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Full text of "Revue du Nivernais"

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REVUE 


DU 


NIVERNAIS 


REVUE 


DU 


NIVERNAIS 


RECUEIL  MENSUEL  ILLUSTRE 


Directeur  :    ACHILLE     MILLIEN 


TOME  V 
1900-1901 


REDACTION   KT   ADMINISTRATION  : 

à  BEAUMONT-LA-FERRIÈRE  (Nièvre) 


NEVERS 

IMPRIMERIE     DE      LA      NIÈVRE 
2i,  avenue  de  la  Gare,  24. 

19  00 


75 


I87ST 


53 


ÛOU 


B5 


2830 


QUAUTV  COMTROC  MARK 


0  DIVORCE! 


•  Tout  est  bien  qui  finit  bien.  • 


NE  admirable  après-midi  du  mois  d^avril 
à  Paris. 

Le  brumeux  hiver  a  fui  avec  son  man- 
teau de  froidure  et  de  frimas  ;  la  gaie 
et  riante  saison  du  printemps  lui  a  suc- 
cédé. Les  parcs,  naguère  dénudés  et 
bleuâtres,  ne  sont  maintenant  que  ver- 
dure :  les  pelouses  sont  couvertes  d'un 
moelleux  tapis  d'émeraude,  et  les  arbres 
eochevelés  d'un  jeune  feuillage.  Déjà  même  quelques  lilas  ont  la 
couleur  charmante  et  navrante  des  robes  de  demi-deuil. 

Il  fait  un  temps  splendide  :  un  ciel  superbe  :  pas  le  moindre  nuage. 
Le  soleil  darde  ses  rayons  obliques,  découpant  des  festons  d'or  dans  les 
arbries  qui  bordent  les  grandes  voies  parisiennes  et  promenant  sur  les 
toitures  des  maisons  un  glacis  vermeil,  piqué  de  lueurs  incandes- 
centes. 

A  ce  moment,  les  rues  de  Paris  offrent  au  regard  leur  animation 
cootumiëre.  Une  foule  de  flâneurs  et  de  gens  affairés,  d'hommes  et  de 
femmes,  encombrent  les  trottoirs^  se  hâtent  ;  les  voitures  et  les  tram- 
ways s^entrecroisent,  roulant  en  deux  courants  contraires  avec  ce  bruit 
assourdissant  tant  aimé  du  boulevardier... 

D'un  coquet  hôtel  de  la  rue  Denfert-Rocliereau,  trois  dames  sortent 
ao  moment  où  commence  ce  récit,  et  demeurent  un  instant  hésitantes 
sur  le  refuge. 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Elles  sont  toutes  les  trois  ravissantes  ;  elles  méritent  également 
d'attirer  le  regard  et  de  fixer  l'admiration,  et  par  Télégance  sûre  de 
leur  mise,  et  par  la  grâce  chatoyante  de  leur  personne.  Mais  deux 
d'entre  elles  ont  principalement  ce  flatteur  privilège.  D'ailleurs  elles  se 
ressemblent  beaucoup,  mais  l'une  plus  âgée  que  Tautre  :  l'on  devine 
facilement  en  ces  deux  personnes,  la  mère  et  la  fille. 

La  mère,  —  M"»«  la  marquise  de  Trasson,  —  peut  compter  une 
quarantaine  d'années  :  quelques  rides  précoces  et  quelques  fils  d'argent 
aux  tempes  annoncent  du  moins  cet  âge.  Elle  est  grande,  mince  et 
svelte  encore  ;  sa  physionomie  est  expressive  et  spirituelle  ;  ses  traits 
fins  et  réguliers.  Elle  a  l'arc  de  la  bouche  finement  dessiné,  un  nez 
grec  aux  narines  délicates,  un  front  droit  et  blanc  ;  des  yeux  noirs 
brillants  et  durs. 

Sa  fille  porte  une  vingtaine  d'années.  Elle  aussi  a  les  traits  réguliers 
et  délicats,  les  lèvres  roses,  les  dents  belles  et  d'un  blanc  laiteux,  un 
menton  petit  et  bien  arrondi.  Mais  ses  yeux,  vifs  et  malicieux,  sont 
bleus  et  voilés  de  longues  paupière$  terminées  par  des  cils  soyeux  et 
épais,  ce  qui  leur  donne  une  douce  fascination.  Ses  sourcils  bien 
dessinés  et  son  front  uni  et  pur,  respirant  le  calme,  augmentent  la 
sérénité  de  son  beau  visage. 

La  troisième  dame,  toute  jeune  aussi,  W^"^  Armelle  d'Andic  de 
Kermor,  —  une  amie  de  M^^®  de  Trasson,  —  a  une  physionomie  agréable 
et  spirituelle,  une  chevelure  noire  comme  la  nuit,  et  des  yeux  bleus 
comme  le  myosotis  des  fontaines.  Sa  prunelle  candide  a  cette  humidité 
veloutée  de  la  fleur  qui  se  relève  au  matin,  encore  chargée  de  sommeil 
et  de  rosée... 

Elles  se  mêlent  intrépidement  à  la  foule.  Elles  gagnent  le  boulevard 
Saint-Michel.  Arrivées  à  cet  endroit,  elles  s'aventurent  hardiment  au 
milieu  d'une  cohue  de  voitures  se  croisant  en  tous  sens,  cherchant  à 
gagner  le  refuge  opposé. 

Soit  qu'elle  n'ait  pas  l'habitude  de  cette  confusion,  soit  plutôt  qu'en- 
gagée dans  cette  cohue,  elle  ait  perdu  la  tête,  M^^»  de  Trasson  hésite, 
affolée,  entre  les  équipages,  cherche  une  issue,  à  gauche,  à  droite, 
devant  elle  et  derrière,  se  voit  enveloppée  et  finalement,  avec  un  grand 
cri  de  détresse,  vient  se  jeter,  inconsciente,  à  la  tète  de  deux  superbes 
alezans  arrivant  à  grand  trot. 

Le  cocher,  avec  un  juron  sonore,  ramène  violemment  les  bétes  en 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  7 

arrière.  Mais  cet  arrêt  subit  ne  sauverait  pas  la  jeune  fille,  si,  d*un  élan 
irréfléchi,  mais  avec  une  vigueur,  une  agilité,  une  décision  peu 
commune,  un  passant  n'eût  bondi  à  la  tête  des  chevaux.  Ceux-ci, 
surpris,  étourdis,  se  cabrent  à  pic,  puis,  ramenés  par  le  poids  du  corps 
de  cet  homme  qui  s'est  laissé  pendre,  s'arrêtent  court. 

Sans  prendre  garde  aux  injures  de  Tautomédon,  et  aux  exclamations 
d'une  demi-douzaine  de  dames  très  élégantes  qui  se  penchent  à  la 
portière  et  poussent  des  cris  d'épouvante,  le  hardi  passant,  —  un  jeune 
homme,  —  saisit  dans  ^es  bras  vigoureux  la  voyageuse  pâle,  prête  à 
défaillir  et  la  porte  sur  le  refuge. 

Redevenant  alors  maltresse  d'elle-même,  cette  dernière  balbutie  : 

—  Merci,  monsieur  ! 

Et  se  précipite  au  secours  de  sa  mère  qui,  éperdue  à  la  vue  de  sa 
fille  en  danger,  a  jeté  un  cri  plein  d'angoisse  et  de  terreur,  fermé  les 
yeux  et  chancelé  dans  les  bras  de  M*'«  de  Kermor. 

Le  hardi  sauveteur,  ému  lui-même  et  plus  encore  peut-être  ébloui, 
fasciné  par  la  beauté  étrange  de  la  belle  créature  qu'il  vient  de  sous- 
traire à  un  péril  imminent,  répond  machinalement  : 

—  Il  n'y  a  pas  de  quoi,  mademoiselle.  Tout  le  monde  en  eût,  avec 
bonheur,  fait  autant  à  ma  place. 

Puis,  s'arrachant  à  sa  muette  contemplation,  il  poursuit  son  chemin. 


•% 


Cet  intrépide  et  fortuné  passant  s'appelle  Albert  Dieudonné  d'Estay, 
comte  de  Bareul. 

C'est  un  homme  de  lettres  déjà  connu,  malgré  son  jeune  âge,  et  un 
conférencier  aimé. 

Grand,  châtain,  de  tournure  distinguée,  il  a  des  yeux  gris  veloutés, 
bien  francs  et  bien  ouverts  ;  la  moustache  longue  et  soyeuse  et  genti- 
ment retroussée  du  bout  ;  le  front  haut  et  blanc  ;  le  teint  bronzé,  ce 
qui  fait  ressorLir  l'éclal  de  ses  dents  et  le  feu  de  ses  prunelles. 

Il  est  chez  lui  à  présent,  au  premier  d'une  coquette  maison.  Il 
s'appuie  nouchalamnient  à  un  bureau  chargé  de  livres  et  de  pape- 
rass<?s^  et  rêve**,  car  son  esprit  est  loin  ;  il  est  demeuré  boulevard 
Saiitl-Michel,  en  contemplation  devant  le  radieux  visage  de  la  jeune 
fille  si  délicieusement  rouge  d'émotion  lorsqu'elle  le  remercia. 


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8  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Toutes  ses  pensées  se  reportent  à  cette  scène.  Il  ne  peut  travailler. 
Inconsciemment,  il  écrit  ces  vers  au  hasard  de  l'improvisation  : 

Fleur  éclose  aa  baiser  d'une  brise  enchanteuse  1 
Bel  astre  éblouissant  de  clarté  radieuse  ! 
Etre  mignon  pétri  de  grâce  et  de  candeur 
Qui  cbarme  le  regard  et  captive  le  cœur  !... 

Tes  beaux  yeux  sont  rieurs,  ta  voix  mélodieuse, 
Ton  minois  cbiffbnné,  ta  taille  gracieuse  ; 
Ton  doux  sourire  égayé,  éloignant  la  douleur 
Comme  un  rayon  du  soir  sur  une  blanche  fleur  I... 


Oh  !  combien  est  heureux  qui  reçoit  ce  trésor  I  ! 

De  nouveau,  il  songe,  son  esprit  se  perd  dans  une  vague  rêverie.,  et 
dans  sa  rêverie,  il  répète  : 

Oh  1  combien  est  heureux  qui  reçoit  ce  trésor  1 1 

Et  ce  vers,  en  bourdonnant,  éveille  en  lui  des  sensations  jusqu'alors 
Ignorées  :  l'amour,  le  bonheur,  le  mariage  !  Le  mariage,  dont  naguère 
encore  il  ne  voulait  pas  entendre  parler!...  Des  visions  Téblouissent 
et  toutes  les  cloches  de  Téglise  voisine  chantent  dans  sa  tète,  ardentes 
et  gaies... 

Soudain,  Ton  frappe  à  la  porte. 

Comme  l'écolier  en  faute,  il  rougit,  cache  précipitamment  la  feuille 
ae  papier  sur  laquelle  il  vient  d'écrire,  et  tire  à  lui  un  volume  énorme 
qu'il  ouvre  au  hasard,  sans  prendre  garde  qu'il  le  tient  à  l'envers.  Il 
crie  : 

—  Ouvrez  ! 

Un  domestique  entre,  portant  une  lettre.  C'est  une  invitation  pres- 
sante de  la  part  d'une  amie  de  la  famille  d'Albert,  la  baronne  de 
Terray,  à  une  petite  soirée  que  celle-ci  offre.  C'est  une  soirée  presque 
de  famille,  organisée  à  la  hâte.  On  l'attend  donc  sans  faute,  le  lende- 
main. On  n'admet  aucune  excuse... 

L'hôtel  de  la  baronne  de  Terray,  boulevard  Malesherbes,  près  du 
parc  Monceau. 

A  chaque  porte,  un  laquais  superbe,  en  livrée  somptueuse,  pour 
introduire  les  invités. 


REVUE  DU   NIVERNAIS.  9 

Neuf  heures  et  demie  du  soir. 

Dans  le  salon  splendidc,  éclatant  de  lumière,  M.  d'Estay  est  seul 
avec  la  maîtresse  de  céans. 

—  Vous  avez  bien  fait  d'être  assez  aimable  pour  accepter  mon  invi- 
tation, dit  cette  dernière.  Précisément,  nous  avons  ce  soir  de  char- 
mantes inconnues. 

Albert  se  soucie  fort  peu  d'un  tel  honneur.  Son  esprit  est  toujours 
en  quête  de  la  charmante  voyageuse  qu'il  n'a  fait,  hélas!  qu'aperce- 
voir. Néanmoins,  il  sourit  : 

—  Sont-ce  des  noms  de  plus  sur  votre  liste  ? 

—  Eh  !  pourquoi  non  ?  Toutes  sont  jeunes,  riches,  de  bonne  famille 
et  quelques-unes  belles  à  ravir.  Que  pouvcz-vous  désirer  de  plus? 

—  Evidemment  rien,  chère  madame. 

—  Eh  bien!  Faites  donc  votre  choix.  Votre  bonne  mère  serait  si 
heureuse  d'avoir  une  charmante  bru  à  chérir,  en  attendant  que  vous 
lui  donniez  de  beaux  petits-enfants  à  dorloter. 

—  Nous  n'en  sommes  pas  encore  là,  madame,  dit-il  rêveur. 
Elle  le  considère. 

—  Ah!  çà,  qu'avez-vous  donc?  Que  vous  est-il  arrivé?  Vous  n'êtes 
plus  le  même  que  les  autres  fois. 

Alors  il  raconte  simplement,  brièvement,  mais  sans  rien  omettre, 
ce  qui  s'est  passé  boulevard  Saint  Michel,  puis  son  trouble  depuis  la 
radieuse  apparition  qui  est  l'objet  de  toutes  ses  pensées... 

A  ce  moment,  l'on  annonce  M^n®  la  marquise  de  Trasson.  Celle-ci 
s'avance,  suivie  de  sa  fille. 

Comme  M»n«  de  Terray  présente  M.  d'Estay  comte  de  Bareul,  la 
marquise  de  Trasson  répond  au  compliment  de  celui-ci. 

—  Je  suis  plus  avancée  que  vous.  Je  vous  ai  déjà  vu. 
.    W-...^,  Miuuaiii. ,  jVpoiid  xVllR'it  libyiiounli. 

—  Maison}, monsieur  lépreux  chuvaliur.  Nous  nous  sommes  déjà 
rencoïilrés. 

—  Ed  vérité,.,,  bégaya  le  jeune  liomuie. 

—  Ignorez- VOUS  donc,  reprend  M""^  de  Trasson  s\i  ri  redisant  i\  son 
amie,  que  monsîijur  si*  fait  un  jeu  de  sauver  les  jeunes  personnes  en 
péril  cTécraîiement  sur  la  voie  publique. 

Et  un  niËme  t^mp»,  elle  &e  retourne  vers  sa  filte  qu*All>ort  n*a  pu 
encore  dUtinj^uer  et  reconnaître. 


10  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

—  Ah  I  madame,  s'écrie-t-il  en  rougissant  malgré  loi,  c' estime  bien 
petite  affaire. 

—  Petite  affaire?  proteste-t-elle.  Vous  êtes  modeste.  Dites  que  vous 
avez  sauvé  la  vie  à  ma  fllle.  Je  suis  heureux  de  vous  rencontrer  ici, 
monsieur,  afln  de  pouvoir  vous  témoigner  ma  reconnaissance,  n'ayant 
pu  le  faire  sur  le  champ  même  de  votre  brillant  exploit... 

Quelle  soirée  délicieuse  pour  M.  d'Estay!...  Comme  elle  lui  parait 
courte,  l'heure  du  départ  arrivée  !... 

Quand  M°>«  de  Trasson  prend  congé  de  M°»«  de  Terray,  il  a  une  sorte 
de  tremblement  dans  la  gorge  et  sa  main  trahit  dans  son  étreinte  le 
trouble  profond  qu'il  éprouve,  en  prenant  la  main  gantée,  longue  et 
fine  qu'elle  lui  tend. 

Puis  au  moment  de  se  retirer,  lui-même,  se  trouvant  en  tête  à  tète 
avec  M°>®  de  Terray,  il  satisfait  à  Tinterrogalion  muette  des  yeux  de 
celle-ci. 

—  Madame,  je  n'ai  rien  à  vous  apprendre.  Malgré  moi,  ma  conte- 
nance vous  a  instruite  et  édifiée,  dit-il  d'un  ton  qu'il  s'efforce  de  rendre 
badin. 

—  Je  crois,  en  effet,  deviner  ce  qui  vous  reste  à  m'avouer.  Vous 
€  r  »  aimez,  n'est-ce  pas  ? 

—  Oui  ! 

—  Enfin  !  murmura  la  baronne  avec  un  malicieux  sourire. 

(A  suivre.)  «•• 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  11 

DORS! 

BERCEUSE 

Mon  âme  lasse  est  endormie 
Dans  le  soir  d'ombre  qui  s'endort  ; 
Dors  sur  mon  cœur,  ô  mon  amie, 
D'un  sommeil  doux  comme  la  mort. 

Une  mourante  défaillance 
Monte  dans  la  brume  du  soir 
Qui  balance  dans  le  silence 
Des  arômes  bleus  d*encensoir. 

Les  trembles  aux  feuilles  tremblantes, 
Tremblantes  comme  des  baisers, 
Aux  caresses  des  brises  lentes, 
Tremblent  comme  des  cœurs  brisés. 

Chère,  n'écoute  plus  la  vie 
Qui  pleure  et  sanglote  là-bas  ; 
Le  soir  se  voile  d'agonie  ; 
...  Ne  parle  pas,  ne  parle  pas... 

Sur  ton  visage  calme  et  pâle. 
Aux  pâleurs  blanches  de  linceuls^ 
Referme  tes  grands  yeux  d'opale  ; 
Dors,  mon  amour  !  Nous  sommes  seuls  1 

...  0  solitude  de  mystère! 
,.>  Ne  parle  pas,  même  en  rêvant  ; 
Dors  I  Mon  âme,  coinmo  une  mère, 
Te  bercera  comme  une  enfant... 

Le  soir  s'endort  sous  les  blancs  voiles 
Ou  rêve...  Nous  allons  dormir. 
..,  Le  soir  se  meurt  dans  les  étoiles; 
...  Nous  allons  peut-être  mourir. 

Febnand  Richard. 


12  REVUE   bC  .X1\ER5AIS. 

UN  PETIT-FILS  DE  CORNEILLE  A  NEVERS 

Des  quatre  fils  de  Corneille,  un  mourut  en  1665  étant  encore  au 
collège,  un  autre  fut  tué  à  Tamiée  en  1674  sans  avoir  contracté  de 
mariage,  un  troisième  embrassa  Têlat  ecclésiastique  et  obtint  le  béné- 
fice d'Aigues-Vives  en  Touraine.  La  descendance  de  Tauteur  du  Cid 
ne  put  donc  être  continuée  que  par  l'aine  d^  tous,  portant,  comme  son 
père,  le  prénom  de  Pierre.  Celui-ci,  devenu  capitaine  de  cavalerie  et 
gentilhomme  oi^diuaire  du  roi,  êpnisa  une  demoiselle  Cauchois  ou 
Lecauchois.  Par  ce  mariage  fut  Kgilimé  un  fils  qui,  au  commencement 
du  dix-huitième  siècle,  habitait  Nevers. 

Par  suite  de  quelles  ciivonslances  elail-il  venu  s'établir  dans  cette 
ville?  Comment  avait-il  êlé  amené  à  se  fixer  au  centre  de  la  France, 
dans  une  province  où,  semble-t-il,  ne  Tappt^lait  aucun  intérêt?  Nous 
rignomns.  Toujom^s  est-il  qu'en  1717  il  habitait  pan>isse  Saint-Arigle 
et  se  livrait  au  commeiw  des  Ihms. 

L'acte  suivanUuscrit  sur  les  n»gislres  de  rèlal  civil,  nous  apprend 
quMI  s'y  maria  en  celle  année  :  «  Le  douziesme  aoust  ont  été  receus  à 
la  bénédiction  nuplialle  Pierre- Alexis  Corneille,  sire  d'Onille,  fils  de 
delTimcl  Pierre  Corneille,  lH>urgeois  de  Paris,  et  de  deffuncte  Marie 
Lecauchois,  de  celle  paroisse,  d'une  p;\rt,  et  Bénigne  Larmanat,  fille 
d'honorable  homme  Lév>nanl  Lirmanal,  marchand,  et  de  deffuncte 
Marit^Cenlil,  de  la  pamisse  de  Flenr\,  apK^s  la  publication  de  trois 
bans  dans  celle  pai\>isse,  sans  aucune  op|Msilion,  veu  la  rendue  du 
sieur  curé  de  Fleury  du  4  aousl  1717,  signée  Chevallier,  curé  de 
Fleury,  et  la  permission  de  Monseigneur  Févesque  du  17  juin  1717, 
signéo  révcs(|ue  de  Nevei^s,  mariage  fait  sans  aucune  opposition,  en 
présence  du  père  de  la  demoiselle  Uirmanat  et  autres  parents  et  amis 
soussignés.  Signé  Corneille  dH>rville,  l^irmanat.  Gentil,  Larmanat, 
Chaslellain,  Ctnlln,  (îuynel,  vîcairt^  *. 

On  peul  remarquer  Tlnsislance  du  célébrant  à  énoncer  l'absence 
d'oppo^llion  au  mariage  ;  Il  y  ïvNient  deux  fois.  Pourquoi?  En  quoi 
une  permission  tie  TéNèque  élail-elle  niVoss;dre,  le  mariage  ayant  lieu 
devant  le  propn^  curé  de  Tune  des  parties?  Ijx  famille  Larmanat  devait 
habiler  Fleury-nm-Li^Ire  ih^puls  peu  de  temps;  auparavant,  elle  était 
établie  A  N«w«'rH,  nt'i  uouh  Noyions  bapliser  plusieurs  enfants  entre  les 
années  HiK^el  1711.  Itéulgue  asail  élé  baplistv  à  Nevers  le  15  octobre 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  13 

1698.  Son  père,  Léonard,  était  marchand  et  sieur  desTardys,  actuelle- 
ment commune  de  Neuville-les-Decize.  Le  marié  prend  le  titre  de  sire 
d'Orville ;  d'où  lui  venait  il?  Dans  tous  les  autres  actes  passés  à Nevers, 
Pierre-Alexis  est  qualifié  simplement  marchand. 

Les  époux  Corneille  eurent  plusieurs  enfants  :  un  fils  ondoyé  le 
naoûtniS;  unefllle,  nommée  Marie-Anne,  baptisée  le  21  octobre 
1719;  un  fils,  nommé  Hugues,  baptisé  le  17  juillet  1722,  et  une  fille, 
nommée  Marguerite,  baptisée  le  26  décembre  1723.  Puis  ils  allèrent 
habiter  Neuville-les-Decize,  pays  de  bois,  où  ils  se  trouvaient  proba- 
blement plus  commodément  pour  leur  commerce.  C'est  là  que  mourut 
Bénigne  Larmanat. 

Le  22  novembre  1729,  Pierre-Alexis  Corneille  épousa  en  secondes 
noces  Françoise  Petit,  fille  de  Jean  Petit,  marchand  poêlier,  et  de 
Marguerite  Durand,  de  Nevers. 

Le  fils  ondoyé  en  1718  reçut  les  prénoms  de  Claude-Elienne.  Il  fut 
père  de  Jeanne-Marie  et  de  Pierre-Alexis  Corneille.  La  première  fut, 
pour  ainsi  dire,  adoptée  comme  pupille  par  Malesherbes,  qui  obtint 
pour  elle  une  pension  de  Louis  XVI  comme  descendante  du  grand  poète. 

Le  fils,  marié  à  son  tour,  fut  père  de  plusieurs  enfants,  dont  un, 
nommé  également  Pierre- Alexis,  devint  professeur  au  collège  de 
Rouen  (1). 

J'ai  cru  qu'il  était  intéressant  de  rappeler  ces  souvenirs,  bien  peu  de 
Nivernais  sachant  qu'un  pelit-fils  du  grand  Corneille  a  habité  leur  ville. 

Ed.  Duminy. 


LES  ANNUAIRES  ET  ALMANACHS 

DE  LA  NIÈVRE  (Suite) 

Limprimeur  Laurent,  successeur  de  Lefebvre,  reprend  en  1831,  les 
éditions  de  VAlmanach  de  la  Nièvre.  Il  s'adresse  à  tous  les  habitants 
pour  obtenir  des  renseignements  qu'il  insérera  chaque  année,  jusqu'au 
15  novembre. 

Constatons  à  la  date  de  1830,  qui  porte  la  chute  de  la  monarchie 
traditionnelle  de  la  branche  aînée  de  la  famille  royale,  les  bienfaits 
delà  paix  pénétrant  peu  à  peu  dans  les  campagnes  et  produisant, 

(I)  Il  fui  inspecteur  d'académie,  maire  de  Maucomble  et  député  au  Corps  léjçislalif. 

(N.   D.  L.  R.) 


14  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

sans  grosses  dépenses,  une  sérieuse  amélioration  morale  et  matérielle 
si  utile  au  peuple. 

Jusqu'en  1815,  les  services  administratifs  sont  absorbés  par  la 
guerre  qui  emploie  tous  les  hommes  jeunes  et  tous  les  impôts.  En 
1829,  TAlmanach  contient  les  chapitres  relatifs  à  tous  les  services 
occupés  par  des  fonctionnaires  en  titre,  peu  nombreux,  insuffisants, 
trop  peu  payés,  mais  dévoués  au  gouvernement  et  tout  entiers  consa- 
crés au  devoir  de  leur  charge.  L'élan  est  donné,  le  but  est  entrevu,  on 
comprend  la  nécessité  des  routes,  des  canaux,  des  établissements  et 
constructions  qui  développent  les  travaux  d'industrie  et  d'agriculture 
dans  les  campagnes  jusqu'ici  sacrifiées. 

Nous  allons  suivre  ce  mouvement  sous  l'administration  de  Louis- 
Philippe,  mais,  en  historien  impartial,  Almanach  départemental  sous 
les  yeux,  il  faut  constater  qu'en  1829  tous  les  éléments  administratifs 
locaux  existent  et  fonctionnent  régulièrement,  à  la  satisfaction  de  tous 
les  habitants. 

Rappelons  les  faits  généraux  cités  dans  l'Almanach  de  1831  : 

La  charte  constitutionnelle  jurée  par  Louis-Philippe,  le  9  août  1830. 
Les  ministres  MM.  LaOtte,  finances;  maréchal  Soull,  guerre;  comte 
Sébastiani,  relations  étrangères;  comte  d'Argoull,  marine;  Mérilhon, 
instruction  et  cultes  ;  Dupont  (de  TEure),  justice  ;  de  Montalivet, 
intérieur. 

Sur  430  députés,  la  Nièvre  en  avait  quatre  :  MM.  Dupin  aîné, 
L.  Boigues,  le  comte  Hector  d'Aunay,  Philippe  Dupin. 

Suivons  maintenant  l'ordre  des  chapitres  qui  se  présente  à  peu  près 
le  même  avec  quelques  modifications  et  surtout  des  changements  de 
noms. 

Cour  royale  de  Bourges,  M.  Mater,  premier  président. 

La  cour  d'assises  siège  à  Nevers  ;  l'organisation  du  jury  est  réglée 
par  la  loi  du  2  mai  1827. 

Le  chapitre  déjà  inséré  dans  lés  volumes  précédents  :  idée  générale 
du  département,  est  une  description  sommaire  des  limites,  rivières, 
villes,  supcificie,  productions,  forges,  mines,  etc.  Il  y  a  25  hauts-four- 
neaux, 20  grosses  forges  et  100  petites,  consommant  500  mille  cordes 
de  charbonnages,  occupant  25,000  ouvriers.  Un  vaste  établissement  à 
Fourchambault,  commune  de  Garchizy,  sur  le  bord  de  la  Loire,  pour 
l'étirage  du  fer,  d'après  le  mode  anglais. 


REVUE  DU  NIVERNAIS  15 

M.  le  comte  Dulac-Montvert,  préfet.  H.  Em.  de  Champs,  secrétaire 
général. 

M^  Charles  de  Douhet  d'Auzers,  évêque,  sacré  à  Paris  le 
6  septembre  1829.  Diverses  cures  et  succursales  du  diocèse. 

Sous-préfectures,  cantons  et  communes  du  département  avec  popu- 
lation, maires,  adjoints,  distances  légales. 

Tribunal  de  première  instance,  M.  Decolons  de  Vauzelle,  président, 
juges,  avocats,  avoués  ;  tribunal  de  commerce  et  liste  des  notables 
commerçants  ;  bourse  de  commerce;  justices  de  paix  dans  les  cantons; 
notaires  royaux,  huissiers,  commissaire-priseur,  poids  et  mesures. 

M.  Desveaux,  maire  de  Nevers,  et  30  conseillers  municipaux.  Parmi 
les  services  dépendant  de  la  municipalité,  l'éclairage  de  la  ville  se 
compose  de  165  réverbères,  coûtant  un  entretien  de  11,950  fr.  par  an. 

Bureau  de  bienfaisance,  prisons,  hospice,  service  de  santé. 

Puis  tous  les  services  des  finances,  cadastre,  percepteurs,  contribu- 
tions indirectes,  octrois,  enregistrement  et  domaines.  Eaux  et  forêts, 
ponts  et  chaussées,  mines,  canaux,  postes. 

Administration  des  sous-préfectures  avec  les  mairies  de  chaque 
arrondissement. 

A  La  Charité,  maison  de  refuge  dirigée  par  des  sœurs  de  Saint- 
Augustin,  où  Ton  reçoit  les  fous,  idiots  et  épileptiques. 

Haras  royal  à  Corbigny  pour  la  Nièvre,  l'Allier,  le  Cher,  où  sont 
répartis  50  étalons  de  toutes  races. 

La  subdivision  militaire,  comprenant  la  Nièvre  et  l'Allier,  est  com- 
mandée par  le  baron  Dautancourt.  Un  corps  royal  d'artillerie  est 
chargé  de  l'inspection  des  travaux  pour  l'Etat  dans  les  forges.  Des 
gîtes  d'étapes  existent  dans  les  principales  villes  du  département. 

La  gendarmerie  se  compose  de  120  hommes.  La  garde  nationale 
forme  deux  bataillons  en  huit  compagnies. 

La  marine  continue  les  forges  royales  de  La  Chaussade  à  Guérigny 
et  la  fonderie  de  canons  à  Nevers. 

La  navigation  intérieure  comprend  17  ports  dans  le  parcours  delà 
Loire  depuis  Cercy  jusqu'à  Neuvy,  destinés  au  chargement  des 
charbons. 

Parmi  lès  collèges  et  écoles,  on  trouve  les  mêmes  qu'en  1829,  sauf 
une  école  dite  d'enseignement  mutuel,  remplacée  par  les  frères  en 
1824  et  rétablie  le  15  novembre  1830  par  le  nouveau  maire  de  Nevers, 
qui  doit  faire  construire  un  local  pour  500  enfants. 


16  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

L'école  de  La  Charité  est  toujours  florissante  ;  elle  prend  le  nom 
d'institution,  réservant  celui  de  collège  aux  sous-préfectures. 

Le  recensement  officiel  de  1826  porte  la  population  de  Nevers  à 
15,782  habitants. 

Les  deux  assurances  contre  l'incendie  sont  la  Mutuelle  et  le  SoUil. 

En  1832  paraît  un  Annuaire  administratif  et  commercial  de  la  Nièvre^ 
sous  la  direction  de  G.  Thomas,  chef  de  bureau  à  la  préfecture, 
imprimé  par  les  presses  de  Thomas,  sans  doute  son  parent,  place  du 
Château.  Même  format  in-1 8.  Il  débute  par  une  notice  topographique 
et  statistique,  puis  une  partie  historique,  puis  viennent  les  fonction- 
naires des  divers  services  dans  le  même  ordre  que  l'Almanach  II  y  a 
(p.  152)  une  notice  sur  le  canal  latéral  à  la  Loire  et  le  canal  du  Niver- 
nais. Des  hospices  (p.  162)  établis  dans  presque  tous  les  cantons 
témoignent  de  la  sollicitude  pour  les  populations  L'organisation  des 
gardes  nationales  (p.  192)  contient  l'effectif  par  communes  avec  les 
noms  de  tous  les  officiers.  Notes  sur  les  usines  et  les  rivières  (p.  220). 

(A  suivre.)  René  de  Lespinasse. 


LA  MARGUERITE  ET  LA  ROSE 


Un  papillon  bleu  butinait. 
Glorieux,  au  cœur  d'une  rose. 
«  Tardez  encore  un  tantinet  b, 
Lui  dit-elle,  «  j'ai  quelque  chose 
»  A  vous  conter.  Dans  le  gazon, 
B  Voyez-vous  cette  marguerite, 
>  Echappée  à  la  fenaison  ? 
B  Elle  prétend  à  mon  mérite 

»  Comparer  son  modeste  sort  !  » 
Le  papillon  prit  son  essor, 
Pour  se  dégager  de  la  Reine 
Des  Fleurs,  voulant,  sans  parti  pris. 
Avec  une  équité  sereine, 
Juger  comme  un  nouveau  Paris. 

—  «  Soulevez  un  peu  votre  lige, 

»  Que  l'on  vous  voie  ;  expliquez-vous  ! 

»  Osez-vous  nier  le  prestiee 

»  D'une  fleur  qu'on  offre,  a  genoux, 

))  A  la  Beauté,  quand  on  l'implore  ; 

•  Le  parfum  qu^aspire  l'Aurore 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  17 


f 


En  s'éveillant  chaque  matin  ; 

>  Les  couleurs  que  le  soleil  donne, 
»  Pendant  le  mois  de  la  Madone, 

»  A  ses  parures  de  satin  ? 

»  Je  vous  accorde  quelques  charmes  : 
B  Votre  cœur  est  un  bouton  d'or; 
»  La  Rosée  a  pour  vous  des  larmes, 
»  Et  vous  êtes  le  doux  trésor 

•  Du  pâtre  et  de  la  bergerelte. 
3  Sur  votre  blanche  collerette 
»  Le  bluet  se  penche  rêveur; 

1  Le  coquelicot  vous  dédaigne. 

»  Hais,  si  dans  les  grands  blés  il  saigne, 

1  C'est  qu'il  vous  trouve  sans  saveur  ! 

»  Allons,  inclinez-vous,  fleurette, 
»  Humiliez  la  pâquerette, 

>  Qui  vous  croit  la  Reine  des  prés, 
»  Mais  respectez  la  souveraine 

1  Des  jardms,  où  la  Nuit  ramène 
»  De  beaux  couples  énamourés  !  » 

—  «  J'ai  compris,  je  serai  modeste, 
»  Et  plus  que  vous,  beau  papillon  ! 
»  Oubliez-moi  dans  mon  sillon, 

M  Mais  permettez  que  je  proteste  ; 
1  Vous  avez  invoqué  l'Amour, 
1  Je  veux  en  parler  à  mon  tour. 

1  Ces  couples,  qu'un  baiser  enlace, 
B  Vont  peut-être  venir  à  moi, 
B  Pour  me  confier  leur  émoi, 
»  Le  doute,  dont  leur  âme  est  lasse. 

—  c  Jamais  Marguerite  ne  ment  !  — 
»  Pensera  l'Amant  de  la  Belle  : 

•  Un  peu,  beaucoup,  dis,  m'aime-t-elle? 
»  Pas  du  tout  !  Non,  passionnément  !  » 

))  Si  j'échappe  à  la  main  brutale, 

•  La  Belle  me  ramassera, 
»  Et  le  supplice  durera 

B  Jusques  à  mon  dernier  pétale  !  b 

Toutes  deux  régnons  sur  les  cœurs, 
Rose  fière,  humble  Marguerite, 
L'Amour  connaît  notre  mérite  : 
Tu  le  parfumes,  moi,  j'en  meurs  ! 

Jean  de  Villeurs. 


18  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

LA   SCIENCE   GRAPHOLOGIQUE 
A  SAINT-HONORÉ-LES-BAINS 

AU  CASINO  ET  A  L'HOTEL  DU  MORVAN 

Grâce  à  la  protection  de  M.  le  marquis  d'Espeuilles  et  à  la  bienveil- 
lance de  M.  Costa,  directeur  du  casino,  nous  avons  pu  faire  connaître 
la  graphologie  à  l'élite  de  la  société  citadine  en  ce  moment  en  villé- 
giature à  Saint-Honoré ,  séjour  tranquille,  ombragé,  avec  tout  le 
confortable  et  aussi  l'agrément  musical  et  artistique. 

De  nombreuses  esquisses  graphologiques  ont  été  délivrées  aux 
personnes  désireuses  de  connaître  la  nouvelle  science,  riche  perle 
enchâssée  dans  les  autres  sciences  occultes. 

NoUs  avons  pu  entendre,  avec  joie,  des  réponses  ainsi  conçues  : 

((  Je  suis  très  contente  de  mon  portrait.  » 

«  Je  crois  que  vous  m'avez  flattée,  mais  il  y  a  des  vérités.  » 

Le  mari  de  M^ne  Hamilta,  somnambule  voyante,  de  passage  ici,  nous 
écrit  : 

«  Le  portrait  graphologique  que  vous  avez  fait  de  M«»«  Hamilta  est 
d'une  ressemblance  qui  atteint  la  perfection.  Toutes  les  qualités  et 
défauts  y  sont  décrits  avec  une  vérité  absolue.  Aussi  toutes  mes  félici- 
tations. > 

Samedi  soir,  25  août,  la  conférence  a  eu  lieu  dans  le  salon  de  l'hôtel 
du  Morvan,  offert  avec  Tamabilité  habituelle  de  M"»®  l'hôtesse. 

L'élément  féminin  dominait.  La  femme,  moins  sceptique  que 
l'homme,  moins  négatrice,  aime  à  découvrir  les  mystères  de  son  Moi 
et  de  celui  des  autres. 

Voici  sommairement  les  préliminaires  de  notre  conférence  : 

Alexandre  Dumas  fils,  un  des  premiers  disciples  de  l'abbé  Michon, 
lui  écrivait  ceci  : 

«  La  graphologie  est  une  science  éminemment  politique,  puisqu'elle 
n'a  pas  pas  besoin  du  sujet  même  pour  le  connaître.  Voyez  donc  : 
Pouvoir  juger  les  hommes  à  distance,  quelle  force  gouvernementale  !  i 

H  se  passera  encore  du  temps  avant  qu'on  se  serve  de  cette  force. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  19 

L'antiquité  n'a  rien  découvert  de  la  science  graphologique,  mais  elle 
a  formulé  la  sentence  célèbre  du  temple  de  Delphes  : 

Connais-toi  toi-même  ! 

Et  comment  se  connaître,  si  ce  n'est  par  les  sciences  occultes  ? 

Baldi,  en  Italie,  publia,  en  1622,  un  petite  volume  :  Sur  la  nature  et 
le$  qualités  de  V écrivain, 

La  plupart  des  signes  manquent  d'exactitude  et  il  n'y  a  rien  qui 
constitue  une  science.  Ce  n'en  est  pas  moins  un  principe  reconnu. 

Shakespeare  fait  dire  à  l'un  de  ses  personnages  :  «  Donne-moi 
récriture  d'une  femme  et  je  te  dirai  son  caractère  ».  Il  devait  pro- 
céder comme  George  Sand  qui,  d'intuition,  a  fait  un  portrait 
incomplet,  mais  merveilleux,  de  l'abbé  Michon  sans  connaître  le 
système. 

Gœthe,  Lavater,  Balzac,  ce  voyant  qui  connaissait  tout,  avec  la 
signature  ingénieuse  de  son  Gobseck,  furent  des  précurseurs. 

L'abbé  Flandrin  se  servait  de  quelques  signes,  qu'il  révéla  à  l'abbé 
Michon,  tout  émerveillé  ;  ce  fut  là  son  point  de  départ,  et  il  chercha 
les  autres  signes  pendant  plus  de  trente  ans. 

Ce  n'est  qu'en  1871  qu'il  créa  un  journal  et  fit  des  conférences  à 
Paris,  en  province  et  à  l'étranger  pour  vulgariser  la  science  nouuelle. 

L'écriture  des  artistes  peintres  révèle  toujours  le  sentiment  de  l'art, 
et  encore  davantage  dans  leurs  tableaux  par  les  belles  majuscules 
harmoniques.  Nous  avons  été  le  premier  à  signaler  dans  la  critique  du 
Salon  de  Paris  la  belle  signature  des  peintres  célèbres  ou  aptes  à  le 
devenir,  signatures  parfois  très  originales. 

J.-H.  Michon  nous  écrivait  en  1880  : 

«  Merci  d'avoir  glissé  la  graphologie  dans  votre  Salon.  Vous  aurez 
la  gloire  d'avoir  mélangé  la  graphologie  dans  la  critique  d'art.  Vous 
aurez  votre  petit  article  dans  l'un  de  nos  prochains  numéros. 

»  Vous  avez  là  inauguré  un  genre  nouveau  qui  certainement  aura 
des  imitateurs.  Je  lirai  à  Paris  vos  articles  avec  le  plus  vif  intérêt.  » 

Le  maître  nous  flattait  trop  avec  sa  bienveillance  habituelle. 

Chaque  écriture  a  son  cachet  particulier,  au  point  que  nous  disons 
tous  en  recevant  une  lettre  :  «  C'est  un  tel  !  » 

C'est  comme  une  image  frappante  de  la  personne. 

Il  ne  faut  point  contrefaire  son  écriture  pour  la  faire  juger,  ni 


20  REVUE  DU  NIVERNAIS 

s^appliquer  comme  les  écoliers,  sans  quoi  on  n'est  plus  soi,  il  y  a  un 
masque. 

Quant  aux  faux  en  écritures,  il  est  évident  qu'un  expert  en  écritures 
est  plus  fort,  s'il  est  graphologiste,  que  celui  qui  ne  l'est  pas. 

Nous  courons  tous  au  médecin  dès  que  nous  éprouvons  quelque 
chose  d'anormal,  c'est  rationnel,  mais  nous  avons  besoin  aussi  de  la 
médecine  de  l'âme  :  celui  qui  sait  dominer  ses  passions,  surveiller  ses 
défauts,  s'en  trouve  très  bien.  Par  exemple,  celui  qui  est  coléreux,  s'il 
s'impose  de  ne  pas  faire  éclater  sa  colère,  non  seulement  aura  du 
mérite,  car  «  il  est  plus  facile  de  vaincre  les  autres  que  de  se  vaincre  soi- 
même  »,  mais  il  gagnera  d'apaiser  la  colère  d'autrui  :  On  raconte  que 
saint  François  de  Sales  était  irascible  dans  sa  jeunesse,  et  qu'il  parvint 
plus  tard  à  se  dominer  complètement. 

La  colère  trouble  le  jugement  et  influe  sur  les  organes  également, 
tandis  que  le  calme  c'est  la  vraie  force  et  la  santé. 

De  même  pour  l'orgueil,  qui  peut  devenir  une  vertu,  si  on  le  place 
dans  l'accomplissement  du  bien,  de  la  justice  et  de  Tbonneur. 

La  graphologie  est  :  «  La  photographie  des  âmes  »,  comme  disait  le 
fondateur  de  la  graphologie.  C'est  Tinstruction  du  monde  moral  qui 
peut  mener  à  la  perfectibilité  du  monde  matériel. 

Comme  l'ignorance  est  la  source  de  tous  les  maux,  contrairement  la 
science,  portant  à  l'indulgence,  apaise  les  passions  en  nous  et  autour 
de  nous,  c'est  une  lumière  qui  éclaire  l'intelligence. 

La  science  graphologique  est  à  présent  considérée  comme  une  science 
exacte. 

Un  jour,  une  parente  me  répond  sur  un  portrait  :  «  Je  ne  reconnais 
pas,  dit-elle,  la  dame,  dans  l'étude  que  tu  m'as  faite  t.  Un  an  se  passe, 
la  parente  me  récrit  :  «  Il  est  survenu,  dans  la  famille,  une  discussion 
entre  nous,  qui  me  fait  croire  à  la  graphologie,  tu  avais  raison  ». 

Cette  personne  qui  parlait  ainsi  était  ma  sœur. 

Depuis  ce  jour,  ma  sœur  me  décora,  sur  ses  enveloppes,  du  titre  de 
graphologiste. 

La  Bible  dit  :  i  Dieu  a  tracé  des  signes  dans  la  main  de  toutes  les 
créatures,  afin  que  chacune  d'elles  puisse  connaître  sa  destinée  ». 

En  Chine,  au  Japon,  les  prêtres  consultent  les  signes  de  la  main. 

Toutes  les  sciences  occultes  sont  sœurs  et  se  complètent  sans  se 
contredire. 


REVtE  DU   NIVERNAIS.  21 

Un  jour,  je  reçus  d'un  ami  le  billet  suivant  : 

«  La  graphologie  m'enthousiasme,  mon  conseiller  d'Etat  est  émer- 
veillé du  portrait  graphologique  que  vous  lui  avez  fait,  car  vous  vous 
êtes  rencontré,  on  ne  peut  plus  exactement,  avec  une  chiromancienne 
de  Paris,  M»»*  de  Thèbes,  qui  lui  a  dit  exactement,  formellement  la 
même  chose,  i 

Voilà  un  document.  Il  reste  à  dire  que  la  graphologie  se  différencie 
de  la  chiromancie,  en  ce  qu'elle  ne  prédit  pas  l'avenir,  ne  dit  rien 
du  passé  :  c'est  le  caractère  présent  qu'elle  détermine. 

On  ne  se  fait  point  une  idée  précise  du  caractère  d'une  personne  que 
l'on  voit  même  souvent 

Selon  nous,  il  est  de  toute  impossibilité  de  connaître  à  fond  une 
créature  sans  le  secours  des  sciences  occultes.  Citons  cette  remarque 
profonde  de  Balzac  : 

t  II  se  glisse  tant  d'erreurs  dans  les  conversations  du  monde,  il  s'y 
fait  avec  légèreté  des  maux  si  profonds,  que  l'historien  des  mœurs  est 
obligé  de  sagement  peser  les  assertions,  insouciamment  émises  par 
tant  d'insouciants.  » 

C'est  donc  la  science  qui  remet  tout  en  état  de  ressemblance. 

L'abbé  Michon  a  formulé  un  axiome  ainsi  conçu  :  c  Les  écritures 
fC ont  pas  de  sexe  i. 

C'est  une  vérité  capitale,  car  il  y  a  des  hommes  féminins  et  des 
femmes  viriles.  Nous  regrettons  de  contrarier  le  sexe  fort,  mai<»  la 
graphologie  le  démontre. 

La  femme  a  montré  qu'elle  était  apte  à  remplir  les  emplois  publics, 
qu'elle  pouvait  briller  dans  les  Arts  et  dans  les  Sciences. 

Nous  avons  vu,  avec  satisfaction,  au  congrès  de  la  graphologie  de 
1900,  le  deuxième  congrès,  car  le  premier  a  été  tenu  par  le  fondateur 
de  la  graphologie,  nous  y  avons  vu  des  femmes  graphologistes  fran- 
çaises et  étrangères. 

C'est  la  Société  de  graphologie  qui  a  ouvert,  cette  année,  le  feu  des 
congrès,  du  24  au  31  mai,  ayant  pour  président  M.  F.  Gavarry  ;  secré- 
taire général  M.  P.  Varinard,  et  M.  Depoin,  trésorier. 

Etaient  présents  :  le  prince  Ghika,  plénipotentiaire  de  la  femme  de 
lettres  et  reine  de  Roumanie,  une  rareté.  Le  prince  de  Cassano, 
d'Italie,  qui  suit,  étudie  tous  les  congrès,  fort  travail  et  belle  occupa- 


22  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

tîon  de  prince  :  c'est  encore  rare.  Entré  en  curieux,  il  en  est  sorti 
dévoué  à  l'œuvre  de  J.-H.  Michon. 

C'est  donc  un  Français  qui  a  eu  la  gloire  d'appliquer  ces  lois  scienti- 
fiques nouvelles  de  Yécriture,  L'abbé  Michon  est  le  fondateur  de  la 
science  graphologique,  il  a  créé  une  science  impérissable. 

Voici  ce  qu'on  lit  sur  la  dédicace  du  Système  de  graphologie  : 

«  A  Emilie  de  Vars,  ma  collaboratrice, 

•  Mon  excellente  amie,  vous  m'avez  dédié  l'un  de  vos  derniers 
ouvrages,  celui  où  vous  vous  êtes  jetée,  avec  un  véritable  talent  de 
polémiste,  dans  les  luttes  religieuses  qui  passionnent  notre  époque.  Je 
ne  fais  qu'acquitter  une  dette  de  justice  et  de  reconnaissance  en 
mettant  à  la  tête  de  mon  Système  de  graphologie,  le  nom  de  l'auteur 
de  V Histoire  de  la  graphologie. 

»  Vous  avez  élevé  le  vestibule  ;  j'ai  construit  l'édifice.  Le  monument 
et  l'œuvre  gracieuse  qui  lui  sert  d'entrée  doivent  aller  ensemble  Si 
notre  pays,  un  jour  que  nous  ne  serons  plus,  se  souvient  un  peu  de  ces 
hardis  investigateurs  qui  se  sont  dévoués  à  la  recherche  d'un  nouveau 
et  puissant  secours  apporté  à  la  civilisation,  votre  nom  sera  à  côté  du 
mien  pour  la  part  que  vous  avez  prise  à  la  publication  de  la  Grapho- 
logie^ œuvre  sérieuse,  lue  avec  intérêt  aujourd'hui  dans  toutes  les 
grandes  villes  de  l'Europe,  et  qui  vulgarise  notre  chère  science. 

2>  De  tous  les  disciples  que  j*ai  formés,  nul  mieux  que  vous  n'a  saisi 
la  science  graphologique  dans  ses  nuances  les  plus  fines  ;  vous  avez 
écrit  des  portraits  graphologiques  qui  ont  été  reconnus  d'une  justesse 
et  d'une  exactitude  à  égaler  ceux  que  j'ai  faits  moi-même.  Notre  œuvre, 
modeste  encore,  est  appelée  à  un  grand  avenir.  Je  suis  heureux  de 
rendre  cet  hommage  à  la  femme  modeste  qui  a  toujours  trop  redouté 
une  publicité  que  d'autres  recherchent  avec  tant  d'ardeur.  Vous  n'en 
aurez  pas  moins  votre  belle  place  parmi  les  femmes  distinguées  qui 
ont  honoré  le  xix«  siècle  par  un  talent  élevé  et  pur  et  par  un  noble 
caractère.  »  J.-H.  Wichon. 

•  Paris,  6  février  1875.  » 

Victor  Moussy, 
Un  de  ses  disciples  de  janvier  1874, 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  23 

EN  CHINE 

Quelques  libations  leur  ont  fait  voir  en  rose 
Le  départ  pour  la  Chine  :  ils  s'en  vont  exultants. 
Mais  j'en  connais  plus  d'un  qui  deviendra  morose 
En  songeant  au  bonheur  écoulé  des  vieux  temps. 

0  soldats,  partez  donc  avec  votre  espérance 
D'échapper  à  la  mort,  de  revenir  vainqueurs. 
Puisque  vous  y  croyez  encor,  vous,  à  la  France, 
Que  son  fervent  amour  vibre  en  vos  jeunes  cœurs  ÎI 

Non,  vous  ne  craindrez  pas  les  flèches  ni  les  balles. 
Mais  lorsque  vous  verrez  la  Chinoise  aux  yeux  bleus 
Et  que  vous  entendrez  les  gongs  et  les  cymbales 

Saluer,  en  passant,  les  Dragons  fabuleux^ 
Vous  vous  rappellerez,  l'âme  de  douleur  pleine, 
Vos  payses  aux  pieds  chaussés  de  bas  de  laine. 

Tristan  de  Léon. 


UN  COUP  D  ŒIL  SUR  LE  MORVAN 

Le  Morvan,  peu  connu  il  y  a  cinquante  ans  des  Nivernais  eux-mêmes, 
ne  l'est  pas  encore  assez  aujourd'hui.  Il  présente  cependant  un  aspect 
très  pilloresque  avec  ses  montagnes  aux  horizons  boisés,  ses  vallées 
profondes  et  ses  vastes  forêts.  Ses  monumeuts  offrent  aussi  un  intérêt 
historique  et  archéologique  :  châteaux  féodaux,  manoirs  seigneuriaux, 
édifices  religieux,  ruines  même  rappelant  le  souvenir  de  l'occupation 
constante  de  ce  territoire  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  nos 
jours.  Les  anciens  chemins,  souvent  inaccessibles  aux  piétons  et  qui 
reliaient  les  villages  entre  eux,  ont  fait  place  à  d'excellentes  routes 
conduisant  aux  domaines  les  plus  isolés.  Les  vieilles  chaumières,  humides 
et  basses,  privées  d'air  et  de  lumière,  bâties  au  hasard  et  précédées  de 
cours  boueuses  inabordal^les  pendant  la  mauvaise  saison,  disparaissent 
chaque  jour.  De  nouvelles  constructions  s'alignent  pour  laisser  leur  lar- 
geur aux  voies  publiques,  modifiant  complètement  la  physionomie  des 
anciens  villages,  où  la  tuile  et  l'ardoise  contrastent  étrangement  avec 
les  toitures  de  chaume  recouvertes  de  mousse  ou  éventrées  par  Thumi- 
dité.  Telles  sont  les  réflexions  que  je  faisais  lors  d'une  récente  excursion 
dans  ce  coin  du  Morvan  qui  confine  à  la  partie  du  département  de 
l'Yonne  détachée  de  notre  province.  Combien  de  Nivernais  ignorent 
cependant  les  beautés  de  cette  contrée  alpestre  et  sauvage  qui  a  mérité 
avec  raison  le  nom  de  petite  Suisse,  par  ses  roches  sortant  de  la  mon- 
tagne, ses  bois  serpentes  par  d'étroits  sentiers,  les  sinuosités  de  ses  cours 
d'eau,  ses  torrents  et  ses  cascades,  suite  de  tableaux  délicieux  de  fraî- 
cheur et  de  rusticité,  sites  enchanteurs  changeant  d'aspect  à  chaque  pas 
et  qu'il  faut  renoncer  à  décrire  par  le  menu.        Gaston  Gauthier. 


