  bibliothécaire. —  15  avril*, Antoine  Guillois, 
Les  bibliothèques  particulières  de  l'empereur  Napoléon.  — 15  mai  ;  Marius  Barroux, 
Les  archives  de  la  Seine  en  4900  et  leur  histoire.  —  Maurice  Touroeux,  Lettre  et 
note  de  Raynouard.  —  Le  duc  de  Fezensac,  Saluste  du  Bartas  et  ses  éditeurs  2>ari- 
siens.  —  Henri  Cordier,  Notules  sur  Charles  Baudelaire.  —  Adrien  Sée,  Boufflcrs 
moraliste.  —  Georges  Vicaire,  Revue  de  publications  nouvelles.  —  15  juin; 
Emile  Picot,  Farce  inédite  du  XVIe  siècle.  —  Hugues  Vaganay,  Contribution  à 
l'histoire  du  sonnet:  les  Rosaires.  —  Marius  Barroux,  Les  archives  de  la  Seine  en 
1900  et  leur  histoire  (suite).  —  Georges  Vicaire,  Revue  de  publications  nouvelles. 

Bulletin  du  Musée  beige.  —  IV,*  1  :  Koschwitz,  Les  parlers  parisiens 
(Lepitre). 

Le  Correspondant.  — 25  mars;  René  Bazin,  Les  lecteurs  de  roman.  —  Les 
œuvres  et  les  hommes ,  courrier  mensuel  de  la  littérature ,  des  arts  et  du  théâtre.  — 
10  avril;  Albert  Pellerin,  A  }woposde  «  la  Robe  rouge  »  (pièce  de  M.  Brieux).  — 
25  avril;  Adolphe  Lair,  Un  maître  de  Sainte-Beuve  :  comment  Sainte-Beuve 
devint  critique  et  poète,  d'après  des  documents  inédits.  —  Les  œuvres  et  les 
hommes,  courrier  mensuel  de  la  littérature,  des  arts  et  du  théâtre.  —  10  mai; 
cardinal  Perraud,  La  vie  et  V œuvre  du  Père  Gratry.  —  H.  de  Lacombe,  Le  monu- 
ment de  Bossuet  à  l'Exposition.  —  25  mai;  Th.  Froment,  Xavier  de  Maistre  et 
Sainte-Beuve,  d'après  des  documents  nouveaux.  —  Les  œuvres  et  les  ho  mines, 
courrier  mensuel  de  la  littérature,  des  arts  et  du  théâtre  —  10  juin;  A.  Claveau, 
Éludes  littéraires  :  le  théâtre  du  siècle.  I.  —  Gaston  David,  Découvertes  litté- 
raires :  à  propos  d'une  nouvelle  publication  sur  Joubert. 

Cultura.  —  XV111,  20  :  Pmvert,  Grcvin  (A.  Chialvo).  —  Filon,  De  Dumas  à  Ros- 
tand (C.  Calisse). 

Das  neue  Jahrhundert.  —  3  :  L.  Katseher,  George  Sand. 

Deutsche  Llteraturzeitung*.  —  N°  5  :  l'iricb,  Charles  de  Villers  (Steig).  — 
IS°  7  :  Lôseth,  Observations  sur  Polyeucte  (Schultz  Gora).  —  N°  8  :  Franklin,  La 


1*8 


REVUE    l»  HISTOIRE    littéraire   de    U    FRANCK* 


:  Betz,  Heîn**  und 
Linz,  Uèê 


vie  priver  d'autrefois,  arts  **/  métiers  (Mahrenholtz).  —   N*  10 
f.  —  Benoi>L  Essai*  'le  critique  dramatique.  —  V  12  : 
tmsder  Ge&ch.  der  franz*  Literatur. 

PJe  iinirrci)  Sprarlwii    —  VIL    lu  :  \V.  Mangold*   Frïrdrichs  des  i 
Diehtungen  aus  dit  Zeit  des  $iehenjnhrhjtm  Krieges.—G.  Strïckler,  Nom 
de  lecture;  E.  Otto*  Ptatn**  Lexehueh;}.  Bierbaum,  Lehrbuch  der  f  ri 
Rahn,  Edithu;  Hicken,  hekrgmg  der  ftmu.  Sptntehe;  Pûnjer,  Lekr-und  î 
dee  frahz.Sprtichc,  M.  Wcîjss,  Frunz.  fhammntik  fur  Madehen;  Sfiere,  Lehrbueh 
(A,  Stocnkol.  —  E.  Du  puis,  La  France  en  zitjzatj  (4-  Brunnemann),  etc. 

Unsi*  TidsLrirt.  —  iKim,  décembre,  p.  HS3-465  :  J,  Visio- 
et  J.  M  orten  se  ri,  Medcilidsdramat  i  Frtinht  ike  (A.  Wallenskôïd). 

Journ  aI  des  Débats  politiques  et  li  lié  mires,  —  2  avril;  Maurice   Muret, 
Les  soupirant*  de  Suzanne  Curchod.  —  Emile  Faguet,  La  semaine  dmnuitr 
tn  poétique  de  Racine.  —  i  avril;  Arvède  Barine,  Hors  de  France:  Mazorin,  par 
Ferez  (Mdos*  —  5  avril;  Maurice   tomaison,  \L  Joseph  Bertrand*  —  7  avril; 
ZM  l  P  m  f<>u<  lionner  (Académie  Concourt},  —  Ernest  Tissot,  La  Gio* 

riei   dWnnjtmio.  —   H   avril;  Gabriel  xMonod,  Notice  mt    M.  Pattt 
de   Hémusfit    —   î*  avril;   André   ïlullavs,  La   semaine  dramatique,  —  il    avril; 
Henri  Hîdou,  a    Drames  de  famille  u  {par  M.  Vnul  Bourget)*  —  16  avril;  Andrr 
Hallavs,  La  semaine  dramatique.  —  17  uvril;  Maurice  Muret,  «  Le  Feu  »,  par 
M.  Gabriel  d'Annunzio*  —  ltt  avril;  F-  II.,  Le  itère  des  Mille  et  une   nuits.   — 
20  avril;  Emile  Fayuet,  La  poétique  de  Racine.  Il,  — 23   avril;  André  IIhI 
La  semaine  dramatique*  —  24  avril;  J-  Bourdeau,  Revue  philosophique  :  ta 
philos  phU   de  TohtQt  —  Maurice   Muret,  Léopard  i  et   ia  langue  française.  — 
28  -'Vi il;  A,  S,,  Henri  de  Rétjmer  en  Amérique,  — !iS  avril;  II.  Fietvn^-Gevaerl, 
Napoléon  OU   théâtre,  —  29  avril;  Camille   Vcrgniol,  «  Les  eienj 
IL  Maivrî  Viceost.  —  30  avril;  Emile  Faguet,  La  êemaine  dramatique.  —  4  mai; 
Louis  Bourdêouei  Vesprit  scientifique.  —  5  mai;  Maurice  Mut  et,  /,'/  censure  dra- 
matique a  Berlin*  —  7  mai;  Heué  Dournic,  ha  semaine  dramatique.  —  tJ  n 
H.  Fienms-i.^vaert,  Un  poète  dramatique  (M,  Emile  Verh&eren),  —  Il   mai; 
Z,t  José  fhtpuiê*  —  13  mai;  Albei i-Eiiiilf  Sorti,  Le  couronnement  de  w  la 
rouge      (pièce  àe  IL  Brfeui  couronnée  par  l'Académie  française),  — 
Eteùé  Dûtraiîc,  La  semaine  dramatique.  —  S.(  «  La  beau  te  de  vivre  »  (de  M,  Fer- 
nan.l  Gregh).     -  20  mai;  Christian  Schefer,  Un  nouveau  témoin  de  tion 

de  Juillet  (Cuvillier-Fkury).  —  21  mai;  René  Dnumïc,  ha  semaine  dromatiç 

—  S.,  Unsagt  M.  ïiavaisson-Mollicnj»  —  28  mai;  Lemonument  Vitor  Ùuruy. 

—  René  Dooniie,  La  semaine  dramatique.  —  30  mai;  z.t  Jokai.  —  1  *r  juif  i 

nouveau  de  SL  Edmond  Rostand,  —  2  juin;  ÊmiJe  Combe,  Mai 
,}<d:tii.  —  :ï  juin;  E.  M.  de   Vogué,  Le  deuxième  centenaire  de  VAcade 

s  et  beUes4$tlree  de  Lyon,  —  4  juin;  René  Doumir.  La  & 
tique.  —  a  juin;  J.  Bourdeaii!  Le  rire,  élude  de  psychologie.  —  H  et  18  juin; 
René  Duumic,  La  semaine  dramatique.  —  23  juin;  Henri  Chantavoioe,  ,i  / 
demie  :  j  de  M.  Panf  Hervieu.  —  23  juin;  René  Do  u  mie,  La  semaine  drûr 

matique. 

lAiertMrisvheH  Ceuirnliihiii    —  W**6  :  Bourget,  ÛEwtTcs  complètes,  ï  J 
^rainu  —   N"  in:  Suchier  et  Birch-Hirschfeld,  Gesch.  der  franx.  Literatur.  — 
>    i  t  ;  Dejob,  hes  femmes  dans  la  comédie  française  et  italienne  au  A  W/f  ^ 

I  it4-r:tlui-MaU  fiir  ^erttiaiiiM'lie  iiikI  roiiiikiilsrlie  Pliilalogle.    — 

LÔiôth,  Observations  mr  Potyeucte  (Hahrenlioltz).  —  Pascal,  Abrégé  de  la   m 
deJ^C.,\i-  l  MalirenhiiJtzK  —  Michaelîs  et  Passy,  Dictionnaire  phoné 

tique  de  h  longue  française  (Sûtterlin),  —  \"  ,*     Mazuc,  Grammaire  ktng\ 

\n_lade).  —  Benard,  Les  annuaires  pan  )lQntaigm 

(Habrenholtz). 

lliHlern  l.nn^nîiis^  +\otes    —  XV,  3  :  Symin^ton,  Attgier  't   > 
gendre  de  H.  Potriei     lln<  nie).  —  Wright,  Fronces  Le  crime  de  Sylvestre  Bon 
nard  (Thiemc).  —  Brons.m,  Scènes  de  voyage,  de  Victor  Hugo  (Bowen). 


PÉRIODIQUES, 


m 


il n^.4  nui    —  VIII,  1  :  De  Valese,  Gnflieismrn  in  kêt  Zuidnederfantkùk  ifteels), 

—  S  :  Mary  James  DarmesLeter,  La  reine  -/e  (Van  Haïuelj.  —  Welter, 
.H/*/;vjJ(&aherda  de  Grave). 

NfaiM  «lîilirfoiïclier  fur    il:is    U;issN:hi-    11  le  ri  mu     f.f  srhlchl*  und    dcill- 

mIic  Liieruiiir  und  fiir  H:ula-«^lk  —  V\  VI,  2  :  E.  Erin&tinger,  Eine 
modems  franz*  tiearbeituntj  des  Euripidci&cken  ton  U'Apollonidc  de  Leconle  de 
Lisle),  —  J.  Ilber^,  Levante  de  Liste  und  Zola. 

Wur  piiiioioglnHir  Hnnilnrimu.  —  N*3  :  Desrh&nel,  he$  déformations  de 
l>t  langui  français*  iL,  Sûttarlin).  —  N«  3  ;  Johannessan,  Franz.  Ucbtimjsbuch 
(C.  Ueiebelj.  —  Towrrs-CIaik,  Dit  vhrt  Jakress$itan  far  die  fiam.  und  engt. 
ÇQTtvmaHûiit&tundê*  —  K"  4  ;  Daniel,  Bûndtàrterbuch  der  detttwhen  undfrant* 
Spraché  (Fass).  —  Heber,  Eut  Btîok  auf  Fronkreiehs  Schtolwtcn  [J.  Etieabeck)* 

—  NHrîi  :  Lotscb,  Wtirterbuch  zu  mt/demen  frttnz,  Schriftsttsseitern  iK    Hecktitarin). 

—  Jaeji,  Aumerk.  SU  S  MM.  liedtehhnmmhmg  \\ï.   Knobloctu.  —  N 
Faun     &H      dé  ta  pfonoUfi.  /rançatae,  (JtoMTB.  pre/un.  sur  /a  reforme  de  fortho- 
graphe  française  •;<■.  lîolinj* 

*>nptilloloKl*ctie  nineilun^rii  (llclsingfors).  —  13,  3  :  W.  S.  Ein  fintnndï- 
M oh  ne  Efc&fli  \*e*  Igf  a  «  A  i  lem  An  fan  y  <  le  s  J>  i  h  rh  u  ndert  s+ 

Vrui>liiliilt»i-ïsrli(^  le  titrait*  lut  t.  — -  XIV,  2  :  Geïssler,  Claude  Marcel  und 
SftfM  &tMfa  dftf  fan£1M& 

\ordink  TiiKnkrirt  for  Ululo-i.  série  ÏH-VIH,  p.  ii2-HG  :  Nyrop,  &*$• 
maire  Instiirnjur  de  la  langue  française  (E,  StaafFK 

La  \oux4  Ut-  Rente.   —    15  lévrier;   Judith   Uadel,   Le  théâtre  italien.  — 

15  Murs;  a.  Eternfaeim,  UQdéon*  —  L.-F,  Sauvage,  La  rennissaac**  au  théé 
iïfaxtB*  —  I >e  CnsleHaiie,  teê  idem  dé  Paul  Béroutèdêt  —  i  "  avril;  K.  Ji,ir»ul - 

Aubry,    Daudet  et  Miserai*  —  1er   mai;  Emilie  Lerou,  fart  dramatique,  — 
Pau!  Perret,  Le  théâtre  dam  limiimUé.  —  Félicien  Pascal,  Lu  propriété  UUêUâC- 
ttt-tfc.  — l-rjuîn;  E.-M,,  II'   P.   Ihdun  intime,  — la  juin;  P.  QuesntL  Cûl 
ponâance,  —  Gabriel  Compayrc%Li  littérature  des  Pyrénê&i  h 

Publication*  «*f  tlie  Hoitcru  Luiigitagc  xi<*f*acîîiliaii  or  \iuerira.    ~  Wt 

1  ;  A,  IL  Tliorndike,  Influence  of  thé  court  masques  on   thé  dnutit;   t €08-484$. 
l.a  ^tiluxaine.  —   iL"r  mars;   Louis    Arriould»    La    naissance   de    hacun>  — 

16  niars;  F*  Etafesoa,  Le<  reaiitres  de  V Académie  française,  —  Jean  Ljorni'i, 

mique  Httéraire  .  à  prapoê  àê  ■  Résurrection  n.  —  i,ravnl;  Emile  de  Saiui- 
Aubant  Chronique  dramatique  :  »  V Aiglon  »*  par  If.  Rostand;  m  la  Robe  rouas») 
par  If.  litittu\  —  ifi  avril;  abb*'r  L  Kollmlev,  Mtmtulemfo'rt  et  Shje  Parisis, 
efapret  des  documente  médité  :Pemné«  i84€.  — Gustave  Le  Poilievïn,  La\Liherh 
tic  h  Presse  depuis  la  Révolution  :  d  uzïème période,  arrêtés  de  f8M-  —  iLr  mai  ; 
L.  FuLliuit-y ,  Montniembert  et  Mgr  Pariêis,  tt&pHi  des  documenté  inédite  . 
Vannée  tsHJ  (suite).  —  Emile  de  Sainl-Auban,  Chronique  dramaUqv 
Clairière  »♦ 

Hrvuo  lllcuc  lUevue  politique  et  HUéraire).  —  M  mars;  .1.  du  THlet, 
Théâtres:  Thêâtre-Àntoinei  »  V  Empreints  »;  <<  Poil  de  carotte  ■-  —  2*  marj; 
Léon  SmoIh'1.  Ia^  amitiés  tiitemurs  (f  Alfred  de  Vigny  ;  Sainte-Beuve.  — Masson- 
Forestier.  Colonel  U  romsmfftêT  i  \i  de  VUUboîs^MareuiL  —  Zadig,  Silhouettes 
parisienne*  .  H*  Jules  Renard*  — X.  du  TUlct,  Théâtres  :  Thêâtre-Sarah  item- 
ttardt,"  t 'Aiglon  >. — 31  mars;  Zadig,  Silhouettes p  u.  i  I  uard  Rod, 

—  Emile  Faguet,  Lsé  m  de  ?ietor  Hugo*  —  Jules  Guillemot,  Les 
oublies  :  «  le  Consentement  forcé  ■  dê&uyot  de  Merville  tt  «  FEU  de  h  Saint- 
Mtttiii  ».  —  J.  du  TjII«  t.  Théâtre*:  théâfre-Sorah  Bernhardt,  b  V Aiglon  »  (0u 

—  7  avril;  le  vicomte  Brenier  do  Sfoatmoïand,  Le  monde  et  tes  fgfetu  au 

A/A      sierle.  —    ZadigT    Sithttitrttrs  rfiifm    :    1^    '«■     d'Annwïzia,  — 

Georges  Pellissier,  Les  clichés  de  $tyie.  —  J,  du  Tillet,  Théâtre*  :  Vaud*Qill9t 
«   Ln  ltid,<  —    Î4  aviil;  Maioel    Prévoit,  Le  romnn   au  A7A'1  &iècfc*  — 

Louis  Delaporle,  (a  prédicateur  de  carême  :  le  P,  E/ottm^m.  —  J^  du  Tillet» 
Théâtres  :  Variétés,  «  Eriuaiiûm  t/c  prince  w;  'J  Ifoûie,  «  /d  Clairière  a. 


500 


REVUE    I>  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    L»E    LA    FRANCE. 


—  21   avril;    Zadi£.   Silhouette*   parisiennes  :  M,  José -Maria   de    lier* 
28  avril;  Zadjg,  Silhouettes  parisiennes  :  /.-//♦  Hasnij.  —  fi  niai  ;  André  Cfaênier, 

Eègte,  wnvre  inédite.  —  Paul  et  Victor  Nargueritte,  Portrait*  contempo' 
rains  :  M.  Motion- Forestier,  —  L.  ProaJ,  Le  nervoftet*  ef  /c  suicide  chez  tes 
poètes  et  ta  tomititricrs  du  A7Y"  siïr/<.\  —  12  ruai;  Maurice  Albert,  Une  troupe 
tFaetêtfri  Italiens  sous  la  ïtétjence.  —  Zadi^,  Silhouettes  parisiennes:  M.  Courte- 
ttne.  —  1fJ  mai;  Emile  Faf»uetf  George  Sand.  —  il)  et  2f>  mai;  J.  du  Tiilet, 
Théâtres  :  Odéon,  «  l'Enchantement  »>.  —  2  juin;  h  CornéJyt  La  preste  au 
Xt.X  >tale.  —  J.  du  Trllet,  Théâtres  :  Camt}die-Fraitraise„  «  tes  Fossiles  «.  — 
»  juin  ;  J.  Cornély,  La  presse  au  A7A>  fidèle  (Un),  —  Zftdig,  .Silhouettes  pari- 
siennes :  M.  Pierre  Loti.  —  Hj  juin;  J.  Ernest-Charles,  Ut  vie  et  les  mœurs  : 
r industrie  littéraire.  —  30  juin  ;  Zarlig,  Silhouettes  parisiennes  :  AS,  Lucien  Des- 
60tt* j.  —  Jules  LevaMois,  AJ"IC  Hector  Sfatot. 

fifvu«  BfiM&iiH*  —  25  janvier;  ta  Rerue  Bossue  t.  —  E.  Levesque,  Ecrit  de 
Bossuet  sur  tes  Études  qui  sua  en t  ta  Utence%  précède  d'uîie  introduction.  — 
E.  Griselle,  tîùnstiet,  abbé  de  Samt-Lw  ien-les-Beauvals,  d'après  sa  eorrespontlanee 

médité.  —  Ch.  Urbain,  Lettres  êi  BùSêUût  à  dÊuenei  p  —  battra  de 

Louis- An  toi  fie  de  Mouilles*  arehcvvoue  de  Pat £f,  .'  Bo&SUût^  au  sujet  de  VEcAîkÏTCÏS- 
semeni  donné  pur  Fénelon  aux  Maximes  déa  Saints.  —  Extrait  des  prûcéfrver- 
t-*nt.>  ws  pastorale*   de  VéViqUô  de   Meatu:,  —  25  avril;  A.  Hebelliau, 

.V  propos  d'une  lettre  de  BôUueL  —  E.  Griselle,  Bonne!,  ùhbé  de  Saint-Lutum- 
BeauvaiXj  d  après  stt  correspondance  inédite  (suite) «  —  À*  Caste,  Deux  lettres 
de  Bosêuet  et  deux  lettres  relatives  à  Bossu*  tf  —  EL  Levesquef  Une  maladie  de 

;tir  de  Meaux  en  4699.  —  Extrait  des  procès-verbaux  tirs  visites  p 
fi   /'.  tieitUX  I  suite).  —  A*  Tougard,  Quelques  traductions  interpolées 

dans  Bossuet.  —  lie  lettres  dû  BossueL 

Bévue  iiïim|ii^  a  histoire  et  de  lifti  rnture.  —  N°  il  :  Pireulde,  Le  */< 
immortel,  p.  C,  de  Beau  repaire    A    hclhuulie).  —  G    Guizot,  Montaigne;  Cham- 
pion, Introduction  aux  Essais  de  Montaigne  (R.  Roalèrea).  —  N*  13  ;  Gaylev  et 
U   La  critique  L     l\   Haldenspergerl.  —  N*  16   :   Hargifftj,    SI* 

ehard  Simon  [L  So*  ™  Franklin,  La  tôt  privée  d'autrefois,  les  animaux  >A, 

—  Ilallays.  Ea  flâna»!    Il    .]e  G.)*  —  N"  i7  :  Hebelliau,  Ôûstuet  (R    Rosières).  — 
N°  22  ;  Uejob,  Les  femmes  dam  la  noméâû  française  et  italû  rine  au  XVtH9  siècle 
(R.  Rosières)»  —  Weftar,  Mistral  (A.  Jeanruy).  —  N°  23  :   Va^anav,  Bibtit 
pinède*  sonnets  du  XIX1  fièetê  (R,  Rosières).  —  N*24  :  Surhier  et  lurcli-llirseb- 
feld,  Hist.  de  la  titt  français*!  1  (A.  jeaarûy), 

Re%»p  de  FarN,  —  t'r  avril;  Fred'-ric  Maison»  «  VÀiyhn  ».  —  Louis  Rer- 
lrandt  Flaubert  et  Y  Afrique.  —  1o  avril;  Paul  Hervïcu.  Pessimisme  et  com 

—  Gustave  Reynîer,  Le  drame  retiaieiu-  en  Espagne*  —  (5  mai;  J.-J.  «lusse- 
rand,  tes  sporté  dam  t'anctenne  France^  L  —  Maurice  Courant,  Le  thédtn 
Chine.  —  t  r  juin;  J.-J.  Jusserand,  Les  Sports  dans   P  ancienne  Frawe,  IL   — 
Maurice  Albert,  Une  guerre  de  comédiens,  —  U6  juin;  Maurice  Emmanuel,  La 
vie  réelle  au  Mexique* 

Rf!%iic  de*  iipu\  Monde*. —  1er  avriï  ;  Th.  BenlEon.  Varmêe  anglaise  peinte 
par  Hudqtted  Kipling.  — René  Doumic,  Revue  dramatique  :  l'Aigioni  au  Théâtre 
Sarah  Bernhardi;  la  Robe  rouge,  au  Vaudeville.  —  15  avril;  E.  Setilïère, 
Uinf!ueme  française,  dam  la  lUteraiure  aUetnande  contemporaine  .  M  Amo  Hotz. 

—  T.  de  Wyiewa,  Une  nouvelle  histoire  du  roman  anglais.  —  \ir  mai;  Char  Je - 
Gorfir,    Le  mouvement   paneelHque,  —  Edouard    Kod,  La    nouvelle  pièce  de 
M.  tnaeosa.  —  IH  mai;  Ferdinand  Rrunetiére,  Un  épisode  de  la  vie  de  Eonsû 

—  Victor  du  Bled,  Les  souvenirs  du  baron  fie  Barante.  —  René  DoumicT  Les 
feuilletons  de  Francisque  Sarcey,  —  Th,  de  SYyzeva,  r  Ue  biographie 
de  Henri  Heine,  —  15  juin;  Ihiuston  Stcwart  Chamberlain,  Un  phUosJopke 
wagnéritn  :  lleinrich  von  Ste\              1887).  —  René  Doumic,  Revue  titi 

deux  romans  de  V.  Mareet  Ptn-osL  —Th.  de  Wyzewa,  Les  lettres  d'amour  tle 
Sophie  Dorothée  ef  ./    U  ftK 


l'j.ii QOES. 


501 


Retne  de»  lettre*  franealwe*  et  étrangère*.  —  Janvier-mars;  Th.  Joret, 
Mn,r  de  Staël  et  ta  cour  littéraire  de  Weimar  iiini.  —  Boris  de  Tannenberp, 
Hmilio  Castefar.  —  À.  MoreLFatïo,  Mememàei  y  Prtuyn.  —  Avril-juin;  A.  «Je 
Tréverret,  Idées  de  Francis  Bacon  sur  t' écriture  et  sur  hs  langxwt  {floj,  — 
A.  Vulliod,  Un  drame  tymboHqtiê  allemand;  la  Cloche  engloutie,  dé  U.  Ù.Baupt- 
mutin.  —  G.  Michuui,  Sur  le  romantisme  ;  une  poignée  de  êéfi>n&tfon$i  —Juillet- 
septembre;  Lm  Mis,  L'épisode  d'Hélène  dans  te  second  Faust  de  Gœthe.  — 
L.-  G.  Pélissier,  Sur  le  théâtre  dû  Gabriel*  dWnnunzîo. 

Kftnr  eneyelo|iéd!que.  —  M  mars;  M,  GuéchoL  Les  confréries  honvyroiseè 
et  le  carnaval.  —  ?  avril  ;  Pierre  Yeher,  Humour  et  humoriste*.  —  II.  IL  Gaus* 
aeroD,  ha  UUérûturé  en  Angleterre  (IfcO'.l).  —  Gustave  Geifroy,  Revue  drama- 
tique* —  21  avril;  Charles  PJIslerf  Albert  Lefort,  Henri  Webchiiïger,  Al- 
fred Kamb&ud,  £h«  Mourcy.  Revue  hittoriqtte.  —  2H  avril;  Nécrologie  : 
iOteph  Bertrand,  —  i>  mai;  Charles  Maurras,  Revue  littéraire  :  eritiq 
teurty  poètes.  —  Gustave  Geflïov,  Revue  dramatique.  —  IS  mai;  Albert  Pin- 
fâtidi  Henri  WeischÏBger,  L  Mann,  Ajidré  Le  Glay,  Félix  llouvier,  Revue  &t> 
torique.  —  19  mai;  Georges  Charlet,  La  littérature  coUonalc.—  y  juin;  Gus- 
tave GelTroy,  Revue  dramatique*  —  Charles  Maurras,  Repue  littéraire  po$U$t 
roi/ifturirrs  ri  conteurs,  —  16  juin;  Th*  Steeg,  V évolution  de  la  *  nouvelle» 
hoUx/te.  -,  23  juin;  L.  Vernola,  La  Littérature  en  Allemagne,  — 
Charles  Mourras,  Bévue  littéraire*  —  Lharles  Le  Qoïfict  Inauguration  du  menu? 
vient  de  dutj  de  Ma  n  passant  à  Houen. 

Le  liiups.  —  P'r  avril;  Gaston  Uesebamps*  La  rie  littéraire  :  méditation  sous 
rOdéoit.   —  Gabriel  Blotiod.  ar   Paul  de   Hem  usât,   —    2    avril;  Gus- 

tave l.arroumei,  Chronique  théâtrale.  —  3  avril;  Paul  Souday,  Le&  «*  mur< 
dé  MetlhûG  et  Itatèi '■;/.  —  4  avril;  Adolphe  Hrissou,  Promena  les  et  visites  :  sensa- 
tions de  carême.  —  h  avril:  Gaston  Deachomp*,  L«  vie  littéraire  souvenir*  sur 
Alphonee  Daudet*  —  9  avril;  Guitare  Larromuet,  Chronique  théâtrale,  —  Une 
i  suctltiise  sut  Flaubert*  —  Paul  Souday,  L'académie  Uoncourt.  —  15  avril; 
Gaston  Deschamps,  La  nie  littéraire  -  d'erposition  en  exposition.  —  10  avril; 
Lus!  ave  L&fitMiflEtôt,  Chronique  théâtrale.  —  18  avril;  Paul  Souday,  Af,  l'a  ut  lier- 
Dieu  et  le  pe&timieme  au  théâtre.  —  20  avril:  Paul  Souday.  Les  «  Stances  »  de 
Paul  Moréas.  —  22  avril;  Gaston  Descharnps,  La  tir  littéraire  ;  Tolitol  fahu- 
liste.  —  23  avril;  Gustave  LarrourueL,  Chronique  théâtrale*  —  29  avril; 
Gaston  Ûeachumpa,  La  Hie  littéraire  ;  If.  Paul  ïhnrtjet  et  les  femmes.  — 30  avril; 
Gustave  LarroumeL  Chronique  théâtrale.  —  3  mai;  T.  de  Wyzt'wa,  1  ne  fin  iné- 
dite (l'un  drame  d'Ibsen.  —  6  mai;  Le  droit  de  répons-  tl  m  Us  droits  de  Vhis- 
toire  ».  —  Gaston  Deschamps,  La  vie  littéraire  :  a  propos  de  J.-H.  Itamy,  — 
7  mai;  Gustave  Larroumel,  Chronique  théâtrale.  —  Un  fragment  politique 
if  André  Chénier.  —  10  mai;  Alfred  Mëzières,  Journal  intime  de  CuvîUier-Fteury. 

—  O  mai;  Gaston  Oeschamps,  La  vie  littéraire  :  le  Taintême  et  W.  ântùfae  BtfU- 
ffiaii».  —  14  mai;  liustave  Larrounu*U  Chronique  théâtrale,  —  16  mai; 
Alfred  Hlzîèrea,  In  vitraee forte* {ùbxVL.  Marcel  Prévost).  —  20 mai;  Gaston  Des- 
Champs,  La  vie  littéraire  :  autrefois  et  aujourd'hui,  le  poète  André  li> 

21  mai;  Gustave  hairoumet,  Chronique  théâtrale.  —  Henry  Michel,  F.  Ra* 
WtUim.  —  21  ruai,  Gaston  Deschampa,  La  vie  littéraire  :  nota  sur  la  littéra- 
ture hongroise,  —  2fi  mai;  Gustave  Larroumel,  Chronique  tfoùtrale.  —  Le 
monument  de  Guy  de  Maupo&tant  a  tiouea.  —  29  mai;  E.  Horn,  Maurice  Jokai, 

—  2 juin;  Le  congrès  dût  snrnr.es  de  Fioriture*  —  3  juin;  Gaston  h^ihamps, 
he  <><-  littéraire  :  Maurice  Mêi*  —  V  juin  ;  Gustave  Larroumet.  Chronique  thèd* 
traie.  —  0  juin;  Léon  Clery,  <>  bulateuf,  —  10  juin:  Gaston  Deschamps,  La 
Vie  littéraire  :  notes  d'histoire  mil  Unir  e.  —  Il  juin;  Gustave  Larron  met,  Chro- 
nique théâtrale.  —  16  juin;  Alfred  Mézières,  La  soeicU  française.  - —  17  juto ; 
Gaston  Uesehamps,  Li  vie  littéraire  :  femmes  nouiettts.  —  18  juin;  Gus- 
tave Larroumet,  Chronique  ttohitrale.  ^-  23  juin;  Henry  Michel,  Académie  fran- 
çaise :  réception  4e  M>  Paul  Hervieu,  —  34  juin;  Gaston  Deschamps,  La  vie 

RKV*    d'hIBT.   L1TTÈB-    DE  LA    FnA»CK  [""  Aod.l—   VU,  33 


502  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

littéraire  :  relations  de  voyage.  —  25  juin;  Gustave  Larroumet,  Chronique  théâ- 
trale. —  27  juin;  G.  Lenôtre,  La  Montansicr. 
Zeltochrlft  fur  franzoalsche   Sprmehe    nnd    Literatnr.    —  XXI,    6-8    : 

Nitzsche,  Ueber  Qualitàtsverschlechterung  franz.  Wôrter  und  Redensarten 
(0.  Dittrich).  —  W.  Klahn,  Un  im  Franz.  (E.  Herzog).  —  E.  Staaff,  Le  suffixe 
ime,  ième  en  français  (E.  Herzog).  —  K.  Quiehl,  Franz.  Aussprache  und  Sprach- 
fertigkeit  (Koschwitz).  —  Aucassin  u.  Nicolette,  p.  Suchier  (M.  Wilmotte).  — 
M.  Gisi,  Franz.  Schriftsteller  in  und  van  Solothurn  (R.  Mahrenholtz).  —  H.  Cor- 
dier,  Molière  jugé  par  Stendhal  (R.  Mahrenholtz).  —  G.  Rossmann,  Der  Aber- 
glaube  bei  Molière  (R.  Mahrenholtz).  —  F.  Tendering,  Molières  Femmes  savantes 
im  Unterricht  der  Prima  (R.  Mahrenholtz).  —  Kâthe  Schir mâcher,  Voltaire, 
eine  Biographie  (R.  Mahrenholtz).  —  E.  Allier,  Voltaire  et  l'affaire  Calas 
(G.  Carel).  —  M.  Liepraann,  Die  Rechtsphilosophie  des  J.-J.  Rousseau  (Er.  Jung). 
—  F.  Haymann,  J.-J.  Rousseaus  Socialphilosophie  (Er.  Jung).  —  W.  Ulrich, 
Der  franz.  Familienbrief  (C.  Th.  Lion).  —  Stier,  Lehrbuch  der  franz.  Sprache,  V, 
Syntax  (E.  Leitsmann).  —  Rostand,  Cyrano  de  Bergeract  comédie  héroïque, 
libers.  Fulda  (H.  J.  Heller).  —  Donriay,  L'Affranchie  (H.  J.  Heller).  —  M.  Le- 
blanc, Voici  des  ailes;  Rod,  Le  ménage  du  pasteur  Naudié;  Montégut,  Rue  des 
Martyrs;  Rosny,  Les  âmes  perdues;  Loti,  Reflets  sur  la  sombre  route;  France, 
Vanneau  cCamèthyste;  Rosny,  L'impérieuse  bonté  (H.  J.  Heller).  —  R.  M.  Meyer, 
Edmond  About  und  Alhanasius  Kircher.  —  XXII,  1-3  :  W.  Mangold,  Friedrich 
der  Grosse  und  Molière.  —  E.  Ritter,  Sainte  Eulalie.  —  K.  Morgenroth,  Zum 
Bedentungswandel  im  Franz.  II.  —  W.  Horn,  Zur  Lautlehre  der  franz.  Lehn- 
und  Fremdworter  im  Deutschen  (suite).  —  Doutrepont,  Notes  de  dialectologie 
tournaisienne. 

Zelftsehrlft  far  latelnlose  hohere  Schnlea.  —  XI,  3-4  :  C.  Humbert, 
Einige  auffàllige  Eigentùmlichkeiten  der  franz.  Formenlehre,  Syntax  und  des 
sonstigen  Sprachgebrauchs,  die  in  den  Grammatiken  und  Wôrterbûchern  kaum 
oder  garnicht  erwâhnt  werden  und  wohl  gar  den  aufgestellten  Regeln  wider- 
sprechen. 


LIVRES    NOUVEAUX 


Alem  (André).  D'Argenson  économiste  (thèse).  Paris,  Rousseau.  In-8,  de 
vih-188  p. 

AmalA  (G.).  Grandi  e  piccoli,  critica  litteraria.  Naples,  Priore.  In-16,  de  xv- 
239  p.  Prix  :  2  francs. 

Année  (1*)  poétique  (1900).  Trois  cent  soixante-cinq  poésies.  Paris ,  Fischba- 
cher.  In-16,  de  vm-403  p.  et  8  grav.  Prix  :  6  fr. 

Annuaire  de  la  Société  des  Amis  des  livres  (1900).  Compiègnc,  Mennecier. 
Petit  in-8,  de  159  p. 

Arnould  (Louis).  La  naissance  de  Racan.  la  Chapelle-Montligeon,  imp.  Notre- 
Dame.  In-8,  de  19  p.  (Extrait  de  la  Quinzaine). 

Asse  (Eugène).  Les  petits  Romantiques  (Antoine  Fontaney;  Jean  Polonius; 
l'Indépendance  de  la  Grèce  et  les  poètes  de  la  Restauration;  Jules  de  Ressé- 
guier;  Edouard  d'Anglemont).  Paris,  Leclerc.  In-8,  de  249  p. 

Atkinson  (C.  F.).  Michel  de  Lhospital.  London,  Longmans.  In-8. 

Baird  (H.  M.).  Theodor  Beza,  the  counsellor  of  the  French  Reformation,  1519- 
4605.  London,  Putnam.  In-8  de  398  p. 

Barbey  d'Aurevilly.  Lettres  à  M.  Trébutien,  extraits  (1843-1851).  Caen, 
Valin.  In-8,  de  xv-130  p.  (non  mis  dans  le  commerce). 

Bernardin  (N.  M.).  Hommes  et  choses  du  XVIIe  siècle.  Paris,  Société  française 
d'imprimerie  et  de  librairie.  In-18,  Jésus,  de  367  p. 

Bertrand  (Alexis).  Les  études  dans  la  démocratie.  Paris,  Alcan.  In-8,  de 
292  p.  Prix  :  5  fr.  (Bibliothèque  de  philosophie  contemporaine). 

Bosanet.  Lettre  inédite  au  cardinal  de  Noailles  (5  juin  1702),  publiée  et  annotée 
par  le  P.  Eugène  Griselle.  Paris,  Sueur -Charuey.  In-8,  de  12  p.  (Extrait  de 
la  Revue  de  Lille). 

Bossnet.  Oraison  funèbre  du  prince  de  Condé,  publiée  avec  une  notice  et  des 
notes  par  Alfred  Rébblliau.  Paris,  Hachette.  In-16,  de  95  p.  Prix  :  0  fr.  75. 

Bourdin  (Gustave).  Enseignement  littéraire  :  Notes  sur  la  langue  du 
XVII0  siècle.  Nevcrs,  Roulin.  Petit  in-8,  de  63  p. 

Bournon(Fernand)  et  Duval  (Gaston).  Bibliographie  des  travaux  de  M.  A.  de 
Montaiglon.  Supplément.  Paris,  Leclerc.  In-8,  de  18  p.  et  un  portrait. 

Boutié,  S.  J.  (le  P.  Louis).  Fénelon.  Paris,  Retaux.  In-8,  de  vu-335  p.  et  un 
portrait. 

Boutroux  (Emile).  Notice  sur  Paul  Janet.  Versailles,  Cerf.  In-18,  de  18  p. 
(Extrait  de  V Annuaire  de  l'Association  des  anciens  élèves  de  l'École  normale  supé- 
rieure). 

Brittson  (Adolphe).  Les  livres  de  Sarcey.  Compiègne,  Mennecier.  In-8,  de  22  p. 
et  grav.  (Imprimé  pour  les  Amis  des  livres). 

Buisson  (S.).  Les  registres  de  V Académie  française  (1672-1793).  La  Chapelle" 
Montligcon,  imp.  de  Notre-Dame.  In-8,  de  29  p.  (Extrait  de  la  Quinzaine). 

Catalogue  général  des  livres  imprimés  de  la  Bibliothèque  nationale  (Auteurs). 
Tome  II  :  Alcaforada-Andoyer.  Paris,  Imprimerie  nationale.  In-8  à  2  colonnes, 
de  vi-624  p. 


504  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Chapotin  (le  R.  P.  M.  D.).  Le  Père  Didon.  Paris,  Jourdain.  In-8,  de  3i  p.  et 
portrait. 

Chatel  (Eugène).  «  La  querelle  du  Cid,  pièces  et  pamphlets  publiés  d'après  les 
originaux,  avec  une  introduction  par  Armand  Gasté.  »  Nogent-le-Rotrou,  impr. 
Daupeley -Gouverneur.  In-8,  de  10  p.  (Extrait  de  la  Bibliothèque  de  l'École  des 
Chartes). 

Cbérot,  S.  J.  (Le  P.  Henri).  Une  contribution  nouvelle  à  la  correspondance  de 
saint  François  de  Sales.  Paris,  Dumoulin.  In-8,  de  9  p.  (Extrait  des  Études- 
publiées  par  des  PP.  de  la  Compagnie  de  Jésus). 

Chesneau  (L.).  Comment  Bossuet  a  compris  le  sermon.  Blois,  Migaxdt.  In-18r 
de  18  p. 

Clément-Simon  (G.).  Un  épistolier  de  V école  de  Voiture  et  de  Balzac  :  l'abbé 
de  Lagarde;  la  société  lulloise  au  temps  de  Mascaron).  Parts,  Champion.  In-8,. 
de  38  p. 

Cloua rd  (Maurice).  Documents  inédits  sur  Alfred  de  Musset.  Paris,  Rouquette. 
In-8,  de  281  p.  et  portraits.  Prix  :  10  fr. 

Couderc  (Camille).  Documents  inédits  sur  Guillaume  Hchet  et  sa  famille- 
Paris,  Leclerc.  In-8,  de  13  p.  (Extrait  du  Bulletin  du  bibliophile.) 

tour  tan*  (Thédore).  Pierre-Daniel  Huet,  évéque  d'Avranches  (1630-1721). 
Vannes,  Lafolye.  In-8,  de  8  p.  (Extrait  de  la  Revue  des  questions  héraldiques). 

Coyeeque  (Ernest).  Inventaire  de  la  collection  Anisson  sur  l'histoire  de  l'im- 
primerie et  de  la  librairie,  principalement  à  Paris  (manuscrits  français  de  la 
Bibliothèque  nationale,  n°  22061-22193).  Paris,  Leroux.  2  vol.  grand  in-8. 
T.  Ier  (22061-22102),  de  cvi-485  p.  et  portraits;  t.  11(22103-22193),  de  644  p. 

Cuvilller-Fleury .  Journal  intime,  publié  avec  une  introduction  par 
Ernest  Bertin.  T.  1er  :  la  Famille  d'Orléans  au  Palais-Royal  (1828-1831).  Parts, 
Pion.  In-8,  de  lxvii-368  p.  et  2  portraits.  Prix  :  7  fr.  50. 

Delaporte,  S.-J.  (Le  P.  V.).  Études  et  causeries  littéraires.  \n  série  :  Victor 
Hugo;  Leconte  de  Lisle;  Alphonse  Daudet.  2°  série  :  Louis  Veuillot;  Gresset; 
G.  Nadaud.  Paris,  Desclée,  de  Brouwer.  In-8,  2  vol.  de  237  p.  et  portraits. 

Delmont  (le  chanoine).  Bossuet  et  la  dernière  iHlre  de  Léon  XIII  au  clergé  de 
France,  conférence.  Meaux,  Le  Blonde l.  In-8.  de  39  p. 

Dercux.  (IL).  Notice  sur  Francisque  Bouillier.  Versailles,  Cerf.  In-8,  de  10  p. 
(Extrait  de  V Annuaire  de  V Association  des  anciens  élèves  de  l'École  normale  supé- 
rieure). 

Doumic  (René)  et  Levrauld  (Léon).  Éludes  littéraires  sur  les  auteurs  français 
prescrits  pour  l'examen  du  brevet  supérieur.  Paris,  Delaplane.  In-18  jésus,  de 
456  p. 

Druon  (IL).  Bossuet  à  Meaux.  Paris,  Lcthielleux.  In-16,  de  264  p. 

Du  .Bled  (Victor).  La  Société  française  du  XVIe  au  XXn  siècle  (xvi°et  xvue  siè- 
cles). Paris,  Perrin.  In-16,  de  xxix-319  p. 

Duels  (J.-F.).  Corrtspondunce  inédite  avec  le  prince  Louis-Eugène  de  Wurtem- 
berg (1703-1773),  publiée  par  E.  de  Refuge.  Paris,  Charavay.  In-8,  de  48  p. 
(Extrait  de  V Amateur  d'autographes). 

Faguet  (Emile).  Histoire  de  la  littérature  française,  illustrée  d'après  les 
manuscrits  et  les  estampes  conservés  à  la  Bibliothèque  nationale.  Paris,  Pion. 
2  vol.  in-8.  T.  Ier  (Depuis  les  origines  jusqu'à  la  fin  du  xvi°  siècle),  487  p.  ;  t.  II 
(Depuis  le  xvne  siècle  jusqu'à  nos  jours),  479  p.  Prix  :  12  fr. 

Dncrocq  (l'abbé  Louis).  Un  poète  lépreux  de  Vile  Bourbon.  Paris,  Sueur- 
Charruey.  In-8.  de  26  p.  (Extrait  de  la  Revue  de  Lille). 

Fa  h  r  manu  (E.).  Jean-Jacques  Rousseaus  Naturauschauung.  Programme  de 
Plauen.  In-4,  de  60  p. 

Fériclon.  Dialogues  des  morts,  suivis  de  quelques  dialogues  de  Boileau,  Fon- 
tenelle,  d'Alembert,  avec  une  introduction  et  des  notes  par  B.  Jullien.  Paris, 
Hachette.  In-16,  de  xvi-351  p.  Prix  :  1  fr.  60. 

Flaubert  (Gustave).  Salammbô.  Compositions  de  Georges  Rochegrosse.  Pré-  ' 


LIVRKS    NOUVEAUX.  505 

face  de  Léon  Henniqub.  Paris,  Ferrawl.  2  vol.  in-8.   T.  I,  xxiv-191  p.;  t.  If, 
237  p. 

Galli  (H.).  Paul  Déroidède  raconte  par  lui-même.  Préface  de  François  Coppée. 
Paris,  Pion.  In-16,  de  vm-143  p.  et  portrait.  Prix  :  0  fr.  60. 

Gaultier  (Jules  de).  De  Kant  à  Nietzsche.  Paris,  Société  du  Mercure  de  France. 
In-18  Jésus,  de  356  p.  Prix  :  3  fr.  50. 

Gilardin  (t.).  François-Cyrille  Rouillier  (1813-1899).  Notes  intimes.  L'homme 
et  l'écrivain.  Lyon,  Waltener.  In-8,  de  39  p.  (Extrait  de  la  Hevue  du  Lyonnais). 

Gilbert  (Emile).  Michelet  écrivain  naturaliste.  Introduction  par  François 
•Coppée.  Moulins,  Grégoire.  In-8.  de  viu-oi)  p. 

Gnérln  (Maurice  de).  Le  Centaure.  Notice  par  R.  de  Gourmont.  Paris,  Société 
du  Mercure  de  France.  In-8,  de  59  p.  et  grav. 

Gulttcau  (À.).  Les  droits  et  les  devoirs  du  spectateur  au  théâtre,  discours. 
Poitiers,  Biais  et  Roy.  In-8,  de  28  p. 

Haguenot  (Marie-André).  L*s  oiseaux  cfiez  La  Fontaine,  conférence,  Mont 
pellier,  Firmin  et  Montane.  In-8,  de  2i  p. 

Hallays  (André),  liucine  poète  lyrique,  conférence.  Paris,  bureaux  de  la  Schula 
cantorum,  4o,  rue  Stanislas.  In-8,  de  48  p. 

Bémon  (Félix).  Cours  de  littérature.  XV  :  Montesquieu.  Paris,  Delagruve. 
ln-18,  de  75  p. 

Jnrdell  (D).  Répertoire  bibliographique  des  principales  revues  françaises  pour 
Tannée  4898  (2e  année).  Paris,  Per  Lamm.  Grand  in-8,  à  2  colonnes  de 
i-27i  p. 

Lacombe  (Paul).  Jules  Cousin  (1830-1899).  Souvenirs  d'un  ami.  Paris, 
Leclcrc.  In-8,  de  95  p.  et  grav.  (Extrait  du  Bulletin  du  bibliophile). 

Lnngloi«  (Ernest).  Anciens  proverbes  français.  Nogent-le-Rotrou,  imp.  Dau- 
jyelr  y -Gouverneur.  In-8,  de  33  p.  (Extrait  de  la  Bibliothèque  de  F  École  des 
Chartes). 

Latrcille  (C).  La  /in  du  théâtre  romantique  et  François  Ponsard,  d'après  des 
-documents  inédits.  Paris,  Hachette.  In-8,  de  xvm-435  p.  et  portrait. 

Leelgne  (C).  Ernest  Pouvillon.  Paris,  Sueur-Charrue  y.  In-8,  de  2*  p.  (Extrait 
de  la  Revue  de  Lille). 

Lévy-Bruhl  (L.).  Jji  philosophie  d'Auguste  Comte.  Paris,  Alcan.  In-8,  de 
423  p.  Prix  :  7  fr.  50  (Bibliothèque  de  philosophie  contemporaine). 

Marglval  (Henri).  Essai  sur  Richard  Simon  et  la  critique  biblique  au  XVIIe  siècle. 
Paris,  Maillet.  In-8,  de  xxvm-336  p. 

Mérimée  (Prosper).  Lettres  inédites.  Introduction  par  Félix  Chamïkw.  Mou- 
lins, Crépin-Leblond.  In-8,  de  cxxix-236  p.  (non  mis  dans  le  commerce). 

Merlent  (Joseph).  Le  charme  de  Pierre  Loti  (à  propos  des  Reflets  sur  la  sombre 
route).  Paris,  Sueur  Char rucy.  In-8,  de  21  p.  (Extrait  de  la  Revue  de  Lille). 

Moncalm  (M.).  L'origine  de  la  pensée  et  de  la  parole,  étude.  Paris,  Alcan. 
In-8,  de  322  p.  Prix  :  5  fr.  (Bibliothèque  de  philosophie  contemporaine). 

Mugnier  (François).  Nouvelles  lettres  de  Mmc  de  Warcns  (1722-1760).  Paris, 
-Champion.  ïn-8,  de  146  p.  (Extrait  des  Mémoires  de  la  Société  savoisienne  d'his- 
toire et  d'archéologie,  t.  XXX  VIII) . 

Paquler  (J.).  L'humanistne  et  la  Réforme  :  Jérôme  Aléandre,  de  sa  naissance  à 
•la  lin  de  son  séjour  ù  Brindcs  (1480-1529)  (Thèse).  Paris,  Leroux.  In-8,  de 
•Lxxiu-397  p.  et  planches. 

Paquler  (J.).  De  Philippi  Beroaldi  junioris  vita  et  scriptis  (1472-1518). 
(Thèse).  Paris,  Leroux.  In-8,  de  127  p. 

Picot  (Georges).  Montesquieu  :  Pensées  et  fragments  inédits.  Compte  rendu 
du  tome  Ier.  Orléans,  Pigelet.  In-8,  de  32  p.  (Extrait  du  Comptes  rendus  de  l'Aca- 
Mmie  des  sciences  morales  et  politiques). 

Pilon  (Albert).  Un  chansonnier  national  :  Réranger,  conférence.  Compiègne, 
Lefcbvre.  In- 16,  de  52  p. 

Poupé  (Ed.).  Les  représentations  scéniques  à  Cuers  à  la  fin  du  XVI9  siècle  et  au 


506  HEVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA  FRANCE. 

commencement  du  XVIIe.  Paris,  Imprimerie  nationale.  In-8,  de  7  p.  (Extrait  du 
Bulletin  historique  et  philologique,  4899). 

Prévost  (l'abbé).  Manon  Lescaut.  Préface  de  Charles  Pllsbnt.  Illustrations 
de  Maurice  Leloir.  Parts,  Chavaray  et  Mantoux.  In-16,  2  vol.,  de  147  p.  et 
113  p. 

Payol  (M«r  P.  E.).  L'auteur  du  livre  €  De  imitatione  Christi  ».  i™  partie  :  la 
contestation;  2e  partie  :  bibliographie  de  la  contestation.  Paris,  Retaux.  In-8, 
de  vm-638  p. 

Racine.  Phèdre.  Nouvelle  édition  revue  sur  celle  de  1697,  avec  notes,  et  pré- 
cédée d'une  introduction  par  P.  Jacquinbt.  Paris,  Belin.  In-12,  de  lui-103  p. 

Rebière  (A.).  Pages  choisies  des  savants  modernes,  extraites  de  leurs  œuvres. 
Paris,  Nony.  In-8,  de  vni-618  p.  et  portraits. 

Rebière  (Gratien).  Un  moine  moderne  :  le  Père  Didon  (1840-1900).  Paris, 
Mersch.  In-8,  de  40  p.  et  portraits  (non  mis  dans  le  commerce). 

Robert  (Ulysse).  Les  origines  du  théâtre  à  Besançon.  Nogent-le-Rotrou,  Dau- 
peley -Gouverneur.  In-8,  de  19  p.  (Extrait  des  Mémoires  de  la  Société  nationale 
des  antiquaires  de  France). 

Roby  (l'abbé).  Virgilo  Limouzi,  poème  inédit  de  1748,  en  vers  limousins  bur- 
lesques, suivi  d'une  traduction  par  Hubert  Texier.  Paris,  Bouillon.  In-8,  de 
xxxvin-342  p. 

Sehlrmaeher  (Kàthe).  Paris!  (illustriert  von  A.  Moreaux  et  F.  Marks).  Berlin, 
Schall.  In-8°,  de  v-365  p. 

Vallat  (Henry).  Le  barreau  de  Montpellier  du  moyen  âge  au  XIXe  siècle  (1204- 
1821),  discours.  Montpellier,  Pirmin  et  Montane.  In-8,  de  30  p. 

Voltaire.  Huit  lettres,  publiées  avec  une  introduction  et  des  notes  par 
L.  Brunel.  Paris,  Hachette.  In-16,  de  xix-43  p.  Prix  :  0  fr.  75. 

Vullhorgne  (L.).  Raoul  Adrien,  jurisconsulte,  poète  et  érudit  beauvaisien 
(1561-1626).  Beauvais,  imp.  du  Moniteur  de  l'Oise.  In-8,  de  15  p.  (Extrait  des 
Mémoires  de  la  Société  académique  de  roise). 

Worms  (Fernand).  Le  droit  des  pauvres  sur  les  spectacles,  théâtres,  bals  et 
concerts,  etc.,  en  France  et  à  l'étranger.  Législation,  doctrine  et  jurisprudence. 
Préface  par  Eugène  Pouillet.  Paris,  Larose.  In-8,  de  vi-292  p.  Prix  :  6  fr. 


CHRONIQUE 


—  La  Société  d'histoire  littéraire  de  la  France  a  tenu  sa  séance  générale 
annuelle  le  jeudi  31  mai,  à  cinq  heures,  dans  Tune  des  salles  du  Collège  de 
France,  sous  la  présidence  de  M.  Gaston  Paris. 

Le  Président  a  ouvert  la  séance  par  une  allocution  dans  laquelle  il  a  exprimé 
les  regrets  de  la  société  sur  les  pertes  qu'elle  a  faites  cette  année  de 
MM.  Félix  Frank,  Charles  Marty-Laveaux  et  Etienne  Charavay.  Puis,  après 
avoir  exposé  quelques  vues  personnelles  sur  l'objet  de  nos  études  communes 
et  sur  les  travaux  de  la  société,  il  a  donné  la  parole  au  Trésorier,  qui  a  présenté 
l'état  financier  suivant  pour  Tannée  4899  : 

RECETTES 

Excédent  de  recettes  au  31  décembre  1899 1 .009  85 

240  cotisations  à  20  francs 4.800    » 

77  abonnements  à  19  francs 1 .463    » 

Plus  13  abonnements  à  reporter  sur  1900 247    » 

63  numéros  à  4  fr.  75 299  25 

14  numéros  à  prix  réduit 42    » 

1  année  au  prix  réduit  de  15  francs  (net  12  francs). . .  12    » 

Coupons  encaissés 30    » 

Montant  total  des  recettes 7.903  10 

DÉPENSES 

Travaux  divers  (frais  accessoires  de  bureau) 181  30 

Papeterie 17  90 

Publicité 30  45 

Dessins,  clichés 46  55 

Affranchissement 330  24 

Papier 61 0  20 

Impression  et  brochage 3.105  70 

Collaboration 1 .955  10 

Frais  de  recouvrement  de  240  cotisations 120    » 

6.397  44 

Excédent  de  recettes 1.505  66 

7.903  10 


Les  comptes  qui  précèdent  ont  été  mis  aux  voix  et  adoptés  à  l'unanimité 
par  l'assemblée  générale. 

M.  Paul  Bonnefon,  secrétaire,  a  donné  ensuite  lecture  du  rapport  suivant 
sur  les  travaux  de  la  société  : 

«  Messieurs,  c'est  un  plaisir  et  un  honneur  particuliers  que  la  bonne  fortune 
d'avoir  à  prendre  la  parole  au  nom  d'une  société  dont  la  raison  d'être  est  le 


508 


BEVUE    U  HISTOIRE    LITTÊJUUilE    &Ê    Là    FRANCE. 


culte  des  lettres  françaises,  en  celle  année  où  le  rayonnement  du  génie  fran- 
lemhte  brillera  travers  Le  monde  d'un  éclat  plus  vif  et  plus  sêduïs&nt- 
Pour  mot,  je  n'ai  jamais  rnieui  senti  qu'en  ce  moment  tout  le  prix  de  la  mis- 
sion que  vulre  choix  m'a  conllée,  et  ec  m'est  on  devoir  1res  agréable  de  sou- 
haiter la  bienvenue*  de  votre  part,  à  tous  ceux  qui,  attirés  par  cet  éclat,  ont 
passé  leurs  frontières  pour  venir  voir  de  près  les  manifestations  du  labeur  de 
noire  pajl.  Ortes  nous  serions  ingrats  de  ne  pas  accueillir  avec  empresse- 
ment ces  visiteurs  bienveillants,  car  notre  société  reçoit  de  l'étranger  des 
encouragements  qui  sont  peut-être),  toutes  proportions  gardées,  plus  nom- 
breux et  plus  efficace!  que  ceux  qui  lui  viennent  de  la  France  elle-même^  el 
dont  nous  devons  être  d'autant  plus  fiers  et  reconnaissants  qu'ils  parlent  de 
plus  loin.  Cela  surprendra  sans  doute  quelques  esprits  superficiels,  CétiS  qui 
croient  que  rien  ne  saurait  appartenir  phi  s  en  propre  à  une  nation  que  sa 
langue  ou  sa  littérature,  Les  autres,  ceux  qui  pensent  ou  qui  observent, 
savent  que  l'icb&ngf  dei  idées  par  les  mots  ou  des  mots  par  Jes  i 
incessant  et  que  c'est  la  te  libre-échanpe  idéal  que  Jes  économistes  rêvent  en 
vain  d'appliquer  .iti.v  produits  matériels;  ils  savent  par  expérience  que  le  tra- 
vail intellectuel,  en  élevant  l'homme  au-dessus  des  Contingences  de  sa  race,  Je 
rend  apte  à  saisir  la  beauté  sons  Unîtes  Jes  formes,  à  servir  la  vérité  de  toutes 
ses  force*  et  par  tous  ses  moyens,  îe  fait*  en  un  mot,  suivant  la  noble  expres- 
sion du  poète,  le  concitoyen  de  toute  àrne  qui  pense, 

«  G'ttft  pour  cela,  messieurs,  que  ces  adhésions  venues  du  dehors  il  noire 
œuvre  commune,  fussent-elles  platoniques,  nous  toucheraient  encore  grande- 
ment :  c'est  un  hommage,  et  des  plus  délicats,  à  nos  travaux,  c'esl  la  preuve 
qu'on  apprécie  nos  efforts  et  qu'ils  ne  sont  pas  vains.  Mus  il  y  a  plua  :  c'esl 
aussi  une  leçon  pour  nous.  L'étranger  sait  mieux  que  nous-mêmes  combien 
est  profitable  et  fructueuse  la  communauté  du  labeur  scientifique,  la  cohésion 
detf  recherches,  l'association  des  bonnes  volontés  tendant  par  des  voies  dlVCl 
vers  un  but  déterminé,  et  c'est  pour  cela  qu'il  y  contribue  le  plus  efficacement 
qu'il  le  peut,  même  quand  il  ne  semble  pas  directement  intéressé  à  la  réus- 
site de  l'entreprise.  Sachons  profiter  de  renseignement,  groupons-nous  aurore 
davantage,  el  de  plus  près,  coude  à  coude,  dirigea  us -DOU  S  vers  le  terme  pro- 
pagé, New  voisins  nous  y  convient  eu  venant  à  nous  et  chez  nous;  en  agissant 
ainsi  nous  leur  montrerons  que  nous  avons  gag-né  à  leur  fréquentation  et  à 
leur  commerce,  Assu renient  nous  pourrions  montrer  cette  solidarité  d'une 
façon  plus  sensible,  mais  non  pas  plus  utile.  FfûBt  aurions  pu,  comme  le  feront 
sans  doute  d'aulres  sociétés  plus  favorisées  que  la  nôtre,  nous  réunir  en  tel 
séances  solennelles,  prendre  part  à  des  congrès,  organiser  des  expositions 
partielles,  La  modicité  de  nos  ressources  matérielles  ne  nous  permettait  pas 
toutes  ces  prodigalités  avec  lesquelles  il  nous  eut  été  agréable  de  plaire  a  nos 
visiteurs,  et  nous  nous  contentons,  humbles  travailleurs  que  nous  sommes,  de 
les  recevoir  avec  la  gratitude  franche  et  cordiale  de  ceux  qui  comptent  suc  Ja 
bonne  grâce  pour  faire  excuser  le  trop  de  simplicité  de  leur  accueil, 

a  Ce  n'est  pourtant  pas  à  dire,  messieurs,  que  la  situation  de  notre  société 
soit,  en  ce  moment,  particulièrement  délicate.  .Nous  avons  vécu,  pendant 
l'année  qui  vient  de  s'écouler,  la  même  vie  discrète  et  calme  qui  fut  la  noire 
depuis  plus  de  six  ans  et  nos  ressources  sont  demeurées  ce  quelles  étaient 
auparavant.  Le  chitfre  de  nos  adhésions  a  même  augmenté,  ohï  1res  légère- 
ment, mais  enfin  c'est  la  un  symptôme  qui  n'a  rien  d'alarmant,  bien  au  con- 
traire. Voici  quelques  chiffres  qui  vous  édifieront  à  ce  sujet.  Nous  avons  eu 
le  regret  de  perdre  cette  année  trois  confrères  décédés,  sur  lesquels  M,  le 
Président  exprimait  tout  à  l'heure  les  sentiments  que  nous  éprouvons  tous.  À 
ces  pertes,  hélas!  définitive*,  s'ajoutent  d'autres  pertes  que  nous  pouvons 
espérer  momentanées  ;  ce  ne  serait  pas  la  première  fois  qu'on  nous  reviendrait 
après  nous  avoir  quittés  un  instant,  Douze  de  nos  adhérents  antérieurs  ont  cru 
devoir  nous  adresser  leur  démission,  et  ce  chiffre,  ajoulé  au  précèdent,  forme 


CHRONIQUE. 


509 


un  total  de  quinze  noms  qui  figuraient  auparavant  sur  nos  listes  et  qui  ne  sfy 
trouveront  plus  désormais,  Nottt  n'avons  pour  combler  ces  vides  que  dix 
membres  nouveaux,  ce  qui  accuse  un  déficit  de  cinq  membres  dans  le  norithre 
entier  de  nos  adhéivnis  :  '2'.iH  en  1900  au  lieu  de  243  en  i899+  Ce  n'est  donc 
pas  de  celte  lu  cou  que  nous  nous  sommes  enrichis,  Mais  tandis  que  le  chiffre 
de  nos  sociétaires  diminuait  de  la  sorte,  dans  de  faibles  proportions,  il  est 
vrai,  le  chiffre  de  nos  abonnés  croissait  d'autre  part,  faiblement  encore,  il  faut 
le  reconnaître,  mais  enfla  .suffisamment  pour  combler  les  vides  qui  se  produi- 
saient ailleurs,  .Nous  avons,  cette  Année,  Stî  abonnés  contre  75  que  nous  avions 
Tan  passé»  soit  un  accroissement  de  sept  abonnés,  ce  qui,  défalcation  faite  de 
cinq  vides  de  notre  liste  d'adhcivnis  nous  laisse  un  surplus  de  deux  abonnés 
nouveaux.  Et  en  ellet,  le  nombre  global  de  ceux  qui  nous  encouraient  par 
leurs  versements  annuels  est  aujourd'hui  de  320  au  lieu  de  318  qu'il  était  Fan 
passé.  Le  progrès  est  mince,  mais  il  est  réel,  et  nous  devrions  noua  en  réjouir 
d'autant  plus,  s'il  est  vrai,  comme  l'assurent  les  naturalistes,  que  les  progrès 
les  plus  loagl  à  venir  et  les  plus  restreints  sont  en  même  temps  les  plus  du- 
rables et  ceux  qui  restent  le  mieux  acquis. 

"  Souhaitons  maintenant,  messieurs,  que  ce  mouvement  d'ascension  persé- 
vère et  s'accentue.  Mais  toutes  Les  constatations  exposées  ci-dessus  appellent 
des  remarques.  Certes,  nous  ne  faisons  aucune  distinction  entre  les  adhé- 
sions qui  nous  parviennent  :  toutes,  d'où  qu'elles  arrivent,  nous  sont,  agréables 
et  sont  également  bienvenues.  Mais  enfin  être  abonné  à  la  Revue  dïhistoirc  Ut- 
têvaire  de  ia  France  ou  membre  de  la  Société  d'histoire  littéraire  de  la  France 
4X1  n'est  pas  tout  à  fait  la  même  chose.  Quand  on  est  membre  d'une  société, 
c'est  qu'on  adhère  pleinement  à  ses  statuts,  que  l'union  est  intime  avec  elb-  el 
qu'on  prend  part  autant  qu'on  le  peut  aux  hasards  d'une  entreprise  à  laquelle 
on  se  voue  de  son  mieux.  Au  contraire,  l'abonné  a  un  recueil  périodique  est 
rattaché  à  ce  recueil  par  des  liens  plus  lâches,  et,  lOtnMe-t-il,  plus  faciles  à 
rompre.  Or,  c'est  surtout  sous  cette  dernière  forme,  vous  l'avez  vu,  que  nous 
viennent  les  adhésions  nouvelles  qui  s'intéressent  a  notre  omvre  commune,  La 
raison  n'est  pas  difficile  à  saisir*  On  estime  assurément  qu'il  su  Nil.  pour  par- 
ticiper a  celte  œuvre,  de  prendre  un  abonnement  au  recueil  périodique  qui  en 
est  le  principal  organe,  et  même,  jusqu'à  présent,  à  peu  prés  l'unique  organe. 
Sans  doute  le  résultat  matériel  est  atteint  de  ta  sorte,  mais  cette  façon  de 
procéder  offre  des  inconvénients  qu'il  est  bon  de  signaler. 

«  Outre  qu'une  certaine  cohésion  est  nécessaire  aux  actes  dune  société  quelle 
qu'elle  soit,  qu'une  communauté  de  vues  et  de  tendances  est  indispensable 
pour  poursuivre  un  but  général,  ceux  qui  préfèrent  verser  leur  allocation 
-annuelle  sous  la  forme  du  prix  d'un  abonnement  plutôt  que  du  montant 
d'une  cotisation  peuvent  être  lésés  par  leur  manière  même  d'agir,  Et  voici 
-comment.  Le  membre  d'une  société,  par  le  fait  qu  il  court  tous  ses  risques,  a 
drûtt  à  tous  tes  avantages  qu'elle  procure  :  c'est  de  stricle  justice.  Nous  n'avons 
pas  pu,  il  est  vrai,  jusqu'ici  offrir  à  nos  adhérents  tous  ceux  que  nous  aurions 
aimé  leur  donner.  Mais  il  n'en  sera  pas  toujours  ainsi;  nous  l'espérons  tous 
et  j'ajoute  que  tous  nous  y  travaillons  dans  des  mesures  diverses.  Ceux  donc 
qui  s'attachent  à  nous  en  s 'attachant  exclusivement  à  notre  revue  perdent  de 
vue  notre  plan  d'ensemble  pour  s'en  tenir  à  un  détail;  ils  courent  le  danger, 
eu  se  particularisant  ainsi,  de  ne  pas  jouir  des  autres  avantages,  éventuels 
encore,  mais  fort  probables,  qui  viendront  à  nos  adhérents  d'ailleurs  que  de 
la  revue,  et  il  convient  de  leur  signaler  d'ores  et  déjà  ce  danger  pour  leur 
éviter,  le  cas  échéant,  des  mécomptes  dont  ils  ne  sauraient  se  prendre  qu'à 
eux-mêmes. 

«  Je  sais  bien  que  cet  état  de  choses  n'est  pas  à  craindre  immédiatement.  Il 
semble  qu'une  sorte  de  fatalité  s'appesantisse,  bien  malgré  nous,  sur  les  pro- 
jets de  publications  qui  se  présentent  à  notre  examen,  Lan  passé,  en  pareille 
circonstance,  je  faisais  allusion,  en  me  défendant  d'être  plus  explicite,  à  un 


5n> 


H^VL'E    b  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    M    LA    FJM3CE. 


dessein  dont  j'aurais  voulu  vous  annoncer  cette  année  la  réalisation  prochaine. 
Pourquoi  ne  pas  dire  aujourd'hui  qu'en  parlant  de  la  sorte  je  songeais  k  une 
entreprise  dont  nous  avait  entretenus  notre  très  regretté  confrère  Etienne  Cha- 
Taray?  Luit  qui  avait  eu  entre  les  mains  tant  de  papiers  précieux,  vestiges  et 
souvenirs  du  passé,  avait  trouvé  parmi  eux  des  documents  importants  pour 
l'histoire  littéraire  de  notre  xviir  siècle  et  aussitôt  il  avaiL  songé  à  eu  faire 
part  k  notre  société,  Il  se  proposait  de  les  mettre  en  œuvre  aussitôt  que  d'au- 
tres devoirs  lui  en  laisseraient  le  loisir.  Le  destin  ne  le  lui  a  pas  permis.  Mais 
nous  lâcherons  d'y  pourvoir,  soit  que  le  projet  d'Etienne  Charavay  puisse  être 
repris  par  un  autre  que  lui,  soit  qu'il  nous  faille  chercher  ailleurs  la  matière 
d'un  travail  nouveau. 

ff  En  attendant,  messieurs,  La  Revue  reste  notre  trait  d'union  le  plus  solide, 
la  tribune  ouverts  aux  communications  de  tout  le  monde,  le  symptôme  le  plus 
''vident  de  notre  activité,  de  notre  vitalité.  Il  serait  malséant  de  prétendre 
vous  apprendre  ce  quelle  a  fait,  à  vous  qui  la  suiver  avec  persévérance,  qui 
ne  cessez  de  mesurer  ses  efforts  et  de  les  ju^er  avec  impartialité.  Elle  essaie 
de  rester  ce  qufelle  fut  dés  le  début,  un  organe  utile  aux  travailleurs,  recueil- 
Irint  de  toutes  parts  ce  qui  petit  leur  être  profitable  et  le  mettant  à  leur  portée 
d'une  manière  abordable  et  précise.  Les  résultats  augmentent  sensiblement 
avec  le  temps  et  c'est  pour  cela  que  nous  avons  cru  qu'il  était  nécessaire  d'en 
dresser  l'inventaire  pour  nos  cinq  premières  années.  Vous  avez  maintenant 
cette  table  des  commencements  de  la  Aei-'tic,  dressée  par  notre  confrère  M.  Mau- 
rice Ton  rn eux,  dont  je  vous  parlais  Tau  passé,  et  vous  pouvez  retrouver  aisé- 
ment grâce  a  elle  tout  ce  que  nos  premiers  volumes  contiennent-  Une  table 
des  matières  c'est  un  examen  de  conscience,  et  il  importe  aux  sociétés  comme 
aux  individus  de  le  faire  le  plus  souvent  possible,  à  condition,  bien  entendu, 
d'y  apporter  une  entière  bonne  fui.  Avons-nous  tenu  nos  promesses  de  l'ori- 
gine, avons- no  us  persévéré  dans  la  voie  tracée  et  fait  œuvre  utile?  Le  relevé 
si  consciencieux  de  M.  Tourneux  parlera  pour  nous  en  énumêraut  seulement 
Queifl  furent  nos  travaux  pendant  cinq  ans.  Je  doute  qu'après  l'avoir  feuilleté, 
même  d'une  main  superficielle,  on  réponde  négativement  aux  questions  que  je 
posais  tout  à  l'heure  et  qu'on  est  en  droit  de  nous  poser.  Grâce  à  la  méthode 
si  précise  et  si  lucide  d'un  bibliographe  rompu  à  de  pareils  ouvrages  et  dont 
les  preuves  de  maîtrise  en  ce  genre  ne  sont  plus  à  faire,  nos  efforts  et  les 
résultats  de  ces  efforts  ne  risquent  pas  désormais  d'être  méconnus.  Il  suffira 
d'un  coup  d'œil  pour  permettre  même  aux  plus  négligents  d'en  prendre  con- 
naissance, et  il  sera  de  moins  en  moins  loisible  de  les  ignorer  sous  prétexte 
qu'ils  sont  vo  loti  ta  ï  renient  modestes  et  sans  éclat.  En  se  rendant  utile  une  Ebtj 
de  plus  aux  chercheurs,  M,  Tourneux  nous  a  rendu  service  et  il  a  de  ce  fait 
droit  a  la  gratitude  de  tous. 

<i  Four  l'avenir,  messieurs,  il  faudra  nous  efforcer  encore  de  fournir  une 
matière  tout  au  moins  aussi  abondante  et  aussi  variée  à  celui  qui  dressera 
plus  lard  la  table  des  matières  de  notre  seconde  période  quinquennale.  —  Et 
j'espère  Fort,  pour  ma  part,  que  ce  sera  l'auteur  même  de  la  première*  —  lia 
pareil  soubait  nTa  rien  d'exagérément  prématuré,  puisque  nous  sommes  déjà 
dans  notre  septième  année  d'existence  et  que  la  Revue,  grâce  à  vous,  continue 
a  être  amplement  fournie  de  communications  de  toutessorles.il  convient 
qu'elle  reste  ce  qu'elle  a  été  jusqu'à  maintenant:  un  répertoire  de  faits  et 
d'idées,  où  l'on  doit  pouvoir  prendre  à  pleines  mains,  en  toute  confia: 
quitte  à  apporter  soi-même  ensuite  et  a  verser  au  fonds  commun  ce  qu'on  croit 
avoir  découvert  de  profitable  aux  études  de  tous.  C'est  par  cette  collaboration 
générale,  cet  éch&Bge  de  bons  offices  mutuels  que  notre  action  peut  être  pro~ 
fonde  et  durable,  et  c'est  à  cela  que  nous  devons  tendre  de  toute  la  force  de 
nos  volontés,  Nous  devons  surtout  chercher  à  améliorer  notre  recueil  péri©» 
di que,  qui,  malgré  ses  lacunes  et  malgré  ses  défauts,  nous  permet  d'établir  uo 
contact  suivi  entre  tous  les  adhérents  de  la  société.  Les  dates  d'apparition  des 


CHR0W1Q0K. 


511 


numéros  sont  éloignées  entre  elles,  et»  de  plus,  des  retards  viennent  presque 
chaque  fois  allonger  un  intervalle  qu'il  faudrait  au  contraire  chercher  à  abréger* 
Mai?,  malgré  cela,  le  contact  ne  cesse  pas  :  on  nous  attend,  on  nous  espère, 
et,  quand  le  retard  se  prolonge,  nous  recevons  des  rappels  à  Tordre  amicaux 
qui  nous  prouvent  qu'on  ne  nous  perd  pas  de  vue  et  qu'on  s'impatiente  aima- 
blement que  nous  n'ayons  pas  encore  paru*  Ce  sont  les  trépignements  d'un  par- 
terre qui  prend  goût  au  spectacle,  trouve  tes  entractes  trop  Jon^s  et  la  toile 
trop  lente  a  se  relever.  J'imagine  que  ces  frémissements  d'impatience  ne  doivent 
pas  être  désagréables  à  ceux  qui,  dans  la  coulisse,  en  sont  l'objet.  Ils  savent 
que  c'est  un  décor  à  établir  avec  convenance,  des  accessoires  à  placer  au  bon 
endroit»  une  figuration  d'ensemble  à  régler  qui  éloignent  ainsi  pour  un 
moment  le  plaisir  du  spectateur;  mais  que  celui-ci,  en  constatant  lotit  h 
l'heure  le  soin  qu'on  a  pris  de  lui  plaire,  ne  se  souviendra  plus  d'avoir  attendu. 
Je  ne  pousserai  pas  la  comparaison  jusqu'au  bout  et  surtout  je  ne  m'en  auto- 
riserai pas  pour  justifier  les  retards  parfois  excessifs  de  notre  revue,  Je  voulais 
Aire  simplement  que,  si  l'exactitude  est  une  vertu  essentielle,  il  ne  faut  pour- 
tant pas  qu'elle  nuise  a  d'autres  attributs  non  moins  importants.  Par  exemple, 
il  ne  faudrait  pas  qu'elle  s'exerçât  au  détriment  de  la  correction  et  de  la  pré- 
cision, qut  doivent  être,  elles  aussi,  les  qualités  assurées  d'un  recueil  qui  se 
pique  surtout  d'inspirer  confiance.  En  ceci  comme  en  toute  chose,  la  sagesse 
est  de  savoir  concilier  des  besoins  divers;  nous  y  tâcherons  de  notre  mieux, 
soyez-en  convaincus. 

**  Nous  devons  aussi,  dans  la  composition  de  nos  numéros,  essayer  de  tenir 
la  balance  égale  entre  les  ditférents  goûts  que  nous  représentons,  réserver  une 
place  impartialement  mesurée  à  toutes  les  sortes  de  travaux  qui:  nous  accueil- 
Ions.  Nous  essayons  encore  de  le  faire  et  sans  doute  vous  avez  constaté  que 
tous  les  siècles  littéraires  de  la  France,  tous  tes  noms  et  toutes  les  œuvres  iODt 
représentés  tour  à  tour  dans  ks  pages  de  notre  recueil.  Pourtant  il  semble 
i jn  une  préférence  marquée  pousse  maintenant  les  chercheurs  vers  l'histoire  du 
XIXe  siècle!  vers  ce  siècle  qui  finit  non  sans  laisser  des  souvenirs  de  gloire  et 
des  traditions  immortelles  dans  les  lettres  de  notre  pays.  Voyez,  messieurs, 
combien  il  entre  toujours  une  large  part  d'inconnu  dans  les  prévisions 
hu mairies  À  notre  fondation,  d'excellents  esprits  voulaient  que  la  société 
s'abstint  délibérément  de  traiter  toutes  les  questions  qui  sont  d'hier,  pour 
ainsi  dire,  et  nous  touchent  de  trop  près,  nous  autres  contemporains;  ils  pré- 
tendaient que  son  domaine  devait  s"étendre  surtout  dans  le  passé  et  s'arrêter 
assez  loin  des  bornes  du  présent.  On  craignait,  non  sans  apparence  de  raison, 
que  de  pareilles  recherches  n'éveillassent  des  curiosités  malsaines  et  ne  provo- 
quassent  des  discussions  trop  vives  dans  une  société  dont  l'impartialité  ne  pou- 
vait pas  faire  de  doute.  Nous  voyons  maintenant  combien  ces  appréhensions, 
si  légitimes  en  soi,  ont  été  mal  fondées  en  réalité.  Nous  avons  pu  aborder  ici 
tous  les  sujets  sans  froisser  la  susceptibilité  de  personne,  parce  que  tout  le 
monde  chez  nous  a  avant  tout  le  souci  de  voir  juste  et  de  dire  vrai.  Des  cher- 
cheurs, furi  éloignés,  paraissait-il,  parleurs  occupations  antérieures  de  pensées 
aussi  modernes,  sont  venus  a  nous  les  mains  pleines  de  trouvailles  ingénieuses 
et  inattendues.  Réjouissons-nous  grandement,  messieurs,  de  ces  aubaines  et 
souhaitons  qu'elles  se  renouvellent.  Elles  prouvent  que  notre  domaine  n'est 
pas  trop  étendu  pour  qu'il  puisse  être  cultivé  avec  fruit;  elles  démontrent 
surtout  les  progrés  de  Tespirit  historique,  de  cet  esprit  de  patient  labeur  et 
de  libre  discussion  qui  est  le  notre,  puisqu'il  s'exerce  ainsi  en  toute  cons- 
cience sur  des  sujets  dont  il  semblait  qu'on  ne  pût  parler  sans  passion  et  jufier 
sans  parti  pris.  C'est  un  progrès  très  réel  que  nous  pouvons  revendiquer  sans 
fausse  modestie.  Tenons-nous-y  désormais  et  persévérous-y  de  plus  eu  plus, 
car  cette  façon  désintéressée  de  servir  les  lettres  françaises  est  à  coup  sûr  la 
plus  profitable  pour  elles  et  la  plus  honorable  pour  nous.  » 


512  .  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

H  est  procédé  ensuite  au  dépouillement  du  scrutin  pour  l'élection  de  six 
membres  sortants  du  Conseil  d'administration  de  la  Société  d'histoire  littéraire 
de  la  France.  Sont  proclamés  élus  pour  cinq  ans  :  MM.  Gaston  Boissier,  Emile 
Faguet,  Gustave  Larroumet,  Ch.  Lenient,  de  Margerie  et  Maurice  Tourneux, 
membres  sortants. 

La  séance  est  levée  à  six  heures. 

—  Contrairement  à  ce  qu'il  faisait  d'ordinaire,  M.  Armand  Colin  n'avait  pu 
donner  lecture  lui-même  de  son  rapport  financier  à  la  dernière  réunion  géné- 
rale de  la  Société.  11  avait  invoqué  l'état  de  sa  santé  pour  manquer  à  un 
devoir  auquel  il  ne  voulait  pas  se  soustraire,  mais  rien  ne  nous  faisait  craindre 
alors  qu'une  pareille  excuse  dût  être  à  si  brève  échéance  si  tristement  justifiée. 

Vingt  jours  plus  tard,  le  18  juin  1900,  M.  Armand  Colin  mourait  subitement 
dans  sa  cinquante-huitième  année,  alors  qu'un  long  temps  semblait  encore 
promis  à  son  activité.  C'est  une  très  réelle  perte  pour  la  Société  d'histoire  lit- 
téraire de  la  France  sur  les  origines  de  laquelle  il  avait  veillé  et  à  laquelle  il 
avait  toujours  trouvé  moyen  de  s'intéresser  efficacement,  au  milieu  de  ses  occu- 
pations nombreuses.  11  avait  été  un  des  premiers  membres  de  notre  associa- 
tion et  on  peut  dire  que  sans  lui,  sans  son  concours  avisé,  le  projet  de  grouper 
tous  ceux  qui  étudient  l'histoire  littéraire  de  la  France  n'eût  sans  doute  pas 
abouti.  Il  était  doué  d'une  de  ces  bonnes  volontés  qui  ne  se  marchandent  point 
et  sa  force  de  conviction  était  telle  qu'elle  gagnait  les  plus  indécis  et  les  entraî- 
nait dans  l'effort  commun.  Esprit  clair  et  lucide,  nature  franche  et  généreuse, 
très  cordiale  sous  les  allures  un  peu  rapides  de  l'homme  d'affaires,  M.  Armand 
Colin  laisse  à  tous  ceux  qui  l'ont  connu  de  sincères  regrets. 

Au  comité  de  la  Société  d'histoire  littéraire  de  la  France  où  il  venait  volon- 
tiers s'asseoir,  la  bonne  grâce  de  ses  manières  avait  gagné  tout  le  monde  et 
on  y  est  autant  affligé  de  la  perte  du  confrère  si  courtois  que  de  celle  de  l'admi- 
nistrateur désintéressé  qui  a  su  donner  aux  finances  de  la  société  une  direc- 
tion excellente.  Pour  marquer  tous  ses  regrets,  le  Conseil  d'administration  a 
décidé,  dans  sa  dernière  séance,  qu'il  ne  serait  pas  procédé  immédiatement 
au  remplacement  de  M.  Armand  Colin  comme  trésorier  et  que  notre  secrétaire 
se  chargerait  provisoirement  de  ces  fonctions. 

—  La  mort  de  M.  Armand  Colin  n'était  pas,  hélas!  l'unique  deuil  qui  devait 
nous  affliger  ces  temps-ci.  Le  12  juillet  mourait,  à  l'âge  de  trente-cinq  ans,  un 
jeune  éruditdu  plus  grand  mérite,  dont  les  débuts  avaient  été  ceux  d'un  maître 
et  sur  lequel  il  était  permis  de  fonder  les  plus  belles  espérances,  M.  Joseph 
Texte,  professeur  à  la  Faculté  des  Lettres  de  l'Université  de  Lyon. 

Lui  aussi  avait  été  un  des  premiers  à  apporter  son  adhésion  à  notre  société 
naissante  et,  plus  tard,  il  avait  fourni  à  notre  Revue  des  travaux  d'une  allure 
très  personnelle  dont  personne  n'a  oublié  la  rare  distinction. 

Puis,  il  avait  été  élu  membre  du  Conseil  d'administration  et  son  nom  était 
de  ceux  dont  nous  aimions  à  nous  parer,  parce  que  nous  savions  tout  ce  qu'il 
représentait  de  savoir  solide  et  sûr,  de  critique  pénétrante  et  aisée.  En  le  fai- 
sant disparaître  de  nos  listes,  le  sort  brutal  ne  le  raye  pas  de  nos  cœurs  et 
c'est  avec  émotion  que  nous  saluons  ici  cette  existence  si  courte  et  si  bien 
remplie,  qui  promettait  tant  et  qui  a  tenu  assez  pour  donner  une  juste  mesure 
à  nos  regrets. 

—  Divers  articles  publiés  dans  des  recueils  différents  touchent  à  l'histoire 
des  origines  du  théâtre  en  France  et,  pour  cette  raison,  nous  croyons  devoir 
les  rapprocher  ici  en  les  énumérant. 

M.  Emile  Picot  insère  dans  le  Bulletin  du  bibliophile  (15  juin  1900)  une 
Farce  inédite  publiée  d'après  un  manuscrit  des  archives  de  la  Nièvre.  C'est  une 
saynète  inspirée  par  l'histoire  d'un  mari  vieux,  marié  à  une  femme  jeune, 
qui  désire  se  rajeunir  lui-même  pour  plaire  à  sa  femme  et  n'y  parvient  pas. 


CHRONIQUE.  513 

M.  Alcius  Ledieu  a  trouvé  et  publié  à  la  suite  d'une  étude  sur  VEnlrée  de  la 
reine  Eléonore  d'Autriche  à  Abbeviilc  le  49  décembre  4534 ,  la  Déclaration  des 
mystères  faits  à  cette  occasion.  On  trouvera  cette  pièce  dans  le  Bulletin  histo- 
rique et  philologique,  1899,  p.  38. 

Ou  trouvera  également  dans  le  même  recueil  (p.  58)  une  communication  de 
M.  Ed.  Poupe  sur  les  Représentations  scéniques  à  Cuers  (chef-lieu  de  canton, 
arrondissement  de  Toulon,  Var),  à  la  fin  du  XVIe  siècle  et  au  commencement  du 
XVIIe  siècle. 

Enfin,  M.  Ulysse  Robert  a  fait  à  la  Société  des  antiquaires  en  France  une 
communication  sur  les  Oriyines  du  théâtre  à  Besançon  (Mémoires,  t.  LIX). 

—  M.  Armand  Gasté  examine  quel  put  être  le  Rôle  de  Scarron  dans  la  «  Que- 
relle du  CUt  »  dans  une  lettre  qu'il  adresse  à  M.  L.  Petit  de  Julleville  à  l'occa- 
sion d'un  compte  rendu  publié  par  celui-ci  ici-même  (1899,  p.  306).  M.  Petit  de 
Julleville  estime  qu'il  convient  pour  attribuer  à  Scarron,  comme  le  fait 
M.  Gasté,  la  paternité  de  Y  Apologie  pour  M.  Maire  t  et  la  Suite  du  Cid,  deux 
factums  bas  et  insolents,  de  fournir  des  arguments  concluants,  et  c'est  à  quoi 
tend  M.  Gasté  dans  sa  brochure  nouvelle.  Les  arguments  qu'il  expose  sont  de 
deux  sortes  :  des  rapprochements  de  style,  analogies  d'expressions  ou  de  com- 
paraisons av.ee  des  œuvres  déjà  connues  de  Scarron,  et  des  rapprochements 
typographiques.  Ces  derniers  semblent  plus  sérieux.  11  parait  résulter  des 
constatations  de  M.  Gasté  que  les  deux  brochures  en  question  durent  êtie 
imprimées  au  Mans,  en  1037,  à  une  époque  où  Scarron  était  chanoine  en  cette 
ville  et  peut-être  à  l'instigation  d'un  ennemi  déclaré  de  Corneille,  le  comte  de 
Belin. 

—  Dans  la  séance  publique  annuelle  de  la  classe  des  lettres  de  l'Académie 
royale  de  Belgique,  M.  Paul  Thomas,  de  l'Université  de  Gand,  a  communiqué 
un  travail  ingénieux  sur  les  affinités  philosophiques  existant  entre  Sénèque  et 
Jean-Jacques  Rousseau. 

Rien  n'est  plus  dissemblable,  à  première  vue,  que  leurs  deux  destinées  et 
que  les  apparences  de  leurs  œuvres.  Mais  si  on  y  regarde  de  près,  on  ne  tarde 
pas  à  reconnaître  des  analogies  dans  le  caractère  de  leur  prédication  et  dans 
leur  rôle  de  directeurs  de  conscience.  Ce  sont  ces  analogies  que  M.  P.  Thomas 
a  su  déterminer  et  mettre  en  valeur. 

—  L'important  ouvrage  de  M.  Barthélémy  Pocquet  sur  le  Duc  d'Aiguillon  et 
Le  Chalotuis  contient  trois  lettres  inédites  de  Fontenelle  à  La  Chalotais  (t.  I, 
p.  148,  en  note)  et  une  autre  d'Adrienne  Le  Couvreur  au  même  correspondant 
(I,  i  49,  en  note). 

—  M.  Maurice  Souriau  a  découvert  et  signalé  une  très  intéressante'  Source 
de  «  Victor  Hugo  raconté  par  un  témoin  de  sa  vie  ».  Le  livre  est,  comme  on  le 
sait,  de  Mme  Victor  Hugo  qui,  sous  les  yeux  de  son  mari  et  en  usant  de  leurs 
souvenirs  communs,  a  retracé  l'existence  du  poète.  «  Mais,  ainsi  que  le 
remarque  M.  Souriau,  pour  la  partie  dont  Mmo  Hugo  n'avait  pas  été  le  témoin, 
l'enfance  du  poète,  alors  qu'il  suivait  son  père  en  Italie,  en  Espague,  on  igno- 
rait jusqu'ici  quelle  avait  été  la  source  principale  de  son  récit.  »  C'est  celle 
que  M.  Souriau  a  découverte  et  qu'il  signale  ainsi  :  «  En  un  endroit  de  son 
livre,  Mmc  Hugo  cite  expressément  les  Mémoires  de  son  beau-père.  Elle  les  a 
certainement  sous  les  yeux  en  écrivant;  car,  sur  les  vingt-huit  chapitres  bio- 
graphiques qui  composent  le  tome  premier,  les  treize  suivants,  m,  v,  vi,  ix, 
x,  xi,  xiv,  xv,  xxi,  xxni,  xxiv,  xxv  et  xxvn,  c'est-à-dire  tous  ceux  qui  ont  rap- 
port au  général  Hugo,  sont  purement  et  simplement  tirés  des  Mémoires  du 
général.  Toutes  les  anecdotes,  sans  exception,  en  sont  extraites.  L'ordre  des 
matières  n'est  plus  le  même;  mais,  dans  chaque  fragment  emprunté,  les  détails 
sont  presque  identiques.  »  A  l'appui  de  son  assertion,  M.  Souriau  établit  un 


51* 


liEVTE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FHAffCB. 


assez  grand  nombre  de  comparaisons  de  texte  qui  confirment  ce  qu'il  a  avancé 
el  démontrent  la  frappante  analogie  de  cette  partie  de  Victor  Hwjo  raconte  par 
un  témoin  di  m  trié  avec  les  Jfcmoir^  (f«  générai  Jf^/o,  gouverneur  de  pluxîeur* 
province*  et  aide  de  camp  général  des  armées  en  Espagne,  publiés  en  J823  par 
Je  libraire  Lad  voce  L 


—  On  continue  à  étudier  avec  méthode  la  vie  de  Sainte-Beuve  et  cette  façon 
de  procéder  donne  de  bons  résultais.  Signalons-en  quelques-uns. 

Sous  ce  titre  :  Un  maître  de  Sainte-Beuve  :  comment  Sainte-Beuve  devint  cri- 
tique cl  poete^  M.  Adolphe  Lair  publie  dans  le  Correspondant  du  29  avril  quel- 
ques pages  inédites  extraites  des  souvenirs  de  Dubois  (de  la  Loire-InTérie- 
Celui-ci  avait  été  le  professeur  de  rhétorique  de  Sainte-Beuve  et  il  était  Je 
directeur  du  0 tohr  quand  le  jeune  homme  vint,  un  peu  plus  tard,  le  consulter 
sur  sa  vocation,  Sainte-Beuve  débuta  au  journal  par  dea  esquissas  géogra- 
phiques et  historiques  sur  les  lieux  de  la  Grèce  qui  étaient  alors  le  théâtre  des 
luttes  pour  L'indépendance.  Il  y  réussit  assez  bien  pour  qu'on  lui  confiât  des 
articles  de  critique  littéraire*  et  c'est  ainsi  qu'il  rendit  compte  des  0*/*s  et  Bal- 
lades et  en  Ira  en  relations  avec  Victor  Hugo.  Les  pages  laissée*  par  Dubûtl 
(de  la  Loirednlérieure)  sont  uiiles  a  connaître  n  ce  propos,  car  elles  fixent  ave-: 
exactitude  des  événements  qui  ne  sont  pas  sans  importance  pour  la  psycho- 
logie du  critique. 

D'autre  part,  M.  le  vicomte  de  Spoelberch  ok  Loveîuoul  a  retrouvé  et  publié 
dans  la  Revue  hebdomadaire  (21  avril)  te  Prospectus  de  Sainte-Beuve 
Œuvres  complètes  de  Victor  Huqo,  Ces  pages  étaient  demeurées  introuvables  et 
inconnues  par  suite  de  la  façon  erronée  dont  Sainte-Beuve  luî-m^me  en  a 
parié.  En  serrant  les  faits  de  plus  près,  M.  de  SpoeJberch  de  Lovenjoul  est  par- 
venu à  démontrer  que  ce  prospectus  est  celui  qui  parut  eu  1829,  signé  des 
initiales  K  T.,  pour  annoncer  une  édition  complète  des  œuvres  de  Victor  Hugo 
projetée  alors  par  le  libraire  Cosselin.  Ce  morceau  n'a  jamais  ligure  dans  les 
recueils  critiques  de  Sainte-Beuve  et  c'est  à  bon  droit  qu'il  a  été  reproduit 
intégralement  dans  la  Hcrite  hebdomadaire. 

Dans  le  Correspondant  encore  (25  mai)  les  rapports  de  Xavier  re  et 

SainU-Beuvt  sont  examines  par  &|.  Th.  r'amiENT  d'après  la  correspondance  que 
A.  de  Maislre  entretint  avec  le  comte  de  Marcellus.  Voici  ce  qui  Tut  l'occasion 
de  ces  rapports.  Lorsque  Xavier  de  Maistre,  âgé  de  soixante-quinze  ans,  vint 
à  Taris  pour  la  première  Ibis  en  1838,  Sainte-Beuve  lui  consacra,  dans  la  l\ 
de*  Deux  Mandest  un  article  très  bienveillant  et  très  judicieux,  mais  dmit  toutes 
les  parties  ne  plurent  pas  également  à  L'humeur  difficile  de  celui  qui  en  était 
l'objet*    Sainte-Beuve  avait  dit  notamment    que   X.   de  Maislre  donnait  des 
rendez-vous  de  galanterie  dans  le  voisinage  de  la  retraite  du  Lépreux  d\\ 
il  avait  également  apprécié  Tôpffer  avec  une  certaine  désinvolture.  Tout 
mécontenta  Tort  Xavier  de  Maistre,  iiuT  estima  que  sur  ces  deux    points 
intentions  avaient  été  méconnues  et  son  langage  travesti  et  qui  voulait  pro- 
tester hautement  contre  ce  que  Sainte-Beuve  avait  avancé  :  ee  qu'il    ne  fit 
jamais,  d'ailleurs. 

—  Le  poète  Armand  Barthet  a  laissé,  dans  l'histoire  «les  lettres,  un  souvenir 
assez  effacé  et  si  le  succès  de  son  oeuvre  dramatique  la  plus  ré  potée,  /< 
th'ttii  de  Lr$6ic,  fut  vif,  il  fui  aussi  éphémère.  C'est  un  nom,  sous  lequel  on  met 
difficilement  une  physionomie:  c'est  un  titre  qui  sonne  à  l'oreille  sans  éveiller 
dans  l'esprit  d'image  bien  posîLive,  M.  Charles  Baille  a  essayé  de  faire  refiwfl 
celte  physionomie  et  de  retracer  cette  œuvre  dans  un  article  de  la  Re 
ffomadaire  intitulé  ArilUWd  Èarthet  ttte  *  Moineau  de  Lesbîen  {ï  décembre  1899)* 
C'est  un  hommage  sympathique  et  discret,  plein  de  sentiments  affectueux 
qu'un  ami  survivant  consacre  à  la  mémoire  d'un  ami  disparu;  mais,  quoique 
trop  volontairement  bienveillantes,  ces  pages  font  revivre  aimablement  quel- 


aillOMQUE. 


51^ 


qu'un  dont  la  renommée,  bruyante  à  un  moment,  est  en  ce  moment  trop 
méconnue. 

—  «  De  tous  les  écrivains  français  qui  se  sont  occupés  d'elle,  nu!  n'a  mieux 
vu  l'Afrique,  uul  ne  l'a  plus  profondément  pénétrée  dans  son  passé  comme  dans 
son  avenir,  n  Ainsi  s'explique  M.  Louis  Bertrand  dans  son  étude  sur  Flaubert 
et  F  Afrique  ilietuc  tfe  i*<ms,  iut  avril).  Sans  doute  l'Afrique  est,  pour  Flaubert, 
«  Je  pays  mystérieux,  la  région  fabuleuse,  pJeine  d'enchantements  et  de 
mirages  »-.  Malgré  cela,  **  personne  n'a  fixé  comme  lui  les  aspect*  éternels  du 
pays  ».  Il  en  e*i  de  même  pour  les  personnes  de  sou  roman  carthaginois, 
Salammbô  ;  «  Suivant  le  procédé  classique,  Flaubert  en  a  fait  des  types  géné- 
raux; la  vitalité  en  est  telle  qu'elle  est  loin  d'éLre  épuisée  et  qu  aujourd'hui 
encore  ils  sont  reconnaisse  M. -<  .  Et  M,  lïertraml  conclut  ainsi  :  «  Ce  sens  de 
la  vie,  c'est  l'Afrique  qui  le  révéla  à  Flaubert.  Son  voyage  en  Egypte  lut  cer- 
tainement le  fait  capital  de  son  existence.  Son  ^ènie  y  trouva  sa  lot  me  délini- 
live  et  s'y  précisa  dans  ses  tendances.  Salammbô  fut  alors  conçue,  et  ta  Tenta* 
tiutt  de  saint  Ànttiiit?,  qu'il  avait  depuis  longtemps  écrite,  en  lut  profondément 
modifiée  dans  son  sujet  comme  dans  sa  composition.  S'il  en  est  ainsi,  il  Vaut 
renverser  la  perspective  traditionnelle  sous  laquelle  ou  envisage  encore  L'œuvre 
de  Flaubert  et  rejeter  au  second  plan  W**  BôWjf  et  l'Education  iéntimentalû  : 
ce  ne  sout  plus  que  deux  satires  de  la  caducité  bourgeoise,  qui  doivent  rester 
en  mar^e  de  son  o?uvre  véritable»  Salammbéj  la  Tentation,  RérodiOi,  sont 
l'expression  pure  de  ce  qu'il  routait  faire.  Mais  son  vrai  sujet,  le  sujet  idéal 
qui  a  plané  au-dessus  de  Lout  son  labeur,  c'est  l'Orient,  considéré  comme  la 
source  de  toute  vie  et  de  toute  beaut 

—  Le  visage  énergique  el  lier  de  Mm*  Aekermann  est  également  un  peu 
adouci  dans  l'étude  que  lui  consacre  M,,e  Louise  Iti  ai>  ioÙ9  ce  titre  : 
M**  Louise  Ackrnnann  intime  illecue  hphdvui(idairi\  i'A  janvier  l'JOO).  Sans 
doute,  on  ne  trouvait  pas,  dans  l'ordinaire  de  la  vie,  le  pessimisme  hautain 
•  jin  donnait  laul  d'accent  à  la  poésie  de  M'"*  Aekermann  :  elle  ctaiL  bonne, 
d'une  buntè  bourrue  et  bienfaisante,  affectant  même  souvent  de  s'intéresser 
aux  soins  du  ménage  et  de  déclarer  plaisamment  que  *  ses  pàlês  étaient 
meilleurs  que  ses  vers  »,  Mais  ce  sont  là  des  qualités  de  surface  qui  atteignent 
peu  l'être  intima  et  la  rude  simplicité  de  la  femme  poète»  sa  résignation 
devant  l'inconnu  de  la  douleur  et  le  mystère  de  la  vie  ne  peuvent  être  expli- 
quées que  par  les  révélations  de  M™0  Aekermann  elie-même,  ses  Pensres  ou 
cette  Aujtohîrujmphie  si  éloquente  de  précision  qui  analyse  son  être  intime  avec 
une  sûreté  de  diagnostic  introuvable  ailleurs. 

—  En  lisant  le  Consentement  forcé  de  Guyot  de  MervilleT  M.  Jules  Gl-jlleuot 
s'est  avisé  que  cette  comédie  ignorée  d'un  auteur  inconnu  renfermait  des 
analogies  frappantes  avec  PÉtê  dé  la  Saint  M«rtin>  un  produit  charmant  de  la 
collaboration  «le  Meilhac  et  llalévy,  et  il  s'est  empressé  de  faire  part  de  sa 
trouvaille  aux  lecteurs  de  la  Revue  Ideue  (31  mars),  La  ressemblance  entre 
l'œuvre  ancienne  et  l'œuvre  moderne  est-elle  fortuite"'  SSul  ne  pouvait  mieux 
rensei^uersur  ce  point  que  M.  Ludovic  llalëvy.  Un  rédacteur  du  Tempe  est  allé 
le  lui  demander  (3  avril)  et  il  a  appris  de  la  sorte,  au  milieu  de  particularités 
intéressantes,  que  les  auteurs  de  PStê  de  ta  Saint-Motiin  n'avaient  eu  connais- 
sance  du  Consentement  forcé  que  lorsque  leur  pièce  eut  été  lue  au  comité  de  la 
Comédie-Française. 

—  M,  Maurice  Tôt:  a  se  rx  vient  de  publier  la  Table  générale  des  lettres  et 
documenta  contenus  dans  l'Amateur  d'autographes  (première  série»  2U  période, 
187S-I8D2).  iJressée  avec  la  conscience  que  Ton  sait»  cette  nomenclature  rendra 
de  signalés  services  aux  chercheurs,  car  les  pièces  qurelle  énumèresonl  abon- 
dantes et  précieuses,  Publié  pendant  longtemps  par  Etienne  Cbaravay,  t\Ama- 


516  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

teur  d'autographes  avait  cessé  de  paraître  en  1892.  C'est  cette  première  série 
que  la  table  de  M.  Tourneux  achève  de  faire  connaître.  Quant  à  la  publication 
de  la  revue,  elle  a  repris  il  y  a  deux  ans  et  se  poursuit  maintenant  avec  régu- 
larité, ainsi  qu'on  le  peut  voir  par  le  dépouillement  que  nous  n'avons  pas  cessé 
d'en  faire  depuis  lors,  sous  la  rubrique  Périodiques. 

Signalons  également  une  notice  émue  consacrée  par  M.  Maurice  Tourneux 
à  Etienne  Charavay,  sa  vie  et  ses  travaux  (extrait  de  la  Révolution  française). 
L'histoire  doit  beaucoup  à  ce  savant  modeste,  entre  les  mains  duquel  sont 
passés  tant  de  documents  importants,  et  il  convenait  de  ne  pas  le  laisser  dis- 
paraître sans  relever  avec  précision  les  services  qu'il  a  rendus  aux  études  éro- 
dites  au  cours  de  sa  carrière  laborieuse  entre  toutes. 

—  Le  recueil  des  comptes  rendus  de  la  23e  session  de  la  réunion  des  Sociétés 
des  beaux-arts  des  départements  (1899)  contient  deux  études  sur  l'histoire  de 
l'ancien  théâtre  en  France. 

L'une,  de  M.  V.  E.  Veuclin,  est  intitulée  L'art  dramatique  en  province  pendant 
la  Révolution,  à  Laigle,  et  passe  en  revue  toutes  les  manifestations  théâtrales 
qui  se  produisirent  de  1798  à  1801  dans  celte  petite  ville  de  Normandie. 

