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^■■1
Revue
d'Histoke littézaiu
de la France
CÔULOMMIERS
Imprimerie Paul Brodard.
Revue
d'Histoiie littéiaiie
de la France
PUBLIÉE
Par la Société d'Histoire littéraire de la France
ye Année. — igoo.
PARIS
LIBRAIRIE ARMAND COLIN
5, RUE DE MÉZIÉRES
1900
Revue
d'Histoire littéraire
de la France
COMMENT ONT ÉTÉ COMPOSÉS * AYMERILLOT >
ET LE MARIAGE DE ROLAND ■
I
Parlant des poèmes qui composent sa première Légende des sïè-
Vidor Iliig-o avait écrit dans sa préface : « Deux autres (fe
Mariage de Roland, A \j mer il lut) sont des feuillets détachés de la
colossale épopée du moyen âge (Charlemagne, emperor à la barh*1
Jtort*}, Ces deux poèmes jaillissent directement des livres de geste
Je la chevalerie. » En dépit de cette affirmation, Emile Montégul,
qui regardait Aymerillot comme la perle du recueil et comme « le
poème sans égal », ne parut pas, en 18a9t douter qu'il ne fût de
l'invention de Hugo; M. Yapereau aussi, dans T Année liiténir€j en
parla comme d'une œuvre originale; et hier encore, en publiant les
variantes de cette œuvre» M. V. Glaehant Ta appelée « ce récit
poétique) issu tout entier de la fantaisie de Hugo ' »« Le poète avait
pourtant raison, et Ton sait depuis longtemps (le mot de M. Gla-
chant n'étant qu'une inadvertance) qu Aymerillot et h- Mariage de
Hotand ont été inspirés par deux chansons de geste : A y mer i de
honne et Girard de Viane, qui toutes deux sont du xin' siècle
et toutes deux ont sans doute pour auteur le trouvère Bertrand
de Bar-sur-Aube,
Mais était-ce directement, comme l'insinue la préface^ que le
îoète avait puisé aux sources du moyen âge? Girard de Viarte
1. Jf^viif* universitaire, liî mai i8H0T p. 491 (Notes OT i tiqWÊê sur trois poèmes de ta
nie des siècles : ÀymeHUot, Eviradnus, La confiance du marquis Fabrice},
Hï*. D"HI3T, MTTÉH. Ot t* FnAPfCB (7* AûQ.k— VII. 1
2 REVLE b HISTulllF. LITTKRAIIIE DE LA FlSAMlE.
avait été publié en partie dès 1*29. â Berlin, par Immanuc
Bekker1: mais Aymeri #./»» Xarl'O/tne était encore inédit, et. s'i
était difficile d'admettre qu'un porte peu érudit eut consulté 1
publication de 1829, il était à peu près inadmissible qu'il eût. pou
son Aymerillol, recouru aux manuscrits de la Bibliothèque natio
nale de Paris ou du British Mu<eum de Londres.
Pour AymeriHot. le problème a été k peu près résolu en 188
par le premier éditeur d'.l////i'r» de Xarhomte^ M. Louis Demaison
à la fin de son introdurtinn *. cet érudit a déclaré, eu effet, qu
HuîTii s'était servi d'un arlicb- ingénieux publié par Achille Jubiua
dans b* Mus':e d'*s familles de septembre 1843 sous le titre de L
1'l,i)h>mi de Itautiet/t'ii'i'''.
Au château de Dannemarie. à quelques lieues des bonis de I;
Loire, le seigneur, longtemps retenu au loin par la croisade
revient en I2T0. De grandes fêles sont données en son bonneu:
et commencent par un banquet. A l'issue de ce banquet, troi:
trouvères se funt entendre, et le premier raconte le lai d'Ignaurts
le deuxième expose I* lai du trot\ le troisième traduit ou résumi
la chanson %Y Aymeri d*> Xarhonnf. du vers I2"i au vers 77
environ. i\c dernier récit a été suivi de si près par l'auteur de /<
Légende d**s siècle qu'il devait l'avoir sous les yeux en écrivant
Et cependant ce n'est pas du Mus?*' des familles que Hugo s'es
inspiré. M. Raoul Rosières Ta brièvement indiqué dans ses remar
quables Ilecherrhes sur la jwsie contemporaine \
Trois ans après son Château */'» / *a interna ri*\ le 1 -r novembre 1846
Jubinal, en effet, avait publié dans le Journal du dimanche ui
article d'allure plus scientifique', intitulé : tjuelaues romans che.
nos a\eiu\ <« Les romans d'aventures dans le genre des Troi* mous
qnetairt's et de Monte-Cristo ».. y lisait-on. « remontent, comme oi
va le voir, beaucoup plus loin qu'on ne le croit généralement: noi
belles et tendres aïeules du xiT et du xiu" siècle ne les lisaien
point, et pour cause, mais elles se b*< faisaient lire. » Et. après a
début, l'auteur expose sur Je* poèmes carluvingiens quelque:
i. //♦*#■ Itotnnn ton Fn'rafjr'tt. /'.■■•r«-n:i/iW/. Hi::.». von Immanuel Bekker. Berlin
l>jy, in-i. I». mi >qij.. extraits de **',hnnl wh Vian:-: lVpisode célèbre par Hug<
s'y trouve au <r»mpl«:t.
2. ^jctJté </*■* '!/<»• *'H# ferle* /"'■■'«: •■*■■». IMiImI. 1 >^T. i' \n!. in-S. Voy. T. I. p. cccxxij
et suiv.
3. Le Mu**:* 'tes fanal'-*, leoluivs du soir. I»' vulimir, .innée 1*43. j». 373-318.
4. Ces deux lais, au^si bien «pie le fragment ilMi/m^ri. axaient été empnintés pal
Juhin.il à tics manuscrits de la BiMiullir-jue uatiunale.
5. It'cfirrrftrM sur la /.•>•■ i> r.vnt"v\i'-i><i-H+. 1N,,,«. in-!&. p. 2*5.
•ï. Il •■tait d'ailleurs précédé de ei*tte rnbri«|iif : Lv dimanche scientifique, p. 3
• l suiv.
« AYMEKILLOT » ET « LE MARIAGE DE ROLAND ». 3
idées générales, à l'appui desquelles il cite le même fragment
A'Âymeri dont il s'était servi déjà dans le Musée des familles.
Seulement il fait à son texte quelques corrections, et ces correc-
tions, ayant été en partie adoptées par Hugo, nous prouvent que
c'est du Journal du dimanche, non du Musée des familles, que le
poète s'est servi.
Jubinal écrit maintenant « l'empereor à la barbe florie », et non
comme autrefois « l'empereur à la barbe fleurie » : Hugo a cité
les formes archaïques dans sa préface. — Il écrit baronage au lieu
de barnage, Dreus au lieu de Drues, Beauléande au lieu de Beau-
leandre, et ce sont les formes adoptées par Hugo. — Son Charle-
magne aperçoit maintenant Narbonne « au loin et bien avant dans
les terres », « il jette un grand rire », et non un grand cri : l'un
et l'autre traits se retrouvent aux vers 24 et 77. — Dreus devient
le « fils d'un gentil chevalier » : comparez le vers 88. — Ayraeri
s'avance « du milieu de la foule » : cf. le vers 260. — L'invincible
empereur s écria, du vers 212, est textuellement dans l'article
de 1846 : celui de 1843 portait simplement « il s'écrie ». — Au
vers 283, Hugo a fait dire à Aymeri :
Je sais lire en latin et je suis bachelier;
bizarre anachronisme, qui se peut comprendre avec le texte de
1846, « je suis encore bachelier » : Hugo l'eût évité sans doute,
s'il eût vu, dans le texte de 1843, le mot bachelier accompagné de
sa traduction : « Je suis encore bachelier (jeune écuyer) l ».
Ces rapprochements sont sans doute décisifs. Et, s'ils ne
l'étaient point, il suffirait, pour savoir à quoi s'en tenir sur la vraie
source d'Aymerillot, de voir quelle est la source du Mariage de
Roland.
Aussitôt après avoir indiqué la vérité sur l'un de ces poèmes,
M. Raoul Rosières dit au sujet de l'autre qu'il a certainement été
tiré de V Histoire de la poésie d'Edgar Quinet; or, celte assertion
est certainement inexacte, le passage, très court, d'Edgar Quinet1
ne parlant ni de File du Rhône où a lieu le combat de Roland et
1. N'était ce dernier passage, on pourrait supposer que Hugo a eu sous les yeux
le texte de 1843 en même temps que celui de 1846. Ce texte place les mots • revient
d'Kspagne - immédiatement après - Charlemagne, l'empereur à la barbe ileurie »
comme dans la Légende. On y lit aussi l'épithète triste (v. 2), un long jour d'été
(variante du v. 32), un haut chevalier (var. du v. 100), notre douce France (v. 242),
C Empereur (v. 262; Journal du Dimanche : Charlemagne), demander (v. 272; J. du
Dimanche : solliciter). Ces ressemblances, beaucoup moins importantes que celles
que nous avons citées plus haut, doivent être dues au hasard.
2. Œuvres complètes, Pagnerre, 1857, in-12. T. IX, p. 343 (Histoire de la poésie,
ch. X».
» REVCf: D HISTOIRE MTTLRAIRE DE LA FRANCE.
d'Olivier, ni de l'épée Haule-Claire et de Closamont, ni de la belle
Aude, ni de plusieurs incidents qui se trouvent à la fois dans le
poème de Hugo et dans la chanson de geste de Bertrand de Bar-
sur-Aube. Il faut, ou que Hugo ait connu le texte original, ou
qu'il en ait eu sous la main une version récente, plus explicite que
l'analyse de Quinet.
Chose curieuse! cette version suivie par Hugo se trouve dans
l'article même que M. Raoul Rosières a signalé le premier. Après
ses réflexions sur les poèmes carlovingiens et son fragment sur
Ayrneri de Narbonne, Jubinal, en effet, emprunte encore un épi-
sode à Girard de Viane et un épisode à Raoul de Cambrai combat
de Raoul et d'Ernaulr, après quoi, il conclut en disant de nos
vieux romans : » L'on peut affirmer qu'il n'y en a pas un seul où
l'on ne retrouve vingt scènes pareilles, que tout le monde connaî-
trait en France, si, au lieu d'avoir eu le malheur d'être écrites
dans la langue de nos aïeux, que nous n'entendons qu'à moitié,
elles l'avaient été dans celle du Tasse, de Shakespeare ou de Lope
de Vega, que nous ne comprenons pas du tout ». L'épisode de
Girard de Viane nous montre Charlemagne mettant le siège devant
Vienne, Roland provoqué par Olivier, Olivier et Roland une
seconde fois sur le point de se battre et dérangés par Aude, enfin
le combat singulier des deux preux dans une île du Rhône. Cette
dernière partie du récit constitue la page que Huiro a suivie dans
son Mariage de Roland.
Ainsi les « deux feuillets détachés de la colossale épopée du
moyen Age m ont été en réalité détachés d'un même article de
Jubinal. Et ils l'ont été en même temps, sans doute dès la publi-
cation de l'article, en novembre 1846. Dans le manuscrit de la
légende des siècles, si diligemment décrit par MM. Paul et Victor
(Hachant1, les feuilles qui contiennent le Mariage de Roland et
Aj/merillot ont une physionomie toute spéciale; blanches et plus
petites que les autres, elles ont été collées sur le papier bleu
in-folio dont est formé le manuscrit; l'écriture aussi les distingue,
car ce n'est pas l'écriture très haute adoptée par Hugo vers 1857,
c'est « la petite écriture fine et serrée » dont usait le poète avant
l'exil.
étudions maintenant ces deux pièces. Nous insisterons surtout
sur la plus belle, sur AymerilloL
i.
ma mut:
I». «t V. (ilachant, Papier» d'autrefois, îlaohette, 18M0, in-18, p. 16-19 et 85 (Les
mérita de Victor Hur/o). Cf. l'article ci lé plus haut de la Revue universitaire.
« AYMERILLOT » ET « LE MARIAGE DE ROLAND ».
II
Puisque, par l'intermédiaire de Jubinal, Hugo se trouve imiter
Aymeri de Narbonne, il ne sera pas inutile de donner quelques
indications rapides sur les rapports du vieux poème et de sa
récente adaptation. Nous ne pourrons d'ailleurs savoir que par là
si ce poème a été vraiment ignoré de Hugo.
Jubinal commence par paraphraser les cinq premiers vers de
l'épisode choisi par lui dans la chanson de geste (v. 125-129);
puis, pour opposer aux sentiments des Français ceux de leurs
vainqueurs, il glisse un fragment basque à la mode chez les roman-
tiques, le chant i'A Uabicar.
La traduction reprend par un contresens. Le texte disait, aux
vers 130-131 :
Desoz lui ot.j. mulet de Sulie;
Des xij. pers fet chiere'molt marrie;
« il avait sous lui un mulet de Syrie; en songeant aux douze
pairs, il faisait une mine très marrie ». Cela devient dans Jubinal :
« Le destrier de Charles, qui lui vint de Syrie, est triste lui-même
et fait chair marrie », et Fauteur met en note : « C'est la même
idée que celle de Racine, quand il dit : « Ces superbes coursiers,
qu'on voyait autrefois, etc. » — Au vers 149, nouveau contre-
sens, venant d'une inexaclitude. Le texte fait dire à Charlemagne,
songeant à Ganelon : « Certes, il a bien honni France! Quatre
cents ans et plus après ma vie, on entendra la chanson de ma
vengeance » :
« Voire, dist Charles, bien a France honnie !
IIHC anz et plus après ma vie,
De la venchance sera chanson oie. »
Au lieu du mot venchance, Jubinal, qui, par extraordinaire, cite
ici le texte, met Roncisvals, et il fait exprimer par Charlemagne
la crainte qu'on ne parle quatre cents ans de sa défaite.
Charlemagne voit Narbonne; description de la ville; le roi en
demande le nom à Naymes. Dans sa réponse, Naymes dit, au
vers 219 : « Tous nos hommes sont si las, par ma foi, que trois
d'entre eux ne valent pas une femme » :
Et tuit nostre home sont si las, par ma foi,
Que une famé ne valent pas li troi.
Jubinal a atténué ceci en : « Vos soldats sont si las, que chacun
d'eux ne vaut pas une femme ». Que Hugo ait adopté cette atté-
6 IIEVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
nuation, cela seul suffirait à prouver qu'il n'a pas connu le texte
original.
Sur la réponse de Naymes, le roi entre en courroux; il est
tout hors de lui, plus furieux qu'un sanglier (v. 233-234). C'est
bien tôt, et il n'y a plus, à ce compte, de gradation possible.
Jubinal passe ces indications; mais, quatorze vers plus loin (257),
comme le Charlemagne du texte est de nouveau tout hors de lui,
Jubinal, en 1843, disait qu'il poussait un grand cri. Une utile
correction de 1846 lui fait au contraire jeter « un grand rire » ; seu-
lement, par la suite, Jubinal fait tantôt rire, tantôt s'irriter Charle-
magne, sans qu'on voie bien pourquoi, et sans que le texte l'y
incite toujours. Victor Hugo aura lieu d'apporter ici quelques
changements.
Le même système de paraphrase continue. D'ordinaire, Jubinal
abrège ; mais quand Charlemagne dit au vers 259 :
Biaus sire Naimes, corn a non la cité?
lui écrit : « Par Dieu, sire Naymes, vous contez bien. Si vous
étiez plus jeune, on pourrait faire de vous un jongleur. Quel est
le nom de cette ville? » En revanche, comme le dialogue entre
Naymes et le roi occupe encore 39 vers (260-319) sans rien dire
de bien nouveau ou de bien important, Jubinal le remplace par
ceci : « Empereur, c'est Narbonne. Tant mieux, dit Charles; car
elle a un grand renom de vaillance, et je la donnerai à l'un de nos
guerriers. »
Suit, beaucoup moins abrégé, le dialogue avec Dreus de
Montdidier (v. 320-386); puis voici venir Richard de Normandie.
Un des manuscrits d'Aytneri, le manuscrit 24369 de la Biblio-
thèque nationale, l'appelle Rîcher; Jubinal, qui s'est servi de ce
manuscrit, conserve ce nom et le transmettra à Hugo. De même,
pour l'interlocuteur suivant, le texte l'appelant Hoel de Cotentin,
Jubinal l'a appelé Hue de Cotentin. Hugo a pensé que Hue c'était
Hugues, et c'est cette forme qu'il a adoptée.
Au vers 398, c'est le tour de Gérard de Roussillon. Charle-
magne lui ayant adressé la parole, « il baisse le menton, puis lui
répond bellement, sans querelle ».
Quant cil l'antant, si bessa le menton,
Puis li respont bêlement, sans tançou.
(iOi-405.)
Ceci est devenu chez Jubinal : « Gérard de Roussillon leva la
tête; il regarda autour de lui, et, voyant le petit nombre de ses
gens, son cheval qui boitait, son enseigne déchirée... » La suite
« AYMEIIILLOT W ET « U MMUVGH f>K ROLAND »♦
dû
m
de
il
est abrégée, el plus fidèle. Mais, après la réponse de fiérard,
JiiI.'Mi,lI trouve que le récit devient bi&fl long, et il éeril : k Charlc-
magne appela encore su massivement Kudes, duc de Bourgogne,
O^ier de Danemark» le duc Ernaul de Etatuiléande; tous refusèrent
sa proposition », ce qui remplace li vers consacrés à EiuK's,
l'i vers consacrés | ûgtef d»' Danemark, 21 au marquis Salouion.
24 à Gondebeuf l'allemand, Ut de nouveau a Naymes, 20 à
Anséis de Carthage, il où, après des iinli cations rapides de
dialogues avt'c Dôuii de Valrler el Girard de Yiane, est reproduit
n dialogue avec [bruant de Biaulandc, ou, gomme dit Jubiiial,
de Itenutéaude. On voit que Jubinal a supprimé un bon nombre
I res noms,
I! reprend sa traduction abrégea au vers 581, pour exprimer
avec assez de force les plaintes de Ciwrifimagne (584-639). Mais
l'épisode suivant du poème est supprimé. Ile rua ut, navré de voir
l'empereur en cette colère, songe à son fils Aymeri, le propose à
Charles, va trouver son fils, obtient sans peine son acceptation et
ramène devant l'empereur. Tout ceci, qui forme les vers 610
à 691» est supprimé et remplacé par cette seule ligne : « Les
barons poussèrent une grande lamentation et se regardèrent tris-
tement ». Après qttot, Aymeri se présente tout seul : « Alors on
vit s'avancer du milieu de la foule uu jeune homme grand et bien
(sil »,
Pour les vers 692 à 771, la traduction est fort abrégée : Jubinal
I tnihiiiimnii. supprimé tout ce qui rappelle les démêlés de Char-
tantftgae avec Girard de Yiaue; il n'a gardé que ce mot : « Je suis
Ele neveu de Girard de Vienne et me nomme Aymeri i>. — Deux
détails ici sont à noter. D'abord Jubinal, d'après sou manuscrit,
adonné à Àymeri le diminutif d'ÀjrmertlIot, taudis qui* les autres
manuscrits ont Aymeriet. Ensuite» au vers 136, Aymeri disait :
'
De lerre n'ai vaillant .ij, paHsîs.
«,1e n'ai pas de terre la valeur de deux sous parïsis »; Jubinal
faïl ce contresens : « Les terres que je possède sont plus petites
ijue deux pièces de monnaie ».
Après le vers 771, ou voit Charlemagne, rempli de joie, etga-
fo'iser un tournoi et dresser une quintaine sous les murs de Nar-
bonne, Aymeri se dérober aux réjouissances inutiles pour dresser
une embuscade aux Sarrasins, les Français donner l'assaut et
s Vm parer de la ville.
Jubinal, ne pouvant conter tout cela, avait terminé ainsi,
en I8i3, le récit de son trouvère : « Aymeri tint parole, seigneurs
i H1ST0FUE LITTÉIUÎRE DE LA FlUlfCE*
qui mYcoulcz, car après avoir longtemps assiégé la villa, il la
conquit par sa vaillance et devint comte de Narbonne. Il épousa
plus tard Orable, fille d'un roî sarrasin, dont il eut Guillaume au
court-nez et plusieurs autres héros : vous en connaissez l'histoire.
Prions Dieu qu'il leur donne paix dans son saint paradis et qu'il
nous accorde autant de gloire qu'il en départit à ces guerriers. *>
En 1846, tout ce dénouement a été remplacé par un « etc ».
11 n\- a aucun doute que Hugo a eu pour unique source ce récit
de Jubinal el n'a nullement connu le texte du moyen âge. Les
passages supprimés par Jubinal ont été supprimes par lui; les
noms propres omis ou transformés par Jubinal ont été omis ou
transformés de même; les contresens ont été conservés; aucun
trait ne figure dans Hugo el dans la chanson de geste qui ne soit
m même temps dans Jubinal, II reste donc seulement à voir
comment Hugo s'est conduit vis-à-vis de cette source unique.
III
Les précieuses noies critiques publiées par M, Glachaut vonl
nous être ici très utiles. Mais, pour mieux suivre notre dessein ,
nous aurons soin de ne rien dire des variantes qui ne nous ren-
seignent pas sur celte question de l'imitation de Jubinal par Hugo,
Nous nous contenterons d'introduire dans le texte, dont elles ont
d'abord fait partie, les variantes qui rapprochent Hugo de Jubinal,
et d'en supprimer au contraire les passages ajoutés après coup,
et qui se trouvent à la marge du manuscrit. Il sera intéressant
de voir ensuite pourquoi le texte a été changé, pourquoi les addi-
tions ont été faites et, par suite, comment Hugo écrit et com-
pose. Peubélre, en dépil de toutes nos précautions, cette étude
n'alteindra-t-elle pas le premier jet de Hugo; peut-être y a-l-il eu
du poème un premier texte moins développé et plus conforme à
son modèle. M. Glachanl, familier avec les manuscrits du poète,
[crise que « la pièce est déjà peut-être une copie ». Si cette hypo-
thèse est justifiée., notre travail sera moins instructif qu'il n'aurait
pu l'être; mais est-ce une raison pour y renoncer?
Suivons pas à pas Jubinal, et voyons commentai ugo le traduit,
comment il le reproduit, pourrait-on dire, gardant tout ce qui
peut se garder, modifiant surtout sur les sollicitations de la rime.
Comme, en vertu du système de versification adopté, chaque fin
de vers empruntée de Jubinal entraîne l'emploi d'une cheville (qui
d'ailleurs peut être splendide) au vers correspondant, nous met-
« AYMERILLOT )> ET <( LE MARIAGE DE HOLAXD ». 9
trons soigneusement ce genre d'emprunt en lumière, en le souli-
gnant.
Charlemagne, Vempereor à la barbe florie ', comme dit le texte, tra-
verse les Pyrénées; il revient d'Espagne. La lamentation est grande,
car son neveu Roland, par la trahison de Ganelon, a été tué avec
Olivier, les douze pairs et toute Tarrière-garde de son armée jusque-là
victorieuse.
Charlemagne, empereur à la barbe fleurie.
Revient d'Espagne , il a le cœur triste, il s'écrie :
— Roncevaux! Roncevaux! ô traître Ganelonl
Car son neveu Roland est mort dans ce vallon
5. Avec les douze pairs et toute son armée.
Jubinal introduit ici le passage du chant basque sur l'Etcheco-
Jaûna *, et il met en note : « Ces paroles sont empruntées au chant
basque d'Altabicar ». Hugo fait comme lui, et met en note dans
son manuscrit, à côté du 6e vers, ces mots où se remarquent deux
inadvertances : « Littéral. Etcheco-raûna (chant basque d'Acta-
bicar) ».
L'Etcheco-Jaùna (le laboureur des montagnes) est rentré chez lui avec
son chien. Il a embrassé sa femme et ses enfants; il a nettoyé ses
flèches ainsi que sa corne de bœuf, et les ossements des héros qui ne
sont plus blanchissent déjà pour l'éternité.
Le laboureur des monts qui vit sous la ramée
Est rentré chez lui, grave et calme, avec son chien;
Il a baisé sa femme au front et dit : c'est bien.
11 a lavé sa trompe et son arc aux fontaines;
10. Et les os des héros blanchissent dans les plaines.
Le destrier de Charles, qui lui vint de Syrie, est triste lui-même et
fait chair marrie. Charlemagne pleure, mais ce n'est pas seulement
d'avoir perdu la bataille, sa pairie et son neveu; c'est de penser que sa
défaite sera racontée après lui, pendant quatre cents ans et plus :
Quatre cents ans et plus dès que ma vie
De Roncisvals sera chanson oïe.
Le bon roi Cbarle est plein de douleur et d'ennui;
Son cheval syrien est triste comme lui.
Il pleure; l'empereur pleure de la souffrance
D'avoir perdu ses preux, ses douze pairs de France,
15. Les meilleurs chevaliers qui n'étaient jamais las,
Et son neveu Roland, et la bataille, hélas!
1. Ce que nous soulignons dans le texte de Jubinal est aussi souligné dans le
Journal du dimanche.
2. Etcheco-sauna dans le Musée des Familles.
10 . REVUE DfHIST0IRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Et surtout de songer, lui, vainqueur des Espagnes,
Qu'on fera des chansons dans toutes ces montagnes
Sur ses guerriers tombés devant des paysans,
20. Et qu'on en parlera plus de quatre cents ans1.
Cependant il chemine toujours. Tout à coup il arrive sur le sommet
des Pyrénées, et, du revers aujourd'hui français de la chaîne, il se
prend à regarder dans la plaine : là, vers la droite, au loin et bien
avant dans les terres, il aperçoit, sur une montagne, une ville bien
close de murs et de défenses, que couronnent de grands arbres verts.
Jamais on n'a vu cité plus forte. Outre ses murailles, elle est ceinte de
trente tours en bonne pierre de liais; au milieu de ces tours, il y en a
une qui les dépasse toutes. L'homme le plus habile du monde à deviser
mettrait le plus grand jour d'été à la décrire.
• Cependant il chemine; au bout de trois journées
11 arrive au sommet des hautes Pyrénées.
Là, dans l'espace immense il regarde en rêvant;
Et, sur une montagne, au loin et bien avant
25. Dans les terres, il voit une ville très forte,
Ceinte de murs avec, deux tours à chaque porte.
31 !. Au centre est un donjon si beau, qu'en vérité
On ne le peindrait pas dans tout un jour d'été.
Hugo a négligé le chiffre de « trente tours » : mais il fait bon
effet, on y reviendra; la « pierre de liais » sonne bien à l'oreille :
on y reviendra aussi.
Ses créneaux sont tous scellés avec du plomb; sur chacun d'eux
il y a un arc prêt à jeter des traits, et sur le faîte de la tour on voit une
escarboucle plus brillante que le soleil, et qu'on peut à peine regarder
fixement de trois lieues.
Ses créneaux sont scellés de plomb; chaque embrasure
Cache un archer dont l'œil toujours guette et mesure,
35. Ses gargouilles font peur, à son faite vermeil
Rayonne un diamant gros comme le soleil.
Qu'on ne peut regarder fixement de trois lieues.
Sur la gauche étincelle la rive de la mer, cette grande onde qui
permet aux navires, nommés dromons, d'arriver jusqu'à la ville.
38. Sur la gauche est la mer aux grandes ondes bleues, .
Qui jusqu'à cette ville apporte les dromons.
Hugo, qui devait employer ailleurs les dromons, notamment
dans Éviradnus, vers 301 :
Sur tous les flots du Nord il pousse ses dromons,
semble avoir été peu renseigné sur leur compte quand il écrivait
i. Quelles que soient les additions supprimées, nous gardons, pour faciliter les
renvois, le numérotage du texte définitif.
« AYMERILLOT » ET « LE MARIAGE DE ROLAND ». 11
Aymerulot. N'ayant pas fait usage pour ses vers du mot « navire »
de Jubinal, il Ta mis en noie dans son manuscrit.
A ce spectacle, Charles sentit son cœur bondir. Il appela le duc de
Naymes, son sage conseiller, et lui parla à peu près ainsi :
« Beau sire, quelle est cette cité? ne me le cachez pas. Celui qui la
tient peut se vanter qu'il n'y en a pas une pareille dans le monde. Par
saint Denis! je veux venger ma défaite. Celui d'entre vous qui désirera
retourner en France passera par ces portes; car je vous jure que,
dussé-je rester ici quatorze ans, je ne reverrai pas la France sans avoir
conquis cette ville. »
Jubinal ne dit pas ici ce qu'était Naymes, mais il le lui fera dire
à lui-même un peu plus loin : « Je voudrais pour beaucoup être
dans mon royaume de Bavière ». Jugeant à bon droit utile de ren-
seigner immédiatement un lecteur peu familiarisé avec la poésie
du moyen âge, Hugo a transporté ici ce détail, en mettant Bavière
à la rime :
40. Charle, en voyant ces tours, tressaille sur les monts.
— Mon sage conseiller, Naymes, duc de Bavière,
Quelle est cette cité près de cette rivière?
Qui la tient la peut dire unique sous les cieux.
Je suis triste, et je veux m'en retourner joyeux.
45. Je veux venger l'affront fait à mes capitaines.
Oui, dussé-je rester quatorze ans dans ces plaines,
0 mes bons compagnons, Saint-Denis m'est témoin
Que j'aurai cette ville avant d'aller plus loin ! —
Naymes a entendu Charlemagne et il lui a dit : « Sire, jamais homme
ne fut plus surpris que je le suis. Si vous voulez avoir cette ville, il
vous faudra la payer; car je n'en connais pas de plus forte. Celui
qui la défend a avec lui vingt mille Turcs qui ont chacun double harnais
et doubles armes, et qui se moqueront, comme d'autant de boules de
neige, des traits de nos arbalètes. D'ailleurs vos soldats sont si las, que
chacun d'eux ne vaut pas une femme; vos chevaliers aimeraient mieux
leurs manoirs qu'un assaut; vos barons!.... leurs chevaux ne se nour-
rissent plus que de paille; et, quant à moi, je vous donne ma foi que
je voudrais pour beaucoup être dans mon royaume de Bavière. »
Hugo a déplacé les arbalètes pour avoir un trait plus piquant :
Le vieux Naymes frissonne à ce qu'il vient d'entendre.
50. — Alors, achetez-la, car nul ne peut la prendre.
Son duc a pour sa garde, outre ses Béarnais,
Vingt mille Turcs ayant chacun double harnais.
Quant à nous, autrefois, c'est vrai, nous triomphâmes;
Mais aujourd'hui vos preux ne valent pas des femmes,
55. Ils sont tous fatigués et du gîte envieux,
Et je suis le plus las, car je suis le plus vieux.
il REVUE D'HISTOIRE UTTÉRÀI11Ë DE LA FUam.i .
Sire, je parle franc et je ne tarde guère.
D'ailleurs, nous n'avons point Je machines de guerre;
Les chevaux sont rendus, les gens rassasiés;
60. Je trouve quil est temps que vous vous reposiez
Et je die qu'il faut être aussi fou que vous Têtes
Pour attaquer ces tours avec des ffrtaitUf.
« Beau sire duc, reprit l'empereur» n'en parlons plus* Par la foi que
je dois à Dieu, je vous jure que je ne rentrerai pas en France sans avoir
conquis cette cité 1 *
« Sire, dit Naymes, ayez pîlié de votre haronagey qui est à moitié
mort de fatigue* n
Dans l'article de Jubinal* quand Naymes a parlé pour ta seconde
fois, l'empereur lui dil : « Quel est le nom de celte ville? »
Pourquoi ne pas le lui demander après sa première réponse, où le
renseignement n'est pas donné davantage? Et comme l'empereur,
qui veut se contenir, sera bien plus dans son rôle, en se contentant
de répéter obstinément à Naymes sa question! De là le teste de
Hugo :
L'empereur répondit au duc avec bonté :
— Duc, tu ne m'as pas dit le nom de la ûfté?
55* — On peut bien oublier quelque chose à mon âge.
Hais, sire, ayez: pîlié de votre hironnnge*
Naymes continue, dans Jubinal :
« Vous ûe pourrez prendre la cité. D'ailleurs les Sarrasins qui la
défendent ont creusé trois souterrains* l'un qui va jusqu'à Saragosse»
l'autre jusqu'à Toulouse, et le troisième jusqu'à Orange. Si vous
assiégez la ville, ils recevront par là des secours, »
Les trois villes de Jubinal ne sont pas assez romantiques. Pour
quoi les Sarrasins n'auraieiiL-ils pas une communication avec
l'enfer? L'enfer remplacera Orange, Mais alors, il faut une rime
à enfer, et Saragosse devient impossible : il tant Barcelone rfl mer*
Toutomet qui se termine par un e muet ne pourra pas rester à
l'hémistiche avant (e troisième : ou mettra Bordeaux.
71. Les assiégés riront de vous du haut des tours*
Ils ont, pour recevoir sûrement des eecaws,
Si quelque insensé vient heurter leurs citadelles,
Trois souterrains creusés par les turcs infidèles,
75. Et qui vont, le premier, à Barcelone en mer,
Le deuxième, à Bordeaux, le troisième en enfur,
Charles l'entend, et il jette un grand rire :
i Par Dieu, sire Naymes, vous contez bien. Si vous étiez plus jeune*
on pourrait faire de vous un jongleur. Quel est le nom de cette vill-
« AYMERILLOT » ET « LE MARIAGE DE ROLAND ». 13
Le « grand cri » du texte de 1843 était tout à fait hors de
propos. Le « grand rire » de 1846 vaut mieux, mais ne laisse pas
d'être exagéré : Charles doit rester calme.
77. L'empereur, souriant, reprit d'un air tranquille :
— Duc, tu ne m'as pas dit le nom (le cette ville ?
« Empereur, c'est Narbonne. — Tant mieux, dit Charles; car elle a un
grand renom de vaillance et je la donnerai à l'un de nos guerriers. »
Jugeant la réplique trop simple, le poète a jugé bon d'introduire
ici une image plus tard reprise par lui dans tes Châtiments
(livre VII, 6, chanson) :
Berlin, Vienne, étaient ses maîtresses,
Il les forçait,
Leste, et prenant les forteresses
Par le corset.
Il a écrit :
— C'est Narbonne. — Narbonne est belle, dit le roi,
80. Et je l'aurai; je n'ai jamais vu, sur ma foi,
Ces belles filles-là sans leur rire au passage
Et me piquer un peu les doigts à leur corsage. —
Avisant alors un comte de haut parage, nommé Dreus de Montdidier,
Charlemagne l'appelle auprès de lui : « Dreus, lui dit-il, vous êtes fils
d'un gentil chevalier; prenez Narbonne et je vous laisserai tout le pays
depuis cette ville jusqu'à Montpellier. »
Alors, voyant passer un comte de haut lieu,
Et qu'on appelait Dreus de Montdidier. — Pardieu !
85. Comte, ce bon duc Nayme expire de vieillesse!
Mais vous, ami, prenez Narbonne et je vous laisse
Tout le pays d'ici jusque* à Montpellier;
Car vous êtes le fils d'un gentil chevalier;
Votre oncle que j'estime était abbé de Chelles;
90. Vous-même êtes vaillant; donc, beau sire, aux échelles!
L'assaut !
Les deux derniers vers ont peut-être été suggérés par le désir
d'employer Montdidier pour la rime. Il fallait alors deux rimes
féminines en attendant.
« Sire, répondit Dreus, je ne vous le cache pas, je serais désolé de
rester encore un mois hors de mon pays, j'ai besoin de me faire poser
des ventouses et de prendre des bains, car je suis très malade. Je n'ai
plus d'ailleurs un seul palefroi à monter, et il y a bien un an que je n'ai
couché sans mon haubert. Donnez donc Narbonne à un autre, car je
n'en ai que faire. »
14 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Sire empereur, répondit Montdidier,
Je ne suis désormais bon qu'à congédier;
J'ai Irop porté haubert, maillot, casque et salade;
J'ai besoin de mon lit, car je suis très malade;
93. J'ai la fièvre; un ulcère aux jambes m'est venu;
Et voilà plus d'un an que je n'ai couché nu.
(lardez tout ce pays, car je n'en ai que faire.
A ces mots, Charlemagne rougit, sa figure s'enflamma.
« Charlemagne rougit », a lu M. Glachant dans une variante dont
la fin est illisible. Hugo s'était laissé entraîner par Jubinal. Il s'est
ensuite ravisé heureusement, en laissant encore Charlemagne
maître de lui :
98. L'empereur ne montra ni trouble ni colère.
Jubinal continue en faisant appeler Richer de Normandie
d'abord, Hue de Cotentin ensuite. Mais on vient d'avoir deux
rimes féminines. Hue de Cotentin et comte palatin peuvent très
bien fournir les rimes suivantes, tandis que Iiicher de Normandie
viendra fort à propos quand il faudra de nouveau des rimes fémi-
nines. De là une interversion.
Le texte de Jubinal est :
et appelant Richer de Normandie : « Duc, dit-il, vous êtes d'une haute
race et de grande seigneurie; la valeur est entrée en vous avec le jour,
prenez Narbonne et je vous en fais bailli. »
« Sire, répondit Richer, je suis resté si longtemps en Espagne où le
soleil brûle, que j'en ai le visage tout noir, je voudrais être en Nor-
mandie; donnez Narbonne à un autre, car pour moi je n'en veux pas. »
L'empereur laissa tomber sa tête sur sa poitriue et il pensa longtemps
à ce que lui avaient dit les trois preux. Enfin, voyant passer Hue de
Cotentin, qui était un beau chevalier et un comte palatin, il l'appela :
« A vous, chevalier, lui cria-t-il, Narbonne et ses richesses, si vous les
prenez. — Droit empereur, répondit celui-ci, il y a longtemps que je
porte mon harnais, que je me couche tard et que je me lève malin.
Vous m'offririez tout le trésor de Pépin pour prendre Narbonne, que je
le refuserais. »
Hugo commence par ce qui concerne Hue (qu'il appelle Hugues)
de Cotentin :
Il cbercha du regard Hugues de Cotentin]
100. Ce seigneur était brave et comte palatin.
— Hugues, dit-il, je suis aise de vous apprendre
Que Narbonne est à vous, si vous voulez la prendre.
Hugues de Cotentin salua l'empereur.
— Sire, c'est un manant heureux qu'un laboureur!
105. Le drôle gratte un peu la terre brune ou rouge,
Et, quand sa tâche est faite, il rentre dans son bouge.
« AYMKRILLOT » ET « LE MARIAGE DE ROLAND ». 15
lit. Sire, voilà longtemps que j'ai pour tout destin
De m'endormir fort tard pour m'éveiller malin.
De recevoir des coups pour vous et pour les vôtres,
Je suis très fatigue. Donnez Narbonne à d'autres.
Hugo revient à la transition entre les deux entretiens. Cette fois
un geste de découragement est fort naturel, à condition qu'il soit
vite réprimé :
115. Le roi laissa tomber sa tête sur son sein.
Chacun songeait, poussant du coude son voisin.
Et voici enfin Richer de Normandie. Seulement Hugo a fait deux
dialogues avec ce qui n'en formait qu'un dans Jubinal. Une partie
de ce que disaient Charlemagne et Richer a fourni le premier dia-
logue :
Pourtant Cbarle, appelant Richer de Normandie :
— Vous êtes grand seigneur et de race hardie,
Duc; ne Youdrez-vous pas prendre Narbonne un peu?
120. — Empereur, je suis duc parla grâce de Dieu.
Ces aventures-là vont aux gens de fortune.
Quand on a ma duché, roi Charle, on n'en veut qu'une.
L'autre partie a constitué un dialogue avec « le comte de Gand » :
L'empereur se tourna vers le comte de Gand.
— Tu fis jadis la guerre à Canut le brigand;
125. Le jour où tu naquis sur la grève marine,
L'audace avec le souffle entra dans ta poitrine,
Baron, dans le combat tu n'as jamais pâli;
Beau comte, prends Narbonne, et je fen fais bailli.
137. — Sire, dit le gantois, je voudrais être en Flandre.
J'ai faim, mes gens ont faim, je pars sans plus attendre.
143. Et puis, votre soleil d'Espagne m'a hàlé
Tellement, que je suis tout noir et tout brûlé;
145. Et, quand je reviendrai de ce ciel insalubre
Dans ma ville de Gand avec ce front lugubre,
Ma femme, qui déjà peut-être a quelque amant,
Me prendra pour un maure et non pour un flamand!
J'ai hâte d'aller voir là-bas ce qui se passe.
Quand vous me donneriez, pour prendre cette place,
Tout Por de Salomon et tout l'or de Pépin,
Non! je m'en vais en Flandre, où l'on mange du pain.
Pourquoi ce changement? Il semble qu'on puisse le deviner.
Hugo, dans la réponse de Hue de Cotentin, avait négligé le mot :
« Vous m'offririez tout le trésor de Pépin pour prendre Narbonne,
que je ne la prendrais pas >». Il avait pourtant trouvé le mot amu-
sant, et s'était dit qu'il ferait bon effet à la rime, avec pain comme
rime correspondante. Il fallait donc qu'un interlocuteur de Char-
lemagne regrettât d'avoir manqué de pain, ou souhaitât de
10
HEYUK D HISTOIRE LITTÉRAIRE h!, là FRANCE-
retrouver du pain. C'était un homme pratique, et il convenait qu'il
appartînt à cette race flamande, dont la peinture a créé la poésie
de la vie pratique et Je la cuisine : ce serait le comte de G (nid* En
outre , de peur que le mot « Tor de Pépin » n'étonnât trop un
lecteur du xixfl siècle, on l'unirait h une formule analogue, plueér
plus Las par Jubinal dans la bouche de Gérard de Roussi) Ion :
u pour tout l'or de Salomon, je ne voudrais pas nrTarrêter à la
prendre ». La répétition des deux formules était monotone; leur
union serait piquante et contribuerait h la clarté.
.lui iin al continuait :
A. ces paroles, Charles éclata en sanglots; mais, voyant passer
Gérard de Roussi! Ion...
Charles éclata en sanglots! Non pas! Charles a pu laisser
échapper un geste de découragement; mais il faut qu'il se con-
tienne jusqu'à L'explosion finale, afin que cette explosion produise
un effet d'autant plus grand. D'autre part, il n'est pas mauvais
que nous sentions une irritation sourde se former dans Fàme de
l'empereur et dans la nôtre.
Hugo avait terminé le passage précédent par des rimes mascu-
lines; Gérard de RoussîUon^ hémistiche tout fait, commencera unv
autre couple de rimes masculines : Hugo a donc deux vers pour
rendre cette intention.
181, Le bon cheval du roi-..
(reprise habile de ridée fournie par Jubinal au début)
181, Le bon cheval du roi frappait du pied ta terre
Comme sTil comprenait; sur le mont solitaire
Les nuages passaient.
C'est-à-dire : le temps passe aussi sans amener aucune solution,
et Charles» décontenancé, regarde devant lui sur la montagne où
les nuages passent, — machinalement. Remarquez encore comme
les deux enjambements tombent l'un sur Tautre avec une mono-
tomie accablante* — L/empercur fait un effort pourtant, et les
vers se relèvent :
Gérard de Roumilfon
Était à quelques pas avec son kUaîîlon;
185, Charlemagne en riant vint à lui.
« Venez avant, dit-il, gentilhommede bien, je vous donne Narbonne, «
— Vailîant homme,
180. Vous êtes dur el fort comme un Romain de Rome;
Vous empoignes le pieu sans regarder aux clous;
Gentilhomme de bien, celte ville est à vous! —
« VVMIJttLU»! jj ET « LE MAULAGK FVK ROLAND ».
i:
Gérard de Roussillon leva la tête; il regarda autour de lui, et, voyant
le petit nombre de ses gens, son cheval qui boitait, son enseigne
déchirée : u Seigneur! reprit-il, je vous demande pardon. Depuis deux
ans, j'ai toujours vécu, non en palais, ni en maison, mais sous une
tente, Constamment, j'ai porté mes éperons; par le chaud comme par
le froid, j'ai été vêtu de fer; donnez Narhonne à un autre, car pour totil
l'or de Salomon, je ne voudrais pas m* arrêter à la prendre; j'ai assez
de terres ailleurs. »
fitfrard de Roussi lion regarda d'un air sombre
190, Sou vjctix ^ilet de fer rouillé, te petit nombre
Dr ses soldats marchant trisiemenl devant eux,
Sa bannière eu baillons et son cheval boiteux.
— Tu rêves, dit le roi, comme un clerc en Sorbonno.
Faut-il donc tant songer pour accepter Nkrtouttl
195. — Roi, dit Gérard, merci, j'ai des terres aUl&ufê* —
Voila comme parlaient tous ces fiers batailleurs
Pendant que les torrents mugissaient sous les chênes.
À noter la nouvelle intervention de la nature, — Hugo a
négligé : « par le chaud, comme par le froid, j'ai été velu de fer » :
il s'en souviendra. Il a d'ailleurs abrégé tout le passaye, parce qmi
les héros n'ont même plus la force de répondre à Gharlcmogne, et
parce que Charloinagne, obtenant des réponses de plus en plus
sèches, n'aura plus de raison de se contenir. Yoilà pourquoi
Gérard de Roussillon ne prononce qu'un vers; voilà pourquoi on se
contentera de signaler le refus d'un grand nombre de héros. Hugo
grossit la liste de ces héros à plaisir, sentant bien quelle puissance
aura ici une énumération accompagnée de quelques traits expres-
sifs (bizarres aussi, mais c'est le romantique qui se fourvoie), des-
tinés à montrer combien ces timides d'aujourd'hui onl été autrefois
des vaillants :
L'empereur lit le tour de tous ses capitaines;
IL appela les plus hardis, tes plus fougueux,
-200. Eudes, roi *ie Bourgogne, Albert de l'érigueux,
Sîbo, que la légende aujourd'hui divinise,
Garîn, qui, se trouvant un beau jour à Yenise,
Emporta sur son dos te lion de Saint-Marc,
Ernaut de Bauîéande, ûgîff de Danemark,
SÛSL Roger, enfin, grande âme au perd toujours prêle;
Ils refusèrent tous.
Jubinal disait simplement :
Charlemafçne appela encore successivement Eudes, due de Bourgogne,
i dû Danemark, le duc Ernaut de Beauléande; Ions refusèrent sa
proposition.
Ce qui suit dans Jubinal <«sl un cadre intéressant, mais ce n'est
qu'un cadre. El comme Hugo Ta rempli merveilleusement!
£!£¥• ll'lUBT. L1TTÉH. HE LA F HA*» ("?* AlM.).— VII, 2
18 HE VI K 0 HISTOIIlg UTTÉRAIJ1E DE LA fRABUt
Alors, se dressant sur son cheval, il leva les yeux au ciel, et, rame
pleine de douleur, l'invincible empereur s'écria :
Alors, levant la tête.
Se dressant tout debout sur ses grands étriers,
Tirant sa large épée aux éclairs meurtriers,
Avec uu âpre accent plein de sourdes huées,
210, P;ïle, effrayant, pareil à l'aigle des nuées,
Terrassant du regard son camp épouvanté,
L'invincible empereur s'écria : — L Acheté!
La période énumérative avait fini accablée; Li suivante se dresse
vigoureusement, comme le roi lui-mémo, enfin à bout de paliencc.
Puis, elle s'avance, jusqu'à l'éclat de ce mot lancé en fin de vers :
IncheU1! par une suite de vers majestueusement réguliers, coupés
à l'hémistiche (sauf le vers expressif ; Pâte, effrmjfint»,), sonores
aussi, avec des «, des e sourds, des r et des groupes inquiétants
de consonnes: tln^sfutt. étrier$t êciaiftf meitrtrters. âpre, effrayant,
s écria* VA quelle ampleur de colère dans ce qui suit!
« 0 vous* comtes palatins, Olivier et Roland, que n'étes-vous ici! Si
vous étiez vivants, vous prendriez Narbonne, » Puis, se tournant vers
les seigneurs qui Pavaient refusé,,..
0 comtes palatins tombés dans ces vallées,
0 géants qu'on voyait debout dans les nnllées,
21 IL Devant qui Satan même aurait crié merci,
O/tiiVr et Roland, que nctcs-mits i<t!
itu éHei vivtitit$t vous prendriez Jfarèôftiit,
Paladins! vous, du moins, votre épée était bonne,
Votre cœur était haut, vous ne marchandiez pas!
I3& Vous alliez en avant sans compter tous vos pas!
0 compagnons couchés dans la tombe profonde,
Si vous étiez vivants, nous prendrions le monde!
Grand Dieul que voulez-vous que je fasse à présent?
Mes yeux cherchent en vain un brave au cœur puissant
225, Et vont, tout effrayés de nos immenses tâches,
De ceux-là qui sont morts à ceux-ci qui sont lâches!
Je ne sais point comment on porte les affronts i
Je les jette à mes pieds, je n'en veux pas!
u Barons, dil-îl, vous qui m'avez servi, Français, Bourguignons, Fla-
mands, Poitevins, Bretons, Lorrains, Champenois, Normands, retournez
en vos terres. Pour moi, j'assiégerai Nar bonne. Quand vous serez dans
votre douce France, si on vous demande où est le roi Charles, vous
répondrez que vous l'avez abandonné au siège de Narbonne;
Bttromt
Vous qui jusqu'à ce jour suivîtes Cbarlemagnc,
230, Normands, Lorrains, marquis des marches d'Allemagne,
Poitevins, Bourguignons, pen^ du pays Pisan,
Bretons, Picards, Flamands, Français, allez-vous-en!
» AYUERLLLUT » ET « LE MARIAGE I>K Hor v n F»
19
Guerriers, allez- vous -en d'auprès de ma personne,
Des camps où l'on entend mon noir clairon qui sonne;
235, Rentrez dans vos logis, allez-vous-en chez vous,
Àllez-vous-en d'ici, car je vous chasse tous!
Je ne veux plus de vous! Retournez chez vos femmes!
Allez vivre cachés, prudents, contents, infâmes!
C'est ainsi qu'on arrive à Taire d'un aïeul.
2+0* Pour moi, j'assiégerai Narbotmc à moi tout seul.
Je reste ici rempli de joie et d'espérance!
Et, quand vous serez tous dans notre douce Fr*t
i) vainqueurs des Saxons et des Aragouais!
Quand ?otifl 1WII chaufferez les pieds à vos chenets,
215* Tournant le dos aux jours de guerres et d'alarmes,
Sî l'on vous dit, si>ri£panL à tous vos grands faits d'armes
Oui remplirent longtemps la terre de terreur:
— Mais on donc avez- vous quille votre empereur?
Vous répondrez» haïssant les yeux vers la muraille :
250. — Nous EkOOl sommes enfuis le jour d'une bataille,
Si vile et M tremblants et d'un pas ij pm
Que nous ne savons plus où nous l'avons laissé! —
Juhinal continue par ces molî= :
mais celui d'entre vous qui aura besoin de ma justice viendra la cher-
cher jusqu'ici, car je ne bougerai pas de ce tertre, »
Hugo naeu garde de le suivre; il fallait rester sur l'admirable
trait du vers 252. La sublime explosion de colère du roi est
vraiment terminée, et elle a été telle qu'aucune exagération ne
paraît maintenant possible, s'il plaît au poète de caractériser la voix
que nous venons d'entendre* 11 a élé facile à Leconte de Lisle, fai-
san! parler un spectre mythique dans un décor mystérieux,
d'écrire :
Mais l'homme violent, du sommet de son aire,
Tendit ses bras noueux dans la nuit, et voila,
Plus haut que te tumulte entier, comme il parla
D'une voix lente et grave et semblable au tonnerre
Qui d'échos eu échos parle désert roula K
Mais que le même cfFet paraisse naturel de la part d'un person-
nage historique, parlant dans un décor connu, ce ne peut être que
le résultat d'une incomparable éloquence :
Ainsi Charles de France appelé Cbarleraagne,
Exarque de Ravenne, empereur d'Allemagne,
235. Parlait dans ta montagne avec sa grande voix;
Et les patres lointains, épars au fond des bois,
Croyaient en l'ente ndanl que c'était te tonnerre K
|. Poème* barbare*, Ïn-H, p. io, Qain.
2, Ai -je besoin de «lire- qu'AymcrlUoi a précédé Qaint Hugo avait en quelque
sorte préludé sur le ton plaisant à ee trait de la Légende, quand il di&ait dans ta
Légende du beau Picopin [Le RAin, XX, 5, p. 00 de l'éd. définitive in-12, tome 11) :
- Pendant qu'il se parlai! ainsi à lui-même, les habitants de Coma et de Clisma
croyaient entendre le tonnerre gronder sourdement a l'Horizon. Celait le diable
qui bougonnait. -
20
REVUE D niSTOinK LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Les barons poussèrent une grande lamentation, et se regardèrent
tristement.
228. Les barons consternés fixaient leurs yeux à terre.
Alors on vit s* avancer du milieu de la foule un jeune homme grand
el bien fait; il regarda touL te monde avec simplicité, et Rapprochant de
Charlemagne, avant que celui-ci Peut interrogé, it dit : « Dieu garde le
roi de Saint-Denis et les barons en même temps. Je viens solliciter ce
dont aucun seigneur ne veut i Narbonne et sou pays, h
Tout le monde resta surpris, Charlemagne non moins que les autres.
Au bout de quelques minutes, considérant la jeunesse et l'audace de
celui qui parlait....
Soudain, comme chacun demeurait interdit,
260. Un jeune homme bien fait sortit des ratios et dit :
— Que monsieur saint Denis garde te roi de France!
1 /empereur fut surpris de ce ton d'assuranco ;
27i. — Cà, page, qui t'appelle et qu'est-ce qui t'émeut?
— Je viens vous demander ce dont pas un ne veut^
L'honneur d'être, ù mon roi, si Dieu ne m'abandonne,
L'homme dont on dira ; c'est lui qui prit Narbanne.
275. I/enfant parlait ainsi d'un air de loyauté,
Regardant tout te mont h qççc > implicite.
Quel changement de Ion I on dirait du La Fontaine. Hugo a
déplacé avec grande raison les deux Indications sur la surprise de
Charlemagne (cette surprise est naturelle elfes les premiers mots
du jeune homme) et l'observation sur l'air de simplicité de celui-ci
(elle sera plus frappante, quand il aura énoncé celle chose énorme :
le désir d'entreprendre ce qui a fait reculer les plus expérimentés
des héros), Hugo a ajouté non moins heureusement une interven-
tion ironique du comte de Gand, qui permettra au « simple »> jeune
homme de montrer une belle fierté :
277. Le gantois, dont le front se relevait très vile,
Se mit à rifle, et dit aux reltres de sa suite :
— Hé! c'est Âymerillol, le petit compagnon.
Il est vrai qu'il peut paraître bizarre maintenant que Charle-
magne fasse comme dans Jubînal :
Charlemagne lui demanda son nom :
280. — Aymerillol, reprit le roi, dis-moi Ion nom, »
Mais c'est qu'Àymerillot est un diminutif, un sobriquet : Charles
ne sait pas lo nom véritable,
« Je suis, répondit le jeune homme, le neveu de Gérard de Vienne :
on me nomme Aymery; les terres que je possède sont plus petites que
deux pièces de monnaie; mais quand il plaira à Dieu, je conquerrai
<« AYMKKILLU1 » £T tt LE MÀftUGE DE BOIAM» ». 21
un grand avoir. — Eli bien! Aymerillut [petit Atjm**ri)% < »n t'appellera
dorénavant Aymery de Narbonne, car si tu prends la ville, elle est à toi,
— Sire, merci, dit le preux ; je sais encore bachelier; je n'ai pas beau-
coup d*oi\ d argent, ni de paille, de chair ou d'avoine; mais, s'il plait à
Dieu, j'en aurai pris avant peu sur les Sarrasins, n
— Aymery- le suis pauvre autant iju'un pauvre moine.
J'ai vingt ans, je n?ai point de paille et point efewàte,
je sais lire en latin, et je suis bachelier,
Voîlà tout, sire. Il plut au sort de m 'oublier
283. Lorsqu'il distribua les fiefs héréditaires*
Deux Jiards couvriraient fort bien l ou les mes tan
Mais tout le ^rand ciel bleu Remplirait pas mou ci.eur*
J'entrerai dans Nat bonne et je serai vainqueur,
Après, je châtierai les railleurs, s'il en reste.
:!«0. Charles, plus rayonnant que l'archange céleste,
S'écria : — Tu seras , pour ce propos hautain,
Aymery de Narbonne el comte palatin,
Et Ton te parlera d'une façon civile;
Va, (Ils!
Ici encore la disposition adoptée par Hugo est préférable* Les
deux discours dWymery réduits en un, et d'ailleurs pourvus
d'une noblesse et d'une poésie toutes nouvelles, sont beaucoup
plus forts. La joie de Charlemagne doit terminer le poème, —
Hugo a, de plus, supprimé la mention de Gérard de Vienne, qui
ne disait rien à des lec leurs contemporains.
Reste à donner la conclusion pratique du récit, la prise deNar-
bonne. Dans son article de IKïii, Jubinal lavait remplacée par
un « etc. », et Hugo, laissé ainsi à lui-même, a sagement voulu
que ce ne parut être là qu'un simple détail : il n'y a pas consacré
beaucoup plus d'un hémistiche. A-t-il eu raison aussi de faire
prendre la ville dès le lendemain? Ce succès si prompt est bien
invraisemblable, mais un peu de merveilleux ne messied pas ici :
292+ Va, fds! — Le lendemain Aymery prit la ville.
IV
Tel est, sinon le premier état, du moins le premier état que
nous puissions constater du poème à*AffmertUot„ Mais, quand
Hugo a terminé ses poèmes, il les reprend, quelquefois pour sup-
primer, le plus souvent pour ajouter. Ici il met un portrait en
pied à la place dune simple esquisse; là il intercale une idée ou
une image nouvelle; ailleurs il développe des discours déjà bien
longs, comme celui d'Éviradnus à Sigismond et à Ladislas, ou
comme celui de Fabrice à HalberL Et c'est dans ces passage»
ItKYLE DHLSTOIHH LITTERAIRE DE L.V l'hAPÎCE,
nouveaux que, moins tenu maintenant par son plan, il étale ses
débuts t*i ses qualités : prolixité, trivialité, bizarreries p images
éclatantes, merveilles de style. Hugo a d'autant plus volontiers
procédé ainsi pour Atjmeriflot, qu'il avait négligé certains détails
du texte de Jubinal, dont il n'était pas mauvais de tirer parti.
Au vers 26, il avait dit que Narbonne était « ceinte de murs
avec deux tours (ou six, car le manuscrit donne cette variante*)
à chaque porte ». Combien cela faisait-il de tours en tout? Jubinal
disait trente, et autour de ce chiffre, comme autour d'un noyau de
cristallisation, viennent se grouper les quatre vers suivants
i:ile olîre à qui la voit ainsi dans le lointain
Trente maîtresses tours avec des toits d'étant,
Et des mâchicoulis de forme sarraai ne
30- Eneor tout ruisselants de poix et de résine,
Ce n'est pas le texte de Jubinal qui a suggéré l'addition des
vers 67-70; mais Hugo a trouvé bien sèche cette indication
« Sire, ayez pitié de votre baronage >>, et il Fa développée dans
ces quatre vers :
Nous voulons nos foyers, nos lo^is, nos amours.
C'est ne jouir jamais que conquérir toujours.
Nous venons d'attaquer bien des provinces, sire,
70. Et nous en avons pris de quoi doubler J'empire*
Même intention aux vers 107-1 10, où Hugo a voulu mieux mar-
quer l'opposition entre la tranquillité du laboureur que Ton
plaint, et les souffrances du guerrier que Ton jalouse. Maïs
de plus, le poète a voulu utiliser un mol brillant du Gérard de
Koussillon de Jubinal : « Par le chaud comme par le froid, j'ai
été vêtu de fer » :
Moi, j'ai vaincu S&mo, Thessalus, Gsuficr;
Par le chaud, par le froid, je suis vêtit de fef\
Au point du jour j'entends le clairon pour antienne;
10. Je n'ai plus à ma selle une boucle qui tienne.
Au vers 124, commençait un petit discours de Charlemagne
que Hugo a jugé trop court* 11 Ta développé en 13 vers, et nous
y avons gagné cette merveilleuse expression d'un bruit confus
d'armes s'entre-cboquant dans le lointain : « le cliquetis confus
des lances sarrasines » :
Tu mis jadis à bas Maugrron le brigand.
125, Le jour où tu naquis sur la plage marine,
L'audace avec le souftJe entra dans ta poitrine;
Bavon, la mère, était de fort bonne maison;
Jamais on ne fa fait choir que par trahison;
K AYHKRlU.uT 8 HT « Lfc MAKI AGE UK HOUM) ».
Ita ;Lrne après la chute était cneor meilleure.
130- Je me rappellerai jusqu'à ma dernière heure
L'air joyeux qui parut dans ton œil hasardeux,
Un jour que nous étions eu marche seuls loua deux,
Et que nous entendions dans les plaines vnism^s
Le cliquelts confus lies lances sni rasines,
135, Le péril fut toujours de Ici bien accueilli,
Comte, eh hien! prends Narhonne et je f'«fl fak tittiHi.
A oet allongement <lu discours du roi il était naturel que cor*
respondît un allongement du discours de son interlocuteur, et,
comme cet interlocuteur est lUmand, Hugo on a profilé pour
mettre dans sa bouche des rxpn usions forl triviales. Supprimant
f hémistiche « je pars sans plus attendra », il a écril ;
Tai faim, mes gens ont faim; nous venons d'entreprendre
One guerre à travers un pays endiablé;
I ïU. Nous y mangions, au lieu de farine de blé)
Des rats et des souris, et pour toutes riboles,
Nous avons dévoré beaucoup de vieilles bottes.
Dans le manuscrit, le discours du Flamand se termine avec un
feuillet, cl le feuillet suivant (149), écril « d'une écriture beau-
coup plus grosse », porte la mention « À inlercaller », M, V,
Glachant a cru que les 28 vers de ce feuillet avaient été simple-
ment recopiés. La comparaison avec le récit de Jubinal proira
qu'il* ont été faits après coup, ce qui explique et la mention « à
inlercaller -s et la différence d'écriture. Us ne comprennent du
lexti en prose que des détails pris <;à et là et que Hugo a groupés :
les trente tours déjà signalées au début, — les malaises dont parle
Drras de Ifootdidier : « j'ai besoin de me faire poser des ven-
touses et de prendre des bains »T — et surtout le mot pierre de
ttfits, qui pouvait faire un si bon effet par son air de précision.
M. CItir Tisseur, dans ses Mc4eêt€$ ôbêtTVatàHtt sur l'art de
vmifler9 p. 180, a déjà remarqué que celle pierre de dais, dont
parle la chanson de geste A'Aymeri d** Narbontlât n'était point une
cheville pour rimer avec ouùlinis; que e*«st Oubliait au contraire
qui est amené par liais. Mais quelle erreur dégoût que d'appeler
ce « j'oubliais a une « grossière ficelle >»! Charlemagne, qui n'a
pas réussi à trouver un assiégeant pour Narhonne en dissimulant
difficultés de L'entreprise, adopte une autre tactique et étale au
contraire toutes ces difficultés pour voir si quelqu'un se piquera
au jeu : f oubliais marque très hien celte intention. — Le pas-
sage nouveau introduit un personnage dont Jubïnal n'avait rien
dit, cl il est rattaché à ce qui précède par un charmant trait iro-
nique contre L'esprit pratique du comte de (ïand.
î* REVUS D HISTOIRE UTTÉIUIRE uk la fkance,
— Ces bons flamands, dit Charte, il fruit que cela mange. —
Il reprît : — Ça, je suis stupide. Il est étrange
155. Que je cherche un preneur de ville, ayant ici
Mon vieil oiseau de proie, KusUtehe de Nancy*
Eustache, à moi! Tu vois, celle Narbonne est rude;
Ella a trente châteaux, trois fossés, et l'air prude;
À chaque porte un camp, et, par dieu! /oubliais,
160, Là- bas, six grosses iours en pkfTë Ai liai*.
< .* m douves-là nuus font parfois si grise mine
Qu'il faut recommencer à l'heure où Ton termine,
Kl que, la ville prise, on échoue au donjon.
Mais qu'importe! es-tu pas Je grand aigle? — Un pigeon,
103. Un moineau, dît Eustache, un pinson dans la haie !
Etoi, je me sauve nu nid. Mes ^ens veulent kur paie;
Or, je n'ai pas Je sou; sur ce, pas un garçon
Qui me fasse cadeau d'un coup d'estramaeuu;
Leurs yeux me donneront à peine une étincelle
170. Par sequin qu'ils verront sortir de l'escarcelle.
Tas de gueux! Quant à moi, je suis très ennu\
Mou vieux poing tout sanglant n'est jamais essuyé;
Je suis moulu, car, sire, on s'échine à la guerre;
On arrive à haïr ce qu'on aimait naguère,
ITtV Le danger qu'on voyait tout rose, on le voit noir.
On s'use, on se disloque, on finit par avoir
La goutte aux reins, l'entorse aux pieds, aux mains l'ampoule,
Si bien qu'étant parti vautour, on revient poule.
Je désire un bonnet de naît. Foin du cimier!
180, J*ai tant de gloire, ô roi, que j'aspire au fumier.
Remarquez que Hugo, dans ce travail de remaniement, a allon
les deux discours du Flamand et de Charlemagne, qu'il a ajouté
deux longs discours de Cliarlemagne et d'Euslache. Il y a donc
une sorte de crescendo dans le développement. Puis, Ch a rie magne
une fois las, un decrescendo brusque va se produire par le dia-
logue avec Gérard de Roussillon et par l'énuniération des preux
consultés en vain. Tout cela est composé avec un art très sûr.
Il ne reste plus qu'une addition, excellente, tout entière origi-
nale» et qui contient le portrait, vraiment utile, d'Ayraeri ;
Il regarda celui qui s'avançait, et vît,
Comme le roi Saiïl lorsqu'apparut david,
265. Une espèce d'eu Tant au teint rose, aux mains blanthes,
Que d'abord les soudards dont L'estoc bat les hanches
Prirent pour une tille habillée en garçon,
Doux, frêle, con liant, serein, sans écusson
Et sans panache, ayant, sous ses habits de serge,
270. L'air grave d'un gendarme et l'air froid d'une vierge.
Ces additions, en se raccordant au texte, y déterminent de
petites modifications.
Le vers 111 , pour opposer nettement le sort du guerrier h celui
\y>ii:iui .Lût » ET « LB MAiu\<:i ni im»\Mi », 25
du laboureur, était obligé de reprendre l'apostrophe du vers 104 a
Charlemagnc ;
Sire, voilà longtemps que j'ai pour tout destin..,.
Après l'addition des vers 107 à HO, il suffit d'écrire :
Voilà longtemps que j'ai pour unique destin,.,,
Inversement, au vers 271, le premier texte, qui venait de
nommer Charlemagne, lui faisait dire :
Ça, page, qui ramène, et qu'est-ce qui t'émeut?
Après l'addition du portrait d'Ayineri, force est d'indiquer que
l'empereur prend la parole :
Toi, que veux-tu, dit Charïe, et qu'est-ce qui t'émeut?
Si les additions rendaient le poème un peu moins semblable au
récit de Jubinal, un certain nombre de corrections de Hugo amè-
nrnl aussi te même résultat. Quelques-unes sont d'ailleurs sans
grande importance : " ses dromons » pour les dromons1 », v. 31);
— « Elle a pour se défendre » au lîeu de « Son dne a pour sa
garde »t v, 51; — » harassés » au lieu de n fatiguée »t y, 55;
— *< les assiégés riraient » au lieu de i riront », v. 71; — h fort
malade » pour « tri* malade », v. 94; — « Hugo de Colenlin »
pour « Hugues », v; 99 et 103; — « une bannière trouée » pour
« m hurlions », v. 192; — m vous qui m'avez suivi jusqu'à cette
montagne » au lieu de cet emploi du verbe suivre qui rappelle
mieux le verbe servir de Jubinal ; « Vous qui jusqu'à ce jour
tes Charlemagne », v, 219.
Aux vers H et suivants, un remaniement plus important fait
disparaîlre ce trait emprunté à Jubinal : « je veux venger l'affront
fait h nos capitaines ». Hugo écrit maintenant :
Or, je suis triste* et c*est le cas d'être joyeux*
4o. Oui, dusse -je rester quatorze ans dans ces plaines,
0 ^ens de guerre, archers, compagnons, capitaines,
Mes enfants! mes lions* saint Uenis m'est témoin
Que j'aurai cette ville avant d'aller plus loin'.
Au vers 50 f Bugo avait écrit, conformément, non pas au texte,
mais à l'esprit du passage de Jubinal :
Et je suis le plus las, car je sui* le plus vieux ;
il corrige de la façon la plus heureuse :
Et je suis le moins las, moi qui suis le plus vieux.
I. Je souligne ce qui, dans le premier texte, rappelait particulièrement l'article de
Jubinal.
2it
REVUE h HISTOIRE LITTERAIRE DE LA PltAXCE.
Au vers 75, « Barcelone en mer * n'était pas heureux; « le val
de Bas tan n (près de Pain pel une) était pour faire un meilleur eiïet,
surtout rimant avec « Satan», par lequel on remplacerait 1* « enfer »,
De là un texte nouveau, un peu plus éloigné de Jubinal que
l'ancien :
rt. Et qui vont, le premier, dans le val de Baslau,
Le second à Bordeaux, le dernier, chez Satan.
Enfin le vers 102 disait d'abord : ti Narbonne est à vous, si
vous la voulez prendre », avec la même forme hypothétique que
dans l'article du Journal dn Dimanche* Une correction donne en
texte plus piquant ;
«♦, Narbonne est ù vous ; vous n'avez qu'à la prendre.
Je m'arrête, sans signaler les corrections qui n'intéressent pas
la composition dn poème : l'étude en est facile avec les notes cri-
tiques de M. V. G lâchant, Je signalerai simplement, parce qu'elles
prouvent combien Hugo a eu pour source unique l'article de
Jubinal, les hésitations du poète au sujet des noms propres que
J u binai ne lui fournissait pas. Au vers 107, le manuscrit porte :
« Samo, Thessalus, fiaïfïer »; en imprimant sa Légende^ Hugo a
remplace Samo par Tryphon, et, du coup, Samo, devenu dispo-
nible, est allé se faire diviniser au vers 201 à la place de Sibo.
Vu vers 124, le comte de Gand a successivement * mis à bas n les
brigands Canut, Everard et Maugîron, tant ces divers personnages
(aussi bien que le comte de Gand lui-même, et Eusiache de Nancy,
eL Garin» et AlberL de Périgueux) doivent leur naissance à l'ima-
gination du poète et aux nécessités de la rime ou de l'harmonie*
Au vers 127, il y a mieux : le nom de Bavon, mère du comte de
Gand, a remplacé l'apostrophe Baron, par le seul changement
d'un r en v. Si je n'avais pas fait vérifier le mot sur le manuscrit,
j'aurais cru volontiers que Baron était d'abord resté dans le te\l<1
et n'était devenu Bavon que par une erreur d'impression, l'inverse
de celle qui, dit-on, a changé en rose la Rosette de Malherbe :
Baron, ta mère était de fort bonne maison J,
On voit de quelle façon curieuse a été composé ce poème
à'AtjmeriUoL Un article de revue populaire mis en vers; des
suites de mots, des phrases entières d'une prose médiocre trans-
1. L'édition ne variHur de la lépend* ne met d'ailleurs pas de virgule après
ta mère. Il y en a une duns l'éd. de la première série donnée nar la librairie
Hachette.
a ÀYNE1UU0T » Kl « LE MAIUACB DU RÔUKO )>.
portées dans des alexandrins; des rimes données d avance comme
dans des bouts-nmés; les intervalles comblés selon les nécessités
de la rime eL de la mesure ; puis, le premier travail achevé, quel-
ques menues retouches ça et là et des additions inattendues qui
semblent partir d'une imaginai ion débridée : y a-l-il là vraiment
«le quoi faire espérer un chef-d'œuvre? El cependant! en dépit de
ses trivialités et de ses bizarreries1, c'est bien un cln'f-d'ieuvre
qu'Âyrn&riUûi) el le plus au th en tique des chefs-d'œuvre. L'article
à mettre en vers a été bien choisi; 1rs plus prosaïques des «^pres-
sions ou des phrases de son auteur ont formé, je ne sais com-
ment, des vers sonores, pittoresques, poétiques (£7 (pion en
parlera plus dû quatre vents ans; — Et sur une montagne, au loin
et bien avant Dans les terres ; — Si vous étiez vivants, vous pren-
driez Narbotnw.*.); les rimes acceptées en ont amené d'autres, ou
piquantes [Quant à noué, autrefois, c'est vrai, nous triomphâmes; —
On peut bien oublier quelque chose à m* m âge\ — Comte, ce bon
duc X'ttftttr r.rpire de vieillesse) ou saisissantes {Gérard de Rous-
si Hou regarda d'un a/r s** mitre; — Voilà comme parlaient tous ces
fiera batailleurs] — Je ne suis point comment on porte les affronts);
les intervalles entre les passages reproduits sont le plus souvent
remplis d'idées heureuses, d'images brillantes, ou même, dans
le discours de Charlemagne, d'une éloquence sublime. Les
retouches sont heureuses. Les additions, parfois contestables,
ne détruisent pas l'équilibre des diverses parties de l'œuvre,
ainsi qu'il arrive ailleurs (dans Êviradnui, pur exemple, ou dans
la Confiance du marquis Fabrice) \ elles V améliorent, au con-
traire, et contribuent à donner au poème la marche si simple, si
sure, si furie qu'on y admire.
C'est d'une façon tout analogue qu'a été composé le Mariage
de Roland.
Ici encore, Hugo s'en est tenu au texte de JubinuJ, dont il a
conservé les pires erreurs : la méprise fameuse sur Tépée Haute-
claire, qui avait appartenu à Closamonl, el que le poète appelle
elle même Closamont, n'a pas une autre origine.
Le vieux trouvère racontait qu'un juif cherchait une épée pour
Olivier :
1> Par exemple, l'allusion faite en "8 à la Sorbonne, laquelle a été fondée
en 1353.
28 m:\iE ruiisToniL littéraire de la fjunce.
Une en aporte ke molt fut onoree.
plus de e. anz Tôt U lui* gardée,
Closamont fut, k'icrt de granl renommée.
\ï emperere de Rome la loee....
en leseriture ke il ait efgtpdi4
travail eseril, c'est vérité prouvée,
ke Hautectaire avoit à non lespee '.
Juhiii.il, prenant le cas régime Ctosamonf pour un cas sujet,
a écrit :
... deux ëpées, dont l'une était la fameuse Closamont, nommée aussi
Hauteclaire, qui avait, selon la légende, appartenu à l'empereur Cons-
tantin.
De là les vers :
70. L'épée est cette illustre et Hère Closamont,
Que d'autres quelquefois appellent Haute-Claire.
Dans le Mariage comme dans Aymerilht) le poète garde
textuellement, ou presque, des phrases entières de son modèle :
u Olivier» lui dit-il, je suis le neveu du roi de France, et je dois agir
comme un franc neveu de roi ; je ne puis frapper un ennemi désarmé ;
va donc chercher une autre épée qui suit de meilleure trempe» et fais-
moi en même temps apporter à boire, car j'ai soif. — Merci, Roland *,
dit Olivier.
Çà, dit Roland, je suis nœu du raidi fVofltit,
Je dois me comporter en fntnc ncreu éê rot
Quand j'ai mon ennemi désarmé devant moi,
B5, Je m 'arrête. Va doue Chercher unr nuire djpée,
Et lâche, cette fois, qu'elle soit bien trempée,
Tu feras apporter à boire en même temps,
Car j'ai soif. — Fils, merci, dit Olivier.
Dans le Mariage, enfin, comme dans Aymeriliot, ce que le poète
ne peut utiliser à la place même où le lui présente Jubinal, il le
transporte volontiers ailleurs, Jubinal parle de « capuchons de
mailles » au dénouement; Hugo les a placés au milieu de son
récit, Jubinal dit : « Le duel terrible recommence »; Hugo écrit :
« le duel reprend », et, sans doute inconsciemment, recueille
répithete terrible dans son premier vers.
Cependant l'imitation Je L'épisode de Giranl ée Vian* est
moins heureuse, eu somme, que celle de l'épisode dViymevv de
Narbûnne* Le récit de Jubinal étant plus sec, Hugo a donné davan-
tage carrière à son imagination, il a retranché, il a ajouté; et les
retranchements, comme les additions, prêtent à la critique,
\, Bekker, Der ttotnan von fitaoftrar, p. xxxixt v, 2675-2618 et 2691-2693,
« AYMERILLOT » ET « IE MARIAGE DE ROLAND ». 29
Deux incidents ont disparu, dont le poète eût pu tirer un excel-
lent parti : rémotion de la belle Aude, qui, assistant de loin au
combat, est partagée entre son affection pour son frère Olivier et
son amour naissant pour Roland; ensuite et surtout cette inter-
vention divine dont Quinet avait parlé avec enthousiasme :
« lie soir arrive, la nuit arrive, le combat dure toujours. A la fin une
nue s'abaisse du ciel entre les deux champions. De celte nue sort un
ange. 11 salue avec douceur les deux francs chevaliers : au nom du
Dieu qui créa ciel et rosée, il leur commande de faire la paix, et les
ajourne contre les mécréants à Roncevaux. Les chevaliers, tout trem-
blants, lui obéissent, ils se délacent l'un à l'autre leurs casques; après
s'être entrebaisés, il s'asseyent sur le pré, en devisant comme de vieux
amis. Voilà le seigneur féodal dans ses rapports avec Dieu.
» Tout cela n'est-il pas singulièrement grand, fier, énergique? Le
tremblement de ces deux hommes invincibles devant le séraphin
désarmé, n'est-ce pas là une invention dans le vrai goût de l'anti-
quité, non romaine, mais grecque; non byzantine, mais homérique? »
Et Quinet ajoute en note :
« Voilà un sujet de tableau tout trouvé. Il me semble fait pour tenter
un grand peintre '. »
Hugo n'a pas été tenté : a-t-il reculé devant un trait de mer-
veilleux trop purement chrétien?
En revanche, il a donné à tout l'épisode des couleurs plus
sombres, plus effrayantes, un peu criardes : « on dirait une monu-
mentale parodie », a écrit M. Merlet*. Les héros, qui combat-
taient deux jours dans la chanson de geste et dans le récit de
Jubinal, ne s'arrêtent maintenant qu'au bout du cinquième, après
avoir perdu leurs épées, après avoir perdu leurs casques, après
avoir lutté,
sourds, effarés, béants,
134. A grands coups de tronc d'arbre ainsi que des géants.
Certes, nul poème ne contient de vers plus éclatants, plus
pittoresques, plus expressifs que le Mariage de Roland; mais,
puisque Hugo, en certains passages, suivait son modèle avec
une si curieuse fidélité, pourquoi s'en est-il tant éloigné ailleurs?
Comme il serait fastidieux de comparer le Mariage à sa source
avec la même minutie quAymerillat, je me contenterai de donner
1. Histoire de la poésie, ch. X, p. 343-344.
2. Morceaux choisis... cours supérieur, t. I, Poésie.
10
REVUE D HISTOIRE LtfTtiAllIB L*K LA KRAÎ1CE.
le passade de lu binai, eu hou lignant ce qui est enlré dans le
poème de Hugo et en renvoyant aux vers de ce poème :
Pourtant il fallait en finir; car, avec toutes ces batailles successives,
l'épopée n'aurait jamais eu de terme. Il fui donc décidé qu'un combat
particulier entre Roland et OHmer (22 déciderait la querelle, et que ce
duel, dont tout un peuple était l'enjeu, aurait lieu te matin (H . i
tmr tfê tttuêê awdessous tf< Vtrnur^ nu miliiU du Rhône (3 el passim).
L'auteur entre alors dans de grands détoili RIF la manière doni on nrmn
Olivier (27). Un vieux juif apporta des firmes qui amient appartenu i
Salomon (33 Uarckoviqwe dp \ t i'36-37)T puis, les ayant
remises au jeune héros, celui-ci monta dans une barque qui devait le
conduire au lieu du combat.
De son côté, Roland ne fut pas en relard, et foumnâni à In main (38)
Durandal parait ici pour la première fois , il gagne le lieu du rendez-
vous.
De son côté, la belle Aude se trouve dans une singulière situation,
Son frère e-t-il vainqueur, c'est sou amant qui périt. Son amant est-il
victorieux, il lest par le trépas de son frère. Cette position n'est pas
sans analogie avec celle de Chimène et du Cïd. Ce sont à peu près les
vers de Corneille :
.,,. 0 Dieu, l'étrange peine!
Eu cet affront mon père est l'offensé
Et l'offenseur le père de Chimène. *
Aussi la belle Aude fait-elle entendre des gémissements : — *< Ah!
beau frère Olivier! que dur est mon destin! Si je vous perds, jamais je
ne serai épousée par Roland, et l'on fera de moi une nonne voilée. »
Une fois arrivés dans l'île, les deux héros marchent droit l'un à
l'autre T et le combat rommence. Ils n'ont pour témoin? que tes bahî
qui le* ont conduits \ 18). Après um lutte qui dure un temps considérable
(1-2), Roland tue le cheval d'Otivin* 1,2), fuit tomber son casque, et brise
Pêpéë de son vaillant adversaire (48). — Celui-ci recommande son âme à
Dieu et s apprête tt mourir 50). Roland devine sa pensée : m Oliub'i\ lut
dît -if, je suh le neveu du roi de France , et je dois agir comme un franc
neveu de roi; je ne puis frapper un ennemi désarmé ; va donc eherehev
un*1 autre epée qui soit de meilleure trempe, et faix-mot en mfmc temps
apporter a boire, car foi soif < 52-58).
* — Merci, Roland, dit Olivier (58), je vous sais bon gré de votre parole, *»
// va trouver alors le marinier (59-00) qui l'avait amené et fui donne
tordre d'aller a Vienne, ehercher du vin et des armes [ùi -62). Celui-ci
revint bientôt (66) avec du meilleur vin de Gérard contenu dans un vase
d'or, et deux épèes> dont Vune était fa fameme Clommont\ nommif aussi
Hnuteclaire 70-71), qui avait, selon la légende, appartenu à l'empereur
Constantin. Olivier donne à koirt a Roland, ei U combat recommencé
(74-78). i Le bruit en Était H fart (112), dit le poète, qu'on l'entendait
« AYMERILLOT » ET « LE MARIAGE DE ROLAND ». 31
de Vienne grondant comme un orage et que des éclairs sortaient des
épées (80). » Le jour tout entier se passe ainsi (82). Enfin le soleil baisse
à Vhorizon et la nuit arrive (82-83).
« Olivier ', dit Roland, je me sens malade. Je voudrais me reposer; car je
ne puis plus me soutenir (83-86). — Soit, dit Olivier, je veux vous vaincre
avec mon glaive, non avec la maladie. Dormez sur l'herbe verte, je vous
éventerai (80-89) de mon casque, afin de vous donner de l'air. — Vassal,
répond Roland, je ne voulais que vous éprouver, mais je puis combattre
encore quatre jours et quatre nuits sans me reposer (91-94). »
Aussitôt le terrible duel recommence (1 et 95). Le jour trouve les deux
guerriers toujours combattant (102), et, à la fin de cette seconde journée,
ils allaient peut-être périr chacun de fatigue, quand le poète, par une
hardiesse bien rare en ce temps et tout épique du reste, fait intervenir
la puissance suprême : un nuage couleur de pourpre vient s'arrêter au-
dessus des deux guerriers; un ange en descend, le signe de la rédemp-
tion à la main, et, se plaçant entre eux, il leur dit qu'ils ne doivent
point périr ainsi par la maiu l'un de l'autre, mais en combattant contre
les infidèles. Et il les ajourne à Roncevaux.
A celte vue et à ces paroles, les deux héros se prennent à trembler.
Bientôt ils se jettent dans les bras l'un de l'autre, délacent mutuelle-
ment leurs capuchons de maille et vont s'asseoir en causant sous un arbre
(63-65), les pleurs aux yeux, comme deux frères longtemps séparés qui
se retrouvent. « Olivier, dit Roland, vous êtes, après mon oncle Charle-
magne, l'homme que j'aime le plus au monde. — Pour vous prouver que
vous ne m'êtes pas moins cher, reprend Olivier, je vous donne ma sœur
Aude (141-142). » Roland, en effet, l'épousa bientôt, quand Charle-
magne eut fait la paix avec Gérard. Les deux héros ne se quittèrent
plus, même pour mourir...
VI
La façon dont Aymerillot et le Mariage de Roland ont été com-
posés est-elle tout exceptionnelle dans la carrière du poète? ou
lui est-il souvent arrivé de suivre ainsi de très près certains
modèles? Nous l'apprendrons sans doute de l'enquête qui est
ouverte et qui se poursuit vaillamment sur les sources de ses
poèmes.
Eugène Rigal.
s*
E D HISTOIRE LITTÉRAIRE HC LA FlJIÎICi;
RACINE ET PORT-ROYAL
La tombe de Racine est aujourd'hui k Saint-Etienne du Mont,
près de celle de Pascal, mais ce n'est pas là que l'auteur â*AUt
s'était choisi une sépulture : ses restes s'y trouvent comme en
exil, ou pour mieux dire en disgrâce. Racine a voulu être ense-
veli, non pas dans nue église de Paris à la manière des rici
mais dans le cimetière du dehors d'un monastère de femmes, à
Port-Royal des Champs. C'est après un séjour de douze ans dans
celte terre bénie, et lorsque Ton détruisit Port-Royal de fond en
comble, que les cendres du poète ont été transportées à Saint-
Etienne du Mont, paroisse de sa veuve; la pierre tombale qui recou-
vrait son corps ne Ta même rejoint que cent ans plus lard, en 1818.
Si Racine a désiré si ardemment de reposer pour lé terni té à Port*
Royal, c'est parce qu'il y avait entre lui et cette maison célèbre
des liens indissolubles : il lui appartenait par sa naissance,
par son éducation, par le caractère de son génie à toutes les
époques de sa vie, et enfin par les généreux sentiments de
vingt dernières années. Alors même qu'on le considérait a Port-
Royal comme un enfant prodigue engagé dans la voie de perdi-
tion, il déployait les qualités que ses maîtres avaient déve-
loppées en lui. Racine serait incompréhensible si Ton ne
disait toujours en étudiant sa vie et ses œuvres qu'il a été élevé
à Port-Royal et qu'il a conservé la marque indélébile de son
éducation. Telle est la raison d'être de cette nouvelle étude, où
Ton verra paraître successivement Racine écolier, Racine poète <le
théâtre et pamphlétaire, et enlin Racine pénitent devenu l'ami, le
conseiller, le défenseur et l'historien de Port-Royal.
I
Lemcàtiox.
Ce n'est pas le hasard qui a fait entrer Racine à Port-Royal en
1635; ce fils d'un bourgeois de la Ferté-Milon était, comme to&t
bon janséniste, prédestiné à devenir un jour l'élève de Lancelot,
de Le Maître et de .Nicole. On peut en effet compter à la douzaine
les religieuses, les serviteurs et servantes volontaires, les amis
racine ei runr-novAL.
♦lu dehors que la Forté-Mîlon a donnés à Port-Boy al ilans la
première moitié du xvn" siècle, les Yitart, les Passart, y compris
la trop fameuse sœur Flavie, les Dessaux, les Desnioulins et
enfin les Racine. L'année même qui précéda la naissance du
poète, Lancclot persécuté dut ramener à la Ferté-Milon un jeune
Yitart dont il était le précepteur; quelques jours plue tard, il
y fut rejoint par Antoine Le Maître et Le Maître de Séricourt, son
frère, et durant treize mots ces trois m messieurs >> logèrent chez
les Vitart, Les rôles furent intervertis dans la suite, et
M Vilarl reçut l'hospitalité pour elle et pour ses cinq enfants
ilans les dépendances de PorUUoyal des Champs,
Oiwut à Racine, il ifa pas été, comme on le croit ordinal-
Mit, élevé dès Te n fane e dans les célébras petites écoles. Dès
qu'il fut en âge (l'étudier, on le plaça au collège de Beauvais,
plus éloigné de la Ferlé -M Mon que Snissons et que Paris même»
C'était à dessein, et parce que ce collège, surveillé de très près
par le saint évêque Choart île Buzmval, était alors un des meil-
leurs de France, préféré par certaines familles à ceux de la capi-
tale. Ou y mettait, dît un historien, a des maîtres capables d en-
seigner la crainte de Dieu comme les helles~lo Lires, et de
répandre l'onction de la piété sur la sécheresse des premières
études *, Le célèbre Godefroy Hemiant, qui fut plus lard recteur
de T Université, y avait fait deux rhétoriques consécutives; Walou
de Beau puis, Tun des plus excellents maîtres de Port-Royal, y
fut trois ans rhéloricîen, et suivant toute apparence il en a été
,k même pour Jean Racine, qui séjourna, ilit-on, cinq ans au
collège de Beau vais, S'il entra à Port-Royal en 1655, d'autres
(Usent en 1654, ce fut après avoir terminé ses humanités, pour y
faire, sous la direction de maîtres éminents, ce qu'on appellerait
I aujourd'hui une rhétorique supérieure* Les tuteurs du jeune
orphelin et les amis de sa famille s'élaieiit préoccupés de son
avenir, qui semblait devoir être très brillant; avant de lui fain*
ri ailier la philosophie et ensuite la jurisprudence, ils voulurent
lui accorder deux années de travail tiljre. Racine fut à Port-Royal
un étudiant en lettres, et nullement un écolier. La fameuse anec-
iotl Jn roman diléliodore conlîsqué deux fois par Lancelot, et
livré finalement par un jeune homme qui déclarait le savoir par
cwur, en est la preuve manifeste; inexcusable chez un écolier,
qia se serait vu aussitôt renvoyer, cette frasque pouvait ètai
pardonné* à l'étudiant, qui devait avoir alors dix-huit ans. Il ne
faut donc pas dire de Racine, comme on le dit avec raison de
un de Tillemont, qu'il a fait voir au monde ce que pouvait
Kiv* o'hist. UTTÉR. t>E LA FrâKCK (71 And,)*— VU. 3
M HEVTE & HISTOIRE LITTÉAjURï: DE LA FIU5CC.
produire ï admirable pédagogie de Port-Royal. Lorsqu'il sorlii
de Beau vais pour aller aux Granges, il sa rail déjà beaucoup
grec et de latin. Ses nouveaux maîtres eurent néanmoins le
inertie de lui en apprendre plus encore et de l'initier, grâce
à des explications bien faites et à des traductions très soignées,
à Tari d'écrire en français. # On s'appliquait, dil un ancien élfcve
des petites écoles, à ee que les traductions fussent d'un français
pur et exact », et comme * le petit Racine », élève chéri de
l'ancien avocat Le Maître, semblait destiné à devenir lui aussi
un a vont t célébra, on ne négligea rien pour lui enseigner la
langue que parlait alors même l'auteur des I .fr«.
Chassé des Grandes, en mars 1656, par une descente du lieu-
tenant de police, Racine dut changer de demeure et aussi de
maîtres. Il fut logé* sans doute par le duc de Luynes, dan-
château de Vaumurier où Pascal écrivit quelques-unes de ses
Prtttt s Leiirgg^ et l'on aime à se figurer qu il put y contempler
raîts d'un si grand homme. Alors sans doute il cessa d'expli-
quer du grec avec Lancelot; et Antoine Le Maître, qui aimait tant
son élève, l'abandonna aussi pour éviter la Bastille ou Vincenu
Les professeurs de Racine, durant ces années si troublées, furent
Nicole Je latiniste par excellence, et cet admirable docteur llanv
médecin de Port-Royal, dont Boileau a pu dire sans exagération
qu'il était
Tout brillant de savoir, d'esprit et d'éloquence.
C'est alors que Racine, ayant forcément des loisirs, put s'en-
foncer, un Sophocle à la mainT dans les grands bois qui entou-
raient l'abbaye de 'Port-Royal. S'il gravissait le coteau des
Mollerels à Test ou celui des Granges au nord, il avait à Bftfl
pieds ce beau vallon, si sauvage et si poétique, ce monastère ou
priaient pour lui Marie Desmoulins, sa grandmère, et SfBttf de
Saïnte-Thècle Racine, sa tante; cette église dont les cloches
harmonieuses parlaient sans cesse aux échos d'alentour, et l'élan-
et les prairies bordées de peupliers. Sa jeune Ame s'emplissait
alors de poésie, et il s'essayait à chanter. Il célébrait en vers
Lien faibles encore, en vers à peine dignes de M- de Sacy. les
beautés d'un tel paysage, les bois, l'étang, les prairies et leurs
troupeaux, les jardins de l'abbaye enfin; et d'autres fois la tnuae
latine lui inspirait quelques vers, d'une facture meilleure, sur
Port-Royal persénilé. De retour à Vaumurier, nu à la maison
îles Granges, quand on crut n'avoir plus à redouter de visites domi-
ciliaires,il reprenait ses livres, et tout donne à penser qu'il jetait
KÀi;iNE Kl |»«mî~IU>YAl.. 35
un regard curieux sur les ouvrages parus nouvellement, sur les
Plaidoyer* <!*■ L<i Maître, publiés en 1657, et sur les l*njri,trfat§t%
11 y e plus : si nous en croyons le neveu Je Walon de Beaupuis,
un ancien élève de Port- Royal en ces années-lu, Racine a du
collaborer à la traduction latine d>> ces mèmea Provinciales. Le
bon Nicole donnait en effet des fragments de Pascal en guise Je
thèmes latins, et les résultais obtenus furent tellement brillants
que certains de ces thèmes passèrent sans changement dans la
célèbre publication de Nicole-Wetidrock.
Telle fut l'éducation donnée à Racine durant les années qui
s'écoulèrent entre 1054 ou 1G;55 et 1658. Elle avait surtout pour
objet de compléter des éludes secondaires très bien faîtes, et de
fournir à un jeune homme admirablement doué les moyens d«-
briller dans le monde. Aussi instruit que pas uuT il était de plus
initié à d'excellentes méthodes de travail, et Ton pouvait espérer
que les leçons et les exemples de ses maîtres devenus ses anus
le prémuniraient contre les séductions du mal. Ne sachant pas
au juste quelle profession le jeune Racine pourrait embrasser,
car il semblait hésiter entre l'église et le barreau, srs protecteurs
déeîdère&t de lui faire étudier la philosophie, introduction néces-
saire à la jurisprudence comme à la théologie, et ils le placèrent
au collège d'Harcourt, dont le principal était alors un Mf Fortin,
ami de Pascal, un de ceux qui imprimèrent clandestinement les
provtncttth's* Les biographes de Racine déclarent qu'ils ne savent
rien de cette dernière année de sa vie d'écolier; voici quelques
indications puisées à très bonne source : elles sont empruntées
aux Mémoires manuscrits de Codefroy Ilermaut, ancien recteur
de l'Université, et elles prouvent que Tannée scolaire 1658-1659
fut pour Racine une année de crise. C'est alors qu'il prit, sans
toutefois oser le dire, la résolution de s'adonner à la poésie. « Les
épines de la philosophie avaient peu de rapport à son génie »,
lisons-nous dans Uermaut, et quatre mois après son entrée au
collège d Hanourt, il écrivait à M* d'Àndilly « pour se plaindre
dune ûCeupatàOO qui lui paraissait si désagréable ». Philosophe
malgré lui, il cherchait des distractions, ou, comme on disait
alors, des divertissements, et celui dont il fait part à son pro-
tecteur dans sa lettre du 26 janvier, c'est une visite à l'église des
Jésuites de la rue Saint- Antoine. 11 y est venu pour se gausser
des bons pères; il y rit à perdre haleine en voyant apparaître un
jésuite a ligure d'Ëscobar; lise donne ainsi, moyennant * un sou
marqué pour des chaises », le plaisir de la comédie. Encore
quelques mois, et sans doute il ira pour quinze sous au parterre
. litiVtE 11 HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA fltANM
du Marais ou de l'Hôtel do Bourgogne, ou même du Palais-Royal,
aux premières représentations ries Précieuses ridicules.
In mois | peine après son entrée au collège d'Harcourl,
Racine perdit son meilleur ami, son second père, Antoine
Le Matin?, qui mourut à l'âge de cinquante ans le i novembre 1 658,
et cetle mort te rendit, si Ton ose dire, plus orphelin que jamais.
M. Hanioti, médecin de Port-lîoval ei des pauvres d'alentour,
ne pouvait pas qui lier ses malades; Lancelot L'helléniste
contraint de se cacher; Nicole se cachait de môme pour mener
à bonne fin la publication des Provinciales françaises et latines;
enfin la bonne gramrmère Marie Desmoulios et la tante Agnès
ilr Sainte-Thècle Racine vivaient cloîtrées à Port-Royalt à huit
lieues «lu collège d'Harcourl. Ainsi notre jeune philosophe, un
provincial qui jusqu'alors n'avait fait que traverser Paris» se
trouvait, ou peu s'en faut, livré à lui-même les jours de congé.
Le 2t> janvier, nous le savons par sa lettre à d'Andillv, il avait
pour camarade et pour mentor lu grave et pieux Thomas du Fossé,
plus âgé que lui de cinq ans; mais ce fidèle Achate de M. de Sacy
vivait ordinairement assez loin de Paris. Racine était donc,
toutes les fois qu'il sortait du collège d'Harcourl, ou seul sur le
pavé de la grand'ville, ou en compagnie de son cousin Vilarl,
ancien élève du Port-Royal lui aussi, mais attaché à la maison
du duc de Lu vues el Irï-s entouré dans le monde. Les principes
de morale et de religion que ses maîtres lui avaient inculqués
risquaient fort de s'alTaiblir dans de telles conditions, et de fait
il se donna carrière durant son année de philosophie. On peut
affirmer sans cm in h* de se tromper que Racine a fait des vers, et
beaucoup devers, en 1669; la prodigieuse différence qui sépare
les versïculels des odes sur Port-Royal et les belles stances de
l'ode de 1660, intitulée la Wtffnpheâ* la Seine, en sont la preuve
manifeste; les premiers sont d'un apprenti, les autres sont d'un
jeune maître très exercé.
Mais le fait de courtiser la muse française ne pouvait pas
constituer un crime, même aux yeux des jansénistes les plus
rigides» Ou sait en effet que l'austère Sacy, celui-là même qui
enseignait a Pascal à mépriser les hautes sciences, avait rimé les
Racines grecques de Lancelot, et versifié les EnlvminMF
tWhntuuïch des Jésuites, en attendant qu'il composât un Paerne
sur ^Eucharistie, Dans les Heures de Porî-Rotjttl, les hymnes
étaient Induite* en vers français; M. dWndïlly, poète à ses
moments perdus, avait réimprimé maintes fois ses /'
pour qui donc enfin le bon Lancelot avait-il joint à ses savantes
UACLNK ET PUIU-IUIYAL-
81
Méthodes un Trattë de versification [ntnratse? Port- Rayai ne
pouvait pas se scandaliser de voir sur les bancs du collège d'Har-
courl i* un poète naissant », Aussi no parait-il pas qu'on se soit
gendarmé alors, qu'on ait fulminé aux environs de 1660 la plus
ère « excommunication jk Quand il rendit à son iMaud-pére
Seonin le jeune Racine âgé de vinçt ans, Port-Royal pouvait se
dire avec justice qu'il avait tout fait pour préparer ce brillant
jeune homme à jouer un rôle dans le monde; il avait jeté dans
sou É!H€ lôfl semences de vertu qui font les grands chrétiens, et
d'autre part it lui avait donné la politesse exquise et l'instruction
I la fois solide et variée qui faisaient au xvu* siècle ce qu'un
appelait on honnête homme. Racine mourant ne sera que juste
quand il parlera, dans son testament, de a l'excellente éducation »
qu'il avait reçue dans la « maison » de Port-Royal.
II
L\ iuhouE (iiiGO-1673).
Nous savons bien peu de chose sur les débuts de Racine dans la
«arrière dramatique, et l'on ne peut dire au juste à quel moment
l'ancien élevé de Port^Royal se mit à fréquenter les cens de
théâtre. Les Mémoire* de Louis Racine ne nous apprennenl rien à
ce sujet, et la correspondance du jeune poète avec son cousin
Vitart ou avec l'abbé Le Vasseur est pleine de sous entendus et
ïiceucos. C'est apparemment dès i6T»0t et par l'intermé-
diaire de Le Vasseur, que Racine chercha pour ses premiers essais
la protection d'âne comédienne; mais il n'avait frarde de s'en
vanter, car il craignait les admonestations de sa grand'mère et de
sa lante; et de plus il était alors au service du duc de Luyues, un
. 1 and seigneur janséniste, qui n'aurait pas manqué de lui signi-
fier suii congé. Sa situation était on ne peut plus fausse à cette
époque; lui-même a prononcé le mot d'hypocrisie a propos des
lettres qu'il écrivait alors à sa famille et des sentiments dévots
«ioiil il y faisait étalage* On comprend donc, sans pouvoir les
m tout à fait, ses velléités de révolte en septembre 1660, et
surtout en juin Hïtil, qnand il se plaignait do sa tante et quand il
se riait des persécutions de Port-Royal, il était alors dans toute la
fougue de la jeunesse, avec nue imagination ardente ai une senei*
bililé des plus vives. Il avait conscience de son talent, pour ne pas
dire de son génie, il était ambitieux, et il se voyait arrêté à tout
KEVUE l> HISTOIRE LITTI- UAIftK \i\: LA FRANCE,
moment par des scrupules de nonnes. Sa grand'mère et sa tante,
qui ne comprenaient rien aux choses de la vie littéraire, lui fai-
saient des crimes de ses productions les plus innocentes; un
simple sonnet lui attirait des « lettres d'excommunication ». Peut-
on des lors s'étonner si Racine exaspéré sVn est pris aux docteurs
qui dirigeaient ces femmes? De là ces plaisanteries évide un in ni
regrettables sur la révocation du confesseur Singlin et sur la déf-
lation de ses pénitentes. Racine âgé de vingt-deux ans était trop
jeune pour comprendre ce que souffraient alors ces créatures
angéliquest ces religieuses d'un autre siècle. Il ne connut sans
doute pas cet admirable interrogatoire du 15 juillet 1G61« dans
lequel sœur Agnès de Sainie-Thècle Racine répondit avec tant
de candeur et de présence d'esprit aux questions captieuses d'un
grand vicaire inquisiteur. Il aurait été touché jusqu'aux larmes s'il
avait entendu cette humble fille déclarer que Iyort-Royal Pavait
reçue pour rien, et que néanmoins ou la traitait a ver aatul de
charité que les autres; il l'eut admirée quand elle disait avec une
si noble simplicité dans ce même interrogatoire : « Je crains
l'enfer, mais c est à cause que Dieu n'y est point; et il me semble
que je ne me soucierais pas des peines pourvu que je ne fusse
pas séparée de Dieu1, « Mais peut-être aussi Racine n'auraiuil
pas compris alors la sublimité de ce langage, pas plus que la sœur
de Sainte-Thexle n'aurait compris ce que son neveu aurait pu lui
dire des Bains dv Venus, des Atnours d'Ovide, de YAmasie ou
même de la Nymphe de ta Seine.
Une maladie assez sérieuse que fil alors Racine, et son séjour h
Uzès, où il semblait devoir embrasser la profession ecclésiastique,
retardèrent l'heure des grands éclats. En juillet 1663, après avoir
quitté défini lî ve ment le Languedoc, Racine écrivait à sa sœur
qu'il profitait de tous ses moments de loisir pour aller à Port-
Royal des Champs voir sa grandinère, Marte Desmoulins; et l'on
est bien obligé de reporter plus loin que cette époque la fameuse
lettre d excommunication que fulmina contre lui, en la datant de
PorU Royal, la sœur Agnès de Sainte-Thècle. Il avait pu, à force
d adresse, lui dissimuler ses premières relations avec les comé-
diens; le moyen de les lui cacher plus longtemps alors que la
Thèbatde allait être jouée sur le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne?
Cest donc bien à la fin de 1663, ou même au commencement
de 1664, qu'il faut reporter cetle lettre dans laquelle, après avoir
conjuré Racine « d'avoir pitié de son âme et de considérer V abîme
1. • Que je n'en sois pas séparé! • telles furent les dernières paroles de Pascal
mourant.
ka<:im: ii roRT-Ki>\AU UU
dans lequel il s'était jeté », elle ajoutait ; « Je souhaite < | u <* i*k
qu'on m'a dit ne soit pas vrai; maïs si vous êtes assez malheureux
pour ne pas avoir rompu un commerce qui vous déshonore devant
Dieu et devant les hommes, vous ne devez pas penser à nous
venir voir, car vous savez bien que je ne pourrais pas vous
parler.,, Cependant je ne tm*€Tti point de prier Dieu qu'il vous
fasst* miséricorde, el a moi en vous la faisant, p ni si] ne votre
salut m'es! si cher. « La dernière phrase est bien tu ne liante, mais
une telle lettre n'en élu il pas moins ce qu'on appelle un congé en
bonne forme; et il faut noter, ce qui nTcst pas tout a fait à la
louange de Racine, que Port-Royal était obligé de l'expulser de la
sorte parce qu'il y venait avec une grande désinvolture, at que ses
façons d'agir manquaient par trop do franchise. Ce fut an reste
une rupture complète; ni la sœur de Sainle-Thècle, ni Arnauld
A Andilly, ni M. Hamon, ni aucun des autres Messieurs ne con-
servèrent de relations, durant les quatorze on quinze années qui
suivirent, avec l'ancien écolier de Port-Royal devenu poète le
théâtre,
lue fois pourtant, en 1660, Racine se souvint de ses anciens
maîtres, mais ce fut pour les outrager. On sait l'histoire de ses
«kinèlés avec Nicole à propos du théâtre, et tout le monde a lu les
deux pamphlets, deux chefs-d'œuvre de langue et de style, qu'il
composa à cette occasion. Cependant les faits ne sont pas encore
suffisamment connus, et bien que ce soit, comme Racine la
déclaré plus tard en pleine Académie française, « l'endroit le plus
honteux de sa vie », il est nécessaire de les exposer avec quelque
détail, C'était dans les premiers mois de Tannée 1666; Nicole,
prenant ta défense des religieuses de Port-Royal contre Desmarels
île Saint-Sorlin, avait cru devoir opposer aux invectives de cet
énergumene un argument ad komintm* « Chacun sait, disait-il,
que sa première profession a été de faire des romans el des pièces
de théâtre... Ces qualités, qui ne sont pas fort honorables au
jugement des honnêtes gens, sont horribles, étant considérées
s. ion les principes de la religion chrétienne et les règles de TÉvan-
L:n faiseur de roman et un poète de théâtre est un empoison-
neur public, non des corps, mais des âmes d<*s fidèles, etc. » Dans
6€ | de la première Visionnaire^ il était question de Saint-
Sorlin tout seul; maisNicole lui faisait l'application particulière de
ce qu'il considérait comme une vérité générale, et par conséquent
tous les faiseurs de romans ou de pièces de théâtre pouvaient se
considérer comme attaqués. Plusieurs d'entre eux ripostèrent.
Corneille attendit Tannée suivante, et dans la préface A'ÀUila —
40 revu: d'histoire LITTÉRAIRE DE LA Fil \ NC I..
il aurait pu mieux choisir — il lâcha quelques mois a l'adresse
des jansénistes, qu'il présenta comme des hérétiques et des sédi-
tieux, Molière répondit seulement eu 1669, dans la préface de
Truiitffr\ el Ton ne voil pas que les autres maîtres de la scène,
Quinaull, Montfleury et autres, aient pris la peine de relever le
gant. Ce fut Racine, le plus jeune de tous et le moins célèbre,
car il n'avait encore compose que la ThHniïde et Alexandre , qui
entreprit de venger ses confrères. Il ne savait pas au juste
que Fauteur des Hérésies imaginaires et des Visionnaires était son
ancien mai Ire Nicole, mais il ne pouvait ignorer que la voii
publique lui attribuait ces deux ouvrages, et c'est contre lui qu'il
écrivit, en janvier 1666, une lettre singulièrement vive, spirituelle
et méchante. Il ne craignit même pas de s'attaquer dans cette
lettre I Port- Royal tout en Lier , aux solitaires et aux religieuses,
aux vivants et aux morts, à la mère Angélique, bienfaitrice de sa
famille, et même a cet excellent Antoine Le Maître, qui avait eu
pour lui la tendresse d'un père. Le jésuite le plus animé à venger
sa compagnie des attaques d'un Pascal n'aurait pu être plus amer
ou plus violent que ne l'était dans cette lettre l'ancien élève des
Petites écol
Nicole ne répondit pas; il continua à s'en prendre, dans les sept
Viïionnaifw qui suivirent, au seul Desmarets de Saint-Sorlin.
Mais deux écrivains subalternes, les sieurs Dubois et Barbier
d'Aucour, tous deux amis de Port-Royal, publièrent chacun de
leur coté une réfutation do la lettre de Racine, et Tannée suivante,
lorsque Nicole fit réimprimer par les Elzevier les Imaginaire* et les
Visionnaires, il joignit à son édition, non seulement ces deux
réponses anonymes, mais encore le petit traité que lui même
avait composé contre la comédie quelques années auparavant.
Une préface générale annonçait au lecteur ces différentes addi-
tions, et Racine y était visé de la manière la [dus directe. Voici
les termes don! Nicole se servait pour le désigner, car il ne le
nommait pas, tandis qu'à la page suivante il parlait de Monsieur de
Corneille : u Vn jeune poète, s'étant chargé de l'intérêt commun
de tout le théâtre, attaqua [l'auteur des Visionnaire*} par une lettre
qui courut fort dans le monde, où il contait des histoires faites h
plaisir, et il enveloppait tout le Port-Royal dans ce différend par-
ticulier qu'il avait avec l'auteur des Visionnaires, Car il y déchi-
rait feu M. Le Maître, la feue mère Angélique, l'auteur des Enfn-
)ainurt<s et de la traduction de Térence, Tout était faux dans cette
iHtre, et contre le bon sens depuis le commencement jusqu'à la
fin. Elle avait néanmoins un certain éclat qui la rendait assez pro-
RACINE Kl PORT-ROYAL,
M
porlionnce aux petits esprits dont le moude est plein, de sorte
qu'il y eul deux personnes qui crurent à propos d'y répondre, et
ils [str le tirent en effet d'une telle manière que ceux qui avaient
témoigné quelque estime pour celle lettre eurent honte d'en avoir
ainsi jugé,.. Si ces deux personnes n'avaient pris soin de répoudre
pour Tau Leur des Visionnaires^ il était bien résolu de laisser ce
jeune poète jouir à son aise de la satisfaction qu'il avait de son
ouvrage.,* »
Le ton de cet avertissement était, comme on le voit, assez
dédaigneux; Nicole ne jugeait pas le « jeune poète n digue de ses
coups, et il l'abandonnait à des subalternes, Dans le Traité d-
Comédie qui terminait l'ouvrage, il citait Force vers de M, de
Coraeille, mais il ne faisait pas la plus légère allusion a l'auteur
de la Thëbaîde et d'Alexandre fe Grand. Ce dédain exaspéra Racine
plus que ne l'auraient pu faire des injures; il tira de ses cartons
une seconde le! Ire qu'il avait composée presque immédiatement
après la première, et il résolut de publier ces deux pamphlets en
les faisant précéder d'une préface encore plus acrimonieuse» Mais
cette publication n'eut pas Heu; Boileau, dit-on, fit comprendre ù
son ami qu'il s'attaquait aux plus honnête* gens du monde, et
cela quand M. Le Maître de Sacy, l'un d'entre eux, était à la Bas-
tille* Racine se rendit à ces observations; il regretta même d'avoir
Fait imprimer sa première lettre, et il s'attacha à détruire les
exemplaires qu'il en put retrouver chez le libraire ou ailleurs.
Telle est du moins la version qu'ont adoptée avec empressement
les deux fils du poète; mais, tout en laissant à Boileau le mérite
de son intervention, on peut malheureusement expliquer la con-
duite de Racine par des raisons qui ne lui fout pas autant d'hon-
neur. Ine lettre autographe de Lancelota Vitart, demeurée inédite
jusqu'en 1872, permet de présenter les choses sous un tout autre
jour; elle prouve avec la dernière évidence que l'ancien élève de
Port-Royal était bien alors, suivant la doctrine augusliniennc, un
de ces justes auxquels la grâce manque absolument et qui
deviennent ainsi de grands coupables. On voit par cette lettre que
Racine, eu 1667* le prenait de très haut avec ses anciens maîtres,
qu'il se vantait de faire *u fortune littéraire à leurs dépens, qu'il
les menaçait de sa plume, et que néanmoins il avait la faiblesse de
déclarer par écrit qu'il n'était pas L'auteur de sa première lettre.
Maïs il vaut mieux laisser la [«an de à Lancelot lui-même, c'est-
à-dire à l'ancien précepteur de Vitart, au maître incomparable
qui jadis avait donné à Racine de si excellentes leçons de gram-
maire, et qui lui donna ce jour-là une si verte leçon de morale.
42
HEVl E D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Voici donc les passages les plus saillants de la lettre de Lan-
celol ' :
Ce 8 mai 1667.
« ...Quelque admiration que vous ayez de M* EL, il a des défauts qui
ne sont pas à estimer, et Ion ne vous saura jamais gré de le soutenir dans
une chose si insoutenable. Et en vérité. Monsieur, je ne sais m fom v
avez bien pensé. S'il a tort, comme vous l'avouez vous-même, puisqu'il
a nommé les personnes et qu'il a commencé le premier, où est la ta
faction qu'il en a faite, et qu'il est obligé de faire, non seulement s'il
veut mourir en chrétien, mais même s'il veut vivre en homme d'hon-
neur? Vnus savez qu'on n'a jamais d'estime dans le monde pour ceux
qui déchirent des personnes à qui ils ont de l'obligation; et cependant
c'est ce qu'a fait M. It.,et ce que vous nous représentez vous-même
qu'il est encore résolu de faire. Quand on a répondu à sa lettre, on a
tenu tout un autre procédé; on n'a point usé de fictions ni de men-
songes, on a fait voir Les défauts de la pièce sans rien marquer de la
personne. On vous a même accorde ce que vous aviez demandé, de ne
le point nommer, et on s'est contenté de la parole que vous aviez
donnée, après un billet de sa main qu'on garde encore, qu'il n'en était
pas l'auteur. Quoiqu'on fût assuré du contraire, on a bien voulu s'aveu-
gler, et on prévoyait néanmoins qu'il aurait la légèreté de s'en vanter
lui-même dans la suite. Vous voyez que Ton ne s'est pas trompé, et
qu'on le connaissait bien. ♦.. Puisqu'il a asser peu d'honneur pour dire
sans scrupule le ouï et le non sur la même affaire, qu'il ne se plaigne
que de lui, et qu'il prenne garde qu'en pensant si fort foudroyer
autres et faire sa fortune à leurs dépens, comme il s'en est vanté plus
d'une fois, il ne se fasse plus de tort qu'il leur en saurait faire. Le vrai
honneur ne s'acquiert point par cette voie,-,. C'est pourquoi, Monsieur,
si vous aimez véritablement votre cousin, portez-le plutôt à demeurer
dans le silence- (Test une affaire faite, dont apparemment on ne parlera
plu s qu'autant qu'il en donnera sujet : qu'il s'en tienne là, s'il veut
croire mon conseil... »
Il est bien aisé, quand on sait lire entre les lignes, de voir
lVLFei que dut produire sur Racine une lettre si vigoureuse et si
fière, écrite à son cousin et faite pour lui être montrée. Le poète,
qui travaillait alors même à Andromatpie, se trouvait convaincu
par son ancien maître de mensonge, d'ingratitude noire, d'hypo-
crisie enfin, el il pouvait s'attendre, s'il continuait, à de vives
représailles. On comprend qu'il n'ait pas osé soutenir plus long-
temps un tel personnage, et que, n'ayant pas assez de vertu pour
I. L'autographe de Lanrelot est aujourd'hui a Porl-Hovol *ies Champs, dans une
•lea titrfflétdi roraloire-musée; la lettre elle-même a paru en 18T2 au lome VIII
du Racine de M. Paul Mesnard.
IU< INI KT Pi.mï-mmu
43
lemander pardon, il ait du moins suivi le conseil de Lancelot, et
il île lui-même résigné à garder un silence prudent.
Les années qui suivirent s'écoulèrent sans qu'il fût question de
Bacille à Port-Royal, et sans que Fauteur âfAfttftfMft0?tt6 parut en
aucune façon se souvenir de ses anciens maîtres. Apres bien des
vicissitudes, les mères et les messieurs eurent la consolation de
voir enfin luire des jours meilleurs en Hïf>s. La paix de l'Eglise,
conclue par Clément IX maigre les jésuites, rendit la liberté aux
religieuses prisonnières, et parmi elles se trouvait sœur Agnès
île Sainte-Tlièele Racine, si étroitement surveillée qu'elle n'aurait
pu, même si elle l'eût souhaité, communiquer avec son neveu
durant ces quatre ans de captivité* Nicole, Sacy, Laucelot,
Hamon et les autres sortirent de leurs cachettes ou de leur»
prisons et publièrent à l'envi des ouvrages estimés; Àrnauhl enfin
fui présenté au roi et put voir un de ses neveux ministre d'Etat.
Quant à Racine, on sait qu'alors il marcha pour ainsi dire de
triomphe eu triomphe, et qu'il donna successive ment au théâtre,
de 1667 à 1673, Ar\(bromaquèy les PlaidôUTê% Bfit&anicuS) Baj&zei
Wiikridûtê, Vainqueur de Corneille dans la lutte trop inégale
des deux /Atô/mv's, il était avec Molière le plus illustre représen-
tant de Tari dramatique français. L'Académie l'accueillit en lfi73T
onze ans avant Boileau, et si la jalouse rage de quelques
méchants auteurs s'efforça de ternir sa gloire, H s'en vengea par
de nouveaux chefs-d'œuvre, et aussi par des épigiaunnes bien
cruelles. Il jouissait pleinement de sa gloire, et ce que nous
savons de sa vie privée à celle époque montre d'une façon
péiemptoire qull avait oublié les enseignements et les exemples
de Port-Royal.
Et pourtant c'était bien l'ancien élève des Petites écoles qui
triomphait de la sorte; et, s'il était possible de parler ici lon-
guement de l'œuvre dramatique de Racine, on verrait que son
théâtre est séparé de celui de Corneille par toute la distance qui
sépare Port-Royal du Gesù, et Janscnïus ou saint Augustin de
M ►luia. Les héros de Corneille semblent connaître aussi peu que
possible ce qu'on nomme en théologie l'état de nature déchue, et
ils croient en général avoir la plénitude de leur libre arbitre* Ils
imposent silence à leurs sentiments les plus forts, à leurs
passions les plus violentes, et quand la voix de Fhonneurou du
devoir s'est Fa.il entendre, il n'y a plus pour eux ni maîtresse, ni
femme, ni parents ou amis d'aucune sorte. Quoi qu'ils aient pu
faire, ils sont inaccessibles au regret, au repentir ou au remords.
44
RESTE D HISTOIRE UTTfrlAlftE UE LA FRANCE.
Il n\*n est pas de mémo des personnages de Racine, car ceux-là
représentée 1 vraiment les hommes tels qu'ils sont, de faibles créa-
tures livrées à toute la fureur de leurs passions, llermione, Néron,
Roxane. Mithridate. voilà bien la nature humaine abandonnée
pour ainsi dire à elle-même. El Ton ne saurait dire que ces héros
de Racine soient comme ceux du théâtre grec les victimes d'une
fatalité aveugle, car, aux yeux de Port-Royal et de Racine son
disciple, les dogmes de la grâce efficace par elle-même et «le la
prédesli nation gratuite ne suppriment en aucune façon la res-
ponsabilité. Si malheureux que soient les personnages du drame
raeinicn, leur fin tragique produit dans Famé du spectateur plus
de terreur que de pitié.
Ainsi Racine, « poète de théâtre et empoisonneur des âmes »t
devait à ses anciens maîtres une partie de son succès, car il
appliquait leurs théories psychologiques et leurs doctrines morales
alors même qu'il semblait le plus en contradiction avec eux; et
d'autre part il devait à leur enseignement de pouvoir puiser aux
sources grecques; il lui devait en outre de savoir composer et de
savoir écrire. Mais ces rapprochements qui s'imposent à notre
examen, Racine ne les faisait pas, et Port-Royal encore moins.
Racine poète dramatique ne croyait pas appliquer les principes
d'une théologie quelconque, et Port-Royal eût été doublement scan-
dalisé s il avait vu ses théories appliquées de la sorte. L'an ta:,
nisme était donc aussi complet que possible, et cependant l'heure
île la réconciliation définitive approchait; bientôt Racine allait
être, suivant ses propres expressions, « tiré de l'égaremeût et des
misères où il avait été engagé pendant quinze années ».
III
ÏM BtTOUl de l'k>fant prodigue (1673-1677).
On croit généralement que la « conversion » de Racine a été
soudaine, et qu'elle doit être attribuée h l'insuccès de Phtttre en
janvier 1G77; mais il ne faut pas admettre légèrement des trans-
formations qui tiendraient presque du miracle. Puisque Ton
démontre aujourd'hui que Pascal n*a pas trouvé son chemin de
Damas sur le pont de Neuilly, on peut démontrer de même qu'il
s'est opéré dans l'âme de Racine un changement lent, mais sur,
et que ce gTVtri homme a subi, bien avant HJ77, ce qu'on peut
appeler un retour offensif de l'esprit de Port-Royal. Considérons
en effet les différentes phases de la vie dramatique de Racine,
«AGI»: ET PUHT- ROYAL.
45
Jusqu'au mois de janvier 1073, malgré son ardeur au plaisir, il
déploya la plus étonnante activité. Chaque année, il donnait au
publie un nouveau chef-d'œuvre, et les demi-succès eux-mêmes,
bien qu'il y fui on ne peut [dus sensible, ne le décourageaient pas
longtemps. Irrité de l'accueil que Ton fit d'abord à BrUannicu$x il
imprima sa pièce avec une préface acrimonieuse; même avant île
la réimprimer avec une préface plus douce, il s'était remis au tra-
vail. Sept tragédies et une comédie en sept ans, tel est le bilan de
cette première période. Mais il n'en est plus de même après 1 (>":{;
>\ à peine si Racine donne au public deux tragédies en quatre
ans, It met dix-neuf mois ii faire FphigélM, et vingt-huit omis à
composer Phèdre. Quelle a pu être ta raison d'un si brusque chan-
gement dans les habitudes du poète? Faut-il croire qu'il s'oubliait
auprès de la Champmeslé dans les délices de Capoue? Faut-il
attribuer à des froissements d'amour-propre un ralentissement si
étrange? Osera-t -on dire que l'épuisement ou la fatigue se fai-
saient sentir chez lui comme chez Corneille ? Aucune de ces
explications n'est satisfaisante; tout s'explique le plus naturelle-
ment du monde si Ton admet que l'esprit du siècle et l'esprit de
Port-Roval se sont alors livré de rudes combats dans Târne du
poète. De 1673 a 1677, il n'est jamais question de Racine el de
ses amours dans la correspondance de MJ,,r de Sévîgné ; le nouvel
académicien parait s'être rangé quand il devint le confrère de
BossueLdeFbVhîerH de Corneille, et tout donne à penser qu'il eu i
dfca lors ou fies remords ou des scrupules de conscience. Corneille
eu avait aussi, disent ses anciens biographes, et il paraît que ses
confesseur-* jésuites avaient parfois beaucoup de peine à le rassu-
rer sot ce eh&pilre. Ils y parvenaient cependant, puisque Taulnir
du CM a travaillé pour le théâtre jusqu'à soixante-huit ans.
Quant à Racine, il semble avoir été troublé de cette manière au
milieu de sa course, des l'Age île trente-quatre ans, et sans doute
il commença par chercher ce qu'on appelle des moyens termes.
L'idée de renoncer au thé A Ire ne lui vint pas à l'esprit, mais, sui-
vant toute apparence, il résolut de composer désormais des tra-
gédies telles que la morale la plus rigide en put autoriser la
représentation, Ainsi s'expliquerait ce fait qu'au lendemain de
\ftthnti*rh\ qui lai- même succédait à Briiannieuii Bérénice et
[i<tja:,ft. Racine ne soit plus allé demander le sujet de ses pièces à
l'histoire ancienne ou moderne. Désireux d'appliquer 1 la rigueur
les préceptes d'Arîstole relatifs â la moralité du théâtre, il se mit
à étudier les modèles que ce grand moraliste avait sous les yeux
quand il préconisait Part de « purger les passions ». Il relut alors
4e
riUi; li HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE,
ses classiques, dont on lui avait fait expliquer les œuvres à Port-
Royal, et il entreprit Je les transporter sur la scène française.
C'est probablement en 1673, comme Ta dit un contemporain, qu'il
dressa le plan d'une fphigé&ie en Tftun 4e imitée d'Euripide. Mais
il y renonça bientôt parce que la modernisation d*une pareille
pièce lui parut impossible, et grâce à l'heureuse trouvaille du rôle
d'Eriphile, il put Faire Vlphîgénk que nous admirons, et qui res-
semble si peu à Bajazel ou à M/fluitlale. iphigénié% on Ta
remarqué cent fois, est une œuvre exquise, tout imprégnée de chris-
tianisme* Racine s'est complu à représenter la tille d'Agamemuon
comme « unr personne vertueuse et aimable », et l'érudition que
Ton remarque dans la préface de cette tragédie pourrait servir à
montrer combien les préoccupations du grand poète étaient alors
sérieuses,
Avec Phèdre^ représentée le ltr janvier 1677, Kaciue fit un nou-
veau pas en avant, et celte fois nous ne sommes plus en présence
de conjectures, si vraisemblables soient- elles; tout le moude
reconnaît la parfaite justesse de cette observation de M. Paul
Mesnard ; « Lorsque Kacine écrivit Plttkire, les premièrefl impres-
sions reçues dans les écoles de Port -Royal se réveillaient avec
vivacité dans son âme. » Pour se convaincre de cette vérité, il
n'est pas nécessaire d'étudier la pièce elle-même, il sufQt d'eu lire
attentivement la préface. Elle présente quelques analogies avec
celle d'Iphiffénie, mais cette fois les intentions moralisatrices du
poète apparaissent avec une éblouissante clarté. Après avoir
insinué que Phèdre lui parait h lui-même la plus raisonnable et la
meilleure de ses tragédies* Racine ajoute aussitôt : « Ce <jue je
puis assurer, c'est que je n'en ai point fait où la vertu soit plus
mise en jour que dans celle-ci; les moindres fautes y sont sévère-
ment punies : la seule pensée du crime y est regardée avec autant
d'horreur que le crime même; les faiblesses de l'amour y passent
pour de vraies faiblesses; les passions n'y sont représentées aux
veux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause, et le
vice y est peint partout avec ries couleurs qui en font connaître et
haïr i& diiïormité. (l'est là proprement le but que tout homme qui
travailla pnur le public doit se proposer; et c'est ce que les pre-
miers poètes tragiques avaient en vue sur toute chose*.. Il serai I
souhaiter que nos ouvrages fussent aussi solides et aussi pleins
d'utiles instructions que ceux de ces poètes. Ce serait peut-être un
moyen de réconcilier la tragédie avec quantité de personnes célè-
bres par leur piété » I par leur doctrine qui l'ont condamnée dans
ces derniers temps, et qui en jugeraient sans doute plus favorable-
rtINE El POKT-llOYAL. 4"
ment si les auteurs songeaient autant à instruire leurs spectateur*
j|n;i les divertir, et s'ils suivaient en cela la véritable intention de
Il tragédie. »
Y m là bien le langage d'un homme qui voudrait pouvoir
demeurer poète de théâtre, poète tragique à tout le moins, et ne
plus encourir les censures d'un moraliste comme Nicole; que nom
sommes loin de la fameuse lettre de 1666 à Tau tour des fféréneê
imaginaires] Ne semble-t-il pas même que Racine fasse ici amende
h< moralité à ceux qui h dans ces derniers temps ont nm damné la
tragédie »?Et Ton s'efforcerait en vain d'affaiblir la portée de ces
allégations en disaiiL que la préface de Phi-tir* . imprimée en
mars it*77f plus de trois mois après l'insuccès de janvier, est d'un
homme que le découragement a transformé. C'est le contraire qm
esi yrt) : l'auteur de cette préface n'est pas encore ce qui s'appelle
converti. Il voudrait continuer à travailler pour la scène; s'il était
assuré de réconcilier la tragédie avec ses « adversaires célèbres par
leur piele et par leur doctrine », il serait heureux de pouvoir com-
poser des pièces encore plus n raisonnables ji que Phèdre. Si donc
Hacine avait été à celle date le pénitent que nous allons bientôt
voir, il n'aurait pas écrit la préface de Phèdre. U y a plus, cette
tragédie elle-même n aunui pas âlé imprimée, puisque par le seul
fait de sa publication elle tombait dans le domaine public, et pou-
vaii désormais être représentée, connue elle le fut en effet, sur
tous les théâtre» de Paris et de la province. Une dernière preuve
de la non-conversion de Hacine à cette époque, c'est la belle Epitre
que Boileau lui adressait alors même pour le consoler, et dans
laquelle il lui rappelait si complaisamment ses triomphes aute-
urs. L'ami intime de Hacine eût été bien maladroit s'il avait
entrepris son ouvrage après avoir reçu les confidences d'un péni-
teûl, Mais on sait que Despréaux ne travaillait pas vile, et
TK pitre VII fut achevée trop tard, comme cette fameuse lettre de
consolation qui parvint jadis à un veuf remarié* Aussi faut-il bien
n marquer la conduite de Boileau en celte occasion : il attendit
ins, jusqu'en 1683, avant de mettre au jour ce petit poème qui
lui fait tant d'honneur.
On ne saurait donc attribuer au chagrin de Racine en jan-
vier 1677 la résolution qu'il prit bientôt de renoncer définitivement
au théâtre. Le succès que Phèdre ne tarda pas à obtenir aurait
suffi à guérir une simple blessure d'amour-pnqirc, et it faut cher-
cher ailleurs la cause de cette détermination vraiment héroïque.
A la transformation morale qui s'était opérée depuis lfi73 succéda
une véritable conversion, comparable à celles de Pascal, de Mm#de
48
REVUE D fllSTOlUK L1TTÉÎU1KE l>R LA FRANCE.
Longueville, du prince de Conti, Je la princesse Palatine et de
plusieurs autres personnages de ce siècle chrétien, Mais noua né
savons rien sur les événements qui s'accomplirent alors, sans
dmite au temps de Pâques iiïTI, parce qu'au xvif siècle les
choses do la vie privée pouvaient encore êlre entourées de silence
et de mystère. Tout donne à penser, puisque Racine Ta dit vin.i
ans plus tard dans une lettre à Mmc de Main tenon, que le rôle
principal fut dévolu en cette circonstance à la sœur Agnès de
Sainte-Thècle, à celte vierge au cœur de mère qui k Port-Royal
des Champs ne cessait de prier pour celui qu'elle avait banni de sa
présence. 11 dut se passer alors au parloir de l'abbaye des scènes
bien louchantes, que l'auteur de Bérénice seul eût été capable de
décrire; et comme au temps de la conversion de Pascal, en 1634,
il y eut à Port- Royal des « pleurs de joie », Le passé de Tiras-
cible poète de théâtre fut oublié en un moment, le doux Nicole
pardonna le premier, puis ce fut le tour d'Antoine Arnautd, de
Le Maître de Sacy, et sans doute de Laneelot, du docteur Jlamon,
de tous enlin. Racine était si louché, si repentant* qu'il voulait
quitter le monde et se faire chartreux; maïs la sagesse de son
directeur ne le lui permit pas. Ceux qui jadis avaient empêché
Pascal de fuir au désert, ceux qui obligèrent le prince de Conli à
demeurer général et gouverneur de province, exigèrent de Racine
qu'il restât dans le monde, et, connaissant le besoin de tendra
qui remplissait son cœur, ils lui enjoignirent de se chercher sans
retard une compagne et de fonder une famille. (Test ainsi que,
dans l'intervalle qui sépara le 15 mars du i*r juin, Racine aban-
donna sans retour T Hôtel de Bourgogne et la Cbampmeslé pour
épouser la pieuse et simple Catherine de Romanel.
On voit assez quel fut le rôle de Port-Royal en celle circon-
stance; aucun de ceux qui le composaient alors n'avait fait la
moindre avance, même après ïphhjênie, même après Phèdre* la
pièce sî raisonnable. Tandis que les jésuites faisaient une cour
assidue à Corneille, leur ancien élève, et que leurs casuîstes rassu-
raient Tau leur du Cid quand il avait des scrupules et parlait de ne
plus travailler pour le théâtre, les anciens maîtres de Racine affec-
taient de ne le point connaître; ce fut lui, le grand poète, le
Sophocle de la France, qui revint à eux avec toutes les marques du
repentir, et en donnant des gages 4e la sincérité de ses sentiments.
Les Jansénistes ne sauraient être accusés d'avoir frustré la scène
française des chefs-d'œuvre que Racine pouvait encore lui donner,
car il avait définitivement abandonné le théâtre quand il revint à
eux. La fréquentation de ces hommes rigides nétoufTa nullement
MACINK VJ PUllï-UUYAL
49
son génie, el de même que Pascal converti avait écrit les Provm-
\h$ et les Pensées, nous verrons bientôt Racine pénitent écrire
jE&thcr et Alhaiie.
IV
L'expiation (f6TM6n)é
La vie publique de Racine après sa conversion est parfaitement
connue : historiographe île Louis XIV au même titre que Boileau,
gentilhomme de la chambre du roit auteur û*JBiik&r et A'Athplis, îl
finît par éprouver une demi-disgrâce, et il mourut prématurément
à rage de cinquante-neuf ans. Mais ce sont les événements de sa
vie privée qui seuls doivent trouver place ici, el Ton peut la
résumer en deux mots : Racine employa les vingt-deux dernières
années à expier ses torts envers Port-Royal. La chose ne soutïrait
pas de grandes difficultés en 1677, sous le régime de ce qu'on a
appelé la paix de l'Eglise,
La duchesse de Longue vil le était la
protectrice déclarée du monastère où elle s'était fait bâtir une
somptueuse retraite; Arnauld de Pomponne, frère de la mère
lngéHqpie de Saint-Jean, était ministre; enfin les docteurs de
Port-Roval entraient dans les vues du roi en écrivant contre les
j
protestants. Aussi les religieuses se croyaient- elles en sécurité;
elles avaient des novices» des postulantes, des pensionnaires en
grand nombre. Les amis du dehors témoignaient hautement leur
apathie, et Tillustre neveu de la sœur de Sainte-Thèele Marine
pouvait se montrer au parloir de Port-Royal sans s'exposer au
courroux du roi.
Mais en 1679, quelques semaines après la mort de II*1 de
Longueville, l'ère des persécutions se rouvrit soudain* Louis XIV
lus sollicitations des jésuites ce qu'ils ne cessaient de
lui demander en secret, et le 17 mai, un jour que Racine était en
visite à Purl-Royal, raivhrvéque de Paris, Harlay de Ghanvalhm,
| vint apporter les ordres les plus rigoureux : dispersion des
directeurs, défense de recevoir des novices, renvoi immédiat de
toutes les pensionnaires. On ne chassait pas les religieuses de
leur couvent; mais c'était L'arrêt de mort de la communauté qui
lui était signifié ainsi à l'improviste. L'effet produit par cette
expédition de V archevêque de Paris fut désastreux, et la disgnlce
de Pomponne, qui suivit immédiatement , lit voir que le roi vou-
lait se porter aux plus dures extrémités. Les ecclésiastiques de
Port-Royal se dispersèrent une dernière fois ; Arnauld quitta pour
jamais la France; les amis les plus dévoués comprirent qu'il u*y
RéV, n'illST, LiTTifl, t»K LA F»ANC* {1* ÀEU1.). — VU 4
50
utviJE ii iiistoihi; littéiumk DE la hunce.
avait plus rien à espérer* Racine se souvint alors que deux fois au
temps de sa jeunesse il avait ri des malheurs de Port-Royal* et
sans hésiter il se mit au service des religieuses persécutées; il se
fit Ta vocal de celte noble cause que tout le monde croyait perdue.
Mais cette cause il ne pouvait songer à la plaider devant le roi,
dont les préventions contre les jansénistes étaient trop fortes.
Louis XIV les associait au souvenir de la Fronde, ce cauchemar
affreux de sa royale enfance, et c'ait dans une lettre de Racine
à Mmo de Main tenon que se lisent ces mots ; * Je sais que dans
Tidée du roi un janséniste est tout ensemble un homme de cabale
et un homme rebelle & l'Église. • Racine s'attacha donc tout d'aln h il
à prouver par sa conduite qu'il était le contraire d'un sujet cal>a*
leur et d'un chrétien rebelle; et plus tard, quand Mme de Maintenon
eut pris sur le roi l'ascendant que Ton sait, il recourut à elle avec
toute la prudence que commandaient les circonstances. Eêther H
Athaiie sont deux plaidoyers en faveur de Port- Royal; les allusions
discrètes y abondent, et quand on est prévenu elles sautent aux yeux.
Au surplus Racine ne cachait pas ses relations avec le mona-
stère persécuté, et il faisait preuve à l'occasion d'un véritable emi-
rage. Tout le monde savait pourquoi il s'éloignait du théâtre,
pourquoi il ne songeait même plus à ses tragédies, sinon pour
« se mettre en peine du compte qu'il aurait à en rendre quelque
jour ». L'insuccès d'Athalie eut pour cause unique des scrupules
suggérés par les jésuites, car Mme de Maintenon continua jus-
qu'en 1115 à faire jouer sur le théâtre de Sainl-Cyr des tragédies
sacrées, celles de Boyer ou de Duché de Vancy, un Jonat/ms, une
Fille de Jephié dont la donnée était singulièrement scabreuse;
Racine seul était tenu à l'écart, et cela parce qu'il était suspect de
jansénisme.
En 1691, une occasion s'offrit de donner aux gens de Port-
EtoysJ un témoignage public de son repentir et de son affection;
cette occasion. Racine la saisît avec empressement, sans forfan-
terie comme sans fausse honte. Le grand Arnauld était mort i
l'étranger, léguant son cœur aux religieuses pour lesquelles il
avait tant souffert toute sa vie. Ce cieur fut apporté à Port-Royal
par mi ami fidèle, et enterré dans la partie de l Valise réservée
aux reliques; et voici ce qu'on peut lire dans un rarissime imprimé
du temps :
Au service d'Arnauld tout Paris fut prié;
Aucun n'y fui par politique,
Comme si le défunt élait un hérétique*
Racine, qui lut convia,
Assista seul à ce service...
mcrttg i;r 1*0 RI -ROYAL.
Boileau même, auteur d'une épîtaplie d'Arnauld qui est célèbre,
ne paraît pas avoir accompagné son ami ce jour-là-
LTannée suivante, lorsque le vrrlueux Noailles remplira surir
siège archiépiscopal de Paris l'indigne Harlay de Chan vallon, les
amis de Port-Royal commencèrent à reprendre courage. Au lieu
d'un ennemi perfide, d'autant plus dangereux qu'il affectait tou-
jours une politesse exquise, les religieuses avaient pour supérieur
un homme droit) foncièrement lion, cl qui les révérait sans trop
Oser le dire. C'est alors que Racine se multiplia, si Ton peut
s'exprimer ainsi, pour rendre à sa tante, devenue abbessc eu 1689,
lous les services qu'elle pouvait attendre de son affectueuse Bfratî-
lude. Visites a Port-Boy al, visites à l'archevêché, lettres,
d< marches de toute nature, rien ne fut épurgé, et Racine eut la
consola lion de voir le prélat qui, comme évèque de Chftlons,
i\ lit approuvé le Nouveau Testament du P, Quesnel, témoigner
à Port* Royal une véritable sympathie. Sans doute on ne revint
pas sur le passé, et l'autorisation de recevoir des pensionnaires
ou des novices ne fut pas rendue, mais du moins la situation ces
d'être in toléra Me, et l'on ne pouvait espérer davantage.
Ravi de ces lionnes dispositions, Racine entreprit d'éclairer la
relïpion de l'archevêque et de lui démontrer la parfaite innocence
des tilles de Port-Royal ♦ Il composa d'abord quelques mémoires
justificatifs, el bientôt, mettant à profit la science qu'il n'avait
pas manqué d'acquérir en travaillant avec Boileau à l'histoire de
Louis XIW il lit pour Noailles ce petit chef-d'œuvre qu'on appelle
VHi$toirc de Port-ftogaL On ne saurait croire ce qu'il lut fallut de
travail pour met Ire cet opuscule au point de perfection où nous le
rayons aujourd'hui. Histoires générales ou particulières, mémoires
de toute sorte, lettres en nombre inlini, sont de nos jours à la
disposition de l'historien qui voudrait raconter les luttes et les
souffrances de Port-Royal; mais il n'en était pas de même aux
environs d< 10%. Et comme Racine se proposait de ne rien
avancer qui put être l'objet d'une réfutation ou seulement d'un
doute, il dut se livrer aux recherches les plus patientes et les plus
minutieuses. Le but qu'il se proposait ne fut pas atteint, mais il
put se dire avant de mourir que son pelil livre verrait peut-être le
jour, et qu'il plaiderait aux yeux de la postérité la cause qui lui
était s» chère,
Ce qui paralysa lous les efforts de Racine, ce fut la brouille qui
éclata entre le cardinal de Noailles et les jésuites. Ces pères
avaient commencé par aduler l'archevêque, et Ton a le témoi-
gnage imprimé de leurs flagorneries d'alors. Mais bientôt ils vou-
iikvl;ê dhistgiiœ t.uiKiiuithi m: la hiance.
lurent parler en maîtres, elle prélat déclara qu'il ne serait jamais
k leur valel ». Ils jurèrent donc de lui faire boire jusqu'à la lie le
rai ire de leur colère» et de là sont nées les grandes querelles qui
oui agité tout le xvnr siècle. L'alTaire de la Bulle Unigeniius fui
engagée des lors, cl naturellement les premiers coups furenl
dirigés sur Fort-Royal.
Si Racine avait vécu dix ans de plus, il aurail vu les jésuites
poursuivre avec acharnement les quelques vieilles qui conser-
vaient de leur mieux les traditions de la mère Angélique el
d'Arnauld; il aurait vu le faible et malheureux Noailles signer las
larmes aux yeux l'arrêt vie destruction du saint monastère. Mais
le spectacle d'une calamité si grande lui fut épargne. Sa santé,
jusqu'alors excellente, s'altéra gravement en 1698, el H fui le
premier a s'apercevoir que ses jours étaient comptés. Alors au&Sl,
comme pour mettre sa vertu à l'épreuve et pour lui permettre de
mieux expier la grande faute de sa vie, sa réputation de jansé-
niste lui valut de ta part de Louis XIV une sorte de demi-disgrâce.
On a trop souvent répété que Racine s'élait attiré la colère du roi
parce qu'il avait osé rédiger un mémoire eu faveur du peuple
écrasé d'impôts; mais c'est une fable, et pour s'en convaincre, il
suffit de lire sa lettre à M de Mainlenon en date du 4 mars 1611$,
Après avoir dit à la marquise qu'il s'était « attiré une allai n-
pour avoir demandé la réduction d'une taxe qui grevait lourdement
son hudiret de père de famille, Racine ajoutait : « J'apprends que
jai sur les bras une affaire bien [dus terrible, et qu'on m'a fail
passer pour janséniste dans l'esprit du roi... » Et sans rien dissi-
muler de ses véritables sentiments, il essayait de se justifier, et il
protestait de son obéissance au roi et au pape. Mais c'était peina
perdue auprès du monarque aveuglé qui préférait les alh
déclarés aux gens suspects de jansénisme, Racine accepta donc la
chose en esprit de pénitence, et l'on peut voir par le reste de s.i
correspondance que sa sérénité n'en fui point troublée. D'ailleurs
il ne fut à aucun moment ce qui s'appelle disgracié; il songeait
même, six mois après sa lettre à MruB de Mainlenon, aux séjours
qu'il aurait à faire comme gentilhomme de la chambre à Fontai-
nebleau ou à Marly. Il n'en vaqua pas moins à ses Occupations
ordinaires, écrivant à son fils aîné les admirables lettres que l'on
connaît, mariant une de ses filles, conduisant lui-même à Taule!
celles quî se destinaient à la vie religieuse et qui s'enfermaient, mni
pas, liélasî à Port-Royal, mais du moins dans de bons monastères:
veillant enfin à l'éducation de son second fils qu'il voulait faire
instruire par des maîtres bien pensants, par Rollin, Mésenguv et
HUGMKJII jh i 'fikiii \iiil MA1YU6GBI1 01 POflHMlOYAJ ORf CHAfttl1*
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(j! mirtw. Jfflf&iïbifjiX* Cent quatre inn^
JïS^ncufïnirtifi/r a \PartJ $tan ffiaeincj
ffrejonef de ffr*inco, Secret m rc JuSZay
tSenitl homme ordinaire de ,m C/mm-\
lur; jf.ivatf ejtc eleve eea/u a vec d'autre*
pervsnncj quiy eJudienent iejjcienceJ.
Su ayant ej?^ ol/iyc f de/i jorfir, il juhii
fiuctattc itmj lu Venu du jieeJet fffaU
WUu UtfJH enjin tournée de rcn*avtt.
Urdatujm ejprd U lumicreid^verifeÈ
fu& tJmtnt vkKuracâ et de ftwiiit?**
datujmi coeur Icj jetiiimenj delapiefei
SU eu beaucoup daffeélnm psureeMam-
Jf*re; b tt nom a don m/ des marque* deA
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son ?efeÈ ayant employé Jott crédit pmu
tiauj prafeqei\ Son Corpj a cjfc apport*
icy feentcrrx darw le Ctmtiicfe de dehott
c&mrnt il lavoté ordonne; S/ noué a.
fau**c naïf ce/if fiztreo pardon feJmmejtt
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een **V a< mourut* *%$[, ? * $ae ur ^ran çoùt
àmatiekne de Smnfc&viU ^auAraud
^Ke/Sotetite ^rofejje de re SfâjnaJPercj cjiu
en a &l€ .*3rrtêittt* rftXjatiJ* *
RACINE ET PORT-HOYAL.
S:i
[In. 11 était alors si pénétré de ses sentiments d'amour et de
reconnaissance pour Port-Royal que six mois avant sa mort,
enfermé dans son cabinet de la rue des Marais, au milieu d'inn-
bibliothèque d'où il avait à jamais banni ses tragédies, il écrivit un
testament où se lisent ces lignai si louchantes; «Je désire qu'après
ma mort mon corps soit porté à Port-Royal des Champs, et qu'il y
soit inhume dans le cimetière, aux pieds de la fosse de M, Samoa,
Je supplie très h uni Même ni la libre abhesse (c'était alors sa lante)
et les Religieuses de vouloir bien m'accorder cet honneur, quoique
je m'en reconnaisse 1res indigne, et par les scandales (il avait
d'abord écrit les manques) de ma vie passée, et par le peu d'us&ge
que j'ai fait de l'excellente éducation que j'ai reçue autrefois dans
cette maison, et des grands exemples de piété et de pénitence que
j'y ai vus, et dont je n'ai été qu'un stérile admirateur. Mais plus
j'ai offensé Dieu* plus j'ai besoin des prières d'une si sainte com-
munauté pour attirer sa miséricorde sur moi,., »
Quand le moment suprême arriva, Racine, qui avait toujours eu
très peur de la mort, dit adieu à tous les siens, sans oublier Boî-
leatn avec une tranquillité admirable. Il en vint même à ne pas
désirer une guérïson que les médecins lui faisaient entrevoir
comme possible. « Les frais en sont faits n, répondit-il, el c'est
ainsi qu'il mourut, consolé parcelle pensée que Port-Royal tout
entier allait prier sur sa tombe.
Deux jours plus tard un carrasse emportait loin «le Paris la
dépouille du poète; Louis XIV avait permis la translation. On
célébra un service funèbre dans l'église de Port-Royal des Champs*
et derrière la grille les sœurs chantèrent le IHes irm et le De pro-
[tntfhs. <> n'était plus la mère do Sainte-Thècle Racine qui était
abbesse, mais celle femme admirable, confondue désormais parmi
les simples religieuses, priait avec confiance pour Son il lu sire
neveu, et sans doute elle entremêlait les actions de grâces aux
supplications. Puis on sorlit de l'église et l'on entra dans le petit
cimetière de dehors, réservé aux domestiques et aux étrangers.
Les sœurs n'accompagnaient pas le cortège et elles ne chantaient
plus; la voix du prêtre seule se fit entendre, el Racine fut enseveli,
comme il l'avait désiré, auprès de son ancien maître le célèbre
docteur Hamon. Il n'avait pas songé à dire dans son testament
qu'il ne voulait point d'épitaphe; on dressa donc le long du mur
de l'église une pierre tumulaire, et une inscription fut gravée qui
traduisait en beau latin quelques phrases écrites par Boileau.
L'auteur de VÊpttre à Ttacine3 s'inspirant des sentiments qui
avaient animé son Ame, ne parlait celte fois ni à'fphiffénk ni
M
KfcYtiË D HtSTOUlE LITTt: HAINE DE LA FRASCE.
même à'A thatie* Après avoir dit en deux lignes que Racine « s'était
fait longtemps admirer des hommes par ses belles tragédies », il
insistait longuement sur les sentiments du chrétien mourant, et il
finissait môme en invitant le lecteur à « prier pour cet illustre
morL ;iu lieu de faire son éloge ».
On sait le reste : Racine reposa paisiblement à Port-Royal
jusqu'en 1711, et alors, en vertu des ordres de destruction ipie
Louis XIV avait signés, tous les morts durent être exhumés. Les
uns furent enfouis dans une fosse commune, à Saint-Lambert;
ceux qui avaient une famille furent portés dans les sépultures de
leurs parents. L'archevêque de Paris permit la translation des
cendres de Racine, mais en y mettant pour condition absolut*
que l'exhumation et l'inhumation auraient lieu de nuit et sans la
Atteindra pompe. On obéit, et c'est k onze heures du soir, le
2 décembre 1711, que les restes île Racine furent placés à Saint-
Etienne du Mont, derrière le maître autel et à la droite de Pascal.
C'était l'exil t mais du moins l'ancien élève de Port-Roval était
pour ainsi dire en famille dans cette nécropole où reposent égale*
ment quelques-uns des grands hommes de Port-Royal, Thomas
Du Fossé, son condisciple, Antoine Le Maître et Le Maître de Saey.
Ainsi la destinée, ou pour mieux dire la Providence, unit
Racine à Port-Royal par des liens plus forts que la mort. Il lui
appartenait dès avant sa naissance; il lut appartient encore au-
delà de la tombe. Tous deux se font également honneur :
Racine est un des, plus beaux litres de gloire de Port-Royal, mais
aussi l'éducation que Port-Royal sut donner à Racine a beaucoup
contribué à faire de lui un si grand poète. D'autre part aussi les
sentiments d'honneur, de droiture, de piété qui furent inspirés à
Racine dans sa jeunesse ont fait de ce grand poète un parfait hon-
nête homme et un grand chrétien, si bien que Saint-Simon a pu
dire sans exagérai ion qu'il n'y avait « rien du poète dans son com-
merce, et toul de rhonnèle homme, de l'homme modeste, et sur la
fin de l'homme de bien. »
A. Gàzieh.
APPENDICE
Lkpitaphe de Raclvk.
(HUttotrt d'une pitrre tombale.)
Itaciae avait demanda par testament que son corps lïit enseveli à Port-Royal
des Champs, non pas dans l'église, mais dans Je petit cimetière du dehors,
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RACINE ET POUT- ROYAL.
55
aux pieds de son ancien maître le docteur Hamon. et la prière de l'illustre
mourant tut exaucée datis la mesure du possible. Faute de place, où mit
Racine au-dessus de M. tlamon, près du mur de l'église, et cette circonstance
permit à Boileati de rendre à son ami un dernier et touchant hommage. En
elfet l'auteur de* SaftTffl composa une belle èpilaphe que traduisit le latiniste
DodarU et la pierre sur laquelle on grava cet élo^e pu! être scellée dans la
muraille an lieu de reposer sur le ml, Ellf avait ainsi plus de chances de
braver les intempéries de l'air et de passer a la postérité; maïs on avait
compte sans la fureur des passions religieuses. Douze ans plus tard, Fort-
Royal était détruit de fond en comble; après avoir trouble le sommeil dos
morts eu les transportant de tous côtés, ou faisait sauter l'église avec de la
poudre à canon, et les pierres tombales étaient dis perses, H les aussi, au*
quatre vents du ciel. Celle de Racine fut de la part des destructeurs l'objet
«l'une attention toute particulière. Ils auraient dû la mettre à part, et la faire
porter à Saint-Etienne du Mont, comme L'exigeaient les plus vulgaires conve-
nances, puisque le corps de llacine fut rèiuhumè dan* cette église le 2 dé-
cembre 171 L Au lieu d'agir ainsi, ils effacèrent a l'aide du ciseau le nom du
poète, et cette épitaphe, devenue ainsi celle d'un personnage inconnu, fut
Laissée au milieu des décombres. Bientôt même elle lut comprise dans un lot
de grandes dalles acheté par le curé de Magny, un fanatique ennemi de Port-
HoyjL, et elle servit à paver économiquement une paroisse de village. Les Ois
de Racine, ignorant ce détail, croyaient IVpilaphe de leur père auéautîet et
durant près d'un siècle personne n'en soupçonna l'existence.
Lu pierre faisait partie dn dallage de l'église, et elle risquait fort d'être
usée par les souliers des fidèles; mais elle était par bonheur placée sous les
premiers bancs de la nef, entre un pilier et une autre pierre tombale, celle
de M. de Luzancy; c'ait grâce à cette circonstance qu elle a pu être sauvée de
la destruction.
Les choses demeurèrent en cet état pendant toute la durée du xviii* siècle.
Port'Hoyal et ses environs immédiats, Saint-Lambert et Magny, recevaient
chaque année la visite de pieux pèlerins qui parc oui aient, un guide à la main.
les diverses stations de celte nouvelle tww doulourtuât. Ils s'arrêtaient à Magny
llV* station;, mais le NnnuH qu'ils avaient à leur disposition ne parlait de
Racine, auteur d"£ifer et û'Attatie (ftej, qu'à propos de Saint-Etienne du Mont
station); l'existence de sa pierre tumtilaire continuait à être ignorée de
tous, Mais au début même du six0 siècle, en 1801 1 le célèbre Henri Grégoire
publia la première édition de ses très curieuses Ruine* de Port* Royal, et ce
qui restait du saint monastère fut alors l'objet d'investi gâtions sérieuses et
méthodiques. (Test ainsi qu'en J805 un prêtre génois nommé Eus tache Degola
tit un relevé complet des pierres qui couvraient le sol de l'église paroissiale de
Magoy-Lessart J'ai sous les yeux ce relevé signé de Degola et daté du mois
d'ietobre 1803. Dans l'intérieur du rectangle qui figure une pierre tombale
placée entre celle de M. de Ltizancy et le premier pilier de l'église, je lis ces
mata écrits par Degola lui-même: Ifkjacet nobiik vir Johamm Racfae Frofr
ciae thesaur, etc.. page (68. ce qui renvoie au Nécrologe de Port Royal in-41 de
1723. Le dessin, tout grossier qu'il est, semble indiquer que pour sceller la
pierre à cet endroit on dut Taire une entaille à la hase du pilier, ce qui n'est
guère admissible, ou casser, ce qui est plus vraisemblable, un des angles de
L'épi taphe.
Ainsi Grégoire et ses amis savaient en 1805 que la pierre tombale de Racine
n'avait pas été détruite; comment se faît-il qu'il* n'en aientrien dit au public?
Pourquoi ce même Grégoire, sénateur et membre de l'Institut, a Lit publié en
1609, lors du premier centenaire de la destruction de Port-Royal, une édition
beaucoup plus ample de ses Ruines, et nVl-il pas ajouté ce détail à ceux que
contient son très intéressant ouvrage? L'explication d'une telle réserve est
probablement la suivante : Napoléon accueillit avec colère la publication de
56
REVtJB l/ïUSloïKi; I.IÏTKRMHK HE LA FRANCE.
Grégoire, parce qu'en sa qualité de successeur de Louis XIV, et par conséquent
de ïils aine de l'Eglise, il craignait raie résurrection du prétendu jansénisme.
Li moment a'était donc pas bien choisi pour rendre au janséniste Itacine
l'hommage qui lui était dû, pour demander que son epitaphe fût placée sur
la tombe à Laquelle on l'avait destinée.
Ce que Grégoire et ses amis n'osaient pas Taire, un particulier le tenta on
1810; nu vit paraître alors une brochure de 4 pages in-t" intitulée : Monument
■ utr. — tpiiaphë de Jmn Kachw, placée députe un siècle dans h- ctaur, au-
devant du maître ûutêl, pré* te premiet pUier, a Motfny-tj!$$afft[ paroisse dans
retendue de taqweik toni rituévs Vabbaye </<■ Port+Rôyal détruite en (709, et la
fcriuf (iel Granges. I/autnur anonyme de cette publication renvoyait à un cer-
tain M+ M"* l'honneur de celle découverte précieuse, faite, disait-il, en t8f>K,
Il s'attribuait, non sans raison, Je mérite de donner dans toute sa pureté le
texte de Pépit&phe', et enfin il souhaitait de voir mis « dans un plus grand
jour j* un monument qui ■ rappelle d'une manière touchante la mémoire de
deux des plus grands poètes dont la France ait a se glorifier a. L'existence de
celle intéressante plaque lie n'a pas échappe aux recherches des derniers his-
toriens de Racine: mais aucun d'eux n'est parvenu à connaître l'auteur de la
découverte de 1808; ta lettre suivante, adressée à Grégoire et dont l'auto-
graphe a i'té in séri> par Ce dernier dans un de ses plus importants recueils de
pièces,, permet ira d'associer le nom de M. Masson à celui des principaux admi-
rateurs de Racine.
24 juillet 181U.
Monsieur le comte.
Après dix voyages a Port-Royal, le 17 juin dernier, j'ai visité de nou-
veau ses ruines célèbres, votre ouvrage à la main. Que de souvenirs!
Dès 1808. j'avais reconnu à la lecture l'épïtaphe de Racine, que je
savais par cœur dès l'enfance; je n'ai pu retourner à Magnvque le mois
(Jeroier, ei j y ai copié l'épilapbe avec deux amis plus instruits que
moi ; c'était une véritable fêle pour noua et nos enfants,
Vous avez pu remarquer h la dernière page des Mémoires de Louis
Ratine qu'il assure que le monument ne subsiste plus.
la ne dois pas vous inviter, Monsieur le comte, à engager MM. les
membres de H us H Lut, vos confrères, à demander que la tombe de Racine
soit réunie à sou corps, parce que vous savez mieux que moï ce que
vous avez a faire. Je n ai que du zèle, mats je donnerais l'idée de laisser
à Magny Tépitaphe, après lavoir enceinte et restaurée: dans ces lieux
champêtres un pareil monument parle au cœur : c'est un reste de Pnrt-
Royaldans la commune de Fort-Royal même*. Tout étui-. Racine ne peut
rester plus longtemps confondu avec la foule des morts. Qu'on se rap-
pelle les honneurs rendus à Virgile sous Auguste, et on ne doutera pas
1, Il a seulement oublié la particule que après Utndtm; lande m [que] au Àac sede
wfjjrliffUHft,.
2. IVirl-Royal foil encure aujourd'hui partie de la commune, et par conséquent
<le la paroisse de Maguj*les*Rameau*, autrefois Uagny-Leasart,
RACINE ET POUT-ROYAI.. T»7
que sous le grand Napoléon le prince des poètes français n'obtienne
une pierre sépulchrale.
J'ai l'honneur d'être avec respect, Monsieur le comte, votre très
humble et obéissant serviteur,
E. Massos,
Huissier impérial, membre du Collège électoral,
élève de Pancienne Université de Paris.
Rue de l'Échiquier, n<> 32, faubourg Poissonnière.
J'adresse un exemplaire à chacun de MM. de la classe de langue et
littérature françaises, et à MM. de la classe d'histoire et de littérature
anciennes.
Les recherches faites dans les archives de l'Institut, celles mêmes que
M. Gaston Boissier a bien voulu faire dans les anciens registres de l'Académie
française, ont été inutiles; on n'y trouve pas trace de la lettre adressée en
1810 par le sieur Masson. C'est la mÊme chose si l'on compulse à Magny-les-
Hameaux, comme l'a fait M. l'abbé Finot, curé actuel, les registres de la
municipalité et ceux de la paroisse; nulle part il n'est question de Racine et
de sa pierre tumulaire. Et pourtant la découverte de M. Masson était signalée
de nouveau à l'attention publique dans l'Annuaire du département de Seine-
et-Oise de 4811 (p. 319). Ce que l'on peut apprendre aujourd'hui par les tradi-
tions locales se réduit à fort peu de chose : la dalle qui couvrait le sol de
l'église en 1810 aurait été, à dater de ce moment, dressée le long du mur de
gauche, là même où se trouve aujourd'hui en si belle place celle de Robert
Arnauld d'Andilly; et ce serait par surprise, sans consulter la fabrique et la
municipalité, que le gouvernement de la Restauration aurait fait enlever
l'épitaphe de Racine pour la transporter à Saint-Étienne du Mont en 1818.
L'admiration passionnée que Louis XVlll professait pour l'auteur d'Athalie
expliquerait alors l'hommage rendu si tardivement à la mémoire du poète, et
le curé de Magny, le vénérable abbé Hue, frère d'un valet de chambre de
Louis XVI, aurait pris sur lui d'accéder aux désirs du monarque lettré.
Toujours est-il que Ton organisa pour la pose de cette épitaphe une céré-
monie moitié religieuse et moitié littéraire dont voici le compte rendu exact
d'après le Moniteur du lendemain.
Paris, le 21 avril 1818.
Une intéressante cérémonie a eu lieu aujourd'hui à l'église de Saint-
Etienne du Mont, où Ton a célébré par un service funèbre le placement
de la pierre tumulaire de Racine et de celle de Biaise Pascal dans la
chapelle de la Vierge au-dessus du caveau où les dépouilles mortelles
de ces deux grands hommes ont été déposées.
Une députation de l'Académie française, composée de MM. Auger,
Daru, Ray nouard, Lacretelle jeune et Laya, les parents de Racine, les
maires et adjoints du XIIe arrondissement1, plusieurs élèves de l'École
I. En note sur une copie du temps : - M. le chevalier Le Peletier, comte Hector
d'Aunay, maire du vne arrondissement de Puris, est, dit-on, parent de Pascal par
les femmes. •
Le Journal du commerce, de politique et de littérature du mercredi 22 avril 1818
rendait compte de la même cérémonie en ces termes :
• Aujourd'hui, à onze heures, on a placé dans la chapelle de la Vierge à Saint-
58 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
normale et un grand nombre de gens de lettres ont assisté à ce ser-
vice funèbre, où M. l'abbé Sicard a officié.
L epitaphe de Racine, qui faisait pendant à celle de Pascal, était scellée à
Fentrée de la chapelle de la Vierge, dans le pilier gauche; il n'en est plus de
même aujourd'hui, et ces deux pierres tombales, que le visiteur ne peut con-
templer sans émotion, sont aussi mal placées que possible. Elles sont à l'entrée
de la chapelle du Sacré-Coeur, ce qui parait une espièglerie de très mauvais
goût, dans un coin sombre, derrière une des portes du jubé, et c'est avec
beaucoup de peine que Ton parvient à lire celle de iUcrae. Un nouveau
déplacement est indispensable, et puisque Racine et Pascal ont aujourd'hui
leurs bustes dans deux chapelles latérales de Saint-Etienne du Mont, il est à
désirer que leurs épitaphes soient transportées dans ces chapelles, en pleine
lumière et à proximité des deux bustes.
A. Gazibr.
Etienne du Mont les pierres tumulaires de Biaise Pascal et de Jean Racine. Cette
cérémonie a été suivie d'un service funèbre. La messe a été célébrée par M. l'abbé
Sicard. MM. le maire et les adjoints du xii* arrondissement, des parents de Pascal
et de Racine, des membres de l'Académie française, de l'École normale, etc., y
assistaient. Le cortège s'est rendu ensuite sur le tombeau des deux grands hommes,
où M. Bizet, curé de la paroisse, a béni les deux pierres tumulaires; l'église était
remplie de fidèles. »
— Le Journal des Débats, absorbé par l'affaire Fualdès, n'a pas rendu compte de
la cérémonie de Saint-Ktienne du Mont.
m AMklUm I .
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE
VÉRITÉ ET FICTION
[Suite K)
Les sources.
Où chercher, comment retrouver « la triste matière, sèche et
terne, dont les Chateaubriand font des GhefenToBUvre? »
Le poète ne s'en étant guère expliqué, on est réduit à
dépouiller au hasard les relations des voyageurs qui l'ont précédé
au Nouveau-Monde. Donc nous en avons parcouru un certain
nombre, depuis les récits de La Sale, composés à l'extrême fin
du xviT siècle, jusqu'à ceux de Saint-John de Crèvecœur, écrits
h F extrême fin du xvuf\ On le verra, cette recherche n*a point
donné de résultais complets, et plusieurs des sources de Chateau-
briand nous échappent encore. Aussi, pour éviter une besogne
inutile à qui achèvera celte ingrate enquête, nous dressons eu
note la liste des livres par nous dépouillés et qu'il sera superflu
d'interroger à nouveau : Chateaubriand ne les a pas connus ou
n'en a pas tiré parti K Ces livres éliminés, voici ceux qu'il con-
vient de retenir :
K Voir Irt Hrvue du U octobre 1K99.
2, Voici celte liste :
La Sale, Dernière* découvertes dans F Amérique septentft>intflr de M. de ta Sale.
mites au four par ,M. le Chevalier Tûnti, gouverneur du fort Saint- Louis aux
QUnoti, Paris. 1697- —Journal hùtorùfue du damier voyagé r/ue feu M, de ta Saie
fit a'ani Ir golfe du Mexique,.* par II. JouteJ, Paria, 1713. — Le P> Laval, Voyage de
lu Lt}timtmet par k P, Laval, Paris. 1728, — John Barlram, Ooëervntitma m thê
mkûMtante) climat*, wil, riwr», productions , animale.* mari? ho Mr. John Uartram
tu Au iraveis from Penxitvania tr> Onondago, Qswego and tke Lake Ontario , Lon-
dres, 1751. — An account of Euxf Florida uith a Journal icepl hg John tiarlram oT
Plùlodelphia... Londres, U65, — Bossu, Nouttgaux oaûgam dam fAmériqw Mtpiwm*
frôna/f, Amsterdam, 1777. — Abbe Robin, Nouoeau voyage dam* t' Amérique septen*
trionûU en tanné* f ?#*.». Philadelphie et Pari*, 1782. — I>c ChaslelLux, Voyages...
faits eu fTêf, il Si il ffit% Paris, 1784, — Michaux. Voyage à Ptmisi (/ex Monts
AUeghanjtJi — John K, D. Smilh, Tour in the United States* rontaimay an aa-ount
uf the protmU sitwitwi* of thaf roun/ry, Londres et Dublin, 17 82 \ traduction fran*
pwim par L. d« DareTitnn-AlonLeha], Paris, 171*1). — John Filson. Histoire de hetitttcke,
traduit de L'tngtiia par Parraud, Paris, 1785, — Saint-John de Créveeœur, i.ettre*
a" un cuttipatêur amérintitt écrite* ma HRQ à il M pi traduites de Vaugtais par
Rf« S* J. Crèveeirur, Paris, 1787; — Voyage dans ta Ifaute-Petisytranie et dans l'Etat
deSeic-Vorkmpar un memhre adoptif de la nation Onéida, Paris, an IX(IMUi). — Fcnli-
nand M. Baynrd, Voyage dam Vitite'rienr c/r? titats4Jnh pendant filé de 479 tt
Paris, 1797. — J* Long, Voyagea de J. Long chez différentes ntitiom sauvage* tt?
I* Amérique du Nord* traduit» de l'anglais par te citoyen Billecoeq, Parie, an IL —
«0 REVtË l/lIlSTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FMAM h.
1° En première ligne, l'œuvre da l'illustre père jésuite François-
Xavier de CharleTOÎX, rédacteur Ju Journal de Trévoux : Histoire
et description générale de h Nouvelle-France, avec le Journal histù-
rif/ue d'un voyttgâ fait par ordre du roi dans f Auithif/ttr septen-
trionale, l'uris, 1144, 3 vol. in-4".
2° Autant qu'au I\ de Cliarlevoix, Chateaubriand est redevable
à William Barlram, voyageur et naturaliste américain, qui
raconta en 171)1 des voyages accomplis en 1773, 1774, 1776,
1778 : TraveU through North and South Caroliua, Gcoryifi, Ea$l
and West Fiorîda, the Cherokee vouutrtf.., Philadelphie, 17111;
Londres, 1192; Oublia, 1793; 1 vol- iii-80.
3n Chateaubriand exploite encore, mais moins largement,
Jonathan Garver : Travets to the inierwr parts of Anvricn,
Londres, 1778, 1779, 1784; 1 vol. in-8\
À l'occasion, mais très accessoirement, Chateaubriand prendra
encore quelque chose soit à :
4° Le Page du Pratz, Histoire de la Louisiane, Paris, 17*58,
3 vol. in -12°; soit à ;
5°J, K. Bonnet, LeEStai9-Unù d'Amérique a ta fin du x\nf sièele,
Paris, 1795; 2 vol. in-8".
Chateaubriand n'a nommé nulle part, que je sache, ni Bonnet,
ni Le Page du Pratz*; mais bien les trois autres» en passant.
Jamais pourtant en telle manière qu'on put soupçonner la nature
de ses obligations. Il les mentionne à l'ordinaire en voyageur
qui k ayant, tout vu par lui-même » et « ne suivant personne' »,
daigne parfois rectifier ou compléter les dires de ses devanciers3.
Inilav, Topofjraficat description ©/ tk$ n'estent terriiortf of Xorttt- America, Londres,
Î192, — T. Gooper, Somt infbrmaticm n imeHea (1*Ï93-:*S Londres. i~03. —
La Rochefoueaubi'Lianeouri, Voyage dam tsm teints-Vain d'Amérique, Paria, an VU.
— Isaac Weld* Tuivris ihrotitfh ihe sttïteK of Xeir Amerfca, HAS-T, Londres. 1709
{*« édition).
I. à moins que Pau Leur qu'il appelle Dupiat dans le dénie du CkriêH&Ume
(T, IV, H, note H) ne soit Le Pa*>e du PmtMl
2* Bénit du Christianisme, l, V, i.
X Voiri, uul omission, le relevé de ces mentions. Chateaubriand a allégué
Carver deux fois : dans te effraie du Christianisme il, VT tu "■, pour ce trait que - le
serpent h sonnettes, ipiand sa famille est poursuivie, la rmjoit dans sa guettje -. el
dans la Défense du dénie du Christianisme (noie F), pour établir que tes ours d'Amé-
rique grimpent, enivrés <ie raisin, a Ja ciine des plus grands arbres. — Qflft&l I
Charïevoix, Chateaubriand a réimprimé, sous forme d'appendice aux Natehes, quel-
ques pages de: Y Histoire de In Sauvette- Frrmre qui lui ont fourni le HenGfiG de son
poème : ainsi Corneille reproduit, au début de ses Rùrcees, la narration de Tite
Lîve. Chateaubriand s'appuie encore de l'autorité! du bon IV re pour défendra
ours ivres (Défense, ioâ n'/.i, al comme un chapitre du Génie du Chrtstianismèy
le» Misait m$ de ht Xattrettr-Frnure ,\\\ IV, S), est composé presque tout entier de
citations de Charlevoix, imprimées entre gurlteimtv, il y indique des références
précises à son Histoire. Mrtis, dans le ?ùffQ$**m Amérique, il ne nomme Charlevoix
qu'une fois pour compléter, en voyageur mieux renseigné» une de ses allégations
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE. 61
- Pour rapprocher les descriptions de Chateaubriand de leurs
sources, nous ne suivrons pas toujours le même procédé : les
œuvres de Charlevoix sont aisément accessibles à tout lecteur;
nous pourrons donc nous dispenser de réimprimer ici une soixan-
taine de pages du savant jésuite; il suffira d'en donner quelques-
unes à titre de spécimen, et de renvoyer aux autres avec exac-
titude. Au contraire, il est très difficile de se procurer en France
les œuvres de Carver et de Bartram, comme nous avons pu
nous en assurer dans les principales bibliothèques publiques
de Paris. Force sera donc de reproduire ici les textes de ces
deux voyageurs. S'astreindre à les citer en anglais, c'eût été,
sans grand profit , rendre le travail de comparaison désa-
gréable à maint lecteur français . Et d'autre part , si nous
avions proposé des traductions de notre cru , nous aurions
risqué de multiplier malgré nous les coïncidences verbales
et de forcer les ressemblances. Nous avons donc pris le parti
de citer Bartram d'après la traduction française publiée par
P. V. Benoist en Tan VII \ Carver d'après la traduction donnée
par M. de C... en 1784*. A l'occasion, s'il y a quelque intérêt
littéraire à déroger à cette règle, nous communiquerons le texte
anglais original.
Le « Voyage en Amérique ».
Notre recherche des sources est restée à peu près vaine pour
les 80 premières pages du Voyage en Amérique. Assurément, la
plupart de ces récits sont tout spontanés. Mais de longs mor-
ceaux, Y Aperçu des lacs du Canada (p. 48-55), la description du
cours de l'Ohio et du Mîssissipi (p. 64-83), d'autres encore,
doivent être empruntés à des livres sur lesquels nous n'avons pas
(v. ci-dessous, p. y0). — Bartram enfin a eu l'honneur d'élre nommé en trois
occasions : d'abord, au môme passage que Carver et Charlevoix, à propos des
ours ivres du Meschacebé, puis en note d'un chapitre du Génie du Christia-
nisme (1, V, 10) où Chateaubriand décrit les puits naturels des Florides; enfin,
en un passage plus explicite du Voyage en Amérique reproduit ci-après (p. (>i),
Chateaubriand y annonce qu'il communiquera quelques extraits des Voyages de
Bartram, où s'entremêleront ses rectifications. — Outre Charlevoix, Carver et
Bartram, Chateaubriand s'est référé encore, en un passade du Génie, à. deux ou
trois autres voyageurs en Amérique. On verra ci-dessous (p. 11(5) que cette référence
est inexacte.
1. Voyage dans les parties sud de V Amérique septentrionale, faits par \V. Uar~
tram,... traduits en français par P. V. Benoist, Paris, an VII: 2 vol. in-8°.
2. Voyage dans les parties intérieures de V Amérique septentrionale pendant les
années 1166, 1767 et 1768... traduit sur la 3" édition anglaise par M. de C... Paris.
1784; 1 vol. in-8".
62
REVUE DrHIST01RE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
su mettre la main. A peine pouvons-nous, pour quelques frag-
ments, proposer les rapprochements que voici :
Voyage, p. 45.
Lettre écrite de chez les Sauvages
du Niagara.
« Lorsqu'une jeune Indienne a
mal agi, sa mère se contente de
lui jeter des gouttes d'eau au vi-
sage, et de lui dire : tu me désho-
nores. Ce reproche manque rare-
ment son effet.
Charlevoix f, p. 326.
« Une mère qui voit sa fille se
comporter mal, se met à pleurer.
Celle-ci lui en demande le sujet,
et elle se contente de lui dire : Tu
me déshonores. Il est rare que cette
manière de reprendre ne soit pas
efficace. Ordinairement la plus
grande punition... c'est de jeter
aux enfants un peu d'eau au vi-
sage. »
Ce trait est reproduit dans Atala.
Voyage, p. 48.
Le lac Érié a plus de cent lieues
de circonférence. Les nations qui
peuplaient ses hords furent exter-
minées par les Iroquois il y a deux
siècles; quelques hordes errantes
infestèrent ensuite des lieux où
Ton n'osait s'arrêter.
Charlevoix, p. 253.
Le lac Érié a cent lieues de lon-
gueur de Test à l'ouest. Le nom
qu'il porte est celui d'une nation
de la langue huronne, qui était
établie sur ses bords et que les
Iroquois ont entièrement détruite.
Par une singulière interprétation de l'original, Chateaubriand
réduit des deux tiers la circonférence du lac Erié.
Voyage, p. 50.
Le lac Huron abonde en pois-
son; on y pèche Yartikamègue et
des truites qui pèsent deux cents
livres. L'ile de Matimoulin était
fameuse; elle renfermait le reste
de la nation des Ontawais, que
les Indiens faisaient descendre du
grand Castor.
Charlevoix, p. 282-3.
Les poissons les plus communs
dans les trois lacs sont... Vaslika-
mègue, et surtout la truite. Il y en
a d'une grosseur monstrueuse...
Les Ontaouai^ qui se sont retirés
dans les lies du Lac Michigan, y
sèment du maïs. Les Âraikoués fai-
saient autrefois demeure dans ces
lies; cette nation est aujourd'hui
réduite à un très petit nombre de
familles, qui ont passé dans l'ile
Manitoualin,BL\x nord du lac Huron;
1. Lorsque nous citons Charlevoix, sans mentionner aucun titre, jious voulons
désigner son Journal historique, qui forme le troisième volume de son grand
ouvrage. Bartram est cité, quand nous renvoyons au texte anglais, d'après l'édition
de Dublin, J797.
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE.
63
elle est pourtant une des plus
nobles du Canada, suivant les
Sauvages, qui la croient descendue
du grand Castor.
Donc, en ces quatre lignes, Chateaubriand, trouvant intérêt à
nous renseigner sur certain poisson, sur certaine lie et sur les
habitants de cette île, estropie le nom du poisson, défigure le
nom de l'île, et y transporte une peuplade qui, sans doute, n'y a
jamais dressé ses wigwams.
Voyage, p. 57. Journal sans datr.
Je n'avais pas fait cent pas sous
le bois que j'ai aperçu un troupeau
de dindes... Le soir, elles se per-
chent sur les cimes des arbres les
plus élevés ; le matin , elles font
entendre du haut de ces arbres
leur cri répété; un peu après le
lever du soleil, leurs clameurs
cessent, et elles descendent dans
les forêts.
Bartram, I, p. 158.
Je fus éveillé au matin par le
babil des dindes sauvages. Pen-
dant plus d'une heure, on n'en-
tend que ce bruit dans tout le
pays; un peu après le lever du
soleil, elles cessent leurs appels,
et quittent les hautes branches
sur lesquelles elles ont couché, et
descendent à terre, où, déployant
leur queue argentée, les mâles se
pavanent autour de leurs femelles.
Voyage, p. 72.
On appelle lie en Amérique des
bancs d'une terre blanche un peu
glaiseuse, que les buffles se plai-
sent à lécher; ils y creusent avec
leur langue des sillons. Les excré-
ments de ces animaux sont si
imprégnés de la terre du lie, qu'ils
ressemblent à des morceaux de
chaux. Les buffles recherchent les
lies à cause des sels qu'ils con-
tiennent : ces sels guérissent les
animaux ruminants des tranchées
que leur cause la crudité des
herbes. Cependant les terres de la
vallée de l'Ohio ne sont point sa-
lées au goût; elles sont au con-
traire extrêmement insipides.
Bartram, I, p. 90.
La terre de cet endroit [Buffalo
Lir.k) est un argile gras, visqueux
et blanc ou cendré, que toutes
espèces de bêtes k cornes lèchent
avec avidité; les habitants pensent
que cet argile est imprégné de
vapeurs salines; mais je n'ai pu y
trouver aucun goût. 11 est d'une
douceur extrêmement insipide. Les
bêtes l'aiment avec passion , au
point que leurs excréments sem-
blent être de véritable argile.
r
*4
IIKVIK D HISTOIRE 141 1 1 ItVIKK 1*1: LA ih^m
Description de quelque* $ite$ dans Vintériew de* Ftoridet.
{Voyait p. 84-88.)
t'haleaubriand fait précéder les boites pages que nous reprodui-
sons ici de ces quelques lignes; c'est la principale mention qu'il
ait jamais faite de Bartram,
* Immédiatement après la description du la Louisiane, viennent dans
le manuscrit quelques extraits des voyages de Bartram, que j'avais
traduits avec assez de soin. A ces extraits sont entremêlées mes recti-
fications, mes réflexions, mes addî lions, mes propres descriptions, à
peu près comme les notes de M. Hamond à sa traduction du Voyage de
Cose tu Sui$9e* Mais dans mon travail, îe tout est beaucoup plus enche-
vêtré, de sorte qu'il est presque impossible de séparer ce qui est de
Barlram, ni souvent même de le reconnaître. »
Nous tâcherons de le reconnaître pourlantt et de faire ce départ.
Voiffttjt', p. 84. Barlram, pomm,
Nous étions poussés par un vent On retrouve^ presque à chaque
frais. La rivière allait se perdre p*ifje, Bartram occupé d, tel* tdttu
dans un lac qui s*o livrait devant davs dnt paysage* analogue* : II
nous, et qui formait un bassin redonnait un petit tac, h fait poitt
d'environ neuf lieues de circonfé- vers toi îlot : amarrage dt> BG
rence. Trois îles s'élevaient du barque aux arbre* de la rivé* expto-
milieu de ce lac; nous fîmes voile ration des richene* naturelle* du
vers la plus grande, ou nous arri- lac et de Mût, pêche, ftftom, ktr-
vâmes à huit heures du malin. horisation , il n*e*i pa* de tcène*
Noua débarquâmes à Torée d'oae plu* familière* au lecteur de m
plaine de forme circulaire; nous récité,
mimes notre canot à l'abri sous
un groupe de marronniers qui
croissaient presque dans l'eau.
Nous bâtîmes notre hutte sur une
petite émîoenoe, La brise de l'est
soufflait, et rafraîchissait le lac et
les forêts- Nous déjeunâmes avec
nus galettes de maïs, et nous nous
dispersâmes dans llle, les uns
pour chasser , les autres pour
pécher ou pour cueillir des plantes*
Nous remarquâmes une espèce
d'hibiscus. Cette herbe énorme.
Barlram, I, 191 (Dublin, 104).
Uhifnscus ç&eemem croit ii dix
ou douze pieds de haut, en se divi-
qui croît dans les lieux bas et sant régulièrement de manière à
humides, monte à plus de dix ou former un cône aigu. Ses brandies
douze pieds, et se termine eu un se subdivisent de même, et sont
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE.
65
cône extrêmement aigu : les feuilles
lisses, légèrement sillonnées, sont
ravivées par de belles fleurs cra-
moisies, que Ton aperçoit à une
grande distance.
L'agave vivipare s'élevait encore
plus haut dans les criques salées,
et présentait une forêt d'herbes de
trente pieds perpendiculaires. La
graine mûre de cette herbe germe
quelquefois sur la plante même,
de sorte que le jeune plant tombe
à terre tout formé. Gomme l'agave
vivipare croit souvent au bord
des eaux courantes, ses graines
nues emportées du flot étaient
exposées à périr : la nature les
a développées pour ces cas parti-
culiers sur la vieille plante, afin
qu'elles pussent se fixer par leurs
petites racines, en s'échappant du
sein maternel.
Voyage, p. 85.
Le souchet d'Amérique était
commun dans File. Le tuyau de
ce souchet ressemble à celui d'un
jonc noueux, et sa feuille à celle
du poireau : les Sauvages l'ap-
pellent apoga matsi. Les filles
indiennes de jnauvaise vie broient
cette plante entre deux pierres, et
s'en frottent le sein et les bras.
Nous traversâmes une prairie
semée de jacobée à fleurs jaunes,
d'alcée à panaches roses, et d'obé-
lia, dont l'aigrette est pourpre.
Des vents légers se jouant sur la
cime de ces plantes , brisaient
leurs flots d'or, de rose et de
pourpre ou creusaient dans la ver-
dure de longs sillons.
ornées de grandes fleurs pourpre,
qu'on aperçoit à une grande dis-
tance.
Bartram, Introduction, p. 17.
(Dublin, p. 14.)
Je parvins à une forêt d'agave
vivipara. Je dis une forêt, parce
que les hampes de leurs fleurs
avaient près de trente pieds de
haut. Lorsque leurs graines sont
mûres, elles germent et poussent
sur les branches mêmes, jusqu'à
ce que la hampe se dessèche et
meure. Les jeunes plantes alors
tombent par terre, se Gxent dans
le sable et poussent des racines.
Charlevoix, Histoire de la Nouv.-
France, II, Descr., p. 44 f.
Le souchet de l'Amérique est
une herbe dont les feuilles res-
semblent à celles du poireau;...
son tuyau est comme celui du
jonc noueux... Les sauvages de la
Floride nomment cette plante
apoga matsi. Les sauvages la
broient entre deux pierres et se
frottent de son suc, quand ils veu-
lent se laver, parce qu'ils croient
qu'elle affermit leurs chairs et
leur communique une odeur fort
douce.
1. Cette abréviation désigne une Description des Plantes de V Amérique septen-
trionale, par le P. de Charlevoix, publiée en appendice au t. II de son Histoire de la
Nouvelle-France.
Rbv. d'hist. uttkr. de la Franck (7e Ann.).— VII. 5
66
REVUE £> IllSTOIItK MTTKBAIItK DE LA FRANCE.
La sénéka. abondante dans les
terrains marécageux, ressemblait
par la forme et par la couleur à
des scions d'osier rouge; quelques
branches rampaient à terre, d'au-
tres s'élevaient dans l'air : la
Bé&ékft a un petit gnùt amer et
aromatique. Auprès d'elle croissait
le convolvulus des Carotînes, dont
la feuille imite la pointe d'une
(lèche. Ces deux plantes se trou-
vent partout où il y a des serpents
à sonnettes : la première guérit
de leur morsure; la seconde est si
puissante, que les Sauvages* après
s'en être Trotté les mains, manient
impunément ces redoutables rep-
tiles. Les Indiens racontent que le
Grand-Esprit a eu pitié des guer-
riers de la Chair- Rouge au. r jambes
nues, et qu'il a semé lui-même ces
herbes salutaires, malgré la récla-
mation des âmes des serpents»
J>W% p. 86.
Nous reconnûmes la serpentaire
sur les racines des grands arbres;
l'arbre pour le mal de dents, dont
le tronc et les branches épineuses
sont chargés de protubérances
grosses comme des œufs de pigeon ;
Yarciosta ' ou canneberge f dont
la cerise rouge croît parmi les
m «usses, et guérit du llux hépa-
tique. La boiirgëne, qui a la pro-
priété de chasser les couleuvres,
poussait vigoureusement dans des
eaux stagnantes couvertes de
rouille*
Charte voix, Ztefcr., p, 36.
La sènéka est jaunâtre en
dedans, blanche en dehors, et
d'un goût acre, un peu aroma-
tique. Elle pousse plusieurs Liges,
tes unes droites, les autres cou-
chées par terre.
Les Sauvages la regardent
comme un spécifique contre le
venin du serpent à sonnettes.
Charlevôix, lk$er.t p. 24.
La serpentaire se trouve com-
munément sur la racine des grands
arbres. — P. 22. L arbre pour le
mal de dents a son tronc et ses
grosses branches presque tous
couverts de protubérances,... dont
les plus grandes sont grosses
comme des noix; — P. 30. La
canneberge vient dans les pays
couverts de mousse;... son fruit
est rouge, gros comme une cerise. ,.
Les sauvages rappellent oloca, on
le confit et on l'estime contre le
cours de ventre. — P. 5i. La
bourgène jette plusieurs verges
droites, longues,,., on prétend
qu'avec un bâton de cet arbris-
seau on chasse les serpents,
1. VArctinta. Cette plante s'appelle, selon CUarlevoii, non pas Varctmta% mais
Vatoca ou c an ne berge (p. 401,
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE.
Un spectacle inattendu frappa
nos regards : nous découvrîmes
une ruine indienne; elle était
située sur un monticule au bord
du lac; on remarquait sur la
gauche un cône de terre de qua-
rante à quarante-cinq pieds de
haut; de ce cône partait un
ancien chemin tracé à travers
un magnifique bocage de magno-
lias et de chênes verts, et qui
venait aboutir à une savane. Des
fragments de vases et d'ustensiles
divers étaient dispersés çà et là,
agglomérés avec des fossiles, des
coquillages, des pétrifications de
plantes et des ossements d'ani-
maux.
Le contraste de ces ruines et
de la jeunesse de la nature, ces
monuments des hommes dans un
désert où nous croyions avoir
pénétré les premiers, y causaient
un grand saisissement de cœur et
d'esprit. Quel peuple avait habité
cette île ? Son nom, sa race, le
temps de son existence, tout est
inconnu ; il vivait peut-être lorsque
le monde, qui le cachait dans son
sein, était encore ignoré des trois
autres parties de la terre. Le
silence de ce peuple est peut-être
contemporain du bruit que fai-
saient de grandes nations euro-
péennes tombés à leur tour dans
le silence, et qui n'ont laissé elles-
mêmes que des débris.
Voyage, p. 87.
Nous examinâmes les ruines :
des anfractuosités sablonneuses
du tumulus sortait une espèce de
pavot à fleur rose, pesant au bout
d'une tige inclinée d'un vert pâle.
Les Indiens tirent de la racine de
ce pavot une boisson soporifique;
Barlram, L 188 (Dublin, p. 101).
Sur les bords de ce lac [le lac
George, formé par une expansion
de la rivière Saint-Jean], on voit
les restes évidents d'une grande
ville indienne. Elle était située
sur un monticule, près des bords
du lac. Sur son emplacement
est une élévation conique de terre,
d'où part une grande chaussée
indienne, qui, traversant un magni-
fique bois de magnolias, de chênes
verts, de palmiers et d'orangers,
va aboutir à une vaste savane.
L'île a dû être très peuplée si
Ton en juge par les nombreux
fragments de vaisselle indienne,
les os d'animaux, et autres débris
qu'on y rencontre partout, et sur-
tout sur les coteaux et parmi les
coquillages qui y forment plu-
sieurs monticules.
09
RSVÏÏB [/HISTOIRE LITTÉÎtAIRE DE LA KUVN. I
la tige et la fleur ont une odeur
agréable qui reste attachée à la
iuain lorsqu'on y touche. Cette
plante était faîte pour orner le tom-
beau d'un Sauvage : ses racines
procurent le sommeil, et le par H ira
de sa Heur, qui survit à cette Heur
même, est une assez douce image
du souvenir qu'une vie innocente
laisse dans la solitude.
Continuant notre route et obser-
vant les mousses, les graminées
pendantes, les arbustes écheveh.Vs.
et tout ce train de plantes au port
mélancolique qui se plaisent à
décorer Jes minai, nous obser-
vâmes une espèce d YenoihtTe pyra-
midale, haute de sept à huit
pieds, à feuilles obîongu es* , dente-
lées, et d'un vert noir; sa Heur est
jaune* Le soir, cette fleur com-
mence a s'entrouvrir; elle s'épa-
nouit pendant la nuit; l'aurore la
trouve dans* tout son éclat; vers
la moitié du matin elle se fane;
elle tombe à midi : elle ne vit que
quelques heures, mais elle passe
ces heures sous un ciel serein*
Qu'importe alors ta brièveté de sa
vie?
A quelques pas de là s'étendait
une lisière de mimosa ou de sen-
sitive : dans les chansons des Sau-
vages, l'àme d'une jeune fille est
souvent comparée à cette plante '«
Voyagr, p. 83.
En retournant à notre camp,
nous traversâmes un ruisseau tout
bordé de dionées; une multitude
d'éphémères bourdonnaient à Ten-
tour. Il y avait aussi sur ce par-
Bartram, 11, 234 (Dublin, 404 1.
À quelques milles au-dessus de
Taensaipays de la Mobile) j'aper-
çus avec ctonnement une plante
en Heurs, dorée du jaune le plu>
éclatant. Étant monté sur la côte,
je vis que c'était une sorte d'auto-
tkera; elle s'élève droite à sept ou
boit [lieds de haut... et Corme une
sorte de figure pyramidale. Les
feuilles sont d'un vert foncé t
larges, dentelées profondément
en scie. Les (leurs sont d'un jaune
éclatant; ses Heurs commencent à
s ouvrir le soir; elles s'épanouissent
tout a fait dans la nuit, et sont le
matin dans toute leur beauté;
mais elles se ferment et se des-
sèchent avant la fin du jour.
Barlram, 1, p^ 9 (Dublin, p. xm).
Ce qui est vraiment admirable,
ce sont les propriétés de la Dimea
intttcipitlit. Avançons près de ce
ruisseau, qui en est bordé; voyez
s ouvrir ces lobes vermeils : leurs
i. Et non blondtS) comme on lit dans L'édition Biré des Ment* tfO.-T., h p. 403.
2. Note de Chateaubriand i * Tous ces divers passages soni de moi; mais je dois
à la vérité historique de dire que, ai je voyais aujourd'hui ces ruiner indiennes de
r'AI&bama, je rabattrais de leur antiquité. *
CHATEAUBRIAND EN AMLRIQCE.
69
terre trois espèces de papillons :
Tan blanc comme l'albâtre, l'autre
noir comme le jais avec des ailes
traversées de bandes jaunes, le
troisième portant une queue four-
chue, quatre ailes d'or barrées de
bleu et semées d'yeux de pourpre.
Attirés par les dionées, ces in-
sectes se posaient sur elles; mais
ils n'en avaient pas plus tôt
touché les feuilles qu'elles se
refermaient et enveloppaient leur
proie.
De retour à notre ajouppa, nous
allâmes à la pèche pour nous con-
soler du peu de succès de la
chasse. Embarqués dans le canot,
avec les filets et les lignes, nous
côtoyâmes la partie orientale de
l'île, au bord des algues et le long
des caps ombragés ; la truite était
si vorace que nous la prenions à
des hameçons sans amorce; le
poisson appelé le poisson d'or
était en abondance. Il est impos-
sible de voir rien de plus beau que
ressorts sont tendus, ils sont prêts
à se refermer sur l'insecte sans
défiance : voyez comme une de
ses feuilles se replie sur une
mouche ; une autre a pris une petit
ver : elle s'en saisit, et ne le
lâchera pas.
Bartram, I, p. 18 (Dublin,
p. xvin).
L'éclat des myrtes et des cactus...
attirait plusieurs beaux papillons
de deux ou trois espèces : il y en
avait un noir, dont les ailes supé-
rieures étaient... marquées de
bandes transversales d'un jaune
pâle... Une autre espèce était
d'une grandeur singulière : la
paire inférieures de ses ailes se
terminait près du corps par une
queue longue, étroite et fourchue;
le fond de sa couleur était un
jaune rayé transversalement de
bandes obliques, d'un léger bleu
céleste, dont les extrémités étaient
ornées de petits yeux formés par
des cercles bleus et rouges. Un
plus grand nombre était d'une
espèce blanche comme la neige '.
Bartram, I, p. 42 (Dublin, p. 12).
Nous eûmes bientôt pris quelques
poissons, dont un d'une très belle
espèce. On lui donne le nom de
ventre rouge. Il est grand comme
la main d'un homme; le haut de
1. C'est ici le type des rectifications que nous promettait Chateaubriand : il
fait dévorer par la dionea musciputa, habile à se saisir de mouches et de petits
vers, les papillons • d'une grandeur singulière •, qui, chez Bartram, dix pages
plus loin, voltigent sur des myrtes inofîensifs.
70
HKviiE ji insroiiu: i.mtkràihe i»e la fiunce.
ce petit roi des ondes : il a environ
cinq pouces de long; sa têle est
couleur d'ouiremer; ses cotés el
son ventre étîneellent comme Je
feu ; une barre brune longitudi-
nale traverse ses lianes1; Tins de
ses larges yeux brille comme de
l'or bruni. Ce poisson est Carni-
vore.
À quelque distance du rivage, à
l'ombre d'un cyprès chauve, nous
remarquâmes de petites pyramides
limoneuses qui s'élevaient sous
l'eau et moulaient jusqu'à la sur-
face. Une légion de poissons d'or
Taisait en silence les approches de
ces citadelles. Tout à coup Veau
bouillonnait; les poissons dur
fuyaient. Des éc revisses armées de
ciseaux, sortant de la place insul-
tée, culbutaient leurs brillants
ennemis. Mais bientôt les bandes
éparses revenaient à la charge,
faisaient plier à leur tour les
assiégés, et la brave, mais lente
garnison, rentrait & reculons pour
se réparer dans la forteresse.
Le crocodile, flottant comme le
tronc d'un arbre, la truite, le bro-
chet, la perche, le cannelé!1, la
la tête et du dos sont d'un vert
olive..- les côtés [de la tète] sont
d'un vert de mer, tournant un peu
vers l'azur,,, le ventre est dun
beau rouge écarlate; ses yeux sont
grands, et l'iris en est d'une belle
couleur rouge, C'est un poisson
vorace, qu'il est aisé de prendre
avec une amorce convenable.
Rartram, I, p, 87 (Dublin, p, 43),
L'eau [de la rivière Broad] était
tranquille, claire, et coulait dans
un lit de gravier.
On y voyait plusieurs petits
monticules conique*, dont le faite
sYleva il jusqu'à la surface de l'eau.
Ces petites pyramides étaient l'ou-
vrage de crabes (cancer m&ûrourus)i
qui les habitaient. Elles sem-
blaient servir de fort et de retraite
aux jeunes crabes poursuivis sans
relâche par leurs ennemis, les do-
rades ; celles-ci, en grand nombiv.
leur donnaient continuellement la
chasse, excepté dans de courts
instants ou les vieux crabes, quit-
tant leurs pyramides, faisaient
sur elles une sortie. Alors tofl
petites dorades fuyaient de toutes
parts, fendant l'eau comme des
sillons de lumière; mais bientôt,
toutes revenaient à la charge et
sitôt les vieux crabes rentres»
elles entouraient les pyramides
pour atteindre les petits.
Bartram, I, 288 (Dublin, p. 164),
Je vis le crocodile, étendu dans
le fond de la source, comme le
tronc d'un grand arbre, la truite»
f« Celte - barre brune longitudinale • manque à la description de Barlram :
exemple îles * additions • promises.
2> Qu'est-ce que le cannelett Les lexicographes l'ignorent. Mais les dictionnaires
anglais- français courants traduisent basa par perche, rfrum par pamùn~himt>*nn\
flounder par carrelet* C'est ce nom bien connu (cf. Lîttré, a, ik) que Chateau-
briand aura rencontré dans ion dictionnaire, el mal transcrit.
:i
et toutes les variâtes de la brème
diaprée» le earlish barbu, le redouté
sLing-ra)*, le flounder, le bas*, la
sheepshead et le dru m, tous en
troupes séparées et sans crainte
les uns des autres. Aucun ngoi
d'inimitié, aucune tentative pour
s'attaquer réciproquement. Sus-
pendus dam le Ihude comme des
papillons dans Pair, ils montent et
redescendent... On croît voir les
poissons à quelques pouce? de soi;
on serait tenté de les saisir, ou de
loucher du doigt l'œil du croco-
dile endormi, quoiqu'il soit à vingt
ou trente pieds sous l'eau..,
CH.YIKAl ■ Bill A NI) O 1HÉAIQDK
basse, la brème, le poisson tam-
bour, le poîsSOD d'or, tous enne-
mis mortels les uns des antres,
nageaient pèle- mêle dans le lac,
et semblaient avoir fait une trêve
alin de jouir eu commun de la
beauté de la soirée : le lluide
azuré se peignait de leurs couleurs
ebaage&otea. L'onde était si pure,
que Ton eût cru pouvoir toucher
du doigt les acteurs de cette scène,
quisejouaieut a vingt pieds de pro-
fondeur dans leur grotte de cristal.
Pour regagner l'anse où nous
avions noire établissement, nous
n'eûmes qu'à nous laisser dériver
au gré de l'eau et des brises.
Suit [p. 90- 1 J la célèbre description, « tout enveloppée,
pénétrée, saturée de lumière », qui se termine par ce puissant
mouvement :
A l'orient, la lune, touchant L'horizon, semblait reposer immobile
sur les côtes lointaines; à L'occident, la voûte du ciel paraissait Tondue
en une mer de diamants et de saphirs» dans laquelle le soleil, à demi
plongé, avait l'air de se dissoudre.
Les animaux de la création étaient, comme nous, attentifs à ce grand
spectacle : le crocodile, tourné vers l'astre du jour, lançait par sa
gueule béante l'eau du lac en gerbes colorées; perché sur un rameau
desséché, le pélican louait à sa manière le maître de la nature, tandis
que la cigogne s'envolait pour le bénir an dessus des nuages!
Nous te chanterons aussi, Dieu de l'univers, loi qui prodigues tant
de merveilles! la voix d*un homme s'élèvera avec la voix du désert :
tu distingueras les accents du faible lils de la femme» au milieu du
bruit des sphères que la main fait rouler, du mugissement de Tabime
dont tu as scellé les portes. »
C'est une des pages les plus opulentes de Chateaubriand, des
plus grandes, des plus spontanées. A peine si Ton peut indiquer
que pour tel Irait du coloris local, Chateaubriand doit quelque
chose à Bartram : m Je vis un crocodile sortir d entre les fleurs
et les roseaux; Teau sortait à Ilots de sa gueule béanle, et ses
larges narines l'exhalaient en vapeurs... [I, 21 2], o
Voyag€} p, U2. Bartram, I, 307 (Dublin, 176).
Nous avions un voisin à notre Lu te$twto naso cxfHndraceo res-
souper : un trou semblable à la semble beaucoup à la tortue de
72 UEVL'E D'HISTOIRE LITTÉRAIRE l>E 14 FRANCIS
tanière d'un blaireau élaiL la
mer. Son cou s'allonge à une
demeure d'une tortue : la solitaire
grande longueur,.. Nous eûmes à
sortit de sa grotte et se mît à
souper une de ces tortues, très
ni archer gravement au bord de
grande et très grasse.
l'eau* Ces tortues diffèrent peu des
tortues de mer; elles ont le cou
plus long. On ne tua point la pni-
sible reine de nie.
Koyoje, p. 93,
Bartram, I, 86 (Dublin, 25),
Les Sauvages de la Floride ra-
La rivière Sainte-Marie renferme
content qu'il y a au milieu d'un lac
plusieurs grandes îles- Il y en a
une Ile ou vi ven t les plus belles fem-
une, entre autres, que tes Creeks
mes du monde. Les Muscogttlgefl
représentent comme un lieu en*
uni voulu plusieurs fois tenter la
chaulé. Elle est, dïsent-ils, habitée
conquête de l'île magique; mais
par une peuplade d'Indiens dont
les retraites élyséennes fuyant de-
les femmes sont d'une beauté
vant leurs canots, finissaient par
exquise. Les chasseurs p retendent
disparaître : naturelle image du
qu'en voulant y aborder, ils se
temps que nous perdons à la pour-
trouvèrent engagés dans une suite
suite de nos obi m ères. Dans ce
continuelle de marais, Perdus au
pays était aussi une l'on laine de
milieu de ces labyrinthes, ils
Jouvence ; qui voudrait rajeunir1?
croyaient toujours s approcher de
Le lendemain, avant le lever du
Mie; ils l'apercevaient de temps à
soleil nous avons quitté l'île, tra-
autre; mais toujours ils la voyaient
versé le lac, et renlré dans la ri-
s'éloigner.
vière par laquelle nous y étions
descendus. Cette rivière était rem-
plie de karmans. Ces animaux ne
sont dangereux que dans l'eau,
surtout au moment d'un débar-
quement, A terre, un enfant peut
aisément les devancer en mar-
chant d'un pas ordinaire. Pour
éviter leurs embûches, on met le
feu aux herbes et aux roseaux :
c'est alors un spectacle curieux
que de voir de grands espaces
d eau surmontes d'une chevelure
de flamme,
Bartram, 1,227-9 (Dublin, 126).
Lorsque le crocodile de ces ré-
Lorsque le crocodile a atteint
gions a pris toute sa croissance,
toute sa taille, c'est un grand et
il mesure environ vingt à vingt-
terrible animal. J'en ai vu de
quatre pieds de la tête h la queue.
vingt pieds de lonir, cl l'on prétend
i. Celle fontaine de Jouvence floridienne réparait au livre X des Sntchcz.
CHATEAUBRIAND EN AMERIQUE.
73
Son corps est gros comme celui
d'un cheval : ce reptile aurait exac-
tement la forme du lézard com-
mun, si sa queue n'était compri-
mée des deux côtés comme celle
d'un poisson. 11 est couvert d'écail-
lés à l'épreuve de la balle, excepté
auprès de la tête et entre les pattes.
Sa tête a environ trois pieds de
long; les naseaux sont larges: la
mâchoire supérieure de l'animal
est la seule qui soit mobile; elle
s'ouvre à angle droit sur la mâ-
choire inférieure : au-dessous de
la première sont placées deux
grosses dents comme les défenses
d'un sanglier, ce qui donne au
monstre un air terrible.
La femelle du kaïmau pond à
terre des œufs blanchâtres qu'elle
recouvre d'herbes et de vase. Ces
œufs, quelquefois au nombre de
cent, forment, avec le limon dont
ils sont recouverts, de petites
meules de quatre pieds de haut et
de cinq pieds de diamètre à leur
base : le soleil et la fermentation
de l'argile font éclore ces œufs.
Une femelle ne distingue point
ses propres œufs des œufs d'une
autre femelle; elle prend sous sa
garde toutes les couvées du soleil.
N'est-il pas singulier de trouver
chez des crocodiles les enfants
communs de la république de Pla-
ton?
qu'il y en a de vingt-deux à vingt-
trois. Il a le corps aussi gros qu'un
cheval. Sa forme est exactement
celle d'un lézard, à l'exception de
la queue, qui est comprimée de
chaque côté. Elle est, ainsi que
tout le corps, couverte d'écaillés
épaisses, impénétrables à toute es-
pèce d'armes, même à une balle
de carabine. On prétend cepen-
dant qu'autour de la tête et der-
rière les jambes de devant ils peu-
vent être blessés. La tête d'un
grand crocodile a environ trois
pieds de long... les narines sont
larges; ces amphibies n'ont de mo-
bile que la mâchoire supérieure,
qu'ils élèvent presque perpendicu-
lairement, au point qu'elle forme
un angle droit sur la mâchoire in-
férieure. Sur le devant de la mâ-
choire supérieure sont deux gran-
des fortes dents, aussi blanches que
l'ivoire le plus poli; elles sont tou-
jours visibles, ce qui donne à l'ani-
mal un aspect effrayant.
Bartram, I, 225-7 (Dublin, 125).
Voir la citation de Bartram, ci-
dessous, p. 118.
74
l;l \li: D I1JST0IRE LlTTKIlAlItE I»E LÀ FRANCE:*
La chaleur était accablante ;
nous naviguions au milieu des ma-
rais; nos canots prenaient l'eau;
le soleil avait fait fondre la poix
du bûrda&n *.
\~ntf(ttjt\ p, 95.
Le soleil se couvre, les premiers
roulements du tonnerre se font en-
tendre; les crocodiles y répondent
par un sourd rugissement, comme
un tonnerre répond à un autre
tonnerre. Une immense colonne de
nuages s'étend au nord-est et au
sud-est; le reste du ciel est d'un
cuivre sale, demi-transparc ni et
teint de la foudre. Le désert éclaire
d'un jour faux, l'orale suspendu
sur nos le les et près d'éclater, of-
frant un lableau plein de grandeur.
Voilà l'orage! qu'on se ligure
un déluge de feu sans vent et sans
eau; l'odeur de soufre remplit
Pair; Ift nature est éclairée comme
à la lueur d'un embrasement,
A présent les cataractes de l'ahi-
me s'ouvrent ; les grains de pluie
ne sont point séparés : un voile
d'eau unit les nuages à la terre.
Voyagé) p. 9G,
Le payi habité par les Crée k s
{la confédération des Museogulgcs,
des Si mi noies et des Chéroquois)
est enchanteur. De dislance eu dis-
tance la terre est percée par une
multitude de bassins qu'on appelle
des pnite, et qui sont plus ou
moins profonds : ils communi-
quent par des roules souterraines
aux lacs, aux marais et aux riviè-
res. Tous ces puits sont placés au
centre d'un monticule planté des
Barlram, lt 248-9 (Dublin, 13<1 .
Vers midi la chaleur devint ex-
cessive; pas un souille de vent, et
l'on entendait dans le lointain
gronder sourdement le tonnerre*
Les crocodiles, par leurs rugisse-
ments, répondaient à ces roule-
ments, présage infaillible de la
tempête.., Renfermé entre les bois
et les savanes, je ne pus juger des
progrés de l'orage.
Lorsqu'il arriva, je fus frappé
d'une terreur soudaine. Des nuages
pourprés parcouraient avec vitesse
tout l'horizon* En un instant tout
le ciel fut en feu ; les éclairs se
succédaient sans intervalle; le
tonnerre grondait d'une manière
e (Trayante. Soudain, la pluie se
mit à tomber à torrents.,.
Comportez, pour h desâripHon
dr ces puits, Bartram, I, p. 303-4,
p. 30 i-o et p. 406-7.
I. J'omets ici vingt lignes (les signes précurseurs de l'ouragan) et vingt ligne»
on peu pilM bas (le ciel qui se rassérène, ¥tyÊ$*+ n» 96).
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE.
plus beaux arbres, et dont les
flancs creusés ressemblent aux pa-
rois d'un vase rempli d'une eau
pure. De brillants poissons nagent
au fond de cette eau.
Dans la saison des pluies, les
savanes deviennent des espèces de
lacs au-dessus desquels s'élèvent,
comme des îles, les monticules
dont nous venons de parler.
Voyage, p. 97.
Cuscowilla, village siminole, est
situé sur une chaîne de collines
graveleuses à quatre cents toises
d'un lac; des sapins écartés les uns
des autres, et se touchant seule-
ment par la cime, séparent la ville
et le lac : entre leurs troncs, com-
me entre des colonnes, on aperçoit
des cabanes, le lac et ses rivages
attachés d'un côté à des forêts, de
l'autre à des prairies ; c'est à peu
près ainsi que la mer, la plaine et
les ruines d'Athènes se montrent,
dit-on, à travers les colonnes iso-
lées du temple de Jupiter Olym-
pien.
Il serait difficile d'imaginer rien
de plus beau que les environs d'A-
palachucla, la ville de la paix. A
partir du fleuve ChataUche, le ter-
rain s'élève en se retirant à l'hori-
zon du couchant; ce n'est pas par
une pente uniforme, mais par des
espèces de terrasses posées les
unes sur les autres.
A mesure que vous gravissez de
terrasse en terrasse, les arbres
changent selon l'élévation du sol :
au bord de la rivière ce sont des
chênes-saules, des lauriers et des
magnolias ; plus haut des sassafras
Bartram, I, 317.
Nous n'étions plus fort éloignés
de Cuscowilla. Après avoir fait
sept ou huit milles sous de magni-
fiques ombrages, nous entrâmes
dans une forêt de pins clairsemés
sur deux collines sablonneuses, qui
s'élevaient en pente douce; et
bientôt nous vîmes au travers des
arbres briller les eaux du lac.
Bartram, II, 204 (Dublin, 388).
Nous arrivâmes au bord de la
rivière Chata-Uche... Nous repar-
tîmes pour Apalachucla, ville con-
sacrée à la paix... A partir de la
rivière, le terrain s'élève majes-
tueusement par des plateaux suc-
cessifs, disposés en amphithéâtres.
Chacun de ces repos forme une
plaine, et, à mesure qu'on s'éloi-
gne de la rivière, les degrés sont
plus hauts et les plateaux plus
étendus.
Les arbres et arbustes qui crois-
sent dans les terres basses près
de cette grande rivière sont plata-
nus occidentales , lyriodendron luli
pifrra, laurus sassafras, laurusben-
zoïn, magnolia grandi/lova, ulmus
76
REVUE n HISTOinK UTTfclUlRE DE LA KHAISCE.
çampêtiriêi Effarai tuberifêra,
punis ; gtiefetet, diverse* espaces;
juglanti diverses espèces, f,uJus
tyfoatua< Sur le haut des plan* in-
clinés, on trouve, outre Ieft&rbrei
déjà cites, éafciw pltfca, çornut
flundn, et tffHf'rpha. L* plus élevée
dn ces terrasses est une plaine unie
d'excellente terre, couverte d'une
haute forêt des aruhes susdésignï s
qitt^rus tinrfnfUi, JH'jffUts rUjJHI,
kickory, tte*
et des platanes; plus haut encore
des ormes et des noyers; enfin la
dernière terrasse est plantée d'une
forêt de chênes, parmi lesquels on
remarque l'espace qui trafne de
tangues mousses blanches. Des
rœhern nus et brisés surmontent
celte forêt1.
Des ruisseaux descendent en ser-
pentant de ce b rocher* , coulent
parmtles fleurs et la verdure, ou tom-
bent en nappes de cristal. Lorsque,
placé de Tau Ire côté de la rivière
Chata-Uche, on découvre ces vastes
degrés couronnés par r&rciûtec-
ture des montagnes, on croirait
voir le temple de la nature et le
magnifique perron qui conduit à ce
monument.
Au pird de cet ampli i théâtre est
une plaine où paissent des trou-
peaux de taureaux européens, des
escadrons de chevaux de race espa-
gnole, des hordes de daims et de
cerfe, des bataillons de grues et de
dindes, qui mnrhrent de blanc et
de noir le fond verl de la savane.
Cette association d'animaux do-
motiques et sauvages, les huttes
^immoles ou Ton remarque les
progrès de la civilisation à travers
l'ignorance indienne, achèvent de
donner à ce tableau un caractère
que Ton ne retrouve nulle part.
« Ici », ajoute Chateaubriand (p, 98), « finit, à proprement parler,
VJtinérairc ou le mémoire des lieux parcourus; niais il reste dans
les diverses parties du manuscrit une multitude de détails sur
les mœurs et les usages des Indiens. J'ai réuni ces détails dans
des chapitres communs, après les avoir soigneusement revus H
amené ma narration jusqu'à l'époque actuelle. Trente-six ans
L On voit que, s'il fallait en croire Bartram, ces arbres croîtraient péle-méle
sur le même soi. Maïs, bien qu'en quelques pays les ormes et les chênes puissent
pousser rote à eolu, les heureuses observations de Chateaubriand nous apprennent
que. sur l'amphithéâtre d'Àpaîachucla, ces diverses essences s*étagent, sans se
confondre, de terrasse en terrasse.
CHATRAI "BRI A M» E\ À M Mil QUE. 77
écoulés depuis mon voyage ont apporté bien des lumières, et
changé bien des choses dans l'Ancien et le Nouveau-Monde; ils
ont dû modifier les idées et rectifier les jugements de l'écrivain ,
Avant de passer aux Mœurs tirs Sauvagêt^ je mettrai sous les
yeux des lecteurs quelques esquisses de Vhistoive naturelle de
l'Amérique septentrionale. * On le verra î plusieurs de ces idées
et de ces jugements n'étaient pas, en 1827, vieux de trmle-six ans;
mais bien de cinquante ans» puisque Bartram a voyagé de 1775
à 1778; ou de soixante uns, puisque Carver a voyagé de 1768
h 1768; ou de cent six ans, puisque le P. de Çharlovoîx voyageait
eu 1721
Histoire Natlrkllk.
CASTORS.
Miilheur au voyageur qui aurait fait le tour da
globe et qui rentrerait atbée sous le toit de ses pires!
Nous l'avons visitée au milieu de la nuit, (a vallée
solitaire habitée par les castors!..* Et je n'aurais vu
dans celte vallée aucune trace de l'Intelligence divine ! »
{Génie du Christianisme, I, v, 4.)
Voyage p* M — p. 106 = Charlevoîx, p, 91 — p, 107.
('es sept pages de Chateaubriand répondent à ces douze pages
de Charlevoix, à peu près en la manière que voici :
Ymjtti(t\ p. 105*
La longueur moyenne du castor
est île deux pieds et demi à trois
pieds; sa largeur* d'un flanc à
l'autre, d'environ quatorze pouces;
il peut peser quarante-cinq livres;
sa tête ressemble k celle du rat;
ses yeux sont petits, ses oreilles
Courtes, nues en dedans, velues en
dehors; ses pattes de devant n'ont
guère que trois pouces de long, et
sont armées d'ongles creux et
aigus; ses pattes de derrière, pal-
mées comme celles du cygne, lut
servent à nager; la queue est
plate, épaisse d'un pouce, recou-
verte d'écaillés hexagones, dispo-
sées en tuiles comme celles des
Charlevoîx, p. 95, sa.
Les plus grands castors ont un
peu moins de quatre ou cinq pieds
sur quinze pouces de large d'une
hanche à Tautre, et pèsent soixante
livres.,. [P, 96] La tête d'un castor
est à peu près de ta ligure d'un rat
de montagne. Il a... les yeux petits,
les oreilles courtes, rondes, velues
par dehors, sans poil en dedans.
Ses jambes sont courtes, particu-
lièrement celles de devant; elles
n'ont guère que quatre ou cinq
pouces de long;.., les ongles en
sont taillés de biais , et aigus,
comme les plumes à écrire. Les
pieds de derrière»*, sont garnis de
membranes entre les doigts; ainsi
78
REVUE IMIISÎOlftE LtTÏ
poissons; il use de cette queue en
guise de truelle et 4 e train eau.
Ses mâchoires, extrêmementfortes,
se croisent ainsi que les branches
des ciseaux ; chaque mâchoire est
garnie de dix dents, dont deux
incisives de deux pouces de lon-
gueur : c'est l'instrument avec
lequel le castor coupe les arbres^
equarrït leqrs troncs, arrache leur
écorce, el broie les bois tendres
dont il se nourrît.
L'animal est noir, rarement
blanc ou brun; il a deux poils, le
premier long, creux et luisant; le
second, espèce de duvet qui pousse
suus le premier, est le seul
employé dans le feutre. Le castor
vil vingt ans. La femelle est plus
grosse que le mnh\ et son poil est
plus grisâtre sous le ventre, Il
n'est pas vrai que le castor se
mutile lorsqu'il tombe vivant entre
les mains des chasseurs, afin de
soustraire sa postérité h l'escla-
vage. Il faut chercher une autre
étymologie à son nom.
ÊHAIIlE UK feft KKANCE.
le castor nage arec la même faci-
lité que tout animal aquatique.
[P, 97]. Sa queue est épaisse d'un
pouce*.., couverte d'une peau
ccailleuse, dont les écailles sont
hexagones.,, et sont appuyées b«-
unes sur les autres comme toutes
celles des poissons.
[P. 96], Ses mâchoires ont une
force extraordinaire... elles se croi-
sent comme les deux tranchants,
des ciseaux, ♦ . Chaque mâchoire
est garnie de dix dents, dunl deux
incisives et huit molaires. Les
incisives supérieures onl deux
pouces et demi de long. T. 102
Ils vivent... d'écorces... et de bois
tendre,
[P. 95] Dans les quartiers du
Nord les plus reculés» les CWtOM
sont noirs, mais il s y en rencontre
quelquefois de blancs ; dans les paj 1
plus tempères, ils sont bruns...
leur poil est de deux sortes : l'un
est rude, gros, luisant... l'autre
poil est un duvet très fin... et
c'est celui qu'on met en œuvre.
P. 91} On prétend que le castor
vit quinze ou vingt ans. ; P. 99
C'est une folie que de dire... que,
quand le castor se voit poursuivi,
il se coupe ces prétendus testicules
et les abandonne aux chasseurs,
ptmr mettre sa vie en sûretés.
C'est néanmoins cette fable qui
lui a fait donner le nom de castor*
Je ne remarque guère, dans lout ce chapitre du Voyage, qu'un
trait propre à Chateaubriand : dans les « palais de la Venise dti
la Solitude » (« dans cette petite Venise », disait déjà Gharlevoix,
p. 100), il y at assure Chaloauhrîand (p. 102) n des infirmeries
pour les malades ».
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE.
•79
OURS, CERF, ORIGNAL, BISON, FOUINE, RENARDS, LOUPS,
RAT MUSQUÉ, CARCAJOU, SERPENTS.
Voyage, p. 106-115.
« Nous a?ioûs consacré à l'histoire naturelle des
études que nous n'eussions jamais suspendues, si la
Providence ne nous eût appelé à d'autres travaux. »
{Génie du Christianisme, I, v, 4.)
OURS.
Voyage, p. 106 = Charlevoix, p. 117.
Quelques traits seulement sont pris à Charltvoix : j'ignore la
source des autres.
CERF.
Voyage, p. 107.
La source m'est inconnue.
ORIGNAL.
Voyage, p. 107.
L'orignal a le mufle du cha-
meau, le bois plat du daim, les
jambes du cerf. Son poil est mêlé
de gris, de blanc, de rouge et de
noir ; sa course est rapide.
Selon les Sauvages , les ori-
gnaux ont un roi surnommé le
grand orignal; ses sujets lui ren-
dent toutes sortes de devoirs. Ce
grand orignal a les jambes si
hautes, que huit pieds de neige ne
l'embarrassent (.oint du tout. Sa
peau est invulnérable ; il a un bras
qui lui sort de l'épaule, et dont il
use de la même manière que les
hommes se servent de leurs bras.
Les jongleurs prétendent que
l'orignal a dans le cœur un petit
os qui, réduit en poudre, apaise
les douleurs de l'enfantement; ils
disent aussi que la corne du pied
Charlevoix, p. 126-8.
[P. 126] L'orignal a le mufle
gros et rabattu comme celui du
chameau; son bois est plat et
fourchu comme celui du daim... Il
a des jambes de cerf... [P. 128]
Son poil est mêlé de gris-blanc et
de rouge-noir. [P. 127] L'orignal
va toujours grand trot...
Il court parmi ces barbares une
assez plaisante tradition d' un grand
orignal... Il ne manque jamais
d'avoir à sa suite un grand nombre
d'orignaux qui lui rendent tous
les services qu'il exige d'eux... 11
a, disent-ils, les jambes si hautes
que huit pieds de neige ne l'em-
barrassent point. Sa peau est à
l'épreuve de toutes sortes d'armes,
et il a une manière de bras qui lui
sort de l'épaule, et dont il se sert
comme nous faisons des nôtres.
[P. 128] L'on prétend que l'ori-
gnal a dans le cœur un petit os,
lequel, réduit en poudre, facilite
les couches et apaise les douleurs
de l'enfantement... [P. 126] On
80
IIEVL'E b HlSIOlUt- LtTTLKALKK DE LA FRAXCE.
gauche de ce quadrupède appli-
quée sur le cœur des épïleptiqaes
les guérit radicalement. L'orignal,
ajoulent-ilâ, est lui-même sujet à
IVpilrp>ic; lorsqu'il sent appro-
cher l'attaque, il se lire du sang de
l*o rei 11 e gatieh e avec la corne de son
pied gauche, et se trouve soulagé.
prétend que l'orignal est sujet à
l'épi le psie et que, quand ses accès
le prennent i il les fait passer eu se
grattant l oreille de son pied
gauche de derrière, jusqu'à en
tirer h; sang; ce qui a fait regarder
la corne de ce pied comme un
spécifique contre le haut mal.
BISON.
VoiftKft\ p. 108-9 = {'litft ftt ai r, p. (31-
Le premier alinéa seul est pris textuellement à Charlevoix. Je
n'ai pas retrouve la source des autres.
KM INE.
V&yage% p. 110; cf. Charlevoix, p. 133.
11 manque à la description de Charlevoix certains détails, que
j'ai certainement lus chez Bartram, ou chez Carver; je ne puis
retrouver le passage.
Il N\HL1S.
Voyait, p. HO = Charlevoix, p, 133,
locps.
Voyage, p. lit.
Il y a en Amérique diverses
sortes de loups : celui qu'on
appelle cerner vient pendant la
nuit aboyer autour des habita*
Lions. H ne hurle jamais qu'une
fois au même lieu : sa rapidité est
si grande qu'en moins de quelques
minutée on entend sa voix à une
distance prodigieuse de l'endroit
où ïl a poussé son premier cri.
Bartram, II, 28 (Dublin, p, 278).
Les renards (tkf fojtei) de la
Caroline et de la Floride jappent
la nuit autour des habitations.
mais jamais ils ne jappent deux
fois au même endroit. Ils chan-
gent de place précipitamment» et
l'instant d'après qu'on les a enten-
dus d'un côté, on les entend de
l'autre à une grande distance.
h \t MrsouÉ.
Voyage, p 111 _= Charlevoix, p. 107 et p. 399.
Càrcjuou
Voyage^ p. II 1-2 = Charlevoix, p, 129.
serpents.
Voyage, p. 113-5.
Je reproduis, presque ht extenso \ l'article des serpents, parce
1. À l'exception des vingt premières lignes (description du serpent à sonnettes et
généralités), dont je n'ai pas retrouvé l'origine.
CHATEAUBRIAND £!f AMÉRIQUE.
81
qu'il nous enseigne avec netteté le procédé matériel de compo-
sition de Chateaubriand.
Un serpent noir qui porte un Charlevoixvffis/.tfc'/rfJ\oiiiv//#»-/'VM
anneau jaune au cou est assez
malfaisant: un autre serpent tout
noir, sans poison, monte sur les
arbres et donne la chasse aux
oiseaux et aux écureuils. Il charme
l'oiseau par ses regards, c'est-à-
dire qu'il l'effraie. Cet effet de la
peur, qu'on a voulu nier, est
aujourd'hui mis hors de doute : la
peur casse les jambes à l'homme;
pourquoi ne briserait-elle pas les
ailes à l'oiseau ?
Le serpent ruban, le serpent
vert, le serpent piqué, prennent
leurs noms de leurs couleurs et
des dessins de leur peau ; ils sont
parfaitement innocents et d'une
beauté remarquable.
Le plus admirable de tous est le
serpent appelé de verre, à cause
de la fragilité de son corps, qui se
brise au moindre contact. Ce rep-
tile est presque transparent, et
reflète les couleurs comme un
prisme. 11* vit d'insectes et ne fait
aucun mal : sa longueur est celle
d'une petite couleuvre.
Le serpent à épines est court et
gros. Il porte à la queue un dard
dont la blessure est mortelle.
Le serpent à deux tètes est peu
commun : il ressemble assez à la
vipère ; toutefois ses têtes ne sont
pas comprimées.
t. II, p. 272.
« On voit [chez les Iroquois] un
serpent noir, qui monte sur les
arbres et qui n'est pas* venimeux.
Bartram, II, 17, 18 (Dublin, p. 271)
décrit à la suite le « serpent
ruban », le serpent « vert » et
le serpent « piqué », comme de
beaux serpents inoffensifs.
Bartram, I, 337 (Dublin, p. 194).
La couleur générale de Vanguis
frngilis est bleue, ou verdàtre,
transparente comme celle du verre,
ce qui, en même temps que sa fra-
gilité, ferait croire... qu'il est
réellement de cette substance. Il
paraît doux et aussi peu dangereux
qu'un ver. Lorsqu'il atteint toute
sa croissance, il a 2 pieds et demi
de long.
Bonnet, Les États-Unis d'Amérique
à la fin du XVW* s., p. 357.
Le serpent à queue épineuse est
ainsi appelé à cause de deux
épines qu'il a au bout de la queue,
avec lesquelles il pique mortelle-
ment.
Bonnet, ibidem.
Il est douteux que le serpent à
deux têtes forme une espèce. On
n'en a encore vu que deux : l'un
qui fut pris près du lac Cham-
plain et donné en présent à Lord
Rsv. d'hist. litt£b. ok la Franck (7* Ado.).— VU.
REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Amerhst, et Tautre conservé dans»
le musée du collège d'Yale.
Carver, p. 117.
Le serpent siflleur est de la
petite espèce des serpents tachetés.
Lorsque quelque animal approche
de lui, il s'aplatit aussitôt, et Ton
voit ses taches, qui sont de diverses
couleurs, devenir aussitôt plus
colorées. 11 pousse en même temps
de sa bouche un vent subtil et
nauséabond ; et, si ce vent est mal-
heureusement respiré par quelque
voyageur inprudent, il éprouve
une maladie de langueur, qui, en.
peu de mois, le conduit au tom-
beau.
Le serpent sifïleur est fort mul-
tiplié dans la Géorgie et dans les
Florides. Il a dix-huit pouces de
long; sa pe$u est sablée de noir
sur un fond vert. Lorsqu'on ap-
proche de lui, il s'aplatit, devient
de différentes couleurs, et ouvre la
gueule en sifflant. Il se faut bien
garder d'entrer dans l'atmosphère
qui l'environne ; il a le pouvoir de
décomposer l'air autour de lui. Cet
air imprudemment respiré fait
tomber en langueur. L'homme
attaqué dépérit, ses poumons se
vicient, et, au bout de quelques
mois, il meurt de consomption :
c'est le dire des habitants du pays.
On voit clairement que Chateaubriand opérait sur une collec-
tion de fiches. Pour écrire ce petit chapitre, il en maniait au
moins huit, compilées au hasard de ses lectures, d'après Charle-
voix, Bar tram, Carver, Bonnet, et d'après un cinquième natura-
liste que nous ne connaissons pas. Nous n'avons pu reconstituer
que six de ces fiches, et il manque encore à notre musée le
serpent à sonnettes et certain serpent noir et jaune. Du moins
avons-nous eu la joie de retrouver le serpent à deux tètes; nous
l'avions recherché avec un acharnement de collectionneur, car
il est ce peu commun ».
Mœurs des Sauvages.
MARIAGES, ENFANTS, FUNÉRAILLES.
Voyage, p. 117-134.
« J'ai étudié au bord de leurs lacs les hordes
américaines. »
• (Itinéraire de Paris à Jérusalem, V partie,
éd. Le Normand, 1811, p. 204.)
Je ne sais où Chateaubriand a pris sa description des rites du
mariage sauvage — très semblables à des scènes de ballet, — et
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE. 83
par exemple ces étranges maçons qui, sans repos, pour cons-
truire la cabane des époux, dansent en chantant des chansons.
Quelques détails sont dus à Carver, quelques pages à Charlevoix.
Chateaubriand doit à Carver : ses données sur le châtiment des
adultères (Voy.> p. 127, = Carver, p. 282); — sa description des
berceaux (Voy.> p. 131, = Carver, p. 167); — le rite des épou-
sailles, que Carver rapporte ainsi (Voy.y p. 125-7, = Carver,
p. 279) :
« Les futurs se placent sur une natte, au centre de la cabane, et
prennent chacun Tune des extrémités d'une baguette de quatre pieds de
long... Ils dansent et chantent, après quoi ils brisent la baguette en
autant de parties qu'il y a de témoins présents. Chacun d'eux en prend
une pièce et la conserve soigneusement... En cas de divorce, ils la
jettent au feu en présence des parties. »
Carver a encore fourni à Chateaubriand ce détail (Voy.y p. 130,
= Carver, p. 285) : « Les enfants des sauvages portent toujours
le nom de leurs mères. C'est que les enfants, disent-ils, sont
l'ouvrage du père quant à l'âme, et de la mère quant au corps. »
Voici le relevé des emprunts à Charlevoix :
Voyage, Charlevoix,
p. 126. Présents de noces p. 283-4
127. Pluralité des femmes, ou des maris 286
128. Longue continence imposée aux nouveaux époux. . 284 et 288
128. Mariages entre beau-frère et belle-sœur, 284
128-9. Hutte des purifications 288
130. Imposition des noms aux enfants 289
131. Funérailles 373
131-2. Festins funéraires. . . . , 351-2 et 373
132. Pratiques de deuil 375-6
132. Sauvages tués à la chasse 374
132. Temps d'exhumation publique 376
MOISSONS, FÊTES.
Voyage, p. 134-142:
Quelques données seulement semblent dues à Charlevoix ( Voy.,
p. 134, cf. Charlevoix, p. 330; Voy.y p. 143, cf. Charlevoix,
p. 121-3). La Fête du blé vert est décrite par Le Page du Pratz,
Histoire de la Louisiane, 1758, t. II, p. 360, ss. Il est probable
que Chateaubriand a exploité ici, outre Le Page du Pratz, une
autre source ; mais Le Page du Pratz lui était familier, comme le
prouve cette recette de cuisine :
84 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Voyage, p. 135. Le Page du Pratz, II, p. 5.
Les quenouilles de maïs, mises On fait cuire à moitié le mahiz
bouillir dans de l'eau de fontaine, dans l'eau, puis on le fait bien
sont retirées à moitié cuites et sécher... et roussir... et on le
présentées à un feu sans flamme, remue sans cesse afin qu'il ne
Lorsqu'elles ont acquis une cou- prenne que la cguleur rousse,
leur roussàtre, on les égrainedans Lorsqu'il a pris celte couleur, on
un poulagan ou mortier de bois, le frotte bien et on le met dans un
On pile le grain en l'humectant, mortier. Ensuite, on le pile douce-
Cette pâte, coupée en tranches et ment... avec un peu d'eau... On
séchée au soleil, se conserve un concasse ce gruau el on le fait
temps infini. Lorsqu'on veut en sécher au soleil... Cette farine peut
user, il suffit de la plonger dans se garder six mois... Pour en
de l'eau, du lait de noix ou du jus manger, on la mélange d'eau...
d'érable ; ainsi détrempée, elle Cette même farine, mêlée avec du
offre une nourriture saine et lait et un peu de sucre; peut être
agréable. servie sur les meilleures tables.
Quanta la fête du Feu nouveau (Voy.9 p. 136-140), il semble
que, pour composer sa poétique description, Chateaubriand ait
combiné des données prises à Le Page du Pratz, à ce passage de
Bartram (II, 405, Dublin, p. 507-8) : on y reconnaîtra notamment
une phrase que Chateaubriand transpose en style direct (p. 136)
pour la faire proclamer « à son de conque, par un crieur public ».
« A l'ouverture de la fête du feu nouveau, les Creeks, après s'être
pourvus de nouveaux habits, vases, poêles et autres ustensiles de
ménage, ramassent tous leurs vêtements usés, et les jettent avec toutes
les ordures des maisons et le reste de leurs grains et provisions dans
un grand feu qui les consume. Pendant trois jours, ils prennent méde-
cine et observent un jeûne rigoureux. Une amnistie générale est pro-
noncée. Il est permis à tous les malfaiteurs de rentrer dans leurs bour-
gades; leurs crimes sont pardonnes; ils sont absous et rentrent en grâce.
Le malin du quatrième jour, le grand prêtre, en frottant des bois secs,
produit un feu nouveau au milieu de la place publique, où chaque
habitation en envoie prendre. »
RÉCOLTE DU SUC D'ÉRABLE.
J.-E. Bonnet, Les États-Unis d'Amé-
rique à la fin du XVI 11° siècle.
Voyage, p. 143-5. t jji
La récolte du suc d'érable se P. 290. — La saison pour percer
1. Bonnet dit qu'il rédige ce chapitre d'après • le troisième volume des Tran-
sactions de la Société philosophique américaine », publication que je ne me suis pas
procurée.
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE.
85
faisait et se fait encore parmi les
Sauvages deux fois Tannée. La
première récolte a lieu vers la fin
de février, de mars ou d avril,
selon la latitude du pays où croît
l'érable à sucre. L'eau recueillie
après les légères gelées de la nuit
se convertit en sucre, en la faisant
bouillir sur un grand feu. La quan-
tité de sucre obtenue par ce pro-
cédé varie selon les qualités de
l'arbre. Ce sucre, léger de diges-
tion, est d'une couleur verdâtre,
d'un goût agréable et un peu
acide.
La seconde récolte a lieu quand
la sève de l'arbre n'a pas assez de
consistance pour se changer en
suc. Cette sève se condense en une
espèce de mélasse, qui, étendue
dans de l'eau de fontaine, offre une
liqueur fraîche pendant les cha-
leurs de l'été.
On entretient avec grand soin le
bois d'érable de l'espèce rouge et
blanche. Les érables les plus pro-
ductifs sont ceux dont l'écorce
parait noire et galeuse. Les Sau-
vages ont cru observer que ces
accidents sont causés par le pivert
noir à tête rouge, qui perce l'érable
dont la sève est plus abondante.
Ils respectent ce pivert comme un
oiseau intelligent et un bon génie.
A quatre pieds de terre environ,
on ouvre dans le tronc d'érable
deux trous de trois quarts de pouce
de profondeur, et perforés du haut
en bas pour faciliter l'écoulement
de la sève.
Ces deux premières incisions
sont tournées au midi; on en pra-
tique deux autres semblables du
côté du nord. Ces quatre taillades
sont ensuite creusées à mesure que
l'arbre donne sa sève, jusqu'à la
les arbres est en février, mars ou
avril, selon le temps qui règne en
ces mois. Il y a toujours une sus-
pension de liqueur dans la nuit, si
à un jour chaud succède une nuit
froide. La quantité de sucre que
l'on obtient chaque jour d'un
arbre varie de cinq gallons à une
pinte.
P. 293. — Dans la dernière
partie du printemps comme dans
l'été ou au commencement de
l'automne, l'arbre à sucre donne
une eau légère, mais qui n'est pas
saturée de sucre; c'est une boisson
agréable pendant la moisson.
P. 287. — Les érables les meil-
leurs sont ceux qui ont été percés
en cent places par les piverts qui
se nourrissent de ce suc. Les
arbres ainsi blessés répandent leur
liqueur sur la terre et ensuite
prennent une couleur noire.
P. 292. — On enfonce dans
l'érable une tarière environ trois
quarts de pouce dans la direction
de bas en haut, pour empêcher la
liqueur d'être gelée le matin ou le
soir, si elle coulait doucement...
On perce l'érable d'abord du côté
du midi, et lorsque l'effusion de la
liqueur commence à diminuer, on
l'ouvre du côté du nord... on
enfonce la tarière jusqu'à deux
pouces; on introduit un tuyau
8a REVUE d'uîSTGIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
profondeur de deux pouces et
dans le trou, environ un demi-
demi.
pouce.
Deux auges de bois sont placées
On place sous le tuyau une auge
aux deux faces de l'arbre» au nord
de pin blanc ou de tilleul,., le
et au midi, et des tuyaux de
tuyau est ordinairement fait de
sureau, introduits dans les fentes,
bois de sumach ou de sureau.
servent à diriger la sève dans ces
auges.
Toutes leg vingt-quatre heures,
On verse tous les jours la liqueur
on enlève le suc écoule; on le
dans un large réservoir; de ce
porte sous des hangars couverts
réservoir on le met sur le four-
d'écorc*; on le faut bouillir dans
neau, — P. 295. La chaudière esl
un bassin de pierre en l'ëcumaût
couverte par un hangar.
Lorsqu'il ast réduit à moitié par
l'action d'un feu clair, on le trans-
i
vase dans un autre bassin t où l'on
continue à le faire bouillir jusqu'à
ce qu'il ait pris la consistance d'un
sirop. Alors, retiré du feu, il
repose pendant douze heures. Au
bout de ce temps, on le précipite
.
dans un troisième bassin, prenant
soin de ne pas remuer le sédiment
tombé au fond de la liqueur.
Ce troisième bassin est à son
P. 296. — On met dans la chau-
tour remis sur des charbons demi-
dière du beurre ou de la graisse de
brûlés et sans flammes. Un peu de
cochon pour empêcher la liqueur
graisse est jeté dans le sirop pour
de sortir en bouillonnant.
l'empêcher de surmonter les bords
du vase. Lorsqu'il commence à
«
filer, il faut se hâter de le verser
dans un quatrième et dernier bas-
sin de bois, appelé te refroidineur.
Une femme vigoureuse le remue
en rond, sans discontinuer, avec
P. 296. — Le sucre, après
un bàlun de cèdre, jusqu'à ce qu'il
avoir suffisamment bouilli, devient
ait pris le grain du sucre. Alors
grené ; on le fait sécher, on le raf-
elle le coule dans des moules
fine et on le convertit en pain. —
d'écorce qui donnent au fluide coa-
P. 305. Les moules où on coule le
gulé la forme de petits pains
sucre doivent être faits avec du
coniques : l'opération est ter-
bois sec; on leur donne la forme
minée.
d'une trémie de moulin.
Quand il ne s'agit que des
mélasses, le procédé finit au second
feu.
L'écoulement des érables dure
CHATEAUBRIAND E!f AMÉRIQUE. «7
quinze jours, et ces quinze jours
sont une fête continuelle. Chaque
matin on se rend au bois d'érables,
ordinairement arrosé par un cou-
rant d'eau. Des groupes d'Indiens
et d'Indiennes sont dispersés aux
pieds des arbres; des jeunes gens
dansent et jouent à différents
jeux; des enfants se baignent sous
les yeux des sachems. A la gaité
de ces sauvages, à leur demi-nudité,
à la vivacité des danses, aux luttes
non moins bruyantes des bai-
gneurs, à la mobilité et à la fraî-
cheur des eaux, à la vieillesse
des ombrages, on croirait assister
à Tune de ces scènes de Faunes et
de Dryades décrites par les poètes :
Tu m vero in nu mer u m Faunosque
ferasque videres Ludere.
PÊCHES.
Voyageai*. 146-8.
Chateaubriand consacre ces deux pages ( Voy.y p. 175-8) à chanter
« Tépithalame du filet ». Sur cette curieuse coutume, le P. de
Charlevoix avait dit simplement (p. 153) :
« Les sauvages pèchent aussi avec la seine, et ils s'y disposent par
une cérémonie assez bizarre. Avant que de se servir de ce filet, ils le
marient avec deux filles vierges, et pendant les festins de noce, ils le
placent entre les deux épouses. On l'exhorte ensuite fort sérieusement
à prendre beaucoup de poisson, et on croit l'y engager, en faisant de
.grands présents à ses prétendus beaux-pères. »
Sur quoi Chateaubriand nous rapporte, en bon folkloriste,
•comment les jeunes filles et le filet étaient mariés par le jongleur
avec les cérémonies d'usage; comment les nouvelles épouses,
enveloppées dans le filet, étaient portées en grande pompe
jusqu'au fleuve; comment, à minuit, après une pêche aux flam-
beaux, le jongleur déclarait que le filet voulait se retirer avec ses
deux épouses, comment on chantait alors la gloire du filet, vain-
queur de l'esturgeon, et des strophes qui disaient la douleur des
« veuves » des poissons : « En vain ces veuves apprennent à
nager, elles ne reverront plus ceux avec qui elles aimaient à
88 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
errer dans les forêts sous les eaux! elles ne se reposeront plus
avec eux sur des couches de mousse!... »
Le lecteur, curieux de s'informer plus avant sur ces poissons
dont les veuves ne savent pas encore nager, les retrouvera tous
dans Charlevoix. Exemple :
Voyage, p. 147. Charlevoix, p. 152.
On peignoit la déroute de l'ar- Le lencornet a des barbes dont il
mée entière des poissons : le len- se sert pour prendre d'autres pois-
cornet dont les barbes servent à sons... P. 153 : il sort de dessous
entortiller son ennemi, le chaou- la gueule duchaousaron une arête
saron, pourvu d'une lance dente- plate, dentelée, creuse et percée
lée, creuse et percée par le bout, par le bout; P. 282 : i'astikamègue
l'artimègue qui déploie un pavil- ou poisson blanc...
Ion blanc, les écrevisses qui précè-
dent les guerriers-poissons, pour
leur frayer le chemin; tout cela
étoit vaincu par le filet.
On remarquera que Chateaubriand déforme ici le nom de
deux poissons sur trois : il baptise chaousaron la chaousarou, et
artimègue Yastikamègue. Il est vrai que plus haut (v. ci-dessus,
p. 62), il avait appelé ce même poisson Yartikamègue.
DANSES.
Voyage y p. 148-9.
Comme Chateaubriand décrit des danses presque en chacun
des chapitres qui précèdent et suivent, comme ses sauvages dan-
sent en moissonnant, pèchent en dansant, dansent en maçonnant,
dansent pour fumer le calumet, pour chasser, pour se marier,
pour faire la guerre, la paix, l'amour, il se trouve ici fort
dépourvu. Ses fiches inemployées ne lui fournissent plus que la
danse des braves et deux autres danses de guerre (Voy., p. 148-9).
La danse des braves ressemble — mais sans coïncidences verbales —
à une danse décrite par Le Page du Pratz, Histoire de la Loui-
siane, II, 376-8. Je n'ai pas retrouvé l'origine des deux autres.
JEUX.
Voyage, p. 149-55.
Après quelques généralités, Chateaubriand consacre tout cet
article à deux sortes de jeux des Sauvages : le jeu des plumes, qui
est un « jeu de la virilité », et le jeu des osselets, qui est un « jeu
de l'oisiveté et des passions ».
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE. 80
Ce petit chapitre tout entier est composé d'après Charlevoix,
très fidèlement interprété :
Voyage, p. 151. Jeu des plumes Charlevoix, p. 319.
— 151-155. Jeu des osselets — 260-3.
ANNÉE. — DIVISION ET RÈGLEMENT DU TEMPS. — CALENDRIER NATUREL.
Voyage , p. 156-9.
Chateaubriand, par exception, indique ici ses sources : « Les
noms des douze lunes varient selon le pays et les usages des
diverses peuplades. Charlevoix en donne un grand nombre. Un
voyageur moderne, Beltrami, donne ainsi les mois des Sioux et
les mois des Cipawoix. » Il s'agit sans doute ici du Voyage de
Baltrami aux sources du Mississipi, publié en 1823, que je n'ai
pas réussi à me procurer. Pour les emprunts à Charlevoix, cf. son
Journal historique, p. 400-2.
MÉDECINE.
Voyage, p. 160-6.
Ce chapitre est dû tout entier à Charlevoix, sauf quelques ali-
néas :
Voyage, Charlevoix,
p. 160. Usage des simples, garentoguen p.316,cf.His*.iV0M>.-
Fr., Descr., p. 10
160. Sassafras Ibid., p. 10
160. Lychnis Ibid., p. 11
160. Bellis Ibid., p. 14
160. Hedisaron Ibid., p. 40-1
161-2. Chirurgie p. 365-6
«162. Boite l'umigaloire Ibid., I, p. 126
162-3. Femmes accouchées par frayeur Journal, p. 288
163-4. Imposture des jongleurs p. 368
164. Chiens égorgés p. 372
164-5; Les jongleurs dans la cabane des sueurs. . . p. 381-2
165. Le petit os p. 369
165-6. Malades frénétiques p. 354
Tous ces passages de Charlevoix ont été diligemment trans-
posés, sauf de menues trahisons. Que signifie, par exemple, ce
rébus? « Les sauvages, dit Chateaubriand (p. 160), connaissent
une multitude de simples propres à fermer les blessures : ils ont
l'usage du garenl-oguen, qu'ils appellent encore abasout-chenza,
à cause de sa forme; c'est le ginseng des Chinois. » Nous voilà
bien informés, si par hasard nous ignorons la valeur du mot
* abasout-chenza en iroquois. Heureusement, le P. de Charlevoix nous
tirera de peine : « Les sauvages, nous apprend-il (Descr., p. 10),
00
REVUE D'HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE.
appellent aussi le tjarent-otjuen du nom A" abesoutchenza [et non
aùasoutcheuza], qui veut dire un enfant, à cause de la forme de sa
racine. » D'ailleurs colle plante qui, selon Chateaubriand, « ferme
les blessures », ne sérail propre, selon Charlcvoix, qu'à rendre
les femmes fécondes. » Qui croire?
À la fin de 66 chapitre (p. 166), Chateaubriand a nommé une
fois le P. de Charlevoix, mais c'est qu'il avait à compléter son
information. Charlevoix (p. 354), pour montrer jusqu'où les
sauvages portent l'extravagance au sujet des songes, avait
raconté un fait « attesté par deux témoins irréprochables », deux
missionnaires. Us avaient vu un jour un sauvage pris de fré-
nésie. On lui demanda quel était son mal. « J'ai rêvé, ré pondit- il,
qu'un huart m'était entré dans l'estomac. » Sur quoi, tous se
mirent à contrefaire les insensés et à crier qu'ils avaient aussi un
animal dans l'estomac, et à contrefaire.,, qui une oye, qui un
canard, qui une outarde, qui une grenouille : le rêveur contrefit
aussi son huart. »
Chateaubriand a remplacé ce huart1 (déjà mal commode au
malade, semblait- il) par un bison : « Le médecin cherche à
pénétrer la cause du délire du malade... J'ai rêvé, répond celui-ci,
que j'avais un bison dans l'estomac, La famille semble cons-
ternée; mais soudain, les assistants s'écrient qu'ils sont aussi
possédés d'un animal : l'un imite le cri d'un caribou, l'autre le
hurlement d'un loup; le malade contrefait à son tour le mugis-
sement de son bison. »
Et Chateaubriand d ajouter : « Ces folies, mentionnées par
Charlevoix, se renouvellent tous les jours chez les Indiens. »
Il reste quatre alinéas de ce chapitre dont je n'ai pas retrouvé
l'origine dans les œuvres du P. de Charlevoix. J'ignore la source
de deux d'entre eux (le sac de médecine, p. 162; et quon ne
prononce jamais le moi de mort devant un ami du ma(ad^\ p. 163)*
Les deux autres ont été suggérés par Carver. Les voici : Carver
(p, 296-7) raconte qu'à Penobscot, dans la province de Main, la
femme d'un soldat étant restée trois jours en travail d'enfant,
malgré les soins d'un chirurgien et d'une sage-femme, une femme
indienne la délivra en la bâillonnant. Chateaubriand rapporte,
d'après Carver, cette pratique et ajoute ces lignes émues (p. 162):
« On avertit toujours la femme en travail avant de recourir à ce
moyen; elle n'hésite jamais à se sacrifier. »
L'aulre emprunt à Carver est cette description de la « cabane
des su» i
I. Espèce de cormoran» dit Ch&rlevoii, p. 193.
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE.
91
Voyage, p. 461.
La cabane des sueurs est cons-
truite avec des branches d'arbres
plantées en rond et attachées en-
semble par la cime, de manière à
former un cône ; on les garnit en
dehors de peaux de différents ani-
maux : on y ménage une très pe-
tite ouverture pratiquée contre
terre, et par laquelle on entre en
se traînant sur les genoux et sur
les mains. Au milieu de cette étuve
est un bassin plein d'eau que Ton
fait bouillir en y jetant des cail-
loux rougis au feu; la vapeur qui
s'élève de ce bassin est brûlante,
et en moins de quelques minutes
le malade se couvre de sueur.
Carver, p. 296.
La manière dont les sauvages
construisent leurs étuves est sim-
ple. Us placent en rond six petites
perches, qu'ils attachent ensemble
par le sommet, de manière à for-
mer une rotonde, et ils les recou-
vrent de fourrures. On ne laisse
qu'une petite ouverture, à pouvoir
se glisser dedans. Au centre de
cette construction, l'on place des
pierres rougies au feu, sur les-
quelles on jette de l'eau; il s'en
élève une vapeur... qui procure au
malade une transpiration abon-
dante.
LANGUES INDIENNES.
Voyage, p. 167-176.
Presque tout ce chapitre porte sur la grammaire des Hurons.
Or Chateaubriand nous dit en note : « J'ai puisé la plupart des
curieux renseignements que je viens de donner sur la langue
huronne dans une petite grammaire iroquoise manuscrite qu'a
bien voulu m'envo.ver.M. .Marcoux, missionnaire au saut Saint-
Louis, district de Montréal. » Plusieurs de ces renseignements
sont « curieux », en efFet; tel celui-ci (p. 170) :
« Le huron est une langue complète, ayant ses verbes, ses noms, ses
prônons et ses adverbes. »
Sommes-nous pourtant redevables à M. Marcoux de cette pré-
cieuse observation philologique? Non, mais encore au P. de
Charlevoix, interprété par Chateaubriand, comme le fait voir ce
rapprochement :
Voyage, p. 470.
Le huron est une langue com-
plète ayant ses verbes, ses noms,
ses pronoms et ses adverbes. Les
verbes simples ont une double
conjugaison, l'une absolue, l'autre
réciproque ; les troisièmes person-
nes ont les deux genres, et les
Charlevoix, p. 197.
Dans le huron, tout se conju-
gue : un certain artifice, que je ne
vous expliquerais pas bien, y fait
distinguer les noms, les pronoms,
les adverbes, etc., des verbes. Les
verbes simples ont une double
conjugaison, l'une absolue, l'autre
92
KEVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
nombres et les temps suivent le
mécanisme de la langue grecque.
Les verbes actifs se multiplient à
l'infini, comme dans la langue chi-
cassaise.
réciproque. Les troisièmes person-
nes ont les deux genres...; pour ce
qui est des nombres et des temps,
on y trouve les mêmes différences
que dans le grec. Les verbes actifs
se multiplient autant de fois qu'il
y a de choses qui tombent sous
leur action.
Outre M. Marcoux, Chateaubriand a, en effet, ici encore, lar-
gement exploité le P. de Charlevoix (cf. Charlevoix, p. 188-9 et
195-8). Quelques renseignements sur le natchez et le chicassais
semblent pris à Bartram (II, 419, Dublin, p. 517), mais non tous :
Chateaubriand devait connaître le dialecte d'Atala par quelque
autre grammairien, que je n'ai pu découvrir.
COASSE.
Voyage, p. 177-191.
Emprunts a Cuarlevoix :
Voyage, Charlevoix,
p.179. Sacrifice expiatoire aux âmes des ours p. 116
179-80. Raquettes à neige 221
184-6. Chasse à Tours 115-7
186. Repas sacré après la chasse à l'ours 300
187-8. Chasse à l'orignal 419
190. Chants au retour de la chasse et l'alinéa qui suit. . . 118
190-1. Repas de huit ou dix heures 349.
Emprunts a Carver :
a. Début du chapitre.
Voyage, p. 177. Carver, p. 208.
Quand les vieillards ont décidé Le chef des guerriers invite en
la chasse du castor ou de l'ours, grande solennité ceux qui veulent
un guerrier va de porte en porte raccompagner en chasse. Ils se
dans les villages, disant : « Les peignent de noir leurs corps... et
chefs vont partir ; que ceux qui se préparent au départ par un
veulent les suivre se peignent de jeûne de plusieurs jours. Ils s'abs-
noir et jeûnent, pour apprendre à tiennent absolument de toute
l'Esprit des songes où les ours et nourriture et de boisson; ils ne
les castors se tiennent cette an- prennent pas même une goutte
née. » A cet avertissement tous les d'eau; et, au milieu de cette abs-
guerriers se barbouillent de noir tinence, ils paraissent gais. Cesin-
de fumée détrempé avec de l'huile gulier jeûne les dispose à, rêver. Ce
d'ours; le jeûne de huit nuits jeûne étant fini, le chef donne une
commence : il est si rigoureux grande fête aux chasseurs; mais
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE. 93
qu'on ne doit pas même avaler une aucun n'ose y prendre part avant
goutte d'eau, et il faut chanter in- de s'être baigné,
cessamment, afin d'avoir d'heu-
reux songes. Le jeûne accompli,
les guerriers se baignent : on sert
un grand festin.
b. Chasse au bison, en embrasant les herbes. Voyage, p. 188 =
Carver, p. 211-2.
c. Chasse au castor dans les viviers gelés. Voyage, p. 182 = Carver,
p. 214-3. (Les deux textes ne se suivant pas exactement, ce dernier rap-
prochement est douteux.)
LA GUERRE.
Voyage, p. 191-221.
1° Emprunts a Charlevoix.
Voyage, Charlevoix,
p. 193. La chaudière de guerre p. 208
193. Poteaux de guerre, médecine de guerre 424
193-4. Jeûne du chef de guerre 217
194. Mesures qu'on prend pour avoir des prisonniers. ... 217
194. Engagements volontaires 217
194. Guerriers peints et tatoués 328
195. Armes et parures des guerriers 222
195-6. Discours du chef de guerre * 216
496. Collier et chanson de mort 216
197. Le chien sacré 217
198. Traîneaux « 221
198. Canots 192
199. Le jour des adieux 221
200. Etendards d'écorce 222
200. Distribution des manitous 223
201-2. Jongleries 219
202. Nouveau discours du chef 218
203. Danse de la découverte 297
205. Mise à Tépreuve des jeunes guerriers 219
207. Admonition aux manitous 425
209. Rencontre d'une troupe alliée 237
210. Finesse de l'ouïe chez les sauvages 239
212. La nuit des songes 237
214-5. Hiéroglyphes (très arrangé) 239-40*
219. Cruauté des femmes 242
219. Adoption des prisonniers 241-246.
220. Rencontre d'un père et d'un fils dans un combat . . . 309-10.
1. Il est curieux de constater qu'ici — et en plusieurs lieux — Carver (p. 223-4)
a fait comme Chateaubriand : il a pris ce discours à Charlevoix. Mais Chateau-
briand a recouru aux vraies sources, et c'est bien d'après Charlevoix qu'il le
reproduit.
2. Le nom sauvage de metump est ici ajouté à Charlevoix par Chateaubriand
d'après Carver, p. 246.
94
REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANGE.
2° Emprunts a Carver.
A. — Le « woop » de guerre.
Voyage, p. 192.
Quatre guerriers jettent au foyer
de ces cabanes un casse-tête peint
en rouge, sur le pied duquel sont
marqués, par des signes connus
des sachems, les motifs des hosti-
lités : les premiers Romains lan-
çaient une javeline sur le territoire
ennemi. Ces hérauts d'armes in-
diens disparaissent aussitôt dans
la nuit comme des fantômes, en
poussant le fameux cri ou woop de
guerre. On le forme en appuyant
une main sur la bouche et frappant
les lèvres, de manière à ce que le
son échappé en tremblotant, tan-
tôt plus sourd, tantôt plus aigu,' se
termine par une espèce de rugisse-
ment dont il est impossible de se
faire une idée.
B. — Danse de guerre
Carver, p. 227 et p. 249.
Pour déclarer la guerre, les In-
diens envoient par un esclave une
hache dont la poignée est peinte
en rouge à la nation avec laquelle
ils veulent rompre. Les cris de
guerre consistent en cris comme
ceux-ci : « où, où, oûp... » Us sont
modulés en espèces de notes par
la main placée d'une certaine ma-
nière devant la bouche.
Voyage, p. 204.
Les casse-têtes retentissent con-
tre les casse-têtes; le chichikoué
précipite la marche; les guerriers
tirent leurs poignards; ils com-
mencent à tourner sur eux-mêmes,
d'abord lentement, ensuite plus
vite, et bientôt avec une telle rapi-
dité, qu'ils disparaissent dans le
cercle qu'ils décrivent: d'horribles
cris percent la voûte du ciel. Le
poignard que* ces" hommes féroces
se portent à la gorge avec une
adresse qui fait frémir, leur visage
noir ou bariolé* leurs habits fan- ...
tastiques, leurs* longs* hurlements, • •
tout ce tableau d'une guerre sau-
vage inspire la terreur.
C. — Le scalp.
Voyage, p. 218. Carver, p. 245.
On met le pied sur le cou du Ils saisissent la tête de leur en-
vaincu, de la main gauche on saisit nemi, et plaçant leur pied sur le
Carver, p. 196-7.
Tous dansent à la fois. Ils pren-
nent les postures les plus effrayan-
tes.. Ils tiennent leurs couteaux
pointus, avec lesquels, en tour-
nant comme ils font, ils semblent
en danger de se couper la gorge
les uns aux autres; ce qui arrive-
rait sans leur extrême adresse.
Pour* augmenter l'horreur de la
scène, ils jettent des hurlements
et des cris comme au combat...
et l'on croirait voir des démons
déchaînés.
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE. 95*
le toupet de cheveux que les In- cou, ils entortillent leur main
diens gardent sur le sommet de la gauche dans la chevelure. De la
tête; de la main droite on trace, main droite, ils tirent leur cou-
à l'aide d'un étroit couteau, un teauà scalper, cernent la peau et
cercle dans le crâne, autour de la l'enlèvent avec la chevelure,
chevelure; ce trophée est souvent
enlevé avec tant d'adresse que la
cervelle reste à découvert sans
avoir été entamée par la pointe de
l'instrument *.
RELIGION.
Voyage, p. 221-9.
t II est faux qu'il y ait des sauvages qui n'aient
aucune notion de la Divinité. Les voyageurs qui
avaient avancé ce fait ont été démentis par d'autre»
voyageurs mieux instruits. Nous les avons vus, cet
sophistes de la hutte!»
(Génie du Christianisme, I, VI, 4.)
Voyage, Charlevoix,
p.221. Sacrifices p.348
222. Manitous, Songes 346
222. Immortalité de l'âme 35iet35S
223. Trace des fictions grecques et des vérités bibliques
dans la religion des sauvages 349
223. Comment le Grand Lièvre créa la terre 344
223. Areskoui 208
223. Michabou, Athaënsic, etc '. . 344
224. Jouskeka, etc 345
224. Messou ou Saketchak, etc 399
224-5. Traditions sur le lac Nipissingue 283
225. Michabou sur les lacs . 28iet283
227. La belle Endaë 352
228. L'arbre du Lac Salé 349.
Je n'ai pu retrouver chez Charlevoix, ni ailleurs, la caverne du
Grand-Esprit (Voy., p. 22S), le Manitou de soixante coudées
(p. 226), ni (p. 227-8) l'histoire d'Handioun, qui rechercha la helle
Almilao, et « qui l'aima comme la lune ».
Chateauhriand, sans dourte en peine de parfaire ce chapitre sur
la Religion dès sauvages, retrouva heureusement un résidu de
fiches inemployées sur- V herbe à la puce, sur le cèdre blanc, et sur
le chat-huant.
Il lisait sur la première : « Quelques-uns, en regardant seule-
ment Y herbe à la puce, sont attaqués d'une fièvre violente..., et
qui est accompagnée d'une grande démangeaison par tout le
1. La traduction de Chateaubriand fait contresens : il décrit l'opération comme
s'il s'agissait d'enlever non pas seulement le cuir chevelu, mais la boite crânienne.
96 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
corps; elle n'opère sur d'autres que quand ils la touchent. »
(Charlevoix, p. 263.)
Il lisait sur la seconde : « On prétend que les femmes enceintes
ne doivent pas user du bois du cèdre blanc pour leur buse. »
(Charlevoix, p. 255).
Il lisait sur la troisième : « La provision du chat-huant pour
l'hiver sont des mulots, auxquels il casse les pattes, et qu'il
engraisse et nourrit avec soin, jusqu'à -ce qu'il en ait besoin. »
(Charlevoix, p. 155..)