24 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


C4a*^>n*^} 


LES  HOUILLÈRES  DE  LA  MACHINE 

PRÈS  DECIZE  (NIÈVRE) 

A  Monsieur  Achille  MilUen, 

Vous  avGZ  bien  voulu,  cher  maitre,  me  demander,  pour  votre 
excellente  Reviie  du  Nivernais,  une  étude  d'ensemble  sur  les  mines  de 
La  Machine.  Je  vais  donc  essayer  de  vous  donner,  en  quelques  pages 
aussi  simples  que  le  comporte  le  sujet,  un  résumé  de  l'évolution  de 
notre  houillère  et  de  la  vie  machinoise,  avec  l'espoir  que  cette  étude 
succincte  et  sans  prétention  intéressera  quelques-uns  de  vos  nombreux 
lecteurs. 

PREMIÈRE  PARTIE 

I.  —  Coup  (Tœil  d'ensemble  sur  La  Machine. 

Située  à  deux  lieues  au  nord  de  l'ancienne  ville  de  Decize  et  au 
milieu  des  bois,  La  Machine  est  une  commune  importante  (4,850  habi- 
tants) qui  doit  son  nom  à  la  première  machine  employée  dans  le  pays 
pour  l'extraction  de  la  houille. 

Elle  comprend  le  bourg,  bâti  de  chaque  côté  de  la  route  départe- 
mentale de  Clamecy  à  Moulins-sur-Allier  ;  plusieurs  faubourgs,  dont  les 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  25 

plus  populeux  sont  ceux  de  la  Chaume  (1),  à  Test,  et  des  Baraques  (2), 
à  Touest  ;  enfln,  trois  cités  ouvrières  :  celles  de  Sainte-Marie  et  de  la 
Viliedieu,  qui  font  suite  aux  Baraques,  et  la  cité  Sainte-Eudoxie,  qui, 
élevée  sur  un  plateau,  à  deux  kilomètres  au  nord-ouest  du  bourg,  offre 
un  aspect  vraiment  pittoresque  avec  ses  quatre-vingt-dix  maisons 
semblables,  couvertes  en  tuiles,  et  leurs  coquets  jardins  plantés 
d*arbres  fruitiers. 

Sur  la  rue  du  bourg,  très  large,  bordée  de  trottoirs  et  ombragée 
d'arbres  jeunes  et  vigoureux,  s'ouvrent  diverses  voies,  dont  les  prin- 
cipales sont  : 

1<>  La  route  de  Prémery,  plus  connue  sous  le  nom  de  route  de  Trois- 
Vêvres,  parce  qu'elle  conduit  à  ce  bourg,  —  distant  de  quatre  kilo- 
mètres à  l'ouest,  ~  dont  on  aperçoit  le  clocher  au-dessus  de  la  masse 
verte  des  bois,  et  qui  fournit  aux  mines  un  assez  grand  nombre 
d'ouvriers  ; 

2<>  La  rue  des  Baraques,  qui  part  de  la  place  de  l'Eglise,  traverse  le 
faubourg  des  Baraques  et,  après  avoir  franchi  le  ravin  de  l'Etang- 
Jaune,  se  prolonge  jusqu'à  la  cité  Sainte-Eudoxie  ; 

i^  La  rue  de  la  Chaume  ou  route  de  Bussière,  qui  commence  au- 
dessous  de  la  place  du  Marché,  se  dirige  vers  l'est,  traverse  le  faubourg 
de  la  Chaume  et  se  continue  jusqu'au  delà  de  Bussière ,  hameau 
important  de  la  commune  de  Champvert,  où  habitent  quelques  ouvriers 
mineurs  ; 

4«  La  rue  du  Cimetière  ou  route  des  Marizys,  qui  longe  le  cimetière, 
situé  au-dessous  de  la  Chaume,  et  monte  aux  Marizys,  quartier  assez 
étendu,  mais  peu  populeux,  dominant  le  pays  à  l'est  ; 

h*  La  rue  de  la  Misère,  qui,  grimpant  à  l'ouest,  près  du  ruisseau 
appelé  le  Rio-du-Passage,  fait  communiquer  le  bas  de  La  Machine  avec 
le  quartier  des  Baraques,  beaucoup  plus  élevé  ; 

6<*  Le  chemin  des  Coupes,  qui,  prenant  au-dessus  du  Rio-du-Passage, 
monte  en  serpentant  à  l'ouest,  puis  au  nord,  dessert  les  quartiers  des 
Coupes  et  des  Cendriers,  et  se  continue  à  travers  les  anciens  villages 
des  Fromageots  et  du  Vernelier,  situés  à  l'extrémité  nord-est  de  la 
commune. 

(1)  Âinn  appelé  de  l'ancienne  chaume  communale  sur  laquelle  U  est  bâti. 

(2)  Ce  faubourg  doit  son  nom  aux  baraques  en  planches  établies  primitivement 
dans  ce  quartier  pour  servir  de  logements  d'ouvriers  ou  d'écuries  à  chevaux. 


26 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


Un  grand  nombre  d'autres  rues,  reliées  à  ces  artères  principales, 
sillonnent  en  tous  sens  le  territoire  de  La  Machine,  qui  est  relative- 
ment étendu  et  très  accidenté. 

II.  —  M  3Iachme  aux  derniers  siècles. 

Ce  pays,  érigé  en  paroisse  en  1785,  devint,  en  1793,  une  commune 
du  district  de  Decize  (1).  Auparavant,  il  dépendait  des  localités  envi- 
ronnantes :  Champvert,  Thianges,  Ville-Langy  et  Sougy. 

Alors  le  bourg  n'existait  point;  on  voyait  seulement  quelques 
maisons  isolées,  couvertes  en  paille,  et  des  baraques  en  bois  élevées 
çà  et  là  dans  les  quartiers  de  la  Chaume,  des  Baraques  et  des  Marizys. 


i'^ÏÏ 


Cependant,  la  houille  de  Decize  était  connue  depuis  longtemps  déjà, 
puisque,  en  1595,  le  jurisconsulleGuy  Coquille,  notre  érudit  compatriote, 
écrivait,  dans  son  intéressante /^w/o/re  rfw /)fly«  et  iuchéde  Nivernois: 
a  Près  de  Decize  sont  les  minières  de  charbon  qu'on  dit  charbon  de 
pierre,  qui  est  noir,  gras  et  visqueux,  prend  et  entretient  le  feu, 
comme  l'autre  charbon  fait  de  bois,  mais  le  feu  en  est  plus  ardent  et 

(I)  Du  mois  daoùl  1785  au  lU  décembre  1792,  les  registres  paroissiaux  sonl  tenus 
par  M.  Charles,  premier  curé  de  L:i  Macldiie.  A  partir  du  l"  janvier  1703,  ils  sonl 
signés  par  le  procureur  de  la  commune,  Louis  Robert  ;  puis  par  deux  membres  du 
conseil  général  de  la  commune,  Marc  Defand,  élu  le  13  février  de  la  même  année, 
elJean  Machecourl  tils  aîné,  choisi,  le  30  novembre  suivant,  par  les  habitants  assem- 
blés sur  la  place  publique. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  27 

les  ferronniers  en  usent  plus  volontiers.  Le  trafic  en  est  sur  la  rivière 
de  Loire  ;  il  y  a  quelque  heur  et  rencontre  à  le  trouver,  et  quelquefois 
faut  que  les  fosses  et  puys  soient  bien  profons,  et  selon  les  saisons  se 
font  grands  fraiz  à  tirer  les  eauës  dont  lesdites  fosses  se  remplissent. 
Il  y  a  des  pareilles  charbonnières  près  la  ville  de  Liège,  sur  la  Meuze, 
mais  le  charbon  est  plus  aisé  à  tirer  ;  ils  appellent  le  charbon  ouille  et 
les  charbonnières  les  miillières,  et  fournissent  presque  tout  le  Pays-bas 
qui  n'a  point  de  bois,  tant  pour  chauffer  et  cuire  la  viande  que  pour 
les  ferronniers.  » 

La  dernière  partie  de  cette  citation  me  remet  en  mémoire  la  légende 
de  la  découverte  de  la  houille,  qu'il  convient  de  rappeler  ici  : 

Il  y  avait  une  fois  (comme  on  dit  dans  les  contes,  proches  parents 
des  légendes)  un  pauvre  maréchal-ferrant  nommé  Houillos,  ou  Hollius, 
qui  habitait  le  village  de  Plénevaux,  dans  les  environs  de  Liège.  Réduit 
à  la  dernière  misère  et  sur  le  point  de  mourir  de  faim  avec  sa  famille, 
cet  homme  méditait  des  idées  de  suicide,  quand,  soudain,  apparut 
devant  lui  un  vieillard  à  longue  barbe  blanche  qui  l'interrogea  sur  les 
causes  de  son  désespoir  :  —  «  C'est,  dit  Houillos,  que  je  ne  puis  plus 
travailler,  faute  d'argent  pour  acheter  du  charbon  de  bois.  —  Qu'à 
cela  ne  tienne,  répondit  Tinconnu  :  prends  une  pioche  et  un  panier  et 
va  dans  la  montagne  voisine  dont  tu  creuseras  la  terre  ;  tu  y  trouveras 
de  la  pierre  noire  excellente  pour  ta  forge.  y>  En  disant  ces  mots,  le 
vieillard  disparut.  Le  maréchal-ferrant  se  hâta  de  suivre  les  conseils 
de  cet  étrange  messager  et,  peu  après,  il  revint  de  la  montagne  avec 
une  provision  de  charbon  de  terre  qu'il  essaya  sur-le-champ  et  dont  il 
eut  entière  satisfaction.  Il  retourna  en  chercher  le  lendemain  et  les 
jours  suivants,  et  fit  part  de  sa  découverte  aux  habitants  du  pays. 
Ceux-ci  employèrent  à  leur  tour  le  précieux  combustible  et  lui  donnè- 
rent le  nom  de  houille  en  souvenir  de  l'ouvrier  qui  le  leur  avait  fait 
connaître.  Tel  fut,  en  Belgique  (vers  le  xii«  siècle,  dit-on),  l'humble 
début  de  cette  industrie  minière,  qui,  de  nos  jours,  devait  prendre  un 
si  grand  développement  et  contribuer,  dans  une  très  large  mesure,  au 
progrès  universel. 

Le  Nivernais  tient  un  rang  honorable  dans  l'exploitation  de  la  houille, 
grâce  aux  mines  de  La  Machine  dont  nous  allons  retracer  l'évolution  à 
travers  les  siècles. 

Le  terrain  houiller  des  environs  de  Decize,  recouvert  d'épaisses 


i 


28  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

forêts,  fut,  à  Torigine  et  pendant  longtemps,  fouillé  d'une  façon  tout  à 
fait  rudimentaire. 

On  y  pratiqua  d'abord  de  simples  excavations  à  ciel  ouvert,  aux 
affleurements  des  couches  que  Ton  voit  encore  sur  divers  points  du 
pays;  puis, on  creusa  des  trous  ou  «  crots  »,  plus  ou  moins  profonds, 
desservis  par  des  treuils  à  bras  et  d'où  Ton  sortait  la  bouille  au  moyen 
de  paniers  ou  de  tonneaux.  (1) 

Ce  fut  seulement  à  la  fin  du  dix-septième  siècle  que  Ton  commença 
Texploitation  régulière  de  ces  mines. 

On  était  sous  le  règne  de  Louis  XIV.  Son  ministre  Colbert  avait,  en 
4659,  parcouru  le  Nivernais,  afin  d'en  connaître  les  ressources  indus- 
trielles, et  les  minières  des  environs  de  Decize  n'avaient  point  échappé 
à  ses  investigations. 

Son  rapport  fut  mis  sous  les  yeux  du  roi.  Aussi,  quand  ce  monarque, 
parvenu  à  l'apogée  de  sa  puissance,  voulut  surpasser  la  marine 
anglaise  et  ne  plus  être  tributaire  de  la  Grande-Bretagne  pour  la  four- 
niture de  la  bouille  nécessaire  à  ses  ateliers  de  constructions  navales, 
il  prescrivit,  dans  les  arsenaux  militaires  de  Brest,  du  Havre  et  de 
Rochefort,  l'emploi  du  charbon  nivernais,  qu'il  considérait  comme  le 
meilleur  de  France. 

C'est  alors  que,  par  arrêt  du  16  juillet  1689,  il  concéda  au  duc  de 
Montausier  (gouverneur  de  son  fils,  le  grand  dauphin)  l'exploitation, 
pendant  quinze  années,  de  toutes  les  mines  de  charbon  de  terre  qu'il 
pourrait  découvrir  aux  environs  de  Decize,  excepté  dans  la  forêt  des 
Minimes  dépendant  du  duché  de  Nevers. 

/Asuivre.J  L.-M.  POUSSEREAU. 


(1)  U  reste  de  nombreuses  traces  de  ces  explorations  primitives  dans  les  bois  de 
La  Machine,  et  principalement  au  bord  de  l'ancienne  route  de  Trois- Vévres,  entre  le 
puits  de  la  Haute-Meule  et  l'Etang-Neuf. 


S6^^ 


RRVUE  DU  NIVERNAIS.  29 

POETES    CASTILLANS    (Suite) 


Supplément. 


Breton  de  Los  âerreros. 

A  DONA  ROSA 

Le  souffle  du  zépbyr  convient 
  ta  délicatesse  exquise, 
Rose  andalouse,  et  non  la  bise 
Qui  vient  du  nord  pyrénéen. 
Mais  une  autre  fleur  plus  durable 
Est  dans  ton  esprit  adorable 
Et  dans  ta  grâce,  riche  don 
De  ton  riche  Guadalquivir, 
Que  ne  pourrait  pas  te  ravir 
L*âpre  fureur  de  l'aquilon. 

Ventura  de  La  Vega. 

A  ROSE 

Exhalant  son  odeur,  quand  Taube  est  de  retour, 
La  rose  au  jardin  nait,  dans  la  calme  campagne  : 
Toi,  dans  TAndalousie,  au  jardin  de  TEspagne, 
Gentille  Rose,  ainsi  tu  naquis  un  beau  jour. 

Elle  naît  ;  et,  timide  et  rougissante,  elle  ose 
Entr'ouvrir  doucement  son  calice  pourpré  : 
Quand  un  sourire  aussi  les  entr'ouvre  à  ton  gré, 
Rose,  tes  lèvres  sont  de  vrais  boutons  de  rose. 

Un  berger  confiant,  que  l'odeur  attira, 
Mit  la  main  (l'imprudent  I)  sur  la  tige  fleurie  ; 
Vite  il  la  retira,  cruellement  meurtrie 
Par  une  épine  aiguë,  et  longtemps  il  pleura. 

Gentille  Rose,  dont  la  grâce  est  toujours  sûre 
De  charmer  qui  te  vit  une  fois  seulement, 
Comme  la  rose,  as-tu  des  épines  ?...  Vraiment 
Je  me  défierais,  moi,  crainte  de  la  blessure  I 


*4ii  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Espronoeda. 

(Fragment,) 

J'ai  vu  s'évanouir  mon  illusion  vaine, 
S'accroître  mon  désir  sans  s'assouvir  jamais. 
J'ai  touché  le  réel,  j'ai  pris  la  vie  en  haine, 
Ce  n'est  que  des  tombeaux  que  j'espère  la  paix. 
Je  cherche  encor,  je  cherche,  en  angoisse  ;  mon  âme 
Imagine  un  bonheur  qu'elle  voudrait  avoir  ; 
J'interroge  ;  une  voix  épouvantable  clame  : 
Tu  n'as  plus  qu'à  mourir,  à  mourir  sans  espoir  ! 
0  misérable,  meurs  !  la  vie  est  un  supplice. 
Le  plaisir  un  mensonge  ;  en  aucun  de  tes  jours 
Tu  ne  goûteras  paix,  jouissance,  délice  ; 
Toujours  l'ambition  et  la  guerre,  toujours  I 
Ainsi  Dieu  veut  punir  toute  âme  téméraire. 
Toute  âme,  dont  l'audace  insensée  oserait 
Lever  l'éternel  voile  et  tenter  de  soustraire 
A  la  Vérité  son  insondable  secret  !... 


Oertrudis  Gomez  de  Avellaneda. 
LA  CROIX 

(Ff'<igment.) 

Fleuris,  arbre  sacré  !  L'astre  qui  t'illumine. 

C'est  rélernelle  Vérité  ; 

Sur  ton  pied  puissamment  planté 

Pleut  sans  fin  la  Grâce  divine. 
Fleuris,  étends  au  loin  tes  robustes  rameaux  : 

A  ton  ombre  sainte,  la  race 

D'Adam,  d'un  pôle  à  l'autre,  lasse. 

Aspire  à  trouver  le  repos. 

Les  siècles  en  passant  t'honorent.  Immobile, 

Tu  vois  se  déployer  leur  vol 

Et  tout  genou  touche  le  sol 

Au  pied  de  ta  force  tranquille. 
Sur  terre,  comme  au  ciel,  dans  l'abîme,  en  tout  lieu, 

Tout  front  fléchit  si  l'on  te  nomme... 

Tu  nous  montres  un  Dieu  fait  homme. 

Tu  portes  l'homme  jusqu'à  Dieu  ! 

Traduction  de  ACHILLE  HiLLiEN. 


LIVRES  ET  PÉRIODIQUES 

Hippolyte  Lucas  :  Choix  de  poésies^  suivi  de  plusieurs  nouvelles  en  prose^  etc. 
Nolice  littéraire,  par  Léo  Lucas.  (Lemerre,  édit.,  3  fr.  50).  —  Par  les  soins  pieux  d'un 
fiLs  soucieux  de  la  mémoire  paternelle,  un  choix  de  poésies  de  Hippolyte  Lucas,  vient 
ée  puitttre  sn  unfHt^j^ant  volume  in-18.  L'excellent  littérateur  Hippolyte  Lucas»  mourut 
ir^iriaeD  187H,  à  ^loiitiiBti»  et  onze  ans,  bibliothécaire  à  TArsenal.  Ecrivain  fécond,  •  il  a 
porrouru,  —  disait  Kdinond  About,  —  sur  sa  tombe,  en  tous  sens,  dans  ses  moindres 
iwûiii^ï,  le  domaine  illiinilé  de  l'esprit,  avec  la  tranquille  et  patiente  activité  du  Breton.  » 
O  vottjme  do  poi-sit-s,  est  une  sorte  de  poème  en  trois  chants  :  Désirs,  ivresses^  regrets, 
*  b  trilogie  ùbprneUe  de  Tamour  ».  Que  de  pages  charmantes  à  détacher  de  ce  recueil  ! 
11  y  a  M  une  cxf^uîse  délîratcsse  de  pensée  et  de  sentiment  dans  un  vers  net,  franc, 
ïimfiid«.  lï  8'<it|;it  du  reste  iVnn  talent  de  longue  date,  apprécié  et  cx>nsacré.  Plusieurs 
oovvr'ltes  en  (irose  tci  .ninerïL  le  volume  et  c'est  plaisir  de  trouver  à  côté  du  bon  poète,  le 
coat^r  altrïiv.inl.  —  ExcelIriUe  notice  littéraire  de  M.  Léo  Lucas. 


F,  Feitinjujl  :  Drantes  et  cancans  du  Livre  (Lemerre,  édit.,  3  fr.  50).  —  Quand  on 
ouvre  on  livre  de  KertLujlti  on  est'  sûr  d'y  trouver  de  l'érudition  aimable,  de 
1  hgmour  ifiscrel,  de  ta  pto&i^  claire  comme  eau  de  roche  ou  des  vers  francs  comme 
Vw.  FerLJ;»ult  esl  un  vr.ii  hililiophile,  un  parfait  bibliographe,  un  ami  des  livres  dans 
loole  ]:i  force  du  terjiie,  ji.*  me  trompe  :  un  amant  des  livres,  un  amant  dont  la 
pi^ïon  tit^i  lins  légéri'  comme  feu  de  paille,  ni  fugitive  comme  papillon,. mais 
<ToiaiviiQ  s:in5  e&i^  et  sol  [dément  ancrée.  On  lit  avec  l'intérêt  d'un  roman,  les 
dii«T»e^  piijlU'S  de  son  nouv^^au  volume;  les  Aventures  d'un  Bouquin^  une  Pcussion 
f^f"  Pritpriéimrf\  k  Sûngt'  dtf  Savant ,  etc.  Nous  recommandons  les  Sonnets  Inat- 
tt^atit*,  m  tiûeroftccfnque  iiiiihologic...  qui  va  naturellement  de  la  poésie  au  baroque, 
tn^is  icrfuiert  une  valeur  p;ir  son  originalité  même.  •  En  fermant  ce  volume,  de  plus 
^  ^  p^es,  nom  ne  pouvons  nous  défendre  d'un  sentiment  d'admiration  pour  le 
'wJUiii  écrivain,  dont  le  premier  ouvrage  date  de  1842,  et  qui  donne  encore  en  pour- 
laif^nt  £t  carrière  féconde  des  pages  comme  celles  dont  nous  venons  de  parler  trop 
bfièTciD£iit, 

Nous  Usons  âm  vera  de  notre  directeur  dans  El  CorreOf  le  Soleil  Illustré^  etc. 
Pltïiieuns  journaux  pcprodui&put,  en  le  commentant,  le  conte  du  Médecin  Miraculeux, 
Itte  uûlner  Revue  a  donné  dernièrement.  La  Campana  de  Magalouna  (de  Mont- 
Hliff)  i*çf'\\  à  ce  sujet  :  *  Un  journal  parisenc  dounava  l'autre  mati  un  raconte 
i^opuljri  revirat  dau  Niveiiiès  pèr  un  requist  pouèta  Achille  Million,  un  d'aqueles 
<P''â  I  mira  de  ioi  sentisson  l'ou  mai  e  an  lou  milhou  rendut  dins  sous  verses  la 
<^u^ûu  e  h  béutat  de  la  bell»  vida  das  travalhadous  dau  campestre,  •  etc. 


32  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

NOTES  ET  ÉCHOS 


,  * ,  Nos  compatriotes  :  Le  général  Morio  est  nommé  membre  du  comité  technique 
de  la  cavalerie  ;  —  M.  Paul-René  Nicoa  est  sorti  de  TEcole  polytechnique  avec  le 
n*  3  et  M.  Nicolas- Albert  Marcenet,  de  l'Ecole  navale,  avec  le  n*  39.  —  Est  admis  à 
TEcole  navale  (n«  18  sur  1(M),  M.  René-Philippe-Lucien  Deboeuf. 

«*«  L'école  professionnelle  Saint-LouLs,  dirigée  par  M.  Deby,  continue  d^obtenir  de 
remarquables  succès  :  sur  19  élèves  présentés  aux  écoles  d'arts  et  métiers,  15  ont  été 
reçus. 

,*,  Notre  collaborateur,  M.  Lucien  Jeny,  continue  d'enrichir  de  nouvelles  médailles 
son  trophée  littéraire.  Nous  voyons  son  nom  figurer  deux  fois  au  palmarès  poétique 
des  grands  concours  littéraires  et  artistiques  de  TÂrdèche. 

,*,  26  août.  Inauguration  à  Bazoches  du  monument  élevé  à  la  gloire  de  Vauban, 
gloire  qui  nous  est  chère  et  qu'ont  mise  en  relief  M.  l'abbé  Cointe  dans  son  sermon, 
et,  dans  leurs  allocutions  et  discours,  MM.  le  marquis  de  Vibraye ,  Roger  de 
la  Brosse,  le  colonel  de  Rochas,  Niessen,  lesquels  ont  pris  de  nouveau  la  parole  dans 
la  salle  du  banquet,  ainsi  que  MM.  le  général  d*Entraigues  et  Chambon.  Tous  les 
orateurs  ont  été  vigoureusement  applaudis. 

«\  9  septembre.  Obsèques,  à  Surgy,  de  M.  Sylvestre  Hérisson,  sénateur  de  la 
Nièvre.  Discours  de  M.  le  Préfet  et  de  MM.  Stephen  d'Aunay  et  docteur  BilUard. 
M.  Hérisson  était  né  en  1885,  à  Surgy. 

«*«  15  septembre.  M.  Gamuzat,  président  de  la  Société  artistique  de  la  Nièvre, 
ouvre,  au  Cercle  de  TOrangerie,  en  présence  des  membres  du  bureau  et  de  nombreux 
sociétaires,  la  5*  exposition  annuelle  des  Beaux-Arts.  Nous  reviendrons  sur  cette 
intéressante  exposition  de  nos  artistes  nivemals. 

«\  Nos  lecteurs  ont  trouvé  encarté  dans  notre  dernière  livraison,  avec  un  bulletin 
de  souscription,  la  circulaire  annonçant  la  publication  de  l'ouvrage  de  M.  Achille 
Millien  :  Littérature  populaire  et  traditions  du  Nivernais  (neuf  volumes  in-8*).  Nous 
n'avons  pas  besoin  d'insister  sur  Pimportance  de  cet  énorme  travail  qui  devrait 
figurer  dans  la  bibliothèque  de  tout  amateur  nivemais.  Le  prix  (80  fr.)  relativement 
élevé,  est  en  somme  très  modéré  et  d'un  versement  très  facile,  puisqu'il  n'est  exigible 
que  par  fractions  et  durant  une  période  de  plusieurs  années.  L.  D. 

Le  Directeur-Gérant^  Achille  Hillien. 


(a>^^c|^<|x^ 


H9V9r$,  Imp.  0,  Yallléf, 


0  DIVORCE  !  {S,ntr) 


EPUis  trois  semaines,  Albert  d'Eslay  et 
Aline  de  Trassôn  sont  promis  Tun  à 
l'autre.  Les  deux  amoureux  coulent  la 
vie  la  plus  délicieuse  du  montje. 
Ils  s'adorent  tous  les  deux. 
Comment  auraienl-ils  pu  faire  autre- 
ment d'ailleurs  ?  Comment  Albert  ne 
se  serait-il  pas  laissé  prendre  à  la  grâce 
troublante  et  naïve  d'Aline,  si  jolie  avec 
ses  petits  caprices  d'enfant  gâtée  !  Et  comment  Aline  aurait  elle  pu 
se  défendre  du  plus  franc  amour  pour  ce  beau  garçon  qui,  recherché 
de  toutes  les  plus  belles  et  les  plus  riches  héritières  de  France  et  de 
Navarre,  la  préférait,  elle?... 

Ils  s'enivrent,  la  main  dans  la  main,  de  ces  ineffables  et  chastes 
caresses  du  cœur,  les  plus  exquises  voluptés  de  l'amour.  Ils  sont  tout 
aux  càlineries  et  aux  sourires  des  yeux,  aux  douceurs  des  paroles,  aux 
promesses  de  bonheur,  aux  projets  d'existence. 

—  Quand  nous  serons  mariés...  dit  Albert  d'une  voix  grave. 
Et  Aline  reprend,  quelques  instants  après  : 

—  Quand  nous  serons  mariés  !... 

0  ivresse  du  premier  amour  !  0  fiançailles  !  !... 

Phase  des  extases  que  Ton  croit  immortelles!  Epoque  bénie  dont 
toutes  les  minutes  vibrent  d'harmonies  suaves,  sublimes  pour  les  cœurs 
des  amants!... 

Heures  exquises,  enivrantes,  divines  aussi  que  celles  des  premiers 

2 


31  •  nKVUE  DU   NIVERNAIS. 

jours  qui  suivent  le  mariage  I  Qui  n'a  pas  savouré  la  douceur  enchan- 
teresse des  unes  et  des  autres  n'a  pas  vécu  !... 

La  lune  de  miel  I  moment  le  plus  doux  de  l'existence  à  deux  par 
cela  même  qu'elle  est  faite  d'illusions  et  qu'alors  la  femme  aime  les 
exigences  du  mari,  que  le  mari  adore  les  caprices  de  la  femme  !... 

...  Fiançailles  !...  Lune  de  miel  I...  Sons  divins,  symphonie  d'espoir, 
cantique  de  forces  juvéniles  pleines  de  confiance  en  elles-mêmes  ! 

Fiançailles  I...  Lune  de  miel  !..  Mots  magiques,  hymne  de  bonheur 
et  de  foi  naïve  qui  chasse  au  loin  les  doutes  amers,  l'ignorance  cruelle 
de  Tavenir  !... 

Ces  joies  ineffables,  Albert  et  Aline  les  goûtent  toutes,  tour  à  tour  à 
Paris,  puis  là-bas,  au  pays  du  soleil  et  de  l'amour,  dans  ce  midi  de  la 
France  si  justement  chanté,  et  de  nouveau  à  Paris,  dans  un  petit  mais 
somptueux  hôtel  de  la  rue  de  Vaugirard,  doux  nid  tapissé  de  soie  et 
parfumé  de  fleurs,  où,  loin  du  monde,  ils  vivent,  grisés,  éperdus, 
s'adorant!... 

Ils  vivent!...  Plus  justement,  ils  révent. 

Ils  ne  marchent  pas,  ils  planent.  Ils  n'habilent  pas  sur  terre,  mais 
au  ciel.  Domaine  du  bleu  et  qui  est  aussi  le  pays  des  chimères  el  la 
région  des  tempêtes. 

Il  est  à  craindre,  hélas  !  qu'à  force  de  vivre  de  chimères,  ils  ne 
finissent  par  s'en  créer;  qu'un  beau  jour,  au  lieu  de  redescendre  tout 
doucement  du  ciel,  comme  l'alouette  qui  reconnaît  l'insanité  de  ses 
désirs  trop  audacieux,  ils  n'en  dégringolent  tout  d'un  coup  et  ne  se 
brisent  les  ailes  contre  notre  planète. 

Toutes  les  joies  terrestres,  en  effet,  sont  de  courte  durée;  nos 
ivresses,  éphémères  !  Presque  toujours  ici-bas  les  larmes  suivent  de 
près  les  ris  ;  l'orage,  le  brûlant  rayon  de  soleil  1... 

Le  bonheur  d'Albert  et  d'Aline,  sans  doute,  durerait  longtemps 
sans  cette  loi  immuable  des  choses  d'îci-bas,  sans  la  fatalité,  Némésis 
jalouse  des  joies  des  pauvres  mortels  !... 

Aline  est  une  enfant  gâtée,  c'est-à-dire  habituée  à  voir  tous  ses 
caprices  soufferts,  ses  moindres  avis  ponctuellement  suivis  ;  et  aussi, 
il  faut  bien  le  dire,  elle  est  jalouse,  jalouse  à  s'en  martyriser,  elle  et 
son  mari,  qu'elle  aime  pourtant  de  toute  son  âme.  Elle  a  beau  se  rai- 
sonner, se  convaincre,  qu'elle  s'alarme  à  tort,  sans  ombre  de  raison  ; 
rien  n'y  fait. 


flEVUE  DU  NIVERNAIS.  35 

Pour  qui  connaît  sa  nature  un  tantinet  romanesque  et  jalouse,  une 
crise  est  à  redouter,  une  crise  qui  ne  saurait  guère  tarder. 

Elle  éclate  bientôt,  en  effet. 

In  beau  jour,  Albert  reçoit  une  invitation  à  un  dîner  de  garçon 
offert  par  un  de  ses  meilleurs  amis,  un  camarade  de  collège,  lui  aussi 
i  présent  homme  de  lettres.  Il  lui  est  impossible,  ainsi  que  le  désire 
Aline,  d'éviter  cette  partie  de  plaisir,  ou  cette  corvée,  comme  l'on 
voudra. 

Furieuse  de  ne  point  se  voir  obéie  pour  la  première  fois,  elle  se  met 
à  bouder  son  mari.  Elle  ne  lui  parle  maintenant  que  d'un  ton  brusque, 
très  souvent  amer.  Tout  d*abord,  celui-ci,  distrait,  affecte  de  ne  s'aper- 
cevoir de  rien,  attribue  ce  brusque  changement  d'humeur  aux  écarts 
de  l'imagination,  à  l'élourderie  de  la  jeunesse.  Néanmoins,  au  moment 
de  prendre  congé  d'elle,  le  jour  fatal  venu,  il  ne  peut  s'empêcher  de 
lui  faire  des  remontrances,  mais  gentiment  et  en  lui  promettant  de 
revenir  le  plus  tôt  possible. 

—  Jusqu'ici  vous  faisiez  des  conférences,  mon  cher,  lui  répond  Aline 
tremblante  de  colère  contenue;  maintenant  vous... 

—  Je  vous  demande  pardon,  interrompit-il  en  riant;  j'oubliais  que 
vous  n'aimiez  point  les  sermons  sans  éloquence,  principalement  ceux 
qui  vous  prennent  pour  point  de  mire. 

Puis  il  ajoute,  câlin  : 

—  Où  pensez-vous,  sans  indiscrétion,  passer  votre  soirée? 

—  Oh  I  mon  temps  est  à  moi.  J'irai  où  bon  me  plaira.  En  cela, 
j'imiterai  les  autres. 

—  Ne  devrai-je  point  passer  chez  votre  mère  vous  prendre  quand 
je  reviendrai  ? 

—  Que  vous  importe  que  je  sois  là  ou  ailleurs...  C'est  si  peu  amu- 
sant de  voir  toujours  le  même  visage  1 

—  Oh  I  fait  Albert  douloureusement  blessé.  En  vérité  vous  avez 
bien  changé  depuis  quelques  jours. 

—  L'un  de  nous  a  changé!...  Autrefois  vous  vous  seriez  empressé  de 
m'accorder  le  minime  sacrifice  que  je  vous  demande,  mais  aujour- 
d'hui?... 

—  Vous  êtes  injuste,  Aline!...  Je  vous  ai  expliqué  que  je  ne  puis 
éviter  cette  soirée. 

—  C'est  encore  moi  qui  ai  tort,  n'est-ce  pas  ? 


30  BEVUE  DU  NIVERNAIS. 

—  Je  ne  dis  pas  cela  :  je  vous  prie  seulement  d'être  plus  calme  et 
de  m'écouter  plus  impariialement. 

—  C'est  boni  interrompt-elle  les  lèvres  tremblantes  et  les  yeux 
brillants  de  colère.  C'est  bon  et  bonsoir  1... 

Sur  ces  mots,  elle  quitte  brusquement  son  mari,  le  laissant  tout 
désarçonné  et  si  ébahi  qu'il  ne  songe  pas  à  la  rappeler.  Enervé  lui- 
même,  il  sort  aussitôt.  Mais  comme  tout  au  fond  de  son  âme,  un  désir 
vague,  indécis,  inquiet  le  fait  aspirer  après  l'heure  heureuse,  l'heure 
troublante  où,  dès  son  arrivée  du  fatal  diner,  il  ira  implorer  son 
pardon,  quoique  les  torts  ne  soient  pas  de  son  côté  1... 

Aline,  elle,  est  montée  dans  sa  chambre  où  elle  éclate  en  sanglota. 
Longtemps,  longtemps  elle  pleure... 

Maintenant  la  nuit  a  tout  couvert  de  ses  ailes  noires,  gigantesques. 
Une  à  une,  elle  a  vu  les  maisons  se  foncer,  disparaître,  se  drapant 
dans  la  nuit,  et  les  lueurs  des  becs  de  gaz  se  piquer  de  ci  de  là, 
pareilles  à  des  farfadets  dansant  malicieusement. 

Elle  attend  son  mari  :  elle  a  la  certitude  qu'aussitôt  rentré,  il  viendra 
se  faire  pardonner.  Et  il  lui  a  promis  de  rentrer  de  bonne  heure  I 

A  chaque  instant  elle  écoute  avec  anxiété  les  sourdes  rumeurs  de  la 
nuit,  le  triste  hululement  du  vent  dans  les  arbres  du  Luxembourg  ;  les 
yeux  rougis  par  les  larmes,  la  poitrine  oppressée,  elle  sondé  les  pro- 
fondeurs brumeuses  de  la  rue  désespérément  déserte  ;  parfois,  le  cœur 
palpitant,  l'oreille  tendue  au  moindre  bruit,  elle  écoute  le  pas  étouffé 
de  quelque  passant  attardé  sur  le  pavé  de  la  rue  rendu  glissant  par  la 
brume  qui  tombe,  ou  le  fracas  d'une  voiture  sonnant  dans  le  silence  de 
la  nuit  et  se  perdant  dans  Téloignement,  avec  l'espoir  toujours  déçu 
d'un  brusque  arrêt  devant  sa  porte. 

Silencieuses  passent  les  heures  ;  une  à  une,  elles  sonnent  à  l'horloge 
de  Saint-Sulpice,  lentes  et  graves  :  tel  un  glas  funèbre.  Et  chaque  fois 
un  frisson  d'épouvante  court  sous  l'épiderme  delà  jeune  femme,  secoue 
ses  pauvres  membres  endoloris. 

Ses  larmes  roulent  toujours,  silencieuses  ;  elle  les  laisse  glisser  sur 
ses  joues  sans  s'en  apercevoir.  Elle  ne  peut  reposer.  Une  fièvre  la 
tient  éveillée  avec  des  oppressions  et  le  battement  de  ses  tempes. 
Elle  est  écroulée  dans  un  fauteuil,  comptant  les  minutes,  les  heures, 
dans  une  vision  abominable  de  catastrophes  irrémédiables. 

Elle  finit  cependant  par  s'assoupir. .. 


REVUE  DU   NIVERNAIS.  37 

Il  est  trois  heures  du  matin  quand  elle  entend  soudain  des  pas  son- 
nant lourdement  dans  le  corridor,  sans  nulle  préoccupation  pour  en 
étouffer  l'écho.  Alors,  comme  en  un  pressentiment,  elle  ouvre  vive- 
ment sa  porte  et  regarde  :  son  mari  1  son  mari  qui  titube  1 

Elle  croit  à  un  malheur  et  s'écrie  dans  sa  douleur  : 

—  Comme  vous  rentrez  tard,  Albert  !  Il  ne  vous  est  rien  arrivé  !... 
Mais  qu'avez-vous  donc  ? 

—  Rien.  Ne  t'inquiète  pas,  ma  chérie,  répond  celui-ci  ;  et,  vacillant 
de  droite  et  de  gauche,  riant,  chantant,  gesticulant,  il  la  prend  dans 
ses  bras,  la  serre,  l'enlève.  Sous  l'épouvante  de  ses  baisers  désor- 
donnés, Aline  veut  résister.  Il  se  fâche,  il  menace.  Ainsi  commencée, 
la  querelle  s'envenime,  dégénère  en  scène  violente.  Des  mots  irrépa- 
rables sont  prononcés,  creusant  entre  les  deux  époux  un  insondable 
abime,  tandis  que  la  valetaille  accourt,  réveillée  en  sursaut  par  le 
bruit. 

Alors  à  moitié  dégrisé,  mais  furieux,  Albert  sort  respirer  l'air  frais 
de  la  nuit...  peut-être,  pense  Aline,  conlinuer  son  orgie. 

Restée  seule,  la  jeune  femme  pleure,  pleure.  Son  imagination  tra- 
vaille, fait  de  sa  vie  future  un  enfer...  puis  lui  suggère  une  résolution 
diabolique.  Aline  s'attache  désespérément  à  celte  pensée,  la  mûrit. 
Bientôt  elle  est  irrévocablement  fixée  ;  jamais  plus  elle  ne  reverra  cet 
homme  odieux,  —  son  mari  !  —  qui  Ta  si  lâchement  injuriée  devant 
leurs  serviteurs.  Non,  elle  ne  peut  rester  plus  longtemps  dans  celte 
maison  ;  la  vie  n'y  serait  plus  tenable. 

Elle  pose  son  alliance  sur  le  marbre  de  la  cheminée,  bien  en 
évidence,  et,  au  petit  jour,  se  fait  conduire  chez  sa  mtre. 

(À  suivre.)  Ja. 


38  nEVUE  DU   NIVERNAIS. 

REVE    D'ENFANT 

Quand  j'étais  tout  enfant,  ne  sachant  pas  encor 
Que  la  vie  est  pour  nous  un  immense  mystère, 
Mon  rêve,  à  moi,  c'était  d'être  un  jour  militaire. 
J'aimais  le  képi  rouge  orné  de  galons  d'or. 
J'aimais  le  dolman  sombre  et  la  soutache  noire, 
Et  le  sabre  brillant  qui  sonne  à  chaque  pas. 
—  Comme  à  moi,  mes  amis,  ne  vous  semble-t-il  pas 
Que  l'épée  est  toujours  le  symbole  de  gloire  ? 
J'ai  trop  aimé  cela  ;  ce  n'est  pas  un  défaut  ; 
Et  pour  réaliser  un  peu  plus  tôt  mon  rêve. 
J'assemblais  mes  amis  dans  le  val  où  s'élève 
Un  coteau  verdoyant  qui  servait  à  l'assaut. 
Ils  étaient  mes  soldats,  j'étais  leur  capitaine  ; 
Pour  armes  nous  avions  de  Icngs  morceaux  de  bois, 
Et  nous  étions  alors  plus  heureux  que  des  rois 
Avec  nos  croix  d'étain  et  nos  galons  de  laine. 
Toujours,  de  l'ennemi,  nous  étions  triomphants, 
Car  pour  les  grands  combats  nos  âmes  étaient  nées. 
Ceux  qui  passaient,  voyant  nos  luttes  acharnées, 
Souriaient  et  disaient  :  «  Courage,  mes  enfants  !  » 
Et  quiconque  avait  su,  dans  la  lutte,  être  brave 
Recevait  de  mes  mains  le  prix  de  son  ardeur. 
Et  je  parlais  alors  de  vaillance  et  d'honneur, 
M'efforçant  de  donner  à  ces  mots  un  ton  grave. 
Ensuite,  rassemblés,  nous  allions,  tous  au  pas. 
Fièrement,  le  front  haut,  criant  :  «  Vive  la  France  !  i 
Emportant  dans  le  cœur  un  peu  cette  espérance 
Qu'un  jour  nous  serions  forts,  nous,  les  petits  soldats. 
Mais  tout  cela  n'est  plus  qu'une  vaine  chimère, 
Un  souvenir  d'enfant,  un  rêve  d'un  beau  jour 
Que  loin  de  moi  le  temps  emporte  sans  retour. 
Me  laissant  le  regret  d'une  joie  éphémère. 

Odile  Thiault. 

24  juillet  1900. 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


39 


LES  HOUILLÈRES  DE  LA  MACHINE 

PRÈS  DECIZE  (NIÈVRE) 
(Suite). 

Mais  le  système  d'extraction  employé  dans  le  pays  à  cette  époque  ne 
permettant  point  de  répondre  aux  exigences  du  ministre  de  la  marine, 
on  dut  faire  venir  de  Belgique  des  ouvriers  plus  habiles. 

Le  souvenir  de  leur  présence  dans  la  contrée  a  d'ailleurs  été  fidèle- 
ment conservé  par  a  tradition  locale  ;  toutefois,  Tépoque  précise  de 
leur  installation  n'était  point  encore  connue. 

H  nous  est  permis  de  combler  celte  lacune,  grâce  à  des  recherches 
faites  dans  les  archives  de  Champvert  et  de  Thianges.  Les  indications 
que  nous  y  avons  recueillies,  rapprochées  de  celles  qui  précèdent  et 
de  l'arrêt  royal,  prouvent  que  c'est  le  duc  de  Montausier  qui,  pressé 
par  Louis  XIV  de  fournir  de  charbon  nos  ports  français,  fit  venir  de 
Liège  une  équipe  de  travailleurs  expérimentés  pour  exploiter  rapi- 
dement et  avec  méthode  la  minière  qui  venait  de  lui  être  concédée  (1). 

La  direction  des  travaux  fut  confiée  à  l'ingénieur  Daniel  Michel, 
venu  également  de  Liège,  lequel  installa  sur  un  puits  à  houille  la 

(l)Du  reste,  on  n'a  trouvé  dans  les  archives  nationales,  départementales  ou  parti- 
culières, aucune  trac«  de  concession  antérieure  à  celle  de  1(^89,  et  on  ne  peut 
admettre  que  dos  Liégeois  soient  venus,  de  leur  propre  volonté,  dans  un  pi»ys 
iiH'onnu,  presque  inhabité  et  très  éloigné  du  teur,  pour  instaUer  des  puits  et  extraire 
da  charbon  sans  v  être  autorisés. 


40 


HEVUE  DU  NIVEBNAIS. 


i 


machine  qui  devait  donner  son  nom  à  nos  mines  (i).  Gel  ingénieur 
mourut  quelques  années  après  et  fut  inhumé  dans  l'église  de  Thiangcs 
le  20  novembre  1693  (2 j. 

Ses  compatriotes  restèrent  un  certain  temps  dans  le  pays,  puisque, 
le  26  mars  1733,  on  inhuma  dans  le  cimetière  de  Champvert  a  Idas 
))  Pesly,  âgée  d'environ  soixante  et  cinq  ans,  du  pays  de  Liège,  venue 
*  dans  cette  paroisse  avec  plusieurs  Liégeois,  hommes  et  femmes,  lors 
1  de  l'établissement  de  La  Machine  ». 

Le  curé  qui  rédigea  cet  acte  eut  soin  d'ajouter  :  «  Elle  étoit  la  seule 
»  qui  restoit  ;  Dieu  luy  fasse  miséricorde  ». 

Toutefois,  son  assertion  n'est  point  absolument  exacte,  puisque,  le 
9  juillet  de  la  môme  année,  on  inhuma  encore  à  Champvert  «  Eustache 
»  Descaux  et  Jean  Lambotte,  du  pays  de  Liège,  qui  avaient  été  écrasés 
>  par  une  masse  de  charbon  dans  le  cros  de  La  Machine  j>  (3).  Mais 
ces  deux  étrangers  sont  les  derniers  dont  fassent  mention  les  registres 
de  la  commune. 

Malgré  les  perfectionnements  apportés  dans  l'exploitation  par  les 
Liégeois,  les  accidents  durent  être  assez  fréquents,  en  raison  du 
nombre  d'ouvriers  employés  dans  les  mines. 

Il  fallait,  en  effet,  à  cette  époque  de  guerres  fréquentes,  une  grande 
quantité  de  houille;  aussi  le  charbon  nivernais,  qui  devait  soutenir  la 


(1)  CeUe  machine  n'ctail  évidemment  pas  un  moteur  à  vapeur,  —  puisque  le  pre- 
mier ne  fonctionna  utilement  que  dans  le  xviii*  siècle,  —  mais  un  manège  semblalile 
à  ceux  que  l'on  employait  alors  dans  les  mines  de  Belgique,  c'est-à-dire  un  engin 
composé  d'un  arbre  vertical  muni  d'un  long  levier,  à  l'extrémité  duquel  on  attelait 
ordinairement  plusieurs  chevaux.  Ceux-ci,  en  tournant  sur  une  piste  circulaire, 
donnaient  le  mouvement  à  l'arbre  vertical  qui  le  transmettait,  au  moyen  d'un  engre- 
nage, à  un  tambour  horizontal  sur  lequel  s'enroulait  un  cable  en  chanvre.  Ce  câble 
jiris5;iil  sur  les  molettes  en  bois  du  chevalement  qui  était  placé  à  quelques  mètres  au- 
di*î»suâ  de  l'orifice  du  puits. 

(2)  Archives  de  Thianges.  —  Celte  inhumation,  faite  dans  l'église,  témoigne  <le  la 
cona^lération  dont  joutss.iit  M.  Daniel  Michel  l/exploilation  qu'il  dirigeait  élait 
^lLuth>  dans  le  fief  des  Ecots,  lequel  dé[)endait  de  la  seigneurie  de  Thianges  et  en 
pttfho  lie  celte  paroisse.  Sa  famille,  cpril  avait  amenc'e,  resta  dans  le  Nivernais  ;  du 
moinrt,  trouve-t-on,  à  plusieui*s  repiises,  «iaiis  les  registres  de  l'étal  civil  de  Champ- 
vert, k>s  noms  •  d'honorable  homme  Daniel  Michel,  natif  du  l>ourg  de  (îrAce,  proche 
Liàgo,  marié  dans  la  paroisse  à  Anne  Lepally,  d'origine  liégeoise  et  habitant  I^ 
Moc-h*nii  »  (il  y  mourut  à  lago  de  trente-quatre  ans  et  fut  inhumé  dans  l'église  de 
Champvert,  le  1*2  juin  I7(K5)  ;  de  Louis  Michel,  marié  à  P^lise  Lepally;  de  Michel 
Michel,  décédé  à  Cliainpveil  en  17(H);  de  Marie  et  de  S<'îbastienne  Michel,  qui  furent 
inntiiiiiies  d'enfants  des  précédents,  etc. 

(3)  Archives  de  Gliampveif,  paroisse  dont  dé'pendail  aloi^s  la  partie  du  territoire  de 
L»  Macliine  où  résidaient  ces  ouvriers  belges. 


REVUE  DU  NlVEftNAlS.  41 

concurrence  avec  celui  d'Angleterre,  fut  l'objet  d'une  active  corres- 
pondance entre  les  agents  du  ministère  de  la  marine  française. 

On  trouve  à  ce  sujet  de  curieux  renseignements  dans  l'intéressant 
travail  publié  par  M.  de  Lespinasse  sur  les  Forges  et  charbons  du 
Nivernais  (1).  On  nous  permettra  d'y  glaner  quelques  notes  ayant  trait 
à  cette  étude. 

Le  3  janvier  1691,  le  ministre  de  la  marine,  M.  de  Pontchartrain, 
écrit  à  M.  de  Gastine  pour  lui  dire  que,  «  suivant  le  rapport  de  plu- 
sieurs maîtres  forgerons,  le  charbon  du  Nivernois  est  de  très  bonne 
qualité  »,  et  lui  prescrit  d'en  demander  a  50  barriques  pour  les  ports 
de  Brest  et  de  Rochefort  ». 

La  bouille  de  La  Machine  (on  l'appela  ainsi  à  partir  de  1691),  dont  le 
chargement  s'effectuait  en  bateaux  sur  la  Loire,  à  Decize,  était  trans- 
portée à  Nantes  et  de  là  expédiée  en  divers  endroits  pour  être  expéri- 
mentée à  des  travaux  et  par  des  ouvriers  différents.  Le  ministre  s'en- 
quiert  fréquemment  «  de  l'avantage,  de  la  qualité  et  du  prix  de  ce 
charbon,  afln  de  juger  de  l'utilité  que  le  roy  et  le  royaulme  peuvent  en 
retirer  ». 

Les  premiers  essais  furent  satisfaisants,  puisqu'en  mars  1691  on 
donna  l'ordre  d'en  expédier  une  provision  suffisante  «  pour  le  reste 
de  cette  année  et  le  commencement  de  la  prochaine  i,  et  «  d'en  faire 
voiturer  cinq  à  six  cents  barils  au  Havre  ». 

En  avril  1691,  une  nrouvelle  épreuve  fut  faite  à  Brest,  en  présence 
t  des  officiers  du  port  et  des  plus  habiles  maîtres  forgerons  »,  afin  de 
s'assurer  si  le  charbon  nivernois  «  pouvait  effectivement  remplacer 
celuy  d'Angleterre». 

Il  fut  reconnu  t  meilleur  que  ce  dernier  pour  souder  les  pièces 
d'ancres  »  par  l'agent  Begon,  excellent  patriote,  qui  considérait  qu'on 
€  doit  se  dispenser  de  donner  à  nos  ennemys  l'argent  qu'on  emph)ie  à 
acheter  du  charbon  chez  eux  ». 

Louis  XIV,  qui,  on  l'a  vu,  était  entièrement  de  cet  avis,  donna  des 
ordres  formels  à  ce  sujet.  Aussi,  lorsque  par  suite  d'un  manque  d'eau 
dans  la  Loire,  les  expéditions  de  Decize  se  trouvèrent  momentanément 
suspendues,  le  roi  ordonna-t-il  de  s'approvisionner  à  Gaillac  (Tarn)  et 

(1)  René  de  Lespinasse  :  Dépèches  et  mémoires  du  ministère  de  la  marine  sur 
Us  forges  et  cbwbans  du  Nivernais  pendant  les  guerres  de  Louis  XIV.  {Bulletin 
de  la  Société  nivetmaise,  XVÏ*  vol.,  page  275). 

2* 


12  REVUE  DU  NIVERNAIS 

à  diverses  autres  mines  du  royaume,  dont  le  combustible  était,  toute- 
fois, de  qualité  inférieure. 

Cependant,  le  charbon  nivernais,  recommandé  partout  à  la  fin  du 
xvir  siècle,  eut  aussi  ses  détracteurs.  A  Rochefort,  on  le  trouva  moins 
bon  que  celui  d'Angleterre  ;  à  Nantes,  on  le  mélangea  avec  d'autres  de 
qualité  très  médiocre  ;  on  usa  enfin  de  tous  les  moyens  pour  le  dis- 
créditer. Mais  ces  tentatives  malveillantes  échouèrent,  et  la  bouille  de 
La  Machine  fut  constamment  employée  dans  les  arsenaux  jusqu'en 
1694;  puis  les  demandes  diminuèrent  par  suite  de  la  cessation  des 
guerres  lointaines  sur  mer  et  aussi  de  la  pénurie  du  trésor  royal. 

Certes,  il  eût  été  intéressant  de  relater  ici  les  instructions  données 
aux  ouvriers  forgerons  pour  l'emploi  du  charbon  de  nos  mines  ;  sa 
valeur  à  cette  époque  ;  les  mesures  en  usage,  etc.  ;  mais,  afin  de  ne  pas 
dépasser  les  limites  de  cette  étude  d'ensemble,  nous  devons  renvoyer 
le  lecteur  à  l'excellent  ouvrage  de  M.  de  Lespinasse  et  poursuivre 
l'historique  des  houillères  machinoises  (1  ). 

A  la  suite  d'un  arrêt  du  conseil  du  roi,  en  date  du  13  mars  1698, 
tous  les  propriétaires  de  terrains  dans  lesquels  il  y  avait  du  charbon 
purent  ouvrir  des  mines  sans  permission  et  les  exploiter  à  leur  profit. 

L'extraction,  à  La  Machine,  se  fit  alors  sur  trois  points  différents  : 

1»  Au  nord,  dans  la  seigneurie  des  Ecots  et  la  partie  appelée  aujour- 
d'hui la  Petite-Machine  ; 

2»  Au  sud-ouest,  dans  la  vallée  de  la  Meule,  sur  les  dépendances  des 
religieux  Minimes  de  Decize  ; 

3"^  Au  sud  est,  dans  la  région  des  Glénons,  alors  au  duc  de  Nevers, 
châtelain  de  Decize. 