La  seconde  étude,  dont  M.  Armand  Bénet  est  l'auteur,  a  pour  titre  Le  théâtre 
à  Rouen  à  la  fin  de  V ancien  régime,  d'après  les  archives  des  d'Harcourt.  Elle 
embrasse  les  dernières  années,  de  1787  à  1789,  du  spectacle  de  Rouen  et 
fournit  des  renseignements  intéressants  sur  l'état  de  la  troupe,  les  privilèges 
des  acteurs  et  les  goûts  du  public,  à  une  époque  où  le  parterre  commençait  à 
être  fort  agité. 


Le  Gérant  :  Paul  Bonneion. 


Coulommiers.  —  Imp.  P.  BHODARD. 


Revue 

d'Histoire  littéraire 

de  la  France 


LE  MANUSCRIT  AUTOGRAPHE  D'HERNANI 


-  Le  jour  viendra  peut-être  de  publier  ce 
drame  tel  qu'il  a  été  conçu  par  l'auteur,  en 
indiquant  et  en  discutant  les  modifications 
que  la  scène  lui  a  fait  subir.  Ces  détails  de 
critique  peuvent  ne  pas  être  sans  intérêt  ni 
saus  enseignements...  » 

V.  Hugo  {Préface  d'Hcmani,  9  mars  1830). 


Une  année  avant  la  grandiose  manifestation  qui,  à  l'occasion  du 
soixante-dix-neuvième  anniversaire  de  sa  naissance,  consacra  la 
gloire  inouïe  du  poète  et  du  patriarche,  Victor  Hugo,  mortel  à  la 
veille  de  mourir  et  sûr  de  l'immortalité,  abandonnait  au  domaine 
public  les  précieux  papiers  où,  pendant  plus  de  cinquante  ans, 
avait  couru  sa  main  puissante.  De  son  «  testament  littéraire  », 
exprimé  par  une  lettre  datée  de  Paris,  le  26  février  1880,  et  placée 
en  tête  de  la  grande  édition  Hetzel-Quantin  (dite  ne  varielur), 
nous  extrayons  les  lignes  suivantes,  sincères  et  cordiales  :  «  Mes 
chers  éditeurs,  c'est  aujourd'hui  mon  jour  de  naissance;  vous 
souhaitez  que  ce  soit  aussi  le  jour  de  naissance  de  votre  édition... 
Voici,  pour  vous  aider  dans  votre  utile  travail,  tous  mes  manus- 
crits-, faites-en  l'usage  que  vous  voudrez.  Vous  y  trouverez,  je 
crois,  bien  des  choses  qui  pourront  ne  pas  vous  sembler  indiffé- 
rentes; ma  pensée  intimé  et  solitaire  s'y  révèle  à  chaque  instant.  » 

Le  poète  avait  raison.  Pour  le  critique  avide  de  saisir  sur  le 
vif,  d'élucider  toutes  les  démarches  intellectuelles,  les  hésitations 
de  l'ouvrier,  les  combats  livrés  à  l'expression,  les  victoires  rem- 

Hev.  d'hist.  litter.  de  la  France  (7«  Add.).  —  VII.  34 


518  REVUE   D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

portées  sur  les  mots,  rien  de  plus  suggestif  que  l'examen  de  ces 
volumes.  Nous  avons  essayé  de  le  montrer  ailleurs1.  Toutefois,  il 
ne  semble  pas  que  les  éditeurs,  en  4880,  se  soient  souciés  d'ap- 
profondir les  choses.  El  le  pouvaient-ils,  au  surplus,  puisqu'ils 
annonçaient  une  édition  définitive'!  Accepter  les  variantes,  donner 
accès  aux  leçons  douteuses,  n'était-ce  pas  porter  atteinte  à  l'auto- 
rité du  texte?  Sans  doute,  en  leur  Avilissement  liminaire,  ils  se 
vantent  bien  d'avoir  donné,  sous  forme  de  notes,  «  ces  vers  nou- 
veaux, ces  fragments  inédits,  ces  formes  variées  et  curieuses  de 
la  pensée  du  poète  ».  D'abord,  ce  que  Victor  Hugo,  dans  la  Pré- 
face  de  Marion  de  Lorme,  appelle  «  les  rognures  sans  lesquelles 
le  drame  ne  pourrait  s'encadrer  solidement  dans  le  théâtre  ». 
Ensuite,  les  corrections  et  modifications  proprement  dites,  qui 
trahissent  aux  yeux  du  lecteur  ce  probe  labeur  de  la  lime,  que 
prônait  Despréaux  après  Horace,  travail  nécessaire  auquel  le 
génie  même  ne  supplée  pas.  Il  s'en  faut  de  beaucoup,  cependant, 
que  l'édition  ne  varielur  ait  tout  rapporté,  ou  même  (car  elle  n'a 
pas  la  prétention  d'être  une  édition  critique)  qu'elle  ait  relevé  tout 
l'essentiel  parmi  ces  variantes  multiples.  Nous  ne  saurions  le  lui 
reprocher.  Elle  est  faite,  après  tout,  pour  les  gens  du  monde,  non 
pour  les  érudits.  Mais  nous,  qui  n'avons  pas  les  mêmes  raisons  de 
passer  outre,  nous  entreprenons  de  décrire  l'aspect  extérieur  et  la 
slructure  intime,  de  noter  les  principales  variantes  du  manuscrit 
ÏÏHernani.  On  y  verra  que  bien  des  vers  mémorables,  bien  des 
scènes  illustres  qui  semblent  être  sortis  sans  effort  du  cerveau  du 
poète,  ont  été,  en  réalité,  créés  par  des  retouches  successives.  Car, 
sous  le  texte  définitif,  on  retrouve  beaucoup  de  petits  ours  encore 
mal  léchés.  L'indiscrétion  est  le  commencement  de  la  philologie*. 


On  sait  qu'en  vertu  du  testament  de  Victor  Hugo,  trente-quatre 
de  ses  manuscrits  ont  été  légués  et  catalogués  provisoirement  à  la 
Bibliothèque  nationale.  Ceux  qui  manquent  sont  encore  entre  les 
mains  des  éditeurs,  qui  les  collalionnenl,  ou  se  sont  égarés  dans 
des  circonstances  diverses.  Par  une  exception  unique,  le  manus- 

1.  Papiers  d'autrefois,  par  Paul  et  Victor  (Hachant  (Hachette,  1899,  in-12).  — 
Cf.  aussi  l'édition  critique  de  la  Préface  de  Cromwell,  donnée  par  M.  Souriau  (1897). 

*2.  Les  variantes  considérées  sont  de  deux  sortes,  suivant  le  groupement  même 
do  l'édition  ne  varielur,  adoptée  par  nous  comme  base  de  notre  étude  :  1°  les 
mutilations  subies  par  le  texte  primitif  en  vue  de  la  représentation;  2°  les  variantes 
proprement  dites  :  corrections,  adjonctions,  retranchements,  etc. 


LE    MANUSCRIT    AUTOGRAPHE    D  HERNANI.  519 

crit  original  d'Hernani  fut  offert  à  la  Comédie-Française  par 
H.  Paul  Meurice,  lequel  exécutait  ainsi  un  vœu  formulé  orale- 
ment par  Victor  Hugo  en  personne.  Le  poète  désirait  laisser  ce 
souvenir  à  l'illustre  compagnie  dont  les  sociétaires,  un  demi-siècle 
auparavant,  avaient  donné  l'hospitalité  à  son  jeune  talent.  «  Her- 
nani>  disait-il,  reçu  à  la  Comédie-Française,  appartient  à  la 
Comédie-Française.  C'est  pour  moi  une  dette  de  reconnaissance. 
Hierro  sera  lâchez  lui.  »  —  Mais  était-il  permis  d'annexer  sans 
scrupule  aux  archives  ce  précieux  cahier,  avec  tant  d'autres  pièces 
rares  que  faillit  détruire  le  sinistre  du  8  mars  dernier?  M.  Jules 
Claretie,  l'Administrateur  général,  et  M.  Monval,  le  bibliothécaire, 
ne  pouvaient-ils  pas  craindre  que  la  Bibliothèque  nationale,  se 
fondant  sur  le  texte  du  testament,  n'en  revendiquât  quelque  jour 
la  possession  légale?  La  question  n'ayant  pas  encore  été  soulevée, 
le  problème  n'a  point  reçu  de  solution,  et  il  n'en  recevra  pas  sans 
doute  de  si  tôt.  Provisoirement,  l'Administrateur  général  conserve 
par  devers  lui  le  manuscrit,  somptueusement  relié  en  maroquin 
rouge  et  soigneusement  enfermé  dans  un  étui.  Nous  en  avons  eu 
communication,  grâce  à  l'extrême  obligeance  de  M.  Claretie,  qui 
nous  a  autorisés  à  y  puiser  les  matériaux  de  cet  article.  C'est  ce 
qui  explique  comment,  le  jour  de  l'incendie,  la  vénérable  relique 
se  trouvait,  par  extraordinaire,  dans  le  bureau  de  M.  l'Administra- 
teur général.  Nous  avons  donc  failli  —  et  nous  en  tremblons 
rétrospectivement  —  être  la  cause  involontaire  de  sa  ruine. 


Description  extérieure  du  manuscrit.  —  Observations  générales. 
Dimensions;  cote;  écriture.  —  Le  manuscrit  d'Hernani  se  présente 
sous  la  forme  d'un  brouillon  très  net,  écrit  sur  des  feuilles  d'un 
papier  blanc  assez  fort,  mesurant  35  centimètres  de  haut  sur  24  de 
large  *.  Le  fascicule  porte  le  cachet  timbré  :  «  In  vent.  son  V.  Hugo, 
248e  cote,  lre  pièce.  M"  Gatine  notaire.  »  L'écriture,  fine,  menue, 
mais  très  lisible  à  l'ordinaire,  appartient  à  la  première  manière 
du  poète.  On  sait  que  Victor  Hugo  eut  successivement  trois  écri- 
tures très  distinctes  (cf.  Papiers  d'autrefois,  sup.  cit.).  Les  feuil- 
lets blancs  qui  séparent  les  actes  sont  balafrés  obliquement  de 
fragments  de  vers  jetés  pôle-môle,  et  pouvant  servir  à  l'occasion. 

i.  C'est  du  papier  verg»'\  identique  à  celui  du  manuscrit  de  Xotre-Dame  de  Pans. 
La  marge  est  partout  éualc  au  texte. 


530  REYCE    b'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    HE    LA    FRA5CE. 

Sur  la  feuille  de  garde  de  la  fin,  au  recto,  on  lit  ces  deux  rimes 
Dotées  :  Taraignée,  signée.  Au-dessous,  un  vers  mis  en  réserve  : 

Les  beaux  étés  d'Espagne  et  les  claires  soirées. 

Sur  le  titre,  on  distingue  cette  épigraphe  :  Très  [tara  una  {trois 
hommes  pour  une  femme  .  Les  noms  des  personnages  figurent  sur 
le  premier  feuillet,  avec  ces  différences  assez  insignîBantes  :  le  roi 
de  Bohême,  le  duc  de  Bavière,  électeurs  du  Sainl-Empire  romain 
fies  mots  en  italiques  sont  absents  du  texte  imprimé).  On  lit,  dans 
le  manuscrit,  Don  Sanchez  au  lieu  de  Don  Sancho;  Don  Garci 
Suarez  y  est  orthographié  Garde.  Les  deux  noms,  manuscrits,  de 
Don  Perafan  et  de  Don  Guzman  de  ÏMra  manquent  dans  l'édition, 
où  de  même  a  disparu  la  qualification  page  de  Silvay  qui  suivait  le 
nom  d'Iaquez. 

Acte  premier.  (I^e  Roi.)  —  Peu  de  divergences  notables  à 
signaler  entre  le  texte  consacré  et  la  teneur  du  manuscrit.  La 
date  99  août  18*29  a  été  biffée  (chaque  acte  est  daté  au  commen- 
cement et  à  la  fin).  La  première  scène  est  à  peu  près  vierge  de 
ratures.  Dans  la  scène  II,  au  lieu  de  la  courte  exclamation  d'Her- 
nani  :  <«  DonaSol,  ah!  c'est  vous  que  je  vois...  »  (4  vers),  le  poète 
avait  mis  huit  vers  dans  la  bouche  du  montagnard  épris.  11  les  a, 
sitôt  écrits  sans  doute,  raturés  et  encadrés,  ne  conservant  que  le 
dernier.  Le  fait  est  à  retenir;  car  les  suppressions  sont  fort  rares 
chez  Hugo.  Chez  lui,  l'invention  verbale  est  extraordinaire,  et  il  a 
grand'peine,  une  fois  lancé,  à  restreindre  les  fantaisies  de  sa  rhé- 
torique. Une  pareille  redondance,  fréquente  surtout  dans  les 
monologues,  où  Ton  délaisse  plus  aisément  Faction,  est  un  défaut 
de  jeunesse  qui  n'est  pas  dénué  de  charme  : 

....  Dona  Sol  ï  —  Ahî  ces  yeux  que  je  vois 
Sont  vos  yeux,  cette  voix  qui  parle  est  votre  voix  ! 
Enfin!  —  Dieu  soit  loué,  qui  le  soir  me  délivre 
De  ceux  parmi  lesquels  le  jour  il  me  fait  vivre! 
DonaSol!  Quand  je  pense  aux  visages  humains 
Que  j'ai  vus  aujourd'hui  passant  par  les  chemins! 
Ange!  daignez  longtemps  mêler  votre  âme  aux  nôtres! 
J'ai  tant  besoin  de  vous  pour  oublier  les  autres! 

Même  scène  :  «  Un  baiser  d'oncle!  au  front!  »  remplace  avec 
avantage  :  «  Un  baiser  sur  le  front  !  »  qui  était  plat.  En  marge  des 
deux  beaux  vers,  d'une  si  juvénile  insolence, 

Il  vient  dans  nos  amours  se  jeter  sans  frayeur! 
Vieillard!  va-t'en  donner  mesure  au  fossoyeur!... 


LE    MANUSCRIT   AUTOGRAPHE    D'iIERNANI.  521 

on  lit  ceci,  rejeté  probablement  comme  un  peu  faible  : 

Vieillard,  de  nos  amours  (ici  deux  mots  monosyllabiques  illi- 
sibles) prends  le  flambeau  ! 
Allons!  tu  vas  mourir.  Va  voir  à  ton  tombeau I 

C'est  Tidée  première,  exprimée  à  tâtons.  Admirez  comme  la 
correction  fut  heureuse.  —  Et  Dona  Sol  répondait  d'abord  :  «  C'est 
le  roi  qui  le  veut.  »  —  Un  peu  plus  loin,  deux  variantes,  utiles  à 
signaler.  Le  manuscrit  portait  primitivement  : 

Ma  haine  après  vingt  ans  est  encor  toute  neuve  î 
...  Je  n'ai  reçu  du  ciel  jaloux 
Que  l'air,  le  jour  et  l'eau,  ces  biens  communs  à  tous. 

Dans  les  deux  cas,  l'expression  s'est  rehaussée  et  fortifiée. 
Victor  Hugo  corrige  presque  toujours  à  bon  escient. 

Après  la  promesse  de  la  jeune  fille  :  «  Allez,  je  serai  brave  et 
forte...,  »,  on  lit  dans  l'édition  :  «  Vous  frapperez  trois  coups.  » 
(Premier  jet  :  Je  m  abandonne  à  vous.)  A  la  place  de  cette  simple 
indication,  Hugo  avait  d  abord  logé  ce  vers,  lourd  et  banal  : 

Vous  êtes  un  vaillant,  c'est  pourquoi  je  vous  suis. 

Et  Hernani  répondait  : 

Alors  il  faut  qu'en  tout  vous  sachiez  qui  je  suis, 
Puisque  vous  m9 épousez  (?)  de  votre  amour  de  femme. 

Que  Ton  compare  avec  ces  incertitudes  le  texte  finalement 
remanié,  et  Ton  avouera  que  la  forme  a  gagné  en  précision  : 

...  Savez-vous  qui  je  suis, 
Maintenant?  —  Monseigneur,  qu'importe?  je  vous  suis. 
—  Non,  puisque  vous  voulez  me  suivre,  faible  femme, 
Il  faut  que  vous  sachiez,  etc. 

Piqué  par  le  ton  impertinent  de  Don  Carlos,  le  fier  bandit, 
menaçant,  riposte  au  prince  : 

Qui  raille  après  l'affront  s'expose  à  faire  rire 
Aussi  son  héritier!... 

C'est  net  et  vigoureux.  Or,  voyez  sous  quelle  forme  l'idée  s'était 
présentée  tout  d'abord  : 

Ne  riez  pas.  Qui  fait  d'un  affront  raillerie 
Et  qui  rit,  veut  aussi  que  son  héritier  rie. 


522  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DR    LA    FRANCE. 

Trop  de  rires,  même  pour  des  gens  d'armes!  Je  préfère  celte 
autre  version,  raturée  en  marge  : 

Monsieur,  ne  raillez  pas  !  Qui  raille  après  l'outrage 
Change  la  faute  en  crime  et  la  colère  en  rage. 

En  regard  des  paroles  de  Carlos,  qui  respirent  la  galanterie  la 
plus  ironique  : 

J'offre  donc  mon  amour  à  madame. 
...  Nous  verrons. 

Hugo  avait  écrit,  puis  biffa  ces  quatre  vers  de  comédie,  dont  il 
a  d'ailleurs  gardé  l'idée  en  l'exprimant  de  façon  plus  distinguée  : 

En  attendant,  j'apporte  à  Doua  Sol  ma  flamme. 

Et  moi,  je  ne  vois  pas,  vraiment,  pourquoi  madame, 

Avec  tout  ce  quelle  a  de  tendres  sentiments, 

Au  lieu  d'un  amoureux  n'aurait  pas  deux  amants. 

A  la  place  du  vers  :  «  Et  puis,  je  chiffonnais  ma  veste  à  la  fran- 
çaise »,  écrit  en  marge,  on  lit  dans  le  texte  du  manuscrit  un  bout 
de  dialogue,  raturé.  Carlos  proteste  contre  sa  réclusion  dans  l'ar- 
moire où  il  étouffe  depuis  le  début  de  la  scène  : 

De  la  gaine  où  j'étais  je  sors  pour  trop  de  gêne. 

Alors,  Hernani,  saisissant  le  mot  au  vol  : 

Ma  dague  aussi  n'est  pas  à  Taise  dans  sa  gaine, 
Et  veut  sortir... 

Le  mot  gaine  reparaissait  encore  un  peu  plus  loin.  C'était  abusif. 
A  l'instant  où  Don  Ruy  Gomez  frappe  à  la  porte,  il  s'agit  de  ren- 
trer à  deux  dans  l'étroit  placard.  Carlos  résiste  : 

Monsieur,  est-ce  une  gaine  à  mettre  des  chrétiens? 

Et  si  le  duc,  ouvrant  cette  boîte  «  pour  y  prendre  un  cigare1  »,  y 
dénichait  le  couple  blotti?  Certes,  Hugo  eut  bien  raison  d'effacer 
ces  quatre  vers,  où,  pour  l'amour  du  grotesque,  il  allait  jusqu'à  la 
parodie  de  la  formule  romantique.  Duvert,  l'auteur  d'Hamali  ou 
la  Contrainte  par  Cor,  n'a  pas  trouvé  mieux  dans  le  genre  bouffon. 

Scène  III.  —  Ruy  Gomez  entre.  Dans  la  longue  tirade  indignée 
qu'il,  prononce  sur  le  seuil,  bornons-nous  à  relever  une  variante 
unique  : 

Dérobent  aux  maris  la  chasteté  des  femmes. 

1.  Les    vers    sont   cités   dans   les   variantes   de  l'édition    Hetzel-Quantin.    C'est 
pourquoi  nous  ne  les  reproduisons  pas. 


LE    MANUSCRIT   AUTOGRAPHE   d'hERNANI.  523 

C'était  une  correction,  rejetée  depuis,  du  vers  : 

Par  derrière  aux  maris  volent  l'honneur  des  femmes. 

Supprimée  de  même,  celte  correction  marginale  qui  suivait 
l'exclamation  : 

Ah!  vous  Pavez  brisé,  le  hochet! 

HERNANl. 

Excellence!... 

DON  RUY   GOMEZ. 

Qui  donc  ose  parler,  lorsque  j'ai  dit  :  Silence! 

HERNANl. 

Seigneur  duc... 

DON   RUY   GOMEZ. 

Cavaliers,  suivez-moi!  suivez-moi!...  etc. 

Mais  Don  Carlos  se  fait  connaître.  Don  Ruy,  s  inclinant  avec  con- 
fusion  (indication  d'un  jeu  de  scène,  supprimée  depuis,  avec  beau- 
coup d'autres),  demande  timidement  : 

Mais  pourquoi  larder  tant  à  m 'ouvrir  cette  porte? 

Ce  vers  et  les  sept  qui  suivent  ont  été  rajoutés  en  marge.  Il  en 
est  un  (Je  (ai  fait  gouverneur  du  château  de  Figuère)  qui  a  subi 
plusieurs  transformations,  qu'on  retrouve  sous  les  ratures  : 

Vous  avez  pour  un  vieux  la  tôle  un  peu  légère... 

Telle  fut,  sans  doute,  l'inspiration  originelle,  d'une  incontes- 
table trivialité.  Au-dessus  : 

Pour  être  sans  cheveux,  ta  tête  est  bien  légère. 

Très  romantique,  mais  d'un  goût  affreux.  D'ailleurs,  le  duc  n'a- 
t-il  point  parlé  plus  haut  des  cheveux  blancs  qu'on  veut  souiller 
sur  son  noble  front?  Il  serait  donc  un  chauve  qui  ne  veut  pas 
avouer!  Ces  élucubrations  plaisantes  ou  vulgaires  échappent  sou- 
vent à  Victor  Hugo  dans  les  premiers  caprices  de  sa  verve.  Il  est 
intéressant  de  constater  qu'il  savait,  au  besoin,  y  renoncer,  et  que, 
contrairement  à  ce  qu'on  a  soutenu,  il  ne  s'attachait  pas  de  parli 
pris  aux  incohérences.  La  loi  du  mélange  des  styles,  chère  au 
romantisme  parce  qu'elle  consacre  le  mélange  des  genres,  n'exclut 
donc  pas  le  contrôle  du  goût.  —  Le  vers  qui  suit  : 

Mais  qui  dois-je,  à  présent,  faire  ton  gouverneur? 

était  d'abord  ainsi  libellé,  en  termes  assez  équivoques  : 


524  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Vous  auriez  plus  que  moi  besoin  d'un  gouverneur. 
—  ...  Duc,  tu  m'en  vois  pénétré  de  tristesse. 

Le  tutoiement  familier  a  remplacé  le  Vous  m9  en  voyez...  de  la 
première  manière.  —  Consolez-vous,  disait  Ruy  Gomez,  au  lieu 
de  :  Que  je  vous  plains!  —  Et  Carlos,  parlant  du  pape  : 

Je  lui  rends  —  ayons  l'aigle,  —  ensuite  nous  verrons! 

Après  la  conclusion  : 

...  Je  compte... 
Rapiécer  mes  États  d'iles  et  de  duchés! 

après  l'addition  marginale  de  dix  vers  (Consolez-vous,  etc.)  rela- 
tive au  royaume  de  France  et  aux  convoitises  de  François  Ifr,  il  y 
avait  tout  uniment  ces  deux  vers  de  Carlos  : 

Croyez-vous  que  François  Premier,  le  roi  de  France, 
Puisse  (trois  syllabes  illisibles)  l'Empire,  avoir  quelque  espé- 
rance ? 
C'était  le  thème  de  la  tirade,  développé  depuis. 

Pour  en  finir  avec  cette  scène,  signalons  encore  deux  variantes. 
Carlos  disait  d'abord  : 

Je  leur  saurai  parler  d'un  espagnol  hautain... 
...  Non  —  Cher  duc,  cette  nuit  vous  me  logez... 

Scène  IV.  —  On  sait  que  la  tendance  à  l'amplification  fut  carac- 
téristique chez  Victor  Hugo.  On  lui  doit  d'admirables  effets  de 
fécondité,  de  puissance  oratoire,  comme  aussi  de  regrettables 
redondances.  Il  n'est  pas  rare  qu'un  morceau  de  quarante  ou  cin- 
quante vers  ait  été  primitivement  écrit  en  huit  ou  dix,  voire  en 
deux  ou  quatre.  Le  monologue  surtout  offre  des  tentations  dange- 
reuses. La  fameuse  imprécation  d'Hernani  :  «  Oui,  de  ta  suite,  ô 
roi!...  »  ne  comptait  d'abord  que  dix  vers;  et  c'était  bien  suffi- 
sant! Les  quatre  premiers,  tels  que  l'édition  les  conserve.  Puis, 
les  deux  suivants,  qui  ont  disparu  : 

J'ai  mon  père  à  venger,  qui  dans  l'ombre  et  sans  bruit 
Met  mon  pas  sur  ton  pas,  et  me  pousse,  et  me  suit. 

Enfin  venaient  les  quatre  derniers  vers  :  «  Le  jour,  tu  ne 
pourras...  etc.  ».  Tout  le  restp,  soit  vingt-quatre  vers,  constitue 
une  adjonction  marginale.  Le  poète  a  voulu  une  «  fin  d'acte  »  à 
panache. 

—  Entre  les  feuillets  10  et  1 1  du  manuscrit,  numérotés  au  crayon 
comme  les  autres,  a  été  intercalée  une  page  où  Ton  trouve  des 


LE    MANUSCRIT   AUTOGRAPHE    d'hKRNAM.  525 

bribes  de  vers  :  V occasion  est  lâche...,  etc.,  et  des  ébauches  de 
périodes  poétiques  qui  semblent  se  rapporter  à  la  scène  du  tom- 
beau, et  même  à  d'autres  scènes.  Par  exemple,  le  vers  : 

Vous  allez  être  heureux,  je  vais  être  empereur, 

écrit  plus  loin  sous  une  autre  forme.  En  travers,  on  lit  ce  vers, 
noté  pour  une  autre  œuvre  : 

L'enfant  se  retournait  et  regardait  le  chien. 

Dans  un  coin,  en  haut  et  à  droite,  un   nom    propre  mis  en 
réserve  :  Sabina  Muchenod.  —  Date  de  la  fin  de  l'acte  :  2  sept.  18W. 


Acte  II.  [Le  bandit.)  —  Le  second  acte,  commencé  le  3  septembre, 
fut  terminé  le  61. 

Scène  I.  —  Toute  cette  scène,  où  fourmillent  les  variantes  (plu- 
sieurs sont  indiquées  dans  les  notes  de  l'édition  ne  varietur,  et 
nous  en  relevons  d'autres),  a  été  recopiée  par  Hugo  et  enclavée 
dans  le  manuscrit  avant  le  texte  primitif,  extrêmement  remanié 
lui-même.  Il  y  avait  des  longueurs.  Partout  on  constate  l'hésita- 
tion, l'indécision.  C'est  que  l'expérience  scénique  ne  s'acquiert 
pas  sans  effort,  surtout  quand  on  veut  faire  agir  et  parler  de  nom- 
breux personnages.  Après  réflexion,  il  a  fallu  force  coups  de 
ciseau  pour  mettre  la  scène  sur  ses  pieds.  Encore  ne  marche-t-elle 
pas  d'une  façon  très  satisfaisante,  à  notre  gré. 

Carlos  cause  avec  les  seigneurs  sous  la  croisée  de  Dofia  Sol. 
Don  Matias,  interprétant  les  bruits  de  la  renommée,  conte  que 
ce  roi  des  montagnes  appelé  Hernani  cacherait  sous  son  nom  de 
guerre  une  illustre  origine.  Il  ne  serait  autre  que  Don  Jorge 
d'Aragon  : 

Il  est  jeune,  et  nourri  dans  la  montagne.  Il  a 

Par  son  père  Aragon,  par  sa  mère  Alcala. 

On  l'aime  ici  d'avoir  aiguisé  son  épée 

Sur  les  monts  et  dans  l'eau  des  sources  retrempée. 

Ces  deux  vers  ont  été  utilisés  ailleurs  et  placés  dans  la  bouche 
d'Hernani  (acte  IV,  scène  îv).  H  y  a  seulement  torrents  au  lieu 
de  sources. 

1.  Rappelons,  a  ce  propos,  que  la  pièce  entière  fut  écrite  en  moins  d'un  mois 
(29  août-25  septembre  1829);  la  rédaction  de  chaque  acte  n'a  coûté  que  de  quatre 
à  sept  jours.  Quelle  abondance  et  quelle  facilité  prodigieuses! 


526  REVUE   D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE   DE    LA   FRANCE. 

Un  peu  plus  tard,  Carlos  demandait  l'âge  du  bandit  : 

DON  CARLOS  (à  Don  Matias). 

...  Son  âge? 
DON  MATIAS  (comptant  sur  ses  doigts). 
Vingt  ans.... 

ON    CARLOS. 

C'est  lui!  Vingt  ans? 

DON   MATIAS. 

Oui,  seigneur. 

DON   CARLOS. 

C'est  dommage. 
—  Bah!  trêve  pour  l'instant!  Qu'il  soit  ce  qu'il  voudra, 
Aragon  ou  Cordoue,  Alencastre  ou  Lara, 
Ce  n'est  pas  celte  nuit  le  souci  qui  m'arrête. 
J'en  veux  à  sa  maîtresse  encor  plus  quà  sa  tète. 

Ces  vers,  en  partie  retranchés,  afin  d'abréger,  se  rattachaient  à 
ceux-ci  :  «  J'en  suis  amoureux  fou...  etc.  » 

Nouvel  exemple  du  développement  successif.  Le  petit  intermède 
épisodique  de  Terreur  de  titre,  dont  profite  un  seigneur  de  la  suite 
de  Carlos,  a  été  rajouté  après  coup1.  C'est  un  souvenir  évident 
du  Don  Sanche  de  P.  Corneille.  C'est  aussi  un  exemple  d'addition 
heureuse,  car  l'anecdote  est  piquante.  Elle  doit  être  historique,  et 
s'est  renouvelée  certainement  plusieurs  fois  dans  les  annales  du 
protocole  *. 

La  fin  de  la  scène  n'a  pas  été  moins  profondément  remaniée, 
corrigée,  refaite;  notamment  toute  la  partie  qui  s'étend  de  ce  vers 
de  Don  Carlos  : 

Messieurs,  que  les  instants  de  l'attente  sont  longs! 

jusqu'à  cet  autre  vers  (le  quatrième  avant-dernier)  : 

Pendant  qu'il  reprendra  ses  esprits  sur  le  grès... 

Le  texte  primitif  a  été  rétabli  dans  les  notes  publiées  en  appen- 
dice de  l'édition  définitive.  L'hémistiche  final 

Ce  qui  gâterait  l'air... 

1.  Depuis  Comte,  un  digne  conseil!  jusqu'à  Mais  que  fera  le  roi?...  A  noter,  plus 
loin,  dans  la  réplique  de  Don  Matias,  cette  variante  : 

«  Un  bâtard  sur  le  trône!  Oubliez-vous,  Altesse,...  etc.  » 

2.  En  voici  un  exemple  récent.  Quand  le  commandant  de  Sûsskind,  attaché 
militaire  d'Allemagne  à  Paris,  fut  relevé  de  ses  fonctions,  sa  lettre  de  rappel 
portait,  dit-on,  par  erreur,  la  mention  lieutenant-colonel.  L'officier  crut  qu'il  était 
en  réalité  promu,  et  se  présenta  devant  l'empereur  Guillaume  II  avec  les  insignes 
de  son  nouveau  grade.  Une  explication  s'ensuivit.  Mais  le  souverain,  loin  de  dire, 
comme  Carlos  :  «  Ramassez!  »  décida  que  M.  de  Sûsskind  conserverait  le  grade, 
sans  en  toucher  le  traitement,  jusqu'à  ce  que  son  tour  d'avancement  fût  venu. 


LE    MANUSCRIT   AUTOGRAPHE   D°HERNANI.  527 

se  raccordait  à  celui-ci  : 

S'il  vient,  de  l'embuscade...  etc. 

En  outre,  il  manque  aux  variantes  imprimées  le  jeu  de  scène 
que  voici.  Don  Carlos  s'écrie  : 

...  Ah!  messieurs!  la  fenêtre! 
Jamais  jour  ne  me  fut  plus  charmant  à  voir  naître  I 
Hâtons-nous!  Une  chose  à  faire  resle  encor. 
C'est  le  signal!  11  faut  sonner  trois  fois  du  cor. 

(11  tire  un  cor  de  sa  ceinture.) 
Mes  amis!  Vous  allez  la  voir. 

(Il  porte  le  cor  a  sa  bouche.) 
Mais  noire  nombre 
Va  l'effrayer  peut-être.  Allez  tous  trois  dans  l'ombre...  etc. 

Nous  avons  fait  observer  déjà  que  les  indications  de  jeux  de 
scène,  nombreuses  dans  le  manuscrit,  ont  en  partie  disparu  à 
l'impression.  La  raison  en  est  simple.  Le  manuscrit  avait  été 
rédigé  en  vue  de  la  représentation.  Les  habitudes  une  fois  prises 
et  les  traditions  fixées,  l'auteur  a  jugé  que  ces  indications  n'étaient 
plus  indispensables  dans  l'édition  faite  pour  le  lecteur. 

Citons  encore,  pour  cette  scène,  quelques  variantes  intéres- 
santes. 

Par  exemple,  ces  deux  vers,  en  marge  : 

Que  je  donnerais  bien  quatre  de  mes  Espagnes 
Pour  quatre  hommes  pareils  à  ce  roi  des  montagnes! 

Hugo  dut  réfléchir  par  la  suite  que  Charles-Quint  n'était  point 
ainsi  prodigue  de  ses  provinces,  même  en  paroles. 

Après  :  J'en  veux  à  sa  maîtresse...  on  lit  ces  deux  vers,  main- 
tenus, mais  remaniés  : 

Je  suis  amoureux  fou,  mes  amis!  Les  yeux  noirs 
Les  plus  grands  !  les  plus  beaux  !  Deux  flambeaux  !  deux  miroirs! 

Après  l'exclamation  de  Don  Carlos  : 

Enfin!  en  voilà  deux  qui  s  éteignent!  allons! 

Hugo  a  raturé  le  bout  de  dialogue  suivant,  assez  faible,  en  effet  : 

DON   MAT1AS 

Altesse,  est-il  prudent,  tandis  que  des  félons 
Tiennent  tout  le  pays,  de  venir  de  la  sorte, 
Vous  le  roi,  hasarder  vos  jours  h  cette  porte? 


528  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

DON   CARLOS. 

Marquis,  nous  sommes  trois. 

DON    RICARDO. 

Et  puis,  le  nom  du  roi! 

DON   MATIAS. 

Des  voleurs  en  prendraient  peu  de  souci,  je  croi. 

DON   RICARDO. 

Marquis,  vous  outragez  la  majesté  royale!... 

(La  dernière  lumière  disparaît.) 
DON   CARLOS. 

La  dernière  s'éteint.  Tout  dort. 

(Regardant  la  croisée  de  Dona  Sol,  qui  est  toujours  obscure.) 

La  déloyale 
Ne  vient  pas.  Rien  encore!  Il  faut  pourtant  finir, 
Messieurs.  A  tout  moment,  l'autre  peut  survenir. 
Quelle  heure  est-il? 

La  suite  de  ce  trop  long  entretien  se  trouve  dans  la  note  de 
l'édition  définitive  de  1880  :  Seigneur,  je  ne  sais,  etc. 

A  relever,  dans  la  scène  II,  une  petite  amplification  de  quatre 
vers,  en  marge  :  depuis  :  Princesse?  Roi  Carlos,  ..jusqu'à  Eh  ! bien, 
partagez  donc.  —  Le  premier  jet,  biffé,  du  vers 

Je  ne  rationne  plus  si  ion  aime  un  rebelle 

était  cette  platitude  : 

Vous  faites,  que  je  crois,  la  petite  rebelle! 

Scène  III.  —  Deux  passages  importants  ont  été  retouchés  en 
marge.  Après  ces  mots  ...s'épandre  dans  les  villes  de  l'apostrophe 
de  Carlos  à  Hernani,  le  poète  avait  d'abord  écrit,  avec  moins  de 
vigueur  : 

Le  crime  malgré  vous  vous  suit.  Vous  le  traînez. 
Nous,  des  duels  avec  vous!  Non,  non,  assassinez! 

11ERNAM. 

Une  dernière  fois!  ma  patience  est  lasse, 
Altesse,  et  je  pourrais  l'accorder  celte  grâce. 
Allons!  la  dague  au  poing! 

DON  CARLOS,  impassible. 

Non,  assassinez-moi. 
Assassinez  !  je  suis  votre  seigneur  le  Roi! 

HERNANI. 

Va-t'en  donc  !  etc. 
On   sent  combien   la   suppression  est  heureuse.  L'impérieux 


LE    MANUSCRIT   AUTOGRAPHE    D  I1ERNAK1.  529 

Arrière!  assassinez,  rejeté  comme  clausule  de  la  phrase  hautaine, 
Ta  rendue  d'autant  plus  ferme  et  plus  mordante.  Toute  réflexion 
subséquente  ne  pouvait  que  nuire  à  l'effet. 

Quatre  vers  plus  loin,  nouveau  retranchement,  également 
louable.  Carlos  se  propose  de  mander  le  fiscal.  Il  pose  au  proscrit 
(texte  primitif)  cette  question  : 

A  quel  prix  vouiez- vous  qu'on  mette  voire  tète? 

DERNAM. 

Elle  est  à  prix  déjà. 

DON  CARLOS. 

La  somme  est-elle  honnête? 

BERNA  NI. 

Non.  Cinq  cents  carolus.  Seigneur,  c'est  un  faux  poids. 
Car  ma  tête  vaut  bien  la  somme  mille  fois. 

DON   CARLOS; 

Je  doublerai  la  somme. 

I3ERNANI. 

Et  ce  sera  mieux. 

DON   CARLOS. 

Maître, 
Je  vous  tiens,  etc. 

(Le  reste  comme  dans  V édition.) 

Voilà,  certes,  un  oiseux  marchandage.  En  homme  de  goût, 
Victor  Hugo  a  su  restreindre  une  exubérance  ici  déplacée. 
Signalons  enfin  quelques  variantes  de  vers. 

C'est  une  lutte  à  mort.  Il  faut  qu'un  des  deux  tombe. 

est  devenu  : 

//  est  plus  d'un  asile  où  ta  puissance  tombe. 

Dans  l'édition,  c'est  Carlos,  ironique,  qui  raille  avec  dédain  : 

Toucher  à  la  dame  qu'adore 
Ce  bandit!... 

Dans  le  manuscrit,  c'est  Hernani  qui  -s'écriait  douloureuse- 
ment : 

...  Toucher  à  celle  que  j'adore! 

Pour  conclure  sur  celte  scène  capitale,  voici  quelle  était  la  pre- 
mière version  des  deux  derniers  vers,  prononcés  par  Carlos  : 

Monsieur,  vous  diles-là  bien  des  mots  hasardeux. 
D'un  an  de  vie  un  jour  vous  pairez  chacun  d'eux. 

(Il  sort.) 


530  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Scène  IV.  —  Très  peu  de  remarques  à  faire.  Le  ms.  porte  : 

Cela,  c'est  à  moi  seul.  —  Vous  m'en  aviez  pourtant 
Promis  aussi  ma  part. 
On  se  bat,  au  secours!... 

au  lieu  de  :  «  Alerte,  monseigneur  !  » 
Une  addition  marginale  : 

...  Cbante-moi  quelque  chant... 
—  Parle-moi,  ravis-moi... 

Et  c'est  tout  l'essentiel. 

Au  verso  du  feuillet  renfermant  la  fin  du  second  aete  apparaît 
un  petit  dessin,  une  modeste  esquisse  de  blason.  Les  manuscrits 
des  drames  de  Victor  Hugo  ne  sont  point  parmi  les  plus  copieuse- 
ment illustrés.  On  rencontre  pourtant  quelques  croquis,  notam- 
ment dans  Ruy  Blas,  Le  Roi  s'amuse,  Les  Bnrgraves.  Ce  sont 
souvent  des  dispositions  schématiques  de  décors.  Le  poète  à  la 
vision  si  nette  se  créait  ainsi  à  lui-même  des  points  de  repère.  — 
Ici,  c'est  un  aigle  bicéphale,  aux  ailes  éployées,  portant  un  écusson 
sur  la  poitrine,  et,  au-dessous,  cette  devise  :  «  Au  lieu  de  cœur, 
un  écussoii  ».  (Voir  acte  IV,  scène  iv.)  —  Sur  la  même  feuille,  on 
dislingue  quelques  vers  ou  fragments  de  vers,  la  plupart  à  peine 
lisibles,  absolument  griffonnés,  dans  le  feu  de  l'inspiration. 

...  La  tète  d'un  vieux 
Devient  donc  plus  légère  en  perdant  ses  cheveux? 

Ce  vers  est  une  vieille  connaissance.  Nous  l'avons  noté,  à 
l'acte  I,  sous  une  forme  un  peu  différente.  Victor  Hugo  songeait 
encore  à  l'utiliser  pour  la  scène  des  Portrails. 

L'amour  est 
Pour  les  jeunes  aveugle,  et  borgne  pour  les  vieux... 
Aux  jeunes  filles  que  je  vois  de  ma  fenêtre... 
Dérider  d'un  baiser  le  (illisible)  qui  se  fronce... 


Acte  III.  (Le  Vieillard.)  —  Composé  entre  les  dates  8  sept. 
-14  sept.  La  scène  est  au  château  ducal  de  Silva,  dans  les  monta- 
gnes d'Aragon. 

Scènes  I  et  IL  —  Les  deux  premiers  vers  sont  écrits  en  marge. 
L'acte  commençait  par  «  M'as-tu  bien  pardonné?  »  Les  corrections 
de  détail  sont  assez  nombreuses.  Énumérons  les  principales.  Le 


LE    MANUSCRIT    AUTOGRAPHE    l)  HERNANI.  531 

poète  avait  hasardé  celte  incorrection  (Don  Ruy  Gomez  parle  à 
Dofta  Sol,  et  il  oublie  d'appliquer  la  règle  des  participes,  pré- 
voyant peut-être  qu'on  la  supprimerait  un  jour). 

...  et  je  n'aurais  point  dû 
Te  condamner  au  moins  sans  l'avoir  entendu... 

...  ces  cavaliers  frivoles 
Ont  de  frêles  amours  qui  s  usent  en  paroles... 
...  Chère  enfant!  je  le  vois  avec  de  jeunes  yeux, 
Et  quand  Ion  regard  luit  sous  ta  noire  prunelle... 

(Le  manuscrit  porle  noire,  sans  correction.)  Plus  loin  (scène  n), 
le  coffret  est  en  acier,  non  en  argent  ciselé.  —  Don  Ruy  demandait 
au  page  : 

...  Sait-on  rien  de  tout  ce  qui  se  passe 
Au-dehors?  Que  dit-on  de  la  bande  vivace?... 

Le  page  répond  qu'Hernani  est  mort,  selon  le  bruit  public. 

Je  n'ai  plus  de  remords  à  mon  bonheur,  ma  belle, 
Allez  donc  vous  parer,  mais  vite,  en  un  clin  a"œil. 

Lems.  donne,  sans  correction  :  «  Et,  grâce  à  ses  yeux  noirs,...  » 
au  lieu  de  «  ses  doux  yeux  ».  Sans  doute,  le  poète  a  prévu  le  cas 
d'une  Dofta  Sol  blonde    (cf.  la  même  remarque  plus  haul). 

Scène  III.  —  Entre  Hernani,  déguisé  en  pèlerin. 

Veux-tu  voir  ma  madone  à  moi? 

(Leçon  du  ms.,  sans  correction.) 

Je  vous  dis  que  je  suis  Hernani  le  rebelle!... 

Toute  la  première  venue  de  ce  passage  a  été  biffée.  Nous  la  réta- 
blissons intégralement,  en  supprimant  seulement  l'exclamation 
Silence!  jetée  par  Dona  Sol  h  un  endroit  où  elle  rompt  la  mesure 

du  vers  : 

HERNANI,  aux  valets. 

Livrez-moi!  vendez-moi!  Hernani!  je  m'appelle 

Hernani! 

DON  RUY  GOMEZ. 

Mais  la  rage  est  étrange  et  nouvelle! 

UEHNANI. 

Hernani! 

DON  RUY  GOMEZ,  à  ses  gens. 

C'est  un  fou! 

HERNANI,  toujours  aux  valets. 

Le  roi  me  suit  de  près. 
Vous,  portez-lui  ma  tête,  et  vous  rirez  après. 


532  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA   FRANCK. 

DOXA    SOL. 

Il  ment!  n'en  croyez  rien! 

HERNANI. 

L'occasion  est  belle! 
Je  vous  dis...  etc. 

(Le  reste  comme  dans  V édition.) 

Aucun  valet  ne  bougeant,  Hcrnani  interpelle  directement  l'un 
d'eux  et  l'engage  à  devenir  riche  à  ses  dépens  : 

...  De  valet  tu  redeviendras  homme. 

Curieuse  indication,  que  l'auteur  saura  mettre  à  profit  plus  tard 
dans  le  rôle  de  Ruy  Blas.  Qu'est-ce  que  Ruy  Blas,  sinon  un  mal- 
heureux que  l'état  de  valet  faillit  empêcher  d'être  un  homme?  — 
Après  ces  mots,  Hernani  prononçait  primitivement,  à  l'adresse  de 
Dofia  Sol,  quatre  vers  que  cite  l'édition  dans  les  notes  finales. 

Mais  Don  Ruy  traite  le  proscrit  de  frère  et  le  nomme  son  hôte. 
En  un  vers  de  style  comique,  il  prétend  lui  faire  visiter  sa 
demeure  (c'est  l'avant-dernier  vers)  : 

Faites  à  l'étranger  les  honneurs  du  château. 

Scène  IV.  —  Tout  le  début  (douze  vers),  biffé  sur  le  ms.,  a  été 
remanié  (cf.  les  variantes  de  l'édition).  Plusieurs  vers,  qui  sem- 
blaient allonger  outre  mesure  certaines  tirades  du  rôle  d' Hernani, 
ont  été  raturés,  puis  rétablis  par  la  mention  bon.  On  sait  que  le 
poète  se  résigne  malaisément  aux  suppressions.  Quelques-uns  de 
ces  vers  sont  déclamatoires;  plusieurs  sont  fort  remarquables.  — 
Tels  les  passages  suivants  : 

Ami!  —  Non,  je  dois  t'ôtre  odieux... 

Croire  que  mon  amour... 

...  Épouse  le  vieillard,  te  dis-je... 

...  Qu'on  m'ait  fait  pour  haïr.  Car  je  dois  être  seul... 

...  Où  vais-je?  je  ne  sais... 

...  Je  voudrais  aimer,  je  ne  le  scai... 

(A  noter  la  vicieuse  orthographe  du  xvne  siècle,  sçai,  rimant 
avec  insensé.  ) 

Voici  le  premier  jet  de  quatre  des  plus  beaux  vers  de  la  scène. 
On  constatera  le  goût  détestable  du  dernier  hémistiche.  Les  rimes 
ont  changé,  et  le  trait  fâcheux  est  tombé  du  même  coup  : 

Côte  à  côte  endormis,  tous  sont  dans  la  montagne! 
C'étaient  les  plus  vaillants  de  la  vaillante  Espagne! 
Mais,  sur  le  dos  couchés,  tous  dorment  sans  affront, 
Face  à  face  avec  Dieu,  dont  le  ciel  est  le  front l 


LE    MANUSCRIT    AUTOGRAPHE    D  HERNAM  533 

Plus  loin,  au  cri  de  Doua  Sol  : 

...  Donc,  ce  n'était  pas  assez! 
rimait  ce  vers,  transformé  depuis  : 

Au  lieu  de  retirer  le  dard,  vous  l'enfoncez! 

Le  premier  jet  des  quatre  derniers  vers  de  la  scène  figure  dans 
les  notes  de  Tédilion. 

Scène  V.  —  Quelques  corrections  de  mots,  sans  grande  impor- 
tance. Après  cette  réplique  de  Ruy  Gomez  : 

Avez-vous  de  vos  jours  vu  rien  de  pareil?  —  Non, 

suppression  de  quatre  vers,  qu'on  trouvera  dans  l'édition. 
Au  début,  deux  vers,  moins  que  médiocres,  ont  été  améliorés  : 

Saints  du  ciel!  j'ai  vécu  soixante  ans  dans  ma  vie, 
J'ai  vu  bien  des  bandits  complets  à  faire  envie... 

Scène  VI  (dite  scène  des  Portraits)  .  — Beaucoup  de  noms  pro- 
pres ont  été  modifiés  pour  de  simples  raisons  de  sonorité  ou 
d'euphonie.  De  même,  retranchement  d'indications  scéniques. 

Deux  additions  marginales  :  de  C'est  s'y  prendre  un  peu  tard 
à  Seigneur...;  et  de  Si  vous  aviez  voulu  ...  à  Pourtant  f  obéirai.  — 
Deux  ou  trois  vers  remaniés  en  marge.  Le  ms.  porte,  sans  cor- 
rection : 

Pardieu!  mon  cousin,  je  t'admire! 

Il  y  avait  d'abord  : 

J'en  passe...  —  Ce  seigneur,  c'est  Gomez,  mon  aïeul. 
...  A  moins  de  démolir  le  château  pierre  à  pierre, 
Le  seigneur  membre  à  membre... 
...  Sois  fidèle  au  rebelle,  et  rebelle  à  ton  roi. 

Les  deux  derniers  vers  (de  Ruy  Gomez)  constituent  une  addi- 
tion marginale. 

Scène  VIL  —  Hugo  avait  songé  à  pratiquer  quelques  coupures 
dans  ce  long  dialogue  entre  Hernani  et  Ruy  Gomez.  C'est  ainsi 
qu'il  a  biffé,  puis  déclaré  bons,  une  dizaine  de  vers  (depuis  «  Une 
dernière  fois...  jusqu'à  Je  ne  lui  dirai  rien  ).  Quelques  mots 
corrigés.  Notons  encore  cette  variante  : 

Duc,  c'est  le  dernier  don  que  de  toi  je  réclame. 

Mais,  oh!  qu'avec  douceur  s'envolerait  mon  àme,  .    . 

Si  tu  daignais  vouloir...  etc.  •  •  •/;•* 

•  •     * 

RtV.   DHt9T.  LITTCR.   DC  LA  FRANCE   (7«  ADO.I.  —  VII.  35 


534r  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Plus  loin,  Saints  du  ciel\  a  remplacé  l'exclamation  triviale  Eh! 
quoi  donc! 

Sur  le  feuillet  qui  sépare  le  troisième  acle  du  quatrième,  on  lit 
toute  une  collection  de  noms  propres  espagnols  mis  en  réserve  : 
Guzman,  Manrique,  Alencastre,  Sandoval,  etc.  Puis  des  dates  his- 
toriques :  Jeanne  la  Folle,  1469,  reine  en  1504.  —  Bataille 
d'Olmedo,  1456.  —  Isabelle.  —  Enrique  IV,  1425.  —  Juan  II, 
1405.  —  Doiïa  Elga  de  Aragon.  —  Perafan  de  Ribeira,  duc 
d'Alcala.  —  Le  comte  de  Silva  se  couvre  en  qualité  de  marquis  de 
Mondejar.  —  (Silva)  le  duc  de  Hijar  (?)  a  le  privilège  de  dîner 
avec  le  roi  d'Espagne  le  jour  de  l'Epiphanie.  Enfin,  l'on  trouve  ce  vers 
noté  pour  la  scène  I  de  l'acte  V  : 

Pourpoint  do  comte,  empli  de  conseils  d'alguazilî 

Relativement  à  ces  notes  historiques,  où  nous  découvrons 
quelque  chose  du  travail  préparatoire  qui  a  dû  documenter  le 
drame,  il  serait  fort  intéressant  de  pouvoir  obtenir  quelques  ren- 
seignements sur  les  lectures  de  Victor  Hugo.  Dans  les  notes  de 
ses  pièces,  lui-même  affirme  haulement,  non  sans  fierté,  l'exacti- 
tude absolue  de  ses  assertions  historiques.  Les  notes  de  Ruy  Blas 
sont  particulièrement  curieuses  à  cet  égard.  A-t-il  puisé  tout  ce 
bagage  dans  les  bibliothèques?  Est-il  vrai,  comme  il  l'avance 
quelque  part,  qu'il  lisait  surtout  «  les  livres  que  personne  ne 
lit  »?  A-t-il,  au  contraire,  de  par  son  imagination  toute-puissante, 
vivifié  et  complété  de  simples  précis,  à  peu  près  comme  Alexandre 
Dumas  voyait  vivre  Henri  III  et  sa  cour,  à  la  lecture  du  sec  résumé 
d'Anquetiï?Nous  sommes,  là-dessus,  réduits  aux  conjectures;  car, 
suivant  une  ligne  de  conduite  à  notre  avis  bien  inopportune,  la 
famille  de  Victor  Hugo  refuse  de  donner  la  moindre  indication 
sur  le  contenu  de  la  bibliothèque  du  poète.  On  ne  voit  guère  pour- 
tant ce  que  sa  gloire  y  pourrait  perdre  ! 


Acte  IV  (Le  tombeau).  —  Commencé  le  15  septembre,  achevé 
le  20. 

Scène  I.  —  (Don  Carlos  et  Don  Ricardo.)  Plusieurs  intéressantes 
additions  marginales.  Après  ce  vers  : 

11  est  bon  d'aiguiser  les  stylets  sur  des  tombe?, 
on  lisait  : 
*:•  .*  .*  /Mais  une  fois  encor,  comte,...  etc. 


LE    MANUSCRIT  AUTOGRAPHE   D  HERNANI.  535 

La  marge  contient  les  vers  intermédiaires,  dont  une  partie, 
imprimée,  a  été  collée  sur  le  feuillet.  Ont  été  également  annexés 
au  texte  les  quatre  vers  «  Un  Saxon  hérétique!...  De  jeunes 
idiots!  »  et  l'importante  tirade  de  trente-deux  vers  :  «Toujours  trois 
voix  de  moins!...  — Va-t'en.  C'est  l'heure...  etc  »,  que  prononce 
Don  Carlos  vers  la  fin  de  la  scène.  A  signaler,  dans  ce  dernier 
morceau,  la  leçon  du  ms.  (sans  correction)  :  Céchafaud,  au  lieu  de 
l'abîme.  Variantes:  Au  lieu  de  Don  Gif  Telles  Giron,  il  y  a  un 
autre  nom  raturé,  qui  semble  être  celui-ci  :  Don  Pedro  de  Tobac.  — 
Dans  ce  passage  : 

On  dit  qu'il  vous  trouva  chez  madame  Giron...  etc. 
Hugo  juge  utile  d'atténuer  la  brutalité  "du  propos  de  Ricardo   : 

Avec  lui,  Don  Tellez  Giron,  qui  dans  le  lit 

De  sa  femme  vous  sut  prendre  en  flagrant  délit. 

Douze  vers  plus  loin,  il  supprime  une  répétition  qui  donnait 
au  dialogue  une  allure  traînante  et  vulgaire  : 

hON   CARLOS. 

Est-ce  que  c'est  tout? 

DON   RICARDO. 

Oui,  je  crois  que  c'est  tout. 

DON   CARLOS. 

Comte...  etc. 

Menues  variantes  d'expression  (aparté  de  Carlos)  : 

Basse-cour  où  le  roi,  tiraillé  sans  pudeur, 
A  ces  nains  affamés  émietle  la  grandeur! 

Plus  loin  : 

Peut-être  aurais- je  dû,  par  saint  Paul  de  Mure ir!... 

Scène  IL  —  C'est  le  célèbre  monologue  de  Don  Carlos  :  «  Char- 
lemagne,  pardon!...  »  En  tète,  une  note  :  «  Ne pas  tenir  compte  des 
coupures  indiquées  ».  Le  poète  avait  senti  combien,  à  la  scène,  celte 
incommensurable  méditation  serait  fatigante,  pour  l'acteur  comme 
pour  le  spectateur.  Il  esta  noter  que  l'école  romantique,  qui  con- 
damna théoriquement  le  monologue  et  le  récit  classiques,  dépassa 
en  étendue,  dans  ces  deux  conventions  de  l'art  dramatique,  tout 
ce  qu'on  avait  osé  jusqu'alors.  On  a  fait  bien  plus  long  depuis1. 

i.  Cf.,  dans  V Aiglon  de  M.  Edm.  Rostand,  le  monologue  de  Metternich  en  présence 
du  petit  chapeau  de  Napoléon.  11  semble  interminable.  Cf.  aussi,  dan9  l'adaptation  dra- 
matique d'un  roman  d'Edm.de  Goncourt  (la  Fille  JÊ/wa)par  M.  J.  Ajalbert,  le  plaidoyer* • 
du  défenseur,  qui  ne  dure  pas  moins  de  vingt-cinq  minutes.  C'est  assurément  1« 
record  du  monologue,  si  tant  est  qu'un  plaidoyer  puisse  recevoir  ce  nom. 


536  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRAHCE. 

V.  Hugo  a,  pour  la  scène,  réduit  ce  morceau  de  167  vers  à  101.  C'est 
une  diminution  d'un  bon  tiers  (66  vers  retranchés).  Le  monologue, 
ainsi  tronqué  d'après  les  accolades  marquées  par  l'auteur  lui- 
même,  est  imprimé,  tel  qu'il  se  disait  et  se  dit  encore  à  la  représen- 
tation, dans  la  note  IV  de  l'édition  définitive.  Fort  heureusement, 
l'auteur  n'a  pu  se  résigner  à  faire  le  sacrifice  complet  des  superbes 
périodes  qu'il  a  dû  couper. 
Peu  de  corrections.  Le  vers  initial  était  mal  venu  : 

Pardon,  puissant  tombeaul  —  tes  échos  solitaires...  etc. 

Voici  quelques  variantes  encore  : 

Et  sans  doute  il  s'indigne  à  ce  bourdonnement... 
...  De  son  temps,  tout  était  bien  plus  beau... 

Au  lieu  de  la  spirale  :  l'édifice,  ou  ï obélisque. 

—  Ahï  le  peuple!  —  océan!  —  onde  sans  cesse  émue, 
Où  l'on  ne  peut  cracher  sans  que  tout  ne  remue! 
Vague  qui  brise  un  trône  et  respecte  un  tombeau! 
...  Gomment  ne  pas  glisser  debout  sur  cette  sphère? 

...  Dieu!  s'il  allait  me  parler!  s'il  s'éveille/ 
Si  je  sortais  aveugle  avec  des  cheveux  blancs! 

Scène  III  (scène  des  Conjurés.).  —  Quelques  incertitudes  sur  les 
noms  propres  des  interlocuteurs.  Don  Gil  Tellez  Giron,  et  non  le 
duc  de  Gotha,  disait  :  «  Qu'il  meure  !  »  Don  Guzman  de  Lara,  et  non 
Tous,  s'écriait  :  «  Qu'on  l'immole!  »  Une  modification  du  dialogue 
entre  Don  Ruy  Goinez  et  Hernani  (cf.  la  note  de  l'édition  ne 
varie tur)  : 

Elle!  je  te  la  cède...  etc. 

Scène  IV.  —  Elle  débute  ainsi  :  Messieurs,  allez  ailleurs].. . 
Suppression  du  nom  du  comte  de  Casapalma  parmi  ceux  des  offi- 
ciers de  Don  Carlos.  —  Dans  la  salutation  du  duc  de  Bavière 
figurait  ce  vers,  raturé  : 

Nous  avons  déposé  la  couronne  et  le  globe. 

Hernani  s'exprimait  de  la  sorte  : 

C'est  à  moi  qu'avant  tout  il  convient  de  le  dire. 

—  «  Bien!  »  répliquait  Carlos  (ms.  sans  correction];  l'édition 
porte  :  «  Paix!  »  —  En  marge,  l'apostrophe  de  Carlos  à  Ruy 
tïotnevet  la  riposte  de  celui-ci  :  «  Mon  cousin  de  Silva...  »  etc. 
(4  Vers).  —  Hernani  criait  aux  prisonniers  et  aux  gardes  : 


LE    MANUSCRIT   AUTOGRAPHE   d'hERNAHI.  537 

Place  à  Jean  d'Aragon,  duc  de  Segorbe,  et  place! 
Place  à  Jean  d'Aragon,  vous,  bourreaux  et  valets! 
Et  si  vos  échafauds  sont  étroits,  changez-les! 

Après  l'hémistiche  «  Oh!  ma  haine  s'en  va!...  »,  le  poète  a 
supprimé  douze  vers  où  il  peignait  les  hésitations  d'flcrnani,  à 
qui  l'Empereur  vient  d'offrir  le  bonheur  avec  le  pardon  (cf.  l'édi- 
tion ne  varietur,  en  note).  L'aparté  de  Ruy  Gomez,  qui  suit 
(«  Éclaterai-je...?  »  etc.),  est  en  marge,  ainsi  que  tout  le  discours 
de  Don  Carlos  conférant  au  bandit  réhabilité  le  collier  de  la  Toison 
d'or  avec  l'investiture  de  chevalier,  et  accordant  aux  condamnés 
leur  grâce  («  De  ta  noble  maison...  etc.  »,  et  les  quatorze  vers 
suivants).  Le  texte  primitif  était  beaucoup  plus  simple  : 

HERNAN1. 

...  Je  ne  hais  plus.  Carlos  a  pardonné... 
Ah!  vous  êtes  César! 

DON  CARLOS,  aux  autres  conjurés. 
Espagnol  ou  Saxon, 
Je  vous  fais  grâce  à  tous!  l'Empereur  vous  pardonne. 
C'est  la  leçon  qu'au  monde  il  convient  que  je  donne. 

LES  CONJURÉS,  à  genoux. 

Gloire  à  Carlos!... 

C'est  le  rôle  de  Carlos  qui  a  subi  le  plus  de  modifications  au 
cours  de  cette  scène  IV.  Voici  encore  une  première  leçon  (biffée) 
du  texte,  après  les  mots  de  Carlos  : 

Allez.  Tirai  moi-même... 
(Les  deux  électeurs  mettent  un  genou  en  terre  et  lui  baisent  la  main.) 

LE  ROI  DE  BOHÈME,  se  relevant. 
Charles!  de  nos  États  tu  seras  le  pilier/... 

DON  CARLOS,  l'interrompant. 
Roi  de  Bohème!  eh  bien,  vous  êtes  familier! 

(A  part.) 
Me  voilà  donc  au  but,  et  tout  m'a  fait  passage! 
—  Empereur,  au  refus  de  Frédéric-le-Sage  ! 

(Entre  Dona  Sol,  conduite  par  Ricardo.) 

Scène  V.  —  Le  monologue  final  de  l'acte  présente  les  variantes 
que  voici  : 

Ai-je  un  pied  sûr  et  ferme,  à  ne  pas  trébuchera... 

Deux  vers  plus  loin,  tracé  au  lieu  de  battu.  Le  ms.  donne,  sans 
corrections  : 


538  REVUE    D'HISTOIRE  LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANGE. 

Tout  un  monde  qui  hurle,  et  bouillonne,  et  conspire... 
Des  pièges,  des  écueils,  des  menaces  sans  nombre... 

Au  verso  de  ce  feuillet,  on  lit  :  «  Je  suis  petit  comme  Alexandre.  » 

L'Altesse  catholique  en  Majesté  sacrée. 

Et,  sur  la  feuille  de  garde  du  cinquième  acte,  le  cri  déchirant  de 
la  scène  v  : 

«  Par  pitié,  demain!  » 


Acte  V  (La  noce).  —  Commencé  le  21  sept.,  terminé  le  25.  — 
Comme  on  va  s'en  rendre  compte;  le  dernier  acte  est,  à  tous  égards, 
le  plus  intéressant  à  étudier  sous  le  double  rapport  des  incerti- 
tudes de  la  composition  et  du  style.  Il  a  été  profondément  refondu 
dans  ses  morceaux  essentiels;  et  l'examen  attentif  du  brouillon 
(car  c'en  est  bien  un  que  nous  avons  sous  les  yeux)  trahit  des 
scrupules  qui  font,  en  vérité,  le  plus  grand  honneur  au  très  jeune 
poêle.  On  voit  combien  il  fut  désireux  d'amender  son  œuvre,  dont 
la  conclusion  était  certainement  déparée  par  l'abus  des  extrava- 
gances romantiques.  M.  Ern.  Dupuy,  à  qui  l'on  ne  reprochera 
pas  de  manquer  d'enthousiasme  pour  V.  Hugo,  a  regretté,  avec 
beaucoup  de  bons  esprits,  l'excès  de  réalisme  qui  gâte  la  scène 
de  l'empoisonnement.  Il  observe  que  le  jeu  des  acteurs  en  sou- 
ligne encore  l'effet  désagréable  :  contorsions,  faces  crispées  par  la 
souffrance,  plaintes  d'agonie,  etc.  Ce  n'est  pas  ainsi  que  le  drame 
classique  procédait,  même  quand  l'auteur  avait  le  courage  de 
présenter  l'empoisonnement  aux  yeux  des  spectateurs.  Relisez  le 
dénouement  de  Rodogune.  Tout  s'y  passe  fort  convenablement,  et 
les  plis  de  la  draperie  antique  n'y  sont  dérangés  qu'à  peine.  —  Que 
diraient  ces  critiques,  si  V.  Hugo  avait  maintenu  au  théâtre  la 
version  primitive  de  son  dernier  acte?  Il  est  vrai  que  le  public  en 
eût,  sans  doute,  fait  justice.  Les  plus  romantiques,  s'ils  avaient  eu 
un  peu  de  goût,  n'auraient  pu  supporter,  même  au  dénouement, 
une  semblable  peinture.  Les  parodistes  auraient  eu  beau  jeu! 

C'est  qu'en  voulant  faire  du  naturel,  selon  le  manifeste  qu'il  avait 
émis  lui-même,  et  du  réel,  le  poète  ne  fit  que  du  burlesque.  Il  s'est 
repris,  et  les  choses  ont  été  à  peu  près  remises  au  point.  Aussi 
nous  n'hésiterons  pas  à  citer  ces  pages  oubliées  du  génial  écrivain, 
puisqu'aussi  bien  il  a  éliminé  et  condamné  lui-même  le  plus 
grand  nombre  de  ces  énormilés  romantiques.  Il  est  humain  de  se 
tromper,  et  il  est  beau  de  corriger  ses  erreurs.  Exhumons  donc 


LE    MANUSCRIT   AUTOGRAPHE    D  HERNASI.  539 

sans  crainte  ces  hardiesses  outrées,  non  pas  seulement  comme  des 
curiosités  littéraires,  mais  parce  qu'il  est  peu  de  leçons  de  goût 
aussi  utiles  que  celle-là,  parlant  de  si  haut. 

Scène  L  —  Très  peu  de  retouches.  A  retenir,  ces  deux  variantes 
(écrites  dans  la  marge)  de  l'interrogation  de  Don  Sancho  : 

Vouliez-vous  pas  qu'il  mit  son  cercueil  de  la  nocel 
Vouliez-vous  pas  qu'il  vint  mourir  dans  cette  nocel 
Vouliez-vous  pas  son  spectre  au  banquet  de  la  nocel 

Plus  loin,  Don  Francisco  a  remplacé,  arbitrairement,  Juan  de  la 
Cerda.  —  Et  voilà  tout. 

Scène  III.  —  Remarquez  ces  variantes  (la  quatrième  au  ms. 
sans  confection)  : 

Ce  bruit  mf  étourdissait.  N'est-ce  pas,...  etc. 

...  Le  bonheur,  amie,  est  chose  grave. 
//  tombe  sur  le  cœur  goutte  à  goutte,  et  s'y  grave. 
Rien  que  F  ombre  et  V  amour.  Félicité  parfaite  I 
La  lune  est  seule  aux  deux,  qui,  comme  nous,  repose. 
Un  rossignol  caché  dans  l'ombre... 

Sur  le  ms.,  sans  correction  : 

Don  Juan,  cette  fanfare  emplit  le  cœur  de  joie. 

Un  changement  considérable  après  ces  mots  d'Hernani  :  «  Oui, 
mon  bon  ange!  »  (cf.  la  note  de  l'édition  définitive)  : 

Oh!  veux-tu  quelque  chose?  ordonne  à  ta  servante. 

Hernani  cherche  alors  à  éloigner  sa  bien-aimée.  Toute  cette 
fin  de  scène  (depuis  Tu  souffres  donc  bienl)  a  été  remaniée  en 
marge.  Restituons  la  donnée  originelle,  franchement  exécrable, 
et  surtout  déplorablement  traînante  : 

HERNANI. 

Ce  devrait  être  fait  !  Ah  î... 

DONA   SOL. 

Tu  ne  te  sens  pas  bien? 

HERNANI. 

Un  mal...  auquel  je  suis  sujet... 

DONA   SOL. 

Ce  cor  vous  trouble  î 
Chaque  fois  qu'il  reprend,  votre  angoisse  redoublé. 


540  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

UERNANI. 

Non.  — Ce  cor  est  charmant,  et  j'en  aime  le  son. 

(Le  cor  recommence.) 
(A  part.) 

11  le  veut!  un  poignard!  par  pitié,  du  poison! 

Je  manque  à  mon  serment!  —  Rien!  —  Fanfare  implacable! 

(Haut.) 
Ah!  ce  pourpoint  m'étouffe,  et  ce  collier  m'accable! 
(11  arrache  son  collier,  et  le  jette  à  terre.) 
DONA  SOL. 
Mais  coupez  le  pourpoint... 

UERNANI. 

Ah!...  le  poignard  du  roi, 
L'as-tu  toujours? 

DON" A   SOL. 

Oui. 

UERNANI. 

Cours  me  le  chercher! 

DON A   SOL. 

Pourquoi? 
HERNANI,   montrant  son  pourpoint. 
Pour  l'ouvrir l 

DONA   SOL. 

11  serait  plus  simple  que  je  prisse 
Des  ciseaux... 

HERNANI. 

Le  poignard  ! 

DONA   SOL. 

Mais... 

UERNANI. 

Ah  !  c'est  un  caprice  ! 
Va,  cours,  j'en  ai  besoin! 

DONA   SOL. 

J'obéis,  monseigneur! 
(Elle  sort  par  la  porte  de  la  chambre  nuptiale.) 
UERNANI,  resté  seul. 
Voilà  donc  ce  qu'il  vient  faire!... 

Hugo  avait  donc  songé  d'abord  au  suicide  d'Hernani  par  le  fer, 
non  par  le  poison.  En  revanche,  on  verra  plus  loin  que  Ruy 
Gomez  cherche  à  s'empoisonner,  avant  de  se  poignarder. 

Scène  V.  —  Le  masque  en  domino  noir  paraît  :  il  pose  sur  la 
table  uu  poignard  et  une  fiole,  il  invite  le  malheureux  amant  à 
choisir.  Voici  le  premier  jet,  infidèlement  rapporté  dans  la  note 
de  l'édition  : 

LE   MASQUE'. 

A  mon  dernier  banquet,  mon  hôte,  je  t'invite. 
Ce'que  tu  laisseras  sera  pour  moi.  Fais  vite. 


LE    MANUSCRIT    AUTOGRAPHE    d'hERNANI.  541 

UERNANI. 

Je  suis  prêt... 

LE    DOMINO   NOIR. 

Un  peu  tard.  Si  je  n'étais  monté... 

UERNANI. 

Crois-tu  donc  que  sur  toi,  vieillard,  j'avais  compté? 
Tout  me  manquait. 

LE   MASQUE. 

C'est  bien.  Ce  qu'il  faut,  je  rapporte. 
Hernani  proteste,  implore.  Le  masque  reste  impassible  : 

Simple,  à  qui  par  les- tu?.,. 

Je  serais  seul,  hélas!  Non,  non,  il  faut  me  suivre. 

(Ce  vers  figure  au  manuscrit  sans  correction.) 

Alors,  Hernani  s'emporte  :  il  invective  le  meurtrier  fantôme 
en  un  énergique  et  éloquent  exorcisme,  depuis  retranché,  ce  qui 
est  peut-être  regrettable,  car  le  mouvement  est  bien  naturel  : 

Eh  bien,  non!  et  de  toi,  spectre,  je  me  délivre! 

Je  n'obéirai  pas!  —  Crois-tu  donc,  insensé, 

Que  je  n'ai  traversé  tout  mon  sombre  passé, 

Que  je  ne  tiens  enfin  la  femme  qui  m'est  chère, 

Que  je  ne  touche  au  but,  que  pour  me  laisser  faire, 

Moi  que  mon  noir  démon  ne  fit  pas  chanceler, 

Par  un  vieillard,  sur  qui  je  n'aurais  qu'à  souffler! 

Quand  DonaSol  m'attend,  dans  ta  nuit  ténébreuse 

Suivre  ton  spectre  blême  au  tombeau  qu'il  me  (var.  :  se)  creuse! 

Tu  veux  rire!  Va-t'en! 

LE   DOMINO   NOIR. 

Je  m'en  doutais.  Fort  bien! 
Sur  quoi  donc...,  etc. 

.  Tous  ces  vers  ont  été  écrits  de  verve,  sans  tâtonnements,  et  le 
texte  ne  porte  pas  de  corrections. 

De  même,  longue  suppression,  heureuse  celle-là,  dans  la  réplique 
du  vieillard  masqué,  laquelle  n'était  pas  exempte  de  bavardage, 
et  se  trouve  réduite  à  trois  vers  —  laconiques  et  dédaigneux  —  dans 
le  texte  définitivement  adopté.  —  On  lit,  en  marge  : 

Jadis,  il  en  était  des  serments  en  Espagne 
Comme  de  nos  habits  de  guerre  et  de  campagne; 
Ils  étaient  en  acier.  J'y  songe  avec  orgueil. 
C'était  chose  solide  et  reluisante  à  l'œil, 
Que  l'on  n'entamait  pas  sans  lutte  et  sans  bataille, 
Sur  laquelle  d'un  homme  on  mesurait  la  taille, 


542  REVUE    D  HISTOIRE   LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Qu'un  noble  avait  toujours  présente  à  son  chevet, 
Et  qui,  même  rouillée,  était  bonne,  et  servait. 
Mais  aujourd'hui,  la  foi,  l'honneur  et  les  paroles 
Ont  pris  le  train  nouveau  des  modes  espagnoles  ; 
Velours!  soie!  —  un  serment,  avec  ou  sans  témoins, 
Dure  autant  qu'un  pourpoint,  parfois  plus,  souvent  moins, 
S'use  vite,  et  n'est  plus  qu'un  haillon  incommode 
Qu'on  déchire  et  qu'on  jette,  en  disant  :  Vieille  mode! 

Certes,  ces  quatorze  vers  sont  loin  d'être  mauvais  en  eux- 
mêmes.  Mais,  on  l'avouera,  ce  n'était  guère  le  lieu  d'épiloguer 
sur  la  corruption  des  mœurs  et  de  vanter  la  rigide  droiture  des 
anciens  âges  au  détriment  du  temps  actuel.  Et  le  poète,  après 
réflexion,  Ta  bien  senti.  Aimant  à  ne  rien  perdre,  il  a  soigneuse- 
ment mis  en  réserve  cette  tirade.  On  la  retrouve,  à  peine  altérée, 
dans  la  bouche  du  Magnus  des  Durgraves,  exallant  les  serments 
qu'on  faisait  dans  la  vieille  Allemagne  et  regrettant,  lui  aussi,  le 
train  nouveau,  le  nouveau  jeu,  pourrions-nous  dire  (Clinquant! 
soie!...  etc.).  —  D'ailleurs,  ce  passage  avait  le  tort  de  rappeler 
par  trop  les  récriminations  du  même  Don  Ruy  Gomez  (acte  I, 
scène  m)  ;  l'expression  même  est  parfois  presque  identique  dans 
les  deux  cas  : 

Voilà  ce  que  feraient,  fy  songe  avec  ennui, 
.  Les  hommes  d'autrefois  aux  hommes  d'aujourd'hui. 

La  scène  s'achevait  comme  suit,  dans  la  version  primitive  (deux 
vers  retranchés)  : 

HERNANI. 

...  Ne  t'en  va  pas. 

LE   MASQUE. 

Bois  donc! 

UERNANI. 

Vieillard  cruel  ! 
Revenir  sur  mes  pas  à  la  porte  du  ciel  ! 
Mais  j'entends  Doua  Sol.  —  Oh!  mets-toi  là,  par  grâce, 
Qu'elle  ne  sache  encor  rien  de  ce  qui  se  passe  ! 

(Le  domino  noir  se  cache  derrière  un  pilier.) 

Scène  VI.  —  Début  modifié  (voy.  la  note  de  l'édition).  Dona 
Sol,  à  son  tour,  injurie  et  menace  l'infortuné  Ruy  Gomez  : 

...  Voyez-vous  cet  œil  de  pleurs  de  rage  humide? 
Voyez-vous  ce  poignard? —  Ah!  vieillard  hasardeux, 
G  est  du  même  courroux  qu'ils  reluisent  tous  deux. 
Je  suis  de  votre  sang,  mon  oncle,...  etc.  (Voir  la  note.) 


LE    MANUSCRIT   AUTOGRAPHE    D  HERNAM.  543 

Le  beau  vers  :'  «Toi!  tu  n'as  pas  le  cœur  d'une  épouse  chré- 
tienne »  a  chassé  celle  banalité  incorrecte  :  «  Toi  !  tu  ne  voudrais 
pas  qiïen  ta  tombe  je  vienne.  » 

Quatre  vers  plus  loin,  le  ms.  donne,  sans  correction  : 

don A  SOL. 
J'ai  bu  dans  ton  verre. 

HERNANI. 

Ah  !  c'est  une  mort  affreuse  ! 

Poursuivons.  —  Les  variantes  se  multiplient,  à  mesure  qu'on 
avance  vers  le  dénouement  et  que  Faction  se  précipite.  C'est  peut- 
être  dans  les  scènes  à  l'allure  la  plus  prompte  qu'Hugo  retouche 
davantage  (cf.  le  ms.  de  Ruy  Dlas)  : 

DONA  SOL. 

Devions-nous  pas  dormir  ensemble  cette  nuit? 
Qu'importe  dans  quel  lit? 

UERNANI. 

Ah!  vous  êtes  un  ange! 

DOXA   SOL. 

Ne  bois  pas!  Dieu!  je  souffre  une  douleur  étrange. 

De  l'eau!  de  C  eau!  je  brûle!  Ah!  Don  Juan,  ma  raison 

S'égare.  Ne  bois  point,  mon  amour,  ce  poison 

Est  vivant!  etc.. 

Par  pitié,  ne  bois  point! 

Effet  brutal  de  mélodrame  que  ce  cri  :  De  Veau!  de  Veau!  qui 
va  revenir  derechef  tout  à  l'heure.  Que  d'eau!  Ces  atroces  convul- 
sions, ces  clameurs  de  souffrance  exaspérée  sont  plus  à  leur  place 
dans  les  romans  de  l'école  naturaliste  ou  dans  les  grossières 
tranches  de  vie  servies  à  l'Ambigu  que  sur  la  scène  du  Théâtre- 
Français,  encore  qu'elle  ait  vu  depuis  de  bien  osées  tentatives.  — 
Autre  changement  notable.  On  constatera  que,  selon  le  texte 
définitif,  le  rôle  du  vieillard  assassin  se  borne,  dès  lors,  à  quelques 
brèves  exclamations,  jusqu'à  ce  qu'il  se  frappe  à  son  tour  et  que 
la  toile  tombe  :  La  fatalité  s'accomplit.  —  0  douleur  (1er  jet  : 
Devant  moi!).  —  Qu'ils  sont  heureux!  —  Mort!  —  Morte!  —  Oh!  je 
suis  damné!  —  Or,  il  semble  que  ce  rôle,  à  l'origine,  ait  été  un  peu 
plus  développé.  Le  vieux  gentilhomme  attestait  encore  cette  pas- 
sion sénile  qui  l'affole,  qui  le  rend  criminel,  barbare,  inexorable  ;  et 
Doua  Sol  le  maudissait,  lui  criait  sa  haine  avant  d'expirer.  Recons- 
tituons ce  passage,  expulsé,  selon  loute  probabilité,  parce  qu'il 
ralentissait  le  mouvement  d'une  scène  parvenue  au  paroxysme  de 
l'émotion  et  de  la  pitié. 


544  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCK. 

Après  cette  question  de  Dofta  Sol  :  «  N'est-ce  pas  quon  souffre 
horriblement?  »  on  lit  : 

DON  RUY  GOMEZ,  ramassant  la  fiole. 
...  Ah!  c'est  toi  dont  l'âme  est  jalouse  et  cruelle. 
Hélas!  rien  qu'une  goutte,  et  la  boire  après  elle, 
Et  je  mourais  content! 

DONA    SOL. 

Parlons  de  nos  amours... 
Tu  ne  sens  rien  encor? 

HERNANI. 

Toi,  souffres-tu  toujours? 

L'édition  ne  varietur,  qui  relève  dans  ses  notes  les  variantes, 
mais  d'une  façon  très  incomplète  et  parfois  inexacte,  a  reproduit 
quelques-uns  des  vers  qui  suivent  cette  question  de  la  jeune  femme  : 
«  Je  suis  bien  pâle,  dis,  pour  une  fiancée?  »  Hernani  répond  (voici 
le  dialogue  exact)  : 

Oh!  tes  traits  par  la  mort  sont  encore  embellis! 
—  Souffres-tu? 

DONA   SOL. 

Non.  Plus  rien.  Mais  toi?...  Dieu!  tu  pâlis! 

HERNANI. 

C'est  de  peur..,  de  te  voir  souffrir... 

DONA    SOL. 

Non.  Sois  tranquille...,  etc. 
Sauve-moi!  —  Je  l'ai  là  qui  me  tord  les  entrailles! 
Ah  !  c'est  à  se  jeter  le  front  sur  les  murailles1! 
Toi  qui  m'aimes,  Don  Juan,  sauve-moi,  c'est  du  feu  ! 
Je  te  l'assure,  ami,  je  souffre  trop!  —  Mon  Dieu! 
De  l'eau,  de  l'eau!  —  Don  Ruy!  Va- t'en,  je  te  déteste! 

HERNANI. 

Duc,  si  quelque  poignard,  quelque  pitié  te  reste, 
Abrège!  achève-nous!  0  rage!  ô  désespoir*? 
0  tourment!  Doiïa  Sol  souffrir,  et  moi  le  voir! 


Notre  tâche  est  finie.  Nous  laissons  le  lecteur  tirer  lui-même  la 
conclusion  qui  se  dégage  de  cette  étude.  Elle  est  tout  à  l'honneur 

1.  Cf.  un  vers  analogue  dans  Ruy  Blas  (acte  V,  scène  n)  : 

«  Mais  c'est  h  se  briser  le  front  contre  le  mur!  » 

2.  C'est  le  fameux  hémistiche  cornélien  (Cid,  acte  I,  scène  v). 


LE    MANUSCRIT   AUTOGRAPHE    D  HERNANI.  545 

du  grand  poète,  qui  sut  être  un  laborieux  ouvrier.  —  Le  même 
travail  pourrait  être  tenté  sur  tous  les  drames  de  Hugo  dont  les 
manuscrits  sont  déposés  à  la  Nationale  :  l'injouable  Cromwell 
(n°  14),  Marion  de  Lorme  (15),  Le  Roi  s'amuse  (16),  Lucrèce  Dorgia 
(17),  Angelo  (18);  surtout  Ruy  Dlas  (19)  et  Les  Burgraves  (20), 
qu'on  étudierait  plus  volontiers,  j'imagine,  parce  que  ce  sont  des 
œuvres  de  maturité. 

Ruy  Dlas  serait  particulièrement  intéressant  par  les  variantes  de 
la  scène  finale  entre  le  valet-ministre  et  Salluste,  son  mauvais 
génie.  Il  y  a  là  de  multiples  retouches,  et,  à  bien  des  égards,  il 
ressort  de  l'examen  une  leçon  de  goût  comparable  à  celle  que 
nous  avons  prise  dans  Hernani.  Quant  aux  Burgraves,  par  l'heu- 
reuse reconstitution  du  passé  héroïque,  par  la  grandiloquence  et  la 
majesté  des  personnages,  Hugo  laisse  entrevoir  la  prochaine  épopée 
de  la  Légende.  —  Le  trésor  est  riche;  l'on  peut  y  puiser  sans 
peine.  La  grotte  merveilleuse  s'ouvre  d'elle-même,  sans  talisman 
et  sans  mot  de  passe.  Si  nous  avons  élu  entre  tous,  pour  le 
démembrer  et  l'analyser,  le  glorieux  drame  à'Hernani,  c'est  pour 
des  raisons  à  la  fois  historiques  et  littéraires.  Œuvre  de  début, 
consacrée  par  te  plus  retentissant  des  succès  et  par  des  discussions 
qui  dégénérèrent  en  bataille,  cette  pièce  ne  doit  laisser  personne 
indifférent,  en  France  non  plus  qu'à  l'étranger.  Sans  nul  doute, 
elle  a  beaucoup  vieilli.  Elle  n'est  plus  pour  nous  la  merveille  que 
les  Cénacles  voulaient  placer  au-dessus  de  tous  les  chefs-d'œuvre 
dramatiques  passés  et  futurs.  Néanmoins  elle  possède,  en  dépit  de 
tout,  assez  d'énergie  intérieure,  assez  de  passion  juvénile,  assez  de 
couleur  et  de  verve,  pour  se  maintenir,  presque  solide  encore,  sur 
les  débris  d'un  théâtre  en  ruines.  On  a  dit  :  «  Beau  comme  le  Cid  ». 
Je  doute  qu'on  dise  désormais  :  «  Beau  comme  Hernani  ».  Mais 
il  n'est  pas  non  plus  nécessaire  pour  cela  de  méconnaître  l'esprit 
généreux  de  la  tentative  romantique.  Pour  nous,  nous  ne  voulons 
pas  être  de  ceux  qui  reprochent  à  Victor  Hugo  d'avoir  versé  à  ses 
contemporains  «  le  poison  idéaliste  ».  Car  il  est  des  poisons  qui 
sont  parfois  des  remèdes.  Où  donc  est  le  médecin  qui  saura  nous 
en  rédiger  l'ordonnance? 

Paul  et  Victor  Glachant. 
Paris,  juillet  1900. 


5i6  REVUE    I)  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 


JEAN-BAPTISTE  ROUSSEAU  ET  LENGLET  DU  FRESNOY 

La  vie  de  Jean-Baptiste  Rousseau  se  compose  d'une  série  d'in 
cidenls,  sur  lesquels  il  faudrait  faire  la  lumière  avant  d'émettre 
une  opinion  d'ensemble.  Peut-être  que  le  jugement  porté  de  la 
sorte  différerait  de  celui  qu'on  énonce  d'ordinaire  prématurément. 
En  tout  cas,  les  faits  seraient  établis  nettement  et  c'est  là  un 
résultat  qui  suffit  aux  investigations  d'un  chercheur  soucieux 
avant  tout  de  vérité.  C'est  un  de  ces  épisodes  que  nous  voudrions 
maintenant  contribuer  à  éclairer,  d'autant  que  la  discrétion  de 
Louis  Racine  l'a  rendu  assez  obscur  dans  la  correspondance  de 
Jean-Baptiste  Rousseau.  Il  s'agit  des  démêlés  de  celui-ci  avec 
l'abbé  Lenglet  du  Fresnoy,  question  qui  n'a  pas  encore  été  tirée 
au  clair,  car  Louis  Racine  a  volontairement  omis  de  publier  les 
documents  qui  pouvaient  contribuer  à  faire  la  lumière.  Il  importe 
cependant  de  déterminer  les  responsabilités  encourues  à  ce  sujet, 
et,  ce  faisant,  on  n'aura  pas  seulement  établi  un  chapitre  de  deux- 
biographies  individuelles,  mais  encore  évoqué  un  curieux  exemple 
des  mœurs  littéraires  du  temps. 

Rappelons  seulement  la  physionomie  des  personnages  en  cause. 
Celle  de  Jean-Baptiste  Rousseau  est  connue,  ou,  du  moins  si  on 
ne  saurait  dire  avec  certitude  les  raisons  de  ses  malheurs,  il  est 
aisé  de  reconstituer  l'histoire  extérieure  de  sa  vie.  Accusé,  à  tort, 
prétendit-il  toujours,  d'avoir  répandu  des  couplets  diffamatoires, 
dont  il  passait  pour  être  l'auteur  et  pour  lesquels  il  fut  condamné 
par  contumace,  Jean-Baptiste  Rousseau  avait  fui  l'orage  qui  gron- 
dait contre  lui  et  s'était  réfugié  en  Suisse,  à  Soleure,  chez  le 
comte  du  Luc,  ambassadeur  du  roi  de  France  auprès  des  cantons 
helvétiques.  Quand  le  comte  du  Luc  passa  à  Vienne,  Rousseau  l'y 
suivit  et  c'est  là  qu'il  trouva  la  protection  du  prince  Eugène  de 
Savoie  qui  s'exerça  quelque  temps  sur  lui.  C'est  là  aussi  qu'il  fit 
la  connaissance  de  l'abbé  Lenglet  du  Fresnoy,  que  les  hasards  de 
sa  vie  aventureuse  y  conduisirent  à  la  fin  de  1721.  L'astre  de 
Rousseau  commençait  alors  à  pâlir,  semble-l-il,  et,  bon  gré  mal 
gré,  le  poète  se  préparait  à  quitter  Vienne  pour  aller  se  fixer  à 
Bruxelles,  où  on  lui  faisait  espérer  une  place  d'historiographe. 
Que  se  passa-t-il  au  juste  entre  les  deux  hommes?  Il  est  bien  diffi- 
cile de  le  déterminer,  car  leurs  rapports  n'ont  guère  laissé  de 


JEA3-BAPTISTK    ROUSSEAU    ET   LENGLET   DU    FRESNOY.  547 

traces  que  dans  leurs  propres  écrits  et  l'un  et  l'autre  n'a  pas 
manqué  d'accommoder  les  choses  à  sa*  façon.  On  verra  ci-dessous 
comment  Rousseau  les  expose.  Quant  à  Lenglet,  il  les  expliquait, 
cela  va  sans  dire,  différemment,  mettant  sur  le  compte  de  Rous- 
seau nombre  d'imputations  qui  ne  sont  nullement  prouvées.  Selon 
lui,  Rousseau  faisait  de  l'espionnage  à  Vienne  et  l'aurait  dénoncé 
pour  le  faire  arrêter.  Ce  qui  est  certain  c'est  que  Lenglet  du 
Frcsnoy,  dont  les  allures  étaient  depuis  longtemps  suspectes  aux 
ministres  de  France  et  qui  avait  déjà  talé  maintes  fois  de  l'incar- 
cération, fut  saisi  à  Strasbourg,  lorsqu'il  quitta  Vienne,  et  empri- 
sonné sur  l'ordre  du  cardinal  Dubois.  On  le  fouilla,  on  inventoria 
ses  papiers,  mais  infructueusement,  car  l'opération  fut  tardive  et 
il  avait  eu  tout  le  temps  de  se  défaire  des  documents  compromet- 
tants, s'il  en  possédait.  De  plus,  «  l'état  de  gueuserie  »  dans  lequel 
il  se  trouvait  faisait  croire  que,  si  jamais  il  avait  travaillé  pour 
l'étranger,  il  n'avait  pas  eu  de  grandes  affaires  à  traiter.  Bref, 
l'abbé  Lenglet  fut  alors  conduit  à  Paris  et  on  ne  le  mit  en  liberté 
que  lorsqu'il  eut  fourni  tous  lesr  renseignements  qu'on  en  atten- 
dait. La  mésaventure  avait  donc  été  sans  trop  de  conséquences.  Et 
quoique  l'abbé  Lenglet  dût  être  accoutumé  à  de  pareils  inconvé- 
nients, bien  que,  surtout,  il  ne  soit  pas  vraisemblable  que  Jean- 
Baptiste  Rousseau  y  ait  eu  la  moindre  part,  il  garda  à  celui-ci 
une  forte  rancune  qui  devait  se  faire  sentir  plus  lard. 

En  effet,  Lenglet  du  Fresnoy  fut  véritablement  ce  qu'on  pourrait 
appeler  un  pensionnaire  de  la  Bastille.  L'internement  ne  l'effrayait 
pas  outre  mesure  et  il  n'appréhendait  pas  les  lettres  de  cachet. 
Voici  une  note  de  police  qui  mentionne  et  résume  les  divers  pas- 
sages de  cet  incorrigible  écrivain  dans  les  prisons  d'État*.  Où  verra 
combien  son  existence  fut  bien  remplie  à  cet  égard. 

Nicolas  Lenglet  du  Fresnoy,  prêtre  du  diocèse  de  Paris,  entré  à  la 
Bastille  le  28  juin  1723,  sorti  le  25  juin  1726; 

Rentré  le  28  mars  1743,  sorti  le  8  juin  suivant; 

Rentré  le  9  décembre  1751,  sorti  le  17  janvier  1752; 

En  l'année  1725,  pour  mémoires  séditieux; 

En  1743,  pour  les  mémoires  du  prince  de  Condé; 

En  1750,  pour  l'Almanach  du  prince  Edouard; 

Et  en  1751,  pour  lettres  anonymes  contre  les  ministres. 

Nota.  —  11  a  été  encore  à,  La  Bastille  en  Tannée  1696  pour  fait  de 
religion  et  en  1718  pour  un  mémoire  qu'il  a  présenté  à  M.  le  Duc  contre 
le  gouvernement. 

En  l'année  1733,  il  fut  mandé  chez  M.  Hérault  pour  avoir  fait 
imprimer  en  Hollande   des  A?*re1s  d'amour,  dont  il   a  introduit  un 


548  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

nombre  infini  d'exemplaires  dans  Paris  par  des  voies  détournées,  qu'il 
a  fait  vendre  par  Pierre  Gandouin,  libraire. 

En  parlant  des  Vigiles  de  la  mort  du  roi  Charles  VIL  il  cite  l'édition 
faite  à  Paris,  en  1724,  chez  Antoine  Urbain  Goutellier,  bon  libraire  et 
archi-cocu1. 

Les  diverses  étapes  de  cette  énumération  sont  exactes.  C'est 
bien  en  1696,  à  l'âge  de  vingt-deux  ans,  que  Lenglet  du  Fresnoy 
avait  fait  pour  la  première  fois  connaissance  avec  les  gens  du 
lieutenant  de  police.  Il  était  alors  simple  clerc,  demeurant  chez 
l'abbé  Pirot,  docteur  de  Sorbonne,  en  qualité  de  domestique,  et  il 
était  inculpé  d'avoir  publié,  de  concert  avec  l'abbé  Faydit,  des 
écrits  théologiques  prohibés.  Mais  cette  première  mésaventure  ne 
devait  pas  rester  sans  lendemain  et  une  lettre  de  cachet  du  28  sep- 
tembre 1718  vint  encore,  sur  l'ordre  du  régent,  faire  ouvrir  pour 
lui  les  portes  de  la  Bastille.  Il  paraît  qu'on  l'avait  trouvé  mêlé  aux 
intrigues  de  la  duchesse  du  Maine  et,  de  ce  fait,  il  dut  rester  un 
an  en  prison.  Puis,  ce  fut  une  série  d'incarcérations  qui  se  succé- 
dèrent dans  Tordre  des  dates  énoncées  ci-dessus.  L'abbé,  d'ailleurs, 
ne  s'en  effrayait  guère.  Homme  d'esprit  et  surtout  compilateur 
infatigable,  éditeur  convaincu  d'ouvrages  anciens  ou  modernes, 
l'abbé  Lenglet  poursuivait  sa  besogne  accoutumée  dans  les  prisons 
du  roi  et  continuait  à  préparer  les  publications  qui  occupaient  sa 
vie.  Celle-ci,  comme  on  le  voit,  était  employée  à  des  travaux  fort 
divers.  Manquant  absolument  de  moralité,  faisant,  moyennant 
récompense,  tous  les  métiers  et  mettant  la  plume  au  service  de 
tous  ceux  qui  voulaient  bien  le  payer,  l'abbé  était  capable  de 
toutes  les  mauvaises  actions  et  commit  à  peu  près  toutes  les  trahi- 
sons et  tous  les  méfaits  dont  il  était  capable.  Au  demeurant,  sa 
réputation  n'en  a  pas  trop  souffert.  Son  savoir,  plus  caustique  que 
profond,  a  sauvé  son  nom  de  l'oubli,  et  l'air  de  persécution  que 
lui  ont  donné  les  tracasseries  dont  il  fut  l'objet  n'a  pas  nui  à  sa 
mémoire.  Voltaire  écrivait  à  son  sujet,  le  4  avril  1743  :  «  Les  let- 
tres sont  ici  plus  persécutées  que  favorisées.  On  vient  de  mettre  à 
la  Bastille  l'abbé  Lenglet  pour  avoir  publié  des  mémoires  déjà 
connus,  qui  servent  de  supplément  à  l'histoire  de  M.  de  Thou;  il 
a  rendu  un  très  grand  service  aux  bons  citoyens  et  aux  amateurs 
de  recherches  sur  l'histoire  :  il  méritait  des  récompenses  et  on 
l'emprisonne  à  l'âge  de  soixante-huit  ans.  »  C'était,  en  effet,  assez 

K.  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  archives  de  la  Bastille,  carton  n°  10,880,  f°  258.  Les 
paroles  auxquelles  il  est  Tait  allusion  dans  le  dernier  paragraphe  sont  extraites  de 
la  préface  de  Lenglet  aux  Arrêts  d'amour,  p.  35. 


JEAN-BAPTISTE    ROUSSEAU    ET    LENGLET    DU    FHESNOY.  •     540 

mal  reconnaître  un  service  rendu  aux  lettres  et  qui  méritait  mieux 
que  cela.  IVfais  l'abbé  Lenglet  était  coutumier  de  frasques  moins 
vénielles  et  l'autorité,  qui  le  traitait  avec  indulgence,  aurait  pu 
dans  bien  des  cas  se  montrer  plus  sévère  à  son  endroit  qu'elle  ne 
le  fut  en  réalité.  Les  faits  que  nous  allons  rapporter  en  seront  la 
preuve. 

Au  commencement  de  Tannée  1731,  Jean-Baptiste  Rousseau, 
qui  était  fixé  depuis  dix  ans  déjà  à  Bruxelles,  dans  les  Pays-Bas 
autrichiens,  apprit  qu'on  allait  publier  en  Hollande  une  édition 
des  poésies  de  Régnier,  et  cette  édition  devait  lui  être  dédiée  dans 
une  épître  satirique.  Chose  plus  grave,  l'éditeur  anonyme,  qui 
avait  pillé  pour  son  travail  une  édition  de  Régnier  donnée  au 
public,  deux  ans  auparavant,  par  les  soins  de  l'avocat  lyonnais 
Claude  Brossette,  l'ami  et  le  correspondant  de  Rousseau,  voulait 
laisser  croire,  par  un  procédé  peu  délicat,  que  Brossetle  lui-môme 
était  Fauteur  de  l'épîlro  satirique  qui  allait  ouvrir  la  nouvelle 
édition  de  Régnier.  Vite  Rousseau  se  mit  en  quête  de  celui  qui 
méditait  pareille  infamie  à  son  égard  et  il  n'eut  pas  de  peine  à 
découvrir  que  le  pseudonyme  du  Chevalier  Gordon  du  Percel 
cachait  la  personnalité  de  l'abbé  Lenglet,  qui  en  avait  usé  aupa- 
ravant pour  publier  les  œuvres  de  Clément  Marot.  Aussitôt  Rous- 
seau s'employa  pour  tâcher  d'éviter  le  scandale  qui  le  menaçait  et 
il  s'adressa  aux  agents  diplomatiques  accrédités  auprès  des  Ëtats 
de  Hollande  afin  d'obtenir  leur  protection.  Mais  il  eut  surtout 
recours,  pour  cela,  à  Don  Luiz  da  Cunha,  ministre  plénipoten- 
tiaire du  roi  de  Portugal,  et  c'est  ce  diplomate  qui  s'occupa  le 
plus  activement  de  la  négociation  demandée.  «  J'ai  reçu,  mon- 
sieur, écrivait-il  le  2  mars  1731,  de  La  Haye  à  Rousseau,  votre 
lettre  et  je  suis  bien  fâché  de  ce  qu'un  malheureux  vous  attaque 
si  indignement.  Il  n'est  plus  dans  ce  pays.  Je  me  fais  informer 
qui  est  son  libraire-imprimeur  et  vous  pouvez  croire  que  je  m'em- 
ploierai de  mon  mieux  pour  vous  servir.  »  En  effet,  Don  Luiz  da 
Cunha  se  mil  aussitôt  à  la  besogne  et,  quatre  jours  plus  tard,  il 
avait  de  nouveaux  détails  à  mander  à  Rousseau  à  ce  sujet.  «  J'ai 
parlé,  au  mieux,  lui  disait-il,  à  l'égard  de  votre  affaire  à  l'ambas- 
sadeur de  France  et  d'autres,  et  j'ai  pris  telles  mesures  qui,  j'es- 
père, vous  procureront  la  satisfaction  que  vous  désirez.  En  atten- 
dant, je  m'en  vais  porter  votre  lettre  au  comte  de  Zinzendorff 
pour  l'intéresser  de  môme  dans  cette  affaire.  » 

Ainsi  prévenus,  tous  les  diplomates  —  ou  à  peu  près  —  pré- 
sents à  La  Haye,  s'entremirent  en  faveur  de  Rousseau  contre  le 
libelliste  anonyme.  Par  suite  de  sa  condamnation  antérieure,  Rous- 

Rcv.  d'hist.  littér.  de  la  Frahce  (  7«  Ann.).  —  VU.  36 


550  REVUE    D  HIST01KK    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCK. 

seau  ne  pouvait  demander  protection  qu'avec  ménagement  au 
ministre  de  France,  le  marquis  de  Fénelon,  le  neveu  de  l'arche- 
vêque de  Cambrai.  Pourtant  le  procédé  de  l'abbé  Lenglet  était  si 
condamnable  qu'il  trouva  une  réprobation  générale  et  fut  unani- 
mement dénoncé  à  la  répression  des  autorités  bataves,  comme  en 
fait  foi  la  lettre  suivante  de  Don  Luiz  da  Gunha  à  Rousseau. 

Je  ne  vous  ai  pas  fait  réponse,  monsieur,  à  votre  dernière  lettre,  vou- 
lant vous  mander  quelque  chose  de  positif  sur  cette  désagréable  affaire. 
J'avais  fait  venir  d'Amsterdam  l'écrivain  de  l'abbé  et  correcteur  de  ses 
mauvais  écrits,  et  qui  ne  Tétait  plus;  il  m'a  mis  au  fait  de  celui  en 
question,  de  sorte  qu'en  tendant  votre  lettre  au  comte  de  ZinzendorfT 
je  lui  donnai  les  instructions  nécessaires  pour  en  parler  à  M.  le  Pen- 
sionnaire. Il  s'en  chargea  de  très  bonne  grâce  et  sur  le  champ  il  est 
allé  chez  ce  ministre,  qui  fit  difficulté  de  s'en  mêler  parce  que  cela 
regardait  la  ville  d'Amsterdam  et  sa  police  particulière.  Mais  à  la  fin 
M.  de  ZinzendorfT  lui  serra  le  bouton  si  fort  qu'il  prit  les  informations 
nécessaires  pour  en  écrire  aux  bourgmestres.  Je  me  suis  trouvé  hier 
en  compagnie  du  comte  de  Zlnzendorlf,  mais  il  n'avait  pas  de  nouvelles 
et  il  m'a  promis  d'aller  aujourd'hui  chez  le  Pensionnaire  pour  en  savoir. 
J'écrivis  aussi  à  mes  amis  d'Amsterdam  là-dessus,  mais  je  ne  puis  leur 
alléguer  que  les  raisons  d'une  bonne  et  équitable  police.  Mais  Zinzen- 
dorfT y  ajoute  le  nom  de  l'Empereur  qui  vous  a  accordé  sa  protection. 
Voilà  les  inconvénients  de  la  liberté  de  l'imprimerie  tant  protégée  dans 
ce  pays-ci,  où  les  princes  et  les  potentats  ne  sont  pas  à  couvert  de  sem- 
blables scélérats.  Kn  attendant,  monsieur,  je  n'oublierai  rien  pour 
vous  faire  plaisir1. 