Et, comme il avait conversé avec « les sophistes de la hutte »,
Chateaubriand écrivit (Voy.} p. 226-7) :
« Athaënsic a planté dans les îles du lac Érié Y herbe à la puce : si un
guerrier regarde cette herbe, il est saisi de la fièvre; s'il la touche, un
feu subtil court sur sa peau. Athaënsic planta encore au bord du lac
Érié le cèdre blanc pour détruire la race des hommes : la vapeur de
l'arbre fait mourir l'enfant dans le sein de la jeune mère, comme la
pluie fait couler la grappe sur la vigne. Le Grand-Lièvre a donné la
sagesse au chat-huant du lac Érié. Cet oiseau fait la chasse aux souris
pendant Tété; il les mutile et les emporte toutes vivantes dans sa
demeure, où il prend soin de les engraisser pour l'hiver. »
GOUVERNEMENT.
Voyage, p. 229-259.
« Nous avons eu nous-mêmes occasion d'observer,
chez les Indiens du Nouveau-Monde, toutes les formes
des constitutions des peuples civilisés : ainsi les Nat-
chez, à la Louisiane, offraient le despotisme de l'état
de Nature; les Creeks de la Floride, la monarchie, et
les Iroquois du Canada, le gouvernement républicain. »
(Génie du Christianisme, IV, iv, 8.)
LES NATCUEZ.
Despotisme dans l'état de nature.
Voyage, p. 229-40.
Voyage, Charlevoix,
p.231. Division des nations en tribus p. 266
232. Conseils des nations indiennes 267-9
233. Colliers 210et305
23540. Gouvernement des Natchez 419-24
LES MUSCOGULGES.
Monarchie limitée dans Vétat de nature.
Voyage, p. 240-50.
Voyage, p. 240-1. Bartram, II, p. 382 (Dublin, p. 492).
Les Muscogulges ont un chef A la tête du vénérable Sénat des
appelé Mico, roi ou magistrat. Muscogulges préside le Mico.
CHATEAUBRIAND ES AMLRIQIE. 97
Le Mi no est regardé en m me le
premier homme de la tribu, et
reçoit tous les témoignages d'a-
mour et d'estime que son ran
exige. Quand il préside un consr îl.
il est révéré et Irai lé aussi respec-
tueusement que peut l'être le
monarque le plus despotique de
l'Europe; et, quand il est absent,
sa place n'est occupée par per-
sonne.
Quoique le Mico soit électif, il
ne doit le trône ni à des violences
publiques, ni à des intrigues
secrètes. Son apparition est mys-
térieuse : c'est celle du soleil, qui
se lève sur la terre, pour la
rendre heureuse et féconde-. Per-
sonne ne vous dira * quand et
comment il est devenu roi; mais
il est universellement reconnu
pour le personnage le plus consï-
dérable-
Le Mien, reconnu pour le pre-
mier homme de la nation» reçoit
toutes sortes de marquée de res-
pect. Lorsqu'il préside le conseil,
on lui rend des hommages presque
abjects; lorsqu'il est absent, son
siège reste ride.
Le Mico convoque le conseil
pour délibérer sur la paix et sur U
guerre; & lui s'adressent les
Ambassadeurs et les étrangers qui
arrivent chez la nation.
La royauté du Mico est élective
p( inamovible. Les vieillards nom-
ment le Mico; le corps des guer-
riers confirme la nomination. Il
faut avoir versé son sang dans les
combats, ou s'être distingué par
sa raison , son génie, son élo-
quence, pour aspirer à la place
d o Mîco. Ce souverain, qui ne duit
sa puissance qu'a son mérite,
s'élève sur la confédération des
Creeks , comme le soleil pour
animer et féconder la terri'.
Le Mico ne porte aucune marque
de distinction : hors du conseil,
! un simple sache m qui se
mêle à la foule, cause, fume, boit
ta eoapa avec tous les guerriers :
un étranger ne pourrait le recon-
naîtra h >u* le conseil arôme, où
il reçoit tant d'honneurs, il n'a
que s;i \\>i\ ; toute son influence est
dans sa sagesse : son avis est géné-
ralement suivi, parce que son avis
est presque toujours le meilleur.
La vénération des Muscogulges
pour le Mico est extrême. Si un
jrune homme est tenté de faire
une chose déshonnête, son compa-
gnon lui dit : « Prends garde, le
« Mïco te voit »; le jeune homme
s'arrête : c'est l'action du despo-
tisme invisible de la vertu.
1. BarLram avait compté sans Chateaubriand*
Re*. D'tttST. LÏTTÉR. DI LA FkAHCE [1' AtlO.)T — VU.
Ses habits sont les mêmes et un
étranger ne pourrait distinguer
son habitation de celles des autres
citoyens ... Hors du conseil, le
Mico se mêle à la foule des
citi >yens, converse avec eux, et tous
l'approchent sans contrainte... Il
|.r- side en personne, et chaque
jour» au conseil : mais sa voix n'a
d'autre prépondérance que celle
du plus sage et du meilleur
citoyen,
,,, Ces peuples agissent comme
>i leur chef, en restant invisible,
avait l'œil ouvert sur toutes leurs
ac lions.
98 REVUE D mSTÛIHË LITTÉHÀLHK UE là FRANCE.
Yoijutje^ p, 242 (Le rnico a la disposition du grenier public) =
Bartram, p. 385 (Dublin, 494). Par contre, Bartram ne sait rien
dire des attributions du Sénat, — Voyage, p. 243-4 (Histoire des
Muscogulges) = Bartram, passîm (v. p. ex., Bartram, II, 208-9).
Voyage^ p. 24 i.
Le serf [ chez les Muscogulges]
est logé, vêtu et nourri comme
ses maîtres, S'il se marîe, ses
enfants sont libres; ils rentrent
dans leur droit naturel par la
naissance. Le malheur du père
et de la mère ne passe point à
leur pus lu ri té ; les Muscogulges
n'ont point voulu que la servitude
Tût héréditaire ; belle leçon que les
Sauvages ont donnée aux hommes
civilisés !
Tel est néanmoins l'esclavage ;
quelle que soit sa douceur, il
dégrade les vertus. Le Muscogulge,
hardi, bruyant, impétueux, sup-
portant à peine la moindre Contra-
diction, est servi par le Yamase,
timide, silencieux, patient, abject.
Voyage^ p. SMo-7.
Les villages muscogulges sont
bàlis d'un* manière particulière :
chaque famille a presque toujours
quatre maisons ou quatre cabanes
pareilles É. Ces quatre cabanes se
font face les unes aux autres,
et forment entre elles une a mi-
carrée d environ un demi-arpent :
on en Ire dans celle cour par les
qualre angles. Les cabanes, cons-
truites en planches, sont enduites
en dehors et en dedans d'un mor-
tier rouge qui ressemble à de la
terre de brique* Des morceaux
décorée de cyprès, disposés
comme des écailles de tortue,
servent de toiture aux bâtiments.
Au centre du principal village,
1. Contresens.
Bartram, I, 321 (Dublin, p. 181).
Chez les Creeks, les esclaves
des deux sexes ont la permission
de se marier entre eux; les enfants
sont libres et considères, à tous
égards, comme égaux aux autres
habitants.
En observant ces esclaves, on
reconnaît au premier coup d'œil,
dans leur maintien, dans leurs
manières, la prodigieuse différence
qu'il y a de l'esclavage à la liberté...
L'Indien libre est actif, audacieux,
turbulent. Les serfs sont les
hommes les plus soumis, les plus
dégradés quTon puisse voir, Doux,
humbles et souples, ils semblent
n'avoir de force ni de volonté que
pour obéir à leurs maîtres.
Bartram, II* 137-9 (Dublin, 45-2-3).
Dans les villages muscogulges,
la grande place publique est ordi-
nairement isolée au centre et dans
la partie la plus élevée de la ville.
Elle est composée de quatre corps
de logis, formant quatre l&aisOQJ
d'un seul étage, de dimen-
absolument pareilles. Ils *ont
disposés de manière à former un
carré parfait d'un demi-acre de
terre;.,, à chaque encoignure est
un passage. Ces bâtiments sont
construits de solives;.., les murs
sont proprement enduits avec du
mortier d'argile...
Un de ces bâtiments est à pro-
CHATEAUBRIAND EN AN LUI QUE.
99
el dans l'endroit le plus élevé, est
une place publique environnée de
quatre longues galeries. L'une de
ces galeries est la salle du con-
seil, qui se tient tous les jours
pour l'expédition des affaires.
Celle salle se divise en deux cham-
bres par une cloison longitudi-
nale : l'appartement du fond est
ainsi privé de lumière ; on n'y
entre que par une ouverture sur-
baissée, pratiquée au bas de la
cloison. Dans ee sanctuaire sont
déposés le? trésors de la religion
et de la politique : les chapelets
de corne de cerf, la coupe à
médecine, les chiehîkoués, le calu-
de paix» l'étendard national ,
fait d*une queue d'aigle, 11 n'y a
que le Mico, le chef de guerre et
le grand prêtre, qui puissent entrer
dans ce lieu redoutable.
La chambre extérieure de la
salle du conseil est coupée en trois
parties par trois petites cloisons
transversales, à hauteur d'appui*
Dans ces trois balcons s'élèvent
rangs de gradins appuyés
contre les parois du sanctuaire.
C'est sur ces bancs couverts de
nattes que s'asseyent les Sachems
et l'*s guerriers.
Les trois autres galeries, qui
forment avec la galerie du conseil
l'enceinte de la place publique,
sout pareillement divisées chacune
en trois parties; mais elles n'ont
point de cloison longitudinale. Ces
galeries se nomment galeries du
banquet: on y trouve toujours une
foule bruyante occupée «II: divers
jeux.
Les murs , les cloisons, les
colonnes de -bois de ces galeries
sont chargés d'ornements hiéro-
glyphiques qui renferment les
prement parler la chambre du
conseil; c'est là que Je Mien, les
chefs et les guerriers... s'assem-
blent tous les jours. Ce corps de
logis diffère un peu des trois
autres : une cloison longitudinale
en sépare la largeur d'un bout à
l'autre, et le divise en deux cham-
bres. Celui du fond est absolument
obscur; il n'est perce que de trois
petites ouvertures voûtées; cet
endroit me parait être un sanc-
tuaire conjuré a la religion. C'est
là que sont déposées toutes les
choses sacrées : le vase médi-
cinal,... les chapelets de sabots de
chevreuils, le calumet de paix,
l'étendard royal, fait avec des
plumes do la queue de l'aigle
blanc.
La pièce de ce corps de logis
qui regarde la place est en outre
partagée en trois divisions par
deux murs ou cloisons transver-
sales, à hauteur d'appui, Dana
chacune de ces enceintes sont
trois rangs de bancs qui s'élèvent
l'un derrière l'autre pour recevoir
le sénat el rassemblée.
Les trois autres bâtiments qui
composent la place sont également
meublées de trois rangs de sièges,
et servent de salle de banquet,
tant pour les membres du conseil
que pour les spectateurs, qui y
afUuont de tout temps,
Les piliers, ainsi que les raurs
des bâtiments qui composent la
place publique , sont ornés de
diverses peintures et sculptures.
H»
1ETTE b'aiSTOntE LI1TÙUIU M LA f%JL30L.
secrets sacerdotaux et politiques
de la nation. Os peintures repré-
sentent des hommes dans diverses
attitudes, des oiseaux et des qua-
drupèdes à tête d'hommes, des
hommes à tête d'animaux. Le
dessin de ces monuments est tracé
arec hardiesse et dans des pro-
portions naturelles; la couleur en
est rire, mais appliquée sans art.
L'ordre d'architecture des colonnes
Tarie dans les villages selon la
tribu qui habite ces villages: à
Otasses. les colonnes s^nt tour-
nées en spirale parce que les Mus-
eogulges d'Otasses sont de la tribu
du Serpent.
n y a chez celte nation une ville
de paix et une ville de sang. La
ville de paix est la capitale même
de la confédération des Creeks, et
se nomme Apalachucla. Dans cette
ville on ne verse jamais le sang ;
et quand il s'agit d'une paix géné-
rale, les députés des Creeks y sont
convoqués. La ville de Sang est
appelée Coweta; elle est située à
douze milles d'Apalachucla : c'est
là que l'on délibère de la guerre.
On remarque, dans la confédé-
ration des Creeks, les Sauvages
qui habitent le beau village d'Uche,
composé de deux mille habitants,
et qui peut armer cinq cents
guerriers. Ces Sauvages parlent la
langue savanna ou savantica, lan-
gue radicalement différente de la
langue muscogulge. Les alliés du
village d'Uche sont ordinairement
Ce sont, je crois, des r-peoes
d'hiéroglyphes, et comme une
histoire des événement* politiques
ou sacerdotaux... Ce s* nt des
hommes dans diverses aUitu«ir:s.
dont quelques-unes sont a~-ez
bouffonnes: d'autres, qui ont la
tête de quelque animal:... quel-
quefois ce sont ces animaux qui
sont représentés avec des tête*
d'hommes. Ces figures ne sont pas
mal exécutées; le dessin en est
hardi, libre et bien proportionné.
Les piliers sont ingénieusement
travaillés, imitant de grands ser-
pents mouchetés, qui ont l'air de
monter au plancher : allusion à
ce que les Otasses sont de la tribu
du Serpent.
Bartram, II, 204 (Dublin, p. 380).
Dans la ville d'Apalachucla. on
ne met point à mort de prisonnier;
lorsqu'il s'agit d'une paix géné-
rale, les députés de toute la con-
fection se réunissent dans cette
capitale. Au contraire, la grande
Coweta, ville située à environ douze
milles plus haut, est appelle la
ville du Sang. C'est là que lesmicos
s'assemblent, lorsqu'il s'agit d'une
guerre générale.
Bartram, II, 202 (Dublin, p. 386;.
La ville dTche est la ville in-
dienne la plus grande que j'aie vue.
Je suppose que le nombre des ha-
bitants pouvait monter à mille ou
quinze cents personnes, tant hom-
mes que femmes et enfants. Le
langage de ce peuple diffère radi-
calement de la langue creek ou
muscogulge et porte le nom de lan-
gue savanna ou sucanuca '. Les
f. Savanuca, dit Bartram, et non savantica.
GHATEAUBIUA3D £$ AMÉRIQUE
dans le conseil d'un avis différent
des autres allies, qui Les voient
avec jalousie; maïs on est assez
sage de part et d'autre pour n'en
pas venir à une rupture.
101
Uehes sont alliés des Creeks; maïs
ils ne se mêlent pas avec eux; ils
sont assez importants pour exciter
la jalousie de toute confédération
muscogulge ; mais ils sont assez sa-
ges contre des ennemis communs*
Les Siminoles, moins nombreux
que les Muscogulges, n'ont guère
que neuf villages, tous situés sur
la rivière FI in t. Vous ne pouvez
faire un pas dans leur pays sans
découvrir des savanes, des lacs»
des fontaines, des rivières de la
plus belle eau. Le Siminole res-
pira la galté f le contentement,
Tamour; sa démarche est légère;
MM abord ouvert et serein, ses
gestes décèlent l'activité et la
vie : il parle beaucoup et avec
volubilité; son langage est har-
monieux et facile. Ce caractère
aimable et volage est si prononcé
chez ce peuple, qu'il peut à peine
prendre un maintien digne, dans
les assemblées politiques de la
confédération.
Voyage p, 248.
Les Siminoles et les Muscogulges
sont d'une assez grande taille* et
par un contraste extraordinaire,
leurs femmes sont la plus petite
race de femmes connue en Amé-
rique : elles atteignent rarement
la hauteur de quatre pieds deux
ou trois pouces; leurs mains et
leurs pieds ressemblent à ceux
d'une Européenne de neuf ou dix
ans. Mais la nature les a dédom-
magées de cette espèce d'injustice :
leur taille est élégante et gra-
cieuse ; leurs yeux sont noirs,
extrêmement longs, pleins de laa-
Bariram, I, 364 (Dublin, p. 200-10).
Les Siminoles ne sont qu'un
faible peuple, si l'on regarde au
nombre* Mais celte poignée
d'hommes possède un vaste terri-
toire, divisé en milliers d'Ilots, par
des rivières innombrables, des lacs,
des marais, des vastes savanes,
Lti Siminole présente limage
parfaite du bonheur, La joie, le
contentement, l'amour tendre,
l1 amitié franche sont empreints
sur ses traits ; ils se montrent dans
son maintien, dans ses gestes; ils
semblent former sou état habituel
et faire partie de sa constitution;
CM leur empreinte ne le quitte
qu'avec la vie. Les vieux magis-
trats de ce peuple ont peine à
prendre dans le* conseils publics
des manières graves et sérieuses,
Bartram, L II, 366 (Dublin, 485).
Les femmes des Muscogulges
sont bien prises dans leur petite
stature. C'est, je crois, Ja plus
petite race de femmes connue.
Rarement leur stature passe cinq
pieds ; leurs mains et leurs pieds
ne sont pas plus grands que ceux
d'une Européenne de neuf ou dix
ans. Cependant les hommes sont
d'une taille gigantesque.,. [P. 365]
Les femmes ont le visage rond, les
traits réguliers, les yeux grands,
noirs et languissants, pleins de
modestie, de défiance et de timi-
dité. [P. 419; Quand on les entend
102 REVCE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRASCE.
gueuretde modestie. Elles baissent parler, sans les voir, on s'imagi-
leurs paupières avec une sorte de nerait le babil de petits enfants.
pudeur voluptueuse : si ou ne les
voyait pas, lorsqu'elles parlent,
on croirait entendre des enfants
qui ne prononcent que des mots à
moitié formés.
Chateaubriand nous rapporte ici un usage que Bartram semble
avoir ignoré :
« La troisième nuit de la fête du maïs nouveau, on s'assemble dans la
galerie du conseil ; on se dispute le prix du chant. Ce prix est décerné,
à la pluralité des voix, par le Mico; c'est une branche de chêne vert :
les Hellènes briguaient une branche d'olivier. Les femmes concourent,
et souvent obtiennent la couronne; une de leurs odes est restée
célèbre :
Chanson de la chair blanche.
« La chair blanche vient de la Virginie. Elle était riche; elle avait des
étoffés bleues, de la poudre, des armes et du poison français (de l'eau-
de-vie). La Chair blanche vit Tibeïma l'ikouessen.
« Je t'aime, dit-elle à la fille peinte : quand je m'approche de toi, je
sens fondre la moelle de mes os; mes yeux se troublent! je me sens
mourir.
« La fille peinte, qui voulait les richesses de la chair blanche, lui
répondit : Laisse-moi graver mon nom sur tes lèvres; presse mon sein
contre ton sein.
« Tibeïma et la chair blanche bâtirent une cabane. L'ikouessen dis-
sipa les grandes richesses de l'étranger, et fut infidèle. La chair
blanche le sut; mais elle ne put cesser d'aimer. Elle allait de porte en
porte mendier des grains de maïs pour faire vivre Tibeïma. Lorsque la
Chair blanche pouvait obtenir un peu de feu liquide, elle le buvait pour
oublier sa douleur.
« Toujours aimant Tibeïma, toujours trompé par elle, l'homme
blanc perdit l'esprit et se mit à courir dans les bois. Le père de la fille
peinte, illustre sachem, lui fit des réprimandes : le cœur d'une femme
qui a cessé d'aimer est plus dur que le fruit du papaya ' », etc.
Lies folkloristes savent qu'il est difficile, à l'ordinaire, de décou-
vrir le germe historique de pareilles « odes ». Ils nous sau-
ront donc gré de leur soumettre ce passage de Bartram (I, 300) :
4. Plu* dur que le fruit du papaya. Ce fruit, ayant maturité, a la consistance
d'un abricot mûr; mûr, il se mange & la cuiller, comme un sorbet. Il est si
commun qu'une telle méprise —j'en appelle à quiconque a vécu aux colonies —
suffirait à convaincre que Chateaubriand n'a pas séjourné quinze jours en pays
tropical pendant la saison des fruits.
CHATEAUBRIAND ES AMÉRIQUE.
« Nous arrivâmes au comptoir nommé magasin supérieur de Spal-
dîng. Nous le trouvâmes occupe par un traiteur blanc, qui avait pour
compagne une très jolie femme si mi noie* Elle était fille d'il n ancien
chef de sa nation» nommé le capitaine White, qui, avec dix au douze
personne dfl h famille, était campé dans un bosquet d'orangers, peu
éloigné»,* Ce traiteur est aujourd'hui peu satisfait de sa liaison avec la
belle sauvage. 11 était depuis peu d'années dans ces contrée*, venant,
je croîs, de la Caroline septentrionale. C'était un grand jeune homme
bien élevé* actif, aimable et noble, II rencontra, pour son malheur,
cette jolie indiennej et l'épousa à la manière des sauvages. Il l'aima
avec passion» et il faut avuuer quelle possède tous les charmes qui
peuvent rendre un homme heureux. Mais elle fait de ses attraits un
BSftge si perfide qu'elle a dépouillé son amant de presque tous ses biens,
qu'elle distribue sans honte à ses parents sauvages. Il est à présent
pauvre, maigre, presque fou. Il la menace souvent de la tuer, maïs il
n'a pas même le courage de Ja quitter. H tâche de noyer son chagrin
Mans les liqueurs Fortes, Le père de la jeune femme n'approuve point la
manière injuste et cruelle dont elle se conduit avec son mari. >*
LES U URONS ET LES IROQUOIS,
Bépublique dans Vctat de nature,
( Vpy&g*i P* 250 — p, 239.)
Voyage i Charlevoïï,
ii 23HM. Élection et succession des chefs aurons. ....... p, 2i*7-8
251, Condition des femmes . "269
252* Histoire des Iroquois 200-2
253-4. Division des nations iroquoises en tribus 2G0-7
254-5, Conseils des (roquois 268-9
253-ih Droit criminel des Indiens * 272-5.
Atala.
Si Ton passe du Voyagû on Amérique à Affila et aux Nûichez^ il
va de soi qu'il ne saurait plus être question de rapprochements
aussi nets. .Nous tenons pourtant à laisser à cette étude un carac-
tère strictement documentaire, el nous n'alléguerons jamais
Cliarlevoix, Carver ou Bartram qu'au seul cas où nous aurons xtvs
la main sur la page même ou sur la phrase même exploitée par
Chateaubriand. Mais, si Charlevoix et Carver n'ont fourni à
1. Pour Les trois* derniers chapitres du Voyage (Èttrf actuel de* Sauvage* de
t Amérique. — Conclusion* — République* espagnol*'*)) Chateaubriand allègue comme
sources partielles de ■£■ renseignements un ouvrage anonyme intitulé V tic de la
Floride occidentale (iSH) el le Voyage de BeUtami (\X2rS)f que nous n'avons pas
féusfij à nous procurer. Tour déterminer les origines de ces trois chapitres
ajoutés à ta dernière heure au vieux « manuscrit des Naichez *, il faudrait toute
une enquête nouvelle à travers ïes relations de voyageurs publiées entre 4808 et
1827 — et nous avons reculé.
REVUE D*H]$TOIRE M ITÉRA! RE l>t LA FRANCE.
notre poète que des matériaux bruis et amorphes, il en va
autrement de William liartram : tes quelques bouts «le phrases
de Barlrara que nous opposerons à quelques bouts de phrases de
Chateaubriand ne donneront qu'une idée très imparfaite de ce
que Chateaubriand lut doit. Ce Bar tram est un poète. Si chélîF
soit-il en ses moyens d'expression au regard de son prestigieux
émule» il a donné de la nature tropicale et des solitudes vierges
des Florides une ima^e étrangement neuve, lumineuse et trou-
blante* J'ose dite que mieux que son génial interprète, il est
habile à nous dépayser : il peint une nature qu'on sent plus
singulierriiient exotique et pourtant plus réelle. De même, c'est à
J.-J. Rousseau sans doute, c'est à la chimère édé nique et idyllique
de h l'homme de la Nature é, chère à toute la philosophie du
xviti* siècle, que Chateaubriand doit de s'être épris de ses sau-
vages; maïs, le premier, Barlrara lui a donné la vision concrète
de ces aimables Natchez, purs, tendres, graves et biendisanls. Si
de telles influences furent profondes, c'est ce qui ne se mesure
point par de petites citations parallèles. Nous ne pouvons que
supplier qu'on veuille bien lire Barucli, et citer à titre d'indication
ces quelques lignes de Bartram, prises entre vingt passages ana-
logues : i Chez les MuflCOgulgm, dans la ville de Mucclase, je fus
accueilli par un vieux sachem, dont les cheveux étaient blancs
comme de la neige. Il était conduit par trois jeunes hommes, dont
deux le soutenaient par les bras, et le troisième par derrière»
pour assurer sa marche. À son approche, tout le cercle le salua
d'un : Sois le bienvenu! Le sourire brillait sur ses lèvres, la
gaité de la jeunesse sur tous ses traits. Mais le grand Age l'avait
rendu aveugle. C'était de tous les chefs le plus ancien et le plus
respecté, m (II, p. 389, Dublin, p. 497.)
Ce vieux sachem aveugle ne serait-il pas — aussi bien que
Démodocos — le prototype de Chactas?
Nous ne saurions songer à publier ici tous les rapprochements
qu'oïl pourrait instituer entre les Xatehez d'une part et Bartram,
Carver ou Charlevoix. Nous nous en tiendrons à l'épisode d'Àtafo,
t. — Rien n'égale en splendeur — dans l'œuvre de Chateau-
briand lui-même — la peinture du Meschacebé :
« Quand tous les fleuves tributaires de Meschacebé] se sont gonflés
d#s déluges de l'hiver, quand les tempêtes ont abattu des pans entiers
de forêts» les arbres déracinés s'assemblent sur les sources. Bientôt la
CHAI EÀl lin IÀ>'D EN AMÉRIQUE.
10Î>
vase les cimente, les lianes les enchaînent; et les plantes y prenant
racine de tuules parts, achèvent de consolider ces débris. Charriés par
les vagues écumanleâ, ils descendent au Meschacebé ; le fleuve s en
empare, les pousse au golfe Mexicain, les échoue sur des bancs de
sable, el accroît ainsi le nombre de ses embouchures. Par intervalles, il
l e sa voix eu passant sous les monts et répand ses eaux débordées
autour des colonnades des forèls et des pyramides des tombeaux indiens ;
c'est le Nil des déserts* Mais la grâce est toujours unie à la mugnilîcence
dans les scènes de la nature : tandis que le courant du milieu entraîne
s la mer les cadavres des pins et des chênes, on voit sur les deux
courants latéraux remonter le long des rivages des îles Holtantes de
pistiu et de nénuphar, dont les roses jaunes s'élèvent comme de petits
pavillons. Des serpents verts, des hérons bleus, des flamants roses, de
jeunes crocodiles s'embarquent passagers sur ces vaisseaux de fleura ;
et la colonie, déployant au vent ses voiles d'or, va aborder endormie
dans quelque anse retirée du fleuve-., »
Un a vivement contesté la réalité pittoresque de ce tableau.
Certes tous les géographes décrivent l'action des contre-courants
du Mississipi, el quant aux blocs de terres éboulées que charrient
ses ondes, Chateaubriand avait pu retenir ce passage de Bar tram :
a Des portions de ses rives, toujours minées à leur base par la
force ininterrompue du courant, finissent par tomber dans le
fleuve; son cours impétueux les entraîne, les divise, et va les
déposer sur quelque autre rive » (II, p. 274). Mais on s'est fort
ivé — Mersenne surtout — de ces îles flottantes de pislia et
nénuphar où s'embarqueraient passagers des serpents verts ,
des hérons bleus, des flamants roses, et de jeunes crocodiles.
C'était faute, pour les critiques, d'avoir lu Barlram. Chateau-
briand n'a fait que transporter au Meschacebé un phénomène
observé par Bartram à trois cents lieues seulement du Mississipi,
sur la rivière Saint-Jean, dans la Floride orientale :
« Je remis de buiine heure à la voile sur la rivière Saint- Jean et je vis
ce jour-là de grandes quantités de phtia stratiotex, plante aquatique
très singulière. Elle forme des îles flottantes dont quelques-unes ont
une grande étendue et qui voguent au gré des vents et des eaux. Ces
groupes commencent pour l'ordinaire ou sur la côte, ou près du rivage,
dans les eaux tranquilles; de là, ils s'étendent par degrés vers la rivière»
formant des prairies mobiles, d'un vert charmant, qui ont plusieurs
milles de h»ng et quelquefois un quart de mille de large... Quand les
grosses pluies, les grands vents font subitement élever les eaux de la
rivière, il se détache de la côte de grandes portions de ces lies 11 ot-
lante*. Ces îlots mobiles offrent le plus aimable spectacle : ils ne sont
qu'un amas des plus humbles productions de la nature, et pourtant ils
106
REVUE D'HISTOIRE LllTÉnMRE [>E LA FRANCK.
troublent et déçoivent l'imagination. L'illusion est d'autant plus com-
plète qu'au milieu de ces plantes en (leurs, on voit des groupes d'ar-
brisseaux, de vieux troncs d'arbres abattus par les vents et couverts
encore de la longue mousse qui pend entre leurs débris. Us sont même
habités et peuplés de crocodiles, de serpents, de grenouilles, de loutres,
de corbeaux, de hérons, de courlis, de choucas » (l, p, 167 ; Dublin,
p. 86),
IL — Apres ce prologue, le récit Ta commencer. Pour se pré-
parer à la chasse du castor, les Nalchez ont prié et jeûné (et Char-
levoix, p. 348), les jongleurs ont interprété les songes (cf. Char-
levoix, p. 3o4)f on a consulté les manitous (cf. Charlevoix, p. 223),
fait des sacrifices de petun (cl* Charlevoix, p. 347), brûlé des
filets de langue d'orignal (?); on a mangé le chien sacré (cf. Char-
levoix, p* 217). On part enfin, et le vieux sachem aveugle,
Chactas, assis sur la poupe de sa pirogue, raconte à René les
aventures de son adolescence*
Il dit comment, au partir de Saint-Augustin, il fut pris dans
les bois par une troupe ennemie de Muscogulges eL de Simînoles,
et enchaîné : « Simagban, le chef de la troupe, voulut savoir
mon nom; je répondis ; « Je m'appelle Chactas, OU d'Oulalbsi,
fils de Miscou, qui ont enlevé plus de cent chevelures aux héros
muscogulges. n Simagban me dit : « Chactas, fils d'Outalissî,
fils de Miscou, réjouis-loi; tu seras brûlé au grand village* » Je
repartis : « Voilà qui va bien »; et j'entonnai ma chanson de
mort. »
Pareillement Charlevoix nous rapporte [Histoire de faffoyvettê-
Frattce, L I, p* 212) qu'un prisonnier sauvage, harangué par un
chef ennemi qui lui apportait la sentence de mort, « écouta ce
discours comme s il ne l'eut pas regardé; il répondit d'une voix
ferme : « Voilà qui va bien! »
Comment Chateaubriand a-t-ii formé ces noms de Simagban, de
Chactas, d'Oulalissi, de Miscou? J'ignore l'origine du nom d'Outa-
lissî. Il a dû tirer celui de Chactas de la tribu des Tchactas,
peuple de la Louisiane1, celui de Miscou d'une île du golfe
Saint-Laurent1; celui de Simaghan provient peut-être d'un petit
dictionnaire chîppoway donné par Carrer, où Simaghan est traduit
par Êpée*.
i. Charte yuU, Hist. de ia Nouvelle-France^ I, 330*
2. Charlevoix, ibid.% l, 221.
X Carver, pu 331-33*
chate\i:biuand en Amérique.
107
III. — h Tout prisonnier que j'étais, poursuit Chactas, je ne pouvais,
durant les premiers jours, m*empècher d'admirer mes ennemis. Le
Museogulge, et surtout son allié le Siminole, respire la gaieté, l'amour,
le contentement. Sa démarche est légère, son abord ouvert et serein, îl
parle beaucoup et avec volubilité; son langage est harmonieux et
facile. I/&&6 même ne peut ravir aux saehems cette simplicité joyeuse;
comme les vieux oiseaux de nos bois, ils mêlent encore leurs vieilles
chansons aux airs nouveaux de la jeune postérité, »
Ce petit portrait se retrouve dans le Voyage en Amérique (cf. ci-
dessus, p. 101)* L'original, on Fa vu, est de Bartram. Je commu-
nique ici le teste anglais (Dublin, p, 209) :
« The visage, action and deportmeut of tue Siminoles for m Ihe most
slriking piclure of happiness in this life; joy, contenlment, love and
friendship, without guile or affectation, seem inhérent in thejn or pré-
dominant in their vital principle, for il leaves them bulwilh the last
breath of life, It even seems imposing a constraint upon theîr ancient
chiefe and senators, to maintain a necessary décorum and solemnity
in theîr public eouncils ; not even the debility and décrépitude of extrême
old âge is sulficient to erase from their visage this youthful, joyous
simplicity ; but like Uie gray eve of a serene and calm day, a gtaddeuiug,
cheering blusb remains on the western horizon after the sun is set. »
IV, — Une nuit que Chactas était assis près du feu de la guêtre
(et Charlevoix, p. 208), Alala lui apparut pour la première fois.
« Je crus, dit-il, que c'était la Vierge des dernières amours, celle
vierge qu'on envoie au prisonnier de guerre pour enchanter sa
tombe. j>
Le faon P. de Charlevoix eût été aussi incapable que ses llurons
d'imaginer ce beau nom de la Vierge des dernières amour*. C'est
lui pourtant qui semble l'avoir suggéré par cette anecdote. Il
nous raconte (Histoire de la Nouvelle-France, L 1, p* 211) com-
ment des Huroris ayant capturé un ïroquois, Us avaient torturé le
prisonnier sur la route, lui avaient coupé deux doigts et écrasé
l'autre main entre des cailloux; « mais, du moment qu'il était
entré dans la première bourgade huronne, il n'avait reçu que de
bons traitements. Toutes les cabanes l'avaient régalé, et on lui
avait donne une jeune fille pour lui tenir lieu de femme; en un mot,
à le voir au milieu de ces sauvages (qui d'ailleurs, Tayaut revelu
108
REVUE 1) HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
d'une robe de castor neuve et lui ayant mis sur le front un collier
de porcelaine en guîse de diadème, ]e faisaient chanter sans
relâche) on n eût jamais imaginé que des gens qui lui faisaient
tant d 'amitié dussent èlre Lien 16 1 comme autant de démons
acharnés à le tourmenter. j>
\\ — Àtala détrompa le prisonnier : « Je ne suis point la
Vierge îles dernières amours* Es-tu chrétien? *> Je répondis que je
n'avais point trahi les génies de ma cabane*,. Plusieurs jours
s'écoulèrent; la fille du sachem revenait chaque soir me trouver...
Le dix-septième jour de marche, vers le temps où l'éphémère
sort des eaux {cf, Bartram> I, p. 157), nous entrâmes sur la
grande savane Alackua. Elle est environnée de coteaux qui,
fuyant les uns derrière les autres, portent en s'élevant jusqu'aux
nues des forêts étagées de copalmes, de citronniers, de magnolias
et de chênea verts. »
Le vieux sachem traduit ici assez exactement ces lignes de
Bartram (I, p. 3237 Dublin, p. 185) : » The extensîve Alachua
savanna is encircled wilh higli, sloping hills, covered with
wavîng forcsls and fragrant orange groves; the tovvering
magnolia and transcendent Palm stand conspicuousamong Ihera. »
VI- — « Le chef poussa le cri d'arrivée, et la troupe campa au pied
des collines. On me relégua à quelque distance au bord d'un de ces
puits nature^ si fameux dans les Floride*. » Atala le détache du tronc
de l'arbre où il était lié, et lui ayant accordé le premier baiser : « Beau
prisonnier, lui dit-elle, j'ai follement cédé a ton désir; mais où nous
conduira cette passion? Ma religion me sépare de toi pour toujours!*.,
— Hé bien! je serai aussi cruel que vous: je ne fuirai point; vous me
verrez dans le cadre de feu (cf. Gharlevoix, p. ^47). « La jeune fille
s'écria : « Malheureux a été le ventre de ta mère, ô Atala 1 que ne me
jettes-tu aux crocodiles de la fontaine ? »
Nous retrouverons dans le Génie du Christianisme ces puits
naturels, hantés par des crocodiles. (Voyez ci-dessus, p. 1 17.) C'est
un ressouvenir de Bartram.
VIL — « Le lendemain de cette journée, qui décida du destin de
ma vie, on s'arrêta dans une vallée, non loin de Cuscowilla) capitale
CHATEAUBMÀM) KN AMERIQUE.
109
des Siminoles. La fille du pays des palmiers vint me trouver au milieu
de la nuit. Elle me conduisit dans une grande forêt de pins, et renou-
vela ses prières pour m'engager à la fuite.., La lune brillait au milieu
d'un azur sans tache! et sa lumière gris de perle descendait sur la cime
indéterminée des forets. Aucun bruit ne se faisait entendre, hors je ne
sais quelle harmonie lointaine qui régnait dans la profondeur des bois;
ou eût dit que famé de la solitude soupirait dans toute Té tendue du
désert, >*
Bartram écrit (II, p. 311, Dublin, p. 178) : « Nous prîmes à
l'ouest, au travers des hautes forêts de CuscoiBilfa, Nous conti-
nuâmes à marcher dans une superbe forêt de pins, d II ajoute :
<• The sleady breezes, gently and continually rising and fatling,
fill the hïgli lonesomc forests witli an awful reverential harmony,
in express ibily sublime, and nul lo be enjoyed any where» but in
thèse native wild Indîan régions. »
Il manque ici « la lumière gris de perle » de la lune et « la
ci rue indéterminée des forets m — presque touL Mais la phrase
de Bartram a sa grandeur et sa beauté, et c'est d'elle que vient la
première étincelle.
VIÏL — a Nous aperçûmes à travers les arbres un jeune homme
qui, tenant à la main un flambeau, ressemblait au génie du printemps
parcourant les forêts pour ranimer la nature. C'était un amant qui
allait s'instruire de son sorl à la cabane de sa maîtresse. Si la vierge
éteint le (lambeau, elle accepte les vœux offerts; et si elle se voile sans
1 éteindre* elle rejette un époux, *
C'est ainsi que, dans les « délicieux » Natchez, Outougamiz,
tenant une torche odorante à la main, éveille Mila. Notre poète est
redevable de ridée de ces deux épisodes gracieux à ce passage des
Voiintjps de Carver (p. 284) : a L'amant allume au feu recouvert de
cendres delaeabane où il pénètre une brindille de bois. Ilapproche
du lieu où sa maîtresse repose; écartant la couverture de sa tète,
il l'agite doucement jusqu'à ce qu'elle s'éveille. Si elle se lève
alors et éteint la lumière, il n'eu faut pas davantage pour annon-
cer à son amant que sa venue ne lui déplaît pas; mais, si elle se
recouvre la tète, c'est que l'heure du berger n'est pas encore
sonnée, »
Aussitôt après la rencontre de l'amant au flambeau, Chactas et
Àtala passent auprès de la tombe d'un enfant. La mère arrose la
terre de son lait* On lit dans Charlevoix (p. 373) : k On a vu des
il"
REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIIU: DE LA FftÀ>CE.
mères qui ont perdu des enfants, se tirer du lait de la mamelle et
le répandre sur la tombe de ces petites créatures. »
IX. — Enfin, Chaclas, toujours chargé de chaînes, parvient à
Apalachucla, où il doit être brûlé : « Aussitôt on me couronne
de (leurs; on me peint le visage d'azur et de vermillon; on m'at-
tache des pertes au nez et aux oreilles, et Ton me met à la main
un cliichikoué. m
Charlevaix écrit (p. 253) : « Les prisonniers s'avancent cou-
ronnés de fleurs, le visage et les cheveux peints, tenant un bâton
d'une main et le cliichikoué de l'autre* »
« On me conduit au lieu de délibérations. Non loin d 'Apala-
chucla s'élevait, sur un tertre isolé, le Pavillon du conseil. »
te pavillon
Àtaht,
Trois cercles de colonnes for-
maient IV lisante architecture de
cette rotonde. Les colon nés étaient
de cyprès poli et sculpté; elles
augmentaient en hauteur et en
épaisseur, et diminuaient en
nombre, h mesure qu'elles se
rapprochaient du centre, marqué
par un pilier unique.
Du sommet de ces piliers par-
taient des bandes d*écorce, qui,
passant sur le sommet des autres
colonnes, couvraient le pavillon,
en forma d'éventail à jour.
Le conseil s'assemble. Cinquante
vieillards, en habits de castor, se
rangent sur des espèces de gradins
faisant face au pavillon»,.
du Conseil.
Bar tram, t. II, p. iti8.
La maison de ville où se tien-
nent les conseils [à Cowe , chez
les Cherokees] est en forme de
rotonde. Pour la construire, on
enfonce d'abord en terre un cercle
de piliers ou de troncs d arbres,
qui ont environ six pieds de haut;
en dedans de ce cercle est un
autre rang de colonnes plus fortes
et plus grandes, qui ont environ
douze pieds; plus intérieurement,
un troisième cercle de piliers plus
hauts encore, mais moins nom-
breux et plus espacés; enfin, dans
le centre de ces rangs concentri-
ques est un énorme pilier sur lequel
se réunissent tous les ehevrons.
La couverture consiste en bandes
d'écorces. Tout autour de la
rotonde, à l'intérieur, est un rang
de siégea composé de deux ou trois
gradins ou amphithéâtres, sur les-
quels rassemblée s'assied ou se
couche.
CHATEAUBRIAND EH AMÉRIQUE.
111
Au pied de la colonne centrale
brûle le feu du conseil. Le premier
jongleur, environné des huit gar-
diens du temple, vêtu de longs
habits, et portant un hibou em-
paillé sur la tête, verse du baume
de copalme sur la flamme...
Auprès du grand pilier du mi-
lieu s'allume le feu qui conserve
de la lumière et près duquel se
placent les musiciens. C'est autour
de ce feu que les jongleurs exé-
cutent leurs jeux...
lœ Festin des Ames.
X Alain.
Une circonstance vint retarder
mon supplice : la Fête des morts
ou le Festin des dînes approchait.
Il est d'usage de ne faire mourir
aucun captif pendant les jours con-
sacrés à cette cérémonie.
Cependant les nations de plus
de trois cents lieues à la ronde
arrivaient en foule pour célébrer
le Festin des âmes. On avait bâti
une longue hutte sur un site
écarté. Au jour marqué, chaque
cabane exhuma les restes de ses
pères de leurs tombeaux particu-
liers et Ton suspendit les sque-
lettes, par ordre et par familles,
aux murs de la Salle commune
des aïeux. Les vents (une tempête
s'était élevée), les forêts, les cata-
ractes mugissaient au dehors ,
tandis que les vieillards des di-
verses nations concluaient des
traités de paix et d'alliance sur
les os de leurs pères.
On célèbre les jeux funèbres, la
course, la balle, les osselets. Deux
vierges cherchent à s'arracher une
baguette de saule. Les boutons de
leurs seins viennent se toucher;
leurs mains voltigent sur la ba-
guette...
Charlevoix, p. 377-8.
Tous les huit ans, les Indiens
célèbrent une fête qu'ils appellent
la Fête des morts ou le Festin des
âmes.
On fait des présents aux étran-
gers, parmi lesquels il y en a quel-
quefois qui sont venus de cent cin-
quante lieues, et l'on en reçoit
d'eux.
On se rend processionnellement
dans une grande salle de conseil
dressée exprès , on y suspend
contre les parois les ossements et
les cadavres dans le même état où
on les a tirés du cimetière... On
profite de ces occasions pour
traiter les afFaires communes ou
pour l'élection d'un chef.
Ce motif de danse semble suggéré
par un passage de Carver rapporté
ci-dessus, p. 83.
« Le jongleur invoque Michabou, génie des eaux (cf. Charlevoix,
p. 344). Il raconte les guerres du grand Lièvre contre Machimani-
Ht
REVUE H HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCK.
tou, dieu du mal (?). Il dit le premier homme et Alhaensic la pre-
mi> ie femme, précipités du ciel pour avoir perdu l'innocence; la
terre rougie du sang fraternel; Jouskeka l'impie immolant le juste
Tahouttsaron (et Charlevoix, p* 344); le déluge descendant à la
voiï du Grand Esprit; Massou [lisez Messou) sauvé seul sur son
canot d'écorce (cf. Charlevoix. p. 31*9); il dît encore la belle Endac
retirée de la contrée des âmes par les douces chansons de son
époux (cf. Cliarlevoix, p. 352)* »
XI Atala.
Dans une vallée au nord ,
s'élevait un bois de cyprès appelé
le Bois du tang. Au centre de ce
bois s'étendait une arène, où Ton
sacrifiait les prisonniers de guerre.
On m'y conduit en triomphe.,.
Chacun invente un supplice : l'un
se propose de m arracher la peau
du crâne, l'autre de me brûler les
yeux avec des haches ardentes. Je
commence ma chanson de mort :
« Je ne crains pas les tour-
ments : je suis brave, û HaflCO-
gulgesî Je vous méprise plus que
des femmes.., »
Provoqué par ma chanson, un
guerrier me perça le bras d'une
flèche ; je dis : « Frère , je te
remercie, »
Malgré l'activité des bourreaux,
les préparatifs du supplice ne
purent être achevés avant le cou-
cher du soleil. On consulta le jon-
gleur, qui défendit de troubler les
génies des ombres; et ma mort fut
encore suspendue jusqu'au lende-
main.
Charlevoîx.
llistoin* d*1 la Nouvelle- France
I, 213. Le festin fini, le patient
fut mené au lieu du supplice, qui
était une cabane destinée à cet
usage. Elle portait le nom de
Cabant de sang ou dm Tètes cou-
pées.
Juunml historique^ p. 247* Des
femmes s'écrient : « Ce guerrier
sera brûlé; on lui appliquera les
haches ardentes; on lui enlèvera
Ja chevelure.
Journal historique, p. 243. —
« Le prisonnier chante : <♦ Je suis
hrave et intrépide , je ne crains
pas la mort, ni aucun genre de
tortures; ceux qui les redoutent
Bout moins que des femmes, »...
K 247. « Un autre survient qui
adresse la parole au patient et lui
dit : « Mon frère» prends courage,
lu vas être brûlé, et il répond froi-
dement : " Cela e*t bien, je te
remercia
fit* faire tie la Nqw*U&-FHsM&%
I. ll'l. u Sur Tordre du jongleur
on diITéra jusqu'au lendemain de
donner le coup de grâce à ce pri-
sonnier, i
suu
XII- — « Cependant on m'avait étendu sur le dos. Des cordes partant
de mon cou, de mes pieds, de mes bras, allaient s'attacher à des
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE. 113
piquets enfoncés en terre. Des guerriers étaient couchés sur ces cordes,
et je ne pouvais faire un mouvement sans qu'ils en fussent avertis... »
C'est le même appareil qui entrave une femme algonquine dont
Charlevoix nous raconte l'évasion (Histoire de la Nouvelle-France,
I, 277). « Elle était couchée à l'ordinaire dans une cabane, atta-
chée par les pieds et par les mains avec des cordes à autant de
piquets, et environnée de sauvages, qui s'étaient couchés sur les
cordes. Elle s'aperçut que tous dormaient d'un profond sommeil;
elle coupa donc les cordes », etc.
XIII. — Dans leur fuite, les amants se nourrissent de pommes
de mai (cf. Bartram, I, p. 272) et de ces tripes de roche (cf. Char-
levoix, p. 332), qui ont offusqué Sainte-Beuve. Ils boivent l'eau
d'une planle « dont la fleur allongée en cornet contenait un verre
de la plus pure rosée » ; et c'est assurément la sarracenia fia va,
dont Bartram (I, p. 7) rapporte que « ses feuilles ont l'air de
cornes d'abondance; chacune contient environ une pinte d'une
eau fraîche, limpide, pure comme la rosée du matin. »
Chactas et Atala s'abritent sous des « cèdres et des chênes verts
couverts d'une longue mousse blanche qui descend de leurs
rameaux jusqu'à terre » et que Bartram avait décrite avec soin
(I, p. 64, et p. 170). Chactas bâtit un canot qu'il enduit dégomme
de prunier (cf. Charlevoix, p. 198), après en avoir recousu les
écorces avec des racines de sapin (cf. Charlevoix, p. 192). Et les
amants s'abandonnent au cours du Tenase. Ici comme à leur
ordinaire, ils suivent obstinément des itinéraires tracés par
Bartram :
Atala. Bartram, H, 148, 153.
Le village indien de Slicoë, avec Une chaîne de collines, comme
ses tombes pyramidales et ses un haut promontoire, partage les
huttes en ruine, se montrait à plaines. Sur ces hauteurs on voit
notre gauche, au détour d'un pro- les ruines de l'ancienne et jadis
montoire; nous laissions à droite célèbre ville de Slicoë, et sa
la vallée de Kcow, terminée par grande pyramide de terre... Sous
la perspective des cabanes de Jore, nos yeux s'étendaient la délicieuse
suspendues au front de la mon- vallée de Keowe, digne par la fer-
tagne de même nom. Le fleuve, tilité, les grâces et la richesse, de
qui nous entraînait, coulait entre lutter avec la vallée de Tempe, la
de hautes falaises , au bout des- ville de Cowe et les pics élevés du
RBT. D'HIST. L1TTÉH. DE LA FRANCE (7« ÀBI1.). — Vil. 8
114 REVCE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
quelles on apercevait le soleil mont Jore. Sur une pelouse verte
couchant. et fort éloignée ', nous apercevions
le village de Jore, élevé de plu-
sieurs milliers de pieds au-dessus,
de nous.
La description d' A ta la s'arrête ici. Mais à quelques pages de
là, Bar tram, redisant une soirée passée dans cette même vallée
de Keowe, avait écrit quelques lignes gracieuses; Chateaubriand
les a transportées dans ses Mémoires <T Outre-Tombe :
Mêm. cTO.-r., p. 376. Bartram, II, p. 111 (Dublin, 329).
La soirée fut magnifique; le lac, La soirée était belle et tran-
dans un repos profond , n'avait quille. Un vent faible sou fil ait >
pas une ride; la rivière baignait chargé des parfums de la fraise et
en murmurant notre presqu'île, du calycanthus, qui couvrait la
que les calycanthes parfumaient pente des montagnes. De lointains
de l'odeur de la pomme. Le wheep- échos répétaient le cri de l'oiseau
poor-will répétait son chant; nous des marais , et chaque arbre
l'entendions, tantôt plus près, résonnait du chant non inter-
tantôt plus loin, suivant que Toi- rompu du whip-poov-will.
seau changeait le lieu de ses
appels amoureux.
XIV. — Le P. Aubry réunit en lui les mérites de deux de
ces martyrs du Canada dont Charlevoix a écrit les « actes », le
P. Jogues et le P. do Brébeuf.
Il a les deux mains mutilées, et comme Atala s'indigne contre
les Indiens idolâtres qui infligèrent ce supplice au chef de la
prière : « Ma fille, dit le père avec un doux sourire, qu'est-ce que
cela auprès de ce qu'a enduré mon divin maître?.: Je n'ai pu
rester dans ma patrie, où j'étais retourné et où une illustre reine
m'a fait l'honneur de vouloir contempler ces faibles marques de
mon apostolat. Et quelle récompense plus glorieuse pouvais-je
recevoir de mes travaux que d'avoir obtenu du chef de notre
religion la permission de célébrer le divin sacrifice avec ces
mains mutilées? » On pourra lire dans VHistoire de la Nouvelle-
France, I, 250, la noble histoire de ce P. Jogues, à qui les sau-
vages tranchèrent les doigts des deux mains : « La reine mère le
voulut voir et lui fit un accueil digne de sa piété. Le pape, à qui
il demanda la permission de célébrer les divins mystères avec ses
mains mutilées, répondit qu'il ne serait pas juste de refuser à un
CBàTEàtiBRUffll KN ÀMÉHQII g.
lit
martyr de Jésus-Christ do boire le sang de Jésus-Christ; indignvm
essel Christ* mfirhjrem Christ i non hihere mnguinem* n (1644.)
Ayant souffert d'abord la passion du P, Jogues, le P. Àubry
mourut comme le P. de Brébeuf (1 "oncle du Brébeuf de Boile&u) ;
Mort du Pt't -c Àubry,
« Le P, Aubry se pouvait sauver; mais il ne voulut pas abandonner
ses enfants, et il demeura pour les encourager à mourir par son
exemple; jamais on ne put tirer de lui un cri qui tournât à la honte de
son Dieu ou au déshonneur de sa patrie. Il ne cessa, durant le supplia,
de prier pour ses bourreaux et de compatir au sort des victimes. Pour
lui arracher une marque de faiblesse, les Chéroquois amenèrent à sm
pieds un sauvage chrétien, qu'ils avaient horriblement mutile, Mais ils
furent bien surpris quand ils virent ce jeune homme se jeter à genoux.
et baiser les plaies du vieil ermite, qui lui criait : Mon mfnttt, nom
en spectacle aux angtt et aux hommes. Les Indiens, furieux,
lui plongèrent un fer rouge dans la gorge pour l'empêcher de parier.
Alors, ne pouvant plus consoler les hommes, il expira. On dit que les
Chéroquois, tout accoutumés qu'ils étaient à voir des Sauvages sou [Tri r
avec constance , ne purent s empêcher d avouer qu'il y avait dans
l'humble courage du père Auin-y quelque chose qui leur était inconnu... »
Mort th, Pén dt Brébeuf [IUQ
[Biêiùire de (a Nouoell^Franç^ I, p. 29S~3p)
h Le Père de Brébœuf se riait également des menaces et des tortures
mêmes; mais la vue de ses chers néophytes cruellement traités à ses
yeux répandait une grande amertume sur la joie qu'il ressentait de
voir se* espérances accomplies.., Les Iroquois le lire ni monter seul sur
un échafaud et s'acharnèrent sur lui»*. Tout cela n'empêchait pas le
serviteur de Dieu de parler d'une voix forte, tantôt aux Hurons, qui ne
le voyaient plus, Lautôt à ses bourreaux, qu'il exhortait à craindre la
colère du cîeL.. Un moment après on lui amena sou compagnon
[le P. Lallemant] qu'on avait enveloppé depuis les pieds jusqu'à la tête
d'écorce de sapin, et on se préparait à y mettre le feu. Dès que le
P. Lallemant aperçut le P, de Brébeuf dans l'affreux état où on l'avait
mis, il frémit d'ahord, ensuite lui dit ces paroles de l'Àpotre : Nom
avons été mis en spectacle au minuit', aux ange* w aux tommet,., 11 cou-
rut se jeter à ses pieds et baisa respectueusement ses plaies... Les bar-
bares enfoncèrent dans le gosier du P de Brébeuf un 1er rougi au feu...
Son courage étonna les Barbares et ils en furent choqués, quoique
accoutumés à essuyer les bravades de leurs prisonniers en semblables
occasions. »
116 revue d histoire littéraire de la france.
Le Génie du Christianisme.
Le serpent et la flûte.
Génie, I, III, IL)
« Au mois de juillet 1791, nous voyagions dans le Haut-Canada, avec
quelques familles sauvages de la nation des Onontagués. Un jour que
nous étions arrêtés dans une grande plaine , au bord de la rivière
Génésée, un serpent à sonnettes entra dans notre camp. Il y avait
parmi nous un Canadien qui jouait de la flûte; il voulut nous divertir
et s'avança contre le serpent avec son arme d'une nouvelle espèce. A
rapproche de son ennemi, le reptile se forme en spirale* aplatit sa tête,
enfle ses joues, contracte ses lèvres, découvre ses dents empoisonnées et
sa gueule sanglante; sa double langue brandit comme deux flammes; ses
yeux sont deux charbons ardents; son corps, gonflé de rage, s'abaisse et
s'élève comme les soufflets d'une forge; sa peau dilatée devient terne et
écailleuse, et sa queue, dont il sort un bruit sinistre, oscille avec tant de
rapidité quelle ressemble à une légère vapeur* »
Comparez Bartram (Dublin, p. 262) : les mots en italique sont
exactement traduits.
« He quietly moves off in a direct Une, unless pursued, when he
erects his tail as far as the rattles extend, and gives the warning alarm
by intervais. But if you pursue and overtake him with a shew of
enmity, he instantly throws himself into the spiral coil\ his tail bg the
rapidily of its motion appears like a vapour, making a quick tremu-
lous found ; his whole body swells through rage, continually rising and
falling as a bellows; his beautiful particoloured skin becomes speckled
and rough by dilatation; his head and neck are flattened, his cheeks
swollen and his lips constricted, discovering his mortal fangs; his eyes
rcd as burning coals, and his brandishing forked tongue of the colour of
the hottest flame, continually menaces death and destruction, yet
ne ver strikes unless sure of his mark. »
Les ruines sauvages de ÏOhio et du Scioto.
(Génie, I, IV, II et note H.)
Par un scrupule rare, Chateaubriand a pris la peine de nous
renvoyer pour ces quelques pages à quatre autorités : < On peut
voir sur ce que nous disons ici Duprat [du Pratz?] , Charlevoix, etc.,
et les derniers voyageurs en Amérique, tels que Bartram, Imley
[Imlay?], etc. Nous parlons aussi d'après ce que nous avons appris
nous-même sur les lieux. » Or, vérification faite, sa description
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE. 117
ne procède en rien ni de du Pratz, ni de Charlevoix * ni de John
Bar tram, ni de William Bar tram, ni d'Imlay. Pour une fois qu'il
les invoque comme ses garants, c'est un autre qu'il suit. Nous
ne savons qui.
Le pélican des bois.
(Génie, 1, V, 8.)
« Si le temps et le lieu nous le permettaient, nous aurions bien
d'autres secrets de la Providence à révéler. Nous parlerions des grues
des Florides, dont les ailes rendent des sons si harmonieux;... nous
montrerions le pélican des bois* visitant les morts de la solitude, ne *'«/•-
vêlant qu'aux cimetières indim$y et aux monts des tombeaux... »
Où Chateaubriand a-t-il pu découvrir cet oiseau singulier, belle
pièce en vérité pour le Musée des causes finales? Non loin des
grues des Florides « qui battent l'air avec effort de leurs longues
ailes élastiques » (Bartram, I, 258), on rencontre chez Bartram
(I, 263) ce pélican des bois (Tantalus loculator, Linn.) :
« Le pélican des bois ne va point par troupes, écrit Bartram; on le
voit ordinairement seul, sur les bords des grandes rivières, dans les
marais, dans les terres inondées et dans les anciennes plantations de
riz abandonnées. Il se tient solitaire sur la plus haute cime de quelque
grand cyprès mort (he stands alone on the topmost limb of ta II dmd
cypress trecs), le col replié dans les épaules, le bec en forme de faulx
appuyé sur l'estomac; immobile, il a dans cette posture un air grave et
triste. »
Comment ces plantations de riz ont-elles pu se transformer en
cimetières indiens? La mention du cyprès — arbre funéraire en
notre Europe — a-t-elle suffi à provoquer la métamorphose?
Amphibies et reptiles.
(Génie, I, V, X.)
Chateaubriand décrit ici les puits naturels des Florides. Ces
« charmantes retraites » habitées par des crocodiles ont particu-
lièrement frappé son imagination. Il a fait asseoir Atala au bord
de ces sources bouillonnantes, et lui-même, d'après le Voyage en
Amérique (p. 94) et les Mémoires d'Outre-Tombe (p. 402), s'y
était reposé. Pour les dépeindre, Chateaubriand combine des
éléments pris à cinq descriptions de Bartram, qu'il serait trop long
1. Sauf pour quelques rêveries sur certaines coutumes sauvages qui seraient
d'origine judaïque, et sur le dieu de la guerre iroquois Ares-Koui, qui serait
étymologiquement identique à l'Are s des Grecs, cf. Charlevoix, p. 249 et p. 208.
118
REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
de reproduire ici (Voyez Bartram, I, p. 288-9, p. 301, p. 350,
p. 406-7, p. 419-21).
A la page qui suit, Chateaubriand nous indique lui-même qu'il
a traité d'après Bartram son tableau d'une armée de caïmans
embusqués pour assaillir des bancs de poissons. La référence
exacte est : Bartram, I, p. 219-220.
Il poursuit ainsi, sans plus alléguer Bartram :
Génie du Christinmxme.
C'est un contraste miraculeux et
touchant de voir un crocodile
bâtir un nid et pondre un œuf
comme une poule, et un petit
monstre sortir d'une coquille
comme un poussin. La femelle du
crocodile montre ensuite pour sa
famille la plus tendre sollicitude.
Elle se promène entre les nids de
ses sœurs, qui forment des cônes
d'œufs et d'argile, et qui sont
rangés comme les tentes d'un
camp au bord d'un fleuve. Lama-
zone fait une garde vigilante et
laisse agir les feux du jour... Aus-
sitôt qu'une des meules a germé,
la femelle prend sous sa protec-
tion les monstres naissants; ce ne
sont pas toujours ses propres fils,
mais elle fait, par ce moyen, l'ap-
prentissage de la maternité. Quand
enfin sa famille vient à éclore,
elle la conduit au fleuve, la lave
dans une eau pure... et la protège
contre les mâles, qui veulent sou-
vent la dévorer.
Bartram, I, 225-2*9.
P. 228. — Une femelle de croco-
dile n'est pas moins attentive à
défendre ou à nourrir ses petits
qu'une poule qui conduit ses
poussins. Je suppose qu'elle veille
avec soin sur son nid...
P. 227. — Ce sont de petits
cônes obtus... construits d'œufs et
d'argile... et rangés comme des
tentes sur le bord de la rivière.
P. 227. — C'est probablement
la chaleur du soleil qui les fait
éclore... Quand les œufs sont éclos,
peut-être la femelle prend- elle
sous sa protection tous les petits
qui éclosent en même temps. Du
moins ne sont-ils pas abandonnés
à eux-mêmes, car j'ai souvent vu
des crocodiles conduisant le long
des côtes leurs familles de petits
comme une. poule conduit ses
poussins. Je crois qu'il en par-
vient peu de chaque couvée à
l'âge adulte; les grands crocodiles
mangent leurs petits quand ils
sont hors d'état de se défendre.
Conclusion.
Nous livrons au lecteur ces documents bruts. Notre enquête
demeure trop imparfaite : nous ne saurions encore les interpréter
sûrement1.
1. Pourtant, il semble s'en dégager déjà cet enseignement très secondaire, mais
désormais acquis : les historiens des anciens peuples indiens feront sagement s'ils
renoncent à exploiter comme une « source historique • originale le Voyage (VAmé-
CHÀTEÀUBBUKD KN AMfclUUi ! ,
Pour T heure nous laisserons a chacun la joie ilélicale de
mnfronler les rmianienients du poète avec leurs indignes
modèles* C*esl parfois traduction littérale ou simple transcription :
une humble retouche de syntaxe, ellipse ou inversion, un mot
mis en sa place, un membre de phrase élagué, et la sèche
matière amorphe s'organise et palpite; uu mot puissant, une
image créée y projettent comme un afflux de sève; la lumière
s'y insinue, et les nombres, et la vie. Ce n'est qu'une ébauche
encore : le poète la reprend à deux, à trois reprises; elle passe
du Voyagé en Amérique au Génie dn Christianisme, puis aux
iiéf&ùtret cT(httre~Tombe : procédé de peintre; et chaque trans-
position est création. Comparez par exemple dans le Voyagé la
Dê&oription tle quelque* triiez de ? intérieur des Floride* à l'épisode
des Deux Floridienneê dans les Mémoires iïfhttre-Tomhe. A
l'origine, ce n'esl qu'un ingénieux agrégat de passades de
Bartram, traduits en toute rigueur; mais parfois y brillent de
grandes images tristes; une harmonieuse mélancolie y respire,
et quelque chose de Ta me de René. l*uis, à vingt-cinq ans de
distance, le poète revient à ces mêmes pa^es pour les trans-
porter dans ses Mémoires : çà et là on touche encore le tuf,
on retrouve des phrases telles quelles de Bartram; mais les
Svlvaines floridiennes animent le paysage, y répandent les
parfums émanés d'elles, Fégayent {et parfois peut-être le rape-
lissent) par leurs chants et leurs jeux; le soleil couchant y verse
des rivières de lave, des Ilots de diamants et de saphirs, et voici
que resplendit cet hymne à la lumière qu'achève et couronne,
comme la clausule radieuse d'une strophe, une rare idée de
poète : « La terre en adoration semblait encenser le ciel, et
l'ambre exhalé de son sein retombait sur elle en rosée, comme
la prière descend sur celui qui prie* »
Nous nous en tiendrons à une seule remarque. Quelques-uns
des rapprochements qui précèdent ne représentent pas simplement
le travail préparatoire nécessaire à tout écrivain de choses exo-
tiques qui, pour peindre une nature qu'il n'a pas vue et les
mœurs de peuples qu'il ignore, va chercher là où on les trouve,
dans les livres des voyageurs, les éléments du coloris local. La
persistance de Chateaubriand à remanier des pages entières
révèle tout autre chose ; il semble que pour créer il ait souvent
besoin de la suggestion d'une page déjà écrite. Ce qui expli-
'% Barwroft, enln> ;min ïb, en sa grande Histoire de /VIpu'h^hc, s'y était laissé
prendre : pour son histoire des Uuhees et de* Creeks, il allègue volontiers l'auto*
rite i!e notre voyageur.
120 REYCE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FBA>CL.
qoerait ce renseignement donné par lui-même, qu'au rebours de
J.-J. Rousseau, il ne pouvait composer qu'à sa table de travail et
la plume à la main. C'est à partir d'un texte déjà fixé par autrui
ou par lui-même que son imagination s'ébranle et s'élance. Je
ne vois guère qu'un seul de nos grands écrivains, parmi les
modernes, qui ait présenté une disposition analogue : André Ché-
nier. Non par effort de virtuosité, ni par passe-temps d'archéo-
logue, mais par un instinct qui est à la racine même de son
génie, André Chénier. le moins livresque des poètes, ne crée
qu'en transposant. Mais ce sont toujours ses pairs qui donnent
le branle à son imagination : pour faire vibrer l'infinie délicatesse
de ses sens voluptueux, pour provoquer le ressouvenir épuré de
ses sensations antérieures, images, saveurs, parfums, il lui faut
le beau résonne ment d'un vers d'Homère, la noblesse d'un mou-
vement virgilien, la lumière d'un vers de Théocrite. A Chateau-
briand tout est bon, la prose incolore d'un régent de collège
jésuite, la prose toute modeste des Bartram et des Carver et, à
l'occasion, comme on sait, celle de MB° de Chateaubriand. Et
tandis que Chénier n'a peut-être jamais imité plus de dix vers
consécutifs, Chateaubriand peut suivre obstinément son modèle
pendant des pages.
Une telle disposition n'est pas accidentelle : Chateaubriand ne
s'est-il pas appliqué toute sa vie à transporter d'un de ses livres
à un autre, de V Essai au Génie du Christianisme, du Génie du
Christianisme à Y Itinéraire ou aux Mémoires d'Outre-Tombe, des
pages qu'il remanie, et qui prennent à chaque remaniement une
magnificence imprévue et toute neuve1? Comme si son mode
1. Si nous considérons, à titre d'exemple, quelques pages du VP livre des
Mémoires, voici (à partir de la p. 334) le relevé de celles qui sont reprises à des
ouvrages antérieurs : P. 334 (Francis Tulloch), cf. Essai, 11, 23.— P. 334-5 (Colomb),
cf. Préface du Voyage, p. xxvu-vm. — P. 335 (Vasco de Gama), cf. Préface du
Voyage, p. XXI. — P. 336 (l'Ile Graciosa), cf. Estai, II, 54. — P. 339, cf. Sa te fiez,
1. VII. — P. 340 [L'espace tendu...), cf. Génie, I, III, 12. — P. 34! (Descendu de Caire...),
cf. Satchez, livre VIL — P. 348 (les Esquimaux), cf. Satchez, liv. VUI,cf. Génie, I, V,
4, cf. Charlevoix, Hist.de ia Souv.-France, I, 415-6. — P. 348-9, cf. Génie, 1, V, 12.
— P. 350-2, cf. Voyage, p. 13-17. — P. 354-63, cf. Voyage, p. 17-26. — P. 363 {Quand
je formai...), cf. Introduction au Voyage, p. I. — P. 365-6, cf. Voyage, p. 26-7. —
P. 367-8, cf. Essai, II, 23. — P. 369, cf. Voyage, p. 28. — P. 370 (J'allais d'arbre en
arbre...), cf. Essai, II, 57. — P. 370 (M. Viollet), cf. Itinéraire, II, p. 201. — P. 373-6,
cf. Voyage, p. 31-7. — P. 377, cf. Voyage, p. 256-7. — P. 379-83, cf. Voyage, p. 37-41.
— P. 383, cf. Essai, 11, 57. — P. 388-9, cf. Essai, 11, 23, cf. Voyage, p. 46-8. —
P. 390, cf. Voyage, p. 130. — P. 391, cf. Voyage, p. 372. — On peut continuer ainsi
jusqu'à la fin du livre. Notons seulement que les réflexions mélancoliques de
Chateaubriand quitté de ses deux sultanes jonquille (p. 413) sont un extrait de la
lettre de René à Célula dans les Satchez et que, pour peindre la tempête qui l'as-
saillit au retour d'Amérique, notre voyageur a mis bouta bout une tempête subie
par Chactas ' Satchez, livre VII) et une autre subie par Cymodocée (Martyrs,
livre XIX).
CHATEAUBRIAND EN AMÉRIQUE. 121
favori de création était le remaniement, nous possédons ii'un
grand nombre de pages de son œuvre deux, trois ou quatre états
successifs : quel en fut le premier état? Ne peut-il se trouver
parfois dans l'œuvre d'autrui? les rapprochements de textes qui
précèdent ne le laissent-ils pas supposer? Pour verser dans VEssai
sur les révolutions les richesses d'une érudition encyclopédique,
pour arrêter après un an de travail des jugements impérieux sur
tous les monuments littéraires de l'Angleterre pendant huit
siècles, pour conduire des origines jusqu'à Louis XVI Y Analyse
raisonnée de I histoire de France, sans compter cet ample Discours
sur la chute de l'Empire romain, n'y a-t-il pas indication qu'il a
exploité, selon les mêmes procédés de transcription géniale, on ne
sait encore quels Carver et quels Charlevoix? Et les plus grandes
pages du Génie du Christianisme, de Y Itinéraire et des Mémoires
d' Outre-Tombe échappent-elles toutes à cette vraisemblance, s'il
apparaît que volontiers l'imagination de notre poète requiert
d'une page déjà- écrite le premier ébranlement, et que nous
sommes là en présence d'une véritable méthode d'invention
poétique?
A ces questions, que nul ne se hâte trop de répondre : non.
Il faudra manier souvent la baguette de coudrier, la baguette
divinatoire qui tourne d'elle-même entre les doigts des chercheurs
de sources. « Mille fleuves tributaires fertilisent de leurs eaux le
grand Meschacebé... » La plupart ont, croyons-nous, un cours
souterrain. La baguette de coudrier, promenée comme au hasard,
n'a fait encore affleurer que trois ou quatre pauvres petites
sources.
Joseph Bédier.
MÉLANGES
UN IMITATEUR OU UN INSPIRATEUR DE RABELAIS
Dans une note à la PantHfjruclitw protjtuistiititturt, les éditeurs Burgaud des
Marets et Ralhery (p. 523) indiquent comme source de quelques plaisanteries
de cet ouvrage de Rabelais, les HidintUt $ed jucunda quaâdom rtitiriniu de
lûachim Slerck van Hingelberg d'Anvers, mieux connu sous le nom latin de
loach. Fortins fUngeïbergius. Los Vûti&inia t'ont partie de cette sorte d'ency-
clopédie, qu'il composa sous le tilre de Roffofif studîi et où il est question
de certaines sciences, y compris l'astrologie, et de la méthode pour bien les
apprendre
Voici le passage en question :
« Proxîmo anno, dit Hîngelberg* caecî parum, aut nihîl vîdebunt.
surdi maie audient, nmti non luquiintur. Divites mclius se habehunt
quam pauperes, sani quam aegri,.* Molli ïnteribunt pisees, baves, oves,
porcit caprae, pulli et caponee : inter aimias, canes et equos mors non
tantopere saimunt... Ssneetus eodem anno eril immedicabilis, propter
annos qui proccessemot.,. Bellum eril inter canes et lepores, inter
fêles et mures, inter lupos et oves, inter monactaos et ova. j*
Le morceau cité est traduit presque entièrement par Rabelais et bien que
son imitation se borne à peu de lignes, on doit admettre que c'est là ce qui
constitue fosubttQttiijtqUê viùëite de l'aimanach français, dont La plaisanterie
consiste , en effet t a présenter, comme des prédictions extraordinaires, les
choses les plus simples et naturelles, devant évidemment arriver,
Une petite découverte due au hasard m'a fait connaître une chose asse*
curieuse et qui n'a pas été que je sache jusqu'à présent remarquée, Ludovico
Guiceiardini dans ses Detti et futti piacevoli et gravi, publiés à peu près une
quinzaine d'années après les deux auteurs précédemment cités, répète à la lettre
quelques-unes des mêmes prédictions *, La première hypothèse qui se pré-
L La première édition du (luicclardini est de 1548, celle de la Pantagruel] ne
Pronostic il [..,, rS[ nntèricure a \>M>
- Qtwmto dit xcht'ttiirr sirnu i urotwsttchi^ et le predUîonit pruvenienti daftn
aHrotoffia QiudicU&ia, H munira per qUMttû profiOêUoo di Pasquino di Rama.
Questo aano prjj&simo, i ciech» vedrauno poco, o niante* î sordi udirnnno niai :
la state Ha calda, et seeca : sara gran sole, pioverà lai vol ta, Ulvolta fulminera, el
lonerà, et anche haremo délia tempesla; il verno Ha freddo, el huaiido; régnera
gran vente, piovera assai, et phi di nolte,ehe di giorno. Tra gli uccellalori, et glï
uccelti mrk gran guerra, et maggiore tra ï pescalori, el i pesci ; Uacqua de' Qumï
correrâ alla china; et li maggiorï sboceberanno ïn marc. JMoriranno molli buoi,
monloni, porci, cervi, el infinitï pollh tra îe ber tuerie, tupi, asini, cavalli, et assi-
m IMITATEUR OU U> ISM'lnATEtR Hfc KAUELA1*»
sente, c'est que ïiuicciardini n ait fait autre chose qu'imiter soit HïngeJber-
gius, soit Rabelais et même tous les deui à la fois, ce qui parait d'autant plus
probable que l'auteur a puisé librement, pour la composition de son ouvrage,
à des sources non seulement italiennes, mats aussi <"■ Iran gères, et il le déclare
dans sa préface»
Mai** cette première hypothèse a aussi son côte faible* car Guiceiardinî,
loin de s'attribuer le mérite de l'invention, déclare ouvertement qu'il s'est ins-
piré, non pas à l'écrivain d'Anvers ou au grand humoriste de la France, mais
a ce Pot$quinQ rfi Aoma, sous le nom duquel on a composé et publié tant de
choses, Exisle-t-il donc un almanach romain, inspirateur de Guiceiardinî et
cet almanach aurait-il inspiré à son tour deux auteurs qui, tout en étant
étrangers, avaient vécu en Italie et en connaissaient assez bien les produc-
tions littéraires? le dois avouer que mes recherches, qui se sont d'ailleurs
bornées, faute de livres, a bien peu de choses, ne me permettent pas de
r.- pondre affirmativement à celte question; j'espère toutefois que quelqu'un
de mes savants confrères saura la résoudre* Je me borne donc pour le moment
à signaler les points de contact :
rmccelb. — Froximo annocaeci parum, aut nihil videbuntTsurdi maie
audient, muti non loquuntur.
rab, (IHCI livre). — Geste année les aveugles ne verront que bien peu,
-ourds o iront assez mal, les muets ne parleront guèrea.
GuiccuRtK — Quest'anno prossiuio, i ciechi vedranno poeo, o nicnitj,
î sordï udiranno mai,
itiNGEUi. — Divites melius se habebunt quam pauperes, sani quam
aegri.
rab, (ihitL). — Les riches se porteront un peu mieux que les pauvres,
et les sains mieux que les malades.
GLTicciAEui. — I ricchi staraono meglio che li poveri et i sani ordina-
riamente meglio cha i malati.
mngelu, — Multi interibunt pisces, boves, ovesT porci, caprac, pulli
et capones, in 1er simias, canes et agoos mors uon tan to père saeviunt.
in Hi, ta morte non farâ tanta slragÊ, H medesimo annoT la vecchiaia, per cagîone
*le uti anni passalù sure ÏDcurabile; saranno molti bisognosï, molti matali, et
alruni moriranno înnanzi alla vecchiaia. Varia sarft la rnuUlione délie cose del
AOftdo; \n navigaljone del mare occidentale bî aeltenlrionale sarà pericolosa,
ini-simamentc quand* farà lempesta* I fte, el gli altri Hrîoeipî haranno più che
la parle loto; et uondimeno non si eontcnleranno, 1 popoli taï'hora haranno buona
fortuné, tal'hor calliva, et qualche volta anche médiocre, ï riccliï slaranno meglio,
ett« fi poveri, et i sani ordioariamenle meglio, che ï tnalati. Il mangïare, el bere
sari mollo necessario, Sarà pi fi stimato Poro, che l'argento; il pïombo aï harè a
pregi ragionevoli. Cirea il mese di marzo si eompreranno manco i caslroni* che i
buoi, o i cavaliL Sarâ in aleuni luogtal, per revoluiinne <li Satumo peste, el altre
roai&Uie; in altri luogïii. per eaficme deU'aspetta di M^rUi, segnltofi mortalité, et
hcinicidi; Saranno molli giovani innamoralu per causa di Venere; Sarà bnono il
mangiar capponiT slarne, et qtiagtie. el il bere oLLïjni vini lia otliaio. Sara pïena
luna di marzo, o di aprile, quando cita fia aH'opposilo dcl Sole; ma corne eïla
parviene al capo, o alla coda dcl dragone, oscurerô per tanto spnlîo, quaoto etJa
tracirâ delTombra délia terra* Fia grande splendore inlorno alla iperft del Sole,
régner» gran freddo nclle eatreme zone, et sfi per gli ait» monti; sarâ gran caldo
et sicfira .-îriiL*! n-:i|iiini.tiinlt». VÀnn il mur Thircno. et il mar tonio+ lia gran copia
d'huntore, et pïù ancora ne Ha intorno al mar Oceano. Vedrassi la notte al sennu
tante stelle in cielo, clie ne huomo, ne donna le potrebbe mai contare. ■
lii vi b: d iiisniiiu; littlhaihi: de i v
mi .
hah, [îftid.). — Plusieurs moutons, bœufs, pnurceau*, oisons, poulets
ri canarda mourront et ne sera si cruelle guerre en Ire fat Bingei et
dromadaires.
lAHTh — Moriranno molli buoi, montoni, poreî, cervi et inOniti
pollî; Ira le bertuceie, a&ini, eavalli e assiuoli ta morte non fard tanta
s t rage.
hixgel». — Senectus eodem anno erîl îmmedicabilis* propter annos
qui proccesserunl.
rab. (iétd.). — Vieillesse sera incurable ceslc année, à cause des
années passées.
GuicciARU. — Il medesirno anno la veeehïaia, per cagione degti a nui
passati, sorà incurabile.
Mais il y a ce dernier passage de Rfogelberg, qui ne se trouve que dans
la prédiction de Guicciardini, et avec une certaine différence i
8IÎTÛ8LB. — Bellum e ri t inter canes et lepores, inter fêles et mures,
in ter lupos et ores, inter monaclios et ova.
guicciard. — Frà gli uccellatori e gli uccelti sarà gran guerra e mag-
giore Ira i peseatori e i pesoi.
En outre, en laissant de côté l'idéalité, mot pour mot, de la PuntayniHinc
ftôgnoêticûtion et de* Ih'iti de Guicciardini, il va, peut-être, d'autres points de
ressemblance, « En été, dit Rabelais (VIII ch-h il doit faire chaud et régner
veut marin «; en hiver il fera froid el « ne 'seront ftàgM iu\ qui rendront
leurs pellices, etc. » (X ch*), et ailleurs il parle des édîpftefl :Il eh.}, se moque
de l'influence des astres (IM(I. et l,r)et prédit que h Saturne sera relrograd- \
Vénus directe, Mercure inconstant et (IV eh.) qu'il menacera quelque peu le
persil, que Tannée <c sera bien fertile avec planté de tous biens à ceux qui
auront de quoi » (IV ch.), qu'il n'y aura <« en toute ceste année »■ qu'une lune
a encore ne sera point nouvelle » {VII eh.) et aura diminution ou accroissement
de sa clarté, selon qu'elle approchera ou s'estoignera du soleil a, ce qu'on peut
rapprocher de ce que dit Guicciardini là-dessus : « La state sîacaidae secea...
e auche haremo délia lempesta, il verno sîa freddo et huniido, régnera gran
vento »*î el pour ce qui est des astres : « sarà in alcuni luoghi perrevolutïone di
Saiurno peste, e allre malattie, in allri luoghi per cagione dell'aspelto di Marte,
mortalita e homicidi » et Vénus rendra amoureux beaucoup déjeunes gens.
Et il ajoute :
« Sarà piena luna dt Marzo o di Àprile, quando elfa sia aU'opposito del
Sole, ma corne elle perviene ai capo o alla coda del dragone, oscorerà per
tanto spazio, quonto etla uscirà daU'ombra délia terra. »
Tous les deux recommandent de bien boire. « Beuvez du meilleur », sTêcrie
Rabelais, et Guicciardini « il bere otlimi vint sia oUuno *■; tous les deux se
moquent des prédictions, touchant les peuples. Rabelais, dans sou VI* chap,,
assure « qu'Italie, Romanie, Naples, Sicile demeureront où elles esloient Tan
passé » et Guicciardini déclare que « 1 popoli lal'hora haranno buoua fortuna
Ut hor catiiva e qualche voila médiocre >> où, sous un autre aspect, le fond
de ta plaisanterie demeure toujours le même.
Dans le reste de ta ProyaotfiftgUoa, il y a toujours ce même caractère, qui
domine le ftronoffiû}* C'est ainsi, par exemple, que Rabelais continue le
II* chapitre, où il n'y a rien directement de commun avec les deux autres
auteurs, mais dont l'inspiration n'est pas toutefois différente.
UN IMITATEUR OU UN INSPIRATEUR DE RABELAIS. 125
«... Pour ceste année, les chancres iront de costé,etles cordiers à reculons.
Les escabelles monteront sur les bancs, les broches sur les lardiers, et les
bonnets sur les chapeaux... les puces seront noires pour la plus grande part;
le lard fuira les pois en qu ares me; le ventre ira devant, le c... se asseoira le
premier », et ainsi de suite. Et ailleurs (IV en.), après avoir déclare que les
riches cette année « auront de quoi », il ajoute :
« Le hobelon de Picardie craindra quelque peu la froideur; l'avoine
fera grand bien es chevaux : il n'y aura guères plus de lard que de pour-
ceaux... De bleds, de vins, de fruitages et lègumages on n'en vit onques tant,
si les souhaits des pauvres gens sont ouïs. » Et encore (VI ch.), « sus le milieu
de Testé sera à redoubler quelque venue de puces noires... Allemagne, Souisse,
Saxe, Strasbourg, Anvers, etc., profiteront s'ils ne faillent », et à propos du
printemps (VU ch.) : « vous verrez ceste saison à moitié plus de fleurs qu'en
toutes les trois autres... » et « selon l'opinion d'Avicenne, le printemps est
lorsque les neiges tombent des monts ». Enfin en été il fera chaud, mais « si
autrement arrive, pourtant ne fauldra renier Dieu.... Beau fera se tenir
joyeux, et boire frais; combien qu 'aucuns -ayent dit qu'il n'est chose plus con-
traire à la soif. » (VIIIe ch.) « En automne l'on vendengera, ou devant ou
après. » (IX ch.) En hiver : « Tenez-vous chaudement. Redoutez les catharres. »
(X ch.)
Ce sont, on le voit, des variations d'un même motif, qui pourraient continuer
à l'infini.
P. TOLDO.
126 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
UN FRAGMENT INÉDIT DE LEDIEU
SUR L'ÉDUCATION DU DAUPHIN
Aujourd'hui Bossue t, à rapproche de son second centenaire, attire l'attention
de tous les amisde la langue et de la littérature. Un modeste supplément à ces
manuscrits de Ledieu, qui ont été ici même ressuscites1, ne paraîtra point hors
de saison. Voici donc la reproduction de douze pages autographes du secré-
taire de Bossuet.
Ces notes un peu informes, qui sont entrées d'ailleurs, mais seulement en
partie, dans les Mémoires sur la vie et les ouvrages de Bossuet, méritent d'être
éditées pour les renseignements nouveaux qu'elles fournissent.
Le manuscrit original appartient à la collection de M. A. Gasté, professeur
à lTniversité de Caen. Tous les érudits connaissent son zèle pour la mémoire
de Bossuet1. C'est à lui qu'il faut savoir gré de vouloir bien mettre sous les
yeux du public une des épaves du vaste recueil de notes de M. Hoquet. Qu'il
soit ici remercié de me laisser publier ces pages pendant qu'elles peuvent
l'être encore, car le temps, tempus edax, les aura bientôt rendues illisibles.
Labbé Le dieu. Notes sur Bossuet précepteur du Dauphin. 42 p. m-4°, fortes
taches dhumidité. Tel est le titre épingle sur ce manuscrit. Il faut dire que la
note : fortes taches dhumidité est un euphémisme très indulgent, car le bas
des pages est tellement rongé de vétusté, que les dernières lignes sont déjà
tombées en lambeaux. Il est donc urgent de publier ce texte, qui n'est pas un
simple duplicata, mais un développement des mémoires deLedieu ; c'était sans
doute un premier brouillon que le travail de la composition aura contribué
plutôt à réduire. Je le reproduis aussi fidèlement que possible; bien des
lacunes s'y rencontreront déjà, tant le manuscrit s'émiette et s'en va en pous-
sière.
La marge, d'un quart de page environ, y est presque toujours remplie d'ad-
ditions, mais comme les renvois en sont d'ordinaire faciles à reconnaître, je
les insère à leur place, sauf à avertir en cas d'hésitation. Je maintiens aussi,
niais entre crochets, les mots raturés par l'auteur, et je mets en caractères
italiques les surcharges, alin de fournir une manière de fac-similé imprimé de
ce manuscrit *. Les feuilles jaunies et usées seraient difficiles à photographier.
La page double de papier blanc qui contient ces six feuilles porte, de la
main de M. Floquet, ce titre * :
1. V. n<>" du 15 oct. 1897 et juillet 1898. Labbé bedieu, historien de bossuet. \otes
critiques sur le texte de ses Mémoires et de son Journal, par M. l'abbé Ch. Urbain.
2. Il faut ajouter : et pour les gloires de la Normandie. Or. parmi celles-ci.
Corneille tient la première place. V. V Histoire de la querelle du CUL récemment
parue, et honorée du prix Saintour par l'Académie française. M. Gasté avait déjà
réimprimé À Rouen (1894) en fac-similé* par opuscules séparés, pour la Société des
bibliophiles normands, vingt-huit pièces de cette mémorable guerre de pamphlets.
Mais la seconde édition est beaucoup plus complète. Paris, Welter. 1899. in-8 de
495 pages.
3. Pour la même raison et afin de respecter la physionomie de ce manuscrit, j'en
conserve l'orthographe et les abréviations.
4. Elle a servi primitivement d'enveloppe À un dossier quelconque et porte sur
la 4* page, maintenant à l'envers : Bedosch député* d'une main probablement plus
ancienne.
l> HiAi.MlM wihii PB LOI EU Si n [/ÉDUCATION M BÂtiPttîff. 127
Mas de Le Dieu,
1° Éducation du Dauphin.
2° exposition K
Son travail pr ms^r le dauphin
Ses occupations a la cour : ses amis *.
En mil occasions de 6a vie lorsqu'il s'agissoit de quelque mot de latin»
il tranchoît la difficulté par des autoritez qu'il avoit très présentes de
r/' Virgile, dhorace de phedre mesme qu'il estinmit très pur,
et des autres orateurs et historiens *, dont il auoit fait une estude
particulière étant auprès de Msgr le dauphin, on le peut uoir dans snti
édition des variorvm, qu'il acheta exprez pr cette estude, et dans
laquelle il a y a point de page qui ne sott marquée de son crayon \
Il v a une fahle composée par M, de M(eaux) et imitée de phedre,
jusqu'à s y méprendre, que ses amis en effet crurent estre dftin ancien *t
i|iu fait uoir combien il s'étnit rendu familière la plus pure latinité,
cent mitres ouuragea le fiint mur ; comme son m m eu ta ira sur le Ca&+
tique1) et tant d'autres imprimez; îanis surtout trois ou quatre pièces
manuscrites que j*ay, qui sont de la pureté du siècle d'auguste Bt du
stile de César et de saluste pour la narration, c'est la lettre de ce prélat
au pope Inuocenl \1. ou il luy rend conte de l'éducation de Msgr le dau-
phin, laco(nduite.i (?)*.. ft
ansai estant auprezde Msgr il auoit poussé très loin ses recherches
sur la grammaire latine : j'en donne des exemptes dans les uerbes de
signification contraire qu'il auoit très curieusemt recueillis, sans parier
'le *es remarques trè& singulier** *w l&* eonjonctiom et autre* particule*
stinablett *,
1. Celle note sur VExpmitfon, d'ordre purement bibliographique* a ètv pub]
ta Revue de$ teîencei rvcttmtmtiquex, octobre 18U9, p. 839.
< second Ulre, île la mam de Ledieu, est d'une encre plut* récente,
3, Les mois Térenr.e onl été écrits, posKérietiremeiil, ta surcharge.
t* Ici s'arrêtait La phrase. Au point final I été substituée une virgule, et lus mois
ont-ii ajoutés nous reportent à la mite, écrite en marge.
in nouveau détail que ne nous fournissent point, que je sache, les
<r uvres imprimées de Ledieu. Il pourra servir à une étude în Lé restante sur la
othèque de Dossuel. — Lad di lion marginale s'arrêtait ici loul d'abord, et la
aurait donc repris : * aussi estant anprez... ■ Ledieu s'est ravisé encore et il a
ré en marge les additions qui suivent, sur la latinité de Bossuet et La pièce in l&eu*
jusqu'au* mots ; aux fi <?* tant aitprei. CL Mémoire*, p, HL
\\ Fragment* <(r Ledieu^ t. f, f>. 327. On ai mail ces supercheries littéraires qui
prenaient eu piège des connaisseurs. Huel en axait une à son compte, qui le divertit
fort, mais mortiîïa plusieurs éruditi de ses amis, peu flattés de leur méprise.
1 Le mot est écrit cantiqt suivant un mode d'abré via Lion pratiqué aussi par
Bossuet et qui consiste dans te relèvement de la Ligne, terminée en crochet. C'est
presque toujours pouf les mots terminé! en mené que ce procédé est usité. V. M.tr-
trttctiom HP tes élati fTwateôn (second traité) publié par M. E. Levesque* Paris,
[hl.il, t8*J7. Introduction, p. xxviu et Le fac-similé donné par le consciencieux édi-
teur* Je laisserai tomber ici la plu pari de <:es narticularilés,
H. h î. non-; siprnnu-rs. dans la marge toujours, au bas de la page, cl une Lacune
malheureuse interrompl celle cnumeration des pièces latines de Bossuet. Le manus-
crit eût dû être copié quelque vingt ans plus lot, avant de lomher en poudre aux
endroits in Lé ressauts.
g* Les mots en Etatique sont d'une encre différente, ajoutés en interligne.
î
I
! 128 REVUE D*H1ST0IRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
v-
Quand donc on hiy contestoit quelque mot latin, il disoit pr
appuyer dauantage son sentimt; j'ay enseigné la grammaire, et
mesme la rhétorique, j'en suis instruit comment pouuez-vous nie le
contester, et ou donc dans quel collège f? lui dit un jour, M. l'Euesque
d'autun, son ancien amy Gabriel de Roquette, a S1 Germain luy répliqua
M. de M.j'estois présent a ce discours, ce fut dans un disner a uersailles
chez M. de M. au mois de... ou de février 1698 je *....
[P. 2] Il auroit peu dire avec la mesme raison qu'il auoit enseigné
l'histoire, la politique, la philosophie dans toutes ses parties, et encore
plus la religion.
En effet des que M. de Condon fut nuprez de Msgr le dauphin il c.o-
mença3 par lui dresser des formules de prières, un catéchisme *, et
encore depuis de solides instructions sur la communion, a l'occasion de
la 1° communion de ce prince qui se fit à pasque 1672 ou 1673 (voy
cy -dessous l'article du p. ferrier 5).
t On peut aussi uoir ces instructions dans le livre des prières Ecclé-
siastiques ou heures du Diocèse de Meaux, ou elles ont esté imprimées a
ma sollicitation, sans aucun changemt que le retranchemt du nom de
Msgr le Dauphin et du tour du discours [qu] ou la parole luy estoit
adressée 6.
Mais M. de M. auoit [pris jette de plus loin les fondems de la pieté
de ce prince par la lecture de l'euangile et de la sle écriture, qu'il luy
faisoit faire reglemt, auec néanmoins cette précaution qu'il luy retiroit
i ce Hure diuin "et par pénitence, ou a cause de quelque faute ou quand
Y il n'y] en punition de ce que [il n'y] quelquefois il n'y apportoit pas
l l'attention ou le respect conuenable. Mais les reflexions 'avec les-
* quelles] dont il accompagnoit cette s1* lecture... [des pseaumes] des
prophètes et des autres... estoient... inspirer ireliqun desunt)?...
1. En surcharge.
2. Ici encore la lecture est malencontreuse, car bien que les Mémoires, p. 143,
nous rapportent ce trait, on eût aimé à en connaître les circonstances. On en a du
£ moins la date précise, c'est probablement janvier qu'il faut suppléer, à l'endroit...
\ dévoré par le temps.
î 3. La première rédaction portait : // luy dressa des formules de prières.
4. Ce catéchisme existe encore. La copie faite de la main de Gilbert, le maître a
écrire du dauphin, se trouve aujourd'hui à la Bibliothèque communale d'Amiens.
Cf. Études religieuses S. J. 20 novembre 1898, p. 522 à 528. Ce « Catéchisme pour
le dauphin • inédit, sera prochainement publié dans la Revue Bossue t.
4. 5. L'article du P. Ferrier est perdu sans doute. Les deux dates données ici sont
\ inexactes. C'est le jour de Noël 1674 que le Dauphin Gt sa première communion.
' Y. Floquet, Bossue t précepteur, p. 52. Le P. Ferrier, confesseur du jeune prince,
mort en 1673, ne put y assister. L'article auquel renvoie Ledieu parle peut-être de
* sa mort. — M. Floquet qui a tiré parti du présent ms — rectifie Terreur de ce
» qu'il nomme Fragments inédits, par opposition aux mémoires imprimés.
s 6. V. cette instruction au Dauphin, publiée par Floquet. Beaucé-Rusand, 1828.
£ Cf. Lâchât, t. XVII, p. 1.
*" Ledieu. en recommandant ainsi la part qu'il a prise à cette publication des Prières
£ ecclésiastiques, nous fournit un détail nouveau sur cette publication. Le regretté
-: chanoine Denis, bibliothécaire du grand séminaire de Meaux, m'a signalé jadis la
prière au Sacré-Cœur, qui se trouve dans un ancien formulaire du diocèse. Il y
|" croyait remarquer la manière de Bossuet.
UN K1UGNENT I HÉ Bit 0G LHUKlî SOI lY,IjICÀTIO> DU BA13PB1H, 129
[P. 3] Le grand traunil de nostre illustre auteur sur la religion est
[le] son discours a Htsgr k dauphin sur r histoire universelle. C esloil un
dessein» disoit-il, qu'il auoît coneendes sa jeunesse et aiîssïtost qu'il eut
[acquis] puuê ses premières lumières de In uerïtc de la religion dans la
t? écriture et dans les ss. pp. (saints pért$),
[Dez lorâ] l,
Kt l'occasion le détermina en ce lemps-ey a exécuter ce dessein. Il
anott jette sur le papier une espèce de préface sur [l'hisitoire)] un abrégé
de l'histoire uniuerselle qu'il faisoit noir a Mgr le dauphin, pour luy en
monstrer l'utilité et la manière de la lire auec fruit : ses amis trouue-
nt ce projet sî heau, qu'ils l'exhortèrent a le conduire a sa perfection.
ainsi au lieu d'une simple préface sur l'histoire, il en lit un discours
plein de rr'll««\ions très utiles, qui deiiinl la seconde parlie de Tou-
ttfjtge, par ce qu'il mit l'abrégé historique a la teste qui en estoit la
maliere et le sujet, et y joignit la 3B partie qui est la cheute â&ê Empires,
il des sa jeunesse toutes ses lecture* {etc.) ■ se tournèrent de ce
eaaté là; et C€ fut le digne fruit qu'il sr proposa de ses [esludes, de ses]
méditations et de ses ueïlles. Dieu a donné une telle benedietinn a son
trnuaîl, qu'on ne peut douter qu'il ne luy en ait inspiré le dessein, et
que par conséquent il n'ait suscite ce grand home en ces derniers
temps, pour l'opposer rome une colonne d'airain au torrenL des liber-
blins §1 des incrédules, corne II a suscité les apostres et les ss pp. dans
leur temps Contre les p aven s et les philosophes *.
B rouuerlure de e.e savant ou tirage on uoîl une érudition qui ne [peut,
demande rien moins que le travail de la vie d'un home. Je ne par-
lerai point de l'histoire dnnl les faits les plus curieux août recherches
aoec nu jugement admirable et un soin infini non xtrulrmi dans les
[auteurs] historiens connus, mais dans tous les auteurs du temps, ora-
teurs, philosophes et autres, c'est dans aristote% dans platon et les
C autres (greci <t latins qu'il prend les..* de ses....
[P. 4J histoire, s»ns e'engager dans une longue discussion de faits
qui ne ronuenoit pas a son dessein d'un [simple' abrège historique,
ifouoir choiaia les faits singuliers qui font le caractère des peuples et
> lions entières, comme des] d'une personne^ particulière^ :
et l'autre beau Lé, «Ta noir [fait servir découvert dans ces caractères des
peuples la suite des desseins de dieu pour l'êtablissenU et pour la
galion de la religion, mais ce n'est laque ce qui regarde l'histoire
[profane1 et les empires.
La religion mesme traïttée corne elle est dans ce Hure en est le pro-
I, Cet alinéa, qui Tenait aussitôt, sr trouve reculé, par l'insertion de la note mar-
ginale, écrite d'une enrre moins nnciei
■2. Cet : rtc. faisait le raccord de li note marginale ri-dessus avec le paragraphe
rotmnençaril originairemenl par Dez lors toutes ses leelures.,.
3. Ce rèr.-il ùe la genèse <l ti Dincows *«r l'histoire universelle nra pas Hr répété
dan» les Mémoires, et M, Ploquet, chose plus étonnante, n'en a pas lire parti dans
uet précepteur > Je ne vois pas non plus qu'aucun éditeur ail signalé <:<vs
détails intéressants sur l'histoire du livre.
Un r> HisT. Lixtih, pe l* Fba»çi \7* Ànn+), - VIL 0
130
11KVUE n'ïllSTOlUt LITTÉKAtltE DE j,.\ RUNu:,
ition.
diçe et le merveilleux, [de cet ouurage] [non seulement] Elle y est éta-
blie non seulement par toutes les preuues tirées de la s1** écriluiv,
des prophéties et autres Hures, par les promesses de dieu, par ta simple
exposition des mystères, par leur nécessité* el leur uerilê : mais encore
par tout ec qu'il y a de plus fort dans toute la tradition et dans les
ss. pp. Je trouue [luy] disois-jc un jour a l'auteur, après auoir l'ait une
oouuelle lecture de ce Hure (a Germigny a la fin d'octobre 1699.) * que
uous y auez recueilli les plus fortes preuues de la religion tirées des
apologies des premiers pères, et enfin des Hures de la cité de Dieu de
S* au^ustîn qu'il a faits exprès dans le mesrae dessein; et il m'auoua
qu'il eofcoil uray, [De sorte qu'on est asseurè de trouuer] si ytl'îl auoù
miê Atm ce seul] ton liure tout ce qui est,., dans toute la tradi
Maïs il [ne deu .... y a plus;,., les philosophes *
[P. 5] et les idolas&res [de luy mesmej par des raisons qui n'a-
iiMient tuïHHê'flrf ,jtii ttont jamais este dittes, et qu'il lire expressément
de ses aduersaires mes mes. ajoutez ses rai sonne m U sur la liaison
im Hures ss* (saints) entre eux, et tant de philosophie et de mela-
(iliy-îque [qu'il a seu] qu'il y employé pr soutenir la plus sublime
théologie.
in. arn.iubl ■ dit decetouura^e» comeje l'ai appris de M* de M.mesme:
qu'il y auoit trouué ce qu'il n auoit jamais uu ailleurs; une suite de
pensées, si uniuerselle et si bien liée, quelle remonloit de ce temps
au comencement du monde, daus la Ketigion et dans les Empires par
rapport a la religion toujours la raesme el toujours inébranlable au
milieu des changemens des monarchies a.
^Vst ce dessein digne d'un st. père qu'il avoil conceu depuis tant
de temps pr Je seruice de l'église, auquel il auoit consacré ses ueïlles,
el qu'il mit enfin dans sa perfection en acheuanl les esLmies de Msgr le
dauphin. Le eroiroil-ou? je le sai de luy-mesme : Dans le unyage qu'il
lit en Allemagne* en allant au deuant de Madame la Dauphineauee toute
la maison deceUe princesse, il mit la dernière main a [son] ce chef d'œuure,
de sorte qu'a son retour à paris il le fit passer sous la presse et le
publia [ém le mois] avant testé de Tannée 1681 * (l'impression en ayant
Ces éléments seraient dune dans le Journal si
-
I. Ces mots sont en marge
l'avait pour celte epoque-
3. Une ligne entière a ici disparu, sauf le dernier moU
3. Ce paragraphe est une note marginale ajoutée depuis le premier jet,
4» Une note marginale qu'il est difficile d'insérer dans le texte se rapporte sans
doute à ce voyage en Allemagne el est ainsi conçue :
- Au mois de janu.(ier) 1680. et Je mariage de Msgr auec Mad* la Dauphîne se fît a
Chaalons au mois de mars suiuanl, d"ou Mad* la dauphins fut conduite à Si-Germain,
Dans ce royale d'Allemagne M. de Condom lit MNBi de? un dont je n'ai aucune
connaissance : j'ay seulement oui compter ce fait à M. de fleury Euesque de Frejus
qui en pariott corne ayant ueu les uers+
5. La première rédaction comprenant dès le mois de*., 16*1, suppose que Ledieu
voulait s'informer de la date précise et avait laissé en blanc la date du mois cher-
che. Comme il ne put sans doute obtenir cette mention exacte, il a écrit plus tard
en surcharge atant Vêlé el rempli par te mot année l'espace laissé pour le nom
du mois.
IN rftAGMENT INEDIT DE UlUll SI H L Khi CATION Dt nAieim. 131
est*1 ac heure H la fin de 1680 !|. El tel est le monument que nostre
H- a élené [a la gloire je note a sa propra gloire, mais a la gloire de
fggr le dauphin mais] et bien plus a la gloire immortelle de l'église et
de aosire s' . religion.
wb h dbcoera sur l'histoire universelle, je ne craindrai pm
mettre Lu politique «lu m es me auteur. C'est un o mirage égal au premier
pr la forée, rarodttionj et la sublimité. quel fonderai plus ferme petit-
ton poser, nue la parole de dieu? c'est sur quoy est fondé cet ouur
que pr celte raison, l'auteur a intitulé, politique tiréç desproprw paroles
ire sainte.^ a monseigneur.... ' premier,..
fP. ti; 11 lu y en aum! A / fe*1 BOtr la mi'ilh'uro partie, corne il auoit
fait de l'histoire uiiiuerselle dans le cours de Bâsétadga : ruais il nuiduit
enfin mettre cel OU orage en état de paroi»! re snus son uom. cependant
fea occupations plus pressées retardèrent l'exécution de ce dessein,
jii'a ce que H*, le duc «le Henuuilhers, M, l'abbé Je fenelon et les
• autres [m sis très] chargez de l'éducation de M. le duc de Bottrgogwa
iif'oi lilleiiif \L de M. da leur damier la politique [qu'il, ia reprît
r h la leur promît en 1698. [la] [de leur [donn_j rendre parfaite un an
après I futur tannéf. miu&nin ; owf, leur dit -if fainilicreml en hou amît
je uous en mettrai dans un an la clef a la main ; eocee [(tarie] an archi-
teele ttdffé d'un hastiml e|U*ii doit aeheuer [en un certain a lampe
marqué.
-Ours tu i$#1 , il uenoît de donner les pseaumes avec ses notes, et
Iml de suite il uofrttrit donner les livres vtphviiiaux, qu'il regardait
M OHM prepaialjnn pr mettre la dn-rtiere main a la politique,
puis qu'il eu tire toutes le- maxinnsdi Salomon. c'est a qimy
Iîl IruuuïUa et ee commentaire l'ut publie ci elTet en I09S publié en
1693 au mois de Éûay ■'.
Un\- ce temps CpW M. de M. anal ivpri- la politique et uers la fin de
[té&f. tombèrent] f&93, an tuerait les premiers romeneemens de la
mnté de Mad Gtiyon auac M. de NL Ge lut afore qu'on [parla] tey
proposa d'examiner s;< doctrine et que cette terne se soumit a son
I jugement : et tel fut l'engagerai [dans de la nuuuelle alla ire qui nm-
suma tant rlaiimis. et qui [ne] s'est enfin terminée par la condamna-
lion de M. de Camhrav.
Ainsy l'ut arreste le nouueau LrauaiJ entre(pris)| dessein de finir la
politique... il yen a bien la moitié au net jnsyn'u.,.. *
I[P. 7] cabinet. mes*, de Keauuillîers et de lleury ont des copies de
la cette première partie qui contient les principe* généraux du gouûer-
! , \\ , l'a b bë Boa ree* ad , Hî s 1 0 nr 1 /<*s , t i n n * r> i ■/# hint bl *fr ff 0 uvrages
dt Bmstiet (p. 18 , ru- doilfli |»<ls La date de Itarfafed <f imprimée, mais iî nous dit quii
Il privilège ait du 1 ! récrier el que « le Uvr« a paru dans Je mois suivanl •, Eu toul
tIÉt, Ledieu a barré la phnise qui! avaiL avanrée sur Ja UaLe de 1680.
3. Lacune d'une ligne au moins.
3. L'achevé diiuprôucr ost en tUTct du 20 mai !603. Cf. ï'abbé Bourseaud, op. <*/f4,
p. 21.
*. Deui lignes environ manquenL ici.
I
132
1ILVIE DHISTOIRK LITTKHAIIIK DK LA FRANCK.
"
•II-
il y
mi -*f qui est presque parfait te, mais Us n ont rien ueu de la seconde
ou esL L'application des principes au détail du gouueruemt [en] par-
ticulier [et e*e$t par ce qu'elle n'est encore] et au et oui de ta Religion, et
cette partie vCt$i eiiûore qu'ébauchée et de la main mesme de Fauteur.
mais auant d en nenir a la religion et a la politique» M. de Condom
auoit comencé a faire unir l'histoire a Msgr le dauphin ; celle du peuple
de Dieu, et des anciennes monarchies, et plus particulièrement [celle]
V histoire de france.
II la jugea plus nécessaire au prince que toutes les autres, et il
donna aussi plus de soin. Il Imj en faïsoit de uiue noix de courts récits
iju il [hiy'i l'obligeoit de luy] répéter, et en rnesroe temps il les luv
laisoit écrire en français de sa main, c estoit ensuite la matière d'un
thème, qui se corrigeoit auec beaucoup d'attention en françojs et en
latin si bien que ce trauail ayant duré quelque temps, se trou u a un
eomence nient dThisloire suiuie dont ou pouuoit espérer de faire uu
corps complet.
la lr* et la seconde race furent Iraittéfif brieuement afin de uenir
[bien plulosl à la troisième "qu'on] ou Ton s'est1... renf*.,
[P* 8] Ludoviei Dêtphim t'pihfttir rentm frunricantm.
abrégé de I* histoire de france par Msgr te Dauphin.
l'ouuragc estant auancé fut diuisé en plusieurs Jiures, cet ord
qu'on y apportait, fut une adresse de ramener souuent le prince a cette
lecture, pour la luy faire trou ne r nouuclle, el luy [en] remplir l'esprit
d'une "eslude^ Cûan&issaACe si nécessaire*. Le premier liure contient
la première race : le second et le troisie(rae), la seconde, la troisième
race comence au quatrîe{me) liure, cl il y en a jusqu'au </f>-huitieme
liure[s faît[>](où Unit le règne de Charles IX. pour concerner un si beau
monument, j'en ai fait mettre au net plus de la derniers moitié qui
u estoïl encore écrite que de la main de Msgr le dauphin : et il s'en*
trouue en latin et en François d'une bonne main jusqu'à Louis XL inclu-
sicumentqui est le XIIe liure de rhistoire.il s'est encore Irouuë quelques
feuilles de latin au delà, mnh sans ordre, et les derniers règnes n mit
point esté mis en cette langue, parce que Msgr le dauphin ne tàisott
plus de thèmes, et qu*> pour [on se hastoit dauanlage de] luy faire
uoir [toute] plus prompte ment toute l'histoire, et en conduire le traoa
jusi|u à la lin..., en francois....
[P« 9] au long, les guerres des Ànglois et celles d'Italie. Entre les
règnes précédents [règnes], celuy de S* Louis est [trtûlté] raconté ass
-
-
les
SSCI
L C'est dans CM lignes disparues que Ledïeu racontait sans doute le dessein
formé de publier cette histoire sous le nom du dauphin.
2. Il est superflu de faire remarquer l'intérêt <|tie présentent ces détails sur la
composition de V Histoire de France, dont les Mémoires de Ledieu ne partent que
très sommairement. H est étrange même que, dans la discussion que Floquet a
entreprise er professa pour montrer que Bossue L est bien le réel auteur de celle
Histoire et atténuer ce qu'on lit dan* la lettre à Innocent XI, S *i on ne trouve h
cet endroit (V. Bossue t précepteur, p. {M elsuiv.) aucune référence à ces fra*jtnentt
médit*! qui pouvaient intervenir efficacement en faveur de la thèse soutenue.
IN FRAGMENT INÉDIT W l.fctHEU SU» L KDL'CATIOS IH DAUPHIN. 133
nu long; la sagesse de son gouuememt, son courage et sa tûffec daûsla
guerre hih équité, sa justice^ loti les ses vertus y sonl [Lien] peintes
par îles faits bien choisis et fort particularisez, mais sa pieté y est dfUM
foui son éclat, M* île Gondom ayant proposé ce S* roy a Msgr le Dau-
phin corne un modèle qu'il deunit imiter tonte sa nie el dans tous ses
dewiiffG el conté son saint palron auquel il detioil auoîr continuellement
onn pr BQ bien conduire \ La vigueur de ce S1 Roy pfrFôistftOr IriuL
i us |i« rétablissement des élceLions canoniq(ue)s [qu'il] dans toutes
les églises de son royaume1, et [par] el en soustenant les droits de sa
CMurutiDe contre les usurpations de Rome1.
[Quand le] Encore, que tout ce corps d'histoire ne s'împriniast point il
fit u droit \\m moins donner au public [la; eeîU vie de S1 Loua ; c'est un
outiraj-e accompli pour la beauté de la narration latine et françoi&e,
le choix des faits la pieté et Fonction qui y (sont) particulièrement
(repai)'due. Riais.. - deux lignée disparues),., (desi)rablc.., public.
J'en ai à nn*y une copie qui seruira à faire connaîstre le mérite de
l'ouvrage mais*,.*,
T. 10] mieux fait, qu'aucun que nous ayons jusqu'à présent, et etoît
auec une liaison et un enclimsnement non Seulement des faits partieu-
L on lit, dans }& Catéchisme pou? té Dauphin. - dans la lc*;on sixième i De la
Prière de* Saint*. 1 la Quels sont e/noir /*** autre* Suivi* uttt^urh tom
; rtHffat un culte particulier? celle réponse dictée par Bossuet : * Saint Louis,
mi.nv patron et mon ayeul, Paint Joseph, mari de la Vierge, dans la confrérie duquel
je me suis enrollé et mon ange gardien. - VT Ehuteë s. J. 20 nov* 48tftf> p. 5i>5.
2« Un lit déni VRirtmre de France, livré V. dans la fit de saint Louis ;
. li donnait les bénéfices avec une grandi1 circonspection ri ceux qu'il trou volt
les plus savants et les plus pieux, afin que les peuples fussent édifiés parleur vie et
l'ii leur doctrine. Combien an roi Ml été pliw mgnemi dans ta distribution de
Iclirs grâces s'il eiU eu à donner les évêehes el les grandes dignités de le^lise, -
Uehal. l. XXV, p. 69.
Cest l ■ seul paseage semblant se rapportera la question des élections canonial. •>,
en tant qu'il suppose que le choix deséveques n'est pas au pouvoir du roL II n'est
pas question du rétablissement de tes élections dans le texte tel qu'il a été
imprimé. Aurait-il été modifié? La façon dont s'exprime Ledieu ferait croire qu'on
doit trouver dans celle vu* de saint Louis quelque chose sur celle Pragmatique
jii'on lui a longtemps attribuée et dont Bossuet a dit, dans *mi -crimm sur
\*uni(éde l'Eglise: * C'est (la nécessité pour le saint siège de gouverner les évéques
par les lois communes qu'il a lui-même confirmées! ce qui obligea le roi le plus
niai qui ait jamais porté la couronne* le plus soumis au saint §i£ge el le plus
irdanl défenseur de la foi romaine (vaut reconnaisse/ *aint Louis) à persévérer
diat ce* maximes et à publier une Pragmatique^ etc. V. éd. Leharq. Œuvres ora-
toire<r\r VIT p. 123. 11 faut lire la noie que l'éditeur a ici ajoutée sur l'authenticité
inspecte de cette Vruamattqve de saint Louis, inconnue de tous les auteurs jus-
qu'en H*G, Cf. le P. de Smedl.S. S.% Principesdela crUiûMÈ historique^ p. 25Û el suiv.
3, Le passage sur les mesures prises par saint Loin les utvrpaHantdt
ftosti •, annoncé par Ledieu, ail plus clairement reconnaissante dans ces phrases
de VHtslfitïe de France : - Il favorisoit le clergé, tans laisser affoiblïr l'autorité de
flniers. Il eon.Hirvoil soigneusement les anciennes coutumes du royaume, et
<Hif>hjiril fût Irts attaché et très soumis an saint sié^e, il ne souflTroit pas que II
le Rome entreprit *ur le* ancien* droits des prélats de L'Eglise gallicane. *
tachai, /. e., p+ ea«
4. Ce paragraphe est ajouté en marge mais devait être inséré au texte dans la
partie disparue. Je conjecture que le mais était pour dire i mats l'ouvrage cnti-r
mérite d'être donné au public, seul mot qui ait, avec la finale du mot (desijrai'k
*aus doute, été respecté par le temps.
m
BtWE D HISTOIRE LITTÉRAIRE l*i; LA FIU3CE.
lïcrs [d'un m règne, malade Unis tflt règnes entre eux; i
beau fil d'histoire en read la Lecture 1res [allâ(rrjante)] dïuertîs*anle«
Tout l'ouvrage est relie en six tomes. Le premier contient le* deux pre-
mières races el mi comuiencemt de la troisième qui est dans [quat
autrvs tûmes jusqu'à Charles IX. inclusivement. Les mémoires des règnes
suiuans. mesmede Henry IV, et de Louis X11L [sûftlj ont este dressez par
M . de M . e 1 les ex Irai ts fai is q u i se trou ueront dans ses portefenîl les a pu r i > .
Les détails Tournis ici parLedieu sur VHittmre de France à l'usage du dau-
phin confirment et complètent le très intéressant travail, publié eu It*5U dans
le Huit* Un de i le royale de Belgique l à propos du texte latin de celle
histoire, qui repose aujourd'hui, avec un ni au user it du Traité des cause* et les
t£ÉraU$ dr la Marale tTArutote, dans la Bibliothèque royale de Bruxelles *,
■ Le texte français, écrivait M. Marchai, flo.il en IS74, a la date de la mort de
Charles IX ; le texte latin en 151*3, à la mort de Louis XI a. » Par une description
minutieuse et intéressante au point de vue bibliographique, de ce manuscrit,
accompagnée de la quittance du scribe, le critique établit que la copte fut
achevée vers le mois de novembre 1686, c'est-à-dire six ans après que l'édu*
cation du Dauphin était terminée* Cette transcription, faite ainsi à une date
postérieure à l'époque du préceptorat, prouverait a elle seule que l'ouvrage
était bien de Boafaal et «pi il en disposait en maître *, s'il était bien cerLim
que la copie fut faite pour son compte* Ses droits d'auteur sur l'ouvrage HMrf
plus sûrement garantis par les affirmations de Ledicu. Comment cette copie,
différente, comme le fait remarquer M. Marchai, du texte de 1 édition de r
et en tout cas plus complète T puisqu'elle contient $ewh le latin % a-t-elle
|, Bulletin de f 'Académie royale de Mjfiffttr, t, XVII. première partie- 1858.
Bruxelles, II. Haye/, in-8* p. 1 ur tmïs nus inédit* de Botsuetf eûmpùéêe pour
remteiçnement du &9*p | tète entre l éducation de ce prince et celle de
pereur CkartÊeQwnti notice par M le chevalier Marchai, membre de l Académie,
1. la -i^ sur papier* Stëû et 3129 de la Bibliothèque royale.
Sauf le texte latin de l'Histoire de France, les inss de Bruxelles ne sont plu* mé-
dits, si toutefois ce sont bien les mêmes Extraits de la morale d'Anatole que Ton
rencontre dans Lâchât, L XI VI, p. 2:t-3L C'est le bu de la Bibliothèque du grand
séminaire de Mearo* que Lâchât a publié, c'est-à-dire le m* original- La métaphy-
sique (Traité des causes \ que n'a prurit éditée Lacbat, bien qu'il donne la Lot/iqur, au
L XXI IL a été publiée en 1*52 par U. Nourrisson dans son introduction à la philo-
sophie deBotiuet* sur la copie de M, FloqueL aïusi que les Extraite de Momie,
M. S. de Uns a édité, eu IStiS, ce Traite de* causes et Ta joint* en 1811,1 ton » <Jm
lion de la Connaissance de Dieu et de soi-même (Hache lie, Ufc-tl, p- 2*5-293). ouvrage
auquel il se rattache plus naturellement qu'à la Imçiqttë ;' m). Il met eu
doute, p. 2s;>, note t, Tau Lhen licite du litre Mêtajdt !/**</ uet un peu vaste el ambi-
tieux, et rappelle que - un premier projet de publication ayant donné lieu en 1140,
à l'examen de L'ouvrage, L'attestation du ceaseur royal le désignait sous le seul
tta des causes *. (V. en effet [Bibt. SaL fr* SUQ, /* Si] la pièce* signée
U ajourner, Je 24 avril 1719.)
3, L c, p, 218. Ge mi pourrait donc fort bien être celte copie • eo latin et en
français d'une bonne main jusqu'à Louis XI inclusivement • dont parte» p, B, le
texte de Lcdieu*
4- U faut noter pourtant que les cahiers du dauphin idu grand séminaire de
Meaui) qui BMliraflMj des parties de L'histoire de France eu Latin, c'est-à-diie lu
thèmes de Téléte de Bossue l, tout de sa main, à part les corrections, parfois clair-
semées, du précepteur. Il y aurait donc lieu de comparer cet original avec la e
et d*? *e rendre compte des différences, s'il y en a.
5. Saur, bien entendu, les deux volumes, ou mieux» cahier* latins de l'histoire de
France, brouillon des thèmes du dauphin, gardés au séminaire de .lleaux, (CaHO* D,
n- 10, M et 4ï. Le n* y est une feuille doi d uniment s prèpttréi par Bossuel, et
écrite de sa main,. Le troisième cahier contient une rédaction française.
i v FRAGMENT L\tlMT DE LEDIEU SUR i/lDLCÀTION DU DAUPHIN. 135
été reviHue de la reliure qu'elle porte aujourd'hui, c'est un problème assez
complexe* * La reliure de chacun des deux volumes, lit-oo au Mémoire déjà
ciléf n'est pas faite pour ces volumes. Mais, elle s'y adapte très bien» Elle
est eu parchemin et antérieure a li)92; La bordure de chaque garde est en or,
du dessin qu'on appelle encore actuellement Guirlande d<j Tourna y pour les
Vu milieu de chacune des gardes, il y a dans une semblable guir-
lande un ovale, aussi en or, renfermant les armoiries de Farchîduché d'Au-
fie, supportées par Taille d'Empire ci entourées des blasons de Hongrie,
de Bohême et des sept électeurs. Celui du Hanovre n'y est pas, C'ait une
preuve que la reliure Bit antérieure à l'année tGïïi, date de l'institution de cet
électoral. Les titres sont en langue allemande : K> liung, K. Bo* ; €. lia., etc.,
Koniyrckh Hungarn, Btihtnen^ Churfumi^ Bùytm% etc. «
Si Ion ne doit pas Earâtof outre mesure sur la date dont témoignent tes
armoiries, puisque la reliure a pu être adaptée après coup aux livres pour
iiiels vi\e n'avait peut-être pas été laite, ii faut hésiter à conclure avec
M, Marchai : k Tuut porte à croire que primitivement ces deux volumes ont
fait partie de la bibliothèque de Bossuet^ parce qu'on y trouve la quittance et
les détails de leur transmission », Celte attestation du copiste, citée par l'au-
teur du m*!1 moire* reconnaît seulement que le scribe a « reçu de M. Froment
la somme de trois cents livres » pour sa copie « de la morale de la métaphy-
sique et de Thistoire de France de monseigneur révèque de Meaux ■>.
Les fiches de décompte des paiements partiels témoignent que les calcula
ont été faits par M. de Sainl-Laureul. Mais au nom de qui ce M. Froment et
.init-Laureut traitaient-ils avec le copiste Pessole? C'est ce qu'on ne peut
savoir par le reçu. Orf si l'habillement aux armes allemandes donné à ces
trois ouvrages e>t vraiment contemporain de ces copies et antérieur à itiï*2t
ou ne peut guère admettre les hypothèses proposées par M. Marchai pour
expliquer comment les livres ont qui tic la bibliothèque de Bossu et.
0 Auraient ils été donnés, suppoe6~t<it, à la dauphine Marie-Ànue-Christiae-
YiciuiH* de Hmi-re, qui épousa l'élève de Bossuet en 1680, et qui mourut
en (090 à Versailles, assistée de Bossuet, eu sa qualité d'ecclésiastique? Je
<r^T je fais observer que la dauphine était sœur de Maximilicn-Fmiuauuel,
électeur de Bavière, gouverneur général des Pays-Bas, et qui eut jusqu'à
l'èpoquc de la mort de Louis XIV les relations les plus intimes avec ce
monarque, Ces volumes furent-ils transmis par Bossuet à Fénelon pour l'édu*
cation du duc de Bourgogne et ensuite apportés à Cambrai? Je J'ignore éga*
le m eut. Je le présumerais cependant, parce que la coopération de Bossuet aux
travaux de Feue ton est évidente ffj au Truite de lu ppUâffiH tiré* de t'ërriiure
milite. Les dix premiers livres furent composés pour le Dauphin, et les quatre
derniers pour le duc de Bourgogne. (Voir Unne VI, éd. de 1743 à 1747). »*
Celte présomption ue parait pas suffisante : car cette collaboration de Bos-
suet consiste à avoir prêté quelques œuvres comme sa Swtmmaire, etc., et à
r prmdr* copte des uuvrages de nature a aider Fénelon. Il faudrait sup-
poser qu'une copie complète, prêtée par TauteurT ait pu sortir de la biblio-
thèque de Fénelon avant iû92 pour être revêtue de celle reliure allemande,
Fénelon, qui, dans la querelle du quiétisme, objectera à Bossuet un passage
de ces anciens thèmes, connaissait a coup sûr ï Histoire de France de Bossuet,
mais probablement par tes copies dont il est parlé dans Ledieu, et non par
cet exemplaire transcrit pour le compte de Bossuet, Qui affirme d ailleurs que
la transcription de Jtiâ5 n'a pas été laite officielle meut, aux frais du roi, la
destinant eu cadeau, par exemple au Frère de la Dauphine 1
Dans Fun et l'autre cas, du reste, il serait étonnant de voir conservée, dans
ces volumes, l'attestation du copiste donnant quittance, soit à l'homme
r.iiT.iires de Uossuet, soit aux officiers royaux, du paiement de son salaire,
llya donc de réelles difficultés dans les diverses explications. Avec plus de
certitude, M, Marchai nous apprend ce qu'il advint, durant les deux derniers
î M
REYIE H HISTOIRE LITTERAIRE DR LA Pli.
siècles, des précieux manuscrits* « Ils tarent, écrit-il, la propriété du capitaine
Michîels qui vivait sous le régne de Marie-Thérèse, ce qui est constaté par une
griffe apposée aux divers manuscrits de ce bibliophile : ib ont ensuite app&r*
tenu à la bibliothèque de l'université de Louvain, supprimée en 17VÔ, car il y
a en télé : BibL Lorun. i7Êê% de récriture de Yandevelde, dernier bibliothé-
caire. Ils ont été transfères, pendant la même année 17%, à la Bibliothèque
de f école centrale «lu département de La Dyle, à Bruxelles, en vertu de ta loi
do! messidor an tl, concernant le triage pour les bibliothèques et 1rs archives
des papiers des corporations supprimées. En 1815, ils ont fait partie de la
bibliothèque de Bourgogne, m
Mais ce n'est la, pour ainsi dire, que 1 histoire extérieure de l'ouvrage. Ce
qui intéresse à meilleur titre, c'est la question de l 'attribut ion de l'Histoire de
France à Bossue t lui même. If, Marchai s'est prononcé nettement en ce s*
< Il faisait avant les leçons, écrit-il, préparer les matériaux par des pens de
Mires qui rassemblaient les documents diplomatiques et transcrivaient des
extraits du texte des historiens. Bossue! faisait usage de tous ces matériaux
par un discours verbal, mêlé de conversations, disant souvent que I histoire
de France était celle de la famille et des peuples du Dauphin. Or, quand on
admettait que le Dauphin aurait eu le zèle, l'activité et le talent du duc de
Bourgogne, son fils, il n'aurait cependant été qu'un rédacteur passif: car il y
a impossibilité qu'un élève de quinze à seize ans ail eu l'expérience et le génie
d'un grand historien. Mais d'après Tin; a pari té malheureusement trop cons-
tatée du dauphin, sa coopération à cette histoire s'est bornée & quelques mem-
bres de phrases où Ton reconnaît l'esprit de l'enfance, et à ses dictées. Ce fut
tus doute par courtoisie, pour plaire a Louis XIV et par encouragement,
pour stimuler son royal élève, que le titre français porte Afotyé, etc., par
monseigneur te Dauphin et le titre latin Srrausstntt Mpkim Eptttrmt rerum
Franeitarum, et que le quatrième livre, à l'année 987, Hugues Capet, com-
mence par ces mots : * Comme je tire mon origine des Capévtngjeiis, j'ai
dessein d'écrire leur histoire plus au long que je n'ai fait celle des deux races
précédentes *.
L'explication peut être juste. Mais ses contradicteurs — et M. Marchai cite
avec loyauté leur témoignage — ont réclamé, pour le dauphin, une part plus
large dans la corn positron de l'Histoire de France, Ainsi M. Hoquet, qui dans
son livre de ftossuef précepteur protesta plus tard contre la réputation d'inca-
pacité faite au dauphin par Saint Simon, et essaya de prouver que le labeur
de Bossuet n'avait pas été perdu, même pour son élève, avait eu soin déjà de
préparer les voies. Dans sa note du 13 février 1730, il écrivait1 : ■ Je n'ai point
rencontré le texte lai in de I "Historié de France composée par Bossuet, ou
plutôt par le dauphin sous la direction de Bossuet. » 11 adoptait donc Topi-
iiioii soutenue par le cardinal de Bausset et que semble bien faire sienne, dans
sa lettre a M. Marchai, du 12 février I8S0, le savant M, GosseJin : « Le car-
dinal de Rausset, dans ÏBmlam de Bo&uri, 1VT n 1 p. 318 1, parle assez au long
de l'abrégé d'histoire de France. 11 fait connaître l'occasion de cet ouvrage et
l*-s raisons qui ne permettent pas de le regarder proprement comme (ouvrage
de Bossuet. quoiqu'il en ait dirigé la rédaction et rédigé même quelques frag-
ments, le cardinal, en donnant ces renseignements, avait sous les yeux les
manuscrits originaux de t'ouvra ce de la propre main du dauphin, avec tes
additions, corrections de la main de Bossuet f. *
On pouvait répondre a M. Gosselio, ou pour mieux dire au cardinal de
Bausset, qu il est loisible d'admettre, sans en tirer les mêmes conclusions, le
fait matériel et indéniable, signalé en ces termes dans I Histoire de Bossuet :
■ avons sous les veux, disait le biographe, les maniucnts ori<j mu iur de
I. Citée dans Tanaeie B du Mémoire* p. :
S. Ifcrf. Annexe A, p. tas.
CH FKÀCUOl IMlDIT De LEDIEl SLR L'hULTATICtf UV DAUPHIN. 131
celle suite de thèmes sur Y Histoire de France dictés par Bossu et au fils de
Louis XIV, La version latine et la version français* sont entièrement écrites
par M le Dauphin et porter L de nombreuses corrections et des additions très
considérables de la main de Bossuet1, n Nous avons vu que Ledieu avait eu
entre les mains, lui aussi, (es textes écrits de Ja main du Dauphin» mais sans
en être ébranle : car il ne suffit point de dicter à un élève une pajje <3«' lai in
ou de français » pour que le fait que la copie est de son écriture, L'en fasse néces-
sairement proclamer l'auteur.
Ici le sentiment du secrétaire de Bossuel, pour n'être pas infaillible, balance
a coup sûr l'opinion de Bausset» même appuyée sur une vue directe d'ùrujinaux
écrits de la main du Dauphin* Loin de dire avec 1 historien de Bossuet : *<■ Ou
ne conçoit pas comment on a imaginé d'insérer cette histoire de France dans
la collection des œuvres de Bossuel- », il est permis de préférer le soin pieux
avec lequel Ledieu fit copier, dans l'espoir de le publier un jour» ce travail du
précepteur « de monseigneur le Dauphin ».
H faut Doter, d'ailleurs, la différence mise enlre les deux textes, latin et
IVttDÇ&Ja, par les premiers éditeurs* Ceux-ci, « en 1747 (t. XI ci XII), écrit
M, Maréchal, voulant «ans doute faire aussi leur cour à Louis XV, alors
régnant, petit fils du Dauphin, disent V. Avertissement, p. xxni) que-- l'insti-
tuteur t'appliquait bcaucuup ping à corriger ce que Msgr Je dauphin compo-
soil en langue françoise qu'a ce qu'il êei ivoit en latin. Le latin, ajoutent-ils,
est aisé, pur, élégant, le françois n'est pas tout à fait de même. Il y a quelque
apparence que M. Bosquet eu usoit ainsi, pour que celte partie, qui êtaU
dâ$tmée à être mise en lumière, ne parût pas1 du moins par rapport â la dic-
tion, au-dessus de la portée d'un jeune prince qui était encore dans Je courant
de ses études* -i
11 est certain que le texte du dauphin sortait fort profonde ment modi.it' des
mains du Précepteur, après la correction du thème, dont celui-ci avait pro-
bablement fourni même le texte français, tire de Ja lèd action primitive du
dauphin*
Voici pour qu'on en juge sur pièces, à titre de spécimen , une page dont
l'autographe, eu un état de délabrement assez pileux, est conservé aujourd'hui
à la bibliothèque de Rouen11,
11 n'y a sur cette feuille, en très mauvais élat, que la traduction latine, for-
tement remaniée par Bossuet, de la pape ci-dessous, dont j'emprunte le texte
français à l'édition Lâchât, t> XXV, p. 108 et 106*
C'est le passade qui suit immédiatement le récit du dévouement d'Eustache
de Saint- Pierre, à la prise de Calais.
■ Ils étoient (ks bourgeois compagnons d'Eustache) sur Téchafand prêts à
recevoir le coup ', lorsque îa reine animal dans le camp intet&dtt pour eux.
Le rot leur pardonna à ta considération,
« Ensuite, après avoir fait une trêve de deux ans, dont pourtant la lîretagne
fut exceptée, ce prince victorieux repassa en Angleterre; quelque temps après
Godefroy de Charny, qui commandoit l'armée de Philippe sur la frontière de
Picardie, conçut le dessein de reprendre Calais par intelligence* Pour cela il
tâcha de corrompre Emery qui en ctoil gouverneur, croyant quï'lanl Lombart
fi. c, l. 1, p* 323, éd. de lêtl. Il s'agit sans doute des cahiers qui font aujour-
d'hui au grand séminaire de Meaui.
2. L.e>. p. 3-2J, note.
Il, C'est tout ce qu'on & pu me présenter, en dépit de la promesse du catalogue
Offrant sous la cote 3273 (côilectîoo Leber 5181) le titre Devoirs latins et français
du grand Dauphin corrigés par Bossue L On a, dit-on, depuis quelque temps cherché
en vain ce m.r, Je sai* que M. l'abbé Clu Urbain a obtenu celte même réponse. Puissent
ce» cahiers du Dauphin n'être qxfègarU cl souhaitons a la sollicitude de MM. les
conservateurs de La Itjbliolhèque de Houeti, dTôlre récompensée par la découverte
de l'introuvable manuscrit qu ils possèdent.
138 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
il se laisseroit plus facilement gagner, que ne feroit un Anglois. En effet il
consentit de lui livrer la place, moyennant vingt mille écus.
« Edouard, qui étoit vigilant et bien averti, découvrit bientôt tout le complot.
Il envoya ordre au gouverneur de se rendre auprès de lui... »
Je transcris, en caractères romains, le texte du dauphin, interligné par les
corrections de Bossuet, imprimées en italiques; les mots raturés sont mis
entre crochets.
A la marge supérieure, Bossuet a écrit une de ses corrections, destinée à la
fin du premier paragraphe, où, d'ailleurs, on la retrouve en interligne.
Excepta ea Eduardus victor (in ') Angliamrepetiuit navigavit.
Regina adveniens veniam petit [ignovit] rex eis veniato
pro iis régi supplicavit : [atque hujus demutn cujus
[dédit ejus~ precibus victus indictis induciis]
concessit veniam, tum induciis.
bienoalibus, pacteis (sic), ex quibus tamen
armorica ex ex ex excepta est [Eduardus]
victor in Angliam nauigauit.
Non ita mullo post Godefridus Charniacus
[exercilui Philippi praefectus] in picard ia? finibus
Philippi exercitui praefectus aninum induxit
in animo habuit Caletum fraude recipere
ideo quoad potuit effecit emericum praefectum
auro corrumpere aggress] tentavit ratus
[auro corrumperet ratus]
ad suas partes allicere exislimans hominem
ligurem [procliu i II ici] redimi qumn anglum
longobardum facilius corrumpi posse quam
Anglum. reuera consensit ei urbem tradere
negue eum spes sua fefellit namque is
modo ut [ei] sibi [dederent.] daret viginti mille num
[pro] viginti nummorum rnillibus urbem se traditurum spopondit
num [mos]-morum millia.
Eduardus animi sagax atque haud atque ad omnia
pro sua diligentia rem mature novit
inscius quid ageretur cito cognovit aseruit.
[praefectum ad se euocavit ;]
conjurationem misitqui praef0 dicerent
prœfectoque euocaot.
On voit par celte simple page, combien peu il demeurait du thème primitif,
après la correction de Bossuet.
Revenons aux notes autographes de Ledieu :
« M. de M. est de ces auteurs que leur matière éleue et qui s'éle-
uent aussi en mesme temps au dessus de leur matière, c'est ce qui paroist
1. In est surajouté au-dessus de la ligne, probablement pour condamner repeti-
Uvit qui, sans être raturé, semble abandonné, et la leçon Victor in Angliam navi-
gavit remplace sans doute dans l'intention de Bossuet : Victor angliam repetivit.
L'N FRÀGHË.vr IHÉOIT DE LKDIKI MU 1/ IPL CAI lu* Il L DAlMll^
IM
dans Je corps de philosophie qu'il a fait pr Msgr le Dauphin. Sun
Traitté de la eonnoissauc dfi Qiefl et d<* »oy annuel bit pour expliquer
la nature de Miami;* son corps, sou esprit et sïdeuor par la A la eon-
Doia&utâi dn dieu. auee un slile simple mais nohle et insinuant, il con-
tient la doctrine la plus suhlirne et les raisuniK-mens les pins forLs pour
prouuer l'existence de dieu. Il est plein de principes de physique, et
encore plus de metajiiivsÎLpir et de Tl néologie, les meilleurs esprits
«pu m ont eu çoniunicalion, oui désiré iju'il fusl donné au public corne
un ou u rage très iieces-ain- en ce temps, contre les libertins, utile et
1res*.. Me ? pour lu physique particulière. ♦,. de Platon et d'Àrîstote ne
tend qu'à*.*, dont.-.,
■ ■■iiiic d't uvip'ii dMU ligues.)
[P. 11] pour la mm-ale il a toujours dît qu'il n'en fallait puiser les
maximes q(u<*) dans la S'" écriture el dans l'éuangile. c'est aussi le
Iniidt raient d^ mm p*Ut tiaitlf de M'U-ale, qui ne contient qu'un simple
*.x t l'ait des Murales d'aristole auec ses drlintliuns et diuisions des vertus
-
L;i Jurisprudence si nécessaire a un grAJOd prince n'a pQi este oubliée
par un si -rand mai sire. Il en explique les principe^ h --eneraux
d'une manière 1res sue. m te.
En achevant eeev j'êjf recotiueii (' Vw-^-//Mr recouvré) une SOJH4 de
la lettre de M, de Condom au pape Innocent XI. du 8 mars 10 U 79. où
il lut explique la manière de l'Institution de Msçrle dauphin et le des*
Bffa M i 'exécution des ou orages dont je uiens de partir ; j'y renuoye
le lecteur, pour en es Ire mieux instruit l.
Au reste tous ces ouura^es1 sont en François et ont esté écrits de la
L C^tte note marginale, qu'un signe no us indique comme devant être placée iri*
nous apprenti que Ledieu écrivait tous ces détails avant d'avoir ttiti tefeM
Lettre Je 'mê&tirfiênâ ti*>îphini, ci que, par suite, nous avons altaîreà une source
riiauir et complémentaire de cette lettre*
On sait qu elle est imprimée dans Lâchai, dans un volume dilTérenL de celui iJes
l*etlres, en tête «tes ouvrages concernant l'éducation du Dauphin, I. XXII L p. 1*14
Mflf |« texte lutin* p» 15-2'J pour la traduction. — ElICOfl faudra-t-il au moins tfin-
iiiqu<?r dan* la série, dironok^iqiie îles Uilres, à 8a date du 8 mars 1670,
lieu it. Il], p. 13(1} donne QQelqMt 'Mail* sur colle lettre :
► voie*, à M. l'abbé Bossue!, y lit-on m fi ^ptembre 1107, la copie que je lui
ai fait Taii lliliit, p. 123} de la Lettre latine de feu M. de Meaux au pape
I « Les études et l'éducation de Monseigneur le Dauphin. C'est une
finale que j'ai sauvée du naufrage, car feu M. de Menus ne l'avoit plus,
et ji l'ai tirce dti mains du bon Janel chez qui elle se seroït perdue,.* Sans ma
diligence il (l'ibba Ba&suat] n'aurait point aujourd'hui cette lettre latine, qui est
ginal 6erit bien mieui el d'un meilleur lour que le frencoîi, qui n'en est
qu'une version assez imparfaite. Aussi fanl-il être assuré que l'auteur avotl eu
dessein de faire un ouvrage accompli t et non seulement pour le iiyk et l'exprès*
s\m% MU < rirm. pour les pensées* de sorte que c'est sans doute un de ses plus
qui contient d'ailleurs une bonne partie de sa vie. »
Il est difficile de savoir ai l'envoi fait a l'ahU ftoeeuef est postérieur de beaucoup
à cette découverte et, par suite! s'il faut dater de 1 7 (11 la note ajoutée en marge*
t. Ci seraient là des autographes, probablement détruite, qui eussent ele înlé-
ittU a retrouver, bi '<• que le grand dauphin fui loin d'être un caîligraphe,
ihier* de tbèmeit donl quelques fragments sont a Meaua, à Rouen et
u inaire de Siint-Suipice.
140
REVUE I> HISTOIRE LLTTtRAIRF DE LA FRANCE.
propre main de Msgr le dauphin dans les laçons qu'on luy en faisait :
pr en imprimer la doc l ri ne plus auotit dans son esprit : el c'est sur
son manuscrit que j'en ai fait faire des copies d'une bonne amie * qui
sont a paris.
Dan? la] Une grande marque de la cordialité dans laquelle M. de M.
uiuoil auee M. l'abbé de fenelon fut sans doute de luy abandonner
tout ce trauaîl pr s en seruir auprez de Mgr le due de Bourgogne el
dea princes ses frères. J'en suis bien instruit, puisque jay raoj mesure
dnnnO Jes nianuseriU el que je les ai retirez, La boulé de il. de M. a
esté jusqu'à permettre a M* l'abbé de fenelon de tirer une copie ÙB
toute l'histoire de france. Us en prirent tous aussi du Traittë de la con-
noîssance de Dieu et de soy-mesme, et en un mot de tout ce qu'ils uou-
lurent et de tout ce qui les accommoda : mesme M* l'abbé fieury el les
autres : et c'est ainsy qu'ils sont uenus a la cour tout instruits par leur
ancien maistre, douf ils ne pou uni eut se passer des viues lumières : et
qui ont] cependant ont poussé la malignité de leurs mauuais cœur jus-
qu'à tenter toute sorte de voye pour le rendre méprisable el s'éleuer au
tirs sus) de luy* car qui ne sait le discours de M. l'abbé de Langcron
M* de M, disoit-il est grand. : mais....
[P. 11]. 11 faut seulement se souuenir * que ces messieurs ont emporte
des copies de tant de beaux nuiiragesqu on vient voir* qui doiuenl être
une raison de les imprimer un jour sur de bonnes copies de M. <3> M.
de peur cTestre preuenus par d'autres qui le pourroienl, sur de mau*
uoises copies, qui se sont fort multipliées, sur tout celles Jfc /-/ no tuais*
mnee de Dieu el de sotf tue sine \
I* Quelle pou rail èlre celte copiste bénévole à qui Le dieu put confier la trans-
cription des cahiers du dauphin t IL faudrait croire que ces autographes avaient été
laisses à Bosquet el que par suite son secrétaire put les Un copier à son aise
par quelque dévote, comme on disait des peniteoles à qui leur confesseur deman-
dait de ces copies souvent confiées aui religieuses, Si tes écrits du Dauphin
étaient restés à la Cour, il faudrait imaginer qu'une des dames attachées A sa
maison était assez connue de Ledieu pour entreprendre cette besogne de coj>i-i<-.
Ea tout cas le telle de Ledieu ne me semble pas susceptible d'une autre lecture.
ï_ En face de ce paragraphe, en marge, en haut de la page on trouve inscrit :
3. Outre cette préoccupation de l'exactitude des copies. Ledieu a aussi, on le
voit, comme Jes autres familiers de BossueL eetk dfl faire ressortir les bienfaits
prodigues par son tnailre à Fenelon. Cest ainsi que Pheli peaux, dans sa Jfr/
ânr U Qutèii*me^ avait tellement accentué celte noie, que Bossu*1 1 lui- même avait
trouvé a reprendre à cet excès de zèle, - M. de Sleaus, écrit Ledieu, dans son Jounuti.
au samedi 29 octobre UQl (t I, p. 241), nous a parlé de la Relation de M. Phcli-
peaux sur le quiêtisrae, lui demandant s'il J'avoit revue depuis la dernière lecture
faite le 3 octobre précèdent, p. £26); qu'if croxoit nécessaire d'en retrancher ce
qu'il raconte d'abord de l'abbé de Fenelon que tournant toutes ses pensées du côle
de la Cour pour y devenir précepteur de monseigneur le duc de Bourgogne, il M
rendit encore plus assidu auprès de M «Je Meaux... etc. • — Cf. ce qui al dit au
jeudi fi octobre, p, V* : - Qu'il ne fallait point tant appuyer qu'il croyait qu'on
avait tait sur l'envie qu'a voit M. de l'abbé de Fenelon.,. de se servir du crédit
o> M* de Meaux... ni donner à entendre que M. de M eaux les eut en effet servis».,
i et Langeroui dans leur établissement à la Cour, i
avait donc à retenir son entourage, acharne à noircir rareheTêqiie Je
Ai: il est vrai que lui-même, si toutefois il en faut croire les comptes rendus
du Journal de Ledieu, se déclarait assez fortement contre celui qu'il
UN FRAGMENT IHÉOIT DB 1.EMRU SUR L ÉDUCATION DU DAUPHIN. 141
Dans ce trauail si sérieux de l'instruction de Mgr le dauphin,
M, de GôudoiD ne cessoït d'édifier la cour par toute sorte de voyes.
Sa vie lut toute ohrestienne et toute philosophique au milieu d\m grand
nombre d'amis, tous gens d'esprit et (/<■ lettré- s théologiens et philoso-
phe! ; gtoaa d'esprit] sans ueuê et sans prétension n'ayant d'autre occu-
pation que IVstude et ta couuersaliun, et d'autres plaisir que la prome-
na'le, Les Roules de SUiermain et celles de fnntaînebleau [sonT ont
toute la vie célébrées ch0i M. de M. parle souuenir de se* longues
promenades a pied; et chacun counoist en dernier lieu l'allée des phi-
losophes dans le petit parc de Versailles.
dcitl '.
Le Conciîfl établi chez M. de CondotO y attira tous les ecclésiastiques
de la émir. Ce lut une lecture de 1a S(" écriture qui commença de le
sejmir île la Cour a S1, Germain en 1673 un premier dimanche de
lauenl * a l'issue du sermon pr tenir lieu de vespres, parce qu'on ne
disoit point dfi vespres ni dimanches ni fesles dans la chappelle du
chasteau de S* Germain, si ce n'est aux grandes Telles qu'il y a office
pontifical ou que te seruice se lait par les officiers de la grande rhap pelle,
comme e'estoit Pauent on lut Isaïc dans [ce concile] cette assemblée
a qui s est demeuré depuis le nom de concile parce qu'un nV par-
tait que de science ule la) Slt? écriture el dafTaires ecclésiastiques et
que.... Relique de$idei*antur.
De/ 1672 le roi passa Thyucr a S* Germain : et ce séjour de la
cour demeura tue pr tu us les h y u ors jusqu'en Mï82. ou 83," on reue-
noit passer Testé a Versailles, et oii alloit d'un lieu a l'autre. Depuis
1682 nu 83] la cour fut tout a fait établie a Versailles : je l'y ni ueue de
ma connoissance depuis I G82. sans (rentrer?) du tout à S1 Germain*,
Lai douzes pages du précieux manuscrit de Ledieu s'arnHent donc Ici
sont les autres cahiers qui précèdent et suivent ce fragment? On a pu voir qu'il
nmpo&é sur le même plan que le« Mémoires, dout il forme probablement
unepiemiere rédaction, niais plus développée ut contenant par conséquent un
certain nombre de renseignements, claques par la suite, et dont restent tou-
jours avides Ions ceux qu'intéresse la mémoire de Bossu et ; latil est vrai le
mot de Fuutenelle sur Newton que M. FloqueL a raison d'appliquer à fîosssuel :
« Lu nom si grand juslilie les petits détails*. *
nommait* un parfait livpoerile *, Journal de Lcriieu, L c, p. SS2. — BossueL est
vraiment plus intéressant et plus beau an (Joncîte de Saint- Germai n, où nous le
montre la lin de ces autographes de Lediett.
L Ce tttre est en marge du paragraphe qu'il annonce,
lait par conséquent le 3 décembre. Les Mémoires^ p. tttô, nous avaient d^jà
fourni ci* Lie dale et cea de «ails, La Station, d après la Liste des prédicateurs, 6U.fl
prêriiùe cette année-là par • Le Hé ue rend l*ere Chausse inerT Docteur en Théologie,
Jacobin du grand couvent •. Mais il faut noter que la Liste (p. 4) l'indique comme
devant prêcher - Kn la ville, au Chasteau Royal du Louvre ».
V. Hurel. Le* f'rêdieatettrs de ta cour de Louis XI V7 L It p. ixvi.
i, L^tte note marginale, qui doit évidemment se rapporLeraux mois : dêsletf*joar
de la Cour à Saint-Germain en t$73t n'est rattachée cependant au LexLc par aueun
renvoi. De vrai, elle ne doit point y être insérée, mais c'esL une explication annexe.
4. Ftoquet, Bonnet précepteur, p, xi
t*9
Itl VI K D'iUSTOHti: MTTÊfLURE R£ LA FRAMK.
.» Tout cela, disait le lieutenant général Payen, après une lecture des
que Ledieu lui uv.nt faite, loul cela peint et fait connollre un homme
dont les moindres circonstances doivent être relevées*. *
Grâce au Journal de Ledieu, nous pourrions suivre, pour ainsi dire jour par
jour, ta composition des Mémoire et, p;ir suite, dater le fragment cidessu=, au
moins d'une faeon approximative. Il semble bien que c'est peu de temps après
la morl de Bossuet, vers le 2U avril I7i!r. que l'abbé Bossuet demanda à
Ledieu « de faire un mémoire des principales actions de M* de Meaux* *.
C'était surtout eu vue de l'oraison funèbre et pour fournir des documents
au père de La Rue qui avait accepté officieusement dès le 15 avril, de la prê-
cher*. « J'ai commencé, écrit Ledieu, le mémoire que l'abbé m'a demandé
pour le père de La Rue pour servir al oraison funèbre1 *, et l'auteur nous tient
au courant des différents cahiers >ur cessivement rédigés, «décrits », c'est-à-
dire mis au net et envoyés a l'abbé Bossuet, parti pour l'a ris dès le $2, * J'en-
voie à M, l'abbé Bossu et, écrit-il le dimanche 21 avril, trois cahiers de mes
mémoires contenant les ouvrages de M. de Meaux par date, et sa vie patli-
euhere depuis sa naissance jusqu'à sa prêtrise., je continuerai jusqu'à son
é[iUcnpaL et son établissement a la cour, comme je promets à L'abbé RosMielet
je pourrai en demeurer là, le reste étant connu et plus clair que le soleil par
les ouvrages publics et tant d'actions éclatantes b, »
Ll est pr diable que les fragments ci -dessus ont été écrits vers le milieu de
riMi 170k On voîl que, le *J mai, Pabbé Rossnet dit à Ledieu m qu'il est con-
leut des mémoires, qu'il les trouve bien écrits, ot le prif instamment de b-s
continuer même dans le plus grand détail o qu'il pourra; « mais cependant,
écrit Ledieu » il me prie de faire pour le père de La Rue, un mémoire fort cou ri,
et seulement par dales des actions de M. de Meaux depuis 1680 et son épiscopat,
qui est le temps de ses grands ouvrages et de ses grandes actions0 »,
Désormais Ledieu distingue, dans son Journal, le grand mémoire de ee
résumé destiné an père de La Hue, Celui-ci cependant dut avoir connaissance
L V. tome II du Journal de J^ediett, M juin 110 1, p. ISO. Il y a dans ce passage
une erreur île IVdilmr Guetté* et ta nota de la p, 120 est inexacte. A propos de li
phrase ,* « II il*ayen) approuva dans les Mémùfrm la restitution de ta lumne el vont
que je transcrive aussi tout au long l'extrait «lu sermon de saint Augustin mis en
tableau dans la chambre de M, de Meaux », Guettée a écrit cette note : « II --"â^i L iri
de l'endroit que d'autres critiques lui avaient conseillé de supprimer. » Mais la
lacune m> concerna nullement le texte de Ledieu, d Pend roi t qu'on voulait lui
faire relftncher, comme rapportant de trop minces détails, est relui ob tes Mémoin»
racontent comment une lacune» dans les œuvres de saint Augustin, lui nunblee par
Bossuet, lequel a restitué le texte incomplet de l'édition des Bénédictins. (Cf. I. XI,
méa 't tmviqenéa m i, V, p< 131:*, Serm. 29H, n* 5. V. Migne, L XXX VIII, cob 1370.)
• Ll s'étoit Tait, lit-on dans les Mémoires, une telle habitude de son style, de ses
principes et de ses paroles mêmes, que par son bon goiït il a rétabli une lacune
de huit lignes dans le sermon ccxcix de l'édition des pères Bénédictins, etc. -
V* Mémoires^ p. 54* C*esl à ee même endroit des Mémoire» que Ledieu parte d'un
passade du sermon 3fla que Bossuet avait fait copier et encadrer dans sa ebambi-'
Les éditeurs du tome V, regardant ce sermon comme douteux, l'avaient omis, mais
les additions du tome X Pont restitué mit la foi de Bossuet. IL est étonnant que
l'éditeur des Mrtnotrcs n'ait pas reconnu au passage, dans le Journal l'histoire de
ta taetwe, De Foris (L Xll, p. i-vi) cite du reste une lettre h L^i de MfcttiUoo du
6 aoiU 1700, où il est question de cette lacune, et Ledieu en parle dans son Journal
au il octobre 1700, t, 1, p. 157. note 1.
2. Joutnni, t. It p. 106.
3. ftftf., p. 102.
4. ibid., si avril no*t p. tnr>,
5. V. op. cit., p, 109. Cf. p+ HO l'indication du contenu de chacun des cahiers
envovês les 28 avril, T', % 3, i et 5 mars, conduisant la vie jusqu'à l'époque de la
nomination à iVvôché de Condom et â la place de précepteur.
G. Ledieu, Journal, S mai i 104, p. lit.
UN FRAGMENT INEDIT DE LEDIEU SUR L EDUCATION DU DAUPHIN. 143
de tous les cahiers déjà rédigés, car une lettre de lui « demande, dit Ledieu,
la suite de mes Mémoires qu'il trouve trop éloquens par manière de raillerie; il
les demande plus simples et surtout la vie de la cour1. »
Si le père de La Rue se plaignait aimablement que les Mémoires ne lui lais-
saient plus assez à faire pour se livrer à l'éloquence, l'abbé Bossuet tirait, lui,
grand parti de leur lecture pour sa lettre au pape, datée du lundi 5 mai, con-
tenant une relation de la vie et de la mort de M. de Meaux. Ledieu remarque
au 12 mai, qu'il y a reconnu ses Mémoires, bien que l'abbé déclare s'en être
peu servi et seulement en un point 2. Toutefois la lettre envoyée le mardi 6 ne
peut avoir mis en œuvre les détails concernant le préceptorat que nous avons
lus plus haut. C'est seulement au 14 mai qu'on lit dans le journal de Ledieu :
« Mes Mémoires sont prêts : j'ai poussé le.grand jusqu'à la fin de l'éducation
de monseigneur le Dauphin, 1680, où j'ai compris la vie de la cour, le concile
et les antres choses particulières 3... »
C'est bien le sujet traité dans les douze pages reproduites ici, et cela devait
répondre au neuvième cahier envoyé par Ledieu, avec le reste du travail, « à
Paris ou à Pontoise au père de La Rue, en date » du 15 mai 1704 *.
Donc, sauf les différences de rédaction avec les Mémoires imprimés, notable-
ment plus courts, notre manuscrit doit être, à peu de chose près, daté du mois
de mai 1704.
Quant à l'usage qui peut être fait des renseignements contenus ici, on con-
viendra qu'en ce qui regarde par exemple le Discours sur Chistoire univwselle,
VHistoire de France, la Politique Urée d* l'Écriture nous y trouvons de quoi
servira un travail intéressant, resté neuf ou à peu près. Il y a déjà quinze ans
et plus que M. A. Gazier écrivait, dans la préface de son édition classique des
sermons (1882) : « Il y aurait à faire une histoire des œuvres de Bossuet qui.
pourrait être bien intéressante. »
Pour un certain nombre des ouvrages de Bossuet, grâce à ses lettres, ou,
s'il s'agit des dernières œuvres, grâce au journal de Ledieu, on peut en suivre
la genèse et la composition, pour ainsi parler, d'heure en heure, et cependant
cette histoire restera très probablement longtemps encore à écrire. Elle serait
aussi vaste en effet que l'action de ce grand évoque, et ce cadre effraiera peut-
être toutes les entreprises. Ne peut-on espérer du moins que, suivant la
méthode de la division du travail, quelques monographies rendront possible
un jour une œuvre d'ensemble. Et, puisque les monographies elles-mêmes ont
besoin d'être préparées par des labeurs plus modestes, je souhaite que tout au
moins la publication de ces notes serve quelque jour à qui voudra écrire l'his-
toire des ouvrages composés par Bossuet durant son préceptorat.
E. Griselle, S. J.
1. Ibid., 12 mai 1104, p. 113.
2. IbitL, p. H2.
3. Ibid. y p. 1U.
4. Ibid,, p. 114.
COMPTES RENDUS
Henri Es tienne et scm œuvre française, étude d'histoire littéraire et
de philologie, thèse présentée à la Faculté des Lettres de l'Université de
Paris, par Louis Clémf.nt, ancien élève de l'Ecole normale supérieure, pro-
fesseur au lycée Jansun de Sailly. — Paris, Alphonse Picard et fils, éditeurs,
1898, in-fcK
La première chose qui frappe dans ce beau volume de 538 pages, grand
in-octavo, d'une impression nette, maïs extrêmement serrée, et presque
toutes amplement munies de noies et de références, c'est la somme considé-
rable de connaissances et de recherches qu'il représente. Comment résumer
celle longue et consciencieuse enquête sur les mœurs et la langue du
xvi* siècle? Heureusement que Fauteur s'est chargé lui-même de ce soin et
qu'il nous a très habilement exposé son plan, m 11 va sans dire que nous
n1 ivons pas eu la pensée téméraire de prendre Henri Ëslienne tout entier,
soit dans sa vie, soit dans la multiplicité encyclopédique de ses ouvrages et
de ses éditions. Mous avons délibérément circonscrit notre étude à sou (BUfffi
française, en la considérant successivement sous son triple aspect biogra-
phique, littéraire et philologique, — Même ainsi délimité, le sujet était sans
doute assez vaste pour effrayer notre courage, mais nous n'avons pu nous
restreindre davantage , sans être trop incumpleL Comment étudier chez
H, Estienue le grammairien en négligeant lécrivain, s'il est vrai qu'il a été en
même temps et dans les mêmes livres l'un et l'autre! Comment connaître le
satiriste et le polémiste sans interroger l'homme? Car celte œuvre française
a une histoire qui se mêle étroitement à la vie de son auteur. De la, les deux
parties essentielles de ce travail, avec l'introduction où nous avons cherché,
du point de vue auquel nous étions placé, à retracer la figure morale
d'Eslieime. Mais devions-nous laisser de côté systématiquement ce qu'if avait
écrit en latin ou en grec? N'est-ce pas dans les préfaces de ses éditions, comme
dans ses lettres familières, dans ses traites didactiques, dans ses poèmes
latins qtfEslierme s'est plu à raconter sa vie? Il y a plus : c'est parfois dans
cette prose latine ou dans ces vers latins qu'il faut chercher l'idée première
ou le complément de tel livre français... Pour comprendre le traité de la
Conformité du langage français avec le grec, il est bon d'ouvrir le Thr.<fiurus
tjrfirrar Hnguts*. Lfi Qf (atifiUaU fnlso suspecta est d'un bout à l'autre et à
chaque ligne une comparaison entre la langue de Home et la nôtre. Bref tout
se tient dans l'œuvre comme dans la vie d'Ëstienne. »
Impossible de reprendre plus adroitement d'une main ce que l'on a cédé
de l'autre, et voilà certes un programme habilement tracé. On n'accusera pas
M. Clément de n'avoir pas su le remplir, on dirait plus volontiers qu'il l'a
peut-cire un peu trop rempli, mais tout d'abord il y a plaisir a enregistrer
avec lui les résultats acquis par ses investigations. L'histoire des ouvrages
dïknri Esliemie et drs persécutions qu'ils lin oui valu nous est raronléfl ifÔ0
une exactitude minutieuse, & tel point qu'un chapitre tout entier est consacré
à « l'affaire des épïgrammes a. Ceux qui aiment les renseignements biogra-
COMPTES RENDUS.
I4S
phiques en verront ici de nouveaux sur un sujet qui semblait épuisé après tant
de recherches antérieures : textes, dates et documents de loule sorte, M. Clé-
ment a su trouver de l'inédit dans les imprimés comme dans les archives, et
il réserve une partie de ses trouvailles pour une prochaine publication, La
bibliographie et l'histoire littéraire ont leur tour. M. Clément, qui avait déjà
recouvré un ouvrage latin perdu de la vieillesse d'Henri Estienne, le De Sena-
tutu [oemiiutyum, n'a pas eu la main moins heureuse pour son œuvre Iran-
raise. Il a mesuré très habilement Ja part d'Estienne dans la composition si
discutée du DiêCOWS merveilleux contre Catherine de Médicis, et it semble
bien avoir définitivement résolu un problème difficile signalé par M. Gaston
Paris, en restituant au même Estïenue une partie notable des jolis contes
publiés sous le nom de Bonaventure des Periers* Mus loin, sur une indication
de M, Brunol, il a ingénieusement discuté un commentaire inédit d'Henri
Estienne sur Jonchim du Bellay; grâce h lui nous pourrons connaître le juge-
ment du grand helléniste sur les poètes de la Pléiade, jugement curieux el qui
rappelle ce que certains savants de nos jours ont dit des poésies de Leçon te
de Lisle. Ce commentaire trouvera certainement sa place dans une réîm-
prô&SÎon des omvres de Joachini du Hellay, que je souhaite prochaine, et qui
il nue bonne alTaire en m*1 me lemps qnfune bonne action, au prix où se
vend l'édition épuisée de M. Martv -Laveaux, Maïs la partie principale de ce
liwe est consacrée à Henri Estienne grammairien. On a retrace sa longue
résistance à l'jnlluencc italienne, on a recueilli et discuté toutes ses idées el
ses théories sur tes patois, les proverbes et les vocabulaires techniques, sur les
richesses de la langue française et les divers fonds qui la coctétituent, sur1 sa
prétendue conformité avec le grec et ses véritables origines latines. Toutes ces
théorfei sont exposée^ avec un souci de Vexuclitudc des plus louables, un
soin et un scrupule infinis, une abondance d'exemples vraiment précieuse,
niais peut-être aussi» oserais-je te dire, avec un luxe de restrictions, de correc-
tionnel d additions de toute sotte peut-être excessif, A voir tout»' la a ience que
M. Clément se croit obiigé à$ déployer à côté de son auteur pour te compléter
ou le redresser, on craint malgré soi qu il n'ait un peu exagéré des mérites
pourtant 1res grands pour le xvr- siècle, et lou m* péril s'eH)p$cJl£r dfl trouver
qu'Henri Kslienne passe un peu trop souvent du piédestal à la sellette. Mais
: trop insister sur une impression personnelle. Hlie sera facilement cor-
rigée par tous ceux (et ils sont nombreux ) qui, au lieu de lire ce volume d*un
Kraft* la garderont sur leur table de travail el \r consulteront assidûment
pour l'explication des auteurs si difficiles du xu° siècle. Ces lecteurs- làf pour
user d'une vieille locution, ne son^eronl ^e plaindre que la mariée
soit Irop belle, ou cette thèse trop riche, mais seulement a remercier M, Clé-
ment de tous les secours qu'il met si libéralement a leur disposition. Âi-je
besoin d'ajouter que je suis le premier à me joindre à eui, et à reconnaître plei-
nenttous les mérites d'un excellent livre?
Quelques notes pour terminer et pour répondre à loutes celles on M. Clé-
ment a posé ou résolu tant de menus problèmes. P, SI. Les »i sermons de
Barlette « sooUîla de Mariette 7 Les auteurs de la Bibticthéqm di Cûrdre tira
heurs mil des raisons et des textes pour en douter, P. 360, ilGL L'ouvrage
espagnol le plos connu des Frmaeaif du xvr siècle ne seraîl-il pas la ftfteslfotf,
.le s» a bonne doctrine >s, au dire de Clément Marot, et qui eut au moins six
traductions ou éditions françaises de t52Tà 161*8 (cf. HagoJfl, Jounuff rfel ftOttMfl,
el Catalogue Soleinm , tome IV, p. 157 à tO). Henri Kstienne ne l'aurait il
pas lue? Elle n'était pas faite pour lui déplaire. P. 3?0. L'étymologie, le sens
et l'histoire du mot Ragot étant également difBctlee, peut-être ertt-il convenu
de renvoyer à la longue notice qu'A* de HûQUiIgloD a consacrée a ce person-
nage (Recueil des poésies françaitôt de$ XV et ZVt siècles, l. V, p+ Vtf h i H).
P, 179. Il est question de deux pièces satiriques de Joachim du Bellay, publiées
en 135'.*, la Nouvelle maniera de faire son profit des (etirtf, et le Porte courtisan*
RtT. DHIST, UTTÉR, DE LA FilAWCi: (7' ÀUtl.). — VU. 10
146
ItEVl'E t> MSTOIWE LITTKHAinii DE LA F1USCE.
u Ces deux pièces forment un nu me tout cl elles sont d'une ironie assez âpre
pour avoir réconforté le cœur de Henri iïslienne, » EL celle autre pièce sur la
médecine * italianisée >\ qui a paru la même année 1539, à Paris» avec un privi-
lège du 25 novembre ISfffl Y a-t-îl beaucoup de satires d'une aussi belle venue
dans ta poésie du xvid siècle? Et connaît-un beaucoup de vers aussi pittores-
ques avant Régnier"?
Le Médecin Court izan* ott ta nom file el plus
courte Manière de parvenir ù ta traye cl
solide Médecine.
A Mesure DORBVNO.
Que nous sert plus longtemps raeourcïr nostre vîet
Epluchanls les secrets de la Philosophie?
Que sert, pour le plaisir de ces menteuses ijeurs
Aeravanter nos ans de cent mille labeurs
Et geiner de soucy nostre Ame, et&priaomièe
Pour un art mensonger, plus souvent des tournée
À contempler tes corps de ce grand Univers»
Le mouvement du f li -- 1 , on droit ou de travers.
Les vens, les tourbillons, la neige et les orages,
Et les impressions des célestes images?
Que sert de distiller nostre cerveau pensif.
Quarante ou cinquante ans, pour un mestier tardif;
Chercher et rechercher raccordante harmonie
Des quatre corps divers en une mesme vie;
Sonder au plus prorond des secrets arrachez
Du cœur de la Nature! où il [*] esloyenl cachez;
Accorder le dîscord si quelque guerre estuue
Pour une inimitié au corps est survenue?
Cela ne peult sinon que tourmenter en vain
Kotire esprit trop grossier, trop foible et irop humain,
Comme si nous pouvions avoir laeognuissance
h. ce dfttt tel plus tins rapportent q if ignorance;
Comme si nous pouvions coRnoistrc ferme ment
Les causes, les effets de tout le Or marnent,
81 la perfection de noslre âme divine
£<>ubs l'Odlbre *me Ton est Docteur en Médecine.
lit qu'on a, feuilletant l'œuvre de Ci a lien,
Ou du vieil Hippocrate, appris Tari Dclien.
Tout cela ne noua fait que mifcératolcfl vivre,
Avancer nostre mort, ou vieillir sur un livre.
Or je te veut* monstre rt Dorbuno, comme il fauli
Sans ce meurtrier soucy n*avoîr jamais défault
in réputation et de bonne apparanee
Bntre les plus fameux de cesle heureuse France.
Je le veulx par ces vers descouvrir le moyen
Qui fait, sans llippocrate et sans un fïelien
Et sans l'escript faseheux d'une Pratique indigne
D'Egioàte ou Gourdon, savoir la Médecine.
11 ne te faull longtemps remascher le laurier;
Il ne te faull veiller, ainsi qu- L'esCOlier
J usques ù la minuit , .♦.,
Et que faut-il donc? Apprendre quelques recettes d'apothicaire, griffonner
des ordonnances illisibles, prendre un ton d'oracle, se pousser a la cour,
Ainsi donque avancé, il te failli contrefaire
Du grand et du sa va ni, et toutes fois complaire
À ceux desquels tu peux arracher du prolict.
Avoir lousjours en main du gingembre confïct,
iuMPTKS h i:\DUS. 147
Pour en lin du repas le présenter à Lahte.
EL Le monslrer ainsi honneste et serviable,
une cuillîer en donner à Monsieur
Et à sa mieux aimée, aflin qu'en sa faveur
Tu sois le bien venu, quand Lu auras affaire
De L'argent et support de son Prolhenotaire.
Si lu es appelé pour aller visiter
I ii malade, il le fautL pour mieux le contenter
Kt pour mieux arracher p rôti IL de Bon dommage,
Ayant veu son urine, ordonner un potage.
Qu'il failli iiiitfn.irdeuieut Loy mesme assaisonner,
Tas ter >il cr,i salé, toy mes me lui donner
De Paesle du poulet que Lu miras fa ici cuire T
Toy inesme Le couvrir, loy mcame 3e conduire
A la selle persêe, et dans les excréments
Priser les beaux elTecLs de les medieainenLs.
II faull dire aux parons que pour la maladie,
Or que ce ne tast rien, le danger de la vit
Esl fort à soupçonner, mois que lu pense bien
Qu'avec [que] Ion moyen le Lout ne sera rien.
Ainsi uni devant nous leur richesse augmentée
Mille H mille Tuicant, dont la grandeur vantée
Apporte la bravade a leurs Coyous nep^
Qui sçavenl finement ensuyvre leurs aveux
El ont desjà si bien endormi nos S y rai nés,
El faict siller les yeux de nos raisons humaines,
Que nous n'esLi nions rien sinon que ce qu'ils font,
Ores qu'ils faeent naîslre une souris dTun mont,
Et, à nostre dommage cssaynnU leur folie,
Vendent le vain orgueil de quelque comédie.
Si j'ai fait de si longs extraits de cet le pif1 ce, ce n'est pas seulement parce
qu il est toujours bon d entendre de bons vers, et que ceux-là, quoique cités
dès 1863, d après l'exemplaire de la Bibliothèque Maiarine, par M, Baynaud
dans In Médecine et les Médecin* >itt tcmp& de Molière $ p. 81, et réimprimés en entier
en 1875 d'après un exemplaire identique dans le iieviteîl de Pùé$it$ françw
v et xvr tiècies*., réunies et annotées par MM- Anatole de Monlaigion et
James de Rothschild (L Xt p, 96 à 109} n'en paraissent pas moins, sauf erreur
de ma part, complètement oubliés; mais encore parce qu'ils me semblent
devoir attirer tout spécialement l'attention de H. Clément. Il vient d étudier
de très près, dans son intéressante thèse latine» les deux pièces de Joachim du
Bellay, le Poète courtisan et la Noact'lle manière de faire son profit dm U-ttresi, et
il a réussi, ce qui était difficile, à compléter sur quelques points les recherches
antérieures de M. Bonnefon. Puisse-til avoir la nu: nie bonne fortune pour Le
Médecin courti$an% au sujel duquel on voudrait bien être fixé une fois pour
toutes. Et d'abord le destinataire de cette épïtre satirique, Messere Dorbuno,
esl*»l bien le médecin italien Doidonus ou Dordunus, comme le dit je Docteur
Alfred Fournies dans une noie de L'édition de 1 875 ? (p. 97, 100.) H faudrait
d'abord prouver que cet Italien est venu, a joue un certain rôle à la cour de
France. Et puis quelle raison plausible d'estropier son nom? Ne serait-il pas
plus simple d'admettre que Dorbuno n'est que l'anagramme d'un nom fran-
çais comme Bourdon, d'un jeune médecin a ses début! auquel on conseillerait
ironiquement d'adopter un pseudonyme italien, en même temps que tout
le charlatanisme d'outre-monts? Toute la salin- ei la conclusion en particu-
lier ne s'expliqueraient-eîles pas mieux dans cette hypothèse?
Jusqu'ïcy, d'Orbuno, j'ay monstre l'artifice
De pouvoir acquérir la Science nourrira
Par un moyen plus court que n'ont pas faict tous ceux
Qui ont laissé L'amour du Loisir paresseux,
148 RtWK D HISTOIRE UTT&fUlfUE DE LA FRANCE.
Et, pourtant que je sça\ qu'en vain Lu te lourmante
D'acquérir par Ravoir la voix a p pi nu d Usante
De ce monstre d« Court, j'ay descrïpt le moyen
D'eslre bon médecin sans Claude Galien.
En tout cas, ce qui importe le plus, eesl le Dom de l'auteur. Le Médecin
cotai i m tn est il sorti de la même plume que le Poète ct'itii'tisan, comme les
savants éditeurs de 1875 étaient tentés de le croire? La question vaut la peine
d'être élucidée*
LU ILE HO Y,
ÏUyuond Toi net. — Notes pour servir à V histoire littéraire du
X VII* siècle. Quelques recherchât tiuioiie des poèmes héroïques- épiques fran-
çais du XVIt* sièclt. Tulle, Crauffon, 1890, I-XXXVI, et 1-304 p. in 12.
Sous ce litre modeste, M, Raymond Toinet vient de publier une bibliogra-
phie à peu près complète des poèmes épiques du xvu" siècle, si peu étudiés
jusqu'à ce jour, et qui nous apparaissent de loi a à travers les réquisitoires et
les railleries de Boileau» S'iLfait entrer dans le cadre de son élude les œuvres
burlesques et les traductions, il a laissé de colé tout ce qui n'appartient pas
proprement à l'épopée; pour bien marquer les limites où il simienne, il
adopte le ternie héroïque-épique ; il exclut ainsi tout ce qui nTest qu'héroïque,
cesUà-dire bon nombre de productions dramatiques ou lyriques, auxquelles
les poêles de ce temps, par un fréquent abus de lan^a^e, ont donné eu nom. La
plus grands partie du livre est réservée à rénuméralion des auteurs el des
pué- mes, qui comprend 3UG pages et 94 numéros. Pour dresser ce catalogue rai-
sonné, te Critique a du [dus d'une fois suivre Goujel ou d'autres érudits ; mais
presque toujours il a lu les textes originaux, et ce n'est pas un faible mérite.
IL les commente brièvement, avec goût; sa science de bibliophile lui permet de
fournir une liste aussi exacte que pussible des éditions, il a même la bonne
fortune de posséder dans sa bibliothèque la plupart de ces rares volume*; enfin
il a su recourir habilement aux indications des catalogues anciens et modernes,
il ne tenait qu'à lui de faire un travail plus littéraire, mais il s*est bien gardé,
el avec raison de reprendre» pour la développer et la corriger, la thèse déjà
vieillie de M. Duchesne; il s'est contenté de&quisser dans sa préface l'évolution
de ce genre, qui fut, au xvu0 siècle, si opinuïtrêment et si vainement cultivé.
Ces pages sont complétées et pour ainsi dire illustrées par l'analyse même des
œuvres. L'influence de Ronsard el de Du Bartas prédomine jusque vers
1 .m \ùt\i chez les disciples attardés de la PUUute. C'est le temps où Ton voit
paraître les A de la France de Jean Heudon (1602), VHepUmeron delà
irride de Pal m a Cayet (16DÎ), la Fro natif lr de Pierre Drkiinlun I \«-i
liers (1604), le itère de lu Fntiicitidr de CL Garnier (1604) Je cinquième et le
sixième livre de la Franciade, de Jacques Guillaut (1306-1615), la Semaine de
Christophe de Gamou (IGÛl»), où se trouvent des vers élégants et sincères,
d'une douceur un peu molle, mêlés à des outrances et à des bizarreries telles
que « la prosopopée du cormoran », m l'apostrophe de l'autruche «, dont la
mention rapide égaie ta nomenclature parfois aride de ces innombrables
poèmes. Celte école des précurseurs est du moins, comme l'indique avec jus-
tesse M. Toinet, u curieuse el vivante »>, Mais les pédants surviennent vers 1050,
publiant a lenvi ces œuvres démesurées et informes, composées laborieuse-
ment» suivant les règles, écrites le plus souvent dTun style emphatique et où.
les valus ornements de la rhétorique ne peuvent suppléer au ruauque de sin-
cérité, lleaueoup de ces poètes oui du moins réussi à faire passer leur nom
jusqu'à nous. L'auteur les nomme km s, mais il ne se trompe pas sur leur
mérite; ii ne tombe pas dans ce défaut, propre à de nombreux critiques, et
comptes Rt^ncs.
149
qui consiste à surfaire l'importance du sujet traité; nous le trouvons même
bien sévère pour le Cfanù de Desmarets, qui n'est pas « illisible », tant s'en
faut ! h du premier vers au dernier, j* M. Toinet a rarement cédé au plaisir de
réhabiliter les esprits médiocre?, que la faiblesse des autres fait ressortir par
rrmiraste; il rend justice à Brébeuf, il il a raison; il tire aussi de son obscu-
rité uu certain Nicolas Levasseur, qui dans lt$ Èrénrmmts illustres oit t'Entre'
ttrti dit Pornos**, série d'épisodes épiques exempts de banalité, lente, bien
timidement, il est vraït une sorte de du tiHlet* Cette érudition fine
et précise reste impartiale. Nous n'avons constaté qu'une omission : Jean de
Schclandre et sa Stuarid* ne sont pas mentionnés. De mr-me, puisque
M, Toinet poussait le scrupule jusqu'à indiquer fréquemment dans ses notes
des monographies et des études diverses» il aurait pu encore être plus com-
plet. Tel qu'il est, ce livre sera utile aux historiens de notre littérature; il
leur oflre une solide base de travail.
IL Hailuamk
M, F.-T. Perret
L.-H, May, 1899.
La Littérature française au XIX3 siècle. Paris,
Je m'en voudrais de ne point donner ans lecteurs de îa Rrvue d'histoire Htté~
retire de la France un bref compte rendu du livre de M. Perrens, pour deux
raisons que je sollicite la permission d'ex poser en commençant- D'abord, c'est
là un ouvrage fait de main de maître, et d'un maître arrivé au sommet, non à
la lin, de sa carrière; et puis je rencontre tel une occasion d'affirmer publi-
quement ma respectueuse affection a ce haut et bon universitaire, couvert de
titres et d'ans si remplis [voir p. 194, not. 1], et qui a bien vouïu^n m'adres-
sant sa plus récente production, inscrire sur la paye de garde uu mot tou-
chant de souvenir amical.
Or, cetie note personnelle est la caractéristique de l'onivre que M. Perrens
a conçue et parachevée à la façon des narrations du bon Hérodote, Nous trou-
vons avec plaisir de l'histoire littéraire vécue, et ce n'est pas le moindre
mérite d'un livre qui, venu après ceux des N isard, des Uruoelîère, des Lin-
tilhac, des Lanson, des Faguet et des Doumic, n'ayant aucune prétention à
l'érudition allemande, éclaire d'anecdotes souvent piquantes, toujours in édiles,
le caractère et, par suite, les œuvres des différents écrivains de noire temps.
On ne s'attend pas a ce que j'analyse celle v Histoire sommaire », digne
d'être placée entre toutes les mai os, et qui contient la période séculaire d'où
nous ne sommes pas encore sortis, — travail délicat entre tous, De l'aube du
xjx* siècle, avec les écoles de Voltaire et de Rousseau, jusqu'aujourd'hui,
M. Perrens nous informe sur les initiateur* de noire époque, Umv de Staël
et Chateaubriand, nous montre la littérature du premier empire, anémiée
et rachilique, et l'élan libertaire qui amena la rénovation romantique* Nous
rencontrons, au cours d'un agréable voyage, la poésie, y compris celle dei
symbolistes et des décadents, l'histoire et ses annexes les mémoires, la cri-
tique littéraire et scientifique, la philosophie, le pamphlet et le journalisme,
le roman et le théâtre, L'éloqueace de la chaire et de la tribune. En foule se
pressent sous une plume a 1er le les noms familiers : Hugo, Lamartine, Musset,
Vigny, et Fi m passible Leçon te de Lisle, le bohème Richepm, Duplessis, Borju,
Verlaine, Mallarmé; — Aug, Thierry, de Parante, (luizot, Mi^net, Michelet,
Thiers, et Vaulabelle, d'Awmale, Fustel de Coulanges, et même Monod et
Vandal; — Ville ma in, Saint-Marc Girardin, Planche, D* N isard, Sainte-Beuve,
Scherer, Faguet; — Laromiguière, l'ineffable Cousin, et ses disciples Jouffroy,
Saisset, Simon, Levêque, ainsi que Bouillïer et Janet, déjà disparus à l'heure
où j'ai lu les lignes que leur consacre M. Perrens; Àug. Comte, Renan, de la
m
R E ?tJ E U IU ST01 RE LITTKR A IRE DE LA KR A * C K ,
famille des Français graves, Taïne, le mallre, et Darntesteter, ce digne
élève; — Cormenin, Lamennais, Quiuet, Tocqueville, Lantrey, Prévost-Paradoï,
figure tragique; — Stendhal, G* Sand, Sue, Saudeau, Murger, Feuillet,
Dumas père, Balzac, Mérimée, Flaubert, les frères Concourt, Zofa, Maupassant,
À. Daudet, À bout, Cherbulîez, Theuriel, Bourget, toute celle flore tantôt ano-
dine, tantôt vénéneuse, épanouissement fantastique de l'esprit de notre géné-
ration névrosée, éprise concurremment «les grands coups d'épée et des étude*
sentimentales, du panache et du cloaque, amoureuse à la fois du roman
d'aventures et née au roman psychologique, courant applaudir sur les scènes
es plus diverses Augier, Dumas fils, Saxdou, Pailïeron, Labiche, Reeque,
Brieux, lier vieux, Donnay, de liornicr, Coppéc, et Lavedan l'académicien, et
Rostand qui pourra l'être; suivant les conférences de Lacordaire, deRavïgnan,
tes cours de Caro, dWulard, de Larroumet, les lutles à la tribune d'Odikm
Barrol, de Dufaure, de Ledru-Rollin, de Michel de Bourges, de Falloux, de
Favre, de Ganibetla.
Comme M. Perrens, j'en passe en cette longue énuméralïon, — selon sa
parole, non omnia ptmumuà omurs, — et j'en viens avec lui à cette conclusion
optimiste que notre siècle si agité et si critiqué fera bonne ligure, avec le
recul des ans, à côlé du svjr et duxvu"; que la comparaison ne lui sera certes
pas de tous poinls défavorable et que même, pour les sciences sociales,
politiques, économiques, pour les découvertes, pour l'industrie, il pourra
revendiquer une notoire supériorité. Littérairement d sern l'époque de la
critique documentaire et fouillée, de la philosophie fondée sur une base autre-
ment solide que celles du sentiment, et nous, qui aurons vécu d'une existence
plus pratique, qui serons passés dans le domaine des faits contrôlés et réels,
après notre longue excursion dans le pays chimérique de la théorie, de
l'idéal et du rêve, — pour lequel nous gardons un coin de tendresse, — nous
verrons finir le xu° siècle avec la sérénité d'âme que procure la conscience
ferme d'un progrès réalisé.
PlE&RK BRUW.
PÉRIODIQUES
AcAdentj* — N° 1421 ; Ma n toux, La jeune France et le vieux Shakspcare* —
NQ*1 1-4 : G* Guizot, Montaigne.
Allgeairlnr Zriiuntf. Beilitge. — N* 200-207 : Fr. Friedrich, Cyrano de Ber-
gerac
L'Amateur anuto^rnpitrK. — 15 octobre; Maurice Tourneux et Anatole
France, Etienne GkaravaUt — ¥.. de \\eUig&, Correspoitdati'r inédite de j .-F. buci*
(suite). — Georges Monval, List* alphabétique des sociétaires du Tkéû&rê'FrûnçûU
(suite). — 15 novembre et 15 décembre; Léonce de Bretonne, Sources de la
aofTêepondanjee de Napoléon f*r. — IL de Refuge, Gorr&êponda\ de
J. -F. /tacts (suite). *— Georges Monval, Liste alphabétique des sociétaires du
Théétri-FrançaU (suite),
Arrlftiv fiiriliis Stiiilîiiiii ilprnrurrrrn Sprarlien iind Llltrriituren — CHL,
nouvelle série IIL 1 K 2 : Rathe Schiruuieher. Voltaire (Caret1 )> — Fest, Der
mite* gloriimu in det fraw* KamÔdie vtm Beçinn der Hmaistanoe bù zu Molière
sfel}. — Klein, ùet Chor in dm wichtigeten Tragôdien der front* Bsnatoumce
(Cloetta), — Franke, Fr<im, Styt&tfik iTobîer). — Quiebe, Franz, Aussprtiehe und
BpTQekfrrttykeU (Tobler l
Atiienaeuni — N° 3744 : Balzac. Comédie humaine, p. Saintsbury, 40 vol.
— J tisserand, Shahpeace in Fraure nnder fhe uneimf régime* — N*3749 : Li
{irfs du 'jtmvemernenl des rôle. — Np 3750 : Larroumet, Nourrîtes études de
critique dramatique. — V 3733 : Karénine, George Sand,— N* 3756 : Scbrœ-
der, L'abbé Fïéwêt,
Bulletin éIii bibliophile et *ln bibliothécaire. — 1 > Octobre; Fu;rène Asse,
Les petiéi roiuantitfues : Edouaul d\\n*flcmont (stiile). — Maurice lleuriet, Le
deuxième centenaire de liacine a la Biaiio$hèQue nationale (suite). — Georges
Vicaire, lierue des publication* nûuerihs. — 15 novembre; Maurice Tourneux,
D'il fivtitut tic Beuchol* — Eugène Àsse, Les petits romantiques : Edward d*Àn-
glcmont (suite), — Maurice lîenriet, Le deuxième centenaire de Rannc à la
Bibliothèque nationale (suite). — Georges Vicaire,, Rente de* publication* nou-
* elles. — 19 déceuihv; Georges Vicaire, Noie sur un livre ayant appartenu à
leon r**. — Georges MonvaL, Unis relique et un manusrriL — BugèQe Àsse,
Les petits romantiques : Kdouard d Anglemont (suite). — Georges Vicaire, Revue
des publications nain vit
Le t'orrcKpomlniit* — 25 septembre; H. Druon, Bossuet à Meaur* IL —
L« de Lanzan de Laborie. Une correspondance de Montaumbatt. — Ui titmeset
les hommes, courrier mensuel de la littérature* des arts et du théâtre* — iO octo-
bre; IL Druon, Bassuet à Meaux. JIL — Clarisse Itadar, La statue du duc
dWumafe a Chaut ilh/. — Henri CUautuvoine, Voltaire* d^aprfs un livre récent.
— 35 octobre; Edmond Kfé, Une correspondante inédite de Paul FèOûL — Lié
antvres et tes hommes, courrier inemuel de la lit tt rature, des arts et du théâtre
— 25 novembre; L« de Lanzac de Laborie, Les petits papiers d'un grand fM)
(Victor Hugo). — Les œuvres et tes hommes, courrier mensuel de la littérature f
des arts et du théâtre, — (0 décembre; Gabriel Syveton, Études de littérature ;
152
BEVUE D'HISTOIRE UTTÉn.tlIlE DU LA FlUtiCE,
V évolution de M. Anatole France: de arôme conservatrice nu mysticisme révoht*
tionnain .
Da<* nenc Jahrluuulert. — N" 3 : Leopold Kalscher, George Sand.
ikruts^he l,itrr:iiur/eitutiff. — Kù 29 : Morf, (ieseh. der neueren franz. Lite-
rutur, L*— V 31 : FflOl, Dêr littfél yloyiosus m der featt^ KùmÙ~du von Bcfftm
der lUnai&sanei bk tu Kofon MahrenholU)- — Nu 33 : Bertrand, L*i fin du
(Engwtr). — R* M : Héïièfftie, tffrft tff ttftatftb (Fûffit), — N* 3* :
Hendreîcb, Musset ci* Vcrieetcr des esprit gaulait (Enget). — Glacbant, ftgrfm
{Tautrtfoû (Beckerj. — N* 42 : G. Guiiol, tfonUtiane \ \\ iese).
Deuisciit» Wiirlionbiatt. — XU, 37 : P. Bornstein, Die franz. Chanson im
XIX Jahrhaudert,
flic im'ik reu Spraeheu. — VII, "t : K. Beekmann, Metenridotjisches aus
ThUr%% Expédition cTËgypte. — VU, fi i P. Bode, Fertattarsi in Grenoble, —
Bobnstcdt, ynne.ij. — Bierbaum et Hubert, Salhr, Schanzenbacb, Sleuerwald,
Hoiuricb. Sehmidt, Krun, Uwtt scalaires
Grenzhotrn — IAI11, 40 : KltW MU Ftffcft BUd WtBH von Shi.'t.
Jonriuit den débat» politique* et Utléralrew. — 14 et 15 septembre;
Pierre de Bonehaud, Un ami du Ponsard : Chartes Retjnand.— t8 septembre;
Emile Pagne!, ha semaine dramatique. — 19 septembre; Edouard Rod, Un
historien de ta Suisse contemporaine Alexandre Gavard). — ftl septembre;
Augustin Filon, W'altrr SôOtt [3* article). — 2n septembre; Emile Fnguet, La
semaine dramatique, — 27 septembre; G. Maspero, La poésie amoureuse des
Égyptiens. — 29 septembre; Félix Heyssié, Lamennais avant (8*30- — 2 octobre;
Emile Faguet, La semaine dramatique, — 4 octobre; Arvède Barine, George
Sand et la Hume. — 6 octobre; Christian Schefer, Paul Janet. — 7 octobre;
Maurice Spronck, Ktienne Charavay. — ft octobre ; Emile Faguet, La semaine dra-
matique. — 13 octobre; André Hallays, Une promenade à Ma intenon. —
jtï octobre: Emile Faguet, La semaine dramatique. — 19 octobre; • ûkù$i$
vues * (2f série, par Victor- Hugo). .—- 22 octobre, Christian Schefer, M. Derou-
tède vt C Académie. — 23 octobre; Emile Faguet, La semaine dramatique. — S.,
Hwtmur et humoristes. — * 24 octobre; Fêïix Hcyssié, Lamennais après 1830* —
27 octobre; Henri Chantavoine, A l'institut (séance publique des cinq acadé-
mies). — 30 octobre; Émite Faguet, La semaine dramatique. — Le eentenaire
de M muante!. — 3t octobre; André Beaunier, MarmOfUeL — Paul Gautier,
la direction de ht librairie sous //■ premier empire* — 1er novembre; Z., Un
manusrrit d'André Chénier. — H. B,, Un Une médit de M0* de Slaët, —
6 novembre; [Emile Faguet, La semaine dramatique, — 9 novembre; Félix
Ressaie, Maurice de Guérin. — Ernest Seillière, Sur les droits de t* histoire. —
13 novembre; Emile Faguet, La semaine dramatique, — 15 novembre, Camille
Vergniol, Virù noir ipar M- Gaston Volnay). — 10 novembre; Henri Bidou,
Ctio (par M, Anatole France). — 20 novembre; Emile Faguet, La semaine
dramatique. — S., Poètes et poésies. — 23 novembre; Georges Micbel, Léon Sa y,
sa vie et ses œuvres. — 24 novembre; Maurice Spronck, Le dernier de M. Emile
Zola. — 25 novembre: Henri Chantavoïne, A l'Académie [séance publique
annuelle), —27 novembre; Emile Faguet, La semaine dramatique. — S., Ima-
tjeries (par M. André R ivoire). — "29 novembre; Augustin Filon, Daniel De foc
et le n Journal de la peste ». — !"r décembre; André Hallaya, Le monument de
Louis Veuiltot. — 4 décembre; Emile Faguet, La semaine dramatique. — S.,
Bouuet (par M. Alfred Rebellïau), — 6 décembre; Henry Bidou, Le buste de
Heine. — il décembre; Emile Faguet, ht semaine dramatique. — 15 décembre;
André Hallays, Le tombeau de Henri Heine. — 17 décembre; Henry Bidou, La
sincérité religieuse de Chateaubriand. — 18 décembre; Emile Faguet, Ut semaine
dramatique. — 20 décembre; Augustin Filon, Le théâtre espagnol et le théâtre
anglais, — 24 décembre; Y+1 Le patais des poètes. — 25 décembre; Emile
Faguet, La semaine dramatique. — 30 décembre; Henri Chanlavoine, A C Aca-
démie française (réception de M. Lavedan).
PClUÔDKHES,
\ M
Jouraal de* %»v«nl» — Mai; Michel Bréal, Volney orientaliste et ht*
(Un). — Juin et août; Lêopold Uelisk\ Vente de m<r*H$eriis du comte d'Ash-
burnham, — Novembre; H* Wallon, Mémoires de Saint ^ "ition de Rois-
Hsïe, t. XIV),
Llterari«ehr« OntralbUtt — N Vlain Ctiartier, Le Curial, p. Heu-
ckenckamp, — Vj ii : Uriebt Charte* île Y î tiers*
LHerafiirbltttt fllr serina nUe lie md romnnKche Phîltil«Kle — Sù 10 ;
ArnouhJ, H'icau (Danohefaser). — Champion, Volt<urr iMihrenholl*! — N 11 :
Lindquisi, Le dèttteppemtnt des d tt de fin /<i
!■» conjugaison latine dans les langues romanes (Meyer-Liibke). — Texte, Kr
de littérature M0}ftfaUI#| Schneetfans). — IttSSef&Qd, Shakspavv m Fit mu* sous
Vaurien régime (Schueegans). — N* 12 : Van Itamel, fiei lelterkundige ieven Ml
Frankrijk (MinckwitaU — De Meaux* Montalembert (Mahrenholtei,
Jtiuellnngen 1114 der IHslorisehra I Iteraiur. — XXVI l, 4 : Sakmann, f;i>r<r
ungedruekte Voltaire Correspondent (MahrenhoîU).
NenpliïlAlogteehe* Ce titrai triait. — XIII, 10 : Wand Schneider, Spraehge*
brunch bei Alphonse hatniet (Puilïppslhall.
La nouvelle Revue — i"r octobre; E. Ledrain, Critique littéraire. — Jules
C&se, Critique dramatique. — 15 octobre ( nouvelle série); Jules Case, Critique
italique. — I* novembre; E. Ledrain, Trois femmes dé hUm <i,i,temporaines
(M*" Krvsinska; M»fl Stanislas Meunier; Mmfl Manoët de Grandfortl* — Jules
Case, Critique dramatique — 15 nove mhre; Adrien Bernheim, La Comédtê-
Franraîse, — Jules Case, Revu* dramatique. — t*' décembre; Adrien Rernheîm,
ta Comédie- Française (lin). — Gustave Reynier, Les oriqtnes de la presse fran*
M : te « Merruir tjalmt »< — à, H. N* itou, t.* s rfiffmtl êi Siège*, —
15 décembre; A, de Mages, George Sand #n Ritsifa, — Jules Case, fteriie «fri-
fnaii'fue.
kreti*<ii<ie]ie Jahrbvielier **■ Novembre; 0. Hermnnn, lo/Min* ad Crie lois-
vcrouttfer,
La tynJnzainc. — 16 septembre; L'abbé L. Foltioley, La jeunesse de Louis
Veuilf't. racontée par son frère. — I* et t6 octobre; Henri Potes, Le romantisme
fronçais et Cm fluctue anglaise. — 10 novembre; Paul Souday, ThMtre contem-
porain : après Henri llccgnc. - l'r dérembre; Gustave Le Poiltcviu, La lit
de ta presse depuis la tiewtution. VI. Consulat §i Kmpire,
Bevac bleue fhevue politique et littéraire). — 23 septembre; Paul Sirven,
Voltaire ci Vttalic. — Paul Rnnnelbti, Gascons de jadis : Mare de Muittiet. —
K. Dufauret, Les variantes allemandes de ta légende de llotand. — 30 septembre;
Antoine Guilland* L'Allemagne nouvelle tt se* historiens : Théodore Mommsen. —
Joseph Pabre, La chanson de Roland (suite), — Adolphe Hatzfeld, Aristophane
et Molière. — 7 octobre; Charles Dejob, Le solttat dans fa littérature frant-ame
au XVI II* siècle. — 15 octobre; Léon Séché, Alfred de Vigny et Marie horvnt. —
M octobre; Jules Levallois, Few WAlhénaïs likhelet; Pauline Franck;
Maria OeraismesL — 28 octobre; A. Meriïlon, La pféêté et le droit commun. —
Erne^l Tissot, Un roman féministe : h Femmes nomOêUm - . El Poid et Victor
MaryueriUe. — J* Guillemot, Les événements du srtV/f, d*a\u< \ fin
(Tannée. — Josepli PiJbrt, ÏA okmèom dé Itotnnd (suite). — 4 novembre; Joseph
Fabre, La chanson de Hohind (Un). — il novembre; Albert- Emile Sorel, « La
jeunesse pensive », éé M AMgmtê Dorehain, — 18 novembre: Zadi^, Silhouettes
parisiennes : tf. ffefirjf Fouquier- — Alfred Rêbelliau, La morale dans la prédi-
ration de Bossuet. — Paul Souday» Théâtres : Thédtre-Attt'àne, s le Perc natu-
rel «»; Odéont *Chèn*W*wr*\ Gymnote^ * Petit chagrin >». —25 novembre; Léon
Séché, Madame Al fret l ds Vigny* — Zadig, Silhouettes parisiennes : le rieomte
Eugène Melchtor a*e Vogiié. — Paul Souday, ThMtres : Ambigu, a Cartouche *;
Opéra-Comique, i Fra-/)fotH>fc ». — % décembre; ZadigT Silhouettes pari-
siennes : M. Ludovic Halevy. — Gustave l.&ason» Les stances du itiariaac dam
f h École des Femmes », —Paul Souday, Thêdtres : Vaudeville, « le Faubourg ■
m
REVUE ï> HISTOIRE LITTERAIRE DU U FRANCK»
Variétés, m ^ BW/<' fféftftiii; Bouffes, « Shakespeare >»- — 9 décembre; Louis
Delaporte, If. Amifote France. — Zadig, Silhouettes parisiennes t M, Faut fkrou-
léde< — 15 décembre; Zadig. SiïAoueHw /wnsù-u»^ ; If, Henn de iïornier, —
23 décembre; Léon Sèche, tes amitié* littéraires d* Alfred de Yiyny : lïdor
Etape. — Zadig, Silhouettes parisiennes : M. Paul Htrrieu. — 30 décembre;
Zadi£, Silhouette* parisiennes : If, Henri Lavedan. — Paul Souda v, Théâtres :
Cotne'die- Françoise^ fannirersaire de Racine; Odéon, matinées chimiques*
M*m rrUiqnc dliiatolre et ilr liitérniure. — Nu 38 : Garsou, Barthélémy
et Méry (H. Rosières). — R° 39 : Tourneux. Imlerot d Calhrrhie II iRosîèresi. —
RP il : Souriau, P&fiûCJ |A. Molinier); JoryT Spieitèye de Vitry (A. Cf. —
Na 42 : Spingarn, La critique sous la Reunissanc< [Ch. Bastide). — NM3 ; Gode*
froy, Lrt (eftrç A/ </» Complément du Diction nuire de l'ancienne tangue frunçai$e
(X. Delboulle). — N° 44 ; Schrteder, Vabbé Prétûêi (IL Rosières] ; Hitler, Soles
sur Madame tir Staël (A. C*); GuilLon, Sos t'erienins militaires, II (A. G.) ; Lar-
roumet, Soute tirs Stades de critique dramatique dL Bosières). — N° 45 : Web
sehinger, Lu missiiai de Mirab&SU a Hertii* i.A. C); J, Beinach, tissais de poli-
tique 1 1 d'histoire (A. C.). — fi* 4d : Perroud, Saphir tlrantchamp (A. C*). —
\y 47 : Enperand, A*f« Pitou (A, C); Fagaet, Fiant, rt \i\. Rosières,). — N°49:
Couland, ha pédagogie es Haletais (C,*E. IL); Perrons, L« liïtérafurc française
au XIX° siècle (IL llusiêres); Iteuss, Hmdoai de Ç ha ha unes et sa comédie de ta
Tribu (A. C); Corréard, ta France sons te Connu ta t \\. CA ; Joret, Les Frd"
à fa cour rff Wcimar (A. C).
ttnuf fn< y<loped!quo . — 23 septembre 1899; Camille Mauelair, LVrofa-
tion littéraire, ses tendantes sociales. — 30 septembre; Charles Maurras, ïieeue
littéraire : BTftifttfg tirs mfÊUTS] poétêS* — 14 octobre; Gustave Geffroy, La eri-
tique dramatique {Humas fils, i.-J. Weisst Francisque Surcey t Critiques disparus) ,
— 21 octobre; Btaé&r Hougicr, Poètes du terroir provençal. — 28 octobre;
Charles Maurras, Rente littéraire. — 4 novembre; Tableau? de la ouerre
d*Oprè& tûS icriVûifiS* — H novembre; Armand Dauphin, Le* origines de ta
renie : Aristophane it Uoileau tevuistes. — 18 novembre; Gustave GetTniy, La
crttiqtte dramatique (critiques vicants), — 2 décembre; Diok M.i>\ Laurre
sociologique de M. Tarde, —Gustave GelTrov. lit-rae dramatique. — ï* décembre;
Adolphe Tbalasso, Le Théâtre turc contemporain. — Dick May, V Œuvre socio-
logique de M. Tarde (Fin)* — 10 décembre; Mario Roques, V histoire de ta
lanque française. — Charles Maurras, Revue littéraire. — 23 décembre; Alcidâ
Bonn eau, Thêtttre populaire poUerin.
Imeli P:iri«. — I*» octobre: Victor Hugo, À Reims (1825-1838. —
Antoine Guilland, Henri de Treitsrhke, — George Sand, Autour d'un enfant II.
— 15 octobre et \fr novembre: André Chéaier, Œuvres inédites. 1 et IL —
i«* novembre; Georges Monval, La décadence de ta Comédie -Fiançaise en IH1*
*— 15 novembre et i*f décembre; George Sand, Autour d'un enfant. III et IV, —
15 décembre; Michel Brcal, Les commencements du verbe. — Félix Qocqnam,
fia ^tt/te rcroîutionnairt*.
Il <M a r de* Deux Mondes. — i*r octobre; A+ Jeanroy* La poésie provençale
au moyen âge, IL La poésie chet les troubadours, — 15 octobre; Kenê Houmic,
Revtfg tittrraire : Sos huimmstes. — lrr novembre; Paul GauLïer, Madame de
Staël et la République en i79S. — la novembre; Hené Doumic> Haut: drama-
tique : La question de ta Cotné'tieFrdneaisc— T. de Wyzewa, Revuu etrnn-
v I.-iiikv de Citrthe et ti torique allemande, — 1rr décembre; Ferdinand
Brunetiére, Lfi littérature européenne au MX' ticcle. — 15 décembre; Hené
Douraic, Revue dramatique : « France... tVahoid >»T a ft iléon: Le « Faubourq »,
au Vaudeville; » Petit chagrin ». un ftymnase; » ta tonsdenae de l'enfant »fd fa
Comédie- Française. — T+ de Wyzewa, La correspondance de R. L. Sterenson.
Reine de» l'nlveriillé» frnn^alseK et étrangères — Octobre-décem-
bre i8'J9: J. Vîaney, Les poésies antiques de Ckenier et C épopée contemporaine,
— Ch. Joret, A/** de Staël et la cour littéraire de Weimar (ltr article).
pÉniomQiTs.
m
Lr Temps — 14 septembre; Quelque* poètes contemporains : Émifr Vtr-
hnertn, — ■ 17 septembre; Gaston DeschampSt La vie littéraire : une hmmUi
édition des Mémoires * l'outre- tombé. — 18 septembre; Gustave Larroumet, Chro-
nirjttr théâtrale, — 21 septembre; Quelques poètes contemporains : Jacquet JVor-
mand. — 23 septembre; Adolphe BHsson, Promenades et visitas : il Juif errant
â Viehu. — 24 s^ptemhie; Gaston Dc?champs, La vie littéraire : histoire tCun
complut. — 21} septembre; Gustave Larroutnet, Chronique: théâtrale. — Victor
Hugo à Viunden* — 29 septembre; Paul Souday, Vue enquêta sur h feuilleton
populaire. — lPr octobre; Gaston Oescliamps, La nid littéraire : Ira lettres de
Mm* de Staël. — 2 octobre; Gustave Larroumet, Chronique théâtrale, —
7 octobre; Alfred Mézieres, Vaut Jouet, — S octobre; Gaston Desehamps, La
Uttêrairt : ta fin d'un monde* — 9 octobre; Gustave Larroumet, Chronique
théâtrale.— Un convaincu (Paul JanetL — 11 octobre; Al fredMé t\ ères, M. Butf&t.
— 12 octobre: Adolphe Brisson, Promenade* et risttes : le ferblantier de Boorqê
Sand. — 13 octobre; Fécondité (par ÈrniteZoîa). — ti octobre; Adolphe Bris-
son, Promenades et visite* : UêU <hunmure et m eo'av, — t;i octobre; Gaston
Desohamps, La vie littéraire : jeune* conteurs. — 16 octobre; Gustave Lar-
roumet, Chronique théâtrale, — 18 octobre; Choses vues (par Victor Hugo). —
S2 octobre; Gaston Deschamps» La ne littéraire : contre ta dépopulation. —
23 octobre; Gustave Larroumet, Chronique thedtrale. — La France qui rime. —
-ictobre; Adolphe Brisson , Promenades et tiiefl i : Maurice Batlinat péchettr
de truites, — 29 octobre; Gaston Deschamps, La vie littéraire : lo il de Victor
Huuo, — 30 octobre; Gustave Larroumel, Chronique théâtrale, — C. TM Un
hommaqe à Marmontet, — 2 novembre; Alfred Mézières, Fraqments et souvenirs
tt.n rouit*- dt Êtontalivet, — 3 novembre; Adolphe Brisson, Promenades et
visites : f école de journalisme. — 5 novembre; Gaston Desebamps, La vie lit te-
\U temps où îa reine Berthc filait... — 6 novembre: Gustave Larroumet,
Chronique théâtrale. — 7 novembre: T. de Wyzewa, Le nouveau roman de
M. hudaart Kiptintj. — R,-A.t Les manuscrits de Victor lluqo. — 1! novembre;
Adolphe Brisson, Promenades et vtsitts : Vante nouvelle de Paul Bourqet. —
12 novembre; Gaston Deschamps, La vie littéraire : retour vers fa vite anttqtte.
— 13 novembre; Gustave Larroumet, Chronique tfohïtrale. — 17 novembre;
Quelques poètes contemporains : Maurice Bouchur. — 18 novembre; Adolphe
Brisson, Promenades et visites : les livres àe Sateey. — 19 novembre; Gaston
Deschamps, La où littéraire ; lr poète SMasticu-Charles Leçon te. — Verlaine ci
/*' comeil municipal. — 20 novembre; Gustave Larroumet, Chronique théâtrale.
— Pour la tangue français*. — 2:> novembre; T, de Wyiewa. Le nom
roman du comte Tolstoï. — Henry Michel, Académie française : les prix de vertu.
— 20 novembre; Gaston Deschamps, Lu rte trUntuee ; ta Byzantins et M. Paul
Adam. — 27 novembre; Gustave Larroumet, Chronique théâtrale* — 29 novem-
bre; TH de Wyzewa, Le nouveau roman du comte Tolstoï. — \"F décembre;
Ernest Legouvë, Un souvenir de Ponsard et &c l'Académie. — 3 décembre;
Gaston Deschamps, La vie littéraire : ta fin du roman pèychotogiqu&t — 4 dé-
cembre; Gustave La rrou me t, Chronique théâtrale. 8 décembre; Cinquante
OUI fïtituilié (Quinel et MicheJel). — 10 décembre; Gaston Deschamps, La rie
littéraire; un conte de Boccace. — H décembre; Gustave Larroumet, Chronique
théiltratc — 14 décembre; T. de Wyievva, Un roman de mœurs socialistes. —
lfl décembre; Adolphe Brisson, Promenades et visites ; ta rie et le caractère de
Jacques Offenbaeh* — 17 décembre; Gaston Deschamps, La vie Uttératre : Bas-
suct 6t )t Alfred Rébellion. — 18 décembre ; Gustave Larroumel, Chronique
théâtrale. -^ 22 décembre ; Simplifions ta grammaire. — R.-A. Les manusents
de Miche tel — 23 décembre; R.*À., Les y ru tuh hommes au Panthéon, Lstmar*
tinc et ses descendants. — 24 décembre; Gaston Deschamps, La vie littéraire :
tournoi pour tu reine Blanche. — 25 décembre; Gustave Larroumet, Chronique
théfUrale. — 26 décembre; R.-A., Les gnmtk homme* au Panthémi : Edgar
Quinel. — 27 décembre; Adolphe Brisson, Promenades et visites: M. Frank
156 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Nohain, poète amorphe. — ti9 décembre ; Claude Bernard et le P. Didon. —
30 décembre ; Pour la langue française. — Henry Michel, Académie française :
réception de M.Lavedan. — 31 décembre; Gaston Deschamps, La vie littéraire :
« Résurrection » (par le comte Tolstoï).
Zeitschrfft fur fr&nztfslsche Sprache und Litteratur. — XXI, 3 : W. Horn,
lur Lautlehre der franz. Lehn-und Fremdwôrter im Deutschen. — G. Kôrlting,
Kleine Beitrâge zur franz. Sprachgeschichte. — W. Wetz , Ueber Taine ans
Anlass neuerer Schriften.
Zeltschrlft fur franzosJche Sprache. — XXIII, 4 : Kôrting, Formenlehre
der franz. Sprache (E. Subak). — Li livres du gouvernement des rois, p. Mole-
naer. — Marchot, Le roman breton en France au moyen âge.
LIVRES NOUVEAUX
Aatlebrand { Philibert). Soidnts, portes tî tribuns. Petits mémoires du
xi*44 siècle. Parh, Calmajin Lévy* !n-18 jcsus, de 323 p.
HHIri \i^y Mliarlis-Kélix i. In portrait inconnu dé Bttfftitf. Parts, Picard.
Sraud m n, de 20 p, el portrait (Extrait de CUnircrsttr cnlholiaue}.
Hem ara i Claude). Introduction à fétude de lu médeûim expérimentale, avec
des notes criltquea par h K,-P* Sektillasges, dominicain* Paris, Poussielf/ue.
In- 18 jésust de 147 p.
Benoit (Raôttl-Àlbert-Reoé). Étude sur le , littéraire contêm\
dan* u$ rapport* uoe*: ta nétropathii, Bord&tw, tioututuithou. lir8, de 63 p+
Bernard «Lucien), tftBUVr* dramatique êê Ltkai Tutstoi. Pari*, Hrrw d\irt
dramatique. In-16, oV 24- p.
Biiindei [le chanoine) i Le cardinal Du Rwrott, ofcfa&dçtM tte Sens,
BMndfcfef <te France (4$5fM6i8}. S€JW, h'fhemin. In-8, de 4Q p. et grav. (Extrait
du litiiU'tiu delà tôciêté archéologique dé Sens),
BosHort. Lrttrts rvrîsrrs WT foi tit>nntsr.rits nul par le P« GrïSELLR,
S, i. Parte, >-trriictjm Jn*8, de 82 p. {Extrait il m» mthult>f uê
BourtLilone Lettre inédite Û François BotkaH Ûê SofOTl, 4u4qU4 <fe CtefffiûKt
(5 septembre 1701 1, publiée el annotée par le P. Henri Cuérot, S, J. ParU,
JieftiM.'-. In 8? de 7a p.
Botirduiouc. Kh rftscauw tnèf/tJ tic Bourdaloue, publie et annoté par le P. E.
Ghisùllc;, S, J, Lille, BergH. Ju-8, de il p. (Extrait delà nVtw des sciences
tia$Hquê$).
Brrisafl [<>•)■ L7h>friictf0»i primiin- dans le Gers pendant lu période révolu*
Honnaire. Aucht C&hin, In-tfi, de 55 p-
iiàbaii* s Docteur) Botaft ij/ïwé. Fora, Chartes, ln~4^ de 128 p. avec por*
traits et fac-similés.
Cave* <:E l fîpvrtrafcJ tnx,nreu du bienheureux François de Salesy CPetqvto de
Beneve. tiré par Estienne Gavei. ahanoim, en 4 832, Nouvellement réimprimé
parles soins de Léon GiiLB* Moutiêft, Ihtchz. In-iti, de xxx3£-!83 p.
l'imiuphm (Kdiuej. introduction aux Essai* dé Maniait/ ne. Paris, Armand
Cofin. lii-îi>, de xi i-3 iti p
Chut en ah ri a ml. Mémoire* cf outre-t&mbê* Nouvelle édition avec une introduc-
tion, des notes et des appendices par Edmond Dire. Parte) Gantier, In- 18 Jésus,
T. !•* Lv-iê4 p.
f:ii:tii»:iubriniitt. Mémoires d1 outre-tombe* Edition abrégée avec étude et
noU-s parL.-A. Mulie*. tffon* VUÈe* ln-8, de 434 p. et portrait.
l'Iiénier (André de). (Euvres poétique^ avec une notice et des notes par
Raoul Goillabd. Paris, Lemerre. S vol. petit in-12. T. 1". xxxii»32:î p. el portrait;
t. 11, 311 p. -
ririiH'ut (L.). Di âdWffni Tiiniebi, rcoii professons, prafationibits et pa-maiis
[thèse). /Vms Picard. In-8, de <;i* p.
Callin (Rogftf). Jfe fa eontrefanm littéraire et mfMqUê illusei. Pari*, I(ùUS-
seau, ln-8, de 340 p.
Iirtfciilmrili (E.). Ilie Metapher in den Dratntn Victor Hugm, L Programme
de Wiesbaden. in-4u, de 35 p.
I5S
lUlVU: 1» HISTOIRE LITTERAIRE UE LA FRANCE*
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In-8, de t5 p. (Extrait de Rt&flfl (fc* études juires).
De lui mit flah hé Théodore), ÈùSêuei et M. Hmnetiêre. Pur te t Sueur-Charruçtj <
Ïn-S, de fcO p, (Extrait de fn BtfOfM de Lille).
Dent» i Jacques}- Pareil, V homme. Mémoire inédit. Caen, Bclesqncs. Iu-8, de
44 p. {Extrait des M? mt fîtes de l'Académie de Caen).
UtMihrr (Léon), Les atmanachs ptdtevina OUX types de Larivey, de dWrgohj
et de Milan, Poitiers, Etait et llvtj. In-8, de 12 p. I Extrait du Bulletin de ta
iOCiété de> aHtitptaircs de fUWst ,
Deweartrfi, QBItvrff, publiés par Charles Adam et Paul Tanxery, sous les
auspices du ministère de l'inslruction publique. Correspondance. T. III (jan-
vier 16*0 juin 1643), Ptor% (kff< In 4, de 720 p,
Donnadien (Frédéric). La tie et / de Philippe Tomizetj de Lar~
tt»jne, discâor*. BèiitTSi Saptê. In-*, de kl p.
Du val (Georges)* La vie vvridique de William Shakespeare. Paris, OUendorff.
IniBjéstis. de 87? p. Prix : 3 IV
F» g ii ri (Emile). F/au6*f*. Poils, Hachette. In-lfi,de 192 p. et portrait. Prix :
2 IV. I > Grands Kcrivains français!.
FënMuii. Lettre a PAeadéfnie française* Édition classique accompagnée de
remarques et notes littéraires, philologiques et historiques et précédée d'une
introduction biographique par M. -À, DUBOIS. Paris, Iklafain, ln-12, de vn-92 p.
Prix : Û IV. 80.
Fenrion. lettre à V Académie, Édition publiée conformément au texte de
l'édition de lTlti, avec une introduction, des notes et des appendices par Albert
Cahen, Paris, Hachette. In IG, de xxv-248 p. Prit : 1 fr. 50.
Féntlun Lettre à l'Académie. Nouvelle édition par Ed. Decove, Parti,
Lr offre. ln-18, de I3W p.
Florins (J.-P.-C. de). Fables. Illustrées par A. VttUE. Paris, hturens. In-4, de
vn-138 p.
ftuclié (F.). La rhétorique du peuple* ou la lettre, ta convocation et le dis-
cours public à l'usage des cours d'adultes et de renseignement primaire.
Introduction par M. Antoine HtNOisr, Atate, Veffri< rc. In- 10, de 109 p.
Gratry (Le H. P.). Pages choisies, avec une introduction par l'abbé Picbot.
Pans. Armand Odîn. Iu-i6, de xx~3J0 p.
GrKcitr, S, J. (Le P.'. Bourdatom inédit , Un sermon pour une profession
religieuse. Parte* rwmoutifi. In-8t de 23 p. (Extrait des Êtudeé),
Gi-tariie, S. J, (Le P. E.), Une récente biographie de saint FranQôti de
Paris, Sitmr-t'hanuetj, ln-8, de 13 p. i Extrait de la Hcet(c de Lille}.
GuUot (Guillaume), Montaigne, Etudes et fragments. Sam posthume
publiée par M. AttL'uste S^les, Préface de M, Emile Fa<;l-et. Paris, Hachette.
In-lfi, de su-2711 p. Prix t 3 fr. 30.
Il é m i» îi (Félix). Cours de littérature. XIII : Mm* de Main tenon; Saint Simon,
Parts, fkfagravt* la- J H jésus, de t3U p. Prix : \ fr, 50.
Ilrriitf ëm <-le* (A.). Conférences lifta, nr-s. I1 série : le Pléiade néoclas-
sique, précédée d'une étude sur les différentes écoles littéraires dm siècle*
Paris, Soctitc française d'imprimerie et de librairie, In-18 Jésus, de 46 p. Prix :
\ franc.
Hugo (Victor). Œuvres inédites. Choses vues* Nouvelle série. Paris, Calmann
Lvi-y, lu |g jf'Mis, de 340 p. Prix ; 3 fr, o0f
ln;iiii£iir:ittoii du monument des de Mahtre a Chamhertj, te 20 août (899.
Élojje de Joseph de Maistre par M^1 Turinaz, Discours prononcés à la cérémo-
nie de remise du monument à la ville de Chambéry par MM. le général Borson,
Jules GhftUters le marquis Costa de Beau regard et François 0 esc os te s, Paris,
Pcrrin. In-8, de 7 p.
Joly (Henri), Les moraliste* français des X VIP , XV IIP et Xf\- aieelcs, extraits
avec une introduction et notes. Paris, Lecoffre, In-(8 jésust de xn-406 p.
LIVHES NOUVEAUX.
159
klinger (L.-Jh Uehet die TraoMdien Casimir D'lt> ianes. L Programme de
WaMenbutg, lu-i», de 18 p.
Krnncr <Krirl). the L'iu>jinn$letjew!t\ dm- tOttsfehun>{ und Aushreitttn>j j
[ru jo Litcratur. Dissertation de Munster, lu 8, dt* 59 p.
>i:ti-iiirn (Edmond1. Cutaloaii*? dei hirittKittfïs de la bibliothèque mua
de Grenoble, Jfdctm, Vrotnt. ln-8, île xiv*49Q p. et 3 planches.
M:* f si ■•!• (Joseph de). Lettres inédite*, avec notice rxpliealive de M, Fmn-
çois Dkscqste-;. Parts, (fe ,NVyc, lu -!i, de 99 pf (Ex Ira a du fWns/^Jn/^rif .i
fliirtiii (Le l\ Jj. rVft&fcj iiitnvot<ts du ft Jean Martin (i 674- 1752}, publiées
sous le titre dé « Bouquet de cauquos tlouretos eueillidt* su! Paruasso biter-
ii eti i J:i id '.l| très Tunique exemplaire connu, avec une notice bin*biblio-
graphique el des noies par Frédéric Don *a dieu. &xters, Sapte, lu S, de r»k- p>
llussllliiii, t.rtttv uiMite puhli » irgèa Ûoîiblet. Ttattttuse, Chant in.
lu -.s, de 7 p. < Extrait du Bulletin de ta wçL flogiquê du Midi},
Molière. L^ivctftf, /<- Misanthntpe, scènes choisies et présentées par Mau-
rice BûCCBOft. (Répertoire des lecture* populaires, ir" volume,) Pans, Hachette.
in- in, de iiu p.
Uulière. />'■ Misanthrope, comédie. Édition publiée conformément au texle
des Grands Écmaîni de ta Krancc, avec une notice* une analyse el des notes
par H. Lavkwc. Pari») Uavhtttr. lu-lti, de Iti* pt i*rïx : i franc,
Hoaileillle (Henri de). La ehirwtjie dé maitre Henri de Monderilte, traduc-
tion contemporaine de fauteur publiée par le Dr A. Bos+ Tome IL Paris,
Firmht iiid<d. Ia-8, de 347 p. (Sûdèté des anciens lextes français),
Montesquieu et J.-J. Rousseau . L'esprit des lois (!•■ livre), par Montes-
quieu; Contrat $ôciat (livres 1 et II), par J. J, Rousseau* Édition classique
avec introduction et notes par Henri Jolw Iiu18, île 141 p.
Olivier (D1' Paul). A pfùpoi tir f étude des voyelles par Jtf. M&têjfê* Clcrmont
(Oise) fiifi. ln-X} de 12 p. (Extrait de la H<rue international*: de rhinoloftic,
ôtotoQie ft taryngotùQiû)*
tlmoiii (Henri). Catalogue des éditions ft dé Dena* Janot, Hhaire
parisien tl829-i$45). Hogettf dt ht \trou\ DaupeÂêy-Ocuvêrniur, lu-*, de 90 p,
i Extrait des Vtfmoiroj & tu société ils Chtst<nre Ai Paru w de llle-dr-France)*
Pari?* (Gaston). La littérature normande tuant ïanne.ciuh [9 12*1204), discours
à la séance publique de la Société des antiquaires de Normandie. PfcHs,
Bouillon, ln-8, de 57 p.
Perrod (Mauric ij Lt4 fctifaf el fa eoti dins jusqu'en t8ÊQ+ Besatoyn.
Jacquin, ln-8, de l>0 p.
tV}s*ottiilé* avocat général, tbdrott magistrat et auteur dramatiquet discours
prononça le 16 octobre l£§9 à l'&oéîeoûa dé rentrée do la cour d'appel d'Or
b'sms. Orlvatis, impr, ortéannisr. In-8t de 2~ ]*■
IN»iieelier (Maurice). Lé thfain* tin peuple. Renaissance et destinée du
lliêalre populaire. Paris, Ollenior/f. In-tH jésu?, de xxi-58fc p. Prix : 3 fr. :.u,
Pou^ens (C. de), ihiet/ues lettre* médites dt Charles de Powfns, publiées par
L. i. Pilissier, Paru, Lcvterc tt Car nuau> Ift-%\ de 19 p. (Extrait du Bulletin da
bibliophile),
guinei (\i,,H IvliMi '. Cinquante tins <r amitié. ÊHehtM'Quinei (1825-1875).
Armand Coiin. In-ls jésut, de 377 p.
Rminr Ihitaunkus, tragédie. Nouvelle édition avec une étude et un com-
mûutaire par Joseph Viam y. Parié, Uwffre. In-18, de 177 p,
Heure (fabbé). Le « Vùtyùge a Sue * du chamelier de lllospitiiC Lyon, Wal-
tetirf. In-8p de 21 p. (Extrait de la lier ta du Lyemnc
Rorliette (A.). L'Alexandrin chei Victor Bugo. Lyon, Yîtte* ïn-8, de 71 p.
(fixtrail de r/ tum-sde catholique),
Rosanbo (marquis de). Heminiseenees iCombourg, Une vieille demeure de
Chateaubriand. Nantes. Urituautl. lu-tti, de x-75 p, et gravures.
Houmrjoux (A. de), Uosr< ilon (P. de) et VlUcuelef (P.), Bibliographie gêné-
160
REVCE U HISTOIRE LITTLIUIUE DE LA FRANCE.
raie du Përigord, T. III (P*-Z.) Pcritiunu. tmp, de la liordogne. In-8, de fit-
293 p.» à 2 col.
RouKMfau |J.-J.}. Voy. llon(«*sqïiicn.
Hnu*sHot (abbé). La phonétique exper mentale ; son objet, appareils et per-
fectionnements nouveaux. ClermotU (Oise), BaLr. in- 8, de ii p. ( Extrait de la
Revue de rhinotogie).
Itou* (Emile). Francisque Sarcey à Grenoble. Grenoble^ Falque et /'
Grand in-8» de 11) p, avec grav. (Extrait de la Revue dauphinoise).
Safntc-Bctivr, Payes choisies > publiées par Henri Bernés. Parts, Armand
Colin, lu- 18 Jésus» de iu-42;i p. Prix : 3 Ir. 50.
Sauté Mu). L'orthographe française considérée surtout au point de rue de la
meui'jin de* poto et de Faction du sens intime sur la prononciation. Chef bourg t
Le Maour* ln-8t de 242 p.
Srhrhliiti; 0.), Bossuvts SttUung zur Heformatïonsbenwjung. Programme de
llamhoui^ In +"T de 50 p.
Sclirclter (A.). Die Uehandhmj dtrAnttke bei Racine. Dissertation de Leipzig.
Leipzig^ Fock* In 8% de 1 III p,
s*\i^iié (M'"" de), Hifîf lettres , publiées avec une notice et des noies par
Gustave Lax$o\> Paris, Haehette. In- 10, de 120 p. Prix : 0 fr. 75.
Si^ij^ni' i\\tu'' de i. Lettres choisies, avec un avertissement et des notes par
C. Poussé de Sac y, ffepîf, Butter, lu *8, de 41 G p. et illustrations.
>iliiik^ii(':iiT. Z.<*s sonnets tle Shakspcarc^ traduits en sonnets français, avec
introduction, unies et bibliographie par Fernand Henry. Paru, OUendorff,
ln-4°t de xxxn-180 p,
Slffger*fturftl':S.}. L<n contemporain iïjarc au XV IIP <iéete. Les projets de
l'abbé de Saint-Pierre [J6S8-1743). Paris, Rousseau. Jn-8, de 2#2 p
S|i<ieiiM nii 4e Lovèiijnui (vicomte de). Poésies de Théophile GauMsr mises
en jMtsique. Parti, Leden et Cornu i m. lu-8> de 23 p. (Extrait du Bulletin du
bibliôphti
filtuHll (F4mniiT) Les annales da théâtre et dt la musique (21e année, 1 8***8) .
Préface pur M* Augustin Kilon* Pari*, Oltendorff, in-18 jésus, de xxxjir-620 p-
Prix : 3 ii ■. 50,
TMMt (Auguste). Utteratair du lUrnj (Poésie). Les xvr3, xviret ma» siècles
avec François llaberl. Michel Baron. GobrieL Bouhyn, Guimond de La Touche.
Paris, Laot. In-St Je 630 p. Prix : 10 fr.
Il mu nu Beitrage mfû&chfahtû and Charakterislik des Refrains inder feanz.
Chanson» Berlin, Felber. 10 mark.
Tohirt ftayi»ond). Nûim pour urwr a Chiêioin littéraire du AT//
Quelques rechercher autour des poèmes héroïques -épiques français du
ivu* siècle. Toile, Crauffon, In- IC, de xxn-318 p.
Iriser (0 P rV* lieurteiluwj Corneille^ und seine eigenen dntmatischen
Thôùrten und X> ueetttnjèn. Dissertation de Leipzig, Jn-80, de 73 p.
Vu pèlerinage a ht campagne et à iû û&héêruk 'le Bosswt en (773, publié
par AL Armand Caste, ' a<tt, Interne*, in-*, d* t> p. (Extrait des Mémoires de
l'Académie de Ci*en).
Vantliiurr il. et Luni»ine (L+). Les grandes idées morales et / tnora-
Jtifeff* Pa^es choisies. La philosophie morale au xvnr siècle, Paris, Picard et
Kaan. In -lo, de 1&6 p, Prix : i h\ 50.
Verlaine Paul). Confessions. Illustrations de F. À. Cazals, Paris, BUdto-
thèque artistique et littéraire, lu- ni, de 269 p.
V« ullloi (Eugène:-. ï/tuÀS Veuillot (1813-I87Ï), Paris, ReViux. In-8, de X-5ol p,
ci portrait.
CHRONIQUE
— 34. Louis Arnould a roussi à déterminer, d après un leite des manuscrits
de CunrarlT le véritable lieu de naissance de ïiacan et n'a pas manqué de Je
dire dans l'importante thèse qu'il a consacrée ace poète et dont il a été ques-
tion ici-même, en sou lefflp& Aussi les compatriotes de Racan, dûment
informés de cette trouvaille, se sont empressés d'inaugurer une plaque com-
mémora tive de la venue au monde du poète sur la façade de son logis natal,
te domaine de Chain pniariii, commune d'Àlibigné, dans la Sarthe, apparte-
nant actuellement à M. le marquis de Clermont -Tonnerre. La cérémonie a M
lieu le 1er octobre 18U9, et elle a été des plus cordiales, si Ton en juge par le
récit qui en a été tracé dans une brochure consacrée au souvenir de cet évé-
nement local.
— Nous avons signalé à son heure (1899, p. 159) le travail de M. Alfred
Barbier sur le lieu de naissance de Descartes. L'auteur prétend que, contraire*
ment à î "opinion reçue, le philosophe n'est pas né a La llayet mais bien sur la
grand'route de Cltatetlerault à La Haye, durant un voyage entrepris par sa
mère pour aller faire ses couches eu famille. Il fallait s'attendre à ce que cette
thèse trop ingénieuse fût combattue. Elle Ta été par IL Louis de Ghandmmson
dans de Nouvelk* rcherches sur {origine et ta lieu demttïsatuc de DfiMl
[Bibliothèque de fi m ti r, l &W, p- 423), AL de Graudmaison fait remar-
quer que J'aflirmation de M. Barbier s'appuie seulement sur une tradition qui
paraît de tr^s fraîche date et ne repose sur aucun texte ancien et précis, tandis
qu'on peut invoquer eu faveur de la naissance a La Haye des autorités com-
pétentes, des assertions probantes et une tradition plus que séculaire, en
outre de la vraisemblance qu'il y a à admettre sans conteste un fait aussi
naturel et de Vin vraisemblance dune mise au monde aussi anormale que celle
dont parle M. Barbier.
— Sous ce titre Une lettre ■> perdue m tle ifottttrtaf, M. G. Monchawp a remi»
au jour dans les Btdlelim de t'Académu royale tle Belgique 1899, p, &3$-6ifr),
une lettre adressée le 13 décembre !uiî par Del >n l\ Mn-mm- et
insérée déjà dans un discours préliminaire mis par L'abbé Emery, en 1811 , M
d un recueil de l'eunees de Desearles bar ta rttîgiôm et la MWûk* Mw signa-
lant dans te Journal dei Wmanti (novembre, p, 7S8J la publication de AL Mon-
champ. \L Léopold Delisle fait remarquer que l'original de la lettre de De*-
cartes est actuellement conservé dans les collections de M. Morrison, à Lon-
dres, et que le texte en a été publié dans la seconde série du catalogue de
cette collection (L M, 18Û0, pt t&M06}<
— Le cercle français de l'Université Harvard a eu la pensée de donner, pour
sa treizième représentation annuelle, le Pédant jt>w\ comédie de Cyrano de
Bergerac, et il a eu l'aimable aileutiun d'en adresser le programme à la Société
d'histoire littéraire de la France, C'est une joie bien vive de recevoir ain>i, a
travers l'Océan, un pareil souvenir imprimé à nos couleurs nationales et qui
montre quels sentiments ou garde pour notre littérature aux Ltals-Unis,
HtVt B'«tJ*T, LITTÉK, DE tA t'TUXCE {7* ÀHO,).- Vif. 1 I
162 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE U FRANCE.
 cet envoi était joint un exemplaire de l'édition, remaniée pour la circon-
stance, de la comédie do Cyrano. Ces adaptations, en trois actes, avec ballets,
oo t été faites avec goût et discernement par M+ le professeur Bernard. l,e
volume* très élégant d'aspect, s'ouvre par une alerte pi éïace dn professeur Fer-
dinand Bûcher, survie d'une élude très bien informée et 1res juste de ton de
M. Il- 11. Slanton, sur la vie et les ouvrages de Cyrano de Bergerac.
— M. Georges Montât poursuit, dans / Atruttettr d'autographes t la publication
de la Listv alphabétique dt$ socuHuiirs du T/iëtHre-Françaisf avec le fac-similé
de la signature de chacun d'eux. Molière est mentionné sous le n° 263 de
celle ènuméralion (i*o novembre) et cinq signatures de lut y sont reproduites
(19H, 1B50, 16^7, et deux de 1670).
— M. Gustave Lanson a trouvé l'original qui a donné l'occasion à Molière
des stances du mariage dans VEcoir d*& ftpfltitts (acte 111, scène II), Ce sont
des hexamètres de saint Grégoire deNaxiauie intitules Instruction a Qhjmpias,
et qu'on trouvera dans les œuvres du Père de l'Église, édition de la Patrologie
grecque, t. III. col* IHV2. Il est vrai qui les vers grecs avaient été, quelque
temps auparavant t fort maladroitement traduits et très platement rendu! par
Uesmarets de Saint-Sorlîn dans ses Attira a-nvre* poétiques (1040, îo-4 ,
page 95: Précepte* de mariage dé $aint Grégoirt de Nazianzv, envoyée a ohjmpïus,
le jour 'te t£$ flûC0it sttmce*). C'est la évidemment le modèle que Molière s'est
proposé de ridiculiser en le parodiant* On sait que (a tirade de Molière fut
l'objet de tfaes attaques de Visé, de lioursault, de Hobinet, et d 'autres peut-
être. C'eût élé certainement bien pis si les contemporains avaient soupçonné
la vérité louL entière et connu la première source des plaisanteries de l'auteur
comique (Revue bleue, g décembre I89ï>j.
— Le musée de la Comédie -Française, qui possédait déjà la hourse de Cor-
neille et la montre de Molière, vient de s'enrichir du portefeuille de Racine,
provenant des collections du château de Valeneay. C'est un grand portefeuille
de 42 centimètres sur 32, en maroquin noir doublé de satin bleu, avec recou-
vrement en maroquin rouge, semé île tlcurcttes d'or, avec lïlels et fleurs de
lys, à serrure d'argent, à crémaillère en argent, et portant frappés sur le plat
ces mois ; M. Racine.
Presque eu même temps, les archives de la Comédie-Française entraient en
pQtteeaion, par toit* d'un don de Louis Moland, l'éditeur bien connu, du
manuscrit des Importuna de Chalenay7 une comédie de Malézieu, qui, repré-
sentée à Sceaux devant le duc et la duchesse du Maine, semble n'avoir jamais
été imprimée. C'est une imitation des Fdcheux de Molière, dans laquelle
Malézieu remplissait, sous son propre nom, le rôle principal.
— M, l'abbé Urbain a consacré, dans la Revue des études historiques de
décembre 1 809 (p+ 436*400), une très importante bibliographie critique à Bos-
sue* et à ses teuvres, qui rendra de signalés services à tous ceux qui voudront
se mettre au courant de la littérature d un sujet aussi vaste,
C*est !e propre de semblables travaux qtie l'avenir y ajoute toujours quelque
chose. Déjà il faudrait joindre à la liste dressée par l'abbé Urbain le récent
livre de M. Alfred Bébelliau, si nourri et si plein de faits et d'aperçus dans sa
forme aouefee. NOOl aurons bientôt l'occasion d'y revenir eu détail. Il y fau-
drait joindre aussi Quelques documents sur Bossuet insérés par le P. G fuselle
dans la fie tue des sciences ecclésiastiques (octobre 1890). Ces documents sont
au nombre de trois ; une note bibliographique se rapportant à fhïstoire des
iaa de ['Exposition dé lu foi catholique \ un acte passé par Dossuet, le
88 novembre 1079, en qualité de prieur du Plessis-Grimoult; une note fournie
à Ledieu par les supérieurs du séminaire des missions étrangères sur leurs
rapports avec BossueL
dlKOHlQUE.
103
— UÀnutteur (TiffttQQmphei citmoncc (1 Î3 décembre'*, d'après le numéro du
8 novembre de V Àntiquitâten-Zeitunç, que l'on a découvert dans la biblto-
fhéque royale de Turin le manuscrit autographe d'un sermon de Bossuet. C'est
le panégyrique de saint François de Sales, que le roi Charles- Albert lil acquérir
le 17 mars 1840.
— Les Investigations de divers membres de la Compagnie de Jésus autour
des tpuvres de Bourdaloue, leur illustre confrère, continuent à donner des
résultats excaitoots,
Le 1\ Henri CnÉnor, poursuivant ses recherches sur la correspondance de
Kunnlaloue, vient de mettre la main sur une nouvelle Jellre inédite de lui,
adressée à François Bochart de Saron, évéque de Germon l (5 septembre l?(K).
C'est la trente sixi 'me qui suit actuellement connue, et elle a l'avanlag" de
montrer Bourdaïoue sous un jour nouveau, comme critique -1 ■■; ûquenœ sacrée.
L'original eu est conservé au Brilish Muséum, En le mettant au jour, le
P, C hé rot Ta accompagné, comme il le fait d'ordinaire» d'éclaircissements
nombreuT et précis.
Le Ph Eugène Gmhhj s'occupe plus volontiers, lui, des discours inconnus
de Bourdaloue. Il a réussi a déterminer qu'un d< s sermons anonymes du
recueil Phelipeaux,à la Bibliothèque nationale» devait être restitué I Botirdà-
loue. C'est un sermon pour une profession religieuse, et le texte en a été
publié dans lee tîudet du S septembre !HrJ9 Outre qu'un peut y apprendre, en
le com parant avec d'autres discours sur le même objet, comment Bourdaloue
savail rafraîchir son inspiration en parlant des sujets qu'il avait déjà traités,
il semble qu'on y saisisse mieux la verve naturelle du prédicateur que dans
l'édition officielle de ses sermons publiée par le P. Bietonneau.
— I e Jtftn tt'ti des Débats du t;i octobre annonce qu'on vient de retrouver la
maison habitée, à Annecy, par M"1* de VVarens et par J.-J, Rousseau pendant
les années de sa jeunesse. Le passage derrière l'habitation et le ruisseau qui
la baigne ont été conserves; seul le pont en planches a été remplacé par un
puni en fer, surélevé d'un mètre.
« lin croyait généralement, d'après une légende qui avait pris naissance on
ne Mit comment, que cette maison avait été démolie en 1784 eu même temps
>|ui< fe couvent des Cordeliers, sur l'emplacement duquel est bâti Tévêché
actuel. Dp l'autre côté du pont existe encore une partie des jardins.
h Après de très longues recherches, M">B Carrey, veuve de l'ingénieur et
fille du doyen des journalistes de la llaule-Savoie, à qui revient tout l'honneur
de la découverte, a retrouvé des documents authentiques établissant que la
maison de Mfc"f de Warens était bien restée debout. La Société florimontane
d'Annecy, après avoir reçu la communication de Mmt Carrey, en a reconnu le
bien fondé. »
— Les papiers d'André et de Marie-Joseph Chénier possédés par un des
membres de leur famille, LiahrieL de Chénier, ont été données à ta Biblio-
thèque nationale en 1892, quelque temps après la mort de celui-ci, pour y
être conservés et n'être communiqués au public que sept ans plus tard. Ce
délai expirait donc en 1899, et M Gaston Paris, qui ne l'ignorait pas, eut la
pensée de mettre en éveil l'attention de M. À bel Lefbanc, Celui-ci a eu la pri-
meur de ces papiers et, en attendant l'êdiiion complète qu'il nous promet des
œuvres inédites de l'exquis poêle, il a communique un important fragment en
prose Sur la pvr fer lion des nrts à la Hevue de Paris (15 octobre et
i9' novembre 1899). C*e*l là une parité des matériaux recueillis par André
Chénier pour un important ouvrage dans lequel il parait avoir voulu rechercher
le* muses et tes effets de la perfection et ta décadence des lettres, et dans lequel
aussi, par une ingénieuse application des théories de Montesquieu, il aurait
cherché, semble -t-il, à dégager les lois de révolution des genres littéraires et
REVlfK |i HISTOIRE LITTKItAIRR HE LA FR A ^ i
artistiques el à marqu lapes h 1 r« leur développement. Toute une liasse
des papiers d'Anrin' Cbênrer, de 970 feuillets, est composée de pièces et d'ou-
rfagea inédits dont M. A bel l.efranc a déjà fait l'étude el qui verront ultérieu-
rement le jour dans le volume qu'il prépare.
— Signalons encore deux articles sur André Chénier publies l'un et Tautre
à trois mois d'intervalle dans la Heiw des lettres fmmnls g i et Mmnçèrt&,
Le premier en date (juillet 1899) étudie IShumaimtM de Chanter ci son
poème sur l'Invention, et a pour auteur M. Ë, Ziromski. C'est un extrait d'un
livre prochain dans lequel l'œuvre de Chénier sera examinée e m entier.
En attendant, M. Zyrornski s'eiïoree de démontrer que Chèuier a créé deux
sortes d'ouvrages procédant de qualités divergentes. Les uns, fruit de son
imagination, sont la combinaison de ses souvenir* littéraires et représentent un
effort artificiel et factice, bien que délicieux et subtil. Les autres, produits par
sa éligibilité, sont moins charmants, mais plus modernes, plus personnels
aussi et partant plus nécessaires I bien connaîtra* M- £yroin-ki voit le point
de contact de ces qualités diverses dans le poème de Vbtrcntion et c'est pour
cela qu'il l'analyse avec tout le soin qu'exige une œuvre aussi importante.
Dans le second article sur L?s poésies antiques de Ghénier et F épopée rontem-
poraïne (octobre 1899), M, Joseph Vianet dit, en parlant de l'u?uvre antique de
< h nier: « D* autres ont montré combien elle est artificielle et charmante. Je
vomirais faire voir que, sî factice qu'elle soit, elle est Tune des sources princi-
pales d'où a jailli non seulement, ce qui est bien connu, la poésie des Leçon le
de Lille et des Kèrédia, mais toute l'épopée contemporaine, n Et fauteur
montre que cette partie de l'œuvre de Ghénier, à laquelle celui-ci sans doute
n attachait qu'une importance secondaire el qui ne fut peut-être que des exer-
cices prolongés d'humanisme, a contribué puissamment h renouveler la concep-
tion du genre épique tel que Jes contemporains Vont compris et mis en pra-
tique, dans des fragments indépendants, morcelés el cependant unis par un
lien général et une inspiration analogue; et vraisemblablement ['Hermès et
VAmêriqm, li le poète avait pu les achever, n'auraient jamais produit sur Ja
poésie contemporaine une influence aussi profonde et considérable que les
morceaux incomplets el plus rares échappés à celte inspiration diligente et
laborieuse.
— Le 59 octobre dernier on a inauguré un médaillon de Marmontel placé
sur la tombe de celui-ci dans le cimetière de Saint-Aubin-sur Gai lion, petite
localité du département de l'Eure,
M, Gaston Boissier représentait l'Académie française â cette cérémonie. Il j
a pris la parole et tracé un portrait très vivant el très fin de celui qui fut son
prédécesseur dans les fonctions de secrétaire perpétuel de la compagnie.
— Les Lettres înéditet de Joseph de Mahtre publiées par M. François Descostes
dans te Cùrrt$pondemi du 25 juillet sont adressées à la famille Huber, de
Genève, et ont été écrites à Pétersbourg, tandis que de Maistre y êlait ambas-
sadeur de la maison de Savoie. Ce sont des pages affectueuses et simples,
pleines de générosité et d'abandon, que l'éditeur a eu seulement le torl de ne
pas publier en entier» On y trouve aussi intercalées deux lettres a Henri Costa
et deux autres à sa belle-sœur M"lfl de Morand*
— Sous ce titre : Madame de Staël el ia République en (798, M, Paul Gautier
publie, dans la Revue des ïh\u Mondes du 1" novembre, un important article
dont les éléments lui ont été fournis par un ouvrage inédit de cette femme
illustre intitulé : Dto circonstance* netueths qui peuvent terminer ta Rérotutiott
et des principes qui doivent fonder hi République en France* C'est, comme on le
voit par ce seul énoncé, un exposé de vues politiques a un moment particu-
lièrement délicat des destinées de la France, c'est-à-dire après le coup d'État
chbosioue. 165
du 18 fructidor et le* élections de Tan VI, alors que Bonaparte était ea Egypte*
Nous n'avons pas à analyser ici ces vues, ce qui nous entraînerait assez loin
de l'objet de nos études. Il nous suffit de les signaler et de remarquer que *i
les idées de M,t]r de Staël sont parfois assez utopirjues, elles sont toujours libé-
rales et généreuses. Le commentaire doui omp&gaéfti M, Paul Gautier
les met pleinement en lumière et sert à faire valoir ce qu'elles ont, à cette dit,
de personnel et de courageux*
t— La Revue de Paris a publié sous ce litre Autour Sun infant (13 septembre,
tM octobre* 15 novembre et im décembre) les lettres échangées par George Sand
avec un financier éclaire, Edouard Rodrigues, à l'occasion d*un jeune enfant
du Berrv auquel la grande roman nère portait une affection qu'elle réussit à
faire partager par son correspondant. Ce sont des lettres pleines des expres-
sions d*un intérêt maternel et de clairvoyance comme Ump Sand en témoigna,
bien qu'à uu degré moindre, à un certain nombre de ses protégés, Mais on y
trouve aussi des renseignements précieux sur l'écrivain lui-même, sur ses
ouvrages et sur ses dispositions intimes à certains moments de sa vie. Cette
correspondance, qui débute en août 18tit, prend fin en juillet ISW, un peu
moins d'un an avant la m »rl de George Sand.
— Signalons encore les lettres inédiles de George Sand insérées dans la
Revue des Revues du 15 octobre cl du 1er novembre par M. George d'HKYLU.
Celles-ci sont adressées à la fille même de George Sand, Mmr Solange Kis-
singer, et elles oui d'autant plus d'intérêt pour les lecteurs que, par suite de
dissentiments de famille, la correspondance imprimée de George Sand ne con-
tient pas une des lettres de celle-ci a sa fille. Il est à regretter qu<j l"s Mires
qui ont servi à faire la présente publication n'aient été utilisées que par frag-
ments et non pas imprimées en entier. C'est là un procédé vicieux qui peut
donner plus de rapidité au récit, mais qui lui enlève beaucoup de L'autorité
bien établie qu'on aime à trouver dans une publication documentaire.
— Enfin nous nous contenterons de mentionner aujourd'hui le début du tra-
vail consacré par M* lï+ Mon in à George Sund et la Révolution de (848, dont le
premier fragment a paru dans la Révolution française du 14 novembre dernier.
C'est une étude critique sur la conduite de George Sand de février à juin 1848,
sur les mobiles de cette conduite et sur la nature de ses idées à cette époque.
El nous y joindrons deux articles de M* Adolphe lïrisson, dans le Temps du
12 el du 14 octobre, qui montrent combien le souvenir de George Sand demeure
vivant dans son pays natal.
— A L'occasion de la publication de la seconde série des Choses vues par
Victor Hugo, dans laquelle M. Thiers est ju^é avec quelque sévérité, la famille
de celui-ci a communiqué au journal te temps (19 octobre) un billet plus flat-
teur, écrit par Victor Hugo à M* Thïers, le 14 décembre 1840, en lui adressant
un exemplaire de son poème sur la translation des cendres de Napoléon aux
Invalides.
— On a inauguré, le 29 novembre, un monument symbolique eommémo-
ratif à la mémoire de Louis Veuillot dans la basilique du Sacré-Coeur de Mont-
marte. Le buste de l'écrivain est placé sur une colonne romane, entre deux
figures allégoriques de la Religion et la Foi* Sainl-Pierre de Rome et Notre-
Dame de Paris se dessinent clans le fond du bas-relief,
— La Correspondance inédite de PatrfFéval mise au jour par SI, Edmond Bluk
dans te Correspondant du 2a octobre lui a élé adressée a lui-même* ltien que
l'éditeur, pour des raisons de convenance personnelle, n'ai pas cru devoir
publier ces lettres intégralement, elles sont néanmoins intéressantes et servent
166 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
à mieux connaître la psychologie du fécond romancier, qui s'y abandonne à
sa verve abondante et primesautière. Ce sont des causeries sans prétentions et
débridées, un peu lourdes d'inspiration, entraînantes pourtant, sans malice,
malgré l'exagération des mots et des formules.
— M. Eugène Bodvy vient de dresser et de publier la table de vingt années
(1879-1898) des Annales de la Faculté des lettres de Bordeaux et Revue des Uni-
versités du Midi. Ce consciencieux travail rendra plus accessibles aux lecteurs
les recherches dans un recueil qui contient d'importants articles sur tous les
sujets de renseignement universitaire.
— L'université de Strasbourg propose pour le prix Lamey des recherches sur
« la poésie anacréonlique en Allemagne au xviuc siècle et ses rapports avec la
poésie lyrique de société en France ».
Le concours est ouvert à tout le monde, sans condition d'âge ou de natio-
nalité, et le prix est de 2400 marks; il sera décerné le 1er mai 1901.
Les travaux écrits en allemand, en français ou en latin doivent être présen-
tés avant le 1er janvier 1901 et remis au secrétaire de l'Université.' Ils doivent
être munis d'une devise, inscrite aussi sur une enveloppe close, avec l'adresse
et le nom de l'auteur, qui ne doit pas être autrement connaissable.
La non-observation de ces prescriptions aurait pour conséquence l'exclusion
du concours. On ouvrira seulement l'enveloppe de l'auteur du travail à qui le
prix est décerné. L'université n'est pas obligée de rendre les ouvrages non cou-
ronnés à ceux qui ne sont pas admis à cause de vices de forme.
0U ESTIONS ET REPOSES.
m
QU ESTIONS
Epictète chrétien. Dans un livn- i </ <uiicux dfl WH1 siècle, k
Itenilti <nipietett\ tnrr det refit viOU le la montlc de f Evangile, par
AL Coequelin, chancelier de l'Eglise et Université de Paris, docteur de la mai-
100 et sociélé de Sorbonne (Paris, chez Claude Barbîn, M* DC< I. XXXVIII, pet,
în-8°, 550 p>), je trouve (p. 137) riudicntiun suivante ; « Au reste, écrit l'auteur,
je ne dois pas mesrne passer pour avoir voulu te premier Taire un livre chré-
tien du manuel d'Epictète, on a déjà fait un ouvrage intitulé YEpictète chrè-
tien.., » Mais il s'abstient malheureusement de nous dire le nom de l'auteur et
la date de cet ouvrage, qu'il se défend bien d'avoir tu pour composer le sien.
Toutes mes recherches pour retrouver ce livre ont été infructueuses. Quelqu'un
le connaîtrait- il, et pourrait-il compléter les indications un peu trop som
maires de Cocu. u clin !
Vjctoû Giraub,
Ben sera de ou Bensserade? — Quelle est la véritable orthographe du
nom de ce poêle? On le trouve tantôt écrit Benscradeel tantôt Bensserade. Il
n'est pas étonnant que les contemporain* se Botaot souvent trompés sur l'or-
tographe d'un nom aussi variable et qu'ils aient adopté tantôt une Tonne et
tantôt l'autre. Mais la où la chose devient tout a Tait piquante, c'est que Ben-
serade lui-même s'y est trompé fréquemment, Non seule ment il signa Ben*
%tradst mais encore Bensserade (lettre adressée au chancelier Seguier, Bulletin
du Iktuqmnistet l*ip aoiVt 1360), et même Bensseradde, dans une quittance du
16 février 1030. À quoi faut-il s'arrêter après cela? et faut-il dire, comme dans
l'exemple fameux de la grammaire! l'un et l'autre s'écrit ou s'écrivent ?
Cubiosus.
Notk dr la ItÉbAcnoN. — Il semble que la dernière forme Bensseradde soit,
au contraire, la première eu date et c'est, en tout cas, celle que l.i famille du
poète avait adoptée et celle dont elle usa le plus longtemps, Beuserade lui-même
l'avait adoptée au déhuT, comme le prouve la quittance de 1036, citée ci-dessus,
mais il ne larda pas à la modifier : il commença par supprimer de sa signature
le second d, tout eu y laissant subsister le deuxièmes, et enfin il adopta et pra-
tiqua, depuis htXi au moins, la dernière variante de son titre : hOOG de Ben-
fe, celle qui a prévalu et qui est ordinairement suivie aujourd'hui,
La fille de Marcelline Desbord es Valmore. — Ha beaucoup été ques-
tion, ces temps derniers, et ici même, de la femme qui fut un poète si déli-
cat. Les biographes ont fouillé sa vie et dit les secrets de son intimité.
On a parlé, a cette occasion, de sa fille Ondine Valmore, qui, en réalité, se
nommait Hyacinthe, qui fil des vers comme sa mère et mourut le IS fé-
vrier 1853, àgèe seulement de trente-deux ans. Elle avait dû, dit-on, épouser
Sainte-Beuve. Quelle valeur poétique ont les vers qu'elle a composés *i Je n'en
ai vu citer nulle part, que je sache, et je ne serais pas fâché d'en connaître
quelques-uns, s'il est possible d'en trouver.
Le manuscrit duo sermon de Bossuet. — Sait-on ce qu'est devenu le
manuscrit du sermon de Bossuet pour fa Profession de MH* de La VaUiéret
manuscrit qui faisait partie naguère de la collection d*Â* Floquet ?
G. U,
168 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
RÉPONSE
La fille de Marcelline Desbordes-Valmore. — Je suis en mesure de
fournir dès maintenant quelques indications sur la question posée ci-dessus.
M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul, dont les travaux sur l'histoire
littéraire du xixe siècle sont bien connus et les collections célèbres, — ses car-
tons renferment les papiers de Sainte-Beuve, — publie dans la Revue hebdoma-
daire du 20 janvier les lettres de Marcelline Desbordes-Valmore à Sainte-Beuve
(1836-1855), et l'une d'elles (avril 1840) contient précisément une invitation en
vers d'Ondine Val more à Sainte-Beuve. Le morceau est un peu trop long pour
que nous puissions le reproduire ici.
Mais voici un fragment plus court que je recueille dans le Journal des jeunes
personnes, t. I (1833), p. 208. 11 est intitulé A un père, et la rédaction du jour-
nal Ta fait suivre de la note ci-dessous : « Nous nous empressons d'insérer ce
touchant hommage adressé à un grand poète par une enfant qui semble avoir
appris des Pleurs de sa mère tous les secrets de l'élégie. »
0 Lamartine! 6 toi que le ciel a formé
De tout ce qu'il avait de pur et de suave!
Se peut-il! se peut-il ! ton àme douce et grave
Est triste de la vie et pour avoir aimé!
C'est donc triste d'aimer? Quand la lyre divine
Berçait l'enfant joyeux par ton cœur adoré,
La mort le regardait; de sa piquante épine
Elle cherchait le cœur de Parbuste pleuré-
Père, console-loi! Ta fille bien-aimée
Est montée où la mort n'entre que désarmée!
C'est Dieu qui l'a voulu, c'est Dieu qui l'aimera :
Ainsi ne pleure plus, père, il te la rendra.
Et le morceau est signé : Une petite fille de onze ans, Ondine F**".
P. B.
Le Gérant : Paul Bonnefon.
Coalommiers. — ïrap. P. BRODARD.
Revue
d'Histoire littéraire
de la France
LES PROVINCIALES
ET LE LIVRE DE LA THÉOLOGIE MORALE DES JÉSUITES
Comment Pascal fît-il les Provinciales? Il n'est pas douteux
qu'il fut aide par les jansénistes. II a dit lui-même qu'il a lu
Eseobar, et qu'on lui a apporté les passages des autres casuistes'.
H. Gazier a publié une intéressante «note janséniste OÙ le concours
apporté à Pascal par Arnauld et Nicole est affirmé'. Naïvement,
MM. de Port-Royal s'imaginèrent parfois qu'ils contribuaient l'es-
sentiel dans cette Collaboration : Nicole se laissa aller à appeler
Pascal un ramasseur de coquilles*, Lorsque le dissentiment quî les
avait heurtés contre Pascal vers la fin de sa vie devint public, ils
eurent l'ingratitude et l'imprudence de le traiter un peu légère-
ment : k Sans consulter lui-même les écrits dont il tirr les preuves
de ce qu'il avance,.., il se contenta des mémoires que lui fournis-
saient quelques-uns de ses amis* ».
La collaboration de Pascal et de MM. de Port-Royal pour les Pro-
-i incontestable. Mais tout ce qu'un en dit est vague. Si
MM. de Port-Royal eurent part au travail, quelle est leur part? S'ils
donnèrent les matériaux, jusqu'à quel point les avaient-il préparés?
comment étaient-ils dégrossis? le style est de Pascal, sans doute;
i. ttecueU d'Uirtckt* elté dans BainMieuYt, III. Uî-143.
2 tluLde ta L H de in Utt* franc., l. 1VT p. 594,
imte-Beuve, UK 381.
i+ Utirr fCtt.'i théotogiin à un de «eê ami* eut ie sujet de ta déclaration de M, le
curé de Saint-Etienne*.* (15 juillet 1666), p. 81.
iUv. d'hiht. t*trrin. Dit la PlAttCBi (T* Ann.)+~- V]|É (2
170 m:\TL D'HISTOIRE LtTTÉJUlIlÇ DE LA FRAHCK,
mais la composition, mais l'usage, rinterprélation, l'exploitation
i I comme la fécondation des textes, cela est-il tout de Pascal? où
bien MAL de PorURoyal donnèrent-ils le canevas des lettres avec les
n talions? Quelle fui enfin la besogne de celui qui fut le secrétaire de
Port-Royale Je n'ai pas trouvé jusqu'ici de réponse précise à cette
question \
Wesl-il pas possible d'aller un peu au delà de la constatation
d'une collaboration indéterminée? Je le crois, et Tai indiqué dans
l'article Pascal de la Grande Encyclopédie. Si Ton avait les matériaux
recueillis par les jansénistes, si l'on voyait comment ils pouvaient
les arranger et présenter, et si, en face de leur travail, on plaçait la
rédaction de Pascal, alors l'originalité serait déterminée avec une
précision rigoureuse. Or, précisément, cela est possible, et nous
avons ces matériaux, du moins pour une partie des Provinciales,
pour les Lettres 1V-X. Quand Pascal, en eflet, se rabattit sur les
Jésuites, ses amis lui mirent entre les mains un petit livre jadis
publié par euxf où toutes les accusations efficaces et toutes les
citations topique» étaient ramassées. Les Jésuites s'en aperçurent
bien : des leur Première réponse, par la plume du Père de Lîn-
gendes, ils firent savoir que toute la matière des lettres dirigées
contre leur ordre était [irise à un libelle intitulé la Théologie
morale des Jésuites > extraite fidèlement de leurs livres.
Ce libelle, qu'on a attribué à Àrnauld, ou à M. Rallier (avant
(fuil fût de nos atnîs, comme dira le bou père de la quatrième
Provinciale)^ avait paru eu ltî43'« l'ne seconde édition revue et
augmentée fut donnée Tannée suivante *. L'attaque avait éié
ignorée du grand public ; mais elle avait louebé au vif les
Jésuites, Leurs Pères Pinlhereau, Caussin, Le Moine t Ànnat
s'employèrent à réfuter les accusalions portée» contre la compa-
gnie". Et les jansénistes, probablement Arnauld, avaient répliqué
i. Cf. Sainte-Beuve, IR, 73, US, lia, l »ti, 1*7: — lia/.ier. dans VULit.de h L et ée
ta tilt, />%, i. IV, j>. 5^4. — V. Gir&ud, Patcal, ,►. ifc
3. BibL nat, Inv. 0, 23773 - la- 13, s, 1. n. é.f 45 | Le véritable .-tuteur *"si
ArnauM t<-f. l'relace du t. 19 dfl fcnti (&uvres), ItaUier j'ieijL-éLre lui donna l'idêt
du ira va.il et lui fournit quelques notes. On lit dans les Œuvres d'ÀrnauId (L. £9,
p. A4) a la fin de la réimpression du tit>etle : Compote tpfèn le mois d'aoûi u
3. Kilit. nah Inv, D, S6nk : P.iris, MjU+ in-12, fil pages. La Théologie murale de*
Je tuile s n'occupe à vrai dire que les pages i -41» du volume. La lin regarde les
Jùsuï tes d'Angleterre, Jes rapport fl de I* compagnie avec les e vaques, et les désaveui
qu'elle Tait des livres de ses membres,
4, (PinlhercHU), lm fa t te» ignorance* du libelle intitulé : La thédl
morale des Jésuites, par l'abbè de Boîsîc; RéponH ifEtuèèe nu thtkdogten de rôét
courte. — Caussin, Héponse au tihelle intitulé La lb. m or. des J. — Le Muine, Manu
fertr fipoloa rff/ue pour ta doctrine des religieux de fa compagnie des Jésit*. — (Annat),
Le libelle intitulé Th. tiioi\ des J* rontredit et eonPOiaCM *yn toits ses chefs par un
;ien de ta compagnie de Jésus, Toulouse. Toutes ees réponses sont de ttiM.
LES PROVINCIALES ET LA THÉOLOGIE MORALE DES JÉSUITES. 171
en les maintenant !. Aussi n'est-il pas étonnant que, douze ans
après, la mémoire de cette vive escarmouche fût encore fraîche
chez les Jésuites.
Par une étrange chance, l'indication qu'ils donnaient n'a pas
été suivie sérieusement. Sainte-Beuve a sans doute tenu entre les
mains le libelle, et n'y a jeté qu'un coup d'œil*. L'abbé Maynard3
n'en dit qu'un mot, pour dériver, après le Père Nouet4, le libelle
janséniste d'une source protestante, le Dénombrement des tradi-
tions romaines de Dumoulin; il ajoute pourlant qu'Arnauld avait
fait des emprunts au Teafro Jesuitico attribué à l'évèque de Malaga
lldefonse de Saint-Thomas. Mais personne à ma connaissance ne
s'est appliqué à considérer le rapport qui existe entre les Provin-
ciales et le livret de 1643-44. La raison en est sans doute que la
conformité des titres a fait confondre souvent cet opuscule avec
un gros ouvrage plus facile à rencontrer : je veux parler de la
Théologie morale des Jésuites et nouveaux casuisles parue en 1666 et
mise alors à l'Index, et réimprimée à Cologne en 1699 (6 parties
en 4 vol. in-8). Barbier, dans son Dictionnaire des ouvrages ano-
nymes et pseudonymes, fait la confusion qu'ont bien évitée les
PP. de Backer et Sommervogel dans leur excellente Bibliothèque
de la compagnie de Jésus 8.