Ces  exploitations  étaient  tantôt  isolées,  tantôt  groupées  et,  tandis 

(i)  Nous  ne  pouvons  cependant  passer  sous  silence  les  précieux  renseignements 
suivants,  relatifs  aux  différences  de  prix  et  de  poids  qui  existaient  entre  le  charbon 
de  La  Machine  et  celui  d'Angleterre  : 

«  Le  charbon  du  Nivernois,  —  lisons-nous  dans  une  lettre  du  ministre  de  la 
marine,  —  couste  10  livres  la  barrique,  rendu  à  Nantes  ;  il  faut  deux  barriques  et 
un  dixième  de  charbon  de  Nivernois  pour  faire  un  tonneau  de  mer  ;  cela  revient  à 
environ  17  livrôs,  rendu  à  Brest  ;  une  mesme  quantité  de  celuy  d'Angleterre  couste 
48  livres  15  sols.  La  différence  est  si  grande  qu'il  ne  seroil  pas  prudent  d'en  faire 
venir  encore,  quand  mesme  il  ne  seroit  pas  d'un  pays  ennemy.  La  barrique  de  char- 
bon d'Angleterre,  mesure  de  Brest,  pèse  561  livres  ;  une  pareille  mesure  de  celuy  de 
Nivernois  ne  pèse  que  536,  et  c'est  une  règle  générale  en  matière  de  charbon  de 
terre  que  le  plus  léger  en  pareille  quantité  est  le  meilleur.  »  (Lettre  da  ministre  de 
la  marine  à  M.  Desclouzeaux.  —  Octobre  1692). 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  43 

que  les  unes  restèrent  plus  ou  moins  actives,  d'autres  furent  complète- 
ment abandonnées. 

De  tous  les  exploitants  particuliers  qui  se  sont  succédé  dans  les  mines 
de  Decize,  jusqu'au  moment  où  l'autorité  souveraine  intervint  pour  les 
régir,  le  sieur  de  Valizendor  est  celui  qui  a  laissé  le  plus  de  souvenirs 
dans  le  pays.  Seigneur  des  Ecots,  il  fit  construire  l'ancien  château  de 
ce  nom  ;  propriétaire  des  raines  les  plus  importantes  de  La  Machine,  il 
fit  bâtir  des  logements  pour  ses  ouvriers  et  ériger  une  chapelle  qui 
servit  ensuite  d'église  paroissiale  (i);  enfin,  il  fit  ouvrir  la  route  par 
laquelle,  jusqu'en  1840,  on  transportait  la  houille  aux  ports  de  la  Loire 
et  du  canal  du  Nivernais  (2). 

En  1776,  le  duc  de  Nevers  concéda,  pour  trente  ans,  ses  droits  sur 
la  châtellenie  de  Decize  aux  sieurs  Pinet  et  Gonnet,  qui,  moyennant 
redevance,  avaient  déjà  obtenu  la  cession  du  droit  des  Minimes  sur  le 
territoire  de  La  Machine. 

Le  premier  était  seigneur  des  Ecots;  le  second,  exploitant  de 
mines  et  fils  de  propriétaire  minier.  Se  conformant  à  un  arrêt  du 
14  janvier  1748,  ils  demandèrent  au  roi  l'autorisation  d'exploiter, 
sous  la  raison  sociale  Gonnet  et  associé,  toutes  les  mines  situées  aux 
environs  de  Decize,  ce  qui  leur  fut  accordé  le  13  mai  1780,  pour  trpnte 
années,  moyennant  400  livres  à  payer  annuellement  à  l'Ecole  des 
mines  (3). 

(A  suivrej  L.-M.  Poussereau. 

(1)  Cette  chapeUe  dut  être  bâtie  dans  les  premières  années  du  xviir  siècle,  puisque, 
d'après  les  registres  de  la  paroisse  de  Champvert,  on  y  célébra  t^  ois  mariages  le 
7  juin  1707.  Elle  était  située  devant  la  maison  Pravieux  et  occupait  la  moitié  de  la 
largeur  de  la  roule  actuelle.  (L'ancienne  route  passait  sur  l'emplacement  des  cafés 
Goiclurd  et  Dupieux  fils  ) 

Les  archives  de  Champvert  contiennent  aussi  des  indications  intéressantes  sur 
Tactivilé  de  notre  houillère  à  cette  époque  :  on  y  voit,  en  effet,  figurer,  en  1709,  un 
directeur  des  machines  et  charbonnfères  (Joseph  Lafautche);  en  1718,  un  chirur- 
gien (Pierre  de  Naucourt)  et  un  notaire  (Léonard  Legros)  ;  en  1720,  un  chef  de 
La  Machine  (Benoit  Bigard,  de  Saint-Laurenl-de-Bugey)  ;  plusieurs  commis  et  chefs 
OTvriers;  des  mineurs  et  des  manœuvres;  des  charpentiers,  des  maréchaux  et  des 
Toituriers,  ainsi  que  des  marchands,  des  tailleurs  d'habits,  des  tisserands,  des  caba- 
retiers,  etc.  Indépendamment  des  Liégeois,  il  était  venu  dans  le  pays  des  ouvriers  de 
rAoforgne,  du  Limousin,  de  la  Savoie,  etc. 

(2)  Avant  Tou ver ture  de  cette  route,  les  transports  de  charbon  n'étaient  faits  qu'à 
dos  de  bétes  de  somme. 

(3)  Les  limites  de  cette  concession  furent  fixées  à  la  circonférence  d'un  cercle  de 
cinq  cents  toises  de  rayon,  à  partir  du  puits  principal  où  la  pompe  a  feu  se  trouvait 
établie,  ce  qui  indique  clairement  qu'à  cette  époque  l'assèchement  d'un  des  puils 
^il  opéré  au  moyen  d'une  machine  à  vapeur. 


IlÎ  ■ '""î  jC  '^  '  133  i-.^- 


L.\  LEGENDE  t  E  LA   FAUVETTE 
A  TÈTE  NOIRE 

L:-  «ii-z  •»  p»-»!-'^:'  i  :-  >i  >.  '^:**-  :  •  f  :.--. 

P -'ir •j'f^  -iji-ilr^  r«ri.ls  T.'"!i-r>  Ii.is  ^z*^  i.i  ** 
Firm.  .►•  ■!Îi'-Trî:t •!_"♦?  -^c  .'**?  :  i  ."^  .  vr  15. 

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T:-it  [•?  b  :.'>>: -2  "':  :V:.  :•  - •r.-e  i:>  -.:  ii  i.iierr»?* 

—  P:  :^  d'-nfia:-.  r!  :s  i^  J.  *-  !  \  •    i.  >>  ci  1  i^iii-rt-s, 
L»?5  jr  :\  i-  la  fîii  .--^  ri  <*.  1  :  i-t  iv  -::  »-. 

!Ç.a.  ]•»  a'al  p!  ;>  >  Ir  .t.  f  1  :v-::^.  r^L--^  h-^  :-•  î>^  ! 

J-tte  na  t:..:^  «i-e  d-ri:!  >.ir  m-a  fr?::t  1  ji-iiiis! 

Et  la  f-nv-tte.  aviit  c»»  j  «ir-li  t  .':t-  zri-^, 
A  la  foata.'n»?  vit  *y>i  l'iie  «ii  .m:  :.:*^  a  3 -r 
SVt»^n«ire  5*'jr  sa  tè:-?,  rrt  ri  a  n*?  •:i«';i:.-i^ 

(  Entrait  iaMit  des  A/;<r"  /<r*  /«r  //i  A*'*  *;•?'. 


REVUE  DU   NIVERNAIS. 


45 


HIPPOLYTE   LAVOIGNAr*> 

Il  fut  un  des  rénovateurs  et  l'un  des  maîtres  en  France  du  bel  art 
de  la  gravure  sur  bois,  tombée  si  bas  dans  les  trente  premières  années 
de  ce  siècle. 

D'une  famille  originaire  de  Corbigny  (Nièvre),  fils  d'un  officier 
retraité  pour  blessures  et  pourvu  d'un  emploi  dans  les  finances, 
Marie-Augustin-Xavier-Hippolyte,  dernier  de  six  enfants,  naquit  àLaon 
le  25  janvier  1813,  et  commença  ses  études  au  collège  Charlemagne. 
Mais  son  père  ne  l'y  pouvant  maintenir,  le  fit  entrer  dans  une  maison 
de  commission,  comme  employé,  à  25  fr.  par  mois,  a  Cela  ne  m'allail 
pas  »,  dira  plus  tard  l'artiste  ;  aussi  son  bureau  ne  l'occupant  que  de 
neuf  heures  à  quatre,  il  travaillait  le  dessin  et  la  peinture,  s  offrant  le 
dimanche  de  longues  séances  au  Louvre  et  cherchant  à  se  lier  avec  les 
artistes,  surtout  avec  les  graveurs. 

Dès  1831,  il  abandonnait  le  commerce  et  s'efforçait  d'acquérir  la 
technique  du  graveur,  surtout  du  graveur  sur  bois.  D'artistes  en  ce 
genre,  il  n'y  en^avait  pas  alors  en  France  d'origine  française,  et  nous 
étions  les  tributaires  de  l'Angleterre  représentée  chez  nous  par  une 
colonie  d'hommes  de  talent,  entre  autres  par  Andrew  et  Best.  Fondé 
en  1833,  le  Magasin  pittoresque  allait  être  un  des  facteurs  les  plus 
utiles  de  la  renaissance  désirée. 


(1)  Extrait  du  Journal  des  AHb^  6  octobre  lUOO. 


46  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Cependant  Lavoignat  continuait  ses  essais,  mais  la  fortune  s'obsti- 
nait àrignorer.  EnQn,  l'éditeur  Dubocbet  eut  l'idée  de  s'adresser  à  lui 
pour  collaborer  à  la  traduction  des  croquis  de  Gigoux  destinés  à  cette 
édition  illustrée  de  Gil  Bios  qui  fut  la  première  série  à  laquelle  il  n'a 
manqué  qu'un  meilleur  papier  pour  Qgurer  au  livre  d'or  du  livre  artis- 
tique en  ce  siècle.  Il  y  aurait  beaucoup  à  dire  sur  les  illustrations  de 
Gigoux,  dont  le  caractère  incertain  ne  donne  une  impression  ni  espagnole 
ni  française  ;  mais  c'est  aussi  un  peu  la  faute  du  livre.  Certes,  personne 
ne  l'a  plus  que  moi  en  admiration,  et  des  lectures  sans  nombre,  totales 
ou  partielles,  n'en  ont  pas  épuisé  le  cbarme  fait  d'enjouement,  de 
vérité  et  de  malice.  Et  quels  caractères  !  Quel  style^  net,  clair  et  si 
français  !  C'est  bien  comme  les  fables  de  La  Fontaine  : 

Une  ample  comédie  aux  cent  actes  divers. 

Mais  il  m'a  toujours  paru  que  ce  merveilleux  Gil  Bios  était  à  peu 
près  impossible  à  Illustrer  ;  et  la  raison  en  est  que  sous  son  vêtement 
tout  étranger  et  malgré  des  noms  espagnols,  c'est  un  des  livres  les  plus 
français  qui  soient.  Et  français  non  de  la  première  moitié  du  dix- 
septième  siècle,  où  se  déroule  la  vie  du  héros,  mais  de  la  première 
moitié  du  dix-huitième  siècle. 

L'illustrateur  se  heurte  donc  à  une  périlleuse  alternative  ;  adopte-t-il 
le  genre  espagnol  pour  nous  donner  du  Velazquez?  Il  se  met  en 
désaccord  avec  l'esprit  même  du  livre.  Choisit-il  au  contraire  le  cadre 
de  la  Régence  et  des  premières  années  de  Louis  XV?  Les  images 
jureront  singulièrement  avec  les  noms  des  hommes,  des  lieux  et  des 
choses.  Je  ne  sais  si  Gigoux  a  pensé  à  cela,  mais,  à  tout  prendre,  j'estime 
que,  consciente  ou  non,  la  demi-impersonnalité  historique  dont  il  s'est 
fait  un  système  dans  une  interprétation  vaguement  Louis  XIII,  n'est 
pas  maladroite.  Ne  demandons  pas  à  son  Gil  Blûê  plus  de  couleur 
locale  que  n'en  comporte  le  texte  lui-même  et  s'il  se  tient  générale- 
ment au-dessous  de  celui-ci,  c'est  le  sort  commun  de  tous  les  traduc- 
teurs. 

Les  charmants  petits  maîtres  du  dix-huitième  siècle  interprétaient 
beaucoup  en  gravant  les  compositions  fort  sommaires  que  leur  livraient 
les  illustrateurs  du  temps,  Gravelot,  Eisen,  Fragonard,  Moreau  le 
jeune  et  autres.  Prud'hon,  lui  aussi,  a  procédé  souvent  par  des 
croquis  fort  abrégés  où  est  tout  l'essentiel  ;  à  ses  graveurs  ordinaires 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  47 

Copia  et  Roger,  à  mettre  le  détail.  Mais  le  plus  ordinairement  il  livre 
à  rinterprétation  par  le  pointillé  des  dessins  et  des  sépias  où  tout  est 
exprimé  avec  une  finesse  de  miniaturiste,  le  graveur  n'a  plus  alors 
qu'à  transcrire  mot  à  mot  le  texte  du  peintre.  Exécutés  à  la  plume  ou 
à  la  mine  de  plomb,  les  dessins  de  Gigoux  devaient  être  rendus  en 
quasi  fac-similé  et  avec  un  minimum  d'interprétation  ;  c'est  ce  que 
comprit  à  merveille  Lavoignat.  Comme  l'eau-forte,  les  tailles  de  la 
gravure  sur  bois  se  prêtent  fort  bien  à  un  procédé  auquel,  par 
définition,  se  refuse  le  burin  dont  le  grave  travail  est  différent.  Tout 
dans  le  Gil  Bios  n'est  pas  de  Lavoignat,  mais  ses  bois  comptent 
certainement  parmi  les  meilleurs  d'un  livre  qui  fit  d'emblée  de  lui 
un  des  maîtres  d'un  art  enfin  sorti  de  son  long  sommeil. 

Enumérer  maintenant  tous  les  beaux  ouvrages  illustrés  auxquels  a 
travaillé  notre  artiste  serait  faire  l'histoire  de  la  librairie  de  luxe  en 
ce  milieu  du  siècle.  Voici  d'abord  le  fameux  Paul  et  Virginie  de 
Curmer,  avec  bois  signés  ;  le  Journal  de  r Expédition  aux  Portes^de-Fer^ 
iSUj  avec  quarante-deux  bois  dont  huit  à  toute  page  ;  trente-six 
dessins  sont  de  Raffet  et  de  ses  meilleurs,  six  de  Dauzats.  Mémorial 
de  la  brillante  expédition  conduite  en  1839  de  Constantine  à  Alger 
par  le  duc  d'Orléans,  imprimé  sur  du  beau  papier  par  l'Imprimerie 
royale,  ce  volume  d'élite  peut  être  considéré  comme  le  plus  parfait 
du  temps.  Aussi,  non  mis  dans  le  commerce,  a-t-il  toujours  fait  prime 
dans  les  ventes. 

Il  est  assez  singulier  que  Lavoignat  soit  entré  tard  à  l'excellent 
Magasin  pittoresque  et  n'ait  fait  qu'y  passer.  Je  ne  relève,  en  effet,  que 
deux  bois  de  lui  d'après  Meissonier,  mais  de  la  dernière  beauté.  Le 
premier,  tome  XIV,  est  le  Corps  de  garde,  des  soldats  contemporains  de 
Louis  XIII  jouant  aux  dés  sur  un  tambour.  Si  au  moment  où  j'écris 
ces  lignes  je  n'ai  pas  la  gravure  sous  les  yeux,  elle  m*est  absolument 
présente  pour  l'avoir  maintes  fois  cherchée  et  admirée  dans  la  série 
du  Magasin  En  demeurant  lui-même,  l'outil  travaillant  le  buis  a  vrai- 
ment rivalisé  de  liberté  et  de  finesse  avec  la  pointe  de  l'aqua-fortiste, 
sans  toutefois  atteindre  à  ces  noirs  profonds,  veloutés,  que  seuls  peut 
donner  la  morsure  du  cuivre  secondé  par  un  tirage  intelligent. 

Le  Corps  de  garde  est  traité  en  tableau  et  le  sujet  s'inscrit  dans  un 
Irait  ;  les  Joueurs  de  cartes^  que  l'on  voit  au  tome  XVI,  sont  comme  un 
simple  dessin  à  la  plume  jeté  à  même  la  page.  Ces  joueurs,  l'un  jeune, 


18  RËVUÊ  DU  NIVERNAIS. 

Tautre  dans  )a  force  de  Tàge,  sont  des  hommes  de  la  classe  moyenne 
au  temps  de  Louis  XV  ;  attitudes,  types,  physionomie,  mimique,  tout 
est  ici  la  vérité  même.  On  ferait  un  chapitre  de  psychologie  sur  ces 
deux  bonshommes  d'une  puissance  dévie  égale  à  tout  ce  qu'a  produit 
de  plus  parfait  l'art  ancien  et  moderne.  Pour  l'exécution  de  la  gravure, 
elle  est  extraordinaire  ;  et  si  on  considère  que  cette  spontanéité  appa- 
rente a  été  obtenue  par  un  travail  de  force,  lent  et  minutieux,  que  ces 
traits  légers,  nerveux  sont  une  imitation  à  main  posée,  très  posée,  des 
libres  hachures  que  jetterait  sur  le  papier  la  plume  alerte  d'un  dessi- 
nateur, on  se  dit  qu'interpréter  ainsi  c'est  vraiment  créer. 

Je  ne  sais  si  Lavoignat  a  collaboré  à  l'illustration  du  Don  Quichotte^ 
traduit  excellemment  par  Louis  Viardot,  et  fort  bien  illustré  par  Tony 
Johannot  dont  il  est  le  chef-d'œuvre,  mais  je  le  retrouve  dans  TagréaUe 
Molière  en  un  volume  de  Hetzel,  dont  les  vignettes  sont  aussi  de  Tony 
Johannot,  dans  le  Lazarille  de  Termes,  imité  par  Lesage  et  auquel, 
comme  au  Paul  et  Virginie  de  Curmer,  Meissonier  n*a  pas  dédaigné 
de  donner  quelques  croquis  ;  enfin,  dans  les  Mystères  de  Paris  d'Eugène 
Sue,  pour  lesquels  Trimiolet  avait  fait  des  compositions  de  forme  un 
peu  abrégée  que  Lavoignat  dut  fortement  interpréter. 

Il  eut  aussi  une  grande  part  dans  Y  Imitation  de  Jésus-Christ^  éditée 
pour  l'Empereur  par  l'Imprimerie  impériale  en  1855,  et  dans  les  deux 
dictionnaires,  Architecture  et  Mobilier  de  Viollet-le-Duc  Ici,  l'œuvre  de 
Lavoignat  est  considérable  et  de  tous  points  excellente  ;  sans  doute, 
VioUet-le  Duc  ne  livrait  à  ses  graveurs  que  des  dessins  très  achevés  et 
d'une  précision  d'architecte  archéologue  :  mais  la  difficulté  était  préci- 
sément de  conserver  dans  la  gravure  cette  fleur  de  la  vérité  et  du  style 
que  pouvait  faire  évanouir  la  plus  légère  déviation  de  l'intelligence  et 
de  l'outil.  Eh  bien,  Lavoignat,  et  je  ne  crois  pas  en  pouvoir  faire  un 
plus  grand  éloge,  a  été  le  traducteur  fidèle  de  Viollet-le-Duc,  comme 
celui-ci  l'avait  été  des  architectes  et  imagiers  inconnus  du  lointain 
passé  national.  J'ajoute  que  le  graveur,  ayant  à  rendre  par  un  procédé 
toujours  le  même  les  substances  les  plus  diverses,  pierres,  bois,  métal, 
ivo're,  étoffes,  y  a  réussi  avec  une  perfection  qui  ne  fléchit  jamais. 

Aujourd'hui  nous  sommes  plus  exigeants  qu'il  y  a  trente  ans  ;  nous 
nous  défions  de  la  double  interprétation,  du  dessinateur  d'abord,  fùt-il 
Viollet-le-Duc,  du  gi«vctir  ensuite,  et  il  nous  faut  l'image  certaine  de 
la  chose  reproduite  par  les  procédés  impersonnels  dérivés  de  la  sincère 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  40 

photographie.  Au  point  de  vue  typographique,  le  livre  y  perd  assuré- 
meot  en  beauté  de  présentation  ;  mais,  épris  comme  nous  sommes  de 
documents  positifs  en  toutes  choses,  nous  n'en  avons  cure,  et  déjà  les 
deux  dictionnaires  de  Vioiiet-ie-Duc  sont  atteints  en  cela,  sans  compter 
le  reste. 

L'excellent  graveur  sur  bois  Guillaumot,  associé  lui  aussi  à  cette 
grande  œuvre  d'art  et  d'archéologie,  mérite  les  mêmes  éloges  que 
Lavoignat. 

Mais  l'œuvre  maîtresse  de  celui-ci  me  paraît  être  l'illustration  des 
Contes  Rémois,  par  le  comte  de  Chevigné,  publiés  par  Michel  Lévy,  en 
1858.  L'auteur,  un  rimeur  millionnaire  et  d'esprit  un  peu  gaulois, 
s'offrit  le  luxe  d'une  illustration  hors  pair  et  s'adressa  à  Meissonier,  au 
Meissonier  de  la  première  manière,  celui  qui  s'était  fait,  moins  la  cou- 
leur, le  Chardin  du  dix-neuvième  siècle,  avec  cette  différence  que, 
gens  et  choses,  Chardin  peignait  ce  qu'il  voyait,  tandis  que  c'est  par 
un  effort  d'intuition  et  de  volonté  que  Meissonier  revivait  le  dix-hui- 
liérae  siècle  évanoui. 

Pour  les  Contes  Rémois,  Meissonier  fit  quarante  dessins  d'en-tête, 
qui  sont  autant  de  chefs-d'œuvre  d'esprit  et  de  goût  ;  si  le  faire  est 
moderne,  le  sentiment  est  aussi  dix-huitième  siècle  que  chez  le  Grave- 
lot  des  Contes  moraux,  de  Marmontel,  mais  cela  est  poussé  bien  autre- 
ment loin  en  expression  et  en  malice.  Puis,  chez  Gravelot  tout  se 
passe  dans  les  salons  à  trumeaux  ou  dans  des  tonnelles  arrangées  en 
salons  de  verdure,  tandis  que  chez  Meissonier  souvent  intervient  savou- 
reuse et  fraîche  la  nature  extérieure.  Il  y  a  encore  un  certain  inté- 
rieur d'église  vide  avec  des  bancs  délabrés,  qui  est  un  petit  chef- 
d'œuvre  d'esprit. 

Lavoignat  a  gravé  vingt-quatre  dessins  seulement  ;  les  autres  l'ont 
été  par  Lavielle,  Perrichon,  Régnier,  Deschamps  et  un  anonyme.  Je 
n'hésite  pas  à  dire  que  les  bois  de  Lavoignat  sont  très  au-dessus  des 
autres,  même  de  ceux  de  Lavielle;  c'est  la  perfection  même  du  genre. 
Jamais  le  buis  ne  fut  épargné  d'une  main  plus  légère  et  plus  sûre. 
Aussi,  des  fumés  tirés  sur  chine  de  ces  merveilleuses  vignettes  sont- 
ils  d'introuvables  et  exquises  raretés.  De  telles  choses  ne  se  referont 
plus  ;  remplaçant  le  patient  travail  des  burins,  la  simili-gravure,  le 
gilloltage  ne  donnent  plus  que  l'apparence  grisée  et  alourdie  des  des- 
sins à  la  plume.  Un  livre  tel  que  les  Contes  Rémois  est  aussi  impossible 


50  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

aajourd'hui  qu'un  livre  d'heures  patiemment  minuté  par  un  miniatu- 
riste du  quinzième  siècle.  Nous  avons,  à  la  place,  les  romans  illustrés 
par  des  photographies  d'après  nature,  ce  qui  est  bien  la  chose  la 
plus  maussade,  la  plus  laide,  la  plus  morte  enfin  qui  se  puisse  ima- 
giner. 

Je  ne  sais  si  les  Contes  Rémois  n'amenèrent  pas  des  difficultés,  flna- 
lement  une  quasi-brouille  entre  le  graveur  et  Meissonier,  qui  ne  pas- 
sait pas  pour  être  d'un  commerce  des  plus  faciles  ;  sur  ce  point,  Lavoi- 
gnat  fut  toujours  très  secret,  mais  son  silence  était  significatif. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  livre  de  M.  de  Chevigné  fut  comme  le  chant  du 
cygne  pour  l'çirtiste,  dont  les  yeux  irrémédiablement,  fatigués,  avaient 
besoin  d'un  repos  bien  gagné.  Il  quitta  Paris  en  1861  et  s'établit  au 
pays  anceslral,  à  Corbigny,  où  subsistent  encore  les  grands  bâtiments, 
caserne  monumentale  du  dix-septième  siècle,  d'une  ancienne  abbaye 
bénédictine.  On  sait  que  les  moines  choisissaient  à  merveille  l'assiette 
de  leurs  résidences,  et  le  pays  est  charmant,  tout  de  verdure  intensive, 
de  prairies,  d'eaux,  de  grands  bois  et,  à  rencontre  de  tant  de  lieux 
plus  agréables  à  voir  qu'à  habiter,  d'une  salubrité  parfaite.  Lavoignat 
passa  doucement  ses  dernières  années  dans  une  jolie  maison  partagée 
avec  son  frère  ;  elle  avait  un  beau  jardin,  une  cour  bordée  par  l'Angui- 
son,  affluent  de  l'Yonne,  et  l'artiste,  devenu  un  pêcheur  aussi  déter- 
miné qu'habile,  jetait  la  ligne  sans  sortir  de  chez  lui. 

Dans  cette  douce  habitation  d'un  sage,  mais  où  bien  des  choses  par- 
laient encore  de  l'art  toujours  aimé,  jamais  oublié,  il  se  plaisait  à 
recevoir  ses  anciens  amis  de  Paris,  Daubigny,  Corot  surtout,  qui 
avaient  pris  goût  à  ce  pays  où  riaient  toutes  les  nymphes  de  la  ver- 
dure, des  eaux  et  des  bois.  Corot  a  fait  une  mare  de  Corbigny,  qui  est 
un  de  ses  chefs-d'œuvre.  Et  Lavoignat,  qui  ne  louchait  plus  à  ses 
chers  outils  de  graveur,  s'était  remis  à  la  peinture  qui  ne  lui  avait 
jamais  élé  cruelle  ;  j'ai  vu  de  lui,  datant  de  cette  période,  des  tableaux 
d'une  pâle  solide  et  franche. 

Il  eut  même,  à  Corbigny,  deux  élèves,  M.  Edouard  Pail,  qui  fait  la 
meilleure  figure  aux  Salons  de  Paris  et  de  la  province,  et  M.  Chartier, 
peintre  aussi,  et  l'un  des  dessinateurs  humoristiques  de  la  Vu  mo- 
derne. 

J'ai,  sous  les  yeux,  deux  photographies  de  Lavoignat  vieux  et  puis 
en  vivifier  les  inuetles  images  par  les  souvenirs  d'un  de  mes  bons 


REVUE  DV  NIVERNAIS.  51 

amis,  M.  Gustave  Porcherot,  receveur  de  l'enregistrement,  qui  a  vécu 
quatre  années  à  Corbigny  dans  l'intimité  de  Tartiste  parisien  devenu 
c-ampagnard.  Je  le  vois  donc,  pas  très  grand,  la  taille  courbée  par 
rbabitude  de  s'être  tenu  trente  ans  la  loupe  d'horloger  incrustée  dans 
l'arcade  sourcilière,  penché  sur  l'établi  où  est  fixé  le  bloc  de  buis  poli. 
Sa  large  barbe  blanche  éployée,  son  air  ravagé,  un  peu  bohème  ;  son 
large  chapeau  mou  rougeàtre,  ses  hautes  bottes,  la  longue  pipe  de 
terre  fixée  aux  lèvres,  lui  donnaient  l'air  de  quelque  vieux  chef  boër.  Je 
Tentends  tutoyant  tout  le  monde  et  contant,  d'une  voix  faubourienne, 
ses  grasses  histoires  d  ateliers  peuplés  à  l'ancienne  mode  de  rapins 
hirsutes,  ennemis-nés  du  bourgeois. 

Et  la  maison  était  bien  l'image  de  l'homme  ;  ouverte  à  tous  et  hos- 
pitalière comme  un  atelier  du  temps  jadis^  on  y  allait  et  venait,  on  y 
fourrageait  comme  chez  soi,  on  arrivait  pour  deux  jours  et  on  demeu- 
rait des  semaines.  L'excellent  homme  au  cœur  d'or  était  ravi  et  se 
montrait  d'autant  plus  joyeux  lorsque,  dans  son  logis  si  plein  de  mou- 
vement, il  paraissait  comme  un  hôte  de  plus. 

Intarissable  en  souvenirs  artistiques  et  en  jugements  sur  les  hommes 
et  les  choses,  il  ne  sortait  de  son  ton  de  bonhomie  un  peu  gouailleuse 
que  si  l'on  disait  devant  lui  du  bien  d'Ingres  ou  du  mal  de  Viollet-le- 
Duc.  Inutile  de  dire  que  ses  auditeurs  s'amusaient  à  amorcer  la  bour- 
rasque et  que  le  vieil  artiste  tombait  infailliblement  dans  le  piège. 
Surtout  il  ne  pardonnait  pas  à  Ingres  d'avoir  indignement,  banalement 
manqué  le  diplôme  de  l'Exposition  universelle  de  1855.  En  ce  qui 
concerne  Viollet-le-Duc,  il  avait  pour  sa  mémoire  ce  respect,  ce 
dévouement  absolu,  intransigeant  que  le  célèbre  architecte,  toujours 
très  bon  et  de  la  plus  délicate  bienveillance  pour  ses  collaborateurs, 
sut  inspirer  à  ses  élèves  et  à  tous  ceux  qui  s'inspiraient  ou  avaient 
besoin  de  lui. 

C'est  dans  ce  milieu  ami,  dans  cette  retraite  de  sage  que  Lavoignat 
s'éteignit  le  24  octobre  1896,  à  quatre-vingt-quatre  ans.  Le  billet  de 
faire  part,  que  j'ai  sous  les  yeux,  ne  fait  suivre  son  nom  d'aucune 
mention  honorifique.  Non  seulement  la  boutonnière  de  Lavoignat 
n  était  pas  étincelée  de  rouge,  pas  même  de  violet,  mais  jamais  il 
n'obtint  la  moindre  récompense  aux  Salons  ;  cependant  il  avait  exposé 
comme  peintre,  en  1848, 1849,  1850, 1857, 1859  ;  comme  graveur  en 
1841,  1844,  1847,  enfin  à  l'Exposition  universelle  de  1855  il  s'était 


52  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

présenté  avec  un  cadre  de  dix-sept  bois  choisis.  Rien  n'y  flt;  assuré- 
ment Lavoignat  ne  connut  jamais  Tart  de  se  rendre  agréable  aux 
souverains  dispensateurs  des  médailles,  mais  c'était  à  ceux-ci  à  l'aller 
chercher  dans  sa  retraite  pour  le  mettre  dans  la  lumière  à  laquelle  il 
avait  tant  de  droits.  Peut-être  aussi  en  ce  temps  où  la  calligraphie  du 
beau  burin  passait  pour  le  seul  art  noble,  où  l'eau-forte  renaissante  ne 
semblait  qu'une  fantaisie  et  un  à  peu  près,  tenait-on  la  gravure  sur 
bois  pour  un  procédé  inférieur  plus  proche  du  métier  que  de  l'art,  bon 
pour  les  journaux  illustrés  et  les  livres  à  images. 

Cette  injustice  doit  être  réparée  ;  Lavoignat  fut  vraiment  un  maître 
qui  dans  l'interprétation  des  œuvres  des  autres  apporta  non  seulement 
une  technique  consommée  et  très  personnelle,  mais  encore  une  par- 
faite intelligence  des  originaux.  Je  ne  crois  pas  que  dans  ses  rares 
eaux-fortes  Meissonnier  se  soit  mieux  traduit  lui-même  qu'il  ne  l'a  été 
par  Lavoignat.  Et  je  loue  surtout  celui-ci  d'avoir  poussé  la  science  du 
procédé  jusqu'aux  dernières  limites  du  genre  sans  les  avoir  jamais 
franchies,  d'être  enfln  demeuré  graveur  sur  bois  sans  chercher  à  donner 
l'illusion  de  l'eau-forte  ou  du  burin,  ce  qu'on  a  trop  souvent  tenté 
après  lui. 

J'estime  donc  qu'il  y  a  lieu  de  rappeler  le  nom  et  les  œuvres  de  cet 
homme  de  talent  délaissé  en  son  temps,  oublié  aujourd'hui  où  l'art 
d'inciser  le  bois  succombe  sous  l'assaut  des  engins  expéditif  dérivés  de 
la  photographie,  où  les  journaux  illustrés,  jusqu'au  sage  Magasin  pit- 
toresque lui-même,  se  laissent  envahir  par  l'insipide  instantané  repro- 
duit par  la  molle,  la  grise  similigravure. 

Lavoignat  signa  d'abord  ses  gravures  de  ses  initiales  H.  L.,  puis  les 
conjugua  dans  un  petit  rectangle.  Les  bois  des  Contes  Rémois  sonisignés 
de  son  nom  entier.  André  Arnoult. 


Saint-Seine-l'Abbaye  (Côte-d'Or), 
septembre  1900. 


*^* 

^ 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  o^ 


POETES    CASTILLANS    (Suile) 


Enricpie  OU  y  Garrasoo. 
LA    NEIGE 

(Fragment), 

Pour  les  mirages  et  les  charmes 
Dont  tu  m'abusais,  que  de  fois, 
0  Neige,  coulèrent  mes  larmes, 
Quand  je  voyais  entre  mes  doigts 

Ma  fantaisie,  hélas  I  si  douce 
Se  changer  en  un  peu  de  mousse 
Que,  sous  un  souffle  décevant, 
Emportait  à  son  gré  le  vent  !... 

...  L'illusion,  vit-elle  encore? 
Non,  Neige,  je  ne  peux  plus  voir 
Dans  ton  mystérieux  miroir 
De  la  gaité  les  fleurs  écloses  ; 
Mon  cœur  est  vieux,  las,  sans  espoir. 

Mon  enfance  a  passé  bien  triste  ; 
Plus  encor,  ma  jeunesse  en  deuil. 
En  toi  je  trouvais  bon  accueil  ; 
Aujourd'hui  mon  espoir  consiste 
Dans  la  paix  seule  du  cercueil. 

Mais  ô  toi.  Neige  tant  aimée, 
Dans  ton  voile  enveloppe-moi, 
Donne-moi  le  calme,  car  toi 
Seule,  de  mon  âme  opprimée, 
As  compris  le  cruel  émoi. 


Traduction  de  ACHILLE  MlLLîEN. 


LA  CINQUIÈME  EXPOSITION  DE  LA  SOCIÉTÉ  ARTISTIQUE 


La  cinquième  exposition  de  la  Société  artistique  de  la  Nièvre  s'est  ouverte  le 
15  septembre  pour  se  clore  le  31  octobre.  Les  salons  de  l'Orangerie,  mis  gracieuse- 
ment à  la  disposition  de  la  Société  par  les  membres  du  cercle,  ne  sont  malheureuse- 
ment pas  favorables  à  une  exposition  d*art  ;  le  jour  est  défectueux  ;  à  part  un  ou  deux 
panneaux,  les  murailles  sont  inondées  d'une  lumière  crue  ou  frôlées  d'une  clarté 
fausse.  Aussi  bon  nombre  de  jolies  toiles  n'offrenl-elles  pas  aux  yeux  du  spectateur 
toute  la  valeur  qu'elles  possèdent. 

Nous  n'^ivons  qu'à  répeter  aujourd'hui  ce  que  nous  avons  dit  de  la  précédente  exposi- 
tion. La  plupart  de  nos  artistes  nivernais  sont  représentés  (quelques-uns  font  défaut, 
et  non  des  moindres  :  Urbain  Bourgeois,  Boisseau,  Duvivier,  etc.).  A  coté  de  ceux  qui 
sont  déjà  des  vétérans  appréciés,  Pail,  Monteignier,  Martin  des  Amoignes,  Garcemeiit. 
Mûri,  Barillet,  voici  Berthault,  Henri  du  Verne,  Cyr  Deguergue,  Ch.  Clair,  et  à  leur 
suite,  les  derniei^  venus,  nombreux,  pleins  de  talent,  de  promesses  ou  d'espérances. 
Nous  aimerions  à  citer  les  œuvres  de  Mme  Blond,  MM.  Gautheron,  Jolivet,  Lamon- 
tagne,  Barat,  etc.  , 

Parmi  les  pastels,  aquarelles,  dessins,  dans  cette  salle  où  sVvoque  le  souvenir  du 
bon  peintre  que  nous  avons  perdu,  Ch.  Le  Blanc  Hellevaux,  il  y  aurait  beaucoup  à 
mentionner:  MM.  Camuzat,  Guvonnet,  Paul  et  Louis  Mohier,  Délavai,  Chalandre  ; 
Mlle  Mathieu,  Mme  la  comtesse  îmbart  de  la  Tour  ;  nous  ne  pouvons  qu'effleurer  le 
sujet  dans  cette  revue  rapide.  A  la  sculpture,  nous  relevons  les  noms  de  Mme  Signoret- 
Ledieu,  MM.  Marquet  et  Barat. 

Nous  passerons  sous  silence,  faute  d'espace,  les  envois,  souvent  très  remarquables, 
des  artistes  étrangers  à  notre  département.  En  somme,  cette  cinquième  exposiliou 
possède  la  valeur  et  offre  l'attrait  de  celles  qui  l'ont  précédée.  L.  H. 


LIVRES  ET  PERIODIQUES 


/ 


Trcuii lions  populaires  :  Les  mois  en  Franche-Comté ,  par  Charles  Beauquier. 
—  Paris,  E.  Lechevalier  et  Maisonneuve,  in-S®  raisin. 

Sous  ce  titre,  Téminent  président  de  la  Société  des  traditions  populaires,  M.  Charles 
Beauquier,  vient  d'ajouter  à  ses  ouvrages  de  folklore,  une  nouvelle  et  importante 
contribution.  En  un  volume  de  près  de  200  pages,  il  a  réuni  la  somme  des  traditions 
populaires  de  son  pays  relatives  aux  mois.  De  janvier  à  décembre,  il  groupe  autour 
de  chaque  fête,  de  chaque  iour  de  marque,  les  usages,  les  dictons,  les  chansons  spé- 
ciales, etc..  travail  aussi  clair  que  complet  qui  doit  prendre  place  dans  la  biblio- 
thèque de  tout  folkloriste  et  tel  qu  on  était  en  droit  de  l'attendre  de  Fauteur  des 
Chansons  populaires,  du  Blason  populaire,  etc.,  de  la  Franche- Comté. 


REVUE  DU   NIVERNAIS  55 

Hôpitcd  de  Nevers,  Statistiqtie  du  service  de  chirurgie  de  1890  à  1890  ^  par  le 
docteur  Albert  Panne.  —  Grand  in-8*,  Vallière,  imprimeur. 

En  une  soixantaine  de  pages,  Pexcellent  chirurgien  en  chef  de  l'hôpital  de  Ncvers, 
publie  une  étude  sur  le  service  de  la  chirurgie  en  cet  hôpital  durant  une  période  de  dix 
ans,  pendant  laquelle  3,254  malades  ont  été  admis  et  observés:  «  Revue  générale,  dit 
Fauteur,  qui  montrera  que  la  chirurgie  a  eu  pour  objectif,  dans  le  cours  des  dix  der- 
nières années  écoulées,  de  s*engager  et  de  se  maintenir  dans  la  voie  du  progrès  •.  Le 
docteur  r^nné,  dont  tous  les  Nivernais  apprécient  hautement  la  science  et  Part,  veut 
associer  aux  mérites  de  son  rapport  ses  confrères  les  docteurs  David  et  Jourdan  ;  il 
remercie  aussi  les  sœurs  du  service  •  qui  par  leur  assistance  journalière  et  par  les 
eflbrts  qu  elles  ont  faits  pour  améliorer  le  personnel  d'inArmiers,  ont  concouru  effica- 
cement au  traitement  des  malades  •.  Entîn  il  signale  encore  •  les  services  excep- 
tionnels rendus  par  l'infirmier  en  chef,  Jean  Cottin  -. 


Un  écrivain  des  plus  distingués,  dont  la  presse  a  enregistré,  en  y  applaudissant,  la 
réœnte  nomination  dans  la  Légion  d'honneur,  M.  Jean  Bernard,  ayant  déjà  mené 
diverses  enquêtes  dans  le  Figaro,  vient  d'en  ouvrir  une  nouvelle .  sur  ce  sujet  : 
(JueUes  ont  été  la  grande  joie  et  la  grande  douleur  de  votre  vie  f  II  interroge  sur 
ce  point  les  hommes  en  vue  et  communique  leur  réponse  à  ses  lecteurs.  La  question 
a  été  posée  à  M.  Achille  M  illien,  et  voici  ce  qu'écrit  M.  Jean  Bernard  : 

•  Ouvrons  une  parenthèse  pour  notie  enquête  et  interrogeons  un  poète  de  mérite, 
M.  Achille  Millien  qui  vit  dans  le  grand  air  du  Nivernais,  dont  il  s'est  constitué  le 
chantre  passionné. 

•  M.  Achille  Millien^  dans  une  lettre  familière,  m'écrit  : 

•  La  grande  joie,  la  grande  douleur  ?  je  cherche  ;  je  me  rappelle  une  journée  très 

•  heureuse,  lorsque  j'ai  appris  par  hasard,  en  ouvrant  un  journal,  que   TAcadémie 

•  avait  couronné  un  de  mes  livres,  j'avais  vingt-quatre  ans.  Il  y  a  d'autres  bonnes 

•  Journées  dans  mes  souvenirs,  mais  celle-là  est  bien  gravée  dans  ma  mémoire. 

•  Grande  douleur  :  Je  n*en  ai  pas  ressenti  de  plus  gr.mde  qu'à  la  mort  de  mes 

•  parents  •. 

Et  comme  j'insistais  pour  que  le  poète  exprimât  ces  émotions-là  en  vers,  voici  le 
beau  sonnet  que  je  viens  de  recevoir  : 

Bonheur  naïf  et  vrai  dont  je  garde  mémoire  ! 
Sur  le  livre  nouveau  d'un  jeune  homme  inconnu. 
Les  Quarante,  flattant  son  espoir  ingénu, 
Ont  posé  leur  couronne...  et  je  r^ve  de  gloire. 

Jours  d'indicible  deuil  où  tout  semble  illusoire  ! 
()  mon  père,  ô  ma  mère,  hèlas  I  je  suis  venu 
Tandis  que  vos  cercueils  gonflaient  le  tertre  nu 
Où,  pour  adieu  suprême,  on  plante  une  croix  noire. 

—  Ainsi  sont  faits  nos  jours  et  d'ombre  et  de  soleil. 
Au  jardin  de  nos  cœurs,  —  essaim  gris  ou  vermeil. 
Triste  ou  gai,  des  oiseaux  divers  battent  de  l'aile  ; 

Les  uns  prennent  leur  vol  et  ne  reviennent  pas, 
Les  autres  pour  jamais  s'attachent  à  nos  pas.  . 

—  O  fugitive  Joie  I  ô  douleur  étemelle  ! 

AcmLLE  MILLIEN. 
Beaumont-Ia-Ferrière  (Nièvre). 


Nous  détachons  les  lignes  suivantes  du  compte  rendu  de  l'Exposition  rétrospective 
du  Pavillon  de  la  Ville  de  Paris,  par  M.  Pierre  Dubois  (Journal  des  Arts)  : 

«  Parmi  ces  vues  d'autrefois,  il  en  est  d'exceptionnellement  attrayantes  par  leur 
sujet  et  la  finesse  de  leur  exécution  ;  ce  sont  celles  du  chevalier  de  Lespinasse  (Louis- 
iSicolas),  peintre,  membre  de  l'Académie,  chevalier  de  Tordre  royal  militaire  de 
Saint- Louis,  né  en  1734  à  Pouilly  (Nièvre)...  Il  mourut  en  1803.  11  y  a  de  lui,  à  notre 
Exposition,  toute  une  série  d'albums  qui  contiennent  de  très  jolies  aquarelles,  notam- 
ment des  vues  de  la  place  Louis  XV,  de  la  ville  et  du  château  de  Versailles,  du 
village  de  Sceaux,  du  Grand-Trianon,  du  Palais-Bourbon  et  du  Coui^la-Beine,  de 
la  Ca^;ade  du  château  de  Versailles,  de  l'Orangerie  et  de  la  pièce  d'eau  des  Suisses. 
Toutes  ces  vues  datent  de  1778  à  1780  ou  environ...  ». 


50  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

NOTES  ET  ÉCHOS 


,  * .  Le  23  septembre  dernier  mourait,  à  Paris,  le  poète  Gabriel  Vicaire,  au  talent 
duquel  toute  la  presse  a  rendu  un  hommage  mérité.  Vicaire  n'était  pas  étranger 
à  notre  Nivernais  ;  il  y  séjourna  plusieurs  fois  ;  il  venait  à  Beau mont-Ia- Perrière 
lire  à  notre  directeur  ses  nouvelles  compositions.  Il  s'était  placé  au  premier  rang 
de  ses  contemporains  par  son  talent  frais,  gracieux,  jeune  et  alerte,  de  pure  race, 
tout  débordant  de  la  sève  populaire,  tout  imprégné  des  parfums  de  la  poésie 
primitive  II  se  contentait,  pour  écrire  de  petits  chefs-d'œuvre,  du  vers  prosodique 
et  son  esprit  clair  ne  pouvait  admettre  les  exagérations  de  l'école  décadente,  dont 
il  avait  n  et  fait  rire  aans  un  pastiche  célèbre  :  Les  déliquescences  dWdoré  Flou- 
pette  (en  collaboration  avec  M.  Henri  Beauclair.)  Il  écrivait  à  M.  Achille  Millien.  il 
y  a  quelque  douze  ans  :  «  Ce  que  vous  m'avez  dit  de  mes  Ernaxix  bressans  m'a 
irait  un  plaisir  extrême,  car  vous  êtes  de  ceux  dont  j'apprécie  le  plus  le  jugement, 
de  ceux  qui  écrivent  franc  et  net  et  qui  voient  juste.  Vous  qui  vivez  en  pleine 
nature,  vous  ne  pouvez  vous  douter  de  la  littérature  dont  nous  sommes  menacés. 
Baudelaire  était  a  coup  sur  un  grand  atliste,  mais  il  a  laissé  une  famille  bien 
déplaisante,  bien  peute^  comme  on  dit  chez  vous.  Imaginez-vous  le  comble  de  la 
préciosité,  de  la  prétention,  de  l'entortillement,  Bt  vous  serez  encore  à  cent  lieues  de 
ce  que  font  les  jeunet  gens  d'aujourd'hui.  Avec  cela,  pas  mal  de  niaiserie,  et  une 
vanité  qui  vous  renverse  ».  Si  le  cabotinage  Texaspérait,  personne  n'avait,  pour  les 
débutants  sincères,  plus  de  sympathie  et  de  bienveillance. 

,  ' ,  Nos  compatriotes.  Sont  admis  :  à  l'Ecole  centrale,  M!  de  Champs  de  Saint- 
Léger  ;  à  l'école  de  Saint-  Cyr,  MM.  L.-M.  de  Vibraye,  de  Lavenne,  de  la  Chaise, 
F.-F.  de  Vibraye,  Ant.  d'Espeuilles,  Crochet,  de  Champs,  Favrel,  Altmayer,d'Agon, 
H.  Sanson  de  Sansal,  Berthier  :  à  l'Ecole  des  hautes  études  commerciales  de  Paris, 
MM.  R.  Chiapella  et  Aug.  Duché;  à  l'école  de  Châlons,  MM.  Ëug.  Cuenenu,  F.  Les- 
canne,  P.  Boulé,  Ph.  Carrier,  Ad.  Pardieux,  Fr.  Tréchol,  M.  Soudan,  Ph.  Guiton, 
J.  Guichard,  L.  Chaussard,  Alf.  Brevet,  Alb.  Vallet,  Aug.  Gaugnet,  Léon  Laporle 

—  Sont  nommés  :  chevaliers  de  la  Légion  d'honneur,  MM.  le  comte  de  Pardieu, 
directeur  du  dépôt  d'étalons  de  Saint-Lô  ;  Lambert,  lieutenant  aux  tirailleurs  mal- 
gaches ;  —  officiers  d'académie,  MM.  Em.  Serrus,  Victor  Gueneau,  Eyriès  (à  l'occa- 
sion de  la  visite  du  ministre  de  la  marine  à  Guérigny,  où  se  posait,  le  7  octobre,  la 
première  pierre  du  nouvel  atelier  d'aciérie)  ;  M.  V'andelle,  M»«  Mittaine,  à  Luiy 
(à  l'occasion  de  l'inauguration  de  l'hôpital.) 

—  M.  Alapetite,  préfet  du  Pas-de-Calais,  est  nommé  à  la  préfecture  du  Rhône  ; 
M.  le  lieutenant-colonel  Thévenet  est  nommé  directeur  du  génie  à  Dijon. 

L.    D. 

Le  Directeur-Gérant^  ACHILLE  MiLLiEN. 


@^^C^fX@ 


tl9ver$,  Imp.  0.  Valliért, 


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0  DIVORCE  !  (Suite) 


p 


ENDANT  le  trajet  dans    le    coupé   qui 
remporte  à  travers  les  rues,  qui  déjà 
redeviennent  tumultueuses,  Aline  reste 
inerle,  insensible  à  tout  ce  qui  n'est  pas 
cette  idée  lancinante  et  tenace,  lui  ron- 
geant le  cœur,  lui  tenaillant  le  cerveau. 
.'^  A  ses    oreilles,  le  mot    divorce    tinte 
Tgj|^    comme  les  funérailles  de  son  amour,  le 
^"^  glas    funèbre  de   son    bonheur,    mais 

aussi  fait  éclore  au  plus  intime  de  son  âme,  une  secrète  joie,  une  joie 
infernale,  celle  delà  vengeance  !... 

•%■ 

Arrivée  chez  sa  mère,  elle  met  celle-ci  au  courant  de  sa  situation, 
de  ses  projets. 

La  marquise  s'effare,  s'offre  en  médiatrice.  Aline  refuse  catégori- 
quement. 

—  Mais,  pauvre  folle,  avez-vous  bien  réfléchi  à  ce  que  vous  allez 
faire? 

—  Oui,  ma  mère.  D'ailleurs,  je  viens  de  passer  chez  le  notaire  qui 
m'a  promis  de  tout  arranger  pour  faire  prononcer  le  divorce. 

—  Comment?  Le  divorce!...  Vous,  une  chrétienne  ! 

—  Je  sais,  en  effet,  chère  mère,  que  l'on  ne  peut  désunir  ce  que 
Dieu  a  uni  ;  aussi,  jamais  je  ne  me  remarierai. 

—  Eh  bien  !  la  simple  séparation  de  corps  et  de  biens  suffit. 

—  Non  !  Non  I  Je  ne  veux  plus  rien  avoir  de  commun  avec  le  comte 
d'Estay,  plus  même  le  nom.  3 


'.(( 


1 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


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Et  la  Duit,  comme  tout  est  bien  à  Tunisson  de  leur  âme  souffrante  : 
des  arbres  géants  qui  se  lamentent  sous  la  caresse  de  la  brise  ;  de 
grandes  ombres  qui  s'allongent,  anxieuses,  autour  d'eux  ;  du  feuillage 
qui  frissonne  et  cette  grande  voix  inquiète,  tourmentée,  confuse,  qui 
s'échappe  de  la  nature  assoupie,  --  souffle  de  géant  !... 

Depuis  près  de  dix  jours  déjà,  Aline  fuit  le  monde.  Sa  douleur  est 
toujours  aussi  vive.  Il  lui  manque  un  confident,  une  personne  compa- 
tissante, comprenant  son  atroce  douleur  et  avec  qui  elle  puisse  libre- 
ment s'épancher.  Aussi  écrit-elle  bientôt  à  M''«  d'Andic  de  Kermor, 
la  seule  de  ses  anciennes  amies  de  pension,  avec  qui  elle  a  toujours 
correspondu  : 

«  Ce  n'est  pas  encore  M"»®  d'Estay  de  Bareul  qui  t'écrit,  ce  n'est 
plus  ton  Aline  :  c'est  une  fiancée,  une  fiancée  heureuse  (au  septième 
ciel,  pour  le  moins!)  qui  aime  et  se  sait  aimée.  Quel  bonheur! 
Bonheur  immense,  incommensurable^  tel  que  t'en  souhaite  un  : 

Ta  sœurette...  etc. 

»  C'est  de  la  sorte,  chère  Armellc,  que  je  l'annonçais  triomphale- 
ment, il  y  a  trois  mois,  mon  mariage  avec  M.  Alberl-Dieudonné 
d'Estay,  comte  de  Bareul.  Hélas  !  il  est  fini,  le  temps  des  rêves  et  des 
illusions,  fini,  ma  chère  I  Que  sont  lugubres,  n'est-ce  pas  ?  ces  sinistres 
mots  dans  la  bouche  d'une  femme  de  vingt-un  ans  !  Et  pourtant,  c'est 
la  triste  réalité.  Aujourd'hui,  ce  n'est  presque  plus  M»"«  la  com- 
tesse de  Bareul  qui  t'écrit  ;  je  redeviens  Aline  de  Trasson,  mais,  cette 
fois,  le  cœur  endeuillé,  saignant  d'une  blessure  profonde,  inguéris- 
sable. 

1  Notre  existence,  en  effet,  se  scinde,  se  dissout.  J'ai  déserté  le 
domicile  conjugal.  Je  vis  à  la  campagne  ,  en  attendant  que  noire 
divorce  (c'est  le  sujet  de  ma  brouille  avec  maman  qui  voudrait  une 
séparation  amiable)  ail  l'honneur  d'alimenter  la  conversation  des 
bonnes  amies.  Je  tiens  à  l'annoncer  aussitôt  cette  affreuse  nouvelle. 
Les  curieux,  souvent  médisants,  inconscients  quand  ce  n'est  point 
par  malignité  ou  jalousie,  parleront  à  tort  et  à  travers  sur  notre  cas. 
Ainsi  tu  sauras  du  moins  que  penser  de  tous  leurs  dires. 

>  Tu  penses  bien  que  de  son  côté  pas  plus  que  du  mien,  nous  ne 

sommes  tombés,  M .  d'Estay  et  moi, sous  le  coup  de  la  loi,  pour 

employer  l'expression  de  MM.  les  juges.   Non.   Nous  nous  sépa- 


j 


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REVUE  DU  NIVERNAIS.  01 

longues  nuits  de  fièvre  et  de  cauchemar.  Elle  vit,  Tàme  bourrelée 
d'amers  remords  que  son  orgueil  refuse  d'admettre,  traversée  d'indi- 
cibles inquiétudes... 