L'abbé  Lenglet  n'était  plus  en  Hollande  tandis  qu'on  s'y  occu- 
pait ainsi  de  lui.  Il  avait  cru  bon  de  regagner  la  France,  pensant 
que  de  là  il  lui  serait  plus  facile  de  comballre  Rousseau,  qui  on 
était  banni.  Il  écrivait  donc  de  Paris,  le  19  mars  1731,  au  marquis 
de  Fénelon  une  lettre  dans  laquelle,  tout  en  niant  que  la  pièce 
incriminée  fût  de  lui,  il  dénonçait  Rousseau  comme  auteur  de  vers 
infâmes  et  demandait  contre  lui,   comme   tel,  des  poursuites  et 
une  condamnation.  La  lettre  de  Lenglet  est  depuis  longtemps 
connue,  puisqu'il  l'a  imprimée  lui-même  à  la  suite  de  son  livre 
De  V usage  des  romans,  sans  prendre  garde  au  mensonge  qu'elle 
contenait  dès  le  début.  Mais  la  lettre  suivante,  qui  est  inédite, 
résume  et  expose  les  senliments  de  Lenglet  et  la  façon  dont  il  se 
proposait  de  se  tirer  d'affaire.  Elle  est  adressée  à  un  autre  per- 
sonnage  bizarre,  un  prêtre  qui  faisait,  comme  Lenglet,    métier 

1.  D.  Luiz  da  Cunha  à  Rousseau.  La  Haye,  13  mars  H31. 


JEAN-BAPTISTE   ROUSSEAU    ET    LENGLET    DU    FRESNOY.  551 

d'espion  sous  couleur  d'érudit,  l'abbé  de  Vayrac,  employé  princi- 
palement par  le  ministre  de  Portugal  et  qui  se  trouvait  alors  chez 
Don  Luiz  da  Gunha1.  Ces  quelques  lignes  suffiront  à  indiquer  le 
jeu  que  prétendait  jouer  l'abbé  Lenglet. 

Une  lettre  d'Amsterdam  qui  m'a  été  communiquée  depuis  quelques 
jours  m'engage,  monsieur,  à  écrire  aujourd'hui  à  M.  le  marquis  de 
Fénelon.  J'ai  l'honneur  de  donner  à  Son  Excellence  tous  les  éclaircisse- 
ments qui  dépendent  de  moi.  J'en  ai  envoyé  copie  à  l'auteur  de  V Eloge 
historique  de  Rousseau,  afin  qu'il  fasse  pour  lui  ce  que  je  ne  puis  faire 
moi-même.  Je  préjuge  ce  qui  doit  naturellement  arriver  en  consé- 
quence :  il  fera  dénoncer  à  messieurs  les  bourgmestres  et  échevins 
d'Amsterdam  les  poésies  de  Rousseau  comme  la  source  et  l'origine  des 
affreux  désordres  qui  ont  tant  fait  de  bruit  en  Hollande;  mais  je  crois 
qu'il  ne  le  fera  que  quand  on  voudra  inquiéter  le  libraire  ou  imprimeur 
d'Amsterdam.  Je  suis  fâché  de  ce  qu'on  mande  dans  cette  lettre  que 
Son  Excellence  considère  Rousseau  :  il  mérite  tout  au  plus  l'attention 
que  l'on  donne  en  Europe  aux  idoles  du  Japon,  pour  voir  de  quelle 
manière  sont  faits  les  anges  des  ténèbres,  ou  réellement,  ou  selon  les 
diverses  idées  des  hommes.  Si  Son  Excellence  daignait  me  faire 
réponse,  vous  savez  mon  adresse  et  j'espère  que  vous  me  ferez  la 
grâce  de  la  lui  donner. 

On  a  eu  sur  toute  la  route  des  nouvelles  de  M.  le  marquis  de  Santa- 
Cruz  et  trois  fois  depuis  son  arrivée  à  Séville  qui  a  été  le  22  février  en 
parfaite  santé.  Je  le  crois  destiné  pour  l'Italie  ou  pour  la  Hollande  : 
Messieurs  les  États  l'ont  déjà  demandé  trois  fois. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  respect,  monsieur,  votre  très  humble  et 
très  obéissant  serviteur,  Lenglet  du  Fresnoy  2. 

Mais  cette  combinaison  n'aboutit  pas.  «  Je  ne  crois  pas,  écrivait 
Don  Luiz  da  Cunha  à  Rousseau,  le  7  mai  1731,  que  ce  misérable 
abbé  Lenglet  s'avise  de  m'envoyer  copie  de  la  lettre  qu'il  a  écrite 
à  M.  l'ambassadeur  de  France;  et  quoique  ce  ministre  se  soit  con- 
tenté de  ne  pas  faire  réponse  à  une  lettre  aussi  impudente  à  votre 
égard  qu'indigne  pour  lui,  l'abbé  méritait  qu'on  lui  fît  sentir  bien 
autrement  ses  impertinences.  »  Celui-ci  en  était  donc  pour  ses 
frais  de  méchanceté  et  restait  avec  le  regret  d'une  vilenie  qui 
n'avait  pas  abouti  immédiatement.  Aussi  Rousseau  pouvait  se 
croire  à  l'abri  de  toutes  représailles  de  ce  côté,  lorsqu'il  écrivit  à 
Brossette  pour  le  mettre  au  courant  de  ce  qui  s'était  passé.  Le 
début  de  cette  lettre  est  inédit,  car,  ainsi  que  nous  l'avons  dit, 

1.  On  trouvera  une  autobiographie  de  l'abbé  de  Vayrac  dans  la  revue  Souvenirs 
et  mémoires,  t.  III,  p.  537  (15  décembre  1899). 

2.  Lenglet  du  Fresnoy  à  l'abbé  de  Vayrac  chez  don  Luiz  da  Cunha. 


552  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Louis  Racine,  en  mettant  au  jour  la  plus  grande  partie  de  la  cor- 
respondance de  Rousseau,  a  cru  devoir  en  retrancher  tout  ce  qui 
avait  trait  à  ses  démêlés  avec  Lenglet  du  Fresnoy.  Celui-ci  vivait 
encore  alors  et  cette  divulgation  pouvait,  en  effet,  être  pénible. 
Cette  partie  des  lettres  est  donc  demeurée  inédite  et  nous  la  repro- 
duisons ici  d'après  les  originaux  gardés  avec  soin  par  Brosselte  et 
conservés  aujourd'hui  dans  la  bibliothèque  municipale  de  Chartres 
(manuscrit  n°  1718,  t.  II,  f°  74  et  suivants).  Tous  ces  documents 
permettent  de  se  faire  maintenant  une  idée  exacte  et  complète  de 
ce  qui  se  passa  et  qui  n'est  guère  à  la  louange  de  l'abbé  Lenglet. 
Mais  laissons  la  parole  à  Jean-Baptiste  Rousseau. 

A  Bruxelles,  le  24  mars  1731. 
Vous  serez  surpris,  monsieur,  et  peut-être  fâché  plus  que  je  ne  l'ai 
été  moi-même  en  apprenant  l'aventure  qui  a  retardé  la  réponse  à  la 
lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire  le  1er  de  ce  mois; 
mais  il  fallait  que  vous  la  sussiez  et  pour  vous  rapprendre  je  voulais 
qu'elle  fût  finie.  La  voici.  11  n'est  pas  que  vous  ne  connaissiez  au  moins 
de  réputation  un  certain  abbé  Lenglet  du  Fresnoy  qui  a  fait  imprimer 
depuis  peu  un  livre  sur  la  manière  d'écrire  l'histoire.  Ce  personnage, 
dont  je  n'avais  jamais  entendu  parler,  me  vint  voir  à  Vienne  se  disant 
chanoine  de  Tournay,  quoiqu'il  ne  l'ait  jamais  été,  et  chargé  d'une 
affaire  importante  de  la  part  du  chapitre  dont  j'ai  su  depuis  qu'il  n'était 
connu  que  sur  le  pied  d'un  fripon  avec  qui  personne  ne  voulait  avoir 
commerce.  Je  ne  laissai  pas,  sur  ces  fausses  enseignes  et  sur  le  babil 
spécieux  de  cet  homme,  le  plus  assuré  menteur  qui  fut  jamais,  de  le 
produire  chez  les  principaux  ministres  de  la  cour  de  Vienne;  mais  il 
se  lassa  bientôt  de  voir  si  bonne  compagnie  et  son  peu  d'empressement 
à  profiter  des  entrées  que  je  lui  avais  procurées  me  fit  soupçonner  dès 
lors  que  tout  ce  qu'il  m'avait  conté  était  une  fable.  Je  fus  confirmé 
dans  cette  pensée  par  M.  le  prince  Eugène  qui  me  raconta  à  quelque 
temps  de  là  une  friponnerie  insigne  qu'il  avait  faite  à  M.  de  Hohendorff 
pour  lui  attraper  cinquante  pistoles  que  le  prince  avait  payées.  Depuis 
ce  temps-là  je  ne  le  revis  plus  jusqu'au  temps  de  mon  départ  pour 
Bruxelles  auquel  il  vint  me  trouver  pour  m'offrir  de  faire  le  voyage 
avec  moi.  Je  m'en  défendis  le  plus  honnêtement  qu'il  me  fut  possible 
et  je  l'avertis  lui-même,  s'il  faisait  ce  voyage,  de  ne  point  entrer  sur 
les  terres  de  France  sans  avoir  sondé  le  terrain  en  écrivant  à  M.  Le 
Blanc,  dont  il  se  disait  l'ami  particulier,  pour  justifier  son  voyage  que 
je  savais  qui  l'avait  rendu  suspect;  et,  en  effet,  peu  de  temps  après 
mon  arrivée  ici,  j'appris  que  le  cardinal  Dubois  l'avait  fait  arrêter  à 
Strasbourg.  Je  lui  avais  fait  avant  de  partir  un  autre  plaisir  essentiel, 
qui  était  de  lui  faire  toucher  cent  ducats  pour  un  manuscrit  que  je  fis 
acheter  à  M.  le   prince   Eugène,  et  je   sus  que  sans  cet  argent  son 
hôtesse  fallait  faire  mettre  en  prison  pour  deux  cents  florins  qu'il  lui 


JEAN-BAPTISTE    ROUSSEAU    ET    LENGLET   DU    FRESSOY.  553 

devait.  Voilà  tout  le  commerce  que  j'ai  jamais  eu  avec  cet  homme,  dont 
je  n'ai  pas  ouï  parler  depuis,  si  ce  n'est  deux  jours  avant  de  recevoir 
votre  lettre  que  j'en  reçus  une  d'Amsterdam  où  on  me  donnait  avis 
qu'il  faisait  imprimer  sous  votre  nom  un  libelle  plein  d'infamies 
contre  moi.  On  m'envoyait  même  l'épitre  liminaire  où,  vous  faisant 
parler,  on  m'adressait  à  moi-même  toutes  les  horreurs  que  la  plus 
atroce  calomnie  peut  inventer;  mais  tout  cela  d'un  style  où  personne 
assurément  ne  vous  aurait  reconnu.  Vous  jugez  bien  que  je  ne  pris 
point  le  change.  Je  songeai  seulement  à  empêcher  qu'il  ne  fût  pris  par 
quelque  autre  plus  dupe  que  moi,  et  à  l'aide  des  ministres  dont  je  suis 
connu  en  Hollande  j'ai  obtenu  la  suppression  de  ce  libelle,  en  atten- 
peut-ètre  quelque  chose  de  mieux.  Voilà,  monsieur,  ce  que  je  voulais 
être  en  état  de  vous  mander  avant  que  je  fisse  réponse  à  votre  lettre, 
à  laquelle  je  viens  maintenant  après  cette  digression1... 

L'honnêteté  de  l'excellent  Brossette  fut  fort  scandalisée  au  récit 
d'un  tour  si  noir.  Il  y  parait  bien  dans  la  réponse  qu'il  s'empressa 
de  faire  à'  la  lettre  de  Rousseau.  Mais  enfin  le  danger  était  conjuré 
—  il  le  croyait,  du  moins,  —  et,  après  s'être  bien  récrié,  il  deman- 
dait à  connaître  par  le  menu  les  circonstances  de  cette  machina- 
tion ténébreuse. 

A  Lyon,  ce  9  avril  1731. 
Vous  avez  raison,  mon  cher  monsieur,  de  présumer  que  je  serais 
également  surpris  et  fâché  de  l'aventure  dont  vous  m'avez  fait  le  récit. 
Est-il  possible  que  l'abbé  Lenglet  qui  ne  me  connaît  point,  que  je  n'ai 
vu  de  ma  vie  et  avec  qui  je  n'ai  jamais  eu  la  moindre  relation  ni  de 
près  ni  de  loin,  ait  eu  l'impudence  d'abuser  de  mon  nom  jusqu'à  me 
rendre  votre  calomniateur,  à  la  face  de  toute  la  terre?  Faut-il  qu'il  y 
ait  des  hommes  si  pervers  et  qui  soient  capables  d'inventer  des  crimes 
nouveaux  auxquels  on  n'a  point  encore  donné  de  nom?  Car  les  termes 
de  perfidie,  de  trahison,  d'attentat  me  paraissent  bien  faibles  pour 
exprimer  la  qualité  d'une  action  si  noire  et  si  détestable.  Je  frémis  à 
la  simple  idée  de  celte  horrible  entreprise,  surtout  quand  j'envisage 
les  suites  qu'elle  aurait  eues  si  vous  n'aviez  trouvé  le  moyen  de  la  pré- 
venir par  votre  prudente  activité.  Cet  homme,  sans  doute  accoutumé 
à  ces  sortes  de  forfaits,  a  cru  ou  que  j'ignorerais  l'auteur  de  celui-ci, 
ou  que  je  le  regarderais  avec  indifférence,  ou  que  peut-être  je  serais 
dans  l'impuissance  d'en  tirer  raison.  Mais  il  a  pris  de  fausses  mesures, 
car  comme  le  simple  soupçon  du  crime  blesse  une  délicatesse  presque 
autant  que  le  crime  mêmej  j'ai  porté  mes  plaintes  aux  personnes  qui 
sont  en  état  de  me  rendre  justice  et  de  venger  l'injure  que  m'a  voulu 
faire  ce  scélérat.  J'espère  d'y  réussir  en  cas  qu'il  soit  en  France,  et  c'est 
de  quoi  je  vous  prie  de  m'informer  incessamment,  aussi  bien  que  des 

1.  Le  reste  de  la  lettre  est  publié.  Lettres  de  Rousseau,  t.  III,  p.  163. 


554  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

circonstances  particulières  de  ce  libelle,  afin  que  je  puisse  parler  et 
agir  avec  plus  de  certitude  !. 

Pour  satisfaire  cette  curiosité  bien  légitime,  Jean-Baptiste  Rous- 
seau s'empressait  d'écrire  à  Brossettc  une  longue  lettre  pleine  des 
détails  de  celte  affaire  et  que  nous  reproduisons  ici  en  entier,  car 
elle  est  restée  complètement  inédite. 

A  Bruxelles,  le  20  avril  1731. 
Ce  n'est  qu'en  ce  moment,  monsieur,  que  je  reçois  la  lettre  que  vous 
m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire  du  9  et  j'y  réponds  sur  le  champ  pour 
mettre  la  posto  dans  son  tort  en  cas  qu'elle  soit  aussi  paresseuse  pour 
vous  que  pour  moi.  Je  n'ai  nullement  douté  de  l'indignation  que  vous 
causerait  un  projet  aussi  horrible  que  celui  de  l'abbé  Lenglet.  J'en  fus 
averti  par  un  nommé  M.  Tronchin,  docteur  en  médecine  demeurant  à 
Amsterdam  en  Sainte  Lucie  Stegg.  Il  me  mandait  qu'on  y  imprimait  un 
libelle  inlitulé    Eloge  historique  du  sieur  fîousseauy  par   V éditeur  du 
llegnier  de  Londres,  mais  que  c'était  l'abbé  Lenglet  qui  en  était  le  véri- 
table auteur,  et  il  m'envoyait  en  même  temps  une  copie  de  Tépître 
dédicatoire,  qui  était  proprement  un  volume  où  sous  ce  nom  les  plus 
atroces  calomnies  et  les  injures  les  plus  infâmes  m'étaient  adressées; 
mais  il  ne  me  mandait  ni  le  nom  de  l'imprimeur,  ni  rien  qui  pût  me 
donner  connaissance  du  livre  auquel  cette  belle  épître  devait  servir 
d'introduction.  Je  pris  le  parti  sur  le  champ  d'envoyer  et  la  lettre  et  le 
manuscrit  à  M.  da  Cunha,  ambassadeur  de  Portugal,  mon  ancien  ami, 
pour  le  prier  de  se  joindre  à  M.  de  Zinzendorff,  envoyé  de  S.  M.  I.  en 
Hollande,  à  qui  j'écrivais  en  même  temps  et  avec  qui  je  suis  lié  d'amitié 
depuis  Vienne,  afin  de  faire  supprimer  ce  libelle.  M.  da  Cunha  me  le 
renvoya,  mais  il  garda  la  lettre  de  Tronchin  et  ces  deux  ministres  s'em- 
ployèrent avec  tant  de  vigueur  auprès  du  Pensionnaire  que  le  libelle 
fut  supprimé.  Mais  ce  que  je  ne  savais  pas  et  que  mon  donneur  d'avis 
dont  je  n'ai  pas  ouï  parler  depuis  ne  jugea  pas  à  propos  de  m'apprendre 
c'est  que  ce  libelle  devait  être  mis  à  la  tête  d'un  commentaire  sur 
Marot  en  quatre  volumes  in-4,  qui  vient  de  paraître  et  où  je  me  suis 
vu  en  neuf  endroits  traité  de  la  manière  du  monde  la  plus  infâme.  Voilà, 
monsieur,  comme  l'injure  qui  vous  menaçait  a  été  prévenue,  et  pour 
moi,  faute  de  plus  ample  instruction,  je  n'ai  pu  prévenir  qu'une  partie 
de  celle  qui  me  regardait.  L'épître  a  été  retranchée  et  on  y  en  a  sub- 
stitué une  autre  à  M.  le  comte  d'Hoym,  ministre  de  Saxe,  sous  le  nom 
feint  ou  véritable  d'un  inconnu  qui  se  sigrre  Gordon  de  Percel.  Dans  le 
temps  que  ces  choses  se  passaient,  j'envoyai  à  l'abbé  d'Olivet  le  libelle 
manuscrit  que    M.  da  Cunha  m'avait  renvoyé,  le  priant  d'obtenir  de 
M.  le  garde  des  sceaux,  son  ami,  un  ordre  à  M.  de  Fénelon  d'en  parler 

1.  La  suite  de  cetle  lettre  est  également  inédite  mais  il  y  est  question  de  toute 
autre  chose:  la  place  des  annotations  dans  une  édition  critique. 


JEAN-BAPTISTE  ROUSSEAU  ET  LENGLET  DU  FRESSOY.         555 

aux  Étals  généraux,  le  priant  de  me  renvoyer  le  manuscrit  que  je  ne 
lui  communiquais  que  pour  lui  faire  connaître  l'importance  du  service 
que  j'exigeais  de  lui.  Il  me  renvoya  quelque  temps  après  une  réponse 
en  original  de  M.  le  garde  des  sceaux,  mais  pour  le  manuscrit  je  ne  l'ai 
point  revu  et  il  ne  m'a  point  écrit  depuis,  ce  qui  me  fait  croire  qu'il 
l'avait  envoyé  à  ce  ministre  et  qu'il  attend  son  retour  à  Paris  pour  le 
redemander.  Pour  la  lettre  de  Tronchin  que  je  voudrais  pouvoir  vous 
envoyer  en  original,  je  viens  d'écrire  à  l'abbé  de  Vayrac  ii  qui  M.  da 
Cunha  l'a  remise  à  La  Haye  et  qui  se  trouve  actuellement  à  Paris,  pour 
le  prier  de  me  la  renvoyer  s'il  l'a  encore.  Voilà,  monsieur,  tout  ce  que 
je  puis  vous  apprendre  de  cette  disgracieuse  affaire  que  je  regarde 
comme  un  effet  de  la  malheureuse  étoile  qui  me  destine  à  être  toute 
ma  vie  en  lutte  aux  fripons  sans  autre  raison  que  celle  de  leur  antipa- 
thie contre  ceux  qui  ne  leur  ressemblent  pas.  Je  vous  avoue  que  l'hor- 
reur de  toutes  les  indignités  où  je  me  suis  vu  exposé  depuis  que  je  me 
connais,  l'impunité  qui  les  autorise,  la  pureté  de  ma  conscience  qui 
m'en  fait  d'autant  plus  sentir  l'injustice  et  peut  être  l'affaiblissement 
cause  par  les  années  ine  donnent  de  temps  en  temps  des  impressions 
de  chagrin  qui  dégénéreraient  en  misanthropie  si  mes  dissipations  et 
le  commerce  de  mes  amis  ne  me  soutenaient  pas.  Cette  situation  cepen- 
dant, jointe  à  d'autres  embarras  d'une  nature  différente,  ne  me  laisse 
pas  assez  à  moi-même  pour  m'occuper  des  matières  littéraires  et  je  me 
trouve  encore  moins  en  état  que  vous  de  rien  rédiger  par  écrit  de  ce 
que  j'ai  pensé  à  Poccasion  des  œuvres  de  Molière  qu'on  doit  imprimer. 
Il  faut  avoir  l'esprit  tranquille  pour  écrire,  et  je  ne  l'ai  pas.  L'édition 
projetée  sera  assez  bonne  si  vous  avez  le  temps  d'achever  vos  notes 
avant  qu'elle  puisse  paraître,  et  si  on  en  retranche  tout  le  fatras  dont 
les  autres  éditions  sont  accompagnées.  Je  suis  totalement  de  votre  avis 
sur  la  place  qu'il  leur  faut  donner;  je  ne  vous  avais  proposé  ma  pensée 
que  comme  un  doute  et  vous  l'avez  éclairci  très  solidement.  Je  vous  en 
remercie  de  tout  mon  cœur  et  vous  prie  de  saluer  M.  Mazard  de  ma 
part  et  d'être  bien  persuadé  du  tendre  attachement  et  de  la  sincère 
estime  avec  laquelle  je  suis  à  la  mort  et  à  la  vie,  monsieur,  votre  très 
humble  et  très  obéissent  serviteur,  Rousseau. 

A  ces  détails  nous  joindrons  un  autre  fragment  également  inédit 
d'une  lettre  de  Rousseau  à  Brossette,  postérieure  seulement  d'un 
mois  et  demi  à  la  précédente  et  qui  la  complète  heureusement. 

A  Bruxelles,  le  1"  juin  1731. 

Vous  devez  avoir  reçu  de  moi  une  grande  lettre  depuis  laquelle  je 
n'ai  plus  entendu  parler  de  ce  coquin  de  Lenglet.  J'ai  seulement  écrit 
à  M.  le  garde  des  sceaux  pour  lui  rendre  compte  de  la  conduite  de  ce 
malheureux  et  lui  en  demander  justice.  Je  ne  sais  ce  qu'aura  produit 
ma  lettre;  peut-être  est-ce  une  nouvelle    mode  introduite  chez  vos 


556  RENTE   D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

minisires  de  ne  point  faire  de  réponse.  J'en  ai  connu  qui  répondaient 
et  j'en  connais  encore  de  la  première  volée  qui  m'honorent  souvent  de 
leurs  lettres,  mais  il  est  vrai  que  ce  ne  sont  pas  des  ministres  pris  dans 
la  robe. 

Au  reste,  M.  l'abbé  d'Olivet  m 'ayant  écrit  nocissimè  que  M.  Chauvelin 
s'attendait  au  discours  préliminaire  que  j'avais  fait  espérer  sur  les 
œuvres  de  Molière,  je  lui  ai  répondu  hier  très  décisivement  et  même  un 
peu  sèchement  que  je  n'étais  ni  en  humeur  ni  en  volonté  de  m'en 
donner  la  peine.  Il  pourra,  s'il  veut,  vous  communiquer  ma  lettre  et 
toutes  celles  que  je  lui  ai  écrites  sur  cet  article  par  lesquelles  vous 
verrez  que  je  ne  suis  engagé  à  rien,  mais  que,  quand  je  le  serais,  j'ai 
plus  de  raisons  qu'il  n'en  faut  pour  me  dégager  sans  intéresser  ma 
conscience.  Quand  vos  notes  seront  achevées,  si  vous  daignez  me  les 
communiquer,  je  me  ferai  toujours  un  plaisir  d'y  ajouter  ce  qui  pour- 
rait vous  avoir  échappé,  mais  ce  sera  uniquement  pour  l'amour  de  vous, 
et  nullement  par  aucun  des  motifs  qui  amorcent  ordinairement  les 
dupes,  dans  les  corps  desquels  je  ferai  de  mon  mieux,  avec  l'aide  de 
Dieu,  pour  n'être  jamais  immatriculé. 

Je  suis  avec  toute  la  considération  et  tout  l'attachement  possible, 
monsieur,  votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur,  Rousseau. 

L'affaire  semblait  donc  terminée,  ou,  du  moins,  l'impression  en 
Hollande  des  factums  dirigés  contre  Rousseau  avait  été  arrêtée  et 
celui-ci  pouvait  être  à  peu  près  rassuré.  Mais  Lenglet  du  Fresnoy 
était  un  homme  de  ressources  dont  les  mauvaises  intentions  ne  se 
rebutaient  pas  pour  si  peu.  Loin  de  désarmer,  il  préparait  une 
nouvelle  infamie  et,  espérant  que  la  France,  dont  Rousseau  était 
banni,  serait  un  terrain  plus  favorable  pour  lui  nuire  que  la  Hol- 
lande, c'est  en  France  et  non  à  l'étranger  qu'il  se  proposait  doré- 
navant de  commettre  ses  vilenies.  Brossette  apprit  brusquement 
qu'il  se  tramait  quelque  chose  par  le  billet  suivant,  écrit  d'une 
plume  verbeuse  et  emphatique,  par  un  correspondant  commun  de 
Rousseau  et  de  lui,  M.  de  Lasscré. 

Au  Temple,  ce  29  août  1732. 
Par  la  juste  indignation  qui  soulève  tout  honnête  homme  contre  les 
calomniateurs,  il  vient,  monsieur,  de  me  tomber  entre  les  mains  un 
discoursexécrablementapologétiquc contre  notre  seul  Pindare  moderne, 
M^  Rousseau,  auquel  vous  m'avez  paru  également  lié  d'attachement  et 
d'admiration.  La  candeur  et  la  pureté  de  vos  mœur6  étant  bien  vérifiés 
au  courant  de  la  société  civile,  aujourd'hui,  monsieur,  on  produit  sous 
votre  nom,  à  la  seconde  édition  de  votre  Régnier,  en  Hollande,  une 
infernale  compilation  satyrique  contre  M.  Rousseau,  que  je  n'ai  pu  lire 
sans  écumer  de  colère  contre  celui  qui  vous  fait,  vous  M.  Brossette, 
vous  honnête  homme,  vous  en  relations* d'intime  affinité  avec  M.  Rous- 


JEAN-BAPTISTE    ROUSSEAU    ET    LENGLET    DU    FKESNOY.  3:>~ 

seau,  il  vous  fait,  dis-je,  servir  de  bouclier  à  sa  calomnie  en  mettant 
ce  libelle  à  la  tête  de  votre  œuvre.  Je  vous  en  donne  avis  par  l'estime 
que  j'ai  pour  vous.  Je  ne  doute  point  que  vous  ne  releviez  la  flétrissure 
dont  on  veut  vainement  vous  couvrir.  J'ai  l'honneur  d'être,  monsieur, 
votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur,  de  Lasserk. 

Le  calomniateur  s'appelle  l'abbé  Lenglet,  homme  déjà  repris  de  jus- 
tice. C'est  à  vous  d'en  arrêter  au  plutôt  les  mauvaises  trames  pour  votre 
intérêt  personnel. 

L'homme  qui  s'indignait  ainsi  et  prenait  de  la  sorte  fait  et  cause 
pour  Brosselte  et  Rousseau  était  un  ancien  conseiller  au  Parle- 
ment de  Paris,  très  mêlé  à  la  société  du  Grand  Prieur,  vivant  au 
Temple  et  qui  avait  élé  le  témoin  d'une  scène  qu'il  va  conter  lui- 
même  un  peu  plus  loin.  Tout  chaud  de  colère,  il  s'était  empressé 
de  jeter  le  cri  d'alarme  qui  troubla  fort,  encore  une  fois,  la  tran- 
quillité du  pauvre  Brossette.  Celui-ci,  comme  bien  on  pense,  se 
hâta  de  demander  de  plus  amples  détails  par  la  lettre  ci-dessous 
et  il  les  obtint  dans  une  longue  lettre,  toujours  emphatique,  de 
M.  de  Lasseré,  qui  fait  suite  à  celle-ci. 

A  Lyon,  ce  6  septembre  173*2. 

Vous  ne  sauriez  comprendre,  monsieur,  la  douleur  que  je  ressens  en 
apprenant  par  votre  lettre  l'affreuse  calomnie  que  l'on  a  publiée  sous 
mon  nom.  Il  y  a  un  an  et  demi  que  M.  Rousseau,  votre  ami  et  le  mien, 
me  manda  qu'on  lui  avait  donné  avis  d'Amsterdam  que  l'abbé  Lenglet 
du  Fresnoy  y  faisait  imprimer  sous  mon  nom  un  libelle  plein  d'infamies 
contre  lui,  M.  Rousseau;  qu'on  lui  envoyait  même  l'épitre  liminaire, 
où,  me  faisant  parler,  on  lui  adressait  à  lui-même  toutes  les  horreurs 
que  la  plus  atroce  calomnie  peut  inventer;  mais  tout  cela  (ce  sont  les 
termes  de  M.  Rousseau)  d'un  style  où  personne  assurément  ne  vous  aurait 
reconnu.  Vous  jugez  bien,  ajoutait-il,  que  je  ne  pris  point  le  change;  je 
songeai  seulement  à  empêcher  qu'il  ne  fût  pas  pins  par  quelqu  autre  plus 
dupe  que  moi;  et  à  l'aide  des  Ministres  dont  je  suis  connu  en  Hollande, 
j'ai  obtenu  la  suppression  de  ce  libelle,  en  attendant  peut-être  quelque 
chose  de  mieux,  etc. 

A  l'arrivée  de  cette  nouvelle  qui  intéressait  encore  plus  mon  hon- 
neur que  celui  de  M.  Rousseau,  jugez  quelle  fut  ma  douleur  et  mon 
étonnement!  Je  criai  à  la  perfidie,  à  l'attentat,  à  la  trahison.  Je  ne 
pouvais  m'imaginer  et  je  ne  comprends  point  encore  qu'il  y  ait  au 
monde  des  hommes  si  pervers  et  capables  d'inventer  des  crimes  nou- 
veaux, auxquels  on  n'a  point  encore  donné  de  nom;  car  je  n'en  sais 
point  qui  soit  assez  fort  pour  exprimer  le -noirceur  de  l'action  de  ce 
misérable  abbé  Lenglet.  Est-il  possible  que  cet  imposteur  qui  ne  me 
connaît  point,  que  je  n'ai  vu  de  ma  vie  et  avec  qui  je  n'ai  jamais  eu  la 
moindre  relation,  ni  de  près  ni  de  loin,  ait  eu  l'impudence  d'abuser  de 


558  UEVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRAKCE. 

mon  nom  jusqu'à  me  rendre  le  calomniateur  de  M.  Rousseau  à.  la  face 
de  toute  la  terre?  Non,  monsieur,  il  n'y  a  point  de  supplice  assez  grand 
pour  punir  ce  crime  comme  il  le  mérite.  Quelque  temps  après,  M.  Rous- 
seau me  manda  que  ce  libelle  devait  être  mis  à  la  tête  d'un  commen- 
taire sur  Marot,  en  quatre  volumes  in  4°  qui  parut  alors  sous  le  nom 
supposé  du  chevalier  de  Gordon  de  Percel,  mais  qui  est  véritablement 
de  l'abbé  Lenglet,  et  où  M.  Rousseau  est  traité  en  plusieurs  endroits  de 
la  manière  du  monde  la  plus  indigne.  Je  croyais  que  la  fureur  de  cet 
enragé  serait  épuisée  par  les  traits  qu'il  avait  lancés  dans  ses  notes,  et 
je  ne  pouvais  me  persuader  qu'il  persistât  dans  l'horrible  dessein  de 
faire  imprimer  son  infâme  libelle  et  de  me  l'imputer,  malheureux  que 
je  suis!  après  les  précautions  que  M.  Rousseau  avait  prises  pour  le  faire 
supprimer.  Mais  puisque  ma  prévoyance  a  été  trompée,  je  vais  m'a- 
dresser  aux  Puissances  pour  avoir  justice  de  cette  imposture.  Je  rem- 
plirai les  journaux  de  mes  plaintes  et  de  mes  clameurs  pour  me  dis- 
culper envers  le  public.  En  attendant  que  je  puisse  écrire  à  M.  Rousseau, 
je  vous  supplie,  monsieur,  de  lui  faire  savoir  mes  sentiments  sur  cette 
atTreuse  aventure.  Recevez  aussi  les  assurances  de  rattachement  aussi 
sincère  que  respectueux  avec  lequel  j'ai  l'honneur  d'être,  etc. 

Au  Temple,  ce  21  septembre  1732. 
En  réponse,  monsieur,  que  je  vous  fais  au  moment  de  la  réception 
de  votre  dernière,  votre  agitation  et  les  mouvements  que  vous  vous 
donnez  contre  un  insigne  calomniateur  étant  nécessaires  pour  votre 
justification,  voici  comme  le  libelle  en  question  m'est  apparu.  J'arrive 
un  matin  au  lever  d'un  grand  par  moi  autant  aimé  que  respecté,  qui  ne 
veut  être  ni  cité  ni  nommé1,  mais  dont  le  crédit  ajusques  ici  empêché 
que  ce  libelle  ait  prospéré  à  l'impression  de  Hollande.  Je  trouve  donc 
vis-à-vis  l'illustre  personnage  à  qui  je  venais  faire  ma  cour  un  abbé 
tenant  en  main  un  cahier  d'impression  très  belle  entourée  de  vignettes. 
Une  feuille  détachée  dont  le  maître  en  question  prenait  lecture  me  fit 
demander  ce  que  c'était,  et  cette  Excellence  s'étant  contentée  d'en  lire 
la  première  page  et  d'un  air  indifférent  ayant  rendu  le  feuillet  à  cet 
abbé  en  lui  disant  que  cela  était  grossier,  j'ai  demandé  à  cet  abbé  la 
communication;  et  lui  m'ayant  dit  qu'il  n'avait  que  cet  unique  exem- 
plaire, je  le  priai  de  m'en  accorder  la  lecture  sans  déplacer  :  ce  que  je 
fis  d'un  bout  à  l'autre.  Après  quoi,  ne  connaissant  point  cet  homme,  je 
lui  marquai  ma  surprise  de  voir  votre  nom  au  bas  d'une  telle  satyre. 
11  me  répondit  que  c'était  l'ouvrage  de  gens  piqués  qui  exhalaient  leur 
bile  sous  votre  nom,  à  quoi  je  criai  à  la  calomnie  punissable  des  plus 
grands  supplices.  Mon  vilain  lève  le  siège  sans  réplique  et  court  encore. 
L'Excellence  m'ayant  dit  qu'il  était  charmé  qu'en  face  j'eusse  daubé  ce 
malheureux  et  m'ayant  dit  son  nom,  sur  le  champ  et  sous  les  yeux  du 

1.  Note  du  manuscrit  :  Le  duc  d'Aremberg,  logé  au  Temple  aussi  bien  que  M.  de 
Lassé  ré. 


JEAN-BAPTISTE    ROUSSEAU    ET    LE.NGLET    DU    FIIESSOY.  559 

mailrc  du  logis,  je  vous  en  informai.  Voilà  le  fait  tel  qu'il  est;  pour 
raison  de  quoi,  sauf  votre  meilleur  avis,  vous  ne  feriez  pas  mal  d'in- 
former M.  Hérault  afin  qu'il  enjoigne  à  ce  monstre,  qui  probablement 
est  encore  à  Paris,  de  couper  court  à  cet  infernal  scandale  si  pernicieux 
à  la  société  civile.  Au  reste,  monsieur,  hier  dans  une  maison  on  me  dit 
de  la  part  de  M.  HarJion  que  votre  aventure  allait  être  étalée  au  pro- 
chain Mercure  et  que  mon  nom  y  devait  être  estampé,  ce  qui  m'a  fort 
déplu  et  me  déplairait  fort,  et  je  lui  fais  dire  :  il  est  inutile  que  je  sois 
imprimé.  Pour  tout  ce  qui  se  tourne  en  histoire  publique  je  suis  per- 
suadé que  vous  n'y  donnez  point  les  mains.  Au  surplus,  j'ai  rempli  le 
devoir  de  l'honnête  homme  qui  soutient  l'innocent  et  qui  s'élève  contre 
le  calomnie.  Plus  n'en  sais  sur  cet  article,  auquel  vous  aviserez  en 
homme  prudent  et  sage.  Je  n'ai  point  écrit  à  notre  ami,  vous  laissant 
là-dessus  un  champ  libre.  Je  suis  avec  autant  d'estime  que  de  parfaite 
considération,  monsieur,  votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 
Dlv  Lasseré. 

Il  m'échappe  de  vous  dire  que  votre  aventure  et  la  mienne  courent 
Paris.  Le  grand  chez  qui  la  chose  s'est  passée  l'a  rendue  publique  tant 
pour  vous  que  pour  votre  ami. 

De  Lasseré  ne  s'en  tint  pas  là  :  il  ne  se  contenta  pas  d'aviser 
Brosselte  de  ce  qu'on  tramait  contre  lui,  mais  s'empressa  d'agir 
pour  empêcher  Lenglet  du  Fresnoy  de  mettre  ses  desseins  à  exé- 
cution. Vite  il  porta  une  plainte  au  lieutenant  de  police  et  la  mena 
avec  assez  d'empressement  -pour  croire  qu'elle  aurait  un  effet 
définitif.  Mais  Lenglet  n'était  pas  homme  à  s'embarrasser  de  si 
peu  :  il  avoua  tout  ce  qu'on  voulut,  promit  ce  qu'on  lui  demanda 
et  n'en  fit  qu'à  sa  tète;  l'avenir  devait  le  prouver. 

Ce  jeudi  au  soir,  25  septembre  1732. 

J'ai,  monsieur,  assez  favorablement  conduit  vos  intérêts  pour  faire 
venir  votre  calomniateur  devant  M.  Hérault,  où  ce  matin  il  a  comparu, 
et  là,  plus  mort  que  vif,  les  deux  lettres  que  vous  m'avez  écrites  ayant 
été  présentées  à  ce  prêtre  sacrilège,  il  a  tout  avoué  et  a  juré  sa  foi  de 
monstre,  mais  à  la  face  de  la  police,  qu'il  n'y  avait  encore  que  le  seul 
exemplaire  de  ce  libelle  qu'il  n'avait  montré  qu'au  seigneur  dont  je 
vous  parle  dans  ma  précédente.  11  s'est  bien  gardé  de  dire  que  j'en  ai 
par  cette  voie  pris  aussi  communication  d'un  bout  à  l'autre.  Après  la 
verte  réprimande  fulminée  sur  ce  monstre,  il  résulte  que  le  libelle  est 
mort-né  et  que  cet  infernal  coquin  vous  doit  écrire  une  lettre  en  répa- 
ration qu'il  remettra  à  M.  Hérault,  duquel  vous  la  devez  tenir  à  votre 
adresse.  Vous  n'avez  plus  à  présent  qu'à  vous  tranquilliser  sur  cet 
article,  grâce  à  Dieu,  bien  terminé.  J'ai  l'honneur  d'être,  monsieur, 
votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur,  de  Lasseré. 


560  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Entre  temps,  Brosselte  avait  écrit  ce  court  billet  à  Rousseau. 

A  Lyon,  ce  22  septembre  1732. 
Il  est  donc  vrai,  monsieur,  que  noire  infâme  calomniateur  a  consommé 
son  crime,  malgré  les  précautions  que  vous  avez  prises  pour  détourner 
le  coup,  et  il  faut  que  ce  soit  un  de  mes  ouvrages  qui  serve  d'asile  et 
de  véhicule  à  l'imposture,  pour  vous  déshonorer  et  moi  aussi.  Dès  que 
j'eus  appris  cette  horrible  nouvelle  par  M.  de  Lasseré,  j'écrivis  à 
MM  Fabri  et  Barrillot,  libraires  de  Genève,  pour  avoir  par  leur  moyen 
un  exemplaire  de  cette  malheureuse  édition  de  Régnier,  qu'on  dit  avoir 
été  faite  depuis  peu  en  Hollande;  mais  ils  m'ont  répondu  qu'il  n'en 
avaient  aucune  connaissance  et  qu'il  ne  pouvaient  se  persuader  qu'elle 
eut  été  faite  en  ce  pays-là,  parce  qu'ils  en  auraient  eu  avis  par  les 
libraires  de  Hollande,  avec  lesquels  ils  étaient  en  grande  correspon- 
dance. Cette  porte  m'étant  fermée,  je  me  suis  adressé  à  un  de  mes  amis 
à  Paris  et  à  M.  de  Lasseré  lui-même  pour  les  prier  de  m'envoyer  ce 
livre  puisqu'il  existe.  J'attends  leur  réponse,  suivie  de  l'effet  de  ma 
prière,  et  je  l'attends  avec  une  extrême  impatience  parce  qu'il  est 
nécessaire  que  je  le  voie,  afin  que  j'en  puisse  parler  pertinemment 
dans  les  déclarations  publiques  que  je  ferai  insérer  dans  les  journaux. 
Car  je  ne  veux  rien  oublier  pour  faire  connaître  la  vérité  à  toute  la 
terre.  Vous  feriez  même  une  œuvre  doublement  méritoire  si  vous  vou- 
liez m'envoyer  un  plan  de  la  déclaration  que  vous  trouverez  à  propos 
que  je  fasse,  pour  votre  justification  et  la  mienne.  Comme  j'ai  résolu  de 
la  répandre  dans  divers  journaux,  je  travaillerai  aussi  à  en  faire  une 
de  mon  chef,  et  cette  variété  ne  sera  pas  inutile.  Notre  intérêt  est 
commun  ;  ainsi,  monsieur,  il  est  bon  que  nous  agissions  de  concert 
dans  une  affaire  qui  nous  regarde  également  tous  les  deux.  J'espère 
que  vous  entrerez  dans  ces  sentiments  et  que  vous  serez  toujours  per- 
suadé de  ceux  d'estime,  de  considération  et  d'amitié  avec  lesquels  j'ai 
l'honneur  d'être,  etc. 

Sur  ces  entrefaites,  Brossette  avait  reçu  du  lieutenant  de  police, 
devant  lequel  Lenglet  avait  dû  comparaître,  la  confirmation  de 
ce  qui  s'était  passé  et  aussi  le  désaveu  par  le  coupable  lui-même 
de  l'acte  immoral  que  celui-ci  avait  essayé  de  perpétrer.  Voici  ces 
documents  qui  ne  sauraient  laisser  aucun  doute  sur  l'attitude  si 
méchamment  louche  de  Lenglet  du  Fresnoy. 

A  Paris,  le  15  octobre  1732. 
Sur  les  plaintes  que  M.  de  Lasseré,  monsieur,  a  fait  de  votre  part  & 
M.  Hérault  d'une  libelle  que  M.  l'abbé  Lenglet  avait  fait  faussement 
imprimer  sous  votre  nom,  il  l'a  envoyé  chercher  pour  lui  faire  les 
reproches  que  méritait  une  lettre  suppositoire.il  n'en  est  point  discon- 
venu et  a  assuré  M.  Hérault  qu'il  n'y  en  aurait  aucun  exemplaire  dis- 


JEÀIS-BAPTISTE    ROUSSEAU    ET   LENGLET    DU    FRESNOY.  561 

tribué.  Le  magistrat  l'a  exhorté  à  en  empêcher  la  distribution,  ce  qu'il  a 
promis  affirmativement,  et  de  plus  lui  a  fait  sentir  qu'il  ne  pouvait  s'em- 
pêcher de  vous  en  donner  un  désaveu  par  écrit  pour  vous  justifier  dans 
le  monde.  C'est  ce  qu'il  a  fait  par  la  lettre  ci-jointe  qu'il  a  apportée  le 
même  jour  à  M.  Hérault  et  que  ce  magistrat  m'a  chargé  de  vous  faire 
passer.  Je  m'en  acquitte  avec  d'autant  plus  de  plaisir  que  cela  me 
fournit  l'occasion  de  vous  assurer  de  la  parfaite  estime  avec  laquelle 
j'ai  l'honneur  d'être,  monsieur,  votre  très  humble  et  très  obéissant 
serviteur,  Déon,  premier  commis  de  M.  Hérault. 

P.  S.  —  Une  maladie  m'a  empêché  de  vous  adresser  plus  lût  cette 
lettre. 

Cette  lettre  était  suivie  du  désaveu  de  Lcnglet.  Le  voici  : 

Monsieur,  il  est  vrai  que  j'ai  fait  imprimer  sous  votre  nom,  à 
Amsterdam,  non  pas  un  libelle  diffamatoire,  mais  une  épitre  satyrique 
au  sieur  Rousseau,  que  j'ai  mise  à  la  tête  d'une  nouvelle  édition  in-4° 
des  œuvres  de  Régnier,  dans  la  forme  de  celle  que  vous-même  fîtes 
imprimer  à  Londres  en  1729. 

Comme  il  n'y  a  aucun  exemplaire  de  la  dite  préface  qui  soit  dis- 
tribué, je  vous  promets  qu'il  n'en  paraîtra  aucun  sous  votre  nom  : 
c'est  de  quoi  je  vous  donne  ma  parole  d'honneur.  Je  crois  même  que 
quand  on  saura  qu'elle  vient  de  moi,  elle  fera  beaucoup  plus  d'impres- 
sion sur  l'esprit  des  gens  d'honneur,  parce  que  les  faits  que  j'y  rapporte 
sont  de  ma  propre  connaissance  et  que  j'en  donne  la  preuve  dans  la 
pièce  même. 

Néanmoins  au  cas  que  contre  mon  aveu  il  en  parût  quelque  exem- 
plaire sans  la  correction  que  je  vous  promets  dans  cette  lettre,  je  le 
désavoue  dès  à  présent  et  vous  permets  de  faire  imprimer  dans  tous  les 
journaux  et  Mercures  ce  désaveu  en  son  entier,  par  lequel  on  verra  que 
ce  n'est  pas  vous  qui  avez  fait  cette  épitre,  mais  moi-même,  pour  des 
raisons  que  le  sieur  Rousseau  n'ignore  pas  et  pour  d'autres  que  j'ai 
expliquées  dans  une  très  longue  lettre  à  M.  le  marquis  de  Fénelon, 
ambassadeur  de  S.  M.  auprès  des  États  généraux  des  Provinces  unies. 

Voilà,  monsieur,  tout  ce  que  vous  pouvez  exiger  de  moi;  car  je  vous 
crois  trop  honnête  homme  et  trop  bon  citoyen  pour  vouloir  prendre  la 
défense  de  Rousseau,  qui  se  déclare  lui-même  hérétique  en  amour, 
hérétique  même  très  punissable  par  toutes  les  lois,  et  contre  lequel  le 
Parlement  de  Paris  à  sévi  jusqu'à  le  condamner  à  un  banissement  per- 
pétuel, qui  n'a  jamais  pu  être  révoqué,  quelque  mouvement  qu'il  se 
soit  donné,  M.  d'Aguesseau,  chancelier  de  France,  s'étant  toujours 
sagement  et  fortement  opposé  au  retour  du  dit  Rousseau. 

D'ailleurs,  je  ne  crois  pas  que  le  sieur  Rousseau  ait  un  privilège 
exclusif  pour  satyriser  tout  ce  qu'il  y  a  de  respectable,  sans  excepter 
même  M.  le  prince  Eugène  de  Savoie  et  M.  l'abbé  Bignon,  desquels  il 
avait  reçu  des  bienfaits  et  qui  sont  respectés  de  tout  ce  qu'il  y  a  de 


DG2  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

grand  dans  l'Europe.  Ainsi  quand  on  rappellera  au  public  certains 
traits  vifs  et  éclatants  du  sieur  Rousseau',  on  ne  fera  que  lui  rendre  ce 
qu'il  a  prêté  lui-même  à  des  gens  beaucoup  plus  estimables  que  lui. 

J'ai  l'honneur  d'être  très  sincèrement,  monsieur,  votre  très  humble 
et  très  obéissant  serviteur,  L'abbé  Lenglet  du  Fresnoy. 

Paris,  ce  25  septembre  1732. 

Le  bruit  de  tous  ces  démêlés  arrivait  naturellement  jusqu'à 
Rousseau,  qui»  toujours  hautain,  affectait  un  mépris  un  peu 
superbe  d'une  pareille  machination  mise  en  œuvre  par  un  tel  per- 
sonnage, mais  qui,  perspicace  et  bien  informé,  se  refusait  à  croire 
l'affaire  finie  et  laissait  entendre  avec  raison  qu'elle  pourrait 
bien  recommencer  à  brève  échéance  en  France  même. 

A  Bruxelles,  le  30  septembre  1732. 
Rien  n'est  plus  digne  de  vous  et  de  moi,  monsieur,  que  la  chaleur 
que  vous  marquez  contre  l'infâme  écrivain  qui  s'est  servi  de  votre  nom 
et  du  mien  pour  débiter  ses  impostures.  Mais  rien  ne  serait  plus  ridi- 
cule à  moi  que  de  m'amuser  à  les  réfuter,  et  de  vouloir  combattre  en 
escrime  réglée  contre  un  faquin  dont  le  public  m'a  déjà  vengé  d'avance. 
J'en  userai  avec  les  gens  de  cette  espèce  comme  j'ai  déjà  fait  avec 
Gacon,  et  il  leur  arrivera  de  leurs  calomnies  et  de  mon  silence  ce  qui 
est  arrivé  à  ce  malheureux.  Quand  il  se  présentera  des  ennemis  capa- 
bles de  tromper  le  public  ou  par  leur  autorité  ou  parle  mérite  de  leurs 
écrits,  alors  ce  sera  à  moi  de  le  désabuser,  mais  à  vous  dire  vrai  je  doute 
que  cela  arrive  jamais,  ma  conduite  et  ma  réputation  chez  tous  les  hon- 
nêtes gens  de  l'Europe  me  mettant,  ce  me  semble,  assez  à  l'abri  d'un 
pareil  danger.  Et  d'ailleurs  la  seule  impudence  d'avoir  emprunté  un 
nom  comme  le  vôtre  ne  suffit-elle  pas  pour  donner  un  démenti  à  tout 
ce  que  l'imposteur  peut  avoir  avancé  et  n'est-ce  pas  assez  que  le  monde 
sache  que  vous  êtes  de  mes  amis  et  que  vous  m'estimez  pour  achever 
de  l'enfoncer  dans  le  décri  où  ses  mauvaises  actions  et  son  style,  s'il  se 
peut  encore  plus  mauvais,  l'ont  déjà  plongé?  Ce  n'est  point  par  des 
apologies  superflues  qu'on  doit  réprimer  l'audace  de  ces  sortes  d'in- 
sectes, encore  moins  par  des  récriminations  qui  ne  font  que  servir 
d'amusement  aux  sots  et  d'entretien  à  la  canaille.  Il  y  a  d'autres  moyens 
légitimes  de  mettre  les  fripons  à  la  raison,  et  s'il  se  trouve  des  pays  où 
on  les  protège,  il  s'en  trouve  aussi  d'autres  où  on  les  châtie.  Le  temps 
amène  tout.  Du  reste,  je  ne  sache  point  que  le  libelle  en  question  ait 
paru  en  Hollande.  Je  doute  même  qu'il  ose  y  paraître,  et  s'il  existe  ce 
ne  sera  pas  là  qu'il  faudra  chercher  son  berceau.  Les  protecteurs  du 
père  de  cet  enfant  d'iniquité  me  sont  connus  et  s'il  paraît,  je  sais  à  mer- 
veille à  qui  je  devrai  m'en  prendre.  En  voilà  assez  sur  ce  chapitre  qui 
ne  mérite  pas  de  nous  occuper  plus  longtemps.  Je  m'attendais  en 
ouvrant  votre  lettre  à  y  trouver   après  un  si  long  silence   quelques 


JEAN-BAPTISTE    ROUSSEAU    ET    LENGLET    DU    FIIESKOY.  563 

réponses  aux  demandes  que  je  vous  avait  faites  dans  ma  dernière.  Je 
me  flatte  que  vous  voudrez  bien  satisfaire  ma  curiosité  dans  la  pre- 
mière que  vous  aurez  le  loisir  de  m'écrire.  Ne  doutez  jamais  de  la  con- 
fiance et  de  la  tendre  estime  avec  laquelle  je  suis,  monsieur,  votre  très 
humble  et  très  obéissant  serviteur,  Rousseau. 

Le  25  octobre  1732,  Brossette  remerciait  par  une  lettre  adressée 
à  chacun  d'eux  le  lieutenant  de  police  Hérault  et  son  premier 
commis  Déon  de  leur  intervention  dans  l'affaire  avec  Lenglet. 
Ces  lettres  se  trouvent  dans  le  manuscrit  de  la  bibliothèque  de 
Chartres  (t.  II,  f°  141),  mais  nous  ne  les  reproduirons  pas  ici. 
Nous  nous  contenterons  de  donner  la  réponse  faite  par  Brossette 
à  Lenglet  et  à  Lasseré. 

A  Lyon,  ce  25  octobre  1732. 

Monsieur,  quelque  sujet  que  j'aie  de  me  plaindre  de  vous,  je  ne 
vous  ferai  aucuns  reproches,  afin  de  vous  donner  un  exemple  de  cette 
modération  qui  sied  si  bien  à  tous  les  honnêtes  gens.  J'ignore  les  cha- 
grins que  vous  avez  contre  M.  Rousseau,  mais  quelle  qu'en  soit  la 
cause,  deviez-vous  m'appelerdans  votre  querelle  et  me  rendre  l'instru- 
ment de  votre  vengeance?  Moi,  que  vous  ne  connaissez  point  et  qui  n'ai 
jamais  eu  rien  à  démêler  ni  avec  vous  ni  avec  aucune  personne  du 
monde.  Je  vous  avoue,  monsieur,  que  ce  procédé  m'a  paru  aussi  éton- 
nant qu'il  est  injuste;  mais  le  désaveu  que  vous  en  faites  dans  votre 
lettre  et  la  parole  d'honneur  que  vous  m'y  donnez  calment  un  peu 
mon  ressentiment ,  quoique  je  ne  puisse  point  approuver  que  votre 
satire  paraisse,  même  sous  votre  nom,  dans  un  livre  auquel  on  sait 
que  j'ai  eu  quelque  part.  Mon  dessein  n'est  point  d'entreprendre  la 
défense  de  M.  Rousseau  :  il  est  assez  fort  pour  se  défendre  tout  seul, 
sans  le  secours  d'un  apologiste  tel  que  moi;  mais,  tout  bien  considéré, 
ne  feriez-vous  point  mieux  d'étouffer  aussi  tous  les  sentiments  d'ani- 
mosité  et  de  supprimer  la  satire  que  vous  aviez  faite  contre  lui.  La 
prudence,  la  raison,  la  grandeur  d'àme,  la  religion  même  semblent 
exiger  de  vous  ce  sacrifice.  Recevez  ce  conseil  d'un  ennemi. 

Au  reste,  monsieur,  la  lettre  que  tous  m'avez  écrite  le  25  septembre 
ne  m'a  été  rendue  que  le  23  octobre,  et  M.  Déon,  premier  commis  de 
M.  le  lieutenant  général  de  police,  me  mande  qu'une  maladie  qui  lui 
est  survenue  est  la  cause  de  ce  retardement.  Je  suis,  etc. 

A  Lyon,  ce  18  novembre  1732. 
L'intérêt  que  votre  bonté,  monsieur,  et  l'amour  que  vous  avez  pour 
la  justice  vous  ont  fait  prendre  à  l'injure  que  l'abbé  Lenglet  me  prépa- 
rait mérite  bien  que  je  vous  fasse  part  de  l'heureux  effet  qu'on  produit 
vos  généreuses  démarches.  M.  Hérault  m'a  fait  l'honneur  de  m'envoyer 
la  lettre  qu'il  avait  ordonné  à  cet  abbé  de  m'écrire.  Par  cette  lettre  il 
convient  d'avoir  fait  imprimer  sous  mon  nom,  à  Amsterdam,  l'épitrc 


564  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

satirique  dont  il  s'agit,  à  la  tête  d'une  nouvelle  édition  de  Régnier,  en 
m'assnrant  qu'il  n'y  a  aucun  exemplaire  de  cette  épître  qui  ait  été 
distribué.  Il  me  promet  et  me  donne  même  sa  parole  d'honneur  (quel 
serment!)  qu'il  n'en  paraîtra  aucun  sous  mon  nom;  il  ajoute  encore 
qu'en  cas  qu'il  en  parût  quelque  exemplaire  sans  la  correction  qu'il  me 
promel,  il  le  désavoue  et  consent  que  je  fasse  imprimer  dans  tous  les 
journaux  et  Mercures  ce  désaveu  en  son  entier,  par  lequel  on  verra, 
dit-il,  que  ce  n'est  pas  moi  qui  ai  fait  celte  épître,  mais  lui-même, 
pour  des  raisons  que  M.  Rousseau  n'ignore  pas,  etc. 

Vous  comprenez,  monsieur,  par  ce  prélude,  qu'il  ne  se  désiste  point 
du  malheureux  dessein  qu'il  a  formé  de  publier  celte  satire  sous  son 
nom  même,  ce  qui  me  fâche  presque  autant  que  sa  première  entre- 
prise par  l'intérêt  que  je  prends  à  M.  Rousseau.  Voici  pourtant  un 
motif  de  consolation  :  c'est  qu'on  me  mande  de  sa  part  que  tout  l'ou- 
vrage va  être  supprimé,  c'est-à-dire  et  l'épître  satirique  et  l'édition 
même  de  Régnier,  et  que  MM.  les  États  généraux  ont  rendu  à  cette 
occasion  un  décret  par  lequel  ils  défendent  d'imprimer  aucun  livre 
qu'il  n'ait  passé  par  les  mains  d'un  censeur,  décret  très  sage  et  très 
nécessaire  pour  réprimer  la  licence  indéfinie  et  effrénée  que  les  libraires 
de  ce  pays-là  se  donnaient  de  mettre  au  jour  les  ouvrages  les  plus 
scandaleux.  J'ai  eu  l'honneur  d'écrire  à  M.  le  lieutenant  général  de 
police  pour  le  remercier,  et  en  même  temps  j'ai  envoyé  à  ce  magistrat 
une  réponse  à  l'abbé  Lenglet,  dans  laquelle  je  lui  représente  l'injustice 
affreuse  de  sa  conduite  à  mon  égard  et  l'indignité  de  celle  qu'il  tient  à 
l'égard  de  M.  Rousseau.  «  Tout  bien  considéré,  lui  dis-je,  ne  feriez- vous 
pas  mieux  d'étouffer  aussi  tous  sentiments  d'animosité  et  de  supprimer 
la  satire  que  vous  avez  faite  contre  lui?  La  prudence,  la  raison,  la  gran- 
deur d'âme,  la  religion  même  semblent  exiger  de  vous  ce  sacrifice. 
Recevez  ce  conseil  d'un  ennemi.  » 

Je  ne  sais  quel  sera  le  fruit  de  mes  exhortations,  mais  quelque  issue 
que  puisse  avoir  cette  affaire -ci,  je  conserverai  une  reconnaissance 
éternelle  des  soins  que  vous  avez  pris  pour  la  terminer.  Je  suis,  etc. 

Après  cette  algarade,  la  correspondance  entre  Brossette  et 
Rousseau  reprend  et  se  continue  telle  qu'elle  était  auparavant. 
L'échange  de  nouvelles,  littéraires  ou  autres,  se  mêle  aux 
réflexions  dont  Lenglet  est  l'objet  et  l'entretien  se  poursuit  ainsi, 
à  dislance,  jusqu'à  ce  qu'une  autre  alerte  vienne  rappeler  les 
deux  amis  au  sentiment  des  méchancetés  qu'on  n'a  pas  cessé  de 
préparer  contre  leur  repos. 

A  Lyon,  ce  12  décembre  1732. 

Un  séjour  de  plus  de  deux  mois  que  j'ai  fait  à  la  campagne,  mon- 
sieur, m'a  terriblement  dérangé  et  m'a  empêché  de  vous  écrire.  Ce 
n'est  point  par  oubli  que  j'ai  négligé  de  répondre  dans  ma  dernière 
lettre  aux  questions  que  vous   m'avez  faites.  Mais  lorsque  je  vous 


JEAN-BAPTISTE    ROUSSEAU    ET    LENGLET    DU    FRESNOY.  565 

écrivis  j'étais  si  vivement  animé  contre  notre  infâme  calomniateur 
que  je  ne  pus  me  résoudre  à  vous  parler  d'autre  chose  que  de  la 
noirceur  de  son  procédé.  Quelques  jours  après  j'écrivis  encore  à  M.  de 
Lasseré  et  le  priai  de  vous  mander  ce  qui  s'était  passé,  suivant  le 
détail  qu'il  m'en  avait  fait  dans  deux  ou  trois  de  ses  lettres.  C'est  lui 
qui,  de  son  propre  mouvement  et  par  l'amitié  qu'il  a  pour  vous  et 
pour  moi,  a  engagé  M.  Hérault,  lieutenant  général  de  police,  à  prendre 
connaissance  de  cette  affaire.  Ce  magistrat  a  ordonné  à  l'abbé  Lenglet 
de  supprimer  son  libelle  et  de  m'écrire  une  lettre  de  réparation  pour 
avoir  si  indignement  abusé  de  mon  nom.  C'est  à  quoi  il  a  satisfait  en 
remettant  sa  lettre  à  M.  Hérault  qui  me  l'a  envoyée.  Dans  la  réponse 
que  je  lui  ai  faite  par  la  voie  de  ce  magistrat,  je  lui  ai  reproché  son 
double  crime,  à  votre  égard  et  au  mien,  dans  les  termes  les  plus  forts, 
et  je  l'ai  exhorté  par  tous  les  motifs  d'intérêt,  d'honneur  et  de  religion 
à  ne  faire  jamais  paraître  cet  ouvrage  d'iniquité;  et  c'est  ce  qu'il  fera 
s'il  a  tant  soit  peu  de  raison  et  de  pudeur. 

M.  Barrillot,  qui  a  eu  l'honneur  de  vous  voir  en  allant  en  Hollande,  m'a 
écrit  de  Bruxelles  même  pour  me  témoigner  combien  il  était  charmé 
de  l'accueil  que  vous  lui  aviez  fait.  Quelque  temps  après  il  m'écrivit 
encore  de  La  Haye  pour  m'informer  d'une  nouvelle  imposture  de  l'abbé 
Lenglet,  prouvée  par  une  pièce  que  M.  Barrillot  avait  copiée  sur  l'ori- 
ginal et  qu'il  m'envoya.  C'est  une  lettre  fabriquée  par  l'abbé  Lenglet 
sous  le  nom  de  M.  Desmaiseaux  et  adressée  à  M.  de  Saint-Hyacinthe 
pour  annoncer  dans  le  Journal  littéraire  une  nouvelle  édition  des 
œuvres  de  Régnier,  que  cet  abbé  faisait  faire  à  Amsterdam  avec  des 
augmentations.  Mais  les  libraires  qui  impriment  ce  journal  ont  été  assez 
honnêtes  gens  pour  ne  faire  aucun  usage  de  cette  lettre  qui  est  un  tissu 
de  mensonges,  de  suppositions,  d'impostures,  et  le  tout  pour  faire 
accroire  au  public  que  cette  édition  qu'il  fait  faire  à  Amsterdam  chez 
Oléander  est  faite  à  Londres  chez  Jacob  Tonson.  Il  me  fait  l'auteur  de 
quantité  d'additions  qui  sont,  dit-il,  dans  les  notes;  il  suppose  que  j'ai 
eu  la  complaisance  d'envoyer  mes  prétendues  augmentations  à  ce 
libraire  de  Londres  quoique  je  ne  le  connaisse  point  et  que  je  n'aie 
jamais  eu  plus  de  relations  avec  lui  qu'avec  l'abbé  Lenglet.  Mais  ce  que 
je  trouve  de  plus  cruel  et  de  plus  affreux,  c'est  que  ce  coquin  va  m'allri- 
buer  une  infâme  compilation  de  pièces  qu'il  a  insérées  dans  cette  édi- 
tion. Il  en  parle  ainsi  dans  sa  lettre  :  «  Le  texte  en  est  seulement  plus 
correct  que  dans  la  première  édition  de  Londres;  il  y  est  encore 
augmenté  de  plus  de  deux  mille  vers  que  M.  Brosscltc  n'a  recouvrés 
que  depuis  peu  de  temps,  parmi  lesquels  il  y  a  des  épigrammes  fort 
jolies,  dans  le  style,  à  la  vérité,  de  Régnier,  mais  qu'importe?  Après 
cela,  il  donne  pour  échantillon  une  épigramme  fort  obscène  et  fort 
grossière  qui  commence  : 

Lisette,  à  qui  Ton  faisait  tort 

Vint  à  Robin  tout  éplorée 

Et  lui  dit  donne-moi  la  mort,  etc. 

Re\\    UIIIST.   LITTÉR.    DC  LA  FHAXCK    (lm  AûuA  —  Vil.  37 


566  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Voilà  les  gentillesses  dont  cet  honnête  homme  là  qu'on  dit  être  prêtre 
fait  ses  délices  et  dont  il  m'attribue  l'heureuse  découverte.  Enfin,  mon- 
sieur, il  faudrait  transcrire  sa  lettre  entière  pour  vous  dire  toutes  les 
sottises  dont  elle  est  remplie.  Comme  elle  vous  intéresse  aussi  bien  que 
moi,  car  il  parle  de  vous,  je  vous  en  enverrai  une  copie,  si  vous  le 
souhaitez.  Mais  vous  avez  pris  le  bon  parti  qui  est  celui  du  mépris  et 
du  silence,  ut  tua  moderatio,  et  gravitas,  aliorum  infamet  injuriant*. 

Quelques  libraires  de  Paris  se  disposent  à  faire  une  édition  nouvelle 
de  Boileau,  et  l'un  d'eux,  qui  est  Coignard,  m'a  prié  de  leur  part  d'in- 
voyer  mes  augmentations  pour  y  être  insérées.  Comme  j'avais  promis 
de  les  donner  à  MM.  Fabri  et  Barrillot,  libraires  de  Genève,  qui  ont 
fait  la  première  édition,  je  mandai  à  M.  Barrillot,  quand  il  alla  à  Paris 
au  mois  d'octobre,  de  s'aboucher  avec  Coignard  et  ses  associés  pour 
traiter  ensemble  de  cette  dernière  édition  et  de  la  faire  de  concert  avec 
mes  changements  et  additions.  M.  Barrillot  m'a  écrit  de  Bruxelles  qu'il 
vous  avait  communiqué  cet  endroit  de  ma  lettre  et  que  vous  pensiez 
qu'il  convenait  mieux  que  celte  nouvelle  édition  fût  faite  à  Genève, 
c'est-à-dire  dans  une  ville  étrangère,  qu'à  Paris.  Je  sais  que  le  génie  de 
la  nation  est  assez  porté  à  préférer  un  livre  français  imprimé  hors  du 
royaume,  parce  qu'on  s'attend  à  y  trouver  des  choses  libres  et  hardies 
qu'un  censeur  royal  se  croirait  obligé  de  retrancher.  Mais  je  ferai  tou- 
jours en  sorte  que  mes  écrits  ne  se  sentent  point  de  la  liberté  du  lieu 
où  l'impression  s'en  fera.  Ainsi  il  m'est  égal,  quant  au  fond  de  l'ou- 
vrage, que  l'édition  de  l'ouvrage  soit  faite  à  Paris  ou  à  Genève  ou 
ailleurs.  Le  seul  motif  qui  me  déterminerait  en  faveur  de  Paris  serait 
la  beauté  de  l'impression  et  l'ornement  des  figures,  avantages  qui  ne 
sont  pas  indifférents  et  qu'il  est  plus  difficile  de  trouver  à  Genève. 

Pour  répondre  maintenant  à  vos  questions,  je  vous  dirai,  monsieur, 
que  je  suis  sorti  de  mes  fonctions  consulaires  depuis  près  d'une  année, 
mais  au  commencement  de  celle  qui  vient  je  vais  rentrer  pour  deux 
ans  dans  des  fonctions  à  peu  près  semblables,  qui  néanmoins  me  laisse- 
ront un  peu  plus  de  loisir.  J'ai  profité  de  celui  que  j'ai  eu  cet  automne 
à  la  campagne  pour  travailler  à  une  nouvelle  édition  de  Boileau  qui 
sera  considérablement  augmentée.  Je  ne  serais  point  fâché  qu'elle  piU 
se  faire  à  Paris,  par  les  raisons  que  je  viens  de  vous  dire,  mais  cela 
dépend  de  MM.  Fabri  et  Barrillot  et  des  arrangements  qu'ils  prendront 
avec  les  libraires  de  Paris.  J'ai  aussi  employé  une  heure  perdue  à  faire 
quelque  chose  sur  Molière.  L'amitié  que  vous  avez  pour  moi  ne  me 
met-elle  point  en  droit  d'exiger  que  vous  me  rendiez  compte  aussi  de 
vos  occupations  et  des  ouvrages  nouveaux  que  vous  avez  dans  le  porte- 
feuille? Vos  talents  méritent  bien  que  l'on  s'empresse  de  savoir  l'usage 
que  vous  en  faites. 

Il  y  a  quelque  temps  que  M.  l'abbé  de  Lécherène,  que  vous  avez  vu 
à  Vienne,  me  rendit  visite  en  passant  par  Lyon.  Il  me  parla  de  vous 

1.  Ciceronis  epistolœ,  lib.  IX,  ep.  12. 


JEAN-BAPTISTE    ROUSSEAU    ET    LENGLET    DU    FRESNOY.  567 

avec  toutes  les  marques  d'une  parfaite  estime,  et  me  pria  de  faire 
mention  de  lui  dans  la  première  lettre  que  je  vous  écrirais.  Il  se  ressou- 
vint de  la  fin  d'un  couplet  que  vous  aviez  fait  dans  un  repas,  auquel 
il  avait  été  invité  et  où  Ton  donna  de  mauvais  vin  : 

Et  je  bois  le  nectar  du  Diable 
Versé  par  le  page  des  Dieux. 

Il  était  bien  fâché  d'avoir  oublié  le  reste  de  la  chanson;  je  vous  le 
demande  pour  lui  et  pour  moi. 

Je  reçus  hier  deux  livres  nouveaux  de  Paris,  d'un  caractère  fort 
différent.  L'un  est  un  Traité  du  Sublime  ,  dédié  à  M.  Despréaux  par 
M.  Silvain,  avocat  au  Parlement;  cette  dédicace  viendrait  après  coup 
si  Ton  ne  disait  pas  dans  l'avertissement  que  l'ouvrage  est  composé 
depuis  1708.  L'autre,  qui  est  sans  nom  d'auteur,  a  pour  litre  le  Repos 
de  Cyws  ou  l'histoire  de  sa  vie  depuis  sa  quarantième  année.  Je  n'ai  fait 
qu'ouvrir  le  premier,  parce  que  je  me  réserve  à  le  lire  tout  de  suite 
avec  attention.  A  l'égard  du  second,  je  l'ai  parcouru  rapidement,  mais 
j'y  ai  trouvé  un  style  fardé,  papilloté,  plein  d'affectation,  des  senti- 
ments peu  héroïques,  une  morale  efféminée,  des  caractères  mal  peints 
et  mal  soutenus,  des  jugements  peu  justes  et  des  réflexions  nouvelles. 
Dans  la  première  partie,  Cyrus  fait  l'amour;  dans  la  seconde,  il  fait 
des  établissements  d'académies,  et  dans  la  troisième  il  fait  d'autres 
règlements  pour  son  royaume.  Cet  ouvrage  est  allégorique  et  c'est  sous 
le  voile  de  l'allégorie  qu'on  y  fait  le  portrait  de  nos  plus  fameux  poètes, 
parmi  lesquels  vous  êtes,  ce  me  semble,  désigné  dans  un  endroit. 
L'auteur  de  cet  ouvrage  est  l'abbé  Pernetti,  précepteur  des  enfants  de 
M.  de  Bologne,  premier  commis  des  finances.  On  dit  qu'il  aurait  mieux 
fait  de  se  reposer  que  de  faire  le  Repos  de  Cyrus. 

A  Bruxelles,  le  28  décembre  1732. 
J'ai  su  dès  le  mois  d'octobre  dernier,  monsieur,  de  quelle  manière 
votre  calomniateur  et  le  mien  avait  été  houspillé  à  la  police  et  j'ai  vu 
même  ce  que  vous  avez  écrit  à  M.  de  Lasseré  depuis  ce  temps-là  tou- 
chant la  lettre  que  vous  avez  reçue  de  cet  indigne  prêtre  et  la  réponse 
que  vous  lui  avez  faite.  Et  comme  par  l'invitation  que  vous  lui  faites 
dans  votre  réponse  d'étouffer  ses  sentiments  d'animosité  contre  moi, 
jo  juge  que  vous  avez  pu  oublier  ce  que  je  vous  avais  écrit  dès  le  mois 
d'avril  de  l'année  passée  de  l'ingratitude  de  ce  fripon  à  mon  égard,  je 
crois  qu'il  ne  sera  pas  hors  de  propos  de  vous  envoyer  la  copie  que 
j'ai  gardée  du  récit  que  j'en  ai  fait  à  M.  de  Lasseré  afin  que  vous  puis- 
siez mieux  juger  de  son  procédé  et  du  mien,  vous  priant  de  vouloir 
bien  me  renvoyer  cette  copie  quand  vous  en  aurez  fait  la  lecture.  J'en 
ai  fait  faire  une  de  ce  que  vous  me  mandez  au  sujet  de  la  lettre  fabri- 
quée par  cet  imposteur  sous  le  nom  de  M.  Desmaiséaux  et  je  l'ai 
envoyée  à  M.  de  Lasseré  afin  qu'il  en  informe  M.  Hérault.  Je  crois 


568  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

qu'il  ne  serait  pas  hors  de  propos  que  vous  envoyassiez  copie  de  la 
pièce  entière  à  ce  magistrat.  Vous  ferez  sur  cela  ce  que  votre  prudence 
et  le  rôle  de  la  vérité  vous  conseilleront  pour  le  mieux. 

Je  suis  ravi  que  vos  Remarques  sur  Doileau  soient  prêtes  à  réim- 
primer. Je  n'ai  plus  la  première  édition  et  je  n'ai  différé  à  la  faire 
chercher  que  dans  l'attente  de  la  seconde,  dans  laquelle  j'espère  que 
vous  aurez  assez  de  crédit  pour  faire  retrancher  ce  qui  s'est  glissé 
dans  la  première  d'injurieux  h  M.  Despréaux  dont  la  mémoire  ne 
saurait  être  trop  respectée  surtout  par  son  commentateur.  Pourvu  que 
les  censeurs  ne  vous  fassent  rien  retrancher,  de  ce  qui  a  paru  dans 
Pédilion  de  Genève,  je  suis  fort  content  que  celle-ci  se  fasse  à  Paris; 
mais  comme  la  plupart  sont  d'assez  petits  esprits,  la  crainte  que  j'ai 
eue  que  vous  ne  tombassiez  en  mauvaise  main  m'a  inspiré  le  conseil 
que  j'ai  donné  à  M.  Barriilot  de  l'imprimer  lui-même,  afin  de  vous 
garantir  contre  les  scrupules  de  MM.  les  examinateurs. 

Je  ne  sais  si  on  a  achevé  l'impression  du  Molière  in-4°,  mais  j'ai  vu 
depuis  peu  une  lettre  de  Paris  dans  laquelle  on  mande  que  les  libraires 
ont  dessein  d'y  insérer  cette  prétendue  vie  de  l'auteur  dont  on  a 
diffamé  la  mémoire  de  ce  grand  poète  dans  les  dernières  éditions 
qu'on  en  a  données.  Je  juge  par  là  qu'on  n'a  pas  fait  grand  cas  des 
avis  que  j'ai  donnés  dans  la  lettre  que  j'ai  écrite  à  M.  Chauvelin; 
mais  je  puis  vous  répondre  que  si  cela  arrive  et  si  on  ne  purge  pas 
cette  édition  de  tous  les  misérables  rogatons  dont  les  précédentes 
ont  été  infectées  jusqu'ici,  les  éditeurs  s'en  trouveront  mal  et  que 
je  ne  souffrirai  point  que  celui  de  tous  les  auteurs  qui  fait  le  plus 
d'honneur  à  notre  nation  soit  deshonoré  et  vilipendé  par  des  com- 
pilateurs ignorants  et  sans  goût,  ni  qu'on  associe  impunément  à 
ses  ouvrages  dans  une  édition  importante  des  pièces  indignes  de 
paraître  avee  les  siennes.  Vous  ferez  fort  bien,  monsieur,  de  faire  vos 
notes  de  manière  qu'elles  puissent  paraître  séparément.  Je  ne  vous  dis 
pas  cela  sans  raison,  et  je  pourrais  vous  en  dire  davantage  si  je  ne 
me  faisais,  comme  je  dois,  un  scrupule  de  violer  le  secret  des  lettres 
même  à  l'égard  de  ceux  qui  ne  s'en  font  aucun  de  violer  tous  les  autres 
devoirs.  J'espère  que  vous  voudrez  bien  me  communiquer  ce  que  vous 
aurez  écrit,  comme  je  vous  promets  de  vous  faire  part  de  ce  que 
j'écrirai,  si  je  me  vois  obligé  d'écrire  pour  venger  Molière  de  l'affront 
qui  sera  fait  à  des  ouvrages  comme  les  siens. 

Si  vous  retrouvez  l'occasion  de  voir  M.  l'abbé  de  Lécherène  ou  de 
lui  écrire,  je  vous  prie  de  l'assurer  que  son  mérite  et  sa  politesse  sont 
toujours  gravés  dans  mon  esprit  et  dans  mon  cœur,  et  que  si  je  Fai 
regretté  à  Vienne,  je  le  regrette  encore  davantage  ici.  J'ai  totalement 
oublié  l'impromptu  dunl  il  vous  a  dit  la  fin  et  je  ne  me  souviens  pas 
même  de  l'occasion  qui  y  a  donné  lieu.  Je  me  suis  seulement  rappelé 
les  deux  vers  que  vous  me  citez,  mais  c'est  tout. 

Mon  libraire  de  Hollande  m'a  écrit  qu'il  allait  commencer  une  nou- 
velle édition  de  mes  ouvrages  et  je  compte  d'y  faire  quelques  augmen- 


JEAN -BAPTISTE  ROUSSEAU  ET  LENGLET  DU  FRESNOY.        569 

talions  dont  vous  jugerez  quand  elle  paraîtra,  car  j'aurai  soin  que 
vous  en  ayez  un  des  premiers  exemplaires.  Ce  que  vous  me  dites  du 
nouveau  Traité  du  sublime  que  vous  avez  parcouru  me  donne  de  la 
curiosité.  Il  y  a  plusieurs  choses  qu'on  peut  ajouter  à  ce  qu'en  a  écrit 
Longin,  mais  la  matière  est  bien  délicate  et  il  ne  suffit  pas  d'être 
savant  pour  la  traiter  comme  il  faut.  Agréez  les  vœux  que  je  fais  pour 
vous  à  l'occasion  de  la  prochaine  année  et  les  assurances  dû  tendre  et 
sincère  dévouement  avec  lequel  je  suis,  mon  cher  monsieur,  votre  très 
humble  et  très  obéissant  serviteur,  Rousseau. 

Bien  que  très  confiant  par  nature,  Brossette  avait  senti  tout  ce 
qui  se  cachait  de  dissimulation  dans  le  langage  de  Lenglet  du 
Fresnoy  et  perdait  le  moins  possible  de  vue  les  faits  et  gestes  de 
cet  adversaire  sans  vergogne.  Précisément  l'éditeur  de  Brossette, 
le  libraire  Barrillot,  voyageait  alors  en  Hollande  cl  se  trouvait  de 
la  sorte  à  même  d'être  bien  informé  de  ce  qui  pouvait  advenir. 
Il  s'empressait  de  mander  à  Lyon,  chemin  faisant,  ce  qu'il  appre- 
nait des  événements  au  fur  et  à  mesure  qu'ils  se  produisaient. 

A  Amsterdam,  ce  12  janvier  1733. 

Monsieur,  j'ai  reçu  ici  la  lettre  que  vous  m'avez  fail  l'honneur  de 
m'écrire  le  16  du  passé.  J'ai  vu  avec  plaisir  que  les  miennes  vous  sont 
parvenues  et  que  vous  avez  jugé  des  dispositions  de  mon  cœur  à  saisir 
les  occasions  de  vous  témoigner  mon  entier  dévouement.  Heureux  si 
je  pouvais,  monsieur,  vous  en  prouver  toute  l'étendue. 

M.  Desmaiseaux  n'a  point  eu  connaissance  de  l'infâme  procédé  de 
l'abbé  Lenglet  à  son  égard,  la  lettre  dont  j'ai  eu  l'honneur  de  vous 
envoyer  la  copie  étant  restée  entre  les  mains  de  celui  à  qui  cet  abbé 
l'avait  envoyée,  sans  qu'il  en  ait  voulu  donner  d'autre  communication 
que  celle  que  je  pris. 

La  lettre  que  l'abbé  vous  écrivit  le  25  septembre  est  captieuse  et 
prouve  qu'il  persiste  dans  son  dessein.  Il  se  flatte  toujours  d'avoir 
main  levée  des  feuilles  qui  sont  arrêtées  ici.  L'imprimeur  demande 
le  paiement  de  ces  feuilles  et  on  lui  demande  de  finir  l'ouvrage;  mais 
la  force  majeure  le  retient.  Il  est  nanti  de  70  rames  de  papier  du  prix 
de  17  à  18  livres  de  votre  monnaie  chacune  qui  peuvent  lui  tenir  lieu 
de  paiement.  Le  marchand  qui  l'a  fourni  veut  en  être  payé  et  va 
procéder. 

Si  vous  souhaitez,  monsieur,  copie  de  l'infâme  libelle  de  l'abbé 
Lenglet,  je  pourrai  vous  le  communiquer,  non  pas  que  je  me  flatte 
d'en  obtenir  les  feuilles  de  l'imprimeur,  mais  bien  qu'il  m'en  laissera 
prendre  copie. 

Il  nous  est  important,  monsieur,  de  faire  proraptement  une  édition 
in-4°  des  œuvres  de  M.  Despréaux  avec  vos  remarques.  Sans  quoi  on 
la  ferait  ici.  Nous  sommes  liés  d'amitié  et  d'intérêt  avec  les  libraires 


570  REVUE   D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

d'ici  et  de  La  Haye  qui  ont  dans  ces  provinces  le  privilège  de  ces 
œuvres.  Sur  la  promesse  que  je  leur  ai  faite  que  nous  allions  les 
mettre  soiis  presse  et  de  leur  en  fournir  dans  le  cours  de  Tannée,  ils 
veulent  bien  n'en  pas  multiplier  les  éditions.  Sur  ce  que  je  leur  dis 
d'une  édition  à  Paris  de  ce  livre,  ils  me  dirent  qu'ils  l'imprimeraient 
aussitôt;  que  la  prévention  où  Ton  était  sur  les  éditions  faites  en 
France  faisait  que  le  même  ouvrage  imprimé  à  Paris  n'aurait  aucun 
succès  en  ce  pays  ni  en  Angleterre.  11  en  est  de  même  en  nos  quar- 
tiers. Je  crois,  monsieur,  qu'il  ne  convient  point  à  notre  commerce  ni 
même  aux  auteurs  de  multiplier  tout  à  coup  les  éditions  d'un  livre; 
quelque  bon  qu'il  soit,  il  tombe  pendant  quelque  temps  dans  une  sorte 
de  mépris.  Si  on  faisait  tout  à  la  fois  à  Paris,  à  Genève  et  ici  des 
éditions  des  œuvres  de  M.  Despréaux,  c'en  serait  trop  pour  ne  pas  nuire 
les  unes  aux  autres,  et  les  libraires  de  ce  pays,  pour  donner  la  préfé- 
rence à  la  leur,  y  ajouteraient  quelque  chose  qui  passerait  sous  votre 
nom  et  qui  peut-être  n'aurait  pas  votre  approbation.  11  est  donc  de 
toute  convenance  que  nous  fassions  promptement  cette  édition  sans 
nous  embarrasser  si  on  la  tire  à  Paris.  J'espère,  monsieur,  que  vous 
voudrez  bien  nous  mettre  en  état  de  commencer  et  adresser  à  M.  Fabri, 
mon  associé,  les  moyens  pour  faire  travailler,  afin  que,  quittant  ce 
pays,  ce  qui  sera  au  mois  de  mars,  je  puisse  prendre  un  fixe  arrange- 
ment avec  le  libraire  d'ici. 

M.  Rousseau  écrit  à  son  libraire  qu'il  partira  au  printemps  pour  un 
long  voyage.  11  n'a  pas  voulu  consentir  que  l'on  fit  à  présent  une 
édition  in-4°  de  ses  ouvrages,  mais  on  en  achève  une  fort  jolie  in-douze 
augmentée  de  plusieurs  pièces.  Il  y  en  avait  une  fort  belle  sur  la  mort 
du  dernier  roi  de  Suède,  dont  il  vient  d'ordonner  la  suppression;  je 
crois  que  c'est  parce  que  la  pièce  finit  par  une  allusion  entre  la  mort 
de  ce  prince  et  le  sang  de  Patkul  répandu. 

Je  crois,  monsieur,  que  vous  avez  le  portrait  de  M.  Rousseau.  Vou- 
driez-vous  permettre  qu'on  en  prît  l'esquisse?  Son  libraire,  qui  l'estime 
beaucoup,  voudrait  le  faire  graver  par  Picart  et  ne  le  lui  apprendre 
qu'en  le  lui  présentant.  Vous  êtes  intéressé  à  l'immortalité  des  grands 
hommes,  ce  qui  me  fait  prendre  la  liberté  de  vous  faire  cette 
demande. 

Faites-moi  la  faveur  d'être  persuadé  de  plus  en  plus  de  mon  parfait 
attachemen  et  du  sincère  dévouement  avec  lequel  j'ai  l'honneur  d'être, 
monsieur,  votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur,  Barrillot. 

A  Lyon,  ce  28  janvier  1733. 
La  lettre,  monsieur,  que  vous  m'avez  écrite  d'Amsterdam  le  12  de  ce 
mois  m'a  été  envoyée  par  M.  Fabri.  Je  commence  par  l'article  qui  vous 
intéresse  le  plus,  je  veux  dire  la  nouvelle  édition  de  Boileau  avec  mes 
remarques.  Toute  réflexion  faite,  je  crois  que  vous  ne  ferez  pas  mal 
de  faire  cette  édition  à  Genève,  après  l'assurance  que  vous  avez  de 
MM.  les  libraires  d'Amsterdam  et  de  La  Haye  qu'ils  ne  l'imprimeront 


JEAN-BAPTISTE    ROUSSEAU    ET    LEISGLET    DU    FRESNOY.  571 

pas;  car,  comme  vous  dites  fort  bien,  le  meilleur  livre  du  monde  tombe 
dans  une  espèce  de  discrédit  quand  il  est  multiplié  par  un  trop  grand 
nombre  d'éditions.  Mais  si  vous  êtes  assure  de  MM.  les  libraires  de 
Hollande,  qui  est-ce  qui  vous  assurera  que  ceux  de  Paris  ne  contrefe- 
ront pas  votre  édition  dès  qu'elle  paraîtra?  Je  juge  de  l'avenir  par  le 
passé  et  vous  avez  vu  que  ces  messieurs  ont  réimprimé,  quoique  fort 
mal,  notre  première  édition  sur  le  privilège  que  le  sieur  Esprit  Billiot, 
successeur  de  Thierri,  en  a  obtenu  depuis  quelques  années.  Vous  savez 
aussi  qu'ils  sont  actuellement  dans  le  dessein  d'en  faire  une  nouvelle. 
Quoi  qu'il  en  soit,  je  tâcherai  de  mettre  la  dernière  main  à  mon 
ouvrage  afin  que  vous  soyez  en  état  de  faire  travailler  après  votre 
retour  à  Genève. 

Tandis  que  vous  êtes  à  Amsterdam,  je  vous  prie  de  savoir  positive- 
ment le  nom  de  l'auteur  des  additions  à  mes  notes  qui  furent  insérées 
dans  la  belle  édition  in-folio  faite  en  1718  chez  David  Mortier.  Vous 
m'écrivîtes  en  ce  temps-là  que  ces  additions  étaient  du  savant  M.  Le 
Clerc;  vous  pouvez  aisément  vous  assurer  mieux  de  cette  circonstance, 
dont  je  suis  bien  aise  d'être  instruit  précisément. 

J'accepte  avec  plaisir  l'offre  que  vous  me  faites  de  m'envoyer  une 
copie  du  libelle  de  l'abbé  Lenglet.  Vous  jugez  bien,  monsieur,  qu'un 
ouvrage  de  ce  caractère  qu'il  a  voulu  faire  passer  sous  mon  nom  doit 
exciter  ma  curiosité.  Ma  satisfaction  serait  complète  si  vous  pouviez 
en  obtenir  les  feuilles  même  du  libraire,  en  vous  rendant  caution  pour 
moi  que  je  n'en  ferai  aucun  usage  et  qu'elles  ne  sortiront  pas  de  mes 
mains.  Et  quel  usage  en  pourrais-je  faire,  moi  qui  ai  un  si  grand 
intérêt  d'empêcher  que  cette  infâme  production  ne  paraisse?  Si  j'avais 
l'honneur  de  connaître  ce  libraire,  je  lui  écrirais  moi-même  pour  le 
prier  de  satisfaire  ma  curiosité  ;  mais  j'espère  que  vous  obtiendrez  cette 
faveur.  Je  voudrais  que  ce  fût  le  même  qui  souhaite  d'avoir  une  copie 
du  portrait  de  M.  Rousseau.  Je  me  déterminerais  plus  volontiers  à  la 
lui  procurer.  Mandez-moi  ses  intentions  là-dessus,  comme  par  exemple 
s'il  veut  que  cette  copie  soit  de  la  même  grandeur  que  l'original,  ou 
plus  petite,  car  l'original  a  environ  deux  pieds  de  hauteur;  s'il  veut 
que  la  copie  soit  en  couleur  comme  l'original  ou  en  simple  camaïeu, 
noir  et  blanc.  J'ai  vu  bien  des  graveurs  préférer  cette  dernière  manière 
parce  qu'elle  imite  l'estampe  et  qu'il  est,  dit-on,  plus  facile  de  graver 
d'après  le  camaïeu.  Ce  sont  des  choses  sur  lesquelles  il  faut  consulter 
M.  Picartdont  les  talents  ne  sauraient  être  trop  loués  et  que  je  regarde 
comme  le  plus  habile  homme  du  siècle 

C'était  d'ailleurs  un  temps  d'accalmie  et  de  tranquillité  relative 
durant  lequel  Brosselte  pouvait  se  livrer  sans  trop  d'inquiétude 
aux  recherches  d'érudition  et  aux  travaux  de  curiosité  littéraire 
qui  emplissaient  d'ordinaire  son  existence.  Quant  à  Rousseau,  qui 
ne  chôma  jamais  d'ennemis,  il  songeait  plus  assurément,  en  ce 


572  REVUE    D  HISTOIRE    LITTERAIRE    DE    LA    FRANCE.    . 

temps-là,  à  Voltaire  qu'à  Lenglet.  Aussi  ses  lettres,  comme  celles 
de  Brossette,  ne  reflètent  guère,  pendant  quelques  mois,  d'anxiété  à 
ce  sujet;  l'un  et  l'autre  se  laissent  aller  à  leurs  préoccupations 
favorites  :  le  culte  des  belles-lettres  et  les  propos  qu'elles  susci- 
tent entre  les  gens  qui  les  aiment. 

A  Lyon,  ce  29  janvier  1733. 

Je  commencerais  ma  lettre,  monsieur,  par  les  assurances  d  estime 
et  d'amitié  qui  sont  le  tribut  ordinaire  de  la  nouvelle  année  si  vous 
pouviez  douter  des  sentiments  que  j'ai  pour  vous.  Je  suis  fort  en  colère 
contre  ce  cérémonial  périodique,  toujours  blâmé,  mais  pourtant  toujours 
observé,  qui  depuis  un  mois  ne  m'a  pas  laissé  le  temps  de  vous  écrire. 
Ce  n'a  pas  été  une  lecture  indifférente  pour  moi  que  celle  de  la  lettre 
que  vous  avez  écrite  à  M.  de  Lasseré  au  sujet  de  l'abbé  Lenglet  et  dont 
je  vous  renvoie  la  copie  f .  Je  vous  rends  confidence  pour  confidence  en 
vous  faisant  part  de  la  lettre  que  cet  abbé  avait  fabriquée  sous  le  nom 
de  M.  Desmaiseaux  et  dont  je  vous  ai  déjà  envoyé  un  échantillon. 

Quand  on  fera  une  nouvelle  édition  de  mes  remarques  sur  Boileau, 
j'en  ferai  retrancher  toutes  les  pièces  qui  pouvaient  être  injurieuses  à 
sa  mémoire  et  qu'on  avait  insérées  mal  à  propos  dans  la  première  Si 
MM.  Fabri  et  Barrillot  s'arrangeaient  avec  les  libraires  de  Paris  pour 
y  faire  cette  édition,  il  n'y  aurait  pas  lieu  de  craindre  que  les  censeurs 
fissent  rien  ôter  de  ce  qui  était  dans  celle  de  Genève,  puisque  celle-ci  a 
été  réimprimée  à  Paris  avec  privilège  par  le  sr  Billiot,  successeur  de 
Thierry,  qui  avait  anciennement  le  privilège  des  œuvres  de  Boileau. 
Mais,  suivant  ce  que  M.  Barrillot  m'a  écrit  d'Amsterdam,  il  est  déterminé 
à  faire  notre  nouvelle  édition  à  Genève,  s'étant  engagé  de  fournir  un 
certain  nombre  d'exemplaires  aux  libraires  de  Hollande,  moyennant 
quoi  ils  ont  promis  de  ne  point  contrefaire  ce  livre. 

Je  ne  sais  rien  de  particulier  touchant  l'édition  in-4°  qu'on  fait  à 
Paris  des  œuvres  de  Molière;  j'ai  seulement  ouï  dire  qu'elle  devait 
paraître  au  commencement  de  cette  année.  Quand  l'impertinent  ouvrage 
qu'on  a  intitulé  Vie  de  Molière  parut,  M.  Despréaux  en  était  dans  une 
colère  épouvantable  et  il  m'en  écrivit  tout  ce  que  le  mépris  et  l'indi- 
gnation peuvent  inspirer  de  plus  fort.  Je  m'étonne  que  ceux  qui 
président  à  cette  nouvelle  édition  permettent  qu'on  y  insère  une  si 
mauvaise  pièce  *.  Tout  ce  qui  peut  les  excuser,  c'est  que  l'on  est  obligé 
de  se  contenter  du  médiocre,  et  souvent  même  du  mauvais,  quand  on 
n'a  pas  de  l'excellent.  Cet  écrit  tout  défectueux  qu'il  est  tient  lieu  d'une 
vie  de  Molière,  en  attendant  que  quelque  écrivain  sensé  en  donne 
une  meilleure.  Vous  savez,  monsieur,  que  les  libraires  craignent 
toujours  que  le  public,  c'est-à-dire  les  acheteurs  qui  sont  leur  public,  ne 
désapprouve  les  retranchements  que  l'on  fait  dans  les  nouvelles  éditions 

\.  Elle  est  publiée.  Lettres  de  Rousseau,  t.  v.  p.  208. 
2.  Elle  n'y  a  pas  été  insérée. 


JEAN-BAPTISTE    ROUSSEAU    ET    LENGLET    DU    FRESNOY.  573 

et  que  ces  retranchements  ne  nuisent  à  la  vente  du  livre.  Mais  tout  au 
moins,  avant  que  de  réimprimer  celle-ci,  il  faudrait  la  corriger  quant  au 
style  et  en  retrancher  beaucoup  de  choses  qui  font  pitié.  A  propos  de  cela, 
avez-vous  lu  la  vie  de  M.  Despréaux,  publiée  en  1711,  peu  de  mois  après  sa 
mort,  par  M.  Desmaiseaux?  Elle  était  encore  plus  mauvaise  que  celle  de 
Molière.  L'auteur,  qui  d'ailleurs  est  homme  de  mérite,  ignorait  jusqu'aux 
moindres  circonstances  de  son  sujet,  et  entre  autres  il  s'était  trompé 
dans  les  dates  de  la  naissance  et  de  la  mort  de  son  héros. 

Vous  ne  me  dites  rien  en  détail  sur  les  augmentations  que  vous  faites 
dans  la  nouvelle  édition  de  vos  œuvres;  cependant  je  sais  que  vous 
aviez  dessein  d'y  insérer  une  pièce  en  vers.  Je  crois  que  c'est  une  ode 
sur  la  mort  du  roi  de  Suède  Charles  XII,  que  vous  en  avez  ordonné  la 
suppression,  et  c'est,  dit-on,  parce  que  cette  pièce  finit  par  une  allusion 
entre  la  mort  de  ce  prince  et  le  supplice  de  Patkul.  Dites-moi  un  mot 
de  tout  cela,  je  vous  prie,  autrement  vous  serez  bien  grondé,  à  moins 
que  vous  n'ayez  de  grandes  raisons  pour  garder  le  secret.  A  propos 
de  secret,  je  m'en  vais  vous  en  dire  un  à  l'oreille,  qu'il  faut  oublier  sur- 
le-champ.  Un  de  nos  amis  veut  faire  graver  votre  portrait,  sans  que  vous 
le  sachiez  jusqu'à  ce  que  ce  soit  achevé.  Que  votre  modestie  ni  votre 
délicatesse  ne  soient  point  alarmées  de  cette  proposition.  L'ouvrage 
sera  fait  par  les  mains  d'un  des  plus  habiles  graveurs  de  l'Europe,  on 
me  fait  dépositaire  de  ce  secret  et  en  quelque  façon  complice  de  cette 
entreprise,  en  exigeant  une  copie  du  portrait  que  vous  m'aviez  envoyé 
de  Vienne  pour  M.  Mazard.  Ignorez  la  confidence  que  je  vous  fais. 

A  Bruxelles,  le  \2  février  1733. 

Vous  êtes  bien  bon,  monsieur,  de  vous  être  donné  la  peine  de  copier 
vous-même  la  lettre  pseudonyme  d'un  misérable  comme  Lenglet.  J'ai 
pourtant  été  bien  aise  de  voir  par  sa  lecture  à  quel  point  d'extravagance 
pouvait  aller  la  folie  d'un  impudent.  Certainement  si  tous  les  fripons 
étaient  aussi  maladroits  que  celui-là  les  honnêtes  gens  seraient  bien 
heureux,  car  jamais  on  ne  vit  imposture  plus  sottement  imaginée  ni 
grossièrement  concertée  que  celle-là. 

Vous  me  faites  grand  plaisir  de  m 'apprendre  que  nos  libraires  de 
Genève  se  disposent  à  donner  bientôt  une  nouvelle  édition  de  votre  Boi- 
leau  et  qu'ils  en  retranchent  ce  qu'il  y  avait  d'indécent  dans  la  première 
contre  le  respect  dû  à  ce  grand  homme,  voire  ami  et  le  mien.  Je  vou- 
drais fort  que  ceux  qui  ont  présidé  à  celle  de  Molière  eussent  eu  assez 
bon  esprit  pour  en  user  de  même  et  qu'ils  se  fussent  bien  mis  dans  la 
tète  une  vérité  incontestable,  qui  est  que  le  meilleur  livre  est  toujours 
mauvais  de  ce  qu'il  y  a  de  trop  et  que  les  excroissances  ne  font  pas 
moins  de  tort  aux  ouvrages  d'esprit  qu'au  corps  humain.  Il  est  bien 
question  des  libraires  quand  il  s'agit  d'un  auteur  comme  Molière  et  du 
respect  dû  au  public  à  qui  on  ne  saurait  rien  donner  de  trop  bon  ni 
rapporter  rien  de  trop  vrai!  Et  n'est-ce  pas  le  traiter  avec  le  dernier 
mépris  que  de  diffamer  non  seulement  les  écrits  d'un  homme  qu'il 


574  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

estime  par  des  additions  aussi  impertinentes  que  celles  qu'on  a 
fourrées  dans  toutes  les  éditions  qui  ont  paru  jusqu'ici,  mais  encore  sa 
personne  et  son  caractère  par  des  portraits  aussi  faux  et  aussi  bas  que 
ceux  qu'on  en  a  fait  dans  l'indigne  écrit  qu'on  y  a  inséré  sous  le  titre 
de  Vie  de  Molière  et  que  l'on  consacre  pourtant  à  la  postérité  en  l'asso- 
ciant à  des  ouvrages  qui  sont  sûrs  d'y  arriver,  au  lieu  de  le  laisser 
tomber  dans  l'oubli  où  de  telles  productions  devraient  être  éternelle- 
ment ensevelies? 

Je  ne  vous  dirai  rien  sur  ce  que  j'ajoute  à  ma  nouvelle  édition  ;  vous  en 
jugerez  quand  elle  sera  faite  et  personne  n'en  pourra  juger  avant  vous. 
Les  vers  que  j'avais  faits  pour  le  roi  de  Suède  pendant  qu'il  était  assiégé 
à  Stralsund  ne  passent  pas  l'étendue  d'un  sonnet;  c'est  peu  de  chose 
et  cela  ne  mérite  pas  l'impression,  sans  cela  je  ne  vous  en  ferais  point 
un  secret.  Ce  que  vous  me  confiez  sur  le  dessein  qu'un  de  vos  amis  a  de 
faire  graver  mon  portrait  me  flatterait  peut-être  si  je  ne  craignais  qu'il 
m'humiliât  trop.  J'avais  quinze  ou  seize  ans  de  moins  quand  je  vous  l'ai 
envoyé  de  Vienne.  On  dit  que  je  n'ai  point  changé  de  visage  depuis  ce 
temps-là,  mais  je  ne  puis  vous  dire  s'il  me  ressemblait  alors  ou  non, 
quoique  celui  qui  l'a  peint  soit  aujourd'hui  le  premier  peintre  de 
l'Empereur  et  le  directeur  de  son  Académie.  Je  vous  prie  de  faire  bien 
des  compliments  pour  moi  à  M.  Mazard  et  d'être  persuadé  du  sincère 
dévoûment  avec  lequel  je  suis  à  la  vie  à  la  mort,  monsieur,  votre  très 
humble  et  très  obéissant  serviteur,  Rousseau. 

Pourtant  Brosselle  persiste  à  s'intéresser  à  ce  qui  se  passe  en 
Hollande  au  sujet  de  l'édition  de  Régnier  entreprise  par  Lenglet 
du  Fresnoy.  Mais  c'est  plutôt  habitude  de  curieux  désireux  de 
connaître  toutes  les  particularités  qui  se  rapportent  de  près  ou  de 
loin  à  la  littérature,  que  le  désir  de  se  tenir  en  garde  contre  une 
machination  éventée  et  qui  ne  semble  plus  èlre  redoutable.  Le 
libraire  Barrillot,  dont  le  séjour  se  prolonge  dans  les  Pays-Bas,  ne 
manque  pas  d'informer  Brossette  de  tout  ce  qu'il  apprend  à  ce 
sujet  comme  sur  tous  les  autres  points  qui  pouvaient  n'être  pas 
indifférents  au  savant  lyonnais.  C'est  à  ce  titre  que  nous  continuons 
à  reproduire  ici  la  plus  grande  partie  des  lettres  ainsi  échangées. 

A  Amsterdam,  ce  II  mai  1133. 
Divers  voyages  que  j'ai  faits  et  ensuite  l'occasion  de  me  trouver  avec 
le  libraire  de  La  Haye  et  celui  de  cette  ville  qui  ont  le  privilège  en  ces 
provinces  pour  le  Boileau,  sont  cause  que  je  n'ai  pas  répondu  comme 
je  le  devais  à  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire  le 
28  janvier  dernier.  La  nouvelle  que  j'ai  reçue  parle  dernier  courrier  de 
Paris  et  que  l'on  me  marque  que  vous  avez  eue  aussi  rompt  toutes  les 
mesures  que  nous  avions  prises  pour  la  réimpression  de  cet  ouvrage. 
On  me  dit  qu'on  va  le  mettre  sous  presse  avec  des  notes  de  MM.  da 


JEAIS-BAPT1STE    ROUSSEAU    ET    LENGLET    DU    FRESNOY.  575 

Valincourt  et  Renaudot,  que  votre  commentaire  est  totalement  supprimé 
et  que  Ton  se  sert  du  texte  tel  que  M.  Renaudot  Ta  donné  peu  de  temps 
après  la  mort  de  M.  Despréaux;  que  le  privilège  a  clé  obtenu  sous 
l'approbation  de  M.  de  Fontenelle.  On  ne  me  dit  point  qui  est  le  libraire 
qui  fait  cette  entreprise,  mais  on  m'en  dit  assez  pour  me  faire  voir  qu'il 
ne  pense  pas  sur  votre  compte  avec  le  respect  qui  vous  est  dû.  Je  ne 
présume  pas  que  Ton  permette  l'impression  d'une  préface  où  vous 
serez  insulté.  J'ai  de  violents  soupçons  que  l'abbé  [d'Oiivct],  dont  vous 
avez  juste  sujet  de  vous  plaindre,  a  beaucoup  de  part  à  tout  cela. 