Je reproduis ici, d'après l'édition de 1644 *, la partie du petit
livre de la Théologie morale qui contient la matière des Provinciales.
Je signalerai à la rencontre les passages employés par Pascal. On
verra ensuite les conséquences qui découlent de la comparaison
des textes.
{.Lettre de Polémarque à Eusébe; Lettre d'un théologien à Polémarque (1644). On
les trouve à la tin de la traduction française des Notes et éclaircissement* de Wen-
drocke par M"* de Joncoux (t. 111, p. 252-3(>8), et dans les Œuvres d'Arnauld, t. 29,
p. 95-172. — Hallier répondit aussi et fut en polémique avec le P. Pinthereau.
2. Saint-Beuve, Poi t-Royal, III, 109.
3. Pascal, sa vie et son caractère, t. I.
4. Lettre écrite à une personne de condition, sur la conformité des reproches et
calomnies que les Jansénistes publient contre les PP. de la compagnie de Jésus avec
celles que le ministre Dumoulin a publiées devant eux contre l'Église Romaine dans
son livre des Traditions imprimé à Genève en Vannée 1632.
5. La Préface du tome 29 des Œuvres d'Arnauld (Paris et Lausanne, in-4°, 1179)
met en garde contre cette confusion.
6. Arsenal, 13819, H, t. 17, Pièce 7. — B. Nat. Inv. D. 23774. — Arnauld, Œuvres,
t. 29, p. 74, 94. —En reproduisant exactement le texte de la Théologie morale, je
modifie légèrement la disposition typographique. Le livret de 1G44 porte en man-
chettes les références aux passages des auteurs incriminés : j'ai supprimé les man-
chettes, et placé les notes en italiques à la fin de chaque passage; là où la réfé-
rence ne visait pas tout l'article, mais une idée particulière, j'ai marqué par un
chilTre d'appel le point où la référence s'appliquait.
m
RKVUEl li HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRÀtfCli,
THEOLOGIE Morale des Jésuites |j exlraicle fidellement [[ de leurs
Liures» Con || tre la Morale dires || tienne en général.
Deuxiesmc Edition reteuï H \\ aiiy tuent t't\
A PARIS
M. D, G, XXXMUl
[P. 1.) Théologie Morale || des îésuites || exlraitte fidellement
de leurs Hures.
Contre la || Morale Curbstïennb || en général*
I. IL n'y a presque plus rien qu'ils ne permettent aux Chresliens, en
réduisant toutes choses en probabilités, & enseignant, Qu'on peut quitter
la plus probable opinion que Ton croit vraye, pour suiure la moins
probable; En soustenant en suitte qu'vne opinion est probable, aussi*
lost que deux Docteurs renseignent, voire raesme un seul.
Tous leurs Casuistes, Vasquez, Valentîa, Enriquez, Lessius, etc.
Saneliez, ht Oecat. 1. 1, c, a. Emman, Sa, in sunmi.i verk. dubhtm K
II. Tour obliger le monde à suiure les nouueautez principales qu'ils
ont introduites dans ta Morale Chrestienne, Ils enseignent, Que nous
deuons apprendre la reigle de nostre Foy des Anciens Pères : mais que
pour celte des mœurs, il la faut tirer des Docteurs nouueaux, quiestvne
chose très injurieuse à tous les Pères de l'Eglise.
Valenlîa, Uc-inaldus et Ccllot, de HierH 1. 8, c. 16, p. 714*.
(2). 111. II n'y a presque personne qui ne puisse trouuer des excuses
à ses crimes, si l'on admet les conditions qu'ils maintiennent eslre
nécessaires, afin qu'une action soit mortelle, ne voulant pas qu'elle le
puisse estre» ri rite ne procède d'homme } oui poye, *jui §çockex qui pénètre
t-equtl y a d§ Ken et de moi en elU, Et soustenant; Qu'avant cette p r-
quûilion, cette veur & cette réflexion de Vesprïi ieteuê te$ qualité* bonnes
ou mauunist's 4e ta ehùsê à laquelle on s' occupe ^ Faction auec laquelle un
hi fait ffe$t pas volontaire*
Bauny, Som. des peckez% p. 906, éd* 51*
t. Pascal, y Pw., éd, fougère, Haonctie et C% ISSfl, t. 1, p. 113 et suiv* P. 114 ;
voici comme ils en partent tous généralement, Sanchez cité* P. H 5 : Santhea cité,
P. 116 : Emmanuel Sa, dans son aphorisme de dubïo. P. 117* références a Va*quuz,
2* Pascal, Prov. 5, l. ï, p. *20 : Les Pères étaient hans pour l<t morale de four temps,
mtiis itx xonl trop éloignés pour celte du nôtre* Ce ne sont plus eur qui ta rèatent*
ce sont les nouveaux casuixles. Ecoutez notre P. Cetlot, de Hier., I. VIII, C, XVI, p. 714,
qui suit en cela notre fumeur P. Begmalduê.
3. Pascal, Prou. 4, p+ 77-7N, la citation du P. Bauny, On remarquera la phrase
et de ta cinquième édition encore , pour vous montrer qu* cent un bûn in te, Dr la
5« éd. avait paru en 1041 i mais, depuis, il y en avait eu au moins Irais autres. Ou
LES PROVINCIALES ET LA THÉOLOGIE MORALE DES JÉSUITES. 173
IV. Garasse, dont leur Bibliothèque (composée par vn de leur Com-
pagnie, auec Approbation de leur General, et de plusieurs autres de
leurs Théologiens) parle auec de grands Eloges, veut faire croire que la
vanité, la bonne opinion de soy-mesme, qui est la peste la plus dan-
gereuse des mœurs, est vne recompense que Dieu donne à ceux qui ne
méritent pas l'estime et les louanges des hommes. C'est un effet,
(dit-il) de iustice commuta liue, que tout trauail honnesle soit récompensé
ou de louange ou de satisfaction. Quand les dons Esprits font un ouurage
e.rce 1(3) lent, ils sont iustement récompensez* par les applaudisse mens et
par les louanges communes, etc. Quand vn pauvre esprit travaille beau-
coup pour ne rien faire qui vaille, il nest pas iuste, ny raisonnable qu'il
attende des louanges publiques, car elles ne luij sont pas deuës. Mais afin
que ses trauaux ne demeurent pas sans récompense, Dieu luy donne vne
satisfaction personnelle laquelle personne ne luy peut enuier sans une
iniustice plus que barbare. Ce qu'il explique par vne comparaison ridi-
cule (Page 419.. Tout ainsi que Dieu, qui est iuste, donne de la satisfaction
aux grenouilles de leur chant.
Garasse, Somme théol., 1. 2, p. 419 '.
V. Ils ont tant de peur qu'on ne restitue le bien d'autruy, que Cellot
ne craint point d'appeller le Liure d'vn Casuiste, qui auoit empesché un
homme de faire une restitution ordonnée par son Confesseur, et qu'il
alloit accomplir, vn Effet de la Prédestination de cette personne, et le
prix du sang de Iesvs Ciiiust.
De Hier., Mb. 8, c. 16, p. 717 2.
VI. Ils ont ruyné, autant qu'ils ont pu, l'obligation que les Pécheurs
ont de se séparer des occasions prochaines du péché; Et sur cela
Bauny enseigne, que ce n'est pas vne occasion de péché (4) qu'on soit
obligé de quitter, que d'awtir une femme chez soy avec qui on pèche vne
ou deux fois le mois.
Bauny, Somme des péchez, c. 1, der. édit., 1 3.
VII. Il enseigne au mesme lieu que de ieunes gens qui se corrom-
pent auec des femmes, ne sont pas obligez de quitter leur conuersation,
voit clairement par là que Pascal prend sa citation dans le libelle. P. KO, 81, 82:
développement des deux premières lignes de l'article du livret. lient soyez-vous,
mon Père, qui justifiez ainsi tes yens, elc. P. 91, la citation de P. Bauny, qui continue
celle de la p. "S : la partie citée par l'article de la Théologie morale se retrouve ici.
On voit bien en même temps comment Pascal s'est reporté au livre pour compléter
ici et là les citations de 1044 et en démêler la portée.
1. Prov. 9, 1. 1, p. 274-5 : Se pensez-vous pas que la bonne opinion de soi-même et la
complaisance qu'on a pour ses ouvrages est un péché des plus dangereux? et ne serez-
vous pas bien surpris si je vous fais voir... que c'est au contraire un don de Dieu? Suit
la citation où Pascal abrège encore plus le texte déjà coupé par MM. de Port-Royal.
Mais Pascal n'a eu garde d'omettre la comparaison signalée en 1644 comme ridicule:
il en fait le trait final, assez efficace de lui-même sans avoir besoin d'être souligné
2. Prov. 8, t. I, p. 244. Pascal donne in extenso la pieuse re flexion du P. Cellot.
3. Prov. 10, t. 1, p. 319. le P. Bauny allégué avec les mots : une ou deux fois par
mois.
174 REVUE DfHISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
s'ils ne le peuuent faire sans donner occasion au monde de parler, ou
sans en receuoir de V incommodité l.
Ibidem.
VIÏI. Enfin le mesme Autheur soustient généralement, que le précepte
d'euiter ce qui allèche V homme au vice, pour en estre l'occasion quasi cer-
taine, ne nous oblige qu'à ne rechercher pas de gayeté de cœur ce qui
porte au péché.
Ibidem.
IX. Suarez enseigne qu'un homme estant au péché mortel, peut faire
cet Acte positif et formel sans aucun péché, mesme véniel : le ne veux-
pas maintenant me conuertir à Dieu.
Suarez, t. 4, disp. 15, sect. 5, num. 17.
X. Ils ne trouuent aucun péché à vne femme qui se pare avec vne
curiosité excessiue, Encore quelle ait connoissance du mauuais effet que
sa diligence à se parer opereroit, g- au corps # en Vdme de ceux qui la
contemple roient ornée de riches et précieux habits, pourueu quelle n'ait
pas formelle($)ment intention de les porter au mal : Mesprisant ainsi les
Oracles des deux Princes des Apostres (Tim. 2, v. 9, et I, Petr. 3, v. 3.),
qui défendent si expressément aux femmes chrestiennes de rechercher
ces vains ornemens -,
Bauny, Som. des perliez, p. 1093, éd. G. Sanchez, en sa, Somme,
t. 2, 1. l,c. 6.
XI. La pernicieuse doctrine des Iésuites en cette matière, le désir
qu'ils ont d'attirer les Gens du monde par vne dangereuse complai-
sance *, ayant porté le Père Lambert (de leur Compagnie) à prescher le
Dimanche deuant la Toussainct dernière, dans leur Eglise d'Orléans,
Que les femmes dans toutes leurs pompes et agreemcnt, ayant le sain
modestement descouuert, pouuoient acquérir une cminente sainteté; Et
ayant rapporté sur ce sujet ces paroles de Saint Pierre, Sic enim
aliquando mulieres sanctx ornabant se subjectœ vins suis, pour autho-
riser la vanité des ornemens du corps, par un Passage qui la condamne
expressément, et qui ne parle que des ornemens de l'Ame, Monseigneur
l'Evesque d'Orléans a été obligé de le faire retracter en pleine chaire.
Xïï. Ils enseignent qu'vne personne peut en conscience louer sa
1. Ibid. : la citation du P. Bauny : cCy demeurer quand ils ne pourraient les quitter
sans bailler au monde sujet de parler, ou sans en recevoir de Vinconnnodité. Pascal
s'est diverti au livre françois du P. Bauny, et il en garde l'archaïsme savoureux :
bailler sujet. MM. de Port-Royal ne voient que l'idée, et substituent sans donner
occasion. Mais là-dessus, cf. plus loin, p. 189. 11 se peut que Pascal ait pris la cita-
tion de le 40* Prov. dans la Lettre du theoloyien. Dans la 5* Prov. (p. 112), citant le
même texte, il mettait donner sujet.
2. Prov. 9, t 1, p. 283 : la citation de Bauny, p. 1094. Pascal ôte la restriction finale.
Renvoi à Sanchez. La contradiction de l'Écriture est indiquée par Pascal.
3. Prov., t. I, p. 317 : 0 mon Père, que ces maximes-là attirent de gens à vos con-
fessionnaux! — Aussi, dit-il. vous ne sauriez croire combien il y en vient.
LES PROVINCIALES ET LA THÉOLOGIE MORALE DES JÉSUITES. 175
maison (6) pour en faire vn lieu de desbauche, sans mesme auoir aucune
raison qui luy puisse seruir d'excuse, etiam nulla iusta causa excusante.
Sanchez, in DecaL, 1. I, c. 7. Valentia, q. 2, disput. 5,
q. 20, puncl. 3.
XIII. Ce qu'ils ont fait eux-mesmes au Collège de Marmoutier, fait
bien voir iusques où dans leurs Principes, ils peuuent porter la cupidité
des hommes, puisqu'ils ont osé, à la face de Paris, changer une maison
de Religieux, en des Boutiques mercenaires, & en la demeure de plu-
sieurs femmes, et de mesnages. Et ce qui passe toute créance, louer
la nef d'vne Chappelle à vn menuisier, pour en faire sa Boutique : 8c
changer le Chœur en vn Grenier à foin.
Procez-verbal fait par le Commissaire Charles, à la requête
du Recteur de V Vniversité.
XIV. L'on sçait, & on le prouuera s'il est besoin par pièces authen-
tiques, qu'ils exercent marchandise, 8c qu'ils ont fait des Contracta d'asso-
ciation, au nom de leur Compagnie, auec des Marchands de Dieppe.
On a lr Con tract en main, druêmêt Colla tiôné, et signé
do deux Notaires.
(7) Contre les Commandements de Diev
Et premièrement contre les deux Commandemens généraux, de V Amour
de Dieu et du Prochain.
Ils ont ruyné par diuerses voyes le Commandement d'aymer Dieu
par dessus toutes choses, qui est le fondement de la Religion Chres-
tienne '.
De Hier., l. 3, c. 3, p. 122 et p. 107.
1. Cellot enseigne, Que la loy de Moyse donnoit la Grdce aussi bien que
VEuangile, $ quelle conduisait au Ciel par la crainte, comme la Loy
Euangelique par amour1. Contre la définition expresse de S. Paul, qui
dit (G ilat., 2, v. Il) : Que si la loy de Moyse auoil eu le pouooir de iusti-
fier les hommes, Iesvs Christ serait mort en vain. Et contre la première
Notion du Christianisme, qui nous asseure que les biens Eternels ne sont
préparez qu'à ceux qui aiment Dieu, qutv. pnvparauit Doits diligen-
Hbusse.
IH. Ils ne peuuent souffrir qu'on enseigne aux ^hrejtief.s, aue«: Saint
Paul et les (8) Pères, l'obligation qu'ils ont de rapporter toutes leurs]
i. Prov. i0, t. I. p. 32S: C'est ainsi que nos Pères ont déchargé tes hommes d? l'obli-
gation pênih'p d'aimer Dieu actuellement... P. 331 : on viole le grand commandement gui
comprend la loi el les Prophètes... on ruine ce que dit Saint Jean. Les pages 330-332
de Pascal sont le développement et commentaire de cette simple phrase, et des mots
« contre la doctrine du christianisme • de l'article I.
2. Pascal a laissé Cellot, ayant trouvé chez le P. Pinthereau, réfutateur de la Théo-
logie morale (Cf. plus loin, p. 189) un passage plus fort sur la comparaison des
deux lois.
l'Ô REVUE B HISTOIRE MTTKJUINS DE LA fRÀHCE»
actions à Dieu* Et ont mesme osé dire, que Iesvs Christ luit pu taire
des actions de Vertu, sans les rapporter à la gloire de son Père,
An t. Syrmondt en son Liure de l*t dêfmcê dr lu reriuY
traitté 3, p. 301.
111. lis diminuent autant qu'ils peuuent l'obligation de ce grand
Commandement ■, Comme l'appelle Iesvs Christ; & ils ont passé jusques
è ce point d'Impiété, de souslenîr ouuertemenl, Que Pacte intérieur
d'Amour de Dieu, n'esloit que conseillé et non point commandé !. '
/lient, (raillé ït p. 0 et p. 22,
IV* Que Dieu, en nous commandant de l'aymer, Nû Miff obUgeoii poi
tant dr laijmet\ que de nr l* point hayt\ Ce qu'il n'y a que les diables
qui puissent faire, & ainsi à moins que d'auoir autant de malice qu'eux,
on ne pourrait violer le Commandement d'armer Dieu.
/WrfM p. 18 et 19 \
V* Qu on pouuoil estre sauué, sans auoir iamais aimé Dieu en sa
rie, & qu'il suffisoit d'accomplir ces (tti) préceptes, §<Mtl mtenHon "H
affection pour luy*.
Ihtdemt p. 18 et H<
VI. Anthoine Syrmond a enseigné toutes ces Erreurs et Iinpielez, qui
vont (9) au renuersement de la Religion Chrestienne * dans un Liure
approuué par quatre Théologiens de son ordre : Se qunt on luy en a
voulu représenter l'excez, par un extraict qu'on a fait voir de ces
mauvaises propositions, il lésa soustenues auec vne telle insolent,
qu'il a oaê nommer cet extraict un Libelle diffamatoire, et traitter
d'Impie celuy qui en estoit l'Auteur.
hum un petit Liure f/uif o intitulé : Iksponsr à vu Libelle
diffamatoire.
Et dans ce Liure, il a eu la hardiesse d'attribuer sa mauuaise doctrine
à feu monsieur du Val, en cottanl 1 endroit & la page de son Liure,
quoy que cette opinion y soit condamnée en termes formels en ce
mesme endroit d'Erreur et d'Impiété.
i+ Prov. 10, L I, p. 'A21 : Notre F, Antoine Sirmond**. dans son admirable Kwi
de lé Déftnte da ta vertu* ait il parle français en Francis comme il ilil au lecteur,
1. Prûtf- 10, L I, p. 'J'Si : te grand cemmandtmeni y ni oomprtné ta loi et les Pro-
phète* >
3, Prov. 10, l, l, p. 328: Le commencement de La cilalion du P. A. Sitttiondt ort il
«lit ce dont Dieu se contenu.
i. Fro*. tu, t. I, 328 ; U ne nom est pas tant commandé de Vaimêrt/uc <ie ne le pas
hav\
5. Prov. I0t t* L p- 328 * la citation de Sirmond : sinon (sans affection) nous ne
laisserons pourtant en rigueur d*obèir au commandement en ayant tes irutres. Ici
Pascal feuillette ce traité et ne s'arrête pas toujours anx mêmes phrases que les
jansi-nistea, mais c'est le même passage : la Théologie morale renvoie aux pages 20»
t, IB eU9, 18 et 21 : Pascal aui p. 12, 13, 14, etc., Itf. 19, 2**28,
|, piitv, 10,1, K p+ 331 : la licerue qu'on a prise .., se porte jusqu'au renversement
entier de loi de Dieu.
LES PROVINCIALES ET LA THÉOLOGIE MORALE DES JÉSUITES. 177
VIL Ils enseignent contre le précepte d'aymer son Prochain, Qu'il n'y
a point de péché mortel d' auoir une aliénation telle et si violente contre
quelqu'un, que pour quoy que ce fût, on ne veuille lui/ pardonner quand
il recognoit auoir failli/ $ se met à la raison.
Bauny, Somme des péchez, p. 124 et 135 de l'édit. 5.
VIII. Bauny dit que l'Enuie n'est pas vn péché mortel, quand elle est
conceuë pour le bien temporel du Prochain, & la (10) raison qu'il en
apporte est tres-dangereuse, & va aussi bien à excuser le Larcin que
l'Enuie : Car, dit-il, le bien qui se trouue es choses temporelles est si
mince, et de si peu de conséquence pour le Ciel, qu'il est de nulle consi-
dération deuant Dieu et ses Saints. Et cependant c'est pour ce bien
temporel, de nulle considération, qu'il permet le Macquerelage, propter
temporalem commo dilate m l, et qu'il souffre que des personnes demeu-
rent dans les occasions prochaines de péché lorsqu'ils n'en peuuent
sortir sans en receuoir de l'incommodité.
Bauny, Som. des Péchez, p. 123, éd. 5.
IX. Garasse a ruyné l'obligation que les Maistres ont d'instruire leurs
serviteurs dans la crainte de Dieu, à peine de respondre de leurs péchez,
s'ils arrivent par leur négligence, par défaut d'instruction. Car il
enseigne, Que iamais la faute du valet ne fut iustement imputée au
mnistre; # qu'il n'est pas à un seruiteur comme d'vn fils de famille,
# d'un disciple. Parce que les fautes des Enfans sont auec quelque iustice
reiettees sur les espaules de leurs Parens, g les Précepteurs sont auec
quoique apparence responsables des fautes que (11) commettent leurs Dis-
ciples, pour le moins quand ce sont Pédagogues domestiques, d'autant
qu'il g a ie ne sçag quelle obligation mutuelle entre Père $ fils, Précep-
teur jj- disciple pour le fait de l'éducation. Mais entre valet et Maistre*
il n'y en peut auoir autre que de iustice : tant seruy, tant payé; au
partir de là, nulle relation naturelle.
Garasse, Somme TheoL, 1. 2, p. 375.
X. Ils iugent ces iniures qu'on fait au Prochain selon les règles de
la vanité du monde, & non point selon les règles de l'Euangile : Le
mesme Garasse disant, Que lorsqu'vn gentilhomme donne un soufflet à un
Villageois, c'est un pèche de cholère qui n'entre pas en considération. De
Villageois à Villageois, c'est vne offense ridicule, dont on ne fait point
d'estal. Mais si vn Villageois, ou vn homme de néant, auoit la hardiesse de
donner vn soufflet à vn gentilhomme, l'offense ne se peut reparer que par
la mort du criminel 2.
Garasse, Somme Theol., 1. 2, p. 294.
1. Prov. 9, t. I, p. 215. La citation du P. Bauny, c. 7, p. 123 des 5* et 6# éditions.
Pascal reprend la jolie distinction du bien spirituel et du temporel, et laissa la
chose deshonnéte qui ne se peut nommer sans grossièreté !
2. Pascal a trouvé mieux dans Escobar, Azor, et Lessius : Prov. 1, p. 493-194. Il a
donc, laissé Garasse.
178 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Contre le Dêcalogue.
I. Vasques dit, qu'on peut adorer non seulement les Images, mais
aussi toutes les créatures mesmes inanimées, comme representans Dieu.
Vasquez, lib. 3, de Ador., dîsput. I, c. 2.
(12) II. Les prophanations du service Diuin, ne sont en leur estime
que des offenses légères, et Bauny citant faussement Gaietan est d'opi-
nion, Que Ton peut sans péché mortel y chanter des chansons mon-
daines, pouruue qu'elles ne contiennent que de la vanité.
Bauny, Som. dp* Péchez, p. 6, édit. 5.
III. Us autorisent autant qu'ils peuuent les simonies palliées, & Ema-
nuel Sa soustient, qu'on peut sans simonie permuter un Bénéfice de
peu de reuenu contre vn plus grand, en suppléant la plus-valeur en
argent pour les égaller.
Emman. Sa, Verbo simonianum.
IV. Touchant le second Commandement Bauny prétend, Que prendre
Dieu à tesmoin d'vn mensonge léger, n'est vne irreuerence pour laquelle
il veuille et puisse damner vn homme.
Bauny, Som. des Péchez, p. 845, édit. 5.
V. Ils veulent que ces paroles de iuremens et blasphèmes ordinaires,
Mort ,' Teste, Ventre, etc., pourueu qu'elles ne soient prononcées que par
cholere, § non par indignation enuers Dieu, ne sont pas des blasphèmes;
parce quil est vray que Dieu s'estant fait homme, il a comme homme ces
parties", éç qu ainsi ce nest quvn péché véniel, quand il est sans pariure
$ sans scandale : comme (13) s'il se pouuoit faire que ces paroles d'im -
piété ne fussent pas scandaleuses '.
Bauny, Som, des Péchez, p. 95, édit. 5.
Layman, lib. 2, tr. 10, c. 6. Bauny, ib., p. 101, édit. 5.
V. Pour le Commandement d'honorer son Père & sa Mère, sans parler
maintenant des Pères spirituels, Bauny excuse généralement de péché
mortel les Enfans qui prennent le bien de leurs Pères et Mères, & il se
fonde sur vne raison très pernicieuse; D'autant, dit-il, que les Parens
ne sont cernez vouloir obliger leurs Enfans h n entreprendre sur le leur
sous cette peine, y ayant de F apparence quils aymeroient mieux voir tout
leur bien fondu entre leurs mains, que leursdits Enfans en disgrâce auec
Dieu. Comme si ce sentiment ne deuoit pas estre commun à tous les
Chrestiens, ou comme si ce n'estoit pas un pèche d'outrager les gens
1. Pascal, qui vient du monde, sait bien qu'on ne s'y scandaliserait pas de voir
que les Jésuites ne damnent point les gens pour dire Morbleu, Téteôleu et Venlrebleu.
Aussi ne relève- t-il pas ce grief.
LES PROVINCIALES ET LA THEOLOGIE MORALE DES JÉSUITES. 17<>
de bien, sous prétexte qu'ils font profession de pardonner les iniures
qu'on leur fait.
Bauny, Som. des Péchez, p. 205.
VIL C'est une chose horrible * que ce qu'ils ont enseigné depuis peu
d'années publiquement dans leurs Escholes contre le sixiesme Com-
mandement de ne point tuer; sçavoir, Qu'on peut tuer pourueu que ce
soit en cachette & sans scandale, ceux qui médisent de nous, si (14) Ton
ne peut autrement arrester la médisance, quand mesme la chose dont
on nous accuseroit seroit vraye, pourueu qu'elle fust cachée. Et ils
rapportent pour raison de ceste abominable doctrine, une maxime
générale la plus pernicieuse, & la plus contraire à l'Euangile qui se
puisse imaginer, sçauoir, Que le droit naturel que nous auons // nous
défendre s es tend généralement à tout ce qui est nécessaire pour se prc~
seruer de toute iniure.
Le P. Héraut dans ses escriis que Von a, et dont on a dressé
Procez verbal par deuât vn Commissaire2.
VIII. Et le mesme Professeur en Théologie Morale, a dit dans les
mesmes Escrits, qu'vne fille qui auroit été forcée, peut procurer la perte
de son fruit auant qu'il soit animé.
IX. Sous prétexte du faux honneur, ils authorisent l'usage abominable
des Du^ls3, lorsqu'on est appelle, & ne trouuent point de péché mortel,
de se mettre en estât de tuer ceux qui nous ont fait venir au combat,
& mesme de les tuer efîectiuement.
Hurtado de Mendosa, in q. 2, t. 2, disp. 170, sect. 18, S 100 4.
X. Quant au septiesme Précepte qui regarde la chasteté, ils ont
enseigné à la Flèche, que le péché qu'on commet auec vne •femme
mariée, lorsque son (14) mary y consent, n'est point adultère.
On en produira les écrits si besoin est.
XL Bauny ne recognoist pour stupre que celuy qui se commet par
force et par violence, et prétend que ce n'est qu'vne simple Fornication
de corrompre vne Fille5 quand elle y consent, quelques prières cl persua-
sions qui soient interuenuës de la part de l'homme, quoy que les Juris-
consultes, mesmes Payens6, ayent égalé à la force les persuasions
1. Pvov. 7, p. 195 : Cela me parut si horrible (la doctrine sur l'homicide).
2. Prov. 7, p. 195 : Le P. Héreau, dans ses écrits de V Homicide, p. 193. Le passage du
P. Héreau que la Théologie morale avait cité, es! signalé comme suivant mot à mot
Lessins, dont Pascal donne le texte.
3. Prov. 7, p. 188 : Montrez-moi... qu'il soil permis de se battre en duel.
4. Prov. 7, p. 187 : Notre grand Hurtado de Mendoza... Et Pascal donne le passage,
rapporté dans Diana.
5. Pascal omet tous ces cas scabreux, et se contente d'une allusion. Cf. Prov. 8»
p. 23S, et 9, p. 281. Il va où on le renvoie, au P. Bauny, et de la p. 143 qu'indiquait
la référence du livret, il court à la p. 148, où il saisit un passage qu'on peut citer.
6. Pascal {Prov. 7, p. 282) aux jurisconsultes païens substitue les poètes païens,
et compare Catulle et le P. Bauny.
180 REVCE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
importunes violentes Se que mesme en un sens, le dernier soit un plus
grand crime que l'autre, par ce qu'en l'vn on ne corrompt que le corps,
& en l'autre on corrompt le corps Se l'esprit.
Bauny, Sorti, des Péchez, p. 143.
XII. Le mesme Auteur veut qu'en ce cas de persuasion Se de prières,
on ne soit point obligé de doter vne fille qu'on auroit corrompue.
Ibidem.
XIII. Us permettent aux Valets Se aux Seruantes, de seruir d'instru-
mens aux desbauches de leurs Maistres & Maistresses; Bauny soustient
qu'vn Valet ou vne Semante, peuuent porter des poulets, donner des
assignations, & entretenir tout le reste de ces mauvaises pratiques,
pourueu qu'en cela, il[s] ne re (16) gardent que leur commodité tempo-
relle, modo id fiât pmpter temporalem commoditatem l.
Sanchez, in Sum., lib. I, c. 7. Ema. Sa, Verbo peccalïï, num. 9.
Azor, t. 2, 1 . 22. c. ul t. Bauny, Som. des Péchez, ch . dern. , édition 1 .
XIV. Contre le septiesme Commandement, Bauny excuse de l'obliga-
tion de restituer, ceux qui par ignorance de fait ou de droit, auroiêt pris
le bien d'autruy, encore que par après on leur fasse reconnoistre l'in-
iustice de leurs acquisitions.
Bauny, Som. des Péchez, p. 238 *.
XV. Dans toutes les palliations qu'ils ont trouuees pour authoriser
l*Vsure, il n'y a plus maintenant que les simples qui en puissent faire
scrupule; Se Bauny donne des inuentions pour pouvoir sans blesser sa
conscience, donner son argent à interest, Se le prendre, non seulement
au dernier des rentes constituées, mais tel que la discrétion et la pru-
dence de celuy qui preste iugera à propos : Et il a pris la peine d'en
dresser le Contract, Se mesme les compliments qu'on se doit faire l'vn
à l'autre dans ces rencontres3.
Bauny, Som. des Péchez, p. 331 et suivantes, éd. 5.
XVI. Le mesme Bauny enseigne : Que les Valets qui se plaignent de
leurs gages, les peuuent d'eux mesmes croistre, en se garnissons les mains
d'autant de bien* appar(il) tenant à leurs Maistres, comme il s'imaginent
en estre nécessaire pour égal 1er lesdits gages à leurs peines.
Som. des Péchez, p. 213, édit. 5*.
i. Prov. 6. t. 1, p. 16t. La citation de la Somme des Péchés, - en la pape HO de la
première impression •. Pascal a noté avec soin l'indication de l'édition, sachant
que le P. Pinthereau avait accusé Arnauld d'avoir forgé le passage, par ce que le
P. Bauny n'avait pas osé le reproduire en sa hardiesse dans son livre français.
2. Pascal a trouvé mieux dans Escobar (Prov. 8, p. 231-236) et dans Lessius (p. 235).
3. Prov. 8, p. 225-28. Pascal, averti de la peine qu'avait prise le père Bauny, n'a
eu garde de négliger ce contrat et ces compliments : mais, au lieu de qualifier,
il cite.
4. Prov. 6, p. 162. Pascal a allongé la citation. C'est le passage de Jean d'Alba. Ici
Pascal a pris la 6* édition.
LES PROVINCIALES ET LA THÉOLOGIE MORALE DES JÉSUITES. 481
XVII. Le mesme Auteur veut qu'on ne soit pas obligé, sous peine de
péché mortel, à rendre ce qu'on a pris par quantité de petits larcins,
quelque grande que puisse estre la somme totale.
Bauny, Som. des Péchez, p. 220.
XVIII. Il n'oblige pas aussi à restitution des dommages, Celuxj qui aura
prié vn soldat de frapper, battre son voisin, ou de bruster sa grange, &c.
pour ce, dit-il, qu'il n'a pas violé la Justice en priant vn autre d'une
faueur, qui demeurait tousjours libre à l'accorder ou la nier, nen ne l'obli-
geant de le faire que la bonté, douceur ou facilité de son Esprit l, attribuant
ainsi les crimes qui se font par la persuasion d'autruy, à la bonté, dou-
ceur, & faculté de l'esprit de celuy qui les commet : & trouuant que
c'est une grande douceur, de frapper & battre le monde, et brusler des
Granges 2.
Bauny, Som. des Péchez, p. 307.
XIX. Contre le huitiesme Commandement, Ils authorisent le men-
songe par la doctrine des Equivoques & des restrictions Mentales qu'ils
ont introduites \ et qu'ils pratiquent parfaitte(18)ment bien en toutes
rencontres, tesmoin le desaveu des Liures d'Angleterre, dont depuis il
se sont reconnus publiquement pour Aulheurs.
XX. Bauny excuse la mesdisance de péché mortel, quand la personne
dont on mesdit est de soy vile, ou ne s'en soucie que peu ou point, & ce
d'autant qu'elle tient à honneur ce de quoy ou la blasme. Ainsi, dit-il,
ce n'est péché de dire d'un gentilhomme (sans distinguer si ce qu'on dit
est vray ou faux) Qu'il est haut à la main; qu'il a fait vn Duel; quvn
soldat entretient chrz soy vne Gare** ; quil est allier, glorieux, caioleur, Sec. ,
pour ce que telles gens font trophée de ces choses.
Bauny, Sont, des Péchez, p. 361.
Doctrine des Iésuites touchant les Sacremens
Du tiaptême (p. 18-19, articles i-iii).
De la Confirmation (p. 20-21, art. iv-x).
De l'Eucharistie.
XI. Cellot fait le Diacre, Ministre ordinaire pour distribuer le Corps
de Iesvs Cdrist, contre le Canon 20 du Concile de Nicee, selon la version
deRuffm; le Canon 38 du quatriesme Concile de Carthage; le Canon 15
du deuxiesme Concile d'Arles; le Canon 23 du Synode In Trullo; le
i. Prov. 8, 1. 1, p. 232-233, Pascal cite le brûleur de grange, et il juge que le passage
mérite d'être donné in extenso.
2. Ici Arnauld, ou l'auteur quel qu'il soit, a esquissé un mouvement personnel.
Pascal ne Ta pas perdu : Je fus sur le point d'éclater de rire delà bonté et douceur
d'esprit <Cun brûleur de grange (p. 233).
3. Prov. 9. t. 1, p. 278-289. Une chose des plus embarrassantes... est d'éviter le men-
songe... C'est à quoi sert admirablement notre doctrine des équivoques... Cela est nou-
veau : c'est la doctrine des restrictions mentales.
IM'2
HMVUE H IIISTOllCk LITÎIJIAIHI M 1^ IIU\U.
dé(22 rret du Pape Gelase ad SpUcopOê ùueanùei cap. 10; le Concile
d'Yorck sus allègue; les statuts d*Udot Euesque de Paris, Capitule de
amenta ÀUnris, Canc&O 8; la pratique ancienne de l'Eglise; le sen-
timent des Pores & des Théologiens.
Cell.. de //io\, lib. 7, c. 4, p, 563*
XII. Dut un Liure intitulé» le Paradis nu vert par cent deuolions à
la Vierge» ipproané par leurs seuls Théologiens, ils ont voulu introduire
vne de uo lion phaiHaslique ', qui est que n'ayant point de reliques de la
Vierge» on msiU U* S, Sacrement avii*; ctftt principale: intention, (Fcdler
honorer la précieuse Heliqui de la ckàir de itorie, qui se trouue dans ie
Vénérable Reliquaire qui h contient § repose nir hùè Antrls : fi ht fait*'
quelque particulière prière $ dévotion. Gemme nous fnhons lors qw nous
allons vitiier tei lieux nu Autels où reposent les lieiiques drs Saint*, Qui
est une chose cxLrauagnnle, injurieuse au Fils de Dieu, & désagréable
à sa Mère, qui veut que tous les honneurs qu'on luv rend, soient rap-
portez à son Fils; et non ceux de son Fik rapporter à elle.
Paul de Barry, c. 3, deuotion 8.
XI 11. Tonte leur conduite ne va (23'> qu'à multiplier les Communions,
sans se mettre en peine des dispositions que l'on y apporte, S le Père
NoulSI I osé preseher, Que si les premiers ehresliens qui estoienL si ver-
tueux, eommunioïenl tous les fourgon le deuoit bien plustnst taire auiou-
d'hut que In vertu est si languissante; poussant ainsi à Communier
d'autant plus suuuenl.qu on y est moins bien disposé.
Dus leur Eglise de S. Luuys, le dimanche 16 Àoust.
XIV. Quelques crimes que les hommes apportent à la sainte Commu-
nion, ils ne commettent quasi plus de sacrilèges, depuis qu'authur:
Faueuglement qui leur oste la congnoissanee de leur indignité, on leur
enseigne qu'il suftità vne personne» pour Cou mu nier dignement, & rece-
voir la Grâce du Sacrement, de ne se croira pas en péché mortel, encore
niesme qu'elle en doute pourueu que passant par dessus son doute* elle
se persuade estre en bon estai,
Emman, Sa, Vetbo tiuïttarisiht, num+ 23.
XV* Us veulent que l'on salifiasse au Précepte de l'Eglise, de com-
munier tous les ans par vue Communion indigne X: par un sacrilège,
contre l'opinion des anciens Théologiens, Se contre (84) tes propres
teraea de J'Ordonnance de l'Eglise, qui oblige de Communier avec révé-
rence; ce que ne font pas ceux qui prophanentle Corps du Fils de Dieu,
Suarez, t, 3, disp* 70, sert. 1
Azor, lin. 7, cap. 41, q. â. Valenlîa & autres.
L Pnw. u, p, 265-268. Pascal nTa pas laissé tomber ce renseignement, et il a
trouvé clans le livre du P fiarry tout te que promettait la Théologie morale.
LES PROVINCIALES ET LA THEOLOGIE MORALE DES JÉSUITES. 183
XVI. On peut icy adiouster tous les abus qu'ils ont introduits ou
qu'ils entretiennent en l'administration de la Pénitence !, parce que
seruat de disposition à l'Eucharistie, et les Chrestiens ne se confessans
guère que pour Communier, autant de mauvaises absolutions que Ton
.donne, sont autant de Communions Sacrilèges, & de prophanations de
la chair divine de Iesvs Christ que Ton fait commettre.
De la Pénitence
Les excès qu'ils ont commis contre ce Sacrement sont infinis, et tout
ce que Ton peut faire, pour ne s'engager pas à faire vn Volume, est de
monstrer par l'exposition de quelques vnes de leurs maximes, qu'ils
l'ont ruynee en toutes ses parties2.
XVII. Pour la Contrition : 11 n'y a (25) rien qu'ils ne facent pour
descharger les Pescheurs de l'obligation qu'ils ont d avoir vn vif
repentir de leurs crimes, & de se convertir à Dieu sérieusement, & dans
le cœur : Ils enseignent, Que c'est une douleur suffisante, auec le Sacre-
ment, d'auoir douleur de ce qu'on ri a pas assez de douleur. Et Bauny met-
tant en pratique cette Maxime, dit : qu'il faut demander au Pénitent
s'il a regret de ses fautes : $ s'il ri a pas de douleur suffisante pour estre
absous; Il luy faut demander, s il ne voudroit pas bien auoir vne douleur
suffisante, «j- s'il n'est pas marry de ne la pas auoir; Se s'il dit qu'ouy, on
le doit absoudre 3.
Emmanuel Sa, Verbor. Conlritw, num. 5. Bauny, de Sacr.,
tract., 4, 9, 15.
XVIII. Et dans leurs Thèses contre monsieur l'Euesque d'Ypre, ils
attribuent cette opinion à toute leur Société : Que la seule crainte des
peines d'Enfer, sans aucun motif d'amour de Dieu, est vne disposition
suffisante au Sacrement de Pénitence; & condamnant d'erreur tous ceux
qui ne sont pas en cela de leur sentiment, & qui croyent auec toute
l'Antiquité, Que la crainte purement seruile; comme est celle qui n'en-
ferme aucun amour de Dieu, & qui ne regarde que la (26) seule peine
appartenant à la vieille Loy & à Testât des Esclaves, ne peut estre une
disposition suffisante pour recevoir les Sacremens de la loy de grâce et
d'amour.
Thèses societalis, c. 2, art. 18 4.
XIX. Quoy qu'ils ayent presque réduit tout le Sacrement de Pénitence
à la seule confession, Se qu'ils ne demandent presque autre chose aux
i. Prov. 9, t. I, p. 287 : Je veux vous faire voir maintenant comment on a adouci
l'usage des sacrements, et surtout celui de la Pénitence : car c'est ta où vous verrez
ta dernière bénignité de ta conduite de nos Pères.
2. Prov. 10. Klle embrasse toute la matière de ces articles xvu-xxxv.
3. Prov.M), p. 314 : mais Pascal, ayant reçu de nouveaux matériaux, substitue à
Bauny Filiulius dont les termes sont à peu près identiques.
4. Pascal les a lues, ces thèses : Prov. 10, p. 325.
184 BEVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Penitens, qu'vne fidelle déclaration de leurs crimes, ils n'ont pas laissé
néantmoins d'auancer des maximes qui en ruynenl l'intégrité, comme
lors que Bauny dit, quon peut absoudre celuy qui par ignorance $ de
bonne foy, ne se serait Confessé de ses fautes quen gros, sans en déterminer
aucune en particulier, sans qu il soit besoin de tirer de sa bouche la répéti-%
lion aVicelles fautes, si l'on ne le pouuoit commodément faire, à cause
qu'on est pressé des penitens, qui n'en donnent le loisir.
Bauny, Som. des Péchez, p. 991, édit. 5.
XX. Tout le monde sçait avec quelle opiniastreté Suarez a soustenu
sô opinion de la validité de la Confession par lettres, & comme il Ta
maintenue mesme après la détermination de Clément VIII.
(27) XXI. Pour ce qui est de la Satisfaction, à bien parler ils n'en ont
gardé que le nom, principalement dans la Pratique : Et il y en a mesme
qui ont enseigné que le Pénitent n'estoit point obligé d'accepter la Péni-
tence que le Prestre luy impose, mais qu'il pouuoit reseruer en Purga-
toire à satisfaire à Dieu f. Et que si le Prestre vouloit obliger le Péni-
tent à receuoir déterminément vne sorte de Pénitence qu'il ne voulust
pas accomplir, il pourroit ayant la Contrition s'en contenter, & se
passer de l'absolution et du sacrement.
Peltanus, de satisfact. nostra, sect. 8.
XXII. Pour ce qui est de l'Absolution, selon les erreurs proposées sur
lesuiel desEuesques, ils donnent souuent le pouuoir d'absoudre aux
Religieux lors qu'il n'en ont point, au grand péril des âmes qu'ils trom-
pent, par ces absolutions nulles & inualides, comme le Pape d'appre-
sent l'a formellement déclaré.
Voyez V article contre les Euesques.
XXIII. Us ont réduit en vn ministère bas & servil, la puissance toute
diuine que Iesvs Christ a donnée au Prestre, déjuger les Pécheurs en
sa (28) place, l'obligeant à suiure l'opinion de son Pénitent pourueu
qu'elle soit probable, c'est-à-dire, soustenue par vn Docteur ou deux, en
sorte qu'il soit tenu de l'absoudre contre son sentiment et ses lumières,
soumettant ainsi ridiculement le Pasteur à la Brebis, & le luge au
Criminel *.
Bauny, de Sacr., tract, de Pœnitèt, q. 13.
Sanchez, in Decalog., 1. l,c. 9. Valentia, Suarez et autres.
XXV. Et ils sont passez iusques à cet excès d'extrauagance, de con-
damner de péché mortel, vn confesseur qui ne voudroit pas absoudre
son Pénitent après l'avoir ouy, ne le pouuant faire qu'en suivant vne
opinion qu'il croit fausse, mais que d'autres tiennent probable. De sorte
que dans l'estendue qu'ils ont donnée à ces probabilitez il n'y a presque
1. Prov. 10, p. 312. Pascal a retrouvé cette décision dans Escobar.
2. Prov. 5, p. 119 : la citation de P. Bauny, tr. 4, de PœniL, q. 13, p. 93. Et Pascal
ajoute aussi les œuvres de Suarez et Sanchez : il remplace Valentia par Vasquez.
LES PROVINCIALES ET LA THÉOLOGIE MORALE DES JÉSUITES. 185
plus personne, quelque indisposée qu'elle puisse estre, qui ne puisse
obliger son Confesseur à l'absoudre, sous peine de péché mortel l : Car
ils enseignent.
Les mesmes autheurs.
XXV. Qu'un homme est capable d'Absolution, dans quelque ignorance
qu'il se trouve des mystères de nostre foy, & quoy qu'il ne connoisse ny
la Trinité, ny l'Incarnation de nostre Sei(29)gneur Iesvs Christ, qui
sont les deux fondemens de toute la Religion Chresticnne.
Bauny, de Sacr., tract. 4, de Pœnit.f q. 12.
XXVI. Qu'on doit mesme absoudre ceux qui ignorent ces Mystères
par vne négligence criminelle.
Sanchez, Summ., 1. 2, c. 3, num. 21.
XXVII. Que le Confesseur ne doit point persuader à son Pénitent de
quitter vne profession qu'il déclare ne pouuoir exercer sans s'y perdre
& sans s'y damner.
Alor., tom. I, 1. 8, c. 7, q. 3 & c. 8qu. ult. Bauny ubi supr.
XXVIII. Qu'on doit absoudre celuy qui demeure dans une occasion
prochaine de péché, pourueu qu'il ait vne ivste cause de ne point
quitter cette occasion. Et ils ne demandent point autre chose, pour estre
une iuste cause de ne point quitter vne occasion prochaine qui nous
engage dans des crimes, qu'vne commodité temporelle: Parce, disent-ils,
qu'en ce cas ce n'est point l'occasion du péché que nous recherchons, ny
le péché dont elle est cause, mais seulement le bien temporel, dont nous ne
iofdrions pas si nous quittions ou euitions cette occasion.
Bauny, ib., q. 17. Bauny, tract. 14. Layman, lib. 5, tr. G, cap. 4, num. 8.
XXIX. Ils passent encore plus loin, & soutiennent, qu'on peut recher-
cher di(30)rectement9 primo et per se, vne occasion prochaine de pécher
pour quelque bien temporel ou spirituel, de nous ou de nostre Prochain*.
Emman. Sa, &c. Bauny, ib.
XXX. Selon ces maximes pernicieuses, Ils veulent que les Prestres
absoluent une femme qui reçoit en sa maison vn homme avec lequel
elle pèche souuent, lorsqu'elle ne l'en peut chasser honnestement, ou
qu'elle a quelque raison de l'y retenir3.
Bauny, ibidem, q. 15.
XXXI. Qu'on doit absoudre vn homme qui retient vne mauvaise fami-
1. Prov. 5, p. 119. Pascal réfléchit sur ce péché mortel : Je croyais que vous ne saviez
qu'ôter les péchés ; je ne croyais pas que vous en sussiez introduire.
2. Prov. 5, p. 112, et Prov. 10, 320. Le nom de Basile Ponce, en ces deux endroits,
est dans la Lettre d'un théologien (Cf. plus loin, p. 189, n. 8).
3. Prov. 10, p. 319-320.
Rev. d'hist. littér. dc la France (7« Ann.). — VU. J3
186 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
liarité avec vne femme qui l'engage souuent dans des crimes, lorsqu'il
a quelque raison de le faire, ou utile ou honneste l.
Bauny, ibidem.
XXXII. Que c'est une fausseté de croire qu'on doit refuser l'Absolu-
tion à un homme qui retombe tousjours dans ses crimes, & que la seul*'
véritable opinion sur ce suiet, est qu'on le doit absoudre*.
Bauny, ibidem.
XXXIII. Mais s'il arrive, adioustent-ils (pour ne rien obmettre de tous
les excez imaginables), que cette personne ne profite point de tous les
aduertissements quon luy a donnez? Si elle na point gardé 2 (31) les pro-
messes quelle auoit faites de changer de vie? Si elle na point travaillé à
purifier son cceur, $ à surmonter ses vicieuses habitudes? Il n'importe,
disent-ils, # quoyque quelques vns tiennent quon luy doit en ce cas refuser
l'absolution, néantmoins la véritable opinion que l'on doit suiure, est
qu'il la luy faut accorder3.
Bauny, ibidem. Sanchez, Sum., lib. 2, c. 32, num. 43.
XXXIV. Us soustiennent aussi, Qu'on doit absoudre celuy qui avoue
que l'espérance d'estre absous, l'a porté à pécher auec plus de facilité
qu'il n'eust fait, s'il n'eust point eu celte espérance4.
Bauny, ibidem.
XXXV. Et en fin, pour aller au delà de tout ce qu'on pourroit croire,
ils s'emportent iusque à maintenir, que Ton ne doit ny refuser, ny
mesme différer l'absolution à des personnes qui sont dans des habitudes
de crimes contre la loy de Dieu, de la Nature, ou de l'Eglise, encore que
Ton n'y voye aucune espèce d'amendement. Etsi emendationis futurs
*pes nulla appareat.
Bauny, ibidem 5.
De l'Ordre (p. 32-34, art. xxxvi-xli).
XXXVÎI1. Il reprend comme un crime, la plainte que les gens de bien
font d'vne trop grande multitude de Prestres, & proposant vne exlra-
uagante métamorphose de tous les hommes qui sont au monde, des
femmes mesmes, des bestes brutes, & des choses inanimées en Prestres
1. Prov. 10, p. 319 : mais ici Pascal mêle Escobar à Bauny.
2. Prov. 10, p. 316 : ciialion de P. Bnuny plus complète.
3. Prov. 10, p. 316-317 : la citation du P. Bauny.
A. Prov. 10, p. 317 : la citation du P. Bauny, q. 15.
5. Prov. 10, p. 317 : la citation du P. Bauny, q. 22, p. 100.
LES PROVINCIALES ET LA THÉOLOGIE MORALE DES JÉSUITES. 1*7
de Iesvs Christ, il soustient qu'il n'y auroit pas suiet de se plaindre d'vn
trop grand nombre f.
Ibid. (Cell., de Hier.), l.l,c. 11.
Dk l'Extrème-Onction (p. 35, art. xlvi).
Du Mariage (p. 34-35, art. xliii-xlii).
XLV. C'est vne chose horrible, de quelle manière honteuse Sanchez a
violé la sainteté de ce sacrement, par des questions infâmes & diabo-
liques, capables de faire rougir l'impudence mesme.
Dans son Liure du Mariage*.
Contre l'Église et la Hiérarcbie (p. 36-40, art. i-xiii).
Contre le Pape (p. 40-41, art. xiv-xix).
Contre les Évesques (p. 43-47, art. xx-xxxii).
(P. 47). Ces maximes pernicieuses exlraitteslidelementdes Liures des
lesuites, ne sont qu'vn eschantillon de leur mauuaise doctrine. Et il
seroit facile d en recueillir beaucoup d'autres sur toutes les autres
matières de la Théologie, & de faire voir qu'ils l'ont corrompue en toutes
ses parties, par la licence qu'ils se sont donnée, de sousmetlre celte
science toute diuine à la faiblesse du raisonnement humain, & de
rechercher l'intelligence des mystères de Dieu dâs les ténèbres de leur
esprit, plustost que dans les lumières de l'Escriture Sainte (48), et de la
Tradition des Saints Pères, qui sont les sources sacrées d'où les véritables
Théologiens doiuent puiser leurs décisions3.
Ces mauvaises Maximes nous ont parues si contraires au sens commun
1. Celle belle pensée du P. Cellot, glissée au milieu d'une série de propositions
relatives au sacrement de Tordre, et qui ne pouvaient loucher le grand public, n'a
pas été perdue pour Pascal. Prov. 6, t. I, p. 153 : J'oserais dire avec noire Père Cellot...
je fm si surpris de cette imagination bizarre que je ne pus rien dire.
2. C'est ce livre sans doute, et les autres de môme propos qui faisaient dire à
Pascal : Prov. 9, 2S1 : Mo* pflres sont plus réservés sur ce qui regarde la chasteté!
Ce n'est pas qu'ils ne traitent des questions assez curieuses et assez indulgentes, et
principalement pour les personnes mariées et fiancées. — J'appris sur cela les ques-
tions les plus brutales qu'on puisse s'imaginer. Il m'en donna de quoi remplir plusieurs
Lettres', mais je ne veux pas seulement en marquer les ciiations... La Théologie morale,
faite pour rester entre les théologiens, n'avait pas la même raison de ne pas
nommer le livre de Samrhez.
3. Cette phrase contient le thème fondamental des Provinciales. Tout l'effort de
Pascal tend à faire apparaître la contradiction de la morale des Jésuites à celles
des Pères de l'Évangile, à dénoncer cette œuvre de l'esprit humain, de la raUon cor-
rompue, qui corrompt l'enseignement divin. Prov. 5, p. 120-123 : Les Pères étaient
bons pour la morale de leur temps... Prov. 7, p. 184 : Nos Pères ont trouvé mo'/en..
P. 185 : {'alliance que 7ios Pères ont fait de* maximes de l'Évangile avec celles du
monde... Prov. 8, p. 222 : Il est bien pénible de voir renverser toute la mirai* chré-
tienne... Prov. 9, p. 283 : Que répondent donc vos auteurs aux pa sages de VÈcri-
turel... Prov. 12, p. 398 : C'est ainsi que vous vous jouez de la religion... Votre Père
Vatentia débite ses songes...
188 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
de la fov, que nous n'auons pas cru qu'ils eussêt besoin d'estre réfutées '.
Il ne faut pas s'estonner, si on en a marqué quelques vnes, que Cellot
dit auoir expliquées. Car 1. ces déclarations sont pour la pluspart rem-
p- plies d'équivoques, & on voit qu'il n'a rien appréhendé d'avantage, sinon
*"' " que Ton creust qu'il eust esté capable de quelque erreur, ayant éuité pour
cela soigneusemèt le mot de retractation. 2. Leur faction ayant res-
pandu ce Hure par toute la terre, et ces Déclarations n'ayant esté veuës
que de peu de personnes, elle ne remédient pas au mal que ces mau-
uaises maximes peuuent auoir fait dans les esprits. 3. Leur Biblio-
J •- theque approuuée par leur General marquant cet Ou u rage de la Hierar-
\' chie. ne fait aucune mention de Retractation, ou de Déclaration que
l'autheur eust faite. & ainsi autorise par (49) ce silence toutes les
?" faussetez, erreurs, & Hérésies, qui y sont contenues. Ce qui est
j d'autant plus vray, que ces erreurs sont respanduës par tout le Hure *,
l . &que tout l'Ouvrage, estant fondé sur la diuision chimérique et erronée
? de l'Église en trois Hiérarchies, on ne peut Iuy donner aucune autorité,
î qu'on n'autorise ces excez. -I. Et enfin ce qui plus considérable, c'est
qu'après le violentent public qu'ils ont fait des deux Déclarations
solennelles données à Messeigneurs les Prélats, Tan 4633. l'une touchant
les Lîures d'Angleterre, & l'autre touchant les approbations des Réguliers
pour Confesser & pour Prescher, on ne peut plus s'arrester à aucune
de leurs Déclarations, ces exemples faisant voir trop clairement, que
quelque desaveu qu'ils donnent, ils sont touiours prests de renou-
ueller les mauuaises propositions qu'ils ont vne fois aduancees.
DErx déclarations | solennelles données par les Jésuites à Mes \
^ seigneurs les Prélats. L'un* sur le suiet des | Liures d'Angleterre, contre
la Hiérarchie \ & le Sacrement de Confirmation ; Et t autre \ touchant la
nécessité que les Religieux ont \ d'estre approuuez par les Euesques,
pour Con \ fesser $ fwur Prescher. | AUEC ; LES CONTRAVENTIONS I
publiques qu'ils y ont faictes*. (P. 50-61.)
Ayant mis entre les mains de Pascal leur Théologie morale des
Jésuites, MM. de Port-Royal lui donnèrent aussi la réfutation
qu'on en tenta, et leurs réponses. En divers endroits Pascal pro-
fita des réfutations. II cite dans sa lettre XI celles des PP. Annat,
Caussin. Pinthereau et Le Morne*; dans la lettre X, celles des
P. Annat, Pinthereau et Le Moyne \ auquel il ajoute le P. Sirmond.
1. Voilà où Pascal est d'un autre avis. U croit que cela a besoin d'être réfuté,
et il réfute.
2. Cette partie du livre de 1644 n'a pas été reproduite dans Y édition des œuvres
d'Arnauld.
3. P. 373, éd. Faugere.
. 4. P. 328. — Le P. Sirmond ne répondit pas à la Tkéol. mor.; mais Amauld ayant
fait contre lui un Extrait des principales erreurs du livre De la défense de ta vertu,
Sirmond se défendit par une Réponse à un libelle diffamatoire, où il essayait de
justifier sa doctrine de l'amour de Dieu.
LES PKOVnOAllS El LA TBÊ0LO€t£ KÔHALE DES Jl si IIES.
m
Dans la même lettre X, il extrait des morceaux curieux defl réfu-
tations «le Caussin1 et de Pi nlhereau (celui-ci sous le nom de Fabbé
de Boisic)*. Quant aux répliques de Port-Royal, la lettre de Polê-
marque ir Eusèéc Paver tissa il de regarder Y hmiyo pti$fti sentit. II
n'y a pas manqua au début de m cinquième lettre : mais tandis
que Polémarque n'y prenait qu'une impertinence des Jésuites h
Tégarf] des puissances ecclésiastiques et temporelle* qu'il voulait
leur aliéner, Pascal a goûté l'extraordinaire saveur de ridicule que
possèdent ces orgueilleux témoignage* du succès de la compagnie4.
Polémarque aussi avait lu le P. Le Moyne, il avail remarqué ce
« style si fleuri, que quelques curieux ont voulu malicieusement
faire croire ressentir plus l'afféterie d'un petit auteur de romans et
d'un poète coquet que la piélé sérieuse d'un religieux et la sainte
gravité d'un prêtre *>*. Voilà le thème : Pascal le développera dans
ses lettres IX : el XI \ La Lettrr d*tffi théologien à PùUmairqUê aida
Pascal à compléter le livret de la Théologie morale : il s'y fournit
de citations nouvelles. Il en recueillît deux bons passages de Bauuy
sur les occasions prochaines7* Parfois il y lit les citations plus
complètes ou plus exactes H- Il v vuit comment les Jésuites essaient
de parer les coups, et comment on peut les confondre dans leurs
justifications frauduleuses, Et il doit à la Lettre d'un théologien* la
remarque sur la belle direction d'intention que recommande
Bauny aux valets qui aident leurs maîtres dans leurs amours
déshonnèles lf .
Si maintenant, au Heu de rapporter les Prorim: talcs aux écrits
antérieurs, nous les regardons elles-mêmes, si nous les suivons
dans leur ordre en y rapportant la Théologie morale et les deux
Lettres, nous verrons les extraits et citations de 1644 former le
tissu de l'ouvrage de Pascal. Le tableau suivant en fera foi.
1. P. 318,
2. P, 321 et SS
3* Prm 3, l. L p. 102. El Pror. 10, p. !i08 et 318,
i. Les ['ravine tu h*, éd. de Um de JoiuiMitx, t. UI, p. 254,
5. Ptm\ 9, p. 270. 87*.
G. Pw , If, p, $68 - DÎTtfl-wrîtf aae lu manière H profane et ut epqmHê (tùn)l 9ùir§
P. Le Mu'ftir... t n itprit pfein de vnnifr <•( '/'f ta ftjUe 'in monde*,. Est-ce une /
éignè tTun prêtre que eeUe ùde.**î
1. Uttrt ttun throt. fcï de M"' deJoncoux, i, III, p, lH*m — Prov. 1U„ i
pascal cite lout d'une snile ce qui isi divisé duns El Lettre d'un thêdoçien : c'est
le passage iur la Liberté dYntirr daftl lei mauvîik lieux pour convertir Les
femmes perdues.
8, Ainsi pour la citation de Bauuy dont j'ai fait mention ci-dessus (p. 111), la
lettre tfttn théologien (Joncoux, lit* p* 211) porte Miter et non donner- Basile
l'once, dont la Théologie nierait ne prononçait pas le nom, est allégué diins les
citations de la Lettre d'un théologien (p. 211, 212 et 218)» Voyez Prou* 10. p. WÔ«
9. Joncoux, lit, J&S, 2Kx,
1U. Prov, 6, p, 161 : Que ces confesseurs, dit-il, remarquent bien.,., etc.
190 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Prov.
IVe p. 77-78, 91. Conditions du péché Thèol. mor., I, 3.
V° p. 101 . L'imago Lettre de Polémarque,
p. 252 !.
p. 112. Opinions probables, Bauny ThèoL mor., IV, 29.
p. 114-116, 117. Opinions prob., Sanchez, Emm.
Sa, Vasquez ThèoL mor., 1, 1 .
p. 119. Les opinions probables et la confession. ThèoL mor., IV, 23,24.
p. 120-122. Les docteurs substitués aux Pères.. Thèol mot:, I, 2.
VIe p. 159. Le P. Cellot, Bruta anima lia Thèol mor,, V, 38.
( ThèoL mor., III, 13.
p. 161. Sur les valets porteurs de poulets < Lettre d'un théologien,
( p. 285, 288.
p. 162. Sur les valets qui se payent de leurs mains. Thèol mor., III, 16.
VIIe p. 187. Sur le duel, Hurtado de Mendoza ThèoL mor , III. 9.
p. 19*- 1^5. Tuer pour des médisances, le P. Hereau. ThèoL mor., III, 7.
VIIIe p. 227-228. Modèle de contrat usuraire ThèoL mor., III. 15.
p. 233. Le brûleur de granges, Bauny ThèoL mor., III, 18.
p. 244. Sur la restitution, le P. Cellot ThèoL mor., I, 5.
IXe p. 265. Le livre du P. Barry Thèol. mor., IV, 12.
p. 270. Le stvle galant du P. Le Moyne Lettre d'un théologien,
p. 254.
p. 275. Sur Tamour-propre d'auteur, Garasse... Thèol. mor., I, 4.
p. 275-276. Sur l'envie, Bauny Thèol. mor., 11,8.
p. 278-279. Équivoques et restrictions mentales. Thèol. mor., III, 19.
p. 283. Sur la parure des femmes, Bauny Thèol. mor., I, 10.
Xe Sur la pénitence Thèol mor., IV, 17-35.
p. 312. Sur l'expiation remise au purgatoire.... ThèoL mor., IV, 21.
f ThèoL mor., 1,6, 7; IV,
p. 317-319. Sur la fuite des occasions prochaines, ) 30, 32-35.
Bauny i Lettre d'un théologien,
p. 277
( Thèol. mor., IV, 29.
p. 320. Occasions prochai nés, Bauny, Basile Ponce. < L tire d'un théologien,
( p. 271, 278.
p. 320. Entrer dans les lieux de débauche, Bauny. Lettre d'un théologien,
p. 271-272.
p. 325. Attrition, Thèses de la société Théol. mor., IV, 18.
p. 327-328. Amour de Dieu, Ant. Siruiond Th. mor., Il, 1-5; IV, 17.
Ne suffit-il pas de regarder ce tableau pour apercevoir que
toule la matière de Provinciales IV-X est dans la Théologie morale
et dans les deux Lettres qui la complètent? La Théologie morale,
avec son complément, fournit aisément le canevas des sept lettres,
1. On peut juger à quel point toutes les choses furent réellement fournies à Pascal
par ses amis, en parcourant les écrits jansénistes antérieurs aux Provinciales. Le
hasard d'une recherche me met sous les yeux un passage d'une réponse de
YVniversité de Parût à P Apologie pour les Jésuites, imprimée par tordre d'icelle Uni-
rersité à Paris, 4 €44, On y lit : « Ces soudaines métamorphoses, ces changements
de personnages de comédie, ces souplesses de l'esprit jésuite, indignes de vrais
chrétiens, et à plus forte raison d'une société d'anges plutôt que d'hommes, comme
vous vous appelez vous-mêmes... • (Arnauld, Œuvres* t. 2S, dern. page.) Et voilà
justement le mot comiquement scandaleux de l'Imago primi seculi que Pascal pro-
duira.
LES PROVINCIALES ET LA THÉ0L0GIF NOAALE l»ivS JKSUITES.
191
dès qu'on dispose les citations dans Tordre que Pascal leur a
donné. La quatrième Provinciale est. faîte d'une proposition Au
Bauny coupée en deux, et se développe entre les deux moitiés,
passant du lliéologique au philosophique. La cinquième, tirant
son prologue d'un passage de la Lettre dr PoUmarqv6% est bâtie
sur quatre articles de la Théologie m* traie : un article posant une
opinion probable, un second expliquant la théorie de la probabi-
lité, un troisième déclara ni l'obligation imposée aux çnn fesse ura
d'absoudre les péchés couverts par une opinion probable, et le
quatrième déclarant la préférence donnée aux nouveaux docteurs
sur les Pérès. Toute la lettre est là, dans ces quatre propositions*
De mémo, l«k dessin de la neuvième est donné pur le rappro-
I chant de cinq ou six passages de la Théologie m&rate et de la Lettre
d'un théologien* qui indiquent les développements sur le P. Barry
et le P< Le Moyne, sur l'amour-propre d'auteur, l'envie, les
équivoques et restrictions mentales, et la parure des femmes*
Enfui la dixième lettre n'esl-elle pas donnée par tant de propo-
sitions qui se groupent naturellement sous trois ofaefs, ta pénitence,
la réforme de la vie, et l'amour de Dieu?
Dans les cadres que forment ainsi par leur rapprochement les
propositions extraites de la Théologie momie et des deux Lettres,
les ci lai ion s principales apparaissent, Bauny, Celh>l, Emmanuel
Sa, Sanchez, Vasques, Yaleniîa, presque tous les plus célèbres
auteurs, avec leurs plus fameux passages, sont donnés a Pascal par
la Théologie morale et les deux Lettres. 11 suffit, pour étoffer 1*J
développement, d'amasser de nouvelles citations qui s'inséreront
sans peine parmi les autres et s y raccorderont. Au reste, la casuis-
tique a continué son œuvre depuis lfiii; de nouveaux livres ont
paru, ou sont venus a la connaissance de MM. de Porl-ltoyal. C'est
ainsi que Diana (édition de Lyon, 1646), Caramuel (éd. de Lou-
vain, 1013, île Francfort, 1653), Lessîus {éd. de Lyon, 1653),
absents de la Théologie morale % entrèrent dans les Prortncitil.es. Les
amis de Pascal, comme on sait, lisaient pour lui ces gros livres, et
lui apportaient les extraits* Lui, il regardait le petit Escobar, et
l"*»n s aperçoit de la différence. Caries autres Casuistes ne ligurenl
dans les Provinciale* que par leurs pensées; Kscobar, au con-
traire, y entre dans sa forme sensible; c'est le volume» non pas
seulement la doctrine, qui nous apparaît avec celle image d^un
agneau^ qui est sur un lutte scellé de sept sceaux, avec celte pré-
face allégorique, ses quatre animaux et ses vingt* quatre vieillards.
On voit qu'un oeil, et non pas seulement un esprit de théologien,
s'est posé sur l'in-quarto* Mais pour qui sait voir, toute celte
192
REVUE H HISTOIRE litti.raiiu: DE Là FRANCE-
ill
is
matière nouvelle, je le répète, se distribuait aisément clans le cadre
fourni par les extraits de la Théologie mùtûlCt
Il me paraît donc que ce petit livret, avec les deux Lettres qui le
suivirent, nous représente bien exactement le mode et la mesure
delà collaboration des jansénistes aux Provincial**, Ce qu'ils ont
pu apporter d'extraits et citations complémentaires en 1GSG rien
change pas le caractère : nous avons sous les yeux par les écrits
de 1644 ce qu'ils étaient en état rie faire. Ils fournissaient toute la
doctrine, imite l;.i substance. 1rs allégations et leurs preuves. Mais
s'ils indiquaient tout, ils n'expliquaient rien, ils ne dévelop-
paient rien, ils ne démontraient rien. Souvent même ilsnecitaienl
pas, ils renvoyaient au livre, à la page ; allait y voir qui voulait.
Ils ne liaient pas : ils numérotaient bonnement leurs articles,
les défilaient autant qu'il y en avait, À peine si une fois ou deux
rénormilé du scandale, la bizarrerie de l'invention éclairaient d'un
sourire imperceptible leur austère sécheresse : « El il (Bauny) a
pria la peine dVn dresser le contrat et même les compliments que
l'on se doit faire l'un à l'autre dans ces rencontres » (III, 15) ; € Bt, et
trouvant qUe r>s/ „„,> gramte douceur de frapper et de battre le
monde» et brûler des granges » (III, 18). L'évidence do leur cause
les remplissait; et dans leur sereine bonne foi, ils croyaient n'avoir
qu'à signaler les scandales; ils écrivaient : « Ces mauvaises
maximes nous ont paru si contraires au sens commun de la foi
que nous n'avons pas cru qu'elles eussent besoin d'être réfutées.
Pascal a cru, lui, qu'elles avaient besoin d'être réfutées, et
d'abord d'être exposées* Et c'est la double tâche à laquelle il s'est
appliqué. Les jansénistes ne regardaient que la vérité et la doc-
trine ; Pascal a regardé le public. Il n'a pas dit tout ce qui
choquait la doctrine, mais il n'a rien omis de ce qui pouvait
choquer le public. Àrnauld avait bien suivi un certain ordre, mais
un ordre impersonnel, extérieur, qui se lirait des divisions de la
théologie, II avait distribué comme en compartiments les maximes
scandaleuses :
Contre la morale chrétien ne en <.i înêaai .
inr les o>\iv\\]>kMENTs D£ Dieu, $t premièrement
ratifie tes (leur cofttmûndeiftenk généraux.
t\mire h Décatôgue.
Doctrine des jésuites touchant les sacremt
Du Bapt&mc*
Dr fa Confirmation*
De r Eucharistie.
De te Pénitence.
fie rO/dftf,
:
se
ir
».
oi
et
PROVINCIALES ET LÀ TIlROLOfilK MQHALt I>ES JISUMKS.
De f E.rtnhnr-ihirHoti.
Du }fari<t*jv.
CUNTIIE t/jBOLlSE ET U NfÉHÀHCUIE-
Contre te Vtt)u\
Coi Èvéçuis,
Ùevx itk<:i \tt \th »v> SOLENNELLM... avec les fômJrfftWft-
ttom pttbîiquii çu'ik y ont faiies*
■
ilà un bel ordre théulogique, analytique» exact, instructif,
aride? et froid.
Pascal va le bousculer. Et d'abord, il faille la moitié de celle
matière. Ce que les Jésuites ont pu dire contre Vordre^ oufexiréfnê*
onction, ou le baptême, ou la confirmation, peul êlre grave théolo-
gîquemeul : le public n'en aura cure. Le public, aussi, ne sers
pas faiblement Bcandalisable sur les attentats de jésuites contre la
hiérarchie ecclésiastique» l'autorité ponliJieale et ëpiscopale : ces
rivalités cléricales ne le touchent pas. A quoi bon l'en entretenir
non plus que i le leurs déclarations et de leurs contraventions à leurs
déclarations sur leurs livres d'Angleterre que personne eu France
nTa lus, ou sur un point de droit ciiijoil dont les laïques se désinlé-
ressenl? Il ne faut occuper le public que d# ce qui peut intéfe&êer h
publie : première règle posée par Pascal, et +lt>nt nul à Port-Royal
ne s était encore avisé. Voilà comment, de toutes les violations de
la morale chrétienne» Pascal retient seulemenl les violations de'
cette partie de la morale chrétienne dont tout le monde se sert; il
ne parle que de ce qui concerne la vie commune, les obligations
iitiellrs et connues* de ce qui choque visiblement la notion vul-
gaire de la religion et le sens commun de la conscience chrétienne.
Il laisse seulement le mariage, comme une matière trop délicate.
Après s'être ainsi allégé de la moitié de la matière, il bouleverse
l'autre moitié. A Tordre méthodique et secd'ArnauId. il substituera
on ordre à lui, un ordre personnel, vivant, où les valeurs des
idées sont gardées, où la matière se distribue par plans, s'éclaire
inégalement, s'enchaîne simplement. A cet égrènement de proposi-
ons sans lieu, juxtaposées sous une môme étiquette, et rattachées
seulement par la série d<- chiffres qui les note, il substitue l'unité
aisée de la le! Ire qui entraîne dans la continuité de son mouve-
ment et groupe sous une idée générale les maximes, les citations,
les discussions, les preuves. Car en même temps qu'il crée son
ordre, il étoffe ses sujets. Non par des apports nouveaux de textes;
mais il explique, il développe» il démontre, et commente; il
fait lui-même toute la besogne que le rédacteur de la Théologie
morale invitait paisiblement le lecteur à faire.
|y* EEVTE bfll>IvlE£ LITTÉftJklEE h£ LA FE13CE.
Arnauld remarquait l'autorisation donnée aux valets d'accroître
leurs rage* aux dépens de leurs maîtres. Pascal met la chose en
râleur par l'histoire de Jean d'Alta'. Arnauld indiquait que le
P. Bauny dressait un contrat usuraire qu'il déclarait licite. Pascal
donne le texte dans son insolente fantaisie: et le comique en sort
et fait ;a preuve *. Arnauld avertissait que les Jésuites déchargeaient
les pécheurs de l'obligation d aimer Dieu; Pascal souligne et
i Lamine la pensée d'un mot, d'un adjectif : ils ont déchargé les
ko* me* de t rJJïgaù-jtx pénible d 'aimer Dieu*. C'était, disait
Arnauld. ruiner le commandement qui est le fondement de la morale
cÂr^tienmei Pascal, après une démonstration minutieuse, ful-
mine cette conclusion en troi* pages véhémentes".
On peut dire que la quatrième Provinciale est née de la cita-
tion du P. Bauny. que Pascal a coupée en deux : mais par quel
effort de génie est-elle née ! II n'y a presque personne qui ne
trouve des excuses à ses crimes, si Ton admet les conditions
qu'ils maintiennent être nécessaires afin qu'une action soit mor-
telle. > Cest bien cela, et Pascal ne dit pas autre chose dans le
merveilleux couplet des pa^es $0-81 : O mon père, le grand bien
fMe »oieim.m 1! dit la même chose, mais comment la dit-il? Et quelle
discussion, que ne donnait pas Arnauld. des conditions d'imputa-
hîlité? est-ce vrai par l'expérience? est-ce vrai par l'Ecriture? est-ce
vrai pour tous les hommes? est-ce vrai pour les justes? El quand
Terrear théoîogique du P- Bauny et de s*s acolytes est ruinée à
foctd. alors seulement est produite la seconde moitié de la sentence.
qai précend énoncer une vérité philosophique: et la discussion
s'eUfciit et se pousse vivement sur les conditions qui font l'acte
volontaire et sur le sens du passage d'Aristote: en un clin d'oeil la
dé£ake du Jésuite se charge en déroute. Et l'ordre de Pascal
triomphe ici : théologiquement. il est pis pour un Jésuite de se
tromper sur la grâce que sur Aristote: mais humainement, pour le
monde, il est plus ridicule pour le Jésuite d'être baitu sur un sens
d" Aristote que sur la question abstruse de la grâce : la gradation de
Pascal est. pour le monde, excellente.
La cinquième Provinciale, début à part, est toute dans les quatre
px-^xges que j'ai rapprochés. Mais il fallait aller chercher çà et là
ims ;a Théologie Morale ces quatre passages, tirer celui-ci de la
pne-n^re partie, celui là de la quatrième du libelle. Puis il fallait
LES PROVINCIALES ET LA THÉOLOGIE MORALE DES JÉSUITES, 195
mettre ces morceaux en lumière. Voyez comme Pascal le fait : il
dénonce la doctrine des opinions probables : il en fait voir le
danger et la politique. Mais il faut prouver : avant d'expliquer la
probabilité, il la fait jouer sous nos yeux ; il choisit une opinion
bien scandaleuse (1er extrait de la Théologie morale), que son Jésuite
n'approuve pas, et que, sans l'approuver, il offre à suivre au fidèle
qui le consulte. Comment cela se peut-il? Par la probabilité dont
le mécanisme est ici étalé, démontré (2e extrait de la Théologie
morale). Mais quelle garantie a-t-on en suivant cette doctrine?
quelle sûreté de n'être pas trompé, c'est-à-dire damné? La confes-
sion, avec l'obligation imposée au confesseur d'absoudre le péni-
tent que couvre un seul docteur (3e extrait de la Théologie morale).
Mais c'est une nouveauté inouïe dans l'Eglise? Justement les
Pères étaient bons pour leur temps : les nouveaux docteurs sont
pour celui-ci (4e extrait). Et ici on sait comment triomphe la verve
de Pascal, comment, résolvant en noms individuels la terne expres-
sion collective de docteurs nouveaux, il fait passer devant nos
yeux, sonner à nos oreilles la kyrielle fantastique de noms espa-
gnols, basques, portugais, italiens, flamands, allemands, noms
inconnus et bizarres qu'on substitue aux noms glorieux et aimés
des Pères : la seule opposition des sons fait preuve.
Voilà comment MM. de Port-Royal ont tout mis entre les mains
de Pascal, et comment, recevant tout, Pascal a pourtant tout créé.
Et je ne parle pas de la beauté de la langue, des grâces de l'esprit,
de la vie du dialogue : je ne regarde que ce qui est de l'invention,
et de l'ordre, qui est invention encore. MM. de Port-Royal avaient
trouvé tout ce qu'il y avait à dire sur la morale des Jésuites :
mais ils n'avaient pas trouvé moyen de le dire. Ils connaissaient
la mine et l'exploitaient. Pascal a dessiné et bâti l'édifice. On le
comprend mieux, je crois, et Ton fait plus justement à chacun sa
part, quand on a regardé le petit livre de la Théologie morale; on
sait plus exactement ce qu'il faut penser du ramasseurde coquilles,
et dans quelle mesure il convient de parler de la collaboration de
MM. de Port-Royal aux Provinciales de Pascal. Et pour qui veut
apprendre ce que c'est qu'écrire, quelle invention et comme quelle
fécondation de la connaissance sèche fait l'écrivain, je ne sais pas
de meilleure et plus efficace leçon que la comparaison de leur livret
avec les lettres.
Gustave Lanson.
196 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA F RAS CE.
LE MÉLODRAME ET GUILBERT DE PIXÉRÉCOURT
Guilbertde Pixérécourt, « prince du boulevard », eut une destinée
singulièrement mélancolique. Pendant un quart de siècle, une pro-
duction formidable, ininterrompue, des succès comme n'en avait
jamais connus notre scène, universels, irrésistibles, spontanés, une
admiration où rien ne se mêle de convenu, sans snobisme surtout,
les genres consacrés semblant disparaître devant un genre nou-
veau qui ne prétend à rien. En 1840 encore, les romantiques venus,
Pixérécourt jette sur son passé un regard de satisfaction ; quand
on le compare aux plus grands de son époque, il s'en défend
comme d'une insulte; l'Académie regrette qu'il n'ait pas voulu
venir à elle; Nodier admire ses vertus, son art, jusqu'à son
lyrisme! Puis, tout à coup, l'oubli. On n'a plus souvenir que de
quelques titres, dont on sourit. Son nom surnage vaguement,
n'évoquant plus de personnalité précise. Tout ce que Ton admira
apparaît, quand on y revient, définitivement perdu, — ce qui est
pire — grotesque. Le théâtre décidément ne se suffit pas à lui-
même.
Il est puéril, certes, de se livrer au petit jeu des réhabilitations
tardives. Ceux-là eurent tort, qui furent vaincus. Si pourtant ils
ont joué un rôle dans l'histoire, il vaut la peine de s'en occuper.
Du fait même de leur succès — quoique injuste, — ces mélo-
drames existent. Si vulgaires qu'elles soient, ce n'est pas vainement
que, pendant trente ans, des œuvres auront fait frémir une géné-
ration : il en reste toujours quelque chose dont elles-mêmes ne
profitent pas, mais qui chez d'autres devra se retrouver. Il n'y a
pas de révolutions en littérature et des personnalités médiocres
jettent parfois une vive lumière sur certaines époques de l'histoire
de l'art.
A cet égard, les mélodrames de Pixérécourt méritent mieux que
l'oubli. En eux s'achève l'évolution logique de tout le théâtre du
xviu* siècle; à leur école se prépare le public qui défendra le
drame romantique.
I
C'est vers un théâtre populaire, en effet, que nous conduit l'évo-
lution un peu confuse de l'art dramatique au xvme siècle. Le mélo-
LE MÉLODRAME ET GILBERT DE PUÉRECOCRT,
m
drame historique — intrigues compliquées où s'ébattront les plus
invraisemblables fantoches, en des décors évoealeurs de vagues
souvenirs — est bien le véritable terme de celte marche de la
tragédie s* adressant à un publie de plus en plus nombreux, renon-
çant aux fines analyses de jadis, avide de mouvement sous prétexte
de vie* La faveur croissante de Shakespeare est significative à ûêt
égard : car, pour ses admirateurs d'alors, Shakespeare n'est guère
que le poète ennemi des délicatesses françaises, ignorant des trois
unités, n'hésitant pas à mettre tout en spectacle-. Il est le barbare
que Ton goûte pour faire pièce aux raffinés, — et parce qu'il esta
la mode d'être impétueux et naturel, — mais que Ton édulcore
soigneusement en le traduisant. Quant à comprendre l âme pro-
fonde d'HamleL, à voir dans Othello aulre chose qu'une Turquerie
plus brutale que BajazetL..
Dans cette décadence» la tragédie va rejoindre la comédie. Tandis
que Tune tend vers le mélodrame historique, le mélodrame domes-
tique se dégage tout naturellement de la seconde. Il est aisé de se
faire «les illusions sur la portée véritable du drame bougeois. Sans
doute, à l'envisager seulement chez La C haussée , son créateur, ou
dans te Philoêophe sans h savoir, son chef-d'œuvre, la tentation
est forte d'y trouver le germe de notre comédie moderne; la filia-
tion semble évidente entre ces tragédies intimes et les pietés de
Dumas fils : mêmes intrigues, semble-L-il, avec seulement plus
d'adresse chez celui-ci; personnages de condition semblable, même
genre d'émotion; et les thèses surtout : droits du fils naturel,
question du divorce...
Remarquons cependant qu'entre la dernière pièce de La Chaussée
et la première d'Emile Augîer il s'est écoulé près d'un siècle,
sans que rien fasse le pont de Tune à l'autre, — car je ne suppose
pas qu'en dehors de ses déplorables leçons de metteur en scène, on
attribue à Scribe une influence quelconque; — que, d'ailleurs, la
comédie de mœurs moderne est sortie bien moins d'une imitation
féconde que d'une simple réaction contre le théâtre lyrique, et que
les créateurs de l'école du bon sens se soucièrent peu de se relier
à Sedaine, Celui-ci mis à part, il n'est pas un seul des successeurs
directs de La Chaussée qui ait fait reposer une œuvre vivante sur
une représentation lidèle de la vie bourgeoise. Tous ont l'ambition
de créer une tragédie d'un genre nouveau, tragédie qui s'aceom-
modéra d'un certain réalisme de surface, qui subordonnera les
caractères aux fantaisies du hasard, mettra en scène les héros du
monde moyen, non ses personnages habituels, — qui sera le mélo-
drame, en un mot* £4 Philosophe sans te savoir se joue au moment
198 KfcYlfc D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRA.1CE.
où le genre nouveau est encore en voie de formation. Ayant pris
conscience de lui-même, il donnera Vlndigent, XathaJie ou la
Brouette du vinaigrier.
On ne fait pas toujours à Diderot la pari qui lui est due en ces
matières: il s'est contenté, dit-on. de changer l'étiquette du
genre. Celait beaucoup, c'était tout peut-être. Lui-même, à vrai
dire, ne s'en est pas douté. Mais s'il fallait savoir ce que Ton fait,
pour faire quelque chose!... Jl proclame de bonne foi son dé«irde
plus de vérité dans l'œuvre comique; il parle de simplicité, mais il
Tf écrit des phrases de ce genre : « La poésie veut quelque chose
1 d'énorme, de barbare et de sauvage •», ou cet aphorisme encore :
« Un plan, c'est une histoire merveilleuse », et celui-ci : « Le fonde-
[ ment de l'art dramatique, c'est l'histoire ». Il rejette avec colère
ce qui est miraculeux, mais c'est pour y substituer « ce qui est
extraordinaire ». Sur la nécessité de subordonner les caractères à
l'action, il o'hésite pas une seconde; voici d'ailleurs une formule :
! «La fatalité et la méchanceté sont, dans l'un et l'autre genre, les
r bases de l'intérêt dramatique ». Entendez par « méchanceté » la
! noirceur d'âme des troisièmes rôles sur les théâtres du boulevard,
\z par <• fatalité » le hasard fécond en ressources : à peu près tous
| les éléments du mélodrame futur se réunissent et prennent corps.
Et sans doute, en pressant le texte du « discours », on en pour-
rait tirer tout le contraire, — car, dans Diderot, il y a tout en
^ même temps: — mais c'est beaucoup que l'on en puisse tirer cela.
\ Or c'est cela surtout qu'on en a tiré. La comédie du genre moral,
i- la pièce philosophique qu'il a entrevue, la comédie à thèse, tout
cela est mort et ne renaîtra que plus tard, sans qu'il y soit pour
rien. Dès à présent, le mé'odrame va vivre.
Dans le Traité du tkéitr» de Mercier, il a pris pleine con-
science de lui-même. C'en est fait des œuvres, comiques ou tragi-
ques, qui n'avaient pour but que la peinture abstraite de l'être
humain. Cen est fait aussi de celles qui songeaient à poser de
grands problèmes généraux, à discuter des devoirs ou des condi-
tions. Au vieux principe : € Il n'est de vérité que générale », s'est
substitué celui-ci : « Il n'est de réalité que particulière ». Et
comme le particulier est sans règle, domaine du hasard, comme
aussi il n'intéresse qu'à la condition d'être surprenant, la porte est
ouverte aux plus mélodramatiques invraisemblances, la rtalité
elle-même reléguée dans le détail extérieur, dans le souci simple-
ment de tri accessoire : brouette grinçante du vinaigrier, vraies
taches de vraie boue sur la vraie blouse d'un p*y*an archi-faux.
Cela suffit, et l'on peut, à ce prix, faire reparaître à satiété le
LE NfcXOUIWME El CUII BKItl hK P1XÉRKCOUHT.
IW
vertueux tisserand, 1»' pervers gentilhomme, le capitaine de
vaisseau dont les voyages « ont élargi le cœur ». Un père pi al
s'apercevoir soudain qu'il allait épouser sa fille, ou retrouver
son fils qu'il avait égaré jadis et auquel il ne songeait plus. Ces
choses-là sont simples : on pleure d'attendrissement, on s'embrasse
et chacun part, content de lui-même et de tout. Le monde est le
théâtre de toutes les vertus; quelques méchants, certes, mais seu-
lement pour qu'on ait le bonheur de les voir convertis ou
désarmé*. Quand on songe que h Juge, que F Indigent et que
\kaiie furent écrits par haine de la convention!,.* L'histoire
littéraire a, comme l'autre, des enchaînements singuliers.
D'ailleurs, ce que fait Mercier n'est rien, auprès de ee qu'il rêve:
ici, il ne connaît plus de limites. 11 est proprement la caricature
de ce qu'il y a de plus excessif en cette fin du xvm siècle. La sen-
sibilité est chez lui plus outraneîère que chez personne; il est dans
un perpétuel frémissement. Le théâtre tel qu'il le conçoit doit
« exercer toute notre sensibilité, ouvrir tous les trésors du cœur
humain ii. Lui-même s'exalle sur les spectacles atroces. Il admire
un homme quî suit les exécutions en place de Grève : « Quelle
source de pathétique et d'intérêt! Que de choses neuves et non
encore aperçues! Que d'expériences faites sur le cœur humain!..».
Ce iTesl pas qu'au fond, Mercier ait l'Ame violente. D'abord
jacobin enragé, il a pilié bientôt du sort des victimes, et risque de
le partager pour s'en être attendri, À part son rôle effacé h la
Convention, il est tour à tour professeur, contrôleur à l'adminis-
tration de la loterie, membre de l'Institut, puis professeur encore :
toutes situations assez régulières. Maïs il porte partout son impé-
tuosité naturelle. Il passe à travers la vie, échauffé et fumeux,
sorte de cabotin sincère, ayant, sans méchanceté, des haines
féroces : contre Voltaire qui a corrompu son siècle, contre Raphaël
et le Titien qui ont corrompu le monde, contre Galilée qui a sou-
tenu que la terre tourne! Et ces haines se satisfont à s'exprimer
violeinmenL IL croit aux « explosions du génie », il raille « la
flûte n et « les mosaïques * de Racine, il tlélril les « Idïologuos »,
Il a le calembour frénétique, et le coq-â-l'àne truculent. « Accu»
muiez les couleurs! », s'écrie-t-il. comme d'autres : * Faisons du
bruit! *
Ses idées se réduisent à quelques-unes; il est vrai qu'il y tient
rage. Etant simples, elle* se condensent aisément en apho-
rismes : c'est ainsi que les romantiques les aimeront. * Les rois
sont des tyrans », * des têtes à diadèmes », * de vils automates » ;
cela n'est pas très compliqué, niais cela suflit, si d'autre part on
900
BEVUE D HISTOIRE UTTUIUIIIE DE LA FllAM.K.
:
est poêle, pour faire entrer dans la légende des siècles un roman
ccro assez savoureux. — « Richelieu fui un assassin n ; voilà
presque de quoi concevoir Mari on de Lorme. — « Les orages
civils sont le garant de la santé des peuples *, dît-il encore quand
il fait un effort de réflexion philosophique.
À Tégard des poêles classiques, il devance les ftévérités du
romantisme* Racine a bien quelque talent, comme M11* de Scudéry,
une certaine souplesse de forme; mais ses personnages se res-
semblent tous. À part son Tartuffe, Molière a gaspillé son génie*
Quant à Corneille, lui, du moins, fut un éloquent républicain, mais
il n'a pas su naître au bon moment. Aucun d'eux, à vrai dire, ne
nous apparaît « l'auguste bienfaiteur i que doit être le poète.
Et cet auguste bienfaiteur. Minier nous le décrit- Ce n'est pas le
chapitre le moins pittoresque du traité, que celui des « idées du
poète ». Car le poète, tout en ayant pour devoir d'être libre, a
pour devoir aussi de se bien pénétrer d'un ce r tain catéchisme
« II doit surtout avoir une idée haute de la nature humaine.
H doit croire que l'homme est né bon* » ■ — « 11 doit s'enflammer
pmir la vérité, être enthousiaste de toute vertu. » — « IL doit voir
tomber les barrières qui séparent les nations n% et, en même
temps, il doit « aimer la guerre >k (Il n'est pas obligé d'être
logique*) — « Qu'il sache que les lois de la société ne doivent
pas contredire les lois de la nature. » — « Qu'il sache que tout
système politique doit être posé sur le droit naturel, n — J'en
passe; il y a des aphorîsmes de ce genre pendant plusieurs pages*
Fidèle à ces principes, les sujets ne lui manqueront pas. Us
naissent d'eux-mêmes entre les mains de Mercier, et tels précisé-
ment que les retrouvera Pixérécourt : l'honnête cultivateur,
l'homme voluptueux, l'homme endellé, et tant d'autres. Veut-on
un mélodrame historique : « On peut immortaliser l'innocent
Opprimé par le pouvoir le plus formidable », et ce sera te Proscrit
au V Homme o trois visages, le Masqn* <fe ftt9 voire même Bemani\
le cycle des bannis est inépuisable. — Le préfère-ton contem-
porain : « Qui empêche de faire servir le théâtre aux honneurs
publics? Lot si] u un héros aura sauvé ou vengé la patrie, au lieu
de faire jaillir ces feux d'artifice (jeux d'enfants dissipateurs), si
Ion portait sur la scène la te nie du général?... »; que de larmes
n'a pas fait couler (n ÇatÇMôâe du père BugMm&l — Et le mélo-
drame judiciaire, et les catastrophes domestiques, et les tableaux
(l'hôpital, et tous les monstres! Mercier frémit devant ce qu'il
imagine : « Je m'égare, je me trouble, la plume fuit de mes mains.
Des monstres encore plus noirs passent devant mon imagination.
LE MÉLODRAME ET GUILBERT DE PIXÉRÉCOURT. 201
La douleur m'oppresse et je sens que je n'aurai pas la force
d'achever!... » Comme l'on voit, le mélodrame a trouvé jusqu'à
la forme de style qui lui convient. La décadence de la tragédie,
Tavortement de la comédie sérieuse, l'influence du dehors, tout a
concouru à lui donner ses caractères essentiels.
Est-il besoin de noter enfin combien les circonstances exté-
rieures sont et vont demeurer favorables à son développement? Le
mélange de violence et d'humanitarisme de la fin du xviu0 siècle,
le goût de l'action précise et le lyrisme mouillé, la conviction que
la nature est bonne et r absence de scrupules avec laquelle on
élague ce qui la corrompt, ces enfantillages et cette énergie, cette
froideur calme dans l'action, ce dévergondage dans le rêve, tous
ces personnages entraînés dans un tourbillon de faits qu'ils pro-
voquent quelquefois et dont ils ne peuvent plus arrêter les con-
séquences, ces dévouements, ces clameurs, ces héros qui sont
des assassins, ces assassins qui deviennent des victimes, cet
appareil tantôt solennel et tantôt sanglant, puis le long rêve
héroïque de l'empire : ne serait-ce pas un formidable mélodrame,
si toutes ces invraisemblances n'avaient été vraies. Et ces années
de fièvre passées, il en restera quelque chose de maladif; les
esprits d'élite tomberont en un dégoût de la platitude présente, et,
hautains, se plairont à la rêverie. Quant à la foule, elle n'est pas
faite pour désespérer en silence. Elle demandera au théâtre de lui
rendre ces angoisses violentes, que ne lui donne plus la réalité;
c'est là qu'elle ira entendre ces grands mots, qui, pQur la toucher,
n'ont presque plus besoin d'avoir un sens; elle y trouvera ces
héros dont elle rêve, ces grandes aventures, ces grandes actions,
ces grands crimes, les émotions de ces sujets extravagants, et
la consolation de ces dénouements attestant en toutes choses
l'intervention inévitable de la providence. Pendant une vingtaine
d'années, le mélodrame sera tout notre théâtre; par lui, lente-
ment, se préparera la révolution de 1827.
II
L'année même où Mercier achevait son Traité du théâtre, Guil-
bert de Pixérécourt naissait à Nancy. Jusqu'à 1830 il devait fournir
leur répertoire aux théâtres du boulevard. C'est avec lui seulement
que le mélodrame se constitue avec tous ses caractères définitifs,
et il ne lui survivra pas, en tant que genre littéraire du moins.
Il y a peu de vies consacrées d'une manière si persévérante à la
Rrr. d'hist. littér. d* la Franck (7# Ann.).— VII. 44
20S REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE,
poursuite d'un même but. Rien, une fois engagé dans cette rouir,
ne len a pu détourner; on ne l'a pas vu, grisé par un suceèd
prodigieux, se proposer jamais un autre idéal, et tous les mal-
heurs de ses dernières années ne l'ont pas engagé davai
chercher des consolations en dehors de ses essais favoris. Il est
le mélodrame fait homme. Il en pratique k la fois toutes les
variété». En une même année, il passe de fa Forteresse du Danube
à tfûifl actes sur Roàinson, de Marguerite rf Anjou aux Ruines
tir Babylone* Cela pendant plus de trente ans, a ver une fécondité
toujours égale. Il en arrive à écrire ainsi 120 pièces, faisant un
total de 32!) actes : lui-même a dressé cette statistique glorieuse.
Et le public l'acclame sans marquer jamais de lassitude, 500 repré-
sentations, voilà pour l'ordinaire; il s'élève à 1022 avec CHom
à trois visages % à 1158 avec le Chien de Montargtsy à. 134G avec
Femme à deux mort*, et dépasse 1500 avec le Peler in blanc, « Le
succès de ce mélodrame fut de courte durée », écrit E. de Vaula-
belle à propos de Christophe' Cohmè, joué 126 fois*
Cette souplesse admirable donne le vertige aux critiques de
l'époque. Geoffroy le couvre d'éloges presque sans réserve : a Le
boulevard semble aujourd'hui la grande sphère d'activité de notre
poésie dramatique. Sur ce Parnasse nouveau, chaque mois voit
éclore un chef-d'œuvre, tandis que nos plus nobles théâtres,
frappés d'une stérilité honteuse, abusent du privilège de la noblesse
et vivent sur leur ancienne gloire'». Pour les autres, il est un Dieu,
un roi tout au inoins. On parle de « son sceptre », on l'appelle
« le prince du boulevard », le Corneille du mélodrame, dont Guignez
est le Racine et Cuvelier de Trye le Crébillon, Certains même vont
jusqu'à invoquer !r nom de Shakespeare. * Votre cousin gi rmaiii
Shakespeare... », lui écrit à propos du IMvvder le chevalier de
Marchangy*. Et, au fond, je ne suis pas sûr que Pixérécourt trouve
flatteuse la comparaison, car on sait que les pièces de Shakespeare
finissent souvent mal, qu'elles sont d'allure fort libre et que la
morale en est flottante parfois.
Quarante-deux ans consacrés ainsi à imaginer des pièges tendus
à la vertu et à l'en faire sortir toujours triomphante, cela suppose,
en même temps qu'une singulière force de travail, un optimisme
admirable et dont il n'a pas tort en définitive d'être fier. C'est cet
optimisme surtout qui lui donne sa physionomie. 11 ne met pas,
comme Mercier, une rage à soutenir que l'homme est né bon,
mais il a une confiance sereine dans les décrets de la Provi-
\> Feuilleton sur La femme à deux maruy 1802,
2* Lettre du 10 décembre 181».
I
^m
M MÉLODRAME ET GCILBKRl DE PIXtéRÉCOUitT.
203
dence. Peut-être est-ce à cause des secousses de sa vie* Il n'est
rien de tel que d'être expose à Ions les désastres, pour se raccro-
cher désespérément à une Foi dans l'avenir. Et puis, ces dangers
de la jeunesse ont toujours quelque chose de séduisant. II s'est
plu à nous raconter ses premières années; elles sont pleines de
poésie, an sens où Ton entendait ce mot à la On du siècle dernier :
clairons et musettes, héroïsme H sensibilité. Passé à l'armée des
princes, sur Tordre de son père ci sans savoir pourquoi, il ne Fait
qu'y ébaucher un roman d'amour; voilà déjà qui s'annonce bien.
À ce roman, rien ne manque de ce qui est traditionnel ; comme
décor, un monastère aux bords de la Moselle, comme person-
Mgta, le bon curé Millier, une abbesse imposante, la jeune fille
ourvue de toutes les grâces, le guerrier sensible qu'est alors
Pixérécourt; et ce sont des lectures faîtes en commun, des accents
d'orgue, des attendrissements ; puis l'ordre de départ, le chaste
baiser; quelques semaines après, la funeste nouvelle, le retour
atïoléf T « aine céleste » qui s'en vole*. . Pixérécourt rentre en
France, il arrive à Paris; ayant tout à craindre, et rien pour vivre,
il enlumine des éventails dans un grenier, comme FavarL dans
une cave. Enfin l'amitié de Carnot lui rend la sérurilé, e! le
voilà plongé dans la lecture des drames de Mercier et des nou-
velles de Florian. Avec eux, il achève d'acquérir l'expérience de
la vie; comment ne sentit-il pas bien informé?
Ceci n'est pas un détail sans importance. Même en composant
ses mélodrames les plus poignants, il n'oubliera jamais ses pre-
mières lectures. « Je n'ai jamais vu Florian, dit-il en 1841, mais
il a été l'auteur Favori de mon enfance; il m'a toujours inspiré un
sentiment de prédilection;..- il a déterminé ma vocation pour
la carrière dramatique. » On ne s'attendait guère à voir Tau leur
d' Estel lr parmi les précurseurs du mélodrame : il en est ainsi
cependant. Pïxérécourt lui emprunte sa première pièce, Selico ou
lê$ nèffres généreux] [dus lard, il lui devra encore les Maures d'Es-
pagne. On voit aisément les conséquences de ce goût : le mélo-
drame va perdre cette âprcié que lui voulait Mercier, et s'orienter
dans le sens d'un optimisme pleurard* « J'écris dans le genre de
Bedaine », dira encore Pixérécourt; ce qui, pour lui, revient exac-
tement au même.
Perdant son âpreté, le genre nouveau va oublier aussi ses
rétentions batailleuses. Pixérécourt n'est fait pour violenter
ersonne, il apporte en toutes choses une modestie ingénue. Roi
ans son domaine, il reconnaît sans difficulté qu'il en est de plus
glorieux. La tragédie lui inspire le plus profond respect; il
*io;
REVUE D'HISTOIUK l 1 ITIUAIUI: ME LA K1UNCE.
l*admire pour son passé, pour sa grandeur solennelle, pou
conventions mémo auxquelles elle se soumet : les unités» les cinq
actes, l'emploi du vers, ce sont là îles éléments de beauté supé-
rieure. D'être plus libre, le mélodrame lui paraît littérairement
inférieur, Aussi use-t-il de cette liberté avec une extrême prudence.
S'il ne s'astreint pas aux unités, il s'en écarte Cependant le moins
possible : a Pour me conformer autant que possible à la régie des
unités, dit-il à propos de Ckriêtophé Colomb^ je suis parvenu, non
sans beaucoup de peine, à conserver dans mon drame celles de
tetxipfl et d'action; ma pièce ne dur*.* que vinirt-qualre heures », Et
quand il lui Arrive de les violer trop nettement, inquiet, il prévient
le public dès le litre même : La Fille de Vexité^ou huit moi& en deux
heures. Par modestie encore, il s'interdit de dépasser les limites de
trois actes. Les cinq actes doivent être réservés aux genres supé-
rieurs. Avant 1 820, il ne se risque qu'une fois à eo écrire qualre [la
Citerne i 1809), puis deux fois encore, eo 182G et 1827 (le Moulin
étang* et If Tête de mort). La coupe par tableaux surtout lui
semble sacrilège* Il s'y décide bien après 1830; mais c'est qu'à ce
moment, les romantiques venus, l'anarchie est abominable; des
gens qui se disent poètes couvrent la tragédie de sarcasmes.
Devant le drame nouveau, le mélodrame n'est pas disposé à rester
humble : c'est lui maintenant qui représente la tradition; « il n \
a plus de boulevard, les Pyrénées du mélodrame sont abaissées a*
dit un article du Figaro^ et, conquête suprême, ta Ferme et te
Château cl Lalude sont en S actes chacun. Ce sont, en 1834, les
dernières pièces de Pixérécourt.
Voici enfin qui est mieux que tout, Une seule fois et sur les
instances d'amis qui voudraient le voir académicien, il a écrit un
acte en vers pour le Théâtre-Français. Il s'agissait de s'affirmer
ainsi homme de lettres, de « légitimer ses bâtards ., et c'était
d'ailleurs une formalité toute pure. La pièce {Une viêite de M** de
fa Vattièrs) est reçue avec enthousiasme, M"* Mars est ravie de
son rôle..- C'est l'auteur lui-même qui retire son œuvre, n'osant
pas risquer la lutte sur un terrain qui n'est pas le sien : du même
coup, il renonce à l'Académie. Il se contentera de s'autoriser des
dignités des autres, et, dans l'édition de ses œuvres choisies, de
faire précéder ses pièces de notices dues à tout ce qu'il connaît de
célèbre : « ses amis membres de l'Institut », comme on lit sur
la couverture* Si on veut, ceci est bien de l'orgueil, mais un
orgueil si jeune et si naïf, qu'il en devient de la modestie.
Telle est donc, en son principe, la déformation que subit le
mélodrame entre les mains de Pixérécourt. Il y avait dans le pro-
LE MÉLODHAME ET GUILBERT DE PIXÉRÉCOURT. 205
gramme de Mercier deux choses à peu près inconciliables : la
volonlé de s'adresser au peuple d'une part, et, de l'autre, la préten-
tion de créer une beauté nouvelle, de substituer Un art profond et
vrai comme la vie à un art qui lui semblait de pure convention.
Nous savons combien, en définitive, il resta au-dessous de ses
promesses. Pixérécourt a le mérite d'abord d'être plus prudent.
Il sent à merveille que, pour gagner la foule, il ne faut pas lui
apporter des théories à grand fracas, et que, sans prétentions
d'aucune sorte, on peut faire encore une œuvre utile, et belle par
son utilité. C'est ce que nous indique, avec une netteté de vues, je
dirai presque touchante, la brochure qu'il consacra en 1818 à la
défense du mélodrame. De sa valeur littéraire, il n'hésite pas à
faire bon marché; mais, sans parler de son attrait, il lui reste
encore un double mérite : il travaille au développement moral de
la foule, et aussi à son développement intellectuel, car il lui fait
connaître par des adaptations les pièces les plus belles du dehors.
Il n'a besoin ni de philosophie profonde ni d'éclats de génie, il fait
œuvre modeste de vulgarisation. « On ne peut refuser au mélo-
drame cette justice que c'est lui qui nous retrace le mieux et le
plus souvent les sujets nationaux, genre de spectacles qui doit
être représenté partout. Il offre à la classe de la nation qui en a
le plus besoin de beaux modèles, des actes d'héroïsme, des traits
de bravoure et de fidélité. On l'instruit par là à devenir meilleure
en lui montrant, même dans ses plaisirs, de nobles trails peints
de nos annales... Le mélodrame sera toujours un moyen d'instruc-
tion pour le peuple, parce qu'au moins ce genre est à sa portée...
Enfin, il me semble qu'au lieu de verser le ridicule sur les
hommes de lettres qui l'ont adopté, on devrait au contraire leur
savoir gré de transporter sur notre scène l'élite des pièces alle-
mandes et anglaises : ce qu'ils ne font toutefois qu'après les avoir
améliorées, en leur donnant une forme régulière. »
Guilbert de Pixérécourt se fait bien quelques illusions, à vrai
dire, sur la portée de ses adaptations. Parmi les écrivains qui
commencent à jeter les yeux sur les littératures du dehors, il est
un de ceux à coup sûr qui les comprennent le moins. 11 suffit de
l'entendre parler avec mépris des libertés des demi-sauvages. En
fait de goût, il s'en tient encore aux exigences de Voltaire, et il est
moins informé que lui. On a très vite fait le tour de ce qu'il nomme
« l'élite » des pièces étrangères. Quelques romans de Walter
Scott, le Robinson Crusoë, YAbelino de Zchote, le Calcb Williams
de Godwin; avec cela, les traductions du comte de Saint-Aulaire,
sa « Collection des théâtres étrangers ». Et c'est bien peu, mais
206 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
cela suffit pour l'usage qu'il en veut faire. Il ne touche ni à Gœthe,
ni à Schiller, ni à Shakespeare, et Ton n'a garde de lui en vouloir,
quand on lit Marguerite d'Anjou et qu'on se rappelle Richard III.
Le travail d'adaptation auquel il se livre ne laisse pas, en effet,
subsister grand chose de ses modèles. Il ne veut y trouver que
quelques situations propres à s'accommoder à sa sauce douceâtre,
quelques effets de décor et de costume et quelques grandes leçons.
Après cela, il est homme à vider en un tour de main le drame le
plus riche de toute la substance qu'il peut avoir. Ainsi dépouillés,
il n'est plus de chefs-d'œuvre qui dépassent l'intelligence du public.
Cherchez une différence entre la pièce qu'il emprunte au nébuleux
Werner et celles qu'il doit à la languissante Mme Coltin ou à
Ducray-Duminil, cher aux adolescents de 1815 '.
Et de même, sa façon de concevoir la morale au théâtre ne va
pas sans naïveté. Il a une confiance excessive dans le pouvoir de
ses dénouements; il est trop convaincu qu'à voir les grands crimes
punis on devient vertueux, et, comme portée philosophique, son
optimisme est très inférieur à celui de Rousseau, voire même à
celui de Mercier. Mais tout le monde autour de lui partage cette
illusion, ce qui, en une certaine mesure, le justifie. Il n'y a qu'une
voix pour le proclamer grand moralisateur des foules. Écoutez
Charles Nodier : « Je l'ai vu, dans l'absence du culte, suppléer aux
instructions de la chaire muette et porter, sous une forme
attrayante qui ne manquait jamais son effet, des leçons graves et
profitables dans l'âme des spectateurs... » Que si l'on réclame des
preuves : « Le long espace de lemps embrassé par ce théâtre est
le plus pur de toute espèce d'attentats, dont les registres de
nos tribunaux aient conservé le souvenir », et il rappelle ces
paroles d'un homme de bien s'efforçant de détourner un criminel
de ses projets : « Malheureux! Tu n'as donc jamais vu repré-
senter une pièce de Pixérécourt! » Que voulez-vous répondre à
cela? Pixérécourt a tout au moins inspiré l'horreur du crime aux
honnêtes gens; peut-être le pouvoir de tous les moralistes ne va
pas plus loin.
C'est ainsi que toutes les insuffisances de Pixérécourt, le peu
de profondeur, mais la netteté logique de ses vues, la candeur de
ses préjugés, mais la noblesse de ses intentions, tout a contribué à
rendre son influence plus profonde. Après tout, pour préparer un
public aux poètes dramatiques du lendemain, il est inutile d'être
soi-même poète : Hardy ne le fut pas plus que lui. Il est nécessaire
1. Le Monastrre abandonne. — La Fille de l'exilé. — Cêlina
IL MLUKiKAMi: Kl i.LIlBKItï DR PlXÛrUXUl'IlT. 207
en revanche d'être homme de théalre, et tous deux le furent de
façon analogue»
Pixérécourt a le sens inné de ce qui convient à la foule* Tout
d'abord, il comprend à merveille qu'elle ne tient pas à voir sur la
scène des types faits à son image, que la pièce populaire n'excitera
pas sftn enthousiasme. À cet égard, là Brouette du vinaigrier était
(lue erreur. Le peuple aime le style noble. " Il est dans la nature
du mélodrame, comme dit Geoffroy, Je frapper l'imagination par
des noms fameux qui réveillent de grands souvenirs1* » Du jour
ou Diuaux et Ducange travailleront dans Trente ans ou la fou dan
"tir a te rapprocher de la vie, c'en sera fait de lui. Pixérécourt
ne louche jamais a des sujets domestiques sans les élever ; les
pères de ses jeunes filles séduites sont régulièrement vieux soldats
ou infirmes, aveugles de préférence, ce qui suffi l a les transformer
en « respectables vieillards »,
Encore préfère- 1- il d'ordinaire s'en tenir aux « gens de condi-
tion h et aux sujets historiques. Singulière histoire, il est vrai, il
la connaît a travers de vaguea souvenirs de Walter Scott et des
dramaturges allemands-. Seules, certaines époques existent pour
lui, particulièrement expressives : notre wur sièele, OÙ des ofli-
ciers tombent follement amoureux des maîtresses du roi, franchis-
sent des murs pour le leur dire, et, pour avoir déplu, languissent
pendant des trente ans au fond de cachots humides; l'Espagne au
pouvoir des Maures; l'Ecosse de Marie Stuart; l'Italie de la renais-
sance avec ses proscrit*, ses brigands, s«-s conjurations tramées
dans des jardins parfumés de fleurs cl peuplés de statues, la solen-
nité de ses doges, la perversion élégante de ses grands seigneurs.
De Venise et de Fur rare surtout il a une vision savoureuse. Quelle
matière poétique le théâtre peut y trouver ; le chatoiement des
costumes, les sérénades pendant les belles nuits, les rapières jail-
lissant du fourreau pour un regard, un traître ou un héros ven-
geur caché dans chaque taillis! Sans peine et juste au bon moment,
le personnage attendu sort d'un buisson, d'un rocher, d'une grotte,
d'une citerne ou d'un vieil aqueduc; veut-il disparaître, un coup
de pishdet... une gondole est là. En plein conseil, un bandit
arrache sa barbe, et ce bandil se retrouve grand seigneur : tout
était perdu, tout est sauvé. Des jeunes filles « anges tutélatres »
ou « démons femelles » courent les chemins avec un choix inépui-
i. Article sur les ruines de Babylone.
2. Le tiège de Nancy se pique d'une exarULude plus gronde; il l'a fait précéder
d'une étude stratégique du colonel Bergère avec cartes et plans.
208 REVUE D HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE.
sable de déguisements : en « génies mystérieux », en vieillards,
en magiciens, en femmes quand elles ont le temps, mais plutôt en
pages. Tous les théâtres, dit Pixérécourt, ont dans leur troupe des
jeunes personnes capables de porter ce costume, et cela fait plaisir
à voir. Et comme tous ces personnages parlent le langage de leur
temps! Dès les premiers mots, la pièce est située. Faut-il évoquer
la Pologne, une phrase suffit : « Qui supposera jamais que la belle
Floreska soit enfermée au château de Minski, dans un affreux désert
au milieu des monts Krapack?1 » Est-ce l'Espagne du xv* siècle :
« Abencerrages, le vaillant Abufar a vaincu les Zégris; la tendre
Zima son épouse... *» On est vite fixé. 11 n'est pas jusqu'aux Caraïbes
de Christophe Colomb qui ne poussent des « kouloubi » et des
c licotamali », ce qui veut dire « diable », et « à mort! » « Il eût été
complètement ridicule de prêter notre langage à des hommes qui
voient pour la première fois des Européens. J'ai donc donné aux
habitants de l'île Guanahani l'idiome des Antilles que j'ai puisé
dans le dictionnaire caraïbe composé par le R. P. Raymond Breton
et imprimé à Auxerre. » Sans doute ce genre de couleur locale,
cet amour enfantin du bric-à-brac n'ont rien à voir avec l'esprit
historique véritable : ils en sont souvent même exclusifs. Ils
témoignent pourtant d'une curiosité intéressante à cette date et
d'un sentiment exact des nécessités de la scène. Lamartellière, qui,
dans sa préface des Francs Juges, semblait promettre beaucoup plus,
a tenu beaucoup moins3.
Pixérécourt ne promet rien qu'il ne tienne. Il sait fort bien que
l'histoire ainsi comprise n'est plus qu'un cadre. Par elle-même,
elle se trouve d'un intérêt médiocre, mais elle a l'avantage de
situer une aventure touchante, de lui prêter quelque vraisemblance
et de lui fournir le prestige des costumes et du décor. « Ces fac-
tions, écrit Geoffroy à propos de la Rose Blanche et la Rose rouge,
n'inspirent aujourd'hui aucun intérêt (peut-être va-t-il un peu loin,
mais il parle au nom du public); mais on est convenu de s'in-
téresser dans tous les temps au sort des amants malheureux. »
Après cela, l'histoire d'amour qui fait le fond de ce mélodrame se
déroulerait aussi aisément parmi les désordres d'une petite prin-
cipauté italienne. Les situations ont pour Pixérécourt une valeur
i. Les mines de Pologne (1, 1).
2. Les Maures d'Espagne (I, 1).
3. • J'ai eu l'idée de rassembler dans un cadre dramatique tout ce que les chro-
niques du temps nous ont laissé de renseignements sur les statuts, les formules,
les mœurs et les usages de cette association monstrueuse, qui, pendant plusieurs
siècles, a tenu dans la stupeur et l'asservissement la plus grande partie de la Ger-
manie • (1807). C'était déjà la conception du drame historique suivant la formule
naturaliste, ou suivant la méthode de M. Sardou.
LE MÉLODRAME ET GL'ILBERT DE PIXÉRÉCOL'KT. 20»
propre, absolument indépendante du milieu où les jette sa fan-
taisie. Aussi les déplace-t-il à son gré. Le Hugo Grotius que
Dumaniant et Thuring doivent à Kolzebue lui offre une aventure
dramatique; mais « un savant en us, qui a écrit tous ses livres en
latin, serait un singulier personnage dans un mélodrame » : il
devient le chevalier Evrard; on ne voit pas Arminiens et Goma-
ristes se livrant aux charmes de l'indispensable ballet : ils cèdent
la place à des paysans de Souabe; l'empereur d'Allemagne aura
plus d'allure qu'un petit prince d'Orange, et la pièce prend pour
titre : la Forteresse du Danube. Je ne sais, du reste, si Geoffroy a
tort de louer ces « embellissements ». Aux yeux de la foule, et
quoi que Ton fasse, un drame ne vaut que par la situation qu'il
met en scène : le reste n'est qu'ornement accessoire dont on peut se
servir à son gré. La Citerne de Pixérécourt se transporterait sans
difficulté en Sicile ou son Belvéder aux Baléares, mais, de l'aveu
même de M. Sardou — et Ton connaît ses scrupules d'historien
exact, — son drame de Patrie « s'est promené de Venise à Londres »
avant de se fixer dans les Flandres. Relisez la préface de la Haine :
la pièce déjà conçue : « Je pensai à la Fronde,... je me rabattis sur
la Ligue,... je remontai jusqu'à Charles VII,... je compris qu'il
n'était que temps d'émigrer, et, franchissant les Alpes, nous nous
trouvâmes en pleine Italie du xivft siècle ». C'est toujours le mot
de Dumas père : « Soyez en possession d'un bon sujet dramatique;
l'histoire vous fournira toujours le cadre qui le met le plus en
relief. L'histoire est bonne personne... » Bonne personne, personne
point encombrante surtout, quand on sait en user.
Pas plus que de l'histoire, et pour la même raison, le mélodrame
ne se soucie des caractères : cela, c'est affaire aux genres nobles.
Il ne veut que des personnages aux traits nettement définis. Rien
n'est plus simple que l'humanité telle que la conçoit Pixérécourt :
il y règne un ordre admirable. Des héros d'un côté, des misérables
de l'autre, et, comme il importe que l'on s'y reconnaisse vite, sur
la physionomie des premiers l'image visible de toutes les vertus,
aux seconds des traits repoussants. Les uns et les autres se côtoient,
se heurtent, se combattent sans se mêler : les bons n'ont jamais
un sentiment vil ou seulement médiocre; quant aux méchants, si
parfois — la morale l'exige — ils deviennent bons, ils se conver-
tissent d'un seul coup, et totalement. C'est par une série de coups
de théâtre que l'on arrache les applaudissements, non par une pro-
gression insensible. Seul l'imprévu frappe le public. Les nuances
sont un principe de confusion. La vérité importe peu; il faut seu-
lement que toutes choses, pour être claires, soient bien arrêtées.
210 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Il reste donc que le mélodrame est purement un drame de
situations : situations tour à tour attendrissantes et terribles,
exceptionnelles toujours. Dès lors, l'art de l'écrivain se réduit à deux
choses : imaginer des coups de théâtre saisissants, et, de l'un à
l'autre, soutenir l'attention; le don du mouvement et le sens du
relief. A cet égard, Pixérécourt est un maître, j'entends quelqu'un
dont l'exemple a été fécond. Il excelle à tisser ses invraisemblances,
à trouver les combinaisons d'événements les plus imprévues et à
les entrecroiser pour le plus grand plaisir d'un public assez disposé
à se laisser prendre.
Dès le premier acte de Célina, sa première pièce à succès \ il
fait preuve d'une aisance où se reconnaît le dramaturge marqué
par le destin ; aucune qualité d'écrivain, certes, mais un art de dire
ce qu'il faut que l'on sache, de laisser entrevoir ce qu'on doit
deviner, de préparer le terrain aux péripéties futures, de mettre le
public en haleine. A chaque nouveau triomphe, ces qualités appa-
raissent plus étonnantes. Les critiques vont de surprise en surprise,
c Quelle imagination, si vive et si extravagante qu'elle fut, s'écrie
le Journal de Paris *, pourrait se figurer seulement la dixième partie
des inventions extraordinaires que M. de Pixérécourt vient de pro-
diguer comme en se jouant, et dont nous sommes encore émer-
veillés! »
Ce ne sont que déguisements et combats, fuites et poursuites,
personnages qui se perdent et qui se retrouvent, tout cela d'une
verve et d'une précision dont on n'avait pas d'exemple. Et cet art
d'enrichir les idées d'autrui et de secouer l'attention même avec un
sujet dont le fond est connu ! Je ne parle pas de son Itobinson, dont
il était si fier, mais du Belvéder 3 ; comme le Jean Sbogar de No-
dier parait de peu de matière auprès des efforts de ces pirates pour
reconquérir leur chef pris du désir d'être honnête homme malgré
eux! N'était ce diable de style, son lyrisme et son éloquence, on
goûterait encore ces histoires. Une fois même, dans Valentine i, il
1. 2 septembre 1800.
2. Article sur la Citerne, 14 janvier 180'J.
3. 10 décembre 1818.
4. 15 décembre 1821. — De toutes les pièces de Pixérécourt, Valentine est la seule,
où, malgré certaines surcharges traditionnelles le drame soit intérieur plus
qu'extérieur. Avec les circonstances les plus atténuantes du monde, la fille d'un vieil
invalide (aveugle naturellement) s'est laissé séduire par un jeune homme qu'elle
croit de condition semblable à la sienne. Un mariage secret a calmé ses scrupules;
mais elle découvre successivement que celui qu'elle aime est le propre Gis d'un
très grand seigneur; — puis, qu'il est marié déjà avec une autre femme. Fureurs et
malédiction du père, désespoir de Valentine qui, malgré tout, — telle Blanche du
Roi s'amuse, — continue à aimer son séducteur, et un seul dénouement possible :
la mort.
LE MÉLODRAME ET GUILBERT DE PIXÉRÉCOURT. 211
est arrivé presque à la grandeur véritable : un sujet assez simple,
un enchaînement assez vraisemblable, des sentiments presque
naturels et une scène au moins, à la (in du deuxième acte que
Dumas père, dans ses bons jours, aurait pu signer. Il est vrai que
Valenti ne est une exception dans soïi œuvre et que d'ordinaire il
se travaille à paraître plu£ compliqué.
Il y réussit aisément. De tous les effets classiques du mélo-
drame, il y en a peu qu'il n'ait pas découverts. Il devine la dose
exacte de comique que comporte le genre nouveau, le pouvoir,
pour exciter le rire, des types traditionnels. Il a le secret des gestes
expressifs : gestes simples, gestes nobles et gestes furieux; gestes
à faire pleurer — la victime opprimée tendant les bras au ciel; —
gestes à faire frémir — Lord Lindesay broyant de son gantelet de
fer le poignet de Marie Stuart l; — le geste dit tant de choses à si
peu de frais!... Il trouve la formule qui résume une situation :
« Sous le nom de Vivaldi, je ne puis échapper au décret qui proscrit
ma tète ; sous le nom d'Edgar, je suis en butte au poignard des con-
jurés, et enfin, sous celui d'Abelino, je m'expose à une mort infa-
mante ! (Avec enthousiame) Mais qu'importe la mort à qui peut s'im-
mortaliser ! * » Il connaît les principes essentiels : un revirement doit
être inattendu, et le bandit Cari, ennemi féroce de la reine, se jette
à ses pieds quand il la voit à sa merci3. Les grandes actions doi-
vent se préparer à la lueur des éclairs, et voici le début du Démon
femelle : « Marco (une lanterne sourde à la main) : Paix! n'avancez
pas... j'ai cru entendre... — Flora (enveloppée de la tète aux pieds
dans une mante noire) : Rien que la foudre qui gronde! Ah!
Marco, j'aime cet orage!... » — « La belle nuit pour une orgie à
la tour! », comme on dira dans la Tour de Nesle. Et cette loi enfin,
qui résume toutes les autres : à la scène à faire (déjà!) l'homme de
théâtre doit tout sacrifier : non pas seulement la vérité historique,
ni celle des caractères, mais le simple bon sens. Avant Victor
Hugo, il comprend que rien parfois n'a si belle allure au théâtre
qu'une sottise; comme lui, il sait, à l'occasion, faire dire à ses
héros le contraire exactement de ce qu'ils diraient dans la réalité,
et Tétrangeté même de leurs discours nous les fait paraître grands,
exceptionnels en tout cas, et par conséquent poétiques. Même pour
1. L'Évasion de Marie Stuart (I, 9). — Celui-ci, c'est le « grand geste » du duc
de Guise dans Henri III. Il serait facile de multiplier les rapprochements de ce genre.
Imitations ou réminiscences, non, car Pixérécourt fut un trop petit personnage
pour être relu ; mais rencontres toutes naturelles entre gens ayant du théâtre une
conception analogue, et s'inspirant des mômes modèles. Ici, le modèle*, c'est VAbbé
de Walter Scott.
2. L'Homme a trois visages (II, 12).
3. Marguerite iV Anjou (II, 8). — Cf. Tékéli (III, 15).
212 REVUE .D HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE.
parvenir à un but très simple, ils prennent des voies si compli-
quées, que souvent ils s'étonnent eux-mêmes, t Les moyens que
vous employez... », objecte le Marco du Démon femelle; et Flora :
« Ils sont bizarres, c'est pour cela que je les ai choisis! * » Il n'y a
rien à répliquer.
Notez que ce dramaturge si sûr de- lui et de son public est
capable même, de temps en temps, d'être sobre. Son style, qui
déploie toutes ses pompes dans les monologues solennels, se
résigne parfois à se serrer pour laisser courir l'action haletante.
Ses fins d'actes sont en général des modèles du genre. Seuls, ses
dénouements sont médiocres; il se contente le plus souvent, pour
arranger les choses, de supposer des revirements assez singuliers:
il a recours au « génie de la reconnaissance » fournissant tout à
coups des secours inattendus*, au pouvoir de l'enfance désarmant
les méchants 3, à la conversion brusque des pécheurs. Ceci est
peut-être une preuve nouvelle de sagesse. D'abord, la morale y
trouve son compte; et puis, à quoi bon se torturer l'esprit pour
chercher des habiletés inutiles! quand le public, pendant trois actes,
a souhaité le salut d'une victime, il ne chicane pas sur les moyens
qui viennent enfin l'assurer.
Il est vrai de dire qu'ici le plaisir des yeux supplée d'ordinaire à
ce qui, d'autre part, serait insuffisant. Pixérécourt aime que le rideau
se baisse dans un éblouissement, il célèbre par un luxe prodigieux
de mise en scène l'heureux succès de ses aventures. Ce sont les
fêtes militaires de Tékéli et des Maures d'Espagne; c'est le ballet
du Pèlerin blanc, l'assaut de Charles le Téméraire, la forêt incendiée
de Marguerite d'Anjou, l'explosion de la Citerne, le départ du
bateau de Robinson, matelots dans les vergues et mousses aux cor-
dages, le panorama du Belvéder, cet effet de soleil de Daguerre
qui marque une date dans l'histoire de la décoration, l'éruption
du Vésuve de la Tête de mort.,. Nous sommes loin de la mise en
scène de l'ancien drame bourgeois, très au-dessus des splendeurs
de l'opéra primitif et tout près de la féerie moderne. Tous les genres
anciens sont venus se fondre dans le mélodrame, ils lui ont donné
leurs richesses extérieures, sans rien toutefois de ce qui faisait leur
valeur d'art, — l'art étant la seule chose dont le public ne se
soucie pas.
Aux applaudissements, les machinistes ont leur part désormais;
mais le premier des machinistes c'est encore l'auteur, car c'est
1. VAnye tutélaire ou le démon femelle (I, 1).
2. Hobinson Crusoc.
3. Les Maures d'Espagne.
LE MÉLODRAME ET GUILBKRT DE PIXÉRÉCOl'RT. 213
lui qui a pris soin de tout établir. Ici plus que partout il nous
apparaît, si Ton peut dire, l'homme de théâtre intégral, celui qui
ne se contente pas d'écrire sa pièce, mais qui lui donne la vie, la
porte sur la scène, en règle tous les détails et tous les mouve-
ments. Diderot déjà et Beaumarchais tenaient à fixer le costume
et les attitudes de leurs personnages. Pixérécourt, lui, est à la
fois le décorateur, le costumier, le metteur en scène et le
régisseur.
D'une sévérité parfois fatigante pour ses interprètes1, on le suit
cependant comme le chef qui mène à la victoire. « Il n'était pas
seulement, écrit Piccini*, l'auteur de ses pièces, mais encore il en
dessinait les costumes aux peintres, donnait le plan de ses déco-
rations, expliquait aux machinistes le moyen d'exécuter les mou-
vements. Scène par scène, il donnait aux acteurs des intentions
sur leurs rôles. Ses ouvrages eussent beaucoup gagné s'il eût pu
remplir tous les personnages. » Il sait exactement quelles sont
comme herses, costières, trappes et trappillons les ressources des
théâtres où Ton joue ses pièces; lisez la notice où il règle l'inon-
dation de la Fille de l'exilé. Aussi a-t-il des trouvailles d'homme
du métier : la forêt qui marche de Robinson Crusoè', l'effet d'orage
avant le lever du rideau sur le premier acte de Christophe Colomb :
€ (On entend derrière le rideau ces commandements faits d'une
voix forte par le maître d'équipage et toujours précédés de coups
de sifflet :) Cargue la grand'voileî Cargue la misaine, Cargue l'ar-
timon ! (le tonnerre, la pluie, la grêle, le mugissement des vagues...
A un moment de calme succède tout à coup un effroyable cra-
quement; le maître d'équipage crie :)Nous touchons! (On tire deux
coups de canon). Tout le monde sur l'avant! (On entend le bruit
que font tous les gens de l'équipage en courant de l'arrière à
lavant). Du monde à la pompe ! Charpentier à la cale! Bouche la
voie d'eau! (A ce violent tumulte succède par degrés le beau temps
dont l'orchestre exprime le retour)3... » N'est-ce pas une véritable
ouverture d'opéra?
1. Dalayrac, lettre du :\ janvier 1805.
2. Octobre 1840.
3. Pour la for<H qui marche, d'ailleurs, il se souvient de Macbeth; et de la Tempête
pour le début de Christophe Colomb. Mais il est curieux de voir comme il adapte ses
emprunts selon son esthétique spéciale : il supprime ce qu'il y avait d'humain dans
Shakespeare (les encouragements inquiets du roi de Naptes, la rudesse du bosse-
man, la bonhomie du conseiller Gonzalo, les injures furieuses d'Antonio et de
Sébastien, cet affolement qui rapproche toutes les dislances devant le danger) —
pour ne laisser subsister que l'elfet extérieur, V effet musical.
214 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
III
Tels sont les principaux mérites de Pixérécourt. Il en est de plus
relevés sans doute; mais des qualités du même ordre ont fait
la gloire de certains, qui ne les eurent qu'après lui. Il est évident,
toutefois, que les grandes espérances de Mercier sont loin d'être
réalisées. Le mélodrame n'a pas tenu ses promesses. De ses pré-
tentions du début, il n'en a conservé qu'une, celle de s'adresser à
la foule, et, pour rester fidèle à celle-là, il a dû sacrifier toutes
les autres. L'on peut dire que c'est un avortement : c'est aussi ce
qui fait son importance dans l'histoire de notre théâtre. La portée
d'un drame ne se mesure pas toujours à sa valeur. Dans ce fatras
de pièces, on en chercherait vainement une seule d'un caractère
personnel, car aucune ne présente ce qui fait la personnalité d'une
œuvre, à savoir un effort nouveau vers la beauté. Rien ne res-
semble plus à un mélodrame de Pixérécourt qu'un mélodrame de
Caignez, si ce n'est un mélodrame de Frédéric. Personnages, sujets,
situations sont une sorte de fond commun, d'où chacun tire à son
gré, sans souci du voisin. Ils ne conçoivent pas que Ton puisse
parler de plagiat, n'étant pas le moins du monde « hommes de
lettres ». Cette « mise en commun », comme dit Bouilly, nous
semblerait cynique, n'était la médiocrité générale. Sans scrupules,
on emprunte leurs effets aux romans qui ont réussi. Pixérécourt
imite Laya, qui imitait Godwin. L'Ouvrier de Messine de Caignez
devient le Courrier de Naples de Boirée d'Aubigny et Poujol, qui
deviendra le Courrier de Lyon. Ce sont toutes œuvres presque
anonymes comme la foule qui les écoute, mais par là, justement,
elles ont agi sur cette foule.
Il n'est pas sans intérêt d'établir le bilan de cette influence. Et
d'abord, tous les genres différents de pièces populaires que notre
siècle a connus sont en germe dans les œuvres de Pixérécourt et
de ses rivaux. Mélodrames historiques et mélodrames de cape et
d'épée à grand spectacle, mélodrames militaires avec le Maréchal
de Luxembourg et le Maréchal de Villars de Frédéric, mélodrames
domestiques et mélodrames judiciaires avec la Pie voleuse de Cai-
gnez ou la Famille dWnglade de Frédéric, mélodrames comiques
avec J/mc Antjot au sérail de Constantinople, féeries avec le Pied
de mouton : ces litres en disent assez. Nous trouvons ici sous leur
première forme des œuvres qui, maintes fois remaniées, en sont
arrivées à ne plus appartenir à personne : le Petit Poucet , F Auberge
Il HÉLOMUMK ET CUILBERT DE PUÉRÉCÛUHt,
de* Àéreto de Benjamin Saint-Amant et Paulyantc, le Juif errant
dij! Caignez, Jeunes premiers élégants, vieux soldats intrépide* et
brusques, eanliniers polirons, comtes respectables et vicomtes
débauchés, ingénues bêlantes, paysans naïfs, Gascons hâbleurs,
Anglais flegmatique*, criminels en babil noir, chambellans d'opé-
rette idiots sous leurs chamarrures : tnut un monde nouveau s'est
emparé de certains théâtres, et n'en sortira plus.
Les musiciens même, je ne dis pas les plus médiocres, se pas-
sionnent pour ces nouveautés. Jusqu'ici les sujets bibliques ou
héroïques avaient régné presque sans partage sur la scène de
l'Académie ltoyale. Vainement, en 1780, Hochon de Chabannes,
avec son Seigneur bienfaisant^ avait essayé de réagir, et, dans un
avertissement célèbre, avait dit ses raisons : les gros succès allaient
toujours aux Danaîdes, aux Pénélope, aux Endytnion^ au Taiioft
(foi\ aux Phèdre et au\ Sa&L II fallut le succès du mélodrame
pour décider librettistes ut musiciens h chercher antre chose; sans
peine, le public les suivît et ce furent faa Ain sf Ferna
n ou le Conseil fl?s dix.
Des fors, la bataille est gagnée; Topera moderne va naître,
tout différent de l'ancien. Ces visions historiques peuvent lui
donner sa couleur; ces personnages si peu complexes se Inokri-
senl sans peine musicalement; les grands etl'eis dt> mise en scène
prêtent au développement* harmonique; il n'est pas jusqu'aux
ballets qui ont leur place marquée. Piccini, le petit-fils de Taulcur
«le DidonA sVst fait le compositeur ordinaire de Pixéréeourt; Boïel-
dieu lui demande des livrets1; Méhul et Gaveaux se disputent la
Rose blanche. Meyerbeor surtout est enthousiaste; il a mis en
musique Marguerite d'Al\fou et réclame autre chose : « Veuillez
me dire si vous avez fini vos Natch<>z. Tout ce qui sort de votre
plume m'intéresse prodigieusement, et je suis sur que j'en ferai
un opéra pour l'Italie, quand vous les aurez fait imprimer. Il y a
plus de quinze ans que je suis amoureux de vos drames ; ils ont
été tous traduits en Allemagne et en Italie et mis en musique avec
un succès formidable. Vous no sauriez vous imaginer quelle
immense réputation vous aves à l'étranger. J'ai eu l'honneur de
vous le dire souvent, je n'ai jamais laissé échapper une seule de
vos pièces sans la lire et j'en ai composé beaucoup ; elles sont toutes
» merveilleusement coupées pour la musique » K A celte date, Pau-
lent du Betvéder est directeur du théâtre Feydeau et il vient de
evoir Robert le Diable. Le terrain est préparé, Scribe peut aller
L Lellrc du i> mars 18Û6.
â. LeUr e du SU juin 1827.
216
HEM K D HISTOIRE LITTÉRAIEH M LA FRANCE,
de l'avant; en 1865 encore, Sclika de l'Africaine sera proche
parente de Selico le bon nègre.
De cela, î vr;iî dire, il est permis de ne pas savoir beaucoup de
gré h Pisérécourt, Mais où son rôle devient tout à fait considé-
rable, c'est en tant que précurseur au théâtre des poètes roman-
tiques. Au fond, les audaces de ces révoltés furent beaucoup moins
nouvelles qu'ils ne l'ont cru, leurs î aspirateurs beaucoup plus
proches qu'ils ne Font dit. Il serait banal de railler leurs illusions
au sujet de Shakespeare, Quant aux dramaturges allemands,
ils les connurent un peu mieux sans doute que Pixérécourt, sans
les comprendre tout à fait. La préface de Cromwetl est un mani-
feste bruyant : il n'aurait pas renouvelé le théâtre, si certaines
œuvres n'eussent déjà préparé à le comprendre une partie du
public. Les uns en applaudirent l'audace; d'autres s'indignèrent de
voir « le mélodrame », jusqu'ici modeste, afficher tant de préten-
tions. 11 revendiquait pour la première fois ses litres de genre
noble, il voulait détrôner L'ancienne tragédie, s'installer sur les
grandes scènes. La prédiction de Geoffroy se réalisait : « Si on
s'avise d'écrire le mélodrame en vers et en français, si on &
l'audace de le jouer passablement, malheur à la tragédie!,..
Malheur ait TluViin--Franc,ais quand un homme de quelque talent
s'avisera de faire des mélodrames!.,- » Avant que se levât la toile
sur la première scène iVHernani, on était prêt à ht lutte; mis eu
mauvaise prose et joué sur une scène des boulevards, il n'aurait
choqué personne.
Geoffroy avait vu juste. Nodier pense comme lui ; « La tragédie
et le drame de la nouvelle école ne sont guère autre chose que des
mélodrames relevés de la pompe artificielle du lyrisme ». Il y a
dans celte phrase un mot fâcheux; dans son ensemble, elle exprime
une vérité. À le considérer uniquement en tant que drame, le
drame romantique en somme n'apporte pas grandVhose de nou-
veau. Ce qu'il réclame comme mouvement et comme vie n*est
plus inconnu sur la scène française. Il ne faut pas se laisser
tromper par le ton de certaines formules. <i Ce n'est pas à la
surface, proclame Victor Ilugo, que doit être la couleur locale,
mais au fond, dans le ca^ur même de l'œuvre, d'où elle se répand
au dehors »; on sait jusqu'à quel point il tient cette promesse et
que l'histoire de Ituij Blas n'est pas plus « profonde » que celle
du Proscrit de Venise, — Il part en guerre contre les unités qu'il
viole à plaisir; le mélodrame les violait avec regret, mais les
violait tout de même. — Il fait grand état de la fusion des genres :
tout se heurte dans la nature, le grotesque et le tragique, le rire
LE MÉLODIUNK II i.l Jl.BEHT DE PIXÉRÉCOURT.
217
et les pleurs; Tari doit reproduira la vie. Pîxérécourt n'a pas
cherché si loin : celle union, pourtant, il l'a réalisée dans toute!
ses pièces; il a renoncé h fondre gaité el tristesse dans une sorte
d'attendrissement souriant, comme T avait rêvé Se J ai ne; il les a
le premier opposés violemment. Il est vrai que son comique est
de qualité vulgaire; il s'en tient, pour L'ordinaire, à dos valets pol-
trons ou à des Gascons bavards, mais au moins une fois, dans sou
Picaro au nom expressif, il a esquissé une figure assez savoureuse
de bainlïL à la manière romantique1.
Personnages roman tiques encore, ceux qui mènent les m vrai-
semblances de ses mélodrames. Quand apparaissent les Bernant,
les Buy Blas, les Rodolfo, le public les reconnaît sans peine.
Pixé ré court, pendant vingt ans, a accoutumé ses fidèles aux bizar-
reries de la fatalité romantique. Il les a fait frémir devant ces
héros marqués au front, criminels philanthropes, bannis héroïques,
jeunes gens aux manières étranges, aux yeux profonds, à la vois
creuse, qui poursuivent un rêve connu d'eux seuls, hantés pendant
les nuits de visions mystérieuses, liés par des devoirs, par de*
Complicités terribles, par «les vengeances que, magnanimes» ils se
refuseront à satisfaire, le moment venu. .1'/ augu&ta le plus
souvent, toujours per aiujusia* Ils se carrent dans le mélo-
drame, avec, déjà, toute leur fierté, leur mépris des conventions
et des nécessités vulgaires de l'existence, héros au verbe excessif
qui ne mangent ni ne dorment et promènent, sans jamais tes
salir, à travers les pires hasards, leurs courages reluisants, leurs
plumes, leurs pourpoints et leurs bot tes molles. Écoutez parler
Vivaldi : « Les hommes de tous les jours, ces êtres comme on eu
voit par milliers se traîner dans les rues de Venise, ressemblent
aux insectes qui rampent sous nos pieds!,.. Loin de moi la honte
dune pareille destinée! Ce qui est rare, ce qui est extraordinaire
a seul droit à l'estime de nos contemporains el à l'admiration de la
postérité... Crois-tu que je puisse rougir du rôle que je joue?
Jamais! Quand des siècles se seront écoulés sur notre cendre,
quand la mer aura abandonné ces rivages, quand le soc du labou-
reur sillonnera la place où existent ces palais magnifiques, mon
nom encore fameux vivra dans l'univers, tandis que le tien et
beaucoup d'autres demeureront ensevelis dans la nuit des temps! * .»
Sur ces sottises il ne restera plus qu'à mettre de la poésie. C'est
ainsi que» deux siècles avant, Alexandre Mardy préparait les
voies a la tragédie future* Discuté au Théâtre Français, le drame
4, La Citerne*
t. l homme à trou vtioçti {II, 12).
RKV, t/illSÎ. LtTTtR. Dfc LA FWA^ClE (7* Aqn.), — VU.
13
Î18
REVUE TMIKIOITIK UTTKRAIRE t*K IV KIIAM'I..
romantique trouve aussi loi sur les boulevards des auditeurs ins-
truits h le goûter » Pondant quAntony^ Lucrèce Borgia et la Tour
Veste triomphent i taPorle-Saini-Marlin, on applaudit à la Galle
ta Lettre de nuit*'!, Ç Abbaye aux bois, ? Allée des veuve* : le style
même des unes el des autres n'est pas de qualité très différente.
La préface de Çromwell, c'est donc, en somme, le mélodrame
prenant conscience de ses moyens et de sa dignité littéraire. (In
no diminue pas, à l'avouer, l'importance de ce manifeste. Car de
ce jour seulement, et g race à lui, un genre qui jusqu'ici n'avait
fait que tâtonner sur les contins de la littérature, > pénètre glo-
rieusement. Lrs timides ont toujours LorL Les amis de Pixérccourt
frémiretil devant les audaces romantiques, ils crièrent au scandale
devant ces jeunes gens aux mépris excessifs, disposés à jeter bas
les idoles tes plus respectables. Il faut entendre Bouilly regretter
L'âge d or ; « Cotte honorable association qui formait en France
une corporation à laquelle on était heureux el fier d'appartenir
est devenue une meulr affamée courant après toute bête fauve dont
elle aspire la curée : rien ne l'arrête dans sa course, ni la fleur
naissante qu'elle écrase sous l'herbe, ni la colombe plaintive quelle
force à s'éloigner de son nid. Insensés qui croyez vous approprier
de la sorte le plus beau gibier du domaine d'Apollon!,.. l »
Le « poète lacrymal », auteur des ContêB ùuxenfantsdeFr€tncei
n'était pas homme à sentir ce qu'a de fécond l'esprit de révolte.
C'est par lui cependant, que, sans valeur théorique, sans idées
nouvelles, — on serait tenté de dire sans idées, tant l'afflux des
mots les submerge, — la préface de Oomvell a donné à notre
théâtre la secousse qui, pour un temps au moins, devait lui rendit
la vie. Les nouveautés de Pixérécourl semblaient honteuses
d'elles-mêmes. Les romantiques les reprennent et les arborent
n\rr orgueil, lis leur suscitent des ennemis, niais, avoir des
ennemis, c'est vivre. A col égard, la soirée ise tïHernani a
fait beaucoup plus que les triomphes coutumiers à Pixérécourl.
Nous te sentons encore : il n'est rien de plus banal et de plus
commun que le PrôBcril de I eusse; Henri III et Marie Tudar Boal
à peu près bâtis sur le même modèle : pourtant, un soufllc de
jeunesse les anime toujours.
11 y a autre chose* Pixérécourt avait trouvé le cadre du drame
nouveau; il n'avait pu lui donner une Ame. IL s'était contenté d'y
accumuler les rencontres du hasard el les froides prédications
morales, Les romantiques y liront enlrer l'amour : et cecîcsl tout
1. N m Lice s tir h' s Mitte* fie Poîfiytie,
HKI ODHAME
LBKkT DE PIYfc
RI.
219
simple» car bien d'autres lavaient fait avant eux, et ceci est
énorme, car ils le firent à leur manière. Eux-mêmes, il est vrai,
pensaient devoir leur immortalité à d'autres mériles; ce genre
d'originalité leur eût paru trop mince, il leur fallait des litres de
gloire plus reluisants. Voilà, pourtant, que tout a vieilli de leur
théâtre, sauf quelques pages de passion frémissante. Des draines
de Hugo, Mario* Efahrme reste le plus pénétrant, et, si quelque
chose dans Hemani vil encore, ce n'est pas l'acte du tombeau. Il
est à remarquer que tous les renouvellement successifs de notre
théâtre se ramènent en définitive à cela. l'nc loi régulière dirige
sou évolution : on veut échapper à la peinture de l'amour par
haine de la Fadeur, et, forcément, on y revient pour reprendre
pied dans la vérité. Après les horreurs froides de Médée, c'est la
issïon du Cid, c'est Andromaque en face d'Àgéâil&Bj ce sont les
>médies de Marivaux succédant aux sécheresses de Lasage, c'est
AuUtnij. ee sera la Dcrtneûux camélia* : nous sommes une race de
seositifs et de psychologues.
Sous prétexte d'abord de mettre en scène la vie humaine tout
entière, par scrupules moraux ensuite, le mélodrame avait écarté
la peinture de la passion. Les amoureux de Pixérécourt sont
d'une médiocrité que Scribe ne dépassera pas, ou alors d'une
corruption à faire frémir. Il connaît les devoirs de l'homme de
théâtre et ne présente l'amour que pour en montrer les dangers :
• ih ore Ta-t-il exclu de tous ses cbefe-d'çetme, Là surtout est le
secret de leur froideur. Cherchez, au contraire, ce qui fait vivre
AfUony. Ce n'est certes qu'un mélodrame de construction assez
ordinaire, dune vraisemblance médiocre, d'un style k n'envier
rien à ses prédécesseurs. Mais le fond de ce mélodrame est une
histoire d'amour, et cela suffît pour qu'il soït proche de nous, plein
d'humanité. L'intérêt n'est plus un intérêt de curiosité vulgaire»
le drame est intérieur; peu importent les invraisemblances, la
naïveté de quelques effets : l'emphase devient du lyrisme, nous
sommes dans la vie*
L'esprit de révolte passant de l'auteur aux personnages, la
I teinture de l'amour avec toutes ses fougues, le lyrisme n'a pas
d'autres sources dans le théâtre romantique. Ici, il ne doit plus
rien à Pixérécourt, et Pixérécourt se déclare son ennemi. Ses
« dernières réflexions sur le mélodrame » sont attendrissantes ;
a Dans les drames modernes, on ne trouve que des crimes mons-
trueux qui révoltent la morale et la pudeur* Toujours et partout,
l'adultère, le viol, l'inceste, le parricide, la prostitution, les vices
les plus éboulés, plus sales, plus dégoûtants les uns que les autres,
220 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Qu'en est-il résulté? Que les mères de famille ont déserté les spec-
tacles où les jeunes filles ne pouvaient plus se présenter sans
scandale et sans danger. Malheureusement il existe à Paris une
immense quantité de femmes galantes et libertines, qui ont suffi
pour accréditer ce genre sale et obscène... » Vieux maintenant,
ruiné par l'incendie de son théâtre, aveugle aux trois quarts, il
s'obstine toujours : « J'ai vu, pendant plus de trente ans, toute la
France accourir aux représentations multipliées de mes ouvrages.
Hommes, femmes, enfants, riches et pauvres, tous venaient rire
et pleurer aux mélodrames bien faits... Depuis dix ans, on a pro-
duit un très grand nombre d'œuvres romantiques, c'est-à-dire
mauvaises, dangereuses, immorales, dépourvues d'intérêt et de
vérité. Eh bien, au plus fort de ce mauvais goût, j'ai composé
Latude avec le même goût, les mêmes idées et les mêmes prin-
cipes... » Et le malheureux repousse comme une honte ce qui
restera son seul titre à quelque reconnaissance et à quelque
attention. « Pourquoi donc les auteurs d'aujourd'hui ne font-ils
pas comme moi? Pourquoi leurs pièces ne ressemblent-elles pas
aux miennes? C'est qu'ils n'ont rien de semblable à moi, ni les
idées, ni le dialogue, ni la manière de faire un plan. C'est qu'ils
n'ont ni mon cœur, ni ma sensibilité, ni ma conscience. Ce n'est
donc pas moi qui ai établi le genre romantique!... Il est très
pénible pour moi, malade et presque aveugle, de m'être trouvé
dans la nécessité de toucher cette corde brûlante. Mais on m'y a
forcé. La question est là. Les faits sont là. Je laisse au public
impartial le soin de me juger!... »
Cet orgueil, sans doute, était bien naïf. Peut-être en a-t-il été
puni Irop sévèrement.
Jules Marsan.
QUELLE EST LA VÉRITABLE PART DE PERRAULT DANS SES CONTES? 221
QUELLE EST LA VÉRITABLE PART DE
CHARLES PERRAULT
DANS LES CONTES QUI PORTENT SON NOM1?
Sur une haute cheminée, toute resplendissante d'un feu clair,
devant lequel un gros chat s'est voluptueusement blotti, brille une
chandelle de cire, déjà plus qu'à demi consumée.
Cette chandelle éclaire quatre personnes de conditions et d'âges
fort divers.
Une paysanne, vêtue d'une camisole à collet rabattu et à man-
ches retroussées, d'un jupon de couleur sombre et d'un tablier
blanc, chaussée de gros sabots, coiffée d'un bonnet à bandes
plates, est commodément installée en face de l'âtre, et tout en
filant à la quenouille, débite ses contes de vieille à une assistance
fort différente de celle qui fréquente d'ordinaire les veillées villa-
geoises.
Une demoiselle du plus grand monde, en fontange, en corsage
lacé, qui, malgré le feu du foyer, a fourré ses mains dans un
épais manchon, se serre contre la bonne femme qu'elle regarde
attentivement; près d'elle un jeune garçon, appuyé sur les genoux
de la conteuse, semble faire un violent effort pour fixer dans sa
mémoire les récils qu'il écoute, tandis qu'un auditeur assez distrait,
étendu sur une chaise, le dos au feu, parait plus sensible au bien-
être de cet intérieur qu'aux histoires qu'on y raconte.
Telle est la petite scène qui forme le frontispice de l'édition ori-
ginale des Histoires ou contes du temps passé. Avec des moralitez.
publiées chez Claude Barbin, en seize cent quatre-vingt-dix-sept.
Sur la porte de la chambre où elle se passe sont gravés ces mots :
Contes de ma mère Loye.
D'après les bibliographes les plus compétents, l'auditoire de la
bonne femme est composé des enfants de Charles Perrault, et le
jeune garçon si attentif n'est autre que Pierre Perrault Dafman-
cour, son second fils, alors âgé de dix-neuf ans. Quant à la con-
teuse, quelle est-elle? Peut-être une bonne d'enfants, ancienne
1. Cette étude posthume nous est communiquée par la famille de M. Marty-
Laveaux; l'auteur la destinait à la Revue d Histoire littéraire.
222
REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE lït LA FRANCE,
dans la maison, ou, mieux encore, une nourrice, car c'est surtout
par elles que ces récils se sont conservés.
Le volume comprend huit contes : La Belle au bois dormant t 1$
Petit Chaperon Rouffet la Barbe Bieue% le Maitre Chat ou l<- Chai
Botté , tes Fëè$t CendrilUm ou fa Petite Pantoufle de vetret Piquet à
ta houppe, le Petit Poucet, C'est Darmancour, le second lils «le
Perrault, qui ligne la dédicace, le privilège est eu son nom, c'est
lui qui le cède à Claude Barbîn, et le libraire hollandais qui con-
trefait le recueil n'bésile pas à mettre sur le litre ; Par le fils de
Moniteur Perrault de V Académie Françoise,
A prendre ces documents à la rigueur, Charles Perrault n'a
pris aucune pari aux coules qui ont rendu son nom si populaire.
C'est ce qu'il est impossible d'admettre s toutefois, avant d'essayer
de se former une opinion à cet égard, il est bon d'examiner celle
des contemporains.
In assez lin critique, fort au courant de la question, l'abbé de
ViUiers, lit paraître en 1699, deux ans après ta publication des
Histoires du Temps passé, un agréable petit livre intitulé : Entre-
tien* sur tes routes de fées et sur tes autres ouvrages du temps, pour
servir de préservatif contre le mauvais f/ont, dédiez à Messieurs de
C Académie Françoise. Dans le second de ces entretiens, qui ont
pour interlocuteur un Provincial el un Parisien, la manie des
récits merveilleux, dont toules les sociétés d'alors étaient engouées,
est censurée avec esprit.
Selon le Provincial les meilleurs contes imitent la simplicité
des nourrices. « C'est pour celte seule raison, ajoulc-l-il, que je
vous ai vu assez content de ceux qu'on attribue au fils d'un célèbre
académicien. »
Là- dessus le Parisien, s étend an l sur les qualités que demande
ce genre de style, termine en disant : « Quelque estime que j'aie
pour le fils de l'Académicien dont vous parlez, j'ai peine à croire
que le père n'ait pas mis la main à son ouvrage. »
Voilà donc ce qu on pensait alors :
L'ouvrage est du lîls et le père y a mis la main.
N 'est-ce pas là en effet le plus probable? Quel motif aurait eu
Cbarles Perrault de ne point faire paraître ce recueil sous son
nom? Dira-L on qu'il aurait pu craindre de compromettre sa dignité
d'Académicien par ta publication de ces contes, et qu'il s'est servi
de Darmancour à la façon de ces seigneurs de village qui chargent
leur fils de tenir sur les fonls l'enfant du jardinier* Le scrupule
£Ul été un peu lardîf pour qui avait déjà fait paraître trois coules
de fées eu vers ; Griiétidiê, les Souhaits ridicule* et Peau d\\mem
tyOftLtf KSI LV VKUITADLE l'AFM IHi l'KRRAUT l>^ M-S DO«TKS? 225
Prêtions un peu les choses comme on nous les donne et admet-
tons que Dur ma il cour a pu avoir dans la composition des BistQi
du temp$ pOBêé nue pelite pari que l'indulgence paternelle a pris
plaisir à exagérer.
Nous allons voir d'ailleurs qu'il v .1 entra les contes en vers,
incontestablement composés par Charles Perrault, et les contes
en prose, des différences si profondes, une opposition de procédé
si frappante, que, même en négligeant les témoignages que nous
venons de réunir, on serait fondé à prétendre que les deux ouvrages
ne sont pas de la même main,
Charles Perrault publia, en 1lï9i, ta MwrquitB 4e Saturne ou la
Patience de Grisétidis% nouvelle imilée de Boceare.
Traduire Boccace c'était aller sur les brisées de La Fontaine;
mais loin d'imiter son indépendante exactitude, dont Musset a su
retrouver le secret dana le joli conte de Sim*tnet Perrault cherche
à embellir son auteur, et se jette à tout propos et souvent hors de
propos en d'interminables digressions, fort mal justifiées dans une
longue apologie placée en tète de l'ouvrage.
Au mois de novembre de Tannée 1693, il fait insérer dans le
Mercute Galant le conte des Souhaits ridicules : ici son impru-
dent désir de lui 1er contre notre grand fabuliste se montre avec la
dernière évidence.
Ihs le début nous tombons sur une imitation malheureuse de
La Mort et le Bûcheron ; quant au conte en lui-même, c'est la mise en
œuvre d'une rédaction triviale d'un vieux récit indien, traité avec
une philosophie bien plus haute dans les Souhaite de La Fontaine.
Les souhaiieura de celui-ci ne se laissent pas égarer par une
gourmandise grossière, leur premier vœu est celui de presque
tous les hommes : la richesse, mais à peine Tont-ils obtenue
qu'ils s'en trouvent gênés, comme le Savetier de la fable; ils
rappellent la médiocrité, enfin ils souhaitent la sagesse, dont ils
étaient bien dignes, et que déjà, leur demaude le prouve, ils pos-
sédaient dans une certaine mesure-
Les Souhaits rtdimfes surit loin de se tenir à cette hauteur, mais
l'enfantine vulgarité du récit, et surtout son extrême brièveté, leur
ont valu, a la suite et en dehors des contes en prose, une place
qu'ils ont délinitivement conservée.
En 1694, avec la seconde édition de Gfi*itidi&l paraît la pre-
mière de Peau dWsnf. Ce récit, joli en lui-même, s'était depuis
longtemps transmis de bouche en bouche sans recevoir une forme
définitive. Dès 1678 cependant il attirait I attention de La Fontaine,
qui s'écriait avec sa bonhomie charmante :
224 BEVUE 0 HISTOIRE LITTÉRAIRE i>E LA FltANCE.
Si Peau dAsne m'estoit conté
J'y prendrois un plaisir extrême.
C'en était assez pour engager Perrault à traiter ce sujet, maïs il
perdit entre sei mains une partie de son agrément. Quand on voulut
plus lard joindre aux coules en prose celle narration ainsi (investie,
elle formait ave** eux Une disparate si choquante qu'en 1781,
soixanle-dix-huit ans après la mort de Charles Perrault, un
inconnu crut devoir la traduire en prose; néanmoins elle détonne
au milieu des autres histoires et ne peut tromper une oreille déli-
cate* Sainte-Beuve le remarque, sans s'y arrêter. Il dit, en parlant
de son précieux exemplaire de l'édition de lti*J7 : « Peau d'Ànev
mise eu vers d'abord, puis retraduite 60 prose, n'en fait point parti*-,
et mon admiration, je l'avoue, la laisse un peu en dehors, i>
On voit combien l'excellent critique a senti la différence des
deux procédés. Elle le frappe, maïs il passe sans poursuivre l'idée
qui s'offre à lui, sans accentuer la distinction qu'il a nettement
entrevue.
On n'a fias assez remarqué, du reste, ce que les Cùnteê du tempe
né ont de nouveau et j ■ ainsi dire d'inouï au \\W siècle.
Noire temps, où tout se recueille, où tout s'imprime, les tradi-
tions les plus informes, les plus plates chansons populaires, les
moindres devinettes d'enfants; où l'on institue des prix pour qui
les réunit, des missions pour qui court les rechercher au fond des
provinces, dans les chaumières les plus reculées, ne peut se faire
une idée de l'aversion que ces sortes de choses inspiraient à ceux
qu'on appelait alors les honnêtes gens. Rien n'était plus contraire
à l'élégance, appréciée avant tout. C'est pour cela que Charles
Perrault avait essayé d'entourer de toutes sortes d'agréments cette
Peau d'Aine mis? en vers que Boileau, dans sa juste sévérité, a
déclarée le modèle du parfait ennuyeux. Au moment où elle parut,
la sociélé polie n'était pas encore très familiarisée avec les sujets
de ce genre; la dédicace en donne une preuve assez curieuse.
Charles Perrault, qui y parle des * contes d'Ogre n, croit indis-
pensable d'ajouter au bas de la page la note suivante ; « Homme
sauvage qui mangeoit les petits enfants », Ce mot Ogre n'était pas
alors bien compris; il ne figure, du reste, dans aucun dictionnaire
contemporain.
Les choses changèrent rapidement de face. Tout en échouant,
Perrault avait ouvert une voie nouvelle : il s'agissait de remplacer
les fables par les contes de fées et d'élever à la hauteur d'un
genre littéraire les antiques récits des nourrices. Beaucoup de
belles dames, moins sévères que Despréaux, s'y intéressèrent;
giKI.I>: E&l U VÉRITABLE PARI DE l'KUKAVM n\>s >\.s i.nMi>? 225
enfin , chose capitale en France, ils devinrent à la mode. Il n'y eut
bientôt plus de distraction littéraire mieux accueillie; on la pré-
féra aux portraits, aux madrigaux cl aux maximes, et, dans un
grand nombre de sociétés, on s'exerça à qui donnerait à ces his-
toires leur forme la plus vive et la plus attachante.
Ces divertissements devaient, on le conçoit, offrir à la famille de
Charles Perrault un attrait particulier.
Le père réunissait sous sa présidence foule une petite académie
défi contes de féesT dont Darmaneour était le rédacteur principal,
le véritable secrétaire perpétuel; le frère aîné, si nous en jugeons
par son attitude dans le frontispice que nous avons décrit, n'y
prenait pas une part bien active; la sœur s'en mile, mais n'écrit
rien, elle cause, elle écoute, elle protège, elle remplît dans ce petit
cercle ce rdk d'intermédiaire si recherché des femmes, qui s'en
croient nécessairement investies auprès des académies.
En [©96, mi an avant l'impression des contes en prose» une
amie de la famille Perrault, KUi Lliéritier, public un petit récit,
Marmoiêcn ou Flnnocmtë Tromperie^ dont elle adresse la dédicace
à cette influente jeune fille. Nous trouvons dans cette é pitre des
renseignements f»>rl précieux : dans une compagnie, où il était
question de Chartes Perrault, « on parla de la bonne éducation
qu'il donne à ses enfants; on dit qu'ils marquent tous beaucoup
d'esprit; et enfin on tomba sur les contes naïfs qu'un de ses jeun* s
élèves s mis depuis peu sur le papier avec tant d'agrément ». Invitée
a réciter quelque chose, M'" Lhérilier dit le conte de Sfarmùisan
♦*l la compagnie l'engage à le communiquer à ce jeune auteur qui
occupe si spirituellement les amusements de son enfauce »« <* Je
vais vous dire ce conte, ajouLe-l-elle, tel à peu près que je le
raconta y. J'espère que vous en ferez part à votre aimable frère, et
vous jugerez ensemble si cette fable est digne d'être placée dans
son agréable recueil. »
Voilà à peu près tout ce que nous pouvons savoir ou conjecturer
quant à la petile société de conteurs établie ehei Charles Perrault,
et au rôle très actif qu'y jouait son fils Pierre Darmancour,
Si peu que cela soit, c'est assez pour nous expliquer d*où vint
la détermination toute nouvelle qui porta le père à écrire désor-
mais ses contes de fées en prose et dans un style bien dtffêr
Comme il a tenu a le constater en mettant l'ouvrage au nom de
sou fils, c'est à cet enfant si heureusement doué qu'en appartient
l'Initiative. Dans sa dissertation sur les contes de fées attribués à
Perrault, Walckenaer nous indique en ces ternies comment les
choses ont dû se passer :
226
HI.M'I-: Il illSTUlUK LLiTËHMRE DE Lk FRANCE,
«Il livra d'abord à son jeune fils, dont l'éducation l'occupait
beaucoup, ces récita a composer comme exercice d'étude, et la
naïveté ilt ta phrases enfantines du jeune Perrault haniiam'our lui
ayant paru Favorable à ce genre de composition, il la conserva en
partir et disposa le tout pour l'impression »,
S'il en a réellement été ainsi, comme tout semble l'indiquer,
ce petit chef-d'œuvre résulle de la fusion inattendue de trois élé-
iii en! s bien distincts :
\" La narration naïve des nourrices;
2" La rédaction brève, précise» correctement enfantine de Dar-
maneour;
3" Les traits d'un esprit délicat dont son père Ta ornée en y
mettant la dernière main.
Sans oser nous piquer d'une rigueur absolue, nous allons
tâcher d'indiquer la part de cliacun de ces trois éléments.
Commençons par ce qui appartient à la tradition.
Il est à peine nécessaire de rappeler le mode de transmission
de ces coules; les témoignages contemporains sont à cet égard
aussi nombreux que Formels : Charles Perrault, dans la préface de
ses récits en vers, dit que « Peau d'Aine est conté tous les jours
à des enfants par leurs gouvernantes et par leurs grand'mëres ».
Dans un madrigal qui lui a été adresse * par une jeune demoiselle
de beaucoup d'esprit *, Mademoiselle Lhéritier, suivant toute
apparence, nous lisons :
Le conte de Peau d'Asne est icy raconté
Avec tant de naïveté,
Qu'il ne ui\i pas moins divertie
Que quand, auprès du feu, ma nourrice ou ma mie
Tenoient en le Faisant mon esprit enchanté;
Elle s'exprime encore ainsi, à la fin de V Adroite Princesse :
Cent et ce ut fois ma gouvernante.
Au lieu de fnbles d'animaux,
M'a raconté les traits moraux
De cette histoire surprenante.
Enfin, comme nous le remarquions en commençant, le frontis-
pice même des Histoires du temps passé nous montre une fileuse
entourée des enfants de Perrault qui écoutent ses récits. C'est
donc aux nourrices, ou plutôt à leur narration, pour ainsi dire
impersonnelle, qu'appartient h* premier fond, la matière même des
contes, elles ne leur ont guère prêté que le secours de leur voix»
OJtttLLE EST LA MUITAIIIK PART DE IMlURÀl LT DAN> MS CONTES? 217
et ils oui passé de bouche en bouche, presque sans changement
dons les termes, souvent même avn- mu- tradition d'inflexion et
d'accent plus constante, [dus immuable que celle qu'un observe
aujourd'hui dans les conservatoires officiels*
Dans ces histoires les personnages principaux nous frappent
tout d'abord par l'exagération, par l'outrance, comme on dirait
maintenant, de leurs qualités bonnesou mauvaise*, tant physiques
que morales : la fille de roi que te rhal botté fuit épouser à SOD
maître est « la plus belle Princesse du monde », la fiancée de
Hiquet à la houppe est « plus belle que le jour », quant h lui, il
vint au monde * si laid et si mal fait qu'on douta longtemps s'il
avait une forme humain* i, unis, une fois métamorphosé, il parait
immédiatement aux yeux de la princesse « l'homme du monde l«*
plus beau, le mieux fait et le plus aimable qu'elle eust jamais vu ».
Barbe -Bleu 6 * estoît si laid et si terrible qu'il n'esloit ni femme
ni fille qui ne s'enfuit devant luy », etc., elc<
Cet artifice de narration populaire est encore pratiqué de nos
jours :si le Petit Journal raconte qu'une jeune fille s'est jetée d;ius
la Seine, il ne manque guère d'ajouter qu'elle était « d'une beauté
rare »; un voleur vient-il d*être arrêté, * c'était un malfaiteur
de la pire espèce ». Ainsi le veut la poétique populaire, fort dif-
férente en cela de celle d'Aristote qui conseille au contraire an
poète de faire choix d'un héros qui ne soit m tout à fait bon, ni
tout à fait mauvais.
La répétition, dont l'art classique n'use qu'avec discernement»
est poussée dans les récits rustiques à l'excès le plus incroyable;
les Contes tin l&mpê i tassé, beaucoup plus sobres sur ce point que
les narrations populaires recueillies dans ces dernières années, de
la bourbe même des paysans, en offrent pourtant de nombreux
exemples.
Dans la si courte histoire du Chaperon Rougst c'est le toctoc du
loup, puis l'explication qu'il donne à la porte, bientôt suivie du
loctoc du chaperon rouge et de la même explication,
Dans la Barbe lifeue, l'éternelle question : * Anne, ma sœur
Anne, ne vois-ïu rien venir? » et l'éternelle et navrante réponse :
« Je ne voy rienquele soleil qui poudroyé et l'herbe qui verdoyé, »
Dans le Chat Botté, le discours aux faucheurs textuellement
répété aux moissonneurs, etc,
Il va ainsi, à chaque instant, clans les contes populaires, des
refrains dont quelques-uns ne sont peut-élre qu'une vague rémi-
niscence et comme une sorte d'écho lointain des formes poétiques
autrefois traversées par certains d'entre eux.
228
REVUE I) HISTOIRE UTTfcUAlUE: DE LA Fin
Tout cela vient de la nourrice: c'est à elle aussi qu'appartien-
nent les termes rustiques; en effet ils ne sauraient èlre attribués
ni à Darmancour, qui, suivant toute apparence, ne les connaissait
guère, ni à Charles Perrault qui, loiu d'en ajouter, a dû au con-
traire détacher ceux qui n'étaient pas engagés trop avant dans la
trame du récit» et les remplacer par des mots du bel usage, * Tire
la chevillelte, la bobinettô chera », ce cri de la mère-grand T redit
bientôt parle loup en vertu de cette recherche de la répétition que
nous venons de constater, décrit en termes villageois, avec une
précision pittoresque, la fermeture élémentaire de nos anciennes
chaumières.
11 en es! de même pour tout le mobilier rustique, lescnbelle, la
huche; pour les travaux du ménage énuuiérés avec exactitude, et,
ce qui nous semble tout simple, mais ce qui alors était une nou-
veauté, nommés ici par leur vrai nom.
Pourquoi le chaperon rouge porte- t-il une galette à sa mère-
grand? Parce que sa mère a cuit, c'est-à-dire mis at* four sa pro
vision de pain.
Quand L'ogre croit avoir tué le petit Poucet et ses frères, il dît à
sa femme d'aller les habiller^ se servant du mot employé par le
boucher ou la ménagère pour exprimer l'action de dépecer la
viande, et l'ogresse est « fort estoimée de la bonté de sou mary,
ne se doutant pas de la manière qu'il entendoit qu'elle les habillast
et croyant qu'il luy ordonnoit de les aller vestir ».
Les Conte* nous ont aussi conservé quelques-unes de ces jolies
expressions anciennes qui, perdues pour la langue commune, se
sont perpétuées dans les patois*
Les deux mots poudroyer et verdoyer, que nous avons eu occa-
sion de citer tout à l'heure, avaient été repoussés de nos diction-
naires. La Bruyère regrette le second : « verdure ne fait plus
verdoyer », dit-il. 11 eut été satisfait de lui voir reprendre ici une
nouvelle existence.
L'emploi des archaïsmes n'a pas toujours été aussi heureux el
a même parfois donné lieu à de véritables contre-sens.
On lit dans la Itarbe ilh-ue : « La clef estoit Fée, et il n'y avaiL
pas moyen de la nettoyer tout à fait *, et dans le Petit Poucet : « les
hottes esloient fort grandes et fort larges; mais comme elles
estoienl Fées, elles avoient le don de s agrandir et de sapetisser
selon la jambe de celuy qui l*-s oh&uasoit ».
Notez que Fée est imprimé avec une initiale capitale, comme
le sont, dans l'édition originale des Contes, la plupart des substan-
tifs. 11 est bien clair toutefois que ce mot est très différent de
Q0KU*S ES* U vrrsnuu.K part dk pEUiurLT ftàKS sfa COMTES? 2Î9
Deltli qui désigne une fée* C'est le participe passé féminin du
verbe f<it;t\ ft<t't\ phéer\ il signifie : enchantée, ensorcelée, et devrait,
comme créée, décrire avec trois e : /
Le litre de Cmdrillon ou ta Petite Pantoufle de oerre e«t encore
plus surprenant, Rien dans le conte n'explique ni ne motive cette
bizarrerie d'une pantoufle en verre; bien an contraire, à la sortie
du bal, Cendrîllon la laisse tomber, et les plus sensés d'entre les
jeunes lecteurs ont dû se demander comment elle ne se cassait
point. C'est tout simplement parce qu'il ne s'agit pas ici de v?rre9
mais de vair ou de ver, c'est-à-dire d'une fourrure de couleur
variée (du latin portsm), qu'on croît être du petit-gria
Cette confusion n'a pas échappé à Littré : « C'est, dit-il, parce
qu'on n'a pas compris ce mot, maintenant peu usité, qu'on a
imprimé dans plusieurs éditions du conte de G6fhéïiiiûfit souliers
de verre (ce qui est absurde) au lieu de souliers de vah\ c'est-
à-dire souliers fourrés de vair ».
Litlré a cru, on le voit, à une erreur relativement récente,
taudis qu'ici, comme pour le mot fé% nous avons un échantillon
curieux îles méprises qui peuvent se produire dans les récils
transmis longtemps de bouche en bouche et imprimés fort tardi-
vement*
La part de Darmancour dans les contes est, de beaucoup, la
plus difficile à déterminer; nous savons très peu de chose sur lui,
nous sommes certains néanmoins qu'il a reçu une éducation libé-
rale et indépendante dans cette étrange famille des Perrault dont
Boileau blâme la bizarrerie et dont Sainte-Beuve vante l'originalité.
On lit dans les m« moires de Perrault adressés par lui h ses
enfants, qu'étant en philosophie au collège de Beau vais, sur une
observation un peu vive du professeur, il quitta un beau jour
la classe pour n'y jamais rentrer* emmenant avec lui un de ses
camarades intimes, nommé Beaurain, Ensuite, pendant près de
quatre années, ils étudièrent librement ensemble
I. ii tel écolier serait fort illogique, si, devenu père de famille,
il appliquait à ses enfants les principes rigoureux en usage sous
rancien régime; mais, si nous pouvons constater les généreuses
dispositions du père, il nous est bien difficile de connaître leurs
résultats sur le fils* Nous n'avons pas même la ressource incer-
taine de rechercher dans l'homme fait le caractère de l'enfant, car
il mourut le 2 mars 1700, trois ans après la publication des contes;
c'est donc par eux seulement que nous pouvons deviner ce qu'il
a été,
Les qualités particulières qu'on y trouve, et dont il n'y a nulle
230 HKW i: l> HISTOIRE l.l 1 1 lin vtlin: DE LA FHANCK.
ii née ni dans les contes en vers de son père, ni dans les autres
coules en prose de son temps, paraissent lui appartenir en propre* On
sent il:iris ses récits l'amour de la campagne, de la vie rustique;
on comprend que l'en fruit a dû défendre avec l'en! Atome ut de la
première jeunesse certains détails considérés comme grossiers,
quelques expressions paloises, aussi soigneusement évitées alors
quelles étaient recherchées par Ronsard, et qu'elles le sont de
nouveau aujourd'hui par toute une école littéraire. 11 est proba-
blement le seul qui, au milieu de relie petite société raffinée, se
soit montré simple et naturel, Son attitude, dans le frontispice des
Contes^ suffit à témoigner dâ SOU ardeur passionnée à
recueillir. Il a été vraiment ce petit Poucet de génie dont parle
Madame.
Anime d'un singulier besoin de précision et de vivacité, il est
parvenu à substituer au pénible enchevêtrement de périodes dans
lequel se perdent souvent les conteurs campagnards, celle phrase
claire, hâtée, à l'haleine un peu courte. La rapidité de ces descrip-
tions faites d'an mot, de ces détails indiqués d'un trait, la netteté
nu peu maigre el un peu nue de ce style sont une grande nou-
veauté en 1697.
Pour retrouver dans sa perfection cette prose narrative dont les
Contes nous présentent 1 ébauche, il faut descendre jusqu'à la
sr ronde moitié du xvuf siècle. En effet, si Ton ne considère que
le procédé, sans l'arrêter à l'usage auquel il sert, la rapidité pré-
cise du début du Chaperon Rouge fait ranger à celui de Candide.
Il est aussi étrange qu'incontestable que cet instrument simple
et puissant a été découvert à celte date, el il est lout à fait inad-
missible qu'il ait été laborieusement façonné [Kir un poète de
cour, qui renchérissait sans cesse sur les galanteries et les élé-
gances* Il y a là un caractère frappant de jeunesse, d'imprévu ; et
l'inconscient trait de génie de Darmaucour a été précisément de
ne presque rien changer aux récits qu'il recueillait avec une
charmante ingénuité.
S'il en est ainsi, si notre imagination ne nous a pas trop égaré,
c'est à lui et non à son père que revient cet éloge exquis de
Sainte-Beuve : « II a pris les contes,,» à même la tradition orale,
sur les lèvres parlantes des nourrices et des mères. Il a bu à la
source dans le creux de sa main ».
En lisant pour la première fois un des petits contes de son fils,
Charles Perrault dut Irouver qu'il avait assez bien réussi pour son
âge, et ne lui refusa pas sans doute un sourire de satisfaction ;
maïs à cette marque de bienveillance du père devait se mêler le
Ql'KLLE EST LA VÉRITABLE PART DE PkMÎALU UA\> SES COÎHTE* ? 23*
dédain du versificateur de salon pour des récits aussi naïfs» Il eut
néanmoins le mérite de s'être senti assez touché de celte grâce
enfantine pour ne l'avoir ni découragée ni éteinte.
Dbfl lors sa seule préoccupation fut (raccommoder au goût du
jour ces récits de nourrice transcrits par son fils avec une fidélité
trop scrupuleuse à son gré.
Il imagina de les égayer en les terminant par des moralité
vers. II était coulumierdu fait ile$$uufiatts ridicules ou possédaient
une, qu'ils ont conservée; quant à celle qui terminait Pam
dyA$ne, elle n'avait pas moins do vingt-quatre vers, niais laiT-m-
geur résolu qui a mis ce conte en prose en a supprimé vingt, eu
laissant seulement subsister l'agréable quatrain que tout le monde
sait par cœur.
Cûttti besogne des moralités ne coûte rîen à Charles Perrault;
il ne se contente pas d'en compenser une par conte; six sur huit
en ont deux : la Barbe Mette, le Chai Bottét tes Fiess Cendritton et
Riquet à fn Houppe.
Inutile de s'évertuer à prouver qu'elles- sont d'un autre Ion, et
même d'une autre main que les contes; pour s'en convaincre, il
suffit de les parcourir; nous y renvoyons donc le lecteur.
Nous pouvons d'ailleurs alléguer l'irrécusable jugement de
Sainte-Beuve, qui, mieux que personne, sent combien elles sont
étranges, d'un goût douteux et comme elles terminant mal ces
contes d'un caractère si différent* Il voudrait les écarter, et ne les
subit qu'à conlre-cœur. « Les petites moratitéê tinales en vers,
dit-il, sentent bien un peu l'ami de Quinanlt et le contemporain
gaulois de La Fontaine, mais elles ne tiennent que si l'on veut au
récit, elles en sont la date. » Revenant plus tard sur le même
sujet, il Fait encore meilleur marché de ces importuns appendices :
*< C'est assez que dans la rédaction parfaite (je ne parle pas des
moralités en vers qu'il ajoute), il ail conservé le cachet de la
littérature populaire : la bonhomie ».
(le n'est pas tout ; Charles Perrault ne s'est point contenté
d'ajouter aux Contes ces agréments extérieurs, il a eu à cœur de
les mettre eux mêmes un peu à la mode, alin de faire sourire les
mères et d'arriver par elles à ses véritables lecteurs : les enfants.
Si Ton avait aujourd'hui un pareil recueil de contes à faire, on
se rapprocherait des traditions mythiques, on développerait les
descriptions, où entrerait la couleur locale, on abuserait des patois*
on ferait en un mot un ouvrage plus curieux, plus sincère, maïs
moins amusant» moins français surtout, et que les enfants, même
ceux d'aujourd'hui, auraient toutes les peines du monde à lire,
a32
REVU I» HISTOIRE 1.117! CHAIRE HE LA FRANCK.
Au xvnr siècle h* procédé élail tout différent. Dans ce temps-là,
nous l'avons dit, la mode n'était point aux récits rustiques,
que Ton voulait r Viaii-nt des remarques fines, des mois spirituels,
des allusions à l'époque où Ton vivait, aux costumas, aux ameu-
blements, aux usages contemporains.
Charles Perrault s'applique à satisfaire ce goût en modifiant en
ce sens la rédaction des contes. Celte périlleuse entreprise est con-
duite par lui avec l'habileté d'un écrivain peu épris de son sujet,
peu amoureux de ce qu'il raconte. Ces récits dont le sentiment lui
est étranger, il va les tourner sans scrupule en une spirituelle
parodie, rien que par l'opposition des époques légendaires où ils
sont censés se passer et des détails de la vie du ivri* siècle qui y
sont introduits presque à chaque ligne,
Chodzko, attaché aux plus anciennes et aux plus simples
rédactions de ces légendes , regarde comme une sorte de profana-
tion d'en modifier le caractère; il ne comprend rien au procédé de
Perrault et prétend qu'il " a métamorphosé ses héroïnes en
autant de précieuses coiffées à la Maintenon, avec du fard et des
mouches », Nous allons voir ce qui a pu servir de prétexte à celle
accusation, à certains égards assez fondée,
La tendance à la parodie s'est manifestée de bonne heure chez
Charles Perrault. Il nous raconte, dans ses Mémoires , qu'il avait
composé avec son ami Beaurain une traduction, en vers burlesques,
du plus beau livre de VBnêide, du sixième, où e*ï racontée la
descente d'Enée aux Enfers, et il s'applaudit fort un peu plus loin
d'avoir dit, dans un poème comique intitulé Les murs de Trotte ou
De F origine du burlesque, que les mots de ce style avaient été
appris par Apollon des maçons et des manœuvres qui construi-
saient les murailles de la ville. Quoi d'étonnant à ce que, n'ayant
respecté ni Virgile ni la mythologie, il en ait pris à son aise avec
des contes de nourrice et les ait, sans aucun scrupule, égayés de
quelques plaisanteries?
Dès le début du premier conte : La Belle au hois donnant f nous
trouvons un de ces anachronîsmes volontaires et spirituels qui font
partie des procédés de l'auteur.
u II eatoît une fois un Boi ef une Reine qui estoient si faschez
de n'avoir point d'enfans, si faschez qu'on ne sauroit dire. Ils
allèrent à toutes les eaux du monde... »
Qui, en lisant ce passage, au moment où le recueil parut, ne
songeait au voyage de Louis XIII et d'Anne d'Autriche à Forges
et à son heureux résultat?
La liste des gens de la Belle au bois dormant semble copiée sur
QUELLE EST LA VÉRITABLE PART DE PERRAULT DANS SES CONTES? 233
celle de la maison du Roi, et il est quelques-uns des derniers ser-
viteurs dont les fonctions appartiennent en propre au xvn' siècle :
les suisses par exemple, et les galopins, terme qui désignait alors
officiellement les valets de cuisine.
« La petite Pouffe, petite chienne de la princesse, qui estoit
auprès d'elle sur son lit » ne semble pas porter un nom imaginaire,
et, si je ne craignais de risquer une de ces conjectures dont les
faiseurs de clés se montrent si prodigues, je serais tenté de sup-
poser que c'était celui de la chienne de Mademoiselle, à qui ces
contes sont dédiés.
Une fois mariée, « la Belle » passe avec son époux « dans un
Salon de miroirs » qui fait songer à la Salle des glaces de Ver-
sailles, puis suivant le cérémonial du palais, « la dame d'honneur
leur tira le rideau ».
Dans le même conte, l'ogresse ne se contente pas d'exiger qu'on
lui serve à son diner la petite Aurore, elle ajoute « et je la veux à
la sauce-Robert ».
Parmi les meubles de la Barbe Bleue figurent, outre des cabi-
nets et des guéridons, dessophas, terme que de Gaillières, en 1692,
croit devoir expliquer dans ses mots à la mode.
Dans la Barbe Bleue également, les deux frères de sa femme,
qu'elle attend si impatiemment pour la délivrer, sont, l'un un
dragon, l'autre un mousquetaire.
Quand les deux sœurs de Cendrillon se préparèrent pour le bal,
« on lit acheter des mouches de la bonne Faiseuse ». C'est cette
phrase qui, plus que tout le reste, a exaspéré Chodzko.
Au bal, Cendrillon les aborda et leur « fit part des oranges
et des citrons que le Prince lui avoit donnez ». Aujourd'hui le
présent paraîtrait mince, l'attention peu flatteuse, mais au
xvne siècle, la distribution de ces fruits, alors assez rares, était
faite parcimonieusement et donnait lieu à toutes sortes de luttes
d'amour-propre; en voici un exemple curieux où Ton retrouve
presque les mêmes termes : Madame de Sévigné nous dit, le
10 juin 1671 : « Mademoiselle de Croqueoison se plaint de Made-
moiselle du Cernet parce que l'autre jour il y eut des oranges
douces à un bal qu'on lui donnoit, dont on ne lui Ht pas de part».
Les Contes sont en outre animés d'un esprit frondeur qui a
peut-être contribué à leur succès. La noblesse y est parfois raillée
avec une malice contenue.
Dans le Petit Poucet, le seigneur du village envoie au bûcheron
et à sa femme « dix écus qu'il leur devoit il y avoit longlemps et
dont ils n'espéroient plus rien ». A la fin du même conte, il est
R.EV. D'HIST. LITTÉR. DE LA FrAMCB (7* ADO.). - VII. 16
234 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
dit que le Petit Poucet « achepta desOflices de nouvelle création
pour son père et pour ses frères, et par là il les établit tous, et
fit parfaitement bien sa cour en même temps ».
Quelquefois même les souverains ne sont pas fort ménagés.
Dans le Chat Botté, le roi, qui s'est en toute occasion montré fort
crédule, « charmé des bonnes qualitez de Monsieur le marquis de
Carabas... et voyant les grands biens qu'il possédoit, lui dit, après
avoir bu cinq ou six coups : Il ne tiendra qu'à vous, monsieur le
Marquis, que vous ne soyez mon gendre ».
Il y a là comme le point de départ des extravagances de ces rois
de féeries, qui font retentir des éclats d'un rire si frais et si harmo-
nieusement argentin la salle du Châtelet toute remplie d'enfants.
C'est bien encore à Charles Perrault qu'appartiennent en propre
certaines observations de mœurs très délicates, très fines, parfois
même un peu trop fines, dont voici quelques exemples.
La future de la Barbe Bleue, traitée par lui avec magnificence,
« commença à trouver que le maistre du logis n'avoit plus la barbe
si bleue ».
Pierrot, le frère aîné du Petit Poucet, est plus aimé de sa mère
que tous les autres « parce qu'il estoit un peu rousseau, et qu'elle
estoit un peu rousse ».
Dans les Fées, quand la mère voit revenir de la fontaine sa fille
cadette qu'elle n'aimait point et qu'il sort à celle-ci des diamants
de la bouche, elle lui dit : « Ma fille », et le conteur interrompt son
récit pour faire la remarque suivante : « Ce fut là la première fois
qu'elle l'appela sa fille ».
Enfin, lorsque, dans le Petit Poucet, l'ogresse aperçoit ses filles
égorgées et nageant dans leur sang, elle s'évanouit, et Perrault
fait cette remarque assez déplacée, qui montre bien à quel point il
entre peu dans le sentiment de son récit : « C'est le premier expé-
dient que trouvent presque toutes les femmes en pareilles rencon-
tres ».
On a pu observer que nous ne signalons aucune addition de
Perrault pour le Petit Chaperon Rouge. À peine serait-on tenté de
voir une légère retouche dans cette phrase : « La pauvre enfant ne
sçavoit pas qu'il estoit dangereux de s'arrester à écouter un loup»,
phrase ainsi commentée dans la moralité :
Je dis le loup, car tous les loups
Ne sont pas de la mesme sorte.
Ce conle, le chef-d'œuvre du genre, semble avoir échappé à la
revision en vertu d'un heureux hasard. Par sa nature exclusive-
QUELLE EST LA VÉRITABLE PART DE PERRAULT DANS SES CONTES? 235
ment rustique, il ne s'y prêtait guère et les allusions à la cour de
Versailles eussent été là particulièrement déplacées.
Son dénouement funeste, j'ai presque dit tragique, le seul de
cette espèce qu'on trouve dans ces huit récits, ne répond guère à
ce que Perrault nous annonce dans la préface de son recueil :
« Par tout la vertu y est récompensée, et par tout le vice y est
puny ».
L'auteur attache en effet une grande importance au but moral de
ses contes, il y revient à toute occasion et notamment dans ce
passage assez singulier : « N'est-il pas louable à des Pères et à des
Mères, lorsque leurs enfants ne sont pas encore capables de
gouster les véritez solides et dénuées de tous agrémens, de les leur
faire aimer, et si cela se peut dire, de les leur faire avaler en les
enveloppant dans des récits agréables et proportionnez à la fai-
blesse de leur âge ».
Nous ne saurions être ici d'accord avec Perrault * le danger de
ces charmants récits est précisément dans cette prétendue morale.
Inoffensifs si on nous les donne pour ce qu'ils sont, de simples
contes, ils deviennent inquiétants lorsqu'on les présente aux
enfants comme une règle de conduite
Les remarques auxquelles se livre Charles Perrault, soit dans
les dénouements de certains récits, soit dans les moralités, sont de
telle nature que souvent on a cru devoir les faire disparaître des
éditions enfantines; quand il dit à la fin du Chat Botté :
L'industrie et le sçavoir-faire
Vallent mieux que des biens acquis.
On ne peut se dissimuler qu'ici V industrie du chat a consisté h
pénétrer chez un ogre qui, tout ogre qu'il était, n'avait pas cherché
à lui nuire, et son savoir-faire à le croquer pour s'emparer de son
palais. C'est, convenons-en, une conduite que les plus fougueux
apologistes de la lutte pour la vie oseraient seuls justifier.
Il en est à peu près de même de celle du Petit Poucet, qui
étant « chargé de toutes les richesses de l'Ogre, s'en revint au
logis de son père où il fut receu avec bien de la joie ».
Ce dénouement légendaire trouble un peu Perrault qui se sent
animé du double désir de terminer le conle d'une façon plus
morale et plus piquante en même temps. « Il y a des gens,
ajoute-t-il, qui prétendent que le Petit Poucet n'a jamais fait ce
vol à l'Ogre. » Afin d'arranger les choses, il imagine que l'enfant
se fit courrier à l'aide des bottes de sept lieues, volées, il est vrai,
à l'ogre; mais, dit Perrault, « il n'avoit pas fait conscience de les
236
ItEVIE D HISTOIRE LIÎÎKU.UHK l>F, LA KlUNT*;.
lui prendre, parce qu'il ne s'en servait que pour courir après les
petits enfans n.
Où en sommes-nous si Ton enseigne à la jeunesse qu'il est
légitime de s'emparer dos biens que leurs possesseurs emploient
à un mauvais usage? Enfin passe pour les boites, et voyons un
peu ce que le Petit Poucet va en faire.
h I ne infinité de Dames luy donnaient tout ce qu'il voulait
pour avoir des nouvelles de leurs Amans, cl ce fut là son plus
grand irain. Il se trouvoit quelques femmes qui le chargeoienl de
Lettres pour leurs maris, mais elles le payoient si ma! et cela
alloil a si peu de chose, qu'il ne daîgnoit mettre en ligne de
compte ce qu'il gagnoit de ce côté-là. >■
Perraull se rappelle-Uil bien à qui il s'adresse lorsqu'il écril
ce passage? Parle-t-îl aux petits enfants? N'est-ce pas plutôt à
leurs mères qu'il décoche ces fines malices? C'est à ellos encore
qu'est destinée la charmante conclusion de Riçuel à la Bouffi
Après avoir dit quil déviai m l'homme du monde le plus beau »,
le conteur ajoute : " Quelques-uns assurent,., que l'amour seul
lit cette métamorphose... que la Princesse.*, ne vit plus la diffor-
mité de son corps,,, que sa bosse ne luy sembla plus que le bon
air d'un homme qui fait le gros dos; et qu'au lieu que jusqu'alors
elle Pavot t vu boiter effroyablement, elle ne luy trouva plus qu'un
certain air penché qui la char moi t »* C'est là une délicate adap-
tation a ce petit cadre du beau morceau do Lucrèce sur l'aveu-
glement des amants, si bien traduit par Molière dans h Misan-
Cette moralité n'est point corruptrice, et c'est beaucoup, mais
elle est absolument incompréhensible pour les jeunes lecteurs des
Contes, et ne pourrait avoir que beaucoup plus tard cette utilité
pratique dont Charles Perrault semble bien mal à propos préoc-
cupé*
Nous ne nions point futilité des Contes, mais elle est ail-
leurs, elle est tout entière dans la préparation, dans la culture de
l'imagination enfantine. Par eux tout un côté de la petite âme
est charmé; ils la disposent à croire à un au-delà proportionné à
l'intelligence encore confuse, qui n'est susceptible de se déve-
lopper que sous l'influence du merveilleux. Les jeunes lecteurs
ne s'arrêtent qu'à la fiction, ils ne s'inquiètent guère du reste,
c'est le conte pour le conte qui leur importe; ils recommencent
sans cesse l'histoire déjà connue, chaque fois elle leur cause le
même plaisir, chaque fois, phénomène plus étrange, le même
étonuement. Les mères connaissent toutes cet : encort \ à
QUELLE EST LA VÉRITABLE PART DE PERRAULT DANS SES CONTES? 237
la fois câlin et impérieux par lequel les bambins redemandent, à
peine achevé, le récit dont il semble qu'ils devraient être rebattus.
Ce n'est pas, comme nous, le nouveau qu'ils recherchent, c'est la
constante répétition de ce qui leur a plu, de ce qu'ils ont d'abord
entrevu avec joie, de ce qui, peu à peu, pénètre et se grave dans
leur esprit.
Les Contes ont été pour la foule de ces jeunes êtres le baume
des souffrances physiques, si insupportables à l'enfance, la dis-
traction des petits chagrins (petits pour nous, grands pour eux)
qui les éprouvent si cruellement.
Pour quelques-uns, natures délicates et nerveuses, artistes ou
écrivains de l'avenir, ils ont été davantage : TA B C de l'imagi-
nation, la petite flamme qui allume et entretient un grand et pur
foyer, la clé du trésor infini de l'idéal.
Ceux d'entre nos contemporains qui ont la haine innée du sur-
naturel partout où il se trouve, ont bien reconnu cette influence
des contes de fées et l'ont signalée comme un péril public. Ils ont
prétendu que de tels livres empêchaient les enfants d'apprendre à
raisonner, de saisir le côté positif des choses, ils n'ont pas trouvé
le Petit Poucet assez pratique, ni le Chat Botté assez industrieux,
ils sont parvenus à jeter la terreur dans l'âme des parents qui
élèvent de futurs ingénieurs pour le xxe siècle, et ont écrit pour
cette jeunesse des ouvrages illustrés où il n'y a que des faits
scientifiques, des termes scientifiques, des gravures scientifiques
et où l'imagination la plus ingénieuse ne saurait à quoi se
prendre.
Peine perdue!... nos intelligents bébés se gardèrent de lire une
seule ligne de ces beaux livres; ils parcoururent seulement les
images avec cette curiosité de l'œil, moins délicate et moins diffi-
cile à satisfaire que celle de leurs jeunes esprits, et les rudiments
scientifiques qui devaient détrôner les antiques contes de fées
échouèrent d'une façon piteuse.
Un autre vulgarisateur survint, non moins technique, mais
plus avisé. Aux notions exactes il sut joindre le merveilleux,
seulement il en transposa la date; au merveilleux en arrière, il
substitua le merveilleux en avant, aux Contes du temps passé, ceux
du temps à venir. Les familles, qui ne songent plus comme Per-
rault, à faire avaler la morale aux enfants, mais à leur faire avaler
la science, parurent satisfaites de cette transaction.
Les contes continuent néanmoins à ravir l'enfance; moins à la
mode, ils pénètrent plus loin, plus bas, dans les provinces, dans
les chaumières d'où ils sont anciennement sortis; mais, en dépit
238 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
de tout, c'est le vieux fond légendaire qui l'emporte à la longue,
s'identifie dans notre souvenir avec celui de notre première jeu-
nesse, et malgré nos cheveux blancs, nous amuse et nous charme
encore. Chacun de nous revient d'instinct à la forme primitive et
impersonnelle de ces histoires, notre esprit remonte à notre insu au
delà de ce que nous avons lu, renoue, sans en avoir conscience, la
chaîne interrompue de la tradition, et si nous cherchons dans notre
mémoire de vieillard un récit qui puisse tromper la souffrance de
quelque cher petit malade, ce n'est pas la rédaction spirituellement
sceptique de Charles Perrault qui revient sur nos lèvres : les
agréments ajoutés s'efTacent, les broderies disparaissent, tout ce
qui est d'un lieu, tout ce qui est d'un temps s'anéantit, le contour
de la simple narration recueillie par Darmancour se dessine,
s'accuse; il ne demeure rien que ce fait, unique dans toutes les
littératures, d'un enfant qui s'adresse aux enfants et leur parle
leur langage. Ce qui persiste, ce qu'on entendra sans relâche,
jusqu'à la postérité la plus reculée, c'est cette petite voix grêle;
elle traversera les siècles, pour redire, sans y rien changer, aux
générations successives de bambins attentifs, les vieux contes de
sa nourrice.
Ch. Marty-La veaux.
I.i: ROMAN DE OASIM1H DEUVICISE. 239
LE ROMAN DE CASIMIR DELAVIGNE
D'APRÈS
LES MANUSCRITS DE LA BIBLIOTHÈQUE DU HAVRE
(Suite et fin i.)
V
Les Messéniennes.
Déjà dans les Messéniennes de 1827 apparaît l'esprit nouveau
que j'ai essayé de caractériser, bien que l'ode politique soit un
genre peu favorable aux effusions du cœur. C'était surtout comme
auteur des premières Messéniennes que C. Delavigne, à la villa
Paolina, avait été bien accueilli par tout le monde, et surtout par
Elisa, qui l'appelle « son messénien » 2. C'est aux Messéniennes que
le poète s'attelle dès son retour à Paris, ayant à peine le temps
d'écrire à Mmo de Courlin3, barcelé par les circonstances poli-
tiques, forcé de faire paraître son recueil au plus vile pour ne
pas manquer le bon moment : il est question d'aggraver les lois
contre la presse ; l'opinion s'émeut : il faut profiter de l'occasion
pour lancer les Messéniennes : « Je me suis défendu contre le
monde. Je sors peu et je travaille. Il y a longtemps déjà que je
vous aurais écrit, si les lois dont on nous menace ne me forçaient
à m'occuper sans relâche des Messéniennes que je veux
publier4 ».
Et plus loin : « Nous sommes dans un temps où les souverains
ne reviennent pas impunément sur les lois qu'ils ont jurées : les
sujets se révoltent 5 ». C. Delavigne prend une part importante au
mouvemeq^de résistance qui tourne en effet à la révolte partout,
même à l'Académie française. On sait que les Académiciens
s'honorent en donnant l'exemple de la protestation6. On connaît
moins le rôle que Delavigne joue dans l'affaire, et que nous
1. Voir Revue d'histoire littéraire de la France, 1899, p. 537.
S. Mss. 11, 27. '
3. Mss. I, 84.
4. Mss. 1, 54.
5. Mss. II, U.
6. Mesnard, Histoire de V Académie française^ p. 303-306.
210
UEVUE D HISTOIRE LITTI- Il Vtlii: UK LA HU ><!•:.
indique le Journal de* DibûisK Lacretelle propose à ses collègues
de porter aux pieds du roi l'expression de leurs inquiétudes;
aussitôt les journaux ministériels insultent l'Académie. L/arehe-
vêque de Paris refuse d'assister à la séance où l'on doit délibérer
sur cette proposition : il exprime même par lettre ses craintes
« que T Académie ne soit menacée dans son existence » si elle
s*obsline. Ainsi morigénés, les Académiciens chargent Chateau-
briand, Lacre telle et Villemain de rédiger l'adresse. La réponse du
pouvoir ne se fait pas attendre : Laeretelle est révoqué de ses
fonctions de censeur, Villemain chassé du Conseil d'Etat, Michaod
destitué de sa place de lecteur du roi. A la séance suivante, les
trois Académiciens sont accueillis avec transport, embrassés par
leurs collègues, et C. Delavigne propose que l'Académie envoie
une délégation au domicile des a trois victimes du despotisme
ministériel, pour leur porter non des compliments de condoléance,
mais des félicitations sur le nouvel honneur qu'ils viennent de
recevoir ». Sur le désir des intéressés qu'on ne fasse pas â leur
propos une manifestation sans précédent, l'Académie renonce à
son intention, en décidant que ce témoignage de son estime sera
consigné dans ses registres. On comprendra mieux maintenant
la portée de cette lettre écrite à Mm de Cour tin par C. Del a vigne
le 211 janvier 1827 : « Des intérêts que je ne pouvais pas négliger,
car ils sont plutôt ceux des lellres que les miens, m'ont privé
jusqu'à présent du plaisir de vous répondre. Je ne m'excuse point
ici, je sais que vous me louerez d'avoir sacrifié mon plaisir et
mon bonheur a un devoir. Vous savez par les journaux ce qui
s'est passé à l'Académie, et vous comprendrez pour quelle raison
je ne vous en parle point. C'est pour l'Académie que je vous
abandonne. Elle s'honore trop aujourd'hui pour que je ne sois
pas juslilié par ce seul mol" ».
Plus que jamais il se hâte de faire paraître ses Môêténiôtme*,
afin de répondre à l'impatience du public vibrant d'indignation
contre le ministère. Pour mieux défendre son temps, il s'est
réfugié à la Madeleine; il y est relancé par son libraire : <* Le
mien est en bas. Il est arrivé en poste depuis trois jours, et il ne
^e de me tourmenter, de me harceler pour les Messëniejines.
Il me garde à vue, et me demande compte le soir de mon travail
pendant la journée * ». C. Delavigne veut aboutir vite : laissant
de côté la tisane de fleurs d'oranger que lui recommandait la pru-
i. Journal des Débats, numéros du 13 au 26 janvier 1827.
2. Mas. I, T>.
3, Msa. I, 71,
LE ROMAN DE CASIMIR DELAVIGNE. 241
dente Élise, il prend du café, ayant besoin pour travailler, « de
l'ivresse lucide et de la légère agitation qu'il puise dans ce poison
lent1 »; sur sa table, il dispose quelques fleurs : «Vous savez qu'il
me faut un bouquet pour travailler : où puiserai-je jamais de la
poésie, si ce n'est dans les fleurs *? » Mieux que le café et que les
roses, ce qui l'inspire, c'est la pensée toujours présente de la
femme aimée : « Je cherche parmi mes pensées celles que votre
esprit choisirait de préférence. Je m'abandonne avec plus de
complaisance au sentiment qui me semble devoir le plus toucher
votre cœur8 ». De tout cela nous pourrions déjà conclure que,
d'une manière générale, l'amour anime les passions politiques du
poète des Messéniennes. D'une façon très précise, nous savons
que nous devons à Mme de Courtin les plus beaux vers de ce
recueil : « A la fin des adieux à Rome, j'ai célébré celui des poètes
que vous aimez le plus. Mais trouvez-vous que je me suis élevé à
la hauteur du sujet dans ces stances que l'air de l'improvisation
me réduit à faire si courtes et si minces? Trouverez-vous dans ces
vers cette flamme qui doit animer une invocation pareille?
N'aurai-je pas été un bien faible interprète de votre admiration
que je partage? Si cela est ainsi, fermez le livre, et relisez quelque
scène du Cid ou des Horaces. Vous rendrez à notre vieux Corneille
un hommage plus digne de lui, et en même temps vous lui
demanderez pardon pour moi4 ». Mme de Courtin dut être con-
tente, car rarement C. Delavigne atteint pareille force de pensées :
inspiré par ses souvenirs du Miserere à Saint-Pierre, ému par la
grandeur de Virgile et du Tasse, il les chante sur son « luth », en
style de l'époque, puis s'arrête :
Je sentis les accords s'affaiblir sous mes doigts,
Pareils au bruit plaintif, aux notes expirantes
Qui se perdent dans l'air, quand du Miserere
Les sons au Vatican s'éteignent par degré.
Jaloux pour mon pays, je cherchais en silence
Quels noms il opposait à ces noms immortels;
11 m'apparalt alors, celui dont l'éloquence
Des demi-dieux romains releva les autels :
Le Sophocle français, l'orgueil de sa patrie,
L'égal de ses héros, celui qui crayonna
L'àme du grand Pompée et l'esprit de Cinna;
Ému d'un saint respect je l'admire et m'écrie :
i. Mss. I, 76.
2. Mss. I, 76.
3. Mss. I, 54.
4. Mss. I, 54.
242 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Chantre de ces guerriers fameux,
Grand homme, ô Corneille, ô mon maître,
Tu n'as pas habité comme eux
Cette Rome où tu devais naître ;
Mais les dieux t'avaient au berceau
Révélé sa grandeur passée,
Et, sans fléchir sous ton fardeau,
Tu la portais dans ta pensée!
Ces deux derniers vers sont très beaux; ils auraient dû rassurer
le poète, mais l'amour le rend timide : « J'ai corrigé les dernières
ennuyeuses épreuves des Messéniennes. J'y vois des défauts, des
faiblesses, des langueurs, que le temps ne me permet pas de faire
disparaître. Pardonnez-les moi1 ». A mesure que le jour de la
publication se rapproche, ses inquiétudes augmentent. Comme
tous les amoureux sont fétichistes, et que, revenant d'Italie, il
croit un peu au mauvais œil, il compte, le grand jour arrivé,
arborer une cravate noire qui lui vient d'Élise, pour porter bon-
heur à son livre2. Jamais il n'a désiré plus ardemment le succès,
car il ne s'agit plus seulement de séduire le public : « Mes vers
vous plairont-ils? que je le désire ardemment! Avec quelle joie je
l'apprendrais! Que de suffrages ne donnerais-je pas pour le vôtre!
tous, mon Elise, tous pour un seul. Que votre cœur batte, qu'il
soit ému, et tout mon orgueil de poète, toute mon ambition insa-
tiable sera satisfaite3 ». Ses rêves sont exaucés : le Journal des
Débats du 17 mars 1827 constate le succès, sans marchander
l'éloge; Vinet admire ces beaux vers, « en quelque sorte trouvés^
que la précision, la plénitude et le naturel fixent, comme trois clous
d'or, dans les plus ingrates mémoires4 ». La critique est satis-
faite; la femme aimée est charmée : elle se décide à quitter Are-
nenbcrg et sa protectrice pour venir vivre à Paris, plus près de
son Messénien.
Aimant, aimé, célèbre, C. Delavigne connaît à ce moment la
plénitude du bonheur. C'est, comme toujours, le moment où le
malheur vous guette. Le premier coup qui frappe ce cœur, tou-
jours sensible à l'amitié, c'est un échec retentissant de son
camarade d'enfance, de Scribe, dont le Mariage d'Argent échoue
d'une façon piteuse, le 3 décembre 1827, au Français5. Nous
connaissons cet échec de Scribe par une lettre de C. Delavigne,
1. Mss. I, 84.
2. Mss. I, 52. 54.
3. Mss. I, 54.
4. Étude sur la littérature française au XIX* siècle, II, 61-62.
5. Moniteur du 4 décembre 1827.
LK ROM A3 I)K CASIMIR DELAVIG3E. 243
qui fait grand honneur à un auteur, à un dramaturge surtout, car
la jalousie littéraire sévit peut-être plus encore là qu'ailleurs, et
l'on s'y console vite de l'échec d'un ami. C. Dclavigne est au-
dessus de ces mesquineries : il écrit à M""' de Courtin, qu'il avait
quittée pour aller assister à la première du Mariage d'Argent :
« J'avais besoin de toute ma félicité du matin pour supporter ma
soirée d'hier. L'ouvrage dont je vous avais fait l'éloge a été reçu
sévèrement. L'assemblée, qui l'écoutait à peine, a été pour lui
dure jusqu'à l'injustice : je me sentais tressaillir à chaque mur-
mure. Je tremblais de tout mon corps. J'avais peine à me tenir
debout, et je ne pouvais rester assis. Quelle agonie, mon Élise!
Quelle est donc cette passion étrange qui vous pousse à rechercher
les suffrages de quinze cents personnes, dont pas une peut-être
n'est capable de faire ce qu'elles blâment, ce qu'elles repoussent
avec tant de mépris.
« Fasse le ciel que vous n'ayez jamais le tourment de voir un de
mes ouvrages en butte à ces orages d'un public capricieux, violent
comme la mer, et aussi impitoyable qu'elle... Je suis allé ce matin
consoler celui dont j'avais partagé tous les tourments. J'ai fait
pour lui tout ce qui a été en moi. Il souffre, amie, il est malade,
et demain j'irai à sa place assister sur le théâtre à la représenta-
lion de sa pièce. Je suis si heureux par vous que peut-être je lui
porterai bonheur ' ».
Ni son amour ni son bonheur n'allaient le protéger lui-même
contre le premier insuccès qu'il eut encore éprouvé, et qui dut lui
être d'autant plus sensible qu'il avait associé Mme de Courtin
elle-même au sort de son œuvre, en contant une partie de leur
propre roman dans la Princesse Aurélie.
La Princesse Aurélie
Il est convenu maintenant, dans la critique courante, que cette
comédie tomba parce qu'elle n'était qu'une pièce de circonstances,
un brûlot politique lancé contre le ministère Villèle, et que, le
ministère étant tombé avant la première représentation, cette pièce
satirique fit long feu *. Et certainement C. Delavignc était trop
combatif, trop ardemment mêlé aux luttes de son temps pour
n'avoir pas songé à faire, dans les portraits du comte de Sassane,
du duc d'Albano et du marquis de Polla, la caricature des trois
principaux personnages du ministère Villèle. Mais ce n'était pas
1. Mss. n, 5.
2. Lenient, La comédie en France au XIXe siècle, II, 28.
244 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
pour cela qu'il avait composé sa pièce, et il y avait longtemps qu'il
travaillait à sa Princesse Aurélie, la quittant, la reprenant suivant
les préférences de son inspiration. Il l'avait commencée à Arenen-
berg, à son premier voyage probablement, d'après cette lettre
sans date : « J'ai laissé là Louis Onze pour quelques mois. J'ai repris
la Princesse A urélie, qui vous plaisait, et dont les premiers vers
ont été faits près de vous. Il me fallait un ouvrage où l'amour pût
trouver place. Là un souvenir plein de chaleur et de charme, un
souvenir qui règne sur moi sans partage, m'inspire et me soutient;
il jettera quelque flamme dans mes vers, quelques traits délicats
dans un dialogue qui ne peut vivre que par la grâce et l'esprit1 ».
En effet, tout le rôle du comte Alphonse d'Avella, qui est écrit d'une
plume alerte, avec une alacrité et un charme nouveaux dans
l'œuvre du poète, C. Delavigne l'avait joué pour son propre compte
aux pieds de Mme de Courtin : « Pour mon pauvre jeune homme,
c'est un peu moi. C'est moi à Rome :
Quels jours plus beaux alors, mieux remplis que les miens?
Je l'aimais, l'admirais, et dans ses entretiens,
Dans ses éclairs d'esprit dont la flamme est si vive,
Dans le mol abandon de sa grâce naïve,
Dans ses yeux, dans ses traits, je puisais chaque jour
Ce poison dévorant qui m'enivrait d'amour.
Ma tête se perdait : jugez de mon délire,
Je crus que daus les miens ses yeux avaient su lire.
Vingt fois je crus les voir, pleins d'un trouble enchanteur
Se reposer sur moi, s'attendrir... Ah! docteur,
Quels regards ! Mon cœur bat quand je me les rappelle,
Et semble me quitter pour s'élancer près d'elle.
Voilà ce que dit mon Alphonse, et bien d'autres choses sem-
blables ». Et plus loin : « Vous souvenez-vous de cette fierté
désolante qui m'a déconcerté à Tivoli et à Saint-Pierre, quand
vos regards semblaient m'encou rager :
Ils égaraient mes sens; je cédais; mes efforts
Ne pouvaient dans mon sein contenir mes transports;
Vaincu, j'allais parler... jamais beauté plus fière
Ne vous fit d'un coup d'œil rentrer dans la poussière ;
Jamais plus froid sourire à la cour n'a glacé
Sur les lèvres d'un sot un aveu commencé.
Je restais confondu, muet, tremblant de rage ;
Mais, en la détestant, je l'aimais davantage.
1. Mss. I, 85.
LE ROMAN DE CASIMIR DELAVIGNE. 245
C'est encore Alphonse qui parle. El moi, quand je partais pour
la villa, avec quels battements de cœur je me rapprochais de vous.
Que la course me semblait longue. Combien de fois je me suis
surpris courant à perdre haleine, et m'arrèlant tout à coup de peur
d'arriver. Car je mourais d'envie de vous revoir, et je craignais en
même temps de vous retrouver plus réservée et plus froide que la
veille : que dit Alphonse? lisez :
... je pars, docteur, j'accours.
Quels siècles se traînaient dans ces instants si courts,
Où mes vœux empressés dévoraient la distance !
J'arrive : du néant je passe à l'existence;
Mais triste, mais ravi, plein de crainte et d'espoir,
Je vais, je viens, je brûle et tremble de la voir.
Ah! je vous le demande, est-on plus misérable?
Trouble toujours croissant, contrainte insupportable,
Mal d'autant plus cruel que j'aime à le souffrir,
Que je sens ma folie, et n'en veux pas guérir!
Je ne vous dirai rien de plus sur la Princesse Aurélie. En voilà
bien assez de mes vers, et je ne vous en parlerai pas de longtemps.
Je suis content de moi, j'ai tenu ma parole, et j'ai le droit d'être
bien amoureux dans mes prochaines lettres. Tout ce qui s'est
glissé de tendre dans celle-ci, ce n'est pas moi qui l'ai dit, c'est
Alphonse. Ah! plaignez-le, ce pauvre Alphonse qui me ressemble
tant. Il aime de si bonne foi, il est si malheureux! ou plutôt
aimez et plaignez votre
Casimir » !.
Par une délicatesse d'homme profondément épris, il veut bien
se mettre lui-même dans son ceuvre, et montrer à la femme qu'il
aime un reflet de sa passion pour elle dans un héros fictif, mais
il ne veut pas faire pour des profanes un portrait de celle qui
n'appartient qu'à lui : la princesse Aurélie n'est pas Mme de Courtin,
ni même la reine Hortense, malgré certains traits de ressem-
blance1, c'est la grande-duchesse de Bade : « Tenez, voici un
portrait que vous m'avez tracé souvent, et dont le modèle est une
grande dame très connue et très admirée de vous. Cependant
j'avoue à ma honte que pendant les huit jours qu'elle a passés au
château d'Arenenberg, elle n'a pas pu tirer un mot de moi; mais
à qui la faute? à moi, parce que je ne veux écouter que vous, et à
vous, parce que votre conversation, dont vous faites si peu de
1. Mss. I, 86-8".
2. Mss. H, 11.
246 KEVUK D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
cas, a cent fois plus de charme que la sienne. Enfin voyez si le
portrait ressemble à celte personne que vous m'aviez si bien
peinte :
Assemblage imposant de grâce et de noblesse,
Bonne avec fermeté, naïve avec finesse,
La princesse Aurélie aux honneurs qu'on lui rend
A droit par son esprit bien plus que par son rang.
Elle sait opposer la ruse à l'artifice,
Calculer mûrement ce qu'on croit un caprice,
Tolérer nos défauts afin de s'en servir;
Sans faiblesse apparente, elle sait à ravir,
Nous cachant ses secrets et devinant les nôtres,
Tourner à son profit les faiblesses des autres.
Enfin je la crois femme à jouer à la fois
Et sa cour de justice et ce conseil des Trois
Où siège des régents la sagesse profonde,
Et vous, son médecin, qui jouez tout le monde.
N'y-a-t-il pas dans tout cela quelque chose de la grande-
duchesse?1 »
On voit que si la politique n'est pas absente de l'œuvre, du
moins elle n'est qu'épisodique, et que l'essentiel du sujet, c'est
l'amour. Quant aux intrigues secondaires, elles sont relevées par
un esprit très jeune, presque gamin par moments, et qui n'est
que l'expression très exacte des propres dispositions du poète, '
ramené par la nouveauté de son amour à de véritables enfan-
tillages : « Que diriez-vous donc si vous saviez qu'un travail d'une
bien autre importance réclame encore mes instants? J'ai commencé
sur mon genou un ouvrage en soie, une ganse d'un bleu céleste
comme votre robe de religieuse. Oui, mon amie Elisa, c'est
maintenant que je puis vous appeler mon camarade : je vais sur
vos brisées, je travaille dans votre genre. Vous auriez un peu
envie de rire si vous pouviez me voir, le genou en l'air, et la tète
penchée sur la frêle épingle qui tient mon ouvrage, murmurer
des vers de comédie en faisant des points et des nœuds pour
enchaîner mon Élisa. Un grand malheur, c'est que j'oublie ma soie
en m'abandonnant à mes idées, et qu'ensuite je perds mes idées
pour courir après ma soie. J'ai beau me donner du mal, ma ganse
et ma comédie se font bien du tort l'une à l'autre, et ce sont deux
ouvrages où vous trouverez beaucoup à. dire2 ». L'imprudent
amoureux a beau ajouter qu'après ses distractions il se reprend
i. Mss. I, 85-86.
2. Mss. II, 9-10.
LE ROMAN DE CASIMIR DELAVIGNE. 2*7
au travail avec plus d'ardeur1, Mmc de Courtin, prenant très
sérieusement 5. cœur ses devoirs d'amie du poète, le gronde de
perdre ainsi son temps, et lui déclare très nettement qu'il faut se
mettre à la besogne, sinon plus d'entrevue : « Vous me donnez un
jour de plus pour travailler. Vous l'ai-je demandé? La condition
qui m'est ùrévocablement imposée par vous est que j'aurai achevé
mon ouvrage avant de vous revoir. Eh bien, je l'accepte. Mercredi
mon ouvrage sera terminé. Je le veux ainsi... Je ferai de tels
efforts que j'en serai surpris moi-même. Vous doublez la force de
mon esprit par l'obstacle que vous m'opposez1 ».
En effet, le 15 janvier 1828, sa pièce est terminée, lue devant
le comité de la Comédie-Française, et le poète, transporté de
l'accueil fait à son œuvre par les sociétaires, s'empresse d'écrire :
« Grand succès, mon Élise! tant de bonheur devait amener du
bonheur. J'ai lu avec une verve extraordinaire. J'ai mis dans les
scènes d'amour une flamme et un entraînement de souvenir qui
les a transportés. Ange bien-aimé, c'est à vous que je dois de les
avoir touchés... Ah! que cette lettre vous porte un peu de la félicité
que je vous dois... Je le jure devant Dieu, ce triomphe ne m'a été
doux que par le plaisir qu'il devait vous causer. Je le mets à vos
pieds. Dieu, donnez-moi de la gloire, pour que je l'en couvre,
pour que je l'en rassasie3 ». Pour le récompenser, les rendez-vous
recommencent, à Sainte-Geneviève notamment v. Cela lui permet
de résister à l'ennui des répétitions. Cela lui rend aussi la con-
fiance, ébranlée par des lectures qu'il fait de sa pièce en divers
salons pour t<Uer et préparer l'opinion : « J'ai fait hier une nouvelle
lecture de ma princesse pour lui assurer les protecteurs dont elle
a besoin. Les hommes qui l'entendaient avaient exercé le pouvoir,
et se croyaient appelés à le reprendre. J'ai senti à leur manière
d'écouter et de rire, bien qu'ils soient dans l'opposition, toute la
portée de certains traits. J'ai vu dans leurs yeux quels obstacles
ma pauvre Aurélie aurait à vaincre6 ». 11 devait pourtant bien s'y
attendre. Il y a, dans la situation d'un ministre, des misères inhé-
rentes à la fonction, et dont la satire ne fait pas rire les libéraux
quand les autoritaires sont au pouvoir, parce qu'ils voient dans
le portrait de leurs adversaires quelque chose qui pourrait bien
devenir leur propre caricature si un mouvement de bascule par-
lementaire les amenait au pouvoir. Les ennemis politiques de
1. Mss. II, 9.
2. Mss. II, H.
3. Mss. II, 13.
4. Mss. I, 64.
5. Mss. I, 68.
248 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
C. Delavigne ne pouvaient donc applaudir, et ses amis ne le
voulaient pas. Quant au grand public, habitué à chercher dans les
pièces précédentes de C. Delavigne un intérêt de malignité, de
sous-entendus, il chercha, et ne trouva presque rien : la pièce
tomba, et Casimir Delavigne écrivit très simplement, très digne-
ment, dans une courte préface : « Je ne me défendrai point : si
mon ouvrage renferme des beautés réelles, il vivra malgré les
critiques; si le contraire est vrai, je le défendrai en vain : il est
juste qu'il meure ». On ne vit pas alors à la scène ce que la lecture
de la pièce, aidée par le dépouillement de ces manuscrits, nous
révèle. Dans la collection générale des pièces tombées au théâtre,
et qui se relèvent à l'impression, celle-ci est une des moins connues
et des plus jolies. C'est proprement un délice que de savourer
cette langue excellente, ces vers spirituels, cette délicatesse dans
la passion, telle que la comprenait alors le fiancé d'Elisa. 11 dut
être vexé dans son amour-propre (l'amoureux, inquiet de savoir
si son échec n'allait pas le diminuer aux yeux de Mme de Courtin :
mais il fut vite rassuré, car elle était brave; et puis il allait prendre
une éclatante revanche avec un nouveau drame.
Marino Faliero.
Le 30 mai 1829, la Porte-Saint-Martin représentait son Marino
Faliero avec un succès tel que l'École romantique, par. la plume
de Nodier, réclama comme sien tout au moins le style de la pièce,
et reconnut l'importance de l'œuvre : « Dans Marino Faliero, le
dialogue est presque toujours plein, animé, propre à la situation
et aux personnages, empreint de la mollesse du courtisan, de
l'énergie du conspirateur, de la dignité du doge, de la naïveté
austère de l'homme du peuple; il est quelquefois si vif, si
naturel, si bien coupé comme de l'excellente prose, qu'on croirait
que le romantique a passé par là... C'est un triomphe loyal, un
triomphe complet. C'est quelque chose de plus qu'un fait littéraire;
c'est un événement essentiel, c'est une date qui ne s'effacera
point1 ». Il y avait longtemps que le poète portait ce sujet dans
son esprit; il y songeait dès le mois de juin 1826, à Venise
même, où il avait éprouvé de fortes émotions : « Je suis descendu
dans les prisons de l'inquisition d'Etat, sous le canal du palais.
J'y ai retrouvé des vestiges qui font supposer d'horribles choses...
Quand je parcourais la place Saint-Marc et la salle des Doges,
i. Ch. Nodier, Revue de Paris, 1829, p. 51.
LE ROMAN DE CASIMIR DKLAYlfp.NK.
2'» 9
j'en voulais aux Français d'avoir détruit cette forte et mystérieuse
république de Venise, mais la vue des cachots m'a réconcilié avec
eux1 », Outre ces impressions immédiates, il avait été ému par
toute celte vieille grandeur éteinte ; deux MM après, il se rappelait
encore les profondes rêveries qui l'avaient alors assailli : « La
belle soirée que celle où seul, occupé de Votre image, de mes
regrets et de mes espérances, je vous écrivais auprès de ma
fenêtre ouverte sur le grand canal de la Giudeea. De temps en
temps mes yeux se relevaient involontairement pour admirer ce
ciel brillant d étoiles, cette éclatante nuit de Venise. Je vous
regrettais, je vous appelais, pour jouir avec vous de l'impression
profonde qu'on éprouve à l'aspect d'un ciel qui luit toujours le
même, toujours aussi pur et aussi éblouissant de lumière, sur une
ville morte et une gloire à jamais éteinte : je me sentais destiné à
reproduire ces merveilles dans mes vers, à faire revivre la Venise
que je pleurais i s*. Sur les lieux mêmes, il songeait déjà à ressus-
citer dans un drame ces splendeurs mortes, et il écrivait à
Mmc de Courtin, le S juin 1826 : « Que vous diraî-je de Venise,
si ce n'est que je voudrais vous y voir, pour recueillir vos impres-
sions, pour m'en inspirer, pour jouir de votre tristesse comme je
jouis de la mienne, au milieu de ces palais détruits du Rialto,
sous les vieilles voûtes du palais Saint-Marc, dans cette cour de
1 Escalier des Géants où Marino Faliero fut décapité. C'est un
sujet que lord Byron a manqué, et que je trouve original et
tragique; dites-moi : faites cet ouvrage, et je l'oserai3 ». La
réponse fut celle qu'il attendait ; mais c'est plus tard, revenu en
France, qu'il peindra Venise de mémoire : « Oui, mon Elise, lui
écrit-il le 19 janvier 1828, je devais la célébrer à vos pieds, dans
le recueillement d'un bonheur partagé, sous votre inspiration
toujours présente, et.ee jour est arrivé!,.. C'est chez vous, c'est
près de vous que mon imagination viendra chercher des couleurs
pour peindre tous ces objets que mes yeux s'attristaient de voir
sans vous. Je vous conduirai dans cette place Saint-Marc où si
souvent mes lèvres ont murmuré votre nom. Je vous ferai des-
cendre dans ces gondoles où il me semblait que vous vous balan-
ciez près de moï. J'admirais Venise avant de la connaître, et vous
me l'avez rendue éternellement chère. J'y peindrai merveilleuse-
ment l'amour, car j'y ai tant aimé. J'y serai touchant, car mou
cœur s'y consumait de mélancolie. Mais que seront-ils ces vers
i. Msa. I, 50,
2. Mss, î, 61.
X Hu I, 50.
Rtv. i»*in*T. LitTin. de la Khaïice (1* Ann.}.— Vil. 17
^^■^^^^^H
m
REVUE D HISTOIRE LHTÉHAIRK JJE LA FRANCE.
où je répandrai toute mon âme, où tous mes souvenirs d'Italie
viendront se réfléchir, où vous serez présente partout sans être
nommée nulle part, où je me promènerai avec ma sœur de Home
dans le Colisée désert, au pied des cascatclles, dans les nefs de
ut-Pierre. Ah ï mon Élise, mon unique amie, j'aurai cessé d'êlre
poète, ou ces vers doivent être les plus beaux qui soient jamais
sortis de mon cœur1 », Et, de fait, la tendresse déborde de sou
coeur quand il songe que quelques mois seulement les séparent
de leur mariage : « L/automne doit nous réunir. Sur la route,
combien la tristesse du paysage sera gaie pour nous. Chaque feuille
qui tombera des arbres sera un présage de bonheur, un signal de
rendez-vous. Tombez, feuilles, tombez; dites-moi de retourner
près d'elle pour ne plus me séparer d'elle. Il me semble que les
brouillards d'octobre seront plus salutaires pour ma poitrine, plus
beaux pour mes yeux, que l'air bienfaisant et pur du ciel de Rome.
« Il y aura mille accents de joie, mille promesses d'amour, dans
le souffle et le bruit des vents qui me chasseront de mon exil. La
patrie, c'est le modeste salon d'EIisa, c'est le canapé bleu oA
j'écoute sa harpe, c'est le coin de son foyer où les heures sont si
courtes :
... ù bien qu'aucun bien ne peut rendre,
0 patrie, ô doux nom que l'exil fait comprendre!
Blisa, chère Élisa, vous qui connaissez la mienne, me repro-
cherez-yous maintenant, comme à Fernando, de ne savoir aimer
que la patrie?* »
Le sentiment fort et doux qui remplit son cœur est-il bien celui
qui convient aux passions de ce drame? Notre poète n'est pas un
lion romantique, superbe et rugissant, quoi qu'il en dise dans une
lettre où il supplie Mm* de Courtin de lui donner de ses nouvelles
le plus souvent que le lui permettra son horreur de la plume :
r Immolez-vous donc, chère victime, et j aurai Tégoïsme d'accepter
vos douleurs, de me faire une cruelle joie de la torture à laquelle
je vais mettre votre paresse. Voyez comme j'ai l'âme vénilienne,
et comme votre lion de Saint-Marc prend les mœurs des hommes
qu'il fait parler! Puisse-t-ïl, quand il vous reverra, apporter à vos
pieds une noble proie! puisse mon Élise trouver digne d'elle son
lion quelle tient en laisse comme un agneau, qui se plaît dans ses
liens, vu mirait passer sa vie à baiser les mains qui l'enchaînent,
et ne voit qu'un seul bien au-dessus de celte liberté dont il est ido-
1. MssT I, 67-63.
% Mss. I. M, lettre non paginée, entre le folio iti et le folto H.
i UOMÀK hK i.\>nni! ih.i.wii.m-;,
251
latre, sou esclavage ' *k On serait tenté de crier a ce lion trop appri-
voisé ; — Bien bêlé» lion! — C'est lanuomrux, c'est attendrissant,
c'est honorable pour l'homme, mais c'est inquiétant pour l'artiste.
C, Delavïgne s'en rend bien compte : il n'a qu'une passion au
<iii'm\ et il doit en exprimer d'autre» d'une bien différente nature :
u Voyez cependant, amie, la belle disposition où je suis pour
composer un ouvrage, pour faire parler tour a tour la haine ou la
fureur, pour cesser d'être moi-même, et devenir chacun des per-
sonnages dont je dois exprimer les passions différentes! Je n'ai
qu'une passion, moi, je n'en ai qu'une; je ne veux ni élever ni
ivn verser des Etats, je veux revoir mon Êlisa, couvrir ses mains
des baisers les plus tendres qu'un amant ait jamais donnés. Voilà
mon seul désir, mon unique ambition * », Comme le remarque
À. Pîchot*, pour rendre le personnage de Kalicro, il aurait fallu
savoir fctflr» et Ci Delà vigne ne sait qu'aimer. Son amour môme
lui cause des distractions, comme pour la Prince&st Aurélia : « Je
travaille depuis le matin. Je viens d'écrire une partie de mon
second aele. Je m'interromps tout a coup au milieu de mes
fureurs poétiques pour le demander si lu ne m'as pas oublié. Il y
a des moments où je laisse mes conspirateurs le poignard levé
pour courir après toi dans les bosquets de la Madeleine... Pauvre
doge! il lui arrive dix fois le jour, dans ses plus violents mouve-
ments d'éloquence, de s'écrier soudain : Élisa, mon Élisa chérie!
J'aurai bien de la peine à ne pas laisser échapper ce nom dans un
vers1 », Si, à cause même de son amour honnête el pur,
G, Delavigne n'a p&B pu donner à son Marino la farouche gran*
deur qu'il a dans la tragédie de ByroB, en revanche c'est à cette
passion si active qu'il doit la surexcitation, rhypereslhésie poétique
qui lui sont nécessaires : m C'est toi que je consulte en travaillai!!,
c'est pour toi que je cueille des fleurs; Lien», voici une feuille de
notre laurier* Regarde comme elle est verte; est-ce un augure?
Conserve-la, et qu'elle te rappelle un jour celle scène dont je
m'occupe dans mon exil, Souviens-loi, si Ton y trouve de nobles
pensées, que je ne les ai dues qu'à loi seule. Oui, bien que tu t'em-
pares trop violemment, trop uniquement de toutes mes E&Ctlltés,
l'agitai ion dans laquelle tu ne cesses d'entretenir mon Ime *et
heureuse et inspirante. Je l'espère du moins, el bientôt tu seras mon
juge* », C'est donc à M""* de Courtin que nous devons les plus beaux
i. Mss. U, 40,
ï. Msa. Il, 37,
3. Bévue dé Paru, (832T XU, 18L
4-Ms*. II, 37,
3. 5lss* ]1, 31
252 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
mouvements de ce drame, les cris humains qui ont remplacé les
tirades un peu sèches d'autrefois; le 3 mai 1828 il lui écrit que
c'est pour elle qu'il travaille, qu'il fera sa tragédie, « non pas avec
mon imagination, mais avec mon cœur. Je la remplirai de ce feu
que j'ai pris dans tes yeux, de ces inspirations qui coulent de tes
lèvres. J'y répandrai ce sentiment de mélancolie profonde qui me
reste après t'avoir vue, et les femmes, diront un jour en pleurant :
il aimait, quand il a fait ces vers. Oui, femmes, et c'est elle que
j'aimais. Près d'elle je me consumais de désir, et loin d'elle je
perdais mes jours à la regretter. J'aurais donné tous les éloges du
siècle, tous les vains applaudissements du monde pour une larme
de plaisir que mes vers faisaient rouler dans ses yeux * ». C'est ce
qu'il dit publiquement, presque dans les mêmes termes, en cet
Épilogue qu'il écrivit le lendemain de la première de Marino
Faliero :
Oui, ces frémissements d'un plaisir douloureux,
Ces cris des spectateurs, ces pleurs versés par eux,
Ce pouvoir d'exciter l'espoir ou les alarmes,
D'emporter avec soi les cœurs dans son essor,
Ce triomphe enivrant a d'ineffables charmes;
Mais un de ses regards m'enivrait plus encor,
Et j'aurais tout donné pour une de ses larmes!
Un seul critique avait deviné à moitié le secret du poète*. Grâce
aux manuscrits du Havre, ce n'est plus par hypothèse, mais avec
certitude, que nous pouvons expliquer les causes cachées du
progrès dramatique et psychologique qui sépare Y École des Vieil-
lards de Marino Faliero, de ce succès éclatant qui ne se borna pas
à Paris, puisque l'écho lointain de ce triomphe alla jusqu'à Rio-
de-Janeiro où, en 1830, au milieu de la grande bataille romantique,
on parlait encore du Faliero de C. Delavigne*.
Louis XI.
Dans cette nouvelle pièce on constate que le talent du poète
s'est singulièrement agrandi. Son triomphe n'est plus dû à la mode
ni aux circonstances. C'est un succès de bon aloi auquel la critique
rend hommage. Un journal allemand du temps proclame l'analyse
des caractères c tout simplement admirable » \ Le charme dure
i. Mss. II, 17-18.
2. Cap. Casimir Delavigne, p. 23.
3. Revue de Paris, 1830, t. XIV, p. 114.
4. Magazin fur die Literalur des Auslandes, Berlin, 23 mars 1832.
LE ROMAN DE CASIMIR hï.UVIGSE.
1\A
encore t puisque, tout dernièrement, M, Emile Faguet le reconnais-
sait : l'action du poète sur te public subsiste après deux tiers de
siècle, et Ton rient de célébrer « les noces de diamant de C Dela-
vigne avec la foule ' ». Francisque Sarcey, luttant avec son
robuste bon sens contre les préventions que les plaisanteries cou*
rantes sur C. Delà vigne lui avaient inspirées, Unissait par lâcher
le mol suprême de I admiration, à propos de la grande scène autre
Nemours et le Roi : « Ah! que c'est là une trouvaille iûgéttieoaa!
Ingénieuse n'est pas assez dire; c'est, quoiqu'elle soit de C* Dela-
viue, d'un poète de transition, une trouvaille de génie »*.
ait peu de temps avant son mariage que l'amoureux poète
avait terminé cette pièce à laquelle il pensait depuis longtemps : il
l'écrivit dans son cabinet de bibliothécaire du Palais-Royal; une
lettre du Itt décembre 1820 nous montre que, une fois installé
devant son bureau, C. Delavignc songeait îrcs peu àla bibliothèque
dont il était le conservateur : « Mo voici installé dans mon cabinet
du Palais-Royal. Il faut que je le consacre par un peu de bonheur:
je veux que nnm Elise l'habite un moment avec moi. C'est peu de
rêver à elle. Je lui écris a ». C'est encore là qu'il composa son
Lnuts XI, demandant des inspirations à ses souvenirs de tendresse :
« Inspirez-moi, mon Elise bien- aimée. Que n'avez- vous voire
harpe pour me répéter sans Û0&5C mou air de Naples, qui réveille
en moi de si doux souvenirs ». Quelquefois son amour tourne à
l'hallucination : il croit voir Mm* de Courtin au coin de son feu :
« Laissez-moi, ne parlez plus, ne me regardez [dus. Je me recueille
en moi-même; je suis loin de vous; me voilà tout à Louis XI.*.
Tiens, mon Elisal je vois un point blanc a votre soulier de satin! l »
C. Delavigne, nous l'avons vu, était eoulumier de pareilles dis-
tractions : il aimait a se faire gronder par M'11" de Courtin qui lui
reprochait, sans trop d'amertume, de perdre son temps à songer a
elle.
Le poète reçut enfin la récompense de sa longue fidélité : eu
novembre 1830, il se mariait, te même jour que son frère Germain.
Tandis que d'autres écrivains, après la poésie des fiançailles, ont
connu la prose désenchantée du mariage, C, Delavïgne fut plus
heureux : je n'en donnerai qu*un exemple, la lellre « confiden-
tielle », comme dit l'adresse, qu'il envoie à sa femme, quatre ans
après, de son cabinet du Palais-Royal : il écrit à Mme Delavïgne,
qu'il vient de quitter à l'instant, ce simple mot :
t. Journal des Ù46ai9, i"> septembre 1898.
2. U Temp*, 19 septembre i898.
Si M*s. II, 3L
4. Mss. Il, 3i.
254 REVUE DHISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
« ... Comme au couvent. Es-tu contente, adorée?1 » La lettre
est courte, mais éloquente. C'est un cri du cœur toujours amou-
reux, et reconnaissant de son bonheur. Delavigne avait des façons
originales et ingénieuses d'associer la femme aimée à sa vie litté-
raire. Il lui avait donné une bague sur laquelle il avait fait graver
le nom de leur premier grand succès, c Faliero », en ajoutant :
« Ah! je veux vous en donner une autre, et bien d'autres, plus
glorieuses encore * ». Après Louis XI \ ce furent les Enfants
d'Edouard.
Les Enfants d'Edouard.
C'est peut-être surtout dans celle pièce de C. Delavigne qu'éclate
dans toute sa fraîcheur le renouveau de son talent. Après avoir
vécu longtemps sur les premières affections de la jeunesse, amour
de la famille, de la patrie, le poète avait connu, à leur vraie date,
les grandes passions qui épanouissent le cœur, l'amour, la ten-
dresse paternelle. C'est comme une rosée abondante sur des fleurs
flétries : tout se relève et tout brille. Il allait tirer de cet esprit
nouveau les plus touchantes inspirations, les émotions les plus
dramatiques. La seule annonce de son nouveau drame consolait
le Théâtre-Français du départ de Hugo pour la Porte Saint-Martin \
L'apparition de la pièce montra que ces espérances n'étaient pas
trompeuses : « Au milieu de ce déluge de drames sans conscience,
sans principes, partant sans avenir, c'est, dit la Revue de Paris,
une véritable consolation que la pièce de M. Casimir Delavigne.
Au moins dans cette œuvre apparaît la trace d'une incubation
vraiment littéraire; c'est autre chose qn'une idée dégrossie et
charpentée pour la scène... Il a sans doute voulu montrer, comme
leçon aux équarisseurs dramatiques, la puissance d'une exécution
soignée1 ». Naturellement les romantiques exaspérés protestent.
A. Dumas compare la pièce de Delavigne au drame de Shake-
speare, pour écraser le poète classique : « La statue gigantesque,
le colosse de Rhodes entre les jambes duquel passaient les hautes
galères, est deveuu un bronze à mettre sur une pendule, une
réduction de Barbedienne5 ». Mais le Colosse de Rhodes a-t-il
jamais pu être autre chose qu'une monstruosité? Et, d'autre part,
n'est-ce pas une œuvre d'art bien adaptée à la vie moderne, qu'un
1. Mss. II. U.
2. Mss. II, 32.
3. Revue de Pans, 4833, XLVI, 55.
4. Revue de Paris, 1833. L, 265.
5. Mémoires, IV, 51-58.
LE ROMAIN DE CASLMIII MLAVIGM:.
bronze de Barbedieune? À coup sûr c'est très supérieur aux << zinc
d'art » de la maison Dumas. C'eslsurtout IV. Hugo qu'il convient
de comparer C. Delavigne, et la chose a été faite, de façon déli-
ilîUvc, par M. Larroumet1. Oui, C, Delavigne, comme poète, est
inférieur à Hugo; oui encore, tomme homme de Ihéâtre, il est
de premier ordre. Sa grande habileté consiste à avoir su donner à
ses personnages les sentiments profondément humains que la vie
lui avait fait connaître et savourer. Il faut qu'une pièce soit d'une
vérité bien humaine pour que, même dans un rôle aussi secondaire
que celui du geôlier Tyrrel, on trouve des vers aussi touchants
que ceux-ci :
... Que voulez-vous? je t'aime»
J'aime en lui le seul bien qui m'ait cooir des pleurs :
Mon Tumy, mon trésor de joie et de douleurs,
L'astre qui rayonnait sur mes nuits enivrantes,
L enfant qui m'a baisé de ses lèvres mourantes.
TrailPï-moi de rêveur, de fou, si vous voulez :
Mais quand je vois ses yeux, ses longs cheveux boucléSi
Je me sens tressaillir jusqu'au fond des entrailles ;
Lorsque leurs cris aigus frapperaient ces murailles,
C'est de mon tiis, milord, que j'entendrais les cris :
Je ne peux pas pour vous assassiner mon fils.
C'était <lans son cœur, dans son propre amour pour son fils
Albert, que C. Delavigne avait trouvé ces m ts. Qu'on en juge par
cette lettre d'adieu écrite à sa femme et à son enfant, qu'il laissait
à la Madeleine pour aller redemander un peu de repos et de sauté
aux environs de Pau : « Malheureux! bien malheureux de vous
avoir quittés : plus que tu n'as pu le voir dans mes yeux qui Bé
défendaient de pleurer pour ne pas ajouter h ton chagrin, quand
je vous regardais en partant; plus "qu'il n'est possible de te le dire.
Ne pleure pas cependant, égayé notre adoré enfant- Qu'il ne
s'aperçoive pas de mort absence, et qu'il soit bien joyeux de mon
retour. Jusqu'à ce que je revienne, sois son pire et sa mère* Je te
lé confie. Je le confie à toi-même. Garde-moi tous mes trésors...
Ah! que je suis malheureux" »... Les quelques jours qu'il passe
dam h Midi lui semblent un long exil. Il se refuse toutes lei
excursions qui attirent les autres touristes, pour revenir le plus
vite possible, sitôt la santé reconquise : » Non, amie, je n'irai pas
voir Gavarnie et la broche de Roland. Il faudrait pour faire cette
excursion retarder de cinq jours mon arrivée à Paris, et après
1, Revue des Cours et Conférences f avril 1196, pp. 30, 19 el 41.
2< Mus. Il, 45.
m:\ii; ihhmoihk Ltnïiuim DE LA FRANCE.
une si longue absence, j'avoue que ce supplice serait au-dessus
de mon courage. Non, je sais trop combien durent cinq jmjrs : j'en
ai fait à Plombières ta dure expérience, et je la fais encore ici.
Les cinq derniers jours qui précéder] L le départ... ne finissent
jamais. J'ai beau changer Je système pour que le temps nie pèse
moins, laisser là ma sauvagerie, m'apprivoiser, prendre, quand
je me promène, un visage qui invite à m aborder, saluer de mon
balcon ceux qui passent, de manière h leur demander une visite :
peines et avances perdues! rien n'y fait- Le temps ne m'accablr
pas moins de son poids. D'autres lieux, un nouveau spectacle
auraient-lift le pouvoir d'écarter l'idée qui m'obsède? Ne le crois
pas, ma bien-aimée, et certes je n'en ferai pas l'essai. Ce qu'il nie
faut, pour calmer mon impatience, c'est le mouvement d'une voiture
qui m'entraîne, et qui m'entrai ne vers vous.. . J'arriverai, dît-on, vers
huit heures du matin, dans la cour *!<* la diligence Laffiite et Gail-
lard, où je dois avoir la première placedu coupé. Vers huit heures
et demie, je monterai quatre à quatre le grand ou le petit escalier
qui me conduira à la chambre dénies deux adorés.,. Et notre
Albert, crois-tu que je ne le roulerai pas sur ton petit canapé de
rilermitage, au risque de mettre en désordre par mes caresses toutes
les boucles de sa belle chevelure blonde? Dis-lui qu'il n'a qu'àlmm
se tenir l»,«.
Les Œuvres delà fin.
Delavigne ne rapportait malheureusement du Midi qu'une amé-
lioration passagriv de sa sauté. Les jours du poète étaient désor-
mais comptés. Usé par la vie double du cœur et de l'esprit, trop
frêle pour supporter le poids du bonheur et du travail, G. Dela-
vigne n'avait plus de longues- années à vivre- Mais il allait
suppléer au temps et à la force vitale par Tardeur au travail et par
l'énergie nerveuse. Nul ne se pourrait douter que ses dernières
comédies si gaies, si vivantes, ont été composées au milieu des
tristesses physiologiques et du déclin des forces*
Son Don Juan if Autriche paraît à un bon juge une des comédies
les plus amusantes de notre époque*. Pour nous, qui vivons grâce
à ses lettres dans l'intimité de son cœur, nous voyons de plus
i "inbiuriily a mis de lui-même : Doua Florinde, respirant l'odeur
des jasmins, dit à sa duègne : « N'as-tu pas éprouvé quelquefois,
Dorothée, combien un son vague, une boulTée d'air réveille forte-
i, Mss, II, 47-48.
2. Legouvé, Soixante ans de souvenirs t I, 40.
LE ROMAN DE CASIMIR DELAVIGNE. 257
ment certaines impressions de plaisir ou de -peine, et fait revivre
un souvenir jusqu'à la réalité? » C'est une impression personnelle
au poète, écrite à Mmc de Courtin plus de huit ans auparavant, et
presque dans les mêmes termes : « Dans un bal magnifique, donné
par MIle Mars, je suis resté une partie de la nuit assis derrière
une dame qui n'est ni belle ni jolie, que je ne connais pas, et à
laquelle je n'ai point parlé. Devinez ce qui me retenait près d'elle?
C'était le parfum de votre plante indienne. N'avez-vous pas
éprouvé combien les parfums ont de puissance pour réveiller nos
souvenirs, et leur donner une force qui nous saisit, qui nous
arrête, et va presque jusqu'à la réalité? Les yeux fermés pour ne
pas perdre mon illusion, je suis resté là bien longtemps, et trop
longtemps, dircz-vous, puisque j'ai quitté le bal avec un violent
mai de tête : mais moi, je disais comme sur le lac : je souffre pour
elle1 ».
C. Delavigne savait du reste sortir de sa vie intérieure, et
composer, au sein du bonheur domestique, quelque drame bien
noir comme Une famille au temps de Luther. La pièce n'a pas
d'ailleurs grand succès. Le poète est obligé de relancer le baron
Taylor, qui ne se soucie pas de faire représenter bien souvent ce
drame lugubre et peu goûté : il lui écrit le 16 février 1838 :
« Depuis deux mois, vous ne m'avez pas donné deux fois. Je n'ai
point l'habitude de me plaindre, et je ne vous écris point pour le
faire. Je veux seulement vous prier de ne plus annoncer mes
ouvrages quand vous ne devez pas les représenter. Les annonces
trompent mes amis, et m'exposent à des embarras qui me sont
pénibles. Je profite de cette occasion pour vous remercier de la
nouvelle preuve d'obligeance que vous m'avez donnée, en refusant
l'offre que M11" Mars vous a faite de rentrer dimanche à l'Odéon
pour l École des Vieillards » Ces lettres au baron Taylor nous
montrent un auteur soigneux de ses intérêts, ce qui est tout
naturel, de sa réputation, ce qui est plus légitime encore, et ne
laissant pas le Théâtre-Français en prendre à son aise avec un des
poètes qui l'avaient le mieux servi.
La mise en scène de la Popularité traînant un peu, C. Delavigne
écrit, de la Madeleine, au baron Taylor, le 6 septembre 1838,
l'ultimatum suivant : « J'ai pris un engagement avec vous; voici
l'époque où je dois le tenir : je suis prêt. Vous avez dit à mon
frère queMUe Mars avait accepté avec reconnaissance, ce sont vos
expressions, un rôle dans la Popularité. Vous m'avez dit à moi
1. Mss. 1, 56.
258 RE VIE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
qu elle serait à Paris le 15 septembre ou le 20 au plus tard. Je sais
combien elle est fidèle à une parole donnée, et comme vous avez
dû exiger la sienne avant son départ, son retour ne peut être que
très prochain. Veuillez donc m'indiquer le jour où tous mes
acteurs sans exception seront réunis pour m'entendre. Si quelque
obstacle s'oppose à l'exécution pleine et entière d'un engagement
que j'ai dfi regarder comme sacré, il n'entrera jamais dans mon
intention de vous forcer à le tenir: je m'abstiendrai même comme
je le fais depuis longtemps de tout reproche envers vous. Je vous
prie seulement de m'écrire deux mots pour me rendre ma parole,
et je m'empresserai de vous rendre la vôtre. »
Cette raideur ne lui nuisit pas, puisque la Comédie-Française
joua successivement la Popularité, la Fille du Cid et le Conseiller
rapporteur, un vrai bijou celui-ci; c'est un petit chef-d'œuvre
dans le genre Scribe, avec la note bien personnelle de C. Delà-
vigne. Il y riposte, de la façon la plus galante du monde, à
M"e de Girardin qui, dans ses Lettres parisiennes, avait un peu
daubé sur la Popularité ' :
Crisfl*.
Il se nomme Corniquet? C'est un nom qui promet, si jamais il se
marie.
Labrasche.
Il n'a eu garde d'y manquer. 11 a épousé une femme auteur, ce qui
a fait rire.
Crispin
Je le crois bien. Le mari d'une femme auteur n'a pas besoin d'être
autre chose pour être ridicule.
C. Delavigne aurait eu de l'esprit méchant s'il l'avait voulu.
Mais il savait que c'est la façon la plus facile et la plus vulgaire
d'avoir de l'esprit. Il avait du reste, pour se protéger contre les
brocards, la meilleure cuirasse : le bonheur. Il n'était pas méchant,
parce qu'il était heureux, parce que l'amour illuminait toujours
sa vie. On trouve encore jusque dans ce vaudeville un reflet inat-
tendu du soleil d'Italie : ce n'est pas Dorante, parlant de Julie à
son secrétaire Labranche, c'est C. Delavigne, causant avec sa
femme, de Rome et de la villa Paolina, qui s'écrie : « La vois-tu
sur les ruines de Rome? Nous vois-tu tous deux?... Quel voyage!
Ce beau ciel, le Tibre et le Capitole, quel spectacle inspirateur
pour le génie ! »
Si le poète n'a pas été gêné par l'impersonnalité du genre dra-
1. Lettres parisienne*, lettre 111, du 7 décembre 1838, p. 249-250.
le; roman de Casimir delavigne. 259
matique pour mettre en œuvre ses sentiments propres, on devine
combien, plus largement encore, il a puisé dans son trésor de
souvenirs personnels pour les quelques pièces lyriques qu'il com-
posa vers sa fin. Les stances à la Madeleine ont une grâce, une
pureté incomparables : le regret de quitter la villa qu'il aimait et
où il avait aimé, qu'il vendait pour suivre plus régulièrement
l'éducation de son unique enfant, nous a valu des vers délicieux,
qui seraient son chef-d'œuvre s'il n'avait pas écrit, pour son poème
un Miracle, ce chant des Limbes qui contient ce qu'il y a eu de
meilleur dans le talent et dans le cœur du poète, revus et corrigés
par l'amour. L'ancien voltairien, le chansonnier du vendredi-
saint, avait compris, grâce à sa femme, tout ce qu'il y a de
poétique dans certaines croyances du catholicisme : le père du
petit Albert avait mis aussi un peu de sa tendresse paternelle
dans ces stances :
Comme un vain rêve du matin,
Un parfum vague, un bruit lointain,
C'est je ne sais quoi d'incertain
Que cet empire;
Lieux qu'à peine vient éclairer
Un jour qui, sans rien colorer,
A chaque instant près d'expirer,
Jamais n'expire.
Partout cette demi-clarté
Dont la morne tranquillité '
Suit un crépuscule d'été,
Ou de l'aurore
Fait pressentir que le retour
Va poindre au céleste séjour,
Quand la nuit n'est plus, quand le jour
N'est pas encore!
L'air n'entrouvre sous sa tiédeur
Que (leurs qui, presque sans odeur,
Comme les lis ont la candeur
De l'innocence;
Sur leur sein pâle et sans reflets
Languissent des oiseaux muets :
Dans le ciel, l'onde et les forêts,
Tout est silence.
Loin de Dieu, là, sont renfermés
Les milliers d'êtres tant aimés,
260 REVUE d'hISTOIKE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Qu'eif ces bosquets inanimés
La tombe envoie;
Le calme d'un vague loisir,
Sans regret comme sans désir,
Sans peine comme sans plaisir,
C'est là leur joie.
Là, ni veille ni lendemain!
Ils n'ont sur un bonheur prochain,
Sur celui qu'on rappelle en vain,
Rien à se dire :
Leurs sanglots ne troublent jamais
De l'air l'inaltérable paix ;
Mais aussi leur rire jamais
N'est qu'un sourire.
Sur leurs doux traits que de pâleur!
Adieu cette fraîche couleur
Qui de baiser leur joue en fleur
Donnait l'envie!
De leurs yeux qui charment d'abord,
Mais dont aucun éclair ne sort,
Le morne éclat n'est pas la mort,
N'est pas la vie.
Rien de bruyant, rien d'agité
Dans leur triste félicité !
Ils se couronnent sans gaité
De fleurs nouvelles.
Us se parlent, mais c'est tout bas ;
Us marchent, mais c'est pas à pas;
Us volent, maison n'entend pas
Battre leurs ailes...
Corrigeant, comme Lamartine, à force de sensibilité et de ten-
dresse, ce qu'il y a d'impitoyable dans les dogmes catholiques, il
envoie, dans le chant III de ce poème, Jésus-Christ ouvrir la porto
des limbes, et donner à ces pauvres petites âmes la volée vers le
Paradis. Si, comme on a dit d'Arvers qu'il était « l'auteur du
sonnet d'Arvers », et de M. Sully-Prudhomme qu'il est « l'auteur
du Vase brisé », on ne dit pas de C. Delavigme qu'il est « l'auteur
des Limbes », c'est que son répertoire lyrique et surtout son
bagage dramatique sont assez riches pour qu'on n'ait que l'em-
barras du choix : il est tout simplement l'auteur d'une œuvre
considérable, trop longtemps et trop injustement dédaignée, œuvre
dont j'ai essayé d'expliquer la genèse au cours de cette étude.
LE ROMAN DE CASIMIR DELAVIGNE. 261
VI
Ce genre de critique appartient à la biographie littéraire, genre
que je crois légitime et bon, avec Lamartine, lorsqu'il écrit à M. de
Genoude : « Quoi que les sots, qui ne savent lire que ce qui est
écrit en puissent dire, j'ai toujours pensé qu'un grand écrivain
valait encore mieux que son plus beau livre ». C. Delavigne, en
effet, vaut encore mieux que son œuvre. Il aurait tout à gagner à
ce que des chercheurs d'inédit publiassent sa correspondance,
aujourd'hui disséminée. Sa mémoire n'y perdrait rien. Il y gagne-
rait peut-être un renouveau de cette popularité qui ne l'abandonna
pas, même à sa mort. Quand le cortège funèbre quitta la maison
de la rue Bergère, des jeunes gens demandèrent à traîner eux-
mêmes le char2, fidèles jusqu'au bout à l'homme qui avait été si
longtemps le poète de la jeunesse, en même temps qu'il était le
préféré de la critique classique. Dans les polémiques qui suivent
son manifeste contre la littérature facile, c'est surtout de G. Dela-
vigne que s'autorise Nisard pour attaquer Hugo3; si bien que,
quoi qu'en aient dit le même Nisard et M. Biré *, c'est à se
demander si Hugo ne songeait pas à Delavigne plutôt qu'à Dumas,
quand il instituait, dans son morceau oratoire sur Mirabeau, une
comparaison entre l'homme de génie, c'est-à-dire Hugo, et
l'homme de talent dont la médiocrité se sert pour attaquer
l'homme de génie. Cela expliquerait peut-être les fureurs des
sous-romantiques contre C. Delavigne8, et les tristesses qui pre-
naient quelquefois le poète, quand il voyait combien on lui faisait
payer cher cette réputation que ses partisans appelaient de la
gloire, et que lui-même n'osait pas caractériser ainsi6. L'éclatante
lumière de V. Hugo a longtemps offusqué C. Delavigne, comme
tant d'autres du reste, et pourtant il n'en reste pas moins vrai que,
l'immense supériorité poétique de V. Hugo étant pleinement
avérée, il faut reconnaître ceci à la louange de C. Delavigne : il
n'a rien dû à V. Hugo, ni une image, ni une forme de vers, ni une
situation, ni une pièce; ce qu'on a voulu appeler chez lui imitation
du romantisme n'est que la libre évolution de son talent; comme
valeur dramatique, ses pièces en vers, tout bien balancé, forme
i. Correspondance , II, 48.
2. Le Goffic, p. 25.
3. Revue de Paris, 1834, II, 19.
4. Revue de Paris, 1834, II, 11; Victor-Hugo après 1S30, I, 117-118.
5. Mary Lafon, p. 24.
6. Mary Lafon, p. 22-23.
262 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
et fond, viennent immédiatement après celles de V. Hugo, le
répertoire de C. Delavigne étant nettement supérieur aux pièces
en vers de Dumas et de Vigny, surtout pour les œuvres qui sui-
vent le voyage d'Italie.
Malheureusement pour lui, il a été attaqué avec cette arme
empoisonnée qu'on nomme le ridicule, et qui en France, malgré
le dicton, ne tue que les bonnes choses et que les braves gens.
Combien s'imaginent avoir jugé définitivement C. Delavigne,
quand ils ont répété, avec un sourire qu'ils croient spirituel, ces
vers de Desnoyers qui sont méchants et bêles :
Habitants du Havre. Havrais,
J'arrive de Paris exprès
Pour démolir la statue
De Delavigne (Casimir) ;
Il est des morts qu'il faut qu'on tue, etc.
Pour moi, j'opposerai à cette calomnie rimée, et je présenterai
aux lecteurs, comme conclusion de cette étude, comme jugement
équitable sur la valeur de C Delavigne, cette adaptation du sonnet
de Sainte-Beuve à Ronsard :
A toi, poète, à toi qu'un sort injurieux
Depuis cinquante ans livre aux mépris de l'histoire,
J'élève de mes mains l'autel expiatoire
Qui te purifiera d'un arrêt odieux.
Non que j'espère encore, au trône radieux
D'où jadis tu régnais, replacer ta mémoire ;
Tu ne peux de si bas remonter à la gloire ;
Vulcain impunément ne tomba point des cieux.
Mais qu'un peu de pitié console enfin tes mânes;
Que, déchiré longtemps par des rires profanes,
Ton nom, d'abord fameux, recouvre un peu d'honneur!
Qu'on dise : il osa trop, mais l'audace était belle;
Il lassa, puis sut vaincre, une langue rebelle,
Et de moins grands, depuis, eurent plus de bonheur.
Maurice Souriai:.
LA COMÉDIE FRANÇAISE DE LA RENAISSANCE. 263
LA COMÉDIE FRANÇAISE DE LA RENAISSANCE
{Suite et fin t.)
Les Corrivaux se composent de deux éléments principaux : le
valet qui remplace, son maître à l'aide d'un déguisement et le
jeune homme qui, étant surpris entre les bras de celle qu'il aime,
remédie à sa faute par un mariage.
Ce sont là deux sujets dont nous avons déjà vu bien des
exemples. Un valet se moque d'un mari, par un procédé sem-
blable, dans le Viluppo du Parabosco, et les amoureux, à l'aide
d'un déguisement, se remplacent mutuellement en plusieurs comé-
dies françaises du xvie siècle.
L'auteur a dû puiser, selon toute probabilité, son inspiration
soit à la pièce de Godard, soit à la comédie italienne, soit encore
aux Plaisanteries de Poggio, aux Cent Nouvelles nouvelles, à
YHeptaméron, au Grand Parangon, etc. *. Il n'y a que l'embarras
du choix. On peut répéter la même chose, pour le mariage forcé
du jeune homme3 qui rappelle le sujet de maintes nouvelles.
Le prologue, où le prologueur est exposé aux tours d'un
personnage appelé le Caché, qui se moque de lui en l'appelant
€ capitaine l'Oison », n'est pas sans offrir une certaine ressem-
blance avec celui d'une pièce française du siècle précédent, la
Fidélité nuptiale*.
Ici le prologueur est de même en butte aux railleries d'un
inconnu masqué et caché, et nous avons déjà eu l'occasion de
remarquer la variété de certains prologues du théâtre d'Italie.
Les personnages de cette pièce de Trotterel ressentent, en
partie au moins, l'influence de la comédie de Varie. Bragard,
armé d'un « coutelas de bois » (I, 1), n'est qu'un zanni trans-
planté sur la scène française, avec quelques traits de l'ancien
parasite et du fanfaron.
1. Voyez Revue d'histoire littéraire de la France, 1897, p. 336; 1898, p. 220 et 554;
1899, p. 571.
2. Voyez le fabliau - le Meunier d'Arleux » ; Cfr. Montaiglon, t. II, p. 31 sqq.),
Sacchetti (nouv. 206), Poggio, Facezie (xxvi, xli), Mambriano (nouv. II), Cent Noue,
nouv. (ix), Heptaméron (ix), Grand Parangon (xxxv), etc.
3. Voyez les exemples offerts par la Lucelle et les Déguisés et les pièces italiennes
auxquelles elles ressemblent.
4. Voyez le chap. précédent.
264 REVUE d'hISTOIKE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Morbleu! que je me sens estrangement hardyî
Comme le cœur m'en dit! Corbleu! que je suis brave!
Que je donnerois bien ores dans une cave,
Pleine de fort bon vin... (té.)
Il appartient à la lignée d'Arlequin, et comme celui-ci, dans
son contact continuel avec le capitaine, il a fini par en contracter
quelque peu le caractère héroïque. Il s'arme, menace, fait le brave,
mais au moindre embarras il se sauve avec une vitesse que seule-
ment son maître sait égaler. En effet, Gaullard n'a pas le pareil
pour menacer l'ennemi absent, quitte à céder le camp au moindre
bruit.
Lorsque le maître et le valet veulent surprendre Brillant, ils
s'encouragent réciproquement :
Gaullard. — Sus! courage!