Jour  et  nuit,  elle  ressasse  toute  sa  vie,  ses  heures  —  oh  !  bien 
courtes!  —  d'illusion,  de  bonheur,  puis  de  désenchantement,  de 
sombre  désespoir. 

En  ce  moment,  elle  revit  pour  la  centième  fois,  l'heure  où,  chaste 
et  innocente  ;  elle  se  donna  tout  entière  à  l'homme  qui  vaillamment 
lui  avait  sauvé  la  vie  au  péril  de  ses  propres  jours,  l'homme  qui  lui 
semblait  le  mieux  réaliser  l'idéal  rêvé.  A  vingt  ans,  qui  ne  rêve!..- 
Elle  ressasse  la  délicieuse  minute  où,  point  de  mire  d'une  foule  nom- 
breuse et  distinguée,  ils  ont  échangé,  Albert  et  elle,  le  serment  sacra- 
mentel, le  serment  fatal  qui  les  lie  l'un  à  l'autre  I 

Etait-il  bien  nécessaire,  ce  serment?  Leurs  cœurs  ne  l'avaient-ii^i 
pas  fait  déjà  ?...  Ignorante  de  la  perversité  des  hommes,  elle  le  croyait 
alors;  mais  aujourd'hui!...  Comme  elle  le  hait  à  présent,  cet  homra<^ 
qui  a  brisé  sa  vie,  forfait  aux  engagements  les  plus  sacrés  !  Non, 
jamais  elle  ne  saurait,  elle  ne  pourrait  lui  pardonner  :  c'est  au-dessus 
de  ses  forces  !.. 

Alors  triste ,  d'une  empoignante  et  désespérée  tristesse,  elle  va 
machinalement  à  son  piano,  son  cher  piano  qu'elle  fait  tour  à  tour 
pleurer,  prier,  espérer  ;  son  piano  qui  seul  sait  exprimer  ses  peines  et 
ses  douleurs  et  momentanément  les  lui  faire  oublier.  Quelques  accords 
bruyants  résonnent  ;  une  voix  tremblante  s'élève  seule,  triste.  Il  y  a 
des  soupirs,  dans  cette  voix  ;  elle  est  entrecoupée  de  sanglots  ;  çà  et 
là,  une  note  perlée  tombe  comme  une  larme...  Un  motif  majeur  s<^ 
fait  entendre  comme  une  espérance;  puis  de  nouveau  les  basses  gron 
dent  ainsi  qu'un  tumulte  de  passions  humaines,  et  une  mélodie  sl^ 
détache,  calme,  douce,  vague  et  s'éteint  lentement. 

Et  les  yeux  mi-clos,  elle  ouït  l'écho  qui  répète  les  derniers  sons,  u» 
à  un,  lentement,  comme  à  regret.  Une  douce  rêverie  s'empare  d'elle.». 

(A  suivre.)  Ja. 


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REVUE  DU  NIVERNAIS.  63 

M.  de  Chaligny  ;  à  la  suite  se  trouvent  les  divers  fonctionnaires  de 
chaque  localité. 

On  a  omis  les  indications  sur  Tinstruction  publique  qui  sont  données 
(p.  114),  sous  la  rubrique  :  Note  tardive.  Elles  portent  les  trois 
collèges  de  Nevers,  Claraecy  et  La  Charité,  le  petit  séminaire,  école 
modèle  d'enseignement  mutuel  établie  à  Nevers,  dirigée  par  M.  Saletta- 
Maurelle,  et  plusieurs  maisons  libres  d'éducation,  une  pour  le  latin  et 
onze  pour  le  français,  probablement  des  maisons  particulières  conte- 
nant seulement  chacune  quelques  élèves.  Puis  trois  pensions  de  demoi- 
selles, les  sœurs  de  la  Charité  chrétienne,  Mmes  Saint-Cyr,  MlleRossin. 

11  n'y  a  aucune  mention  concernant  l'organisation  de  l'instruction 
primaire  dans  les  communes  rurales. 

La  petite  notice  (p.  107),  sur  les  forges  royales  de  LaChaussade,  a 
déjà  paru  dans  divers  autres  opuscules.  Les  forges  sont  dirigées  par 
M.  Barbé,  la  fonderie  par  M.  Lucas.  La  manufacture  de  porcelaine, 
occupant  deux  cents  ouvriers,  est  fréquentée  par  plusieurs  artistes  de 
grand  mérite,  qui  font  passer  ses  produits  dans  toutes  les  cours  de 
l'Europe  et  obtiennent  des  récompenses  aux  diverses  expositions. 

Tels  sont  les  renseignements  bien  insuffisants  donnés  par  ce  dernier 
essai  de  l'imprimeur  Roch,  qui  ne  se  représentera  plus,  et  que  nous 
avons  voulu  décrire  pour  être  exact. 

Une  autre  publication  isolée  ayant  l'apparence  et  le  titre  d*un 
annuaire,  parut  en  1829,  imprimée  chez  Delavau,  éditeur,  imprimeur 
de  la  préfecture.  L'auteur  est  Jean-Germain  Baudiot,  bibliothécaire  de 
la  ville  de  Nevers,  indiqué  seulement  par  les  initiales  J.-G.  B.  Le  titre 
porte  :  Annuaire  statistique ,  administratif  et  commercial  du  déparlement 
delà  Nièvre. 

L'ouvrage  est  d'une  réelle  valeur,  non  au  point  de  vue  historique 
qu'il  n'effleure  pour  ainsi  dire  pas,  mais  pour  Tétat  présent  du  Niver- 
nais, ses  ressources,  son  commerce,  ses  habitants.  Après  ce  premier 
essor  de  l'Empire  et  de  la  Restauration,  il  est  précieux  d'avoir  un 
rapport  très  étendu  sur  les  progrès  et  les  améliorations  déjà  bien 
accentués  à  cette  époque. 

Voici  le  résumé  aussi  succinct  que  possible  de  ce  consciencieux 
travail  : 

Première  partie,  calendrier  ;  deuxième  partie,  topographie,  situation 
et  étendue,  aspect  et  disposition  du  sol,  montagnes,  plaines  et  vallées, 


r 


64  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

substances  minérales.  On  y  examine  toutes  les  ressources  du  pays  en 
chaux,  potasse  et  soude  ;  quartz,  soufre  et  houilles  ;  plomb,  cuivre  et 
fer  ;  argiles,  tufs  et  laves. 

Puis  on  passe  aux  forêts  si  étendues  en  Nivernais,  aux  plantes  indi- 
gènes sylvestres. 

Les  rivières  et  ruisseaux,  les  sources  et  fontaines,  les  eaux  miné- 
rales et  thermales  de  Fougues  et  Saint-Honoré  ;  il  y  a  des  faits  et  des 
obsen^ations  utiles  dans  ces  études  souvent  reproduites  en  d'autres 
ouvrages,  mais  nulle  part  peut-être  aussi  bien  exposées. 

Les  étangs  et  marais,  leur  dessèchement  en  améliorant  le  sol  et 
l'atmosphère,  sont  minutieusement  décrits,  v  Les  pays  d'étangs  dévo- 
rent, dit-il,  leurs  malheureux  habitants  »  ;  et  plus  loin,  «  mais  leurs 
eaux  sont  le  premier  agent  des  usines  de  toute  espèce,  notamment  de 
celles  destinées  à  l'utilisation  des  substances  minérales  ». 

La  partie  naturaliste  est  aussi  très  développée.  Il  y  a  une  nomen- 
clature raisonnée  de  tous  les  animaux  indigènes  de  la  contrée  et  une 
description  très  étendue  sur  la  constitution  physique  et  les  maladies 
des  habitants. 

A  cette  occasion,  on  voit  (p.  57),  d'après  Parmentier,  la  liste  des 
famines,  mortalités,  épidémies,  pestes,  depuis  1217  jusqu'en  1770; 
puis  les  observations  météorologiques,  sécheresses,  crues,  gelées,  des 
premières  années  du  dix-neuvième  siècle.  La  conclusion  de  l'auteur, 
après  une  série  de  faits  et  de  remarques  sur  la  température  de  la 
contrée  est  «  qu'aucun  ordre  constant  ne  se  fait  remarquer  dans  le 
retour,  dans  la  marche  et  dans  les  effets  des  saisons  t.  Nos  agriculteurs 
nivernais,  spécialement  intéressés  à  la  température,  n'en  disent-ils 
pas  autant  aujourd'hui? 

Un  tableau  de  la  réforme  pour  la  conscription,  complété  par  dt^s 
remarques  physiologiques  sur  la  santé  des  conscrits,  mérite  d'être 
comparé  à  nos  générations  actuelles. 

fÀ  suivre.)  Uené  de  Lespinasse. 


^^ 


^^ 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  65 

POÉSIES 


LORMES 
VUE  PRISE  DE  MARNÉ 

A  Monsieur  A*^  Biliault, 

Sur  le  fond  violet  des  grands  nionls  incertains 
L'église  de  granit  se  détache  très  blanche  : 
On  dirait  d'un  flocon  neigeux  qu'une  avalanche 
A  donné  pour  décor  aux  horizons  lointains. 

Les  rocs  noirs  ont  poussé  des  bruyères,  des  thyms  ; 
De  son  hautbois  rustique  un  pâtre  taille  Tanche, 
Et  Ton  entend  parfois  la  cloche  qui  déclanche 
Au  tomber  de  la  nuit,  à  l'aube  des  malins. 

Trois  ou  quatre  maisons.  La  ville  ?  on  la  devine 
Cachée,  un  peu  plus  loin  derrière  la  ravine. 
Et  lorsque  j'aperçois  l'encerclement  bleuté 

Des  montagnes,  je  crois  qu'une  main  de  mystère, 
Dans  la  bague  de  bois  des  forèlsa  sculpté 
Ce  bijou  de  granit  splendide  et  solitaire. 

Tristan  de  Léon. 


LEVER   D'AURORE 

Toute  rose  et  voilée  au  sein  de  nos  vallons, 
La  nymphe,  aux  yeux  d'azur,  aux  pieds  divins  d'albâtre, 
S'éveille,  et  sur  son  front,  soudain,  viennent  s'ébaltre 
Les  rêves  envolés  de  ses  lourds  cheveux  blonds. 

L'odeur  de  l'aubépin  monte  en  encens  superbe  ; 
L'églantine  sourit  dans  les  buissons  noueux, 
Et  le  souffle  ondulé  des  matins  somptueux 
Passe  comme  un  frisson  sur  le  nid  et  sur  l'herbe. 

Et  c'est  un  doux  concert  de  parfums  exhalés 
Du  cantique  d'amour  de  l'Elernel  Poêle 
Eveillant  les  échos  d'heureux  avrils  en  fête  ; 

—  Pendant  qu'aux  seuils  d'azur,  tout  à  l'heure  étoiles, 
Et  rose,  et  ravissante,  et  les  doigts  constellés, 
La  gracieuse  Aurore  enguirlande  sa  tète. 

Joséphine  Bégassat. 
3* 


i 


66  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

LES  HOUILLERES  DE  LA  MACHINE 

PRÈS  DECIZE  (NIÈVRE) 
(5iii7c). 

III.  —  LA  MACHINE  AU  XIX*  SIÈCLE 

La  Société  Gonnet  dura  fort  peu  de  temps.  Eu  1782,  elle  céda  ses 
droits  sur  les  houillères  à  M.  Baudard  de  Saint-James,  moyemiant 
264,000  livres. 

Un  nouveau  bail,  consenti  à  ce  dernier  par  le  roi,  en  1784,  conférait 
au  concessionnaire  le  droit  de  tirer  du  charbon  dans  la  forêt  des 
Glénons,  à  Fondjudas  et  autres  lieux,  dont  le  duc  de  Nevers  était 
propriétaire,  ainsi  que  dans  les  propriétés  de  ses  vassaux. 

M.  de  Saint-James  s'associa  alors  avec  un  sieur  Périer  qui  fonda 
la  Société  Périer  et  C»«.  Le  roi  l'autorisa,  en  1785,  à  faire  construire  à 
Decize,  près  le  faubourg  Saint-Privé,  une  verrerie  et  une  faïencerie,  à 
condition  de  n'y  employer  que  du  charbon  de  terre. 

Mais  bientôt  après,  le  sieur  Périer  s'étant  retiré  de  l'association, 
M.  Baudard  éprouva  des  revers  de  fortune.  La  machine  à  vapeur, 
qu'il  ne  savait  pas  conduire,  devint  pour  lui  une  cause  incessante  de 
perte  ;  l'exploitation  périclita  entre  ses  mains  et  il  mourut  en  état  de 
faillite  (1). 

Tous  ses  biens  furent,  par  arrêt  de  la  cour  des  aides  du  5  août 
1789,  adjugés  à  un  sieur  Mintier,  menuisier  de  Paris,  qui,  dès  le 
25  janvier  1790,  céda  son  entreprise  à  M.  de  Mallevault,  moyennant 
le  paiement  de  l'adjudication. 

Ce  nouveau  concessionnaire  s'associa  une  dame  Harconney  ;  mais 
tous  deux  ayant  émigré  en  1792,  le  séquestre  fut  apposé  sur  les  mines 
de  La  Machine  et  un  sieur  Viard  Vauxmaine  fut  chargé  de  les  gérer 
comme  fermier  de  la  République.  Un  état  daté  du  21  messidor  an  II 
nous  fait  connaître  que,  dans  la  décade  précédente,  l'extraction  avait 
été  de  vingt-quatre  fournitures,  ou  de  3,189  quintaux  métriques  (2). 
Cet  état  indique  aussi  que  toutes  les  expéditions  de  houille  étaient 

(1)  Â  raide  d'un  plan  de  l'ancien  fief  des  Ecols,  nous  avons  pu  retrouver,  dans 
le  faubourg  des  Baraques  (jardin  Grillot),  remplacement  d'un  puits  qu'on  appelait 
•  le  crot  Saint-James.  • 

(2)  La  fourniture  contenait  cent  trente-deux  bacherolles  et  oeUes-d  pesaient  cha- 
cune 200  à  210  livres,  toit  un  quintal  métrique. 


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REVUE  DU  NIVCnNAIS.  6§ 

derrière  la  maison  Tèton  et  près  de  la  ligne  forestière  qui  fait  com* 
muniquer  la  route  de  Trois- Vesvres  avec  celle  de  Decize  ; 

80  Les  puils  ou  crots  de  la  Petite-Machine  (  dont  nous  n'avons 
jamais  connu  exactement  le  nombre),  qui  étaient  installés  dans  te 
quartier  de  ce  nom,  situé  au-dessous  des  Marizys,  à  Test  du  bas  du 
bourg  et  à  proximité  de  Tancien  fief  des  Ecots  (i). 

Il  y  avait,  en  outre,  plusieurs  petits  puits  à  charbon  dans  diverses 
autres  parties  de  La  Machine,  notamment  dans  la  région  de  la  Chaume 
et  dans  celles  des  Baraques  et  des  Coupes. 

Ces  anciens  puits,  abandonnés  et  comblés,  dont  quelques-uns 
étaient  munis  de  machines  à  vapeur  et  la  plupart  de  manèges  à  cbe* 
vaux,  devaient  leur  appellation,  les  uns  au  nom  du  propriétaire  du 
terrain  sur  lequel  ils  étaient  ouverts:  tels  les  puits  Jacobé,  Henry, 
Velleret  ;  les  autres,  au  lieu  où  ils  étaient  établis  :  comme  le  puits  de 
la  Chaume,  creusé  sur  une  ancienne  chaume  communale  ;  les  deux 
puits  de  la  Meule,  situés  près  du  ruisseau  de  la  Meule,  etc. 

Les  charbons  extraits  de  ces  puits  étaient  transportés  en  sacs,  à 
dos  de  chevaux  et  de  mulets,  ou  par  tombereaux  attelés  de  chevaux 
ou  de  bœufs,  aux  dépôts  établis  sur  le  port  de  Saint-Léger-des- Vignes, 
que,  pour  cette  raison,  on  appelait  et  on  appelle  encore  «  la  Char- 
bonnière ».  Ceux  de  ces  charbons  qui  n'étaient  pas  employés  par  les 
verreries  de  Saint-Léger  et  par  les  industries  locales  étaient  expédiés 
par  la  Loire  ou  par  le  canal  du  Nivernais,  le  chemin  de  fer  de  Never:» 
à  Chagny  n'existant  pas  encore. 

A  cette  époque,  les  routes  de  Decize  et  de  Trois- Vesvres  n'étant  pas 
non  plus  construites,  le  transport  des  charbons  de  La  Machine  s'effec- 
tuait, parfois  avec  de  grandes  difficultés,  par  des  chemins  accidentés, 
pavés  sur  la  moitié  seulement  de  leur  largeur  (du  côté  où  passaient 
les  tombereaux  chargés)  et  souvent  bordés  de  fondrières,  qui  deve- 
paient  presque  impraticables  en  hiver.  On  voit  encore  des  traces  de 
ces  anciennes  voies  dans  la  forêt  des  Minimes,  au  lieudit  «  les  Pontots  >, 
prés  de  la  route  actuelle  de  Decize  ;  dans  les  prés  de  la  Meule,  à  droite 
de  la  route  de  Trois- Vesvres  ;  et  il  reste,  sous  la  dénomination  de 
c  vieille  route  de  la  Petite-Machine  »,  entre  les  Marizys  et  la  grande 

(1)  Un  puils  appelé  «  Gros  det  Ecols  •  a  été  bénit  le  30  janvier  17^  •  à  la  réquW 
sition  de  noble  Jean-Pierre  Pinet,  seigneur  des  Eoote,  par  le  curé  dt  ThlangâSy  du 
oona^leiatnt  du  curé  de  Cbampvert,  ledit  cros  étant  dans  sa  paroisse  ».  (ilfchiv«s 
de  Champ  vert.  ~  Note  communiquée  par  M.  Gaston  Gauthier). 


68 

dirigées  sur     I  ^-^^ 
public.  Cep«M  I  •  1 
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REVUB  DU  NIVERNAIS.  71 

[(Tence  de  niveau.  Ces  écluses,  —  dont  on  voit  un  petit  mo- 

le  grenier  du  musée  de  la  Porte-du^Croux,  à  Nevers,  et  dont 

.  curieux  spécimen,  servant  de  kiosque,  dans  le  jardin  de  la 

des  mines,—  étaient  construites  en  pierre  de  taille  (1), 

en  planches  et  divisées  en  deux  compartiments  dans  lesquels 

idait  alternativement,  un  à  un,  sur  un  plateau  soutenu  par  de 

iines(2),  tous  les  vagons  pleins.  Ceux-ci  faisaient  monter, 

poids,  les  vagons  vides  dans  le  compartiment  adjacent.  Au  bas 

.0  écluse,  dont  la  hauteur  était  de  8  à  10  mètres,  des  manœuvres 

lit  les  vagons  pleins,  que  des   chevaux,  appartenant  à  des 

neurs  du  pays,  roulaient  ensuite  sur  le  chemin  de  fer  jusqu'à 

•f^  suivante,  où  recommençait  la  môme  opération. 

vés  au  Pré  Charpin  (lieu  situé  dans  la  forêt  des  Glénons,  — 

iir  le  territoire  de  Ohampvert  dont  il  forme  la  limite  ouest,  — -  à 

ométres  du  bourg  de  La  Machine  et  au  bord  de  Tétang  Gré- 

r),  les  charbons  étaient  versés  dans  des  trémies,  triés  et  classés 

grosseurs,  et  les  moins  propres  passés  dans  des  lavoirs  à  eau 

ante  ;  puis  ils  étaient  tous  rechargés  dans  les  vagons  et  trans- 

t^'s  par  des  chevaux  sur  la  voie  ferrée  qui,  dans  cette  partie  moins 

identée  de  la  forêt  des  Glénons,  allait,  sans  écluses,  du  Pré-Charpin 

port  de  la  Copine 

•  1  )  La  pierre  à  bâtir  est  extraite,  à  La  Machine,  de  carrières  de  grés  houiller  dont 
bancs  inclinés,  parfois  très  épais,  sont  superposés  aux  couches  de  houille. 
2)  On  donnait  le  nom  de  bascule  à  ce  plateau  et  à  l'écluse  elle-même,  et  on  appe- 
rt basculeurs  les  ouvriers  chargés  de  la  descente  des  vagons  de  charbon. 

[A  9uivre,)  L.-M.  PoussEREAU. 


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REVUE  DU  NIVERNAIS.  75 

—  Ne  m^as-tu  pas  entendu,  crie  le  seigneur  avec  colère  ;  qu'il  passe 
son  chemin  sur  le  champ,  ou  je  te  mets  à  la  porte  avec  lui  ! 

Le  serviteur  s'éloigne  à  regret,  mais  peu  d'instants  après,  se  pré- 
sente de  nouveau  devant  son  maître. 

—  Toi  encore,  hurle  celui-ci  ;  que  me  veux-tu  ?  mes  ordres  ne 
sont-ils  pas  exécutés  ? 

—  Si  fait,  monseigneur,  le  vieillard  a  passé,  appuyé  douloureuse- 
ment sur  son  bâton  de  houx  ;  mais  en  s'éloignant  du  château,  il  m'a 
dit  ces  paroles  :  <  Vas  dire  à  ton  maître  qu'il  a  refusé  l'hospitalité  à 
Jacques,  le  pèlerin  de  Dieu,  et  que  maudit  est  celui  qui  rejette  sans 
pitié  la  prière  du  pauvre  ». 

Le  seigneur,  haussant  les  épaules,  se  prit  à  rire  et  rapprocha  son 
fauteuil  du  brasier  oix  les  souches  énormes  s'effondraient  dans  un  bou- 
quet d'étincelles.  La  douce  chaleur  commençait  à  assoupir  sa  pensée, 
quand  un  bruit  léger  le  fit  tressaillir  :  un  corbeau,  perché  sur  la  che- 
minée du  château,  venait  de  laisser  tomber  de  son  bec  un  gland  dans 
la  cendre  chaude.  Le  seigneur  regardait  distraitement,  quand  soudain 
l'effroi  se  peignit  sur  son  visage.  A  la  chaleur  du  foyer,  le  gland  s'était 
fendu  et  laissait  paraître  une  frêle  tige  verle,  qui  bientôt  devitil 
arbrisseau,  puis  arbre,  et  montant  toujours,  grossissant  à  vue  d'œiU 
un  chêne  immense,  dont  la  puissante  ramure  fit  éclater  les  voûtes  et 
les  murailles  du  château  !... 

Le  méchant  seigneur  s'enfuit  sans  oser  regarder  derrière  lui.  Pris 
de  désespoir  et  de  repentir,  il  descendit  la  montagne  et  vint  fonder 
dans  la  plaine  un  ermitage  où  il  finit  ses  jours  aux  pieds  d'une  petite 
chapelle  dédiée  à  saint  Jacques  le  Pèlerin. 

La  chapelle  n'existe  plus,  mais  le  chemin  qui,  de  la  route  de  Van- 
denesse,  mène  au  ruisseau  des  Mouillëres,  porte  encore  le  nom  de 
chemin  de  la  Chapelle-Saint-Jacques.  ^« 

HIVER  ET  FAMINE 
SOUVENIRS    NIVERNAIS 

Les  petits  ramoneurs  ont  fait  leur  apparition  chez  nous  ;  les  oies 
sauvages  viennent  d'émigrer  vers  le  Midi  ;  les  feuilles  jaunies  des 
arbres  jonchent  la  terre  :  la  nature  entière  semble  en  deuil.  C'est 
l'approche  de  la  froide  saison  que  redoutent  surtout  les  pauvres  gen^;. 


^ 


76  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

car,  avec  son  cortège  de  misères,  elle  leur  rappelle  souvent  de  bien 
tristes  souvenirs. 

Le  moment  est  donc  opportun  pour  parler  du  plus  rigoureux  hiver 
dont  on  ait  gardé  mémoire  :  celui  de  4709-1710.  Le  froid  devint  si 
intense  en  décembre  et  surtout  en  janvier  (4)  que  toutes  les  récoltes 
gelèrent  sur  pied  d'où  une  disette  générale. 

Les  habitants  furent  décimés  d'effrayante  façon  ;  aussi  les  actes  ins- 
crits sur  les  registres  de  l'époque  sont-Ils,  malgré  leur  concision,  d'une 
lecture  terrifiante.  Chaque  jour,  hommes,  femmes,  enfants,  étrangers 
ou  non  au  pays,  —  des  mendiants  surtout,  et  ils  pullulaient  —  sont 
trouvés  morts  «  de  nécessité  »  sur  divers  points  de  la  commune  (2). 

Lorsqu'on  veut  les  inhumer  dans  le  cimetière,  on  est  souvent  dans 
l'impossibilité  de  creuser  le  sol  ;  aussi  dépose-t-on  leurs  cadavres  sous 
le  pavage  de  Péglise  ;  et,  quand  la  gelée  permet  de  fendre  un  peu  la 
terre,  la  même  fosse  reçoit  deux  ou  trois  cercueils. 

Sur  ces  anciens  registres,  on  a  consigné  également  la  hausse  très 
sensible  qui  se  produisit  alors  sur  les  céréales,  et  tous  les  produits 
destinés  à  la  consommation  (3).  D'où  une  famii\e  presque  générale, 
avec  toutes  les  horreurs  qu'elle  entraîne  à  sa  suite. 

Aussi,  voit-on  des  ouvriers  de  toute  condition  s'unir  et  former  de 
véritables  bandes  armées,  pillant  tout  sur  leur  passage,  détroussant 
sur  les  chemins  les  voyageurs  qui,  soit  à  pied,  soit  à  cheval,  ne  doi- 
vent généralement  leur  salut  qu'à  l'abandon  d^  leur  bourse  ou  de  leur 
monture  ;  s'emparant  des  voitures  chargées  de  vivres,  volant  les  ani- 
maux dans  les  étables,  le  grain  dans  les  moulins,  s'introduisant  sans 
scrupule  dans  les  maisons  habitées  pour  y  commettre  quelque  larcin. 
Il  s'ensuivit  naturellement  des  procès  avec  condamnations. 

Comment  passer  sous  silence  les  grandes  disettes  de  1693  et  1695, 
qui  inspirèrent  à  Vauban  son  beau  livre  de  la  Dîme  Royale,  et  la  famine 
lie  1793,  qui  sévit  d'une  façon  si  cruelle  aux  environs  de  Prémery? 

(I)  Le  fiuitl  coiniiieth-;t  le  6  janvier  à  midi  et  dura  19  jours  consêviiU&;  on  Utni- 
vait  lesi  fvnliix  e!  les  oiseaux  morts  dans  les  chami^. 

i-*'  U  y  en  eut  jus^iuà  15  dinhuuiês  en  (Xtobiv  1710  dausla  |Kiroi:iâede  Ghamprert. 

<3)  Les  b!t-s  avilit  été  totaletiuMit  ^elt-s  «lan<  la  itmtrèe  do  Decixe,  on  ne  pouvait 
se  prvx-uter  de  i:iaiiL<  de  s<Miu>noe  \xyur  1  ann»-e  suivante  et  le  fronieul  atteignit 
li">  soU  la  nifsure  de  IVvi/e.  ijîii  valait  un  jhhi  |»Ui<  d'un  dtvalitrv. 

Le  |Min  était  von -lu  8  <<»ls  la  livre  et  on  n'en  (iou\ait  tivuver  |«i>ur  de  TjrgenL 
iNot.-s  liuv"*  des  A!v:hi\es  de  ChanipTort». 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  77 

Les  commissaires  des  subsistances  de  Beaumont-la-Ferrière  ont  eu 
la  douleur  de  constater  «  que  la  famine  dévorait  alors  leurs  concitoyens, 
que  des  mères  épuisées  s'alimentaient  d'herbe  pour  allaiter  des  enfants 
qu'elles  étaient  sur  le  point  de  voir  périr;  qu'enfin  Touvrier  affamé, 
abattu  et  découragé  cessait  son  travail  !  d 

A  l'approche  d'un  hiver  qu'on  annonce  comme  devant  être  parti- 
culièrement rigoureux,  souhaitons  que  de  pareils  fléaux  nous  soient 
épargnés  !  Gaston  Gauthier. 

POETES    CASTILLANS    (Suiiej 


(Supplément.) 
ZorriUa. 

LA    SIESTE 

(Fragment). 

Trois  heures  :  le  soleil  de  juillet,  en  Caslille, 
Brûle  plus  qu'il  éclaire,  éblouit  plus  qu'il  brille. 
Et  la  lumière  est  flamme  embrasant  le  ciel  clair  ; 
Sur  le  sol,  pas  un  brin  d'herbe  qu'agite  l'air. 

Nul  souffle  ridant  l'eau,  courbant  la  moisson  mûre 
Nulle  chenille  aux  fleurs  portant  sa  bave  impure  ; 
Tout  se  flétrit  au  feu  de  l'été  desséchant  ; 
La  sauterelle  dort  sur  les  gazons  du  champ. 

Seul  je  veille,  dispos  en  ma  sérénité  ; 
Mon  cœur  est  débordant  de  joie  et  de  gaîté, 

C'est  que  voici  ma  Rose 
Qui  sur  mon  sein  s'appuie,  endormie,  et  repose. 

Sur  nous,  de  la  ramure 
Le  voile  ombreux  se  tend  ; 
La  fleur  soupire  autant 
Que  le  ruisseau  murmure. 

Tout  invite  à  la  sieste  aux  champs  ; 
0  mon  amour,  sommeille  ! 
Dors,  je  te  veille  ; 
Dors  à  mes  chants  ! 

Comme  en  chantant  la  mère  endort  avec  tendresse 
L'enfant  en  son  giron,  mon  chant  te  bercera  ; 
Elle  invente  pour  lui  mille  mots  de  caresse  ; 
Mille  chansons,  pour  toi,  mon  amour  les  dira. 


1 


1 


78  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Rose,  ton  cœur  aimant,  je  le  sais  bien,  s'enchante 
Des  vers  que  je  dis,  quand  le  sommeil  clôt  tes  yeux  : 
Quel  conte  voudrais-tu?  Que  veux-tu  que  je  chante? 
De  mes  chansons,  dis-moi  ce  qui  te  platt  le  mieux  ? 

Préfères-tu  ce  conte  :  un  sylphe  est  en  détresse, 
D*un  filet  de  duvet  captif  en  un  rosier  ; 
Une  abeille  Taimait  ;  la  nuit,  avec  adresse^ 
Elle  porte  son  miel  pour  le  rassasier  ? 

Préfères-tu  l'histoire  effroyable  de  celle 
Dont  un  jaloux  trancha  la  tète,  sans  penser 
Que  la  tète  coupée,  à  son  amant  fidèle. 
S'en  irait  chaque  nuit  lui  donner  un  baiser  ? 

Dors  cependant,  ma  vie,  au  son  berceur  des  vers 
Que  dit  ma  poésie  en  ses  rythmes  divers. 

Sur  nous  de  la  ramure 
Le  voile  ombreux  se  tend  ; 
La  fleur  soupire  autant 
Que  le  ruisseau  murmure. 

Tout  invite  à  la  sieste  aux  champs  : 
0  mon  amour,  sommeille  ! 
Dors,  je  te  veille  ; 
Dors  à  mes  chants  ! 

Salvator  Bermudez  de  Castro. 

A  la  comtesse  de  VaUe  san  Juan  sur  la  mort  de  son  père. 

Dieu  de  bonté.  Seigneur  que  l'univers  adore, 
Toi  qui,  serein  toujours  et  sur  ton  trône  ardent. 
Resplendis  dans  l'éclat  du  tonnerre  grondant 
Aussi  grand  qu'aux  rayons  purs  et  blancs  de  l'aurore, 

L'orphelin,  subissant  son  malheur  qu'il  déplore, 
Sent  d'amour  et  de  foi  son  âme  débordant  : 
De  son  sein  déchiré,  l'oraison  cependant 
Monte  à  sa  lèvre  pâle,  6  Seigneur,  et  t'implore  ! 

0  toi,  dont  la  main,  juste  en  sa  sublimité. 

Sait  semer  la  douleur  et  semer  lagatté. 

Prends  pitié  de  son  deuil  et  de  sa  grand'  tristesse  ; 

Pour  adoucir  sa  peine,  ô  Dieu,  mets  en  retour 
Le  calme  consolant  en  son  cœur  qui  s'affaisse 
Ou  rends  au  trépassé  la  lumière  du  jour  ! 

Traduction  de  ACHILLE  MlLUEN. 


LIVRES  ET  PERIODIQUES 

Armand  Billaud  :  Un  coin  du  Morvand  (le  canton  de  Lormes),  ouvrage  illustré 
de  30  photographies.  —  Glamecy,  Desvignes,  libraire-photographe^  éditeur,  in-18, 
142  paçres,  3  fr.  50 

Voici  une  agréable  et  importante  contribution  à  l'histoire  pittoresque  et  descrip- 
tive de  notre  beau  Nivernais.  Dans  une  alerte  préface,  Tauteur  dit  avec  esprit  :  «  C'est 
ce  cher  petit  pays  que  j'ai  cherché  à  faire  connaître  non  seulement  aux  étrangers, 
mais  encore  et  surtout  à  mes  compatriotes  du  canton  de  Lormes  ».  Et  ce  n'est  pas 
une  simple  boutade  d'humoriste  qu  il  faut  voir  dans  ces  paroles.  Le  fait  est  qUe  nous 
ne  connaissons  pas  notre  pays;  le  citadin  d'un  chef-lieu  de  canton  ienore  le  plus 
souvent  ce  que  son  propre  canton  renferme  de  beautés  naturelles,  de  tr&ors  archéo- 
logiques ou  artistiques  M.  Billaud  rend  désormais  inexcusables  ceux  des  Lormois, 
disons  même  des  Nivernais,  qui,  son  charmant  guide  en  main,  ne  feront  pas  avec 
lui  le  tour  de  ce  com  du  Morvand,  si  intéressant  à  tous  égards.  J'ai  eu,  pour  ma  part, 
le  plus  grand  pliisir  à  refaire,  en  parcourant  les  pages  de  ce  joli  volume,  une  excur- 
sion c[ue  j*ai  faite  plus  d'une  fois  ;  j'ai  revu,  par  le  souvenir,  éveillé,  grâce  aux  des- 
criptions de  M.  Armand  Billaud,  grâce  aux  photographies  qui  ornent  son  texte,  ce 
splendide  panorama  de  Lormes,  la  vieille  tour,  la  cascade,  Bazoches,  Epiry,  la 
vallée  de  Cnalaux.  Dun-les-Places  ei  ces  bords  de  la  Cure,  à  Saint-Père,  à  Chastellux, 
à  Saint-André,  un  des  sites  les  plus  curieux  de  notre  Morvand,  où  Corot,  avant  les 
jours  de  sa  grande  célébrité,  vint  passer  plusieurs  saisons.  Je  souhaite  que  M.  Armand 
Billaud  ait  de  nombreux  imitateurs  qui,  dans  chaque  canton,  révèlent  de  même 
tin  coin  de  notre  Nivernais.  J'ajoute  que  son  volume,  sous  sa  couverture  blanche,  où 
courent  les  arches  dupont  de  Montreuillon,  se  présent?  très  avantageusement.      A.  M. 


La  Revue  du  Nivernais  existe  par  et  pour  notre  province.  Tout  ce  qui  met  en 
relief  notre  pays  et  nos  compatriotes  doit  être  relaté  dans  ses  livraisons.  Nos  lecteurs 
nous  obligeront  toutes  les  fois  qu'ils  voudront  bien  nous  signaler  ce  qu'ils  auront 
trouvé,  à  ce  propos,  dans  les  divers  périodiques.  Nous  donnons  aujourd  hui  l'extrait 
suivant  d'une  étude  sur  le  Grand  Palais  de  VExposition^  par  M"*''  M.  Let*  de  Rute 
(Souvellê  Revue  Internationale^  31  octobre);  c'est  notre  ami  BafHer  qui  y  est 
apprécié  : 

•  Après  Frémiel  qui,  d'ailleurs,  se  plait  à  ressusciter  l'homme  préhistorique,  l'ar- 
tiste qui  a  su  le  mieux  montrer  le  paysan,  l'homme  de  la  nature,  l'ouvrier  du  sol, 
c'est  bien  certainement  BafTier.  Il  est  des  figurines  en  ronde  bosse,  ou  simplement  en 
relief  sur  étain  ;  des  types  qui  joip^nent  à  la  vérité  des  attitudes,  des  costumes,  une 
poésie  de  forte  saveur,  saine  et  vigoureuse  comme  les  odrurs  du  sol,  sans  idéalisme 
bucolique,  pareille  à  celle  qui  se  dégage  des  tableaux  de  Millet.  C'est  que  peut-être 
Baffier,  ce  simple,  ce  naïf  et  ce  sauvage,  ne  voit  pas  ses  paysans  en  sculpteur,  avec 
la  préoccupation  de  l'exactitude  réaliste  ;  mais  qu'il  les  voit  en  ami  et  en  artiste, 
leur  donnant  la  poésie  particulière  qui  est  en  lui,  parce  qu'il  trouve  qu'ils  en  ont 
une. 

•  En  regardant  les  innombrables  tentatives  faites  pour  orienter  la  sculpture  vers 
les  réalités  modernes,  j'étais  bien  forcée  de  m'avouer  qu'aucun  n'avait  la  conviction  et 
les  qualités  artistiques  de  mon  maître  Baffier,  le  génial  créateur  de  Jacques  Bonhomme. 
Baffier  n'est  pas  une  âme  hautaine  et  héroïque  ;  ce  n'est  pas  un  poète  épique  ou 
dramatique  ;  ce  n'est  qu'un  poète  champêtre,  mais  c'est  un  artiste  sincère  et  robuste. 
Ses  paysans  et  paysannes  ont  le  genre  de  beauté  que  donne  la  vérité.  C'est  penser 
que  de  les  aimer  et  de  les  observer  ainsi...  ». 


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iLltHiT  avec-  la  fraicii'.u- 


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I.  •    teinte  d'I->}H'i,iii"^. 

;  V  '  Marie  df  ûi'^. 

,  \:.d,  du  N..7t':  - 
u  ..<nij;ué  li»'UW'imn- 
-  .-•  •  Jo  ce  noiii. 

\   ,v  m  d'uiiNi^f 'TK-i? 

•  .    .tUX.  qui  Jl  C'I»lr.iL 


•V  s^^  do  r/liî7i/ii...'>*i. 
•  ;.  Mt^e,  les  rtAorù- 
-t.c  .î  .        L.  I'. 


--I  MlLUEN. 


.> 


CONTES  A   MES  ENFANTS 

VIII.  —  VEILLÉE  DE  NOËL 

A  flile,  tenez-vous  droite!  Voilà  mes- 
sieurs les  officiers  qui  passent...» 

Pourquoi  celle  phrase  d'autrefois 
hanle-t-elle  la  mémoire  de  M"o  Pichon, 
pendant  qu'assise  au  coin  du  feu  , 
dans  sa  bergère  en  velours  d'Utrechl, 
elle  tricote  des  vêlements  pour  les 
pauvres?....  Pourquoi  ce  souvenir  — 
un  peu  puéril  —  d'une  lointaine  jeunesse  poursuit-il  obstinément  la 
vieille  fille  en  cette  paisible  soirée,  la  veillée  de  Noël  ?... 

Il  y  a  beau  temps  qu'elle  ne  songe  plus  au  mariage  :  la  Saint-Laurent 
dernière  l'a  vue  franchir  la  soixantaine  ;  —  beau  temps  que  les  officiers 
ne  lèvent  plus  les  yeux  vers  la  fenêtre  où  elle  travaille  pendant  le  jour: 
ils  n'y  verraient  qu'un  visage  pâle  et  flétri,  sous  des  bandeaux  de  che- 
veux blancs  ;  —  beau  temps  que  les  lèvres  qui  disaient  ces  paroles  sont 
fermées  pour  jamais  :  à  cet  âge,  hélas!  on  n'a  plus  auprès  de  soi  ceux 
qui  vous  ont  donné  la  vie... 

Et  pourtant,  pendant  que  les  doigts  agiles  de  la  vieille  demoiselle 
tricotent,  tricotent  sans  relâche  une  chaude  brassière  «  pour  le  pre- 
.  mier  âge  »  avec  un  bruit  d'aiguilles  qui  se  choquent  dans  le  silence  de 
la  chambre  tiède,  pendant  qu'elle  laisse  aller  sa  rêverie  aux  souvenirs 
du  passé,  c'est  toujours  cette  même  phrase  qui  revient  obséder  sa 
mémoire  comme  pour  lui  dire,  l'indiscrète,  qu'elle  aurait  pu,  comme 
tant  d'autres  femmes,  avoir  un  foyer  de  tendresse  et  de  bonheur,  par- 


82  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

tager  avec  un  époux  aimé  les  peines  et  les  joies  de  ce  monde,  voir 
des  enfants  s'élever  et  grandir  autour  d'elle... 
Des  enfants  1...  Elle  qui  les  a  toujours  tant  aimés! 

«  Ma  fille ,  tenez-vous  droite  !  Voilà  messieurs  les  officiers  qui 
passent...»  Il  y  a  presque  un  demi-siècle  de  cela  et  il  semble  que 
c'était  hier... 

Elle  avait  dix-huit  ans  et  habitait  avec  son  père  et  sa  mère  cette 
même  maison  où  elle  est  seule  maintenant,  sans  personne  à  aimer.  Au 
sortir  du  pensionnat  où  elle  avait  fait  ses  études  (l'institution  Bornet, 
au  coin  de  la  rue  du  Vieux-Marché,  la  maison  où  est  maintenant  la 
gendarmerie),  elle  vivait  insouciante  et  heureuse  entre  ces  deux 
cœurs  tout  pleins  d'elle,  ne  songeant  pas  à  l'avenir...  Est-ce  qu'on 
pense  à  l'avenir  quand  on  a  vingt  ans?... 

Ses  parents  lui  parlaient  quelquefois  de  son  mariage  comme  d'une 
éventualité  probable,  mais  encore  lointaine  :  elle  était  si  jeune,  rien  ne 
pressait,  ils  voulaient  trouver  tout  à  fait  bien. ..  Et  quand  les  officiers  de 
la  garnison  -  des  lanciers,  dans  ce  temps-là  —  sortant  de  l'hôtel  voi- 
sin où  ils  prenaient  leurs  repas  (encore  un  immeuble  qui  a  changé  de 
destination  :  c'est  maintenant  l'imprimerie  de  V Indépendant)^  quatid 
les  officiers  levaient  les  yeux  vers  la  fenêtre  du  premier  étage,  ils 
étaient  sûrs  d'y  voir  une  tête  de  jeune  fille  fraîche  et  blonde,  mon 
Dieu  !  assez  agréable,  encor  qu'elle  ne  fût  pas  de  ces  beautés  à  sensa- 
tion, et  de  tout  temps,  comme  vous  savez,  les  jeunes  gens  ont  aimé  à 
regarder  les  figures  fraîches  et  blondes...  Alors  la  mère  disait  : 

«  Ma  fille,  tenez-vous  droite!  Voilà  messieurs  les  officiers  qui 
passent...  » 

Ce  n'était  qu'une  plaisanterie,  souvenir  d'un  vaudeville  alors  en 
vogue  ;  mais  cette  plaisanterie,  souvent  répétée,  faisait  toujours  rire, 
car  il  était  entendu  qu'on  ne  voulait  point  d'un  militaire  :  il  faut  trop 
souvent  changer  de  garnison  ;  et  puis,  ces  officiers,  c'est  si  exposé  !... 

...Cependant  le  temps  passait...  Plusieurs  partis  s'étaient  présentés: 
les  parents  avaient  refusé  sans  la  consulter  ou  dit  simplement  : 

€  Tu  sais.  Minette,  tu  viens  encore  d'être  demandée...  Mais  ça  ne 
pouvait  pas  te  convenir...  Nous  te  trouverons  mieux...  On  ne  se  marie 
bien  que  lorsqu'on  sait  attendre...  » 

Et  Minette  avait  attendu  docilement,  en  demoiselle  bien  élevée,  en 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  83 

fille  respectueuse  et  sage,  avec  la  secrète  espérance  que  l'époux  promis 
viendrait  à  son  heure,  et  la  vision,  confuse  et  très  douce,  de  petits 
enfants  qui  seraient  à  elle  et  qu'elle  pourrait,  comme  celles  de  ses 
amies  déjà  mariées,  câliner  sur  son  sein,  en  berçant  leur  sommeil... 

...  Elle  venait  d'avoir  vingt-quatre  ans  quand  son  père  était  tombé 
foudroyé  :  une  attaque  de  paralysie,  qui  Pavait  rendu  impotent  et 
infirme,  incapable  de  se  servir  de  ses  membres.  Que  pouvait-elle  faire, 
sinon  se  consacrer  à  lui,  le  servir  et  l'entourer  de  ses  soins?... 

Pendant  des  années,  il  avait  vécu,  si  cela  peut  s'appeler  vivre^  dans 
son  lit  ou  son  fauteuil  roulant,  ne  pouvant  se  passer  de  sa  fille,  la 
réclamant  avec  une  obstination  de  malade  dès  qu'elle  le  quittait  un 
instant,  car  elle  était  plus  adroite  et  plus  forte  que  sa  mère,  et 
personne  ne  savait,  comme  elle,  le  distraire  et  lui  faire  oublier  ses 
maux... 

C'est  elle  alors  qui  avait  repoussé  les  prétendants  :  elle  ne  voulait 
pas  quitter  son  père,  il  avait  trop  besoin  d'elle...  Pour  cacher  son 
sacrifice,  car  dans  le  fond  de  son  cœur  elle  rêvait  toujours  de  petites 
bouches  roses  qui  la  baiseraient  en  l'appelant  «  maman  »,  elle  avait 
déclaré  que  décidément  elle  ne  se  sentait  point  de  vocation  pour  le 
mariage,  affectant  de  se  trouver  très  heureuse  ainsi,  de  ne  rien  désirer 
de  plus  que  la  continuation  de  sa  vie  entre  ses  deux  vieux  qu'elle 
aimait  tant... 

Et  comme  elle  avait  gardé  un  inaltérable  fonds  de  bonne  humeur  et 
de  gaieté,  c'est  elle  maintenant  qui,  pour  égayer  ses  parents  —  pour 
les  tromper  aussi  peut-être,  —  au  cliquetis  des  sabres  et  à  la  sonnerie 
des  éperons  sur  le  pavé  de  la  rue,  disait  en  riant  la  phrase  passée 
en  dicton  dans  la  famille  : 

«  Ma  fille,  tenez-vous  droite!  Voilà  messieurs  les  officiers  qui 
passent...  » 

Ah  !  ils  pouvaient  bien  passer,  les  officiers  :  maintenant,  moins  que 
jamais,  on  se  souciait  d'eux... 

...  Pourtant  elle  avait  eu  son  roman,  éphémère  et  fragile.  Un 
officier  de  la  garnison,  resté  veuf  avec  deux  enfants,  s'était  rencontré 
avec  elle  chez  des  amis  communs.  Touché  des  caresses  qu'elle  prodi- 
guait à  ses  petits  orphelins  —  elle  ne  pouvait  rester  indifférente  avec 
les  enfants,  chaque  fois  qu'elle  en  voyait  sur  son  chemin,  —  attiré 
sans  doute  aussi  par  une  secrète  sympathie,  il  avait  pensé  à  elle... 


84  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Elle  se  souvenait...  Un  soir,  comme  ils  étaient  seuls  un  instant, 
avec  un  franc  regard  et  des  lèvres  tremblantes,  il  lui  avait  demandé 
de  venir  à  son  foyer  solitaire  et  de  servir  de  mère  à  ses  chéris... 

Elle  ne  s'était  pas  étonnnée,  ayant  le  pressentiment  de  cette 
demande.  Sa  réponse,  elle  Pavait  préparée  d'avance  :  que  deviendrait 
son  père  privé  de  ses  soins  ?...  Très  simplement  aussi,  avec  un  visage 
tout  à  fait  calme  —  pendant  que  son  cœur  battait  à  grands  coups  dans 
sa  poitrine  — ,  elle  avait  dit  qu'elle  ne  Voulait  pas  se  marier,  que  sa 
décision  était  irrévocable... 

Et  sa  jeunesse  s'était  écoulée  très  doucement,  dans  l'accomplissement 
de  son  devoir  filial ,' 

...  Un  jour,  le  père  était  parti  pour  le  grand  voyage  dont  on  ne 
revient  pas  et  la  vie  des  deux  femmes  avait  continué,  triste  et  mono- 
tone, au  foyer  touché  par  la  mort.  Elle  avait  trente-cinq  ans  ;  à  cet 
âge^'là,  on  a  définitivement  coiffé  sainte  Catherine...  Alors,  pour 
dépenser  son  activité  d'esprit  et  de  cœur,  elle  avait  organisé  l'emploi 
de  son  temps  ;  et  comme,  plus  que  jamais,  elle  était  attirée  par  les 
enfants,  que  rien  ne  l'intéressait  autant  que  ces  âmes  innocentes,  elle 
s'était  vouée  à  toutes  les  œuvres  qui  s'occupent  de  l'enfance  malheu- 
reuse, crèches,  salles  d'asile,  ouvroirs..:  Pendant  des  années  et  des 
années,  elle  avait  réchauffé,  nourri,  instruit,  ceux  que  la  pauvreté  ou 
le  crime  des  parents  abandonnent  aux  souffrances  et  aux  misères  de 
la  vie...  Pendant  des  soirées  et  des  soirées,  comme  aujourd'hui,  sous 
la  lumière  de  sa  lampe  à  capuchon  vert,  elle  avait  ourlé  des  langes, 
cousu  des  robes,  tricoté  des  jupons,  des  brassières  et  des  bonnets 
pour  les  tout  petits...  Les  enfants  des  pauvres  étaient  devenus  les 
siens... 

Et  la  vieillesse  était  arrivée  à  son  tour,  après  le  second  deuil  qui 
l'avait  laissée  tout  à  fait  seule... 

...  Maintenant,  elle  était  au  déclin  de  la  vie  et  toujours  tricotant, 
taillant,  cousant,  remuait,  dans  ses  heures  de  laborieuse  solitude,  les 
souvenirs  des  jours  écoulés...  Sans  doute,  sa  vie  n'avait  point  été  ce 
qu'elle  avait  espéré  :  mais  elle  avait  conscience  de  l'avoir  employée  à 
faire  le  bien,  oh  I  oui,  de  tout  son  cœur  et  de  toute  son  âme  et  elle 
avait  sa  récompense  :  elle  n'était  pas  une  vieille  filte  inutile  comme  il 
y  en  a,  tout  occupée  d'oiseaux  et  de  chats.  —  Peut-on  se  laisser 
absorber  par  des  animaux,  quand  il  y  a  les  enfants  !  —  Décidément, 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  85 

son  lot  n'avait  pas  été  sans  douceur,  elle  avait  eu  sa  part  de  bonheur 
ici-bas  :  n'Cst-ce  point  le  bonheur  que  de  se  dévouer  et  chercher  à 
faire  le  bien  ? 


Voici  l'heure  de  la  messe.  Dans  la  rue  sonore  un  bruit  de  sabots  et 
de  voix  annonce  les  fidèles  qui  se  rendent  à  l'église  pour  célébrer  la 
naissance  de  TEnfant-Dieu,  venu  au  monde  sans  vêtements^  sur  la 
paille  d'une  étable... 

M"®  Pichon  s'approche  de  la  fenêtre,  soulève  le  rideau,  regarde  à 
travers  le  givre  de  la  vitre  le  ciel  où  les  étoiles  scintillent  dans  la  nuit 
claire  et  songe  que  la  saison  va  être  dure  pour  les  pauvres  gens, 
qu'il  y  aura  bien  des  misères  à  soulager  et  que  ses  mains  ne  chôme- 
ront pas  cet  hiver... 

Puis  elle  roule  son  tricot  qu'elle  transperce  de  la  longue  aiguille  de 
bois,  couvre  la  bûche  de  Noël,  chausse  ses  socques,  s'enveloppe  de  sa 
grosse  mante  à  capuchon,  appelle  sa  servante  : 

«  Allons,  Mariette,  et  surtout,  ma  bonne,  n'oubliez  pas  d'éteindre 
votre  lumière  ». 

Les  deux  femmes  descendent  l'escalier,  la  vieille  fille  lourdement 
sous  le  poids  de  la  soixantaine...  Les  voilà  dans  la  rue...  Brrrr!  qu'il 
fait  froid  !...  et  pendant  que  Mariette,  avec  sa  gi'osse  clé,  ferme  la  porte 
à  double  tour,  un  bruit  de  sabres  heurtés,  bruit  de  jeunesse  et  de  vie 
(décidément  c'est  une  obsession),  vient  encore  remuer  au  cœur  de  la 
vieille  demoiselle  les  mélancoliques  souvenirs  d'autrefois  :  parfums 
de  fleurs  desséchées,  fantômes  de  tendresses  évanouies... 

François  Moireau. 


86  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

LES  HOUILLÈRES  DE  LA  MACHINE 

PRÈS  DECIZE  (NIÈVRE) 
(Suite). 

Après  l'exécution  de  ces  travaux  et  la  mise  en  exploitation  du  puits 
des  Zagots  et  de  celui  de  la  Haute-Meule  (1),  la  houillère,  —  qui, 
depuis  1838,  appartenait  à  une  société  anonyme  dont  le  siège  social 
était  à  Metz,  et  qui  comptait  parmi  ses  membres  M.  de  Gargan,  ancien 
juge  au  Corps  royal  des  mines  (2),  —  prit  de  Tiraportance  sous  la  bonne 
administration  de  H.  Schaerff,  et  sous  la  direction  technique  de 
M.  Jean-Baptiste  Machecourt,  ingénieur  distingué  de  TEcole  des  mines 
de  Saint-Etienne,  né  à  La  Machine  le  20  fructidor  an  XI  (6  septem- 
bre 1803).  Celui-ci  apporta  à  l'exploitation  de  grands  perfectionne- 
ments qui  furent  aussitôt  adoptés  par  la  plupart  des  houillères  de  la 
France.  On  lui  doit  surtout  Tune  des  plus  belles  et  des  plus  utiles 
inventions  qui  aient  été  faites  pour  sauvegarder  la  vie  des  mineurs  : 
nous  voulons  parler  du  parachute  surmontant  les  cages  d'extraction, 
dans  lesquelles  descendent  et  montent,  chaque  jour,  ainsi  que  dans  des 
ascenseurs,  tous  les  ouvriers  de  la  mine.  Le  parachute  Machecourt, 
dont  l'invention  est  antérieure  à  celle  de  tous  les  autres  systèmes 
connus  et  qui  valut  à  son  auteur  la  croix  de  la  Légion  d'honneur,  fut 
expérimenté  pour  la  première  fois,  à  La  Machine,  en  1845.  Cet  appareil 
très  ingénieux  se  compose  de  solides  ressorts,  qui  se  détendent  et  font 

(1)  Le  puits  des  Zagots,  qui  domine,  à  droite,  la  route  de  Trois- Vesvres,  est  établi 
dans  le  quartier  des  Baraques,  à  600  mètres  du  bourg  et  dans  le  prolongement  de 
la  rue  partant  de  la  place  de  l'Ëglise. 