C'est  très  certainement  M.  Le  Clerc  d'ici  qui  est  auteur  des  additions 
faites  à  vos  notes  dans  l'édition  de  1718.  Non  seulement  le  fait  nous  fut 
écrit  dans  le  temps,  mais  les  libraires  me  l'ont  depuis  assuré.  Quoique 
j'aie  vu  ce  monsieur,  son  état  ne  permet  pas  de  lui  en  parler,  et  il  ne 
serait  pas  nécessaire,  vu  que  la  chose  est  bien  certaine. 

Ce  n'est  point  un  libraire  qui  fait  faire  l'édition  du  Régnier  de  l'abbé 
Lenglet,  mais  celui-ci  la  faisait  faire  pour  son  compte  chez  un  nommé 
Oléander  qui  n'est  qu'imprimeur  seulement  et  qui  a  la  plus  considérable 
imprimerie  qu'il  y  ait  dans  ces  provinces.  J'ai  vu  de  cet  ouvrage 
jusqu'à  la  feuille  M.  C'est  tout  ce  qu'il  y  en  a  de  fait.  Les  vignettes  à 
l'entour  des  pages  sont  imprimées  en  rouge;  c'est  un  goût  particulier. 
La  dédicace  sous  votre  nom,  monsieur,  contient  trois  feuilles  ;  il  y  a  des 
notes.  Je  n'ai  pu  en  obtenir  un  exemplaire;  elle  me  fut  prêtée  pour  en  faire 
lecture.  Je  le  fis  copier  de  diverses  mains  pour  être  en  état  de  la  rendre 
au  moment  qu'on  viendrait  me  la  demander,  ce  qui  arriva  presque 
avant  que  la  copie  fût  achevée  ;  telle  qu'elle  est,  je  la  mettrai  clans  une 
balle  que  je  ferai  partir  cette  semaine  pour  notre  maison. 

L'ami  qui  souhaite  le  portrait  de  M.  Rousseau  est  le  sieur  Changuion 
qui  imprime  ses  œuvres.  II  me  charge  de  vous  assurer  de  ses  respects 
et  de  vous  remercier  de  la  complaisance  que  vous  avez  de  lui  commu- 
niquer ce  portrait.  Il  le  voudrait  in-4°  et  pour  le  graver  il  faut  que  le 
dessin  soit  en  camaïeu.  Vous  jugez  bien,  monsieur,  qu'il  veut  le  faire 
graver  pour  le  mettre  à  une  édition  in-4°  des  œuvres  de  son  auteur.  Le 
sieur  Le  Picart  n'a  jamais  excellé  pour  les  portraits,  mais  il  y  a 
en  ce  pays  le  sieur  Houbraken  qui  excelle  en  ce  genre  de  gravure, 
et  c'est  a,  lui  que  M.  Changuion  se  propose  de  faire  graver  le  portrait 
de  M.  Rousseau 

M.  Rousseau  a  fait  imprimer  ici  promptement  quatre  anciennes 
pièces  de  théâtre.  L'impression  en  fut  achevée  hier.  Il  en  a  demandé 
un  seul  exemplaire  par  la  poste  et  que  les  autres  ne  vissent  le  jour 
qu'avec  la  nouvelle  édition  de  ses  œuvres.  Ces  pièces  sont  le  Cid,  Don 
Japhet  d'Arménie,  la  Marianne  de  Tristan  et  V  Africain  de  Champmeslé. 
A  la  tête  de  chacune  de  ces  pièces  il  y  a  une  préface  modeste  sur  les 
changements  qu'il  y  a  faits  pour  les  mettre  au  goût  du  temps.  11  a 
retranché  dans  le  Cid  la  scène  de  l'Infante  et  ajouté  quatre  vers  qui  font 
une  liaison.  Je  m'attendais  de  trouver  dans  la  troisième  quelques  traits 
sur  le  Temple  du  goût,  mais  point  du  tout.  Il  donne  des  éloges  à  l'au- 


576  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA   FRANCE. 

teur  de  la  pièce  qui  a  eu  la  sagesse  de  ne  point  faire  entrer  d'incidents 
étrangers  dans  un  sujet  aussi  rempli  et  que  Josèphe  a  si  bien  décrit 
qu'il  n'y  avait  qu'à  le  suivre;  que  le  malheur  de  noire  langue  fait  que 
cette  pièce  excellente  de  Tristan  n'est  plus  goûtée,  qu'il  la  rend  au  public 
dans  le  goût  présent,  qu'il  lui  en  a  fort  peu  coûté  pour  cela,  165  vers 
et  quelques  légers  changements.  11  m'a  paru  que  cette  tragédie  de 
Marianne  retouchée  faisait  tomber  celle  de  Voltaire  et  c'est  savoir  se 
venger  d'un  ennemi.  Je  ne  vous  parle  point  d'une  chanson  et  d'une 
épigramme  sur  le  Temple  du  goût;  vous  les  verrez  imprimées.  M.  Rous- 
seau ne  fera  pas  le  voyage  de  Vienne  ;  il  est  à  Enghien  où  je  Tirai  voir 
avec  son  libraire. 

Je  compte,  monsieur,  que  ce  qui  se  passe  à  Paris  au  sujet  du  Boileau 
ne  vous  dégoûtera  pas  du  travail.  J'écris  aujourd'hui  à  celui  qui  m*a 
donné  l'avis  que  l'ouvrage  qu'on  fait  à  Paris  ne  nous  détourne  point 
de  réimprimer  ce  livre  avec  votre  commentaire;  que  le  grand  nombre 
d'exemplaires  qui  ont  été  vendus  tant  des  éditions  de  ce  pays  que  des 
nôtres  est  un  sûr  garant  pour  nous  de  la  bonté  du  commentaire,  que 
c'est  là  le  sentiment  des  libraires  d'ici  comme  c'est  le  nôtre.  Il  s'est 
effectivement  vendu  plus  de  vingt  mille  de  ces  commentaires.  . 

A  Lyon,  ce  8  juillet  1733. 

...  Je  vous  remercie  bien  fort  du  soin  que  vous  avez  pris  de  faire 
copier  l'injurieuse  et  fausse  dédicace  que  l'abbé  Lenglet  avait  osé  faire 
imprimer  sous  mon  nom  à  la  tête  du  Régnier.  Vous  m'aviez  promis  de 
me  l'envoyer  dans  une  balle  de  livres  que  vous  deviez  faire  partir  inces- 
samment et  je  l'attends  avec  impatience  par  la  voie  de  M.  Fabri. 

Vous  pouvez  dire  à  M.  Changuion  que  je  vais  faire  travailler  à  la 
copie  du  portrait  de  M.  Rousseau  que  vous  m'avez  demandée  de  sa 
part.  On  n'a  pu  la  faire  jusqu'à  présent  parce  que  le  peintre  à  qui  j'ai 
donné  cette  commission  a  été  indisposé  assez  longtemps.  Le  portrait 
sera  en  camaïeu  blanc  et  noir  et  de  la  grandeur  d'un  volume  in-4% 
comme  vous  le  souhaitez.  Je  suis  charmé  d'employer  mon  ministère 
pour  faire  plaisir  à  M.  Changuion  et  je  vous  prie  de  lui  faire  bien  des 
amitiés  de  ma  part. 

11  serait  à  souhaiter,  monsieur,  que  vous  eussiez  pu  vous  arranger 
avec  les  libraires  de  Paris,  pour  l'impression  du  Boileau  en  participa- 
tion. Je  ne  sais  point  le  plan  qu'ils  ont  formé  ni  de  quelle  manière  ils 
l'exécuteront,  sans  emprunter  quelque  chose  de  mon  commentaire. 
Quoi  qu'il  en  soit,  il  y  aurait  bien  de  l'injustice  à  eux,  s'ils  prenaient 
occasion  de  me  maltraiter  dans  un  ouvrage  auquel  ni  eux  ni  personne 
au  monde  n'aurait  jamais  pensé  sans  moi.  Ayez  la  complaisance  de 
m'apprendre  plus  positivement  ce  que  vous  saurez  touchant  l'auteur 
ou  le  directeur  de  cette  entreprise. 

Il  y  a  longtemps  que  j'ai  écrit  à  M.  Rousseau  parce  que  le  loisir  et 
la  matière  m'ont  manqué.  J'espère  pourtant  de  justifier  bientôt  mon 


JEAN-BAPTISTE    ROUSSEAU    ET    LENGLET    DU    FRESNOY.  577 

silence  à  son  égard.  Si  vous  avez  occasion  de  le  voir  ou  de  lui  écrire, 
faites-lui  mention  des  sentiments  distingués  que  j'ai  pour  lui... 

Mais  brusquement  ce  calme  relatif  est  troublé  :  Lenglet,  quoique 
dépisté,  n'a  pas  renoncé  à  son  dessein;  il  essaie  une  dernière  fois 
de  le  mettre  à  exécution  et  le  bruit  de  pareilles  tentatives  arrive 
aux  oreilles  de  Brossette.  Vite  celui-ci  s'empresse  d'écrire  à  l'am- 
bassadeur du  roi  de  France  près  des  Etats  Généraux  de  Hollande, 
le  marquis  de  Fénelon,  le  propre  neveu  de  l'archevêque  de 
Cambrai,  pour  lui  dénoncer  ce  qui  se  préparc  et  lui  demander 
protection.  Les  diverses  pièces  de  cet  incident  nous  sont  encore 
parvenues  et  c'est  d'après  elles  qu'on  va  suivre  ci-dessous  la 
suite  de  ce  qui  advint  à  cette  occasion. 

A  Lyon,  ce  12  octobre  1133. 
Monseigneur,  rien  ne  peut  autoriser  la  liberté  que  je  prends  de  vous 
écrire  que  la  connaissance  que  j'ai  de  votre  générosité  et  surtout  de 
l'amour  que  vous  avez  pour  la  justice.  J'espère  que  Votre  Excellence 
ne  me  refusera  pas  sa  protection  dans  une  affaire  qui  intéresse  mon 
honneur.  J'apprends  par  plusieurs  lettres  d'Amsterdam  qu'on  achève 
actuellement  à  La  Haye,  chez  Oléander,  l'impression  d'un  livre  dans 
lequel  je  suis,  dit-on,  fort  maltraité  sans  que  j'aie  jamais  rien  fait  qui 
ait  pu  m'attirer  cette  injure,  et  Votre  Excellence  en  pourra  juger  par 
le  récit  au  vrai  que  je  vais  lui  faire.  Il  y  a  quinze  ou  seize  ans  que  je 
fis  imprimer  les  œuvres  de  feu  M.  Boileau-Despréaux  avec  des  éclair- 
cissements historiques  qui  m'avaient  été  donnés  par  lui-même,  dans 
la  liaison  intime  que  j'avais  eue  avec  ce  célèbre  écrivain  pendant  les 
quinze  dernières  années  de  sa  vie.  Il  m'avait  exhorté  plusieurs  fois  à 
donner  de  semblables  éclaircissements  sur  les  ouvrages  d'un  autre 
poète,  dont  il  faisait  grand  cas  pour  son  génie  et  qu'il  regardait  en 
quelque-façon  comme  son  maître  :  c'est  Régnier.  Je  dérobai  donc  quel- 
ques moments  à  des  occupations  beaucoup  plus  sérieuses  pour  faire 
des  remarques  purement  historiques  sur  cet  ancien  poète.  J'avais 
presque  oublié  cet  amusement  de  ma  jeunesse  lorsque,  des  libraires  de 
Paris  me  l'ayant  demande  longtemps  après,  je  le  leur  abandonnai  et 
ils  le  firent  imprimer  à  Londres  en  1729.  Ce  livre  a  excité  la  cupidité 
d'un  écrivain  français,  accoutumé  à  ne  vivre  que  de  rapine.  L'abbé 
Lenglet  du  Fresnoy,  plus  décrié  encore  par  ses  mœurs  que  par  ses 
écrits,  s'est  emparé  du  Régnier  et  de  mon  commentaire  et  y  a  ajouté 
tout  ce  que  la  satire  la  plus  indiscrète  et  l'obscénité  la  plus  grossière 
ont  pu  lui  inspirer,  et  il  a  l'audace  de  faire  passer  sous  mon  nom  toutes 
ces  infamies  dans  le  public.  11  me  serait  difficile,  monseigneur,  d'ex- 
primer à  Votre  Excellence  la  surprise  et  la  douleur  dont  j'ai  été  frappé 
en  apprenant  cette  nouvelle,  moi  qui  n'ai  jamais  vu  ni  connu  cet 
abbé  et  qui  n'ai  jamais  eu  ni  de  près  ni  de  loin  aucune  relation  avec 


578  REVUE  D  HISTOUtE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

lui.  Mais  ce  qui  est  beaucoup  plus  étonnant  c'est  qu'il  avait  mis  à  la 
tête  de  ce  livre  une  épîlre  satirique,  en  forme  de  dédicace,  adressée 
à  M.  Rousseau,  où,  se  servant  de  mon  nom  et  me  faisant  parler,  il 
disait  à  M.  Rousseau  lui-même  avec  qui  il  est  brouillé  les  choses 
les  plus  outrageantes.  Al.  Rousseau  m'avait  mandé  de  Bruxelles,  dès 
le  commencement  de  Tannée  1731,  que  cette  fausse  épilre  dédica- 
toirc  était  destinée  par  l'abbé  Lenglet  pour  paraître  dans  une  édition, 
qu'il  faisait  faire  à  Bruxelles  ou  en  Hollande,  des  œuvres  de  Marot 
avec  des  notes,  en  quatre  volumes  in-4°,  sous  le  nom  supposé  du  che- 
volier  de  Gordon  de  Percel.  M.  Rousseau  eut  assez  de  crédit  auprès  de 
MM.  des  États  Généraux  pour  faire  supprimer  ce  libelle,  et  je  crois 
même  que  Votre  Excellence  voulut  bien  employer  son  autorité  pour 
cette  suppression.  L'abbé  Lenglet,  voyant  son  projet  avorté,  ne  voulut 
pas  néanmoins  perdre  le  fruit  de  sa  vengeance  et  il  forma  le  dessein 
de  transporter  son  épître  satirique  dans  son  édition  de  Régnier.  M.  de 
Lasseré,  qui  sans  doute  ne  vous  est  pas  inconnu,  ayant  lu  cette  satire 
à  Paris,  chez  M.  le  Grand  Prieur  de  France,  en  fut  extrêmement 
indigné;  il  m'en  écrivit  d'abord  et  fit  ensuite  valoir  son  crédit  auprès 
de  M.  Hérault,  lieutenant  général  de  police,  pour  prévenir  la  supposi- 
tion calomnieuse  que  cet  imposteur  me  préparait.  M.  Hérault  le  fît 
venir  devant  lui  et  après  une  sévère  réprimande  il  lui  défendit  de  faire 
paraître  ce  libelle  et  l'obligea  de  m'écrire  une  lettre  d'excuse  et  de  répa- 
ration, laquelle  me  fut  envoyée  par  ce  magistrat.  On  arrêta  en  même 
temps  à  La  Haye,  chez  Oléander,  l'impression  de  Régnier  et  des  remar- 
ques. Mais  j'apprends  aujourd'hui  que  l'on  vient  de  reprendre  cette 
malheureuse  édition  et  qu'elle  doit  bientôt  être  publiée,  si  Votre  Excel- 
lence n'a  la  bonté  de  l'empêcher.  Que  l'abbé  Lenglet  remplisse  mes  notes 
de  toutes  les  inutilités  qu'il  voudra,  à  la  bonne  heure,  pourvu  qu'il  n'y 
mette  rien  de  contraire  à  la  religion  et  à  la  pudeur.  Mais  qu'il  se  serve 
de  mon  canevas  et  qu'il  abuse  de  mon  nom  même,  non  seulement  pour 
me  déshonorer,  mais  encore  po.ir  publier  des  ordures  insupportables, 
voilà  ce  qui  m'oblige,  monseigneur,  à  vous  porter  mes  vives  el  respec- 
tueuses plaintes.  La  liberté  avec  laquelle  je  m'adresse  en  droiture  à 
Votre  Excellence  est  une  preuve  de  la  confiance  plénière  que  j'ai  en 
votre  bonté.  Je  suis  persuadé  que  le  neveu  du  grand  Fénelon  ne  refu- 
sera jamais  ses  bons  offices  à  un  homme  de  lettres  qui  se  pique  de  la 
plus  exacte  probité  et  qui  se  voit  cruellement  outragé  sans  aucun  sujet. 
Voilà  les  titres  sous  lesquels  j'ose  implorer  votre  protection.  Je  suis 
avec  un  très  profond  respect,  monseigneur,  etc. 

Presque  en  même  temps,  Brossette  se  hâtait  également  de 
mettre  Rousseau  au  courant  de  ce  qu'il  avait  appris  et  de  ce  qu'il 
avait  fait.  Mais  Rousseau,  occupé  sans  doute  a  des  adversaires 
plus  dignes  de  lui  —  ses  démêlés  avec  Voltaire  étaient  fortement 
engagés,  —  et  persévérant  dans  l'attitude  hautaine  qu'il  avait  prise 


JEAN-BAPTISTE    ROUSSEAU    ET    LENGLET    DU    FRESNOY.  579 

à  Tégard  de  Lenglet,  ne  parut  pas  se  soucier  beaucoup  de  la 
recrudescence  des  méchancetés  d'un  ennemi  qu'il  méprisait  à  bon 
droit. 

A  Lyon,  ce  1?  octobre  1733. 

Il  y  a  longtemps  que  je  vous  ai  déclaré,  monsieur,  que  quand  je  ne 
serais  pas  exact  à  vous  écrire  ce  serait  parce  que  le  loisir  ou  la  matière 
me  manqueraient.  Quoique  je  n'aie  pas  encore  aujourd'hui  beaucoup 
de  l'un  ni  de  l'autre,  je  ne  laisse  pas  de  rompre  un  silence  dont  je 
serais  bien  honteux  si  j'en  étais  absolument  coupable.  On  n'a  pas 
manqué  de  vous  faire  savoir  que  Ton  a  repris  à  La  Haye  chez  Oléander 
l'impression  qui  avait  été  interrompue  du  Régnier  de  l'abbé  Lenglet,  et 
que  malgré  vos  précautions  et  les  miennes  cette  malheureuse  édition 
sera  incessamment  livrée  au  public.  On  me  fait  pourtant  espérer  que 
l'épitre  satirique  qui  était  destinée  à  nous  déshonorer,  vous  et  moi, 
sera  totalement  supprimée.  Au  surplus,  je  compte  bien  que  nous  ne 
serons  pas  épargnés  dans  les  notes.  A  la  réception  de  cette  nouvelle, 
j'ai  fait  une  dernière  tentative,  sur  le  succès  de  laquelle  je  ne  compte 
pas  infiniment.  J'ai  écrit  une  grande  lettre  à  M.  le  marquis  de  Fénelon, 
ambassadeur  de  France  à  La  Haye,  pour  supplier  Son  Excellence  de 
prévenir  une  injustice  aussi  cruelle  que  celle-là.  J'ai  écrit  aussi  à  mêmes 
fins  à  M.  de  La  Ville,  homme  de  lettres  et  homme  de  mérite,  à  ce 
qu'on  dit;  et  quoique  je  n'aie  point  l'honneur  d'être  connu  dans  celte 
cour,  j'espère  du  moins  que  l'amour  de  la  justice  sera  assez  fort  pour 
exciter  leur  compassion  ou  leur  ministère.  Comme  vous  êtes  plus  à 
portée  que  moi  de  savoir  ce  qui  se  passe  à  ce  sujet,  je  vous  prie,  mon- 
sieur, de  m'en  informer.  Faites-moi  savoir  aussi  en  quel  état  est  la 
nouvelle  édition  de  vos  œuvres,  à  laquelle  vous  m'avez  dit  qu'on  tra- 
vaillait. On  m'a  écrit  depuis  longtemps  que  vous  aviez  fait  imprimer  à 
Amsterdam  quatre  anciennes  pièces  de  théâtre  que  vous  aviez  retou- 
chées pour  les  mettre  au  goût  du  temps.  Parmi  ces  quatre  pièces,  il  y 
en  a  une  que  je  ne  connais  point  :  c'est  T Africain  de  Champmeslé.  A 
l'égard  de  la  Marianne  de  Tristan,  cette  excellente  tragédie  méritait 
bien  les  soins  que  vous  avez  pris  pour  la  renouveler.  Ces  changements 
feront  infailliblement  tomber  celle  de  Voltaire,  qui  est  trop  chargée 
d'incidents  étrangers,  et  voilà  sans  doute  la  plus  noble  vengeance  que 
vous  pouviez  prendre  de  l'extravagante  production  qu'il  a  donnée  sous 
le  nom  de  Temple  du  goût,  ouvrage  sifflé  de  toute  la  terre  et  par  lequel 
il  a  trouvé  le  secret  de  se  déshonorer  le  reste  de  ses  jours... 

M.  Titon  du  Tillet  m'a  envoyé  la  dernière  édition  de  son  Parnasse 
français,  où  vous  avez  une  place  honorable.  C'est  grand  dommage 
qu'un  livre  si  bien  conditionne  soit  rempli  de  fautes. 

Je  crois  vous  avoir  mandé  que  j'avais  procuré  à  la  ville  de  Lyon  la 
donation  d'une  bibliothèque  considérable,  pour  être  rendue  publique 
après  la  mort  du  donateur.  Cette  mort  est  arrivée  depuis  le  mois  de 
février  dernier,  et  comme  j'avais  été  nommé  bibliothécaire,  j'ai  employé 


580  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

une  partie  de  l'été  à  disposer  et  à  ranger  les  livres,  de  sorte  que  la 
bibliothèque  sera  ouverte  au  public  après  la  Saint-Martin.  J'y  ai  fait 
placer  le  portrait  du  fondateur  avec  une  inscription  dont  vous  approu- 
verez du  moins  la  simplicité... 

Le  marquis  de  Fénelon  ne  répondit  pas  à  Bros  set  te,  mais  son 
secrétaire,  l'abbé  de  La  Ville,  un  diplomate  qui  se  piquait  d'aimer 
les  lettres  et  qui  fut  plus  tard  membre  de  l'Académie  française,  ne 
manqua  pas  de  tenir  l'érudit  lyonnais  au  courant  de  ce  qui  se  pas- 
sait en  Hollande.  Ce  sont  les  réponses  mêmes  de  l'abbé  de  La  Ville 
qui  vont  nous  servir  à  marquer  la  suite  des  faits. 

A  la  Haye,  le  22  octobre  1733. 

Monsieur,  je  reçus  avant-hier  la  lettre  dont  vous  m'avez  honoré  et 
S.  E.  M.  l'ambassadeur  reçut  en  même  temps  celle  que  vous  lui  avez 
écrite  au  sujet  de  la  nouvelle  édition  qui  se  fait  actuellement  ici  des 
œuvres  du  poète  Régnier.  Rien  n'est  plus  juste  et  plus  digne  de  votre 
probité  et  de  vos  talents,  monsieur,  que  le  désir  que  vous  avez  que  votre 
nom  ne  se  trouve  point  à  la  tête  d'un  livre  aussi  scandaleux  que  celui 
qu'on  se  prépare  ici  adonner  au  public.  Il  n'est  rien  que  je  ne  voulusse 
faire  pour  seconder  vos  bonnesintentionsà  cet  égard,  mais  vous  jugerez 
que  je  ne  puis  rien  ici  par  moi-même  et  que  ce  n'est  que  de  la  protection 
de  M.  l'ambassadeur  que  vous  pouvez  attendre  ce  que  vous  souhaitez.  Je 
me  serais  fait  un  plaisir  et  un  devoir  de  joindre  mes  prières  à  votre 
sollicitation,  mais  je  dois  vous  dire  que  vous  n'avez  pas  eu  besoin 
d'un  second  intercesseur.  S.  E.  a  été  touchée  du  caractère  de  probité 
que  respire  la  lettre  que  vous  lui  avez  écrite  et  s'est  déterminée  volon- 
tiers d'elle-même  à  tenter  ce  qui  sera  faisable  pour  empêcher  ce  que 
vous  craignez.  Vous  serez  exactement  informé  de  ce  que  S.  E.  aura  juge 
à  propos  de  faire  pour  cela. 

Vous  ne  m'avez  point  marqué,  monsieur,  à  qui  j'ai  l'obligation  de 
m'avoir  indiqué  à  vous  comme  un  homme  à  qui  vous  pouviez  vous 
adresser  en  ce  pays-ci.  C'est  un  service  d'ami  dont  je  ne  pourrais  que 
savoir  beaucoup  de  gré  à  celui  qui  me  Ta  rendu.  La  connaissance  des 
personnes  de  votre  mérite  est  un  digne  objet  d'ambition  pour  moi 
et  je  connais  en  particulier  tout  le  prix  d'une  liaison  que  vous  me 
permettriez  d'avoir  avec  vous.  Je  commence  dès  aujourd'hui,  monsieur, 
à  profiler  avec  confiance  de  ce  que  vous  me  faites  l'honneur  de  m 'offrir 
à  cet  égard,  en  vous  suppliant  de  faire  mettre  au  bureau  de  la  poste  à 
Lyon  la  lettre  que  je  prends  la  liberté  de  joindre  ici.  Les  circonstances 
du  temps  font  craindre  que  le  passage  des  lettres  par  le  pays  bas  ne 
soit  peut-être  pas  dans  la  suite  aussi  libre  qu'il  l'a  été  jusqu'à  pré- 
sent. Si  de  mon  côté,  monsieur,  je  puis  vous  être  bon  à  quelque  chose 
dans  ce  pays-ci,  soyez  persuadé  que  je  recevrai  vos  commissions  avec 
plaisir  et  que  je  m'en  acquitterai  avec  tout  le  zèle  dont  je  suis  capable. 


JEAN-BAPTISTE    HOl'SSKAU    ET    LESGlET    DU    FftESNOV. 


581 


Je  suis  avec  une  très  grande  estime  et  une  parfaite  considtji\iLiunt 
monsieur,  votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur,  dk  La  Ville, 

P. -S.  —  Ma  lettre  ne  fut  point  rendue  à  la  poste  assez  à  temps  pour 
partir  hier  au  soir.  Ce  retardement  me  donne  l'occasion  de  voua 
informer  aujourd'hui  que  S-  E.  M.  l'ambassadeur  ayant  ordonné  qu'on 
cherchât  à  la  Haye  le  sieur  Oléander,  chez  qui  vous  croyez  qu'on 
imprime  le  Régnier,  on  n'a  point  trouvé  de  libraire  qui  portât  ce  nom. 
On  fera  encore  de  plus  exactes  perquisitions  el  S,  E.  parlera  certaine- 
ment avec  autorité  si  Ton  découvre  L'imprimeur  du  livre.  Voyez»  mon- 
sieur, si  on  ne  vous  a  peut-être  point  caché  à  dessein  le  nom  du  libraire 
qui  imprime  l'ouvrage  en  question,  ea  supposant  un  autre  libraire  qui 
n'existe  point,  au  moins  à  la  Haye, 
23  octobre  1733. 

A  Lyon,  ce  i2  novembre  $733. 

Monsieur,  j'étais  bien  persuadé  que  la  protection  de  S*  E,  Monsei- 
gneur l'ambassadeur  ne  me  serait  pas  refusée  puisqu*il  s'agissait  de 
me  rendre  justice  et  de  me  faire  du  bien,  et  les  vertus  de  ce  grand 
ministre  étaient  les  garants  de  ma  confiance*  Je  vous  prie,  monsieur, 
de  L'assurer  d'une  reconnaissance  aussi  vive  que  respectueuse  de  ma 
part,  et  d'obtenir  de  S.  E.  la  continuation  de  ses  bontés  pour  con- 
sommer la  grâce  que  j'ai  pris  la  liberté  de  lui  demander.  Il  est  vrai  que 
l'impression  des  œuvres  de  Régnier  se  fait  chez  Oléander,  mais  j'ai 
appris  depuis  que  cet  imprimeur  demeurait  à  Amsterdam  et  non  pas  à 
la  Haye,  et  je  sais  d'ailleurs  qu'il  a  la  plus  fameuse  imprimerie  de 
Hollande-  On  me  donne  avis  que  cet  ouvrage  est  presque  achevé  et 
qu'il  doit  paraître  non  pas  sous  le  nom  d'OIéander,  mais  sous  celui 
de  Jacob  Tonson,  Libraire  du  Lioi  el  du  Parlement  à  Londres,  Vous 
voyez,  monsieur,  qu'il  n  y  a  point  de  temps  a  perdre  pour  prévenir  l'in- 
jure qu'on  me  prépare  et  que  je  n'ai  aucunement  méritée.  C'est  un  de 
mes  amis  d'Amsterdam  qui  m'a  conseillé  de  m'adresser  a  vous  comme 
à  un  homme  obligeant,  olticieux,  aussi  distingué  par  son  esprit  que 
par  ses  rares  connaissances,  et  l'événement  me  fait  connaître  que  cet 
ami  n'a  rien  diL  qui  ne  soit  conforme  à  votre  caractère.  Je  vais  le 
remercier  de  L'occasion  qu'il  m'a  fournie  d'avoir  quelque  liaison  avec 
vous.  Je  regarde  cet  avantage  comme  une  bonne  fortune  et  je  riQ 
serai  point  content  si  je  ne  me  rends  digne  de  votre  amitié  par  mes 
services.  Je  le  suis  déjà  autant  que  je  le  puis  être  par  l'estime  particu- 
lière et  par  la  sincère  considération  avec  lesquelles  je  suis,  etc* 

A  La  Haye,  le  26  novembre  1133. 
Monsieur,  j'ai  reçu  la  lettre  dont  vous  m'avez  honoré  en  date  du  12 
de  ce  mois,  dans  le  temps  même  que  je  commençais  à  vous  écrire  pour 
vous  rendre  compte  du  succès  de  ce  que  vous  aviez  recommandé  a  ïa 
protection  de  M.  l'Ambassadeur.  Nous  avons  su  en  effet,  monsieur,  que 
l'imprimeur  Oléander   réside  à  Amsterdam  où  H  a  toutes  ses  presses 


Ht*.  o>tST.  Lirrin,  b£  la  Fi«am:i;  ,7r  Anh.}.  —  VII- 


38 


582 


REVUE    U  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    Fît 


et  on  n'a  pas  perdu  un  moment  pour  prévenir  l'insulte  qu'on  avait 
dessein  de  vous  faire.  M.  l'Ambassadeur  s'est  adressé  aux  magistrats 
d  Amsterdam, qui  ont  défendu  de  ia  manière  la  plus  précise  et  sous  peine 
de  leur  indignation  que  votre  nom  se  trouvât  dans  la  nouvelle  édition 
du  Régnier*  Voilà  tout  ce  que  les  magistrats  ont  voulu  faire  et  encor 
n'est-ce  que  par  considération  personnelle  pour  M,  l'Ambassadeur 
qu'ils  ont  donné  cette  défense,  qu'on  n'osera  certainement  point 
enfreindre,  L'autorité  est  ici  plus  respectée  que  nulle  autre  part.  Il  y  a 
donc  apparence  que  le  livre  paraîtra  tel  que  l'abbé  Lenglet  Ta  livré  aux 
libraires.  On  laisse  ici  une  grande  liberté  à  ia  librairie,  qui  est  une 
branebe  assez  principale  du  commerce  hollandais,  et  Ton  peut  dire  que 
celte  liberté  dégénère  souvent  en  licence;  mais  vous  pouvez  compter, 
monsieur,  que  votre  nom  ne  se  trouvera  point  dans  l'ëdtLion  dont  il 
s'agit.  Pour  plus  grande  précaution,  ne  pourriez- vous  pas  Taire  insérer 
dans  les  journaux  qui  s'impriment  en  France  que  vous  n'avez  nutlfi 
part  à  cette  nouvelle  édition  du  Régnier,  et  que  sur  des  plaintes  que 
vous  avez  faites  en  différentes  occasions  cuntre  l'abbé  Lenglet  qui 
s*obstine  à  vouloir  mêler  votre  nom  aux  infamies  qu'il  produit,  vous 
avez  toujours  obtenu  la  justice  qui  vous  était  due  et  que  récemment 
encore  MM.  les  magistrats  d'Amsterdam,  à  la  considération  de  M*  l'am- 
bassadeur de  France  en  Hollande,  ont  expressément  défendu  que  votre 
nom  se  trouvât  dans  l'édition  du  Régnier?  Pour  moi,  je  me  chargerais 
volontiers  de  faire  trouver  place  dans  les  journaux  qui  s'impriment 
en  Hollande  à  l'article  que  vous  voudriez  m'envoyer,  conçu  et  exprimé 
comme  vous  le  jugerez  à  propos.  Cette  précaution  à  prendre  prévien- 
drait le  public  et  sur  tout  ce  que  vous  ave/,  fait  pour  éviter  l'affront 
qu'on  prétendait  faire  à  votre  nom,  et  sur  ce  qu  on  devrait  juger  de  la 
probité  de  l'abbé  Lenglet,  s'il  réussissait  enlin  adonner  quelque  édition 
furtive  où  il  voulût  faire  croire  que  vous  auriez  eu  quelque  part.  Il  me 
semble  que  l'expédient  que  j'ai  l'honneur  de  vous  proposer  constaterait 
le  passé  et  fixerait  pour  l'avenir  le  jugement  public,  si  quelque  auteur 
sans  probité  entreprenait  de  lui  en  imposer  aux  dépens  de  votre  bon* 
neur.  Vous  en  jugerez,  monsieur,  et  si  vous  me  croyez  bon  à  quelque 
chose,  honorez-moi  de  vos  ordres  :  je  les  exécuterai  par  préférence  et 
avec  tout  le  zèle  et  l'attention  possibles. 

Je  vous  dois  bien  des  remerciements,  monsieur,  pour  la  bonté  que 
vous  avez  eue  de  faire  mettre  a  la  poste  la  lettre  que  j'avais  pris  la 
liberté  de  vous  adresser  pour  M.  Dujardin. 

Je  n'ai  garde,  monsieur,  d'avouer  la  ressemblance  du  portrait  que 
votre  ami  d'Amsterdam  a  eu  la  bonté  de  vous  faire  de  moi.  11  est  aisé 
de  juger  que  je  n'ai  pas  l'honneur  d'être  connu  de  lui.  Je  ne  puis  rue 
iinaltre  qu  a  l'idée  avangeuse  qu'il  vous  adonnée  de  mon  caractère 
naturellement  porté  à  faire  plaisir.  En  appliquant  surtout  mon  inclina- 
tion à  cet  égard  à  tout1  ce  qui  pourrait  vous  intéresser ,  soyez,  je  vous 
en  supplie,  bien  persuadé  que  cet  ami  si  obligeant  pour  moi  n'aurait 
pu  s'exprimer  trop  fortement.  Une  occasion  où  vous  voudriez  mettre 


JEAVIIÀPNSTE    ROUSSEAU    ET    LESGLET    DU    FRESHQT, 


583 


ma  bonne  volonté  à  l'épreuve  serait  un  service  dont  je  sentirais  tout 
le  prix  et  qui  exciterait  toute  ma  reconnaissance, 

Honorer- moi  de  votre  amitié,  monsieur;  il  nTest  rien  que  je  ne  vou- 
lusse faire  pour  la  mériter,  et  recevez  les  assurances  de  la  haute  estime 
et  du  respectueux  attachement  avec  lesquels  j*ai  l'honneur  d*ëtre, 
monsieur,  votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur,  dk  La  Ville. 

Mais  Lenglet  ne  s'avoua  pas  vaincu  par  toutes  les  difficultés 
qu'on  lui  suscitait  à  l'étranger.  Il  comprit  qu'il  aurait  plus  aisé- 
ment raison  en  France  même  de  Jean-Baptiste  Rousseau  qui  en 
était  banni,  puisqu'il  n'avait  pas  pu  en  venir  à  bout  au  delà  des 
frontières.  Et  peu  après  on  voyait  ce  fait  assez  extraordinaire  : 
un  libelle  qui  n'avait  pas  été  publié  en  Hollande  paraissant  en 
France»  avec  la  connivence  tacite  du  pouvoir,  dans  un  livre  clan- 
destin que  tout  le  monde  put  se  procurer.  En  173i,  Lenglet  du 
Fresnoy  mettait  au  jour  une  de  ces  compilations  dont  il  était  cou- 
tumier  et  qu'il  préparait,  d'ordinaire,  durant  ses  séjours  à  la  Bas- 
tille. Celle-ci  était  intitulée  De  l'usage  des  romans,  ou  ton  fait  voir 
leur  utilité  et  leurs  différente  caractères^  aveu  une  bibliothèque  dei 
romans,  accompagnée  de  remarques  critiques  sur  leur  choix  et  leurs 
édition*,  par  le  chevalier  Gordon  de  Percel.  Bien  que  le  titre  de 
l'ouvrage  portât  qu'il  avait  été  publié  à  Amsterdam,  chez  ta  veuve 
de  Paîtras,  à  la  vérité  sans  fard,  il  sortait  des  presses  d'un  impri- 
meur rouennais.  Enfin,  par  une  dernière  méchanceté  imprévue, 
le   premier  volume  de  cet  ouvrage  était  terminé  par  des  Pièces 
cwrim$e&  BUT  te  poète  Rousseau  supprimées  en  Hollande.  Lengh-I 
n'avait  pas  voulu  garder  pour  lui  seul  une  mauvaise  action  si 
savamment  préparée  et,  en  dépit  de  tous  les  tracas  qu'on  avait  pu 
lui  provoquer,  il  avait  réussi  à  faire  part  de  son  libelle  au  public. 
C'était  d'abord  un  avertissement  dans  lequel  il  contait  les  choses  à 
sa  façon;  puis  la  fameuse  Epitre  dédicataire  de  la  nouvelle  édition 
des  poésies  de  Régnier,  qui  n'avait  pu  voir  le  jour  en  Hollande  et 
qui  était  dédiée  à  AL  Rousseau,  le  modèle  des  poètes  satiriques  fran- 
çais; enfin  une  lettre  au  marquis  de  Fénelon  pour  essayer  de  le 
gagner  à  la  cause  si  peu  défendable  du  libelliste.  Et  voilà  com- 
ment, par  une  persévérance  digne  d'un  meilleur  objet,  Lenglet  du 
Fresnoy  était  parvenu  à  imprimer  en  France,  terre  du   pouvoir 
absolu,  ce  que  la  Hollande,  terre  classique  de  la  liberté  d'écrire, 
n'avait  pas  voulu  tolérer,  II  est  vrai  que,  cette  fois-ci,  le  nom  de 
Brossette  n'était  pas  prononcé  et  rien  n'indiquait  que  l'auteur  ano- 
nyme voulût  lui  prêter  la  responsabilité  de  son  œuvre,  Rousseau 
demeurait  la  seule  victime  de  celui  qui  n'avait  pas  désarmé  à  son 


584  REVUE    D*HIST0IHK    LITTÉRAIRE   l>E    LA    FRANCK. 

égard,  Brosselle  n'avait  donc  plus  qu'un  intérêt  relatif  à  la  manière 
dont  les  choses  salaient  passées,  et,  s'il  s'en  informe,  c'est  plus 
encore  par  curiosité  que  par  appréhension  d'une  malice  contre 
laquelle  il  n'était  pas  désarmé* 

A  Paris,  ce  2  février  1191. 

Monsieur,  avant  mon  départ  de  Hollande  j'appris  la  suppression  du 
Régnier.  Je  jugeai  bien  que  c'était  sur  votre  réquisition.  J'en  fis  part 
à  M.  Rousseau  à  Bruxelles  où  j'ai  fait  quelque  séjour*  Ce  monsieur  me 
chargea  de  vous  assurer  de  sa  considération  la  plus  parfaite  et  de 
vous  prier  de  l'excuser  s'il  ne  vous  écrivait  pas,  parce  que,  dit* il,  son 
amour  pour  sa  patrie  qui  ne  s'éteindra  qu'avec  m  vie  Pavait  rendu  suspect 
au  gouvernement  ;  que  ton  ouvrait  toutes  ses  lettres  et  quit  aimait  mieux 
te  priver  des  correspondances  qui  lut  faisaient  te  plus  de  plaisir  plutôt 
que  si  que  se$  lettres  fussent  ouvertes.  It  envoya  en  nia  présence 

à  son  libraire  de  Hollande  le  reste  des  pièces  qu'il  ajoute  à  la  nouvelle 
édition  de  ses  œuvres,  qui,  avec  le  volume  contenant  les  ancienne* 
pièces  de  théâtre  qu'il  a  fait  réimprimer  et  dont  j'ai  eu  l'honneur  de 
vous  parlerl  feront  cinq  volumes. 

L'abbé  ne  pouvant  parvenir  à  faire  imprimer  en  Hollande  son  infâme 
épitre,  vient  de  la  faire  imprimer  en  ce  pays,  11  a  composé  un  ouvrage 
satirique  sous  le  titre  de  Uthiiothèque  des  romans,  qu'il  a  fait  imprimer 
secrètement,  je  crois,  à  Rouen.  Une  personne  de  mérite  et  qui  est  en 
place  m'a  dit,  il  y  a  deux  jours,  l'avoir  lu  et  avoir  été  choquée  d'y 
trouver  à  la  fin  le  libelle  qu'il  avait  destiné  pour  être  à  la  tête  du 
Régnier.  Ce  livre  est  encore  si  rare  ici  que,  quelque  soin  que  je  me 
sois  donné  pour  le  trouver,  je  n'en  ai  pu  venir  à  bout.  Je  n'ai  même 
vu  que  la  personne  dont  je  viens  de  parler  qui  en  ait  connaissance,  11 
me  parait,  monsieur,  que  vous  ne  devez  pas  hésitera  rendre  publique 
la  condamnation  portée  contre  l'abbé  en  votre  faveur. 

On  donna  hier  la  quatrième  représentation  d'Adélaïde,  tragédie 
par  M,  de  Voltaire.  La  première  fut  sifflée.  Pendant  les  dix  jours  d'in- 
tervalle qu'il  y  a  eu  de  la  première  à  la  seconde  représentation,  il  y  a 
fait  des  changements  assez  heureux  pour  qu'elle  ait  été  applaudie, 
mais  non  au  point  de  la  faire  regarder  comme  une  pièce  a  se  soutenir 
longtemps*  L'auteur  n'a  pu  jouir  du  plaisir  de  voir  les  applaudis- 
sements. Il  s'est  si  fort  épuisé  à  raccommoder  sa  pièce  qu'il  en  e>l 
dangereusement  malade,  ce  qui»  joint  à  sa  mauvaise  constitution,  fait 
douter  de  sa  vie. 

Je  compte  d'être  ici  encore  une  quinzaine  de  jours.  Je  souhaite, 
monsieur,  que  vous  me  fournissiez  les  occasions  de  vous  y  obéir 
et  de  vous  témoigner  l'entier  dévouement  avec  lequel  j'ai  l'honneur 
d'être,  etc.     Barmllot. 

A  Paris,  ce  S  mars  mi. 

J'ai  reçu  dans  le  temps  la  letlre  que  vous  m'avex  fait  l'honneur  dfi 
m'écrire  le  8  du  passé.  Pour  y  répondre,  j'ai  voulu  voir  l'ouvrage  dont 


JEAPt-BAPTlSTE    TtOl/SSEÀU    ET    LESGLET    DU    FRE5NOY. 


585 


j'avais  eu  l'avantage  de  vous  parler.  Ce  livre,  mauvais  en  toutes  façons, 
n'est  pas  connu  dans  la  librairie*  Ce  n'est  qu'après  bien  de  la  peine 
que  j'en  ai  eu  un  exemplaire  par  le  canal  d'un  soldat  aux  gardée 
seulement  depuis  deux  jours.  À  la  fin  du  premier  tome  est  l'infAme 
épître  dont  vous  avez  eu  copie,  avec  des  notes  plus  amples  que  celles 
que  je  vous  ai  envoyées.  Elle  est  précédée  d'une  préface  historique  sur 
ce  qui  s  est  passé  en  Hollande  pour  la  suppression  et  où  tous  les  faits 
sont  faux.  A  la  suite  il  y  a  une  prétendue  lettre  écrite  à  M.  de  FéïielûD, 
ambassadeur  à  la  Haye,  que  je  nomme  prétendue,  étant  persuadé  que 
si  un  ministre  avait  reçu  pareille  lettre  et  que  r auteur  en  fût  connu, 
il  aurait  le  crédit  de  le  faire  enfermer.  Votre  nom,  monsieur,  est  retran- 
che de  Tépilre  qui  est  sous  les  lettres  initiales  M.  G.  D.  P.;  mais  le 
corps  de  cette  même  pièce  reste  sous  le  nom  du  commentateur  de 
Régnier,  Le  mauvais  ouvrage  où  ces  pièces  sont  annexées  est  en  deux 
volumes  d'environ  500  pages  chacun.  Le  premier  contient  V&$mgû  des 
romans,  le  second  le  Catalogue  des  romani  avec  des  notes  satiriques 
sur  quelques-uns  et  très  mal  écrites.  Il  a  été  imprimé  à  Rouen  chez 
Virel,  sous  le  nom  d'Amsterdam.  J'ai  vu  sur  la  Gazette  de  Hollande  cet 
ouvrage  annoncé  comme  imprimé  à  Amsterdam  :  c'est  pour  faire  passer 
l'édition  de  France.  Je  ne  crois  pas  qu'en  celte  ville- là  on  osât  imprimer 
ni  même  débiter  la  le  tire  à  M.  l 'Ambassadeur. 

Le  portrait  que  vous  avez  eu  la  bonté  de  faire,  monsieur,  n'est  par- 
venu à  M.  Changuion  qu'après  mon  départ  d'Amsterdam;  j'aurais  fort 
souhaité  de  le  voir  pour  la  ressemblance.  J'avouai  à  M.  Rousseau  que 
c'était  par  mon  ministère  que  vous  vous  étiez  prêté  à  faire  faire  une 
copie  de  celui  dont  vous  êtes  possesseur;  il  n'en  parut  point  fâché  et 
exigea  seulement  qu'on  ne  le  mît  que  dans  l'édition  în-4°  de  ses  œuvres 
que  Ton  prépare. 

Quoi  que  vous  puisse  écrire  l'abbé  [d'Olivel]  dont  vous  me  parlez, 
c'est  lui  qui  est  l'auteur  du  projet  pour  la  nouvelle  édition  du  Boileau; 
il  donnera  sous  le  nom  d'atHruides  notes  de  sa  façon.  Il  voulait  donner 
une  traduction  latine  de  ce  poète  faite  par  un  ancien  curé  de  cette 
ville,  nommé  M.  Godeau,  et  prétendait  que  dans  tous  les  colley,  s  .m 
s'en  servirait  par  préférence  aux  anciens  poètes  latins,  J'ai  parlé  à 
M.  Coignard  de  notre  dessein;  mais  celui  qui  est  possesseur  du  privi- 
lège est  trop  entêté.  Ainsi  il  faudra  que  nous  allions  notre  chemin  et 
que  nous  le  laissions.  L'édition  n'est  point  commencée,  et  si  ce  que 
Ton  me  dit  hier  est  confirmé,  elle  ne  le  sera  pus  encore,  savoir  qu'il  y 
avait  une  lettre  de  cachet  contre  l'abbé.  Il  n'y  a  rien  là  qui  surprenne  : 
depuis  longtemps  il  en  est  menacé;  je  n'ai  point  cherché  h  le  voir,  sa 
conduite  est  trop  décriée. 

J'ai  reçu  hier  une  lellre  de  Genève  qui  me  prive  encore  pour  quelque 
temps  du  plaisir  de  vous  voir  :  il  faut  que  je  passe  par  Dijon  où  je  ne 
ferai  cependant  que  trois  ou  quatre  jours  de  séjour,  et  me  rendrai  chez 
moi.  Je  partirai,  ail  plaît  au  Seigneur  Jeudi  prochain.  Je  vous  demande 
la  continuation  de  votre  bienveillance  et  je  vous  prie  d'être  toujours 


m 


REVUE    D'HISTOIRE    LÏTTtRAïBE    UE    LA    Fit  . 


persuadé  du  parfait  attachement  avec  lequel  je  suis,  monsieur,  Tôtrc 
1res  humble  et  1res  obéissant  serviteur,  Barri llot, 

Rousseau  ne  semble  pas  avoir  élé  sensible  outre  mesure  a  une 
nouvelle  dîsgrAce  du  sort  qu'il  avait  depuis  longtemps  prévue.  OU 
du  moins  sa  correspondance  avec  Brossetle  ne  conserve  aucune 
trace  des  sentiments  qu'il  put  ressentir  à  ce  sujet.  Vn  adversaire 
bien  plus  redoutable  que  Lenglet  lui  faisait  alors  une  guerre 
autrement  cruelle  et  il  était  de  ceux  qu'on  ne  saurait  paraître 
mépriser.  C'était  le  temps  où  les  hostilités  entre  Voltaire  et  h 
Baptiste  Rousseau  étaient  particulièrement  vives,  et  les  coups  se 
suivaient  d'assez  près  pour  ne  pas  laisser  trop  de  loisir  à  l'un 
comme  à  l'autre.  Au  restr,  peut-être  faudraït-il  voir  une  manœuvre 
de  Voltaire  dans  le  retour  offensif  de  Lenglet  contre  Rousseau, 
Celui-ci  ne  prit  pas  garde,  à  la  fin,  à  un  ennemi  qu'il  avait  méprisé 
des  le  début  :  il  réservait  toutes  ses  forces  contre  l'autre  et  encore 
ne  furent-elles  pas  suffisantes  pour  lui  assurer  la  victoire  dans  un 
débat  où  il  avait  certainement  eu  raison  à  l'origine.  Il  dédaigna 
donc  de  répondre  comme  il  l'aurait  pu  au  procédé  de  l'abbé  Len- 
glet et  laissa  le  public  juger  une  conduite  que  tous  les  honnêtes 
gens  ne  pouvaient  que  condamner.  Quant  à  Brossettc,  quoique 
désormais  hors  de  cause,  il  suivit  quelque  temps  d'un  œil  attentif 
les  faits  et  gestes  de  Lenglet  et  se  préparait  à  y  répondre,  le  cas 
échéant.  C'est  encore  Lasseré  qui  servit  d'intermédiaire,  dans  la 
circonstance,  et  il  ne  dépendit  pas  de  lui  qu'on  ne  tirât  de  l'abbé 
Lenglet  une  vengeance  exemplaire,  si  on  en  croit  la  lettre  qui  suit, 
pleine  d'une  colère  verbeuse. 

Au  Temple,  ce  17  mars  1734. 
Étant,  monsieur,  très  persuadé  que  ai  l'absence  ni  la  distance  des 
lieux  n'effacent  point  de  votre  cœur  ceux  qui  se  Nattent  d'en  mériter 
quelque  petite  portion,  c'est  à  ce  titre  qu'aujourd'hui  je  ne  fais  aucun 
doute  que  vous  ne  vouliez  bien  amicalement  prêter  la  main  pour  refréner 
l'atroce  calomnie  dont  Tannée  dernière  J 'infernal  prêtre  Lenglet,  U 
moi,  vous  aurait  affublé  envers  le  pauvre  illustre  infortuné  IL  Rousseau. 
Voici  le  fait  dont  il  s'agit.  Cet  exécrable  coquin,  au  mépris  du  blâme 
qu'il  a  subi  de  la  police,  après  quelque  laps  de  temps»  a  porté  sou 
libelle  à  Amsterdam,  que  les  magistrats  ont  trouvé  si  abominable,  qu'ils 
Tout  condamné  au  feu  et  mis  au  pilou.  Ce  diable  incarné,  sur  lequel 
l'ignominie  ne  fait  que  glisser,  a  changé  de  voie  en  portant  sa  maligne 
vue  sur  Rouen  où  l'imprimerie  de  Hollande  se  contrerait  ad  hh*fum%  et 
là,  sous  l'impression  de  la  veuve  Poilraz,  soi-disant  d'Amsterdam,  il 
a  mis  au  jour  un  livre  en  deux  volumes  ïn-8,  intitulé  CViûgû 
ftttf,  et  sous  ce  titre  illimité  pour  introduire  tout  ce  qu'il  veut  sur 


JEAN-BAPTISTE    ROUSSEAU    ET    L EN KL ET    DU    KRESNOV. 


587 


sa  pernicieuse  scène»  il  fait  triompher  la  fable  de  la  doctrine,  de  This- 
toire.  des  mœurs  et  de  la  religion.  Le  style  est  strident,  bien  tapé» 
léger,  ingénieux  et  disert  par-ci  par-là,  au  demeurant  per  fas  et  ne  fus. 
Enfin,  le  tiers  de  la  fin  du  premier  volume  contient  contre  Rousseau  Je 
plus  horrible  bordereau  de  scandale  que  tous  les  diables  aient  jamais 
pu  forger,  sous  le  nom  d' Éloge  kî&toriqite  tht  sieur  Housseau,  qu'il  intro- 
duit, ne  vous  en  déplaise,  sous  les  auspices  d'un  bel  avertissement  au 
lecteur  sous  les  yeux  duquel,  par  l'organe  du  mensonge,  son  idiome 
ordinaire,  se  gardant  bien  de  parler  de  l'aventure  qui  sur  votre  compte 
me  le  fit  traduire  h  la  police,  voulant  ridiculiser  son  monde  du  côté 
<k  Rousseau,  il  habille  à  sa  façon  un  l  nu  m  virât  entre  M.  le  duc  d'Àren- 
berg,  lui  et  moi,  dans  lequel,  comme  pouvez  bien  penser,  il  ne  fait  pas 
tomber  sur  lui  le  plus  mauvais  rôle.  Cette  belle  kyrielle  finit  par  une 
esquisse,  au  lieu  des  trois  Grâces,  des  trois  Furies  qui  doivent  berner 
Rousseau,  ce  qui  doit  être  et  paraître  incessamment  au  frontispice  du 
nouveau  Régnier,  et  en  propres  termes,  malgré  le  due  d'Arenberg, 
Rousseau  et  sa  séquelle.  Il  résulte  de  ce  fidèle  récit,  monsieur,  que  le 
livre  court  Paris  et  que  M.  Hérault  ne  Ta  su  qu'après  coup,  de  manière 
que  toutes  les  défenses  et  précautions  ne  servent  qu'à  renchérir  ce 
libelle  qui,  licencieux  et  aussi  effréné  qu'il  Test,  doit  tomber  de  lui- 
même.  Les  Jésuites  n'iront  pas  autrement  aux  accords  avec  l'auteur. 
Hier,  je  dînai  avec  deux  très  dignes  et  très  célèbres  en  littérature, 
Roullié  et  Brumoy,  Ces  deux  hommes  illustres  se  sont  depuis  peu 
chargés  du  Trévoux,  à  coup  sûr  au  grand  contentement  du  public,  et 
p&  trammnam}  ces  pèros  tous  frais  émoulus  de  la  lecture  de  ce  bel 
opuscule  de  Léviathan,  je  leur  aï  naïvement  conté  comme  quoi  jv>ur 
refréner  une  noirceur  à  laquelle  on  voulait  aous  votre  propre  et  privé 
nom  faire  prendre  faveur,  je  m'étais  tant  pour  vous  que  pour  la  vin- 
dicte publique  emporté  et  déchaîné  contre  cette  perversité,  à  l'effet  de 
quoi  même  j'en  avais  interpellé  votre  entremise  pour  faire  punir  un 
attentat  de  nature  si  perverse. 

A  présent,  monsieur,  ces  deux  révérends  veulent,  à  leur  7Wvou,i\ 
enfoncer  la  dent  sur  ce  damné  alambiqué.  A  cet  effet,  on  vous  prie! 
aussitôt  la  présente,  et  pour  acte  vraiment  de  justice  distributivc  et 
raison  bien  raisonnes,  mûrement  même  délibéré  tant  à  votre  égard 
qu  au  nôtre  et  à  celui  des  mordus  et  mordillonés  à  la  noire  pancarte, 
de  vouloir  bien  hic  et  nunc  envoyer  au  R.  P.  Brumoy,  au  collège  de 
Loiris-le-Grand,  une  copie  delà  lettre  qu'en  fr>rmed  amende  honorable 
M.  Hérault  avait  ordonné  au  monstre  Lenglet,  lassé  de  prêtrise,  de 
vous  écrire  en  réparation  du  crime  dont  il  avait  traîtreusement  voulu 
bistourner  votre  probité,  bonnes  mœurs  et  candeur  d'àme.  Les  révé- 
rends joignant  cette  lettre  au  tableau  qu'ils  disposent,  vous  sentez  bien 
que  ce  principal  coup  de  pinceau  rendra  l'ouvrage  parfait.  Comme 
dans  cette  occasion  M.  Hérault  se  constitua  le  facteur  de  la  lettre  et 
qu'il  ne  désirait  point,  tant  pour  vous  que  pour  l'exemple  public, 
qu'elle  fut  secrète,  je  puis  vous  assurer  qu'il  ne  sera  nullement  fâché 


REVCE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    Ll    FM>CK 


de  la  relire  dans  le  prochain  TrëvorLt  en  attendant  qu'on  poisse  déterrer 
ce  mignon  d'enfer,  tapi  sans  doute  actuellement  au  milieu  de  cent 
mille  diables  sous  la  chaleureuse  cotte  de  la  putride  Proserpine.  Mais 
la  plume  me  gagne  et  mon  diffus  vise  à  l'ennui  ;  il  faut  le  briser  par  le 
renouvellement  d  estime,  de  considération  et  d'attachement  sincère 
dont  vouti  est  dévoué,  monsieur,  votre  très  humble  et  très  obéissant 
serviteur,     de  Lasseîœ. 

Brossette  s'empressa  de  suivre  le  conseil  que  lui  donnait  Lass^ré. 
I!  écrivit  aussitôt,  le  26  et  le  30  mars  1134,  deux  lettres  au 
P.  Brumoy  pour  accompagner  la  copie  des  différentes  pièces  de 
son  démêlé  avec  Lenglet,  et  mettre  le  jésuite  au  courant  de  lout. 
Ces  lettres  sont  insérées  dans  le  recueil  manuscrit  de  la  biblio- 
thèque de  Chartres  <l  2i\2  et  20S),  mais  elles  ne  font  que  résumer 
des  épisodes  déjà  connus  des  lecteurs.  Le  P*  Brumoy  en  accusa 
réception  à  Brosse  lie  par  la  lettre  suivante,  mais  il  ne  fut  tiré 
aucun  parti  en  public  des  documents  ainsi  signalés. 

A  Paris,  Je  1  avril  11 
Monsieur,  j*ai  reçu  avec  bien  de  La  reconnaissance  les  papiers  que 
vons  m'avez  fait  l'honneur  de  m'envoyer.  Permettez-moi  de  vous  en 
remercier  au  nom  de  toute  notre  société  littéraire.  Nous  avons  vu  avec 
horreur  la  preuve  complète  des  noirceurs  d'un  homme  qui  se  dit 
prêtre  et  qui  a  le  front  de  se  jouer  de  la  probité,  de  la  religion»  des 
mœurs  de  la  république  littéraire  et  du  monde  entier.  Soyez  très  per- 
suadé» monsieur,  qu'il  rien  a  recueilli  d'autre  fruit  que  l'exécration 
honnêtes  gens  qui  connaissent  trop  la  différence  de  ce  galant 
homme  et  des  personnes  respectables  qu'il  attaque  avec  tant  d'impos- 
tures pour  être  dupes  de  ses  suppositions.  Vous  êtes  vengé  par  le 
public*  Ainsi  nous  n'avons  garde  de  vous  commettre  dans  l'usage  que 
vous  nous  permettez  de  faire  de  vos  mémoires.  Le  P.  Bougeant,  chargé 
de  l'extrait  du  livre,  ne  passera  point  les  bornes  que  vous  nous  pres- 
crivez. Vous  me  ferez  un  très  grand  plaisir,  monsieur,  de  me  faire  part 
de  votre  discours,  lorsque  vous  en  trouverez  l'occasion,  Le  sujet  était 
digne  de  la  justesse  de  votre  discernement  et  de  la  plume  qui  nous  a 
rendu  Despréaux  si  charmant.  Vous  n'aviez  pas  besoin  de  jeter  les 
yeux  sur  mes  faibles  réflexions  au  sujet  de  Sophocle.  Épargnez-moi 
éloges  que  je  ne  crois  mériter  que  du  coté  de  ma  bonne  volonté  en 
faveur  des  anciens  si  chéris  de  votre  illustre  ami  et  de  vous.  Le 
P.  Houille  est  forUensîble  à  l'honneur  de  votre  souvenir  et  il  me  prie  dfl 
vous  en  remercier*  Je  communiquerai  à  M.  de  Lasseré  ce  que  vous  avez 
bien  voulu  m'envoyer.  Je  lui  dois  des  actions  de  grâce  des  lettres  obli- 
geantes qu'il  m1  a  procurées  de  votre  part.  Je  vous  réitère  mes  remer- 
ciements et  je  suis  avec  une  estime  respectueuse,  monsieur,  votre  I 
humble  et  très  obéissant  serviteur,    Brumoy,  J. 


JEAN-BAPTISTE    ROUSSEAU    ET    LENGLET    Dl     FRESKOY. 


|*f 


Les  Mémoires  dr  Trévoux,  publiés  par  les  Jésuites,  ne  manquè- 
rent pas  de  signaler  l'ouvrage  dans  les  tenues  qui  convenaient  et 
ils  surent  être  sévères  à  l'égard  de  Fauteur  sans  être  injustes  et 
sans  provoquer  des  représailles  de  sa  part.  Ainsi  qu'on  vient  de  le 
voir,  c'est  le  P;  Bougeant  qui  avait  été  chargé  de  ce  compte  rendu, 
("«tait  un  jésuite  bel  esprit,  comme  la  compagnie  en  comptait  bon 
nombre  alors,  et  qui  s'attardait  volontiers  aux  discussions  oiseuses 
de  casuistique  littéraire.  Lui-même  essaya  de  dire  mieux  son  fait 
à  Lenglet  dans  un  roman  allégorique,  froid  et  prétentieux,  qui 
n'était  guère  propre  à  prolonger  la  querelle.  Pourtant  Lenglet, 
coulumier  de  semblable  palinodie  et  ennuyé  qu'on  le  reconnût 
pour  Fauteur  d'un  ouvrage  qu'il  n'avouait  pas,  se  mit  à  traiter 
dans  un  nouveau  livre  la  thèse  opposée  à  celle  qu'il  avait  exposée 
dans  le  précédent,  11  publia,  l'année  suivante,  un  volume  intitulé 
VHiatotre  justifiée  contre  les  Romans  ijui  ne  trompa  personne  et 
qui,  en  tout  cas,  ne  pouvait  pas  le  laver  des  reproches  qu'on  était 
si  fort  en  droit  de  lui  faire.  L'aventure  avait  commencé  par  une 
infamie  qui  n'avait  réussi  qu'à  moitié,  mais  les  gens  bien  informés 
n'ignoraient  pas  que  Dfil  insuccès  n'était  pas  son  faiL  Ceux  qui 
avaient  pu  suivre  d'assez  près  les  événements  pour  avoir  une  opi- 
nion a  leur  endroit  étaient  unanimes  à  condamner  l'abbé  Lenglet 
et  à  déclarer  ses  procédés  exécrables.  Il  importait  que  l'avenir 
put,  à  son  tour,  pièces  en  mains,  se  prononcer  sur  un  épisode  d'his- 
toire littéraire  qui  ne  manque  pas  d'être  instructif.  Il  me  semble 
que  le  dernier  mot  à  ce  sujet  est  la  réflexion  par  laquelle  l'avocat 
Marùs  terminait  une  de  ses  lettres  au  président  Boubier  :  «  Voilà 
une  indigne  action  qu'a  faite  Fabbé  Lenglet;  il  en  est  bien  capable, 
il  n'a  fait  que  des  trahisons  en  sa  vie;  celle-ci  est  d'un  nouveau 
genre  et  mérite  une  punition  exemplaire.  »  Et  quelle  punition  y 
a-L-il  de  plus  exemplaire  que  la  vérité  étalée  dans  toute  sa  nudité 
aux  yeux  de  la  postérité?  Quelle  condamnation  plus  ernelle  que 
celle  qui  résulte  des  faits  eux-mêmes  exposés  sans  haine,  comme 
ils  se  passèrent  jadis,  d'après  les  témoignages  les  plus  probants? 


Paul  Bûnnefon. 


5*0 


REVUE    n  HISTOIRE    UTTÉÎUIIU;    !>E    LA    FIANCE. 


ANTOINE   DE   GUEVARA 

SES  LECTEURS  ET  SES  IMITATEURS   FRANÇAIS 

AU   XVIe   SIECLE 


L'Espagnol  Antoine  de  Guevara,  d'abord  évèque  de  Guadix, 
puis  de  JMondonedo,  m  prescheur,  chroniqueur  et  conseiller  ■»  de 
l'empereur  Charles-Quint,  eut  peut-être  à  l'étranger  plus  de  lec- 
teurs que  dans  sa  patrie,  Il  est  vrai  qu *il  fut  surtout  connu  el 
goûté  par  des  traductions;  elles  se  multiplièrent  eu  Italie  et  nolain 
ment  en  France1,  attestant  le  succès  d'un  écrivain  qui  sous  la 
parure  du  style  était  cependant  un  penseur  médiocre»  un  conteur 
prolixe,  et  malgré  des  parties  originales  un  satiriste  assez  froid, 

Guevara  gagnerait  sans  doute  à  se  voir  replacé  dans  son  milieu 
historique,  dans  le  cadre  espagnol  d'où  sa  renommée  l'avait  fait 
sortir.  Ses  lettres  et  ses  traités  sur  la  cour  réclament  pour  être 
pleinement  compris  la  connaissance  des  événements,  des  mœurs, 
des  personnages,  de  la  vie  contemporaine  qui  en  fait  le  fond,  À 
prendre  ces  ouvrages  par  leur  coté  formel  et  littéraire,  on  se 
dégoûte  vite  de  la  facilité  des  lieux  communs,  de  l'emphase  et  de 
la  déclamation;  celte  impression  vous  fait  oublier  les  services 
rendus  par  l'écrivain  à  sa  langue  maternelle,  à  la  phrase  castil- 
lane à  laquelle  il  a  su  donner,  avec  quelques  autres  de  ses  con- 
temporains, le  nombre  et  l'abondance. 

Il  semble  que  les  défauts  de  Guevara  soient  devenus  plus  sen- 
sibles dans  la  traduction  :  ils  plurent  rependant  au  public  étranger 
qui  recherchait  moins  l'exactitude  historique  que  l'intérêt  moral. 
Ceux  mêmes  qui  chez  nous  pillèrent  l'auteur  espagnol,  n'y  regar- 
dèrent point  de  beaucoup  plus  près.  De  l'Espagne,  ils  retenaient  ce 
qui  leur  paraissait  convenir  à  la  France  Ils  généralisaient  la  pein- 
ture dont  ils  négligeaient  les  traits  particuliers  et  locaux  ;  méthode 
de  transposition  en  soi  légitime,  mais  dont  le  succès  est  en  raison 
de  la  valeur  de  l'ouvrage,  Or  Guevara  n'avait  pas  mis  dans  son 
observation  assez  d'humanité,  assez  de  vérité  supérieure  pour  que 
toute  une  époque  s'y  reconnut  au  vif.  Comment  donc  expliquer  sa 
fortune? 

t,  V.  dam  le  manuel  de  Brunet  une  bibliographie  de  ces  traductions  assez 
complète,  mats  confuse.  Cf.  la  bibliothèque  de  Lacroix  du  Maine  et  d'Ant.  Du 
Verdier  (arUeXe  Gotvaju}  ei  ttnyie  {Dkt.  hist.y 


AM01YE    DE    <a  I.VAIIA. 

Tout  d'abord  par  la  faveur  qui  s'attacha  rapidement  aux  traités 
de  morale  satirique,  aux  tableaux  de  la  société  et  particulièrement 

de  la  vie  de  cour.  Pour  ne  parler  que  de  la  proset  le  x\i"  siècle  vit 
éclore  sous  des  formes  diverses,  lettres  fictives,  dialogues,  récits, 
dissertations  didactiques,  toute  une  littérature  qui  en  Italie,  avant 
l'apparition  des  livres  de  Guevara,  avait  déjà  produit,  outre  les 
Azolani  de  Bemlio,  un  vrai  ehef-d  œuvre  :  le  Cortegiano  de  Casti- 
glione*.  Guevara  suivit  te  courant,  et  bénéficia  de  la  vogue.  Mais 
il  lit  plus  ;  à  la  morale  et  à  l'histoire  il  mêla  une  forte  dose  de 
pure  imagination  et  de  romanesque,  en  compilant  sa  fameuse  Hor- 
loge des  Princes,  la  vie  <*  dorée  »  de  Marc-Aurèle*,  que  les  huma- 
nistes se  gardèrent  de  prendre  au  sérieux,  mais  qui  séduisit  la 
foule  des  demi-lettrés  et  des  ignorants  *. 

Ce  fut  là  une  autre  cause  de  succès;  le  public  qui  se  délectait  au 
roman  de  chevalerie,  aux  Âfnadi$t  à  VOrlando  fvrio$o9  accueillit 
avec  empressement  le  roman  d%antiquîté  \  lecture  plus  <_rrave  en 
apparence,  mais  faite  aussi  pour  les  esprits  frivoles,  heureux  de 
s'instruire  sans  trop  s'ennuyer.  Guevara  leur  offrit  un  Maiv-Aurèlé 
plus  chrétien  que  stoïcien,  roi  débonnaire  plus  qu'empereur  phi- 
losophe, et  plus  sermonneur  que  politique.  Le  modèle  fut  aussi 
proposé  à  Charles-Quint,  mais  il  n'était  pas  laîllé  à  sa  mesure! 
Plus  que  les  princes,  les  faiseurs  de  récits  «  mémorables  et  prodi- 
gieux »,  comme  en  France  P.  Boaistuau,  Fr.  de  Belleforest  et  JL  de 
Marcouville,  tirèrent  parti  de  Vlfortoge.  C'est  ainsi  que  l'histoire 
dramatique  du  paysan  venu  des  bords  du  Danube,  apostrophant 
rudement  le  Sénat  romain,  fut  plusieurs  fois  traduite  dans  notre 
langue  auxvi*  siècle;  au  xvuc,  Cassandre  la  plaça  dans  ses  Parallèle* 


1.  Publié  pour  la  première  fois  en   IB28.  Les  Jellres  de  Guevara  et  ses   deux 

^ur  la  cour  partirent  en  4539. 

2,  Mareo  Attreli»  cnn  et  Itetot  de  princiftes*  VallaiîolhL  Nie.  Thierri,  1539,  ùi*r\ 
L'ouvrage  fut  traduit  en  français  et  amplifié  sous  le  titre  de  Lïr>  Mure- 
AurèU,  par  Item'  fkrUiaut,  sieur  de  Ja  Grise  :  Paris,  chez  Galliot  du  Prè,  1531, 
in  i  .  .Mi-Hic  traduction,  revue,  el  intitulée  :  L'oriage  des  Princes  çhej  Je  même, 
154(1,  in-f*.  Le  travail  de  BerthauL  fut  encore  revu  et  corrigé  par  Nicolas  de 
Merb^roy  des  Kssars,  mais  seulement  «  en  parUe  n  :  RUtoir*  tk  Mara~AurèUt 
empereur  romain,  rray  miroir  et  horloge  du  Princes*.^  chez  Pierre  et  GaJliot  du 
Pré,  1565h,  in-f".  (La  revision  de  des  Ëssars  avait  paru'  antérieure  m  ont  chez 
l'Àngelierj  en   ISS&)  Auîre  révision  de  Berthnul,  par  AnL  du  Moulin  :  Lyon,  chez 

"innés,  1557»  in-t<L  lirunet  compte  jusqu'à  seize  éditions  de  la  traduction 
française  du  Marco  Aurelio*  L'ouviagf  fut  aussi  traduit  en  italien  par  Fausto 
Longiano,  en  1546;  par  Mambrin  Ruseus,  en  154S  ;  d'après  Bayle). 

3.  Vi  tiayle,  DicL  hiM.  (article  Gluvaka),  et  Ticknor,  MU*  de  la  lit  t.  esp.,  trad 
Mrtgnabal,  t.  U,  "32  et  Sij 

4,  H  est  assez  plaisant  d'entendre  Guevara  protesLcr  contre  les  livres  de  cheva- 
lerie ;  •  Cfatl  compassion  de  voir  jours  et  nuicts  plusieurs  se  consommer  à  lire 
livres  vains,  comme  Gjglurs,  Lancetol,  Fierabras,  les  quatre  JUs  A)  mon,  Tristan.  • 
{lfofloget  discours  de  Tau  leur;  Lrao\  des  Essors.) 


SB3 


REVUE    P  HISTOIRE    UTTÉRAIHE    OE    LA    FRANCE. 


hiêtorigue**;   La    Fontaine    lui   donna    l'immortalité   en   faisant 
admirer  : 

...  le  grand  cœurt  le  bon  sens,  l'éloquence 
Du  sauvage  ainsi  prosterné. 

Hais  où  Guevara  avail-il  pris  le  récil?  peut-être  dans  un  recueil 
de  ranliquïlé  qui  se  sera  perdu.  Je  lui  attribuerais  plus  volontiers 
l'honneur  d'avoir  forgé  de  toutes  pièces  la  correspondance  de  Plu- 
larquc  el  de  Trajan  qui  figure  dans  Y  Horloge  et  dans  les  Epti 

Aussi  bien  le  roman  de  Marc-Âurèle  est  écrit  en  partie  dans  la 
forme  épistolaîrc,  et,  par  le  ton  sentencieux,  c'est  aussi  une  pre- 
mîî*re  épreuve  des  Episiùlûë  f ami  tiares  ^  celles-ci,  publiées  en  même 
temps  que  le  Menosprecio  de  corte  et  l'Aviso  deprùado*,  relevè- 
rent tévêque  de  Mondonedu  dans  l'esprit  des  honnêtes  gens.  Son 
érudition  y  fut  de  meilleur  aloi.  Il  inventa  moins,  citant  le* 
anciens  et  les  traduisant,  recueillant  des  maximes  chez  Cicéron  el 
Sénèque,  des  anecdotes  chez  Plutarque,  Àulu-Gelle  et  Diogène 
Laerle, 

11  accommoda  Platon  au  christianisme.  La  moisson  était  confuse 
et  mêlée;  il  n'en  fut  pas  moins  un  de  ceux  qui  introduisirent  dans 
la  littérature  moderne  l'esprit  de  l'antiquité.  Gomme  tel,  il  fut 
naturellement  accueilli  en  France,  où  cependant  les  précurseurs 
—  et  les  plus  brillants  —  ne  manquaient  pas.  On  lut  Guevara,  et 
«Mi  le  lut  en  français  avant  quWmyot  n'eût  donné  son  Plutarque  \ 
Si  à  partir  de  1559  l'oeuvre  <TAmyott  el  vers  la  fin  du  siècle  les 
Essais  de  Montaigne  exercèrent  sur  le  goût  français  une  influence 
prépondérante,  on  n'oublia  pas  aussi  vite  que  nous  serions  tentés 
de  le  croire,  les  premiers  ouvriers  de  la  Renaissance. 

Ayant  exprimé  dans  son  livre  le  suc  de  la  sagesse  antique  —  et 
s'y  étant  mis  aussi  lui-môme  avec  son  génie,  —  Montaigne  avait 
sans  doute  le  droit  de  marquer  en  passant  quelque  dédain  pour 
les  lettres  de  Guevara,  t<  desquelles  ceux  qui  les  ont  appelées 
Dorées,  faisoient  jugement  bien  autre  que  celuy  que  j'en  faya  ». 
Elles  avaient  cependant  servi  à  Montaigne,  avec  tant  d'au  1res 
livres  qu'il  lui    suffisait  «   de  feuilleter  »  \  mais  en  laissant  dea 

1,  V.  La  Fontaine,  édiL  des  Grands  Écrivains,  t.  01,  p.  I 

2,  A  ce  même  Plularque,  L'éditeur  joignit  la  Décade  des Empereurs,  traduite  de 
Guevara,  par  À,  Alajgre  (Paris*  Yascosan,  IW). 

3,  gfttit,  livre  I,  chap,  48;  édit,  Jouaust,  t.  II»  p.  255, 

i«  Cf.  P.  Bonnefon  :  Montaigne  et  ses  «mû,  t.  J,  p,  241  et  sq  ;  301  et  sq.  et  la 
Bibliothèque  de  Montaigne*  dans  cette  revue,  t.  Il,  p.  318  et  sq.  Les  deux  livres 
espagnol*,  dont  un  volume  des  Amadis,  qui  ont  appartenu  à  Montaigne,  laissent 
supposer  qui!  entendait  celte  langue;  mais  qu'il  ait  seulement  recouru  pour  Gue- 
vara à  la  traduction  française,  il  n'en  est  pas  moins  curieux  de  recueillir  les  tr 
de  sa  lecture. 


ANTOINE    DE    Gl'EVARA. 


503 


signets  aux  bons  endroits,  D'autres,  comme  Antoine  du  Verdier, 
y  puisèrent  à  pleines  mains,  Gucvara  ii*eut  donc  pas  seulement  en 
France  des  traducteurs;  il  eut  aussi  parmi  nos  écrivains  des  lec- 
teurs de  choix  et  même  de  simples  copiste 

Quant  aux  ouvrages  exclusivement  «  spirituels  »  de  Guev&ra, 
je  ne  les  ai  pas  compris  dans  cette  étude.  Le  Mont  du  Calvaire  a 
été  traduit  en  français  par  Bclleforest1;  Y  Oratoire  des  religieux 
par  Nicolas  Davy  *.  Textes  ou  traductions  ont-ils  eu  une  action  quel- 
conque sur  le  talent  de  nos  prédicateurs  et  de  nos  écrivains  mys- 
tiques? c'est  une  recherche  que  je  n'ai  pas  faite,  ayant  assez  pour 
m* occuper  de  la  littérature  profane  et  laïque. 

I.  —  Les  traités  siîr   «   la  Cour  »  de   Guevvra   et  lk  Courtisan 
retiré  de  Jean  de  la  Taille. 


Le  Menosprecio  de  corte  y  alahança  de  aidea  parut  en  1 53!)  avec 
['Aviso  de  prîvados  //  doctrina  de  corlesauos*.  Ces  deux  traités 
qui  se  complètent  furent  traduits  séparément  en  français,  le  pre- 
mier dès  1542  par  Antoine  Àlaigre1;  le  second,  en  1556  par  Jac- 
ques de  Rochemore,  et  intitulé  Le  favori  de  court**  Au  xvuu  siècle, 
Sébastien  Hardy  donna  une  nouvelle  traduction  de  l'Aviso  sous  le 
l  i  t  r  e  d  e  fk1  ve  il  te  -  m  a  fin  des  c  o  u  rt  isatis  *  • 


L.  IVinst  chez  Gervaïs  Maltol,  151ÎT  ïn-8°.  * 

&  Paris,  chez  fiuill    Ui an-ji- -iv,  1,"7&t  ïn-8°. 

3,  El  La  première  partie  des  Ept&iùhiA  fitmiliaret;  Valladolid,  in-T'.  Pour  les  deuat 
Irai  Lés,  je  citerai  l'édition  donnée  à  Alcala  de  |lenArc$,  15Î12,  in~S". 

■i.  A  Lyon,  chci  Pierre  de  Tours»  15*2  (d'après  Brunel).  ta  traduction  d'Alaigre 
porle  ce  titre  ;  Le  mespris  de  la  Court  avec  ta  vie  rtatique.  Elle  fat  publié*  ,i  l'iris 
un  154V,  par  GaJtiol  du  Pré,  qui  y  joignit  ht  parfaiçte  amue,  d'An  t.  lieroet;  VAmie 
de  Court,,  de  Borderic;  11  Contre- Amie  de  Court,  de  Ch.  Fontaine,  VÀndrotjyne  de 
Platon,  ■<  Lraduirt  de  latin  en  françoys  par  An  t.  Ueroei  »,  et  plusieurs  autres  pièces. 
Je  cite  une  autre  édïiîon  de  ce  reçue}],  donnée  &  Paris  chez  Jelian  Ruelle,  15*5, 
i n - 3 r.  (Bibl,  Mazarine),  11  y  eut  eu  moins  neul"  éditions  diverses  de  la  tradiKtimi 
d'Alaigre.  Lacroix  du  Maine  cite  une  autre  traduction  française,  de  Louis  Turquel, 
I  mut  nais  (1574);  rééditée  avec  traduction  italienne  en  regard,  chez  Jean  de  Tournes, 
Genève,  15ÏH  (d'après  Bru  net  ).  Du  Menosprecio  la  bibl.  Mazarine  possède  une 
traduction  hollandaise,  Anvers,  Vôl'i;  et  une  trad,  italienne,  Florence,  !GD1, 

S.  *  ♦«.  contenant  plusieurs  avt  rtissrmens  et  bonnes  doctrines,  pour  les  favoris 
des  Primes,  eL  iu|rea  seigneurs  et  gentilshommes  qui  hantent  la  Court,  Noutelie- 
ment  traduict  d'espaignol  en  François,  par  Jleqili  de  llochemore,  lieutenant 
parlïeuiter  en  la  Seneschauoeo  cl  sie^e  Presidïal  de  Beauoaire,  et  Niinet  en 
Languedoc.  «  Tel  est  le  Mire  de  la  2*  édit.t  1557,  Anvers,  Christ  Plan  lin  iliihl, 
NaL).  La  première  parut  à  Lyon  chez  Rnville,  1556*  Dans  Pépitre  dédicaloire,  le 
traducteur  s'excuse  de  son  languedocien;  il  ajoute  qu'il  a  suivi  le  leite  fidèlement. 
Je  relevé  terreur  de  BruneL  qui  donne  le  Favon  «omitic  la  traduction  du 

Menosprecio,  Bru  net  a  sans  doute  été  trompé  par  l'avis  au  lecteur  de  Sebastien 
Hardy,  qui  présente  à  tort  son  ftéveilte-Matin  comme  la  première  traduction  de 
l'Aviso, 

G.  -  ..,  ou  moyens  légitimes  pmir  parvenir  à  la  faveur  et  pour  sfy  maintenir  -. 
Parist  Rob.  tSslienuc,  (622  (Bibl,  NaL),  Hardy  a  pris  ce  titre  à  Guevara  qui,  ayant 


594 


REVUE    D  HISTÙIHK    LlTTÉRAlftE    NE    LA    FHASCE. 


Guevara  avait  sous  les  yeux,  quand  il  écrivit,  le  CorUgianû  de 
Castiglionf.  A-t-il  voulu  limiter*  comme  on  Fa  dil?  Précisons  ce 
poitiL  Gucvara  n'a  fait  ni  une  copie  ni  une  adaptation;  il  n'a  pas 
habillé  h  l'espagnole  le  brillant  seigneur  de  la  cour  d'Urbin;  le 
personnage  qu'à  son  tour  il  a  dessiné  en  est,  comme  nous  allons 
le  voir,  tout  différent  par  le  caractère  plus  encore  que  par  le 
costume. 

Et  «l'abord,  en  étalant  dans  le  Merwsprecio  les  misère-set  les  vices 
des  courtisans,  Guevara  a-t-il  pensé  réfuter  le  Cortegiano  ?  je 
n  oserais  l'affirmer;  dans  ce  cas,  il  se  serait  trompé  sur  les  inten- 
tions A>>  t  )  astiglione  et  sur  la  portée  de  son  œuvre.  Nos  satiristes 
français  sont  tombés  dans  cette  erreur.  En  montrant  aux  esprits 
cultivés  de  tous  pays,  et  a  ses  compatriotes  les  premiers,  l'idéal 
qu'il  avait  entrevu,  Caslîglione  n'avait  pas  prétendu  faire  1  apologie 
de  toutes  les  cours,  ni  même  de  la  cour  en  général;  il  n'avait 
point  à  dissimuler,  pas  plus  qu'il  n'était  obligé  d'étaler  la  laideur 
d'une  réalité  qui  n'était  pas  son  objet.  Le  nom  même  de  courti- 
san, du  moins  au  sens  français,  ne  convenait  pas  à  l'honnête 
homme  indépendant  qu'il  mettait  en  scène  et  qui  était  plutôt  l'égal 
que  le  «  serviteur  »  de  ses  Mécènes  italiens. 

Dans  V  Aviso  de  privados  il  me  parait  certain  que  Guevara   a 
vraiment  eu  le  dessein  de  compléter  son  devancier,  et  d'écrire,  lui 
aussi,  une  tr  doctrine  »,  un  code  du  parfait  courtisan;  il  a  retr 
les  devoirs  et  les  obligations  de  l'homme  qui  veut  rester  vertueux 
et  chrétien,  tout  en  vivant  à  la  cour  et  en  servant  fidèlement  b 
roi,  son  maître. 

Cette  idée  morale  concilie  d'une  manière  factice  les  deux  traités 
qui  sont  dans  le  fond  contradictoires,  «  Vous  vous  perdez  à  la 
cour,  et  vous  perdez  non  pas  seulement  votre  santé  et  votre  for- 
tune, mais  ce  qui  est  plus  grave,  votre  âme  ;  seulement,  puisque 
je  ne  puis  supprimer  la  cour,  je  vais  vous  indiquer  les  moyens 
d'y  demeurer  en  sauvant  votre  mise,  »  Malgré  tous  ses  efforts, 
Guevara  n'arrive  pas  à  former  un  caractère  aussi  sincère  et  aussi 
détaché  de  l'intrigue  qu'il  le  voudrait;  il  recommande  d'observer 
les  goûts  du  prince,  et  de  suivre  en  tout  ses  idées1  :  moyen  certain 
de  lui  plaire,  sinon  de  se  tenir  soi-même  dans  la  bonne  voie!  II 
est  vrai  que  le  prince  est  aux  yeux  de  Guevara  Têtre  supérieur, 
infaillible,  qui  tient  de  Dieu  son  autorité-  La  «  doclrina  de  cor- 


intitulé  non  Mare-Àtnvle  Retax  de  principes ,  nomme  ce  traité  despertador  de  carte* 

sanos,   pour   éveiller   les   courtisans    des    van  liés   ou    Us    sont   endormis   (Aviso, 

Prologue). 

1.  Avi#Q%  cap.  IV,  p.  138, 


AMTOI^K    DE    r.LKVARA. 


&*3 


tesanos  »  repose  donc  sur  la  foi  monarchique  la  plus  absolue  et 
la  plus  aveugle. 

Moraliste  chrétien  et  catholique,  Guevara  n'évite  pas  assez,  dans 
la  satire  le  ton  de  la  prédication.  Il  a  cependant  écrit  plus  d'une 
page  ferme  el  même  éloquente»  par  exemple  sur  l'impuissance  de 
['homme  à  satisfaire  ses  désirs  :  «  Le  plus  excessif  travail  que 
l'homme  puisse  porter,  est  de  n'avoir  en  rien  contentement  », 
argumentation  que  reprendra  Montaigne,  pour  démontrer  l'imper- 
fection de  l'homme  \ 

«  Reiïrener  le  cœur  est  plus  grande  peine  que  contenter  le  corps  ; 
car  le  corps  se  lasse  de  pécher»  et  le  cueur  jamais  de  désirer.  Si  le 
o.urtisan  porte  à  sa  maison-les  passions  et  affections  qu'il  a  gai- 
gneee  à  la  court,  il  luy  seroit  mieutx  n'en  estre  jamais  bougé;  la 
raison  est,  pour  ce  qu'en  la  solitude  sont  les  souvenirs  plus  pic- 
quanls  et  les  hommes  moins  occupez  à  résister  \  *  Comparez 
encore  Montaigne,  qui  d'ailleurs  se  souvient  aussi  d'Horace  ; 
*  Souvent  on  pense  avoir  quitté  les  affaires,  on  ne  les  a  que 
changez,..  D'avantage  pour  nous  estre  deffaits  de  la  cour  et  du 
marché,  nous  ne  sommes  pas  deffaits  des  principaux  lourmens  de 
nostre  vie*.  » 

Guevara  sait  donc  que  l'air  des  champs  ne  guérira  point  celui 
qui  i  trop  respiré  l'air  de  la  cour;  la  cure  réussira  aux  moins 
malades,  capables  de  goûter  encore  le  bonheur  de  la  vie  simple, 
Mais  il  y  met  trop  d'oisiveté;  il  oublie  les  rudes  travaux  du 
laboureur.  Passant  la  semaine  à  chasser  ou  à  pécher  à  la  ligne, 
écoutant  le  dimanche  le  prêche  du  curé,  et  se  récréant  après  dîner 
à  la  conversation  des  villageois,  il  est  fort  à  craindre  que  son 
hidalgo  ne  se  consume  dans  un  profond  ennui, 

Cet  éloge  de  la  campagne  n'est  en  somme  qu'un  lieu  commun. 
En  revanche,  la  partie  satirique  du  traité  ne  manque  ni  d'intérêt 
ni  de  vigueur.  Guevara  s'attache  à  prouver  que  le  courtisan,  en 
dépit  de  ses  habiletés,  est  plus  souvent  dupé  que  dupeur.  —  «  Il 
n'est  pas  appelé  courtisan  qui  n'est  bien  endebté*.  »  —  «  Des  ce 
que  quelcun  vient  nouvellement  en  court  ,  Madame  la  gorrière 
luy  donne  un  traict  d  ceil,  l'entretient,  le  caresse,  Tacolle,  et  puis 
le  voyant  bas,  l'envoyé  paislrc  aux  champs6.  »  —  D'autres  ont 
affaire  aux  pourvoyeuses  :  n  II  y  a  aussi  des  femmes  à  la  court, 
lesquelles,  depuis  que  leur  aoust  et  vendanges  passent,  servent 

\.  Estais,  livre  f,  chap*  SX  Mtapris  de  la  Com\  chap.  2.  p,  S. 

4.  Mesprîs  Ur  ta  Cour,  chap,  3»  p.  i3,  v*,  et  etiap,  4,  p.  l*-t3* 
3.  EmtÎÊ,  h  chap.  39  (L  U,  p>  176), 

.,    MesprU  de  ta  Cour,  ch»p.  'J,  p, 

5,  îbttl.,  ehap.  15,  p.  » 


506  REVUE    IMHSTOIIŒ    UiriHAÏHE    UE    LA    FRANCE. 

aux  pécheurs  de  couverture,  trompent  les  chastes,  subornent  les 
mariées...  vendent  filles»  et  à  ce  les  nourrissent1-»)  Macetle  a  dû 
se  reconnaître  dans  ce  portrait, 

Guevara  avait  eu  le  temps  d'observer  la  cour;  il  y  passa  plu- 
sieurs années  de  sa  jeunesse,  avant  d'entrer  dans  les  ordres;  il  y 
revint  plus  tard,  dans  l'éclat  de  sa  dignité  épiscopale,  pour  y 
prêcher  devant  ses  anciens  compagnons  de  plaisir.  Lui-m* 
s'accuse  de  ses  erreurs  passées  et  il  dit  le  regret  de  ses  années 
perdues*  «J'en,  rapporlay  la  teste  grise,  les  pied*  pleins  de  poulie, 
la  bouche  esdentee,  les  reins  pleins  de  gravelle,..  et,  qui  pis  est,  je 
ne  prends  poust  aulcuu  eu  chose  du  monde,  et  suys  de  moymes- 
mes  plus  que  de  tout  cela  mescontenl\  »  Il  est  évident  qu'il  exa- 
gère, ou  plutôt  qu'il  impute  à  ses  péchés  de  jeunesse  les  infirmités 
d'un  Age  beaucoup  plus  mûr.  On  sent  ici  TarliGce  oratoire  du 
prédicateur,  plus  qu'une  confession  sincère. 

Je  rne  suis  arrêté  d'autant  plus  volontiers  au  Mmatprwio  de 
corteqm  ce  traité  a  été  imité  de  fort  près  par  Jean  de  la  Taille  dans 
le  Courtisan  retire ,  qu'il  publia  en  1574.  Cette  pièce,  qui  compte 
dans  L'histoire  de  la  satire  en  France,  a  été  souvent  citée,  sans 
qu'on  en  ait  soupçonné  l'origine*.  Or,  le  titre  même  est  une  formule 
de  Guevara k,  et  il  s'applique  exactement  au  thème  et  à  la  situation 
que  présente  l'ouvrage  espagnol. 

Il  est  vrai  que  La  Taille  a  très  habilement  changé  le  cadre  du 
tableau,  et  pour  l'animer  il  s'est  mis  lui-même  au  premier  [dan  : 
la  cour  dont  il  sort,  l'âme  toute  meurtrie,  c'est,  dît-il,  celle  de 
France, 

Qui  lors  du  beau  Gaillon  honorait  le  séjour, 

bous  le  règne  de  Charles  IX  et  de  Catherine  de  Médicis.  Mais 
depuis  la  mort  de  Henri  II  tout  a  été  bouleversé  en  France,  et  La 
Taille  nous  fait  entendre  les  doléances  d  un  vieillard  désabusé  qui 
fut  tout  puissant  sous  Henri  II,  prit  part  aux  affaires  du  royaume 
sous  le  fantôme  de  son  successeur,  essaya,  à  L'avènement  du 
Charles  IX,  de  changer  de  robe,  «  en  prenant  Tbahit  des  protes- 
tants »,  mais  dut  enfin  céder  la  place  quand  les  guerres  de  reli- 
gion éclatèrent.  Jean  de  la  Taille  était  de  ce  parti  d'honm Mrs  non  s 

1.  IhifLt  chap.  H,  p.  31. 

2.  MiU,  chap.  18,  p.  47. 

3.  V,  Le  XVI*  siècle  de  Sainte-Beuve,  édiL  Trou  bat,  t.  l,  p.  168  et  228,  et  *  Jean  rt 
Jacques  de  ta  Taitfe;  étude  biographique  et  H  Lié  rai  re,  par  Baguemiull  de  Paclli 
Orléans,  Herluison,  iSKU.  —  Œuvres  de  Jeun  delà  TaitUt  publiées  d'après  ri 
menls   inédits   par  Bené   de  Maulde,  4   vol.   in-i2t   187S-82,  non  numérotés.  V*  te 
Courtisan  retiré*  dans  Le  vol.  contenant  les  satires,  p.  22  et  sq. 

4.  *  EL  cortesano  retraytlo  -, 


ANTOINE    DE   CUEVARA.  597 

et  d'indépendants  qui  déploraient  les  persécutions,  sans"  vouloir 
passer  dans  le  camp  des  huguenots x  : 

Est-ce  icy  la  concorde,  o  Dieu,  par  toy  promise 
Quand  on  ne  verra  plus  en  toute  région 
Qu'une  foy,  qu'une  loy,  qu'une  religion?... 
Maudite  guerre!  helas!  n'estoit-ce  assez  que  France 
Eust  souffert  par  avant  si  grand  perte  et  despense, 
Si  tu  ne  venois  or  la  ronger  par  dix  ans, 
Donner  aux  estrangers  les  biens  deus  aux  enfans2... 

Il  y  a  dans  ces  vers  une  émotion  vraie;  il  est  regrettable 
qu'ils  soient  noyés  dans  un  développement  de  pure  rhétorique, 
auquel  d'ailleurs  ils  se  rattachent  mal.  Les  malheurs  de  la  France 
nous  auraient  plus  vivement  touchés  que  les  mécomptes  d'un 
ambitieux,  étonné  de  sa  disgrâce,  quoiqu'il  eût  su  : 

bien  mettre  en  œuvre 
Tout  ce  que  Ballazar  de  Chastillon  descœuvre 
En  son  Courtisan  feint3... 

La  personnalité  du  poète  n'intervient  en  somme  qu'au  début  et 
à  la  fin  de  la  pièce,  pour  nous  avertir  que  La  Taille  a  suivi  l'exemple 
du  vieillard,  et  qu'il  a  laissé  la  cour  : 

Aymant  mieux  honorer  mon  petit  Bondaroy, 
Que  chastelain  je  tiens  en  hommage  du  Roy, 
Me  pourmener  au  bord  de  ma  petite  Essonne, 
Qui  mes  vers  et  mon  nom  desja,  desja  resonne  4  . 

Et  c'est  tout;  car  il  ne  faut  pas  tenir  pour  une  confession  ce 
passage,  pris  à  Guevara: 

Le  loyer  que  j'en  ay  est  que  je  m'en  retorne 

La  mémoire  gastee  et  le  jugement  morne, 

Le  chef  gris,  et  la  goutte  aux  jambes  et  aux  mains, 

Mes  plus  beaux  ans  passez  et  la  gravelle  aux  reins  : 

1.  A  vrai  dire,  La  Taille  était  un  hésitant,  et  ses  sentiments  ont  sur  ce  point 
plusieurs  fois  varié.  Le  poème  posthume  du  Prince  nécessaire  est  d'une  inspiration 
nettement  calviniste,  comme  Ta  montré  M.  de  Maulde.  Cf.  l'étude  de  M.  Bag.  de 
Puchesse. 

2.  Courtisan  relire,  p.  24  et  32. 

3.  lbid.,  p.  27.  Dans  le  Prince  nécessaire,  nous  lisons  au  contraire  un    éloge  de 

Castiglione  : 

Qu'il  ait  pour  courtisan  cestuy  que  Baltazart 

De  Chastillon  descrit,  qui  luy  appreigne  l'art 

De  régner  justement,  qui  ses  mœurs  luy  façonne 

Et  luy  donne  cela  qu'un  ignorant  ne  donne... 
(p.  125). 

4.  lbid.,  p  51. 

Rcv.  d'hist.  uttér.  de  la  Franck  p«  Ann.).—  VII.  39 


598  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Ce  qui  plus  me  deplaist  est  que  je  déplais  ore 
A  tous  et  tous  à  moy  et  me  déplais  encore  '. 

Toute  cette  longue  satire  de  la  vie  de  cour  est  composée  de 
tirades  traduites  du  Menosprecio,  ou  qui  en  résument  avec  les 
expressions  les  plus  saillantes  les  idées  principales  : 

A  la  cour  le  flateur  on  surnomme  amiable, 
Le  follaslre  gentil,  le  superbe  honorable, 
Le  rufisque  amoureux,  l'outrecuidé  vaillant, 
Le  hâbleur  éloquent,  sage  le  peu  parlant. 
Bref  pour  tel  que  tu  es  jamais  on  ne  te  nomme; 
Pour  la  religion  le  neutre  est  habile  homme. 

Le  procédé  d'opposition  est  familier  à  Guevara;  La  Taille   y 

revient  : 

Car  s'il  est  gracieux 
On  le  nomme  flatteur;  si  grave,  glorieux, 
Si  gaillard  éventé;  s'il  parle  peu,  ignare*, 
Si  vaillant,  estourdy  ;  si  ménager,  avare. 

Chez  La  Taille  aussi,  l'éloge  de  la  campagne  «  alabança  de 
aldea  »  alterne  avec  la  diatribe  contre  la  cour  : 

0  combien  davantage  on  doit  priser  les  champs 
Où  les  hommes  ne  sont  si  cauts  ni  si  méchants, 
Où  Ton  se  loge  avec  commodité  plus  grande, 
Où  Ton  a  meilleur  air  et  meilleure  viande  *,  etc. 

Le  gentilhomme  français,  comme  son  confrère  espagnol,  se 
livre  aux  douceurs  de  la  pèche  ou  de  la  chasse;  il  ménage  sa 
fortune  et  sa  santé  : 

Heureux  qui,  hors  de  cour,  eschappé  se  peut  dire 

D'une  belle  prison,  d'une  joyc  martyre 

D'un  chaos  éternel,  d'un  magnificq'  tombeau, 

D'un  triomphe  sans  fin  et  d'un  gouffre  sans  eau, 

Bref  d'une  momerie  où  avec  fausse  barbe 

Les  maux  viennent  masquez,  dorez  comme  rubarbe4. 

4.  lbid.,  p.  33;  v.  ci-dessus. 

2.  Ibid.,  p.  34  et  35.  Je  cite  pour  les  rapprochements  suivants  la  traduction 
d'Alaigre,  où  il  me  parait  que  La  Taille  a  pris  son  bien,  plutôt  que  de  recourir  au 
texte  espagnol  :  «  A  la  Court,  tous  sont  evesques  pour  cresmer  et  curez  pour  bap- 
tizer,  et  muer  noms.  Car  on  appelle  le  glorieux  honnorable,  le  prodigue  magnifique, 
le  couart  sage,  le  vaillant  oultrecuydé,  le  fol  joyeux,  le  sage  hypocrite,  le  malicieux 
subtil,  le  desgorgé  éloquent,  l'adultère  amoureux,  Tavaritieux  tempéré,  et  le  peu 
parlant  sot  et  ignare.  »  (Chap.  8,  p.  24,  v°.) 

3.  Ibid.,  p.  36.  V.  les  chapitres  v,  vi  et  vu  du  Mépris  de  la  Cour  :  on  y  retrou- 
vera la  source  de  tous  ces  vers. 

4.  Courtisan  retiré,  p.   38-39.   Cf.  Mépris  de  la  cour,  chap.   4  :    •   Les   grands 


ANTOINE    DE   GUEVARA.  S99 

Ici  les  expressions  emphatiques  et  vagues  sont  du  cru  de  La 
Taille;  les  métaphores  moins  outrées  et  plus  justes  appartiennent 
à  Gucvara.  Ailleurs,  par  contre,  c'est  l'Espagnol  qui  suggère  au 
Français  un  mauvais  jeu  de  mots  : 

0  cour,  peu  courte  à  moy,  ton  courtisan,  ô  cour, 
Te  conjure  à  jamais !. 

«  Conjuration  »  dont  le  mouvement  est  calqué  sur  la  péroraison 
de  Guevàra  (qui  cette  fois  tombe  dans  le  pathos)  : 

Adieu  doneques  la  cour  où  tout  malheur  abonde1. 

La  Taille  s'est  aussi  souvenu  çà  et  là  de  Y  Aviso  de  privados; 
voici,  par  exemple,  des  vers  assez  bien  venus,  dont  les  deux 
premiers  en  sont  textuellement  traduits  : 

La  cour  est  un  théâtre  où  nul  n'est  remarqué 

Ce  qu'il  est,  mais  chascun  s'y  mocque  estant  moqué3  : 

Où  fortune  jouant,  de  nos  estats  se  joue, 

Qu'elle  tourne  et  renverse  et  change  avec  sa  roue... 

L'un  monte  et  l'autre  chet 4. 

Chez  les  deux  auteurs  les  travaux  d'Hercule  atteignent  à  peine 
ceux  du  courtisan;  et  besoin  lui  est 

D'un  plus  grand  cœur  pour  vivre 
A  la  cour  qu'au  soldat  qui  veult  les  armes  suivre  '. 


maulx...  viennent  contrefaiclz  comme  masques,  sucerez  comme  pillules  et  dorez 
comme  reu barbe.  »  P.  14.  «  Quiconques  laisse  la  court,  peult  dire  hardiment...  qu'il 
eschappa  d'une  belle  prison,  d'une  vie  confuse,  d'une  maladie  dangereuse,  d'une 
conversation  soupçonneuse,  d'un  sépulchre  magnifique  et  d'une  merveille  sans  fin  » 
(ibid.,  p.  60,  v°).  Ce  qui  prouve  ici  que  La  Taille  n'a  lu  ou  du  moins  suivi  que  la 
traduction  française,  c'est  qu'il  en  reproduit  les  inexactitudes,  et  qu'il  ne  supplée 
point  aux  omissions  :  merveille  sans  fin  est  ajouté  par  Alaigre,  qui  a  passé  de  una 
muerte  prolixa  y  de  una  republica  confusa.  »  (Menosprecio,  p.  28.) 

1.  Courtisan  retiré,  p.  30;  cf.  p.  44  :  «  Ce  jour  moins  court  qu'à  la  court  ».  «  No 
immerito  cl  que  le  puso  el  nombre,  la  llamo  corte,  porque  en  la  corte...  todas  las 
cosas  son  cortas...  »  (Aviso,  p.  118.) 

2.  P.  46  à  50.  -  O  mundo  immundo,  yo  que  fu  mundano  conjuro  a  ti  mundo...  »  etc. 
(Menosprecio,  cap.  20.) 

3.  «  La  corte  es  un  teatro,  do  unos  de  otros  burlan,  y  al  fin  andan  alli  todos 
burlados.  ■  {Aviso,  p.  124,  v°.) 

4.  Courtisan  retiré,  p.  35.  «  En  la  corte,  como  la  fortuna  es  incostante  en  lo 
que  da,  y  muy  incierta  en  lo  que  promete,  de  una  liora  a  otta  cae  uno  y  sube 
otro...  •  Menosprecio,  p.  44,  v°.  —  Une  partie  de  ce  chapitre  8  a  été  reproduite  par 
La  Taille;  mais  je  ne  veux  pas  multiplier  les  citations.  —  V.  encore  la  traduction 
d'Alaigre,  p.  24,  v°;  et  La  Taille,  p.  35. 

5.  Courtisan  retiré,  p.  28.  «  Que  mas  coraçon  es  menester  para  suflrir  la  corte, 
que  para  andar  en  la  guerra.  •  C'est  le  titre  du  chap.  1  de  Y  Aviso. 


600  RETCE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE   LA   FRANCE. 

—  C'est  une  contrainte  de  tous  les  instants  : 

Jeûner,  s'il  faut  manger;  s'il  faut  s'asseoir,  aller; 
S'il  faut  parler,  se  taire,  et  si  dormir  Teiller  '. 