Bragard . — Prenons-le sur le faict
Va, marche le premier, et iîerement luy donne
Un si grand horion que son cœur s'en étonne.
Bragard. — L'honneur vous appartient de marcher tout devant
Allez, je vous iray bien hardiment suivant. (I, 3.)
C'est de la môme manière, que Prouventard, dans les Desguisez,
voudrait se faire précéder à l'assaut, par son laquais :
Prouventard. — Marche.
Vadupiè. — Marchés, mon maître
Je ne suis que le serviteur ;
Allés le premier par honneur.
Bragard aime la bonne table, hume, avec une satisfaction
infinie, les parfums de la cuisine (III, 1), et il peut, comme Potiron,
s'écrier que c'est là son « lit d'honneur ».
Clorette continue la tradition de la femme -éhontée et facile,
telle que la nouvelle et la comédie du xvic siècle l'avait reçue du
moyen âge et de l'ancienne nouvelle. Au lieu de la femme mariée
de Y Eugène et de la Trésorière, nous avons ici une jeune fille, mais
la physionomie en est toujours la même, bien que le dénouement
final la mette au nombre, sous un certain rapport, des filles de la
comédie italienne et de la française de la période précédente.
La pièce de Trotterel a la marche libre et l'esprit railleur d'une
nouvelle de Boccace. L'auteur ne se soucie nullement de la vrai-
semblance des situations qu'il crée coup sur coup et qui se suivent
de près sans le moindre ordre logique.
LA COMÉDIE FRANÇAISE DE LA RENAISSANCE. 265
Il arrive, par exemple, qu'Almérin, à peine a-t-il conçu l'idée
de jouer un tour à Clorette, rencontre tout de suite son maître,
trouve le narcotique, le lui donne, entre dans la maison de la
jeune fille, y dort et en sort, tout cela dans une scène (II, 4).
Ailleurs (III, 1), Bragard et Gaillard arrêtent de se venger de
Brillant et de boire pour s'encourager à l'assaut. Les voilà
buvant et mangeant tant que le vin produit son effet. Alors ils
chantent, s'endorment, se réveillent, s'arment et tombent par
terre, et la dernière scène n'est pas moins d'une rapidité invrai-
semblable.
Les types des Corrivaux n'ont aucun développement et ils restent
à l'état de simples ébauches représentées à peu de traits, et entiè-
rement soumises à l'action.
Le mérite de l'auteur consiste surtout dans la facilité du style,
la vivacité de sa pensée, la variété des scènes, mais on doit
constater aussi que sa pièce, loin de marquer un progrès, se
rapproche de beaucoup des débuts du xvi* siècle.
L'autre comédie due à sa plume, Gillette, a des défauts encore
plus sensibles et parait tout à fait contemporaine des essais de
Jodelle et de Gré vin.
Les personnages sont réduits à un nombre très limité, et deux
d'entre eux, le Gentilhomme et la Damoiselle n'ont pas même de
nom, rentrant par là dans la personnification des sotties*. La
comédie est divisée en cinq actes, dont chacun se compose de deux
scènes, mais celles-ci sont en effet plus nombreuses, car l'auteur
oublie, comme dans la pièce précédente, d'indiquer par des scènes
l'entrée ou la sortie de ses personnages. Le vers des Corrivaux est
remplacé par celui de huit syllabes.
La dédicace adressée « à monsieur son intime » porte la date
du 12 août 1619, et Trotterel y déclare qu'il a composé sa comédie
sur une historiette qu'on lui a rapportée, « entre autres bons
comptes du tems »,et il l'expose sans lui donner d'autre impor-
tance que celle que mérite une facétie. Ce n'est pas là pourtant
l'avis d'un certain D. D. P. V. qui fait précéder la pièce de quatre
quatrains à la louange de l'auteur.
Au commencement de l'action, le gentilhomme se plaint du
poids de la « nopeière loy » :
1. Entre-parleurs :
Le Gentilhomme, amoureux de Gillette sa servante.
Gillette, servante.
Mathurin, grand laquais du gentilhomme, aussi amoureux de Gillette.
La Damoiselle, maistressc de Gillette et femme du gentilhomme.
Maistre Jossb, prestre vicaire.
Re*. d'hist. utter. de la France (!• Ann.). — VU. 18
266 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Certes l'adage est véritable
Qui dit que dessus une table
Un mets trop souvent présenté
Rend nostre estomach degousté
La damoiselle vieillit et le marie s'écrie :
...Pour me rafraischir
Il me faut les bornes franchir. »
11 jette pourtant son dévolu sur Gillette, qu'il croit « belle
monture ».
Le gentilhomme ne se met pas en frais d'imagination pour
obtenir les faveurs de sa servante. En suivant le procédé très
simple de ses pareils, il l'appelle, et lui dit, sans trop de façon :
...sans faire. la hautaine
Prends pitié de ma dure peine...
Gillette je te fay promesse
De te faire du bien sans cesse,
, Et pour encor plus t'émouvoir
Je te promets de te pourvoir
En te mariant à ton aise :
Or sus vien ça que je te baise
Et que je touche ton teton.
Gillette fait la sourde oreille, mais le gentilhomme sait bien à
quels arguments il faut avoir recours, et il lui offre, sans laisser
paraître une générosité excessive, tout d'abord un ducat et après
deux pistoles. La jeune fille parle de son honneur, mais on devine
facilement que ce n'est pas là une raison trop solide pour elle. Le
dialogue est interrompu par l'arrivée de la damoiselle; le gen-
tilhomme quitte la scène et il s'ensuit, entre les deux femmes, un
dialogue, qui nous permet de pénétrer dans l'intérieur du ménage
d'un gentilhomme de cette époque.
La damoiselle n'est pas mal satisfaite du zèle et de l'activité de
Gillette et cause avec elle du poids du beurre et se réjouit de ce
que les vaches donnent beaucoup de lait :
...les autres mois
Elles n'avoient tant de laictage,
Mais c'estoit faute de fourrage.
Elle demande ensuite à sa servante le menu du dîner, qui est
d'une simplicité extraordinaire :
LA COMÉDIE FRANÇAISE DE LA RENAISSANCE. 267
...de bons choux à pomme,
Avec du bœuf qui s'y consomme,
Et du lard et du mouton gras.
La pauvre femme est si loin de soupçonner l'infidélité de son
mari!
Au deuxième acte, on voit paraître Mathurin, un paysan de la
souche de Guillaume, mais qui est pourtant assez entreprenant
pour embrasser tout de suite Gillette, qui lui a touché le cœur
et qu'il espère pouvoir épouser. Gillette, dans l'accolade, perd sa
coiffe, mais elle ne repousse pas tout à fait le jeune lourdaut;
elle comprend bien qu'à bout des comptes un mari n'est pas à
dédaigner.
Le gentilhomme continue ses poursuites et Gillette, loin de s'en
plaindre, admire avec une certaine coquetterie, la passion qu'elle
lui a su inspirer :
Voy comme il se met sur la montre,
Et comme il est par tout poliy
Le tout pour me sembler joly.
Elle feint pourtant de se défendre en prétextant les sermons de
son curé, mais le gentilhomme s'en rit et ne paraît pas trop se fier
à la vertu des gens d'église :
...Hà, hà, vrayment
11 presche ore ce document
Cassé de la grande faiblesse
Qui l'accompagne en sa vieillesse,
Mais durant ses beaux jeunes ans,
Il se donnoit bien du bon temps,
Ne faisant nulle conscience
De vivre en sainte continence.
Cette dispute donne occasion au gentilhomme de se déclarer
calviniste :
Bien que rna foy prenne origine
De la fine presche Calvine,
et c'était là probablement la religion de l'auteur. Enlin le gen-
tilhomme promet à Gillette de garder le silence le plus absolu et
que son amour n'aura pas de suites à craindre.
Que cela ne te face peur
Je scay prévenir ce malheur (d'engrosser)
Par une certaine science
Dont j'ay parfaite expérience.
208
I» IIISTûlIlt: LITTERAIRE DE LA FIU!IC£.
Cette promesse, tirée de la Trésorière^ finît par remporter sur la
faihle vertu de Gillette*
Au troisième acte Mat burin se rend, malheureusement trop
lai fi, cli* '/. le curé, « maîstre Josse», afin d'invoquer son aide contre
les poursuites du gentilhomme.
Le prêtre promet de sermonner la jeune fille, mais celle-ci
paraît sur la scène afin de renseigner le public sur ce qui s'est
pa&aé entre elle et son maître et qui rend parfaitement inutile
l'intervention de Josse.
Celui-ci pourtant se présente à Gillette dans Pacte suivant, mais
la belle répond avec tant d'humilité, et affecte un air si innocent»
que le bonhomme en reste édifié et peut assurer à Matburin qu'il
aura là une épouse digne en tout et partout de son amour, Ce
n'est pas là cependant l'avis de la damoiselle, qui, ayant 8e
l'intrigue, intervient tout à coup, un bâton à la main, dont elle
frappe sa rivale et Matburin accouru à ses cris,
Au cinquième acte, on a le dénoùment auquel on s'attendait
depuis longtemps; le valet épouse Gillette, et le gentilhomme n*a
pas l'air de s'en fâcher*
Tout dans celle pièce est issu, comme nous venons de ie dire du
souvenir des premiers essais de la Renaissance : Gillette n'est
qu'Agnès avant le mariage et la Damoiselle est la femme jalouse
de la vieille littérature du moyen Age.
On peut remarquer seulement quelque progrès dans le dévelop-
pement de Faction et ce qu'un demi-siècle a fait faire au style
comique, Que Ton ajoute que le dialogue entre le curé et la jeune
fille ne manque pas de verve. Le regrès chez Trolterel est donc
évident.
En 1616, c'est-à-dire entre les deux pièces précédentes, Adrien
de Montluc, prince de Chabanaîs et comte de Carmain (1367-1 641),
auteur des Jeuxde C inconnu et d'autres compositions badines, com-
posa sa Comédie des pfûverbei, qui ne parut cependant qu'en 1633.
La Comédie (tel Proverbes appartient au genre des bizarreries
comiques, au même titre du GaUmattOi (1639), tragi-comédie de
Dorofcicrs Bcaillieu, et de la C&médiedeè chansons (1G40)\
C*est un tour de force où l'auteur se donne la peine de citer à
1. Le Galimatias se composa 4e Vftfl incohérents qui ont un sens très vague et
qui forment fort souvent une absurdité harmonique, comme les poésirs ilotiiennes
du Burchiellt), auquel l'auteur t»ijuri&ii bien s'inspirer.
Pour la Comédie des ohanrtm, qui rappelle jwur *n forme la - Farce de Cal bain *
du temps de Louis XII et quelque peu le - Jeu de Robin et de Marion * de m
que ta hroi défi * DeiH savetiers », eïc, voyez Julien Ttersot: Histoire de Laehantùn
pop, tn faute* [Parla, i sku, ebap* IV, p. soi-.
Pour la Comédie des prot* rÀe*, Je suis Téd* Jannel.
LA COMÉ 01 E KRANÇ.AISE l»K LA RENAISSANCE. 260
peu près deux mille proverbes, qui ne tombent pas toujours fort à
propos, maïs qui ont cependant le mérite de nous faire connaître
une des richesses de la langue à celle époque. L'action n'est donc
qu'un prétexte à l'application de ces proverbes.
La pièce est diviser GO trois actes et précédée par un prologue,
ri rVsl là la première fois où nous rencontrons une comédie
avec celle division qui est propre aux scerutri du Scala el dont on
aura bien lut plusieurs exemples. Montluc emploie la prose pour
appliquer ses proverbes avec plus de facilité et le sujet qu'il déve-
loppe est un mélange de la comédie érudite et de celle de l'arte,
voici en peu de mots, Lidias aime la fille du docteur Thésaurus
(Flurinde), dont celui-ci a déjà dispose, en la fiauçanl malgré elle
au capitaine Fierabras, Le jeune homme, conseillé et aidé par son
serviteur Adaigne el par Philippin, valet du docteur, enlève
Florin de et se sauve avec elle,
Thésaurus cl Fierabras sont au désespoir et méditent une ven-
iuee éclatante. Les fuyards, suivis des deux valets, se retrouvent
au milieu des champs et, vaincus par la fatigue, ils s'endorment.
Des bohémiens, qui voient leurs habits, s*en emparent, croyant
par là se soustraire aux poursuites de la justice, de sorle que les
quatre malheureux, en se réveillant, sont obligés, faute de mieux,
de s'aiïubler du costume de leurs voleurs. Ce déguisement forcé
en bohémiens n'est pas sans leur réussir jusqu'à un certain point
agréable, car ils pensent que par là ils pourront se présenter au
Docteur et en lui disant le sort le contraindre de consentir à leur
mariage,
Aussitôt dit, aussitôt fait, Le Docteur Thésaurus, de même que
la femme, accueillent les faux bohémiens avec empressement, et le
Docteur les appelle « les beaux Taharins », allusion évidente à
ce personnage comique de l'Italie. Les bohémiens leur persuadent
d'accueillir les fuyards avec bonté, et le capitaine mord lui aussi à
l'appât , en se prenant d'amour pour la bohémienne à laquelle il
trouve une ressemblance extraordinaire avec Florinde. Les bohé-
miens lui disent le sort, en se moquant joyeusement de ses fanfa-
ronnades. « Vous ne meniez jamais si vous ne parlez. Vous estes
aussi prudent que valeureux : quand vous avez rsté battu, vous
n'en dites mot à personne- Vous faites des miracles en vos com-
bats; ceux que vous avez luez se portent bien... » (III, 2.)
Ce portrait Halle extrêmement la vanité de Fierabras. Bref, toute
chose irait à souhait si la justice ne s'en mêlait. Le prévôt prend
les fuyards pour les véritables bohémiens qu'il doit arrêter, mais
Lidias se découvre au prévôt comme son frère, et celui-ci, loin de
210 BEVUE D HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE.
les emprisonner, les aide dans leur entreprise. Le Docteur, enfin,
consent au mariage, d'autant plus que Florînde lui fait accroire
qu'elle ne s'est pas enfuie avec son amoureux, mais qu'elle a été
sauvée par celui-ci, au moment où des bandits voulaient lui faire
un mauvais parti. Fierabras voudrait s'opposer, mais ses menaces
n'en imposent à personne et il se console par la pensée «les futurs
exploits, qui rendront son nom célèbre dans les siècles à venir.
On voit que malgré ses proverbes et sa division en trois actes,
la comédie de Montluc reconnaît, en partie, l'influence qui présida
à la formation du théâtre précédent. Cette même division en trois
actes nous rappelle celle des scenari du Scala, où l'on voit aussi
fort souvent des bohémiens, ou vrais ou supposés, disant le sort et
se moquant de tout le monde. Flaminia, par exemple, se déguise
en bohémienne dans les Tappeti Alessandrini: des zingari jouent
un rôle important dans le Capitano et la comédie érudite avait vu
déjà paraître la Cingana du Giancarli (4545).
Dans les Tappeti Alessandrini du Scala il y a le même détail du
capitaine qui fait jouer, sous les fenêtres de la jolie bohémienne,
une sérénade interrompue par l'arrivée du prévôt et de son escorte,
et une pareille aventure d'une sérénade brusquement interrompue
forme une des scènes enjouées du Fido amico (Scala).
D'ailleurs les éléments italiens paraissent dans le docteur The-
saurus, défiant la sagesse et la science de Socrate, de Platon,
d'Aristote et de Cicéron, « magister magistrorum, doctor doctorum,
praceptor praceptorum ».
Malgré son latin, le pauvre docteur est tellement sot, qu'on lui
ferait accroire que « les nuées sont des poésies d'airain » et il est
d'autant plus la dupe de tout le monde, qu'il se croit très (in et
très rusé. A côté du docteur Thésaurus, on voit paraître une autre
de nos anciennes connaissances, ce capitaine Fierabras, dont le
nom rappelle un héros de l'épopée ancienne.
Malgré ses rodomontades hyperboliques et la richesse dont il
mène grand bruit, il est « plus poltron qu'une poule », et sa misère
Ta forcé de « vendre son cheval pour avoir de l'avoine ». Il s'appelle
« général des régimens de Tartarie, Moscovie et autres » et de
temps en temps il dit quelques petits mots espagnols. La servante
Alizon, dans des à-part fréquents, prend soin de prier le public
de n'ajouter jamais foi à ses vantardises, en jouant ainsi un rôle
réservé jadis au parasite ou au valet.
Il va sans dire que le capitaine n'est terrible qu'avec les ennemis
absents, et à l'approche des archers, il conclut sa sérénade par les
vers suivants :
LA COMÉDIE FRANÇAISE DE LA RENAISSANCE. 271
L'ignorance fait les hardis
Et la considération les craintifs.
Bien courir n'est pas un vice :
On court pour gagner le prix : »
C'est un honneste exercice
Un bon coureur n'est jamais pris. (III, 3, 4.)
D'ailleurs, l'importance de la pièce n'est ni dans le sujet, ni dans
les personnages, c'est dans ce tour de force, dont nous venons
de parler et qui consiste à placer à tout moment ces proverbes,
qui n'ont pas toujours un air naturel et dégagé.
Avec les proverbes, notre auteur emploie une phraséologie très
riche, puisée à la langue vive et populaire, ce qui est d'autant plus
remarquable chez un écrivain, appartenant à la société la plus
choisie. Chaque personnage parle le langage qui est propre à son
rang, de sorte que les valets ne se distinguent que trop par des bou-
tades, des phrases et même des actes on ne pourrait plus plats. (II, 3.)
Tel étant le caractère de cette comédie, on ne doit pas trop
s'étonner si ses personnages se livrent souvent à de véritables
exercices linguistiques.
En voici un exemple :
« Philippin. Vous n'avez qu'à commander, je me mettrois en
quatre et ferois de la fausse monnoye pour vous : je prendrois la
lune avec les dents; je ferois' de nécessité vertu, pour vostre ser-
vice..., etc » et à Alaigne qui veut se moquer de lui : « Tu es un
frelempier, c'est bien à toi que j'en voudrois rendre compte! Je
crois que tu as fait ton cours à Asnière... Tu es un sçavant prestre,
lu as mangé ton bréviaire. Aga, tu n'es qu'un sot, tu seras marié
au village. Il n'y a que trois jours que tu es sorty de l'hospital, et
tu veux faire des comparaisons avec les gueux. Si tu estois aussi
mordant que tu es reprenant, il n'y auroit crotte dans ces champs
que tu n'allasses fleurant... » (I, 7.)
On devine facilement que tout ces proverbes et cette phraséo-
logie, appliqués à tout propos et dans toutes les variantes possibles,
gênent fort souvent la clarté de la pensée et nous font retomber
dans une sorte de galimatias.
Il arrive aussi que les personnages, se préoccupant surtout de
déployer les richesses de la langue, se soucient le moins du monde
de l'action en elle-même. Aussi parlent-ils fort souvent à tort et
à travers, et au moment où il leur faudrait se hâter pour empêcher
quelque malheur ou lorsque la passion les entraine, on les voit sur
la scène, les mains baillantes, comme les chœurs des opéras,
répéter à l'envi leurs proverbes.
«--2 IU.VUE !> IIISTQIBE LlTîfiBÀIRS m: LA FRANCK.
On apprend à Ifaeée que sa fille a été enlevée, et celle-ci «le
sfécrler :
« Il n'y a plus que le nid, les oiseaux se son! envolez! nous
sommes réduits au bissac; nous sommes volez et minez de fond en
comble.,. Marchand qui pari ne petit rire; qui perd son bien perd
son sang; qui perd sou bien <-t son sang perd doublement... Chat
éch&udé cniiut Teau froide. Ce n'est pas tout il*- presefaer* il Faut
faire la queste : vous ne vous remue/ non [«lus qu'une épousée
qu'on atourne, ny qu'une poule qui couve.
Thésaurus, lui aussi, perd son temps a enfiler des sentences
latines et Françaises tandis qu'on amène sa fille, « Patientià tnneit
omnia* Taris la grande vîlle ne fui pas faite en un jour (I, IL) » et
pour compléter ce tableau des incohérences, nom rappelons que
les deux fuyards, au lieu de continuer leur route, s'amusent à
écouter les débats et les jeux de mots de leurs \ralets. (It 7.)
Mmitluc se plaît parfois à certaines bizarreries, comme la sui-
vante ; « lléi frère Dominicle, viens voir la musique auprès de
nostre bouticle *>, et aux citations latines, espagnole* et italiennes.
Ces dernières laissent beaucoup à désirer bous tous les rapports'.
Ce n'est donc pas avec Sfontllic que la comédie pourra faire
progrès que Trotterel n'a su nous monlrer; il paraît que les écri-
vains du nouveau siècle, entourés par une foule de genres divers
qui s'offrent au théâtre, ne sache ni à quoi se tenir, Trotterel
revient aux débuts «lu xvr aièele; Montluc emploie son esprit, qui
ne manque pas pourtant d'une certaine supériorité, dans les extra-
vagances d'un art d'académie.
h ii Heurs, l'auteur lui-même ne donnait pas trop d'importance
a son caprice liltéraire de grand seigneur, pour qui les lettres ne
forment qu'un amusement passager :
« Philippin. Finis coronat opits, comme dit le docteur: la fin cou-
ronne les taupes. Tirez le rideau, la farce est jouée. Si vous ne la
trouvez bonne, faites-y une sausse, ou la faites rostir ou bouillir
et traîsner par les cendres; et si n'estes conlens, couchez-vous
auprès : les valets de la feste vous remercissenl. Bonsoir t mon
père et ma mère el la compagnie. «
llu voit que ce n'est pas le Prince qui daigne remercier son
I. - Qui va plane va gène, et qui va sane va ton unie, qui va lonlane va bene ».
(Ij Si) Qui ben eala non »i move. (Prol.)
Il aurait fallu dire ; - Chi va piano va sano, chi va sano va tonlano, e chi va
iOnUttO va bene r, bien qu'on iJise communément: • Cbi va piano va «arm e va
lonlono •. L'autre proverbe italien que nous avons déjà lu dans les Nèapoliiaine*
s'écrit ; • Chi ben sla, non H muovt -, ou mieux encore: * Chi sta bene, non si
miiove *.
LA c;o>li-;|»|l FRANÇAISE DE 1,A itl-
2~3
auditoire. Il eu laisse le soin aux valets, qui s'y prennent d'une
m a n i è r e fa v l i r r é v é r e n c i e u s e ,
Il faudrait placer ici deux comédies que les frères Parfait1 noua
indiquent aux diiles de 1618 et de 1620 dans leur Histoire du
théâtre. On ne possède malheureusement de la première que le
titre l'Amour médecin, avec la notice qu'elle fut composer par
Pierre de Sainte-Marthe. <i Nous ne connaissons — disent les
auteurs de V Histoire *ht Théâtre — que le titre de cette pièce indi-
quée par quelques catalogues; peut-être les auteurs n'en savaient -
ils |ias davantage. »
Le litre a bien l'air d'annoncer une véritable comédie d'un tour
peut-être plaisant, mais à cela se borne toute hypothèse possible.
L'autre pièce porte pour titre : les Rtimotieurs, et le catalogue
Dtivul y attribue la date de 1621. (5 actes, prose, troupe royale,
1621.) Je remarque, en passant, que le même catalogue et
d'antres encore attribuent à Breton, sieur de Lad m, une comédie,
de même eu cinq actes et en prose, qui aurait été jouée au
théâtre de l'hôtel de Bourgogne en 1554, sous le titre U Ramoneur y
et qu'on ne possède plus.
Y aurai Ut -il quelque rapport entre te Ramoneur et les Ramo-
H0ttra*î
Je rapporte ici ce que les frères Pariait nous disent de cette
pièce et qui suffît pour s'en former une idée générale.
te Les Ramoneur^ comédie en cinq actes et en prose» par un
auteur anonyme... Cette pièce n* existe que manuscrite, l'Auteur
en est inconnu, et Ton ne peut sçavoir que par conjecture le temps
où elle a pu être représentée. » Une note qui se trouve à la tête,
nous assure k qu'elle parait avoir été jouée vers 1G29, attendu
qu'il y est parlé de Coeflier, traiteur, qui était de ce temps» et
qu'on y parle aussi des Justes d'or, qui est le nom des pièces sous
Louis XIII. »
Nous croyons cependant qu'elle a paru dès 1620 et voici sur
quoi nous nous fondons.
Le docteur demande à un homme de province s'il ira voir les
beautés de Paris : " L'équité veut, ajoute-t-il, que vos curio-
sités donnent la préférence à ce sacré temple du Palais, où
Thémts rend ses oracles, et dont la dernière conflagration n'a fait
qu'embellir les superbes édifices. » La grande salle du Palais
fut consumée par un incendie, en 1618. II y a toute apparence
que fauteur pouvait faire parler de la sorte ses personnages
!. Frères Parfait, ouv, cité, M. Mercier, IH7, I. IV, pag. 285 et 335 sqq.
2. Les Ramoneurs sont indiqués aussi par te catalogue Soleinne comme un mss.
274 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
en 1620, époque où cet édifice venait d'être réparé tout nouvel-
lement.
Au reste, le sujet de la comédie est assez plaisant; mais aux
<lépens des bonnes mœurs, on y introduit sans façon des femmes
de mauvaise vie et des libertins de toute sorte.
Un jeune homme, amoureux de la sœur d'un capitaine qui
tient cette fille enfermée, sans permettre à personne l'entrée de
sa maison, ne peut pénétrer dans la chambre de sa maîtresse
qu'en passant par la cheminée, déguisé en ramoneur, et accom-
pagné de son valet. Il se fait connaître à sa belle, qui consent
à se laisser enlever et à prendre un pareil habillement. Enfin
tout se raccommode : on emploie les menaces et les discours
pour forcer le capitaine à accepter le jeune homme pour beau-
frère.
Le capitaine se console de cette aventure en épousant une fille
publique, que son père vient chercher à Paris, dans l'intention
de la faire enfermer : mais il change de dessein en faveur de ce
mariage.
Nous le répétons encore, cette pièce est très passable pour le
temps; on y trouve même d'assez bonnes plaisanteries. De Villiers
s'est servi de ce sujet pour en composer une comédie d'un acte,
sous le même titre, et où il n'a pas oublié certaines grossièretés
qui se trouvent en plus grand nombre dans celle-ci. Le capitan,
la courtisane, le docteur, le jeune homme qui s'introduit secrète-
ment chez celle qu'il aime, la licence du langage, le valet qui suit
et aide son maître dans ses entreprises, voilà des éléments pas du
tout douteux et qui nous assurent, sur la simple trace donnée par
les frères Parfait, que nous avons affaire à une vraie comédie de
la Renaissance.
On pourrait trouver en outre une certaine analogie entre cette
pièce et les Jaloux que Larivey avait tirés des Gelosi du Gabbiani.
Vincent, qui aime Magdelaine, est mis à la porte par le frère de
sa belle, le capitaine Fierabras. Il se fait, par une ruse de son
valet, recevoir par le capitaine même, en se faisant tout d'abord
transporter dans un sac, puis lui faisant accroire qu'il est un
gentilhomme, poursuivi pour un duel et qui a recours à sa protec-
tion. Vincent enlève la jeune fille, Fierabras poursuit les fuyards,
crie et menace, mais enfin il doit s'apaiser.
Peut-être retrou veraii-on quelque chose de plus qu'une simple
analogie si ce manuscrit, que je n'ai su retrouver nulle part,
pouvait revoir le jour. Cependant, l'incident du déguisement en
ramoneur me parait tout à fait nouveau et assez plaisant.
LA COMÉDIE FRANÇAISE DE LA UEIUISSAISCE. 275
La dernière pièce dont nous allons nous occuper porte pour
titre : Les galanteries du duc d'Ossonne et parut pour la première
fois sur la scène en 1627 !.
Son auteur, Jean de Mairet, nous fait entrevoir l'époque clas-
sique et tout le monde doit se rappeler ses luttes malheureuses
avec Pierre Corneille et le succès éclatant de sa Sophonisbe*.
-Je laisserais même de côté cette pièce, pour me borner à la
rigueur à ce qui n'appartient qu'à la comédie de la Renaissance,
s'il n'y avait là comme un dernier écho de l'influence exercée, à
cette époque, par la nouvelle sur le théâtre.
Le sujet de la pièce se rapporte à la vie d'un personnage bien
connu et qui venait de mourir, lorsque le poète se permit de le
présenter sur la scène 3.
Mairet a fait retour à ce vers hendécasyllabique que Trotterel
avait déjà fait connaître au théâtre. Il divise la pièce en cinq actes
et en scènes, et la régularité de ces divisions paraît déjà dans
toute sa rigueur. L'action se passe à Naples. Le duc d'Ossonne
s'est épris d'Emilie, femme de Paulin et belle-sœur de Flavie,
« amoureuse du duc ». Emilie entretient une relation intime
avec son « favory » Camille, ce qui n'est pas sans donner beau-
coup de jalousie au mari de cette femme, rien moins que fidèle.
Paulin arrête de faire tuer son rival, par un bravo, mais Camille
peut se sauver et Paulin doit demander un abri au duc, pour se
soustraire aux conséquences de son crime. Le duc est bien aise
d'avoir en son pouvoir le mari de celle qu'il aime; il lui fait un
accueil excellent, l'éloigné de Naples, sous prétexte de sa sûreté,
et se rend, en bon Espagnol, sous les fenêtres d'Emilie lui
déclarer sa passion.
Tandis qu'il soupire dans les ténèbres, une croisée s'ouvre tout
doucement et Ton voit en descendre une de ces échelles en soie,
qui ne manquent jamais dans les pièces espagnoles. Le duc, en
chevalier entreprenant, ne reste pas douteux. Il profite de ce
secours, tombé pour ainsi dire du ciel, monte, pénètre dans la
maison de sa belle et trouve celle-ci, en personne, habillée en
1. Voyez cetlc comédie dans le recueil cité de M. Fournier, qui la fait précéder par
une notice très soignée. Les Galanteries furent jouées, comme nous venons de le
dire, en 1625, mais l'auteur fit imprimer la pièce seulement en 1636, avec une pré-
face où Ton voit déjà sa jalousie pour Corneille. Cette pièce, dit Al. Fournier, « lit
alors plus de bruit que lorsqu'elle avait été représentée -.
2. Voyez G. Bizos : Étude sur la vie et les iruvres de Jean de Mairet, Paris, 1817.
3. « Le duc d'Ossonne que île Mairet met en scène n'était rien moins que Don
Pedro Tellez-Giron, vice-roi de Naples, bien connu pour sa #a\anteric et sa libé-
ralité. Le même sort eut sa femme qui, après sa mort, devint un personnage de la
Belle invisible de Bois-Ilobert.
»76 REVTE i/bISTOIRÊ LITTERAIRE l>E LA FRANCK*
homme et sur le point de refaire à rebours le chemin du doc, La
rencontre est tout à fait inattendue d'un coté et de l'autre t maïs
Emilie ne se cache pas et déclare a son visiteur extraordinaire
qu'elle est en train de rendre visite à son Camille* qui, à cause de
son aventure, est obligé de garder le lit* Elle se trouve même
dans un embarras, d'où seulement le duc peut la tirer. Son mari
jaloux la force de dormir a ver une vieille femme chargée de
veiller sur elle, La vieille pourrait se réveiller dans son absence
et s'apercevoir de son équipée. Le duc veut-il avoir la complai-
sance de prendre sa place pour peu d'instants? Celui-ci est médio-
crement flatté de la proposition que la belle dame vient de lui
adresser et il ne cache pas qu'il préférerait une tout autre compa-
gnie. Cependant il ne se fait pas prier et se couche à côté de la
vieille femme» en se tenant « dessus le bord du lîct », de crainte
de se trouver trop à contact avec ce d vieux sujet de rume et de
décrépitude *>.
Mais tout à coup, tandis qu'il est sur le point de regretter sa
courtoisie chevaleresque, il entend sa compagne se plaindre et
soupirer, en prononçant son nom, d'une voix mélodieuse, Leduc,
poussé parla curiosité, allume une chandelle, regarde et aperçoit,
avec plaisir et étonnement, qu'il a le bonheur d'avoir à côté une
femme, on ne pourrait plus jolie. C'est Fia vie, la belle-sœur
d'Emilie, qui, par un caprice de celle-ci (laquelle ne croit point
que la plaisanterie aura des suites fâcheuses) a été donnée au duc
pour compagne de lit Flavie, qui aime le vice-roi, profile de l'oc-
casion favorable, et comme elle a entendu sa belle-sœur la qualifier
de vieille et de laide, elle soupire de sorte à exciler chez le due
le désir de se persuader de ses yeux qu'elle ne mérite pas du
tout son mépris.
On comprend facilement ce qu'il arrive et ce que l'auteur
explique d'une manière assez claire, jusqu'au moment qu'il croit
à propos que « les deux toiles (du lit) se ferment ». (III, à.)
Cette aventure se complique, dans les actes suivants, avec
une intrigue encore plus enjouée. Camille se prend tout à coup
d'amour pour Flavie, le lui écrit dans une lettre passionnée, et la
jeune fille, désirant se venger du tour de sa belle-sœur, dont elle,
pourtant, ne devrait pas se plaindre, donne rendez-vous au jeune
homme. D'autre part Emilie, qui sait ce qui s'est passé entre le
vice-roi et sa belle-soeur et qui surprend la lettre de Camille,
veut se venger à son tour et permet au duc de lui rendre visite à
la nuit.
Les deux amoureux pénètrent donc tous les deux, à la même
LA COMÉDIE FRANÇAISE DE LA RENAISSANCE. 277
heure et à l'insu l'un de l'autre dans la maison de la femme du
malheureux Paulin, mais comme ils se trouvent dans les ténèbres,
il arrive qu'Emilie, au lieu du duc, amène chez elle son ancien
« favory » et que Flavie se trouve de nouveau entre les bras de
son ami de la veille. Il s'ensuit d'un côté et d'autre des plaintes,
des reproches, mais comme les torts sont réciproques, tout le
monde va se mettre d'accord, lorsque tout à coup le mari survient.
Le duc trouve aussitôt un remède pour éloigner cette visite
désagréable. 11 feint que Camille, suivi d'une escorte, assaille la
maison, pour surprendre Paulin, qui, ne croyant pouvoir résister
à son ennemi, rebrousse chemin, à la grande joie de nos amoureux.
Le duc propose qu'on oublie le malentendu de tout à l'heure et
conclut la pièce en s'écriant :
Allons et que chacun d'oresnavant s'applique
A conserver la paix dans nostre republique.
Que Ton ajoute aux personnages que nous venons d'indiquer,
Octave, valet de Camille, qui joue le rôle de plaisant de la comédie,
et les commérages de la servante Stéphanille qui se plaint du
prix élevé des genres au marché f.
Cette pièce, où l'inspiration espagnole paraît à plusieurs
endroits, renferme dans son épisode principal une vieille nou-
velle, passée de l'Italie en France au xvie siècle et qui s'y accli-
mata merveilleusement.
Masuccio Salernitano, dans la 41e nouvelle de son Novellino,
nous conte comment une dame se moqua d'un jeune homme
en le faisant coucher auprès d'une jeune fille qui l'aimait et en
lui faisant accroire, en même temps, qu'il se couchait avec son
mari. Le jeune homme n'eut pas à se plaindre du tour qu'on
venait de lui jouer lorsqu'il s'aperçut, au matin, que ce qui avait
formé pendant quelque temps le sujet de ses craintes et de sa
1. (IV. 4.) Octave répond à Camille, qui voudrait se venger de Paulin, en s'écriant
que la vengeance est un friand morceau :
Bon pour vous qui possible avez déjà disné :
Mais pour vostre valel qui n'a pas desjeuné,
Croyez-moy qu'un chapon avec un bon potage
Et fust-»ce h vos despens, luy plairoit d'avantage.
Voici ce que dit à son tour Stéphanie :
Madame, en vérité c'est que tout est si cher,
Qu'on n'oseroit qua*i regarder la viande,
Si l'on en veut donner tout ce qu'on en demande.
Les poulets, les chapons, les ramiers, les perdrix,
En un mot la volaille est toute hors de prix.
Pour moy je voudrois bien qu'on reglast ce désordre
Et vrayment la police y devroit un peu mordre.
278
[lEUîfc; D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE L\ FRANCE.
répulsion était mie bile charmante, qui soupirail pour lui et qui
Tannait depuis lon^lnnps.
Ce conte passa tout entier dans le exux' «lu Moyde ad
turettx . Le discours des amours de deux gentilshommes français et
Ci$$ue favorable qu*ilê receutent. On le trouve eu Italie encorr,
daus lêa Diporti «lu Paraboseo ( Journée lp:, nouv. II) : m Due
caiu sanesi am&no due genHldonne) funo *lt* quatt perché ffihro
f'tutifttu si goda, entra lu un grandiseimo pericolo, et poseùt ff rot
bêttùsitov inconnu rawedendoii, lie$i$$i$tw si r , &i c*£st à
cette source que puisa librement, sans même changer la jiatrïe
des deux jeunes hommes, l'auteur du cxxviii" des freris :
[h> deux jouvenceaux siënots, amoureux de dêuQ a1, tnoiselles
espagnoles ; Cun deêqueh se présenta au danger pour faire pJo**-
cheiteà lajouiuance cfe ton Of&y, et qui tuy tourna à grand cou?
temeni et plaisir »>.
De là cette nouvelle passa tout entière dans la Précaution
inutile de Searrou. et avec quelques modifications dans les carac-
tères des personnages, et surtout dans le châtiment que l'on
îttfitge à un fat, on la voit reparaître successivement chez La Fon-
taine (Le Gascon pu ni), chez François Caillères (Des bons mots, elc-,
Paris» 1692, p. 226) et chez Antoine de Terriol (Le Fat ptlflî),
qui la présenta de nouveau au Théàtre~Frane.ais, le 7 avril Î739,
avec le plus grand succès.
Il faut pourtant observer qu'entre le duc d'Ossonne et les
contes de Masuceio, du Paraboseo, des Joyeux Devis et deScarron,
il y a des différences dignes de remarque.
Le jeune homme qui court cette aventure est toujours, ûhôz
les derniers, accompagné d'un ami, et c'est uniquement pour
servir aux amours de celui-ci, qu'il se prête à remplacer la dame
dans le lit conjugal. Ce n'est donc pas à côté d'une vieille femme
qu'il se croit couché, maïs avec un mari, et, qui pis est, avec un
mari fort jaloux.
On comprend le surcroît de la gène du jeune homme, mêlé dans
cette version à une peur fort Légitimé* Il y a donc deux variantes
notables, et on pourrait admettre aussi que le conte soit arrivé à
Mairet par une autre voie qui échappe âmes recherches. Cepen-
dant eette adaptation nécessaire pour que l'épisode tiré de la
nouvelle put rentrer dans le cadre de la comédie, pourrait bien
être le fait de Mairet lui-même.
Quoi qu'il en soit, nous avous encore l'exemple d'un conte rais
en action, et cest bien à ce titre que j'ai voulu finir mon étude
sur la comédie de la Renaissance par la pièce de l'adversaire peu
LA COMÉDIE FRANÇAISE DK LA RENAISSANCE. 27fr
redoutable de Corneille. Pour le reste, elle ne vaut pas grand'chose,
mais la forme est toujours plus soignée que celle des essais du
xvii0 siècle que nous venons de voir.
Un an après Les galanteries du duc d'Ossonne, Jean Rotrou
commence à faire paraître ses comédies, dont des études récentes
ont fait connaître l'étroit rapport avec le théâtre d'Italie *. L'année
suivante, en 1629, Corneille livre au public sa Mélite où, tout en
s'inspirant de l'Espagne, il dévoile un talent comique, qui n'est
pas sans originalité. A la même date, Pichou, le traducteur de la
F Mi di Sciro de l'Italien Bonarelli, fait jouer une pièce, où l'in-
fluence espagnole est très sensible. Ses Folies de Cardenio déve-
loppent un épisode du roman célèbre de Cervantes, en faussant le
caractère de Don Quichotte, sous lequel il fait paraître fort à tort
le Capitaine fanfaron*. C'est là une erreur provenant de l'influence
de ce type si répandu.
A ce moment la production des comédies proprement dites,
qui vient de subir un moment d'arrêt, reprend sa marche glorieuse
et ses aspects nombreux et variés. L'influence du théâtre comique
du xvi° siècle, que nous venons d'examiner, se propage même à
certains genres, qui paraissent de prime abord n'avoir aucun
rapport avec lui3 et dans toutes les comédies successives, en
1. Voyez sur Rotrou les études suivantes : I. Jarry -.Essais sur les œuvres drama-
tiques de Jean Rotrou. Paris, 1858; — Joseph Vianey, Deux sources inconnues de
Rotrou, Dole, 1891 (extraitdes Archives historiques, artistiques et littéraires) ; — Stiefel :
Unbekannte italienische Quellen Jean de Rolruu's, in Zeitschrift fur franziisische
Sprache und Littéral., 1890, mai, et en général pour tous ces écrivains : M. V. Four-
nel: les Contemporains de Molière, recueil de comédies rares, etc., jouées de 1050 à
1680, 3 vol. (Paris, Didot).
2. En effet Don Quichotte, tel que Cervantes l'a conçu, n'est pas du tout un fan-
faron ridicule.
Bien au contraire, il est un brave, qui, enflammé par sa fantaisie héroïque, affron-
terait les dangers même les plus terribles, saus éprouver le moindre frisson. En
d'autres termes c'est la folie chevaleresque qui le domine, mais non pas la poltron-
nerie parée d'un faux courage. Les folies de Cardenio ont inspiré une foule de pièces
dramatiques, celles de Guérin du Bouscal, de Destouches, de Dufresny, de Dancourt,
et, en 1720, la comédie de Pichou parut transformée en ballet.
3. A la date de 162S, parut « Vantiquité du triomplie de lieziers au jour de V As-
cension, contenant les plus rares histoires qui ont esté représentées au susdit jour
ces dernières années. Besiers, Jean Martel, 1628 -. (La 2* partie fut publiée en 1644
par le même éditeur). Voyez, en outre : • Le théâtre de Reziers, ou recueil des plus
belles pastorales et autres pièces historiques représentées au jour de l'Ascension
en la dite ville, et employées par divers auteurs, en langue vulgaire ». Bèziers chez
Domairion et autres, 1844-1853, 2 part. in-8°. Cette réimpression forme les livraisons
X, XI, XU (avec supp. à la XII* s.) de la Société archéologique de Beziers. (Les pièces de
ce recueil vont de 1616 à 1657.) Consultez ce que dit sur ce théâtre Auguste Baluffe
dans son Molière inconnu (Paris, Didier, 1886, p. 126 sqq.) et le 11* vol. de la Bibl.
du Thédtre Français (Dresde, Crœll, 1768, V, 2).
Un autre recueil de pièces comiques provençales dues à la plume de Claude Brucys
et de Charles Feau parut successivement aux dates de 1628 (vol. II) et 1665 (111).
« Lou jardin deys musos provençulosi ou recueil de plusieurs pessos en vers pro-
vençaus, etc. (Voy. Bibl. citée, V, 2, p. 19 sqq.)
Ces productions provençales ne rentrent pas directement dans mon sujet, soit
280
REVUE DHfSTÛIRË LlilKUAlUIS DE LA PftAflCE.
arrivant jusqu'à Molière et en Molière lui-même, on peut voir que
les efforts des novateurs n'ont pas été perdus. La marche a été,
parce qu'elles se trouvent a La dernière limite de la période dont il B'&git iri» soit
à cause de Unir caractère qui tient plutôt à d'autres genres dramatiques qu'a la
comédie proprement dite. Cependant rinfiutriee de l'rirt nouveau ; parall en plu-
BÎeura endroita, il < > i rappurt tjue j'en dirai quelques mots*
On ne saurait déterminer au juste depuis quelle époque on célébrait k Bëîïers
ces * gentillesses historiées ■, U l'honneur d'un Héros légendaire, le capitaine Pierre
Pecruce (l'epesuc), qui l'aurait délivré*- d'un ennemi plus ou moins fabuleux. Os
* gentillesses « allégoriques se transformèrent peu a peu en farces, dans une accep-
tion très large de fie mot, qu'on représentait au carnaval et à la Suim-Jean. sur les
tréteaux el sur le / M marchaîtfts^ avec une gouaillerie à outrance cl hr.au-
coup de chansons. M, Jean Bonnet, avocat, en devint l'auteur le plus fécond on au
moins le plus connu, Dans les allégories les dieux de la mythologie grecque jouaient
toujours un n\le considérable, et lorsque ces pièces subirent une transformation
radicale, les dieux de l'Olympe ne furent pas totalement supprimés.
Aussi voyons-nous dans une hhtuire paitoralë dn recueil cité, Iliane eL Mégère à
côté de personnages modernes, parmi lesquels le seigneur De Hïolan, qui a une
origine bien connue.
11 se présente sur La scène en se plaignant de son trop de chance dan* l'amour :
Sy rt> BÉili biaBfé i>" Siti jm>"
ijtie je itroéi »y j'eatui? 9
liïv.n w nii «y pretant nv pour^uitte^
Ne ù'miirolii pns ^uiltii l# .-séjour (1. ,
Ou je icnoM un rsiiut *nf toai 1-* BVWïrt*
ii, que lu Lue nuis. Bnmi\èy que lu tue faeli» -n '.
S«.n laquais ne s'en moque pas mal, et en s*adressant au public déclare que son
maître
811 «voit son bon «cas, il serait «ans «teCTaut (A, I),
De Riolan représente donc la moitié du rô te dumiteifl lor iosas; l'autre moitié parait
en Jean de Nivelle :
■ Je Rikis Jeun de Nivela, un *i«* brave* du monde
De qui U renomante en ai jn fait la rond.-,
S*nn gîgotntatârtf ni 1 muflier du (mmer*
J'ay par élVft» chapliù gai£ne plu* de Jorier
Qu'onçue» n'cual Charlcmajrne avec q ne ** joyeuse
Durandal haute cUire et Kinher*re U fruse.,..
Roland, Renaud* Hoirer, *ft« leur* aventure*
N'ont point fjiil comme mu y tant de de!»eoaû turcs* ■
Ce» deux personnages parlent, comme on foit, en français, el Le franchis dans celte
pièce et ailleurs se mêle nu provençal, un provençal du xvr~ siècle, c'c*l-à -dire a une
époque oîi ceu* qui écrivaient en cette langue, s'efforçaient d'y introduire mie
foule de mois et de tournures françaises et surtout des mots abstraits. Une autre
pièce (la M" «le l'éd. de la Soc. arch. de B.)< jouée en 1623, est toul à fait dans le
goût de la Renaissance. On y voit Don Bravas Le, un espagnol fanfaron, qui parle la
langue de son pays : « Todo la lierra es pienn de mi viilor *, suivi d'un parasite
(Salcissot), et d'un autre cÔtî se préaenle à nos yeux un couple non moins connu, le
docteur Potingue et Arlequin son valet. Polïngue parle le Latin macaroni que d
camarades italiens; Arlequin, qui s'est formé à son école, ne veut pas lui rester
Inférieur.
Pûti:
IVl irions tgO wm lluilfi-N'T fOTttM COpolla.
ijui baitoQM Etoealcpa «i rJfpfNMtvto, holl*
Arlequin, mon amy, quidam my parente
Nuaubt Unie mi capanUlo.
Aaleuuix,
Ego sum mûïiniu?, mnKifter Arliquînu*t
|/..rii->LuiJinti»êimuft robabilb mediAhmi ■.
Le Docteur esl un charlatan, et Arlequin en débite le spécifique à Don Bravaste»
en Lut tenant ce discours, que Tabarin n'aurait pas dédaigné;
Mnnseiprneur L*£*p«tgaaJ voua prie de le croire
iju \pollon ne «ait rien qoî ne ine aoit notoire,
LA COMÉDIE FRANÇAISE DE LA RENAISSANCE. 281
sans doute, très lente et a subi même, de temps à autre, des
reculs, mais les conquêtes en sont désormais fixées de la manière
Sur tout la cantaride avec lipoménés,
La toille vierge avec baralipomménés,
Enlicatollicon et la babo escumante,
Des chevaux du soleil et du porc de rimante,
Tout cela bien broyé cent foys cuit et recuit,
Puis dans un alambic distillé jour et nuit,
Produit une liqueur claire comme la roche,
Qui fait vendre une Ûlle et vous la met en broche.
Le Jardin deys musos provençalos présente à peu près les mômes caractères du
théâtre précédent, soit dans la division en actes et en scènes (ici les actes sont cinq,
tandis que leur nombre varie dans les pièces de Béziers), soit dans le mélange de
français et provençal, soit encore dans la présence de quelques éléments modernes.
La première de ces pièces (Comédie à sept personnaiges : Carlin, Pelegrin, Pauline,
Nicleto, Donno Saumiero, Cassandrin, Brigadeou) s'inspire évidemment de ce cycle
de nouvelles où, pour répéter le sujet de la 20* nouv. de YHeptaméron « un gen-
tilhomme est inopinément guari du mal d'amour, trouvant sa damoiselle rigou-
reuse entre les bras de son palafrenier ».
Avant Marguerite de Navarre, ce thème de satire à la fragilité féminine avait
formé le sujet, en Italie, de quatre nouvelles de Masuccio (Novellino 22% 24% 25% 28-)
et de la 24* de Morlini et c'est au premier (25e) qu'emprunta son récit l'auteur des
Comptes du monde adv. (XXI) : - d'une jeune fille qui mit toute la discrétion de ses
amours en la puissance d'un More. » (Voy. aussi la 54e et la 58* des Cent Nouv. nouv. )
Dans cette comédie provençale, Carlin (valet), Dono Saumiero (entremetteuse) et
l'allure du dialogue et du sujet ne laissent aucun doute sur l'influence de l'art nou-
veau; l'auteur se complaît môme fort souvent aux citations mythologiques.
Aussi lisons-nous :
Leys fouortos armos do Ciprino (Carlin, Act. I. se. 1) »
... Son beau visagi.... es.... deis Caritos lou séjour (Ib. se. 2) »
Le courissès me donço Parquo
Caron preparo leou ta barquo (Carlin, »/>.), etc.
Ailleurs on rappelle le Clouquier de Piso (p. IL), PArétin (p. 32), Lucresso (p. 36)
et la description burlesque que Carlin fait des beautés de la fille qu'il aime, pour
l'opposer à celle de son maître, est dans le goût de ce genre de poésie auquel Berni
imposa son nom, et où il chanta « le chiome d'argento • e « i denti d'ebano »de sa
belle, sujet fort répété dans les poésies gaillardes de cette époque.
La Comédie de Vintérez ou de la ressemblanço à huech personnagis est fondée sur
ces ressemblances merveilleuses qui ont défrayé, sur le modèle classique, pendant
le xvi* siècle et le suivant, le goût comique du théâtre italien, et le rôle du Poète
qui parle mi-provençal, mi-latin, de même que celui de Tricasso, type de matamore,
la font rentrer encore davantage dans le tableau de notre étude. Voici un essai des
rodomontades de Tricasso : (A. IV, s. 1.)
>• You siou plus dangieirous, messieurs, que la tempesto,
Yvepon pas em é you, que quan siou en furie
Prendriou emé lcy dents un pan per un Fournie :
Degun non mi counoi, coûye coumo despeci,
Mettrai tout en achis si me ven lou defeci,
Hengearai l'ennemi coumo de restes d'ailiers,
Ley vous enûelarai coumo de chapelets,
So vesiaa (lin* mon counr ly a un embarras de fardos,
De mousquets, de pougnaux, d'e«pasos, d'halabardos... »
Une autre pièce du premier volume, c'est-à-dire imprimée en 1628, nous pré-
sente une variante assez curieuse de la nouvelle contenue dans le chant XXVlll* de
YOrland furieux de TArioste, nouvelle qu'on trouve aussi dans les Mille et une nuits
et chez Sercambi (éd. Renier, Turin, 1889, p. 294-209.) Voyez la-dessus Pio Rajna,
Le fonti de VOrlando furioso, Firenze, 4876 (ch. xv, p. 382 sqq.) et « Di una novella
arioslea e del suo riscontro orientale attraverso ad un nuovo spiraglio », art. inséré
dans les Atti Accad. Lincei, 1889 (S. IV, vol. V, 4 Sem., p. 208-216) et la nouvelle
édition des Fonti.
La source de cette comédie provençale peut bien être l'Arioste, dont le poème
REV. DHIST. L1TTÉR. DE LA FRANCE ("• Ànn.). - VII. 49
IHt IEVTE DHISTOIEE LITTERAIRE DE LA FRANCE.
la plus absolue et sur les fondements de l'époque précédente, et à
la suite de cette préparation que nous venons d'étudier, on pourra
bâtir le théâtre splendide de la France du xvu* siècle. Le bilan
des profits peut d'ailleurs se reconstruire sans trop de peine.
Au commencement de celte période, on a été frappé par le
mépris profond, auquel le genre comique était en butte. Avant
Jodelle, Grévin. Larivey. les esprits éclairés se refusaient d'em-
ployer leurs talents dans un jeu qui paraissait réservé aux far-
ceurs de la dernière espèce, et il fallut que la Renaissance invoquât
les noms classiques de Ménandre, d'Aristophane, de Plaute et de
Térence, et ceux plus modernes du cardinal Bibbiena. de l'Arioste
et de Lorenzino des Médicis, il fallut qu'elle rappelât aussi l'en-
thousiasme des patriciens de Rome et des cours d'Italie pour que
des gens de lettres eussent la hardiesse de se « mêler du jeu
comique » et que des princes français encourageassent les poètes
de la nouvelle école1.
D'ailleurs, avant Jodelle point de règles, point de méthode, et
voilà que les écrivains de la Renaissance, avec cette patience qui,
sans constituer le génie, est pourtant une condition nécessaire à
son développement, apprennent sur les modèles de Rome et de
l'Italie l'art de composer une comédie, depuis le titre désormais
étranger, jusqu'à la division en actes et eu scènes, à la partie
technique de la mise en action, au mouvement des personnages,
à la suite logique des événements, à la conclusion préparée et
amenée par les faits.
Au début tout sujet paraissait passable; on prenait un conte
populaire, un petit événement qui avait défrayé la chronique plus
ou moins scandaleuse de l'époque, et c'est de là qu'on tirait le sujet,
était devenu à cette époque l'inspirateur de beaucoup de pièces de théâtre iVoy.
I" enap. , mais il pourrait se faire que l'inspiration dérivât de la tradition orale.
U «'agît de deux amis qui, trompés par leurs femmes, les quittent et délibèrent
de faire ménage à trois avec une servante, qu'ils font dormir entre eux. Mais celle-
ci trouve le moyen de se dérober à leur vigilance et de les tromper tous les deux
avec un troisième galant, un serviteur, qu'elle introduit dans le lit de ses maîtres
Les deux maris «apercevant alors qu'on ne pourrait se soustraire à l'infidélité
féminine et aux malheurs inséparables du mariage, arrêtent de pardonner à leurs
femmes et de s>e réunir â elles.
La légende du prince Schachriar, du roi Manfredi et du roi Astolphe a subi bien
des modifications. Les personnages de la pièce appartiennent à la bourgeoisie; les
maris ne se distinguent pas par une beauté exceptionnelle et leurs femmes n'ont
pas lecours à des monstres pour les tromper. Voyez une analyse assez détaillée
de cette comédie, dans la Bibl. du Th. Franc, que je viens de citer, vol. II. p. 19.)
1. Dans les oeuvres de Bruscambille (Rouen. La Motte. 16^0.. il y a un discours
prologue en faveur de la comédie, oii l'auteur proteste contre Y infamie comique et
rappelle - Hoscius, qui de son temps marchoit au pair avec les plus grands sei-
gneurs de Rome.... Athènes et Rome n'ont eu, pendant le temps de leur prospérité,
passe-temps plus recommandable que celui-ci ».
LA COMÉDIE FRANÇAISE DE LA RENAISSANCE. 283
farci par les longs dialogues et les discours inutiles et ennuyeux.
Mais la lecture des chefs-d'œuvre de l'antiquité et les modèles
italiens firent comprendre la valeur d'une intrigue variée, com-
plète et des situations capables de réveiller la curiosité du public.
Il s'ensuivit une foule de moyens comiques liés nécessairement
à cette forme de sujet; travestissements, substitutions, surprises,
quiproquos, reconnaissances, ruses de valets et d'amoureux, un
petit monde jusqu'alors inconnu et qui vint animer la scène par
la verve pétillante d'un dialogue agité et rapide.
Les anciennes personnifications des farces, le mari, la femme, le
paysan, le varlet, disparaissent serrés de près par les types de
la comédie latine et italienne; le docteur, le capitaine, le zanni,
l'amoureux s'acclimatent peu à peu dans leur patrie nouvelle, et
donnent bientôt origine à des variétés indigènes.
Cet échafaudage bâti avec tant de peine aurait disparu au
moindre souffle de venl, si le génie comique de la France n'eût
présenté, dès les débuts du xvne siècle, un certain nombre d'écri-
vains doués d'un talent remarquable qui s'emparent de tous ces
matériaux en y ajoutant d'autres tirés soit de l'Espagne, soit de
l'Italie, et qu'ils transforment en éléments .bien français.
A la lecture des modèles succède peu à peu l'observalion, tout
d'abord superficielle, ensuite profonde et philosophique, de la
société humaine, des passions, des vices, des vertus étudiées
d'après nature. Devant la lumière éblouissante de la vérité, les
masques tombent, les types conventionnels deviennent des fan-
tômes, disparaissent ou se transforment, la raison réclame sa part
aux rires et les caractères s'imposent dans leur variété infinie et
sans cesse renaissante.
C'est là l'œuvre de Molière, qui pourtant n'aurait pu se déve-
lopper, dans toute sa grandeur, sans le substralum nécessaire des
éléments comiques, que la Renaissance venait de lui apprêter.
P. Toldo.
MÉLANGES
CHARRON PLAGIAIRE DE MONTAIGNE
Dans une étude sur Charron publiée eu 1854 {Causeries du lundis
L. XI), Sainte-Beuve a écrit : « Qui prendrait la peine de lire plume en
main Montaigne, et dV relever tout ce qui est dit sur les divers sujets i-t
litres qui se rencontrent dans la Sagesse de Charron, trouverait non
seulement le fond et la substance de ses pensées, mais encore la forme
même et le détail de ses expressions» » Nous avons pris cette peine, et
après avoir relevé tous tes passages des Essais copiés servilement par
Charron, il nous semble difficile, très difficile, de ne pas conclure à
une tricherie de sa part, quoique t'illustre critique soit d'un avis diffé-
rent, et l'estime « incapable d'un pareil procédé ». Pour l'excuser on
pourrait peut-être alléguer qu'en ce temps-là on ne se faisait guère scru-
pule de grossir son œuvre de t'ouvre daulrui, et d'y prendre textuel-
lement ce que Ton trouvait à sa convenance. Ainsi, pour ne citer qu'un
seul exemple, Guillaume Paradin ayant à décrire dans son Histoire de
noêfri temp* (1561) l&fêta célébrée à Home à l'occasion de la naissance
du duc d'Orléans, fils de Henri II, y intercale toute la Sciomachie de
Ltabelais* en y faisait ça et là quelques légers changements, et en se
gardant bien de citer l'auteur dont il fut le contemporain.
Pourtant, au xvr siècle, en 1584, le jurisconsulte Jean Duret avait
qualifié durement les plagiaires, ce qui est une preuve que dès cette
époque, quoiqu'on dise Anatole France dans sa très spirituelle Apologie
pour te plagiat (Vie littéraire, L IV), « on s'était mis dans la tête qu'une
idée peut appartenir à quelqu'un *. Voici les paroles de Jean Duret :
i Quant à ceux qui voilent les volumes entiers, usurpent la peine d'au-
truy, cherchent injustement leur gloire, et dépouillent de l'honneur qui
leur est dû ceux qui ont mis la main à la plume, ce sont les plus
signalez larrons quon sçauroit pens*r ». Charron est-il de ceux-là ? Fran-
chement nous ne serions pas éloigne de le croire. Ses rencontres avec
Montaigne ne sont pas dues au hasard de la mémoire ; il pille avec
choix, avec discernement. Il sait que son style est plat, quoique géné-
ralement correct, froid et terne : pour lui donner du relief, l'égayer, le
colorer, il prendra ici à Montaigne un mot signifiant, plaisant ou pitto-
resque; là un trait saillant, ua$ de ces maximes qui frappent l'esprit,
CHARRON PLAGIAIRE DE M0NTA1GNB.
285
et le tiennent en éveil ; ailleurs enfin et très souvent de longs passages
qu'il copie textuellement. C'est à lui qu'on peut appliquer justement ce
mot de La Mothe Le Vayer : Quand il dérobe, ce n'est pas à la façon des
abeilles, mais de la fourmi qui enlève le grain tout entier. Du reste, le
lecteur en jugera par la comparaison des deux textes que nous mettons
en face l'un de l'autre. Pour la Sagesse nous citons une édition de 1782,
suivant la vraie copie de Bourdeaux ; pour les Essais, l'édition de
Louandre.
Charron.
Un fait courageux ne conclud pas un
homme vaillant.
(Liv. I, chap. 1, p. 7.)
Bref (l'homme est) la plus calami-
teuse et misérable chose du monde.
(1,2, a.)
L'homme est un sujet merveilleuse-
ment divers et ondoyant, sur lequel
il est bien malaisé d'y asseoir jugement
assuré.
(I, 5, 35.)
L'on se dédaigne d'aller voir naistre
un homme, chacun court et s'assemble
pour le voir mourir. On se cache, on
tue la chandelle pour le faire à la dé-
robée; c'est gloire et pompe de le dé-
faire.
(L 6, 37.)
Les pedans clabaudeurs, après avoir
questé et pilloté avec grand estude et
peine la science par les livres, en font
monstre, et avec ostentation questueu-
sement et mercenairement la dégor-
gent et mettent au vent.
(1, 6, 56.)
Il est ici bas logé au dernier et pire
étage de ce monde, plus éloigné de la
voûte céleste, en la cloaque et sentine
de l'univers, avec la bourbe et la lie,
avec les animaux de la pire condi-
tion..., et se fait croire qu'il est le
maître commandant à tout. En ce
sens l'oison en pourroit dire autant,
et peut-être plus justement et constam-
ment.
(1,7,61.)
Montaigne.
Un faict courageux ne doibt pas con-
clure un homme vaillant.
(Liv. 11, chap. 1, p. 49.)
La plus calamiteuse et fragile de
toutes les créatures, c'est l'homme.
(II, 12, 279.)
Certes, c'est un subject merveilleu-
sement vain, divers et ondoyant que
l'homme : il est malaysé d'y fonder
jugement constant et uniforme.
(I, 1» 7.)
Chascun fuyt a le veoir naistre,
chascun court a le veoir mourir...
Pour le construire, on se musse dans
un creux ténébreux, et le plus con-
trainct qu'il se peult. C'est le debvoir
de se cacher et rougir pour le faire,
et c'est gloire, et naissent plusieurs
vertus de le défaire.
(III, o, 453.)
Nos pédantes vont pillotants la
science dans les livres, et ne la logent
qu'au bout de leurs lèvres, pour la
dégorger seulement et la mettre au
vent.
(I, 24, 179.)
Elle (cette calamiteuse créature,
l'homme) se sent et se veoid logée icy
bas parmy la bourbe et le fient du
monde, attachée et clouée à la pire,
plus morte et croupie partie de l'uni-
vers, au dernier estage du logis et le
plus esloingné de la voulte céleste,
avec les animaux de la pire condition,
et se va plantant par imagination au-
dessus du cercle de la lune.
(II, 12, 279.)
Car pourquoi ne dira un oyson
REVUE IUHSTOIRE UTTKIU1KE DE LA FRAltCB.
Charron Mo\tmlne
Le plus grand argument de ta
vérité, c'est le gênerai consentement
du monde. Or le nombre des fols nip-
passe de beaucoup celui des sages.
(1, 16, 137.J
Lft meilleure touche de la vérité,
e*esl la multitude des ans et des
croyans ' or les fols surpassent de
tant les sages.
(1,7, Éê.)
Il leur taille (aux animaux) les mor-
ceaux; et îeur distribue telle portion
de faculté et de forces que bon lui
semble... Comment peut L'homme
connaître les branles internes et se-
crets des animaux ?
(1,8,09-70.)
Ainsi y a-l*il un grand voisinage et
cousinage entre l'homme et Jes ani-
maux.
(I, 8, W,)
I. 'homme est le seul animal dis-
gracié de nature, abandonné, nud sur
la terre nue, sans couvert, sans armes,
lié, carotté, eans instruction de ce qui
lui est propre, là ou tous les autres
sont revêtus de coquilles, gousses,
êcorce, poils, laine, bourres, plumes,
écailles, armés de grosses dents, cor-
nés, gniïes pour assaillir et défendre,
instruits a nager, courir, voler, chan-
ter, chercher sa pâture, et l'homme
ne içftfl cheminer, parler, manger, ni
rien que pleurer, sans apprentissage
et peine. Toutes ces plaintes.,, sont
fautes. Rostre peau est aussi suffisam-
ment pourvue contre les injures du
temps que la leur,.» Nous tenons aussi
découvertes lei parties qu'il nous plait,
voire les plus tendres et sensibles, la
face, la main, iestomach, les dames
même délicates, la poitrine.
(I, H, 70-71.)
aussi : « Toutes les pièces de l'univers
me regardent, etc. »
(K, 12, m.)
11 y a du malheur d'en estre là,
que la meilleure louche de ta vérité,
ce soit la multitude des croyans. en
une presse ou les fols surpassent de
tant les sa^es en nombre.
(in, 2, m.)
C'est par la vanité de ceste mesme
imagination qu'il s'egualeâDieu,., lait
le les parts aux animaux ses frères et
compagnons, et leur distribue telle
portion de t'acultezet de forces que bon
lui serti bits Comment cognoist-il, par
l'effort de son intelligence, les branles
internes et secrets des animaux T
(II, 12, 270.)
Quant a ce cousinage la, d'entre
nous et les testes, je n'eu fays par
grande recepte.
«1, H, 25.)
Nous sommes le seul animal aban-
donné, nud sur la terre nue, lié, ga-
rot té. n \nani de quoy s'armer et cou-
vrir que la dépouille d'autruy; là ou
toutes les autres créatures nature les
a revestues de coquilles, de gousses,
d'escorce, de poil, de laine, de poiuc-
les, de cuir, de bourre, de plume,
d'escaille.., ; les a armées de grilles,
de dents, de cornes pour assaillir fit
pour deiïendre, et les a elle même
instruises a ce qui leur est propre, a
nager, a courir, a voler, aehantei ; la
ou l'homme ne seait ni cheminer, ny
parler, ny rien que pleurer, sans ap-
prentissage. (Suit une citation de Lu*
erece.) Ces plainctes la sont faus-
Nostre peau est pourveue, aussi snf-
lisammeut que la leur, de fermeté
contre les injures du temps... Toula
les endroicts delà personne qu'il nous
plaist descouvrir au vent et a l'air, se
trouvent propres a le souffrir, le vi-
sage, les mains, les jambes, les es-
paules, la teste.., et nos dames, ainsi
CHARRON PLAGIAIRE DE MONTAIGNE.
287
Charron.
Le pleurer est aussi commun aux
bestes : la plupart des animaux se
plaint, gémit quelque temps après
leur naissance.
(I, 8, 71.)
Les liaisons et enmmaillotemens ne
sont point nécessaires, témoins les La-
cedemoniens.
(1,8,71.)
Qu'est-ce autre chose que parler
cettefaculté que nous leur voyons (aux
animaux) de se plaindre, se rejouir,
s'entr'appeler au secours, se convier a
l'amour?
(I, 8, 72.)
Mont \ igné.
molles et délicates quelles sont, elles
s'en vont tantost entr'ouvertes jusques
au nombril.
(II, 12, p. 286-287.)
Nostre pleurer est commun à la
pluspart des animaux, et n'en est
guère qu'on ne veoye se plaindre et
gémir longtemps après leur naissance.
(Il, 12, 287.)
Les liaisons et emmaillottemens des
enfans ne sont plus nécessaires, et les
mères des Lacedemomiens eslevaient
les leurs en toute liberté de mouve-
ments de membres.
(II, 12, 287.)
Car, qu'est-ce autre chose que par-
ler, ceste faculté que nous leur veoyons,
de se plaindre, de se réjouir, de s'en-
tr'appeller au secours, se convier a
l'amour, comme ils font par l'usage
de la voix?
(H, 12, 290.)
Quant au parler, l'on peut bien dire Quant au parler, il est certain que,
îe s'il n'est point naturel, il n'est s'il n'est pas naturel, il n'est pas neces-
.:_* -j. :— saire.
(1,8,72.) (11,12,289.)
que
point nécessaire
L'usage du manger est aussi en eux
{les animaux) et en nous, tout naturel
et sans instruction. Qui doute qu'un
•enfant, arrivé a la force de se nourrir,
ne sçut quesler sa nourriture? Kt la
terre en produit, et luy en offre assez
pour sa nécessité, sans autre culture et
artifice.
(I, 8, 72.)
Elles (les bestes) s'entr'entendent
bien toutes, non seulement de même
espèce, mais qui plus est de diverse :
en certain abboyer du chien, le cheval
connaît qu'il y a de la colère, et en
autre voix, il connait qu'il n'y en a
point.
(I, 8, 73.)
Le cheval accoustumé à la guerre,
dormant en sa litière, trémousse et
frémit, comme s'il estait a la meslee,
conçoit un son de tambour, de trom-
pette, une armée ; le lévrier, en songe,
Quant à l'usage de manger, il est
en nous comme en eulx, naturel et
sans instruction. Qui l'aie t doubte
qu'un enfant, arrivé a la force de se
nourrir, ne sceut quester sa nourri-
ture? Et la terre en produict et luy
en offre assez pour sa nécessité, sans
aultre culture et artifice.
(11, 12, 288.)
Elless'entr'entendent.nonseulemenl
celles de mesme espèce, mais aussi
d'espèces diverses. En certain abboyer
du chien, le cheval cognoist qu'il y a
de la cholere; de certaine aultre
sienne voix, il ne s'effraye point.
(II, 12, 281.)
Un cheval accoustumé aux trom-
pettes, aux harquebusades et aux
combats, que nous veoyons trémousser
et frémir en dormant, estendre sur sa
litière, comme s'il estoit en la meslée,
REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Charron.
hallettant, allongeant la queue, se-
couant les jarrets, conçoit un lièvre
spirituel.
(I, 8, 79.)
Les opinions de la beauté sont bien
différentes selon les nations. Aux Indes
la plus grande beauté est en ce que
nous estimons la plus grande laideur;
sçavoir en couleur basanée, lèvres
grosses et enflées, nez plat et large...
En Espagne la beauté est vuide et es-
tri liée, en Italie grosse et massive. Aux
uns plaist la molle, délicate et mi-
gnarde; aux autres la forte, vigou-
reuse, fière et magistrale.
(I, H,9T.)
Un gueux interrogé comme il pou-
voit aller ainsi nud en hiver, repondit
que nous portons bien la face nue, que
Jui était tout face.
(I, 14, HO.)
Montaigne.
il est certain qu'il conçoit en son ame,
un son de tabourin sans bruict, une
armée sans armes et sans corps.
Ce lièvre qu'un lévrier imagine en
songe, après lequel nous ne le voejons
haleter en dormant, alonger la queue,
secouer les jarrets... c'est un lièvre
sans poil et sans os.
(II, 12, 331.)
Nous en fantasions les formes (de la
beauté) à nostre appétit. Les Indes la
peignent noire et basannée, aux lèvres
grosses et enflées, en nez plat et large...
Les Italiens la façonnent grosse et
massifve; les Espaignols vuide et es-
trillee.. Qui y demande de la mignar-
dise et de la douleur; qui de la lierté
et majesté.
(Il, 12, 333-334.)
C'est (la raison) un instrument de
plomb et de cire, il plie s'allonge, s'ac-
corde a tout, plus souple, plus facile
que l'eau que l'air.
(I, 16, 133.)
— Cette comparaison plaisait à
Charron, car on la trouve antérieure-
ment dans son livre des Trois Veritez :
Or est la raison un outil ondoyant ;
règle de plomb, changeant, mal assuré.
(193, édit. 1595.)
Son action (de l'esprit) est toujours
quester, fureter, tournoyer sans cesse
comme affamé de savoir.
(I, 16, 133.)
Il advient de la qu'il s'empestre en
sa besogne comme les vers a soye.
(I, 16, 436.)
Je ne sçais qui demandoit a un de
nos gueux, qu'il veoyoit en chemise en
plein hyver, aussi scarbillat que tel qui
se tient emmitonné dans les martes
jusqu'aux oreilles, comme il pouvoit
avoir patience. « Et vous, monsieur,
respondict-il, vous avez bien la face
descouverte : or moy, je suis tout
face ».
(I, 35, 338.)
C'est un instrument de plomb et de
cire, allongeable, ployable, et accom-
modable a touts biais et à toutes me-
sures.
(Il, 12, 480.)
Il ne faict que fureter et quester, et
va sans cesse tournoyant, bastissant et
s'empestrant en sa besogne, comme
nos vers a soye.
(III, 13, 252.)
C'est un outil (l'esprit) vagabond, Il n'est rien si souple et si erratique
CHARRON PLAGIAIRE DE MONTAIGNE.
Charron. Montaigne.
289
muable, divin... C'est le soulier
Theramenes, bon a tous pieds.
(I, «6, 135.)
de
Voila comme la raison humaine est
a tous visages, un glaive double, un
baston a deux bouts.
(1, 16, 135.)
C'est un miracle de trouver un
grand et vif esprit bien réglé et mo-
déré, c'est un très dangereux glaive
qui ne le sçait bien conduire.
(I, 10, 139.)
Ceste grande faim d'honneur et de
réputation basse et belitresse, qui la
fait coquiner envers toutes sortes de
gens,et'par tous moyens, voire abjects,
a quelque vil prix que ce soit, est vi-
laine et honteuse; c'est honte d'être
ainsi honoré.
(I, 22, 164.)
Ce qui est propre aux femmes, les-
quelles souvent se courroucent, afin
que l'on se contre-courrouce.
(I, 27, 180.)
Dont le peintre représentant diver-
sement et par degrés le deuil des
parents et amis d'Iphigenie en son
sacrifice, quand ce vient au père, il le
peignit le visage couvert, comme ne
pouvant l'art suffisamment exprimer
ce dernier degré de deuil... La (dou-
leur) médiocre ou bien la plus grande,
mais qui par quelques laps de temps
s'est relâchée, s'exprime par larmes,
sanglots, soupirs, plaintes :
Curœ levés loquentur, ingénies stupent.
(1, 33, 194.)
Elle (la vieillesse) nous attache
encore plus de rides à l'esprit qu'au
visage, et ne se voient point d'âmes
qui en vieillissant ne sentent l'aigre
et le moisi.
II, 36, 204.)
que nostre entendement, c'est le sou-
lier de Theramenes, bon a toutz pieds.
(III, H, 199.)
La raison humaine est un glaive
double et dangereux, et en la main
m es me de Socrates... Voyez a quants
de bouts c'est un baston !
(II, 17, 85.)
C'est un outrageux glaive a son pos-
sesseur mesme que l'esprit, a qui ne
sçait s'en armer ordonneement et dis-
crètement.
(II, 12, 469.)
Desdaignons ceste faim de renom-
mée et d'honneur, basse et belis-
tresse, qui nous le faict coquiner de
toute sorte de gents, et a quelque vil
prix que ce soit : c'est déshonneur
d'estre ainsi honoré.
(IV, 10, 180.)
Elles, de mesme, ne se courroucent
qu'afin qu'on se contre courrouce.
(11,31,184.)
A l'adventure reviendroit à propos
l'invention de cet ancien peintre,
lequel ayant à représenter, au sacri-
fice de Iphigenia, le deuil des assis-
tants, selon les degrez de l'interest
que chascun apportait à la mort de
ceste belle fille innocente, ayant
espuisé les derniers efforts de son art,
quand ce vint au père de la Yierge,
il le peignit le visage couvert, comme
si nulle contenance ne pouvoit rap-
porter ce degré de deuil... Toutes
passions qui se laissent gouster ou
digérer, ne sont que médiocres.
Curie levés loquuntur, ingénies stupent.
(1,2,11.)
Elle nous attache plus de rides en
l'esprit qu'au visage; et ne se veoid
point d âmes, ou fort rares, qui en
vieillissant ne sentent l'aigre et le
moisi.
(III, 2, 348.)
Ce sont hommes (les souverains) Les âmes des empereurs et des sça-
•290
HEVCE I) HISTOIRE LITTÉRAIRE lit: LA FM
CsAitaoN.
jettes et faits au moule des autres, et
assez souvent plus mal nés et partagés
de nature que pinceurs du commun;
il semble que leurs actions, parce
qu'elles son! de gfâDd poids et impor-
tance, soient aussi produites par causes
pesantes et importantes; mais il n'en
est rien, cVst par mes rues ressorts
que celles du commun. La même
raison qui nous Tait lanicr avec un
voisin, dresse entre les princes une
guerre ; celte qui fait fouetter un
laquais tombant en un roi, fait ruiner
une province. Ils veulent aussi légè-
rement que nous, mais ils peuvent
plus que noue, pîiri'ils appelits agitent
une mouche et un éléphant.
(I, te, l!ii2,)
*
La tourbe populaire est mère d'igno-
rance, injustice! inconstance,
il. 18, 867.)
Montai g m:.
vatiers bqq( jectées k rnesme moule :
considérant l'importance des actions
des princes et leur poids, nous rouis
persuadons qu'elles sont prodn:
par quelques GttfeMfl ausa ■ poisanles
et importantes; nous nous trompons:
ils sont menez et ramenez en leurs
mouvements par les mesmes ressorts
que nous lomtnea aux uostres; la
mesme raison qui nous fait tanser
avecques un voisin dresse entre les
princes une guerre; la me^me raison
qui nous fait fouetter un taquay, tom-
bant en un roi îuy faict ruyuer une
province; ils veulent aussi h-gie renient
que nous, maïs ils peuvent plus ;
pareils appétits agitent un ciron cl
un éléphant.
il, 12, :mj
La voix de la commune et de la
tourbe, mère d'ignorance, d'injustice
et d'inconstance,
(It.M.-lt.)
La science est à la ver i lé un bel Cest un grand ornement que là
ornement, un outil très utile à qui en science, et un util de merveilleux ser
srail bien us>r. vice.
{î, 57,280.) (1,25, 201.)
La sagesse est un maniement réglé
de notre ame, avec mesure et propor-
tion.
(Liv. II, 1, -2m,)
Le vray moyeu d'obtenir et se
maintenir en celte lil«erlé de juge-
inenl..,, c'est d'avoir un esprit uni-
versel, jetant sa vue et considération
sur tout l'univers, et non l'asseoir en
certain lieu, loi, coutume et manière
de vie**,, être citoyen du monde comme
Socraics, et non d'une ville, embras-
sant par affection tout le genre hu-
main. Cest sotîse et foi blesse que de
penser que Ton doit croire et vivre
partout, comme en son village, en son
pajs, et que les accidents qui avien-
neni ici touchent et sont communs au
reste du monde.
(11, 2, 307.)
La sagesse est un maniement réglé
de notre ame, et qu'elle couduict avec
ques mesure et proportion.
tIL 2, liij
Il se lire merveilleuse clarté pour
le jugement bu main de la fréquen-
tation du monde,.. On demandoit à
Socrales d'où il estoil; il ne respondît
pas d'Athènes, mais du monde : luy
qui avoit l'imagination plus plein
plus esteudue, jectoit ses cognoi^-
sauces, sa société et ses affections en
tout le genre humain, non pas
comme nous qui ne regardons que
sûubs nous. Quand 1rs rtïtes < fêtent en
mon i tiititft?, mon frustre m nrtjumcnte
<fe Dîru sttr M rare humain?, —
Charron, qui était prêtre,, a cru sans
doute devoir omettre ce trait piquant,
par égard pour son ordre.
IL 13, Mf.)
Chacun appelle barbarie ce qui Chaseun appelle barbarie ce qui
n'est pas de sou goût et usage* n'est pas de son usage.
(H, 2, Î07.) (1, 30, 307.)
CHARRON PLAGIAIRE DE MONTAIGNE.
291
Charron.
Il faut bien savoir distinguer et
séparer nous-mesmes d'avec nos char-
ges publiques : un chacun de nous
joue deux rôles et deux personnages,
l'un étranger et apparent, l'autre
propre et essentiel. 11 faut discerner
la peau de la chemise.
(H, 2, 317.)
Et si Ton y prend bien garde, Ton
trouvera parmi les paysans et autres
pauvres gens, des exemples de pa-
tience, constance, equanimité, plus
pure que tous ceux que l'école en-
seigne.
(II, 3, 326.)
La cérémonie nous deffend d'ex-
primer les choses naturelles et licites,
et nous l'en croyons : la nature et la
raison nous dérend les illicites, et
personne ne l'en croit. — Et Charron
ajoute ce trait qui est digne de Mon-
taigne — : L'on envoyé sa conscience
au bordel, et l'on tient sa contenance
en règle. (II, 3, 328.)
Repentance est un désaveu et un
desdit de la volonté.
(II, 3, 338.)
L'assagissement ou amandement
qui vient par le chagrin, le degout et
faiblesse, n'est pas vrai ni cons-
ciencieux, mais lâche et catharreux.
(II, 3, 338.)
Ce n'est pas respecter et honorer le
nom de Dieu comme il faut, mais
plutôt le violer, que de le mêler à
toutes nos actions et paroles légère-
ment et promiscuement... ou bien
tumulluairement et en passant.
(11,8,361.)
Montaigne.
La plus part de nos vacations sont
farcesques. Il fault jouer duement
nostre roolle, mais comme roolle,
d'un personnage emprunté : du masque
et de l'apparence il n'en fault pas faire
une essence réelle; ny de l'estranger
le propre : nous ne sçavons pas distin-
guer la peau de la chemise.
(III, 10, 160.)
Regardons a terre : les pauvres
gens que nous y veoyons espandus, la
teste penchante après leur besongne,
qui ne sçavent ni Aristote, ni Caton...
de ceulx la tire nature tous les jours
des efforts de constance, et de patience,
plus purs et plus roides que ne sont
ceulx que nous estudions sérieusement
en l'escole.
(III, 12,207.)
La cérémonie nous deffend d'ex-
primer par paroles les choses licites
et naturelles, et nous l'en croyons; la
raison nous deffend de n'en faire point
d'illicites et mauvaises, et personne
ne l'en croit.
(II, 17, 44.)
Le repentir n'est qu'une desdicte de
notre volonté.
(III, 2, 332.)
Nos appétits sont rares en la vieil-
lesse; une profonde satiété nous saisit
après ce coup; en cela je ne vois rien
de conscience ; le chagrin et la faiblesse
nous impriment une vertu lasche et
catarrhe use.
(III, 2, 345.)
Ce n'est pas sans grande raison, ce
me semble, que l'église deffend l'usage
promiscue, téméraire et indiscret des
sainctes et divines chansons que le
Saioct-Esprit a dicté à David... Ce
n'est pas en passant et tumultuaire-
ment qu'il fault manier un estude
sérieux et vénérable.
(I, 56, 70-71.)
La prospérité nous emporte au delà Les François semblent des guenons
de nous : c'est la ou l'on se perd, l'on qui vont grimpant contre mont un
292
REVCE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Charroi. Moxtaigxe.
se noie. Ton se fait moquer de soi.
C'est comme la guenon qui monte de
branche en branche jusqu'au sommet
de l'arbre, et puis montre le cul.
«H, 7, 380.)
Voici donc des plus remarquables
(coutumes) en estrangeté... aux hôtel-
leries prêter leurs enfants, femmes et
filles à jouir aux hôtes en payant :
bordeaux publics de maies ; les vieil-
lards prêter leurs femmes à la jeu-
nesse; les femmes être communes;
honneur aux femmes d'avoir accointé
plusieurs maies, et porter autant de
belles houppes au bas de leurs robes.
«Il, 8. 393.)
Saluer en mettant le doigt à terre
et puis le levant vers le ciel...; les
hommes pisser accroupis et les femmes
debout.
(II, 8, 395.)
Un qui se mouchoit tousjours de la
maio, repris d'incivilité, pour se dé-
fendre, demanda quel privilège a voit
ce sale excrément qu'il lui faille ap-
prêter un beau linge à le recevoir, et
puis qui plus est à l'enipacqueter,
serrer soigneusement sur soy ; que
cela devoit faire plus mal au cœur que
de le verser et jetter ou que ce soit.
(II, 8, 397.)
Les loix et coutumes se maintiennent
en crédit, non parce qu'elles sont justes,
mais parce qu'elles sont loix et cou-
tumes; c'est le fondement mystique de
leur autorité; elles n'en ont point
d'autre. (II, 8, 400.)
Les plus belles âmes et mieux nées
sont les plus universelles, les plus
communes , applicables à tout sens,
commuoicatives et ouvertes à toutes
gens.
(Il, 9, 405.)
L'affirmation et opiniâtreté sont si-
gnes ordinaires de bêtise et igno-
rance. (II, 9, 406.)
arbre, de branche en branche, et ne
cessent d'aHer jusqu'à ce qu'elles
50} ent arrivées à la plus haute branche,
et y montrent le cul quand elles v sont.
(II. 17, 69. r
Il en est (des peuples) ou les pères
prestent leurs enfants, les maris
leurs femmes à jouyr aux hostes, en
payant... ; où il se veoid des bordeaux
publics de masles... Ailleurs les vieux
maris prestent leurs femmes à la jeu-
nesse pour s'en servir, et ailleurs elles
sont communes sans péché; voir, en
tel pais, portent pour marque d'hon-
neur autant de belles houppes fran-
gées au bas de leurs robes qu'elles
ont accointé de masles.
(1,22, 142.i
Où l'on salue mettant le doigt à
terre, et puis le haulsant vers le ciel...
Elles pissent debout, les hommes
accroupis.
(I, 22, 141.)
Un gentilhomme françois se mou-
choit tous jour de sa main, chose très
ennemie de notre usage... II me de-
manda quel privilège avoit ce sale
excrément, que nous allassions luy
apprestant un beau linge délicat à le
recevoir, et puis, qui plus est. à l'em-
paqueter et serrer soigneusement sur
nous; que cela debvoit faire plus de
mal au cœur que de le veoir verser
ou que ce feust. (I, 22, 137.)
Les loix se maintiennent en crédit,
non parce qu'elles sont justes, mais
parce qu'elles sont loix : c'est le fon-
dement mystique de leur auctorité,
elles n'en ont point d'autre.
" (III, 13, 260.)
Les belles âmes, ce sont les âmes
universelles , ouvertes et prestes a
tout ; sinon instruites, au moins ins-
truisantes.
(II, 47, 81.)
L'affirmation et opiniâtreté sont
signes exprez de bestise.
(III, 13, 266.)
CHAlUUn H.\f.lURE DE JIONTAÎG
-m
Cbarro*.
Épaminondas, le premier de la
Grèce, enquis lequel il eslimoit le plus
de trois hommes, lui, Chabrias et
Iphtcrates, répondit : il nous faut voir
premièrement mourir tous trois, avant
en résoudre. ilï, il, 422.)
Celle est la meilleure mort qui est
bien recueillie eu soy, quïete, soli-
taire, et toute a celuy qui est h même.
(Il, 11, 446.)
H avoit Je cœur Lrop gros de nature,
dit Tite Live de Sa pion, pour savoir
eslre criminel, el se démettre à la
bassesse de deffendre son innocence,
(II, 12, 3t.)
Et de fait la fortune pour montrer
son autorité en toutes choses , et
rabattre notre présomption, n'ayant
pu taire les malhabiles sages, elles les
fait heureux a l'envi de la vertu. Dont
U a vient souvent que les plus simples
mettent à fin de 1res grandes besou-
gnes et publiques et privées.
La plus grande chose est de savoir
eslre soi, la vertu se contente de soi :
gagnons sur nous de pouvoir à bon
escient vivre seuls, et y vivre à notre
aise; apprenons à nous passer et nous
desprendte de toutes liaisuns qui nous
Attachent a autruv.
LUI, 6, 13.)
Il y a deux sortes de gens a estres
flattés.*, sça voir les princes chez qui les
u léchants gagnent crédit par là, et
femmes; car il n'y a rien de pro-
pre el ordinaire a corrompre la chas-
teté des femmes, que les paistre et
entretenir de leurs louanges,
(lllt 8, 40.)
C'est générosité de se mettre du
parti battu de la fortune, pour se-
courir les aftligés... comme lit Cbe-
lonis. fille et femme du roy, laquelle
ayant suu père et son mary mal en-
MONTMGNK.
Épaminondas, interrogé lequeJ des
trois ij estimoit le plus, ou Chabrias,
ou Iphicrates, ou soy mesme : « Il
nous fault venir mourir, dit-il, avant
que d'en pouvoir résouldre.
;L 10, 84.)
Je me contente d*uoe mort re-
cueillie en soy, quiète et solitaire,
toute mienne, convenable à ma vie
retirée et privée. (Ml, 9, lûiij
Il avoit le coeur trop gros de nature
et accoustumé I trop h au II*' toi lune,
dict Tite Live, pour savoir estre cri-
minet, et se démettre à la bassesse de
deffendre son innocence.
W, B, ! :
La fortune, pour nous apprendre
combien elle peult eu toutes choses,
et qui prend plaisir a rabbalre nostre
présomption, n'ayant pu faire les mal-
habiles sages, elle les faîct heureux
à Tenvy de la vertu... I) où il se veoid
tous les jours que les plus simples
d'entre nous mettent à fin de 1res
grandes besougnes et publiques et
privées. (|||, H, 30.)
Puisque nous entreprenons de vivre
seuls, et de nous passer de campai-
gnîc, faisons que nostre contentement
dépende de nous; desprenons -nous
de toutes les liaisons qui nous atta-
chant à aultruy; gaiguons sur nous
de pouvoir a escient vivre seuls, et y
vivre a notre aise.
(I, 3fi, 358.)
11 n'est chose qui empoisonne tant
les princes que la flatterie, ny rien
par où les meschants gaignent plus
arsement crédit autour dï-wlx : ni
macquerelage si propre et si ordinaire
a corrompre la chasteté des femmes,
que de les paistre et entretenir de
leurs louanges. (Il, 1C», 23.)
Combien volontiers je considère la
belle humeur de Chelonis, fille et
femme de roy* de Sparte! Pendant
que Cleorabrolus, son mary, au* dé-
sordres de sa ville, eut advantage sur
2i>t
REVUE D HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE.
Charron.
semble, lorsque le mari eut le des-
sus contre son père, fit la bonne fille
suivant et servant son père partout
en ses afflictions; puis venant la
chance à tourner, et son père étant le
maître, se tourna du côté de son
mari, raccompagnant en toutes ses
traverses.
(III, 9, 150.)
Ce doivent être (les précepteurs)
gens de bien , bien nés , doux et
agréables, ayant la teste bien faite,
plus pleine de sagesse que de science.
(III, 14, 176.)
Montaigne.
Leonidas son père, elle fait la bonne
fille, et se r'allia avecques son père,
en son exil, en sa misère, supposant
au victorieux. La chance veint-elle a
tourner? La voyla changée de vouloir
avecques la fortune, se rangeant cou-
rageusement a son mary, lequel elle
suyvit partout où sa ruyne le porta.
(III, 13, 310.)
Je vouldrois aussi qu'on feust soin-
gneux de luy choisir (à l'enfant) un
conducteur qui eust plus tost la teste
bien faicte que bien pleine.
(1, 25, 202.)
Il doit le duire (son élève) et Ou'on luy mette en fantaisie une
façonner a une honneste curiosité de honneste curiosité de s'enquérir de
sçavoir tout. toutes choses.
(111, 14, 198.) (I, 25, 212.)
Voici la leçon et l'avis que je donne
ici: il ne faut pas s'amuser a retenir
et garder les opinions et le savoir
d'autrui, pour puis le rapporter et en
faire montre et parade a autrui, ou
pour profit sordide et mercenaire.
Mais il les faut faire nôtres. 11 ne faut
pas les loger en notre ame, mais les
incorporer et transubstantier.
(III, 14, 191.)
L'estui de la science et des biens
acquis est la mémoire.
(III, 14, 182.)
Les mouches à miel... en tirent
l'esprit (des fleurs), la force, la quin-
tessence, et s'en nourrissent, en font
substance, et puis en font le très bon
et doux miel qui est tout leur, ce
n'est plus thym ni marjolaine.
(III, 14, 192.)
Par quoi a cet exercice tout servira,
même les petites choses, comme la
sottise d'un laquais, la malice d'un
page, un propos de table.
(III, 14, 197.)
— Ce passage de Charron est com-
posé de morceaux pris çà et là dans le
chapitre 24 :
Nous prenons en garde les opinions
et le sçavoir d'aultruy, et puis c'est
tout. (I, 24, 181.)
Elle (la science) passe de main en
main, pour ceste seule fin d'en faire
parade. (I, 24, 180.)
Il ne fault pas attacher le sçavoir à
l'àme, il l'y faut incorporer.
(I, 24, 186.)
Cest le réceptacle et l'estuy de la
science que la mémoire.
(H, 17, 78.)
Les abeilles pillotent deçà delà les
fleurs; mais elles en font aprez le miel
qui est tout leur; ce n'est plus thym ni
marjolaine.
(I, 25, 205.)
Or à cest apprentissage tout ce qui
se présente à nos yeulx sert de livre
suffisant : la malice d'un page , la
sottise d'un valet, un propos de table,
ce sont autant de nouvelles matières.
(I, 25, 207.)
L'instruction de Cyrus en Xenophon, Aslyages, en Xenophon, demande à
CHARRON PLANAIRE DE MONTAIGNE.
295
CUARRON.
pour sa leçon lui propose ce fait : un
grand garçon ayant un petit saye, le
donna à un de ses compagnons de
plus de petite taille, et lui ôta son
saye qui estoit plus grand, puis lui
demanda son avis sur ce fait. Cyrus
repond que cela allait bien ainsi, et
que tous les deux garçons demeu-
roient ainsi bien accommodés. Son ins-
tructeur le reprend et le tanse bien
aigrement de ce qu'il avoit considéré
seulement la bienséance et non la
justice, qui doit aller beaucoup de-
vant, et qui veut que personne ne soit
forcé en ce qui est sien.
(111, 14, 197.)
Après l'ame vient le corps, il en
faut avoir soin quant et quant l'esprit,
et n'en faire point à deux fois. Tous
deux font l'homme entier.
(III, 14, 201.)
Il fault souffrir doucement les loix
de nostre condition. Nous sommes
pour vieillir, affaiblir, douloir, estre
malades; il faut apprendre a souffrir
ce que Ton ne peut éviter.
(111, 22, 249.)
Ceux qui la mettent au plus haut
(la volnpié) et en font le souverain
bien, comme les Épicuriens, ne la
prennent pas ainsi , mais pour une
privation de mal et de plaisir, en un
mot, indolence. Selon eux, le n'avoir
point de mal est le plus heureux
bien-être que l'homme puisse espérer
ici.
Nimium boni est, cui nihil malt.
...L'autre première sorte de vo-
lupté est active, agente et mouvante...
Car ce chatouillement qui semble
nous élever au-dessus de l'indolence,
ne vise qu'à l'indolence, comme a son
but; comme, par exemple, l'appétit
qui nous ravit a l'accointance des
femmes, ne cherche qu'à fuir la peine
que nous apporte le désir ardent et
furieux à l'assouvir, nous exempter
de cette fièvre et nous mettre en
repos.
(III, 38, 285286.)
Montaigne.
Cyrus compte de sa dernière leçon :
c'est, dit-il, qu'en nostre eschole un
grand garçon ayant un petit saye le
donna a l'un de ses compagnons de
plus petite taille, et luy osta son saye
qui estoit plus grand : nostre précep-
teur m'ayant faict juge de ce diffé-
rend, je jugeay qu'il falloit laisser les
choses en cest estât, et que l'un et
l'aultre sembloit estre mieulx accom-
modé en ce poinct : sur quoy il me
remonstra que j'avois mal faict; car
je m'estois arresté a considérer la
bienséance, et il falloit premièrement
avoir prouveu à la justice, qui vou-
loit que nul ne feust forcé en ce qui
luy appartenoit. (I, 24, 190.)
Ce n'est pas une ame, ce n'est pas
un corps qu'on dresse ; c'est un
homme, il n'en fault pas faire à deux.
(I, 25, 229.)
Il fault souffrir doulcement les loix
de nostre condition : nous sommes
pour vieillir, pour affaiblir, pour estre
malades , en despit de toute méde-
cine.
(III, 13,289.)
Voyla pourquoi la secte de philoso-
phie, qui a le plus faict valoir la vo-
lupté, encore Ta-t-elle rangée a la
seule indolence. Le n'avoir point de
mal, c'est le plus avoir de bien que
l'homme puisse espérer, comme disoit
Ennius :
Minium boni eut, cui nihil est mali.
Car ce mesme chatouillement et
aiguisement qui se rencontre en cer-
tains plaisirs, et semble nous enlever
au-dessus de la santé simple et de
l'indolence, ceste volupté active, mou-
vante... celle-là mesme ne vise qu'à
l'indolence, comme a son but; l'ap-
pétit qui nous ravit a l'accointance
des femmes, il ne cherche qu'a chasser
la peine que nous apporte le désir
ardent et furieux , et ne demande
qu'à l'assouvir et se loger en repos
et en l'exemption de ceste fiebvre.
(II, 12, 352.)
296 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Ce travail serait beaucoup plus long, s'il eût fallu indiquer tous les
passages abrégés, raccourcis, ou rendus à sa manière, que Charron a
pris dans les Essais. Je n'ai cité que les endroits transcrits, comme on
Ta vu, à peu prés mot pour mot. Il est des chapitres tout entiers,
comme ceux, entre autres, de la Comparaison de l'homme avec les autres
animaux, Du devoir des parents et enfants, où Ton rencontre difficilement
quelques idées qui lui appartiennent : c'est partout du Montaigne, sauf
le caprice et la fantaisie, sauf ce Moi qui chez lui seul peut-être n'est
pas haïssable. Il n'est pas jusqu'à certains mots très rares, qu'on ren-
contre dans les Essais, comme affaireux, farcesque, principesque, fïllage,
rincer le nez, dont il n'ait fait son profit. Il n'est pas, je crois, d'écrivain
à la fin du xvi* siècle qui emploie aussi fréquemment que Montaigne les
verbes comme substantifs : en cela encore Charron l'imite. Il dit « le
parler faux, le commander de l'homme, cet obéir des bestes, son bran-
ler et son mouvoir, au jouir et user des choses, l'affectionner et haïr
les biens, un languir douloureux, les plis du visage qui servent au
rire servent aussi au pleurer, le posséder, le non avoir, un bon mourir
vaut mieux qu'un mal vivre, etc., etc. »
A. Delboulle.
DIT FKACMBST 1>K PASCAL SI H I INFINI K:N PETITESSE.
2»!
UNE SOURCE PROBABLE DU FRAGMENT DE PASCAL
SUR L'INFINI EN PETITESSE
Personne ne saurait mettre en doute l'originalité de Pascal; mais il n'en est
pas moins vrai qu'au contraire de Descentes, lequel rompait avec te passé en
oubliant volontairement ses lectures, Pascal a dû méditer un grand nombre
d'ouvrages contemporains ou antérieurs à lui, et que plus d'une de ses pensées
lui fut suggérée par le livre qu'il venait de fermer. Qu'on nous permette de
signaler aux lecteurs de la revue un rapprochement, que nous ne croyons pas
dénué d'inii'rct, entre le fameux fragment du riron et une page de Guillaume
de la Perrière, un familier de Marguerite de Navarre, sœur de François Ier,
Parmi les ouvrages qui nous sont parvenus de cet écrivain ignoré (et qui
mérite île l'être), il en est un qui porle le titre suivant :
« Im MVrWOphiâ di GuiUavme tir t>* PÊ&rièVâ, Tolosain^ contenant cent
emblèmes moraux, illustrez de cent Le trafique* latins, réduits en aulant de
quatrains françoys, a Lyon, par Macé Bonhomme, !5">3, n À la suite : « Les
Considératioiu des quatre moiùfcf, a savoir est : Divin, angelique, céleste et sen-
sible, coruprinses en quatre centuries de quatrains, contenant la cresme de
divine et humaine philosophie par Guillaume de la Perrière lojosan, à Lyon,
par Macé lion homme, 1H52 * (les deux non paginés), (liib. Nation., Y., 4559).
On lit dans les C&rti&déftitioni [préface de la lrr centurie) S « Ut graine de
moustarde est estimée la plus menue et de plus petit corps.,. Or, qui vouldra
lever son esprit â spéculer intellectuellement, il cou^nuislra que, n nubien
qu'un grain de moustarde soit très petit de corps» si ha il en soy une vigueur
incompréhensible et sans terminal ion. ., Si lu veux considérer (lecteur) quert
un si peiii grain ai une grand plante avec *cs branchés, feuillu fi flenr$t et
(quand viendra le temps par nature ordonné; infinie multitude de graine et
semence, en Utquetle aura tâmbtabte vertu de muttiphetttion yua li première, et
stoueent réitérer en t"n entendement eeste mullipticalion, tu trouveras que la
dicte multiplication Uni souvent reitene sera à Ion esprit incompréhensible,
VOtrv que $i par acte iê tfn uit expliquer [et tfUê U Gk&ÛUn fies <lirtz fjratns ett
complique) il surpasserait le concept et appréhension de tous les hommes de
ce sensible monde.,, *
Que la pensée exprimée dans ce passade soil quelque peu différente de celle
de Pascal dans le fragment du eiron, nous ne le nions pas. Pour La Perrière,
la graine renferme un infini virlueï, pour Pascal, le cirou renferme un infini
actuel. Mais des deux côtés l'intention est la même ; il s'agit de concevoir
Tin fini dans un objet très petit; seulement Tau leur du ht siècle songe 4 la
multiplication, â l'infini, tandis que Pascal a en vue la divisibilité à l'infini,
I/un prend comme exemple la graine qui reproduit, l'autre l'insecte qui se
dïstèque. Nous savons d'ailleurs par Méré (voir ta frimeuse lettre à Pascal citée
en noie par M. llavet) que Pascal avait d'abord pris comme point de départ
un grain de pavot,
i les raisons qui nous portent â croire que Pascal a connu l'ouvrage de
la Perrière ;
i D&QS les deux passages, nous trouvons le même souri do donner par une
accumulation de détails sensibles la sensation de finliiii (Pascal pousse d'ail-
leurs beaucoup plus loin l'analyse) : branches, feuilles, fleurs, graines dans
lu ii — jambes, jointures, veines, etc., dans i autre.
RfcV. &'ll UT, LITTÉR, t>fc LA FhAMCR (T* AnD,), — VII. 20
398 REME H HISTOIRE IJTTLKAIEË DE LA FRANCE.
Le mouvement de ta pensée est analogue : les deux auteurs nous mènent
tu terme de f analyse concevable, pour noua la faire recommencer indéfini-
ment, et nous laisser enfin stupéfaits, Tun devant la multiplication incom-
préhensible, l'autre devant le néant inaccessible,
2D De plus, nous rencontrons chez La Perrière bien d'autres passages dont
Pascal nous oïTre comme de vagues réminiscences,
« Tant est la caverne aux formÎK que toute la terre aux monarehes et princes.
— Tout ce pour lequel nous navigeons. dotons en mer, corn datons, tracassons,
mous tourmentons, et finalement nous tuons, Jt'itf quun très petU fraw-
fl In proportion du eieL »
f Préface de ja 3' centurie.)
L'homme est a le plus grand miracle et le plus grand chef-dYruvre du
monde sensible. — L*hojnme croit comme les plantes» sent commf les bête f et
enleud comme les tntyc*. — L'homme ha este créé entre deux choses fort
séparées : d'autant qu'il ha esté créé inférieur aux anges et supérieur aux
leste* : par quoy faut qu'il ait symbolizalion avecques ses deux rstnim
Vuuc pins iiniil(\ raulttr phts hnsse.
[Préface de la 4* centurie.)
« La majesté incompréhensible et moins encore explicable du monde divin,»
(Préface de la 3* centurie.}
h D'abondant est il chose souz la sphère céleste ou Ton ne treuve évidente
contint h h , retN rimtinut'llt' distension... Le philosophe sloîque dit, que jamais
l'homme ne peult v raye ment estre dit sa^e, que avant il ne se repute estre fol.
Et a Topposite, quand il se repute estre sa^c, c'est lors qu'il est du tout
SpftfOBéi Kt ce d'autant que tout jugement d'acte vertueux doil procéder d'autre
que soy, ciintre la gramie flaoïtercssc que kl Gréez appellent Vhilautie (cf. le moi
est haïssable).
[Préface de ta Moro»opliie.)
3° Enlin nous trouvons chez La Ferriëre la célèbre définition du monde, que
mademoiselle de Gournay répétera dnns sa préface aux œuvres de Montaigne,
et que Babelais avait déjà donnée [Elle est aussi dans les Frisons de Margue-
rite de Navarre, mais ce poème était resté inédit),
Descrivanl Dieu mathématiquement
Dieu est rondeur de telle préférence
Qu'elle ha par tout son centre cs^aliemcnt
Sans recevoir en soy circonférence*
Les rapprochements que nous avons cites plus haut nous portent à croire
que c'est ici que Pascal a trouvé cette définition. La Perrière l'avait d'ailleurs
empruntée à Nicolas de Cuse (qu'il cite plusieurs lois au cours de ses pré-
faces); il mentionne le De doda ignoraniia; or nous savons par il, Lefrane
\Marij. tle Navarre et ie pi Min), de l'École des Chartes, I, LVIIL
p. 259 suïv+) que la définition dont il s'agit s'y trouve tout au long-
Ainsi, sans pouvoir affirmer que Pascal ait eu entre les mains le bizarre
volume de l'ami de Marguerite de Navarre, peut-être sommes-nous autorisés
à croire cette hypothèse 1res vraisemblable, vu les ressemblances que nous
avons signalées.
E, Partl'iihb.
LOCIS EtàClB KT U COMIESPU?* DATiGC DE JKAX-BAPTtSTE ROCSSlÀtL 2fl9
LOUIS RACINE ET LA CORRESPONDANCE
DE JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU
NOTES INEDITES
Presque aussitôt après la mort de Jean-Bapliste Bousseau, son exécuteur
testamentaire. Segtty, gouverneur du prince héréditaire de la Tour et Taxis,
se préparai l à mettre au jour une édition définitive de Ml œuvres et laissait
annoncer que celle-ci contiendrait un grand nombre de lettres de Rousseau.
De fait, lorsqu'elle parut, cette édition s'achevait par une cinquantaine de
lettres, qui, si elles pouvaient donner une idée du talent épîatotaîre de Rous-
seau, étaient loin de représenter tout ce qu'il avait écrit en ce genre, Couti-
n nullement éloigné de France, durant les trente dernières années de sa vie,
il avait beaucoup correspondu, en effet, avec les personnes qui lui étaient
demeurées fidèles et le recueil de ceLte correspondance ne pouvait pas man-
quer d intérêt.
Aussi la publication n'en était que partie remise» En 1750 paraissaient cinq
petits volumes de Lettres de Rousseau mr différents sujets (Genève, Barri Ilot et
fils), qui abordaient plus complètement le sujet, sans l'épuiser toutefois. Le
fond eu était composé de la collection des lettres de Rousseau a l'avocat lyon-
nais Brossette, que celui-ci avait soigneusement conservées et auxquelles on
avait joint un ensemble d'autres lettres venues de diverses parts qui les com-
plètent heureusement et achèvent de fournir une idée exacte du caractère
de llousseau.
C'est Louis Racine qui donna ses soins à cette publication. Mais dans quel
esprit le lît-ilf Certes, il était assez dévoué à la mémoire de llousseau et avait
assez de goût pour s acquitte r de la mission à l'honneur de celui-ci comme à
l'avantage des lettres. Pourtant, on avait alors, en fait de publications pos-
thumes, des façons d'agir qui ne nous satisfont guère maintenant : ou élaguait,
on modifiait, on parait, taudis que nous exigeons qu'on respecte scrupuleuse-
ment L'original. L, Haciue a fait de mènn* et ceci n'était pas pour déplaire
à J*-U. Bousseau, qui souhaitait être traité de la sorte* Lui-même, prévoyant
le < < oirespondaiiee verrait le jour, demandait qu'on le traîlat au
préalable « comme le P. Bre tonneau a tait a l'égard des sermons du P. lîour-
daloue ». En corrigeant comme il l'entendait les passades sujets à modifica-
tions, L. Racine était donc parfaitement dans les intentions de Rousseau.
Lui-même va nous dire comment il a procédé et ce qu'il eût souhaite faire,
ivait eu la liberté pleine de ses mouvements, La Bibliothèque nationale
possède un exemplaire du recueil des lettres de Rousseau avec des annotations
manuscrites de Louis Racine bonnes à recueillir. Cet exemplaire est conservé
h la réserve du département des imprimés sous la cote Z SS&S»$lti, et il est
seulement incomplet du tome tl. tout entier consacre à la correspondance
avec Brossette et qui a été égaré, On y a ajouté (Z '2302) un exemplaire du
Mémoire de Boindïn pour servir à ïhistoifé dêâ ùonpiéto tle /7/f>, qui a «gaie-
ment appartenu à Louis Racine. Celui-ci a écrit sur tous les volumes de nom-
breusea notes de sa main que nous allons donner ci-dessous. Outre qu'elles
èelaïrciront quelques obscurités du texte de Rousseau, elles feront connaître
,300
REVUE D HISTOIRE UÎTtfHAlRt: DE U fRÀMCR.
comment il a été imprimé. Racine débute par une longue noie qui commence
sur le feuillet de garde du premier volume, se continue sur les gardes des
nuire*» et se poursuivrait sans interruption, n'élaït la lacune que nous avons
sipnalée ci-dessus. Cfc&t cette note assez lonpue que nous avons reproduite la
première. Les autres viendront à leur ordre et dans leur suite logique. En les
reproduisant, nous avons indiqué leur place véritable et ce qui pouvait servir
à les faire entendre, Mais Louis Racine s'est assurément permis avec le texte
de Rousseau plus de libertés qu'il n'en avoue. On ne saurait s'en tenir exclu-
sivement à ce qu'il confesse et, si la lecture de ses notes peut être de quelque
utilité, elle ne saurait cependant dispenser de l'élude attentive du texte qui-
conque veut être bien et sûrement informé.
Tome I, premier ftviliH d*- gœtén : Utin&m qui edhlii, ptusjudiciï in
rttgeudts rfitnm in cotiser en dis schediïs adhibuti&et. (Quintilien.)
C'est ce que je puis dire, n'ayant point été L'éditeur de ces lettres; je
n'en ai été que le censeur, Elles me furent remises avant que de 1 être
au libraire; j'ai eu le droit d'effacer les traits qui pouvaient déchirer
quelques personnes : ce que j'ai fait. Si j'avais été le maître du manus-
crit, je l'aurais réduit à un volume qui n'eût contenu que des choses
excellentes1; maïs on voulait le vendre au profit des héritiers df
M. Rrosselle, si un libraire donne plus d'argent d'un manuscrit dout
il peut faire plusieurs tomes que d'un petit ouvrage.
J'ai fait ce que j'ai pu pour rassembler d'autres lettres de Rousseau :
plusieurs sont perdues; d'autres m'ont été refusées par ta haine de
ceux que le nom de Rousseau effraie. M. l'abbé de Breleuil m'eut très
volontiers remis celles écrites à monsieurson père. Maisclîrs ion*, m*a-t-
il dit, entrr tes mains de ma sœur [M™" du Châtelel] et Voltaire ne lai \
mettra pas de fai donner. Il les a peut-être fait brûler. J'ai fait demander
à Vienne celles écrites au prince Eugène. On m'a répondu que l'héri-
tière de ce prince, la princesse d'Hildbourghausen (sic), avait brûlé
comme inutiles tous les papiers de celle succession qui n'étaient ni
contrats ni billets.
On ne doit pas être surpris de ce procédé d'une Allemande, mais de
ce que la même chose est arrivée chez les Jésuites à la mort du
1\ Tournemine. Ses papiers, parmi lesquels il y avait plusieurs lettres
de Rousseau, sont disparus et peut-être ont été brûlés. Ce qui est
arrive parce que le P. Tournemine avait dans... [Le rrste du la note
matKftfr : if devait fif/uree sans doute sur 1rs feuillets de garde da tom$ //,
qui *>st perdu).
Tohk 1 II T pfGtitier feuillet de gwde : Rousseau demeurait dans cette
maison "ehea M, du Coudray], où venaient souvent M"*# LmivancourL,
trois sœurs, dont l'une qui plaisait trop au rnaitre déplaisah à la maî-
tresse. Rousseau, qui élait du parti de Mmr du Coudray, fit une rail-
lerie do cette demoiselle, qui déplut à M. du Coudray. Rousseau fut
renvoyé de la maison.
i. C'esl ce nue L. Racine a dit à peu près dans les mêmes termes diins mn Jciire
insérée au Mercure d'août î 140, p. m.
LOUIS RACINE ET LA COlinFAPONDÀNCE DE JEAH*R.U>TISTK ROUSSEAU
301
Les ennemis de Rousseau ont répandu sur son compte des histoires
très fausses. Il a eu des ennemis 1res vifs, des amis très froids, dont
quelques-uns ont été inlidèles. Sur la lin de ses jours il a eu à se
plaindre de trois prêtres qu'il avait cru ses amis : de l'abbé Desfon-
taines, l'abbé d'Olivet et l'abbé Lenglet. J'ai retranché quelques IraiLs
sur L'abbé d'Olïvctf qui, dans ces lettres, parait toujours son ami* ainsi
que l'abbé Desfontaines; et, par conséquent, j'ai supprimé une dou-
zaine de lettres qui révèlent l'horrible perfidie de l'abbé LengleL
Ce prêtre, qui a ta ut fait imprimer d'ordures, étant à Vienne, a obli-
gation à -Rousseau, qui donnait aisément sa confiance et était fort ser-
viable. Par reconnaissance, l'abbé Lenglet fit imprimer en Hollande,
sous le nom de Brossette, un libelle contre Rousseau; on découvre enfin
que l'abbé Lenglet est l'auteur de ce libelle, car il l'avoue dans la lettre
écrite et signée de lui qui est parmi toutes les lettres que j'ai de Bous*
seau.
J'ai eu la curiosité de questionner sur la vie de Rousseau les per-
sonnes qui l'avaient connu et qui n'avaient aucun intérêt à déguiser la
vérité. Je n'ai jamais entendu
Tomk 1\\ premier feuillet 4e gcretâ : raconter de lui aucune mauvaise
action, ni infidélité, ni m en songe, ni mauvaises mœurs. Ceux qui ont
voyagé en Allemagne attestent tous qu'il était fort estimé pour la
sagesse de sa conduite, à Bruxelles et à la cour de Vienne,
A regard des fameux couplets, il est justifié, et par quelques-unes
de ces lettres, et par M. Titon dans son Partiaux:, el surtout par Boin-
din qui fut autrefois impliqué dans cet alïreux mystère d'iniquité et
était eontr&irâ à Rousseau. 11 dépose aujourd'hui, et le dit à qui veut
l'entendre, que ces couplets furent composés par La Moine, Saurin et
Mallafère. Tout le parlî Pontehartrain était contre Rousseau, à cause de
quelques vers conlre l'abbé Bïgnon, et Rousseau avait fait une chanson
contre le premier président de Mesmes reçu a l'Académie française.
Ainsi le parti conlre Rousseau était très puissant et indisposa contre
lui M** la chancelïére Voisin et Mm*de Mainlenon.
Rousseau fut condamné comme suborneur de témoins, et voici com-
ment il le fut. Vi\ faux ami lui conseilla de donner un louis à un décrot-
leur qui avait déposé contre lui pour le faire rétracter. Rousseau donna
dans le piège, el le déerotleur alla accuser Rousseau d avoir voulu le
corrompre par de Forgent,
Quand il vint à Paris deux ans avant sa mort, il y vint dans l'espé-
rance qu'il lui sérail permis d'y rester, M. de Sénozan, qui en avait parlé
au cardinal dô FJcu ry, lut ayant assuré que ce ministre ne sy oppose-
rait pas. Et, en **lTet, le cardinal de Fleury était bien disposé pour
Hoiisseau; il n'eut pas cependant
Tous V, premier feuillet de gardé : la force de le soutenir- Il n'eut
pour obstacles ni H. le maréchal de Noailles, ni If. le chincelier; mais
il eut contre lui M. de Maure pas, peut-être à cause de l'ancienne haine
des Pontehartrain,
303
REVUE 1» HIM01HE LITTÉRAIRE DE LA FRASCK,
Tome l, sur la gard** : Boindin, qui était tous les jours au café de
Procope, disait à qui voulait l'en tendre que Rousseau, contre lequel il
avait lui-même déposé dans le temps n'était point L'auteur des couplets
et qu'il en laisserait en mourant la preuve par écrit. Il a tenu parole,
et, avant que île mourir, il a déposé à M. Bienfait un mémoire où tout
ce mystère d'iniquité est dévoilé. Ce mémoire deviendra-t-U public? Il
faut attendre* Je crains bien que les ennemis de Roussau ne le fassent
supprimer.
Un des ennemis de Rousseau dans le Parlement fut le président
Maison, parce que Mmc de Maison était nièce de l'abbé Cour Un» contre
lequel Rousseau avait fait une épigramroe.
Sut un feuillet uih/rtift' pu tito du MJwnt : Yoicî le fait de la disgrâce
de Rousseau de la part du prince Eugène.
On était a table chez le marquis de Prié, gouverneur de Bruxelles;
sa femme parla fort mal de toute la maison d'Orléans et dit des choses
très peu respectueuses de la reine douairière d'Espagne, retirée au
Luxembourg. II. de Bonneval, qui était allié à la maison d'Orléans -
en cette qualité et comme bon Français, répondit avec vivacité à
M1** de Prié. La, dispute s'échauffa. M. de Bonne val t outré des propos
de M™" de Prié, dit très haut : OW fewntiê 711* j tarif (tin si des princes ti
des priant ssts mé'Uifuii Mfofl lui enupàt la mh*1. Le marquis de Prié se
prétendit offensé dans le mot dit sur sa femme et prétendit que,
comme il représentait l'Empereur, c'était l'Empereur même qui avait
été insulté. Rousseau courut à Vienne pour parler en Faveur de M. de
Bonneval et le reste- arriva comme je F ai raconté dans ma lettre
imprimée. M. de Bonneval, voyant que la cour de Vienne était irritée.
> Vu fuit et fut condamné à perdre la tète.
Voici la véritable cause de la disgrâce de Rousseau de la part du duc
d'Are mberg.
Rousseau, à qui son édition de Londres avait valu par la générosité
des seigneurs anglais trente mille livres de notre monnaie, les avait
mises dans les actions dXJstende. Étant à table clici le duc d'Aremberg,
où étaient douze personnes, le duc reçoit des lettres qu'il ouvre ; un luj
demande s il y a quelque chose de nouveau, Onj, dit-il. DM m
fju'wit' des conditions de lu pair MM & supprimer la roui pagine i/7J.<-
knêe* Rousseau, alarmé, va chez quelques amis demander conseil sur
le parti qu'il prendra. Tout Bruxelles sait bientôt que la compagnie
d'Oslende Mri supprimée. La cour de Vienne, très fâchée, demande qui
a débité cette nouvelle; le duc d'Àremberg accuse Rousseau d'avoir
divulgué un secret qull avait dit à ses amis et il se servit du prétexte
de la lettre de Rousseau sur Voltaire pour le disgracier.
On donne quelquefois à Londres une représentation a la comédie au
prolit d'un acteur ou d'une actrice. N<ms avons en cela imité les Anglais.
Rousseau était à une de ces représentations qui valut à Tacteur pour
qui elle était donnée quarante mille livres. Eh Kent dit Rousseau,
nous autres, malheureux, travaillons bien nos vers; ce comédien, en deux
LOUIS IIACtBE ET LÀ COltRESPONDASCE DE JEAS-BAPTIHTE ROUSSEAU. 3ttf
heures, fait une fortune qu'un jyoête ne fait pas en quarante a m de tra-
vail.
Rousseau voulut faire imprimer à Paris l'épi Ire X qu'il m'a adressée.
M* le chancelier s y opposa. Sur quoi Rousseau écrivit à M. Boulet la
leUre suivante :
a Je crains pour toos, monsieur, lorsque, avec le rhume que vous
ave&, vous osez vous aller exposer à Tair de la campagne, dans un prin-
temps aussi hivernal que celui-ci* 11 en règne un autre dans les cer-
veaux» qui, Dieu merci, n'a pas passé jusqu'à nous et dont je ne laisse
pas par malheur de sentir le contre-coup par la tracasserie que me faîL
le chancelier au sujet de lëpRre que j'ai adressée à M. Racine, dont le
nom porte dans son esprit un cararlèf* de réprobation, tl voudrait se
raccommoder avec les Jésuites ; je doute pourtant qu'il y réussisse par
de pareilles voies. Ces messieurs ne sont pas dupes et savent que celui
qui passe le but s'en éloigne autant que celui qui demeure en deçà. Ils
ne craignent point d'annoncer mon épllre comme un ouvrage égale-
ment utile aux mœurs et à la religion; mais la dévotion politique de ce
magistrat lui a mis dans la bêta que ers mots Jansênistr et Kunn.-
étaient termes synonymes auprès des Jésuites* Kn quoi il leur fait grand
tort» et ne se fait honneur ni envers le parti qui! déserte, ni envers
celui qu'il feint d'embrasser* Je crains que cette même raison n'em-
pêche la publication de l'excellent ouvrage qu'à fait M. Racine sur la
Mtltfion^ que nos beaux esprits modernes ne ces>eul de tourner en
ridicule, à la honte de ceux que Dieu a mis en place pour la Aéfeftdte ***
Tomb I, page vin, ligne 8 (Notes marginale*. Sur les garants de
Rousseau;, lintre autre M* Blanchard, de l'Académie des Bell^-L'Llres.
L. ti2 (sur ta Monade). Il n'avait que duuze ans quand la Muhndr
parut. Elle était dune nommé LourdeL
L. 30 (On m'a assuré qu'il n'avait jamais été renvoyé d'une maison
respectable où il demeurait). De chez M. du Goudray. Il *>>t faux qu'il
Tait trouvé chez lui faisant des vers contre lui. Cette table a été crue
longtemps*
P. x, I. il (II eut dans la suite une disgrâce véritable). Celle du duc
d'Àremberg. Rousseau n eut jamais aucun tort vis-à-vis lut.
P. xi, L 13 (sur le premier président de Mesmet, qui avait été pu -
féré à Rousseau par l'Académie française), H lit un couplet sur le pré-
sident de Mesrnes : Jugagm te déplaces, »le.
I' \iii. L 3 (Sur Rollin et le testament de Rousseau). Il faut voir la
note qui est à la dernière page du second tome du livre intitulé Parte-
frniltr de Rousmau, chez Key, à Amsterdam, 1751. — C'est ce qui iÇl
encore rapporté dans PAlogfl de M. Rollin par M, de Boze. Mémêfam de
FAcodémie tfsj &e&v~fefJw*, t. XVI, p. 190*
L. 4 (N ayant pu obtenir la consolation de mourir dans sa patrie).
11. de Maure pas s y opposa, à cause de Tépisramme sur l'abbé Ri -mm.
P. xv% I. 2 {L. Racine parle de lui-même à l'occasion dW Flamand
qui le croyait cartésien). Et qui me croyait janséniste.
304
RCTTJB d'|MST0IHE LITTÉRAIRE DE LA F1M.NCE.
P. xvii, h 9 (C'est dans les lettres écrites à Messieurs Boulet, les
confidents de toutes ses peines» que j'ai le plaisir de le suivre
depuis 171 i)t Excepté dans les années dans lesquelles on ne trouve
point de lettres, parce que M. Seguy qui les avait prises chez M. de
Monlhérv ne les lui a jamais rendues.
1\ xvit I. Ut. 11 (Rousseau) a reçu jusqu'à sa mort des secours de
H. (BoutetJ de Monthéry.
1*. xx, 1.17 (Sur les tableaux de Rousseau). J'ai vu ces tableaux, qui
eussent eu un mérite s'ils avaient été originaux*
P, xxi, L 27 (De quelle perfidie i'accuse-l-on depuis sa sortie de
France?). Et dans sa jeunesse il n'a été coupable d'aucune,
P. xxtiy I. 29 'Des hommes qui ne lui avaient que des obligations).
L'horrible perfidie de l'abbé LcngleL
P. xxiv, h 1 (Sur les lettres de Rousseau qui furent communiquées
à TëdiLeurj. Combien d'autres plus importantes m'ont été refusées, et
même brûlées et sacrifiées h Voltaire.
P. 26, L 10(11 n'est presque rien arrivé à Rousseau qui ne soîtiueix-
tionné dans ses lettres à MM. Boutet). Ce qui serait très vrai sans la
lacune dont j'ai dit plus haut la raison.
P. 2u\ 1. 11 (Le poème auquel Rousseau fait allusion là est) Son 7or-
ti<t>lis>
P. 43, 1. 7 (Comme tout ce qui porte le nom de *.. me doit faire hor-
reur). Ponlehartraîn . Toute cette maison était contre lui à cause de
l'épigramme sur l'abbé Bignon*
P, 44, dernière ligne (A l'égard de M. ..* il nVest indifférent). Dagues-
seau, alors procureur généra].
P, 47, I. 2 (Je vous remercie d avoir fait ma cour à M. le premier
président) de Meemes.
P. 48, 1. il (M. Blanchard). M, Blanchard, de l'Académie des belles-
lettres, qui a demeuré longtemps chez M. de Villeroi.
P, 49, lettre du la avril 1712 : J'ai retranché de cette lettre des
choses qui auraient pu blesser les juges,
T. 80, dernière ligne (M, de D*** ). M. de Dreux.
P. 51, à la fin de la lettre : La manière dont il parle dans cette lettre
sur ce jugement est très remarquable. On verra dans le cinquième
volume que ce jugement lut rendu sans avoir observe les règles.
P, 50 et 51 (L. Racine a écrit sur un feuillet blanc intercalé entre ces
deux pages des passage» qui .sont évidemment ceux qu'il a retranchés
de la lettre de Rousseau. Les voici : ) « Après toutes les injustices que
j'ai essuyées, je ne devrais être surpris de rien. Cependant je ne m'ac-
coutume point encore assez h l'iniquité des hommes pour voir de sang-
froid la dernière qui m'a été faite. J'ai vu un infâme scélérat triompher
de la vérité et de la justice ; j'ai vu ces crimes couronnés d'une justifi-
cation éclatante, au mépris de tout ce qu'il y a de plus saint sur la
terre* Je devais regarder comme une conséquence nécessaire ce qui
m'arrive aujourd'hui, Yoîlà donc ce grand ouvrage d'iniquité entière-
LOUIS RACINE HT \.\ r.eitKKMnM>A\( C l>K JhW-UU'nSH MÛSSSAtt. 305
ment consommé, mais je ne comprends pas sous quel prétexte on a pu
fonder un jugement si honteux à ceux qui Tout rendu, Si c'est sur la
subornation, il est bien doux; si c'est sur les vers qu'on a eu le front
de m'attribuer, il l'est encore trop- Mais comment a -t-on pu prouver
l'un et l'autre sans faire pendre huit témoins qui ont tous dit la même
I lioset et si on ne Ta pu prouver, comment a-t-oa pu me condamner?
Si je suis banni pour mes épigrammes, etc. »
(Le passage qui précède est le début de la lettre du 15 avril 1712* Ce
qui suit en est la fin). « Dieu me préserve de laisser jamais croire à un
homme que je me tiens son redevable, quand il me laisse opprimer, en
donnant lieu à toute la terre de penser que je suis coupable du crime
d'autrui et que je suis encore mieux traité que je ne mérite. »
P, 53, L 13 (Il est donc vrai que M. G. est mort insolvable). M. G limé,
qui avait l'Opéra.
P. 54, 1. 15 (J'ai rei;ii une fort jolie lettre du jeune M. A rouet). 11 ne
s'attendait pas alors qu'il serait son plus cruel ennemi.
P. 55, dernière ligne (M. de "* me doit). M. Rouillé du Coudrây,
P* 74 , lettre nu pensionnaire Heinsius. Cette lettre n'empêcha pas
l'édition de Gacon de paraître.
P. 78, LS. Saurin el La AI ot lie.
P. 105, K 14 (A regard de P.). Palaprat.
P. 110, 1. 12 (Pour la pensée où vous êtes que les dômes ont beaucoup
de pouvoir sur mon esprit, je puis vous assurer qu'elle est des plus
mal fondées : on ne pense pas à quarante ans comme à dix-unil). Voilà
tout ce qu'il dit sur cet article, quoiquVcrivant à un jeune homme, et,
dans toutes les lettres de llousscau que j'ai lues manuscrites, je n'ai
jamais trouvé un mot de badio&ge sur les femmes ni sur la galanterie.
P. 115 (Mousse a u à M. D...). Au baron deBreleuiL
P. 125, L 18 (La charge que nous* avons prise). De conseiller au Chà-
telet.
P. 128, 1. 16 (Sur la Btnriade), 11 (Uousseau) en parla tré* ditTéremment
dans la suite. Il jugeait quelquefois par passion.
P, 133, I. 8. Ils sont traduits des vers latins faits par M, Le Beau,
P. 138, 1. 4 (Directeur des haras du Parnasse). Ce chef est l'abbé
Btfjnmm, qui était h la tête du Journal fct&MMn/J.riaiis lequel Rousseau
avait été maltraité. J'ignore qui étaient alors ces quatre journaliste*,
P, 140, I. 10 (Sur le supplément des œuvres de Rousseau). Les épi-
grammes obscènes dont il a toujours témoigné son repentir. On verra
dans les derniers volumes <v qu'il en dît euroiv.
P; £0 (A Londres]. Un seigneur anglais l'engagea (Housseau) à lui
faire connaître celles dont il éLait l'auteur.
P. 147, L 1. Cependant, comme je l'ai dit dans ma lettre, ce fut la
cause du refroidissement du prince Eugène pour lui.
P. 148,1. 17 (Le ermite de Bonneval a eu- tort dans tn forme et grande
raison dans le fond»). Il s'emporta contre M*",: de Prié, qui parlait très
mal de la reine d'Espagne.
306
REVUE DHISTOHu: I 11TI --.UAIHK DE LA FfiANCE,
IV 150, 1. I. H (Bon ne val) fut condamné à perdre la tête ei il &e lit
Turc.
P. 153, l, H. Le prince Eugène commenta à se refroidir pour lui
(Rousseau).
P. 151, 1. 5- Tout ceci est la preuve de ce que j'ai raconté dans nia
première le tire
P. 157, I, 15. H veut parler de la Henriade de Yollaire.
P. 159, la 17, Il parle du recueil des poésies de Roy,
P. 160, L 5. Il parie d'une nouvelle édition de la Hem uni*1, faite avec
beaucoup de changements.
P. 161, à la fin de la lettre. Si on avait la suite, on verrait ce qu'il a
écrit sur l'affaire de M, de Ronneval; mais on trouvera bientôt une la-
cuite, parce que M. Seguy a pris plusieurs lettres à M, Boute L
P. 1B5, 1, 18, Il parle de Voltaire.
P. 180 (Lettre au P. P, M...), Au P, Marsy, qui quitta depuis les Jé-
suites.
P. 10 (M. le duc...]. Le duc d'Àremberg pour la colère contre lui
n'eut qu'un très léger motif. Rousseau, dans un écrit sur sa querelle
avec Voltaire, avait mis : Ceci s'est passe devant .1/. letfne d Xeemherrj.
Ce seigneur fut irrité d'avoir été nommé, sans que Rousseau lui en eût
demande la permission.
P. 183, 1. 6 (Les premières lettres de rappel de Rousseau), IL en pensa
mieux dabnrd, Voy. p. 87.
P. 185» 1. 17 (Une expiation des fautes dont il n'appartient qu a Dieu
seul éf m réserver la punition.}, IL a tort, puisqu'il dit lui-même en
d'autres endroits qu'il a mérité sa punition par ses êpigrammes, page
49.
P. 186, 1. 11 (Un ami dune fidélité impénétrable). Il (Rousseau) trouva
dans la suite en lui {l'abbé Desfontaines) un ami infidèle.
P, 187, a la lïn de lu lettre. Quelle raison pouvait l'engager à écrire
Mur 4M KM à k'abèé Desfontaincs? Avait-il quelque intérêt à jouer avec
lui le rôle d'hypocrite?
P. 18*», L :>. Saurin avait été condamné en Suisse pour un vol, Jai
vu l'original de la sentence.
P. iïM>t L 15 (Les mauvais offices que m'a rendus un ami). L'abbé
d*0livet, qu'il reconnut n'être pas son véritable ami.
P. 200, L 19 (Rousseau parle des tableaux qu'il a et qu'il dit d\m
grand prix), Il le croyait; j'ai vu ces tableaux chez M, de Monlhéry.
P. 313, 1. 5. J ai laissé cette lacune pour ne pas faire connaître quel*
ques railleries sur M, te chancelier Dagueasau, qui refusa la permission
de faire imprimer Vépltre de Rousseau parce qu'elle m'élftît adressée
et que, comme dit. Rousseau, Racine et Jansénisme, lui paraissent même
chose.
P. 31», I. 1M W* ). M. Chauveliu.
P. 2âH, L 3 (Un valet de chambre de votre premier ministre)- Barjac,
qui protégeait le fils de Saurin.
LOI IS RACIH1 H LA COIlRESPOSDAffCE DG TIliffil if TUTTI HlHJSSEAU, 307
P. 231, L 5. II lil celte* êpijçrranune sur M* Lasserê.
P. 231, I, 15 iM"*ï. Jolj île Flcury, procureur général, qui lui avait
fait dire que l'air de Paris ne lui va lai L rien.
P. 235, I. 8, et p. -238, L 23 (M"*;. Jnly de Fleury.
P. 248, L 10 (M'" du *"). M»* du Chàtelct, à qui il d-uine encore un
Bût fort impie que j'ai supprima
P. 130, L - (Que peut-on craindre?...), 11 ajoutait : A-t-on fp>nt' fu*ii <y
ail du JansthtLimr?
P. 258, L 20 (Rousseau voulait qu'on corrigeât ses lettres avant de
les publier:. Il ne s>* attendait pas que c'était ce que je ferais moi-
même,
P. 266, 1. 20 (M, le duc de...). Le duc d'Aremberg, qui se repentait de
sa première vivacité.
P. 375, L 52 (Mort du comte du Luc.i. Sa douleur sur cette mort est
d'autant plus estiuiahir que le comte du Lue l'abandnnna quand il vînt
à Paris, lui qui L'aimait lorsque sa compagnie l'amusait à Soîeure.
P, 275, 1. 7 i L'exemple de M. Le Franc). Parce que M, Le Franc lut
exilé a muse d'un discours public dans lequel il avait parlé nmhv cer-
tains abus dans la finance*
k Bft, 1 17 (v;,. k VoJuiwr.
P. 31.15* 1. 5 Le P, Berruyer assista Rousseau mourant!. J'avais écrit
d'abord qu'il le confessa, parce que le domestique de Rousseau me
l'avait mandé, Mais le P, Berruyer m'a fait dire qu'il n'avait fait que
lui rendre des visites qui lire ut croire apparemment au domestique
qu'il avait confessé son maître.
T. 9QA. Ces lettres sont écrites à un M. deSainl-Rambert, de Bruxelles,
qui était pour quelque temps à Paris, où il faisait les affaires du duc
d'Àremberg.
P. 307, L 17 M. le ... ). Le marquis de La Faye.
P. 311, L 13. L'ëvéque de Mines, La Parisière.
f, 315J.22 PènML., . U ï\ Girard.
V. :i2;LL 80. (M-*), Crêbillon.
P. 326, I. 20. Un cachet sur lequel on avait gWé les lèles de Des-
cartes, Bayle et Fonlenelle,
P. 32!), L 22. Voltaire,
P. 332, à la fin. Voyet dans les Mnmlfa KfflAwvr, t. VI IL p* 134,
une liste d'ouvrages faussement attribués à Housseau dans l'édition de
Rotterdam, 1742.
(Sur le dernier feuillet de garde à la fin du volume :) Quand Saurin
fut mort, MM, de Berne écrivirent à Fontenelle qu'il fallait, dans l'éloge
qu'il en ferait à l'Académie, louer son savoir treométrique, mais que s'il
louait sa conversion comme sincère ou sa probité, ils dnnneniîivnt des
preuve* du contraire. Fiuitenelle loua l'ami de LaMidhc de tonte façon,
B&D8 avoir égard à la lettre de MM. de Berne, qui firent imprimer dans
b> Mercure suisse des mémoires qui l'ont connaître Saurin. Ils sont
dans les volumes de ce }frrcun\ avril 1736 et janvier 1741. M, l'abbé
30K
REVUE t> HISTOIRE uriLUÀlUK HK LA FRANCE.
Goujel, qui m'a appris relie particularité, les cite adroitement dans
l'article Sauiun du supplément de Muréri, 1749.
Voy. outre cela la Bibliothèque germanique, vol. XXXV, el la ffihlîo-
îhiquê raisonnée^ vol. XXVI, où on trouve une lettre qui prouve que
Sa u ri n était un fripon elun hypocrite.
Tome III, premier feuillet de garde, (Sur le départ de Rousseau de
chez Rouillé du Coudrny}. M- Blanchard nVa ainsi raconté la chose. On
avait Tait une chanson sur MlL" Louvaneourt dans laquelle on disait:
Charmante Louvancourl,
ijui chaque jour
Donnes de l'amour.
On la chantait devant Rousseau, qui dit : Au lieu tir donnez, oh pou-
rttit (fin- prenez* M. Du Coudray, irrité de celte plaisanterie, pria Rous-
seau de sortir de sa maison et lit accroire qu'il avait l'ait des vers pour
l'insulter* Sa colère venait de plus loin. La véritable cause était que
Rousseau, chargé de l'éducation rie si in fils, lui dit un jour qu'il n'en
ferait jamais rien et qu'on n'en pouvait rien faire : ce qui s'est trouvé
très vérilable.
P< 9, I. 12. Ces paroles sont remarquables ; Rousseau se rend justice
else sent très inférieur à Marot, pour le style, quand il veut l'imiter.
P. 10, t, S (Sur les épigrammes libres de Rousseau). Il en a toujours
parlé de même et elles n'ont été publiques que malgré lui.
P. 16, I. 7 M. de fi#É*j. M. de Barcos.
P. 50, I, 8 (Sur Baron que Rousseau regretta seul). Cela est trop forL
P. 87, I. 22 (Sur YAndromaque de Racine). Jugement excellent*
P. 10f>, I. 19 (Sur des vers de Rmsseltc}. Est-il sincère quand il fai-
sait cet éloge des vers de Brossette?
P. 119, l. ^u\ Il avait lait ces vers sur Samuel Bernard,
P* 125, L 5 (Sur M™4* Deshoulièresj. U a raison de mépriser cette
dame, à qui trois ou quatre pièces ont acquis parmi nous trop de répu-
tation*
P. 137, 1. 5. On voit qu'il ne veut point donner la clef de certains
ouvrages, el la prudence est très louable.
P. 204, 1. 11 (F—), Fontenelle.
P. 233. Fontenelle fut très fâché de trouver ici cette épitaphe.
Pi 239 Sur le P* BerruyerU Les Jésuites furent très fâchés de trou-
ver ce morceau sur le P. Berruyer. Fallait-il le supprimer? et n'est-il
pas important de faire connaître l'impression que La lecture de ce livre
fit sur un homme tel que Rousseau? Si elle le révolta h ce point, ceux
qui dans l'Église s'élevèrent contre ce livre ne durent dotlO pas être
accusés de n'agir que par haine contre les Jésuites. Rousseau n'était
pas sans mérite et H a pensé de ce livre comme en ont pensé ceux quToû
a accusés d'être sans mérite.
Un a retranché, à la vérité, toutes les extravagances les plus scanda-
leuses de la première édition, mais malgré ce retranchement on a
l ul IS BACIKB ET LA C0nRÏISJ>OM>À%Cfc DE JKAN-BAPT1SIK IlOlSSKAL. 3CW
eu raisun de dire que M, Hollin avait écrit l'histoire profane en style
saint et le P. Berruyer avait écrit l'histoire sainte en style profane,
P. 2HL I. 14 (Sur le commentaire de tinileau par Brossellej. Il veut
parler de l'édition donnée par l'abbé Souchay.
Tome IV, p. 16. Toutes les lettres a M* Crousaz m Vint été remises par
M. Luys Duché seau, son petit-fils. Je les garde originales, et les copies
y sont conformes.
P. 93, L 15 (La vertu et la joie sont rares). Maxime qui a besoin
ûV&xplicalioQ.
I\ lin Lettre que M. Loys a écrite à M*"), ftaeine. Cette lettre m'a
été écrite par M. Loys Duchcseau.
P, 181» 1* 20 (Sur la satire de YÊtjuivoqtw de Boileau). Combien dé
gens ne connaissent pas comme Rousseau le mérite de cet ouvrage!
P, 202, 1. 8 (Sur la MoHnde). Cette preuve est sans réplique. Il avait
retenu cette pièce par cœur, et, comme on la lui avait entendu réciter,
on crut qu'il en était l'auteur.
i Nota a la fin du volume, j A la page 202 de ce volume, on voit que
Rousseau n'a jamais composé la Monade* Combien de personnes croient
encore aujourd'hui qu'il en est Fauteur!
P. 204 (Sur l'ode à Mm* de Fériol). Celle application qu'on fit de l'ode
1 Hm de Fériol, chez laquelle allait sauvent le maréchal d'Huxelles,
fui cause qu'il ne Ta jamais mise dans ses œuvres, même après la mort
des personnages et quoique cette ode soit pleine de poésie. Celte pru-
dence lui fait honneur,
P. 210, L 17 (Sur Tépigramme ChrysQtorju" toujours opiné). Elle était
sur Tabbé Bïgnon.
P. 244. Lettres à M, Hardi" m, qui m'a remis les originales.
P. 244> 1.3 (H. H*"). Racine.
1\ 2UT I. <» (Poème de M, R"ÉÉj. Le poème de la Reltpon.
P. 204, L J4. Sur les Popes français et sur les Voltaires anglais.
P. SM». I. S I M de B..«). Rupelmonde.
P. ï88, I. 18 et 17, p, 289, l, 10 (M. '"). M. de Maurepas.
P. 290, 1. 19. Il ajoute : « Voudrait-il être pejor pesshno, e"est-à~dire
encore plus méchant que snn père le comte de Pontchartniin », Trait
que j'ai retranché.
P. 300, l, 2-1 et 25. M. le chancelier et M. le maréchal deNoailles.
(Note à la fin du volume.) On voit par ces dernières lettres que
M, de Maurepas fut celui qui s'opposa à son retour. Rousseau dit dans
une de ses lettres : Que penser de ce ministre, prévenu* comme vans dm
le mandez, contre un homme tel que }/. /tue i ne'/ Cet endroit m'a appris
«pu M. de M au repas était déjà prévenu contre moi. J'en ai toujours
ignoré la raison. Quand il s'est agi pour moi d'une place de pension-
nai! v i\ l'Académie, il a bien fait connaître qu'il m'était contraire. Que
lui avaîs-je Tait?
Tome V, mr te premier feuillet de tjarde. Lorsque M. de Jonvilte,
chargé des affaires de France à Bruxelles, donna une fête pour la nais-
312
REVUE D*MSTOITtlC LlTTÉItAlRK l*E LA FRANCE *
l'article inséré dans le [Hctionïmire de Chaufepïé m'avait révolté. Je
correspondais dans ce temps-là fort amicalement avec M: Louis Racine
et nous trailiiMis souvent ce sujet dans nos lettres. Vous trouverez,
monsieur, dans les derniers volumes de la Bibliothèque impartiàU*
diverses lettres qui y sont relatives. Un anonyme y fcémoiglM beaucoup
d*acharnement contre la mémoire de J.-B. Rousseau et s'emporte avec
une vraie fureur contre moi de ce que je pense à Ja réhabiliter.
Je ne voulus pas pousser plus loin cette désagréable controverse,
mais je lis l'ouvrage qui est en manuscrit chez le libraire Delalain. J y
ai démonté, pour ainsi dire, l'article du dictionnaire de Chaufepïé et
j'ai mis à la suite du venin qu'il répand l'antidote qui m'a paru pouvoir
lui être opposé. Je nVi puisé que dam des sources publiques, mais
je crois avoir rassemblé d'une manière assez complète tout ce qui peut
servir h V histoire de J,-B\ Rousseau et de ses démêlés avec H. de Vol-
taire, J'y ai joint l'histoire de M. Saurin le géomètre, qui m'a paru s'y
lier naturellement.
Je proposai, il y a trois ans, je crois, à M, Fréron de procurer l'im-
pression de ce manuscrit. Il s'y prêta et il arriva un incident causé par
les Trais du courrier qui furent exorbitants, au lieu que j'avais demandé
à nos commissionnaires que le manuscrit fut envoyé par le chariot de
poste. Cela a fait, si je ne me trompe» entre 80 et 100 livres. Le libraire
Delalain a payé ce port et a mis dans ses catalogues l'annonce du livre
(avec mon nom, contre mon intention) comme devant être imprimé
chez lui* Depuis ce temps jusqu'à votre lettre, monsieur, je n'en ai pas
ouï parler. J'ai supposé que les difficultés de la censure arrêtaient et
que cela venait peut-être d'égards pour M, Saurin, actuellement de
l'Académie française, quoiqu'il ne me paraisse pas que la mémoire de
son père soit blessée dans ce que j'en ai écrit.
Berlin, le 15 juin 1171,
Je suis bien charmé que les témoignages de ma confiance vous aient
été agréables, monsieur; ils étaient naturellement dus aux avances
d'estime et de politesse dont vOWfl m'avez honoré et je n'ai point d'autre
manière de procéder que celle dont vous pouvez juger par là. La lettre
ci-jointe au sîeur Delalain que j'écris à votre réquisition vous en con-
vaincra de plus en plus. Vous verrez comment il se tirera de ce pas :
|S ne lui marque pas un iota qui ne soit exactement de fait. Je serai
bien aise d'être instruit de l'issue.
Je n'ai qu'une remarque à ajouter vis-à-vis de vous, monsieur; cVst
que je n'entends pas me constituer votre débiteur des 83 livres que voua
donnerez pour retirer le manuscrit. Cela remonte toujours à l'état pri-
mitif de la question : ces 83 livres n'ont jamais du être sur mon
compte. Delalain a voulu les payer : c'était à ses risques; h présent,
monsieur, vous voulez les rembourser à Delalain : il en est de même,
et vous ne devez le faire que dans l'attente de tirer de l'acquisition de
LOUIS RACINK ET LA CORRESPONDANCE DE JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU. 313
ce manuscrit de quoi vous dédommager de ce débours. Quant à ce que
je pouvais espérer pour parvenir aux 200 livres que j'avais stipulées
avant cet incident, vous serez toujours parfaitement le maître, mon-
sieur, de cet article-U, et, quoi qu'il arrive, je compterai pour beau-
coup de vous avoir obligé et d'avoir acquis votre amitié. Je suis bien
sensible au souvenir obligeant de M. Fréron et je vous prie de l'en
assurer...
Connaissez- vous M. de La Gondamine ou voudriez-nous faire connais-
sance avec lui? Alors je vous prierais d'aller un jour, à votre commo-
dité, le voir, le saluer de ma part, et lui dire que je lui ai écrit le der-
nier, que je compte qu'il a bien reçu : 1° les programmes des questions
pour les prix auxquels il s'intéresse; 2° les derniers volumes des
Mémoires de notre Académie, qui ont été mis avec ceux pour M. d'Alem-
bert dans un envoi que M. Bernouilli a fait à Paris de son ouvrage
intitulé Recueil pour les astronomes. Je souhaiterais fort que M. de La
Condamine me donnât de ses nouvelles.
L'anonyme de la Bibliothèque impartiale était un vieillard nonagé-
naire. 11 doit être mort depuis longtemps. Mais Voltaire vit.
Je croyais, monsieur, que mon ouvrage pouvait vous être utile à
titre de compilation exacte, qu'il vous épargnerait des recherches et
que, si M. Delalain vous le cède pour ce qu'il lui en coûte, le marché
ne sera pas désavantageux. J'ai été le seul perdant dans cette affaire.
J'avais stipulé 200 livres pour mon honoraire, M. Fréron m'avait mandé
que je les recevrais et l'incident susdit a tout dérangé. Je serais bien
aise si, au défaut de mon utilité particulière, il pouvait encore résulter
de mon travail quelque chose qui tournât à l'utilité publique.
Je me félicite d'avoir acquis la connaissance d'un homme de votre
mérite, je la conserverai avec plaisir et vous me trouverez en toute
occasion disposé à vous donner des preuves de la considération distin-
guée avec laquelle j'ai l'honneur d'être... Forme y.
Disons en terminant que le manuscrit du travail de Formey n'est pas perdu.
Il porte pour litre : Les vies de Jean-Baptiste Rousseau et de Joseph Saurin.
(A Genève, chez les frères Cramer, 1767), et il est également conserve mainte-
nant à la bibliothèque de Chartres sous le n° 835. C'est une compilation qui
ne contient rien d'inédit, mais qui expose avec mesure la vie et le caractère
de J.-B. Rousseau.
P. B.
R«V. DHI8T. UTTÉR. DE LA FRANCE (7« Alin.). — Vil. 21
314
REVUE Il'HlSTOIRK LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
LES ENFANTS DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU
Mm* Frederika Macdonald a publié dans îa Berne des Bévues du 15 mars (000
un article : FfW ta réhabilitation de Jean- Jacques Rousseau (lu légende de &?$
cnfimt*), qui Tait suile à deux autres, du J*r octobre 1898 : Comment Romteau
fut mlotnnié; et du ifi août 1899 ; Lu réhabilitation de Rousseau,
Sans entrer dans la discussion des idées que M'"* Macdonald a indiquées,
et qu'elle voudra sans doute développer dans l'ouvrage qu'elle prépare, je
présenterai des observations sur deux points»
I, Au livrr' ¥11 des Confessions, Uoussean parle du séjour qu'il fît à CUenon-
ceaux eu 1747, Mais il a fait dans ce château deux séjours, en 174G et en 1747 ;
c'est ce qui ressort de sa lettre à Mn,c de Warcns, du 17 décembre 1747 ;
« fl tfj a que six jours, ma très chère maman, que je suis de retour de
Chenonceaux* En arrivant, j'ai reçu votre lettre... je vois que vous n'avez pas
reçu celle que Je vous avais écrite de la... Dans réloi^nement où j'étais de
tout bureau pour affranchir, je hasardai ma lettre sans affranchissement...
Ce qui m'avait enhardi a hasarder cette lettre, c'est que l'année dernière, il
vous en était parvenu une, que j'avais hasardée de la m^me manière. »
VAiU$ Ûé Sylvie et la première grossesse de Thérèse se placent dans le pre-
mier de ces deux séjours. En elTet Jean-Jacques a dit dans YÂltée de %/>
Déjà île mon septième lustre
Je vois le termu s'avancer.
Et il était né le ÎÎ8 juin 1712. — Quant à la naissance du premier enfant de
Thérèse, il faut la placer sans doute dans l'hiver de 17i6 à 1747. On se rappelle
en effet que la liaison de Rousseau et de Thérèse date de l'été de 4745.
% Je ne partage pas l'avis de madame Macdonald sur le silence qu'auraient
tfardé les anciens amis de Rousseau snr le chapitre de ses enfants. Comment
Voltaire a*l~il su te secret de Housseau, qu'il a révélé dans le Sentiment
rituyens, en décembre 17641 Deux ans plus tard, le 3 novembre 1766, Voltaire
écrivait encore à M. de Ghabanon ; « Voyefc Jean-Jacques Rousseau, il traîne
avec lui la belle mademoiselle Le Vasseur, sa blanchisseuse, a fiée de cin-
quante ans, a laquelle il a fait trois entants, qu'il a pourtant abandonnés pour
s'attacher à l'éducation du seigneur Emile, et pour en faire un bon menuisier. »
Par qui Voltaire a-t-il élé informé? Cest Grimm sans doute, dans le séjour
qu'il a fait à Genève en 17iV.lT qui a mis Voltaire au courant; à moins que ce
ne soit Tronchin. Dans les lltreunrs chrétienne* I vingtième année, Genève, 1893)
j'ai publié une lettre du docteur Tronchin à son fils» datée du lçr juillet \7iY*> :
w On dit qu'il ilioftasettu) est enragé, et qu il veut se retirer en Ecosse, C'est
grand dommage que cet homme n'ail que l'appareil de la vertu. Et c'est ce
qui explique comment, ayant vécu dans l'impureté, et ayant eu plusieurs
enTants d'une concubine, il les a lous exposés. Quiconque peut manquer au
premier sentiment de la nature, tient bien faiblement à tous les autres, m
EUGBWE RlTTEfl.
LE SEftMOH DES CINQUANTE.
315
LE SERMON DES CINQUANTE
Dans un article de la Revu? des Deux Mondes, du {'6 mars 1880» M. Rru ne-
utre a exactement marqué la date où parut le Sermon de$ cingwanU, La pre-
mière mention de cette brochure est dans une lettre de Moullou à Jean-Jacques
Rousseau, du 21 août 1762 : « Je viens de lire un petit ouvrage qu'on m'a dit
de Voltaire, et qui est bien marqué à son coin, intitulé ; Sermon des cinquante*
C'est une chose horrible.,. Je ne doute pas cependant que cet ouvrage n'ait
été imprimé à Ueuève. i
M. lfrn«esco, dans le second volume de sa Bibliographie de Voltaire (t885)t
pages IIS et suivantes, ne cite pas cet article de II, Brunit iére, ni la lettre de
Moullou; et il mentionne seulement les lettres des mois de septembre et
octobre 17 fi 2, où Voltaire a parlé du SffMfl ttes cinquante. On vient de voir
que la publication en est antérieure d'un mois à l'époque indiquée ainsi
par M> Bengeseo,
Mais quand Voltaire, au mois d'août 1702, a fait imprimer le Sermon dm
rinqiifititi\ rst-ce qu'il venait de l'écrire? (Test Tavis de M* Brunetiere t * Le
Sermon des ctnffuttnti% dit-il, lut uue réponse de Voltaire à la Profession de foi
du tricairt iaooyQrd. IL fut composé pour disputer à Housseau l'honneur d'avoir
attaqua seul en lace l'élertielle ennemie des philosophes, « {lievtte des Itetiz
Mondes des IS mai 1878 et ta mars 1880.)
C'est aussi, semhle-t-iL l'avis de M. Beugeseo, d après lequel « c'est a tort
que titimm, dans sa Correspomlancû littéraire (édition Tourneux, VU, 147) dit
que le Svrmott dus cinquante fut prononcé à Berlin pendant le séjour du
patriarche h la cour du roi de Pruss»
Mais un document qui avait échappé jusqu'ici aui chercheurs vient donner
raison a lin ni m,
La Beau nielle, dans sa Heponse au Supplément du Siècle de Louis Xt\\
Colmar, IToi, a réimprimé des pièces qui avaient déjà été publiées antérieu-
rement, entre autres un mémoire de Voltaire S daté de Berlin, 27 janvier (753.
a m: dfs apostilles de La Beaumelle, datées de Paris, 3 mars 1753. Voltaire
avait dit dansée mémoire, en parlant de La Beau nielle : « C'est cet homme
proscrit dans tous les pays, que Maupertuis recherche dès qu'il est arrivé, et
qu'il va soulever contre moi... u Et La Beaumelle apostille ainsi ce passage;
« Promit? Hans quel pays, et pourquoi? Serai s -je l'auteur de ce Sermon de
(sic) riuqiumte, qui ne peut devenir public que le prédicateur ne soit mis en
pièces par tous les peuples qui vivent sous la toi de Christ, de Moïse, ou de
Mahomet? »
Evidemment La Beaumelle» pendant son séjour à Berlin en 1752, avait
entendu parler du Sermon de* cinquante, qui est ainsi antérieur de dix ans à
la publication de V Emile.
EUGÈNE RlTTCH,
L On trouve ce mémoire dans l'édition Motand, t. XV, dans une note de la page 95.
316
ntvrE d HiSTOiHK i rn i haihe de la krànœ.
SUR LE PORT-ROYAL DE SAINTE-BEUVE
Tous ceux qui s^inléresserit à la littérature du stx*' siècle ont entendu parler
des magnifiques archives qu'a constituées, avec tant de zèle et de perso vi -
rance, l'érudii. helpe, le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul. Bien des
ouvrages qui ont paru en ces dernières années, sur les ccuvres et les hommes
(ou les femmes) de celle époque, ont puisé IA quelques-unes de leurs révélations
les plus curieuses, quelques-uns de leurs documents los plus précieux, — et
elles contiennent encore beaucoup d'autres trésors inconnus du grand public.
Il in\i été donne récemment d'apprécier, en même temps que riu^pitaliére
complaisance du propriétaire, la richesse de ces archives. Sachant que je
m'occupais Ûe Sainte-Beuve, M, de Lovenjoul a bien voulu mettre â ma
disposition les nombreux papiers du critique qu*i! avait acquis en bloc, 1 no
main dévouée les a classés et répartis en un certain nombre de dossiers, en
sorte qu'il est facile de s'y retrouver. J'y ai pu jeter un coup d'œil, malheu-
reusement trop rapide* Il ne me paraît pas sans intérêt d*ezpOier ici* avec
l'autorisation de M* de Lovenjoul, ce que j'ai trouvé dans l'un d'entre eux, le
dossier de Port- Royal.
Ce dossier devait renfermer Je manu^rii des leçons que Sainte-Beuve a
professées à Lausanne; et, s*îl était complet, il nous présenterait comme une
première édition du magistral ouvrage auquel ce cours a donné naissance.
Malheureusement, toutes les leçons n'y sont plus. Sans doute, Sainte-Beuve
en aura utilisé nu certain nombre pour J'im pression du livre tui-même; ou
bien, il en aura distrait d'autres de L'ensemble, soit pour les Insérer dans l'un
de ses cours à l'École normale, soit pour les employer dans un article ulté-
rieur. Quoi qu'il eu soit, je n'ai plus trouvé réunies que les leçons 26, Si à 56»
et 59 à Si, soit 27 en tout; Sainte-Beuve en avait fait 8L
La première chose qui m'ait frappé, quand j'ai parcouru ces manuscrits,
c'est la perfection de la rédaction. Ce ne sont point des notes plus ou moins
incomplètes, un canevas plus ou moins étendu; ce sont au contraire des
développements suivis, soignés dans le détail même, au point qu'on aurait pu
remettre telle quelle chacune de ces leçons à l'imprimeur. On serait tefité
de croire que Sainte-Beuve les a htes ;i ses auditeurs. Cependant, il s'en
défend; et, à l'en croire, il entendait ne point s'asservir à ses notes.
M. Roustan, professeur au lycée de Lyon, a bien voulu me communiquer
quelques lettres médites, écrites par Sainte-Beuve à un ami Lyonnais, Col-
lombet. Jy liss à la date du 3$ décembre 1837 :
m... LY-Lude, vous le savez, a de grands charmes, et les jours, avec elle, ne
comptent pas. Quand on a trois leçons a faire par sem;iin«': et qu'on était
accoutumé à la rêverie libre et à la paresse de la- bas, on subît \m(\ brusque
métamorphose. Je ne m'en trouve pas mal. Mon cours va : j'ai trouvé ici un
intérêt à ta fois bienveillant et sérieux, qu'en vérité je n'eusse reocODtre, je
crois, à ce dc^ré, nulle part ailleurs. On s'y intéresse à ces matières et je puis
y pénétrer en détail sans chercher de digressions et sans les dissimuler, I
toutes mt$ leçcnt, et pourtant f improvise, ou du moins je faù une demi+imi
tisatiint, t n / me§ papier* que je ne suis que pour te sens et le grog.
Comme pourtant tout est écrit, fy gagne d'avance sinon tit rédaction définit
du moin$ ta matêrvtwc </r mon livre* Si la santé tient bon les cinq derniers
mois qui me restent, je ne me repentirai certes pas de ma campagne, **
Puisque le cours avait été tout entier écrit, il n'est pas étonnant qoe Sainte-
SUU LE PORT-llOYAI. DE SAINTË-BI l H .
317
Beuvc ait parfois conservé dans son livre définitif des phrases textuelles ou
des pages de sa première rédaction. Et, en effet, sans les avoir spécialement
cherchées, j'en ai découvert un certain nombre. Pour n'eu citer qu'un
exemple» le développement qui termine le chapitre G du livre V : n Les dix
années qui suivent-.» » (1. IV, p. 109), est exactement, ou a très peu de chose
près, Fexorde de la leçon <U, consacrée à Nicole.
Mais si Sainte-Beuve a transporté dans ses volumes des fragments intacts
de ses leçons, il n*t cependant point reproduit sans changement l'ordonnance
générale de son cours. Un cours a toujours quelque chose de plus libre, de
plus lloltant qu'un livre; et, un peu lassé déjà de l'austérité de son sujet,
jaloux de ne point rebuter son puUlh ftj sérient qu'il iiH, désireux d'ailleurs
de tirer pour sou compte loua les gaulages possibles de son travail, il cher-
chait a ne rien abandonner de cette liberté. Le 25 janvier 1838, il écrivait
encore à Collombet :
«,,. Je suis toujours attaché sans désemparer à mon labourage ; je compte
les sillons, ee que j'en ai fait, el ce qui me reste à l'aire. J'atteindrai bientôt
la moi lié de ma glèbe* J*ai abordé Pascal, et jf* fais à eê propùê (dbtm nttr
fônguû pat€tothè$ê) Montaient?. Je ne perd* awime oetûsion d? élargir mon sujet ff
de irir donner tout sun développement. Quand je tenu sorti tU* là, /aurai rami
bien tirs bordées <lam toute ta longueur tk notre littérature, et je me féliciterai
de ce dont je ne me repens pas aujourd'hui N mais qui pourtant me pèse,.. »
Assurément, il y a encore dans le Port -Royal, tel que nous le connaissons»
bien des digressions, bien des échappées burs des murailles resserrées du
couvent janséniste — et nous ne nous en plaignons pas. Mais enfin, pour
ordonner son récit, Sainte-Beuve a dû leur chercher la place qui leur con-
venait le mieux, en restreindre quelques-unes, en supprimer quelques autres.
Il a donc fait subir à son plan primitif un certain nombre de modifications.
Cela est facile à constater, lorsqu'on essaye de retrouver ce quiT dans le livre,
correspond aux leçons que nuus possédons encore.
Certaines d'entre elles ont à peu prés conservé leur place dans l'ensemble
du récil, ou même leur ordre réciproque, — Ainsi, la leçon o* (Tillemout et
Rancé) se trouvait déjà vers la fin de la parlie du eours consacrée au\ École*
de Port-hmjnl, comme Je font les chapitres Ci et 7 du livre i\\ qui la repro-
duisent; — les litç/ms ;i'J et 00 [M. llumon), 61 à êi (Nicole), 6o et 66
(MUMh de Lun^ueville et de Sablé, M11" de Vertus) ont formé respectivement les
chapitres i a fi, 7 et 8, *J à H du livre V; — les leçons 1\ i voyages d'Arnauld)
et 72 i. Arnauld, Ualebrancbe et Leibniz) ont formé Tune le chapitre 4, L'autre
les chapitres 5 et il du livre VI; — 1rs Leçons 76 (ÛD d'Arnauld), 77-78 (du Gué),
79-81 (Racine) ont formé les chapitres 7,8 et 9, 10 et 11 du livre VI.
En revanche, un certain nombre d'autres ont été déplacées, le sujet dont
elle traitaient a été disposé autrement dans lu rédaction définitive; ou bien
ellt-s ont été dissoutes en quelque sorte, et les éléments dont elles se compo-
saient dispersés un peu partout à travers l'ouvrage; ou bien encore elles ont
été soit considérablement réduites, sort rejetées dans des appendices, soit à
peu prés complètement supprimées; ou bien enfin elles ont subi à ta fois ces
divers traitements.
Pans sa 20" leçon, Sainte-Beuve achevait de parler d' Arnauld dÂndilly, il
en arrivait a La Fontaine et, en particulier, à son poème de la GaptitUé de
Saint-Maie, — Ce sont des choses qui se trouvent aujourd'hui réparties entre
les chapitres 15 du livre 11 et 9 du livre V. Il y a donc entre les divers fra^
mrnts de celle unique leçon une distance assez considérable et c'est une
preuve que, sur ce puinl, le récit a été profondément reinani'
La 5*6* leeon n a pas été moins déplacée ni morcelée. Elle traitait du poètt
latin Santé ul, et de la querelle qu'il s'était laite avec les jésuites pour son
imprudente épitaphe d'Arnauld. Elle suivait immédiatement la leçon consacrée
à Tillecnout et a Rancé» et, comme celle-ci, était rattachée aux Êcotes de Port-
318
REVUE DTHI3T01KK LITTÉRAIRE b£ LA FRANCE.
Royal : elle faisait donc partie de ce qui est devenu le livre IV. Or, mainte-
nant, l'essentiel s'en retrouve au ehapilre 7 du livre VI, divers fragments en
sont dispersés *;à et là, enfin, une grande partie en a été rejetée en appendice
(t. Y, p. 575), *
Plus maltraitée encore a été la 56e leçon* Celle là aussi était rattachée aux
Écoles dâ Port-Royal^ et Sainte-Beuve y étudiait longuement Daguesseau. cou
sidéré comme le type des élèves indirects de Port-Royal. Sainte-Beuve n'en a
laissé au chapitre 7 du livre IV qu'un très court résumé d'une vingtaine de
lignes (t. IV. p. 104), et il a réparti chemin faisant les renseignements qu'elle
contenait sur Daguesseau.
Certaines choses des leçons 67 à 70, sur Boîleau, et 74 à 75, sur Bossue t, se
retrouvent, les unes au chapitre lt les autres ou chapitre 5 du livre VI; mais
ces leçons aussi ont été dispersées et n'ont point véritablement donne des
chapitres du livre,
La 73' leçon, sur Do mal* a subi à peu près le même sort que la leçon sur
Daguesseau. Sainte- Bcuve n'en a conservé qu'un court résumé (chapitra 7 du
livre Vli; mais, cette lois, il a expliqué pourquoi : h Si j'avais écrit il y a
quelques années, j'y aurais donne aussi « dans cette étude du déclin »] une
place à Doinat* un des amis, un de ceux qu'on pourrait quai t lier les a&Si>
libres de Po il -Royal, et qui mourut deux ans après ArnauJd (1690). Mais cela
nous- engagerait dans des lectures qui sont peu de notre ressort, et Domat
d'ailleurs a été le sujet de publications et de discussions assez récentes »
(t. V, p, 520).
I h lin t la 81* leçon, ou plutôt la dernière partie de cette leçon, a été trî-s
développée, puisqu'elle a donné les chapitres 12 et 4 3 du livre VI» Sainte-
Eeuve, dans son cours, avait passé rapidement sur La mort de Port- Ui> val; il
a senti que dans son livre il devait insister un peu sur les convulsions der-
nières.
Sur les feuilles manuscrites de ces leçons mêmes, ou sur des feuilles ajou-
tées, ou retrouve encore la trace du travail de la rédaction définitive. On voit
par exemple que Sainte-Beuve a eu successivement l'idée de plusieurs épi-
graphes» D'abord, il voulait donner la même a tout l'ouvrage : k>„. Eu sorte
que l'histoire de Port-Royal est, à proprement parier, le plus beau morceau
du xvn,! siècle ». (Dora Clémence L Préface de l'Histoire tfètwrale tlv Pori-Roynt.
Puis, il a cherché des épigraphes dilïê renies, pour les diverses parties du
récit : les volumes III et IV auraient conservé celle qu'on vient de lire; les
volumes I et II auraient eu celle-ci » « Qui ne connaît pas Port-Royal ne con-
naît pas 1 "humanité »-» (Royer-Collard.)
Mais voici quelques lignes inédites qui m'ont paru mériter vraiment d'être
tirées de l'oubli. On sait que Sainte-Beuve avait publié sa Leçon d'ouverture
dans la Revue des Drux Mondes {15 décembre 1837) et qu'elle sert actuellement
dT in traduction générale sous le titre de Discours pretîrnmnù'e* Ce discours,
comme il convient, commence par des remerciemenis aux autorités et aux
corps qui avaient appelé Sainte-Beuve à l'Académie de Lausanne, Il avait eu
l'idée d'enlever à celte introduction sou caractère de discours, sou ton de
circonstance; et, pour cela, il avait songé à remplacer Je premier paragraphe
par l'exorde suivant :
* Je veux écrire avec simplicité l'histoire d'une entreprise religieuse qui
remplit tout* le xvne siècle, qui commença par la réforme d'un couvent de
filles et à laquelle les plus grands esprits et les plus savants hommes sV
ciërent bientôt étroitement. Je m'attacherai moins au détail des querelles,
qui serait infini — et qu'on peut lire ailleurs dans des livres déjà faits — qu'à
l'esprit même et aux phases successives de l'entreprise» qui ne lut pas en tout
temps la même, qui se modifia et s'altéra en se continuant» Elle resta grande
durant tout le xvn° siècle, et je ne îa suivrai rapidement au delà que pour eu
montrer à regret les conséquences de plus eu plus forcées et rélrécies. Du
SUR LE PORT-KOYÀL DE SAINTE-BEUVE. 319
moins, de saints hommes, de justes et beaux caractères s'y rencontrent
jusqu'au bout et consolent. Je m'arrêterai surtout devant ceux du xvn° siècle :
a^ec complaisance, avec respect, heureux de reconnaître en eux les derniers
vrais modèles de cette autorité morale dont nul aujourd'hui n'est investi,
heureux d'oublier un peu dans leur commerce sévère la connaissance des
hommes de nos temps : plus heureux, qui, favorisé d'en haut !, apprendrait
d'eux à se retremper soi-même ! »
On voit quelle sincérité émue anime ces paroles; et, il est curieux de
comparer ces lignes si chrétiennes de ton et, pour ainsi dire, d'espérance,
avec la conclusion qu'en août 4857 Sainte-Beuve a mise à son œuvre achevée.
Cette conclusion aussi est émue, mais combien différemment! L'espoir a
disparu, et l'amour, et le charme ; et si l'incrédulité n'est point affirmée sans
regret, elle l'est du moins sans réserves. Il y a vingt ans de distance,
vingt ans de vie, entre ce débat et cette lin.
G. Michaut.
1. Sainte-Beuve avait d'abord mis : « Dieu y aidant »; la correction est déjà
significative.
COMPTES RENDUS
Karl Maktzii s. — Skuespilkunstens Historié (Histoire de l'art drama-
tique), Vol. ML Copenhague, librairie GyldendaL 1897-1891».
M. ManUiius, sociétaire du Théâtre Royal danois, s'est proposé de présenter
au public Scandinave une histoire complète du développement de l'art drama-
tique a travers les temps et les différentes nations. Son travail, dont les deux
premier* volumes ont déjà paru, est le fruit de recherches laborieuses entre-
prises pendant une série de vacances, dans les bibliothèques de Copenhague»
de Paris et de Lo&dfei. Avant de se vouer au culte de Thahe, M. Manlzius s'oc-
cupait des lettres et cultivait avec zèle la philologie romane; malgré ses grands
succès de théâtre, il n'a jamais onblié ses premières amours, qui lui rendent
bien son dévouement. Son nouvel ouvrage est savant et solide non moins que
clairet hien composé; il est en même temps original h plusieurs points de
vue. Dans le premier volume, il étudie les origines de Tait dramatique, et,
après un aperça sommaire du théâtre des Chinois, des Japonais et des Hindous,
il étudie tout spécialement le théâtre de l'Antiquité, Le deuxième volume, qui
intéressera plus particulièrement les lecteurs de cette revue, traite le Moyen
Age et la Uenaissanee, et c'est surtout ici que se montre l'originalité de
M. Mautiius : il est si rare que les littérateurs qui s'occupent de l'histoire du
théâtre soient experts eux-mêmes. En sa double qualité d'acteur et d'historien,
M. Manlzius a su expliquer maint détail technique de l'arrangement delà scène
d'une manière plus satisfaisante que ses prédécesseurs. Ainsi pour prendre un
seul exemple : son explication de la très curieuse miniature de Jean Fouquet
diffère notablement en plusieurs points de celle qu'adonnée M. Germain Uapst
[E&stii sur thistuire du théâtre, p. 33). Je n'entrerai pas ici dans une an a
détaillée de la nouvelle histoire de l'art dramatique; écrite en danois, elle
trouvera probablement peu de lecteurs hors des pays Scandinaves et germa-
niques. Mais je me fais un plaisir d'attirer l'attention sur une partie du livre
dont la langue n'entrave pas La compréhension, savoir les illustrations qui
sont nombreuses et très bien choisies; il y eu a mrmo qui iront pas été repro-
duites autre part, et qui intéressent tout particulièrement la littérature fran-
çaise. La grande Bibliothèque (loyale de Copenha^u^ poseèda une coliectiou
importante d'anciennes gravures concernant le vieux théâtre français et l'ita-
lien ; on y trouve entre autres choses des portraits très curieux des farceurs et
des comédiens et plusieurs scènes de leur répertoire. Recette collection trop peu
utilisée jusqu'à présent, M. Mantzîus a fait reproduire une gravure de II. Ùàf-
rinck «entre 1571) et (580)! représentant une scène de farce. La légende pnrte ;
« Comédie ou farce de six persontjH.îges i>. Je ne suis pas arrivé à déterminer
quelle est cette farce, mal y ré les renseignements détaillés de la gravure ; mais
de plus habiles que moi y arriveront sans doute facilement. On voit au milieu
de la scène une jeune femme couronner de deux cornes un vieillard barbu
qui ressemble un peu au Pantalone italien, sauf qu'il est arme d'une courte
êpée, A leur droite se tiennent une femme plus âgée, probablement une
COMPTES RENDUS. 321
entremetteuse, et un capitan très élégant. A la gauche du vieillard, un valet
vêtu d'un costume assez bizarre; il est en train de s'en aller et étend le bras
droit en désignant le capitan d'un air moqueur. A l'extrémité gauche de la
scène, on voit la tête et les pieds d'une femme derrière un rideau, elle parait
à peine vêtue, les pieds sont nus et la tète est coiffée d'un bonnet de nuit; elle
lève l'index et parait gronder les autres personnages '.
Le livre de M. Mantzius nous apporte aussi la reproduction d'une autre gravure
(de lluret), représentant quatre farceurs : Michau, comme vieillard ridicule,
Boniface, en habit de docteur à l'imitation du Dottore Graziano, Alison, habillé
de vieille femme, et Philipin, fagoté comme une sorte d'Arlequin. Au-dessous
de ces portraits se trouvent les vers suivants :
Michau, Boniface, Alison,
Et Philipin qui les seconde,
Se mocquent avecque raison
Des impertinences du monde.
Michau ne plaist pas moins aux yeux
Qu'il est agréable aux oreilles,
Boniface le sérieux
Ne raconte que des merveilles.
Alison se fait admirer,
Philipin raille sans mesdire
Et tous ensemble font pleurer
Mais i 'en tends à force de rire.
Boniface et Alison appartenaient à l'Hôtel de Bourgogne; on ne sait rien
sur Michau et Philipin, leurs noms sont même restés inconnus jusqu'à présent,
que je sache; c'est pourquoi j'ai jugé utile d'attirer l'attention des amateurs
français sur la gravure de Huret, que M. Mantzius a le mérite d'avoir
fait connaître.
Kr. Nyrop.
Sainte-Beuve. — Causeries du Lundi, Portraits littéraires et Portraits de
femmes. Extraits, avec une introduction, par Gustave Lanson.
On a déjà publié des Extraits de Sainte-Beuve, en adoptant l'ordre chrono-
logique de l'histoire littéraire, en rangeant les fragments empruntés aux
Lundis ou aux Portraits par époques, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours. Et
les recueils ainsi formés sont d'une incontestable utilité pour rélève de rhé-
torique en quête de quelque jugement tout fait, pour le candidat à l'Ecole
normale ou à la licence, beaucoup plus préoccupé de trouver une opinion que
de s'en former une, et de dérober une expression piquante que de rendre avec
franchise et simplicité ses impressions personnelles. De pareils livres, je
l'avoue, quoique composés par des professeurs très distingués, font le plus
grand mal à l'enseignement, s'il est vrai qu'ils peuvent aider non seulement
le candidat au baccalauréat, mais même l'aspirant licencié ou agrégé, à
acquérir un savoir encyclopédique et superficiel qui fait illusion, pour quel-
ques heures, aux juges le plus compétents; et je voudrais, comme dit l'autre,
« qu'on en eût fait pendre quelqu'un ».
Mais enfin, n'envisageons point ici les inconvénients pédagogiques de pareils
recueils; prenons ces livres pour ce qu'ils croient ou veulent être. Ils veulent,
j'imagine, nous donner ainsi un résumé, une synthèse, de l'immense et
1. Cette gravure a aussi été reproduite dans YHistoire de ta langue et de la litté-
rature française, vol. 111, p. 296, mais la reproduction de M. Petit de Julleville ne
donne pas le nom du graveur.
322
KCVUt D HISTUlHE UTTËHAIIŒ DE LA FHAM B*
complexe enquête critique à laquelle s'est livre, pendant plus de quarante ans,
Sainte-Beuve* Or il serait logique, peut-être, île découper ainsi, et de classer
dans les cases de la Chronologie littéraire, au mépris de leur date propre, les
articles ou les livres de Vîltemaio, de Saint- Marc fiirardin, de Nisard, tous, à
leur manière, gens de doctrine, à principes fixes, à peu pr^s semblables à.
eux-mPmes d'une année a l'autre, Sainte-Beuve, au contraire, a pris soin de
nous avertir lui-même, et assez clairement, qu'il était tmdo\fWHi et dirent; et
l'épigraphe qu'il & mise en tête de ses Portraits coitîvmpur titts déviait être
celle de son œuvre tout entière : i Nom sommes mobiles, et nous jugeons
des êtres mobiles *. — La date est donc un Je nos premiers éléments d'ap-
préciation, quand nous voulons juger un jugement de Sainte-Beuve. Nous
serons bien d'accord en elTet sur ceci, c'est que, quand nous lisons les Lundi*
ou les Portraits, nous n'y cherchons pas ce que nnus trouverions dans un die*
tronnaire on dans un manuel, mais plutôt la mise en couvre originale de ces
documents trivials. Je n'étudierai point dans Sainte-Beuve la biographie de
Boileau: mais je serai curieujt de savoir comment le romantique du cénacle,
puis le iundistê du Ct:nistittitiftnnelt enfin celui du Moniteur ont jugé Hoiîeau.
.T'aimerai à saisir, d'un article à l'autre, les variations du critique devant
l'œuvre immobile qu'il anime de ses sensations présentes, surprendre ses
procédés d'analyse et de synthèse, sa façon de commenter un document pour
y trouver ce qu'il lui faut, de classer les faits suivant l'importance qu'il leur
donne, de rassembler des conclusions en faveur de sa thèse.
Voilà précisément ce que je puis faire avec les Extraits publiés par
M, Gustave Lansou. Sous ce titre si modeste, c'est un livre de critique; c*est
mieux encore : un modèle qu'il faudra suivre, si l'on veut nous faire connaître
un jour dans leur évolution les Taiue, les Ben an, et plusieurs autres. Une
introduction de forme incisive et serrée, où M, Lanson s'efforce surtout
d'expliquer Sainte-Beuve par lui même, prépare le lecteur à l'usage rélléchi
et méthodique du livre lui-même» Et cet usage me parait être le suivant :
prendre chacun de ces articles, le replacer à sa dale pour en saisir autant
que possible les sous-entendus, pour y constater la déformation correspon-
dante des sentiments et des idées; — comme on établirait scientifiquement,
dans une observation astronomique, une déviation dont il faudra tenir compte
dans tous les calculs postérieurs. Après quoi, ou étudiera, et Ton comparera
les procédés critiques, si précis, si pénétrants, lucides et iïgflft, — ruais peut-
être moins variés qu'on ne le croit. En elTet, a considérer de près les diffé-
rents articles si bien choisis par M, Lanson, c'est toujours la même analyse
patiente, cherchant à faire sortir de la biographie le trait caractéristique du
personnage, et de l'œuvre les rapports avec la société environnante. Sainte-
Beuve fait rtvixrn l'homme, et explique l'ouvrage; mais c'est tout. Les conclu-
sions sont chez lui des résumés rapide* et suggestifs; on y souhaiterait plus
d'autorité, plus de largeur, et, pour tout dire, un peu de celte raideur
philosophique ou de celte fermeté morale qui donnent de l'accent et de la
flamme aux Taiue et aux Brunetièrc.
Je signalerai tout particulièrement, comme excellents sujets d'étude, tes
articles sur Madame de Staël (mai 1835), — sur Madame Récamier
(novembre 1849), un des plus désagréables que je connaisse, et où le ton
parait faux d'un bout à l'autre, — sur Sieyès ( décembre 1851),, un chef*
d'œuvre en son genre, — sur Marivaux (janvier 1854), auquel ou ne change-
rait rien aujourd'hui* — Et si Ton veut faire des comparaisons utiles, on peut
preudre les deux articles sur Chateaubriand, celui de 1830 ifiammeni }L de
t'hateaubriund aimait] et celui de 1854 (Atutitersairr du titUiir du (hvïttia-
nhme). On ira rechercher alors les pftgêf écrites sur Ira Mémoires (foutre tombe
en 1834, el sur la VU de Htincfi en 1844, — avec ta note dans laquelle Sainte-
Beuve se justitie d'avoir jugé plus sévèrement Chateaubriand dans « les deux
volumes dont celui-ci est le sujet et le centre ». De tout cela finira par se
COMPTES RENDUS. 323
former une impression d'ensemble : on retrouve le fll, et Ton sort du labyrinthe
plus amusé que convaincu. J'aime fort aussi cet article sur Ronsard écrit
en 1855 par l'auteur assagi, et un peu désillusionné, du Tableau de 1827...
Mais est-ce bien là de Yhistoirç naturelle des esprits, est-ce de la science'? et la
recherche du vrai a-t-elle fait, comme le veut M. Lanson, « le but constant,
l'unité interne de sa vie »? Oui, Sainte-Beuve fut toujours sincère; mais
cette sincérité fut elle-même conditionnée, et son vrai fut relatif et chan-
geant; et si sa méthode critique peut nous guider et « nous apprendre à
lire », elle nous avertit, par ses variations et par ses résultats, de son insuf-
fisance. Il me parait exagéré de dire qu'il est « un des esprits directeurs de
ce siècle »; à moins que M. Lanson n'entende par là que Sainte-Beuve a
entraîné peu à peu la critique vers le dilettantisme et l'impressionnisme. Et j'en
appelle de ces éloges, un peu absolus, à M. Lanson lui-même, qui, dans son
Histoire de la littérature française, consacre à Sainte-Beuve trois pages vrai-
ment décisives, et dont la conclusion me semble bien plus équitable que celle
de son introduction aux Extraits,
Mais, tout de même, que voilà un livre intelligemment conçu et sûrement
composé! On ne saurait trop apprécier chez son auteur cette puissance de
travail et cette maîtrise d exécution, qui lui permettent d'entreprendre tant de
choses et de donner à chacune d'elles la forme achevée, à la fois scientiûque
et élégante, dont son nom est toujours la garantie.
Charles-Marc des Granges.
PÉRIODIQUES
AlJgeim-im* Zeliunc Bellay. — N- 9 : G, Paris, La littérature normande
avant tannrjttm jMincûwilzi.
V AtiiAtriir *inutotfrrt|itir» — 15 janvier 1900;, E, de Refuge, Correspon-
dant inédite de J.-F. Dlicii (flnj. — Lettres inédites de Laeordairet M on taie m*
f>n t rf George Sand sur la tolérance religieuse. — Georges Monval, Liste alpha-
bétiqUi au tfftiétuim du Théâtre Français (suite). — 15 février; Vicomte de
Spoelbercb de Lovenjoul, Une enùjme sans mot (In chapitre inexpliqué de la
Physiologie du mariage)* — R.-B*, Mirabeau H sa femme, —Georges Monval,
Liste alphabétique des MCiétOireê du Théâtre- Français (suite), — 15 mars; Une
lettre êê jeunesse du /\ Lacordaire. — Georges Monval, Liste alphabétique des
sociétaire* du Théâtre- Français (i.uite).
Arclilv lur du* Sludimii der nrucrni Sprarhrn — 103, 3-4 : Wrentz,
FranzôslÈàÂei im meeàlenb. Platt iGlode). — la Cariai, par Alain Char lier,
Ed. Heiïi kenkimp (A* Krause), — Pariselle, Siehn Erznhlnnyen von L> ttalëvy*
Muupa>sant, iuppee, Daudet, Theurïet, Zola, MaêWOn Forestier (G* Carel). — His-
toire de la langue et de ta littérature française des origines a IDOtL p. Petit de
JullaviJIti |Ad. Tobler). — Loselb, Ûi (1 Foltjeuete <(A4» Toblcr). —
A>ei\ The tragk heroinu of Corneille Œ. Brauubollz).
Athenwnm. — N° 3758 : 11. Pari go L Le drame d'Alexandre humas, étude
dramatique, sociale et litttmire. — NQ 370o : H, de Balzac, Lettres à Pitoranfère*
— Nyrop, Gramm, hisL dé \q tangué française, I.
Bi»jrr /Hist-lirin fur RtaKtliul^ rst n — VU, V ; Linz, Lebens und Cha-
rakterbitder atts ti r frauz. Lifrtiittn itYruikcl).
Biiiiiir und Welt. — II, 6 î E. von Jaguw, Dus moderne franz. lirait
Vrteik F mite Auaiers.
llullciindu hlbliopHile et du bibliotlirrairt*. — 15 janvier 1900; Pli. Ile
nnuunl, L I fotldeun di Caractère* parUien* et leur clientèle de prueinre è (a fin
du XYtF siècle* — Paul Laeombe, Julet Cousin* conservateur de ta bibliothèque
et des collection* tte fa tille de Paru (fin). — Eugène Àsse, Les petits routant i-
uues : Edouard d Anglemont (sude). — Maurice Henriet, Le deu.rinne centenaire
de Racine a ta Bibliothèque nationale (mite)* — Georges Vicaire, Ht rue de
publications nouvelles. — io février; reruand boarnou et Gaston Durai, fit!
graphie des travaux de M* A. de Mont aiglon : Supplément. — Ph. (tcnoitard,
I*es fondeurs de caractères parisiens et leur clientèle de province a la fin du
XV IF siècle (liu), — Eugène Asse, Les petits romautû/ues : BàQU&rd àPÂnglêy
munt (Ûo). — Maurice Henriet, Le deuxième centenaire de HaeJne a la Hitdiu-
tkèûuê nationale (fUt). — Georges Vicaire, lie* nt det publication* nouoellêe, -^
15 maris; Lèopold Ueli^ile, À propos d'un ex-librts franeats du temps tte PfOft-
çois lrr. — Mi tui Cordier, tue lettre d'Alfred de Vigny, — Camille Couderc,
Document* inédits sur Guillaume Fkhet et ta faatille. — G.-V., Le m lloltm » de
VEmpercur* — A. L'rbain» Le* éditions originales du germon sur l'unité de l Eylise.
— Abbé Tougurd, Une lettre de GabroH Peignot* — Frédéric Lacbèvre. L'édi-
tion originale des poésie* dé If, Vauquelin des Yeeteaux. — Georges Vicaire,
Revue de publication* nouvelles.
Le iurrr««|HMifl;ii»r — *Sà décembre; L. de Lanzac de Laborie, 17» nouveau
portrait tte Bussuet. — L si tRfim et les hommesr courrier mensuel de la littéra-
lu luunroi ks.
325
tttre, Ai art* et du théâtre, — 10 cl 2:ï janvier; Théodore JoufTroy, Pf*f&|
inédites. — 10 janvier: IL Levesque* La .* lU-nte. p> Hossutt. — 2!j janvier;
autw* r« tea hommm^ courrier mensuel de ta litt/rature, dê$ ttrU et du rA.
— 10 lévrier: vicomte Henri de Boruier, Vht - théâtre. —2:, lévrier;
L, de Lanzae de Lehorîe, Un familier de la maison t s :>s r/ f\;u .
te journal intime de CwiUUr-Fkury, — La waoru ei k$ hommêâi courrier men-
suel de la littérature^ dit urU rt </>< théâtre. — 10 mars; Gtorget lii=rLriu, ( ha-
tetnihrtffil rt S<Ùntê~BtttV€ '. Lu problème d'histoire lilhi ,/, BflUM wf-
z7 HH fflttsmi
Dt?r TUKrmcf — I. 8 : P, Seli^er* RactfM.
n< in^i-iif iJi^raiiii/4 itim- \,( 43 : Bra ne Itère, iVatuiei nfa t histoire* de
la littérature fnmçakt [Freyroonâ1)* - N* U : Sch roder, L'aofrtf Frêvoil \ l'obier).
— i\° 47 : Mortensen, XtedetittUdrauu t i Frankriàa {SoderfajeJin t . :
Sakrnann, Lme ttutfrdmehte Voltaire ndent (Seniteider).
IKr nrorrcn Hpracheti — VIff 7<ft : Klopper, BtUrÛQl zut /fam&, Stylistik;
Edm. Franke, Franz. Sftjtîstik: J. Michelet, TaUeatt de ta France; PlalLmT
Ausfuhtivhr Grammatik'der franin $prache(H. KLînghardl .
Li* Figaro. — irr janvier; f*ne Dieulafoy, MeWutô intimé, — Henry Fou*
quier, Les théâtre* : Vaudeville, Ma cousine. — 4 janvier; Philippe Gîïle, fal
v. — 7 janvier; Gaston Descliamps, If. fftnrî de L OTCfVf* —
Henri Fou qui en Lee théâtres ■ (tymnatty VI. Etoonet» par Jf. de Faramond -k jan-
vier; Jnlea Suret, VètoQe de Meithae ti i'A,atl< (,m. — il janvier; Henry Fou-
quier, Les théâtre* : Thédtre-Ànt&înç, En Paix, par If. train Brvyetr*. —
il janvier; Philippe Gilte, Le* Laies, — 16 jauvir i ; tient) PofUgoier, Le*
théâtre* t tnutim-xtàire <fr Molière* — 19 janvier; Émik Uerr, ChfZ tes huma-
mhtei. — 20 janvier; Henry Fonquiet\ he$ théâtres : Théâtre libre i le. DruiL delà
Rière,ptff M*' ro/'/ ihfnan. —■ 22 janvier; D&mblatoaaes, Là e^nau» et la Uello
Hélène. — 23 janvier; Henry Fouquier, Theàh>s ; Théâtre irtfoine, la liiLane,
par Jeu n UtehejriH. — -2,\ [anvier; Henry Fouquier, Théâtres ; Athntee eomiguet
L'Homme à Foreille eonpéfi y"'r If. / r ...s,,/ l"i. 30 al ;H janvier;
A/T tinmetirrs n ll>me. — Henry Fo\iq«ier, Théâtre ; Ûd407l, l^s Fouieham-
baulL — 2 février; Jules Gardocœ, l / Jr ^ideiule fran n de SL Pmd
Ûwchûnel — 8 février; Jule? llurei, Bf^ dilii ûic : cfas /oHi-iCari tfuyt-
ma«s* — ^8 février; Philippe liille» / -. i [( t ; Henry Fouquier,
Lfs / ', le Bèguîn^par If, Piwr* tt^of/1, — 10 février; Henry
FoaÇUÏer, L« th><tve> : The^lrr de ht tUpubiiQMi la Fille du gardien de la
pjri*t par ïï. Ga$tùt\ Marot — ti révrier; Ilenrv Pou qui er^ I fila-
/i-/w, Iffehe] Strogoff. — iîS février; Henry Fouquier. h thedtftS : fldHVtfauWt,
les If aria de Léoniine, par M* Àtfrtd Çapuf* — i*> février ; Jules Cardone,
V élection d'hier à I' [codé/Me. — Itf lévrier; Pierre Loti, r* ï/fl Lûïl- —
20 février; Henry Fouquier, Lfi théâtre» : CamMie-FrançaUSt Diane de Lji.—
■r ■; Henry Fouquier, £*f t huîtres : Audrt^n, \e Moineau franc,
IflT. Qugenhiitn et Le Faure. — 2»i février; Alfred DeliHia, Mort de Martel
ftrûhan* — l,r mars; Philippe Giilf, J>a Lines. — 2 niars: Jules llurel,
Ittih'tr *t te domaine publie* — Henry Fouquier, tra Un
Doroplot, par MM. AUsondt i> " ei Jean Gascogne. — a mers; Henry
Fouqnier, Lei tht>tt<<- : rà^dlrt^fttomei TEmpreinte, parJf, Aèel Hermant;
Poil de CeroltQ, par \L Jules Urnatd — 't mars; Jules Btiret, Un bibliophi
bibliothèque (M, de Lovenjoiil B mors; Indr4 Maurel, Vacadb
— h mars; Philippe Gtlle, hse Livres* — *> niera; L
Thàdtre*Fi*ançQi*. — H mer»; Henry Fouquier, /. -s thedtr^ : Athénée, lln-
téiirn, par M* L. Leijemhe. i:t murs; Adolphe Briston, L'fttmtuf Hosi ind. —
15 mars; Henry FouquierT /.'-s the,itn-s : Vaudeville^ h\ Robe roiiye, /'«r
jV* iirieti.r. — liî ni?irs; Pierre Loti, L? voyage d* t. /,. Henrv Fouquier,
feéS théâtres . Theôtte Sarah lin nhardt, l'Aiglon, i/»' A/. Edtwtnd RctâmiÂ. —
17 mars; Henry Fouquier, Cei ttu^tns : Ambigu, Le Duchesse de Herry, par
326
REVUE DÏTISTGIIIE ÎJTTÉRÀÎftE DE LA KTUKCE.
M. Bemède. — 18 mars; Henry Fouquier, Les théâtres : Variétés, Éducation de
prince, par Jf, Maurice Donnait* — 20 mars; La vèrit*1 au théâtre. — 22 mars;
Henry Fouquîer, Les théâtres : Ctunu, Un soir d'hiver» par M. Emeut Btnm. —
Philippe Gillc, tH Liens. — 26 mars; Pierre Loti, Le voyage de Loti. —
28 mars; Charles Chincholle, Louis Knttuft. — Alfred Deliliia. La Comedte-Fran*
çaise a POdèvn. — 20 mars; Philippe Cille, Les Livres,
(tvinim^tum^ — XVII L 2 : Ulrich, Charte* Ht YiUers (Grole).
Journal il en dôbïits ui>lltiqu<-H et Ultérairr* — 1*r janvier; Eruile Faguet,
Ld srtnaine tlramatique. — 2 janvier; Arvède Baritie, Lettres tramour (M. et
Mmo Browning). — 6 janvier; Ernest Berlin, La Cour de Chartes X de 182$ à
4830 d'après te Journal de CueUfier-Fleury. — 8 janvier; Emile Faguet, La
UmaÛM dramatique. — 10. janvier; Emile Gebhart, Chateaubriand voyageur et
peintre d& paysayes. — 15 janvier; Maurice Spronck, Querelles de vaudrr il listes.
— 15 janvier; Emile Faguet, La semaine dramatique. — 16 janvier; Christian
Schefer, Shakespeare et la mise en scène moderne. —*■ 51 janvier; Maurice Muret,
Un poète de In nature italienne : M, Giovanni Paseoli* — 22 janvier; Emile
Faguet, La semaine dramatique, — 24 janvier; Augustin Filon, Une tragédie de
M. Su inhume. — 29 janvier; Emile Faguet, La semaine dramatique. — ltr février;
Ferdinand Bruuetière, La Modernité de Bossuet* otmfihr&noe fait1 à Rame. ■ —
3 février; Henri Chantavoine, A l'Académie française : réception de Jf, Faut Des-
chanet. — René Doumic, Un ennemi de ïe.vatisme au XVI* siècle : Henri Est terme.
— 5 février; Emile Faguet, La semaine dramatique, — 7 lévrier; Arvède Baririf,
Lettres d*aiuom\ IL — 9 février ; Edouard Sarrmlin, Oit est née AI™** de Main*
tenon? — (0 février; Maurice Muret, La nourelk pièce de JT. Gérard Hanptmann.
— 12 février; Emile Faguet, La semaine dramatiques — 1i février: Emile
Gebhart. Lu misères d'un rot en exil (Stanislas Leczsinski). — 16 février;
Félix Reyssié» Eugénie de (iuerin et MmP de Lamartine, — 17 février; L, Deux
immnrtefs (MM. Faguet et Paul Hervieu). — H el ifl lévrier; Emile Faguet,
La semaine dramatique. — 27 février; André lîeaunier, Madeleine lirohan, —
28 février; Henri Chantavoïne, M, Henri de Hegnier. — 5 mars: Emile Faguet,
Lu st-maiw dramatique. — 6 mars ; André Michel, ï Enseignement de V histoire
de fart. — 7 mars; Henri Bidou, La Jeune Académie {Académie Concourt
— Arvêde Marine, G*rthe et Hettina* — 0 mars; Maurice De maison, La
presse en Frawe aetnt le journal . — 11 mars; Paul Bltiysen. Vincendk
du ThedtreFrançais, notes d'un témofa* — 12 mars; Emile Faguet, La semaine
dramatique. — 14 mars; Emile Gebhart, La §mêtû d'un conte de Bocrace.
— 15 mars; Le Père Didtm. — Georges Berger, La reconstruction du
Théâtt'-Fnitieais, — lloiisard au Parc Monceau. — 16 mars; A. Albert-Petit,
François Pansa rd et la fin du thetttre romantique. — 10 mars; Emile Faguet;
La semaine dramatique. — 2n mars; Maurice Muret, Akjondrc Yinet. —
21 mars; Augustin Filon, tes Drames romantiques d'Anthony Hopc* — 22 mars;
Maurice Muret, Un petit lever chez George Sand. — 24 mars; la UihUothègne
W, dr Viliruruy*:. — E. Haguenin. Alfredo BascellL — 26 mars; Emile
Faguet, la Semaine dramatique.
IJtcrartsHir* t eittralhluU. — N° 47 ; Glachant, Papiers d'autrefois. —
"N "i0 : remuer, Bas frattz. Theater tfer Geaenwart, — Filon, De humas a Rq$-
fttml, — N" 8 : >'yrop. Grauun. MtêùT, de la lanque française.
rUrr:itui'bl;ift fiir g<?rma»isclie iinil romanl^rhe Plillnlosle. — N" 1 :
Dorez, La mori de Jacques tirértn (Be^ker). — Szymank, Lnuis XIV lu srinen
Schriftcn und un Spivtjet der zeitgen. îhchtung (MahreuhollzK — Faguet, FioU-
hert fSchneegans}. — N^ 2 : Nyrop, (iramm. hi^tur. tte ta langue française, ï
(Herzog). — Gauchal, Étude sur te raitz des vaches ftihourgeois iMorlï. — N° [\ :
Suchicr und Birch-Hirschfeld, Gcsch. der fram* Lltmitur. 1 (Scbneegans), —
G, Paris. La littérature nnrmamte avant V annexion (Minckwiu). — Quy\ Adan
de le Haie (Schneegans). — Guizot, Mtmtaiqne, études et fragments (Schnee-
gans). — DEichthal, Alexis de Toequeeittv {Uàhrenholiz).
PftRIODlQCES.
327
Modem Lingaage \ato*. — XIV, I ; Miehaelis-Passv, Ml. ptolfa ffe /a
tanu>o française (A. Rambeau), — Dottin, fj tassa if? des pin ht* du Bas-Maine.
— Segal, jln Esitmate ûf BérongW 6j/ GœÊae. — Hancock, Ta*> Fnnch Iletoiu-
tiun and the Fmjlisk poets liluhtie j. — Cameron, Sélections from Edmond and
Jutes de Goneonrt (Gayj, — XV, i : Levî, The sources of l'Avare* — rSyrnp.
(irammaire historique de In tannîic française (Armstrong). — Faguet, Drame
annrn et drame moderne [Thieme). — Welter, Mistral (MinokwîU).
Muséum — Vil, 12 : Buur^mu et Saberda de Grave, Précis de phonéfi
française (Van H a me II
Nrno Wbtobm Zeltunff. — N°* 25-33 : L. P. Betz, Editai Allait l'oe uwl
Charles Baudelaire , ein Phtinomen der WelUiteratur.
tyimrterly Itrv jeu — 379 : Monlcsauien in Itahj*
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matittue, — irr janvier iLM>0: abbé L. Follioley, Montalcmbert et Mtjr Pat*
d'après des documente inédits : Vannée fSio. — Jean Lionnet, « Fécondité »
(par Emile Zola), — 16, janvier; abbé L. Follioley, Mimtnlcmbert et Mgr Pat
d'après des documents im-dite : f année (S £5* — Eniite de Saint-Auban, Chro-
nique dramatique* — tl,r février; Victor Du Bled, Les hommes d'esprit à ta fin
du XVII P siècle, — 16 février; Emile Faguet, In philosophe politique iM. I Yr
dinand Bruuetièrej. — Emile de Saint- Auban, Chconoptr dramatique*
Re*ue b]bllo-iconfi|^rapliM|iir. — Juilhaoctobre: Firmin Maillard, La vie
MttêtûÊrë au XIX" siècle (suite). — Eugène Asse, Un** nièce Ai QT**à Caf%eUU :
MM" Bernard (suite)* — F.-E.-V,, « Eux par moi >s une fausse a/ttifattnm d'au-
trur. — Novembre; Gustave Mouravil, Edouard Tri.otid et ses Variétés hïtjtioyra-
phiquts. — Firmin Maillard, Lu vie liiteraire au XIX tièekt (suite). — Eugène
Asse, Une nièce du grand Corneille : M"c Bernard (suite). — Décembre; Gustave
MourmYiU Edouard Tricotel et m Variétés bddin:truphi(iues{$u\te). — Janvier 190i>;
Jules Adelîne, Tatma archéologue, bibliophile, dessinateur peul-tUre, — Gustave
.Mon ravit, Edouard Tricote t et ses Variétés bibliographiques (suite). — Firmin
Maillard, La rie titlftaire au XIX' siècle (suite). — Février; Alex. Mouttet, La
rente du cabnul des présidents Saint- Vincent. — Eugène Louis, Tatma ar
logue et bibliophile. — Charles tiJincl, .U"1 Racket* documente biographiques et
bibliographiques. — Gustave Mouravitf Edouard Tricotel et ses variétés biblio-
graphiques (fin i . — Mars: Firmin Maillard, La rie littéraire au XIX* siècle (suite)
— A l e \ . M ou 1 1 e L La ren te d tt c ab in et des p résidents Sa int-Vinr ens à A ix en tH£t
(suite). — Ch. Gîinel. .If1* Racheta documents bioqinphiqucs et bibliographie
(fin). — Eugène Asse, Une nièce du grand Corneille : Ml,n Bernard (fin). —
Inretidi* ï&t la O&mMÙ -Française. — Le testament (ïoncaurt* — Avril; d'Eylac,
ha vente fi, de Villeneuve. — Gustave Mon ravit, Un mot encore à propos des
Variétés de Tricotel. — Alex, Mou tic t, La vente du cabinet des présidents de Saint-
V incens (suite). ~- Kir min Mail lard t La rie littéraire au XI X° siècle (suite). —
A. -F., M. de Lorc ajout , Bahtic et te domainr public.
Sevve Mme. (Revue politique et littéraire). — 6 janvier 1900; L£on Séché,
Âlfrci / P%Hf et Marie Dorent. — Jules Guillemot, Les événements du siècle
et les revues de fin #40mir* « A- Aulard, Voltaire professeur de mensonge. —
13 janvier; Zadïg, Silhouettes parisiennes ; M. Jean Richepin. — L'abbé Ber^
trin, Voltaire professeur de QMMSûftp*. — Jaeques du Tillet, Théâtres : Theùtre*
Antoine. En paix, par M, L, liruycrrc, — 20 janvier; Lévy-Bruhl, La mcrûh
stxiale dWuQusle Comte. — 27 janvier; Frédéric Lolïée. La politique à I'A< r-
demie ; Paul DeschmeL — Zadig, Silhouettes parisien m s : U. Victorien Sardf^U.
— 3 février; Gustave Lanson, Les Jésuites et l'enseitpiement laïque. — Zadip,
Sdhouettes parisienne* : M. Sully Prudhomme. — Jacques du Tillet, Théâtres :
Théâtre- Antoine^ la Gitane, par M. Jggn Itichepin. — 10 février; Léon Séché,
Les amitiéi littéraires d'Alfred de Vigny ; Delphine et Marceline. — Etienne
CoquereU Bossuet à Rome.— 17 février; Ëmiîe Fattuet, Chateaubriand et Sainte-
Beuve. - Zadig, Silhouettes parisiennes : M. J.-K. Uuysmans. —Le baron d'Avril,
328
REVUE DHISTOtlU; LITTÉRAIRE DE LA FRANCK,
La légende de Itoifflitl en France. — H février; Zadiç, Silhouettes parisirtinrs :
M, Emile FaytteL — Jules Trmibat, Une page contestée ée$ » Mémoires « dé Gh&-
trtnthit'iitti, — Paul Souday, Molière et J.J. Weiss. — Jacques du Tidet,
Th eti t res : No u e eau tés, les Maris de Léo n l i n e , pu r M . A Ifred Ça pus, — 3 mars;
Mulpy, .1/ l'ont Ibtiieu, —Jacques du Tillet, Théâtres : Comedie-Franeaise,
Diane de Ly«, p*f Aiaxnndre Dumas fît*. — 10 mars; René Doumîc, I
littéraire en (900. — Cuvîllier-Fleury, Souvenirs. — laèv:, Silhouette*
littéraires : M Paul BourQel* — Léon Séché, Le» mûnwteriti des * Mtmoifti
Revue rrltiiiur il'hUtnlre et de 1 il ter Mure — >° 1 : Coulure, Un /<•.-•
& Pascal (U. Rosière*}. — Na 8 : Gadeftoy* Les Mira >* ef G dti GonipftnttitJ du
dtrtiannaire tte ronronne langue française (A. l>elbouJle)+ — N1* 4; Kaguet, Po/i-
tiguel f| NtoraJfcJef du V/A' ifecfc [Ch. DejobL — N*€î Bats, £'J littérature com-
parée (À--Ci) — N° y : 8* Berger, Le* roofr savants en ûieux françaù [A. Thomas).
Kruir île Piiri**. — l#f et 1,t janvier; Marv J* Ilar me^teier, Le* MPWJ
Brtmtt, Il et Ut. — lri février ^ II. Bergsoo, b râ*. 1. — 15 février; H. Bi
son, Le lire. IL — L. Levy-Bruhl, Flaubert philosophe, — Georges Bourdon,
L«S tfitiàtrr<i timjlais.
Be%uc «les Pru% Honde*, — lrr janvier; À. Dastrt\ Ihtfftm et les Critiques
de ? Butoir* nt.it nrettt\ — 15 janvier; Ben£ Uoumîc, Revue littéraire : le bilan
d'une génération, — T* de Wyiewa, Hevum étrangères : tant ans de Uttératvr*
(Uhmandt. — Ifî février; Arvèrie Hartne. La Grand*' Mû fam&tielfa : te théâtre et
son influence, — René Doumic, Rente littéraire : U noVtètOU roman du comte
Tolstoï. — T. de Wyiewa, Hevues étrangères : Itt GQlTêtpondance de Bmkin
RoesetH. — irr m art; Emile Fagtiet, La renaissante tin roman historique* —
15 mars: Emile Michel, Claude Fabriée Peiraa . - René Doumic, Amie dmi
tique : Diane de Lys, â fa Cftfltâii ••< ■■; les FourchamtuiulL, d rOtféoft.
Revue oncyrlopcditiiii1. — fi janvier 1MIM); Henri [JchLenbergâf, La ttttéra*
tnrr ttirtzsrfiit •uu>\ — E+ Rlocbel, Lt$ adltr et UV4 nuits, — 2i) janviet ; Charles
Maurras, Hifimé ntu rater. —Georges Pellissier, m Fécondité ». par limite tola.
— <i u Slave frôflroy, Rf0tl« dramatique. — A^uilora, La tflteni'rtn- ûOhtêmpo*
raind en Espagne, — .\rthtrmie française n d« i/ Hr^rï Lavcdan. —
3 février; G, LejeaL A, Uaudrillart, !^. Bootry, H. Welschîflgér, A. Mell ion t
G, Lôtb, Rm?tt« ItisfnrtifHe. — 10 février; Eu^ètie Huntt, LfOf< cbmDcrafifiM otn
/rm/»s f<i€Hà. — Cbaiiea Maurras, Revue littéraire. — Georges Pellissier, < lietia-
reetian »T ot< Tolstoï. — Gustave Getfroy, iï*vae dramatique, — *t mars; Gabriel
Mourev. John Huikin (($10*1900). ^ Gustave G^ltïov, Hernie dramatique . — -
Ctfmît francam : tert'^tiou de ,ïï, Pdul bcsehuneh — 17 mare; Alexandre
HiMiois. l/.ttt rantemprïrtiin en linssie, — Charte* Manmsf -Bévue littrruire. ^-
Il ii ni i radier, Lo littérature chinoise contemporaine, — Inauguration <ln monu+
vient tle tOUtê Vendit a o^
Un lle\iie lipiMloinacInlpe. — '2 décembre ÎHii\; Charles Hmll«\ Armand
Barihct et ■ U Moineau ttr U&bie ». — Ifaniioe rahneyr, Une étale dé jour-
autisme. — t» décembre; Henry Bordeaux, Les Unres *t les mmam : roman*
tiers tf ' 'Uttttrs. — H* M. Fariyi Chronique dramatique : « /' Faubourg »\ « ta
Bette Hélène » — i^déaaojbré; il m. Ferry, Chronique dramatiques a Franc*
d'abord! ^> — £3 dêoetuhra; Henry Bordeaux, Les lèvres et h ; soeioto-
tt vôyaaewv — ft janvier 1900; H. Gaiii. l'tuti Oérouiède raconté par lui-
même, i — Heary Bordeaux, Les livrée H les mmurs Uem »• —
13 janvier; IL Galli, Paul Déroul u tttiinthne. IL — Louise Itead,
M!ti Ackermann intime, — R. M. Ferry, Chronique dramatique : Canni
de Racine', « ta Conscience de Tenfanl -. — â0 janvier; Marcelîtn* [kaebordea*
Valmore, Lettre* a Sainte-Beuve (< 83 fi- {63 5), publiées par le vîcamie de Spnel-
herch de LnvenjouL — H. G^illi, ptml iMranlide *aùmt4 par Jufanéme III. —
Pranti Punck-BrentaBo, Les médecim de Molière. — Henn H^niraux, L*& /
et les moeurs \ 4f- Pavé Desçhanei - ïl janvier; H. G&Wi, J*nut hertnili fie
PÉRIODIQUES. 329
raconté par lui-même. IV. — R. M. Ferry, Chronique dramatique : l'anniversaire
de Molière-, « En paix ». — 3 février; Henry Bordeaux, Les licres et les mœurs :
les discours de combat de M. Brunetière. — 17 février; Henry Bordeaux, Les
livres et les mœurs : critiques. — 24 février; vicomte de Spoelberch de Loven-
joul, Un roman inachevé de Sainte-Beuve : Arthur. I. — R. M. Ferry, Chronique
dramatique : « le Béguin»; « le Ressort ». — 3 et 10 mars; Sainte-Beuve, Arthur
(suite et fin). — 3 mars; Henry Bordeaux, Les livres et les mœurs : Jacquou le
Croquant.
Le Temps. — 1er janvier 1900; Gustave Larroumet, Chronique théâtrale. —
o janvier; Les grands hommes au Panthéon : Balzac et Renan. — 6 janvier;
Adolphe Brisson, Promenades et visites : A/me Pauline Viardot. — 7 janvier;
Gaston Deschamps; La vie littéraire : Michelet et Quinet. — 8 janvier; Gustave
Larroumet, Chronique théâtrale. — 44 janvier; Gaston Deschamps, La vie litté-
raire : le procès de Masséna. — 15 janvier; Gustave Larroumet, Chronique
théâtrale. — Emile Faguet, Notice sur Francisque Sarcey. — 16 janvier;
Adolphe Brisson, Promenades et visites : les têtes de M. Hermann Paul. —
19 janvier; Une préface de M. Faguet. — Paul Souday, Sur Ponsard. — 21 jan-
vier; Gaston Deschamps, La vie littéraire : le roman d'un député. — 22 janvier;
Gustave Lraroumet, Chronique théâtrale. — 23 janvier; Trois lettres ittédites
sur la tolérance (Lacordaire; Montnlembert; George Sand). — 25 janvier;
Adolphe Brisson, Promenades et visites : la géométrie de M. Caran d'Ache; —
28 janvier; Gaston Deschamps, La vie littéraire : le coin des poètes. — 29 jan-
vier; Gustave Larroumet, Chronique théâtrale. — 2 février; Adolphe Brisson,
Promenades et visites : les imaginations de M. Rohida. —3 février; Henry Michel,
Académie française : réception de M. Deschanel. — 4 février; Gaston Deschamps,
La vie littéraire : au pays de Montaigne. — 5 février: Gustave Larroumet,
Chronique théâtrale. — Joris-Karl Huysmans. — M. Brunetière au Vatican. —
7 février; Les grands hommes au Panthéon (Michelet, Pasteur, David d'Angers).
— Un Allemand chez Victor Hugo.— 11 février; Gaston Deschamps, La vie lit-
téraire : le culte d'André Chénier. — - 12 février; Gustave Larroumet, Chronique
théâtrale. — 14 février; Fragments inédits de Stendhal. — 18 février; Gaston
Deschamps, La vie littéraire : les Français à Rome en 1798. — 19 février; Gus-
tave Larroumet, Chronique théâtrale. — «Le malade imaginaire » devant la
médecine moderne. — Boris de Tannenberg, Un grand romancier espagnol :
Perez Galdos. — 20 février; Adolphe Brisson, Promenades et visites : Anacréon
(M. Charles Coran). — 24 février; Sainte-Beuve et Chateaubriand. —25 février;
Gaston Deschamps, La vie littéraire : nouveaux fabliaux de Maupassant. —
20 février; Gustave Larroumet, Chronique théâtrale. — 27 février; Sainte-Beuve
et Chateaubriand. — 28 février; Adolphe Brisson, Promenades et visites :
M. Clodomir. — 4 mars; Gaston Deschamps, La vie littéraire : Chateaubriand et
M. Joseph Bèdier. — 5 mars; Gustave Larroumet, Chronique théâtrale. —
9 mars; Sainte-Beuve et Chateaubriand. — 10 mars; Gustave Larroumet,
La Comédie- Française. — 11 mars; Gaston Deschamps, La vie littéraire : les
mémoires tfun diplomate hollandais. — 12 mars; Gustave Larroumet, Chronique
théâtrale. — 13 mars; Paul Souday, Sainte-Beuve et Chateaubriand. — 18 mars;
Gaston Deschamps, La vie littéraire : plaidoyers pour la poésie. — P. S.,
Saint-Beuve et Chateaubriand. — 19 mars; Gustave Larroumet, Chronique
théâtrale. — Le nationalisme dans la critique, — 23 mars; T. de Wyzewa,
Le nouveau roman de M. (FAnnunzio. — 25 mars; Gaston Deschamps, La vie
littéraire : un nouvel ouvrage de M. Albert Vandal. — 26 mars; Gustave Lar-
roumet, Chronique théâtrale.
ZelUchrift fur franz. Sprache und Literatur. — XXI, 5,7 : W. Wetz,
Uebcr Taine aus Anlass neuerer Schnften. — i. Bethge, lur Technik Molieres.
ZcltHchrlft fur romanlsehe Philologie. — XXIV, 4 : P.-A. Becker, Jacques
Grevin und Joh. Sambucus. — Limberg, Les fonctions verbales figées dans la
langue française (A. Schulze).
Rev. d'hist. littéb. de la France (7* Aon.). -«VU. 22
LIVRES NOUVEAUX
Acfcer (Paul). Humour et humoristes. Paria, Simonin Emph. In- 18 je su- di
x-236 p. Prix : 3 n\ m.
4lmanacli du bJi>liopliile pour ïannêc 1899 (2f année), Paris t Pelle tan.
Petit in-8T de n-29l p., avec 38 gravures par KJorian.
Barantc (Baron de). SûUVtnSn (1782*1866), publiés par son petit IHs Claude
de Baratte. T. VU, Paris t Calmaun-Lèvy. ln-8, de W7 p. Prix 7 fr, £0.
Barbier (l'abbé). Un petit fils àe La Fontaine a Fumiers, et lettres a lui adres-
sées par Louis Racine* Faix, Gadrat. Iq-8, de 24 p* (Extrait du Bulletin de la
ode ttes ïtitiucs, lettres et arts, 1898).
BctUge (!*}, Zur Technik Motieres. Dissertation de Berlin* In-8, de 24 p.
Bol le au. Œ\u tes classique*. Edition annotée par l'abbé Lafontaîxk. Paris,
Pouwielgue. ln-16t de xx-Glti p*
BoLriiuiiin iW f, Frtirizttsifiïher Euphemismm. Dissertation de Berlin, ln-8, de
60 p.
Bosquet* Discouru sur V histoire universelle. Edition classique par E. Lekhanc,
Troisième partie : les Empires* Parti, Dclatain, In-12^ de 112 p*
ItosHuet. Trait** de la connaissance de Dieu et de soi-m^mc, avec une introduc-
tion et des notes par M* L* ttossuixEiii, Paris, Lecoffre* !n~18> de îk% p,
Baltel [Julien). Le Bannissement de Jean -Baptiste Rousseau, discours por~
nonce â l'audience solennelle de rentrée de la cour d'appel de Pau, le 16 or-
tM.re 1899. Pau, Garet. lfi-8. de 34 p.
riiïiirauhri.'iiicl. L I Mattynt Livre VI, publié avec une notice biographique,
une introduction el dei noies par L. Ma&illeau* Paris, Rackette. Petit in- le,
dfi OS p.
Darniretteter (Mary James)* La reine de Navarre (Marguerite d'Angoule'me).
Traduction de l'anglais par Pierre Mehcieux* Paris, Catmnnu-Lévy* ln-8 Jésus,
de 1*386 p*
l>< (mhiiIm i Lucien . Recherchée d'histoire locale. Notes et souvenirs. Le théâtre
à Bennes, llnut> < SfrROfL ln-8, de 157 p.
Delataln (Paul). L'imprimerie et la librairie a Paris de §789 à 4813, rensei-
gnements recueillis, classés et accompagnés d'une introduction. Fan*, Delà-
laia. In 8, de lx 36tî p. et trois fragments du plan de Paris en 1810* Prix : 20 fr.
Dominique i L'abbé J.). Le poète Brownintj a $aîn6 •■Marie-en-Pornic, La
légende de la chevalière d*or. Vannes. Laftdtje. Jn-8, de 24 p. (Extrait de la
Revue de litefagne, de Vendée et d'Anjou.)
Draeger (R.), Moliere's Don Juan historiseti-genetisek neu heteuchtet. Disserta-
tion de Halle, 1*1*0, de 35 p*
Du CthMicI (Le comte Emcrie), Le candidat <te la beauté : Gabriel* d'An-
tfunziiK Victy Ventre. Itl-16, de 32 p.
Durand i Ij uk- . Joseph Vomit, honrne poliiii/ut'f écrivain, poète. Étude
bio-bibliographique. Fémutp, Durand. In -T.1, de 71 pages et portrait*
Élladr (Poinpiliu:. JJe l 'influence française IMT t r esprit pu\dir en Roumanie. Les
nies Etude sur l'état de la société roumaine à l'époque des régnes phana-
ri oie s. Paris, Leroux. ln-8, de xi-443 p*
LIVRES NOUVEAUX. 331
Faguet (Emile). Politiques et moralistes du XIXe siècle. 3« série. Paris,
Société française d'imprimerie et de librairie. In-18 Jésus, de xxn-381 p. Prix :
3 fr. 50.
Févnl (Paul). Le premier amour de Charles Nodier. Avant-propos de Maurice
Tourneux. Illustrations de Vogel. Paris, Rouquette. In-8, de vu-4l p.
Frolssart (Jehan). Chroniques. Deuxième livre, publié pour la Société de
l'histoire de France par Gaston Raynaud. T. XI (1382-1385); depuis la bataille
de Roosebeke jusqu'à la paix de Tournay. Paris, Laurens. In-8 de lxxvu-492 p.
Gahler (J.). Le théâtre libre : François de Curel. Nantes, Biroché et Dantais.
In-8, de 52 p.
G as té (Armand). Une demi-victime de Boileau. Les poésies de Jean Bardou,
curé de Cormelles-le-Royal, près Caen (1621-1668). Caen, Delesques. In-8, de
43 p. (Extrait des Mémoires de l'Académie nationale des sciences, arts et belles-
lettres de Caen.)
Ghlca (Jean T.). La propriété littéraire et artistique en Roumanie. Paris,
Rousseau. In 8, de 173 p.
Glraud (Victor). Pascal : l'homme, V œuvre, l'influence. Notes d'un cours pro-
fessé à l'Université de Fribourg (Suisse) durant le semestre d'été 1898. Paris,
Fontemoing. In-16, de x-252 p.'
Glrod de l'Ain (Maurice). Vie militaire du général Foy. Paris, Pion. In-8,
de 436 p. avec 2 portraits, 6 cartes et 3 fac-similés d'autographes. Prix : 8 fr.
Gourcuff (Olivier de). Un contemporain de Brizeux : M. Charles Coran.
Vannes, Lafolye. In-8, de 1 1 p. (Extrait de la Revue de Bretagne, de Vendée et
d'Anjou.)
Gourmont (Rémy de). Les petites revues, essai de bibliographie. Paris,
librairie du Mercure de France. In-8, de 39 p. (Extrait de la Revue biblio-icono-
graphique.)
Grisclle (Le P. E ). S. J. Les Mélanges de Bourdaloue. Paris, Sueur-Charruey.
In-8, de 15 p. (Extrait de la Science catholique.)
Goilland (Antoine). V Allemagne nouvelle et ses historiens : Niebuhr, Ranke,
Momnisen, Sybei, Trcitschke. Paris, Alcan. In-8, de 262 p.
Raiera (Mgr). Louis Veuillot, discours prononcé à l'inauguration du monu-
ment de Louis Veuillot dans la basilique du Sacré-Cœur. Paris, Retaux. In-8,
de 42 p.
Jovellanos. La satire de Jovellanos contre la mauvaise éducation de la noblesse
(1787), publiée et annotée par Alfred Morel-Fatio. Paris, Fontemoing. In-8, de
48 p. (Bibliothèque des Universités du Midi, fasc. 5.)
Kerviler (René). Répertoire général de bio-bibliographie bretonne, avec le con-
cours de MM. A. Apuril, X. de Bellevue, Ch. Berger, V. du Bois-Saint-Séverin,
R. de l'Estourbeillon, A. Gaiibourg, etc. Livre Ipr : les Bretons. T. XII, 32e fas-
cicule ; Dem-Dez. Rennes, Plihon et Hervé. In-8, de 160 p.
Le Bourallère (A. de). L'imprimerie et la librairie à Poitiers pendant le
XVI0 siècle, précédé d'un chapitre rétrospectif sur les débuts de l'imprimerie
«lans la même ville. Paris, Paul et Guillemin. In-8, de lxx-399 p., avec fac-
similés.
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332 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
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Lyonnet (Henry). Le théâtre hors de France. 3- série : le théâtre en Italie.
Paris, OUendorff. In-18 Jésus, de 390 p. avec 47 photogravures. Prix : 3 fr. 50.
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Hlchelet. Histoire et philosophie. Introduction à l'histoire universelle. Vico.
Luther. Élude par Albert Sorel. Paris, Calmann-Lévy. In-18 jésus, de xxxvi-
245 p. Prix : 3 fr. 50.
Hlchelet (J.). Œuvres complètes. Histoire. Révolution française. T. Y :
la Convention. Paris. Calmann-Lévy. In-18 jésus, de 494 p. avec grav.
Prix : 3 fr. 50.
Hlchelet (J.). Révolution française. T. VI : la Terreur. Calmann-Lévy. In-i&
jésus, de xxxvin-484 p. et grav. Prix : 3 fr. 50.
Hlchelet (J.). Révolution française. T . VIII. Robespierre. Paris, Calmann-Lévy ..
In-18 jésus, de 477 p. et portrait.
Molière. Les Femmes savantes. Illustrations d'Henri Pille. Paiis, Charavay
et Martin. In-IG, de 128 p.
Olivier (Jean-Jacques). Voltaire et les comédiens interprètes de son théâtre*
Étude sur l'art théâtral et les comédiens au xvmc siècle, d'après les journaux,,
les correspondances, les mémoires, les gravures de l'époque et des documents
inédits. Paris, Société française d'imprimerie et de libraitie. In-18, dexxxv-441 p.
et 3 gravures coloriées. Prix : 10 fr.
Oraunt (Henri). Bibliothèque nationale : Catalogue général des manuscrits
français. Nouvelles acquisitions françaises. T. 11. NuS 3i 01-6500. Paris t Leroux.
Iu-8, de .w-465 p.
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théâtre de VirtorHugo. Angers, Germain et Grassin. In-8, de 351 p. (Extrait de
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jours. Nouvelle édition contenant un index des auteurs et des ouvrages cités.
Paris, Masson. In-16, de 600 p.
Prondbon (P.-J.). Commentaires sur les Mémoires de Fouché, suivis du Paral-
lèle entre Napoléon et Wellington. Manuscrits inédits publiés par Clément
Rocbel. Paris, OUendorff. In-8, de xvu-298 p.
Rébellian (Alfred). Bossuet. Paris, Hachette. In-16, de 208 p. et portrait.
Prix : 2 fr. (Les grands écrivains français).
Renan (Ernest). Études sur la politique religieuse du règne de Philippe le Bel.
Paris, Calmann-Lévy. In-8, de n-489 p.
Renouvler (Ch.). Victor Hugo : le philosophe. Paris, Armand Colin. In-16,.
de 385 p. Prix : 3 fr. 50.
Rimbaud (Jean-Arthur). Lettres (Egypte, Arabie, Ethiopie), avec une intro-
duction et des notes par Paterne Berrichon. Paris, Société du Mercure de
France. In 18 jésus, de 274 p. Prix : 3 fr. 50.
Saint-Pierre (Bernardin de). Paul et Virginie. Illustrations de Maurice
Leloir. Paris, Charavay et Martin. In-16, de xu-120 p.
Saint-Simon. Mémoires. Nouvelle édition, collalionnée sur le manuscrit
autographe, augmentée des additions de Saint-Simon au Journal de Dangeau et
LIVRES NOUVEAUX. 333
de notes et appendices, par A. de Boislisle. T. XIV. Paris, Hachette. In-8, de
709 p. Prix : 7 fr. 50. (Les grands écrivains de la France.)
Sambae (M.). Le socialisme de Pourier. Paris, Larose. In-8, de n-211 p.
Séménoff (E.). Alexandre Pouchkine (1789-1899). Paris, Stock. In-18 Jésus,
de vi-77 p. Prix : 2 fr.
Sérand (J.). U habitation de Mm* de Warens à Annecy. Annecy, Abry. In-8,
de 15 p. (Extrait de la Rnme savoisienne.)
Simon (Joseph). Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de la ville de
Nimes. T. II. Nimes, Chastanitr. In-4, de 172 p.
Sorel (Alexandre). Recherches historiques sur l'imprimerie et la librairie à
Compiegne avant 4 789. Compiegne, Lefebvre. In-8, de 32 p. (Extrait du Bulletin
de la société historique de Compiegne).
Tamiserai (J.-B.-Émile). Étude généalogique sur les Bourdaloue, avec divers
appendices par Henri Chkrot, S. J. Parts, Retaux. In-8, de 128 p.
Yermorel (À.). Mirabeau, sa rie, ses opinions et ses discours. T. Ier. Parts,
Pfluger. In-32, de 190 p.
Vllère (A. de). Jean Racine, d'après sa correspondance. Paris, Sueur -Gharruey .
In-8, de 67 p. (Extrait de la Revue de Lille.)
Voltaire. Candide. Illustrations par Adrien Moreau. Paris, Charavay et Martin.
In-16, de 132 p.
Yaflhorgne (L.). Notice biographique sur Jean Pillet, historien du Gerberoy
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WoIns (J-J). Molière. Préface par le prince Georges Stirbky. Paris, Cal-
mann-Lévy. In-18 jésus, de xx-291 p. Prix : 3 fr. 50.
Wjïcwa (Teodor de). Le roman contemporain à F étranger. Paris, Perrin.
In-16, de x-325 p.
CHRONIQUE
— Les adhérents à la Société d'histoire littéraire de la France recevront avec
ce numéro de la Revue la table analytique des cinq premières années dont
nous sommes redevables à notre confrère M. Maurice Tourneux.
— Sous ce titre Un recueil « cTadversaria» autographes de Girolamo Aleandro
(Extrait des Mélanges d'archéologie et d'histoire publiés par l'École française de
Borne), M. Louis Delà ruelle appelle l'attention sur un manuscrit du Vatican
qui contient des annotations ignorées, de la main de Jérôme Méandre. Ce sont
surtout des notes philologiques rassemblées au hasard des lectures et des tra-
vaux, mais on y trouve aussi quelques détails biographiques qui ne sont pas
sans intérêt.
— Le Sermon inédit de saint François de Sales pour le premier jour de Van 4612,
publié et annoté par le P. Eugène Grisellb, S. J., l'a été d'après les principes
adoptés par Dom Mackey dans l'édition qu'il donne des œuvres du prélat, sous
les auspices de la Visitation d'Annecy (Extrait de la Revue des sciences ecclésias-
tiques). L'autographe de ce discours, qui a été retrouvé à Beauvais, est, selon
toute vraisemblance, un feuillet extrait du manuscrit de Turin, qui a servi à
l'édition des sermons du saint, et cette publication nouvelle comble heureuse-
ment une lacune et fait disparaître un vide du recueil actuellement en cours
de publication.
— M. Louis Arnould, qui s'est voué, comme on le sait, à l'étude de Bacan,
continue à publier d'intéressantes trouvailles sur celui-ci. Il a inséré, dans la
Quinzaine du 1er mars dernier, un article sur la Naissance de Racan, dans lequel
les amateurs de notre littérature du xvu° siècle trouveront une partie d'une
lettre inédite du poète à Michel de Castelnau et aussi trois stances également
inconnues.
— Les admirateurs de Bossuet se préparent à commémorer dignement en
1904 le deux centième anniversaire de la mort de l'illustre orateur. En attendant
cette date, ils ont pensé à consacrer un recueil périodique trimestriel, la Revue
Bossuet, à la glorification du prélat. Cette revue, qui est publiée par l'edminis-
tration du Correspondant, est dirigée par M. l'abbé E. Levesque, bibliothécaire
du séminaire de Saint-Sulpice. Elle insérera des œuvres inédites, des docu-
ments et des articles bibliographiques, dont nous ne manquerons pas de
donner dorénavant le dépouillement à nos lecteurs.
Signalons dès maintenant un article de M. l'abbé Ch. Urbain sur le Jansé-
nisme de Bossuet dans la Revue du clergé français (1er août 1899).
— Le panégyrique de saint François de Sales, par Bossuet, dont le manuscrit
autographe a été récemment découvert à la bibliothèque de Turin, ainsi que
nous lavons annoncé dans notre précédent numéro, vient d'être publié par
Dom Mackey, dans les Études rédigées par des religieux de la compagnie de
Jésus (octobre 1899). Le texte, qui est accompagné des éclaircissements dési-
rables, est orné du fac-similé de la dernière page de l'autographe de Bossuet.
CHRONIQUE. 335
— V Étude généalogique sur les Bourdaloue publiée par M. J.-B.-Emile Taus-
serat est abondante et précise. Elle rendra des services à tous ceux qui vou-
dront bien connaître les alentours du célèbre prédicateur. Le P. Chérot y a
joint divers appendices qui complètent l'ensemble et ne sont pas sans intérêt.
— Dans le Bulletin de la commission de F histoire des Eglises wallonnes, t. VII
(La Haye, 1898). p. 279 et suivantes, M. Kan a publié un catalogue des lettres
inédites de Baylc qui sont conservées dans quelques bibliothèques. M. Kan
indique pour chaque lettre la date et le destinataire.
La bibliothèque de l'Université de Leyde possède plus de quatre-vingts lettres
de Bayle, adressées à divers; — la bibliothèque de l'Université d'Utrecht, cin-
quante-deux lettres de Bayle, adressées à Theodorus Janssonius ab Almeloveen ;
— la bibliothèque royale de la Haye, trente-trois lettres échangées entre Bayle
et Cupertis; — la Bibliothèque nationale de Paris, vingt et une lettres de
Bayle à l'abbé Nicaise.
— Vopinion de Voltaire sur le Canada a donné lieu, à l'Académie des sciences
morales et politiques, à un échange de vues qu'on trouvera exposées dans le
compte rendu de ses travaux (1900, t. I, p. 412). M. Levasse ur avait essayé, on
s'en souvient, de laver Voltaire du reproche d'avoir écrit la fameuse phrase sur
« les quelques arpents de neige sur le Canada ». (Voy. Revue oYhist. litt.% t. II,
p. 308, et t. III, p. 153). Tel n'est pas le sentiment de M. Paul Leroy-Beaulieu
qui estime que, si ce texte n'est pas littéralement exact, il exprime bien le
sens de la pensée de Voltaire et contient les termes dont celui-ci se sert d'or-
dinaire en parlant du Canada. Mais M. Levasseur maintient qu'en parlant
comme il le faisait. Voltaire songeait non au Canada entier, mais à une partie
de l'Acadie et du Canada sujette à contestations depuis le traité d'Utrecht.
. — Le recueil périodique Souvenirs et mémoires a publié (novembre et
décembre 1899, janvier, février et mars 1900), sous ce titre : Le poète Colardeau
et le curé de Pithiviers, une correspondance inédite que le poète ne cessa d'en-
tretenir pendant toute sa vie avec l'abbé Hegnard, curé de Saint-Salomon de
Pithiviers, qui avait été aussi son tuteur. Ces lettres sont indispensables à
connaître pour bien saisir le véritable caractère de Colardeau, qui s'y révèle
prosateur aimable et plein de verve.
— La Correspondance inédite de J.-F. Ducis avec le prince Louis-Eugène de
Wurtemberg, publiée par M. E. de Refuge, qui en possède les originaux,
s'étend sur dix années, 1763-1773, et se compose de vingt-six lettres (Extrait
de V Amateur d'autographes). Ducis avait connu le prince au cours des voyages
qu'il fit en Allemagne comme secrétaire du comte de Montazet. Il en résulta
plus tard un échange de lettres, assez espacées d'abord, mais qui devinrent
très fréquentes en 1771. Le recueil publié par M. de Refuge, en outre des ren-
seignements qu'il apporte sur le compte même de l'écrivain, est une histoire
suivie de cette année et des événements, tant politiques que littéraires, qui la
marquèrent. C'est une très utile contribution au tableau de Paris à cette date,
que rendent plus utile encore les nombreuses annotations dont le texte est
accompagné.
— M. Paul d'EsTRÉE a trouvé dans les Archives de la Bastille, à la biblio-
thèque de l'Arsenal, et publie dans la Correspondance historique (juillet 4899)
divers documents sur la Jeunesse de Suavd. Elle fut, au dire de ses biographes,
agitée et querelleuse, et les documents mis au jour par M. Paul d'Estrée con-
firment à cet égard le récit de Carat sur Suard. Ce sont deux lettres du duc de
Randan, gouverneur de Besançon, aux ministres Maurepas et d'Argenson, pour
faire appréhender Suard qui s'était réfugié a Paris, chez un oncle, à la suite
d'une affaire avec un officier de la garnison de Besançon.
336
R EVITE BHJSTO-IHE LITTËUAIRE l>K LA FRANCE-
— Le Corr&pùtodmt des (0 et 1*5 janvier publie environ deux cents r
inédites de Théodore Jou/froij. Ce sont les sentences dans lesquelles l'illustre
penseur enfermait pour lui-même eu de brèves formules le résultat de ses
méditations ou le trait saillant de ses observations. Elles sont rangées dans un
ordre méthodique, dans le manuscrit original, et passent successivement en
revue la vie et la mortT l'âme et le corps, la nature» la raison et la critique,
l'histoire, l'humanité, la vie morale, religion et philosophie, art et littérature,
la civilisation, tous les grands problème», en un mot, qui se posent à Tenten*
dément humain et sur lesquels Jouffroy a tenu à donner, pour lui-même, un
sentiment sincère et clairvoyant. Nous reproduisons ici quelques-unes de ces
pensées, saisies au hasard de la lecture, comme un spécimen de ces hautes
réflexions,
— i Craindre la mort, c'est faire trop d'honneur à la vie.
— v H faut bien du goût pour échapper à celui de son siècle.
- ■ Qui comprend l'histoire ny jouera jamais un ■
— * La mélancolie est une habitude de sentiments pénibles tournée au besoin.
— « N'est pas égoïste qui veut : les bons cœurs le savent.
— t Si la grande morale tue la petite, la petile le lui rend bien,
— m Consoler, c'est rappeler à l'èçoïsnie »*
— Dissertant en Sorbonue sur la sincérité de Chateaubriand, M. l'abbé
Georges Bertiun a cru qu'il importait a sa thèse, d'ailleurs fort hasardée, de
laisser planer un soupçon sur la probité littéraire de Sainte-Beuve et de faire
entendre que celui-ci avait imaginé, pour les besoins de sa cause, un passage
fameux qu'il a cité maintes fois sur les motifs du voyage eu Orient, et qui ne
se retrouve pas dans les éditions imprimées des Mémoires tf outre tombe. Les
esprits vraiment critiques ou simplement scrupuleux n'ignorent pas qu'avant
de lancer pareille insinuation, il ne suffit pas d'avoir u parcouru deux ou trois
fois d'une main infructueuse *> un leste imprimé, comme M, Bertrin se vante
fie lavoir fait; ils savent qu'il convient d'étudier avec soin les transformations
du texte manuscrit et de déterminer avec le plus d'exactitude possible ce
que ces transformations purent être. M. Hertrin s'est avisé un peu tardive-
ment de recourir à cette méthode critique et il a dû reconnaître que c'était
par lit qu'il aurait fallu commencer. Dans un article du Correspondant {iû mars;
où il revient sur cette question sous ce litre : Chateaubriand *t SatftJà-BéiftM :
un problème *f histoire li(ttroin\ Satute Heure est-if un faussaire! M. Bertrin a
confessé que le susdit passage, qui manque dans les imprimés, se trouve,
sous une forme différente, il est vrai, de celle citée par Sain le- fleuve, dans
un manuscrit des Mémoires tf'viare-tiatthe, parfaitement authentique, écrit de
la main de Pilorge, le secrétaire de Chateaubriand, que possède actuellement
M. Champion, libraire, et qui provient des papiers de Mme Hécamier. M. Bel -
triu sWorce de démontrer que les différences du texte imprimé sont le fait
de Sainte-Beuve. Les esprits critiques ne le suivront pas dans son essai de
démons! ration, parce qu'ils estimeront qu'un texte qui a été modifié une fois
par l'auteur peut parfaitement l'avoir été une autre fois et que l'argumenta-
tion de M. Bertrin est trop spécieuse pour convaincre.
D'ailleurs celte conclusion de M, Bertrin est combattue par des critiques
favorables, en principe, à sa thèse de la sincérité religieuse de Chateaubriand.
Voyez en particulier à ce sujet la brochure de M- ë- Mïchaul sur Chateau-
briand et Sainte-Beuie (Frîbuurg, \b\m . M. G. Michaut v démontre que Cha-
teaubriant reloucha sans cesse le texte de ses mémoires et qu'il eu Ht de
nombreuses communications partielles avant la publication, c'est-à-dire les
deux points qui sont nécessaires pour mettre hors de cause la bonne foi de
Sainte-Beuve et le vice de l'argumentation de M. Hertrin.
— Le vicomte de Spoelberch de Love.njoil, qui a acquis les papiers de
Sainte-Beuve et qui les conserve avec soin dans ses collections d'autographes,
CHRONIQUE. 337
a trouvé parmi ces papiers vingt-deux lettres ou billets adressés par Marce-
line Desbord es-Val more au célèbre critique en diverses circonstances, depuis
1836 jusqu'en 1855. Cette correspondance ne fut donc guère suivie puisqu'elle
s'espace sur près de vingt ans, ce qui ne fait guère qu'une lettre échangée par
an. Quant aux lettres, presque toutes sont écrites « dans un tumulte de
cœur », comme le dit quelque part Desbordes-Valmore elle-même. Ce sont
des élans d'une sensibilité troublante et maladive, toujours douloureuse,
émue d'une âpre volupté. A vrai dire, une seule de ces lettres est de première
importance : celle du 18 mars 1851, dans laquelle Desbordes-Valmore, à la
demande même de Sainte-Beuve, donne son sentiment sur H. de Latouche,
qui venait de mourir et qui avait été l'objet des élégies, amoureuses de la
femme poète. Quoiqu'on ne puisse pas écrire un jugement « avec des larmes
dans les yeux », celui de Marceline Desbordes-Valmore est pénétrant et motivé.
C'est un portrait psychologique tracé d'une main indulgente, mais experte,
et qui devait à tous égards être sauvé.
Les lettres de Marceline Desbordes-Valmore à Sainte-Beuve ont été publiées
dans la Revue hebdomadaire du 20 février 4000.
— Le vicomte de Spoelberch de Lovenjoiil a également tiré des papiers de
Sainte-Beuve et fait paraître dans la Revue hebdomadaire (2i- février, 3 et
10 mars) un roman inédit et inachevé de Sainte-Beuve intitulé Arthur.
C'était, parait-il, la mise en œuvre de divers épisodes de la vie du poète
Ulric Guttinguer qui devait inspirer un livre que les deux écrivains, Sainte-
Beuve et Guttinguer, lui-même, se proposaient d'écrire en commun. Mais Gut-
tinguer ne persévéra pas jusqu'au bout dans son dessein et il composa et
publia seul le livre qui devait étr<* fait à deux. Son collaborateur avait déjà
exécuté une partie du travail, mais il semble qu'il eût renoncé à l'achever.
En rendant compte, dans la Revue des Dette Mondes du 15 décembre 1836, du
roman de Guttinguer, Sainte-Beuve se contente de faire allusion au sien et
d'en citer un fragment. C'est tout ce qu'on en connaissait, avec un autre extrait
inséré dans les Portraits et critiques littéraires et quelques vers placés dans
ses recueils de poésies, jusqu'à ce que M. de Spoelberch de Love nj oui en
publiât intégralement le manuscrit inachevé. Kcrit en avril 1830, cet essai
incomplet est donc l'œuvre d'un auteur de vingt-cinq ans et il a la fougue et
les défauts de la jeunesse.
— M. C. Douais — aujourd'hui évéque de Beauvais — a publié, l'an
passé, un choix de Lettres au baron (luirawl. Cette brochure précède, parait-il,
un recueil plus important de la correspondance du poète du Petit Savoyard et
donne un avant-gont de ce que sera la collection complète. En attendant, on
trouvera dans la plaquette de M. C. Douais, à la suite d'une introduction
délicate et émue sur Guiraud, des lettres de Brit'aut, du comte Daru, de Sophie
Gay, d'Alfred de Vigny, de Victor Hugo, de Léon d'Aurevilly (frère de Jules
Barbey d'Aurevilly), de Quinet, de Saint-Marc-Girardin, de Lamartine, de
Jules de Rességuier, de Villemain, de Mole, de Salvandy, de Mgr Dupanloup,
de P. de Havignan, de Poujoulat, de Mme Récamier, de Ballanche, d'Ampère
et de Lacordaire. La variété de ces noms dit assez l'intérêt des révélations de
M. Douais.
— Sous ce titre : Guillaume tiuizot et Taine, M. Victor Giuaud a exhumé, à
l'occasion du très remarquable ouvrage de Guillaume Guizot sur Montaigne,
des pages que Taine avait consacrées à G. Guizot dans la Revue de l'Instruc-
tion publique du 10 mai 1853, et dans le Journal des Débats du 12 janvier 1866.
La prose de Taine est accompagnée d'un commentaire ingénieux et substantiel.
— L'Amateur d" autographes a mis au jour quelques lettres qu'il convient de
signaler. Ce sont d'abord (Lr> janvier 1900) des lettres de Lacordaire, de Monta-
338
MEVCC » IUSTOIHK LUTI-UAIUK D£ LA Ht
lembert et de George Sand adressées à un ruerne de*tinataire à propos d'un
même ouvrage — le pasteur Schœffer et sou livre sur r Avenir de la iolëruna^ —
et qui donnent l'opinion de trois esprits si différents sur une question aussi
essentiel le.
Nous mentionnerons à côté une autre lettre, absolument dissemblable
d'allure et de ton avec la précédente, écrite par Lacordaire, à IMge de dix-
neuf ans, à un camarade d'étude (15 mars 1900).
En lin, nous ajouterons deux lettres de George Sand adressées à Louis Blanc,
sous l'Empire» et qui montrent une vivacité de sentiment qu'il faut connaître
pour juger cette phase de la vie de George Sand {Carnet hî*torUiue et litté-
raire, lî> mai 1819).
— On annonce la publication $tricte?*mt n J£ exemplaire* tlout IS tsulemeni
seront mi* dan* le eommerce, de différentes lettres inédites de Mérimée, impri-
mées intégralement d'après les autographes. Les annonces font savoir que le
recueil s'ouvrira par une introduction de M, P. Cbamïjon contenant des rensei-
gnements curieux sur la jeunesse de Mérimée, ses années d'études au Lycée
et à l'école de droit, sur sa famille et de nombreuses lettres inédites adressées
par Victor Cousin, Lebrun, Mîgnet, Barthélémy Saint-Bïlaire, Thiers, etc , à
Mérimée avec quelques réponses de celui-cî.
Quant à ta correspondance proprement dite de Mérimée ainsi mise au jour,
elle se composera de lettres adressées à Hoissonade, à Victor Cousin, à l'aniiii
et à Requien, imprimées conformément aux autographes. Ces lettres sont
suivies ilu rfcfové de- p^st&ges supprimAa dans L'éditîtM) ^ï*s Lettrct à Pami^
et qui sont intégralement publiés dans cet ouvrage, destiné seulement — ftit-0
besoin de le dire? — aux curieux des dessous de l'histoire.
— M* D. Johpell poursuit la lâche qu'il a entreprise l'année dernière de
dépouiller annuellement les revues françaises et de publier le résultat de Bel
inventaire. La deuxième année (1H98) vient de paraître en un gros fascicule
de 2T0 pages à deux colonnes, imprimées en un caractère d'un ceil mince,
quoique fort lisible, et contient la nomenclature des articles de fond, insérés
par 2"* 7 revues; cette liste est dressée à la fois par ordre alphabétique des
matières et par ordre alphabétique des noms d'auteurs, et ce simple énoncé
suffit pour apprendre aux travailleurs qu'ils trouveront, en consultant cet
utile répertoire, toutes les facilités d'une bonne et prompte information.
— Poursuivant les recherches bibliographiques qui ont déjà donné de si
buns résultais, M, Emile Bonnet vient de consacrer un nouveau et important
fascicule à la Bihl lot yr aphte du tUûûèiâ de Montpellier (anciens diocèses de Mague-
loue-Montpcllier, Béliers, Àgdc, Lodêve et Sain t- Pons- de-Thomières). C'est
donc, comme on le voit, un chapitre d'histoire religieuse et d'histore locale.
Mats les sujets ne se peuvent tellement déterminer qu'ils n'empiètent les nus
sur les autres et, si les relevés bibliographiques sont surtout utiles en vue
d'un ordre de travaux, il est rare, quand ils sont bien faits, qu'ils ne puissent
servir peu ou prou dans des cas moins spécieux ou à des études moins res-
treintes. C'est à ce titre que nous signalons ici le très consciencieux volume
de M. Emile Bonnet.
— La Faculté des Lettres de rUniversité de Fri bourg en Suisse met au
concours pour 1903 le sujet suivant : De Montaigne a Pascal, élude critique sur
les sourees fm ut aise* de* « FtUflOi ». L'u prix de 2 500 francs sera décerné au
meilleur Mémoire sur ce sujet* Le concours est ouvert à tout le monde, sans
distinction d'âge, ni de nationalité: les mémoires devront être rédigés en fran-
çais et adressés, avant le 1,M mars \\KVA, au Doyen de la Faculté des Lettres,
— Pour le programme et les conditions du concours, s'adresser à la Chancel-
lerie de rtînïversité.
QUESTIONS ET RÉPONSES* 339
QUESTIONS
Une comédie française à retrouver. — En 1891, j'ai publié, en danois,
une étude de littérature comparée intitulée Nej (Non)1; j'y ai recueilli et
examiné les différentes versions du thème suivant : Un mari, obligé de faire
une longue absence, recommande à sa femme de ne jamais répondre que non
à tout ce qu'on lui dira. Après le départ du mari, l'amant se présente, et à
toutes ses questions il n'a pour réponse que non; il pose alors ses questions
de telle manière que les non qu'il reçoit équivalent à des oui. La prescription
du mari, exécutée trop fidèlement par sa femme, tourne ainsi absolument
contre ses intentions. Ce thème se retrouve dans les littératures italienne,
espagnole, portugaise, française, russe, allemande et danoise, et il est très
intéressant d'étudier le rapport de toutes ces versions et de suivre de près les
variations qu'a subies la donnée primitive dans les différentes nations.
On connaît jusqu'à présent de ce sujet trois versions françaises. La plus
ancienne se trouve dans l'Élite des Contes du sieur d'Ourdie (réimprimée par
G. Brunet, Paris, 1883, 1, p. 24) : « Dune jeune demoiselle nouvellement mariée ».
Ce conte a été traduit en allemand sous le titre Von eincr neu getrauten
Jungfrau et cette traduction est probablement la source des deux petits opéras
comiques Die Millier in und ihre drei Licbhaber et Die doppelt betrogen Eifersucht.
Le conte du sieur d'Ouville a aussi passé le détroit et défrayé une comédie de
Edward Ravenscroft intitulée The London Cuckolds (Les cocus de Londres),
représentée pour la première fois en 1682. La deuxième version a pour titre
Les petits comédiens ou La nièce vengée. Cette petite pièce, où la donnée primi-
tive a été singulièrement épurée, est due au vaudevilliste Charles-François
Panard; elle fut représentée au Théâtre de la Foire en 1731 et a servi de base
à une saynète de Ramon de la Cruz. La troisième version, enfin, a pour auteur
le comte de Chévigné; c'est la poésie badine Oui et Non, qui fait partie des
Contes Rémois.
Il est indubitable qu'il a dû exister une quatrième version française. Feu
Reinhold Kuhler, dont l'obligeance était inépuisable, m'a écrit que notre thème
avait fourni le sujet à une comédie de Madame de Genlis. Il connaissait même
le titre de cette comédie, elle s'intitulait Le seul mott mais il me fit savoir en
même temps que c'était un renseignement de seconde main, il n'avait jamais
lui-même vu la pièce en question. Je regrette que, de mon côté, je ne sois pas
arrivé à retrouver Le seul mot; cette comédie ne se trouve dans aucune des
éditions de Madame de Genlis, que possèdent les bibliothèques de Copenhague2.
J'ajouterai enfin qu'on a représenté à Londres un petit vaudeville intitulé
So, dû à Frédéric Reynolds et qui roule sur le même sujet. L'édition imprimée
de 1829 porte sur le titre Adapted from the French. Comme fia n'a aucun rap-
port avec Les petits comédiens, ni avec le conte du sieur d'Ouville, deux questions
se posent : le vaudevilliste anglais s'est-il servi de la comédie de Madame de
Genlis, ou la pièce anglaise représente-t-elle une cinquième version?
Kr. Nyrop.
1. Une analyse détaillée de mon livre, duc à M. Charles Joret, se trouve dans la
Revue critique, 4893, I, p. 413-416.
2. Au moment de corriger les épreuves de cette petite notice, M. J. Jusserand,
actuellement ministre de France à Copenhague, m'écrit : - M. de Boislisle, qui
avait bien voulu se charger de faire une petite chasse pour trouver « Le seul mot -
n'a rien découvert. En tout cas, la pièce n'est pas à la Bibliothèque Nationale. »
340 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANGE.
Sur un chapitre énigmatique de Balzac. — Dans sa Physiologie du
mariage, méditation xxv, paragraphe I (tome XVI, p. 563-564 de l'édition de
1846, Furne, Dubouchet et Hetzel), se présente un passage hiéroglyphique,
pour lequel je désirerais savoir s'il existe une clef, une grille ou quelque autre
moyen de l'expliquer. Ou bien est-ce là un grimoire inintelligible et un
assemblage de lettres quelconques sans signification? J'ai souvent posé cette
question, mais je n'ai pas encore reçu de réponse satisfaisante et c'est pour
cela que j'ai recours à ce sujet à mes confrères de la Société d'histoire
littéraire de la France.
J. Teissier.
RÉPONSE
Sur un chapitre énigmatique de Balzac. — Cette énigme a préoccupé
en effet tous les lecteurs de la Physiologie du mariage et elle a provoqué
d'innombrables questions, auxquelles il n'a pas été fait, que je sache, de
réponse satisfaisante.
L'homme le plus qualifié pour parler pertinemment de Balzac, le vicomte
de Spoelberch de Lovenjoul, s'en est récemment occupé dans l'Amateur d'auto-
graphes : Une Énigme sans mot, à propos d'un chapitre de là Physiologie du mariage
par Honoré de Balzac (15 avril 1899) et Une Énigme sans mot, post-scriptum
(15 février 4900). Si M. de Spoelberch de Lovenjoul n'apporte pas une réponse
formelle à cette question, il en donne une explication qui paraît fort vrai-
semblable. La voici :
« Notre avis à nous, jusqu'à preuve du contraire, est que Balzac a volontaire-
ment laissé celle partie de son œuvre sans la rédiger. Ce n'est là qu'une
très habile façon d'échapper à l'obligation de formuler une opinion quel-
conque sur le délicat sujet qu'il annonçait au titre du chapitre. Une note de
l'auteur nous confirme encore dans cette supposition. Elle fait partie des
errata de la première édition, et se rapporte uniquement aux pages en ques-
tion. Elle a disparu de toutes les réimpressions de la Physiologie du mariage
publiées après 1834. La voici : Pour bien comprendre le sens de ces pages, un
lecteur honnête homme doit en relire plusieurs fois les principaux passages, car
l'auteur y a mis toute sa pensée. Cette ironique et malicieuse manière d'appeler
l'attention du lecteur sur ces lignes indéchiffrables, nous semble un témoi-
gnage tout à fait concluant en faveur de notre opinion. En tout cas, cette
note écarte absolument l'hypothèse de la composition tombée en pâte. »
Balzac reçut, à propos de ce fameux passage, un certain nombre de
demandes d'explications, dont il ne semble pas qu'il ait jamais fait grand cas.
P. B.
Le Gérant : Paul Bonnefon.
Coulommiers. — Imp. P. BRODA RD.
Revue
d'Histoire littéraire
de la France
RONSARD ET LES MUSICIENS DU XVI8 SIÈCLE
Contribution à l'histoire de la Pléiade.
Parmi les nombreux mérites #de Ronsard, il en est un dont le
poète se montre particulièrement jaloux : c'est d'avoir restauré
l'antique alliance de la poésie et de la musique. Il voulait que
ses vers pussent être accompagnés de musique et chantés; il les
versifia, à quelques exceptions près, de façon à rendre possible la
collaboration du musicien.
En soi, le fait est assez connu, car il devait attirer l'attention des
lettrés i ; mais il n'en reste pas moins entièrement à étudier l'in-
fluence de la musique sur la versification de Ronsard, et à recher-
cher quelles sont celles de ses poésies qui pouvaient être, ou qui
ont été en effet, mises en musique.
Pour qui entreprend cette étude, le principal obstacle tient à la
musique même, qu'il faut aller chercher dans des recueils
imprimés devenus presque aussi rares que des manuscrits, parfois
même introuvables à l'état d'exemplaires réunissant toutes les
parties; de tel recueil, par exemple, la partie de Superius se
i. Il a été signalé par Gandar, dans sa thèse sur Ronsard imitateur d'Homère et
de Pindare (Metz, 1854, p. 86); par P. Blanchemain, dans son édition de Ronsard,
t. II, p. 13, note; t. VIII, pp. 77, 96-98); par M. G. Pellissier, dans le chapitre sur
Ronsard et la Pléiade qu'il a écrit pour l'Histoire de ta littérature française de
M. Petit de Julleville (t. III, p. 175). M. Julien Tiersot Ta exposé un peu plus lon-
guement dans son Histoire de la Chanson populaire en France (pp. 432, 434, 437, 481),
se bornant d'ailleurs, suivant le plan de son ouvrage, à l'examen de certains thèmes
musicaux.
Hcv. d'hist. uttér. de la Franck (7« Ann.).— VII. 23
342
REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE-
trouve rue Richelieu, et les quatre autres à Upsal (Suède)1. Sans
doute, il est aujourd'hui Facile de connaître quelques-uns îles
maîtres musiciens de la Renaissance française par les belles
transcriptions de M. Ilenrv Expert1, qui a voué sa vie à la tâche de
reconstituer leurs œuvres; mais le dessein de M. Expert ne sau-
rait l'amener à grouper autour du nom d'aucun poète les éléments
de sa publication, et, quant à Ronsard, la plupart des œuvres
musicales composées jadis sur ses poésies ne sont pas près de
sortir de l'oubli où elL-s demeurent, après un silence de plus de
trois siècles.
Tout récemment, un curieux essai de restitution musicale a été,
avec un grand succès, tenté par MM. Julien Tiersol et Paul Des-
champs, lesquels ont fait interpréter, par les Chanteurs de Saint-
Gervais, des morceaux de Goudimel, de Certon, de Janequin, de
Muret, d'Orlande et de Philippe de Monte, transcrits par eux en
notation moderne. Grâce à MM. Tiersot et Deschamps, la musique
des poésies de Ronsard a pu être chantée exactement comme à
l'époque où le roi des poètes était le poète des rois3. Mais elle pour-
rait entrer, par suite» dans le répertoire profane des Chanteurs de
Saint-Gervais, sans que l'importante question des rapports de la
versification de Ronsard ivec la musique cessât d'être pleine
d'obscurités et même ignorée. Peut-être, en groupant ici les élé-
ments de cette question, réussirons-nous à montrer tout l'intérêt
qu'elle présente pour l'histoire littéraire de la Renaissance fran-
çaise.
1, De cette ancienne musique des poésies de Ronsard, noire Conservatoire ne
conserve presque rien : cependant il possède un exemplaire des plus précieux de
(a musique jointe à la première édition des Amour* La Bibliothèque Nationale et
la Bibliothèque StiotA-Ctatettère *out moins pourra, mais on n'y trouve que très
peu de rerueils qui, réunissant foutes les parties, permettent de faire une trans-
cription authentique, Le reste est enfoui dans le» bibliothèques de Bruxelles, de
Bologne, de Vienne, de Munich, d'Upsal, pour m; riLer que Us principales ; et ce
fait seul explique que bien des lacunes de notre étude étalent inévitables. Ajoutons
que, sauf dans !es recueils uniquement consacrera Ronsard, le nom du poète n'est
pour ainsi dire jamais indiqué.
2, Les Maîtres Musiciens de ht Renaissance Fmnrttisr, éditions publiées par M* Henry
Expert; Paris, Alphonse Leduc, ISOi et années suivantes, La publication se pour-
suit en livraisons.
3, Une première audition a été donnée à motel de Ville de Versailles, sous la
(Erection de MM, Deschamps et Tiersot, le 5 novembre imi* au cours d'une confé-
rence faite, sur Homard et tes Musiciens du AT/' tièote, par M* Charles Comte, à une
séance publique rie la Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Ûise;
M. Julien Tiersot a dirigé seul une seconde audilîon, le 18 janvier B90I, le sujet ayant
été repris, sous la forme d'une communication très brève, a une séance publique de
la Société des Humanistes français; puis, le 12 mars, une troisième audition» devant
Que I 'r<* nombreuse, à Tune des matinées musicales «le M0" Jameson. — De
son coté, M* P. Laumonier, sans se douter du travail de son collaborateur actuel,
lit à la Faculté des lettres de l'Université de Poitiers, en mai et juin l&ïn, une série
de conférences sur les rapports de la musique et des Odes de Ronsard, conférences
renouvelées et développées en mai et juin 1899.
KONSARD ET Lf:s KÎÏSICIEKS DL \\'\€ SIÈCLE,
3*3
« >,, EL feray encores revenir (si je puis) l'usage de la Iyn\
aujourd'hui ressuseïlée en Italie, laquelle lyre saule doit et peut
animer tea yars et leur donner le juste poids de leur gravité1. »
Dans ces lignes de VÉptireau lecteur qui précède la première
édition des (kirs i KioÛ), Ronsard annonçait l'intention d'imiter les
Italiens, qui, depuis le milieu du xve siècle, chantaient leurs
madrigaux et leurs villanelh's ;ï plusieurs parties, en s 'accompa-
gnant du luth ou plutôt en soutenant leur voix sur cet instrument.
L'imprimeur vénitien < H luvîano Petrucci avait édité, en 1503, un
recueil de \'M chants a quativ voïl des principaux auteurs madri-
galesques de la fin du siècle précédent, parmi lesquels figurent
•d'ailleurs des musiciens belges, français et allemands, qui avaient
montré la voie aux Italiens -. De 1,">Û4 à 1508 le même imprimeur
avait édité une série de recueils d*Qde, Fruttote et Sonetti, mis en
musique à quatre parties. Josquiu Després, qui vécut longtemps eu
Italie, avait mis en musique les sonnets de Pétrarque. En 1->JT,
Adrien WilUert avait fondé à Venise une école musicale qui
mêlait le religieux au profane dans un style moitié savant, moitié
populaire. A Naples, où brilla le prince Gesualdo, on écrivait à
plusieurs voix d'indolentes chansons de pêcheurs. A Florence
excellait Corteccia, dont les madrigaux à quatre, cinq, six et
huit voue, avaient paru de 1531 à 1517 chez l'imprimeur vénitien
Antoine Gardanc, ainsi que ceux de Constant Festa, de l'école
romaine.