Le  puits  de  la  Haute-Meule,  ou  des  Feneaux,  est  situé  sur  une  hauteur,  i 
1,900  mètres  du  bourg  de  La  Machine,  à  800  mètr3s  au  delà  du  ruisseau  de  la  Meule 
et  à  100  mètres  à  gauche  de  la  route  de  Trois- Vesvres,  qui,  à  cet  endroit,  serpente 
dans  les  bois. 

Cet  deux  puits  furent  reliés  extérieurement  par  un  petit  chemin  de  fer  à  double 
voie,  encore  en  service,  établi  en  plans  inclinés  sur  les  deux  coteaux  qui  s'élèvent 
de  chaque  côté  de  la  route  de  la  Meule,  au-dessus  de  laquelle  passe  ledit  chemin  de 
fer.  La  traction  se  fait  par  des  câbles  métalliques  glissant  sur  des  moulinets.  Le  plan 
incliné  de  la  Haute-Meule,  sur  lequel  descendent  les  bennes  pleines  et  remontent,  en 
même  temps,  les  bennes  vides,  est  automoteur  ;  celui  des  Zagots  est  remorqueur,  et 
une  petite  machine  en  assure  le  service. 

(2)  Cette  société  avait  remplacé  une  autre  compagnie  anonyme  formée  en  1816 
pour  conUnuer  rexploitation  de  la  concession  de  Decize  accordée  à  M.  de  MaUevanlt, 
dix  ani  auparavant. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  87 

enfoncer  les  extrémités  dentées  de  deux  fortes  tiges  d'acier  dans  les 
poutres  du  guidage  du  puits  aussitôt  que  le  câble  se  rompt  ou  cesse  de 
soutenir  la  cage.  D'après  les  anciens  mineurs,  qui  tous  avaient  pour 
H.  Machecourt  une  estime  voisine  de  l'adoration,  l'idée  de  cette  inven- 
tion lui  vint  un  jour  que,  à  la  suite  d'une  rupture  de  câble,  plusieurs 
ouvriers  furent  précipités  au  fond  du  puits  Henry.  Honneur  donc  à  ce 
chef  savant  et  laborieux,  simple  et  désintéressé  (4)  (tellement  qu'il  est 
mort  presque  pauvre,  en  1866),  qui  considérait  les  ouvriers  comme 
ses  enfants  et  passa  sa  vie  à  chercher  les  moyens  d'améliorer  leur 
sort  et  de  les  préserver  des  accidents  si  fréquents  dans  les  exploitations 
souterraines. 

De  1845  à  1850,  la  partie  de  La  Machine  constituant  aujourd'hui  le 
bourg,  se  garnit,  de  chaque  côté  de  la  nouvelle  route  de  Decize,  d'un 
certain  nombre  de  maisons  assez  bien  bâties  où  s'établit  le  premier 
commerce  local. 

En  1850,  on  commença  le  fonçage  du  puits  Marguerite  (2);  en  1854, 
on  creusa  le  puits  Saint-Jean  (3),  et  en  1858,  celui  des  Coupes  (4).  Les 
fonçages  s'effectuaient  ordinairement  au  moyen  de  manèges  mus  par 
trois  ou  quatre  chevaux.  Il  paraît  que  ces  animaux  étaient  si  bien 
habitués  aux  consignes  données  par  les  fonceurs,  à  l'aide  d'un  marteau 
frappant  à  l'extérieur,  qu'ils  se  mettaient  en  marche  sans  être  com- 

(1)  Le  désintéressement  de  M.  Machecourt  était  tel  qu^il  ne  voulut  pas  prendre  de 
brevet  pour  son  parachute,  afin  de  laisser  à  tous  la  faculté  de  le  copier.  Son  raison- 
nement ne  se  trouva  pas  juste,  car  personne  n'ayant  un  intérêt  pécuniaire  à  la 
généralisation  de  cet  appareil,  on  ne  fit  pas  de  réclame  et  il  resta  ignoré  jusqu'au 
jour  où  M.  de  Gargan,  qui  était  gendre  de  François  de  Wendel,  grand  maître  de 
forges  et  propriétaire  minier,  en  fit  faire  à  La  Machine  pour  ses  mines  de  Lorraine. 
M.  Fontaine  vit  là  le  parachute  Machecourt  et,  le  croyant  sans  doute  breveté,  substi- 
tua le  ressort  à  boudin  au  ressort  de  voiture  de  Tingénieur  machinois,  prit  un 
brevet  de  cette  invention  à  laquelle  il  donna  son  nom,  fit  de  la  réclame  et  fut  consi- 
déré comme  l'inventeur  du  premier  parachute.  Cependant,  M.  Schaerff,  après 
d'activés  démarches,  fit  rendre  à  M.  Machecourt  la  justice  qui  lui  était  due:  une 
enqiiéte  des  ingénieur^  de  l'Etat  rétablit  la  vérité  des  faits  et  leur  rapport  fût  inséré 
dans  le  Bulletin  de  VAccuiéniie  des  Sdences, 

(2)  Le  puits  Marguerite,  qui  eut  pour  marraine  M»*  Marguerite  Schaerff,  sœur  de 
Tancien  directeur  des  mines  de  La  Machine,  est  situé  en  pleine  forêt,  à  500  mètres 
au  gud-ouest  du  puits  de  la  Uaute-Meule. 

(3J  Le  puits  Saint-Jean  (aujourd'hui  arrêté),  dont  fut  parrain  Fingénieur  Jean- 
Baptiste  Machecourt,  est  installé  à  droite  et  au  bord  de  la  route  de  Trois- Vévres,  à 
deui  kilomètres  et  demi  du  bourg  de  La  Machine. 

i4)  Le  puits  des  Coupes,  qui  ne  sert  plus  maintenant  qu'à  Faérage  des  Zagots,  est 
situé  au-dessus  des  prés  de  l'Etang- Jaune,  entre  la  route  d'Anlezy  et  la  cité  Sainte- 
Eudoxle. 


/ 


88  REVUE  OU  NIVERNAIS. 

mandés^  et  à  la  vitesse  nécessaire  :  ainsi,  quand  les  ouvriers  voulaient 
faire  jouer  la  mine,  ils  en  prévenaient  par  un  premier  signal,  afln  que 
Ton  se  tînt  prêt  à  les  remonter  sur  le  tonneau  ;  lorsque,  la  mèche 
allumée,  les  fonceurs  donnaient  le  second  signal,  les  chevaux  du 
manège  partaient  d'eux-mêmes  et  avec  ensemble,  d'abord  au  pas,  pour 
ne  point  soulever  trop  brusquement  le  tonneau,  puis  au  trot,  pour  le 
mettre  rapidement  hors  de  l'atteinte  des  rochers  projetés  par  l'explo- 
sion. Dès  que  celle-ci  avait  eu  lieu,  les  chevaux  s'arrêtaient. 

En  1855,  on  construisit,  sur  le  côté  sud  de  la  cour  des  bureaux,  les 
ateliers  d'ajustage,  tournage,  forgeage,  chaudronnerie,  charpenterie  et 
menuiserie.  Le  côté  nord,  bordant  la  route  de  Trois-Vèvres,  est 
occupé  par  les  écuries,  bâties  depuis  1820.  Les  deux  pavillons  d'entrée 
de  la  cour  susdite  datent  de  cette  dernière  époque  :  celui  de  droite  fut 
habité  par  M.  Schaerff,  de  1840  à  1856,  avant  la  construction  de  la 
maison  de  direction  à  l'entrée  du  pays.  Antérieurement  à  1840,  les 
directeurs  résidaient  à  Saint-Léger-des-Vignes. 

Cependant,  la  houillère  prenant  chaque  année  plus  d'importance,  et 
un  assez  grand  nombre  d'ouvriers  des  campagnes  voisines,  attirés  par 
l'appât  du  gain,  étant  venus  se  fixer  à  La  Machine,  les  logements  ne 
furent  bientôt  plus  suffisants  pour  la  population.  Afin  de  remédier  à 
cet  inconvénient,  la  Compagnie  des  mines  fit  construire,  en  1856  et 
1857,  dans  le  quartier  des  Baraques  et  près  du  puits  des  Zagots,  un 
groupe  de  quarante  maisons  semblables,  qui  reçut  le  nom  de  cité 
Sainte-Marie  (1).  Beaucoup  d'ouvriers  profitèrent  de  la  faculté  qui  leur 
fut  donnée  de  devenir  propriétaires  des  maisons  de  ladite  cité  en 
versant,  chaque  mois,  une  somme  relativement  faible  en  sus  de  leur 
minime  loyer. 

L'extraction  de  la  houille  se  faisait  alors  par  les  puits  Glénons, 
Chapelle  ^2),  Zagots,  Marguerite  et  Haute-Meule,  au  moyen  de  machines 
â  vapeur. 

(1)  Une  statue  de  la  Vierge  surmonte  l'ancien  puits  à  eau  de  celte  première  cité 
niachinoise. 

(2)  Le  puits  de  la  Chapelle,  qui  tire  son  nom  du  voisinage  de  Pancienne  chipelle 
piiroitsiale,  a  été  creusé,  comme  celui  des  Glénons,  de  1825  à  1827.  Indépendamment 
iJ  une  machine  d'extraction,  il  possède  une  forte  machine  d'épuisement,  qui  a  été 
rnarnie  et  montée  par  des  Anglais.  Ce  puits  ne  sert  plus  aujourd'hui  qu'à  Tépuise- 
Tiicnt  des  eaux  de  la  mine  et  à  la  descente  d'une  partie  des  ouvriers  des  Glénons. 

Difons  ici  que  tous  les  puits  de  La  Machine  se  œmmuniquent  intérieurement  par 
lies  galeries  qui  sont  de  véritables  corridors  soutermins. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  89 

Cet  état  de  choses  dura  jusqu'en  1868,  époque  à  laquelle  la  Société 
anonyme  des  mines  de  Decize  vendit  la  houillère  de  La  Machine  à  la 
Compagnie  Schneider,  propriétaire  des  vastes  usines  du  Creusot. 

Cette  riche  et  puissante  compagnie  embellit  et  transforma  en  peu  de 
temps  notre  pays.  Après  Tavoir  préservé  de  la  misère  en  1870,  au 
moment  de  nos  désastres,  en  faisant  continuer  Textraction  malgré  le 
manque  de  vente  des  charbons,  elle  fit  faire,  en  1871,  la  magnifique 
installation  du  puits  des  Zagots;  puis,  en  1873,  elle  fit  construire, 
derrière  l'église  (1),  des  écoles  spacieuses  et  une  jolie  mairie.  En 
même  temps,  elle  perçait  un  nouveau  tunnel  de  700  mètres  de  lon- 
gueur et  établissait  un  chemin  de  fer,  avec  gare  de  classement  au- 
dessous  du  puits  des  Glénons,  pour  supprimer  les  écluses  sèches  et 
transporter  directement,  par  locomotives,  les  charbons  au  port  de  la 
Copine  (2). 

Ce  fut  aussi  à  cette  époque  (1873-1874)  que  Ton  amena  de  six  kilo- 
mètres, par  des  tuyaux,  Teau  de  la  Loire  à  La  Machine,  et  que  Ton 
bâtit  les  cités  de  la  Villedieu  (bordant  au  sud  et  à  l'ouest  la  cité 
Sainte-Marie)  et  Sainte  Eudoxie,  qui  eut  pour  marraine  M«»«  Eudoxie 
Schneider,  femme  de  M.  Henri  Schneider,  alors  directeur-gérant  des 
établissements  du  Creusot. 

D'autre  part,  le  bourg  s'embellissait  par  la  création  de  la  place  de 
la  Mairie,  par  la  construction  de  nouvelles  maisons  et  de  trottoirs  plantés 
d'arbres,  tandis  qu'un  grand  nombre  d'habitations  s'élevaient  sur 
divers  points  du  pays. 

En  1878,  des  lavoirs  mécaniques  remplacèrent,  au  Pré-Charpin,  les 
anciens  lavoirs  à  eau  courante,  et,  en  1881,  on  installa,  au  même  lieu, 
un  grand  atelier  de  criblage  et  de  triage  des  charbons  qui  occupe  une 
centaine  de  filles  et  de  femmes  de  La  Machine  (3). 

En  1893  et  1894,  la  Compagnie  Schneider  installa,  près  du  puits  de 
la  Chapelle  et  au  bord  de  la  route  de  Decize,  un  groupe  de  machines 
électriques  d'une  grande  force  destinées  à  faire  tourner,  à  plusieurs 
kilomètres  de  distance,  au  moyen  de  fils  aériens  ou  souterrains,  des 

(1)  Cette  église,  bâtie  en  1868  et  1869,  sur  remplacement  d'un  verger  ayant  appar- 
tenu à  M.  Jean-Baptiste  Machecourt,  remplaça  celle  qui  avait  été  édifiée  trente  ans 
plus  tôt  sur  la  place  actuelle  du  Marché. 

(2)  Celui-ci  est  établi  à  la  fois  au  bord  du  canal  du  Nivernais  et  près  de  la  ligne 
P.-L.-M.,  à  laquelle  il  est  relié  par  un  embranchement  particulier. 

(3)  Auparavant,  la  houille  était  criblée  et  triée  sur  les  puits,  au  sortir  de  la  raine. 


90  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

ventilateurs  pour  Taérage  de  la  mine  (1).  EnQn,  en  1895,  elle  établit, 
i  côté  de  la  station  d'électricité,  une  belle  machine  de  compression 
d'air  qui  actionne  des  treuils  placés  dans  les  puits  pour  monter  aa 
niveau  des  galeries  de  roulage  les  charbons  des  enfonçures. 

Toutes  les  installations  et  constructions  de  La  Machine  ont  été  faites, 
depuis  1865,  sous  la  direction  de  M.  Busquet,  qui,  d'abord  ingénieur, 
puis  nommé  dhrecteur  en  1868,  s'est  consacré  entièrement  an  dévelop- 
pement de  notre  houillère,  à  l'amélioration  du  sort  des  ouvriers  qu'il 
dirige  et  i  la  prospérité  de  la  commune. 

(A  suimrej.  L.-M.  POUSSERRAU. 


SONNET 

A  MU»  Marie  dPAwnay. 

Vous  aimez  La  Fontaine  et  mêlez  le  sourire 
De  la  prime  jeunesse  à  sa  naïveté. 
Votre  grâce  à  Thumour  de  son  vers  enchanté 
Ou*îl  cisela  dans  sa  tète  avant  de  récrire. 

Il  y  mit  son  esprit<»  il  j  mit  sa  galté. 

Le  ciment  génial  que  rien  ne  peut  détruire. 

Le  drame,  rintêrèl  —  charmant  pour  mieux  instnire  — 

Et  Part  franc,  avec  un  parfum  d'antiquité. 

Toute  rhuiuanitê  |iasse  et  tient  dans  son  livre  : 
CVst  un  cv>mbat  de  vie  et  de  mort  qui  s'y  livre  ; 
Et  de  nises  de  guerre,  et  d^ntriguets  combien  !... 

Mi^noiuu\  ou\r\^z  ce  U\re  et,  d*uae  voix  affiMe, 
Soutumt  le  pur  crislaK  dites  nous  une  fable 
Que  vous  dites  si  bien  ! 

Ldcis  DE  CocmiM»?. 


'j-^^: 


I  ■  ■  —         -j. 


ry-j-;--v:^^^ 


Vieux   Nevers 
LA  TOUR   GOGUIN    IL  Y  A  CENT  ANS 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


91 


M"^  ALEXANDRINE  MATHIEU 

Nous  avons  le  plaisir  de  donner  aujourd'hui  une  lithographie  de 
M"«  Alexandrine  Mathieu,  dont  nos  lecteurs  ont  pu,  à  diverses  reprises, 
apprécier  le  talent  très  distingué. 

Le  don  inné  de  Part,  M"^  Alexandrine  Mathieu  n'en  doit  qu'à  elle- 
même  l'éclosion  et  le  développement.  Sans  doute,  elle  apprit  le  dessin 
avec  un  bon  professeur,  mais  elle  ne  fréquenta  aucun  atelier,  aucune 
académie  en  renom.  Elle  chercha  par  ses  propres  moyens,  profitant 
à  l'occasion  des  conseils  de  quelques  artistes  éminents,  emmagasinant 
et  s'assimilant  lentement,  mais  sûrement,  le  produit  de  ses  observations 
constantes,  de  son  travail  consciencieux.  Nos  compatriotes  ont  pu  voir 
aux  expositions  de  nos  sociétés  artistiques,  ses  tableaux,  ses  dessins, 
ses  belles  eaux-fortes  :  M^^*  Mathieu  a  fait  partie  des  Sociétés  des  aqua- 
fortistes, du  Blanc  et  Noir,  de  diverses  autres.  Quand  on  est  modeste, 
on  court  le  risque,  avec  beaucoup  de  talent,  de  rester  moins  connu  de 
la  foule  que  nombre  d'intriganls  sans  valeur,  mais  on  acquiert  quand 
même  une  élite  d'appréciateurs:  cette  élite  ne  fait  pas  défaut  à 
Mii«  Alexandrine  Mathieu.  Ach.  Millien. 


-HP 


^ 


-.  '.,   T.». 


;  îf»ii- 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  93 

peu  près  que  nous  l'avons  constatée  dans  les  autres  annuaires  et  qu'il 
est  inutile  de  reproduire.  Signalons  toutefois  l'organisation  des  per- 
ceptions du  département,  les  eaux  et  forêts,  et  l'ensemble  plus  complet 
du  personnel  des  divers  officiers  ministériels  ;  enfin,  les  commerçants 
et  manufacturiers  de  tout  le  département,  avec  leurs  récompenses 
obtenues  aux  Expositions. 

Cet  ouvrage  prouve  beaucoup  de  travail.  A  côté  de  remarques 
oiseuses  et  probablement  peu  exactes,  il  y  a  de  nombreux  éléments  de 
statistique,  qu'on  trouve  là  réunis  ;  s'il  mérite  des  critiques,  l'auteur 
a  fait  une  œuvre  sérieuse  et  importante,  qui  a  sa  valeur  parmi  les 
annuaires.  Il  n'a  pas  eu  d'autres  éditions. 

L'Almanach  de  l'imprimeur  Laurent  revient  en  1833  avec  une  jolie 
carte  routière  et  les  mêmes  dispositions  que  les  précédents.  On  voit 
(p.  52)  une  liste  complète  des  évéques  de  Nevers  depuis  saint  Eulade 
en  l'an  505. 

Rien  à  noter  dans  les  Almanacbs  qui  suivent,  toujours  dus  à  l'im- 
primerie Laurent  ;  ils  se  reproduisent  avec  des  modifications  insigni- 
fiantes dans  le  personnel,  les  chapitres  divers  se  retrouvant  à  la  même 
place.  En  1834  (p.  82),  notice  sur  Nevers  au  xviip  siècle  sans  intérêt 
ni  valeur. 

L'éclairage  en  ville  augmente  progressivement  chaque  année  ;  en 
1835,  il  se  compose  de  181  réverbères  répartis  en  466  becs  et  pour  un 
prix  de  11,499  fr.,  inférieur  de  450  fr.  au  prix  de  1831  ;  mieux  pour 
moins  cher,  c'était  une  amélioration  bien  comprise. 

Le  pensionnat  de  Varzy  est  érigé  en  collège  communal  par  ordon- 
nance royale  du  7  juin  1834. 

On  s'occupait  beaucoup  d'assurances.  L'Almanach  de  1835  donne  le 
conseil  et  les  opérations  d'une  nouvelle  compagnie  royale  d'assurances, 
installée  3,  rue  Ménars,  à  Paris,  avec  un  caractère  officiel  ;  le  directeur 
était  conseiller  d'Etat.  Elle  annonce  un  chiffre  de  deux  milliards 
d'assurances  et  trois  cent  mille  assurés  depuis  trois  ans  d'existence.  La 
branche  vie  et  rentes  viagères  est  recommandée  aux  familles  de  com- 
merçants et  industriels. 

Annonce  du  pont  suspendu  sur  la  Loire,  à  Fourchambault  (p.  189), 
pour  relier  plus  directement  Bourges  à  Nevers,  les  deux  villes  ne 
communiquant  encore  que  par  le  pont  de  La  Charité.  On  espère  que 
le  l«r  novembre  1835  ce  pont  pourra  être  livré  à  la  circulation. 


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REVUE  DU  NIVERNAIS.  95 

Cependant  Fagriculture,  l'industrie  métallurgique,  le  commerce,  les 
transports  prennent  un  essor  considérable  ;  les  choses  d*art  et  d'esprit 
vont  aussi  se  répandre  dans  les  classes  aisées. 

Ces  tendances  sont  visibles  dans  nos  petites  publications.  Les 
Annuaires  de  Duclos,  Fay  et  Bégat  vont  paraître  simultanément  et 
rivaliser  de  zélé  pour  satisfaire  les  exigences  du  public. 

(A  suivre.)  RENÉ  DE  LESPINASSE. 


AUX  BOERS 

Chaque  coup  de  canon  qui  se  tire  là-bas, 

Reine  Victoria,  ne  Tentends-tu  donc  pas  ? 

Ce  ne  sont  plus  des  rois  qui  marchent  en  bataille. 

Mais  presque  tes  enfants  ;  et  lorsque  la  mitraille 

Pèle-môle  en  sifflant  renverse  les  mourants. 

Ne  les  entends-tu  pas,  sous  tes  longs  rideaux  blancs, 

Ces  hoquets  de  la  mort  ?  —  cette  douleur  dernière 

Qui,  dans  le  sang,  confond  et  le  fils  et  le  père  ! 

Mais,  dans  ton  lourd  sommeil,  les  rêves  de  la  nuit 

Ont  dû  t'en  apporter  répouvante  et  le  bruit  ! 

Et  lorsquà  deux  genoux,  seule  dans  ta  chapelle. 

Tu  vas  prier  le  Ciel,  c'est  leur  voix  qui  t'appelle  I 

Qui  répond  menaçante  à  tes  sombres  désirs  I 

Pour  eux,  tout  est  fini  :  famille  et  doux  plaisirs  I 

La  mort  les  a  sacrés  dignes  fils  de  leur  race, 

Nous  ne  saurions  les  plaindre...  ils  sont  grands  quand  tout  passe. 

Quand  le  flambeau  des  rois  vacille  dans  leur  main. 

Nous  admirons  ce  peuple  au  front  couvert  d'airain, 

Qui  marche  sous  le  feu  sans  calculer  le  nombre. 

Et  qui,  nouveau  Spartiate,  aime  à  combattre  à  l'ombre. 

Pour  lui,  j'irai  tresser  de  mes  doigts  les  lauriers. 

Que  pour  les  grands  martyrs  on  suspend  aux  piliers. 

Et  s'il  tombe  écrasé  1...  j'irai  suivre  la  rente 

Qu'il  a  su  de  son  sang  teindre  1...  puis,  goutte  à  goutte. 

Recueilli  dans  un  vase,  ainsi  qu'un  diamant, 

Il  sera  pour  nos  fils  un  nouveau  talisman  I 

Eugénie  Casanova. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  97 

—  Mon  mari  7...  Elle  ?...  Ah  I  les  ingrats  !  les  traîtres  !  ! 

—  Que  vous  importe  ?  interrompt  froidement  M™«  de  Trasson. 
C'est  vous- même  qui  l'avez  voulu.  Bientôt,  M.  d'Estay  ne  vous  sera 
plus  de  rien.  Autant  vaut  qu'il  épouse  W^^  de  Kermor  qu'une  autre. 

—  Vous  avez  raison,  fait  Aline  subitement  calmée.  Puisqu'ils  s'ai- 
ment, qu'ils  convolent  en  justes  noces. 

Mais,  en  prononçant  ces  mots,  sa  poitrine  se  soulève,  sa  gorge  se 
serre,  démentant  le  ton  d'indifférence  qu'elle  s'efforce  d'affecter. 

La  marquise,  à  qui  rien  n'a  échappé,  laisse  un  sourire,  aussitôt 
réprimé,  effleurer  ses  lèvres.  La  conversation  continue  ;  elles  abor- 
dent divers  autres  sujets.  Mais  Aline  n'écoute  pas  ;  elle  répond  à  peine 
i  sa  mère,  encore  ne  le  fait-elle  que  par  monosyllabes.  Visiblement, 
elle  est  préoccupée  :  son  esprit  travaille. 

Enfin,  la  marquise  de  Trasson  se  retire. 

Aussitôt  Aline  donne  libre  cours  à  l'indignation  et  à  la  colère  qui  se 
disputent  son  cœur.  Elle  ne  peut  accepter  sans  révolte  cette  nouvelle 
humiliation,  ce  dernier  et  suprême  sacrifice.  Sous  la  main  qui  la  frappe, 
elle  sent  toutes  les  puissances  de  son  amour  transformé,  croit-elle,  en 
haine,  se  soulever  en  elle  pour  crier  vers  le  C\e\  et  protester  contre  la 
cruauté  de  ses  coups.  La  tète  perdue,  l'esprit  comme  en  déroute, 
furieuse,  insensée,  elle  profère  des  paroles  indignées.  Il  lui  prend 
envie  d'appeler  la  mort  à  son  secours,  d'invectiver  la  Providence, 
d'injurier  le  destin,  de  lut  clamer  insolemment  ses  rancœurs. 

Elle  ne  peut  admettre  qu'Albert  déjà  pense  à  la  remplacer. 

—  Il  se  remarierait,  lui?...  Alors  il  ne  l'aimerait  plus?...  Elle  ne 
serait  plus  de  rien,  absolument  de  rien  pour  lui?...  Pourtant  cela  lui 
semble  impossible ,  absurde  ;  il  l'a  trop  sincèrement  aimée  pour 
l'avoir  déjà  oubliée!...  Elle  croit  toujours  qu'il  reviendra  implorer 
humblement  son  pardon.  Elle  a  tant  souffert  que  peut-être...  Qui 
sait?...  L'homme  réellement  épris  est  parfois  si  éloquent  !... 

Cependant,  si  ce  mariage  d'Albert  avec  son  amie  d'Andic  de  Kermor 
n'était  pas  projeté,  sa  mère  lui  en  aurait-elle  parlé?...  Quelle  raison 
aurait-elle  eu  à  la  tromper  ainsi?...  Donc  pas  de  doute  possible  !... 

Mais  elle,  que  deviendra-l-elle  alors?...  Elle  est  trop  chrétienne 

pour  se  remarier  ;  puis Dans  ce  cas,  elle  seule  souffrira  encore, 

souffrira  toujours  !...  Eh  bien,  non!  L'on  verra.  Ce  que  femme  veut. 


98  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Dieu  ne  le  veut-il  pas,  comme  dit  un  vieux  proverbe.  Elle  saura  donc 
bien  faire  rompre  ce  mariage  projeté  !... 

Comme  elle  le  déteste,  comme  elle  l'exècre  !...  Et  il  serait  heureux, 
lui,  le  véritable,  le  seul  coupable,  tandis  qu'elle  pleurerait,  seule, 
ignorée,  délaissée?...  Non  !  Mille  fois  non  !... 

Elle  sort  à  l'instant  même  ;  elle  part  pour  Paris.  Elle  se  rend  à 
l'hôtel  de  M.  d'Estay,  leur  ancienne  résidence  à  tous  les  deux. 

Mais  celui-ci  est  absent.  Comme  il  ne  saurait  tarder  beaucoup  de 
rentrer,  assure-t-on,  elle  passe  au  salon  pour  l'attendre,  ce  salon  où 
naguère  ils  s'étaient  si  follement  aimés.  Tout  est  à  la  même  place  que 
lors  de  son  départ.  Mais  quel  air  triste  !  lugubi'e  !...  Aussi  triste,  aussi 
lugubre  que  les  quelques  semaines  qu'elle  vient  de  vivre  seule  !... 

Et  alors  en  une  seconde  qui  lui  paraît  être  un  siècle,  toute  son 
existence  repasse  devant  ses  yeux  :  son  amour,  son  mariage,  ses  joies, 
puis  ses  désillusions  avec  leur  sombre  cortège  d'amertume  et  de  déses- 
poir. 

Son  mariage  !  II  y  a  quelques  mois,  pas  même  un  semestre  !  que  ce 
grand  événement  a  bouleversé  sa  vie,  transformé  jusqu'au  plus  intime 
de  son  être.  Comme  le  temps  a  eu  vite  fait  d'accomplir  son  œuvre 
destructrice!...  Mais  combien,  si  prompt  à  changer  l'amour  en  haine, 
il  a  déjà  englouti  de  jours  sans  changer  chez  elle  la  haine  en  indiffé- 
rence pour  envelopper  d'oubli  le  passé  !  Au  contraire  !!... 

Ah!  elle  était  loin  de  penser,  il  y  a  quelques  mois!  lorsque  la  des- 
tinée la  conduisait  en  cette  demeure  sous  de  si  heureux  auspices, 
qu'elle  la  forcerait  d'en  sortir  à  la  faveur  d'une  crise  de  désespoir  et 
pour  une  fin  bien  différente  de  celle  qu'elle  avait  rêvée...  Et  dans  sa 
poignante  infortune,  personne  n'a  eu  pitié  d'elle  !  pas  une  main 
secourable  ne  s'est  tendue  vers  sa  détresse  I...  Les  douleurs  muettes 
ont  peu  de  succès  en  ce  siècle  de  réclame  !... 

Deux  larmes,  grosses  et  brillantes,  perlent  lentement  à  ses  cils  où 
elles  tremblent  un  moment  :  l'on  dirait  deux  gouttes  de  rosée  pen- 
dant le  matin  après  les  roses... 

* 

t  Merci,  chère  Armcllc  !  Mille  fois  merci  de  ta  pieuse  duperie  et  de 
ta  malicieuse  lettre  de  condoléances.  Dieu!  que  nous  avons  ri  !  Nous, 
qui?  Albert  et  moi,  naturellement.  Que  n'étais-tu  là?  Maman  et  lui, 


RETUE  DU  NIVERNAIS.  99 

le  pauvre  chéri,  se  sont  ensuite  bien  moqués  de  moi  et  je  n'ai  pas  été 
vexée.  Quel  prodige,  n'est-ce  pas?.  . 

»  Avec  ton  cœur  d'or  et  ta  fine  perspicacité,  tu  avais  bien  prévu 
qu'il  n'existait  entre  nous  qu'un  malentendu  regrettable.  Nous  étions, 
l'un  et  l'autre,  paralysés,  redoutant  également,  tous  deux,  un  accueil 
glacial  ou  railleur.  De  plus,  la  jalousie  me  mordait  ;  je  m'imaginais 
que  seule  je  souffrais,  que  mon  mari  n'avait  point  de  regret,  qu'il  ne 
demandait  pas  mieux  que  d'avoir  recouvré  sa  liberté  et  son  égoïsme... 
Je  m'efforçais,  en  un  mot,  de  trouver  des  excuses  à  ma  conduite,  de 
me  prouver  que  j'avais  joué  le  rôle  de  victime,  afin  de  n'avoir  pas  à 
assumer  la  responsabilité  des  avances,  et  surtout  par  orgueil  :  il  m'en 
aurait  tant  coûté  de  reconnaître  mes  torts  et  de  m'humilier  !... 

»  Enfin  l'explication  est  venue!  Comment?...  Je  n'ai  pas  à  te  le 
conter  puisque  tu  as  aidé  à  la  faire  naître,  en  prêtant  ton  nom  à 
quelque  prétendue  combinaison  machiavélique,  de  connivence  avec 
mes  plus  cruels  ennemis  :  mon  mari,  ma  mère.  De  toi,  qui  l'eût  dit?... 
qui  l'eût  cru?... 

»  Il  ne  me  reste  plus  qu'à  te  narrer  la  scène  de  réconciliation  et  te 
dépeindre,  c'est-à-dire  essayer  de  te  dépeindre  les  multiples  senti- 
ments par  lesquels  j'ai  passé. 

»  Je  menais  une  existence  de  veuve  dans  mon  chalet.  Les  heures 
me  portaient  dans  une  langueur,  un  ennui  morbide.  Je  me  sentais 
pleurer,  sans  cause,  à  tout  instant,  surtout  quand  venait  la  nuit  qui 
tombait  sur  moi  comme  l'ombre  religieuse  de  l'église  où  je  ne  pouvais 
plus  aller,  étant  en  instance  de  divorce.  Et  cependant,  comme  une 
bonne  prière  au  pied  de  Tautel  m'aurait  fait  du  bien  !..  Je  souffrais, 
j'étais  malheureuse,  et  ne  voulais  pas  l'avouer,  même  à  moi. 

»  De  son  côté,  mon  mari,  parait-il,  menait  une  vie  semblable,  sans 
goût  et  sans  espoir.  Il  s'exagérait  l'injure  qu'il  avait  commise,  irrépa- 
rable. Il  était  prêt  à  m'accueillir,  mais  savait  bien  que  jamais  je  ne 
reviendrais.  Et  le  remords  d'avoir  été  brutal,  insolent  envers  sa  jeune 
femme,  de  ne  l'avoir  pas  ramenée  chez  lui  tout  de  suite,  lui  ôtait  toute 
force.  Il  avait  grandement  pitié.  Moins  orgueilleux  que  moi,  souvent 
des  audaces  le  prenaient  :  il  se  jurait  d'aller  à  moi,  de  me  parler,  de 
me  reconduire  en  notre  demeure.  Mais  quand  il  était  pour  mettre  ses 
projets  à  exécution,  il  défaillait,  confus. 

»  Les  choses  en  étaient  là,  quand  vous  avez  inventé  ce  prétendu 


100  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

mariage.  A  cette  nouvelle,  mon  sang  bouillonna  dans  mes  veines  ;  la 
jalousie  me  mordit  plus  fort,  si  bien  que  je  me  rendis  aussitôt  chez 
Albert  afin  d'empêcher  à  tout  prix  ce  mariage,  de  lui  jeter  au  visage 
tout  mon  mépris.  Mais,  dès  mon  arrivée,  mon  audace  tomba.  Ce  n'est 
qu'en  tremblant,  pour  ainsi  dire,  que  je  franchis  le  seuil  du  salon,  de 
mon  ancien  salon.  Les  souvenirs  se  précipitèrent  en  foule  à  ma 
mémoire,  gais  ou  tristes.  Je  pensai,  je  rêvai  ainsi  quelque  temps. 

»  Soudain,  je  portai  les  yeux  sur  la  cheminée  :  là  souriait  un  bou- 
quet splendide,  où  se  mariaient  à  l'envi  la  véronique  et  le  chèvrefeuille. 

»  Derrière  ce  bouquet  était  une  photographie,  celle  d'une  jeune 
femme. 

A  cette  vue,  mon  cœur  eut  froid. 

»  C'est  sans  doute,  me  dis-je,  la  photographie  de  celle  qui  doit  me 
remplacer.  Et  je  m'approchai. 

»  Mais  non  !  C'était  ma  propre  photographie.  Mais  alors  pourquoi  ce 
bouquet,  symbole  de  fidélité  et  de  constance?  Pourquoi?... 

»  —  Oh  I  mon  Dieu  !  mon  Dieu  !  murmurai-je  tout  fort,  paraît-il. 
C'est  aujourd'hui  ma  fête...  Il  m'aimerait  donc  encore?... 

»  —  Oui,  susurra  derrière  moi  une  voix  douce,  caressante,  qui  me 
fit  frémir  comme  les  feuillées  de  printemps  à  l'aurore.  Et  comme  je  ne 
puis  vivre  plus  longtemps  sans  vous,  de  concert  avec  votre  mère  de 
chez  qui  je  viens,  je  vous  ai  tendu  ce  piège...  piège  dans  lequel  vous 
avez  donné.  Ohl  écoutez-moi,  je  vous  en  prie.  J'ai  tant  souffert!... 
Pardonnez-moi  ;  soyez  bonne,  je  vous  en  conjure  !... 

»  Chacun  de  ces  mots  me  faisait  frissonner  ainsi  que  l'eau  des 
petites  rivières  sournoises  de  ton  beau  pays  breton  quand  j'égrenais 
les  fleurs  sauvages  de  vos  champs  dans  leur  limpide  cristal  ;  tu  te  sou- 
viens?... Je  frissonnais,  j'avais  peur,  déconcertée  et  à  la  fois  séduite 
par  sa  voix,  la  voix  suppliante  de  l'époux  que  je  reconnaissais  parfai- 
tement. Il  était  derrière  moi.  Il  voulait  sourire  et  n'en  avait  pas  la 
force,  tant  il  était  ému. 

»  —  Oh  !  n'est-ce  pas  ?  vous  me  pardonnez  !  Vous  m'aimez  bien 
encore!...  Moi,  je  vous  aime  tant!...  soupira-t-il  d'un  ton  suppliant, 
tombant  à  genoux  et  ouvrant  largement  ses  bras. 

»  A  ces  mots  prononcés  avec  âme,  je  sentis  éclore  en  moi  les  senti- 
ments que  mon  orgueil  voulait  croire  haineux,  tandis  qu'ils  n'étaient 
qu'amour.  Le  regard  d'Albert  prenait  mes  yeux  :  chaud  rayon  de  soleil 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  i(M 

qui  m'inondait  de  douceur  et  de  lumière.  Je  me  concentrai  dans  la 
vision  du  foyer  renouvelé,  adorable  après  le  désastre  d'une  rupture 
qui  me  semblait  avoir  duré  une  éternité.  Mais  un  chaos  enflévrait  ma 
tête,  l'emplissait  d'un  tumultueux  remous  en  qui  se  noyait  ma  pensée. 
—  Enfin  ma  poitrine  se  souleva,  mon  cœur  monta  dans  un  appel 
éperdu  vers  mes  lèvres  qui,  palpitantes,  s'entr'ouvrirent  : 

1  —  Albert  I.  .  Albert  !I... 

»  Je  tombai  dans  ses  bras,  me  blottis  contre  sa  poitrine,  et  amou- 
reusement ses  lèvres  se  posèrent  sur  les  miennes!... 

»  Tout  est  bien  qui  finit  bien  I  n'est-ce  pas? 

»  Seulement  il  manque  quelque  chose  à  notre  bonheur.  Nous 
sommes  tes  débiteurs  :  nous  te  devons^  en  somme,  notre  bonheur 
actuel.  Fixe  toi-même  tes  honoraires,  en  attendant  que  je  déniche 
pour  toi  quelque  mari  idéal.  Je  crois  que  j'ai  ton  affaire  I...  Hais 
chutl... 

»  Adieu.  Car  j'ai  la  langue  si  longue  que,  malgré  moi,  je  te  dirais 
tout!...  etc..  ». 

Ja. 


POETES    CASTILLANS    (Suite} 


[Supplément.) 

Juan  Arolas. 

LA    FEMME 

En  ces  jardins,  heureux  perpétuellement. 
Où  toujours  le  printemps  dure  et  fleurit  la  terre, 
Donnant  une  compagne  à  l'homme  solitaire, 
Dieu  voulut  la  pétrir  de  grâce  et  d'agrément. 

L'ange,  il  l'avait  formé  de  lumière  et  de  gloire; 
La  femme,  il  la  forma  de  parfums  et  de  fleurs. 
Qui  des  deux  l'emportait?  L'ance  par  ses  splendeurs?. 
Entre  les  deux  restait  douteuse  la  victoire, 

Car  la  vierge  choisie,  elle,  avait  en  retour 
Un  amour  débordant  :  la  Puissance  infinie 
Dans  son  beau  sein  formé  de  jasmin  mit  la  vie, 
Dieu  lui  donna  la  vie  en  un  souffle  d'amour. 

Etant  fleur,  du  vent  âpre  elle  craignait  l'outrage. 
Cruel  à  sa  fraîcheur,  fatal  à  son  éclat  : 
Quoique  aux  anges  du  ciel  sa  beauté  l'égalât. 
Son  Créateur  la  crut  trop  faible  sous  l'orage. 


102  RBTUB  DU  NIVERNAIS. 

«  Donnons  donc,  se  dit-il,  à  ses  yeux  enchanteurs, 
Donnons-leur  le  pouvoir  d'irrésistibles  charmes  : 
Ouvrez-vous,  ô  beaux  yeux,  ô  beaux  yeux  séducteurs. 
Ouvrez-vous  et  soyez  vainqueurs,  brillez  sans  larmes. 
Voulez-vous  voir  pourtant  le  bronze  s'attendrir, 
Pleurez,  si  ce  n'est  point  assez  de  vous  ouvrir  1  i 

José  Amador  de  los  Rios. 

(4ai8-4877). 

A  UNE  ÉTOILE 

Mystérieuse  et  pure  étoile,  d'où  ruisselle 
Une  splendeur  sublime  illuminant  mon  cœur, 
Qui  me  promets  le  bien  d'un  éternel  bonheur 
Dans  le  rayonnement  de  ta  clarté  si  belle, 

Toi  qui  sais  mon  souci,  mon  angoisse  cruelle, 
Pourquoi  restes-tu  sourde  au  cri  de  ma  douleur, 
Et  pourquoi  t'assombrir  et  voiler  ta  lueur, 
Alors  que  mon  désir  brûlant  se  flxe  en  elle  ? 

Etoile,  ô  mon  espoir,  par  ton  céleste  afflux 
Rends  à  mon  sein  troublé  le  calme  qu'il  n'a  plus 
Et  brise  le  lien  dont  le  destin  m'enchatne. 

De  la  palme  d'amour  ceins  ma  tête,  et  qu'enfln 
Puisse  dans  ta  lumière,  à  Teffluve  divin. 
S'éteindre  l'âpre  soif  de  ma  pauvre  âme  en  peine  I 


Q.  Oaroia  Tassara. 

APRÈS  UNE  LONGUE  ABSENCE 

Fuenfria,  Guadarrama,  monts  à  cime  fière, 
Immuables  piliers  des  pays  castillans. 
Qui,  debout  côte  à  côte  érigeant  vos  fronts  blancs. 
Sous  la  neige  gardez  une  attitude  altière, 

Champs  nus  comme  mon  âme,  où  la  fleur  printanière 
Ni  l'arbre  vert  n'ont  mis  leurs  décors  attrayants, 
Rudes  quand  naît  l'aurore  en  caressant  vos  flancs, 
Rudes  quand  du  jour  bref  expire  la  lumière. 

Après  ma  longue  absence  enfin  je  vous  revois  1 
Je  vous  revois  portant  au  cœur  comme  autrefois 
L'amour  de  la  patrie,  ardent  et  jeune  encore. 

Si  l'Hiver  est  venu  pour  moi,  pour  vos  sommets. 
Vous,  du  Printemps  bientôt  vous  saluerez  l'aurore  ; 
Mais  mon  hiver,  hélas  !  ne  finira  jamais  I 

Traduction  de  AcHlLLE  HiLUEN. 


LIVRES  ET  PERIODIQUES 

Le  dernier  viot  d'Auguste  Mahauty  agent  denavigcUionàMarseilles-les-Aubigwi, 
au  Congrès  nationcU  des  Travaux  publics  français,  sur  ïa  Loire  navigable  et  le 
canal  latéral  à  la  Loire,  etc.,  in-8*,  87  p.,  1  fr.  (Paris,  rue  Soufflet,  22,  et  Nevers, 
nie  Vauban,  5). 

M.  Auguste  Mahaut,  qui,  depuis  25  ans,  s'occupe  de  la  pande  question  des  trans- 
ports, s'est  attaché,  dans  une  suite  de  brochures  fort  intéressantes,  à  démontrer 
rinanitc  de  la  Loire  navigable  et  Turgente  nécessité  des  canaux.  Les  études  qu'il  a 
publiées,  très  documenté^  révèlent  une  longue  expérience  et  une  profonde  connais- 
sance du  sujet.  Certes,  elles  ne  manqueraient  pas  d'autorité  dans  un  comité 
chargé  d'élucider  la  question.  En  dehors  du  côté  purement  technique,  il  y  a.  dans 
ces  brochures,  d'attachants  aperçus  sur  l'ancienne  navigation  de  la  Loire.  Dans  Vidée 
de  la  Loire  navigable  cotnbattue,  nous  trouvons  le  |K>rtrait  intéressant  de  François 
Belloche.  un  type  de  vieux  marinier  qui,  ne  sachant  ni  lire  ni  écrire,  tenait  fort  bien 
ses  comptes  à  l'aide  de  graphiques,  dont  M.  Mahaut  nous  donne  deux  curieuses  pages. 

Le  0  novembre  dernier,  les  Nivernais  de  V Aiguillon  avaient  organisé  une  soirée 
dans  le  but  de  fêter  plusieurs  de  nos  compatriotes,  honorés,  cette  année,  de  distinctions 
ou  de  récompenses  :  le  sculpteur  Boisseau,  l'architecte  Giraud,  Bardin,  le  ciseleur 
des  portes  du  Petit  Palais  ;  Renault,  le  très  distingué  médecin  des  hôpitaux;  Ducrot 
et  Mauroy,  fondateurs  de  la  Société  de  secours  mutuels.  11  faudrait  pouvoir  repro- 
duire les  belles  et  cordiales  allocutions  de  Mathurin  Moreau,  qui,  bourguignon, 
présidait  par  exception  cette  soirée  ;  de  Boisseau,  de  Dalligny,  etc.  Nous  donnerons 
un  oïlrait  du  fin  et  cordial  discours  de  Dalligny,  lequel  relate  un  touchant  souvenir  en 
exhamant  quelques  rimes  d'antan  de  notre  directeur  : 

•  Finalement,  au  mois  de  septembre  de  la  môme  année,  la  statue  de  Dupin  par 
Boisseau  se  dressait  sur  son  piédestal,  au  chevet  de  l'église  de  Varzy. 

»  Le  soir,  il  y  eut  banquet.  Sur  le  revers  du  menu,  un  poète  nivernais,  qui  lui  aussi 
en  était  à  ses  débuts,  improvisa  en  l'honneur  de  Tartiste  quelques  stances  encoura- 
geantes où  il  lui  prédisait  un  brillant  avenir  : 

»  1869.   Inauguration   de  la   statue  Dupin. 

.  LE  TOAST  D'UN  INCONNU 

»  A  Monsieur  Emile  Boisseau, 

•  Heureuses  les  cités  quand  la  muse  les  aime  ! 
Heureuse  es-tu,  Varzy,  toi  qui  portes  au  front 
La  gloire  de  tes  flls,  éclatant  diadème 
Que  les  villes,  tes  sœurs,  à  jamais  t'envieront. 

Aujourd'hui  la  muse  clémente, 

A  ta  couronne  qu'elle  augmente 

A  promis  un  fleuron  de  plus. 

C'est  vous,  sculpteur,  talent  robuste, 

Qu'elle  a  marqué  du  signe  auguste 

Qu'elle  réserve  à  ses  élus  I 

■  Là-haut,  regarde,  ami,  regarde,  vous  dit-elle, 
Vois-tu  ce  rameau  d'or  ?  Fait-il  battre  ton  cœur  ? 
Allons,  pour  conquérir  cette  palme  immortelle. 
Lutte,  lutte,  expirant  s'il  le  faut,  mais  vainqueur. 

Montez  donc  aux  cimes  sacrées 

Du  soleil  de  l'art  éclairées  ; 

Le  faible  n'y  peut  parvenir. 

Le  chemin  est  ardu  :  qu'importe  I 

Vous  avez  nos  vœux  pour  escorte^ 

Pour  récompense  l'avenir  I 


104  REVUE  DU  NIVERNAIS 

»  Ce  poète,  c'était  Achille  Millien.  Je  le  nomme  avec  plaUir,  car  par  ses  écrits,  ce 
doux  chantre  des  harmonies  champêtres,  qni  emploie  ses  loisirs  à  looilier  toutes  les 
vieilles  mémoires  morvandelles  pour  en  extraire  et  rendre  au  jour  les  us,  coutumei 
et  chansons  du  Morvan  de  jadis,  est  un  des  îiommes  dont  peut  se  gloriBer  notre 
département  auquel,  comme  beaucoup  d'entre  nous,  Millien  est  profondément 
attaché  ». 

NOTES  ET  ÉCHOS 

,  *  Nos  compatriotes  :  sont  nommés  dans  la  Lésion  d'honneur ,  officier, 
M.  Edouard  Bomet  (de  Tlnslitut)  ;  chevaliers,  MM.  Louis  Bardin,  Pierre  Aubruu, 
Paul-Constant  Véroudart,  élève  interprète  à  la  légation  de  France  à  Pékin. 

«  * .  Le  comité  qui  se  forma,  dans  le  XIV*  aiTondisseinent  de  Paris,  grâce  à 
rinitiative  du  député  Girou,  pour  offrir  au  président  Krùger  un  souvenir  de  son 
séjour  en  France,  après  avoir  recueilli  des  souscriptions  dans  les  quartiers  Montpar- 
nasse et  Plaisance,  a  pensé  qu'il  devait  charger  un  altiste,  pris  parmi  ses  membres, 
de  concevoir  et  exécuter  un  objet  d'art  commémorant  les  superbes  manifestations  de 
sympathie  que  la  nation  française  prodigua  envers  le  représentant  des  Boërs.  au 
moment  où  ces  hommes  courageux,  aprâ  une  année  de  résistance,  étaient  décimés 
par  l'armée  anglaise. 

Il  a  désigné  notre  compatriote,  le  consciencieux  ouvrier  sculpteur  Jean  Baffier. 

Celui-ci  lui  ayant  soumis  la  maquette  d'un  bijou  représentant  :  un  glaive  gaulois 
(dont  la  lame  serait  en  platine  et  la  poignée  en  or  jaune)  auquel  est  attachée  une 
branchette  de  gui  (dont  la  Use  et  les  feuilles  seraient  en  or  vert  et  les  fruits  figurés 
par  trois  perles  blanches),  il  a  juffé  que  l'interprétation  était  exacte  des  sentiments 
chevaleresques  et  des  instincts  Généreux  auxquels  avaient  obéi  avec  enthousiasme 
les  descendants  des  Celtes  et  des  Francs  dans  la  circonstance  ;  il  a  considéré  oue 
l'objet  dégageait  une  haute  signification  morale  à  cette  heure  et  qu'il  était  bien  réalisé 
dans  l'esprit  des  traditions  fondamentales  de  la  race  française.  Et  il  a  décidé  que 
cette  pièce  unioue,  ajustée  et  ciselée  par  des  ouvriers  de  l'arrondissement  auxquels 
il  remettrait  des  métaux  précieux  achetés  chez  des  bijoutiers  français  résidant  à 
Paris,  serait  envoyée  au  président  Krilger  aussitôt  finie. 

,  * ,  Charmante  matinée  littéraire,  dimanche  9  décembre,  à  l'école  normale  d'insti- 
tutrices de  Bourses,  en  Thonneur  du  personnel  enseignant  et  des  anciennes  élèves. 
On  y  a  applaudi  notamment  le  monologue  de  notre  collaborateur  Lucien  Jeny, 
•  Me9  trois  Bonnets,  ■  dit  par  M"«  G...,  travestie  en  jeune  servante  berrichonne. 

,  \  Notre  confrère  G.  de  Colvé  des  Jardins  vient  d'être  chareé  de  créer  une  édition 
firançaise  du  Correo  de  Paris,  journal  espagnol  dirigé  par  M.  J.  Â.  Ferrer.  Parmi 
les  collaborateurs,  Achille  Millien.  Edmond  Haraucourt,  Léon  Dierx.  Hector  France, 
Gaston  Derys,  Jules  Mazé.  Henri  Houssaye  (de  l'Académie  française),  Marcel  Prévost, 
Octave  Miroeau,  Ogier  aivry,  Gabriel  Pierné,  Jean  Hameau,  L.  de  Francmesnil, 
Pierre  de  Nolhac,  Charles  Grandmougin. 

,  * ,  16  décembre.  —  Concert  annuel  du  Cercle  symphonique,  au  théâtre  de  Nevers, 
avec  le  concours  de  MM.  Georges  Marquet,  professeur  de  chant  ;  Sadi-Pety  (de 
rOdéon,  M««  Sadi-Pety  (de  l'Odéon)  ;  M»»»  Hélène  Méry  (du  Théâtre  lyrique)  et 
Marguerite  Achard,  harpiste,  1"'  prix  du  Conservatoire'  de  Paris.  Remarquable 
exécution  de  la  Marche  héroïque,  de  M.  A.  Bardot,  directeur  du  Cercle,  et  de  divers 
morceaux  dans  lesquels  se  sont  distingués  MM.  Tornès,  violoncelle  ;  Chenal,  violon,  etc. 
Très  brillant  succ^  pour  les  excellents  artistes,  M.  Georges  Marquet,  M»«  Achard  et 
M"«  Hélène  Mérj-  qui.  dit  le  Progrès  de  la  Nièvre,  •  s'est  beaucoup  fait  applaudir 
dans  l'émouvante  et  charmante  expression  de  ses  vocalises.  >  —  <  Elle  a  (nous  citons 
le  Journal  de  la  Nièvre)  de  sa  voix  de  soprano,  d*une  remarquable  souplesse  et  d'une 
justesse  parfaite,  fait  entendre  le  bel  air  du  Livre  dans  Hamlet  et  a  dit  ensuite  deux 
choses  cnarmantes  :  Les  Bons  Bois  Mages,  une  fine  poésie  de  M.  Achille  Millien, 
traduite  en  belle  langue  musicale  par  M.  Pénavaire,  et  une  canlilène  délicieuse...  • 
Belle  et  bonne  soirée  qui  fait  grand  honneur  au  Orcle  s>  mphonique. 

.*,  Nous  envoyons  nos  plus  vives  condoléances  et  nos  meilleures  sympathies  à 
deux  de  nos  excellents  collaborateurs  frappés  dans  leurs  plus  chères  affections, 
MM.  Auguste  Boyer  et  Fernand  Richard,  qui  viennent  de  perdre  l'un  son  éjpouse, 
l'autre  sa  mère.  L.  D. 

Le  Directeur-Gérant,  ACHILLE  HiLLIEN. 