Jean  de  la  Taille  n'a  pas  même  pris  la  peine  d'écarter  on  de 
modifie  r  certains  traits  plus  particuliers  à  l'Espagne.  Le  courtisan 
de  Charles  V  se  voyait  obligé  de  vivre  à  l'auberge,  dans  la 
«  posada  ».  Il  devait  donc  compter  avec  son  hôte,  et  s'accom- 
moder de  ses  commensaux.  On  dira  qu'en  France  il  en  était 
un  peu  de  même  et  que  le  château  de  Blois  ou  celui  de  Gai  lion 
n'abritait  que  la  suite  immédiate  du  roi.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai 
que  la  description  des  embarras  de  la  posada  est  chez  Guevara 
tout  à  fait  locale;  La  Taille  l'abrège,  mais  d'une  manière  trop 
vague,  en  rappelant  qu'à  la  campagne  il  ne  faut  : 

Courtiser  mareschaux  ni  fourriers, 
Prendre  son  bulletin,  ni  gaigner  trésoriers... 
Battre  ou  fascher  son  hoste,  arriver  tard  les  nuits  : 

allusions  peu  claires  à  des  scènes  qui  chez  Guevara  sont  assez 
piquantes*. 

Guevara  consacre  tout  un  chapitre  de  Y  Aviso  de  privados  à 
régler  avec  une  minutie  scrupuleuse  l'étiquette  qui  s'impose  au 
courtisan,  en  se  présentant  devant  le  roi3.  Il  lui  fait  prendre 
une  pose  savante,  et  lui  indique  des  gestes  pleins  de  mesure,  comme 
le  ferait  un  maître  des  cérémonies,  j'allais  dire  le  maître  à  danser 
de  M.Jourdain;  mais  Guevara  ne  plaisante  pas  :  parler  plutôt 
bas,  sans  trop  se  hâter,  sans  remuer  la  tète,  ni  jouer  avec  les 
doigts,  ou  cligner  des  yeux,  manières  bonnes  pour  les  bouffons. 
La  gravité  annonce  l'homme  poli;  c'est  le  signe  dislinctif  du 
grand  seigneur  espagnol.  S'il  entend  débiter  autour  de  lui  des 
choses  plaisantes  ou  comiques,  il  se  garde  de  rire  trop  haut,  ou 
d'applaudir  bruyamment;  un  rire  excessif  démentirait  sa  prudhom- 
mie\  Il  ne  s'abandonne  pas  non  plus  à  une  vaine  jactance,  et  ne 
vantera  point  devant  !e  roi  l'illustration  de  sa  race,  les  exploits 
de  ses  ancêtres  :  il  n'attend  sa  récompense  que  de  son  mérite 
propre  et  de  sa  seule  vertu.  Il  veut  être  le  fils  de  ses  œuvres. 

1.  Ibid.,  p.  29.  «  Por  ventura,  en  lo  que  toca  al  dormir,  duerme  el  cortesano  quando 
quiere?  no  por  cierto,  sino  quando  puede.  Por  ventura  en  lo  del  corner,  corne  lo 
que  quiere?  etc.  •  (Aviso,  p.  124,  v\)  Mêmes  idées  dans  le  Menosprecio. 

2.  V.  les  chap.  2  et  3  de  V Aviso  et  le  chap.  5  du  Menosprecio,  —  Cf.  Courtisan 
retiré,  p.  36. 

3.  Aviso,  cap.  v. 

4.  «  Porque  la  obr  da  risa,  no  es  por  cierto  hija  de  la  cordura.  »  (Aviso,  ibid.9 
p.  143.) 


ANTOINE    DE  GUEVAUA. 


MM 


Celte  noblesse  df4me,  cette  fierté  morale  achève  d'une  manière 
heu  rou  se  la  figure  du  par  Fait  courtisan  tel  que  Guevara  le  conçoit  : 
Jean  de  la  Taille  a  cette  fois  laissé  de  côté  un  modèle  aussi  flatté 
et  d'ailleurs  trop  étranger;  peut-être  ne  l'a-t-il  pas  remarijinj.  Il 
dit  quelque  part  que  son  courtisan  retiré  aura  loisir  à  la  campagne 
'  de  courir  sans  perdre  gravité  ».  Le  mot  a  dans  son  vers' peu  de 
sens;  il  n'a  certainement  pas  celui  que  Guevara  y  incitait.  Dans 
V Aviso  de  prîvados  La  Taille  n'a  vu  que  les  railleries  confirmant 
la  thèse  du  Menosprecio  ;  les  contorsions  de  ceux  qui  essayent  de 
parvenir,  assidus  «  au  lever  de  Monsieur,  faisant  Tinclinabo  à 
quelque  secrétaire,  idolâtrant  les  grands1  ». 

Nous  ne  lui  reprochons  pas  d'être  délibérément  resté  dans  la 
réalité  de  la  comédie;  mais  de  n'avoir  rien  inventé,  cesl-à-dire 
rien  mis  de  nouveau,  rien  de  proprement  français  dans  le  dessin 
des  caractères  et  dans  la  description  des  mœurs»  À  défaut  de 
l'originalité,  il  reste  cependant  à  Jean  de  La  Taille  le  mérite  d'avoir 
exprimé  en  assez  bons  vers  les  idées  générales  que  la  prose  de 
Guevara  lui  fournissait.  Je  n'aurai  pas  l'impertinence  de  dire 
qu'au  titre  d'imitateur  La  Taille  pourrait  être  considère,  dans  la 
satire,  comme  un  précurseur  de  Régnier  :  celui-ci  s'est  moiUn\ 
même  dans  Timi talion,  un  écrivain  supérieur.  La  Taille  ne  soutient 
pas  davantage  la  comparaison  avec  J,  Du  Bellay;  le  Courtisan 
retiré  n'a  pas  du  tout  la  valeur  historique  et  littéraire  du  Poète 
courtisan,  dont  je  m'étonne  qu'on  l'ail  rapproché».  Mais  il  y  a 
chez  le  même  La  Taille  un  sonnet  satirique  qui  rappelle  la  manière 
du  poète  des  Ret/rets,  tel  de  ces  jolis  sonnets  sur  l'art  de  vivre  en 
cour  : 

Si  piaffer,  si  faire  bonne  mine, 

Faire  trotter  un  dé,  et  en  tout  lieu 

Une  querelle,  une  carte,  un  sang-dieu, 

Porter  long  poil  fait  à  la  Sarrazine; 


t.  Court,  retiré)  p.  37;  cf.  Menoiprecio9  p.  35  :  i  Ks  privilégie  de  aldea<  que  todos 
se  puedan  andar***  solos,  sin  que  caygan  en  caso  de  h^rmandad,  ni  pinrclaR  cosa 
de  su  graveda<t.  -  V,  Metpris  de  ta  cour,  p.  2'2t  passage  librement  traduit  de  Guevara 
lehap,  7,  p.  kl,  y"),  mais  suivi  par  La  Taille;  *  faire  l'inclinabo  à  Tad vocal  «  a  ^te 
ajouté  par  Maigre* 

2*  Par  exemple  Sainte-Beuve.  Maïs  les  auteurs  du  XVI*  siècle  en  France  m'ont 
encore  plus  étonné,  en  avançant  que  Du  Bellay  avait  inspiré  La  Taille  :  il  n'y  a 
rien  rie  commun  pour  le  fond  du  sujet  entre  les  deux  pièces!  M.  Lenient,  dans  la 
&0ftf«  ru  France  au  XVI*  siècle,  remet  a  sa  place  le  mérite  de  Jean  dr  la  Tailîe, 
trop  exalté  par  Viollet-le-Duc.  Maïs  je  me  reprocherais  d'abaisser  à  mon  tour  La 
Taille*  en  ne  le  jugeant  que  sur  cette  seule  pièce  du  Courtisan  retirée  je  rappelle 
donc  qu'il  a  fait  preuve  d'une  réelle  originalité  de  salirisle  ■  dans  la  Hemonstrance 
pour  le  Rof,  à  tous  ses  subjects,  afin  de  les  enclin er  à  la  paix  *,  1562,  —  dans 
plusieurs  passages  du  Prince  nécessaire,  —  et  enfin  dans  les  Singeries  de  la 
Ligue  (15Ô5). 


«•2  BX1XX   fr~«ÇT<HK    LITTÛUttC    ML   L&   r*A5CE_ 

S  retr+j^sser  s«i  featre  â  U  anitîae. 
Faire  verta  et  da  vice  et  dm  jeu, 
si  se  avjqoer  des  lettres  et  de  Diea„ 
Bire  et  çaodir  «fane  ^râee  badine  : 

Si  f^avotr  bien  râler  et  voler. 
Habter.,  morgner  et  pezer  son  parler. 
Trandier  du  bnre  et  faire  rien  qm  Taille. 

Bref,  si  tel  art  lait  les  hommes  g*l*nig 
Je  sais  d'avis  qu'an  ranz  des  plas  Taillants. 
Ta  sois  le  prime,  et  que  l'ordre  on  te  baille  ". 

Bodomont  et  sacripant,  ce  bravache  était-il  espagnol,  italien  ou 
seulement  gascon?  A  la  façon  rude  dont  La  Taille  le  malmène,  on 
sent  le  dégoût  qui  s'empara  de  ce  fier  gentilhomme  de  lettres  et 
d'épée,  et  qui  le  décida  à  se  retirer  dans  sa  terre  de  Bondaroy, 
pour  y  méditer  en  paix  le  JIc*ospreeio  de  carie. 

(A  suicre.)  Loris  Clémevt. 


HKCHfcKHIES    S L  H    G.    DU    VAJR    ET    COftltKM'OMiA^ 


RECHERCHES   BIBLIOGRAPHIQUES   SUR   G,   DU   VAIR 

ET  CORRESPONDANCE  INÉDITE1 


En  dehors  du  manuscrit  3927,  la  Bibliothèque  Nationale  possède 
un  grand  nombre  de  lettres  de  Du  Vair,  presque  toutes  autographes. 

Citons  d'abord,  dans  la  collection  Dupuy,  vol.  155,  fol.  16,  une 
lettre  au  roi  du  18  mars  1601  relative  aux  protestants  et  à  la 
trahison  de  Maurice  de  llslc,  — vol.  ;>7i,  fol  223,  la  copie  d'une 
lettre  du  22  janvier  1G03  «  au  cardinal  Comtî,  vice-legat  d'Avi- 
gnon, pour  les  contentions  des  iurisilictions  ecclésiastiques  avec 
les  Parlements  »,  —  vol.  573,  loi.  85  la  copie,  sans  adresse  et  sans 
date,  d'une  supplique  destinée  probablement  au  chancelier  Sillery, 
car  Du  Vair  y  demande  la  faveur  de  résigner,  sans  payer  les  droits, 
l'office  de  garde  des  sceaux  à  la  chancellerie  de  Provence,  que  le 
roi  lui  avait  donné  en  1600,  et  qu'il  vendit  en  1608  (Hist.  chronoL 
de  Provence.  IL  Bouche,  II,  p,  844);  —  vol.  675,  Fol.  159,  une 
ktlrc  familière  à  Pithou,  traitant  d'affaires  d'intérêt. 

Je  n'ai  trouvé  qu'une  seule  lellre  inédite  adressée  à  De  Thou; 
mais  elle  renferme  d'intéressants  détails  (ms,  20154,  fol.  1033). 
Après  avoir  fait  allusion  à  l'entreprise  dirigée  par  quelques  capi- 
taines contre  Saint-Maximin  %  Du  Vair  ajoute  qu'ils  ont  été 
sévèrement  châtiés. 

«  Toulesfois  la  longue  distance  qu'il  y  a  d'îcy  au  lieu  d'où  peult 
venir  l'ordre,  les  diuers  desseins  qui  s'y  nourrissent  m'empeschent 
de  rien  asseurer  du  bien  et  repos  du  païs.  Pour  le  regard  des 
peuples,  ils  sont  tous  fort  disposez  au  service  du  Roy  et  repos  de 
la  prouince,  mais  il  est  si  aisé  de  brouiller  icy  pour  la  quantité 
des  lieux  auantageux  qu'on  peult  saisir  et  par  la  faiblesse  du  pais, 
qu'il  y  fault  tout  craindre.  Cela  me  fait  fort  appréhender  de  m'at- 
tacher  icy,  comme  i'ay  aduis  que  le  roy  en  a  volonté1,  tant  pour 

|.  Voyez  RfDue  d'histoire  littéraire,  I89ï>,  p.  7i\  253  et  408, 

1*  La  paix  de  VervinH  venait  cintre  conclue  le  3  mai  4598  avec  Je  ros  d'Espagne  et 
le  duc  de  Savoie*  et  par  le  fait  même  la  Provence  semblait  pacifiée,  iorsqu*en 
juillet  Jeu  capitaines  Sainte-Croix  et  Mounier  tentèrent  de  s'emparer  de  Saint- 
Max  imïu.  Mais  ils  échouèrent  et  quelques-uns  des  aventuriers  furent  pendtffl  en 
seplembre  suivant  (H.  Bouche,  op.  cit.). 

3.  Le  l*r  novembre  !397,  Du  Vair  demande  au  roï  la  succession  de  RasLellîs,  évoque 
de  Riez  (lettre  publ.  par  Sapey).  C*est  h  celle  démarche  infructueuse  qu'il  fait  allu- 
sion. Plus  tara  il  fit  une  nouvelle  tentative  pour  sortir  de  La  carrière  parlementaire, 
fcn  luu3}  il  demanda  au  roi  de  le  nommer  à  Tévêché  de  Marseille,  vacant  par  ras- 


'»»  fttTCE    blbl'iltE    UTTÛUIBE    !>L    LA    FfcJL*Œ. 

n'aooir  nullement  l'esprit  proportionné  à  teste  vie  turbulente  ei 

tumultueuse  que  pour  me  voir,  si  cela  est,  réduit  ave*  peu  de 

moyens  en  une   charge   ou  ie  ne   puis  iamais   espérer  de    les 

croislre,  non  pour  désir  que  i'aye  de  iamais  amasser  grands  biens :. 

mais  pour  ce  que  ie  scay  que  la  dignité  d'une  telle  charge  ne  se 

peult  retenir  qu'avec  quelque  splendeur  de  vie  que  ie  ne  puis  auoir 

du  mien,  ny  espérer,  y  estant,  de  ceux  que  ie  seruirayT  sachant 

assez  comme  l'on  estime  et  recompense  ceux  qui  seruent  au  loin? 

Mais  enGn  ma  fortune  me  contraint  de  me  commettre  a  ceux  qui 

ont  l'authorité  et  leur  laisser  disposer  de  ma  vie  puisque,  en  ce  qui 

a  esté  de  mon  eslection.  i'ay  tousiours  trouué  le  chemin  fermé  a 

tout  ce  que  i'ay  voulu  dessei^ner...  Marseille  est  encores  un  peu 

gastée  de  la  contagion,  dont  iespere  tcutesfois  en  peu  de  iours 

l'entière  purçation*.  « 

<  De  Aubaiçoe,  ce  21  sept.  159».  » 

Le  volume  16  539  renferme  deux  lettres  adressées  au  roi.  en  date 
du  12  mars  (fol.  585)  et  du  16  mars  1602  (fol.  587).  Une  autre, 
du  15  juin  de  la  même  année,  se  trouve  dans  le  ms.  15  517,  fol.  178. 

La  correspondance  avec  le  chancelier  Bellîèvre  est  représentée 
par  45  lettres  dont  je  n'ai  trouvé  la  mention  nulle  pari.  La  pre- 
mière en  date,  qui  est  du  26  août  1597  ms.  15  911,  fol.  109  ,  ren- 
ferme un  tableau  saisissant  de  Tétai  de  la  Provence.  «  Pour  moy, 
monsieur,  ie  vois  un  mal  en  cesle  prouince  auquel  on  ne  remédie 
point  et  lequel  ie  pense  debuoir  infailliblement  perdre  ceste  pro- 
vince. Les  communaulez  doibuent  plus  qu'elles  n'ont  vaillant;  le 
reuenu  de  leur  terre  n'est  pas  baslant  pour  payer  les  inleresls 
de  leurs  debtes.  Neanlmoins  on  les  poursuit  sans  miséricorde  et 

aasMfiat  de  Ragueneau.  Le  roi  y  consentit,  mais  en  lui  faisant  comprendre  qu'il 
préférait  lui  voir  conserver  sa  charge.  Du  Vair  se  soumit  (oct.  1603;  lettre  publiée 
par  Sape» 

1.  Ce  n'est  pas  sans  surprise  que  Ton  remarque  cette  amertume,  et  particulière- 
ment cette  allusion  &  la  question  d'argent.  Comment  la  concilier  avec  le  détache- 
ment qu'il  montre  dans  les  lettres  à  Villeroy  du  20  déc.  1611  et  du  30  nov.  1612, 
dont  on  lira  plus  loin  des  fragments  ?  Faut-il  rappeler  que  les  méchantes  laugues 
l'accusaient  d'avarice,  lui  reprochaient  d'avoir  vendu,  chose  sans  exemple,  sa 
charge  de  premier  Président,  d'avoir  accepté  le  riche  evéché  de  Lisicux  sans  s'as- 
treindre à  la  résidence?  Faut-il  se  souvenir  qu'il  demandait  à  résigner  sans 
bourse  délier  son  oflice  de  Garde  des  Sceaux  de  Provence  ?  Peut-être  pourrons- 
nous  répondre  plus  tard  à  ces  questions,  si,  comme  nous  en  avons  l'intention,  nous 
menons  à  bonne  fin  des  recherches  plus  approfondies  sur  la  biographie  de  G.  Du 
Vair  dans  ses  rapports  avec  son  œuvre  oratoire. 

2.  Kn  i5'j8,  la  peste  sévit  cruellement  à  Marseille.  La  Chambre  de  Justice  pré- 
sidée par  Du  Vair,  qui  émanait  du  Parlement  d'Aix,  demanda  à  celui-ci  l'autorisa- 
tion de  quitter  Marseille.  Sur  le  refus  du  Parlement,  les  membres  de  la  Chambre 
de  Justice  abandonnèrent  leurs  fonctions  et  se  retirèrent  à  Aubagne,  où  ils  vécu- 
rent pendant  huit  mois  en  simples  particuliers  (Cabasse,  op.  cit.). 


RECHERCHES    SUR    G.    DU   VAIH    ET   COnHESPOMiANf.K    INkhITE.  605 

pour  principal  et  pour  interests.  11  n'y  a  gerbe  de  bled  qui  n'ayc 
quatre  sergens  autour  d'elle.  Les  liabitans  n'oseroient  sortir 
de  leurs  villes  ou  villages  qu'ils  ne  soient  pris  prisonniers.  Je  ne 
scay  pas  comment  eeste  patience  la  pourra  durer,  et,  quand  elle 
viendra  à  se  perdre,  comme  on  se  pourra  sauuer.  J'en  ay  eseript 
plusieurs  fois  :  après  cela  ie  nù  puis  qu'attendre  ce  qu  il  plairra  à 
Dieu  qui  en  aduîenne.  Cela  mérite  bien,  monsieur,  qu'on  y  pense 
et  que  vostre  prudence  s'employe  a  boa  escient  a  y  clierclier  le 
remède...  n 

Le  ms.  I;î  S98  renferme  14  lettres1  à  Bellièvre  comprises  entre 
le  4  mai  1601  et  le  12  décembre  1605,  Écrites  dans  une  forme  en 
général  assez  impersonnelle,  elles  relatent  les  nouvelles intérieures 
de  la  province,  affaires  de  taxes  et  d'impôts  surtouL  Trois  d'entre 
elles  présentent  cependant  un  intérêt  particulier.  Le  8  décembre  1 603 
(fol.  654)  il  fait  allusion  a  sa  demande  relative  à  réveillé  de  Mar- 
seille :  «  J'auois  le  plus  soigneusement  que  i'auois  peu  recherché 
le  moien  de  quelque  bonorable  repos  et  pensois  Fauoir  trouué, 
mais  les  choses  ne  se  sont  pas  peu  réduire  en  termes  que  ie  raie 
peu  obtenir  si  honorablement  que  ie  desirois  et  que  mes  actions 
passées  sembloient  m'obliger  a  le  rechercher.  Cela  sera  cause  que 
ie  continuera}-  plus  longuement  que  ie  ne  aouhailois,  soubs  la 
protection  de  voslre  faueur  l'exercice  de  cesle  mienne  charge» ores 
qu'assez  mal  proportionnée  a  mon  infirmité  naturelle,  n  II  se  livre 
davantage  aussi  dans  la  lettre  du  17  septembre  1004  (fol.  662)  où  il 
écrit  au  .sujet  de  certains  personnages  de  sa  province  qui  intriguent 
pour  échapper  à  la  juridiction  du  Parlement  :  «  Si  les  iuges  qui 
sont  icy  ne  semblent  bons,  on  en  peut  cstablir  d'autres,  mais  pour 
le  moins,  que  le  peuple  aye  a  qui  recourir  »,  car  «  il  est  certain 
qu'il  opposera  la  violence  a  l'oppression  ».  Enfin,  le 22  février  1605 
(fol.  666)  il  trahit  sa  lassitude  et  sou  ennui.  Le  roi  ne  lui  a  pal 
permis  d'aller  «  faire  un  tour  par  delà.  »  Pourtant,  ajoute-t-il, 
«  je  croy  qu'il  ne  me  refusera  point  en  six  ans  une  fois  de  pouvoir 
aller  respirer  mon  air  natal  et  reuoir  mes  amis.  » 

Oll  trouve,  dans  le  ms.  3195,  fol.  34,  une  lettre  du  23  juin  461  i 
au  président  Jeannin,  traitant  de  questions  financières. 

C'est  surtout  avec  Villeroy  que  Du  Vair  u.  eu  rechange  de  lettres 
le  plus  actif.  Je  cite  a  part,  en  dehors  de  Tordre  chronologique, 
le  ms.  13534  qui  en  contient  trois,  relatives  aux  affaires  d  Es- 
pagne, du  M  juin  (fol.  518),  du  19  juin  (fol.  520)  et  du  11  sep- 
tembre 1602  (fol,  o22;.  —  Vient  ensuite  toute  une  série  de  nianus- 


1.  Etle  forment  une  série  ininterrompue  qui  va  du  fol.  6i2  au  fol.  otiS, 


606  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE   DE    LA    FRANCE. 

crils  dont  les  trois  premiers1  ont  été  vus  et  signalés  par  Tamizey 
de  Larroque  à  l'attention  des  érudits  provençaux.  Hais  ce  savant 
semble  n'avoir  pas  connu  l'existence  des  lettres,  plus  intéressantes 
de  beaucoup,  que  contiennent  les  4  volumes  suivants.  Toutes,  - 
c'est-à-dire  28 *,  sont  adressées  à  Villeroy.  Elles  relatent  en  général 
de  menus  faits  d'un  intérêt  local,  et  elles  n'auraient  toute  leur 
valeur  qu'à  la  condition  d'être  éclairées  par  un  commentaire  pour 
lequel  il  faudrait  les  ressources  des  archives  de  la  province.  Ce 
sont  les  événements  de  chaque  jour,  décès  de  personnages  en 
vue,  délits  graves,  duels,  affaires  de  commerce  et  de  tarifs  avec 
les  provinces  voisines,  répartition  d'impôts,  mouvements  à  Mar- 
seille, conflits  avec  l'autorité  ecclésiastique,  menées  des  protes- 
tants; au  dehors,  entretien  des  consuls  ou  des  agents  secrets,  nou- 
velles de  Savoie,  d'Espagne,  d'Afrique,  etcî.  Certaines  lettres 
d'ailleurs  ne  font  que  reprendre  sous  une  forme  plus  familière  et 
plus  vive  ce  qui  se  trouve  dans  les  lettres  au  roi3.  Pourtant,  la  série 
de  celles  qu'il  écrit  à  Villeroy  devient  de  plus  en  plus  intéressante, 
à  mesure  qu'elle  approche  de  son  terme.  Ce  ne  sont  plus  des 
relations  sèches  et  impersonnelles.  Du  Vair  se  livre,  il  s'émeut, 
il  juge.  On  devine,  aux  remerciements  qu'il  adresse  à  Villeroy, 
qu'il  ne  fait  que  répondre  aux  confidences  de  celui-ci.  Villeroy, 
en  effet,  sait  ce  que  vaut  Du  Vair.  S'il  ne  lui  demande  pas  conseil, 
il  appelle  tout  au  moins  ses  encouragements.  Du  Vair  répond  en 
homme  d'État.  On  sent  qu'il  est  mûr  pour  le  maniement  des  grandes 
affaires.  De  cette  correspondance  nous  ne  citerons  que  les  lettres 
ou  fragments  de  lettres  qui  présenteront  un  intérêt  plus  général  ou 
qui  apporteront  quelque  lumière  sur  la  biographie  et  le  caractère 
de  leur  auteur. 

I 

A  Villeroy,  20  décembre  ICH  (Ms.  15  580,  fol.  225). 
Monsieur,  je  n'ay  receu  que  le  17  de  ce  mois  la  vostre  du  28   du 
passé.  Je  vous  remercie  très  humblement  de  l'aduis  qu'il  vous  plaist  me 

1.  Ms.  13  570  (fol.  209)  14  juin  1599;  Ms.  15  517,  six  lettres  du  4  janv.,  12  mars, 
22  mars,  lu  avril,  13  juil.,  17  août  1602,  correspondant  aux  fol.  68,  116,  123,  129, 
230,  263  ;  Ms.  15  578,  trois  lettres  du  24  avril,  2a  avril,  10  mai  1603  (fol.  63,  66,  76). 

2.  Kn  voici  l'énumération  :  Ms.  15  579  :  28  juin,  26  nov.  1606.  24  janv.  1607 
(fol.  33,  48,  53).  Ms.  15  580  :  14  février  1610,  2  avril,  26  nov.,  20  déc.  1011  (fol.  27, 
107,  201,  225).  Ms.  15  581  :  12  juil.,  30  nov.,  27  déc.  1612;  3  mai,  16  nov.  1613 
(fol.  43,  5:*,  60,  99,  162).  Ms.  15  582  :  22  mars,  13  avril,  28  avril,  5  juil..  12  juil., 
20  juil.,  1"  août,  28  août,  12  sept.,  29  sept.,  9  oct.,  1er  nov.,  4  nov.,  20  déc.  1615; 
5  janv.,  23  fév.  1616  (fol.  3,  6,  7,  11,  22,  30,  36,  45,  57,  59,  03,  67,  68,  75,  82,  126). 

3.  On  peut  comparer  par  exemple  (Ms.  15  577,  fol.  123)  une  lettre  du  22  mars  1602 
avec  une  autre  du  21  mars  1602,  adressée  au  roi  et  publiée  par  Tamizey.  Il  en  est 
de  même  pour  deux  lettres  écrites  toutes  deux  le  24  janv.  1607,  Tune  au  roi, 
(publiée  par  Tamizey),  l'autre  à  Villeroy  (Ms.  155  79,  fol.  53). 


RECHERCHES   SUR   G.    DU    VAIR   ET   CORRESPONDANCE   INÉDITE.  607 

donner  de  ce  qu'il  a  pieu  a  la  Roine  faire  pour  moy  \  mais  plus  de  l'inter- 
cession qu'il  vous  a  pieu  y  apporter,  car  ie  scay  assez  que  vous  ne  sçau- 
riez  estre  présent  a  chose  qui  m'importe  sans  m'y  départir  vos  offices 
accoustumez.  Monsieur  Phelippeaux  ne  m'en  a  encore  rien  escrit  et  n'en 
scay  que  ce  qu'il  vous  a  pieu  m'en  mander.  Maisquoy  que  ce  soit  qui  me 
porte  tesmoignage  de  la  bonne  volonté  de  mes  maistres  ne  me  sçau- 
roit  qu'extrêmement  obliger,  et  a  la  vérité  ie  suis  bien  du  naturel  que 
vous  dittes,  que  j'estime  beaucoup  dauantage  une  petite  gratification 
venant  sans  estre  recherchée  qu'une  beaucoup  plus  grande  donnée 
a  la  recherche  ou  demande  de  celuy  qui  l'optient.  Puis  ie  suis  en  une 
constitution  et  tantost  a  un  aage  ou  il  me  faudra  peu  soucier  d'acquérir 
du  bien  ".  Ce  que  ie  sens  me  rester  de  chemin  n'a  pas  besoing  de 
grande  prouision,  bien  que  quelquefois  les  viellesses  maladiues  en 
consomment  beaucoup,  mais  ie  nie  fie  en  Dieu,  qui  enuoye  le  froid  selon 
la  robbe.... 

DWix,  ce  20  décembre  16H. 


II 

A  Villeroy,  12  juillet  1612  (Ms.  15  581  fol.  43). 
Monsieur,  j'ay  receu  la  vostre  du  26  juin.  Vous  me  faictes  beaucoup 
de  faueur  de  me  faire  part  de  l'cslat  auquel  on  vit  par  delà.  Nous 
deuons  beaucoup  a  Dieu  de  ce  qu'il  luy  plaist  contenir  tant  de  volontez 
déréglées  et  les  ranger  au  repos  :  ce  sont  des  secrets  de  sa  Prouidence. 
Nous  ne  craignons  pas  beaucoup  icy  M.  de  Sauoye.  Il  craint  plus  les 
Prouençaux  qu'il  ne  les  aime  ni  ne  s'y  fie.  Aussi,  quand  il  retourna 
de  Prouence,  comme  l'infante  *  lui  demanda  ce  qu'il  auoit  fait,  il  res- 
pondit  qu'il  auoit  esté  à  l'escole  en  Prouence.  Aussi  y  a  il  plus  couru 
de  fortune  de  son  honneur  et  de  sa  vie  qu'en  lieu  ou  il  ait 4  iamais  esté, 
n y  peut  estre  ou  il  sera  iamais.  Cela  me  fait  croire  que  ce  sera  le  der- 
nier endroit  ou  il  tournera  ses  pensées.  Nous  craignons  bien  du  trouble 
de  plus  près  et  lequel,  a  mon  aduis,  nous  n'euiterons  point.  Nous 

1.  Il  s'agit,  comme  on  va  le  voir  plus  loin,  d'une  gratification  accordée  à  Du  Vair. 
Le  texte  porte  :  qui  vous  a  pieu... 

2.  Du  Vair  n'était  âgé  que  de  cinquante-cinq  ans,  mais  sa  santé  fut  très  ébranlée 
en  1611.  On  lit  dans  une  lettre  au  cardinal  Galamini,non  datée,  mais  qui  est  sûre- 
ment de  1611  :  «  Depuis  peu  de  jours  la  fiebure  m'a  laissé,  mais  si  languide  et  si 
débile  que  ie  ne  m'uppersoy  point  quasy  du  soulagement.  Les  médecins  me  disent 
que  c'est  le  naturel  de  telles  longues  fiebures,  et  queie  ne  me  puis  remettre  sinon 
qu'au ec  un  long  temps.  »  (Ms.  3  927,  fol.  25,  v"). 

11  écrit  à  Jeannin,  le  23  juin  1611,  qu'il  est  -  attaché  au  lict  depuis  dix  ou  douze 
iours  d'une  fieuure  de  reume  dont  ie  n'espère  pas  si  prompte  deliurance  pour  la 
grande  débilité  en  laquelle  elle  m'a  desia  reduict.  -  (Ms.  3  795,  fol.  34).  Enfin,  du 
26  nov.  1611,  à  Villeroy.  Je  suis,  dit-il,  ■  garent  y,  Dieu  mercy,  d'une  mauuaise 
fieuure  qui  m'a  fasché  durant  dix  ou  douze  iours.  Ce  me  sera  un  peu  de  reculade 
qui  m'empeschera  de  pouuoir  sy  tost  reprendre  le  trauail,  comme  ie  le  desirois  > 
(Ms.  15  580,  fol.  201,  d'une  écriture  tremblée).  Voir  correspond,  de  Malherbe.  A 
Peireac.  9  nov.  1611. 

3.  Le  duc  de  Savoie  avait  épousé  une  infante  d'Espagne. 

4.  11  est... 


M*  EEVTE    DHI5T0IEE    LITTÉtAlftE    DE    LA    FI15CE. 

n'auons  oublié  nulle  sorte  de  respect  a  l'endroit  de  monsieur  nostre 
archeuesque '  pour  l'induire  a  viure  en  paix.  I!  nous  sembloit  qu'il  y 
estoit  résolu,  mais  il  est  si  peu  maistre  de  soy  qu'il  est  aussitost 
retourné  a  ses  premières  opinions:  et  veult  a  toute  force  establir  ceste 
maxime  que  la  bulle  In  eatna  domini*  oblige  en  France,  et  s'en  est  mis 
mal  avec  les  lesuittes  d'Auignon  pour  ce  qu'ils  tiennent  le  contraire. 
Il  se  bruit  qu'il  veult  faire  assembler  tout  le  clergé  de  Prouence  pour 
supplier  le  Pape  d'en  faire  une  déclaration  et  intercéder  pour  oster  au 
Parlement  la  cognoissance  des  crimes  des  ecclésiastiques  z.  et  croit  on 
qu'il  veult  faire  un  voyage  au  despens  du  clergé  pour  cet  effect.  C'est 
chose  qui  donne  directement  au  fondement  de  Testât.  Je  ne  doute  pas 
qu'a  Rome  ils  n'y  aillent  ?  plus  retenus,  toutefois  il  me  semble  que 
quand  il  vous  plaira  en  donner  un  mot  d'aduis  à  M.  l'ambassadeur 
afDn  d'y  veiller,  ce  sera  très  bien  fait.  Car  quand  a  Rome  ils  trouuent 
des  esprits  faits  comme  celui  cy.  ils  ne  craignent  point  de  les  hazarder 
pour  Testa blissement  de  leur  puissance.  11  est  certain  qu'il  est  résolu 
de  se  signaler  en  ce  pais  la  et  sur  ce  subiet.  Nous  verrons  sa  procé- 
dure et  selon  qne  nous  y  i userons  chose  qui  importe,  nous  en  donne- 
rons aduis  ou  il  appartient.  Je  suis  depuis  cinq  ou  six  iours  venu  icy  a 
mon  iardin  4  pour  y  raffermir  si  ie  puis  entièrement  ma  santé  et  fais 
estât,  s'il  ne  suruient  affaire  qui  pour  le  seruice  du  Roy  m'en  retire,  dé- 
passer les  vacances.  Je  n'y  serai  point  inutile,  car  ma  présence  a 
Marseille  y  seruira  de  quelque  chose.  Je  me  suis  informé  du  contenu 
au  mémoire  qu'il  vous  a  pieu  m'enuoyer.  Vous  verrez  par  le  mémoire 
que  ie  vous  enuoye  ce  que  i'cn  ay  appris.  Vous  pouuez  bien  croire, 
monsieur,  que  le  plus  grand  plaisir  que  ie  scaurois  auoir  au  monde 
est  de  vous  rendre  quelque  (service?)  en  recognoissance  de  partie  de 
tant  d'obligations  que  ie  vous  ay  et  qui  me  faire» nt  viure  et  mourir, 
monsieur,  vostre  très  humble  et  très  obéissant  seruiteur. 
De  la  Floride  près  Marseille  le  12  iuillet  1612. 

111 

A  Yilleroy,  30  novembre  1612  (Ms.  15  5S1,  fol.  53 ». 
Monsieur,  le  retour  de  Dumas  et  les  deux  vostres  du  27  et  29  octobre 
m'ont  donné  la  plus  aggreable  nouuelle  que  ie  pouuois  espérer,  qni  est 

1.  Paul  Hurault  de  l'Hospital,  seigneur  de  Valleprand,  archevêque  d'Aix.  Sur  ses 
interminables  conflits  avec  le  Parlement  de  Provence,  voir  Cabasse.  5ur  le  Parle- 
ment df  Provence,  et  surtout  Honoré  Bouche,  Histoire  chronologique  de  Provence. 
Pari»,  1136,  in-fol.,  t.  II.  p.  833.  851,  etc. 

2.  Cette  bulle,  entre  autres  censures,  condamnait  tout  ce  qui  portait  atteinte 
aux  immunités  du  clergé,  ou  menaçait  de  restreindre  la  juridiction  ecclésiastique. 
Elle  était  considérée  en  France  comme  attentatoire  aux  droits  de  la  royauté,  et 
en  15%  un  édit  du  Parlement  de  Paris  en  interdisait  aux  évêques  la  publication. 

3.  Déjà  en  1001,  il  avait  refusé  de  dégrader  un  prêtre  criminel.  Le  Parlement 
ayant  passé  outre,  il  excommunia  tous  ceux  qui  avaient  participé  au  jugement, 
jusqu'au  greffier  et  au  bourreau.  Il  fallut  deux  arrêts  du  Parlement  pour  qu'il  se 
décidât  a  relever  les  magistrats  de  l'excommunication. 

♦.  La  Floride,  célèbre  maison  de  campagne  que  Du  Vair  possédait  aux  portes  de 
Marseille. 


HECHBftCHÊS   SUN    G*    PU    VÀlll    Kl"   amUESPONDÀNCE    INÉDITE. 


609 


la  eonlirmation  de  vostre  santé,  dont  ie  loue  Dieu  de  tout  mon  cueur, 
de  tant  plua  que  ie  voy  que  c'est  un  commun  augure  en  l'esprit  do  tous 
ceux  qui  ont  du  jugement  que  le  repos  de  cet  estât  ne  doibt  durer 
qu'autant  que  vous.   Dieu  donques  veuille  avoir  soing  de  !*un  et  de 
l'autre.  Apres  cela,  monsieur,  i'ay  appris  la  p;raec  quil  vous  a  pieu  me 
moyenner  e  nu  ers  Sa  Majesté  sur  les  fruits  d'Ântibe,  ou  il  vous  a  pieu 
apporter  autee  vostre  bienueillance  accoustumee  un  soing  extraordi- 
naire. Ce  m  est  honte  et  regret  de  ne  pouuoir  sinon  vous  eu  remercier 
de  parolJes  et  de  me  voir  si  obligé  et  si  inutile  a  vous  seruir.  Mes 
puisque  ie  tiens  tout  ce  que  i'ay  d'honneur  et  de  bien  en  ce  monde  de 
vostre  in -iin  el  qn     vous  matiez,  comme  ie  m'en  asseure,  que  Je  ne 
manque  point  de  le  CQgnoîstre,  il  ne  reste  rien  a  y  accuser  que  l'im- 
puissance de  le  recognoïstre.  Receuez  en  donc  pour  cet  heure  mon  1res 
humble  remerciment.  (Après  avoir  appris  à  VHIeroy  que  Lesdi^iuères 
a  profilé  de  l'absence  du  duc  de  Guise  pour  traverser  la  Provence  avec 
une  suite  un  peu  trop  nombreuse  et  qui  justifiait  bien  des  inquiétudes, 
il  continue  en  ces  termes)  :  Nous  au  on  s  eu  icy  depuis  deux  iours  un 
piteux  spectacle  du  Vicomte  d'Allemagne  et  du  frère  de  M.  de  Jansort, 
l'un  ieune  homme,  l'autre  aagé  de  soixante  ans,  qui  se  sont  battus  a 
coup  de  dagues  tufi$  (?)  sur  la  place,  M.  di-  Vins  et  Salorne  les  secon- 
dant a  coup  d'espee,  Nous  Tairons  ce  que  nous  pourrons  pour  auo< 
iustice  reprimer  le  cours  de  tels  désordres,  bien  que  ie  suis  contraint 
de  ¥008  aduouer  qu'il   n'y  en  a   icy  '  qu'un  ombre,   car  les  alliances, 
parentes  et  factions  y  sont  si  grandes  qu'en  vérité  les  mesehants  n'ont 
plus  rien  a  y  craindre  et  les  bons  peu  d'occasion  d*y  estre  asseurez,  Je 
bien  qu'il  y  a  tant  d'autres  choses  a  faire  au  gros  de  Testât  qu'on 
if  se  venlt  pas  amuser  a  cela*  qui  autrefois  eust  esté  fort  aisé  a  remé- 
dier et  ne  semit  pas  neantmoins  maintenant  difficile.  Ce  aéra  quand  il 
plaira  a  Dieu.  Tout  mon  regret  en  cela,  c'est  que  le  publie  en  souffre. 
Mes  longues  maladies  et  absence  par  conséquent  ont  donné  tant  de 
commodité  et  d'audace  en  ceste  compagnie  a  ceux  qui  vuutoient  mal 
faire  que  ie  ne  puis  plus  les  retenir  2.  Ils  ont  leurs  factions  si  fortes  icy 
et  sont  si  asseurez  que  delà  on  ne  prendra  pas  le  soing  d'y  pouruorr, 
qu'a  la  vérité  les  meschants  triomphent  des  gens  de  bien.  Je  feray  tous- 
iours  du  mieux  que  ie  pourray  et  me  cousolerav  en  l'honneur  de  vos 
bonnes  grâces  que  ie  vous  priray  me  eonseruer  et  me  croire  tousiours.,. 
DWiXj  ce  30  novembre  i6î2. 

IV 

A  Villeroy,  27  décembre  1612  (M  s.  15  5S1,  ÎqL  60J. 
Monsieur,  le  secrétaire  de  M,  l'ambassadeur  de  Saney  ■  me  donne  le 
moyen  de  vous  faire  ce  mot  par  lequel  ie  vous  diray  que,  scachant  eoiu- 

i.  Dans  te  Parlement. 

2»  On  voit  apparaître  ici  La  trace  des  graves  difficultés  que  suscita  à  Du  Vair 
ï'hostîlilé  de  plusieurs  membres  du  parlement,  en  particulier  de  Ghnteautieuf,  le 
parent  de  Malherbe. 

3.  Achille  de  Harla.v  de  Sancy,  ambassadeur  en  Turquie. 


610  BETTE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

bien  a  regret  vous  oiriez  les  crieries  de  nos  marchands  marseîUois.  Fay, 
selon  que  M.  d'Ali ncourt  f  m'auoit  monstre  le  désirer,  parlé  aux  con- 
sulz  et  depputez  qui  m'ont  promis  d'enuoyer  vers  M.  l'ambassadeur 
pour  traitter  avec  luy.  J'ay  escrit  aussi  a  Marmery  *  a  ce  qu'il  y  disposait 
les  marchands  qui  sont  de  delà.  M.  de  Guize  vous  aura  informé  de 
Testât  de  la  prouince  et  de  la  tenue  de  nos  Estais.  Ce  qui  a  esté  de  plus 
notable  [c'est  qu'a  rassemblée  qui  Yj'est  faite  particulière  de  la  noblesse, 
le  marquis  de  Trans  proposa  de  prier  M.  de  Guize  de  laisser  icy  M.  le 
Cheualier  son  frère.  La  compagnie  craignit  que  la  Royne  se  tint  offensée 
de  cela  et  résolut  on  seulement  de  prier  M.  de  Guize  d'en  parler  a  Sa 
Maiesté  et  luy  faire  trouuer  bon.  Si  la  Royne  d'ailleurs  le  treuue  a  propos, 
ie  le  souhaiterois  de  tout  mon  cueur',  caroultre  les  autres  incommoditez 
qui  m'ostent  le  moyen  de  servir  aussi  utilement  que  ie  desirerois, 
nostre  archeuesque  m'a  a  ce  voyage  bandé  trois  ou  quatre  désespérez 
de  ce  parlement  qui  a  corps  perdu  m'attaquent  tous  les  iours  4.  Je  n'ay 
que  trop  de  force  et  de  courage  pour  eux,  si  la  Roi  ne  et  messieurs  ses 
ministres  me  secondent  comme  ils  doibuent  et  forti6ent  de  leur  autbo- 
rité.  Sinon,  et  qu'on  veuille  les  laisser  faire,  et  me  laisser  endurer,  il 
faudra  tout  quitter,  car  de  deçà,  bien  qu'ils  soient  peu,  ils  ont  tellement 
asseuré  leurs  affaires  par  parentez  et  récusations  qu'on  n'en  scauroit  tirer 
aucune  raison.  Je  vous  entretiens,  monsieur,  mal  volontiers  de  ces  brouil 
leries  la,  scachant  que  le  gênerai  des  affaires  est  de  soy  si  embarrassé, 
qu'il  vous  tient  l'esprit  prou  occupé,  sans  le  vous  diuertir  au  particulier. 

Quelque  fortune  qui  m'arriue  me  trouuera  tousiours,  monsieur,  vostre 

D'Aix,  ce  27  décembre  1612. 


A  Villeroy,  1"  août  1615  (Ms.  15  582,  fol.  36). 
Monsieur,  j'ay  appris  par  ce  peu  de  lignes  que  contient  celle  que 
vous  m'auez  escrit  le  dixiesme  de  iuillet  le  peu  d'espérance  que  vous 

1.  Ambassadeur  à  Rome. 

2.  Le  nom  de  ce  personnage  revient  souvent  dans  la  correspondance  échangée  avec 
Villeroy.  11  représenta  plusieurs  fois  les  intérêts  du  commerce  marseillais  dans  le 
Levant.  Il  s'occupa  en  particulier  de  •  faire  changer  l'escale  de  Tripoli  à  Alexan- 
drette.  -  Mais  il  semble  aussi  qu'il  ait  voulu  faire  payer  ses  services  plus  eber 
qu'ils  ne  valaient  (Ms.  15  582,  fol.  22.) 

3.  On  voit  que  Du  Vair  comptait  sur  le  jeune  prince  pour  briser  les  résistances 
qu'il  rencontrait,  et  l'on  s'explique  ainsi  les  regrets  que  lui  causa  sa  mort. 

4.  11  y  a  là  vraisemblablement  une  allusion  à  l'affaire  de  Châteauneuf.  Elle  est 
racontée  (B.  N.  Ms.  1C  872.  fol.  20,  26,.  dans  deux  lettres  qui  débutent  par  •  M.  mon 
frère  •  ,  correspondant  à  décembre  1612  et  janvier  1613.  Il  avait  accusé  le  secrétaire 
de  Du  Vair  de  ne  «  metlre  aucune  cause  au  rôle  de  l'audience  extraordinaire  -.  qu'il 
n'en  coûtât  une  pistole  et  plus.  Du  Vair  lit  aussitôt  emprisonner  son  secrétaire. 
L'accusation  fut  reconnue  fausse,  et  Du  Vair,  qui,  dep  lis  cette  accusation,  malgré 
les  supplications  du  parlement  et  des  villes,  avait  refusé  de  metlre  les  pieds  au 
Palais,  y  revint.  Châteauneuf  dut  demander  son  pardon  tête  nue  et  fut  suspendu 
pour  un  an.  11  faut  croire  cependant  qu'il  ne  désarmait  pas  encore,  car  le  22  mars  1615. 
Du  Vair  écrit  à  Villeroy  qu'il  veut  bien  se  contenter  des  soumissions  de  Château- 
neuf et  de  ses  parents,  et  qu'il  renonce  à  «  pousser  la  chose  jusqu'au  bout  »,  com- 
prenant que  l'âge  du  roi  et  les  circonstances  ne  permettent  pas  d'agir  aussi  énergi- 
quemenl  qu'il  l'aurait  voulu. 


RF.CIItlRCHKS   SUR    G.    DU    VA  lit    ET    i.mtfU  sl'ONnAlSC*:    INÉDITE. 


|>M 


auez  de  ramener  M,  le  Prince  a  la  court  *  et  vois  encor  le  déplaisir  que 
vous  au ez  en  vostrc  ame  de  voir  tant  d'esprits  partez  a  troubler  I 'estai  et  si 
peu  a  en  procurer  le  bien  et  le  repos.  La  grande  eognoissunce  qur  Voue 
auez  des  affaires  du  monde*  le  tcsnioignage  de  tant  de  signalez  scruîces 
que  vous  auez  rendus  a  Testât  sont  prou  suf  lisants  pour  vous  consoler 
et  fortifier*  Four  moy,  tant  que  ie  vous  verray  eu  action,  ïe  ne  perdray 
point  l'espérance.  Ce  qui  ine  la  nourrit  dauantage,  c'est  que  les  maux 
qui  nous  menacent  sont  si  uniuersels,  que  îe  pense  que  la  crainte  com- 
mune pourra  faire  que  nous  nous  pourrons  tous  rauiser  de  pourunir  au 
publie.  Car,  quand  il  y  en  a  quelques  uns  qui  espèrent  beaucoup  prof- 
fi  ter  de  la  confusion,  il  est  difficile  de  prendre  un  conseil  qui  puisse 
plaire  a  tous,  mais  ie  voy  qu'au  cours  que  prennent  les  affaires  et  Itoîs, 
et  princes,  et  grands,  et  ceux  qui  manient  Testât  se  voyent  tous  sur  le 
précipice  d'une  grande  ruine,  s'ils  ne  se  prestent  la  main  l'un  a  l'autre 
pour  s*en  tirer.  Quand  les  mariniers  s'enlrebattenl  dans  un  vaisseau»  la 
tourmente  ou  quelque  euident  péril  les  fait  bien  accorder  et  songer  a 
se  preseruer  du  naufrage.  Toutesfois  il  fault  scauoir  ce  que  Dieu  a  déli- 
béré de  faire  de  nous  :  il  auueiigle  souvent  les  esprits  des  hommes 
quand  il  les  veuït  conduire  a  leur  ruine.  Tant  y  a,  monsieur,  que  pour 
\ous  il  ne  vous  est  point  permis  d'abbandonner  la  barque,  ny,  en 
quelque  estât  qu'elle  soit,  d'en  abandonner  le  limon.  Le  faîct  de  Mûr- 
soîlle1  vous  a  fasché,  et,  îe  croy,  de  tant  plus  que  vous  l'auez  preueu  et 
auez  désiré  quon  y  pourueut  comme  il  estoit  aisé.  Si  ceux  qui  preci 
pilent  les  peuples  a  ces  desordres  la  estoient  gens  qui  sceussent  puis 
après  les  ranger  et  mener  des  armées  pour  les  ehastier,  on  les  excuse- 
roit  aucunement,  bien  que  i'estime  qu'il  fault,  quelque  forse  qu'on  ait, 
tousiours  faire  les  choses  avec  la  raison,  car  de  panser  gourmunder  les 
peuples  et  violer  les  priuileges  et  conditions  auec  lesquelles  ils  se  sont 
soubsmis  avons  et  a  vos  prédécesseurs,  c'est  chose  qui  n'est  point  iusle 
et  est  fort  hazardeuse  parmy  des  peuples  tels  que  ceux  aux  extrémités 
de  Testât  et  en  un  pais  ou  H  n'y  a  ny  places  fortes,  ny  gens  de  guerre 
pour  les  contenir.  Mais  au  bout  quel  mesnage  esteeluy  la  pour  gaigner 
dix  ou  douze  mil  escuz  vous  mettre  en  nécessité  de  despeudre  un  million 
pour  ebastier  des  peuples,  mesmes  quand  le  subîet  n'eu  semble  pas 
iuste  ny  a  ceux  que  vous  voulez  chaslîer,  ny  a  leurs  voisins?  De  sorte 
que  vous  réduisez  vos  affaires  en  tel  estât  que  vous  ne  pouuez  plus 
retenir  Tobeissance  qu'auge  la  forse,  et  par  ainsi  vous  estes  contraint 
d'aecroistre  vos  despenses  au  centuple  de  ce  que  vous  pensez  opiniâ- 
trement et  injustement  consertier.  Pour  moy,  monsieur,  Tay  tousiours 
estimé  qu'il  falloit  prendre  garde  de  ne  faire  rien  qui  ne  soit  iuste.  (Jue 


1.  Le  prince  de  Condé  avait  quitta  la  coup  le  23  mai,  et  le  tf  août,  il  lançait  un 
manifeste  dans  lequel  il  protestait  contre  la  politique  de  la  régente  et  les  mariage* 
espagnols. 

St  Je  n'ai  pas  trouvé  mention  dans  les  histoires  locales  du  fait  dont  parlt?  Du 
Yair,  mais  on  voit  clairement  par  la  suite  qu'il  s'agU  de  trouble*  occasionnes  par 
des  perceptions  de  taxes. 


612  REVUE    D'HISTOIRE   LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

si,  faisant  ce  qu'on  doibt  et  commandant  légitimement,  les  peuples  se 
desbauchent,  on  ne  les  doibt  laisser  sans  seuere  chastiment.  Mais  si 
l'iniuste  traitement  qu'on  leur  fait  les  pousse  a  quelque  desordre,  il  le 
vault  mieux  dissimuler  ou  passer  auec  quelque  indulgence  que  de  le 
panser  chastier  a  la  rigueur,  principalement  quand  les  voyes  de  la  ius- 
tice  ne  peuuent  suffire  et  qu'il  fault  tanter  la  forse  dont  les  euenemens 
sont  quelquefois  doubteux  et  ne  peuuent  estre  en  ceste  saison  que  très 
dangereux.  J'altens  par  le  preuost  du  Mas  la  resolution  que  leurs 
Maiestés  auront  '  prise  pour  ce  regard (Suivent  quelques  lignes  rela- 
tives à  des  incursions  des  Turcs). 
D'Aix,  ceteraost  1615. 


VI 

A  Villeroy,  le  28  août  1615  (Ms.  15  582,  fol.  45). 
Monsieur,  vos  lettres  du  quatrième  et  cinquième  de  ce  mois  m'ont 
grandement  affligé.  Que  me  peult  il  demeurer  de  consolation  quand  ie 
voy  que  vous  désespérez  non  seulement  en  la  diuision  et  mauuaise 
intelligence  de  ceux  qui  seruent  Testât,  mais  aux  mauuaises  intentions 
quasi  de  tous,  qui,  ne  regardant  que  leur  interest  particulier,  ne  son- 
gent sinon  que  comme  en  un  embrasement  de  ville  de  se  sauuer  avec 
le  pacquet  sur  le  dos?  Misérable  fortune  de  la  France!  Misérable,  celle 
des  fidèles  ministres  qui  trauaillent  pour  sauuer  un  malade  qui  fait  ce 
quil*  peult  pour,  en  despit  des  médecins,  haster  sa  Gn.  Mais  quoi! 
neantmoins  si  fault  il  attendre  le  malheur  auec  un  courage  constant  et 
résolu  et  porter  la  main  audeuant  du  coup*.  La  reuolution  des  affaires 
du  monde  est  si  incertaine,  qu'il  ne  se  fault  non  plus  désespérer  au 
mal  qu'assurer  au  bien  :  un  moment  change  l'un  en  l'autre.  Et  puis 
encor  y  a  il  quelque  gloire  et  quelque  contentement  de  périr  généreu- 
sement et  avec  une  contenance  hardie  et  résolue.  Pour  moy,  monsieur, 
ie  scay  que  voslre  vie  passée  vous  a  par  un  long  et  heureux  mani- 
ment  d'affaires  donné  beaucoup  de  contentement  et  consolation,  mais  ie 
n'estime  pas  que*  vous  en  ayez  moins  aujourd'hui  ou  i'entens  une 
voix  uniuerselle  de  tout  le  monde  qui  lesmoigne  que  vous  seul  bandez 
contre  le  desordre  et  la  cheute  de  cet  estât  et  prenez  sur  vous  la  haine 
et  l'enuie  de  librement  conseiller  ce  qui  est  pour  le  salut  commun. 
Dieu  vous  veuille  assister  et  fortifier!  Mais  ne  vous  manquez  point  a 
vous  mesme  et  perseuerez  iusques  au  bout.  Pour  moy,  ie  suiuray  et  vos 

1.  Aura. 

2.  Ce  qui. 

3.  Cette  admirable  lettre,  dans  laquelle  Du  Vair  essaie  de  rendre  courage  et 
confiance  à  son  chef,  rappelle  celle  qu'il  lui  adressait  le  1er  août  1594  et  à  laquelle 
j'ai  fait  allusion  dans  la  première  partie  de  ce  travail  (Revue  cThist.  litt.,  1899, 
p.  14).  On  est  frappé  de  la  sincérité,  de  l'effusion  qui  caractérisent  cette  corres- 
pondance flnissante.  On  devine,  du  reste,  par  une  lettre  du  5  janv.  1616  (Ms.  15  582, 
fol.  82)  que  Du  Vair  et  Villeroy  échangeaient  dans  les  derniers  temps  avec  assez 
de  mystère  des  communications  très  confidentielles. 


11ECJJEBCHES    SL  II    !..    bl     VAlll    KT    CORRESPONDANCE    INDUITE. 


613 


cxliurtuions  et  vos  conseils  et  ne  relascheray  en  rien  de  la  vigueur 
auec  laquelle  i*ay  tasehô  de  aeruir  mon  maislre  et  Testât  iliaques  a 
présent.,...  (suivent  des  nouvelles  de  la  province).  Nous  auons  îcy  des 
chaleurs  désespérées.  Je  nay  osé  y  chercher  aucun  soulagement  et  aller 
voir  mes  l'on  Laines  ces  deux  mois  tey,  a  cause  de  Testât  des  affaires. 
D'Àix,  ce  2*  aost  toi  5. 

Puur  compléter  celte  rapide  revue  de  la  correspondance  échangée 
a  vit  YMleroy,  il  me  reste  à  citer  une  lettre,  d'ailleurs  impo  riante, 
que  j'aurais  dû  faire  ligurer  plus  haut  en  raison  de  sa  date,  23  jan- 
vier 1610»  si  elle  n'était  d'une  autre  provenance  que  les  précé- 
dentes. Elle  se  trouve  à  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal*  ras.  6613, 
fol.  80.  Je  laisse  de  côté  la  première  partie  qui  relate  des  nouvelles 
d'Espagne. 

Vil 

Nous  auons  icy  les  Jesuittes  qui,  depuis  dix  ans  eu  ça,  travaillent 
continuellement  pour  s'estahlir  en  cette  ville.  On  s'en  estuit  tousiours 
de  (Tendu,  mais  enfin  ils  ont  tant  et  tant  brigué  que  ie  croy  qu'ils  tai- 
ront que  le  corps  de  la  ville  les  requerra  et  pour  y  induire  tout  le 
monde,  ils  disent  qu'ils  ont  la  volonté  du  Roy  et  de  messieurs  de  son 
Conseil,  Je  ne  scay  pas  d*ou  est  prouenu  ce  changement,  car,  quant  ie 
partis  de  la  court  le  Roy  et  monsieur  le  Chancelier  estoiraf  bien  ça  autre 
résolution.  Jeemv  bien  que  puur  le  présent  ils  ont  pluslost  en  humeur 
de  seruir  que  de  nuire,  et,  pour  mon  particulier,  quant  ils  seroient  icy, 
l'en  receuroîs  plus  de  consolation  que  personne,  car  ce  août  gwa  de 
lettres  auec  lesquels  on  a  pour  entretenir  auec  plaisir  en  ce  pais  ou  il 
n'y  en  a  point  ou  fort  peu  de  ceste  qualité.  Mais  fen  preuoy  un  tel 
danger  et  dommage  a  laduenir,  que  ie  penserois  grandement  manquer 
a  mon  dcuoir  si  ie  ne  le  faisois  entendre  au  Roy  et  a  ceux  qui  le  conseil- 
lent'. Et  pour  ce,  monsieur,  ie  vous  diray  sommairement  les  raisons 
qui  me  meuuenta  ceste  créance  et  vous  supplîray  les  faire  entendre  a 
Sa  Maiesté,  al'lin  que  ie  sois  deschargé  en  mon  aine  et  enuers  la  poste- 

i.  Dès  liioa,  au  moment  où  le  roi  rappelait  en  France  les  Jésuites,  Du  Vair  signa- 
lait Ich  efforta  qu'ili  (fcindiat  pour  s'implantera  Ai*  et  beoéueier  des  allocations 
qui  avaient  été  volves  par  les  Ivials  de  Provence  pour  le  paiement  do  professeurs 
de  Celle  v i 1 1  +.r .  liais  li*ur  tentative  échoua.  En  octobre  1603  Je  roi  fonda  le  Collège 
lU»yal  de  Bourbon,  à  Atx,  qui  fut  remis  à  un  principal  et  à  des  régents  séculiers 
jusqu'en!  169B#Oft  l\  [Ut  donné  nux  jésuites.  *  Il  se  faiet  eo  caste  riUe  une  grande 
et  outierle  brigue  pour  y  mettre  les  JêittfslQf  et  pour  eest  office  leur  appliquer 
deux  mit  escus  que  le  rov  a  accordé  au  pais  estre  leuès  chascun  au  sur  le  sel. 
Cela  est  aussi  pourrait]}  près  du  Hoy,  et,  alîin  que  les  deniers  ne  tussent  employés 
a  antre  choie,  connut  il  auoit  esté  destiné  pour  rUuîuersîlé  des  loi*  el  autres 
facultés,  on  a  iniques  auiourd'huy  empesché  que  tes  expéditions  n'aient  esté  des- 
Jj urées.  Je  vous  supplie,  monsieur»  de  dire  au  roy  de  ma  part  que  i'eslipie  rçue 
c'est  chose  que  ie  n'estime  pas  a  propos  pour  son  seruice  et  que  ie  crois  qu'ils 
seront  mieux  par  Lotit  en  son  royaume  qu'lcy,  dont  ie  luy  diray  les  raisons  quand 
î'auray  cet  honneur  de  le  voir:  cependant  qu'il  ru;  se  laisse  pas  surprendre  pour 
prester  sur  ce  subtet  aucun  coosenlemeuL.  »  A  VlUtroy,  28  avril  1003  (Ms,  15  573, 
fol.  tiG). 

Ret.  ti'aiST.  uttéR,  di  ul  France  (71  Ànn.).  —  VII.  40 


tU  *FTCT   HI1STDUE  LITTtEAIBE   K   Là   Faisa- 

nte de  ce  qui  en  pourra  arriuer  de  mal  a  l'aduenir.  Tons  tou*  repré- 
senterez donc.  s'A  vous  plaist,  qae  le  principal  reo  que  face  tout  cet 
ordre,  c'est  d'une  aueuçlee  obéissance  qu'ils  prometleol  an  Pape  et  a 
leur  général,  qui  a  tousâours  esté  et  sera  vraisemblablement  Espagnol 
on  de  nation  on  de  faction.  Ceste  pronînce  estait,  comme  tous  scasez, 
il  nV  a  guerre  plus  de  cent  ans.  de  l'empire.  Proo  de  gens  ont  des  pré- 
tentions dessus  :  les  princes  Toisins  en  remarquent  mieux  les  commo- 
dité* que  nous;  beaucoup  d'eux  nourrissent  des  desseins  dessus.  Durant 
ces  troubles,  monsieur  de  Sauore,  le  Grand  Duc  \  l'Espagnol,  ont  tra- 
Taillé  pour  s>  fourrer.  Les  papes  ne  s  y  sont  pas  oubliez  :  le  Père 
Honorio  *  tous  en  dira  bien  quelque  chose.  Les  humeurs  des  peuples  y 
sont  légers  et  changeants,  auares  assez  a  gaigner,  amateurs  de  nou- 
veauté. Aoignoo  et  le  Comtat,  en  un  temps  troublé,  donnent  une  grande 
commodité  pour  entreprendre  sur  ce  pais.  Or  tous  asseurez  que.  si  les 
Jésuites  sont  une  fois  icy,  qu'ils  main  root  et  la  Tille  et  tout  le  parle- 
ment et  par  conséquent  tout  le  pais  a  leur  volonté,  car  les  esprits  de 
ceste  pronînce  se  gouuernent  fort  par  la  religion.  Je  tôt  que  ceste  pro- 
nînce. mesmes  soubs  les  comtes  de  Prouence  s'est  acquise  ce  priuilege 
que  rien  qui  Tienne  de  Rome  ou  d'Auignon  ne  se  peult  publier  ni  exe- 
quuter  sans  l'annexe  du  Parlement  ou  Conseil  Royal.  Xeantmoins  une 
partie  des  esprits  de  ce  Parlement  ont  esté  tellement  agitez  par  les 
confesseurs  et  gens  d'église  qu'ils  croyent  estre  excommuniez,  obser- 
uant  ceste  règle.  On  peult  iuger  par  la  du  reste.  Ceste  prouince  est 
justement  posée  entre  l'Espagne,  l'Italie.  l'Allemagne  et  la  France,  et 
par  conséquent  extrêmement  propre  pour  faire  un  réduit  d'aduis  en  un 
passage  de  negotians.  J'ay  donc  pensé  tous  deuoir  faire  entendre  cela, 
a  quoy  ie  m'asseure  que  vostre  prudence  adioustera  plusieurs  antres 
considérations,  qui  me  fera  finir  tous  suppliant  me  continuer  l'honneur 
de  vos  bonnes  grâces  et  me  croire  tousiours... 

VIII 

Le  ms.  16539  renferme  (fol.  599}  une  lettre  relative  à  la  célèbre 
affaire  du  prêtre  marseillais  Gauflridi  qui,  comme  Urbain  Gran- 
dier  à  Loudun,  fut  condamné  à  mort  pour  impureté  et  sorcellerie. 
Outre  qu'elle  nous  fait  connaître  l'état  d'esprit  de  Du  Vair  et  des 
autres  parlementaires,  elle  a  le  mérite  de  résumer  très  exactement 
l'enquête,  restée  en  grande  partie  secrète3,  qui  fut  menée  sur  cette 

i.  De  Toscane. 

t.  Le  P.  Honorio,  moine  capucin  de  Milan,  avait  averti  Henri  IV  d'un  complot 
tramé  contre  lui.  En  récompense  de  ce  service,  le  roi  le  chargea  souvent  de  mis- 
sions confidentielles. 

3.  On  trouvera  cette  histoire  racontée  assez  au  lo*g  dans  Michelet.  Il  s'est  servi, 
pour  l'écrire,  du  rapport  du  P.  Miehaelis,  qui,  en  sa  qualité  d'inquisiteur  à  Avi- 
gnon, eut  à  intervenir  dans  l'affaire  ;  mais  il  regrette  de  ne  pas  savoir  •  ce  que  cet 
infortuné  dit  à  la  question  -,  ajoutant  que  le  parlement  tenait  ces  révélations 
•  dans  le  secret  de  la  Cour.  •  La  lettre  que  nous  publions  comblera  dans  une  cer- 
taine mesure  cette  lacune. 


RECHERCHES    Si' Il    G,    OC    VAlft    ET    CORRESPONDANCE    IKKDITE\ 


615 


accusation.  Celte  lettre  a  été  dictée  par  Du  Vair  ;  la  formule  finale 
et  la  signature  seules  sont  de  sa  main.  Elle  esl  précédée  dans  le 
manuscrit  de  la  mention  suivante  :  «   De  AL  Du  Vair,  premier 

président  de  Prouence  à  M*  le*  {aie)  touchant  la  condamnation 
du  prestre  sorcier  et  la  possession  d'une  fille  par  luy  séduite.   »> 

Monseigneur,  j'ay  receu  par  Dumas  la  voslre  du  quinziesme  auril 
auec  les  lettres  qui!  vous  a  pieu  faire  expédier  a  la  priera  du  Père 
Mie  h  ae  lis  pour  cesle  misérable  fille  *  que  nous  auons  icy;  &t,  pour  ce 
que  vous  me  chargez  de  vous  faire  scauoir  le  sucçez  de  cesl  allaire, 
qui  est  a  la  vérité  un  des  plus  estrang^s  qui  se  soit  présenté  de  nostre 
me  moire  en  la  iustice,  ïe  vous  diray  que  le  prestre  fut  bruslë  le  dernier 
iour  de  may3,  monslrant  en  apparence  une  grande  repantauce,  laquelle 
ie  ne  croy  pas,  ny  qu'il  ait  entièrement  déclaré  la  vérité.  Vous  auez 
desia  sceu  l'origine  de  ce  procès,  qui  est  que  la  fille  qui  auoït  esté  par 
luy  desbauchee,  faiele  sourciere  et  menée  au  sabbat  s 'estant  voulu 
eonuertir  s'est  trouuee  possédée,  l'esprit  ayant  déclaré  qu'il  ne  sorti- 
ront point  que  le  magicien  qui  Tau  oit  mis  en  ce  corps  ne  fust  mort  ou 
conuerly.  Elle  déclare  en  iustice  la  vérité  du  faict,  descouure  tous  les 
secrets  du  sabbat,  indique  les  marques  du  prestre.  It  est  pris,  visité, 
IroUttS  marqirô*.  Ne  le  prmunnt  nyei\  il  dict  que  c'est  sans  son  consente* 
ment,  nyetoutle  reste,  enfin  confesse,  premièrement  a  des  capucins  qu'il 
auoit  luy  mesme  demandé  pour  luy  assister,  et  depuis  a  la  iustice  par 
denant  les  commissaires  par  plusieurs  fûia  eteucoressur  l'escabelete  et 
aux  tourrnens  entre  plusieurs  autres  choses  ce  qui  s'ensuit  ;  qu'un  sien 
oncle  luy  auoit  laissé  un  liure  de  magie,  lequel  ayant  trouué  entre  ses 
papiers,  il  y  aenuiron  cinq  a  ^ix  nns,  lisant  dedans,  le  diable  s'apparut 
a  luy,  qu'ils  contractèrent  ensemble  par  scedules  réciproques  les  plus 
abominables  qu'il  est  possible  de  penser  :  le  diable  lui  donna  la  grâce 
de  plaire  au  monde  et  particulièrement  pouuoïr  charmer  les  femmes 
en  les  soufflant  4,  promit  d'habiter  dans  l'ongle  de  son  pouce  de  la 
main  gauche;  que  la  première  qu'il  souffla  fust  cesle  fille;  qu'il  en 
abusa,  luy  persuada  de  se  donner  au  diable,  luy  en  dicta  la  scedule, 
la  mena  au  sabbat,  ou  elle  fust  rebaptisée,  marquée  et  oiucle.  11  raconte 
toutes  les  abominations  qui  se  font  au  sabbat;  les  trois  ordres  qui  s'y 
trouuent,  de  masques  \  sourciers»  magiciens;  les  adorations  et  blas- 


I.  Peut-être  le  chancelier-  Lui  seul,  sernble-L-il,  pouvait  autoriser  t'inqulrîteor  i 
agir  et  *  charger  *  Du  Vair  de  le  tenir  au  courant  de  L'&fTaire.  Peut-être  encore  le 
dm-  île  Guise,  gouverneur  de  la  province* 

2*  Il  sTagil  de  ta  lame  niable  hèroine  de  ce  drame,  Madeleine  de  la  Palnd» 

l Ki  Vair  comme!  ici  une  inadvertance,  La  leltrc  esl  du   i  mai*  Il  a  dicté  mai 
au  lieu  d'avril;  c/esl  le  3u  avril  qu'eu l  lieu  L'exécution  de  GaufTridï. 

4.  Ceux  qui  s'étaient  donnés  a  Satan  avaient,  paraît-il,  sur  le  corps,  des  places 
irtsmmtMe*  qui  duraient  autant  que  la  possession, 

5.  En  soufflant  sur  elles. 

fi*  Ce  mol  serai l-il  employé  dans  le  sens  de  sorcières,  suivant  l'ëtvmologia 
donnée  parLitlrê  :  Bas-latin,  masdtal 


616  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA   FRANCE. 

phemes  qui  s'y  '  commettent,  mesmes  qu'ils  y  font  consacrer  le  corps 
de  noslre  seigneur  en  l'honneur  de  Lucifer,  font  toutes  sortes  de  pollu- 
tions en  leurs  corps  :  c  hase  un  y  rend  compte  du  mal  qu'il  a  faict; 
qu'ils  mangent  de  la  chair  de  petits  enfants  et  infinies  autres  ordures 
qui  ont  esté  souuent  dictes  et  souuent  descrcûes.  Il  asseure  le  trans- 
port eslre  réel  et  ce  qui  se  fait  la,  dont  toutefois  une  partie  se  faict  en 
des  corps  aériens  que  l'Esprit  suppose,  mesmes  pour  les  Incubes  et  Suc- 
cubes par  le  moyen  desquels  se  faict  la  meslange  des  esprits  auec  les 
hommes.  La  déposition  de  la  fille,  qui,  hors  des  agitations  de  l'esprit, 
est  fort  rassise  et  sensée,  confirme  tout  cela,  mais  y  adiouste  plusieurs 
aultres  choses  esquelles  le  prestre  dict  qu'elle  se  trompe.  Et  de  faict, 
elle  dit  des  choses  qui  se  trouuent  n'estre  pas  vrayes.  et  d'autres  fort 
différantes  de  ce  que  dit  le  prestre,  d'où  il  semble  que  l'opinion  de  plu- 
sieurs qui  ont  escrit  de  ceste  matière  soit  vraye,  en  ce  qu'ils  ont  tenu 
qu'en  ces  choses  la  il  y  a  partie  de  vérité  et  partie  d'illusion.  Ce  qui  a 
fort  empesché  les  iuges,  c'est  que  l'un  et  l'autre  se  sont  rencontrez  a 
assurer  que  le  Diable  les  oinct  d'une  certaine  onction  qui  faict  que, 
quand  ils  sont  sortis  de  la,  ils  ne  se  souuiennent  nullement  de  ce  qu'ils 
y  ont  veu  et  mesmes  des  noms  propres  de  ceux  qu'ils  y  ont  cognu,  et 
que  la  mémoire  ne  leur  reuient  sinon  a  mesure  qu'ils  se  conuertissent, 
et  encore  ne  se  souuiennent  ils  pas  des  surnoms,  et  par  la  ce  prestre 
s'est  tousiours  excusé,   mesmes  aux  tourmens,  de  nommer  aucungs 
complices,  disant  que  si  le  Diable  n'usoit  de  ceste  ruse,  que  toutes  ses 
synagogues  seroient  incontinant  destruictes;  que  les  synagogues  se 
tiennent  par  climats  et  qu'il  s'en  tient  une  générale  en  la  Palestine, 
ou  préside  un  euesque  de  Grèce,  en  laquelle  il  dict  avoir  esté.   Bref, 
quasi  tout  ce  qui  se  trouve  escrit  de  ces  folies  cy  dans  les  livres  se  trouue 
en  ce  procez,  mais,  oullre  cela,  beaucoup  de  particularité z  qui  ne  sont 
point  escrites  ailleurs.  Et  toutefois,  comme  ie  disois  au  commencement, 
i'estime  que  nous  n'auons  pas  tout  sceu  et  que  les  confessions  de  cest 
homme  sont  pleines  d'artifice,  car  se  voyant  conuaincu  par  ses  mar- 
ques auec  les  autres  preuues  du  procez  et  que  par  la  il  demeuroit 
chargé  de  deux  choses  fort  odieuses,  Tune,  qu'estant  magicien  et  sour- 
cier il  auoit  exercé  la  charge  de  vicaire  a  une  église  parrochialle  *  de 
Marseille   ou  il  auoit  vraisemblablement  fort  abusé  des  sacremens, 
l'autre,  par  la  déposition  de  la  fille  d'auoir  consacré  au  sabbat  et  donné 
à  manger  aux  chiens  le  précieux  corps  de  Notre  Seigneur,  il  semble  qu'il 
ait  voulu  accommoder  sa  confession  pour  faire  croyre  qu'il  ne  s'estoit 
donné  au  Diable  que  depuis  qu'il  auoit  quitté  l'exercice  de  la  vicairie, 
et  encores  a  la  reserue  des  sacremens  et  sans  en  auoir  abusé,  comme  il 
a  tousiours  soustenu  3.   C'est  a  la  vérité  un   grand   scandalle   pour 

1.  Si. 

2.  L'église  des  Accoules. 

3.  De  tout  ce  qui  précède,  il  ressort  clairement,  que  c'est  uniquement  l'accusa- 
tion de  sorcellerie  qui  entraîna  la  condamnation  de  GaufTridi,  et  que  lesa  marques 
découvertes  sur  son  corps  furent  regardées  comme  des  preuves  décisives. 


RECHERCHES   S!  U    G.    hl'    YAlll    ET    COftftKSPQSDASCE    INÉDITE. 


1  Eglise,  dont  toutefois  elle  n'a  pas  esté  exempte  en  sa  plus  gtattde 
pureté  et  simplicité;  mais  aussi  n'est  ce  pas  peu  d'edilieatïon  de  voir' 
la  curieuse  recherche  que  le  diable  fa  ici  d'abuser  des  sacremens  de 
rSglite,  mesmea  du  plus  sainet  et  du  plus  augaflte,  ce  qu'il  ne  feroit  pas, 
s'il  ne  iugeoit  qu'ils  sont  véritablement  lek  que  nous  les  croyons,  c'esl 
a  dire  les  eiïecls  certains  de  la  parole  de  Dieu,  les  thrôsors  de  ses  gr&CeS 
el  tes  gaîges  asseurezdu  salut  dea  homme*.  D'ailleurs  personne  de  ceux 
qui  ont  esté  présent  ne  peut  '  nyer  dauoir  veu  des  effeets  tort  sigti 
des  exoreismes  qui  ont  esté  faicts  en  la  puissance  de  l'Eglise,  Je  ne  s 
veux  point  remplir  eeste  lettre  d'une  infinité  de  particularité!  que  ceux 
qui  ont  assisté  ceste  fille  et  ses  compagnes,  dont  il  y  en  a  trios  nutlc(N 
ciees,  attestent  estre  suruenues.  Je  me  contante  de  vous  Faire  sommai- 
rement entendre  les  choses  plus  considérables  qui  résultent  du  procès 
ou  nous  auons  encore  une  chose  que  ie  vous  obmettois  forl  signalée, 
un  rapport  des  médecins  et  chirurgiens  squî  certifient  que  les  marques 
de  la  fille  qu'ils  >oioient  auparauant  troun  ïblea  SOût  redeuen  nea 

sensibles  et  quasi  toutes  effacées.  Il  est  vray  au  sa]  que,  quand  nous 
auons  iugé  le  preslre,  nous  auons  voulu  ouyr  la  Pille  et  qcze  bus  PEspril 
l'a  randue  muelle,  ayant  la  langue  visiblement  reliree  et  retournée  au 
dedans,  et  n'a  reeouuert  la  parolle  que  lors  de  Vexequutioji.  Ni  mis 
sommes  attandans  quelle  sera  la  suite  de  ce  faict  et  ce  qu'il  plaira  a 
Dieu  ordonner  de  eeste  misérable  Bile  \  Je  ne  scay  quel  in-ement 
feront  a  Taduenir  ceux  qui  enteiulnuit  eeste  histoire,  meemefl  si  toutes 
les  particularités  leur  en  sont  repr<  m  ni  s  bien  vous  puis  if 

dire  auec  vérité  que  tous  ceux  qui  ont  esté  présents  cl  aux  procédures 
£t  au  iugc nient  du  procès  pour  as-enrrz  qu'ils  fussent  en  ont  receu 
beaucoup  dVsLujînemciit  \  et  que  personne,  pour  dur  qu'il  ait  le  cosar, 
n'a  doubtê  que  Dieu,  par  une  particulière  prouidence  et  par  des  voyes 
extraordinaires  n'ayt  descouuert  cesle  abomination  et  ne  l'ait  conduite 
a  sa  peine.  S'il  suruient  en  ce  Fait  quelque  chose  de  bien  Considérable 
et  ou  il  y  ail  certitude,  ie  vous  en  donneray  aduîs,  puisque  vous  le 
désire*  et  attendant  vous  supplieray  me  concerner  l'honneur  de  vos 
bonnes  grâces,  puisque  ie  suis,  monseigneur,  voslre,.. 
D'AU,  ce  4r  may  161 L 


|f  Ptuueni, 

2,  Quatre  docteurs  en  médecine,  professeurs  de  l'Université  d'Aix,  avaient  fait  ces 
étonnantes  eoBStftittlons, 

A.  Horion:  Mouche,  Tau  leur  de  Vlltsf,  cht*mûl.  rf*'  PrWMtéfj  eut.  quarante-*!'  u\ 
ans  plus  tard;  la  curiosité  d'interroger  Madeleine  de  la  Palud  sur  le  ■  gros  livre  • 
composé  «ur  Cette  affaire.  Rite  tui  déclara  que  les  bon  =  Pères  qui  avalent  donné 
les  mémoires  ou  écrit  le  livre  s'étaient  trompés  fît  que  c'était  là  un  tissu  àHUusious. 

*.  C'est  bien  ce  qui  semble  s'élre  produit  en  effet  pour  Du  Vaîr  comme  pour  les 
autres»  s'il  faut  en  croire  la  fameuse  histoire  racontée  par  tous  les  historiens  de 
(>i  Provence:  tout  le  Parlement  mis  en  déroute  par  l'apparition  soudaine  d'un  être 
noir  tombé  de  la  cheminée  au  beau  milieu  d'une  séance  où  Ton  s+élail  occupé  des 
relations  de  GaufTridi  avec  le  diable.  On  avait  pris  l'intrus  pour  le  Malin  dont  il 
venait  d'être  tant  parlé.  Cfélait  simplement  un  ramoneur  qui  avait  pris  la  che- 
minée de  la  Cour  du  Parlement  pour  celte  de  la  Gourdes  Comptes  qu'il  était  chargé 
de  nettoyer. 


6t8  REVUE   D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA  FRANCE. 

J'ai  gardé  pour  finir  on  long  discours  adressé  à  Sully  et  qui 
n'a  que  les  apparences  d'une  lettre.  C'est  plutôt  une  dissertation 
morale,  un  peu  lourde  d'ailleurs  et  compassée,  dont  le  sujet  se 
trouve  indiqué  en  tète  de  la  copie  qui  nous  en  reste  :  «  Lettre  de 
H.  le  président  Du  Yair  à  M.  de  Suilly.  Il  l'advertit  d'eslre  plus 
affable.  »  Ce  morceau  se  trouve  dans  le  ms.  17  309  (fol.  3,  r*)  qui 
lui-même  faisait  partie  de  la  bibliothèque  manuscrite  léguée  par  le 
duc  de  Coislio,  évêque  de  Metz,  au  monastère  de  Saint-Germain 
des  Prés. 

Il  est  inutile  de  chercher  à  donner  une  date,  à  découvrir  une 
cause  immédiate  à  un  morceau  d'un  caractère  aussi  général  que 
celui-ci.  Disons  seulement  que  Du  Yair  dut  connaître  Sully  d'assez 
bonne  heure,  quand  celui-ci  quitta  le  service  du  roi  de  Navarre 
pour  celui  du  duc  d'Alençon,  auquel  Du  Vair  appartint  quelque 
temps.  Dans  la  suite,  il  eut  à  lutter  souvent  —  sa  correspondance 
en  témoigne  —  soit  en  son  nom,  soit  au  nom  du  Parlement  ou  de 
la  province,  contre  la  fureur  d'économies  de  Sully.  Il  semble 
qu'ici  il  se  soit  complu —  sans  grand  espoir  d'atteindre  un  résultat 
—  à  disserter  sur  ce  trait  du  caractère  de  Sully,  si  connu  de 
tout  le  monde. 

C'est  une  experiance  ordinaire  que  la  grande  autorité  et  les  honneurs 
offusquent  les  esprits  des  hommes,  la  claire  intelligence  des  choses, 
voire  souuent  la  vraye  congooissance  d'eux  mesmes,  et  c'est  une  pra- 
tique bien  rare  de  veoir  ces  mesmes  hommes  résister  a  ces  l  iinpetuo- 
sitez  naturelles,  comme  a  des  vens  contraires  et  rabattre  par  prudance 
ceste  légère  partie  de  l'âme  qui  ne  s'esleue  que  trop  aisément  en  eux, 
tant  il  est  naturel  a  l'homme  de  n'auoir  pas  la  puissance  sur  ces 
mouuemens  et  d'estre  ordinairement  le  plus  dangereux  dateur  de  soy 
mesme.  Tous  les  plus  grandz  hommes  qui  furent  iamais  l'ont  ressenty 
en  eux  et  quelques  fois  l'ont  assez  librement  confessé,  n'ayant  ny  des- 
pict  ny  honte  de  le1  recognoislre  de  bonne  foy  quand  il  s'est  trouué 
des  esprietz  assez  hardis  pour  le  leur  dire  en  face,  lorsqu'il  en  a  esté 
besoing.  Celluy  qui  iugea  par  la  phisionomie  de  Socratte  les  vicieuses 
inclinations  de  son  ame,  il  fut  aduoué  par  Socratte  mesme  qu'il  auoit 
raison  et  qu'elles  luy  feussent  passées  en  habitudes,  s'il  n'eust  corrigé 
par  la  vertu  les  de  s  f au  Us  de  son  naturel.  Ce  grand  personnage  et  les 
autres  imitateurs  de  sa  générosité  ont  tant  aimé  la  franchise  de  ceux, 
qui  desiroient  les  rendre  [meilleurs 3?]  que  les  recepuant  de  bonne  part 
et  en  faisant  leur  profQct  ils  se  sont  en  cclla  reputté  plus  heureux  que 
les  roys  mesmes,  deuant  lesquelz  la  vertu  n'ose  comparoistre  qu'en 

1.  Ses. 

2.  De  recognoislre. 

3.  Nécessaires. 


RECHERCHES    SUR    G.    DU    VA1R    ET    CORRESPONDANCE    INEDITE. 


619 


habit  déguisé*  Puis  donc  que  c'est  chose  confessée  qtt'fl  n'y  a  personne 
si  accomplie,  en  laquelle  il  n'y  ayt  quelque  chose  a  désirer  i  I  que 
cliasrun,  tendant  à  la  cogmii^atice  de  sny  mesme,  ne  doîbt  point  auoir 
de  regret  de  couper  les  aisles  de  la  présomption  et  de  retrancher  a 
tout  Les  heures  quelque  chose  qui  empesche  la  perfection,  l'entrepren- 
dray  dvec   plus  de  hardiesse  de   faire  comparoistre  douant  vous  ma 
liberté  parlant  le  langage  de  la  veritté,  laquelle  fespere  ne  vous  debtiOtf 
es  ire  odieuze,   puisqu'elle   peult  seruir  a  vostre  gloire,  ne   requérant 
ce  s  te  prerogatiue  que  pour  le  désir  que  iViv  de  veoir  vostre  prudance 
estimée  auec  vostre  bonne  fortune,  aflm  que  vous  ne  soyez  pas  seule- 
ment considéré  pour  heureux,  mais  ordonné  pour  vertueux»  car  pnnnv 
tant  d'imprécations  que  plusieurs  vous  font  (transportez  de  leurs  inte- 
reslz  particuliers!,  ie  fais  profession,  auec  une  ûntùre  religion?  '  de  bénir 
et  non  de  mesdïre,  sou  haletant  d'aiTeclion  que  de  vos  commun  ce  meus  ey 
beaux  l'arriére  saison  en  suite  nmn.1  s  plus  be-lle.  Hr  ch&scuJkSC&H  qu'après 
heureux  succedz  desquels  Dieu  a  couronné  les  trauaux  du  Roy»  pottf 
ramener  la  France  en  elle  mesme  et  ayant  ramené  ce  bris  comme  d'un 
nauitVage  duquel  elle  s'est  presque  sautiee  loule  nue,  la  plus  visible 
marque  de  la  sagesse  de  Sa  Maîesté  s'est  faict  voir  en  l'eslecLion  qu'elle 
a  voulu  faire  de  personnes  capables  pour  retoïndre  les  enlrouuertures 
par  ^u  le  nauire   avoit  faict  eau»  qui  par  mesnage  et  frugalité  ont 
resixtr  rtl  faict  amas  daultant  de  commodités  qu'il  en  au  oit  fallu  ieeter 
du  vaisseau  pour  sauuer  le  pilotte,  les  rnaleloU  et  ceux  qui  nageoienl 
soubz  leur  conduide.  Et  certes  ayant  faict  tomber  les  armes  des  mains 
de  ses  ennemys  ou  par  lassitude  ou  par  Iraictez,  mais  principalement 
par  ses  victoires,  il  ne  pouuoit  rien  de  meilleur  ny  de  plus  grand  que 
d'esiablir  un  bon  ordre  a  la  conduite  dé  ses  affaires,  nommément  au 
maniement  de  ses  finances,  n*im  donnant  pas  la  charge  a  ceux  dont 
IVuiarïee  l'eust  plus  esuidemrnent  '  briguas,  mais  a  vous  dont  la  fidel- 
lité  Tanoit  très  dignement  merïltiv.  Les  grandi  lesmoignages  deco- 
nomie  que  vous  auez  renduz  depuis  vostre  administration,  seruent  de 
fortes  preuues  combien  vous  honnorez  le  choix  qui  a  esté  faict  pour 
cella  de  vostre  personne,  mise  en  cet  œuure  auquel  on  peult  dire  qu'elle 
estoit  de   longue   main   reseruee  comme    une    perle   non  de   grande 
monstre,  mais  de  beaucoup  de  valleun  Le  Roy  le  ressent,  la  France  le 
recognoist,  ceux  qui  ayment  le  publicq  le  confessent,  et  c'est  beaucoup 
d'eslre  sy  tidelle  a  son  prince  et  sy  uLille  a  sa  patrie,  car  nul  ne  peult 
auoir  un  plus  glorieux  but  de  ses  actions»  Mais  une  seule  chose  vous 
semble  défaillir  en  ces  louables  exploits,  qui  est  fuzage  defl  procé- 
dures agréables  aultant  qu'il  se   peult  houneslement,    allîn    que   ne 
visant  qu'au  bien  de  la  république  on  ne  méprise  pas  si  absolument 
le  contentement  des  particuliers  dcsquelz  elle  est  composée.  11  est  cer- 


2.  Le  copiste,  qui  a  laissé  échapper  une  fouie  de   fautes  dans  tout  ce  morceau, 
avait  tafit  :  an  Lie  tint  religieuse* 

2.  Texte  douteux. 

3.  Avidement  semblerait  plus  satisfaisant. 


620  REVUE    DTHISTOIRE  LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

tain  que  les  demandes  de  plusieurs  ne  sont  reffuzees  que  de  la 
seulle  nécessité,  par  l'organe  de  vostre  bouche  et  non  par  le  Roy, 
ny  par  vous;  mais  c'est  la  coustume  que  ceux  qui  sont  sappez  s'en 
prennent  plustost  au  bras  qu'a  la  cause  qui  le  faict  agir.  De  la  se 
forment  leurs  animositez  qui  font  désirer  a  plusieurs  de  vous  veoir 
désarçonner,  plus  par  assouuissement  a  leurs  vengences  que  pour 
remeddier?  a  leurs  incommoditez.  Contre  tout  cela  vous  auez  deux 
fortz  :  la  faueur  de  vostre  maistre  et,  ce  qui  vault  mieux  encore, 
voslre  prudance.  Mais  celle  la  ne  soufflant  pas  tousiours  d'un  mesme 
costé,  et  ceste  cy  n'estant  pas  tousiours  en  mesme  recommandation, 
ceux  qui  sont  paruenuz  aux  charges  ne  s'y  peuuent  maintenir  en  trop 
de  bonnes  sortes,  desquelles  ils  peuuent  chercher  le  moyen  auec  le 
compas  de  la  raison.  On  tient  qu'il  est  bon  es  combatz  d'eslre  rude  aux 
coups,  effroyable  de  la  voix  et  terrible  au  regard  ;  mais  pas  un  de  ces 
trois  ne  semble  propre  aux  affaires,  et  sy  le  desordre  ou  elles  estoient 
n'a  peu  estre  desbrouillé  qu'en  uzant  de  ces1  voyes,  c'est  désormais 
assez.  Il  se  dict  d'un  bon  gendarme  qui,  en  un  combat  ou  il  s'estoit 
vaillemment  porté,  rehaussant  l'espee  pour  la  tirer  encores  et  enten- 
dant la  retraicte,  se  retinct  et  se  retira.  Jusques  icy  vous  auez  faict 
beaucoup  d'eschecq  ;  mais  doresnauant  la  raison  et  vostre  propre  con- 
tentement vous  conuient  de  faire  halte,  non  pas  de  bien  faire,  car  ce 
debuoir  veult  estre  continué  sans  intermission,  mais  bien  n'adiouster 
encores  es  esprictz  des  hommes,  le  desplaisir  d'estre  gourmandez  auec 
le  mécontentement  de  ne  recuellir  aucun  fruict  de  leur  pénible  pour- 
suite. 

Quelques  personnages  fameux  ont  autrefoys  veu t  (?)  par  l'exelance 
de  leur  vertu,  despouiller  sinon  tout,  au  moins  la  plus  part  de  ce  qu'il 
y  auoit  de  plus  véhément  et  de  passible?  en  eux,  et,  ioignant  la  bonne 
grâce  auec  l'autorité,  les  ont  reduictz  par  une  union  bien  accordée  a 
un  bon  et  parfaict  gouuernernent  et  cogneu  et  faict  cognoistre  quJa* 
ceux  qui  s'entremettent  des  affaires,  la  patience  est  une  grande  partie 
de  magnanimité.  Et  de  faict,  estre  affable  et  parler  gratieusement  a 
tout  le  monde  ne  se  faict  tant  par  bonne  natture1  que  par  discours  de 
iugcment  et  sciance  de  raison,  estant 5  vray  que  la  natture  n'a  point 
de  sy  puissans  instrumens  que  les  agréables  parolles.  Le  premier 
souhaict  d'un  des  plus  grandz  hommes  de  l'antiquité  estoit  qu'il9  ne 
luy  eschapast  mot  qui  peust  offenser  personne  et  qui 7  ne  seruist  a  ce 
qu'il  vouloit  dire;  puis  après,  sa  charge  publicque  estant  expirée,  il 
rcputta  le  plus  glorieux  8  acte  de  son  administration  de  n'auoir  en  icelle 

i.  Ses. 

2.  Faut-il  lire  :  «  ont  esté  autrefoys  veus...  despouiller...?  » 

3.  Que.  ceux. 

4.  Mattiere. 

5.  Estons. 

6.  Qui. 
1.  Qu'il. 

8.  Mot  déformé  dans  le  manuscrit. 


RECHERCHES    SUR    G.    DU    VAIR    ET   CORRESPONDANCE    INÉDITE.  621 

rien  concédé  a  hayne,  enuye  ny  couroux.  Or  puisque  toutes  les  plainctes 
de  ceste  court  se  resoluent  en  cela  seullement  que  Ton  ne  trouue  en 
vous  ny  accueil,  ny  doulceur,  il  ne  sera  pas  malaisé  de  les  vestir  et  de 
vous  en  seruir  comme  d'armes  nées  auec  vous,  mais  que  vous  mesme 
vous  serez  forgées  par  la  cognoissance  du  besoing  que  vous  en  auez  en 
cet  aage,  ou  la  meureté  de  l'entendement  et  la  hardiesse  sont  ioinctz 
auec  le  pouuoir,  affin  que  ioignant  encores  ces  grâces  la  aux  autres 
que  Dieu  vous  a  départies,  vous  en  composiez  une  beauté  qui  se  face 
admirer  en  vous  par  un  concord  de  plusieurs  beaultez  concurantes 
ensemble,  esuitant  la  laideur  qui  s'engendre  par  la  seulle  deflectuozité 
d'icelle1.  Le  temps  passé  (bon  conseiller  des  hommes  pour  l'aduenir), 
leur  doibt  faire  craindre  les  prosperitez  présentes  pour  le  changement 
auquel  elles  sont  subiectes.  Vous  pouuez  dire,  en  la  condition  ou  vous 
estes,  qu'auant  mesmes  y  estre  paruenu  vous  y  auez  gangné  de  grandes 
batailles  aux  despens  d'autruy,  dont  il  vous  est  prouenu  des  exemples 
qui  sont  encores  tous  ressens  pour  tirer  proffict  de  ce  qui  a  esté  preiu- 
diciable  a  ceux  dont  les  oppiniastretez  et  viollences  sont  maintenant 
dans  une  triste  solitude.  Que  sy  es  prunelles  des  yeux  d'autruy  nous 
voyons  bien  les  nostres,  ne  reffuzons  poinct  de  veoir  nos  deflaultz  en 
ceux  de  nos  prochains  et  de  nous  en  chastier  pour  leur  domage.  Quand 
a  ceste  maxime  d'estre  esgal  enuers  tous  il  n'y  en  a  poinct  de  sy  iuste 
estant  bien  entendue*,  ny  qui  le  soit  moins  estant  mal  interprétée. 
Lorsque  le  sage  d'Athènes2  disoit  que  s'il  eust  pu  reffaire  de  nouvelles 
loix,  il  eust  remis  resgallité  en  ses  citoyens,  les  plus  grossiers  l'enten- 
doient  de  la  proportion  arithmétique,  et  les  mieux  aduisez  de  l'harmo- 
nicque  ;  et  qui  peult  doubter  qu'il  n'entendist  parler  de  ceste  dernière, 
car,  aultrement,  c'eust  esté  une  extrême  disproportion  de  n'auoir  non 
plus  d'esgard  a  la  qualité  et  au  meritte  des  plus  grands  et  des  meil- 
leurs que  des  moindres  et  des  pires.  Or,  comme  il  est  difficile  de  bien 
obseruer  ceste  proportion,  aussy  fault  il  confesser  qu'il  est  fort  utille 
de  s'y  efforcer,  affin  que  si  l'on  n'en  peult  attraper  la  perfection,  au 
moins  on  la  suiue  de  bien  près,  car  il  importe  infiniment  de  prendre 
garde  que k  d'une  exacte  iustice  qu'on  veult  establir,  on  ne  passe  a  l'in- 
iustice,  n'estant  pas  moins  inicque  de  donner  pareil  traictement  a 
touttes  sortes  de  personnes  (c'est  a  dire  rigoureux),  qxia  cclluy  (sic)  qui 
a  touttes  espèces  de  faultes  auroit  ordonné  mesmes  peines.  Ainsy  dict 
on  de  ces  loix  lesquelles  auoient  esté  escrittes  non  pas  auec  de  l'ancre, 
mais  auec  du  sang.  Que  sy  la  prodigallité  a  esté  effrénée  soubz  les 
règnes  precedans,  que  depuis  encores  le  mauuais  mesnage  ayt  duré 
fort  longtemps,  et  que,  pour  guérir  ces  maux,  on  pense  bien  faire  de 
n'exercer  ny  libéralité,  ny  recompense,  qu'au  contraire,  au  lieu  d'en 
planter  le  désir  au  cœur  du  prince,  on  semble  mesmes,  s'il  estoit  pos- 

1.  On  attendrait  plutôt  icelui,  représentant  concord. 

2.  Entenduée. 

3.  A  tenue. 

4.  Qu'une. 


622  REVUE    D'HISTOIRE   LITTÉRAIRE   DE    LA   FRANCE. 

sible,  arracher  ces  noms  de  la  mémoire  des  hommes,  l'extrémité  de 
cet  expédiant  n'est  pas  moins  vicieuse  que  d'exterminer  la  vigne  pour 
empescher  lliurongnerie,  car  comme  il  cust  esté  plus  a  propos  d'en 
approcher  les  Nymphes  (c'est  a  dire  l'eau),  pour  retenir  en  office  une 
vigueur  violente  par  une  plus  doulce,  aussy  appartient  il  au  iugement 
de  ceux  qui  ont  l'administration  d'apporter  ce  corectif  a  l'excès  de  la 
profusion  des  biens  faictz,  qui  se  depparloient  comme  a  clos  yeux,  et 
les  réduire  a  la  mesure  des  moyens  de  lestât  et  des  personnes,  les  res- 
traindre  a  quelque  manière,  et  non  pas  les  esleindre  du  tout.  Au  sur- 
plus il  s'est  laissé  couller  une  oppinion  en  ce  royaulme  que  vous  faictes 
profession  de  n'auoir  point  d'amis  et  que  vous  penseriez  ne  pouuoir 
demeurer  en  bon  predicament  vers  le  Roy  sy  vous  n'estiez  accompagné 
de  plainctes  et  malueillances  d'un  chacun,  affin  qu'il  iuge  de  la  que 
vous  renoncez  a  toute  autre  affection  qu'a  celle  de  son  seruice  et  de 
son  proffict.  Quiconque  ayme  son  honneur  et  son  maislre  se  gardera 
tousiours  bien  de  faire  des  amitiez  aux  dépens  de  l'un  ny  de  l'autre, 
mais  neantmoins  ne  laissera  de  chercher  exquisement  tous  moyens 
licites  de  s'en  acquérir  le  plus  qu'il  pourra,  considérant  auec  un  grand 
philosophe  que  sy,  pour  garder  un  homme  d'estre  meschant,  il  luy  est 
bon  d'auoir  des  ennemys  qui  s'indignent,  il  luy  est  encores  meilleur 
d'auoir  de  bons  amys  qui  l'amourachent  et  soustiennent.  Et  que  se 
peull  il  adiouster  de  plus  grand  en  une  personne  esleuee  en  dignité 
comme  vous,  que  la  bienueillance  de  plusieurs,  nommément  de  ceux 
qui  sont  remarquez  de  prudhommie  et  de  meritte,  poursuiuans  choses 
iusles  et  possibles  au  lieu  de  les  reiecter  auec  de  l'affection  pour 
sembler  dépouillé1  de  toutte  affection  humaine  et  de  desdaigner  la 
courtoisie  iusque  la,  de  ne  luy  voulloir  pas  seullement*  souffrir  une 
parolle.  Quelqu'un  a  faict  autrefois  une  pareille  plaincte  de  soy  mesme 
qu'en  ouurant  ses  coffres  il  trouuoit  celluy  des  recompenses  tousiours 
plain  et  celluy  des  grâces  tousiours  vide,  et  souhaictant  le  contraire,  a 
laissé  un  bel  exemple  en  ce  désir  combien  l'indigence  des  grâces  est 
insuportable  en3  l'abondance  de  touttes  autres  commoditez.  Au  reste  le 
but  de  ce  discours  n'est  pas  pour  vous  prétendre  esclaircir  au  chemin  ou 
vous  estes,  car  l'experiance  le  vous  a  mieux  appris  ;  mais  c'est  seule- 
ment pour  vous  faire  rapport  fidelle  de  ce  que  i'entendz  estre  désiré  en 
vous,  en  ce  qui  concerne  les  eslans  de  vostre  esprit,  qui  iusque  icy  en 
a  tant  blessé  d'autres,  qu'encores  que  vos  actions  en  leur  natture 
soient  bonnes,  vous  ne  debuez  pas  dauantage  mespriser  d'essayer  que 
la  forme  n'en  soit  pas  mauuaise,  affin  que  de  plusieurs  mecontente- 
mens  d'autruy  il  n'en  redonde  quelqu'un  par  malheur  au  vostre,  vous 
ressouuenant  combien  la  nécessité  est  ingenieuze,  que  le  despict  est 
aueuglé  et  qu'ilz  se  vangent  quelques  foys  au  despens  de  leur  propre 

1.  Dépouiller. 

2.  En   marge,  une  autre  [main,  de  qui  proviennent  plusieurs   corrections   utiles, 
écrit  en  face  de  seullemenl  :  Omission, 

3.  Et  l'abondance. 


RECHERCHES    SUR   G.    DU    VA1R    ET   CORRESPONDANCE    INÉDITE.  623 

vie,  ce  que  ie  ne  dis  que  par  craincte  pour  vous,  et  non  par  doulleur 
que  ie  ressente  en  mon  particulier,  espérant  qu'en  l'ouuerte  profession 
que  vous  faictes  de  dire  la  vérité  a  chacun,  celle  cy,  qui  s'adresse  har- 
diment a  vous,  ne  vous  desplaira  point  et  finiray  par  ces  parolles  de 
Hermolaus  a  Alexandre  que,  s'il  vous  plaist  faire  proffict  de  ma  fran- 
chise, encore  en  vostre  grandeur  aurez  vous  quelque  obligation  a  ma 
petitesse,  sans  touttes  fois  que  ie  m'en  promecte  ny  recongnoissance,  ny 
gré,  que  celluy  que  ie  me  sçauray  a  moy  mesme  de  n'auoir  trahi  par 
mon  silance  l'occasion  de  m'acquitter  de  ce  debuoir  enuers  vous. 

Les  parties  connues  de  la  correspondance  de  Du  Vair  ne  jettent 
quelque  lumière  que  sur  l'état  de  la  Provence  après  l'avènement 
de  Henri  IV,  sur  le  rôle  et  le  caractère  du  président  du  parlement 
d'Aix.  Combien  ne  serait-il  pas  plus  important  pour  nous  de  pos- 
séder les  lettres  que  Du  Vair  dut  écrire  au  temps  de  la  Ligue, 
lorsque,  spectateur  clairvoyant,  il  observait  la  crise  qui  déchi- 
rait la  France,  ou  que,  représentant  discret  et  prudent,  mais 
actif  et  résolu  des  opinions  des  «  Politiques  »,  il  collaborait  à  la 
réconciliation  de  tous  dans  le  rétablissement  de  la  monarchie 
héréditaire  et  nationale!  Il  fut  certainement  en  communication 
avec  J.  A,  de  Thou1,  quand  il  s'agit  de  réunir  la  conférence  de 
Suresne,  de  préparer  et  faire  accepter  l'abjuration  du  roi,  de  lui 
livrer  l'entrée  de  sa  capitale.  Mais  en  dehors  de  J.  A.  de  Thou 
et  de  Villeroy,  il  avait  pour  amis  des  hommes  tels  que  Henri  de 
Monantheuil,  Jacques  Houllier,  Pierre  du  Belloy,  Nicolas  Le 
Fèvre,  Antoine  Loisel,  Jacques  Gillot,  les  frères  Dupuy,  François 
et  Pierre  Pithou,  etc.  Dans  leur  correspondance  quels  précieux 
renseignements  ne  trouverait-on  pas  sur  ces  hommes  de  science 
et  de  vertu  et,  d'une  façon  générale,  sur  cette  histoire  de  la  Ligue 
si  passionnante  et  si  incomplètement  connue! 

René  Radouant^ 


1.  Paulin  Paris  a  publié  un  grand  nombre  de  lettres  du  savant  et  sage  histo- 
rien dans  les  Mélanges  de  littérature  et  d'histoire  recueillis  et  publiés  par  la  société 
des  Bibliophiles  français,  Paris,  1877.  Mais  il  est  regrettable  qu'il  se  soit  borné  à 
faire  un  choix  dans  cette  correspondance  qu'avait  réunie  Le  Roux  de  Lincy. 