Ronsard avait eu sans doute l'occasion d'entendre des musiciens
italiens, soit en France, suit lors de son séjour dans le Piémont] où
il avait été attaché à la personne du vice-roi La&gey du Bellay ; et,
quelques années plus tard, écrivant ses odes et ses sonnets, il avait
SOIlgé au parti qu'il pouvait tirer, pour rehausser l'éclat de ses vers,
dTune musique vocale et instrumentale qui s'adaptait si bien aux
genres qu'il pratiquait lui-même, Ikuisard pensait aussi qu'à cet
égard, comme à tant d'autres, l'imitation des Italiens était une
façon de faire renaître en France Part ancien; chanter ses vers au
ion du luth, c'était ressusciter le procédé des lyriques grecs, Ana-
1. Manche II, 13. — Les deux chiffrés que l'on trouvera à la sutle de nos cita-
lions* de Ronsard se rapporteront uniformément au tome et a la page de l'édition
BLanchemnin, l?i ^ule qui soit d'un usage courant* Ou t»e rappellera que le iojm; I"
contient les Amovr$l et le tome II les Odes.
2. Voir FéUa, Biographie vnwerneUt des mttsicienst article s Compère, Castelani,
Josquîn Despres.
344 ffEVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
créon, Sapho, Terpandre, Arion, Pindare, qu'il se représentait,
non sans raison, tenant une lyre en mains et accompagnant leurs
propres vers. Malgré sa surdité fameuse, n'avait-il pas la préten-
tion de figurer à son tour dans cette attitude? N'était-il pas le
Pindare français? De leur côté, ses contemporains ne lui mar-
chandaient pas les assimilations de ce genre. Lors de la publication
des Amours, son maître Daurat l'appelait un nouveau Terpandre,
dans un distique grec imprimé au titre, et qui n'est d'ailleurs qu'un
médiocre jeu de mots : le Tép7ravopo; moderne sera aussi un
Tfcproy'jvvU •
TépTCfltvôpo; wplv Crépit' avîpaç jaôvov, à>Xà yjvatxa;
NOv Tépicei, vOv àp Tepiwp>vTiç gaexat.
Par quelle puissance de séduction nouvelle le poète des Amours
allait-il devenir un charmeur de femmes, sinon par l'harmonie,
Langue que pour l'amour inventa le génie,
Qui nous vint d'Italie, et qui lui vint des ci eux?
Sur la passion de Ronsard pour la musique, sur l'admiration
qu'il ressentait pour les musiciens, sur le culte qu'il vouait à la
personne ou à la mémoire des plus grands d'entre eux, sur sa pré-
occupation constante d'allier la musique à la poésie, les témoi-
gnages abondent.
« La musique lui esloit à singulier plaisir, écrit son bio-
graphe Claude Binet, et principalement aimoit à chanter et à
ouyr chanter ses vers, appelant la musique sœur puisnée de la
Poésie, et les Poètes et Musiciens enfans sacrez des Muses, que
sans la Musique la Poésie estoit presque sans grâce, comme la
Musique sans la mélodie des vers, inanimée et sans vie1. » Que
la musique lui fût à singulier plaisir, Ronsard lui-même Ta fait
assez voir dans l'épitre à Charles IX qui sert de préface au Mel-
lange de Chansons tant des vieux autheurs que des modernes
paru en 1572*. Cette épître a, par endroits, le ton d'un hymne à la
musique. On y sent un enthousiasme qui n'a rien de factice, et
comme la prédilection d'un professionnel pour son art. C'est à
croire que Molière, quand il faisait parler le maître de musique de
M. Jourdain, avait lu ces lignes de Ronsard : « Car celuy, Sire>
lequel oyant un doux accord d'instrumens ou la douceur de la
voyx naturelle, ne s'en resjouit point, ne s'en esmeut point,
1. Vie de Ronsard, dans l'édition des Œuvres de 1609, p. 1164. Cf. Bl., VIII, 51.
2. BL, VII, 337 sq. Une première édition avait paru en 1560, avec une préface
dont le texte est un peu différent.
RONSARD ET LES MUSICIENS DU XVIe SIÈCLE. 345
<îommc doucement ravy, et si ne sçay comment desrobé hors de
soy; c'est signe qu'il a l'ame tortue, vicieuse, et dépravée, et du
<juel il se faut donner garde, comme de celuy qui n'est point
heureusement né. Comment se pourroit-on accorder avec un
homme qui de son naturel hayt les accords? Celuy n'est digne de
voyr la douce lumière du soleil, qui ne fait honneur à la musique,
comme pelite partie de celle, qui si armonieusement (comme dit
Platon) agitte tout ce grand univers1. »
Guillaume Colletet nous fournit des renseignements plus précis
encore que ceux de Binet : « Comme il avoit ajusté ses vers de
telle sorte qu'ils pouvoient estre chantez, les plus excellents
musiciens tels qu'Orlande, Certon, Goudimel, Jannequin et plu-
sieurs autres prirent à tasche de composer sur la plupart de ses
sonnets et de ses odes une musique harmonieuse; ce qui pleut de
telle sorte à toute la cour qu'elle ne resonnoit plus rien autre
chose, et ce qui ravit tellement Ronsard qu'il ne feignit point
d'insérer à la fin de ses premières poésies ceste excellente
musique*. » Sauf pour Orlande, qui n'a rien composé sur des vers
de Ronsard avant son arrivée à Paris en 1571, Colletet fait ici
allusion aux airs notés sur 32 feuillets 3 h la suite de la première
édition des Amours imprimée en 1552 chez la veuve Maurice de
La Porte, publication très importante, qui nous fait voir le con-
cours des meilleurs musiciens acquis à Ronsard dès le succès de
ses premières œuvres. En tète du livret de musique se lit un
Adverlissement au Lecteur par A. D. L. P. à la rédaction duquel
Ronsard n'a pas dû rester étranger : « Ayant recouvré le Livre des
Amours du Seigneur P. de Ronsard, et le cinquiesme de ses odes,
avec aultres siens Opuscules : Et puis après, entendu que pour
1. « Le Maître de musique. — Sans la musique, un État ne peut subsister... Tous les
desordres, toutes les guerres qu'on voit dans le monde, n'arrivent que pour n'ap-
prendre pas la musique... La guerre ne vient-elle pas d'un manque d'union entre
les hommes?
« Monsieur Jourdain. — Cela est vrai.
- Le Maître de musique. — Et si tous les hommes apprenoient la musique, ne
seroit-ce pas le moyen de s'accorder ensemble, et de voir dans le monde la paix
universelle?
- Monsieur Jourdain. — Vous avez raison. »
Ronsard avait pu s'inspirer d'un passage de la République de Platon (livre IV).
Charles IX n était pas moins convaincu que Ronsard de ces hautes vérités. On lit,
aux. considérants de ses lettres patentes établissant une Académie de musique :
• La plupart d«.'s esprits des hommes se conforment et comportent selon qu'elle
est, de façon que où la musique est désordonnée, là volontiers les mœurs sont
dépravées, et où elle est bien ordonnée, là sont les hommes bien moriginés. »
V. Molière, éd. Despois-Mesnard, t. VIII, p. 56, n. 1, et p. 58, n. 2.
2. Bl., VIII, 51-52.
3. Au Conservatoire national de musique (cote : 26 235). Cet exemplaire, unique
en France, est relié à la suite d'une seconde édition du texte, celle de 1553.
346 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
ton plaisir et entier contentement il a daigné prendre la peine de
les mesurer sur la lyre (ce que nous n'avions encores apperceu
avoir esté faict de tous ceux qui se sont exercités en tel genre
d'escrire) Suyvant son entreprise avec le vouloir que i'ay de luy
satisfaire, et pour l'amour de toy, lecteur : i'ay faict imprimer, et
mettre à la fin de ce présent livre, la Musique, sur laquelle tu
pourras chanter une bonne partie du contenu en iceluy : le pro-
mectant à l'advenir de continuer ceste manière de faire (en ce qui
s'imprimera de la composition du dict Ronsard) si ie congnoy
qu'elle te soit aggreable. »
Dans les œuvres mêmes du poète, les titres de certaines pièces
nous donnent des indications assez significatives sur le caractère
musical de leur production : « Stances à chanter sur la lyre pour
Favant-venue de la royne d'Espagne à Bayonne (IV, 137); Stances
promptement faites pour jouer sur la lyre, un joueur respondant à
l'autre (VI, 319); Chant triomphal pour jouer sur la lyre, sur
l'insigne victoire qu'il a plu à Dieu de donner à Monseigneur
frère du Roy* (V, 144) ; Comparaison du Soleil et du Roy, récitée par
deux joueurs de lyre (IV, 148); Sonnet pour chanter à une mascarade
(IV, 192); etc. » Mais à quoi bon multiplier ces citations, et pour-
quoi donnera ces morceaux un faux air d'exceptions, puisque nous
aurons précisément à montrer qu'il y eut adaptation musicale pour
quantité d'œuvres de Ronsard dont le texte à nous transmis semble
n'en porter aucune trace?
11 serait plus intéressant de relever tous ces passages des Odes
où Ronsard exalte l'élément musical de sa poésie et associe à la
technique des vers la pratique des instruments. Au temps d'Alfred
de Musset, quand le poète s'accoude à sa table pour aligner quel-
ques rimes, c'est au figuré qu'il se fait dire par la Muse : « Poète,
prends ton luth! » car, depuis Malherbe, le luth, comme la lyre,
n'est plus pour nos poètes qu'un instrument muet, un accessoire
non praticable, une vaine métaphore ; mais, au temps de la Pléiade,
c'est au sens propre, et en dehors de toute métaphore qu'il faut
comprendre les mots mis en italique dans les vers suivants de
Ronsard :
Ores il ne faut pas dire
Un bas chant dessus ma lyre,
Ny un chant qui ne peut plaire
Qu'aux aureilles du vulgaire,...
(II, 54 ; Odes, I, 6.)
1. C'est l'hymne sur la victoire de Moncontour; il porte le titre indiqué ci-dessus
au C livre des Poèmes, en 1569.
RONSARD ET LES MUSICIENS DU XVIe SIÈCLE. 347
Premier j'ay dit la façon
Raccorder le luth aux odes,...
(II, HO; ib.y I, 14.)
Mais la mienne * emmiellée
Qui sçait les loix de mon doy,
Avec les flustes meslée,
Chassera l'oubly de toy.
(II, 62; ib., 1,7.)
Certes telle gloire douce
Crie qu'elle est seule à toy,
Obéissant à la loy
De ma lyre et de mon pouce.
(II, 126; 16., 1,21.)
Vien à moy, mon Luth, que j'accorde
Une ode, pour la fredonner
Dessus la mieux parlante corde
Que Phœbus t'ait voulu donner,...
(II, 137; t'6.,11,3.)
Ça! page, donne ce Catulle,
Donne-moy Tibulle et Marulle,
Donne ma lyre et mon archet,
Depcns-la tost de ce crochet..,
(VI, 344; Gayeté II.)
Ne sonner à son huis
De ma guitierre
Ny pour elle les nuis
Dormir à terre 2.
(II, 220; Odes, III, 16.)
Ronsard nous apprend que sa guilare porte sur le fût des pein-
tures de scènes mythologiques, et que le nom de Cassandre y est
« joint en chiffre avec le sien, en mains laz d'amour, en maint
amoureux lien » (II, 387).
Il nous introduit aussi chez son maître Daurat, dans ce cabinet
de travail où gisent pèle-mèle, sur une table, des cahiers, des
livres, un Ovide, un Tibulle,
Auprès de son luth délectable,
Fidèle compagnon des vers.
(II, 151; Odes, II, 11.)
1. Sa - lyrique faconde ».
2. Cf. II, 273, A sa Lyre-, 387, A sa Guiterre;3M, A son Luth (ces deux dernières
pièces dans les Odes retranchées). Cf. II, 51,39,61, 98,99, 100, 108, 116, 132, 136, 137,
142, 149, 151, 215, 224, 299, 414, 422, 428, 449, 460, etc.
348 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
La dernière ode du premier livre, A sa lyre, où il s'inspire
d'Horace : Quem tu Melpomene semel, et dans laquelle il se flatte
d'avoir créé une forme nouvelle de poésie, est, si on veut la bien
comprendre, un chant triomphal sur le succès d'une versifisation
façonnée pour la première fois suivant les exigences de la
musique :
Heureuse lyre! honneur de mon enfance!
Je te sonnay devant tous en la France
De peu à peu : car, quand premièrement
Je te trouvay, lu son h ois durement,
Tu n'avois point de cordes qui valussent,
Ne qui respondre aux loix de mon doigt peussent.
Par toy je plais, et par toy je suis leu;
C'est toy qui fais que Ronsard soit esleu
Harpeur français, et, quand on le rencontre,
Qu'avec le doigt par la rue on le monstre...
Certes, mon Luth, cela vient de ta grâce.
Fier du succès, le poète ne veut pas qu'on ignore le labeur
qu'il lui a coûté.
Non saus labeur j'entrepris si grand chose,
dit-il au poète Jean de la Peruse, et la grande chose, c'était
De marier les odes à la lyre,
Et de sçavoir sus ses cordes eslire
Quelle chanson y peut bien accorder,
Et quel fredon ne s'y peut en-corder.
(VI, 43; Poèmes, livre Ie'.)
II
L'œuvre musicale entreprise par les artistes du xvie siècle sur
le texte de Ronsard est représenté pas un nombre très considé-
rable de productions. On peut faire des recueils musicaux qui,
du vivant de Ronsard, lui sont consacrés en tout ou en partie,
deux catégories, correspondant à deux générations de musiciens,
celle de Goudimel (1505-1572) et celle d'Orlande (1530-J594), et à
deux périodes dans la vie du poète, celle de sa maturité (1550-1570)
et celle de sa vieillesse (1571-1585). Un passage de rÉpitre-préface
à Charles IX, tout en nous éclairant sur les admirations du poète
pour les « excellents ouvriers en cet art », nous aidera à fixer la
RONSARD ET LES MUSICIENS DO XVIe SIÈCLE. 349
chronologie. « Entre lesquels, dit Ronsard, se sont, depuis six ou
sept vingts ans, eslevez, Josquin des Prez, Hennuyer de nation,
et ses disciples Moulon, Vuillard, Richaflbrt, Jannequin, Maillard,
Glaudin, Moulu, Jaquet, Cerlon, Arcadet. Et de présent le plus
que divin Orlande, qui comme une mouche à miel a cueilli toutes
les plus belles fleurs des antiens, et outre semble avoir seul desrobé
rharmonie des cieux, pour nous en resjouir en la terre, surpassant
les antiens, et se faisant la seule merveille de nostre temps. »
PREMIÈRE PÉRIODE.
De tous les recueils de poésies de Ronsard mises en musique, le
plus ancien et le plus précieux, c'est ce livret de 32 feuillets d'airs
notés, publié, en 1552, à la suite de la première édition du pre-
mier livre des Amours et du cinquième livre des Odes. Nous
en avons déjà signalé l'importance pour la connaissance fonda-
mentale du sujet, et nous aurons l'occasion d'y revenir à propos
des formes du sonnet musical. Il contient 10 morceaux, à quatre
parties, imprimées non pas en fascicules séparés, comme celles
des autres recueils, mais ensemble, sur les deux pages en
regard. Les au leurs sont : Pierre Certon, maître des enfants de la
Sainte-Chapelle; Claude Goudimel, qui avait donné, Tannée pré-
cédente son premier livre de Psaumes de Marot; Clément Jane-
quin, déjà vieux à cette époque, et qui s'était fait connaître par
ses recueils de chansons à quatre voix; et M.-A. Muret, qui, d'après
les initiales, est vraisemblablement le célèbre humaniste Marc-
Antoine Muret1, commentateur de ce livre môme des Amours.
Outre six sonnets, dont nous réservons l'examen au chapitre sui-
vant, nous trouvons là de la musique de Goudimel sur l'ode pin-
darique à Michel de l'Ilospital, qui fut, dil-on la plus admirée
des contemporains : Errant par les champs de la Grâce (II, 68),
un air pour la strophe et l'antistrophe, un autre pour l'épode; et de
Goudimel encore sur l'ode : Qui renforcera ma voix (II, 313).
L'éditeur prévient obligeamment le lecteur qu'il pourra chanter
les 72 strophes, antislrophes et épodes de la première ode et les
40 strophes de la seconde sur ces trois airs. Enfin Janequin, qui,
après Goudimel, a le plus travaillé pour ce recueil, y donne la
musique d'une chanson : Petite Nymphe folastre (I, 377).
Cette rencontre de Ronsard, grand ennemi, comme on sait, des
protestants, et de Goudimel, le musicien du psautier huguenot, est
1. Dans un recueil publié par N. Du Chemin en 15*° 2, on trouve un air de Muret
sur l'ode: Ma petite colombclle (II, 100).
350 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
intéressante à noter; mais il ne faut pas perdre de vue que, en
1552, les Psaumes de Marot n'étaient pas encore convertis au pro-
testantisme, qu'on pouvait les lire, voire les chanter, sans sentir le
fagot, et qu'enfin Goudimel lui-même était encore attaché au catho-
licisme, puisque, deux ans plus tard, il publiait, comme éditeur ou
comme compositeur, des messes, des motets et des Magnificat.
Quelles relations y eut-il, d'ailleurs, entre ces deux hommes? Nous
l'ignorons, mais nous venons de constater que ni la sympathie de
Ronsard pour le talent de Goudimel ne fut assez vive, ni, peut-être,
son courage assez grand, pour qu'il daignât ou osât, dans sa pré-
face à Charles IX, citer le nom de Goudimel parmi ceux des prin-
cipaux musiciens de son temps. La Préface est de 1572, et cette
année-là Goudimel était assassiné, le 28 août, dans la nuit de la
Saint-Barthélémy lyonnaise.
Avant cette date de 4552, on doit trouver plus d'une poésie de
Ronsard dans les recueils de chansons à plusieurs parties imprimés
à Paris chez Nicolas du Chemin ; mais nous n'avons pu relever
qu'une chanson : Qui veut sçavoir Amour et sa nature (I, 216),
mise en musique par Goudimel, dans un Cinquiesme Livre paru
en 1550.
Nous venons de nommer l'éditeur musical Du Chemin, et on
a vu plus haut que les airs notés à la suite des Amours avaient
été publiés par la veuve Maurice de La Porte. A partir de main-
tenant, tous les recueils musicaux que nous aurons à passer en
revue sortiront, s'ils sont imprimés à Paris, des presses d'Adrien
Le Roy et de son beau-frère Robert Ballard, qui acquièrent, en 1552,
le privilège de l'impression de la musique.
Un premier livre de chansons à quatre parties parait, cette
année-là, chez Le Roy et Ballard '. Il n'a aucune importance pour
le sujet qui nous occupe, mais il ouvre une série de recueils de
chansons continuée et réimprimée durant tout le cours du
xvie siècle. Pour la musique, les principaux auteurs sont alors
Arcadet, Beaulieu, de Bussy, Certon, Entraigues, Goudimel,
Hérissant, Janequin, Adrien Le Roy (l'éditeur), Leschenet, Mail-
1. Premier livre de chansons, en quatre volumes, nouvellement composées en
musique à quatre parties, par M. Pierre Certon : maistre des en fans de la S. Cha-
pelle du palays, à Paru. A Paris, de Vimprimerie d'Adrian le Roy et Robert Ballard,
imprimeurs du Roy, rue S. lean de Beauvais, a renseigne S. Geneviève, 1552. —
Les autres livres sont publiés sous des litres différents d'où le nom de Certon
disparait. La Bibliothèque Nationale possède trois parties de la musique des huit
premiers livres (Vm 1, 184-191), et des exemplaires plus incomplets encore de plu-
sieurs des livres suivants. Le répertoire de M. Robert Eitner : Bibliographie der
Musik-Sammelwerke des XVI und XVII Jahrhunderts (Berlin, Liepmanssohn, 1877),
quoique très incomplet, est particulièrement utile pour la classification des recueils
de celte collection.
RONSARD ET LES MUSICIENS DU XVIe SIÈCLE. 351
lard, Millot, Mitou (ou Mitthou), Moullu, Cyprian de Rore, Ant. de
Villcrs. Plus tard, d'autres noms se joindront à. ceux-là ou les
remplaceront définitivement, et le plus célèbre sera celui
d'Orlande.
Quant aux textes, le bizarre assemblage qui en est fait dénote,
chez ces musiciens, un éclectisme impartial exempt de pudibon-
derie, qui va des thèmes les plus populaires aux formes les plus
recherchées et aux inspirations les plus nobles de la poésie lyrique.
Somme toute, c'est plutôt celle-ci qui est négligée, et dans cette
collection si intéressante, dont le petit format atteste la grande
diffusion, Ronsard ne prend que très peu de place.
Voici celles des compositions adaptées à ses vers que nous
trouvons à citer : de Briault, la chanson : Tay toy babillarde aron-
delle (II, 486); de Certon, le sonnet : Las! pour vous trop aimer
(I, 402), et la chanson : Je suis un demy-dieu quand, assis vis-à-vis
(I, 210); de Claudin le Jeune, le sonnet : Las! je me plain (I, 21);
d'Entraigues, le sonnet : Que dis-tu, que fais-tu (I, 211); de Gou-
dimel, le sonnet : Certes mon œil (I, 92), les chansons : Du jour
que je fus amoureux (I, 131), Bonjour, mon cœur; bonjour, ma
douce vie (I, 169), Plus tu cognois que je brusle pour toy (I, 411),
l'ode : Tu me fais mourir de me dire (I, 289), et la Gayeté : Une
jeune pucelette\ de Janequin, la chanson : Pourquoy tournez-vous
vos yeux (I, 429), et l'ode : Bel aubespin verdissant (II, 275); de
Millot, le sonnet : Dictes, Maistresse (I, 406), la chanson : Plus tu
cognois, l'ode : Bel aubespin verdissant, et l'ode retranchée : En
mon cœur nest point escrite (II, 386).
En 1566, le succès de Ronsard s'étant depuis longtemps affirmé,
Pierre Cléreau, maître des enfants de chœur de la cathédrale de
Toul, publie à Paris un recueil qui, d'après le titre : Premier
livre d'Odes de Ronsard, mis en musique à trois parties, semble
entièrement consacré à la poésie du maître. Titre singulièrement
trompeur! D'une part, en effet, Cléreau met en musique des
poésies de toute provenance, si bien qu'en fait d' « Odes de
Ronsard, » on trouve des pièces comme celle-ci :
Sans lever le pied j'abatray la rousée...
En un jardin seullette suis allée, etc.
et comme cette autre, mise en musique aussi par Orlande et par
Willaërt :
Hélas, ma mère! hélas, maman!
Hélas, ma mère, les dents!
352 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
D'autre part, on n'y peut relever, de Ronsard, que six morceaux
tirés des Odes : Comme un qui prend une coupe (II, 41), Le comble
de ton sçavoirel Ton nom que mon vei*s dira, épode II et strophe III
de l'ode Je suis troublé de fureur (II, 43); 0 dieux que fay de
plaisir, strophes III, IV et V de l'ode Cassandre ne donne pas
(II, 145); Ma petite colombelle (II, 160); D'où vient cela (mon prélat)
que les hommes (II, 223); plus une chanson : D'un gosier masche-
laurier (I, 130), qui appartient au recueil des Amours. Il s'agissait
de faire vendre le recueil, et le grand nom de Ronsard couvrait
toute la marchandise de l'honnête Cléreau.
En 1570, Guillaume Costeley (1531-1606), organiste ordinaire
et valet de chambre du roi Charles IX, donne, sous le simple titre
de Musique, un recueil * dont beaucoup de morceaux allaient
devenir très populaires au xvie siècle. Ici, le titre ne pouvait avoir
rien de trompeur; bien au contraire, c'est parmi des chansons de
Marot et d'autres poètes, parfois très orduriers, qu'il faut décou-
vrir ce qui appartient à itonsard, à savoir, trois chansons : Las!
Je n eusse jamais jyensé (1, 81), D\in gosier masche-laurier (l, 130),
La terre les eaux va boivant (II, 286 ) ; deux odes : Mignonne, allons
voir si la rose (II, 117), Venus est par cent mille noms (II, 437,
ode retranchée), et une odelette tirée des Meslanges de 1555 : Je
veux aymer ardantement (VIII, 146).
C'est également à celte première période, et même au com-
mencement, que nous pouvons rattacher ce recueil de chansons
à 5, 6, 7 et 8 parties, que Ronsard a honoré de sa Préface au Roi
sur la Musique *. La seule édition que nous ayons pu consulter est,
il est vrai, de 1572, mais une première édition, contenant 120 chan-
sons, avait été publiée, dès 1560, avec la même préface de
Ronsard, et c'est précisément cette collaboration de notre poète
qui, pour nous, est le principal élément d'identité entre les deux
recueils. En 1560, c'était François II qui recevait, comme protec-
teur éclairé des musiciens de son règne, les mêmes louanges que
Ronsard devait décerner douze ans plus tard à Charles IX, mais
c'était alors à Arcadet que le poète attribuait, parmi les artistes
contemporains, cette place d'honneur où, en 1572 il fait figurer le
4. Au complet à Sainte-Geneviève; transcrit par M. Henry Expert (op. cit.).
2. Livre de Mesla?iges,' contenant six vingtz chansons, des plus rares et plus
industrieuses qui se trouvent, soit des autheurs antiques, soit des plus mémorables
de noslre temps... — Paris, A. Le Roy et R. Ballard, 1560.— Mellanye de chansons
tant des vieux autheurs que des modernes, a cinq, six, sept et huict parties. —
16., 1572. — M. J. Tiersot dit (op. cit., p. 433, n. 2) que ce dernier ouvrage n'est, à
peu de chose près, qu'une réédition du précédent; mais, en réalité, il n'y a guère
que la moitié des 148 chansons de l'édition de 1572 qui se trouvent déjà dans
celle de 1500. — Nous ne connaissons, en France, aucun exemplaire de 1560. La
Bibliothèque Nationale possède le Superius de 1572; les autres parties sont à Upsal.
RONSARD ET LES MUSICIENS DU XVIe SIÈCLE. 353
« plus que divin Orlande ». Ajoutons qu'en 1560, aussi bien
qu'en 1572, le grand nom de Goudimel est passé sous silence1.
Dans le recueil de 1572, où d'ailleurs la poésie est assez sou-
vent de forme archaïque et populaire, Ronsard n'a qu'une très
petite part comme poète. Une seule de ses chansons et trois de
ses sonnets s'y trouvent mis en musique, à savoir, la chanson :
Douce Maisfresse, touche (I, 225), par Millot, et les sonnets :
Amour me tue (I, 27), par Goudimel; Que dis-tu, que fais-tu
(I, 211), par Gardane; Rossirpiol, 7non mignon (I, 410), par Claudin.
SECONDE PÉRIODE ET FIN DU XVIe SIÈCLE.
En 1571, le musicien belge Roland de Lassus, dont le nom,
italianisé en Orlando, s'est refrancisé en Orlande, arrive de Bavière
à Paris, où sa réputation le fait accueillir avec les plus grands
honneurs par les musiciens français. Il est hébergé par l'éditeur
Adrien Le Roy, qui le présente à Charles IX, et qui relate avec
orgueil cet événement, glorieux pour sa maison, dans une préface
latine écrite pour un premier recueil de la musique de son hôte
publié aussitôt après : Primus liber modulorum (1571). A partir
de ce moment, jusqu'à la fin du siècle, les recueils d'Orlande sont
imprimés et réimprimés sans interruption *. De même que Ron-
sard est le grand poète, celui qui attire les lettrés, Orlande est le
musicien le plus aimé du public, et les éditeurs abusent de son
nom comme certains musiciens de celui de Ronsard. On l'imprime
en tête des recueils, alors môme que sa musique n'y occupe qu'une
place très restreinte. C'est ainsi que, dans un recueil de 1571
{Vingtième liwe de chansons), sur 17 morceaux, 4 seulement sont
d'Orlande, tandis qu'il y en a 5 de Millot.
1. « Et de nostre temps Arcade t, lequel ne cède en la perfection de cet art, aux.
anciens, pour estre inspiré de son Apollon Charles Cardinal de Lorraine. »
2. La liste en est trop longue pour qu'on puisse énumérer complètement ici les
recueils mômes qui peuvent contenir des poésies de Ronsard. En 1571 paraît un
premier Livre de chansons nouvelles à cinq parties, en môme temps qu'un autre
recueil intitulé Vingtième livre* dans la collection commencée par Certon (V. plus
haut). L'ouvrage de beaucoup le plus important est : Mes langes de la musique
d'Orlande de Lassus, à IV, V, VI, VIII et dix parties. Paris, Le Roy et Ballard, 1576.
— La Bibliothèque Sainte-Geneviève en possède un exemplaire complet, dont
M. Henry Expert a commencé la transcription en notation moderne (Premier fasci-
cule; Paris, Leduc, 1894). La Bibliothèque Nationale possède, également au com-
plet, une réimpression de 1619. — Plusieurs des nombreux Livres de chansons qui
portent le nom d'Orlande se trouvent aussi, mais très incomplets, à la Nationale. —
En 1593, parait à Cologne, chez Paul Marteau : Le Thresor de musique d'Orlande de
Lassus, prince des musiciens de nostre temps (Bibliothèque Nationale : 4 volumes
sur 5). — Sur tous ces ouvrages, voir la bibliographie générale de M. R. Eilner
(op. cit.), et, du même : Chronologisches Verzeichnisz der aedruckten Werke von..,
Orlandus de Lassu* (Berlin, Bahn, 1874).
33*
niIVCE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Le nombre des compositions écrites par Orlandc sur des vers
de Ronsard n'a pas du être aussi considérable qu'on pourrait se
L'imaginer, car Orlande avait un faible pour la poésie populaire,
et même populacière. Voici, en loul cas, celles des pièces de
Ronsard que nous avons relevées :
Sonnets : Amour, Ajfiour (I, 7), Jespere et crain (8), 0 doux
parler (32), Rfn^moy mon cœur (108), Que dis-tu, que fais-tu (311).
Chanson : Bon jour nu \ bon jour ma douce vie (I, I69),
Odes : C un gui prend une coupe (II, il), Ton nom que m
vers diraf strophe III de l'ode : Je sut* troublé de furet
Ores (pue je liêpo$t sixain final de l*ode : JTay Fesprti tout
ennuyé (162), La terre les eaux va hoivant (286), Verse-motj
dow'f du rru, strophe dernière de l'ode retranchée :
Lorsq u e lia cch us entr e eftrz w ou (43
En 1575 1> chez des éditeurs de Louvaîn ei d'Anvers, ou des
musiciens les plus féconds de l'époque, Philippe de Monte, maître
de chapelle de l'empereur Rodolphe II, usant, avec plus de réserve
toutefois, du procédé de Cléreau, publie, à cinq, six, et sept
parties, sous le litre Ae Sonnets de Piet*re de Ronsard *t un mélange
de sonnets et d'autres pièces de notre poète, parmi lesquels il
glisse un certain nombre de morceaux de Marol et de divers
auteurs, dont il n'est pas toujours facile de découvrir la person-
nalité.
Les sonnets sont : Amours, livre 1°% Quand ma maistresse (I, 41),
Lp premier jour (53), Tout me de$platst (55), Le doux sommeil (U3)f
iKhte dittes-vous (121); Amours diverses : Que me servent mes
(385); Pièces retranchées : Fous, ne le voulez pas (397), Dictes,
Jfat (406), Mil Dieu du ciel (408), Las! sans espoir [415),
Si trop îôUVent 440). Au nombre des autres pièces nous trouvons
le « Baiser » des Amours : Quand de ta lèvre à demi/ close] quatre
chansons : Bonjour mon cœur (I, JG9), I/emandes-tu, chère Ma*
1, Nous ne connaissons aucun des recueils de Castro, qui paraissent à cette
époque chez, les mêmes éditeurs, mais, d'après les listes de morceau* données par
M. U. Kitner dans sa Bibiiogi 101 ralevûDl plusieurs poésies de Ilunsud,
comme : Bon jour mon cœur (I, 169), Plus tu cannois (I, 411), Venons ers rot
viji (II, :2flJ), L'un dit la prisr tirs murailles {II, 487).
BOfiAti de Pierre de Ronsard, mie en musique a cinq, six et sept parties, par
\|. PblUpp« de Monte, Maistre de la Chappelle de l'Empereur. A Lovais, cfaet
Pierre Phaîese, imprimeur de Musique et en Anvers chez Jean Bellere, Jibraii
PAiftle dTnr* 1515, — La Bibliothèque Nationale possède les parties au complet en
cinq volumes : Superius, Contratenor, Ténor, Bassus, Quînta pars,
3. Ce sonnet est plutéi un madrigal, car les quatre premiers vers sont répètes comme
second quatrain, et la musique de Ph. de Monte n'indique pas cette répétition*
4. Variantes dans Ph. de Monte : Demandes-tu douce ennemie. Dans te reste de la
pièce, Marie est remplacé par Mamie.
RONSARD ET LES MUSICIENS DU XVIe SIÈCLE. 355
(172), Veu que tu es (198), Plus tu cognois (411); et deux odes
anacréontiques : Pour boire, dessus l'herbe tendre (II, 161),
Corydon, verse sans fin (391).
Le nom de notre poète se trouve associé à celui de Desportes
dans le titre d'un recueil de chansons de Nicolas de la Grotte \
valet de chambre et organiste du roi. Les pièces qui sont de
Ronsard ne sont pas toujours indiquées comme lui appartenant,
mais on peut aisément les identifier *. Elles sont au nombre de dix;
ce sont, avec sept chansons des Amours : Las! je n eusse jamais
pensé (I, 81), Ma maistresse est toute angelette (163), Demandes-tu,
chère Marie3 (172), Mais voyez, mon cher esmoy (180), Quand
j'estois libre (214), Quand ce beau printemps je voy (220), Douce
maistresse, touche (225), le « Trophée d'amour » : Je suis Amour,
le grand maistre des Dieux (IV, 131; Elégies, 1565, pièce 22), le
Chant triomphal : Tel qu un petit aigle sort (V, 144, Poèmes, 1569,
pièce 4), et les Stances : Autant quon voit aux cienx de flammes
(VI, 319).
Si Ronsard prenait soin d'adapter sa versification à la musique
il était naturel que les musiciens daignassent adapter leur musique
à sa versification, et rendre à la poésie, en exactitude, ce qu'ils
avaient reçu d'elle en complaisance. Or, on sait que l'Académie
de musique d'Antoine de Baïf et de Joachim Thibault de Courville
avait pour objet, non pas d'établir l'accord entre les musiciens,
ce à quoi nul homme de sens n'a jamais songé, mais d'assurer,
entre musiciens et poètes, un échange de bons avis et de bons
offices. Les musiciens qui profitèrent le plus des entretiens de
l'Académie durent être les étrangers, lesquels y vinrent avec cette
idée qu'en matière de versification française ils avaient quelque
chose à apprendre. L'un d'eux, Fabrice Marin, dit Caïetain (c'est-
à-dire de Gaëte), auteur d'un recueil d'Airs mis en musique à quatre
parties1 sur les poésies de Ronsard (1578), écrivait, dans sa
1. Chansons de P. de Ronsard, Ph. Desportes et autres, mises en musique par
N. de la Grotte, vallet de chambre, et organiste du Roy. — Paris, A le Roy et R.
Ballurd, 1575. — La Bibliothèque Nationale possède le Superius. Un fac-similé en a
été publié en 1873, par la librairie Bachelin-Deflorenne, avec une notice de M. A.
de Rochambeau.
2. La pièce anonyme : Ah! Dieu que c'est un estrange martire^ qui se trouve entre
deux pièces de Ronsard, est de Desportes.
3. Mêmes variantes que dans Ph. de Monte.
4. Airs mis en musique à quatre parties par Fabrice Marin Caietain, sur les Poé-
sies de P. de Ronsard et autres excelens Poètes. Premier livre. — Paris, A. le Roy
et R. Ballard, 1578. — La Bibliothèque Nationale possède le Ténor. — Entre ce pre-
mier livre de Caïetain, et un second livre û}Airs Chansons, Villanelles, Napolitaines,
et Espagnoles (1578), se trouve intercalé : Premier livre d'airs tant Français, Ita-
lien qu'Espaignol, reduitz en Musique, à quatre et cinq parties. Par M. G. Thes-
sier. — Paris, A. le Roy et R. Ballard, 1582.
356 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
dédicace à Henri de Lorraine, duc de Guise, que pour « bien appro-
prier les airs sur les lettres françaises, » il avait, se défiant de
ses forces, « fréquenté Tescole de messieurs de Courville et
Beaulieu, l'ung l'Orphée, l'autre TArion de la France. » Il est à
croire que ce disciple reconnaissant et courtois aurait pu s'exercer
encore davantage à « approprier les airs », car il donne, comme
« air pour chanter tous sonnets, » la musique du sonnet de
Ronsard : Hé! Dieu du ciel, je ri eusse pas pensé (I, 408), avec une
seule mélodie pour les deux tercets, dont les rimes sont précisé-
ment contrariées : ccd, ede!
De Ronsard, le recueil de Caïetain contient en outre le sonnet :
Amour y amour (I, 7); les chansons : Las! je ri eusse jamais pensé
(I, 81), Mais voyez, mon cher esmoy (180), Qui veut sçavoir (216),
Douce maistresse, touche (225), Petite Nymphe folastre (377), Plus
tu cognois (411); les odes : Ma petite colombelle (II, 160), Le petit
enfant Amour (270), Sur toute fleurette desclose (342), En mon cœur
ri est point escrite (386); la Mascarade, récitée par deux joueurs
de lyre : Le Soleil et nostre Roy (IV, 148); la Gayeté : Une jeune
pucelette (VI, 353), et l'Epître à Jean du Thier : Qui fait honneur
aux Roys, il fait honneur à Dieu (VI, 150).
Un premier livre d'airs français, italiens et espagnols, de
G. Thessier, a été joint au recueil de Caïetain. Thessier n'a qu'une
pièce de Ronsard, l'ode : Le petit enfant Amoui (II, 270).
En 1578, les Amours sont mises en musique par Antoine de Ber-
trand *, qui prend le titre peu ambitieux de « natif de Fontanges
en Auvergne. » En tête du recueil se lisent trois sonnets à l'auteur,
deux de « Monsieur de Rangouse, conseiller en la cour de parlement
de Tholose, les deux autres de J.-A. Grevin. M. de Rangouse
se demande d'où Bertrand « de Phœbus le plus cher nourrisson,
cet autre Arion, ce nouvel Orphée, prend ses célestes accords,
Les accordz qui rendroient les tygres d'iïyrcanie
Comme les Aignelets paisibles et concors...
Grevin, lui, se révèle un fervent de l'alliance poético-musicale :
J'adjousteroy, Bertrand, que tu as esté né
Et, aux François heureux, bienheureux destiné
Pour donner à leurs vers l'ame de ta musique,
Et pour donner encor aux plus parfaitz accordz,
1. Premier livre des Amours de P. de Ronsard, mis en musique à nu parties par
Anthoine de Bertrand, natif de Fontanges en Auvergne. — Paris, A. le Roy et R.
Bailard, 4518. — A la suite : Second livre, etc.; Troisiesme livre, etc. — La Biblio-
thèque Nationale possède la partie de t^nor.
RONSARD ET LES MUSICIENS DU XVIe SIÈCLE. 357
Qui tousjours paravant estoicnt demeurés mortz,
Le prcsant plus parfait de l'ame Poétique.
Le musicien a choisi dans les Amours, les sonnets qui suivent :
Livre Ier : Qui voudra voir (1), Nature ornant (2), Entre les rais de sa
jumelle flamme (3), Pareil j'égale au soleil que f adore (4), Ces liens d'or
(5), Bien qu'à grand tort (7), Amour, Amour (7), Tes yeux divins (15),
Ces deux yeux bruns (15), Las! je me plain (21), Doux fut le trait (23),
Ah! seigneur Dieu (24), Je voudrois estre (26), Amour me tue (27), Je
veux mourir (27), Mon Dieu! mon Dieu! (29), Qui voudra voir dedans
une jeunesse (37), Quand ma maistresse [M), Je meurs, Paschal, quand je
la coy si belle (48), Douce beauté à qui je doy la vie (48), Douée beauté
qui me tenez le cœur (40), Avecque moy (55), Tout me desplaist (55),
Devant les yeux (58), Si doucement (02), Amour archer ((33), Je vey ma
nymphe (04), Le Ciel ne veut (67), Je parangonne (13), Ce ne sont
quhaims (76), Œil qui mes jtleiws (76), Heureuse fut (78), Ce lis plus
doux (79 j, Que toute chose en ce monde se mue (85), Certes mon œil (92),
Je sens portraits (102), Cet œil bcsson (119); — Livre ïï : Prenez mon
cœur 1 152, donné comme Madrigal), Marie, qui voudroit ^157], Beauté,
dont la douceur (160), Sinope, baisez moy : jion, ne me baisez pas (195);
— Pièces retranchées : Las! pleust à Dieu (389), Quand en songeant (392),
Vous ne le voulez pas (397). Je 7ic suis seulement (398), Las! pour vous
trop aimer (402), Je ne sçaurois (405), Dictes, Maistresse (406), Plus qu»
jamais (407), Hé! Dieu du ciel (408), Quand je serois (409), Pource que
tu srais bien (410), Quand je vous dis adieu (410), Donrqnes pour trop
aimer (411), Las! sans espoir (415), Si jamais homme (419) '.
Parmi ces sonnels se trouvent aussi six chansons des Amours :
Je veux chanter (153), Demandes-tu, chère Marie * (172), Veu que
tu es (198), Je suis tellement amoureux (200), Je suis un demy-dieu
(210), Pourquoy tournez-vous vos yeux (429), et une chanson qui
se trouve, dans Blanchemain, aux Œuvres inédites : Celuy qui
veut sravoir (VIII, 143).
Dans les dernières années du xvie siècle, le texte des Amours
est repris, en musique à quatre parties, par Guillaume Boni3,
maître des enfants de chœur à Saint-Etienne de Toulouse.
Les sonnets des Amours sont les suivants :
Livre 1er : Je ne suis point (3), Lorsque mon œil (6), Le plus touffu
(6), Je pais mon cœur d'une telle ambrosie (7) , J'espcrc et crain (S),
1. Variantes dans Bertrand : Dans le serain de sa jumrfte flamme (3), Je paran-
gonne au soleil que f adore (4), Je meurs, hélas, (48), Qu'en tout endroit toute chose
se mue (85), Telle qu'elle est dedans ?na souvenance (102), Mignonne, baisez-moi (195).
*2. Mêmes variantes que dans Ph. de Monte.
3. S'metz de P. de Ronsard mis en musique à 111 1 parties par Guillaume Boni. —
Paris, Le lloy etBallard. La Bibliothèque Nationale possède le premier livre : ténor
et taille, et le second livre: taille (iii'J3 ; plus la réimpression de it>24 : haute-contre.
Rkv. d'hi&t. littéb. dc la Framci (?• AnoJ.— Vil. 24
358 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Pour estre en vain (9), Un chaste feu (12), Je voudroy bien (13), Cent et
cent fois (14), Ce beau coral (14), Ange divin (18), Quand au premier
(20), D'un abusé (20), Puisse advenir (21), Contre mon gré (24), Quand
au matin (25), Ores la crainte et ores l'espérance (26), Mille, vraiment
(30), Verray-je point (33), Quel Dieu malin (33), De quelle plante (41),
Que n'ay-je Dame (42), Si je trespasse (46), Douce beauté (48), Estre
indigent (51), Quand je vous voy (56), Z«s/ sans la voir (57), Devant les
yeux (58), Franc de raison (67), Contre le ciel (91), //a/ Bel-accueil, que
ta douce parole (95), Ce /bl penser (97), /c wc swis potwf (98), Ny les
desdains (98), 0 traits fichez (99), Amour et Mars (100), Son chef est d'or
(104), Ce/wy g'î/i /?£ (113); L'homme est vraiment (116), Quand je te voy
(120); — Livre II : Marie, vous avez (148), Mignonne, levez-vous (164),
C'est grand cas que d'aimer (165), Hé! que voulez-vous dire (171), Quand
je vous voy (178), Quand je suis tout baissé (194), Si j' est ois Jupiter
(194), Que dis-tu, que fais-tu (211); — Pièces retranchées : Las! pleust
à Dieu (389), A ton frère Paris (390), 0 ma belle maistresse (402),
Rossignol, mon mignon (410), Las! je ne veux (414), Las! sans espoir
(415), Si trop souvent (440) \
Les recueils de Boni contiennent encore la musique de la
chanson : Le printemps ri a point tant de fleurs (I, 172) et du ma-
drigal : Comment au départir (I, 177).
Boni, qui mit aussi en musique les Quatrains du sieur de Pibrac,
avait appris la modestie à l'école de ce dernier. En un sonnet
liminaire d'une bonhomie aimable, il s'excuse de livrer au public
un travail de sa jeunesse;
Ne pense point, toy qui enten ces chans,
Que pour avoir quelque bruit en cet aage
Je mette au jour ce mien petit ouvrage,
Que j'ay tracé durant mes tendres ans.
Il sait bien qu'il est inégal aux plus savants, mais il fait ce qu'il
peut et réclame l'indulgence :
Et si comme eux doctement je n'escris,
Et ma musique à la leur ne ressemble,
Si est-ce au moins que je dois, ce me semble,
Estre excusé, faisant ce que je puis.
Ce musicien sans prétention pouvait cependant s'enorgueillir
de l'admiration du vieux Daurat, qui lui octroya, en distiques
latins, un brevet de génie, dont on ne prendra connaissance que
1. Variantes dans Boni . Je me nourris d'une telle ambrosie (7), Ores Teffroy et
ores l 'espérance (26), Ha! Bel accueil, quand ta douce parole (35), Mon fol penser
(97), Mignonne, vous avez (US).
RONSARD ET LKS MUSICIENS DU XVIe SIÈCLE. 359
plus loin, car il y est question surtout du génie de Ronsard. Il dut
aussi se réjouir d'un certain succès de librairie; son recueil était
encore réimprimé en 1624. Faut-il croire, par là, que l'impri-
meur-éditeur Pierre Ballard ne partageât pas le dédain de ses
contemporains pour le poète « trébuché de si haut, » ou bien
qu'il trouvât encore dans sa clientèle, en dépit de Malherbe, un
nombre suffisamment considérable de ronsardisants?
Nous pensons plutôt que c'était la popularité de Boni qui sur-
vivait à la gloire de Ronsard ! On en jugera par les extraordinaires
libertés qu'un éditeur de 1593 * prenait avec le texte de Ronsard
par respect pour la musique d'Orlande, qu'il voulait conserver à
la postérité, mais qu'il souffrait de voir accolée à une « lettre
sotte, lascive », et pleine de « puantises ». Sans pudeur, ou plutôt
par excès de pudeur, on transformait les sonnets amoureux et les
odes bachiques en chansons dévotieuses et en brocards contre
T ivrognerie. Ren moy mon cœur, ren moy mon cœur, pillarde, La
terre les eaux va boivant et Ores que je suis dispos Je veux boire
sans repos, devenaient :
Ren moy mon cœur, que d'une main pillarde
Le péché tient en ses lacs arresté...
La terre son Dieu va louant,
Et chante sa bonté notoire...
Ores que tu sois dispos
Faut-il boire sans repos?
III
Pour faciliter l'alliance intime de la poésie et de la musique,
Ronsard dut, suivant l'expression très juste du temps, mesurer ses
vei9s à la lyre, c'est-à-dire composer des strophes, stances ou cou-
plets qui fussent, dans la même ode ou chanson, identiques, d'un
côté, par le nombre et la longueur des vers, et, s'il y avait lieu,
par l'ordre des vers de différentes mesures; de l'autre, par l'agen-
cement des diverses rimes, et surtout par la succession des rimes
féminines et masculines.
En principe, une construction musicale peut s'adapter à toute
espèce de construction métrique, et même à de la prose; mais en
laissant de côté la prose, il est bien évident qu'une même mélodie
ne pourra se répéter absolument semblable que sur des strophes
d'une similitude absolument parfaite, du moins quant à la mesure
1. Voir p. 353, n. 2.
360 RI^VUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
des vers et à la place des rimes féminines qui, pour le musicienr
allongent le vers d'une syllabe. Celte évidence même, et la sim-
plicité de cette conception relative à la collaboration du poète et
du musicien, pourraient faire juger trop grandiose l'idée que le
poète se faisait de son labeur. Il n'en est pas moins vrai que là
est tout le secret de ses innovations : il s'est astreint à une suc-
cession régulière des rimes de divers genres dans la plupart des-
pièces lyriques contenues au tome II ou disséminées dans les
autres parties de l'édition Blanchemain.
Dans Y Abrégé de Fart poétique, Ronsard a formulé lui-même ce-
principe fondamental de la versification nouvelle : « A l'imitation
de quelqu'un de ce temps ', tu feras tes vers masculins et fœmi-
nins tant qu'il te sera possible, pour estre plus propres à la Musique
et accord des instrumens , en faveur desquels il semble que la
Poésie soit née... Si de fortune lu as composé les deux premiers-
vers masculins, tu feras les deux autres fœminins, et parachèveras
de mesme le reste de ton Elégie ou Chanson, à fin que les musi-
ciens les puissent plus facilement accorder. Quant aux vers lyriques,,
tu feras le premier couplet à ta volonté, pourveu que les autres
suivent la trace du premier. »
Ici comme ailleurs, Ronsard grammairien s'exprime avec plus
de hauteur que de précision. Il semble toutefois qu'on peut dégager
de ce passage deux règles catégoriques bien distinctes : 1° l'alter-
nance est obligatoire dans les rimes suivies, c'est-à-dire dans une
suite de rimes plates; 2° l'alternance n'est pas obligatoire dans
les constructions strophiques, qu'elles se composent uniquement
de rimes plates, croisées, embrassées, avec ou sans répétition de
rimes, ou bien encore d'un mélange de ces divers systèmes; mais
il faut que toutes les strophes qui se suivent ou qui se corres-
pondent dans une même pièce soient de forme identique.
On ne doit pas s'étonner que la première règle, qui vise la-
chanson en même temps que l'élégie, s'applique à la rime plate.
En effet, Ronsard est dominé par celle idée que toute succession
régulière de rimes sera telle parce que la musique pourra s'y
adapter avec uniformité; or, la rime plate est, à cet égard, aussi
régulière que tout autre système, puisqu'elle peul être suivie dans
une chanson ou dans une ode chantée*. C'est un peu le raison-
4. Allusion probable à Jean Bouchet, • rhéloriqueur • de Poitiers, qui soupçonna
l'importance esthétique de l'alternance. Elle est observée par lui dans ses Opuscules
(1520). Voir, toutefois, le commencement de Deploration de l'Église.
2. D'autre part, plusieurs chansons de Ronsard sont, comme on le verra bientôt,.
en rimes suivies, avec ou sans division strophique, et ou verra aussi que même
des pièces en alexandrins à rime» suivies ont pu être mises en musique.
RONSARD ET LES MUSICIENS DU XVIe SIÈCLE. 361
ncment post hoc, ergo propter hoc. Il est moins aisé de s'expliquer
-l'expression de « vers lyriques ». S'agit-il des vers de huit, sept,
six, cinq, quatre, et trois pieds auxquels Ronsard donne ce
nom plus loin1? Nous ne le croyons pas, car il faudrait alors
n'attribuer à la chanson que le décasyllabe et l'alexandrin, pour
enlever ensuite ces deux vers à la strophe, malgré l'usage fré-
quent que Ronsard en a fait, du premier surtout, dans la poésie
lyrique. En réalité, quand il donnait ces deux règles, Ronsard
commettait une assez grave confusion. Tout entier à la rime, et
perdant de vue la mesure, il n'en risquait pas moins cette expres-
sion de « vers lyriques, » qui semble se rapporter à la mesure
même.
Passant de la théorie à -l'application, nous avons maintenant à
Techercher, par l'examen des textes, quels types de la versification
•du poète devaient répondre aux exigences du musicien, et pour
■quelle raison certains autres types devaient être ou ont été écartés
•comme réfractaires à la musique. Nous verrons incidemment
qu'il ne faut pas prendre tout à fait à la lettre les prescriptions
•de Ronsard, qu'il a écrit maintes pièces qui y dérogent et que ces
•pièces ont été néanmoins chantées. Comme il ne saurait être ques-
tion de passer en revue toute la versification de Ronsard, il
suffira d'étudier les formes vraiment irrégulières ou moins exactes
pour démontrer ensuite la légitimité ou faire apprécier la valeur
-esthétique des autres.
i.
PIÈCES NON MESURÉES.
A. Pièces à runes suivies, sans alternance. — Les pièces à rimes
suivies, sans alternance régulière, sont toutes, sauf une épigramme
insignifiante (VI, 406), retranchées des recueils de Ronsard.
Nous les citons en suivant Tordre des mesures. Il n'y en a aucune
en alexandrins.
1. Sus, lulh doré, des Muses le partage (V, 283).
2. Il estoit nuit et le présent des cieux (VI, 332).
3. En may, lors que les rivières (II, 466).
4. 0 Dieu des exercites (II, 451).
5. Si cet enfant qui erre (II, 403).
Pour Ronsard, et pour nous aussi, à première vue, celle facture
«ans alternance, négligée et archaïque, devait rester étrangère à
i. Au chapitre de Y Abrégé intitulé : Des autres vers en général.
3G2
îiEVUE i) uismuu: i.inntAirtE m: la FRANCE.
la musique. Cependant certains musiciens paraissent avoir été
lout prêts ;i oc pas exiger de Honsard les sacrifices que ses scru-
pules <le iiK'iririei» loi imposaient. La preuve, c'est que nous trou-
vons dans le 8a livre des Chansons de Certon, etc. une compo-
sition musicale adaptée à une suite de 22 vers» du type irrégulier
condamné par notre poète, Gfittil liossit/nol casanier (f* 10 verso),
dont les onze rimes nous offrent la succession suivante : mat, Mffli
ff\ //', mm, mmr f}\ mm, //', miff, mm. W suffisait Qu'en pareil cas la
musique accompagnât les paroles jusqu'au bout, ce qui se voit
pour la composition de Cerlon; et un musicien accommodant eut
pu s exercer sur des pièces plus longues encore.
B, Piècêt à sirop fies dissemo/tthies. — - n II est certain, dit
Ronsard de L'ode à Jacques Pelelier du Mans (II, 402), que telle
ode est imparfaite pour n'eslre mesurée ' ne propre à la lyre, ainsi
que Iode le requiert, comme sont encore douze ou treize que j'ai
mises en mon Bocage*, sous autre nom que d'Odes, pour cesle
m es me raison, servans de tesmoignage par ce vice à leur anti-
quité. » De telles pièces ne sont pas prvpreB à la lyre parce qu'au-
cune ne ji ré son te une similitude complète entre les strophes qui
la suivent ou qui se correspondent : 1 "aire i ire nient des divnscs
rimes est le plus souvent identique3, mais il n'y a pas régularité
quant à leur genre. Dix d'entre ces pièces, ainsi que les trois der-
nières du groupe précédent, ont été énumérées 1res exactement par
M. Henri (îliamard1 d'après L'édition princepa de 1550, Nous y
ajouterons quelques pièces qui présentent la même sorte d'irré-
gularité, et nous les distinguerons par un astérisque :
i. * Un enfant dedans un bocage (1, 434).
2t * Saus avoir lien qui m estraigne i II, M 2 .
i. Nous trouvons aussi d*fii Pûntui *U- Tjird l'eipteiftioD de * chanl non
mesuré * : éd. M art y- La veaux* p. Si ^succession îrrépuJïère de rîmes féminiiH - .1
masculiriï's dans des stances aabb; cf., p. tîD, dans des stances aai
J, Le premier Hocatje a paru h la suite d&sqaatre premiers livres d'Ode* en Li5(h
La plupart de t&* odes imparfaites cmt été réimprimées d*m Ifi second ftoao^*, eu
1554, puis dnns les Odes, édition collective de iSGÛ, et finalement la pu
r*;trnmlH]es d<: >un édition définitive.
3+ Exceptions ; Au n* 2 du tableau qui suit, une strophe abah (ta 21"), parmi
SS itrophen ttbba*
j, AniMjr. itditi» le» flan-- m,
Âilie il là douceur, Ui rigueur.
EL bief, jidion t'iutas kts damna
Oui m 'i«ni JL-hili? brufllu le cuiir.
Pcul-étre doit-on corriger en lUanl le 4* vers après le ("? — Au n* 8 la dernière
strophe de ti vers, aabech* ftfNTèf Û9M ttrophei de S. <tabcc% est amenée pour t
pléler la dernière rime b. — Au n'1 14, la dernière strophe i-st en aabb après 5 abba.
4. Uvvu? flbistuire UHtrairt dt la FPû '.tvjer 1899, p. 37. Ces odes se i mu-
rent i la tin du tome IL pp+ S9t, 366, im, wiAMAZi. 453, 434, 4^6? si?:i, m. ifc9, »:o.
RONSARD ET LES MUSICIENS DU XVIe SIÈCLE. 363
3. Puis que la Mort ne doit tarder (II, 400).
4. Quand je seroy si heureux de choisir (II, 402).
5. Maclou, amy des Muses (II, 404).
6. * Où allez-vous, filles du ciel (II, 419).
7. * Que nul papier dorénavant1 (II, 450).
8. Le printemps vient, naissez fleurettes (II, 453).
9. Esperons-nous l'Italie estre prise (II, 454).
10. Deux et trois fois heureux ce mien regard (II, 456).
11. * Si les Dieux (II, 464).
12. Que tardes-tu, veu que les Muses (II, 469).
13. Délaisse les peuples vaincus (II, 470).
14. * Si tost, ma doucette Ysabeau (II, 485).
15. * J'ay varié ma vie en dévidant la trame (VII, 311) *.
Deux odes, qui se présentent avec un double système stro-
phique, sont doublement irrégulières :
16. Si autre fois sous l'ombre de Gastine (II, 394).
17. Soyons constans, et ne prenons souci (II, 398).
Toutes ces pièces ont été supprimées par Ronsard de son édition
définitive de 1584, sauf le n° 2, qui est resté au livre V des Odes,
et le n° 15, qui est posthume.
2.
PIÈCES M0N0STROPHIQUES OU A RIMES LIBRES.
Cinq autres pièces très courtes3, du genre erotique, bachique ou
épigrammatique, présentent aussi une forme irrégulière par
suite du désordre au moins apparent des rimes. Pourtant, elles ont
pu être mises en musique parce qu'on pouvait les traiter comme
des pièces à strophe unique.
1. Quand de ta lèvre h demy close (I, 124).
2. La terre les eaux va boivant (II, 286).
3. Tu me fuis d'une course viste (II, 427).
4. L'un dit la prise des murailles (II, 487).
5. Tu veux qu'à tous coups d'un valet (VI, 417).
i. Une slrophe mfmf précédant 10 strophes fmfm.
Que nul papier d'orénavant
Par moy ne s'anime sans mettre
(Docte prclat) ton nom devant
Pour donner faveur à mon mètre.
Il serait facile de corriger en lisant ces vers dans Tordre 4,1,2,3.
2. On peut ajouter deux épitaphes : VII, 221 et 275. Quand à l'ode : La terre les eaux
va boivant (II, 286), elle peut être considérée comme une pièce monostrophique de
8 vers, ou comme une ode à système slrophique double (V. plus bas).
3. Auxquelles on pourrait ajouter quelques épigrammes au tome VI.
364 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
La plus longue de ces pièces (n° 3) n'a que 19 vers et, par con-
séquent, est encore plus courte que certaines strophes régulières
de Ronsard; néanmoins, on peut la considérer comme une pièce à
rimes libres. Quant aux deux premières, elles sont si bien des
strophes lyriques à strophe unique, qu'elles ont été mises en
musique, le n° 1 par Philippe de Monte, le n° 2 par Costeley et
par Orlande, le n° 3 par Castro.
Nous entrons ainsi dans le domaine de la versification appro-
priée à la musique.
3.
PIÈCES A RIMES D'UN SEUL GENRE.
A. Pièces isométriques à rimes suivies sans division strophique.
— Ces pièces sont au nombre de trois seulement.
Rimes féminines :
1. On trouve ainsy que de Beze et d'Espense (VIII, 133).
Blanchemain a tiré cette prétendue « chanson » d'un manuscrit
de la Bibliothèque Nationale. On ne saurait la diviser ni en cou-
plets de quatre vers, ni en stances de six. Elle est attribuée à la col-
laboration de Lancelot Caries, de Ronsard et de Baïf : jusqu'à
quel point cet exemple unique intéresse-t-il la versification de notre
poète?
Rimes masculines :
2. Jeanne, en te baisant tu me dis (II, 391).
3. Dieu crespelu qui autrefois (II, 413).
Le n° 2 est une odelette de 10 vers seulement, le n° 3 une ode
retranchée.
B. Pièces isométriques à division strophique.
4. Qui veut sçavoir Amour et sa nature (I, 216).
5. 0 belle, plus que belle et agréable aurore (II, 481).
6. Je suis homme né pour mourir (II, 385).
7. Je suis tellement amoureux (I, 200).
8. Las! je n'eusse jamais pensé (I, 81).
9. Je suis amoureux en deux lieux (I, 441).
C. Strophes hétéromêtriques.
10. Lict que le fer industrieux (II, 409).
11. Belle dont les yeux doucement m'ont tué (II, 376).
RONSARD ET LES MUSICIENS DU XVIe SIÈCLE. 365
12. Mon âge et mon sang ne sont plus en vigueur ' (II, 377).
13. Nuict, des amours ministre, et ministre fïdelle (V, 268).
M. A ce malheur qui jour et nuit me poingt (l, 436).
Quoi qu'en dise Ronsard dans son Abrégé, de telles formes
étaient considérées par les musiciens comme parfaitement régu-
lières. C'est ainsi que Goudimel et Caïetain ont mis en musique
le n° 4, N. de la Grotte et Caïetain le n° 8. D'ailleurs, quantité de
chansons en rimes uniquement féminines ont éternises eu musique
au xvie siècle, par exemple le psaume xxin de Marot, en distiques
décasyllabiques, et le dialogue de Desportes : Ah! Dieu! que c'est
un estrange martire, qu'on trouve dans N. de la Grotte, d'une
facture tout à fait semblable à celle du n° 4. Il semble même qu'il
s'était introduit dans notre versification un type régulier de déca-
syllabes à rimes toutes féminines, grâce à l'importance littéraire et
musicale de l'hendécasyllabe italien, analogue au décasyllabe
féminin français. Ce fait est à constater notamment pour le Capi-
lolo, devenu le Chapitre ou suite de tercets, par exemple, dans les
trois chapitres pour le luth, en rimes féminines, de Melin de Sainct-
Gelays*, et dans les tercets féminins qui ont inspiré les musiciens
des recueils de Certon. Quant aux rimes toutes masculines, la
tradition française, avant l'influence italienne, les tenait en grande
faveur pour les vers de huit pieds et au-dessous, comme ceux qui
viennent d'être cités de Ronsard. Notre poète suivait en cela
(était-ce un reste de ses goûts pour la vieille poésie gauloise?) les
procédés des chansonniers du.xv" siècle3 et de Marot. De celui-ci,
nous pouvons citer la chanson : Amour au cœur me poingt, mise
en musique parClemens non papa dans les Mélanges de 1512, et
les chansons I, XVI, XIX.
11 n'y a donc aucune incompatibilité entre la rime d'un seul
genre et la musique. Mais ce qui reste vrai, et ce que Ronsard a
bien senti, c'est que cette forme de pièce lyrique, vestige d'un art
antérieur, est inférieure esthétiquement à celle qui observe la
1. Les n0' M et 12 sont les deux odes en vers saphiqur.s que Ronsard fait précéder de
cette note : • Les vers saphiques ne sont, ny ne furent, ri y ne seront jamais agréa-
bles, s'ils ne sont chantez de voix vive, ou pour le moins accordez aux instru-
irions, qui sont la vie et l'àme de la poésie. • On voit par cette note que, pour Ron
sard, l'influence de la musique sur la poésie s'étend jusqu'aux pièces non chantées,
et c?la concorde avec ce que nous avons dit plus haut pour expliquer les règles de
Y Abrégé.
2. Edition Blanchemain, I, 69, 220; II, 182. Môme facture dans I, 61. Cf. Des portes :
Fleurs et soupirs, je vous ouvre ta porte (éd. Michiels, p. 83.)
3. Dans le recueil de Chansons françaises du xv* siècle de M. Gaston Paris, les n0- 8,
44,15, 17, 20, 30, 36, 45, 46, 47, 52, 54, 62, 74, 77, 88, 82, 89, 101, 123, 127 sont
complètement en rimes masculines. M. Gevaert en a reproduit les airs monopho-
niques à la (in du volume.
366 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
succession régulière des rimes féminines et des masculines.
Aussi a-t-il retranché de son édition définitive de 1584 la moitié
des numéros de cette série : 3, 5, 6, 9, 10, 13, 14.
4.
PIÈCES MESURÉES, SANS DIVISION STROPHIQUE.
A part une élégie, dont la forme est une imitation du dislique
élégiaquc gréco-latin : Si quelquefois le dueil et les grieves tris-
tesses (VII, 202), et une ode de forme bizarre : En quel bois le plus
séparé (11,212), qui n'est pas rimée, mais qui conserve l'alternance
d'une finale féminine et d'une finale masculine d'un bout à l'autre,
les pièces, dans lesquelles Ronsard observe l'alternance, et qui
ne présentent aucune division strophique, sont toutes sur une
seule mesure et à rime suivie. Elles sont naturellement très nom-
breuses, puisque c'est la versification des Discours, de la Fran-
ciade, et de la plupart des œuvres de Ronsard en dehors des
poésies d'un caractère lyrique.
Pour cette raison même, on pourrait être tenté de négliger, au
cours d'une étude comme celle-ci, les œuvres en alexandrins ou
en décasyllabes, comme destinées toujours à la lecture et non au
chant, si Ronsard ne nous avait avertis lui-même dans son Abrégé
que cette forme n'est pas plus que d'autres affranchie des règles
musicales.
Et de fait nous trouvons, non sans surprise, dans la musique
sur Ronsard, jusqu'à des poèmes en alexandrins, tels que l'épitre
à Jean du Thier : Qui fait honneur aux Roys, il fait honneur à
Dieu (VI, 150). C'est Caïetain, qui, dans son recueil de 1578, est
l'auteur de cette composition, moins bizarre, au demeurant, que
les essais de ses contemporains Orlande et Ph. de Monte sur les
hexamètres des poètes latins anciens et modernes.
Quant au décasyllabe, si fréquent chez Ronsard, on en remarque
l'emploi dans des pièces visiblement lyriques, comme : Quand je
te veux raconter mes douleurs (I, 199; Chanson); Or que l'hiver
roidit la glace éjjesse(l, 218; Amourette); Fameux Ulysse, honneur
de tous les Grecs (I, 224; Le chant des Serenes); Quand je voudrois
célébrer ton renom (II, 48 ; Ode).
Le vers de neuf pieds n'apparaît qu'à l'état d'exception signalée
par Ronsard : Cher Vesper, lumière dorée (II, 274; Ode).
11 faut s'attendre à trouver plus fréquemment que tous les autres,
le vers de huit pieds dans les pièces faites pour être chantées :
SIÈCLE. 367
1. Le printemps n'a point tant de fleurs (I, 172; chanson).
2. Je te hay bien (croy-moy), maîtresse (I, 398; chanson).
3. Que les formes de toutes choses (II, 208; ode).
4. Sur toute fleurette déclose (II, 342; ode).
5. D'où viens-tu, douce colombelle (II, 365; ode).
6. En vous donnant ce pourtrait mien (II, 367; ode).
7. Hé! mon Dieu ! que je te hay, Somme (II, 392; ode).
8. Laisse-moy sommeiller, Amour (II, 393, ode).
9. Gentil rossignol passager (II, 420; ode).
10. J'oste Greavin de mes escris (II, 436; ode).
11. Ma maîtresse, que j'aime mieux (II, 441 ; ode).
12. Mon petit bouquet, mon mignon (II. 475, ode).
Le n° 4 a été rais en musique par Caïetain.
Le vers de sept pieds est d'un emploi un peu moins fréquent :
13. Petite Nymphe folastre (I, 377 ; chanson).
14. J'ay l'esprit tout ennuyé (II, 162 ; ode(.
15. Du malheur de recevoir (II, 164; ode).
16. Somme, le repos du monde (II, 257 ; ode).
17. Pourquoy, chetif laboureur (II, 269; ode).
18. Du grand Turc je n'ay soucy (II, 276; ode).
19. J'avois les yeux et le cœur (II, 283; ode).
20. Je veux, Muses aux beaux yeux (II, 353; ode).
21. Ah! fiévreuse maladie (II, 442; ode).
Le n° 13 a été mis en musique par Janequin dans le recueil de
1552, et plus tard par Caïetain; le n° 14 par Orlande (ulfeslanges,
1516). Une autre pièce, très longue, qui fait partie des Gayetez :
Une jeune pucelette (VI, 353), a été notée par Goudimel et par
Caïetain.
Il est à remarquer que, loin de suivre jusqu'au bout le texte de
ces pièces mesurées, mais non divisées, les musiciens n'en pre-
naient au contraire qu'une très petite partie, sixain ou huitain,
offrant un sens à peu près complet. On peut alors considérer leur
composition comme adaptée à un morceau monostrophique
détaché, puisque, par définition, ces pièces n'étaient pas divisées
en strophes, et en fait ne sont pas divisibles par six ou huit. Par
exemple, Caïetain ne note que le sixain initial du n° 4, Janequin et
Caïetain que le huitain initial du n° 13. Le choix d'Orlande est
encore plus significatif : il a pris le sixain final du n° 14, montrant
bien son intention de le traiter comme unité strophique. Mais,
pour peu qu'on veuille y prendre garde, la notation d'un sixain,
même initial, suffit à prouver que le musicien n'entendait pas
indiquer au chanteur un air à suivre dans le reste de la pièce,
368 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANGE.
puisque celui-ci, après un groupe commençant par une rime fémi-
nine, eût rencontré un groupe commençant par une rime mas-
culine, et réciproquement. Bref, si un second huitain pouvait
être, en certains cas, chanté sur le même air que le premier, un
second sixain ne pouvait l'être jamais.
5.
LA STROPHE LYRIQUE.
Restent les odes parfaites et vraiment lyriques, les seules aux-
quelles Ronsard réserve ce nom dans son Abrégé. Ce sont de beau-
coup les plus nombreuses, et c'est à elles que les musiciens ont
donné la préférence l.
A. Système simple. — Elles sont divisées en strophes identiques,
c'est-à-dire que la strophe initiale, où le poète construit « à sa
volonté » les vers masculins elles vers féminins, d'égale ou d'iné-
gale longueur, sert de patron à toutes les autres. Dans le chapitre
de ce même Abrégé inlitulé : Des autres vers en général, Ronsard
s'explique assez clairement sur l'emploi de différentes mesures
dans une même strophe, mais il ne s'occupe que des vers de huit
pieds et au-dessous, oubliant un peu trop l'usage qu'il a fait lui-
même de l'alexandrin et du « vers commun », de dix syllabes,
dans la strophe lyrique. « Tels vers sont merveilleusement propres
pour la musique, la lyre et autres instrumens; et pour ce quand tu
les appelleras lyriques, tu ne leur feras point de tort, tantost les
allongeant, tantost les accourcissant, et après un grand vers un
petit, ou deux petits, au choix de tonaureillc, gardant tousjours le
plus que tu pourras une bonne cadence de vers pour la musique
et autres instrumens'. » On sent, à la lecture de ces lignes, non
seulement comme Ronsard était préoccupé de l'harmonie musi-
cale de ses vers, mais encore quelle prédilection il avait pour ce
type d'ode, qui réalisait à son époque le maximum de variété dans
l'unité, qui rappelait si fréquemment, et avec tant de bonheur, la
\. Il arrive parfois que le musicien insère dans son recueil, el offre comme spé-
cimen, non pas une strophe initiale, mais une strophe intérieure ou finale de
l'ode. Par exemple Cléreau choisit la strophe : Ton nom que mon vers dira (II, 46),
Pcpode le Comble de ton sçavoir (II, 44), la strophe 0 Dieu que j'ai de plaisir ! Dans
les Mélanges d'Orlande, on trouve la strophe intérieure Ton nom- que mon vers dira
et la strophe finale Verse moi donc du vin nouveau (II, 435). Et cela, sans qu'il soit
toujours possible de discerner les raisons du choix.
2. Vil. 332. — D'après ce que Ronsard vient de dire de la mesure des vers, appe-
lant le décasyllabe un vers de 10 à H syllabes, l'octosyllabe un vers de 8 à 9 syl-
labes, il est vraisemblable que ces expressions « les allongeant, les accourcissant «
doivent être interprétées comme se rapportant & l'emploi d'un même vers tantôt
féminin, plus long, tantôt masculin, plus court.
ÎIONSAHD ET LES MUSICIENS DU XVIe SIÈCLE. 369
tétrastichie des strophes d'Horace, et qui, en outre (il est bon
de faire à chacun sa part), avait été imposé à l'admiration générale
par Clément Marot, « seule lumière en ses ans de la vulgaire
poésie ». (II, p. 10.)
B. Système double. — Nous devons faire ici une place distincte
aux pièces dont le système strophique est double, c'est-à-dire dont
les strophes impaires sont d'un certain type, et les strophes paires
d'un autre type. Cette ordonnance « dissymétrique », produit d'un
art curieux que nos lyriques, modernes adopteront si volontiers, se
rencontrait déjà dans certaines chansons du xve siècle et dans quel-
ques psaumes de Marot; l'œuvre de Ronsard en offre onze exemples
dans les pièces mesurées.
1. Belle et jeune fleur de quinze ans (1, 169).
2. Descen du ciel, Calliope, et repousse (II, 134)
3. Quand tu tiendrois des Arabes heureux (II, 139).
I. Cassandre ne donne pas (II, 145).
5. Ma petite colombelle (II, 160).
6. Gaspar, qui, loin de Pégase (II, 233).
7. La terre les eaux va boivant ! (II, 286).
8. Plus dur que fer j'ay fini mon ouvrage ! (II, 378).
9. Les fictions dont tu décores (II, 414).
10. Le temps, de toutes choses maistre (II, 446).
11. Ta génisse n'est pas drue (II, 448).
t
Il est évident que les pièces mesurées de ce genre2 exigeaient
deux mélodies, comme le Soir de Lamartine, mis en musique par
Gounod. Pour Ronsard, nous citerions l'exemple de la musique
d'Orlande adaptée au n° 7, si cette ode ne devait pas plutôt être
considérée comme monostrophique; mais nous remarquons
qu'Orlande a réuni en une seule chanson deux fins de pièce
(II, 162 et 435) d'inégale mesure.
Faut-il rattachera ce groupe les deux pièces mesurées à refrain,
Hélas! je naij pour mon objet (I, 430) et En mon cœur nest point
escrite (II, 386) que Ronsard a retranchées, sans doute parce
qu'elles sont composées à la mode de ses prédécesseurs, ou plutôt
à la mode populaire, qui a persisté dans toutes les chansons jusqu'à
{. Qu'on pourrait aussi classer parmi les pièces mesurées sans division stro-
phique.
2. A cette catégorie se rattacheraient les deux odes : Si aulwfois sous l'ombre de
Gastine (11, 3îU) et : Soyons constans, et ne prenons souci (11, 398), si elle9 étaient
mesurées et pouvaient être chantées, mais, comme Ronsard n'a tenu compte que de
l'agencement des rimes et en a négligé la nature, nous avons dû les classer anté-
rieurement.
370 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
nos jours? Il faut noter, en tout cas, que le refrain, intimement lié
à la strophe par le sens, s'en détache absolument par la facture1.
C. Système de F ode pindarique. — Pour ce qui est des 14 odes
pindariques*, Ronsard se soumit toujours à l'obligation de com-
poser sur un patron unique toutes les strophes et antistrophes
d'une même ode, puis les épodes sur un autre patron, l'épode
étant « toujours différente du strophe et antistrophe8 », de telle
façon que le musicien pût adapter un air aux strophes et antis-
trophes, et un autre air aux épodes. C'est ce que l'éditeur des
Amours de 1552 a soin de nous faire remarquer pour l'ode à
Michel de l'Hospital (II, 68) Errant par les champs de la Grâce,
mise en musique par Goudimel. Voici en effet Tordre des rimes
dans les strophes et antistrophes : fmfmf*m*f*m*f*m*m*f*; et
voici cet ordre dans les épodes; m f fmm* m* f* m* m* f*. Ajoutons,
pour donner une idée de la richesse des combinaisons rythmi-
tiques chez Ronsard, que chacune de ces quatorze odes est cons-
truite sur un type particulier, qu'aucune combinaison n'est
répétée, sauf celle de l'épode de l'ode 9, qu'on retrouve à l'épode
de l'ode 12, si bien que l'ensemble eût exigé des musiciens
27 airs différents.
l'alternance dans Ronsard.
D'après ce qui précède, on voit que, dans ses odes, chansons et
stances, Ronsard, le plus souvent, a observé à la fois la règle de
la succession invariable des rimes féminines et masculines, et
celle de la division strophique, simple ou double.
Cette succession régulière des deux genres de rimes, à laquelle
son émule Du Bellay ne voulait pas d'abord plier la facture de
• ses vers, craignant, comme il le dit, « de contraindre et geiner sa
diction pour l'observation de telle chose* » s'est, en fin de compte,
imposée, du fait de la musique, à toute la versification lyrique de
la Pléiade, puis à tous les genres de la versification française, par-
1. Trois autres pièces : Malgré Veiwy je suis du tout à elle (I, 442), Sainct Biaise
qui vis aux deux (V, 257), et Quand mon prince espousa (II, 241) ont aussi des
rerrains. Les deux premières rappellent les formes les plus simples de la chanson à
couplet de quatre et de six vers; la seconde a comme refrain deux vers de môme
mesure que ceux de la strophe; c'est la formule antique redoublée : 0 hymen,
hymenée. Hymen, 6 hymenéel Enfin, le refrain du dithyrambe Tout ravy d'esprit je
forcené (VI, 317) se rattache à la catégorie des vers libres.
2. Livre 1er, odes 1-7 et 9-15, l'ode 8 n'appartenant pas à ce genre.
3. Kpitre- préface des odes (II, 11).
4. Préface des Vers lyriques (éd. Becq de Fouquières, p. 102). Cf. Défense et Illus-
tration, II, 9, fin : « 11 y en a qui fort superstitieusement entremêlent les vers fémi-
nins avec les masculins, comme on peut voir aux Psaumes traduits par Marot. -
RONSARD ET LES MUSICIENS DU XVIe SIÈCLE. 371
ticulièrement, sous la forme simple de l'alternance, à l'épopée, à
la comédie, à la tragédie et à la satire.
En dépit des hautaines revendications de Ronsard, il doit par-
tager Thonneur de celte réforme avec de nombreux devanciers.
On trouve avant lui l'observance de la succession des rimes par
couplets dans mainte poésie chantée, par exemple dans les chan-
sons populaires du xvc siècle1, dans celles de Marguerite de
Navarre, surtout dans les chansons et les psaumes de Marot,
comme l'ont fait remarquer Du Bellay et Etienne Pasquier2. Les
combinaisons rythmiques des psaumes sont déjà d'une remar-
quable variété, et Marot, grand amateur de musique, lui aussi, ne
le cède nullement à Ronsard pour la régularité des strophes3.
Ce dernier s'en attribua la gloire, parce qu'il en avait mieux senti
que tout autre la valeur esthétique et qu'il Férigea en loi. Mais ce
qui était vraiment nouveau, dans l'entreprise de Ronsard, c'était de
vouloir restaurer, dans sa savante complexité, l'union si chère
aux Grecs, de la musique et de la poésie; c'était de ranimer,
au souffle de la musique, l'ode élevée, quasi religieuse; c'était de
soumettre aux exigences d'un rythme musical des strophes de
plus de 10 vers, comme celles des odes pindariques. La strophe,
ainsi comprise, devait acquérir ce qui lui manquait en ampleur,
en souplesse, en régularité, si bien que l'on peut considérer le
1. Les recueils de chansons françaises avec musique à plusieurs parties sont
édités très nombreux, de 1500 à 1550, soit à l'étranger, surtout à Anvers et à Venise,
soit en France chez l'éditeur de musique Pierre Attaignant, qui publia une Collection
de Trente cinq recueils, chacun de 25 chansons en moyenne (Cf. Fétis, article Cerlon).
— Rabelais [Pantagruel, Nouveau Prologue du 4' livre), cite près de 60 musiciens
de son temps, auteurs de chansons à plusieurs voix, parmi lesquels Josquin Des-
près, Gombert, Arcadclt, Janequin. — Cf. Tiersot, op. cit., p. 462 : ■ La mode des
chansons en parties est de date très antérieure à la Renaissance. Pendant toute la
durée du xv" siècle, dès le xiv* même, c'était en France dans les milieux aristocra-
tiques un engouement, une passion. ».
2. -Le premier, Ronsard garda cette police de f.iire suivre les masculins et les
féminins sans aucun mélange d'iceux; et surtout dedans les odes, sur le règlement
du masculin et du féminin, par luy pris au premier couplet, tous les autres qui
suivent vont d'un môme fil. Quelquefois vous en trouverez de tout féminins,
quelquefois de tout masculins, chose toutefois fort rare; mais tant y a que sur le
modèle du premier couplet sont composés tous les autres.... Mais je ne passerai
sous silence ce que j'ai observé en Clément Marot; car aux poèmes qu'il estimoit
ne devoir être chantés, comme épîtres, élégies, dialogues, pastorales, tombeaux,
épigrammes, complaintes, traduction de deux premiers livres de la métamorphose,
il ne garda jamais l'ordre de la rime masculine et féminine. Mais en ceux qu'il
estimoit devoir ou pouvoir tomber sous la musique, comme étoient ses chansons
et les cinquante Psaumes de David par lui mis en français, il se donna bien garde
d'en user de même façon; ainsi sur l'ordre par lui pris au premier couplet, tous
les autres furent de même cadence, voire que le premier couplet étant ou tout
féminin au tout masculin, tous les autres sont aussi de même. * (Recherches de la
France, édition Feugère, II, pp. 43-45.)
3. Mis en musique sous forme de motets par Pierre Certon, Goudimel, Janequin,
Gombert et autres de 1546 à 1560. Voir O. Douen, Clément Marot et le Psautier
huguenot.
372 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
recueil de 1552 comme l'acte de naissance de notre grande poésie
Jyrique.
Par une étrange contradiction, il a fallu que fût consommé le
divorce de la poésie et de la musique pour que les modernes allas-
sent plus loin que Ronsard dans la voie de la régularité! Ils ont
fini par s'imposer, non seulement la règle de l'alternance absolue
dans la strophe, mais encore celle, toute byzantine, de l'alter-
nance intertrosphique. Nous n'avons pas à insister là-dessus, mais,
évidemment, c'est pour avoir été dégagés de toute préoccupa-
tion musicale que les uns, comme Lamartine et Casimir Delavigne,
ont multiplié les stances libres, les autres, comme Hugo, Leconte
de Lisle, et tous les Parnassiens, les strophes dissymétriques. En
un mot, pour prendre les formes les plus simples, la strophe fm
mfy répétée, nous représenterait un type musical de la Pléiade;
la double strophe fm m f> m ffm un type de la poésie moderne non
chantée '.
Non seulement Ronsard n'a pas recherché une alternance inter-
slrophique qui eût toujours exigé du musicien une notation
double; autrement dit, non seulement une strophe peut très régu-
lièrement commencer sur une rime du même genre que la der-
nière de la strophe précédente, mais encore il parait avoir consi-
déré comme parfaitement régulière la strophe sans alternance,
pourvu que la succession des rimes fût invariablement répétée.
Nous n'en voulons pour preuve que les strophes des odes pin-
dariques : sur 28 modèles de slrophes-anlistrophes ou d'épodes,
nous en trouvons 16 sans alternance suivie; l'épode de l'ode à
Michel de l'Hospital, dont on a vu plus haut le schéma, peut servir
d'exemple.
LE SONNET.
Une autre originalité de Ronsard, et qui mérite de retenir toute
notre attention, c'est d'avoir traité comme la strophe un genre à
forme fixe tel que le sonnet, que les poètes antérieurs avaient
considéré comme indépendant de la musique. Un du Bellay, un
Melin de Sainct-Gelays, pouvait encore se permettre, quant au
genre des rimes, toutes les libertés. Dans YOlive, par exemple,
point d'alternance régulière entre quatrain et tercet, ni entre les
deux tercets, ni même entre les deux rimes d'un même quatrain.
i. Des exceptions comme celle du Soir de Lamartine ne prouvent rien là contre,
car le poêle n'a pas écrit sa pièce pour le musicien. Ajoutons que les exemples
de strophes dissymétriques plus compliquées abondent dans la poésie moderne,
souvent avec des diiTérences de mesure entre les vers.
ItQXSAItD ET LES MUSICIENS LU: W[" SIKCLE.
373
C'est au point que, pour llfi sonnets, VOlive eût offert au musi-
cien près de soixante-dix combinaisons différentes!
Avec Ronsard tout change, et l'influence de la musique sera
telle que le sonnet prendra chez lui, du premier coup, les formes
régulibree du sonnet moderne, y compris, nous ignorons pour
quelle raison, l'alternance entre le deuxième quatrain et le pre-
mier tercet, analogue à cette alternance interstrophîque que Ron-
sard n'a pas voulu s'imposer d'autre part.
Que voyons-nous» en effet, dans le recueil de 1552? Quatre
musiciens, Certon, Janequin, Goudimel et Muret, mettent en
musique des sonnets des Amoursf tous décasyllabiques. Ort les
sonnets notés nous présentent, sans autre variété, les quatre types
bien connus du sonnet régulier, suivant que la pièce commence
par un vers féminin ou masculin, et que la quatrième rime, c'est-à-
dire la deuxième du premier tercet, se trouve être au dernier ou à
ravant-dernier vers ;
I. — 2 {fmm f'u itthn^fy m*m*p
IL ~ a (m//1 m), n W\ rfm*
lu, — a fm m f)t **»•/*, myv
IV. — 2 (m /y m), /7^\ Fm*f*
Le type I est mis en musique par Janequin : Qui voudra voit
comme un dieu me surmonte (I, 1) et par Muret : Las! je me pin in
t(>> mille et mille (21); le type II par Certon : Bien qu'à grand tort
il te plaint d'allumer (5), et par Janequin : Nature ornant la dame
qui devait (2); le type III, par Certon : Xespere et crain7 je me
tais et supplie (8); le type IV par Goudimel : Quand j'appet
ton beau chef jaunissant (38).
L'éditeur de 1552 nous donne, à la fin du recueil, de longues
listes de tous les sonnets du premier livre des Amour* qui doivent
être chantés sur telle ou telle de ces musiques, suivant ta succes-
sion de leurs rimes : 92 sur Qui voudra pour (type I), 59 sur
iWature ornant (type IL), 14 sur J'espère et crains (type III) et
enfin 3 sur Quand j'apperçotj (type IV}.
En feuilletant le recueil de 1552, nous avons donc sous les yeux,
cette musique dont parle Colletai, cette musique harmonieuse qui
ravît Honsard et qui enchanta la cour. Elle nous permet de
répéter que celte publication marque une date de quelque impor-
tance dans notre histoire littéraire, car te sonnet, de forme
jusque là incertaine et fluide, se cristallisa en quelque sorte, ou,
si Ton veut, se solidifia dans ces quatre moules que la musique
lui offrait. C'est grâce aux musiciens que le sonnet devint vraï-
tU¥. lï'jllST, LITTÉH, DE LA FRANCE [7» ÀMI.). — VIL 2">
374 REVUE D'HISTOIRE LITTÉKAIRE DE LA FRANCE.
1 1 ment un genre à forme fixe. Et comme chacun des quatre types
consacrés a été traité par l'un de nos quatre musiciens, on pour-
rait en toute justice donner à ces types, suivant Tordre que nous
avons établi, les noms de sonnet Muret, de sonnet Janequin, de
sonnet Certon et de sonnet Goudimel.
Ronsard agit avec ses sonnets à peu près de la même façon
qu'avec ses odes. Il en retrancha dix1, qui ne ressemblent à aucun
des quatre modèles de 1552. Mais il fit grâce à certains sonnets
tout aussi irréguliers, tels que Aurat, après ta mort (I, 456),
Mignonne levez-vous (164),. Tay Vame pour un lict (210), Que dis-tuy
que fais-tu (211) Tant de fois s appointer (293), Vous me dites, Mais-
tresse (301), Comme une belle fleur (305), etc. Des airs ont été
composés sur quelques-uns de ces sonnets, retranchés ou non, par
Orlande, Ph. de Monte, Bertrand, Boni, etc., car leur irrégularité
n'était nullement incompatible avec la musique.
IV
Nous avons parcouru les recueils des musiciens, puis étudié au
point de vue de la musique la versification de Ronsard ; demandons-
nous maintenant ce qu'étaient ces compositions musicales qui,
pour un lecteur non musicien, ne sont encore que des titres de
morceaux et des thèmes purement métriques.
L'époque de Ronsard est l'âge d'or du contrepoint et de la musique
polyphonique. Rappelons que la science du contrepoint, c'est-à-
dire de la combinaison dés mélodies en vue de produire un chœur
harmonieux, s'était constituée au xive siècle, après sept cents ans de
tâtonnements; que dès cette époque on l'avait appliquée, non plus
seulement à la musique religieuse, mais encore à celle des rondels,
des ballades, des chansons et des madrigaux; qu'elle s'était rapi-
dement développée dès le milieu du xve siècle, grâce aux écoles
franco-flamandes; que les maîtres belges et italiens, surtout
Orlande et Palestrina, dont les noms résument tout l'effort de la
Renaissance, avaient, justement au temps de Ronsard, doué le
contrepoint d'une merveilleuse complexité, et qu'il trouvait alors
ses moyens habituels d'expression dans la polyphonie, à quatre ou
cinq parties, parfois même à six, sept, huit et dix parties.
Parmi les ressources propres à enrichir le contrepoint figure au
1. Je vous envoyé un bouquet (I, 397), Vous ne le voulez pas (39"), 0 toy qui n'es de
rien (401), Las! pour vous trop aimer (402-, C'est trop aimé (405), Pour ce que tu
sçais bien (410), Quand je vous dis adieu (410), Je veux lire en trois jours (413), A
pas mornes et lents (414), Le jour me semble (439).
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a- le. ii.
U Ai n ce- le It Ikunutruific U bc u c
ODE Dr; RONSARD (I*,S4,
OJti retranchée* (ÉDITION P, Blanchimain, Ti>«ï II, page 437),
T t N O R.
L n a •■ h 11 pa » * l ni nul le nomf, Et pu ttnl raHilk «ttrtl furnomv, D« pjuur» A m*MZ
euttjgrc, LubL dit ptui Jure que ter LuitrtL* fui nomme. vnE nier Er fcuHÉ litwmmccufjgrc
rnrjg,= c cnrjf r^ L him bp^cUr fo-jcVi & pleun foiKjri fc pltun L'ium rnftclTri Se doutcuii £i fiiirre
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lIîÉïëi
\* uefctpcrrc Maiiinoypa^cci]dVlklroLi(||Oun,£ncpropi££Îm0»nM»(v le !i fiinwmnn Ij lu-
Ptitm»»ttfLiïiia^^HT»tfttii.a
tréc U uurtc Llucicc *ii, ULLmurutne Jj tut ue. L'y! kit L lutr.ee .i/.
n a s s v ■;
Enaiert pu RM mile imn*, El pu COM milkaurm farnurm, Dnpigureï Aninit
eut ripêe* L "uo Jj dif p Lui dure qu* Fer L auï« U (iiTTvommt- Vd Ertftt Er butte [j nomiiii ettr i g«
iin..iiuiu..lct«Bi
^-lëïiOi
enr*£« L un lippette [oucyt iplevM t luHMrifidTn&dautcuri Er fiutic lj dcJcfptrct
M»lï moy puurcc au etU « rou^ou r»kt fl r propierl » m*i utkiu rt, I c b (ù momme U fut rée l< (g tTf -
tjfacjcr y. Jt U Lmapni U (n*ffe. U fy>rèr L furtc. Li.
I *
Reproduction réduite du fol. is des quatre volumes de te Mmiqut
deCosteley, publiée par Adrun Le Roy et Robert Billard, rçyi},
Un S s vît D ET LES MUSICIENS l>U XVlr SIÈCLE.
375
premier rang Yirtutatton, ou reproduction, flans une partie, d'une
phrase précédemment entendue dans une autre; quand celte
reproduction est absolument exacte, on a ce que les musiciens
appellent le canon, et le morceau est disposé de tells façon que les
différentes parties de la mélodie peuvent être chantées à la suite ou
se superposer les unes aux autres, et se servent ainsi mutuel le-
mnni d'accompagnement'* L:i fugue est une autre espèce d'imita*
lion : un sujet initial constamment rappelé par les différentes
parties en constitue l'unité, tandis qu'un ou plusieurs épisodes y
apportant l'inépuisable variété de leurs dessins.
Or, c'est sous la forme du canon, ou de la fugue, que se déve-
loppent les airs composés sur le* poésies de Ronsard : un thème
plus ou moins varié par le contrepoint circule en quelque sorte «le
partie eu partie, cl est rendu en suri ensemble par un orchestre de
voix, sans aucun accompagnement; ou bien, si quelque chanteur
a recours à un instrument, c'est pour soutenir sa propre partie,
abstraction faite de toutes 1ns autres.
Est-ce à dire que toute la musique de Fépoqiie de Ronsard fiit
écrite ainsi? Non, sans doute, La mélodie simple, «m chant mono-
dique, soutenue ou non par un accompagnement instrumental,
n'avait pas cessé d'exister depuis lés trouvères, et, bien que rejelée
dans Fumure par le brillant essor de Fart polyphonique, elle
avait si bien continué sa route, elle avait gardé un tel prestige
jusque dans les milieux les plus raffinés, que c'est à elle que
revinrent les novateurs de l'époque de Henri IV et de Louis XIII.
Karot, Mellin de Sainct-Gelays durent chanter souvent leurs vers
sur un air connu, à une seule voix, en Raccompagnant du luth OU
de Pépinette*. Ronsard lui-même, au moment où il composait ses
vers, les chantait ainsi dans le silence du cabinet*, mais, sa pii
un*' fois éerile, c'était sur les contrapointbtes qu'il comptait pour
en faire un chant, car la musique monodique paraissait vraisembla-
blement un art trop simple et comme rudimentaire à notre poète
aristocratique; rêvant surtoul aux chœurs dont retentissaient les
jeux solennels de la Grèce antique, il laissa au vulgaire les airs
traditionnels des chansons populaires avec le môme dédain qu'il
condamna les genres poétiques «les siècles précédents et la manière
naïve de ses devanciers.
Une poésie savante devait exiger une musique savante, ajoute-
i. Un ries canons les plus co&RUfl Sit la cbt&BOD populaire de Frère fûC^U
Ct TiersuL, op. <**., p. 43 i et *;ifl.
3. - Je Le veux aussi tilen ndvertir de hautement prononcer tes vers quiDd La loi
feras, ou plus losi les chanlcr, i[uel<[iie voîi <jue puuses avoir . - t'&M
poétique (VU, 139 .
?7f BETTE IMUSTOIfcE UTTÉAXIKE DE Là FRANCE.
rions-nous Tolontiers d'après ce qoe nous savons de Ronsard, et
d'après le caractère de l'œuvre musicale accomplie; mais il faut se
garder d'attribuer au poète les tendances artistiques de ses musi-
ciens. Ceux-ci, ne l'oublions pas, faisaient aux couplets les plus
populacièrs aussi bien qu'aux strophes les plus pindariques l'hon-
neur d'y dessiner les contours les plus compliqués de leurs compo-
sitions polyphoniques. Celte musique était la plus savante, sans
doute, et comme telle, Ronsard s'en est accommodé à merveille,
mais on ne saurait trop répéter qu'elle n'avait rien de spécialement
adéquat à la poésie du maître. Et qui sait? peut-être Ronsard, en
parcourant ces recueils où sa Mignonne tient compagnie à la
Grosse garce noire et tendre et où la Meunière de Vernon est
traitée avec le même cérémonial que sa Fleur angevine de quinze
ans. peut-être a-t-il souhaité une musique qui fût d'une pompe
moins égalitaire, et murmuré quelque chose comme le mot
d'Alceste : « Je veux qu'on me distingue! Et c'est n'estimer rien
qu'estimer tout le monde. »
Nous ne voyons pas, en tout cas. qu'il ait souhaité une musique
plus expressive, car c'était bien d'accord avec lui que l'éditeur de
1552 donnait ces listes interminables de sonnets à chanter sur une
même musique, et choisissait tout bonnement, comme type, le pre-
mier sonnet qui se présentait sous une forme déterminée; il ne
semble pas non plus que Caïetain ait eu à demander à Ronsard
pardon de la liberté grande en écrivant, sur Hé! Dieu du ciel je
n eusse pas pensé un « air pour chanter tous sonnets ». Là 92 son-
nets, et ici tous les sonnets à chanter sur le même air! Pouvait-
on reconnaître de façon plus ingénue que l'air n'était expressif
pour aucun?
Non seulement cette musique était trop généralement inexpres-
sive, même dans les compositions adaptées à une seule pièce, mais
elle avait un autre inconvénient qui nous a frappés chaque fois que
nous avons entendu l'interprétation, excellente pourtant, des Chan-
teurs de Saint-Gervais : c'est qu'on ne distingue à peu près rien des
vers, alors même qu'on les sait par cœur. Le texte est disloqué
entre les parties, dont les paroles ne se superposent pas toujours
exactement, tronqué dans l'une par des silences, défiguré dans-
l'autre par des répétitions. Qu'on en juge par cette partie de la
musique d'Orlande : Ton nom. Tout le monde remplira de ta louange
notoire. Xe sçacent si bien que moy comme il faut sonner ta gloire-
Il s'agit de reconnaître la strophe :
Ton nom, que mon vers dira,
Tout le monde remplira
RONSARD ET l.KS HGftClERS M] WT MKCIJ?* 377
De ta louange notoire :
Un tas qui chantent de toy
Ne suivent si bien que moy
Comme it i'aut sonner ta gloire.
Avait-on, au xvi" siècle, l'oreille plus perspicace? Arrivait-on,
plus aisément qu'aujourd'hui, avec ces disjecH rnembra poète, à
reconstituer le corps entier? Il nous semblerait plutôt que la surdité
de Ronsard fût de nature à expliquer chez lui certains enthou-
siasmes.
Est-ce sous celte forme» si peu populaire, que les poésies de
Ronsard parvenaient à toutes les oreilles? On serait tenté de le
croire, d après ces distiques que Daurat a écrits pour être placés
-en tète du recueil de Boni et où il est dit que, si le génie d'Homère
a fourni au poète aveugle les yeux de lecteurs sans nombre, de
même la musique de Boni va rendre au poète sourd les oreilles de
.milliers d'auditeurs :
Audîerat Netnsiù Gr&ds instar*? Potfum
Qui cunctorum itntu vertertt in s*> oeuha,
fnmdet atquû ûcuUê puertim tr privât ^ ffawere :
Sed 4funt ttCtorti /"/ tihi su ut nmïi.
Âwfiit ri yemt'sis Gatlh insturr PotUttM
Qui cunctorum in w verdict aurtcutas,
Invidû mox juvenit Bon$arderîibi ohtudit àuret^
A rie sua BONIUS quns h ht trstituii;
Num dut dnw Manda modulât ur rarmum cttntuy
Mille tiùi audiluxt miltt' dnt auriruias.
 la cour, le fait est certain et nous le connaissons déjà par
Guillaume Collclet, ce fut, dans l'entourage de Henri H, un grand
succès dès le début, lors de la publication des Odes et des Amours.
C'est au concours des maîtres musiciens autant qu'à la protection
de Marguerite de France et de Michel de l'Hospital que Ronsard
dut de vaincre les résistances qu'il rencontrait dans un milieu tout
acquis à Mellin de Sainct-Gelays, Plus tard, dans la suite des
œuvres du poète, les nombreuses pièces chantées aux fêtes de la
Cour sont autant de témoignages de la faveur que la Musique
valut à la Poésie restaurée. Dans la société littéraire et artistique,
-chez les poètes, les musiciens, les érudils, les amateurs, il est
aussi hors de doute qu'il y eut un furieux engouement : on n'a
qu'a lire tous ces sonnets, tous ces distiques, bien plus, cetle pré*
face même de Ronsard, qui ornent les premières pages des recueils
que nous avons étudiés* Sous rinlluence de Ronsard et des grands
Tî% REVCE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRASCE.
compositeurs, les tendances nouvelles s'accusèrent de plus en plus
jusqu'à la mort du poète. L'institution de l'Académie de musique
n'avait-elle pas surtout pour objet de diriger les efforts des débu-
tants vers l'idéal que Ronsard s'était proposé pour lui-même?
Quant à la question de savoir quel a pu être, en dehors des
cercles de lettrés et d'artistes, le succès des poésies de Ronsard
mises en musique, on ne peut guère répondre sans distinguer au
préalable le fond poétique de la forme musicale et sans chercher
i découvrir si une musique moins aristocratique n'aurait pas
contribué à propager l'œuvre de Ronsard dans les milieux bour-
geois et populaires à la ville et en province.
Une bonne part de ses odes et de ses chansons, tout en gardant
une physionomie littéraire et très artistique, dut pénétrer dans la
bourgeoisie, s'y répandre et y conserver la même vogue que les
chansons sans prétention, familières à tous; elles durent avoir la
fortune des chansons de Béranger. de Désaugiers. ou de Pû-rre
Dupont, et ce Ronsard là devient populaire. L'hypothèse n'a rien
de téméraire, si l'on songe à toutes ses pièces erotiques et
bachiques qui sont exemptes d'allusions mythologiques, et qui. en
dépit ou à cause des imitations horatienneS et anacréontiques,
restaient dans la note bien française et gauloise des chansons
anciennes. Peu à peu, sous l'influence manifeste des musiciens.
ces poésies légères avaient perdu leur caractère personnel, et, au
lieu de s'adresser à telle ou telle, dont le nom disparait du texte,
elles étaient devenues les chants joyeux ou les plaintes mélanco-
liques de tout amant.
Mais, il faut le reconnaître, c'est plutôt sous la forme mono-
dique que certaines poésies de Ronsard furent véritablement popu-
laires. Les arguments ne manquent pas qui confirment cette opi-
nion. En 1576, Jean Chardavoine, de Beaufort-en-Vallée, fit
imprimer un recueil de chansons monodiques célébrant le vin et
l'amour « en forme de voix-de-ville. » Or, nous y trouvons cinq
poésies de Ronsard : les odes Mignonne, allons voir si la rose, et
Ma petite colombelle, plus trois chansons proprement dites : Quand
festois libre ains que Vamour cruelle, Douce Maistresse, touche,
Quand ce beau printemps je voy. M. J. Tiersot a noté la mélodie
de cette dernière à la page 438 de son Histoire de la Chanson popu-
laire. Autres preuves : « Plusieurs livrets1 de chansons en vogue
jusqu'aux premières années du xviii* siècle renferment, à coté de
vaudevilles et de vraies chansons populaires, de nombreuses poé-
i. Voir : Sommaire de tous les recueils des plus e relient es chansons, tant amou-
reuse*, rustiques que musicales (Paris, Bonfons, 1582}.
HUSSARD ET LES MUSICIENS UU \\i° SIÈCLE.
379
sies de Ronsard* Parmi les timbres citéfi m t<He d'autres chansons
des mêmes recueils, nous relevons, a côté de la Volte de Provence
et du Branle du Poitou, celui de Quand ûê $£6if printemps je
VQtfi sur lair duquel devait se chauler une complaiule d'un amant
à sa dame, Celte chanson des Autours tl<- Mnne figure aussi dans
une Fricassée de chansons populaires à côté de la vieille chanson
de la Përonelle, de Sur te pont d'Avignon «.l Quand la bârffèfe va
aux ck&mpà \ i
Il y a mieux; il ressort d'une page d'un conteur breton du
XVI" siècle, Noël du Fail, conseiller au Parlement de Hennés, que
certaines poésies de Ronsard se chantaient en Bretagne avec
accompagnement de ytoli et faisaient p&rtiâ du répêïtoife dèfl
ménétriers de cette province lointaine et peu cultivée, au même
titre que les complaintes traditionnelles du moyen âge : v Et sans
aller si loin, quand notre Mabile de Renues chantait im lay de
Tristan de Léonnois sur sa viole, ou une ode de ce grand poète II
sfinl, n'eussiez- vous jugé que cesluy-cit soit s te désespoir éê sa t
tGndrCj M voulust confiner et rendre eu la plus étroite observance
et harmilagc qui soit sur le Mont- Ferrât, et l'autre, laissant son
Yseult, se fourrer et jeter aux dépite uses poursuites de la bêle
Glatissant5? »
Enfin M n'y a aucune différence entre certaines odes de Ron-
sard, comme Si to*f, ma tlottrefte fsobeati (II, 48'i), En mon cœur
nesl point write (H, ÏI8G) et les Chansons populaires du xv* siècle
recueillies par M. Gaston Paris.
En faut-il davantage puur nous faire admettre que, grâce au
|. Fleur des ehoauùnê amoureuse* (Kouen, A. de L&unay, iGOO). &.!■ Tïersol. op,
hl. Ctmii Wpett éd. Jouaust (Paris, 1813), tOUW l'\ P» Mli
3+ Une niiir preuve de la popularité de ltoii*nriJt cV-s! qu'on Irouve dans un
Recueil des pins belle* chat* sons de$ comédiens fronçait, imprimé h Gaen en 1616 (ef.
VauX'de-inre d^ôlitier lia MtfJ in et de Jean te Btmxt éd. I». L. Jacob), dfea pi<ccs direc-
tement imitées de! bdeu hurhiques et l'pirurienncs de Ronsard, par «-m- m pie : Je
il'aj qtu faire de* Anglais {p. iiti2), Cette chanson normande est la conLamiualion
de trois odea de Ronsard.
Du Snj>hy poiût M nu: *miria.
Du Turc, ni du Suudùu ftttl
Gf. Etewffti, ih
Cj»f mt&nâ j'ai btut. Ua î il m* MmMfl
u,i,- m«« ûolfrèi woft Lont plein* il "■ ^r.
EL n;ifeïi - h le
A Crocus, et Mydn*» fHOOfj
(CL riouiard, 11. 43J.)
Boy vunt^en lotit de m i
Car ceuns il u y a personne
Qui su eue s'il vivra dauiaiu.
tCf. Homard, II, HT.)
Enflu dans les Vaux-de-uire de Jean le Houx, il existe maints couplets imités de
Ronsard \ibid„ pp. H2T 51, 82, 102, 127, et..
HO
AE VUE D HISTOIRE L1TTLHAIRE !*E LA FRANCE.
chant et à la musique, Ronsard a pu charmer les milieux les plus
provinciaux et les plus bourgeois, du moins par celles de ses
u-uvres lyriques qui ressemblent le plus, pour le fond et la forme,
aux chansons et romances de tous les temps? Il faut bien aussi
admettre que la meilleure partie de son œuvre, ses stances, ses
baisers, ses odelettes, ses chansons, perdent beaucoup de leur
valeur première parce que nous ne les chantons pas : à les lire
seulement, nous rîquons de nous faire une idée très inexacte, très
incomplète de cette poésie qui lit les délices de la France sous les
derniers Valois. Le chant dissimulait la lourdeur ou la rudesse
d'une langue qui n'était encore ni assez souple ni assez harmo-
nieuse pour se suffire à elle-même. Comme le disait Ronsard, la
musique a été rame de ses vers, et, quand cette musique se fut
lue, ses strophes remplies de heurts, de rejets inexpressifs, dln-
versions forcées p de termes techniques rebutants et d'insipides
métaphores, semblèrent une œuvre morte aux gens du xvir et du
xvui* siècle , tel un livret d'opéra sans la musique , telles des
danses sans accompagnement d'orchestre.
Il est temps de nous résumer et de conclure.
On a vu comment Ronsard fut amené à suivre un certain
nombre de règles nouvelles, après que la musique avait déjà
imposé à la versification, pour toute pièce destinée au chant, la
succession régulière des rimes féminines et des masculines, avec
ou sans alternance,
Ronsard soumit aux exigences d'un rythme musical des groupes
de vers plus considérables qu'auparavant» par exemple des poèmes
à rimes suivies, et des systèmes plus compliqués, tels que Iode
pindariquc.
De plus, il établit définitivement la succession régulière des
rimes, par sujétion à la musique, et l'alternance dans les pièces
à rimes suivies, par un sentiment esthétique de même nature que
celui des musiciens.
Enfin, la musique étant devenue plus savante et l'instrument
de la versification plus parfait, Ronsard soumit aux exigences du
musicien des sortes de poésie antérieurement indépendantes de la
musique, et c*est ainsi que la musique fit du sonnet un genre à
forme ûxe.
En tout cela, Ronsard, loin d'innover et de rompre avec les
ROPSARD ET LES
DO \Vlr SIECLE*
381
habitudes nationales, est resté un poète de tradition, du moins au
point Ar vue qui nous occupe* Il a cru, ou a feint do croire, qu'il
importait en France les mœurs artistiques de la vieille Grèce ou
de fftiliQ moderne; en réalité il est resté le disciple et le conti-
nuateur des poètes français du moyen âge, du xv* siècle et de la
génération de Clément Marot. S'il ne fut pas poète-musicien
comme Adam de la Jlale ou Guillaume de Mâchant, il fut un ama-
teur passionné de musique , et ne conçut pas ses vers lyriques
autrement que chantés, comme la plupart de ses prédécesseurs.
Mais si sa tentative était loin d'être neuve, elle marque du
moins un grand progrès. Ronsard a fait mieux que les poètes
précédents : il s'est préoccupé beaucoup plus qu'eux, et que Marot
lui-même, des procédés de versification qui communiquent au vers
le charme destiné à captiver l'oreille, et facilitent ainsi la tâche
du musicien. Avec celte idée préalable que ses vers devaient être
écrits pour être chantés dans des milieux aristocratiques, il com-
bina ses mesures et ses rimes plus rigoureusement et plus artis-
tiquement qu'on ne l'avait fait avant lui. Bien que les musiciens
composassent leurs airs sur ses poésies, et non pas lui ses vers
sur leurs mélodies, on peut dire qu'il asservît la Muse aux règles
de la Musique, et qu'il Ta ainsi douée d'une élégance et d'une
harmonie encore inconnues, dont fut charmé le xvl' siècle.
La disgrâce de Ronsard commença du jour où les musiciens
délaissèrent odes, sonnets et chansons pour produire leurs talents
dans les ballets de la Cour et dans la musique dramatique ou
expressive, qui détrôna la musique polyphonique dès le temps de
Henri IV. Les adorateurs de Ronsard disparurent avec ses derniers
auditeurs; le temple du dieu se vida quand les chants eurent cessé,
et la statue fut reléguée au rang des vieilles idoles. Voilà comme
s'expliquent à la fois la faveur prodigieuse et le brusque déclin de
celui que la musique avait vraiment élevé au rang de Pindare; et
aujourd'hui, pour bien comprendre le culte quasî officiel dont fut
l'objet Ronsard vivant, en France et dans toute l'Europe, îl faut
fermer le livre et se représenter un Philippe de Monte dirigeant les
sept parties de Corijdon à la cour de Rodolphe IIf ou un Gosteley
faisant chanter sa Mignonne et les compositions du « plus que divin
Orlande » devant Charles IX, dans quelque grande salle, aux
lambris fleurdelisés d'or, de Chambord ou de Fontainebleau,
Charles Comte et Paul Laumonier,
382 EEVTE D llSTOlftE LITTÉRJUftE DE UL FEASCE.
SAINTE-BEUVE ET LES MÉMOIRES D'OUTRE-TOMBE
Une mauvaise querelle a été cherchée dernièrement à Sainte-
Beuve, pour avoir publié une page des Mémoire* d'outre-tom&e
qui ne se retrouve pas dans l'œuvre posthume de Chateaubriand.
Cette page, éminemment chevaleresque, qui semble détachée d'un
roman de Cour d'amour, où l'Alhambra est assigné comme
rendez-vous pour prix des épreuves traversées pendant le pèleri-
nage de l'Itinéraire, n'était connue que d'un public aristocratique
et d'élite, — très peu nombreux par conséquent, et dont la race se
perd, — pour qui Chateaubriand plane encore sur le xjx* siècle.
Une polémique récente a eu pour résultat de la répandre et de la
Caire passer sous l'œil de tous, qui ne professent pas toujours le
même respect.
Les Notes (où on la retrouvera), qui font l'objet de la présente
publication, prises par Sainte-Beuve, en 1834, sur le manuscrit
des Mémoires de Chateaubriand, pour écrire son article de la
Revue des Deux Mondes, — réédité depuis dans les Critiques et
Portraits littéraires et dans les Portaits contemporains , — nous
dispensent de faire ici double emploi en la reproduisant de nou-
veau. On lira donc plus loin, à sa place et dans son vrai cadre, à
la suite de ces quelques lignes d'explications, cet « obscur et
murmurant passage », qui laissait à Sainte-Beuve l'impression
d'un « parfum profond comme d'un oranger voilé ». — C'est bien
naturel à Grenade. C'étaient des parfums d'Alhambra.
Le critique, qui resta doublé d'un poète toute sa vie, écrivait
encore des vers en 1834, et il se proposait, comme on le verra
dans ses Notes, d'en adresser à Chateaubriand « sur le point délicat
des Mémoires, — amour. — Combien attentif, ajoute-t-il, en écou-
tant, à saisir les moindres mots mystérieux de ce que son cœur
ne trahit pas !... » (En écoutant, veut-il dire, la lecture des
Mémoires dans le salon de l'Abbaye-au-Bois.) Cette inquiétude,
cette préoccupation de surprendre ce que cache le « parfum
d'oranger voilé » trahit ici le psychologue. On a dit de l'impiété
qu'elle était la plus grande des indiscrétions. 11 n'est pas donné,
en effet, à tout le monde de connaître et d'approfondir la nature
SAÏHTE-DEUVfc ET LES MEMOIRES
des dieux. Tout le monde n*a pas non plus des curiosités de mora-
liste, surtout en présence d'une figure presque olympienne.
Sainte-Beuve faisait du besoin de pénétration qui l'aiguillonnait,
dans le cas qu'il vient d'indiquer, une des conditions de la critique,
créée par lui, a pour connaître un homme, cest-a-dire autre
idiose qu'un pur esprit ». lï Éloge de Chateaubriand, « le plus
grand sujet littéraire du xix* siècle », a-t-il dit, mis au concours
par 1* Académie française en 1862, fut pour lui l'occasion de s'ex-
pliquer une fois pour toutes sur les principes de sa méthode natu-
relle, telle que la pratique et l'expérience lui en avaient fourni les
règles, essentiellement variables dans leur application. Vue des
questions qu'il s'y pose, au sujet d'un au leur, et auxquelles, dit-il,
tant qu'on n'a pas répondu, « ne fût-ce que pour soi seul et tout
bas, on n'est pas sur de le tenir tout entier », est celle-ci : « Corn-
ment se comportait-il sur l'article des femmes?1 » On peut se la
poser pour Sainte-Beuve lui-même* mais jusqu'à présent elle a été
lourdement et grossièrement traitée.
Il lui a manqué ce qu'il avait été pour Chateaubriand, un peintre
fin et délicat, l'auteur en un mot des Portraits de femmes, sachant
graduer les nuances, depuis les nobles Sémélé que la seule
approche de Jupiter embrase et consuma &e SOU rayonnement,
jusqu'à rauleur hon etrfftrtt îles B7tëh<tnteift8nl& d* Prudence, dont
on conteste aujourd'hui les récits francs et naturels, — peut-être
parce qu'ils sont trop naturels. — Sainte-Beuve avait reçu les pre-
mières confidences de L'aimable et sincère Hurleuse, philosophe M
lettrée, sur ses rencontres et promenades avec Chateaubriand, et
leurs parties fines de YAre-en-e/ef, près du Jardin des Fiantes, où.
elle lui chantait au Champagne de tendres refrains de Déranger
qu'il répétait avec elle et qui mouillaient la paup&re de Roné
vieilli. L'autour de Chateaubriand et son groupe littéraire sov* tEnv*
ptre, â la fin de cl» livre — le meilleur peut-être de soi) iKuvr©
critique et qui ne lui a pas encore été pardonné — adonné dis-
crètement la primeur de cette histoire amoureuse, où le dieu rede-
venait familièrement homme et déposait son auréole. M. de Pout-
martin m'a dit un jour â moi-métin1. chez Michel Lcvy, qu'il n'y
croyait pas* Sainte-Beuve y croyait simplement, comme à une
chose toute naturelle. Il n'avait aucune raison d'en douter. L'hypo-
crisie de parti — ennemie du vrai, à quelque parti qu'elle appar-
tienne — ne l'aveuglait pas. Il rst aussi dans les Enehantem
de Prudence, On aurait mauvaise grâce a l'en défendre.
U Chateaubriand jugé par un ami intime en i$0X (Nouveaux Lundis, t, III, 1862).
JS4 REVtt D*HlSTOIIfcE LïrTEHUftR DE U F1U5CE.
Le critique des Lundi*, qui avait déjà traité dans les Causeries'
cette question, tant controversée aujourd'hui, de Chateaubriand
amoureux , n'avait pas attendu la mort de Chateaubriand pour
publier la page supprimée dans les Mémoire* d'ouire-iambe. Elle
avait paru dès 1836, dans les Critique* et Portrait* littéraire* \
avec des commentaires et des rapprochements qui la rehaussaient
d'esprit critique* Chateaubriand ne s'en plaignit pas, et deux ans
après, le i octobre 1838, il écrivait à Sainte-Beuve qui préparait
alors sa notice sur Fontaues : « ... Je vous remercie mille fois,
monsieur, pour la mémoire de Fontaues : c'était un homme fait
pour vous connaître et vous admirer*. *
Le bruit fait autour de la page, sauvée désormais de la destruc-
tion et de l'oubli, nous a décidé à publier intégralement, et dans
sa sincérité première, le dossier de .Votes, prises par Sainte-Beuve
sur le manucril des Mémoire* Je Chateaubriand» en 1834, Nous en
devons la communication à l'obligeance de M, le vicomte de
Spoelberch de Lovenjoul, possesseur à Bruxelles des papiers de
Sainte-Beuve. C'est un cahier de vingt-quatre pages, qui a tout
l'aspect d'un grimuire. Nous sommes parvenu à le déchiffrer
presque entièrement; nous avons laissé en blanc les mots que nous
n'avons pu lire. Ces notes succinctes, d'une écriture 1res iîne, sui-
vent pas à pas les Mémoires d'outre-tombe : nous avons pu ainsi y
constateret y relever d'autres variantes et d'autres lacunes, moins
importantes, il est vrai, que la suppression du fameux morceau
sur le bonheur qui attend l'illustre voyageur à l'Alhambra, à son
retour de Jérusalem.
Une noie des Portrait* eoniemporaêmt ajoutée à l'article de 1834,
exprimait le vœu, sous la il de Chateaubriand, que « l'illustre
écrivain, dans son inquiétude du mieux, s'abstînt de retouches et,
comme on dit en peinture, de repentir*! qui ne sauraient que com-
pliquer une première ligne heureuse ». La même note se termine
par le regret que ce « vœu tout littéraire ... n'ait pas été exaucé **,
et que « l'auteur, en y repassant, n'ait pu se retenir de gâter quel-
ques endroits i ».
Des préoccupations extralïttéraires déterminèrent parfois ces
remaniements, et c'est pour avoir conservé aux Lettres une page
curieuse, que la bonne foi de Sainte-Beuve a pu être mise en
suspicion par de maladroits défenseurs de Chateaubriand.
t. Causerie* du Lundi, L U, \ H 50.
% T. II. \>. m, Paris. Eugène fienducl, 1836, in-S.
3- Portrait* contemporains, i. I, p. H2. édition de (869, chez Cal mann Lévy.
4. Portraits contemporains, t. |t j>. 25 (édition Lëvy, I869j,
S\nTK-BELVE ET LES HÊMOERRS r> OUTRE-TOMBE. 385
La façon de travailler du critique était aussi naturelle que sa
méthode. Nous la surprenons dans le document que nous allons
publier. II commençait par prendre possession du sujet, avant
d'écrire un article. Il ne se serait jamais contenté de l'a-peu-près,
même en 1834, et une simple audition de la lecture des Mémoires
à haute voix, dans le salon de M*e Récamier, ne lui aurait pas
suffi, comme on Ta malencontreusement supposé, pour en parler
avec scrupule. 11 avait trop le respect de la Critique et de l'autorité
déjà attachée à sou nom pour cela. Il prit des notes sur les Mémoires
de Cliuloauhrïaud, et nous nous demandons comment il aurait pu
en prendre tout le cahier qu'on va lire, qui forme comme un nou-
veau texte, condensé et serré, de l'œuvre posthume de Chateau-
briand, si le manuscrit ne lui en avait été communiqué officieuse-
ment. Nous ne comprenons même pas qui! ait pu s'élever des
doutes à ce sujet de nos jours. I/espritde malveillance a seul pu
faire dévier à ce point l'esprit de critique. Qu'on relise seulement,
sans prévention, les appendices, qui sont comme autant de pages
de ses propres Mémoires, ajoutés par Sainte-Beuve à ses deux
articles sur Chateaubriand , dans l'édition de 1869 des Portraits
Contemporains, et Ton sera édifié sur ce qui étonne tant aujour-
d'hui :
J'ai souvent pensé, y dit Sainte-Beuve, combien, malgré tous les
soins qu'on prend pour peindre la société de son temps et pour en
donner l'idée aux générations survenantes, on y réussit peu et quelles
étranges images s'en font ceux qui se mêlent ensuite d'en écrire. Ainsi
un feuilletoniste, qui s'efforce de nVétre agréable, dira par exemple ;
<* Jeune, quand vous alliez a l'Àbbaye-au-Bois, vous écoutiez; mainte-
nant, c'est votre tour de parler, on voua écoute... » Il semblerait en
vérité que, dans ce charmant salon ou présidaient la politesse et le
t, M. de Chateaubriand eût charge de rendre des oracles et que le
rôle des autres fut de l'écouter bouche béante. Mais, chers messieurs,
sachez donc que nous parlions alors comme nous n'avons jamais fait
depuis; que, pleins de rêves et d'espérances ou de généreuses colères,
nous parlions beaucoup plus et beaucoup mieux qu'aujourd'hui ; et que,
lorsqu'on avait le lact de ne prendre la parole et de ne la garder qu'à
propos, H. de Chateaubriand était le premier à se plaire à nos discours
et à nous en savoir gré en tfj mélmiL Notre verve plus d'une fois pro-
voqua la sienne et la fit jaillir... i
Les Notes qui vont suivre sont un abrégé des Mémoires d% outre-
tombe. Elles les complètent et leur restituent une valeur originale
sur certains points. À défaut du manuscrit de 1834, si souvent
modifié depuis, elles sont comme un nouveau texle — le plus
38&
REVUE D'HISTOIRE UTTIItVilli: M! LA HtWU-l.
ancien peut-être et le plus sûr — de ce Livre, donl un ami
(M. Cherttray), qui en possède aussi une copie de la main de
M""" RécaïDÎer, nous dît que c'est le plus baau livre du xul* siècle,
Noos [l'avons eu nous-mf'me en vue que la cause et l'intérêt de
la littérature, que nous servons sans parti pris, en accomplissant
ce travail de transcription et de restitution littéraire, analogue à
celui qui fut fait, en 1861, sur les Lettres de Mma de Sévigué, qui
s'enrichirent de hardiesses épistolaires, devant lesquelles avaient
reculé les premiers éditeurs.
Jcles Trûuiut,
NOTES SUR LES MÉMOIRES DE CHATEÀL'BWANh '-
Commence 4 octobre 181 it Àulnay — près de ces arbres ai petits
qu'il leur donne de l'ombre quand il se place entre eux ei le soleil *-
Son pure dur contriste sa jeunesse.
Né gentilhomme, quelle influence sur t'ai; trois Ages des aristocra-
ties : i" des supériorités j 2° des privilèges; 3° des vanii
Généalogie antique discutée — descend-il des premiers comtes,
ensuite ducs de Bretagne?
Trois branches de Chateaubriand : la baronnie, les Chateaubriand
de Beau fort, les Chateaubriand de Guêrande. « Mais n'est-ce pas là
d'étranges détails, des prétentions mal sonnantes dans un temps où Ton
ne Veut que personne suit le lits de son père? VoUà bien îles vanités à
une époque de progrès, de révolution*... »
V »les Chateaubriand de Beau fort, les deux autres branches étant
faillies»1 — Il a un oncle aîné, prêtre, qui fait des vers, un autre
Le crudit à Paris faisant des recherches historiques et recevant
416 livres par an. son lopin <!»■ cadet \ Frère aîné qui fait des vers,
M™* île Farcy en fait. M111" Lucile a laissé defl page*. — Son père» pauvre à
quinze ans, pour ne pas être un fardeau à sa mère, obtient de partir :
« Va où Dieu veut que tu ailles a. dit la mère. — Il s'emhanjua Blir une
goélette armée, fut au secours de Stanislas assiégé dans Daotzïck; puis
tk Nous avons supprimé, t'acceoJ eiftxmltaxe, tracé par Sainie-Bcuve, d'une main
rapide, sur- [« premier ..-, ilori QQ4 I "Hnographe du nom nVlaïl pus en» ■
comme elle l'a été depuis par Sainte-Beuve lui- môme.
_\ Nous avons désigne par NûUi t celles que Sainte-Neuve avait écrites
h h dehors du leste, en les repartant toutefois, autant que poftfUfcle, I leur p
rationnelle* C'est ainsi que nous avons transposé la première qui s'olTre ici :
- Sobre pourtour •, h un autre i - tge qn] y correspond naturellement, vers la lin
du manuscrit,
3. Ce pftsaifi : i Mais n'esl-eepas là -, Jusqu'à * révolution -, cité par Sainte-Beuve
dan* son article de i> i el dam les éditions suivante*, où il L'a reproduit, n'a pas la
même netteté dans les Mémoires eCoutn-tombr. on il se relrotiYto amplifié et affaibli.
4. Faillie* est le mot rn^ine employé dans les Mémoires imprimés.
5. Note n/tififtufiir. — s^na les nommer et par rapport a lui. [S'il s'agit des oncl
ils sont désignes par leurs prènums dans les Mémoire Lmpriltii
SAINTE-BEUVE K.T LKS MÉMOIRES lïOl IRE-TON BK.
3R7
passa aux lies, cfiargé de son dernier frère Pierre : lui, René ', Contracté
une grande vigueur de caractère, le contraire du hnmi ignora mail; le
malheur a ses duretés comme ses tendresses. Grand, s$e, CCI aquilin,
lèvres minces et pâles, yeux entoures »t p«W OU (flanques comme ceux
des lions2 ou des anciens barbares. Dans la colère, prunelle qui se
détache et vient vous frapper comme une balle enflammée. Orgueil du
m un, tristesse profonde par la décadence de sa famille, et silence dont
il ne sort que par des emporte tue ni- \
Bu per bernent ?Ôtu. Fastueux dam aés habits et ses manières, comme
Jean-Antoine de Mirabeau* magnifique avec ses hôtes, fi au tain avec
les gentilshommes, dur tkvec m vassaux» taciturne et despotique dans
son intérieur Dta génie* — Épouse à son retour, en 17*>'J, ,b:j une-
Suzanne de Bedêe. — Mrao de BoisteiUeil], aïeule, meurt vieilli*; mère
de M110 de Bedée, élevée à Samt-Cyr dans les derniers temps de
Mro* de Maintenons La mère de M, de Chateaubriand savait tout Cyma
par cœur. KléganLe de manières, conlrariée par son mari, devient
rêveuse, mélancolique, soupirante et silencieuse. Pieuse. — Établis
à Boiut-Mllo, lors du mariage. A Saint-Malo, né dans la même rue
que l'abbé de La Menaais, Duguay-Trouin, Lamettrie, Maupertuis,
Trublet, de La Bourdonnais. François-Auguste S né le dernier de dix
enfants. Six vivent, quatre sieurs et un frère aine Né rue des Juifs en
face de la mer. Né sur un rocher, en face de la tempête; reçoit son nom
de son frère mort. Idée mélancolique de la vie. — Mis en nourrice à
Piancoêt1. Combourg acheté |>ar le perc de >L de G., que plusieurs
branches des Chateaubriand avaient possédé. Grande tour de Combourg
Mlie eu 1 100.
Le maréchal duc de Duras avait vendu Combourg au père de
M, de Chateaubriand : il le tenait de sa femme, une Coëtquen, par ses
parents. Plus lard, comme ailté, il présente à Louis XVI M, de Châ-
teau h ri and et son frère.
Son frère ataé le comte de Combourg, Le préféré*.
Le chevalier. — Sa mère le néglige; aime sa nourrice, la bonne
f Uleneuvet et aime la quatrième de ses sœurs. Lui i le, maigre, trop
grande pour son ftge, bras dégingandée, air timide, robe dïspmpor-
t. Le père de Chateaubriand l'appelait aussi René et c'est de lui qu'il s'agit ici.
2, \'otc jtwr'jiiutlt*. — llûviviscenci; des lien* génies vieux, — ÀtlmirabU' di
pen< ud'r jutr ht. Tout te siècle — et \L de Chateaubriand dew
t r , i ■ i i-, ii. IHofnère «tu jeune siècle, toujours présent, toujours, Pfgttre ût lion.
Institution deeeu temps. (L'Homère du j*une né&Te revient déni l'article île 1831,
ainsi que In ■ UUdê thn ■ «fn |ière. dont Sainte-Beuve prête h gravité an fila,)
S, Dernier nette* de Ia première pa^e, — Faculté d1ndigDftUon?«"ho«*
nen' M™* de Dura- ri eûimu tu comble de sa ploïre. — Deux grands dmhv
ceaux toétaph) Biques el peîfl Iques. le ne bais pas ces indignations qui renouvellent le
matin (?) d'une Ame après de tîèdes intervalles.
\. Chateaubriand t'appelait PrançûifrHÊnf, et non Ftfntroî^Auff ttxteAWa retilM
lui-même au chapitre de sa naissance, dana s<>s Mémoires*
5« Moé ftr, — Voué au blanc jusqu'à sept ans,
i,. \ ,/r marginale, -* Le frère, comte de Chateaubriand, Taînê, destine à être
conseiller au Parlement; lui, à la marine royale*
i
388 REVUK DHLSKHUH LrTTtll.URK DE tk FRANCK,
tionnée. Corps roïde, collier de fer garni de velours brun, toque d'étoffe
noire sur la tête.
M ""^ de Bedée, la gr&nd'mère, habite à V Abbaye, hameau près Plan-
coët, avec sa sœur Mu* de BoisLeillcul, maigre, petite, qui chaule le
comte de Trémigon, Cette vie peinte, coup de pincettes qui frappe
quatre heures contre la plaque de la cheminée. M11" de Boisteilleul el
trois vieilles filles entrent. MIU* de Ville-de-nœuds '■ Jeu de quadrille,
querelles — rire au récit de M. de Bedée, oncle, fils de M*' de Bedée,
qui avait été à Funtcnoy. IL habitait d'ordinaire Mouchons*
a Cette société, ijue j'ai remarquée la première dans ma vie, est
aussi la première qui ait disparu à mes yeux* J'ai vu la mort entrer
sous ce toit de paix et de bénédiction, le rendre peu à peu solitaire,
fermer une chambre et puis une autre qui ne se rouvrait plus *, J'ai vu
ma grand'mère forcée de renoncer à sa quadrille, faute des partners
accoutumés; j'ai vu diminuer le nombre de ces constantes amies, jus-
qu'au jour où MIU de Boisteilleul tomba la dernière. Je suis peut-être
le seul homme au monde qui sache que ces personnes ont existé. Vingt
fois, depuis cette époque, j'ai fait la même observation; vingt fois des
sociétés se sont formées et dissoutes autour de moi. Cette impossibilité
de durée et de longueur dans les liaisons humaines, cet oubli profond
qui nous suit, cet invincible silence qui s'empare de notre tombe et
sTétend de là sur notre maison, me ramènent sans cesse à la nécessité
de l'isolement. Toute main est bonne pour nous donner le verre d'eau
dont nous pouvons avoir besoin dans la fièvre de la mort, Àh! qu'elle
ne nous soit pas trop chère! car comment abandonner sans désespoir
la main que Ton a couverte de baisers, et que Ton voudrait tenir éter-
nellement sur son cœur3! »
Monchoix; sanglier privé qui suit M** de Bedée; vie joyeuse*. Heleré
de son vteu. On lui parle de Palestine.
Vieux mots, Le couvent au bord du chemin senvietllitiait d'un quin-
conce d'ormes du temp^ \h> Jeun V de Bretagne* —J'aime moins les
châteaux qui entombaimt leurs aïeux. — Un des premiers plaisirs que
j'aie goûtée, était de lutter contre les orages, de me jouer emmi les
1. Le le* les imprima orthographie ainsi ce nom VUdémua. — Il nous est impos-
sible de déchiffrer quelques mois 1res fins au bas el dans l'angle de la page 2
des.Yo/rt <iu Sainte-Beuve*
2, S otmth* — Et de se croire plus unique, plus privilégiée du sort qu'elle
ne l'est en effet, Le génie en cela s'abuse. Il porte la douîeur sans fléchir, il en
mesure tout le poids.
De se eroifi pUli privilégié en douleur: il n>st privilégié qu'en génie. (Ce* nota
sont ie premirrjet trtitte idée ttunt on retrouve les termes dans l'article de i$34),
3, A partir de « vingt fois -, cet alinéa se trouve reproduit textuellement dans
les Mémoires d'oulre-iombe. Ce qui précède, I partir de - Celle société •, offre
quelques variantes, donl la plus importante est que quadrille est mis au masculin,
peut-être par *i«'s éditeurs inalle utils, dans le texte imprime, tandis que dans les
notes de Sainte-Beuve, il y a bien : ta quadrille, qui était* en efTel* du féminin
dans l'ancienne tangue,
4. W *J inter linéaire. — OWadriton (ÇormHfy)' [.\oas écrivons comme
nous lisons, soumettant ces deux noms propres û plus savant que nous.)
SAÏ\TE-BEt:\E ET LtS MEMOIRES U OtTnE-ÎOMUK.
389
vagues qui se retiraient1. — Polissonneries à Saint-Main, déboulonné,
débraillé. — Impressions sérieuses, religieuses aux fêles, aux stations,
à la cathédrale. Les petits enfants avec les bougies allumées prés de
leurs Heures, Tant uni &rgû chanté. « Je voyais les eieux ouverts, les
anges offrant notre encens et nos vœux à rêLernel. Je couifr&îi mon
front : il n était point encore chargé de ces ennuis qui pèsent ai horri-
blement qu'un est tenLé de ne plus relever la tête lorsqu'on Va tocUhéâ
au pied des autels, »
Gesril garni Q, demeure à Saint*Ma!o dans le même hôtel que le jeune
de Chateaubriand. Véritable de mon , espiègle i devenu officier de ma-
rine, il fut pris à l'affaire de Quiberon; l'action tinie et les Anglais con-
tinuant de canonner, tïcsrîl s'approche des vaisseaux, dit aux Anglais
de cesser le feu* leur annonce le malheur et la capitulation. On le
-voulut, sauver en lui filant une corde et le conjurant de monter abord :
« Je suis prisonnier sur pan i le »3 >ï'rrie-t-il du milieu des Ilots, et ii
retourne à terre a la nage-. Il fui fusillé avec Sombrent! et ses compa-
gnons. — Espiègleries ensemble. Gcsril pousse toujours les autres. —
Ib'llexions sur l'éducation qui est bonne même sans méthode. Ces flots,
■ces vent*, celte solitude, furent ses instituteurs sauvages. Aiumiu sys-
tème d'éducation n'est préférable à un autre système. Les hommes que
Dieu destine à un rôle arrivent bien.
LIVRE DEUXIÈME
Dieppe, '
M. de Chat, écrit là, exilé de Paris. A Dieppe, petite ville ibï Iniques
dans ses maisons, d'ivoire dans s**s boutiques, à rues propres, à belle
lumière (Vilcl)3. Souvenirs de garnison en 1788, y continue ses
mémoires en face de la mer. — « Sulul* mer naufrageuse \ mon ber-
ceau et mon image! * — Mis au collège à Dol, sur la route de Saint-
Malo à Combourg. Sa mère tient à ce qu'il ait une éducation classique,
elle qui savait le Cyru$\ d'abord en secret, ensuite û dérouvert, mais
avant il rejoint avec sa mère son père à Corn bourg.
Printemps en Bretagne pllM tôt qu'à Pu ris et plus doux. Cinq
L Suit marginale* — Nous avotrt entendu dire : » Qu'a-t-Uf pourquoi esl-il tri>i^,
tout ne lui sourit-il pas? er. luS^mème ne sait-il pas sourire ï ■ Bonne* gens, cela
eiupéehe-t-il de sourira quand un DOtlS »Olt, parce que <"■ ^f,»>1 le m-.tnl îles choses?
Cda empêclie-Lol de smUr avec une n>ur parce que chaque soir revjeul (ici MM
Manc dans le test*} et sombre chèque matinée de soleil na-t-rju pas un peu «je
printemps? (Un trouvera tout te détmtoppamanU de cette note dans Partiel* de 1Sâ4.)
î. Soie martjinatf. — Un récii 9a i.î) sacré. Gt*rilt non, un nom en plus
[ici VU mot iUiiibiû), Vous fies mon eu héros; el qui vous connai! cependant?
Heureux ceux que )e poète (fa nûl€ réel* ttin.si suspendue, put* rtprrnd). Cela prouve
que la gluire est un {moi tltisibte), mai* que le plus sur est le génie i mois
illisibles), La Muse cet encore celle qui ne trompe pas. <Voir l'article de 183 J et les
Mètt ■ r-toihhf sur l'épisode de Geeril).
3. Sainte-Beuve rappelle tel te livre de Louis Yitet sur Dieppe (Bittûîrt des
ancienne* tjHlë* de fiance.,.), Paris, is:jj, 3 val- in-S.
4. Ce mol, nauf rageuse , ne se relrouve pas dans les diverses éditions des
Mémoires d'outre -tombe. SainU-Ueuve l'a répété dans sou article de 1834.
luv. d HiiT, uni*, dk ut Faine* (V Aniu). — Vil. 26
iîjwmlex. fiîr»âei>- î* >:•***£. ie o:ott«_ U euL3e et Le r*j»arir:-I- I ar.-
2f:-ei2HLL. Terre ce-rrert* de aarraerites. de £**&?**- àt }i:ï^es.
lytrjLXKS- tarasses. rnooc?Jes- iuska^. CXainére* Upèfsées de
5:«trere&. x*a»Ks et a?>Ks ave* ievrs fte«r* p»<ée* ^»k •:<** £*»p_k-~s
d"-2C- Ess*:»* et aàds a t£uq:>£ pas. Fosse* tecsé* erjcstît^ect x^e prr-
;«st«0 forêt, petites rivières dos uvûaiies. Futaies i ^t: ie
arejêres. laades. p&ateasx pelés. champs roweàtres de sarrislx. :,
eas.pazx»es pè&azktsras.
G o*âer 4* îane sur la dmt en Bretarne. Cette aux!*? de *»:■!. ?r >-t
qsi s asèocpit. ilnclme et disparaît, dans la moî> inL=a&e-sot- re dsn lit
de vaz-jes. A peine c>:<sche>. an souffle semant do larre brise îlaaze des
constellations- comme oa éteint des flambeaux, qcand jine îéte esi Lcie.
Aidiez» T*T*ze§ lents. Premier vovaze de Saint-Mai-:* à G:-xl*: ar>
dans la rrvs=* beriîne *. Inscription de C;<mb»j«rr. de dtâtea*. L* i-*:if
■mû', le 7^iW ■*»/ cour verte, devant le perron, an delà da p>£a^er.
entre les deux mails . De l'antre côté du perron, an midi et â l'es;, on
a Cosribttrz. le clocher, le villaze devant soi. — Beao paysage.
Apre* quinze jours, remis aux mains -Je l'abbé Porcher. pria??p*! «in
e»U?^e 4e Dol. A Doi. a pj*r précepteur particulier l'armé Leprin re,
qai ï:J apprêt» i son B*zo*l. Très apte anx mathématiques, as liûn.
fait Batareuemetit des vers latins, et l'a ht* Ezault l'appelle YÉiS: i v~'-
Sait tr>otes ses tables de logarithmes depuis 1 jusqu'à 10 (MX
Va passer les vacances â Combourg. Un peu préoccupé d- centriste
de la vie. d'avoir assisté anx courses de la Qtttntaim* et à la proclama-
tion des br*Ats de Th^mum*.
Société de Combourz. M. Potelet. ancien capitaine de ruisseau,
marin qui conte ses histoires de P-.«n-iiehérv. les coudes s :r Ii tii-ie.
II. Launa* de la Billardiére. entreposeur des tabacs, et le sénéchal
Gerbert, le procureur fiscal PetiL Le curé Serin, qui est si î >c_: à
croire que le çamin soit l'homme devenu célèbre. Détail sur son naturel
rancunier et non vindicatif. Dans le premier mouvement dune offense,
il la sent â peine, mais elle se grave dans sa mémoire, s'irrite, dort,
puis se réveille avec une force nouvelle-
Projet *ie descente â Jersey. Camp à Saint-Malo. Entend parier de
Pari*, va pour la première fois au spectacle. Scènes spirituelles à l'état
d'esprit, ce qui est m fins dans ses autres ouvrages.
La troisième année au collège de Dol. marquée par la révolution
d'âme et de sens, Un How* non ci.âtié. et le livre des Ç: *'--*\ •<*
mil f<ii(etz d'un cité, volupté et secrets incompréhensibles, de l'autre
flammes et chaînes. Il sent des lors échapper* quelques étincelles de ce
feu qui est !a transmission de la vie et qui dure jusqu'à ^y«;'n>.
I. \..-* *t:~ >-/*«/«. — De* '. ri ehes en *> mencées de bl* noir. A partir ce< »*.::•./ et
tes .-. ■;'. >. \<\\k T.ir> ^a^s lr* M*m<-î*f* <£ vutrtAomb* : on a*y re:roj^e ni ie
tar-i/st :-i .*? fr\rK+4 en!*ërt+-w+t 4* Mi noir.
i. Y^.^ n:-r;.'>*aif. — Pcleriaa^e «iu ffenie.
5. .Voie rf.aryir^U. — A onze aa* et demi.
SAISTE-BEt'VE ET LES MEMOIRES D DL'TRF>TOM|JE.
391
Quatrième livre de VEn&d% et le T4lémaque» Les volumes de Massillon,
où sont les sermons de VEttf<mt prodigue et de la t*tkkêfê$$e. S'il a
peint plus tard avec vérité les entraînements du coeur, mêlés aux
syndérèses chrétiennes, il Ta du à cette double connaissance simul-
tanée.
Ce qu'on dît d'un malheur qui n'arrive jamais seul, on le peut dire
des passions; elles viennent ensemble comme les Muses on comme les
furies. Avec le penchant voluptueux, arrive l'idée d'honneur, excitation
de l'aine qui maintient lecteur incorruptible au milieu delà corruption,
principe réparateur près du principe dévorant. Histoire des œufs depïe.
Fottdt que veut donner L'abbé Egault, préfet de semaine, résistance
héroïque et comique *.
Continue à la Vallée-aux-Loups, décembre 1813. — Retourne au col-
lège. Première communion* Confession, réticence, combats, triomphe
de la vérité. « Quand l 'hostie Tut déposée sur mes lèvres, je me sentis
comme tout éclairé en dedans. » Confirmé à Combourg sur le perron.
\Ta achever ses études au collège de Rennes, d où sortirent Ginguené
et Geoffroy; hérite du Ht du chevalier de Parny; étudie avec Moreau et
Limotdaii, — Mariage de sa sœur la comtesse de Farcy, Va à Brest au
sortir du grand collège de Rennes *« A Brest* au milieu des construc-
tions, comme Télémaque à Tyr.
Admirable quand remontant le torrent qui se jette dans le port
jusqu'à une certaine hauteur et ne voyant plus rien qu'une Vallée
étroite et stérile, il tombe en rêverie, et si le vent lui apporte le bruit
du canon d'un vaisseau qui met a la voile, il tressaille et pleure, Ins-
tinct du voyageur qui se développe aux récits des vieux matelots. Part
sans permission pour Combourg et quitte le service de la marine.
Ifontboisftter, 1817* — Continuation excitée par le gazouillement
d une grive. Sentiment mélancolique. Naître, désirer, mourir, c'est
tout» « Je n'ai plus rien à apprendre, rîen à découvrir; j*aï marché
plus vite qu'un autre et j'ai déjà fait le tour de La vie,,. Combien de
temps me proménerai-je encore au bord des bois? Le navigateur, qui
quille pour jamais un rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la
terre qui s'éloigne et qui va bientôt disparaître. j>
Habitation à Combourg. Ses trois Heure mariées. Son frère plus sou-
vent à Paris qu'à Rennes,» occupé à vendre sa charge de conseiller [mur
service, puis pour la diplomatie, épouse M1" de llosambo, petite-fille
de M* deMalesherbes*
Lncile, reçue chanoinesse au chapitre d'Argenliêre, devait passer à
i. Note marginale. — H y a dans JeanJacques de l'homme qui a été fatfétle, Il y
(ta note s'nrtt ti< là pour ruprênéw ainsi) : bien autrement chastn et relevé,.. MaU
cela... comme Rousseau chez M11* L&mbercier.
2. Sotr marginale. — * Peut-être n'avais- je déjà plus cette innocence qui nous
fait un charme de tout ce quï est innocent : ma jeunesse n'était plus enveloppée
d&nfl M Heur, et le temps commençait à la dëdore. ■ > RM, citée par Sainte-
fkutpen noie dans son article '^J tSS4^ êtt très décolorée dan* le texte imprimé des
tes. On lui a enlevé sa fleur de poésie,)
PM
BEYCfc D HISTOIRE LÎTTKRAlBB DE LA FRANCE.
cdui de Remïremont; en attendant, elle restait à la campagne. Boit
achever ses études à Dinan, et embrasser l*état ecclésiastique; mais
Dinan est a quatre lieues de Combourg* et il y revient perpétuellement.
Vie de Coin bourg. Rares visites, arrivant l'hiver à cheval* avec le
portemanteau en croupe, reçues par le père, tète nue, sur le perron.
Coûtant les guerres de Hanovre* Couchés dans Je grand lit de la tour
du nord. Le lendemain matin on les voit chevaucher sur la chausse
solitaire de l'étang.
Humeur taciturne et insociahle du père qui ne parait qu'une fois Fan
à la paroisse, le reste du temps entendant la messe à la chapelle du
château. Les logis des quatre maîtres et des valets1* Caractère d'un
père qui lui a fait sentir les a /fret de ta vie; il n'aurait osé entrer
quand il le voyait sur le perron* (Quelques beaux Lahleaux de grands
maîtres dans la chapelle, et des glaces de Venise dans l'appartement
de la mère.) Promenade du père* les soirs d'automne, dans le grand
salon; vêtu d'une robe de ratine blanche on plutôt d'une espèce de
manteau que je n*ai vu qu'à lui. Sa tête demi-chauve couverte d'un
grand bonnet blanc qui se tenait tout droit* Silence, et si tacite et le
chevalier échangeaient quelques mots, il disait en passant d'un ton
sévère ; « De quoi parliez-vous? « Terreur et silence* A dix heures
juste, il s'arrêtait , ses mouvements, son coucher, joie et silence qui se
paye cher, lui sorti. — On veut assassiner son père. — Histoire de n
liants. — Histoire racontée par H*' de Chateaubriand « moins l'ima-
gination merveilleuse de ma mère «t du sire de Beau manoir et de
Jehan de Tinlèuiac ■■ Lui, dans sa chambre de la tour, lorsque son père
lui dit : * M. le chevalier aurait-il peur? >' il l'eût fait coucher avec un
mort. Quand la mère : « Mon enfant, rien n'arrive que par la volonté
de Dieu », rassuré et fortifié doucement,
« Tout devient passion chez lui en attendant les passions mèui
Chasse, aumnr de la eh&ase. i Franchir les fossés * parcourir les champs,
les marais, les bruyères, me trouver avec un fusil dans un lieu
désert, avant puissance et solitude; celait ma façon d'être naturelle, a
Portrait de sa sœur, grande, belle, sérieuse, visage pâle avec de longs
cheveux noirs, regards pleins de tristesse et de feu, tout lui était smn-i*
chagrin, blessure* « Je l'ai vue un bras jeté sur sa tête, rêver imniu-
bile et inanimée; par son attitude, sa mélancolie* sa vénusté, elle r
semblait à un génie funèbre. » Dans une des promenades du grand
Mail, Lucile, lui entendant parler avec ravissement de la solitude, lui
dit : * Tu devrais peindre cela! » Ce mot me révéla la Muse; un souffle
divin passa sur moi* -— Morceaux admirables et grecs de Lu ci le, u
ttiLunï, (Innocence, f£n
i. Nûie marginale* — Cuisinière dans la grosse tour, domestique dans les sou-
terrains, lui, le chevalier, dans le donjon.
S. Celle hialutre du sire de Beaumanoîr et de Jehan de fintéaiae, mentionnée
par Sainte-Beuve dans son article de 1834, a été signalée, enlre autres* par M. Léon
Séché, comme ne se retrouvant pas dans le* Mémoire* imprimèm,
SAI3TE-BBUVE ET LES MÉMOIRES D OUTRE-TOMBE. 393
Vallée-aux-Loups, 1817. Au moment où il vend sa terre. Sylphide.
Le soir quand il est retiré dans son donjon. Premier sentiment de#
plaisir avec la jeune femme du voisin, près de la fenêtre. Il se compose
une femme de toutes les femmes qu'il a vues ou qu'il a rêvées dans l'his-
toire. Grandes dames du temps de François Ier. Délire durant deux ans1.
Le vaste du ciel, la religieuse aguimpée. La suit dans les prairies, par-
tout, surtout dans les scènes de l'automne : le temps des neiges et des
frimas. Ces feuilles qui tombent comme nos ans, ces fleurs qui se fanent
comme nos heures, ces nuages qui fuient comme nos illusions. « Je
voyais avec un indicible plaisir le revenir de la saison des tempêtes, le
passage des cygnes et des ramiers, le rassemblement des corneilles en
noirs bataillons dans la prairie de l'étang et leur perchée à l'entrée de
la nuit sur les plus hauts chênes du grand Mail. » Le soir, embarqué sur
l'étang*; à cette fureur de sens se joint l'idolâtrie morale pour la syl-
phide; cette bayadère était aussi la gloire et surtout l'honneur, elle
était la vertu, lorsque elle accomplit ses plus nobles sacrifices; le génie,
lorsque il enfante la pensée la plus rare. — Blandices des sens et jouis-
sances de l'àme. — Désir de mourir, de passer inconnu à la fraîcheur
du matin; à cette pensée, le rouge du désir me montait au visage; l'idée
de n'être plus me saisissait le cœur à la façon d'une joie subite.
Dans les erreurs qui ont égaré ma jeunesse, j'ai souvent souhaité de
ne pas survivre à l'instant du bonheur; « il y avait dans le premier
succès de l'amour un degré de félicité qui me faisait aspirera la des-
truction. » Cette même idée dans Atala, dans Velléda* sur le cœur (?)... *.
Dégoût de tout, Lucile malheureuse, sa mère ne le console pas, son
père lui fait éprouver les affres de la vie. Quand il revenait de ses
courses sauvages et qu'il apercevait son père assis sur le perron, on
l'eût tué plutôt que de le faire rentrer au château. Essaie de se tuer
avec un fusil chargé de trois balles : l'apparition d'un garde l'inter-
rompt. Maladie presque mortelle.
Destiné à laisser l'état ecclésiastique et à passer aux Grandes Indes.
Va à Saint-Malo, rappelé à Gombourg et apprend de son père qu'on
a obtenu un brevet de sous-lieutenant au régiment de Navarre.
Quitte son père pour la dernière fois, baise ce visage ridé et sévère,
cette main décharnée. Revoit trois fois Gombourg : 1° après là mort
de son père; 2° une autre fois; 3° en partant pour l'Amérique.
1821. Ambassadeur à Berlin. — Part pour Paris avec M11" Rose. (Gai).
Le cousin Moreau. Mme de Ghastenay, femme de douce accortise.
En garnison à Cambrai. Fait l'amour pour La Martinièrc et paie
les verres d'eau de groseille. Apprend la mort de ion père. 1786.
1. Sole marginale. — La sylphide dispense de beaucoup de choses et les résume
idéalement. — C'est un idéal, l'allégorie, le fantôme responsable, parfois le dégui-
sant. (Voir l'article de 1834, où la même idée est développée.)
2. Sole marginale. — Le laissé de la mer, le long des vagues.
3. Sole marginale. — Velléda. Manière dont ces passions sont touchées.
4. Ici quelques mots que nous ne pouvons déchiffrer (p. 8 du manuscrit de
Sainte-Beuve).
394 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRAXCE.
Retourne à Combourg, puis à Marigny chez sa sœur, en est rappelé
par une lettre de son frère qui veut le faire présenter1. Arrivé à Paris,
lit du grec, Ja Cyropédie, l'Odyssée. Sa présentation, mais ne va pas au
jeu de la reine. Jour des carrosses. Chasse avec le roi. La jument
l'Heureuse. Ne mène pas plus loin l'affaire de la présentation, arrive
après bien des soucis à faire insérer dans YAlmanach des Muses une
idylle.
Chapitre des gens de Lettres. Delisle de Sales qui ne s'attendait
guère à pareil honneur. C'était en Allemagne qu'il faisait ses remontes
d'idées. A son buste chez lui avec cette inscription : Dieu, rhomme et la
nature, il a tout expliqué.
Flins, fils d'un maitre des eaux et forêts de Reims. Pauvre vie ché-
tive, jugée un peu aristocratiquement *. Parny, ne sentant point son
auteur : « Je n'ai point connu d'écrivain qui fût plus semblable à ses
ouvrages : poète et créole, il ne lui fallait que le ciel de l'Inde, une fon-
taine, un palmier et une femme *. » — Ginguené, mince personnage,
jugé sévèrement, mais se l'est attiré. // fut initié au secret des meurtres
révolutionnaires *.
Le mobilier du galetas de Lebrun jugé en grand seigneur.
La Harpe arrivant avec trois gros volumes de ses Œuvres sous ses
petits bras. Champfort le plus méchant sans contredit. — Etat de cette
société où le bon ton était d'être américain à la ville, anglais à la cour,
prussien à l'armée.
M. de Malesherbes. Sylphide revient à Paris, un peu factice.
Tout l'épisode de Bretagne et des Etats. Morceau politique. Le jeune
officier reçoit la cléricature de 11. de Pressigny, évêque de Saint-Malo.
Environs de Saint-Malo, peints dans le rayon de cinq ou six lieues.
Bords de la Rance avec les palais des riches armateurs, bastion avec des
herbes et des plantes de toutes les rives, les femmes belles avec sept
bagues au doigt. Quelque chose des Walkiries ou des canéphores
d'Athènes.
Histoire de M. Livoret régisseur. Soigne un fou, idée sur la folie.
Hélas! beaucoup de personnes que j'ai connues et aimées sont devenues
folles auprès de moi « comme si je portais le germe de la contagion 5 ».
Peinture de Tannée 89 à Paris. Prise de la Bastille. La nation qui se
i. Sote marginale. — Tout ceci gai et spirituel pour éluder un peu le sérieux.
2. Xote marginale. — Flins y a une part moins belle que dans Y Essai, mais encore
très satisfaisante. Quel bonheur a eu cet homme d'esprit! enchâssé dans le marbre
blanc de cette colonne comme une mouche ou un scarabée, désormais immortel.
{Sainte-Beuve a retranché la mouche et le scarabée de sa phrase dans rarticle
de 1834.)
3. Sote marginale, — Parny dont les plaisirs se changeaient en gloire. Ce texte,
cité par Sainte-Beuve entre guillemets dans son article de 1834y a été a/faibli dans
les Mémoires d 'outre- tombe où on lit : - ses plaisirs qui touchaient en passant sa
lyre •.
4. Sote marginale. — Ginguené maltraité, Champfort trop. {La note reste ina-
chevée. Sainte-Beuve a complété sa pensée dans l article de 1834.)
5. La dame, entre autres, de l'Alhambra et sa sœur Lucile ({'Amélie de René).
SAINTE-BEUVE ET LES MÉMOIRES D OUTRE-TOMBE. 395
trompe sur la grandeur du fait matériel, ne se trompe pas sur la gran-
deur du fait moral. Voit les têtes de Berthier et de Foulon.
5 octobre. Entrée du roi à Paris. Assemblée constituante sévèrement
jugée. Mirabeau, orateur. Son accent mêlé de provençal et de gâtinois,
lourd.
Mirabeau, malgré son immoralité, n'avait jamais pu fausser sa
conscience1; il n'était corrompu que pour lui. A un dîner touche le
jeune homme sur l'épaule de sa main épatée.
Paris de ce temps-là admirablement peint. Vie de clubs, de bals, de
députations, de Palais-Royal, de théâtre. Les trois nièces de Grétry dans
les allées des Tuileries et la belle Mme de Buflbn dans le phaéton du
duc d'Orléans2. Idée juste, y voit dans la Terreur l'origine des maux,
des violences de l'Europe, des invasions de 1814 et 15.
« Du reste, force duels et amours, liaisons de prisons et fraternité
politique, rendez-vous mystérieux parmi des ruinas, sous un ciel
serein, au milieu de la paix et de la poésie de la nature; promenades
écartées, silencieuses, solitaires, mêlées de serments solitaires3 et de
tendresses indéfinissables, au sourd fracas d'un monde qui fuyait. »
Se décide à partir pour l'Amérique. Départ à Saint-Malo.
Livre VI. 1822. — De Londres. Ambassadeur. Souvenir de misère.
Traversée admirable. Toutes les peintures et tout le vocabulaire
poétique de la vie maritime. « Les rides qui traversent le front du
matelot ressemblent aux plissures de la voile diminuée. »
Toutes les parties et descriptions déjà placées dans le Génie du Chris-
tianisme et dans l'usât sur les Révolutions, remises là à leur place,
dans leur esprit intime et dramatique.
Histoire du passager Tullock, déjà dans Y Essai, II, 378 *.
Kelàche à Miquelon près Terre-Neuve. La jolie marinière. Fantaisie
comme il y en aura tant dans la suite. Glisse sur les rochers. Guillaumy.
Son chant des Missions. Puis, quand elle saute dans le bateau, seule,
déployant la voile et assise au gouvernail, on l'eût prise pour la
Fortune5.
Chant de Notre-Dame-de-Bon-Secours en mer.
« Quand je transportais cette description dans le Génie du Christia-
nisme, mes pensées étaient analogues à la scène; mais quand j'assis-
4. Note marginale. — Idée profonde.
2. Note marginale. —Moine à demi défroqué. — Dans un cercle de femmes folles,
«ne religieuse gravement assise. (Se reporter au chapitre Société. Aspect de Paris, des
Mémoires d'outre-tombe.)
3. Le texte imprimé des Mémoires cVoutre-tombe dit : éternels. Sainte-Beuve se
sera trompé en copiant, car il n'aurait pas répété deux fois le même mot. Du reste
tout ce passage est reproduit littéralement dans les Mémoires, sauf qu'on y lit :
« fraternité de politique », au lieu de : « fraternité politique ».
4. Les renvois de Sainte-Beuve à Y Essai coïncident avec l'édition de Y Essai sur
les liérotutions, qui forme les deux premiers volumes des Œuvres complètes de Cha-
teaubriand, publiées chez Lad vocal en 4826, in-8.
o. Note marginale. — Velléda gracieuse. (Le nom de Guillaumy est emprunté au
récit même de cette rencontre dans le chapitre intitulé : Jeux marins. — Ile Saint
Pierre, des Mémoires d'outre- tombe.)
396 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
tai8 au brillant spectacle, le vieil homme était encore tout entier au
fond du jeune homme. Etait-ce Dieu seul que je contemplais sur les.
flots '...? non, je voyais une femme et les miracles de son sourire *. »
Aborde à Baltimore.
Voyage avec Tullock.
Arrivée en Amérique *. Visite à Washington. Sa réponse : « Mais il
est moins difficile de découvrir le passage du nord-ouest que de créer
un peuple comme vous l'avez fait. » Comparaison de Bonaparte et de
Washington faite en ce livre, de peur que plus tard cela ne manque
comme le livre VIIIe de Castelnau \
Il a écrit Buonaparte et les Bourbons dans d'autres temps et circons-
tances. S'appuie de Lanjuinais, de Chénier, de MBe de Staël, de
Benjamin Constant. Au reste, il avait droit d'écrire ainsi sur Napoléonr
s'étant séparé de lui lors du duc d'Enghien, et ayant en 1807 écrit le
grand article du Mercure : « Lorsque dans le silence de l'abjection, Ton>
n'entend plus retentir que la chaîne de l'esclave et la voix du déla-
teur... l'historien paraît charge de la vengeance des peuples », qui fit
supprimer le Mercure. La destinée de Buonaparte est un miracle (?) comme
toutes les grandes destinées.
En quittant Albany prés de Niagara, se croyant en pleine solitude,
rencontre sous un hangar une danse de sauvages menée par un
M. Violet, ancien marmiton près du général Rochambeau.
1. Note marginale. — Aveu précieux. Ajouter cela à l'article et rapprocher du
morceau sur Venise et Jérusalem. Comme plus tard en allant en Palestine. Curiosité (?)>
avec laquelle j'épie (?) ces passages, mais comme Byron il élude, il ne dit pas le
plus cher de son secret, pourtant assez, endroits où Ton sent un parfum profond
comme d'un oranger voilé. — On sent, comme il le dit à propos de son mariage,
un mystère caché. Mettre là les vers dans un chapitre délicat et intime. (On tait
déjà par nos explications préliminaires que Sainte-Beuve a extrait ce ■ parfum
d'oranger voilé • de deux passages rapprochés par lui, dans son édition de -IS36 : celui
qu'on lira plus loin sur « Venise et Jérusalem », dont on a contesté l'authenticité
parce qu'il ne se retrouvait pas dans les Mémoires d 'outre-tombe, et celui dont il est
question ici {sur la vision entrevue dans les flots), auquel il a ajouté cette note en la
reproduisant dans la 1i* Leçon de son Chateaubriand et son groupe littéraire sous
l'Empire : ■ Je donne le texte tel que je l'ai transcrit en 1834, avant les dernières
corrections de l'auteur. » Il y a, en effet, dans les Mémoires imprimés, des variantes
qui Va/faiblissent.)
2. Note marginale. — Peut-être une de ces femmes dont il parle par allusion,
nées du sang anglais et indien, qui unissent à la beauté du sang de Clarisse la
délicatesse de Sacontala.
3. Soie marginale. — Et aussi pour voir les lieux pour un poème des Satchczr
car (la note reste ainsi inachevée).
4. Dans le Parallèle de Washington et de Bonaparte, des Mémoires d' outre- tombe r
Chateaubriand raconte que Castelnau, ambassadeur comme lui en Angleterre et
écrivant comme lui une partie de sa vie à Londres, arrivé à la dernière pnge du
livre VU-, remit un fait à dire au livre VIII", et que ce VIIIe livre des Mémoires de
Castelnau n'existe pas. C'est pourquoi il se hâte de profiter de la vie, pour écrire-
son Parallèle au moment même où • Bonaparte achève à peine de mourir ». —
Lorsque les Mémoires d'outre-tombe parurent dans la Presse en 1848, un journal, le
Corsaire (n° du 40 mars 1849), signala d'importantes mutilations dans ce célèbre
Parallèle, qui avait paru en 1827 dans la onzième livraison des Œuvres complètes de
Chateaubriand (2 vol. in-8, chez Ladvocat), et avait été reproduit par le Courrier
français du 7 décembre 1827. (Le Corsaire s'est trompé en renvoyant au Globe).
SAINTE-BEUVE ET LES MÉMOIRES D'OUTRE-TOMBE. 391
Image de l'Amérique. Civilisation nettement portée aux confins des
bois. Descriptions des savanes. « C'est dans ces nuits que m'apparut.
une Muse inconnue, que je recueillis quelques-uns de ses accents et
que je les notai sur mon livre de route, à la clarté des étoiles. »
Près de la cataracte de Niagara : « Je ne pouvais communiquer les
pensées qui m'agitaient à la vue de ce désordre sublime. Dans le désert
de ma première existence, j'ai été obligé d'inventer des personnages
pour la décorer... Qu'est-ce qu'une cascade qui tombe éternellement tx
l'aspect insensible de la terre et du ciel, si la nature humaine n'est là
avec ses destinées et ses malheurs! Ainsi j'ai placé les souvenirs
d'Atala et de René au bord de la cataracte de Niagara. J'ai assis
Velléda sur les rochers de l'Armorique, Cvmodocée sous les portiques
d'Athènes, Blanca dans les sables de l'Alhambra. Comme Alexandre
créait des villes partout où il courait, j'ai laissé des songes en forme de
femmes ! partout où j'ai traîné ma vie. »
Il a le bras cassé à la cataracte en tombant.
Les Bois-Brûlés, métis nés du commerce de nos aventuriers français
et des filles sauvages. Petite sauvage à la perle, modèle de Mila, à
quatorze ans dans Yavrillée de son âge. — Tout cela mêlé du dîner à
Windsor- Lodge.
A Y orée d'une plaine2. Deux Indiennes modèles pour Cêluta et Atala.
Floridiennes, filles peintes2; magiciennes, l'une si fière et l'autre si
triste, « partagé qu'il était entre la crainte et la compatissance * ».
Abordent à une île sur le cours du Mississipi. Ile des ruines.
Voyage, soleil couchant, chaud paysage. Tortue couverte d'herbes
fraîches, de pois de senteur, de clématites, la fière s'assied sur son dos,
la triste présente du lait de noix dans un nœud de bambou à la bête
paresseuse. Il se couche sous un magnolia. Son repos flottait sur un
fond vague d'espérance. Se réveille entre les deux Floridiennes. 11 y
eut là ce qu'il y eut plutôt dans la campagne romaine avecCynthie8.
Trouve dans une cabane un soir un bout de papier avec les mots :
Flight of the kiny. Repart pour la France, naufrage admirable entre
l'île de Guernesey et celle d'Origny. Cantique de Notre-Dame-de-Bon-
Secours, chanté par quelques matelots français. Homme qui surgit
au gouvernail abandonné. Un de ces hommes qui surgissent des événe-
ments et qui sont les enfants spontanés du péril. — Demi-naufrage.
— Aborde au Havre. — Revient chez sa mère, on le marie avec
Mn° Delavigne, amie de ses sœurs et qu'il a à peine vue, pour lui pro-
1. Le texte imprimé des Mémoires dit seulement : « des songes •. T. I, p. 353,
èdit. Penaud, in-8, sans date.
2. Xote marginale. — Le mot orée se trouve dans V Essai. (Sous Cavons rencontré
dans le chapitre À7//, t. Il, p. 169 de Védition Ladvocat).
3. Tille peinte (une courtisane), c'est la définition qu'en donne Chateaubriand
dans ce chapitre des Mémoires : Fontaine de Jouvence.
4. Soie marginale. — Analogue à la Sylphide comme réalité.
5. \ote marginale. — Voix de Bois-Brûlé qui appelle.
On repart en pirogue; elle était toute honteuse et souriait lorsque la pagaie
résistait à son bras fatigué.
TA *nri *'wH*m*r irrnE&uu m. l& frime.
o«rer > mo-jea de toctcne de k faire fcaer as «Mi»» te La eamat de
rémrrai*>fi~ Il ** btasyt îûre. DéSieai portrait de sa Jeauae. &e Fia-
fctew* 4e ce maria** isr sa desûne*. « Smuk Uttte. e*î-£ certain
q*e le m*n*zt ait rite ma destinée? — 5ï je se m* fnss* pas marié.
ma Sûbbe*** te m'ajïraît-elle peu livré en proie à qneijK in-£izx%e créa-
tare * ci asraîé^e pa* raspil»é et *ali bm« hewes comme t>ri Bvron?
Anyo«H b-:I qoe je m'enfonce dans les années, toaîes oe* folies
*exaie*t fASsées... La pleine licence 4e ne* désirs narrait pas ajouté
«ne corde ce pîas â ma Ivre, on ko pîcs cmc à ma voix. La •: ctnicte
4e mes «estiment*, le mjslére de nés pensées on* pent-être axxmenté
Ténerrie de mes accents, animé nés ouvrazes 4 une fièvre interne,
d'sne flamme cachée qcî se fût dissipée â lair libre de Famvur... Elle a
rem*fn ma vie (lus «rave, plus noble, plus honorable, en m Inspirant le
respect, sinon la force des deroîrs. *
Sèvere pour Bernardin de Saint-Pierre comme poor Bjron. Bernardin
de Saint-Pierre manquait d'esprit comme Saint-Ange,, et maiheureose-
ment son caractère était encore au-dessous de son esprit. Saut- Ange.
arec quelque* talents, se tenait à quatre poor n'être pas béte. mais il
ne pouvait «'en empêcher.
Talmaj'jzé : * 5e demandez pas âTalma le monde intermédiaire. Il
ne sait pas le g*nûlkf/mmez Talma est loi, son siècle est tempe antiqoe.
fl a l'inspiration funeste, le dérangement de génie de la révolution à
travers laquelle il a passé. Immortel Oreste tourmenté depuis trois
mille ansf. + Danton bien juré. Camille Desmonlins trop sévèrement -.
Discoars de M. de Nalesherbes pour justifier en droit rémizration '.
Émigré par Lille, arrive à Tourna*-. — Bruxelles quartier général de
la hante aristocratie et de l'émigration fa te. — Rejoint l'armée des
princes â Trêves, avec, sous la tente, le manuscrit de son voyage dans
le havresac. A Thionville. Souvenir de cette vie militaire, priât au
sixième livre des Martyrs, quand Eudore se raconte an camp romain
en Germanie. — Blessé à Thionville à la cuisse, traverse les Ardennes.
a la petite vérole, rencontre des bohémiennes. Défaillait au bord du
fossé, â la fin du jour. — «Je saluai de toute la douceur de ma pensée
l'astre qui avait éclairé ma premier?» jeunesse dans mes bruyères
paternelles. » Ramassé par des conducteurs de fourgons, retourne à
Bruxelles par Namur. S'embarque à Oètende, arrive à Jersey, se décide
â passer en Angleterre par South amp ton. loin de ses amis et parents.
* La mort de nos amis ne compte pas du moment où ils meurent, mais
de celui où nous cessons de vivre avec eux. — Si Ton pouvait dire au
temps : Tout beau! on l'arrêterait aux heures des délices: mais comme
on ne peut, ne séjournons pas ici-bas: allons-nous-en avant d'avoir
vu fuir nos amis et ces années que le poète trouvait seules dignes de
\. (>/.*.*-. ^finition de Talma s* retrouve à rimpar.'aiL avec moins d'énergie et
de concision, dans le chapitre des Mémoires : Anne* de ma rie 1&ûi. Tcima.
2. S<>t* marginale. — Jacobins j :sïs plus sévèrement que dans l'Eisai.
3. Soie marginale. — Imite des raisons .?. de VEuaiy Th ras y bu le. II. HT.
SAINTE-BEUVE ET LES MÉMOIRES D OUTRE-TOMBE. 399
Ja vie : Vita dignior œtas1. Ce qui enchante dans l'âge des liaisons
devient dans i'âge délaissé un objet de souffrance et de regret. On ne
souhaite plus le retour des mois riants à la terre; on le craint plutôt :
les oiseaux, les fleurs, une belle soirée de la fin d'avril, une belle nuit
lunaire2 commencée le soir avec le premier rossignol, achevée le matin
avec la première hirondelle, ces choses qui donnent le besoin et le
désir du bonheur vous tuent. De pareils charmes, vous les sentez
encore, mais ils ne sont plus pour vous... la fraîcheur et la grâce de la
nature en vous rappelant vos félicités passées augmentent la laideur de
vos misères. »
A Londres malade et pauvre, se met à. écrire YEssai sur les Révolu-
tions. Pelletier, rédacteur des Actes des Apôtres, le lui place et le loge
chez l'imprimeur Baylie et procure des traductions de latin et d'anglais
que M. de Chateaubriand fait de jour, comme Mirabeau en Hollande.
Hingant, conseiller au Parlement de Bretagne, La Boëtardaye', Pel-
letier, misère et vie aventurière à la Gil Blas A.
Charmante peinture de l'Angleterre et de la campagne. Partout la
petite église solitaire avec sa tour, le cimetière de campagne de Gray,
de jolis petits chemins sablés, des vallées où paissent des vaches... Mais
peu de bois, peu d'oiseaux et le vent de la mer. Histoire de Charlotte.
A quatre lieues de Beccles, dans une petite ville appelée Bungay,
demeure le révérend M. Ives, helléniste et mathématicien. Sa femme et
sa fille de quinze ans. Liaison avec la jeune fille, thé, musique, ques-
tions sur la France, plans d'études, lecture de Dante et du Tasse ; nous
recueillons la passion dans le souffle du poète. Les années de Char-
lotte et les miennes concordaient, bonheur de ces liaisons contempo-
raines, mélancolie des autres inégales. « L'un a marché dans une soli-
tude au - delà d'un berceau , l'autre traversera une solitude en
deçà d'une tombe. Le passé fut un désert pour le premier, l'avenir
sera un désert pour le second. » Chute de cheval, il est traité
chez le révérend. Scène de table. La mère reste seule avec lui. « Je suis
marié », mot fatal, la retrouve à Londres après vingt ans, les vingt sept
ans qui avaient passé sur sa tête et ne lui avaient laissé que leur prin-
temps (lady Sulton). — Epouse l'amiral Sulton trois ans après le départ
d'Angleterre de M. de Chateaubriand, demande de protection inutile.
Émigration peinte par son côté plus aristocratique. L'abbé Deliile.
Son chef-d'œuvre est sa traduction des Géorgiques : c'est comme si on
lisait <c Racine traduit dans la langue de Louis XV. On a des tableaux
de Raphaël, merveilleusement copiés par Mignard*. »
1. Note marginale. — Belle justification de la tristesse profonde de M. de Cha-
teaubriand.
2. Tout ce passage se retrouve dans les Mémoires d? outre- tombe, sauf le mot
lunaire, qui en a été retranché.
3. Les Mémoires imprimés orthographient La Bouëtardais.
4. Sote marginale. — Pelletier l'envoie pour déchiffrer les manuscrits français du
xue siècle dans une entreprise d'Antiquaires.
5. Cette dernière comparaison de Raphaël, copié par Mignard, a clé retranchée
des Mémoires d'outre-tombe.
400 ftEYCE bfllSTOIftE LITTéBJklBE BE LA FIlVE.
« Nais très certainement à cette époque. M** la duchesse de Duras,
récemment mariée, était à Londres: je ne devais la connaître que dix
ans pi a* tard. Que de fois on passe dans la vie, sans le deviner, à côté
de ce qui en ferait le charme, comme le navigateur franchit les eaux
d'une terre aimée do ciel qu'il n'a manquée que d'un horizon et d'un
jour de voile! *
Le 18 fructidor amène à Londres M. de Font ânes. Eloge de Fontanes.
Ses pensées et ses images sont enchantées ou comme on disait autre-
fois; sont fées. Ses deux petits volumes, l'un de prose, l'autre de vers,
seraient le plus élégant monument funèbre, urne d'ivoire, sur la tombe
de l'école classique1.
II. de Fontanes récompensé et couronné pour avoir eu l'intelligence
du monde nouveau, ouvert par M. de Chateaubriand. Lettre de
H. de Fontanes* : c Travaillez, travaillez, mon cher ami: devenez
illustre. Vous le pouvez, l'avenir est à vous. (Juillet 98. Ecrivez-moi :
que nos cœurs communiquent, que nos Muses soient toujours amies!
ne doutez pas que lorsque je pourrai me promener librement dans ma
patrie, je ne vous y prépare une ruche et des fleurs à côté des
miennes. »
Juillet 08. Lettre de M"* de Farcy qui conseille de ne plus écrire,
en lui apprenant la mort de leur mère. 11 jette au feu des exemplaires
de l'Essai, puis idée d'expiation, conception du Génie du Christianisme.
Grande dissertation sur l'âme. « Un homme supérieur, athée et maté-
rialiste à trente ans. douteur à quarante, croira plus tard à Dieu et à
l'âme, et s'il vieillit, il a des chances de mourir chrétien. Je dis chance,
je devrais dire : certitude. Le christianisme catholique est la consé-
quence logique du déisme. » Le christianisme, loin d'être à son terme,
entre à peine dans la seconde période. L'Evangile est loin d'être
accompli. Quand il aura atteint son développement final, les difficultés,
qui sont encore au fond de ia société, les dernières inégalités de la pro-
priété et des rangs s'effaceront pour toujours.
Ardeur de travail, matériaux amassés d'ailleurs. « Je travaillais avec
l'ardeur d'un fils qui bâtit un mausolée à sa mère. » Le manuscrit pri-
mitif des Xatchez. de 2 393 pages in-folio, contient tout ce qu'il faut au
Génie du Christianisme de descriptions. 11 traverse dans ses courses
autour de Londres le village, le cimetière d'Harrow, où Byron était à
l'école. Sévère pour Byron, ou du moins ombrageux et s'inquiète longue-
1. L'rne d'ivoire constitue ici une variante et ne se retrouve pas dans le texle
imprime des Mémoire* d'outre -tombe En revanche, on y lit celte note à la suite du
• plu?> élégant monument funèbre qu'on pût élever sur la tombe de l'école clas-
sique • : • Il vient d'être élevé par la piété filiale de M"* Christine de Fontanes.
M. de Sainte-Beuve a orné de son ingénieuse notice le fronton du monument. •
'Paris, note de 1830.) (Mémoires doulre-tombe, chapitre Fontanes... T. 11. p. 108 de
l'édition Penaud, in-8, sans date.)
2. Sole marginale. — Durant que... encataeombaient, mot vilain, surtout dans la
bouche de Fontanes. Nuages qui projetaient leur ombre fuitite. (Sainte-Beuve a
noté ce dernier mot. dans son article de 1834, parmi ceux qu'il a relevés dans la
langue du moyen âge de Chateaubriand.)
SAINTE-BEUVE ET LES MÉMOIRES D OUTRE-TOMBE. 401
ment de quelques ressemblances naturelles. — Portraits de Burke qu'il
voit; — accablé de la mort de son fils unique, il avait fondé une école
pour les enfants des émigrés; touchante intention! — de Georges III et
de Pitt, qui est déjà touché dans Y Essai. Drôle de portrait de Pelletier
qui lui fait faire des courses à Bleinheim, Hampton-Court, avec ses
relais d'espérances; une crevée sous lui, il en enfourchait une autre; et
en avant, jambe de-ci, jambe de-là,. jusqu'au bout de la journée! —
Enfin il faut rentrer en France. Adieu l'asile virginal et silencieux de la
solitude, il faut entrer dans le carrefour souillé et bruyant du monde.
Au printemps de Tannée 1800, j'abordai la France et le siècle.
DEUXIÈME PARTIE
PRAGUE
Commencé Paris 1833. Infirmerie de Marie-Thérèse.
Description de sa maison rue d'Enfer. — Montrouge. Ses change-
ments. Desnoyers !, le Moulin janséniste, la petite maison de Lauzun. —
Sur les boulevards extérieurs quelquefois deux amoureux sous un orme
au pendant d'une ondée... belle tirade amoureuse : On nest rien que
par le bonheur! — Misanthropie un peu factice. « Je dois demander
pardon à mes amis de quelques-unes de mes pensées. Je ne sais rire que
des lèvres; j'ai le spleen, tristesse physique, véritable maladie dont
l'attachement le plus noble devrait pourtant me guérir; mais quiconque
a lu ces Mémoires a vu quel a été mon sort. Je n'étais pas à une nagée du
sein de ma mère, que déjà toutes les tourmentes m'avaient assailli. »
Lettre de la citadelle de Blaye, mai 1833, de la duchesse de Berry.
Il part dans une vieille calèche autrefois construite à l'usage du
prince de Talleyrand, avec Hyacinthe Pilorge, par Basle. Charmante
description de chaque chose, bords du Rhin; « chevaux, ânes, porcs,
chiens et chats, poules et pigeons, étaient aux champs avec leurs
maîtres ».
Le Rhin, fleuve guerrier, semblait se plaire aussi bien de cette scène
pastorale, comme un vieux soldat logé un moment chez des laboureurs.
A propos des femmes de Moskirch, rêveries de voyage.
Il est arrêté à la frontière d'Autriche à Haselbach par le chef de la
douane. Jeune fille qu'il rencontre à Waldmiinchen, sur la porte. « Je
la quittai comme une fleur sauvage qu'on a vue dans un fossé au bord
d'un chemin et qui a parfumé votre course. »
Paysage de Bohème. « Ce qui manque, c'est la lumière et avec la
1. « Desnoyers bâtit ses salons de cent couverts pour les soldats de la garde impé-
riale qui venaient trinquer entre chaque bataille gagnée, entre chaque royaume
abattu. Quelques guinguettes s'élevèrent autour des moulins, depuis la barrière du
Maine jusqu'à la barrière du Montparnasse. Plus haut était le Moulin janséniste et
la petite maison de Lauzun pour contraste. » (Mémoires d'outre-tombe, Paris, rue
d'Enfer, 9 mai 1833, t. V, p. 358 édition Penaud.)
40* BETTE BBSIOIEE L1TTÉBAIKE DE LA FBA5CE.
lumière. la rie; tout est éteint, pèle, blêmissant: l'hiver semble avoir
prié l'été de lai garderie givre jusqu'à sm prochain retour. — Un petit
morceau de lune qui entreluisait me fit plaisir, car il me prouva que
tout n'était pas perdu. L'astre avait l'air de me dire : « Comment! te
voilà i«:i? te souvient-il que je t'ai vu dans d'autres forêts? te souviens-
tu des tendresses que tu me disais quand tu étais jeune? vraiment, tu
ne parlais pas trop mal de moi. D'où vient maintenant ton silence?
Où ras-tu seul et si tard? tu ne cesses donc comme moi de recom-
mencer ta carrière ? »
« 0 lune! tous avez raison; mais quand je parlais si bien de vous,
vous savez les services que vous me rendiez. Vous éclairiez mes pas,
lorsque sur les montagnes ou le long de la mer je me promenais avec
mon fantôme d'amour. Vous m'inspiriez; je donnais à vos rayons la
flamme qu'ils avaient quand ils caressaient dans les bois certain chas-
seur. Aujourd'hui que ma tête est argentée comme votre visage, vous
vous étonnez de me trouver solitaire. Vous me dédaignez! j'ai pourtant,
madame, passé des nuits entières avec vous; osez nier les rendez-vous
que vous me donniez sur les gazons. Astre ingrat et moqueur, vous me
demandez où je vais si tard ? ne sentez-vous pas combien il est dur de
me reprocher la continuité de mes voyages? Ah! si je marche autant
que vous, je ne rajeunis pas à votre exemple, vous qui rentrez chaque
mois sous le cercle brillant de votre berceau! je ne compte plus de
lunes nouvelles, mon décours n'a d'autre terme que ma complète dis-
parition, et quand je m 'éteindrai, je ne rallumerai pas mon flambeau,
comme tu rallumes le tien ! ' »
Admirable peinture de l'intérieur de Prague, de Hradschin. Visite à
neuf heures du soir; puis le lendemain dix heures du matin au dauphin,
à Charles X.
Puis aux enfants, puis à dîner avec le roi. — Le soir question aux
enfants. Partie de whist entre le roi, le dauphin, M. de Blacas et le
cardinal de Latil. M. de Chateaubriand témoin et Técuyer O'Hëgerli.
Mot désobligeant sur l'abbé de Lamennais, après une citation de
Mickiewicz. « L'abbé de Lam... qui n'avait qu'une marche de plus à
monter à l'autel pour être poète, a dit2... »
Histoire érudite de Prague et description du pays, mêlée à tout cela.
Jean Huss el la littérature slave.
Discussion des chances d'une Restauration de la légitimité et
correction (?; de Charles X. Tout à fait développée.
Grand développement politique sur l'avenir de la France. En citer3.
\. Toute cette invocation à la lune — astre préféré de Chateaubriand — est
remaniée et affaiblie dans le texte imprimé des Mémoires. Le mot décours y est
même changé en décompte (Prague, 23 mai 1833, t. V, p. 398, édition Penaud).
2. Le reste en blanc. Nous n'avons pas retrouvé ce mot sur La Mennais dans
les Mémoires imprimés.
3. L'article de Sainte-Beuve, dans la Revue des Deux Mondes du 15 avril 1S34, est
suivi en effet d'une - citation sur l'avenir du monde », extraite des Mémoires, « que
la bienveillance de l'auteur, dit Sainte-Beuve, noirs a permis de détacher. •
SAINTE-BEUVE ET LES MÉMOIRES D OUTRE-TOMBE. 403
Visite à la dauphine à Carlsbad — puis toute l'histoire des eaux de
cette vallée de la Tèple, les vers latins de Lobkowitz sur le SprudeL
A propos du serment. M. Laine Ta prêté par faiblesse, M. Roycr-
Collard par orgueil. L'un en mourra, l'autre en vivra, mais parce qu'il
vit de tout ce qu'il fait, ne pouvant rien faire que d'admirable.
Parti de Carlsbad. Songe la nuit à ces légions d'étoiles qui sont des
mondes, à la petitesse de la terre au milieu de ces mondes — puis
tout d'un coup : « N'ayez pas peur, Cynthie; ce n'est que la susurration
des roseaux inclinés par notre passage dans la forêt mobile » — et
il approche avec Cynthie du tombeau de Cecilia Metella. Tout est
baigné de la lune, de parfums, de l'améthyste et l'azur des clartés phé-
béennes, de la fragrance des tubéreuses sauvages. Les mânes blancs1
de Délie, de Laiagé, Lydie, Lesbie, Olympia flottent dans cette mer
de rayons. Songe voluptueux a. Sans doute un souvenir. Il en est
réveillé en sursaut par l'homme qui lui crie dix kreutzer à la barrière
d'Egra.
Plus loin à Bischofsheim, pendant le dîner, hirondelle à sa fenêtre.
Dialogue anacréontique. « François, ma trisaïeule logeait à Combourg
sous les chevrons de la couverture de la tourelle... ma grand'mère
logeait à Bungay, à la croisée de Charlotte. Etc. » Et la réponse :
«... comme toi, j'ai aimé la liberté et j'ai vécu de peu... »
Arabesques. Retour à Paris. Histoire, à propos de son âge, de la
dame de Lyon qui lui écrit pour vouloir bien conduire sa fille à Paris.
Gai, varié.
Lettre à la dauphine. « Madame, vos malheurs sont montés si haut
qu'ils sont devenus une des gloires de la Révolution. » Etc.
Lettre de la duchesse de Berry.
Venise. Celle d'autrefois, la plus triomphante cité qui fût au dire de
Comines, et celle d'aujourd'hui : c'est surtout aux pays en décadence
qu'un beau climat est nécessaire. Il y a assez de civilisation à Venise
pour que l'existence y trouve ses délicatesses : les débris d'une
ancienne société qui produisit de telles choses, en vous donnant du
dégoût pour une société nouvelle, ne vous laissent aucun désir d'avenir.
Vous aimez h vous sentir mourir avec tout ce qui meurt autour de
vous... La nature, prompte à ramener de jeunes générations sur des
ruines comme à les tapisser de fleurs, conserve aux races les plus
affaiblies l'usage des passions et l'enchantement des plaisirs. »
Echos des rames des gondoles que répètent les palais plus retentis-
sants, parce qu'ils sont vides.
A propos de Vérone, il énumère tous les rois et ministres morts.
« En dehors de cette réunion pompeuse, que n'ai-je point encore perdu?
1. Le mot blanc* et celui d'Olympia ne se retrouvent pas dans les Mémoires
d'outre-tombe (t. VI, p. 49, édition Penaud). Nous n'y retrouvons pas non plus
- cette mer de rayons » et le mot fragrance, que nous copions tel que nous le
lisons, est remplacé tout simplement par la « senteur des tubéreuses sauvages ».
2. Songe à la Jean-Paul, mais d'un beau pur.
VM MTCE l»ll«7vlft£ UfTLKJUftC IHE LA FUV1.
ma dernière et noble amie la duchesse de Duras n Vt-eile pas emporté
dam la tombe les lettres où je Ici racontais ce qui se passait sous mes
rera? *
v- A Venise- visite chez M"* Albrizzi, qui parle de lord Bvron -. — Visite
a la prison où fut Pellico, à la Zanze, sa çardienne, qui depuis est
mariée et a trois enfants s.
Rousseau. Souvenir de la Zulietta. « A travers le charme du style,
du vulgaire et du cynique. »
- L'autre lai et noble don Juan : Bvron et la Fornarina s.
• Jolie colère de la Zanze. La réfutation qu'elle fait du récit de Pellico.
> Blé nie avoir été alors en amour.
j Soirée chez la comtesse Benzoni : réponse à ce qu'on lai dît :
*■*. « rota faites U vieux... » — Monsieur, vous me traitez mal : il faut être
fc, vieux à Venise pour la gloire. Sur vos cent vingt doges, plus de cin-
l quante sont illustres, à l'âge où les autres décroissent.
!: Revenu au Lido. — La mer, cette patrie qui voyage avec nous.
* Souvenir de Yltinéraire. — J'adressai des paroles d'amour aux vagues,
•' nos fidèles compagnes: je plongeai mes mains dans la mer. je portai à
f ma bouche son eau salée sans en sentir l'amertume. U écrit un nom sur
le sable, ce n'est qu'au sixième déroulement qu'elles l'ont emporté
lentement et lettre à lettre. « Je sentis qu'elles effaçaient ma vie. •
it Souvenir de la tempête aux côtes d'Afrique le 26 décembre 1806 et
£- de la bouteille jetée à l'eau, scellée avec son nom :
« Hais ai-je tout dit dans Y Itinéraire * sur ce voyage commencé an
port de Desdémona et d'Othello? al lais-je au tombeau du Christ dans les
dispositions du repentir? une seule pensée m'absorbait, je comptais
avec impatience les moments. Du bord de mon navire, les regards
attachés sur l'Étoile du soir (comme lÂandre). je lui demandais des
vents pour cingler plus vite, de la gloire pour me faire aimer. J'espérais
en trouver à Sparte, à Sion, à Memphis, à Carthage, et l'apporter à
TAlhambra. Gomme le cœur me battait en abordant les côtes d'Espagne !
aurait-on gardé mon souvenir ainsi que j'avais traversé mes épreuves?
que de malheurs ont suivi ce mystère! Le soleil les éclaire encore! la
raison que je conserve me les rappelle. Si je cueille à la dérobée un
instant de bonheur, il est troublé par la mémoire de ces jours de séduc-
tion, d'enchantement et de délire. »
Et plus loin : « Inutilement je vieillis; je rêve encore mille chimères;
1. Je ne retrouve pas cette visite dans les Mémoires imprimés, pas plus que la
réponse sur les doges de Venise, dont il est question quelques lignes plus loin chez
la comtesse Benzoni.
t. Sole maryinale. — Rêverie au Lido. Dernier cahier.
3. Maîtresse de Byron, à Venise, ainsi surnommée, disent les Mémoires d'outre-
tombe, à cause de l'état de son mari.
4. Tout ce passage, même la bouteille scellée, jetée à la mer, qui le précède, a
disparu des Mémoires d'outre-tombe, et c'est ce qui a donné lieu à tant de contes-
tation», résolues à la lin par la rencontre ou la découverte d'une variante écourtée
de cette paire. désormais célèbre, dans un manuscrit des Mémoires, possédé par
l'honorable éditeur M. Champion.
SAINTE-BEUVE ET LES MÉMOIRES D OUTRE-TOMBE. 405
les ans qui auraient dû m'assagir n'ont réussi qu'à chasser ma jeunesse
extérieure, à la faire rentrer dans mon sein. »
Ferrare, le Tasse, admirable peinture du malheur des poètes et de
l'ingratitude du magnanime Alphonse*.
Voit la duchesse de Berry qui arrive à Ferrare et qui en repart, lui
donnant rendez-vous à Padoue.
La duchesse de Berry arrêtée dans son voyage. M. de Chateaubriand
continue jusqu'à Prague, puis revient f .
Jour de Saint-François en voyage : époque annuelle d'examen de
conscience.
« Quand les semences de la religion germèrent la première fois dans
mon âme, je m'épanouissais comme une terre vierge qui, délivrée de
«es ronces, porte sa première moisson. Survint une bise aride et glacée
et la terre se dessécha. Le ciel en eut pitié; il lui rendit ses tièdes
rosées; puis la bise souffla de nouveau. Cette alternative de doute et de
foi a fait longtemps de ma vie un mélange de désespoir et d'ineffables
délices *. »
11 cherche dans la religion une sensation même, un aiguillon à l'épi-
curisme. Voilà notre faible à tous de son école.
11 revoit les ormes de son boulevard et les réverbères agités dont la
lumière demi-éteinte vacillait comme la petite lampe de sa vie 4.
Phrase quelque part en parlant de René : « Quand je peignis René,
j'aurais dû demander à ses plaisirs te secret de son ennui. »
Mot de Vauvenargues.
Dites-nous le secret : vous ne le dites qu'à demi.
Passages délirants dans Rancé, vous avez mis le nom de MIle Ta-
glioni.
M. de Chateaubriand est-il triste naturellement, ou est-ce un rôle5?
Profonde mélaucolie de René, (ennui), réelle mais recouverte d'une
seconde nature qui devient à la longue essentielle. — Chateaubriand les
promenant à Montrouge. C'est assez pour qui a tant vu, mais pour nous
qui n'avons rien vu, ces plaines pelées sufllsent-elles?
Admirable imagination de détail dans Atala. « Cette religion qui
1. Sole marginale. — 11 y a de tout dans ces Mémoires, de l'amour, du chrétien,
du royaliste, du républicain. L'unité y peut manquer, mais la seule unité est-elle
de Vartl
2. Sole marginale. — Le gouverneur de Venise lui retire le passage. M. de Cha-
teaubriand court à Prague par le Tyrol. 11 arrive au moment où la famille va
partir pour Butschirad à six lieues de Prague, sur la route de Carlsbad, afin
d'échapper à l'arrivée de la duchesse de Berry, et aux jeunes gens qui viennent
saluer la majorité. Esprit de cette narration, ironie juste, et leste et tendre. Effet
de l'arrivée de ces honnêtes jeunes gens.
3. Ce passage, cité par Sainte-Beuve dans son article de 1834 et dans celui des
Causeries du Lundi, t. X (1854), ne se trouve pas dans les Mémoires à l'endroit
indiqué ici, à la suite de la Saint-Franyois, mais dans le chapitre Bamberg
(2 juin 1833). Certaines éditions ont imprimé brise pour bise. Cela devait être.
4. Mémoires d'oulre-lombe, l. VI, p. 163, édit. Penaud.
5. Sole marginale. — Son tort est de se croire privilégié dans les malheurs, son
privilège est dans le génie qui les exprime et les peint.
Rev. d'iiist. uttér. de la Fhance {*• Ann.). — VII. 27
<m
Kl va; D lUSTOIlU: LllîLKAIKE DE LA FRANCE.
auftit seule pour les vaincre (passions), quand tout les favorise, et le
secret des bois et l'absence des hommes et la fidélité des &mbre$ ' ! *
*< Ses beaux yeux étaient fermés, ses pieds modestes étaient joints. »
Fond de M. de Chateaubriand. Artiste, glu ire; second plaisir,
amour, femmes, vanité* Troisième : pouvoir du monde et politique,
Ligne pure , correcte (sobre) de son style , colonne droite ; styles à
eolonne* 2 au lien que Lamartine est un style à ilôts; — mais an
fond et quel que soit le grave ou le maniéré du premier plan, le
grand au fond, l'horizon, 1a mer3.
Bon sens mêlé au faste comme pour Louis XIV \
Ln lisant bien V Essai sur ies f (évolutions, on y voit quelles lectures
nombreuses, indigestes5, avait fait le jeune homme, quelle préoccupa-
tion littéraire avant tout avait été la sienne, quand il parle du triomphe
de l'insertion d*une idylle dans VÀtmanaeh des Muses, C'est vrai. Il avait
commencé son épopée des nations avant de partir et son voyage a pour
idée de l'achever.
Voir ses notes de Y Essaie curieuses. Oioguené et Champfort mieux
jugés que plus tard ■, Républicain et royaliste, ne sont que deux mots
pour la même chose, indifférence politique. Plus tard seulement avec
le Génie du Christianisme ^ rôle trouvé, pris, suivi, magnifique.
Quand il juge actuellement les terroristes 7T il est comme M* Daunout
remarquable. Alors ce qu'il dit du système de perfection plus juste.
Bien du xvm° siècle à l'origine. Homme sensible, respect des gens de
Lettres, Cela d'abord et avant tout* Laborieux, à quoi il pense seul, à
quoi il passe ses matinées. L'amour est la gloire des Lettres, l'amour
flatteur et qui le couronne et l'adore.
Cfi qu'il fait dans YEmri plein de rapprochements historiques est
1. Soie marginale* — Les souvenirs <!<■ L'amour dâni le cœur d'un vieillard
sont comme le* feu* du jour, ré fléchis par l'orbe paisible de ta lune» lorsque le
aoiei) est couché et que te silence plane sur les buttes des sauvages. {Aiulti).
2. Sole matinale. — Toules les richesses avec des lianes du désert pour cJiftpf*
teauît. {Se retrouve dans le passage de Partiek de lê$4 auquel nous rentùyont dans Ut
note ci-tiprèi.)
3. ftoU marginale, — Nobles {moi ttiisible} qui ont toujours rétabli iVqui libre»
Tordre, la réalité.
4. Sote marginale. — Sobre pourtour. Ne s'attarda ni pas. Malgré la métaphore*
sa parole se retrempe, piquant (ï) droit à ht pensée, il ne s'amuse pas dans la
métaphore. Il \ va el en revient iS^us trii icivette note qui ne trouve tout
en têU du dossier de Sainte-tteuvc parce qu'elle concorde avec tout te pat$a0ê de son
tirtictr vu tt FtippTùCht Somme Sri! le style de ( hatrutduiand du faste de Luaix XtV, —
Voir pour plu* d*' facilité FéêUUm Michel f \t des Portrait» contemporains,
t, L p. t:i et i$, au SaMe+Beuwt park OMUi dêa lectures indigestes qu'avait dû fane
fauteur de FlC
(, HoU marginale. — {Met ittiôbU). Itàkage de Pliai et d< Bucboniatoo, de
Simonide, de Konlanes, [mût UtUibU)t du Miuscrii et du Mohûbarota*
6. Sote marginale. — bernardin de Saint-l'ierre, plus indulgemnieul. Estai) 1,
Etoosaetti utiti, U ims.
1. Note marginal. — En W, comme M. de (mot illisible), il écrit sur la Révolu-
tion* Admirable coup tVœil sur ta gravité des événement*. Essai, I, ii^i. — Grajn
hrau! ^ Amour de Rousseau et de la vie sauvage, ], ^S6. Admirable. Misanthropie.
ItàtftficoUe sceptique, durable* qui se retrouve dans le* Mi-moires, moins chrétiens*
Eêsau II, m.
S.VINTE-BECVE ET LES MÉMOIRES d'oUTHE-TOMBE*
407
bien naturel, et il est peu déjeunes gens qui, sous l'influence politique
des grandes années, n'ait fait ainsi ses premières lectures et ses pre-
mières noies»
Grande curiosité historique, érudite et politique qui se mêlait dès
l'abord à la poésie chei le jeune Chateaubriand. Algèbre, singulière
politique. Esmi% I.t 20It après les ébauches déjà laites d*ÀUta et de René,
Étrange et beau chapitre de V Essai t 11, 71, S>pn ration de l'homme
de la nature d'avec l'homme de la société; républicain, s'il le croyait
possible; mais idée de corruption et de la monarchie meilleure. Le
suivre un peu dans ses variations politiques, Suus l'Empire, position
prise et noble rôle. H va un peu loin sous la Restauration, quoiqu'il
comprenne dés lors la liberté Ûlle des lumières autre que la liberté, fille
des mœurs; maïs enferré fréquemment dans le chevaleresque et le
parti ultra et dérivant par la louange. Les convenances arliGcietles.
Depuis 1830, double position. Brochures publiées.
Comme on va sur le pré noblement, mais citer l'admirable morceau
politique : Du progrès futur»
Rapprochement avec Bêranger. Bel exemple donné par Chateau-
briand; devrait être toujours, et si Lamartine... il y reconnaît que celte
chanson n'a semé ni envie ni haines. De même que le chansonnier
apprenait la noblesse de cette Ame qui vient d'écrire que le peuple '...
On foïl, Essai, 11, 131, la différence de ses sentiments philosophiques
sur les rois alors et de son jargon bourbonien de plus tard — des saines
doctrines et du panache d'Henri IV.
Adresser des vers à Chateaubriand sur le point délicat des Mémoires,
amour. Combien attentif, en écoutant, à saisir les moindres mots mys-
térieux de ce que son cœur ne trahit pas V.
Essai, 11, 156. Admirable chapitre sur le malheur, sur la faim, l'in-
suflisançe des moralistes3; conseil au pauvre, fuir dans les campagnes,
loin des jardins publics et du fracas; ne sortir qu'à la brune; voir de
loin les réverbères aux porles des hôtels; mais en voyant les petites
lumières à la fenêtre du faubourg, il se dit : 14 j'ai des frères**
Étude de la botanique* Puis un livre qu'un a bien de la peine à se
procurer* un livre qu'on tire 3... va remplir les heures du silence.
i. La dîflkulLé de déchiffrer certains mots, jointe à l'inachevé de ces noies,
nous fail reporter au passade de L'article de Sainte-Beuve, OÙ Château briand • <\
rapproché de Mèranger : « Bèrtfiger se v.nnv d'être du peuple, M. de Chateaubriand
revendique Jea anciens comtes de Bretagne, maïs lotis les deux se rencontrent
fans I idée il ii siècle, dans la république future» et ils se tendent la main* • C'était
écrit en 1SJ1. [Portraits contemporain*, t. I, p* 25* édition d<3 is
2. Noté marginale. — A propos de la langue de Chateaubriand. Il n'y a pas
d'ancienne langue écrite é* cœurs.
3. Sote marginal** — Rapprocher Chateaubriand pauvre a Londres d'André Ché-
nier somhre et triste dans sa taverne. |fo] Huait
4. Note mat g ma te. — Au lieu de cela, dans les Mémoire^ pas ^e fi'èreê : tout aboutit
à une statue. fc
lu II m.- qu'on a eu bien de la peine à se proeuivr. en lis je qu'on tîre précicu-
Bernent du lieu obscur où on : ntpli r ces heures de silcn* ■»■
*ur tv* Révolution*, t. HT ehap. xuj. Aux infortunés, p. 171 1 édition Lad vocal., 1S2G.)
408 REVCE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
L'Essai et les jugements sur les encyclopédistes et philosophes
sont pins justes que les notes. Diderot est terriblement traité dans ces
notes : V Essai est plus enthousiaste, mais moins factice. 11, 275.
Assez beaux vers dans le cimetière de Gray : Ainsi brille la perle, etc.
Dans V Esclave : Musulmane, aux longs yeux, etc.
A propos du rôle joué et adopté par M. de Chateaubriand dès 4800,
parle de l'avantage de ces choses même factices. Il faut de ces grands
emplois au génie. Cela remonte la vie comme une machine au moment
où Je courant turbulent, naturel, de la jeunesse, s'affaiblit. Inconvé-
nients de la vue pure de la réalité à cet âge.
... Rides1 à la beauté, même au génie.
Fin des notes prises par Sainte-Beuve sur le manuscrit des Mémoires de
Chateaubriand *.
Pour copie conforme,
Jules Tboubat.
1. Un mot illisible précède Rides.
2. Au moment de mettre sous presse, une révélation curieuse et piquante nous
est faite par le livre de M. G. Pailliès, récemment, paru chez Garnier frères : Du
nouveau sur J. Jouberl. Chateaubriand , F ont ânes et sa fille. Sainte-Beuve. L'auteur
.nous y apprend que c'est lui qui s'aperçut le premier (et qui en fit part à d'autres)
que la fameuse page en litige sur le rendez-vous donné à l'Alhambra ne se retrou-
vait pas dans les Mémoires a* outre-tombe. M. Pailhès se sert de gros mots pour
blâmer Sainte-Beuve d'avoir publié celte page. C'est étonnant chez les premiers
éditeurs de Chateaubriand et son groupe littéraire sous l'Empire.
CHANTS HISTORIQUES FRANÇAIS DU XVIe SIÈCLE. 409
CHANTS HISTORIQUES FRANÇAIS DU XVIe SIÈCLE
. . (Suite*.).
128. — Chanson lamentable sur le chant : 0 combien
est heureuse.... 1545.
Voyez la grand'offense
Faite parles meschans...
•(13 couplets de 6 vers.)
Cette pièce est une complainte inspirée par l'effroyable destruction
des villages de Mérindol et de Cabrières. Le massacre, qui a marqué
d'un sanglant stigmate les noms du président Meynier d'Oppède et du
cardinal de Tournon, eut lieu au mois d'avril 1555. Les détails en sont
trop connus pour que ntius ayons besoin de les rappeler.
Le timbre de la complainte est une chanson souvent citée de Mellin
de Saint-Gelais :
0 combien est heureuse
La peine de celer...
(Éd. Blanehemain, I, p. 66.)
Les couplets de Saint-Gelais ont été reproduits dans un grand
nombre de recueils du xvie. siècle. Jean Chardavoine nous en a con-
servé la mélodie dans son Recueil des plus belles et excellentes chansons
en forme de voix de ville, éd. de 1588, fol. 117.
On chantait sur le même air :
1. La bonté et clémence
Du Seigneur veux chanter...
(Recueil de plusieurs chansons spirituelles... [par Mathieu Malingre],
1555, p. 257 ; Chansons spirituelles à l'honneur de Dieu, 1596, p. 419.)
2. La langue envenimée
D'un envieux maudit...
(Ibid., 1555, p. 103; — 1596, p. 114.)
1. Voir le n° 2, avril 1894, pp. 143-158, et le n° 3, juillet 1894, pp. 290-307; le n* 1,
janvier 1895, pp. 36-58 et, le n« 4, octobre 1895, pp. 550-576; le n* 3, juillet 1896,
pp. 376-408, et le n° 2, avril 1899, pp. 225-252.
410 EETCE DHISTOIEE LITTÉBAIBE DE LA FEA5CE.
3. L'ardeur qui me tourmente
M'a sceu si bien dompter...
(Recueil et Eslite de plusieurs belles chansons joyeuses.,, eolligees des
plus excellents poètes français par J. \Y\acsbergc~j AnTers, chez Jean
Waesberge, 1576, în-12, fol. 114; — L Excellence des chansons tes plus
joyeuses et récréatives composées de ce temps... Lyon, par Benoist Rigaud,
1584, in-16, fol. 65.)
4. Mon Dieu, fais par ta grâce
Nos cœurs illuminer...
(Le Accueil de toutes sortes de chansons nouvelles... Paris, veufve
Nicolas Buffet, 1557, in-16, fol. 95 v.)
5. 0 combien est heureuse...
(Recueil de plusieurs chansons spirituelles [publié par Mathieu
Malingre], 1555, p. 62 Voy. Le Chansonnier huguenot, II, p. 444.)
6. 0 combien fut heureuse
La Vierge quand receut...
(Nicolas Denisot, Aoéb, 1545, n° 1 ; réimpression de 1847, p. 13.)
7. Trop soudaine aliance
Ne peut longtemps durer...
(Ample Recueil des chansons, tant amoureuses, rustiques, musicales,
que autres... ; Lyon, par Benoist Rigaud, 1582, in-16, fol. 46.)
Bibliographie.
A. — Recueil de plusieurs chansons spirituelles tant vieilles que nou-
uelles, auec le chant sur chascune, afin que le Chrestien se puisse
esiouir en son Dieu & l'honorer : au lieu que les inûdelles le desho-
norent par leurs chansons mondaines & impudiques. M. D. LV [1555].
S. /., in-16 de 269 pp., p. 190.
B. — Le Chansonnier huguenot, 1871, pp. 341-345.
129. — Chanson sur le chant de : 0 cruaulté logée en grand
beaulté, etc., Description de V extérieure beaulté et pompe
papalle, et de sa chute future. Par Ecstorg de Beaulieu. 1546.
1. 0 grand beaulté, qui loges cruaulté,
0 cruaulté logée en grande beaulté,
Quand soubz habits si tresbeaux sentiras
CHANTS HISTORIQUES FRANÇAIS DU XVI* SIÈCLE. 411
Que Ton congnoit ta'grand desloyautté,
Plus père sainct, je croy, ne te diras! (Matt., 23 a.)
2. Quand les lacquais qui ton corps ont porté
Et tes mignons, tant pleins de braveté,
Te laisseront, et que plus ne voirras
Des cardinaulx assis à ton costé,
Plus père sainct, je croy, ne te diras. 10 (Luc, 20 g.)
3. Quand tes pardons, qui nous ont tant cousté,
Ne courront plus, et te sera osté
Terres, pays, thresors et ce qu'auras,
Comme sainct Jean en son livre à cothé. (Apo., 18.)
Plus père sainct, je croy, ne te diras.
4. Prince rommain, a tort pater sancte,
En brief de temps, tu seras absenté,
Et de ton hault au plus bas tomberas.
Lors, te voyant de tous poinctz débouté, (II Thés., 2 abc.)
Plus père sainct, je croy, ne te diras. (Apo. 19 d.)
Le recueil d'Eustorg de Beaulieu ne contient qu'un petit nombre de
pièces pouvant être considérées comme des chants historiques: ce sont
celles qui sont dirigées contre le pape. Nous croyons pouvoir en citer
quelques-unes.
Le timbre de la présente chanson est emprunté à Clément Marot
(éd. Jannet, II, p. 189). La chanson :
0 cruauté logée en grant beaulté,
0 grant beaulté qui loges cruaulté...
se trouve déjà, mise en musique par Claudin de Sermisy, dans les
Trente et sept chansons musicales a quatre parties (Paris, par Pierre
Attaingnant, mars 1532, n. s., in-4 obi.), fol. 3 v°, et, accompagnée
d'une mélodie de Clément Jannequin, dans le Cinquiesme Livre conte-
nant XXV chansons (Paris, Pierre Attaingnant et Hubert Jullet, 1540,
in-4 obi.), fol. 14. Voy. Eitner, Bibliographie, pp. 855 et 645.
Bibliographie.
Chrestienne || Resiouyssance. || Composée par Eustorg de Beaulieu,
|| natif de la ville de Beaulieu : au bas || pays de Lymo6in. || Iadis
Prestre, Musi-||cien & Organiste : en la faulce E- 1| glise Papistique,
& despuis, par || la miséricorde de Dieu, Mi || nistre Euangelique : en ||
la vraye Eglise de || Iesus Christ. || Chantez à l'Eternel Chanson nou-
412 HEVL'E DHI9T0IKC LfTTÉftAlftE DE LA FKA5CE.
uelle. |! & que sa louange soit oaye ea la \[ Congrégation îles fidelles. \*
P*al. H». 1546. ï| U 12. dTAougsi. S. I. [Genrce], in-8de8 ff. Iim_
227 7î* . 229] pp. et 5 AT.
Le f. qui suit le litre contient, au r*, un quatrain de Guillaume Gue-
roult, « poète natif de Rouen »f et on quatrain de Fauteur. Au v est
indiquée la division du volume. La première partie contient 160 chan-
sons dont M. Bordier a donné la table sommaire dans Le Chansonnier
huguenot, H, pp. 432-439,; la seconde est occupée par « aulcunes
aultres matières joyeuses et vertueuses ».
Les 5 ff. qui viennent ensuite sont remplis par une épitre (en prose)
m A tous ceulx et celles qui parmy tous peuples et nations de la terre
se disent croire en Jésus Christ ». Cette épitre a été réimprimée dans
Le Chansonnier huguenot. H, pp. 428-432.
Au 8* f. lim. sont trois petites pièces d'Eustorg de Beau lieu.
Le» chansons chrétiennes pp. 1-167* sont pour la plupart des adap-
tations de chansons profanes. Le poète avertit p. 90, cotée 91 , qu'il a
composé les mélodies des trente-neuf chansons qui suivent (n" 102-1 10»,
et il ajoute qu'il espère pouvoir, s'il trouve un imprimeur commode,
les communiquer à toute l'Eglise.
Les pièces qui composent la seconde partie ont presque toutes un
intérêt historique, mais ce ne sont pas des chansons. On y trouve la
Coppie de f instrument et mémorial de la perte du dieu des frères Jacoppins
de Lyon (2 juillet 1536 , p. 170; VEpitaphe de Pierre de Cornibus, p. 175;
Le Dieu gard de tautheur a la ville et aux citoyens de Genève, la pre-
mière fois qu'il y veinl (1er mai 1537), p. 178; des vers sur Claude Fiwa,
p. 183; sur Pierre Giron, p. 184; sur Richard Du Bois, ibid.; sur
Françoys de Bonyvard, p. 185; sur Niclaus von Wattenwil, p. 186; sur
Roudolf de Diesbach. p. 187; sur Hans Cotter, p. 186 (=188): sur
Wolffgang de Erlach, ibid.; sur Hans von Erlach, p. 187 = 189 ; sur
A. Zebedée, p. 190; sur T. Malingre, ibid.; sur Marti[n] Cru m, p. 191 ;
sur J. Yvoire, p. 191; sur G. Calesi, ibid. ; sur A. Froument p. 192; sur
Marguerite de Bourbon, ibid.; sorLegier Du Four, p, 193; sur la cité
de Genève, p. 194 (cotée 190); à Marguerite de France, fille du roir
p. 195; à Marguerite de Saint-Simon en Sain longe, jadis écolière de
Fauteur, p. 198; à Clément Marot, pp. 204, 207.
Aux pp. 215 (cotée 187;-226 est une pièce en prose : La gênera lie
Croisade, anciennement donnée et despuis nouvellement confirmée par
nostre sainct père; avec plusieurs grands privilèges, pardons, etc.
Le v° de la p. 227 et les 4 ff. qui suivent contiennent la Table.
Le dernier f. est occupé, au r°, par les Faultes d imprimerie obmises à
corriger. Le v° en est blanc.
La présente chanson est le n° 20, p. 17.
Biblioth. imp. de Vienne. — Biblioth. du château de Chantilly (exem-
plaire provenant d'une vente faite par les frères Trossen 1867).
CHANTS HISTORIQUES FRANÇAIS DU XVIe SIÈCLE. 413
130. — Chanson sur le chant de : En attendant le languir me
tourmente. Par Eustorg de Beaulieu. 1546.
1. En attendant le languir me tormente.
Est ce bien faict qu'un prince ne consente
Les faictz de Christ estre à tous relatez
Et en commun lengage translatez (Act. 2 a b. — I. Cor. 14.)
Comme Dieu vetjlt et TEscripture chante? (5 Act.)
2. Je ne croy point qu'un tel prince ne sente
Quelque malheur et que Dieu ne l'absente
De plus régner, veu ses ferocitez,
Tant qu'il perdra ses villes et citez
Et sera mis dehors par main puissante. (Dan., 4 fg.) <0
3. Mais n'est ce pas une chose meschante
Qu'un batelleur ou sourcier qui enchante (Levi., 19 f.)
Soit escouté en ses dicts mal fondez,
Et soit permis tenir cartes et dez (Psal. 78.)
Plus que les loix que Dieu seul nous présente ! (Josué,lb.)
Nous n'entreprendrons pas d'exposer les mesures prises par la
Sorbonne et par François 1er contre les traductions françaises de la
Bible. Les historiens de la Réforme les ont fait connaître et les
chansons du temps contiennent l'écho de l'indignation causée par une
défense aussi monstrueuse. Henri Estienne, racontant dans son Apologie
pour Hérodote « comment nos prédécesseurs se sont laissés oster ou
falsifier la sainte Escriture », cite le début d'une chanson, faite, dit-il,
en 1544, et qui doit être rapprochée de la notre :
Vous perdez temps de me vouloir défendre
D'estudier en la saincte Escriture :
Plus m'en blasmez, plus m'en voulez reprendre,
Plus m'esjouit, plus me plaist la lecture... *.
i. Apologie, éd. Ristelhuber, II, p. If 2.
La chanson est antérieure à la date indiquée par Estienne. Elle avait été imprimée,
dès 1540, dans la ville d'Agen, à la suite de La Françoyse chrestienne (voy.
A. Claudin, Le premier livre imprimé à Agen, extr. de la Revue de PAgenais, 1894, p. 6).
Le timbre original est emprunté à Clément M a rot (éd. Jannet, H, p. 192). Il a
servi pour plusieurs chansons :
1. Vous perdez temps de mespriser l'Eglise,
Gens qui voulez divertir ma créance...
Par frère Legier Bon Temps.
(Troisiesme Livre du Recueil des chansons; à Paris, chez Claude de Montre-œil,
1519, in-16, fol. 52 v°.)
2. Vous perdez temps, gent maligne et rebele,
D'ainsi vouloir contre Dieu entreprendre...
(Chansons spirituelles, 1569, n° 112 (voy. Le Chansonnier huguenot, II, p:466);
Chansons spirituelles, 1596, p. 224.)
Ir' »
414 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
La chanson d'Eustorg de Baulieu vise directement François Ier, à
qui sont prédits les malheurs les plus sinistres. La mort du roi,
arrivée Tannée suivante, n'amena malheureusement pas la On des
persécutions.
La chanson dont Eustorg a reproduit le timbre ne semble pas avoir
été très répandue; nous ne l'avons rencontrée dans aucun des recueils
que nous avons eus entre les mains.
Bibliographie.
Chrestienne resjouyssance..., 1346 (voy. le n° 129), p. 22, n° 27.
131. — Chanson sur le chant de : C'est à grand tort que moy,
r paouvrette, endure. Par Eustorg de Beaulieu. 1546.
C'est a grand tort que maint peuple murmure
," ■' Contre Luther, pour ce qu'a sa venue...
■ ' (3 couplets de 4 vers de dix syllabes.)
{■ Eustorg de Beaulieu fait en ces quelques vers une apologie de
Luther.
La chanson dont il a emprunté le timbre commençait ainsi :
C'est a grand tort que moy, povrette, endure,
Et que je suis de si trescourt tenue...
; On la trouve dans les Trente et quatre Chansons musicales a quatre
parties imprimées à Paris, par Pierre Attaignant, au mois de
* janvier 1529 (n. s.), fol. 15. On la rencontre plus tard, dans d'autres
recueils, avec des mélodies de Clemens non Papa et de Josquin Baston
■ (voy. Eitner, Bibliographie der Musik-Sammelwerke, pp. 471 et 401).
Elle est citée, en 1538, dans Le Disciple de Pantagruel, autrement dit
La Navigation du compaignon à la bouteille (p. 39 de la réimpression
de 1867).
;; , Le même timbre a été suivi dans une chanson protestante qui com-
mence ainsi :
C'est à grand tort que moy, messe, tant dure,
Et que je soye pour si bonne tenue...
:' [Le Chansonnier huguenot, I, pp. 134-136.)
Bibliographie.
A. — Chrestienne Resjouyssance...., 1546 (voy. le n° 129), p. 55,
n°71.
B. — Le Chansonnier huguenot^ 1871, I, p. 105.
CHANTS HISTORIQUES FRANÇAIS DU XVI6 SIÈCLE. 415
132. — Chanson sur le chant de :
Touchez nous l'antiquaille,
Et nous la danserons, etc.
Par Eustorg de Beauliel\ 1546.
Preschez leur rien qui vaille
Et ils nous brusleront.
Le pape et cardinaulx
Font des esdicts nouveaulx...
(8 couplets de 4 vers et un refrain de 2 vers.)
Cette pièce, comme le n° 129, est une invective contre le pape.
La ronde de l'antiquaille, à laquelle Rabelais fait allusion (éd. Jannet,
II, p. 117), est citée aussi, en 1538, dans La Navigation du compaignon
à la bouteille (réimpression, p. 40). Elle servait de timbré à une autre
satire contre le pape :
Le pape et les siens tous,
C'est un troupeau de loups...
(Le Chansonnier huguenot, I, p. 129.)
Bibliographie.
A. — Chrestienne Resjouyssance..., 1546 (voy. le n° 129), p. 85,
n°il)0.
B. — Le Chansonnier huguenot, 1871, I, pp. 124-126.
133. — Chanson sur le chant de : Plaisant Bordeaux, noble et
royal domaine. Par Eustorg de Beaulieu. 1546.
1. Plaisant Bordeaux, noble et royal domaine,
Du grand honneur qu'aux ydolles as faict (Dan., 4 f.)
Crie mercy à Dieu seul tout parfaict,
Affin qu'un jour tu n'encoures sa hayne. (Ebr., 10 f.)
2. Lorsqu'il tiendra sa grand court souveraine, (Mat., 25 cd.) 5
Chascun verra plainement ton meffaict.
Je te pry donc que de ton grand forfaict
Soys repentant de pensée humble et saine. (Luc, 3 abcd.)
3. Regarde bien si l'Eglise rommaine
Te peult saulver, ou si Christ par effect, (Apo., 18.) 10
T'a rachapté et pour toy satisfaict,
Ce qui est vray et chose trescertaine. (I. Tim., 26.)
4ff MTCfc frBIST<HB£ UTTÉEjUfcE K Là rtlKL
Ea*t/>n? de Beaulieu arait habité pendant an certain temps Bordeau:
où il arait soutenu un procès contre sa mère et contre ses frères, et <
3 avait fait imprimer à plusieurs reprises Z>» Gestes des solliciteurs
Dam une de ces chansons il censure Tîrement les religieuses de
Guyenne :
Les Bonnains de Bordeaux
Font des petits moyneaulx.
Le Ckantonmer protestant. I, p. 126.
Noos arouons ne pas connaître la pièce originale que le poète
transformée en cantique.
Bibliographie.
Chrestienne Resjouyssance..., 1546 tôt. le n* 129-, p. 97-
134. — Chanson sur le chant de : Paix là! Sus, ho là!
Paix là, etc. 2. Par Ecstobg de Beacuec. 1546.
Paix là! Sus, ho là! Paix là!
Escoutez que je vueil dire. Isa., i, 2.
1 . J'ay ouy à ce matin
Le saioct Evangile lire,
Duquel parle tant Martin,
Disant qu'il nous doibt souffire. H Ti. 3 d.)
Paix là! Sus, ho là! Paix là! 5
Car cecy n'est pas pour rire.
Paix là, Sus, ho là! Paix là, etc.
2. Du quel parle tant Martin 'surnommé Luther),
Disant qu'il nous doibt souffire.
Le pape estoit trop enclin
A Jésus Christ contredire. 10
Paix là! Sus, ho là! Paix là! (Dan. 8 fg.)
Car cecy n'est pas pour rire. (Apoca., 13)
Paix là, Sus, ho là, elc.
3. Le pape estoit trop enclin
A Jésus Christ contredire ;
1. Voy. Calai. Rothschild, I, n- 518 et 519.
2. On lit en manchette, dans le recueil de 1546 : Chante cette par deux, aussi si tt
veulx. Des chiffres placés en marge indiquent Ja division des couplets entre les deiu
▼oix. Les deux premiers vers sont accompagnés du n° 2 et les autres du n* 1.
CHANTS HISTORIQUES FRANÇAIS DU XVIe SIÈCLE. 417
Pour ce vient il a déclin, 15
Comme sainct Paul vient prédire. (Il Thés., 2 abc.)
Paix là! Sus, ho là! Paix là! (Il Tim, 3 abc.)
Car cecy n'est pas pour rire.
Paix là! Sus ho là! etc.
4. Pour ce vient il a déclin.
Comme sainct Paul veint prédire. 20
0 que Satan fut bien fin (II Cor., 11 cd.)
Quand il le veint introduire!
Paix là! Sus ho là! Paix là!
Car cecy n'est pas pour rire.
Paix là! Sus ho là! Paix là, etc.
3. 0 que Salan fut bien fin 25
Quand il le veint introduire,
Et tant de prestres sans fin (Act., 20 f.)
Qui ne nous faisoyent que nuire. (Rom., 16 c.)
Paix là! Sus ho là! Paix là!
Car cecy n'est pas pour rire. 30
Paix là! Sus ho là, etc.
6. Et tant de prestres sans fin
Qui ne nous faisoyent que nuire.
La moynaille d'Augustin
Faisoit gaillard son pot cuyre. (Phili., 3 d.)
Paix là! Sus ho là! Paix là! 35
Car cecy n'est pas pour rire.
Paix là! Sus ho là, etc.
7. La moynaille d'Augustin
Faisoit gaillard son pot cuyre;
Celle de Thomas d'Acquin
Faisoit rage de séduire. (II Pier., 2.) 40
Paix là! Sus holà! Paix là!
Car cecy n'est pas pour rire.
Paix là! Sus ho là, etc.
8. Celle de Thomas d'Acquin
Faisoit rage de séduire;
Mais Françoys, ce franc touppin, 45
Sçavoit mieulx les gens induire
418 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRASCX-
Paix là! Sas bo là! paix là! (Jade, I.
Car cecy n'est pas pour rire.
Paix là! Sus ho là! etc.
9. Mais Françoys, ce franc touppin, so
Sçavoit mieolx les gens induire
Que carme ne celeslin,
Ne capbard qu'on sceost eslire.
Paix là! Sus bo là! Paix là! (Matth., 23.
Car cecy n'est pas pour rire.
Paix là ! Sus holà, etc.
Nous n'avons pas retrouvé la chanson qui servait de timbre à celle-ci.
Bibliographie.
Chrestienne Resjouyssance... 1546 (voy. le n* 129), n* 133, p. 1181
135.. — Chanson sur le chant de :
Te remues tu,
Te remues tu, gentil fillette, etc.
Par Eustorg de Beaulieu. 1546.
Dormoys tu,
Dormoys tu, dy, grosse beste,
Dormovs tu?
(7 couplets de 4 vers, plus le refrain.)
Voici encore une satire contre le pape.
Le volume d'Eustorg de Beaulieu en contient plusieurs autres que
nous devons renoncer à citer, bien qu'elles dussent peut-être Ggurer
dans un recueil de chants historiques.
La chanson dont Eustorg a emprunté le timbre commençait ainsi :
A Paris a troys fillettes.
Te remu tu, gentil garsette?...
On la trouve, avec une mélodie de Jacques Godebrie, dit Jacotin,
dans les Trente huyt Chansons musicales a quatre parties (Paris, Pierre
Attaingnant, 1529, in-4), fol. 7.
Les paroles de notre poète ne reproduisent qu'imparfaitement la
coupe de la chanson primitive; mais il sollicite lui-même (p. 114; l'in-
dulgence du public pour un certain nombre de pièces « défectueuses
en vraye mesure poétique ».
CHANTS HISTORIQUES FRANÇAIS DU XVIe SIÈCLE. 419
Bibliographie.
A. — Chrestienne Reiouissance..., 1546 (voy. le n° 129), p. 123, n° 135.
B. — Le Chansonnier huguenot, I, pp. 127-128.
136. — Chanson sur le chant :
Dictes que c'est du mal, m'amye,
Dictes que c'est du mal des dentz, etc.
Par Eustorg de Beaulieu. 1546.
C'est la prestaille et moinerie
Laquelle abuse tant de gens.
S'on ne veult qu'on estudie
La saincte Escriture, emplye
De divins enseignements...
(18 couplets de 3 vers, plus le refrain.)
Eustorg combat ici non seulement le pape, mais les prêtres et les
moines. Il faut rapprocher les attaques auxquelles il se livre contre
ceux qui ne veulent pas permettre l'étude de la Bible, de la pièce citée
sous le n» 130.
La chanson : Dictes que c'est du mal, etc., Ggure dans les recueils
suivants : Plusieurs belles chansons nouvelles (Paris , Alain Lotrian ,
1543, in-8 goth.), fol. 32; — Chansons nouvellement composées (Paris,
Jehan Bonfons, 1548, in-8 goth.), n° 59; — Le Recueil de toutes sortes
de chansons (Paris, veufve Nicolas Buffet, 155i, in-16), fol. 54.
Bibliographie.
A. — Chrestienne Resjouyssance... 1546 (voy. le n° 129), p. 150, n° 153.
B. — Le Chansonnier huguenot, I, pp. 169-173.
137. — Chanson nouvelle faicte et composée sur Les regrets du 1res-
passement du treschretien roy de France , sur le chant : Faulce
trahison. 31 mars 1547.
1 . France, aussi la Picardie,
Tu dois bien pleurer et gémir
D'avoir perdu un si hault prince,
Le noble roy des Fleurs de Lys.
CTestoit François, premier du nom, 5
Qui partout avoit grand renom.
420 -REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Prions Jésus trestous ensemble
Qu'a son ame face pardon.
2. Quand.le tresnoble roy de France
Sentit la mort qui le pressoit, 10
Faisant regretz a grand puissance,
Son ame a Dieu recommandoit,
Disant a Dieu a son lignage,
Premier a son filz le daulphin,
Sans oublier sa noble fille, 15
Marguerite des Fleurs de Lys.
3. De rechef il dist au daulphin :
« A Dieu, mon fils et mon amy.
» Je vous prie tant que je puis,
» Gardez l'honneur de Jesuchrist, 20
» Tenez en paix votre pays :
» Ainsi vous vivrez longuement.
» Faictes justice, je vous prie,
» Autant aux petitz comme aux grans. »
4. « A Dieu, ma fille Marguerite, 25
» M'amye et mon cher enfant.
» Les regretz que j'ay de mourir,
» Ce n'est que de vous seulement,
» Que ne vous ay en mon vivant
» Mariée a vostre plaisir. » 30
Voila tous les piteuz regretz
Que le roy avoit a mourir.
5. « A Dieu, m'amye Alienor,
» Sœur de l'empereur des Romains.
» Quand je vous prins pour mon espouse, 35
» Je iismes paix à tous humains.
» Je prie au roy souverain,
» C'est Jesuchrist, le roy des roys,
» Qu'il vous doint treslonguement vivre
» En paix avecques les François! » 40
6. Quand le tresnoble roy de France
Rendit a Dieu son esperit,
Vous eussiez vu le bon daulphin
Souspirer, plorer et gémir,
Disant : « Mon père et mon amy, 45
CHANTS HISTORIQUES FRANÇAIS DU XVI0 SIÈCLE. 42!
» Voicy tresdur département.
».Las! je n'ay plus père ne mère :
» Plus ne sommes que deux enfants. »
7. Dedans le chasteau Rambouillet
Le roy François si trespassit. 50
Prions Jésus que sa pauvre ame
Soit en repos en paradis.
Or prions Dieu pour son doulx filz
Que de mal le vueille garder;
Par quoy chantons a haulte voix :
« Vive Henry, roy des François ! »
Fin.
42. esprit. » 49. de Rambouillet.
Cette touchante complainte offre le caractère de la poésie populaire.
Les vers n'ont de rime ou d'assonance que de deux en deux, et cette
règle n'est même pas régulièrement observée.
La chanson : Faulce trahison, etc., dont nous n'avons pas retrouvé
le texte, servait de timbre à un noël commençant ainsi :
Noël pour l'amour de Marie
Nous chanterons joyeusement...
(H. Lemeignen, Vieux Noëls, 1876, I, p. 38.)
Le recueil que nous venons de citer contient (III, n° 8) une mélodie
dont nous ne pouvons garantir l'authenticité.
Une complainte sur la mort de Henri II dont nous parlerons plus,
loin, fut chantée sur le même air.
Bibliographie.
A. — Chansons nouuellement composées..., 1548 (voy. le n° 66), fol.
£v v° de la réimpression de 1869.
B. — U Amateur d 'autographe* , 1873, XI, n° 240, avec une notice de
M. Tricotel.
Additions et Corrections.
Nous sommes arrivé à la mort de François Iep, c'est-à-dire presque à
la moitié du xvi° siècle. Nous ne croyons pas devoir attendre la fin de
ce travail pour y faire quelques rectifications.
Nous citerons aussi diverses pièces qui nous ont échappé et qui
devraient être intercalées dans les précédentes.
RKT. D'HIST. L1TTKR. DB LA FftANCS (76 ÀITO.). — VII. 28
422 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
3 a. — Chanson des galiotz. 1507.
Sy je suis triste et plain d'ennuy,
Nul ne s'en doit esmerveiller...
(4 couplets de 8 vers, dont le 6e n'a que quatre syllables.)
Cette pièce est une complainte faite par un galérien qui espérait être
remis en liberté après avoir subi sa peine, et surtout au moment où le
roi rentrait en France. Elle nous parait avoir été composée en 1507, au
moment où Louis XII revenait de son expédition contre Gènes, expédi-
tion à laquelle Prigent de Bidoux (cité au v. 22) avait pris une grande
part.
La chanson de 1507 ouvre la série à laquelle appartiennent les pièces
étudiées sous les n"9 (v. 1513), 53 (v. 1525) et 62 (1530).
Bibliographie.
A. — Sensuyuent vin belles chansons nouuelles... (recueil réimprimé
par Durand frères, à Chartres, en 1874), n° 6.
B. — Montaiglon, Recueil de Poésies françoises, VIII, pp. 315-317.
4. — Le second vers de la chanson doit se lire ainsi :
Qui plus infait estoit qu'un [mauldict] chien.
5. — M. H. Hauser, professeur à l'Université de Clermont, nous fait
observer que la chanson :
Vive France et son alliance.
dut être composée en 1525, pendant la captivité de François Ier. On lit
en effet, sous cette date, dans le Journal d'un bourgeois de Paris :
« Item aussi fut défendu, sans faire cry public, aux maistres des
basses escoles de ne souffrir chanter par les rues les petis enfans allans
et venans de Tescole : Vive France ne son alliancel ne faire roy a
escolle1. »
L'observation de M. Hauser est très importante, parce qu'elle permet
de déterminer avec plus de précision la date de La Farce de Calbain.
Cette pièce, que Ton attribue d'ordinaire au règne de Louis XII, doit
appartenir au règne de François Ior.
9 . — A la ligne 7 des notes qui suivent la chanson , lisez :
Du Bellay.
Dans la Bibliographie , article E, ligne 2, lisez : 1543.
1. Journal d'un bourgeois de Paris sous le règne de François premier, publié par
Ludovic Lalanne, 1854, p. 233.
CHANTS HISTORIQUES FRANÇAIS DU XVI» SIÈCLE. 423
15. — Ajoutez à la Bibliographie :
E. — Montaiglon, Recueil de Poésies franc., VIII, pp. 317-318.
49. — Ligne 3, lisez : Giorgio.
36 a. — Chanson sur Antoine de La Marck,
abbé de Beau lieu. 1523.
0 maistre Antoine de Bcaulieu,
Tu te disois fils de la Marche...
Ou:
Messire Anthoine de Beauliea...
Nous avons parlé incidemment de cette pièce, qui a servi de timbre
aux trois chansons suivantes :
1° De Suze nous sommes partis
Cinq enseignes de compaignie... 1536.
* (Voy. notre n° 72.)
.2° Therouenne, noble cité.
Pour le roy ville de frontière... 1537.
(Voy. notre n°91.)
3° Vive le noble roy Françoys
Avecques sa bonne alliance... 1538.
(Voy. notre n° 98.)
Il nous suffit de renvoyer à la note qui accompagne le n°72.
36 b. — Lamentation et Complaincte, par manière de chanson, de
la mort du bon Baj/ard; faicte par les adventuriers au retour de
Lombardie, après sa mort. 30 avril 1524.
1. Aydez moy tous a plaindre,
Povres adventuriers,
Sans point vous vouloir faindre,
Ung si noble pilier.
Le vaillant chevalier, 5
Il pensoit nuyt et jour,
Car dedans ung millier
Ung tel n'avoit en armes.
2. Le jour de sainct Eutrope,
Bayard, noble seigneur, 10
Aux ennemys en trope,
Il monstra sa valeur ;
424 QGVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
C'estoit par la faveur
. De la faulce canaille
Dont lu y vint le malheur. 15»
Maudict soit la bataille!
3. Plorez, plorez, gensdarmes
A cheval et a pied!
C'estoit le singulier
Dessus tous les gens d'armes; 20
Il a tenu bon pied
Sans faire au roy tort,
Dont a luy fut le pis,
Car gaigné a la mort.
4. Ne vous en venist pis, 2S
• Car (?) jamais d'homme d'armes
Comme pourroit bailler
Aux gens du roy secours.
Adonc il print le cours
Contre ses ennemys, 30
Dont ses jours en sont cours,
Vous voyez, mes amys.
5. Ha, povre Daulphiné,
Tu peulx bien dire : « Helas ! »
Avant qu'il soit fine 35
Tu en seras bien las.
Tu as perdu ton soûlas
Et encor de rechief
Tu peulx bien dire : « Helas ! »
Il te coustera cher. 40
8. Impr. en larmes. — il. Voyant les ennemys. — 16. Mauldicte. — 20. Sur tous-
— 24. Dans Védilion que nous avons sous les yeux, celle de Paris, « en la rue neufve
nostre Dame a Vensigne de saint Jehan Baptiste -, le vingt-quatrième vers est placé
le cinquième, — 38. Même édition : encore.
Bibliographie.
A. — Les Gestes, ensemble la vie du preux cheualier Bayard...
Champier (pour les diverses éditions, voy. Brunet, I, col. 1773-1775),
fol. Oiiij v° de l'édition de Paris, â l'enseigne saint Jehan Baptiste,
v. 1530, in-4 goth.
B. — Cimber et Danjou, Archives curieuses , lre série, II, p. 197.
CHANTS HISTORIQUES FRANÇAIS DU XVIe SIÈCLE. 425
36 c. — [Chanson sur le connétable de Bourbon
qui voulut prendre Marseille.] 1524.
Quand Bourbon vit Marseille
Il a dict a ses gens...
(6 couplets de 4 vers.)
Le siège de Marseille dura du 19 août au 28 septembre 1524. Le con-
nétable de Bourbon et le marquis de Pescaire, qui pensaient entrer
facilement dans la ville, durent se retirer devant l'attitude héroïque
<les habitants.
Chansonnier Maurepas, tome Ier (Biblioth. nat., ms. franc. 12616, p. 11.
— Brantôme, éd. Laïanne, III, 195; éd. Mérimée et Lacour, IV, p. 19.
Le Roux de Lincy, II, 96-97.
55. — Première ligne de la chanson, lisez :
Hélas, Bourbon, commentas tu pencé...
35 a. — [Chanson sur la mort du connétable de Bourbon.] 1527.
Bourbon a grant puissance...
Cette pièce est citée comme timbre de la chanson :
Au fond de ma pensée...,
qui fut condamnée comme hérétique par l'inquisiteur de Toulouse,
-entre 1540 et 1549. Voy. Bordier, Le Chansonnier huguenot, II, p. 427.
55 b. — Chanson sur la mort du connétable de Bourbon. 1527.
1. Quand ils fur' sur la brèche par où fallait passer :
« Lequel donc de nous autre' qui passera le premier? »
Ce dit le grand Bourbon. Mit le pied sur la brèche,
Et se sentit frappé d'une balle en l'oreille.
2. Quand le prince d'Orange il vit son cousin mort, 5
Son manteau d'écarlate lui jeta sur le corps;
Avec son mouchoir blanc lui a couvert la face,
De peur que les soldats n'auraient perdu courage.
3. « Courage, mes enfants, car Bourbon n'est pas mort. 10
« A l'assaut, à l'assaut! Ayons un grand courage,
« Et le bien des Romains nous l'aurons en pillage! »
4. A SaintPierre de Boise Bourbon fat enferré;
li n'était pas tout seul; fat bien accompagné:
Fvt bien accompagné de cinquante mille hommes.
Dont la plupart j'étions barons et gentilshommes.
Cette pièce «'est conaerrée jusqu'à, nous par la tradition orale; elle a
tîé recueillie à La Motte, près Loudéae, par M. Robert Oheix^ et com-
mofiiqoée par loi à M. Arthur de La Borderie, qui la publiée dans la
Meeme de Bretagne, de Vendée et d'Anjou (XI IL, 1895, p. 33,. On est sur-
prit de toit que le connétable de Bourbon, traître au roi et à la France,
vainqueur de Rome et du pape, ait pu être chanté par des Bretons; mais,
comme le remarque M. de La Borderie, Loudéae s'élèTe au centre des
anciens domaines des Rohan, et ce sont peut-être des soldats hugue-
note qui y auront apporté et propagé la chanson.
57 bis a. — [Chanson sur la condamnation de Jacques de Beauney
seigneur de Semblancay). Août 1527.
0 pauvre trésorier,
Tu es mal a ton ayse...
Cette pièce serrait de timbre à un noêl commençant ainsi :
J'ay peur que au fîlz de Dieu
Noël par trop desplaise...
La condamnation de Semblançay, à laquelle nous supposons que
se rapportait la présente chanson, fut prononcée au mois d'août 1527.
Bibliographie.
Noelz nouuelle- 1| ment composez a l'honneur de la Xalîuite || de nostre
saulueur redépleur lesu || christ, qui se chantêt sur le chat / de plu-
sieurs belles chansons. || On les vend a Lyon en la maison || de Claude
JSourry, dict Le Prince. S. d. c. 1530], in-8 golh. de 8 ff. de 24 lignes à
la page, sign. a. — 4* et dernière pièce.
L'exercice de Claude Nourry à Lyon dura de 1502 à 1532.
Biblioth. du Musée Condé à Chantilly. (Cigongne, n° 1287.)
87 bis b. — [Chanson en Vhonneur du duc de Savoie.] Vers 1528.
Monseigneur de Savoye,
Que Dieu vous fasse honour...
Cette pièce, dont nous ne pouvons fixer la date précise, servait de
timbre à un curieux noël en patois lyonnais :
CHANTS HISTORIQUES FRANÇAIS DU XVIe SIÈCLE. 427
Lessy chôma le pioche,
Bonne gens de labour...
La chanson doit être à peu près du même temps que la précédente ;
elle a pu être composée lors de la réunion des États généraux de Savoie,
en 1528.
Bibliographie.
Noelz nouuelle- || ment composez... v. 1530 (voy. le n° précédent,
3e pièce).
59. — Bibliographie. Lisez :
D. — Sensuyt plu- || sieurs belles chansons nouuelles et fort
ioy- 1| euses... 1543 (voy. le n° 67), fol. lij.
E. — Haupt, etc.
66. — Cette pièce est une de celles que Louis Du Bois a réimprimées
en 1821 à la suite des Vaux-de-Vire d'Olivier Basse lin, p. 201.
M. Paul Lacroix Ta également reproduite à la suite des Vaux-de- Vire
d'Olivier Bas se lin et de Jean Le Houx, 1858, p. 256.
L'auteur signe à la fin :
Un noble adventurier.
Lequel est de Grenoble, du lieu de Dauphiné.
Ce doit être ce Jehan Lescot, à qui nous devons le n° 72 et probable-
ment aussi le n° 100.
Même article, Bibliographie, lettre C : près le collège de Reims. 1551.
Lisez : 1557.
72. — Jehan Lescot, lequel est d'ailleurs inconnu. Ajouter : mais qui
parait avoir composé aussi les n°* 66 et 100.
83 bis a. — Chanson nouvelle faicte et composée sur La Capelle en
Terache; sur le chant :
Les Bourguignons mirent le camp
Devant la ville de Peronne. 1536.
1 Dieu gard de mal le roy Françoys
Et tout le noble sang de France,
Car il s'est monstre bien courtoys
De faire trois chasteaulx en France,
Dont La Capelle1 est la plus grande, 5
Pour combatlre ses ennemis.
De jour en jour ont congnoissance
De Valenciennes et du pays.
1. La Capelle-en-Thiérache, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Vervins.
(Aisne).
428 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
2. Vive monsieur de Heraullcourt,
Aussi tous ceulx de sa séquelle; 10
Commissaire il est pour ce jour,
Capitaine de La Cappelle1.
Il nous amené des cappettes *,
Qui sont trestous vestus de gris;
C'est pour aller a Valenciennes 15
Et y pourter la FJeur de Lys.
3. Monsieur le capitaine André
N'a pas dormir* en ses affaires :
Au matin le premier levé,
C'est pour achever La Ca pelle. 20
Tel est au ventre de sa mère,
Qui mauldira les jours et nuictz
Qu'onques fut faicte La Capelle
Et les cappettes de drap gris.
4. Le sire Antoine Du Chasteau. 25
A bien tenu tousjours sa trasse
A deviser ung lieu si beau :
C'est La Capelle en Terarche,
Car c'est la plus tresforte place,
Especiale et de hault prix; 30
C'est par le moyen de la garde
Des cappettes faictes de gris.
5. On a bien veu, le temps passé,
Les Anoyers par leur cautelle
Qui se venoient tous amasser 35
Au villaige de La Capelle;
Maintenant n'y ont plus que faire
Pour visiter nostre pays,
Car il y a des gens de guerre
Qui sont trestous vestus de gris. 40
6. On leur pourroit ramentevoir
Quant a Hyron fut la journée :
Ils nous pensoient tous decepvoir,
Mais la chance fut bien tournée.
1. Sur le baron de Haraucourt, tué à Hédin le 7 avril 1537, voy. la note sur le
n° 89, v. 31.
2. Ces soldats portaient sans doute un petit manteau (cappella) de couleur grise.
3. On a vu précédemment des exemples de la confusion faite par les Flamands
de l'infinitif et du participe passé (nM 36, v. 3 et 4 ; 54, v. 2).
CHANTS HISTORIQUES FRANÇAIS DU XVIe SIÈCLE. 429
Ce leur fut povre destinée, 45
Car plusieurs ont esté tuez.
On les menoit par charretée;
C'estoit pour remplir les foussés.
Je prie a Dieu, sa mère aussi,
Pour le tresnoble roy de France 50
Et pour monseigneur le daulphin,
Aussi toute son alliance,
Le duc d'Orléans sans doubtance
Et les princes de son pays,
Qu'i leur donne force et puissance 55
A rencontre des ennemys.
Amen.
Finis.
Ak. fut et bien. — 45. detinee. — 56. de leurs ennemis.
Bibliographie.
La présente chanson est une de celles que nous a conservées le pré-
cieux placard de la Bibliothèque de Dijon. Elle y est imprimée la der-
nière, bien qu'elle soit plus ancienne que les quatre autres pièces. Voy. le
tv» 90.
9i. — Juillet 1527. Lisez : Juillet 1537.
92. — Fin de l'article : Voy. le n° 113 ci-après.
Lisez : Voyez le n° 114 ci-après.
D". — Juin 1539. Lisez : 1538.
59. — Lisez : Bons chrestiens, trestous ensemble.
Emile Picot.
(A suivre.)
430 REVUE D HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE.
A TRAVERS LES MANUSCRITS INEDITS
DE TALLEMANT DES RÉAUX
(Fin «.)
IV
Quelques amis et connaissances de l'auteur
des c Historiettes ».
Un des types les plus curieux des salons du xvne siècle est assu-
rément Marie-Catherine-Hortense des Jardins, qui fut une des
connaissances de notre auteur. Dans ses Historiettes, éditées par
Monmerqué (Cf. tome X, pp. 221 sqq.), il lui a consacré plusieurs
pages, extraites des manuscrits mêmes dont nous nous occupons*
Dans ces mss. (672, f0i 196-204) figurent un certain nombre de
pièces de vers qui intéressent la rapide étude que j'ai l'intention
de faire ici sur cette physionomie tout à fait singulière.
Fille d'un officier et d'une dame d'honneur attachée à la personne
de Mme de Montbazon, Marie des Jardins naquit à Alençonen 1632.
Enfant, elle se fit remarquer par ses manières charmantes et sa
conversation légère à ce point que Voiture, qui la connut dès sa
jeunesse, prédit à la fois qu'elle aurait beaucoup d'esprit, et qu'elle
serait folle. Pronostic assez juste; mais sa folie, que je crois, fut
de la démence hystérique.
Longtemps elle habita la province, qu'elle parcourut en tous
sens, et vraisemblablement en qualité de comédienne. En tous cas,
elle s'est vantée, au moment de sa mort, « d'avoir fait courir tout
Narbonne au théâtre de Molière, afin de la voir ». J'indique cette
piste à quelque érudil qui pourra refaire un Roman comique.
Quoi qu'il en soit, en 1657, elle vint à Paris et fut familièrement
reçue par les duchesses de Montbazon et de Chevreuse. Sorte d&
George Sand de son époque, et toutes proportions gardées, elle
fut tôt célèbre par ses œuvres, — romans et pièces de théâtre, —
et aussi par ses galanteries. On l'exalta outre mesure; on la mit
« au-dessus de Mlle de Scudéry et de tout le reste des femelles ».
Ah! qu'en termes galants ces choses là sont mises!
i. Voyez Revue d'Histoire littéraire, 1898, p. 538 ; 1899 p. 403 et 424.
A TRAVERS LES MANUSCRITS DE TALLKMAST DES IlLALX.
4:<1
C'est une vie ggilée et pleine de scandales de tout genre que
mène des lors MtlG des Jardins, excentrique aussi bien dans ses
collels trop courts, auxquels elle rajoute des rubans poétiques, que
dans ses passions qui se succèdent avec la même violence et comme
si chacune pouvait et devait être unique, La plus connue sans
doute est sa liaison avec M, fa La Vitledieu, qu'elle rencontre dans
un bal, emmène chez elle, soigne durant une maladie de six
semaines, avec un dévouement de sœur de charité; suit en dépit
qu'il en ait, lassé bien vile; dont elle prend le nom et qu'elle pleure
lorsqu'il est tué à la guerre. Son désespoir n'a pas de bornes; elle
veut ensevelir son deuil dans un couvent st.,, sTunïtavee le mar-
quis de La Chasse de la façon la moins religieuse* L'âge est venu,
et la sagesse du diable qui se fait ermite. Elle se retire à Cliache-
mare, dans le Maine, et y meurt eo 16S3*
Comme toutes les personnalités en vue de ce demi-monde étin-
celant du xvn* siècle, M,lD des Jardins a fort écrit et, dès 1662, on
publiait s<> œuvres. Elles furent complétées dans l'édition de 1702
(10 vol. in-12), et redonnées eo 172 L Presque toutes sont bien
inconnues aujourd'hui» mais combien avaient été lues, dans leur
passage sous le manteau, les Désordres de VAfnourt té Portrait des
Faiblesses humaines % les Mémoire* du Sérail et unhvs productions
de son si beau feu — ainsi qu'on parlait alors, — notamment feg
Relations galantes, publiées en 1608 par Barbin, sous le patronage
bizarre de Mu" de Sévigné! Combien avaient été applaudies! sa
tru;ri-eomédie Ma ni tus f dédiée ù la (ïrande Mademoiselle et éditée
chez Qiiinet, en ib"62; sa tragédie Nitétis, adressée au duc de
Saint-Aignan et donnée par le même Quittât en 1664; sa Lrai:i-
comédic le Favori, jouée par Molière et sa troupe dans les pre-
miers jours de juin 1665, et portée, le 13 du même mois, à Ver-
sailles devant le Roy, comme en témoigne la Gazette de Robinet!
Je n'insiste point sur toutes ces œuvres, acclamées par les snobs
de l'époque, qui mettaient M,u des Jardins
... au rang des neuf Sœurs
Pour ses poétiques douceurs,
Nous avons, pardicu! bien assez de romans et de nouvelles quel-
conques, sans compter ceux de mérite; bien assez de tragédies et
de tragi-comédies médiocres, sa us compter celles de valeur, et
d'ailleurs nous n'avons dessein d'étudier ici M"* des Jardins que
d'après les manuscrits inédits de Tallemaut, en la replaçant avec
lui dans ce cadre des précieuses de son époque, dont Edm. Ros-
tand a versifié une journée , en ces salons où elle connut tant de
432 REVIT E D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
galants et entreprenants gentilshommes, tant d'abbés musqués et
ambrés. Nous l'y verrons rivalisant avec eus de musc et d'ambre,
d'entreprises et de galanteries. Mais auparavant je tiens à indi-
quer ce qui, dans son œuvre littéraire, est de beaucoup supérieur
à tout le reste, et Molière ne s'y est point trompé, ni Tallemant
qui Ta consigné tout au long (672, P* 196-200). C'est le Récit en
prose et en vers des Précieuses, qu'on attribue à Somaize. On y
rencontre Gorgibus, Marotte, Madelon et Margot, et les caractères
sont tracés de telle sorte que le terrible Molière n'eut encore une
fois qu'à reprendre son bien par un de ses plagiats accoutumés.
Marotte. — Elles sont là-haut dans leur chambre
Qui font des mouches et du fard,
Des parfums de civette et d'ambre
Et de la pommade de lard.
Et Gorgibus, « paladin françois », poli comme un habitant de la
Gaule celtique, allègue ce siècle en lequel les femmes ne portaient
que « des escofions et des sandales »,
Où les parfums csloient de fine marjolaine,
Le fard de claire eau de fontaine;
Où le talc et le pied de veau
N'approchoient jamais du museau...
et reçoit, avec le même effarement que son homonyme des Précieuses
ridicules, cette réponse dédaigneuse quand il appelle sa fille et sa
nièce Madelon et Margot :
Mon père, hantez les écoles
Et vous apprendrez en ces lieux
Que nous voulons des noms qui soient plus pretieux.
Pour moy je m'appelle Clymène
Et ma cousine Philomène.
Malheureusement Mlle des Jardins n'a que trop rarement de
telles rencontres. En général, elle se borne au Madrigal ordinaire,
aux Stances suivant la formule, et de ce genre Tallemant a recueilli
pour nous les conserver plusieurs exemples que je vais transcrire.
Voici d'abord des Madrigaux :
I (672, f° 200).
Lisis se plaint de ma rigueur.
11 dit qu'il est discret, complaisant et fidelle,
Qu'il m'adore, quoyque cruelle,
Mais qu'il ne peut toucher mon cœur.
A TRAVERS LES MANUSCRITS DE TALLEMANT DES RÉAUX. 433
Je connois l'ardeur de sa flamme,
Ses vertus, son esprit, la grandeur de son ame;
Mais tous ses soings sont superflus,
Car je ne puis donner un cœur que je n'ay plus.
Voilà de l'amour solide pour le prédécesseur de Lisis.
•II (672, id., verso).
Amour, ton pouvoir estextresme;
Tu triomphes de ma rigueur
Et je m'apperçois que mon cœur
Est bien plus a toy qu'à moy mesme.
J'ay veu Tirsis sans le biasmer;
Sa présence m'a sceu charmer,
Mes yeux ont trahi mon courage,
Et par leurs regards adoucis
Ont dit d'un amoureux langage :
Ah ! je t'ayme encore, Tirsis.
Heureux Tirsis! Plus heureux certes que ce Philène, amoureux
repoussé, que fait parler la poétesse :
III (û/.,f> 201, verso).
Vous que rien ne peut attendrir
Et dont la rigueur sans seconde
Laisse cruellement périr
Le plus fidelle amant du monde,
Ha! pour punir vostre rigueur,
Ou pour venger le malheureux Philène,
Que n'ay-je vos appas, adorable Chimène,
Ou bien que n'avez-vous mon cœur?
Passons aux Stances :
Sur un Départ.
I (ïtf., f° 200).
Cher Tirsis, objet de ma flame,
C'en est fait, tu quittes ces lieux.
Le sort t'esloigne de mes yeux,
Mais, hélas! rien ne peut t'esloigner de mon ame.
Malgré l'effort des Destinées
Tu verras mon fidelle cœur
Suivre son illustre vainqueur
Jusqu'à ce que la Parque ayt tranché mes années.
434 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Mais ma vertu semble offensée
De me voir pousser des soupirs.
Vertu! pardonne a mes désirs!
Si je suis mon Tirsis, ce n'est que de pensée.
Il est vrai! Je me précipite
Dans un trop amoureux transport;
Mais je suis proche de la mort,
Et, quand nous expirons, notre raison nous quitte.
'II (îrf., f° 201, verso.)
Iris, quand je vous voy sy belle,
Je sens renaistre ma langueur.
Quoy que vous soïez infidelle,
Vos yeux sçavent encor le chemin de mon cœur.
Vous pouvez, malgré ma collère,
Remettre mon cœur sous vos loix.
Vous pouvez encore plus faire,
Vous pouvez me tromper une seconde fois.
Mais, Iris, une amour nouvelle
Doit r'allumer de nouveaux feux.
Devenez un peu plus fidelle,
Je seray, s'il se peut, encor plus amoureux.
Un Impromptu et une Eglogue ne marquent guère autre chose
que la fluide facilité du talent des Trasyle et autres Théodamas.
Je reproduis le premier : (id.9 f° 201).
On a banny la complaisance;
On n'a plus de plaisir; on n'a plus de constance.
Hélas! on ne sçait plus aimer.
Amour, dont le pouvoir autrefois fut extresmc,
N'entreprens plus de me charmer
Ou me fais un amant qui mérite qu'on l'aime.
La seconde de ces piécettes — Y Eglogue — est un dialogue entre
Amarillis et Doris. Elle a d'ailleurs « esté corrigée » d'après une
annotation de Tallemant. On s'y nomme « adorable berger, »
comme on s'appelle « ange ou démon » dans le roman de Barbe-
muche; il y est parlé de « houlettes » rimant avec des « musettes. »
C'est du Des Houlières de qualité inférieure.
Trois pièces enfin présentent un plus vif intérêt en ce que, der-
rière l'écrivain quelconque, on aperçoit une femme, que je vous
affirme point banale.
A TRAVERS LES MANUSCRITS DE TALLEMANT DES RÉAUX. 435
Une lettre adressée à l'abbé Du Buisson (td., f° 203), la montre
d'une jolie audace, d'une audace qui n'a rien à perdre, rien ou peu
de chose. Mllc des Jardins écrit que l'abbé est très galant auprès
d'elle; qu'il ne se passe point de jour qu'il ne la visite, la blâmant
alors qu'elle s'est absentée. Et pourtant leur amitié toute neuve
ne justifie ni pareille assiduité ni telle familiarité grondeuse, et
elle conclut en ces termes :
Depuis le jour de notre connoissance
Vous me cherchez avec empressement ;
Vous trouvez, dites-vous, mon entretien charmant;
Vous craignez déjà mon absence
El me louez en tous lieux hautement.
Si vous voulez qu'en confidence
Je vous dise ce que j'en pense :
Vous en tenez, mon brave, asseurement.
Telle est bien la femme qui fit scandale, en une autre conjecture,
en envoyant à l'abbé Parfait, qui l'avait soutenue de son bras un
jour qu'elle était tombée en pâmoison, l'impertinence suivante,
sous forme de Madrigal :
Quoy ! Tirsis, bien loin de m'abattre
Vous m'empeschez de succomber!
Quoy! Vous me relevez lorsque je veux tomber
Et vous prêtez des bras pour vous combattre!
Après cette belle action
On verra vostre nom au Temple de Mémoire,
Et Ton vous nommera le héros de ma gloire
Mais aussi le bourreau de votre passion.
Il y a, sûrement, de la crânerie dans celte moquerie du « qu'en
dira-t-on? » et MI,e des Jardins est plus qu'une passionnée en sa
cynique impudeur. Elle se montre plus « amoureuse » dans les
deux Sonnets qui me restent à citer.
Ici, c'est le chant d'un amour malheureux qui essaie d'être
« généreux » et se brise en un sanglot de désespérance (id., f° 200,
verso) :
Ne formons plus, mon cœur, d'inutiles désirs;
De mes tristes malheurs je veux finir l'histoire
Et bannir pour jamais de ma sombre mémoire
L'inexorable autheur de tous mes desplaisirs.
Reprenons aujourd'hui mes tranquilles plaisirs;
Remportons sur nous môme une illustre victoire;
436 REVUE DSÎSTOtRS MTTLILURë DE LA FRANCK.
Songeons a noslre honneur» songeons a noslre gloire
Et songeons aux mespris qu'on fait de nos soupir*.
Il est vray que Tirsis a d'invincibles armes;
Maïs le cruel me liait; il mesprise nies larmes,
Faisons pour l'oublier un généreux effort!
Mon cœur, fuïez Tirsis pour conserver ma vie...
Hais qu'est-ce que je pense? À mon ame ravie
Vivre sans voir Tirsis est bien pis que la mort.
Là, c'est Vénus tout entière à sa proie attachée, c'est la passion
physique toute pure, sans aucun voile de pudeur* M114 des Jardins
était à la campagne, à Dampierre. Les duchesses de Chevreuse et
de Montbaaon » lui rcprochoicul qu'on ne sçavoït plus ce que son
tendre estoit devenu, » et M"" de Morangis, fort dévote personne >
qui entretenait commerce avec un jacobin, le P. Louvet, maïs
faisait des tableaux couvrir les nudités,
et se brouilla à tout jamais avec notre poétesse à la suîle des
mis que nous allons transcrire, insista pour lui faire appeler la
Muse délaissée.
Sonnet (id^ t>2Ql)i
Aujourd'hui dans tes bras j'ay demeure pasmée;
Aujourd'hui, cher Tirsis, une amoureuse ardeur
Triomphe impunément de toute ma pudeur,
Et je cède aux transports dont mon asme est charmée.
Ta tl ame et ton respect m'ont enfin désarmée;
Dans nosembrassemenls je mets tout mon bonheur,
Et je ne connois plus de vertu ni d'honneur
Puisque j'aime Tirsis et que j'en suis aimée.
0 vous, faibles esprits, qui ne connaissez pas
Les plaisirs les plus doux que Ton goûte îcy bas,
Apprenez les transports dont mon ame est ravie :
Une douce langueur m os te le sentiment.
Je meurs entre les bras de mon fidelle amant
Et c'est dans cette mort que je trouve la vie.