/H¥T§,  tmp.  0.  Vê/iiért» 


LA    BASSOTTE 


A  nuit  s'avançait;  aa  mois  de  no- 
vembre, elle  arrive  vile  el,  ce  soir-là,  la 
Bassolle,  inquiète,  regardait  souvent  à 
la  porte. 

La  campagne  était  silencieuse,  le 
temps  bas;  ime  voiture  seulement,  que 
Ton  entendait  rouler  sm*  les  cailloux  de 
la  route  nouvellement  chargée,  troublait 
le  silence  par  inslanls  réguliers,  mais 
c'était  loin,  de  plus  en  plus  loin...  Le  bruit  cessa;  la  nuit  se  faisait 
plus  complète,  plus  noire,  plus  humide  et  plus  trisle. 

Une  dernière  fois,  la  Bassotte  écouta  longuement,  sortit  im  instant 
el  prêta  l'oreille  encore  près  de  la  barrière  de  la  cour...,  mais  non, 
rien... 

Baisot  élaîl  pu  retard  ;  depuis  la  veille  au  soir,  il  avait  quille  la 
maison  pour  s*ei  aller  chnsseï'  dans  les  bois  d'Avril  ;  sa  femme,  une 
genlilio  paysanne  aux  blonds  cheveux,  aux  grands  yeux  étonnés  et 
tlûu\,  n'aimait  pas  à  passer  :iiru1o  deux  nuits  de  suite,  ercela,  du  reste, 
ne  lui  était  pas  arrivé  depuis  son  mariage. 

Pierre  Bassol  s'était  amouraché  d'elle  pour  ses  beaux  yeux  et  elle 
s'était  toquée  de  lui  parce  qu'il  était  grand,  fort,  plus  grand  et  plus 
fort  que  tons  les  autres  grin;ons  du  pays.  Peut  élre  aussi  à  cause  de 
sa  mauvaise  réputation  de  cnureur  de  bois  et  de  coureur  de  fdles  à 
laquelle  il  ajoulait  celle  de  ÏJtiveur  intrépide. 

Certes,  les  personnes  i\in  a'inléressaient  à  elle  ne  lui  cachèrent  pas 
qu'elle  jouait  gros  jeu  avec   un   honune  cnnnne  celui-là.  Mais  elle 

5 


106  HEVUE  DU  NIVERNAIS 

n'écouta  rien,  que  n  son  idée  »,  comme  toutes  les  amoureuses  ;  elle 
éprouvait  une  fierté  à  la  pensée  d'être  la  femme  du  grand  Bassot  qui 
avait  fait  tourner  la  tète  de  tant  d'autres  filles  séduites,  mais  aban- 
données. 

Pourtant  ce  Bassot  n'élait  pas  un  méchant  homme,  bien  que  l'âme 
du  paysan  braconnier  soit  aussi  insondable  que  celle  d'un  prêtre 
musulman. 

Habitué  à  la  vie  solitaire,  au  silence  des  grands  bois,  au  calme  des 
nuits  passées  à  l'affût,  à  jeun  c'était  un  taciturne  ;  après  boire,  s'il 
chantait  beaucoup  et  mieux  que  tous  les  autres,  il  réservait  ses  paroles, 
éloquentes  à  l'occasion,  pour  les  filles  à  enjôler.  Si  une  dispute  éclatait 
à  l'auberge,  son  poing  en  disait  plus  long  que  ses  discours,  de  sorte 
que  les  hommes  le  craignaient  et  l'admiraient  autant  que  les  filles 
l'avaient  aimé. 

Il  avait  une  maisonnette,  un  pauvre  champ,  un  jardin  maigre,  oà 
le  ménage  vivait  heureux  en  dépit  des  mauvais  présages  et  des  sages 
conseils. 

Il  n'allait  presque  plus  au  cabaret,  et  partageait  son  existence 
entre  sa  femme  et  la  chasse,  ses  deux  seules  passions  maintenant, 
donnant  une  nuit  à  Tune,  une  nuit  à  l'autre. 

Lasse  d'attendre  et  d'écouter,  la  Bassotte  ferma  la  porte  et  elle  se 
disposait,  toute  triste,  à  se  mettre  au  lit  lorsque  la  barrière  grinça  ; 
elle  reconnut  le  pas  familier  de  Pierre,  courut  ouvrir,  et  lui  sauta 
au  cou . 

Toute  heureuse,  elle  lui  parlait  de  son  inquiétude,  l'interrogeait 
en  le  couvrant  de  gros  baisers,  mais  lui,  sans  répondre,  contre  son 
habitude,  la  repoussa  un  peu  : 

—  Laisse-moi,  c'est  bien. 
Il  demanda  : 

—  Personne  n'est  venu  ? 

—  Non,  qui  veux-tu  qui  soit  venu  ? 
Evasivement,  il  répondit  : 

—  Oh  !  je  ne  sais  pas,  je  te  le  demandais,  voilà  tout. 
Une  plainte  s'éleva  du  dehors,  Pierre  eut  un  soubresaut  : 

—  Qu'est-ce  que  cela?  fit-il. 
Elle  répondit  en  riant  : 

—  Mais  c'est  Truc,  le  chien,  tu  as  oublié  de  le  faire  entrer  et  comme 
il  a  faim,  il  réclame  sa  soupe. 


llEiVUE  DU  ^riviitiNAis.  107 

—  C'esl  vrai  î 

Il  entreMillQ  la  porto  qu'î[  rcferriL»  aussitôt  ot  Truc  se  précipita  sur 
récueile  bien  ^rnie  qui  Tattendaît  dans  im  coin. 

La  Bassûtte  trouvait  son  mari  étrange,  jamais  encore  elle  ne  l'avait 
vu  ainsi  ;  il  ne  rapportait  pas  de  gibier.  Elle  lui  en  fit  la  remarque, 
iLiaîs  \\  répondit  d'un  tonlirer  : 

—  Laisse-moi,  je  suis  fatigué. 

La  nuit^  il  ne  dormit  pas,  il  se  tournait  et  se  retournait  dans  son  lit, 
et  la  Bassotte  pleura  des  larmes  lentes,  dont  jl  m  s'aperçut  point. 

Le  lendemain,  il  se  plaignit  d'un  train  de  fièvre  et  il  n'alla  pas  à  la 
ehasse. 

Il  avait  mauvais  teint;  elle  lui  conseilla  «  d^iiller  nu  médecin  i», 
CQtume  on  dit  d»ns  les  campagnes,  il  refusa. 

Les  nuits  suivantes.  Truc,  qui  s'ennuyait  de  ne  pas  chasser,  pous- 
sait des  hurlements  qui  exaspéraient  Bassot  ;  il  le  baltît,  rattacha,  l'e»- 
ferma,  mai&  le  chien  hurlait,  hurlait  comme  une  bétc  maudite.  Enfin, 
une  nuit,  furieux,  il  sauta  à  bas  du  lit,  sans  rien  dire  à  sa  femme, 
s'habilla  en  hâte,  prit  son  fusils  sortit,  siffla  le  chien 

tin  moment  après  la  Bassotte  entendit  une  détonation  et,  plus  tard, 
Pierre  rentra*  II  mil  son  fusil  derrière  Tarmoire  au  lieu  de  raccrocher 
au  dessus  de  la  cheminée,  et  Truc  ne  hurla  plus,  son  maître  Tavaît 
tué. 

Il  ne  chassait  plus,  ne  sortait  pas  ;  sans  appétit,  anxieux,  agité, 
taciturne,  il  semblait  être  absorbé  dans  une  Idée  fixe. 

Pas  brave,  la  Bassotte  eut  peur  ;  elle  ne  pou  tait  comprendre  le 
changement  qui  s'était  opéré  en  Pierre,  qu'elle  n'osait  plus  que;^- 
tioimer  tant  sa  curiosité  paraissait  l'irriter* 

Une  autre  nuit,  il  se  réveilla  brusquement  et  demanda  à  sa  femme 
s'il  n^avail  pas  parlé  en  rêvant. 
^  Oui,  je  croîs^  dit-elle. 

—  Dis-le  moi,  tous  les  mots?*,. 

n  insistait  et  lui  serrait  le  bras  à  lui  faire  mal  : 

—  Dis-le  moi,  je  veux  que  lu  me  le  dises? 

—  Je  le  jure  que  je  n*ai  i>as  conjpris,  je  te  jure.  „ 
-Vrai? 

-Vrai! 

Alors,  très  bas,  la  serrant  toujours  avec  force  : 


108  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

—  Si  jamais  je  dis  quelque  chose  la  nuit  et  que  tu  le  répètes,  je  te 
tue,  entends  bien  :  je  te  tue... 

Et  il  pleura. 

Elle  ne  pleura  pas,  mais  sa  frayeur  s'accrut  ;  elle  le  craignait  main- 
tenant, ce  grand  garçon  sauvage  qui  lui  parlait  de  la  tuer  après  Tavoir 
tant  aimée!... 

Elle  pensait  à  fuir  la  maison,  mais  où  aller?... 

Parfois,  seuls,  quand  elle  le  voyait  songeur,  absorbé,  la  tète  dans 
les  mains  ou,  là-bas,  le  regard  fixe,  inquiet,  elle  le  regardait  à  la 
dérobée,  cherchant  à  deviner  dans  ses  traits  la  cause  de  cette  inquié- 
tude, et  lui,  s'il  surprenait  son  regard,  lui  demandait,  brutal,  ce  qu'elle 
avait  à  Tobscrver  ainsi. 

Celte  vie  devenait  un  supplice,  elle  le  crut  fou,  et  sa  terreur  aug- 
mentait chaque  jour  ;  seule,  perdue  dans  la  campagne,  loin  de  tout 
secours,  sa  voix,  ses  cris  n'auraient  pu  traverser  les  bois  et  les  champs 
de  bruyère,  si  le  fou  devenait  méchant... 

Pauvre  Bassotle  !... 

Depuis  ses  craintes  et  ses  ennuis,  elle  sortait  moins  encore  que  de 
coutume;  cependant  elle  fut  obligée  de  se  rendre  un  jour  au  village 
pour  des  acquisitions  urgentes  ;  ses  commissions  terminées,  elle  acheta 
un  journal  et,  au  retour,  chemin  faisant,  elle  lut  les  «  faits  divers  »  ; 
une  note  la  lit  tressaillir  : 

((  On  nous  écrit  de...  que  l'instruction  au  sujet  de  l'assassinat  du 
garde  X.  .,  commis  le  2  novembre  dernier  dans  les  bois  d'Avril,  n'a 
fait  aucun  progrès.  Il  est  à  craindre  que  ce  crime  reste  impuni,  comme 
tant  d'autres,  malheureusement  ». 

Ses  yeux  se  voilèrent  et  elle  s'affala  sur  le  talus  de  la  route  ;  long- 
temps elle  resta  inerte. 

Quand  elle  reprit  ses  sens,  sa  première  pensée  fut  de  fuir,  de  s'éloi- 
gner de  cette  maison,  car,  pour  elle,  pas  de  doute  possible,  c'était  lui, 
Bassot,  lui,  son  mari,  l'assassin  du  garde,  la  date  du  crime  correspon- 
dant avec  le  dernier  j.our  de  chasse  de  Pierre. 

Puis,  soudain,  quelque  chose  la  poussa  à  rentrer  chez  elle  ;  bien  que 
très  alarmée,  une  sorte  de  folie,  de  force  qui  dominait  sa  frayeur,  lui 
faisait  arpenter  la  roule  à  grands  pas;  elle  avait  la  fièvre,  elle  mar- 
chait, marchait  toujours,  le  regard  fixé  vers  la  maison. 

C'était  une  belle  journée  des  derniers  beaux  jours  de  Pété  de  la 


REVUE  BV  HrVEnNAIS.  KH) 

Saint  Miiiiin  qui  se  prolongea  il,  el  dans  le  crel  rnonbueiiL  *Ies  Inns 
très  doux,  cniiinie  si  les  fleurs  de  Ions  les  {^lirysaiillièmes  do  la  saison 
et  les  feuilles  de  J'auloiimc  s'y  fussent  reflétés, 

lue  cloche  tinta  lentemerit,  comme  pour  une  prière  ;  la  Bassotlc 
renlendil,  elle  s'arrêta  un  iu?:tarit  pour  écouler  celle  eloclie,  elle 
regarda  autour  d'elle  el  ses|;rands  yeux  s'etuplircnt  de  larmes...  Puis 
elle  reprit  sa  marctic. 

Elle  trouva  Bussol  agile  ;  il  la  f];uellait,  la  porte  enlr* ouverte,  elfjuand 
elle  fut  entrée  il  alla  brusquement  vers  elle,  lui  prit  les  deux  mains  : 

—  ît  faut  que  je  le  parli^  dit-il,  je  n'eu  peux  plus,  après  je  soulTrirai 
moins. 

Il  la  Jïl  asseoir  près  de  lui  el,  au  milieu  de  soupirs  bruyants,  il  lut 
raœnla  coiinuent  cela  sï-tail  passé. 

...  Certes,  il  n'aurait  pas  tiré  si  le  garde  ne  Tavail  menacé; 
essoufOé  de  courir»  serré  de  prés,  n'en  [pouvant  pins,  celle  menace 
Tavail  exaspéré.,,  le  coup  partit  ,-  Affolé,  il  avait  fui,  mais  craignant 
qu'il  put  le  désîjjîner  s'il  vivait,  il  se  ravisa,  revinl,  et  il  Tassomma 
àcoups  de  crosse,.. 

I.â^  les  sanglots  éloulTaient  le  braconnier...  longtemps  il  ne  puf 
parlfr.  .  Eïifin  : 

—  Il  nfa  regardé  doucement  avant  que  je  frappe,  nu^ine  pendant 
que  je  frappais  et  ce  sont  ses  yeux  que  je  vois  toujours  h'i,  laL  , 

El  Plçrre  marcha  dans  la  pièce  à  grands  pas,  gesliculanL   comme 
pour  chasser  ce  tableau  loin  de  lui. 
Puis,  exalté,  il  s'approcba  de  sa  femme,  clouée  sur  sa  chaise,  livide* 
A  son  oreille  il  cbuclioln  : 

—  io  n'ai  pas  peur  pourlaut...,  une  autre  fois,  un  autre  est  tombé 
là-bas,  le  corps  en  avant,  raide.». 

In  grand  silence  se  (il  ,. 

...  Lui,  Tair  beslîal,  la  poitrine  soulevée.  In  fixait;  elle  regardait 
|«irla  fenêtre,  paraissant  rélléchir  et,  connue  venajit  de  prendre  une 
résolution,  tout  à  coup,  d'un  ton  dégagé  ; 

^  On  ne  Ta  pas  vu?  dit-elle* 

—  Personne  î... 

—  Eh  bien!  c'est  fini,  gros  bélc,  calme-lgi  donc,  et  elle  lui  tapa  sur 
te  bras  en  riant  d'un  rire  forcé.. 


no  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

—  Gros  bête,  répétait-elle. 

Alors  il  la  prit  à  pleins  bras,  et  longuement,  dans  des  sanglots,  il 
redisait  : 

—  Merci,  merci!... 

Enfin  elle  se  dégagea  doucement  : 

— ■  Tu  oublies  qu'il  est  tard,  et  il  faudra  manger  ce  soir,  puisque  tu 
m'as  tout  dit  et  que  tu  n'as  rien  à  craindre. 

Après  une  longue  crise  de  larmes,  le  malheureux,  brisé,  les  nerfs 
détendus,  s'était  endormi  profondément. 

Alors  la  Bassotte  le  regarda  bien,  et  elle  sortit  doucement,  avec 
mille  précautions  ;  arrivée  sur  le  chemin,  elle  se  mit  à  courir  à  la 
maison  la  plus  voisine  où  elle  raconta,  haletante,  l'histoire  du  crime 
en  suppliant  d'aller  prévenir  la  gendarmerie. 

Lorsqu'elle  revint  chez  elle  Bassot  dormait  toujours;  immobile  elle 
regarda  son  mari  longtemps,  sans  faire  un  mouvement,  retenant  sa 
respiration  jusqu'à  ce  qu'elle  entendit  des  pas  de  chevaux,  alors  elle 
sortit,  s'approcha  des  gendarmes  et,  montrant  la  maison  du  doigt  : 

—  Il  est  là,  fit-elle,  d'une  voix  lente... 

Jâlàdon  de  la  Barre. 


A  MARIE  H... 

Autrefois,  ce  grand  cœur  qui  vous  disait  «  ma  fille  », 
Et  dont  le  souvenir  vous  est  resté  si  cher, 
Prétendait,  en  riant,  qu'il  est  toujours  amer 
De  sentir  une  épine  à  la  rose  qui  brille. 

Le  chemin  de  la  vie  en  épines  fourmille  ; 
On  veut  saisir  la  fleur,  on  se  meurtrit  la  chair, 
Et  parfois  une  pointe,  entrant  comme  le  fer. 
Déchire  cœur,  amour,  doux  liens  de  famille  ! 

A  ces  roses  du  mal,  ne  nous  attachons  pas. 
Le  bon  Dieu,  notre  Père,  a  semé  sous  nos  pas 
D'autres  suaves  fleurs.  Dans  notre  clairvoyance. 

Aimons  le  parfum  par  de  la  sainte  pitié  ; 
Recherchons  avec  soin  ce  que  sans  défaillance 
Vous  m'avez  prodigué  :  la  plus  douce  amitié. 

Alberte. 


REVUE   DU  NIVERNAIS.  111 

A  SA  MAJESTÉ  LA  REINE  WILHELMINE  <*> 


Reine,  petite  reine,  ô  grand  cœur,  noble  femme, 
Dont  le  nom  dit  justice  et  magnanimité. 
Laissez  venir  à  vous  le  salut  de  mon  âme, 
Le  salut  d'un  poète  à  votre  Majesté. 

Les  peuples,  sous  un  vent  de  pitié  vengeresse, 
Sentaient  leurs  bras  se  tordre  et  leurs  fronts  s'assombrir, 
Voyant  passer  dans  l'abandon,  dans  la  détresse, 
Le  vieux  lutteur  du  Droit  qui  ne  veut  pas  mourir. 

Il  passait,  messager  de  sa  race,  victime 
D'un  sinistre  attentat,  dénonçait  t'assassin... 
Et  les  foules,  devant  ce  haut  témoin  du  crime, 
Exhalaient  la  clameur  qui  grondait  en  leur  sein. 

Les  puissants  chefs  d'empire  à  ces  voix  généreuses 
Semblaient  sourds  ;  tous,  muets,  se  tenaient  à  l'écart 
Et  leurs  âmes  restaient  honteusement  peureuses 
De  voir  en  trouble-féle  arriver  ce  vieillard. 

Ah  !  tel  qui  sur  la  lèvre  a  des  mots  d'héroïsme, 
Joue  au  pur  chevalier,  se  pose  en  paladin. 
Mû  par  l'intérêt  seul  et  pétri  d'égoïsme, 
Pour  l'honneur  sans  profit  n'éprouve  que  dédain  ! 

Tous,  du  monde  anxieux,  trompaient  ainsi  l'attente. 
Alors,  vers  le  vieillard  dont  sanglotait  la  foi, 
Une  main  se  tendit,  frôle  et  réconfortante. 
Petite  main  de  femme,  auguste  main  de  roi  ! 

Et  l'Europe  charmée  eut  un  sourire.  0  Reine, 
Votre  mam  se  tendit,  geste  superbe  et  doux  ! 
Vous  fûtes  en  ce  jour  vraiment  la  souveraine 
De  cent  millions  de  cœurs  émus  et  fiers  de  vous. 

Inerte  et  vain,  gisait  dans  l'ornière  profonde 
Le  sceptre  de  justice  aux  pieds  des  chefs  d'Etats  : 
Vous  1  avez  ressaisi,  vous  le  montrez  au  monde. 
Par  lui  vous  dominez  entre  les  potentats! 

Reine,  soyez  bénie,  enfant  des  fortes  races, 
Ferventes  pour  le  Droit  et  pour  la  Liberté  ! 
Que  Dieu  sur  votre  front  fasse  pleuvoir  ses  grâces  : 
Vous  fûtes  la  grandeur,  l'espoir  et  la  bonté. 

Un  trône,  édifié  sur  de  telles  assises. 
Inébranlable  plus  que  la  plus  ferme  tour. 
Sans  trop  les  redouter,  peut  subir  bien  des  crises  ; 
Il  a  deux  soutiens  sûrs  :  le  respect  et  l'amour  ! 

Achille  Millien. 

(I)  Bon  nombre  de  poètes  français  onl  exprimé  les  sentiments  qu*a  éveiUés  dans 
^r  âme  Taccueil  fait  par  la  reine  de  Hollande  au  président  Kriiger.  Ces  hommages 
ynt  aujourd'hui  recueillis  ponr  ôtro  oiFerts  en  album  à  la  reine  Wilhelmine.  Nous 
«onnons  à  nos  le<:teurs  les  vei-sde  notre  directeur. 


il2  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

ETUDE  SUR  LES  NOMS  DE  LIEUX 

DU  NIVERNAIS  (0 
CHAPITRE  IV 
Comment  nous  sont  parvenus  les  noms  de  lieux. 


Les  noms  de  lieux  ont  donc  élé  imposés,  dans  chaque  région,  par  les 
différents  peuples  qui  s'y  sont  établis  successivement  dans  le  cours  des 
siècles. 

Or,  ces  dénominations  territoriales,  qu'elles  remontent  en  France 
aux  Francs,  aux  Burgondes,  aux  colonies  barbares,  aux  Gallo-Romains, 
aux  Celtes,  aux  Ibères  ou  aux  Ligures,  nous  sont  toutes  venues  par 
l'intermédiaire  de  la  langue  latine. 

Nous  avons  vu  ailleurs,  en  effet  (2),  comment  l'idiome  celtique  dis- 
parut en  Gaule  et  en  particulier  dans  notre  Nivernais  devant  le  latin, 
la  langue  du  peuple  vainqueur. 

Quoique  nous  parlions  encore  latin,  il  va  sans  dire  que  noire  langue 
actuelle  est  fort  éloignée  de  celle  qu'employaient  les  fiallo-Romains, 
lors  de  Tinvasion  des  Germains,  au  cinquième  siècle  de  notre  ère. 

Tout  change,  en  effet,  et  se  modifie  insensiblement  dans  une  langue: 
les  sons,  les  formes,  les  mois,  la  syntaxe. 

Ainsi,  un  habitant  de  Chitry,  pom*  dire,  il  y  a  quinze  siècles  :  «  Je 
vais  à  la  ville  de  Donzy  »,  se  serait  exprimé  à  peu  près  de  celte  façon  : 
((  Ego  vadoad  illarn  villain  Doniiliacum.  »  Et  cette  phrase  est  devenue 
acluellemenl,  dans  la  bouche  de  ces  mêmes  habitants  de  Chitry: 
<t  /  vi^  e  If  vil  (de)  Donzfj.  » 

Tous  les  mots  sont  restés,  m  us  quelle  transformation  ils  ont  subie 
en  IVspare  (!(»  quinze  ciMïts  ans  pour  arriver  jusqu'à  nous.  Plus  de  la 
moitié  (l<\s  sons  a  péri  en  chemin,  et,  parmi  ceux  qui  subsistent,  presque 
tous  ont  changé  de  li!nl)re.  Fn  effet,  sur  trente  lettres  qui  composent 
la  phrase  du  cinquième  siècle,  citée  plus  haut,   il  n'en   reste  que 

(1)  Voir  U's  lieux  arlides  .léjà  parus  «laiis  la  Roriie  du  Xivernais,  mai  el  juin  I81MI. 

(-2)  Bortif  (ht  Nii'e,nai>i,  ir  II,  juillol  1807  :  Origine  et  Ifistoire  den Parlen  du 
Xirnntati  ;  t?l,  Les  Ihirlars  du  Sicernala.  I)isroui>»  prononce  à  ta  (listribiiliou  solen- 
nelle des  prix  de  rinslitution  Sainl-Cyr,  le  26  juillet  1899. 


HEVUE  DU  NIVERNAIS.  H3 

douze  aujourd'hui.  Cette  phrase,  écrite  phonétiquement  dans  le  langage 
actuel  des  habitants  de  Chitry,  renferme  les  seuls  sons  suivants  : 
€  I  vé  lé  vil  (dé)  Dôzy,  » 

On  voit,  par  cet  exemple,  quelles  profondes  modifications  ont  subies 
les  consonnes  et  les  voyelles.  Les  consonnes  initiales  sont  restées  : 
yado^  se;  yillam^  y  il;  Jhmitiacum,  Do7izy;  les  consonnes  médiales 
sont  tombées  :  ego,  i;  vado,  vé;  les  consonnes  donbles  se  sont  réduites  : 
tllom,  la,  1^';  villam,  ville,  vile,  vil.  Si  nous  examinons  les  voyelles,  il 
faut  avouer  qu'elles  ont  été  encore  plus  profondément  transformées. 
Une  seule  est  restée  depuis  le  cinquième  siècle  :  Vi  de  villam,  rii,  et 
elle  n'a  certainement  pas  aujourd'hui  un  timbre  ideitique  à  celui 
qu'elle  avait,  au  moment  des  invasions,  dans  la  bouche  des  habitants  de 
la  Gaule.  Toutes  les  autres  ont  été  changées  par  des  évolutions  lentes 
et  inconscientes  que  l'on  peut  suivre  en  remontant  le  cours  des  siècles 
jusqu'au  latin  vulgaire  des  populations  gallo-romaines. 

Car  ni  le  français,  ni  les  autres  parlers  de  la  France  ne  descendent 
du  latin  de  Cicéron  ou  de  César,  ils  remontent  tous  au  latin  vulgaire. 

Tout  le  monde  sait  qu'à  Rome  même,  on  distinguait  plusieurs  espèces 
de  langages,  mais  deux  en  particulier.  L'un  cultivé  et  poli  par  l'étude 
du  grec,  c'était  le  latin  harmonieux  et  classique ,  celui  des  lettrés  ; 
l'autre  appelé  par  les  écrivains  de  Rome  :  semio  pleheius,  rusticusy 
castreiisis,  c'était  le  parler  du  peuple,  des  soldats,  des  laboureurs  et 
de  tous  ceux  qui  ne  savaient  pas  le  grec. 

Or,  c'est  de  ce  latin  vulgaire  transporté  dans  l'Empire  romain  que 
descendent  toutes  les  langues  romanes.  Sans  nous  arrêter  sur  l'origine, 
la  nature,  le  développement  du  latin  vulgaire,  nous  pouvons  dire 
d'une  façon  vague  que  c'est  l'ensemble  des  formes  qu'a  revêtues,  dans 
les  différentes  parties  de  l'Empire  romain,  le  latin  parlé  par  le  peuple, 
formes  très  variables  selon  les  temps  et  selon  les  lieux. 

On  comprend  facilement  que  la  langue  vulgaire  et  le  latin  classique 
n'étaient  pas  «  deux  langues  distinctes,  comme  l'osque  par  exemple 
différait  de  l'ombrien.  C'étaient  simplement  deux  formes  particulières 
d'une  même  langue,  à  peu  près  comme  le  français  de  l'Académie 
diffère  du  français  parlé  à  Nevers ,  Lyon ,  Bordeaux ,  Genève  ou 
Bruxelles  (1).  i 

(1)  Introduction  à  la  Chronologie  du  latin  vulgaire  ,  par  F.-Georges  Mohl, 
p.  10.  —  Paris,  librairie  E.  Bouinon,  4899. 

5« 


lU  REVUE  DU  NIVEHNAIS. 

Or,  le  latin  littéraire  obtint  seul  les  honneurs  de  récriture,  tandis 
que  le  parler  populaire  ne  se  transmit  que  par  la  tradition  orale.  LeOrs 
diiïérences  allèrent  donc  s'accentuant  de  plus  en  plus  dans  le  cours  des 
siècles.  Le  latin  classique  était  arrêté  sans  cesse  dans  son  évolution 
par  récriture  qui  rappelait  aux  yeux  des  lettres  et  des  sons  en  train  de 
se  transformer  ou  de  disparaître  ;  pendant  ce  temps,  la  langue  du 
peuple  suivait  sa  marche  progressive  sans  être  jamais  endiguée  ou 
ramenée  en  arrière  puisqu'elle  n'était  pas  écrite. 

Bref,  le  latin  classique,  après  les  invasions  du  cinquième  siècle, 
devint  une  langue  morte,  et  le  latin  populaire  continua  d'être  un 
parler  vivant.  Alors,  les  Barbares  détruisent  les  écoleS  et  ruinent  la 
civilisation  gallo-romaine.  Ils  s*établissent  non  seulement  en  Gaule, 
mais  dans  toute  la  partie  occidentale  de  TEmpire  romain,  et  une  nuit 
profonde  semble  envelopper  l'Occident  tout  entier,  n  Seule  l'Eglise 
conserve  la  tradition  des  lettres  latines  ;  quelques  prêtres  de  talent 
créent  une  nouvelle  littérature  ;  dans  les  couvents,  les  moines  copient 
studieusement  et  conservent  pour  les  âges  futurs  les  manuscrits  de  la 
Rome  païenne  ;  des  clercs  se  livrent  à  l'étude  élémentaire  de  la  théo- 
logie ou  écrivent  quelques  chroniques  historiques.  Mais,  en  dehors 
de  ce  nombre  bien  restreint  d'hommes  instruits,  qui  maintiennent 
dans  leurs  mains  le  flambeau  vacillant  de  la  science,  le  pays  est  livré  à 
une  barbarie  toujours  croissante.  L'immense  majorité  des  habitants  de 
la  Gaule,  abandonnée  de  toute  administration  protectrice,  en  proie  au 
caprice  et  à  l'arbitraire  des  conquérants,  incapable  de  culture,  laisse  sa 
langue  aller  à  l'abandon  ;  et  la  force  révolutionnaire  qui  précipite  les 
idiomes  agit  sans  contrainte.  Aussi  cette  période  (du  cinquième  au 
neuvième  siècle),  est  celle  ou  le  latin  se  déforme  le  plus  rapidement  et 
le  plus  complètement.  En  l'espace  de  quatre  siècles,  les  sons  latins  ont 
si  bien  changé  qu'on  se  trouve  en  présence  d'un  système  nouveau  : 
lacryma  s'est  changé  en  lairme  (larme),  vetulum  en  vieil.  Les  mots 
sont  devenus  pour  une  bonne  part  méconnaissables.  Le  latin  popu- 
laire est  désormais  le  français  (1).  i 

Cette  transformation  rapide  du  latin  vulgaire  atteignit  aussi  les 
noms  de  lieux  et  même  je  dirai  qu'elle  les  atteignit  plus  que  les  autres 
moU  du  latin  populaire. 

(1)  Arsène  Darmestbter,  Cours  de  grammaire  historique  de  la  langue  fran* 
çaÂset  première  porlie  :  Phonétique,  page  15.  —  Paris,  librairie  Ch.  Delagrave. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  115 

Les  mots,  en  effet,  s'usent  d'autant  plus  vite  qu'ils  sont  employés 
plus  fréquemment.  Ils  sont  comme  les  pièces  de  monnaie  qui  perdent 
l'empreinte  de  leur  effigie  et  la  netteté  de  leur  contour  à  mesure 
qu'elles  circulent  davantage.  Or,  quels  mots  sont  plus  souvent  em- 
ployés par  les  habitants  d'une  région  que  les  noms  de  villes,  villages 
ou  hameaux  qu  ils  habitent  ou  qui  les  entourent. 

Naturellement,  ces  changements  sont  d'autant  moins  sensibles  que 
les  documents  qui  nous  fournissent  ces  noms  de  lieux  remontent  plus 
près  de  leur  origine. 

Aussi,  les  plus  anciens  documents  latins  nous  les  représentent  assez 
fidèlement.  Mais,  après  la  destruction  de  l'Empire,  à  mesure  que 
grandira  l'écart  entre  la  langue  écrite  et  la  langue  populaire,  les  noms 
de  lieux  perdront  dans  les  chartes  leur  forme  latine  pour  en  revêtir 
une  nouvelle  plus  en  harmonie  avec  leur  prononciation  d'alorc»,  ce 
sera  la  forme  romane. 

Ainsi,  au  septième  siècle,  les  scribes  qui  transcrivent  les  dénomina- 
tions territoriales,  savent  encore  le  plus  souvent  leur  donner  leurs 
formes  primitives,  d'ailleurs  peu  éloignées  de  la  forme  contemporaine. 
Il  est  vrai  que  les  documents,  diplômes  ou  chartes  qui  nous  ont 
conservé  ces  noms,  les  présentent  dans  un  latin  qui  n'est  plus  le  latin 
littéraire  (1). 

A  l'époque  mérovingienne,  le  latin  littéraire  a  disparu  et  la  langue 
parlée  ou  latin  vulgaire  restera  encore  plusieurs  siècles  avant  d'obtenir 
les  honneurs  de  l'écriture.  Pendant  ce  temps,  ceux  qui  écrivent  em- 
ploient un  langage  intermédiaire  entre  le  latin  classique  et  la  langue 
vulgaire.  On  lui  a  donné  le  nom  de  bas-latin.  Cette  langue  t  presque 
entièrement  calquée  sur  la  langue  parlée,  excepté  chez  les  Pères  de 
l'Eglise,  offre  le  lableau  de  la  barbarie  la  plus  complète,  et,  par  suite, 
fournit  à  rétude  linguistique  du  roman  une  riche  matière,  puisque, 
derrière  ces  formes  barbares,  l'induction  découvre  la  langue  parlée 
dont  il  ne  nous  reste  aucun  monument.  A  l'époque  carolingienne,  sous 
Charlemagne,  il  se  produit  une  renaissance  des  lettres  latines,  et  les 
documents  écrits  par  des  clercs  plus  instruits  se  rapprochent  davan- 
tage du  latin  classique.  Tout  le  moyen-âge  lettré  écrit  en  bas-latin  »  (2). 

(Il  J.  QciCHERAT,  ouvrage  cité,  passim, 

(2)  Arsène  Dakmestetkr,  Gê-ammairc  hiêtorique,  Phonétique,  p.  11). 


^16  nEVtJE  DU  NIVERNAIS. 

Telle  est  la  langue  dans  laquelle  nous  trouvons  mentionnés  les 
noms  de  lieux  que  nous  citerons  dans  le  cours  de  ce  travail. 

Dès  les  premiers  temps,  peu  de  différence  entre  les  deux  langues 
et  par  conséquent  entre  la  forme  vulgaire  et  la  forme  donnée  dans  le 
bas-latin. 

Mais  dès  Tavènemenl  des  Carolingiens,  quelques-unes  de  ces  déno- 
minations rurales  ne  sont  plus  latines,  elles  ont  la  forme  contempo- 
raine du  document,  c'est-à-dire  la  forme  romane.  Alors  une  certaine 
tradition  orthographique,  pour  les  noms  les  plus  communs  et  les  plus 
connus,  se  maintient  quelque  temps  parmi  les  scribes  ofOciels. 

Puis  au  neuvième  et  au  dixième  siècles,  ceux  qui  écrivent  en  latin 
ne  savent  pas,  le  plus  souvent  rendre,  dans  leur  forme  étymologique, 
la  nomenclature  territoriale.  Alors  l'arbitraire  et  la  fantaisie  se  don- 
nent libre  carrière  pour  la  transcription  latins  dei  noms  de  lieux. 

A  mesure  que  nous  approchons  de  l'époque  moderne,  les  traduc- 
tions des  n^ms  de  lieux  deviennent  de  plus  en  plus  fantaisistes  et 
semblent  trahir,  chez  les  scribes,  des  préoccupations  étymologiques 
quelquefois  fondées,  mais  souvent  aussi  bien  ridicules. 

Toutefois,  les  dénominations  d'un  usage  fréquent  et  que  les  clercs 
ont  eu  occasion  de  rencontrer  souvent  dans  leurs  lectures  sont  assez 
fidèlement  traduites.  D'autres  fois,  ils  les  écrivent  en  langue  vulgaire, 
c'est-à-dire  en  roman.  C'était  ce  qu'il  y  avait  de  plus  sage  à  faire  et  en 
môme  temps  de  plus  clair  pour  le  lecteur. 

Ailleurs,  ils  les  affublent  d'une  forme  latine  calquée  visiblement  sur 
la  française  ou  bien  encore  ils  les  traduisent  par  des  équivalents  qui 
sont  de  véritables  jeux  de  mots,  quand  ils  ne  sont  pas  ridicules  (1). 

Ainsi  Corancy  est  traduit  par  CurtisAncii  (2)  ;  Montigny-en-Morvan 
parafons  ignitus  (3).  Ailleurs,  l'abbé  Baudiau  nous  dit  que  Solière, 
près  Saint-Péreusc,  vient  de  Solis  lucus,  parce  que  cette  localité  était 
alors  un  bois  consacré  au  boleil  !  (4).  Arbourse  est  désigné  par  Arida 
Bursa  (5).  Toutefois,  il  semble  que  le  comble  du  ridicule  ait  été 
atteint  par  le  traducteur  de  Montaron.  Cette  commune  est  désignée  en 


(i)  J.  QuiCHERAT,  passini, 

(2)  Le  Morvan,  parTabbé  Baudiau,  t.  I,  p.  338. 

(3)  Le  AfwTon,  1. 1,  p.  361. 
(i)  Le  Morvan^  I.  I,  p.  399. 

(5)  Touillé  d'Auxerre,  année  1535. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  117 

1287  pBrMom  Errans  (1).  II  faut  avouer  qu'à  part  le  miracle  fait  par 
saint  Grégoire  le  tltaumalurge,  et  raconté  dans  ie  Bréviaire  (2),  on  a 
rarement  vu  une  montagne  changer  de  place  et  errer  à  travers  les 
plaines. 

Il  serait  trop  long  d'énuroérer  toutes  les  bizarreries  auxquelles  se 
sont  livrés  les  scribes  du  moyen-âge,  sans  parler  des  étymologistes 
modernes  qui  les  ont  souvent  surpassés  en  hardiesse  et  en  ridicule 
dans  la  traduction  des  noms  de  lieux  du  Nivernais.  Mais  laissons  dor- 
mir en  paix  les  clercs  qui  ont  voulu  faire  de  Tétymologie  et  qui  sont 
morts,  et  n'allumons  pas  non  plus  la  guerre  entre  les  étymologistes 
vivants  de  la  Nièvre. 

D'autres  noms  de  lieux  ont  changé  de  genre  à  travers  les  âges.  On 
en  trouve  de  nombreux  exemples  dans  la  toponymie  française.  Le  cas 
se  présente  au  moins  deux  fois  pour  la  Nièvre.  Nous  verrons  comment 
Saint-Parize  le-Châtel  et  Saint-Pércuse,  d'abord  masculins  au  moyen- 
âge,  sont  devenus  féminins  au  quinzième  siècle.  Puis,  semblables  à  ce 
héros  de  la  fable,  ils  ont  repris  leur  premier  genre,  du  moins  dans  les 
dictionnaires  et  les  cartes  modernes,  car  le  peuple  continue  à  les  faire 
féminins  et  à  dire  Sainte  Parize  et  Sainte  Péreuse. 

La  fantaisie  et  l'ignorance  des  scribes  du  moyen-âge  ne  furent  pas 
ks  seules  causes  qui  défigurèrent,  du  moins  dans  les  documents  écrits, 
les  noms  de  lieux  du  Nivernais.  Los  officiers  publics,  chargés  de  lever 
les  cartes  ont  aussi  souvent  transformé  l'onomastique  rurale,  sous 
prétexte  de  rapprocher  ces  noms  de  mots  plus  connus  Au  lieu  de 
transcrire  le  plus  fidèlement  possible  les  noms  de  pays,  villes,  villages, 
hameaux,  tels  qu'ils  étaient  prononcés  par  les  habitants  de  l'endroit 
ils  ont  essayé  quelquefois  de  les  rapprocher  de  mots  français  et  qui 
souvent  n'ont  point  de  sens  comme  noms  de  lieux.  Ainsi,  M.  d'Arboisde 
Jubainville  cite  comme  exemple  Pontpoint  i^Ornc;,  qui  vient  de  Pompo- 
nius  et  qui  devrait  s'écrire  Pompoin.  L'orthographe  Pontpoint  fait 
penser  à  un  pont  qui  est  sur  un  point,  ou  à  un  point  qui  est  sur  un 
ponL  Lequel  des  deux?  L'imagination  même  la  plus  puissante  ne  peut 
se  représenter  ni  l'un  ni  l'autre,  a  L'orthographe  moderne  de  ce  nom. 
ajoute  t-il,  offre  un  exemple  caractéristique  de  la  façon  intelligente 
dont  les  scribes  officiels  entendent  l'étymologie  (3).  » 

(I)  Regislre  de  l'Evéchc  de  Ne  vers. 

(%)  Yéie  le  17  novembre. 

(3)  Recherches  sur  forigine  de  là  propriété  foncière  ^  p.  3UG. 


118  REWE  DU  NIVERNAIS. 

Nous  avons  des  élymologies  de  celte  force  dans  la  Nièvre.  Nous  n'en 
citerons  qu'une  aujourd'hui,  nous  parlerons  des  autres  à  mesure 
qu'elles  se  présenteront  dans  le  cours  de  cette  étude. 

On  sait  que  le  verbe  a  manere  ))  rester  a  eu  une  grande  fortune  dans 
les  langues  romanes.  Pour  ne  parler  que  du  français,  Tinfinitif  latin  nous 
a  donné  manoir,  qui  est  devenu  un  substantif  :  Tendroit  où  Ton 
demeure,  un  château;  le  participe  présent  a  fait  manant^  paysan;  le 
participe  passé  maitsum  a  donné  mas  en  provençal  et  mes  en  français, 
dans  le  sens  de  demeure,  de  maison.  Ce  dernier  mot,  d'ailleurs,  vient  de 
mansionem^  un  dérivé  de  mancrc,  qui  en  compte  beaucoup  d'autres, 
comme  mansionarium  maisnier,  mansionata  maisniée,  matisiona- 
ticum  ménage,  mansionile  menil,  etc.  Or,  le  participe  passé  mansum 
a  été  employé  de  bonne  heure  comme  nom  de  lieu  pour  signifler  la 
demeure,  la  maison,  soit  seul  :  Exemples  :  Le  Mas,  le  Mes,  le  Heix, 
Mée,  Méez,  Metz,  soit  surtout  suivi  d'un  nom  propre,  au  cas  régime  et 
marquant  le  de  possessif.  Nous  en  trouvons  un  grand  nombre  dans  la 
toponymie  nivcrnaise.  En  voici  un  qui  a  été  défiguré  par  les  scribes 
officiels  : 

Le  Maréchal,  hameau  de  la  commune  de  Ruages,  ne  tire  point  son 
nom  d'un  maréchal  ou  forgeron  qui  s'est  établi  à  cet  endroit^  mais  il 
est  composé  de  deux  mots  et  veut  dire  la  demeure  de  Richard,  comme 
Metz-le-Comte  signifie  la  demeure  du  comte.  D'ailleurs  les  anciens 
textes  donnent  :  Mesus  Richardi,  1231  (Arch.  nat.  J.  256),  —  Meix 
Richard,  1406  (Marolles)  —  le  Mex  Richard,  1543  (i). 

Abbé  J.-M.  Meunier. 

DERNIÈRE  PENSEE 

Ecoule,  bien-aimé,  voici  l'heure  bénie 

Où  s'épanche  le  cœur  ; 
Ecoule,  car  je  veux,  en  quittant  cette  vie. 
Sur  le  sombre  chemin,  cueillir,  Tàme  ravie, 

Une  dernière  fleur. 

Ecoute,  bien-aimé  :  —  confession  suprême  !  — 

Lorsqu'un  jour,  lu  m'as  dil, 
A  mes  genoux  courbé  :  «  C'est  loi  seule  que  j'aime  !..    i 
J'ai  répondu,  riant  de  ton  angoisse  extrême  : 

c  Voilà  de  l'inédit  !  b 

(I)  Exemple  lit'jiV  cilé  daiis  P.  E.  Lindsthom.  Unetymologische  Au/l'ôtung 
franzoaiêcher  Ortsnamem,  p.  8.  Stockholm  1898. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  119 

Le  rapide  frisson  qui  parcourut  mon  être, 

Tu  ne  l'as  pas  surpris  ! 
Un  intense  bonheur  en  moi  venait  de  naître, 
Toi  seul  étais  i*éiu,  toi  seul  étais  le  maître  : 

Tu  ne  Tas  pas  compris  I 

J'ai  voulu  te  cacher  ce  secret  de  mon  âme, 

Ah  !  je  rai  bien  gardé  I 
Tout  l'art  d'une  coquette  et  tout  l'art  d'une  fenune 
(J'encourus  ton  mépris  peut-être,  après  ton  blâme) 

Servit  à  le  farder. 

Tu  ne  soupçonnas  point  l'effroyable  tempête 

En  moi  toujours  grondant  ; 
Tu  me  crus,  j'en  suis  sûre,  une  légère  tête 
Qui  trouvait  le  bonheur  dans  l'éclat  d'une  fête. 

Dans  le  plaisir  ardent. 

Hélas  !...  et,  dans  la  foule,  à  cette  fête  même, 

Quand  je  t'apercevais. 
Mon  regard  se  voilait,  mon  front  devenait  blême. 
Et  si  tu  t'approchais,  —  ô  toi,  mon  bien  suprême  I...  — 

D'émoi,  je  défaillais... 

Cependant,  tu  le  sais,  de  tes  aveux  sincères. 

J'ai  ri,  j'ai  ri...  toujours. 
Quel  rire  !...  Il  était  fait  de  mes  larmes  amères, 
De  tous  les  désespoirs,  de  toutes  les  misères 

De  mes  sombres  amours. 

Tu  m'as  dit  quelquefois  que  je  n'avais  point  d'âme... 

Mon  aimé,  plût  au  Ciel  ! 
Il  aurait  moins  souffert,  mon  pauvre  cœur  de  femme  ; 
Ta  douleur  lui  serait,  s'il  eût  été  sans  flamme, 

Plus  douce  que  le  miel  ! 

Renfermant  en  ce  cœur  mon  ardente  tendresse, 

Je  t'ai  vu  me  haïr  ; 
Sous  les  dehors  riants  d'une  infâme  allégresse. 
J'ai  pu  te  voir  verser  des  larmes  de  détresse, 

Et  ne  me  point  trahir  !  .. 

Et  cependant  1...  à  toi,  je  pensais  à  toute  heure. 

Je  te  voyais,  la  nuit, 
Dans  ces  songes  que  Dieu  nous  offre  comme  un  leurre 
Et  dont  le  souvenir  dans  notre  âme  demeure 

Quand  le  bonheur  s'enfuit. 

Mais  pourquoi,  diras-tu,  pourquoi  ce  long  supplice 

Que  tu  m'as  inflige, 
Si  tu  sentais  en  toi  la  passion  complice  ? 
Ah  I  pourquoi?...  Mon  amour,  à  tes  genoux  je  glisse  : 

Il  fallait  l'affliger. 

Tu  ne  savais  pas,  toi,  que  mon  temps  éphémère 

D'avance  était  compté. 
La  jeunesse  édiOe  en  son  nrûlant  cratère 
Des  rêves  de  bonheur  qui  —  pour  vivre  —  sur  terre 

Voudraient  l'éternité. 


120 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


i 


1 


Mais,  moi,  je  le  savais,  que  j'étais  condamnée. 

Je  savais.,,  comprends-tu? 
Et  tu  voulais,  à  moi,  lier  ta  destinée  .. 
Oh  !  vivre  ainsi,  mon  âme  à  ton  âme  enchaînée  !... 

Mon  cœur  s*est  débattu. 

Hais  après  bien  des  pleurs  et  des  combats  sans  nombre, 

Ce  cœur  s  est  résolu. 
Unir  ton  clair  soleil  au  frisson  de  cette  ombre?... 
Sur  ta  jeunesse  enfin,  jeter  ce  voile  sombre?... 

Je  ne  l'ai  pas  voulu. 

Mais  je  meurs  ..  je  t'adore...  et  ne  puis  plus  me  taire... 

Oh  !  l'atroce  douleur  I 
Pour  t'éloigner,  j'ai  fait  tout  ce  qu'on  peut  sur  terre, 
Et  je  n*aî  réussi,  —  ce  qui  me  desespère,  — 

Qu'à  te  briser  le  cœur. 

Mais  ta  blessure,  ami,  sera  bietitôt  fermée. 

0  regrets  superflus  ! 
Mon  souvenir  n'est  rien>  qu'une  vaine  fumée. 
Je  perdrai  dans  ton  cœur  ma  place  accoutumée 

Quand  je  ne  serai  plus. 

Car,  ce  qui  peut  lier  profondément  deux  âmes 

Jusque  dans  l'avenir, 
Ce  qui,  loin  du  bûcher,  peut  raviver  les  flammes. 
C'est,  nous  le  savons  bien,  vois-tu,  nous  autres  femmes, 

Le  commun  souvenir. 

Le  souvenir  des  jours  heureux  vécus  ensemble. 

Des  larmes  de  bonheur. 
D'un  mot  et  d'un  regard  et  d'une  main  qui  tremble. 
Fleurs  d'un  bouquet  fané,  que  toujours  on  rassemble. 

Qui  parfument  le  cœur. 

Et  ces  chers  souvenirs  des  heures  fortunées. 

Nous  ne  les  avons  pas. 
Cette  gerbe  de  fleurs  fraîchement  moissonnées. 
Tu  la  voulus  cueillir,  mais,  durant  deux  années, 

Moi,  j'ai  dit  :  «  Non  !  »  —  tout  bas. 

Ami,  ne  juge  point,  à  mon  heure  dernière. 

Mes  sentiments  secrets. 
Mon  œuvre  est  accomplie,  et  mon  âme  en  est  flère. 
Non,  je  n'ai  pas  voulu  briser  ta  vie  entière 

Par  d'éternels  regrets. 

C'est  pour  cela,  vois-tu,  que  je  me  suis  absoute. 

Retiens  mon  dernier  vœu  : 
Sois  heureux  quelque  jour,  —  et  sur  une  autre  route. 
C'est  une  volupté  que  d'avance  je  goûte, 

En  te  disant  adieu. 

Mais  c'eût  été  vraiment  au  dessus  de  moi-même 

Que  de  laisser  en  toi, 
En  toi  qui  m'as  longtemps  aimée,  en  toi  que  j'aime, 
Au  moment  de  partir  pour  un  exil  suprême, 

Cette  image  de  moi. 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 

J'ai  voulu  me  montrer  à  tes  yeux  comme,  en  rêve, 

Me  pressentait  ton  cœur. 
Ali  !  quelle  joie  exquise  en  cette  heure  si  brève  ! 
Oui,  depuis  bien  longtemps,  c'est  la  première  trêve 

Faite  avec  la  douleur. 

Tout  est  fini...  Pardonne...  Aucun  doute  n'effleure 

Mon  âme  en  cet  instant. 
Va.  .  ne  regrette  rien...  ne  crois  pas  que  je  pleure... 
Ton  amour  ensoleille  encor  ma  dernière  heure... 

Je  meurs...  te  bénissant... 

Camille  Valette. 


121 


;  ^  ^ 


LES  HOUILLERES  DE  LA  iMACHINE 

PRÈS  DECIZE  (NIÈVRE)  (Suite). 
DEUXIÈME  PARTIE 
1.  —  LA  MACHINE  UN  JOUR  DE  TRAVAIL 

Chaque  jour  ouvrable,  et  en  loiile  saison,  la  plus  grande  partie  de 
la  population  ouvrière  de  La  Machine  est  sur  pied  dè^  cinq  heures  du 
malin  (1). 

Après  un  déjeuner  sommaire,  consislant  soit  en  im  bol  de  soupe 

(1)  Tne  autre  pmiie  de  celte  populalioii,  comprenant  la  moitié  environ  des  mineui-s, 
des  machinistes  et  des  chiiudeurs,  travaille  la  nnit  et  se  repose  le  jour.  Chaque  lundi, 
les  ouvriers  •  changent  de  poste  ■  et  se  remplacent  à  ces  travaux  nocturnes. 


122  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

arrosé  d'un  verre  de  vin,  soit  en  un  morceau  de  pain  trempé  dans  une 
tasse  de  café  noir  ou  simplement  dans  une  goutte  d'eau  de-vie,  chaque 
travailleur  sort  de  sa  maison.  Tantôt  il  attend  un  instant  sur  sa  porte 
un  de  ses  voisins  ;  tantôt  il  part,  afin  d'appeler  en  passant  quelques 
camarades  avec  lesquels  il  se  rendra  au  chantier  habituel. 

Alors,  dans  la  brume  matinale,  circule  une  véritable  ruche  ouvrière  : 
mineurs  au  teint  pâle,  portant  à  la  main  leur  lampe  à  long  crochet  et, 
sur  répaule,  le  «c  berli  »  de  toile  (1  )  ;  jeunes  rouleurs  à  la  mine  éveillée, 
à  la  parole  bruyante  ;  mécaniciens  aux  allures  vives  et  manœuvres  i 
la  démarche  lente  ;  ouvriers  d'ateliers  aux  courts  blouserons  bleus  et 
charpentiers  aux  larges  pantalons  de  velours  ;  charretiers  ayant  à  la 
bouche  une  courte  pipe  ou  le  juron  aux  lèvres  ;  trieuses,  enfin,  ayant 
toutes,  jeunes  et  vieilles,  la  tête  et  le  cou  enveloppés  dans  un  ample 
fichu  de  couleur  claire  surmonté  d'un  chapeau  de  paille  noire. 

Tandis  que  certains  Machinois  descendent  des  Marizys,  des  Cendriers 
et  de  la  cité  Sainte-Eudoxie,  d'autres  montent  les  rues  du  Bourg,  de 
la  Misère,  de  la  Gargole,  etc.  Les  ouvriers  de  Trois-Vêvres  viennent  au 
puits  Marguerite  par  l'allée  ombreuse  du  Pavillon-des-Bois,  et  ceux  de 
Bussière  et  de  Thianges  s'acheminent  vers  le  puits  des  Glénons,  en  tra- 
versant la  forêt  de  ce  nom,  par  deux  routes  qui  s'embranchent  au 
milieu  du  faubourg  de  la  Chaume.  • 

Arrivés  à  leurs  puits  respectifs  un  peu  avant  six  heures,  les  ouvriers 
n  passent  à  la  boutique  >  (ils  appellent  ainsi  le  bureau  du  maître- 
mineur)  pour  se  faire  inscrire  et  recevoir  les  ordres  concernant  leurs 
travaux  ;  puis,  accompagnés  des  chefs  de  postes  (2),  ils  pénètrent  sous 
le  vargue  (3),  où  ils  allument  leurs  lampes  t  en  se  donnant  mutuelle- 
ment du  feu  ».  Ensuite,  par  groupes  de  huit,  ils  prennent  place  dans 
les  cages  (4)  qui,  au  moyen  de  larges  câbles  d'aloès,  descendent  alter- 
nativement aux  différents  étages  d'exploitation. 