MÉLANGES 


LES  CORRESPONDANTS  DU  DUC  DE  NOAILLES 

{Suite  i.) 
Lettres  d'Eusèbe  Renaudot. 

A  Paris,  6  juin  1699. 
Une  visite  de  vous,  monsieur,  quoyque  je  n'en  ave  pas  profité, 
mérite  au  moins  que,  puisqu'il  ne  m'a  pas  été  possible  de  vous  la  rendre, 
je  vous  en  fasse  de  très  humbles  remerciements.  Si  j'en  avois  pu  pro- 
fiter, je  vous  aurois  fait  souvenir  que  vous  m'aviez  fait  espérer  que,  par 
vostre  moyen2,  je  verrois  la  suite  de  Thélémaque,  dont  on  dit  tant  de 
merveilles.  C'est  plutost  pour  vous  avoir  une  nouvelle  obligation  que 
par  un  grand  motif  de  curiosité.  Car  j'ay  dans  l'esprit  que  comme 
simia  semper  simia,  ainsi  Thélémaque  sera  toujours  Thélémaque. 
Mais  trouve-t-il  encore  des  corsaires  qui  l'emmènent  où  il  a  affaire,  et 
les  tempestes  viennent-elles  toujours  à  commandement  pour  faire  des 
épisodes?  Vivent  les  hyppogryphes  et  les  enchanteurs3.  Leurs  voitures 
sont  plus  promtes  et  plus  commodes.  Je  crois  que  Thélémaque  avait 
quelque  talisman  semblable  à  celui  que  vous  m'avez  envoyé,  avec 
lequel  on  peut  faire  dix  lieues  par  jour  dans  un  bon  carosse,  et  bonne 
chère,  pourveu  qu'on  aye  de  l'argent.  Enfin  il  a  encore  une  propriété 
que  Don  Andrès,  un  des  sept  sages  de  la  cour  de  Charles-Quint,  disoit 
qu'il  avoit  observée  dans  la  turquoise,  qui  estoit  que,  celui  qui  en  avoit 
une  au  doigt,  s'il  se  jettoit  d'une  tour  bien  haute  en  bas,  se  romproit  le 
col  et  que  la  turquoise  ne  se  feroit  aucun  mal*. 
J'en  crois  devoir  dire  autant  de  nostre  talisman  qui  n'est  ni  selon 

1.  Voyez  Revue  d'Histoire  littéraire,  1899,  p.  621. 

2.  Le  mot  par  votre  moyen  indique  combien  il  était  difficile  de  se  procurer  Télé- 
maque,  pour  la  publication  duquel  Barbin  avait  eu  un  privilège  le  G  avril  1699, 
mais  dont  l'impression  avait  été  interdite  alors  qu'on  en  était  à  la  p.  208  de  cette 
première  partie.  Ce  fut  clandestinement  aussi  que  parurent  les  autres  parties  des 
Avantures  de  Téléma(/ue,en  quatre  petits  in-12  de  230,  204,  215  et  208  pages,  la  même 
année.  Il  est  impossible  de  préciser  quelle  était  la  suite  qu'attendait  Renaudot,  les 
biographes  restant  muets  sur  les  dates  précises  de  la  publication  de  ces  diverses 
suites.  Cf.  Nodiek,  Description  raisonnée  d'une  jolie  collection  de  livres,  1844,  et 
Le  Petit,  Bibliographie  des  principales  éditions  origiîiales  d'écrivains  français. 

3.  Renaudot  pense-t-il  ici  à  YAriosle  et  au  Roland  furieu.v  ou,  plutôt,  contempo- 
rain et  correspondant  d'Antoine  Galland,  fait-il  allusion  aux  contes  des  Mille  nuits 
et  une  nuit  que  l'orientaliste  de  M.  de  Nointel  commençait  à  traduire? 

4.  Allusion  à  la  sortie  de  Télémaque  et  de  Mentor  de  l'île  de  Cu!)pso. 


LES    COKKESKmUATTS    DU    DUC    DE    ÏSuAll  I  i  >. 


62!V 


l'art  ny  selon  la  belle  doctrine,  mais  un  grimoire  qui  est  escrit  do  ces 
Sortes  d*al[iliabels  où  on  tratiBpQOfl  Ifii  lettres  et  qu'il  serait  fort  inutile 
de  chercher  à  deviner  :  welût  cujui  ùêgH  tomnic  &an&$  fingenêur  tp\ 
\ j&s  charactëres  du  revers  sont  mal  imitée,  et  je  ne  crois  pas  qu'un  en 
puisse  former  aucun  sens,  si  ce  n'est  celuy  qui  est  au  auioré  intênttts.  Or, 
si  le  dit  auteur  b  est  donné  an  diable  pour  apprendre  à  faire  ce  bel 
ouvrage^  il  a  fait  un  fol  marché;  et  si  le  diable  ne  luy  a  seeu  apprendre 
autre  chose,  îl  n'est  pas  un  grand  docteur1.  Il  y  i  d'autres  talism 
sur  teiqoeb  on  pourrait  faire  des  dissertations  siMvanies:  mais  sur 
celuy-ln,  tout  se  réduit  à  dire  que  celuy  qui  Ta  fait  estoit  une  beste  et 
son  diahle  une  autre. 

J'espère  que  nous  pourrons  avoir  1* honneur  de  vous  voir  dans  quelque 
temps,  et  alors  je  vous  rendray  compte  du  Moud  ou  Modius  arabe. 


A  Paris,  ifl  juin  1699. 

le  u'ay  reçu,  monseigneur,  que  ce  malin  la  lettre  que  vous  m'avez  Tait 
KhOQDeorde  m  écrire  le  17.  C'est  que  la  poste  de  VôTBaiUe»,  à  moins 
qu'elle  n'ait  l'attache5  de  M,  les  minislro,  e<*1  la  plus  paresseuse  de 
toutes  Les  voitures.  Car  si  une  tortue,  ou  un  animal  que  vous  devez 
connoitre,  appelé  la  Paresse  *  par  les  Portugais  du  Brésil,  avoit  été 
chargé  de  vostre  message,  je  croîs  que  je  IVuirois  déjà  receu  il  y  a 
vingt-quatre  heures,  et  j'y  aurois  déjà  répondu  par  conséquent. 

Vous  trouverez  *  beaucoup  de  recherches  très  curieuses  sur  ce  sujet 
dans  le  glossaire"  qur  vous  avei  acquis  depuis  peu,  de  M*  du  Gange.,  au 
titre  Captlfa.  Il  y  a  aussi  diverses  choses,  mais  très  confusos,  dans  le 
Traité  de*  antiquitêi  de  lu  chapell*  du  fttnj  par  Du  Peyrat*.  En  voilà 
assez  jusqu'à  ce  que  j*aye  l'hou  rieur  de  vous  voir. 

Il  me  semble  que  rien  ne  seroil  plus  à  propos  que  d'aller  voir  M.  Tar- 
chevesque,  durant  qu'il  m  à  Confiant  Cela  soit  dît  sans  préjudice 

de  la  partie  d'Àuteuil,  et  encore  moins  d'une  certaine  de  Suint-Germain7, 

i,  Le  Itttîsmftn  ou  grimoire  dont  Henaudot  parle  iVi  est  probablement  quelque 
logûftryphe  ou  cryptogramme  que  leiluc  de  Noailles,  ou  peul-étre  hi  cardinal,  avait 
soumis  à  son  examen.  Ce  n'est  pas  par  Ironie  que  Henaudot  voit  une  intervenu. m 
diabolique  dans  la  composition  dudil  Lalisman,  Peat-itre  y  a-t-il  ici  une  illusion 
à  quelque  proefts  de  magie  ou  ûé  sortilège,  sur  lequel  d'autre*  lettres  de  Remudat 
ou  de  ses  contemporains  nous  renseigneraient  peut-être. 

2*  Le  portefeuille  et  les  dépêches  expédias  par  les  ministre*  à  leurs  bureaux  de 
Paris. 

3.  Le  paresseux.,  animal  peu  connu  des  naturalisiez  de  ce  temps-là, 

4.  Au  sujet  des  Saintes  Chapelles.  Je  supprime  ici  un  long  développement  de 
Renaudot  relalif  aux  chapelles  désignée!  sous  ce  nom  générique.  Renaudot.  qui 
d<  <i  m  récrire  *  hors  de  chez  lui  et  ifcfli  livres  •,  ne  la  traite  que  d'après  ses  sou- 
Tenirs,  et  sa  dissertation  est  prolixe  et  em  barrasse. 

5.  Le  GlosÊttrium  ad  sïripiwes  modim  si  Inftmm  UtlmitaHt  que  possédait  Noailles* 
était  celui  publié  i  h  tri-  in  ttï78,  en  3  voL  in-folio. 

lî.  Le  litre  exact  de  cet  ouvrage  est  ttiftûirt  eûçUtiattiqm  de  ta  cour  ou  Les  anti- 
quités et  reetiercheg  de  Itt  chapelle  Ft  oratoire  dit  roi  de  France  depuis  Cloris  /  ju^fiiit 
notre  terni**.  (Paris,  Henry  Sara,  1645,  in- folio.) 

1,  Chez  Uoileau  Despréaux,  Allusion  à  quelque  excursion  manquée  et  devenue  un 
thème  habituel  de  badirmge* 


626 


RCVCE    Ti  HISTOTRE    LITTÉRAIRE    Ht    LA    KRÀXCE. 


prédite  par  les  prophètes,  dont  l'événement  s'accomplira  quand  il  plaira 
à  Dieu  et  à  vous. 

Je  vous  pardonne  tout,  excepté  vos  compliments,  ou  pour  mieux  dire 
je  les  pardonne  à  voire  secrétaire,  car  je  crois  que,  quand  vous  écrirez 
vous  niesme,  vous  vous  en  corrigerez. 

On  oûus  disoit  hier  que  M™*  Tique  t  a  voit  sa  grâce  :  on  n'en  crut  rien. 
C'est  une  histoire  à  recueillir  \  et  je  suis  fort  aise  qu'on  Tasse  justice. 
Je  vous  salue,  etc. 

A  Rome  ^  14  mai  1*01» 

Je  profile  de  l'occasion  d'un  courrier  que  M.  l'ambassadeur  d'Espagne J 
despesrlie,  pour  vous  renouveler,  mon  très  cher  gouverneur,  les  assu- 
rances 1res  inutiles  démon  respect  et  du  souvenir  continuel  que  j'ay  de 
vmus-  Tout  ce  que  je  sais  de  vus  nouvelles  me  vient  par  M,  le  cardinal 
qui  m'en  mande  quelquefois  :  ce  qui  pourroil  vous  exciter  à  suivre  un 
si  bon  exemple,  si  les  honneurs  ne  changeaient  les  mœurs.  Mais  il  faut 
estre  retourné  en  France  pour  le  corriger,  et  orgueil  enté  sur  paresse 
ne  produit  ny  papier  ny  plume.  Je  vous  demanderais  cepeudant  un 
billet  pnur  me  dire  que  vous  pensez  encore  à  moy,  si  je  ne  pensois  la 
prière  inutile*  Si  cependant  vous  la  voulez  exaucer,  vous  pouvez  mettre 
la  le  tire  dans  le  paquet  de  M,  le  cardinal  de  Janson  4. 

Je  pourrois  vous  escrire  plusieurs  choses  de  ce  pais-cy,  qui  d  auraient 
pas  été  inutiles  pour  le  service  de  S.  M,  C.  Mais  Vôui  comprenez  bien  que 
je  n'ay  pas  dû  le  faire,  sans  sç avoir  si  cela  vous  coavenoiL  Ainsi  jav  dit 
une  partie  des  choses,  h  mesure  que  je  les  ny  sçues,  à  M.  le  cardinal  'le 
Janson;  les  autres,  je  les  ay  mandées  en  France-  En  général,  je  crois 
vous  pouvoir  assurer  qu  on  sera  content  du  Pape  a;  et  s'il  y  a  eu  quelque 
vivacité  sur  l'investiture  *,  elle  ne  veuoit  que  du  zèle  des  ministres  qui 
est  toujours  louable,  mais  je  ne  croîs  pas  qu'on  eu  ait  besoin.  Car  vous 
sçavez  que  le  pape  m/en.  a  parlé  deux  fois  fort  au  long  et  qu'il  est  entré 
dans  toutes  les  raisons  de  convenance  de  Sa  Majesté  Catholique,  comme 
on  Ta  reconnu  depuis.  Je  ne  crois  pas  qu'il  change  de  sentiments,  car 

t.  [/histoire  à  recueillir  est  non  pas  le  bruit  de  la  grâce  de  celte  célèbre  crimï 
nelle.  nais  ''-  récîl  nième  de  son  crime,  Elle  est  d'ailleurs  bien  connue.  Le  tende* 
main  DtéB»  du  jour  où  Renaudot  enregistrait  eut  on-dit»  le  H  juin,  Louis  XIV 
refiiu  de  nn.-voirM,  Tiquet  qui  venoit  demander  en  eîTet  la  £ràee  de  sa  femme; 
,  ril.>  ri  avait  «'te  condamnée  par  le  Châtelct,  puis  par  le  Parlement,  à  avoir  Je  cou 
coupé;  elle  Tut  exécutée  le  19  juin,  après  mise  a  la  question  et  aveux  complets, 

udol  parloil  plus  tard  de  ce  séjour  à  Home  en  rappelant  son  exil.  U  écrivit 
«le  Home  des  leltrcs  intéressantes  au  cardinal  (te  Noailles  qui,  comme  il  le  dit  plus 
loin,  lui  écrivait  quelquefois  aussi. 

li.  Le  duc  d'Ueeda,  de  la  maison  d'Acnnoa  y  Pacheeo. 

4.  Toussai  ni  de  Forbin-Janson  (1633-1712).  évéque  de  Beau  vais,  grand  aumônier 
de  France,  qui  eut  la  réputation  d'un  bon  diplomate, 

5.  dément  XL  II  paraissait  alors  favorablement  disposé  pour  la  France;  dans 
diverses  petites  affaires,  il  avait  montré  -  beaucoup  d'envie  de  plaire  au  roi  *,  et 
Ton  espérait,  dit  Dan^eau,  écho  de  l'opinion  publique,  que  dans  les  aflaii^s  ^n^ 
rates  ■  il  apporterait  tes  facilités  nécessaires  à  raffermissement  de  la  paix  de  l'Eu- 
rope •* 

(/investiture  traditionnelle  du  royaume  de  Noples  que  réclamait  Philippe  Vv 
roi  d'Espagne. 


LES    COllKKSPONOÀNTS    DU    DIX    DU    KO  AU  LES, 


6*7 


il  parle  avec  plaisir  de  tout  ce  qu'il  aprend  qui  petit  faire  honneur  à 
S.  M*  GM  et  il  en  conçoit  de  jour  en  jour  de  plus  grandes  espérances. 

J*ay  veu  icy  M.  Gonnel  à  Naptes,  qui  est  le  frère  de  M.  Argoud, 
conseiller  de  la  marine  à  Bayone,  où  vous  l'aurez  veu  en  passant.  Ii 
est  très-bien  informé  de  Testât  des  affaires  de  ce  païs-là,  qui  a  besoin 
d'attention.  Il  en  conférera  à  fonl  avec  M.  le  cardinal  de  Jttunrti,  qui  en 
rendra  compte  en  France.  Le  mal  est  qu  il  n'a  eu  jusqu'à  présent,  autre 
correspondant  que  cet  homme  qui  voua  e>t  si  cher  et  dont  vu  us  m'avez 
dérobé  l'amitié»  auquel  il  ne  mande  pas  la  soixantième  partie  de  ce 
qu'il  s«;ait,  en  quoy  vous  louerez  sa  sagesse.  On  travaillera  à  former 
un  autre  canal  '.  Vous  voyez  bien  que  le  mépris  vous  fait  perdre  bien 
de  bonnes  sornettes  3  que  je  vous  manderais* 

M*  le  cardinal  d'Estrées\  avec  lequel  je  contois  de  m'en  aller,  ne 
revient  point,  et  cela  m'embarrasse  d'autant  plus  que  je  ne  veux  pas 
m'en  aller  seul.  J'ay  cru  aussi  n  eslre  pas  inutile  au  bon  oncle,  que  le 
Pape  aime  autant  que  voua  pouvez  faire.  Il  luy  en  donne  tous  les  jours 
des  marques  essentielles.  J'attens  donc  encore  de  ses  nouvelles  pour  me 
déterminera  partir  ou  à  attendre  encore  deux  mois. 

Je  vous  prie  de  croire  que  rien  n'est  capable  de  faire  que  Unm  e  twstro 
laftatur  pictore  vultm,  quoy  que  je  vuus  représente  dans  mon  esprit 
comme  moulé  sur  les  deux  colonnes  plus  ultra ,  transformées  en 
éc basses»  du  baut  desquelles  vous  ne  daignes  pas  regarder  les  passans* 
Ceronelîs  Globier,  major  de  M.  le  cardinal  d'Iistrées,  a  été  fait  aujour- 
d'hui général  d<  s  0»rdeliers  par  les  sollicitations  de  toutes  les  puis- 
sances de  l'univers,  Jaillot  s'en  pendra,  si  Dieu  n  a  pitié  de  luy. 

A  Paris,  9  may  1702. 

Depuis  votre  départ,  monsieur  J'nv  presque  toujours  esté  incommodé, 
et  je  ne  vous  écris  aujourdThuy  qu'avec  bien  de  la  peine.  Vous  trou- 
verez ici  des  nouvelles  de  Home,  qui  regardent  l'arrivée  du  rov 
d'Espagne  à  tapies*. 

M.  de  Lotiville  a  eu  audience  du  Pape  *  qui,  nonobstant  qu'il  n'ait 
point  de  caractère,  l'a  traite  en  envoyé,  en  lui  donnant  ftudîence  sans 


ir  L'Identité  de  ces  personnages  (Connet,  Àrgond,  ïhamrnê  qui  mus  ut  si  cher) 
et  de  leurs  noms  n'est  oas  établie.  Le  Uxu-  du  début  de  la  para*  ,  (c.  » 

paraît  au  reste  corrompu.  Ce  pcfyt4â  e*t  N&pte*,  dont  les  agita  lion*  politiques 
inquiétaient  beaucoup  ace  moment  les  hommes  d'état  franco-espagnols  et  leurs  nou- 
velli-1'  t.  Le*  allusions  à  ces  intrigues  pour  rétablissement  d'une  correspondance 
nouvelle  entre  Nazies,  Hume  et  Paris  restent  encore  obscures* 

:!.  tSe  mot  n'a  pas  ici  de  sens  péjoratif, 

3,  César  dffctrées{  tti-Jfl- HM j,  évoque  de  Laon,  prélat  spirituel  et  érudit. 

4-  Philippe  \\  dont  le  voyage  à  Naple*  avait  été  longuement  discuté  par  ses  minis- 
tres et  déconseille  par  Louis  XIV  (comme  inopportun  pour  Naplca  cl  impoli  tique 
pour  les  espagnols),  arriva  h  Baies  apr*-s  luriL  jouit  de  naviguiion.  le  K.  avril  1102, 
et  te  il  à  Naples.  Henaiidol  donne  probablement  ces  nouvelles  d'après  renvoyé  de 
Philippe  V\  Saumery  (Dangeau,  VI 11,  401), 

5,  En  qualité  d'envoyé,  Cela  fut  considéré  comme  un  succès  diplomatique  et  per- 
sonnel pour  l'Espagne  et  pour  son  représentant» 


628  HEYfftl    l>  HISTOIRE    LITTERAIRE    I>E    U    FRANCE, 

l'obljger  de  quitter  L'aspée.  l\  lny  envoya  ensuite  un  régale1  de  seîïe 
bassins  de  toute  sorte  de  friandises,  perdrix,  faisans,  deux  paons 
des  marzolins,  du  chocolace,  de*  confitures,  deux  charges  de  vin.  M.  de 
la  Trémoille*  *?t  M.  l'agent  d'Espagne  qui  m'en  ont  écrit  témoignant 
qu'il  8  sujet  iPestrc  eo nient. 

M.  le  cardinal  Charles  Barberin  sera,  à  ce  qu'on  croit,  nommé  lég 
pour  complimenter  le  roy  d'Espagoe,  et,  autant  qu'on  en  peut  juger, 
S.  M*  C-  aura  satisfaction  sur  des  choses  plus  importantes  *. 

On  me  mande  aussi  de  plusieurs  endroits  qu'il  est  adoré  à  Naples.  ou 
les  a  (Ta  1res  sont  en  assez  bon  estât*  Elles  ne  sont  pas  de  mesme  en  Stci 
où  tout  manque  :  les  fortifications  à  bas,  point  de  troupes,  rien  d'or- 
donné*, Mais  celuy  qui  y  gouverne  les  rétablira  ou  personne  ne  le  fera. 

Les  Allemans  publient  à  Rome  qu'il  leur  arrive  tous  les  juurs 
de  grands  secours,  quoyque  tout  ce  qui  est  venu  n'aille  qu'à  huit  ou 
neuf  cens  hommes  de  recrue  et  iâÛU  chevaux  de  remonte  e. 

On  remarqua  comme  une  chose  fort  plaisante  que,  le  jeudy  saint,  la 
bulle  In  Cœna  Domini,  qui  envoyé  h  tous  les  diables  les  hérétiqu 
leurs  adhérents,  fauteurs  et  participant  ceux  qui  envahissent  les  biens 
de  l'Église,  etc,  fut  leiie  par  M.  de  Carcnitz,  auditeur  de  rote  allemand» 
et  en  italien  par  le  cardinal  Grimaui,  dernier  diacre*. 

Il  n'y  a  rien  de  considérable  en  Angleterre,  sinon  que  la  nouvelle 
reine  a  eu  enfin  pîtiê  de  son  mary  et  Ta  déclaré  généralissime  par  terre 
et  par  mer.  Les  actes  d'argent  ne  sont  pas  encore  fiuis.  On  en  dépense 
cependant  beaucoup  pour  le  cou  ru  moment,  pour  lesquels  MM,  de*  com- 
munes n'ont  pas  voulu  se  contenter  des  places  qu'on  leur  a  voit  don  li- 
mais ils  s'en  sont  choisi  eux-mêmes. 

1.  C'était  un  usajre  constant  du  souverain  pontife  et,  dans  certaines  occasions, 
des  cardinaux  d'envoyer  des  présenta  de  ce  genre,  surtout  en  provisions  de  tu\e, 
aux  ministres  des  puissances  et  aux  grands  personnages  passant  a  Rome  ou  venant 
s*y  fixer.  Les  reçoit  faits  à  La  reine  Christine  et  à  Htrysienka,  reine  de  Poi- 
son! demeurés  célèbres  dans  la  chronique  romaine. 

2.  Le  cardinal  de  la  Trèmoille,  cardinal  décurie, 

3*  Le  Cîirdinal  Carlo  tiarberini  fut  nommé  légat  a  tatere,  ce  qui  provoqua  le- 
Ditionft  de  Grimani  (Dan^eau,  TOI,  ï2L  d'après  une  lettre  de  Rome).  D'ailleurs  cette 
ambassade,  d'apparence  ?i  honorable  et  si  flatteuse,  n'eut  pas  de  résultats  bien  p 
tirs,  de  l'aveu  de  Louvîlle  lui-même  à  Torcy,  dans  ses  lettre»  du  9  et  H  mai  :  -  [Le 
pape]  parla  de  l'investiture  dont  on  ne  vouloit  point  lui  pnrïer;  il  assura  qu'il  ne  la 
donnewit  qu'à  Philippe  V\  mais  il  Ht  entendre  qu'il  ne  la  donneroit  point  lant  que  tes 
JmpeHaux  seraient  à  craindre;  enfin  il  écrivit  au  monarque  une  lettre  pleine  de 
l  pli  mente,  où  il  n'y  avait  pas  un  mot  d'essentiel.  (Mémoires de Nmrilie*3  IL  ' 

4.  Cetîe  adoration  des  Napolitains  pour  Philippe  V  tenait  à  la  faveur  que  lui  seiti- 
M.iit  accorde?  saint  Janvier,  dont  le  miracle  ordinaire  se  fit  le  f»  mai  *  a 
promptitude  qui  produisit  le  meilleur  eifet.  -  évidemment  saint  Janvier  savait  ce 
qu'il  devait  à  un  pelil-lils  de  Louis  X1Y*  En  récompense  nsluî-ei  le  nomma  second 
patron  tie  l'L>pagne.  Mais  cet  avancement  d'un  saint  napolilain  causa  de  r 
;iuv  K-piiKnoJs,  qui  furent  vexés  de  voir  donner  un  second  à  saint  Jacques  de  Com- 
postelle.  On  ne  pense  jamais  à  tout! 

5*  Ces  renseignements  sont  précisés  et  éclaïreîs  dans  les  leltres  suivant 

6.  (Irimanî  était  vémlien,  Carenitz  sujet  de  l'Empire,  el  ces  deux  puissances 
avaient  souvent  envahi  les  biens  et  domaines  de  l'Eglise-  Mais  quelle  puissance 
n'en  avait  pas  fait  autant,  et  cette  coïncidence  est-elle  s>  celle  m  eut  plaisante? 
Renaudot  est  un  peu  aveuglé  ici  par  le  désir  d'amuser  son  correspondant. 


LES  COUnESPONDOTS    DU    DUC    l>K    NOÀILLES, 


029 


Qnoyqcte  l'acte  soit  passé  pour  travailler  à  l'union  de  l'Angleterre  el 
de  l'Éscosse,  nn  ne  cruit  pas  la  chose  l'uni*.*  ', 

Si  foui  aviez  été  icy,  vous  auriez  entendu  de  beaux  corn  inentai res 
sur  iV'iilrevue  de  Mtîr  le  duc  de  Bourgogne  et  de  M.  de  Camforay  *  qui  a 
surpris  assez  de  monde. 

M^r  le  cardinal  se  porte  très  bien.  11  revint  vendredi  au  BOÎr  de  Cnn- 
flans  et  hier  il  alla  à  la  procession  h  St-Paul  et  aux  Jésuites  ■. 

MÊt  le  cardinal  d'Est rée*  me  fait  espérer  par  s;i  dernière  lettre  que 
nous  aurons  bientost  de  Luîmes  nouvelles  de  l'armée  d'Italie. 


22  ma\\  1702, 

Quoiqu'il  n'y  ail,  Monsieur  mon  très  cher  gouverneur,  qu'un  atome 
de  vous  *  dans  la  lettre  que  j'ay  receue,  elle  ma  fait  cependant  un  ter- 
rible plaisir:  viw  tout  ce  que  j'avuis  pu  n  prendre  estait  que  vous  vous 
portiez  bien,  el  cela  me  suflfsoiL  Hier  Mffr  le  cardinal  ne  m'en  put  dire 
autre  chose,  et  j'aime  encore  mieux  le  sçavoïr  par  une  signature  que  par 
un  ouï-dire*  Cet  hier  fut  un  jour  de  Feste  pour  M.  Bernaehe fl,  qui  donna 
à  dhier  aux  deux  nonces  et  a  Irur  comitive*\  et  j'en  étais  comme  romain 
de  ta  création  de  M.  le  cardinal  T.  Pour  le  vieux  nonce  8,  qui  a  cepen- 
dant vingt  [années]  de  moins  que  le  jeune,  je  voudrais  être  aussi  bien 
avec  vous  qu'il  y  est  :  ainsi  vous  savez  qu'on  ne  fait  pas  de  façon  pour 
lui.  Nous  allasmes  et  revïnsmes  ensemble.  Vous  serez  fort  ayse  de 
seavuir  que  le  Pape  en  est  toujours  plus  content  de  jour  à  autre,  et  il 
me  Ta  fait  mander  deux  fois  depuis  votre  départ.  Ainsi  j'espère  qu'il 
luy  gardera  la  peau  de  quelque  vieil  cardinal  pour  lu  y  en  faire  une 
calot  le  à  la  première  promotion  9.  Il  y  en  a  an  ee  pats- là  et  de  certaine 
langue,  de  la  peau  duquel  il  la  feroit  bien  volontiers* 

1.  Le  mari  d'Anne  BlUirt,  Georges  de  Danemark,  gros  homme  peu  intelligent  et 
souvint  ivn  ,  remplaça  comme  amiral  le  comte  de  Pembroke.  o  Ainsi  le  voilà  çèné- 
ruLissime  »,  dit  Dangeau.  Quant  à  Tonton  anglo-écossaise,  ce  ne  fut  qu'en  1707 
qu'elle  fut  définitive.  C'était,  sous  prétexte  d'union,  l'absorption  de  l'Ecosse  par 
L'Angleterre.  L'Ècoâtt  devait  être  représentée  à  la  chambre  de*  lord!*  par  douze 
pairs  élus  par  les  pairs  de  ce  royaume,  qui  Rassemblerai  ont  pour  cette  élection 
seulement  à  Kdiui  bourg  sous  la  présidence  d'un  pair  écossais  nomme  par  le  roi 
d'Angleterre. 

2,  C  est  la  célèbre  pu  Ire  vue  du  duc  de  Bourgogne  el  de  l-Vnelon,  qui  vint  le  rece- 
irofr  I  ii  posle  de  Cambrai,  où  il  changeait  de  chevaux.  Elle  avait  été  r^lée  par 
Louis  XIV  d'ailleurs,  mais  malgré  l'étiquette,  les  senti men ta  du  prince  pour  son 
ancien  maître  se  dévoilèrent  *  par  le*  yeux  et  le  maintien  si  expressif.  *  (V.  Dan- 
geau,  VIH,  405)  et  les  additions  de  Saint-Simon, 

:ï.  Hue  Saint-Antoine. 

lé  La  signature,  comme  le  montre  la  suite, 

:,  MftifU  d'hôtel  ou  chef  cuisinier  du  cardinal  de  Noaîllcs. 

I,  Italien,  comitiva,  suite,  compagnie. 

7.  Comme  ayant  accompagné  le  cardinal  à  Home  dans  sa  visite  ad  liminti?  Il  y 
a  ici  quelque  obscurité* 

8.  Le  2  avril  47(8,  Dangeau  mentionne  l'entrée  solennelle  a  Paris  de  M.  Gualtïero» 
nonce  en  France  depuis  plusieurs  années,  et  le  4  avril  à  Versailles. 

9.  Ceci  est  plus  spirituel  que  respectueux  de  la  part  do  notre  auteur.  L'allusion 
de  la  phrase  suivante  au  cardinal  dont  le  nonce  se  finit  volontiers  une  calolte 
est  obscure.  IL  s'agit  sans  doute  d'un  cardinal  espagnol,  jmpahiU  et  résidant  à  Home, 
mais  duquel? 


tlEV,   D*Hl»T.  LITTÉIt,    DE  LA    FjlAKŒ  (7*  AttO.J,^  VU. 


41 


630 


REYLE    D  HISTOIRE    IJTTfJUlftE    DE    LA    FR 


Du  reste,  vous  ne  pouvez  croire  combien  le  roy  d'Espagne  fait  bien  à 
Naptes  où  il  est  adoré,  11  y  a  une  cour  la  plus  magnifique  qui  soit  pos- 
sible, car  Borgbese,  Palestrine,  le  connectable  el  par  dessus  tous  le 
cardinal  de  Médicïs  y  sont  allés  avec  des  équipages  d'une  magnificence 
prodigieuse.  Mèdîcîa  mène  60  est  allers  et  21  paires  en  livrées,  qui  assu- 
rément sont  bien  belles,  quand  elles  ne  seraient  que  comme  je  la  av 
veues  à  Home.  Plusieurs  chevaliers  de  St-Étienne,  qui  ont  chacun  qu 
estaflers  de  livrée,  et  beaucoup  d  autres  Florentins  *. 

Pendant  ce  lemps-là,  Grîmani  *  jure  comme  un  cbartier  et  demande 
que  Paulucci  et  le  gouverneur  de  Home  soient  privés  de  leurs  empl 
le  procès  de  Vaste1  casse»  le  monitoïre  lacéré,  et  le  Pape  s'est  moque  de 
luy.  Ce  qui  est  de  beau  est  que  le  gouverneur  de  Rome  n'a  pas  plus  de 
part  que  vous  au  procès  de  Vasto  et  qu'il  en  enrageoU;  et  que  l'autre  *ât 
un  doucereux  qui  ne  nous  aime  point. 

Le  Pape  ma  fait  mander  qu  il  estoit  fort  content  de  M.  de  Louville  ;  et 
ce  qui  est  de  beau  est,  qu'ayant  fait  tous  les  préparatifs  afin  qu'il  fust 
receu  et  écoulé  avec  conGance,  il  n'a  pas  écrit  un  seul  mot  par  lequel 
on  pût  sçavoir  ce  qu'il  faut  faire  pour  le  service  du  roi  d'Espagne, 

Le  bon  Vitement  est  arrivé  4,  mais  je  ne  Tay  pas  encore  veu  parce 
qu'il  est  allé  à  Versailles. 

Je  vous  envoyé  des  nouvelles1  où,  peut-être  par  mégarde,  on  en  aura 
mis  quelques-unes  qui  ne  vous  conviennent  pas,  mais  pardonnez  à  la 
précipitation.  Car  nous  allons  faire  un  académicien  qui  sera,  je  crois, 
M.  Tévesque  de  Senlis  ',  et  les  douleurs  de  l'enfantement  me  pressent. 

Je  n"ai  rien  donc  à  ajouter,  sinon  que  je  vous  remercie  de  vostre 
estime  et  que  je  ne  m'en  soucie  point  du  tout.  Je  n'en  dis  pas  autant 
de  vostre  amitié,  sur  laquelle  je  conte  beaucoup.  M,  de  Valincour  va 
faire  nos  baise-mains  à  Amphitrile  el  part  vendredy. 

M.  le  cardinal  se  porte  fort  bien.  Les  petits  frères  ont  eu  la  rougeole  : 
ce  qui  fait  qu'on  est  en  peine  du  chef  quand  les  membres  pâtissent. 
Mais  je  crois  que  la  fatigue  dissipe  toutes  les  mauvaises  humeurs,  et  je 
souhaite  que  la  maxime  se  vérifie  à  votre  égard.  Je  vous  salue  de  tout 
mon  cœur,  mon  cher  gouverneur,  et  je  vous  souhaite  toute  prospérité 
et  gloire  en  ce  monde  d'jcy  à  trois  mois,  dans  l'autre  d'icy  à  82  ans  et 
demy*  Àiiisi-soit-iL 


t.  Nouvelles  données  d'après  un  courrier  de  Naples  arrivé  le  20  mai  (Bangeau, 

toi,  us). 

I.  Le  cardinal  Grîmani,  adversaire  du  parti  français  a  Rome,  un  des  auteurs  de 
la  dernière  eompîralion  de  Naples,  faisait  répandre  <U:s  libelles  contre  Philippe  V. 

3.  Le  marquis  del  Vasto  avait  été  condamne  à  mort  le  {%  mars  I7H2  par  les  tri- 
bunaux romains,  pour  avoir  calomnié  et  accusé  faussement  le  cardinal  de  Janson. 

*.  Est-ce  le  nom  du  courrier  arrivé  de  Naples  l'avant- veille! 

5.  Quelque  feuille  d'avis  manuscrite  qui  ne  s'est  pas  conservée  avec  les  lettres 
de  Renaudol. 

6,  Gel  é vaque  était  académicien  par  substitution.  L'Académie  avait  élu  Chamïi- 
lart  parce  qu'il  était  ministre.  Celui-ci  ne  se  trouva  pas  sujet  assez  académique  el 
pria  ses  électeurs  de  reporter  leur  unanimité  sur  son  frère  l'èvéque,  ce  qu'ils  exé- 
cutèrent, en  bons  courtisans.  L'èvéque  de  Seuils  prit  séance  le  1  sept.  1702. 


LUS    i:0HHESPOSDAÏSTS    DU    DUC    DE    VAILLES. 


631 


A  Paris,  H  juin  1702. 

Les  nouvelles  qu'on  a  Ae  Pologne  ne  sont  pas  favorables  pour  le  roy 
de  Pologne  \  car  le  roy  de  Suéde  %  après  avoir  amusé  durant  quelques 
jours  les  ambassadeurs  que  les  sénateurs  lui  ont  envoyés,  avant  que  de 
leur  donner  audience,  les  a  enfin  écoutés  sommairement,  et  leur  a  lit 
qu'il  venoit  comme  ami  de  la  République;  qu'ils  n'avoient  pas  sujet  de 
se  plaindre  des  hostilité»  de  ses  troupes,  puisqu'elles  avoient  vécu  avec 
plus  de  discipline,  depuis  qu'elles  étaient  en  Lituanie,  que  les  Polonais 
ne  faU oient  eux-mêmes  dans  leurs  marches  ;  qu'il  n'en  vouloit  donc  ny 
au  pais  ny  à  la  couronne;  qu'au  contraire  il  venait  pour  1rs  rétablir 
dans  leurs  libertés,  que  le  roy  de  Pologne  avait  opprimées  de  plusieurs 
manières;  qu'il  les  appuyerait  pour  s'y  rétablir;  et  que,  quand  il 
se  seroit  vengé  de  ce  prince  qui  Favoil  attaqué  ^ans  raistm,  H  seroit 
content. 

Il  a  encore  marché  à  Varsovie3,  d'où  le  roy  de  Pologne  s'est  enfui  a 
Cracovie  avec  plusieurs  sénateurs.  Ou  a  sauvé  l'argenterie  des  églises» 
les  meubles  précieux,  et  tout  ce  que  chacun  avoîl  de  meilleur,  de  sorte 
que  la  désolation  est  fort  grande. 

On  a  des  lettres  qui  portent  qu'il  a  continué  la  marche  et  qu'il  est 
entré  dans  Varsovie,  dW  il  a  fait  expédier  des  lettres  à  la  noblesse 
pour  l'exhorter  à  élire  un  nouveau  roy»  et  qu'il  leur  propose  le  prince 
Alexandre  Sobieski  4. 

On  n'a  point  de  lettres  d'Angleterre,  depuis  cinq  semaines.  On  dit 
cependant,  sur  quelques  avis  de  Hollande,  que  les  Anglais,  manquant 
-d'argent  pour  l'armement  de  leur  flotte,  avoient  demandé  quatre  mil- 
lions aux  H^llandois,  auxquels  la  proposition  auroit  paru  fort  étrange. 

Ils  sont  plus  désolés  que  jamais  de  la  longue  durée  du  siège  de  Vieyle- 
moets  où  ils  ne  voyent  pas  que  leurs  troupes  avancent  beaucoup. 

M.  le  prince  de  Nassau  Sarfaruek,  avoit  nommé  deux  brigadiers  et  leur 
-avoit  même  fait  expédier  des  commissions.  Les  Eslats  Font  trouvé  fort 

4.  Auguste  II  qui  ré  priait  depuis  le  22  mai  1Gt>.s,  élu  eomurremment  avec  le 
prince  de  Conti  (V,  Marins  TopinT  V Europe  tt  les  Bovràoru  sous  Louis  XIV). 

2.  Charles  Ml. 

3.  Après  avoir  forcé  le  passage  de  la  Don  a  contre  les  cuirassier»  du  feld -maré- 
chal sason  Slenau  (18  juillet  1701),  puis  Millau  el  occupé  toute  la  CourUntle, 
Charles  XII  entra  dans  Varsovie  le  5  mai  Î7»  J  Vu^usle  se  relira  à  Cracovie,  d'oii 
îl  voulut  nue  fois  de  plus  tenter  la  fortune.  Le  19  juillet,  les  deux  adversaires  se 
rencontrèrent  dans  les  plaines  de  KJissow,  au  bord  de  la  Nïda,  affluent  de  la  Vla- 
luk;  Charles  Xlt  fui  de  nouveau  complètement  vainqueur  et  entra  sans  rèMatance 
dans  Cracovie»  —  Hcnaudot  écrit  ici  d'après  les  nouvelles  arrivées  de  Vienne;  elles 
sont  aussi  la  source  de  Dangeau  qui  donne  les  mêmes  informations  le  ti  juin, 
presque  en  termes  identiques  (Dan^eau,  TOI,  149), 

4.  Alexandre  Sobieski  était  le  troisième  fils  de  Jean  III  et  l-  Marie  de-  La  tirange 
d'Ârquien.  Ce  renseignement  de  Renaudot  est  intéressant,  car  il  muntre  les  incer- 
titudes de  Charles  XII  pour  le  chois  du  remplaçant  d'Auguste  de  Saxe,  Après  la 
confédération  de  EtonUîj;  nui),  îl  songea  au  fil*  aine  de  Sobieski,  Jacques. 
Celui-ci  et  son  cadet  Constantin  furent  enlevés  par  les  partisans  saxons  et  enfermes 
dans  la  forteresse  de  Kœnigsteîn  sur  l'Elbe,  V.  Wa.lizews.ki,  Marystenka,  et  Itodu- 
canachi,  dans  son  très  documenté  roman  (ou  plutôt  chronique)  historique,  Totia  ta 
courtisane^ 


REVrE    1)  HISTOIRE    LITTERAIRE    DE    LA    FRANCE. 

mauvais,  et  les  ont  fait  déchirer,  ayant  fait  de  fartes  répritnaodfts  à 
priuee,  comme  s'il  avoil  en  cela  entrepris  sur  leur  autorité  K 

On  a  fait  entrer  de  nouvelles  troupes  flans  In  place:  on  en  voulu  1 
retirer  la  parnisnn,  mais  ny  les  officiers  tiy  les  soldats  ne  Vont  pas  voulu, 
disant  qu'ils  recevroienl  bien  des  compagnons,  mais  qu'ils  ne  quitte- 
raient pas  la  partie,  voulant  soutenir  ce  qu'ils  avoîcut  commencé. 

On  avoit  tiré  quelques  volées  de  canon  de  Dnascldorf  sur  le  camp  de 
M*  de  Tallard*.  II  envoya  dire  kUm"  TÉIectrice  Palatine  quot  si  on 
linuoit,  ït  serait  obligé  de  bombarder  la  ville,  et  on  a  cessé  depuis. 

Le  roy  a  nommé  des  seigneurs  espagnols  pour  être  chevaliers  du 
Saint-tsprit;  le  cardinal  Pbrtô  Carrera  pour  la  première  pi  inte 

de  prélat;  les  autres  sont  le  duc  d'Oceda,  ambassadeur  à  Rome,  le  comte 
de  Benaventê,  le  marquis  de  Vîllafrnnca,  le  duc  d<?  Médina  Sidonia  *. 

On  n*a  point  encore  de  nouvelles  du  départ  du  roy  d'Espagne  do 
Naple»,  qui  devoil  estre  le  27  du  mois  dernier  *  si  le  temps  eatoïl  favo- 
rable. Il  est  adoré  en  ce  païs*là;  la  cour  est  la  plus  grosse  et  la  plus 
magnifique  que  l'on  ait  veùe  depuis  plusieurs  siècles  :  car  outre  tous 
les  seigneurs  napolitains  et  siciliens  qui  sont  venus,  les  premières 
personnes  de  Rome  y  sont  avec  des  équipages  très  nombreux  et  très 
riches,  le  connétable  Colonne,  le  prince  de  Rossano,  le  prince  de  Palftfir 
trine,  le  prince  Pamphile,  etc.;  Biais  surtout  M.  le  cardinal  de  Médi 
qni  a  conduit  seize  carosses  dont  le  premier  a  coûté  plus  de  vingt 
mille  eseus,  dix  estafPiers  de  livrées,  cent  gentilshommes  qui  en  oui 
chacun  quatre,  et  le  reste  à  proport iou. 

M*  le  cardinal  Rarberin  *  y  paraîtra  aussi  avec  une  grande  magnifi- 
cence et  porte  de  grands  présents. 

Les  affaires  de  Lorabardie  vont  toujours  bien,  et  les  Allemans  n'ont 
presque  point  deffendu  Canetto  û  et  quelques  autres  postes  où  iU  ont 
esté  attaqués.  Tout  le  renfort  qu'ils  ont  receu  jusqu'à  présent  con- 
siste en  deux  régiments  de  cavalerie,  et  ils  ne  peuvent  de  plus  d'un 

l.  Le  prince  de  Nassau  SaarbrurU  commandait  L'armée  hollandaise,  que  les  Et 
généraux  avaient  voulu  confiera  l'électeur  de  Brandebourg,  Ces  nouvelles  viennent 
à  fUoaudot  par  les  leUres  de  \L  de  Blainvillc  (cf.  Dangeau,  V1I1,  39i-395), 

I.  <  "esi  pendant  te  siège  de   Kaiserswerl  que  se  passèrent  ces  mouvement 
troupes  et  ces  opérations  milîlaires  (mai-juin  UA2).  Blahmlje,  qui  commandait  la 
rcsislance  de  Kaiterswort,  finit  par  capituler  Je  plus  honorablement  du  monde  le 
15  juin,  et  fut  ftil  lieutenant  ^énéraL 

3.  fies  chevaliers  espagnols  du  Saint-Esprit  Turent  le  duc  d'Uceda,  déjà  cité  plus 
haut  comme  ambassadeur  d'Espagne  à  Home;  Benaventc,  de  la  maison  de  PimeoicL 
sommelier  de  corps  ou  grand  chambellan;  le  marquis  de  Villafranca,  mai 

r;  le  duc  ai  Médina  Sidonia,  cuballrrttû  msyor,  et  le  cardinal  J'orlO  CarfCfO, 
de  la  maison  Boecanogra,  qui  ne  pourrait  èlre  reçu  que  lorsque  une  des  nuïl  places 
ecclésiastique  de  Tordre  serait  vacante.  —  Ce  fut  la  promotion  du  4  juin  1T02. 

4.  Philippe  V  quittait  Naples  pour  alter  rejoindre  les  troupes  franco-espagnoles 
dans  l'Italie  septentrionale,  h  Le  voyage  de  Naples,  dit  Milint,  d'après  Louvîll. 

M  irsin  {Mémuires  de  Nouille*,  II,  Ht)  ne  servît  guère  qu'à  découvrir  le  mauvais  étal 

de  ce  royaume le  génie  facétieux  et  turbulent  des  nationaux.»,  et  l'impossibilité 

morale  de  remédier  h  tant  de  maux.  • 

5.  Il  vint  a  Naples  comme  lé^at,  el  Philippe  Y  l'accueillit  solennellement. 

G.  Le  prince  Ivugene  s'y  élaîl  retiré  après  que  Vendôme  eul  passe  l'Ûgiio  {16  mai 
Ï702)î  il  n'y  reala  pas  et  la  place  se  rendit  à  discrétion  le  2U  mai  à  Vendôme* 


LES  CORRESPONHAMs    M'    DUC    DE    NOAÏf.LES. 


633 


moiâ  recevoir  plus  de  huit  ou  dix  mille  hommes,  Le*  lettres  ijul  aug- 
menté ni  I."  plus  leur  armée  la  font  monter  à  'Ai KM  10  hommes, 

Voilât  monsieur  mon  char  gouverneur,  toute  ma  science  pour  aujour- 
d'hui. J'ay  esté  quelques  jours  absent»  ce  qui  m'a  ompenclié  de  vous 
escrire,  et  je  voua  salue  1res  humblement. 

Le  bon  oncle  a  eu  ce  matin  un  mal  de  teste  qui  t'a  empesché  d'aller 
au  cierge  '.  IL  n'a  point  de  lièvre,  et  ce  ne  sera  vu*n  comme  je  I 


A  Pari*,  i  aou-a  lltt. 

Je  vous  envoyé,  monsieur  mon  1res  cher  gouverneur,  la  copie  «les 
nouvelles  qu'on  eut  hier  sur  la  dernière  action  arrivée  en  Italie  &% 
apportée  par  un  courrier  du  '-Il  juillet.  Il  y  aura  diverses  circonstances 
que  nous  ne  pouvons  encore  sçavoir  et  que  vous  aurez  peut-être  en  droi- 
ture, Ce  sont  là  de  bons  commencements,  d'autant  plus  que  le  ruy 
d'Espagne  a  fait  connaître  ce  qu'on  doit  attendre  de  luy.  Il  tomba  une 
très  grande  quantité  d'Allemans  dans  ht  petite  rivière  du  T  al  loue,  et 
on  croit  qu'il  en  a  plus  de  douze  cents.  Une  lettre  que  j'ay  vue  depuis 
marque  qu'il  y  avait  quatre  régiments  ailemans,  Viacouti*  Sterbeuilîe, 
Commercy  et  Dârastadt  \ 

La  défaite  esl  plus  grande  qu'on  ne  le  disait  d'abord. 

A  lféganl  de  la  conspiration*,  tenez  pour  certain  que  tout  ce  que  vous 
en  avez  veu, dans  les  récita  (Dénie  venus  de  la  cour,  qu'il  n'y  en  a  pas  la 
moitié  de  véritable.  La  vérité  est  que  quelques-uns  de  ceux  qui  ont 
esté  arrestês  estoient  ineslés  dans  la  première  conspiration,  et  qu'ils 
entreteuoient  toujours  des  intelligences  avec  les  émissaires  des  Impé- 
riaux, Pour  les  soutenir»  ils  ont  cru  que  le  moyen  de  soutenir  leur 
Crédit  estoit  de  faire  croire  que  ce  parti  subsisïoit  toujours,  el  qu'il  y 
avoit  un  grand  corps  de  troupes  enroslées.  Pour  le  faire  croire,  ils  tirent 
pnroistre  en  divers  endroits  des  troupes.de  bandits,  dont  quelques-uns 
avoient  commission  de  l'empereur*  Cependant,  par  un  nombre  assez 
considérable  de  bonnes  lettres,  on  apprend  que  leur  plus  grosse 
troupe  u'esloil  que  de  150,  et  on  ne  croit  pas  qu'ils  fussent  plus  de  trois 
cents.  Ainsi  tout  est  tranquille  a  Nftples  et  dans  les  principales  villes, 
de  sorte  qu'il  n'y  a  rien  à  craindre*  mais  il  seroit  seulement  à  ëouhaitter 
<qu'on  pensât  un  peu  plus  qu'on  ne  fait  aux  affaires  de  Hume4. 

On  apreud,  par  des  lettres  de  Lisbonne  du  1G  juillet,  que,  le  jour 
précédent,  le  prince  de  Darmstadt  y  ctoit   arrivé  d'Angleterre  pour 

L  L'assemblée  da  clergé  ouverte  depuis  ta  3i  niai  au  couvent  des  grands  Augus- 
tin s  à  Paris. 

2.  Cest  U  bataille  de  Senti  Vïlioria,  du  26  juillet  1702,  où  Philippe  V  et  le  duc 
Vendôme  mirent  en  déroule  trois  mille  cbftVtUi  commandes  par  un  VisconiL 

'.i.  Conspiration  du  duc  <!-  Noin,  appartenant  a  la  Camille  Caraffa.  Le  due  fui  arrête 
^n  juin  U02.  V.  Mémoires  de  Soaiites,  IL  153,  Mats  les  nouvelles  de  lleiuudot  sont 
quelque  peu  en  retard:  elles  sont  importantes,  du  reste,  en  ee  qu'elles  rectifient  et 
complètent  les  renseignements  de  source  officielle,  Il  faut  cependant  se  délier  de 
la  tendance  optimiste  de  uotre  auteur. 

affaira  de  L'investiture  du  royaume»  toujours  promise  implicitement  el  Jamais 
officiellement  accordée  par  Clément  XL 


634  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

quelque  nouvelle  négociation  avec  les  Portugais1.  Deux  des  vaisseaux 
du  roy  qu'on  y  attendoit,  le  Brillant  et  Y  Arrogant,  y  estoient  arrivés,  et 
on  en  attendait  encore  d'autres  de  Brest  et  de  Cadiz. 

La  (ïote  des  ennemis  n'était  pas  encore  sortie  de  Torbay  *  le  30  du 
mois  dernier;  mais  comme  le  temps  avoit  été  plus  favorable,  on  croyoit 
qu'elle  auroit  pu  partir,  sans  qu'on  puisse  encore  rien  pu  descouvrir 
de  sa  destination. 

M.  l'évesque  de  Montpellier3  est  arrivé  icy  depuis  quelques  jours,  où 
il  auroit  esté  fort  aise  de  vous  trouver. 

Je  voudrois  bien  que  vous  y  fussiez.  Puisque  vous  ne  faites  rien  que 
vous  ennuyer,  nous  pourrions  bien  vous  en  promettre  autant  icy.  Ce 
sera  une  grande  perte  que  votre  absence  pour  la  feste  des  enfants  de 
chœur,  que  vos  absences  ne  soutiennent  pas  dans  la  bonne  discipline 
que  vous  y  aviez  établie.  Vous  seriez  aussi  de  temps  en  temps  très 
nécessaire  à  Con flans  pour  les  affaires  du  diocèse.  Car  je  n'en  sache  pas 
de  plus  importante  que  de  conserver  nostre  bon  archevesque,  avec 
lequel  il  vaudroit  quelquefois  mieux  que  vous  travaillassiez  que  cer- 
taines gens. 

On  fait  icy  les  plus  beaux  livres  du  monde,  des  mélanges  de  littéra- 
ture, des  vies  du  P.  Joseph  et  autres  annales  volusiens  avec  lesquels  on 
ne  soutiendra  pas  l'empire  des  lettres  4.  Je  vous  salue,  etc. 

A  Lisbonne,  le  22  aousl  1102 s. 
Le  18  de  ce  mois,  sur  les  cinq  heures  du  soir,  on  aperçut  de  la  forte- 
resse de  Pineche  sur  la  coste  de  Portugal,  à  quinze  lieues  d'icy,  la  flotte 
angloise  et  hollandoise  dont  on  ne  compta  qu'environ  cent  voiles,  le 
brouillard  ne  permettant  pas  de  distinguer  le  surplus.  Le  19  au  matin, 
elle  parut  à  la  hauteur  du  cap  de  la  Roque  et  l'après-midi  elle  fut  veûe 
de  Cascaes  à  cinq  ou  six  lieues  à  la  mer,  faisant  la  route  du  sud.  Un 
vaisseau  approcha  de  Cascaes  et  donna  un  signal  de  deux  coups  de 
canon,  qui  fit  mettre  aussitost  à  la  voile  le  vaisseau  dans  lequel  estoit 
le   prince  de  Darmstat;  qui,    depuis  qu'il   s'estoit  embarqué,    estoit 

1.  Ces  négociations  anglo-portugaise  avaient  pour  but  d'obtenir  pour  l'Angleterre 
la  neutralité  du  Portugal.  Il  était  difficile  à  cet  état  de  la  refuser  à  l'Angleterre,  la 
France  n'ayant  pu  lui  envoyer  les  vaisseaux  nécessaires  pour  se  défendre  contre 
son  adversaire. 

2.  La  flotte  anglaise  resta  longtemps  dans  le  port  de  Forbay,  avec  les  seize  mille 
hommes  de  troupes  qu'elle  devait  transporter.  Les  mouvements  longtemps  incer- 
tains de  cette  flotte  sont  une  des  principales  préoccupalions  qu'expriment  les  let- 
tres suivantes  de  Henaudot. 

3.  Charles-Joachim  Colbert,  évoque  de  Montpellier  pendant  quarante-deux  ans, 
du  1"  novembre  16%  à  Pâques  1738. 

4.  C'est  la  Vie  du  P.  Joseph  par  l'abbé  Richard,  annoncée  en  septembre  1702  dans 
les  Nouvelles  de  la  république  des  lettres. 

5.  Une  note  en  tôle  de  l'original  prévient  que  cette  lettre  datée  de  Lisbonne  est 
un  récit  factice.  Je  ne  sais  d'où  Henaudot  a  tiré  ses  informations  très  précises  et 
très  circonstanciées.  A  la  cour,  on  ne  savait  rien  de  la  flotte  anglaise  depuis  la 
sortie  de  Torbay.  Cette  relation  n'a  été  d'ailleurs  composée  par  Renaudot  que  dans 
les  premiers  jours  de  septembre;  c'est  pour  rendre  son  badinage  plus  vraisemblable 
qu'il  Ta  datée  qe  Lisbonne. 


les  ci)iïiu;sp<m>À!m  du  duc  de  koailles. 


635 


demeuré  mouillé  dans  celte  baye,  sous  le  canon  de  la  forteresse,  de  peur 
d'être  insulté.  Un  yacht  détaché  de  l'armée  entra  dans  cette  rivière, 
qui  apporta  des  paquets  au  sir  MeUiweu  et  à  renvoyé  d'Angleterre,  son 
fila-  Deux  frégates  vinrent  mouiller  le  soir  devant  Gascaes;  elles  y 
demeurèrent  la  nuit,  pendant  laquelle  les  chaloupes  vinrent  icy  cher- 
cher des  rafïraiehisseinenls,  et  le  lendemain  elles  remirent  à  la  voile 
à  1a  pointe  du  jour.  La  nuit  du  19  au  20»  il  lit  un  vent  de  nord  si  frais 
que  la  Ilote  dépassa  cette  rivière  en  peu  d'heures,  en  sorte  que  le  20  au 
matin  on  n'envoyait  plus  rien  de  Gascaes.  Pendant  tout  le  jour  20,  hier 
21  et  aujoun.nmy  jusqu'à  l'heure  que  j'écris,  le  veut  ne  luy  a  pas  esté 
si  favorable.  Tous  les  gens  de  la  Ilote  qui  sont  venus  iey  i  ferre  ou  à 
Gascaes,  la  plupart  domestiques  franco js  du  duc  d'Ormond  ou  de  quel™ 
qtiis  autres  officiers  généraux,  ont  dit  qu'elle  alloit  à  Cadix;  et  toutes 
les  apparences  sont  que  tel  est  son  dessein.  Elle  mouillera  appn rament 
à  Lagos  auparavant  :  ce  qui  fait  juger  ainsi  est  que  l'envoyé  d'Ànde- 
terre  a  fait  acheter  de  ce  coslé-là  beaucoup  de  provisions  et  de  radiai- 
ehissements.  Les  vaisseaux  du  roy,  I  \irnabt*>  et  le  Téméraire,  com- 
mandés l'un  par  M,  du  hVlle-lsJe,lTautie  par  M.  le  chevalier  Phétipeaux  ', 
entrèrent  dans  cette  rivière  le  13  de  ce  mois,  le  premier  venant  de 
lu  -  Uefort  et  l'autn-  île  Gadiz. 

J'ay  receu  ce  malin  seulement  cette  lettre,  et  je  vous  en  envoyé  la 
copie,  monsieur,  comme  estant  la  plus  fraîche  nouvelle  qu'on  ait  éê 
Cti  pais-là.  Je  vous  salue,  etc. 
..  septeœl 

4  septembre  1102, 
»Vay  receu,  monsieur  mon  cher  gouverneur,  votre  lettre  du  W  août 
qui  me  donne  assez  d'inquiétude,  car  vostre  joye  de  marcher  la  produit 
dans  une  âme  vile  comme  la  mienne.  Est-ce  que  vous  ne  profiterez 
pas  de  ces  grands  exemples  que  donne  le  roy  des  Romains',  duquel 
les  parents  et  clients  n'ont  aucune  inquiétude,  puisqu'il  va  se  promener 
durant  les  coups.  Je  prie  Dieu  de  tout  mon  cœur  par  les  mérites  de 
votre  bon  oncle  qu'il  vous  doins  la  grâce  de  bien  battre  les  ennemis 
de  Dieu  el  les  noires,  et  de  revenir  en  bonne  santé. 

Le  chevalier  de  Fourbin*,  à  ce  qu'on  assure,  a  brûlé  quantité  de 
barques  dans  le  port  de  Trieste,  ce  qui  ne  peut  faire  que  du  bien, 
quoyque  les  Vénitiens  regardent  cela  comme  un  adultère  fait  à  leur 
mer,  qui  a  été  Tannée  dernière  une  grande  coureuse  pour  nos  ennemis, 
M.  Brisaeier  *  jure  un  peu  contre  le  pape  et  il  a  raison.  11  me  fait 
mander  cependant  qu  il  va  Jinir.  C'est  une  grande  pitié  que  les  gens  de 
ce  païs-là,et  surLout  le  respect  qu'on  y  a  pour  les  fripons. 


(t  En  mars  1702,  le  Mercure  disait  déjà  qu'on  ne  trayait  pas  •  qu'il  OU  glorieux 
au  roi  des  Romain*  de  demeurer  .  puisque  ie  rot  d'Espagne  al  ion  frère 

le  dur  de  Bourgogne  étalant  dans  les  arméei  Fr&ncû^aapagBolea. 

2,  Dans  cette  campagne*  turbin  bombarda  Trieste  et  incendia  Kiuma,  Segne  et 
Bucc&ri  lui  1 1  Côte  de  CroaUe. 

3.  Sans  doute  un  correspondant  de  Renaudot  à  Rome. 


636  REVUE   D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA   FRANCE.. 

Vous  perdez  infiniment  de  n'estre  pas  icy  au  sacre  de  l'abbé  de 
Feuquières  :  ce  n'est  pas  seulement  sa  bénédiction,  mais  la  musique  des 
petits  pères,  qui  répètent  tous  les  soirs  avec  un  serpent  dans  leur 
jardin,  avec  une  telle  harmonie  qu'on  croit  qu'ils  ont  des  vaches  à  la 
pasture  f. 

Nous  attendons  bientost  quelque  chose  d'Italie. 

A  Naples  tout  va  fort  bien;  et  il  ne  paroit  pas  qu'il  y  ait  rien  à 
craindre.  Il  y  a  un  mois  que  je  n'ay  eu  de  nouvelles  de  M.  de  Valincour*  : 
ce  que  j'attribue  aux  longues  despesches  qu'il  est  obligé  de  faire  ailleurs, 
plus  tôt  qu'à  des  avis  importans  qu'il  ait  acquis  en  Sicile.  Je  vous 
souhaite,  mon  cher  monsieur,  une  parfaite  santé  et  je  vous  salue  très 
humblement. 

14  septembre  1702. 

Je  fus  si  touché  de  la  nouvelle  qu'on  eut  avant  hier  de  la  blessure 
de  M.  le  comte  de  Noailles*,  que  je  n'eus  pas  le  courage,  monsieur  mon 
cher  gouverneur,  de  vous  écrire.  Cette  nouvelle  fut  d'autant  plus  fas- 
cheuse  qu'on  en  composa  un  récit  affreux  dans  lequel  vous  étiez  aussi 
blessé,  et  cela  sur  le  bel  esprit  du  suisse  de  M.  le  Maréchal.  Le  prompt 
départ  de  M.  le  Cardinal  pour  Versailles  acheva  de  me  renverser  l'esprit, 
parce  que  je  ne  pus  en  être  eclairci  :  je  prie  Dieu  que  nous  ayons  de 
meilleures  nouvelles  de  lui,  et  aucune  mauvaise  de  vous.  Car  je  crois 
que  sans  peine  je  vous  persuaderois  de  la  terribilité4  avec  laquelle  je 
les  regarde,  si  je  croyois  que  vous  auriez  besoin  d'en  estre  persuadé. 

Vous  savez  le  retour  de  Mgr  le  duc  de  Bourgogne5,  et  je  laisse  h  d'au- 
tres à  vous  mander  toutes  les  réflexions  sur  ce  sujet.  Car  il  faut  conter 
qu'on  ne  peut  plus  tenir  icy  contre  les  politiques  qui  inondent  les  mai- 
sons et  la  ville.  Je  ne  crois  pas  qu'aux  caftes  de  Hollande  et  de  Londres 
on  dise  plus  de  sottises  qu'icy,  et  me  sine  dans  les  Isles  fortunées,  où 
ne  va  pas  qui  veut. 

Je  regrette  mon  exil  de  Rome  6  quand  je  pense  à  cela.  On  n'entend 
tous  les  jours  que  de  fausses  nouvelles,  et  on  passe  pour  un  fat  si  on  en 
veut  douter  un  moment;  on  ne  l'est  pas  quand  elles  se  trouvent  fausses, 
et  on  recommence. 

1.  L'abbé  de  Feuquières  avait  reçu  l'évêché  d'Agde  le  16  avril  1702.  II  est  fâcheux 
que  Renaudot  n'ait  pas  donné  sur  le  même  ton  une  relation  de  son  sacre.  Elle 
n'aurait  pas  manqué  de  pittoresque. 

2.  Sur  Valincour  et  les  nouvelles  qu'il  donne  du  comte  de  Toulouse  et  de  l'es- 
cadre de  la  Méditerranée,  je  renvoie  à  ses  lettres  au  même  Noailles  qui  seront 
publiées  ci-après. 

3.  Le  comte  de  Noailles  étante  Strasbourg  fut  blessé  assez  grièvement  à  la  tête 
d'un  coup  de  feu  parti  d'une  ile  du  Rhin,  landis  qu'il  se  promenait  avec  le  comte 
d'Ayen  et  d'autres  gentilshommes.  —  Le  bruit  de  la  blessure  du  duc  était  abso- 
lument controversé. 

4.  Mot  forgé,  semble-t-il,  par  Renaudot,  et  qui  n'a  pas  fait  fortune. 

5.  Le  duc  de  Bourgogne  arriva  de  l'armée  à  Versailles  le  8  septembre  un  peu 
avant  minuit,  et,  après  une  courte  entrevue  avec  Louis  XIV,  eut  grande  hâte  à 
aller  retrouver  la  duchesse  et  à  •  être  en  liberté  »  avec  elle. 

6.  Mon  exil  de  Rome!  Le  pauvre  homme!  on  ne  l'aurait  pas  cru  à  un  tel  point 
journaliste  parisien! 


LES   CORRESPONDANTS    DU    DUC    DE    NOAILLES.  637 

Il  n'y  en  a  point  d'Italie  que  le  siège  de  Guastalla1.  M.  le  comte  de 
Tolose  arrive  à  Messine.  M.  de  Valincour  m'a  écrit  de  Melazzo  et  il 
est  si  content  du  cérémonial  de  Palerme  qu'il  ne  me  parle  que  de  cela, 
et  des  extravagances  de  celuy  d'Avignon,  scilicet  hic  superis  labor  est1. 

On  ne  s<;ait  rien  encore  de  fort  particulier  de  la  descente  des  ennemis 
près  de  Cadix 3.  Ils  avoient  d'abord  débarqué  quelques  troupes  au-dessus 
de  la  place,  et  ils  avoient  été  repoussés  avec  perte.  Ils  ont  choisi  un 
autre  endroit  plus  bas  et  s'y  sont  emparés  d'un  fort,  c'est-à-dire  de 
quelque  tour  qui  ne  peut  pas  être  grande  fortune;  et  s'ils  sont  où  on 
le  dit,  ils  n'y  peuvent  pas  tenir  facilement,  le  mouillage  n'estant  pas 
bon.  Je  vous  en  manderay  quelque  chose  de  plus  certain  par  mes  pre- 
mières lettres. 

Le  Roy  a  un  peu  de  goûte  4  depuis  deux  joufs. 

Je  vous  souhaite,  etc. 

15  septembre  1702. 

Je  vous  envoyé,  monsieur  mon  cher  gouverneur,  les  dernières  nou- 
velles que  nous  avons  eues  de  Cadiz  et  qui  sont  très  sûres.  Et  si  les 
ennemis  n'ont  point  de  très  fortes  intelligences  dans  la  place  (ce  qui  ne 
paroist  pas  fort  croyable),  ils  seront  embarrassés. 

Le  duc  d'Ormond  envoya  une  lettre  au  gouverneur  de  Cadiz, 
M.  Brancaccio 5,  pour  l'exhorter  à  se  déclarer  pour  la  maison  d'Autriche, 
à  qui  l'Espagne  appartenoit,  et  qu'il  avoit  si  bien  servie  autrefois. 
Brancaccio  lui  répondit  que  s'il  avoit  acquis  son  estime  en  Flandre,  il 
le  prioit  de  luy  en  donner  encore  des  occasions,  en  le  venant  prompte- 
ment  attaquer.  On  ne  croid  pas  qu'ils  (sic)  osent  entrer  dans  la  baye  de 
Cadiz  et  s'ils  demeurent  où  ils  sont,  ils  y  courent  grand  risque. 

Je  vis  hier  au  soir  M*1  le  cardinal,  et  je  le  trouvay  en  l'état  où  vous 
pouvez  juger  par  sa  tendresse  que  vous  connoissez,  et  il  attend  avec 
impatience  des  nouvelles  de  M.  le  comte  de  Noailles.  J'ay  esté  assez 
heureux  pour  n'apprendre  point  une  nouvelle  qui  a  couru,  à  ce  que 
j'appris  seulement  hier,  qui  estoit  que  vous  aviez  esté  blessé  et  d'autres 
mesme  disaient  encore  pis.  Fama  malum  quo  non  velocius  ullum.  Aussi 
a-t-elle  donné  du  nez  et  du  bréchet  contre  la  croix  des  Invalides  et  s  est 


1.  Le  siège  de  Guastella  commença  le  Ie"  septembre  et  se  termina  heureusement 
le  M  suivant  par  une  capitulation. 

2.  A  peine  arrivé  à  Messine,  le  comte  de  Toulouse  reçut  l'ordre  de  revenir  en 
France;  cet  ordre  lui  fut  expédié  le  13  septembre.  Renaudot  l'ignorait  donc  encore 
en  écrivant.  Pour  toutes  ces  nouvelles  de  Sicile  et  de  Valincour,  je  renvoie  encore 
aux  lettres  de  celui-ci.      # 

3.  Les  alliés  avaient  débarqué  exactement  à  Rota,  entre  San  Lucar  de  Barameda 
et  Cadiz;  ils  furent  repoussés,  mais  les  Espagnols  perdirent  leur  commandant  dans 
ce  combat. 

4.  Dangeau  enregistre  cette  attaque  de  goutte  le  13  seulement. 

5.  M.  de  Brancaccio  répondit  aux  propositions  des  alliés  «  qu'il  était  prêt  à  les 
recevoir  comme  les  ennemis  du  roi  son  maître  ».  Ces  nouvelles  de  Cadix  étaient  en 
effet  très  sûres,  étant  apportées  à  la  cour  par  l'ambassadeur  d'Espagne  et  le  mar- 
quis de  Lleganez. 


638  REVCE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE   DE    LA    PRA5CE. 

fendu  le  jabot,  comme  vous  verrez  dans  an  poème  très  bien  imprimé1, 
qoi  a  para  depais  votre  départ. 

On  eut  hier  nouvelle  que  le  siège  de  Gaastalla  avançoit,  que  les 
canons  des  ennemis  estoient  démontés,  que  le  roy  d'Espagne  avoit  été 
à  la  tranchée  et  qu'on  l'en  avoit  tiré  avec  peine  \  et  qu'on  croyoit 
qu'aux  premières  lettres  on  saaroit  la  prise. 

Je  prie  Dieu,  etc. 

A  Paris,  22  septembre  1702. 

Vous  avez  veu,  monsieur  mon  cher  gouverneur,  par  mes  précédentes 
lettres  jusqu'à  quel  point  je  sens  votre  affliction  et  quelle  est  mon 
inquiétude.  Je  suis  néanmoins  fort  aise  que  vous  soyez  allé  à  Stras- 
bourg pour  avoir  soin  de  M.  le  comte  de  Noailles  a.  J'en  appris  hier 
par  M.  de  Beau  fort  *  qui  lui  avoient  été  mandées  de  Châalons  et  qui 
me  donnèrent  beaucoup  d'inquiétude.  Mais  M.  le  cardinal  me  rassura 
un  peu.  Je  ne  souhaite  rien  tant  au  monde  que  de  vous  voir  délivré  de 
toutes  les  appréhensions  que  votre  bon  cœur  et  votre  tendresse  pour  un 
frère  très  aimable  me  fait  (sic)  concevoir,  j'ose  dire  plus  qu'à  aucun 
autre. 

Je  crois  que  vous  avez  sceu  par  les  courriers  qui  ont  esté  h  Stras- 
bourg, la  prise  de  Guastalla*  avec  une  capitulation  très  singulière,  par 
laquelle  on  oblige  les  cavaliers  et  les  dragons  à  laisser  leurs  chevaux 
et  à  promettre  tous  sur  leur  parole  d'honneur  de  ne  point  servir  jusqu'au 
mois  d'avril  1703,  et  tous  ces  hérétiques  sont  envoyés  au  concile  de 
Trente. 

En  Espagne  tout  va  fort  bien  *  :  les  villes  et  tous  les  ordres  se  mettant 
en  mouvement  pour  témoigner  leur  zèle,  levant  des  troupes,  envoyant 
du  bled  et  de  l'argent,  et  se  mettant  en  estât  de  résister  courageuse- 
ment. Comme  le  roy  d'Espagne  ne  tardera  pas  selon  toute  apparence  à 
se  rendre  en  Espagne,  il  aura  encore  l'honneur  de  les  chasser  7. 

1.  Je  ne  puis  désigner  le  poème  dont  Renaudot  parle  ici  avec  une  ironique 
louange. 

2.  On  voit  ici  un  exemple  de  la  façon  dont  les  nouvelles  se  communiquaient. 
Dangeau  mentionne  le  13  septembre  (VIII,  500)  l'arrivée  d'un  ordinaire  d'Italie 
apportant  des  lettres  du  5.  Le  lendemain,  il  dit  que  le  roi  parla  à  son  dîner  du  siège 
de  Guastalla  d'après  des  lettres  de  M.  de  Vendôme.  C'est  par  Vendôme  qu'on  sait 
que  le  roi  d'Espagne  avait  voulu  aller  à  la  tranchée.  C'est  donc  indirectement  de 
Louis  XIV  que  Renaudot  tient  le  renseignement  ici  donné. 

3.  11  n'est  pas  question  de  ce  voyage  dans  les  Mémoires  de  Noailles. 

4.  Personnage  inconnu  et  lettres  perdues. 

5.  La  nouvelle  en  fut  apportée  à  Paris  le  18  septembre.  «  La  capitulation  a  été 
qu'ils  seroient  conduits  à  Trente  et  ne  pourraient  servir  dans  les  armées  de  l'em- 
pereur avant  le  1er  avril  •.  Cette  relégation  à  Trente  a  fourni  le  prétexte  à  la  médiocre 
facétie  de  Renaudot. 

6.  L'affaire  la  plus  importante  y  était  toujours  la  présence  des  troupes  alliées 
débarquées  à  Cadiz  où  le  gouverneur  Villa  d'Arias  organisait  la  résistance. 

7.  Dès  le  mois  de  septembre  1102,  Philippe  V  avouait  à  Monaco  son  désir  de 
retourner  en  Espagne;  le  désastre  de  Vigo  et  le  débarquement  des  Anglais  en 
Andalousie  rendirent  son  retour  nécessaire.  Il  arriva  à  Barcelone  le  21  décembre 
1702  (Baudrillart,  I,  115-119). 


LKS    CCUUîESPOMiANTS    D(J    Ul  MLLES, 


ti3-> 


Vous  sçavez  plus  tosl  que  nous  ee  qui  se  passe  dans  la  Souabe 
aussi  je  ne  vous  en  mande  rien.  Je  voudrais  seulement  qu'on  pms&J  à 
faini  M.  l'électeur  de  Bavière  roy  des  Komnins3;  et  ♦(unndonaura  besoin 
de  mémoires  pour  faire  voir  la  nullité  de  l'élection  du  prétendu  my,  j*en 
feray  de  bons.  îl  fa  n  droit  extirper  de  ces  mangeurs  de  S**  muiigentuui  ad 
parietem  (We),  surtout  depuis  qu'ils  renient  la  foy  pour  armer  ci  in  Ire 
m  mis  les  hérétiques. 

Que  direz-vous  de  la  faveur  de  M.  le  Bailly  a  auprès  de  H.  de  P<mt- 
churtrain,  qui  luy  donne  un  appartement  à  Fontainebleau? 

Je  u'ay  eu  aucune  nouvelle  de  M.  de  Valineour  depuis  quinze  jours, 
mars  il  a  joint  M,  l'amiral  à  Melazzo,  et  ils  sont  depuis  allés  à  Messine, 

On  donne  Guastalla  à  M*  le  duc  de  Mantoue,  ce  qui  lui  fait  beaucoup 
de  plaisir  \ 

A  Paris,  H  mai  1703. 

J'altens  avec  une  grande  impatience,  monsieur  mon  très  elier  gou- 
verneur, des  nouvelles  de  votre  arrivée  à  Plombières  \  avant  laquelle 
j  espère  que  ta  moitié  des  humeurs  cacochymes  dont  vous  étiez  rempli 
auront  esté  purgées  par  la  seule  concomitance  de  votre  puissante  apo- 
ti  airîe,  et  qu'ainsi  elle  servira  à  vous  Faire  faire  de  bonnes  œuvres  en 
distribuant  vos  drogues  aux  pauvres;  comme  des  Barreaux,  grand 
homme  de  bien  en  son  temps,  lit  une  fois  donner  aux  pauvres  un  seau 
de  glace  qui  luy  restoit  après  un  repas  *,  et  cela  au  mois  de  janvier.  Je 
crois  cependant  qu'il  vaut  encore  mieux  que  cette  charité  suit  pour  les 
Impériaux  plutost  que  pour  les  sujets  du  roi  «jt  les  Bavarois,  car  la 
pharmacie  est  une  excellente  artillerie  poor  la  destruction  du  genre 
humain.  Et  parce  que  vous  pourriez  peut-être  en  douler,  je  ?OBi  eittray 
sur  cela  deux  beaux  vers  d'un  Arabe  sur  un  fameux  empirique  qui 
étoit  un  petit  Rouviere  de  son  temps.  Il  arriva  une  pesto  dans  son  temps, 
et  il  fit  un  distique  adressé  à  ladite  dame  Peste,  dont  voiey  la  sub- 
stance :  «  Madame,  vous  ave/  pana  en  ce  inonde  en  même  temps  que  le 
docteur  un  teL  Vous  avez  fait  ligue  offensive  l'un  et  l'autre  pour  détruire 
le  genre  humain.  Est-ce  que  ce  n'estait  pas  assez  de  l'un  de  vous  deux?  » 
Profitez  donc  de  cette  érudition  pour  avoir  des  drogues,  eu  grand  sei- 
gneur, comme  feu  Monsieur7,  un  grand  veneur  et  des  chiens  pour  ne 


j.  L'ùtecteur  de  Bavière  y  avait  pria  Ulm,  pré  tend  util  non  pas  faire  la  _ 
l'empereur*  in  aïs  ne  s'armer  que  pour  maintenir  lu  trait»'  de  Hv-w  i<k, 

2.  En  demandant  qu'on  fil  l'électeur  de  Bavière  roi  des  Humains,  Itcuaudot  ne 
manquait  pas  de  sens  politique.  C'est  la  politique  qu'on  suivit  pendant  la  guerre 
de  la  Succession  d'ÀulncIte.  Les  invectives  suivantes  s'adressent  «ans  doute  à  la 
maison  de  HaJtobonfg,  mai*  le  texte  parai I  corrompu. 

3.  Le  bailli  de  NoatUes  fut  nommé  ambassadeur  en  France  par  le  grand-mallre 
de  Malte  en  jutîiel  1701  (Dangeau,  IX,  *4&). 

4.  Celte  nouvelle  ne  se  réalisa  pas. 

5.  Le-  \l  >  -s.-  N  ailles  sont  également  muets  sur  cette  snîson  thermale, 

6.  CeLte  anecdote  sur  U-sharreaux,  le  célèbre  impie,  a-t-ctlc  une  authenticité  bien 
certaine? 

1.  Allusion  aux  goûts  sédentaires  et  efféminés  du  frère  de  Louis  XIV. 


uo 


REVUE    Ù  HISTOIRE    UTTERA111E    f>E    IA   FKà*C 


chasser  jamais  qu'au  plat;  el  que  le  régime,  le  repos  et  la  tranquillité 
d'esprit  soyent  votre  principale  médecine. 

Voira  avez  laisse  les  affaires  de  l'église  en  une  crise  et  la  cabale  papi- 
manique  a  fait  depuis  votre  départ  tous  les  efforts  imaginables  afin  de 
surprendre  le  roy,  et  luy  persuader  qu'il  n'y  avoit  péril  quelconque 
à  laisser  publier  le  décret  sans  correct if.  Elle  a  plus  aisément  persuadé 
quelques  évesques,  qui  ne  croient  pas  leurs  brebys  eu  me  i  lieu  i 
que  celle  du  loup,  de  faire  le  saut*.  Aussi  deux  qui  seront  à  jam.ns 
distingués  par  ce  bel  endroit  ont  fulminé  des  ordonnances.  Le  premier 
Âpt.le  deuxième  CtermotiL  Celuy-ci  estant  dans  le  ressort  de  la  charité 
illustrissime  M.  le  Procureur  général,  a  été  le  premier  ehàstié,  mai 
vous  assure  que  ce  n'a  pas  été  sans  bien  combattre»  En  lin»  mardy  il  eut 
les  mains  déliées,  et  ensuite,  sur  les  conclusions,  arrest  par  lequel  il 
est  reçu  appelant  comme  d'abus  de  l'ordonnance  de  Clermoul  qui  s-  ri 
supprimée,  etc.  L'a rresl  fut  prononcé  avant* hier ♦  Àpt  est  recommandé 
au  Parlement  de  Provence,  qui  a  plus  belle  matière  parce  qu'il  a  établi 
dans  son  ordonnance  l'infaillibilité  dans  le  droit  et  tous  les  faits, 
fondée  sur  celle  des  pontifes  de  l'ancienne  loi.  Et  en  vérité,  comme 
on  la  desjà  remarqué»  cette  preuve  est  incontestable  après  une  *en- 
tence  aussi  juste  et  aussi  bien  fondée  que  celle  de  Tarrêst  de  mort 
contre  Jêsus-Cbrist,  qui  ne  paroist  pas  si  injuste  en  Provence  où  Cajfas 
a  encore  quelques  parents  K  Ainsi  voilà  un  commencement  et  mtilas 
noches  pour  ceux  qui  ont  donné  tant  de  trouble,  et  traité  avec  si  peu 
de  rat80U  nidre  bon  oncle,  dont  on  recherchera,  comme  j'espère,  l'abso- 
lu ttop,  J'îray  demain  lui  tenir  compagnie  et  conférer  sur  ce  que  nous 
aurons  de  H' une. 

J'espère  y  trouver  de  vos  nouvelles,  c'est-à-dire  de  votre  santé  :  car 
pour  les  autres  je  vous  en  quitte.  Je  me  recommande  à  vous  de  tout 
mon  Cœur,  senor  ayo  de  mis  ajos,  y  besandole  bumilmente  las  inanos 
la  prego  que  tenga  cura  de  su  salml  oemo  la  christiandad  ba  menester. 

Je  salue  M.  l'abbé  Yaison  auquel  je  n'ay  pas  besoin  de  recommander 
d'avoir  soin  de  vous, 

A  Paris,  6  juillet  1703. 
Je  suis  extrêmement  consolé,  mon  cher  monsieur,  des  bonnes  nou- 
velles que  vous  m'avez  données  de  votre  santé,  qui  m'inquiétoit  extrême- 
ment, quoyque  je  ne  vous  3'aye  pas  témoigné  aussi  souvent  que  je  le 
souhaitois,  ayant  eu  mille  distractions  et  fatigues  d'esprit  et  de  corps 
qui  ne  me  l'ont  pas  permis.  Mais  je  seray,  s'il  plaïst  à  Dieu,  plus  exact 
dans  la  suite.  Pour  appuyer  mes  conjectures  sur  les  autorités  que  nous 
vous  avons  alléguées  quelques  fois,  guéri  estes  à  mon  avis,  puisque 
vous  trouvez  le  vin  bon*  Il  faut  qu'il  achève  le  miracle  des  eaux  de 

i.  Renaudot,  en  bu»  gallican,  s'exprime  assez  crûment  sur  le  compte  des  ultru- 
monUins.  Son  style  est  du  n'st<  savoureux  et  riche  en  explosions  imagées,  en 
souvenirs  i  :  cabale  papifrumi^ue^  chasser  au  plat,  la  garde  du  (ottp. 

h2,  Surtout  à  Ai*  en  Provence,  où  plusieurs  familles  de  nouveaux  convertis  él  n 
daat  les  prîacîpaks  charges  du  Parlement. 


LES   CORRESPONDANTS    DO    MIC    UV.    NO  AILLES, 


611 


Plombières1,  qui  meparoîst  grand,  quand  je  pense  à  restai  clans  lequel 
vous  estiez  quand  vous  partistes  de  Co  oïl  ans.  La  santé  de  lVUr  le  cardinal 
est  aussi  1res  bien  rétablie,  car  vous  le  quittantes  qu'il  estoil  un  peu 
fatigué  et  languissant.  Il  a  pris  pour  eaux  de  Plombières  et  pour  autres 
médicaments  quinze  jours  de  visites  de  paroisses  de  Bric,  où  TOUS 
sçavez  que  le  vin  n'est  pas  capable  de  Faire  perdre  le  droit  sentier  de 
la  vertu*  puisqu'il  ne  Fait  [»;is  Faire  dtsSS  dans  le  cbemin  des  chareUes. 

Je  vous  diray,  [jour  nouvelles  qui  le  regardent,  qu'il  paroUt  par  ce 
que  nous  avons  de  Rome  parles  lettres  de  deux  ordinaires,  que  le  Pape 
se  raddoudl  beaucoup,  et  qu'il  cherche  une  ouverture  à  se  raccommoder 
avec  M*r  le  cardinal,  qui  au  moins  a  encore  de  bons  amis  en  ce  pays-là, 
ou  la  plus  grande  et  plus  saine  partie  trouvent  qu'on  a  esté  bien  \iste; 
et  tout  bomme  qui  n'est  pas  prévenu  en  conviendra  Facilement  *.  Mais 
vous  souvenez-vous  de  celuy  auquel  vous  listes  une  Ibis  à  Tarchevesché 
une  si  sage  remonstrance,  sur  l'ëviralion  qu'il  a  voit  (aile  de  certaine» 
peintures  d'une  maison,  qui  vous  reviendra,  s'il  plaist  à  Dieu?  Vous  luy 
disiez  qu'il  e^toit  bien  sensible  aux  mouches  de  ne  pouvoir  voir  ces 
peintures  sans  estre  exposé  à  de  mauvaises  pensées,  Contez  qu'il  est 
encore  bien  plus  sensible  sur  cette  matière-là,  11  a  fait  et  fait  encore 
tous  les  jours  des  petites  démarches  taupîères  qu'on  découvre  neant- 
moins  et  dont  un  autre  fierait  mauvais  marchand  \  Il  le  sera,  s'il  plaist 
à  Dieu,  Ameny  et  votre  bon  oncle  les  supprd itéra  tous* 

On  n'aura  pas  manqué  d'envoyer  à  votre  armée  des  nouvelles  de  la 
défaite  des  Hollandois  par  M.  le  maréchal  de  Bouffi  ers  B.  L'action  est  très 
belle  et  M.  le  duc  de  Guiche*  s'y  est  Fort  distingué.  Il  faudroît  vous 
envoyer  un  volume,  et  je  crois  qu'on  n'aura  pas  manqué  de  vous  en 
informer. 

La  petite  disgrâce  de  M.  Albergotti7,  qui  n'est  rien  dans  le  fond,  a 
donne  lieu  aux  Allemand  de  Rome  de  composer  des  relations,  qui 
sont  presque  aussi  grosses  que  le  seroit  celle  de  la  bataille  d'Àrbele,  si 
elle  avoit  esté  donnée  du  temps  du  Mercure  GaJlanL  Ils  ont,  disent 
les  relations,  six-vingts  officiers  prisonniers,  butin,  canon,  et  les  Roma- 
nesques croyent  tout  cela  parce  qu'ils  en  seroient  ravis. 


i.  Ceci  semble  indiquer  qu'il  n'y  a  pas  eu  du  lettre  écrite  entre  te  it  mai  elle 
6  juillet  IT0)i 

5,  À  propos  des  interminables  querelles  causées  par  L'adhésion  morale  de  AL  de 
Noailk's  aux  duel  ri  nés  du  P.  QuesneL 

;î.  Allusion  a  un  personnage  plus  pudibond  que  connu,  La  maison  et  les  peintures 
mutilées  nous  sont  inconnues.  Mftis  dans  la  sage  remontrance  faite  à  ce  vandale 
par  Noailles,  il  y  a  probablement  un  sou  venir  de  Tartufe. 

4.  Autre  allusion  fort  obscure,  relative  probablement  à  des  intrigue»  ecclésiasti- 
ques. Le  mot  de  démarches  ttaijrièrtt  f^t  une  vraie  trouvaille. 

i>.  Uoufflers  battit  les  troupes  hollandaises  de  M*  d'Opdam  le  samedi  30  juin 
(Gazette  de  170at  p.  313). 

6,  Bouf  fiers  mentionne  en  effet  dans  sa  relation  Guiche  comme  un  des  officiera 
qui  s'étaient  te  plus  distingués  (Dangeau,  IX,  831). 

7,  L'affaire  de  Final,  des  lu  et  II  juillet,  eut  peu  d'importance*  Albergotti,  légère- 
ment blessé,  ramena  ses  troupes  au  pï&U  pas  de  la  Mirandoie  et  Cuarentolo  à 
Final.  Un  perdit  un  tneslre  de  camp,  M.  d'Espinch&L 


642 


REVCE    D  HISTOIRE    LlTTËRAIflE    DE    LA    FRANCE. 


M*  le  comte  de  Tnlose  part  hindi  pour  Toulon,  M.  de  Valincour 
pril  hier  les  devants*  Je  crois  qu'ils  au  m  ni  l'empire  dû  Ifl  MéditerrB 
durant  celte  campagne,  parce  qu'il  n'y  n  aucune  llolle  qui  ose  lenir 
tête  à  M,  le  chevalier  de  Coinminges.  M  auroit  du  faire  venir  (>ourtetiotte 
et  Rubion  de  son.  abbaye  pour  les  montrer  par  rareté  à  tous  les  moines 
de  Naples  et  de  Sicile,  qui  sont  Austriehiens,  de  peur  qu'on  ne  les  I 
chrétiens  l.  Car  ils  verraient  que  ces  dignes  lïatacci  de  Churoux  ne  sont 
pas  faits  comme  la  Trape, 

M*  des  Préaux  est  dans  une  petite  inquiétude  sur  ce  que  je  lui  ay 
apris  qu'il  avoit  un  concurrent,  qui  alloit  sur  ses  vieux  jours  lanéauiir 
par  un  traité  du  sublime  qui  cotiroit  déjà  les  ruelles,  et  Tau  Leur  Bai 
l'abbé  de  Saint- Pierre.  Il  est  vray  dans  le  fond  qu'il  a  travaillé  sur  cela, 
et  le  poète,  comme  vous  BÇ&T6S,  croid  tout  fort  aisément*  mais  noa  pi 
qu'on  puises  l'égaler  ;  en  quoy  il  ne  se  trompe  pas,  sur  plusieurs  sujets, 
mais  surtout  à  l'égard  de  celui-là. 

Noua  avons  au  jour  la  f^/f'-tnpe  *  de  M,  l'abbé  Genest,  dont  notre 
poète  dit  quelque  bien  et  les  autres  beaucoup.  Elle  a  plu  aux  princesses 
jusqu'à  tirer  leurs  larmes;  après  cela  on  ne  peut  rien  dire,  sinon  :  0 
quantum  est  ht  rébus  titane \  Muta  ce  n'est  pas  seulement  ces  ckim* 
ù<  nu  ht  nantis  in  vacuo.  LTi nantie  est  dans  bien  d'autres  choses  plus 
sérieuses,  et  rien  ne  pou  voit  me  faire  plus  de  plaisir  que  de  voir  que 
vous  comprenez  ce  néant  de  plus  en  plus,  et  que  de  ce  néant  mesme 
vous  tirez  des  réflexions  très  sérieuses  et  très  sensées.  Dieu  veuille  bien 
vous  les  augmenter  et  les  faire  prendre  racines,  porter  fruits,  et  vous 
contenter  pour  cela  aidant  que  je  le  souhaite,  personne  ne  prenant 
plus  de  part  que  je  fais  à  votre  conversation  et  n'ayant  plus  de  recon- 
naissance que  j'en  ay  pour  votre  amitié. 


Au  camp  de  Castelnuovo,  27  juillet  i~<KL 
Le  26  de  ce  mois a,  M.  de  Vendosrne  partit  de  Sorbolo  et  passa  la  Lenza 
sur  plusieurs  colonnes  sans  trouver  les  ennemis.  En  arrivant  icy  il  aprit 
qu'ils  estaient  au-delà  du  Crostolo,  Il  partit  d'icy  environ  à  deux  heures 
après  midy  avec  23  escadrons  et  14  compagnies  de  grenadiers.  Il 
passa  le  Crostolo  sur  un  pont  de  pierre  que  les  ennemis  noccupoieat 
pas.  Il  tomba  sur  un  camp  de  trois  régiments  de  cavalerie,  que  com- 
mandoit  Viscontî,  qu'il  trouva  mal  posté    à  Santa-Viltoria.    Il   les  a 

1.  On  voulait  Taire  une  campagne  maritime  série  use  sur  la  Méditerranée.  Déjà  le 
maréchal  de  Gœuvres  avait  pris  le  commandement  olfactif  de  la  flotte,  depuis  le 
milieu  de  mat.  Il  com mandai l  sous  Le  comte  de  Toulouse,  Le  départ  de  eeluî-ei  fut 
longtemps  annoncé  pour  le  lundi  9  juillet;  mais  le  fi,  joiir  <n  K-niml-l  vn  parle, 
on  annonça  après  le  coucher  du  roi  qu'il  était  retardé;  il  ne  partit  que  le  25  juillet. 

2.  La  Pénélope  de  Gcnesletil  du  succès,  au  point  qu'on  l'Imprima  clandestinement 
un  Hollande  sous  le  nom  de  La  Fontaine,  ce  que  Genest  prit  en  homme  spirituel. 
Pénélope  on  te  retour  (VU  y  •>.«"■  de  lu  oit  erre  de  Troie  pouvant  servir  de  suite  aux 
a\rntures  de  Télémuqtie.  A  la  ILi>e,  chez  Adrien  ftloeljens,  Htit!,  In-lï, 

Si  t>ci  est  encore  une  relation  factice  comme  celle  que  nous  avons  déjà  rencon- 
trée. EHe  paraît  composée  uniquement  avec  des  extraits  directs  ou  indirects  des 
lettres  de  Vendôme. 


LES    CORRESPONDANTS    DU    DUC    DE    NOAILLES.  643 

culbutés  avec  peu  de  résistance.  Il  est  resté  environ  600  des  ennemis 
sur  le  champ  de  bataille,  400  prisonniers,  parmy  lesquels  quelques 
officiers  sans  distinction,  hormis  M.  de  Staremberg,  colonel  du  régi- 
ment de  Darmstadt.  On  a  pris  1000  ou  1200  chevaux.  La  plus  grande 
perte  des  ennemis  a  esté  dans  le  Tasson  que  fort  mal  à  propos 
M.  Visconti  avait  laissé  derrière  luy.  Ils  ont  perdu  tout  leur  camp  et 
tous  leur  bagage,  deux  paires  de  tymbales  et  huit  ou  dix  étendards. 
Presque  tous  les  officiers  généraux  s'y  sont  trouvés  et  ont  fait  des 
merveilles,  surtout  M.  le  marquis  de  Créqui,  qui  a  combattu  à  pied  et  à 
cheval  avec  grande  distinction.  Les  troupes  se  sont  surpassées.  M.  de 
Wattigny  a  esté  blessé  légèrement,  un  page  du  marquis  de  Créqui  et 
M.  Shelton.  11  n'y  a  pas  eu  plus  de  120  des  nôtres  tués  et  blessés. 

M.  de  Vendosme  revint  coucher  icy  et  laissa  au-delà  du  Crostolo  les 
troupes  qui  esloient  passées  avec  quatre  brigades  d'infanterie.  On  doit 
décamper  demain  pour  suivre  cette  route. 

On  a  eu  avis  que  le  prince  Eugène  a  fait  passer  beaucoup  de  ses 
troupes  en-deçà  dû  Po.  M.  de  Vendosme  envoya  aviser  le  roi  d'Espagne 
qu'il  marchoit  aux  ennemis,  et  qu'il  le  prioit  de  le  soutenir.  Les  troupes 
qui  accompagnaient  le  roi  d'Espagne  n'allant  pas  assez  vite  à  son  gré, 
il  marcha  seul,  peu  accompagné,  et  joignit  M.  de  Vendosme  lorsque 
l'a  (Taire  n'estoit  pas  finie,  et  il  s'y  comporta  d'une  manière  que  toutes 
les  troupes  en  furent  charmées. 

Escadrons  qui  estoient  à  Vaclion. 


Gendarmes  escossois. 

Colonel  général. 

Sully. 

Dauphins  dragons. 

Villeroy. 

Des  Clos. 

Lautrec. 

Montpercieux. 

Carabiniers. 

Estrades 

Anjou. 

22  août  1703 
Votre  lettre  du  21  m'a  fait  un  très  grand  plaisir,  mon  cher  monsieur, 
en  m'apprenant  que  vous  estes  enfin  délivré  d'une  aussi  fâcheuse  fièvre 
que  celle  qui  vous  a  tant  tourmenté,  quoyque  le  quinquina  ne  puisse 
pas  vous  assurer  d'une  entière  guérison.  Je  crois  que  vous  prendrez 
bon  conseil  pour  ne  pas  entreprendre  plus  que  vos  forces  ne  vous  le 
permettront  :  car  la  faiblesse  qui  reste  après  de  si  rudes  accès  est  un 
mauvais  préparatif  pour  aller  essayer  les  fatigues  de  l'armée.  Il  me 
revient  qu'il  y  a  beaucoup  de  conseils  en  campagne,  comme  il  arrive 
toujours  en  pareille  occasion:  M*  le  cardinal  et  M.  le  maréchal  vous  les 
donneront  bon.  Après  qu'on  a  fait  ce  qu'il  est  possible,  il  faut  mépriser 
les  jugements  des  hommes,  qu'il  est  bien  difficile  de  contenter. 

J'ay  passé  à  Conflans  depuis  vendredy  au  soir  jusqu'à  mardy  malin, 
et  je  voulois  vous  écrire  de  là  :  mais  quoyqu'on  y  ait  assez  de  loisir,  au 
moins  plus  qu'icy,  j'eus  tant  à  écrire  en  Italie  que  je  manquay  à  ce 
dessein.  Il  y  a  tout  sujet  d'espérer  que  dans  peu  nous  verrons  le  pape 
revenu  à  ses  premiers  sentiments  sur  le  sujet  de  Mr  le  cardinal.  Il  en 


644  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE   DE    LA    FRANCE. 

vient  tous  les  ordinaires  de  nouvelles  preuves,  et  une  personne  arrivée 
depuis  peu,  et  à  qui  le  pape  avait  donné  une  grande  audience  toute  sur 
ces  affaires,  m'en  a  parlé  d'une  manière  qui  m'a  fort  consolé.  M.  le 
grand  duc  et  M.  le  cardinal  de  Médicis  ont  fait  des  merveilles,  et  si  nous 
avions  en  ces  pays-cy  des  amis  aussi  seurs  que  ceux-là,  il  y  aurait  bien 
des  peines  épargnées.  Mais  les  cœurs  de  ce  temps-cy  sont  à  peu  près 
aussi  bons  que  les  testes  l. 

M.  le  comte  de  Tolose  est  embarqué,  et  j'ay  eu  une  lettre  de  M.  de 
Valincour  à  bord  du  Foudroyant.  La  flotte  angloise  et  bollandoise 
commandée  par  l'amiral  Showell  a  passé  devant  Lisbonne.  Sbowell  a 
offert  ses  services  au  roy  du  Portugal,  qui  l'en  a  remercié.  11  a  ensuite 
mis  à  la  voile  vers  le  détroit,  publiant  qu'il  alloit  dans  la  Méditerranée. 
Je  crois  qu'il  va  tascher  de  faire  passer  les  vaisseaux  du  convoy  de 
Smyrne  qu'il  escorte,  et  que,  s'il  peut  les  mettre  en  route,  il  retournera 
par  le  plus  court  chemin.  Cependant  il  semble  que  c'est  pécher  contre 
le  bon  sens  que  de  ne  pas  croire  qu'il  va  porter  la  terreur,  le  feu  et  le 
fer  partout.  Je  ne  crois  pas  que  jamais  païs  ait  esté  peuplé  de  cervelles 
comme  les  nostres  *.  Assurément  H  an  ni  bal  auroit  eu  bon  marché  de 
telles  gens.  Cela  fait  pitié  et  met  en  colère. 

VAmphitrite  est  arrivée  de  la  Chine  ',  et  on  en  estoit  fort  en  peine. 

M.  le  Bailly  commence  à  faire  les  fonctions  d'ambassadeur4 avec  toute 
l'attention  possible,  et,  afin  de  concilier  les  intérests  publics  avec  les 
commodités  de  sa  personne,  il  va  coucher  les  lundis  à  Versailles  afin 
d'y  estre  mardi  de  bonne  heure. 

Votre  petit  abbé8  répondit  jeudi  dernier  au  Plessis,  sur  l'histoire  de  la 
Bible,  d'une  manière  très  spirituelle.  M.  le  maréchal  et  Mme  la  maré- 
chale y  estoient.  11  fut  tonsuré  trois  ou  quatre  jours  auparavant,  et  il  a 
une  petite  pièce  de  18  sols  sur  la  teste,  avec  laquelle  il  se  carre  et  se 
ramène  en  perfection. 

Je  vous  souhaite  un  parfait  rétablissement,  etc. 

(A  suivre.)  L.  G.  Pé lissier. 


1.  D'après  des  nouvelles  arrivées  à  Louis  XIV  le  16  août  (Dangeau,  IX,  270).  Cette 
flotte  anglo-hollandaise  comptait  trente  vaisseaux  de  ligne,  quatre  frégates  et  quel- 
ques brûlots.  L'avis  envoyé  par  Louis  XIV  au  comte  de  Toulouse  d'arrêter  cette 
flotte  et  de  lui  livrer  bataille  s'il  était  possible,  montre  que  l'on  croyait  à  Versailles, 
comme  Renaudot,  que  le  projet  d'escorter  un  convoi  de  commerce  n'était  qu'un» 
prétexte. 

2.  Invective  à  enregistrer  dans  l'histoire  de  la  -  légèreté  française  ». 

3.  C'était  une  frégate  du  roi  qui  avait  fait  le  voyage  de  Chine  pour  la  «  Compa- 
pagnie  »  :  son  voyage  avait  duré  vingt-sept  mois;  sa  cargaison  était  évaluée  à  deux 
millions. 

4.  Ambassadeur  de  l'ordre  de  Malte. 

5.  L'abbé  de  Noailles. 


BIBLIOGRAPHIE    DES    ŒUVRES    DE    TAIJSE. 


US 


BIBLIOGRAPHIE  DES  ŒUVRES  DE  TAINE 

(Suite  et  /in*,) 


1865  (icrjanviet\)  —  V  Italie^  etc.  :  IL  Le  Mont-Canin.  Home.  Le&Anti- 
jtttff  et  Raphaël  [Revue  des  Deux  Mtmdes)^  article. 

(14  janvier.)  —  Au  musée  de  Naples^  fragments  de  lettres  (la  Vie 
parisienne),  article  K 

{15  janvier*)  —  L'Italie  etc.  :  III,  Ronu\  les  villas  f  les  palais, 
Mîche ir Ange,  (Revue  des  Deux  Mondes) ,  article. 

Ces   trois  articles  ont  été   refondus  dans  le   Voyage  en 
Italie. 

(26  janvier*)  —  'Camille  Selden,  l'Esprit  des  femmes  de  notre  temps 
(Journal  des  Débats)  %  article. 

Recueilli  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire  (2*  édi- 
tion, seule,  1866), 

(4  février,)  —  *Le  Christ ,  par  M.  Emile  Barrault  (Journal  des 
Débats)  ,  article. 

Non  recueilli  en  volume» 
(4    et  11  février.)  —   L'œuvre  d'art  (Revue  des  Cours  littéraires 
[Revue  bleue]},  leçon  d'ouverture  du  cours  de  l'École 
des  beaux-arts*. 
Recueillie  dans  la  Philosophie  de  fart  (iT6  èê.t  1865  et  sqq.). 

i.  Voir  la  Revue  d'histoire  littéraire  de  la  France  de  juillet  1900,  p.  473.  —  Je 
dois  à  l'obligeance  couturaiëre  de  M-  de  Spœlbereh  de  Lovenjoul  un  certain 
nombre  d'addenda  et  de  corrtgenda  dont  j'ai  naturellement  enrichi  ce  modeste 
inventaire  bibliographique.  Depuis  que  le  précédent  article  a  paru,  M"*  Taine  a 
bien  touIii  aussi  me  fournir  sur  place,  à  Menlhon-Saînt-Bernard,  de  nouvelles 
indications  complémentaires  dont  j'ai  tâché  de  faire  mon  profit.  Grâce  à  ces  com- 
munications diverses,  j'ai  pu  porter  à  plus  de  soixante  le  nombre  des  articles  ou 
lettres  de  Taine  dont  je  donne  des  extraits  dans  le  livre  qui  parait  en  ce  moment. 