Cette sœur de Ninon aimait, comme elle, « la volupté d'Epicure »*
Aux érudits curieux de ces petits scandales à trouver si c'est Vil*
ledîeu ou quelque autre qui a inspiré de pareils vers. Est-ce>
Alfred de Musset? Est-ce Pagello? SIU< des Jardins, de peur, sans.
A TIUVKRS LI£S MÀNUSCIUTS I>E TALLIIMAM D1-S UKAI.V.
437
doute, de confusion fâcheuse, appelle lous ses mourante du même
prénom dr Tirsis.
Un aulre ami de Tallemanl, le compère de La Fontaine, Fran-
çois Maucroix, « fils de maistre Louis, procureur, et de damoiselle
Marie de Rive », naquit à No von le 7 janvier 1619, commença ses
éludes à Château-Thierry sur les mêmes bancs que son frère et
que le fabuliste futur, les continua à Paris, fit son droit avec la
bienveillante protection de Palru et de Conrart et fut par eux
introduit dans la société de gens de lettres et de savants, tels que
Pcrrotd'Àblancourt, Fureliere, Pellisson, Vion d'AIibrav, le mathé-
maticien Le Railleur, le traducteur d'Aristotc Cassandre, et Vau-
gelas, et l'abbé d'Aubjgnac, et Benserade, et les deux Corneille,
que je cite sans ordre, au hasard du souvenir. Mais, parmi lous,
et même après que Maucmïx se fui lié plus tard avec le P, Bouhours,
Coulanges, Richelet, Racine, Boileau, Bossue t, Molière, le plus
aimé FutTallemant des Réaux.
En ce cercle élégant, Maucroix devait se livrer a ces jeux poéti-
ques qui furent la gloire passagère des ru ri les et alcôves^ et il lit
des vers comme tout le monde. Bien après leur production, ses
piécettes furent imprimées, — car elles datent de 1(36 el ne dépas-
sent guère 1650, — dans divers Recueils qu'il faul toujours con-
sulter, tels que les Poésies chùiêieë de Scrcy, ifi60. La nous avons
retrouvé V Elégie à Olympe, le Sonnet à Mademoiselle tic Joyeuse,
les Stances au marquis de Lénoncourt^ son fiancé qui mourut,
comme on sait, au siège de Thionville, VE pitre à Caemndref V Epi-
gramme à Philis. C'est un débordement banal de Chansons, Airs,
Quatrains, lîouttnles, EffiogucB dans le goût de Théocrite et de
Virgile, Elégie^ Madrigaux a !ris, à Sylvie, à Diane, dont il n'y
a rien à dire, vers de précieux et de jeune raffiné gâté par la
mode* Toutefois il nous a plu de relever, dans une Ode à Coimtrf
qui date de celle période, une phrase poétique qui rappelle de bien
près celle de Malherbe à du Périer :
La mort de ses rigueurs ne dispense personne.
L'auguste éclat d'une couronne
Ne peut en exempter les rois,
Avocat, Maucroix réussissait moins, Nous sommes informés, par
une de ses lettres adressée au I\ Tourret, que sa timidité rem-
pécha de plaider plus de cinq ou six fois, Son père, le bon procu-
reur, navré de cette déplorable réussite, le rappela et le lit entrer
comme conseil dans la maîsonf de M. de Joyeuse, lieutenant du
IlEV. D*HIST. LÏTTtR. DE LA FllASCl (7" ABU.]. — VIT, 29
REVUE t» HISTOIRE UTTLRAlltE i»E LA FltA3CC.
roi au gouvernement de Cliarp|»a^ M lia Maucroix n'avait pas
plus de goût pour la chicane assise que pour la chicane debout et,
plutôt que de plaider les procès du mari, il fît de la musique avec
la femme et s 'éprit 4e la fille, Il en ri elle. Ici commence ce roman
<]' sa vie» auquel fut mêlé Taliemant.
M"* de Joyeuse fut fiancée au marquis de Lénoncourt, et Mau-
croix, désespéré, sVnfuil de Eteins. Arrêté au passage par l'amitié
de La Fontaine, il passa quelques semaines à Château-Thierry*
puis, pour tromper sa désolation, se rendit à Paris. Tallemaut le
reçut et lui conseilla le mariage, C'est la formule appliquée : un
clou chasse l'autre. Il lui répondit qu'il demandait à y songer toute
sa vie et, comme opportunément survint la mort de Lénoncom L
il reprit la roule de Reims, Vainement ; car Henriette épousa
bientôt le marquis des Brosses.
Alors Maucroix se fit,., ermite, ou plus exactement chanoine
par dépit amoureux. Il y a quelquefois de ces vocations. Il semble
n avoir annoncé ce projet, en ses lettres amicales, qu'après qu'il
eut été mis à exécution. Il obtint de son père une avance d hoirie
et, profitant de ce que André Buridan résignait son canonical, il
Tacheta, Rîchelet a noté la date de l'installation de Maucroix
comme chanoine en L'église 4e tteims relie eut lieu le 3 avril 1647 :
et tous ses amis parisiens furent ravis de sa décision, qui fut vite
suivie d'une réputation universelle dans les cercles rémois- Seul,
Fuiviifir n admit pas cet avatar et gourmanda en vers le poète-
avocat, tout en lui dédiant d'ailleurs son Jeu de boults des Procu-
reurs,
Cependant, malheureuse en ménage et persuadée, — les femmes
du xvii* siècle se laissaient si facilement convaincre de ces choses
flatteuses,— que Maucroix s'était fait d'église par regret de l'avoir
perdue deux fois, Henriette de Joyeuse le manda sous le prétexte
vraisemblable de le consulter sur certaine clause de son contrat
de mariage. 11 fit part de cet appel à Tallemant, qui ne nous paraît
point avoir été enchanté de voir son ami c< r'enflamé. » Reçu ainsi
dans la maison des Brosses, l'amoureux rappelé suivit le ménage
dans les Àrdenncs, au moment des pourparlers du traité de
Westphaliâ% et tomba en pleines hostilités. Il ne s'y montra rien
moins qu'un foudre de guerre, ainsi qu'il s'en confesse plaisam-
ment dans deux Épttreâ en vers, adressées lune à Cassaudre,
l'autre à Asllbel. Nous n'ignorons pas, grâce à une note du manus-
crit de Maucroix, découvert jadis à Reims par Louis Paris t que
Ton avait donné à Tallemant, chez la marquise de Rambouillet, le
nom de cet AsUbel, « sage enchanteur, favorable à Amadis », Et
A TRAVERS LES MANUSCRITS DE TALLEMAÏST DES RÉAUX. 439
dans YÉpitre qu'il lui adresse sous ce nom, Maucroix prêche le
désarmement, mais pour d'autres raisons que le tzar de Russie.
A quoy bon aussi ceste guerre
Qu'a mettre tant de gens par terre
Que Ton envoie en Paradis
Sans un pauvre De profundis*
Aussy, tiens-j e quasi pour beste
Tout homme qui n'a qu'une teste
Et va l'exposer au canon.
Chacun a son amour, dit-on ;
La mienne est d'être un peu poltron.
Et, pareil à Horace qu'il aime, il jette son bouclier.
Il revint d'ailleurs sur cette idée dans une autre ÉpUre, encore
envoyée à Tallemant, lors du siège de Paris, et dans laquelle il
l'engage à ne point se faire tuer.
Puisqu'on n'a qu'une vie, il la faut bien garder.
Cette poltronnerie avouée ne favorisait guère son amour pour
Henriette. Cette dernière refusait de céder par crainte religieuse
car ses confesseurs lui représentaient qu'elle commettrait un sacri-
lège. Elle se contentait de jurer à Maucroix « qu'elle l'aimait plus
que sa vie, » et s'en tenait là. Bientôt elle le désespéra encore
davantage. Elle se fît, en effet, enlever par la marquise de Mire-
poix, sa cousine, qui l'emmena à Paris où passa la peur du sacri-
lège et où, loin de la surveillance du marquis des Brosses, elle se
laissa aller à des aventures à la fois plus glorieuses et moins dan-
gereuses pour son salut éternel. Infortuné Maucroix ! S'il avait
cru, grâce au froc de Tartuffe, donner
De l'amour sans scandale et du plaisir sans peur,
il dut s'apercevoir qu'il avait été loin de compte et se replier sur
Reims. Sa consolation fut d'informer Tallemant de son insuccès,
et sa ressource de se jeter dans la politique. Était-ce déjà le refuge
des désespérés ? L'anarchie régnait en France et Reims était contre
le Mazarin, que sa qualité d'étranger rendait fortement suspect.
Dans une autre lettre, adressée à Tallemant, son confident préféré,
le chanoine annonce qu'il va entrer en campagne ; mais Henriette
vint le rejoindre. Dès lors il abandonne ses plans politiques. Tal-
lemant, qui voit le danger, mande à Paris Maucroix de la façon
la plus affectueuse et la plus pressante. Peine perdue! Henriette,
abandonnée par son mari et très malade, a déjà été recueillie dans
440 «EVtK D0ISTOIBE MTTÉ&MBE DE LA HU5CE.
la maison qoe le chanoine partage arec son frère, soignée avec
on dévoûment rare, et plenrée lorsqu'elle meurt. Prévenu du
désespoir de son ami, Tallenfent accourt à Reims et, pour l'arra-
cher à ces lieux funèbres où tout lui rappelle sa douleur. l'emmène
de force à Paris. C'est de ce séjour chez Tallemant, qui fit l'im-
possible afin de panser une plaie qui saignait encore quarante
ans après, que date une Épitre adressée à Rosaliane, — c'est la
femme de des Beaux, — dont la gaité est forcenée et capricante, et
que son état de grossesse avancée n'empêche point de se livrer à
la danse, son amusement favori.
De retour à Reims, et après une mission diplomatique en Italie,
à laquelle mit fin la chute du surintendant Fouquet, Maucroix fut
l'âme d'un cercle littéraire que fréquentaient les abbesses de Saint-
Pierre et de Saint-Etienne, la comtesse de Lhéry, M"* de Ber-
rieux, la comtesse d'Aubeterre, M"** Biscara, de Sillery, Pape t te
Pinguis, etc. C'est en cette réunion que furent composées la saynète
intitulée Mademoiselle Soin, qui a été éditée, et qui figure dans les
manuscrits de Tallemant ; la comédie La Vespière, dont le sujet
avait été fourni par Tallemant, qui avait connu cet authentique
personnage, dont il parle dans Yhistoriette de Mne de Gondran ;
et enfin une autre pièce anodine, pour pensionnats déjeunes filles,
en cette époque fortunée où les fillettes se plaisaient, paraît-il, à
la farce badine, à l'espièglerie peu méchante, au lieu de rêver au
dernier roman de M. Bourget ou même, ce dit-on, de M. Catulle
Mendès.
Tallemant nous Ta conservée (672, f* 4-13) :
Une pensionnaire, M"e de Saint-Estève, a réuni les élèves de
la grande classe dans sa chambre et Ton y complote d'un tour à
jouer au chanoine Maucroix, qui a ses entrées dans la maison :
Tandis que je vous tiens toutes icy dedans,
Mes sœurs, assistez-moi de vos avis prudens,
Pourvu qu'avis prudens soyent dans votre cervelle...
Car, pour moy, je ne puis laisser passer un jour
Sans luy faire une niche et lui jouer d'un tour.
Biscaye VAince.
Madame, c'est bien dit. Tost, tost, que Ton l'attrape!
Et après cette rapide exposition, qui a le mérite de. la netteté,
toutes nos écervelées se disputent l'honneur d'inventer quelque
farce piquante. Les voilà à l'œuvre, mais, malgré leurs efforts, —
le croirait-on? Et Maucroix est-il vraiment psychologue? — l'ima-
gination de ces demoiselles est stérile.
A TRAVERS LES MANUSCRITS DE TÀLLEMANT DES BEAUX. 441
Mademoiselle Meunier.
Mon esprit aujourd'hui va comme une ecrevisse
El j'ay perdu la clé de mon coffre a malice.
Elles vont y renoncer ; car leur esprit est, à Jes entendre, « passé
dans leurs talons ». La présidente est mieux inspirée.
Ah ! j'y suis a ce coup ! Ecrivons luy si bien
Qu'il lise tous nos mots et n'y comprenne rien.
Forgeons des mots nouveaux a notre fantaisie
Qui semblent inspirez par pure frénésie...
Comme c'est un chanoine, il ne s'y connoist gueres
Et prendra nos jargons pour langues estrangères.
A ce trait de génie, le groupe manifeste bruyamment son admira-
lion et, cette fois, l'esprit inventif des fillettes a beau jeu. Chacune
de faire sa lettre :
Simone.
Voicy du baragouin de la terre flamande.
Une autre.
Voicy du baragouin de la terre allemande.
Une troisième apporte du polonais, suite de mots non moins bis-
cornus que longs, et Mtoe de Saint-Estève se déclare satisfaite,
Car les Topinambous parlent ainsy sans doute.
Biscaye VAinée.
Drox, drix, drix, drox, drux, drex,
Je pense en vérité que c'est le parler grec.
M,,e Rebours arrive à la suite :
Pugine marge bospoem malamum ;
et, inextinguibles, les rires éclatent.
Madame de Saint-Estève.
Ne riez pas si haut! Paix! Cervelles frivoles!
Nostre communauté vous prendroit pour des folles.
Mais MIIe Meunier veut dire aussi sa phrase :
Strauf mensdrop dror vivozernest braquimadé.
La gaité redouble de fureur ; on crie, on pleure de joie :
Wl bette h nmtoWL untaMUL k l* nujcc
lomt de bon? En riant j'ai rompt mot» lacet —
— J'en ay mal au eosté-,
— J'en ayinalaa brinchet — —
S'en ay mal à la jambe...
— Et mer, je vous assure
Que je pente en avoir humecté ma ehaassare.
Alors M"* de Saint-Estère bit mander son petit ralet « qui joae
aux noix, * et l'envoie porter an chanoine le paquet de ces billets
inintelligibles, dus à la collaboration des étourdies.
Hou* n'avons aucunement le dessein de suivre Maucroix jusqu'à
la fin de sa longue carrière. Ailleurs nous compléterons une Bio-
graphie dont les passages ébauchés ici ont eu pour unique prétexte
le Tallemant dont nous étudions les manuscrits inédits.
Il convient pourtant d'extraire encore de ces Xss une Epiiaphe
bâte par Maucroix pour le cardinal Antoine Barberin, homme
remuant de sa nature et ayant emprunté à sa race son esprit d'in-
trigue et d'adresse (672, fr 98, verso).
Cy gist un prélat estranger
Fort propre a faire un messager,
Fort mal propre a la prelature,
Car il couroit toujours. Et sy
On couroit dans la sépulture,
Il n'auroit garde d'estre icy.
Enfin relevons cet hommage posthume rendu par le chanoine à
son ami Tallemant : « Le 10 de novembre 4692, mourut à Paris,
dans sa maison près la porte de Richelieu, mon cher amy, M. des
Beaux : c 'estait un des plus hommes d'honneur et de la plus
grande probité que j'aie jamais connu. Outre les grandes qualités
de son esprit, il avait la mémoire admirable, escrivoil bien en vers
et en prose et avec une merveilleuse facilité. Si la composition lui
eust donné plus de peine, elle auroit pu eslre plus correcte ; il se
contentoit un peu trop de ses premières pensées ; car, du reste, il
avoit l'esprit beau et fécond, et peu de gens en ont autant que luy.
Jamais homme ne fut plus exact; il pari oit en bons termes et faci-
lement, et racontoit aussy bien qu'homme de France. »
Tallemant avait connu Particelli d'Emcri, et c'est à cette con-
naissance que nous devons sans doute de trouver dans ses manus-
crits inédits ces triolets du fameux Marigny, dont nous avons déjà
parlé, écrits sur une maladie du surintendant qui avait fait quelque
bruit. Le premier date de la maladie même (673, f> 41, verso) :
A TRAVERS LES MANUSCRITS DE TALLEMANT DES RÉAOX. 443
Mourra t'il? Ne mourra t'il pas?
Ira t'il jusqu'au quatorzième?
Il me semble qu'il est bien bas.
Mourra t'il? Ne mourra t'il pas?
Ses esclaves font des hélas
Et disent dans leur peur ex très me :
Mourra t'il? Ne mourra t'il pas?
Ira t'il jusqu'au quatorziesme?
Le second (673, P 42) suit la guérison :
Médecin, vous êtes un fou
De saigner la surintendance;
Vous valez moins qu'un tron de chou,
Médecin, vous estes un fou.
Recipe trois pies de licou ;
C'est la véritable ordonnance.
Médecin, vous estes un fou
De saigner la surintendance.
Boyer, la tête de turc de Racine, de Boileau et de Furetière,
l'infortuné auteur de Judith, qui « mit si méchamment à mort ce
pauvre Holopherne, » fig-ure, ainsi que Quinault, le créateur de
l'Opéra, et
... de ces lieux communs de morale lubrique
Que Lully réchauffa des sons de sa musique
dans la galerie de Tallemant.
De Boyer nous avons des vers à la louange (toujours !) de Louis
le Grand (673, f° 138, verso) :
Quoy! Toute la Franche Comté,
Grey, Salins, Bezançon et Dole
Vous avoir si peu résisté!
Apres que j'ay bien médité
Sur tout ce qu'on m'en a conté,
Ma Muse est au bout de son rôle.
Cette estonnante nouveauté
M'oste l'esprit et la parole.
Prez de vous rien n'est sy frivole
Que tout ce que nous a chanté
La fabuleuse antiquité.
Prez de vous toute autre clarté
Est moindre qu'une girandole
Prez de Phebus en plein esté.
444 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Le grand Louys est respecté
Plus que le Dieu du Capitole;
Il est plus fort, plus redouté
Que l'invincible amant d'Yole,
Et, lorsqu'il ravage et désole
Toute la campagne Espagnole,
Il passe la rapidité
Des meilleurs postillons d'Eole.
Aussy ce que dans la Boussole
L'Aiguille ressent pour le Pôle,
Ce que sent un cœur enchanté
Pour une charmante beauté,
Chaque mortel pour son idole,
Mon cœur de zèle transporté
Le sent pour Vostre Majesté.
De Quinault, qui d'ailleurs avait une autre envergure que Boyerv
relevons cette jolie plainte sur les difficultés de marier cinq filles-
Madrigal (1618), (673, f° 2-22) :
Ce n'est pas l'Opéra que je fais pour le Roy
Qui m'empesche d'estre tranquille;
Pour luy rien ne m'est difficile.
C'est que j'ay cinq filles chez moy
Dont la moins âgée est nubile.
Il faut les eslablir. Je voudrois les pourvoir;
Mais a suivre Apollon on ne s'enrichit guère.
[Dans Testât ou je suis c'est un fascheux devoir
De se sentir pressé d'estre cinq fois beau père f]
Quoy! cinq actes devant notaire
Pour cinq filles qu'il faut pourvoir.
0 ciel! Peut-on jamais avoir
Opéra plus fascheux a faire?
Tallemant fut, on le sait, uni durant toute sa vie par une tendre-
affection avec son frère François, homme de lettres assez esti-
mable, en dépit de l'opinion de Boileau2, aumônier du Roy,
membre de l'Académie française, qui s'occupa avec ferveur de
traductions de linguistique et de grammaire. Le vol. 675, f° 78, —
qui porte encore le n° 130 de la collection faite par des Réaux et
dont nous avons parlé, — renferme une letlreau tographe de l'abbé,
adressée à Ménage.
1. Les deux vers entre crochets ont été raturés, mais sont encore lisibles, ainsi
qu'on le voit.
2. « Le sec traducteur du français d'Amyot. >
A TUAYUts LES MAMÎSUUTS DE TAUJiMÀNT DES KÛAUX. 445
À Mon sieur,
Monsieur Ménage
Au Cloistre NosLre Danie.
/fc paye f| . Je vous envoyé ainsy que vous Pavez ordonné l'en-
droit (te la vie de Ciceroii ou il est parlé du Sphinx. Cicâfùn un
jour en parlant à H mien s tu s devant beaUôQUp de ai onde httj dit
quelques parolfes ambiguë* et picquantes. BortensiiÀË répondu qu'il
n entendait pas les Enigmes et Ciceron lut répliqua: fié te devroienl
pourtant entre fort intelligibleê pui&qu* tu Qê chez tojf un Sphinx
pour les expliquer1. I*ay mis a U marg6 : Le sphinx estoit un
monstre qui avait autrefois expliqué les Enigmes.
Je vous denianday hier s'il falloit dire Arclion d'Athènes ou
Archonte || kJ pagt comme Pont imprimé MAL de lirïanville
el Charpentier. M, Amyot traduit toujours prévoit d*Athenes, je
n'ay pas cru le devoir suyvre en cola. Et comme on ne dit point
Keaophonte, Bemophontc, LycopltronLe ou Bellerophonle, je crois
qu'on ne doit point dire Archonte, ei sans doute ce sera la vostre
sentiment sans avoir égard a ceux qui craignent une semblable
terminaison.
Mandez moy* s'il vous plaist. [| 3" page | s'il faut dire le Roy
Ptolomec ou Plotemee. M. Amyot met le premier et je Tay suivy.
M. Corneille en a usé de mesme dans la tragédie de Pompée. 11 y
en a qui veulent qu'on die Plolemee pour signifier le nom des Roys
d'Egypte, mais que pour signifier l'astronome on die Ptolomee.
A quoy on pourroit respondre qu'il faudroit donc dire en parlant
du grand père du Boy d'Angleterre le Roy Jecques et dire Jacques
en parlant du valet de M. de SegraisvJe finiray avec mon papier |j
verso de la /r0 page ; en travers | en vous assurant que l'abbé Talle-
niant est tellement vostre serviteur qu'il ne se peut davantage. [|
Pour en finir, à cette fois, avec les Mai inédits de Tallemant
des Réaux, il est bon que je signale aux érudils toute une partie
des voL 672 et 673 que j'ai cataloguée sous le titre suggestif de
Musée Secret au cours de ma longue étude de ces textes si pleins
d'intérêt, et dont je veux donner une idée» autant que me le per-
mettra le respect que Boilcau déclarait avec raison exigé par le
lecteur français.
Je renverrai donc aux I01,des Mss plus souvent que je les citerai.
Les attaques ordurieres sont nombreuses contre les femmes de
tout rang qu'a connues Tallemant, depuis la reine in partibtts%
MŒ0 de Maintenon, jusqu'à Ninon de Lenclos,
i. Toul le passage cal souligné dans le texte de l'abbé Tallemant.
^^H
446 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Mme de Montausier (673, f° 135) est fort maltraitée pour ses
prétendues complaisances à l'égard
De notre grand Roy Louys de Bourbon;
la duchesse de Chaulnes-Villeroy à cause de son mariage avec
Viguier, marquis d'Hauterive (673, F 135), qui lui faisait perdre
« le tabouret » :
Quoy que Ton en die a la Cour,
Quoy que la ville en détermine,
Je tiens que fourrure d'Amour
Vaut mieux que fourrure d'Hermine....
Des « lerelanleres » cruels contre Louis XIV vieilli et contre les
soins impuissants de Mme de Montespan pour essayer de le rajeunir
figurent au î° 215 du vol. 673.
Id.9 ibid., nous trouvons cette attaque à la veuve de Scarron :
On s'estonne avecque raison
De la faveur de la Scarron.
Les plus fins n'en sçavent que craire.
Que dirait le petit tortu,
S'il vivait, de se voir c...
Par le plus grand Roy de la terre.
Coulanges supportait, parait-il, avec une cynique et spirituelle
résignation, ses malheurs conjugaux, dont MM. de Saint-Aubin et
de La Trousse étaient les heureux agents. Il écrivait lui-même ce
Couplet (672, f° 99) :
Si l'on en croist Saint Aubin,
Coulange a la peau douce.
Coulange y va le matin
Et le soir son grand Cousin
La Trousse,
La Trousse.
Toutes les « filles » de la reine, M1,e* de Compain, de la Vieu-
ville, notamment, sont déshabillées de la façon la plus scandaleuse
en des couplets que Ton chantait sur des airs de vaudeville à la
mode. Il en est de même pour Mœc Gourdon (672, f0' 101-120),
Mme de Mailly (673, f° 128, verso), Mmc de Longueville (672, f° 31),
Ninon (673 f6 147 verso), et même cette pauvre M,le de Scudéry»
(673, f° 109) :
A TRAVERS LES MANUSCRITS DE TALLEMANT DES RÉAUX. 447
Bien des rubis brillent sur mon visage
J'approche des quarante ans;
J'ay fort bien mis tous péchés en usage
Pendant mon jeune temps.
Mais maintenant je conseille les belles...
Et cette peste de Tallemant mit en note : « M11* de Scudery est
sy mal informée qu'elle se vante qu'on n'a jamais rien dit d'elle ».
Il est de lui-même, et signé de ses initiales D. R., ce Madrigal
sur le chancelier Seguier (673, f° 33) :
Qu'il est dur au salut, ce fat de chancellier!
Cela le fait passer pour un esprit altier,
Vain au delà de toutes bornes.
Ce n'est pas pourtant qu'il soit fier :
C'est qu'il craint de montrer ses c
Un Lerelanlère de Racine sur le mariage de La Ferté-Seneterre
avec la fille de la maréchale de La Ferté, M"° de Joussy, est relevé
au vol. 673, f° 170; ?d., f° 18, une Ëpigramme de Maynard faite
contre Anne d'Autriche, « au moment où Ton remit sur la porte
Palais Cardinal au lieu de Palais Royal1 ; » id., f° 11 verso, un
fragment malheureusement bien court d'une lettre autographe de
M,lc de Lenclos, adressée à Tallemant, qui, au dos du papier,
avait inscrit une note, d'ailleurs illisible :
« plus mais ils m'ont demander || et ie n'ay pu m'en ||
exemter. bon iour mon || cher monsieur. Quant vous || aurez le
loisir vous me || le manderez... » et qui établit les bonnes rela-
tions courtoises qui existaient entre « la moderne Leontium, »
comme dit Saint-Evremond, et l'auteur des Historiettes.
J'estime que désormais le voyage autour des manuscrits inédits
de Tallemant des Réaux est terminé et qu'il n'y aura plus lieu d'y
revenir. Les quatre articles que je viens de donner dans une
publication aussi importante que la Revue d'Histoire Littéraire de
la France, et aussi lue de tous les curieux de notre littérature,
ont, que je crois, édifié sur leur réelle valeur et satisfait les curio-
sités légitimes qu'inspiraient ces trois volumes, dont on ne con-
naissait guère que l'existence dans le fonds municipal de la Rochelle.
Je n'ai l'intention de rien exagérer par rapport à mon très
mince mérite, de vanter outre mesure l'exhumation qu'a par deux
1. Note de Tallemant.
448 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRAÎSCE.
fois signalée un grand journal mondain !, à laquelle a applaudi
une vaillante Revue régionale*, qu'a critiquée une importante
feuille du midi*, et, tout le premier, j'avoue de bon cœur, comme
on dit, que la collection patiemment faite par Tallemant des Réaux
n'ajoute pas infiniment à sa gloire, ni à celle des écrivains de tout
poil dont il a recueilli et sauvé les fantaisies, non plus qu'elle ne
diminue les figures de ceux que ces fantaisies attaquent parfois
avec tant de brutal cynisme. Mais je déclare en même temps que
j'ai eu une grande satisfaction, — la plus pure sans doute qui
puisse échoir à un modeste fervent du xvne siècle, — d'en avoir
fait les honneurs, en qualité de cicwone, à tous ceux qu'intéresse
encore à juste titre celte époque si fertile et si féconde de notre
histoire littéraire nationale.
Pierre Brun.
1. L'Écho de Paris, 20 nov. 1898 : Tallemant poète tragique; et 9 déc. 1898 : La
maison de Tallemant.
2. La Revue de Sain ton g e et cTAunis, lw mars 1899.
3. La France de Bordeaux et du Sud-Ouest, reproduisant, en son n° du 29 nov. 1898
la première note de l'Écho de Paris avec commentaires assez faiblement longuet».
MÉLANGES
UN POEME INEDIT DE CLAUDE PERRAULT
En examinant, comme il Ta fail uans le précède ut numéro île la Mevtte, la
question de Ja paternité *ks contes attribués à Charles Perrault, le regretté
M. Marty- La veaux a montré tout au moins combien le sujK est délicat el conv
bien il soulève de points d'interrogation auxquels il est difficile dTopposer des
réponses péremptoïres. Ce n'est pas là, d'ailleurs, la seule matière à discus-
sion que présente l'histoire d'une famille h laquelle Boileau trouvait de la
bizarrerie d'esprit, et que nous estimons, nous, avoir été doué** grandement
d'originalité et de hardiesse. Ennemis déclarés de la routine, on peut dire
sans exagération des Perrault que chacun d'eux a liai autrement qui! n'avait
commencé et trouvé son originalité propre dans une voie différente de celle
où il s'était engagé au début. C'est le trait commun de la famille, qu'il
serait aisé de mettre en relief, mais qui nous retiendrait beaucoup trop long-
temps.
Précisons seulement, en passant, quelques dates jusqu'à maintenant assez
indécises et marquons avec exactitude une généalogie assez flottante. Les
documents analysés par Jal dans son Dictionnaire n-itique (2* édition, supplé-
ment, verbo Perrault) nou£ y serviront; mais" nous les compléterons à l'aide
d'autres renseignements authentiques. Le père de la Liguée, Pierre Perrault,
avocat au Parlement de Paris, originaire de Tours, mourut en W>il et l'ut
inhumé à Saint-Etienne du Mont, i< proche la chapelle de saint Claude », Sa
femme, Perrette Le Clerc, vint l'y rejoindre huit ans après, Ile cette union
naquirent une fille, Marie, morte à quatorze ans, et six fils i !■ Jean, l'aîné,
avocat comme le père, mort et enterré à Bordeaux ., en 1660 1 pendant un
voyage qu'il y faisait en compagnie de son frère Claude; — 2° Pierre* le rece-
veur général des finances à Paris, qui, né le 2 avril luit, trépassa postérieu-
re ment à 1675; — 3° Claude» le médecin, qui devint architecte» né le 25 sep-
tembre 1613» mort le 11 octobre i G88 ; — 4Û Nicolas, le docteur en Sorbonne,
qui, né le 7 juin 1624, mourut en 1602; — 5° et 6* Charles, le conseiller du
roi et contrôleur de ses bâtiments, le futur auteur des Contes, né le 13 jan-
vier 1628, en compagnie d'un jumeau, François, qui mourut six mois après,
Claude Perrault fut l'exemple te plus éclatant de cette diversité d'aptitudes
dont nous parlions en commençant. Médecin et porte par ses goûts vers les
recherches d'histoire naturelle, il se révèle tout à coup architecte de grand
talent, et, grâce à ColberL réussit à construire la colonnade du Louvre et
l'Observatoire. Cela surprit bien des gefiB, et il y avait de quoi, non qu'il fût
bien étonnant que Claude Perrault eût réussi à convaincre de ses aptitudes
nouvelles un ministre prudent sur lequel il avait de faction; niais l'inattendu
de l'aventure l'ut que le médecin réussit, sans conteste, dans une entreprise
que les architectes de profession n'avaient pas menée à bien. On ne se lît pas
faute de railler et l'écho de ces plaisanteries faciles est venu jusqu'à nos
Oreilles» amplifié et grossi, dans Les vers de lîoileau. Celui-ci n'aimait pas
450 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Claude Perrault. Il finit même par le détester cordialement, et la chose est
d'autant moins compréhensible que les conceptions architecturales de Per-
rault, nobles, larges, pleines de mesure et d'harmonie, auraient dû plaire à
l'esprit bien ordonné de Boileau. Il est vrai que Boileau prétend — mais l'as-
sertion est absolument insoutenable — que les conceptions dont Perrault était
réputé l'auteur ne sortirent jamais de son cerveau. Jamais, sans doute, on ne
pourra désormais tirer au clair et analyser avec certitude le talent architec-
tural de Perrault, car le recueil de ses dessins, conservé à la bibliothèque du
Louvre, a péri avec elle au milieu des flammes allumées par la Commune.
Mais on peut chercher d'un autre côté, et peut-être est-il possible, avec quelque
discernement, de trouver quelle put être la cause du dissentiment entre Boi-
leau et Claude Perrault.
Sans doute, à l'origine, ce dut être d'abord une forte antipathie de l'un pour
l'autre. Les Perrault étaient, par nature, fort irrévérents et se moquaient
surtout des choses que Boileau estimait le plus. Claude, comme les autres, ne
sut pas résister à la tendance familiale et se mêla, comme ses frères, au
plaisir malin de ridiculiser ce qui ne lui plaisait pas. Lorsque Charles Perrault
s'avisa de traduire burlesquement le VIe chant de V Enéide, Claude prit sa part
du délassement et c'est lui qui orna le manuscrit de l'œuvre de dessins à
l'encre de Chine. Il prit même si bien goût à la chose que Charles ayant com-
mencé un nouveau poème burlesque sur les Murs de Troye, Claude .fit une
grande partie du premier chant et composa à lui seul un second chant resté
inédit. Voici comment Charles Perrault s'exprime à ce propos dans ses Mé-
moires : « Cet ouvrage (la traduction de Virgile) nous donna occasion de faire
celui des Murs de Troye et de Vorigine du burlesque, dont le premier livre a
été fait en commun et publié; le second n'est que manuscrit et a été com-
posé tout entier par mon frère le médecin. Le ridicule est poussé un peu trop
loin dans ces Murs de Troye, mais il y a d'excellents morceaux. En gros, le
sujet en est beau, car il est ingénieux de dire qu'Apollon a inventé la grande
poésie comme fils de Jupiter, puisque cette poésie s'appelle le langage des
dieux; qu'il a inventé la poésie champêtre ou pastorale pour avoir été berger
chez Admète, et qu'il a imaginé le burlesque pour avoir bâti les murs de
Troye avec Neptune, parce que c'est dans les ateliers des maçons et de toutes
sortes d'ouvriers qu'il a appris les expressions triviales qui entrent dans la
composition du burlesque. Il ne manque à cette imagination que d'être
ancienne pour être estimée des savants. »
C'est beaucoup prétendre assurément, mais sur ce point Claude n'est pas
moins prétentieux que son frère Charles, comme on va le voir par la préface
publiée en tête du poème imprime* ci-dessous pour la première fois. 11 est, en
effet demeuré inédit jusqu'à ce jour, et le volume intitulé Murs de Troye ou
Vorigine du burlesque (Paris, Louis Chamhoudry, 1653, in-4<>, de xxxn-5* p.) ne
contient que le premier chant. Mais si la suite de cette facétie fut ignorée du
public, elle ne demeura assurément pas inconnue de ceux qui avaient quelque
intérêt à la connaître. L'auteur d'ailleurs n'était pas difficile à deviner :
l'homme de science, l'architecte, Claude Perrault par conséquent, s'y révé-
laient à chaque page, et c'en était assez pour que Boileau lui sût mauvais gré
d'une pareille débauche d'esprit contre tout ce qui était respectable aux yeux
du poète satyrique. Pareil procédé irrespectueux était un outrage à ce que
Boileau admirait, et, pour le venger, il ne fallait pas faire grâce au coupable,
mais bien le poursuivre au contraire d'une main vengeresse et impitoyable.
Là est évidemment la première raison — et la meilleure — d'un dissentiment
qui ne cessa point et que les épigrammes échangées de part et d'autre ne
purent qu'augmenter. Boileau s'est montré particulièrement dur, injuste
même et fielleux à l'égard de Claude Perrault. Pour expliquer de pareils sen-
timents, il fallait des divergences profondes sur des points essentiels. Peut-être
les vers qui suivent vont-ils les faire sentir.
l> P0ÊM£ INÉDIT DE CLAUDE PRRRALLT.
4Si
Nous les publions d'après le manuscrit n° 2956 de la bibliothèque de l'Ar-
senal, où ils se trouvent à la suite de ce qui *s1 rléj/i imprimé du poème des
Murs de Troye. Ils sont précédés d'une préface tnèdttâ qui n'est pas inutile pour
expliquer les visées de Claude Perrault, Celui-ci, comme on le verra, y expose
des théories littéraires qui devaient faire honnir Boile&u d'indignation. Quant
au poème, il est long, filandreux et d'un comique laborieux et lourd. Ce n'est
jkis la verve sans prétentions de Scarron qui s'empressait de rire de tout pour
n'avoir pas à pleurer sur lui-même. Le poète cette rois-ci à des arrière* pen-
sées et son inspiration s'en ressent, bien qu'elle soit le plus souvent facile et
enjouée. Le premier chant du poème /es Murs de Troye n'a qu'un rapport
assez vague avec le second. Aussi n'est-il pas utile de le résumer toi avant de
publier l'autre. Disons seulement — et le lecteur s*en apercevra bien vite —
qu€ l'orthographe des vers de Perrault a été modernisée. Le manuscrit qui
nous les a conservés est de la main d'un copiste qui ne méritait assurément
pas qu'on respectât scrupuleuse ment si?s façons d'écrire. Seules quelques cor-
rections et les notes mises à la marge des payes sont de la main de Claude Per-
rault. On les trouvera ici au bas des pages, eu référence aux passages qu'elles
visent»
P. B,
MYTHOLOGIE DES MURS DE TIIOYE
Je ne doute point que la plupart de ceux qui liront le poème des
Muvsd*' Troije ne le prennent pour une froide et fade raillerie ; il est
impossible d en faire un autre jugement à moins que de s'apercevoir que
l'intention de l'auteur a été de rendre cette raillerie froide et fade en
apparence* Mais de même qu'une grimace parait moins ridicule quand
on sait qu'elle a été faite à dessein de contrefaire quelqu'un, ceux qui
sauront que ce poème est une satire contre la poésie des Anciens, ou
plutôt contre celle des Modernes qui ont affecté d'imiter les Anciens,
reconnaîtront que le froid ne dégoûte pas toujours et que le fade peut
recevoir quelque assaisonnement.
Il y a beaucoup d'apparence que les premiers qui ont écrit en vers
burlesques n'ont point eu d'autre dessein que de se railler de cette
imitation des Anciens, qui remplit la poésie de mille choses ridicules,
nu du monts qui nous paraissent telles parce qu'elles sont contraires au
goût de nuire siècle, et peut-être Contai le bon sens. Or, la manière par-
ticutière de cette raillerie est d outrer les choses et de les porter à un
excès qui marque plus distinctement le ridicule que Ton veut reprendre,
ainsi que l'ont les peintres qui affectent de charger et d'augmenter ce
qu'il y a de difforme dans les traits d'un visage pour lu rendre
plus reconnaissante; l'accoutumance qui nous a rendu la manière des
anciens poètes supportable et même agréable a besoin de cette augmen-
tation et de cet excèfl pour nous faire apercevoir de ces défauts. Et je ne
sais si l'on peut bien défendre les Anciens contre celte sorte de satyre,
en supposant que teurs poêles n'ont point été jusqu'à cet excès, et que
n'y ayant que l'excès qui soit vicieux., tout le ridicule tombe et
demeure sur le burlesque, car il est certain qu'il y a des abus qui sans
IlEVl'E DHISTOIMS LITTEIUIUE DE U FttAWtE.
être parvenus jusqu'à l'excès ne laissent pas d'être vicieux. Quoi qull
en soit, sans examiner sî Ton peut trouver quelque chose à reprendre
avec raison dans la poésie des Anciens» il ne s'agil ici que de faire
voir que cette manière de se moquer de l'ancienne poésie est le sujet
du burlesque et que ce poème, soit que ce soit à tort ou autrement, ne
s'est point proposé d'autre but.
S'il y a quelque chose à reprendre dans la poésie des Anciens c'est le
mauvais usage des fictions et des ornements, où il y a te plus souvent
de l'indécence, de l'affectation, de la bassesse. Quand les poètes qui
donnent des rochers à Hector et à Diomède font que Phëbus conduit
ses chevaux lui-même, comme un charretier; que Jupiter se sert de
son fils comme d'un laquais pour faire des messages et lui donne une
vache a garder; que Minerve assomme de coups mal à propos une
pauvre tapissière dont elle est jalouse k cause qu'elle travaille mieux
qu'elle, on ne peut pas dire que ce ne soit abuser de la fiction; car sup-
posé que la fiction, lorsqu'elle représente simplement par des personnes
les qualités et les attributs, puisse être reçue parce que certaines
choses ont des noms de même que des personnes, comme Puisa in
Sagesse, Désir* Principauté, il est constant que celte fiction devient
ridicule aussitôt qu'on fait faire à ces personnes des choses contraire*
ce qui les fait cire les personnes quelles sont. Ainsi quand le burlesque
dit Madcum fttKfence, âfarfwiottfHe'/tifltcetfeflt pour faire voir par l'abus
outré de la fiction qu^Oll se moque des abus que les poètes en font en attri-
buant ii là prudence et à lu justice et a d'autres choses qu'il- feîgueul
Mrs des personnes tout ce qui peut convenir a une personne et même
quelquefois es qui ne convient pointa des personnes, comnif quand ils
pilent Cérës dans un mortier pour faire du pain, qu'ils foulent Baechns
aux pieds pour faire du vin ou qu'ils enferment Vuleain dans de la
corne pour faire une lanterne. Et il ne faul point dire que !■• McmiêUr
,1 la Madame^ qui ne sont point dans les Anciens, fait tout le ridicule,
puisqu'il y a apparence qu'ils naurruent pas manqué de donner à des
personnes nussi honnêtes que Prudence et Justice peuvent être les litres
(ThouaeuT que nous donnons aux honnêtes gens, si c'avait été l'usage
parmi eux connue parmi nous.
Pour ce qui est des comparaisons, des descriptions et des figures qui
font l'élégance de leur poésie» elles sont telles que notre burlesque
serait quelque chose de fort élégant, s'il était traduit en latin, de même
que le latin des poètes les plus sérieux deviendrait burlesque en fran-
çais. Cary a-l-il rien de plus burlesque pour faire entendre, par exemple,
l'affection que Junon a pour les Carthaginois que de dire qu'elle les
considère à cause du plaisir qu'ils lui font de serrer ses meubles et <!»•
lui prêter une remise pour son carrosse? Est-ce pas une chose ridicule,
pour représenter Hector qui entre dans une armée sans s'émouvoir des
traîls qui sont tancéfl sur lui, que de le comparer à un Ane entré dans
une pièce de blé qui se moque d'une troupe d'enfants qui l'en veulent
chasser? De descendre à un détail aussi peu nécessaire qu'est celui qui
l\ POÈME IHÉDtî DE CLAUDE PEURAULT.
453
fait l'entretien d'Ulysse avec une jeune princesse qu*fl trouve au bord
d'un ruisseau lavant la lessive et se plaignant du prince son frère qui
toutes les nuits court le bal et change si souvent de linge qti'ilh* ne
peut suffire à lui blanchir des chemises et des cravates? J>e prendre des
comparaisons de choses sales avec aussi peu de nécessité qu'il y en a
lorsque, pour décrire une mouche à miel quï n'est pas de la bonne
espèce, on dit qu'elle ressemble à une chose que je ne nomme point,
qu'on jette avec lu bouche sur la poussière et que Virgile appelle par
son nom? Caria vérité est que, même sans la remise de carrosse et les
cravates qui ne sont point dans Homère et dans Virgile, les peosééf et
les expressions de ces poètes ne laissent pas d'être peu selon le goût
de notre siècle. Four ce* qui est des expressions basses en des choses
relevées et des expressions emphatiques en des choses de rîen, ils en
sont tout pleins, Quand il s*agit de décrire la beauté du palais du
Soleil, où tout est éclatant de lumière et de propreté» on met auprès du
trône de ce dieu, entre ses quatre pïus familiers favoris, une personne
sale et vilaine, le corps tout poissé d'avoir foulé une cuve de vendange.
Quand pour décrire uu frelon on dit qu'il s'en va avec son gros ventre
sans aucun souci de la gloire, et quand pour signifier In pesanteur
4' une cuirasse on dit que Salary et Phegeux avaient de la peine à la
porter, n'est-ce pas écrire en burlesque? El quand on met lin il Cham-
pagne et lu Verdure ajouterait-on quelque chose au ridicule qu'il y a
de mettre des noms qui ne servent de rien, la pesanteur de cette cui-
rasse étant assez bien exprimée en disant que deux hommes en étaient
char.
Quand donc le burlesque donne des pistolets et une tabatière a Mars
et à Vénus un buse et un éventai lt ce n est point outrer la fiction et
cette manière d'outrer n'est point d'une autre espèce que celle de faire
forger le tonnerre en Sicile, qui est une chose aussi ridicule que de le
faire forger en forêts ou à Sedan. Quand dans une tempête linée se
lamente de ce qu'il sera mangé par dessous, et quand dans la descrip-
tion du cheval de Troye, qui était un bâtiment, on y met de* aisances,
ce sont des exemple d'un détail outré, mais qui ne L'eftt pas davantage
que celui des noms des valets qui portent la cuirasse. Quand on fait
dire de grosses et vilaines injures à Vénus par Jupiter, c'est une indé-
cence dont il y a mille exemples dans les Anciens, de même que de
toutes les autreschoses qui ne sont point selon notre usage et qui peut-
être ne sont pas aussi du bon goût.
Pour avoir des exemples qui fassent voir le ridicule de limitation que
les Modernes ont faite des Ancien», qui est dune autre nature que celle
des auteurs burlesques» parce que les auteurs non burlesques l'ont
fuite aussi sérieusement que ridiculement, il ne faut que lire Ronsard,
car il n'y a point de page dans ce poète ou Ion ne trouve de ces
exemples. Voici ce que j'ai rencontré à l'ouverture du livre, l'n jeune
homme, nommé Printemps, envoie Zêphîre mettre des filets depuis le
lever du soleil jusqu'à son coucher, c'est-à-dire tendre un grand tre-
llETd d'h»T. UTTKH. PE LA PflASCK (7" Ami.)* — Vil.
454
ItKYUtt H &LST01KC LIH KltAIIŒ l»L LA FRANCE.
buchet pour y attraper une fil Le dont il est amoureux» Voilà la fiction.
Il Faut voir comme il dit ce que c'eal que celle fille, et savoir qu'il ne là
décrit pas comme elle était quand Zèphire l'attrapa, mais simplement re
que c'est que Flore — c'est le nom de ta fille. — Il dit qu'elle a une
ceinture d'argent, et il faut remarquer que les Anciens n'auraient pas
manqué de dire un demi-ceint, s'il y avait eu des demî-ceints de leur
temps, de même qu'ils se seraient bien donné de garde d*oublier le tré-
buche l, s'ils en avaient eu, pour ne pas priver de cet ornement leur
discours , dans lequel ils ail'ectent toujours de particulariser les choses
pour le rendre plus sublime, au contraire de nous qui trouvons que
c'est le détail qui le fait ramper. Celle Flore donc, avec sa ceinture
d'argent, lient en sa main un panier de fleurs, comme qui dirait que
saint Pierre est un vieil homme qui lient des clefs en sa main; car il
parait que Ronsard a cru que pour dire qui est Flore, il n'y a qu'à la
représenter telle qu'elle esl dans les statues et dans les tableaux,
nmirne s'il n'y avait rien à dire de Flore qui soit essentiel. Mais il faut
croire qu'en cela Ronsard a voulu imiter Virgile, qui dit que Didoo
s'ennuie de regarder la bosse du ciel, parce qu'on représente le ciel sur
les épaules d'Atlas, comme un globe dont la ligne esl bossue.
Je pourrais apporter beaucoup d'autres exemples du ridicule de ces
imitations, mais on connaîtra que ce poème en contient assez quand
j'aurai expliqué à quoi sont bonnes la plupart des fadaises dont il est
rempli. Il faut donc savoir première ment que son titre est une imita-
tion de l'affectation des Anciens, qui ne traitaient jamais que des sujets
appartenant à Thébes ou à Troie. Le poème n'est point achevé, parce
que VEnêkh'esl imparfaite, et il est certain que Ronsard n'avait garde
d'achever sa Frmriadt par celle raison. L'ouvrage commence par
l'aven lure surprenante d'un embrasement et c'est ainsi que la ÇUliêl la
CtéopâtrGi le Crmid Cyrus, qui débutent par un tremblement de terre,
par un embrasement, par un naufrage, onl imité VÊnêîdt, qui n»iu-
menée par une tempête . L'histoire commence par le milieu : son premier
et véritable commencement est dans un récit fait par Dilucule, valet
d'Apollon, qui ne manque pas, imitant les Anciens et leurs imitateurs,
de particulariser les choses contre toule apparence et de rapporter au
long des discours qu'il est impossible que celui qui a fait le récit ait
jamais entendus.
Les fictions de Neptune, vieillard amoureux de la princesse ïfésîone,
fille de Laomédon, roi de Troye, qui affectent le bel aîr et rétégau
du discours, donnent occasion à Apollon, qui a sujet d'être chagrin et de
mauvaise humeur, d'affecter le contraire, en mêlant dans tout ce qu'il
dit les proverbes, les allusions et les quolibets qui font le mauvais bur-
lesque. L'enlèvement de Neptune par une grue, les métamorphose* des
peignes de Thêtis en poissons, Ja prédiction de la naissance du monstre
appelé burlesque, qui doit s'engendrer sous les plâtras et sous les
immondices des bâtiments deTroye, sont des fictions dignes de celles
que les anciens ont faites de Neptune et d'Apollon maçons àTroye, Car
l«* POÈME INÉDIT DE CLAl l>fc PKEllUl I.T.
455
on peut dire que comme l'antiquité n'a rien imaginé de plus bizarre,
on ne pouvait pas aussi choisir un sujet plus heureux pour ce poème.
Les autres imitations sont encore de la même force, mais les princi-
pales sont sur ce que l'ancienne poésie s est proposé comme le plus
noble sujet qu'elle eût à traiter et a chobi l'explication des choses de
la nature par des choses morales et historiques. Dans notre poème
L'explication du point du jour, de la rosée du matin, des couleurs que
le ciel prend au coucher du soleil, du crépuscule, du passage du soleil
dans les douze signes, de la génération des métaux dans le fond de la
terre, de la pluie, de l'amertume de la mer, du désordre que les vents
causent dans les tempêtes, des grandes inondations, du passage de
quelques poisons de la mer dans l'eau douce des rivières, de l'origine
dos fontaines et plusieurs autres sont de cette nature. La nouvelle expli-
cation des changements de Protee, du voyage des Argonautes, des
enchantements de Médêe, du cheval de Troye sont des exemples de
l'impertinence de* mylliologies qui donnent des éclaircissements à
quelques faits de l'histoire- fabuleuse par d'autres faits, qui, à la vérité,
n'ont rien d'extraordinaire et d'incroyable, mais aussi qui n'ont rien de
certain; comme quand Dares Phrygïus dit que la fable du cheval de
Troye est fondée sur une vérité, qui est que sur une des portes de
Troye, qui fut ouverte aux Grecs par la trahison d'Enée, il y avait un
cheval en peinture, car Dares Phrygïus est lui-même une fable, cet
auteur étant supposé.
Enfin rien de ce que ce poème contient ne doit être pris à la lettre* La
préface même qui fait entendre que le burlesque ne consiste que dans
un enjoùment qui peut avoir son prix, de même que le style grave a le
sien, ne dit pas tout ce qui en est et son sérieux est affecté. Les appro-
bations que Ton feint avoir été données par les poètes du temps dont
les noms ne sont designés que par leurs premières lettres et par leurs
différents styles que Ton a lâché d'imiter, sont aussi pour se railler de
la vanité des auteurs qui croient que les ouvrages sont reçus pour le
prix que les amis de l'auteur leur donnent. L'épltre qui dédie le livre à
la jatte de M. Scarron est aussi du genre des approbations, et la fiction
de cette jatte, fondée sur une raillerie de M. Scarron qui dit qu'il est
un cul-de-jatte, et dont on fait ici un capital, quoiqu'on -ùt que c est
une particularité qui dans peu de temps ne sera sue des personnes non
plus que beaucoup de choses de la mode qui changeront bientôt, tout
cela n'est que pour faire voir que l'auteur qui les a mises dans son
ouvrage ne s'est point fait une idée de l'éternité comme les auteurs
s'en forment ordinairement une pour leurs poèmes; et c'est dans le
ridicule de ces particularités basses et rampantes qu'il n'a pas contre-
fait les imitations des anciens»
Après tous ces avis, le dernier que j'aie à donner est que Ton peut
prendre encore si Ton veut la plupart de ces avis pour burlesques, c'est-à-
dire pour des choses qu'on ne veut point être prises a la lettre, à regard
de beaucoup de propositions que l'on n*a avancées que comme four*
456
REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
nissant quelques couleurs pour faire connaitre l'abus que plusieurs
font de l'imitation des Anciens. Car je puis assurer que l'auteur du
poème a non seulement beaucoup d'estime pour les poètes anciens,
mais même pour la plupart de ceux qui les imitent, et qu'il est charmé
de Virgile, d'Ovide, de Lucain, de Juvénal, de Martial, quoiqu'il ne
trouve pas que les ouvrages de ces grands personnages égalent ceux
des poètes de notre temps.
LES MURS DE TROYE
LIVRE SECOND.
- Dilucule ayant escampé
Et par sa fuite ainsi trompé
L'espérance de la princesse,
Il laissa beaucoup de tristesse
Et peu de satisfaction
De sa longue narration
Dans sa pauvre âme inquiétée
Et cruellement agitée
D'un ardent désir de savoir
Quel dessein Phébus peut avoir.
« Dans cette impatience extrême,
Il faut, dit-elle, que moi-même
Désormais et sans tarder plus
Je l'arraisonne là-dessus,
Afin de savoir sa pensée.
Je dirai que je suis pressée
D'un très impatient désir
De l'entretenir à loisir
Sur cent choses que j'imagine
Et peut-être que je devine
Touchant son inclination,
Sa vie et sa condition.
Ensuite il faut que je lui dise
Que cet habit qui le déguise
Ne saurait cacher à mes yeux
Un certain air majestueux
Qui ne fait que trop bien connaître
Qu'il n'est pas ce qu'il veut paraître.
Et qu'au reste je plains bien fort
L'étrange cruauté du sort
Qui le persécute et l'afflige,
Mais que je ne sais qui l'oblige
A vivre dans la noire humeur
Qui le fait être si rêveur,
Lui de qui la seule présence
Verse les biens et l'abondance,
Le plaisir, la joie et l'amour
Sur tout ce qui reçoit le jour.
Lors, s'il m'aime, poursuivait-elle,
Et que par respect il me cèle
L'objet qui le fait soupirer,
Il pourra me le déclarer.
Et moi je dirai, si je l'ose,
Que son mérite me dispose
Peut-être à ne. le pas haïr,
Ensuite pour ne pas trahir
Les chers intérêts de ma gloire,
Mes actions lui feront croire
Que j'aime la discrétion
En cor plus que sa passion. »
Avec de telles rêveries
Et mille autres badineries,
Hésione s'entretenant
Et sur les murs se promenant
Passa toute la matinée,
Qui lui dura plus d'une année,
Car Phébus ne vint que bien tard
A cause qu'il faisait brouillard;
De sorte que la belle infante,
Lasse d'une si longue attente,
Put contrainte de s'en aller
Sans le voir et sans lui parler.
Comme elle était en cette peine,
Sa confidente Lysiméne,
A qui toujours comme à sa sœur
Elle avait découvert son cœur
Et de toutes ses amourettes
Les intrigues les plus secrètes,
US POÈMC INÉDIT DE CLAUDE PERRAULT. 451
Vint pour l'avertir qu'à la cour
Afin de leur prêter main forte
Thé In mon était de retour. [Grèce
S'il fallait rompre quelque porte,
Ce prince, un des premiers de Kl faire quelque grand effort
Était aîmé Je la princesse
On dans la ville ou sur le p
Avant que le mai Ire du jour
Lynuitnr étant avertie
L'embrasât d'un nouvel amour,
De cette galante partie.
Et la passion de l'infante
Sans-savoir le tort qu'ÀpolloQ
Pour ce Grec fut s* violente,
Faisait au pauvre Thé In mon,
Que la haine et l'aversion
Voyant la princesse attrfàtée
Que Troye a pour sa nation
Vint l'aborder fort empressée,
Lui taisant perdra l'espérance
Et croyant bien la réjouir
Qu'on approuvât son alliance.
Quand elle lui ferait ouïr
Elle rengagea de trouver
L'imagination plaisante
Quelque moyen pour l'enlever.
Dont par une ruse excellente
Thëlamon, retournant en lîn r.
Thëlamon s'était avisé
Avait si bien par son adresse
De venir ainsi déguisé,
Ménagé les esprits des siens,
Elle lui tint un tel langage
Déjà m al contents des Troyens,
Considérant son équipage :
Que le bon Acacus, son p*>ref
« II fait beau voir sortir ainsi
Et le prince Phocus, son frère,
Et comme une je ne sais qui
Avant approuvé son dessein,
La grande princesse Hésione.
Jurèrent que pour mettre à lin
D ou venez- vous, Dieu me pardonne,
Cette glorieuse entreprise
Avec ce beau déshabillé,
Ils vendraient jusqu'à leur chemise,
Plein de plâtre et tout ëraîllè?
De fait déjà le pauvre amant,
Vont êtes dïgû6 de risée
Sans se douter du changement
Si ce n'est qu'ainsi déguisée
De son infidèle princesse.
Vous voulez par cette façon
Pour exécuter sa promesse
Imiter votre beau maçon, i
Étant de retour s'était mis
h Ah! mauvaise, ce dit l'infante,
Avec plusieurs de ses amis
Toute émue et toute tremblante,
Parmi les Limousins de Troye,
Prenant cela pour Apollon
Et quittant son habit de soie
lit sans songer à Thëlamon ;
S'était coiffé d'un vieux chapeau
Dis- mot donc avec quelle adresse
Et n'avait rien dessus sa peau
As-tu découvert sa finesse
Que la toile et la bure grise
Et comment l'as-tu reconnu? »
Pour mtéUx couvrir son entreprise.
u Comment? Lui même îl est venu,
Son cadet le prince Phocus,
Répond aussitôt Lysimène,
Avec leur bon père Acaeus,
Avec son gros bonnet de laine,
Ainsi que lui dans Salamine
Ses guêtres et son pourpoint gras,
Ayant laissé sa bonne mine,
Me prendre et tirer par le bras.
Avait pris l'air et la façon
Car je vous proteste et vous jure
De manœuvre et d'aide à m néon.
Qu'avec son treillis et sa bure
Or leur dessein et leur finesse
Il parait si fort déguisé
Était de lâcher par promesse
Que je crois qu'il est malaisé
De corrompre quelques maçons,
Qu'il soit jamais pris de personne
Enivrant les meilleurs garçons,
Pour l'illustre amant d'Hésione. »
136 REVUE U HISTOIRE LtTTÉtAlEE DE Là 71U3CE.
La princesse dans ce moment
Durant que la troupe emplatrée
Rougissant â ce nom damant :
Sur terre comme lui vautrée
« Vraiment ta malice est extrême
; Achevait sans trop se peiner
Crois- Lu, lui dit-elle, qu'il m aime? » Le reste de son déjeûner.
il vous aime ? Héla-, u bon dieux
! Déjà l'un mettait sa jambe lie
Reprit-elle en haussant les yeuxt
Nonchalamment dans sa pocher
Puis les baissant sur Hésione.
Avalant son dernier morceau
Quoi! voir une telle personne
Apres avoir bu dans un seau.
Dans le fin fond d'un atelier,
Un autre essuyait de sa basque '
Parmi le plâtre et le mortier.
Les moustaches d'un vilain masque
Travailler comme un misérable
Que la sueur sur son minois
Pour vous pouvoir être agréable,
Loi fit en passant des gravois.
Et pu is demander m aime-L-il?
Lorsque l'heure étant achevée
Cela me semble fort gentil.
Qui pour manger est réservée.
Mais parlons un peu d'autre chose.
Le sommeil du dieu fut rompu
Savez- vous bien qui! se dispose
Par maint et maint coup de lestu \
A vous enlever des ce soir,
Par maints racle menls de truelles,
Et qu'il est dans le désespoir
D'auges, de rabots et de pelles
De ce qu'hier le sort contraire
Par maints Lraînements de sabots
L'empêcha de le pouvoir faire.
Sur les planches des éehalauds,
Lorsque pour mieux couvrir son jeu
Par la rude et triste harmonie
H avait lait mettre le feu
Des sons aigus dune poulie,
Tout ici près dans cette grange,
Joints aux plaintifs gémissements
Qui par une merveille étrange
De toute sorte d'instruments.
Fut «teint en un tourne-main,
Ce dieu triste et mélancolique
Le vent ayant cessé soudain.
Prit plaisir à cette musique
Ce soir il doit encor de même
Et son réveil fut as*ez doux
Tenter un autre stratagème,
Quoique fait par de rudes coup- :
Pu moins si vous lui permettez,
La voix d'un moulinet de grue
Vous qui dites que vous doutez
Tantôt grave et tantôt aiguë
Par une ingratitude extrême
Jointe avec celle d'un engin1
S'il vous adore et s'il vous aime, i
i Charma quelque temps son chagrin.
Alors le roi mal à propos
Pendant que ces bizarreries
Vient interrompre leur propos
Entretenaient ses rêveries
Et la princesse en diligence
Et que sur terre ainsi couché
Se retira de sa présence,
Bt parmi les plâtras caché
De crainte qu'il ne la surprit
Il n est aperçu de personne.
Si tard en son habit de nuit.
IL entend nommer Hésione
Cependant las et tout en nage
Par deux hommes qui prés de lui
De son pénible maçonnage
Venaient tirer de l'eau d'un puits.
Neptune In ventre au soleil
Ce nom qui le frappe et Té veille
Goûtait un paisible sommeil,
Lui fait soudain prêter l'oreille
1. Note de P'TniuU ; Un 1653, les basques des pourpoints élaîent d'une grandeur
énorme.
2. NoL.! de IVrr.-iiill : Marlrnu des Limousin;.
3. Noie Ue l'crrauLl : Espèce de grue,
UN 1*0 Ê M K IMiOJT DE CLAUDE PEnHAULT.
Wi
A ces gens qui dans ce moment
Parlaient avec étonnement
D'un des leurs qui sur la muraille
Posait utie pierre de lai lie.
C était un grand Limousin Grec,
Droitde corps, un peu maigre et sec,
D'un visage assez triste et pâle»
Mais d'une majesté royale,
Qui pour un homme du métier
Craignait grandement le mortier
Et le plâtre encor davantage*
Si bien que son plus grand ouvrage
t d'essuyer bien souvent
Ses deux mains contre son devant*
NepLuneeut quelque défiance
Voyant sa belle contenance
Kl connut enfin tout de bon
Que c'était le roi Thèlamon.
Or pendant que ce jeune prince
Remuait avec une pince
€elte pierre pour la poser
Ou plutôt pour se reposer,
Nus tireurs d'eau près de Neptune
S'entretenaient de sa fortune,
Faisant fort lentement dans l'eau
Descendreet remonter leur seau, [te*,
« Ju m'attends, dit l'un de ces dru-
Que cet homme a plus de pistolet
Que nous n'en avons vous et moi
Et peut-être plus que le mi ;
On dit qu'il en a cent hotte es
Qu'il a de la Grèce apportées
Pour, boire et pour rire avec nous;
Mais, Léonard, le croyez-vous?»
« Au diable Bot, répondit 1 autre,
C'est, par moi Ame, un bon apôtre
Je crois qu'il a d'autres desseins
Que d'enivrer des Limousins,
Si vous saviez comme il caresse
Les servantes de la princesse
Et comme il était gai ce soir
Qu'on dit qu'elle nous viendrait voir,
Voua diriez qu'il a dans la tête...
Allez, je ne suis qu'une bête,
Mais souvenez-vnus aujourd'hui
Que j Vï vu quelque chose en lui...
Je sais bien ce que je veux dire.
Mais si le bon roi, notre sire,
Savait totit ce qui s'est passé
Et tout ce qu'on a trar.:
Finir gagner les gens d'Hésione,»,
Ce, n'est pas que, Dieu me pardonne
J'en veuille parler autrement,
Mais je ne sais pas bonnement,.
Or bien ce n est pas notre affaire :
C'est à nous, Marceau, de nous taire.
Néamoins, sans comparaison.
Je ne suis qu'un pauvre maçon*
Mais je n'aime pas ces vétilles :
Le bon Dieu m'a donné deux tilles
Que je hâterais bien d'aller.
Si ton venait les cajoler» »
« Ma foi, votre raison est bonne,
Dît Marceau ; pour moi, je m'étonne
Que Ton permette à des maçons
De faire toutes ces façons,
Car ces dons et cette largesse
Ne se font que pour la princesse.
Je ne puis pourtant deviner
Pourquoi nous tant paleltoer*
Âlin de soulTrir qu'il travaille
Avec nous à cette muraille?
Car il sait que nous voyons. bien
Que sa besogne ne vaut rien
El qu'il ne fait tout ce ménage
Qu'aiîn de gâter notre ouvrage.
Cependant pour vous en parler,
N'est-ce pas proprement voler^
Léonard? Quant à mot, je pense
Qu'il y va de la confiance,
Car si chacun suivait ce train,
Pour aujourd'hui ou pour demain
Qu'on viendra siéger cette ville,
Un pauvre homme avec sa famille
Croira dormir en sûreté
Se fiant sur la fermeté
D'une haute et forte muraille
Que dès la première bataille
Sans ahaner ni peu ni point
On mettra bas d'un coup de poing, s
« La malice serait bien noire,
Reprît l'autre, et je ne puis croire
iGO
ttEVIÎE U HISTOIRE LITTbftAIRE Î>E LA FltAXCE.
Une si grande trahison
De ce vieux bonhomme prison,
Ni qu'aucun des siens soit capable
D'une action si détestable ;
On dit qu'il passe pour un saint.
Que son monde l'aime et le craint
Et l'écoute comme un oracle,
Même qu'il a fait un miracle.
Do île ses maçons in *a conté
Qu'il a vut le dernier été.
Quand ' il fit par toute la Grèce
Lue si grande sécher*- -
Que tout périssait faute d'eau,
Se faire un miracle fort beau
Par les prières de cet homme*
Je tic sais pas comme il se nomme.
Celui qui m'en fit le récit,
Ce maçon qui Fa vu, m'a dit
Qu'il ne put plus gâcher son plaire
Et jure qu'il veut qu'on le chaire
S'il n'abandonna le métier
Et si pendant un mois entier *
On maugea viande que rôtie
Et d'autre soupe qu'à la pie;
Il fallut même qu'à la lin
On lit la barbe avec du vin. »[ble!
« Ah! dit Marceau, l'acte exécra-
Cela le scmble-t-il croyable?
Bon Dieu, quelle méchanceté
Que le bien de Dieu soït -aie I
Il ne faut plus qu* on s ébahisse [nisse
Que -tous les jours Dieu nous pu-
i C'est mon. dit Tant re Limousin,
Mais entends qu elle fut la fin.
En. ce temps personne qui vive
N'osa ni faire la lessive,
Ni laver ses mains ni sa peau ;
On défendit aux buveurs d'eau
Le sucre el la pâtisserie
Les ragoûts et l'épicerie,
Les artichauts, les champignons,
Les cervelas et les oignons
Les saucisses et les an douilles.
Il ma juré que les grenouilles
i ouvérenl pendant ce temps
Plus chères que les ortolans;
Que le revenu d'une ville
N'aurait pu payer une anguille
Kt du plus grand roi la rançon
Une salade de erc&sozL
De sorte que l'eau rare et chère.
Comme marchandise étrangère,
Dans de petils vaisseaux jolis
Se vendait comme rosolis.
C'est tout dire : dans Salamine
On n'en trouva qu'une chopïne
Et maint royaume tout entier
N'en avait pas denu-septîer.
More certaine vieille fille
Qu'ils appellent une sy bille
Leur dit qu'il fallait s'adresser
Pour tous ces maux faire cesser
À quelque homme de sainte vie_
Son ordonnance fut suivie :
Ce bon homme tel réputé
Par tous les Grecs fut député
Pour mettre fin à leurs misères
Par la force de ses prières.
En effet le vieillard le fit,
Lorsqu'à Jupiter il bâtit
Un beau temple cl Tort magnifique
Tout de marbre et d'ordre ionique, *
« Qui? ce bon homme au noir cha-
tte prit incontinent Marceau, [peau,
A bâti d'un ordre ionique
Un Le m pie de marbre ou de brique?
11 ne m'importe pas de quoi,
Mais au diable si je le croL
Voyons-nous pas bien son ouvrage?
El quel beau fichu maçonnage
Il a fait dans ce bastion
Auprès du château d'il ion ï
1. Note «le Perrault : Dlodore, livre 'S, îNiint Augustin fait mention de ce mîmr-le,
qui fut uni; pluie qu'on estimait avoir été obtenue du ciel par Jilaciià dans une
grandi sécheresse, Livr. 2 de la Cité de Dieu.
2. Gfolodl Perrault : Imitation de la description d'une sécheresse duos le Tasse
livre '1 de la Jérusalem*
us ft>£m m un OU CUUBE PEfcfUOLT, I
Déjà, Léonard, i! me tarde Vint à lui la face Hante,
Que je ne voie quelque bombarde Toute rouge et toute suante,
Tirer contre, et du premier coup Pour avoir couru promptement,
Abattre et culebutter tout* m Lui dire avec empressement
Léonard dit : « Vous pensez rire? Une nouvelle d'importance
Ma foi, je me suis laissé dire Et qui devait en apparence.
Que les Grecs et leurs potentats Ainsi qu'elle lit en ftffét,
bvrril des gens dans leurs états Le rendre beaucoup satisfait.
Pour venir par mer et par terre
Dans ce pays faire la guerre
Et venger certains chapeliers
Qu'ils nomment Argobalelîers ',
Parce qu'en venant de l'empiète
» Mon maître, se prit-il à dire,
La nouvelle n'est point tant pire;
Ne vous chagrinez plus de rien.
Le diable, comme on dit fort bien.
N'est pan toujours à une porte.
Que dans Cholcos ils avaient faite Je veux aujourd'hui qu'il m'emporte
Des fameuses toisons et peaux Si vous ne nous payez du vin.
Dont on fait les meilleurs chapeaux» Enfin, vos souliers neufs, en lin.
Et rasant le coté Tmyenne
Pour s'en retournera Mycène,
Ils furent ici malmenés
Où Ton leur cogna bien le nez.
Quand par un artifice infâme
Jason et sa catin de femme
Vendirent au père d'Hector
Un vigogne pour un castor.
Il est vrai que cette Médée
Faisait mie telle pipée
Que les plus tins et plus rusés
Etaient les premiers abusés,
Outre que cette misérable
Avait un secret admirable
Pour rajeunir un vieux chapeau
Et le rendre tellement beau
Par la force de sa teinture
Qu'il semblait changer de nature.
Le vieil chapeau du boa >'Eson,
Père de ce maître Jason,
En rendit une preuve illustre
Quoiqu'il eût son vingtième lustre
Et qu'il fût tout des plus méchants
Après avoir servi cent ans;
Ce secret eut bien la puissance
De le remettre en son enfance. »
Ainsi raisonnait ce maçon
Lorsque Julien, son garçon f
Qui vous ont causé tant de larmes
Et nous ont donné tant d'alarmes,
Des tlammes ont été sauvés;
C'est moi qui les ai retrouvés. »
Léonard à cette nouvelle
Haussa vers la voûte éternelle
Ses deux grands yeux émerveillés
Et ses gros doigts écarquillés ;
Mais la joie el l'incertitude,
La surprise et sa promptitude
Lui dérobèrent à la fois
Et le jugement et la voix.
Julien tout enflé de gloire
Poursuivit ainsi son histoire :
« Nous avons déjà néanmoins
Bien enfourné des coups de points
Pour cette admirable chaussure
Que par une étrange aventure
Je viens de trouver ce matin
Dans le cotïre du grand Martin, i
Léonard reprenant l'usage
Du sentiment et du langage,
Ému de joie et de douleur
Enfin s'écria : « Le voleur!
Le méchant! qui dans mon estime
Avait passé pour mon intime!
Le traître! Je les lui montrai
Le jour que je les achetai.
1, Note de Perrault ; Argon au le s.
46a HEVCE ^HISTOIRE LITTÉRAIRE DE U llUttCB.
Croyant que l'amitié sacrée
A cause de la jalousie
Que cet ingrat m'avait jurée
Qui lui troublait la fantaisie,
Me défendait de lui cacher
Et si l'autre ne l'eûi pressé
Un bien que je tenais si cher.
Avec son pauvre nez cassé
Il est vrai que mon imprudence
Et sa façon elTaroucli
Excuse beaucoup son offense
Sun âme était si peu touchée
Et le malheur du Lydien
Du danger où Phébus était
Qui souhaita que de son bien1
Que froidement il s'enquêtait
Son ami du moins eût la vue
Du sujet de celte, bagarre,
En lui montrant sa femme nue
Lorsqu'un caillou sans dire gare
Me devait rendre plus prudent
Vint si rondement faire lac
Dedans uti pareil accident;
Sur le haut de son estomac
Mais enfin celle destinée
Que sa bile en fut échauffée.
Dans le ciel était ordonnée» »
Jamais la plus rude houlïée
Le dieu de la mer attentif
Dont Aquilon insolemment
Ecoutait ce discours naïf,
Le sou Me te en son élément
Parce qu'il avait espérance
Ne le fit oneque en un orage
Qu'ils rentreraient en conférence
Écumer d'une telle rage,
Sur le sujet de Thélamon,
Comme lorsque ce ricochet
Lorsqu'il aperçut Paie mon
Lui passa dessus le bréchet,
Qui tout sanglant par le visage
Car dune manière insensée
S'en courait devers le rivage
11 s'en alla lé le baissée
Criant avec un grand effroi :
lilasphémant ainsi qu'un chartier
«A moi, ii moi, mon maître à moi! >
Et courut droit vers le quartier
En même temps un grand tumulte
; Où la mêlée était plus forte
D'écbafauds que Ton eulebute
Suivi d'une grande cohorte
D'un froissement d'air et de seaux,
De tritons et de dieux marins
De dêfoncemenls de tonneaux.
Armés d'outils de Limousine.
De cris confus parmi la grêle
Là ne respirant que tuerie,
De plâtras tombant pêle-mêle
Le premier sur qui sa furie
Sur reins, sur té Les et sur dos»
Lui fit décharger à l'abord
Sur pelles et sur tombereaux,
Tombe s 'écriant : "Je suis mort!
Dont s'élevait une poussière
D'une façon badine et sotte»
Qui du ciel cachait la lumière,
Car on ne perça que sa cotte
Le fit relever promptement
Où le trident entrevêché
Avec un grand clonnemcnL
Tint longtemps Neptune empêché.
Palémon le voyant parailre
Qui le retirant de rudesse
Se mit à crier : « Notre mailre,
Alla tomber à la renverse
On assomme votre neveu»
Au milieu d'un tas de mortier
Je vous jure, ce n'est point jeu »,
Qui l'ensevelit presque entier.
Ce dit-il, quand il vit sourire
De là se relevant à peine
Neptune qui» pour le vrai dire,
De chaux la face toute pleine
Aurait tout de bon souhaité
Et sa barbe et ses cheveux verts
Qu'Apollon eût été froUc
De morlierpresque tout couvert s.
1. Note de Perrault : Hérodote, livre 2,
07* PO KM K INÉDIT DE CL AIDE Î'EIUIAI ■LT, Wâ
Comme un pourceau quand il se vautre, Tous ses coups contre son flanc
Ses gens le prirent pour un autre,
Et sous sa poitrine poissée f noir,
Kt reconnaissant d'assez loin
Bruire mainte vague froissée,
Le trident qu'il avait au point
Si la fureur des aquilons,
S « -rièrent : « Voila le traître»
Les caprices des tourbillons,
Et l'ennemi de notre maître
Et les feux dont l'air étincelle
Qui sans doute l'a désarmé
De la mer prennent la querelle,
EU peut-être même assommé
Tout ce que peut faire la poix
Hélas! avec ses propres armes. »
La force et l'épaisseur du bois,
Ce disant tous ces liers gendarmes
Des nochers l'art et le courage
Vinrent tellement le charger
C'est de retarder le naufrage,
Dans le dessein de le venger
Enfin le délabré vaisseau
Que si Phébus par bonne encontre
Est contraint de céder à l'eau;
Ne se fût trouvé là tout contre
L'orguei lieuse vague s obstine
Qui les tira de cette erreur
Et d'une manière mutine
11 fût arrivé du malheur.
Baisse la tête et reculant
Neptune dans la conjoncture
Vient d'un elTortplus violent,
D'une si fâcheuse aventure
Et sans quitter son entreprise,
Outrageusement affligé
Enfin le renverse ou le brise.
Que son rival l'eût obligé,
Ainsi l'escadron redouté
Courut décharger sa colère
Dont Neptune était escorté*
Sur Thélamon et sur son père.
Malgré la résistance brave,
Or le bon vieillard ;Eacus
Les barricades et l'entrave
Avec Thélamon et Phocus
Qu'on opposait à sa fureur,
Étaient derrière une charrette
Fit tout plier sous sa valeur.
nui jointe avec une brouette
Le dieu de sa triple fourchette
Une civière, un tombereau, [d'eau
D'un coup renverse la charrette,
Une échelle, un grand mutd plein
Et furieux comme un démon
Faisait contre une vieille porte
Fut pour attaquer Thélamon,
Une barricade assez forte;
Qui, cédant à celte puissance,
Et couverts de cet embarras
Fit sa retraite en diligence»
A coup de régie et de plâtras
Lore Neptune courant après,
Ils tenaient avec grand courage
Quoiqu'il le poursuivit de près.
Contre l'insolence et la rage
Tout à coup le perdit de vue:
De tous les maçons de Phébus
Le prince entra dans une grue
Acharnés sur ceux d\4<!acus,
Qui sur son chemin se trouva.
Qui se mirent tous a la fuite
Et dans la roue il se sauva.
Quand Neptune avecque sa suite
Lors d'une force redoublée
Comme un torrent impétueux
Dans la grande roue ébranlée
S'avança pour fondre sur eux.
IL courut et grimpa si fort
Ainsi qu'un vaisseau qui tient tête Que le cable avec grand effort
Contre une légère tempête,
Et par une étrange fortune
Laissant blanchir sans s'émouvoir
Entortillant le dieu Neptune •
I, Noie de Perrault : Imitation de Virgile qui fait que Turnus, courant après le
fantôme d'Hnée, est enlève et amené malgré lui dan* un vaigseau. Enéide^ liv. VIII.
464 RBVOI lÙNSTOÏttE LlTTÉItAME UE LA FUANCE.
Viol l'accrocher si bien h point
« Ah ! je veux sur votre aventure
Au derrière de son pourpoint
Laisser â la race future
Par l'agrafe qui fend Ut pierre
Do marques de ressentiment
Qu'il vous l'enleva hors de terre
Oui durent éternellement I
EL le fit doucement hausser
Nont non, ce dit-il, vos cadavres
Sans qu'il pût se débarrasser,
N'iront point, palissants et hâves,
Bien qu'il tâchât de mainte sorte
De Ilot en Ilot me reprochant
Et par mainte secousse forte
Que je suis un méconnaissant. *
D'échapper en se démenant
A ce mot la mer hérissée
Pendant qu'il montait en tournant
* Frémit et comme courroucée
A ce spectacle pitoyable
Se noircit de ces petits flots
Des Nymphes la troupe honorable Qui font pâlir les matelots.
Qui près des bords de Ténèclos
Toutefois ce mauvais visage
Ayant répandu sur leur dos
Ne fui point un signe d'orage
Les ondes de leur chevelure,
Mais bien de Tenorl véhément
Hors de l'eau jusqu'à la ceinture
Que la mer lit en ce moment
Se peignaient aux rais du soleil,
Pour rendre la forme changée
Eu haut par hasard levant l'œil
De cette troupe submergée
Ressentirent leur à me atteinte
Aussitôt en plusieurs façons
De pitié, d'horreur et de crainte.
Elle fut changée en poisons,
Doris à cet objet nouveau
Les peignes en lire ni Taré te
Laissa choir son peigne dans l'eau;
Et l'étui Je corps de la bête,
Cymodocé levant la vue
Dont le bord tout autour frangé
Au cri de Doris éperdue
En des nageoires fut changé.
Laissa choir aussi son miroir
Du dieu la puissante parole
Qu'elle oc put jamais revoir,
Transforma le plus long en sole;
Et depuis seulement dans l'onde
Un d'ivoire fort applali
Elle mira sa tresse blonde;
En carrelet fut converti;
La demoiselle de TcLhîs
Un grand d'écaillé de tortue
Laissa tomber tous les outils
Devînt une grande barbue
Qu'elle apportait à sa maîtresse
Et le dernier, fail de roseau,
Pour sou visage et pour sa Iresse
Comme il nageait encore sur l'eau*
Les pincettes, poinrons et fera.
Étant le moindre de la bande,
Les petits pots blancs, bleus et verts
Parut en petite limande,
Tout fut à fond, hormis les mouches Les boites et les petits pola
Qu'on voit encore toutes farouches Roulant de même sous les flots
L'automne, quand le temps est N'eurent pas les dieux moins pro-
Jouer sur la face de l'eau. [beau,
[piees;*
Neptune du haut de sa grue
Les uns devinrent écrivisses,
Sur la mer étendant sa vue
Les autres coquilles de prix,
Considérait la larme a l'œil
Les pommades en ambre gris
Des siens la tristesse et le deuil ;
Et corail furent transformées
Ces pauvres peignes et ces boettes Dans leurs couleurs accoutumées*
Et tant d'outils beaux et honnêtes
Une boite allait trépasser
Noyés à son occasion
Pleine de pâte à décrasser
L'émurent à compassion.
Qui fut convertie en tortue
UN POÈME INÉDIT DE CLAUDE PERRAULT.
465
Et la pâte en coquesigrue '.
Mais ces belles nymphes des eaux
Malgré ces miracles nouveaux
Ne purent bannir la tristesse,
Le déplaisir et la détresse
Que la peine où Neptune était
Au profond du cœur leur mettait.
Entre toutes la plus contrite
Fut la bonne femme Amphitrite,
Quand elle aperçut son mari
Tourner comme en un pilori
Au milieu d'une populace
Qui se riait de sa disgrâce ;
Car tout le tumulte cessa
Dans le moment qu'il commença
A s'élever un peu de terre,
D'autant que le roi vint grand erre
Accompagné de ses soldats
Afin de mettre les holas.
Ce prince accourut en personne
Parce qu'il apprit qu'Hésione,
Quand le bruit avait commencé,
Avait secrètement passé
Par une porte de derrière
Qui répondait sur la rivière,
Et le bonhomme se doutait
Avec raison pourquoi c'était.
On l'avait averti naguère
Que certaine flotte étrangère
Près de la côte avait paru;
De plus un bruit avait couru
Que les Grecs avaient dans la ville
Intelligence avec sa fille.
Ce soupçon lui fit promptement
Commander à son régiment
De se rendre sur le rivage
Quand il entendit le ravage
Que firent les gens d'^Eacus,
De Thélamon et de Phocus,
En excitant une querelle
Parmi la gent porte- truelle.
Leur but était que ce sabbat
Et ce ridicule combat,
En donnant une fausse alarme,
Empêchât parmi ce vacarme
Les soldats qui sont dans le fort
De prendre garde sur le port
Lorsque les navires de Grèce
Viendraient enlever la princesse.
De fait, le roi fut abusé,
Ainsi qu'ils s'étaient proposé;
Et la crainte et la batterie
Se changèrent en raillerie,
Quand la majesté du vieillard
Et la mièvretédu soudart,
Qui vint flober sur trois ou quatre,
Eut chassé l'ardeur de se battre
De leurs courages inhumains,
Faisant tomber hors de leurs mains
Maint ferrement et mainte pierre
Dont ils se faisaient rude guerre,
Et retourner à leurs pieds bots
Ces savates et ces sabots,
Qui dans le fort de la tempête
Allaient et volaient à la tête.
Le tumulte étant donc cessé
Et chaque chapeau ramassé,
Non pour mettre sur chaque tête,
Mais par certain respect honnête
Sous chaque aisselle être serré,
Neptune fut considéré
Et sa mine fut contrôlée
Par une honorable assemblée.
Le roi témoignant s'en fâcher
Voulait qu'on l'ailât décrocher,
Mais .la princesse un peu railleuse
D'une façon malicieuse
Avec ses filles le gaussa;
Dont tellement il s'offensa
Que lors son amour fut changée
En une colère enragée
Qui disposa fort ses esprits
A n'avoir plus que du mépris
Pour cette maîtresse insensible.
Faisant donc encore son possible
Pour se pouvoir détortilier,
i. Note de Perrault : Un poisson informe et très imparfait, ressemblant à dé la
pâte.
M HEVUE u'histoike LtTttHAllIB Dft l\ riUflCt-
11 se remit à gambïller,
Kst bien funeste et bien cruelle!
Ce qui fit faire a rassemblée
Plût au ciel qu'une amour nouvelle
Un nouvel éclat de ri
T'engageât encor, eher époux,
Qui toucha sa chère moitié
Et que nous l'eussions parmi nous.
Par de nouveaux traits de pitié.
Si je fus jamais en colère
Sa douleur parut sans seconde,
De voir qu'une autre ait pu te plaire,
De ses pleurs elle accrut son onde,
Je te proteste que mon en m
Et vint à dire en se mouchant
Conçoit toute une autre douleur
Je ne sais quoi de si louchant*
De te voir être la rifée
De si funeste et de si tendre.
D'un peuple et de celle rusée
Que Thélis ne la put entendre
De qui le mépris outrageant
Ni les nymphes pareillement
Vient m'afflige r en me vengeant. ■
Sans pleurer très amèrement.
Durant ce discours pathétique -
La mer par ces larmes troublée Le devin fut fort pacifique.
Devint plus acre et plus salée,
A voir son grand menton chenu 3
Dont fut altéré le poumon
Penché sur son estomac nu,
A mainte alose, k maint saumon,
Sas yeux ijrhësi sur la filasse
Qui pour rencontrer dans le Xanlhe De son ondoyante barbasse,
Une eau douce et rafraîchissante,
Ses deux longs sourcils abaissés
Troupe a troupe, grands et petits,
Et très timidement plissés.
Délaissant les eaux de Thétis
Les prominences de sa moue
Et les élables de Protliée,
Faites aux dépens de sa joue,
De leur belle écaille argentée
Et son nez soufflant et poussif
S'en vinrent enrichir les eaux
Où le jugeait Lien attentif.
Des rivières et des ruisseaux.
Mais la plainte étant achevée *
Le pasteur des plaines humides l
Sa posture fut bien eh&Qgé
Aperçut ses élables vîdôa
Le corps lui devint pantelant
Et voyant ses troupeaux filer
Et le regard étineelant ;
Kl dans les fleuves se couler,
Sa prunelle parut plus verte,
Il les voulut suivre à la piste
Sa bouche se tint entrouverte,
Et vint où cette bande triste
Et ses grands doigts écarquillés
Piteusement se lamentant
Dessus ses deux flancs écaillés
Dans ses larmes allait Huilant.
Aux Naïades firent entend re
Lorsqu'Àmphitrile et Galathée
Que cette extase allait le prendre
Aperçurent le dieu Prolhée»
Où son esprit se ramassant
Il renouvela leurs douleur-
Conçoit par un effort puissant
Et leur fit redoubler leurs pleurs.
Tout ce que le destin minute
n Ah! cher ami, dit Amphilrile,
Cent ans avant qu'il l'exécute.
L'aventure qu'on m'a prédite
Quand il eut quelque temps clé*
Qui devait retirer un jour
Dans cette posture arrêté,
Mun mari de son fol amour,
Il reprit un air moins farouche,
1. Note de Perrault : Protliée.
2. Ni ite •[■■ iVrr.mH ; Mythologie du changement de ProLhée.
3, Noie de Perrault : Premier changement.
*• Note de Perrault : Second etm n cernent.
5, Note de Perrault : Troisième changement.
LT!S POÈME INÉDIT UE CLAUDE PERRAULT.
4G7
rnn^rmi pi us doux et moin s louche* Comme on brûle par m illiasses
El sa bouche insensiblement Les puces dedans leurs paillasses,
Par un souris plein d agrément Les chenilles dans leurs bouchons,
S'ullongeant devers chaque oreille Comme les pauvre* limaçons
S'ouvrit et remplit de merveille Sont écrasés clans leur coquille»
La bonne princesse des ilôts
Alors qu'il lui tint ce propos,
Le Ihéâlre de sa grimace
Ayant change trois lois de face :
« Déesse, tu te plains à torl
Des rigoureuses lois du sort;
Taris la si m r ce de tes larmes.
Fais cesser toutes ces alarmes,
Que ton amour te donne en vain
El crois ce que dit ton devin.
Dans peu !a Torl une changée
Te rendra pleinement fun
De tous ceux qui ma! à propos
Troublent aujourd'hui ton repos.
Souviens-toi que ce qui t'afflige,
Cet instrument sous qui voltige1
Ton pauvre Neptune é perdu
Dans la posture d'un pendu
Sera celui de ta vengeance,
Lorsque pour punir l'insolence
De ce peuple lier et mutin
Par un juste effet du destin
La machine tant importune
Qui fait qu'on se rit de Neptune,
Enfin nous fera quelque jour
Des Troyens rire â noire tour*
Cet instrument, dis-je, lui-même
Causera le malheur extrême
Qui les doit réduire aux abois
Ainsi les Troyens dans leur ville
Seront cruellement grillés
El par les Grecs écarbouillés»
Que cet objet épouvantable
M*' forme une idée agréable,
Quand je me représente un Mars
Qui foudroyant de toutes parts
Pour tout tuer et tout abattre
Fait là dedans le diable à quatre!
Que la rage et Thorreur flottants
Sur le sang de ces habitants
Qui ruiselle dans chaque rue
Plaisent grandement à ma vue!
Et queje suis en belle tumeur
De voir parmi cette rumeur
Yulcaîn qui danse des courantes
Avec ses flammes voltigea nies,
EIl qui sur ces murs abattus
Fait rage de ses pieds tortus!
En attendant cette vengeance,
Qui doit exterminer l'engeance
Du perfide Laomedon
Sans ressource et sans nul pardon f
Du ciel la colère ennemie
Ne se tiendra pas endormie :
Je nourris un jeune poisson
Qui quel que jour a la façon,
A ce que je juge à sa trogne,
De leur tuilier de la besogne.
Quand ainsi qu'un cheval de hoU- .lésais qu'avant qu'il soit trois ans
Portant sur soi mille gendarmes Les bourgeois et les paysans
Avec leui et leurs armes, Sauront quels étranges ravages
Il les haussera dix à dix 11 causera sur leurs rivages. »»
El les posera tous brandis Alors chacun jeta les yeux
Au haut de ces murs imprenables; Sur un monstre* horrible et hideux
Lors jugez si ces misérables Qui s'en vint pour Daller ProU-e
Et par le fer et par le feu Avec son écaille crottée.
Verront chez eux jouer beau jeu. Il avait h- thz de faodk«f,
i. Note <te Perrault ; Li Crut*
2. Note de Perrault : Cl- Ut! machine est décrite j>ar Vigies*
3. Note rie Perraull : Munilre empoté de aept quollbftl*
_
468 REVUE tHUSTOlKE LITTERAIRE D& là KHANCE.
Toute ht queue et le flanchet
Emplissant tout à l'euviron
Avec la crête de morue
De sale écume et de limon*
Et je ne sais quai dans la vue
Dieu sait aussi comme nos tilles
Qui tenait de l'œil de merlan,
Se feront belles et gentilles
Le d o i de mrpe la rçe it grau d
Des bijoux et des affiquets
[féeailk mve et fort vilaine
Quelles trouveront au palais,
Et In nature 4b baleine.
Et comme elles iront par bande,
^Lce monstre n est suffisant.
Du moins celles qui sont friandes,
Ce dit Prolhèe en poursuivant,
Aux boutiques des épiciers
Pour mander toutes ces canailles
EL dans les fours des pâtissiers :
Et pour abattre leurs murailles,
Combien de sortes de dragées
Le ciel d'ailleurs saura trouver
Et de tourtes seront mangées!
Les moyens de les achever.
Mais dans la désolation
Saturne deviendra malade
D'une telle inondation
Pour avoir logé rétrograde
U ne se trouvera personne
Dons TÉcrevisse tout l'hiver
Déplus muhrailé qu'Hésiooe.
Fort froidement et mal couvert '.
Notre bon vaurien de poisson
Si m nez distillant, de roupie,
Fera tant le mauvais garçon,
Son ventre enflé d'hvdropisie
Tant de hissextre et tant de foudre
Et sa rate Feront tant d en u
Qu'enfin il faudra se résoudre
Qu'il en coulera un ruisseau,
Pour sauver 1 étal du danger
Maint grand orage et mainte ondée De la lui donner a manger,
Dont la mer sera débordée.
Selon l'ordonnance et la verve
Jugez si selon son désir
De la prêtresse de Minerve,
Neptune aura lors du plaisir
Je sais bien qu Hercule viendra,
De voir ses ondes triomphantes
Qui d'abord la délivrera
Kt superbement bruissantes
Mais aussi je sais que son père,
Parmi la vMIe sYpaneher;
En lui refusant pour salaire
De voir sur Je eoq d'un clocher [ges Les chevaux qu'il aura promis,
Triton monté domine un Saînt-Geor
'- Se rendra mortels ennemi-
Et Glaueus le pied sur la gorge
Hercule et ses compatriotes
Du plus superbe bastion
Les preux et vaillants Argonauf-
Qui soit dans les murs d'ilion;
Qui pour en avoir la raison
De voie nos poissons fiers et braves
Et venger celte trahison
Ravager tout au fond des caves;
Viendront l'assommer dans sa ville*
Les saumons (Vais et les harengs
Alors sa coqnetle de fille
Aller par-ci par-là courant
Qui fait àPhébus les yeux doux
Descendre par les cheminées
Kt se moque .Im votre époux,
Et dans les âLres ruinées
Dans le saceagement de Troye,
Éparpiller cendre et charbons,
Ainsi qu'une fille de joie
Iteriverr-erfriquets et chaudrons,
Sera remise à Ta ban don
PoélonSf grilfl et poêles à frire
Entre les ruai us de Thëlamon,
Et tout ce qu'on a pour les cuire,
De Thëlamon qu'elle déteste
1, Nota de Perrault : En c*' temps il plut presque toujours pendant deux ou in
ans. La lie du peuple des philosophes disait ijue c'était parce ipie Saturne était
rétrogradé dans FÉ&rcvj
UN POÈME iNÊDtT
DE CLAUDE PEftfcADLT, 460
Et qu'elle hait plus que la peste.
Qu'ils ont, il faut que je le diet
Du moins votre pauvre mari
Entrepris fort à lVtourdïe;
Que le mépris aura guéri
Car c'est justement dans ce lieu
Pourra goûter celte vengeance;
Que la majesté de ce dieu
Car il faut qu'il perde espérance
Qui tient le sceptre du bien dire
De recevoir de paiement
S'en va perdre tout le pouvoir
Pour ce malheureux bâtiment :
QiM>n hu vit autrefois avoir.
il n'en aura jamais un double *f
Eu ce Heu la crasse et i ordure
Laomédon perfide et double
Gagnant au delà de sa bure
Chassera par un lâche tour
Glisse déjà dans son esprit
L'oncle et le neveu de sa cour
Et celui qui jadis apprit
En leur donnant pour récompense Le langage des dieux aux hommes
Des maudissons en abondance.
Fait voir dans le siècle où nous sommes
Mais surtout votre beau neveu
Le mieux disant de tous Les dieux
Qui se rit et qui prend au jeu
Étudier celui des ftueux.
Cette injure et cette insolence
Es ce lieu, dans des eaux croupies *f
Dont on outrage en sa présence
Sous les plairas et les orties
Un si vénérable vieillard
Et parmi les decombrements
S'en repentira tôt ou tard.
Des ruines des vieux bâtiments,
Je prévois qu'un jour cette lyre
Se forme de leur pourriture
Qui fait qu'aujourd'hui l'on, admire Un monstre d'étrange nature
Toutes les chansons qu'il vous dit Qui dans peu fera repentir
Perdra beaucoup de son crédit.
Pbébus de l'avoir fait nounr :
Lors cette belle poésie,
Sa voix sera basse et vulgaire,
Plus douce a présent qu'ambroisie Sa langue épaisse et Fort grossière,
Et que nectar délicieux
Sur la terre il ira rampant
Au goût de l'esprit de ces dieux,
Comme un misérable serpent,
Semblera fade et mal plaisante,
Ne se plaisant que dans Tordure*
Insupportable et dégoûtante
Son extravagante figure
Aux plus affamés des mortels.
K tonnera tout Tu ni vers
En ce temps au lieu des autels
De ses caractères divers.
Qu'aujourd'hui l'on fait aux poètes Tantôt sa figure, ironique,
On leur donnera les sonnettes,
Mêlée avec l'hyperbolique,
La marotte et le capuchon,
Choquera le peuple ignorant;
Leur laurier deviendra bouchon,
Tantôt, comme un loup dévorant,
Parmi s s r: deviendra taverne,
Il cherchera partout à mordre
Leur lyre deviendra guiterne
Et causera bien du désordre
Et le révérend Apollon
Par le poison pernicieux
Sera traité de violon.
Qu'il ira vomir en tous lieux*
Or le sujet sur toutes choses
Souvent en forme de satyre
De toutes ces métamorphoses
il fera tout crever de riret
Et le premier commencement
Plus souvent froid comme un glaçon
Est ce beau chien de bâtiment,
Il viendra donner le frisson.
1. Ancienne monnaie.
S* Noie de Perrault : Naissance d'une
monstre appelée Burlesque,
Rev. d'hi»t. lîttëh. ue la Fhakce (T Àan«),— VU. 31
r.o
D HISTOIRE ttTTÊlUlUË DE LA FUANCE.
Alors de son haleine infecte
On verra maint et maint insecte
S'édore dessus des papiers,
Qui rongera tous les lauriers.
Or cette aventure menace
Tout le royaume du Parnasse,
Car par celte corruplinu
Des poètes la nali-n
Sera tellement avilie
Qu'on fera passer pour folie
Ce nom célèbre et glorieux
Qui les rendait égfta? aux dieux,
Apollon qui par ses augures
Croit voir dans les choses futures
Aussi clair comme en plein midi
Se trouvera bien étourdi,
Voyant qu'avec tous ses augures
Il a si mal pris ses mesures
Et connaîtra que mes avis
Doivent toujours être suivis.
Quant à notre maître Neptune,
Bien que je plaigne sa fortune.
Il a ce qull a mérité
Pour son opiniâtreté :
Il ne prête jamais Toretlle
A rien de ce qu'on lui conseille.
Il me souvient que je lui dis1
Même avant qu'il eut entrepris
Et conclu cetl<k bail* nflaire :
« Non ce n'est pas à vous à faire ■
De vous mrler dans le mortier :
Vous vous perdrez dans ce métier.
Au bout quelle est la récompense
De tant de peine et de dépense?
Vous consommez vos propres eaux
Pour aller bâtir «les châteaux
Contre qui vos values poussées
Seront tous les jours fracassées
Et vous nous ferez tous pâtir
De votre rage de bâtir.
D'ailleurs étant hors votre rive
Si quelque malheur vous arrive
Nous ne pourrons vous secourir
Quand bien vous y devriez périr.
Mais il ne fit jamais que rire
De tout ce que je pus lui diref
Aimant mieux croire son neveu
Qu'il devrait fuir comme le feu,
Lui qui par plaisir rembarrasse
Parce qu'il voit qu'il osi burinasse,
N'étant pas des plus dess^ I
Et qui sans ces écervelcs
Dont toujours quelqu'un le réveille
Cl lui va soufflant à l'oreille
Quelque chose pour l'émouvoir
N'aurait pas beaucoup de pouvoir.
Même sans que Phébus le hante1,
Celte humeur revéche et piquante
Qui souvent cause a votre cœur
Tant d amertume et de douleur»
Serait toujours paisible et douce ,
Car le dieu va comme on le pousse»
Pour moi, j'admire sa bonté ;
N'est-ce pas une indignité
De voir comme Phébus s'en moque,
Alors qu'il lui fait une toque
D'un gros vilain papier brouillard
Dont il affuble le vieillard,
A tin que sang qu'il s'en avise
Tout à loisir il le conduise
El le fasse insensiblement
Sortir hors de sou élément?
Il a cent autres artifices
Et cent autres noires malices
Qu'il emploie à le tourmenter,
Lorsqu'il peut le faire monter
Jusque dans le second étage
Du palais qui fut le partage
De notre père Jupiter;
C'est là que le tenant en l'air
Phébus avec sa seeur la Lune
Se plaisent à faire à Neptune
i. Note de Perrault : Allégorie sur les chû&ea naturelles.
2, Note de Perrault : L'eau de la mer ne vaut rien à faire le mortier, \ïtruvef
livre 2.
3, Noie de Perrault : Quelques philosophes estiment que l'amertume de la nier
\ienl de la chaleur du soleil qui la brûle.
i H î'OÉME 1K£d1T DE CLAUDE: PERRAULT.
m
Chaque jour un nouvel affront:
Phéhus loi f-aiL peindre te front
De mai nie couleur ridicule
Par son grand valet Crépuscule,
Et puis après le plus souvent
Il lahandimne au gré du Vent
Qui s'en divertit et s'en joue.
Il déguise en mille façons
Notre pauvre dieu des poissons,
En bâtes grosses et menues
Et mille chimères cornues.
Bien souvent ce malicieux
Le fait courir par tous les deux,
Il le mène et puis le ramène
Du seul souffle de son haleine.
'Souvent aussi pour Té tonner
Ju piler se met à tonner
Et fait choir loin de leurs rivages
Sibs Ny mphes dans des lieux B&UYages
Sur rochers, sur monts et sur vaux,
D'où sans endurer maints travaux
Kt ^ans passer beaucoup d'Années
€es pauvres ondes égarées
Ne peuvent retourner chez lui.
Mais, quoi? ce n'est pas d au jour-
Que Jupiter nous porte envie, [d'hui
Car il Ta fait toute sa vie.
Chacun sait que depuis le temps
■QuHI a rembarré les Titans,
Parce qu'il vint que son tonnerre
A réussi dans cette guerre,
Il croit que tous les Immortels
Lui doivent bâtir des autels,
Et que depuis cette victoire
Tout ce bon dieu s en fait accroire :
Nous ne tenons tous aujourd'hui
La vie et les biens que de lui.
Cependant en sa conscience
Il sait que sans notre assistance
Il n en cassait que d'une dent
Son foudre sans notre trident;
Enfin tousses feux sans notre onde,
Plus faibles que des coups de fronde,
N'auraient parmi ces fiers géants
Passé que pour des jeux d'enfants.
En effet, alors qu' Encelade
Fit la fameuse barricade
Où posant rocher sur rocher
Plus haut que le plus haut clocher,
Secondé par ceux de sa liguet
Il bâtit cette forte digue
Pur qui l'Olympe fut bloqué,
Jupiter s'en allait croqué.
Déjà Typhon et sa cohorte
Marchait pour enfoncer la porte
Et Uéryon prêt adonner
N'en aurait fait qu'un déjeuner,
Si pendant que par la fenêtre
On fanait péter le salpiHre
EL que les dieux perdaient le temps
A chamailler sur les Tilans,
Neptune et sa troupe marine
N'eût fait écrouler la machine
De ces rocs mal pilotiség,
Sous qui les géants écrasés
Ou du moins renversés par terre
Mirent bientôt fin à la guerre,
Faisant bmi marché de leur peau
A Mars qui de son grand couteau
N'aurait pu devant cette cliute,
Cette opportune cullebute,
Atteindre en haut de leurs souliers
Ni couper que leurs cors aux pieds.
Néanmoins Jupiter enrage
Et s'il avait cru son courage
11 nous aurait extermines,
Parce que souvent à son nez
Je soutiens qu'en cette victoire
Neptune a la plus grande gloire,
Et qu'en cas d'ébranler rocher»
De remuer monts et clochers
EL faire chanceler la Terre
La mer peut plus que son tonnerre1.*
Durant que le dieu babillait,
La troupe des Nymphes baillait
Et semblait fort inquiétée
\. Noie de Perrault : Neptune est appelé EnosiehLhon par Hésiode, c'est-à-dire
qui ébranle la terre. Homère lui donne aussi La infime épi t lié le.
472
REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE ÛK LA FRANCE.
Du long entretien de Protée ;
Car depuis qu'il eut commencé
A leur parler du temps passé,
De la ligue et des barricades,
Ces jeunes sottes de Naïades
Avaient sans cesse badiné :
L'une avait toujours patiné
Une petite carpe œuvée,
L'autre une limande privée
Qui la suivait comme un bichon
Et se cachait dans son manchon ;
L'autre d'une façon coquette
Incessamment de sa manchette
Liait, déliait les rubans,
Tournait et regardait ses gants,
Haussait et rabaissait son voile;
L'autre sans cesse battait l'aile
Ou frappait de son éventail
Ou de «on busqué de corail.
De quoi s'apercevant Protée,
D'une mine un peu refrognée
Il blâma leur légèreté
Et sur cette incivilité
Fit à cette joyeuse bande
Une assez rude réprimande.
Après quoi le devin se tut
Et s'étant plongé disparut,
Laissant là toute l'assistance
Dans un morne et profond silence ;
Le seul bruit agréable et doux
D'un flot écumant sans courroux,
Qui vint faire une pirouette
Comme un sabot quand on le fouette,.
Autour du grand trou refermé
Où le Dieu s'était abtmé,
Crevant cent petites bouteilles,
Frappa doucement les oreilles.
BIOUOGIIAPHIE I*KS OXVRES HE TA INI-:.
473
BIBLIOGRAPHIE DES ŒUVRES DE TAINE
D'un livre qui va prochainement paraître aux librairies Werlh (Fribourg),
et Hachette (Paris), sous ce litre : Essai sur Tainetson œuvre et son htpnr.nret je
détache les pa^es qui vont suivre. Le livre, qui fera partie des Coitectanta
fribwrçcntia (public al ion académique de l'Université de Kri bourg en Suisse),
ne devant être tiré qu à un nombre Tort restreint d'exemplaires, il m'a paru
qu'il était d'un intérêt général que cette modeste bibliographie put être à la
disposition du plus grand nombre de travailleurs possible, Je n'ai rien négligé
pour qu'elle fût aussi complète et aussi exacte qu'il fallait le souhaiter. Mais»
à dépouiller, numéro par numéro, je ne sais combien d'années du t&utH&l dit
Débats ou de la Revue de final ructian puUit/ue \ on apprend à déplorer
l'absence des tables des matières, et rinsuflisance de ses propres facultés
d'attention, Il est donc probable qu'il y aura dans cet inventaire quelques
inexactitudes, surtout peut-être quelques lacunes, deux qui voudront bien me
les signaler auront droit à toute ma reconnaissance, à celle aussi — j'en parle
un peu par expérience — de tous les amis des lettres françaises. On ne peut
faire avec toute la précision désirable l'histoire de ta pensée de Taîne, si Ton
n*a pas comparé entre elles les diverses éditions de ses œuvres, et si Ton nTa
pas, — en attendant la publication de sa Correspondance et de ses fameux
carnets, — consulté les articles qu'il a négligé de recueillir. De ces articles,
j'ai eu la bonne fortune de retrouver une quarantaine. Ils ne contiennent pan
une page banale, pas une qui ne soit tout a fait digne du Taine que nous con-
naissons 3, et peut-être le mot d'admirable n'est-il pas trop fort pour carac-
C. M1" Taîne a bien voulu nie fournir quelques indications qui m'ont été fort
utiles. Je lui en exprime ici ma respectueux RrMitudr. j*ai ai)s5] été aide d*JU mm
recherches par un de mes jeunes camarades d'Ecole normale, M* Augustin !.-
qui a eu l'amabilité de nie communiquer les notes qu'il avait recueillies, pour une
•intéressante étude, encore inédite, sur Tain? et rAnf/leterre^ el qui s'est livré pour
moi, au ElriLîsh Muséum, à un très fastidieux supplément d'enquête. Je le prie
d*igréer mes plus cordiaux remerciements.
2. Donnons un exemple pris absolument au hasard. Je remprunte à un article
sur VHistoire de la philosophie modern*, par le docteur Henri Rilter, traduction et
introduction par M. Chailemel-Larour, article qui ■ paru dans les D*haU du
28 aoûi iStil. Apres un paragraphe sur H* Hitler, Taîne continue en ces termes :
• Aussi bien, n'est-ce pas de M. Hitler que j'ai voulu parler, niais de M. Challenn*lt
-son traducteur; celui-là a du style..* On reconnaît un orateur, une âme passionnée,
un homme d'imagination. Il a écrit sur les HUéraLures, il a senti lei poi Le*, il a
gOftU les peintres, il a vovajjé, il a vécu, il ■ parte en public, et on voit qu'il s'en
souvient. Ceux qui l'ont entendu s'en soutiennent encore mieux que lui* En effet,
peu d'hommes ont été plus richement doués el plu» abondamment munis de tous
Je» dons et de toutes les facultés qui maîtrisent un auditoire ! une action véhé-
mente et variée, une voix vibrante, un ^estc exercé et toujours juste, une abon-
dance naturelle de phrases qu'on pourra il écrire, par-dessus tout le souffle continu
intérieur qui porte l'auditeur, qui I emporte, même dans le sujet le plus ingrat,
même h travers les abstractions les plus sèches, sans jamais lui permettre de se
ralentir ou de s'arrêter, Je l'ai entendu, il y a dix ans, dans un concours, faire une
lêcon MIT la théorie de la démonstration d'Arislote; tout le monde comprenait,
suivait; on l'aurait volontiers entendu sur le même sujet encore une heure; quoi-
qu'eu Sorbonne, on avait envie de l'applaudir : tes mains nous démangeaient; il y
a deux mois, au Bâton des Arts-Unis, dans des conférences sur la peinture et les
m livres de l'Exposition, les mains nous démangeaient encore. Heureusement, cette
474
REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
têrïser quelques-unes d'entre elles, Il Faut souhaiter, et, pour ma part» je
souhaite vivement que d'heureux chercheurs puissent encore augmenter 1&
nombre de oc» articles presque inédits.
I
ARTICLES ET LIVRES PUBLIÉS DU VIVANT DE TAINE
1853 (mai,) — Essai sur lks fables iïe La Funtaine, thèse pour te
doctorat es lettres présentée à la Faculté de Paris* par
H- Taine, licencié es lettres, ancien élève de l'École
normale (i vol. in-8u, 200 p., Paris, Ve Joubert, I853J.
La 2 édition fl voL in-8ût 206 p., Paris, Ve Jou-
bert, 1854)t ne porte pas extérieurement le titre de thèse»
mais n'offre, par rapport à Ja première , que des différences
de pagination. Le seul autre changement qu'on y poissa
signaler consiste dans un 1res court Avertissement qui ne
ligure que dans celte seule édition. — La 3* édition il vol.
In- 18 Jésus, 354 p., Pans, Hachette, 1*61) est précédée de
ces deux lignes tfÂvertiêtei&ent : ci Ce livre, comme le
Voyage aux Pyrénées, a été refondu et récrit presque en
entier, » Le titre est modifié (La Fontaine et ses fable-
restera désormais tel dans toutes les éditions ultérieures. —
La 6e édition (i voL in-16, vi-331 p«, Paris, Hachette, 1875),
comprend en outre une VrSfnce de deux pages , celle- là même
qui figure dans les éditions actuelles, et qui peut-être
figurait déjà dans la 4° et la o° éditions ; aucun autre chan-
gement par rapport k la 3* édition. — 7* édition (1879), —
8* édition (1881). — 9* édition (1883). — En 1899, l'ou-
vrage était parvenu à la 14e édition. Toutes ces éditions
reproduisent la 6e '.
(mai). — De PERsoNisrLATOMCis'commeritationemscripsitlLTaiae
ad doctoris gradum promovendum. Partsiis, ftpw)
yiom Joubert bibliopulam. Via dicta des Grés, n" 11
(1 vol. iD-8", 1853,86 p.).
Va pas été rééditée, Mais la substance en a en partie
passé dans l'article sur Les jeunes genê de Pin ton (y, plus
basu L'ouvrage est dédié a JUL Durand, professeur de rhéto-
rique au lycée Bonaparte. En voici la table des matières :
PrmfatiiQ, — Cuput 1. De adolescent ikus* — IL De -
ribu*. — 111, De sophisti*. — IV. De phitosophis* — V. IJf
Sacrai e, — Epilogue
fois, Ja salle était moins austère, et le public a pu louer sans ménagement et tout
,i » m 3i*t! un des talents les ptus rares qu'il y ait en France, celui d'un homme qui,
de style, d'accent, de geste, d'esprit, «l'instinct, est orateur,... - — Cette page
me semble, serait à joindre aux discours académiques que M, Hanotaux, en sucre-
danl à ChaHemet-Laeour, vi M. de Vogiié, en répondant à M. Hanolaux, ont pro-
noncés il y a deux ans* — Mm* Taiue a bien voulu m'auloriser à publier dans mon
livre de courts ex ira ils de ces pages perdues; mais elle me prie de faire savoir
que toute autre reproduction eut rigoureusement interdite*
i. Kien de plus variable, m a-t-il été assuré, que le tirage des diverses éditions
des ouvrages de Taine.
2. Taine a soutenu ses deux thèse* le 30 mai lSa3,
BIBLIOGRAPHIE DES (El VJŒS T>H TAINK.
475
1853 (!°F février.) — Caractères dé Lu Bruyère [fievue de rin$trvctt<>»
publitpie).
Recueilli dans les Nouveaux essais de çritnpic et d'histoire
|J" éd., 18oot et sqq.) sous le titre : La Bruyère ».
(15 février.) — * Histoire de la Floride contenant 1rs trois voyages
faiii m icette par certain* capitaine* et pilotes français,
décrits par le capitaine Latidonniêre, Bibl, eliévirîenne
{He vue de V Instruction pubtique), article.
Non recueilli en volume a.
(22 février.) — llenaissance, par M. Michelet, 7° volume de YHts-
toire de France [ttevue de rinutruction publiqu
Recueilli dans les Essai* de critiqué et d'histoire^*" éd.»
4858, eL sqq«) sous le titre : If, MkheleL
(15 et 22 mars*) — Macaulay, CriUcaland kistorical ££ssayst 5 vol.
(Hevue de l'Instruction publique), 2 articles.
Recueillis dans les Essais ris critiqué et d'histoire (tr* éd.,
1858) sous le Litre : M, Macaulay , puis dans le tome IV de
V Histoire de la littérature anglaise ; tes Contemporains
{i" éd., 1864, et stfq.). Ce tome IV forme, à partir de la
3e éd. (1S731, le tome cinquième et complémentaire de
ï Histoire de ta littérature anglaise.
1, Disons ici, une fuis pour boule*, que tous, ou presque tous les articles — il
faut pourtant faire exception pour celui-ci, sur La Bruyère — que Taine a d'abord
publics dans des journaux ou revues, et qu'il a ensuite recueillis en volume, ont
été soigneusement re louches et corrigés, en passant du journal dans le livre. Per-
sonne n*a tait avec plus de conscience et de scrupules que Taine son métier d'écri-
vain. Ces retouche* et ces correc Lions mérikr.innr une étude approfondie : ri les
ii- -lis apprendraient plus de choses qu'on ne croit peut-être sur l'histoire des idées
el * lu style d« L'auteur de lu Littérature anglaise* Eu voici quelque exemples. Le
bel article des Nouveaiu; Essais de critique et d'histoire sur Mare -A arête se termine,
dans le livre, par les lignes suivantes : « Nous avons beaucoup appris depuis seize
sièeîea; mais nous n'avons rien découvert en morale qui atteigne à lu hauteur el à
ta vérité de ceLte doctrine. Notre science positive a mieux pénètre le détail des
lois qui régissent le monde; mais, sauf des différences de langage, c'est h celle vue
d'ensemble qu'elle aboutit. * L'article avait d'abord paru dans les Débats du
25 mars 1858, el se terminait ainsi : • Quelque jugement qu'on porte sur celte
doctrine fase demander si les gens qui aujourd'hui pensent ou essaient de penser
d'après M arc- Aura fe ont l'esprit bas et immoral. * El celte variante nous avertît que
l'article était, dans la pensée de TaineT un plaidoyer pro domo% une réponse
quelque peu hautaine à certaines objections et â certaines critiques- En réimpri-
mant, sepL ans après, son article, il en a sans doute jugé le ton trop vif et trop
personnel* — Ailleurs, dans un article des Débats sur Trophntj ei Montalembert^ il
avait primitivement écrit : « Confinés dans un coin de l'espace el de la durée, éphé-
mères, abrégés demain peuL-étre par le contre-coup d'une explosi par le
hasard d'un mélange, nous pouvons cependant découvrir plusieurs de ces lois tl
concevoir l'ensemble de celle vie. Cela seul vaudrait la peine de vivre, el dans
l'immense chaos des destinées mortelles, nous ne sommes pas les plus maltraités. »
HevoyanL Tannée suivante (5W58) son article pour le joindre à eeui qui Composent
la première édition des Essais de critique et d'histoire, il écrit : * Cela vaut la
peine de vivre, la fortune et la nature nous mit bien traités », On voit que, d'une
année à l'autre, l'optimisme de Taine* — cet optimisme qu'on a si souvent con-
testé, et que, pour ma part, je ne puis guère mettre en doute, — e*l devenu plue
robuste, plus nflinnatif*
2. Pour faciliter les recherches, les articles non recueillis en volume ont été
marqués d'un astérisque.
476 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
1 855 (12 avril). — * Histoire de Washington et de la fondation de la Répu-
blique, par C. de Witt, avec une Étude sur Washington,
par M. Guizot (Revue de V Instruction publique), article.
Non recueilli en volume.
(19 avril.) — * Analyses et Comptes rendus : Maximes morales de La
Rochefoucauld (Revue de r Instruction publique), article.
Non recueillit eu volume.
(avril. — Votacb aux eacx des Pyrénées, par H. Taine. Illustré
de 65 vignettes sur bois par G. Doré (I vol. io-18 jésus,
274 p., Paris, Hachette, 1855).
La 2« édition (1 vol. in-18 jésus, vu-351 p., 1858) est
annoncée par la Bibliographie de la France du 10 juillet.
Elle ne se trouve pas à la Bibliothèque nationale ; mais tout
fait supposer qu'elle n offre, par rapport aux éditions ulté-
rieures, que des différences de pagination. Le titre (Voyage
aux Pyrénées) a été modifié, et le texte « a été refondu et
récrit presque en entier ». — 3e édition, illustrée par Gustave
Doré, gr. in-8°, vi-354 p., 1860 'annoncée par la Bibliogra-
phie de la France du 17 décembre 1859). En 1893, celte 3e édi-
tion n'était pas encore épuisée. — 4e édition, revue et cor-
rigée, in-18 jésus, vi-350 p., i$62 (Bibl. de la France, 23 mai).
— 5e édition, revue et corrigée, in-18 jésus vi-350 p., 1867.
Ces trois éditions sont à la Nationale : il ne semble pas que
le texte en diffère du texte actuel, ni du texte de 1860, ni,
je pense ,du texte de 1858, qui serait ainsi le texte définitif.
— Dans ce format, le volume (avec ou sans gravures) en 1886
était parvenu à la 8' édition; — en 1683, à la 9e; — en 1893,
à la 13*.
(3 mai.) — * Tolla, par E. Aboat (Revue de V Instruction publique),
article.
Non recueilli en volume.
(10 mai.) — * Ménandre, étude sur la comédie et la société grecque 9
étude par Guillaume Guizot (Revue de V Instruction
publique) , article.
Non recueilli en volume.
(14 juin.) — Laromiguière, Leçons de philosophie (Revue de r Ins-
truction publique), article.
Recueilli dans les Philosophes classiques (1™ éd., 1857, et
sqq.).
(19 juillet.) — Réforme, 8* vol. de YHistoire de France, par
M. Michelet (Revue de l Instruction publique), article.
Recueilli dans les Essais de critique et d'histoire (i«* éd., 1858,
et sqq.) sous le titre : if. Michckt.
(1er août.) — D'un nouvel essai de philosophie religieuse : Ciel et
Terre, par M. Jean Reynaud (Revue des Deux Mondes),
article.
^m
BltlLKiGftAPHlK DBS GEUVilES OE 1 Y1M\
Recueilli dans les Nownc^rix essais de critique et d'histoire
flF* éd*, I86$f et sqq,) sous le litre: Philosophie
M. Jean Hef/naud.
1853 (13 septembre, 18 octobre,) — Las jeunes gens de Platon (ftevuè
de r Instruction publique) , 2 articles*
Recueil Us dans les Essais de critique et d'histoire (l™ éd.
1858, et sqq i sous le même titre,
(8 novembre*) — M. Cousu: ; Le style de M. Cousin [Revue de t Ins-
truction publique)^ article '«
(15 novembre,) — M. C&utin: M* Cousin historien et biographe
(ffeno dé llnstfachon publique) t article.
(27 noverabre.l — M, Cousin : M. Cousin philosophe { /{évite eh
l'Instruction publique \, article.
(6 décembre.) — }L Cousin : Théorie de lu raison pur M, Connut
(lie rue de t Instruction publique), article.
{13 décembre* ) — AL Cousin : Jf, Cousit* érudit et philologue
{/te rue de t Instruction pu h tique \t article.
Ces cinq articles oui été recueillis dans tes Philosopha clas-
sique* {ïra éd, 1857, et sqq,),
1856 (17 et 31 janvier*) — lie fa littérature chts les Barbares. Angles et
Saxons (lie vue fie i Instruction publique) , 2 articles»
Refondus dans V Histoire dé la littérature onffo&t, qui était
annoncée dans une note.
(1er février*}*— Charles Dickens^ son talent et ses teucces [/teinte des
Deux Mondes), article.
Recueilli dans les Essais de critique et (T histoire (t1 éd*:
1858 , 50ns le titre : Chartes Dickens, puis dans le tome IV
de V Histoire de la littérature anglaise : tes Contemporains,
(lr* éd., ISG4 et sqqJ. Ce tome IV forme, h partir de ta
3* éd. (1883), le tome cinquième et complémentaire de
['Histoire de ta littérature anglaise.
(28 février*) — L'esprit français importe en Angleterre. Normand*
(Reçue de l'Instruction publique], article.
(13 mars.) — Jeffrey Chaucer (Iteme île l'Instruction publique t
article.
CM deux articles ont été retondus dans V Histoire de la
littérature anglaise*
(27 mars,) — L'oiseau, par J. Michelet (Revue, de rinstruction
publique) , article*
I, Cet article était, dans la Revue* accompagné de la note suivante : » La Revue a
déjà inséré, dans son numéro du M juin IS55, un ariicle de M, Taiiie sur Lawmiguièr*
Cet article et veux que la Revue se propose de publier sur les principaux écrivains
du xix" siècle, dont empruntât a une série de volumes qui doivent paraître à la
librairie de MM, L. Machette et C", - — S'il fallait en croire cette note, et aussi la
rubrique générale de l'article : Études sur tes principaux écrivains du XtX'
les Philosophes classiques auraient eu pour Origine lea circonstances, on serait tenté
de dire la raclai aie d'un éditeur, bien plu lût qu'un dessein très arrêté d'avance,
et comme un désir de représailles de ta part de Taine.
478 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LÀ FRANCE.
Recueilli dans les Essais de critique et d histoire (tr* éd.
1858, et sqq.) sous le titre : M. Michelet.
1856 (17 avril.) — Macaulay, Histoire d'Angleterre, t. IV-VIIi (Revue,
de l'Instruction publique), article.
Recueilli dans les Essais de critique et d'histoire
(1™ éd. 1858), puis dans le tome IV de V Histoire de la litté-
rature anglaise : les Contemporains (i™ éd., 1864, et sqq.)- Ce
tome IV forme, à partir de la 3* éd. (1873), le tome cinquième
et complémentaire de Y Histoire de la littérature anglaise.
(avril.) — Essai sur Tite-Live, par H. Taine, ancien élève de
l'École normale, docteur es lettres. Ouvrage couronné
par l'Académie française (1 vol. in-18 jésus, vui-348 p.,
Paris, Hachette, 1856).
L'ouvrage était terminé en manuscrit à la fin de
Tannée 1833 et fut présenté au concours académique de 1854.
Il aurait été couronné, si quelques pages n'en avaient pas
provoqué d'assez vives critiques. Le concours fut prorogé à
1855, les pages critiquées corrigées, et le candidat couronné.
En publiant son mémoire en 1856, Taine y joignit une courte
Préface et le rapport de Villemain. — 2e édition, 1860. — En
188Q, l'ouvrage était parvenu à la 4e édition; — en 1890, à
la 5e (v-334 p.); — en 1893, à la 6e. — Les éditions actuelles
portent à partir de la 5e, la mention « revue et corrigée »;
mais il m'a été impossible d'y découvrir, par rapport à la
lre édition, d'autres différences que des différences de pagi-
nation.
(8 mai.) — M. Royer-Collard (Revue de F Instruction publique),
article.
Recueilli dans les Philosophes classiques (lr* éd., 1857 et
sqq.).
(5 juin.) — Histoire de la Révolution d'Angleterre, par M. Guizot
(Revue de C Instruction publique), article.
Recueilli dans les Essais de critique et d'histoire (lr* éd.,
1858, et sqq.) sous le titre : M. Guizot.
(8 et 10 juillet.) — L'Anabase de Xénophon (Revue de VInstruction
publique), 2 articles.
Recueillis dans les Essais de critique et d'histoire (2« éd.,
1866, et sqq.) sous le titre : Xénophon.
(15 juillet.) — Shakespeare, son génie et ses œuvres (Revue des Deux
Mondes), article.
Refondu, et très retouché, dans l'Histoire de la littérature
anglaise (1M éd., 1864 et sqq.).
(31 juillet.) — M. Maine de Biran (Revue de l'Instruction publique),
article.
Recueilli dans les Philosophes classiques (!'• éd., 1857 et sqq.).
BIBLIOGRAPHIE DES ŒUVRES DE TAINE. 479
1856 (31 juillet, 3 et 6 août.) — Mémoires du duc de Saint-Simon
(Journal des Débats), 3 articles.
Recueillis dans les Essais de critique et d'histoire (lr° éd., 1858
et sqq.) sous le titre : Saint-Simon.
(14 août.) — M. Jouffroy : V Homme (Revue de V Instruction publi-
que), article.
(21 août.) — A/. Jouffroy : le Psychologue (Revue de V Instruction
publique), article.
(28 août.) — M. Jouffroy : le Moraliste {Revue de VInstruction
publique), article.
Ces trois articles ont été recueillis dans les Philosophes
classiques (1™ éd., 1857, et sqq.).
(4 et 11 septembre.) — Le succès de V éclectisme. L'analyse (Revue de
r Instruction publique), 2 articles.
(9 octobre.) — Conclusion : le Système (Revue de l'Instruction
publique), article.
Ces trois articles ont élé recueillis dans les Philosophes
classiques (lr0 éd., 1857, et sqq.).
(30 octobre et 6 novembre.) — Causes de la poésie anglaise au
xvic siècle (Revue de l'Instruction publique), 2 articles.
Refondus dans l'Histoire de la littérature anglaise (lro éd.,
1864, et sqq.).
(4 novembre.) — Le Voyage du pèlerin, par le chaudronnier John
Bunyan (1628-1688) (Journal des Débats), article.
Refondu dans Y Histoire delà littérature anglaise (l1* éd.,
1864 et sqq.).
(13 novembre.) — Mémoires de Fléchier sur les Grands Jours
(Journal des Débats), article.
Recueilli dans les Essais de critique et d'histoire (lrc éd.,
1858, et sqq.), sous le titre : fléchier.
(20 et 27 novembre.) — Ben Jonson (Revue de V Instruction publique)^
2 articles.
(18 et 25 décembre.) — Spenser (Revue de VInstruction publique),
2 articles.
Ces quatre articles ont été refondus dans VHistoire de la
littérature anglaise (1^ éd., 1864, et sqq.).
1857 (janvier.) — Les Philosophes français du xix8 siècle, par H.Taine,
ancien élève de l'École normale, docteur es lettres
(1 vol. in-18 jésus, 367 p., Paris, Hachette, 1857).
La lro édition est précédée d'un court Avertissement. — La
2e édition, « revue et corrigée » (vin-371 p., 1860), a remplacé
cet Avertissement par la Préface qu'on lit encore dans les
éditions actuelles : le ton en est moins vif et moins provo-
480 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
cant; mais les retouches de style et d'idées ne sont pas
très importantes. Par exemple, le chapitre intitulé Théorie
de la raison par M. Cousin ne présente aucune différence dans
les deux premières éditions. — La 3e édition « revue et cor-
rigée » (x-367 p., octobre 1868), « diffère assez notablement
des précédentes » ; un nouvel Avertissement, daté d'avril 1868,
nous en prévient, et nous signale quelques-unes des modifi-
cations qui y ont été apportées. Mais ce que Taine ne nous
dit pas, c'est que le ton de cette 3* édition a encore été
adouci. Un exemple purement littéraire. Dans les deux
premières éditions (lre éd., p. 111), il avait écrit : « Corneille
et Racine ont fait des' discours admirables, et n'ont pas
créé un seul personnage' vivant. » Dans la troisième (p. 117),
il se repent, et écrit : « n'ont pas créé un seul personnage
tout à fait yivant. » Enfin, le titre a été changé : les Philo-
sophes classiques du XIX9 siècle en France. Le texte est cette
fois définitif, et a été reproduit dans toutes les éditions ulté-
rieures. — 5° édition, 1882. — En 1893, le livre était arrivé à
la 6e édition; — à la 7e, en 1897.
4857 (1er janvier.) — William Thackeray, son talent et ses œuvres
. (Revue des Deux Mondes), article.
Reproduit dans les Essais de critique et d'histoire (lr« éd.,
1858), puis dans le tome IV de ï Histoire de la littérature
anglaise (mêmes observations que pour l'article sur Macaulay).
(25 février.) — Mme de La Fayette, la Princesse de Clèves (Journal
des Débats), article.
Recueilli dans les Essais de critique et d'histoire (1™ éd.,
1858, et sqq.). — Sert aussi de préface à l'édition de la Prin-
cesse de Clèves, in-8°, publiée chez Quanlin en 1878.
(28, 29, 30 avril.) — M. Troplong et M. de Montalembert (Journal
des Débats), 3 articles.
Recueillis dans les Essais de critique et d'histoire (1«* éd.,
1858, et sqq.).
(4 juin.) — Esprit de la Réforme en Angleterre (Revue de l'Instruc-
tion publique), article.
Refondu dans ['Histoire de la littérature anglaise (1™ éd.,
1864 et sqq.).
(45 juin.) — Hilton, son génie et son temps (Revue des Deux Mondes),
article.
Refondu, et considérablement remanié, dans Y Histoire de la
littérature anglaise (lrc éd., 1864, et sqq.).
1858 (24 janvier.) — Préface des Essais de critique et d'histoire (Journal
des Débats).
Recueillie dans les Essais de critique et d'histoire (in édition
seule, 1858).
(février.) — Essais de critique et d'histoire, par H. Taine (1 vol.
' in-18 jésus, xv-412 p., Paris, Hachette, 1858).
M BLLOr.lt A MUE DES uKUYRfcS DE UlîiE.
4SI
La 1ro édition contient» outre ta Prefare i, 10 morceaux
rangés dans l'ordre suivant : .V. M avait fa y \ — Ftechicr; —
Charles Dickens \ — M. Gttizot; — Thaekiray\ — Les jetmtf
gens de Platon ; — Saint-Simon ; — M** de Im Fayette ;
— M. Michetet; — jf. Troplong et H. d$ Monta trmhen, —
La 2a éilttioii (mars 181Ï6) comprend, outre uns Préface nou-
velle, datée de mars 1366, et qui a. été conservée dans toutes
tes éditions ultérieures, les tO morceaux suivants : Ftêchier;
— Stendhal; — if, GuiÉOt't — C. Selden; — Xvaophon; —
*V. Miche tel; — Pin ton : — Suint-Simon; — J/tD* de La
Fayette] — M. TtôpfatoQ et M. de MontalemberL — Dans la
3e édition (1874» xxxn*460 p,)* les études sur Stendhal et sur
C, Seîtfen ont disparu, et ont été remplacées par d'autres sur
jftM ^'A^/^oy, — r Ecole tic* f't'iiLr -arts et tes beaux-arts en
Franc*, — Sainte Odile et tphioèaie en Tauridt, — f Opinion tn
Allemagne et les cùnditiomûe la poto. — La 4e édition M 882,
489 p.), L'édition définitive* comprend en outre une élude sur
Ghifre*. — 6° édition (LS04. 1X11)402 p.). — En 1896, le
volume avait atteint la 7° édition.
1858 (3 février,) — Balzac : ta Vie et te caractère de Balzac {Débats i,
orlîelc,
t. La Préface de cette première édition, complètement remaniée dans les édi-
tions ultérieures, contient un admimhle portrait de Saïnle-Heiive qui n'a, malheu-
reusement, pas été conservé. Le voici : «Peindre, c*esL faire voir, et c'est un emploi
tout spécial que de faire voir les personnages passés. Si quelqu'un s'y efforçait, il
faudrai I qu'il eût ''lé préparé à ce travail d'artiste par des éludes d'artiste; quTil
eût été, dans sa jeunesse, romancier coin nie Waller Scott, ftt m^me poêle; qu'à
ce Litre il apcn;iït naturellement et de prime -saut les plus légères nuances et les
plus Fr&giLei attaches des sentiments; que peu à peu le progrés de L'âge et les
repïoiements de la réflexion aient ajouté en lui le psychologue à L'nrtisLe; que La
finesse française, la délicatesse parisienne. L'érudition du xixm siècle, ï'epimnsme de
la curiosité, La science de L'homme et des hommes, lui aient composé un laet
exquis et unique. Ainsi doué et ainsi muni, il entreprendrait pour les Lettrés et
Les délicats une galerie de portraits historiques. Il glisserait autour de son per-
sonnage, noLant d'un mot chaque attitude, chaque geste et chaque air; il revien-
drait -m ^- | . . i - . nuançant ses premières couleurs par de nouvelles teintes plus
Légères; il irait ainsi de retouches en retouches, ne se lassant ptfl de poursuivre
le contour complexe et changeant,, la frêle et fuyante Itunlèra qui esL le signe cl
comme la fleur de la vie. Pour l'atteindre, ce ne serait pas assez d'un por trait; il
sentirait que la peinture doit varier avec le personnage; il îe décrirait adolescent,
jeune homme, homme fail, vieillard, a la cour, û la guerre, sous lous ses habits
sous tous ses visages; il égalerait La mobilité du temps et de l'âme, par te renou-
vellement de ses impressions et de ses esquisses. Il n'aurait pas assez, pour une
telle truvre, du style simple des logiciens el des classiques. Il aurait besoin de
phrases plus enroulées, capables de se lempérer et de s'atténuer les unes les
autres, de mots plus spéciaux, traînant avec eu* un long collège d'alliances eL de
souvenirs, Il faudrait moins le tire que le (jouter: ce serait un de ces parfums com-
posés el précieux m Ityn respire h la fins vingt essences choisies et adoucies par
leur moLucl aeeord. En décrivant legenre^j'ai décrit l'homme. Le lecteur a nommé
M. Sainte-Beuve ; mais le genre n'appartient quTa l'homme, et on ne peut imposer
à personne la maladresse ou l'iiu pertinence de L'imiter» • (P. x-xi.) — Connaît-on
beaucoup d'écrivains qui fussent capables d'assex d'abnégation littéraire pour
sacrifier une telle page?
2. Je n'ai pu découvrir quelle était la dale exacte de cet arlicle sur iîleyret ni le
recueil ou journal où il avait paru pour la première fois. L'article ayant été publié
à propos du livre de Charles Clément sur Gteyre, qui est annoncé par la Bibliogrù-
phie delà France du 23 novembre 1817, je suppose que l'article doiL être ou de 1S"7
ou de 1878.
482 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
1858 (4 février.) — Balzac : l'Esprit de Balzac (Fd.), ibid.
(5 février.) — Balzac : le Style de Balzac (id.), ***^"
(23 février.) — Balzac : le Monde de Balzac (Fd.), ibid.
(25 février.) — Balzac : les Grands personnages (Fd.), ibid.
(3 mars.) — Balzac : la Philosophie de Balzac (ld.), ibid.
Ces six articles ont élé recueillis dans les Nouveaux Essais
de critique et d'histoire [in éd., 1865, et sqq.).
(18 mars.) — Une guerre au xive siècle, fragment inédit pour une
nouvelle édition du Voyage aux Pyrénées (Revue de FFns-
truction publique), article.
Recueilli dans le Voyage aux Pyrénées (2e éd., 1858 et sqq.).
(25 mars.) — Marc-Aurèle (Journal des Débats), article.
Recueilli dans les Nouveaux Essais de critique et d'histoire
(l«*éd., 1865, et sqq.).
(23 juillet.) — Racine : I. Esprit de son théâtre {Journal des Débats),
article.
(24 et 27 juillet.) — Racine : II et III. Mœurs de son théâtre (Fd.),
2 articles.
(41 août.) — Racine : IV. Les bienséances de son théâtre (Fd.), article.
Ces quatre articles ont été recueillis dans les Nouveaux
Essais de critique et d'histoire (lre éd., 1865, et sqq.).
(15 août.) — Sioift, son génie et son œuvre (Revue des Deux Mondes),
article.
Refondu dans Y Histoire de la littérature anglaise (I1* éd.,
1864, et sqq.).
(15 novembre.) — * Assollant, les Scènes de la vie aux États-Unis
(Journal des Débats), article.
Non recueilli en volume.
(18 novembre). — M. deSacy, Variétés littéraires, morales et histo-
riques (Revue de VFnstruction publique), article.
Recueilli dans les Derniers Essais de critique et d'histoire
(1894).
(1er décembre.) — John Dryden, son talent, son caractère et ses
œuvres (Revue des Deux Mondes), article.
Refondu dans Y Histoire de la littérature anglaise (lr« éd.,
1864, et sqq.).
1860 (2, 4, 6 et 7 janvier). — Addison, son talent et ses œuvres (Journal
des Débats), 4 articles '.
Ces quatre articles ont été refondus dans V Histoire de ta
littérature anglaise (lte éd.. 1864, et sqq.).
-' 1. Dans les Débats, il y avait (à la fin de la première partie du premier article)
cette note qui a été supprimée dans le livre : • En écrivant cet article, j'ai pensé
plus d'une fois à l'aimable et excellent M. Rigault. » ...
. BIBLIOGRAPHIE DES ŒUVRES DE TAIIHE. 48a
1860 (12 janvier.) — Préface pour la seconde édition des Philosophes
classiques (Revue de V Instruction publique).
Recueillie dans les Philosophes classiques (2e éd., 1860, et
sqq.).
(1" février.) — *M. Jules Simon, la Liberté de conscience, 3e édition
(Journal des Débals) , article.
Non recueilli en volume.
(5 mars.) — * Lettre à M. Alloury (Journal des Débats).
Non recueillie en volume.
28 avril.) — La Fontaine : V Esprit gaulois (Journal des Débats),
article.
(2 mai.) — La Fontaine : V Homme (Id.), ibid.
3 et 4 mai.) — La Fontaine : son talent et ses œuvres (Id.),
2 articles.
Ces quatre articles ont été recueillis dans La Fontaine et ses
fables (3e éd., 1861, et sqq.).
(1er mai.) — La Comédie anglaise sous la Restauration des Stuarts :
I. le Public (Revue des Deux-Mondes), article.
(15 mai.) — La Comédie, etc. : II. les Poètes (/d.), ibid.
Ces deux articles ont été refondus dans V Histoire de la lit'
térature anglaise (lro éd., 1864, et sqq.).
(30 et 31 octobre.) — Carlyle : I, II. Son style et son esprit (Journal
des Débats), 2 articles.
(6 novembre.) — Carhjle : III. De l'introduction des idées aile-
mandes en Europe et en Angleterre (Id.)^ ibid.
(7 novembre.) — Carhjle : IV. Le philosophe (ld.), ibid.
(8 novembre.) — Carhjle : V. L'historien (Id.), ibid.
Ces cinq articles ont d'abord formé le volume intitulé :
ridéalisme anglais, étude sur Carlyle (lre éd., 1864, et sqq.),
puis ont été recueillis dans le tome IV de VHistoire de la
littérature anglaise : les Contemporains (ite éd., 1864, et sqq.).
[Cf. pour les transformations de ce tome IV, les observations
faites à propos de l'article sur Macaulay.]
1861 (30 et 31 janvier.) — * M. Jules Remy, le Voyage au pays des
Mormons (Journal des Débats), 2 articles.
Recueillis dans les Nouveaux Essais de critique et d'histoire
(1™ éd., 1865, et sqq.).
(1er mars.) — John Stuart Mill et son Système de logique (Revue des
Deux Mondes), article.
A d'abord formé le volume intitulé :7e Positivisme anglais,
étude sur Stuart Mill (lro éd., 1864, et sqq.), puis a suivi les
destinées de V Étude sur Carlyle (cf. plus haut).
(3 avril.) — Tennyson : I. Son talent (Journal des Débats), article.
484 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
1864 (4 avril.) — Tennyson : II. Son œuvre (Id.), ibid.
(6 avril.) — Tennyson : III. Son public (Id.), ibid.
Ces trois articles ont été recueillis dans le tome IV et com-
plémentaire de l'Histoire de la littérature anglaise : les Con-
temporains (i* éd., 1864, et sqq.), et en ont suivi les vicissi-
tudes (cf. plus bas).
(5 août.) — * Cournot, Traité de V enchaînement des idées fonda-
mentales (Journal des Débats), article.
Non recueilli en volume.
(28 août.) — * Histoire de la philosophie moderne, de Rit ter, traduite
par Challemel-Lacour (Journal des Débats), article.
Non recueilli en volume.
(3 septembre.) — Jefferson [Journal des Débats), article.
Recueilli dans les Nouveaux Essais de critique et d'histoire
(1" éd., 1865, et sqq. ).
(let décembre.) — Les Mœurs et les lettres à la fin du xvme siècle
en Angleterre : I. la Religion et la politique (Revue des
Deux Mondes), article.
(45 décembre.) — Les Mœurs, etc. : II. le Roman et les romanciers
(Id.), ibid.
Ces deux articles ont été refondus dans Y Histoire de la lit-
térature anglaise (lre éd., 1864, et sqq.).
4862 (3, 4 et 8 janvier.) — Les Poètes anglais au xvme siècle : Pope
(Journal des Débals), 3 articles. . ^
(9 janvier.) — Les Poètes, etc. : les Successeurs de Pope (Id.),
article.
Ces quatre articles ont été refondus dans l'Histoire de la
littérature anglaise (lre éd., 1864, et sqq.).
(10 mars.) — Les Saxons en Angleterre, leurs mœurs et leur poésie
(Revue nationale), article.
Refondu dans Y Histoire de la littérature anglaise (1™ éd.
1864, et sqq.)-
(22 mars.) — * Victor Duruy , la Grèce ancienne (Journal des Débats)^
article.
Non recueilli en volume.
(10 avril et 10 mai.) — La Hé forme en Angleterre au xvie siècle
(Revue nationale), 2 articles.
Refondus dans YHistoire de la littérature anglaise (in éd.,
1864, et sqq.).
(2 août.) — * C. Selden, Daniel Vlady (Journal des Débats), article.
Recueilli dans les Essais de critique et d'histoire (2e édi-
. tion seule, 1866). — ■
bibliographie: des oeuvres de TAISE. 485
1862 (45 septembre.) — La poésie moderne en Angleterre : I. Les pré-
curseurs et les chefs d'école (Revue des Deux Mondes),
article.
(15 octobre.) — La poésie, etc. : II. Lord Byron (Id.), ibid.
Ces deux articles ont été refondus dans VHistoire de la lit-
térature anglaise (lre éd., 1864, et sqq.).
(16 décembre.) — Chaucer et son temps : I. En quoi Chaucer est du
moyen-âge : poèmes d'imagination (Journal des Débats),
article.
(17 décembre.) — Chaucer, etc. : II. Poèmes d'amour (Id.), ibid.
(18 décembre.) — Chaucer, etc. : III. En quoi Chaucer est Français :
poèmes satiriques et gaillards (Id.), ibid.
(24 décembre.) — Chaucer, etc. : IV. En quoi Chaucer est Anglais
et original. Ses portraits et son style (Id.), ibid.
(25 décembre). — V. Im décadence du moyen-âge (Id.), ibid.
Refondus dans VHistoire de la littérature anglaise (lre éd.,
1864, et §qq.).
1863 (1er janvier). — Les Mœurs et les lettres en Angletetre au moyen-âge
(Revue germanique), article.
Refondu dans l'Histoire de la littérature anglaise (lrc éd.,
1864, et sqq.).
(3 janvier.) — Notes sur Paris, par Frédéric Graindurge (la Vie
parisienne), article.
L'article n'est pas signé; ou plutôt, comme tous les autres
articles qui ont paru d'abord dans la Vie parisienne (le pre-
mier numéro du journal est celui du 3 janvier 1863), et qui
devaieut former le volume des Notes sur Paris, en 1867, il
est signé Frédéric-Thomas Graindorge. Cet article forme le
premier chapitre du livre; mais, dans le livre, il y a, en plus,
une page sur « Àkeste » à VOpcra.
(22 janvier.) — Les Poètes anglais de la Renaissance : I. Les causes,
les mœurs et V esprit de la Renaissance (Journal des
Débats), article.
(23 janvier.) — Les Poètes, etc. : II. La culture et les modèles de la
Renaissance. Les précurseurs. Surrey (Id.), ibid.
Refondus dans VHistoire de la littérature anglaise (l1* éd.,
186'*, et sqq.).
(7 février.) — Notes sur Paris, II. (là Vie Parisienne), article.
(14 février. ) — Notes sur Paris, III. Ln salon (Id.), ibid.
Recueillis dans les Notes sur Paris (lre éd., 1867, et sqq.)
(5 mars.) — Les Poètes anglais de la Renaissance : III. Sir Philip
Sidney (Journal des Débats), article.
(10 mars.) — Les Poètes, etc. : IV. La poésie pastorale (Id.), ibid.
REV. D'HIST. LITTtR. DE LA FRANCE (7' AmO. — VII. 32
486 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
1864 (24 mars.) — Les Poètes, etc. : V. Spenser. Son esprit [Id.), ibid.
(25 mars.) — Les Poètes, etc. : VI. Spenser. Son poème (Id.), ibid.
Refondus dans YHistoire de la littérature anglaise.
(1er avril.) — Le théâtre anglais de la Renaissance, 1er article
(Revue germanique).
(4 avril.) — Notes sur Paris, IV. Les bals publics.
Refondus dans les Notes sur Paris (lr* éd., 1867, et sqq.).
(9 avril.) — Alillon (Revue de l'Instruction publique), article.
Refondu dans l'Histoire de la littérature anglaise
(1er mai.) — Le théâtre anglais de la Renaissance, 2* article (Revue
germanique ).
Refondu, ainsi que l'article du 1er avril, dans YHistoire de
la littérature anglaise.
(3 juin.; — Les Prosateurs anglais de la Renaissance : I. La fin de
la poésie et le commencement de la prose (Journal des
Débats), article.
(4 juin.) — Les Prosateurs, etc. : II. Robert Burton et sir Thomas
Browne (Id.), ibid.
(5 juin.; — Les Prosateurs, etc. : III. Bacon (Id.), ibid.
Refondus dans V Histoire de la littérature anglaise.
(6 juin, 4 et 41 juillet). — Motes sur Paris : les jeunes filles (la
Vie parisienne), 3 articles.
Refondus dans le livre du même nom *.
(30 octobre.) — Voyage en Angleterre : I. Le climat et l'homme
(Journal des Débats), article.
(31 octobre.) — Voyage, etc. : II. L'industrie et VÊlat (Id.), ibid.
(3 novembre.) — Voyage, etc. : III. LÈtat et la religion (Id.), ibid.
Ces trois articles ont été refondus dans YHistoire de la lit-
térature anglaise, dont ils forment la conclusion.
(5 novembre.) — Sheridan (Revue de V Instruction publique), article.
Refondu dans YHistoire de lu littérature anglaise.
(21 novembre.) — yoles sur Paris : la Parisienne (la Vie pari-
sienne?, article.
(lrrdécembre.) — L'Histoire, son présent et son avenir (Revue germa-
nique), article.
I. Dan* son numéro du 22 août 18rt3, la Vie parisienne publiait le Monde des eaux,
par II. laine, avec cette note de M. (Marcelin) : • Cette amusante boutade est
extraite du Voyage aux Pyrénées de M. Taine, dont la librairie Hachette vient de
publier une 4' édition. On n'a pas assez dit, selon nous, qu'à côté du grave philo-
sophe, il y a dans M. Taine un humoriste plein de verve et de bizarrerie. ».
BIBLIOGRAPHIE DES ŒUVRES DE TAINE. 487
Refondu dans Yllistoire de la littérature anglaise, dont il
forme V Introduction *.
1864 (12 décembre.) — Notes sur Paris : Conseils à mon neveu Anatole
Durand sur la façon dont il doit se conduire dans le
monde {la Vie parisienne), article.
(19 décembre.) — Notes, etc. : Proposition yiouvelle et conforme
aux tendances de la civilisation moderne, etc. (la Vie
parisienne), article.
Recueillis dans les Notes sur Paris.
(Fin décembre *.) — Histoire de la littérature anglaisk, par
H. Taine, 1863 (3 vol. ia-8° de xlviii-527 p. ; — 706; —
677 p.), Paris, Hachette.
Les trois volumes de YHistoire de la littérature anglaise sont
annoncés par la Bibliographie de la France du 2 janvier 1864.
Le 8 octobre suivant, le même Journal annonçait le tome IV
et complémentaire, les Contemporains (in-8°, ni-494 p.). Ce
tome IV comprend les études sur Dickens, Thackeray,
Macaulay, Carlylc, Stuart Mill, Tennyson, dont les trois pre-
mières faisaient jusqu'alors partie des Essais de critique et
d'histoire (elles n'en feront plus partie dans la 2e édition,
1866), et qui toutes ensemble, y compris la Préface, forment
à partir de 1873 le tome Vet complémentaire de YHistoire de
la littérature anglaise. Ce tome IV a dû être tiré à un nombre
fort considérable d'exemplaires. Jusqu'en 1873, il se vendait
aussi à part sous le titre : les Écrivains anglais contempo-
rains; c'est le même ouvrage avec un autre titre. — La
2e édition de YHistoire de la littérature anglaise, « revue et
augmentée » (4 vol. in- 18 jésus, de 412, 523, 426 et 483 p.) a
paru en 1866. Il n'y avait pas de cinquième volume dans
cette édition ; le volume in-8° des Éci'ivains anglais contem-
porains en tenait lieu. En dépit des promesses de son titre,
1. Dans la Revue germanique, cette Introduction, demeurée si justement célèbre,
se terminait ainsi : • C'est donc principalement par l'étude des littératures que l'on
pourra faire l'histoire inorale et marcher vers la connaissance des lois psycholo-
giques, d'où dépendent les événements.
- On y marche et, par cette voie, à voir le nombre des travailleurs, la persistance
de leur effort, et leur unanimité involontaire, nous pouvons espérer qu'on arri-
vera. »
Cette dernière phrase a été supprimée dans le livre, et remplacée par une page
qu'on trouvera dans toutes les éditions.
2. Posons ici un tout petit problème bibliographique. Mais rien n'est indifférent
dans l'histoire des grandes œuvres littéraires. ÙHistoire de la littérature anglaise
a-t-elle été publiée à la fin de 1863? M. G. Monod {les Maîtres de V histoire, p. 107)
l'affirme. Et, de fait, l'ouvrage ayant été proposé pour un prix académique en 1864,
devait être entièrement imprimé au 31 décembre 1863. Mais n'aurait-il pas été mis
en vente et • lancé • un peu plus tard? Du moins, je ne le vois annoncé, comme
venant de paraître, pas avant la fin de janvier 1861, au plus tôt : le 24 janvier, par
le Temps; le 2 février, par les Débats; le 4 février, par la Revue de V Instruction
publique. L'ouvrage figure, d'autre part, parmi les ouvrages déposés au bureau de
cette même Revue du 14 au 21 janvier. Or, la Revue de V Instruction publique était
dirigée par les éditeurs de la Littérature anglaise, et Taine y collaborait : si le livre
avait été réellement publié en 1863, n'y aurait-il pas été « déposé » et annoncé
plus tôt?
488 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
il oe m'a pas paru qu'elle offrît quelque changement par rap-
port à la lrc édition et aux éditions ultérieures. — La 31* édi-
tion « revue et augmentée », en 5 vol. in-18 Jésus (le 5e vol.
( remplace désormais le tome IV de l'édition princeps et le
volume des Écrivains anglais contemporains), a paru en 1873 :
elle reproduit la précédente. — 4e édition, 1879. — 5e édi-
tion, 1881. — 6° édition, 1886. — 7« édition, 1890. Toutes ces
éditions se reproduisent entre elles. — 8e édition, 1892,
« revue et augmentée d'un appendice bibliographique »,
(xlix-432 p.; — 535 p.; — 438 p.; — 497 p.; — 490 p.) :
c< M. J. J tisserand, écrit Taine dans Y Avertissement du
1er volume, l'un des cinq ou six Français qui connaissent
toute la littérature anglaise, a bien voulu m'indiquer les
corrections nécessaires, et dresser lui-même les cinq tables
ou index de la présente édition. » Il ne m'a point paru que
le texte primitif de l'ouvrage eût été retouché. Le tome V
comprend, outre l'appendice bibliographique, un court index
alphabétique des principaux auteurs anglais cités dans les
5 volumes. Cette 8e édition est en tout cas l'édition définitive.
En 1897, l'ouvrage était parvenu à la 9e édition.
L'Histoire de la littérature anglaise a été traduite en anglais •*
History of English Literalure, by H. A. Taine, translated by
H. van Laun, one of the masters at the Edinburgh Academy,
with a préface by the author (2 vol. 8°, xn-53l; ^- 550 pages,
Edinburgh, Ed m on s ton and Douglas, 1871). La courte Pré-
face du traducteur (en anglais) nous avertit que toutes les
citations faites par Taine ont été vérifiées, et que « rien n'a
été épargné pour rendre cette Histoire de la littérature
anglaise digne et de l'auteur et du sujet ». Taine y a joint
un Avertissement, daté de Paris, octobre 1871 (2 pages en
français) : « Une nation, comme un homme, est une per-
sonne qui se développe et dure — mais plus longtemps. Sa
littérature nous la montre aux différentes périodes de sa
croissance. » Ce sont ces données que Taine a essayé d'or-
ganiser. « Peut-être valait-il mieux laisser ce soin aux
gens de la maison ; ils diront qu'ils connaissent mieux le
personnage, puisqu'ils sont de sa famille. Cela est vrai;
mais, à force de vivre avec quelqu'un, on ne remarque plus
ses particularités. Au contraire, un étranger a cet avantage
que l'habitude ne l'a point émoussé; involontairement, il est
frappe par les grands traits; de cette façon il les remarque.
C'est là toute mon excuse; je la présente au lecteur anglais
avec quelque confiance, parce que, si j'examine mes propres
idées sur la France j'en trouve plusieurs qui m'ont été
fournies par des étrangers et notamment par des Anglais. »
— Cette traduction a élé abrégée et adaptée à l'usage -des
classes [The class-room Taine) : History of English Literature
by H. A. Taine; abridged from the translation of H. van
Laun, and edited with chronological table, notes, and index,
by John Fiske (1 vol., vin-502 p. in-8°, New- York, Holt and
Williams, 1872). — La traduction de H. van Laun a été
réimprimée, mais sans Y Avertissement de Taine (London,
Chatto and Windus, Piccadilly, 1886, 4 vol. in-8°).
L'Histoire de la littérature anglaise a aussi été traduite en
allemand, et annotée avec l'autorisation de Taine, par
G. Gerlh et L. Katscher (3 vol. in-8°, Leipzig, 1878-80). Eu
BIBLIOGRAPHIE DES OEUVRES DE TA1NE. 489
voici le titre exacte H. Taine, Gcschichtc d. englischen Lileratur.
Autoris. deutsche Ausg. Bearb. und mit Aumerkungen vers-
chen v. G. Gerth u. L. Katscher (3 Bde. Gr. in-8°. Lpz.
1878-80).
1864 (janvier.) — Le Positivisme anglais, étude sur Stuart Mill
(1 vol. in-18 jésus, vni-i57 p., Paris, Germer Baillière,
1864).
La lrc édition est annoncée par les Débats du 16, la Biblio-
graphie de la France du 23, et la Revue de l'Instruction
publique du 26 janvier. Elle est la reproduction, mais
remaniée, et précédée d'une Préface, de l'article de la
Revue- des Deux-Mondes. Cette étude faisait aussi partie (mais
sans la Préface) du tome IV, puis du tome V de Y Histoire de
la littérature anglaise (cf. l'article précédent). — 2e édition,
1878. — N'a pas été rééditée depuis.
(février.) — L'Idéalisme anglais, étude sur Carlyle (1 vol. in-18
jésus, 191 p., Germer Baillière, Paris, 1864).
La première édition est annoncée par la Bibliographie de
la France du 27 février, et la Revue de l'Instruction publique
du 3 mars. Mêmes observations que pour l'article précédent.
2° édition, 1878. — N'a pas été rééditée depuis.
— Notes sur Paris : Le monde (la Vie parisienne, 1864,
p. 63), article.
— Notes sur Paris : Aux Italiens (Id., ibid., p. 161).
— Notes sur Paris : Un diner(Id., id., p. 181)).
— Notes sur Paris : Un mariage (Id., ibid., p. 203).
La date de ces 4 articles n'est pas indiquée dans la Revue.
Ils ont été recueillis dans les Notes sur Paris.
(1er mars.) — 'Stendhal, Bouge et noir. (Nouvelle Revue de Paris),
article.
Recueilli dans les Essais de critique et d'histoire (2e édition
seule, 1866). La Nouvelle Revue de Paris venait de se fonder
(le premier numéro avait paru le 15 février). About et Sarcey
y collaboraient.
(3 mars ) — Die Religion des Buddha, par M. Kœppen : I. Les ori-
gines {Journal des Débals), article.
(4 mars.) — Die Religion, etc. : II. Caractères du bouddhisme (Id.),
ibid.
(5 mars.) — Die Religion, etc. : III. La spéculation (Id.), ibid.
(6 mars.) — Die Religion, etc. : IV. La pratique (Id.), ibid.
Ces quatre articles ont été recueillis dans les Nouveaux
Essais de critique et d'histoire (lro éd., 1865 et sqq.).
(11 mai.) — Franz Wœpke (Journal des Débats), article.
Recueilli dans les Nouveaux Essais de critique et d'histoire
(lro éd., 1865, et sqq.).
490 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
1864 (18 juin et 6 juillet.) — Notes sur Paris : Les jeunes gens (la Vie
parisienne), 2 articles.
Recueillis dans les Notes sur Paris.
(6 juillet.) — * Cours de philosophie positive, par Auguste Comte,
2e édition, préface par M. Littré (Journal des Débats) ,
article.
Non recueilli en volume.
(3 septembre.) — Notes sur Paris : La Morale (la Vie parisienne),
article.
Recueilli dans les Notes sur Paris.
(11 novembre.) — * Les Mémoires inédits de M. de Bostaquet et la
Cité antique de M. Fustel de Coulanges (Journal des
Débats), article.
Non recueilli en volume.
(12 novembre.) — Notes sur Paris : Les artistes (la Vie parisienne),
article.
Recueilli dans les Notes sur Paris.
(3 décembre.) — * Nouvelle édition de la Vie de Jésus, de Strauss,
traduction française (Journal des Débats), article.
Non recueilli en volume.
(10 décembre.) — Notes sur Paris : L'ambassade (la Vie parisienne),
article.
Recueilli dans les Notes sur Paris.
(15 décembre.) — L'Italie et la vie italienne, souvenirs de voyage :
I. Naplcs (lievue des Deux Mondes), article.
Refondu dans le Voyage en Italie (lre éd., 1865, et sqq.).
(30 décembre.) — Renaud de Montauban. (Journal des Débats),
article.
Recueilli dans les Nouveaux Essais de critique et d'histoire
(lrcéd., 1865, et sqq.).
(A suivre.) Victor Giraud.
COMPTES RENDUS
F.-Augusto de Benedetti. — Il pessimismo nel La Bruyère. Saggio cri-
tico. Un vol. in-8, 96 pp. et xiv pp. d'errata. Turin, Baravalle et Falconieri.
Cet opuscule est le premier essai publié en Italie sur La Bruyère, si Ton
excepte une note du philologue Teza, « Délia voce Zombaya nei Caractères »,
parue à Venise en 1893, et c'est, ou peu s'en faut, le début de l'auteur, déjà
connu comme historien, dans la critique littéraire. Le travail témoigne de plus
de bonne volonté que d'expérience, et est quelque peu hésitant dans sa marche
et ses conclusions. Introduction : l'auteur s'étonne qu'on n'ait jamais étudié
le pessimisme dans les classiques français du xvn* siècle; il veut commencer
cette étude par La Bruyère, après avoir constaté l'importance qu'aurait une
étude analogue sur Pascal et La Rochefoucauld. I. Recherche et examen du pes-
simisme dans les Caractères : citation de toutes les pensées qui semblent
empreintes de pessimisme, avec commentaire; on pourrait, ce semble, en
allonger la liste; ensuite citation de quelques pensées ironiques, l'ironie
étant une forme adoucie du pessimisme ; l'auteur n'insiste pas ici, sentant la
difficulté de définir l'ironie chez La Bruyère. IL Genèse du pessimisme de La
Bruyèi*e. L'auteur cite parmi les causes probables de la philosophie de son
héros son hérédité, son tempérament (qu'il définit timidité réfléchie), sa vie
{difficultés des débuts, jusqu'à trente-six ans, condition subalterne, fréquen-
tation quotidienne de son élève, monstre moral, probablement infortune
amoureuse) son milieu (tableau des mœurs françaises du xvii0 siècle, som-
maire, mais exagéré) : « La Bruyère étant porté à la mélancolie par les vicis-
situdes de sa vie, à l'observation par son caractère, l'objectivité du monde
extérieur se superposa à sa structure psychique personnelle, et, comme sa
bonté et sa sagesse intimes le portaient à juger tous les actes en les compa-
rant aux exigences de ses idées morales, il y trouva un coefficient d'attrac-
tion vers le pessimisme ». III. Physionomie du pessimisme de La Bruyère. Il
n'arrive pas à la conception du mal radical ; il n'est pas profond, il est tem-
péré par la foi; il considère le pessimisme comme un instrument pour corriger
1 homme; il y a dans son pessimisme une part d'optimisme. IV. Position et
influence historique du pessimisme dé La Bruyère. De La Bruyère dérivent plus
ou moins, selon Benedetti, tous les moralistes français du siècle suivant, Vau-
venargues, Chamfort, Schopenhauer, Stendhal. V. Le pessimisme de La Bruyère.
La valeur objective du concept pessimiste. Considérations générales sur le pessi-
misme, d'après Max Nordau, Magalhaes, Mantegazza, Guyau, Fogazzaro,
Graf, Durckheim, Caro, M. Edmond Thiaudière, etc. L'auteur parait s'écarter
ici beaucoup de son sujet, et sa dissertation est longue et lourde pour un
résultat assez mince, et qu'il eût peut-être été aisé d'atteindre sans un si grand
appareil philosophique.
L.-G. Pélissier.
La fin du théâtre romantique et François Ponsard, par M. C. Latreille,
docteur es lettres (Hachette, 1899).
435 pages sur Ponsard ! Voilà qui est beaucoup, s'écrierait-on très volon-
tiers, si l'on ne retenait que la deuxième partie du titre. On aurait tort cepen-
402
REVUE D HISTOIRE LITTÉRAlfU: OË LA FRANCE.
daut, et pour deux raisons essentielles : rune, que dans la thèse de M. Laireille,
l'étude propre ment dite de Ponsard n'occupe qu'un seul litre sur trots (de la
page 123 à 342 exactement); l'autre, qu'on serait t^nlè, après avoir fermé le
volume, de faire à l'auteur le reproche absolument opposé, et de lut
demander : Pourquoi ne pas avoir réservé TQé 133 pages au seul Ponsard?
Le premier livre en effet contient t histoire du théâtre en France de t8Ô0 I
1343; à chacune des trois tendances dramaitques de la première moitié dur
siècle correspond nn chapitre : un sur tes semi-romantiques, un autre sur les
romantiques, un troisième sur la tragédie durant cette période. Histoire
déminent sommaire, condensée, dans laquelle il a fallu dire très vile des
choses essentielles» el laisser au lecteur le regret d'être entraîné, au pas de-
courset à travers ces chapitres qui parfois ont assez l'air d'un « précis ». Certes,
M, Latreille a évité recueil, grâce a sa langue souple, aisée, entraînante interne ;
c'est une causerie distinguée et facile, qui ne prend jamais le Ion de la docte
dissertation. D'ailleurs, à travers ce fouillis d'oeuvres et de noms, l'auteur
su discerner fort heureusement les oeuvres les plus significatives et tes noms
les plus importants pour l'histoire générale de notre théâtre. Mais enfin. OC
n'est pas la partie la plus v nouvelle », ni par suite la plus intéressante il
thèse : les conclusions dégagées par M. Latreille, nous les connaissions à
l'avance; il lui restera le mérite fort appréciable de les avoir fait précéder d'un
eiposè nel, intelligent et agréable à lire, du mouvement théâtral dans la
première moitié du siècle. C'est beaucoup; ce n'est pas tout, et Tau leur a su
montrer qu'il avait des qualités bien plus éminenles et d'un tout autre ordre.
Expose très intelligent, disais-je, mais font- nient incomplet. Voyez « ce que
fut le romantisme », d'après cette étude* Vous serez loin, très loin, j'en suis
sur, de connaître l'opinion véritable de l'an leur sur la révolution littéraire que
les novateurs audaneux lenléreiit au théâtre. Je n'ai guère retenu que les
défauts, dira M+ Lalreiïle, car mon chapitre devait aboutir à la catastrophe
des Bur'jifites, Cela est vrai, mais avec ce procédé ne risque-l-on pâl
d'encourir un grave reproche? Celui de ne nous avoir donné qu'une vue
imparfaite des choses. Dans ceLle tulle entre les romantiques et leurs adver-
saires, je veux qu'on me dise comment les uns et les autres étaient armes, el,
à coté des causes des défaites subies par ceux-ci ou ceux-là, peut-être est -il
indispensable de me donner celles Je leurs victoires* fussent- elles passagères.
Si donc l'auteur ne pouvait pas le faire, si les li miles mêmes de son ou?i
ne lui permettaient pas d'utiliser, comme il l'aurait voulu, les docuifl
innombrable* recueillis sur celte période dont il a une connaissance parfaite,
ne valait-il pas mieux, sinon supprimer celte partie au grand préjudice du
plan môme de la thèse tout entière, du moins la réduire aux proportions
d'une véritable préface, exposer les conclusions brièvement et passer de suite
à Ponsard? Ce n'est pas nous, en tout cas, qui l'aurions regretté.
Nous regretterions plutôt, encore une fois, que M. Lalreïlle n'ait pas con-
sacré plus de place à Ponsard. La parlie intitulée « Biographie sommaire de
Ponsard » est peut-être la plus documentée à la fois, la plus personnelle et la
plus vivante de tout l'ouvrage. Compatriote de Ponsard, M. Lalreïlle appartient
à cette province du Dauphtné où plus d'un lettré modeste conserve respec-
tueusement te culte et les souvenirs des bommes illustres du pays; i! a grandi
sous le même ciel, il a connu des amis du poète, qu'il a interrogés longue*
ment, mettant en regard leurs témoignages et les corrigeant l'un par l'autre
avec un tact in Uniment sur; il a dû en outre à M. le vicomte Spoelberch de
Lovenjoul de connaître jusqu'aux moindres écrits de son auteur. 11 y a mieux ;
de bonne heure en relation avec la famille du poète, il a obtenu de son lîls
M* Franrois Ponsard, la communication d'une correspondance volumineuse
et inédite, avec l'autorisation de s'en servir, et de sa cousine Mlle Ponsard la
permission de fouiller les tiroirs où sont conservés mille documents manu?
crils et imprimés, héritage précieui et gardé avec une touchante piété. Eu,
COMPTES RENDUS.
*9:i
bien ï j'ai presque envie de regretter que M Latreille n'y ait pas puisé plus lar-
gement. Sans doutet il est sorti de tout cela une biographie singulièrement
captivante : nul n'aurait pu de^a^er avec plus du perspicacité les influences
qui ont agi sur l'imagination de PonsariL et qui nous expliquent son tour
d'esprit; nul n'aurait pu taire aimer davantage l'homme et le poêle. Hais sur
Ponsard « intime *>, M, Latreille en a tant dit qu'il nous fait penser qui!
aurait pu dire bien davantage : cette « esquisse », comme il écrit lui-même,
BOm lait songer à ce qu'aurait pu être le tableau. J'ai pu moi-même apprécier
quel trésor inestimable M. Latreille a eu à sa disposition, et je sais tout ee
qu'il a dû sacrifier de ces matériau* inédits ', qui auraient donne tant de
piquant k la narration de la romantique existence de ce demi -classique, le
nore pas non plus à quels scrupules il a obéi. Sêd fifcriK H'<n fiflrt hiê
temptflt, dirait-il volontiers en changeant nu peu le vers d'Horace. Conten-
tons-nous donc de ce qu'on nous offre. Aussi bien, nous sortons de cette lec-
ture avec celle impression que fauteur du livre aime profondément son poêle,
qu'il a pour lui cette alTeetiun clairvoyante qui ne ferme pas les yeui sur les
défauts et découvre les plus secrètes qualités; et, trouvant dans Ponsard un
modèle d'amitié sûre, de dévouement absolu t de naïve sincérité, il s'attendrit
discrètement sur la lin du poète qui, atrocement torturé parla maladie, s'en-
dort enfin dans te pur rayonnement de la gloire* * A charge ou à décharge,
déclarait Jean-Jacques, je ne crains point d'être vu tel que je suis. » AL Latreille
a montré que Ponsard aurait pu en dire autant, et il l'a montré avec une
réelle sympathie.
La sympathie du biographe ne l'empêche pas de voir les défauts de l'homme
qu'il étudie, celle du critique ne lui cache pas les imperfections du poète.
M. Latreille passe successivement en revue chacune des pièces de fonsard, et
s'arrête surtout à hucrètt, dont Msard disait qu'elle élait une date littéraire,
et au Lion ammtrtu&, qui lui paraît l'oeuvre la plus parfaite et la plus vérî*
tabl émeut seonique de toutes. J'aurai tout dit de cette partie de l'ouvrage
quand j'en aurai loué sans réserves la netteté des analyses, la marche entrai-
D fente des développements, le bon goût de la critique et la sûreté des juge-
ments. Voici les Tragédies el les Etudes Antiques, les Comédies et le drame
de Raillée, Vient alors l'exposé des « doctrines a de Ponsard, si tant est
que le mot puisse être employé en la circonstance. Le poète me semble en
effet avoir plutôt manqué de cette décision qui fait les dogmatiques et les
auteurs d'Art poétique. 11 faut la conviction solidement enracinée d'un Eoileau
on hardiment aventureuse d'un Hugo pour écrire des manifestes littéraires,
Ponsard n'eut jamais rien de tel. Mais enfin, il suffit d'un peu de complaisance
pour trouver très légitime le chapitre sur n les théories n de Ponsard, Le
poète a réfléchi sur son art, il a dans quelques article;- de la Revus dv Yurnne
ou du €orv8litUti(mnBif dans quelques m observations n qui ont précédé ses
pièces, dans de véritables prê laces, dans sou Discours de Réception, et dans
quelques lettres inédites, développé la conception qu'il se faisait du genre
tragique et du genre comique. M. Latreille résume cette conception en décla-
rant qu'elle marque « un efibrt consciencieux vers la nature el la vérité », En
conséquence, Ponsard ne veut être ni un sous-Campislron, ni un sous- Hugo :
il veut *e tenir â èt:ale distance du classicisme et du romantisme, D'a£6ûrd;
reste â savoir si c'est par suite d'une vue exacte des tendances du théâtre
contemporain et des exigences du public, d'un sentiment précis de ce qu'atten-
dait la scène française, ou tout simplement... par suite du caractère même
de son « L^énie ■-. Ponsard avatt-il assez de « tempérament » pour chercher a
U Signalons à ce propos qu'une partie de ces matériaux a été utilisée pour une
étude parue dans notru Revue, sur les rapports de Ponsard et de Lamartine.
Peut-être même, pourrions-nous faire prévoir, sans indiscrétion, une prochaine
étude sur Ponsard, homme politique ; elle ne manquerait pas d'intérêt î
49t
RBVOE d'hISTÛIHE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
atteindre a la pendra lisation des types, san> laquelle la tragédie est un simple
exercice de rhétorique suivant la formule» ou pour tenter la création pais&aoa-
nient intense de personnages vivant très loin de nous, mais Lrèa poétiquement
vivants? M, Latreille rapproche son nom de celui d'Ingres, Sans doute, siiiv.nn
l'opinion de M. CI». Blanc, « Ingres en ramonant l'école à l'élude île la nal
Ta desinfectée de deux poisons qui s'appellent îe chic: et le poncif..,; le chic
est le poncif des romantiques, comme le poncif est le chic des classiques », Mais
il y a autre chose dans les romantiques, il y a autre chose dans les classiques
que du chic el du poncif! Avoir délivré îa peinture ou la poésie de l'un el
l'autre, cela est très bien, et nous devons en être reconnaissants à Ingres ou à
Ponsard. Mais h In^n's <■ a voilé de fais roule son école », s* « il est tombé
dans la sécheresse des contours découpes, dans le mépris des moyens purement
pittoresques », n'est-ce pas précisément parce que a les grandes compositions
dépassaient la mesure de ion imagination », parce que, pour tout d
h c'était un ^énic de courte haleine ' *? Et alors, nous voilà fixés. Pour le*
tes de cette sorte, comme pour beaucoup d autres d'ailleurs, ne sommes-
nous pas trop tentés d'attribuer a une systématisation arrêtée ce qui est tout
simplement..' impuissance de taire autre chose/ M. La treille voit fort bien
imperfections du théntre de Ronsard, il en signale les faiblesses au poinl cfa
vue dramatique et surtout au point de vue du style : je crains qu'avec heau-
coup d'iugémotité et non moins d'esprit, il ait non pas exagéré l'importance
du théâtre de Ponsard, mais qu'il ait malgré toul exagéré l'importance de ses
« théories »* et de sa « doctrine ->. El cela nous conduit à la troisième partie.
Elle a pour but de fc situer <> Ronsard dans l'histoire de la poésie drama-
tique, et dt1 marquer son influence sur le théâtre français dans La d
moitié du si+cle. Ponsard est un véritable chef d École, le chef de J" Eco le du
Ituii Sens : *U> la, l'exagération qi nalais plus haut. On a dit que cette
école n'avait jamais existé. M, Latreille se charge de démontrer le contre
elle a existé d'abord dans la pensée de ceux qui la composaient, c'est-à-dire
du triumvirat formé par Ponsard, Augier, Latour (Saint-Vharsi Voila les
chefs, dira-t-on, mais ou sont tes soldats? Ils furent peu nombreux
ment et de valeur assez médiocre, M. Latreille est le premier a le reconnaître:
mais ils u>n ont pas moins combattu, les uns hors des rangs enmm
Gtrarditt, les autres dans les rangs comme cet Arlhur Ponroy dont le^ àel
forent si lamentables ! Elle a ensuite existé dans la pensée de ses adversah
après tout, cite savait au moins recruter ses « auxiliaires »>, puisqu'en f S ;
la bataille de Tragaldahas elle met en déroule l'armée de Vacquerie, Mïch
cl Gautier. Prenons- la donc au sérieux, conclut l'auteur, et il serait diflicile
de ne pas conclure comme lui. D'ailleurs Augier en a défini la poétique ê\
te Spectateur rvpuhheain^ el, avant h Q M. Poirier, il est clair —
après la lecture du livre de M, Latreille — qu'Àugïer a été un di*
Ponsard, qu'il s'est engagé, un peu a Imitons il est vrai, dans la vote que lui
montrait le mettre. Il faut voir comment dans Philibertc (1853), Augier répon-
dait par la bouche du chevalier de Talmay an cri des romantiques ; « Vivent
les anglais et les Allemands! *, comment il s'élevait au nom du Bon Sens
contre les peuples d'oulre-tlhin qui aiïublent la poésie d* « un mac
brouillards », Mais celte Éi-ole marquait une fin : M. Latreille en est persuadé»
pas assez peut-être pour le dire très nettement. 11 avoue que la durée éphén-
de cette École, la médiocrité de ses productions font que sou bilan est des
plus minces; mais il va peut-être un peu loin quand il la rapproche de « ces
écoles intermédiaires qui portent en elle le germe de l'avenir ». J'aime mieux
répéter avec lui qu* « elle nÉa tracé qu'un léger sillon dans le champ forte-
ment labouré par l'imagination de Hugo », Et alors je reconnaHrai fort vol
l. J'emprunte toute cette citation au livre de M. Ch. Blanc : Ingrex% *« vie et hs
«ucra^ej, iS^U, auquel M* Latreille nous reavoic dans une note du ta pi
COMPTES RENDUS. 495
tiers tout ce que nous lui devons, et je louerai de tout cœur 51. Latreille de
nous l'avoir si bien indiqué dans une'œuvre si bien conduite et si bien écrite.
C'est par là que je voudrais finir. Le livre est un de ceux qui rendent la
science aimable, et qu'on lit avec la ferme intention de le reprendre à l'occa-
sion avec le plus grand plaisir. N'est-ce pas là une des garanties d'un durable
succès? Car enfin tout ce qu'il y a, dans cet ouvrage, de qualités solides,
sérieuses, d'érudition profonde et sûre, de travail consciencieux et opiniâtre,
tout cela suffirait pour recommander une thèse en d'autres temps ou en
d'autres pays. Mais, par-dessus tout, le livre sur François Ponsard est une
thèse « à la française » ; c'est dire assez qu'il plaît par la forme même, alerte
et attachante : en faut-il davantage pour que cet agrément, joint à la solidité
remarquable du fond, fasse de cet ouvrage un livre qui, suivant un mot spiri-
tuel, soit — provisoirement — définitif?
Marius Roustan.
N. B. — Signalons, à la première page, un portrait de Ponsard d'après le
tableau de Lehmann. Quantum mutatusl... Le Ponsard, connu généralement,
j'allais dire le Ponsard « classique », a le front dégarni et, suivant son bio-
graphe, « quelque chose d'affaissé qui trahit l'inquiétude des combats perpé-
tuels ». Le Ponsard de Lehmann, avec sa chevelure ondulée, son beau front
sans rides, ses yeux rêveurs et profonds, sa barbe fine cachant à demi le col
d'une blancheur éclatante, est tout à fait le portrait d'un romantique de la
première heure; on croirait que cette redingote fermée cache le gilet rouge à
la Gautier.
Et, à ce propos, ai-je besoin d'ajouter que dans les passages du livre où ce
dernier nom est agrémenté d'une « h » parasite, il y a tout simplement une
erreur d'impression, qui a échappé à l'auteur lorsqu'il a revu les épreuves?
Même remarque pour le mot « ridiculariser ».
M. R.
Maurice Clouard. — Documents inédits sur Alfred de Musset. Paris,
Rouquette, 1900, in-8, de 269 p. et fac-similés.
Le recueil de M. Clouard se compose de cinq études sur : les Portraits
d'Alfred de Musset, — Alfred de Musset et George Sand, — Quelques œuvres iné*
dites ou peu connues d'Alfred de Musset, — Notice bibliographique sur la corres-
pondance d'Alfred de Musset, — Alfred de Musset bibliothécaire du ministère
de l'Intérieur et lauréat de V Académie. Tous ces morceaux ont déjà paru dans
des revues et nous n'avons pas manqué de les signaler à leur heure. L'un
d'eux, Quelques œuvres inédites ou peu connues d'Alfred de Musset, a même été
inséré ici et nos lecteurs en ont trop bien gardé le souvenir pour qu'il soit
utile d'y revenir, quoique l'auteur, en le réimprimant, y ait fait certaines
modifications qui ne sont pas sans intérêt.
M. Clouard énumère un grand nombre de portraits d'Alfred de Musset,
mais son étude se résume en ces quelques lignes qui pourraient lui servir de
conclusion : « Tous les portraits d'Alfred de Musset se rapportent à quatre
types, dessinés, peints ou sculptés du vivant du poète par David d'Angers,
Eugène Lami, Charles Lan délie et Gavarni; lesquels, après 1857, ont servi de
modèle à ceux, peintres ou sculpteurs, qui ont voulu le représenter ». Et il
ajoute : « Je ferai remarquer que ce sont les portraits les plus ressemblants
qui sont les moins connus ».
L'étude sur Alfred de Musset et George Sand est de beaucoup la plus impor-
tante du volume, et par ses dimensions et par les résultats auxquels elle
aboutit. C'est une des pièces principales de l'enquête si passionnante ouverte
496 HEVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
sur les relations des deux amis et leur rôle respectif à l'égard l'un de l'autre.
Non seulement elle contient des documents qui n'étaient pas connus avant
que M. Clouard les mit au jour, mais encore par la pondération de son juge-
ment et son esprit d'impartialité l'auteur semble être sur la voie de la sen-
tence définitive que l'avenir portera un jour à ce sujet. Pour faciliter ce juge-
ment, M. Clouard ne s'est pas contenté de faire connaître ce qu'il possédait
d'inédit; il a joint à son étude V Index bibliographique de tout ce qui a été
imprimé sur cette question et y touche de plus ou moins près.
C'est le môme intérêt de relevé documentaire qu'offre la Notice bibliogra-
phique sur la correspondance d'Alfred de Musset. On y trouve la liste de 110»
lettres du poète, imprimées de diverses parts, intégralement ou en partie, et
qui ne peuvent que servir à le mieux faire connaître. Enfin, M. Clouard a
donné sur Alfred de Musset bibliothécaire du Ministère et lauréat de l'Académie
des renseignements que nous avons analysés déjà (1899, p. 331), et qui com-
plètent heureusement dans sou nouveau volume les indications qu'il a si
abondamment recueillies et qu'il sera désormais nécessaire de connaître pour
parler de Musset en connaissance de cause.
P. B.
Firmin Maillard. — Le salon de la vieille dame à la tête de boia.
Paris, J.-Olivier Affolter, 1899, in-8, de 182 p., papier vergé.
Ce titre énigmatique et prétentieux cache tout simplement une histoire
anecdotique des élections à l'Académie française sous le second Empire.
Hàtons-nous de dire que le livre vaut mieux que son enseigne. Il est vif,
agréable à lire et bien informé^ et, sans apporter des faits intimes et précis
comme en font connaître les lettres de quelques académiciens d'alors, Mérimée,
par exemple, Guizot ou Laprade, il recueille des racontars, des allusions, des
anecdotes, épars de tous côtés et qu'il serait difficile de retrouver ailleurs.
Les Français ont toujours pris plaisir aux choix académiques et sous le
second Empire, semble-t-il, plus encore qu'en tout autre temps. Les élections
académiques étaient alors une des formes de l'opposition constitutionnelle, et,,
à un moment où la presse ne pouvait guère parler, où les discussions législa-
tives n'étaient pas libres, les harangues académiques, avec leurs sous-entendus,
leurs allégories et leurs finesses, avaient un écho qu'elles ne retrouvèrent pas
toujours depuis. C'est donc une période intéressante de l'histoire de l'Aca-
démie française et M. Firmin Maillard a eu raison de vouloir la retracer. Ce
qu'il conte surtout c'est l'histoire extérieure de l'illustre compagnie durant les
vingt années du second Empire, de ses choix depuis Alfred de Musset, élu en
1852, jusqu'à Marinier, des convoitises qu'ils excitèrent, de l'accueil fait par
le public aux nouveaux élus. M. Maillard a retrouvé et mis en valeur à peu
près tout ce qu'il était possible de savoir de cette chronique vieille au moins
de plus d'un quart de siècle. Quant à l'histoire intime, intérieure, de l'Aca-
démie en ce temps-là, il faudra attendre pour l'écrire que la correspondance
de ceux de ses membres auxquels nous faisions allusion tout à l'heure soit
livrée au public, car il y faudra recourir et on apprendra de Ja sorte des
secrets amusants dont le vulgaire ne se doute pas.
P. B.
PÉRIODIQUES
Allgemelne Zeitung (Beilage). — N° 64: W. Fred, Balzac's Lettres à l'Étran-
gère.
L'Amateur d'autographe». — 15 avril; R. Bonnet, Trohi lettres de Rachel
au marquis Astolphe de Custine (1839-1840). — ■- Maurice Clouard, Deux lettres
inédites de Paul de Musset. — Georges Mon val, Liste alphabétique des sociétaires
du Théâtre-Français (suite). — 15 mai; Th. Lhuillier, Vu oublié : le poète
Alexandre Lainez. — Georges Mon val, Liste alphabétique des sociétaires du Théâ-
tre-Français (fin). — 15 juin; Th. Lhuillier, Un oublie : le poète Alexandre Lainez
(fin). — R. B., A propos du sonnet d'Arvers.
Archlv fur das Studlum der neueren Sprachen und Literaturen. — 104,
1-2 : P. Toldo, Le courtisan dans la littérature française, et ses rapports avec
l'œuvre du Castiglione. — II. Saure, Franz. Lesebuch, Franz. Lesestoffe, Tableau
chron. de la litt. française (F. Kalepky). — L. Clément, Henri Esticnne et son
œuvre française (Ad. Tobler). — G Paris, La littérature normande avant l an-
nexion (Ad. Tobler) — Vogué, Les mots quiparlent (Ad. Tobler).
Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire. — 15 avril*, Antoine Guillois,
Les bibliothèques particulières de l'empereur Napoléon. — 15 mai ; Marius Barroux,
Les archives de la Seine en 4900 et leur histoire. — Maurice Touroeux, Lettre et
note de Raynouard. — Le duc de Fezensac, Saluste du Bartas et ses éditeurs 2>ari-
siens. — Henri Cordier, Notules sur Charles Baudelaire. — Adrien Sée, Boufflcrs
moraliste. — Georges Vicaire, Revue de publications nouvelles. — 15 juin;
Emile Picot, Farce inédite du XVIe siècle. — Hugues Vaganay, Contribution à
l'histoire du sonnet: les Rosaires. — Marius Barroux, Les archives de la Seine en
1900 et leur histoire (suite). — Georges Vicaire, Revue de publications nouvelles.
Bulletin du Musée beige. — IV,* 1 : Koschwitz, Les parlers parisiens
(Lepitre).
Le Correspondant. — 25 mars; René Bazin, Les lecteurs de roman. — Les
œuvres et les hommes , courrier mensuel de la littérature , des arts et du théâtre. —
10 avril; Albert Pellerin, A }woposde « la Robe rouge » (pièce de M. Brieux). —
25 avril; Adolphe Lair, Un maître de Sainte-Beuve : comment Sainte-Beuve
devint critique et poète, d'après des documents inédits. — Les œuvres et les
hommes, courrier mensuel de la littérature, des arts et du théâtre. — 10 mai;
cardinal Perraud, La vie et V œuvre du Père Gratry. — H. de Lacombe, Le monu-
ment de Bossuet à l'Exposition. — 25 mai; Th. Froment, Xavier de Maistre et
Sainte-Beuve, d'après des documents nouveaux. — Les œuvres et les ho mines,
courrier mensuel de la littérature, des arts et du théâtre — 10 juin; A. Claveau,
Éludes littéraires : le théâtre du siècle. I. — Gaston David, Découvertes litté-
raires : à propos d'une nouvelle publication sur Joubert.
Cultura. — XV111, 20 : Pmvert, Grcvin (A. Chialvo). — Filon, De Dumas à Ros-
tand (C. Calisse).
Das neue Jahrhundert. — 3 : L. Katseher, George Sand.
Deutsche Llteraturzeitung*. — N° 5 : l'iricb, Charles de Villers (Steig). —
IS° 7 : Lôseth, Observations sur Polyeucte (Schultz Gora). — N° 8 : Franklin, La
1*8
REVUE l» HISTOIRE littéraire de U FRANCK*
: Betz, Heîn** und
Linz, Uèê
vie priver d'autrefois, arts **/ métiers (Mahrenholtz). — N* 10
f. — Benoi>L Essai* 'le critique dramatique. — V 12 :
tmsder Ge&ch. der franz* Literatur.
PJe iinirrci) Sprarlwii — VIL lu : \V. Mangold* Frïrdrichs des i
Diehtungen aus dit Zeit des $iehenjnhrhjtm Krieges.—G. Strïckler, Nom
de lecture; E. Otto* Ptatn** Lexehueh;}. Bierbaum, Lehrbuch der f ri
Rahn, Edithu; Hicken, hekrgmg der ftmu. Sptntehe; Pûnjer, Lekr-und î
dee frahz.Sprtichc, M. Wcîjss, Frunz. fhammntik fur Madehen; Sfiere, Lehrbueh
(A, Stocnkol. — E. Du puis, La France en zitjzatj (4- Brunnemann), etc.
Unsi* TidsLrirt. — iKim, décembre, p. HS3-465 : J, Visio-
et J. M orten se ri, Medcilidsdramat i Frtinht ike (A. Wallenskôïd).
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Les soupirant* de Suzanne Curchod. — Emile Faguet, La semaine dmnuitr
tn poétique de Racine. — i avril; Arvède Barine, Hors de France: Mazorin, par
Ferez (Mdos* — 5 avril; Maurice tomaison, \L Joseph Bertrand* — 7 avril;
ZM l P m f<>u< lionner (Académie Concourt}, — Ernest Tissot, La Gio*
riei dWnnjtmio. — H avril; Gabriel xMonod, Notice mt M. Pattt
de Hémusfit — î* avril; André ïlullavs, La semaine dramatique, — il avril;
Henri Hîdou, a Drames de famille u {par M. Vnul Bourget)* — 16 avril; Andrr
Hallavs, La semaine dramatique. — 17 uvril; Maurice Muret, « Le Feu », par
M. Gabriel d'Annunzio* — ltt avril; F- II., Le itère des Mille et une nuits. —
20 avril; Emile Fayuet, La poétique de Racine. Il, — 23 avril; André IIhI
La semaine dramatique* — 24 avril; J- Bourdeau, Revue philosophique : ta
philos phU de TohtQt — Maurice Muret, Léopard i et ia langue française. —
28 -'Vi il; A, S,, Henri de Rétjmer en Amérique, — !iS avril; II. Fietvn^-Gevaerl,
Napoléon OU théâtre, — 29 avril; Camille Vcrgniol, « Les eienj
IL Maivrî Viceost. — 30 avril; Emile Faguet, La êemaine dramatique. — 4 mai;
Louis Bourdêouei Vesprit scientifique. — 5 mai; Maurice Mut et, /,'/ censure dra-
matique a Berlin* — 7 mai; Heué Dournic, ha semaine dramatique. — tJ n
H. Fienms-i.^vaert, Un poète dramatique (M, Emile Verh&eren), — Il mai;
Z,t José fhtpuiê* — 13 mai; Albei i-Eiiiilf Sorti, Le couronnement de w la
rouge (pièce àe IL Brfeui couronnée par l'Académie française), —
Eteùé Dûtraiîc, La semaine dramatique. — S.( « La beau te de vivre » (de M, Fer-
nan.l Gregh). - 20 mai; Christian Schefer, Un nouveau témoin de tion
de Juillet (Cuvillier-Fkury). — 21 mai; René Dnumïc, ha semaine dromatiç
— S., Unsagt M. ïiavaisson-Mollicnj» — 28 mai; Lemonument Vitor Ùuruy.
— René Dooniie, La semaine dramatique. — 30 mai; z.t Jokai. — 1 *r juif i
nouveau de SL Edmond Rostand, — 2 juin; ÊmiJe Combe, Mai
,}<d:tii. — :ï juin; E. M. de Vogué, Le deuxième centenaire de VAcade
s et beUes4$tlree de Lyon, — 4 juin; René Doumir. La &
tique. — a juin; J. Bourdeaii! Le rire, élude de psychologie. — H et 18 juin;
René Duumic, La semaine dramatique. — 23 juin; Henri Chantavoioe, ,i /
demie : j de M. Panf Hervieu. — 23 juin; René Do u mie, La semaine drûr
matique.
lAiertMrisvheH Ceuirnliihiii — W**6 : Bourget, ÛEwtTcs complètes, ï J
^rainu — N" in: Suchier et Birch-Hirschfeld, Gesch. der franx. Literatur. —
> i t ; Dejob, hes femmes dans la comédie française et italienne au A W/f ^
I it4-r:tlui-MaU fiir ^erttiaiiiM'lie iiikI roiiiikiilsrlie Pliilalogle. —
LÔiôth, Observations mr Potyeucte (Hahrenlioltz). — Pascal, Abrégé de la m
deJ^C.,\i- l MalirenhiiJtzK — Michaelîs et Passy, Dictionnaire phoné
tique de h longue française (Sûtterlin), — \" ,* Mazuc, Grammaire ktng\
\n_lade). — Benard, Les annuaires pan )lQntaigm
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gendre de H. Potriei lln< nie). — Wright, Fronces Le crime de Sylvestre Bon
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PÉRIODIQUES,
m
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— S : Mary James DarmesLeter, La reine -/e (Van Haïuelj. — Welter,
.H/*/;vjJ(&aherda de Grave).
NfaiM «lîilirfoiïclier fur il:is U;issN:hi- 11 le ri mu f.f srhlchl* und dcill-
mIic Liieruiiir und fiir H:ula-«^lk — V\ VI, 2 : E. Erin&tinger, Eine
modems franz* tiearbeituntj des Euripidci&cken ton U'Apollonidc de Leconle de
Lisle), — J. Ilber^, Levante de Liste und Zola.
Wur piiiioioglnHir Hnnilnrimu. — N*3 : Desrh&nel, he$ déformations de
l>t langui français* iL, Sûttarlin). — N« 3 ; Johannessan, Franz. Ucbtimjsbuch
(C. Ueiebelj. — Towrrs-CIaik, Dit vhrt Jakress$itan far die fiam. und engt.
ÇQTtvmaHûiit&tundê* — K" 4 ; Daniel, Bûndtàrterbuch der detttwhen undfrant*
Spraché (Fass). — Heber, Eut Btîok auf Fronkreiehs Schtolwtcn [J. Etieabeck)*
— NHrîi : Lotscb, Wtirterbuch zu mt/demen frttnz, Schriftsttsseitern iK Hecktitarin).
— Jaeji, Aumerk. SU S MM. liedtehhnmmhmg \\ï. Knobloctu. — N
Faun &H dé ta pfonoUfi. /rançatae, (JtoMTB. pre/un. sur /a reforme de fortho-
graphe française •;<■. lîolinj*
*>nptilloloKl*ctie nineilun^rii (llclsingfors). — 13, 3 : W. S. Ein fintnndï-
M oh ne Efc&fli \*e* Igf a « A i lem An fan y < le s J> i h rh u ndert s+
Vrui>liiliilt»i-ïsrli(^ le titrait* lut t. — - XIV, 2 : Geïssler, Claude Marcel und
SftfM &tMfa dftf fan£1M&
\ordink TiiKnkrirt for Ululo-i. série ÏH-VIH, p. ii2-HG : Nyrop, &*$•
maire Instiirnjur de la langue française (E, StaafFK
La \oux4 Ut- Rente. — 15 lévrier; Judith Uadel, Le théâtre italien. —
15 Murs; a. Eternfaeim, UQdéon* — L.-F, Sauvage, La rennissaac** au théé
iïfaxtB* — I >e CnsleHaiie, teê idem dé Paul Béroutèdêt — i " avril; K. Ji,ir»ul -
Aubry, Daudet et Miserai* — 1er mai; Emilie Lerou, fart dramatique, —
Pau! Perret, Le théâtre dam limiimUé. — Félicien Pascal, Lu propriété UUêUâC-
ttt-tfc. — l-rjuîn; E.-M,, II' P. Ihdun intime, — la juin; P. QuesntL Cûl
ponâance, — Gabriel Compayrc%Li littérature des Pyrénê&i h
Publication* «*f tlie Hoitcru Luiigitagc xi<*f*acîîiliaii or \iuerira. ~ Wt
1 ; A, IL Tliorndike, Influence of thé court masques on thé dnutit; t €08-484$.
l.a ^tiluxaine. — iL"r mars; Louis Arriould» La naissance de hacun> —
16 niars; F* Etafesoa, Le< reaiitres de V Académie française, — Jean Ljorni'i,
mique Httéraire . à prapoê àê ■ Résurrection n. — i,ravnl; Emile de Saiui-
Aubant Chronique dramatique : » V Aiglon »* par If. Rostand; m la Robe rouas»)
par If. litittu\ — ifi avril; abb*'r L Kollmlev, Mtmtulemfo'rt et Shje Parisis,
efapret des documente médité :Pemné« i84€. — Gustave Le Poilievïn, La\Liherh
tic h Presse depuis la Révolution : d uzïème période, arrêtés de f8M- — iLr mai ;
L. FuLliuit-y , Montniembert et Mgr Pariêis, tt&pHi des documenté inédite .
Vannée tsHJ (suite). — Emile de Sainl-Auban, Chronique dramaUqv
Clairière »♦
Hrvuo lllcuc lUevue politique et HUéraire). — M mars; .1. du THlet,
Théâtres: Thêâtre-Àntoinei » V Empreints »; << Poil de carotte ■- — 2* marj;
Léon SmoIh'1. Ia^ amitiés tiitemurs (f Alfred de Vigny ; Sainte-Beuve. — Masson-
Forestier. Colonel U romsmfftêT i \i de VUUboîs^MareuiL — Zadig, Silhouettes
parisienne* . H* Jules Renard* — X. du TUlct, Théâtres : Thêâtre-Sarah item-
ttardt," t 'Aiglon >. — 31 mars; Zadig, Silhouettes p u. i I uard Rod,
— Emile Faguet, Lsé m de ?ietor Hugo* — Jules Guillemot, Les
oublies : « le Consentement forcé ■ dê&uyot de Merville tt « FEU de h Saint-
Mtttiii ». — J. du TjII« t. Théâtre*: théâfre-Sorah Bernhardt, b V Aiglon » (0u
— 7 avril; le vicomte Brenier do Sfoatmoïand, Le monde et tes fgfetu au
A/A sierle. — ZadigT Sithttitrttrs rfiifm : 1^ '«■ d'Annwïzia, —
Georges Pellissier, Les clichés de $tyie. — J, du Tillet, Théâtre* : Vaud*Qill9t
« Ln ltid,< — Î4 aviil; Maioel Prévoit, Le romnn au A7A'1 &iècfc* —
Louis Delaporle, (a prédicateur de carême : le P, E/ottm^m. — J^ du Tillet»
Théâtres : Variétés, « Eriuaiiûm t/c prince w; 'J Ifoûie, « /d Clairière a.
500
REVUE I> HISTOIRE LITTÉRAIRE L»E LA FRANCE.
— 21 avril; Zadi£. Silhouette* parisiennes : M, José -Maria de lier*
28 avril; Zadjg, Silhouettes parisiennes : /.-//♦ Hasnij. — fi niai ; André Cfaênier,
Eègte, wnvre inédite. — Paul et Victor Nargueritte, Portrait* contempo'
rains : M. Motion- Forestier, — L. ProaJ, Le nervoftet* ef /c suicide chez tes
poètes et ta tomititricrs du A7Y" siïr/<.\ — 12 ruai; Maurice Albert, Une troupe
tFaetêtfri Italiens sous la ïtétjence. — Zadi^, Silhouettes parisiennes: M. Courte-
ttne. — 1fJ mai; Emile Faf»uetf George Sand. — il) et 2f> mai; J. du Tiilet,
Théâtres : Odéon, « l'Enchantement »>. — 2 juin; h CornéJyt La preste au
Xt.X >tale. — J. du Trllet, Théâtres : Camt}die-Fraitraise„ « tes Fossiles «. —
» juin ; J. Cornély, La presse au A7A> fidèle (Un), — Zftdig, .Silhouettes pari-
siennes : M. Pierre Loti. — Hj juin; J. Ernest-Charles, Ut vie et les mœurs :
r industrie littéraire. — 30 juin ; Zarlig, Silhouettes parisiennes : AS, Lucien Des-
60tt* j. — Jules LevaMois, AJ"IC Hector Sfatot.
fifvu« BfiM&iiH* — 25 janvier; ta Rerue Bossue t. — E. Levesque, Ecrit de
Bossuet sur tes Études qui sua en t ta Utence% précède d'uîie introduction. —
E. Griselle, tîùnstiet, abbé de Samt-Lw ien-les-Beauvals, d'après sa eorrespontlanee
médité. — Ch. Urbain, Lettres êi BùSêUût à dÊuenei p — battra de
Louis- An toi fie de Mouilles* arehcvvoue de Pat £f, .' Bo&SUût^ au sujet de VEcAîkÏTCÏS-
semeni donné pur Fénelon aux Maximes déa Saints. — Extrait des prûcéfrver-
t-*nt.> ws pastorale* de VéViqUô de Meatu:, — 25 avril; A. Hebelliau,
.V propos d'une lettre de BôUueL — E. Griselle, Bonne!, ùhbé de Saint-Lutum-
BeauvaiXj d après stt correspondance inédite (suite) « — À* Caste, Deux lettres
de Bosêuet et deux lettres relatives à Bossu* tf — EL Levesquef Une maladie de
;tir de Meaux en 4699. — Extrait des procès-verbaux tirs visites p
fi /'. tieitUX I suite). — A* Tougard, Quelques traductions interpolées
dans Bossuet. — lie lettres dû BossueL
Bévue iiïim|ii^ a histoire et de lifti rnture. — N° il : Pireulde, Le */<
immortel, p. C, de Beau repaire A hclhuulie). — G Guizot, Montaigne; Cham-
pion, Introduction aux Essais de Montaigne (R. Roalèrea). — N* 13 ; Gaylev et
U La critique L l\ Haldenspergerl. — N* 16 : Hargifftj, SI*
ehard Simon [L So* ™ Franklin, La tôt privée d'autrefois, les animaux >A,
— Ilallays. Ea flâna»! Il .]e G.)* — N" i7 : Hebelliau, Ôûstuet (R Rosières). —
N° 22 ; Uejob, Les femmes dam la noméâû française et italû rine au XVtH9 siècle
(R. Rosières)» — Weftar, Mistral (A. Jeanruy). — N° 23 : Va^anav, Bibtit
pinède* sonnets du XIX1 fièetê (R, Rosières). — N*24 : Surhier et lurcli-llirseb-
feld, Hist. de la titt français*! 1 (A. jeaarûy),
Re%»p de FarN, — t'r avril; Fred'-ric Maison» « VÀiyhn ». — Louis Rer-
lrandt Flaubert et Y Afrique. — 1o avril; Paul Hervïcu. Pessimisme et com
— Gustave Reynîer, Le drame retiaieiu- en Espagne* — (5 mai; J.-J. «lusse-
rand, tes sporté dam t'anctenne France^ L — Maurice Courant, Le thédtn
Chine. — t r juin; J.-J. Jusserand, Les Sports dans P ancienne Frawe, IL —
Maurice Albert, Une guerre de comédiens, — U6 juin; Maurice Emmanuel, La
vie réelle au Mexique*
Rf!%iic de* iipu\ Monde*. — 1er avriï ; Th. BenlEon. Varmêe anglaise peinte
par Hudqtted Kipling. — René Doumic, Revue dramatique : l'Aigioni au Théâtre
Sarah Bernhardi; la Robe rouge, au Vaudeville. — 15 avril; E. Setilïère,
Uinf!ueme française, dam la lUteraiure aUetnande contemporaine . M Amo Hotz.
— T. de Wyiewa, Une nouvelle histoire du roman anglais. — \ir mai; Char Je -
Gorfir, Le mouvement paneelHque, — Edouard Kod, La nouvelle pièce de
M. tnaeosa. — IH mai; Ferdinand Rrunetiére, Un épisode de la vie de Eonsû
— Victor du Bled, Les souvenirs du baron fie Barante. — René DoumicT Les
feuilletons de Francisque Sarcey, — Th, de SYyzeva, r Ue biographie
de Henri Heine, — 15 juin; Ihiuston Stcwart Chamberlain, Un phUosJopke
wagnéritn : lleinrich von Ste\ 1887). — René Doumic, Revue titi
deux romans de V. Mareet Ptn-osL —Th. de Wyzewa, Les lettres d'amour tle
Sophie Dorothée ef ./ U ftK
l'j.ii QOES.
501
Retne de» lettre* franealwe* et étrangère*. — Janvier-mars; Th. Joret,
Mn,r de Staël et ta cour littéraire de Weimar iiini. — Boris de Tannenberp,
Hmilio Castefar. — À. MoreLFatïo, Mememàei y Prtuyn. — Avril-juin; A. «Je
Tréverret, Idées de Francis Bacon sur t' écriture et sur hs langxwt {floj, —
A. Vulliod, Un drame tymboHqtiê allemand; la Cloche engloutie, dé U. Ù.Baupt-
mutin. — G. Michuui, Sur le romantisme ; une poignée de êéfi>n&tfon$i —Juillet-
septembre; Lm Mis, L'épisode d'Hélène dans te second Faust de Gœthe. —
L.- G. Pélissier, Sur le théâtre dû Gabriel* dWnnunzîo.
Kftnr eneyelo|iéd!que. — M mars; M, GuéchoL Les confréries honvyroiseè
et le carnaval. — ? avril ; Pierre Yeher, Humour et humoriste*. — II. IL Gaus*
aeroD, ha UUérûturé en Angleterre (IfcO'.l). — Gustave Geifroy, Revue drama-
tique* — 21 avril; Charles PJIslerf Albert Lefort, Henri Webchiiïger, Al-
fred Kamb&ud, £h« Mourcy. Revue hittoriqtte. — 2H avril; Nécrologie :
iOteph Bertrand, — i> mai; Charles Maurras, Revue littéraire : eritiq
teurty poètes. — Gustave Geflïov, Revue dramatique. — IS mai; Albert Pin-
fâtidi Henri WeischÏBger, L Mann, Ajidré Le Glay, Félix llouvier, Revue &t>
torique. — 19 mai; Georges Charlet, La littérature coUonalc.— y juin; Gus-
tave GelTroy, Revue dramatique* — Charles Maurras, Repue littéraire po$U$t
roi/ifturirrs ri conteurs, — 16 juin; Th* Steeg, V évolution de la * nouvelle»
hoUx/te. -, 23 juin; L. Vernola, La Littérature en Allemagne, —
Charles Mourras, Bévue littéraire* — Lharles Le Qoïfict Inauguration du menu?
vient de dutj de Ma n passant à Houen.
Le liiups. — P'r avril; Gaston Uesebamps* La rie littéraire : méditation sous
rOdéoit. — Gabriel Blotiod. ar Paul de Hem usât, — 2 avril; Gus-
tave l.arroumei, Chronique théâtrale. — 3 avril; Paul Souday, Le& «* mur<
dé MetlhûG et Itatèi '■;/. — 4 avril; Adolphe Hrissou, Promena les et visites : sensa-
tions de carême. — h avril: Gaston Deachomp*, L« vie littéraire souvenir* sur
Alphonee Daudet* — 9 avril; Guitare Larromuet, Chronique théâtrale, — Une
i suctltiise sut Flaubert* — Paul Souday, L'académie Uoncourt. — 15 avril;
Gaston Deschamps, La nie littéraire - d'erposition en exposition. — 10 avril;
Lus! ave L&fitMiflEtôt, Chronique théâtrale. — 18 avril; Paul Souday, Af, l'a ut lier-
Dieu et le pe&timieme au théâtre. — 20 avril: Paul Souday. Les « Stances » de
Paul Moréas. — 22 avril; Gaston Descharnps, La tir littéraire ; Tolitol fahu-
liste. — 23 avril; Gustave LarrourueL, Chronique théâtrale* — 29 avril;
Gaston Ûeachumpa, La Hie littéraire ; If. Paul ïhnrtjet et les femmes. — 30 avril;
Gustave LarroumeL Chronique théâtrale. — 3 mai; T. de Wyzt'wa, 1 ne fin iné-
dite (l'un drame d'Ibsen. — 6 mai; Le droit de répons- tl m Us droits de Vhis-
toire ». — Gaston Deschamps, La vie littéraire : a propos de J.-H. Itamy, —
7 mai; Gustave Larroumel, Chronique théâtrale. — Un fragment politique
if André Chénier. — 10 mai; Alfred Mëzières, Journal intime de CuvîUier-Fteury.
— O mai; Gaston Oeschamps, La vie littéraire : le Taintême et W. ântùfae BtfU-
ffiaii». — 14 mai; liustave Larrounu*U Chronique théâtrale, — 16 mai;
Alfred Hlzîèrea, In vitraee forte* {ùbxVL. Marcel Prévost). — 20 mai; Gaston Des-
Champs, La vie littéraire : autrefois et aujourd'hui, le poète André li>
21 mai; Gustave hairoumet, Chronique théâtrale. — Henry Michel, F. Ra*
WtUim. — 21 ruai, Gaston Deschampa, La vie littéraire : nota sur la littéra-
ture hongroise, — 2fi mai; Gustave Larroumel, Chronique tfoùtrale. — Le
monument de Guy de Maupo&tant a tiouea. — 29 mai; E. Horn, Maurice Jokai,
— 2 juin; Le congrès dût snrnr.es de Fioriture* — 3 juin; Gaston h^ihamps,
he <><- littéraire : Maurice Mêi* — V juin ; Gustave Larroumet. Chronique thèd*
traie. — 0 juin; Léon Clery, <> bulateuf, — 10 juin: Gaston Deschamps, La
Vie littéraire : notes d'histoire mil Unir e. — Il juin; Gustave Larron met, Chro-
nique théâtrale. — 16 juin; Alfred Mézières, La soeicU française. - — 17 juto ;
Gaston Uesehamps, Li vie littéraire : femmes nouiettts. — 18 juin; Gus-
tave Larroumet, Chronique ttohitrale. ^- 23 juin; Henry Michel, Académie fran-
çaise : réception 4e M> Paul Hervieu, — 34 juin; Gaston Deschamps, La vie
RKV* d'hIBT. L1TTÈB- DE LA FnA»CK ["" Aod.l— VU, 33
502 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
littéraire : relations de voyage. — 25 juin; Gustave Larroumet, Chronique théâ-
trale. — 27 juin; G. Lenôtre, La Montansicr.
Zeltochrlft fur franzoalsche Sprmehe nnd Literatnr. — XXI, 6-8 :
Nitzsche, Ueber Qualitàtsverschlechterung franz. Wôrter und Redensarten
(0. Dittrich). — W. Klahn, Un im Franz. (E. Herzog). — E. Staaff, Le suffixe
ime, ième en français (E. Herzog). — K. Quiehl, Franz. Aussprache und Sprach-
fertigkeit (Koschwitz). — Aucassin u. Nicolette, p. Suchier (M. Wilmotte). —
M. Gisi, Franz. Schriftsteller in und van Solothurn (R. Mahrenholtz). — H. Cor-
dier, Molière jugé par Stendhal (R. Mahrenholtz). — G. Rossmann, Der Aber-
glaube bei Molière (R. Mahrenholtz). — F. Tendering, Molières Femmes savantes
im Unterricht der Prima (R. Mahrenholtz). — Kâthe Schir mâcher, Voltaire,
eine Biographie (R. Mahrenholtz). — E. Allier, Voltaire et l'affaire Calas
(G. Carel). — M. Liepraann, Die Rechtsphilosophie des J.-J. Rousseau (Er. Jung).
— F. Haymann, J.-J. Rousseaus Socialphilosophie (Er. Jung). — W. Ulrich,
Der franz. Familienbrief (C. Th. Lion). — Stier, Lehrbuch der franz. Sprache, V,
Syntax (E. Leitsmann). — Rostand, Cyrano de Bergeract comédie héroïque,
libers. Fulda (H. J. Heller). — Donriay, L'Affranchie (H. J. Heller). — M. Le-
blanc, Voici des ailes; Rod, Le ménage du pasteur Naudié; Montégut, Rue des
Martyrs; Rosny, Les âmes perdues; Loti, Reflets sur la sombre route; France,
Vanneau cCamèthyste; Rosny, L'impérieuse bonté (H. J. Heller). — R. M. Meyer,
Edmond About und Alhanasius Kircher. — XXII, 1-3 : W. Mangold, Friedrich
der Grosse und Molière. — E. Ritter, Sainte Eulalie. — K. Morgenroth, Zum
Bedentungswandel im Franz. II. — W. Horn, Zur Lautlehre der franz. Lehn-
und Fremdworter im Deutschen (suite). — Doutrepont, Notes de dialectologie
tournaisienne.
Zelftsehrlft far latelnlose hohere Schnlea. — XI, 3-4 : C. Humbert,
Einige auffàllige Eigentùmlichkeiten der franz. Formenlehre, Syntax und des
sonstigen Sprachgebrauchs, die in den Grammatiken und Wôrterbûchern kaum
oder garnicht erwâhnt werden und wohl gar den aufgestellten Regeln wider-
sprechen.
LIVRES NOUVEAUX
Alem (André). D'Argenson économiste (thèse). Paris, Rousseau. In-8, de
vih-188 p.
AmalA (G.). Grandi e piccoli, critica litteraria. Naples, Priore. In-16, de xv-
239 p. Prix : 2 francs.
Année (1*) poétique (1900). Trois cent soixante-cinq poésies. Paris , Fischba-
cher. In-16, de vm-403 p. et 8 grav. Prix : 6 fr.
Annuaire de la Société des Amis des livres (1900). Compiègnc, Mennecier.
Petit in-8, de 159 p.
Arnould (Louis). La naissance de Racan. la Chapelle-Montligeon, imp. Notre-
Dame. In-8, de 19 p. (Extrait de la Quinzaine).
Asse (Eugène). Les petits Romantiques (Antoine Fontaney; Jean Polonius;
l'Indépendance de la Grèce et les poètes de la Restauration; Jules de Ressé-
guier; Edouard d'Anglemont). Paris, Leclerc. In-8, de 249 p.
Atkinson (C. F.). Michel de Lhospital. London, Longmans. In-8.
Baird (H. M.). Theodor Beza, the counsellor of the French Reformation, 1519-
4605. London, Putnam. In-8 de 398 p.
Barbey d'Aurevilly. Lettres à M. Trébutien, extraits (1843-1851). Caen,
Valin. In-8, de xv-130 p. (non mis dans le commerce).
Bernardin (N. M.). Hommes et choses du XVIIe siècle. Paris, Société française
d'imprimerie et de librairie. In-18, Jésus, de 367 p.
Bertrand (Alexis). Les études dans la démocratie. Paris, Alcan. In-8, de
292 p. Prix : 5 fr. (Bibliothèque de philosophie contemporaine).
Bosanet. Lettre inédite au cardinal de Noailles (5 juin 1702), publiée et annotée
par le P. Eugène Griselle. Paris, Sueur -Charuey. In-8, de 12 p. (Extrait de
la Revue de Lille).
Bossnet. Oraison funèbre du prince de Condé, publiée avec une notice et des
notes par Alfred Rébblliau. Paris, Hachette. In-16, de 95 p. Prix : 0 fr. 75.
Bourdin (Gustave). Enseignement littéraire : Notes sur la langue du
XVII0 siècle. Nevcrs, Roulin. Petit in-8, de 63 p.
Bournon(Fernand) et Duval (Gaston). Bibliographie des travaux de M. A. de
Montaiglon. Supplément. Paris, Leclerc. In-8, de 18 p. et un portrait.
Boutié, S. J. (le P. Louis). Fénelon. Paris, Retaux. In-8, de vu-335 p. et un
portrait.
Boutroux (Emile). Notice sur Paul Janet. Versailles, Cerf. In-18, de 18 p.
(Extrait de V Annuaire de l'Association des anciens élèves de l'École normale supé-
rieure).
Brittson (Adolphe). Les livres de Sarcey. Compiègne, Mennecier. In-8, de 22 p.
et grav. (Imprimé pour les Amis des livres).
Buisson (S.). Les registres de V Académie française (1672-1793). La Chapelle"
Montligcon, imp. de Notre-Dame. In-8, de 29 p. (Extrait de la Quinzaine).
Catalogue général des livres imprimés de la Bibliothèque nationale (Auteurs).
Tome II : Alcaforada-Andoyer. Paris, Imprimerie nationale. In-8 à 2 colonnes,
de vi-624 p.
504 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Chapotin (le R. P. M. D.). Le Père Didon. Paris, Jourdain. In-8, de 3i p. et
portrait.
Chatel (Eugène). « La querelle du Cid, pièces et pamphlets publiés d'après les
originaux, avec une introduction par Armand Gasté. » Nogent-le-Rotrou, impr.
Daupeley -Gouverneur. In-8, de 10 p. (Extrait de la Bibliothèque de l'École des
Chartes).
Cbérot, S. J. (Le P. Henri). Une contribution nouvelle à la correspondance de
saint François de Sales. Paris, Dumoulin. In-8, de 9 p. (Extrait des Études-
publiées par des PP. de la Compagnie de Jésus).
Chesneau (L.). Comment Bossuet a compris le sermon. Blois, Migaxdt. In-18r
de 18 p.
Clément-Simon (G.). Un épistolier de V école de Voiture et de Balzac : l'abbé
de Lagarde; la société lulloise au temps de Mascaron). Parts, Champion. In-8,.
de 38 p.
Cloua rd (Maurice). Documents inédits sur Alfred de Musset. Paris, Rouquette.
In-8, de 281 p. et portraits. Prix : 10 fr.
Couderc (Camille). Documents inédits sur Guillaume Hchet et sa famille-
Paris, Leclerc. In-8, de 13 p. (Extrait du Bulletin du bibliophile.)
tour tan* (Thédore). Pierre-Daniel Huet, évéque d'Avranches (1630-1721).
Vannes, Lafolye. In-8, de 8 p. (Extrait de la Revue des questions héraldiques).
Coyeeque (Ernest). Inventaire de la collection Anisson sur l'histoire de l'im-
primerie et de la librairie, principalement à Paris (manuscrits français de la
Bibliothèque nationale, n° 22061-22193). Paris, Leroux. 2 vol. grand in-8.
T. Ier (22061-22102), de cvi-485 p. et portraits; t. 11(22103-22193), de 644 p.
Cuvilller-Fleury . Journal intime, publié avec une introduction par
Ernest Bertin. T. 1er : la Famille d'Orléans au Palais-Royal (1828-1831). Parts,
Pion. In-8, de lxvii-368 p. et 2 portraits. Prix : 7 fr. 50.
Delaporte, S.-J. (Le P. V.). Études et causeries littéraires. \n série : Victor
Hugo; Leconte de Lisle; Alphonse Daudet. 2° série : Louis Veuillot; Gresset;
G. Nadaud. Paris, Desclée, de Brouwer. In-8, 2 vol. de 237 p. et portraits.
Delmont (le chanoine). Bossuet et la dernière iHlre de Léon XIII au clergé de
France, conférence. Meaux, Le Blonde l. In-8. de 39 p.
Dercux. (IL). Notice sur Francisque Bouillier. Versailles, Cerf. In-8, de 10 p.
(Extrait de V Annuaire de V Association des anciens élèves de l'École normale supé-
rieure).
Doumic (René) et Levrauld (Léon). Éludes littéraires sur les auteurs français
prescrits pour l'examen du brevet supérieur. Paris, Delaplane. In-18 jésus, de
456 p.
Druon (IL). Bossuet à Meaux. Paris, Lcthielleux. In-16, de 264 p.
Du .Bled (Victor). La Société française du XVIe au XXn siècle (xvi°et xvue siè-
cles). Paris, Perrin. In-16, de xxix-319 p.
Duels (J.-F.). Corrtspondunce inédite avec le prince Louis-Eugène de Wurtem-
berg (1703-1773), publiée par E. de Refuge. Paris, Charavay. In-8, de 48 p.
(Extrait de V Amateur d'autographes).
Faguet (Emile). Histoire de la littérature française, illustrée d'après les
manuscrits et les estampes conservés à la Bibliothèque nationale. Paris, Pion.
2 vol. in-8. T. Ier (Depuis les origines jusqu'à la fin du xvi° siècle), 487 p. ; t. II
(Depuis le xvne siècle jusqu'à nos jours), 479 p. Prix : 12 fr.
Dncrocq (l'abbé Louis). Un poète lépreux de Vile Bourbon. Paris, Sueur-
Charruey. In-8. de 26 p. (Extrait de la Revue de Lille).
Fa h r manu (E.). Jean-Jacques Rousseaus Naturauschauung. Programme de
Plauen. In-4, de 60 p.
Fériclon. Dialogues des morts, suivis de quelques dialogues de Boileau, Fon-
tenelle, d'Alembert, avec une introduction et des notes par B. Jullien. Paris,
Hachette. In-16, de xvi-351 p. Prix : 1 fr. 60.
Flaubert (Gustave). Salammbô. Compositions de Georges Rochegrosse. Pré- '
LIVRKS NOUVEAUX. 505
face de Léon Henniqub. Paris, Ferrawl. 2 vol. in-8. T. I, xxiv-191 p.; t. If,
237 p.
Galli (H.). Paul Déroidède raconte par lui-même. Préface de François Coppée.
Paris, Pion. In-16, de vm-143 p. et portrait. Prix : 0 fr. 60.
Gaultier (Jules de). De Kant à Nietzsche. Paris, Société du Mercure de France.
In-18 Jésus, de 356 p. Prix : 3 fr. 50.
Gilardin (t.). François-Cyrille Rouillier (1813-1899). Notes intimes. L'homme
et l'écrivain. Lyon, Waltener. In-8, de 39 p. (Extrait de la Hevue du Lyonnais).
Gilbert (Emile). Michelet écrivain naturaliste. Introduction par François
•Coppée. Moulins, Grégoire. In-8. de viu-oi) p.
Gnérln (Maurice de). Le Centaure. Notice par R. de Gourmont. Paris, Société
du Mercure de France. In-8, de 59 p. et grav.
Gulttcau (À.). Les droits et les devoirs du spectateur au théâtre, discours.
Poitiers, Biais et Roy. In-8, de 28 p.
Haguenot (Marie-André). L*s oiseaux cfiez La Fontaine, conférence, Mont
pellier, Firmin et Montane. In-8, de 2i p.
Hallays (André), liucine poète lyrique, conférence. Paris, bureaux de la Schula
cantorum, 4o, rue Stanislas. In-8, de 48 p.
Bémon (Félix). Cours de littérature. XV : Montesquieu. Paris, Delagruve.
ln-18, de 75 p.
Jnrdell (D). Répertoire bibliographique des principales revues françaises pour
Tannée 4898 (2e année). Paris, Per Lamm. Grand in-8, à 2 colonnes de
i-27i p.
Lacombe (Paul). Jules Cousin (1830-1899). Souvenirs d'un ami. Paris,
Leclcrc. In-8, de 95 p. et grav. (Extrait du Bulletin du bibliophile).
Lnngloi« (Ernest). Anciens proverbes français. Nogent-le-Rotrou, imp. Dau-
jyelr y -Gouverneur. In-8, de 33 p. (Extrait de la Bibliothèque de F École des
Chartes).
Latrcille (C). La /in du théâtre romantique et François Ponsard, d'après des
-documents inédits. Paris, Hachette. In-8, de xvm-435 p. et portrait.
Leelgne (C). Ernest Pouvillon. Paris, Sueur-Charrue y. In-8, de 2* p. (Extrait
de la Revue de Lille).
Lévy-Bruhl (L.). Jji philosophie d'Auguste Comte. Paris, Alcan. In-8, de
423 p. Prix : 7 fr. 50 (Bibliothèque de philosophie contemporaine).
Marglval (Henri). Essai sur Richard Simon et la critique biblique au XVIIe siècle.
Paris, Maillet. In-8, de xxvm-336 p.
Mérimée (Prosper). Lettres inédites. Introduction par Félix Chamïkw. Mou-
lins, Crépin-Leblond. In-8, de cxxix-236 p. (non mis dans le commerce).
Merlent (Joseph). Le charme de Pierre Loti (à propos des Reflets sur la sombre
route). Paris, Sueur Char rucy. In-8, de 21 p. (Extrait de la Revue de Lille).
Moncalm (M.). L'origine de la pensée et de la parole, étude. Paris, Alcan.
In-8, de 322 p. Prix : 5 fr. (Bibliothèque de philosophie contemporaine).
Mugnier (François). Nouvelles lettres de Mmc de Warcns (1722-1760). Paris,
-Champion. ïn-8, de 146 p. (Extrait des Mémoires de la Société savoisienne d'his-
toire et d'archéologie, t. XXX VIII) .
Paquler (J.). L'humanistne et la Réforme : Jérôme Aléandre, de sa naissance à
•la lin de son séjour ù Brindcs (1480-1529) (Thèse). Paris, Leroux. In-8, de
•Lxxiu-397 p. et planches.
Paquler (J.). De Philippi Beroaldi junioris vita et scriptis (1472-1518).
(Thèse). Paris, Leroux. In-8, de 127 p.
Picot (Georges). Montesquieu : Pensées et fragments inédits. Compte rendu
du tome Ier. Orléans, Pigelet. In-8, de 32 p. (Extrait du Comptes rendus de l'Aca-
Mmie des sciences morales et politiques).
Pilon (Albert). Un chansonnier national : Réranger, conférence. Compiègne,
Lefcbvre. In- 16, de 52 p.
Poupé (Ed.). Les représentations scéniques à Cuers à la fin du XVI9 siècle et au
506 HEVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
commencement du XVIIe. Paris, Imprimerie nationale. In-8, de 7 p. (Extrait du
Bulletin historique et philologique, 4899).
Prévost (l'abbé). Manon Lescaut. Préface de Charles Pllsbnt. Illustrations
de Maurice Leloir. Parts, Chavaray et Mantoux. In-16, 2 vol., de 147 p. et
113 p.
Payol (M«r P. E.). L'auteur du livre € De imitatione Christi ». i™ partie : la
contestation; 2e partie : bibliographie de la contestation. Paris, Retaux. In-8,
de vm-638 p.
Racine. Phèdre. Nouvelle édition revue sur celle de 1697, avec notes, et pré-
cédée d'une introduction par P. Jacquinbt. Paris, Belin. In-12, de lui-103 p.
Rebière (A.). Pages choisies des savants modernes, extraites de leurs œuvres.
Paris, Nony. In-8, de vni-618 p. et portraits.
Rebière (Gratien). Un moine moderne : le Père Didon (1840-1900). Paris,
Mersch. In-8, de 40 p. et portraits (non mis dans le commerce).
Robert (Ulysse). Les origines du théâtre à Besançon. Nogent-le-Rotrou, Dau-
peley -Gouverneur. In-8, de 19 p. (Extrait des Mémoires de la Société nationale
des antiquaires de France).
Roby (l'abbé). Virgilo Limouzi, poème inédit de 1748, en vers limousins bur-
lesques, suivi d'une traduction par Hubert Texier. Paris, Bouillon. In-8, de
xxxvin-342 p.
Sehlrmaeher (Kàthe). Paris! (illustriert von A. Moreaux et F. Marks). Berlin,
Schall. In-8°, de v-365 p.
Vallat (Henry). Le barreau de Montpellier du moyen âge au XIXe siècle (1204-
1821), discours. Montpellier, Pirmin et Montane. In-8, de 30 p.
Voltaire. Huit lettres, publiées avec une introduction et des notes par
L. Brunel. Paris, Hachette. In-16, de xix-43 p. Prix : 0 fr. 75.
Vullhorgne (L.). Raoul Adrien, jurisconsulte, poète et érudit beauvaisien
(1561-1626). Beauvais, imp. du Moniteur de l'Oise. In-8, de 15 p. (Extrait des
Mémoires de la Société académique de roise).
Worms (Fernand). Le droit des pauvres sur les spectacles, théâtres, bals et
concerts, etc., en France et à l'étranger. Législation, doctrine et jurisprudence.
Préface par Eugène Pouillet. Paris, Larose. In-8, de vi-292 p. Prix : 6 fr.
CHRONIQUE
— La Société d'histoire littéraire de la France a tenu sa séance générale
annuelle le jeudi 31 mai, à cinq heures, dans Tune des salles du Collège de
France, sous la présidence de M. Gaston Paris.
Le Président a ouvert la séance par une allocution dans laquelle il a exprimé
les regrets de la société sur les pertes qu'elle a faites cette année de
MM. Félix Frank, Charles Marty-Laveaux et Etienne Charavay. Puis, après
avoir exposé quelques vues personnelles sur l'objet de nos études communes
et sur les travaux de la société, il a donné la parole au Trésorier, qui a présenté
l'état financier suivant pour Tannée 4899 :
RECETTES
Excédent de recettes au 31 décembre 1899 1 .009 85
240 cotisations à 20 francs 4.800 »
77 abonnements à 19 francs 1 .463 »
Plus 13 abonnements à reporter sur 1900 247 »
63 numéros à 4 fr. 75 299 25
14 numéros à prix réduit 42 »
1 année au prix réduit de 15 francs (net 12 francs). . . 12 »
Coupons encaissés 30 »
Montant total des recettes 7.903 10
DÉPENSES
Travaux divers (frais accessoires de bureau) 181 30
Papeterie 17 90
Publicité 30 45
Dessins, clichés 46 55
Affranchissement 330 24
Papier 61 0 20
Impression et brochage 3.105 70
Collaboration 1 .955 10
Frais de recouvrement de 240 cotisations 120 »
6.397 44
Excédent de recettes 1.505 66
7.903 10
Les comptes qui précèdent ont été mis aux voix et adoptés à l'unanimité
par l'assemblée générale.
M. Paul Bonnefon, secrétaire, a donné ensuite lecture du rapport suivant
sur les travaux de la société :
« Messieurs, c'est un plaisir et un honneur particuliers que la bonne fortune
d'avoir à prendre la parole au nom d'une société dont la raison d'être est le
508
BEVUE U HISTOIRE LITTÊJUUilE &Ê Là FRANCE.
culte des lettres françaises, en celle année où le rayonnement du génie fran-
lemhte brillera travers Le monde d'un éclat plus vif et plus sêduïs&nt-
Pour mot, je n'ai jamais rnieui senti qu'en ce moment tout le prix de la mis-
sion que vulre choix m'a conllée, et ec m'est on devoir 1res agréable de sou-
haiter la bienvenue* de votre part, à tous ceux qui, attirés par cet éclat, ont
passé leurs frontières pour venir voir de près les manifestations du labeur de
noire pajl. Ortes nous serions ingrats de ne pas accueillir avec empresse-
ment ces visiteurs bienveillants, car notre société reçoit de l'étranger des
encouragements qui sont peut-être), toutes proportions gardées, plus nom-
breux et plus efficace! que ceux qui lui viennent de la France elle-même^ el
dont nous devons être d'autant plus fiers et reconnaissants qu'ils parlent de
plus loin. Cela surprendra sans doute quelques esprits superficiels, CétiS qui
croient que rien ne saurait appartenir phi s en propre à une nation que sa
langue ou sa littérature, Les autres, ceux qui pensent ou qui observent,
savent que l'icb&ngf dei idées par les mots ou des mots par Jes i
incessant et que c'est la te libre-échanpe idéal que Jes économistes rêvent en
vain d'appliquer .iti.v produits matériels; ils savent par expérience que le tra-
vail intellectuel, en élevant l'homme au-dessus des Contingences de sa race, Je
rend apte à saisir la beauté sons Unîtes Jes formes, à servir la vérité de toutes
ses force* et par tous ses moyens, îe fait* en un mot, suivant la noble expres-
sion du poète, le concitoyen de toute àrne qui pense,
« G'ttft pour cela, messieurs, que ces adhésions venues du dehors il noire
œuvre commune, fussent-elles platoniques, nous toucheraient encore grande-
ment : c'est un hommage, et des plus délicats, à nos travaux, c'esl la preuve
qu'on apprécie nos efforts et qu'ils ne sont pas vains. Mus il y a plua : c'esl
aussi une leçon pour nous. L'étranger sait mieux que nous-mêmes combien
est profitable et fructueuse la communauté du labeur scientifique, la cohésion
detf recherches, l'association des bonnes volontés tendant par des voies dlVCl
vers un but déterminé, et c'est pour cela qu'il y contribue le plus efficacement
qu'il le peut, même quand il ne semble pas directement intéressé à la réus-
site de l'entreprise. Sachons profiter de renseignement, groupons-nous aurore
davantage, el de plus près, coude à coude, dirigea us -DOU S vers le terme pro-
pagé, New voisins nous y convient eu venant à nous et chez nous; en agissant
ainsi nous leur montrerons que nous avons gag-né à leur fréquentation et à
leur commerce, Assu renient nous pourrions montrer cette solidarité d'une
façon plus sensible, mais non pas plus utile. FfûBt aurions pu, comme le feront
sans doute d'aulres sociétés plus favorisées que la nôtre, nous réunir en tel
séances solennelles, prendre part à des congrès, organiser des expositions
partielles, La modicité de nos ressources matérielles ne nous permettait pas
toutes ces prodigalités avec lesquelles il nous eut été agréable de plaire a nos
visiteurs, et nous nous contentons, humbles travailleurs que nous sommes, de
les recevoir avec la gratitude franche et cordiale de ceux qui comptent suc Ja
bonne grâce pour faire excuser le trop de simplicité de leur accueil,
a Ce n'est pourtant pas à dire, messieurs, que la situation de notre société
soit, en ce moment, particulièrement délicate. .Nous avons vécu, pendant
l'année qui vient de s'écouler, la même vie discrète et calme qui fut la noire
depuis plus de six ans et nos ressources sont demeurées ce quelles étaient
auparavant. Le chitfre de nos adhésions a même augmenté, ohï 1res légère-
ment, mais enfin c'est la un symptôme qui n'a rien d'alarmant, bien au con-
traire. Voici quelques chiffres qui vous édifieront à ce sujet. Nous avons eu
le regret de perdre cette année trois confrères décédés, sur lesquels M, le
Président exprimait tout à l'heure les sentiments que nous éprouvons tous. À
ces pertes, hélas! définitive*, s'ajoutent d'autres pertes que nous pouvons
espérer momentanées ; ce ne serait pas la première fois qu'on nous reviendrait
après nous avoir quittés un instant, Douze de nos adhérents antérieurs ont cru
devoir nous adresser leur démission, et ce chiffre, ajoulé au précèdent, forme
CHRONIQUE.
509
un total de quinze noms qui figuraient auparavant sur nos listes et qui ne sfy
trouveront plus désormais, Nottt n'avons pour combler ces vides que dix
membres nouveaux, ce qui accuse un déficit de cinq membres dans le norithre
entier de nos adhéivnis : '2'.iH en 1900 au lieu de 243 en i899+ Ce n'est donc
pas de celte lu cou que nous nous sommes enrichis, Mais tandis que le chiffre
de nos sociétaires diminuait de la sorte, dans de faibles proportions, il est
vrai, le chiffre de nos abonnés croissait d'autre part, faiblement encore, il faut
le reconnaître, mais enfla .suffisamment pour combler les vides qui se produi-
saient ailleurs, .Nous avons, cette Année, Stî abonnés contre 75 que nous avions
Tan passé» soit un accroissement de sept abonnés, ce qui, défalcation faite de
cinq vides de notre liste d'adhcivnis nous laisse un surplus de deux abonnés
nouveaux. Et en ellet, le nombre global de ceux qui nous encouraient par
leurs versements annuels est aujourd'hui de 320 au lieu de 318 qu'il était Fan
passé. Le progrès est mince, mais il est réel, et nous devrions noua en réjouir
d'autant plus, s'il est vrai, comme l'assurent les naturalistes, que les progrès
les plus loagl à venir et les plus restreints sont en même temps les plus du-
rables et ceux qui restent le mieux acquis.
" Souhaitons maintenant, messieurs, que ce mouvement d'ascension persé-
vère et s'accentue. Mais toutes Les constatations exposées ci-dessus appellent
des remarques. Certes, nous ne faisons aucune distinction entre les adhé-
sions qui nous parviennent : toutes, d'où qu'elles arrivent, nous sont, agréables
et sont également bienvenues. Mais enfin être abonné à la Revue dïhistoirc Ut-
têvaire de ia France ou membre de la Société d'histoire littéraire de la France
4X1 n'est pas tout à fait la même chose. Quand on est membre d'une société,
c'est qu'on adhère pleinement à ses statuts, que l'union est intime avec elb- el
qu'on prend part autant qu'on le peut aux hasards d'une entreprise à laquelle
on se voue de son mieux. Au contraire, l'abonné a un recueil périodique est
rattaché à ce recueil par des liens plus lâches, et, lOtnMe-t-il, plus faciles à
rompre. Or, c'est surtout sous cette dernière forme, vous l'avez vu, que nous
viennent les adhésions nouvelles qui s'intéressent a notre omvre commune, La
raison n'est pas difficile à saisir* On estime assurément qu'il su Nil. pour par-
ticiper a celte œuvre, de prendre un abonnement au recueil périodique qui en
est le principal organe, et même, jusqu'à présent, à peu prés l'unique organe.
Sans doute le résultat matériel est atteint de ta sorte, mais cette façon de
procéder offre des inconvénients qu'il est bon de signaler.
« Outre qu'une certaine cohésion est nécessaire aux actes dune société quelle
qu'elle soit, qu'une communauté de vues et de tendances est indispensable
pour poursuivre un but général, ceux qui préfèrent verser leur allocation
-annuelle sous la forme du prix d'un abonnement plutôt que du montant
d'une cotisation peuvent être lésés par leur manière même d'agir, Et voici
-comment. Le membre d'une société, par le fait qu il court tous ses risques, a
drûtt à tous tes avantages qu'elle procure : c'est de stricle justice. Nous n'avons
pas pu, il est vrai, jusqu'ici offrir à nos adhérents tous ceux que nous aurions
aimé leur donner. Mais il n'en sera pas toujours ainsi; nous l'espérons tous
et j'ajoute que tous nous y travaillons dans des mesures diverses. Ceux donc
qui s'attachent à nous en s 'attachant exclusivement à notre revue perdent de
vue notre plan d'ensemble pour s'en tenir à un détail; ils courent le danger,
eu se particularisant ainsi, de ne pas jouir des autres avantages, éventuels
encore, mais fort probables, qui viendront à nos adhérents d'ailleurs que de
la revue, et il convient de leur signaler d'ores et déjà ce danger pour leur
éviter, le cas échéant, des mécomptes dont ils ne sauraient se prendre qu'à
eux-mêmes.
« Je sais bien que cet état de choses n'est pas à craindre immédiatement. Il
semble qu'une sorte de fatalité s'appesantisse, bien malgré nous, sur les pro-
jets de publications qui se présentent à notre examen, Lan passé, en pareille
circonstance, je faisais allusion, en me défendant d'être plus explicite, à un
5n>
H^VL'E b HISTOIRE LITTÉRAIRE M LA FJM3CE.
dessein dont j'aurais voulu vous annoncer cette année la réalisation prochaine.
Pourquoi ne pas dire aujourd'hui qu'en parlant de la sorte je songeais k une
entreprise dont nous avait entretenus notre très regretté confrère Etienne Cha-
Taray? Luit qui avait eu entre les mains tant de papiers précieux, vestiges et
souvenirs du passé, avait trouvé parmi eux des documents importants pour
l'histoire littéraire de notre xviir siècle et aussitôt il avaiL songé à eu faire
part k notre société, Il se proposait de les mettre en œuvre aussitôt que d'au-
tres devoirs lui en laisseraient le loisir. Le destin ne le lui a pas permis. Mais
nous lâcherons d'y pourvoir, soit que le projet d'Etienne Charavay puisse être
repris par un autre que lui, soit qu'il nous faille chercher ailleurs la matière
d'un travail nouveau.
ff En attendant, messieurs, La Revue reste notre trait d'union le plus solide,
la tribune ouverts aux communications de tout le monde, le symptôme le plus
''vident de notre activité, de notre vitalité. Il serait malséant de prétendre
vous apprendre ce quelle a fait, à vous qui la suiver avec persévérance, qui
ne cessez de mesurer ses efforts et de les ju^er avec impartialité. Elle essaie
de rester ce qufelle fut dés le début, un organe utile aux travailleurs, recueil-
Irint de toutes parts ce qui petit leur être profitable et le mettant à leur portée
d'une manière abordable et précise. Les résultats augmentent sensiblement
avec le temps et c'est pour cela que nous avons cru qu'il était nécessaire d'en
dresser l'inventaire pour nos cinq premières années. Vous avez maintenant
cette table des commencements de la Aei-'tic, dressée par notre confrère M. Mau-
rice Ton rn eux, dont je vous parlais Tau passé, et vous pouvez retrouver aisé-
ment grâce a elle tout ce que nos premiers volumes contiennent- Une table
des matières c'est un examen de conscience, et il importe aux sociétés comme
aux individus de le faire le plus souvent possible, à condition, bien entendu,
d'y apporter une entière bonne fui. Avons-nous tenu nos promesses de l'ori-
gine, avons- no us persévéré dans la voie tracée et fait œuvre utile? Le relevé
si consciencieux de M. Tourneux parlera pour nous en énumêraut seulement
Queifl furent nos travaux pendant cinq ans. Je doute qu'après l'avoir feuilleté,
même d'une main superficielle, on réponde négativement aux questions que je
posais tout à l'heure et qu'on est en droit de nous poser. Grâce à la méthode
si précise et si lucide d'un bibliographe rompu à de pareils ouvrages et dont
les preuves de maîtrise en ce genre ne sont plus à faire, nos efforts et les
résultats de ces efforts ne risquent pas désormais d'être méconnus. Il suffira
d'un coup d'œil pour permettre même aux plus négligents d'en prendre con-
naissance, et il sera de moins en moins loisible de les ignorer sous prétexte
qu'ils sont vo loti ta ï renient modestes et sans éclat. En se rendant utile une Ebtj
de plus aux chercheurs, M, Tourneux nous a rendu service et il a de ce fait
droit a la gratitude de tous.
<i Four l'avenir, messieurs, il faudra nous efforcer encore de fournir une
matière tout au moins aussi abondante et aussi variée à celui qui dressera
plus lard la table des matières de notre seconde période quinquennale. — Et
j'espère Fort, pour ma part, que ce sera l'auteur même de la première* — lia
pareil soubait nTa rien d'exagérément prématuré, puisque nous sommes déjà
dans notre septième année d'existence et que la Revue, grâce à vous, continue
a être amplement fournie de communications de toutessorles.il convient
qu'elle reste ce qu'elle a été jusqu'à maintenant: un répertoire de faits et
d'idées, où l'on doit pouvoir prendre à pleines mains, en toute confia:
quitte à apporter soi-même ensuite et a verser au fonds commun ce qu'on croit
avoir découvert de profitable aux études de tous. C'est par cette collaboration
générale, cet éch&Bge de bons offices mutuels que notre action peut être pro~
fonde et durable, et c'est à cela que nous devons tendre de toute la force de
nos volontés, Nous devons surtout chercher à améliorer notre recueil péri©»
di que, qui, malgré ses lacunes et malgré ses défauts, nous permet d'établir uo
contact suivi entre tous les adhérents de la société. Les dates d'apparition des
CHR0W1Q0K.
511
numéros sont éloignées entre elles, et» de plus, des retards viennent presque
chaque fois allonger un intervalle qu'il faudrait au contraire chercher à abréger*
Mai?, malgré cela, le contact ne cesse pas : on nous attend, on nous espère,
et, quand le retard se prolonge, nous recevons des rappels à Tordre amicaux
qui nous prouvent qu'on ne nous perd pas de vue et qu'on s'impatiente aima-
blement que nous n'ayons pas encore paru* Ce sont les trépignements d'un par-
terre qui prend goût au spectacle, trouve tes entractes trop Jon^s et la toile
trop lente a se relever. J'imagine que ces frémissements d'impatience ne doivent
pas être désagréables à ceux qui, dans la coulisse, en sont l'objet. Ils savent
que c'est un décor à établir avec convenance, des accessoires à placer au bon
endroit» une figuration d'ensemble à régler qui éloignent ainsi pour un
moment le plaisir du spectateur; mais que celui-ci, en constatant lotit h
l'heure le soin qu'on a pris de lui plaire, ne se souviendra plus d'avoir attendu.
Je ne pousserai pas la comparaison jusqu'au bout et surtout je ne m'en auto-
riserai pas pour justifier les retards parfois excessifs de notre revue, Je voulais
Aire simplement que, si l'exactitude est une vertu essentielle, il ne faut pour-
tant pas qu'elle nuise a d'autres attributs non moins importants. Par exemple,
il ne faudrait pas qu'elle s'exerçât au détriment de la correction et de la pré-
cision, qut doivent être, elles aussi, les qualités assurées d'un recueil qui se
pique surtout d'inspirer confiance. En ceci comme en toute chose, la sagesse
est de savoir concilier des besoins divers; nous y tâcherons de notre mieux,
soyez-en convaincus.
** Nous devons aussi, dans la composition de nos numéros, essayer de tenir
la balance égale entre les ditférents goûts que nous représentons, réserver une
place impartialement mesurée à toutes les sortes de travaux qui: nous accueil-
Ions. Nous essayons encore de le faire et sans doute vous avez constaté que
tous les siècles littéraires de la France, tous tes noms et toutes les œuvres iODt
représentés tour à tour dans ks pages de notre recueil. Pourtant il semble
i jn une préférence marquée pousse maintenant les chercheurs vers l'histoire du
XIXe siècle! vers ce siècle qui finit non sans laisser des souvenirs de gloire et
des traditions immortelles dans les lettres de notre pays. Voyez, messieurs,
combien il entre toujours une large part d'inconnu dans les prévisions
hu mairies À notre fondation, d'excellents esprits voulaient que la société
s'abstint délibérément de traiter toutes les questions qui sont d'hier, pour
ainsi dire, et nous touchent de trop près, nous autres contemporains; ils pré-
tendaient que son domaine devait s"étendre surtout dans le passé et s'arrêter
assez loin des bornes du présent. On craignait, non sans apparence de raison,
que de pareilles recherches n'éveillassent des curiosités malsaines et ne provo-
quassent des discussions trop vives dans une société dont l'impartialité ne pou-
vait pas faire de doute. Nous voyons maintenant combien ces appréhensions,
si légitimes en soi, ont été mal fondées en réalité. Nous avons pu aborder ici
tous les sujets sans froisser la susceptibilité de personne, parce que tout le
monde chez nous a avant tout le souci de voir juste et de dire vrai. Des cher-
cheurs, furi éloignés, paraissait-il, parleurs occupations antérieures de pensées
aussi modernes, sont venus a nous les mains pleines de trouvailles ingénieuses
et inattendues. Réjouissons-nous grandement, messieurs, de ces aubaines et
souhaitons qu'elles se renouvellent. Elles prouvent que notre domaine n'est
pas trop étendu pour qu'il puisse être cultivé avec fruit; elles démontrent
surtout les progrés de Tespirit historique, de cet esprit de patient labeur et
de libre discussion qui est le notre, puisqu'il s'exerce ainsi en toute cons-
cience sur des sujets dont il semblait qu'on ne pût parler sans passion et jufier
sans parti pris. C'est un progrès très réel que nous pouvons revendiquer sans
fausse modestie. Tenons-nous-y désormais et persévérous-y de plus eu plus,
car cette façon désintéressée de servir les lettres françaises est à coup sûr la
plus profitable pour elles et la plus honorable pour nous. »
512 . REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
H est procédé ensuite au dépouillement du scrutin pour l'élection de six
membres sortants du Conseil d'administration de la Société d'histoire littéraire
de la France. Sont proclamés élus pour cinq ans : MM. Gaston Boissier, Emile
Faguet, Gustave Larroumet, Ch. Lenient, de Margerie et Maurice Tourneux,
membres sortants.
La séance est levée à six heures.
— Contrairement à ce qu'il faisait d'ordinaire, M. Armand Colin n'avait pu
donner lecture lui-même de son rapport financier à la dernière réunion géné-
rale de la Société. 11 avait invoqué l'état de sa santé pour manquer à un
devoir auquel il ne voulait pas se soustraire, mais rien ne nous faisait craindre
alors qu'une pareille excuse dût être à si brève échéance si tristement justifiée.
Vingt jours plus tard, le 18 juin 1900, M. Armand Colin mourait subitement
dans sa cinquante-huitième année, alors qu'un long temps semblait encore
promis à son activité. C'est une très réelle perte pour la Société d'histoire lit-
téraire de la France sur les origines de laquelle il avait veillé et à laquelle il
avait toujours trouvé moyen de s'intéresser efficacement, au milieu de ses occu-
pations nombreuses. 11 avait été un des premiers membres de notre associa-
tion et on peut dire que sans lui, sans son concours avisé, le projet de grouper
tous ceux qui étudient l'histoire littéraire de la France n'eût sans doute pas
abouti. Il était doué d'une de ces bonnes volontés qui ne se marchandent point
et sa force de conviction était telle qu'elle gagnait les plus indécis et les entraî-
nait dans l'effort commun. Esprit clair et lucide, nature franche et généreuse,
très cordiale sous les allures un peu rapides de l'homme d'affaires, M. Armand
Colin laisse à tous ceux qui l'ont connu de sincères regrets.
Au comité de la Société d'histoire littéraire de la France où il venait volon-
tiers s'asseoir, la bonne grâce de ses manières avait gagné tout le monde et
on y est autant affligé de la perte du confrère si courtois que de celle de l'admi-
nistrateur désintéressé qui a su donner aux finances de la société une direc-
tion excellente. Pour marquer tous ses regrets, le Conseil d'administration a
décidé, dans sa dernière séance, qu'il ne serait pas procédé immédiatement
au remplacement de M. Armand Colin comme trésorier et que notre secrétaire
se chargerait provisoirement de ces fonctions.
— La mort de M. Armand Colin n'était pas, hélas! l'unique deuil qui devait
nous affliger ces temps-ci. Le 12 juillet mourait, à l'âge de trente-cinq ans, un
jeune éruditdu plus grand mérite, dont les débuts avaient été ceux d'un maître
et sur lequel il était permis de fonder les plus belles espérances, M. Joseph
Texte, professeur à la Faculté des Lettres de l'Université de Lyon.
Lui aussi avait été un des premiers à apporter son adhésion à notre société
naissante et, plus tard, il avait fourni à notre Revue des travaux d'une allure
très personnelle dont personne n'a oublié la rare distinction.
Puis, il avait été élu membre du Conseil d'administration et son nom était
de ceux dont nous aimions à nous parer, parce que nous savions tout ce qu'il
représentait de savoir solide et sûr, de critique pénétrante et aisée. En le fai-
sant disparaître de nos listes, le sort brutal ne le raye pas de nos cœurs et
c'est avec émotion que nous saluons ici cette existence si courte et si bien
remplie, qui promettait tant et qui a tenu assez pour donner une juste mesure
à nos regrets.
— Divers articles publiés dans des recueils différents touchent à l'histoire
des origines du théâtre en France et, pour cette raison, nous croyons devoir
les rapprocher ici en les énumérant.
M. Emile Picot insère dans le Bulletin du bibliophile (15 juin 1900) une
Farce inédite publiée d'après un manuscrit des archives de la Nièvre. C'est une
saynète inspirée par l'histoire d'un mari vieux, marié à une femme jeune,
qui désire se rajeunir lui-même pour plaire à sa femme et n'y parvient pas.
CHRONIQUE. 513
M. Alcius Ledieu a trouvé et publié à la suite d'une étude sur VEnlrée de la
reine Eléonore d'Autriche à Abbeviilc le 49 décembre 4534 , la Déclaration des
mystères faits à cette occasion. On trouvera cette pièce dans le Bulletin histo-
rique et philologique, 1899, p. 38.
Ou trouvera également dans le même recueil (p. 58) une communication de
M. Ed. Poupe sur les Représentations scéniques à Cuers (chef-lieu de canton,
arrondissement de Toulon, Var), à la fin du XVIe siècle et au commencement du
XVIIe siècle.
Enfin, M. Ulysse Robert a fait à la Société des antiquaires en France une
communication sur les Oriyines du théâtre à Besançon (Mémoires, t. LIX).
— M. Armand Gasté examine quel put être le Rôle de Scarron dans la « Que-
relle du CUt » dans une lettre qu'il adresse à M. L. Petit de Julleville à l'occa-
sion d'un compte rendu publié par celui-ci ici-même (1899, p. 306). M. Petit de
Julleville estime qu'il convient pour attribuer à Scarron, comme le fait
M. Gasté, la paternité de Y Apologie pour M. Maire t et la Suite du Cid, deux
factums bas et insolents, de fournir des arguments concluants, et c'est à quoi
tend M. Gasté dans sa brochure nouvelle. Les arguments qu'il expose sont de
deux sortes : des rapprochements de style, analogies d'expressions ou de com-
paraisons av.ee des œuvres déjà connues de Scarron, et des rapprochements
typographiques. Ces derniers semblent plus sérieux. 11 parait résulter des
constatations de M. Gasté que les deux brochures en question durent êtie
imprimées au Mans, en 1037, à une époque où Scarron était chanoine en cette
ville et peut-être à l'instigation d'un ennemi déclaré de Corneille, le comte de
Belin.
— Dans la séance publique annuelle de la classe des lettres de l'Académie
royale de Belgique, M. Paul Thomas, de l'Université de Gand, a communiqué
un travail ingénieux sur les affinités philosophiques existant entre Sénèque et
Jean-Jacques Rousseau.
Rien n'est plus dissemblable, à première vue, que leurs deux destinées et
que les apparences de leurs œuvres. Mais si on y regarde de près, on ne tarde
pas à reconnaître des analogies dans le caractère de leur prédication et dans
leur rôle de directeurs de conscience. Ce sont ces analogies que M. P. Thomas
a su déterminer et mettre en valeur.
— L'important ouvrage de M. Barthélémy Pocquet sur le Duc d'Aiguillon et
Le Chalotuis contient trois lettres inédites de Fontenelle à La Chalotais (t. I,
p. 148, en note) et une autre d'Adrienne Le Couvreur au même correspondant
(I, i 49, en note).
— M. Maurice Souriau a découvert et signalé une très intéressante' Source
de « Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie ». Le livre est, comme on le
sait, de Mme Victor Hugo qui, sous les yeux de son mari et en usant de leurs
souvenirs communs, a retracé l'existence du poète. « Mais, ainsi que le
remarque M. Souriau, pour la partie dont Mmo Hugo n'avait pas été le témoin,
l'enfance du poète, alors qu'il suivait son père en Italie, en Espague, on igno-
rait jusqu'ici quelle avait été la source principale de son récit. » C'est celle
que M. Souriau a découverte et qu'il signale ainsi : « En un endroit de son
livre, Mmc Hugo cite expressément les Mémoires de son beau-père. Elle les a
certainement sous les yeux en écrivant; car, sur les vingt-huit chapitres bio-
graphiques qui composent le tome premier, les treize suivants, m, v, vi, ix,
x, xi, xiv, xv, xxi, xxni, xxiv, xxv et xxvn, c'est-à-dire tous ceux qui ont rap-
port au général Hugo, sont purement et simplement tirés des Mémoires du
général. Toutes les anecdotes, sans exception, en sont extraites. L'ordre des
matières n'est plus le même; mais, dans chaque fragment emprunté, les détails
sont presque identiques. » A l'appui de son assertion, M. Souriau établit un
51*
liEVTE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FHAffCB.
assez grand nombre de comparaisons de texte qui confirment ce qu'il a avancé
el démontrent la frappante analogie de cette partie de Victor Hwjo raconte par
un témoin di m trié avec les Jfcmoir^ (f« générai Jf^/o, gouverneur de pluxîeur*
province* et aide de camp général des armées en Espagne, publiés en J823 par
Je libraire Lad voce L
— On continue à étudier avec méthode la vie de Sainte-Beuve et cette façon
de procéder donne de bons résultais. Signalons-en quelques-uns.
Sous ce titre : Un maître de Sainte-Beuve : comment Sainte-Beuve devint cri-
tique cl poete^ M. Adolphe Lair publie dans le Correspondant du 29 avril quel-
ques pages inédites extraites des souvenirs de Dubois (de la Loire-InTérie-
Celui-ci avait été le professeur de rhétorique de Sainte-Beuve et il était Je
directeur du 0 tohr quand le jeune homme vint, un peu plus tard, le consulter
sur sa vocation, Sainte-Beuve débuta au journal par dea esquissas géogra-
phiques et historiques sur les lieux de la Grèce qui étaient alors le théâtre des
luttes pour L'indépendance. Il y réussit assez bien pour qu'on lui confiât des
articles de critique littéraire* et c'est ainsi qu'il rendit compte des 0*/*s et Bal-
lades et en Ira en relations avec Victor Hugo. Les pages laissée* par Dubûtl
(de la Loirednlérieure) sont uiiles a connaître n ce propos, car elles fixent ave-:
exactitude des événements qui ne sont pas sans importance pour la psycho-
logie du critique.
D'autre part, M. le vicomte de Spoelberch ok Loveîuoul a retrouvé et publié
dans la Revue hebdomadaire (21 avril) te Prospectus de Sainte-Beuve
Œuvres complètes de Victor Huqo, Ces pages étaient demeurées introuvables et
inconnues par suite de la façon erronée dont Sainte-Beuve luî-m^me en a
parié. En serrant les faits de plus près, M. de SpoeJberch de Lovenjoul est par-
venu à démontrer que ce prospectus est celui qui parut eu 1829, signé des
initiales K T., pour annoncer une édition complète des œuvres de Victor Hugo
projetée alors par le libraire Cosselin. Ce morceau n'a jamais ligure dans les
recueils critiques de Sainte-Beuve et c'est à bon droit qu'il a été reproduit
intégralement dans la Hcrite hebdomadaire.
Dans le Correspondant encore (25 mai) les rapports de Xavier re et
SainU-Beuvt sont examines par &|. Th. r'amiENT d'après la correspondance que
A. de Maislre entretint avec le comte de Marcellus. Voici ce qui Tut l'occasion
de ces rapports. Lorsque Xavier de Maistre, âgé de soixante-quinze ans, vint
à Taris pour la première Ibis en 1838, Sainte-Beuve lui consacra, dans la l\
de* Deux Mandest un article très bienveillant et très judicieux, mais dmit toutes
les parties ne plurent pas également à L'humeur difficile de celui qui en était
l'objet* Sainte-Beuve avait dit notamment que X. de Maislre donnait des
rendez-vous de galanterie dans le voisinage de la retraite du Lépreux d\\
il avait également apprécié Tôpffer avec une certaine désinvolture. Tout
mécontenta Tort Xavier de Maistre, iiuT estima que sur ces deux points
intentions avaient été méconnues et son langage travesti et qui voulait pro-
tester hautement contre ce que Sainte-Beuve avait avancé : ee qu'il ne fit
jamais, d'ailleurs.
— Le poète Armand Barthet a laissé, dans l'histoire «les lettres, un souvenir
assez effacé et si le succès de son oeuvre dramatique la plus ré potée, /<
th'ttii de Lr$6ic, fut vif, il fui aussi éphémère. C'est un nom, sous lequel on met
difficilement une physionomie: c'est un titre qui sonne à l'oreille sans éveiller
dans l'esprit d'image bien posîLive, M. Charles Baille a essayé de faire refiwfl
celte physionomie et de retracer cette œuvre dans un article de la Re
ffomadaire intitulé ArilUWd Èarthet ttte * Moineau de Lesbîen {ï décembre 1899)*
C'est un hommage sympathique et discret, plein de sentiments affectueux
qu'un ami survivant consacre à la mémoire d'un ami disparu; mais, quoique
trop volontairement bienveillantes, ces pages font revivre aimablement quel-
aillOMQUE.
51^
qu'un dont la renommée, bruyante à un moment, est en ce moment trop
méconnue.
— « De tous les écrivains français qui se sont occupés d'elle, nu! n'a mieux
vu l'Afrique, uul ne l'a plus profondément pénétrée dans son passé comme dans
son avenir, n Ainsi s'explique M. Louis Bertrand dans son étude sur Flaubert
et F Afrique ilietuc tfe i*<ms, iut avril). Sans doute l'Afrique est, pour Flaubert,
« Je pays mystérieux, la région fabuleuse, pJeine d'enchantements et de
mirages »-. Malgré cela, ** personne n'a fixé comme lui les aspect* éternels du
pays ». Il en e*i de même pour les personnes de sou roman carthaginois,
Salammbô ; « Suivant le procédé classique, Flaubert en a fait des types géné-
raux; la vitalité en est telle qu'elle est loin d'éLre épuisée et qu aujourd'hui
encore ils sont reconnaisse M. -< . Et M, lïertraml conclut ainsi : « Ce sens de
la vie, c'est l'Afrique qui le révéla à Flaubert. Son voyage en Egypte lut cer-
tainement le fait capital de son existence. Son ^ènie y trouva sa lot me délini-
live et s'y précisa dans ses tendances. Salammbô fut alors conçue, et ta Tenta*
tiutt de saint Ànttiiit?, qu'il avait depuis longtemps écrite, en lut profondément
modifiée dans son sujet comme dans sa composition. S'il en est ainsi, il Vaut
renverser la perspective traditionnelle sous laquelle ou envisage encore L'œuvre
de Flaubert et rejeter au second plan W** BôWjf et l'Education iéntimentalû :
ce ne sout plus que deux satires de la caducité bourgeoise, qui doivent rester
en mar^e de son o?uvre véritable» Salammbéj la Tentation, RérodiOi, sont
l'expression pure de ce qu'il routait faire. Mais son vrai sujet, le sujet idéal
qui a plané au-dessus de Lout son labeur, c'est l'Orient, considéré comme la
source de toute vie et de toute beaut
— Le visage énergique el lier de Mm* Aekermann est également un peu
adouci dans l'étude que lui consacre M,,e Louise Iti ai> ioÙ9 ce titre :
M** Louise Ackrnnann intime illecue hphdvui(idairi\ i'A janvier l'JOO). Sans
doute, on ne trouvait pas, dans l'ordinaire de la vie, le pessimisme hautain
• jin donnait laul d'accent à la poésie de M'"* Aekermann : elle ctaiL bonne,
d'une buntè bourrue et bienfaisante, affectant même souvent de s'intéresser
aux soins du ménage et de déclarer plaisamment que * ses pàlês étaient
meilleurs que ses vers », Mais ce sont là des qualités de surface qui atteignent
peu l'être intima et la rude simplicité de la femme poète» sa résignation
devant l'inconnu de la douleur et le mystère de la vie ne peuvent être expli-
quées que par les révélations de M™0 Aekermann elie-même, ses Pensres ou
cette Aujtohîrujmphie si éloquente de précision qui analyse son être intime avec
une sûreté de diagnostic introuvable ailleurs.