Dès  qu'un  ascenseur  est  complet,  le  receveur  ferme  les  barrières  de 

(1)  Petit  sac  renfermant  les  provisions  de  bouche  du  mineur. 

(*2)  Employés,  au  nombre  de  six  à  huit  par  puits,  chargés  de  la  surveillance  des 
travaux  et  de  la  marque  des  journées. 

(3|  Large  enceinte,  couverte  en  planches  goudronnées,  au-dessus  du  puits. 

(4)  On  appelle  cages  les  ascenseui-s  en  fer,  à  quatie  montants  et  à  deux  plancliers, 
dans  lesquels  on  descend  et  monte  les  ouvriers,  les  bennes  de  houille  et  de  schistes, 
les  bâches  d'eau  du  fond  du  puits  et  les  éLtis  servant  au  boisage  des  galeries  souter- 
raines. Chaque  cage  est  recouverte  d'un  toit,  ou  chapeau ,  et  surmontée  du  parachute 
Machecourt  et  de  révite-moletle  qui  en  est  le  cotnplément. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  123 

sùrelé  et  donne  au  machiniste  ie  signal  du  départ.  Ce  dernier  soulève 
alors  doucement  la  cage,  —  pour  permettre  au  receveur  de  retirer,  par 
un  levier,  les  sièges  ou  taquets  sur  lesquels  elle  s'appuie  chaque  fois 
qu'elle  arrive  au  jour,  —  puis  il  plonge  les  mineurs  dans  les  profon- 
deurs de  la  terre. 

Pendant  que  s'opère  ainsi  la  descente  dans  les  puits,  les  trieuses,  au 
nombre  de  120,  se  réunissent  à  la  gare  de  classement  des  Glénons.  Là, 
elles  s'installent,  avec  leur  surveillant,  dans  des  vagons  spéciaux 
qu'une  locomotive  conduit  aux  ateliers  du  Pré-Charpin  (1). 

Arrivées  à  destination,  ces  ouvrières  vont,  sans  cesser  leurs  conver- 
sations, déposer  leurs  petits  paniers  près  des  fourneaux  où,  plus  tard, 
elles  feront  cuire  ou  réchauffer  leui  modeste  déjeuner.  A  six  heures, 
elles  se  placent  dans  les  cases  disposées  de  chaque  côté  des  toiles 
mobiles  en  aloès  sur  lesquelles  passent  lès  charbons  bruts  des  diverses 
couches  et  retirent  de  ces  charbons  les  matières  étrangères  (schistes, 
grès,  pyrites,  etc.)  qu'ils  contiennent. 

Les  lavoirs  mécaniques  à  piston,  —  établis  en  avant  de  l'atelier  de 
triage  et  actionnés  par  la  môme  machine  que  ce  dernier,  —  se  mettent 
également  en  marche,  par  les  soins  des  laveurs,  à  six  heures  du 
matin  :  il  est  très  curieux  de  voir  les  petits  godets,  montés  sur  des 
chaînes  sans  fin  de  longueurs  différentes,  sortir  du  lavoir  et  verser, 
avec  une  régularité  parfaite,  d'un  côté  le  charbon  lavé  et,  de  l'autre, 
les  schistes  qui,  plus  lourds,  se  sont  déposés  au  fond  du  bac. 

Mais  revenons  à  La  Machine,  afin  de  voir  les  ouvriers  de  Texlérieur 
commencer  «  leur  journée  ». 

Les  charretiers,  le  fouet  sur  le  cou,  sortent  des  écuries  en  tenant 
leurs  chevaux  par  la  bride;  les  boiseurs,  devant  leurs  cabanes,  affûtent 
leurs  scies  pour  se  livrer  à  la  fabrication  des  étais  de  mine;  les 
manœuvres  se  rendent  aux  chantiers  qui  leur  ont  été  désignés,  alors 
que  les  machinistes  et  les  chauffeurs  viennent  remplacer  leurs  cama- 
rades du  poste  de  nuit.  Les  poseurs  se  hâtent  de  réparer  un  tronçon  de 
ligne  et  les  aiguilleurs  courent  le  long  des  voies  ferrées,  tandis  que  les 
locomotives  soufflent  ou  jettent  dans  l'air  leurs  cris  stridents;  que  les 
trains-porteurs,  chargés  de  bennes  (2),  circulent  sur  les  plans  inclinés 

(1)  Le  Pré-Charpin,  nous  l*avons  dit,  se  trouve  i  deux  kilomètres  au  sud-est  du 
bourg  de  La  Machine. 

(3)  Petits  vagons,  à  caisse  eHiptiquc.  contenant  quatre  à  cinq  hoclolitres  de 
charbon. 


124  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

de  la  Haule-Meule  et  des  Zagots,  et  que  les  ateliers  retentissent  do 
bruit  des  marteaux,  des  chocs  répétés  du  pilon  à  vapeur  et  du  grince- 
ment des  scies  mécaniques. 

Maintenant  que  tout  le  monde  est  à  l'ouvrage,  jetons  un  coup  d'œil 
sur  l'installation  extérieure  d'un  puits,  —  celui  des  Zagots,  par 
exemple,  —  dans  lequel  nous  pourrons  descendre  ensuite. 

Autour  de  Torifice  rectangulaire,  garni  de  pièces  de  charpente 
assurant  le  fonctionnement  régulier  des  cages,  s'élève  un  massif  carré 
de  maçonnerie  percé  de  larges  voûtes  (on  y  a  établi  plusieurs  cham- 
bres, dont  Tune  sert  de  bureau  au  maître-mineur).  Ce  massif,  de 
18  mètres  de  côté  à  la  base  et  de  7  mètres  de  hauteur,  supporte  le 
vargue,  c'est-à-dire  la  partie  couverte  affectée  à  la  recelte  des  cages, 
ainsi  qu'au  roulage  et  au  versement  des  bennes.  D'énormes  poutres, 
bardées  de  fer,  forment,  avec  de  fortes  traverses,  le  chevalement  qui 
soutient  une  grosse  cage  en  planches,  à  balustrade  carrée  et  à  toit 
pointu  :  là  tournent,  sous  les  câbles  d'aloès,  deux  molettes,  ou  poulies 
en  fonte,  de  3  mètres  de  diamètre. 

Une  élégante  construction  en  pierre  de  taille,  située  à  quelques 
mètres  seulement  du  vargue  et  à  l'intérieur  de  laquelle  on  accède  par 
un  escalier  de  vingt  marches,  renferme  la  machine  d'extraction. 
Celle-ci,  de  la  force  de  150  chevaux,  est  alimentée  par  un  groupe  de 
cinq  chaudières  à  vapeur.  Elle  se  compose  de  deux  cylindres  conjugués 
à  longue  course  (2  mètres)  attaquant  directement  l'arbre  des  bobines 
sur  lesquelles  s'enroulent  les  câbles  plats  en  aloès  qui  servent  à  des- 
cendre et  monter  tour  à  tour  les  cages  dans  chacun  des  deux  compar- 
timents du  puits.  La  distribution  est  à  coulisse,  et  le  machiniste,  placé 
en  face  de  la  recette,  a  sous  la  main  :  la  mise  en  train,  le  changement 
de  marche,  les  purgeurs  et  le  levier  d'un  frein  à  vapeur  produisant, 
en  cas  de  besoin,  un  arrêt  instantané.  Une  sonnerie  électrique  lui  com- 
munique les  consignes  de  la  mine,  et  un  tableau  synoptique  de  la  marche 
des  cages  lui  indique  à  quelle  profondeur  se  trouve  chacune  d'elles. 

Quittons  le  bâtiment  de  la  machine,  derrière  lequel  fument  les 
chaudières  et  leur  cheminée  de  30  mètres,  et  montons  l'escalier  de 
bois  qui  conduit  à  la  plate-forme  du  vargue.  A  peine  avon«-nous 
pénétré  sous  ce  dernier  qu'un  bruit  sec  frappe  nos  oreilles  (1)  et  que 

(1)  O  bruit  est  produit  par  le  choc  du  chapeau  de  la  cage  contre  1rs  pieds  d'une 
dos  barrières  de  sûreté  établies  à  la  recette  pour  préserver  les  ouvriers  de  toute  chute 
dans  le  puits,  (ilissant  verticalement  sur  deux  câbles  ronds,  la  barrière  est  soulevée 
par  la  cage  chaque  fois  que  celle-ci  arrive  au  jour. 


HEVUE  DU  NIVERNAIS.  125 

nous  voyons  apparaître  à  rorifice  du  puits  Tune  des  cages  d'extrac- 
tion. Le  receveur  «  raet  les  sièges  »,  et  aussitôt  que  ia  cage  s'est 
appu>ée  dessus,  i[  retire  vivement  du  compartiment  inférieur  la  benne 
de  houille  qu'il  contient  et  ia  remplace  par  une  benne  vide  approchée 
par  Faide-recevcur.  L'engaineur  du  fond,  qui,  au  même  instant,  a 
remplacé  la  benne  vide  du  compartiment  supérieur  de  l'autre  cage  par 
une  benne  pleine,  tire  la  consigne  pour  prévenir  qu'il  a  exécuté  cette 
manœuvre.  Alors  le  machiniste  descend  d'un  mètre  la  cage  du  jour  et 
monte  d'autant  celle  du  fond,  afin  que  l'on  puisse  retirer  et  remplacer, 
comme  précédemment,  la  benne  de  l'autre  compartiment.  Enfin,  au 
second  signal  de  Fengaîneur,  le  receveur  «  rentre  les  sièges  »  et  le 
machiniste  fait  redescendre  à  toute  vitesse  la  cage  dans  le  puits.  Une 
demi-minute  après,  Tautre  cage  arrive  au  jour  et  l'on  recommence,  en 
haut  et  en  bas,  la  même  opération. 

Los  bennes  ainsi  montées  de  la  mine  sont  roulées  à  quelques  mètres 
de  la  recette  et  poussées  sur  des  culbuteurs  qui  les  versent  automati- 
quement dans  de  grandes  trémies.  Celles-ci  surplombent  des  voies 
ferrées  se  reliant  à  la  ligne  principale  :  on  les  ouvre,  au  moyen  de  becs 
mDbiles  fixés  à  leur  extrémité  inférieure,  afin  de  remplir  les  vagons 
de  25  hectolitres  amenés,  à  chaque  heure  du  jour,  par  une  locomotive 
qui  les  transporte  ensuite  à  la  gare  de  classement  des  Glénons.  Cette 
locomotive  emmène  également  les  charbons  du  puits  Marguerite  qui, 
au  moyen  des  deux  plans  inclinés  dont  nous  avons  parlé,  arrivent  au 
niveau  de  la  plate-forme  des  Zagots  dans  des  bennes  placées  sur  les 
trains-porteurs.  Ces  bennes  sont  roulées  sur  un  pont  couvert  reliant 
le  sommet  du  plan  incliné  au  vargue  des  Zagots  et  versées,  par  des 
culbuteurs,  dans  des  trémies  spéciales. 

Les  schistes  et  les  rochers  sortant  du  puits  des  Zagots  sont  déposés 
à  l'une  des  extrémités  du  vargue.  Là,  des  femmes  retirent  le  charbon 
qu'ils  peuvent  contenir  et  chargent  «  les  matières  »  dans  des  vagons 
de  terrassement  qui  sont  conduits  à  la  butte  de  remblais. 

Quant  aux  bâches  d'eau  que  l'on  monte  chaque  nuit  de  la  «  fon- 
taine ))  du  puits,  pour  l'assèchement  de  la  mine,  elles  se  versent  méca- 
niquement,  au  moyen  d'un  ressort  soulevant  la  soupape,  dans  une 
large  caisse  placée  au-dessous  de  la  recette  des  charbons.  De  là,  l'eau 
s'écoule,  par  un  tuyau,  dans  un  aqueduc  aboutissant  au  ruisseau 
voisin. 

(A  enivre).  L.-M.  POUSSEREAU. 


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*  f.  - 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  127 

Garolina  CSoronado. 
LA  ROSE  BLANCHE 


Laquelle  de  tes  sœurs,  fliles  des  feux  d'été, 
Rose  blanche,  oserait  se  dire  ton  égale, 
Atteignant  la  fraîcheur  tant  suave  qu'étale 
Ta  couronne  éclatante  où  brille  la  beauté  ? 

En  vain  Taube  naissante,  épanchant  sa  clarté 
Rose  et  douce,  voudrait  se  faire  ta  rivale. 
Le  cygne  n*a  pas  plus  de  blancheur  virginale 
Sur  son  aile  que  toi,  sur  ton  front  enchanté. 

Sur  ton  rameau  pompeux,  ainsi  dans  la  verdure, 
0  Reine  du  jardin,  tu  trônes  belle  et  pure. 
Quand,  sur  le  vent  berceur,  porté  légèrement. 

L'insecte  butineur,  en  sa  soif  libertine, 

Dérobe  les  parfums  de  ta  coupe  argentine 

Et  d'un  soufflé  en  ternit  l'émail  clair  et  charmant. 

Traduction  de  ACHILLE  MiLLiEN. 


A?ec  ce  numéro,  sd  termine  la  première  période  (1830*1850),  de  la  poésie  espagnole. 
Avant  do  commencer  In  doiixîème  partie,  nous  donnerons,  pour  plus  de  variété,  un 
chûii  de  tniductions  dt-*  pocr^s  hollandais  contemporains.  Nos  lecteurs  compareront 
îvec  inléri^t  récole  espiigruili^  avec  Técole  hollandaise  et  constateront  le  caractère 
bien  diOerent  dei  deux  races  de  poètes. 


NOTES   ET  ECHOS 

/,  Nos  compatriotes  :  sont  nommés  :  (irand  officier  de  la  Légion  d'honneur,  le  gêne- 
rai Taitrat;  oflicier,  M.  le  lieutenant-colonel  Dufort-Rousseau  ;  chevaliers,  MM- les 
capitaines  Renard,  Alexis  Provul.  Louis  Blanc,  (iillois,  Lunyt  ;  — ofHcier  d'acadé- 
mie, M.  le  vicomte  Robert  du  Roupç'  ;  —  dans  l'ordre  du  Mérite  agricole,  comman- 
deur, M.  Jules  I^cœur;  chevaliei^.  MM.  H.irré  de  Saint- Venant,  Sanjflé-Ferrière, 
J.-R.  Rardin,  Jean  Bienvenu,  J.-B.  Chais,  Alphonse  Martin,  Miron,  Naudin. 

/,  Nous  sommes  heureux  d'em'egi>trer  aussi  la  nomination  comme  chevalier  de 
la  Légion  d  homieur  de  M.  Léon  de  Tinseau.  l'écrivain  très  distingué  dont  nos  lec- 
teurs n'ont  pas  oublié  les  pages  spirituelles  et  charmantes. 

/,  Notre  compatriote  le  statuaire  Emile  F»oi5seau  a  été  réélu  (\e  \"  dans  la  section 
de  sculpture),  membre  du  comité  de  la  So<ielé  des  Artistes  franyais,  puis  trésorier. 

,\  Notre  jeune  collaborateur  Fernand  Chalandre  a  obtenu  un  prix  du  ministre  dos 
Beaux-Arts,  juste  récompense  d'un  talent  de  dessinateur  qui  s'affermit  de  jour  en  jour. 

,\  La  Société  d'enseii^nernent  populaire  de  Nevers,  sous  la  haute  direction  de 
M.  Dessez,  inspecteur  d;uatl«'mie.  a  dornu»  une  seiie  de  remarquables  conféi^ences, 
on  les  sujets  suivants  ont  été  successivement  traités  : 

Koh'mson  et  Gulliver.  M.  l^vaull  ;  iLpiso^es  de  l'Histoire  wire/viaisé»,  M.  Colin; 
T\u]i-hilas.  Marivaux,  M.  Pommeret  :  l'Eau,  M.  Petit;  Les  Faïences  des  i'onrade^ 
M.  Massillon-Rouvet  ;  Le  Lê(jalaire  universel,  de  Re^inard,  M.  Voisin;  Les  rayons  X, 
M.  Ilacqnelin;  la  i>ouate^  M.  Bohême.  Des  conférences  se  donnent  aussi  à  Decize, 
Cosne,  Ciamecy,  Corbii;iiy. 

/,  M.  freorges  Lalement,  lauréat  de  TEcole  dentaire  de  Paris,  fils  de  M.  Lalement, 
drn'tisle  du  lycée,  vient  d'être  re\u  chirurgien-dentiste  de  la  Faculté  de  médecine  de 
Paris. 

/.  Lne  douloureuse  nouvelle  nous  arrivait  presque  au  moment  où  la  dernière 
livraison  de  notre  Revue  donnait  des  vers  de  M.  Louis  de  Courmont,  relie  de  la 
rnort  <le  l'auteur,  qui  nous  amionçail  tout  dernièrement  la  reprise  d'une  collaboration 
plus  active.  Voilà  une  grande  brèche  dans  notre  petit  bataillon  de  poètes  nivernais, 
on  L.  de  Courmont  tenait  un  emploi  détat-major.  Ses  obsèques  ont  eu  lieu  le 
'/Ai  'brembre,  à  Blism»^,  son  pays  natal.  Des  discoure  de  MM.  Chandioux,  Desparain 
ft  iMjprey,  ont  rappelé  le  talent  et  les  qualités  privées  du  regretté  défunt.  —  Nous  y 
rf-'viendions. 

/.  Kt  pres<pie  en  même  temps,  notre  Revue  était  encore  frappée  par  le  décès  de 
M  "•  M  nie  Minard,  qui  nous  avait  doimé  plusieurs  lois  des  pages  d'une  élégante  faci- 
lita. F^t  voici  que  les  journaux  annoncf^nt  la  mort  d'un  homme  d'état  surnommé  par 
%*-%  (ompaliioles  le  Gambetta  espagnol,  écrivain  célèbre,  qui.  sans  être  Nivernais,  ni 
m»  nie  Iraneais,  était  pour  nous  un  ami  sincère,  Victor  Ralagyer,  de  l'Académie 
rr»y,ile  espa^;nole,  dont  notre  directeur  a  donné  des  traductions  dans  la  Bévue  bri- 
fonnif/ue  et  diverses  autres.  La  Nuit  de  Xocl  en  Catalogne  a  paru  dans  la  Revue  du 
Nirf'rnais. 

/.  Chez  nos  voisins:  plusieurs  almanachs  populaires  pour  1901  (L'Etoile  des 
firrfU'rSy  le  Postillon  lorrain,  etc.,)  reproduisent  plusieurs  Légendes  de  la  Nature, 
^,n*'H\c%  nouvelles  sur  Les  Oiseaux^  les  Insectes,  les  Fleurs,  etc.,  de  notre  collaborateur, 
M.  LiK  ien  Jeny,  spécialement  La  Légende  delà  Colombe,  La  Légende  du  Pinson, 
L'Mmanack  illustré  du  petit  liourguignon,  de  Dijon,  contient  une  poésie  dédiée  par 
L.  JeiiN  a  «on  compatriote  A.  Fétu,  et  célébrant  le  pays  natal  où  l'auteur  se  plait  tou- 
jours a  passer  ses  vacances.  —  La  Revue  du  Maine  a  donné  aussi  une  jolie  poésie  de 
L.  Jeny  :  Bijoux  berrichons,  (^  D. 

^  Directeur-Gérant,  Achille  Millien. 


LEGENDE  MORVANDELLE 


partir  de  sa  quatorzième  année,  Nanne 
poussa  comme  un  champignon  et  devint 
coquette. 

Elle   gardait   les   dindons    chez    un 
fermier  de  Blismes. 

Elle  acheta,  à  l'assemblée  de  Dom- 
martin,  un  petit  miroir  de  poche  et 
passa,  derrière  les  haies,  la  moitié  de 
ses  journées  à  arranger  ses  cheveux,  à 
planter  les  fleurs  des  champs  sur  son  bonnet.  Bientôt,  elle  eut  lionle 
de  sa  houlette  —  une  longue  perche  de  coudrier  ornée  d'un  chiffon 
autrefois  rouge  ei  mainlenant  couleur  de  boue.  —  Elle  s'en  fut  trouver 
maître  Garraud. 

—  Me  voilà  trop  grande,  fit-elle;  je  ne  veux  phis  de  la  perche. 
Mettez-moi  à  la  bergerie. 

Maître  Garraud,  qui  tenait  beaucoup  à  Nanne,  lui  donna  les  moutons. 

Elle  eut  quenouille  et  fuseau. 

Elle  apprit  de  belles  chansons. 

Des  mois  se  passèrent.  Son  corsage  se  remplit,  sa  taille  se  forma. 
Au  malin  de  son  seizième  printemps,  elle  se  réveilla  femme,  belle  et 
forle. 

Elle  se  rendit  chez  la  vieille  Uose,  sa  marraine,  sorcière  redoutée, 
qui  avait  un  faible  pour  Nanne  et  qui  la  gâtait  de  son  mieux. 

—  Marraine,  il  me  faut  un  mari.  Dis-moi  ce  que  je  dois  faire. 

G 


130  IlEVUE  DO  NIVERNAIS. 

La  vieille  Rose  mit  ses  lunettes,  toisa  la  berçère  très   lenlemenl 
et  dit  : 

—  C'est  vrai,  l'heure  est  venue,  bien  venue. 

Elle  fit  sur  le  front,  sur  les  lèvres  et  sur  le  cœur  de  Xannedes 
signes  nayslérieux. 

—  Va,  filleule,  prends  les  moutons,  conduis-les  au  Cbamp-Joli.  Dans 
la  journée,  trois  amoureux  passeront;  tu  choisiras. 

Nanne  eut  à  peine  quitté  sa  marraine  qu'une  immense  joie  la  prit 
toute.  Le  chemin  de  la  bergerie  lui  parut  court,  celui  du  Champ-Joli 
fut  tracé  en  un  clin  d'œil.  Les  moutons  sautaient  comme  des  chèvres, 
les  chiens  léchaient  les  mains  de  leur  maîtresse. 

Elle  s'assit,  tout  près  de  la  route,  sous  un  chêne,  et  des  notes  tendres, 
langoureuses,  inconnues  lui  vinrent  aux  lèvres. 

—  Nanne?  fit  une  voix  mâle  derrière  elle. 

La  bergère  se  retourna  saisie  et  vit  en  personne  le  propre  fils  de 
maître  Garraud  qui  lui  prit  la  main  pour  ajouter  : 

—  Nanne  !..  je  t'aime...  Veux-tu  de  moi  pour  homme  ? 

—  Je  répondrai  dimanche,  maître  Jacques. 

Alors,  Jacques  lui  fit  un  long  discours  dans  lequel  il  énuméra  ses 
mesures  de  terre,  ses  vaches,  ses  bœufs,  ses  charrues.  Il  partit  sur  un 
large  rire,  avec  ces  mots  : 

—  Tu  diras  oui...;  tu  seras  riche, 

Jacques  avait  à  peine  disparu  qu'une  deuxième  voix  appela  : 

—  Nanne!... 

C'était  Pierry,  le  farinier,  le  gars  solide  et  faraud,  qui,  de  môme 
que  Jacques,  continua  mot  pour  mot  : 

—  Nanne!...  je  t'aime...  Veux-tu  de  moi  pour  homme  ? 

—  Je  le  répondrai  dimanche,  grand  Pierry,  fit  encore  Nanne. 

Le  farinier,  après  lequel  couraient  toutes  les  filles,  et  qui  s'atten- 
dait à  voir  la  bergère  lui  sauter  au  cou,  n'en  revint  pas. 

—  Me  remettre  à  dimanche?...  Moi?...  Pierry  !.  . 

Un  éclair  de  rage  lui  traversa  les  yeux,  mais  il  sentit  la  nécessité  de 
se  calmer. 

A  son  tour,  il  plaida  sa  cause.  A  défaut  de  biens  au  soleil,  il  fit 
ressortir  ses  talents  de  danseur,  ses  succès  aux  assemblées,  la  valeur 
de  ses  bras. 


HEYUB  du  NIVERNAIS.  431 

—  Ce  sera  oui,  tu  verras,  Nanne...   Pierry  ne  peut  demander  deux 
femmes. 

—  Nanne I  soupira  une  troisième  voix...  Je  l'aime,  Nanne!...  Veux- 
tu  de  moi  pour  homme? 

La  lèle  blonde  du  petit  charron  Marcel  frôla  les  cheveux  de  la  jeune 
ûlie. 

—  Marcel,  je  te  répondrai  dimanche. 

Tout  tremblant  d'inquiétude  et  d'émolion,  Marcel  baisa  le  bout  des 
doigts  de  Nanne  et  partit,  bien  près  deâ  larmes,  et  sans  rouvrir  la  bouche. 

Or,  le  dimanche  matin,  vers  le  môme  chêne  du  Champ  Joli,  Jacques 
passa  le  premier  près  de  Nanne. 

—  Je  suis  trop  pauvre  pour  devenir  d'un  seul  coup  si  riche    C'est 
«  non  »,  dit  elle. 

Lorsque  Pierry  s'avança  : 

—  J'ai  peur  de  tes  gros  bras.  Quand  tu  rentrerais  gris,  tu  cognerais 
trop  fort.  C'est  t  non  ». 

Restait  Marcel  qui  vint,  non  moins  tremblant  que  le  premier  jour. 
Nanne  lui  dit  : 

—  A  l'amoureux  qui  rit  parce  qu'il  est  riche,  à  celui  qui  se  fâche 
pa.ce  qu'il  est  fort,  je  préfère  celui  qui  pleure  parce  qu'il  a  le  cœur 

trop  plein.  Nanne  est  pour  toi,  mon  blond  Marcel. 

Louis  Mirault. 

PREMIER    RAYON 

L'aube  a,  de  son  baiser,  blanchi  le  lac  d'azur; 
La  cascade  s'égrène  en  perles  miroitantes  ; 
La  forêt  d'émeraude,  aux  splendeurs  éclatantes, 
A  vêti  son  manteau,  majestueux  et  pur. 

Au  coin  du  firmament  Tastre  étincelle  encore. 
Mais  son  rayonnement,  si  suave,  s'éteint  ; 
Car  Phœbus,  triomphant,  a  de  sa  pourpre  teint 
L'InOni,  qu'effleura  la  lèvre  de  l'aurore. 

Dans  le  val,  argenté  des  premières  lueurs. 
Monte,  avec  le  parfum  des  vii^inales  fleurs, 
La  chanson  de  l'oiseau,  —  céleste  mélodie. 

Et  tandis  que  s'envolent  les  concerts  ailés, 
Deux  jolis  enfants  blonds,  aux  regards  étoiles. 
Au  ciel  tendent  leur  front  qu'un  rayon  incendie. 

Joséphine  Bégassat. 


132  REVUE  DO  NIVEllNAIS. 

TEMPS  PASSÉ 

A  Eugène  R... 

Quand  j'étais  petit,  bien  des  fois 
J'allais  me  reposer  dans  l'ombre 
Des  sentiers  verdoyants  des  bois  ; 
Quand  j'étais  petit,  bien  des  fois. 
Je  parcourais,  sans  freins,  ni  lois, 
La  campagne  déserte  et  sombre; 
Quand  j'étais  petit,  bien  des  fois, 
J'allais  me  reposer  à  l'ombre. 

La  tête  en  feu,  la  joie  au  cœur. 
J'escaladais  le  tronc  des  chênes, 
Dénichant  le  merle  moqueur, 
La  tête  en  feu,  la  joie  au  cœur. 
J'allais,  terrible  destructeur. 
Emplissant  mes  poches  de  faînes, 
La  tète  en  feu,  la  joie  au  cœur. 
J'escaladais  le  tronc  des  chênes. 

Sur  mon  pantalon  de  velours 
S'ouvraient  de  larges  déchirures. 
Mais,  bast  !  je  me  traînais  toujours 
Sur  mon  pantalon  de  velours,  — 
Au  printemps,  ce  sont  les  beaux  jours, 
J'étais  couvert  d'égratignures, 
Sur  mon  pantalon  de  velours 
S'ouvraient  de  larges  déchirures. 

J'espionnais  tous  les  buissons, 
Tout  blancs  sous  les  fleurs  d'aubépine, 
Pour  dénicher  les  gais  pinsons  ; 
J'espionnais  tous  les  buissons 
Où  j'entendais  maintes  chansons 
Sortir  de  leur  voix  argentine. 
J'espionnais  tous  les  buissons 
Tout  blancs  sous  les  fleurs  d'aubépine. 

Puis  je  rentrais  à  la  maison, 
Le  soir,  après  ces  escapades. 
Mais  j'éprouvais  plus  d'un  frisson 
Quand  je  rentrais  à  la  maison. 
Je  prévoyais  avec  raison 
Les  reproches  et  les  boutades. 
Puis  je  rentrais  à  la  maison, 
Le  soir,  après  ces  escapades. 

Odile  Thiault. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  133 

LE    PROJET    DE    MONUMENT 

DE  SAINT-PIERRE-LE-MOUTIER 
A  JEANNE  D'ARC 

Dès  Tan  dernier,  dans  d*excellents  articles,  MM.  Gaston  Gauthier  et 
Edouard  Achard  ont  successivement  associé  la  Revue  du  Nivernais  au 
patriotique  projet  d'érection  d'une  statue  de  Jeanne  d*Arc  sur  l'une 
des  places  publiques  de  Saint-Pierre-le-Moûtier. 

Le  numéro  de  mai  1900  a  même  reproduit  la  maquette  de  l'œuvre  de 
M««  Signoret-Ledieu ,  élève  de  Gautherin,  maquette  où  l'héroïne, 
rayonnante  de  jeunesse  el  de  bravoure,  commande  l'assaut  qui  devait 
arracher  la  place  forte  de  Saint  Pierre  aux  Anglais  et  à  leurs  alliés 
d'alors. 

De  bonnes  nouvelles  nous  sont  parvenues  de  la  souscription  ouverte 
par  le  comité  local,  mais  un  dernier  élan  est  encore  nécessaire  en  vue 
de  parfaire  le  chiffre  voulu. 

Quelques  amis  nivernais  ont  pensé  que  mes  campagnes  en  Berry 
pour  Jeanne  d'Arc  depuis  1891,  spécialement  en  faveur  des  fêtes 
comraémoratives  de  Bourges  et  du  monument  de  Mehun-sur-Yèvre, 
sur  le  point  d'être  inauguré  (1),  m'appelaient  à  lancer  aussi,  presque 
au  début  du  siècle  et  de  Tannée  1901,  mon  modeste  appel,  particuliè- 
rement à  nos  gracieuses  lectrices,  que  rien  de  ce  qui  concerne  Jeanne 
d'Arc  ne  saurait  laisser  indifférentes,  mais  aussi  à  tous  nos  lecteurs. 

C'est  à  1868  que  remontent  les  premières  tentatives  contemporaines 
pour  faire  revivre  et  perpétuer  dans  Saint-Pierre-le-Moûtier  le  sou- 
venir de  la  valeureuse  guerrière. 

A  cette  date  paraissait  l'étude  d'un  membre  du  barreau,  J.-L.  Jaladon 

(t)  ConsalU  Jeanne  dCArc^  poème,  Châlons-sur-Marne,  Martin,  18^,  6  p.  in-8»; 
Jeanne  cTArc  en  Berry^  avec  documents  inédits,  en  coUuboration  avec  M.  P.-L. 
d'Arc,  Paris,  Picard,  1892,  vii-145  p.  in-b*,  et  nouveUe  édition,  Paris,  Techener, 
t.  d.,  197  p.  in-8%  18  gravures  ;  Jeanne  d'Arc  en  Bas- Berry,  Châteauroux,  Majesté, 
1894,  13  p.  in-8»  ;  Deux  croix  de  Jeanne  d^Arc  en  Berry,  Châteauroux,  Magesté, 
18K,  16  p.  iu-8*  ;  Jeanne  d'Arc  et  Jacques-Cœur,  Paris,  Société  d'édilions  scienU- 
fique»,  1896,  7  p.  in-8*  ;  Notice  sur  les  liens  historiques  rattcuJuint  Jeanne  d*Arc 
à  Mehun-sur-Yàvre^  rédigée  sur  la  demande  de  la  municipalité  de  Mehun,  tirage  à 
10.000  exemplaires,  Bourges,  Sire,  1897,  8  p.  in-8o,  aux  armes  de  Mehun  ;  Jeanne 
d*Arc  à  Bourges,  introduction  au  livret  des  fêtes  patriotiques  des  28  et  29  mai  1898, 
Boorges,  Sire,  20  p.  in-8*,  tirage  à  800  exemplaires,  aux  armes  de  Jeanne  d*Arc,  etc. 


134  REYUE  DU  NIVERNAIS. 

(le  La  Barre,  étude  dont  les  soixante-dix  pages  (édit.  Nevers,  Paulin 
Fay,  in-8o)  évoquaient  dans  les  meilleurs  termes  la  glorieuse  mémoire 
doH  événements  de  1429. 

En  môme  temps,  le  18  août  de  cette  môme  année  1868,  le  conseil 
municipal  de  Saint-Pierre,  sur  la  proposition  du  maire,  décidait,  à 
l'unanimité  : 

lo  Que  la  place  d'Armes  porterait  désormais  le  nom  de  place 
Jeanne-d'Are  ; 

2*  Qu'un  vitrail  historique  (sur  un  devis  de  1,500  fr.)  serait  posé 
dans  l'église,  pour  rappeler  qu'elle  avait  été  préservée  du  pillage  par 
l'énergie  de  la  grande  Libérrtrice  ; 

3«  Et  émettait  le  vœu  que  Ton  pût  un  jour  élever  une  statue  dans 
Saint-Pierre  à  la  bergère  de  Domremy. 

On  eût  dit  que,  pressentant  nos  prochains  désastres,  la  petite  cité 
nivernaise  avait  voulu  se  mettre  par  avance  sous  Tégide  de  celle  qui 
n'avait  jamais  désespéré  de  la  France. 

Saint-Pierre-le-Moûtier  a  eu  ainsi  le  noble  rôle  d'être  en  quelque 
sorte,  avec  Orléans,  l'un  des  précurseurs  de  ce  grand  mouvement 
d'opinion  qui,  depuis  lors,  n'a  fait  que  se  dessiner  de  plus  en  plus 
puissamment  dans  le  sens  d'une  plus  large  glorification  de  Théroïne. 
.  Que  de  chemin  parcouru  depuis  1868!  Aujourd'hui,  Paris,  Dom- 
remy, Reims,  Rouen.  Vaucoulcurs,  Neufchâteau,  Nancy,  Chinon, 
Poitiers,  Chécy,  Lagny,  Le  Crotoy,  Compiègne,  Saint-Nicolas-de-Porl, 
etc.,  possèdent  des  statues  ou  des  souvenirs  extérieurs  de  la  Pucelle, 
bien  qu'elle  n'ait  souvent  fait  qu'une  élape  ou  qu'un  séjour  peu  pro- 
longé dans  telle  ou  telle  de  ces  localités. 

On  trouve  môme,  par  exemple  à  Pierrcfilte-sur-Sauldre  (Loir-el- 
Cher),  des  statues  érigées  à  Jeanne  d'Arc,  eu  égard  à  son  seul  litre  de 
grande  héroïne  nationale,  bien  qu'elle  n'ait  jamais  traversé  PierrcfiUe, 
non  plus  que  telle  ou  telle  autre  commune. 

Ainsi,  peu  à  peu,  le  temps  approche  où  sera  réalisée  en  grande 
partie  la  prophétie  du  socialiste  Barbés  lui-même,  disant  en  1866  : 

t  Taime  passionnément  V héroïque  fille  qui  sauva  lu  France  el  je  voh- 
if  mis  (cela  se  fera,  je  l'espère,  un  jour)  qu'on  lui  élevai  une  statue  jusque 
dans  nos  plus  petits  hameaux  » . 

C'est  là,  en  effet,  du  bon  et  du  vrai  nationalisme,  non  de  celui  donl 
certains  sont  accusés  à  tort  ou  à  raison  de  vouloir  faire  un  instrument 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  135 

exclusif  entre  les  mains  d'un  parti,  mais  de  celui  qui  tend  à  unir  tous 
les  Français,  sans  distinction  déclasse  ni  d'opinion,  dans  le  culte  de 
Tune  des  plus  grandes  figures  de  notre  histoire. 

Les  autres  nations  ne  dissimulent  pas  qu'elles  seraient  fières  de 
posséder  dans  leurs  annales  une  Jeanne  d'Arc  pour  incarner,  sous  une 
forme  pour  ainsi  dire  humaine  et  tangible,  l'image  sacrée  de  la  patrie. 

Or-i  il  est  arrivé  que  Saint-Pierre-le-Moûtier,  l'un  des  plus  anciens 
quant  à  l'idée  première,  s'est  trouvé,  comme  je  viens  de  le  rappeler, 
devancé  par  nombre  d'autres  localités  quant  à'ia  réalisation  de  cette 
idée  d'un  monument  à  Jeanne.  Cette  sorte  de  contradiction  ne  saurait 
se  prolonger  davantage  sans  risquer  de  nuire  au  bon  renom  du 
Nivernais,  et  il  devient  urgent  que  le  projet  du  comité  local  reçoive 
une  consécration  définitive. 

Si  des  communes  que  Jeanne  d'Arc  n'a  fait  que  traverser,  des  com- 
munes où  elle  n'a  même  jamais  paru,  lui  ont  dédié  des  statues^  à  plus 
forte  raison  le  Nivernais  doit-il  acquitter  envers  elle  sa  dette  indéniable 
de  reconnaissance. 

Il  serait  superflu,  après  l'ouvrage  de  J.-L.  Jaladon  de  La  Barre  et  les 
articles  de  nos  distingués  collaborateurs  Gaston  Gauthier  et  Edouard 
Achard,  d'insister  sur  le  brillant  fait  d'armes  de  Saint-Pierre-le- 
Moùtier.  Mes  travaux  personnels  sur  notre  héroïne  ne  m'ont  point 
appris  sur  cet  épisode,  non  plus  que  sur  le  siège  de  La  Charité,  de 
particularité  appréciable  et  digne  de  remarque  qui  ne  soit  déjà  connue. 
Ce  n'est  d'ailleurs  pas  ici  le  lieu  des  détails  et  des  petites  variantes  de 
pare  érudition.  Tout  cela  semblerait  froid  sans  doute  devant  l'éloquence 
du  fait  dominant. 

Il  y  avait  environ  sept  années  que  Saint-Pierre  était  sous  le  joug 
étranger.  Les  hommes  d'armes  envoyés  avec  Jeanne  pour  le  délivrer 
venaient  d'être  vigoureusement  repoussés  une  première  fois  par  une 
garnison  nombreuse  et  vaillante.  Ils  reculaient  en  masse  loin  des 
remparts.  Jeanne  restait  presque  isolée  au  bord  du  fossé  avec  quatre 
ou  cinq  braves,  exposée  aux  traits  de  l'ennemi,  tête  nue  (c'était  sa 
coutume  d'ôter  son  casque  au  milieu  des  plus  grands  dangers).  Son 
écuyer  d'Aulon  lui  criait  qu'elle  était  abandonnée. 

—  Eh  non,  je  ne  suis  pas  seule,  répondit-elle  en  tournant  vers  les 
fuyards  ses  beaux  yeux  inspirés  par  sa  foi  dans  le  monde  surnaturel. 


136  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

par  cette  foi  dont  on  a  dit  qu'elle  transporte  les  montagnes,  eh  non, 
je  ne  suis  pas  seule  !  J'ai  encore  avec  moi  cinquante  mille  de  mes 
gens  !  Je  ne  partirai  pas  d'ici  que  je  n'aie  pris  la  ville!  Aux  fagots  et 
aux  claies  tout  le  monde!  Qu'on  fasse  un  pont  sur  ce  fossé  (i)! 
Et  son  affirmation  était  lancée  avec  un  tel  accent  que  ses  soldats, 
rudes  et  simples  natures  du  moyen-âge ,  crurent  encore  une  fois, 
comme  à  Orléans,  qu'une  armée  céleste,  visible  pour  elle  seule,  arri- 
vait à  leur  secours;  ils  revinrent  à  la  charge  avec  furie  (Jeanne  don- 
nant l'exemple)  comblèrent  le  fossé,  escaladèrent  la  muraille  et 
renversèrent  tous  les  obstacles.  Saint-Pierre  était  reconquis. 

Collaboratrices  artistiques  et  littéraires  de  la  Revue  du  Niveman, 
et  vous  ses  lectrices,  femmes  et  jeunes  filles,  vous  pouvez  être  glo- 
rieuses encore  de  votre  titre  de  Françaises,  malgré  nos  désastres  de 
1870  (auxquels  je  faisais  tout  à  l'heure  allusion)  et  malgré  tant  de 
causes  nouvelles  de  tristesse.  Vous  pouvez  être  glorieuses  de  votre 
qualité  de  compatriotes  de  l'immortelle  martyre  que  nous  envient  les 
autres  peuples.  N'hésitez  donc  pas  à  adresser  votre  offrande,  si 
modeste  qu'elle  soit,  à  M.  Albéric  Gonat,  secrétaire  du  comité,  à 
Saint-Pierre-le-Moûtier,  en  vue  de  compléter  la  souscription  en  faveur 
de  celle  qui  a  sacrifié  si  héroïquement  pour  la  France  sa  jeunesse  et  sa 
vie. 

S'il  vous  restait  encore  quelque  indécision ,  elle  tomberait ,  j'en 
suis  persuadé,  non  devant  mon  faible  effort,  mais  devant  ces  magni- 
fiques paroles  de  Michelet  : 

€  Une  enfant  de  dix-huit  ans  plonge ,  intrépide ,  au  milieu  des 
épées;  elle  rassure  les  vieux  soldats,  entraîne  tout  le  peuple  qui 
devient  soldat  avec  elle,  et  personne  n'ose  plus  avoir  peur  de  rien. 
Tout  est  sauvé  !  La  pauvre  fille,  de  la  chair  pure  et  sainte  de  ce  corps 
délicat  et  tendre,  a  émoussé  le  fer,  brisé  l'épée  ennemie,  couvert  de 
son  sein  le  sein  de  la  France. 

n  Pour  la  première  fois,  on  le  sent ,  la  France  est  aimée  comme 
une  personne.  Et  elle  devient  telle  du  jour  qu'elle  est  aimée.  C'était 
jusque-là  une  réunion  de  provinces,  mais  dès  ce  jour,  par  la  force  du 
cœur,  elle  est  une  patrie.  Beau  mystère,  touchant,  sublime  !  Comment 

(1)  Voy.  déposition  de  d'Aulon  au  procès  de  réhabilitation  de  la  suppliciée  de 
Rouen,  dans  Quicherat,  t.  111,  p.  217-218. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  137 

Tamour  immense  el  pur  d'un  jeune  cœur  embrasa  tout  un  monde, 
lui  donna  cette  seconde  vie,  la  vraie  vie  que  l'amour  seul  donne. 
Enfant,  elle  aimait  toutes  choses,  disent  les  témoins  de  son  âge.  Elle 
aimait  jusqu'aux  animaux.  Elle  aimait  ses  amies,  ses  parents,  mais 
surtout  les  pauvres.  Or,  le  pauvre  des  pauvres ,  la  plus  misérable 
personne,  la  plus  digne  de  pitié  en  ce  moment,  c'était  la  France.  Elle 
aima  tant  la  France  I  Souvenez-vous  toujours ,  Françaises ,  que  la 
patrie,  chez  nous,  est  née  du  cœur  d'une  femme,  de  sa  tendresse,  dé 
ses  larmes,  du  sang  qu'elle  a  donné  pour  nous  !  (1)  i» 

Lucien  Jeny. 

r 

CONTES  POPULAIRES  DU  NIVERNAIS 
LA  DÉSOBÉISSANCE 

I 
Il  y  avait  une  fois  un  bûcheron  qui  peinait  beaucoup  pour  nourrir 
sa  famille  :  on  jeûnait  dans  sa  cahute  plus  souvent  qu'aux  Quatre- 
Temps.  Un  jour  d'hiver,  qu'il  travaillait  au  bois,  il  se  reposait  un 
moment  assis  sur  sa  chèvre^  sa  cognée  à  ses  pieds,  tandis  qu'une  chasse 
passait  à  grand  bruit  dans  le  brouillard  de  la  forêt.  Un  chasseur  s'ar- 
rêta devant  lui  : 

—  Bonhomme,  as-tu  vu  du  gibier? 

—  Pas  aujourd'hui,  monseigneur;  mais  hier  j'ai  vu  courir  un  beau  cerf. 

—  En  manges-tu  quelquefois  ? 

—  Si  j'avais  seulement  du  pain  à  me  mettre  sous  la  dent  1 

—  Tu  es  donc  bien  malheureux  ? 

—  Oui,  monseigneur,  la  misère  est  grande.  Quand  il  fait  chaud,  on 
s'en  tire;  mais  l'hiver  est  mauvais  pour  les  petits.  J*ai  à  nourrir  ma 
femme  et  cinq  enfants... 

—  Eh  bien  !  demain  je  t'enverrai  quérir,  toi  et  ta  famille.  Tu  m'as 
l'air  d'un  brave  homme  ;  je  vous  prendrai  tous  dans  mon  château  et 
vous  ne  serez  plus  misérables. 

Le  bûcheron  se  confondit  en  remerciements.  Sans  se  remettre  à  la 

besogne,  il  s'en  alla  bien  vite  apprendre  la  bonne  nouvelle  à  sa  femme. 

.  Deux  jours  après  il  était  installé  dans  les  dépendances  du  château, 

travaillant  au  jardin,  bien  logé,  bien  nourri,  bien  vêtu  lui  et  sa  famille. 

(I  MiCHELET,  Jeanne  d^Arc,  Paris,  Hachette,  1853,  viii-147  p.  in-12. 

6» 


I3â  ilËVUÈ  Du  JflVKRNAlS. 

Ils  passèrent  cinq  à  six  mois  dans  cette  nouvelle  condition  qui  leur 
semblait  comparable  au  Paradis.  Le  seigneur  était  très  bon  pour  eux, 
leur  témoignait  beaucoup  de  confiance. 
Un  jour,  leur  maltve  leur  dit  : 

—  Je  vais  m'absenter.  Pendant  une  semaine,  vous  serez  chargé  delà 
maison  :  en  voici  les  clés.  Disposez  de  ce  qui  s'y  trouve  pour  vous 
nourrir,  mais  je  vous  défends  de  toucher  à  ce  plat  ;  Je  veux  quMi  soit 
intact  à  mon  retour. 

Le  plat  était  surmonté  d'un  couvercle.  Il  le  posa  sur  une  table  et 
sortit.  Le  soir  même,  la  femme  se  mit  à  rôder  autour  de  la  table  : 

—  Qu'y  a-t-il  donc  de  si  précieux  dans  ce  plat? 

—  Peu  nous  importe!  dit  le  mari.  Nous  avons  bien  soupe  et  n'avons 
rien  à  désirer. 

—  Oui,  mais  ce  qu'il  y  a  dans  ce  plat  vaut,  sans  doute,  mieux  que 
ce  que  nous  avons  mangé. 

—  N'y  touche  pas,  monseigneur  l'a  défendu. 

—  Bah  !  comment  le  saura-t-il  ?  Je  vais  seulement  regarder  ce  que 
c'est. 

Au  même  instant  elle  souleva  le  couvercle;  aussitôt  une  souris 
sortit  du  plat,  glissa  de  la  table  sur  le  carreau  et  disparut  dans  un  coin 
de  la  muraille,  plus  vite  qu'on  ne  peut  le  dire. 

La  femme  tenait  encore  le  couvercle,  le  plat  était  vide,  et,  bouche 
bée,  les  malheureux  restaient  pétrifiés. 

—  Que  va  dire  monseigneur?  murmura  le  mari.., 

La  semaine  s'écoula  tristement  pour  eux.  Un  soir  le  s;eigneur  arriva, 
et,  toujours  bienveillant,  s'enquit  de  ce  qui  s'était  passé. 

—  Rien  de  nouveau,  mes  amis  ? 

—  Rien,  monseigneur. 

—  Bien.  Préparez  mon  dîner. 

Il  se  mit  à  table  et  mangea  de  bon  appétit. 

—  Apportez-moi  maintenant  le  plat  que  je  me  suis  réservé. 
La  femme  était  pâle  comme  un  linge,  elle  obéit. 

—  Avez-vous  donc  ouvert  ce  plat?  Je  n'y  trouve  rien. 

^  Ah  1  monseigneur,  en  le  portant,  le  couvercle  s'est  déplacé  et..». 

—  Bien  !.  .  demain  vous  sortirez  du  château.  Je  vous  ferai  conduire 
au  bois  où  je  vous  ai  pris. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  439 

Et  les  misérables  rentrèrent  dans  leur  cabane,  où  ils  ne  tardèrent 
pas  à  crier  la  faim  comme  par  le  passé,  en  regrettant  le  bonheur  quMls 
avaient  perdu  par  leur  faute. 

{Conté par  Jacques  Magnand,  à  Beaumont'-Ui'Ferrière.) 

II 

(Autre  version.) 

Un  jour  que  le  roi  faisait  une  promenade  au  bois,  s*étant  assis  der- 
rière an  gros  tronc  d'arbre^  il  entendit  un  homme  et  une  femme  qui 
ramassaient  des  fagots  et  parlaient  de  leur  misère. 

—  Et  tout  cela,  disait  la  femme ,  vient  d'Eve  et  d'Adam.  S'ils 
n'avaient  pas  désobéi,  nous  serions  heureux...  il  leur  était  si  facile 
de  rester  dans  le  Paradis  terrestre  I 

Sur  ces  paroles,  le  roi  se  montra  et  s'approcha. 
-*  Vous  êtes  bien  minabkê,  mes  bonnes  gens  ? 

—  Oh  !  oui,  monsieur. 

—  J'ai  pitié  de  vous.  Je  suis  le  roi.  .  Ma  voiture  est  à  deux  pas  d'ici. 
Dans  un  moment,  vous  y  prendrez  place  avec  moi.  Je  vous  logerai 
dans  mon  château  où  vous  n'aurez  pas  grand'chose  à  foire  et  j'espère 
que  vous  serez  heureux 

Comme  dam  la  version  précédente^  le  roi  leur  défend  de  toucher  à  ^n 
plat,  sous  peine  dfi  mort.  La  femme  ne  peut  résister  au  désir  d*en 
connaître  le  contenu  :  c'est  une  souris  qui  s  échappe  ;  elle  laisse  tomber 
le  plat  de  saisissement,  le  relève,  mais  le  roi  arrive  au  bruit  : 

—  Vous  avez  touché  au  plat  défendu? 

—  Non,  sire,  dit  l'homme,  je  n'y  ai  pas  touché. 

—  Moi,  non  plus^  reprend  la  femme. 

-—  Vous  avez  désobéi  et  vous  mentez.  Vous  méritez  de  mourir  et 
vous  mourrez  demain. 

Ce  jour  même,  le  fils  du  roi,  qui  voyageait  depuis  plusieurs  années, 
rentra  au  château.  Tout  le  monde  était  dans  la  joie.  Lorsqu'il  sut  ce 
qui  se  préparait,  il  demanda  la  grâce  des  condamnés,  déclarant  qu'il 
aimerait  mieux  mourir  lui-même  que  de  voir  son  retour  attristé  par 
cette  double  exécution.  Le  roi  fit  grâce  de  la  vie  aux  deux  coupables, 
mais  il  les  chassa. 


140  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

—  Vous  maudissiez  Adam  et  Eve,  leur  dit-il,  au  bois  où  je  vous  ai 
trouvés.  Etes-vous  plus  sages  qu'eux  ? 
Et  il  les  renvoya  à  leurs  fagots. 

(Conté par  Marie  BriffauU,  à  Monligny-atu^Amogneê.) 
Achille  Millien. 


LES  HOUILLERES  DE  LA  MACHINE 

PRÈS  DECIZE  (NIÈVRE)  {Suite), 

Celte  visite  rapide  de  l'extérieur  étant  terminée,  nous  allons  mainte- 
nant faire  à  Tintérieur  une  exploration  un  peu  plus  longue,  mais  qui, 
—  nous  Tespérons,  du  moins,  —  n'en  sera  que  plus  intéressante  (1). 

Préparons-nous  donc  à  descendre.  Après  avoir,  dans  une  chambre 
ah  hocy  revêtu  le  coslume  du  mineur  (pantalon  et  veste  de  toile,  large 
chapeau  noir)  et  reçu  du  chef  de  poste  chargé  de  nous  accompagner 
une  lampe  allumée,  nous  nous  approchons  de  l'orifice  du  puits.  Alors 
notre  cicérone  nous  fait  entrer  dans  la  cage  qui  vient  d'arriver  au  jour 
et,  après  y  avoir  pris  place  lui-môme  et  fermé  les  barrières  de  sûreté, 
il  donne  au  machiniste  l'ordre  de  nous  descendre  à  l'étage  du  fond  (2). 

Aussitôt,  le  câble  nous  soulève  légèrement  ;  on  rentre  les  sièges, 
puis  la  cage  s'enfonce  dans  les  ténèbres,  en  glissant  le  long  des  pièces 
de  bois  qui  forment  son  guidage. 

Nous  éprouvons  d'abord  la  sensation  d'une  chute  dans  le  vide  (n'en 
est-ce  pas  une,  en  effet?)  et,  à  la  clarté  de  nos  lampes, nous  voyons  se 
succéder  rapidement  les  poutres  horizontales  des  parois  du  puits  et  les 
planches  à  travers  lesquelles  suinte  l'eau  des  terrains  qu'elles  retien- 
nent. Puis,  par  l'effet  d'une  bizarre  illusion,  il  nous  semble  que  nous 
montons  au  lieu  de  descendre.  Soudain,  nous  entendons  un  bruit  de 
voix  et  nous  apercevons  des  lumières  dans  une  excavation  noire  qui 
disparait  aussitôt  :  c  C'est  le  premier  étage  •,  nous  dit  le  chef  de  poste. 
Il  n'a  pas  achevé  que  l'autre  cage  passe,  avec  un  sifflement  sourd, 
dans  le  compartiment  adjacent.  La  moitié  du  voyage  est  donc  accom- 
plie, et  cela  en  moins  d'une  minute. 

(1)  Depuis  la  nouvelle  loi  sur  les  accidents,  laccès  de  Ja  mine  est  interdit  aux  per- 
sonnes ne  faisant  pas  partie  du  personnel  de  la  houillère. 