N.-fî.  —  Dans  le  précédent  article,  p.  41B,  au  lieu  de  ;  {S  et  lu  juillet  1856)*  — 
L*Anab<we%  etc.,  lire  :  3  etifl  juillet;—  p«  183  au  lieu  de  (5  mars  1860).  —  Lettre 
a  M.  Alloury,  tire  :  5  mars  ;  —  p,  484,  au  lieu  de  ;  (22  mars  1800).  —  Victor  Duruy ,  etc., 
lire  :  â3  mars, 

2,  M.  (Marcelin)  faisait  précéder  ces  fragments  des  lignes  suivantes  :  «  Encore  une 
audace  de  ta  Vie  poWlinutel  Elle  va  oser  aujourd'hui  marcher  sur  les  brisées  de  lu 
fttVUtf  des  Dent  Mondes  \  cette  grave  Revue  publie  en  ce  moment  un  voyage  de 
M.  Taine  en  Italie.  Or,  la  Vie  parisienne  possède  dans  ses  archives  un  certain 
nombre  de  lettres  inédites  du  même  auteur  sur  le  même  sujet. 'En  voici  un  extrait. 
Lisez-le,  il  traite  peinture  et  sculpture,  mais  eu  termes  si  francs,  si  étran. 
hardis,  qu'il  ne  pouvait  trouver  place  que  dans  cette  petite  Vie  parisienne,  qui 
décidément  se  permet  tout. - 

3.  Taine  avait  été  nommé,  comme  Ton  sait,  professeur  d'esthétique  et  d'histoire 
de  l'art  a  l'École  des  beaus-arts.  Dans  son  numéro  du  18  février  1865,  ta  Vie  pari- 
sienne publiait  un  article  de  Marcelin  in  Ululé  :  Le  cours  de  Jf.  raine  à  l'Êeole  des 
beaux-arts.  L'article  est  orné  d'une  jolie  vignette  représentant  la  physionomie  du 

ReY.    P'HIST.    UTTÉIt.    DE   LA  FlUHÇE   (7*   AflD.J.  —   Vil ,  42 


646  REVUE    D*ÎUSTÛII1E    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

!865  (15  avril.)  —  L'Italie,  etc.  :  IV,  Les  églises  et  ta  société  rom 
{Revue  de*  Deux  Mondes) ,  article. 
Recueilli  dans  le  Voyait  en  Italie. 

(£6  avril.)  —  *M.  Joseph  Bertrand,  les  Fondateurs  de  l'astronomie 

moderne  [Journal  des  Débats),  article» 

Non  recueilli  eu  volume. 

(15  mai.)  —  L'Italie,  etc.  :  -V.  Le  peuple  et  le  gouvernement  dv 
Rome;  ta  Campagne  romaine  et  la  semaine  sainte  à  Rome 
en  i  864.  (Revue  des  Deux  Mondes),  article  ■■ 
Recueilli  dans  le  Voyage  en  Italie, 

(27  mai»)  —  * Léonard  de  Vinci  {Revue  des  cours  littéraires)  ^  leçon 
professée  à  TÊcôIe  des  beaux-arts. 

Non  recueillie  eu  volume.  —  Sera  recueillie  dans  la  nou- 
velle édition  des  Nouveaux  Essais  th'  critique  et  d'histoire  que 
va  mettre  en  vente  le  mois  prochain  la  librairie  Hachette. 

(3  juin/)  —  Notes  sur  Paris  :  La  jeune  première  (la  Vif  parisienne), 

article, 
(10  juin.)  —  Noies  sur  Font  :  Le  jeun 0  premier  (/rf.),  ibid* 
I i*f  juillet.)  —  Notes  mu  Paris  :  La  conversation  (/rf,)i  Unrf. 
il  juillet*)  —  NùtêM  sur  Paris;  La  société  (/*/.),  ibîd* 
2^  j  uillet.)  —  No  tes  su  r  Pa  ris  :  M .  G  va  ï  n  do  rge  {ld*)%  ibîd. 

Ces  cinq  articles    ont  été    recueillis   dans  les  Notes 
Paris, 

cours.  Dana  un  coin,  le  portrait  de  Taïne,  en  médaillon,  et  qui,  malgré  les 
lunettes,  ressemble  beaucoup  à  celui  d'Alfred  de  Musset*  Voici  quelques  extraits  de 
ce  très  intéressant  article  :  ■  Nommé  récemment  professeur  d'esthétique  à  l'École 
des  beaux-arts,  M.  Taïne  vient  d'ouvrir  son  cours.  La  fantaisie  m'a  pris  d'aller 
assister  à  une  de  ses  leçons*  —  La  scène  est  presque  religieuse*  La  lumière 
tombe  d'aplomb  de  la  lanterne  du  dôme,  éclairant  tranquillement  tes  caissons 
dorés  de  la  voiUe,  les  personnages  4  grands  costumes  de  la  fresque  de  Paul  Bela- 
roche,  et  venant  mourir  sur  la  fête  des  assistants.  Ceux-ci,  étages  en  un  vaste 
demi-cercle,  font  face  au  professeur,  qui,  devant  sa  table,  dans  renfoncement 
formé  par  deux  colonnes  de  porphyre,  rappelle  assez  volontiers  un  ministre  pro- 
testant dans  sa  chaire,  portant  barbe  et  lunettes,  et  parlant  simplement  a  des 
hommes  comme  lui.  L'assistance  est  recueillie  plus  qu'on  ne  l'attendrait  de  ces 
Jeunes  télés  barbues,  chevelues,  aux  yeux  vifs,  aux  bouches  moqueuses.  Le  profes- 
seur semble  aussi  jeune  que  ses  élèves,  L'étoignement  efface  les  traces  que  la 
fatîpue  ou  la  maladie  ont  pu  laisser  sur  son  visage,  et  l'on  ne  distingue  qu'une  tète 
énergique  à  cheveux  noirs  et  drus,  à  barbe  chàtaïn.  Du  reste,  velu  de  noir,  habit 
boutonné;  »ur  la  table,  son  chapeau,  ses  ganls,  quelques  feuillets  de  notes  au 
crayon  :  c'est  toute  la  mise  en  ftcèn.6-  - 

1.  Sous  le  litre  :  ta  Semaine  xttiitfe  ù  Rome,  la  Vie  parvienne  du  27  mai  1865  don* 
naît  un  extrait  de  cet  article,  précédé  de  la  note  suivante  de  Marcelin  ;  «  Je  nTai 
rïen  lu  sur  ce  sujet  de  plus  étrange,  de  plus  nerveux»  de  plus  franc,  de  plus  osé. 
La  justesse  et  la  profondeur  des  grandes  descriptions  sont  chose  ordinaire  à 
M.  Taîne;  mais  rarement  il  a  poussé  aussi  loin  la  verve  comique  et  la  crudité  pit- 
toresque!,.. Lisez  sans  crainte  ces  pages  ;  je  vous  jure  que  de  longtemps  vous 
n'entendrez  plus  joli  bavardage  que  ce  grave  article  du  plus  grave  des  philo- 
sophes. » 


BIBLLOGIUPHIE    DES    (EU  VU  ES    DK    TAISE-  641 

(Août.)  — Philosophie  de  l'art,  par  H.  Taïne,  Leçons  professées  à 
VÉcoh-  des  beaux>ai*?s  (l  vol.  ïn-!  8  Jésus,  Paris,  Germer 
Bftillière,  1805). 

La  Vie  parisienne  du  12  août  annonce  le  volume  comme 
venant  de  paraître  et  en  donne  deux  extraits.  —  A  partir  de 
mars  1882,  ce  petit  livre  forme  la  première  partie  des  deux 
volumes  qu'a  publiéi  la  librairie  Hachette  sous  le  litre 
général  de  Philosophie  de  Vart  (2  Vol,  in-18,  de  n-330;  — 
4ia  p,,  Paris,  Hachette)  :  il  a  continué  quelque  temps  encore 
à  être  vendu  par  Ja  librairie  Germer  Baillière  sous  forme 
d'étude  à  part;  mais  sous  cette  forme,  il  est  aujourd'hui 
épuisé,  —  Les  deux  volumes  publiés  par  la  librairie  Hachette 
ont  été  formes  par  la  simple  juxtaposition  des  volumes 
qu'a  successivement  publiés  la  librairie  Germer  Baillière 
sous  les  titres  suivants:  Philosophie  de  l'art;  —  Philosophie 
de  Vart  en  Italie  \  —  Philosophie  de  l'art  dans  les  Pays-Bas; 

—  Philosophie  de  l'art  en  Grèce]  —  De  l'idéal  daim  fart.  — 
En  1883,  ces  2  volumes  în-16  étaient  arrivés  à  la  3*  édi- 
tion. —  4"  édition,  1885.  —  5*  édition,  1890.  —  6*  édi- 
tion, 1806.  —  V  édition,  1807, 

Sous  sa  forme  primitive,  le  livre,  revu  par  l'auteur,  a  été 
traduit  en  anglais  :  The  phitostyphy  ùf  Art,  tianrfateri  h  y 
]«  Durand,  revised  hy  îkê  attthor,  18u5,  in- 12,  —  Le  même 
traducteur  a  traduit  les  deux  volumes  de  l'édition  de  1882  : 
Lectures  on  Artt  translatent  6v  J.  Durand,  2  ser.,  New- York, 
1889,  in~J2, 

1865  (octobre.)  —  Nouveaux  Essais  dis  critique  et  d'histoire,  par 
H.  Taine  (!  vol,  in-18  Jésus,  396  p,,  Paris,  Hachette, 
18650 

La  lrù  édition  est  annoncée  comme  venant  de  paraître 
par  fa  Vie  parisienne  du  4  novembre  qui  publie  un  extrait  de 
l'article  sur  Balzac.  Elle  comprend  les  mêmes  articles  que 
les  éditions  actuelles  (Jean  lïeynawi  ;  —  Li  Bruyère;  —  Baha>*  ; 

—  Jefferson;  —  Renaud  de  Montauhan;  —  Racine;  —  (es  Mor- 
mons; —  Marc-Aurêle;  —  le  Bouddhisme;  —  Franz  Wœpke), 
et  ne  parait  dîfïérer  d'elles  que  par  la  pagination.  —  3r  édi- 
tion, 1880,  338  p,  —  En  18%,  l'ouvrage  était  parvenu  à  la 
4*  édition;  —  en  1893,  à  la  5«;  —  en  1897,  à  la  6°.  —  L'édi- 
tion définitive  des  Nouveaux  Essais  de  critique  et  tV  histoire 
que  va  mettre  en  vente  le  mots  prochain  la  librairie  Hachette, 
recueillera  les  articles  sur  Stendhal  et  sur  Léonard  de  Y iu<t 
et  inaugurera  le  classement  par  ordre  chronologique, 

(6  novembre.)  —  Ottfried  Millier,  Histoire  de  itt  littérature  ff&que% 
traduction  K.  Hillebrand  {Journal  des  Débats)  f  article. 
Non  recueilli  en  volume, 

(i-F  décembre.)  —  L'Italie^  etc.  :  VI.  Pérousi\  Assise,  Sienne  et  Phê  : 
les  villes  du  moyen]  Age  {Revue  des  Deux  Sfohàt*  , 
article. 

Refondu  dans  le  Voyage  en  Italie. 


644)  n EVITE    ^HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRA>CE. 

(9  décembre.)  —  Notes  sur  Paris  :  Un  iMe  à  t**te  la  Vie  parisienne), 
article. 

Recueilli  dans  les  Notes  sur  Paris, 

(19  décembre.)  —  'Hector  Malot,  If  s  Anumrs  de  Jacques  et  les  Vie* 
limes  d'amour  (Journal  des  Débats)*  article. 

Non  recueilli  en  volume. 

{23  décembre,)  —  Notes  sur  Paris  :  Une  semaine  (la  Vie  parisienne)  t 
article. 

Recueilli  dans  les  Notes  sur  Paris, 

1866  (là  janvier).  —  *Jf.  Guillaume  Guizot  et  son  cours  sur  Montaigne 
(Journal  de$  Débat  s)  %  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

J866  (13  janvier.)  —  te  XVIr  siècle  italien.  —  État  des  esprit*  m  Italie 
au  commencement  du  XVP  siècle  (Revue  des  cours  litté- 
raires], leçon  professée  à  l'École  des  beaux*art&. 
Refondue  dans  la  Philosophie  de  Tari  en  Italie. 
(15  janvier.)  —   L'Italie,  etc.  :  YIL  Florence,  te  moyen  *ïge^  te 
XV*  siècle  et  la  Renaissance  {Revue  des  Deux  Mond 
article- 
Recueilli  dans  ie  Voyage  en  Italie. 

(fin  janvier.)  —  Voyage   eh  Italie,  par  H,  Taine,  t.  I  :  Naples 
Si   Rome  (1  voL  în-8°,  528  p.,  Paris,  Hachette,  1866  . 

La  Vie  parisienne  du  20  janvier  l'annonce  comme  allant 
paraître  el  en  publie  un  fragment  sous  le  titre  ;  À  Rome.  — 
La  Rrntv  <U  nnMruction  publique  du  l*f  février  annonce  le 
volume  comme  venant  d'être  mis  en  vente,  eL  en  publie  un 
chapitre  [Plusieurs  journées  à  Herculanum  et  à  Pompëi).  — 
Pour  le  détail  des  éditions,  voir  un  peu  plus  bas. 

(lef  mars.)  —  L 'Italie*  etc.  ;  Vllt.  Les  villes  de  l'Est,  Bologne f 
Ravenne  et  Padaue{  Revue  des  Deux  Mondes)^  article. 
Refondu  dans  le  Voyage  en  Italie. 

(29  mars,)  —  Préface  de  la  2*  édition  des  Essais  de  critique  el  d'his- 
toire, qui  parait  en  ce  moment  [Journal  des  Débats), 

Le  rédacteur  des  DèhaU  qui  cite  cette  Préface*  Auguste 
Léo,  observe  queTaîne  y  fait  quelques  concessions  aux  par- 
tisans de  la  liberté. 

f13  avril.)  —  'Ernest   Renan,  les  Apôtres  (Journal  des*  Débats), 
article. 

Non  recueilli  en  volume, 

(15  avril*)  —  L'Italie*  etc.  :  IX.  Venise t  la  ville  et  les  monuments 

(Revue  des  Deux  Mondes) t  article. 
(l,r  mai.)  —  L'Italie^  etc,  ;  X.  Venise  et  la  peinture  vénitienne  (Id,)f 

ibid. 


BIBLIOGRAPHIE    DES   ŒUVRES    DE   TAISE. 


649 


(15  mai*)  —  L Italie ,  etc.  XL  La  Lombardiet  Vérone,  Milan  et  tes 
Lacs  (W*),  ibid* 

Ces  trois  articles  ont  été  refondus  dans  le  Voyage  m  Italie* 

(i9  mai.)  —  Les  caractères,  en  Italie  au  débat  du  XVI"  siècle  (Revue 
des  cours  littéraires)  t  leçon  professée  à  l'École  des 
beaux -arts. 

(26  maL)  —  Philosophie  de  Vart  en  Italie  (Revue  des  cours  litté- 
raires^ leçon  professée  à  l'École  des  beaux-arts. 
Refondues  dans  la  Philosophie  de  fart  en  Italie, 

(£7  mai*)  —  *Pkilarête  Chastes  (Journal  des  Débats),  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

(fin  octobre*)  —  La  Philosophie  Dk  laht  en  Italie,  Leçons  profes- 
sées à  V École  des  beaux~artsf  par  H.  Taine  (1  vol.  in-18 
jésus,  184  p.r  Paris,  Germer  Bailliêre*  1866), 

Les  Débats  du  18  octobre  citent  le  début  et  la  conclusion 
du  volume  qui,  disent-ils,  paraît  en  ce  moment;  il  est  annoncé 
par  la  Bibliographie  de  ta  France  du  3  novembre*  —  Le  livre 
a  suivi  les  destinées  de  la  Philosophie  de  Cart  (v.  plus  haut). 

(30  octobre*)  —  *E*  Fourni er,  la  Comédie  de  Jean  de  La  Bruyère 
(Journal  des  Débat  s) ,  article* 
Non  recueilli  en  volume. 

1866  (novembre)*   —  Voyage  en  Italie,  par  IL  Taine,  I,  II  :  Florence 
et  Venise  (1  vol*  in-8°,  562  p.,  Paris,  Hachette,  1866)* 

Le  volume  est  annoncé  par  la  bibliographie  de  la  France 
du  10  novembre;  —  les  Débats  du  9  novembre  en  citent 
quelques  pages  au  moment  de  la  publication*  —  Des  deux 
volumes,  il  a  été  fait  une  édition  illustrée  de  48  gravures  et 
une  édition  in-8°.  Le  texte  de  la  l*6  édition  parait  bien  être 
resté  le  texte  définitif.  Les  deux  volumes  se  vendaient  et  se 
vendent  encore  séparément*  —  En  1877,  l'ouvrage  complet 
en  était  arrivé  à  la  3«  édition;  —  en  1882,  a  la  4P;  —  6L*  édi- 
tion, 1889.  —  En  1897,  l'ouvrage  était  arrivé  à  la  7*  édition; 
—  en  1900,  a  la  9*. 

Le  Voyage  fffl  Italie  a  été  traduit  en  anglais  :  Itaty  :  Fta- 
reuct  and  Venise,  translatât  ha  J.  Durand  (New-York,  1 869, 
in-8");  —  Italy  ;  Naplcs  and  Home,  translated  tnj  J,  Durand 
(London,  1867,  in-8");  corrected {New- York,  1869,  io-8»), 

(11  novembre.)   —  "Charles  Clément,   Michel-Ange^  Léonard  de 
Vinci  et  Raphaël  (Journal  des  Débals),  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

(16  et  18  novembre*)  —  Mw*  d'Aulnoy,  Voyage  en  Espagne 
(Journal  des  Débats),  2  articles* 

Recueillis  dans  les  Esxais  de  critique  et  d'histoire  (3*  édition, 
1874,  et  Sqq.)1- 

Le  t*r  article  est  accompagné,  dans  le  Journal,  delà  note  suivante,  qui  est  évi- 
ment   de    Taine  ;   «   Au  moment  d'imprimer  cet  article,  nous   recevons    un 


1, 
demment 


650  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA   FRANCE. 

1867  (28  jauvier).  — .  Paul  de  Saint- Victor,  Hommes  et  Dieux  :  études 
<T histoire  et  de  littérature,  (Journal  des  Débats),  article. 

Recueilli  dans  les  Derniers  Essais  de  critique  et  d'histoire 
(posth.,  1894). 

{4  mars.)   —  *C.   Selden,  Mendelssohn  et  la  musique  allemande 
(Journal  des  Débats),  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

(9  mars.)  —  *  Titien  (Revue  des  cours  littéraires),  leçon  professée  à 
l'École  des  beaux-arts. 
Non  recueillie  en  volume. 

(2  avril.)  —  L École  des  beaux-arts  (Journal  des  Débats),  article. 

Recueilli  dans  les  Essais  de  critique  et  cT histoire  (3e  éd., 
1874,  et  sqq.).  L'article  avait  été  écrit  pour  le  Paris-Guide, 
ouvrage  publié  à  l'occasion  de  l'Exposition,  et  auquel  colla- 
borèrent quelques-uns  des  plus  distingués  écrivains  français 
(2  vol.  in-12,  Paris,  Lacroix,  1867,  avec  illustrations  de 
Bracquemond,M.  Lalanne,  Jacquemart,  etc.,  texte  d'E.  About, 
de  Hérédia,  G.  Sand,  Y.  Sardou,  etc.). 

1867  (4  et  il  mai.)  —  L'idéal  dans  Cart  (Revue  des  cours  littéraires), 
deux  leçons  professées  à  l'École  des  beaux-arts. 
Recueillies  dans  le  volume  du  même  nom. 

(il  mai.)  —  Préface  des  Notes  sur  Paris  (la  Vie  parisienne). 

Cette  préface  est  signée  cette  fois,  et  annonce  le  livre  qui 
est  sur  le  point  de  paraître. 

(mai.)  —  Notes  sur  Paris.  Vie  et  opinions  de  m.  Frédéric-Thomas 
Graindorge,  Docteur  en  philosophie  de  V  Université  d*  Iéna, 
Principal  associé  commanditaire  de  la  maison  Graindorge 
and  C°  (Huiles  et  porc  salé,  à  Cincinnati,  Etats-Unis 
d'Amérique).  Recueillies  et  publiées  par  H.  Taine,  son 
exécuteur  testamentaire  (i  vol.  in-18  jésus,  vn-420  p., 
Paris,  Hachette,  4867). 

La  lre  édition  a  aussi  été  publiée  en  un  pet.  in-8°.  — 
La  2°  édition  (vn-391  p.,  1867,  in-18  jésus)  ne  m'a  paru  offrir, 
par  rapport  à  l'édition  princeps  et  aux  éditions  ultérieures, 
que  des  différences  de  pagination.  —  3e  et  4°  éditions  (1868, 
in-18  jésus,  xi-347  p.).  —  7e  édition  (1877,  xi-347  p.).  —En 

volume  de  M.  Paul  de  Saint-Victor,  où,  parmi  divers  morceaux,  se  trouve  une 
admirable  étude  sur  le  règne  de  Charles  II,  le  dernier  roi.  M.  de  Saint-Victor  a 
cueilli  dans  toute  l'histoire,  en  Grèce,  à  Rome,  au  moyen  âge,  dans  la  Renaissance, 
les  plus  éclatantes  fleurs,  et,  si  j'ose  ainsi  parler,  les  plus  hauts  et  les  plus 
rouges  pavots  qui  puissent  tenter  une  main  d'artiste,  et  il  en  a  porté  l'image  sous 
les  yeux  du  public  avec  une  justesse  de  sens  historique,  avec  une  intensité  d'émo- 
tion et  d'imagination,  avec  un  goût  du  grandiose  et  du  terrible  qu'un  historien  de 
profession  et  un  vrai  poète  envieraient  pour  leurs  livres.  Le  Journal  des  Débais 
rendra  compte  de  celui-ci  ». 


.     BIBLIOGRAPHIE   SES   OEUVRES   DE   TA1NE.  651 

1883,  le  volume  était  arrivé  à  la  8e  édition;  —  en  1890,  à  la 
10e; .—  en  1893,  à  la  If;  —  en  1897,  à  la  12°. 

Lé  livre  a  été  traduit  en  anglais  :  Notes  on  Paris,  with 
notes,  translated  by  J.-A.  Stevens  (New-York,  1875,  in-8°). 

(27  juin.)  —  *Z)e  quelques  ouvrages  philosophiques  récents  (Journal 
des  Débats),  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

(juin.)  —  Db  l'idéal  dans  l'art.  Leçons  professées  à  V École  des 
beaux-arts,  par  H.  Taine  (1  vol.  in-18  jésus,  185  p., 
Paris,  Germer  Baillière,  1867). 

Le  livre  est  dédié  «à  M.  Sainte-Beuve  ».  —  2e  édition,  1891. 
—  A  la  librairie  Hachette,  le  livre  a  suivi;  à  partir  de  1882, 
les  destinées  de  la  Philosophie  de  Vart  (v.  plus  haut;. 

L'ouvrage  a  été  traduit  en  anglais  :  The  idéal  in  Art, 
translated  by  J.  Durand  (New-York,  1870,  in-12°). 

(18  novembre.)  —  Les  Ardennes  (Journal  des  Débats),  article. 

Recueilli  dans  les  Derniers  Essais  de  critique  et  d'histoire 
(posth.,  1894).  L'article  avait  été  écrit  pour  le  livre  les 
Ardennes  illustrées  dont  il  forme  la  Préface. 

1868  (2  mars.)  —  Sainte-Odile  et  Iphigénie  en  Tauride  (Journal  des 
Débats),  article. 

Recueilli  dans  les'  Essais  de  critique  et  d'histoire  (3°  éd., 
1874  et  sqq.). 

(4  avril.)  —  Histoire  de  la  peinture  dans  les  Pays-Bas  (Revue  des 
cours  littéraires),  leçon  professée  à  1  École  des  beaux- 
arts. 

Refondue  dans  la  Philosophie  de   l'art  aux  Pays-Bas. 

(16  juin,  23  juillet,  31  juillet,  7  août.)  —  Les  Époques  de  la  pein- 
ture aux  Pays-Bas  (Journal  des  Débats),  4  articles. 
Refondus  dans  la  Philosophie  de  Vart  aux  Pays-Bas. 

1868  (octobre.)  —  Philosophie  de  l'art  dans  les  Pays-Bas,  par  H.  Taine 

(1  vol.  in-18  jésus,  vm-171  p.,  Germer  Baillière.  Paris, 
1868). 

Le  volume  est  dédié  «  à  Gustave  Flaubert  ».  —  A  partir 
de  1880,  il  a  suivi,  à  la  librairie  Hachette,  les  destinées  de  la 
Philosophie  de  Vart  (v.  plus  haut). 

(30  janvier.)  —  *  Un  récit  inédit  de  la  mort  de  Voltaire  (Journal 
des  Débats),  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

1869  (7  février.)  —  *C.  Selden,  V Esprit  moderne  en  Allemagne  (Journal 

des  Débats),  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

(3,  4  et  5  juin.)  —  La  civilisation  et  l'art  en  Grèce  (Journal  des 
Débats),  3  articles. 


2  REVCE    D  HISTOIRE    tlTTÉRAIRE    DE    La    FRANCE. 

(20  et  22  juin,)  —  La  civilisation,  etc.  :  le  Moment  [/£),  2  articles. 
(30  juin  et  2  juillet,) —  La  civilisation,  etc.  :  l'Éducation  (/<*•]. 

%  articles. 
(3  juillet,)  —  La  civilisation,  etc.  :  le  Sentiment  religieux  (W.)* 

article. 

Ces  huit  articles  ont  été  refondus  dans  la  Philùsaphie  de 
Vart  en  Grèce  K 

(octobre,)  —  Philosophie  de  l'art  kk  Grèce,  par  H*  Taine  (i  vol* 
in-18  jésus,  204  p.,  Paris,  Germer  Raillière,  1869). 

Le  volume  est  annoncé  par  la  Bibliographie  de  ta  France 
du  1H  décembre.  Il  est  dédié  *  à  M.  Henri  Le  h  m  a  un,  peintre  ». 
A  partir  de  1880.  il  a  fait  partie  des  deux  volumes  intitulés 
Philosophie  de  fart  (voir  plus  haut). 

(12  octobre.)  —  *  Stunrt  Hill,  ta  Philosophie  de  tiamUton,  trad. 
Gazelles  \  Journal  des  Débals),  article* 

Non  recueilli  en  volume. 

(17  octobre.)  —  Sainte-Beuve  {Journal  des  Débats),  article. 

Recueilli  dans  les  Bemiers  Essais  de  critiqut  et  d'histoire 
(posth.,  1SM). 

1869  {24  décembre.)  — *Paul   de  Saint- Victor,  les  Femmes  de  Gœthe 

(Journal  des  Débats),  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

1870  (22  janvier.)  —  Emile    Boulmy,  Philosophie  de  rarehitecture  en 

Grèce  (Journal  des  Débats),  article. 

Recueilli  dans  les  Derniers  Essais  de  critique  et  d'hiitoirc 

(postb.,  J894J. 

(26  janvier),  —  *  Lettre  aux  Débats  (signée  avec  Renan),  pour 
patronner  et  recommander  une  souscription  destinée 

à  élever  une  statue  à  Hegel. 
Non  recueilli  en  volume. 

I,  Dans  le  journal,  le»  articles  ont,  en  sous-titre,  la  bibliographie  suivante  :  Ge- 

sehichte  der  griechhchen  Ptastik,  von  J.  Uverbeck;  —  Kûnstler  Geschîchtws  von  firunn  ; 
—  Griechische Mythologie,  von  PreUer,etc.  —  Bec  k&r*  s  Charte  les*  —  Voie  î  les  premières 
lignes  (non  conservées  dan»  le  livre)  du  i,r  article  :  ■  L'antiquité  classique  et  surtout 
la  Grèce  antique  sont  depuis  cent  ans  une  sorte  de  bien  propre  et  de  patrimoine 
de  l'érudition  allemande  :  outre  les  recherches  de  détail  et  les  éditions  savantes, 
on  voit  paraître  au  delà  du  Rhin,  presque  ebaque  innée,  des  résumés,  des  vues 
d'ensemble,  de  grands  manuels,  quelque  histoire  complète  :  le  lecteur  n'a  qu'à 
jeter  les  yeux  sur  la  savante  traduction  d'Ott.  Mûller,  par  M,  Hillebrand,  pour 
savoir  combien  là-bas  le  travail  est  quotidien  et  incessant.  Mais  quand  on  veut  en 
rendre  compte  au  public,  on  s'aperçoit  que,  dans  un  journal  ou  dans  une  revue 
française,  la  chose  est  presque  impossible;  l'œuvre  est  trop  technique  ou  trop  abs- 
traite; presque  jamais  pour  nous  elle  n'est  assez  littéraire;  nous  sommes  obligés  de 
la  repenser  pour  la  comprendre  j  le  moule  de  notre  esprit  est  différent.  Voilà  pour- 
quoi, au  lieu  d'analyser  les  doctes  et  minutieuses  histoires  d'Overbeck  et  de  firunn, 
je  vais  tâcher  ici  de  présenter  au  lecleur  les  idées  d'ensemble  que  la  lecture  des 
principaux  ouvrages  allemands,  jointe  à  l'étude  personnelle  des  monuments  et 
des  telles,  peut  suggérer  sur  la  civilisation,  l'art  et  notamment  sur  la  statuaire 
des  anciens  Grecs.-.  * 


BIBLIOGRAPHIE    DES    ŒUVRES    DE    TAIRE, 

(13  mars.)  —  *  Ribot,  Psychologie  anglaise  contemporaine  (Journal 
des  Débats) ,  article* 

Non  recueilli  en  volume. 

(avril.)  —  De   l  Intelligence,  par  H.  Taioe  (2  vol.  în-8f  1008  p., 
Paris,  Hachette,  1870). 

La  itû  édition  est  annoncée  par  la  Bibliographie  de  ta 
France  du  30  avril,  Renan,  dans  les  Débat*  du  28  mars, 
l'annonçait  comme  allant  prochainement  paraître,  et,  d'après 
les  épreuves,  en  citait  la  Préface.  —  La  2°  édition  (2  vol. 
in-8,  1008  p%),  annoncée  par  la  Bibliographie  de  ta  France  du 
2îS  juin  18ÎO,  reproduit  purement  et  simplement  la  lw  édi- 
tion. —  La  3°  édition T  *  corrigée  et  augmentée  »  (2  vol. 
in-18  Jésus,  920  pages),  est  de  novembre  1878  ;  elle  mérite 
son  titre.  Elfe  comprend  les  4  m  noies  »  ou  appendices  qui 
ont  été  conservées  dans  les  éditions  ultérieures %  et  qui  ne  se 
trouvaient  pas  dans  les  deux  premières.  La  Prèfaee  et  le 
corps  du  texte  ont  subi  de  nombreuses  modifications.  Dans 
la  Préface  (3e  éd.,  p,  13),  à  l'endroit  où  il  interprète  au  point 
de  vue  philosophique  les  résultats  de  «  la  nouvelle  Loi  méca- 
nique sur  la  conservation  de  l'énergie  »,  Taine  ajoute  en 
note  :  >  Ceci  est  le  point  de  vue  scientifique.  Il  en  est  deux 
autres  qu'il  est  inutile  de  présenter  icif  te  point  de  vue  esthé- 
tique et  le  point  de  vue  moral,  On  y  considère  non  plus  les 
éléments,  mais  la  direction  des  choses;  on  y  regarde  l'effet 
final  comme  un  but  primordial,  et  ce  nouveau  point  de  vue 
est  aussi  légitima  que  Vautre,  »  Cette  curieuse  note,  —  que 
M.  Lachelîer  eût  signée,  et  aussi  Pascal,  —ne  figurait  pas 
dans  les  deux  premières  éditions  et  a  été  supprimée  dans  la 
4e.  Par  rapport  aux  deux  premières,  la  3°  édition,  dans  ses 
dernières  pages,  présente  aussi  de  Tort  intéressantes  variantes  K 
—  La  ¥  édition,  «  corrigée  et  augmentée  »  (2  vol.  in-18 
jesus,  de  425-500  p.,  1883),  nous  présente  le  texte  définitif; 
elle  diffère  de  la  3"  par  plusieurs  corrections  et  additions 
dont  les  principales  sont  indiquées  à  la  fin  de  ta  Préface  :  le 
bardi  métaphysicien  qui  est  en  lut  l'y  donne  souvent  (cf. 
3*  éd.,  t.  I,  p.  13;  et  4e  éd.,  t.  1,  p.  10  12)  bien  plus  libre 
carrière.  —  5*  édition,  1887;  —  6%  1802;  —  1%  1894;  — 
8°,  1897;  —  9e,  1900*. 

V Intelligence  a  été  traduite  en  anglais  :  Taine  on  Intelli- 
gence, translatée  from  the  French  hij  T.  fl.  Haue%  and  revised 
bu  the  Àulhor,  Parts  1  and  II  (London,  Reeve  and  Cn,  1871). 


L  Dans  les  deux  premières  éditions,  Taine  en  vient  a  parler  des  éléments  et 
des  conditions  de  l'existence  récite;  et  il  se  demande  :  -  Cela  posé,  ne  pourrait-on 
pas  chercher  ces  élu  me  nia  cl  ces  conditions?  ■  Et  il  ajoute  :  -  Hegel  l'a  fait,  mais 
avec  des  imprudences  énormes;  peut-être  un  autre,  avec  plus  de  mesure,  renou- 
vellera sa  tentative  avec  plus  de  sucefes.  Ici,  nous  sommes  au  seuil  de  la  méta- 
physique; à  mon  sens,  elle  n*esl  pas  impossible.  Si  je  m'arrête,  eTesl  par  senti- 
ment de  mon  insuffisance  ;  je  vois  les  limites  de  mon  esprit,  je  ne  vois  pas  celles 
de  l'esprit  humain.  -  Ce  sont  les  dernières  lignes  des  deux  premières  éditions. 
Dans  les  éditions  ultérieures,  elles  soni  remplacées  par  un  autre  développement 
et  par  un  court  résumé  de  tout  l'ouvrage  (éd.  actuelles,  p.  462), 

£  A  l'heure  actuelle»  il  a  été  vendu  plus  de  fi  900  exemplaires  de  Fjntetti* 
gence. 


654  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE  DE    LA    FRANCE. 

1870  (9 octobre.)  —  L'Opinion  en  Allemagne  et  les  conditions  de  la  paix, 

article1. 

Recueilli  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire  (3°  édition, 
1874,  etsqq.)1. 

1871  (19,  20,  23,  24  août.)  —  Notes  sur  F  Angleterre  :  I.  Les  dehors  (le 

Temps),  4  articles. 
(25,  26,  27  août.)  —  Notes  sur  ^Angleterre  :  II.  Les  types  (Id.), 

3  articles. 
(6,  7,  8,  10  et  13  septembre.)  —  Notes,  etc.  :  III.  Mœurs  et  inté- 
rieurs (/rf.)?  5  articles. 
(14,  15,   16  septembre.)  —  Notes,  etc.  :  IV.  L'éducation  (/d.), 

3  articles. 
(17,20,21,  23,  24,  27,  28  septembre.)  —  Notes,  etc.  :  V.  La 

société  et  le  gouvernement  (Id.),  7  articles. 
1871  (29, 30  septembre,  1er  et  4  octobre.)  — Afotes,  etc.  :  NI.  Promenades 

dans  Londres  (ld*),  4  articles. 
(6,  8  et  12  octobre.)  —  Notes,  etc.  :  XII.  Manufactures  et  ouvriers 

(Id.),  3  articles. 
(13,  14,  15  octobre.)  —  Notes,  etc. ,:  V.IIÏ.  De  r esprit  anglais  (Id.), 

3  articles. 

Tous  ces  articles  ont  été  recueillis  dans  les  Notes  sur  V An- 
gleterre, volume. 


1.  Je  n'ai  pu  retrouver  le  journal  ou  la  revue  où  a  paru  pour  la  première  fois 
cet  article. 

2.  En  1871,  Taine  fut  appelé  en  Angleterre  pour  y  faire  une  série  de  conférences 
sur  l'histoire  de  la  littérature  française.  L'Université  d'Oxford  ayant  résolu  de 
décerner  le  titre  de  docteur  in  jure  civili,  honoris  causa,  à  un  Allemand  et  à  un 
Français  également  illustres,  Dôllinger  et  Taine  furent  choisis  d'un  commun  accord. 
Taine  prit  pour  sujet  Corneille  et  Racine,  et  les  mœurs  sous  Louis  XIII  et  Louis  XIV. 
Ces  conférences  n'ont  été  publiées  nulle  part,  que  je  sache.  Elles  ont  eu  lieu  les 
26  et  31  mai,  les  2,  5,  7,  et  9  juin  1871.  Voici,  d'après  la  Revue  des  cours  littéraires 
du  29  juillet,  le  sommaire  de  ces  6  leçons. 

1"  Leçon.  —  Loi  générale  :  les  personnages  du  théâtre  manifestent  avec  une 
exactitude  supérieure  les  sentiments  régnants. 

—  Dieux  et  héros  chez  Euripide  :  personnages  correspondants  à  Athènes  en  420. 

—  Personnages  dans  Lope,  Calderon,  etc.,  et  caractères  en  Espagne  de  1600  à  1700 
Voyage  de  M""  d'Aulnoy  ;  Lettres  de  M.  de  Villars). 

—  Jeunes  premiers  dans  V.  Hugo,  et  les  déclassés  ambitieux  socialistes  de  nos 
jours. 

2*  Leçon.  —  Les  jeunes  héros,  les  jeunes  premiers,  les  cavaliers  dans  Corneille  et 
sous  Louis  XIII,  et  la  Fronde  d'après  les  Mémoires. 

3e  Leçon.  —  Les  dames  et  les  vieux  héros  dans  Corneille  et  sous  Louis  XIII. 

4*  Leçon.  —  Biographies  et  portraits,  de  Corneille  et  Racine,  très  bien  préparés 
par  leur  caractère  et  leur  vie  &  peindre  ces  deux  mondes  très  différents.  —  Les 
jeunes  premiers  dans  Racine  et  sous  Louis  XIV. 

5*  Leçon-  —  Le  roi  dans  Racine  et  Louis  XIV.  —  Les  confidents  dans  Racine  et 
les  courtisans  sous  Louis  XIV. 

6e  Leçon.  —  L'idéal  dans  Racine  et  dans  la  société  sous  Louis  XIV.  —  Deux  sortes 
de  talents  et  d'excellences  particulières  à  ce  théâtre  et  à  cette  société  :  1°  l'art  de 
bien  parler;  2°  l'héroïsme  délicat  et  discret. 

«  La  Gazette  d'Oxford,  le  Pall  Mail,  les  Daily  News,  VAcademy  ont  fait  un  grand 
éloge  de  ces  leçons.  • 


BLULIOGIUPHIE    DES    UEtlVUES    DE    TAINE. 


(17  octobre.)  - — Fondation  de  VEeolr  Hbtt  d*s  tciences  politiqvâi 
(Journal  des  Débuts),  article. 

Reproduit  dans  la  Hevue  blette  du  21  octobre,  et  réimprimé 
dans  les  Ikrnicts  Essais  détritique  et  d'histoire  (posth.,  1894). 

(19,  20,  21,27  octobre.)  —  Notes,  etc.  :  VtlL  De  l'esprit  anglais 

(suite)  [Temp$)t  4  articles. 
(28,  29  octobre.}  —  Notes,  etc.  :  IX.  Un  tour  en  Anglçi&pt 

2  articles* 
Recueillis  dans  les  Notes  sur  V Angleterre,  volume. 

(décembre.)  —  Notes  suk  l'angle™ hue,  par  II.  Taîne  1  vol,  in- 18 
jésus  de  vui-393  p.,  Paris,  Hachette,  1872). 

La  Bibliographie  de  lu  France  au  23  décembre  (18  décembre) 
annonce  le  volume;  la  iin-nr  dei  cours  littéraire*  cîu  16  dé- 
cembre signale  le  livre  comme  venant  de  paraître.  La  2r  édi- 
tion m  revue  cl  corrigée  »,  février  1872  (vm-39?  p>l,  ne  m*a 
paru  dilTérer  de  la  1™  que  par  deux  pages  de  «  notes  *  pla- 
cées à  la  On  du  livre  et  conservées  dans  toutes  les  éditions 
ultérieures  du  livre  :  te  Temps  du  II  février  annonce  cette 
seconde  édition,  et  en  cite  la  Préface*  —  3**  édition,  1872, 
—  En  1877,  le  volume  était  arrivé  à  la  »c  édition;  —  en  1890* 
à  la  8f  ;  —  en  «803,  a  la  ÏK  —  10*  édition,  1895.  Toutes  ces 
éditions  reproduisent  la  2°.  — 11  a  été  publié  aussi,  vers  1886» 
une  édition  iu-16  illustrée  de  84  gravures  (dau>  la  Collection 
des  voyages  illustrés). 

Les  Notes  sur  V Angleterre  ont  été  traduites  en  anglais  à 
plusieurs  reprises.  Les  Daily  Ni m  i.:i,  tî,  10,  12,  14,  17,  24,  -7 
octobre,  %  7,  9,  14,  16,  18  novembre  1871)  en  ont  publié  une 
traduction  partielle.  —  L'n  Anglais,  ami  de  Taine,  M,  W.  F, 
Rae,  en  a  donné, eu  1872,  une  excellente  traduction,  précédée 
d'une  remarquable  Introduction  :  Noies  on  Emjhind  by 
H.  Taine,  D.  C.  L.  Oxon,,  etc.,  translated  viili  au  ïntroâuùUwy 
chaptev,  t»y  W.  F.  ttae  (Stranan  and  C*,  Loudon  ,  1872, 
ïn-8n), 

(5  décembre*)  —  Du  suffrage  universel  et  de  ta  manière  de  voter 
(le  7*emps),  article. 
Recueilli  en  brochure  (voir  l'article  suivant}. 

(fin  décembre).  —  Du  suffrage  universel  et  de  la  manière  de 
voter,  par  H.  Taine  (brochure  de  62  p.,  in- 18  jésus, 
Paris,  Hachette,  1872), 

Signalée  par  la  Bddiographie  de  la  France  du  23  décembre 
(18  décembre).  — Quoique  les  annonces  de  librairie  signalent 
une  2e  édition  en  1872,  je  ne  crois  pas  que  celle  brochure 
ait  été  rééditée  :  du  moins,  les  exemplaires  qui  se  vendent 
actuellement  ont  tous  la  date  de  1892  et  ne  portent  pas  de 
numéro  d'édîlion.  Mais  j'imagine  qu'elle  a  du  éire  tirée  a 
un  très  grand  nombre  d'exemplaires.  L'auteur  la  jugeait  lui- 
même  vers  la  fin  de  sa  vie  avec  une  sévérité  peut-être  exces- 
sive :  «  Cette  brochure  n'est  qu'une  esquisse  bien  incom- 
plète, et  le  renicde  qu'elle  indique  serait  fort  iusuflisanL 
Voir  dans  le  dernier  chapilre  du  liéfjî*ne  moderne  un  plan 


656  REVUE   D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE   DE    LA    FRANCE. 

plus  complet  au  moins  pour  la  société  locale.  »  (Note  inédite 
de  Taine,  décembre  1891).  —  Cette  brochure  sera  recueillie 
daus  la  prochaine  édition  des  Derniers  Essais  de  critique  et 
d'histoire* 

(5  février).  —  "Lettre  au  Directeur  du  Temps  (le  Temps). 
Non  recueillie  eu  volume. 

(9  février).  —  *  Lettre  aUx  Débats. 
Non  recueillie  en  volume. 

1872  (17  avril.)  —  *  Emile  Deschanel,  Études  sur  Aristophane  (Journal 

des  Débats)^  article. 

Non  recueilli  en  volume. 

(10  novembre.)  —  *  L'École  des  Sciences  politiques  (Journal  des 
Débats),  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

Un  séjour  kn  France  de  1792  a  1795,  lettres  d'un 
témoin  de  la  révolution  française,  traduites  de  l'anglais 
par  H.  Taine  (1  vol.  in-18  jésus,  x-301  p.,  Paris,  Hachette, 

1872). 

En  1880,  le  volume  était  arrivé  à  la  2e  édition;  —  en  1890, 
à  la  3«;  —  en  1895,  à  la  4*. 

(11  décembre.) —  *  Le  cercle  des  actuaires  français  (Journal  des 
Débats),  article. 

Non  recueilli  en  volume. 

(19  décembre.)  —  *  Lettre  au  Journal  des  Débats  (pour  répondre  à 
certaines  accusations,  et  préciser  quelques  points  de 
doctrine). 

Non  recueillie  en  volume. 

1873  (23  novembre.)    —  Th.  Ribot,    VHéréditè  (Journal  des   Débats), 

article.  ' 

Recueilli  dans  les  Derniers  Essais  de  critique  et  d'histoire 
(posth.,  1894). 

(4  et  6  décembre.)  —  Prosper  Mérimée  (Journal  des  Débats),  article. 

Recueilli  dans  les  Essais  de  critique  et  d'histoire  (3°  éd., 
1874,  et  sqq.).  —  L'article  avait  été  écrit  pour  servir  de  pré- 
face aux  Lettres  à  une  inconnue  (2  vol.  in-8°,  Paris,  C.  Lévy, 
1874). 

1874  (25  janvier.)  —  *  A  M.  René  Lavollée  (le  Français),  lettre  en  réponse 

à  un  article  de  M.  Lavollée  sur  la  Candidature  de 
M.  Taine  à  V Académie  française. 

Non  recueillie  en  volume. 


BIBLIOGRAPHIE    DES    ŒUVRES    DE   TA1NE. 


657 


(4  mars.}  —  Th*  Ribot,  A.  Bain%  Hr  Spencer  (Journal  des  Débats), 
article, 

Recueilli  dans  les  Derniers  Essais  de  critique  et  d*histoire 
(posth.,  JH'J4). 

(6  mai).  —  *  M.  Gleyre  (Journal  des  Débats) f  article. 

Non  recueilli  en  volume. 

1815  (19  février.)  —  *  Romans  nouveaux  {Journal  des  Débats)^  article. 
Non  recueilli  en  volume. 

(17  novembre*)  —  *  Lettre  au  Figura. 
Non  recueillie  en  volume, 

(11  décembre.)  —  Lf Ancien  Régime  :  i  esprit  et  la  doctrine  {Revue 
bleue)^  article. 

Refondu  dans  £  Ancien  Régime, 

(31  décembre.)  —  *  Deux  Revues  nouvelles  (Journal  des  Dt*bats)f 
article. 

Non  recueilli  en  volume. 

(décembre),  —  Les  origines  de  la  France  contemporaine  par 
H.  Taine  :  i/àncien  Régime  (1  vol.  in-8,  vut-553  p. ,  Pari», 
Hachette,  1876). 

Annoncé  par  la  Bibliographie  delà  France  du  25  décembre 
{iô  décembre).  —  Pour  les  6  volumes  qui  composent  les  Ori- 
i/ineu  de  la  France  contemporaine  ,  le  telle  de  l'édition  prin- 
ceps  parait  être  resté  le  texte  définiUr.  —  1876,  2*  et  3*  édi- 
tions- —  1877,  4B  éd.;  —  1878,  S*  et  6*  éd.;  —  1S79,  V  et 
8*  éd.;  —  1881,  9*  et  iO*>  éd.;  —  1882,  11^  el  IV  éd.;  - 
1884,  13*  et  H*  éd.:  —  1887,  l'&  et  16*  éd.;  -  1891,  17*  et 
*8°  éd.;  —  1894,  UK  éd.  ;  —  f8<tè,  20*  éd.  ;  —  1898,  Sf'êd.— 
à  partir  de  1899,  l'Ancien  Régime  forme  2  vol.  in-16  dans  la 
nouvelle  édition  des  Origines  qu*a  publiée  la  librairie  Hachette. 
Sous  celle  forme,  en  1899,  22v  et  23*  éditions  '. 

Les  Origines  ont  été  traduites  en  allemand,  dêplorabïement 
d'ailleurs,  par  M.  Kascher,  chez  Àbel,  à  Leipzig  (Oie  Ent* 
stehung  des  modernen  Frankreich),et  en  anglais  par  M.  John 
Durand  (Paldy,  Ibsisher  and  O).  —  On  en  a  fait  aus=si  en 
français  un  résumé  analytique  :  la  Révolution  et  le  Régime 
moderne  d'après  M.  Taine,  ou  Analyse  critique  des  Origines 
do  la  France  contemporaine,  par  l'abbé  Ri  rot,  '2*  édition, 
entièrement  refondue  et  considérablement  augmentée  (Paris 
el  Lyon,  Delhomme  et  Beignet,  in-8%  1897). 

1876  (janvier.)  —  De  l'acquisition  du  langage  chez  les  enfants  et  chez  tes 
peuplée  primitifs  [Revue  philosophique)^  article. 

Recueilli  dans  le  1er  volume  de  l'Intelligence  (3*  éd.,  1378, 
et  sqq.). 


1.  Il  a  été  vendu  jusqu'ici  plus  de  33  000  exemplaires  de  l'Ancien  Régime* 


658  tiEVi  I   lùnsroiitK   LÏTTÉIUIRE  de   Là  FRJJICÊ. 

(mars,)  —  Les  éléments  et  la  format  ton  de  l'idée  du  mot  (/{'-vite 
philosophique),  article. 

Recueilli  dans  le  2d  volume  de  ï  Intelligence  (éd.  de  J878» 
et  sqq.). 

(2  juillet.)  —  George  Sand  (Journal  des  Zte/>«f*), -article. 

Recueilli  dans,  les  Derniers  Essais  de  critique  et  d'histoire 
(1894,  posth.j 

1877  (janvier.)  —  Les  vibrations  cérébrales  et  ta  pensée  (Revue  phU 

phique),  article. 

Reçue iî lï  dans  le  1er  volume  de  rtntetlifjenee  (3fl  édition. 
1878,  et  sqq,). 

-28  janvier.)  *  —  P.  G.  Hamerton,  Itound  my  houtê  (Journal  des 

Débats),  article* 

Non  recueilli  en  volume, 

(10  avril*)  —  *  Précis  du  droit  des  gentf  par  Funek-Brenlano  et 
Albert  Sorel  [Jownal  deê  Débats),  article- 
Non  recueilli  en  volume. 

1878  (29  janvier.)  —  *  Discours  prononcé  an  19e  banquet  de  l'Associa- 

tion des  anciens  élèves  du  lycée  Cohdoreet. 

Recueilli  dans  les  Annales  de  V Association  [1859-18831 
(i  vol.  în-8%  Paris,  Ollendorf,  1886,  p.  243). 

(mars).  —  Les  oïuginesde  la  France  contemporaine,  par  H,  Taine  : 
la  Révolution,  t,  L  V Anarchie  (1  voL  în-8,  ni*467  p.. 
Paris,  Hachette,  1878). 

Les  Débats  du  3  mars  annoncent  le  volume  comme  venant 
de  paraître;  la  Bibliographie  de  ta  France  du  6  avril  (18  mars) 
en  signala  In  publication,  —  Eu  1880,  l'ouvrage  était  arriva 
à  la  7e  édition;  —  en  1883»  à  la  12°  édition;  —  eu  1888t  à  la 
16e1  édition;  —  pu  1897,  à  la  17V  —  A  partir  de  1890,  il  forme 
deux  volumes  in-16  de  la  nouvelle  édition  qu'à  mise  en  vente 
la  librairie  Hachette:  en  1900,  il  est  parvenu  à  la  18e  édition. 

(11  et  12  avril).  —  Gteyre,  Étude  biographique  et  critique*  par 
Charles  Clément  (Journal  des  Dehats)7  2  articles. 

Recueillis  dans  les  Es&ris  de  critique  et  d'histoire  (4°  édition, 
1882  et  sqqM  sous  le  titre  Glcyre). 

(octobre-)  —  Géographie  et  mécanique  cérébrale  (Revue  philoso* 
phique),  article. 

Recueilli  dans  le  lur  volume  de  l'Intelligence  (éd.  de  no- 
vembre 1878,  et  sqq.), 

4879.  —  *  Introduction  au  2B  volume  de  The  Ifundred  greatest  men 
(vol,  H,  Art  :  Architecte  and  Scutpton,  Pointers,  Must- 
dans,  Introduction  bu  B*  Taine,  Enalhh  and  French)* 
[4  pages  1/2  en  français  |(  Sampson  Low,  Marstoe, 
Searle  and  Revûigloo,  London,  1879,  4°, 


BIBLIOGRAPHIE    DES    (£UVIi£S    DE   TAISE. 

A  paru  dans  le*  Débat*  du  U  février  1880  sous  ce  titre  : 
Préface  if  une  anthologie  anglaise.  —  N'a  pas  encore  été 
recueilli  eu  volume,  mais  le  sera  dans  la  prochaine  édition 
des  Derniers  Essais  de  critique  et  cThiètôtre, 

188Û  (15  janvier)*  —  Discours  de  réception  à  l'Académie  française. 

Recueilli  dans  les  Derniers  Essais  de  critique  et  d'histoire 
{posta.,  1894), 

1881  (lflt  avril),  —  Psychologie  du  Jacobin  [Revue  des  Deux  M  ondes]  t 
article* 
Refondu  dans  les  th-it/inr*. 

(mai.)  —  Les  origines  de  la  Franck  contemporaine,  par  H.  Taine, 
de  l'Académie  française  :  la  Révolution,  t.  II,  la  Con- 
quête  jf trottine  (I  vol»  in-8%  ji-487  pM  Paris,  Hachette, 
1881). 

Annonce  par  la  Bibliographie  de  in  France  du  28  mai 
(9  mai).  —  Eu  1882,  l'ouvrage  était  arrivé  à  la  8a  édition;  — 
en  1883,  à  la  12°  édition;  —  en  1890,  à  ïa  14°  édition  ;  —  en 
1837,  a  la  15°.  —  A  partir  de  1899,  il  forme  deux  vol.  în-16 
de  la  nouvel  La  édition  qu'a  publiée  la  librairie  Hachette;  en 
19UU,  il  est  parvenu  à  la  lt>"  édition* 

1883  (lir  mars.)  —  Le  Programme  jacobin  (Revue  des  Deux  Mondes), 

article, 
Refondu  dans  les  Origines, 

(mai-juin.)  —  *  Document  inédit  sur  La  tour  d'Auvergne  (Revue  histo- 
rique)* 

Ce  «  document»  n'a  que  deux  pages.  H  est  simplement  pré- 
cédé des  lignes  suivantes  ;  «  Il  est  rare  qu'un  homme  très 
vertueux  et  parfaitement  désintéressé  soit  célèbre  :  c'est 
pourtant  le  cas  de  Latour  d'Auvergne .  Voici,  à  son  endroit, 
un  témoignage  contemporain,  inédit  et  de  première  main, 
le  style  en  est  curieux,  il  peint  l'époque.  H,  Taine.  » 

1884  {20  mars.)  —  Ma  tir  t  dn  Pan. 

Ecrit  pour  servir  de  Préface  à  la  Correspondance  inédite 
de  Malïet  du  Pan,  publiée  par  André  Michel.  —  Recueilli 
dans  les  Derttiern  Essais  de  critique  et  d'histoire  (posth.,  1894). 

(15  septembre.)  —  Psychologie  des  chefs  jacobins  (Revue  des  Deux 
Mondes),  article. 

Refondu  dans  les  Origines. 

(novembre).  —  Les  origines  de  la  France  contemporaine,  par 
H.  Taine,  de  l'Académie  française  ;  la  Révolution, 
t,  III,  te  f louve n^e ment  révolutionnaire  (i  vol,  in-8% 
iv-646  p,,  Paris,  Hachette,  1884). 

Annoncé  par  la  Bibliographie  de  ta  France  du  13  décembre 
(24  novembre).  —  En  1888,  te  volume  était  arrivé  à  la 
U*  édition;  —  en  1892,  à  la  12*;  —  en  1897,  à  la  13fl.  —  Il 
forme  aujourd'hui  les  tomes  VII  et  VI II  de  l'édition  in- 16  des 


660  RKVUE    D  HISTOIRE    LITTÊRAIRK    DE    LA    FRANCE, 

Hrifline*  publiée  en  US90  par  la  librairie  Hachette;  14*  édi- 
tion,   l'JlMI. 

1885  (î  mars.)  —  *  Lettre  à  M,  A.  Délai re  (reproduite  dans  in  Informe 
sociale  du  1er  avril  1885). 
Non  recueillie  en  volume. 

(i9  janvier.)  —  *  Sur  F  étude  de  la  littérature  anglaise  (Journal  des 

Débats),  article. 

Non  recueilli  en  volume.  Avait  parti  quelques  jours  aupa- 
ravant (le  13  janvier)  en  anglais  dans  le  Youth*s  Campa 
de  Boston,  Sera  recueilli  dans  la  prochaine  édition  des  Der- 
niers Essais  de  critique  et  d'histoire. 

1887  (15  février  et  l*r  mars.)  —  Napoléon  Bonaparte  (Revue  des  Deux 

Mondes),  2  articles. 
(5  mars,)  —  *  lettre  au  directeur  du  Journal  de*  Débats  (Débats). 
Non  recueilli  en  volume, 

1888  (15  janvier  et  1er  février.)  —  Formation  de  la  France  contemporaine. 

Passage  de  la  République  à  l'Empire  (fie vue  des  Deux 
Mondes),  2  articles. 

Ces  quatre  articles  ont  été  refondus  dans  les  Oriyitie*. 

(3  m  au)  —  Marcelin  [Journal  des  Débats),  article, 

Sert  de  Préface  k  Marcelin,  Sottt  cuirs  es  la  Vie  parisienne. 
Recueilli  dans  les  Derniers  Essais  de  critique  et  d'histoire 
tposth.,  1894). 

1889  (15  mare,  1"  et  15  avril).  —  La  reconstruction  de  la  Frma 

1SOO  (Revue  des  Deux  Mondes),  3  articles. 
Refondus  dans  les  Origines. 

(mai.)  —  Edouard  Berlin  (Livre  du  centenaire  du  Journal  des 
Débats). 

Recueilli  dans  les  Derniers  Essais  de  critique  e$  dThisU 

{posth.,  1894). 

1890  (15  avril  et  1"  mai).  —  La  reconstruction,  etc.  :  Le  défaut  et  les 

excès    du    système,    la  société  locale   (Revue  des   Deux 
Mondes) ,  3  articles* 

Refondus  dans  les  Origines. 

(19  avril.)  —  *  Lettre  k  M.  Alexis  Delaire  (sert  de  Préface  au  livre 
ta  Réforme  sociale  et  te  centenaire  de  ta  Révolution  . 
Non  recueillie  en  volume. 

(novembre.)  —  Les  origines  de  la  France  contemporaine,  par 
H.  Taine.  de  l'Académie  française  :  le  Régime  modbrnk, 
t.  I  (1  vol,  in-8,  m-448  p.,  Paris,  Hachette,  1891). 

Annoncé  par  la  Bibliographie  de  la  France  du  29  novembre 
(12  novembre).  —  En  1801,  le  volume  était  parvenu  h  la 
6e  édition;  —  en  1807 ,  à  la  10e.  —  Il  forme  aujourd'hui  les 


BIBLIOGRAPHIE    DES    OEUVRES    DE   TAINE.  661 

tomes  IX  et  X,de  l'édition  in-16  des  Origines  qu'a  publiée  en 
1899  la  librairie  Hachette;  12°  édition,  1900. 

1891  (1er  et  15  mai,  1er juin.)  —Reconstruction,  etc.  :  l'Église  (Revue 

des  Deux  Mondes),  3  articles. 

Recueillis  dans  le  volume  posthume  des  Origines,  1893. 

1892  (15  mai,  1er  et  15  juin,  1er  juillet).  —  Reconstruction,  etc.  :  l'École 

(Revue  des  Deux  Mondes),  4  articles. 
Recueillis  dans  le  volume  posthume  des  Origines. 

II 

OUVRAGES  POSTHUMES 

1893  (11  mars).  —  Douze  sonnets  inédits  de  Taine  (le  Figaro,  Supplément 

littéraire). 

Ces  sonnets  ne  devaient  jamais  voir  le  jour  :  ils  ont  été 
publiés  par  suite  d'une  indiscrétion  !.  lis  portent  la  suscrip- 
tion  suivante  :  A  trois,  chats,  Puss,  Ebène  et  Mitonne,  domici- 
liés à  Menthon-Saint -Bernard,  Haute-Savoie,  ces  douze  sonnets 
sont  dédiés  par  leur  ami,  maître  et  serviteur,  H.  Taine,  no- 
vembre 4883.  Ils  ont  pour  titre  :  I.  Le  Bonheur;  —  II.  La 
Société;  —  III.  La  Religion;  —  IV.  Les  Souvenirs;  —  V.  Les 
Pénates;  —  VI.  La  Philosophie;  —  VII.  L'Enseignement;  — 
VIII.  La  Pratique;  —  IX.  L'Enfance;  —  X.  La  Sensibilité;  — 
XI.  Le  point  de  vue;  —  XII.  V Absolu. 

VÉclair,  dans  son  numéro  du  24  lévrier  1894,  a  publié  la 
«  dédicace  autographe  des  chats  ».  La  voici  : 

Offert  à  José-Maria  de  Hérédia 

Lapidaire  en  diamants  et  perles  fines 

par 

tin  ouvrier  en  strass 

son  admirateur  et  son  élève, 

H.  Taine. 

Décembre  18SS. 

1893  (novembre.)  —  Les  origines  de  la  France  contemporaine,  par 
H.  Taine  de  l'Académie  française  :  le  Régime  moderne, 
t.  II  (1  vol.  in-8,  Paris,  Hachette,  1893). 

On  a   recueilli  dans  ce  volume,  le   dernier  de  l'œuvre 

1.  La  publication  de  ces  sonnets  ayant  eu  lieu  sans  l'autorisation  de  la  famille, 
celle-ci,  pour  prévenir  de  semblables  indiscrétions,  publia  dans  les  Débats  du 
16  mars  1893  un  fragment  du  testament  de  Taine,  que  voici  :  «  Je  charge  exprès 
sèment  ma  femme  et  mes  héritiers  de  s'opposer  par  toutes  les  voies  légales  à  la 
publication  de  mes  lettres  intimes  et  privées,  de  quelque  valeur  qu'elles  soient.  Je 
charge  aussi  ma  femme  et  mes  enfants  de  transmettre  cette  interdictiou  à  leurs 
héritiers  pour  être  observée  indéfiniment.  Les  seules  lettres  ou  correspondances 
qui  pourront  être  publiées  sont  celles  qui  traitent  de  matières  purement  géné- 
rales et  spéculatives,  par  exemple  de  philosophie,  d'histoire,  d'esthétique,  d'art, 
de  psychologie;  encore  devra-t-on  en  retrancher  tous  les  passages  qui,  de  près  ou 
de  loin,  touchent  à  la  vie  privée,  et  aucune  d'elles  ne  pourra  être  publiée  que 
sur  une  autorisation  donnée  par  mes  héritiers,  et  après  les  susdits  retranchements 
opérés  par  eux  -. 

Rcv.  d'hist.  littér.  de  la  Francs  (7«  Ann.).—  VII.  43 


662  REVUE    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

laissée  inachevée,  les  deux  études  sur  Y  Église,  et  sur  VÉcole, 
parues  dans  la  Reçue  des  Deux  Mondes.  Une  Préface,  com- 
posée d'après  les  papiers  et  les  notes  de  Taine,  indique 
sommairement  ce  qu'eût  été  cette  dernière  partie,  si  Fauteur 
y  avait  pu  mettre  la  dernière  main.  Un  index  alphabétique, 
qui  avait  été  commencé  sous  les  yeux  et  d'après  les  indica- 
tions de  Taine,  termine  l'ouvrage.  —  En  4897,  il  était  par- 
venu à  la  5e  édition  .  Il  forme  aujourd'hui  le  tome  XI  de 
l'édition  in-16  publiée  en  1809  par  la  librairie  Hachette  ;  6°  édi- 
tion, 1900. 

1894.  —  Derniers  Essais  de  critique  et  d'histoire,  par  H.  Taine,  de 
l'Académie  française  (1  vol.  in-16,  vra-264  p.,  Paris, 
Hachette,  1894). 

Les  articles  qui  composent  ce  volume  {Silvestre  de  Sac  y,  — 
Paul  de  Saint-Victor,  —  les  Ardennes,  —  Sainte-Beuve,  — 
E.  Boulmy,  —  r École  des  sciences  politiques,  —  Th.  Ribot,  — 
Ribot,  Bain  et  Spencer,  —  George  Satid,  —  Louis  de  Lomé  nie, 
—  Mallet  du  Pan,  —  Marcelin,  —  Edouard  Berlin)  avaient 
été  choisis  par  Taine  de  son  vivant  pour  former  un  dernier 
recueil  qu'il  voulait  dédier  à  son  ami,  le  peintre  Bonnat.  — 
En  1900,  le  volume  est  arrivé  à  la  2e  édition.  —  Dans  la  pro- 
chaine édition,  qui  sera  l'édition  définitive,  l'ordre  chrono- 
logique adopté  fera  rejeter  dans  les  Essais  pu  les  Nouveaux 
Essais  tels  ou  tels  articles  qui  figurent  dans  celle-ci  ;  mais  les 
articles  sur  l'Art  et  sur  l'élude  de  la  littérature  anglaise  y 
seront  heureusement  recueillis. 

Les  Essais  de  critique  et  d'histoire  ont  été  traduits,  assez 
médiocrement  d'ailleurs,  en  allemand,  avec  une  Préface  de 
Georges  Brandes  :  Hippolyte  Taine,  Studien  zur  Kritik  und 
Geschichtc.  Autorisierte  Ubersetzung  von  P.  Kûhn  und  A.  Aall. 
Mit  einem  Vorwort  von  Georg  Brandes,  Paris,  Leipzig,  Miin- 
chen,  1898,  A.  Langen,  xxvu-551  p.  in-8°.  —  Cette  traduction 
comprend  les  morceaux  qui  ont  été  recueillis  dans  les  édi- 
tions actuelles  des  Essais,  des  Nouveaux  et  des  Derniers 
Essais  de  critique  et  d'histoire. 

1895  (15  juin  et  15  juillet).  —  Notes  de  voyage  en  Belgique  et  en  Hol- 

lande (Revue  de  Paris),  2  articles. 

«  Ces  notes  étaient  dispersées  dans  des  carnets  et  même 
sur  des  feuilles  volantes;  elles  ont  été  prises  au  cours  de 
différents  voyages,  de  1858  à  1867.  Elles  ne  sont  donc  que 
des  impressions  recueillies  au  jour  le  jour,  et  non  une 
rédaction  définitive.  »  (Note  des  éditeurs.) 

(juillet.)  —  Notes  philosophiques  inédites  sur  les  éléments  derniers 
des  choses  {Revue  philosophique). 

Ce  sont  les  dernières  pages  que  Taine  ait  écrites.  Il  est 
probable  qu'il  les  destinait  à  une  réimpression  de  V Intelligence. 

1896  15  octobre.)  —  Carnets  de  voyage  :le  Midi  (Revue  des  Deux  Mondes  , 

article. 

(15  octobre.)  —  Carnets  de  voyage  :  l'Ouest  (Revue  de  Paris),  article. 

Ces  deux  articles  sont  des  pages  détachées  du  volume 
suivant. 


BIBLIOGRAPHIE    DES   OEUVRES    DE    TAINE.  663 

(décembre.)   —  H.  Taine,   de  l'Académie  française,  Carnets  de 

VOYAGE  :    NOTES   SUR  LA    PROVINCE ,1863-1 865   (1    Vol.  ÎD-16 

de  vi-351  p.,  Paris,  Hachette,  1897). 

Ce  sont  des  notes  recueillies  sur  la  province  par  Taine 
durant  ses  tournées  d'examinateur  d'admission  à  Saint-Cyr, 
de  1863  à  1866,  et  qu'à  plus  d'une  reprise,  il  avait  manifesté 
l'intention  de  publier. 

1899  (18  avril).  —  Maurice  Barrés,  Une  page  inédite  de  Taine  sur  l'asso- 
ciation (le  Journal). 

Cette  page  devait  se  trouver  au  livre  VII  du  dernier 
volume  des  Origines  de  la  France  contemporaine,  livre  qui 
devait,  précisément,  avoir  pour  titre  l'Association1. 

III 
FRAGMENTS  DE  LA  CORRESPONDANCE*. 

1.  —  A  M.  Albert  Cotlignon,  directeur  de  la  Vie  littéraire,  18  octobre 
1875  (reproduite  dans  le  Temps  du  25  octobre  et  dans  la  Vie  littéraire 
du  28  octobre  1875). 

2.  —  Lettre  à  M.  Arthur  Reade  (8  mars  1882),  reproduite  dans  le 
Temps  du  15  avril  1883.  Elle  avait  probablement  paru  d'abord  dans  un 
ouvrage  anglais  de  M.  Reade. 

3.  —  Lettre  à  M.  Francis  Poictevin  (l'Événement  du  7  octobre  1883). 

4.  —  Lettre  à  Vacherot,  datée  de  1859,  dans  Otlé-Laprune,  Etienne 
Vnckerot  (Paris,  Perrin,  1889,  p.  46). 

5.  —  A  M.  Christian  Moreau,  15  juin  1885  (en  tète  du  livre  de 
M.  Christian  Moreau,  Une  mystique  révolutionnaire  :  Suzette  Labrousse, 
1  vol.  in-8°,  Didot,  1886). 

6.  —  A  M.  E.  Allain,  15  août  1885  (dans  la  Revue  catholique  de  Bor- 
deaux du  25  décembre  1893. 

7.  —  Lettre  non  datée,  reproduite  dans  la  Revue  bleue  du  12  mai  1894. 

8.  —  Une  lettre  à  Sarcey,  jointe  à  un  exemplaire  de  l'Intelligence,  a 
été  récemment  mise  en  vente  (àl5fr.),  par  la  librairie  A.  Durel,  21,  rue 
de  TAncienne-Comédie,  Paris. 

1.  La  Revue  philosophique  vient  de  publier,  dans  son  numéro  de  novembre,  un 
certain  nombre  de  pages  inédites  de  Taine  sur  la  Volonté*  qui  doivent  dater  de 
1853  ou  1854,  et  qui  faisaient  partie  d'un  traité  plus  complet,  première  ébauche  de 
Y  Intelligence. 

2.  Je  recueille  sous  cette  rubrique  les  lettres  ou  fragments  de  lettres  qui,  à  la 
différence  de  celles  qui  ont  été  signalées  lus  haut,  n'étaient  pas  destinées  à  être 
publiées.  M"*  Taine  rassemble  depuis  plusieurs  années  toutes  les  pièces  éparses  de 
cette  correspondance  qui  semble  avoir  été  très  active,  et  se  propose  d'en  composer 
une  grande  biographie  intellectuelle  et  morale  qui  ne  peut  manquer  d'être,  non 
seulement  pour  l'histoire  de  la  pensée  de  Taine,  mais  encore  pour  celle  de  son 
temps,  d'un  intérêt  capital.  —  Grâce  à  la  délicate  confiance  de  M"c  Taine,  j'ai  eu 
récemment  entre  les  mains  la  plus  grande  partie  de  cette  correspondance  et  ce 
que  je  ne  faisais  jusqu'alors  que  deviner  ou  pressentir  est  devenu  pour  moi  une 
véritable  certitude. 


iii;4 


REVUE    n'HFSTOIRK    LITTÉRAIRE    DE    LA    PKÀWCE, 


0.  — À  M.  Georges  Lyon,  9  décembre  1891  (à  la  fin  de  1  article  inti- 
tulé In  Philosophie  de  r&tftff,  IH,  par  Victor  Giraud,  Annale»  de  pfttJ 
phie  chrétienne  de  janvier  L8M  . 

10.  — A  M.  Yves  leQuerdec»  12  décembre  1890  (un  fragment  de  cette 
lettre  est  cité  dans  le  journal  le  Monde  du  12  mars  1893). 

IL  —  «  Lettre  autographe  de  Taine,  signée,  à  Edmond  Àbout  (Paria, 
8  juin  1864),  2  p.  3/1  nvi8. 

Trvs  belle  et  charmante  lettre  où  il  lui  recommande  le  peintre  ani- 
malier Maxime  Claude.  Il  le  félicite  ensuite  chaudement  de  son  livre  le 
Pi-ogres,  *  Cela  vaut  Madelon  dans  son  genre*  C'est  d'un  brave  homme  et 
d  un  homme  brave.  Au  moral  etau  physique,  tu  es  le  mieux  portant  de 
nous  tous.  Lis  Renée  Maupsrin,  par  les  Goncourt,  11  y  a  un  vrai  talent.  » 

'Lettres  autographe*  conpotant  lu  collection  de  M,  Alfred    Bût 
décrites  par  E .  Ch&varay,  in-4,  Paris,  Chavaray,  1887), 

12.  —  «  Lettre  autographe  signée,  à  Philarète  Chasles;  dimanche 
28  octobre  {1865?)  1  p,  3/4  in-H-. 

Une  remarquable  lettre  dans  laquelle  Taine  le  remercie  de  bien 
voulmr  faire  un  article  sur  son  livre  *.  Il  le  prie  de  le  combattre,  car 
une  discussion  pareille,  dit-il,  est  un  honneur.  «  Vous  m'avez  souvent 
reproché  d  e  nier  le  beau,  en  mettant  au  même  rang  les  fous  et  les 
grands  hommes,  les  Chinois  et  Shakespeare.  Mon  livre  répond,  je  crois, 
à  cette  objection.  Je  suis  si  loin  de  nier  le  beau  que  j'en  donne  la  for- 
mule fp.  319)  et  tout  l'ouvrage  a  pour  but  d'éprouver  et  d'expliquer 
cette  formule.  Seulement  elle  est  large  et  admet  toutes  sortes  de  types. 
A  mon  avis,  le  beau  est  une  relation  lïxe  entre  des  variables,  une  fonc- 
tion, comme  disent  les  mathématiciens,  quelque  chose  comme  le  cube, 
le  carré  et  les  puissances,  lesquelles  sont  des  choses  parfaitement 
définies  et  fixés,  mais  par  rapport  à  des  nombres  variables,,.  Je  serai 
bien  heureux  de  vous  recevoir  un  jour  dans  mon  ermitage,  si  roui  lui 
faîtes  l'honneur  de  le  visiter. 

Croyez-moi  votre  bien  dévoué 

H.  Taine, 
Dimanche  28  octobre 

3,  Rue  Brétotivitlers.  » 
(Catalogue  Bûxrtt). 

I,  M,  Charavay  conjecture  Ici  que  le  livre  dont  il  s'agit  est  la  Philosophie  de  fart. 
Hais  la  Phitnsophir  de  Varf*  sous  sa  forme  première,  n'a  pas  Ht  9  pages,  comme  on 
le  dit  plus  loin;  vt  d'autre  paru  Pliilarete  Chasles  n\i  pas  fait  d'article,  que  je 
sache,  sur  ta  Philosophie  de  Vart.  Au  contraire,  il  en  a  fait  un  sur  V Histoire 
littérature  anylaite  (Débat*  du  27  avril  lStil,  recueilli  dans  les  Mémoires»  l.  ||);  et 
il  en  a  fait  un  mitre  sur  le  La  Fontaine  (Débats  du  2ï>  mars  I8fi3).  Il  ne  peut  un  ère 
s'agir  ici  du  premier  de  ces  de  lu  ouvrage*  qui  nTa  évidemment  pas  pour  objet.  <d 
k  donner  la  formule  du  beau  -  et  qui,  d'ailleurs,  comprenant  plusieurs  volumes, 
ne  serait  pas  désigné  d'une  manière  aussi  vague*  Maïs  si  l'on  se  reporte  à  la 
page  31fl  du  La  Fontaine  (T  éd.,  1661),  on  voit  que  le  chapitre  qui  commence  a 
celle  page  (Théorie  fl*'  ta  fable  poétique)  répond  entièrement  au  signalement  donne 
(on  notera  h  ce    propos  forme  première  [irt  et  2*  édition]*  le  La  Fon- 

êUit,  bien  plus  encore-  que  sous  sa  forme  actuelle,  une  étude  sur  le  Beau  II 
semble  donc  bien  qu'il  soit  ici  question  du  La  Fontataei  et,  vu  la  date  de  l'article 
de  Chaule*,  je  daterait  volontiers  la  lettre  du  28  octobre  *862. 


BIBLIOGRAPHIE    DES    OEUVRES    DE   TAINE.  665 

13.  —  M.  L.  Katscher,  le  traducteur  allemand  de  la  Littérature  anglaise 
et  des  Origines,  a  publié  dans  la  Free  Review  de  janvier  1895  quelques 
lettres  de  Taine  que  je  n'ai  pas  vues,  n'ayant  pu  me  procurer  la  Free 
Review y  mais  que  j'ai  vues  signalées  comme  peu  importantes. 

14.  —  M.  Lombroso,  dans  Tune  des  dernières  éditions  de  l'Homme 
criminel,  a  placé  comme  Préface  une  lettre  de  Taine. 

15.  —  Enfin  rappelons  que  M.  Gabriel  Monod,  dans  son  remarquable 
livre  sur  Renan,  Taine,  Michelet  (C.  Lévy,  1896),  a  utilisé  et  largement 
cité  la  très  intéressante  correspondance  de  Taine  avec  Prévost  Paradol 
et  avec  Ernest  Havet  :  cette  dernière  comprend  seize  lettres. 

Victor  Giraud. 


COMPTES   RENDUS 


Eugène  Rigal.  —  Victor  Hugo  poète  épique  (ParUt  Société  frm 
(T  imprimerie  et  de  librairie,  1900). 

Victor  Hugo  est-il  un  poète  épique?  C'est  ta  première  question  que  se  posf 
If,  Rigal*  el  il  n'a  pas  de  peine  à  prouver  qu'on  trouve  dans  Ja  Légende  de* 
des  tous  les  caractères  de  l'épopée  primitive.  La  Légende  est  fondée  sur  un 
long  travail  poétique  antérieur;  elle  a  pour  sujet  une  lutte,  celle  du  bien  et  du 
mal;  elle  a  son  héros,  qui  est  l'homme;  tous  les  personnages  sont  grandis  et 
prennent  une  valeur  symbolique;  entln  le  merveilleux  est  «  aussi  spontané  et 
aussi  sincère  que  chez  Homère  »■  Mais  surtout  la  Légende  de$  siècles  est  l'œuvre 
d'un  homme  extraordinaire,  qui,  à  notre  époque  toute  scientifique,  a  les  yeux, 
l'imagination,  la  pensée,  le  langage  d'un  poète  primitif.  Aussi,  dès  les  pre- 
mières œuvres  de  Victor  Hugo,  trouve- 1- on  les  traces  du  génie  épique.  Des  Qde.t  et 
Ballades  &ux  Contemplations,  ces  traces  sont  rares  et  peu  marquées,  sans  doute» 
mais  pendant  la  même  période  Le  génie  épique  se  manifeste  d'une  façon  écla- 
tante dans  le  roman  et  dans  le  drame,  il  semble  même  qu'en  1843  Victor  H* 
ait  considéré  l'ensemble  de  son  œuvre  comme  une  sorte  de  Légende  des  siè<  I 
C'est  ce  que  ferait  croire  celte  curieuse  liste  qu*on  trouve  dans  la  première 
édition  des  Burçrams,  et  qui  énumère,  classées  par  époques  et  par  pays,  toutes 
les  ouvres  du  poète.  La  liste  ne  remonte  pas  plus  haut  que  le  xjij1  siècle,  mais 
elle  nous  montre  déjà  Victor  Hugo  rêvant  des  constructions  immenses,  son- 
geant à  écrire  L'histoire  poétique  de  1  humanité, 

La  lAgçnde  dêi  siècles  a-Uelle  réalisé  ce  rêve?  M.  Rî^al,  en  dressant  l1  «  in- 
ventaire sommaire  de  l'œuvre  épique  «,  reconnaît  franchement  d'une  part  les 
lacunes,  d'autre  part  les  développements  excessifs.  L*lnde,  Ja  Grèce  et  Home 
sont  presque  entièrement  sacrifiées.  Le  xvu^etle  xvur  siècles  n'occupent  qu'une 
place  insignifiante,  lout  à  fait  en  disproportion  avec  la  place  donnée  au  second 
empire  et  aux  événements  qui  ont  suivi.  Le  muyeo  âge  féodal  et  guerrier, 
avec  ses  lutles  et  ses  brigandages,  semble  avoir  surtout  hanté  l'imagination 
du  poète,  M.  Jîigal  explique  très  simplement  ces  défauts  d'exécution  par  la 
méthode  de  travail  de  Victor  Hugo,  qui  construit  dix  ouvrages  à  la  fois,  écrit 
selon  son  inspiration  sans  s'astreindre  a  un  plan  méthodique,  et  abandonne 
en  partie  au  hasard  la  composition  de  ses  recueils*  On  comhlerait  d'ailleurs 
une  partie  des  lacunes  de  la  Légende  des  siècles  en  y  joignant  la  Fin  dv  Satan 
qui  devait  en  être  la  conclusion,  en  prenant  tout  ce  qu'il  y  a  d'épique  dam 
les  œuvres  poétiques  postérieures,  en  donnant  place  enfin  aux  romans  comme 
aux  drames,  puisque  les  Misérables,  les  Travailkurt  de  la  mer,  VHomnuqui 
ritt  Quatre-viiHjt-trcizet  sont  en  même  temps  que  des  romans  de  véritable* 
épopées. 

Qu'est  devenue  l'histoire  dans  l'œuvre  épique  de  Victor  Hugo?  M.  E.  Dernier, 
dans  un  petit  livre  qui  se  lit  avec  plaisir  \  a  poussé  l'éloge  un  peu  loin.  Il 

l,  0»  earaetèfê  de  l'épopée  dan*  la  légende  des  siècles,  paris,  librairie  des  Bibli- 
phïles,  1886,  îq-12. 


COMPTES    RENDUS. 


Mï 


parle  des  indications  historiques  et  géographiques  toujours  justes  qu'on  trouve 
dans  la  Lèyvntte  dtë  sicc/es.  Il  faut  bien  reconnaître  au  contraire  que  les  erreurs 
y  mot  nombreuses  ',  Kvénemenls  forgés  de  toutes  piècest  événements  réels 
rapprochés  en  dépit  de  la  chronologie,  personnages  d'autrefois  parlant  comme 
des  hommes  du  xiïu  siècle,  réquisitoires  continuels  contre  tes  tyrans,  voilà  les 
principaux  défauts  historiques  que  M.  tii^al  a  relevas,  sans  en  exagérer  la 
gravité.  Qu'importe,  en  effet,  si  la  légende  de*  tftefat  Bel  une  nier  veilleuse  ré- 
surrection du  passé?  À  ceux  qui  seraient  tentés  d'être  sévères  pour  les  erreurs 
du  poêle,  M.  Bigal  oppose  le  jugement  de  M,  Gabriel  Blouod*  Quand  un  pareil 
historien  tient  en  hante  estime  /œuvre  historique  de  Victor  Hugo,  les  lftdféfl 
ne  peuvent  guère  se  montrer  plus  exigeais. 

Qu'ils  ne  jugent  pat  non  plus  trop  insignifiante  une  philosophie  que  Mau- 
rice Guyau  ne  dédaignait  pas,  et  à  laquelle  M.  Renouvier  vient  de  consacrer 
un  beau  livre.  Il  est  certain  qu'il  y  a  dans  les  idées  philusuphiques  de  Victor 
Hugo  des  contradictions  qu'il  serait  puénl  de  vouloir  concilier.  On  peut  trouver 
chez  lui  plusieurs  doctrines  diverses.  On  ecclésiastique,  M.  Duplessy,  a  écrit 
une  étude  sut  I  ta  .  Hugo  apologiste*  avec  ce  sous-titre  :  abrégé  du  dùçme  w 
de  ta  mm  a  le  tdtfifttitjuci  extrait  des  œuvres  de  Victor  Hurjo.  Et  ce  n'est  pas  seu- 
lement aux  œuvres  de  jeunesse  que  s'adresse  il.  Duplessy,  On  pourrait,  d'après 
le  ironie  procédé,  écrire  un  livre  sur  le  manichéisme  de  Victor  Hugo,  un  autre 
sur  son  panthéisme.  Il  n'en  est  pas  moins  sûr  que  ce  qui  domine  tout,  i 
la  croyance  à  un  Dieu,  à  un  «  infini  conscient  ».  M.  Ki^al  résume  ainsi  la 
niéiaptiysique  de  Victor  llu.uu  :  «  tixislenec  d'un  Dieu  que  nous  ne  pouvons  pas 
bien  connaître,  mais  qui  est  puissance  cl  amour;  providence  divine  se  mani- 
festant à  la  fois  par  le  jeu  des  lois  générales  et  par  des  interventions  particu- 
lières dans  la  vie  du  monde,  disparition  future  du  mal.  » 

A  la  métaphysique  de  Victor  Hu#o  sont  fortement  unies  ses  idées  morales, 
Comme  M.  Itigal  le  démontre  fort  bien,  Victor  Hugo  est  essentiellement  opti- 
miste* Il  ne  trouve  pas  que  tout  suit  pour  le  mieux  dans  le  meilleur  des  mondes, 
mais  il  a  contre  le  mal  de  puissantes  consolations  :  la  joie  de  faire  le  bien, 
l'espoir  d'une  autre  vie,  la  pensée  que  le  mal  n'est  pas  éternel.  Cette  dernière 
forme  de  son  optimisme  est  la  plus  intéressante  et  lui  inspire  ses  plus  beaux 
vers.  Il  a  toujours  pô?é  I*  progrès  moral  de  l'humanité,  la  suppression  des  vio- 
lences, des  injustices,  des  esclavages»  le  règne  de  l'amour  dans  la  création  tout 
entière-  Certainement  ces  théories  n'ont  pas  toujours  en  dans  son  esprit  la 
tixïle  qu'elles  avaient  acquise  vers  iSSO,  Mais  combien  ses  ennemis  sont  injuste:, 
en  lui  icprochant  de  perpétuels  changements  d'opinion,  en  soutenant  qu'il  n'a 
jamais  fait  qu'enregistrer  les  variations  de  l'opinion  moyenne!  Est-ce  un 
bourgeois  contemporain  de  Louis- Philippe  qui  a  ècnL  Claude  Gueux*!  Je  ne 
voudrais  pas  insister  sur  ce  rapprochement,  mais  il  est  difficile  de  îire  le  beau 
roman  de  Tolstoï,  Hr^iinrctinn,  sans  penser  à  ce  que  Victor  Hujjo  disait  en  1834. 

Après  avoir  étudié  dans  l'œuvre  épique  l'histoire  et  la  philosophie,  M.  Itigal 
consacre  un  chapitre  aux  personnages  et  au  décor.  H  lui  est  impossible,  évi- 
demment, de  tout  examiner  eu  détail  :  et  pourtant  il  montre  que  les  pbjgfo- 


|,  M.  Rigal  cite  des  erreurs  de  divers  genres  qui  se  trouvent  dans  d'autres  otn 
Il  me  permettra  de  prendre  la  défense  de  Victor  llm^o  au  sujet  d'un  très  petit  détail 
Bfltre  autre*  erreurs,  il  rite  cette  phrase  de  V Homme  yio  fit  :  •  Ursus..,  disait  d'une 
mère  précédée  de  ses  deu\  liiles  :  c'est  un  dactyle  ;  d'un  père  suivi  de  ses  dftUJ 
fils:  c'est  un  anapeste.  -  Je  ne  crois  pas  que  Vïcior  Hugo  ait  confondu  le  dactyîe 
et  l'anapeste*  ti  vide  m  ment,  dans  une  langue  purement  logique,  on  dira  que  la 
longue  suit  les  deux  brèves  dans  l'anapeste,  et  les  précède  dans  le  dactyle.  Mais 
rîmagî nation  de  Victor  Hugo  voit  en  quelque  sorte  le  mot  marcher,  aller  de 
•j ,ii!i -tu-  ,i  droite  en  se  dirigeant  vers  la  lia  de  la  ligne.  Ur*us  a  donc  le  droit  de 
dire  que  dans  le  dactyle  ce  sont  les  brèves  qui  marchent  devant,  tandis  que  dans 
Tanapeste  elles  semblent  marcher  derrière  la  longue. 

2-  Paris,  librairie  H.  Oudin,  t8U2. 


tiô-s 


BEVUE    h  HISTOIRE    LIITKMAIUK    1>E    LA    FHANCE, 


nomies  ne  sont  pas  aussi  insignifiantes  qu'on  l"a  souvent  prétendu.  Xtm- 
Zizimi  ne  ressemble  pas  à  Mourad;  parmi  les  oncles  du  petit  roi  de  Galice, 
quatre  au  moins  se  distinguent  par  des  traits  personnels  et  précis.  Mai 
l'homme  est  le  héros  central  de  L'épopée,  il  n'en  est  pas  le  personnage  unique. 
Les  animaux  ont  leur  place,  la  nature  a  son  rôle  et  intervient  dans  tes  drames 
humains,  La  montagne  et  la  plaine  ont  chacune  leur  caractère,  el  font  a  leur 
habitas ts  d»-s  âmes  dilTérentes,  Un  soir  de  carnage,  le  soleil  couchant  rougit 
ta  cime  des  monts  et  semhle  la  leindre  de  tout  Je  sang  versé;  ailleurs  la  dou- 
ceur souriante  delà  nature  semhle  reprocher  â  l'homme  ses  cruautés  siupitles. 
Enfin  Victor  Hugo  arrive  a  vonlnjr  «  voir  l'invisible,  exprimer  l'inexprimable  », 
Dans  le  Parricide  iï  réalise  ce  prodige,  et  plus  d'une  fois  dans  d'autres  poème 
il  nous  introduit  dans  le  mystère  et  décrit  ce  qui  semble  échapper  a  toute 
description. 

Dans  les  cinq  derniers  chapitres  de  son  livre.  M,  Rigal  étudie  w  les  moyens 
par  lesquels  Hugo  poète  épique  a  réalise  son  œuvre  ».  Nous  pourrions  être  sur- 
pris de   le  voir  commencer   par  la  versification  :  c'est,  dit ilf  «  que  rime  et 
rythme  sont  chez  Hugo  générateurs  d'images,  d'idées  vi  de  développements, 
ils  tiennent  à  l'architecture   nie  me  de  J'oeuvre.  11  y  a  donc  intérêt  à  savoir 
bientôt  quelle  est  la  véritable  constitution  du  vers  de  la  Légende  et  quel  parti 
le  poète  a  tiré  de  cet  instrument  admirable  ».  Pour  M.  Elig&l,  Victor  Hugo  n'a 
fait  qu'assouplir  îe  vers  ssnf  en  change?  le  caractère  essentiel,  Le  vers  leroa. 
sa  grande  innovation,  est  relativement  rare  ;   Hugo  nfa  pas  osé   supprimer 
totalement  la  césure  à  l'hémistiche  :  la  sixième  syllabe  coïncide  toujours  avec 
la  Un  d'un  mot.  et  même  il  y  a  souvent  intérêt  a  faire  sentir,  outre  les  coupe* 
principales,  cette  coupe  secondaire.  H,  Bîgal   montre  par  des  exemples  très 
bien  choisis  tout   le  parti  que   Victor  Hugu  a  tiré  de  son  innovation.  Il 
admirable  de  voir  comment  le  mouvement  du  vers  suit  celui  de  la  pensée.  La 
conséquence  toute  naturelle  d'une  construction  plus  souple  et  plus  libre,  c 
Je  renforcement  de  la  rime.   La  rime,  chez  Hugo,  est  en  général  très  soigi 
Certaines  rimes,  il  est  vrai,  reviennent  trop  souvent.  Le  poète  qui,  dans  la  pré- 
face dialoguée  du  Dernier  jour  d'un  condamne,  parlait  ironiquement  de  la  rime 
entre  ténèbres  et  funèbres,  s'en  est  servi  bien  des  fois  plus  tard.  Mais  le  plus 
souvent  la  rime  n'a  rien  de  banal,  et  ce  qui  est  intéressant,  c'est  de  la  voir 
génératrice  d'idées  :  Victor  llu^'o  lui  doit  sans  doute  de  belles  antithèses,  de 
magni tiques  métaphores,  qui  ont  pour  origine  la  rencontre  nécessaire  de  deux 
sons.   La  composition  peut  en   souffrir  un  peu.  Elle  n'a  lien  de  méthodique. 
Hugo  revient  souvent  sur  la  même  idée,  intercale  dans  son  développement 
une  longue  digression,   Mais  la  rime  n'en    est  pas  seule  responsable,  car  la 
même  habitude  se  retrouve  dans  les  œuvres  eu  prose.  D'ailleurs  Ja  disposi- 
tion générale  n'en  soulfre  nullement.  L'oeuvre  est  toujours  solidement  cons- 
truite, d'un  dessin  très  net.  Si  Victor  Hugo  s'attarde  quelquefois,  s'il  cède  au 
plaisir  d'assembler  des  rimes  et  des  images,  il  n  oublie  jamais  ftoo  plan;  l'effet 
qu'il  veut  produire  nTe*l  jamais  manqué,  et  le  vers  final  nous  laisse  toujours 
l'impression  que  le  poète  a  voulu  nous  donner. 

Un  des  chapitres  les  plus  neufs  du  livre  de  M.  Riga!  est  celui  qu'il  consacre 
à  la  langue  et  au  style,  c'est-à-dire  surtout  à  l'image.  Peu  de  peintres  ont  su 
voir  comme  Victor  Hugo,  et,  ce  qu'il  nTa  pas  sous  les  yeux,  son  imagination  le 
lui  présente  avec  toute  la  netteté  d'une  sensation  réelle.  Il  donne  même  une 
forme  aux  abstractions,  et  c'est  à  peine si  Ton  distingue  chez  lui  la  limite  entre 
le  visible  et  Tin  visible.  Et  pourtant  on  lui  reproche  l'incohérence  des  images. 
Ne  serait-ce  pas  plutôt  le  défaut  d'un  poète  chez  qui  la  métaphore  ne  répon- 
drait à  aucune  vision  réelle?  Mais  c'est  que  Victor  Hugo,  pour  un  même  objet, 
ne  voit  pas  seulement  une  image;  il  en  voit  plusieurs  et  les  reproduit  toutes. 
Jl  n'y  a  pas  incohérence,  il  y  a  seulement  des  images  successives.  M,  Rigal 
nous  montre  la  transition  de  la  métaphore  simple  au  symbole,  si  fréquent 
che*  Hugo,  souvent  très  clair,  quelquefois  asses  obscur  {mur  qu'il  soit  impos- 


COMPTES  REN0US. 


M9 


sible  de  l'interpréter  sûrement»  Certains  poèmes  sont  en  grande  partie  symbo- 
liques, eomme  la  Fin  de  Sahin,  dont  M.  ftigal  donne  une  traduction  trèfl  m^é 
nieuse.  Élargissant  un  peu  le  sens  du  mot,  il  trouve  te  symbole  épique  jusque 
dans  les  romans.  Les  principaux  personnages  de  Quatre -vingt- treize  sont  vrai* 
ment  représentatifs,  et  Gwynplaine»  dans  Y  Homme  qui  rit,  se  proclame  lui* 
même  un  symbole  ;  il  représente  le  peuple  défiguré  et  mutilé,  »  le  souffrant 
profond  qui  rit  à  la  surface  ». 

En  lin  Victor  Hngo  a  résolu  le  problème  du  merveilleux  moderne.  ît  a  crée 
dofl  mythes,  personnifiant  les  abstractions,  les  forces  de  la  nature,  la  mer,  le 
fleuve,  la  montagne,  la  forêt,  donnant  la  vie,  la  pensée,  la  volonté  à  l'èpée  de 
Roland,  aux  tira  peaux  des  armées»  aux  vaisseaux  glfeGl  de  Salami  ne.  Le  vieux 
château  de  Corbus  non  seulement  lotte  contre  l'ouragan,  mais  est  joyeux  de 
la  bataille  et  lier  de  la  victoire»  Le  cheval  de  Roland  parle  au  petit  roi  de  Galice, 
un  Sa  Lan  de  pierre  sourit  derrière  les  conseillers  de  Ralbert,  ïiphaine,  meur- 
trier d'Angus,  est  puni  par  l'aigle  d'airain  qui  orne  son  casque*  Et  le  merveil- 
leux cher  Victor  Hugo  parait  aussi  naturel  que  dans  l'Iliade  et  l'Odyssée,  sans 
doute,  comme  le  dit  M.  EUgftt,  parce  que  la  matière  de  ce  merveilleux  lui  est 
fournie  par  ses  convictions  les  plus  ardentes  et  par  ses  rêves  les  plus  ehers. 
4Ju'on  pense  h  son  spiritisme,  si  l'on  veut  comprendre  complètement  certains 
passages  de  ses  poèmes  et  même  de  ses  romans. 

Depuis  la  mort  de  Victor  Hugo,  on  parle  de  lui  avec  plus  de  calme  et  plus 
de  réflexion.  Les  haines  sont  devenues  des  antipathies,  les  enthousiasmes  oui 
cessé  d'être  aveugles  et  irraisonnés.  On  étudie  son  œuvre  avec  une  impartialité 
dont  on  ne  voyait  autrefois  que  de  trop  rares  exemples.  A  cet  apaisement  sa 
gloire  a-l-elle  gagné  ou  perdu?  Le  livre  de  M*  lligal  montre  que  Victor  Btigû 
n'a  rien  a  craindre  d'une  élude  attentive,  d'une  analyse  minutieuse.  Les  dé- 
fauts du  poète  sont  de  ceux  qui  frappent  les  yeux,  qu  il  est  impossible  de  ne 
pas  apercevoir,  IL  y  a  de  même  clic*  lui  des  beautés  éclatantes  qu'on  a  depuis 
longtemps  l'habitude  d'admirer.  Mais  il  y  a  en  outre  des  qualités  plus  profondes 
qu'on  ne  voit  pas  du  premier  coup  d'ceiï.  M.  Rigal  nous  en  fait  remarquer 
beaucoup.  Appliqué  à  Victor  Hugo,  le  nom  de  poète  épique  ne  désigne  pas  seu- 
lement un  auteur  d'épopées,  mais  un  génie  exceptionnel,  qui  juint  à  la 
réflexion  philosophique  les  dons  du  poète  primitif. 

EUWOND    HCCCET. 


Pmran  Mkmvke.  —  Lettres  inédites  [publiées  par  Félix  Gbambon],  1900, 
sans  nom  de  libraire.  In  8°  de  acxxx*f$l  p. 

Ce  qui  va  suivre  est  bien  plutôt  une  analyse  qu'un  compte  rendu.  Le  volume 
dont  nous  venons  de  transcrire  le  titre  ayant  été  priratety  jrtntnl  |  \l  exem- 
plaires et  aucun  de  ces  exemplaires  n'ayant  été  mis  en  vente,  bien  que  nous 
ayons  annoncé  le  contraire  sur  la  foi  d'un  catalogue  erroné,  nos  lecteurs  ne 
seront  pas  fâchés  de  trouver  ici  le  plus  que  nous  pourrons  y  mettra  <ie  détails 
sur  la  publication  de  M.  Félix  Chambon,  bibliothécaire  à  la  bibliothèque  de 
l'Université.  Et  remarquons  tout  de  suite  que  si  le  tirage  du  présent  vuluuie  a 
été  strictement  limité  à  un  chiffre  très  restreint  d'exemplaires  et  si  aucun 
d'eux  n'a  été  livré  au  commerce  pour  des  raisons  particulières  de  propriété 
littéraire,  il  n'en  faudrait  pas  conclure  que  ce  soit  là  une  publication  clandes- 
tine, car  M.  Félix  Chambon  a  parfaitement  signé  l'importante  introduction 
pLu  ée  en  tête  des  lettres  de  Mérimée, 

Celte  introduction  n'est  pas  une  biographie  suivie  de  Mérimée;  elle  reprend 
seulement  les  points  de  la  vie  de  l'écrivain  sur  lesquels  elle  apporte  des  ren- 
seignements nouveaux  et  s'y  attarde  d'autant  plus  qu'elle  a  plus  de  documents 
à  faire    connaître.  Nous  allons  la  suivre  fidèlement   en  dégageant  ce  qu'il 


670 


IIEVUB    D*I1IST0LRK    LITTKIlMIli:    DC    LA    FRANCK. 


importe  de  connaître,  Sur  la  jeunesse  de  Prosper  Mérimée,  M,  Chamboo  four- 
nit des  indications  intéressantes  :  il  précise,  grâce  à  la  collection  des  palman  -s 
du  lycée  Henri  IV  où  l'enTant  lit  ses  études,  les  récompenses  qu'il  y  remporta, 
peu  nombreuses*  d'ailleurs,  et  assez  peu  brillantes.  À  l'école  de  Droit,  û  tra- 
vailla, parait-il,  plus  sérieusement  ei  devint  licencié,  le  *Xl  juillet  1823, 

Presque  aussitôt  après  Prosper  Mérimée  débutait  dans  les  lettres.  Mêlé  au 
monde  parisien,  il  le  quittait  volontiers  pour  voyager  et  fit,  en  1830,  un  pre- 
mier voyage  en  Espagne  qui  le  frappa  vivement.  Puis,  de  retour  en  ftr&nee, 
L'esprit  encore  plein  de  ses  aventures  d'oulre-monts,  il  se  lance  sans  reténue 
dans  le  groupe  des  gens  de  lettres  et  des  viveurs  et  y  gagne  La  réputation  d'un 
mondain  sceptique  et  élégant  qui  ne  lui  déplaisait  pas,  M.  Cbambon  expose 
fort  justement  l'état  des  relations  de  Mérimée  alors  avec  ses  confrères  en  litté- 
rature et  ses  compagnons  de  fêtes*  eu  recueillant  et  *n  groupant  tous  Les 
fragments  de  correspondance  qui  ont  Été  publiés  de  droite  et  de  gauche. 
Maïs  la  partie  la  plus  neuve  de  son  travail  est  celle  qu'il  consacre  à  la  vie  de 
Mérimée  postérieurement  à  cette  époque,  celle  qui  commence  aux  euviroùs 
de  l'année  1840. 

L'ambition  vint  alors  à  Mérimée  d'être  membre  'le  L'Institut,  île  l'Académie 
des  inscriptions  et  beïlesdellres,  d'abord,  on  il  fut  alternant  élu  membre 
libre,  puis  de  l'Académie  française;  grâce  aux  papiers  de  M.  Thiers,  qui  lui 
ont  été  communiqués  pour  ces  événements,  grâce  surtout  à  ceux  de  Victor 
Cousin  qu'il  a  eu  à  sa  libre  disposition,  M.  Chambon  est  parvenu  à  en  tracer 
un  récit  nouveau  et  complet,  où  Ton  trouve  avec  plaisir  les  propres  lettres  de 
Mérimée  et  celles  de  Sainte-Beuve,  qui  travaillait  de  concert  avec  son  anii.  Sur 
d'autres  épisodes  de  la  vie  de  Mérimée,  l'a  flaire  Libri,quile  passionna  tant  et 
l'aveugla  si  profondément;  la  brusque  rupture  d'une  liaison  qui  avait  pendant 
quinze  ana  été  le  bonheur  île  l'écrivain,  un  adultère  de  tout  repos,  comme  ou 
l'a  dit,  interrompu  par  la  bonne  fortune  d'un  autre  écrivain  plus  jeune  et  plus 
vigoureux,  quelque  chose,  enfin,  comme  l'histoire,  en  plein  m*  siècle,  de  Vol- 
taire, de  M'1"  du  Châlelet  et  de  Saint-Lambert,  histoire  dans  laquelle  Mérimée 
jouait  le  rôle  de  Voltaire;  sur  tous  ces  épisodes,  dis-je,  M.  Chambon  a  continué 
à  rapprocher  les  divers  témoignages  épars  de  tous  cités  et  à  faire  de  la  sorte 
une  lumière  décisive,  comme  sur  la  situation  de  Mérimée  i\  la  cour,  pendant 
le  régne  d'une  impératrice  qu'il  avait  vue  naître  et  qui  le  choyait  lout  particu- 
lièrement. 

A  La  suite  de  tous  ces  renseignenieals  qu'il  était  bon  de  résumer  et  de  coor- 
donner pour  connaître  au  juste  quelques  traits  de  la  physionomie  de  Mérimée, 
M.  Cbamboa  ne  manque  pas  de  donner  diverses  indications  sur  les  person- 
nages auxquels  sont  adressées  les  lettres  inédites  qu'il  publie  et  sur  leurs  rela- 
tions avec  leur  correspondant.  Des  79  lettres  ainsi  mises  au  jour,  10  sont 
adressées  a  l'helléniste  Boissouade,  que  Mérimée  avait  connu  à  l'occasion  ili 
candidature  à  l'Académie  des  inscriptions.  IL  s'en  suivit  une  liaison,  toujours 
un  peu  sauvage  de  la  part  de  Boissouade,  mais  en  faveur  de  laquelle  Mérimc 
savait  se  mettre  en  frais  de  coquetterie.  Les  lettres  que  celui-ci  écrivit  ainsi  à 
son  confrère  sont  charmantes,  pour  la  plupart,  et  elles  vont  du  0  juin  1846  au 
10  novembre  I8!i3. 