— En lisant le Consentement forcé de Guyot de MervilleT M. Jules Gl-jlleuot
s'est avisé que cette comédie ignorée d'un auteur inconnu renfermait des
analogies frappantes avec PÉtê dé la Saint M«rtin> un produit charmant de la
collaboration «le Meilhac et llalévy, et il s'est empressé de faire part de sa
trouvaille aux lecteurs de la Revue Ideue (31 mars), La ressemblance entre
l'œuvre ancienne et l'œuvre moderne est-elle fortuite"' SSul ne pouvait mieux
rensei^uersur ce point que M. Ludovic llalëvy. Un rédacteur du Tempe est allé
le lui demander (3 avril) et il a appris de la sorte, au milieu de particularités
intéressantes, que les auteurs de PStê de ta Saint-Motiin n'avaient eu connais-
sance du Consentement forcé que lorsque leur pièce eut été lue au comité de la
Comédie-Française.
— M, Maurice Tôt: a se rx vient de publier la Table générale des lettres et
documenta contenus dans l'Amateur d'autographes (première série» 2U période,
187S-I8D2). iJressée avec la conscience que Ton sait» cette nomenclature rendra
de signalés services aux chercheurs, car les pièces qurelle énumèresonl abon-
dantes et précieuses, Publié pendant longtemps par Etienne Cbaravay, t\Ama-
516 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
teur d'autographes avait cessé de paraître en 1892. C'est cette première série
que la table de M. Tourneux achève de faire connaître. Quant à la publication
de la revue, elle a repris il y a deux ans et se poursuit maintenant avec régu-
larité, ainsi qu'on le peut voir par le dépouillement que nous n'avons pas cessé
d'en faire depuis lors, sous la rubrique Périodiques.
Signalons également une notice émue consacrée par M. Maurice Tourneux
à Etienne Charavay, sa vie et ses travaux (extrait de la Révolution française).
L'histoire doit beaucoup à ce savant modeste, entre les mains duquel sont
passés tant de documents importants, et il convenait de ne pas le laisser dis-
paraître sans relever avec précision les services qu'il a rendus aux études éro-
dites au cours de sa carrière laborieuse entre toutes.
— Le recueil des comptes rendus de la 23e session de la réunion des Sociétés
des beaux-arts des départements (1899) contient deux études sur l'histoire de
l'ancien théâtre en France.
L'une, de M. V. E. Veuclin, est intitulée L'art dramatique en province pendant
la Révolution, à Laigle, et passe en revue toutes les manifestations théâtrales
qui se produisirent de 1798 à 1801 dans celte petite ville de Normandie.
La seconde étude, dont M. Armand Bénet est l'auteur, a pour titre Le théâtre
à Rouen à la fin de V ancien régime, d'après les archives des d'Harcourt. Elle
embrasse les dernières années, de 1787 à 1789, du spectacle de Rouen et
fournit des renseignements intéressants sur l'état de la troupe, les privilèges
des acteurs et les goûts du public, à une époque où le parterre commençait à
être fort agité.
Le Gérant : Paul Bonneion.
Coulommiers. — Imp. P. BHODARD.
Revue
d'Histoire littéraire
de la France
LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE D'HERNANI
- Le jour viendra peut-être de publier ce
drame tel qu'il a été conçu par l'auteur, en
indiquant et en discutant les modifications
que la scène lui a fait subir. Ces détails de
critique peuvent ne pas être sans intérêt ni
saus enseignements... »
V. Hugo {Préface d'Hcmani, 9 mars 1830).
Une année avant la grandiose manifestation qui, à l'occasion du
soixante-dix-neuvième anniversaire de sa naissance, consacra la
gloire inouïe du poète et du patriarche, Victor Hugo, mortel à la
veille de mourir et sûr de l'immortalité, abandonnait au domaine
public les précieux papiers où, pendant plus de cinquante ans,
avait couru sa main puissante. De son « testament littéraire »,
exprimé par une lettre datée de Paris, le 26 février 1880, et placée
en tête de la grande édition Hetzel-Quantin (dite ne varielur),
nous extrayons les lignes suivantes, sincères et cordiales : « Mes
chers éditeurs, c'est aujourd'hui mon jour de naissance; vous
souhaitez que ce soit aussi le jour de naissance de votre édition...
Voici, pour vous aider dans votre utile travail, tous mes manus-
crits-, faites-en l'usage que vous voudrez. Vous y trouverez, je
crois, bien des choses qui pourront ne pas vous sembler indiffé-
rentes; ma pensée intimé et solitaire s'y révèle à chaque instant. »
Le poète avait raison. Pour le critique avide de saisir sur le
vif, d'élucider toutes les démarches intellectuelles, les hésitations
de l'ouvrier, les combats livrés à l'expression, les victoires rem-
Hev. d'hist. litter. de la France (7« Add.). — VII. 34
518 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
portées sur les mots, rien de plus suggestif que l'examen de ces
volumes. Nous avons essayé de le montrer ailleurs1. Toutefois, il
ne semble pas que les éditeurs, en 4880, se soient souciés d'ap-
profondir les choses. El le pouvaient-ils, au surplus, puisqu'ils
annonçaient une édition définitive'! Accepter les variantes, donner
accès aux leçons douteuses, n'était-ce pas porter atteinte à l'auto-
rité du texte? Sans doute, en leur Avilissement liminaire, ils se
vantent bien d'avoir donné, sous forme de notes, « ces vers nou-
veaux, ces fragments inédits, ces formes variées et curieuses de
la pensée du poète ». D'abord, ce que Victor Hugo, dans la Pré-
face de Marion de Lorme, appelle « les rognures sans lesquelles
le drame ne pourrait s'encadrer solidement dans le théâtre ».
Ensuite, les corrections et modifications proprement dites, qui
trahissent aux yeux du lecteur ce probe labeur de la lime, que
prônait Despréaux après Horace, travail nécessaire auquel le
génie même ne supplée pas. Il s'en faut de beaucoup, cependant,
que l'édition ne varielur ait tout rapporté, ou même (car elle n'a
pas la prétention d'être une édition critique) qu'elle ait relevé tout
l'essentiel parmi ces variantes multiples. Nous ne saurions le lui
reprocher. Elle est faite, après tout, pour les gens du monde, non
pour les érudits. Mais nous, qui n'avons pas les mêmes raisons de
passer outre, nous entreprenons de décrire l'aspect extérieur et la
slructure intime, de noter les principales variantes du manuscrit
ÏÏHernani. On y verra que bien des vers mémorables, bien des
scènes illustres qui semblent être sortis sans effort du cerveau du
poète, ont été, en réalité, créés par des retouches successives. Car,
sous le texte définitif, on retrouve beaucoup de petits ours encore
mal léchés. L'indiscrétion est le commencement de la philologie*.
On sait qu'en vertu du testament de Victor Hugo, trente-quatre
de ses manuscrits ont été légués et catalogués provisoirement à la
Bibliothèque nationale. Ceux qui manquent sont encore entre les
mains des éditeurs, qui les collalionnenl, ou se sont égarés dans
des circonstances diverses. Par une exception unique, le manus-
1. Papiers d'autrefois, par Paul et Victor (Hachant (Hachette, 1899, in-12). —
Cf. aussi l'édition critique de la Préface de Cromwell, donnée par M. Souriau (1897).
*2. Les variantes considérées sont de deux sortes, suivant le groupement même
do l'édition ne varielur, adoptée par nous comme base de notre étude : 1° les
mutilations subies par le texte primitif en vue de la représentation; 2° les variantes
proprement dites : corrections, adjonctions, retranchements, etc.
LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE D HERNANI. 519
crit original d'Hernani fut offert à la Comédie-Française par
H. Paul Meurice, lequel exécutait ainsi un vœu formulé orale-
ment par Victor Hugo en personne. Le poète désirait laisser ce
souvenir à l'illustre compagnie dont les sociétaires, un demi-siècle
auparavant, avaient donné l'hospitalité à son jeune talent. « Her-
nani> disait-il, reçu à la Comédie-Française, appartient à la
Comédie-Française. C'est pour moi une dette de reconnaissance.
Hierro sera lâchez lui. » — Mais était-il permis d'annexer sans
scrupule aux archives ce précieux cahier, avec tant d'autres pièces
rares que faillit détruire le sinistre du 8 mars dernier? M. Jules
Claretie, l'Administrateur général, et M. Monval, le bibliothécaire,
ne pouvaient-ils pas craindre que la Bibliothèque nationale, se
fondant sur le texte du testament, n'en revendiquât quelque jour
la possession légale? La question n'ayant pas encore été soulevée,
le problème n'a point reçu de solution, et il n'en recevra pas sans
doute de si tôt. Provisoirement, l'Administrateur général conserve
par devers lui le manuscrit, somptueusement relié en maroquin
rouge et soigneusement enfermé dans un étui. Nous en avons eu
communication, grâce à l'extrême obligeance de M. Claretie, qui
nous a autorisés à y puiser les matériaux de cet article. C'est ce
qui explique comment, le jour de l'incendie, la vénérable relique
se trouvait, par extraordinaire, dans le bureau de M. l'Administra-
teur général. Nous avons donc failli — et nous en tremblons
rétrospectivement — être la cause involontaire de sa ruine.
Description extérieure du manuscrit. — Observations générales.
Dimensions; cote; écriture. — Le manuscrit d'Hernani se présente
sous la forme d'un brouillon très net, écrit sur des feuilles d'un
papier blanc assez fort, mesurant 35 centimètres de haut sur 24 de
large *. Le fascicule porte le cachet timbré : « In vent. son V. Hugo,
248e cote, lre pièce. M" Gatine notaire. » L'écriture, fine, menue,
mais très lisible à l'ordinaire, appartient à la première manière
du poète. On sait que Victor Hugo eut successivement trois écri-
tures très distinctes (cf. Papiers d'autrefois, sup. cit.). Les feuil-
lets blancs qui séparent les actes sont balafrés obliquement de
fragments de vers jetés pôle-môle, et pouvant servir à l'occasion.
i. C'est du papier verg»'\ identique à celui du manuscrit de Xotre-Dame de Pans.
La marge est partout éualc au texte.
530 REYCE b'HISTOIRE LITTÉRAIRE HE LA FRA5CE.
Sur la feuille de garde de la fin, au recto, on lit ces deux rimes
Dotées : Taraignée, signée. Au-dessous, un vers mis en réserve :
Les beaux étés d'Espagne et les claires soirées.
Sur le titre, on distingue cette épigraphe : Très [tara una {trois
hommes pour une femme . Les noms des personnages figurent sur
le premier feuillet, avec ces différences assez insignîBantes : le roi
de Bohême, le duc de Bavière, électeurs du Sainl-Empire romain
fies mots en italiques sont absents du texte imprimé). On lit, dans
le manuscrit, Don Sanchez au lieu de Don Sancho; Don Garci
Suarez y est orthographié Garde. Les deux noms, manuscrits, de
Don Perafan et de Don Guzman de ÏMra manquent dans l'édition,
où de même a disparu la qualification page de Silvay qui suivait le
nom d'Iaquez.
Acte premier. (I^e Roi.) — Peu de divergences notables à
signaler entre le texte consacré et la teneur du manuscrit. La
date 99 août 18*29 a été biffée (chaque acte est daté au commen-
cement et à la fin). La première scène est à peu près vierge de
ratures. Dans la scène II, au lieu de la courte exclamation d'Her-
nani : <« DonaSol, ah! c'est vous que je vois... » (4 vers), le poète
avait mis huit vers dans la bouche du montagnard épris. 11 les a,
sitôt écrits sans doute, raturés et encadrés, ne conservant que le
dernier. Le fait est à retenir; car les suppressions sont fort rares
chez Hugo. Chez lui, l'invention verbale est extraordinaire, et il a
grand'peine, une fois lancé, à restreindre les fantaisies de sa rhé-
torique. Une pareille redondance, fréquente surtout dans les
monologues, où Ton délaisse plus aisément Faction, est un défaut
de jeunesse qui n'est pas dénué de charme :
.... Dona Sol ï — Ahî ces yeux que je vois
Sont vos yeux, cette voix qui parle est votre voix !
Enfin! — Dieu soit loué, qui le soir me délivre
De ceux parmi lesquels le jour il me fait vivre!
DonaSol! Quand je pense aux visages humains
Que j'ai vus aujourd'hui passant par les chemins!
Ange! daignez longtemps mêler votre âme aux nôtres!
J'ai tant besoin de vous pour oublier les autres!
Même scène : « Un baiser d'oncle! au front! » remplace avec
avantage : « Un baiser sur le front ! » qui était plat. En marge des
deux beaux vers, d'une si juvénile insolence,
Il vient dans nos amours se jeter sans frayeur!
Vieillard! va-t'en donner mesure au fossoyeur!...
LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE D'iIERNANI. 521
on lit ceci, rejeté probablement comme un peu faible :
Vieillard, de nos amours (ici deux mots monosyllabiques illi-
sibles) prends le flambeau !
Allons! tu vas mourir. Va voir à ton tombeau I
C'est Tidée première, exprimée à tâtons. Admirez comme la
correction fut heureuse. — Et Dona Sol répondait d'abord : « C'est
le roi qui le veut. » — Un peu plus loin, deux variantes, utiles à
signaler. Le manuscrit portait primitivement :
Ma haine après vingt ans est encor toute neuve î
... Je n'ai reçu du ciel jaloux
Que l'air, le jour et l'eau, ces biens communs à tous.
Dans les deux cas, l'expression s'est rehaussée et fortifiée.
Victor Hugo corrige presque toujours à bon escient.
Après la promesse de la jeune fille : « Allez, je serai brave et
forte..., », on lit dans l'édition : « Vous frapperez trois coups. »
(Premier jet : Je m abandonne à vous.) A la place de cette simple
indication, Hugo avait d abord logé ce vers, lourd et banal :
Vous êtes un vaillant, c'est pourquoi je vous suis.
Et Hernani répondait :
Alors il faut qu'en tout vous sachiez qui je suis,
Puisque vous m9 épousez (?) de votre amour de femme.
Que Ton compare avec ces incertitudes le texte finalement
remanié, et Ton avouera que la forme a gagné en précision :
... Savez-vous qui je suis,
Maintenant? — Monseigneur, qu'importe? je vous suis.
— Non, puisque vous voulez me suivre, faible femme,
Il faut que vous sachiez, etc.
Piqué par le ton impertinent de Don Carlos, le fier bandit,
menaçant, riposte au prince :
Qui raille après l'affront s'expose à faire rire
Aussi son héritier!...
C'est net et vigoureux. Or, voyez sous quelle forme l'idée s'était
présentée tout d'abord :
Ne riez pas. Qui fait d'un affront raillerie
Et qui rit, veut aussi que son héritier rie.
522 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DR LA FRANCE.
Trop de rires, même pour des gens d'armes! Je préfère celte
autre version, raturée en marge :
Monsieur, ne raillez pas ! Qui raille après l'outrage
Change la faute en crime et la colère en rage.
En regard des paroles de Carlos, qui respirent la galanterie la
plus ironique :
J'offre donc mon amour à madame.
... Nous verrons.
Hugo avait écrit, puis biffa ces quatre vers de comédie, dont il
a d'ailleurs gardé l'idée en l'exprimant de façon plus distinguée :
En attendant, j'apporte à Doua Sol ma flamme.
Et moi, je ne vois pas, vraiment, pourquoi madame,
Avec tout ce quelle a de tendres sentiments,
Au lieu d'un amoureux n'aurait pas deux amants.
A la place du vers : « Et puis, je chiffonnais ma veste à la fran-
çaise », écrit en marge, on lit dans le texte du manuscrit un bout
de dialogue, raturé. Carlos proteste contre sa réclusion dans l'ar-
moire où il étouffe depuis le début de la scène :
De la gaine où j'étais je sors pour trop de gêne.
Alors, Hernani, saisissant le mot au vol :
Ma dague aussi n'est pas à Taise dans sa gaine,
Et veut sortir...
Le mot gaine reparaissait encore un peu plus loin. C'était abusif.
A l'instant où Don Ruy Gomez frappe à la porte, il s'agit de ren-
trer à deux dans l'étroit placard. Carlos résiste :
Monsieur, est-ce une gaine à mettre des chrétiens?
Et si le duc, ouvrant cette boîte « pour y prendre un cigare1 », y
dénichait le couple blotti? Certes, Hugo eut bien raison d'effacer
ces quatre vers, où, pour l'amour du grotesque, il allait jusqu'à la
parodie de la formule romantique. Duvert, l'auteur d'Hamali ou
la Contrainte par Cor, n'a pas trouvé mieux dans le genre bouffon.
Scène III. — Ruy Gomez entre. Dans la longue tirade indignée
qu'il, prononce sur le seuil, bornons-nous à relever une variante
unique :
Dérobent aux maris la chasteté des femmes.
1. Les vers sont cités dans les variantes de l'édition Hetzel-Quantin. C'est
pourquoi nous ne les reproduisons pas.
LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE d'hERNANI. 523
C'était une correction, rejetée depuis, du vers :
Par derrière aux maris volent l'honneur des femmes.
Supprimée de même, celte correction marginale qui suivait
l'exclamation :
Ah! vous Pavez brisé, le hochet!
HERNANl.
Excellence!...
DON RUY GOMEZ.
Qui donc ose parler, lorsque j'ai dit : Silence!
HERNANl.
Seigneur duc...
DON RUY GOMEZ.
Cavaliers, suivez-moi! suivez-moi!... etc.
Mais Don Carlos se fait connaître. Don Ruy, s inclinant avec con-
fusion (indication d'un jeu de scène, supprimée depuis, avec beau-
coup d'autres), demande timidement :
Mais pourquoi larder tant à m 'ouvrir cette porte?
Ce vers et les sept qui suivent ont été rajoutés en marge. Il en
est un (Je (ai fait gouverneur du château de Figuère) qui a subi
plusieurs transformations, qu'on retrouve sous les ratures :
Vous avez pour un vieux la tôle un peu légère...
Telle fut, sans doute, l'inspiration originelle, d'une incontes-
table trivialité. Au-dessus :
Pour être sans cheveux, ta tête est bien légère.
Très romantique, mais d'un goût affreux. D'ailleurs, le duc n'a-
t-il point parlé plus haut des cheveux blancs qu'on veut souiller
sur son noble front? Il serait donc un chauve qui ne veut pas
avouer! Ces élucubrations plaisantes ou vulgaires échappent sou-
vent à Victor Hugo dans les premiers caprices de sa verve. Il est
intéressant de constater qu'il savait, au besoin, y renoncer, et que,
contrairement à ce qu'on a soutenu, il ne s'attachait pas de parli
pris aux incohérences. La loi du mélange des styles, chère au
romantisme parce qu'elle consacre le mélange des genres, n'exclut
donc pas le contrôle du goût. — Le vers qui suit :
Mais qui dois-je, à présent, faire ton gouverneur?
était d'abord ainsi libellé, en termes assez équivoques :
524 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Vous auriez plus que moi besoin d'un gouverneur.
— ... Duc, tu m'en vois pénétré de tristesse.
Le tutoiement familier a remplacé le Vous m9 en voyez... de la
première manière. — Consolez-vous, disait Ruy Gomez, au lieu
de : Que je vous plains! — Et Carlos, parlant du pape :
Je lui rends — ayons l'aigle, — ensuite nous verrons!
Après la conclusion :
... Je compte...
Rapiécer mes États d'iles et de duchés!
après l'addition marginale de dix vers (Consolez-vous, etc.) rela-
tive au royaume de France et aux convoitises de François Ifr, il y
avait tout uniment ces deux vers de Carlos :
Croyez-vous que François Premier, le roi de France,
Puisse (trois syllabes illisibles) l'Empire, avoir quelque espé-
rance ?
C'était le thème de la tirade, développé depuis.
Pour en finir avec cette scène, signalons encore deux variantes.
Carlos disait d'abord :
Je leur saurai parler d'un espagnol hautain...
... Non — Cher duc, cette nuit vous me logez...
Scène IV. — On sait que la tendance à l'amplification fut carac-
téristique chez Victor Hugo. On lui doit d'admirables effets de
fécondité, de puissance oratoire, comme aussi de regrettables
redondances. Il n'est pas rare qu'un morceau de quarante ou cin-
quante vers ait été primitivement écrit en huit ou dix, voire en
deux ou quatre. Le monologue surtout offre des tentations dange-
reuses. La fameuse imprécation d'Hernani : « Oui, de ta suite, ô
roi!... » ne comptait d'abord que dix vers; et c'était bien suffi-
sant! Les quatre premiers, tels que l'édition les conserve. Puis,
les deux suivants, qui ont disparu :
J'ai mon père à venger, qui dans l'ombre et sans bruit
Met mon pas sur ton pas, et me pousse, et me suit.
Enfin venaient les quatre derniers vers : « Le jour, tu ne
pourras... etc. ». Tout le restp, soit vingt-quatre vers, constitue
une adjonction marginale. Le poète a voulu une « fin d'acte » à
panache.
— Entre les feuillets 10 et 1 1 du manuscrit, numérotés au crayon
comme les autres, a été intercalée une page où Ton trouve des
LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE d'hKRNAM. 525
bribes de vers : V occasion est lâche..., etc., et des ébauches de
périodes poétiques qui semblent se rapporter à la scène du tom-
beau, et même à d'autres scènes. Par exemple, le vers :
Vous allez être heureux, je vais être empereur,
écrit plus loin sous une autre forme. En travers, on lit ce vers,
noté pour une autre œuvre :
L'enfant se retournait et regardait le chien.
Dans un coin, en haut et à droite, un nom propre mis en
réserve : Sabina Muchenod. — Date de la fin de l'acte : 2 sept. 18W.
Acte II. [Le bandit.) — Le second acte, commencé le 3 septembre,
fut terminé le 61.
Scène I. — Toute cette scène, où fourmillent les variantes (plu-
sieurs sont indiquées dans les notes de l'édition ne varietur, et
nous en relevons d'autres), a été recopiée par Hugo et enclavée
dans le manuscrit avant le texte primitif, extrêmement remanié
lui-même. Il y avait des longueurs. Partout on constate l'hésita-
tion, l'indécision. C'est que l'expérience scénique ne s'acquiert
pas sans effort, surtout quand on veut faire agir et parler de nom-
breux personnages. Après réflexion, il a fallu force coups de
ciseau pour mettre la scène sur ses pieds. Encore ne marche-t-elle
pas d'une façon très satisfaisante, à notre gré.
Carlos cause avec les seigneurs sous la croisée de Dofia Sol.
Don Matias, interprétant les bruits de la renommée, conte que
ce roi des montagnes appelé Hernani cacherait sous son nom de
guerre une illustre origine. Il ne serait autre que Don Jorge
d'Aragon :
Il est jeune, et nourri dans la montagne. Il a
Par son père Aragon, par sa mère Alcala.
On l'aime ici d'avoir aiguisé son épée
Sur les monts et dans l'eau des sources retrempée.
Ces deux vers ont été utilisés ailleurs et placés dans la bouche
d'Hernani (acte IV, scène îv). H y a seulement torrents au lieu
de sources.
1. Rappelons, a ce propos, que la pièce entière fut écrite en moins d'un mois
(29 août-25 septembre 1829); la rédaction de chaque acte n'a coûté que de quatre
à sept jours. Quelle abondance et quelle facilité prodigieuses!
526 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Un peu plus tard, Carlos demandait l'âge du bandit :
DON CARLOS (à Don Matias).
... Son âge?
DON MATIAS (comptant sur ses doigts).
Vingt ans....
ON CARLOS.
C'est lui! Vingt ans?
DON MATIAS.
Oui, seigneur.
DON CARLOS.
C'est dommage.
— Bah! trêve pour l'instant! Qu'il soit ce qu'il voudra,
Aragon ou Cordoue, Alencastre ou Lara,
Ce n'est pas celte nuit le souci qui m'arrête.
J'en veux à sa maîtresse encor plus quà sa tète.
Ces vers, en partie retranchés, afin d'abréger, se rattachaient à
ceux-ci : « J'en suis amoureux fou... etc. »
Nouvel exemple du développement successif. Le petit intermède
épisodique de Terreur de titre, dont profite un seigneur de la suite
de Carlos, a été rajouté après coup1. C'est un souvenir évident
du Don Sanche de P. Corneille. C'est aussi un exemple d'addition
heureuse, car l'anecdote est piquante. Elle doit être historique, et
s'est renouvelée certainement plusieurs fois dans les annales du
protocole *.
La fin de la scène n'a pas été moins profondément remaniée,
corrigée, refaite; notamment toute la partie qui s'étend de ce vers
de Don Carlos :
Messieurs, que les instants de l'attente sont longs!
jusqu'à cet autre vers (le quatrième avant-dernier) :
Pendant qu'il reprendra ses esprits sur le grès...
Le texte primitif a été rétabli dans les notes publiées en appen-
dice de l'édition définitive. L'hémistiche final
Ce qui gâterait l'air...
1. Depuis Comte, un digne conseil! jusqu'à Mais que fera le roi?... A noter, plus
loin, dans la réplique de Don Matias, cette variante :
« Un bâtard sur le trône! Oubliez-vous, Altesse,... etc. »
2. En voici un exemple récent. Quand le commandant de Sûsskind, attaché
militaire d'Allemagne à Paris, fut relevé de ses fonctions, sa lettre de rappel
portait, dit-on, par erreur, la mention lieutenant-colonel. L'officier crut qu'il était
en réalité promu, et se présenta devant l'empereur Guillaume II avec les insignes
de son nouveau grade. Une explication s'ensuivit. Mais le souverain, loin de dire,
comme Carlos : « Ramassez! » décida que M. de Sûsskind conserverait le grade,
sans en toucher le traitement, jusqu'à ce que son tour d'avancement fût venu.
LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE D°HERNANI. 527
se raccordait à celui-ci :
S'il vient, de l'embuscade... etc.
En outre, il manque aux variantes imprimées le jeu de scène
que voici. Don Carlos s'écrie :
... Ah! messieurs! la fenêtre!
Jamais jour ne me fut plus charmant à voir naître I
Hâtons-nous! Une chose à faire resle encor.
C'est le signal! 11 faut sonner trois fois du cor.
(11 tire un cor de sa ceinture.)
Mes amis! Vous allez la voir.
(Il porte le cor a sa bouche.)
Mais noire nombre
Va l'effrayer peut-être. Allez tous trois dans l'ombre... etc.
Nous avons fait observer déjà que les indications de jeux de
scène, nombreuses dans le manuscrit, ont en partie disparu à
l'impression. La raison en est simple. Le manuscrit avait été
rédigé en vue de la représentation. Les habitudes une fois prises
et les traditions fixées, l'auteur a jugé que ces indications n'étaient
plus indispensables dans l'édition faite pour le lecteur.
Citons encore, pour cette scène, quelques variantes intéres-
santes.
Par exemple, ces deux vers, en marge :
Que je donnerais bien quatre de mes Espagnes
Pour quatre hommes pareils à ce roi des montagnes!
Hugo dut réfléchir par la suite que Charles-Quint n'était point
ainsi prodigue de ses provinces, même en paroles.
Après : J'en veux à sa maîtresse... on lit ces deux vers, main-
tenus, mais remaniés :
Je suis amoureux fou, mes amis! Les yeux noirs
Les plus grands ! les plus beaux ! Deux flambeaux ! deux miroirs!
Après l'exclamation de Don Carlos :
Enfin! en voilà deux qui s éteignent! allons!
Hugo a raturé le bout de dialogue suivant, assez faible, en effet :
DON MAT1AS
Altesse, est-il prudent, tandis que des félons
Tiennent tout le pays, de venir de la sorte,
Vous le roi, hasarder vos jours h cette porte?
528 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
DON CARLOS.
Marquis, nous sommes trois.
DON RICARDO.
Et puis, le nom du roi!
DON MATIAS.
Des voleurs en prendraient peu de souci, je croi.
DON RICARDO.
Marquis, vous outragez la majesté royale!...
(La dernière lumière disparaît.)
DON CARLOS.
La dernière s'éteint. Tout dort.
(Regardant la croisée de Dona Sol, qui est toujours obscure.)
La déloyale
Ne vient pas. Rien encore! Il faut pourtant finir,
Messieurs. A tout moment, l'autre peut survenir.
Quelle heure est-il?
La suite de ce trop long entretien se trouve dans la note de
l'édition définitive de 1880 : Seigneur, je ne sais, etc.
A relever, dans la scène II, une petite amplification de quatre
vers, en marge : depuis : Princesse? Roi Carlos, ..jusqu'à Eh ! bien,
partagez donc. — Le premier jet, biffé, du vers
Je ne rationne plus si ion aime un rebelle
était cette platitude :
Vous faites, que je crois, la petite rebelle!
Scène III. — Deux passages importants ont été retouchés en
marge. Après ces mots ...s'épandre dans les villes de l'apostrophe
de Carlos à Hernani, le poète avait d'abord écrit, avec moins de
vigueur :
Le crime malgré vous vous suit. Vous le traînez.
Nous, des duels avec vous! Non, non, assassinez!
11ERNAM.
Une dernière fois! ma patience est lasse,
Altesse, et je pourrais l'accorder celte grâce.
Allons! la dague au poing!
DON CARLOS, impassible.
Non, assassinez-moi.
Assassinez ! je suis votre seigneur le Roi!
HERNANI.
Va-t'en donc ! etc.
On sent combien la suppression est heureuse. L'impérieux
LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE D I1ERNAK1. 529
Arrière! assassinez, rejeté comme clausule de la phrase hautaine,
Ta rendue d'autant plus ferme et plus mordante. Toute réflexion
subséquente ne pouvait que nuire à l'effet.
Quatre vers plus loin, nouveau retranchement, également
louable. Carlos se propose de mander le fiscal. Il pose au proscrit
(texte primitif) cette question :
A quel prix vouiez- vous qu'on mette voire tète?
DERNAM.
Elle est à prix déjà.
DON CARLOS.
La somme est-elle honnête?
BERNA NI.
Non. Cinq cents carolus. Seigneur, c'est un faux poids.
Car ma tête vaut bien la somme mille fois.
DON CARLOS;
Je doublerai la somme.
I3ERNANI.
Et ce sera mieux.
DON CARLOS.
Maître,
Je vous tiens, etc.
(Le reste comme dans V édition.)
Voilà, certes, un oiseux marchandage. En homme de goût,
Victor Hugo a su restreindre une exubérance ici déplacée.
Signalons enfin quelques variantes de vers.
C'est une lutte à mort. Il faut qu'un des deux tombe.
est devenu :
// est plus d'un asile où ta puissance tombe.
Dans l'édition, c'est Carlos, ironique, qui raille avec dédain :
Toucher à la dame qu'adore
Ce bandit!...
Dans le manuscrit, c'est Hernani qui -s'écriait douloureuse-
ment :
... Toucher à celle que j'adore!
Pour conclure sur celte scène capitale, voici quelle était la pre-
mière version des deux derniers vers, prononcés par Carlos :
Monsieur, vous diles-là bien des mots hasardeux.
D'un an de vie un jour vous pairez chacun d'eux.
(Il sort.)
530 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Scène IV. — Très peu de remarques à faire. Le ms. porte :
Cela, c'est à moi seul. — Vous m'en aviez pourtant
Promis aussi ma part.
On se bat, au secours!...
au lieu de : « Alerte, monseigneur ! »
Une addition marginale :
... Cbante-moi quelque chant...
— Parle-moi, ravis-moi...
Et c'est tout l'essentiel.
Au verso du feuillet renfermant la fin du second aete apparaît
un petit dessin, une modeste esquisse de blason. Les manuscrits
des drames de Victor Hugo ne sont point parmi les plus copieuse-
ment illustrés. On rencontre pourtant quelques croquis, notam-
ment dans Ruy Blas, Le Roi s'amuse, Les Bnrgraves. Ce sont
souvent des dispositions schématiques de décors. Le poète à la
vision si nette se créait ainsi à lui-même des points de repère. —
Ici, c'est un aigle bicéphale, aux ailes éployées, portant un écusson
sur la poitrine, et, au-dessous, cette devise : « Au lieu de cœur,
un écussoii ». (Voir acte IV, scène iv.) — Sur la même feuille, on
dislingue quelques vers ou fragments de vers, la plupart à peine
lisibles, absolument griffonnés, dans le feu de l'inspiration.
... La tète d'un vieux
Devient donc plus légère en perdant ses cheveux?
Ce vers est une vieille connaissance. Nous l'avons noté, à
l'acte I, sous une forme un peu différente. Victor Hugo songeait
encore à l'utiliser pour la scène des Portrails.
L'amour est
Pour les jeunes aveugle, et borgne pour les vieux...
Aux jeunes filles que je vois de ma fenêtre...
Dérider d'un baiser le (illisible) qui se fronce...
Acte III. (Le Vieillard.) — Composé entre les dates 8 sept.
-14 sept. La scène est au château ducal de Silva, dans les monta-
gnes d'Aragon.
Scènes I et IL — Les deux premiers vers sont écrits en marge.
L'acte commençait par « M'as-tu bien pardonné? » Les corrections
de détail sont assez nombreuses. Énumérons les principales. Le
LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE l) HERNANI. 531
poète avait hasardé celte incorrection (Don Ruy Gomez parle à
Dofta Sol, et il oublie d'appliquer la règle des participes, pré-
voyant peut-être qu'on la supprimerait un jour).
... et je n'aurais point dû
Te condamner au moins sans l'avoir entendu...
... ces cavaliers frivoles
Ont de frêles amours qui s usent en paroles...
... Chère enfant! je le vois avec de jeunes yeux,
Et quand Ion regard luit sous ta noire prunelle...
(Le manuscrit porle noire, sans correction.) Plus loin (scène n),
le coffret est en acier, non en argent ciselé. — Don Ruy demandait
au page :
... Sait-on rien de tout ce qui se passe
Au-dehors? Que dit-on de la bande vivace?...
Le page répond qu'Hernani est mort, selon le bruit public.
Je n'ai plus de remords à mon bonheur, ma belle,
Allez donc vous parer, mais vite, en un clin a"œil.
Lems. donne, sans correction : « Et, grâce à ses yeux noirs,... »
au lieu de « ses doux yeux ». Sans doute, le poète a prévu le cas
d'une Dofta Sol blonde (cf. la même remarque plus haul).
Scène III. — Entre Hernani, déguisé en pèlerin.
Veux-tu voir ma madone à moi?
(Leçon du ms., sans correction.)
Je vous dis que je suis Hernani le rebelle!...
Toute la première venue de ce passage a été biffée. Nous la réta-
blissons intégralement, en supprimant seulement l'exclamation
Silence! jetée par Dona Sol h un endroit où elle rompt la mesure
du vers :
HERNANI, aux valets.
Livrez-moi! vendez-moi! Hernani! je m'appelle
Hernani!
DON RUY GOMEZ.
Mais la rage est étrange et nouvelle!
UEHNANI.
Hernani!
DON RUY GOMEZ, à ses gens.
C'est un fou!
HERNANI, toujours aux valets.
Le roi me suit de près.
Vous, portez-lui ma tête, et vous rirez après.
532 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCK.
DOXA SOL.
Il ment! n'en croyez rien!
HERNANI.
L'occasion est belle!
Je vous dis... etc.
(Le reste comme dans V édition.)
Aucun valet ne bougeant, Hcrnani interpelle directement l'un
d'eux et l'engage à devenir riche à ses dépens :
... De valet tu redeviendras homme.
Curieuse indication, que l'auteur saura mettre à profit plus tard
dans le rôle de Ruy Blas. Qu'est-ce que Ruy Blas, sinon un mal-
heureux que l'état de valet faillit empêcher d'être un homme? —
Après ces mots, Hernani prononçait primitivement, à l'adresse de
Dofia Sol, quatre vers que cite l'édition dans les notes finales.
Mais Don Ruy traite le proscrit de frère et le nomme son hôte.
En un vers de style comique, il prétend lui faire visiter sa
demeure (c'est l'avant-dernier vers) :
Faites à l'étranger les honneurs du château.
Scène IV. — Tout le début (douze vers), biffé sur le ms., a été
remanié (cf. les variantes de l'édition). Plusieurs vers, qui sem-
blaient allonger outre mesure certaines tirades du rôle d' Hernani,
ont été raturés, puis rétablis par la mention bon. On sait que le
poète se résigne malaisément aux suppressions. Quelques-uns de
ces vers sont déclamatoires; plusieurs sont fort remarquables. —
Tels les passages suivants :
Ami! — Non, je dois t'ôtre odieux...
Croire que mon amour...
... Épouse le vieillard, te dis-je...
... Qu'on m'ait fait pour haïr. Car je dois être seul...
... Où vais-je? je ne sais...
... Je voudrais aimer, je ne le scai...
(A noter la vicieuse orthographe du xvne siècle, sçai, rimant
avec insensé. )
Voici le premier jet de quatre des plus beaux vers de la scène.
On constatera le goût détestable du dernier hémistiche. Les rimes
ont changé, et le trait fâcheux est tombé du même coup :
Côte à côte endormis, tous sont dans la montagne!
C'étaient les plus vaillants de la vaillante Espagne!
Mais, sur le dos couchés, tous dorment sans affront,
Face à face avec Dieu, dont le ciel est le front l
LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE D HERNAM 533
Plus loin, au cri de Doua Sol :
... Donc, ce n'était pas assez!
rimait ce vers, transformé depuis :
Au lieu de retirer le dard, vous l'enfoncez!
Le premier jet des quatre derniers vers de la scène figure dans
les notes de Tédilion.
Scène V. — Quelques corrections de mots, sans grande impor-
tance. Après cette réplique de Ruy Gomez :
Avez-vous de vos jours vu rien de pareil? — Non,
suppression de quatre vers, qu'on trouvera dans l'édition.
Au début, deux vers, moins que médiocres, ont été améliorés :
Saints du ciel! j'ai vécu soixante ans dans ma vie,
J'ai vu bien des bandits complets à faire envie...
Scène VI (dite scène des Portraits) . — Beaucoup de noms pro-
pres ont été modifiés pour de simples raisons de sonorité ou
d'euphonie. De même, retranchement d'indications scéniques.
Deux additions marginales : de C'est s'y prendre un peu tard
à Seigneur...; et de Si vous aviez voulu ... à Pourtant f obéirai. —
Deux ou trois vers remaniés en marge. Le ms. porte, sans cor-
rection :
Pardieu! mon cousin, je t'admire!
Il y avait d'abord :
J'en passe... — Ce seigneur, c'est Gomez, mon aïeul.
... A moins de démolir le château pierre à pierre,
Le seigneur membre à membre...
... Sois fidèle au rebelle, et rebelle à ton roi.
Les deux derniers vers (de Ruy Gomez) constituent une addi-
tion marginale.
Scène VIL — Hugo avait songé à pratiquer quelques coupures
dans ce long dialogue entre Hernani et Ruy Gomez. C'est ainsi
qu'il a biffé, puis déclaré bons, une dizaine de vers (depuis « Une
dernière fois... jusqu'à Je ne lui dirai rien ). Quelques mots
corrigés. Notons encore cette variante :
Duc, c'est le dernier don que de toi je réclame.
Mais, oh! qu'avec douceur s'envolerait mon àme, . .
Si tu daignais vouloir... etc. • • •/;•*
• • *
RtV. DHt9T. LITTCR. DC LA FRANCE (7« ADO.I. — VII. 35
534r REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Plus loin, Saints du ciel\ a remplacé l'exclamation triviale Eh!
quoi donc!
Sur le feuillet qui sépare le troisième acle du quatrième, on lit
toute une collection de noms propres espagnols mis en réserve :
Guzman, Manrique, Alencastre, Sandoval, etc. Puis des dates his-
toriques : Jeanne la Folle, 1469, reine en 1504. — Bataille
d'Olmedo, 1456. — Isabelle. — Enrique IV, 1425. — Juan II,
1405. — Doiïa Elga de Aragon. — Perafan de Ribeira, duc
d'Alcala. — Le comte de Silva se couvre en qualité de marquis de
Mondejar. — (Silva) le duc de Hijar (?) a le privilège de dîner
avec le roi d'Espagne le jour de l'Epiphanie. Enfin, l'on trouve ce vers
noté pour la scène I de l'acte V :
Pourpoint do comte, empli de conseils d'alguazilî
Relativement à ces notes historiques, où nous découvrons
quelque chose du travail préparatoire qui a dû documenter le
drame, il serait fort intéressant de pouvoir obtenir quelques ren-
seignements sur les lectures de Victor Hugo. Dans les notes de
ses pièces, lui-même affirme haulement, non sans fierté, l'exacti-
tude absolue de ses assertions historiques. Les notes de Ruy Blas
sont particulièrement curieuses à cet égard. A-t-il puisé tout ce
bagage dans les bibliothèques? Est-il vrai, comme il l'avance
quelque part, qu'il lisait surtout « les livres que personne ne
lit »? A-t-il, au contraire, de par son imagination toute-puissante,
vivifié et complété de simples précis, à peu près comme Alexandre
Dumas voyait vivre Henri III et sa cour, à la lecture du sec résumé
d'Anquetiï?Nous sommes, là-dessus, réduits aux conjectures; car,
suivant une ligne de conduite à notre avis bien inopportune, la
famille de Victor Hugo refuse de donner la moindre indication
sur le contenu de la bibliothèque du poète. On ne voit guère pour-
tant ce que sa gloire y pourrait perdre !
Acte IV (Le tombeau). — Commencé le 15 septembre, achevé
le 20.
Scène I. — (Don Carlos et Don Ricardo.) Plusieurs intéressantes
additions marginales. Après ce vers :
11 est bon d'aiguiser les stylets sur des tombe?,
on lisait :
*:• .* .* /Mais une fois encor, comte,... etc.
LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE D HERNANI. 535
La marge contient les vers intermédiaires, dont une partie,
imprimée, a été collée sur le feuillet. Ont été également annexés
au texte les quatre vers « Un Saxon hérétique!... De jeunes
idiots! » et l'importante tirade de trente-deux vers : «Toujours trois
voix de moins!... — Va-t'en. C'est l'heure... etc », que prononce
Don Carlos vers la fin de la scène. A signaler, dans ce dernier
morceau, la leçon du ms. (sans correction) : Céchafaud, au lieu de
l'abîme. Variantes: Au lieu de Don Gif Telles Giron, il y a un
autre nom raturé, qui semble être celui-ci : Don Pedro de Tobac. —
Dans ce passage :
On dit qu'il vous trouva chez madame Giron... etc.
Hugo juge utile d'atténuer la brutalité "du propos de Ricardo :
Avec lui, Don Tellez Giron, qui dans le lit
De sa femme vous sut prendre en flagrant délit.
Douze vers plus loin, il supprime une répétition qui donnait
au dialogue une allure traînante et vulgaire :
hON CARLOS.
Est-ce que c'est tout?
DON RICARDO.
Oui, je crois que c'est tout.
DON CARLOS.
Comte... etc.
Menues variantes d'expression (aparté de Carlos) :
Basse-cour où le roi, tiraillé sans pudeur,
A ces nains affamés émietle la grandeur!
Plus loin :
Peut-être aurais- je dû, par saint Paul de Mure ir!...
Scène IL — C'est le célèbre monologue de Don Carlos : « Char-
lemagne, pardon!... » En tète, une note : « Ne pas tenir compte des
coupures indiquées ». Le poète avait senti combien, à la scène, celte
incommensurable méditation serait fatigante, pour l'acteur comme
pour le spectateur. Il esta noter que l'école romantique, qui con-
damna théoriquement le monologue et le récit classiques, dépassa
en étendue, dans ces deux conventions de l'art dramatique, tout
ce qu'on avait osé jusqu'alors. On a fait bien plus long depuis1.
i. Cf., dans V Aiglon de M. Edm. Rostand, le monologue de Metternich en présence
du petit chapeau de Napoléon. 11 semble interminable. Cf. aussi, dan9 l'adaptation dra-
matique d'un roman d'Edm.de Goncourt (la Fille JÊ/wa)par M. J. Ajalbert, le plaidoyer* •
du défenseur, qui ne dure pas moins de vingt-cinq minutes. C'est assurément 1«
record du monologue, si tant est qu'un plaidoyer puisse recevoir ce nom.
536 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRAHCE.
V. Hugo a, pour la scène, réduit ce morceau de 167 vers à 101. C'est
une diminution d'un bon tiers (66 vers retranchés). Le monologue,
ainsi tronqué d'après les accolades marquées par l'auteur lui-
même, est imprimé, tel qu'il se disait et se dit encore à la représen-
tation, dans la note IV de l'édition définitive. Fort heureusement,
l'auteur n'a pu se résigner à faire le sacrifice complet des superbes
périodes qu'il a dû couper.
Peu de corrections. Le vers initial était mal venu :
Pardon, puissant tombeaul — tes échos solitaires... etc.
Voici quelques variantes encore :
Et sans doute il s'indigne à ce bourdonnement...
... De son temps, tout était bien plus beau...
Au lieu de la spirale : l'édifice, ou ï obélisque.
— Ahï le peuple! — océan! — onde sans cesse émue,
Où l'on ne peut cracher sans que tout ne remue!
Vague qui brise un trône et respecte un tombeau!
... Gomment ne pas glisser debout sur cette sphère?
... Dieu! s'il allait me parler! s'il s'éveille/
Si je sortais aveugle avec des cheveux blancs!
Scène III (scène des Conjurés.). — Quelques incertitudes sur les
noms propres des interlocuteurs. Don Gil Tellez Giron, et non le
duc de Gotha, disait : « Qu'il meure ! » Don Guzman de Lara, et non
Tous, s'écriait : « Qu'on l'immole! » Une modification du dialogue
entre Don Ruy Goinez et Hernani (cf. la note de l'édition ne
varie tur) :
Elle! je te la cède... etc.
Scène IV. — Elle débute ainsi : Messieurs, allez ailleurs].. .
Suppression du nom du comte de Casapalma parmi ceux des offi-
ciers de Don Carlos. — Dans la salutation du duc de Bavière
figurait ce vers, raturé :
Nous avons déposé la couronne et le globe.
Hernani s'exprimait de la sorte :
C'est à moi qu'avant tout il convient de le dire.
— « Bien! » répliquait Carlos (ms. sans correction]; l'édition
porte : « Paix! » — En marge, l'apostrophe de Carlos à Ruy
tïotnevet la riposte de celui-ci : « Mon cousin de Silva... » etc.
(4 Vers). — Hernani criait aux prisonniers et aux gardes :
LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE d'hERNAHI. 537
Place à Jean d'Aragon, duc de Segorbe, et place!
Place à Jean d'Aragon, vous, bourreaux et valets!
Et si vos échafauds sont étroits, changez-les!
Après l'hémistiche « Oh! ma haine s'en va!... », le poète a
supprimé douze vers où il peignait les hésitations d'flcrnani, à
qui l'Empereur vient d'offrir le bonheur avec le pardon (cf. l'édi-
tion ne varietur, en note). L'aparté de Ruy Gomez, qui suit
(« Éclaterai-je...? » etc.), est en marge, ainsi que tout le discours
de Don Carlos conférant au bandit réhabilité le collier de la Toison
d'or avec l'investiture de chevalier, et accordant aux condamnés
leur grâce (« De ta noble maison... etc. », et les quatorze vers
suivants). Le texte primitif était beaucoup plus simple :
HERNAN1.
... Je ne hais plus. Carlos a pardonné...
Ah! vous êtes César!
DON CARLOS, aux autres conjurés.
Espagnol ou Saxon,
Je vous fais grâce à tous! l'Empereur vous pardonne.
C'est la leçon qu'au monde il convient que je donne.
LES CONJURÉS, à genoux.
Gloire à Carlos!...
C'est le rôle de Carlos qui a subi le plus de modifications au
cours de cette scène IV. Voici encore une première leçon (biffée)
du texte, après les mots de Carlos :
Allez. Tirai moi-même...
(Les deux électeurs mettent un genou en terre et lui baisent la main.)
LE ROI DE BOHÈME, se relevant.
Charles! de nos États tu seras le pilier/...
DON CARLOS, l'interrompant.
Roi de Bohème! eh bien, vous êtes familier!
(A part.)
Me voilà donc au but, et tout m'a fait passage!
— Empereur, au refus de Frédéric-le-Sage !
(Entre Dona Sol, conduite par Ricardo.)
Scène V. — Le monologue final de l'acte présente les variantes
que voici :
Ai-je un pied sûr et ferme, à ne pas trébuchera...
Deux vers plus loin, tracé au lieu de battu. Le ms. donne, sans
corrections :
538 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANGE.
Tout un monde qui hurle, et bouillonne, et conspire...
Des pièges, des écueils, des menaces sans nombre...
Au verso de ce feuillet, on lit : « Je suis petit comme Alexandre. »
L'Altesse catholique en Majesté sacrée.
Et, sur la feuille de garde du cinquième acte, le cri déchirant de
la scène v :
« Par pitié, demain! »
Acte V (La noce). — Commencé le 21 sept., terminé le 25. —
Comme on va s'en rendre compte; le dernier acte est, à tous égards,
le plus intéressant à étudier sous le double rapport des incerti-
tudes de la composition et du style. Il a été profondément refondu
dans ses morceaux essentiels; et l'examen attentif du brouillon
(car c'en est bien un que nous avons sous les yeux) trahit des
scrupules qui font, en vérité, le plus grand honneur au très jeune
poêle. On voit combien il fut désireux d'amender son œuvre, dont
la conclusion était certainement déparée par l'abus des extrava-
gances romantiques. M. Ern. Dupuy, à qui l'on ne reprochera
pas de manquer d'enthousiasme pour V. Hugo, a regretté, avec
beaucoup de bons esprits, l'excès de réalisme qui gâte la scène
de l'empoisonnement. Il observe que le jeu des acteurs en sou-
ligne encore l'effet désagréable : contorsions, faces crispées par la
souffrance, plaintes d'agonie, etc. Ce n'est pas ainsi que le drame
classique procédait, même quand l'auteur avait le courage de
présenter l'empoisonnement aux yeux des spectateurs. Relisez le
dénouement de Rodogune. Tout s'y passe fort convenablement, et
les plis de la draperie antique n'y sont dérangés qu'à peine. — Que
diraient ces critiques, si V. Hugo avait maintenu au théâtre la
version primitive de son dernier acte? Il est vrai que le public en
eût, sans doute, fait justice. Les plus romantiques, s'ils avaient eu
un peu de goût, n'auraient pu supporter, même au dénouement,
une semblable peinture. Les parodistes auraient eu beau jeu!
C'est qu'en voulant faire du naturel, selon le manifeste qu'il avait
émis lui-même, et du réel, le poète ne fit que du burlesque. Il s'est
repris, et les choses ont été à peu près remises au point. Aussi
nous n'hésiterons pas à citer ces pages oubliées du génial écrivain,
puisqu'aussi bien il a éliminé et condamné lui-même le plus
grand nombre de ces énormilés romantiques. Il est humain de se
tromper, et il est beau de corriger ses erreurs. Exhumons donc
LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE D HERNASI. 539
sans crainte ces hardiesses outrées, non pas seulement comme des
curiosités littéraires, mais parce qu'il est peu de leçons de goût
aussi utiles que celle-là, parlant de si haut.
Scène L — Très peu de retouches. A retenir, ces deux variantes
(écrites dans la marge) de l'interrogation de Don Sancho :
Vouliez-vous pas qu'il mit son cercueil de la nocel
Vouliez-vous pas qu'il vint mourir dans cette nocel
Vouliez-vous pas son spectre au banquet de la nocel
Plus loin, Don Francisco a remplacé, arbitrairement, Juan de la
Cerda. — Et voilà tout.
Scène III. — Remarquez ces variantes (la quatrième au ms.
sans confection) :
Ce bruit mf étourdissait. N'est-ce pas,... etc.
... Le bonheur, amie, est chose grave.
// tombe sur le cœur goutte à goutte, et s'y grave.
Rien que F ombre et V amour. Félicité parfaite I
La lune est seule aux deux, qui, comme nous, repose.
Un rossignol caché dans l'ombre...
Sur le ms., sans correction :
Don Juan, cette fanfare emplit le cœur de joie.
Un changement considérable après ces mots d'Hernani : « Oui,
mon bon ange! » (cf. la note de l'édition définitive) :
Oh! veux-tu quelque chose? ordonne à ta servante.
Hernani cherche alors à éloigner sa bien-aimée. Toute cette
fin de scène (depuis Tu souffres donc bienl) a été remaniée en
marge. Restituons la donnée originelle, franchement exécrable,
et surtout déplorablement traînante :
HERNANI.
Ce devrait être fait ! Ah î...
DONA SOL.
Tu ne te sens pas bien?
HERNANI.
Un mal... auquel je suis sujet...
DONA SOL.
Ce cor vous trouble î
Chaque fois qu'il reprend, votre angoisse redoublé.
540 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
UERNANI.
Non. — Ce cor est charmant, et j'en aime le son.
(Le cor recommence.)
(A part.)
11 le veut! un poignard! par pitié, du poison!
Je manque à mon serment! — Rien! — Fanfare implacable!
(Haut.)
Ah! ce pourpoint m'étouffe, et ce collier m'accable!
(11 arrache son collier, et le jette à terre.)
DONA SOL.
Mais coupez le pourpoint...
UERNANI.
Ah!... le poignard du roi,
L'as-tu toujours?
DON" A SOL.
Oui.
UERNANI.
Cours me le chercher!
DON A SOL.
Pourquoi?
HERNANI, montrant son pourpoint.
Pour l'ouvrir l
DONA SOL.
11 serait plus simple que je prisse
Des ciseaux...
HERNANI.
Le poignard !
DONA SOL.
Mais...
UERNANI.
Ah ! c'est un caprice !
Va, cours, j'en ai besoin!
DONA SOL.
J'obéis, monseigneur!
(Elle sort par la porte de la chambre nuptiale.)
UERNANI, resté seul.
Voilà donc ce qu'il vient faire!...
Hugo avait donc songé d'abord au suicide d'Hernani par le fer,
non par le poison. En revanche, on verra plus loin que Ruy
Gomez cherche à s'empoisonner, avant de se poignarder.
Scène V. — Le masque en domino noir paraît : il pose sur la
table uu poignard et une fiole, il invite le malheureux amant à
choisir. Voici le premier jet, infidèlement rapporté dans la note
de l'édition :
LE MASQUE'.
A mon dernier banquet, mon hôte, je t'invite.
Ce'que tu laisseras sera pour moi. Fais vite.
LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE d'hERNANI. 541
UERNANI.
Je suis prêt...
LE DOMINO NOIR.
Un peu tard. Si je n'étais monté...
UERNANI.
Crois-tu donc que sur toi, vieillard, j'avais compté?
Tout me manquait.
LE MASQUE.
C'est bien. Ce qu'il faut, je rapporte.
Hernani proteste, implore. Le masque reste impassible :
Simple, à qui par les- tu?.,.
Je serais seul, hélas! Non, non, il faut me suivre.
(Ce vers figure au manuscrit sans correction.)
Alors, Hernani s'emporte : il invective le meurtrier fantôme
en un énergique et éloquent exorcisme, depuis retranché, ce qui
est peut-être regrettable, car le mouvement est bien naturel :
Eh bien, non! et de toi, spectre, je me délivre!
Je n'obéirai pas! — Crois-tu donc, insensé,
Que je n'ai traversé tout mon sombre passé,
Que je ne tiens enfin la femme qui m'est chère,
Que je ne touche au but, que pour me laisser faire,
Moi que mon noir démon ne fit pas chanceler,
Par un vieillard, sur qui je n'aurais qu'à souffler!
Quand DonaSol m'attend, dans ta nuit ténébreuse
Suivre ton spectre blême au tombeau qu'il me (var. : se) creuse!
Tu veux rire! Va-t'en!
LE DOMINO NOIR.
Je m'en doutais. Fort bien!
Sur quoi donc..., etc.
. Tous ces vers ont été écrits de verve, sans tâtonnements, et le
texte ne porte pas de corrections.
De même, longue suppression, heureuse celle-là, dans la réplique
du vieillard masqué, laquelle n'était pas exempte de bavardage,
et se trouve réduite à trois vers — laconiques et dédaigneux — dans
le texte définitivement adopté. — On lit, en marge :
Jadis, il en était des serments en Espagne
Comme de nos habits de guerre et de campagne;
Ils étaient en acier. J'y songe avec orgueil.
C'était chose solide et reluisante à l'œil,
Que l'on n'entamait pas sans lutte et sans bataille,
Sur laquelle d'un homme on mesurait la taille,
542 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Qu'un noble avait toujours présente à son chevet,
Et qui, même rouillée, était bonne, et servait.
Mais aujourd'hui, la foi, l'honneur et les paroles
Ont pris le train nouveau des modes espagnoles ;
Velours! soie! — un serment, avec ou sans témoins,
Dure autant qu'un pourpoint, parfois plus, souvent moins,
S'use vite, et n'est plus qu'un haillon incommode
Qu'on déchire et qu'on jette, en disant : Vieille mode!
Certes, ces quatorze vers sont loin d'être mauvais en eux-
mêmes. Mais, on l'avouera, ce n'était guère le lieu d'épiloguer
sur la corruption des mœurs et de vanter la rigide droiture des
anciens âges au détriment du temps actuel. Et le poète, après
réflexion, Ta bien senti. Aimant à ne rien perdre, il a soigneuse-
ment mis en réserve cette tirade. On la retrouve, à peine altérée,
dans la bouche du Magnus des Durgraves, exallant les serments
qu'on faisait dans la vieille Allemagne et regrettant, lui aussi, le
train nouveau, le nouveau jeu, pourrions-nous dire (Clinquant!
soie!... etc.). — D'ailleurs, ce passage avait le tort de rappeler
par trop les récriminations du même Don Ruy Gomez (acte I,
scène m) ; l'expression même est parfois presque identique dans
les deux cas :
Voilà ce que feraient, fy songe avec ennui,
. Les hommes d'autrefois aux hommes d'aujourd'hui.
La scène s'achevait comme suit, dans la version primitive (deux
vers retranchés) :
HERNANI.
... Ne t'en va pas.
LE MASQUE.
Bois donc!
UERNANI.
Vieillard cruel !
Revenir sur mes pas à la porte du ciel !
Mais j'entends Doua Sol. — Oh! mets-toi là, par grâce,
Qu'elle ne sache encor rien de ce qui se passe !
(Le domino noir se cache derrière un pilier.)
Scène VI. — Début modifié (voy. la note de l'édition). Dona
Sol, à son tour, injurie et menace l'infortuné Ruy Gomez :
... Voyez-vous cet œil de pleurs de rage humide?
Voyez-vous ce poignard? — Ah! vieillard hasardeux,
G est du même courroux qu'ils reluisent tous deux.
Je suis de votre sang, mon oncle,... etc. (Voir la note.)
LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE D HERNAM. 543
Le beau vers :' «Toi! tu n'as pas le cœur d'une épouse chré-
tienne » a chassé celle banalité incorrecte : « Toi ! tu ne voudrais
pas qiïen ta tombe je vienne. »
Quatre vers plus loin, le ms. donne, sans correction :
don A SOL.
J'ai bu dans ton verre.
HERNANI.
Ah ! c'est une mort affreuse !
Poursuivons. — Les variantes se multiplient, à mesure qu'on
avance vers le dénouement et que Faction se précipite. C'est peut-
être dans les scènes à l'allure la plus prompte qu'Hugo retouche
davantage (cf. le ms. de Ruy Dlas) :
DONA SOL.
Devions-nous pas dormir ensemble cette nuit?
Qu'importe dans quel lit?
UERNANI.
Ah! vous êtes un ange!
DOXA SOL.
Ne bois pas! Dieu! je souffre une douleur étrange.
De l'eau! de C eau! je brûle! Ah! Don Juan, ma raison
S'égare. Ne bois point, mon amour, ce poison
Est vivant! etc..
Par pitié, ne bois point!
Effet brutal de mélodrame que ce cri : De Veau! de Veau! qui
va revenir derechef tout à l'heure. Que d'eau! Ces atroces convul-
sions, ces clameurs de souffrance exaspérée sont plus à leur place
dans les romans de l'école naturaliste ou dans les grossières
tranches de vie servies à l'Ambigu que sur la scène du Théâtre-
Français, encore qu'elle ait vu depuis de bien osées tentatives. —
Autre changement notable. On constatera que, selon le texte
définitif, le rôle du vieillard assassin se borne, dès lors, à quelques
brèves exclamations, jusqu'à ce qu'il se frappe à son tour et que
la toile tombe : La fatalité s'accomplit. — 0 douleur (1er jet :
Devant moi!). — Qu'ils sont heureux! — Mort! — Morte! — Oh! je
suis damné! — Or, il semble que ce rôle, à l'origine, ait été un peu
plus développé. Le vieux gentilhomme attestait encore cette pas-
sion sénile qui l'affole, qui le rend criminel, barbare, inexorable ; et
Doua Sol le maudissait, lui criait sa haine avant d'expirer. Recons-
tituons ce passage, expulsé, selon loute probabilité, parce qu'il
ralentissait le mouvement d'une scène parvenue au paroxysme de
l'émotion et de la pitié.
544 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCK.
Après cette question de Dofta Sol : « N'est-ce pas quon souffre
horriblement? » on lit :
DON RUY GOMEZ, ramassant la fiole.
... Ah! c'est toi dont l'âme est jalouse et cruelle.
Hélas! rien qu'une goutte, et la boire après elle,
Et je mourais content!
DONA SOL.
Parlons de nos amours...
Tu ne sens rien encor?
HERNANI.
Toi, souffres-tu toujours?
L'édition ne varietur, qui relève dans ses notes les variantes,
mais d'une façon très incomplète et parfois inexacte, a reproduit
quelques-uns des vers qui suivent cette question de la jeune femme :
« Je suis bien pâle, dis, pour une fiancée? » Hernani répond (voici
le dialogue exact) :
Oh! tes traits par la mort sont encore embellis!
— Souffres-tu?
DONA SOL.
Non. Plus rien. Mais toi?... Dieu! tu pâlis!
HERNANI.
C'est de peur.., de te voir souffrir...
DONA SOL.
Non. Sois tranquille..., etc.
Sauve-moi! — Je l'ai là qui me tord les entrailles!
Ah ! c'est à se jeter le front sur les murailles1!
Toi qui m'aimes, Don Juan, sauve-moi, c'est du feu !
Je te l'assure, ami, je souffre trop! — Mon Dieu!
De l'eau, de l'eau! — Don Ruy! Va- t'en, je te déteste!
HERNANI.
Duc, si quelque poignard, quelque pitié te reste,
Abrège! achève-nous! 0 rage! ô désespoir*?
0 tourment! Doiïa Sol souffrir, et moi le voir!
Notre tâche est finie. Nous laissons le lecteur tirer lui-même la
conclusion qui se dégage de cette étude. Elle est tout à l'honneur
1. Cf. un vers analogue dans Ruy Blas (acte V, scène n) :
« Mais c'est h se briser le front contre le mur! »
2. C'est le fameux hémistiche cornélien (Cid, acte I, scène v).
LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE D HERNANI. 545
du grand poète, qui sut être un laborieux ouvrier. — Le même
travail pourrait être tenté sur tous les drames de Hugo dont les
manuscrits sont déposés à la Nationale : l'injouable Cromwell
(n° 14), Marion de Lorme (15), Le Roi s'amuse (16), Lucrèce Dorgia
(17), Angelo (18); surtout Ruy Dlas (19) et Les Burgraves (20),
qu'on étudierait plus volontiers, j'imagine, parce que ce sont des
œuvres de maturité.
Ruy Dlas serait particulièrement intéressant par les variantes de
la scène finale entre le valet-ministre et Salluste, son mauvais
génie. Il y a là de multiples retouches, et, à bien des égards, il
ressort de l'examen une leçon de goût comparable à celle que
nous avons prise dans Hernani. Quant aux Burgraves, par l'heu-
reuse reconstitution du passé héroïque, par la grandiloquence et la
majesté des personnages, Hugo laisse entrevoir la prochaine épopée
de la Légende. — Le trésor est riche; l'on peut y puiser sans
peine. La grotte merveilleuse s'ouvre d'elle-même, sans talisman
et sans mot de passe. Si nous avons élu entre tous, pour le
démembrer et l'analyser, le glorieux drame à'Hernani, c'est pour
des raisons à la fois historiques et littéraires. Œuvre de début,
consacrée par te plus retentissant des succès et par des discussions
qui dégénérèrent en bataille, cette pièce ne doit laisser personne
indifférent, en France non plus qu'à l'étranger. Sans nul doute,
elle a beaucoup vieilli. Elle n'est plus pour nous la merveille que
les Cénacles voulaient placer au-dessus de tous les chefs-d'œuvre
dramatiques passés et futurs. Néanmoins elle possède, en dépit de
tout, assez d'énergie intérieure, assez de passion juvénile, assez de
couleur et de verve, pour se maintenir, presque solide encore, sur
les débris d'un théâtre en ruines. On a dit : « Beau comme le Cid ».
Je doute qu'on dise désormais : « Beau comme Hernani ». Mais
il n'est pas non plus nécessaire pour cela de méconnaître l'esprit
généreux de la tentative romantique. Pour nous, nous ne voulons
pas être de ceux qui reprochent à Victor Hugo d'avoir versé à ses
contemporains « le poison idéaliste ». Car il est des poisons qui
sont parfois des remèdes. Où donc est le médecin qui saura nous
en rédiger l'ordonnance?
Paul et Victor Glachant.
Paris, juillet 1900.
5i6 REVUE I) HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET LENGLET DU FRESNOY
La vie de Jean-Baptiste Rousseau se compose d'une série d'in
cidenls, sur lesquels il faudrait faire la lumière avant d'émettre
une opinion d'ensemble. Peut-être que le jugement porté de la
sorte différerait de celui qu'on énonce d'ordinaire prématurément.
En tout cas, les faits seraient établis nettement et c'est là un
résultat qui suffit aux investigations d'un chercheur soucieux
avant tout de vérité. C'est un de ces épisodes que nous voudrions
maintenant contribuer à éclairer, d'autant que la discrétion de
Louis Racine l'a rendu assez obscur dans la correspondance de
Jean-Baptiste Rousseau. Il s'agit des démêlés de celui-ci avec
l'abbé Lenglet du Fresnoy, question qui n'a pas encore été tirée
au clair, car Louis Racine a volontairement omis de publier les
documents qui pouvaient contribuer à faire la lumière. Il importe
cependant de déterminer les responsabilités encourues à ce sujet,
et, ce faisant, on n'aura pas seulement établi un chapitre de deux-
biographies individuelles, mais encore évoqué un curieux exemple
des mœurs littéraires du temps.
Rappelons seulement la physionomie des personnages en cause.
Celle de Jean-Baptiste Rousseau est connue, ou, du moins si on
ne saurait dire avec certitude les raisons de ses malheurs, il est
aisé de reconstituer l'histoire extérieure de sa vie. Accusé, à tort,
prétendit-il toujours, d'avoir répandu des couplets diffamatoires,
dont il passait pour être l'auteur et pour lesquels il fut condamné
par contumace, Jean-Baptiste Rousseau avait fui l'orage qui gron-
dait contre lui et s'était réfugié en Suisse, à Soleure, chez le
comte du Luc, ambassadeur du roi de France auprès des cantons
helvétiques. Quand le comte du Luc passa à Vienne, Rousseau l'y
suivit et c'est là qu'il trouva la protection du prince Eugène de
Savoie qui s'exerça quelque temps sur lui. C'est là aussi qu'il fit
la connaissance de l'abbé Lenglet du Fresnoy, que les hasards de
sa vie aventureuse y conduisirent à la fin de 1721. L'astre de
Rousseau commençait alors à pâlir, semble-l-il, et, bon gré mal
gré, le poète se préparait à quitter Vienne pour aller se fixer à
Bruxelles, où on lui faisait espérer une place d'historiographe.
Que se passa-t-il au juste entre les deux hommes? Il est bien diffi-
cile de le déterminer, car leurs rapports n'ont guère laissé de
JEA3-BAPTISTK ROUSSEAU ET LENGLET DU FRESNOY. 547
traces que dans leurs propres écrits et l'un et l'autre n'a pas
manqué d'accommoder les choses à sa* façon. On verra ci-dessous
comment Rousseau les expose. Quant à Lenglet, il les expliquait,
cela va sans dire, différemment, mettant sur le compte de Rous-
seau nombre d'imputations qui ne sont nullement prouvées. Selon
lui, Rousseau faisait de l'espionnage à Vienne et l'aurait dénoncé
pour le faire arrêter. Ce qui est certain c'est que Lenglet du
Frcsnoy, dont les allures étaient depuis longtemps suspectes aux
ministres de France et qui avait déjà talé maintes fois de l'incar-
cération, fut saisi à Strasbourg, lorsqu'il quitta Vienne, et empri-
sonné sur l'ordre du cardinal Dubois. On le fouilla, on inventoria
ses papiers, mais infructueusement, car l'opération fut tardive et
il avait eu tout le temps de se défaire des documents compromet-
tants, s'il en possédait. De plus, « l'état de gueuserie » dans lequel
il se trouvait faisait croire que, si jamais il avait travaillé pour
l'étranger, il n'avait pas eu de grandes affaires à traiter. Bref,
l'abbé Lenglet fut alors conduit à Paris et on ne le mit en liberté
que lorsqu'il eut fourni tous lesr renseignements qu'on en atten-
dait. La mésaventure avait donc été sans trop de conséquences. Et
quoique l'abbé Lenglet dût être accoutumé à de pareils inconvé-
nients, bien que, surtout, il ne soit pas vraisemblable que Jean-
Baptiste Rousseau y ait eu la moindre part, il garda à celui-ci
une forte rancune qui devait se faire sentir plus lard.
En effet, Lenglet du Fresnoy fut véritablement ce qu'on pourrait
appeler un pensionnaire de la Bastille. L'internement ne l'effrayait
pas outre mesure et il n'appréhendait pas les lettres de cachet.
Voici une note de police qui mentionne et résume les divers pas-
sages de cet incorrigible écrivain dans les prisons d'État*. Où verra
combien son existence fut bien remplie à cet égard.
Nicolas Lenglet du Fresnoy, prêtre du diocèse de Paris, entré à la
Bastille le 28 juin 1723, sorti le 25 juin 1726;
Rentré le 28 mars 1743, sorti le 8 juin suivant;
Rentré le 9 décembre 1751, sorti le 17 janvier 1752;
En l'année 1725, pour mémoires séditieux;
En 1743, pour les mémoires du prince de Condé;
En 1750, pour l'Almanach du prince Edouard;
Et en 1751, pour lettres anonymes contre les ministres.
Nota. — 11 a été encore à, La Bastille en Tannée 1696 pour fait de
religion et en 1718 pour un mémoire qu'il a présenté à M. le Duc contre
le gouvernement.
En l'année 1733, il fut mandé chez M. Hérault pour avoir fait
imprimer en Hollande des A?*re1s d'amour, dont il a introduit un
548 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
nombre infini d'exemplaires dans Paris par des voies détournées, qu'il
a fait vendre par Pierre Gandouin, libraire.
En parlant des Vigiles de la mort du roi Charles VIL il cite l'édition
faite à Paris, en 1724, chez Antoine Urbain Goutellier, bon libraire et
archi-cocu1.
Les diverses étapes de cette énumération sont exactes. C'est
bien en 1696, à l'âge de vingt-deux ans, que Lenglet du Fresnoy
avait fait pour la première fois connaissance avec les gens du
lieutenant de police. Il était alors simple clerc, demeurant chez
l'abbé Pirot, docteur de Sorbonne, en qualité de domestique, et il
était inculpé d'avoir publié, de concert avec l'abbé Faydit, des
écrits théologiques prohibés. Mais cette première mésaventure ne
devait pas rester sans lendemain et une lettre de cachet du 28 sep-
tembre 1718 vint encore, sur l'ordre du régent, faire ouvrir pour
lui les portes de la Bastille. Il paraît qu'on l'avait trouvé mêlé aux
intrigues de la duchesse du Maine et, de ce fait, il dut rester un
an en prison. Puis, ce fut une série d'incarcérations qui se succé-
dèrent dans Tordre des dates énoncées ci-dessus. L'abbé, d'ailleurs,
ne s'en effrayait guère. Homme d'esprit et surtout compilateur
infatigable, éditeur convaincu d'ouvrages anciens ou modernes,
l'abbé Lenglet poursuivait sa besogne accoutumée dans les prisons
du roi et continuait à préparer les publications qui occupaient sa
vie. Celle-ci, comme on le voit, était employée à des travaux fort
divers. Manquant absolument de moralité, faisant, moyennant
récompense, tous les métiers et mettant la plume au service de
tous ceux qui voulaient bien le payer, l'abbé était capable de
toutes les mauvaises actions et commit à peu près toutes les trahi-
sons et tous les méfaits dont il était capable. Au demeurant, sa
réputation n'en a pas trop souffert. Son savoir, plus caustique que
profond, a sauvé son nom de l'oubli, et l'air de persécution que
lui ont donné les tracasseries dont il fut l'objet n'a pas nui à sa
mémoire. Voltaire écrivait à son sujet, le 4 avril 1743 : « Les let-
tres sont ici plus persécutées que favorisées. On vient de mettre à
la Bastille l'abbé Lenglet pour avoir publié des mémoires déjà
connus, qui servent de supplément à l'histoire de M. de Thou; il
a rendu un très grand service aux bons citoyens et aux amateurs
de recherches sur l'histoire : il méritait des récompenses et on
l'emprisonne à l'âge de soixante-huit ans. » C'était, en effet, assez
K. Bibliothèque de l'Arsenal, archives de la Bastille, carton n° 10,880, f° 258. Les
paroles auxquelles il est Tait allusion dans le dernier paragraphe sont extraites de
la préface de Lenglet aux Arrêts d'amour, p. 35.
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET LENGLET DU FHESNOY. • 540
mal reconnaître un service rendu aux lettres et qui méritait mieux
que cela. IVfais l'abbé Lenglet était coutumier de frasques moins
vénielles et l'autorité, qui le traitait avec indulgence, aurait pu
dans bien des cas se montrer plus sévère à son endroit qu'elle ne
le fut en réalité. Les faits que nous allons rapporter en seront la
preuve.
Au commencement de Tannée 1731, Jean-Baptiste Rousseau,
qui était fixé depuis dix ans déjà à Bruxelles, dans les Pays-Bas
autrichiens, apprit qu'on allait publier en Hollande une édition
des poésies de Régnier, et cette édition devait lui être dédiée dans
une épître satirique. Chose plus grave, l'éditeur anonyme, qui
avait pillé pour son travail une édition de Régnier donnée au
public, deux ans auparavant, par les soins de l'avocat lyonnais
Claude Brossette, l'ami et le correspondant de Rousseau, voulait
laisser croire, par un procédé peu délicat, que Brossetle lui-môme
était Fauteur de l'épîlro satirique qui allait ouvrir la nouvelle
édition de Régnier. Vite Rousseau se mit en quête de celui qui
méditait pareille infamie à son égard et il n'eut pas de peine à
découvrir que le pseudonyme du Chevalier Gordon du Percel
cachait la personnalité de l'abbé Lenglet, qui en avait usé aupa-
ravant pour publier les œuvres de Clément Marot. Aussitôt Rous-
seau s'employa pour tâcher d'éviter le scandale qui le menaçait et
il s'adressa aux agents diplomatiques accrédités auprès des Ëtats
de Hollande afin d'obtenir leur protection. Mais il eut surtout
recours, pour cela, à Don Luiz da Cunha, ministre plénipoten-
tiaire du roi de Portugal, et c'est ce diplomate qui s'occupa le
plus activement de la négociation demandée. « J'ai reçu, mon-
sieur, écrivait-il le 2 mars 1731, de La Haye à Rousseau, votre
lettre et je suis bien fâché de ce qu'un malheureux vous attaque
si indignement. Il n'est plus dans ce pays. Je me fais informer
qui est son libraire-imprimeur et vous pouvez croire que je m'em-
ploierai de mon mieux pour vous servir. » En effet, Don Luiz da
Cunha se mil aussitôt à la besogne et, quatre jours plus tard, il
avait de nouveaux détails à mander à Rousseau à ce sujet. « J'ai
parlé, au mieux, lui disait-il, à l'égard de votre affaire à l'ambas-
sadeur de France et d'autres, et j'ai pris telles mesures qui, j'es-
père, vous procureront la satisfaction que vous désirez. En atten-
dant, je m'en vais porter votre lettre au comte de Zinzendorff
pour l'intéresser de môme dans cette affaire. »
Ainsi prévenus, tous les diplomates — ou à peu près — pré-
sents à La Haye, s'entremirent en faveur de Rousseau contre le
libelliste anonyme. Par suite de sa condamnation antérieure, Rous-
Rcv. d'hist. littér. de la Frahce ( 7« Ann.). — VU. 36
550 REVUE D HIST01KK LITTÉRAIRE DE LA FRANCK.
seau ne pouvait demander protection qu'avec ménagement au
ministre de France, le marquis de Fénelon, le neveu de l'arche-
vêque de Cambrai. Pourtant le procédé de l'abbé Lenglet était si
condamnable qu'il trouva une réprobation générale et fut unani-
mement dénoncé à la répression des autorités bataves, comme en
fait foi la lettre suivante de Don Luiz da Gunha à Rousseau.
Je ne vous ai pas fait réponse, monsieur, à votre dernière lettre, vou-
lant vous mander quelque chose de positif sur cette désagréable affaire.
J'avais fait venir d'Amsterdam l'écrivain de l'abbé et correcteur de ses
mauvais écrits, et qui ne Tétait plus; il m'a mis au fait de celui en
question, de sorte qu'en tendant votre lettre au comte de ZinzendorfT
je lui donnai les instructions nécessaires pour en parler à M. le Pen-
sionnaire. Il s'en chargea de très bonne grâce et sur le champ il est
allé chez ce ministre, qui fit difficulté de s'en mêler parce que cela
regardait la ville d'Amsterdam et sa police particulière. Mais à la fin
M. de ZinzendorfT lui serra le bouton si fort qu'il prit les informations
nécessaires pour en écrire aux bourgmestres. Je me suis trouvé hier
en compagnie du comte de Zlnzendorlf, mais il n'avait pas de nouvelles
et il m'a promis d'aller aujourd'hui chez le Pensionnaire pour en savoir.
J'écrivis aussi à mes amis d'Amsterdam là-dessus, mais je ne puis leur
alléguer que les raisons d'une bonne et équitable police. Mais Zinzen-
dorfT y ajoute le nom de l'Empereur qui vous a accordé sa protection.
Voilà les inconvénients de la liberté de l'imprimerie tant protégée dans
ce pays-ci, où les princes et les potentats ne sont pas à couvert de sem-
blables scélérats. Kn attendant, monsieur, je n'oublierai rien pour
vous faire plaisir1.
L'abbé Lenglet n'était plus en Hollande tandis qu'on s'y occu-
pait ainsi de lui. Il avait cru bon de regagner la France, pensant
que de là il lui serait plus facile de comballre Rousseau, qui on
était banni. Il écrivait donc de Paris, le 19 mars 1731, au marquis
de Fénelon une lettre dans laquelle, tout en niant que la pièce
incriminée fût de lui, il dénonçait Rousseau comme auteur de vers
infâmes et demandait contre lui, comme tel, des poursuites et
une condamnation. La lettre de Lenglet est depuis longtemps
connue, puisqu'il l'a imprimée lui-même à la suite de son livre
De V usage des romans, sans prendre garde au mensonge qu'elle
contenait dès le début. Mais la lettre suivante, qui est inédite,
résume et expose les senliments de Lenglet et la façon dont il se
proposait de se tirer d'affaire. Elle est adressée à un autre per-
sonnage bizarre, un prêtre qui faisait, comme Lenglet, métier
1. D. Luiz da Cunha à Rousseau. La Haye, 13 mars H31.
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET LENGLET DU FRESNOY. 551
d'espion sous couleur d'érudit, l'abbé de Vayrac, employé princi-
palement par le ministre de Portugal et qui se trouvait alors chez
Don Luiz da Gunha1. Ces quelques lignes suffiront à indiquer le
jeu que prétendait jouer l'abbé Lenglet.
Une lettre d'Amsterdam qui m'a été communiquée depuis quelques
jours m'engage, monsieur, à écrire aujourd'hui à M. le marquis de
Fénelon. J'ai l'honneur de donner à Son Excellence tous les éclaircisse-
ments qui dépendent de moi. J'en ai envoyé copie à l'auteur de V Eloge
historique de Rousseau, afin qu'il fasse pour lui ce que je ne puis faire
moi-même. Je préjuge ce qui doit naturellement arriver en consé-
quence : il fera dénoncer à messieurs les bourgmestres et échevins
d'Amsterdam les poésies de Rousseau comme la source et l'origine des
affreux désordres qui ont tant fait de bruit en Hollande; mais je crois
qu'il ne le fera que quand on voudra inquiéter le libraire ou imprimeur
d'Amsterdam. Je suis fâché de ce qu'on mande dans cette lettre que
Son Excellence considère Rousseau : il mérite tout au plus l'attention
que l'on donne en Europe aux idoles du Japon, pour voir de quelle
manière sont faits les anges des ténèbres, ou réellement, ou selon les
diverses idées des hommes. Si Son Excellence daignait me faire
réponse, vous savez mon adresse et j'espère que vous me ferez la
grâce de la lui donner.
On a eu sur toute la route des nouvelles de M. le marquis de Santa-
Cruz et trois fois depuis son arrivée à Séville qui a été le 22 février en
parfaite santé. Je le crois destiné pour l'Italie ou pour la Hollande :
Messieurs les États l'ont déjà demandé trois fois.
J'ai l'honneur d'être avec respect, monsieur, votre très humble et
très obéissant serviteur, Lenglet du Fresnoy 2.
Mais cette combinaison n'aboutit pas. « Je ne crois pas, écrivait
Don Luiz da Cunha à Rousseau, le 7 mai 1731, que ce misérable
abbé Lenglet s'avise de m'envoyer copie de la lettre qu'il a écrite
à M. l'ambassadeur de France; et quoique ce ministre se soit con-
tenté de ne pas faire réponse à une lettre aussi impudente à votre
égard qu'indigne pour lui, l'abbé méritait qu'on lui fît sentir bien
autrement ses impertinences. » Celui-ci en était donc pour ses
frais de méchanceté et restait avec le regret d'une vilenie qui
n'avait pas abouti immédiatement. Aussi Rousseau pouvait se
croire à l'abri de toutes représailles de ce côté, lorsqu'il écrivit à
Brossette pour le mettre au courant de ce qui s'était passé. Le
début de cette lettre est inédit, car, ainsi que nous l'avons dit,
1. On trouvera une autobiographie de l'abbé de Vayrac dans la revue Souvenirs
et mémoires, t. III, p. 537 (15 décembre 1899).
2. Lenglet du Fresnoy à l'abbé de Vayrac chez don Luiz da Cunha.
552 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Louis Racine, en mettant au jour la plus grande partie de la cor-
respondance de Rousseau, a cru devoir en retrancher tout ce qui
avait trait à ses démêlés avec Lenglet du Fresnoy. Celui-ci vivait
encore alors et cette divulgation pouvait, en effet, être pénible.
Cette partie des lettres est donc demeurée inédite et nous la repro-
duisons ici d'après les originaux gardés avec soin par Brosselte et
conservés aujourd'hui dans la bibliothèque municipale de Chartres
(manuscrit n° 1718, t. II, f° 74 et suivants). Tous ces documents
permettent de se faire maintenant une idée exacte et complète de
ce qui se passa et qui n'est guère à la louange de l'abbé Lenglet.
Mais laissons la parole à Jean-Baptiste Rousseau.
A Bruxelles, le 24 mars 1731.
Vous serez surpris, monsieur, et peut-être fâché plus que je ne l'ai
été moi-même en apprenant l'aventure qui a retardé la réponse à la
lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 1er de ce mois;
mais il fallait que vous la sussiez et pour vous rapprendre je voulais
qu'elle fût finie. La voici. 11 n'est pas que vous ne connaissiez au moins
de réputation un certain abbé Lenglet du Fresnoy qui a fait imprimer
depuis peu un livre sur la manière d'écrire l'histoire. Ce personnage,
dont je n'avais jamais entendu parler, me vint voir à Vienne se disant
chanoine de Tournay, quoiqu'il ne l'ait jamais été, et chargé d'une
affaire importante de la part du chapitre dont j'ai su depuis qu'il n'était
connu que sur le pied d'un fripon avec qui personne ne voulait avoir
commerce. Je ne laissai pas, sur ces fausses enseignes et sur le babil
spécieux de cet homme, le plus assuré menteur qui fut jamais, de le
produire chez les principaux ministres de la cour de Vienne; mais il
se lassa bientôt de voir si bonne compagnie et son peu d'empressement
à profiter des entrées que je lui avais procurées me fit soupçonner dès
lors que tout ce qu'il m'avait conté était une fable. Je fus confirmé
dans cette pensée par M. le prince Eugène qui me raconta à quelque
temps de là une friponnerie insigne qu'il avait faite à M. de Hohendorff
pour lui attraper cinquante pistoles que le prince avait payées. Depuis
ce temps-là je ne le revis plus jusqu'au temps de mon départ pour
Bruxelles auquel il vint me trouver pour m'offrir de faire le voyage
avec moi. Je m'en défendis le plus honnêtement qu'il me fut possible
et je l'avertis lui-même, s'il faisait ce voyage, de ne point entrer sur
les terres de France sans avoir sondé le terrain en écrivant à M. Le
Blanc, dont il se disait l'ami particulier, pour justifier son voyage que
je savais qui l'avait rendu suspect; et, en effet, peu de temps après
mon arrivée ici, j'appris que le cardinal Dubois l'avait fait arrêter à
Strasbourg. Je lui avais fait avant de partir un autre plaisir essentiel,
qui était de lui faire toucher cent ducats pour un manuscrit que je fis
acheter à M. le prince Eugène, et je sus que sans cet argent son
hôtesse fallait faire mettre en prison pour deux cents florins qu'il lui
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET LENGLET DU FRESSOY. 553
devait. Voilà tout le commerce que j'ai jamais eu avec cet homme, dont
je n'ai pas ouï parler depuis, si ce n'est deux jours avant de recevoir
votre lettre que j'en reçus une d'Amsterdam où on me donnait avis
qu'il faisait imprimer sous votre nom un libelle plein d'infamies
contre moi. On m'envoyait même l'épitre liminaire où, vous faisant
parler, on m'adressait à moi-même toutes les horreurs que la plus
atroce calomnie peut inventer; mais tout cela d'un style où personne
assurément ne vous aurait reconnu. Vous jugez bien que je ne pris
point le change. Je songeai seulement à empêcher qu'il ne fût pris par
quelque autre plus dupe que moi, et à l'aide des ministres dont je suis
connu en Hollande j'ai obtenu la suppression de ce libelle, en atten-
peut-ètre quelque chose de mieux. Voilà, monsieur, ce que je voulais
être en état de vous mander avant que je fisse réponse à votre lettre,
à laquelle je viens maintenant après cette digression1...
L'honnêteté de l'excellent Brossette fut fort scandalisée au récit
d'un tour si noir. Il y parait bien dans la réponse qu'il s'empressa
de faire à' la lettre de Rousseau. Mais enfin le danger était conjuré
— il le croyait, du moins, — et, après s'être bien récrié, il deman-
dait à connaître par le menu les circonstances de cette machina-
tion ténébreuse.
A Lyon, ce 9 avril 1731.
Vous avez raison, mon cher monsieur, de présumer que je serais
également surpris et fâché de l'aventure dont vous m'avez fait le récit.
Est-il possible que l'abbé Lenglet qui ne me connaît point, que je n'ai
vu de ma vie et avec qui je n'ai jamais eu la moindre relation ni de
près ni de loin, ait eu l'impudence d'abuser de mon nom jusqu'à me
rendre votre calomniateur, à la face de toute la terre? Faut-il qu'il y
ait des hommes si pervers et qui soient capables d'inventer des crimes
nouveaux auxquels on n'a point encore donné de nom? Car les termes
de perfidie, de trahison, d'attentat me paraissent bien faibles pour
exprimer la qualité d'une action si noire et si détestable. Je frémis à
la simple idée de celte horrible entreprise, surtout quand j'envisage
les suites qu'elle aurait eues si vous n'aviez trouvé le moyen de la pré-
venir par votre prudente activité. Cet homme, sans doute accoutumé
à ces sortes de forfaits, a cru ou que j'ignorerais l'auteur de celui-ci,
ou que je le regarderais avec indifférence, ou que peut-être je serais
dans l'impuissance d'en tirer raison. Mais il a pris de fausses mesures,
car comme le simple soupçon du crime blesse une délicatesse presque
autant que le crime mêmej j'ai porté mes plaintes aux personnes qui
sont en état de me rendre justice et de venger l'injure que m'a voulu
faire ce scélérat. J'espère d'y réussir en cas qu'il soit en France, et c'est
de quoi je vous prie de m'informer incessamment, aussi bien que des
1. Le reste de la lettre est publié. Lettres de Rousseau, t. III, p. 163.
554 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
circonstances particulières de ce libelle, afin que je puisse parler et
agir avec plus de certitude !.
Pour satisfaire cette curiosité bien légitime, Jean-Baptiste Rous-
seau s'empressait d'écrire à Brossettc une longue lettre pleine des
détails de celte affaire et que nous reproduisons ici en entier, car
elle est restée complètement inédite.
A Bruxelles, le 20 avril 1731.
Ce n'est qu'en ce moment, monsieur, que je reçois la lettre que vous
m'avez fait l'honneur de m'écrire du 9 et j'y réponds sur le champ pour
mettre la posto dans son tort en cas qu'elle soit aussi paresseuse pour
vous que pour moi. Je n'ai nullement douté de l'indignation que vous
causerait un projet aussi horrible que celui de l'abbé Lenglet. J'en fus
averti par un nommé M. Tronchin, docteur en médecine demeurant à
Amsterdam en Sainte Lucie Stegg. Il me mandait qu'on y imprimait un
libelle inlitulé Eloge historique du sieur fîousseauy par V éditeur du
llegnier de Londres, mais que c'était l'abbé Lenglet qui en était le véri-
table auteur, et il m'envoyait en même temps une copie de Tépître
dédicatoire, qui était proprement un volume où sous ce nom les plus
atroces calomnies et les injures les plus infâmes m'étaient adressées;
mais il ne me mandait ni le nom de l'imprimeur, ni rien qui pût me
donner connaissance du livre auquel cette belle épître devait servir
d'introduction. Je pris le parti sur le champ d'envoyer et la lettre et le
manuscrit à M. da Cunha, ambassadeur de Portugal, mon ancien ami,
pour le prier de se joindre à M. de Zinzendorff, envoyé de S. M. I. en
Hollande, à qui j'écrivais en même temps et avec qui je suis lié d'amitié
depuis Vienne, afin de faire supprimer ce libelle. M. da Cunha me le
renvoya, mais il garda la lettre de Tronchin et ces deux ministres s'em-
ployèrent avec tant de vigueur auprès du Pensionnaire que le libelle
fut supprimé. Mais ce que je ne savais pas et que mon donneur d'avis
dont je n'ai pas ouï parler depuis ne jugea pas à propos de m'apprendre
c'est que ce libelle devait être mis à la tête d'un commentaire sur
Marot en quatre volumes in-4, qui vient de paraître et où je me suis
vu en neuf endroits traité de la manière du monde la plus infâme. Voilà,
monsieur, comme l'injure qui vous menaçait a été prévenue, et pour
moi, faute de plus ample instruction, je n'ai pu prévenir qu'une partie
de celle qui me regardait. L'épître a été retranchée et on y en a sub-
stitué une autre à M. le comte d'Hoym, ministre de Saxe, sous le nom
feint ou véritable d'un inconnu qui se sigrre Gordon de Percel. Dans le
temps que ces choses se passaient, j'envoyai à l'abbé d'Olivet le libelle
manuscrit que M. da Cunha m'avait renvoyé, le priant d'obtenir de
M. le garde des sceaux, son ami, un ordre à M. de Fénelon d'en parler
1. La suite de cetle lettre est également inédite mais il y est question de toute
autre chose: la place des annotations dans une édition critique.
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET LENGLET DU FRESSOY. 555
aux Étals généraux, le priant de me renvoyer le manuscrit que je ne
lui communiquais que pour lui faire connaître l'importance du service
que j'exigeais de lui. Il me renvoya quelque temps après une réponse
en original de M. le garde des sceaux, mais pour le manuscrit je ne l'ai
point revu et il ne m'a point écrit depuis, ce qui me fait croire qu'il
l'avait envoyé à ce ministre et qu'il attend son retour à Paris pour le
redemander. Pour la lettre de Tronchin que je voudrais pouvoir vous
envoyer en original, je viens d'écrire à l'abbé de Vayrac ii qui M. da
Cunha l'a remise à La Haye et qui se trouve actuellement à Paris, pour
le prier de me la renvoyer s'il l'a encore. Voilà, monsieur, tout ce que
je puis vous apprendre de cette disgracieuse affaire que je regarde
comme un effet de la malheureuse étoile qui me destine à être toute
ma vie en lutte aux fripons sans autre raison que celle de leur antipa-
thie contre ceux qui ne leur ressemblent pas. Je vous avoue que l'hor-
reur de toutes les indignités où je me suis vu exposé depuis que je me
connais, l'impunité qui les autorise, la pureté de ma conscience qui
m'en fait d'autant plus sentir l'injustice et peut être l'affaiblissement
cause par les années ine donnent de temps en temps des impressions
de chagrin qui dégénéreraient en misanthropie si mes dissipations et
le commerce de mes amis ne me soutenaient pas. Cette situation cepen-
dant, jointe à d'autres embarras d'une nature différente, ne me laisse
pas assez à moi-même pour m'occuper des matières littéraires et je me
trouve encore moins en état que vous de rien rédiger par écrit de ce
que j'ai pensé à Poccasion des œuvres de Molière qu'on doit imprimer.
Il faut avoir l'esprit tranquille pour écrire, et je ne l'ai pas. L'édition
projetée sera assez bonne si vous avez le temps d'achever vos notes
avant qu'elle puisse paraître, et si on en retranche tout le fatras dont
les autres éditions sont accompagnées. Je suis totalement de votre avis
sur la place qu'il leur faut donner; je ne vous avais proposé ma pensée
que comme un doute et vous l'avez éclairci très solidement. Je vous en
remercie de tout mon cœur et vous prie de saluer M. Mazard de ma
part et d'être bien persuadé du tendre attachement et de la sincère
estime avec laquelle je suis à la mort et à la vie, monsieur, votre très
humble et très obéissent serviteur, Rousseau.
A ces détails nous joindrons un autre fragment également inédit
d'une lettre de Rousseau à Brossette, postérieure seulement d'un
mois et demi à la précédente et qui la complète heureusement.
A Bruxelles, le 1" juin 1731.
Vous devez avoir reçu de moi une grande lettre depuis laquelle je
n'ai plus entendu parler de ce coquin de Lenglet. J'ai seulement écrit
à M. le garde des sceaux pour lui rendre compte de la conduite de ce
malheureux et lui en demander justice. Je ne sais ce qu'aura produit
ma lettre; peut-être est-ce une nouvelle mode introduite chez vos
556 RENTE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
minisires de ne point faire de réponse. J'en ai connu qui répondaient
et j'en connais encore de la première volée qui m'honorent souvent de
leurs lettres, mais il est vrai que ce ne sont pas des ministres pris dans
la robe.
Au reste, M. l'abbé d'Olivet m 'ayant écrit nocissimè que M. Chauvelin
s'attendait au discours préliminaire que j'avais fait espérer sur les
œuvres de Molière, je lui ai répondu hier très décisivement et même un
peu sèchement que je n'étais ni en humeur ni en volonté de m'en
donner la peine. Il pourra, s'il veut, vous communiquer ma lettre et
toutes celles que je lui ai écrites sur cet article par lesquelles vous
verrez que je ne suis engagé à rien, mais que, quand je le serais, j'ai
plus de raisons qu'il n'en faut pour me dégager sans intéresser ma
conscience. Quand vos notes seront achevées, si vous daignez me les
communiquer, je me ferai toujours un plaisir d'y ajouter ce qui pour-
rait vous avoir échappé, mais ce sera uniquement pour l'amour de vous,
et nullement par aucun des motifs qui amorcent ordinairement les
dupes, dans les corps desquels je ferai de mon mieux, avec l'aide de
Dieu, pour n'être jamais immatriculé.
Je suis avec toute la considération et tout l'attachement possible,
monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, Rousseau.
L'affaire semblait donc terminée, ou, du moins, l'impression en
Hollande des factums dirigés contre Rousseau avait été arrêtée et
celui-ci pouvait être à peu près rassuré. Mais Lenglet du Fresnoy
était un homme de ressources dont les mauvaises intentions ne se
rebutaient pas pour si peu. Loin de désarmer, il préparait une
nouvelle infamie et, espérant que la France, dont Rousseau était
banni, serait un terrain plus favorable pour lui nuire que la Hol-
lande, c'est en France et non à l'étranger qu'il se proposait doré-
navant de commettre ses vilenies. Brossette apprit brusquement
qu'il se tramait quelque chose par le billet suivant, écrit d'une
plume verbeuse et emphatique, par un correspondant commun de
Rousseau et de lui, M. de Lasscré.
Au Temple, ce 29 août 1732.
Par la juste indignation qui soulève tout honnête homme contre les
calomniateurs, il vient, monsieur, de me tomber entre les mains un
discoursexécrablementapologétiquc contre notre seul Pindare moderne,
M^ Rousseau, auquel vous m'avez paru également lié d'attachement et
d'admiration. La candeur et la pureté de vos mœur6 étant bien vérifiés
au courant de la société civile, aujourd'hui, monsieur, on produit sous
votre nom, à la seconde édition de votre Régnier, en Hollande, une
infernale compilation satyrique contre M. Rousseau, que je n'ai pu lire
sans écumer de colère contre celui qui vous fait, vous M. Brossette,
vous honnête homme, vous en relations* d'intime affinité avec M. Rous-
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET LENGLET DU FKESNOY. 3:>~
seau, il vous fait, dis-je, servir de bouclier à sa calomnie en mettant
ce libelle à la tête de votre œuvre. Je vous en donne avis par l'estime
que j'ai pour vous. Je ne doute point que vous ne releviez la flétrissure
dont on veut vainement vous couvrir. J'ai l'honneur d'être, monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur, de Lasserk.
Le calomniateur s'appelle l'abbé Lenglet, homme déjà repris de jus-
tice. C'est à vous d'en arrêter au plutôt les mauvaises trames pour votre
intérêt personnel.
L'homme qui s'indignait ainsi et prenait de la sorte fait et cause
pour Brosselte et Rousseau était un ancien conseiller au Parle-
ment de Paris, très mêlé à la société du Grand Prieur, vivant au
Temple et qui avait élé le témoin d'une scène qu'il va conter lui-
même un peu plus loin. Tout chaud de colère, il s'était empressé
de jeter le cri d'alarme qui troubla fort, encore une fois, la tran-
quillité du pauvre Brossette. Celui-ci, comme bien on pense, se
hâta de demander de plus amples détails par la lettre ci-dessous
et il les obtint dans une longue lettre, toujours emphatique, de
M. de Lasseré, qui fait suite à celle-ci.
A Lyon, ce 6 septembre 173*2.
Vous ne sauriez comprendre, monsieur, la douleur que je ressens en
apprenant par votre lettre l'affreuse calomnie que l'on a publiée sous
mon nom. Il y a un an et demi que M. Rousseau, votre ami et le mien,
me manda qu'on lui avait donné avis d'Amsterdam que l'abbé Lenglet
du Fresnoy y faisait imprimer sous mon nom un libelle plein d'infamies
contre lui, M. Rousseau; qu'on lui envoyait même l'épitre liminaire,
où, me faisant parler, on lui adressait à lui-même toutes les horreurs
que la plus atroce calomnie peut inventer; mais tout cela (ce sont les
termes de M. Rousseau) d'un style où personne assurément ne vous aurait
reconnu. Vous jugez bien, ajoutait-il, que je ne pris point le change; je
songeai seulement à empêcher qu'il ne fût pas pins par quelqu autre plus
dupe que moi; et à l'aide des Ministres dont je suis connu en Hollande,
j'ai obtenu la suppression de ce libelle, en attendant peut-être quelque
chose de mieux, etc.
A l'arrivée de cette nouvelle qui intéressait encore plus mon hon-
neur que celui de M. Rousseau, jugez quelle fut ma douleur et mon
étonnement! Je criai à la perfidie, à l'attentat, à la trahison. Je ne
pouvais m'imaginer et je ne comprends point encore qu'il y ait au
monde des hommes si pervers et capables d'inventer des crimes nou-
veaux, auxquels on n'a point encore donné de nom; car je n'en sais
point qui soit assez fort pour exprimer le -noirceur de l'action de ce
misérable abbé Lenglet. Est-il possible que cet imposteur qui ne me
connaît point, que je n'ai vu de ma vie et avec qui je n'ai jamais eu la
moindre relation, ni de près ni de loin, ait eu l'impudence d'abuser de
558 UEVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRAKCE.
mon nom jusqu'à me rendre le calomniateur de M. Rousseau à. la face
de toute la terre? Non, monsieur, il n'y a point de supplice assez grand
pour punir ce crime comme il le mérite. Quelque temps après, M. Rous-
seau me manda que ce libelle devait être mis à la tête d'un commen-
taire sur Marot, en quatre volumes in 4° qui parut alors sous le nom
supposé du chevalier de Gordon de Percel, mais qui est véritablement
de l'abbé Lenglet, et où M. Rousseau est traité en plusieurs endroits de
la manière du monde la plus indigne. Je croyais que la fureur de cet
enragé serait épuisée par les traits qu'il avait lancés dans ses notes, et
je ne pouvais me persuader qu'il persistât dans l'horrible dessein de
faire imprimer son infâme libelle et de me l'imputer, malheureux que
je suis! après les précautions que M. Rousseau avait prises pour le faire
supprimer. Mais puisque ma prévoyance a été trompée, je vais m'a-
dresser aux Puissances pour avoir justice de cette imposture. Je rem-
plirai les journaux de mes plaintes et de mes clameurs pour me dis-
culper envers le public. En attendant que je puisse écrire à M. Rousseau,
je vous supplie, monsieur, de lui faire savoir mes sentiments sur cette
atTreuse aventure. Recevez aussi les assurances de rattachement aussi
sincère que respectueux avec lequel j'ai l'honneur d'être, etc.
Au Temple, ce 21 septembre 1732.
En réponse, monsieur, que je vous fais au moment de la réception
de votre dernière, votre agitation et les mouvements que vous vous
donnez contre un insigne calomniateur étant nécessaires pour votre
justification, voici comme le libelle en question m'est apparu. J'arrive
un matin au lever d'un grand par moi autant aimé que respecté, qui ne
veut être ni cité ni nommé1, mais dont le crédit ajusques ici empêché
que ce libelle ait prospéré à l'impression de Hollande. Je trouve donc
vis-à-vis l'illustre personnage à qui je venais faire ma cour un abbé
tenant en main un cahier d'impression très belle entourée de vignettes.
Une feuille détachée dont le maître en question prenait lecture me fit
demander ce que c'était, et cette Excellence s'étant contentée d'en lire
la première page et d'un air indifférent ayant rendu le feuillet à cet
abbé en lui disant que cela était grossier, j'ai demandé à cet abbé la
communication; et lui m'ayant dit qu'il n'avait que cet unique exem-
plaire, je le priai de m'en accorder la lecture sans déplacer : ce que je
fis d'un bout à l'autre. Après quoi, ne connaissant point cet homme, je
lui marquai ma surprise de voir votre nom au bas d'une telle satyre.
11 me répondit que c'était l'ouvrage de gens piqués qui exhalaient leur
bile sous votre nom, à quoi je criai à la calomnie punissable des plus
grands supplices. Mon vilain lève le siège sans réplique et court encore.
L'Excellence m'ayant dit qu'il était charmé qu'en face j'eusse daubé ce
malheureux et m'ayant dit son nom, sur le champ et sous les yeux du
1. Note du manuscrit : Le duc d'Aremberg, logé au Temple aussi bien que M. de
Lassé ré.
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET LE.NGLET DU FIIESSOY. 559
mailrc du logis, je vous en informai. Voilà le fait tel qu'il est; pour
raison de quoi, sauf votre meilleur avis, vous ne feriez pas mal d'in-
former M. Hérault afin qu'il enjoigne à ce monstre, qui probablement
est encore à Paris, de couper court à cet infernal scandale si pernicieux
à la société civile. Au reste, monsieur, hier dans une maison on me dit
de la part de M. HarJion que votre aventure allait être étalée au pro-
chain Mercure et que mon nom y devait être estampé, ce qui m'a fort
déplu et me déplairait fort, et je lui fais dire : il est inutile que je sois
imprimé. Pour tout ce qui se tourne en histoire publique je suis per-
suadé que vous n'y donnez point les mains. Au surplus, j'ai rempli le
devoir de l'honnête homme qui soutient l'innocent et qui s'élève contre
le calomnie. Plus n'en sais sur cet article, auquel vous aviserez en
homme prudent et sage. Je n'ai point écrit à notre ami, vous laissant
là-dessus un champ libre. Je suis avec autant d'estime que de parfaite
considération, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Dlv Lasseré.
Il m'échappe de vous dire que votre aventure et la mienne courent
Paris. Le grand chez qui la chose s'est passée l'a rendue publique tant
pour vous que pour votre ami.
De Lasseré ne s'en tint pas là : il ne se contenta pas d'aviser
Brosselte de ce qu'on tramait contre lui, mais s'empressa d'agir
pour empêcher Lenglet du Fresnoy de mettre ses desseins à exé-
cution. Vite il porta une plainte au lieutenant de police et la mena
avec assez d'empressement -pour croire qu'elle aurait un effet
définitif. Mais Lenglet n'était pas homme à s'embarrasser de si
peu : il avoua tout ce qu'on voulut, promit ce qu'on lui demanda
et n'en fit qu'à sa tète; l'avenir devait le prouver.
Ce jeudi au soir, 25 septembre 1732.
J'ai, monsieur, assez favorablement conduit vos intérêts pour faire
venir votre calomniateur devant M. Hérault, où ce matin il a comparu,
et là, plus mort que vif, les deux lettres que vous m'avez écrites ayant
été présentées à ce prêtre sacrilège, il a tout avoué et a juré sa foi de
monstre, mais à la face de la police, qu'il n'y avait encore que le seul
exemplaire de ce libelle qu'il n'avait montré qu'au seigneur dont je
vous parle dans ma précédente. 11 s'est bien gardé de dire que j'en ai
par cette voie pris aussi communication d'un bout à l'autre. Après la
verte réprimande fulminée sur ce monstre, il résulte que le libelle est
mort-né et que cet infernal coquin vous doit écrire une lettre en répa-
ration qu'il remettra à M. Hérault, duquel vous la devez tenir à votre
adresse. Vous n'avez plus à présent qu'à vous tranquilliser sur cet
article, grâce à Dieu, bien terminé. J'ai l'honneur d'être, monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur, de Lasseré.
560 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Entre temps, Brosselte avait écrit ce court billet à Rousseau.
A Lyon, ce 22 septembre 1732.
Il est donc vrai, monsieur, que noire infâme calomniateur a consommé
son crime, malgré les précautions que vous avez prises pour détourner
le coup, et il faut que ce soit un de mes ouvrages qui serve d'asile et
de véhicule à l'imposture, pour vous déshonorer et moi aussi. Dès que
j'eus appris cette horrible nouvelle par M. de Lasseré, j'écrivis à
MM Fabri et Barrillot, libraires de Genève, pour avoir par leur moyen
un exemplaire de cette malheureuse édition de Régnier, qu'on dit avoir
été faite depuis peu en Hollande; mais ils m'ont répondu qu'il n'en
avaient aucune connaissance et qu'il ne pouvaient se persuader qu'elle
eut été faite en ce pays-là, parce qu'ils en auraient eu avis par les
libraires de Hollande, avec lesquels ils étaient en grande correspon-
dance. Cette porte m'étant fermée, je me suis adressé à un de mes amis
à Paris et à M. de Lasseré lui-même pour les prier de m'envoyer ce
livre puisqu'il existe. J'attends leur réponse, suivie de l'effet de ma
prière, et je l'attends avec une extrême impatience parce qu'il est
nécessaire que je le voie, afin que j'en puisse parler pertinemment
dans les déclarations publiques que je ferai insérer dans les journaux.
Car je ne veux rien oublier pour faire connaître la vérité à toute la
terre. Vous feriez même une œuvre doublement méritoire si vous vou-
liez m'envoyer un plan de la déclaration que vous trouverez à propos
que je fasse, pour votre justification et la mienne. Comme j'ai résolu de
la répandre dans divers journaux, je travaillerai aussi à en faire une
de mon chef, et cette variété ne sera pas inutile. Notre intérêt est
commun ; ainsi, monsieur, il est bon que nous agissions de concert
dans une affaire qui nous regarde également tous les deux. J'espère
que vous entrerez dans ces sentiments et que vous serez toujours per-
suadé de ceux d'estime, de considération et d'amitié avec lesquels j'ai
l'honneur d'être, etc.
Sur ces entrefaites, Brossette avait reçu du lieutenant de police,
devant lequel Lenglet avait dû comparaître, la confirmation de
ce qui s'était passé et aussi le désaveu par le coupable lui-même
de l'acte immoral que celui-ci avait essayé de perpétrer. Voici ces
documents qui ne sauraient laisser aucun doute sur l'attitude si
méchamment louche de Lenglet du Fresnoy.
A Paris, le 15 octobre 1732.
Sur les plaintes que M. de Lasseré, monsieur, a fait de votre part &
M. Hérault d'une libelle que M. l'abbé Lenglet avait fait faussement
imprimer sous votre nom, il l'a envoyé chercher pour lui faire les
reproches que méritait une lettre suppositoire.il n'en est point discon-
venu et a assuré M. Hérault qu'il n'y en aurait aucun exemplaire dis-
JEÀIS-BAPTISTE ROUSSEAU ET LENGLET DU FRESNOY. 561
tribué. Le magistrat l'a exhorté à en empêcher la distribution, ce qu'il a
promis affirmativement, et de plus lui a fait sentir qu'il ne pouvait s'em-
pêcher de vous en donner un désaveu par écrit pour vous justifier dans
le monde. C'est ce qu'il a fait par la lettre ci-jointe qu'il a apportée le
même jour à M. Hérault et que ce magistrat m'a chargé de vous faire
passer. Je m'en acquitte avec d'autant plus de plaisir que cela me
fournit l'occasion de vous assurer de la parfaite estime avec laquelle
j'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très humble et très obéissant
serviteur, Déon, premier commis de M. Hérault.
P. S. — Une maladie m'a empêché de vous adresser plus lût cette
lettre.
Cette lettre était suivie du désaveu de Lcnglet. Le voici :
Monsieur, il est vrai que j'ai fait imprimer sous votre nom, à
Amsterdam, non pas un libelle diffamatoire, mais une épitre satyrique
au sieur Rousseau, que j'ai mise à la tête d'une nouvelle édition in-4°
des œuvres de Régnier, dans la forme de celle que vous-même fîtes
imprimer à Londres en 1729.
Comme il n'y a aucun exemplaire de la dite préface qui soit dis-
tribué, je vous promets qu'il n'en paraîtra aucun sous votre nom :
c'est de quoi je vous donne ma parole d'honneur. Je crois même que
quand on saura qu'elle vient de moi, elle fera beaucoup plus d'impres-
sion sur l'esprit des gens d'honneur, parce que les faits que j'y rapporte
sont de ma propre connaissance et que j'en donne la preuve dans la
pièce même.
Néanmoins au cas que contre mon aveu il en parût quelque exem-
plaire sans la correction que je vous promets dans cette lettre, je le
désavoue dès à présent et vous permets de faire imprimer dans tous les
journaux et Mercures ce désaveu en son entier, par lequel on verra que
ce n'est pas vous qui avez fait cette épitre, mais moi-même, pour des
raisons que le sieur Rousseau n'ignore pas et pour d'autres que j'ai
expliquées dans une très longue lettre à M. le marquis de Fénelon,
ambassadeur de S. M. auprès des États généraux des Provinces unies.
Voilà, monsieur, tout ce que vous pouvez exiger de moi; car je vous
crois trop honnête homme et trop bon citoyen pour vouloir prendre la
défense de Rousseau, qui se déclare lui-même hérétique en amour,
hérétique même très punissable par toutes les lois, et contre lequel le
Parlement de Paris à sévi jusqu'à le condamner à un banissement per-
pétuel, qui n'a jamais pu être révoqué, quelque mouvement qu'il se
soit donné, M. d'Aguesseau, chancelier de France, s'étant toujours
sagement et fortement opposé au retour du dit Rousseau.
D'ailleurs, je ne crois pas que le sieur Rousseau ait un privilège
exclusif pour satyriser tout ce qu'il y a de respectable, sans excepter
même M. le prince Eugène de Savoie et M. l'abbé Bignon, desquels il
avait reçu des bienfaits et qui sont respectés de tout ce qu'il y a de
DG2 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
grand dans l'Europe. Ainsi quand on rappellera au public certains
traits vifs et éclatants du sieur Rousseau', on ne fera que lui rendre ce
qu'il a prêté lui-même à des gens beaucoup plus estimables que lui.
J'ai l'honneur d'être très sincèrement, monsieur, votre très humble
et très obéissant serviteur, L'abbé Lenglet du Fresnoy.
Paris, ce 25 septembre 1732.
Le bruit de tous ces démêlés arrivait naturellement jusqu'à
Rousseau, qui» toujours hautain, affectait un mépris un peu
superbe d'une pareille machination mise en œuvre par un tel per-
sonnage, mais qui, perspicace et bien informé, se refusait à croire
l'affaire finie et laissait entendre avec raison qu'elle pourrait
bien recommencer à brève échéance en France même.
A Bruxelles, le 30 septembre 1732.
Rien n'est plus digne de vous et de moi, monsieur, que la chaleur
que vous marquez contre l'infâme écrivain qui s'est servi de votre nom
et du mien pour débiter ses impostures. Mais rien ne serait plus ridi-
cule à moi que de m'amuser à les réfuter, et de vouloir combattre en
escrime réglée contre un faquin dont le public m'a déjà vengé d'avance.
J'en userai avec les gens de cette espèce comme j'ai déjà fait avec
Gacon, et il leur arrivera de leurs calomnies et de mon silence ce qui
est arrivé à ce malheureux. Quand il se présentera des ennemis capa-
bles de tromper le public ou par leur autorité ou parle mérite de leurs
écrits, alors ce sera à moi de le désabuser, mais à vous dire vrai je doute
que cela arrive jamais, ma conduite et ma réputation chez tous les hon-
nêtes gens de l'Europe me mettant, ce me semble, assez à l'abri d'un
pareil danger. Et d'ailleurs la seule impudence d'avoir emprunté un
nom comme le vôtre ne suffit-elle pas pour donner un démenti à tout
ce que l'imposteur peut avoir avancé et n'est-ce pas assez que le monde
sache que vous êtes de mes amis et que vous m'estimez pour achever
de l'enfoncer dans le décri où ses mauvaises actions et son style, s'il se
peut encore plus mauvais, l'ont déjà plongé? Ce n'est point par des
apologies superflues qu'on doit réprimer l'audace de ces sortes d'in-
sectes, encore moins par des récriminations qui ne font que servir
d'amusement aux sots et d'entretien à la canaille. Il y a d'autres moyens
légitimes de mettre les fripons à la raison, et s'il se trouve des pays où
on les protège, il s'en trouve aussi d'autres où on les châtie. Le temps
amène tout. Du reste, je ne sache point que le libelle en question ait
paru en Hollande. Je doute même qu'il ose y paraître, et s'il existe ce
ne sera pas là qu'il faudra chercher son berceau. Les protecteurs du
père de cet enfant d'iniquité me sont connus et s'il paraît, je sais à mer-
veille à qui je devrai m'en prendre. En voilà assez sur ce chapitre qui
ne mérite pas de nous occuper plus longtemps. Je m'attendais en
ouvrant votre lettre à y trouver après un si long silence quelques
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET LENGLET DU FIIESKOY. 563
réponses aux demandes que je vous avait faites dans ma dernière. Je
me flatte que vous voudrez bien satisfaire ma curiosité dans la pre-
mière que vous aurez le loisir de m'écrire. Ne doutez jamais de la con-
fiance et de la tendre estime avec laquelle je suis, monsieur, votre très
humble et très obéissant serviteur, Rousseau.
Le 25 octobre 1732, Brossette remerciait par une lettre adressée
à chacun d'eux le lieutenant de police Hérault et son premier
commis Déon de leur intervention dans l'affaire avec Lenglet.
Ces lettres se trouvent dans le manuscrit de la bibliothèque de
Chartres (t. II, f° 141), mais nous ne les reproduirons pas ici.
Nous nous contenterons de donner la réponse faite par Brossette
à Lenglet et à Lasseré.
A Lyon, ce 25 octobre 1732.
Monsieur, quelque sujet que j'aie de me plaindre de vous, je ne
vous ferai aucuns reproches, afin de vous donner un exemple de cette
modération qui sied si bien à tous les honnêtes gens. J'ignore les cha-
grins que vous avez contre M. Rousseau, mais quelle qu'en soit la
cause, deviez-vous m'appelerdans votre querelle et me rendre l'instru-
ment de votre vengeance? Moi, que vous ne connaissez point et qui n'ai
jamais eu rien à démêler ni avec vous ni avec aucune personne du
monde. Je vous avoue, monsieur, que ce procédé m'a paru aussi éton-
nant qu'il est injuste; mais le désaveu que vous en faites dans votre
lettre et la parole d'honneur que vous m'y donnez calment un peu
mon ressentiment , quoique je ne puisse point approuver que votre
satire paraisse, même sous votre nom, dans un livre auquel on sait
que j'ai eu quelque part. Mon dessein n'est point d'entreprendre la
défense de M. Rousseau : il est assez fort pour se défendre tout seul,
sans le secours d'un apologiste tel que moi; mais, tout bien considéré,
ne feriez-vous point mieux d'étouffer aussi tous les sentiments d'ani-
mosité et de supprimer la satire que vous aviez faite contre lui. La
prudence, la raison, la grandeur d'àme, la religion même semblent
exiger de vous ce sacrifice. Recevez ce conseil d'un ennemi.
Au reste, monsieur, la lettre que tous m'avez écrite le 25 septembre
ne m'a été rendue que le 23 octobre, et M. Déon, premier commis de
M. le lieutenant général de police, me mande qu'une maladie qui lui
est survenue est la cause de ce retardement. Je suis, etc.
A Lyon, ce 18 novembre 1732.
L'intérêt que votre bonté, monsieur, et l'amour que vous avez pour
la justice vous ont fait prendre à l'injure que l'abbé Lenglet me prépa-
rait mérite bien que je vous fasse part de l'heureux effet qu'on produit
vos généreuses démarches. M. Hérault m'a fait l'honneur de m'envoyer
la lettre qu'il avait ordonné à cet abbé de m'écrire. Par cette lettre il
convient d'avoir fait imprimer sous mon nom, à Amsterdam, l'épitrc
564 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
satirique dont il s'agit, à la tête d'une nouvelle édition de Régnier, en
m'assnrant qu'il n'y a aucun exemplaire de cette épître qui ait été
distribué. Il me promet et me donne même sa parole d'honneur (quel
serment!) qu'il n'en paraîtra aucun sous mon nom; il ajoute encore
qu'en cas qu'il en parût quelque exemplaire sans la correction qu'il me
promel, il le désavoue et consent que je fasse imprimer dans tous les
journaux et Mercures ce désaveu en son entier, par lequel on verra,
dit-il, que ce n'est pas moi qui ai fait celte épître, mais lui-même,
pour des raisons que M. Rousseau n'ignore pas, etc.
Vous comprenez, monsieur, par ce prélude, qu'il ne se désiste point
du malheureux dessein qu'il a formé de publier celte satire sous son
nom même, ce qui me fâche presque autant que sa première entre-
prise par l'intérêt que je prends à M. Rousseau. Voici pourtant un
motif de consolation : c'est qu'on me mande de sa part que tout l'ou-
vrage va être supprimé, c'est-à-dire et l'épître satirique et l'édition
même de Régnier, et que MM. les États généraux ont rendu à cette
occasion un décret par lequel ils défendent d'imprimer aucun livre
qu'il n'ait passé par les mains d'un censeur, décret très sage et très
nécessaire pour réprimer la licence indéfinie et effrénée que les libraires
de ce pays-là se donnaient de mettre au jour les ouvrages les plus
scandaleux. J'ai eu l'honneur d'écrire à M. le lieutenant général de
police pour le remercier, et en même temps j'ai envoyé à ce magistrat
une réponse à l'abbé Lenglet, dans laquelle je lui représente l'injustice
affreuse de sa conduite à mon égard et l'indignité de celle qu'il tient à
l'égard de M. Rousseau. « Tout bien considéré, lui dis-je, ne feriez- vous
pas mieux d'étouffer aussi tous sentiments d'animosité et de supprimer
la satire que vous avez faite contre lui? La prudence, la raison, la gran-
deur d'âme, la religion même semblent exiger de vous ce sacrifice.
Recevez ce conseil d'un ennemi. »
Je ne sais quel sera le fruit de mes exhortations, mais quelque issue
que puisse avoir cette affaire -ci, je conserverai une reconnaissance
éternelle des soins que vous avez pris pour la terminer. Je suis, etc.
Après cette algarade, la correspondance entre Brossette et
Rousseau reprend et se continue telle qu'elle était auparavant.
L'échange de nouvelles, littéraires ou autres, se mêle aux
réflexions dont Lenglet est l'objet et l'entretien se poursuit ainsi,
à dislance, jusqu'à ce qu'une autre alerte vienne rappeler les
deux amis au sentiment des méchancetés qu'on n'a pas cessé de
préparer contre leur repos.
A Lyon, ce 12 décembre 1732.
Un séjour de plus de deux mois que j'ai fait à la campagne, mon-
sieur, m'a terriblement dérangé et m'a empêché de vous écrire. Ce
n'est point par oubli que j'ai négligé de répondre dans ma dernière
lettre aux questions que vous m'avez faites. Mais lorsque je vous
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET LENGLET DU FRESNOY. 565
écrivis j'étais si vivement animé contre notre infâme calomniateur
que je ne pus me résoudre à vous parler d'autre chose que de la
noirceur de son procédé. Quelques jours après j'écrivis encore à M. de
Lasseré et le priai de vous mander ce qui s'était passé, suivant le
détail qu'il m'en avait fait dans deux ou trois de ses lettres. C'est lui
qui, de son propre mouvement et par l'amitié qu'il a pour vous et
pour moi, a engagé M. Hérault, lieutenant général de police, à prendre
connaissance de cette affaire. Ce magistrat a ordonné à l'abbé Lenglet
de supprimer son libelle et de m'écrire une lettre de réparation pour
avoir si indignement abusé de mon nom. C'est à quoi il a satisfait en
remettant sa lettre à M. Hérault qui me l'a envoyée. Dans la réponse
que je lui ai faite par la voie de ce magistrat, je lui ai reproché son
double crime, à votre égard et au mien, dans les termes les plus forts,
et je l'ai exhorté par tous les motifs d'intérêt, d'honneur et de religion
à ne faire jamais paraître cet ouvrage d'iniquité; et c'est ce qu'il fera
s'il a tant soit peu de raison et de pudeur.
M. Barrillot, qui a eu l'honneur de vous voir en allant en Hollande, m'a
écrit de Bruxelles même pour me témoigner combien il était charmé
de l'accueil que vous lui aviez fait. Quelque temps après il m'écrivit
encore de La Haye pour m'informer d'une nouvelle imposture de l'abbé
Lenglet, prouvée par une pièce que M. Barrillot avait copiée sur l'ori-
ginal et qu'il m'envoya. C'est une lettre fabriquée par l'abbé Lenglet
sous le nom de M. Desmaiseaux et adressée à M. de Saint-Hyacinthe
pour annoncer dans le Journal littéraire une nouvelle édition des
œuvres de Régnier, que cet abbé faisait faire à Amsterdam avec des
augmentations. Mais les libraires qui impriment ce journal ont été assez
honnêtes gens pour ne faire aucun usage de cette lettre qui est un tissu
de mensonges, de suppositions, d'impostures, et le tout pour faire
accroire au public que cette édition qu'il fait faire à Amsterdam chez
Oléander est faite à Londres chez Jacob Tonson. Il me fait l'auteur de
quantité d'additions qui sont, dit-il, dans les notes; il suppose que j'ai
eu la complaisance d'envoyer mes prétendues augmentations à ce
libraire de Londres quoique je ne le connaisse point et que je n'aie
jamais eu plus de relations avec lui qu'avec l'abbé Lenglet. Mais ce que
je trouve de plus cruel et de plus affreux, c'est que ce coquin va m'allri-
buer une infâme compilation de pièces qu'il a insérées dans cette édi-
tion. Il en parle ainsi dans sa lettre : « Le texte en est seulement plus
correct que dans la première édition de Londres; il y est encore
augmenté de plus de deux mille vers que M. Brosscltc n'a recouvrés
que depuis peu de temps, parmi lesquels il y a des épigrammes fort
jolies, dans le style, à la vérité, de Régnier, mais qu'importe? Après
cela, il donne pour échantillon une épigramme fort obscène et fort
grossière qui commence :
Lisette, à qui Ton faisait tort
Vint à Robin tout éplorée
Et lui dit donne-moi la mort, etc.
Re\\ UIIIST. LITTÉR. DC LA FHAXCK (lm AûuA — Vil. 37
566 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Voilà les gentillesses dont cet honnête homme là qu'on dit être prêtre
fait ses délices et dont il m'attribue l'heureuse découverte. Enfin, mon-
sieur, il faudrait transcrire sa lettre entière pour vous dire toutes les
sottises dont elle est remplie. Comme elle vous intéresse aussi bien que
moi, car il parle de vous, je vous en enverrai une copie, si vous le
souhaitez. Mais vous avez pris le bon parti qui est celui du mépris et
du silence, ut tua moderatio, et gravitas, aliorum infamet injuriant*.
Quelques libraires de Paris se disposent à faire une édition nouvelle
de Boileau, et l'un d'eux, qui est Coignard, m'a prié de leur part d'in-
voyer mes augmentations pour y être insérées. Comme j'avais promis
de les donner à MM. Fabri et Barrillot, libraires de Genève, qui ont
fait la première édition, je mandai à M. Barrillot, quand il alla à Paris
au mois d'octobre, de s'aboucher avec Coignard et ses associés pour
traiter ensemble de cette dernière édition et de la faire de concert avec
mes changements et additions. M. Barrillot m'a écrit de Bruxelles qu'il
vous avait communiqué cet endroit de ma lettre et que vous pensiez
qu'il convenait mieux que celte nouvelle édition fût faite à Genève,
c'est-à-dire dans une ville étrangère, qu'à Paris. Je sais que le génie de
la nation est assez porté à préférer un livre français imprimé hors du
royaume, parce qu'on s'attend à y trouver des choses libres et hardies
qu'un censeur royal se croirait obligé de retrancher. Mais je ferai tou-
jours en sorte que mes écrits ne se sentent point de la liberté du lieu
où l'impression s'en fera. Ainsi il m'est égal, quant au fond de l'ou-
vrage, que l'édition de l'ouvrage soit faite à Paris ou à Genève ou
ailleurs. Le seul motif qui me déterminerait en faveur de Paris serait
la beauté de l'impression et l'ornement des figures, avantages qui ne
sont pas indifférents et qu'il est plus difficile de trouver à Genève.
Pour répondre maintenant à vos questions, je vous dirai, monsieur,
que je suis sorti de mes fonctions consulaires depuis près d'une année,
mais au commencement de celle qui vient je vais rentrer pour deux
ans dans des fonctions à peu près semblables, qui néanmoins me laisse-
ront un peu plus de loisir. J'ai profité de celui que j'ai eu cet automne
à la campagne pour travailler à une nouvelle édition de Boileau qui
sera considérablement augmentée. Je ne serais point fâché qu'elle piU
se faire à Paris, par les raisons que je viens de vous dire, mais cela
dépend de MM. Fabri et Barrillot et des arrangements qu'ils prendront
avec les libraires de Paris. J'ai aussi employé une heure perdue à faire
quelque chose sur Molière. L'amitié que vous avez pour moi ne me
met-elle point en droit d'exiger que vous me rendiez compte aussi de
vos occupations et des ouvrages nouveaux que vous avez dans le porte-
feuille? Vos talents méritent bien que l'on s'empresse de savoir l'usage
que vous en faites.
Il y a quelque temps que M. l'abbé de Lécherène, que vous avez vu
à Vienne, me rendit visite en passant par Lyon. Il me parla de vous
1. Ciceronis epistolœ, lib. IX, ep. 12.
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET LENGLET DU FRESNOY. 567
avec toutes les marques d'une parfaite estime, et me pria de faire
mention de lui dans la première lettre que je vous écrirais. Il se ressou-
vint de la fin d'un couplet que vous aviez fait dans un repas, auquel
il avait été invité et où Ton donna de mauvais vin :
Et je bois le nectar du Diable
Versé par le page des Dieux.
Il était bien fâché d'avoir oublié le reste de la chanson; je vous le
demande pour lui et pour moi.
Je reçus hier deux livres nouveaux de Paris, d'un caractère fort
différent. L'un est un Traité du Sublime , dédié à M. Despréaux par
M. Silvain, avocat au Parlement; cette dédicace viendrait après coup
si Ton ne disait pas dans l'avertissement que l'ouvrage est composé
depuis 1708. L'autre, qui est sans nom d'auteur, a pour litre le Repos
de Cyws ou l'histoire de sa vie depuis sa quarantième année. Je n'ai fait
qu'ouvrir le premier, parce que je me réserve à le lire tout de suite
avec attention. A l'égard du second, je l'ai parcouru rapidement, mais
j'y ai trouvé un style fardé, papilloté, plein d'affectation, des senti-
ments peu héroïques, une morale efféminée, des caractères mal peints
et mal soutenus, des jugements peu justes et des réflexions nouvelles.
Dans la première partie, Cyrus fait l'amour; dans la seconde, il fait
des établissements d'académies, et dans la troisième il fait d'autres
règlements pour son royaume. Cet ouvrage est allégorique et c'est sous
le voile de l'allégorie qu'on y fait le portrait de nos plus fameux poètes,
parmi lesquels vous êtes, ce me semble, désigné dans un endroit.
L'auteur de cet ouvrage est l'abbé Pernetti, précepteur des enfants de
M. de Bologne, premier commis des finances. On dit qu'il aurait mieux
fait de se reposer que de faire le Repos de Cyrus.
A Bruxelles, le 28 décembre 1732.
J'ai su dès le mois d'octobre dernier, monsieur, de quelle manière
votre calomniateur et le mien avait été houspillé à la police et j'ai vu
même ce que vous avez écrit à M. de Lasseré depuis ce temps-là tou-
chant la lettre que vous avez reçue de cet indigne prêtre et la réponse
que vous lui avez faite. Et comme par l'invitation que vous lui faites
dans votre réponse d'étouffer ses sentiments d'animosité contre moi,
jo juge que vous avez pu oublier ce que je vous avais écrit dès le mois
d'avril de l'année passée de l'ingratitude de ce fripon à mon égard, je
crois qu'il ne sera pas hors de propos de vous envoyer la copie que
j'ai gardée du récit que j'en ai fait à M. de Lasseré afin que vous puis-
siez mieux juger de son procédé et du mien, vous priant de vouloir
bien me renvoyer cette copie quand vous en aurez fait la lecture. J'en
ai fait faire une de ce que vous me mandez au sujet de la lettre fabri-
quée par cet imposteur sous le nom de M. Desmaiséaux et je l'ai
envoyée à M. de Lasseré afin qu'il en informe M. Hérault. Je crois
568 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
qu'il ne serait pas hors de propos que vous envoyassiez copie de la
pièce entière à ce magistrat. Vous ferez sur cela ce que votre prudence
et le rôle de la vérité vous conseilleront pour le mieux.
Je suis ravi que vos Remarques sur Doileau soient prêtes à réim-
primer. Je n'ai plus la première édition et je n'ai différé à la faire
chercher que dans l'attente de la seconde, dans laquelle j'espère que
vous aurez assez de crédit pour faire retrancher ce qui s'est glissé
dans la première d'injurieux h M. Despréaux dont la mémoire ne
saurait être trop respectée surtout par son commentateur. Pourvu que
les censeurs ne vous fassent rien retrancher, de ce qui a paru dans
Pédilion de Genève, je suis fort content que celle-ci se fasse à Paris;
mais comme la plupart sont d'assez petits esprits, la crainte que j'ai
eue que vous ne tombassiez en mauvaise main m'a inspiré le conseil
que j'ai donné à M. Barriilot de l'imprimer lui-même, afin de vous
garantir contre les scrupules de MM. les examinateurs.
Je ne sais si on a achevé l'impression du Molière in-4°, mais j'ai vu
depuis peu une lettre de Paris dans laquelle on mande que les libraires
ont dessein d'y insérer cette prétendue vie de l'auteur dont on a
diffamé la mémoire de ce grand poète dans les dernières éditions
qu'on en a données. Je juge par là qu'on n'a pas fait grand cas des
avis que j'ai donnés dans la lettre que j'ai écrite à M. Chauvelin;
mais je puis vous répondre que si cela arrive et si on ne purge pas
cette édition de tous les misérables rogatons dont les précédentes
ont été infectées jusqu'ici, les éditeurs s'en trouveront mal et que
je ne souffrirai point que celui de tous les auteurs qui fait le plus
d'honneur à notre nation soit deshonoré et vilipendé par des com-
pilateurs ignorants et sans goût, ni qu'on associe impunément à
ses ouvrages dans une édition importante des pièces indignes de
paraître avee les siennes. Vous ferez fort bien, monsieur, de faire vos
notes de manière qu'elles puissent paraître séparément. Je ne vous dis
pas cela sans raison, et je pourrais vous en dire davantage si je ne
me faisais, comme je dois, un scrupule de violer le secret des lettres
même à l'égard de ceux qui ne s'en font aucun de violer tous les autres
devoirs. J'espère que vous voudrez bien me communiquer ce que vous
aurez écrit, comme je vous promets de vous faire part de ce que
j'écrirai, si je me vois obligé d'écrire pour venger Molière de l'affront
qui sera fait à des ouvrages comme les siens.
Si vous retrouvez l'occasion de voir M. l'abbé de Lécherène ou de
lui écrire, je vous prie de l'assurer que son mérite et sa politesse sont
toujours gravés dans mon esprit et dans mon cœur, et que si je Fai
regretté à Vienne, je le regrette encore davantage ici. J'ai totalement
oublié l'impromptu dunl il vous a dit la fin et je ne me souviens pas
même de l'occasion qui y a donné lieu. Je me suis seulement rappelé
les deux vers que vous me citez, mais c'est tout.
Mon libraire de Hollande m'a écrit qu'il allait commencer une nou-
velle édition de mes ouvrages et je compte d'y faire quelques augmen-
JEAN -BAPTISTE ROUSSEAU ET LENGLET DU FRESNOY. 569
talions dont vous jugerez quand elle paraîtra, car j'aurai soin que
vous en ayez un des premiers exemplaires. Ce que vous me dites du
nouveau Traité du sublime que vous avez parcouru me donne de la
curiosité. Il y a plusieurs choses qu'on peut ajouter à ce qu'en a écrit
Longin, mais la matière est bien délicate et il ne suffit pas d'être
savant pour la traiter comme il faut. Agréez les vœux que je fais pour
vous à l'occasion de la prochaine année et les assurances dû tendre et
sincère dévouement avec lequel je suis, mon cher monsieur, votre très
humble et très obéissant serviteur, Rousseau.
Bien que très confiant par nature, Brossette avait senti tout ce
qui se cachait de dissimulation dans le langage de Lenglet du
Fresnoy et perdait le moins possible de vue les faits et gestes de
cet adversaire sans vergogne. Précisément l'éditeur de Brossette,
le libraire Barrillot, voyageait alors en Hollande cl se trouvait de
la sorte à même d'être bien informé de ce qui pouvait advenir.
Il s'empressait de mander à Lyon, chemin faisant, ce qu'il appre-
nait des événements au fur et à mesure qu'ils se produisaient.
A Amsterdam, ce 12 janvier 1733.
Monsieur, j'ai reçu ici la lettre que vous m'avez fail l'honneur de
m'écrire le 16 du passé. J'ai vu avec plaisir que les miennes vous sont
parvenues et que vous avez jugé des dispositions de mon cœur à saisir
les occasions de vous témoigner mon entier dévouement. Heureux si
je pouvais, monsieur, vous en prouver toute l'étendue.
M. Desmaiseaux n'a point eu connaissance de l'infâme procédé de
l'abbé Lenglet à son égard, la lettre dont j'ai eu l'honneur de vous
envoyer la copie étant restée entre les mains de celui à qui cet abbé
l'avait envoyée, sans qu'il en ait voulu donner d'autre communication
que celle que je pris.
La lettre que l'abbé vous écrivit le 25 septembre est captieuse et
prouve qu'il persiste dans son dessein. Il se flatte toujours d'avoir
main levée des feuilles qui sont arrêtées ici. L'imprimeur demande
le paiement de ces feuilles et on lui demande de finir l'ouvrage; mais
la force majeure le retient. Il est nanti de 70 rames de papier du prix
de 17 à 18 livres de votre monnaie chacune qui peuvent lui tenir lieu
de paiement. Le marchand qui l'a fourni veut en être payé et va
procéder.
Si vous souhaitez, monsieur, copie de l'infâme libelle de l'abbé
Lenglet, je pourrai vous le communiquer, non pas que je me flatte
d'en obtenir les feuilles de l'imprimeur, mais bien qu'il m'en laissera
prendre copie.
Il nous est important, monsieur, de faire proraptement une édition
in-4° des œuvres de M. Despréaux avec vos remarques. Sans quoi on
la ferait ici. Nous sommes liés d'amitié et d'intérêt avec les libraires
570 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
d'ici et de La Haye qui ont dans ces provinces le privilège de ces
œuvres. Sur la promesse que je leur ai faite que nous allions les
mettre soiis presse et de leur en fournir dans le cours de Tannée, ils
veulent bien n'en pas multiplier les éditions. Sur ce que je leur dis
d'une édition à Paris de ce livre, ils me dirent qu'ils l'imprimeraient
aussitôt; que la prévention où Ton était sur les éditions faites en
France faisait que le même ouvrage imprimé à Paris n'aurait aucun
succès en ce pays ni en Angleterre. 11 en est de même en nos quar-
tiers. Je crois, monsieur, qu'il ne convient point à notre commerce ni
même aux auteurs de multiplier tout à coup les éditions d'un livre;
quelque bon qu'il soit, il tombe pendant quelque temps dans une sorte
de mépris. Si on faisait tout à la fois à Paris, à Genève et ici des
éditions des œuvres de M. Despréaux, c'en serait trop pour ne pas nuire
les unes aux autres, et les libraires de ce pays, pour donner la préfé-
rence à la leur, y ajouteraient quelque chose qui passerait sous votre
nom et qui peut-être n'aurait pas votre approbation. 11 est donc de
toute convenance que nous fassions promptement cette édition sans
nous embarrasser si on la tire à Paris. J'espère, monsieur, que vous
voudrez bien nous mettre en état de commencer et adresser à M. Fabri,
mon associé, les moyens pour faire travailler, afin que, quittant ce
pays, ce qui sera au mois de mars, je puisse prendre un fixe arrange-
ment avec le libraire d'ici.
M. Rousseau écrit à son libraire qu'il partira au printemps pour un
long voyage. 11 n'a pas voulu consentir que l'on fit à présent une
édition in-4° de ses ouvrages, mais on en achève une fort jolie in-douze
augmentée de plusieurs pièces. Il y en avait une fort belle sur la mort
du dernier roi de Suède, dont il vient d'ordonner la suppression; je
crois que c'est parce que la pièce finit par une allusion entre la mort
de ce prince et le sang de Patkul répandu.
Je crois, monsieur, que vous avez le portrait de M. Rousseau. Vou-
driez-vous permettre qu'on en prît l'esquisse? Son libraire, qui l'estime
beaucoup, voudrait le faire graver par Picart et ne le lui apprendre
qu'en le lui présentant. Vous êtes intéressé à l'immortalité des grands
hommes, ce qui me fait prendre la liberté de vous faire cette
demande.
Faites-moi la faveur d'être persuadé de plus en plus de mon parfait
attachemen et du sincère dévouement avec lequel j'ai l'honneur d'être,
monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, Barrillot.
A Lyon, ce 28 janvier 1733.
La lettre, monsieur, que vous m'avez écrite d'Amsterdam le 12 de ce
mois m'a été envoyée par M. Fabri. Je commence par l'article qui vous
intéresse le plus, je veux dire la nouvelle édition de Boileau avec mes
remarques. Toute réflexion faite, je crois que vous ne ferez pas mal
de faire cette édition à Genève, après l'assurance que vous avez de
MM. les libraires d'Amsterdam et de La Haye qu'ils ne l'imprimeront
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET LEISGLET DU FRESNOY. 571
pas; car, comme vous dites fort bien, le meilleur livre du monde tombe
dans une espèce de discrédit quand il est multiplié par un trop grand
nombre d'éditions. Mais si vous êtes assure de MM. les libraires de
Hollande, qui est-ce qui vous assurera que ceux de Paris ne contrefe-
ront pas votre édition dès qu'elle paraîtra? Je juge de l'avenir par le
passé et vous avez vu que ces messieurs ont réimprimé, quoique fort
mal, notre première édition sur le privilège que le sieur Esprit Billiot,
successeur de Thierri, en a obtenu depuis quelques années. Vous savez
aussi qu'ils sont actuellement dans le dessein d'en faire une nouvelle.
Quoi qu'il en soit, je tâcherai de mettre la dernière main à mon
ouvrage afin que vous soyez en état de faire travailler après votre
retour à Genève.
Tandis que vous êtes à Amsterdam, je vous prie de savoir positive-
ment le nom de l'auteur des additions à mes notes qui furent insérées
dans la belle édition in-folio faite en 1718 chez David Mortier. Vous
m'écrivîtes en ce temps-là que ces additions étaient du savant M. Le
Clerc; vous pouvez aisément vous assurer mieux de cette circonstance,
dont je suis bien aise d'être instruit précisément.
J'accepte avec plaisir l'offre que vous me faites de m'envoyer une
copie du libelle de l'abbé Lenglet. Vous jugez bien, monsieur, qu'un
ouvrage de ce caractère qu'il a voulu faire passer sous mon nom doit
exciter ma curiosité. Ma satisfaction serait complète si vous pouviez
en obtenir les feuilles même du libraire, en vous rendant caution pour
moi que je n'en ferai aucun usage et qu'elles ne sortiront pas de mes
mains. Et quel usage en pourrais-je faire, moi qui ai un si grand
intérêt d'empêcher que cette infâme production ne paraisse? Si j'avais
l'honneur de connaître ce libraire, je lui écrirais moi-même pour le
prier de satisfaire ma curiosité ; mais j'espère que vous obtiendrez cette
faveur. Je voudrais que ce fût le même qui souhaite d'avoir une copie
du portrait de M. Rousseau. Je me déterminerais plus volontiers à la
lui procurer. Mandez-moi ses intentions là-dessus, comme par exemple
s'il veut que cette copie soit de la même grandeur que l'original, ou
plus petite, car l'original a environ deux pieds de hauteur; s'il veut
que la copie soit en couleur comme l'original ou en simple camaïeu,
noir et blanc. J'ai vu bien des graveurs préférer cette dernière manière
parce qu'elle imite l'estampe et qu'il est, dit-on, plus facile de graver
d'après le camaïeu. Ce sont des choses sur lesquelles il faut consulter
M. Picartdont les talents ne sauraient être trop loués et que je regarde
comme le plus habile homme du siècle
C'était d'ailleurs un temps d'accalmie et de tranquillité relative
durant lequel Brosselte pouvait se livrer sans trop d'inquiétude
aux recherches d'érudition et aux travaux de curiosité littéraire
qui emplissaient d'ordinaire son existence. Quant à Rousseau, qui
ne chôma jamais d'ennemis, il songeait plus assurément, en ce
572 REVUE D HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE. .
temps-là, à Voltaire qu'à Lenglet. Aussi ses lettres, comme celles
de Brossette, ne reflètent guère, pendant quelques mois, d'anxiété à
ce sujet; l'un et l'autre se laissent aller à leurs préoccupations
favorites : le culte des belles-lettres et les propos qu'elles susci-
tent entre les gens qui les aiment.
A Lyon, ce 29 janvier 1733.
Je commencerais ma lettre, monsieur, par les assurances d estime
et d'amitié qui sont le tribut ordinaire de la nouvelle année si vous
pouviez douter des sentiments que j'ai pour vous. Je suis fort en colère
contre ce cérémonial périodique, toujours blâmé, mais pourtant toujours
observé, qui depuis un mois ne m'a pas laissé le temps de vous écrire.
Ce n'a pas été une lecture indifférente pour moi que celle de la lettre
que vous avez écrite à M. de Lasseré au sujet de l'abbé Lenglet et dont
je vous renvoie la copie f . Je vous rends confidence pour confidence en
vous faisant part de la lettre que cet abbé avait fabriquée sous le nom
de M. Desmaiseaux et dont je vous ai déjà envoyé un échantillon.
Quand on fera une nouvelle édition de mes remarques sur Boileau,
j'en ferai retrancher toutes les pièces qui pouvaient être injurieuses à
sa mémoire et qu'on avait insérées mal à propos dans la première Si
MM. Fabri et Barrillot s'arrangeaient avec les libraires de Paris pour
y faire cette édition, il n'y aurait pas lieu de craindre que les censeurs
fissent rien ôter de ce qui était dans celle de Genève, puisque celle-ci a
été réimprimée à Paris avec privilège par le sr Billiot, successeur de
Thierry, qui avait anciennement le privilège des œuvres de Boileau.
Mais, suivant ce que M. Barrillot m'a écrit d'Amsterdam, il est déterminé
à faire notre nouvelle édition à Genève, s'étant engagé de fournir un
certain nombre d'exemplaires aux libraires de Hollande, moyennant
quoi ils ont promis de ne point contrefaire ce livre.
Je ne sais rien de particulier touchant l'édition in-4° qu'on fait à
Paris des œuvres de Molière; j'ai seulement ouï dire qu'elle devait
paraître au commencement de cette année. Quand l'impertinent ouvrage
qu'on a intitulé Vie de Molière parut, M. Despréaux en était dans une
colère épouvantable et il m'en écrivit tout ce que le mépris et l'indi-
gnation peuvent inspirer de plus fort. Je m'étonne que ceux qui
président à cette nouvelle édition permettent qu'on y insère une si
mauvaise pièce *. Tout ce qui peut les excuser, c'est que l'on est obligé
de se contenter du médiocre, et souvent même du mauvais, quand on
n'a pas de l'excellent. Cet écrit tout défectueux qu'il est tient lieu d'une
vie de Molière, en attendant que quelque écrivain sensé en donne
une meilleure. Vous savez, monsieur, que les libraires craignent
toujours que le public, c'est-à-dire les acheteurs qui sont leur public, ne
désapprouve les retranchements que l'on fait dans les nouvelles éditions
\. Elle est publiée. Lettres de Rousseau, t. v. p. 208.
2. Elle n'y a pas été insérée.
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET LENGLET DU FRESNOY. 573
et que ces retranchements ne nuisent à la vente du livre. Mais tout au
moins, avant que de réimprimer celle-ci, il faudrait la corriger quant au
style et en retrancher beaucoup de choses qui font pitié. A propos de cela,
avez-vous lu la vie de M. Despréaux, publiée en 1711, peu de mois après sa
mort, par M. Desmaiseaux? Elle était encore plus mauvaise que celle de
Molière. L'auteur, qui d'ailleurs est homme de mérite, ignorait jusqu'aux
moindres circonstances de son sujet, et entre autres il s'était trompé
dans les dates de la naissance et de la mort de son héros.
Vous ne me dites rien en détail sur les augmentations que vous faites
dans la nouvelle édition de vos œuvres; cependant je sais que vous
aviez dessein d'y insérer une pièce en vers. Je crois que c'est une ode
sur la mort du roi de Suède Charles XII, que vous en avez ordonné la
suppression, et c'est, dit-on, parce que cette pièce finit par une allusion
entre la mort de ce prince et le supplice de Patkul. Dites-moi un mot
de tout cela, je vous prie, autrement vous serez bien grondé, à moins
que vous n'ayez de grandes raisons pour garder le secret. A propos
de secret, je m'en vais vous en dire un à l'oreille, qu'il faut oublier sur-
le-champ. Un de nos amis veut faire graver votre portrait, sans que vous
le sachiez jusqu'à ce que ce soit achevé. Que votre modestie ni votre
délicatesse ne soient point alarmées de cette proposition. L'ouvrage
sera fait par les mains d'un des plus habiles graveurs de l'Europe, on
me fait dépositaire de ce secret et en quelque façon complice de cette
entreprise, en exigeant une copie du portrait que vous m'aviez envoyé
de Vienne pour M. Mazard. Ignorez la confidence que je vous fais.
A Bruxelles, le \2 février 1733.
Vous êtes bien bon, monsieur, de vous être donné la peine de copier
vous-même la lettre pseudonyme d'un misérable comme Lenglet. J'ai
pourtant été bien aise de voir par sa lecture à quel point d'extravagance
pouvait aller la folie d'un impudent. Certainement si tous les fripons
étaient aussi maladroits que celui-là les honnêtes gens seraient bien
heureux, car jamais on ne vit imposture plus sottement imaginée ni
grossièrement concertée que celle-là.
Vous me faites grand plaisir de m 'apprendre que nos libraires de
Genève se disposent à donner bientôt une nouvelle édition de votre Boi-
leau et qu'ils en retranchent ce qu'il y avait d'indécent dans la première
contre le respect dû à ce grand homme, voire ami et le mien. Je vou-
drais fort que ceux qui ont présidé à celle de Molière eussent eu assez
bon esprit pour en user de même et qu'ils se fussent bien mis dans la
tète une vérité incontestable, qui est que le meilleur livre est toujours
mauvais de ce qu'il y a de trop et que les excroissances ne font pas
moins de tort aux ouvrages d'esprit qu'au corps humain. Il est bien
question des libraires quand il s'agit d'un auteur comme Molière et du
respect dû au public à qui on ne saurait rien donner de trop bon ni
rapporter rien de trop vrai! Et n'est-ce pas le traiter avec le dernier
mépris que de diffamer non seulement les écrits d'un homme qu'il
574 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
estime par des additions aussi impertinentes que celles qu'on a
fourrées dans toutes les éditions qui ont paru jusqu'ici, mais encore sa
personne et son caractère par des portraits aussi faux et aussi bas que
ceux qu'on en a fait dans l'indigne écrit qu'on y a inséré sous le titre
de Vie de Molière et que l'on consacre pourtant à la postérité en l'asso-
ciant à des ouvrages qui sont sûrs d'y arriver, au lieu de le laisser
tomber dans l'oubli où de telles productions devraient être éternelle-
ment ensevelies?
Je ne vous dirai rien sur ce que j'ajoute à ma nouvelle édition ; vous en
jugerez quand elle sera faite et personne n'en pourra juger avant vous.
Les vers que j'avais faits pour le roi de Suède pendant qu'il était assiégé
à Stralsund ne passent pas l'étendue d'un sonnet; c'est peu de chose
et cela ne mérite pas l'impression, sans cela je ne vous en ferais point
un secret. Ce que vous me confiez sur le dessein qu'un de vos amis a de
faire graver mon portrait me flatterait peut-être si je ne craignais qu'il
m'humiliât trop. J'avais quinze ou seize ans de moins quand je vous l'ai
envoyé de Vienne. On dit que je n'ai point changé de visage depuis ce
temps-là, mais je ne puis vous dire s'il me ressemblait alors ou non,
quoique celui qui l'a peint soit aujourd'hui le premier peintre de
l'Empereur et le directeur de son Académie. Je vous prie de faire bien
des compliments pour moi à M. Mazard et d'être persuadé du sincère
dévoûment avec lequel je suis à la vie à la mort, monsieur, votre très
humble et très obéissant serviteur, Rousseau.
Pourtant Brosselle persiste à s'intéresser à ce qui se passe en
Hollande au sujet de l'édition de Régnier entreprise par Lenglet
du Fresnoy. Mais c'est plutôt habitude de curieux désireux de
connaître toutes les particularités qui se rapportent de près ou de
loin à la littérature, que le désir de se tenir en garde contre une
machination éventée et qui ne semble plus èlre redoutable. Le
libraire Barrillot, dont le séjour se prolonge dans les Pays-Bas, ne
manque pas d'informer Brossette de tout ce qu'il apprend à ce
sujet comme sur tous les autres points qui pouvaient n'être pas
indifférents au savant lyonnais. C'est à ce titre que nous continuons
à reproduire ici la plus grande partie des lettres ainsi échangées.
A Amsterdam, ce II mai 1133.
Divers voyages que j'ai faits et ensuite l'occasion de me trouver avec
le libraire de La Haye et celui de cette ville qui ont le privilège en ces
provinces pour le Boileau, sont cause que je n'ai pas répondu comme
je le devais à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le
28 janvier dernier. La nouvelle que j'ai reçue parle dernier courrier de
Paris et que l'on me marque que vous avez eue aussi rompt toutes les
mesures que nous avions prises pour la réimpression de cet ouvrage.
On me dit qu'on va le mettre sous presse avec des notes de MM. da
JEAIS-BAPT1STE ROUSSEAU ET LENGLET DU FRESNOY. 575
Valincourt et Renaudot, que votre commentaire est totalement supprimé
et que Ton se sert du texte tel que M. Renaudot Ta donné peu de temps
après la mort de M. Despréaux; que le privilège a clé obtenu sous
l'approbation de M. de Fontenelle. On ne me dit point qui est le libraire
qui fait cette entreprise, mais on m'en dit assez pour me faire voir qu'il
ne pense pas sur votre compte avec le respect qui vous est dû. Je ne
présume pas que Ton permette l'impression d'une préface où vous
serez insulté. J'ai de violents soupçons que l'abbé [d'Oiivct], dont vous
avez juste sujet de vous plaindre, a beaucoup de part à tout cela.
C'est très certainement M. Le Clerc d'ici qui est auteur des additions
faites à vos notes dans l'édition de 1718. Non seulement le fait nous fut
écrit dans le temps, mais les libraires me l'ont depuis assuré. Quoique
j'aie vu ce monsieur, son état ne permet pas de lui en parler, et il ne
serait pas nécessaire, vu que la chose est bien certaine.
Ce n'est point un libraire qui fait faire l'édition du Régnier de l'abbé
Lenglet, mais celui-ci la faisait faire pour son compte chez un nommé
Oléander qui n'est qu'imprimeur seulement et qui a la plus considérable
imprimerie qu'il y ait dans ces provinces. J'ai vu de cet ouvrage
jusqu'à la feuille M. C'est tout ce qu'il y en a de fait. Les vignettes à
l'entour des pages sont imprimées en rouge; c'est un goût particulier.
La dédicace sous votre nom, monsieur, contient trois feuilles ; il y a des
notes. Je n'ai pu en obtenir un exemplaire; elle me fut prêtée pour en faire
lecture. Je le fis copier de diverses mains pour être en état de la rendre
au moment qu'on viendrait me la demander, ce qui arriva presque
avant que la copie fût achevée ; telle qu'elle est, je la mettrai clans une
balle que je ferai partir cette semaine pour notre maison.
L'ami qui souhaite le portrait de M. Rousseau est le sieur Changuion
qui imprime ses œuvres. II me charge de vous assurer de ses respects
et de vous remercier de la complaisance que vous avez de lui commu-
niquer ce portrait. Il le voudrait in-4° et pour le graver il faut que le
dessin soit en camaïeu. Vous jugez bien, monsieur, qu'il veut le faire
graver pour le mettre à une édition in-4° des œuvres de son auteur. Le
sieur Le Picart n'a jamais excellé pour les portraits, mais il y a
en ce pays le sieur Houbraken qui excelle en ce genre de gravure,
et c'est a, lui que M. Changuion se propose de faire graver le portrait
de M. Rousseau
M. Rousseau a fait imprimer ici promptement quatre anciennes
pièces de théâtre. L'impression en fut achevée hier. Il en a demandé
un seul exemplaire par la poste et que les autres ne vissent le jour
qu'avec la nouvelle édition de ses œuvres. Ces pièces sont le Cid, Don
Japhet d'Arménie, la Marianne de Tristan et V Africain de Champmeslé.
A la tête de chacune de ces pièces il y a une préface modeste sur les
changements qu'il y a faits pour les mettre au goût du temps. 11 a
retranché dans le Cid la scène de l'Infante et ajouté quatre vers qui font
une liaison. Je m'attendais de trouver dans la troisième quelques traits
sur le Temple du goût, mais point du tout. Il donne des éloges à l'au-
576 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
teur de la pièce qui a eu la sagesse de ne point faire entrer d'incidents
étrangers dans un sujet aussi rempli et que Josèphe a si bien décrit
qu'il n'y avait qu'à le suivre; que le malheur de noire langue fait que
cette pièce excellente de Tristan n'est plus goûtée, qu'il la rend au public
dans le goût présent, qu'il lui en a fort peu coûté pour cela, 165 vers
et quelques légers changements. 11 m'a paru que cette tragédie de
Marianne retouchée faisait tomber celle de Voltaire et c'est savoir se
venger d'un ennemi. Je ne vous parle point d'une chanson et d'une
épigramme sur le Temple du goût; vous les verrez imprimées. M. Rous-
seau ne fera pas le voyage de Vienne ; il est à Enghien où je Tirai voir
avec son libraire.
Je compte, monsieur, que ce qui se passe à Paris au sujet du Boileau
ne vous dégoûtera pas du travail. J'écris aujourd'hui à celui qui m*a
donné l'avis que l'ouvrage qu'on fait à Paris ne nous détourne point
de réimprimer ce livre avec votre commentaire; que le grand nombre
d'exemplaires qui ont été vendus tant des éditions de ce pays que des
nôtres est un sûr garant pour nous de la bonté du commentaire, que
c'est là le sentiment des libraires d'ici comme c'est le nôtre. Il s'est
effectivement vendu plus de vingt mille de ces commentaires. .
A Lyon, ce 8 juillet 1733.
... Je vous remercie bien fort du soin que vous avez pris de faire
copier l'injurieuse et fausse dédicace que l'abbé Lenglet avait osé faire
imprimer sous mon nom à la tête du Régnier. Vous m'aviez promis de
me l'envoyer dans une balle de livres que vous deviez faire partir inces-
samment et je l'attends avec impatience par la voie de M. Fabri.
Vous pouvez dire à M. Changuion que je vais faire travailler à la
copie du portrait de M. Rousseau que vous m'avez demandée de sa
part. On n'a pu la faire jusqu'à présent parce que le peintre à qui j'ai
donné cette commission a été indisposé assez longtemps. Le portrait
sera en camaïeu blanc et noir et de la grandeur d'un volume in-4%
comme vous le souhaitez. Je suis charmé d'employer mon ministère
pour faire plaisir à M. Changuion et je vous prie de lui faire bien des
amitiés de ma part.
11 serait à souhaiter, monsieur, que vous eussiez pu vous arranger
avec les libraires de Paris, pour l'impression du Boileau en participa-
tion. Je ne sais point le plan qu'ils ont formé ni de quelle manière ils
l'exécuteront, sans emprunter quelque chose de mon commentaire.
Quoi qu'il en soit, il y aurait bien de l'injustice à eux, s'ils prenaient
occasion de me maltraiter dans un ouvrage auquel ni eux ni personne
au monde n'aurait jamais pensé sans moi. Ayez la complaisance de
m'apprendre plus positivement ce que vous saurez touchant l'auteur
ou le directeur de cette entreprise.
Il y a longtemps que j'ai écrit à M. Rousseau parce que le loisir et
la matière m'ont manqué. J'espère pourtant de justifier bientôt mon
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET LENGLET DU FRESNOY. 577
silence à son égard. Si vous avez occasion de le voir ou de lui écrire,
faites-lui mention des sentiments distingués que j'ai pour lui...
Mais brusquement ce calme relatif est troublé : Lenglet, quoique
dépisté, n'a pas renoncé à son dessein; il essaie une dernière fois
de le mettre à exécution et le bruit de pareilles tentatives arrive
aux oreilles de Brossette. Vite celui-ci s'empresse d'écrire à l'am-
bassadeur du roi de France près des Etats Généraux de Hollande,
le marquis de Fénelon, le propre neveu de l'archevêque de
Cambrai, pour lui dénoncer ce qui se préparc et lui demander
protection. Les diverses pièces de cet incident nous sont encore
parvenues et c'est d'après elles qu'on va suivre ci-dessous la
suite de ce qui advint à cette occasion.
A Lyon, ce 12 octobre 1133.
Monseigneur, rien ne peut autoriser la liberté que je prends de vous
écrire que la connaissance que j'ai de votre générosité et surtout de
l'amour que vous avez pour la justice. J'espère que Votre Excellence
ne me refusera pas sa protection dans une affaire qui intéresse mon
honneur. J'apprends par plusieurs lettres d'Amsterdam qu'on achève
actuellement à La Haye, chez Oléander, l'impression d'un livre dans
lequel je suis, dit-on, fort maltraité sans que j'aie jamais rien fait qui
ait pu m'attirer cette injure, et Votre Excellence en pourra juger par
le récit au vrai que je vais lui faire. Il y a quinze ou seize ans que je
fis imprimer les œuvres de feu M. Boileau-Despréaux avec des éclair-
cissements historiques qui m'avaient été donnés par lui-même, dans
la liaison intime que j'avais eue avec ce célèbre écrivain pendant les
quinze dernières années de sa vie. Il m'avait exhorté plusieurs fois à
donner de semblables éclaircissements sur les ouvrages d'un autre
poète, dont il faisait grand cas pour son génie et qu'il regardait en
quelque-façon comme son maître : c'est Régnier. Je dérobai donc quel-
ques moments à des occupations beaucoup plus sérieuses pour faire
des remarques purement historiques sur cet ancien poète. J'avais
presque oublié cet amusement de ma jeunesse lorsque, des libraires de
Paris me l'ayant demande longtemps après, je le leur abandonnai et
ils le firent imprimer à Londres en 1729. Ce livre a excité la cupidité
d'un écrivain français, accoutumé à ne vivre que de rapine. L'abbé
Lenglet du Fresnoy, plus décrié encore par ses mœurs que par ses
écrits, s'est emparé du Régnier et de mon commentaire et y a ajouté
tout ce que la satire la plus indiscrète et l'obscénité la plus grossière
ont pu lui inspirer, et il a l'audace de faire passer sous mon nom toutes
ces infamies dans le public. 11 me serait difficile, monseigneur, d'ex-
primer à Votre Excellence la surprise et la douleur dont j'ai été frappé
en apprenant cette nouvelle, moi qui n'ai jamais vu ni connu cet
abbé et qui n'ai jamais eu ni de près ni de loin aucune relation avec
578 REVUE D HISTOUtE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
lui. Mais ce qui est beaucoup plus étonnant c'est qu'il avait mis à la
tête de ce livre une épîlre satirique, en forme de dédicace, adressée
à M. Rousseau, où, se servant de mon nom et me faisant parler, il
disait à M. Rousseau lui-même avec qui il est brouillé les choses
les plus outrageantes. Al. Rousseau m'avait mandé de Bruxelles, dès
le commencement de Tannée 1731, que cette fausse épilre dédica-
toirc était destinée par l'abbé Lenglet pour paraître dans une édition,
qu'il faisait faire à Bruxelles ou en Hollande, des œuvres de Marot
avec des notes, en quatre volumes in-4°, sous le nom supposé du che-
volier de Gordon de Percel. M. Rousseau eut assez de crédit auprès de
MM. des États Généraux pour faire supprimer ce libelle, et je crois
même que Votre Excellence voulut bien employer son autorité pour
cette suppression. L'abbé Lenglet, voyant son projet avorté, ne voulut
pas néanmoins perdre le fruit de sa vengeance et il forma le dessein
de transporter son épître satirique dans son édition de Régnier. M. de
Lasseré, qui sans doute ne vous est pas inconnu, ayant lu cette satire
à Paris, chez M. le Grand Prieur de France, en fut extrêmement
indigné; il m'en écrivit d'abord et fit ensuite valoir son crédit auprès
de M. Hérault, lieutenant général de police, pour prévenir la supposi-
tion calomnieuse que cet imposteur me préparait. M. Hérault le fît
venir devant lui et après une sévère réprimande il lui défendit de faire
paraître ce libelle et l'obligea de m'écrire une lettre d'excuse et de répa-
ration, laquelle me fut envoyée par ce magistrat. On arrêta en même
temps à La Haye, chez Oléander, l'impression de Régnier et des remar-
ques. Mais j'apprends aujourd'hui que l'on vient de reprendre cette
malheureuse édition et qu'elle doit bientôt être publiée, si Votre Excel-
lence n'a la bonté de l'empêcher. Que l'abbé Lenglet remplisse mes notes
de toutes les inutilités qu'il voudra, à la bonne heure, pourvu qu'il n'y
mette rien de contraire à la religion et à la pudeur. Mais qu'il se serve
de mon canevas et qu'il abuse de mon nom même, non seulement pour
me déshonorer, mais encore po.ir publier des ordures insupportables,
voilà ce qui m'oblige, monseigneur, à vous porter mes vives el respec-
tueuses plaintes. La liberté avec laquelle je m'adresse en droiture à
Votre Excellence est une preuve de la confiance plénière que j'ai en
votre bonté. Je suis persuadé que le neveu du grand Fénelon ne refu-
sera jamais ses bons offices à un homme de lettres qui se pique de la
plus exacte probité et qui se voit cruellement outragé sans aucun sujet.
Voilà les titres sous lesquels j'ose implorer votre protection. Je suis
avec un très profond respect, monseigneur, etc.
Presque en même temps, Brossette se hâtait également de
mettre Rousseau au courant de ce qu'il avait appris et de ce qu'il
avait fait. Mais Rousseau, occupé sans doute a des adversaires
plus dignes de lui — ses démêlés avec Voltaire étaient fortement
engagés, — et persévérant dans l'attitude hautaine qu'il avait prise
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET LENGLET DU FRESNOY. 579
à Tégard de Lenglet, ne parut pas se soucier beaucoup de la
recrudescence des méchancetés d'un ennemi qu'il méprisait à bon
droit.
A Lyon, ce 1? octobre 1733.
Il y a longtemps que je vous ai déclaré, monsieur, que quand je ne
serais pas exact à vous écrire ce serait parce que le loisir ou la matière
me manqueraient. Quoique je n'aie pas encore aujourd'hui beaucoup
de l'un ni de l'autre, je ne laisse pas de rompre un silence dont je
serais bien honteux si j'en étais absolument coupable. On n'a pas
manqué de vous faire savoir que Ton a repris à La Haye chez Oléander
l'impression qui avait été interrompue du Régnier de l'abbé Lenglet, et
que malgré vos précautions et les miennes cette malheureuse édition
sera incessamment livrée au public. On me fait pourtant espérer que
l'épitre satirique qui était destinée à nous déshonorer, vous et moi,
sera totalement supprimée. Au surplus, je compte bien que nous ne
serons pas épargnés dans les notes. A la réception de cette nouvelle,
j'ai fait une dernière tentative, sur le succès de laquelle je ne compte
pas infiniment. J'ai écrit une grande lettre à M. le marquis de Fénelon,
ambassadeur de France à La Haye, pour supplier Son Excellence de
prévenir une injustice aussi cruelle que celle-là. J'ai écrit aussi à mêmes
fins à M. de La Ville, homme de lettres et homme de mérite, à ce
qu'on dit; et quoique je n'aie point l'honneur d'être connu dans celte
cour, j'espère du moins que l'amour de la justice sera assez fort pour
exciter leur compassion ou leur ministère. Comme vous êtes plus à
portée que moi de savoir ce qui se passe à ce sujet, je vous prie, mon-
sieur, de m'en informer. Faites-moi savoir aussi en quel état est la
nouvelle édition de vos œuvres, à laquelle vous m'avez dit qu'on tra-
vaillait. On m'a écrit depuis longtemps que vous aviez fait imprimer à
Amsterdam quatre anciennes pièces de théâtre que vous aviez retou-
chées pour les mettre au goût du temps. Parmi ces quatre pièces, il y
en a une que je ne connais point : c'est T Africain de Champmeslé. A
l'égard de la Marianne de Tristan, cette excellente tragédie méritait
bien les soins que vous avez pris pour la renouveler. Ces changements
feront infailliblement tomber celle de Voltaire, qui est trop chargée
d'incidents étrangers, et voilà sans doute la plus noble vengeance que
vous pouviez prendre de l'extravagante production qu'il a donnée sous
le nom de Temple du goût, ouvrage sifflé de toute la terre et par lequel
il a trouvé le secret de se déshonorer le reste de ses jours...
M. Titon du Tillet m'a envoyé la dernière édition de son Parnasse
français, où vous avez une place honorable. C'est grand dommage
qu'un livre si bien conditionne soit rempli de fautes.
Je crois vous avoir mandé que j'avais procuré à la ville de Lyon la
donation d'une bibliothèque considérable, pour être rendue publique
après la mort du donateur. Cette mort est arrivée depuis le mois de
février dernier, et comme j'avais été nommé bibliothécaire, j'ai employé
580 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
une partie de l'été à disposer et à ranger les livres, de sorte que la
bibliothèque sera ouverte au public après la Saint-Martin. J'y ai fait
placer le portrait du fondateur avec une inscription dont vous approu-
verez du moins la simplicité...
Le marquis de Fénelon ne répondit pas à Bros set te, mais son
secrétaire, l'abbé de La Ville, un diplomate qui se piquait d'aimer
les lettres et qui fut plus tard membre de l'Académie française, ne
manqua pas de tenir l'érudit lyonnais au courant de ce qui se pas-
sait en Hollande. Ce sont les réponses mêmes de l'abbé de La Ville
qui vont nous servir à marquer la suite des faits.
A la Haye, le 22 octobre 1733.
Monsieur, je reçus avant-hier la lettre dont vous m'avez honoré et
S. E. M. l'ambassadeur reçut en même temps celle que vous lui avez
écrite au sujet de la nouvelle édition qui se fait actuellement ici des
œuvres du poète Régnier. Rien n'est plus juste et plus digne de votre
probité et de vos talents, monsieur, que le désir que vous avez que votre
nom ne se trouve point à la tête d'un livre aussi scandaleux que celui
qu'on se prépare ici adonner au public. Il n'est rien que je ne voulusse
faire pour seconder vos bonnesintentionsà cet égard, mais vous jugerez
que je ne puis rien ici par moi-même et que ce n'est que de la protection
de M. l'ambassadeur que vous pouvez attendre ce que vous souhaitez. Je
me serais fait un plaisir et un devoir de joindre mes prières à votre
sollicitation, mais je dois vous dire que vous n'avez pas eu besoin
d'un second intercesseur. S. E. a été touchée du caractère de probité
que respire la lettre que vous lui avez écrite et s'est déterminée volon-
tiers d'elle-même à tenter ce qui sera faisable pour empêcher ce que
vous craignez. Vous serez exactement informé de ce que S. E. aura juge
à propos de faire pour cela.
Vous ne m'avez point marqué, monsieur, à qui j'ai l'obligation de
m'avoir indiqué à vous comme un homme à qui vous pouviez vous
adresser en ce pays-ci. C'est un service d'ami dont je ne pourrais que
savoir beaucoup de gré à celui qui me Ta rendu. La connaissance des
personnes de votre mérite est un digne objet d'ambition pour moi
et je connais en particulier tout le prix d'une liaison que vous me
permettriez d'avoir avec vous. Je commence dès aujourd'hui, monsieur,
à profiler avec confiance de ce que vous me faites l'honneur de m 'offrir
à cet égard, en vous suppliant de faire mettre au bureau de la poste à
Lyon la lettre que je prends la liberté de joindre ici. Les circonstances
du temps font craindre que le passage des lettres par le pays bas ne
soit peut-être pas dans la suite aussi libre qu'il l'a été jusqu'à pré-
sent. Si de mon côté, monsieur, je puis vous être bon à quelque chose
dans ce pays-ci, soyez persuadé que je recevrai vos commissions avec
plaisir et que je m'en acquitterai avec tout le zèle dont je suis capable.
JEAN-BAPTISTE HOl'SSKAU ET LESGlET DU FftESNOV.
581
Je suis avec une très grande estime et une parfaite considtji\iLiunt
monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, dk La Ville,
P. -S. — Ma lettre ne fut point rendue à la poste assez à temps pour
partir hier au soir. Ce retardement me donne l'occasion de voua
informer aujourd'hui que S- E. M. l'ambassadeur ayant ordonné qu'on
cherchât à la Haye le sieur Oléander, chez qui vous croyez qu'on
imprime le Régnier, on n'a point trouvé de libraire qui portât ce nom.
On fera encore de plus exactes perquisitions el S, E. parlera certaine-
ment avec autorité si Ton découvre L'imprimeur du livre. Voyez» mon-
sieur, si on ne vous a peut-être point caché à dessein le nom du libraire
qui imprime l'ouvrage en question, ea supposant un autre libraire qui
n'existe point, au moins à la Haye,
23 octobre 1733.
A Lyon, ce i2 novembre $733.
Monsieur, j'étais bien persuadé que la protection de S* E, Monsei-
gneur l'ambassadeur ne me serait pas refusée puisqu*il s'agissait de
me rendre justice et de me faire du bien, et les vertus de ce grand
ministre étaient les garants de ma confiance* Je vous prie, monsieur,
de L'assurer d'une reconnaissance aussi vive que respectueuse de ma
part, et d'obtenir de S. E. la continuation de ses bontés pour con-
sommer la grâce que j'ai pris la liberté de lui demander. Il est vrai que
l'impression des œuvres de Régnier se fait chez Oléander, mais j'ai
appris depuis que cet imprimeur demeurait à Amsterdam et non pas à
la Haye, et je sais d'ailleurs qu'il a la plus fameuse imprimerie de
Hollande- On me donne avis que cet ouvrage est presque achevé et
qu'il doit paraître non pas sous le nom d'OIéander, mais sous celui
de Jacob Tonson, Libraire du Lioi el du Parlement à Londres, Vous
voyez, monsieur, qu'il n y a point de temps a perdre pour prévenir l'in-
jure qu'on me prépare et que je n'ai aucunement méritée. C'est un de
mes amis d'Amsterdam qui m'a conseillé de m'adresser a vous comme
à un homme obligeant, olticieux, aussi distingué par son esprit que
par ses rares connaissances, et l'événement me fait connaître que cet
ami n'a rien diL qui ne soit conforme à votre caractère. Je vais le
remercier de L'occasion qu'il m'a fournie d'avoir quelque liaison avec
vous. Je regarde cet avantage comme une bonne fortune et je riQ
serai point content si je ne me rends digne de votre amitié par mes
services. Je le suis déjà autant que je le puis être par l'estime particu-
lière et par la sincère considération avec lesquelles je suis, etc*
A La Haye, le 26 novembre 1133.
Monsieur, j'ai reçu la lettre dont vous m'avez honoré en date du 12
de ce mois, dans le temps même que je commençais à vous écrire pour
vous rendre compte du succès de ce que vous aviez recommandé a ïa
protection de M. l'Ambassadeur. Nous avons su en effet, monsieur, que
l'imprimeur Oléander réside à Amsterdam où H a toutes ses presses
Ht*. o>tST. Lirrin, b£ la Fi«am:i; ,7r Anh.}. — VII-
38
582
REVUE U HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA Fît
et on n'a pas perdu un moment pour prévenir l'insulte qu'on avait
dessein de vous faire. M. l'Ambassadeur s'est adressé aux magistrats
d Amsterdam, qui ont défendu de ia manière la plus précise et sous peine
de leur indignation que votre nom se trouvât dans la nouvelle édition
du Régnier* Voilà tout ce que les magistrats ont voulu faire et encor
n'est-ce que par considération personnelle pour M, l'Ambassadeur
qu'ils ont donné cette défense, qu'on n'osera certainement point
enfreindre, L'autorité est ici plus respectée que nulle autre part. Il y a
donc apparence que le livre paraîtra tel que l'abbé Lenglet Ta livré aux
libraires. On laisse ici une grande liberté à ia librairie, qui est une
branebe assez principale du commerce hollandais, et Ton peut dire que
celte liberté dégénère souvent en licence; mais vous pouvez compter,
monsieur, que votre nom ne se trouvera point dans l'ëdtLion dont il
s'agit. Pour plus grande précaution, ne pourriez- vous pas Taire insérer
dans les journaux qui s'impriment en France que vous n'avez nutlfi
part à cette nouvelle édition du Régnier, et que sur des plaintes que
vous avez faites en différentes occasions cuntre l'abbé Lenglet qui
s*obstine à vouloir mêler votre nom aux infamies qu'il produit, vous
avez toujours obtenu la justice qui vous était due et que récemment
encore MM. les magistrats d'Amsterdam, à la considération de M* l'am-
bassadeur de France en Hollande, ont expressément défendu que votre
nom se trouvât dans l'édition du Régnier? Pour moi, je me chargerais
volontiers de faire trouver place dans les journaux qui s'impriment
en Hollande à l'article que vous voudriez m'envoyer, conçu et exprimé
comme vous le jugerez à propos. Cette précaution à prendre prévien-
drait le public et sur tout ce que vous ave/, fait pour éviter l'affront
qu'on prétendait faire à votre nom, et sur ce qu on devrait juger de la
probité de l'abbé Lenglet, s'il réussissait enlin adonner quelque édition
furtive où il voulût faire croire que vous auriez eu quelque part. Il me
semble que l'expédient que j'ai l'honneur de vous proposer constaterait
le passé et fixerait pour l'avenir le jugement public, si quelque auteur
sans probité entreprenait de lui en imposer aux dépens de votre bon*
neur. Vous en jugerez, monsieur, et si vous me croyez bon à quelque
chose, honorez-moi de vos ordres : je les exécuterai par préférence et
avec tout le zèle et l'attention possibles.
Je vous dois bien des remerciements, monsieur, pour la bonté que
vous avez eue de faire mettre a la poste la lettre que j'avais pris la
liberté de vous adresser pour M. Dujardin.
Je n'ai garde, monsieur, d'avouer la ressemblance du portrait que
votre ami d'Amsterdam a eu la bonté de vous faire de moi. 11 est aisé
de juger que je n'ai pas l'honneur d'être connu de lui. Je ne puis rue
iinaltre qu a l'idée avangeuse qu'il vous adonnée de mon caractère
naturellement porté à faire plaisir. En appliquant surtout mon inclina-
tion à cet égard à tout1 ce qui pourrait vous intéresser , soyez, je vous
en supplie, bien persuadé que cet ami si obligeant pour moi n'aurait
pu s'exprimer trop fortement. Une occasion où vous voudriez mettre
JEAVIIÀPNSTE ROUSSEAU ET LESGLET DU FRESHQT,
583
ma bonne volonté à l'épreuve serait un service dont je sentirais tout
le prix et qui exciterait toute ma reconnaissance,
Honorer- moi de votre amitié, monsieur; il nTest rien que je ne vou-
lusse faire pour la mériter, et recevez les assurances de la haute estime
et du respectueux attachement avec lesquels j*ai l'honneur d*ëtre,
monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, dk La Ville.
Mais Lenglet ne s'avoua pas vaincu par toutes les difficultés
qu'on lui suscitait à l'étranger. Il comprit qu'il aurait plus aisé-
ment raison en France même de Jean-Baptiste Rousseau qui en
était banni, puisqu'il n'avait pas pu en venir à bout au delà des
frontières. Et peu après on voyait ce fait assez extraordinaire :
un libelle qui n'avait pas été publié en Hollande paraissant en
France» avec la connivence tacite du pouvoir, dans un livre clan-
destin que tout le monde put se procurer. En 173i, Lenglet du
Fresnoy mettait au jour une de ces compilations dont il était cou-
tumier et qu'il préparait, d'ordinaire, durant ses séjours à la Bas-
tille. Celle-ci était intitulée De l'usage des romans, ou ton fait voir
leur utilité et leurs différente caractères^ aveu une bibliothèque dei
romans, accompagnée de remarques critiques sur leur choix et leurs
édition*, par le chevalier Gordon de Percel. Bien que le titre de
l'ouvrage portât qu'il avait été publié à Amsterdam, chez ta veuve
de Paîtras, à la vérité sans fard, il sortait des presses d'un impri-
meur rouennais. Enfin, par une dernière méchanceté imprévue,
le premier volume de cet ouvrage était terminé par des Pièces
cwrim$e& BUT te poète Rousseau supprimées en Hollande. Lengh-I
n'avait pas voulu garder pour lui seul une mauvaise action si
savamment préparée et, en dépit de tous les tracas qu'on avait pu
lui provoquer, il avait réussi à faire part de son libelle au public.
C'était d'abord un avertissement dans lequel il contait les choses à
sa façon; puis la fameuse Epitre dédicataire de la nouvelle édition
des poésies de Régnier, qui n'avait pu voir le jour en Hollande et
qui était dédiée à AL Rousseau, le modèle des poètes satiriques fran-
çais; enfin une lettre au marquis de Fénelon pour essayer de le
gagner à la cause si peu défendable du libelliste. Et voilà com-
ment, par une persévérance digne d'un meilleur objet, Lenglet du
Fresnoy était parvenu à imprimer en France, terre du pouvoir
absolu, ce que la Hollande, terre classique de la liberté d'écrire,
n'avait pas voulu tolérer, II est vrai que, cette fois-ci, le nom de
Brossette n'était pas prononcé et rien n'indiquait que l'auteur ano-
nyme voulût lui prêter la responsabilité de son œuvre, Rousseau
demeurait la seule victime de celui qui n'avait pas désarmé à son
584 REVUE D*HIST0IHK LITTÉRAIRE l>E LA FRANCK.
égard, Brosselle n'avait donc plus qu'un intérêt relatif à la manière
dont les choses salaient passées, et, s'il s'en informe, c'est plus
encore par curiosité que par appréhension d'une malice contre
laquelle il n'était pas désarmé*
A Paris, ce 2 février 1191.
Monsieur, avant mon départ de Hollande j'appris la suppression du
Régnier. Je jugeai bien que c'était sur votre réquisition. J'en fis part
à M. Rousseau à Bruxelles où j'ai fait quelque séjour* Ce monsieur me
chargea de vous assurer de sa considération la plus parfaite et de
vous prier de l'excuser s'il ne vous écrivait pas, parce que, dit* il, son
amour pour sa patrie qui ne s'éteindra qu'avec m vie Pavait rendu suspect
au gouvernement ; que ton ouvrait toutes ses lettres et quit aimait mieux
te priver des correspondances qui lut faisaient te plus de plaisir plutôt
que si que se$ lettres fussent ouvertes. It envoya en nia présence
à son libraire de Hollande le reste des pièces qu'il ajoute à la nouvelle
édition de ses œuvres, qui, avec le volume contenant les ancienne*
pièces de théâtre qu'il a fait réimprimer et dont j'ai eu l'honneur de
vous parlerl feront cinq volumes.
L'abbé ne pouvant parvenir à faire imprimer en Hollande son infâme
épitre, vient de la faire imprimer en ce pays, 11 a composé un ouvrage
satirique sous le titre de Uthiiothèque des romans, qu'il a fait imprimer
secrètement, je crois, à Rouen. Une personne de mérite et qui est en
place m'a dit, il y a deux jours, l'avoir lu et avoir été choquée d'y
trouver à la fin le libelle qu'il avait destiné pour être à la tête du
Régnier. Ce livre est encore si rare ici que, quelque soin que je me
sois donné pour le trouver, je n'en ai pu venir à bout. Je n'ai même
vu que la personne dont je viens de parler qui en ait connaissance, 11
me parait, monsieur, que vous ne devez pas hésitera rendre publique
la condamnation portée contre l'abbé en votre faveur.
On donna hier la quatrième représentation d'Adélaïde, tragédie
par M, de Voltaire. La première fut sifflée. Pendant les dix jours d'in-
tervalle qu'il y a eu de la première à la seconde représentation, il y a
fait des changements assez heureux pour qu'elle ait été applaudie,
mais non au point de la faire regarder comme une pièce a se soutenir
longtemps* L'auteur n'a pu jouir du plaisir de voir les applaudis-
sements. Il s'est si fort épuisé à raccommoder sa pièce qu'il en e>l
dangereusement malade, ce qui» joint à sa mauvaise constitution, fait
douter de sa vie.
Je compte d'être ici encore une quinzaine de jours. Je souhaite,
monsieur, que vous me fournissiez les occasions de vous y obéir
et de vous témoigner l'entier dévouement avec lequel j'ai l'honneur
d'être, etc. Barmllot.
A Paris, ce S mars mi.
J'ai reçu dans le temps la letlre que vous m'avex fait l'honneur dfi
m'écrire le 8 du passé. Pour y répondre, j'ai voulu voir l'ouvrage dont
JEAPt-BAPTlSTE TtOl/SSEÀU ET LESGLET DU FRE5NOY.
585
j'avais eu l'avantage de vous parler. Ce livre, mauvais en toutes façons,
n'est pas connu dans la librairie* Ce n'est qu'après bien de la peine
que j'en ai eu un exemplaire par le canal d'un soldat aux gardée
seulement depuis deux jours. À la fin du premier tome est l'infAme
épître dont vous avez eu copie, avec des notes plus amples que celles
que je vous ai envoyées. Elle est précédée d'une préface historique sur
ce qui s est passé en Hollande pour la suppression et où tous les faits
sont faux. A la suite il y a une prétendue lettre écrite à M. de FéïielûD,
ambassadeur à la Haye, que je nomme prétendue, étant persuadé que
si un ministre avait reçu pareille lettre et que r auteur en fût connu,
il aurait le crédit de le faire enfermer. Votre nom, monsieur, est retran-
che de Tépilre qui est sous les lettres initiales M. G. D. P.; mais le
corps de cette même pièce reste sous le nom du commentateur de
Régnier, Le mauvais ouvrage où ces pièces sont annexées est en deux
volumes d'environ 500 pages chacun. Le premier contient V&$mgû des
romans, le second le Catalogue des romani avec des notes satiriques
sur quelques-uns et très mal écrites. Il a été imprimé à Rouen chez
Virel, sous le nom d'Amsterdam. J'ai vu sur la Gazette de Hollande cet
ouvrage annoncé comme imprimé à Amsterdam : c'est pour faire passer
l'édition de France. Je ne crois pas qu'en celte ville- là on osât imprimer
ni même débiter la le tire à M. l 'Ambassadeur.
Le portrait que vous avez eu la bonté de faire, monsieur, n'est par-
venu à M. Changuion qu'après mon départ d'Amsterdam; j'aurais fort
souhaité de le voir pour la ressemblance. J'avouai à M. Rousseau que
c'était par mon ministère que vous vous étiez prêté à faire faire une
copie de celui dont vous êtes possesseur; il n'en parut point fâché et
exigea seulement qu'on ne le mît que dans l'édition în-4° de ses œuvres
que Ton prépare.
Quoi que vous puisse écrire l'abbé [d'Olivel] dont vous me parlez,
c'est lui qui est l'auteur du projet pour la nouvelle édition du Boileau;
il donnera sous le nom d'atHruides notes de sa façon. Il voulait donner
une traduction latine de ce poète faite par un ancien curé de cette
ville, nommé M. Godeau, et prétendait que dans tous les colley, s .m
s'en servirait par préférence aux anciens poètes latins, J'ai parlé à
M. Coignard de notre dessein; mais celui qui est possesseur du privi-
lège est trop entêté. Ainsi il faudra que nous allions notre chemin et
que nous le laissions. L'édition n'est point commencée, et si ce que
Ton me dit hier est confirmé, elle ne le sera pus encore, savoir qu'il y
avait une lettre de cachet contre l'abbé. Il n'y a rien là qui surprenne :
depuis longtemps il en est menacé; je n'ai point cherché h le voir, sa
conduite est trop décriée.
J'ai reçu hier une lellre de Genève qui me prive encore pour quelque
temps du plaisir de vous voir : il faut que je passe par Dijon où je ne
ferai cependant que trois ou quatre jours de séjour, et me rendrai chez
moi. Je partirai, ail plaît au Seigneur Jeudi prochain. Je vous demande
la continuation de votre bienveillance et je vous prie d'être toujours
m
REVUE D'HISTOIRE LÏTTtRAïBE UE LA Fit .
persuadé du parfait attachement avec lequel je suis, monsieur, Tôtrc
1res humble et 1res obéissant serviteur, Barri llot,
Rousseau ne semble pas avoir élé sensible outre mesure a une
nouvelle dîsgrAce du sort qu'il avait depuis longtemps prévue. OU
du moins sa correspondance avec Brossetle ne conserve aucune
trace des sentiments qu'il put ressentir à ce sujet. Vn adversaire
bien plus redoutable que Lenglet lui faisait alors une guerre
autrement cruelle et il était de ceux qu'on ne saurait paraître
mépriser. C'était le temps où les hostilités entre Voltaire et h
Baptiste Rousseau étaient particulièrement vives, et les coups se
suivaient d'assez près pour ne pas laisser trop de loisir à l'un
comme à l'autre. Au restr, peut-être faudraït-il voir une manœuvre
de Voltaire dans le retour offensif de Lenglet contre Rousseau,
Celui-ci ne prit pas garde, à la fin, à un ennemi qu'il avait méprisé
des le début : il réservait toutes ses forces contre l'autre et encore
ne furent-elles pas suffisantes pour lui assurer la victoire dans un
débat où il avait certainement eu raison à l'origine. Il dédaigna
donc de répondre comme il l'aurait pu au procédé de l'abbé Len-
glet et laissa le public juger une conduite que tous les honnêtes
gens ne pouvaient que condamner. Quant à Brossettc, quoique
désormais hors de cause, il suivit quelque temps d'un œil attentif
les faits et gestes de Lenglet et se préparait à y répondre, le cas
échéant. C'est encore Lasseré qui servit d'intermédiaire, dans la
circonstance, et il ne dépendit pas de lui qu'on ne tirât de l'abbé
Lenglet une vengeance exemplaire, si on en croit la lettre qui suit,
pleine d'une colère verbeuse.
Au Temple, ce 17 mars 1734.
Étant, monsieur, très persuadé que ai l'absence ni la distance des
lieux n'effacent point de votre cœur ceux qui se Nattent d'en mériter
quelque petite portion, c'est à ce titre qu'aujourd'hui je ne fais aucun
doute que vous ne vouliez bien amicalement prêter la main pour refréner
l'atroce calomnie dont Tannée dernière J 'infernal prêtre Lenglet, U
moi, vous aurait affublé envers le pauvre illustre infortuné IL Rousseau.
Voici le fait dont il s'agit. Cet exécrable coquin, au mépris du blâme
qu'il a subi de la police, après quelque laps de temps» a porté sou
libelle à Amsterdam, que les magistrats ont trouvé si abominable, qu'ils
Tout condamné au feu et mis au pilou. Ce diable incarné, sur lequel
l'ignominie ne fait que glisser, a changé de voie en portant sa maligne
vue sur Rouen où l'imprimerie de Hollande se contrerait ad hh*fum% et
là, sous l'impression de la veuve Poilraz, soi-disant d'Amsterdam, il
a mis au jour un livre en deux volumes ïn-8, intitulé CViûgû
ftttf, et sous ce titre illimité pour introduire tout ce qu'il veut sur
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET L EN KL ET DU KRESNOV.
587
sa pernicieuse scène» il fait triompher la fable de la doctrine, de This-
toire. des mœurs et de la religion. Le style est strident, bien tapé»
léger, ingénieux et disert par-ci par-là, au demeurant per fas et ne fus.
Enfin, le tiers de la fin du premier volume contient contre Rousseau Je
plus horrible bordereau de scandale que tous les diables aient jamais
pu forger, sous le nom d' Éloge kî&toriqite tht sieur Housseau, qu'il intro-
duit, ne vous en déplaise, sous les auspices d'un bel avertissement au
lecteur sous les yeux duquel, par l'organe du mensonge, son idiome
ordinaire, se gardant bien de parler de l'aventure qui sur votre compte
me le fit traduire h la police, voulant ridiculiser son monde du côté
<k Rousseau, il habille à sa façon un l nu m virât entre M. le duc d'Àren-
berg, lui et moi, dans lequel, comme pouvez bien penser, il ne fait pas
tomber sur lui le plus mauvais rôle. Cette belle kyrielle finit par une
esquisse, au lieu des trois Grâces, des trois Furies qui doivent berner
Rousseau, ce qui doit être et paraître incessamment au frontispice du
nouveau Régnier, et en propres termes, malgré le due d'Arenberg,
Rousseau et sa séquelle. Il résulte de ce fidèle récit, monsieur, que le
livre court Paris et que M. Hérault ne Ta su qu'après coup, de manière
que toutes les défenses et précautions ne servent qu'à renchérir ce
libelle qui, licencieux et aussi effréné qu'il Test, doit tomber de lui-
même. Les Jésuites n'iront pas autrement aux accords avec l'auteur.
Hier, je dînai avec deux très dignes et très célèbres en littérature,
Roullié et Brumoy, Ces deux hommes illustres se sont depuis peu
chargés du Trévoux, à coup sûr au grand contentement du public, et
p& trammnam} ces pèros tous frais émoulus de la lecture de ce bel
opuscule de Léviathan, je leur aï naïvement conté comme quoi jv>ur
refréner une noirceur à laquelle on voulait aous votre propre et privé
nom faire prendre faveur, je m'étais tant pour vous que pour la vin-
dicte publique emporté et déchaîné contre cette perversité, à l'effet de
quoi même j'en avais interpellé votre entremise pour faire punir un
attentat de nature si perverse.
A présent, monsieur, ces deux révérends veulent, à leur 7Wvou,i\
enfoncer la dent sur ce damné alambiqué. A cet effet, on vous prie!
aussitôt la présente, et pour acte vraiment de justice distributivc et
raison bien raisonnes, mûrement même délibéré tant à votre égard
qu au nôtre et à celui des mordus et mordillonés à la noire pancarte,
de vouloir bien hic et nunc envoyer au R. P. Brumoy, au collège de
Loiris-le-Grand, une copie delà lettre qu'en fr>rmed amende honorable
M. Hérault avait ordonné au monstre Lenglet, lassé de prêtrise, de
vous écrire en réparation du crime dont il avait traîtreusement voulu
bistourner votre probité, bonnes mœurs et candeur d'àme. Les révé-
rends joignant cette lettre au tableau qu'ils disposent, vous sentez bien
que ce principal coup de pinceau rendra l'ouvrage parfait. Comme
dans cette occasion M. Hérault se constitua le facteur de la lettre et
qu'il ne désirait point, tant pour vous que pour l'exemple public,
qu'elle fut secrète, je puis vous assurer qu'il ne sera nullement fâché
REVCE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE Ll FM>CK
de la relire dans le prochain TrëvorLt en attendant qu'on poisse déterrer
ce mignon d'enfer, tapi sans doute actuellement au milieu de cent
mille diables sous la chaleureuse cotte de la putride Proserpine. Mais
la plume me gagne et mon diffus vise à l'ennui ; il faut le briser par le
renouvellement d estime, de considération et d'attachement sincère
dont vouti est dévoué, monsieur, votre très humble et très obéissant
serviteur, de Lasseîœ.
Brossette s'empressa de suivre le conseil que lui donnait Lass^ré.
I! écrivit aussitôt, le 26 et le 30 mars 1134, deux lettres au
P. Brumoy pour accompagner la copie des différentes pièces de
son démêlé avec Lenglet, et mettre le jésuite au courant de lout.
Ces lettres sont insérées dans le recueil manuscrit de la biblio-
thèque de Chartres <l 2i\2 et 20S), mais elles ne font que résumer
des épisodes déjà connus des lecteurs. Le P* Brumoy en accusa
réception à Brosse lie par la lettre suivante, mais il ne fut tiré
aucun parti en public des documents ainsi signalés.
A Paris, Je 1 avril 11
Monsieur, j*ai reçu avec bien de La reconnaissance les papiers que
vons m'avez fait l'honneur de m'envoyer. Permettez-moi de vous en
remercier au nom de toute notre société littéraire. Nous avons vu avec
horreur la preuve complète des noirceurs d'un homme qui se dit
prêtre et qui a le front de se jouer de la probité, de la religion» des
mœurs de la république littéraire et du monde entier. Soyez très per-
suadé» monsieur, qu'il rien a recueilli d'autre fruit que l'exécration
honnêtes gens qui connaissent trop la différence de ce galant
homme et des personnes respectables qu'il attaque avec tant d'impos-
tures pour être dupes de ses suppositions. Vous êtes vengé par le
public* Ainsi nous n'avons garde de vous commettre dans l'usage que
vous nous permettez de faire de vos mémoires. Le P. Bougeant, chargé
de l'extrait du livre, ne passera point les bornes que vous nous pres-
crivez. Vous me ferez un très grand plaisir, monsieur, de me faire part
de votre discours, lorsque vous en trouverez l'occasion, Le sujet était
digne de la justesse de votre discernement et de la plume qui nous a
rendu Despréaux si charmant. Vous n'aviez pas besoin de jeter les
yeux sur mes faibles réflexions au sujet de Sophocle. Épargnez-moi
éloges que je ne crois mériter que du coté de ma bonne volonté en
faveur des anciens si chéris de votre illustre ami et de vous. Le
P. Houille est forUensîble à l'honneur de votre souvenir et il me prie dfl
vous en remercier* Je communiquerai à M. de Lasseré ce que vous avez
bien voulu m'envoyer. Je lui dois des actions de grâce des lettres obli-
geantes qu'il m1 a procurées de votre part. Je vous réitère mes remer-
ciements et je suis avec une estime respectueuse, monsieur, votre I
humble et très obéissant serviteur, Brumoy, J.
JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU ET LENGLET Dl FRESKOY.
|*f
Les Mémoires dr Trévoux, publiés par les Jésuites, ne manquè-
rent pas de signaler l'ouvrage dans les tenues qui convenaient et
ils surent être sévères à l'égard de Fauteur sans être injustes et
sans provoquer des représailles de sa part. Ainsi qu'on vient de le
voir, c'est le P; Bougeant qui avait été chargé de ce compte rendu,
("«tait un jésuite bel esprit, comme la compagnie en comptait bon
nombre alors, et qui s'attardait volontiers aux discussions oiseuses
de casuistique littéraire. Lui-même essaya de dire mieux son fait
à Lenglet dans un roman allégorique, froid et prétentieux, qui
n'était guère propre à prolonger la querelle. Pourtant Lenglet,
coulumier de semblable palinodie et ennuyé qu'on le reconnût
pour Fauteur d'un ouvrage qu'il n'avouait pas, se mit à traiter
dans un nouveau livre la thèse opposée à celle qu'il avait exposée
dans le précédent, 11 publia, l'année suivante, un volume intitulé
VHiatotre justifiée contre les Romans ijui ne trompa personne et
qui, en tout cas, ne pouvait pas le laver des reproches qu'on était
si fort en droit de lui faire. L'aventure avait commencé par une
infamie qui n'avait réussi qu'à moitié, mais les gens bien informés
n'ignoraient pas que Dfil insuccès n'était pas son faiL Ceux qui
avaient pu suivre d'assez près les événements pour avoir une opi-
nion a leur endroit étaient unanimes à condamner l'abbé Lenglet
et à déclarer ses procédés exécrables. Il importait que l'avenir
put, à son tour, pièces en mains, se prononcer sur un épisode d'his-
toire littéraire qui ne manque pas d'être instructif. Il me semble
que le dernier mot à ce sujet est la réflexion par laquelle l'avocat
Marùs terminait une de ses lettres au président Boubier : « Voilà
une indigne action qu'a faite Fabbé Lenglet; il en est bien capable,
il n'a fait que des trahisons en sa vie; celle-ci est d'un nouveau
genre et mérite une punition exemplaire. » Et quelle punition y
a-L-il de plus exemplaire que la vérité étalée dans toute sa nudité
aux yeux de la postérité? Quelle condamnation plus ernelle que
celle qui résulte des faits eux-mêmes exposés sans haine, comme
ils se passèrent jadis, d'après les témoignages les plus probants?
Paul Bûnnefon.
5*0
REVUE n HISTOIRE UTTÉÎUIIU; !>E LA FIANCE.
ANTOINE DE GUEVARA
SES LECTEURS ET SES IMITATEURS FRANÇAIS
AU XVIe SIECLE
L'Espagnol Antoine de Guevara, d'abord évèque de Guadix,
puis de JMondonedo, m prescheur, chroniqueur et conseiller ■» de
l'empereur Charles-Quint, eut peut-être à l'étranger plus de lec-
teurs que dans sa patrie, Il est vrai qu *il fut surtout connu el
goûté par des traductions; elles se multiplièrent eu Italie et nolain
ment en France1, attestant le succès d'un écrivain qui sous la
parure du style était cependant un penseur médiocre» un conteur
prolixe, et malgré des parties originales un satiriste assez froid,
Guevara gagnerait sans doute à se voir replacé dans son milieu
historique, dans le cadre espagnol d'où sa renommée l'avait fait
sortir. Ses lettres et ses traités sur la cour réclament pour être
pleinement compris la connaissance des événements, des mœurs,
des personnages, de la vie contemporaine qui en fait le fond, À
prendre ces ouvrages par leur coté formel et littéraire, on se
dégoûte vite de la facilité des lieux communs, de l'emphase et de
la déclamation; celte impression vous fait oublier les services
rendus par l'écrivain à sa langue maternelle, à la phrase castil-
lane à laquelle il a su donner, avec quelques autres de ses con-
temporains, le nombre et l'abondance.
Il semble que les défauts de Guevara soient devenus plus sen-
sibles dans la traduction : ils plurent rependant au public étranger
qui recherchait moins l'exactitude historique que l'intérêt moral.
Ceux mêmes qui chez nous pillèrent l'auteur espagnol, n'y regar-
dèrent point de beaucoup plus près. De l'Espagne, ils retenaient ce
qui leur paraissait convenir à la France Ils généralisaient la pein-
ture dont ils négligeaient les traits particuliers et locaux ; méthode
de transposition en soi légitime, mais dont le succès est en raison
de la valeur de l'ouvrage, Or Guevara n'avait pas mis dans son
observation assez d'humanité, assez de vérité supérieure pour que
toute une époque s'y reconnut au vif. Comment donc expliquer sa
fortune?
t, V. dam le manuel de Brunet une bibliographie de ces traductions assez
complète, mats confuse. Cf. la bibliothèque de Lacroix du Maine et d'Ant. Du
Verdier (arUeXe Gotvaju} ei ttnyie {Dkt. hist.y
AM01YE DE <a I.VAIIA.
Tout d'abord par la faveur qui s'attacha rapidement aux traités
de morale satirique, aux tableaux de la société et particulièrement
de la vie de cour. Pour ne parler que de la proset le x\i" siècle vit
éclore sous des formes diverses, lettres fictives, dialogues, récits,
dissertations didactiques, toute une littérature qui en Italie, avant
l'apparition des livres de Guevara, avait déjà produit, outre les
Azolani de Bemlio, un vrai ehef-d œuvre : le Cortegiano de Casti-
glione*. Guevara suivit te courant, et bénéficia de la vogue. Mais
il lit plus ; à la morale et à l'histoire il mêla une forte dose de
pure imagination et de romanesque, en compilant sa fameuse Hor-
loge des Princes, la vie <* dorée » de Marc-Aurèle*, que les huma-
nistes se gardèrent de prendre au sérieux, mais qui séduisit la
foule des demi-lettrés et des ignorants *.
Ce fut là une autre cause de succès; le public qui se délectait au
roman de chevalerie, aux Âfnadi$t à VOrlando fvrio$o9 accueillit
avec empressement le roman d%antiquîté \ lecture plus <_rrave en
apparence, mais faite aussi pour les esprits frivoles, heureux de
s'instruire sans trop s'ennuyer. Guevara leur offrit un Maiv-Aurèlé
plus chrétien que stoïcien, roi débonnaire plus qu'empereur phi-
losophe, et plus sermonneur que politique. Le modèle fut aussi
proposé à Charles-Quint, mais il n'était pas laîllé à sa mesure!
Plus que les princes, les faiseurs de récits « mémorables et prodi-
gieux », comme en France P. Boaistuau, Fr. de Belleforest et JL de
Marcouville, tirèrent parti de Vlfortoge. C'est ainsi que l'histoire
dramatique du paysan venu des bords du Danube, apostrophant
rudement le Sénat romain, fut plusieurs fois traduite dans notre
langue auxvi* siècle; au xvuc, Cassandre la plaça dans ses Parallèle*
1. Publié pour la première fois en IB28. Les Jellres de Guevara et ses deux
^ur la cour partirent en 4539.
2, Mareo Attreli» cnn et Itetot de princiftes* VallaiîolhL Nie. Thierri, 1539, ùi*r\
L'ouvrage fut traduit en français et amplifié sous le titre de Lïr> Mure-
AurèU, par Item' fkrUiaut, sieur de Ja Grise : Paris, chez Galliot du Prè, 1531,
in i . .Mi-Hic traduction, revue, el intitulée : L'oriage des Princes çhej Je même,
154(1, in-f*. Le travail de BerthauL fut encore revu et corrigé par Nicolas de
Merb^roy des Kssars, mais seulement « en parUe n : RUtoir* tk Mara~AurèUt
empereur romain, rray miroir et horloge du Princes*.^ chez Pierre et GaJliot du
Pré, 1565h, in-f". (La revision de des Ëssars avait paru' antérieure m ont chez
l'Àngelierj en ISS&) Auîre révision de Berthnul, par AnL du Moulin : Lyon, chez
"innés, 1557» in-t<L lirunet compte jusqu'à seize éditions de la traduction
française du Marco Aurelio* L'ouviagf fut aussi traduit en italien par Fausto
Longiano, en 1546; par Mambrin Ruseus, en 154S ; d'après Bayle).
3. Vi tiayle, DicL hiM. (article Gluvaka), et Ticknor, MU* de la lit t. esp., trad
Mrtgnabal, t. U, "32 et Sij
4, H est assez plaisant d'entendre Guevara protesLcr contre les livres de cheva-
lerie ; • Cfatl compassion de voir jours et nuicts plusieurs se consommer à lire
livres vains, comme Gjglurs, Lancetol, Fierabras, les quatre JUs A) mon, Tristan. •
{lfofloget discours de Tau leur; Lrao\ des Essors.)
SB3
REVUE P HISTOIRE UTTÉRAIHE OE LA FRANCE.
hiêtorigue**; La Fontaine lui donna l'immortalité en faisant
admirer :
... le grand cœurt le bon sens, l'éloquence
Du sauvage ainsi prosterné.
Hais où Guevara avail-il pris le récil? peut-être dans un recueil
de ranliquïlé qui se sera perdu. Je lui attribuerais plus volontiers
l'honneur d'avoir forgé de toutes pièces la correspondance de Plu-
larquc el de Trajan qui figure dans Y Horloge et dans les Epti
Aussi bien le roman de Marc-Âurèle est écrit en partie dans la
forme épistolaîrc, et, par le ton sentencieux, c'est aussi une pre-
mîî*re épreuve des Episiùlûë f ami tiares ^ celles-ci, publiées en même
temps que le Menosprecio de corte et l'Aviso deprùado*, relevè-
rent tévêque de Mondonedu dans l'esprit des honnêtes gens. Son
érudition y fut de meilleur aloi. Il inventa moins, citant le*
anciens et les traduisant, recueillant des maximes chez Cicéron el
Sénèque, des anecdotes chez Plutarque, Àulu-Gelle et Diogène
Laerle,
11 accommoda Platon au christianisme. La moisson était confuse
et mêlée; il n'en fut pas moins un de ceux qui introduisirent dans
la littérature moderne l'esprit de l'antiquité. Gomme tel, il fut
naturellement accueilli en France, où cependant les précurseurs
— et les plus brillants — ne manquaient pas. On lut Guevara, et
«Mi le lut en français avant quWmyot n'eût donné son Plutarque \
Si à partir de 1559 l'oeuvre <TAmyott el vers la fin du siècle les
Essais de Montaigne exercèrent sur le goût français une influence
prépondérante, on n'oublia pas aussi vite que nous serions tentés
de le croire, les premiers ouvriers de la Renaissance.
Ayant exprimé dans son livre le suc de la sagesse antique — et
s'y étant mis aussi lui-môme avec son génie, — Montaigne avait
sans doute le droit de marquer en passant quelque dédain pour
les lettres de Guevara, t< desquelles ceux qui les ont appelées
Dorées, faisoient jugement bien autre que celuy que j'en faya ».
Elles avaient cependant servi à Montaigne, avec tant d'au 1res
livres qu'il lui suffisait « de feuilleter » \ mais en laissant dea
1, V. La Fontaine, édiL des Grands Écrivains, t. 01, p. I
2, A ce même Plularque, L'éditeur joignit la Décade des Empereurs, traduite de
Guevara, par À, Alajgre (Paris* Yascosan, IW).
3, gfttit, livre I, chap, 48; édit, Jouaust, t. II» p. 255,
i« Cf. P. Bonnefon : Montaigne et ses «mû, t. J, p, 241 et sq ; 301 et sq. et la
Bibliothèque de Montaigne* dans cette revue, t. Il, p. 318 et sq. Les deux livres
espagnol*, dont un volume des Amadis, qui ont appartenu à Montaigne, laissent
supposer qui! entendait celte langue; mais qu'il ait seulement recouru pour Gue-
vara à la traduction française, il n'en est pas moins curieux de recueillir les tr
de sa lecture.
ANTOINE DE Gl'EVARA.
503
signets aux bons endroits, D'autres, comme Antoine du Verdier,
y puisèrent à pleines mains, Gucvara ii*eut donc pas seulement en
France des traducteurs; il eut aussi parmi nos écrivains des lec-
teurs de choix et même de simples copiste
Quant aux ouvrages exclusivement « spirituels » de Guev&ra,
je ne les ai pas compris dans cette étude. Le Mont du Calvaire a
été traduit en français par Bclleforest1; Y Oratoire des religieux
par Nicolas Davy *. Textes ou traductions ont-ils eu une action quel-
conque sur le talent de nos prédicateurs et de nos écrivains mys-
tiques? c'est une recherche que je n'ai pas faite, ayant assez pour
m* occuper de la littérature profane et laïque.
I. — Les traités siîr « la Cour » de Guevvra et lk Courtisan
retiré de Jean de la Taille.
Le Menosprecio de corte y alahança de aidea parut en 1 53!) avec
['Aviso de prîvados // doctrina de corlesauos*. Ces deux traités
qui se complètent furent traduits séparément en français, le pre-
mier dès 1542 par Antoine Àlaigre1; le second, en 1556 par Jac-
ques de Rochemore, et intitulé Le favori de court** Au xvuu siècle,
Sébastien Hardy donna une nouvelle traduction de l'Aviso sous le
l i t r e d e fk1 ve il te - m a fin des c o u rt isatis * •
L. IVinst chez Gervaïs Maltol, 151ÎT ïn-8°. *
& Paris, chez fiuill Ui an-ji- -iv, 1,"7&t ïn-8°.
3, El La première partie des Ept&iùhiA fitmiliaret; Valladolid, in-T'. Pour les deuat
Irai Lés, je citerai l'édition donnée à Alcala de |lenArc$, 15Î12, in~S".
■i. A Lyon, chci Pierre de Tours» 15*2 (d'après Brunel). ta traduction d'Alaigre
porle ce titre ; Le mespris de la Court avec ta vie rtatique. Elle fat publié* ,i l'iris
un 154V, par GaJtiol du Pré, qui y joignit ht parfaiçte amue, d'An t. lieroet; VAmie
de Court,, de Borderic; 11 Contre- Amie de Court, de Ch. Fontaine, VÀndrotjyne de
Platon, ■< Lraduirt de latin en françoys par An t. Ueroei », et plusieurs autres pièces.
Je cite une autre édïiîon de ce reçue}], donnée & Paris chez Jelian Ruelle, 15*5,
i n - 3 r. (Bibl, Mazarine), 11 y eut eu moins neul" éditions diverses de la tradiKtimi
d'Alaigre. Lacroix du Maine cite une autre traduction française, de Louis Turquel,
I mut nais (1574); rééditée avec traduction italienne en regard, chez Jean de Tournes,
Genève, 15ÏH (d'après Bru net ). Du Menosprecio la bibl. Mazarine possède une
traduction hollandaise, Anvers, Vôl'i; et une trad, italienne, Florence, !GD1,
S. * ♦«. contenant plusieurs avt rtissrmens et bonnes doctrines, pour les favoris
des Primes, eL iu|rea seigneurs et gentilshommes qui hantent la Court, Noutelie-
ment traduict d'espaignol en François, par Jleqili de llochemore, lieutenant
parlïeuiter en la Seneschauoeo cl sie^e Presidïal de Beauoaire, et Niinet en
Languedoc. « Tel est le Mire de la 2* édit.t 1557, Anvers, Christ Plan lin iliihl,
NaL). La première parut à Lyon chez Rnville, 1556* Dans Pépitre dédicaloire, le
traducteur s'excuse de son languedocien; il ajoute qu'il a suivi le leite fidèlement.
Je relevé terreur de BruneL qui donne le Favon «omitic la traduction du
Menosprecio, Bru net a sans doute été trompé par l'avis au lecteur de Sebastien
Hardy, qui présente à tort son ftéveilte-Matin comme la première traduction de
l'Aviso,
G. - .., ou moyens légitimes pmir parvenir à la faveur et pour sfy maintenir -.
Parist Rob. tSslienuc, (622 (Bibl, NaL), Hardy a pris ce titre à Guevara qui, ayant
594
REVUE D HISTÙIHK LlTTÉRAlftE NE LA FHASCE.
Guevara avait sous les yeux, quand il écrivit, le CorUgianû de
Castiglionf. A-t-il voulu limiter* comme on Fa dil? Précisons ce
poitiL Gucvara n'a fait ni une copie ni une adaptation; il n'a pas
habillé h l'espagnole le brillant seigneur de la cour d'Urbin; le
personnage qu'à son tour il a dessiné en est, comme nous allons
le voir, tout différent par le caractère plus encore que par le
costume.
Et «l'abord, en étalant dans le Merwsprecio les misère-set les vices
des courtisans, Guevara a-t-il pensé réfuter le Cortegiano ? je
n oserais l'affirmer; dans ce cas, il se serait trompé sur les inten-
tions A>> t ) astiglione et sur la portée de son œuvre. Nos satiristes
français sont tombés dans cette erreur. En montrant aux esprits
cultivés de tous pays, et a ses compatriotes les premiers, l'idéal
qu'il avait entrevu, Caslîglione n'avait pas prétendu faire 1 apologie
de toutes les cours, ni même de la cour en général; il n'avait
point à dissimuler, pas plus qu'il n'était obligé d'étaler la laideur
d'une réalité qui n'était pas son objet. Le nom même de courti-
san, du moins au sens français, ne convenait pas à l'honnête
homme indépendant qu'il mettait en scène et qui était plutôt l'égal
que le « serviteur » de ses Mécènes italiens.
Dans V Aviso de privados il me parait certain que Guevara a
vraiment eu le dessein de compléter son devancier, et d'écrire, lui
aussi, une tr doctrine », un code du parfait courtisan; il a retr
les devoirs et les obligations de l'homme qui veut rester vertueux
et chrétien, tout en vivant à la cour et en servant fidèlement b
roi, son maître.
Cette idée morale concilie d'une manière factice les deux traités
qui sont dans le fond contradictoires, « Vous vous perdez à la
cour, et vous perdez non pas seulement votre santé et votre for-
tune, mais ce qui est plus grave, votre âme ; seulement, puisque
je ne puis supprimer la cour, je vais vous indiquer les moyens
d'y demeurer en sauvant votre mise, » Malgré tous ses efforts,
Guevara n'arrive pas à former un caractère aussi sincère et aussi
détaché de l'intrigue qu'il le voudrait; il recommande d'observer
les goûts du prince, et de suivre en tout ses idées1 : moyen certain
de lui plaire, sinon de se tenir soi-même dans la bonne voie! II
est vrai que le prince est aux yeux de Guevara Têtre supérieur,
infaillible, qui tient de Dieu son autorité- La « doclrina de cor-
intitulé non Mare-Àtnvle Retax de principes , nomme ce traité despertador de carte*
sanos, pour éveiller les courtisans des van liés ou Us sont endormis (Aviso,
Prologue).
1. Avi#Q% cap. IV, p. 138,
AMTOI^K DE r.LKVARA.
&*3
tesanos » repose donc sur la foi monarchique la plus absolue et
la plus aveugle.
Moraliste chrétien et catholique, Guevara n'évite pas assez, dans
la satire le ton de la prédication. Il a cependant écrit plus d'une
page ferme el même éloquente» par exemple sur l'impuissance de
['homme à satisfaire ses désirs : « Le plus excessif travail que
l'homme puisse porter, est de n'avoir en rien contentement »,
argumentation que reprendra Montaigne, pour démontrer l'imper-
fection de l'homme \
« Reiïrener le cœur est plus grande peine que contenter le corps ;
car le corps se lasse de pécher» et le cueur jamais de désirer. Si le
o.urtisan porte à sa maison-les passions et affections qu'il a gai-
gneee à la court, il luy seroit mieutx n'en estre jamais bougé; la
raison est, pour ce qu'en la solitude sont les souvenirs plus pic-
quanls et les hommes moins occupez à résister \ * Comparez
encore Montaigne, qui d'ailleurs se souvient aussi d'Horace ;
* Souvent on pense avoir quitté les affaires, on ne les a que
changez,.. D'avantage pour nous estre deffaits de la cour et du
marché, nous ne sommes pas deffaits des principaux lourmens de
nostre vie*. »
Guevara sait donc que l'air des champs ne guérira point celui
qui i trop respiré l'air de la cour; la cure réussira aux moins
malades, capables de goûter encore le bonheur de la vie simple,
Mais il y met trop d'oisiveté; il oublie les rudes travaux du
laboureur. Passant la semaine à chasser ou à pécher à la ligne,
écoutant le dimanche le prêche du curé, et se récréant après dîner
à la conversation des villageois, il est fort à craindre que son
hidalgo ne se consume dans un profond ennui,
Cet éloge de la campagne n'est en somme qu'un lieu commun.
En revanche, la partie satirique du traité ne manque ni d'intérêt
ni de vigueur. Guevara s'attache à prouver que le courtisan, en
dépit de ses habiletés, est plus souvent dupé que dupeur. — « Il
n'est pas appelé courtisan qui n'est bien endebté*. » — « Des ce
que quelcun vient nouvellement en court , Madame la gorrière
luy donne un traict d ceil, l'entretient, le caresse, Tacolle, et puis
le voyant bas, l'envoyé paislrc aux champs6. » — D'autres ont
affaire aux pourvoyeuses : n II y a aussi des femmes à la court,
lesquelles, depuis que leur aoust et vendanges passent, servent
\. Estais, livre f, chap* SX Mtapris de la Com\ chap. 2. p, S.
4. Mesprîs Ur ta Cour, chap, 3» p. i3, v*, et etiap, 4, p. l*-t3*
3. EmtÎÊ, h chap. 39 (L U, p> 176),
., MesprU de ta Cour, ch»p. 'J, p,
5, îbttl., ehap. 15, p. »
506 REVUE IMHSTOIIŒ UiriHAÏHE UE LA FRANCE.
aux pécheurs de couverture, trompent les chastes, subornent les
mariées... vendent filles» et à ce les nourrissent1-») Macetle a dû
se reconnaître dans ce portrait,
Guevara avait eu le temps d'observer la cour; il y passa plu-
sieurs années de sa jeunesse, avant d'entrer dans les ordres; il y
revint plus tard, dans l'éclat de sa dignité épiscopale, pour y
prêcher devant ses anciens compagnons de plaisir. Lui-m*
s'accuse de ses erreurs passées et il dit le regret de ses années
perdues* «J'en, rapporlay la teste grise, les pied* pleins de poulie,
la bouche esdentee, les reins pleins de gravelle,.. et, qui pis est, je
ne prends poust aulcuu eu chose du monde, et suys de moymes-
mes plus que de tout cela mescontenl\ » Il est évident qu'il exa-
gère, ou plutôt qu'il impute à ses péchés de jeunesse les infirmités
d'un Age beaucoup plus mûr. On sent ici TarliGce oratoire du
prédicateur, plus qu'une confession sincère.
Je rne suis arrêté d'autant plus volontiers au Mmatprwio de
corteqm ce traité a été imité de fort près par Jean de la Taille dans
le Courtisan retire , qu'il publia en 1574. Cette pièce, qui compte
dans L'histoire de la satire en France, a été souvent citée, sans
qu'on en ait soupçonné l'origine*. Or, le titre même est une formule
de Guevara k, et il s'applique exactement au thème et à la situation
que présente l'ouvrage espagnol.
Il est vrai que La Taille a très habilement changé le cadre du
tableau, et pour l'animer il s'est mis lui-même au premier [dan :
la cour dont il sort, l'âme toute meurtrie, c'est, dît-il, celle de
France,
Qui lors du beau Gaillon honorait le séjour,
bous le règne de Charles IX et de Catherine de Médicis. Mais
depuis la mort de Henri II tout a été bouleversé en France, et La
Taille nous fait entendre les doléances d un vieillard désabusé qui
fut tout puissant sous Henri II, prit part aux affaires du royaume
sous le fantôme de son successeur, essaya, à L'avènement du
Charles IX, de changer de robe, « en prenant Tbahit des protes-
tants », mais dut enfin céder la place quand les guerres de reli-
gion éclatèrent. Jean de la Taille était de ce parti d'honm Mrs non s
1. IhifLt chap. H, p. 31.
2. MiU, chap. 18, p. 47.
3. V, Le XVI* siècle de Sainte-Beuve, édiL Trou bat, t. l, p. 168 et 228, et * Jean rt
Jacques de ta Taitfe; étude biographique et H Lié rai re, par Baguemiull de Paclli
Orléans, Herluison, iSKU. — Œuvres de Jeun delà TaitUt publiées d'après ri
menls inédits par Bené de Maulde, 4 vol. in-i2t 187S-82, non numérotés. V* te
Courtisan retiré* dans Le vol. contenant les satires, p. 22 et sq.
4. * EL cortesano retraytlo -,
ANTOINE DE CUEVARA. 597
et d'indépendants qui déploraient les persécutions, sans" vouloir
passer dans le camp des huguenots x :
Est-ce icy la concorde, o Dieu, par toy promise
Quand on ne verra plus en toute région
Qu'une foy, qu'une loy, qu'une religion?...
Maudite guerre! helas! n'estoit-ce assez que France
Eust souffert par avant si grand perte et despense,
Si tu ne venois or la ronger par dix ans,
Donner aux estrangers les biens deus aux enfans2...
Il y a dans ces vers une émotion vraie; il est regrettable
qu'ils soient noyés dans un développement de pure rhétorique,
auquel d'ailleurs ils se rattachent mal. Les malheurs de la France
nous auraient plus vivement touchés que les mécomptes d'un
ambitieux, étonné de sa disgrâce, quoiqu'il eût su :
bien mettre en œuvre
Tout ce que Ballazar de Chastillon descœuvre
En son Courtisan feint3...
La personnalité du poète n'intervient en somme qu'au début et
à la fin de la pièce, pour nous avertir que La Taille a suivi l'exemple
du vieillard, et qu'il a laissé la cour :
Aymant mieux honorer mon petit Bondaroy,
Que chastelain je tiens en hommage du Roy,
Me pourmener au bord de ma petite Essonne,
Qui mes vers et mon nom desja, desja resonne 4 .
Et c'est tout; car il ne faut pas tenir pour une confession ce
passage, pris à Guevara:
Le loyer que j'en ay est que je m'en retorne
La mémoire gastee et le jugement morne,
Le chef gris, et la goutte aux jambes et aux mains,
Mes plus beaux ans passez et la gravelle aux reins :
1. A vrai dire, La Taille était un hésitant, et ses sentiments ont sur ce point
plusieurs fois varié. Le poème posthume du Prince nécessaire est d'une inspiration
nettement calviniste, comme Ta montré M. de Maulde. Cf. l'étude de M. Bag. de
Puchesse.
2. Courtisan relire, p. 24 et 32.
3. lbid., p. 27. Dans le Prince nécessaire, nous lisons au contraire un éloge de
Castiglione :
Qu'il ait pour courtisan cestuy que Baltazart
De Chastillon descrit, qui luy appreigne l'art
De régner justement, qui ses mœurs luy façonne
Et luy donne cela qu'un ignorant ne donne...
(p. 125).
4. lbid., p 51.
Rcv. d'hist. uttér. de la Franck p« Ann.).— VII. 39
598 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Ce qui plus me deplaist est que je déplais ore
A tous et tous à moy et me déplais encore '.
Toute cette longue satire de la vie de cour est composée de
tirades traduites du Menosprecio, ou qui en résument avec les
expressions les plus saillantes les idées principales :
A la cour le flateur on surnomme amiable,
Le follaslre gentil, le superbe honorable,
Le rufisque amoureux, l'outrecuidé vaillant,
Le hâbleur éloquent, sage le peu parlant.
Bref pour tel que tu es jamais on ne te nomme;
Pour la religion le neutre est habile homme.
Le procédé d'opposition est familier à Guevara; La Taille y
revient :
Car s'il est gracieux
On le nomme flatteur; si grave, glorieux,
Si gaillard éventé; s'il parle peu, ignare*,
Si vaillant, estourdy ; si ménager, avare.
Chez La Taille aussi, l'éloge de la campagne « alabança de
aldea » alterne avec la diatribe contre la cour :
0 combien davantage on doit priser les champs
Où les hommes ne sont si cauts ni si méchants,
Où Ton se loge avec commodité plus grande,
Où Ton a meilleur air et meilleure viande *, etc.
Le gentilhomme français, comme son confrère espagnol, se
livre aux douceurs de la pèche ou de la chasse; il ménage sa
fortune et sa santé :
Heureux qui, hors de cour, eschappé se peut dire
D'une belle prison, d'une joyc martyre
D'un chaos éternel, d'un magnificq' tombeau,
D'un triomphe sans fin et d'un gouffre sans eau,
Bref d'une momerie où avec fausse barbe
Les maux viennent masquez, dorez comme rubarbe4.
4. lbid., p. 33; v. ci-dessus.
2. Ibid., p. 34 et 35. Je cite pour les rapprochements suivants la traduction
d'Alaigre, où il me parait que La Taille a pris son bien, plutôt que de recourir au
texte espagnol : « A la Court, tous sont evesques pour cresmer et curez pour bap-
tizer, et muer noms. Car on appelle le glorieux honnorable, le prodigue magnifique,
le couart sage, le vaillant oultrecuydé, le fol joyeux, le sage hypocrite, le malicieux
subtil, le desgorgé éloquent, l'adultère amoureux, Tavaritieux tempéré, et le peu
parlant sot et ignare. » (Chap. 8, p. 24, v°.)
3. Ibid., p. 36. V. les chapitres v, vi et vu du Mépris de la Cour : on y retrou-
vera la source de tous ces vers.
4. Courtisan retiré, p. 38-39. Cf. Mépris de la cour, chap. 4 : • Les grands
ANTOINE DE GUEVARA. S99
Ici les expressions emphatiques et vagues sont du cru de La
Taille; les métaphores moins outrées et plus justes appartiennent
à Gucvara. Ailleurs, par contre, c'est l'Espagnol qui suggère au
Français un mauvais jeu de mots :
0 cour, peu courte à moy, ton courtisan, ô cour,
Te conjure à jamais !.
« Conjuration » dont le mouvement est calqué sur la péroraison
de Guevàra (qui cette fois tombe dans le pathos) :
Adieu doneques la cour où tout malheur abonde1.
La Taille s'est aussi souvenu çà et là de Y Aviso de privados;
voici, par exemple, des vers assez bien venus, dont les deux
premiers en sont textuellement traduits :
La cour est un théâtre où nul n'est remarqué
Ce qu'il est, mais chascun s'y mocque estant moqué3 :
Où fortune jouant, de nos estats se joue,
Qu'elle tourne et renverse et change avec sa roue...
L'un monte et l'autre chet 4.
Chez les deux auteurs les travaux d'Hercule atteignent à peine
ceux du courtisan; et besoin lui est
D'un plus grand cœur pour vivre
A la cour qu'au soldat qui veult les armes suivre '.
maulx... viennent contrefaiclz comme masques, sucerez comme pillules et dorez
comme reu barbe. » P. 14. « Quiconques laisse la court, peult dire hardiment... qu'il
eschappa d'une belle prison, d'une vie confuse, d'une maladie dangereuse, d'une
conversation soupçonneuse, d'un sépulchre magnifique et d'une merveille sans fin »
(ibid., p. 60, v°). Ce qui prouve ici que La Taille n'a lu ou du moins suivi que la
traduction française, c'est qu'il en reproduit les inexactitudes, et qu'il ne supplée
point aux omissions : merveille sans fin est ajouté par Alaigre, qui a passé de una
muerte prolixa y de una republica confusa. » (Menosprecio, p. 28.)
1. Courtisan retiré, p. 30; cf. p. 44 : « Ce jour moins court qu'à la court ». « No
immerito cl que le puso el nombre, la llamo corte, porque en la corte... todas las
cosas son cortas... » (Aviso, p. 118.)
2. P. 46 à 50. - O mundo immundo, yo que fu mundano conjuro a ti mundo... » etc.
(Menosprecio, cap. 20.)
3. « La corte es un teatro, do unos de otros burlan, y al fin andan alli todos
burlados. ■ {Aviso, p. 124, v°.)
4. Courtisan retiré, p. 35. « En la corte, como la fortuna es incostante en lo
que da, y muy incierta en lo que promete, de una liora a otta cae uno y sube
otro... • Menosprecio, p. 44, v°. — Une partie de ce chapitre 8 a été reproduite par
La Taille; mais je ne veux pas multiplier les citations. — V. encore la traduction
d'Alaigre, p. 24, v°; et La Taille, p. 35.
5. Courtisan retiré, p. 28. « Que mas coraçon es menester para suflrir la corte,
que para andar en la guerra. • C'est le titre du chap. 1 de Y Aviso.
600 RETCE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
— C'est une contrainte de tous les instants :
Jeûner, s'il faut manger; s'il faut s'asseoir, aller;
S'il faut parler, se taire, et si dormir Teiller '.
Jean de la Taille n'a pas même pris la peine d'écarter on de
modifie r certains traits plus particuliers à l'Espagne. Le courtisan
de Charles V se voyait obligé de vivre à l'auberge, dans la
« posada ». Il devait donc compter avec son hôte, et s'accom-
moder de ses commensaux. On dira qu'en France il en était
un peu de même et que le château de Blois ou celui de Gai lion
n'abritait que la suite immédiate du roi. Il n'en est pas moins vrai
que la description des embarras de la posada est chez Guevara
tout à fait locale; La Taille l'abrège, mais d'une manière trop
vague, en rappelant qu'à la campagne il ne faut :
Courtiser mareschaux ni fourriers,
Prendre son bulletin, ni gaigner trésoriers...
Battre ou fascher son hoste, arriver tard les nuits :
allusions peu claires à des scènes qui chez Guevara sont assez
piquantes*.
Guevara consacre tout un chapitre de Y Aviso de privados à
régler avec une minutie scrupuleuse l'étiquette qui s'impose au
courtisan, en se présentant devant le roi3. Il lui fait prendre
une pose savante, et lui indique des gestes pleins de mesure, comme
le ferait un maître des cérémonies, j'allais dire le maître à danser
de M.Jourdain; mais Guevara ne plaisante pas : parler plutôt
bas, sans trop se hâter, sans remuer la tète, ni jouer avec les
doigts, ou cligner des yeux, manières bonnes pour les bouffons.
La gravité annonce l'homme poli; c'est le signe dislinctif du
grand seigneur espagnol. S'il entend débiter autour de lui des
choses plaisantes ou comiques, il se garde de rire trop haut, ou
d'applaudir bruyamment; un rire excessif démentirait sa prudhom-
mie\ Il ne s'abandonne pas non plus à une vaine jactance, et ne
vantera point devant !e roi l'illustration de sa race, les exploits
de ses ancêtres : il n'attend sa récompense que de son mérite
propre et de sa seule vertu. Il veut être le fils de ses œuvres.
1. Ibid., p. 29. « Por ventura, en lo que toca al dormir, duerme el cortesano quando
quiere? no por cierto, sino quando puede. Por ventura en lo del corner, corne lo
que quiere? etc. • (Aviso, p. 124, v\) Mêmes idées dans le Menosprecio.
2. V. les chap. 2 et 3 de V Aviso et le chap. 5 du Menosprecio, — Cf. Courtisan
retiré, p. 36.
3. Aviso, cap. v.
4. « Porque la obr da risa, no es por cierto hija de la cordura. » (Aviso, ibid.9
p. 143.)
ANTOINE DE GUEVAUA.
MM
Celte noblesse df4me, cette fierté morale achève d'une manière
heu rou se la figure du par Fait courtisan tel que Guevara le conçoit :
Jean de la Taille a cette fois laissé de côté un modèle aussi flatté
et d'ailleurs trop étranger; peut-être ne l'a-t-il pas remarijinj. Il
dit quelque part que son courtisan retiré aura loisir à la campagne
' de courir sans perdre gravité ». Le mot a dans son vers' peu de
sens; il n'a certainement pas celui que Guevara y incitait. Dans
V Aviso de prîvados La Taille n'a vu que les railleries confirmant
la thèse du Menosprecio ; les contorsions de ceux qui essayent de
parvenir, assidus « au lever de Monsieur, faisant Tinclinabo à
quelque secrétaire, idolâtrant les grands1 ».
Nous ne lui reprochons pas d'être délibérément resté dans la
réalité de la comédie; mais de n'avoir rien inventé, cesl-à-dire
rien mis de nouveau, rien de proprement français dans le dessin
des caractères et dans la description des mœurs» À défaut de
l'originalité, il reste cependant à Jean de La Taille le mérite d'avoir
exprimé en assez bons vers les idées générales que la prose de
Guevara lui fournissait. Je n'aurai pas l'impertinence de dire
qu'au titre d'imitateur La Taille pourrait être considère, dans la
satire, comme un précurseur de Régnier : celui-ci s'est moiUn\
même dans Timi talion, un écrivain supérieur. La Taille ne soutient
pas davantage la comparaison avec J, Du Bellay; le Courtisan
retiré n'a pas du tout la valeur historique et littéraire du Poète
courtisan, dont je m'étonne qu'on l'ail rapproché». Mais il y a
chez le même La Taille un sonnet satirique qui rappelle la manière
du poète des Ret/rets, tel de ces jolis sonnets sur l'art de vivre en
cour :
Si piaffer, si faire bonne mine,
Faire trotter un dé, et en tout lieu
Une querelle, une carte, un sang-dieu,
Porter long poil fait à la Sarrazine;
t. Court, retiré) p. 37; cf. Menoiprecio9 p. 35 : i Ks privilégie de aldea< que todos
se puedan andar*** solos, sin que caygan en caso de h^rmandad, ni pinrclaR cosa
de su graveda<t. - V, Metpris de ta cour, p. 2'2t passage librement traduit de Guevara
lehap, 7, p. kl, y"), mais suivi par La Taille; * faire l'inclinabo à Tad vocal « a ^te
ajouté par Maigre*
2* Par exemple Sainte-Beuve. Maïs les auteurs du XVI* siècle en France m'ont
encore plus étonné, en avançant que Du Bellay avait inspiré La Taille : il n'y a
rien rie commun pour le fond du sujet entre les deux pièces! M. Lenient, dans la
&0ftf« ru France au XVI* siècle, remet a sa place le mérite de Jean dr la Tailîe,
trop exalté par Viollet-le-Duc. Maïs je me reprocherais d'abaisser à mon tour La
Taille* en ne le jugeant que sur cette seule pièce du Courtisan retirée je rappelle
donc qu'il a fait preuve d'une réelle originalité de salirisle ■ dans la Hemonstrance
pour le Rof, à tous ses subjects, afin de les enclin er à la paix *, 1562, — dans
plusieurs passages du Prince nécessaire, — et enfin dans les Singeries de la
Ligue (15Ô5).
«•2 BX1XX fr~«ÇT<HK LITTÛUttC ML L& r*A5CE_
S retr+j^sser s«i featre â U anitîae.
Faire verta et da vice et dm jeu,
si se avjqoer des lettres et de Diea„
Bire et çaodir «fane ^râee badine :
Si f^avotr bien râler et voler.
Habter., morgner et pezer son parler.
Trandier du bnre et faire rien qm Taille.
Bref, si tel art lait les hommes g*l*nig
Je sais d'avis qu'an ranz des plas Taillants.
Ta sois le prime, et que l'ordre on te baille ".
Bodomont et sacripant, ce bravache était-il espagnol, italien ou
seulement gascon? A la façon rude dont La Taille le malmène, on
sent le dégoût qui s'empara de ce fier gentilhomme de lettres et
d'épée, et qui le décida à se retirer dans sa terre de Bondaroy,
pour y méditer en paix le JIc*ospreeio de carie.
(A suicre.) Loris Clémevt.
HKCHfcKHIES S L H G. DU VAJR ET COftltKM'OMiA^
RECHERCHES BIBLIOGRAPHIQUES SUR G, DU VAIR
ET CORRESPONDANCE INÉDITE1
En dehors du manuscrit 3927, la Bibliothèque Nationale possède
un grand nombre de lettres de Du Vair, presque toutes autographes.
Citons d'abord, dans la collection Dupuy, vol. 155, fol. 16, une
lettre au roi du 18 mars 1601 relative aux protestants et à la
trahison de Maurice de llslc, — vol. ;>7i, fol 223, la copie d'une
lettre du 22 janvier 1G03 « au cardinal Comtî, vice-legat d'Avi-
gnon, pour les contentions des iurisilictions ecclésiastiques avec
les Parlements », — vol. 573, loi. 85 la copie, sans adresse et sans
date, d'une supplique destinée probablement au chancelier Sillery,
car Du Vair y demande la faveur de résigner, sans payer les droits,
l'office de garde des sceaux à la chancellerie de Provence, que le
roi lui avait donné en 1600, et qu'il vendit en 1608 (Hist. chronoL
de Provence. IL Bouche, II, p, 844); — vol. 675, Fol. 159, une
ktlrc familière à Pithou, traitant d'affaires d'intérêt.
Je n'ai trouvé qu'une seule lellre inédite adressée à De Thou;
mais elle renferme d'intéressants détails (ms, 20154, fol. 1033).
Après avoir fait allusion à l'entreprise dirigée par quelques capi-
taines contre Saint-Maximin % Du Vair ajoute qu'ils ont été
sévèrement châtiés.
« Toulesfois la longue distance qu'il y a d'îcy au lieu d'où peult
venir l'ordre, les diuers desseins qui s'y nourrissent m'empeschent
de rien asseurer du bien et repos du païs. Pour le regard des
peuples, ils sont tous fort disposez au service du Roy et repos de
la prouince, mais il est si aisé de brouiller icy pour la quantité
des lieux auantageux qu'on peult saisir et par la faiblesse du pais,
qu'il y fault tout craindre. Cela me fait fort appréhender de m'at-
tacher icy, comme i'ay aduis que le roy en a volonté1, tant pour
|. Voyez RfDue d'histoire littéraire, I89ï>, p. 7i\ 253 et 408,
1* La paix de VervinH venait cintre conclue le 3 mai 4598 avec Je ros d'Espagne et
le duc de Savoie* et par le fait même la Provence semblait pacifiée, iorsqu*en
juillet Jeu capitaines Sainte-Croix et Mounier tentèrent de s'emparer de Saint-
Max imïu. Mais ils échouèrent et quelques-uns des aventuriers furent pendtffl en
seplembre suivant (H. Bouche, op. cit.).
3. Le l*r novembre !397, Du Vair demande au roï la succession de RasLellîs, évoque
de Riez (lettre publ. par Sapey). C*est h celle démarche infructueuse qu'il fait allu-
sion. Plus tara il fit une nouvelle tentative pour sortir de La carrière parlementaire,
fcn luu3} il demanda au roi de le nommer à Tévêché de Marseille, vacant par ras-
'»» fttTCE blbl'iltE UTTÛUIBE !>L LA FfcJL*Œ.
n'aooir nullement l'esprit proportionné à teste vie turbulente ei
tumultueuse que pour me voir, si cela est, réduit ave* peu de
moyens en une charge ou ie ne puis iamais espérer de les
croislre, non pour désir que i'aye de iamais amasser grands biens :.
mais pour ce que ie scay que la dignité d'une telle charge ne se
peult retenir qu'avec quelque splendeur de vie que ie ne puis auoir
du mien, ny espérer, y estant, de ceux que ie seruirayT sachant
assez comme l'on estime et recompense ceux qui seruent au loin?
Mais enGn ma fortune me contraint de me commettre a ceux qui
ont l'authorité et leur laisser disposer de ma vie puisque, en ce qui
a esté de mon eslection. i'ay tousiours trouué le chemin fermé a
tout ce que i'ay voulu dessei^ner... Marseille est encores un peu
gastée de la contagion, dont iespere tcutesfois en peu de iours
l'entière purçation*. «
< De Aubaiçoe, ce 21 sept. 159». »
Le volume 16 539 renferme deux lettres adressées au roi. en date
du 12 mars (fol. 585) et du 16 mars 1602 (fol. 587). Une autre,
du 15 juin de la même année, se trouve dans le ms. 15 517, fol. 178.
La correspondance avec le chancelier Bellîèvre est représentée
par 45 lettres dont je n'ai trouvé la mention nulle pari. La pre-
mière en date, qui est du 26 août 1597 ms. 15 911, fol. 109 , ren-
ferme un tableau saisissant de Tétai de la Provence. « Pour moy,
monsieur, ie vois un mal en cesle prouince auquel on ne remédie
point et lequel ie pense debuoir infailliblement perdre ceste pro-
vince. Les communaulez doibuent plus qu'elles n'ont vaillant; le
reuenu de leur terre n'est pas baslant pour payer les inleresls
de leurs debtes. Neanlmoins on les poursuit sans miséricorde et
aasMfiat de Ragueneau. Le roi y consentit, mais en lui faisant comprendre qu'il
préférait lui voir conserver sa charge. Du Vair se soumit (oct. 1603; lettre publiée
par Sape»
1. Ce n'est pas sans surprise que Ton remarque cette amertume, et particulière-
ment cette allusion & la question d'argent. Comment la concilier avec le détache-
ment qu'il montre dans les lettres à Villeroy du 20 déc. 1611 et du 30 nov. 1612,
dont on lira plus loin des fragments ? Faut-il rappeler que les méchantes laugues
l'accusaient d'avarice, lui reprochaient d'avoir vendu, chose sans exemple, sa
charge de premier Président, d'avoir accepté le riche evéché de Lisicux sans s'as-
treindre à la résidence? Faut-il se souvenir qu'il demandait à résigner sans
bourse délier son oflice de Garde des Sceaux de Provence ? Peut-être pourrons-
nous répondre plus tard à ces questions, si, comme nous en avons l'intention, nous
menons à bonne fin des recherches plus approfondies sur la biographie de G. Du
Vair dans ses rapports avec son œuvre oratoire.
2. Kn i5'j8, la peste sévit cruellement à Marseille. La Chambre de Justice pré-
sidée par Du Vair, qui émanait du Parlement d'Aix, demanda à celui-ci l'autorisa-
tion de quitter Marseille. Sur le refus du Parlement, les membres de la Chambre
de Justice abandonnèrent leurs fonctions et se retirèrent à Aubagne, où ils vécu-
rent pendant huit mois en simples particuliers (Cabasse, op. cit.).
RECHERCHES SUR G. DU VAIH ET COnHESPOMiANf.K INkhITE. 605
pour principal et pour interests. 11 n'y a gerbe de bled qui n'ayc
quatre sergens autour d'elle. Les liabitans n'oseroient sortir
de leurs villes ou villages qu'ils ne soient pris prisonniers. Je ne
scay pas comment eeste patience la pourra durer, et, quand elle
viendra à se perdre, comme on se pourra sauuer. J'en ay eseript
plusieurs fois : après cela ie nù puis qu'attendre ce qu il plairra à
Dieu qui en aduîenne. Cela mérite bien, monsieur, qu'on y pense
et que vostre prudence s'employe a boa escient a y clierclier le
remède... n
Le ms. I;î S98 renferme 14 lettres1 à Bellièvre comprises entre
le 4 mai 1601 et le 12 décembre 1605, Écrites dans une forme en
général assez impersonnelle, elles relatent les nouvelles intérieures
de la province, affaires de taxes et d'impôts surtouL Trois d'entre
elles présentent cependant un intérêt particulier. Le 8 décembre 1 603
(fol. 654) il fait allusion a sa demande relative à réveillé de Mar-
seille : « J'auois le plus soigneusement que i'auois peu recherché
le moien de quelque bonorable repos et pensois Fauoir trouué,
mais les choses ne se sont pas peu réduire en termes que ie raie
peu obtenir si honorablement que ie desirois et que mes actions
passées sembloient m'obliger a le rechercher. Cela sera cause que
ie continuera}- plus longuement que ie ne aouhailois, soubs la
protection de voslre faueur l'exercice de cesle mienne charge» ores
qu'assez mal proportionnée a mon infirmité naturelle, n II se livre
davantage aussi dans la lettre du 17 septembre 1004 (fol. 662) où il
écrit au .sujet de certains personnages de sa province qui intriguent
pour échapper à la juridiction du Parlement : « Si les iuges qui
sont icy ne semblent bons, on en peut cstablir d'autres, mais pour
le moins, que le peuple aye a qui recourir », car « il est certain
qu'il opposera la violence a l'oppression ». Enfin, le 22 février 1605
(fol. 666) il trahit sa lassitude et sou ennui. Le roi ne lui a pal
permis d'aller « faire un tour par delà. » Pourtant, ajoute-t-il,
« je croy qu'il ne me refusera point en six ans une fois de pouvoir
aller respirer mon air natal et reuoir mes amis. »
Oll trouve, dans le ms. 3195, fol. 34, une lettre du 23 juin 461 i
au président Jeannin, traitant de questions financières.
C'est surtout avec Villeroy que Du Vair u. eu rechange de lettres
le plus actif. Je cite a part, en dehors de Tordre chronologique,
le ms. 13534 qui en contient trois, relatives aux affaires d Es-
pagne, du M juin (fol. 518), du 19 juin (fol. 520) et du 11 sep-
tembre 1602 (fol, o22;. — Vient ensuite toute une série de nianus-
1. Etle forment une série ininterrompue qui va du fol. 6i2 au fol. otiS,
606 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
crils dont les trois premiers1 ont été vus et signalés par Tamizey
de Larroque à l'attention des érudits provençaux. Hais ce savant
semble n'avoir pas connu l'existence des lettres, plus intéressantes
de beaucoup, que contiennent les 4 volumes suivants. Toutes, -
c'est-à-dire 28 *, sont adressées à Villeroy. Elles relatent en général
de menus faits d'un intérêt local, et elles n'auraient toute leur
valeur qu'à la condition d'être éclairées par un commentaire pour
lequel il faudrait les ressources des archives de la province. Ce
sont les événements de chaque jour, décès de personnages en
vue, délits graves, duels, affaires de commerce et de tarifs avec
les provinces voisines, répartition d'impôts, mouvements à Mar-
seille, conflits avec l'autorité ecclésiastique, menées des protes-
tants; au dehors, entretien des consuls ou des agents secrets, nou-
velles de Savoie, d'Espagne, d'Afrique, etcî. Certaines lettres
d'ailleurs ne font que reprendre sous une forme plus familière et
plus vive ce qui se trouve dans les lettres au roi3. Pourtant, la série
de celles qu'il écrit à Villeroy devient de plus en plus intéressante,
à mesure qu'elle approche de son terme. Ce ne sont plus des
relations sèches et impersonnelles. Du Vair se livre, il s'émeut,
il juge. On devine, aux remerciements qu'il adresse à Villeroy,
qu'il ne fait que répondre aux confidences de celui-ci. Villeroy,
en effet, sait ce que vaut Du Vair. S'il ne lui demande pas conseil,
il appelle tout au moins ses encouragements. Du Vair répond en
homme d'État. On sent qu'il est mûr pour le maniement des grandes
affaires. De cette correspondance nous ne citerons que les lettres
ou fragments de lettres qui présenteront un intérêt plus général ou
qui apporteront quelque lumière sur la biographie et le caractère
de leur auteur.
I
A Villeroy, 20 décembre ICH (Ms. 15 580, fol. 225).
Monsieur, je n'ay receu que le 17 de ce mois la vostre du 28 du
passé. Je vous remercie très humblement de l'aduis qu'il vous plaist me
1. Ms. 13 570 (fol. 209) 14 juin 1599; Ms. 15 517, six lettres du 4 janv., 12 mars,
22 mars, lu avril, 13 juil., 17 août 1602, correspondant aux fol. 68, 116, 123, 129,
230, 263 ; Ms. 15 578, trois lettres du 24 avril, 2a avril, 10 mai 1603 (fol. 63, 66, 76).
2. Kn voici l'énumération : Ms. 15 579 : 28 juin, 26 nov. 1606. 24 janv. 1607
(fol. 33, 48, 53). Ms. 15 580 : 14 février 1610, 2 avril, 26 nov., 20 déc. 1011 (fol. 27,
107, 201, 225). Ms. 15 581 : 12 juil., 30 nov., 27 déc. 1612; 3 mai, 16 nov. 1613
(fol. 43, 5:*, 60, 99, 162). Ms. 15 582 : 22 mars, 13 avril, 28 avril, 5 juil.. 12 juil.,
20 juil., 1" août, 28 août, 12 sept., 29 sept., 9 oct., 1er nov., 4 nov., 20 déc. 1615;
5 janv., 23 fév. 1616 (fol. 3, 6, 7, 11, 22, 30, 36, 45, 57, 59, 03, 67, 68, 75, 82, 126).
3. On peut comparer par exemple (Ms. 15 577, fol. 123) une lettre du 22 mars 1602
avec une autre du 21 mars 1602, adressée au roi et publiée par Tamizey. Il en est
de même pour deux lettres écrites toutes deux le 24 janv. 1607, Tune au roi,
(publiée par Tamizey), l'autre à Villeroy (Ms. 155 79, fol. 53).
RECHERCHES SUR G. DU VAIR ET CORRESPONDANCE INÉDITE. 607
donner de ce qu'il a pieu a la Roine faire pour moy \ mais plus de l'inter-
cession qu'il vous a pieu y apporter, car ie scay assez que vous ne sçau-
riez estre présent a chose qui m'importe sans m'y départir vos offices
accoustumez. Monsieur Phelippeaux ne m'en a encore rien escrit et n'en
scay que ce qu'il vous a pieu m'en mander. Maisquoy que ce soit qui me
porte tesmoignage de la bonne volonté de mes maistres ne me sçau-
roit qu'extrêmement obliger, et a la vérité ie suis bien du naturel que
vous dittes, que j'estime beaucoup dauantage une petite gratification
venant sans estre recherchée qu'une beaucoup plus grande donnée
a la recherche ou demande de celuy qui l'optient. Puis ie suis en une
constitution et tantost a un aage ou il me faudra peu soucier d'acquérir
du bien ". Ce que ie sens me rester de chemin n'a pas besoing de
grande prouision, bien que quelquefois les viellesses maladiues en
consomment beaucoup, mais ie nie fie en Dieu, qui enuoye le froid selon
la robbe....
DWix, ce 20 décembre 16H.
II
A Villeroy, 12 juillet 1612 (Ms. 15 581 fol. 43).
Monsieur, j'ay receu la vostre du 26 juin. Vous me faictes beaucoup
de faueur de me faire part de l'cslat auquel on vit par delà. Nous
deuons beaucoup a Dieu de ce qu'il luy plaist contenir tant de volontez
déréglées et les ranger au repos : ce sont des secrets de sa Prouidence.
Nous ne craignons pas beaucoup icy M. de Sauoye. Il craint plus les
Prouençaux qu'il ne les aime ni ne s'y fie. Aussi, quand il retourna
de Prouence, comme l'infante * lui demanda ce qu'il auoit fait, il res-
pondit qu'il auoit esté à l'escole en Prouence. Aussi y a il plus couru
de fortune de son honneur et de sa vie qu'en lieu ou il ait 4 iamais esté,
n y peut estre ou il sera iamais. Cela me fait croire que ce sera le der-
nier endroit ou il tournera ses pensées. Nous craignons bien du trouble
de plus près et lequel, a mon aduis, nous n'euiterons point. Nous
1. Il s'agit, comme on va le voir plus loin, d'une gratification accordée à Du Vair.
Le texte porte : qui vous a pieu...
2. Du Vair n'était âgé que de cinquante-cinq ans, mais sa santé fut très ébranlée
en 1611. On lit dans une lettre au cardinal Galamini,non datée, mais qui est sûre-
ment de 1611 : « Depuis peu de jours la fiebure m'a laissé, mais si languide et si
débile que ie ne m'uppersoy point quasy du soulagement. Les médecins me disent
que c'est le naturel de telles longues fiebures, et queie ne me puis remettre sinon
qu'au ec un long temps. » (Ms. 3 927, fol. 25, v").
11 écrit à Jeannin, le 23 juin 1611, qu'il est - attaché au lict depuis dix ou douze
iours d'une fieuure de reume dont ie n'espère pas si prompte deliurance pour la
grande débilité en laquelle elle m'a desia reduict. - (Ms. 3 795, fol. 34). Enfin, du
26 nov. 1611, à Villeroy. Je suis, dit-il, ■ garent y, Dieu mercy, d'une mauuaise
fieuure qui m'a fasché durant dix ou douze iours. Ce me sera un peu de reculade
qui m'empeschera de pouuoir sy tost reprendre le trauail, comme ie le desirois >
(Ms. 15 580, fol. 201, d'une écriture tremblée). Voir correspond, de Malherbe. A
Peireac. 9 nov. 1611.
3. Le duc de Savoie avait épousé une infante d'Espagne.
4. 11 est...
M* EEVTE DHI5T0IEE LITTÉtAlftE DE LA FI15CE.
n'auons oublié nulle sorte de respect a l'endroit de monsieur nostre
archeuesque ' pour l'induire a viure en paix. I! nous sembloit qu'il y
estoit résolu, mais il est si peu maistre de soy qu'il est aussitost
retourné a ses premières opinions: et veult a toute force establir ceste
maxime que la bulle In eatna domini* oblige en France, et s'en est mis
mal avec les lesuittes d'Auignon pour ce qu'ils tiennent le contraire.
Il se bruit qu'il veult faire assembler tout le clergé de Prouence pour
supplier le Pape d'en faire une déclaration et intercéder pour oster au
Parlement la cognoissance des crimes des ecclésiastiques z. et croit on
qu'il veult faire un voyage au despens du clergé pour cet effect. C'est
chose qui donne directement au fondement de Testât. Je ne doute pas
qu'a Rome ils n'y aillent ? plus retenus, toutefois il me semble que
quand il vous plaira en donner un mot d'aduis à M. l'ambassadeur
afDn d'y veiller, ce sera très bien fait. Car quand a Rome ils trouuent
des esprits faits comme celui cy. ils ne craignent point de les hazarder
pour Testa blissement de leur puissance. 11 est certain qu'il est résolu
de se signaler en ce pais la et sur ce subiet. Nous verrons sa procé-
dure et selon qne nous y i userons chose qui importe, nous en donne-
rons aduis ou il appartient. Je suis depuis cinq ou six iours venu icy a
mon iardin 4 pour y raffermir si ie puis entièrement ma santé et fais
estât, s'il ne suruient affaire qui pour le seruice du Roy m'en retire, dé-
passer les vacances. Je n'y serai point inutile, car ma présence a
Marseille y seruira de quelque chose. Je me suis informé du contenu
au mémoire qu'il vous a pieu m'enuoyer. Vous verrez par le mémoire
que ie vous enuoye ce que i'cn ay appris. Vous pouuez bien croire,
monsieur, que le plus grand plaisir que ie scaurois auoir au monde
est de vous rendre quelque (service?) en recognoissance de partie de
tant d'obligations que ie vous ay et qui me faire» nt viure et mourir,
monsieur, vostre très humble et très obéissant seruiteur.
De la Floride près Marseille le 12 iuillet 1612.
111
A Yilleroy, 30 novembre 1612 (Ms. 15 5S1, fol. 53 ».
Monsieur, le retour de Dumas et les deux vostres du 27 et 29 octobre
m'ont donné la plus aggreable nouuelle que ie pouuois espérer, qni est
1. Paul Hurault de l'Hospital, seigneur de Valleprand, archevêque d'Aix. Sur ses
interminables conflits avec le Parlement de Provence, voir Cabasse. 5ur le Parle-
ment df Provence, et surtout Honoré Bouche, Histoire chronologique de Provence.
Pari», 1136, in-fol., t. II. p. 833. 851, etc.
2. Cette bulle, entre autres censures, condamnait tout ce qui portait atteinte
aux immunités du clergé, ou menaçait de restreindre la juridiction ecclésiastique.
Elle était considérée en France comme attentatoire aux droits de la royauté, et
en 15% un édit du Parlement de Paris en interdisait aux évêques la publication.
3. Déjà en 1001, il avait refusé de dégrader un prêtre criminel. Le Parlement
ayant passé outre, il excommunia tous ceux qui avaient participé au jugement,
jusqu'au greffier et au bourreau. Il fallut deux arrêts du Parlement pour qu'il se
décidât a relever les magistrats de l'excommunication.
♦. La Floride, célèbre maison de campagne que Du Vair possédait aux portes de
Marseille.
HECHBftCHÊS SUN G* PU VÀlll Kl" amUESPONDÀNCE INÉDITE.
609
la eonlirmation de vostre santé, dont ie loue Dieu de tout mon cueur,
de tant plua que ie voy que c'est un commun augure en l'esprit do tous
ceux qui ont du jugement que le repos de cet estât ne doibt durer
qu'autant que vous. Dieu donques veuille avoir soing de !*un et de
l'autre. Apres cela, monsieur, i'ay appris la p;raec quil vous a pieu me
moyenner e nu ers Sa Majesté sur les fruits d'Ântibe, ou il vous a pieu
apporter autee vostre bienueillance accoustumee un soing extraordi-
naire. Ce m est honte et regret de ne pouuoir sinon vous eu remercier
de parolJes et de me voir si obligé et si inutile a vous seruir. Mes
puisque ie tiens tout ce que i'ay d'honneur et de bien en ce monde de
vostre in -iin el qn vous matiez, comme ie m'en asseure, que Je ne
manque point de le CQgnoîstre, il ne reste rien a y accuser que l'im-
puissance de le recognoïstre. Receuez en donc pour cet heure mon 1res
humble remerciment. (Après avoir appris à VHIeroy que Lesdi^iuères
a profilé de l'absence du duc de Guise pour traverser la Provence avec
une suite un peu trop nombreuse et qui justifiait bien des inquiétudes,
il continue en ces termes) : Nous au on s eu icy depuis deux iours un
piteux spectacle du Vicomte d'Allemagne et du frère de M. de Jansort,
l'un ieune homme, l'autre aagé de soixante ans, qui se sont battus a
coup de dagues tufi$ (?) sur la place, M. di- Vins et Salorne les secon-
dant a coup d'espee, Nous Tairons ce que nous pourrons pour auo<
iustice reprimer le cours de tels désordres, bien que ie suis contraint
de ¥008 aduouer qu'il n'y en a icy ' qu'un ombre, car les alliances,
parentes et factions y sont si grandes qu'en vérité les mesehants n'ont
plus rien a y craindre et les bons peu d'occasion d*y estre asseurez, Je
bien qu'il y a tant d'autres choses a faire au gros de Testât qu'on
if se venlt pas amuser a cela* qui autrefois eust esté fort aisé a remé-
dier et ne semit pas neantmoins maintenant difficile. Ce aéra quand il
plaira a Dieu. Tout mon regret en cela, c'est que le publie en souffre.
Mes longues maladies et absence par conséquent ont donné tant de
commodité et d'audace en ceste compagnie a ceux qui vuutoient mal
faire que ie ne puis plus les retenir 2. Ils ont leurs factions si fortes icy
et sont si asseurez que delà on ne prendra pas le soing d'y pouruorr,
qu'a la vérité les meschants triomphent des gens de bien. Je feray tous-
iours du mieux que ie pourray et me cousolerav en l'honneur de vos
bonnes grâces que ie vous priray me eonseruer et me croire tousiours.,.
DWiXj ce 30 novembre i6î2.
IV
A Villeroy, 27 décembre 1612 (M s. 15 5S1, ÎqL 60J.
Monsieur, le secrétaire de M, l'ambassadeur de Saney ■ me donne le
moyen de vous faire ce mot par lequel ie vous diray que, scachant eoiu-
i. Dans te Parlement.
2» On voit apparaître ici La trace des graves difficultés que suscita à Du Vair
ï'hostîlilé de plusieurs membres du parlement, en particulier de Ghnteautieuf, le
parent de Malherbe.
3. Achille de Harla.v de Sancy, ambassadeur en Turquie.
610 BETTE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
bien a regret vous oiriez les crieries de nos marchands marseîUois. Fay,
selon que M. d'Ali ncourt f m'auoit monstre le désirer, parlé aux con-
sulz et depputez qui m'ont promis d'enuoyer vers M. l'ambassadeur
pour traitter avec luy. J'ay escrit aussi a Marmery * a ce qu'il y disposait
les marchands qui sont de delà. M. de Guize vous aura informé de
Testât de la prouince et de la tenue de nos Estais. Ce qui a esté de plus
notable [c'est qu'a rassemblée qui Yj'est faite particulière de la noblesse,
le marquis de Trans proposa de prier M. de Guize de laisser icy M. le
Cheualier son frère. La compagnie craignit que la Royne se tint offensée
de cela et résolut on seulement de prier M. de Guize d'en parler a Sa
Maiesté et luy faire trouuer bon. Si la Royne d'ailleurs le treuue a propos,
ie le souhaiterois de tout mon cueur', caroultre les autres incommoditez
qui m'ostent le moyen de servir aussi utilement que ie desirerois,
nostre archeuesque m'a a ce voyage bandé trois ou quatre désespérez
de ce parlement qui a corps perdu m'attaquent tous les iours 4. Je n'ay
que trop de force et de courage pour eux, si la Roi ne et messieurs ses
ministres me secondent comme ils doibuent et forti6ent de leur autbo-
rité. Sinon, et qu'on veuille les laisser faire, et me laisser endurer, il
faudra tout quitter, car de deçà, bien qu'ils soient peu, ils ont tellement
asseuré leurs affaires par parentez et récusations qu'on n'en scauroit tirer
aucune raison. Je vous entretiens, monsieur, mal volontiers de ces brouil
leries la, scachant que le gênerai des affaires est de soy si embarrassé,
qu'il vous tient l'esprit prou occupé, sans le vous diuertir au particulier.
Quelque fortune qui m'arriue me trouuera tousiours, monsieur, vostre
D'Aix, ce 27 décembre 1612.
A Villeroy, 1" août 1615 (Ms. 15 582, fol. 36).
Monsieur, j'ay appris par ce peu de lignes que contient celle que
vous m'auez escrit le dixiesme de iuillet le peu d'espérance que vous
1. Ambassadeur à Rome.
2. Le nom de ce personnage revient souvent dans la correspondance échangée avec
Villeroy. 11 représenta plusieurs fois les intérêts du commerce marseillais dans le
Levant. Il s'occupa en particulier de • faire changer l'escale de Tripoli à Alexan-
drette. - Mais il semble aussi qu'il ait voulu faire payer ses services plus eber
qu'ils ne valaient (Ms. 15 582, fol. 22.)
3. On voit que Du Vair comptait sur le jeune prince pour briser les résistances
qu'il rencontrait, et l'on s'explique ainsi les regrets que lui causa sa mort.
4. 11 y a là vraisemblablement une allusion à l'affaire de Châteauneuf. Elle est
racontée (B. N. Ms. 1C 872. fol. 20, 26,. dans deux lettres qui débutent par • M. mon
frère • , correspondant à décembre 1612 et janvier 1613. Il avait accusé le secrétaire
de Du Vair de ne « metlre aucune cause au rôle de l'audience extraordinaire -. qu'il
n'en coûtât une pistole et plus. Du Vair lit aussitôt emprisonner son secrétaire.
L'accusation fut reconnue fausse, et Du Vair, qui, dep lis cette accusation, malgré
les supplications du parlement et des villes, avait refusé de metlre les pieds au
Palais, y revint. Châteauneuf dut demander son pardon tête nue et fut suspendu
pour un an. 11 faut croire cependant qu'il ne désarmait pas encore, car le 22 mars 1615.
Du Vair écrit à Villeroy qu'il veut bien se contenter des soumissions de Château-
neuf et de ses parents, et qu'il renonce à « pousser la chose jusqu'au bout », com-
prenant que l'âge du roi et les circonstances ne permettent pas d'agir aussi énergi-
quemenl qu'il l'aurait voulu.
RF.CIItlRCHKS SUR G. DU VA lit ET i.mtfU sl'ONnAlSC*: INÉDITE.
|>M
auez de ramener M, le Prince a la court * et vois encor le déplaisir que
vous au ez en vostrc ame de voir tant d'esprits partez a troubler I 'estai et si
peu a en procurer le bien et le repos. La grande eognoissunce qur Voue
auez des affaires du monde* le tcsnioignage de tant de signalez scruîces
que vous auez rendus a Testât sont prou suf lisants pour vous consoler
et fortifier* Four moy, tant que ie vous verray eu action, ïe ne perdray
point l'espérance. Ce qui ine la nourrit dauantage, c'est que les maux
qui nous menacent sont si uniuersels, que îe pense que la crainte com-
mune pourra faire que nous nous pourrons tous rauiser de pourunir au
publie. Car, quand il y en a quelques uns qui espèrent beaucoup prof-
fi ter de la confusion, il est difficile de prendre un conseil qui puisse
plaire a tous, mais ie voy qu'au cours que prennent les affaires et Itoîs,
et princes, et grands, et ceux qui manient Testât se voyent tous sur le
précipice d'une grande ruine, s'ils ne se prestent la main l'un a l'autre
pour s*en tirer. Quand les mariniers s'enlrebattenl dans un vaisseau» la
tourmente ou quelque euident péril les fait bien accorder et songer a
se preseruer du naufrage. Toutesfois il fault scauoir ce que Dieu a déli-
béré de faire de nous : il auueiigle souvent les esprits des hommes
quand il les veuït conduire a leur ruine. Tant y a, monsieur, que pour
\ous il ne vous est point permis d'abbandonner la barque, ny, en
quelque estât qu'elle soit, d'en abandonner le limon. Le faîct de Mûr-
soîlle1 vous a fasché, et, îe croy, de tant plus que vous l'auez preueu et
auez désiré quon y pourueut comme il estoit aisé. Si ceux qui preci
pilent les peuples a ces desordres la estoient gens qui sceussent puis
après les ranger et mener des armées pour les ehastier, on les excuse-
roit aucunement, bien que i'estime qu'il fault, quelque forse qu'on ait,
tousiours faire les choses avec la raison, car de panser gourmunder les
peuples et violer les priuileges et conditions auec lesquelles ils se sont
soubsmis avons et a vos prédécesseurs, c'est chose qui n'est point iusle
et est fort hazardeuse parmy des peuples tels que ceux aux extrémités
de Testât et en un pais ou H n'y a ny places fortes, ny gens de guerre
pour les contenir. Mais au bout quel mesnage esteeluy la pour gaigner
dix ou douze mil escuz vous mettre en nécessité de despeudre un million
pour ebastier des peuples, mesmes quand le subîet n'eu semble pas
iuste ny a ceux que vous voulez chaslîer, ny a leurs voisins? De sorte
que vous réduisez vos affaires en tel estât que vous ne pouuez plus
retenir Tobeissance qu'auge la forse, et par ainsi vous estes contraint
d'aecroistre vos despenses au centuple de ce que vous pensez opiniâ-
trement et injustement consertier. Pour moy, monsieur, Tay tousiours
estimé qu'il falloit prendre garde de ne faire rien qui ne soit iuste. (Jue
1. Le prince de Condé avait quitta la coup le 23 mai, et le tf août, il lançait un
manifeste dans lequel il protestait contre la politique de la régente et les mariage*
espagnols.
St Je n'ai pas trouvé mention dans les histoires locales du fait dont parlt? Du
Yair, mais on voit clairement par la suite qu'il s'agU de trouble* occasionnes par
des perceptions de taxes.
612 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
si, faisant ce qu'on doibt et commandant légitimement, les peuples se
desbauchent, on ne les doibt laisser sans seuere chastiment. Mais si
l'iniuste traitement qu'on leur fait les pousse a quelque desordre, il le
vault mieux dissimuler ou passer auec quelque indulgence que de le
panser chastier a la rigueur, principalement quand les voyes de la ius-
tice ne peuuent suffire et qu'il fault tanter la forse dont les euenemens
sont quelquefois doubteux et ne peuuent estre en ceste saison que très
dangereux. J'altens par le preuost du Mas la resolution que leurs
Maiestés auront ' prise pour ce regard (Suivent quelques lignes rela-
tives à des incursions des Turcs).
D'Aix, ceteraost 1615.
VI
A Villeroy, le 28 août 1615 (Ms. 15 582, fol. 45).
Monsieur, vos lettres du quatrième et cinquième de ce mois m'ont
grandement affligé. Que me peult il demeurer de consolation quand ie
voy que vous désespérez non seulement en la diuision et mauuaise
intelligence de ceux qui seruent Testât, mais aux mauuaises intentions
quasi de tous, qui, ne regardant que leur interest particulier, ne son-
gent sinon que comme en un embrasement de ville de se sauuer avec
le pacquet sur le dos? Misérable fortune de la France! Misérable, celle
des fidèles ministres qui trauaillent pour sauuer un malade qui fait ce
quil* peult pour, en despit des médecins, haster sa Gn. Mais quoi!
neantmoins si fault il attendre le malheur auec un courage constant et
résolu et porter la main audeuant du coup*. La reuolution des affaires
du monde est si incertaine, qu'il ne se fault non plus désespérer au
mal qu'assurer au bien : un moment change l'un en l'autre. Et puis
encor y a il quelque gloire et quelque contentement de périr généreu-
sement et avec une contenance hardie et résolue. Pour moy, monsieur,
ie scay que voslre vie passée vous a par un long et heureux mani-
ment d'affaires donné beaucoup de contentement et consolation, mais ie
n'estime pas que* vous en ayez moins aujourd'hui ou i'entens une
voix uniuerselle de tout le monde qui lesmoigne que vous seul bandez
contre le desordre et la cheute de cet estât et prenez sur vous la haine
et l'enuie de librement conseiller ce qui est pour le salut commun.
Dieu vous veuille assister et fortifier! Mais ne vous manquez point a
vous mesme et perseuerez iusques au bout. Pour moy, ie suiuray et vos
1. Aura.
2. Ce qui.
3. Cette admirable lettre, dans laquelle Du Vair essaie de rendre courage et
confiance à son chef, rappelle celle qu'il lui adressait le 1er août 1594 et à laquelle
j'ai fait allusion dans la première partie de ce travail (Revue cThist. litt., 1899,
p. 14). On est frappé de la sincérité, de l'effusion qui caractérisent cette corres-
pondance flnissante. On devine, du reste, par une lettre du 5 janv. 1616 (Ms. 15 582,
fol. 82) que Du Vair et Villeroy échangeaient dans les derniers temps avec assez
de mystère des communications très confidentielles.
11ECJJEBCHES SL II !.. bl VAlll KT CORRESPONDANCE INDUITE.
613
cxliurtuions et vos conseils et ne relascheray en rien de la vigueur
auec laquelle i*ay tasehô de aeruir mon maislre et Testât iliaques a
présent.,... (suivent des nouvelles de la province). Nous auons îcy des
chaleurs désespérées. Je nay osé y chercher aucun soulagement et aller
voir mes l'on Laines ces deux mois tey, a cause de Testât des affaires.
D'Àix, ce 2* aost toi 5.
Puur compléter celte rapide revue de la correspondance échangée
a vit YMleroy, il me reste à citer une lettre, d'ailleurs impo riante,
que j'aurais dû faire ligurer plus haut en raison de sa date, 23 jan-
vier 1610» si elle n'était d'une autre provenance que les précé-
dentes. Elle se trouve à la Bibliothèque de l'Arsenal* ras. 6613,
fol. 80. Je laisse de côté la première partie qui relate des nouvelles
d'Espagne.
Vil
Nous auons icy les Jesuittes qui, depuis dix ans eu ça, travaillent
continuellement pour s'estahlir en cette ville. On s'en estuit tousiours
de (Tendu, mais enfin ils ont tant et tant brigué que ie croy qu'ils tai-
ront que le corps de la ville les requerra et pour y induire tout le
monde, ils disent qu'ils ont la volonté du Roy et de messieurs de son
Conseil, Je ne scay pas d*ou est prouenu ce changement, car, quant ie
partis de la court le Roy et monsieur le Chancelier estoiraf bien ça autre
résolution. Jeemv bien que puur le présent ils ont pluslost en humeur
de seruir que de nuire, et, pour mon particulier, quant ils seroient icy,
l'en receuroîs plus de consolation que personne, car ce août gwa de
lettres auec lesquels on a pour entretenir auec plaisir en ce pais ou il
n'y en a point ou fort peu de ceste qualité. Mais fen preuoy un tel
danger et dommage a laduenir, que ie penserois grandement manquer
a mon dcuoir si ie ne le faisois entendre au Roy et a ceux qui le conseil-
lent'. Et pour ce, monsieur, ie vous diray sommairement les raisons
qui me meuuenta ceste créance et vous supplîray les faire entendre a
Sa Maiesté, al'lin que ie sois deschargé en mon aine et enuers la poste-
i. Dès liioa, au moment où le roi rappelait en France les Jésuites, Du Vair signa-
lait Ich efforta qu'ili (fcindiat pour s'implantera Ai* et beoéueier des allocations
qui avaient été volves par les Ivials de Provence pour le paiement do professeurs
de Celle v i 1 1 +.r . liais li*ur tentative échoua. En octobre 1603 Je roi fonda le Collège
lU»yal de Bourbon, à Atx, qui fut remis à un principal et à des régents séculiers
jusqu'en! 169B#Oft l\ [Ut donné nux jésuites. * Il se faiet eo caste riUe une grande
et outierle brigue pour y mettre les JêittfslQf et pour eest office leur appliquer
deux mit escus que le rov a accordé au pais estre leuès chascun au sur le sel.
Cela est aussi pourrait]} près du Hoy, et, alîin que les deniers ne tussent employés
a antre choie, connut il auoit esté destiné pour rUuîuersîlé des loi* el autres
facultés, on a iniques auiourd'huy empesché que tes expéditions n'aient esté des-
Jj urées. Je vous supplie, monsieur» de dire au roy de ma part que i'eslipie rçue
c'est chose que ie n'estime pas a propos pour son seruice et que ie crois qu'ils
seront mieux par Lotit en son royaume qu'lcy, dont ie luy diray les raisons quand
î'auray cet honneur de le voir: cependant qu'il ru; se laisse pas surprendre pour
prester sur ce subtet aucun coosenlemeuL. » A VlUtroy, 28 avril 1003 (Ms, 15 573,
fol. tiG).
Ret. ti'aiST. uttéR, di ul France (71 Ànn.). — VII. 40
tU *FTCT HI1STDUE LITTtEAIBE K Là Faisa-
nte de ce qui en pourra arriuer de mal a l'aduenir. Tons tou* repré-
senterez donc. s'A vous plaist, qae le principal reo que face tout cet
ordre, c'est d'une aueuçlee obéissance qu'ils prometleol an Pape et a
leur général, qui a tousâours esté et sera vraisemblablement Espagnol
on de nation on de faction. Ceste pronînce estait, comme tous scasez,
il nV a guerre plus de cent ans. de l'empire. Proo de gens ont des pré-
tentions dessus : les princes Toisins en remarquent mieux les commo-
dité* que nous; beaucoup d'eux nourrissent des desseins dessus. Durant
ces troubles, monsieur de Sauore, le Grand Duc \ l'Espagnol, ont tra-
Taillé pour s> fourrer. Les papes ne s y sont pas oubliez : le Père
Honorio * tous en dira bien quelque chose. Les humeurs des peuples y
sont légers et changeants, auares assez a gaigner, amateurs de nou-
veauté. Aoignoo et le Comtat, en un temps troublé, donnent une grande
commodité pour entreprendre sur ce pais. Or tous asseurez que. si les
Jésuites sont une fois icy, qu'ils main root et la Tille et tout le parle-
ment et par conséquent tout le pais a leur volonté, car les esprits de
ceste pronînce se gouuernent fort par la religion. Je tôt que ceste pro-
nînce. mesmes soubs les comtes de Prouence s'est acquise ce priuilege
que rien qui Tienne de Rome ou d'Auignon ne se peult publier ni exe-
quuter sans l'annexe du Parlement ou Conseil Royal. Xeantmoins une
partie des esprits de ce Parlement ont esté tellement agitez par les
confesseurs et gens d'église qu'ils croyent estre excommuniez, obser-
uant ceste règle. On peult iuger par la du reste. Ceste prouince est
justement posée entre l'Espagne, l'Italie. l'Allemagne et la France, et
par conséquent extrêmement propre pour faire un réduit d'aduis en un
passage de negotians. J'ay donc pensé tous deuoir faire entendre cela,
a quoy ie m'asseure que vostre prudence adioustera plusieurs antres
considérations, qui me fera finir tous suppliant me continuer l'honneur
de vos bonnes grâces et me croire tousiours...
VIII
Le ms. 16539 renferme (fol. 599} une lettre relative à la célèbre
affaire du prêtre marseillais Gauflridi qui, comme Urbain Gran-
dier à Loudun, fut condamné à mort pour impureté et sorcellerie.
Outre qu'elle nous fait connaître l'état d'esprit de Du Vair et des
autres parlementaires, elle a le mérite de résumer très exactement
l'enquête, restée en grande partie secrète3, qui fut menée sur cette
i. De Toscane.
t. Le P. Honorio, moine capucin de Milan, avait averti Henri IV d'un complot
tramé contre lui. En récompense de ce service, le roi le chargea souvent de mis-
sions confidentielles.
3. On trouvera cette histoire racontée assez au lo*g dans Michelet. Il s'est servi,
pour l'écrire, du rapport du P. Miehaelis, qui, en sa qualité d'inquisiteur à Avi-
gnon, eut à intervenir dans l'affaire ; mais il regrette de ne pas savoir • ce que cet
infortuné dit à la question -, ajoutant que le parlement tenait ces révélations
• dans le secret de la Cour. • La lettre que nous publions comblera dans une cer-
taine mesure cette lacune.
RECHERCHES Si' Il G, OC VAlft ET CORRESPONDANCE IKKDITE\
615
accusation. Celte lettre a été dictée par Du Vair ; la formule finale
et la signature seules sont de sa main. Elle esl précédée dans le
manuscrit de la mention suivante : « De AL Du Vair, premier
président de Prouence à M* le* {aie) touchant la condamnation
du prestre sorcier et la possession d'une fille par luy séduite. »>
Monseigneur, j'ay receu par Dumas la voslre du quinziesme auril
auec les lettres qui! vous a pieu faire expédier a la priera du Père
Mie h ae lis pour cesle misérable fille * que nous auons icy; &t, pour ce
que vous me chargez de vous faire scauoir le sucçez de cesl allaire,
qui est a la vérité un des plus estrang^s qui se soit présenté de nostre
me moire en la iustice, ïe vous diray que le prestre fut bruslë le dernier
iour de may3, monslrant en apparence une grande repantauce, laquelle
ie ne croy pas, ny qu'il ait entièrement déclaré la vérité. Vous auez
desia sceu l'origine de ce procès, qui est que la fille qui auoït esté par
luy desbauchee, faiele sourciere et menée au sabbat s 'estant voulu
eonuertir s'est trouuee possédée, l'esprit ayant déclaré qu'il ne sorti-
ront point que le magicien qui Tau oit mis en ce corps ne fust mort ou
conuerly. Elle déclare en iustice la vérité du faict, descouure tous les
secrets du sabbat, indique les marques du prestre. It est pris, visité,
IroUttS marqirô*. Ne le prmunnt nyei\ il dict que c'est sans son consente*
ment, nyetoutle reste, enfin confesse, premièrement a des capucins qu'il
auoit luy mesme demandé pour luy assister, et depuis a la iustice par
denant les commissaires par plusieurs fûia eteucoressur l'escabelete et
aux tourrnens entre plusieurs autres choses ce qui s'ensuit ; qu'un sien
oncle luy auoit laissé un liure de magie, lequel ayant trouué entre ses
papiers, il y aenuiron cinq a ^ix nns, lisant dedans, le diable s'apparut
a luy, qu'ils contractèrent ensemble par scedules réciproques les plus
abominables qu'il est possible de penser : le diable lui donna la grâce
de plaire au monde et particulièrement pouuoïr charmer les femmes
en les soufflant 4, promit d'habiter dans l'ongle de son pouce de la
main gauche; que la première qu'il souffla fust cesle fille; qu'il en
abusa, luy persuada de se donner au diable, luy en dicta la scedule,
la mena au sabbat, ou elle fust rebaptisée, marquée et oiucle. 11 raconte
toutes les abominations qui se font au sabbat; les trois ordres qui s'y
trouuent, de masques \ sourciers» magiciens; les adorations et blas-
I. Peut-être le chancelier- Lui seul, sernble-L-il, pouvait autoriser t'inqulrîteor i
agir et * charger * Du Vair de le tenir au courant de L'&fTaire. Peut-être encore le
dm- île Guise, gouverneur de la province*
2* Il sTagil de ta lame niable hèroine de ce drame, Madeleine de la Palnd»
l Ki Vair comme! ici une inadvertance, La leltrc esl du i mai* Il a dicté mai
au lieu d'avril; c/esl le 3u avril qu'eu l lieu L'exécution de GaufTridï.
4. Ceux qui s'étaient donnés a Satan avaient, paraît-il, sur le corps, des places
irtsmmtMe* qui duraient autant que la possession,
5. En soufflant sur elles.
fi* Ce mol serai l-il employé dans le sens de sorcières, suivant l'ëtvmologia
donnée parLitlrê : Bas-latin, masdtal
616 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
phemes qui s'y ' commettent, mesmes qu'ils y font consacrer le corps
de noslre seigneur en l'honneur de Lucifer, font toutes sortes de pollu-
tions en leurs corps : c hase un y rend compte du mal qu'il a faict;
qu'ils mangent de la chair de petits enfants et infinies autres ordures
qui ont esté souuent dictes et souuent descrcûes. Il asseure le trans-
port eslre réel et ce qui se fait la, dont toutefois une partie se faict en
des corps aériens que l'Esprit suppose, mesmes pour les Incubes et Suc-
cubes par le moyen desquels se faict la meslange des esprits auec les
hommes. La déposition de la fille, qui, hors des agitations de l'esprit,
est fort rassise et sensée, confirme tout cela, mais y adiouste plusieurs
aultres choses esquelles le prestre dict qu'elle se trompe. Et de faict,
elle dit des choses qui se trouuent n'estre pas vrayes. et d'autres fort
différantes de ce que dit le prestre, d'où il semble que l'opinion de plu-
sieurs qui ont escrit de ceste matière soit vraye, en ce qu'ils ont tenu
qu'en ces choses la il y a partie de vérité et partie d'illusion. Ce qui a
fort empesché les iuges, c'est que l'un et l'autre se sont rencontrez a
assurer que le Diable les oinct d'une certaine onction qui faict que,
quand ils sont sortis de la, ils ne se souuiennent nullement de ce qu'ils
y ont veu et mesmes des noms propres de ceux qu'ils y ont cognu, et
que la mémoire ne leur reuient sinon a mesure qu'ils se conuertissent,
et encore ne se souuiennent ils pas des surnoms, et par la ce prestre
s'est tousiours excusé, mesmes aux tourmens, de nommer aucungs
complices, disant que si le Diable n'usoit de ceste ruse, que toutes ses
synagogues seroient incontinant destruictes; que les synagogues se
tiennent par climats et qu'il s'en tient une générale en la Palestine,
ou préside un euesque de Grèce, en laquelle il dict avoir esté. Bref,
quasi tout ce qui se trouve escrit de ces folies cy dans les livres se trouue
en ce procez, mais, oullre cela, beaucoup de particularité z qui ne sont
point escrites ailleurs. Et toutefois, comme ie disois au commencement,
i'estime que nous n'auons pas tout sceu et que les confessions de cest
homme sont pleines d'artifice, car se voyant conuaincu par ses mar-
ques auec les autres preuues du procez et que par la il demeuroit
chargé de deux choses fort odieuses, Tune, qu'estant magicien et sour-
cier il auoit exercé la charge de vicaire a une église parrochialle * de
Marseille ou il auoit vraisemblablement fort abusé des sacremens,
l'autre, par la déposition de la fille d'auoir consacré au sabbat et donné
à manger aux chiens le précieux corps de Notre Seigneur, il semble qu'il
ait voulu accommoder sa confession pour faire croyre qu'il ne s'estoit
donné au Diable que depuis qu'il auoit quitté l'exercice de la vicairie,
et encores a la reserue des sacremens et sans en auoir abusé, comme il
a tousiours soustenu 3. C'est a la vérité un grand scandalle pour
1. Si.
2. L'église des Accoules.
3. De tout ce qui précède, il ressort clairement, que c'est uniquement l'accusa-
tion de sorcellerie qui entraîna la condamnation de GaufTridi, et que lesa marques
découvertes sur son corps furent regardées comme des preuves décisives.
RECHERCHES S! U G. hl' YAlll ET COftftKSPQSDASCE INÉDITE.
1 Eglise, dont toutefois elle n'a pas esté exempte en sa plus gtattde
pureté et simplicité; mais aussi n'est ce pas peu d'edilieatïon de voir'
la curieuse recherche que le diable fa ici d'abuser des sacremens de
rSglite, mesmea du plus sainet et du plus augaflte, ce qu'il ne feroit pas,
s'il ne iugeoit qu'ils sont véritablement lek que nous les croyons, c'esl
a dire les eiïecls certains de la parole de Dieu, les thrôsors de ses gr&CeS
el tes gaîges asseurezdu salut dea homme*. D'ailleurs personne de ceux
qui ont esté présent ne peut ' nyer dauoir veu des effeets tort sigti
des exoreismes qui ont esté faicts en la puissance de l'Eglise, Je ne s
veux point remplir eeste lettre d'une infinité de particularité! que ceux
qui ont assisté ceste fille et ses compagnes, dont il y en a trios nutlc(N
ciees, attestent estre suruenues. Je me contante de vous Faire sommai-
rement entendre les choses plus considérables qui résultent du procès
ou nous auons encore une chose que ie vous obmettois forl signalée,
un rapport des médecins et chirurgiens squî certifient que les marques
de la fille qu'ils >oioient auparauant troun ïblea SOût redeuen nea
sensibles et quasi toutes effacées. Il est vray au sa] que, quand nous
auons iugé le preslre, nous auons voulu ouyr la Pille et qcze bus PEspril
l'a randue muelle, ayant la langue visiblement reliree et retournée au
dedans, et n'a reeouuert la parolle que lors de Vexequutioji. Ni mis
sommes attandans quelle sera la suite de ce faict et ce qu'il plaira a
Dieu ordonner de eeste misérable Bile \ Je ne scay quel in-ement
feront a Taduenir ceux qui enteiulnuit eeste histoire, meemefl si toutes
les particularités leur en sont repr< m ni s bien vous puis if
dire auec vérité que tous ceux qui ont esté présents cl aux procédures
£t au iugc nient du procès pour as-enrrz qu'ils fussent en ont receu
beaucoup dVsLujînemciit \ et que personne, pour dur qu'il ait le cosar,
n'a doubtê que Dieu, par une particulière prouidence et par des voyes
extraordinaires n'ayt descouuert cesle abomination et ne l'ait conduite
a sa peine. S'il suruient en ce Fait quelque chose de bien Considérable
et ou il y ail certitude, ie vous en donneray aduîs, puisque vous le
désire* et attendant vous supplieray me concerner l'honneur de vos
bonnes grâces, puisque ie suis, monseigneur, voslre,..
D'AU, ce 4r may 161 L
|f Ptuueni,
2, Quatre docteurs en médecine, professeurs de l'Université d'Aix, avaient fait ces
étonnantes eoBStftittlons,
A. Horion: Mouche, Tau leur de Vlltsf, cht*mûl. rf*' PrWMtéfj eut. quarante-*!' u\
ans plus tard; la curiosité d'interroger Madeleine de la Palud sur le ■ gros livre •
composé «ur Cette affaire. Rite tui déclara que les bon = Pères qui avalent donné
les mémoires ou écrit le livre s'étaient trompés fît que c'était là un tissu àHUusious.
*. C'est bien ce qui semble s'élre produit en effet pour Du Vaîr comme pour les
autres» s'il faut en croire la fameuse histoire racontée par tous les historiens de
(>i Provence: tout le Parlement mis en déroute par l'apparition soudaine d'un être
noir tombé de la cheminée au beau milieu d'une séance où Ton s+élail occupé des
relations de GaufTridi avec le diable. On avait pris l'intrus pour le Malin dont il
venait d'être tant parlé. Cfélait simplement un ramoneur qui avait pris la che-
minée de la Cour du Parlement pour celte de la Gourdes Comptes qu'il était chargé
de nettoyer.
6t8 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
J'ai gardé pour finir on long discours adressé à Sully et qui
n'a que les apparences d'une lettre. C'est plutôt une dissertation
morale, un peu lourde d'ailleurs et compassée, dont le sujet se
trouve indiqué en tète de la copie qui nous en reste : « Lettre de
H. le président Du Yair à M. de Suilly. Il l'advertit d'eslre plus
affable. » Ce morceau se trouve dans le ms. 17 309 (fol. 3, r*) qui
lui-même faisait partie de la bibliothèque manuscrite léguée par le
duc de Coislio, évêque de Metz, au monastère de Saint-Germain
des Prés.
Il est inutile de chercher à donner une date, à découvrir une
cause immédiate à un morceau d'un caractère aussi général que
celui-ci. Disons seulement que Du Yair dut connaître Sully d'assez
bonne heure, quand celui-ci quitta le service du roi de Navarre
pour celui du duc d'Alençon, auquel Du Vair appartint quelque
temps. Dans la suite, il eut à lutter souvent — sa correspondance
en témoigne — soit en son nom, soit au nom du Parlement ou de
la province, contre la fureur d'économies de Sully. Il semble
qu'ici il se soit complu — sans grand espoir d'atteindre un résultat
— à disserter sur ce trait du caractère de Sully, si connu de
tout le monde.
C'est une experiance ordinaire que la grande autorité et les honneurs
offusquent les esprits des hommes, la claire intelligence des choses,
voire souuent la vraye congooissance d'eux mesmes, et c'est une pra-
tique bien rare de veoir ces mesmes hommes résister a ces l iinpetuo-
sitez naturelles, comme a des vens contraires et rabattre par prudance
ceste légère partie de l'âme qui ne s'esleue que trop aisément en eux,
tant il est naturel a l'homme de n'auoir pas la puissance sur ces
mouuemens et d'estre ordinairement le plus dangereux dateur de soy
mesme. Tous les plus grandz hommes qui furent iamais l'ont ressenty
en eux et quelques fois l'ont assez librement confessé, n'ayant ny des-
pict ny honte de le1 recognoislre de bonne foy quand il s'est trouué
des esprietz assez hardis pour le leur dire en face, lorsqu'il en a esté
besoing. Celluy qui iugea par la phisionomie de Socratte les vicieuses
inclinations de son ame, il fut aduoué par Socratte mesme qu'il auoit
raison et qu'elles luy feussent passées en habitudes, s'il n'eust corrigé
par la vertu les de s f au Us de son naturel. Ce grand personnage et les
autres imitateurs de sa générosité ont tant aimé la franchise de ceux,
qui desiroient les rendre [meilleurs 3?] que les recepuant de bonne part
et en faisant leur profQct ils se sont en cclla reputté plus heureux que
les roys mesmes, deuant lesquelz la vertu n'ose comparoistre qu'en
1. Ses.
2. De recognoislre.
3. Nécessaires.
RECHERCHES SUR G. DU VA1R ET CORRESPONDANCE INEDITE.
619
habit déguisé* Puis donc que c'est chose confessée qtt'fl n'y a personne
si accomplie, en laquelle il n'y ayt quelque chose a désirer i I que
cliasrun, tendant à la cogmii^atice de sny mesme, ne doîbt point auoir
de regret de couper les aisles de la présomption et de retrancher a
tout Les heures quelque chose qui empesche la perfection, l'entrepren-
dray dvec plus de hardiesse de faire comparoistre douant vous ma
liberté parlant le langage de la veritté, laquelle fespere ne vous debtiOtf
es ire odieuze, puisqu'elle peult seruir a vostre gloire, ne requérant
ce s te prerogatiue que pour le désir que iViv de veoir vostre prudance
estimée auec vostre bonne fortune, aflm que vous ne soyez pas seule-
ment considéré pour heureux, mais ordonné pour vertueux» car pnnnv
tant d'imprécations que plusieurs vous font (transportez de leurs inte-
reslz particuliers!, ie fais profession, auec une ûntùre religion? ' de bénir
et non de mesdïre, sou haletant d'aiTeclion que de vos commun ce meus ey
beaux l'arriére saison en suite nmn.1 s plus be-lle. Hr ch&scuJkSC&H qu'après
heureux succedz desquels Dieu a couronné les trauaux du Roy» pottf
ramener la France en elle mesme et ayant ramené ce bris comme d'un
nauitVage duquel elle s'est presque sautiee loule nue, la plus visible
marque de la sagesse de Sa Maîesté s'est faict voir en l'eslecLion qu'elle
a voulu faire de personnes capables pour retoïndre les enlrouuertures
par ^u le nauire avoit faict eau» qui par mesnage et frugalité ont
resixtr rtl faict amas daultant de commodités qu'il en au oit fallu ieeter
du vaisseau pour sauuer le pilotte, les rnaleloU et ceux qui nageoienl
soubz leur conduide. Et certes ayant faict tomber les armes des mains
de ses ennemys ou par lassitude ou par Iraictez, mais principalement
par ses victoires, il ne pouuoit rien de meilleur ny de plus grand que
d'esiablir un bon ordre a la conduite dé ses affaires, nommément au
maniement de ses finances, n*im donnant pas la charge a ceux dont
IVuiarïee l'eust plus esuidemrnent ' briguas, mais a vous dont la fidel-
lité Tanoit très dignement merïltiv. Les grandi lesmoignages deco-
nomie que vous auez renduz depuis vostre administration, seruent de
fortes preuues combien vous honnorez le choix qui a esté faict pour
cella de vostre personne, mise en cet œuure auquel on peult dire qu'elle
estoit de longue main reseruee comme une perle non de grande
monstre, mais de beaucoup de valleun Le Roy le ressent, la France le
recognoist, ceux qui ayment le publicq le confessent, et c'est beaucoup
d'eslre sy tidelle a son prince et sy uLille a sa patrie, car nul ne peult
auoir un plus glorieux but de ses actions» Mais une seule chose vous
semble défaillir en ces louables exploits, qui est fuzage defl procé-
dures agréables aultant qu'il se peult houneslement, allîn que ne
visant qu'au bien de la république on ne méprise pas si absolument
le contentement des particuliers dcsquelz elle est composée. 11 est cer-
2. Le copiste, qui a laissé échapper une fouie de fautes dans tout ce morceau,
avait tafit : an Lie tint religieuse*
2. Texte douteux.
3. Avidement semblerait plus satisfaisant.
620 REVUE DTHISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
tain que les demandes de plusieurs ne sont reffuzees que de la
seulle nécessité, par l'organe de vostre bouche et non par le Roy,
ny par vous; mais c'est la coustume que ceux qui sont sappez s'en
prennent plustost au bras qu'a la cause qui le faict agir. De la se
forment leurs animositez qui font désirer a plusieurs de vous veoir
désarçonner, plus par assouuissement a leurs vengences que pour
remeddier? a leurs incommoditez. Contre tout cela vous auez deux
fortz : la faueur de vostre maistre et, ce qui vault mieux encore,
voslre prudance. Mais celle la ne soufflant pas tousiours d'un mesme
costé, et ceste cy n'estant pas tousiours en mesme recommandation,
ceux qui sont paruenuz aux charges ne s'y peuuent maintenir en trop
de bonnes sortes, desquelles ils peuuent chercher le moyen auec le
compas de la raison. On tient qu'il est bon es combatz d'eslre rude aux
coups, effroyable de la voix et terrible au regard ; mais pas un de ces
trois ne semble propre aux affaires, et sy le desordre ou elles estoient
n'a peu estre desbrouillé qu'en uzant de ces1 voyes, c'est désormais
assez. Il se dict d'un bon gendarme qui, en un combat ou il s'estoit
vaillemment porté, rehaussant l'espee pour la tirer encores et enten-
dant la retraicte, se retinct et se retira. Jusques icy vous auez faict
beaucoup d'eschecq ; mais doresnauant la raison et vostre propre con-
tentement vous conuient de faire halte, non pas de bien faire, car ce
debuoir veult estre continué sans intermission, mais bien n'adiouster
encores es esprictz des hommes, le desplaisir d'estre gourmandez auec
le mécontentement de ne recuellir aucun fruict de leur pénible pour-
suite.
Quelques personnages fameux ont autrefoys veu t (?) par l'exelance
de leur vertu, despouiller sinon tout, au moins la plus part de ce qu'il
y auoit de plus véhément et de passible? en eux, et, ioignant la bonne
grâce auec l'autorité, les ont reduictz par une union bien accordée a
un bon et parfaict gouuernernent et cogneu et faict cognoistre quJa*
ceux qui s'entremettent des affaires, la patience est une grande partie
de magnanimité. Et de faict, estre affable et parler gratieusement a
tout le monde ne se faict tant par bonne natture1 que par discours de
iugcment et sciance de raison, estant 5 vray que la natture n'a point
de sy puissans instrumens que les agréables parolles. Le premier
souhaict d'un des plus grandz hommes de l'antiquité estoit qu'il9 ne
luy eschapast mot qui peust offenser personne et qui 7 ne seruist a ce
qu'il vouloit dire; puis après, sa charge publicque estant expirée, il
rcputta le plus glorieux 8 acte de son administration de n'auoir en icelle
i. Ses.
2. Faut-il lire : « ont esté autrefoys veus... despouiller...? »
3. Que. ceux.
4. Mattiere.
5. Estons.
6. Qui.
1. Qu'il.
8. Mot déformé dans le manuscrit.
RECHERCHES SUR G. DU VAIR ET CORRESPONDANCE INÉDITE. 621
rien concédé a hayne, enuye ny couroux. Or puisque toutes les plainctes
de ceste court se resoluent en cela seullement que Ton ne trouue en
vous ny accueil, ny doulceur, il ne sera pas malaisé de les vestir et de
vous en seruir comme d'armes nées auec vous, mais que vous mesme
vous serez forgées par la cognoissance du besoing que vous en auez en
cet aage, ou la meureté de l'entendement et la hardiesse sont ioinctz
auec le pouuoir, affin que ioignant encores ces grâces la aux autres
que Dieu vous a départies, vous en composiez une beauté qui se face
admirer en vous par un concord de plusieurs beaultez concurantes
ensemble, esuitant la laideur qui s'engendre par la seulle deflectuozité
d'icelle1. Le temps passé (bon conseiller des hommes pour l'aduenir),
leur doibt faire craindre les prosperitez présentes pour le changement
auquel elles sont subiectes. Vous pouuez dire, en la condition ou vous
estes, qu'auant mesmes y estre paruenu vous y auez gangné de grandes
batailles aux despens d'autruy, dont il vous est prouenu des exemples
qui sont encores tous ressens pour tirer proffict de ce qui a esté preiu-
diciable a ceux dont les oppiniastretez et viollences sont maintenant
dans une triste solitude. Que sy es prunelles des yeux d'autruy nous
voyons bien les nostres, ne reffuzons poinct de veoir nos deflaultz en
ceux de nos prochains et de nous en chastier pour leur domage. Quand
a ceste maxime d'estre esgal enuers tous il n'y en a poinct de sy iuste
estant bien entendue*, ny qui le soit moins estant mal interprétée.
Lorsque le sage d'Athènes2 disoit que s'il eust pu reffaire de nouvelles
loix, il eust remis resgallité en ses citoyens, les plus grossiers l'enten-
doient de la proportion arithmétique, et les mieux aduisez de l'harmo-
nicque ; et qui peult doubter qu'il n'entendist parler de ceste dernière,
car, aultrement, c'eust esté une extrême disproportion de n'auoir non
plus d'esgard a la qualité et au meritte des plus grands et des meil-
leurs que des moindres et des pires. Or, comme il est difficile de bien
obseruer ceste proportion, aussy fault il confesser qu'il est fort utille
de s'y efforcer, affin que si l'on n'en peult attraper la perfection, au
moins on la suiue de bien près, car il importe infiniment de prendre
garde que k d'une exacte iustice qu'on veult establir, on ne passe a l'in-
iustice, n'estant pas moins inicque de donner pareil traictement a
touttes sortes de personnes (c'est a dire rigoureux), qxia cclluy (sic) qui
a touttes espèces de faultes auroit ordonné mesmes peines. Ainsy dict
on de ces loix lesquelles auoient esté escrittes non pas auec de l'ancre,
mais auec du sang. Que sy la prodigallité a esté effrénée soubz les
règnes precedans, que depuis encores le mauuais mesnage ayt duré
fort longtemps, et que, pour guérir ces maux, on pense bien faire de
n'exercer ny libéralité, ny recompense, qu'au contraire, au lieu d'en
planter le désir au cœur du prince, on semble mesmes, s'il estoit pos-
1. On attendrait plutôt icelui, représentant concord.
2. Entenduée.
3. A tenue.
4. Qu'une.
622 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
sible, arracher ces noms de la mémoire des hommes, l'extrémité de
cet expédiant n'est pas moins vicieuse que d'exterminer la vigne pour
empescher lliurongnerie, car comme il cust esté plus a propos d'en
approcher les Nymphes (c'est a dire l'eau), pour retenir en office une
vigueur violente par une plus doulce, aussy appartient il au iugement
de ceux qui ont l'administration d'apporter ce corectif a l'excès de la
profusion des biens faictz, qui se depparloient comme a clos yeux, et
les réduire a la mesure des moyens de lestât et des personnes, les res-
traindre a quelque manière, et non pas les esleindre du tout. Au sur-
plus il s'est laissé couller une oppinion en ce royaulme que vous faictes
profession de n'auoir point d'amis et que vous penseriez ne pouuoir
demeurer en bon predicament vers le Roy sy vous n'estiez accompagné
de plainctes et malueillances d'un chacun, affin qu'il iuge de la que
vous renoncez a toute autre affection qu'a celle de son seruice et de
son proffict. Quiconque ayme son honneur et son maislre se gardera
tousiours bien de faire des amitiez aux dépens de l'un ny de l'autre,
mais neantmoins ne laissera de chercher exquisement tous moyens
licites de s'en acquérir le plus qu'il pourra, considérant auec un grand
philosophe que sy, pour garder un homme d'estre meschant, il luy est
bon d'auoir des ennemys qui s'indignent, il luy est encores meilleur
d'auoir de bons amys qui l'amourachent et soustiennent. Et que se
peull il adiouster de plus grand en une personne esleuee en dignité
comme vous, que la bienueillance de plusieurs, nommément de ceux
qui sont remarquez de prudhommie et de meritte, poursuiuans choses
iusles et possibles au lieu de les reiecter auec de l'affection pour
sembler dépouillé1 de toutte affection humaine et de desdaigner la
courtoisie iusque la, de ne luy voulloir pas seullement* souffrir une
parolle. Quelqu'un a faict autrefois une pareille plaincte de soy mesme
qu'en ouurant ses coffres il trouuoit celluy des recompenses tousiours
plain et celluy des grâces tousiours vide, et souhaictant le contraire, a
laissé un bel exemple en ce désir combien l'indigence des grâces est
insuportable en3 l'abondance de touttes autres commoditez. Au reste le
but de ce discours n'est pas pour vous prétendre esclaircir au chemin ou
vous estes, car l'experiance le vous a mieux appris ; mais c'est seule-
ment pour vous faire rapport fidelle de ce que i'entendz estre désiré en
vous, en ce qui concerne les eslans de vostre esprit, qui iusque icy en
a tant blessé d'autres, qu'encores que vos actions en leur natture
soient bonnes, vous ne debuez pas dauantage mespriser d'essayer que
la forme n'en soit pas mauuaise, affin que de plusieurs mecontente-
mens d'autruy il n'en redonde quelqu'un par malheur au vostre, vous
ressouuenant combien la nécessité est ingenieuze, que le despict est
aueuglé et qu'ilz se vangent quelques foys au despens de leur propre
1. Dépouiller.
2. En marge, une autre [main, de qui proviennent plusieurs corrections utiles,
écrit en face de seullemenl : Omission,
3. Et l'abondance.
RECHERCHES SUR G. DU VA1R ET CORRESPONDANCE INÉDITE. 623
vie, ce que ie ne dis que par craincte pour vous, et non par doulleur
que ie ressente en mon particulier, espérant qu'en l'ouuerte profession
que vous faictes de dire la vérité a chacun, celle cy, qui s'adresse har-
diment a vous, ne vous desplaira point et finiray par ces parolles de
Hermolaus a Alexandre que, s'il vous plaist faire proffict de ma fran-
chise, encore en vostre grandeur aurez vous quelque obligation a ma
petitesse, sans touttes fois que ie m'en promecte ny recongnoissance, ny
gré, que celluy que ie me sçauray a moy mesme de n'auoir trahi par
mon silance l'occasion de m'acquitter de ce debuoir enuers vous.
Les parties connues de la correspondance de Du Vair ne jettent
quelque lumière que sur l'état de la Provence après l'avènement
de Henri IV, sur le rôle et le caractère du président du parlement
d'Aix. Combien ne serait-il pas plus important pour nous de pos-
séder les lettres que Du Vair dut écrire au temps de la Ligue,
lorsque, spectateur clairvoyant, il observait la crise qui déchi-
rait la France, ou que, représentant discret et prudent, mais
actif et résolu des opinions des « Politiques », il collaborait à la
réconciliation de tous dans le rétablissement de la monarchie
héréditaire et nationale! Il fut certainement en communication
avec J. A, de Thou1, quand il s'agit de réunir la conférence de
Suresne, de préparer et faire accepter l'abjuration du roi, de lui
livrer l'entrée de sa capitale. Mais en dehors de J. A. de Thou
et de Villeroy, il avait pour amis des hommes tels que Henri de
Monantheuil, Jacques Houllier, Pierre du Belloy, Nicolas Le
Fèvre, Antoine Loisel, Jacques Gillot, les frères Dupuy, François
et Pierre Pithou, etc. Dans leur correspondance quels précieux
renseignements ne trouverait-on pas sur ces hommes de science
et de vertu et, d'une façon générale, sur cette histoire de la Ligue
si passionnante et si incomplètement connue!
René Radouant^
1. Paulin Paris a publié un grand nombre de lettres du savant et sage histo-
rien dans les Mélanges de littérature et d'histoire recueillis et publiés par la société
des Bibliophiles français, Paris, 1877. Mais il est regrettable qu'il se soit borné à
faire un choix dans cette correspondance qu'avait réunie Le Roux de Lincy.
MÉLANGES
LES CORRESPONDANTS DU DUC DE NOAILLES
{Suite i.)
Lettres d'Eusèbe Renaudot.
A Paris, 6 juin 1699.
Une visite de vous, monsieur, quoyque je n'en ave pas profité,
mérite au moins que, puisqu'il ne m'a pas été possible de vous la rendre,
je vous en fasse de très humbles remerciements. Si j'en avois pu pro-
fiter, je vous aurois fait souvenir que vous m'aviez fait espérer que, par
vostre moyen2, je verrois la suite de Thélémaque, dont on dit tant de
merveilles. C'est plutost pour vous avoir une nouvelle obligation que
par un grand motif de curiosité. Car j'ay dans l'esprit que comme
simia semper simia, ainsi Thélémaque sera toujours Thélémaque.
Mais trouve-t-il encore des corsaires qui l'emmènent où il a affaire, et
les tempestes viennent-elles toujours à commandement pour faire des
épisodes? Vivent les hyppogryphes et les enchanteurs3. Leurs voitures
sont plus promtes et plus commodes. Je crois que Thélémaque avait
quelque talisman semblable à celui que vous m'avez envoyé, avec
lequel on peut faire dix lieues par jour dans un bon carosse, et bonne
chère, pourveu qu'on aye de l'argent. Enfin il a encore une propriété
que Don Andrès, un des sept sages de la cour de Charles-Quint, disoit
qu'il avoit observée dans la turquoise, qui estoit que, celui qui en avoit
une au doigt, s'il se jettoit d'une tour bien haute en bas, se romproit le
col et que la turquoise ne se feroit aucun mal*.
J'en crois devoir dire autant de nostre talisman qui n'est ni selon
1. Voyez Revue d'Histoire littéraire, 1899, p. 621.
2. Le mot par votre moyen indique combien il était difficile de se procurer Télé-
maque, pour la publication duquel Barbin avait eu un privilège le G avril 1699,
mais dont l'impression avait été interdite alors qu'on en était à la p. 208 de cette
première partie. Ce fut clandestinement aussi que parurent les autres parties des
Avantures de Téléma(/ue,en quatre petits in-12 de 230, 204, 215 et 208 pages, la même
année. Il est impossible de préciser quelle était la suite qu'attendait Renaudot, les
biographes restant muets sur les dates précises de la publication de ces diverses
suites. Cf. Nodiek, Description raisonnée d'une jolie collection de livres, 1844, et
Le Petit, Bibliographie des principales éditions origiîiales d'écrivains français.
3. Renaudot pense-t-il ici à YAriosle et au Roland furieu.v ou, plutôt, contempo-
rain et correspondant d'Antoine Galland, fait-il allusion aux contes des Mille nuits
et une nuit que l'orientaliste de M. de Nointel commençait à traduire?
4. Allusion à la sortie de Télémaque et de Mentor de l'île de Cu!)pso.
LES COKKESKmUATTS DU DUC DE ÏSuAll I i >.
62!V
l'art ny selon la belle doctrine, mais un grimoire qui est escrit do ces
Sortes d*al[iliabels où on tratiBpQOfl Ifii lettres et qu'il serait fort inutile
de chercher à deviner : welût cujui ùêgH tomnic &an&$ fingenêur tp\
\ j&s charactëres du revers sont mal imitée, et je ne crois pas qu'un en
puisse former aucun sens, si ce n'est celuy qui est au auioré intênttts. Or,
si le dit auteur b est donné an diable pour apprendre à faire ce bel
ouvrage^ il a fait un fol marché; et si le diable ne luy a seeu apprendre
autre chose, îl n'est pas un grand docteur1. Il y i d'autres talism
sur teiqoeb on pourrait faire des dissertations siMvanies: mais sur
celuy-ln, tout se réduit à dire que celuy qui Ta fait estoit une beste et
son diahle une autre.
J'espère que nous pourrons avoir 1* honneur de vous voir dans quelque
temps, et alors je vous rendray compte du Moud ou Modius arabe.
A Paris, ifl juin 1699.
le u'ay reçu, monseigneur, que ce malin la lettre que vous m'avez Tait
KhOQDeorde m écrire le 17. C'est que la poste de VôTBaiUe», à moins
qu'elle n'ait l'attache5 de M, les minislro, e<*1 la plus paresseuse de
toutes Les voitures. Car si une tortue, ou un animal que vous devez
connoitre, appelé la Paresse * par les Portugais du Brésil, avoit été
chargé de vostre message, je croîs que je IVuirois déjà receu il y a
vingt-quatre heures, et j'y aurois déjà répondu par conséquent.
Vous trouverez * beaucoup de recherches très curieuses sur ce sujet
dans le glossaire" qur vous avei acquis depuis peu, de M* du Gange., au
titre Captlfa. Il y a aussi diverses choses, mais très confusos, dans le
Traité de* antiquitêi de lu chapell* du fttnj par Du Peyrat*. En voilà
assez jusqu'à ce que j*aye l'hou rieur de vous voir.
Il me semble que rien ne seroil plus à propos que d'aller voir M. Tar-
chevesque, durant qu'il m à Confiant Cela soit dît sans préjudice
de la partie d'Àuteuil, et encore moins d'une certaine de Suint-Germain7,
i, Le Itttîsmftn ou grimoire dont Henaudot parle iVi est probablement quelque
logûftryphe ou cryptogramme que leiluc de Noailles, ou peul-étre hi cardinal, avait
soumis à son examen. Ce n'est pas par Ironie que Henaudot voit une intervenu. m
diabolique dans la composition dudil Lalisman, Peat-itre y a-t-il ici une illusion
à quelque proefts de magie ou ûé sortilège, sur lequel d'autre* lettres de Remudat
ou de ses contemporains nous renseigneraient peut-être.
2* Le portefeuille et les dépêches expédias par les ministre* à leurs bureaux de
Paris.
3. Le paresseux., animal peu connu des naturalisiez de ce temps-là,
4. Au sujet des Saintes Chapelles. Je supprime ici un long développement de
Renaudot relalif aux chapelles désignée! sous ce nom générique. Renaudot. qui
d< <i m récrire * hors de chez lui et ifcfli livres •, ne la traite que d'après ses sou-
Tenirs, et sa dissertation est prolixe et em barrasse.
5. Le GlosÊttrium ad sïripiwes modim si Inftmm UtlmitaHt que possédait Noailles*
était celui publié i h tri- in ttï78, en 3 voL in-folio.
lî. Le litre exact de cet ouvrage est ttiftûirt eûçUtiattiqm de ta cour ou Les anti-
quités et reetiercheg de Itt chapelle Ft oratoire dit roi de France depuis Cloris / ju^fiiit
notre terni**. (Paris, Henry Sara, 1645, in- folio.)
1, Chez Uoileau Despréaux, Allusion à quelque excursion manquée et devenue un
thème habituel de badirmge*
626
RCVCE Ti HISTOTRE LITTÉRAIRE Ht LA KRÀXCE.
prédite par les prophètes, dont l'événement s'accomplira quand il plaira
à Dieu et à vous.
Je vous pardonne tout, excepté vos compliments, ou pour mieux dire
je les pardonne à voire secrétaire, car je crois que, quand vous écrirez
vous niesme, vous vous en corrigerez.
On oûus disoit hier que M™* Tique t a voit sa grâce : on n'en crut rien.
C'est une histoire à recueillir \ et je suis fort aise qu'on Tasse justice.
Je vous salue, etc.
A Rome ^ 14 mai 1*01»
Je profile de l'occasion d'un courrier que M. l'ambassadeur d'Espagne J
despesrlie, pour vous renouveler, mon très cher gouverneur, les assu-
rances 1res inutiles démon respect et du souvenir continuel que j'ay de
vmus- Tout ce que je sais de vus nouvelles me vient par M, le cardinal
qui m'en mande quelquefois : ce qui pourroil vous exciter à suivre un
si bon exemple, si les honneurs ne changeaient les mœurs. Mais il faut
estre retourné en France pour le corriger, et orgueil enté sur paresse
ne produit ny papier ny plume. Je vous demanderais cepeudant un
billet pnur me dire que vous pensez encore à moy, si je ne pensois la
prière inutile* Si cependant vous la voulez exaucer, vous pouvez mettre
la le tire dans le paquet de M, le cardinal de Janson 4.
Je pourrois vous escrire plusieurs choses de ce pais-cy, qui d auraient
pas été inutiles pour le service de S. M, C. Mais Vôui comprenez bien que
je n'ay pas dû le faire, sans sç avoir si cela vous coavenoiL Ainsi jav dit
une partie des choses, h mesure que je les ny sçues, à M. le cardinal 'le
Janson; les autres, je les ay mandées en France- En général, je crois
vous pouvoir assurer qu on sera content du Pape a; et s'il y a eu quelque
vivacité sur l'investiture *, elle ne veuoit que du zèle des ministres qui
est toujours louable, mais je ne croîs pas qu'on eu ait besoin. Car vous
sçavez que le pape m/en. a parlé deux fois fort au long et qu'il est entré
dans toutes les raisons de convenance de Sa Majesté Catholique, comme
on Ta reconnu depuis. Je ne crois pas qu'il change de sentiments, car
t. [/histoire à recueillir est non pas le bruit de la grâce de celte célèbre crimï
nelle. nais ''- récîl nième de son crime, Elle est d'ailleurs bien connue. Le tende*
main DtéB» du jour où Renaudot enregistrait eut on-dit» le H juin, Louis XIV
refiiu de nn.-voirM, Tiquet qui venoit demander en eîTet la £ràee de sa femme;
, ril.> ri avait «'te condamnée par le Châtelct, puis par le Parlement, à avoir Je cou
coupé; elle Tut exécutée le 19 juin, après mise a la question et aveux complets,
udol parloil plus tard de ce séjour à Home en rappelant son exil. U écrivit
«le Home des leltrcs intéressantes au cardinal (te Noailles qui, comme il le dit plus
loin, lui écrivait quelquefois aussi.
li. Le duc d'Ueeda, de la maison d'Acnnoa y Pacheeo.
4. Toussai ni de Forbin-Janson (1633-1712). évéque de Beau vais, grand aumônier
de France, qui eut la réputation d'un bon diplomate,
5. dément XL II paraissait alors favorablement disposé pour la France; dans
diverses petites affaires, il avait montré - beaucoup d'envie de plaire au roi *, et
Ton espérait, dit Dan^eau, écho de l'opinion publique, que dans les aflaii^s ^n^
rates ■ il apporterait tes facilités nécessaires à raffermissement de la paix de l'Eu-
rope •*
(/investiture traditionnelle du royaume de Noples que réclamait Philippe Vv
roi d'Espagne.
LES COllKKSPONOÀNTS DU DIX DU KO AU LES,
6*7
il parle avec plaisir de tout ce qu'il aprend qui petit faire honneur à
S. M* GM et il en conçoit de jour en jour de plus grandes espérances.
J*ay veu icy M. Gonnel à Naptes, qui est le frère de M. Argoud,
conseiller de la marine à Bayone, où vous l'aurez veu en passant. Ii
est très-bien informé de Testât des affaires de ce païs-là, qui a besoin
d'attention. Il en conférera à fonl avec M. le cardinal de Jttunrti, qui en
rendra compte en France. Le mal est qu il n'a eu jusqu'à présent, autre
correspondant que cet homme qui voua e>t si cher et dont vu us m'avez
dérobé l'amitié» auquel il ne mande pas la soixantième partie de ce
qu'il s«;ait, en quoy vous louerez sa sagesse. On travaillera à former
un autre canal '. Vous voyez bien que le mépris vous fait perdre bien
de bonnes sornettes 3 que je vous manderais*
M* le cardinal d'Estrées\ avec lequel je contois de m'en aller, ne
revient point, et cela m'embarrasse d'autant plus que je ne veux pas
m'en aller seul. J'ay cru aussi n eslre pas inutile au bon oncle, que le
Pape aime autant que voua pouvez faire. Il luy en donne tous les jours
des marques essentielles. J'attens donc encore de ses nouvelles pour me
déterminera partir ou à attendre encore deux mois.
Je vous prie de croire que rien n'est capable de faire que Unm e twstro
laftatur pictore vultm, quoy que je vuus représente dans mon esprit
comme moulé sur les deux colonnes plus ultra , transformées en
éc basses» du baut desquelles vous ne daignes pas regarder les passans*
Ceronelîs Globier, major de M. le cardinal d'Iistrées, a été fait aujour-
d'hui général d< s 0»rdeliers par les sollicitations de toutes les puis-
sances de l'univers, Jaillot s'en pendra, si Dieu n a pitié de luy.
A Paris, 9 may 1702.
Depuis votre départ, monsieur J'nv presque toujours esté incommodé,
et je ne vous écris aujourdThuy qu'avec bien de la peine. Vous trou-
verez ici des nouvelles de Home, qui regardent l'arrivée du rov
d'Espagne à tapies*.
M. de Lotiville a eu audience du Pape * qui, nonobstant qu'il n'ait
point de caractère, l'a traite en envoyé, en lui donnant ftudîence sans
ir L'Identité de ces personnages (Connet, Àrgond, ïhamrnê qui mus ut si cher)
et de leurs noms n'est oas établie. Le Uxu- du début de la para* , (c. »
paraît au reste corrompu. Ce pcfyt4â e*t N&pte*, dont les agita lion* politiques
inquiétaient beaucoup ace moment les hommes d'état franco-espagnols et leurs nou-
velli-1' t. Le* allusions à ces intrigues pour rétablissement d'une correspondance
nouvelle entre Nazies, Hume et Paris restent encore obscures*
:!. tSe mot n'a pas ici de sens péjoratif,
3, César dffctrées{ tti-Jfl- HM j, évoque de Laon, prélat spirituel et érudit.
4- Philippe \\ dont le voyage à Naple* avait été longuement discuté par ses minis-
tres et déconseille par Louis XIV (comme inopportun pour Naplca cl impoli tique
pour les espagnols), arriva h Baies apr*-s luriL jouit de naviguiion. le K. avril 1102,
et te il à Naples. Henaiidol donne probablement ces nouvelles d'après renvoyé de
Philippe V\ Saumery (Dangeau, VI 11, 401),
5, En qualité d'envoyé, Cela fut considéré comme un succès diplomatique et per-
sonnel pour l'Espagne et pour son représentant»
628 HEYfftl l> HISTOIRE LITTERAIRE I>E U FRANCE,
l'obljger de quitter L'aspée. l\ lny envoya ensuite un régale1 de seîïe
bassins de toute sorte de friandises, perdrix, faisans, deux paons
des marzolins, du chocolace, de* confitures, deux charges de vin. M. de
la Trémoille* *?t M. l'agent d'Espagne qui m'en ont écrit témoignant
qu'il 8 sujet iPestrc eo nient.
M. le cardinal Charles Barberin sera, à ce qu'on croit, nommé lég
pour complimenter le roy d'Espagoe, et, autant qu'on en peut juger,
S. M* C- aura satisfaction sur des choses plus importantes *.
On me mande aussi de plusieurs endroits qu'il est adoré à Naples. ou
les a (Ta 1res sont en assez bon estât* Elles ne sont pas de mesme en Stci
où tout manque : les fortifications à bas, point de troupes, rien d'or-
donné*, Mais celuy qui y gouverne les rétablira ou personne ne le fera.
Les Allemans publient à Rome qu'il leur arrive tous les juurs
de grands secours, quoyque tout ce qui est venu n'aille qu'à huit ou
neuf cens hommes de recrue et iâÛU chevaux de remonte e.
On remarqua comme une chose fort plaisante que, le jeudy saint, la
bulle In Cœna Domini, qui envoyé h tous les diables les hérétiqu
leurs adhérents, fauteurs et participant ceux qui envahissent les biens
de l'Église, etc, fut leiie par M. de Carcnitz, auditeur de rote allemand»
et en italien par le cardinal Grimaui, dernier diacre*.
Il n'y a rien de considérable en Angleterre, sinon que la nouvelle
reine a eu enfin pîtiê de son mary et Ta déclaré généralissime par terre
et par mer. Les actes d'argent ne sont pas encore fiuis. On en dépense
cependant beaucoup pour le cou ru moment, pour lesquels MM, de* com-
munes n'ont pas voulu se contenter des places qu'on leur a voit don li-
mais ils s'en sont choisi eux-mêmes.
1. C'était un usajre constant du souverain pontife et, dans certaines occasions,
des cardinaux d'envoyer des présenta de ce genre, surtout en provisions de tu\e,
aux ministres des puissances et aux grands personnages passant a Rome ou venant
s*y fixer. Les reçoit faits à La reine Christine et à Htrysienka, reine de Poi-
son! demeurés célèbres dans la chronique romaine.
2. Le cardinal de la Trèmoille, cardinal décurie,
3* Le Cîirdinal Carlo tiarberini fut nommé légat a tatere, ce qui provoqua le-
Ditionft de Grimani (Dan^eau, TOI, ï2L d'après une lettre de Rome). D'ailleurs cette
ambassade, d'apparence ?i honorable et si flatteuse, n'eut pas de résultats bien p
tirs, de l'aveu de Louvîlle lui-même à Torcy, dans ses lettre» du 9 et H mai : - [Le
pape] parla de l'investiture dont on ne vouloit point lui pnrïer; il assura qu'il ne la
donnewit qu'à Philippe V\ mais il Ht entendre qu'il ne la donneroit point lant que tes
JmpeHaux seraient à craindre; enfin il écrivit au monarque une lettre pleine de
l pli mente, où il n'y avait pas un mot d'essentiel. (Mémoires de Nmrilie*3 IL '
4. Cetîe adoration des Napolitains pour Philippe V tenait à la faveur que lui seiti-
M.iit accorde? saint Janvier, dont le miracle ordinaire se fit le f» mai * a
promptitude qui produisit le meilleur eifet. - évidemment saint Janvier savait ce
qu'il devait à un pelil-lils de Louis X1Y* En récompense nsluî-ei le nomma second
patron tie l'L>pagne. Mais cet avancement d'un saint napolilain causa de r
;iuv K-piiKnoJs, qui furent vexés de voir donner un second à saint Jacques de Com-
postelle. On ne pense jamais à tout!
5* Ces renseignements sont précisés et éclaïreîs dans les leltres suivant
6. (Irimanî était vémlien, Carenitz sujet de l'Empire, el ces deux puissances
avaient souvent envahi les biens et domaines de l'Eglise- Mais quelle puissance
n'en avait pas fait autant, et cette coïncidence est-elle s> celle m eut plaisante?
Renaudot est un peu aveuglé ici par le désir d'amuser son correspondant.
LES COUnESPONDOTS DU DUC l>K NOÀILLES,
029
Qnoyqcte l'acte soit passé pour travailler à l'union de l'Angleterre el
de l'Éscosse, nn ne cruit pas la chose l'uni*.* ',
Si foui aviez été icy, vous auriez entendu de beaux corn inentai res
sur iV'iilrevue de Mtîr le duc de Bourgogne et de M. de Camforay * qui a
surpris assez de monde.
M^r le cardinal se porte très bien. 11 revint vendredi au BOÎr de Cnn-
flans et hier il alla à la procession h St-Paul et aux Jésuites ■.
MÊt le cardinal d'Est rée* me fait espérer par s;i dernière lettre que
nous aurons bientost de Luîmes nouvelles de l'armée d'Italie.
22 ma\\ 1702,
Quoiqu'il n'y ail, Monsieur mon très cher gouverneur, qu'un atome
de vous * dans la lettre que j'ay receue, elle ma fait cependant un ter-
rible plaisir: viw tout ce que j'avuis pu n prendre estait que vous vous
portiez bien, el cela me suflfsoiL Hier Mffr le cardinal ne m'en put dire
autre chose, et j'aime encore mieux le sçavoïr par une signature que par
un ouï-dire* Cet hier fut un jour de Feste pour M. Bernaehe fl, qui donna
à dhier aux deux nonces et a Irur comitive*\ et j'en étais comme romain
de ta création de M. le cardinal T. Pour le vieux nonce 8, qui a cepen-
dant vingt [années] de moins que le jeune, je voudrais être aussi bien
avec vous qu'il y est : ainsi vous savez qu'on ne fait pas de façon pour
lui. Nous allasmes et revïnsmes ensemble. Vous serez fort ayse de
seavuir que le Pape en est toujours plus content de jour à autre, et il
me Ta fait mander deux fois depuis votre départ. Ainsi j'espère qu'il
luy gardera la peau de quelque vieil cardinal pour lu y en faire une
calot le à la première promotion 9. Il y en a an ee pats- là et de certaine
langue, de la peau duquel il la feroit bien volontiers*
1. Le mari d'Anne BlUirt, Georges de Danemark, gros homme peu intelligent et
souvint ivn , remplaça comme amiral le comte de Pembroke. o Ainsi le voilà çèné-
ruLissime », dit Dangeau. Quant à Tonton anglo-écossaise, ce ne fut qu'en 1707
qu'elle fut définitive. C'était, sous prétexte d'union, l'absorption de l'Ecosse par
L'Angleterre. L'Ècoâtt devait être représentée à la chambre de* lord!* par douze
pairs élus par les pairs de ce royaume, qui Rassemblerai ont pour cette élection
seulement à Kdiui bourg sous la présidence d'un pair écossais nomme par le roi
d'Angleterre.
2, C est la célèbre pu Ire vue du duc de Bourgogne el de l-Vnelon, qui vint le rece-
irofr I ii posle de Cambrai, où il changeait de chevaux. Elle avait été r^lée par
Louis XIV d'ailleurs, mais malgré l'étiquette, les senti men ta du prince pour son
ancien maître se dévoilèrent * par le* yeux et le maintien si expressif. * (V. Dan-
geau, VIH, 405) et les additions de Saint-Simon,
:ï. Hue Saint-Antoine.
lé La signature, comme le montre la suite,
:, MftifU d'hôtel ou chef cuisinier du cardinal de Noaîllcs.
I, Italien, comitiva, suite, compagnie.
7. Comme ayant accompagné le cardinal à Home dans sa visite ad liminti? Il y
a ici quelque obscurité*
8. Le 2 avril 47(8, Dangeau mentionne l'entrée solennelle a Paris de M. Gualtïero»
nonce en France depuis plusieurs années, et le 4 avril à Versailles.
9. Ceci est plus spirituel que respectueux de la part do notre auteur. L'allusion
de la phrase suivante au cardinal dont le nonce se finit volontiers une calolte
est obscure. IL s'agit sans doute d'un cardinal espagnol, jmpahiU et résidant à Home,
mais duquel?
tlEV, D*Hl»T. LITTÉIt, DE LA FjlAKŒ (7* AttO.J,^ VU.
41
630
REYLE D HISTOIRE IJTTfJUlftE DE LA FR
Du reste, vous ne pouvez croire combien le roy d'Espagne fait bien à
Naptes où il est adoré, 11 y a une cour la plus magnifique qui soit pos-
sible, car Borgbese, Palestrine, le connectable el par dessus tous le
cardinal de Médicïs y sont allés avec des équipages d'une magnificence
prodigieuse. Mèdîcîa mène 60 est allers et 21 paires en livrées, qui assu-
rément sont bien belles, quand elles ne seraient que comme je la av
veues à Home. Plusieurs chevaliers de St-Étienne, qui ont chacun qu
estaflers de livrée, et beaucoup d autres Florentins *.
Pendant ce lemps-là, Grîmani * jure comme un cbartier et demande
que Paulucci et le gouverneur de Home soient privés de leurs empl
le procès de Vaste1 casse» le monitoïre lacéré, et le Pape s'est moque de
luy. Ce qui est de beau est que le gouverneur de Rome n'a pas plus de
part que vous au procès de Vasto et qu'il en enrageoU; et que l'autre *ât
un doucereux qui ne nous aime point.
Le Pape ma fait mander qu il estoit fort content de M. de Louville ; et
ce qui est de beau est, qu'ayant fait tous les préparatifs afin qu'il fust
receu et écoulé avec conGance, il n'a pas écrit un seul mot par lequel
on pût sçavoir ce qu'il faut faire pour le service du roi d'Espagne,
Le bon Vitement est arrivé 4, mais je ne Tay pas encore veu parce
qu'il est allé à Versailles.
Je vous envoyé des nouvelles1 où, peut-être par mégarde, on en aura
mis quelques-unes qui ne vous conviennent pas, mais pardonnez à la
précipitation. Car nous allons faire un académicien qui sera, je crois,
M. Tévesque de Senlis ', et les douleurs de l'enfantement me pressent.
Je n"ai rien donc à ajouter, sinon que je vous remercie de vostre
estime et que je ne m'en soucie point du tout. Je n'en dis pas autant
de vostre amitié, sur laquelle je conte beaucoup. M, de Valincour va
faire nos baise-mains à Amphitrile el part vendredy.
M. le cardinal se porte fort bien. Les petits frères ont eu la rougeole :
ce qui fait qu'on est en peine du chef quand les membres pâtissent.
Mais je crois que la fatigue dissipe toutes les mauvaises humeurs, et je
souhaite que la maxime se vérifie à votre égard. Je vous salue de tout
mon cœur, mon cher gouverneur, et je vous souhaite toute prospérité
et gloire en ce monde d'jcy à trois mois, dans l'autre d'icy à 82 ans et
demy* Àiiisi-soit-iL
t. Nouvelles données d'après un courrier de Naples arrivé le 20 mai (Bangeau,
toi, us).
I. Le cardinal Grîmani, adversaire du parti français a Rome, un des auteurs de
la dernière eompîralion de Naples, faisait répandre <U:s libelles contre Philippe V.
3. Le marquis del Vasto avait été condamne à mort le {% mars I7H2 par les tri-
bunaux romains, pour avoir calomnié et accusé faussement le cardinal de Janson.
*. Est-ce le nom du courrier arrivé de Naples l'avant- veille!
5. Quelque feuille d'avis manuscrite qui ne s'est pas conservée avec les lettres
de Renaudol.
6, Gel é vaque était académicien par substitution. L'Académie avait élu Chamïi-
lart parce qu'il était ministre. Celui-ci ne se trouva pas sujet assez académique el
pria ses électeurs de reporter leur unanimité sur son frère l'èvéque, ce qu'ils exé-
cutèrent, en bons courtisans. L'èvéque de Seuils prit séance le 1 sept. 1702.
LUS i:0HHESPOSDAÏSTS DU DUC DE VAILLES.
631
A Paris, H juin 1702.
Les nouvelles qu'on a Ae Pologne ne sont pas favorables pour le roy
de Pologne \ car le roy de Suéde % après avoir amusé durant quelques
jours les ambassadeurs que les sénateurs lui ont envoyés, avant que de
leur donner audience, les a enfin écoutés sommairement, et leur a lit
qu'il venoit comme ami de la République; qu'ils n'avoient pas sujet de
se plaindre des hostilité» de ses troupes, puisqu'elles avoient vécu avec
plus de discipline, depuis qu'elles étaient en Lituanie, que les Polonais
ne faU oient eux-mêmes dans leurs marches ; qu'il n'en vouloit donc ny
au pais ny à la couronne; qu'au contraire il venait pour 1rs rétablir
dans leurs libertés, que le roy de Pologne avait opprimées de plusieurs
manières; qu'il les appuyerait pour s'y rétablir; et que, quand il
se seroit vengé de ce prince qui Favoil attaqué ^ans raistm, H seroit
content.
Il a encore marché à Varsovie3, d'où le roy de Pologne s'est enfui a
Cracovie avec plusieurs sénateurs. Ou a sauvé l'argenterie des églises»
les meubles précieux, et tout ce que chacun avoîl de meilleur, de sorte
que la désolation est fort grande.
On a des lettres qui portent qu'il a continué la marche et qu'il est
entré dans Varsovie, dW il a fait expédier des lettres à la noblesse
pour l'exhorter à élire un nouveau roy» et qu'il leur propose le prince
Alexandre Sobieski 4.
On n'a point de lettres d'Angleterre, depuis cinq semaines. On dit
cependant, sur quelques avis de Hollande, que les Anglais, manquant
-d'argent pour l'armement de leur flotte, avoient demandé quatre mil-
lions aux H^llandois, auxquels la proposition auroit paru fort étrange.
Ils sont plus désolés que jamais de la longue durée du siège de Vieyle-
moets où ils ne voyent pas que leurs troupes avancent beaucoup.
M. le prince de Nassau Sarfaruek, avoit nommé deux brigadiers et leur
-avoit même fait expédier des commissions. Les Eslats Font trouvé fort
4. Auguste II qui ré priait depuis le 22 mai 1Gt>.s, élu eomurremment avec le
prince de Conti (V, Marins TopinT V Europe tt les Bovràoru sous Louis XIV).
2. Charles Ml.
3. Après avoir forcé le passage de la Don a contre les cuirassier» du feld -maré-
chal sason Slenau (18 juillet 1701), puis Millau el occupé toute la CourUntle,
Charles XII entra dans Varsovie le 5 mai Î7» J Vu^usle se relira à Cracovie, d'oii
îl voulut nue fois de plus tenter la fortune. Le 19 juillet, les deux adversaires se
rencontrèrent dans les plaines de KJissow, au bord de la Nïda, affluent de la Vla-
luk; Charles Xlt fui de nouveau complètement vainqueur et entra sans rèMatance
dans Cracovie» — Hcnaudot écrit ici d'après les nouvelles arrivées de Vienne; elles
sont aussi la source de Dangeau qui donne les mêmes informations le ti juin,
presque en termes identiques (Dan^eau, TOI, 149),
4. Alexandre Sobieski était le troisième fils de Jean III et l- Marie de- La tirange
d'Ârquien. Ce renseignement de Renaudot est intéressant, car il muntre les incer-
titudes de Charles XII pour le chois du remplaçant d'Auguste de Saxe, Après la
confédération de EtonUîj; nui), îl songea au fil* aine de Sobieski, Jacques.
Celui-ci et son cadet Constantin furent enlevés par les partisans saxons et enfermes
dans la forteresse de Kœnigsteîn sur l'Elbe, V. Wa.lizews.ki, Marystenka, et Itodu-
canachi, dans son très documenté roman (ou plutôt chronique) historique, Totia ta
courtisane^
REVrE 1) HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE.
mauvais, et les ont fait déchirer, ayant fait de fartes répritnaodfts à
priuee, comme s'il avoil en cela entrepris sur leur autorité K
On a fait entrer de nouvelles troupes flans In place: on en voulu 1
retirer la parnisnn, mais ny les officiers tiy les soldats ne Vont pas voulu,
disant qu'ils recevroienl bien des compagnons, mais qu'ils ne quitte-
raient pas la partie, voulant soutenir ce qu'ils avoîcut commencé.
On avoit tiré quelques volées de canon de Dnascldorf sur le camp de
M* de Tallard*. II envoya dire kUm" TÉIectrice Palatine quot si on
linuoit, ït serait obligé de bombarder la ville, et on a cessé depuis.
Le roy a nommé des seigneurs espagnols pour être chevaliers du
Saint-tsprit; le cardinal Pbrtô Carrera pour la première pi inte
de prélat; les autres sont le duc d'Oceda, ambassadeur à Rome, le comte
de Benaventê, le marquis de Vîllafrnnca, le duc d<? Médina Sidonia *.
On n*a point encore de nouvelles du départ du roy d'Espagne do
Naple», qui devoil estre le 27 du mois dernier * si le temps eatoïl favo-
rable. Il est adoré en ce païs*là; la cour est la plus grosse et la plus
magnifique que l'on ait veùe depuis plusieurs siècles : car outre tous
les seigneurs napolitains et siciliens qui sont venus, les premières
personnes de Rome y sont avec des équipages très nombreux et très
riches, le connétable Colonne, le prince de Rossano, le prince de Palftfir
trine, le prince Pamphile, etc.; Biais surtout M. le cardinal de Médi
qni a conduit seize carosses dont le premier a coûté plus de vingt
mille eseus, dix estafPiers de livrées, cent gentilshommes qui en oui
chacun quatre, et le reste à proport iou.
M* le cardinal Rarberin * y paraîtra aussi avec une grande magnifi-
cence et porte de grands présents.
Les affaires de Lorabardie vont toujours bien, et les Allemans n'ont
presque point deffendu Canetto û et quelques autres postes où iU ont
esté attaqués. Tout le renfort qu'ils ont receu jusqu'à présent con-
siste en deux régiments de cavalerie, et ils ne peuvent de plus d'un
l. Le prince de Nassau SaarbrurU commandait L'armée hollandaise, que les Et
généraux avaient voulu confiera l'électeur de Brandebourg, Ces nouvelles viennent
à fUoaudot par les leUres de \L de Blainvillc (cf. Dangeau, V1I1, 39i-395),
I. < "esi pendant te siège de Kaiserswerl que se passèrent ces mouvement
troupes et ces opérations milîlaires (mai-juin UA2). Blahmlje, qui commandait la
rcsislance de Kaiterswort, finit par capituler Je plus honorablement du monde le
15 juin, et fut ftil lieutenant ^énéraL
3. fies chevaliers espagnols du Saint-Esprit Turent le duc d'Uceda, déjà cité plus
haut comme ambassadeur d'Espagne à Home; Benaventc, de la maison de PimeoicL
sommelier de corps ou grand chambellan; le marquis de Villafranca, mai
r; le duc ai Médina Sidonia, cuballrrttû msyor, et le cardinal J'orlO CarfCfO,
de la maison Boecanogra, qui ne pourrait èlre reçu que lorsque une des nuïl places
ecclésiastique de Tordre serait vacante. — Ce fut la promotion du 4 juin 1T02.
4. Philippe V quittait Naples pour alter rejoindre les troupes franco-espagnoles
dans l'Italie septentrionale, h Le voyage de Naples, dit Milint, d'après Louvîll.
M irsin {Mémuires de Nouille*, II, Ht) ne servît guère qu'à découvrir le mauvais étal
de ce royaume le génie facétieux et turbulent des nationaux.», et l'impossibilité
morale de remédier h tant de maux. •
5. Il vint a Naples comme lé^at, el Philippe Y l'accueillit solennellement.
G. Le prince Ivugene s'y élaîl retiré après que Vendôme eul passe l'Ûgiio {16 mai
Ï702)î il n'y reala pas et la place se rendit à discrétion le 2U mai à Vendôme*
LES CORRESPONHAMs M' DUC DE NOAÏf.LES.
633
moiâ recevoir plus de huit ou dix mille hommes, Le* lettres ijul aug-
menté ni I." plus leur armée la font monter à 'Ai KM 10 hommes,
Voilât monsieur mon char gouverneur, toute ma science pour aujour-
d'hui. J'ay esté quelques jours absent» ce qui m'a ompenclié de vous
escrire, et je voua salue 1res humblement.
Le bon oncle a eu ce matin un mal de teste qui t'a empesché d'aller
au cierge '. IL n'a point de lièvre, et ce ne sera vu*n comme je I
A Pari*, i aou-a lltt.
Je vous envoyé, monsieur mon 1res cher gouverneur, la copie «les
nouvelles qu'on eut hier sur la dernière action arrivée en Italie &%
apportée par un courrier du '-Il juillet. Il y aura diverses circonstances
que nous ne pouvons encore sçavoir et que vous aurez peut-être en droi-
ture, Ce sont là de bons commencements, d'autant plus que le ruy
d'Espagne a fait connaître ce qu'on doit attendre de luy. Il tomba une
très grande quantité d'Allemans dans ht petite rivière du T al loue, et
on croit qu'il en a plus de douze cents. Une lettre que j'ay vue depuis
marque qu'il y avait quatre régiments ailemans, Viacouti* Sterbeuilîe,
Commercy et Dârastadt \
La défaite esl plus grande qu'on ne le disait d'abord.
A lféganl de la conspiration*, tenez pour certain que tout ce que vous
en avez veu, dans les récita (Dénie venus de la cour, qu'il n'y en a pas la
moitié de véritable. La vérité est que quelques-uns de ceux qui ont
esté arrestês estoient ineslés dans la première conspiration, et qu'ils
entreteuoient toujours des intelligences avec les émissaires des Impé-
riaux, Pour les soutenir» ils ont cru que le moyen de soutenir leur
Crédit estoit de faire croire que ce parti subsisïoit toujours, el qu'il y
avoit un grand corps de troupes enroslées. Pour le faire croire, ils tirent
pnroistre en divers endroits des troupes.de bandits, dont quelques-uns
avoient commission de l'empereur* Cependant, par un nombre assez
considérable de bonnes lettres, on apprend que leur plus grosse
troupe u'esloil que de 150, et on ne croit pas qu'ils fussent plus de trois
cents. Ainsi tout est tranquille a Nftples et dans les principales villes,
de sorte qu'il n'y a rien à craindre* mais il seroit seulement à ëouhaitter
<qu'on pensât un peu plus qu'on ne fait aux affaires de Hume4.
On apreud, par des lettres de Lisbonne du 1G juillet, que, le jour
précédent, le prince de Darmstadt y ctoit arrivé d'Angleterre pour
L L'assemblée da clergé ouverte depuis ta 3i niai au couvent des grands Augus-
tin s à Paris.
2. Cest U bataille de Senti Vïlioria, du 26 juillet 1702, où Philippe V et le duc
Vendôme mirent en déroule trois mille cbftVtUi commandes par un VisconiL
'.i. Conspiration du duc <!- Noin, appartenant a la Camille Caraffa. Le due fui arrête
^n juin U02. V. Mémoires de Soaiites, IL 153, Mats les nouvelles de lleiuudot sont
quelque peu en retard: elles sont importantes, du reste, en ee qu'elles rectifient et
complètent les renseignements de source officielle, Il faut cependant se délier de
la tendance optimiste de uotre auteur.
affaira de L'investiture du royaume» toujours promise implicitement el Jamais
officiellement accordée par Clément XL
634 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
quelque nouvelle négociation avec les Portugais1. Deux des vaisseaux
du roy qu'on y attendoit, le Brillant et Y Arrogant, y estoient arrivés, et
on en attendait encore d'autres de Brest et de Cadiz.
La (ïote des ennemis n'était pas encore sortie de Torbay * le 30 du
mois dernier; mais comme le temps avoit été plus favorable, on croyoit
qu'elle auroit pu partir, sans qu'on puisse encore rien pu descouvrir
de sa destination.
M. l'évesque de Montpellier3 est arrivé icy depuis quelques jours, où
il auroit esté fort aise de vous trouver.
Je voudrois bien que vous y fussiez. Puisque vous ne faites rien que
vous ennuyer, nous pourrions bien vous en promettre autant icy. Ce
sera une grande perte que votre absence pour la feste des enfants de
chœur, que vos absences ne soutiennent pas dans la bonne discipline
que vous y aviez établie. Vous seriez aussi de temps en temps très
nécessaire à Con flans pour les affaires du diocèse. Car je n'en sache pas
de plus importante que de conserver nostre bon archevesque, avec
lequel il vaudroit quelquefois mieux que vous travaillassiez que cer-
taines gens.
On fait icy les plus beaux livres du monde, des mélanges de littéra-
ture, des vies du P. Joseph et autres annales volusiens avec lesquels on
ne soutiendra pas l'empire des lettres 4. Je vous salue, etc.
A Lisbonne, le 22 aousl 1102 s.
Le 18 de ce mois, sur les cinq heures du soir, on aperçut de la forte-
resse de Pineche sur la coste de Portugal, à quinze lieues d'icy, la flotte
angloise et hollandoise dont on ne compta qu'environ cent voiles, le
brouillard ne permettant pas de distinguer le surplus. Le 19 au matin,
elle parut à la hauteur du cap de la Roque et l'après-midi elle fut veûe
de Cascaes à cinq ou six lieues à la mer, faisant la route du sud. Un
vaisseau approcha de Cascaes et donna un signal de deux coups de
canon, qui fit mettre aussitost à la voile le vaisseau dans lequel estoit
le prince de Darmstat; qui, depuis qu'il s'estoit embarqué, estoit
1. Ces négociations anglo-portugaise avaient pour but d'obtenir pour l'Angleterre
la neutralité du Portugal. Il était difficile à cet état de la refuser à l'Angleterre, la
France n'ayant pu lui envoyer les vaisseaux nécessaires pour se défendre contre
son adversaire.
2. La flotte anglaise resta longtemps dans le port de Forbay, avec les seize mille
hommes de troupes qu'elle devait transporter. Les mouvements longtemps incer-
tains de cette flotte sont une des principales préoccupalions qu'expriment les let-
tres suivantes de Henaudot.
3. Charles-Joachim Colbert, évoque de Montpellier pendant quarante-deux ans,
du 1" novembre 16% à Pâques 1738.
4. C'est la Vie du P. Joseph par l'abbé Richard, annoncée en septembre 1702 dans
les Nouvelles de la république des lettres.
5. Une note en tôle de l'original prévient que cette lettre datée de Lisbonne est
un récit factice. Je ne sais d'où Henaudot a tiré ses informations très précises et
très circonstanciées. A la cour, on ne savait rien de la flotte anglaise depuis la
sortie de Torbay. Cette relation n'a été d'ailleurs composée par Renaudot que dans
les premiers jours de septembre; c'est pour rendre son badinage plus vraisemblable
qu'il Ta datée qe Lisbonne.
les ci)iïiu;sp<m>À!m du duc de koailles.
635
demeuré mouillé dans celte baye, sous le canon de la forteresse, de peur
d'être insulté. Un yacht détaché de l'armée entra dans cette rivière,
qui apporta des paquets au sir MeUiweu et à renvoyé d'Angleterre, son
fila- Deux frégates vinrent mouiller le soir devant Gascaes; elles y
demeurèrent la nuit, pendant laquelle les chaloupes vinrent icy cher-
cher des rafïraiehisseinenls, et le lendemain elles remirent à la voile
à 1a pointe du jour. La nuit du 19 au 20» il lit un vent de nord si frais
que la Ilote dépassa cette rivière en peu d'heures, en sorte que le 20 au
matin on n'envoyait plus rien de Gascaes. Pendant tout le jour 20, hier
21 et aujoun.nmy jusqu'à l'heure que j'écris, le veut ne luy a pas esté
si favorable. Tous les gens de la Ilote qui sont venus iey i ferre ou à
Gascaes, la plupart domestiques franco js du duc d'Ormond ou de quel™
qtiis autres officiers généraux, ont dit qu'elle alloit à Cadix; et toutes
les apparences sont que tel est son dessein. Elle mouillera appn rament
à Lagos auparavant : ce qui fait juger ainsi est que l'envoyé d'Ànde-
terre a fait acheter de ce coslé-là beaucoup de provisions et de radiai-
ehissements. Les vaisseaux du roy, I \irnabt*> et le Téméraire, com-
mandés l'un par M, du hVlle-lsJe,lTautie par M. le chevalier Phétipeaux ',
entrèrent dans cette rivière le 13 de ce mois, le premier venant de
lu - Uefort et l'autn- île Gadiz.
J'ay receu ce malin seulement cette lettre, et je vous en envoyé la
copie, monsieur, comme estant la plus fraîche nouvelle qu'on ait éê
Cti pais-là. Je vous salue, etc.
.. septeœl
4 septembre 1102,
»Vay receu, monsieur mon cher gouverneur, votre lettre du W août
qui me donne assez d'inquiétude, car vostre joye de marcher la produit
dans une âme vile comme la mienne. Est-ce que vous ne profiterez
pas de ces grands exemples que donne le roy des Romains', duquel
les parents et clients n'ont aucune inquiétude, puisqu'il va se promener
durant les coups. Je prie Dieu de tout mon cœur par les mérites de
votre bon oncle qu'il vous doins la grâce de bien battre les ennemis
de Dieu el les noires, et de revenir en bonne santé.
Le chevalier de Fourbin*, à ce qu'on assure, a brûlé quantité de
barques dans le port de Trieste, ce qui ne peut faire que du bien,
quoyque les Vénitiens regardent cela comme un adultère fait à leur
mer, qui a été Tannée dernière une grande coureuse pour nos ennemis,
M. Brisaeier * jure un peu contre le pape et il a raison. 11 me fait
mander cependant qu il va Jinir. C'est une grande pitié que les gens de
ce païs-là,et surLout le respect qu'on y a pour les fripons.
(t En mars 1702, le Mercure disait déjà qu'on ne trayait pas • qu'il OU glorieux
au roi des Romain* de demeurer . puisque ie rot d'Espagne al ion frère
le dur de Bourgogne étalant dans les arméei Fr&ncû^aapagBolea.
2, Dans cette campagne* turbin bombarda Trieste et incendia Kiuma, Segne et
Bucc&ri lui 1 1 Côte de CroaUe.
3. Sans doute un correspondant de Renaudot à Rome.
636 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE..
Vous perdez infiniment de n'estre pas icy au sacre de l'abbé de
Feuquières : ce n'est pas seulement sa bénédiction, mais la musique des
petits pères, qui répètent tous les soirs avec un serpent dans leur
jardin, avec une telle harmonie qu'on croit qu'ils ont des vaches à la
pasture f.
Nous attendons bientost quelque chose d'Italie.
A Naples tout va fort bien; et il ne paroit pas qu'il y ait rien à
craindre. Il y a un mois que je n'ay eu de nouvelles de M. de Valincour* :
ce que j'attribue aux longues despesches qu'il est obligé de faire ailleurs,
plus tôt qu'à des avis importans qu'il ait acquis en Sicile. Je vous
souhaite, mon cher monsieur, une parfaite santé et je vous salue très
humblement.
14 septembre 1702.
Je fus si touché de la nouvelle qu'on eut avant hier de la blessure
de M. le comte de Noailles*, que je n'eus pas le courage, monsieur mon
cher gouverneur, de vous écrire. Cette nouvelle fut d'autant plus fas-
cheuse qu'on en composa un récit affreux dans lequel vous étiez aussi
blessé, et cela sur le bel esprit du suisse de M. le Maréchal. Le prompt
départ de M. le Cardinal pour Versailles acheva de me renverser l'esprit,
parce que je ne pus en être eclairci : je prie Dieu que nous ayons de
meilleures nouvelles de lui, et aucune mauvaise de vous. Car je crois
que sans peine je vous persuaderois de la terribilité4 avec laquelle je
les regarde, si je croyois que vous auriez besoin d'en estre persuadé.
Vous savez le retour de Mgr le duc de Bourgogne5, et je laisse h d'au-
tres à vous mander toutes les réflexions sur ce sujet. Car il faut conter
qu'on ne peut plus tenir icy contre les politiques qui inondent les mai-
sons et la ville. Je ne crois pas qu'aux caftes de Hollande et de Londres
on dise plus de sottises qu'icy, et me sine dans les Isles fortunées, où
ne va pas qui veut.
Je regrette mon exil de Rome 6 quand je pense à cela. On n'entend
tous les jours que de fausses nouvelles, et on passe pour un fat si on en
veut douter un moment; on ne l'est pas quand elles se trouvent fausses,
et on recommence.
1. L'abbé de Feuquières avait reçu l'évêché d'Agde le 16 avril 1702. II est fâcheux
que Renaudot n'ait pas donné sur le même ton une relation de son sacre. Elle
n'aurait pas manqué de pittoresque.
2. Sur Valincour et les nouvelles qu'il donne du comte de Toulouse et de l'es-
cadre de la Méditerranée, je renvoie à ses lettres au même Noailles qui seront
publiées ci-après.
3. Le comte de Noailles étante Strasbourg fut blessé assez grièvement à la tête
d'un coup de feu parti d'une ile du Rhin, landis qu'il se promenait avec le comte
d'Ayen et d'autres gentilshommes. — Le bruit de la blessure du duc était abso-
lument controversé.
4. Mot forgé, semble-t-il, par Renaudot, et qui n'a pas fait fortune.
5. Le duc de Bourgogne arriva de l'armée à Versailles le 8 septembre un peu
avant minuit, et, après une courte entrevue avec Louis XIV, eut grande hâte à
aller retrouver la duchesse et à • être en liberté » avec elle.
6. Mon exil de Rome! Le pauvre homme! on ne l'aurait pas cru à un tel point
journaliste parisien!
LES CORRESPONDANTS DU DUC DE NOAILLES. 637
Il n'y en a point d'Italie que le siège de Guastalla1. M. le comte de
Tolose arrive à Messine. M. de Valincour m'a écrit de Melazzo et il
est si content du cérémonial de Palerme qu'il ne me parle que de cela,
et des extravagances de celuy d'Avignon, scilicet hic superis labor est1.
On ne s<;ait rien encore de fort particulier de la descente des ennemis
près de Cadix 3. Ils avoient d'abord débarqué quelques troupes au-dessus
de la place, et ils avoient été repoussés avec perte. Ils ont choisi un
autre endroit plus bas et s'y sont emparés d'un fort, c'est-à-dire de
quelque tour qui ne peut pas être grande fortune; et s'ils sont où on
le dit, ils n'y peuvent pas tenir facilement, le mouillage n'estant pas
bon. Je vous en manderay quelque chose de plus certain par mes pre-
mières lettres.
Le Roy a un peu de goûte 4 depuis deux joufs.
Je vous souhaite, etc.
15 septembre 1702.
Je vous envoyé, monsieur mon cher gouverneur, les dernières nou-
velles que nous avons eues de Cadiz et qui sont très sûres. Et si les
ennemis n'ont point de très fortes intelligences dans la place (ce qui ne
paroist pas fort croyable), ils seront embarrassés.
Le duc d'Ormond envoya une lettre au gouverneur de Cadiz,
M. Brancaccio 5, pour l'exhorter à se déclarer pour la maison d'Autriche,
à qui l'Espagne appartenoit, et qu'il avoit si bien servie autrefois.
Brancaccio lui répondit que s'il avoit acquis son estime en Flandre, il
le prioit de luy en donner encore des occasions, en le venant prompte-
ment attaquer. On ne croid pas qu'ils (sic) osent entrer dans la baye de
Cadiz et s'ils demeurent où ils sont, ils y courent grand risque.
Je vis hier au soir M*1 le cardinal, et je le trouvay en l'état où vous
pouvez juger par sa tendresse que vous connoissez, et il attend avec
impatience des nouvelles de M. le comte de Noailles. J'ay esté assez
heureux pour n'apprendre point une nouvelle qui a couru, à ce que
j'appris seulement hier, qui estoit que vous aviez esté blessé et d'autres
mesme disaient encore pis. Fama malum quo non velocius ullum. Aussi
a-t-elle donné du nez et du bréchet contre la croix des Invalides et s est
1. Le siège de Guastella commença le Ie" septembre et se termina heureusement
le M suivant par une capitulation.
2. A peine arrivé à Messine, le comte de Toulouse reçut l'ordre de revenir en
France; cet ordre lui fut expédié le 13 septembre. Renaudot l'ignorait donc encore
en écrivant. Pour toutes ces nouvelles de Sicile et de Valincour, je renvoie encore
aux lettres de celui-ci. #
3. Les alliés avaient débarqué exactement à Rota, entre San Lucar de Barameda
et Cadiz; ils furent repoussés, mais les Espagnols perdirent leur commandant dans
ce combat.
4. Dangeau enregistre cette attaque de goutte le 13 seulement.
5. M. de Brancaccio répondit aux propositions des alliés « qu'il était prêt à les
recevoir comme les ennemis du roi son maître ». Ces nouvelles de Cadix étaient en
effet très sûres, étant apportées à la cour par l'ambassadeur d'Espagne et le mar-
quis de Lleganez.
638 REVCE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA PRA5CE.
fendu le jabot, comme vous verrez dans an poème très bien imprimé1,
qoi a para depais votre départ.
On eut hier nouvelle que le siège de Gaastalla avançoit, que les
canons des ennemis estoient démontés, que le roy d'Espagne avoit été
à la tranchée et qu'on l'en avoit tiré avec peine \ et qu'on croyoit
qu'aux premières lettres on saaroit la prise.
Je prie Dieu, etc.
A Paris, 22 septembre 1702.
Vous avez veu, monsieur mon cher gouverneur, par mes précédentes
lettres jusqu'à quel point je sens votre affliction et quelle est mon
inquiétude. Je suis néanmoins fort aise que vous soyez allé à Stras-
bourg pour avoir soin de M. le comte de Noailles a. J'en appris hier
par M. de Beau fort * qui lui avoient été mandées de Châalons et qui
me donnèrent beaucoup d'inquiétude. Mais M. le cardinal me rassura
un peu. Je ne souhaite rien tant au monde que de vous voir délivré de
toutes les appréhensions que votre bon cœur et votre tendresse pour un
frère très aimable me fait (sic) concevoir, j'ose dire plus qu'à aucun
autre.
Je crois que vous avez sceu par les courriers qui ont esté h Stras-
bourg, la prise de Guastalla* avec une capitulation très singulière, par
laquelle on oblige les cavaliers et les dragons à laisser leurs chevaux
et à promettre tous sur leur parole d'honneur de ne point servir jusqu'au
mois d'avril 1703, et tous ces hérétiques sont envoyés au concile de
Trente.
En Espagne tout va fort bien * : les villes et tous les ordres se mettant
en mouvement pour témoigner leur zèle, levant des troupes, envoyant
du bled et de l'argent, et se mettant en estât de résister courageuse-
ment. Comme le roy d'Espagne ne tardera pas selon toute apparence à
se rendre en Espagne, il aura encore l'honneur de les chasser 7.
1. Je ne puis désigner le poème dont Renaudot parle ici avec une ironique
louange.
2. On voit ici un exemple de la façon dont les nouvelles se communiquaient.
Dangeau mentionne le 13 septembre (VIII, 500) l'arrivée d'un ordinaire d'Italie
apportant des lettres du 5. Le lendemain, il dit que le roi parla à son dîner du siège
de Guastalla d'après des lettres de M. de Vendôme. C'est par Vendôme qu'on sait
que le roi d'Espagne avait voulu aller à la tranchée. C'est donc indirectement de
Louis XIV que Renaudot tient le renseignement ici donné.
3. 11 n'est pas question de ce voyage dans les Mémoires de Noailles.
4. Personnage inconnu et lettres perdues.
5. La nouvelle en fut apportée à Paris le 18 septembre. « La capitulation a été
qu'ils seroient conduits à Trente et ne pourraient servir dans les armées de l'em-
pereur avant le 1er avril •. Cette relégation à Trente a fourni le prétexte à la médiocre
facétie de Renaudot.
6. L'affaire la plus importante y était toujours la présence des troupes alliées
débarquées à Cadiz où le gouverneur Villa d'Arias organisait la résistance.
7. Dès le mois de septembre 1102, Philippe V avouait à Monaco son désir de
retourner en Espagne; le désastre de Vigo et le débarquement des Anglais en
Andalousie rendirent son retour nécessaire. Il arriva à Barcelone le 21 décembre
1702 (Baudrillart, I, 115-119).
LKS CCUUîESPOMiANTS D(J Ul MLLES,
ti3->
Vous sçavez plus tosl que nous ee qui se passe dans la Souabe
aussi je ne vous en mande rien. Je voudrais seulement qu'on pms&J à
faini M. l'électeur de Bavière roy des Komnins3; et ♦(unndonaura besoin
de mémoires pour faire voir la nullité de l'élection du prétendu my, j*en
feray de bons. îl fa n droit extirper de ces mangeurs de S** muiigentuui ad
parietem (We), surtout depuis qu'ils renient la foy pour armer ci in Ire
m mis les hérétiques.
Que direz-vous de la faveur de M. le Bailly a auprès de H. de P<mt-
churtrain, qui luy donne un appartement à Fontainebleau?
Je u'ay eu aucune nouvelle de M. de Valineour depuis quinze jours,
mars il a joint M, l'amiral à Melazzo, et ils sont depuis allés à Messine,
On donne Guastalla à M* le duc de Mantoue, ce qui lui fait beaucoup
de plaisir \
A Paris, H mai 1703.
J'altens avec une grande impatience, monsieur mon très elier gou-
verneur, des nouvelles de votre arrivée à Plombières \ avant laquelle
j espère que ta moitié des humeurs cacochymes dont vous étiez rempli
auront esté purgées par la seule concomitance de votre puissante apo-
ti airîe, et qu'ainsi elle servira à vous Faire faire de bonnes œuvres en
distribuant vos drogues aux pauvres; comme des Barreaux, grand
homme de bien en son temps, lit une fois donner aux pauvres un seau
de glace qui luy restoit après un repas *, et cela au mois de janvier. Je
crois cependant qu'il vaut encore mieux que cette charité suit pour les
Impériaux plutost que pour les sujets du roi «jt les Bavarois, car la
pharmacie est une excellente artillerie poor la destruction du genre
humain. Et parce que vous pourriez peut-être en douler, je ?OBi eittray
sur cela deux beaux vers d'un Arabe sur un fameux empirique qui
étoit un petit Rouviere de son temps. Il arriva une pesto dans son temps,
et il fit un distique adressé à ladite dame Peste, dont voiey la sub-
stance : « Madame, vous ave/ pana en ce inonde en même temps que le
docteur un teL Vous avez fait ligue offensive l'un et l'autre pour détruire
le genre humain. Est-ce que ce n'estait pas assez de l'un de vous deux? »
Profitez donc de cette érudition pour avoir des drogues, eu grand sei-
gneur, comme feu Monsieur7, un grand veneur et des chiens pour ne
j. L'ùtecteur de Bavière y avait pria Ulm, pré tend util non pas faire la _
l'empereur* in aïs ne s'armer que pour maintenir lu trait»' de Hv-w i<k,
2. En demandant qu'on fil l'électeur de Bavière roi des Humains, Itcuaudot ne
manquait pas de sens politique. C'est la politique qu'on suivit pendant la guerre
de la Succession d'ÀulncIte. Les invectives suivantes s'adressent «ans doute à la
maison de HaJtobonfg, mai* le texte parai I corrompu.
3. Le bailli de NoatUes fut nommé ambassadeur en France par le grand-mallre
de Malte en jutîiel 1701 (Dangeau, IX, *4&).
4. Celte nouvelle ne se réalisa pas.
5. Le- \l > -s.- N ailles sont également muets sur cette snîson thermale,
6. CeLte anecdote sur U-sharreaux, le célèbre impie, a-t-ctlc une authenticité bien
certaine?
1. Allusion aux goûts sédentaires et efféminés du frère de Louis XIV.
uo
REVUE Ù HISTOIRE UTTERA111E f>E IA FKà*C
chasser jamais qu'au plat; el que le régime, le repos et la tranquillité
d'esprit soyent votre principale médecine.
Voira avez laisse les affaires de l'église en une crise et la cabale papi-
manique a fait depuis votre départ tous les efforts imaginables afin de
surprendre le roy, et luy persuader qu'il n'y avoit péril quelconque
à laisser publier le décret sans correct if. Elle a plus aisément persuadé
quelques évesques, qui ne croient pas leurs brebys eu me i lieu i
que celle du loup, de faire le saut*. Aussi deux qui seront à jam.ns
distingués par ce bel endroit ont fulminé des ordonnances. Le premier
Âpt.le deuxième CtermotiL Celuy-ci estant dans le ressort de la charité
illustrissime M. le Procureur général, a été le premier ehàstié, mai
vous assure que ce n'a pas été sans bien combattre» En lin» mardy il eut
les mains déliées, et ensuite, sur les conclusions, arrest par lequel il
est reçu appelant comme d'abus de l'ordonnance de Clermoul qui s- ri
supprimée, etc. L'a rresl fut prononcé avant* hier ♦ Àpt est recommandé
au Parlement de Provence, qui a plus belle matière parce qu'il a établi
dans son ordonnance l'infaillibilité dans le droit et tous les faits,
fondée sur celle des pontifes de l'ancienne loi. Et en vérité, comme
on la desjà remarqué» cette preuve est incontestable après une *en-
tence aussi juste et aussi bien fondée que celle de Tarrêst de mort
contre Jêsus-Cbrist, qui ne paroist pas si injuste en Provence où Cajfas
a encore quelques parents K Ainsi voilà un commencement et mtilas
noches pour ceux qui ont donné tant de trouble, et traité avec si peu
de rat80U nidre bon oncle, dont on recherchera, comme j'espère, l'abso-
lu ttop, J'îray demain lui tenir compagnie et conférer sur ce que nous
aurons de H' une.
J'espère y trouver de vos nouvelles, c'est-à-dire de votre santé : car
pour les autres je vous en quitte. Je me recommande à vous de tout
mon Cœur, senor ayo de mis ajos, y besandole bumilmente las inanos
la prego que tenga cura de su salml oemo la christiandad ba menester.
Je salue M. l'abbé Yaison auquel je n'ay pas besoin de recommander
d'avoir soin de vous,
A Paris, 6 juillet 1703.
Je suis extrêmement consolé, mon cher monsieur, des bonnes nou-
velles que vous m'avez données de votre santé, qui m'inquiétoit extrême-
ment, quoyque je ne vous 3'aye pas témoigné aussi souvent que je le
souhaitois, ayant eu mille distractions et fatigues d'esprit et de corps
qui ne me l'ont pas permis. Mais je seray, s'il plaïst à Dieu, plus exact
dans la suite. Pour appuyer mes conjectures sur les autorités que nous
vous avons alléguées quelques fois, guéri estes à mon avis, puisque
vous trouvez le vin bon* Il faut qu'il achève le miracle des eaux de
i. Renaudot, en bu» gallican, s'exprime assez crûment sur le compte des ultru-
monUins. Son style est du n'st< savoureux et riche en explosions imagées, en
souvenirs i : cabale papifrumi^ue^ chasser au plat, la garde du (ottp.
h2, Surtout à Ai* en Provence, où plusieurs familles de nouveaux convertis él n
daat les prîacîpaks charges du Parlement.
LES CORRESPONDANTS DO MIC UV. NO AILLES,
611
Plombières1, qui meparoîst grand, quand je pense à restai clans lequel
vous estiez quand vous partistes de Co oïl ans. La santé de lVUr le cardinal
est aussi 1res bien rétablie, car vous le quittantes qu'il estoil un peu
fatigué et languissant. Il a pris pour eaux de Plombières et pour autres
médicaments quinze jours de visites de paroisses de Bric, où TOUS
sçavez que le vin n'est pas capable de Faire perdre le droit sentier de
la vertu* puisqu'il ne Fait [»;is Faire dtsSS dans le cbemin des chareUes.
Je vous diray, [jour nouvelles qui le regardent, qu'il paroUt par ce
que nous avons de Rome parles lettres de deux ordinaires, que le Pape
se raddoudl beaucoup, et qu'il cherche une ouverture à se raccommoder
avec M*r le cardinal, qui au moins a encore de bons amis en ce pays-là,
ou la plus grande et plus saine partie trouvent qu'on a esté bien \iste;
et tout bomme qui n'est pas prévenu en conviendra Facilement *. Mais
vous souvenez-vous de celuy auquel vous listes une Ibis à Tarchevesché
une si sage remonstrance, sur l'ëviralion qu'il a voit (aile de certaine»
peintures d'une maison, qui vous reviendra, s'il plaist à Dieu? Vous luy
disiez qu'il e^toit bien sensible aux mouches de ne pouvoir voir ces
peintures sans estre exposé à de mauvaises pensées, Contez qu'il est
encore bien plus sensible sur cette matière-là, 11 a fait et fait encore
tous les jours des petites démarches taupîères qu'on découvre neant-
moins et dont un autre fierait mauvais marchand \ Il le sera, s'il plaist
à Dieu, Ameny et votre bon oncle les supprd itéra tous*
On n'aura pas manqué d'envoyer à votre armée des nouvelles de la
défaite des Hollandois par M. le maréchal de Bouffi ers B. L'action est très
belle et M. le duc de Guiche* s'y est Fort distingué. Il faudroît vous
envoyer un volume, et je crois qu'on n'aura pas manqué de vous en
informer.
La petite disgrâce de M. Albergotti7, qui n'est rien dans le fond, a
donne lieu aux Allemand de Rome de composer des relations, qui
sont presque aussi grosses que le seroit celle de la bataille d'Àrbele, si
elle avoit esté donnée du temps du Mercure GaJlanL Ils ont, disent
les relations, six-vingts officiers prisonniers, butin, canon, et les Roma-
nesques croyent tout cela parce qu'ils en seroient ravis.
i. Ceci semble indiquer qu'il n'y a pas eu du lettre écrite entre te it mai elle
6 juillet IT0)i
5, À propos des interminables querelles causées par L'adhésion morale de AL de
Noailk's aux duel ri nés du P. QuesneL
;î. Allusion a un personnage plus pudibond que connu, La maison et les peintures
mutilées nous sont inconnues. Mftis dans la sage remontrance faite à ce vandale
par Noailles, il y a probablement un sou venir de Tartufe.
4. Autre allusion fort obscure, relative probablement à des intrigue» ecclésiasti-
ques. Le mot de démarches ttaijrièrtt f^t une vraie trouvaille.
i>. Uoufflers battit les troupes hollandaises de M* d'Opdam le samedi 30 juin
(Gazette de 170at p. 313).
6, Bouf fiers mentionne en effet dans sa relation Guiche comme un des officiera
qui s'étaient te plus distingués (Dangeau, IX, 831).
7, L'affaire de Final, des lu et II juillet, eut peu d'importance* Albergotti, légère-
ment blessé, ramena ses troupes au pï&U pas de la Mirandoie et Cuarentolo à
Final. Un perdit un tneslre de camp, M. d'Espinch&L
642
REVCE D HISTOIRE LlTTËRAIflE DE LA FRANCE.
M* le comte de Tnlose part hindi pour Toulon, M. de Valincour
pril hier les devants* Je crois qu'ils au m ni l'empire dû Ifl MéditerrB
durant celte campagne, parce qu'il n'y n aucune llolle qui ose lenir
tête à M, le chevalier de Coinminges. M auroit du faire venir (>ourtetiotte
et Rubion de son. abbaye pour les montrer par rareté à tous les moines
de Naples et de Sicile, qui sont Austriehiens, de peur qu'on ne les I
chrétiens l. Car ils verraient que ces dignes lïatacci de Churoux ne sont
pas faits comme la Trape,
M* des Préaux est dans une petite inquiétude sur ce que je lui ay
apris qu'il avoit un concurrent, qui alloit sur ses vieux jours lanéauiir
par un traité du sublime qui cotiroit déjà les ruelles, et Tau Leur Bai
l'abbé de Saint- Pierre. Il est vray dans le fond qu'il a travaillé sur cela,
et le poète, comme vous BÇ&T6S, croid tout fort aisément* mais noa pi
qu'on puises l'égaler ; en quoy il ne se trompe pas, sur plusieurs sujets,
mais surtout à l'égard de celui-là.
Noua avons au jour la f^/f'-tnpe * de M, l'abbé Genest, dont notre
poète dit quelque bien et les autres beaucoup. Elle a plu aux princesses
jusqu'à tirer leurs larmes; après cela on ne peut rien dire, sinon : 0
quantum est ht rébus titane \ Muta ce n'est pas seulement ces ckim*
ù< nu ht nantis in vacuo. LTi nantie est dans bien d'autres choses plus
sérieuses, et rien ne pou voit me faire plus de plaisir que de voir que
vous comprenez ce néant de plus en plus, et que de ce néant mesme
vous tirez des réflexions très sérieuses et très sensées. Dieu veuille bien
vous les augmenter et les faire prendre racines, porter fruits, et vous
contenter pour cela aidant que je le souhaite, personne ne prenant
plus de part que je fais à votre conversation et n'ayant plus de recon-
naissance que j'en ay pour votre amitié.
Au camp de Castelnuovo, 27 juillet i~<KL
Le 26 de ce mois a, M. de Vendosrne partit de Sorbolo et passa la Lenza
sur plusieurs colonnes sans trouver les ennemis. En arrivant icy il aprit
qu'ils estaient au-delà du Crostolo, Il partit d'icy environ à deux heures
après midy avec 23 escadrons et 14 compagnies de grenadiers. Il
passa le Crostolo sur un pont de pierre que les ennemis noccupoieat
pas. Il tomba sur un camp de trois régiments de cavalerie, que com-
mandoit Viscontî, qu'il trouva mal posté à Santa-Viltoria. Il les a
1. On voulait Taire une campagne maritime série use sur la Méditerranée. Déjà le
maréchal de Gœuvres avait pris le commandement olfactif de la flotte, depuis le
milieu de mat. Il com mandai l sous Le comte de Toulouse, Le départ de eeluî-ei fut
longtemps annoncé pour le lundi 9 juillet; mais le fi, joiir <n K-niml-l vn parle,
on annonça après le coucher du roi qu'il était retardé; il ne partit que le 25 juillet.
2. La Pénélope de Gcnesletil du succès, au point qu'on l'Imprima clandestinement
un Hollande sous le nom de La Fontaine, ce que Genest prit en homme spirituel.
Pénélope on te retour (VU y •>.«"■ de lu oit erre de Troie pouvant servir de suite aux
a\rntures de Télémuqtie. A la ILi>e, chez Adrien ftloeljens, Htit!, In-lï,
Si t>ci est encore une relation factice comme celle que nous avons déjà rencon-
trée. EHe paraît composée uniquement avec des extraits directs ou indirects des
lettres de Vendôme.
LES CORRESPONDANTS DU DUC DE NOAILLES. 643
culbutés avec peu de résistance. Il est resté environ 600 des ennemis
sur le champ de bataille, 400 prisonniers, parmy lesquels quelques
officiers sans distinction, hormis M. de Staremberg, colonel du régi-
ment de Darmstadt. On a pris 1000 ou 1200 chevaux. La plus grande
perte des ennemis a esté dans le Tasson que fort mal à propos
M. Visconti avait laissé derrière luy. Ils ont perdu tout leur camp et
tous leur bagage, deux paires de tymbales et huit ou dix étendards.
Presque tous les officiers généraux s'y sont trouvés et ont fait des
merveilles, surtout M. le marquis de Créqui, qui a combattu à pied et à
cheval avec grande distinction. Les troupes se sont surpassées. M. de
Wattigny a esté blessé légèrement, un page du marquis de Créqui et
M. Shelton. 11 n'y a pas eu plus de 120 des nôtres tués et blessés.
M. de Vendosme revint coucher icy et laissa au-delà du Crostolo les
troupes qui esloient passées avec quatre brigades d'infanterie. On doit
décamper demain pour suivre cette route.
On a eu avis que le prince Eugène a fait passer beaucoup de ses
troupes en-deçà dû Po. M. de Vendosme envoya aviser le roi d'Espagne
qu'il marchoit aux ennemis, et qu'il le prioit de le soutenir. Les troupes
qui accompagnaient le roi d'Espagne n'allant pas assez vite à son gré,
il marcha seul, peu accompagné, et joignit M. de Vendosme lorsque
l'a (Taire n'estoit pas finie, et il s'y comporta d'une manière que toutes
les troupes en furent charmées.
Escadrons qui estoient à Vaclion.
Gendarmes escossois.
Colonel général.
Sully.
Dauphins dragons.
Villeroy.
Des Clos.
Lautrec.
Montpercieux.
Carabiniers.
Estrades
Anjou.
22 août 1703
Votre lettre du 21 m'a fait un très grand plaisir, mon cher monsieur,
en m'apprenant que vous estes enfin délivré d'une aussi fâcheuse fièvre
que celle qui vous a tant tourmenté, quoyque le quinquina ne puisse
pas vous assurer d'une entière guérison. Je crois que vous prendrez
bon conseil pour ne pas entreprendre plus que vos forces ne vous le
permettront : car la faiblesse qui reste après de si rudes accès est un
mauvais préparatif pour aller essayer les fatigues de l'armée. Il me
revient qu'il y a beaucoup de conseils en campagne, comme il arrive
toujours en pareille occasion: M* le cardinal et M. le maréchal vous les
donneront bon. Après qu'on a fait ce qu'il est possible, il faut mépriser
les jugements des hommes, qu'il est bien difficile de contenter.
J'ay passé à Conflans depuis vendredy au soir jusqu'à mardy malin,
et je voulois vous écrire de là : mais quoyqu'on y ait assez de loisir, au
moins plus qu'icy, j'eus tant à écrire en Italie que je manquay à ce
dessein. Il y a tout sujet d'espérer que dans peu nous verrons le pape
revenu à ses premiers sentiments sur le sujet de Mr le cardinal. Il en
644 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
vient tous les ordinaires de nouvelles preuves, et une personne arrivée
depuis peu, et à qui le pape avait donné une grande audience toute sur
ces affaires, m'en a parlé d'une manière qui m'a fort consolé. M. le
grand duc et M. le cardinal de Médicis ont fait des merveilles, et si nous
avions en ces pays-cy des amis aussi seurs que ceux-là, il y aurait bien
des peines épargnées. Mais les cœurs de ce temps-cy sont à peu près
aussi bons que les testes l.
M. le comte de Tolose est embarqué, et j'ay eu une lettre de M. de
Valincour à bord du Foudroyant. La flotte angloise et bollandoise
commandée par l'amiral Showell a passé devant Lisbonne. Sbowell a
offert ses services au roy du Portugal, qui l'en a remercié. 11 a ensuite
mis à la voile vers le détroit, publiant qu'il alloit dans la Méditerranée.
Je crois qu'il va tascher de faire passer les vaisseaux du convoy de
Smyrne qu'il escorte, et que, s'il peut les mettre en route, il retournera
par le plus court chemin. Cependant il semble que c'est pécher contre
le bon sens que de ne pas croire qu'il va porter la terreur, le feu et le
fer partout. Je ne crois pas que jamais païs ait esté peuplé de cervelles
comme les nostres *. Assurément H an ni bal auroit eu bon marché de
telles gens. Cela fait pitié et met en colère.
VAmphitrite est arrivée de la Chine ', et on en estoit fort en peine.
M. le Bailly commence à faire les fonctions d'ambassadeur4 avec toute
l'attention possible, et, afin de concilier les intérests publics avec les
commodités de sa personne, il va coucher les lundis à Versailles afin
d'y estre mardi de bonne heure.
Votre petit abbé8 répondit jeudi dernier au Plessis, sur l'histoire de la
Bible, d'une manière très spirituelle. M. le maréchal et Mme la maré-
chale y estoient. 11 fut tonsuré trois ou quatre jours auparavant, et il a
une petite pièce de 18 sols sur la teste, avec laquelle il se carre et se
ramène en perfection.
Je vous souhaite un parfait rétablissement, etc.
(A suivre.) L. G. Pé lissier.
1. D'après des nouvelles arrivées à Louis XIV le 16 août (Dangeau, IX, 270). Cette
flotte anglo-hollandaise comptait trente vaisseaux de ligne, quatre frégates et quel-
ques brûlots. L'avis envoyé par Louis XIV au comte de Toulouse d'arrêter cette
flotte et de lui livrer bataille s'il était possible, montre que l'on croyait à Versailles,
comme Renaudot, que le projet d'escorter un convoi de commerce n'était qu'un»
prétexte.
2. Invective à enregistrer dans l'histoire de la - légèreté française ».
3. C'était une frégate du roi qui avait fait le voyage de Chine pour la « Compa-
pagnie » : son voyage avait duré vingt-sept mois; sa cargaison était évaluée à deux
millions.
4. Ambassadeur de l'ordre de Malte.
5. L'abbé de Noailles.
BIBLIOGRAPHIE DES ŒUVRES DE TAIJSE.
US
BIBLIOGRAPHIE DES ŒUVRES DE TAINE
(Suite et /in*,)
1865 (icrjanviet\) — V Italie^ etc. : IL Le Mont-Canin. Home. Le&Anti-
jtttff et Raphaël [Revue des Deux Mtmdes)^ article.
(14 janvier.) — Au musée de Naples^ fragments de lettres (la Vie
parisienne), article K
{15 janvier*) — L'Italie etc. : III, Ronu\ les villas f les palais,
Mîche ir Ange, (Revue des Deux Mondes) , article.
Ces trois articles ont été refondus dans le Voyage en
Italie.
(26 janvier*) — 'Camille Selden, l'Esprit des femmes de notre temps
(Journal des Débats) % article.
Recueilli dans les Essais de critique et d'histoire (2* édi-
tion, seule, 1866),
(4 février,) — *Le Christ , par M. Emile Barrault (Journal des
Débats) , article.
Non recueilli en volume»
(4 et 11 février.) — L'œuvre d'art (Revue des Cours littéraires
[Revue bleue]}, leçon d'ouverture du cours de l'École
des beaux-arts*.
Recueillie dans la Philosophie de fart (iT6 èê.t 1865 et sqq.).
i. Voir la Revue d'histoire littéraire de la France de juillet 1900, p. 473. — Je
dois à l'obligeance couturaiëre de M- de Spœlbereh de Lovenjoul un certain
nombre d'addenda et de corrtgenda dont j'ai naturellement enrichi ce modeste
inventaire bibliographique. Depuis que le précédent article a paru, M"* Taine a
bien touIii aussi me fournir sur place, à Menlhon-Saînt-Bernard, de nouvelles
indications complémentaires dont j'ai tâché de faire mon profit. Grâce à ces com-
munications diverses, j'ai pu porter à plus de soixante le nombre des articles ou
lettres de Taine dont je donne des extraits dans le livre qui parait en ce moment.
N.-fî. — Dans le précédent article, p. 41B, au lieu de ; {S et lu juillet 1856)* —
L*Anab<we% etc., lire : 3 etifl juillet;— p« 183 au lieu de (5 mars 1860). — Lettre
a M. Alloury, tire : 5 mars ; — p, 484, au lieu de ; (22 mars 1800). — Victor Duruy , etc.,
lire : â3 mars,
2, M. (Marcelin) faisait précéder ces fragments des lignes suivantes : « Encore une
audace de ta Vie poWlinutel Elle va oser aujourd'hui marcher sur les brisées de lu
fttVUtf des Dent Mondes \ cette grave Revue publie en ce moment un voyage de
M. Taine en Italie. Or, la Vie parisienne possède dans ses archives un certain
nombre de lettres inédites du même auteur sur le même sujet. 'En voici un extrait.
Lisez-le, il traite peinture et sculpture, mais eu termes si francs, si étran.
hardis, qu'il ne pouvait trouver place que dans cette petite Vie parisienne, qui
décidément se permet tout. -
3. Taine avait été nommé, comme Ton sait, professeur d'esthétique et d'histoire
de l'art a l'École des beaus-arts. Dans son numéro du 18 février 1865, ta Vie pari-
sienne publiait un article de Marcelin in Ululé : Le cours de Jf. raine à l'Êeole des
beaux-arts. L'article est orné d'une jolie vignette représentant la physionomie du
ReY. P'HIST. UTTÉIt. DE LA FlUHÇE (7* AflD.J. — Vil , 42
646 REVUE D*ÎUSTÛII1E LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
!865 (15 avril.) — L'Italie, etc. : IV, Les églises et ta société rom
{Revue de* Deux Mondes) , article.
Recueilli dans le Voyait en Italie.
(£6 avril.) — *M. Joseph Bertrand, les Fondateurs de l'astronomie
moderne [Journal des Débats), article»
Non recueilli eu volume.
(15 mai.) — L'Italie, etc. : -V. Le peuple et le gouvernement dv
Rome; ta Campagne romaine et la semaine sainte à Rome
en i 864. (Revue des Deux Mondes), article ■■
Recueilli dans le Voyage en Italie,
(27 mai») — * Léonard de Vinci {Revue des cours littéraires) ^ leçon
professée à TÊcôIe des beaux-arts.
Non recueillie eu volume. — Sera recueillie dans la nou-
velle édition des Nouveaux Essais th' critique et d'histoire que
va mettre en vente le mois prochain la librairie Hachette.
(3 juin/) — Notes sur Paris : La jeune première (la Vif parisienne),
article,
(10 juin.) — Noies sur Font : Le jeun 0 premier (/rf.), ibid*
I i*f juillet.) — Notes mu Paris : La conversation (/rf,)i Unrf.
il juillet*) — NùtêM sur Paris; La société (/*/.), ibîd*
2^ j uillet.) — No tes su r Pa ris : M . G va ï n do rge {ld*)% ibîd.
Ces cinq articles ont été recueillis dans les Notes
Paris,
cours. Dana un coin, le portrait de Taïne, en médaillon, et qui, malgré les
lunettes, ressemble beaucoup à celui d'Alfred de Musset* Voici quelques extraits de
ce très intéressant article : ■ Nommé récemment professeur d'esthétique à l'École
des beaux-arts, M. Taïne vient d'ouvrir son cours. La fantaisie m'a pris d'aller
assister à une de ses leçons* — La scène est presque religieuse* La lumière
tombe d'aplomb de la lanterne du dôme, éclairant tranquillement tes caissons
dorés de la voiUe, les personnages 4 grands costumes de la fresque de Paul Bela-
roche, et venant mourir sur la fête des assistants. Ceux-ci, étages en un vaste
demi-cercle, font face au professeur, qui, devant sa table, dans renfoncement
formé par deux colonnes de porphyre, rappelle assez volontiers un ministre pro-
testant dans sa chaire, portant barbe et lunettes, et parlant simplement a des
hommes comme lui. L'assistance est recueillie plus qu'on ne l'attendrait de ces
Jeunes télés barbues, chevelues, aux yeux vifs, aux bouches moqueuses. Le profes-
seur semble aussi jeune que ses élèves, L'étoignement efface les traces que la
fatîpue ou la maladie ont pu laisser sur son visage, et l'on ne distingue qu'une tète
énergique à cheveux noirs et drus, à barbe chàtaïn. Du reste, velu de noir, habit
boutonné; »ur la table, son chapeau, ses ganls, quelques feuillets de notes au
crayon : c'est toute la mise en ftcèn.6- -
1. Sous le litre : ta Semaine xttiitfe ù Rome, la Vie parvienne du 27 mai 1865 don*
naît un extrait de cet article, précédé de la note suivante de Marcelin ; « Je nTai
rïen lu sur ce sujet de plus étrange, de plus nerveux» de plus franc, de plus osé.
La justesse et la profondeur des grandes descriptions sont chose ordinaire à
M. Taîne; mais rarement il a poussé aussi loin la verve comique et la crudité pit-
toresque!,.. Lisez sans crainte ces pages ; je vous jure que de longtemps vous
n'entendrez plus joli bavardage que ce grave article du plus grave des philo-
sophes. »
BIBLLOGIUPHIE DES (EU VU ES DK TAISE- 641
(Août.) — Philosophie de l'art, par H. Taïne, Leçons professées à
VÉcoh- des beaux>ai*?s (l vol. ïn-! 8 Jésus, Paris, Germer
Bftillière, 1805).
La Vie parisienne du 12 août annonce le volume comme
venant de paraître et en donne deux extraits. — A partir de
mars 1882, ce petit livre forme la première partie des deux
volumes qu'a publiéi la librairie Hachette sous le litre
général de Philosophie de Vart (2 Vol, in-18, de n-330; —
4ia p,, Paris, Hachette) : il a continué quelque temps encore
à être vendu par Ja librairie Germer Baillière sous forme
d'étude à part; mais sous cette forme, il est aujourd'hui
épuisé, — Les deux volumes publiés par la librairie Hachette
ont été formes par la simple juxtaposition des volumes
qu'a successivement publiés la librairie Germer Baillière
sous les titres suivants: Philosophie de l'art; — Philosophie
de Vart en Italie \ — Philosophie de l'art dans les Pays-Bas;
— Philosophie de l'art en Grèce] — De l'idéal daim fart. —
En 1883, ces 2 volumes în-16 étaient arrivés à la 3* édi-
tion. — 4" édition, 1885. — 5* édition, 1890. — 6* édi-
tion, 1806. — V édition, 1807,
Sous sa forme primitive, le livre, revu par l'auteur, a été
traduit en anglais : The phitostyphy ùf Art, tianrfateri h y
]« Durand, revised hy îkê attthor, 18u5, in- 12, — Le même
traducteur a traduit les deux volumes de l'édition de 1882 :
Lectures on Artt translatent 6v J. Durand, 2 ser., New- York,
1889, in~J2,
1865 (octobre.) — Nouveaux Essais dis critique et d'histoire, par
H. Taine (! vol, in-18 Jésus, 396 p,, Paris, Hachette,
18650
La lrù édition est annoncée comme venant de paraître
par fa Vie parisienne du 4 novembre qui publie un extrait de
l'article sur Balzac. Elle comprend les mêmes articles que
les éditions actuelles (Jean lïeynawi ; — Li Bruyère; — Baha>* ;
— Jefferson; — Renaud de Montauhan; — Racine; — (es Mor-
mons; — Marc-Aurêle; — le Bouddhisme; — Franz Wœpke),
et ne parait dîfïérer d'elles que par la pagination. — 3r édi-
tion, 1880, 338 p, — En 18%, l'ouvrage était parvenu à la
4* édition; — en 1893, à la 5«; — en 1897, à la 6°. — L'édi-
tion définitive des Nouveaux Essais de critique et tV histoire
que va mettre en vente le mots prochain la librairie Hachette,
recueillera les articles sur Stendhal et sur Léonard de Y iu<t
et inaugurera le classement par ordre chronologique,
(6 novembre.) — Ottfried Millier, Histoire de itt littérature ff&que%
traduction K. Hillebrand {Journal des Débats) f article.
Non recueilli en volume,
(i-F décembre.) — L'Italie^ etc. : VI. Pérousi\ Assise, Sienne et Phê :
les villes du moyen] Age {Revue des Deux Sfohàt* ,
article.
Refondu dans le Voyage en Italie.
644) n EVITE ^HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRA>CE.
(9 décembre.) — Notes sur Paris : Un iMe à t**te la Vie parisienne),
article.
Recueilli dans les Notes sur Paris,
(19 décembre.) — 'Hector Malot, If s Anumrs de Jacques et les Vie*
limes d'amour (Journal des Débats)* article.
Non recueilli en volume.
{23 décembre,) — Notes sur Paris : Une semaine (la Vie parisienne) t
article.
Recueilli dans les Notes sur Paris,
1866 (là janvier). — *Jf. Guillaume Guizot et son cours sur Montaigne
(Journal de$ Débat s) % article.
Non recueilli en volume.
J866 (13 janvier.) — te XVIr siècle italien. — État des esprit* m Italie
au commencement du XVP siècle (Revue des cours litté-
raires], leçon professée à l'École des beaux*art&.
Refondue dans la Philosophie de Tari en Italie.
(15 janvier.) — L'Italie, etc. : YIL Florence, te moyen *ïge^ te
XV* siècle et la Renaissance {Revue des Deux Mond
article-
Recueilli dans ie Voyage en Italie.
(fin janvier.) — Voyage eh Italie, par H, Taine, t. I : Naples
Si Rome (1 voL în-8°, 528 p., Paris, Hachette, 1866 .
La Vie parisienne du 20 janvier l'annonce comme allant
paraître el en publie un fragment sous le titre ; À Rome. —
La Rrntv <U nnMruction publique du l*f février annonce le
volume comme venant d'être mis en vente, eL en publie un
chapitre [Plusieurs journées à Herculanum et à Pompëi). —
Pour le détail des éditions, voir un peu plus bas.
(lef mars.) — L 'Italie* etc. ; Vllt. Les villes de l'Est, Bologne f
Ravenne et Padaue{ Revue des Deux Mondes)^ article.
Refondu dans le Voyage en Italie.
(29 mars,) — Préface de la 2* édition des Essais de critique el d'his-
toire, qui parait en ce moment [Journal des Débats),
Le rédacteur des DèhaU qui cite cette Préface* Auguste
Léo, observe queTaîne y fait quelques concessions aux par-
tisans de la liberté.
f13 avril.) — 'Ernest Renan, les Apôtres (Journal des* Débats),
article.
Non recueilli en volume,
(15 avril*) — L'Italie* etc. : IX. Venise t la ville et les monuments
(Revue des Deux Mondes) t article.
(l,r mai.) — L'Italie^ etc, ; X. Venise et la peinture vénitienne (Id,)f
ibid.
BIBLIOGRAPHIE DES ŒUVRES DE TAISE.
649
(15 mai*) — L Italie , etc. XL La Lombardiet Vérone, Milan et tes
Lacs (W*), ibid*
Ces trois articles ont été refondus dans le Voyage m Italie*
(i9 mai.) — Les caractères, en Italie au débat du XVI" siècle (Revue
des cours littéraires) t leçon professée à l'École des
beaux -arts.
(26 maL) — Philosophie de Vart en Italie (Revue des cours litté-
raires^ leçon professée à l'École des beaux-arts.
Refondues dans la Philosophie de fart en Italie,
(£7 mai*) — *Pkilarête Chastes (Journal des Débats), article.
Non recueilli en volume.
(fin octobre*) — La Philosophie Dk laht en Italie, Leçons profes-
sées à V École des beaux~artsf par H. Taine (1 vol. in-18
jésus, 184 p.r Paris, Germer Bailliêre* 1866),
Les Débats du 18 octobre citent le début et la conclusion
du volume qui, disent-ils, paraît en ce moment; il est annoncé
par la Bibliographie de ta France du 3 novembre* — Le livre
a suivi les destinées de la Philosophie de Cart (v. plus haut).
(30 octobre*) — *E* Fourni er, la Comédie de Jean de La Bruyère
(Journal des Débat s) , article*
Non recueilli en volume.
1866 (novembre)* — Voyage en Italie, par IL Taine, I, II : Florence
et Venise (1 vol* in-8°, 562 p., Paris, Hachette, 1866)*
Le volume est annoncé par la bibliographie de la France
du 10 novembre; — les Débats du 9 novembre en citent
quelques pages au moment de la publication* — Des deux
volumes, il a été fait une édition illustrée de 48 gravures et
une édition in-8°. Le texte de la l*6 édition parait bien être
resté le texte définitif. Les deux volumes se vendaient et se
vendent encore séparément* — En 1877, l'ouvrage complet
en était arrivé à la 3« édition; — en 1882, a la 4P; — 6L* édi-
tion, 1889. — En 1897, l'ouvrage était arrivé à la 7* édition;
— en 1900, a la 9*.
Le Voyage fffl Italie a été traduit en anglais : Itaty : Fta-
reuct and Venise, translatât ha J. Durand (New-York, 1 869,
in-8"); — Italy ; Naplcs and Home, translated tnj J, Durand
(London, 1867, in-8"); corrected {New- York, 1869, io-8»),
(11 novembre.) — "Charles Clément, Michel-Ange^ Léonard de
Vinci et Raphaël (Journal des Débals), article.
Non recueilli en volume.
(16 et 18 novembre*) — Mw* d'Aulnoy, Voyage en Espagne
(Journal des Débats), 2 articles*
Recueillis dans les Esxais de critique et d'histoire (3* édition,
1874, et Sqq.)1-
Le t*r article est accompagné, dans le Journal, delà note suivante, qui est évi-
ment de Taine ; « Au moment d'imprimer cet article, nous recevons un
1,
demment
650 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
1867 (28 jauvier). — . Paul de Saint- Victor, Hommes et Dieux : études
<T histoire et de littérature, (Journal des Débats), article.
Recueilli dans les Derniers Essais de critique et d'histoire
(posth., 1894).
{4 mars.) — *C. Selden, Mendelssohn et la musique allemande
(Journal des Débats), article.
Non recueilli en volume.
(9 mars.) — * Titien (Revue des cours littéraires), leçon professée à
l'École des beaux-arts.
Non recueillie en volume.
(2 avril.) — L École des beaux-arts (Journal des Débats), article.
Recueilli dans les Essais de critique et cT histoire (3e éd.,
1874, et sqq.). L'article avait été écrit pour le Paris-Guide,
ouvrage publié à l'occasion de l'Exposition, et auquel colla-
borèrent quelques-uns des plus distingués écrivains français
(2 vol. in-12, Paris, Lacroix, 1867, avec illustrations de
Bracquemond,M. Lalanne, Jacquemart, etc., texte d'E. About,
de Hérédia, G. Sand, Y. Sardou, etc.).
1867 (4 et il mai.) — L'idéal dans Cart (Revue des cours littéraires),
deux leçons professées à l'École des beaux-arts.
Recueillies dans le volume du même nom.
(il mai.) — Préface des Notes sur Paris (la Vie parisienne).
Cette préface est signée cette fois, et annonce le livre qui
est sur le point de paraître.
(mai.) — Notes sur Paris. Vie et opinions de m. Frédéric-Thomas
Graindorge, Docteur en philosophie de V Université d* Iéna,
Principal associé commanditaire de la maison Graindorge
and C° (Huiles et porc salé, à Cincinnati, Etats-Unis
d'Amérique). Recueillies et publiées par H. Taine, son
exécuteur testamentaire (i vol. in-18 jésus, vn-420 p.,
Paris, Hachette, 4867).
La lre édition a aussi été publiée en un pet. in-8°. —
La 2° édition (vn-391 p., 1867, in-18 jésus) ne m'a paru offrir,
par rapport à l'édition princeps et aux éditions ultérieures,
que des différences de pagination. — 3e et 4° éditions (1868,
in-18 jésus, xi-347 p.). — 7e édition (1877, xi-347 p.). —En
volume de M. Paul de Saint-Victor, où, parmi divers morceaux, se trouve une
admirable étude sur le règne de Charles II, le dernier roi. M. de Saint-Victor a
cueilli dans toute l'histoire, en Grèce, à Rome, au moyen âge, dans la Renaissance,
les plus éclatantes fleurs, et, si j'ose ainsi parler, les plus hauts et les plus
rouges pavots qui puissent tenter une main d'artiste, et il en a porté l'image sous
les yeux du public avec une justesse de sens historique, avec une intensité d'émo-
tion et d'imagination, avec un goût du grandiose et du terrible qu'un historien de
profession et un vrai poète envieraient pour leurs livres. Le Journal des Débais
rendra compte de celui-ci ».
. BIBLIOGRAPHIE SES OEUVRES DE TA1NE. 651
1883, le volume était arrivé à la 8e édition; — en 1890, à la
10e; .— en 1893, à la If; — en 1897, à la 12°.
Lé livre a été traduit en anglais : Notes on Paris, with
notes, translated by J.-A. Stevens (New-York, 1875, in-8°).
(27 juin.) — *Z)e quelques ouvrages philosophiques récents (Journal
des Débats), article.
Non recueilli en volume.
(juin.) — Db l'idéal dans l'art. Leçons professées à V École des
beaux-arts, par H. Taine (1 vol. in-18 jésus, 185 p.,
Paris, Germer Baillière, 1867).
Le livre est dédié «à M. Sainte-Beuve ». — 2e édition, 1891.
— A la librairie Hachette, le livre a suivi; à partir de 1882,
les destinées de la Philosophie de Vart (v. plus haut;.
L'ouvrage a été traduit en anglais : The idéal in Art,
translated by J. Durand (New-York, 1870, in-12°).
(18 novembre.) — Les Ardennes (Journal des Débats), article.
Recueilli dans les Derniers Essais de critique et d'histoire
(posth., 1894). L'article avait été écrit pour le livre les
Ardennes illustrées dont il forme la Préface.
1868 (2 mars.) — Sainte-Odile et Iphigénie en Tauride (Journal des
Débats), article.
Recueilli dans les' Essais de critique et d'histoire (3° éd.,
1874 et sqq.).
(4 avril.) — Histoire de la peinture dans les Pays-Bas (Revue des
cours littéraires), leçon professée à 1 École des beaux-
arts.
Refondue dans la Philosophie de l'art aux Pays-Bas.
(16 juin, 23 juillet, 31 juillet, 7 août.) — Les Époques de la pein-
ture aux Pays-Bas (Journal des Débats), 4 articles.
Refondus dans la Philosophie de Vart aux Pays-Bas.
1868 (octobre.) — Philosophie de l'art dans les Pays-Bas, par H. Taine
(1 vol. in-18 jésus, vm-171 p., Germer Baillière. Paris,
1868).
Le volume est dédié « à Gustave Flaubert ». — A partir
de 1880, il a suivi, à la librairie Hachette, les destinées de la
Philosophie de Vart (v. plus haut).
(30 janvier.) — * Un récit inédit de la mort de Voltaire (Journal
des Débats), article.
Non recueilli en volume.
1869 (7 février.) — *C. Selden, V Esprit moderne en Allemagne (Journal
des Débats), article.
Non recueilli en volume.
(3, 4 et 5 juin.) — La civilisation et l'art en Grèce (Journal des
Débats), 3 articles.
2 REVCE D HISTOIRE tlTTÉRAIRE DE La FRANCE.
(20 et 22 juin,) — La civilisation, etc. : le Moment [/£), 2 articles.
(30 juin et 2 juillet,) — La civilisation, etc. : l'Éducation (/<*•].
% articles.
(3 juillet,) — La civilisation, etc. : le Sentiment religieux (W.)*
article.
Ces huit articles ont été refondus dans la Philùsaphie de
Vart en Grèce K
(octobre,) — Philosophie de l'art kk Grèce, par H* Taine (i vol*
in-18 jésus, 204 p., Paris, Germer Raillière, 1869).
Le volume est annoncé par la Bibliographie de ta France
du 1H décembre. Il est dédié * à M. Henri Le h m a un, peintre ».
A partir de 1880. il a fait partie des deux volumes intitulés
Philosophie de fart (voir plus haut).
(12 octobre.) — * Stunrt Hill, ta Philosophie de tiamUton, trad.
Gazelles \ Journal des Débals), article*
Non recueilli en volume.
(17 octobre.) — Sainte-Beuve {Journal des Débats), article.
Recueilli dans les Bemiers Essais de critiqut et d'histoire
(posth., 1SM).
1869 {24 décembre.) — *Paul de Saint- Victor, les Femmes de Gœthe
(Journal des Débats), article.
Non recueilli en volume.
1870 (22 janvier.) — Emile Boulmy, Philosophie de rarehitecture en
Grèce (Journal des Débats), article.
Recueilli dans les Derniers Essais de critique et d'hiitoirc
(postb., J894J.
(26 janvier), — * Lettre aux Débats (signée avec Renan), pour
patronner et recommander une souscription destinée
à élever une statue à Hegel.
Non recueilli en volume.
I, Dans le journal, le» articles ont, en sous-titre, la bibliographie suivante : Ge-
sehichte der griechhchen Ptastik, von J. Uverbeck; — Kûnstler Geschîchtws von firunn ;
— Griechische Mythologie, von PreUer,etc. — Bec k&r* s Charte les* — Voie î les premières
lignes (non conservées dan» le livre) du i,r article : ■ L'antiquité classique et surtout
la Grèce antique sont depuis cent ans une sorte de bien propre et de patrimoine
de l'érudition allemande : outre les recherches de détail et les éditions savantes,
on voit paraître au delà du Rhin, presque ebaque innée, des résumés, des vues
d'ensemble, de grands manuels, quelque histoire complète : le lecteur n'a qu'à
jeter les yeux sur la savante traduction d'Ott. Mûller, par M, Hillebrand, pour
savoir combien là-bas le travail est quotidien et incessant. Mais quand on veut en
rendre compte au public, on s'aperçoit que, dans un journal ou dans une revue
française, la chose est presque impossible; l'œuvre est trop technique ou trop abs-
traite; presque jamais pour nous elle n'est assez littéraire; nous sommes obligés de
la repenser pour la comprendre j le moule de notre esprit est différent. Voilà pour-
quoi, au lieu d'analyser les doctes et minutieuses histoires d'Overbeck et de firunn,
je vais tâcher ici de présenter au lecleur les idées d'ensemble que la lecture des
principaux ouvrages allemands, jointe à l'étude personnelle des monuments et
des telles, peut suggérer sur la civilisation, l'art et notamment sur la statuaire
des anciens Grecs.-. *
BIBLIOGRAPHIE DES ŒUVRES DE TAIRE,
(13 mars.) — * Ribot, Psychologie anglaise contemporaine (Journal
des Débats) , article*
Non recueilli en volume.
(avril.) — De l Intelligence, par H. Taioe (2 vol. în-8f 1008 p.,
Paris, Hachette, 1870).
La itû édition est annoncée par la Bibliographie de ta
France du 30 avril, Renan, dans les Débat* du 28 mars,
l'annonçait comme allant prochainement paraître, et, d'après
les épreuves, en citait la Préface. — La 2° édition (2 vol.
in-8, 1008 p%), annoncée par la Bibliographie de ta France du
2îS juin 18ÎO, reproduit purement et simplement la lw édi-
tion. — La 3° édition T * corrigée et augmentée » (2 vol.
in-18 Jésus, 920 pages), est de novembre 1878 ; elle mérite
son titre. Elfe comprend les 4 m noies » ou appendices qui
ont été conservées dans les éditions ultérieures % et qui ne se
trouvaient pas dans les deux premières. La Prèfaee et le
corps du texte ont subi de nombreuses modifications. Dans
la Préface (3e éd., p, 13), à l'endroit où il interprète au point
de vue philosophique les résultats de « la nouvelle Loi méca-
nique sur la conservation de l'énergie », Taine ajoute en
note : > Ceci est le point de vue scientifique. Il en est deux
autres qu'il est inutile de présenter icif te point de vue esthé-
tique et le point de vue moral, On y considère non plus les
éléments, mais la direction des choses; on y regarde l'effet
final comme un but primordial, et ce nouveau point de vue
est aussi légitima que Vautre, » Cette curieuse note, — que
M. Lachelîer eût signée, et aussi Pascal, —ne figurait pas
dans les deux premières éditions et a été supprimée dans la
4e. Par rapport aux deux premières, la 3° édition, dans ses
dernières pages, présente aussi de Tort intéressantes variantes K
— La ¥ édition, « corrigée et augmentée » (2 vol. in-18
jesus, de 425-500 p., 1883), nous présente le texte définitif;
elle diffère de la 3" par plusieurs corrections et additions
dont les principales sont indiquées à la fin de ta Préface : le
bardi métaphysicien qui est en lut l'y donne souvent (cf.
3* éd., t. I, p. 13; et 4e éd., t. 1, p. 10 12) bien plus libre
carrière. — 5* édition, 1887; — 6% 1802; — 1% 1894; —
8°, 1897; — 9e, 1900*.
V Intelligence a été traduite en anglais : Taine on Intelli-
gence, translatée from the French hij T. fl. Haue% and revised
bu the Àulhor, Parts 1 and II (London, Reeve and Cn, 1871).
L Dans les deux premières éditions, Taine en vient a parler des éléments et
des conditions de l'existence récite; et il se demande : - Cela posé, ne pourrait-on
pas chercher ces élu me nia cl ces conditions? ■ Et il ajoute : - Hegel l'a fait, mais
avec des imprudences énormes; peut-être un autre, avec plus de mesure, renou-
vellera sa tentative avec plus de sucefes. Ici, nous sommes au seuil de la méta-
physique; à mon sens, elle n*esl pas impossible. Si je m'arrête, eTesl par senti-
ment de mon insuffisance ; je vois les limites de mon esprit, je ne vois pas celles
de l'esprit humain. - Ce sont les dernières lignes des deux premières éditions.
Dans les éditions ultérieures, elles soni remplacées par un autre développement
et par un court résumé de tout l'ouvrage (éd. actuelles, p. 462),
£ A l'heure actuelle» il a été vendu plus de fi 900 exemplaires de Fjntetti*
gence.
654 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
1870 (9 octobre.) — L'Opinion en Allemagne et les conditions de la paix,
article1.
Recueilli dans les Essais de critique et d'histoire (3° édition,
1874, etsqq.)1.
1871 (19, 20, 23, 24 août.) — Notes sur F Angleterre : I. Les dehors (le
Temps), 4 articles.
(25, 26, 27 août.) — Notes sur ^Angleterre : II. Les types (Id.),
3 articles.
(6, 7, 8, 10 et 13 septembre.) — Notes, etc. : III. Mœurs et inté-
rieurs (/rf.)? 5 articles.
(14, 15, 16 septembre.) — Notes, etc. : IV. L'éducation (/d.),
3 articles.
(17,20,21, 23, 24, 27, 28 septembre.) — Notes, etc. : V. La
société et le gouvernement (Id.), 7 articles.
1871 (29, 30 septembre, 1er et 4 octobre.) — Afotes, etc. : NI. Promenades
dans Londres (ld*), 4 articles.
(6, 8 et 12 octobre.) — Notes, etc. : XII. Manufactures et ouvriers
(Id.), 3 articles.
(13, 14, 15 octobre.) — Notes, etc. ,: V.IIÏ. De r esprit anglais (Id.),
3 articles.
Tous ces articles ont été recueillis dans les Notes sur V An-
gleterre, volume.
1. Je n'ai pu retrouver le journal ou la revue où a paru pour la première fois
cet article.
2. En 1871, Taine fut appelé en Angleterre pour y faire une série de conférences
sur l'histoire de la littérature française. L'Université d'Oxford ayant résolu de
décerner le titre de docteur in jure civili, honoris causa, à un Allemand et à un
Français également illustres, Dôllinger et Taine furent choisis d'un commun accord.
Taine prit pour sujet Corneille et Racine, et les mœurs sous Louis XIII et Louis XIV.
Ces conférences n'ont été publiées nulle part, que je sache. Elles ont eu lieu les
26 et 31 mai, les 2, 5, 7, et 9 juin 1871. Voici, d'après la Revue des cours littéraires
du 29 juillet, le sommaire de ces 6 leçons.
1" Leçon. — Loi générale : les personnages du théâtre manifestent avec une
exactitude supérieure les sentiments régnants.
— Dieux et héros chez Euripide : personnages correspondants à Athènes en 420.
— Personnages dans Lope, Calderon, etc., et caractères en Espagne de 1600 à 1700
Voyage de M"" d'Aulnoy ; Lettres de M. de Villars).
— Jeunes premiers dans V. Hugo, et les déclassés ambitieux socialistes de nos
jours.
2* Leçon. — Les jeunes héros, les jeunes premiers, les cavaliers dans Corneille et
sous Louis XIII, et la Fronde d'après les Mémoires.
3e Leçon. — Les dames et les vieux héros dans Corneille et sous Louis XIII.
4* Leçon. — Biographies et portraits, de Corneille et Racine, très bien préparés
par leur caractère et leur vie & peindre ces deux mondes très différents. — Les
jeunes premiers dans Racine et sous Louis XIV.
5* Leçon- — Le roi dans Racine et Louis XIV. — Les confidents dans Racine et
les courtisans sous Louis XIV.
6e Leçon. — L'idéal dans Racine et dans la société sous Louis XIV. — Deux sortes
de talents et d'excellences particulières à ce théâtre et à cette société : 1° l'art de
bien parler; 2° l'héroïsme délicat et discret.
« La Gazette d'Oxford, le Pall Mail, les Daily News, VAcademy ont fait un grand
éloge de ces leçons. •
BLULIOGIUPHIE DES UEtlVUES DE TAINE.
(17 octobre.) - — Fondation de VEeolr Hbtt d*s tciences politiqvâi
(Journal des Débuts), article.
Reproduit dans la Hevue blette du 21 octobre, et réimprimé
dans les Ikrnicts Essais détritique et d'histoire (posth., 1894).
(19, 20, 21,27 octobre.) — Notes, etc. : VtlL De l'esprit anglais
(suite) [Temp$)t 4 articles.
(28, 29 octobre.} — Notes, etc. : IX. Un tour en Anglçi&pt
2 articles*
Recueillis dans les Notes sur V Angleterre, volume.
(décembre.) — Notes suk l'angle™ hue, par II. Taîne 1 vol, in- 18
jésus de vui-393 p., Paris, Hachette, 1872).
La Bibliographie de lu France au 23 décembre (18 décembre)
annonce le volume; la iin-nr dei cours littéraire* cîu 16 dé-
cembre signale le livre comme venant de paraître. La 2r édi-
tion m revue cl corrigée », février 1872 (vm-39? p>l, ne m*a
paru dilTérer de la 1™ que par deux pages de « notes * pla-
cées à la On du livre et conservées dans toutes les éditions
ultérieures du livre : te Temps du II février annonce cette
seconde édition, et en cite la Préface* — 3** édition, 1872,
— En 1877, le volume était arrivé à la »c édition; — en 1890*
à la 8f ; — en «803, a la ÏK — 10* édition, 1895. Toutes ces
éditions reproduisent la 2°. — 11 a été publié aussi, vers 1886»
une édition iu-16 illustrée de 84 gravures (dau> la Collection
des voyages illustrés).
Les Notes sur V Angleterre ont été traduites en anglais à
plusieurs reprises. Les Daily Ni m i.:i, tî, 10, 12, 14, 17, 24, -7
octobre, % 7, 9, 14, 16, 18 novembre 1871) en ont publié une
traduction partielle. — L'n Anglais, ami de Taine, M, W. F,
Rae, en a donné, eu 1872, une excellente traduction, précédée
d'une remarquable Introduction : Noies on Emjhind by
H. Taine, D. C. L. Oxon,, etc., translated viili au ïntroâuùUwy
chaptev, t»y W. F. ttae (Stranan and C*, Loudon , 1872,
ïn-8n),
(5 décembre*) — Du suffrage universel et de ta manière de voter
(le 7*emps), article.
Recueilli en brochure (voir l'article suivant}.
(fin décembre). — Du suffrage universel et de la manière de
voter, par H. Taine (brochure de 62 p., in- 18 jésus,
Paris, Hachette, 1872),
Signalée par la Bddiographie de la France du 23 décembre
(18 décembre). — Quoique les annonces de librairie signalent
une 2e édition en 1872, je ne crois pas que celle brochure
ait été rééditée : du moins, les exemplaires qui se vendent
actuellement ont tous la date de 1892 et ne portent pas de
numéro d'édîlion. Mais j'imagine qu'elle a du éire tirée a
un très grand nombre d'exemplaires. L'auteur la jugeait lui-
même vers la fin de sa vie avec une sévérité peut-être exces-
sive : « Cette brochure n'est qu'une esquisse bien incom-
plète, et le renicde qu'elle indique serait fort iusuflisanL
Voir dans le dernier chapilre du liéfjî*ne moderne un plan
656 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
plus complet au moins pour la société locale. » (Note inédite
de Taine, décembre 1891). — Cette brochure sera recueillie
daus la prochaine édition des Derniers Essais de critique et
d'histoire*
(5 février). — "Lettre au Directeur du Temps (le Temps).
Non recueillie eu volume.
(9 février). — * Lettre aUx Débats.
Non recueillie en volume.
1872 (17 avril.) — * Emile Deschanel, Études sur Aristophane (Journal
des Débats)^ article.
Non recueilli en volume.
(10 novembre.) — * L'École des Sciences politiques (Journal des
Débats), article.
Non recueilli en volume.
Un séjour kn France de 1792 a 1795, lettres d'un
témoin de la révolution française, traduites de l'anglais
par H. Taine (1 vol. in-18 jésus, x-301 p., Paris, Hachette,
1872).
En 1880, le volume était arrivé à la 2e édition; — en 1890,
à la 3«; — en 1895, à la 4*.
(11 décembre.) — * Le cercle des actuaires français (Journal des
Débats), article.
Non recueilli en volume.
(19 décembre.) — * Lettre au Journal des Débats (pour répondre à
certaines accusations, et préciser quelques points de
doctrine).
Non recueillie en volume.
1873 (23 novembre.) — Th. Ribot, VHéréditè (Journal des Débats),
article. '
Recueilli dans les Derniers Essais de critique et d'histoire
(posth., 1894).
(4 et 6 décembre.) — Prosper Mérimée (Journal des Débats), article.
Recueilli dans les Essais de critique et d'histoire (3° éd.,
1874, et sqq.). — L'article avait été écrit pour servir de pré-
face aux Lettres à une inconnue (2 vol. in-8°, Paris, C. Lévy,
1874).
1874 (25 janvier.) — * A M. René Lavollée (le Français), lettre en réponse
à un article de M. Lavollée sur la Candidature de
M. Taine à V Académie française.
Non recueillie en volume.
BIBLIOGRAPHIE DES ŒUVRES DE TA1NE.
657
(4 mars.} — Th* Ribot, A. Bain% Hr Spencer (Journal des Débats),
article,
Recueilli dans les Derniers Essais de critique et d*histoire
(posth., JH'J4).
(6 mai). — * M. Gleyre (Journal des Débats) f article.
Non recueilli en volume.
1815 (19 février.) — * Romans nouveaux {Journal des Débats)^ article.
Non recueilli en volume.
(17 novembre*) — * Lettre au Figura.
Non recueillie en volume,
(11 décembre.) — Lf Ancien Régime : i esprit et la doctrine {Revue
bleue)^ article.
Refondu dans £ Ancien Régime,
(31 décembre.) — * Deux Revues nouvelles (Journal des Dt*bats)f
article.
Non recueilli en volume.
(décembre), — Les origines de la France contemporaine par
H. Taine : i/àncien Régime (1 vol. in-8, vut-553 p. , Pari»,
Hachette, 1876).
Annoncé par la Bibliographie delà France du 25 décembre
{iô décembre). — Pour les 6 volumes qui composent les Ori-
i/ineu de la France contemporaine , le telle de l'édition prin-
ceps parait être resté le texte définiUr. — 1876, 2* et 3* édi-
tions- — 1877, 4B éd.; — 1878, S* et 6* éd.; — 1S79, V et
8* éd.; — 1881, 9* et iO*> éd.; — 1882, 11^ el IV éd.; -
1884, 13* et H* éd.: — 1887, l'& et 16* éd.; - 1891, 17* et
*8° éd.; — 1894, UK éd. ; — f8<tè, 20* éd. ; — 1898, Sf'êd.—
à partir de 1899, l'Ancien Régime forme 2 vol. in-16 dans la
nouvelle édition des Origines qu*a publiée la librairie Hachette.
Sous celle forme, en 1899, 22v et 23* éditions '.
Les Origines ont été traduites en allemand, dêplorabïement
d'ailleurs, par M. Kascher, chez Àbel, à Leipzig (Oie Ent*
stehung des modernen Frankreich),et en anglais par M. John
Durand (Paldy, Ibsisher and O). — On en a fait aus=si en
français un résumé analytique : la Révolution et le Régime
moderne d'après M. Taine, ou Analyse critique des Origines
do la France contemporaine, par l'abbé Ri rot, '2* édition,
entièrement refondue et considérablement augmentée (Paris
el Lyon, Delhomme et Beignet, in-8% 1897).
1876 (janvier.) — De l'acquisition du langage chez les enfants et chez tes
peuplée primitifs [Revue philosophique)^ article.
Recueilli dans le 1er volume de l'Intelligence (3* éd., 1378,
et sqq.).
1. Il a été vendu jusqu'ici plus de 33 000 exemplaires de l'Ancien Régime*
658 tiEVi I lùnsroiitK LÏTTÉIUIRE de Là FRJJICÊ.
(mars,) — Les éléments et la format ton de l'idée du mot (/{'-vite
philosophique), article.
Recueilli dans le 2d volume de ï Intelligence (éd. de J878»
et sqq.).
(2 juillet.) — George Sand (Journal des Zte/>«f*), -article.
Recueilli dans, les Derniers Essais de critique et d'histoire
(1894, posth.j
1877 (janvier.) — Les vibrations cérébrales et ta pensée (Revue phU
phique), article.
Reçue iî lï dans le 1er volume de rtntetlifjenee (3fl édition.
1878, et sqq,).
-28 janvier.) * — P. G. Hamerton, Itound my houtê (Journal des
Débats), article*
Non recueilli en volume,
(10 avril*) — * Précis du droit des gentf par Funek-Brenlano et
Albert Sorel [Jownal deê Débats), article-
Non recueilli en volume.
1878 (29 janvier.) — * Discours prononcé an 19e banquet de l'Associa-
tion des anciens élèves du lycée Cohdoreet.
Recueilli dans les Annales de V Association [1859-18831
(i vol. în-8% Paris, Ollendorf, 1886, p. 243).
(mars). — Les oïuginesde la France contemporaine, par H, Taine :
la Révolution, t, L V Anarchie (1 voL în-8, ni*467 p..
Paris, Hachette, 1878).
Les Débats du 3 mars annoncent le volume comme venant
de paraître; la Bibliographie de ta France du 6 avril (18 mars)
en signala In publication, — Eu 1880, l'ouvrage était arriva
à la 7e édition; — en 1883» à la 12° édition; — eu 1888t à la
16e1 édition; — pu 1897, à la 17V — A partir de 1890, il forme
deux volumes in-16 de la nouvelle édition qu'à mise en vente
la librairie Hachette: en 1900, il est parvenu à la 18e édition.
(11 et 12 avril). — Gteyre, Étude biographique et critique* par
Charles Clément (Journal des Dehats)7 2 articles.
Recueillis dans les Es&ris de critique et d'histoire (4° édition,
1882 et sqqM sous le titre Glcyre).
(octobre-) — Géographie et mécanique cérébrale (Revue philoso*
phique), article.
Recueilli dans le lur volume de l'Intelligence (éd. de no-
vembre 1878, et sqq.),
4879. — * Introduction au 2B volume de The Ifundred greatest men
(vol, H, Art : Architecte and Scutpton, Pointers, Must-
dans, Introduction bu B* Taine, Enalhh and French)*
[4 pages 1/2 en français |( Sampson Low, Marstoe,
Searle and Revûigloo, London, 1879, 4°,
BIBLIOGRAPHIE DES (£UVIi£S DE TAISE.
A paru dans le* Débat* du U février 1880 sous ce titre :
Préface if une anthologie anglaise. — N'a pas encore été
recueilli eu volume, mais le sera dans la prochaine édition
des Derniers Essais de critique et cThiètôtre,
188Û (15 janvier)* — Discours de réception à l'Académie française.
Recueilli dans les Derniers Essais de critique et d'histoire
{posta., 1894),
1881 (lflt avril), — Psychologie du Jacobin [Revue des Deux M ondes] t
article*
Refondu dans les th-it/inr*.
(mai.) — Les origines de la Franck contemporaine, par H. Taine,
de l'Académie française : la Révolution, t. II, la Con-
quête jf trottine (I vol» in-8% ji-487 pM Paris, Hachette,
1881).
Annonce par la Bibliographie de in France du 28 mai
(9 mai). — Eu 1882, l'ouvrage était arrivé à la 8a édition; —
en 1883, à la 12° édition; — en 1890, à ïa 14° édition ; — en
1837, a la 15°. — A partir de 1899, il forme deux vol. în-16
de la nouvel La édition qu'a publiée la librairie Hachette; en
19UU, il est parvenu à la lt>" édition*
1883 (lir mars.) — Le Programme jacobin (Revue des Deux Mondes),
article,
Refondu dans les Origines,
(mai-juin.) — * Document inédit sur La tour d'Auvergne (Revue histo-
rique)*
Ce « document» n'a que deux pages. H est simplement pré-
cédé des lignes suivantes ; « Il est rare qu'un homme très
vertueux et parfaitement désintéressé soit célèbre : c'est
pourtant le cas de Latour d'Auvergne . Voici, à son endroit,
un témoignage contemporain, inédit et de première main,
le style en est curieux, il peint l'époque. H, Taine. »
1884 {20 mars.) — Ma tir t dn Pan.
Ecrit pour servir de Préface à la Correspondance inédite
de Malïet du Pan, publiée par André Michel. — Recueilli
dans les Derttiern Essais de critique et d'histoire (posth., 1894).
(15 septembre.) — Psychologie des chefs jacobins (Revue des Deux
Mondes), article.
Refondu dans les Origines.
(novembre). — Les origines de la France contemporaine, par
H. Taine, de l'Académie française ; la Révolution,
t, III, te f louve n^e ment révolutionnaire (i vol, in-8%
iv-646 p,, Paris, Hachette, 1884).
Annoncé par la Bibliographie de ta France du 13 décembre
(24 novembre). — En 1888, te volume était arrivé à la
U* édition; — en 1892, à la 12*; — en 1897, à la 13fl. — Il
forme aujourd'hui les tomes VII et VI II de l'édition in- 16 des
660 RKVUE D HISTOIRE LITTÊRAIRK DE LA FRANCE,
Hrifline* publiée en US90 par la librairie Hachette; 14* édi-
tion, l'JlMI.
1885 (î mars.) — * Lettre à M, A. Délai re (reproduite dans in Informe
sociale du 1er avril 1885).
Non recueillie en volume.
(i9 janvier.) — * Sur F étude de la littérature anglaise (Journal des
Débats), article.
Non recueilli en volume. Avait parti quelques jours aupa-
ravant (le 13 janvier) en anglais dans le Youth*s Campa
de Boston, Sera recueilli dans la prochaine édition des Der-
niers Essais de critique et d'histoire.
1887 (15 février et l*r mars.) — Napoléon Bonaparte (Revue des Deux
Mondes), 2 articles.
(5 mars,) — * lettre au directeur du Journal de* Débats (Débats).
Non recueilli en volume,
1888 (15 janvier et 1er février.) — Formation de la France contemporaine.
Passage de la République à l'Empire (fie vue des Deux
Mondes), 2 articles.
Ces quatre articles ont été refondus dans les Oriyitie*.
(3 m au) — Marcelin [Journal des Débats), article,
Sert de Préface k Marcelin, Sottt cuirs es la Vie parisienne.
Recueilli dans les Derniers Essais de critique et d'histoire
tposth., 1894).
1889 (15 mare, 1" et 15 avril). — La reconstruction de la Frma
1SOO (Revue des Deux Mondes), 3 articles.
Refondus dans les Origines.
(mai.) — Edouard Berlin (Livre du centenaire du Journal des
Débats).
Recueilli dans les Derniers Essais de critique e$ dThisU
{posth., 1894).
1890 (15 avril et 1" mai). — La reconstruction, etc. : Le défaut et les
excès du système, la société locale (Revue des Deux
Mondes) , 3 articles*
Refondus dans les Origines.
(19 avril.) — * Lettre k M. Alexis Delaire (sert de Préface au livre
ta Réforme sociale et te centenaire de ta Révolution .
Non recueillie en volume.
(novembre.) — Les origines de la France contemporaine, par
H. Taine. de l'Académie française : le Régime modbrnk,
t. I (1 vol, in-8, m-448 p., Paris, Hachette, 1891).
Annoncé par la Bibliographie de la France du 29 novembre
(12 novembre). — En 1801, le volume était parvenu h la
6e édition; — en 1807 , à la 10e. — Il forme aujourd'hui les
BIBLIOGRAPHIE DES OEUVRES DE TAINE. 661
tomes IX et X,de l'édition in-16 des Origines qu'a publiée en
1899 la librairie Hachette; 12° édition, 1900.
1891 (1er et 15 mai, 1er juin.) —Reconstruction, etc. : l'Église (Revue
des Deux Mondes), 3 articles.
Recueillis dans le volume posthume des Origines, 1893.
1892 (15 mai, 1er et 15 juin, 1er juillet). — Reconstruction, etc. : l'École
(Revue des Deux Mondes), 4 articles.
Recueillis dans le volume posthume des Origines.
II
OUVRAGES POSTHUMES
1893 (11 mars). — Douze sonnets inédits de Taine (le Figaro, Supplément
littéraire).
Ces sonnets ne devaient jamais voir le jour : ils ont été
publiés par suite d'une indiscrétion !. lis portent la suscrip-
tion suivante : A trois, chats, Puss, Ebène et Mitonne, domici-
liés à Menthon-Saint -Bernard, Haute-Savoie, ces douze sonnets
sont dédiés par leur ami, maître et serviteur, H. Taine, no-
vembre 4883. Ils ont pour titre : I. Le Bonheur; — II. La
Société; — III. La Religion; — IV. Les Souvenirs; — V. Les
Pénates; — VI. La Philosophie; — VII. L'Enseignement; —
VIII. La Pratique; — IX. L'Enfance; — X. La Sensibilité; —
XI. Le point de vue; — XII. V Absolu.
VÉclair, dans son numéro du 24 lévrier 1894, a publié la
« dédicace autographe des chats ». La voici :
Offert à José-Maria de Hérédia
Lapidaire en diamants et perles fines
par
tin ouvrier en strass
son admirateur et son élève,
H. Taine.
Décembre 18SS.
1893 (novembre.) — Les origines de la France contemporaine, par
H. Taine de l'Académie française : le Régime moderne,
t. II (1 vol. in-8, Paris, Hachette, 1893).
On a recueilli dans ce volume, le dernier de l'œuvre
1. La publication de ces sonnets ayant eu lieu sans l'autorisation de la famille,
celle-ci, pour prévenir de semblables indiscrétions, publia dans les Débats du
16 mars 1893 un fragment du testament de Taine, que voici : « Je charge exprès
sèment ma femme et mes héritiers de s'opposer par toutes les voies légales à la
publication de mes lettres intimes et privées, de quelque valeur qu'elles soient. Je
charge aussi ma femme et mes enfants de transmettre cette interdictiou à leurs
héritiers pour être observée indéfiniment. Les seules lettres ou correspondances
qui pourront être publiées sont celles qui traitent de matières purement géné-
rales et spéculatives, par exemple de philosophie, d'histoire, d'esthétique, d'art,
de psychologie; encore devra-t-on en retrancher tous les passages qui, de près ou
de loin, touchent à la vie privée, et aucune d'elles ne pourra être publiée que
sur une autorisation donnée par mes héritiers, et après les susdits retranchements
opérés par eux -.
Rcv. d'hist. littér. de la Francs (7« Ann.).— VII. 43
662 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
laissée inachevée, les deux études sur Y Église, et sur VÉcole,
parues dans la Reçue des Deux Mondes. Une Préface, com-
posée d'après les papiers et les notes de Taine, indique
sommairement ce qu'eût été cette dernière partie, si Fauteur
y avait pu mettre la dernière main. Un index alphabétique,
qui avait été commencé sous les yeux et d'après les indica-
tions de Taine, termine l'ouvrage. — En 4897, il était par-
venu à la 5e édition . Il forme aujourd'hui le tome XI de
l'édition in-16 publiée en 1809 par la librairie Hachette ; 6° édi-
tion, 1900.
1894. — Derniers Essais de critique et d'histoire, par H. Taine, de
l'Académie française (1 vol. in-16, vra-264 p., Paris,
Hachette, 1894).
Les articles qui composent ce volume {Silvestre de Sac y, —
Paul de Saint-Victor, — les Ardennes, — Sainte-Beuve, —
E. Boulmy, — r École des sciences politiques, — Th. Ribot, —
Ribot, Bain et Spencer, — George Satid, — Louis de Lomé nie,
— Mallet du Pan, — Marcelin, — Edouard Berlin) avaient
été choisis par Taine de son vivant pour former un dernier
recueil qu'il voulait dédier à son ami, le peintre Bonnat. —
En 1900, le volume est arrivé à la 2e édition. — Dans la pro-
chaine édition, qui sera l'édition définitive, l'ordre chrono-
logique adopté fera rejeter dans les Essais pu les Nouveaux
Essais tels ou tels articles qui figurent dans celle-ci ; mais les
articles sur l'Art et sur l'élude de la littérature anglaise y
seront heureusement recueillis.
Les Essais de critique et d'histoire ont été traduits, assez
médiocrement d'ailleurs, en allemand, avec une Préface de
Georges Brandes : Hippolyte Taine, Studien zur Kritik und
Geschichtc. Autorisierte Ubersetzung von P. Kûhn und A. Aall.
Mit einem Vorwort von Georg Brandes, Paris, Leipzig, Miin-
chen, 1898, A. Langen, xxvu-551 p. in-8°. — Cette traduction
comprend les morceaux qui ont été recueillis dans les édi-
tions actuelles des Essais, des Nouveaux et des Derniers
Essais de critique et d'histoire.
1895 (15 juin et 15 juillet). — Notes de voyage en Belgique et en Hol-
lande (Revue de Paris), 2 articles.
« Ces notes étaient dispersées dans des carnets et même
sur des feuilles volantes; elles ont été prises au cours de
différents voyages, de 1858 à 1867. Elles ne sont donc que
des impressions recueillies au jour le jour, et non une
rédaction définitive. » (Note des éditeurs.)
(juillet.) — Notes philosophiques inédites sur les éléments derniers
des choses {Revue philosophique).
Ce sont les dernières pages que Taine ait écrites. Il est
probable qu'il les destinait à une réimpression de V Intelligence.
1896 15 octobre.) — Carnets de voyage :le Midi (Revue des Deux Mondes ,
article.
(15 octobre.) — Carnets de voyage : l'Ouest (Revue de Paris), article.
Ces deux articles sont des pages détachées du volume
suivant.
BIBLIOGRAPHIE DES OEUVRES DE TAINE. 663
(décembre.) — H. Taine, de l'Académie française, Carnets de
VOYAGE : NOTES SUR LA PROVINCE ,1863-1 865 (1 Vol. ÎD-16
de vi-351 p., Paris, Hachette, 1897).
Ce sont des notes recueillies sur la province par Taine
durant ses tournées d'examinateur d'admission à Saint-Cyr,
de 1863 à 1866, et qu'à plus d'une reprise, il avait manifesté
l'intention de publier.
1899 (18 avril). — Maurice Barrés, Une page inédite de Taine sur l'asso-
ciation (le Journal).
Cette page devait se trouver au livre VII du dernier
volume des Origines de la France contemporaine, livre qui
devait, précisément, avoir pour titre l'Association1.
III
FRAGMENTS DE LA CORRESPONDANCE*.
1. — A M. Albert Cotlignon, directeur de la Vie littéraire, 18 octobre
1875 (reproduite dans le Temps du 25 octobre et dans la Vie littéraire
du 28 octobre 1875).
2. — Lettre à M. Arthur Reade (8 mars 1882), reproduite dans le
Temps du 15 avril 1883. Elle avait probablement paru d'abord dans un
ouvrage anglais de M. Reade.
3. — Lettre à M. Francis Poictevin (l'Événement du 7 octobre 1883).
4. — Lettre à Vacherot, datée de 1859, dans Otlé-Laprune, Etienne
Vnckerot (Paris, Perrin, 1889, p. 46).
5. — A M. Christian Moreau, 15 juin 1885 (en tète du livre de
M. Christian Moreau, Une mystique révolutionnaire : Suzette Labrousse,
1 vol. in-8°, Didot, 1886).
6. — A M. E. Allain, 15 août 1885 (dans la Revue catholique de Bor-
deaux du 25 décembre 1893.
7. — Lettre non datée, reproduite dans la Revue bleue du 12 mai 1894.
8. — Une lettre à Sarcey, jointe à un exemplaire de l'Intelligence, a
été récemment mise en vente (àl5fr.), par la librairie A. Durel, 21, rue
de TAncienne-Comédie, Paris.
1. La Revue philosophique vient de publier, dans son numéro de novembre, un
certain nombre de pages inédites de Taine sur la Volonté* qui doivent dater de
1853 ou 1854, et qui faisaient partie d'un traité plus complet, première ébauche de
Y Intelligence.
2. Je recueille sous cette rubrique les lettres ou fragments de lettres qui, à la
différence de celles qui ont été signalées lus haut, n'étaient pas destinées à être
publiées. M"* Taine rassemble depuis plusieurs années toutes les pièces éparses de
cette correspondance qui semble avoir été très active, et se propose d'en composer
une grande biographie intellectuelle et morale qui ne peut manquer d'être, non
seulement pour l'histoire de la pensée de Taine, mais encore pour celle de son
temps, d'un intérêt capital. — Grâce à la délicate confiance de M"c Taine, j'ai eu
récemment entre les mains la plus grande partie de cette correspondance et ce
que je ne faisais jusqu'alors que deviner ou pressentir est devenu pour moi une
véritable certitude.
iii;4
REVUE n'HFSTOIRK LITTÉRAIRE DE LA PKÀWCE,
0. — À M. Georges Lyon, 9 décembre 1891 (à la fin de 1 article inti-
tulé In Philosophie de r&tftff, IH, par Victor Giraud, Annale» de pfttJ
phie chrétienne de janvier L8M .
10. — A M. Yves leQuerdec» 12 décembre 1890 (un fragment de cette
lettre est cité dans le journal le Monde du 12 mars 1893).
IL — « Lettre autographe de Taine, signée, à Edmond Àbout (Paria,
8 juin 1864), 2 p. 3/1 nvi8.
Trvs belle et charmante lettre où il lui recommande le peintre ani-
malier Maxime Claude. Il le félicite ensuite chaudement de son livre le
Pi-ogres, * Cela vaut Madelon dans son genre* C'est d'un brave homme et
d un homme brave. Au moral etau physique, tu es le mieux portant de
nous tous. Lis Renée Maupsrin, par les Goncourt, 11 y a un vrai talent. »
'Lettres autographe* conpotant lu collection de M, Alfred Bût
décrites par E . Ch&varay, in-4, Paris, Chavaray, 1887),
12. — « Lettre autographe signée, à Philarète Chasles; dimanche
28 octobre {1865?) 1 p, 3/4 in-H-.
Une remarquable lettre dans laquelle Taine le remercie de bien
voulmr faire un article sur son livre *. Il le prie de le combattre, car
une discussion pareille, dit-il, est un honneur. « Vous m'avez souvent
reproché d e nier le beau, en mettant au même rang les fous et les
grands hommes, les Chinois et Shakespeare. Mon livre répond, je crois,
à cette objection. Je suis si loin de nier le beau que j'en donne la for-
mule fp. 319) et tout l'ouvrage a pour but d'éprouver et d'expliquer
cette formule. Seulement elle est large et admet toutes sortes de types.
A mon avis, le beau est une relation lïxe entre des variables, une fonc-
tion, comme disent les mathématiciens, quelque chose comme le cube,
le carré et les puissances, lesquelles sont des choses parfaitement
définies et fixés, mais par rapport à des nombres variables,,. Je serai
bien heureux de vous recevoir un jour dans mon ermitage, si roui lui
faîtes l'honneur de le visiter.
Croyez-moi votre bien dévoué
H. Taine,
Dimanche 28 octobre
3, Rue Brétotivitlers. »
(Catalogue Bûxrtt).
I, M, Charavay conjecture Ici que le livre dont il s'agit est la Philosophie de fart.
Hais la Phitnsophir de Varf* sous sa forme première, n'a pas Ht 9 pages, comme on
le dit plus loin; vt d'autre paru Pliilarete Chasles n\i pas fait d'article, que je
sache, sur ta Philosophie de Vart. Au contraire, il en a fait un sur V Histoire
littérature anylaite (Débat* du 27 avril lStil, recueilli dans les Mémoires» l. ||); et
il en a fait un mitre sur le La Fontaine (Débats du 2ï> mars I8fi3). Il ne peut un ère
s'agir ici du premier de ces de lu ouvrage* qui nTa évidemment pas pour objet. <d
k donner la formule du beau - et qui, d'ailleurs, comprenant plusieurs volumes,
ne serait pas désigné d'une manière aussi vague* Maïs si l'on se reporte à la
page 31fl du La Fontaine (T éd., 1661), on voit que le chapitre qui commence a
celle page (Théorie fl*' ta fable poétique) répond entièrement au signalement donne
(on notera h ce propos forme première [irt et 2* édition]* le La Fon-
êUit, bien plus encore- que sous sa forme actuelle, une étude sur le Beau II
semble donc bien qu'il soit ici question du La Fontataei et, vu la date de l'article
de Chaule*, je daterait volontiers la lettre du 28 octobre *862.
BIBLIOGRAPHIE DES OEUVRES DE TAINE. 665
13. — M. L. Katscher, le traducteur allemand de la Littérature anglaise
et des Origines, a publié dans la Free Review de janvier 1895 quelques
lettres de Taine que je n'ai pas vues, n'ayant pu me procurer la Free
Review y mais que j'ai vues signalées comme peu importantes.
14. — M. Lombroso, dans Tune des dernières éditions de l'Homme
criminel, a placé comme Préface une lettre de Taine.
15. — Enfin rappelons que M. Gabriel Monod, dans son remarquable
livre sur Renan, Taine, Michelet (C. Lévy, 1896), a utilisé et largement
cité la très intéressante correspondance de Taine avec Prévost Paradol
et avec Ernest Havet : cette dernière comprend seize lettres.
Victor Giraud.
COMPTES RENDUS
Eugène Rigal. — Victor Hugo poète épique (ParUt Société frm
(T imprimerie et de librairie, 1900).
Victor Hugo est-il un poète épique? C'est ta première question que se posf
If, Rigal* el il n'a pas de peine à prouver qu'on trouve dans Ja Légende de*
des tous les caractères de l'épopée primitive. La Légende est fondée sur un
long travail poétique antérieur; elle a pour sujet une lutte, celle du bien et du
mal; elle a son héros, qui est l'homme; tous les personnages sont grandis et
prennent une valeur symbolique; entln le merveilleux est « aussi spontané et
aussi sincère que chez Homère »■ Mais surtout la Légende de$ siècles est l'œuvre
d'un homme extraordinaire, qui, à notre époque toute scientifique, a les yeux,
l'imagination, la pensée, le langage d'un poète primitif. Aussi, dès les pre-
mières œuvres de Victor Hugo, trouve- 1- on les traces du génie épique. Des Qde.t et
Ballades &ux Contemplations, ces traces sont rares et peu marquées, sans doute»
mais pendant la même période Le génie épique se manifeste d'une façon écla-
tante dans le roman et dans le drame, il semble même qu'en 1843 Victor H*
ait considéré l'ensemble de son œuvre comme une sorte de Légende des siè< I
C'est ce que ferait croire celte curieuse liste qu*on trouve dans la première
édition des Burçrams, et qui énumère, classées par époques et par pays, toutes
les ouvres du poète. La liste ne remonte pas plus haut que le xjij1 siècle, mais
elle nous montre déjà Victor Hugo rêvant des constructions immenses, son-
geant à écrire L'histoire poétique de 1 humanité,
La lAgçnde dêi siècles a-Uelle réalisé ce rêve? M. Rî^al, en dressant l1 « in-
ventaire sommaire de l'œuvre épique «, reconnaît franchement d'une part les
lacunes, d'autre part les développements excessifs. L*lnde, Ja Grèce et Home
sont presque entièrement sacrifiées. Le xvu^etle xvur siècles n'occupent qu'une
place insignifiante, lout à fait en disproportion avec la place donnée au second
empire et aux événements qui ont suivi. Le muyeo âge féodal et guerrier,
avec ses lutles et ses brigandages, semble avoir surtout hanté l'imagination
du poète, M. Jîigal explique très simplement ces défauts d'exécution par la
méthode de travail de Victor Hugo, qui construit dix ouvrages à la fois, écrit
selon son inspiration sans s'astreindre a un plan méthodique, et abandonne
en partie au hasard la composition de ses recueils* On comhlerait d'ailleurs
une partie des lacunes de la Légende des siècles en y joignant la Fin dv Satan
qui devait en être la conclusion, en prenant tout ce qu'il y a d'épique dam
les œuvres poétiques postérieures, en donnant place enfin aux romans comme
aux drames, puisque les Misérables, les Travailkurt de la mer, VHomnuqui
ritt Quatre-viiHjt-trcizet sont en même temps que des romans de véritable*
épopées.
Qu'est devenue l'histoire dans l'œuvre épique de Victor Hugo? M. E. Dernier,
dans un petit livre qui se lit avec plaisir \ a poussé l'éloge un peu loin. Il
l, 0» earaetèfê de l'épopée dan* la légende des siècles, paris, librairie des Bibli-
phïles, 1886, îq-12.
COMPTES RENDUS.
Mï
parle des indications historiques et géographiques toujours justes qu'on trouve
dans la Lèyvntte dtë sicc/es. Il faut bien reconnaître au contraire que les erreurs
y mot nombreuses ', Kvénemenls forgés de toutes piècest événements réels
rapprochés en dépit de la chronologie, personnages d'autrefois parlant comme
des hommes du xiïu siècle, réquisitoires continuels contre tes tyrans, voilà les
principaux défauts historiques que M. tii^al a relevas, sans en exagérer la
gravité. Qu'importe, en effet, si la légende de* tftefat Bel une nier veilleuse ré-
surrection du passé? À ceux qui seraient tentés d'être sévères pour les erreurs
du poêle, M. Bigal oppose le jugement de M, Gabriel Blouod* Quand un pareil
historien tient en hante estime /œuvre historique de Victor Hugo, les lftdféfl
ne peuvent guère se montrer plus exigeais.
Qu'ils ne jugent pat non plus trop insignifiante une philosophie que Mau-
rice Guyau ne dédaignait pas, et à laquelle M. Renouvier vient de consacrer
un beau livre. Il est certain qu'il y a dans les idées philusuphiques de Victor
Hugo des contradictions qu'il serait puénl de vouloir concilier. On peut trouver
chez lui plusieurs doctrines diverses. On ecclésiastique, M. Duplessy, a écrit
une étude sut I ta . Hugo apologiste* avec ce sous-titre : abrégé du dùçme w
de ta mm a le tdtfifttitjuci extrait des œuvres de Victor Hurjo. Et ce n'est pas seu-
lement aux œuvres de jeunesse que s'adresse il. Duplessy, On pourrait, d'après
le ironie procédé, écrire un livre sur le manichéisme de Victor Hugo, un autre
sur son panthéisme. Il n'en est pas moins sûr que ce qui domine tout, i
la croyance à un Dieu, à un « infini conscient ». M. Ki^al résume ainsi la
niéiaptiysique de Victor llu.uu : « tixislenec d'un Dieu que nous ne pouvons pas
bien connaître, mais qui est puissance cl amour; providence divine se mani-
festant à la fois par le jeu des lois générales et par des interventions particu-
lières dans la vie du monde, disparition future du mal. »
A la métaphysique de Victor Hu#o sont fortement unies ses idées morales,
Comme M. Itigal le démontre fort bien, Victor Hugo est essentiellement opti-
miste* Il ne trouve pas que tout suit pour le mieux dans le meilleur des mondes,
mais il a contre le mal de puissantes consolations : la joie de faire le bien,
l'espoir d'une autre vie, la pensée que le mal n'est pas éternel. Cette dernière
forme de son optimisme est la plus intéressante et lui inspire ses plus beaux
vers. Il a toujours pô?é I* progrès moral de l'humanité, la suppression des vio-
lences, des injustices, des esclavages» le règne de l'amour dans la création tout
entière- Certainement ces théories n'ont pas toujours en dans son esprit la
tixïle qu'elles avaient acquise vers iSSO, Mais combien ses ennemis sont injuste:,
en lui icprochant de perpétuels changements d'opinion, en soutenant qu'il n'a
jamais fait qu'enregistrer les variations de l'opinion moyenne! Est-ce un
bourgeois contemporain de Louis- Philippe qui a ècnL Claude Gueux*! Je ne
voudrais pas insister sur ce rapprochement, mais il est difficile de îire le beau
roman de Tolstoï, Hr^iinrctinn, sans penser à ce que Victor Hujjo disait en 1834.
Après avoir étudié dans l'œuvre épique l'histoire et la philosophie, M. Itigal
consacre un chapitre aux personnages et au décor. H lui est impossible, évi-
demment, de tout examiner eu détail : et pourtant il montre que les pbjgfo-
|, M. Rigal cite des erreurs de divers genres qui se trouvent dans d'autres otn
Il me permettra de prendre la défense de Victor llm^o au sujet d'un très petit détail
Bfltre autre* erreurs, il rite cette phrase de V Homme yio fit : • Ursus.., disait d'une
mère précédée de ses deu\ liiles : c'est un dactyle ; d'un père suivi de ses dftUJ
fils: c'est un anapeste. - Je ne crois pas que Vïcior Hugo ait confondu le dactyîe
et l'anapeste* ti vide m ment, dans une langue purement logique, on dira que la
longue suit les deux brèves dans l'anapeste, et les précède dans le dactyle. Mais
rîmagî nation de Victor Hugo voit en quelque sorte le mot marcher, aller de
•j ,ii!i -tu- ,i droite en se dirigeant vers la lia de la ligne. Ur*us a donc le droit de
dire que dans le dactyle ce sont les brèves qui marchent devant, tandis que dans
Tanapeste elles semblent marcher derrière la longue.
2- Paris, librairie H. Oudin, t8U2.
tiô-s
BEVUE h HISTOIRE LIITKMAIUK 1>E LA FHANCE,
nomies ne sont pas aussi insignifiantes qu'on l"a souvent prétendu. Xtm-
Zizimi ne ressemble pas à Mourad; parmi les oncles du petit roi de Galice,
quatre au moins se distinguent par des traits personnels et précis. Mai
l'homme est le héros central de L'épopée, il n'en est pas le personnage unique.
Les animaux ont leur place, la nature a son rôle et intervient dans tes drames
humains, La montagne et la plaine ont chacune leur caractère, el font a leur
habitas ts d»-s âmes dilTérentes, Un soir de carnage, le soleil couchant rougit
ta cime des monts et semhle la leindre de tout Je sang versé; ailleurs la dou-
ceur souriante delà nature semhle reprocher â l'homme ses cruautés siupitles.
Enfin Victor Hugo arrive a vonlnjr « voir l'invisible, exprimer l'inexprimable »,
Dans le Parricide iï réalise ce prodige, et plus d'une fois dans d'autres poème
il nous introduit dans le mystère et décrit ce qui semble échapper a toute
description.
Dans les cinq derniers chapitres de son livre. M, Rigal étudie w les moyens
par lesquels Hugo poète épique a réalise son œuvre ». Nous pourrions être sur-
pris de le voir commencer par la versification : c'est, dit ilf « que rime et
rythme sont chez Hugo générateurs d'images, d'idées vi de développements,
ils tiennent à l'architecture nie me de J'oeuvre. 11 y a donc intérêt à savoir
bientôt quelle est la véritable constitution du vers de la Légende et quel parti
le poète a tiré de cet instrument admirable ». Pour M. Elig&l, Victor Hugo n'a
fait qu'assouplir îe vers ssnf en change? le caractère essentiel, Le vers leroa.
sa grande innovation, est relativement rare ; Hugo nfa pas osé supprimer
totalement la césure à l'hémistiche : la sixième syllabe coïncide toujours avec
la Un d'un mot. et même il y a souvent intérêt a faire sentir, outre les coupe*
principales, cette coupe secondaire. H, Bîgal montre par des exemples très
bien choisis tout le parti que Victor Hugu a tiré de son innovation. Il
admirable de voir comment le mouvement du vers suit celui de la pensée. La
conséquence toute naturelle d'une construction plus souple et plus libre, c
Je renforcement de la rime. La rime, chez Hugo, est en général très soigi
Certaines rimes, il est vrai, reviennent trop souvent. Le poète qui, dans la pré-
face dialoguée du Dernier jour d'un condamne, parlait ironiquement de la rime
entre ténèbres et funèbres, s'en est servi bien des fois plus tard. Mais le plus
souvent la rime n'a rien de banal, et ce qui est intéressant, c'est de la voir
génératrice d'idées : Victor llu^'o lui doit sans doute de belles antithèses, de
magni tiques métaphores, qui ont pour origine la rencontre nécessaire de deux
sons. La composition peut en souffrir un peu. Elle n'a lien de méthodique.
Hugo revient souvent sur la même idée, intercale dans son développement
une longue digression, Mais la rime n'en est pas seule responsable, car la
même habitude se retrouve dans les œuvres eu prose. D'ailleurs Ja disposi-
tion générale n'en soulfre nullement. L'oeuvre est toujours solidement cons-
truite, d'un dessin très net. Si Victor Hugo s'attarde quelquefois, s'il cède au
plaisir d'assembler des rimes et des images, il n oublie jamais ftoo plan; l'effet
qu'il veut produire nTe*l jamais manqué, et le vers final nous laisse toujours
l'impression que le poète a voulu nous donner.
Un des chapitres les plus neufs du livre de M. Riga! est celui qu'il consacre
à la langue et au style, c'est-à-dire surtout à l'image. Peu de peintres ont su
voir comme Victor Hugo, et, ce qu'il nTa pas sous les yeux, son imagination le
lui présente avec toute la netteté d'une sensation réelle. Il donne même une
forme aux abstractions, et c'est à peine si Ton distingue chez lui la limite entre
le visible et Tin visible. Et pourtant on lui reproche l'incohérence des images.
Ne serait-ce pas plutôt le défaut d'un poète chez qui la métaphore ne répon-
drait à aucune vision réelle? Mais c'est que Victor Hugo, pour un même objet,
ne voit pas seulement une image; il en voit plusieurs et les reproduit toutes.
Jl n'y a pas incohérence, il y a seulement des images successives. M, Rigal
nous montre la transition de la métaphore simple au symbole, si fréquent
che* Hugo, souvent très clair, quelquefois asses obscur {mur qu'il soit impos-
COMPTES REN0US.
M9
sible de l'interpréter sûrement» Certains poèmes sont en grande partie symbo-
liques, eomme la Fin de Sahin, dont M. ftigal donne une traduction trèfl m^é
nieuse. Élargissant un peu le sens du mot, il trouve te symbole épique jusque
dans les romans. Les principaux personnages de Quatre -vingt- treize sont vrai*
ment représentatifs, et Gwynplaine» dans Y Homme qui rit, se proclame lui*
même un symbole ; il représente le peuple défiguré et mutilé, » le souffrant
profond qui rit à la surface ».
En lin Victor Hngo a résolu le problème du merveilleux moderne. ît a crée
dofl mythes, personnifiant les abstractions, les forces de la nature, la mer, le
fleuve, la montagne, la forêt, donnant la vie, la pensée, la volonté à l'èpée de
Roland, aux tira peaux des armées» aux vaisseaux glfeGl de Salami ne. Le vieux
château de Corbus non seulement lotte contre l'ouragan, mais est joyeux de
la bataille et lier de la victoire» Le cheval de Roland parle au petit roi de Galice,
un Sa Lan de pierre sourit derrière les conseillers de Ralbert, ïiphaine, meur-
trier d'Angus, est puni par l'aigle d'airain qui orne son casque* Et le merveil-
leux cher Victor Hugo parait aussi naturel que dans l'Iliade et l'Odyssée, sans
doute, comme le dit M. EUgftt, parce que la matière de ce merveilleux lui est
fournie par ses convictions les plus ardentes et par ses rêves les plus ehers.
4Ju'on pense h son spiritisme, si l'on veut comprendre complètement certains
passages de ses poèmes et même de ses romans.
Depuis la mort de Victor Hugo, on parle de lui avec plus de calme et plus
de réflexion. Les haines sont devenues des antipathies, les enthousiasmes oui
cessé d'être aveugles et irraisonnés. On étudie son œuvre avec une impartialité
dont on ne voyait autrefois que de trop rares exemples. A cet apaisement sa
gloire a-l-elle gagné ou perdu? Le livre de M* lligal montre que Victor Btigû
n'a rien a craindre d'une élude attentive, d'une analyse minutieuse. Les dé-
fauts du poète sont de ceux qui frappent les yeux, qu il est impossible de ne
pas apercevoir, IL y a de même clic* lui des beautés éclatantes qu'on a depuis
longtemps l'habitude d'admirer. Mais il y a en outre des qualités plus profondes
qu'on ne voit pas du premier coup d'ceiï. M. Rigal nous en fait remarquer
beaucoup. Appliqué à Victor Hugo, le nom de poète épique ne désigne pas seu-
lement un auteur d'épopées, mais un génie exceptionnel, qui juint à la
réflexion philosophique les dons du poète primitif.
EUWOND HCCCET.
Pmran Mkmvke. — Lettres inédites [publiées par Félix Gbambon], 1900,
sans nom de libraire. In 8° de acxxx*f$l p.
Ce qui va suivre est bien plutôt une analyse qu'un compte rendu. Le volume
dont nous venons de transcrire le titre ayant été priratety jrtntnl | \l exem-
plaires et aucun de ces exemplaires n'ayant été mis en vente, bien que nous
ayons annoncé le contraire sur la foi d'un catalogue erroné, nos lecteurs ne
seront pas fâchés de trouver ici le plus que nous pourrons y mettra <ie détails
sur la publication de M. Félix Chambon, bibliothécaire à la bibliothèque de
l'Université. Et remarquons tout de suite que si le tirage du présent vuluuie a
été strictement limité à un chiffre très restreint d'exemplaires et si aucun
d'eux n'a été livré au commerce pour des raisons particulières de propriété
littéraire, il n'en faudrait pas conclure que ce soit là une publication clandes-
tine, car M. Félix Chambon a parfaitement signé l'importante introduction
pLu ée en tête des lettres de Mérimée,
Celte introduction n'est pas une biographie suivie de Mérimée; elle reprend
seulement les points de la vie de l'écrivain sur lesquels elle apporte des ren-
seignements nouveaux et s'y attarde d'autant plus qu'elle a plus de documents
à faire connaître. Nous allons la suivre fidèlement en dégageant ce qu'il
670
IIEVUB D*I1IST0LRK LITTKIlMIli: DC LA FRANCK.
importe de connaître, Sur la jeunesse de Prosper Mérimée, M, Chamboo four-
nit des indications intéressantes : il précise, grâce à la collection des palman -s
du lycée Henri IV où l'enTant lit ses études, les récompenses qu'il y remporta,
peu nombreuses* d'ailleurs, et assez peu brillantes. À l'école de Droit, û tra-
vailla, parait-il, plus sérieusement ei devint licencié, le *Xl juillet 1823,
Presque aussitôt après Prosper Mérimée débutait dans les lettres. Mêlé au
monde parisien, il le quittait volontiers pour voyager et fit, en 1830, un pre-
mier voyage en Espagne qui le frappa vivement. Puis, de retour en ftr&nee,
L'esprit encore plein de ses aventures d'oulre-monts, il se lance sans reténue
dans le groupe des gens de lettres et des viveurs et y gagne La réputation d'un
mondain sceptique et élégant qui ne lui déplaisait pas, M. Cbambon expose
fort justement l'état des relations de Mérimée alors avec ses confrères en litté-
rature et ses compagnons de fêtes* eu recueillant et *n groupant tous Les
fragments de correspondance qui ont Été publiés de droite et de gauche.
Maïs la partie la plus neuve de son travail est celle qu'il consacre à la vie de
Mérimée postérieurement à cette époque, celle qui commence aux euviroùs
de l'année 1840.
L'ambition vint alors à Mérimée d'être membre 'le L'Institut, île l'Académie
des inscriptions et beïlesdellres, d'abord, on il fut alternant élu membre
libre, puis de l'Académie française; grâce aux papiers de M. Thiers, qui lui
ont été communiqués pour ces événements, grâce surtout à ceux de Victor
Cousin qu'il a eu à sa libre disposition, M. Chambon est parvenu à en tracer
un récit nouveau et complet, où Ton trouve avec plaisir les propres lettres de
Mérimée et celles de Sainte-Beuve, qui travaillait de concert avec son anii. Sur
d'autres épisodes de la vie de Mérimée, l'a flaire Libri,quile passionna tant et
l'aveugla si profondément; la brusque rupture d'une liaison qui avait pendant
quinze ana été le bonheur île l'écrivain, un adultère de tout repos, comme ou
l'a dit, interrompu par la bonne fortune d'un autre écrivain plus jeune et plus
vigoureux, quelque chose, enfin, comme l'histoire, en plein m* siècle, de Vol-
taire, de M'1" du Châlelet et de Saint-Lambert, histoire dans laquelle Mérimée
jouait le rôle de Voltaire; sur tous ces épisodes, dis-je, M. Chambon a continué
à rapprocher les divers témoignages épars de tous cités et à faire de la sorte
une lumière décisive, comme sur la situation de Mérimée i\ la cour, pendant
le régne d'une impératrice qu'il avait vue naître et qui le choyait lout particu-
lièrement.
A La suite de tous ces renseignenieals qu'il était bon de résumer et de coor-
donner pour connaître au juste quelques traits de la physionomie de Mérimée,
M. Cbamboa ne manque pas de donner diverses indications sur les person-
nages auxquels sont adressées les lettres inédites qu'il publie et sur leurs rela-
tions avec leur correspondant. Des 79 lettres ainsi mises au jour, 10 sont
adressées a l'helléniste Boissouade, que Mérimée avait connu à l'occasion ili
candidature à l'Académie des inscriptions. IL s'en suivit une liaison, toujours
un peu sauvage de la part de Boissouade, mais en faveur de laquelle Mérimc
savait se mettre en frais de coquetterie. Les lettres que celui-ci écrivit ainsi à
son confrère sont charmantes, pour la plupart, et elles vont du 0 juin 1846 au
10 novembre I8!i3.
La correspondance avec Victor Cousin, publiée in extemo dans ce volume,
est beaucoup plus importante et pour le nombre des lettres écrites — 00 de
1833 à 180G — et aussi jjour la variété des sujets traités. Bien que Mérimée
plaisantât volontiers l'éloquence un peu prolixe du philosophe et sa mimique
oratoire, il rendait justice a la grande allure de son Style el ;l l'ampleur de
sou savoir et de son esprit. Tuus deux t'estimaient et s'appréciaient récipro-
quement et échangeaient avec franchise leurs impressions. Dans les lettres de
Mérimée, du moins, car ou ne connaît pas celles de Cousin et il est probable
qu'elles ont péri lors de l'incendie de l'appartement de Mérimée, il n'est pas
beaucoup question de littérature et de racontars académiques. Ou y rapporte
CU M PVICS RENDUS»,
i:i
plus volontiers les propos mondains et on y commente les événements du
jour. Les nouvelles de la cour et la politique étrangère y sont rapportées et
interprétées avec soin, C'est Mérimée, dit- on , qui amena Victor Cousin à l'Em-
pire. On suit très bien sous sa plume le sens de celte évolution qui fut remar-
quée et les mobiles qui contribuèrent à la faire réussir, A tous ces points de
vue, les nouvelles lettres de Uérimée servent autant à l'histoire de son temps
qu'à la connaissance de ses amis et de lui-même.
Il y est beaucoup question de M. Thiers, qui était TmLime ami de Victor
Cousin et qui était Fort lié aussi, quoîqu'à un degré moindre» avec Mérim<<i.
Celui-ci avait tenté auprès de l'historien la manœuvre qui avait réussi aUprèt
du philosophe : il essaya de l'amener a l'Empire. Mais, plus clairvoyant que
Cousin, Thiers ne se laissa pas prendre à ces cajoleries intéressées. Les rela-
tions entre Thiers et Mérimée turent cordiales, sans arrière-pensée, tant que
Tbiers ne lit pas partie du Corps législatif* Plusieurs lettres que M. Chambon
a eu la bonne fortune de se procurer mettent bien en évidence tous ces sen-
timents. Mais quand Tbiers, élu député, recommença à, faire de la politique
et devint le membre le plus décidé et le plus redoutable de l'opposition
constitutionnelle, les relations avec Mérimée s'espacèrent sans se rompi
s'attiédirent sans se refroidir. Et quand les temps s'assombrirent au point de
menacer inéitiéiLiablemcul le régime impérial, Mérimée songea à Tbiers pour
essayer de conjurer l'orage et tenter de sauvegarder ce qu'il aurait voulu
sauver. En retraçant la vie de Mérimée, M, Augustin Filou n'a pas manqué de
parler des démarches que celui-ci Ot, dans les premiers jours «le s»j>-
lenibre 1870, auprès de Thiers; mais, interprète des sentiments de la souverain»'
d'alors, il i jugé avec un parti pris trop évident l'attitude de Thiers, M, C bam-
bou a pensé qu'un jugement ainsi rendu ne pouvait être sans appel* lia voulu
le revoir et il Lit, Crace aux documents communiqués par MH|- Ikisne,
d a pu fournir des indications précises sur les relations de Thiers et de UéHméfl
ei tel gens désintéressés, Thistoire elle-même, souscriront assurément aux
conclu si uns de II, Cbambon montrant clairement que l'intervention de Thier*
04 pouvait avoir nul efTet à l'heure tardive où on la sollicitait et où on recou-
rait à ses avis.
Four achever de dénombrer ce que renferme le volume dont nous parlons,
nous ajouterons qu'il contient quatre lettres à Kequîeu, conservateur du musée
d1 Avignon, deux à Panizzî, et trois à Barthélémy SamtHilaire, sans parler de
quelques autres missives moins importantes recueillies par M» Chambon dans
diverses bibliothèques publiques de la province, En lin. H. Chambon achève son
volume par quelques passages supprimés des lettres à P&ditxi. La plupart de
passages n'avaient rien de *ubversif et ont été retranchés fort arbitraire-.
mont. D'autres, au contraire, étaient difficile* à imprimer dans un livre destiné
au grand public, à cause de cette alfecialiou qu'eut trop souvent Mérimée de
ne pas ménager la pudeur de ceux a qui il écrivait. Les personnes curieuse»
de ces sortes de choses no sm plaindront pea ju ■ lies aient été mises au joui
les autres t si i nieront qu'on pouvait, sans inconvénient pour personne, les
laisser ignorées àjamais.
P, 1J.
Lettres do Barbey d* Aurevilly à M. Trébutîen, conservateur adjoint
de la bibliothèque de Caem extraits «1943*1851) [publiés par le comte A. de
Rlangy,] Ûaen, imprimerie Charte* Vaiin, istm, îu-8, de jtv-iî9p,
Encore un volume qui, tiré à aO exemplaires, ne se vend pas et sur lequel
nos lecteurs ne seront sans doute pas nichés d'avoir quelques indications
Tandis qu'il vivait à Caen, Jules Barbey d'Aurevilly y avait connu un érudit,
ra
liEVl E D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE*
Guillaume- Stanislas Trébulien, plein de savoir fit de *$out, dont le commerce
fut aussi utile qu'agréable a l'écrivain. Aussi, quand celui-ci quitta la Nor-
mandie pour Tenir à Pans, il n'oublia pas sou ami de Caen auquel l'unissait
une affection très forte et très nnoètte. Ils ne manquèrent pas de correspondre
entre eux, parlant à ccnur ouvert et se tenant au courant de tout ce irai
concernait, Barbey d'Aurevilly faisait grand cas de ce qu'il écrivait ainsi à son
ami, franchement et sans contrainte, o Le meilleur de moi est dans ces lettres,
dit-il lui-même à propos de cette correspondance, où je parle ma vraie
langue et en me iichant de tous les publics, a On est bien et dûment prévenu
après cela, du tour que devait avoir la causerie et des sentiments qui pou-
vaient s'y trouver exprimés.
Ce sont ces lettres que M. le comte A. de Blangy a cru devoir mettre au
jour par extraits, dans un volume qu'il ne destine pasau grand public et qu'il
réserve à cinquante privilégiés. A-t-il eu raison de procéder de la sorte? Il est
bien difficile de le dire, puisqu'on n'a sous tes yeux que l'un des deux termes
de la comparaison néce&>air»^ p <ur se prononcer en parfaite connaissance
cause. Mais il semble toujours téméraire., au premier abord, de prétendre faire
un choix forcement arbitraire dans une collection de lettres où celui qui les
écrivit avoue avoir mis le meilleur de lui-même. Dans l'espèce, l'anthologie
du comte de Blangy a l'air de fragments tirés des œuvres d'un monsieur bien
sape, alors que les lettres originales doivent donner une tout autre impres-
sion, et elle a le tort grave de ne rien apprendre ni sur la psychologie de
Barbey d'Aurevilly, dont on ne nous dévoile qu'une partie des sentiments, ni
sur riiistoire de ses débuts à Paris qui ne sont contés qu'à moitié et sous un
jour 1res factice. Bref, là où on espérait trouver un étalon normand, fougueux
et débridé, on a sous les yeux un coursier sanglé, retenu aux quatre pieds par
des entraves et se dépensant en ruades inutiles dans lai barres lises d'un appa-
reil de manège, « Pour un diable d'esprit comme le mien, écrit quelque part
Barbey d'Aurevilly en parlant de lui-même, ardent comme un cheval entier de
la vallée d'Auge, ce ressemble, cette manière de travailler en se retenant, à ce
qu'on appelle en êquiLatinn ht dans* entre l, el un tel exercice est fati-
gant et difficile. Je m'y suis fait le corps autrefois, mais l'esprit — que jTai
violent, — je ne l'y ai pas encore brisé. » M. le comte de Blangy aurait dû
mieux se souvenir de ces paroles, qui pourraient servir d'épigraphe à son
volume, el ne pas étaler des exercices de manège sous les yeux de ceux
qui comptaient trouver le spectacle d'un être eu liberté, vivace et fort, se
livrant à ses échappées favorites, dans l'exubérance de ses mouvements el les
soubresauts de son humeur.
Cette outrance un peu affectée el voulue avait nui h Barbey d'Aurevilly dans
ses débuis à Paris, Ou le discutait trop en attendant qu'on le subit et les
portes des recueils demeuraient fermées à ses productions, ou, si elles s'en-
trTouvraîent, elles se refermaient aussitôt. BuIoï n'avait pas voulu d'une étude
sur Bntmmelt et U Dandysme. Bertin avait inséré dans U$ Débats un article
dont la suite ne parut qu'à onze mois d'intervalle. M. Maurice Tu urne ux a
relracé ici même les péripéties de cette collaboration momentanée, et son récit,
qui n'a pas été mis à profil par M, le comte de Blangy, servirait pourtant à
mieux expliquer une période intéressante entre toutes de la vie parisienne de
Barbey d'Aurevilly, — celle où il s'efforçait de se créer à Paris des relations
littéraires, avec Balzac, avec Hugo et d'autres sans doute, — Ttébutien était le
confident naturel des déboires de son compatriote, qui s'empressait de répandre
dans ses lettres toute sa mauvaise humeur. Celle-ci est fort assagie et édulcorée
dans les passages que nous connaissons par M. de Blangy, qui a choisi sans
doute tes endroits les moins bruyants et les moins frondeurs. Au refus des
éditeurs parisiens, Trëbutien s'était chargé d'imprimer deux volumes de Bar
d'Aurevilly : son étude sur Brummell et sou recueil sur les Prophètes du /
et il sut faire de ces deux productions des travaux d'un art typographique
COMPTES RENDUS. 673
achevé, que les bibliophiles recherchent maintenant. Il s'ensuivit entre les
deux hommes un incessant échange de lettres, l'un faisant des remarques et
des observations auxquelles l'autre ne se rendait pas toujours. Pourtant, si on
en juge par les fragments publiés, Barbey d'Aurevilly était le plus souvent
assez traitable et il se soumettait volontiers aux décisions de son ami. Celles-
ci, au reste, étaient sympathiques et sensées, dictées par un bon goût que l'af-
fection n'aveuglait pas. Et Barbey d'Aurevilly se sentait touché d'une bienveil-
lance si utile à lui-même, qui se dépensait sans marchander ni le temps ni la
peine. L'amitié sait trouver sous la plume de l'écrivain quelques formules
d'une éloquence forte et affectueuse qui devaient aller au cœur de celui auquel
il s'adressait ainsi. A ce point de vue, la lecture du recueil de M. de Blangy
est saine et réconfortante. Mais est-ce bien là l'impression que laisserait la lec-
ture des originaux s'ils étaient mis intégralement sous les yeux des lecteurs?
On est en droit de se le demander. Au lieu de nous attarder à chercher
une solution qui ne saurait être solidement démontrée, louons sans réserve
quelques belles pages qui sont parmi les mieux venues qu'ait écrites celui
qu'on avait surnommé à bon droit le Connétable des lettres françaises.
P. B.
PÉRIODIQUES
ktmâttmf. — N° 1457 : The wordi of IlnM.iis. — N* 1 10 1 : The BoHoc ht
pjy. — H9 l 'rGn : J+ H. Smith, TVte /rot, U home,
i/ïdiiuirur «rauto^ntplirs — 1S juillet; Raoul Bonoett t<i ■ Sûp
^rnfpteur Mathieu Meusnier; tettu: tic Sentir * Item i\ — (5 août; Raoul BonmL
Un examen de f innée en tsiiï ; lettre & Armand Marrast* — 13 sepl
Maurice Tourneux, Les bienfaits et fei me fûts «h la presse ((743 et 1S14
Raoul Bonnet, Un manuscrit de Bachet tl? Méûriac (avec fac-simil»
Arehîv l'îir *I:ih SiiiiTîitiii drr noiiorcn Kprncheit untl IJlorafnrra , —
ClV, 3 et 4 : lJ, Toldo, Le couHtBam dan$ lu littérature française et ses rapports
a* ce Famvre de CasUgHonc. — Karénine, George Sand (Ad, Tobler; — Plallnrr,
Grammaiik, I (A. Sclml/
Bulletin dn Uiiiiioptiile et rfa bibliqtli^cjilrc . — 15 juillet; Henri Cor-
dîer, Perçy Bis&he SHêltey. — Notice sur ta Société des bibUophites tyonnai
jtir leurn pubticationi, — Marius Barroux, Les Archiva de la Seine en f900 et
leur histoire {suite), — Georges Vicaire, ïierm de publications nouvelles, —
iS août; le marquis de Granges de Surgères, Une lettre inédite de Vautew
Hoxintt* — L'abbé A Totipard, Une prétendue seconde édition du Dictfon-
uuirr de T Académie* —Gaston Duval, Lf musée •' de ht reliure ■
Ution univertilk. — Marius Barroux, tes Archives de la Seins en 1900 et leur
histoire (fin). — Georges Yiraire, ftêvuê de publications nouvelles, — 15 sep-
tembre; J. C. W., Imprimeur* et libraires parisiens j correcteurs, graveurs et fon-
deurSt powtimlaritéi oubliées ou peu connues f i 470 à 1608), — Gaston Duvai
Musée antennal de (a reliure à l'Exposition universelle (suite), — Le eonec
Brunet : rapport de M. Emile Picot, — Confins international des bibliotl
— Georges Vicaire! Revue de pubèieatiom nouvelles,
L,* Correspondant, —2 6 juin; A, Claveau, Le Théâtre du siècle, IL — Les
œuvres et tes Hommes, courrier mensuel de la littérature, tics arts et du théâtre.
— *0 juillet: Arthur Desjardins, lu magistrature au théâtre. [** partie. Jusqu'à lu
lution, — Georges Uertrin, Problème* d'histoire littéraire à propos de l
ttauhrianâ* D. te voyage en Amérique de Chateaubriand est-il une fiction? —
A. Claveau, Le Théâtre <lu êiicU. NI. — 25 juillet; Arthur Desjardios, Lu ma§i$*
t rature au théâtre. ¥ partie. De tn Hevatutiun française au xxe siècle. — Les
truvres et les hommes, courrier mensuel de la littérature , dos arti et du théd,
— 10 aoiH; à. Claveau, Le Théâtre du siècle, IV (fin). — 25 août; Edmond Birô,
le tfaïuau de Comhourg. — Les u-nvres et tes hommes, Courrier mensuel d» tu
liHéraiufûi des arti tt du théâtre.
Drutsciic lit- r:i»iir/*îi«ti- — N° 17 : Faguet. Flaubert (FùrstJ. — N
Ritter, Nùtm Utf 8IÎW de Staiil. — K° 22 : Kèbelliau, Bossuct (Mahrenhollz), —
N ••' 2i : Du EMed, Lu société française du xxr au xr tiède. (Ph. A* Becker) —
N11 2B : Hourget, Œuvre* complètes^ 1 et l (Tubler),
ïimiHi hr «riiiiKriKiu. XXVI, 8 : Lady Blennerbassett, Shakespeare
Frankriiùh, — # : 11. Murf, IHc siehen Infant eu von Lieu. — 10 : H. Schneegans,
Dam Wrsen der rtunautisrhrtt Dkhtunç in Frankreich,
nir unii-i'ni Sj>p»rlicn, — Vill - \ : A, llrunnemaim, Die jtingsten fratn.
PÉumimin-s.
B75
Homansehrtfstetter, — Éditions scolaires ; VDI, 2 : H. Elle, Die Ferien
Alliance franem^c h* Paris in sommet' tS9#, — EL Gi'mdel, DieHezitazitmi-n Jtmf*
frein — Quiehli Franz. Aus$ und Spraehferttakeit (IL Ktinghanli). •—
Bode, Franz, KufSe ia Grenoble. — VI II, 3 : A* Neumann, Neutre Parisrr histitit-
en, — Quiehl, Bntgeçmmg. — h* l J e 1 r % , Eongreme in Parié* — \v. v.
Ferieukursc in Tfaftùf tu>
Fanfnlla délia domoulrap — XXI, 50 : G. Burgada . Snlfa pùeoia sépulcrale
franeese e itatiana — XXÏIT 2 : G* Mcuasci, Un pooiû fr&nÊûSé det seroh XVI a
Hotna (Joachim du Bellay j.
l-'itrsi-linii^Tii zur tiratidcnliDrgtai-liea nnd Prcusstacltcii Gr**chirlite* —
XIII, i : M. Tûric, Voltaire und die Verôffintiichung dov Goéichte triedrich* des
Grosse*,
Gldn- — Avril : A, G. van ïkmel. De tach van Hattrlais. — il ai : A. G. van
HameL Ckatcauhviand\ rots naar Âmoi
,ln. m nul iIph débat* polldqucH oi lit trraire*, — lw juillet; Maurice Muni,
Les idée* politique* de M. Fo<jazzaro. — 2 juillet; Henô Doumic, ta Semaine dra-
matique. — 3 juillet ; Maurice Muret. Napoléon et Qmtko. — 9 juillet; René Dou-
mic, ta Semaine dramatique . — 10 juillet; G. Baguenault de Puehesse, Un
lettre, ambassadeur SOUS Français f>* : I lintf. — I i juillet ; Henri \\e\-
schinger Napoléon P* et te Uanm de ('outrait, — 10 juillet; René Doumic, la
Semaine dramatique, — 17 juillet; Maurice Muret, te Théâtre de Darmstadt. —
M juillet; Christian Sckeler, Mary ffÉ Kinqàletj. — 22 juillet; H, F.6., Fr
et décadence de ht Censure, — 23 juillet; René Doumic, ta Semaine dntmati
— 29 juillet; Maurice Spronck, Le Panthéon (et iiatzae). — 30 juillet ; René Dou-
mict la Semaine dramatique. — 2 août; Louis Estan;L\ A propos d'un drre tir
Stiehefct. — 4 août; J. Bourdeau, Revue philosophique : îi Vrai PascaL — 6 août;
René Doumic, la Semaine dramatique. — André M i ■■ (m- ! , âfff Renan, — 7 août;
Amlré Beaunier, La Garioature, *— H août ; Arvede Banne, La Httêraium
*t. — 13 août; René Doumic, la Semaine dramatique, — 15 août; Maurice
Murel, M, Ferez Guidas* — Jacques Crepel, Au théâtre antique d'Orange. —
20 août; Reuê Doumic, 2a Semaine dramatique, — 22 août; Maurice Spronck,
VanUgrammatiealiime, — 2\ auùt; Albert Emile Sorel, Sottoonin du Théâtre*
Fronçais.— B5 août; h,% Leeonte de Liste et un tmù, — Christian Scbefer,
Mirabeau et Talleyrand, — i26 août; Ad. Dupouy. « Le çaràfon du feu -, pat
\l. Le Bras, — "2? août; René Do u raie, la Semaine drûx/uttique, — s , Albert
main. — Maurice Muret, îei Originei de ta presse allemande. — 28 aoiU; Emile
tiebhart, La faillite de ^orthographe. — 3! août; André Hatïays, Au pofl de
François Rabelais. — Jpr septembre; Henri Bidou, te roman d- Casimir Delà-
mgm — 3 sefttembre; René Doumic, la Semaine dramatique, —H. Fiemis-
Gevaert, Une retraite tle Montuleml' rL —5 septembre; Maurice Demai^on. Fran-
eats de NiUfthéUûU. — Arvêde Barmer » Uk elofsdu Varadts », conte fantmUqui
en o actes, par Maurier Strijalhenf — '.! septembre; Maurice Muret, Au ehâteau
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cors du 1' Capitaine Fracasse ». — ia août; J.-J, Jusserand, £*s sports dam
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raire : les erimn passionnels. — T* de Wyzewa, Revues étrangères : une idylle
angtatêe, — l*r septembre; Camille BeBaigue, Le P. Grain/. '— Ferdinand llru-
-netière, L>t réforme de la fpnJcm, — 15 septembre; Ferdinand Brune M ère. Là
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§ut Mûntatgne. — ti juillet; André Le Glay, Abel Bigaull, L, Léger, Albert
Pingaud, Henri Welschinger, Rente historique. — * 4 août; PauISoui \, VQpé~
relte (avec portraits). — Georges Pel lissier, L' Eloquence judiciaire et le* qrands
avocats du sieele (avec portraits)* — IN août; D* Menant, Lu littérature inod
de V laie. — Gustave Lanson, Rosmet et in critique contemporaine* — 1* sep-
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romancier* étranger»* — 2i mars; Félicien Pascal, Un moine moderne (le P.
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<in (par M. Edouard Rod). — 7 avril; R. N. Ferry, Chronique dramatique :
la Robe rouge] Kdn prince; les feuilletons deSnrcnj. — 14 avril; DoHis-
tieim. Le cotottri de VUteboit-MarenU : son wmm littéraire. — Henry Bordeaux,
U& arcs et les mn-urs : romans pour. jeunes ftik$\ livret de voyage, — gi avril;
Vicomte de Spoelbercli de Lovcnjoul, Le prospectus de Satnte-Beitoe pour ta
iJEnrrrs coinplètât (U Victor Hugo (1829). — 28 avril: Henry Burdeaux,
livret et tesmœun : lu Fennec du Levant, par M. Etimnc htmtf. — 18 mai ; Mon-
cure Daniel Conway, Thomas Paine et ta Rceolution dans tes deux mondes. \.
Louis XVI M les Américains; le million de Beaumarchais. — Henry Bordeaux,
/. I lu 1 > ti kt manm : En flânant. — 19 mai; Moncure Daniel Conway, Thtmws
Paine et la Révolution dans les deux mondes. II. Le tniititm de Bêaumarch
Rachambeau et Washington. — 1C M, Ferry, Chronique dramatique : Pon$ard;
h Cloître. — 36 mai; François de CSion, Un outre mer au ivir yane au
Canada du ha ton de La Hontan, — Henry Bordeaux, Les Unes ti tet mm
Drames de famille (par M. Paul Bourget), — 2 juin; Paul et Victor Margue-
ritte, Jean Marie MettralteL — 9 juin; 11. N+ Ferry, Chronique dramatique :
tes Fossiles; f Em hautement. — Henry Bordeaux, Le* In tes et l&ê mcem
V Appel au soldat (par AL Maurice Barrés). — 14 juillet; Maurice Tnlmevr, Une
thèse de doctorat sur l'infamie des comédiens, — 21 juillet; Henry Bordeaux,
Jjê% htres vt fea maun : la Chine qui Couvre* — il août; Fernand Calmettes, te-
nante de ÎJsleet Sfl amis* (DcLi.vième partie, I), — Paul Potlier, Grands artistes
HST. »*H(*T. UTTÛ. DC LA FftASCK (7fl AnQ.),— VU. j t
: 078 KEVl'E D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
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J parasite. — 2 juillet; Gaston Larroumet, Chronique théâtrale. — 6 juillet; Aux
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Dcschampâ, La rie lithriirc : notes sur la littérature finlandaise. — 9 juillet:
Gustave Larroumet, Chronique théâtrale. — 13 juillet; Le monument Arthur
Rimbaud. — 14 juillet; Masson-Forestier, Le mystère (rObcrammerguu. —
16 juillet; Gustave Larroumet, Chronique théâtrale. — 17 et 22 juillet; Gaston
i Deschamps. La vie littéraire : leçons d'histoire contemporaine. — 23 juillet; Gus-
tave Larroumet, Chronique théâtrale. — 25 juillet; Le congrès international
crhistoire comparée. — 27 juillet; Les congrès. — 29 juillet: Gaston Deschamps,
La vie littéraire : un compatriote de Chateaubriand. — Le congrès de Cart théâ-
tral. — 30 juillet : Gaston Larroumet, Chronique théâtrale. — 1er août ; Adolphe
T Brisson, Promenades et visites à l'Exposition : Madame Sada Yacco (comédienne
1 japonaise). — 5 août; Gaston Deschamps, La vie littéraire : les temps néronien*.
» — G août; Gaston Larroumet, Chronique théâtrale. — 8 août; Les bibliothèques
publiques. — 10 août; Lamartine à Florence. — 12 août; Gaston Deschamps,
La vie littéraire : l'enfance de Calvin. — 13 août; Gustave Larroumet, Chro-
.- nique théâtrale. — 16 août; Quelques poètes contemporains : Jean Aicard. —
117 août; Les grammairiens et les philologues. — Adolphe Brisson, Promenades et
visites à T Exposition : la chambre de Mlle Mars. — 19 août; Gaston Deschamps,
F La vie littéraire : les vacances d'un séminariste. — 20 août; Gustave Larroumet,
! Chronique théâtrale. — 2 1 août; La jnic de finir (a propos du Dictionnaire de
Hatzfeld). — 28 août; Gaslon Deschamps, La vie littéraire : Élise et Casimir
(Delavigne). — 29 août; Gustave Larroumet. Chronique théâtrale. — 31 août;
t. Pierre Mille, Journal inédit de Marie Bashkirtseff. — !*«■ septembre; 51. Brttne-
tière, i 'orthographe et la syntaxe. — 2 septembre; Gaston Descharaps, La vie
littéraire : Journal d'une femme de chambre, par M. Mirbeau. — 3 septembre;
Gustave Larroumel, Chronique théâtrale. — 7 septembre; Les origines de Cher-
butiez. — 9 septembre; Gaston Deschamps, La vie littéraire : seience française
et pédagogie allemande. — 10 septembre; Gustave Larroumet, Chronique théâ-
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| Pascal (Mahrenholtz). — Zollin^er, Mercier als Dramatiker (Mahrenholtz). —
Hensinyer, Housseaus ausgew. Werke mit Einleituny von P. A. Becker (Wetz) —
Wcller, Migrai (Mischwitz).
Zcltarlirlft fnr verglelchcnilc IJteratnrjçcscliIchtc — XIII, 1 : Oeftering,
Die gesehichte vun dersctuïnen Irène in der franz. und deutschen Literulur 1, 11.
— XIII, 4-o; K. Aspcliu, Lamottcs Ahhandlungen uber die Tragndic verglichtn mit
i Lessings Hamburgischer Dramaturgie (fin).
LIVRES NOUVEAUX
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de 320 p.
A ris to te. La Poétique. Édition et traduction nouvelles précédées d'une
étude philosophique par MM. Adolphe Hatzfeld et Médéric Dufour. Lille, L?
Bigot. In-8, de lxih-129 p.
Baldensperger (F.). Les définitions de Vhumour, leçon d'ouverture. Nancy,
Berger-Levrault. In-8, de 28 p. (Extrait des Annales de l'Est.)
Batjer (H.). Zwei Dichter des Lyonnais. II. Programme d'Eilbeck. Leipzig* Fock.
In-4, de 32 p.
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Atcan. In-18, de vu-206 p. Prix : 2 fr. 50.
Bever (Ad. van) et Leautaad (Paul). Poètes d'aujourd'hui (1880-1900). Mor-
ceaux choisis accompagnés de notices biographiques et d'un essai de biblio- ^
graphie. Paris, Société du Mercure de France. In-18 jésus, de 427 p. Prix : ■+"*
3 fr. 50.
Bibliophile (Un). Liste des lieux d'impression en Europe, avec dates et noms
d'imprimeurs. Paris, Claudin. In-18 jésus, de 114 p. \Z
Blase de Bnry (Y.). Les romanciers anglais contemporains. Paris, Pcrrin. In- k£
16, de xxvir-248 p. '\ 9
Biondel (Maurice). La psychologie dramatique du Mystère de la Passion à
Oherammergau. La Chapelle- Montligeon, imprimerie Notre-Dame. In-8, de 20 p.
(Extrait de la Quinzaine.)
Bordeaux (Henry). Les écrivains et les mœurs. Notes, essais et figurines (1897-
1900). Paris, Pion. In-16, de 348 p. Prix : 3 lr. 50.
Bossue t. Sermons choisis. Textes revus sur les manuscrits ou sur les éditions
originales, avec une introduction, des notices, des sommaires et des notes, par
Ch. Urbain. Paris, Lccoffre. In-18 jésus, de xxvn-565 p.
Boudard (René) et Boy (Pierre). Le Barreau espagnol. Paris, Lemasson. In-
16, de 47 p. Prix : 2fr.
Bonllhet (Louis). Melœnis. Préface d'A. Join-Lambkrt. Gravures en couleurs ;r^
d'après les aquarelles de Paul Gervais. Evreux, Hérissey. In-4, de xxiv-152- ..?.
xxxi p.
Bourdaloae. Œuvres complètes. Nouvelle édition. Paris et Lyon, Brigue t.
6 vol., in-8. Tome I«r : 528 p.; t. II, 713 p.; t. III, 676 p.; t. IV, 545 p.; t. V,
563 p.; t. VI, 671 p. |
Bourdaloae. Sermons inédits, d'après des recueils contemporains, publiés et J
annotés par le P. Griselle. Paris, Sueur-Charruey. 6 fascicules in-8. I : Sermon . V
sur l'ingratitude (13e dimanche après la Pentecôte), 20 p.; Il : Sermon sur "*
l'impureté (3e dimanche après l'Epiphanie), 39 p.; III : Sermon sur l'aveugle- '■]
né (mercredi après le 4e dimanche du Carême), 19 p.; IV : Sermon sur l'aveu-
glement spirituel (dimanche de la Passion), 21 p.; V : Sermon sur la Résurrec-
tion (fête de Pâques), 23 p.; VI : De la Samaritaine (pour le vendredi de la y
troisième semaine du Carême), 27 p.
■ i
1
1
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Prix : 2 mark 50.
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Ka«tner (L.-E ). and Aftklns (M.-G.). Short history of Frcnch literature.
London, Blackel and Son. In-8, 4 sh. 6 d.
^Kcrviler(René). Répertoire général de bio-bibliographie bretonne, avec le
concours de MM. A. Apuril, X. de Bellevue, A. Berger, F. du Bois Saint-
LIVRES NOUVEAUX. C81
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T. XII, 35 fasc. : Dez-Dreg. Rennes, Plihon et Hervé.
Kattner (M.)- Vaucenargues. Programme. Berlin, Gartner. In-4, de 27: p.
Prix : 1 mark.
Labadle (Ernest). Iss imprimeurs-libraires de V ancienne paroisse Sainte-
Colombe de Bordeaux. Bordeaux, Demachy. In-8, de x-io p. ;.
Laeordaire (Le P. H. 0.). Œuvres posthumes. Conférences prtahées à Nancy
en 1842 et 1843, publiées par les soins du R. P. Tripier. Paris, Poussielgue.
2 vol. in-16. Tome Ior, xv-33'* p. ; t. II, 334 p.
La Montait (de). Un outre -mer au XVIIe siècle. Voyages au Canada du
baron de La Ilontan, publias avec une introduction et des notes par François
de Nion. Paris, Pion. In-16, de xix-339 p.
Laraprerht (F.). Die mundartlichen Worte in den Romancn und Erzâhlungen
von A. Theurict. Programme. Berlin, Gartner. In-4 de 27 p. Prix : 1 mark.
Layns (Lucien). La Librairie, F Édition musicale, la Press*, la Reliure, l'Affiche
à l'Exposition universelle de 4900. Paris, Cercle de la librairie. In-8, non
paginé.
Le Bldoi» (Georges). De comwdia et de nostratibus scenicis poetis quid judi-
caverit Bossuetius ^thèse). Paris, Poussielgue. In-8, de 99 p.
Le Bldoi* (Georges). De l'action dans la tragédie de Racine (thèse). Paris,
Poussiclgne. In-8, de vni-337 p.
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Marti nenr lie (E.). Quatenus tragicomœdia de Calisto y Melibea rulgo Celés*
tina dicta ad infurmnndum llispaniense theatrum valuerit (thère). Nîmes, Impri-
merie coopérative. In-8, de 127 p.
Michelet (J.). L'oiseau. Étude par François Coppée. Paris, Calmann Lévy.
In-16, de xv-390 p. Prix : 3 fr. :>0.
Molière. Les Précieuses ridicules, comédie publiée conformément au texte
de l'édition des Grands écrivains de la France avec une vie de Molière, une
notice, une analyse et des notes par G. Lanson. Paris, Hachette. Petit in-10,
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Pogge. Les Facéties. Traduction nouvelle et intégrale, accompagnée des
Moralité z de Guillaume Tardif, suivie de la Description des bains de Bade
(xv« siècle) et du dialogue a Un vieillard doit-il se marier? «.Édition annotée,
682 revue: d histoire LITTERAIRE DE LA FRANCE.
précédée d'une notice par Pierre Des Brandes. Paris, Garnicr. In-18 jésus, de
lxix-481 p.
Prenssner (0.)- Élude sur les poésies diverses de Jean Racine, Programme de
Stolpe. In-8, de 55 p.
Prost (J.-C. Alfred). Famille d* artistes : les Thénards. Paris, Leroux, ln-8,
de 326 p.
Payol (Mgr P.-E.). Vauteur du livre De imitatione Chrisli. Deuxième sec-
tion : Bibliographie de la contestation. Paris, Retaux. In-8, de 267 p. Prix : 5 fr.
Quentin (le R. P. Henry). Jean- Dominique Mansi et les grandes collections
Conciliaires, élude d'histoire littéraire suivie d'une correspondance inédite de
Baluze avec le cardinal Gasanate et des lettres de Pierre Morin, Hardouin,
Lupus, Mabillon et Mont faucon. Paris, Leroux, in-8, de 272 p.
Qnesnel (le P. Pasquier), prêtre de l'Oratoire. Correspondance sur les affaires
politiques et religieuses de son temps, publiée avec des notes par Mmc Albert
Le Roy. Paris, Perrin. 2 vol. in-8. T. lor, de xiv-431 p.: t. II, 408 p.
Quel (Edouard). La puissance du théâtre en France. Paris, Vanier. In-16, de
47 p. Prix : 1 fr. 50.
Bavaissou (Félix). Un portrait de Marguerite de Valois. Paris, Leroux. In-8,
de 3 p. et grav. (Extrait de la Revue archéologique.)
Bevilioat (Ch.). Essais de philologie et de littérature. (Les mots « méchant »
et « paire »; les Dialogues de Féneion sur l'éloquence; Voltaire et le duc de
Richelieu; la Légende de Boileau.) Montpellier, Hamelin. ln-8, de 483 p.
Hlgal (Eugène). Victor Hugo poète épique. Paris, Société française d'impri-
merie et de librairie. In-i8 jésus, de xxxvm-332 p.
Bohnstrom (0.). Étude sur Jean Bodel, thèse. Upsal, Almqvist et Wiksell.
Id-8 de xvi-207 p.
Bosenthal (Léon). La peinture romantique. Essai sur révolution de la pein-
ture française de 1815 à 1830 (thèse). Paris, May. Iu-4, de vn-337 p.
Bonssct (Henry). La Presse à Grenoble. Histoire et physionomie (1700-1900).
Grenoble, Gratter. In-8, de xix-101 p.
Saint-Fonds (de) et Dugas. Cotrespondance littéraire et anecdotique entre
M. de Saint-Fonds et le président Dugas, membres de l Académie de Lyon (171 1-
1730), publiée et annotée par William Poidebard. Tome Ier. Lyon, Paquet. In-8
carré, de lviii-297 p. et grav.
Saint-Pierre (Bernardin de). Paul et Virginie; la Chaumière indienne. Notice
par Anatole France. Illustration de Paul Leroy. Paris, Lcmcrre. ln-4, de lxvii-
431 p.
Sareey (Francisque). Quarante ans de théâtre (feuilletons dramatiques).
Tome 1er : la Comédie-Française; Souvenirs; les Lois du théâtre. Paris, Biblio-
thèque des Annales politiques et littéraires. In-18 jésus, de vn-404 p. et por-
trait. Prix : 3 fr. 50.
Schmldt (Charles). Un coitrs de bibliographie à la fin du XVIIIe siècle. Be-
sançon, Jacquin. In-8, de 23 p. (Extrait du Bibliographe moderne.)
Sebwrabe (P.). Michel de Montaigne als philosophischer Charaktcr. Disserta-
tion de Leipzig. In-8, de 191 p.
Séc (Henri). Les idées politiques de Saint-Simon. fsogent-le-Rotrou, Daupeley-
Gouverneur. In-8, de 23 p. (Extrait de la Revue historique.)
Troubat (Jules). Une amitié à la d'Arthez (ChampÛeury, Courbet, Max Bu-
chon), suivi d'une conférence sur Sainte-Beuve. Paris, Duc. In-18 jésus, de
360 p. et portraits.
Ward (Wilfrid). Le cardinal Wiseman, sa vie et son temps (1802-186o). Tra-
duit de l'anglais par l'abbé Joseph Cardon. Paris, Lecoffrc. Tome Ier. In-18
jésus, de x-627 p.
CHRONIQUE
— La mort qui avait fait de si grands vides dans le Conseil d'administration
de la Société d'histoire littéraire de la France, au cours du précédent tri-
mestre, ne nous a pas épargnés pendant celui-ci, et cette fois encore elle nous
a frappés à la tête.
Le 2.'î août dernier, le premier en date de nos vice-présidents, M. Louis Pe-
tit de Jitlleville, professeur à la Sorbonne, est mort à l'âge de cinquante-neuf
ans, succombant, comme Armand Colin, dans la force de l'âge et lorsque de
nombreuses années semblaient promises à son activité intellectuelle. 11 faisait
partie du petit groupe de ceux qui songèrent à créer une Société d'histoire
littéraire de la France et unirent leurs efforts pour y réussir. Le .concours que
M. Petit de Julleville nous apporta alors sans réserve nous fut précieux, car il
avait Part de gagner les sympathies par la bonne grâce de ses manières et de
les retenir par une aménité de caractère pou commune qui donnait à sou com-
merce un agrément particulier. Trop absorbé, dans la suile, pour prendre une
part très active à nos travaux, il les suivait du moins avec attention , ne man-
qu ùt aucune de nos réunions, où la sûreté de son jugement et le charme insi-
nuant de sa parole étaient toujours appréciés.
La mort nous a porté un coup cruel en nous privant brusquement de c
onsciller aussi sage qu'éclairé, et c'est avec une émotion profonde et une gra-e
titude respectueuse que nous saluons ici le souvenir de cet honnête homme,
qui accomplit son devoir avec la bienveillance souriante d'un, sage et sut aimer
le beau et faire le bien sans ostentation, comme il convient à celui qui a mis en
lui-même, dans la satisfaction de son goût et le témoignage de sa conscience,
sa propre récompense.
— M. Ferdinand Brunetière a étudié dans la Revue des Deux Mondes (15 mai)
Un épisode de la vie de Ronsard : sa lutte avec les poètes calvinistes et les occa-
sions qui lirent d'un versificateur assez peu soucieux du présent le poète
enflammé des Discours des misères de ce temps. M. Brunetière s'efforce de
« montrer quel « citoyen » ce poète, cet artiste, cet incomparable inventeur de
rythmes, d'images et de mythes, est devenu, dès qu'il Pa voulu, ou plutôt
et pour mieux dire, dès que les circonstances l'ont exigé ». Et la raison qui
poussa Ronsard à agir de la sorte fut celle-ci, au sentiment de M. Brunetière :
« Il n'a vu tout d'abord dans la guerre civile que l'horreur de cette division de
la patrie contre elle-même, et, catholique jusqu'alors tiède ou indilFérent,
c'est son patriotisme qui Pa rangé dans le camp qu'il a choisi; je ne vois pas
pourquoi j'hésiterais à dire : c'est son nationalisme ». H nous suffit de signaler
cette thèse, à laquelle se mêlent des préoccupations beaucoup trop actuelles
pour que nous puissions faire autre chose que l'indiquer ici.
— Sous ce litre : Saluste du Bartas et ses éditeurs parisiens, le duc do Fezensac
a publié dan* le Bulletin du bibliophile du 15 mai un traité, dont l'original est
conservé dans les minutes de M0 Lanncs, notaire à Solomiac (Gers), et par
lequel le poète prend des engagements avec Abel Langelier et Timolhée Jouan,
*8* REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
les libraires parisiens bien connus, pour une édition de ses œuvres, à raison de
« cent trente trois escuz sol. un tiers, dans le terme de dix mois prochains à
compter de ce jour d'hui » (24 juillet 1585).
— M. G. Michaut, qui a fait une étude si attentive et si raisonnée du texte de
Pascal, vient de publier en une brochure séparée le Discours sur les passions
de r Amour, ignoré pendant deux siècles, découvert par Victor Cousin au
milieu de papiers jansénistes l'attribuant , il est vrai, simplement à Pascal,
mais qui semble si bien authentique qu'on a dit fort justement de lui en
une formule heureuse qu'il semblait être « une transformation profane de la
philosophie même des Pensées ». C'est un sacrifice de Pascal au goût de son
temps pour le bel esprit. M. Michaut a brièvement examiné, dans sa préface,
les nombreuses questions que cet opuscule soulève et il a résumé d'un mot les-
opinions émises à ce sujet. « Mais Pascal, comme il le dit, est plus qu'un bel
esprit. 11 ne se contente pas d'effleurer agréablement la surface des chose?.
Par nature et par habitude de savant, il les pénèlre, il va au fond... Or, il n'est
pas étonnant que son analyse aiguë ait atteint la racine même et l'essence
des passions. » Pour en mieux faire sentir la profondeur, M. Michaut a accom-
pagné ces pages d'un commentaire philosophique qui marque les renconlres-
de Pascal avec lui-même aussi bien qu'avec ses contemporains.
— L'Amateur d'autographes signale (15 septembre \ un manuscrit autographe
de Bachot de Mé/.iriac contenant un Discours sur ta traduction et conservé
actuellement dans la collection de M. E. de Hefuge. Notre confrère reproduit
même en fac-similé un fragment de ce discours dans lequel Bachet de Mézi-
riac accuse Amyot d'avoir interverti en plus de deux mille endroits le texte de
Plutarque.
— Sous ce titre Une prétendue seconde édition du Dictionnaire de l'Académie,
M. l'abbé A. Tougaiid revient dans le Bulletin du bibliophile (15 août) sur les
éditions hollandaises faites au xvnc siècle du Dictionnaire de l'Académie. Nous
avons déjà eu l'occasion de parler de cette question (t. IV, 1807, p. 317), d'après
la Bibliothèque de V École des chartes. Mais M. Tougard analyse dans son article
deux feuillets d'errata qui terminent le volume qu'il a étudié et relèvent 571
fautes de l'édition originale publiée par l'Académie. Toutes ces rectifications
ne sont pas insignifiantes et sans intérêt. Elles montrent avec quelle attention
on avait étudié l'impression de l'Académie, attention qui avait, d'ailleurs,,
abandonné en partie les imprimeurs hollandais au cours de leur propre publi-
cation, car celle-ci n'est pas exempte do coquilles et d'erreurs : J'ortographe,
en particulier, est irrégulière et fantaisiste, et on trouve parfois des exemples
condamnés ailleurs. Ceci ferait croire que les libraires hollandais seuls eurent
part à la préparation de la contrefaçon et que les libraires parisiens n'y
furent pour rien, quoiqu'on ait paru penser le contraire.
— M. le marquis de Granges dk Surgères a publié dans le Bulletin du biblio-
phile (15 août) une lettre inédite de La Rochefoucauld, dont l'original est con-
servé parmi les autographes du Musée Uobrée, à Nantes. Mlle n'est pas datée,,
mais elle parait être d'octobre 1037, c'est-à-dire quelque peu postérieure à la
lettre la plus ancienne en date qu'on connaisse de La Rochefoucauld. Celui-ci
se défend de connaître la retraite de Mme de Chevreuse et prie le comte de
Chavignv, auquel il s'adresse, de l'aider à faire voir son innocence.
— M. Henry Volnky publie dans la Renie dWnlennc et d'Argonne de juin
dernier Une bttre inédite d" ha y le et an poème français à la mémoire de Bayle.
La lettre est datée de Rotterdam le 1,M octobre lt>',)3 et adressée à Pinsson des
Riolles. avocat au Parlement de Paris. Bayle y exprime surtout des actions de
grâces pour les services que son correspondant lui rendait en s'entremettant
CHRONIQUE. 685
pour lui faire parvenir des livres. On apprend pourtant qu'à cette date le Dic-
tionnaire critique, qui devait paraître en 1695, n'avait que six feuilles d'impri-
mées.
Quant au poème qui accompagne cette lettre, il est sans intérêt et émane
d'un médiocre faiseur de vers dont le nom n'a pas été découvert.
— M. P. Toldo a publié dans le Giornale storico délia letteratura italiana
(vol. xxxix, fasc. I) une étude intitulée Dell1 « Espion » di Giovanni Paolo
Marana e clclle sue attinenze con le « Lettres persanes » del Montesquieu. M. Toldo
énumère de nombreux points de contact entre les deux œuvres et il est très
vraisemblable que Montesquieu connut et pratiqua le livre de Marana. Mais il
importe de faire la remarque que l'inspiration que Montesquieu put eu tirer
s'arrèle à l'idée originale de faire juger la société contemporaine par des voya-
geurs étrangers et aussi à quelques détails secondaires. L'esprit des deux œuvres
est tout différent, puisque, tandis que l'ouvrage italien fait surtout la narration
de l'histoire de son temps, le livre français éveille des comparaisons inévi-
tables et provoque des jugements sur ce qui existe en France par des rappro-
chements continuels, et pour ainsi dire naturels, avec ce qui se passe dans le
pays d'origine du voyageur, étonné de ces divergences qu'il note avec soin.
— La Revue blanche du i5 mars a mis au jour une dizaine de Lettres inédites
de Sophie Arnould. Elles sont adressées à une amie, M,no Verniquet de
Lagrange, et datent de la fiu de la vie de l'artiste et aussi de la fin du siècle.
Ce sont des billets pleins de bonne grâce et d'entrain, en dépit de la vieillesse
venue et de la pauvreté, dans lesquels la spirituelle femme se montre à son
avantage, sous un jour favorable et vrai.
— L'Amateur d'autographes du 15 juillet a inséré une lettre assez inattendue
de Sainte-Beuve au préfet de police Boittellc à l'occasion delà Sapho au sculp-
teur Mathieu Meusnier, dont le modèle avait été incarcéré pour quelque
méfait. « Ce modèle qui n'en est pas un de tout point, disait Sainte-Beuve, ne
s'est point correctement conduit et au beau milieu de la statue s'est fait
arrêter et condamner à un an de prison. Le tribunal de police correctionnelle
n'est pas comme l'Aréopage et la Sapho n'a pas pensé au moyen de défense de
la Phryné. Il en résulte pourlant que mon pauvre ami Mathieu Meusnier n'a
plus son modèle, et, en deux mots, il réclame de votre bienveillance une entrée
aux Madelonnettes (c'est là que la Sapho est recluse) et l'autorisation de faire
mouler sur place ce beau torse introuvable » (16 août 1863). Rien n'indique
l'accueil qui fut réservé à cette requête peu banale.
— Les notules sur Baudelaire publiées par M. Henri Cordier dans le Bulletin
du bibliophile (15 mai) se composent surtout d'une longue lettre adressée par
le poète, le 21 janvier 1856, à Toussenel, qui ne se trouve pas insérée dans sa
correspondance. C'est une belle page écrite à l'occasion de l'envoi d'un volume
de Toussenel, dans lequel Baudelaire démêle avec justesse le fort et le faible :
le sentiment de la nature et aussi un reste de fouriérisme qui gâte bien des
passages d'une philosophie moins étroite.
— M. Victor Girauo poursuit avec persévérance — nos lecteurs le savent
bien — l'enquête qu'il a entreprise sur Taine, son œuvre et son influence. Tandis
qu'il publie ici même le relevé précis et méthodique des propres ouvrages de
Taine, donnant ainsi aux 'travailleurs d'utiles éléments d'information, il insère
dans un autre recueil périodique, la Quinzaine, une étude plus personnelle qui
est à la fois l'étude de l'esprit de Taine et celle de ses livres, un essai, par
conséquent, de biographie psychologique. Le fragment qui a paru dans le
numéro du 16 juin embrasse la portion de la vie intellectuelle de Taine qui va
du La Fontaine à ['Histoire de la littérature anglaise, en passant par le Tite-
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0:. :r..-. : = .-.-•. M !.. : : ■_ : _ ;.r. : .-- ;:".::*.? — : ■_■: l.:-tl: * n suj»:t
— L: . : *■. .:. .r- .: ■ r:- r\ v.-...> !-- ■.:::• i .? ^n "s -: -J -. •. *.*ii faiL
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-•-l: » - : . :.-.:;■■::- -. ..; t? :t.t.-:. - :.:: .::::i^L «r* mii^'^M rare-
r.--i: .. -.._..: ..-. -:. . - .- a: . ; ;- .-::;:; -„\ ^:-:.: l*rx.s:ci:e :"-; eiempte
ir ■.■ -: : ..-;.■.-; -\ :- • .: : ..-. -I.rr. ■;-..:.■. ■:•: ::.>:t A::rei de Y,.-:.}-: Si ù:i
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lr:::r :t V..-.-. ...-:..--. r. t ::.:- ::: .» :".:. ^:. .-. -i: ri r^>::. ::-i vrt d'un
rr.T...e„- T-.-r .-.■:.■:.-.: j.r . -. :-;. ;. ; _:r : - : ■■:*. Eilr? r.- c j:i?i'i-rent
:■:-. :.:■.. -i . ■„: ^^: . .-- ; er^ ::.- i . r-.r rr. -..i :r .*. ;u'a". fc:-n:!::v : j; aë;rit
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■. :i : r.-îTr:.'-.*o: ! ;.vuil
m ;r J. ja n:-.-r--. M de Ku-
CHRONIQUE. 687
dens, qui habitait la Chalosse, un coin de la Gascogne attenant au Béarn. 11
eut l'occasion d'y venir à deux reprises et c'est ainsi qu'il put éprouver certaines
sensations qu'il a ranimées dans sa prose, car l'œuvre, annoncée dès 1830, ne
fut commencée que vers 185 i et parut seulement en 1863. Les réminiscences
des voyages de Gautier en Chalosse sont frappantes et c'est à bon droit que
M. Paul Lafond les a notées.
— M. Louis Farges donne dans la Revue de Paris (1er août) une esquisse très
fine de la vie de Lamartine à Florence, où il fut nommé secrétaire de légation
en octobre 1825 et où il séjourna deux ans environ. Diplomate un peu crédule
et naïf, Lamartine ne lit pas à cet égard une besogne bien bonne, car il était
alors un peu trop épris de lui-même pour observer l'extérieur avec la netteté
d'esprit désirable dans sa situation. Mais il causait avec abandon avec le grand
duc, prenait contact avec une nature dont il ne devina pas toute la réserve,
mais dont il pénétra suffisamment le caractère pour en sentir la bienveillance
native et l'indulgence de grand seigneur. Avec les ministres toscans, surtout
avec Vittorio Fossombroni, et avec ses collègues des légations étrangères, Lamar-
tine était moins en sympathie et en confiance, quoique les rapports fussent
toujours courtois et amicaux. Mais il se mêlait avec plaisir à l'aristocratie flo-
rentine, si séduisante par ses grâces séculaires, et aussi à l'aristocratie étran-
gère qu'attirait en ce lieu la douceur d'y vivre. M. Farges n'a pas manque
de noter et de reproduire quelques croquis tracés ainsi par Lamartine. Ce
sont aussi bien des documents pour la propre histoire de celui qui les traça
que pour l'histoire du pays et du temps qui en furent les occasions.
— La Revue des Revues publie (1er juin), sous la signature Renée d'ULMÈs,
quelques détails inédits sur l'enfance et la première jeunesse de Guy de Mau-
passant, à la mémoire duquel on a solennellement inauguré ces temps der-
niers un monument à Rouen. Cet article est accompagné de vers inédits de
Maupassant datés de 1868 et intitulés Dernière soirée avec une maîtresse, qui
n'apprendront rien à ceux qui les liront, si ce n'est le chemin parcouru par
le jeune poète pour devenir le prosateur qu'il fut.
— M. Georges Monval, qui a tant fait pour l'histoire du Théâtre- Français
auquel il appartient comme secrétaire-archiviste, a eu la pensée de dresser la
Liste alphabétique des sociétaires depuis Molière jusqu'à nos jours. Nous n'avons
pas manqué de signaler le développement de cette énumération au fur et à
mesure qu'elle se déroulait dans les pages de V Amateur d'autographes. Aujour-
d'hui qu'un tirage à part en a été fait il convient d'en annoncer la publication,
car il rendra des services signalés à tous ceux qui s'intéressent au passé de
notre grande scène dramatique. Chaque notice est dressée avec le plus grand
soin et la précision la plus méticuleuse. On y trouve aisément tout ce qui con-
cerne les artistes : leurs noms, leurs prénoms, leurs surnoms, les dates de leur
naissance, de leur décès et des principales étapes de leurs carrières. Chaque
notice est accompagnée du fac-similé de la signature du personnage dont il
est question, ce qui. en illustrant le volume, lui donne un intérêt de plus. Par
une lamentable coïncidence, cette liste s'achevait au moment où le feu consu-
mait le théâtre de la Comédie-Française. C'est une période nouvelle qui va
s'ouvrir pour elle avec le xx° siècle. Aussi le relevé si consciencieux de
M. Monval est-il comme la table d'une période écoulée du livre d'or de cette
illustre compagnie.
— M,,e Dosne a récemment fait don à la Bibliothèque nationale de quatorze
grands cartons renfermant des papiers ayant appartenu à M. Thiers, son beau-
frère.
Ces documents ont, parait-il, un intérêt considérable pour l'histoire politique
de la France depuis la Restauration jusqu'à la mort de M. Thiers, pour l'his-
toire extérieure, et aussi pour l'histoire littéraire à l'époque du romantisme.
68a REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LÀ FRANCE.
En livrant ces papiers à la Bibliothèque nationale, Mlle Oosne a mis une con-
dition à sa libéralité : c'est qu'on les communiquerait au public seulement
après la mort de la donatrice.
QUESTION
Quelle est la source de l'épisode du tisserand dans « Jocelyn »? —
Dans la neuvième époque de Jocelyn, Lamartine a introduit un épisode assu-
rément dramatique et touchant, mais non moins bizarre qu'invraisemblable :
la rencontre par Jocelyn du jeune homme qui transporte dans la montagne le
cercueil de sa femme afin de la faire enterrer par un prêtre. Cette singulière
aventure est datée de Valneige, 16 décembre 1803, pendant le fléau dont les
vers précédents font le vague récit. Il semble évident que ce fléau n'est autre
que le choléra de 1832, et c'est d'un canut lyonnais que Lamartine raconte ici
l'histoire (un pauvre tisserand « heureux en famille » autour de ce métier où
la tâche rassemble). Mais il semble non moins évident qu'un homme raison-
nable est incapable d'inventer de toutes pièces, pour l'introduire dans un récit
contemporain, même en vers, une aventure aussi saugrenue. Supposer que
dans une grande ville française moderne, sous ou après la réglementation du
premier Empire, un ouvrier a la liberté de fabriquer lui-même un cercueil, d'y
ensevelir à lui seul et secrètement un mort; de transporter ce cercueil d'église
en église, de prendre la file comme à un guichet de colis postaux, d'être écarté
pour manque de place, de rapporter son mort chez lui pendant deux jours, et
ensuite d'emporter ce cercueil sur son dos et d'aller vaguer dans la campagne
avec ce fardeau funèbre! Si hors du temps et loin des réalités qu'on admette
que soit Jocelyn, il y a là une imagination vraiment déconcertante, et si invrai-
semblable... qu'elle doit probablement dériver d'un fait vrai. Car on n'invente
pas de pareilles choses ! Il doit y avoir à cette narration étrange un fondement
authentique. Pourrait-on retrouver dans l'histoire du choléra de Paris ou de
Lyon (1831-1832) le fait divers qui a été si bien développé ici par Lamartine
(quoique avec une grande négligence de style). Ce fait a dû paraître assez
exceptionnel et assez macabre pour avoir eu quelque retentissement dans la
presse ou les correspondances de l'époque.
Chateaufort.
TABLE DES MATIÈRES
Eugexb Rigal. Gomment ont été composés ■ Aymerillot » et le • Mariage de
Roland • 1
A. Gazibr. Racine et Port-Royal 32
Joseph Bédier. Chateaubriand en Amérique. Write et Action (fin) 59
-Gustave Lanson. Los Provinciales et le livre de la théologie morale des Jésuites. 169
Jules Marsan. Le mélodrame el Cuilherl de Pixérécourt 196
Cb. Marty-Lavkatx. Quelle est la véritable part de Charles Perrault dans les
contes qui portent son nom 1 221
JIauricb Soi riai\ Le roman de Casimir Delavignc, d'après les manuscrits delà
bibliothèque du 11 ivre {fin) 239
^P. Toldo. La Comédie française de la Renaissance [fin) 263
Charles Comte cl Paul Lai:momeii. Ronsard et les musiciens «lu xvi« siècle... 341
Jules Tboubat. Sainte-Beuve et les Mémoires d'outre- tombe 382
Emile Picot. Chants historiques français du xvie siècle (suite) 409
PiïirE Brcn. A travers les manuscrits inédits de Tallemant des Réaux (fin)... 430
Paul et Tictor Glaciiayt. Le manuscrit autographe. d'IIcrnani 517
Paul Bokxekon. Jean-Baptiste Rousseau et Lenglet. du Fresnoy 546
Louis Clément. Antoine de Cucvara, ses lecteurs et ses imitateurs français au
xvi* siècle 590
Rixe Radoua.nt. Recherches bibliographiques sur Guillaume Du Vair et corres-
pondance inédite {fin) 603
Mélanges.
P. Toldo. Un imitateur ou un inspirateur de Rabelais 122
£. G ris elle. Un fragment inédit de Ledieu sur l'éducation du Dauphin 126
A. Delroulle. Charron plagiaire «le Monl aigne 284
E. Parturier. Une source probable du fragment de Pascal sur l'infini en peti-
tesse 297
P. B. Louis Racine et la correspondance de Jean-Baptiste Itousscaii 299
Eugène Ritter. Les enfants de Jean-Jacques Rousseau 314
Ecokxb Rittbr. Le sermon tics Cinquante 315
<j. Michaut. Sur le Port- Royal de Sainte-Beuve 316
P. B. Vn poème inédit, de Claude Perrault 4i9
Victor Giraud. Bibliographie des oeuvres de Taine 173 et 645
Léo* G. Pélissibr. Les correspondante du duc de Noailles (suite) 624
Comptes rendus.
Louis Clément. Henri retienne et son ivuvre française (Kmile Roy) 144
Raymond Toinet. Quelques recherches autour des poèmes héroïques-épiques
français du xvn* siècle (R. llarmand) 148
F. T. Perrfns. La littérature française au xix'' siècle (Pierre Brun) 149
Karl Mantrics. Skuespilkunstens Historié (Histoire de l'art dramatique) (Kx.
Nyrop) 320
690 TABLE DES MATIÈRES.
Sainte-Beuve. Causeries du lundi, Portraits littéraires et Portraits de femmes;
extraits avec une introduction par Gustave Lanson (Charles-Marc Des Granges). 321
F. Auousto de BENEpEirr. Il pessîmismo nel La Bruyère (L. G. Pélissier) 490
C. Latreillb. La lin du théâtre romantique et François Ponsard (Marius
Roustant 490
Maurice Clouard. Documents inédits sur Alfred de Musset (P. B.) 495
Firmin Maillard. Le salon de la vieille dame à la tête de bois (P. B) 496
Eugène Rigal. Victor Hugo poète épique (Edmond Huguet) 666
Prospeii Mérimke. Lettres inédites [publiées par Félix Chambon] (P. B.) 669
Barbey d'Aurevilly. Lettres à M. Trébutien. Extraits (1843-1851) [publiées par
le comte A. de Blangy] (P. B.) 611
Périodiques 151, 324, 497 et C7i
Livres nouveaux 157, 330, 503 et 679
Chronique 161, 334, 507 et 683
Questions.
Epictète chrétien (Victor Giraud) 1 07
Benserade ou Bcnsserade? (Curiosus) 167
La fille de Marceline Desbordes- Val more (J. P.) 167
Le manuscrit d'un sermon de Bossuet (fi. U.) 167
Une comédie française à retrouver (Kr. Nyrot) 339
Sur un chapitre énigmatique de Balzac (J. Tbissier) 3 40
Quelle est la source de l'épisode du tisserand dans • Jocelyn » (Ciiateauport). 688
Réponses.
La fille de Marceline Desbordes-Valmore (P. B) 168
Sur un chapitre énigmatique de Balzac (P. B.) 340
Le Gérant : Paul Bonnefon.
Coulommiers. — Jmp. Pf BRODARD.
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7' an née» H 4t
15 Octobre 1&00,
Revue
d'Histoire littéraire
de la France
SOMMAIRE
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Vaut «mmmH«« Jean Baptiste Il nu &t eau et ieiiglât du Fr*8i\ny
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IV Périodique. - S Livras nouveaux — V[. Chrùhitfue,
Librairie Armand Colin
Publication trimestrielle de la Société d'Histoire littéraire de la Franco
Société d'Histoire littéraire de la France
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M. Gaston PARIS.
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M. Paul BONNEFON,
M- Gaston HUISSIER,
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Conseil d'administration :
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Latin, p;n MM OtHOR I TJ&Kii, tuiitr
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Notions d'Histoire littéraire
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I* Vocabulaire français : MotS dérivés du Latîfl et du GreCf
4 25: ici 1 1 5 5(J
Psychologie de la Femme, par bi
3 50
Leçons de Psychologie a
4 50
Leçons de Morale
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