La  correspondance  avec  Victor  Cousin,  publiée  in  extemo  dans  ce  volume, 
est  beaucoup  plus  importante  et  pour  le  nombre  des  lettres  écrites  —  00  de 
1833  à  180G —  et  aussi  jjour  la  variété  des  sujets  traités.  Bien  que  Mérimée 
plaisantât  volontiers  l'éloquence  un  peu  prolixe  du  philosophe  et  sa  mimique 
oratoire,  il  rendait  justice  a  la  grande  allure  de  son  Style  el  ;l  l'ampleur  de 
sou  savoir  et  de  son  esprit.  Tuus  deux  t'estimaient  et  s'appréciaient  récipro- 
quement et  échangeaient  avec  franchise  leurs  impressions.  Dans  les  lettres  de 
Mérimée,  du  moins,  car  ou  ne  connaît  pas  celles  de  Cousin  et  il  est  probable 
qu'elles  ont  péri  lors  de  l'incendie  de  l'appartement  de  Mérimée,  il  n'est  pas 
beaucoup  question  de  littérature  et  de  racontars  académiques.  Ou  y  rapporte 


CU M  PVICS    RENDUS», 


i:i 


plus  volontiers  les  propos  mondains  et  on  y  commente  les  événements  du 
jour.  Les  nouvelles  de  la  cour  et  la  politique  étrangère  y  sont  rapportées  et 
interprétées  avec  soin,  C'est  Mérimée,  dit- on ,  qui  amena  Victor  Cousin  à  l'Em- 
pire. On  suit  très  bien  sous  sa  plume  le  sens  de  celte  évolution  qui  fut  remar- 
quée et  les  mobiles  qui  contribuèrent  à  la  faire  réussir,  A  tous  ces  points  de 
vue,  les  nouvelles  lettres  de  Uérimée  servent  autant  à  l'histoire  de  son  temps 
qu'à  la  connaissance  de  ses  amis  et  de  lui-même. 

Il  y  est  beaucoup  question  de  M.  Thiers,  qui  était  TmLime  ami  de  Victor 
Cousin  et  qui  était  Fort  lié  aussi,  quoîqu'à  un  degré  moindre»  avec  Mérim<<i. 
Celui-ci  avait  tenté  auprès  de  l'historien  la  manœuvre  qui  avait  réussi  aUprèt 
du  philosophe  :  il  essaya  de  l'amener  a  l'Empire.  Mais,  plus  clairvoyant  que 
Cousin,  Thiers  ne  se  laissa  pas  prendre  à  ces  cajoleries  intéressées.  Les  rela- 
tions entre  Thiers  et  Mérimée  turent  cordiales,  sans  arrière-pensée,  tant  que 
Tbiers  ne  lit  pas  partie  du  Corps  législatif*  Plusieurs  lettres  que  M.  Chambon 
a  eu  la  bonne  fortune  de  se  procurer  mettent  bien  en  évidence  tous  ces  sen- 
timents. Mais  quand  Tbiers,  élu  député,  recommença  à,  faire  de  la  politique 
et  devint  le  membre  le  plus  décidé  et  le  plus  redoutable  de  l'opposition 
constitutionnelle,  les  relations  avec  Mérimée  s'espacèrent  sans  se  rompi 
s'attiédirent  sans  se  refroidir.  Et  quand  les  temps  s'assombrirent  au  point  de 
menacer  inéitiéiLiablemcul  le  régime  impérial,  Mérimée  songea  à  Tbiers  pour 
essayer  de  conjurer  l'orage  et  tenter  de  sauvegarder  ce  qu'il  aurait  voulu 
sauver.  En  retraçant  la  vie  de  Mérimée,  M,  Augustin  Filou  n'a  pas  manqué  de 
parler  des  démarches  que  celui-ci  Ot,  dans  les  premiers  jours  «le  s»j>- 
lenibre  1870,  auprès  de  Thiers;  mais,  interprète  des  sentiments  de  la  souverain»' 
d'alors,  il  i  jugé  avec  un  parti  pris  trop  évident  l'attitude  de  Thiers,  M,  C bam- 
bou a  pensé  qu'un  jugement  ainsi  rendu  ne  pouvait  être  sans  appel*  lia  voulu 
le  revoir  et  il  Lit,  Crace  aux  documents  communiqués  par  MH|-  Ikisne, 

d  a  pu  fournir  des  indications  précises  sur  les  relations  de  Thiers  et  de  UéHméfl 
ei  tel  gens  désintéressés,  Thistoire  elle-même,  souscriront  assurément  aux 
conclu  si  uns  de  II,  Cbambon  montrant  clairement  que  l'intervention  de  Thier* 
04  pouvait  avoir  nul  efTet  à  l'heure  tardive  où  on  la  sollicitait  et  où  on  recou- 
rait à  ses  avis. 

Four  achever  de  dénombrer  ce  que  renferme  le  volume  dont  nous  parlons, 
nous  ajouterons  qu'il  contient  quatre  lettres  à  Kequîeu,  conservateur  du  musée 
d1  Avignon,  deux  à  Panizzî,  et  trois  à  Barthélémy  SamtHilaire,  sans  parler  de 
quelques  autres  missives  moins  importantes  recueillies  par  M»  Chambon  dans 
diverses  bibliothèques  publiques  de  la  province,  En  lin.  H.  Chambon  achève  son 
volume  par  quelques  passages  supprimés  des  lettres  à  P&ditxi.  La  plupart  de 
passages  n'avaient  rien  de  *ubversif  et  ont  été  retranchés  fort  arbitraire-. 
mont.  D'autres,  au  contraire,  étaient  difficile*  à  imprimer  dans  un  livre  destiné 
au  grand  public,  à  cause  de  cette  alfecialiou  qu'eut  trop  souvent  Mérimée  de 
ne  pas  ménager  la  pudeur  de  ceux  a  qui  il  écrivait.  Les  personnes  curieuse» 
de  ces  sortes  de  choses  no  sm  plaindront  pea  ju  ■  lies  aient  été  mises  au  joui 
les  autres  t si  i  nieront  qu'on  pouvait,  sans  inconvénient  pour  personne,  les 
laisser  ignorées  àjamais. 

P,  1J. 


Lettres  do  Barbey  d* Aurevilly  à  M.  Trébutîen,  conservateur  adjoint 
de  la  bibliothèque  de  Caem  extraits  «1943*1851)  [publiés  par  le  comte  A.  de 
Rlangy,]  Ûaen,  imprimerie  Charte*  Vaiin,  istm,  îu-8,  de  jtv-iî9p, 

Encore  un  volume  qui,  tiré  à  aO  exemplaires,  ne  se  vend  pas  et  sur  lequel 
nos  lecteurs  ne  seront  sans  doute  pas  nichés  d'avoir  quelques  indications 
Tandis  qu'il  vivait  à  Caen,  Jules  Barbey  d'Aurevilly  y  avait  connu  un  érudit, 


ra 


liEVl  E    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE* 


Guillaume- Stanislas  Trébulien,  plein  de  savoir  fit  de  *$out,  dont  le  commerce 
fut  aussi  utile  qu'agréable  a  l'écrivain.  Aussi,  quand  celui-ci  quitta  la  Nor- 
mandie pour  Tenir  à  Pans,  il  n'oublia  pas  sou  ami  de  Caen  auquel  l'unissait 
une  affection  très  forte  et  très  nnoètte.  Ils  ne  manquèrent  pas  de  correspondre 
entre  eux,  parlant  à  ccnur  ouvert  et  se  tenant  au  courant  de  tout  ce  irai 
concernait,  Barbey  d'Aurevilly  faisait  grand  cas  de  ce  qu'il  écrivait  ainsi  à  son 
ami,  franchement  et  sans  contrainte,  o  Le  meilleur  de  moi  est  dans  ces  lettres, 
dit-il  lui-même  à  propos  de  cette  correspondance,  où  je  parle  ma  vraie 
langue  et  en  me  iichant  de  tous  les  publics,  a  On  est  bien  et  dûment  prévenu 
après  cela,  du  tour  que  devait  avoir  la  causerie  et  des  sentiments  qui  pou- 
vaient s'y  trouver  exprimés. 

Ce  sont  ces  lettres  que  M.  le  comte  A.  de  Blangy  a  cru  devoir  mettre  au 
jour  par  extraits,  dans  un  volume  qu'il  ne  destine  pasau  grand  public  et  qu'il 
réserve  à  cinquante  privilégiés.  A-t-il  eu  raison  de  procéder  de  la  sorte?  Il  est 
bien  difficile  de  le  dire,  puisqu'on  n'a  sous  tes  yeux  que  l'un  des  deux  termes 
de  la  comparaison  néce&>air»^  p  <ur  se  prononcer  en  parfaite  connaissance 
cause.  Mais  il  semble  toujours  téméraire.,  au  premier  abord,  de  prétendre  faire 
un  choix  forcement  arbitraire  dans  une  collection  de  lettres  où  celui  qui  les 
écrivit  avoue  avoir  mis  le  meilleur  de  lui-même.  Dans  l'espèce,  l'anthologie 
du  comte  de  Blangy  a  l'air  de  fragments  tirés  des  œuvres  d'un  monsieur  bien 
sape,  alors  que  les  lettres  originales  doivent  donner  une  tout  autre  impres- 
sion,  et  elle  a  le  tort  grave  de  ne  rien  apprendre  ni  sur  la  psychologie  de 
Barbey  d'Aurevilly,  dont  on  ne  nous  dévoile  qu'une  partie  des  sentiments,  ni 
sur  riiistoire  de  ses  débuts  à  Paris  qui  ne  sont  contés  qu'à  moitié  et  sous  un 
jour  1res  factice.  Bref,  là  où  on  espérait  trouver  un  étalon  normand,  fougueux 
et  débridé,  on  a  sous  les  yeux  un  coursier  sanglé,  retenu  aux  quatre  pieds  par 
des  entraves  et  se  dépensant  en  ruades  inutiles  dans  lai  barres  lises  d'un  appa- 
reil de  manège,  «  Pour  un  diable  d'esprit  comme  le  mien,  écrit  quelque  part 
Barbey  d'Aurevilly  en  parlant  de  lui-même,  ardent  comme  un  cheval  entier  de 
la  vallée  d'Auge,  ce  ressemble,  cette  manière  de  travailler  en  se  retenant,  à  ce 
qu'on  appelle  en  êquiLatinn  ht  dans*  entre  l,  el  un  tel  exercice  est  fati- 

gant et  difficile.  Je  m'y  suis  fait  le  corps  autrefois,  mais  l'esprit  —  que  jTai 
violent,  —  je  ne  l'y  ai  pas  encore  brisé.  »  M.  le  comte  de  Blangy  aurait  dû 
mieux  se  souvenir  de  ces  paroles,  qui  pourraient  servir  d'épigraphe  à  son 
volume,  el  ne  pas  étaler  des  exercices  de  manège  sous  les  yeux  de  ceux 
qui  comptaient  trouver  le  spectacle  d'un  être  eu  liberté,  vivace  et  fort,  se 
livrant  à  ses  échappées  favorites,  dans  l'exubérance  de  ses  mouvements  el  les 
soubresauts  de  son  humeur. 

Cette  outrance  un  peu  affectée  el  voulue  avait  nui  h  Barbey  d'Aurevilly  dans 
ses  débuis  à  Paris,  Ou  le  discutait  trop  en  attendant  qu'on  le  subit  et  les 
portes  des  recueils  demeuraient  fermées  à  ses  productions,  ou,  si  elles  s'en- 
trTouvraîent,  elles  se  refermaient  aussitôt.  BuIoï  n'avait  pas  voulu  d'une  étude 
sur  Bntmmelt  et  U  Dandysme.  Bertin  avait  inséré  dans  U$  Débats  un  article 
dont  la  suite  ne  parut  qu'à  onze  mois  d'intervalle.  M.  Maurice  Tu urne ux  a 
relracé  ici  même  les  péripéties  de  cette  collaboration  momentanée,  et  son  récit, 
qui  n'a  pas  été  mis  à  profil  par  M,  le  comte  de  Blangy,  servirait  pourtant  à 
mieux  expliquer  une  période  intéressante  entre  toutes  de  la  vie  parisienne  de 
Barbey  d'Aurevilly,  —  celle  où  il  s'efforçait  de  se  créer  à  Paris  des  relations 
littéraires,  avec  Balzac,  avec  Hugo  et  d'autres  sans  doute,  —  Ttébutien  était  le 
confident  naturel  des  déboires  de  son  compatriote,  qui  s'empressait  de  répandre 
dans  ses  lettres  toute  sa  mauvaise  humeur.  Celle-ci  est  fort  assagie  et  édulcorée 
dans  les  passages  que  nous  connaissons  par  M.  de  Blangy,  qui  a  choisi  sans 
doute  tes  endroits  les  moins  bruyants  et  les  moins  frondeurs.  Au  refus  des 
éditeurs  parisiens,  Trëbutien  s'était  chargé  d'imprimer  deux  volumes  de  Bar 
d'Aurevilly  :  son  étude  sur  Brummell  et  sou  recueil  sur  les  Prophètes  du  / 
et  il  sut  faire  de  ces  deux  productions  des  travaux  d'un  art  typographique 


COMPTES    RENDUS.  673 

achevé,  que  les  bibliophiles  recherchent  maintenant.  Il  s'ensuivit  entre  les 
deux  hommes  un  incessant  échange  de  lettres,  l'un  faisant  des  remarques  et 
des  observations  auxquelles  l'autre  ne  se  rendait  pas  toujours.  Pourtant,  si  on 
en  juge  par  les  fragments  publiés,  Barbey  d'Aurevilly  était  le  plus  souvent 
assez  traitable  et  il  se  soumettait  volontiers  aux  décisions  de  son  ami.  Celles- 
ci,  au  reste,  étaient  sympathiques  et  sensées,  dictées  par  un  bon  goût  que  l'af- 
fection n'aveuglait  pas.  Et  Barbey  d'Aurevilly  se  sentait  touché  d'une  bienveil- 
lance si  utile  à  lui-même,  qui  se  dépensait  sans  marchander  ni  le  temps  ni  la 
peine.  L'amitié  sait  trouver  sous  la  plume  de  l'écrivain  quelques  formules 
d'une  éloquence  forte  et  affectueuse  qui  devaient  aller  au  cœur  de  celui  auquel 
il  s'adressait  ainsi.  A  ce  point  de  vue,  la  lecture  du  recueil  de  M.  de  Blangy 
est  saine  et  réconfortante.  Mais  est-ce  bien  là  l'impression  que  laisserait  la  lec- 
ture des  originaux  s'ils  étaient  mis  intégralement  sous  les  yeux  des  lecteurs? 
On  est  en  droit  de  se  le  demander.  Au  lieu  de  nous  attarder  à  chercher 
une  solution  qui  ne  saurait  être  solidement  démontrée,  louons  sans  réserve 
quelques  belles  pages  qui  sont  parmi  les  mieux  venues  qu'ait  écrites  celui 
qu'on  avait  surnommé  à  bon  droit  le  Connétable  des  lettres  françaises. 

P.  B. 


PÉRIODIQUES 


ktmâttmf.  —  N°  1457  :  The  wordi  of  IlnM.iis.  —  N*  1 10 1  :  The  BoHoc  ht 

pjy.  —  H9  l 'rGn  :  J+  H.  Smith,  TVte  /rot,  U  home, 

i/ïdiiuirur  «rauto^ntplirs   —   1S  juillet;  Raoul  Bonoett  t<i  ■  Sûp 
^rnfpteur  Mathieu  Meusnier;  tettu:  tic  Sentir  *  Item  i\  —  (5  août;  Raoul  BonmL 

Un  examen  de  f  innée  en  tsiiï  ;  lettre  &  Armand  Marrast*  —  13  sepl 
Maurice  Tourneux,  Les  bienfaits  et  fei  me  fûts  «h   la  presse  ((743  et  1S14 
Raoul  Bonnet,  Un  manuscrit  de  Bachet  tl?  Méûriac  (avec  fac-simil» 

Arehîv  l'îir   *I:ih   SiiiiTîitiii    drr   noiiorcn   Kprncheit    untl   IJlorafnrra  ,  — 

ClV,  3  et  4  :  lJ,  Toldo,  Le  couHtBam  dan$  lu  littérature  française  et  ses  rapports 
a*  ce  Famvre  de  CasUgHonc.  —  Karénine,  George  Sand  (Ad,  Tobler;  —  Plallnrr, 
Grammaiik,  I  (A.  Sclml/ 

Bulletin  dn  Uiiiiioptiile  et  rfa   bibliqtli^cjilrc  .  —  15  juillet;  Henri  Cor- 
dîer,  Perçy  Bis&he  SHêltey.  —  Notice  sur  ta  Société  des  bibUophites  tyonnai 
jtir  leurn  pubticationi,  —  Marius  Barroux,  Les  Archiva  de  la  Seine  en  f900  et 
leur  histoire  {suite),  —  Georges  Vicaire,  ïierm  de  publications  nouvelles,  — 
iS  août;  le  marquis  de  Granges  de  Surgères,  Une  lettre  inédite  de  Vautew 

Hoxintt*      —  L'abbé  A   Totipard,  Une  prétendue  seconde  édition  du  Dictfon- 
uuirr  de  T Académie*  —Gaston  Duval,  Lf  musée  •'  de  ht  reliure  ■ 

Ution  univertilk.  —  Marius  Barroux,  tes  Archives  de  la  Seins  en  1900  et  leur 
histoire  (fin).  —  Georges  Yiraire,  ftêvuê  de  publications  nouvelles,  —  15  sep- 
tembre; J.  C.  W.,  Imprimeur*  et  libraires  parisiens j  correcteurs,  graveurs  et  fon- 
deurSt  powtimlaritéi  oubliées  ou  peu  connues  f  i 470  à  1608),  —  Gaston  Duvai 
Musée  antennal  de  (a  reliure  à  l'Exposition  universelle  (suite),  —  Le  eonec 
Brunet  :  rapport  de  M.  Emile  Picot,  —  Confins  international  des  bibliotl 

—  Georges  Vicaire!  Revue  de  pubèieatiom  nouvelles, 

L,*  Correspondant,  —2 6  juin;  A,  Claveau,  Le  Théâtre  du  siècle,  IL  —  Les 
œuvres  et  tes  Hommes,  courrier  mensuel  de  la  littérature,  tics  arts  et  du  théâtre. 

—  *0  juillet:  Arthur  Desjardins,  lu  magistrature  au  théâtre.  [**  partie.  Jusqu'à  lu 

lution,  —  Georges  Uertrin,  Problème*  d'histoire  littéraire  à  propos  de  l 
ttauhrianâ*  D.  te  voyage  en  Amérique  de  Chateaubriand  est-il  une  fiction?  — 
A.  Claveau,  Le  Théâtre  <lu  êiicU.  NI.  —  25  juillet;  Arthur  Desjardios,  Lu  ma§i$* 
t rature  au  théâtre.  ¥  partie.  De  tn  Hevatutiun   française  au  xxe  siècle.  —   Les 
truvres  et  les  hommes,  courrier  mensuel  de  la  littérature ,  dos  arti  et  du  théd, 

—  10  aoiH;  à.  Claveau,  Le  Théâtre  du  siècle,  IV  (fin). —  25  août;  Edmond  Birô, 
le  tfaïuau  de  Comhourg.  —  Les  u-nvres  et  tes  hommes,  Courrier  mensuel  d»  tu 
liHéraiufûi  des  arti  tt  du  théâtre. 

Drutsciic    lit-  r:i»iir/*îi«ti-    —  N°  17  :  Faguet.  Flaubert  (FùrstJ.  —  N 
Ritter,  Nùtm  Utf  8IÎW  de  Staiil.  —  K°  22  :  Kèbelliau,  Bossuct  (Mahrenhollz),  — 
N ••'  2i  :  Du  EMed,  Lu  société  française  du  xxr  au  xr  tiède.  (Ph.  A*  Becker)  — 
N11  2B  :  Hourget,  Œuvre*  complètes^  1  et  l  (Tubler), 

ïimiHi  hr  «riiiiKriKiu.       XXVI,  8  :  Lady  Blennerbassett,  Shakespeare 
Frankriiùh,  —  #  :  11.  Murf,  IHc  siehen  Infant  eu  von  Lieu.  —  10  :  H.  Schneegans, 
Dam  Wrsen  der  rtunautisrhrtt  Dkhtunç  in  Frankreich, 

nir  unii-i'ni  Sj>p»rlicn,  —  Vill -  \   :   A,  llrunnemaim,  Die  jtingsten  fratn. 


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Alliance  franem^c  h*  Paris  in  sommet'  tS9#,  —  EL  Gi'mdel,  DieHezitazitmi-n  Jtmf* 
frein  —  Quiehli  Franz.  Aus$  und  Spraehferttakeit  (IL  Ktinghanli).  •— 

Bode,  Franz,  KufSe  ia  Grenoble.  —  VI II,  3  :  A*  Neumann,  Neutre  Parisrr  histitit- 
en,  —  Quiehl,  Bntgeçmmg.  —  h*  l J e  1  r % ,  Eongreme  in  Parié*  —  \v.  v. 
Ferieukursc  in  Tfaftùf  tu> 

Fanfnlla  délia  domoulrap  —  XXI,  50  :  G.  Burgada .  Snlfa  pùeoia  sépulcrale 
franeese  e  itatiana  —  XXÏIT  2  :  G*  Mcuasci,  Un  pooiû  fr&nÊûSé  det  seroh  XVI  a 
Hotna  (Joachim  du  Bellay  j. 

l-'itrsi-linii^Tii  zur  tiratidcnliDrgtai-liea  nnd  Prcusstacltcii  Gr**chirlite*  — 

XIII,  i  :  M.  Tûric,  Voltaire  und  die  Verôffintiichung  dov  Goéichte  triedrich*  des 
Grosse*, 

Gldn-  —  Avril  :  A,  G.  van  ïkmel.  De  tach  van  Hattrlais.  —  il  ai  :  A.  G.  van 
HameL  Ckatcauhviand\  rots  naar  Âmoi 

,ln. m  nul  iIph  débat*  polldqucH  oi  lit  trraire*,  —  lw  juillet;  Maurice  Muni, 
Les  idée*  politique*  de  M.  Fo<jazzaro.  —  2  juillet;  Henô  Doumic,  ta  Semaine  dra- 
matique. —  3  juillet  ;  Maurice  Muret.  Napoléon  et  Qmtko.  — 9  juillet;  René  Dou- 
mic, ta  Semaine  dramatique .  —  10  juillet;  G.  Baguenault  de  Puehesse,  Un 
lettre,  ambassadeur  SOUS  Français  f>*  :    I  lintf.  —  I  i  juillet  ;  Henri   \\e\- 

schinger  Napoléon  P*  et  te   Uanm   de  ('outrait,  —  10  juillet;  René  Doumic,  la 
Semaine  dramatique,  —  17  juillet;  Maurice  Muret,  te  Théâtre  de  Darmstadt.  — 
M  juillet;  Christian  Sckeler,  Mary  ffÉ  Kinqàletj.  —  22  juillet;  H,  F.6.,  Fr 
et  décadence  de  ht  Censure,  —  23  juillet;  René  Doumic,  ta  Semaine  dntmati 

—  29  juillet;  Maurice  Spronck,  Le  Panthéon  (et  iiatzae).  —  30  juillet  ;  René  Dou- 
mict  la  Semaine  dramatique.  —  2  août;  Louis  Estan;L\  A  propos  d'un  drre  tir 
Stiehefct.  —  4  août;  J.  Bourdeau,  Revue  philosophique  :  îi  Vrai  PascaL —  6  août; 
René  Doumic,  la  Semaine  dramatique.  —  André  M  i ■■  (m- ! ,  âfff  Renan,  —  7  août; 
Amlré  Beaunier,  La  Garioature,  *—  H  août  ;  Arvede  Banne,   La   Httêraium 

*t.  —  13  août;  René  Doumic,  la  Semaine  dramatique,  —  15  août;  Maurice 
Murel,  M,  Ferez  Guidas*  —  Jacques  Crepel,  Au  théâtre  antique  d'Orange.  — 
20  août;  Reuê  Doumic,  2a  Semaine  dramatique,  —  22  août;  Maurice  Spronck, 
VanUgrammatiealiime,  —  2\  auùt;  Albert  Emile  Sorel,  Sottoonin  du  Théâtre* 
Fronçais.—  B5  août;  h,%  Leeonte  de  Liste  et  un  tmù,  —  Christian  Scbefer, 
Mirabeau  et  Talleyrand,  —  i26  août;  Ad.  Dupouy.  «  Le  çaràfon  du  feu  -,  pat 
\l.  Le  Bras,  —  "2?  août;  René  Do u raie,  la  Semaine  drûx/uttique,  —  s  ,  Albert 
main.  —  Maurice  Muret,  îei  Originei  de  ta  presse  allemande.  —  28  aoiU;  Emile 
tiebhart,  La  faillite  de  ^orthographe. —  3!  août;  André  Hatïays,  Au  pofl  de 
François  Rabelais.  —  Jpr  septembre;  Henri  Bidou,  te  roman  d-  Casimir  Delà- 
mgm  —  3  sefttembre;  René  Doumic,  la  Semaine  dramatique,  —H.  Fiemis- 
Gevaert,  Une  retraite tle Montuleml'  rL  —5 septembre;  Maurice  Demai^on.  Fran- 
eats  de  NiUfthéUûU.  —  Arvêde  Barmer  »  Uk  elofsdu  Varadts  »,  conte  fantmUqui 
en  o  actes,  par  Maurier  Strijalhenf  —  '.!  septembre;  Maurice  Muret,  Au  ehâteau 
de  Coppet,  —  10  septembre;  René  Doumic,  La  semaine  dramatiqm.  —  Kl  sep- 
tembre; àlbert  l'rîeur,  Le  mystère  des  Quatre  fiitu  Àymon,  —  14  septembre; 
André  Hallays,  Peler inatje  hahaeien. 

.l»urii»l  îles  navanU  —  Janvier  et  Tévrier:  Loopobl  Delble,  e&  4tV 

toirêâ  de  Jean  MaaseL  —  Mars;  Léopold  Delîiti,  Fit  troisième  manuscrit  de 
mons  de  saint  Bernard  $*  français,  —  Avril;  Ferdinand  Brunelière,  La  biblio- 
thèque de  liossuet.  —  Mai  ;  Albert  Sorel,  La  mission  Mérite  de  Mitaheasi  à  Berlin. 

—  Mai  et  juin;  Gaston  Paris,  Les  mnis  d'emprunt  dans  teydns  aneien  fronçait*. 
Lltcrar!*r  lie*  Central  1)1  ait,  —  N°   15   :   Rit  ter,  Soies  sur  Mme  ,/,    $fa 

\>  tti  ;  Clément,  Henri  EêUonm  rt  ^*n  truvre  fraurahe .  — Nu  i©  :  Rpugesbach, 
Conteur»  contemporains. 

I ilteratnrblatl  fiir  ^crmnninche  und  ramant^elie  Philohiifio,    —    ri 

Beuouvier,   Victor  Buqû  (Scaooegaiu  !f«  7  ;  Syke»,  French  éléments  tu 

Middte   Ent/lvih  (Franz).   —  N1    s-0  ;  Castle,  Die  kotierten  (Sulgcr-Gebint:     — 


676  REVUE    d'iIISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE   LA    FRANCE. 

Ulrich,  Villers  (Mahrenholtz).  —  Bertrin,  1m  sincérité  religieuse  de  Chateau- 
briand (Haas).  —  Soltau,  Blacatz  (Suchier).  —  Mariéton,  Jasmin  (Minckwitz). 

Modem  Langage  notes.  —  XV,  i  :  Warren,  L'Avare  and  le  drame  bour- 
geois. —  Éditions  scolaires.  IS°  5  :  Matzge,  The  sources  of  Corneille's  tragedy  La 
mort  de  Pompée. 

Xeoe  phllologtoche  Ruud*chau.  —  N°  7  :  0.  Heilig,  George  Sand  :  La  mare 
au  diable,  bcarb.  J.  Haas.  —  N°  9  :  Plattner,  Wôrterbuch  der  Schwierigkeiten 
der  franz.  Aussprache  und  Rechtschrcibung  (K.  Beckmann).  —  N°  10  :  Welter, 
Mistral  (0.  Thône). 

La  Nouvelle  Revue.  —  1er  juillet;  Gabriel  Compayré,  La  littérature  des 
Pyrénées.  II.  —  Jules  Case,  Le  théâtre  d'Emile  Bergeral.  —  i 5  juillet;  Gabriel 
Compayré,  La  littérature  des  Pyrénées.  III.  —  Adrien  Bernheim,  L'Opéra-Comique. 

—  Jules  Case,  Revue  dramatique.  —  l«'raoût;  Camille  Mauclair,  L'état  actuel 
de  la  critique  littéraire  française.  —  L.  F.  Sauvage,  Paradoxe  sur  la  comédienne. 

—  Jules  Case,  Revue  dramatique.  —  15  août;  François  de  Mahy,  Mie  h  e  le  t  et 
Quinet.  —  1er  septembre;  Louis  Tiercelin,  Villiers  de  Vlsle-Adam.  —  Fabre 
des  Essarts,  Ce  gui  reste  de  Port-Royal.  —  Jules  Case,  Revue  dramatique.  — 
16  septembre;  Francis  André,  Au  pays  des  moines:  J.-K.  Huysmans  et  Rabelais. 

—  Bernard  Khaller,  La  Poésie  hongroise.  —  Jules  Case,  Revue  dramatique. 

La  Quinzaine.  —  16  juin;  Victor  Giraud,  Essai  sur  Taine,  son  œuvre  et  son 
influence.  II.  —  Emile  de  Saint-Auban,  Chronique  dramatique  :  Comédie- 
Française,,  «  les  Fossiles  >,  par  M.  de  Cnrel  :  Qdéon,  «  r Enchantement  >»,  par 
M.  Bataille.  —  1er  juillet;  Maurice  Blondcl.  La  Psychologie  dramatique  du  mys- 
tère de  la  Passion  à  Oberammergau.  —  16  juillet  ;  Victor  Giraud,  Essai  sur  Tainen 
son  œuvre  et  son  influence.  III.  —  Adolphe  Lair,  Le  P.  Gratry. 

Revue  bleue  (Revue  politique  et  littéraire;.  —  7  juillet;  Joseph  Fabre,  A 
propos  de  la  loi  sur  la  presse.  —  14  juillet:  Pierre  Foncin,  La  langue  française 
dans  le  monde.  —  J.  du  Tillet,  Théâtres  :  Comédie-Française,  repi'ise  de  «  Cabo- 
tins! ».  — 21  juillet:  Ernest-Charles,  La  vie  et  les  mœurs:  un  caveau  pour  Henri 
Becque.  —  28  juillet;  Frédéric  Passy;  Lamartine  et  la  paix.  —  Georges  Pellis- 
sier,  Un  roman  de  M.  Marcel  Prévost,  «  les  Vierges  fortes  ».  —  4  août;  Louis 
Delaporte,  Portraits  contemporains  :  M.  Gustave  Lairoumet.  —  Ernest-Charlei, 
La  vie  et  les  mœurs  :  le  snobisme  des  concours  dramatiques.  —  1 1  août  ;  Mme  Vao 
Amstel,  Souvenirs  sur  Victor  Cherbuliez.  —  18  août;  le  vicomte  de  Spœlbercb 
de  Lovenjoul,  La  genèse  d'un  roman  de  Balzac,  «  les  Paysans  »  :  Lettres  et  frag- 
ments inédits.  —  Maurice  Wolff,  Sapoléon,  Gœthc  et  Talma.  —  25  août;  Ch.-V. 
Langlois,  L'histoire  au  XIXe  siècle.  —  25  août  et  1er  septembre;  le  vicomte  de 
Spœlberch  de  Lovenjoul,  La  genèse  d'un  roman  de  Balzac,  «  les  Paysans  »  :  Let- 
tres et  fragments  inédits  (suite  et  Un  de  la  première  partie).  —  1er  septembre; 
Gaston  Choisy,  Les  lettres  françaises  aux  Etats-Unis.  —  8  septembre;  Edouard 
Schuré,  Nietzsche  en  France  et  la  Psychologie  de  Vathée.  —  Diego  Angeli, 
Mme  Mathilde  Serao.  —  Jacques  du  Tillet,  A  propos  des  fêtes  d'Orange.  — 
15  septembre;  Hippolyte  Buflenoir,  Un  soldat  philosophe  :  le  maréchal  de 
Catinat. 

Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature.  —  N°  28  :  Giraud,  Pascal 
(A.  Molinierï.  —  Fuuck-Brentano,  Bibliothèque  de  bibliographies  critiques 
(A.  Rébelliau).  — N°  29  :  Urbain,  Rossuet  (A.  Rébelliau).  —  Bertrin,  Jai  sincé- 
rité religieuse  de  Chateaubriand  (R.  Rosières). —  P.  Brun,  Henry  Beyle-Stendhal 
(C.  Stryienski).  —  Faguet,  Histoire  de  la  littérature  française  (H.  de  Curzon). 
N°  30  :  Petit  de  Julleville,  Histoire  de  la  lanyue  et  de  la  littérature  française, 
VIII  et  IX  (E.  Bourciez).  —  Sakmann,  Voltaire  et  le  duc  de  Wurtemberg  (Ch.  D.}. 

—  Eug.  Manuel,  (Euvres  complètes  (F.  H.).  —  N°  31  :  Betz,  La  littérature  com- 
parée (F.  Baldensperger).  —  N"  32  :  Romberg,  L'idée  de  la  durée  dans  les  verbes 
français  (E.  Bourciez).  —  Bernardin,  Hommes  et  mœurs  au  XVIIe  siècle  (R.  Ro- 
sières). —  Renouvier,  Victor  Hugo  le  philosophe  (R.  Rosières).  —  Nu  33  :  Clé- 
ment, Henri  Estienne  et  son  œuvre  française  (E.  Bourciez).  —  La  Servière,  Le 


PÉRIODIQUES* 


OT7 


Père  Parée  (Ch,  Dejob).  —  N*  36  :  Moncharop,  Une  lettre  perdue  de  hcseartes 
•(P.  Tannery).  —  Brun-Durand,  Dictionnaire  biographique  de  In  Drame  (A.  CL 
—  N°  37  :  IL  Martin,  La  bibliothèque  de  V  Arsenal  (M.  Darroux).  —  tSn  38  :  Guil- 
lois,  Les  bibliothèque  de  Napoléon  IA.  C*)- 

Rrvuo  dr  ParU.  —  i"r  juillet;  1.4.  Jusserand,  Les  sports  dan*  l'ancienne 
Frajice.  III.  —  15  juillet;  Alfred  de  Vigny,  C.  d'Orville,  La  mort  d'Alfred  de 
Vigny,  —  J.-J.  Jusserand.  L^s  spart*  dam  Cartcicnne  France.  IV.  —  f"»  août; 
Louis  Farces,  Lamartine  à  Florence  (18S6-t8!S).  —  Paul  Lafund,  Quelque*  dé- 
cors  du  1'  Capitaine  Fracasse  ».  —  ia  août;  J.-J,  Jusserand,  £*s  sports  dam 
f ancienne  Frann\  V.  —  \*c  septembre;  Ch.-V.  Langlois,  Sitjer  de  Bruhant*  — 
J,*J.  J usserand,  Les  sports  dam  l'ancienne  France,  VI.  —  André  Beau  nier» 
Arthur  Rimbaud, 

Bévue  tic-*  Deo*  M 00 de*.  —  1*r  juillet:  A.  Suarès,  Visitr  à  Pascal,  — 
4T>  juillet;  René  Doumic,  Bévue  littéraire  :  Couvre  du  symboltsmc.  —T.  de 
'Wyiewa,  lieeues  étranqém  :  le  dernier  roman  de  Sicnkïemiez.  —  1er  août;  Fer* 
dinand  Bmiieliêre,  François  Rabelois.  —  15  août;  René  Doumic,  Itcrue  litté- 
raire :  les  erimn  passionnels.  —  T*  de  Wyzewa,  Revues  étrangères  :  une  idylle 
angtatêe,  —  l*r  septembre;  Camille  BeBaigue,  Le  P.  Grain/. '—  Ferdinand  llru- 
-netière,  L>t  réforme  de  la  fpnJcm,  —  15  septembre;  Ferdinand  Brune  M  ère.  Là 
littérature  européenne*  —  lie  né  Doumic,  Revue  ÏUi  dé  II 

faire  et  nos  scènes  de  genre, 

*  Revue  cnc^clftiiéiliqiie.  —  U  juillet;  Octave  Uzanne,  Alfred  de  Aftti 
inédit  :  m  poésie*  vagabonde».  —  Gustave  Ceflfroy,  Revue  dramatique.  —  Aca- 
démie française  :  réception  de  M.  Paul  Herrieu.  —  Louis  Coquelin,  Trois  team 
§ut  Mûntatgne.  —  ti  juillet;  André  Le  Glay,  Abel  Bigaull,  L,  Léger,  Albert 
Pingaud,  Henri  Welschinger,  Rente  historique.  — *  4  août;  PauISoui  \,  VQpé~ 
relte  (avec  portraits).  —  Georges  Pel lissier,  L' Eloquence  judiciaire  et  le*  qrands 
avocats  du  sieele  (avec  portraits)*  —  IN  août;  D*  Menant,  Lu  littérature  inod 
de  V laie.  —  Gustave  Lanson,  Rosmet  et  in  critique  contemporaine*  —  1*  sep- 
tembre; Charles  Dielil,  La  Société  byzantine.  —  8  septembre;  Henri  Lichttq* 
berger,  Frant  Grillparur*  —  Gustave  Gclïrov^  Rem*  dramatique.  —  Frédéric 
Lolîée,  L'Éloquence  parlementaire  (  18 i8*  1900)  (avec  portrait-  . 

Revue  hebdomadaire.  —  17  mars;  Henry  Hordeau x, Les  titres  et  te*  maton  : 
romancier*  étranger»*  —  2i  mars;  Félicien  Pascal,   Un  moine  moderne  (le  P. 
Didnn).  —31  mars;  Henry  Bordeaux,  Les  livres  et  tes  maturt:  Au   milieu  du 
<in  (par  M.  Edouard  Rod).  —  7  avril;  R.  N.  Ferry,  Chronique  dramatique  : 
la  Robe  rouge]  Kdn  prince;  les  feuilletons  deSnrcnj.  —  14  avril;  DoHis- 

tieim.  Le  cotottri  de  VUteboit-MarenU  :  son  wmm  littéraire.  —  Henry  Bordeaux, 
U&  arcs  et  les  mn-urs  :  romans  pour. jeunes  ftik$\  livret  de  voyage,  —  gi  avril; 
Vicomte  de  Spoelbercli  de  Lovcnjoul,  Le  prospectus  de  Satnte-Beitoe  pour  ta 
iJEnrrrs  coinplètât  (U  Victor  Hugo  (1829).  —  28  avril:  Henry  Burdeaux, 
livret  et  tesmœun  :  lu  Fennec  du  Levant,  par  M.  Etimnc  htmtf.  —  18  mai  ;  Mon- 
cure  Daniel  Conway,  Thomas  Paine  et  ta  Rceolution  dans  tes  deux  mondes.  \. 
Louis  XVI  M  les  Américains;  le  million  de  Beaumarchais.  —  Henry  Bordeaux, 
/.  I  lu  1  >  ti  kt  manm  :  En  flânant.  —  19  mai;  Moncure  Daniel  Conway,  Thtmws 
Paine  et  la  Révolution  dans  les  deux  mondes.  II.  Le  tniititm  de  Bêaumarch 
Rachambeau  et  Washington.  —  1C  M,  Ferry,  Chronique  dramatique  :  Pon$ard; 
h  Cloître.  —  36  mai;  François  de  CSion,  Un  outre  mer  au  ivir  yane  au 

Canada  du  ha  ton  de  La  Hontan,  —  Henry  Bordeaux,  Les  Unes  ti  tet  mm 
Drames  de  famille  (par  M.  Paul  Bourget),  —  2  juin;  Paul  et  Victor  Margue- 
ritte,  Jean  Marie  MettralteL  —  9  juin;  11.  N+  Ferry,  Chronique  dramatique  : 
tes  Fossiles;  f  Em  hautement.  —  Henry  Bordeaux,  Le*  In  tes  et  l&ê  mcem 
V Appel  au  soldat  (par  AL  Maurice  Barrés).  —  14  juillet;  Maurice  Tnlmevr,  Une 
thèse  de  doctorat  sur  l'infamie  des  comédiens,  —  21  juillet;  Henry  Bordeaux, 
Jjê%  htres  vt  fea  maun  :  la  Chine  qui  Couvre*  —  il  août;  Fernand  Calmettes,  te- 
nante de  ÎJsleet  Sfl  amis*  (DcLi.vième  partie,  I),  —  Paul  Potlier,  Grands  artistes 

HST.    »*H(*T.    UTTÛ.    DC  LA  FftASCK  (7fl    AnQ.),—  VU.  j  t 


:  078  KEVl'E    D  HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

j  et  petits  cabots.  —  18  août;  Fernand  Calmelles,  Leconte  de  Liste  et  son  amis, 

»  (Deuxième  partie,  II;.  —  Henry  Bordeaux,  Les  livres  et  tes  mœurs  :  Jf.  Henryk 

Sienkiewicz.  —  25  août;   Fernand   Cal  mettes,    teconte  de    Liste  et    ses   amis 
j  (Deuxième  partie,  111).  —  Maurice  Talmeyr,  Le  vrai  Balzac. 

?  Le  Temps.  —  1er  juillet;  Gaston  Deschamps,  La  vie  littéraire  :  histoire  a"un 

J  parasite.  —  2  juillet;  Gaston  Larroumet,  Chronique  théâtrale.  —  6  juillet;  Aux 

1  érudits  de  province.  —  7  juillet;  Albert  Sorel,  Montaigne.  —  8  juillet;  Gaston 

Dcschampâ,  La  rie  lithriirc  :  notes  sur  la  littérature  finlandaise.  —  9  juillet: 
Gustave  Larroumet,  Chronique  théâtrale.  —  13  juillet;  Le  monument  Arthur 
Rimbaud.  —  14  juillet;  Masson-Forestier,  Le  mystère  (rObcrammerguu.  — 
16  juillet;  Gustave  Larroumet,  Chronique  théâtrale.  —  17  et  22  juillet;  Gaston 
i  Deschamps.  La  vie  littéraire  :  leçons  d'histoire  contemporaine.  —  23  juillet;  Gus- 

tave Larroumet,  Chronique  théâtrale.  —  25  juillet;  Le  congrès  international 
crhistoire  comparée.  —  27  juillet;  Les  congrès. —  29  juillet: Gaston  Deschamps, 
La  vie  littéraire  :  un  compatriote  de  Chateaubriand.  —  Le  congrès  de  Cart  théâ- 
tral. —  30  juillet  :  Gaston  Larroumet,  Chronique  théâtrale.  —  1er  août  ;  Adolphe 
T  Brisson,  Promenades  et  visites  à  l'Exposition  :  Madame  Sada  Yacco  (comédienne 

1  japonaise).  —  5  août;  Gaston  Deschamps,  La  vie  littéraire  :  les  temps  néronien*. 

»  —  G  août;  Gaston  Larroumet,  Chronique  théâtrale.  —  8  août;   Les  bibliothèques 

publiques.  —  10  août;  Lamartine  à  Florence.  —  12  août;  Gaston  Deschamps, 
La  vie  littéraire  :  l'enfance  de  Calvin.  —  13  août;  Gustave  Larroumet,  Chro- 
.-  nique  théâtrale.  —  16  août;  Quelques  poètes  contemporains  :  Jean  Aicard.  — 

117  août;  Les  grammairiens  et  les  philologues.  — Adolphe  Brisson,  Promenades  et 
visites  à  T  Exposition  :  la  chambre  de  Mlle  Mars.  —  19  août;  Gaston  Deschamps, 

F  La  vie  littéraire  :  les  vacances  d'un  séminariste.  —  20  août;  Gustave  Larroumet, 

!  Chronique  théâtrale.  —  2 1  août;  La  jnic  de  finir  (a  propos  du  Dictionnaire  de 

Hatzfeld).  —  28  août;  Gaslon  Deschamps,  La  vie  littéraire  :  Élise  et  Casimir 
(Delavigne).  —  29  août;  Gustave  Larroumet.  Chronique  théâtrale.  —  31  août; 

t.  Pierre  Mille,  Journal  inédit  de  Marie  Bashkirtseff.  —  !*«■  septembre;  51.  Brttne- 

tière,  i 'orthographe  et  la  syntaxe.  —  2  septembre;  Gaston  Descharaps,  La  vie 
littéraire  :  Journal  d'une  femme  de  chambre,  par  M.  Mirbeau.  —  3  septembre; 
Gustave  Larroumel,  Chronique  théâtrale.  —  7  septembre;  Les  origines  de  Cher- 
butiez.  —  9  septembre;  Gaston  Deschamps,  La  vie  littéraire  :  seience  française 
et  pédagogie  allemande.  —  10  septembre;  Gustave  Larroumet,  Chronique  théâ- 

■^  traie.  —  13  septembre;  Un  congrès  de  chansonniers. 

r \  Zeltftchrift  fur  franzuNlarlie  Sprachc  and  Llter&tur.  —  XXII,    2-4  :  Fr. 

Klein,  Der  Chor  inden  wichtigsten  Tragédien  (1er  franz.  Renaissance  (A..-L.  Stie- 

j  fel)  —  P.  de  Lonffiiemare,  Le  théâtre  àCaen,  l6iH-iH30  (A.  L.   Stiefel)  —  E. 

i  Loseth,  Observations  sur  le  Pohjeuete.  de  Corneille  (W.  Man^old  ï.  —  Giraud, 

|  Pascal  (Mahrenholtz).  —  Zollin^er,  Mercier  als  Dramatiker  (Mahrenholtz).  — 

Hensinyer,  Housseaus  ausgew.  Werke  mit  Einleituny  von  P.  A.  Becker  (Wetz)  — 
Wcller,  Migrai  (Mischwitz). 

Zcltarlirlft  fnr  verglelchcnilc  IJteratnrjçcscliIchtc  — XIII,  1  :  Oeftering, 
Die  gesehichte  vun  dersctuïnen  Irène  in  der  franz.  und deutschen  Literulur  1,  11. 
—  XIII,  4-o;  K.  Aspcliu,  Lamottcs  Ahhandlungen  uber  die  Tragndic  verglichtn  mit 

i  Lessings  Hamburgischer  Dramaturgie  (fin). 


LIVRES    NOUVEAUX 


Albert  (Maurice).  Les  théâtres  de  la  Foire  (1660-1789).  Paris,  Hachette.  In-16, 
de  320  p. 

A  ris  to  te.  La  Poétique.  Édition  et  traduction  nouvelles  précédées  d'une 
étude  philosophique  par  MM.  Adolphe  Hatzfeld  et  Médéric  Dufour.  Lille,  L? 
Bigot.  In-8,  de  lxih-129  p. 

Baldensperger  (F.).  Les  définitions  de  Vhumour,  leçon  d'ouverture.  Nancy, 
Berger-Levrault.  In-8,  de  28  p.  (Extrait  des  Annales  de  l'Est.) 

Batjer  (H.).  Zwei  Dichter  des  Lyonnais.  II.  Programme  d'Eilbeck.  Leipzig*  Fock. 
In-4,  de  32  p. 

Bergson  (Henri).  Le  Rire,  essai  sur  la  signification  du  comique.  Paris, 
Atcan.  In-18,  de  vu-206  p.  Prix  :  2  fr.  50. 

Bever  (Ad.  van)  et  Leautaad  (Paul).  Poètes  d'aujourd'hui  (1880-1900).  Mor- 
ceaux choisis  accompagnés  de  notices  biographiques  et  d'un  essai  de  biblio-  ^ 
graphie.  Paris,  Société  du  Mercure  de  France.  In-18  jésus,  de  427  p.  Prix  :                              ■+"* 
3  fr.  50. 

Bibliophile  (Un).  Liste  des  lieux  d'impression  en  Europe,  avec  dates  et  noms 
d'imprimeurs.  Paris,  Claudin.  In-18  jésus,  de  114  p.  \Z 

Blase  de  Bnry  (Y.).  Les  romanciers  anglais  contemporains.  Paris,  Pcrrin.  In-  k£ 

16,  de  xxvir-248  p.  '\  9 

Biondel  (Maurice).  La  psychologie  dramatique  du  Mystère  de  la  Passion  à 
Oherammergau.  La  Chapelle- Montligeon,  imprimerie  Notre-Dame.  In-8,  de  20  p. 
(Extrait  de  la  Quinzaine.) 

Bordeaux  (Henry).  Les  écrivains  et  les  mœurs.  Notes,  essais  et  figurines  (1897- 
1900).  Paris,  Pion.  In-16,  de  348  p.  Prix  :  3  lr.  50. 

Bossue  t.  Sermons  choisis.  Textes  revus  sur  les  manuscrits  ou  sur  les  éditions 
originales,  avec  une  introduction,  des  notices,  des  sommaires  et  des  notes,  par 
Ch.  Urbain.  Paris,  Lccoffre.  In-18  jésus,  de  xxvn-565  p. 

Boudard  (René)  et  Boy  (Pierre).  Le  Barreau  espagnol.  Paris,  Lemasson.  In- 
16,  de  47  p.  Prix  :  2fr. 

Bonllhet  (Louis).  Melœnis.  Préface  d'A.  Join-Lambkrt.  Gravures  en  couleurs  ;r^ 

d'après  les  aquarelles  de  Paul  Gervais.  Evreux,   Hérissey.  In-4,  de  xxiv-152-  ..?. 

xxxi  p. 

Bourdaloae.  Œuvres  complètes.  Nouvelle  édition.  Paris  et  Lyon,  Brigue  t. 
6  vol.,  in-8.  Tome  I«r  :  528  p.;  t.  II,  713  p.;  t.  III,  676  p.;  t.  IV,  545  p.;  t.  V, 
563  p.;  t.  VI,  671  p.  | 

Bourdaloae.  Sermons  inédits,  d'après  des  recueils  contemporains,  publiés  et  J 

annotés  par  le  P.  Griselle.  Paris,  Sueur-Charruey.  6  fascicules  in-8.  I  :  Sermon  .  V 

sur  l'ingratitude  (13e  dimanche  après  la  Pentecôte),  20  p.;  Il  :  Sermon  sur  "* 

l'impureté  (3e  dimanche  après  l'Epiphanie),  39  p.;  III  :  Sermon  sur  l'aveugle-  '■] 

né  (mercredi  après  le  4e  dimanche  du  Carême),  19  p.;  IV  :  Sermon  sur  l'aveu- 
glement spirituel  (dimanche  de  la  Passion),  21  p.;  V  :  Sermon  sur  la  Résurrec- 
tion (fête  de  Pâques),  23  p.;  VI  :  De  la  Samaritaine  (pour  le  vendredi  de  la  y 
troisième  semaine  du  Carême),  27  p. 

■    i 

1 

1 


680  REVUE    D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

Boutroux  (Pierre).  L'imagination  et  les  mathématiques  selon  Descartes.  Paris, 
Alcan.  In-8,  de  51  p. 

Brossard  (Joseph).  Samuel  Guichenon,  historien  de  Bresse,  de  Bugey,  de 
Lombes  et  de  Savoie.  Bourg,  Allombert.  In-8,  de  139  p.  et  pi.  (Extrait  des 
Annales  de  la  société  d'émulation  de  VAin.) 

Bran  (Pierre).  Henry  Beylc-Stendhal.  Grenoble,  Gratier.  In-8,  de  loi  p.  avec 
grav.;  et  1  portrait. 

Bran-Durand  (J.).  Dictionnaire  biographique  et  biblio-iconographiquc  de  la 
Drame.  Grenoble,  Librairie  dauphinoise.  Tome  Ier,  A-C.  In-8  à  2  col.  de  x-414  p. 

Brun-Durand  (J.).  Le  poète  David  Rigaud,  marchand  de  la  ville  de  Crest  en 
Dauphiné,  et  son  entourage.  Grenoble,  Allier.  In-4,  de  31  p.  (Extrait  de  la  Revue 
dauphinoise.) 

Çaateta  (Ferdinand).  Cyrano  de  Bergerac,  conférence.  Montpellier,  Firmin  et 
Âorttane.  In-8,  de  53  p. 

Cordier  (Henri).  Notules  sur  Charles  Baudelaire.  Paris,  Leclerc.  In-8,  de  8  p. 
(Extrait  du  Bulletin  du  Bibliophile.) 

Delmont  (l'abbé  Théodore).  Bossuet  et  Lyon,  d'après  des  documents  du  xvn° 
siècle.  Lyon,  Vittc.  In-8,  de  32  p.  (Extrait  de  VUniversité  catholique.) 

Dleulafoy  ( Mn,c  Jane  ),  Fouquier  (Henry),  Llntiluar  (Eugène),  Le  Roux 
(Hugues),  Sarccy  (Francisque),  Larron  met  (Gustave).  Conférences  faites  aux 
matinées  classiques  du  théâtre  national  de  VOdéon  (année  scolaire,  1899-1900). 
Paris,  Crémieux.  lu- 16,  de  286  p. 

•  Dumas  (Georges).  La  Tristesse  et  la  Joie.  Paris,  Alcan.  In-8,  de  435  p.  et 

Ehrhard  (Auguste).  Le  théâtre  en  Autriche:  Franz Grillparzer.  Paris,  Société 
française  d'imprimerie  et  de  librairie.  In -18  Jésus,  de  513  p. 
:   Feienzac  (le  duc  de).  Saluste  du  Bar  tas  et  ses  éditeurs  parisiens.  Paris, 
Lecltrc.  In-8,  de  8  p.  (Extrait  du  Bulletin  du  Bibliophile.) 
'   Fonssagrlves  (l'abbé).  Louis  Veuillot  journaliste,  conférence.  Paris,  Pous- 
sielgue.  In-18,  de  53  p.  et  portrait. 

Gasté  (Armand).  Du  rôle  de  Scarron  dans  la  «  Querelle  du  Cid  ».  Lettre  à 
M.  L.  Petit  de  Julleville.  Caen,  Defesques.  In-8,  de  29  p.  (Extrait  des  Mémoires 
de  l'Académie  nationale  des  sciences,  arts  et  belles  lettres  de  Caen.) 

Gant  hier  (J.).  VUniversité  de  Besançon.  Des  origines  à  la  Révolution  (Gray, 
1287;  Dôle.  1422;  Besançon,  1691).  De  la  Révolution  à  nos  jours;  organisation 
actuelle.  Besançon,  Dodivers.  In-8,  de  55  p.  et  grav. 

Giraud  (Victor).  Essai  sur  Taine,  son  œuvre  et  son  influence.  II.  Histoire  de 
ion  esprit  et  de  ses  livres.  La  Chapelle- Montligeon,  imprimerie  Notre-Dame. 
In-8,  de  23  p.  (Extrait  de  la  Quinzaine.) 

Graffln  (Roger).  Mmc  de  Sévigné  au  pays  du  Maine.  Mamers,  Plcury  cl  Dangin. 
In-8,  de  14  p.  et  portraits.  (Extrait  de  la  Revue  historique  et  archéologique  du 
Maine.) 

'  Gùcrln  (Maurice  de).  Quelques  lettres  inédites.  Lyon,  Vilte.  In-8,  de  39  p. 
'  Gunthcr  (E.).  Die  Qucllcn  der  Fabeln  Florians.  Programme  de  Plauen.  In-4 
de  3't  p. 

*  Harkcnscc.  Mmo  de   Genlis.  Programme   de    Hambourg.   In-8,  de   46  p. 
Prix  :  2  mark  50. 

Helmbold.  Die  Sprachc  in  den  Werken  Richelieus.  Programme  de  Cobourg. 
In-4,  de  16  p. 

Joiislin  de  la  Salle.  Souvenirs  sur  le  Théâtre- Français  (1833-1837),  annotés 
et  publiés  par  G.  Mon  val  et  le  comte  Fleury.  Paris,  Emile  Paul.  In-8,  de 
128  p.  Prix  :  5  fr. 

Ka«tner  (L.-E  ).  and  Aftklns  (M.-G.).  Short  history  of  Frcnch  literature. 
London,  Blackel  and  Son.  In-8,  4  sh.  6  d. 

^Kcrviler(René).  Répertoire  général  de  bio-bibliographie  bretonne,  avec  le 
concours  de  MM.  A.  Apuril,  X.  de  Bellevue,  A.  Berger,  F.  du  Bois  Saint- 


LIVRES   NOUVEAUX.  C81 

Sévrin,  R.  de  l'Kstourbeillon,  A.  Galibourg,  etc.  Livre  Ier  :  les  Bretons:  ln-8. 
T.  XII,  35  fasc.  :  Dez-Dreg.  Rennes,  Plihon  et  Hervé. 

Kattner  (M.)-  Vaucenargues.  Programme.  Berlin,  Gartner.  In-4,  de  27: p. 
Prix  :  1  mark. 

Labadle  (Ernest).  Iss  imprimeurs-libraires  de  V ancienne  paroisse  Sainte- 
Colombe  de  Bordeaux.  Bordeaux,  Demachy.  In-8,  de  x-io  p.  ;. 

Laeordaire  (Le  P.  H.  0.).  Œuvres  posthumes.  Conférences  prtahées  à  Nancy 
en  1842  et  1843,  publiées  par  les  soins  du  R.  P.  Tripier.  Paris,  Poussielgue. 
2  vol.  in-16.  Tome  Ior,  xv-33'*  p.  ;  t.  II,  334  p. 

La  Montait  (de).  Un  outre -mer  au  XVIIe  siècle.  Voyages  au  Canada  du 
baron  de  La  Ilontan,  publias  avec  une  introduction  et  des  notes  par  François 
de  Nion.  Paris,  Pion.  In-16,  de  xix-339  p. 

Laraprerht  (F.).  Die  mundartlichen  Worte  in  den  Romancn  und  Erzâhlungen 
von  A.  Theurict.  Programme.  Berlin,  Gartner.  In-4  de  27  p.  Prix  :  1  mark. 

Layns  (Lucien).  La  Librairie,  F  Édition  musicale,  la  Press*,  la  Reliure,  l'Affiche 
à  l'Exposition  universelle  de  4900.  Paris,  Cercle  de  la  librairie.  In-8,  non 
paginé. 

Le  Bldoi»  (Georges).  De  comwdia  et  de  nostratibus  scenicis  poetis  quid  judi- 
caverit  Bossuetius  ^thèse).  Paris,  Poussielgue.  In-8,  de  99  p. 

Le  Bldoi*  (Georges).  De  l'action  dans  la  tragédie  de  Racine  (thèse).  Paris, 
Poussiclgne.  In-8,  de  vni-337  p. 

Lecoiute  (L.  Henry).  Napoléon  et  V Empire  racontés  par  le  théâtre  (1797* 
1899).  Paris,  Raux.  In-8,  de  vi-547  p. 

Levranlt  (Léon).  L'Épopée.  Évolution  du  genre.  Paris,  Delaplaue.  In-8,  de 
112  p. 

Madeleine  (Jacques).  Quelques  poètes  f nuirais  des  XVI'  et  XV //"  siècles  à 
Fontainebleau.  Fontainebleau,  Bourges.  In-16,  de  ni-39i-  p. 

Marti  nenr  lie  (E.).  Quatenus  tragicomœdia  de  Calisto  y  Melibea  rulgo  Celés* 
tina  dicta  ad  infurmnndum  llispaniense  theatrum  valuerit  (thère).  Nîmes,  Impri- 
merie coopérative.  In-8,  de  127  p. 

Michelet  (J.).  L'oiseau.  Étude  par  François  Coppée.  Paris,  Calmann  Lévy. 
In-16,  de  xv-390  p.  Prix  :  3  fr.  :>0. 

Molière.  Les  Précieuses  ridicules,  comédie  publiée  conformément  au  texte 
de  l'édition  des  Grands  écrivains  de  la  France  avec  une  vie  de  Molière,  une 
notice,  une  analyse  et  des  notes  par  G.  Lanson.  Paris,  Hachette.  Petit  in-10, 
de  104  p. 

Monflier  (Georges).  Légendes  et  anecdotes  sur  le  barreau  français,  disçours- 
Rouen,  Gy.  Petit  in-8,  de  18  p. 

Navarre  (Octave).  Essni  sur  la  rhétorique  grecque  avant  Aristote,  thèse. 
Paris  f  Hachette.  In-8,  de  xv-34.">  p. 

Neton  (Albéric).  Sieyès  (1748-1830!,  d'après  des  documents  inédits.  Paris, 
Perrin.  In-8,  de  404  p. 

Oaalp-Loarlé.  La  philosophie  sociale  dans  le  théâtre  d'Ibsen,  thèse.  Paris, 
Alcan.  In-8,  de  184  p. 

Pari»  (Gaston).  Poèmes  et  légendes  du  moyen  âge.  Paris,  Société  d'édition 
artistique.  In-8  carré,  de  viu-209  p. 

Panthe  (l'abbé  L.).  Bmtrdaloue,  d'après  des  documents  nouveaux.  Les  maî- 
tres de  la  chaire  en  France  au  xvn"  siècle.  Paris,  Lecoffre.  In-8,  de  539  p.  " 

PelllHHon  (Jules).  Jules  Dufaure  à  Bordeaux;  Victor  Hugo,  George  Sand  et 
Alexandre  Dumas  à  Cognac.  La  Rochelle,  Tcxier.  In-8,  de  12  p.  (Extrait  du  Bulr 
le  tin  de  la  Société  des  archives  de  la  Saîntonge  et  de  VA  unis). 

Pilon  (Albert).  Un  romancier  populaire  :  Alexandre  Dumas  (1802-1870).  Corn- 
piégne,  Lcfebvre.  In-16.  do  71  p. 

Pogge.  Les  Facéties.  Traduction  nouvelle  et  intégrale,  accompagnée  des 
Moralité  z  de  Guillaume  Tardif,  suivie  de  la  Description  des  bains  de  Bade 
(xv«  siècle)  et  du  dialogue  a  Un  vieillard  doit-il  se  marier?  «.Édition  annotée, 


682  revue:  d  histoire  LITTERAIRE  DE  LA  FRANCE. 

précédée  d'une  notice  par  Pierre  Des  Brandes.  Paris,  Garnicr.  In-18  jésus,  de 
lxix-481  p. 

Prenssner  (0.)-  Élude  sur  les  poésies  diverses  de  Jean  Racine,  Programme  de 
Stolpe.  In-8,  de  55  p. 

Prost  (J.-C.  Alfred).  Famille  d* artistes  :  les  Thénards.  Paris,  Leroux,  ln-8, 
de  326  p. 

Payol  (Mgr  P.-E.).  Vauteur  du  livre  De  imitatione  Chrisli.  Deuxième  sec- 
tion :  Bibliographie  de  la  contestation.  Paris,  Retaux.  In-8,  de  267  p.  Prix  :  5  fr. 

Quentin  (le  R.  P.  Henry).  Jean- Dominique  Mansi  et  les  grandes  collections 
Conciliaires,  élude  d'histoire  littéraire  suivie  d'une  correspondance  inédite  de 
Baluze  avec  le  cardinal  Gasanate  et  des  lettres  de  Pierre  Morin,  Hardouin, 
Lupus,  Mabillon  et  Mont  faucon.  Paris,  Leroux,  in-8,  de  272  p. 

Qnesnel  (le  P.  Pasquier),  prêtre  de  l'Oratoire.  Correspondance  sur  les  affaires 
politiques  et  religieuses  de  son  temps,  publiée  avec  des  notes  par  Mmc  Albert 
Le  Roy.  Paris,  Perrin.  2  vol.  in-8.  T.  lor,  de  xiv-431  p.:  t.  II,  408  p. 

Quel  (Edouard).  La  puissance  du  théâtre  en  France.  Paris,  Vanier.  In-16,  de 
47  p.  Prix  :  1  fr.  50. 

Bavaissou  (Félix).  Un  portrait  de  Marguerite  de  Valois.  Paris,  Leroux.  In-8, 
de  3  p.  et  grav.  (Extrait  de  la  Revue  archéologique.) 

Bevilioat  (Ch.).  Essais  de  philologie  et  de  littérature.  (Les  mots  «  méchant  » 
et  «  paire  »;  les  Dialogues  de  Féneion  sur  l'éloquence;  Voltaire  et  le  duc  de 
Richelieu;  la  Légende  de  Boileau.)  Montpellier,  Hamelin.  ln-8,  de  483  p. 

Hlgal  (Eugène).  Victor  Hugo  poète  épique.  Paris,  Société  française  d'impri- 
merie et  de  librairie.  In-i8  jésus,  de  xxxvm-332  p. 

Bohnstrom  (0.).  Étude  sur  Jean  Bodel,  thèse.  Upsal,  Almqvist  et  Wiksell. 
Id-8  de  xvi-207  p. 

Bosenthal  (Léon).  La  peinture  romantique.  Essai  sur  révolution  de  la  pein- 
ture française  de  1815  à  1830  (thèse).  Paris,  May.  Iu-4,  de  vn-337  p. 

Bonssct  (Henry).  La  Presse  à  Grenoble.  Histoire  et  physionomie  (1700-1900). 
Grenoble,  Gratter.  In-8,  de  xix-101  p. 

Saint-Fonds  (de)  et  Dugas.  Cotrespondance  littéraire  et  anecdotique  entre 
M.  de  Saint-Fonds  et  le  président  Dugas,  membres  de  l  Académie  de  Lyon  (171 1- 
1730),  publiée  et  annotée  par  William  Poidebard.  Tome  Ier.  Lyon,  Paquet.  In-8 
carré,  de  lviii-297  p.  et  grav. 

Saint-Pierre  (Bernardin  de).  Paul  et  Virginie;  la  Chaumière  indienne.  Notice 
par  Anatole  France.  Illustration  de  Paul  Leroy.  Paris,  Lcmcrre.  ln-4,  de  lxvii- 
431  p. 

Sareey  (Francisque).  Quarante  ans  de  théâtre  (feuilletons  dramatiques). 
Tome  1er  :  la  Comédie-Française;  Souvenirs;  les  Lois  du  théâtre.  Paris,  Biblio- 
thèque des  Annales  politiques  et  littéraires.  In-18  jésus,  de  vn-404  p.  et  por- 
trait. Prix  :  3  fr.  50. 

Schmldt  (Charles).  Un  coitrs  de  bibliographie  à  la  fin  du  XVIIIe  siècle.  Be- 
sançon, Jacquin.  In-8,  de  23  p.  (Extrait  du  Bibliographe  moderne.) 

Sebwrabe  (P.).  Michel  de  Montaigne  als  philosophischer  Charaktcr.  Disserta- 
tion de  Leipzig.  In-8,  de  191  p. 

Séc  (Henri).  Les  idées  politiques  de  Saint-Simon.  fsogent-le-Rotrou,  Daupeley- 
Gouverneur.  In-8,  de  23  p.  (Extrait  de  la  Revue  historique.) 

Troubat  (Jules).  Une  amitié  à  la  d'Arthez  (ChampÛeury,  Courbet,  Max  Bu- 
chon),  suivi  d'une  conférence  sur  Sainte-Beuve.  Paris,  Duc.  In-18  jésus,  de 
360  p.  et  portraits. 

Ward  (Wilfrid).  Le  cardinal  Wiseman,  sa  vie  et  son  temps  (1802-186o).  Tra- 
duit de  l'anglais  par  l'abbé  Joseph  Cardon.  Paris,  Lecoffrc.  Tome  Ier.  In-18 
jésus,  de  x-627  p. 


CHRONIQUE 


—  La  mort  qui  avait  fait  de  si  grands  vides  dans  le  Conseil  d'administration 
de  la  Société  d'histoire  littéraire  de  la  France,  au  cours  du  précédent  tri- 
mestre, ne  nous  a  pas  épargnés  pendant  celui-ci,  et  cette  fois  encore  elle  nous 
a  frappés  à  la  tête. 

Le  2.'î  août  dernier,  le  premier  en  date  de  nos  vice-présidents,  M.  Louis  Pe- 
tit de  Jitlleville,  professeur  à  la  Sorbonne,  est  mort  à  l'âge  de  cinquante-neuf 
ans,  succombant,  comme  Armand  Colin,  dans  la  force  de  l'âge  et  lorsque  de 
nombreuses  années  semblaient  promises  à  son  activité  intellectuelle.  11  faisait 
partie  du  petit  groupe  de  ceux  qui  songèrent  à  créer  une  Société  d'histoire 
littéraire  de  la  France  et  unirent  leurs  efforts  pour  y  réussir.  Le  .concours  que 
M.  Petit  de  Julleville  nous  apporta  alors  sans  réserve  nous  fut  précieux,  car  il 
avait  Part  de  gagner  les  sympathies  par  la  bonne  grâce  de  ses  manières  et  de 
les  retenir  par  une  aménité  de  caractère  pou  commune  qui  donnait  à  sou  com- 
merce un  agrément  particulier.  Trop  absorbé,  dans  la  suile,  pour  prendre  une 
part  très  active  à  nos  travaux,  il  les  suivait  du  moins  avec  attention  ,  ne  man- 
qu  ùt  aucune  de  nos  réunions,  où  la  sûreté  de  son  jugement  et  le  charme  insi- 
nuant de  sa  parole  étaient  toujours  appréciés. 

La  mort  nous  a  porté  un  coup  cruel  en  nous  privant  brusquement  de  c 
onsciller  aussi  sage  qu'éclairé,  et  c'est  avec  une  émotion  profonde  et  une  gra-e 
titude  respectueuse  que  nous  saluons  ici  le  souvenir  de  cet  honnête  homme, 
qui  accomplit  son  devoir  avec  la  bienveillance  souriante  d'un,  sage  et  sut  aimer 
le  beau  et  faire  le  bien  sans  ostentation,  comme  il  convient  à  celui  qui  a  mis  en 
lui-même,  dans  la  satisfaction  de  son  goût  et  le  témoignage  de  sa  conscience, 
sa  propre  récompense. 

—  M.  Ferdinand  Brunetière  a  étudié  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  (15  mai) 
Un  épisode  de  la  vie  de  Ronsard  :  sa  lutte  avec  les  poètes  calvinistes  et  les  occa- 
sions qui  lirent  d'un  versificateur  assez  peu  soucieux  du  présent  le  poète 
enflammé  des  Discours  des  misères  de  ce  temps.  M.  Brunetière  s'efforce  de 
«  montrer  quel  «  citoyen  »  ce  poète,  cet  artiste,  cet  incomparable  inventeur  de 
rythmes,  d'images  et  de  mythes,  est  devenu,  dès  qu'il  Pa  voulu,  ou  plutôt 
et  pour  mieux  dire,  dès  que  les  circonstances  l'ont  exigé  ».  Et  la  raison  qui 
poussa  Ronsard  à  agir  de  la  sorte  fut  celle-ci,  au  sentiment  de  M.  Brunetière  : 
«  Il  n'a  vu  tout  d'abord  dans  la  guerre  civile  que  l'horreur  de  cette  division  de 
la  patrie  contre  elle-même,  et,  catholique  jusqu'alors  tiède  ou  indilFérent, 
c'est  son  patriotisme  qui  Pa  rangé  dans  le  camp  qu'il  a  choisi;  je  ne  vois  pas 
pourquoi  j'hésiterais  à  dire  :  c'est  son  nationalisme  ».  H  nous  suffit  de  signaler 
cette  thèse,  à  laquelle  se  mêlent  des  préoccupations  beaucoup  trop  actuelles 
pour  que  nous  puissions  faire  autre  chose  que  l'indiquer  ici. 

—  Sous  ce  litre  :  Saluste  du  Bartas  et  ses  éditeurs  parisiens,  le  duc  do  Fezensac 
a  publié  dan*  le  Bulletin  du  bibliophile  du  15  mai  un  traité,  dont  l'original  est 
conservé  dans  les  minutes  de  M0  Lanncs,  notaire  à  Solomiac  (Gers),  et  par 
lequel  le  poète  prend  des  engagements  avec  Abel  Langelier  et  Timolhée  Jouan, 


*8*  REVUE   D'HISTOIRE    LITTÉRAIRE    DE    LA    FRANCE. 

les  libraires  parisiens  bien  connus,  pour  une  édition  de  ses  œuvres,  à  raison  de 
«  cent  trente  trois  escuz  sol.  un  tiers,  dans  le  terme  de  dix  mois  prochains  à 
compter  de  ce  jour  d'hui  »  (24  juillet  1585). 

—  M.  G.  Michaut,  qui  a  fait  une  étude  si  attentive  et  si  raisonnée  du  texte  de 
Pascal,  vient  de  publier  en  une  brochure  séparée  le  Discours  sur  les  passions 
de  r Amour,  ignoré  pendant  deux  siècles,  découvert  par  Victor  Cousin  au 
milieu  de  papiers  jansénistes  l'attribuant ,  il  est  vrai,  simplement  à  Pascal, 
mais  qui  semble  si  bien  authentique  qu'on  a  dit  fort  justement  de  lui  en 
une  formule  heureuse  qu'il  semblait  être  «  une  transformation  profane  de  la 
philosophie  même  des  Pensées  ».  C'est  un  sacrifice  de  Pascal  au  goût  de  son 
temps  pour  le  bel  esprit.  M.  Michaut  a  brièvement  examiné,  dans  sa  préface, 
les  nombreuses  questions  que  cet  opuscule  soulève  et  il  a  résumé  d'un  mot  les- 
opinions  émises  à  ce  sujet.  «  Mais  Pascal,  comme  il  le  dit,  est  plus  qu'un  bel 
esprit.  11  ne  se  contente  pas  d'effleurer  agréablement  la  surface  des  chose?. 
Par  nature  et  par  habitude  de  savant,  il  les  pénèlre,  il  va  au  fond...  Or,  il  n'est 
pas  étonnant  que  son  analyse  aiguë  ait  atteint  la  racine  même  et  l'essence 
des  passions.  »  Pour  en  mieux  faire  sentir  la  profondeur,  M.  Michaut  a  accom- 
pagné ces  pages  d'un  commentaire  philosophique  qui  marque  les  renconlres- 
de  Pascal  avec  lui-même  aussi  bien  qu'avec  ses  contemporains. 

—  L'Amateur  d'autographes  signale  (15  septembre  \  un  manuscrit  autographe 
de  Bachot  de  Mé/.iriac  contenant  un  Discours  sur  ta  traduction  et  conservé 
actuellement  dans  la  collection  de  M.  E.  de  Hefuge.  Notre  confrère  reproduit 
même  en  fac-similé  un  fragment  de  ce  discours  dans  lequel  Bachet  de  Mézi- 
riac  accuse  Amyot  d'avoir  interverti  en  plus  de  deux  mille  endroits  le  texte  de 
Plutarque. 

—  Sous  ce  titre  Une  prétendue  seconde  édition  du  Dictionnaire  de  l'Académie, 
M.  l'abbé  A.  Tougaiid  revient  dans  le  Bulletin  du  bibliophile  (15  août)  sur  les 
éditions  hollandaises  faites  au  xvnc  siècle  du  Dictionnaire  de  l'Académie.  Nous 
avons  déjà  eu  l'occasion  de  parler  de  cette  question  (t.  IV,  1807,  p.  317),  d'après 
la  Bibliothèque  de  V École  des  chartes.  Mais  M.  Tougard  analyse  dans  son  article 
deux  feuillets  d'errata  qui  terminent  le  volume  qu'il  a  étudié  et  relèvent  571 
fautes  de  l'édition  originale  publiée  par  l'Académie.  Toutes  ces  rectifications 
ne  sont  pas  insignifiantes  et  sans  intérêt.  Elles  montrent  avec  quelle  attention 
on  avait  étudié  l'impression  de  l'Académie,  attention  qui  avait,  d'ailleurs,, 
abandonné  en  partie  les  imprimeurs  hollandais  au  cours  de  leur  propre  publi- 
cation, car  celle-ci  n'est  pas  exempte  do  coquilles  et  d'erreurs  :  J'ortographe, 
en  particulier,  est  irrégulière  et  fantaisiste,  et  on  trouve  parfois  des  exemples 
condamnés  ailleurs.  Ceci  ferait  croire  que  les  libraires  hollandais  seuls  eurent 
part  à  la  préparation  de  la  contrefaçon  et  que  les  libraires  parisiens  n'y 
furent  pour  rien,  quoiqu'on  ait  paru  penser  le  contraire. 

—  M.  le  marquis  de  Granges  dk  Surgères  a  publié  dans  le  Bulletin  du  biblio- 
phile (15  août)  une  lettre  inédite  de  La  Rochefoucauld,  dont  l'original  est  con- 
servé parmi  les  autographes  du  Musée  Uobrée,  à  Nantes.  Mlle  n'est  pas  datée,, 
mais  elle  parait  être  d'octobre  1037,  c'est-à-dire  quelque  peu  postérieure  à  la 
lettre  la  plus  ancienne  en  date  qu'on  connaisse  de  La  Rochefoucauld.  Celui-ci 
se  défend  de  connaître  la  retraite  de  Mme  de  Chevreuse  et  prie  le  comte  de 
Chavignv,  auquel  il  s'adresse,  de  l'aider  à  faire  voir  son  innocence. 

—  M.  Henry  Volnky  publie  dans  la  Renie  dWnlennc  et  d'Argonne  de  juin 
dernier  Une  bttre  inédite  d"  ha  y  le  et  an  poème  français  à  la  mémoire  de  Bayle. 
La  lettre  est  datée  de  Rotterdam  le  1,M  octobre  lt>',)3  et  adressée  à  Pinsson  des 
Riolles.  avocat  au  Parlement  de  Paris.  Bayle  y  exprime  surtout  des  actions  de 
grâces  pour  les  services  que  son  correspondant  lui  rendait  en  s'entremettant 


CHRONIQUE.  685 

pour  lui  faire  parvenir  des  livres.  On  apprend  pourtant  qu'à  cette  date  le  Dic- 
tionnaire critique,  qui  devait  paraître  en  1695,  n'avait  que  six  feuilles  d'impri- 
mées. 

Quant  au  poème  qui  accompagne  cette  lettre,  il  est  sans  intérêt  et  émane 
d'un  médiocre  faiseur  de  vers  dont  le  nom  n'a  pas  été  découvert. 

—  M.  P.  Toldo  a  publié  dans  le  Giornale  storico  délia  letteratura  italiana 
(vol.  xxxix,  fasc.  I)  une  étude  intitulée  Dell1  «  Espion  »  di  Giovanni  Paolo 
Marana  e  clclle  sue  attinenze  con  le  «  Lettres  persanes  »  del  Montesquieu.  M.  Toldo 
énumère  de  nombreux  points  de  contact  entre  les  deux  œuvres  et  il  est  très 
vraisemblable  que  Montesquieu  connut  et  pratiqua  le  livre  de  Marana.  Mais  il 
importe  de  faire  la  remarque  que  l'inspiration  que  Montesquieu  put  eu  tirer 
s'arrèle  à  l'idée  originale  de  faire  juger  la  société  contemporaine  par  des  voya- 
geurs étrangers  et  aussi  à  quelques  détails  secondaires.  L'esprit  des  deux  œuvres 
est  tout  différent,  puisque,  tandis  que  l'ouvrage  italien  fait  surtout  la  narration 
de  l'histoire  de  son  temps,  le  livre  français  éveille  des  comparaisons  inévi- 
tables et  provoque  des  jugements  sur  ce  qui  existe  en  France  par  des  rappro- 
chements continuels,  et  pour  ainsi  dire  naturels,  avec  ce  qui  se  passe  dans  le 
pays  d'origine  du  voyageur,  étonné  de  ces  divergences  qu'il  note  avec  soin. 

—  La  Revue  blanche  du  i5  mars  a  mis  au  jour  une  dizaine  de  Lettres  inédites 
de  Sophie  Arnould.  Elles  sont  adressées  à  une  amie,  M,no  Verniquet  de 
Lagrange,  et  datent  de  la  fiu  de  la  vie  de  l'artiste  et  aussi  de  la  fin  du  siècle. 
Ce  sont  des  billets  pleins  de  bonne  grâce  et  d'entrain,  en  dépit  de  la  vieillesse 
venue  et  de  la  pauvreté,  dans  lesquels  la  spirituelle  femme  se  montre  à  son 
avantage,  sous  un  jour  favorable  et  vrai. 

—  L'Amateur  d'autographes  du  15  juillet  a  inséré  une  lettre  assez  inattendue 
de  Sainte-Beuve  au  préfet  de  police  Boittellc  à  l'occasion  delà  Sapho  au  sculp- 
teur Mathieu  Meusnier,  dont  le  modèle  avait  été  incarcéré  pour  quelque 
méfait.  «  Ce  modèle  qui  n'en  est  pas  un  de  tout  point,  disait  Sainte-Beuve,  ne 
s'est  point  correctement  conduit  et  au  beau  milieu  de  la  statue  s'est  fait 
arrêter  et  condamner  à  un  an  de  prison.  Le  tribunal  de  police  correctionnelle 
n'est  pas  comme  l'Aréopage  et  la  Sapho  n'a  pas  pensé  au  moyen  de  défense  de 
la  Phryné.  Il  en  résulte  pourlant  que  mon  pauvre  ami  Mathieu  Meusnier  n'a 
plus  son  modèle,  et,  en  deux  mots,  il  réclame  de  votre  bienveillance  une  entrée 
aux  Madelonnettes  (c'est  là  que  la  Sapho  est  recluse)  et  l'autorisation  de  faire 
mouler  sur  place  ce  beau  torse  introuvable  »  (16  août  1863).  Rien  n'indique 
l'accueil  qui  fut  réservé  à  cette  requête  peu  banale. 

—  Les  notules  sur  Baudelaire  publiées  par  M.  Henri  Cordier  dans  le  Bulletin 
du  bibliophile  (15  mai)  se  composent  surtout  d'une  longue  lettre  adressée  par 
le  poète,  le  21  janvier  1856,  à  Toussenel,  qui  ne  se  trouve  pas  insérée  dans  sa 
correspondance.  C'est  une  belle  page  écrite  à  l'occasion  de  l'envoi  d'un  volume 
de  Toussenel,  dans  lequel  Baudelaire  démêle  avec  justesse  le  fort  et  le  faible  : 
le  sentiment  de  la  nature  et  aussi  un  reste  de  fouriérisme  qui  gâte  bien  des 
passages  d'une  philosophie  moins  étroite. 

—  M.  Victor  Girauo  poursuit  avec  persévérance  —  nos  lecteurs  le  savent 
bien  —  l'enquête  qu'il  a  entreprise  sur  Taine,  son  œuvre  et  son  influence.  Tandis 
qu'il  publie  ici  même  le  relevé  précis  et  méthodique  des  propres  ouvrages  de 
Taine,  donnant  ainsi  aux 'travailleurs  d'utiles  éléments  d'information,  il  insère 
dans  un  autre  recueil  périodique,  la  Quinzaine,  une  étude  plus  personnelle  qui 
est  à  la  fois  l'étude  de  l'esprit  de  Taine  et  celle  de  ses  livres,  un  essai,  par 
conséquent,  de  biographie  psychologique.  Le  fragment  qui  a  paru  dans  le 
numéro  du  16  juin  embrasse  la  portion  de  la  vie  intellectuelle  de  Taine  qui  va 
du  La  Fontaine  à  ['Histoire  de  la  littérature  anglaise,  en  passant  par  le  Tite- 


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:•:   :  il-  M.  »i  : •  -  :    -  •  *  ?\\-   : .  - .*  :  : :- . :. i.  i  r •:.*■  -  :    N :  -?  kt.«  i: ', i*  alors  sor 

—  M.  E. .-::..  5s -s--  :  .-  :..-:  :;  ::•  :r-~:  ie«  i-«*il:j«  -.-iic:«  elle 
v.iev  :-  >•  :^:.  ;•.-  ï.:-.:.  .r-  A;--*  ,J~ *-..".:  :--:-s  R:-:ï~i3.  arr-.s  M-' de 
,V.ir..  -'.  *-..::t  >:..-.-_  ;  :_:.-:  --•  :.-•■:. -r.  V::.yr  Li*;:»-!.-/.  •-■=■!:!  d'élre 
i"v .  :  i=  :.  :  r  *  :  -  :■:  :.  ■  .  ?  -  :  e  :  ■  • . .:  i*  -  :  :*  r\i  :..  .■::.*  ï-jzi  :  -e  :  pi-cëdem- 
:i.-...\  L\  :.>-.*■..  "...  :  ■.  -rr:  ...  :  -.  .  A  ■■-  :-  r..e  :'  i--;.*.*r.  Kru-u  .  ..i  «Liait: 
.  L-  foi-ri  '...  ;.-.'.-  .  *  -.  •..  e*:  :  j.  ii.;-.  .r  P:.:..u.  **«  One.-jrje*.  nous 
•/*.:  -:*.  -  -  *..■.•■■..:-:  -  -t  -  -  *»:eî.  :--:*-  0?*:  tii::.  ?;  on  se  con- 
It:. ■■;  .:-  :-.: .  i>:  -.-:::.::  jr.-  >-  i*--:  .iav.*.  M.  Ei.:-.-!.-  II.::.:  a  voulu 
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1^  l^-i:  --.-  .*  .  :..i  .'  -  :.:  . .-  ::.'-:';  _-.:.-  •;*  :'■::. r"  ir.  Mii*  ^1  'rai: 
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-•-l:  »  -  :  .  :.-.:;■■::-  -.  ..;  t?  :t.t.-:.  -  :.::  .::::i^L  «r*  mii^'^M  rare- 
r.--i:  ..  -.._..:  ..-.  -:.  .  -  .-  a:  .  ;  ;-  .-::;:;  -„\  ^:-:.:  l*rx.s:ci:e  :"-;  eiempte 
ir  ■.■  -:  :  ..-;.■.-;  -\  :-  •    .:     :     ..-.  -I.rr.  ■;-..:.■.  ■:•:  ::.>:t  A::rei  de  Y,.-:.}-:  Si  ù:i 

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lr:::r  :t  V..-.-.  ...-:..--.  r.  t  ::.:-  :::  .»  :".:.  ^:.  .-.  -i:  ri  r^>::.  ::-i  vrt  d'un 
rr.T...e„-  T-.-r  .-.■:.■:.-.:  j.r  . -.  :-;.  ;.  ;  _:r  :  -  :  ■■:*.  Eilr?  r.-  c  j:i?i'i-rent 
:■:-.  :.:■..  -i  .  ■„:  ^^:  . .--  ;  er^  ::.-  i .  r-.r  rr. -..i  :r  .*.  ;u'a".  fc:-n:!::v  :  j;  aë;rit 
■>  :  .  rv  ;.:.■  :.:.•  :.■?..■-■*  a  '.-r.  ..r  .  •  «  e.2:  s  ■:::.»".:-.:;  r:i  i..i-mênic 
.-:  :t  .-.t. -ï:  :-  —  *  ,--Ti  .  »-.:  ...  ..  r*.  .>....:»  •;  r:.:  *  i  ''iiue$i 
.-  ;t:-:.-:  •::.:■  .>-  ..--  :; ":::^.t*  -:  !t?  ::.t  .  ;::-.-**  i-.::^u-rf  *:  ïi:-:»iernes 
-  - --.  *  --  "--".  .  ..'.  \ .-  :  -.-  .t?  -ir-r.r.-.rT  »:■*  .r*  :  ■-  _-::or  i*.:.?  i-?  .vre».  ni 
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■.    :i  :  r.-îTr:.'-.*o:   !  ;.vuil 

m  ;r  J.  ja  n:-.-r--.  M      de  Ku- 


CHRONIQUE.  687 

dens,  qui  habitait  la  Chalosse,  un  coin  de  la  Gascogne  attenant  au  Béarn.  11 
eut  l'occasion  d'y  venir  à  deux  reprises  et  c'est  ainsi  qu'il  put  éprouver  certaines 
sensations  qu'il  a  ranimées  dans  sa  prose,  car  l'œuvre,  annoncée  dès  1830,  ne 
fut  commencée  que  vers  185 i  et  parut  seulement  en  1863.  Les  réminiscences 
des  voyages  de  Gautier  en  Chalosse  sont  frappantes  et  c'est  à  bon  droit  que 
M.  Paul  Lafond  les  a  notées. 

—  M.  Louis  Farges donne  dans  la  Revue  de  Paris  (1er  août)  une  esquisse  très 
fine  de  la  vie  de  Lamartine  à  Florence,  où  il  fut  nommé  secrétaire  de  légation 
en  octobre  1825  et  où  il  séjourna  deux  ans  environ.  Diplomate  un  peu  crédule 
et  naïf,  Lamartine  ne  lit  pas  à  cet  égard  une  besogne  bien  bonne,  car  il  était 
alors  un  peu  trop  épris  de  lui-même  pour  observer  l'extérieur  avec  la  netteté 
d'esprit  désirable  dans  sa  situation.  Mais  il  causait  avec  abandon  avec  le  grand 
duc,  prenait  contact  avec  une  nature  dont  il  ne  devina  pas  toute  la  réserve, 
mais  dont  il  pénétra  suffisamment  le  caractère  pour  en  sentir  la  bienveillance 
native  et  l'indulgence  de  grand  seigneur.  Avec  les  ministres  toscans,  surtout 
avec  Vittorio  Fossombroni,  et  avec  ses  collègues  des  légations  étrangères,  Lamar- 
tine était  moins  en  sympathie  et  en  confiance,  quoique  les  rapports  fussent 
toujours  courtois  et  amicaux.  Mais  il  se  mêlait  avec  plaisir  à  l'aristocratie  flo- 
rentine, si  séduisante  par  ses  grâces  séculaires,  et  aussi  à  l'aristocratie  étran- 
gère qu'attirait  en  ce  lieu  la  douceur  d'y  vivre.  M.  Farges  n'a  pas  manque 
de  noter  et  de  reproduire  quelques  croquis  tracés  ainsi  par  Lamartine.  Ce 
sont  aussi  bien  des  documents  pour  la  propre  histoire  de  celui  qui  les  traça 
que  pour  l'histoire  du  pays  et  du  temps  qui  en  furent  les  occasions. 

—  La  Revue  des  Revues  publie  (1er  juin),  sous  la  signature  Renée  d'ULMÈs, 
quelques  détails  inédits  sur  l'enfance  et  la  première  jeunesse  de  Guy  de  Mau- 
passant,  à  la  mémoire  duquel  on  a  solennellement  inauguré  ces  temps  der- 
niers un  monument  à  Rouen.  Cet  article  est  accompagné  de  vers  inédits  de 
Maupassant  datés  de  1868  et  intitulés  Dernière  soirée  avec  une  maîtresse,  qui 
n'apprendront  rien  à  ceux  qui  les  liront,  si  ce  n'est  le  chemin  parcouru  par 
le  jeune  poète  pour  devenir  le  prosateur  qu'il  fut. 

—  M.  Georges  Monval,  qui  a  tant  fait  pour  l'histoire  du  Théâtre- Français 
auquel  il  appartient  comme  secrétaire-archiviste,  a  eu  la  pensée  de  dresser  la 
Liste  alphabétique  des  sociétaires  depuis  Molière  jusqu'à  nos  jours.  Nous  n'avons 
pas  manqué  de  signaler  le  développement  de  cette  énumération  au  fur  et  à 
mesure  qu'elle  se  déroulait  dans  les  pages  de  V Amateur  d'autographes.  Aujour- 
d'hui qu'un  tirage  à  part  en  a  été  fait  il  convient  d'en  annoncer  la  publication, 
car  il  rendra  des  services  signalés  à  tous  ceux  qui  s'intéressent  au  passé  de 
notre  grande  scène  dramatique.  Chaque  notice  est  dressée  avec  le  plus  grand 
soin  et  la  précision  la  plus  méticuleuse.  On  y  trouve  aisément  tout  ce  qui  con- 
cerne les  artistes  :  leurs  noms,  leurs  prénoms,  leurs  surnoms,  les  dates  de  leur 
naissance,  de  leur  décès  et  des  principales  étapes  de  leurs  carrières.  Chaque 
notice  est  accompagnée  du  fac-similé  de  la  signature  du  personnage  dont  il 
est  question,  ce  qui.  en  illustrant  le  volume,  lui  donne  un  intérêt  de  plus.  Par 
une  lamentable  coïncidence,  cette  liste  s'achevait  au  moment  où  le  feu  consu- 
mait le  théâtre  de  la  Comédie-Française.  C'est  une  période  nouvelle  qui  va 
s'ouvrir  pour  elle  avec  le  xx°  siècle.  Aussi  le  relevé  si  consciencieux  de 
M.  Monval  est-il  comme  la  table  d'une  période  écoulée  du  livre  d'or  de  cette 
illustre  compagnie. 

—  M,,e  Dosne  a  récemment  fait  don  à  la  Bibliothèque  nationale  de  quatorze 
grands  cartons  renfermant  des  papiers  ayant  appartenu  à  M.  Thiers,  son  beau- 
frère. 

Ces  documents  ont,  parait-il,  un  intérêt  considérable  pour  l'histoire  politique 
de  la  France  depuis  la  Restauration  jusqu'à  la  mort  de  M.  Thiers,  pour  l'his- 
toire extérieure,  et  aussi  pour  l'histoire  littéraire  à  l'époque  du  romantisme. 


68a  REVUE    D  HISTOIRE   LITTÉRAIRE    DE  LÀ    FRANCE. 

En  livrant  ces  papiers  à  la  Bibliothèque  nationale,  Mlle  Oosne  a  mis  une  con- 
dition à  sa  libéralité  :  c'est  qu'on  les  communiquerait  au  public  seulement 
après  la  mort  de  la  donatrice. 


QUESTION 


Quelle  est  la  source  de  l'épisode  du  tisserand  dans  «  Jocelyn  »?  — 

Dans  la  neuvième  époque  de  Jocelyn,  Lamartine  a  introduit  un  épisode  assu- 
rément dramatique  et  touchant,  mais  non  moins  bizarre  qu'invraisemblable  : 
la  rencontre  par  Jocelyn  du  jeune  homme  qui  transporte  dans  la  montagne  le 
cercueil  de  sa  femme  afin  de  la  faire  enterrer  par  un  prêtre.  Cette  singulière 
aventure  est  datée  de  Valneige,  16  décembre  1803,  pendant  le  fléau  dont  les 
vers  précédents  font  le  vague  récit.  Il  semble  évident  que  ce  fléau  n'est  autre 
que  le  choléra  de  1832,  et  c'est  d'un  canut  lyonnais  que  Lamartine  raconte  ici 
l'histoire  (un  pauvre  tisserand  «  heureux  en  famille  »  autour  de  ce  métier  où 
la  tâche  rassemble).  Mais  il  semble  non  moins  évident  qu'un  homme  raison- 
nable est  incapable  d'inventer  de  toutes  pièces,  pour  l'introduire  dans  un  récit 
contemporain,  même  en  vers,  une  aventure  aussi  saugrenue.  Supposer  que 
dans  une  grande  ville  française  moderne,  sous  ou  après  la  réglementation  du 
premier  Empire,  un  ouvrier  a  la  liberté  de  fabriquer  lui-même  un  cercueil,  d'y 
ensevelir  à  lui  seul  et  secrètement  un  mort;  de  transporter  ce  cercueil  d'église 
en  église,  de  prendre  la  file  comme  à  un  guichet  de  colis  postaux,  d'être  écarté 
pour  manque  de  place,  de  rapporter  son  mort  chez  lui  pendant  deux  jours,  et 
ensuite  d'emporter  ce  cercueil  sur  son  dos  et  d'aller  vaguer  dans  la  campagne 
avec  ce  fardeau  funèbre!  Si  hors  du  temps  et  loin  des  réalités  qu'on  admette 
que  soit  Jocelyn,  il  y  a  là  une  imagination  vraiment  déconcertante,  et  si  invrai- 
semblable... qu'elle  doit  probablement  dériver  d'un  fait  vrai.  Car  on  n'invente 
pas  de  pareilles  choses  !  Il  doit  y  avoir  à  cette  narration  étrange  un  fondement 
authentique.  Pourrait-on  retrouver  dans  l'histoire  du  choléra  de  Paris  ou  de 
Lyon  (1831-1832)  le  fait  divers  qui  a  été  si  bien  développé  ici  par  Lamartine 
(quoique  avec  une  grande  négligence  de  style).  Ce  fait  a  dû  paraître  assez 
exceptionnel  et  assez  macabre  pour  avoir  eu  quelque  retentissement  dans  la 
presse  ou  les  correspondances  de  l'époque. 

Chateaufort. 


TABLE    DES   MATIÈRES 


Eugexb  Rigal.  Gomment  ont  été  composés  ■  Aymerillot  »  et  le  •  Mariage  de 

Roland  • 1 

A.  Gazibr.  Racine  et  Port-Royal 32 

Joseph  Bédier.  Chateaubriand  en  Amérique.  Write  et  Action  (fin) 59 

-Gustave  Lanson.  Los  Provinciales  et  le  livre  de  la  théologie  morale  des  Jésuites.  169 

Jules  Marsan.  Le  mélodrame  el  Cuilherl  de  Pixérécourt 196 

Cb.  Marty-Lavkatx.  Quelle  est  la  véritable  part  de  Charles  Perrault  dans  les 

contes  qui  portent  son  nom  1 221 

JIauricb  Soi  riai\  Le  roman  de  Casimir  Delavignc,  d'après  les  manuscrits  delà 

bibliothèque  du  11  ivre  {fin) 239 

^P.  Toldo.  La  Comédie  française  de  la  Renaissance  [fin) 263 

Charles  Comte  cl  Paul  Lai:momeii.  Ronsard  et  les  musiciens  «lu  xvi«  siècle...  341 

Jules  Tboubat.  Sainte-Beuve  et  les  Mémoires  d'outre- tombe 382 

Emile  Picot.  Chants  historiques  français  du  xvie  siècle  (suite) 409 

PiïirE  Brcn.  A  travers  les  manuscrits  inédits  de  Tallemant  des  Réaux  (fin)...  430 

Paul  et  Tictor  Glaciiayt.  Le  manuscrit  autographe.  d'IIcrnani 517 

Paul  Bokxekon.  Jean-Baptiste  Rousseau  et  Lenglet.  du  Fresnoy 546 

Louis  Clément.  Antoine  de  Cucvara,  ses  lecteurs  et  ses  imitateurs  français  au 

xvi*  siècle 590 

Rixe  Radoua.nt.  Recherches  bibliographiques  sur  Guillaume  Du  Vair  et  corres- 
pondance inédite  {fin) 603 

Mélanges. 

P.  Toldo.  Un  imitateur  ou  un  inspirateur  de  Rabelais 122 

£.  G  ris  elle.  Un  fragment  inédit  de  Ledieu  sur  l'éducation  du  Dauphin 126 

A.  Delroulle.  Charron  plagiaire  «le  Monl  aigne 284 

E.  Parturier.  Une  source  probable  du  fragment  de  Pascal  sur  l'infini  en  peti- 
tesse    297 

P.  B.  Louis  Racine  et  la  correspondance  de  Jean-Baptiste  Itousscaii 299 

Eugène  Ritter.  Les  enfants  de  Jean-Jacques  Rousseau 314 

Ecokxb  Rittbr.  Le  sermon  tics  Cinquante 315 

<j.  Michaut.  Sur  le  Port- Royal  de  Sainte-Beuve 316 

P.  B.  Vn  poème  inédit,  de  Claude  Perrault 4i9 

Victor  Giraud.  Bibliographie  des  oeuvres  de  Taine 173  et  645 

Léo*  G.  Pélissibr.  Les  correspondante  du  duc  de  Noailles  (suite) 624 

Comptes  rendus. 

Louis  Clément.  Henri  retienne  et  son  ivuvre  française  (Kmile  Roy) 144 

Raymond  Toinet.  Quelques  recherches  autour  des  poèmes  héroïques-épiques 

français  du  xvn*  siècle  (R.  llarmand) 148 

F.  T.  Perrfns.  La  littérature  française  au  xix''  siècle  (Pierre  Brun) 149 

Karl  Mantrics.  Skuespilkunstens  Historié  (Histoire  de  l'art  dramatique)  (Kx. 

Nyrop) 320 


690  TABLE   DES   MATIÈRES. 

Sainte-Beuve.  Causeries  du  lundi,  Portraits  littéraires  et  Portraits  de  femmes; 

extraits  avec  une  introduction  par  Gustave  Lanson  (Charles-Marc  Des  Granges).  321 

F.  Auousto  de  BENEpEirr.  Il  pessîmismo  nel  La  Bruyère  (L.  G.  Pélissier) 490 

C.   Latreillb.   La   lin   du    théâtre  romantique   et  François  Ponsard  (Marius 

Roustant 490 

Maurice  Clouard.  Documents  inédits  sur  Alfred  de  Musset  (P.  B.) 495 

Firmin  Maillard.  Le  salon  de  la  vieille  dame  à  la  tête  de  bois  (P.  B) 496 

Eugène  Rigal.  Victor  Hugo  poète  épique  (Edmond  Huguet) 666 

Prospeii  Mérimke.  Lettres  inédites  [publiées  par  Félix  Chambon]  (P.  B.) 669 

Barbey  d'Aurevilly.  Lettres  à  M.  Trébutien.  Extraits  (1843-1851)  [publiées  par 

le  comte  A.  de  Blangy]  (P.  B.) 611 

Périodiques 151,  324,  497  et  C7i 

Livres  nouveaux 157,  330,  503  et  679 

Chronique 161,  334,  507  et  683 

Questions. 

Epictète  chrétien  (Victor  Giraud) 1 07 

Benserade  ou  Bcnsserade?  (Curiosus) 167 

La  fille  de  Marceline  Desbordes- Val  more  (J.  P.) 167 

Le  manuscrit  d'un  sermon  de  Bossuet  (fi.  U.) 167 

Une  comédie  française  à  retrouver  (Kr.  Nyrot) 339 

Sur  un  chapitre  énigmatique  de  Balzac  (J.  Tbissier) 3  40 

Quelle  est  la  source  de  l'épisode  du  tisserand  dans  •  Jocelyn  »  (Ciiateauport).  688 

Réponses. 

La  fille  de  Marceline  Desbordes-Valmore  (P.  B) 168 

Sur  un  chapitre  énigmatique  de  Balzac  (P.  B.) 340 


Le  Gérant  :  Paul  Bonnefon. 


Coulommiers.  —  Jmp.  Pf  BRODARD. 


^^M 


7'  an  née»  H   4t 


15  Octobre  1&00, 


Revue 
d'Histoire  littéraire 

de  la  France 


SOMMAIRE 

l      P»»i  i  !  lftcftor  MnH*»u(    L*  Wiintriûrit  initagraphe  J'Htmi^iiI 
Vaut  «mmmH««    Jean  Baptiste  Il  nu  &t  eau  et  ieiiglât  du  Fr*8i\ny 
!.<**, u    (Imutit     AnLokno    de    Gwwira.    se*    lecteurs    a  t.  *«»  inilutenrs  Inwçatft   ait 

llmt»    itiiÊitiitt»nt     Rncherchtis-   twMingrapulques  *ur  G    du  Vair  oi  Corr**pon(Unct 

m  s  dite 

itftfJunfj™.  L*a  Corr«spociîlaiiU  du  du  a  de  NoaiUes  i  Bibuaffro- 

phb  défi  rouvres  do  Talne    /' 
II!      Cnmpt&p   rryn"  poêle  épique 

r*îi  itros  luMLu»  (|>    h  Lettre*!  do  Barbu?  d 'Aure- 

vtlîy  à  M    IroliiUïùii   h 
IV     Périodique.      -    S     Livras   nouveaux     —    V[.    Chrùhitfue, 


Librairie  Armand  Colin 

Publication  trimestrielle  de  la  Société  d'Histoire  littéraire  de  la  Franco 


Société  d'Histoire  littéraire  de  la  France 


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PrmJrm, 


►1» H  1  *  .    ,   .   . 

Vtrrilmrt 

I'rfiii3»ni 

meta. 

M.  Gaston  PARIS. 

- 
s   M,  SE R VOIS,  sn> 
1  M,  CLÉDAT,  Hojn  n  d*  : 
M.  Paul  BONNEFON, 


M-  Gaston  HUISSIER, 
M.   F.  BRONOT,    m 


Conseil   d'administration  : 


MM 

Benaesco 

Chnquet 

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Claretie  iules  ,  tta 

A'Jjii 
Franc 

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Crousle.r  •  ta  Pamllc* 

Dezeim^n  itùt,  .1 

Doumic,  I 

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Fagtiet     l  iibr*?   ,h'    l*Ara 

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Larroumet 

La  visse    Eraesl  .  M 


Lemaltre 
fru  1 1  ■ 
Lente  i 

Marge  rie 

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Monod  !': 

Nolhac    • 

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OmOUt    11^(11  l   ,  Mnillu- 

PiCOt  i.Ktmk'  ,   Mi-Miliiv  ilr  I 

Rébelluu 

Mur ,  .i  {* 

Rotisselot   i  Aii  enr  â  I|ji 

<  titUoJiqlie,  â  l' 
Tourneux 


Commission    des   Publications 


L»  BU RE A • 
MM,  A    CHUQUET 

G    LANSON 

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MM    H    OMONT 
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L'Abbé  ROUSaCLOT. 
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Notions  d'Histoire  littéraire 

lîrT  MM    H    l*Ai 
i  |    ■ 


■h:  l.i 


I 


I*  Vocabulaire  français  :  MotS  dérivés  du  Latîfl  et  du    GreCf 

4  25:  ici  1    1  5  5(J 


Psychologie  de  la  Femme,  par  bi 

3  50 


Leçons  de  Psychologie  a 

4  50 


Leçons  de  Morale 

L'Education  dam  l  Université-  îir.    4 


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THE   UNIVERSITY   OF  MiCHIGAN 
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