(2)  ^exploitation  de  la  houiUe  se  fait,  aux  Zagots,  à  trois  étages,  établis  :  le  pre- 
mier à  150  mètres  de  profondeur,  le  second  à  220  mètres  et  le  troisième  à  300  mètres. 

Les  puits  Glénons^  Chapelle  et  M;irguerite  ont  chacun  400  mètres  de  profondeur, 
et  le  puits  Schneider  (qui  sera  le  grand  puits  du  xx«  siècle),  actuellement  en  fonçagc 
dans  la  forêt  des  Minimes,  aui^  plus  de  500  mètres. 


142  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Bientôt,  nous  entrevoyons  le  deuxième  étage  et,  quelques  secondes 
après,  nous  atteignons  celui  du  fond.  Là,  notre  cage  s'arrête  doucement, 
à  deux  ou  trois  mètres  au  dessus  de  la  fontaine,  sur  les  sièges  mis  par 
Tengaîneur. 

Ce  dernier,  —  qui  porte  un  large  chapeau  et  un  long  paletot  de  cuir 
tout  ruisselants  d^eau,  —  ouvre  les  barrières  de  la  cage,  et  c'est 
légèrement  mouillés  que  nous  mettons  pied  à  terre  dans  une  galerie 
assez  vaste,  mais  obscure  malgré  l'éclairage  des  lampes. 

Arrêtons-nous  un  instant  au  <c  chargeage  d,  où  l'engaîneur  et  son 
aide  retirent  les  bennes  vides  qui  descendent  dans  les  cages  et  les 
remplacent  par  des  bennes  pleines  ;  puis  suivons  notre  guide  dans  la 
galerie  de  roulage  qui  est  solidement  étayée  (1). 

Nous  rencontrons  successivement  des  manœuvres  occupés  à  charger 
des  trains  de  bois  pour  l'étayement  des  chantiers  ;  des  poseurs  qui 
réparent  une  portion  de  voie  ferrée  ;  des  boiseurs  remplaçant,  çà  et  là, 
des  étais  pourris  par  l'humidité  ou  cassés  par  la  pression  du  terrain  ; 
un  vieux  cantonnier,  tout  voûté,  qui  nettoie  le  ruisseau  et  interrompt 
son  travail  pour  nous  saluer. 

Tout  à  coup  nous  entendons  un  roulement  sourd  venant  du  fond  de 
la  galerie  et  nous  distinguons  bientôt  le  bruit  des  pas  d'un  cheval 
frappant  régulièrement  le  sol  : 

€  C'est  un  convoi  de  bennes,  nous  dit  le  chef  de  poste  qui  nous 
accompagne.  Garez-vous,  s'il  vous  plaît,  pour  le  laisser  passer  », 

Nous  nous  rangeons  aussitôt  sur  le  côté  de  la  voie,  et,  le  dos  collé 
aux  boisages,  nous  voyons,  au  détour  de  la  galerie,  apparaître  l'éclai- 
reur,  jeune  garçon  marchant  vite  et  précédant  un  cheval  attelé  à  une 
longue  file  de  bennes  de  charbon  qui  roulent  sur  de  petits  rails.  Le 
charretier,  assis  sur  la  première  benne,  excite  l'animal,  et  le  convoi 
passe  rapidement  devant  nous. 

Tandis  qu'il  s'éloigne  dans  la  direction  du  puits,  nous  reprenons 

(1)  Il  en  est  de  même  pour  toutes  les  galeries  de  la  mine,  sauf  dans  les  parties 
percées  en  plein  rocher,  et  cela  aiîn  d'éviter  les  éboulements  des  terrains  qui  encais- 
sent les  couches  de  houille. 

L'élajement  consiste  à  placer  debout,  de  chaque  côlé  de  la  galerie,  des  éUiis  dans 
ïis  entailles  dos<|uels  s'ajustent,  à  2  mètres  environ  de  hauteur,  des  traverses  horizon - 
(jles.  On  donne  aux  premiers  le  nom  de  potets  et  aux  secondes  celui  de  poites.  Les 
ititervalles  de  0  m.  50  à  0  m.  60  qui  existent  ordinairement  entre  les  assemblages 
î^uccessifis  de  potets  et  de  poites  sont  remplis  par  des  lames  de  bois  appelées  coins  ou 
i^scalins. 


REVUE  DU  NIVERNiUS,  143 

notre  marche  et  nous  arrivons  bientôt  près  d'une  large  excavation 
solidement  étayée  el  divisée,  par  des  planches,  en  huit  ou  dix  compar- 
timents. C'est  une  écurie  où  les  chevaux  qui  ont  travaillé  la  nuit  se 
reposent  pendant  que  les  autres  font  le  service  du  roulage.  Plusieurs 
sont  dans  la  mine  depuis  plus  de  quinze  ans  et  s'y  portent  bien.  On 
les  y  a  descendus  au  moyen  d'un  filet  de  chanvre  suspendu  par  une 
chaîne  au  bout  du  câble.  Un  palefrenier  est  spécialement  chargé  de 
soigner  ces  animaux,  auxquels  d'énormes  rats  disputent  souvent  la 
ration  d'avoine,  malgré  la  guerre  incessante  que  leur  font  les  chats 
apportés  exprès  dans  les  galeries  souterraines. 

Non  loin  de  l'écurie  est  une  grande  porte  en  planches  qui  nous 
barre  le  passage  et  derrière  laquelle  on  perçoit  un  bruit  semblable  à 
celui  d'une  chute  d'eau  :  a  C'est  une  porte  d'aérage,  nous  dit  le  chef  de 
poste  en  l'ouvrant,  et  le  bruissement  que  vous  entendez  est  produit 
par  l'air  que  les  ventilateurs  électriques  de  l'extérieur  font  circuler 
dans  toutes  parties  de  la  mine  b. 

Après  un  élargissement  de  la  galerie,  où  une  double  voie  forme 
((  gare  »,  on  remarque,  installé  dans  une  grande  niche  garnie  de 
longues  pièces  de  bois,  un  treuil  à  air  comprimé.  Au  moyen  de  câbles 
ronds  en  fil  d'acier^  ce  treuil,  mis  en  mouvement  par  un  freinteur, 
descend  sur  des  rails  les  bennes  vides  et  monte,  en  môme  temps,  celles 
que  Ton  vient  de  remplir  dans  une  enfonçure  (i). 

Un  peu  plus  loin,  nous  trouvons  un  autre  plan  qui,  lui,  monte  dans 
la  couche,  au-dessus  de  la  galerie  horizontale  que  nous  avons  suivie 
jusqu'alors.  Un  engatneur  reçoit  les  bennes  pleines  descendant  par  ce 
plan  et  accroche  à  leur  place,  à  l'extrérailé  du  câble,  les  bennes  vides 
que  lesfreinteurs  des  treuils  automatiques  remonteront  au  niveau  des 
divers  chantiers  pour  les  faire  remplir  de  charbon. 

Nous  sommes  donc  arrivés  aux  quartiers  d'exploitation  de  l'étage 
inférieur.  Là,  notre  guide  nous  donne  les  explications  suivantes  que, 
pour  l'intelligence  de  notre  visite,  nous  croyons  devoir  rapporter  ici  : 

«  La  galerie  principale,  dit-il,  se  prolonge  à  2  kilomètres  à  l'ouest, 
dans  la  direction  de  Trois- Vôvres,  et  traverse  plusieurs  couches  de 
houille  inclinées  au  sud,  du  côté  delà  Loire.  Tout  le  long  de  cette 
galerie  existent  des  plans  en  enlevure,  semblables  à  celui  dont  vous 

(i)  Plan  qui  suit  rindinaison  de  la  couche  de  houille,  en  s'y  enfonçant  parfois  & 
ploMeaiB  oenUinee  de  mètres  au-dessous  du  chemin  de  roulage. 


iU  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

voyez  la  base,  et  en  enfonçure  comme  celui  dont  je  vous  ai  montré  le 
sommet.  Les  premiers  sont  beaucoup  plus  nombreux  et  mesurent 
ordinairement  100  à  150  mètres  de  longueur  ;  ils  aboutissent  à  une 
galerie  de  roulage  sur  laquelle  est  établi,  à  une  certaine  distance  du 
premier,  un  autre  plan  montant  également  dans  la  couche  et  aboutis- 
sant lui-même  à  une  seconde  galerie  qui  donne  naissance  à  un  troi- 
sième plan,  et  ainsi  de  suite. 
9  Quand  on  a  atteint  le  sommet  de  la  nappe  de  houille  à  exploiter, 

—  et  dont  l'épaisseur  varie  de  1  m.  50  à  3  mètres,  —  on  trace,  de 
chaque  côté  du  plan  supérieur,  à  tous  les  10  mètres  en  descendant,  de 
petites  galeries  horizontales  et  parallèles,  nommées  costières,  qui 
découpent  la  couche  en  plusieurs  massifs.  C'est  là  que  Ton  pratique 
les  tailles  ou  dépilages,  en  commençant  toujours  par  le  haut  et  aux 
points  extrêmes  des  enlevures  de  limites.  Mais,  ajoute  le  chef  de  poste, 
vous  comprendriez  certainement  mieux  encore  en  voyant  vous-mêmes 
des  chantiers  en  exploitation  ;  donc,  si  vous  le  voulez  bien^  nous  les 
visiterons  ensemble  ». 

En  disant  ces  mots,  il  tire  cinq  fois  le  cordon  de  consigne,  afln  de 
suspendre  la  descente  des  bennes,  et  à  peine  a-t-il  reçu  d'en  haut, 
et  de  la  même  façon,  la  réponse  désirée,  qu'il  s'engage  dans  le  plan  où 
nous  le  suivons  péniblement. 

On  monte,  en  efTet,  un  chemin  escarpé  et  boueux  où  le  pied  glisse 
fréquemment  ;  de  plus,  la  faible  hauteur  du  toit  nous  oblige  à  marcher 
courbés  et  le  cou  tendu,  ce  qui  n'empêche  point  de  se  cogner  la  tête 
aux  poites  cassées  par  la  pression  du  terrain. 

Arrivés  au  sommet  du  plan,  —  qui  nous  a  paru  beaucoup  plus  long 
qu'il  ne  l'est  réellement,  —  nous  nous  reposons  un  instant  près  du 
treuil  automatique  qui  le  dessert  ;  puis,  nous  reprenons  notre  marche 
en  suivant  la  galerie  de  roulage.  Aussitôt  le  bruit  d'un  roulement  de 
bennes  se  fait  entendre  et  une  porte  s'ouvre  brusquement  pour  livrer 
passage  à  un  cheval. 

c  Comment,  demandons-nous,  a-t-on  pu  amener  cet  animal  jusqu'ici? 

—  Couché  et  flcelé  sur  un  train  servant  au  transport  des  étais,  dans  le 
plan  que  nous  venons  de  gravir  »,  répond  notre  guide,  t  Et,  ajoute-t- 
il,  c'est  le  cheval  qui,  dressé  à  cela,  ouvre  lui-même,  dans  l'obscurité, 
la  porte  d'un  coup  de  tête  » . 

Nous  ne  tardons  pas  à  trouver  l'autre  plan  que  nous  montons  aussj 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  145 

difficilement  que  le  premier.  Au  sommet,  nouveau  treuil  et  nouvelle 
galerie,  —  très  basse,  celle-là,  —  où  le  roulage  des  bennes  est  fait  par 
un  jeune  bomme  de  dix-huit  à  vingt  ans.  Enfin,  nous  arrivons  à 
Touverture  du  troisième  plan,  dans  lequel  nous  nous  engageons  après 
le  signal  d'usage. 

Nous  nous  arrêtons  à  une  petite  galerie  transversale  où  travaillent 
deux  mineurs.  «  Ceci,  nous  dit  le  chef  de  poste,  est  une  costière, 
cV^t-à-dire  un  traçage  qui,  avec  celui  que  vous  trouverez  dix  mètres 
plus  liant,  isolera  de  la  couche  ce  massif  de  charbon  et  permettra  de 
l'exploiter  plus  facilement  ». 

Nous  nous  approchons  des  ouvriers  qui,  agenouillés  et  presque  nus, 
abattent  la  houille  à  coups  de  pics.  Sans  travailler,  nous  suons  presque 
autant  qu'eux,  car  il  fait  ici  une  chaleur  étouffante  et  Tair  lourd  qu'on 
y  respire  est  encore  vicié  par  la  fumée  des  hmpes  (1)  et  la  poussière 
du  charbon.  Soudain  un  bruit  de  tonnerre  se  fait  entendre  au-dessus  de 
nous  :  tout  semble  s'écrouler  et  comme,  instinctivement,  nous  baissons 
tète  :  —  «  N'ayez  pas  peur,  dit  un  vieux  mineur  en  souriant  :  c'est  les 
camarades  d'en  n'haut  que  v'nont  d'faire  partir  un  coup  de  mine  à 
leu  chantier!  » 

Tout  en  riant  de  notre  frayeur,  nous  montons  au  chantier  en 
question,  où  les  piqueurs  viennent  de  rentrer,  malgré  l'épaisse  funjée 
dégagée  par  la  poudre  (2).  Ils  sont  trois,  la  tête  couverte  d'une  petite 
calotte,  le  visage  noir  et  le  torse  nu  ruisselant  de  sueur.  L'un  frappe 
légèrement  et  avec  précaution  la  surface  du  toit,  afin  d*en  éprouver  la 
solidité  ;  le  second  brise  à  coups  de  masse  les  gros  blocs  abattus  par 
l'explosion,  et  le  troisième  jette  à  la  pelle,  au  bord  de  la  galerie,  le 
charbon  qu'un  rouleur  charge  aussitôt  dans  les  bennes. 

Le  chantier  que  nous  voyons  est  un  dépilage,  ou  taille  de  10  mètres 
de  largeur  et  de  2  mètres  de  hauteur,  dont  le  toit  est  soutenu  par  un 
grand  nombre  de  potets  et  de  poites  disposés  sur  plusieurs  rangs. 
Partis  d'une  enlevure  de  limite  tracée  à  une  centaine  de  mètres  du 


(l)Co'nme  jusqu'ici  on  n'a  point,  heureusement,  rencontré  de  grisou  dans  les  couches 
supérieures  exploitées  à  La  Machine,  les  mineurs  s'éclairent  avec  la  lampe  plaie  à 
flamme  libi-e.  Toutefois,  par  prudence,  on  emploie  lu  lamjie  de  sûreté  Marsiiul  dans 
les  recherches  des  couches  inférieures. 

(2)  Depuis  plusieui^  années  on  a  substitué,  pour  l'abattage  de  la  houille  dans  les 
mines  de  La  Machine,  la  poudre  de  sûreté  Favier  à  la  poudre  ordinaire  et  h  la 
dynamite  dont  l'emploi  était  plus  dangereux. 


146 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


plan  incliné,  les  mineurs  ont  attaqué,  il  y  a  plusieurs  mois,  le  massif 
compris  entre  deux  costiéres  et  ils  en  enlèvent  toute  la  houille  en 
((  ramenant  :»  le  dépilage  vers  le  plan. 

Notre  guide  veut  bien  nous  donner  à  ce  sujet  les  explications 
complémentaires  suivantes  : 

«  Dès  que  les  piqueurs,  dit-il,  ont  fait  dix  à  douze  mètres  d'avance- 
ment, ils  retirent  les  boisages  les  plus  éloignés  du  front  de  taille,  afin 
de  provoquer  à  l'arrière  des  éboulemenls  qui  déchargent  les  parties 

du  milieu  et  de  l'avant.  Ils  continuent  ainsi  d'abattre  la  houille,  au 
pic  et  à  la  poudre,  et  de  faire  c  écraser  »  le  toit  derrière  eux,  au  fur  et 
à  mesure  qu'ils  avancent,  —  en  ayant  soin,  toutefois,  de  placer  aupara- 
vant des  tuyaux  pour  le  retour  de  l'air,  —  jusqu'à  ce  qu'ils  arrivent  à 
trois  mètres  du  plan.  Là,  ils  laissent  un  pilier  qu'ils  prendront  plus 
tard,  quand  le  treuil  servant  à  la  descente  des  bennes  sera  enlevé  et 
installé  un  peu  plus  bas  (1)  d. 

En  redescendant  à  la  galerie  principale,  nous  rencontrons  plusieurs 
groupes  de  mineurs  en  train  de  déjeuner.  Il  est,  en  effet,  dix  heures 
(lu  matin,  et  c'est  le  moment  où,  selon  leur  expression,  les  ouvriers 
û  mangent  leur  pain  ». 

Assis  sur  des  morceaux  de  bois,  dans  les  endroits  larges  et  bien 
aérés,  ils  placent  sur  une  planche  qui  leur  sert  de  table,  les  mets 
composant  leur  frugal  repas  et  qu'ils  se  partagent  en  frères.  Beaucoup 
nnt  apporté  une  chopine  de  vin  ;  les  autres  boivent  à  la  régalade  à  de 
petit  barils  d'eau  placés,  entre  deux  potcls,  dans  une  excavation  qu'ils 
appellent  «  la  bassie  ».  Plusieurs  nous  invitent,  en  riant,  à  «  casser  la 
croûte  »  avec  eux  ;  mais  nous  les  remercions  et  reprenons  en  hâte  le 
chemin  du  chargeage. 

Bientôt  nous  entrons  dans  la  cage  et,  après  des  impressions  aussi 

(l)  On  exploite  ordinairement,  de  chaque  côté  d'un  plan,  plusieurs  dépilages  en 
iiî^me  temps  ;  mais,  par  mesure  de  st-cuiilt*,  on  laisse  loujoui-s  à  ceux  du  haut  une 
nuance  d'au  moins  cinq  mètres  sur  la  taille  du  massif  situé  immédiatement  au* 
di^ssous. 

Quand  plusieurs  plans  se  succèdent  dans  un  quartier,  on  ne  commence  Tcxploi- 
taition  du  deuxième  en  descendant  qu'après  le  déhouillement  complet  du  premier,  et 
oji  n'exploite  le  troisième  qu'après  l'achèvement  du  second,  etc.  Enfin,  toutes  les 
mesurer  sont  prises  par  les  in{^«'tneurs  et  des  règlements  sévères  sont  imposés  aux 
ouvrière,  tant  pour  le  boisage  régulier  des  galeries  et  des  chantiers  que  pour  le  tirage 
des  coups  de  mine,  afin  d'obtenir  le  maximum  de  sécurité  possible  dans  ces  dange- 
reux et  pénibles  travaux. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  147 

rapides  que  variées,  nous  quittons  ces  noirs  souterrains.  En  arrivant 
au  jour,  nous  savourons  avec  délices  les  bienfaits  inappréciables  de  la 
lumière  du  soleil,  de  l'espace  libre  et  de  Tair  pur,  tandis  que  notre 
pensée  se  reporte  avec  mélancolie  vers  les  courageux  travailleurs  qui 
en  sont  privés  pendant  la  moitié  de  leur  vie. 

(A  suivre).  L.-M.  PoussEREAU. 


LE    PARNASSE  MODERNE 


POETES   HOLLANDAIS 


Anthoni   Ghrlstiaan  Winand   Staring. 

(1707.1840). 

SOUVENIR 

Sous  les  branches  d*oti  Teau  s'échappait  poulie  à  goutte, 
Courbés  près  de  Fétang,  nous  cherchions  un  abri. 
Rasant  d*un  Irait  le  pré  dont  Therbe  se  velouté, 
L'hirondelle  jouait  sur  le  gazon  fleuri. 
Un  zéphyr  de  printemps  mettait  un  doux  murmure 
Dans  le  saule  et  soufflait  la  vie  en  sa  ramure. 

L'eau  des  rameaux  ne  coulait  plus  :  le  vent  tombait  ; 

Les  oiseaux  repliaient  leur  aile  reposée  ; 

Rouge  de  feu,  le  ciel,  à  rOccident  flambait 

Derrière  les  coteaux  où  montait  la  rosée. 

Nous  entendions  de  mai  le  chant  aérien. 

Le  chant  du  soir  suave,  et  nous  ne  disions  rien. 

Moi,  je  la  regardais,  et  mon  âme  et  son  ame 

Se  fondirent  soudain  en  un  pareil  émoi... 

0  beaux  yeux  enchanteurs,  ô  beaux  yeux  dont  la  flamme 

Doucement  scintillait  et  pénétrait  en  moi  I 

Soupir,  chuchotlement  de  cette  bouche  aimée  ! 

Premier  baiser  que  prit  l'haleine  parfumée! 

Le  saule  nous  couvrait  de  sa  verdure  en  paix  ; 
La  nuit  creusait  déjà  ses  ténébreux  abîmes 
Sur  les  champs  recouverts  d'un  rideau  plus  épais  : 
Nous  nous  levâmes,  non  sans  rej^rel,  et  partîmes... 
0  temps  !  à  lieu  !  douceur  des  premières  amours  ! 
0  souvenir  sacré,  reste  vivant  toujours  I 


148 


RE>CE  DU  NIVERNAIS. 


Hendrik  Tollens  Garoloszoon. 

(1780-1856). 

L'AMOUR    SUR   LA    GLACE 

Le  prince  Hiver  donna  cours  à  sa  fantaisie, 
Mit  sur  fleuves  et  lacs  comme  un  parquet  d'étain. 
Adieu,  plaisirs  des  champs  !  C'est  la  glace  épaissie 
Qui  règne  :  fleuve  et  lac  reflètent  le  patin. 

La  petite  Alison,  paysanne  fort  génie, 
Perdit  la  pendeloque  attachée  à  son  cou 
Et  c'est  un  beau  garçon  à  mine  intelligente, 
Conrad,  qui  découvrit,  ramassa  le  bijou. 

Or,  tout  en  patinant:  «  Qu*as-tu  donc,  ô  la  belle, 
A  chercher  sur  la  glace  en  larmoyant  ainsi  ?  » 

—  «  Ma  rose  en  diamants,  hélas!  sanglote-t-elle, 
En  un  Irou...  dans  la  neige...  elle  est  tombée  ici  î  » 

—  «  C'était  d'un  amoureux  ?  Plus  vive  en  est  ta  peine  ». 

—  «  Non,  de  ma  mère,  et  c'est  ce  qui  me  fait  pleurer...  », 

—  <  Cesse  donc;  jusqu'ici  ta  recherche  fut  vaine, 
Recommence  en  glissant  et  sans  désespérer  )). 

Ils  patinent,  tous  deux,  virent,  coupent  la  glace, 
Ils  voguent,  balancés  sur  le  miroir  luisant  ; 
Lui  vole  devant  elle,  il  s'éloigne  avec  grâce 
La  rejoint  par  un  tour  de  son  patin  grinçant. 

Ils  glissent,  jusqu'au  bout  leur  élan  les  enlève, 
Puis  soudain  l'un  et  l'autre  en  la  tente  est  entré  ; 
Ils  trinquent,  boivent,  rient  en  un  moment  de  trêve, 
Et  d'un  trait  s'envolant  sur  la  glace  ont  viré. 

Mais  le  petit  patin  de  la  fille  s  échappe  : 
Elle  trébuche,  choit  comme  la  neigea  l'air; 
Vite  le  gars  la  suit,  doucement  la  rattrape. 
Met,  pour  guérir  le  mal,  ses  lèvres  sur  la  chair. 

De  s'élancer  plus  loin,  plus  loin,  elle  se  joue  ; 
Tous  deux  joignent  leurs  mains  plus  fort  ;  avec  rigueur 
Le  froid  raidit  son  bras,  le  vent  rougit  sa  joue, 
Cependant  Alison  n'a  pas  froid  dans  le  cœur. 

Ils  s'arrêtent  ;  lui,  rit  de  son  teint  chaud,  mais  elle 
Vient  encor  d'échapper  son  patin  en  virant  ; 
Il  le  lie  et  relie,  en  cajolant  la  belle,  » 

Et  demande  et  reçoit,  désire  et  même  prend... 

Les  villageois  partaient  quand,  sous  la  lune  blanche, 
A  la  belle,  Conrad  rennt  l'objet  perdu. 
Avec  un  baiser  tendre,  une  bague  ;  en  revanche, 
Il  emportait  son  cœur...  qu'il  n'a  jamais  rendu. 


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:R 


tlEVtJE  DU  NIVERNAIS.  149 

Johannes  Everhardus  Potgieter. 

(1808-1875). 

VERS  UN  MONDE    PLUS   HAUT 

Sitôt  que,  pénétrant  les  brumes  d'ici-bas. 
Les  rayons  du  soleij  en  transpercent  Tamas, 

Que  du  Beau  la  splendeur  luisselle, 

Dans  la  lumière  ainsi  baigné, 

Il  me  semble  que  se  descelle 
La  chaîne  où  la  matière,  hélas  !  me  tient  lié. 

Pour  le  cœur  et  l'esprit  que  vaut  la  volupté, 
Fragile  enchantement  par  une  heure  emporté, 

Issu  de  la  fange  charnelle  ? 

Le  cœur  et  Tesprit  ont  bientôt 

Ouvert  plus  largement  leur  aile 
Vers  Taurore  qui  luit  sur  un  monde  plus  haut! 


Nicolaas  Beets. 

(1814). 

CHANT  DES  DUNES 

Du  sommet  de  la  dune,  à  mes  pieds  dans  la  plaine, 
Je  vois  des  bois,  des  champs  et  des  jardins  en  fleur, 
Trèfles  verts  que  le  vent  courbe  sous  son  haleine, 
Vaches  au  flanc  marqué  de  plus  d'une  couleur. 
Le  cheval  de  labour  pâture  dans  la  lande  ; 
Tout  annonce  la  paix  et  le  bien-être  acquis  ; 
Maisons,  trônes  du  luxe...  et  c'est  là  la  Hollande, 
C'est  la  Hollande,  mon  pays. 

Mon  cœur  se  réjouit:  silhouette  incertaine 
Sous  l'air  pur  du  matin  qui  caresse  les  champs, 
Brille  sur  ses  poteaux  la  ville  encor  lointaine. 
Dans  l'énorme  trafic  où  vivent  ses  marchands. 
Active  autant  que  riche,  elle  est  la  ville  chère 
Où  vont  se  reposer  mes  plus  douces  faveurs, 
La  puissante  Amsterdam  qui  n'était  rien  naguère 
Qu'un  humble  hameau  de  pêcheurs. 

Je  regarde  au  couchant,  du  sommet  de  la  dune  : 
Là,  le  soleil  dans  l'eau  rétléchitsa  lueur, 
Je  vois  la  vaste  mer  qui,  source  de  fortune, 
A  mon  pays  donna  la  force  et  la  grandeur. 
Que  de  fois,  des  héros  le  sang  rougit  son  onde, 
Ces  héros  dont  le  nom  redoutable,  immortel, 
Retentira  toujours  sonore  par  le  monde, 
A  l'est,  à  l'ouest,  sous  tout  ciel  I 


û 


iSO  RfiVUE  DU  NIVERNAIS 

LA  CRUCHE  AUX  LARMES  (^) 

La  mère  aux  yeux  rougis,  la  mère  désolée 
Pleure  sa  fille  unique...  Ah  !  la  mort  l'a  volée  I 

Sur  la  fosse  elle  plante  un  njyesolis  :  hélas  ! 
Il  pousse  et  fleurit,  mais  ne  la  console  pas. 

Hulda  vient  à  passer  dans  le  jardin  :  c'est  elle 
Qui  prête  aux  enfants  morts  une  main  maternelle. 

Dans  la  troupe  qui  suit  Hulda  joyeusement, 
La  mère  espère  voir  sa  fille...  vainement  ! 

c  Si  je  t'apercevais,  chère  enfant  que  je  pleure, 
Près  d'Hulda,  malgré  tout,  je  bénirais  cette  heure  !  » 

Mais  une  âme  encor  vient  en  arrière,  là-bas  ; 
La  cruche  qu'elle  porte  a  retardé  ses  pas. 

*(  De  vos  larmes,  chacune  est  pour  moi  bien  amère, 
Voyez  1  je  dois  ainsi  les  recueillir,  ma  mère  !  » 

La  mère  entend  ;  ces  mots  ravivent  ses  douleurs, 
Mais  depuis  lors  ses  yeux  ne  versent  plus  de  pleurs. 

(i)  CeUe  légende,  recueillie  en  Hollande  et  mise  en  vers  par  Deets,  < 
très  répandue  dans  nos  campagnes  uivernaises. 


Jan  Jacob  Lode'wijk  Ten  Kate. 

(1819-1889). 

LA  PETITE  MÈRE 

Le  père  n'attend  pas  l'aurore  ;  le  voici 

Sur  pied,  jamais  las  de  l'ouvrage  ; 
Sa  femme  allègrement  se  met  à  l'œuvre  aussi 

Et  bat  dans  l'aire  avec  courage  ; 
Et  la  blondine  Agathe  (elle  a  déjà  sept  ans  !) 
Va  garder  fièrement  la  maison  tout  le  temps. 

Agathe  est  à  son  poste,  elle  est  assise  au  seuil, 

Avec  son  jouet  à  musique. 
De  loin  comme  de  près,  elle  a  sans  cesse  Toeil 

Sur  sa  bruyante  république  : 
Son  frère,  son  petit  frère,  son  vrai  trésor. 
Les  poules,  les  poulets,  le  chat,  que  sais-je  encor! 

Jouant  un  air  ou  bien  chantant,  elle  distrait 

Toute  sa  petite  famille  ; 
Car  la  nature  parle  et  la  mère  parait 

Déjà  dans  la  petite  fille. 
Elle  jase,  jacasse,  et  d'un  ton  si  joyeux. 
Sans  laisser  un  moment  se  reposer  ses  yeux  ! 

Et  tout  chante  avec  elle  :  un  souffle  ailé  s'ouït 
Dans  la  treille  où  la  feuille  tremble  ; 

Le  chat  fait  son  ronron,  le  coq  crie  à  grand  bruit 
Et  les  poules  gloussent  ensemble  ; 

Et  là,  dans  sa  voiture,  —  ah  I  vous  n'en  douiez  pasl  — 

Le  frère  est  si  content  qu'il  en  rit  aux  éclats. 

Traduction  de  ACHILLE  HiLLiEN, 


!.<< 


LIVRES  ET  PÉRIODIQUES 


Nous  recevons,  malheureusemonl  trop  tard  pour  la  comprondre  dans  notre  numéro 
de  février,  une  bolle  po(Vsie  de  notre  excellent  collaboralt'ur,  M.  Paul  Duvivier  :  L'En- 
fant borr.  Nous  l'olTriroiis  à  nos  lecteurs,  dans  notre  prochain  numéro.  Cette  poésie 
est  détachée  d'un  recueil  qui,  sous  ce  tilre  :  Assassins^  paraîtra  dans  quelques 
semaines,  chez  l'éditeur  Léon  Vanier.  Ce  livre  est  un  plaidoyer  très  énergique  en 
faveur  des  Boërs  et  renferme  des  morceaux  très  variés  de  ton,  des  odes  de  belle 
envolée,  des  pièces  qui  cinglent  comme  du  Juvénal,  d'autres  qui  bafouent  et  sou- 
lèvent le  rire,  toutes  poursuivant  et  atlei^^nanl  le  but  de  l'auteur,  qui  veut  soutenir,  de 
sa  plume  indignée,  le  petit  peuple  de  héros. 


Notre  collaborateur,  Louis  Oppepin,  a  voulu  lui  aussi,  dire  pour  les  Boérs  (1)  son 
chant  vengeur.  11  a  écrit  un  poème  en  six  chants  qu'il  dédie  «  au  grand  patriote 
Kniger  ■.  C'est  tout  un  récit  de  la  guerre  Sud-Africaine.  Pensées  généreuses  expri- 
mées en  strophes  de  huit  vers  dont  la  suivante  donnera  une  idée  ; 

Et  de  l'aube  à  la  nuit,  tout  ce  peuple  en  délire 

Fête  cette  victoire  en  orgie,  en  festins, 

Mêlant  les  chants  joyeux  aux  longs  éclats  de  rire, 

Les  hymnes  de  triomphe  aux  obscènes  refrains  ! 

—  Chantez,  dansez,  Anglais,  dans  votre  ivresse  folle, 

Buvez  à  Ilots  la  coupe  où  s'abreuvent  vos  cœurs  I 

La  Roche  tarpéienne  est  près  du  Capitole... 

Les  vaincus  d'aujourd'hui,  demain  seront  vainqueurs  1 


Vn  de  nos  plus  éminents  poètes,  M.  Stéphen  Liégeard,  vient  d'écrire  Devant  le 
mausolée  de  ai^'  Rivet,  une  ode  admirable,  digne,  c  est  tout  dire,  du  talent  inspiré 
auquel  on  doit  tant  de  pot%i(^  d'une  envolée  superbe,  digne  aussi  de  l'évoque  ainsi 
salué  dans  la  première  strophe  : 

Le  voilà,  c'est  bien  lui,  le  Pasteur  admirable 
Qui  de  la  Chaiilé  se  faisant  un  drapeau. 
Indulgent  à  chacun  et  pour  tous  secourable, 
De  sa  houlelle  d'or  a  guidé  le  troupeau, 
Qui  sut  prendre  nos  cœurs  en  nous  donnant  son  âme, 
Doux  pasteur,  de  bonté  célcstement  velu, 
Dont  le  bras,  cinquante  ans,  sans  que  pâlit  la  flamme, 
Tint  le  flambeau  de  la  vertu. 


(1)  Les  Bo'ér»,  poème,  par   Louis  Oppepin,  suivi  de    la  Marseillaise  des  Boiirs,  vingt-deux 
pages,  prix  0  fr.  25. 


152  REVUE  OU  NIVERNAIS. 


NOTES  ET  ÉCHOS 

.',  Charles  F'usier,  le  conférencier  bien  connu,  parlail  de  notre  Directeur,  dimanche 
dernier,  à  la  Bodinièi^e.  Précède  m  m  ont,  il  avait  donné  une  conférence  où  il  appréciait 
les  poésies  de  notre  voisine  berrichonne,  M"»  Eugénie  Disanova,  dont  nous  nous 
sommes  assuré  la  précieuse  collaboration.  Voici  du  reste  un  extrait  de  journal  i-en- 
dant  compte  de  cette  soirée  et  de  celle  qui  l'avait  pncédée  : 

•  La  semaine  qui  vient  de  s'écouler  a  été  particulièrement  brillante  pour  notre 
poète,  M""  Eugénie  Casanova. 

»  Le  dimanche  16  décembre,  M.  Davrigny,  de  la  Comédie-Française,  interprétait  ses 
œuvres  au  concert  annuel  de  la  mairie  de  Passy. 

•  Le  soir  de  ce  jour,  le  patronage  Saint-François  nous  donnait  son  Credo ^  dont 
M.  l'abbé  Chambonnet,  maître  de  chapelle  de  notre  cathédrale,  s'était  chargé,  avec  sa 
magnifique  voix,  de  faire  ressortir  les  beautés.  On  sait  que  cette  interprétation  s'est 
transformée  en  une  véritable  explosion  de  vivats  et  d'applaudissements  auxquels 
toutes  les  voix  se  sont  mêlées  ;  —  et  nous  aimons  à  appuyer  sur  ce  dernier  mot,  car, 
dans  cette  réunion  où  les  assistants  étaient  divers,  tous  ont  compris  les  accents 
vibrants  de  cette  poésie,  rendus  avec  un  sentiment  profond  par  notre  grand  musicien. 

»Le  vendredi  21,  il  y  avait  foule  élégante  à  l'institut  Rudy,  près  des  boulevards,  où 
le  poète  bien  connu  et  le  parfait  conférencier  Charles  Fuster  a  tenu,  pei.dant  une 
heure,  sous  le  charme  de  sa  parole  son  auditoire.  Il  a  terminé  sa  brillante  conférence 
par  ces  mots  :  «  Non,  M™«  Casanova  n'est  pas  un  poète  mièvre,  comme  il  y  en  a 
tant  à  cette  é'^oqueî  Sa  poésie  est  large,  inspirée,  aussi  destinée  à  vivre;  elle  nous 
charme  et  nous  émeul  tour  à  tour  ■. 

•  M.  Davrigny  a  interprété  dune  façon  superbe  cinq  des  plus  vibrantes  poésies  de 
notre  poète  ;  il  a  remporté  un  vrai  triomphe,  il  a  été  bissé  et  acclamé  par  ceux  qui 
avaient  eu  le  bonheur  de  l'entendre. 

»  Puis  le  célèbre  con^posileur  Paul  Delmet  est  venu,  avec  son  art  habitueL  chanter 
Fiancée  axix  Etoiles  et  t'œur  de  Poète.  Est-il  besoin  de  parler  du  succès  du 
maître  1  Son  nom  suffit,  n'est-il  pas  connu  de  tous?...  • 

Nous  .savons  que  Fustep  prépare  une  seconde  conférence  sur  les  poésies  de 
M™«  Casanova,  qui  surveille  actuellement  l'impression  d'un  nouveau  recueil  appelé 
sans  doute  à  un  véritable  succès. 

,*.  Nos  compatriotes:  sont  nommés:  Officier  de  l'Instruction  publique,  M.  Mathieu 
Merlin,  artiste  |>eintre  ;  ofliciers  d'académie,  MM.  Engène-Léon  Cormier,  protesseur  à 
l'Association  polytechnique  de  Paris;  Jules-Etienne  Barthélémy,  entrepreneur  de 
travaux  publics,  à  Paris. 

,',  !•'  février  :  réunion  des  Nivernais  de  V Aiguillon,  à  Paris,  pour  fêter  M.  Edouard 
Hornet  (de  rinstilut),  nommé  oflicier  dans  la  Légion  d'honneur;  MM.  Cobillot  et 
Itardin,  chevaliers.  —  Charmantes  et  cordiales  allocutions  de  MM.  Boisseau,  Bornet 
et  Dalligny. 

.\  4  février  :  décès  de  M.  l'abbé  Maurice  Bogros,  curé  de  Marzy,  à  soixante-quatre 
ans.  •  Orateur,  il  a  obtenu  de  rée4s  succès  dans  la  prédication  ;  poète,  il  a  vu  ses 
compositions  couroinicos  à  plusieurs  reprises  par  l'académie  des  Jeux  lloraux...,  deux 
volumes  {V Anlêthriat^  la  Genc^e)y  renferment  le  fruit  des  méditât  oiis  du  reTffretté 
défunt.  »  {Semaine  religieuse).  Notre  Nivernais  perd  en  M.  l'abbé  bogros  un  des 
enfants  qui  lui  faisaient  honneur. 

/.  Société  d'Eiiseigiienient  populaire  :  conférences  de  MM.  Gaube  :  la  côte  d*lvoire  ; 
Soudais  :  du  sucre  et  de  son  industrie.  Le  17  février,  M.  Frédéric  Girerd  entretenait 
ses  auditeurs  dun  cabaret  artistitjue  au  XVïfh  siècle.  Le  cabaretier  n'était  autre 
que  notre  compatriote  Bampoiineau.  c<  léhre  à  l^aris,  il  y  a  environ  un  a-'iéiAe  et  demi. 
M.  Girerd  a  tiiiement  montre  Baiiiponneau  marie,  Hampoiineau  sur  les  tivteaux,  a  la 
foiie  Saint-Laurent;  Bamponneau  plaideur,  etc.  Nous  souhaitons  que  le  spirituel 
conférencier  fasse  bénéficier  de  son  intéressante  causerie  ceux  qui,  n'ayant  pu  l'en- 
tendre, seront  heureux  de  le  lire. 

.*,  La  Société  historique,  littéraire  et  scientifique  du  l^her  a  réélu  président  noire 
coilaborateur,  M.  Lucien  Jeny.  L.  D. 


Le  Directeur-Géranij  ACHILLE  MlLLlEN. 


/ferers,  Imp.  0.  Vt/Ziérê, 


UN  VIEUX  CELIBATAIRE 

« 

(Extrait  <Pun  roman)  0). 

L'abbé  Blondol ,  curé  de  Romenay ,  et  M.  Asseler ,  pasteur  protestant  dans  la 
même  petite  ▼ille,  se  rencontrent,  un  soir,  chez  le  maire  de  Romenay,  très  malade. 
M.  Âsseler,  le  pasteur,  vient  d'arriver  à  Romenay,  Tabbé  Blondot  et  lui  ne  se  sont 
jamais  parlé  !  Ils  quittent  ensemble  la  maison  du  maire  après  la  consultation  des 
deux  médecins  appelés  et  prennent,  à  dix  heures  du  soir,  la  route  qui  conduit  au 
bourg  de  Romenay.  C'est  Tabbé  Blondot  qui  écrit  : 

Maximilien  nous  reconduisit  jusqu'à  la 
porte  du  salon  après  avoir  serré  la  main 
du  pasteur  et  m'avoir  fait  un  salut  de 
la  tête.  En  descendant  le  grand  escalier» 
nous  nous  rencontrâmes  avec  le  docteur 
UZ  n[    *  ^=^  ^^*7^    Martinet  qui  sortait  de  la  chambre  du 

W:^^^^^   malade. 

^  -        ^^  r       —  gj^  j^.^^^  docteur,  lui  dis-je,  c'est 

une  congestion  simple,  n'est-ce  pas? 

Le  docteur  Martinet  haussa  les  épaules. 

—  Une  congestion  simple  1  s'écria-t-il.  C'est  le  docteur  Garot  qui  a 
émis  cette  fameuse  idée!  C'est  de  lui,  probablement,  que  vous  la 
tenez  !  Une  congestion  simple  1  Je  vous  demande  un  peu  1  Une  conges- 
tion simple  I  Qu'est-ce  que  c'est  que  çà  1  Mais  que  voulez-vous  que 
dise  ce  vieux  rebouteur  I  Pour  faire  un  diagnostic  ,  il  faut  avoir  un 
cerveau  :  si  Garot  trépasse  avant  moi,  je  serai  bien  curieux  d'assister 
à  son  autopsie.  Le  diable  m'emporte  si  je  sais  ce  qu'on  va  trouver  à 
la  place  du  cerveau  I  Cet  être-là,  c'est  un  zoophyte  1 

(1)  Ce  roman  de  notre  collaborateur  paraîtra  bientôt  en  un  volume  in-18. 


154 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


Et  le  docteur  Martinet»  nous  quittant,  descendit  précipiteiûïaeat  les 
marches  de  l'escalier  en  élevant  au-dessus  de  sa  tête  des  bras  indi- 
gnés et  en  s'écrianl  : 

—  Une  congestion  simple!  Une  congestion  simple  1  Ah!  quelle 
bourrique  ! 

Dans  le  vestibule,  nous  nous  trouvâmes  face  à  face  avec  le  docteur 
Garot  l'infortuné  médecin  qui,  au  dire  de  son  confrère,  manquait  de 
cerveau. 

—  Eh  bien,  docteur,  demandai-je,  rien  de  très  grave  ? 

—  Une  congestion  simple,  fit-il.  Cet  idiot  de  Martinet  qui  parle  de 
maladie  de  cœur,  de  syncope.  Qu'importe  l'avis  de  cet  impulsif,  de  ce 
vésanique,  de  ce  bidon  d'alcool  !  Avant  un  an,  il  portera  la  camisole 
de  force...  Enfin,  messieurs,  je  vous  quitte,  je  vais  parler  à  M°»e  Thury. 

Sur  ces  mots,  le  docteur  Garot  se  dirigea  vers  l'escalier  qu'il  gravit 
en  courant. 

L'heure  n'était  pas  au  rire,  mais  le  pasteur  et  moi  nous  n'osions  pas 
nous  regarder,  tant  nous  craignions  de  perdre  notre  gravité.  Après 
avoir  franchi  la  grille  du  château,  nous  primes,  sans  nous  séparer,  la 
route  de  Romenay.  La  situation  tournait  résolument  au  pittoresque. 
«  Quels  propos  tenir?»  me  demandai-je.  c  Comment  rompre  ce 
silence  pénible?  »  se  disait  assurément  le  pasteur.  Oui,  que  peuvent 
bien  se  raconter  un  ministre  protestant  et  un  prêtre  catholique 
romain  qui  ne  se  connaissent  point,  qui  n'ont  pas  échangé  dix  phrases 
dans  leur  vie,  qu'un  hasard  a  rçunis  et  qui  marchent  ensemble  sur 
une  route,  à  travers  champs,  vers  dix.  heures  du  soir?  J'eus  une  inspi- 
ration que  je  vous  dévoile  et  dont  vous  pourrez,  le  cas  échéant,  faire 
votre  profit. 

Il  vous  est  certainement  arrivé,  ô  lecteur,  —  beaucoup  plus  sou- 
vent qu'à  moi,  je  n'en  doute  pas,  —  d'assister  à  un  repas  ou  d'être 
assis  dans  un  salon,  alors  qu'une  conversation  asthmatique  suffoquait 
à  tout  bout  de  phrase  et  s'entrecoupait,  à  chaque  instant,  de  silences 
affligeants.  Vous  vous  surmeniez  l'esprit  vainement  pour  trouver 
quelques  idées  présentables  que  vous  puissiez  marier  à  des  moi» 
congrus  et  vos  voisins  et  la  maîtresse  de  maison  se  livraient  au 
même  labeur  douloureux  et  inutile.  Soudain,  quelqu'un  s'avisail-il  de 
railler  les  médecins  et  de  dénombrer  les  mésaventures  de  la  méde- 
cine :  la  conversation  se  vivifiait  aussitôt.  Les  langues  fpétiilaieHtde 


RBYUE  DU  NIVERNAIS. 


455 


joie  et  les  boutades  éclataient  d'enes-mêmes.  Chacun  connaissait  un 
médecin  qui  ne  l'avait  pas  guéri  et  c'était  un  défilé  d'anecdotes 
araères  où  une  bévue  commise  par  un  médecin  servait  de  prétexte  à 
rajeunir  des  moqueries  qui  ont  commencé  bien  avant  Jean-Baptîste 
Poquelin  et  qui  n'ont  pas  cessé  depuis.  Si,  d'aventure,  la  chance  vou- 
lait qu'il  y  eût,  parmi  les  invités,  Télernel  vieux  monsieur  de  quatre- 
vingts  ans  qui  a  été  réformé  au  conseil  de  revision  pour  phtisie  du 
troisième  degré  et  qui  dit  si  bien  avec  son  sourire  si  fin  :  «  Vous 
voyez,  moi  Je  suis  un  de  leurs  condamnés  !  »,  oh  I  alors,  toute  gène 
s'envolait  et  les  mots  roulaient  et  les  phrases  aiguës  sifflaient  et  la 
mêlée  des  anecdotes  devenait  générale  et  la  maîtresse  de  maison  était 
sauvée.  (Pourquoi  donc,  pour  le  dire  en  passant,  les  médecins  ne 
croient-ils  pas  au  miracle  ?  Eux  qui,  tous  les  jours,  accomplissent  le 
miracle  renouvelé  de  saint  François  d'Assise,  de  faire  parler  les 
bêles?)  Tandis  que  je  cheminais  à  côté  du  pasteur  sur  la  route  de 
Romenay,  je  résolus,  dans  ma  détresse,  d'user  de  ce  stratagème  qui 
—  vous  goûterez  toute  la  saveur  de  cette  humble  rectification  —  ne 
réussit  pas  qu'entre  imbéciles. 

—  Vous  ne  trouvez  pas,  monsieur  le  ministre,  m'écriai-je,  que  les 
philosophes  nous  la  baillent  belle,  quand  ils  nous  content  que  la  reli- 
gion divise  et  que  la  science  unit.  Voyez  un  peu  nos  médecins  de 
Romenay  !  La  vérité,  pour  eux,  c'est  le  contraire  de  ce  qu'affirme  le 
confrère. 

—  Nous  en  avons  eu  la  preuve,  dit  M.  Asseler  d'une  voix  qui  riait. 
Je  lui  servis  alors,  en  les  saupoudrant  d'ironie,  mille  petits  faits 

plaisants,  dont  nos  médecins  de  Romenay,  le  docteur  Martinet  et  le 
docteur  Garot  étaient  les  héros  J'appris  au  pasteur  que,  dans  notre 
ville,  les  maladies  se  divisaient  politiquement  en  deux  grandes 
familles  qui  n'avaient  entre  elles  aucune  affinité  :  les  maladies  conser- 
vatrices et  les  maladies  radicales.  Le  docteur  Martinet  ne  savait 
traiter  que  les  premières,  celles  qui  s'attaquaient  à  un  organisme  miné 
par  les  idées  réactionnaires.  A  ces  maladies-là,  le  docteur  Garot  ne 
connaissait  rien  de  rien,  mais  sa  cécité  intellectuelle  disparaissait 
d'elle-même  quand  le  mal  s'abattait  sur  un  sujet  livré  au  radicalisme 
et  c'était  au  tour  du  docteur  Martinet  de  devenir  aveugle.  Nos  deux 
thérapeutes  passaient  leur  vie  à  s'excommunier  l'un  l'autre,  à  se 
:traiter  mutuellement  de  <(  rebouteurs,  de  dentistes  ï>.  Et  les  malades 


156  REVUE  DV  NIVERNAIS. 

mouraient  sans  avoir  la  consolation,  avant  de  quitter  ce  monde, 
d'apprendre  si  le  microbe  qui  les  tuait  était  conservateur,  radical  oa 
opportuniste,  —  pardon,  progressiste  1 

Le  pasteur  riait.  L'homme  que  vous  faites  rire  par  vos  discours  est 
à  moitié  déjà  votre  ami  et  vous-même,  flatté  dans  votre  vanité  de 
conteur,  vous  ressentez  pour  lui  de  la  sympathie.  M.  Âsseler  ne  crut 
pas  devoir  être  en  reste  avec  moi.  Lui  aussi  avait  fait,  dans  les  vastes 
champs  des  ridicules  médicaux,  sa  cueillette  de  petites  anecdotes.  Il 
me  l'offrit.  Et  ne  croyez  pas  qu'il  parlât  avec  une  voix  de  catastrophe, 
une  voix  funèbre  et  prêcheuse  qui  sortait  des  profondeurs.  Nenoi  : 
elle  était  souple,  onctueuse  la  voix  de  M.  le  ministre  du  Saint-Evan* 
giie  et,  aux  bons  endroits,  elle  savait  devenir  joviale,  comme  il  conve- 
nait. Aussi,  plus  de  défiance  entre  nous ,  plus  de  contrainte.  Nous 
causions  en  amis.  Sous  la  clarté  douce  de  la  lune,  nous  marchions 
d'un  pas  alerte  et  régulier.  Notre  ombre  cheminait  à  côté  de  nous 
et  se  détachait  nettement  sur  la  route  blanche.  Nous  cessions  de 
converser  pendant  de  courts  instants  et  je  suis  sûr  que  le  pasteur 
mettait  à  profit,  comme  moi,  ces  silences  pour  coordonner  ses  impres* 
sions  et  tenter  de  se  faire  une  opinion  sur  son  compagnon  de  route. 
Je  pensais,  moi  :  t  Mon  Dieu,  ce  pasteur  huguenot  ne  m'est  déjà  pas 
si  antipathique  !  A  en  juger  par  les  apparences,  il  doit  jouir  d^une 
âme  débonnaire.  Je  suis  à  peu  près  certain  que  si  j'étais  tombé,  il  y 
a  deux  siècles,  dans  un  clan  de  camisards,  il  eût  supplié  qu  on  ne 
m'écharpât  pas  et  il  eût  cherché  dans  la  Bible  des  textes  lénitifs  pour 
calmer  ces  cruels  hommes  ».  t  Ce  gros  papiste ,  devait  se  dire 
M.  Asseler,  n'a  pourtant  point  l'air  si  meurtrier!  Je  suis  à  peu  près 
convaincu  que  le  jour  de  la  Sainl-Barthélemy,  celui-là  ne  se  fût  pas 
posté  à  une  fenêtre  du  Louvre  pour  de  là  canarder  ces  bons  hugue- 
nots >.  Tout  à  coup,  le  pasteur  demanda  : 

—  Fumez-vous,  monsieur  le  curé  ? 

—  Hélas!  répondis-je  avec  un  soupir,  mes  remords  sont  là  qui 
disent  :  oui. 

—  Voulez  vous  me  permettre  de  vous  offrir  une  cigarette? 

—  Mais,  j'y  pense  !  m'écriai-je.  J'ai  par  là,  dans  les  profondeurs  de 
mes  poches,  quelques  vieux  cigares  qui  ne  sont  point  si  haïssables. 
Ils  me  furent  donnés  récemment  par  un  confrère  qui  revenait  de 
Belgique  et  qui  les  introduisit  en  fraude.  Vous  me  feriez  grand  plaisir 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  iS7 

si  VOUS  vouliez  en  accepter  un.  Ils  sont  excellents  puisqu'ils  sont  de 
contrebande  :  le  fisc  ne  les  a  pas  flétris. 

—  Très  volontiers,  fit  le  pasteur. 

Je  lui  passai  Tétui  qui  contenait  les  cigares  ;  il  en  prit  un  et  me 
remercia.  Moi-même  je  me  servis,  et  avant  de  remettre  l'étui  en 
poche  : 

—  Le  malheur,  dis-je,  c'est  que  je  n'ai  pas  d'allumettes. 

—  Oh  !  fit  le  pasteur,  rassurez-vous,  monsieur  le  curé.  J'ai  des 
allumettes  et  je  dois  ajouter  des  allumettes  de  contrebande.  A  notre 
dernier  voyage  eu  Angleterre,  au  mois  de  juin  dernier,  ma  femme  est 
rentrée  en  France,  toute  bardée  intérieurement  de  petites  boîtes  qui 
contenaient  des  allumettes. 

Nous  ne  flmes  ni  l'un  ni  l'autre  de  grands  efforts  pour  retenir  nos 
rires. 

—  Dans  tout  Français,  dis-je,  à  quelque  religion  qu'il  appartienne, 
il  y  a  un  contrebandier  qui  sommeille.  Si  la  douane  n'existait  pas,  il 
faudrait  l'inventer,  pour  avoir  la  joie  de  la  frauder. 

Nous  allumâmes  nos  cigares  belges  avec  des  allumettes  anglaises  et 
nous  reprîmes  notre  marche.  A  tout  instant,  un  nuage  de  fumée 
s'échappait  de  notre  bouche  et  s'élevait  dans  l'air,  devant  nous. 

Tout  en  fumant  et  en  devisant,  nous  étions  arrivés  au  chêne  des 
t  Genévriers  ».  Là,  presque  simultanément,  nous  nous  arrêtâmes  et 
nous  cessâmes  de  parler,  comme  pour  nous  recueillir  dans  la  contem- 
plation du  spectacle.  C'était  une  nuit  de  clarté,  de  sérénité.  Au-dessus 
de  nous,  l'éternelle  enchanteresse  la  lune  qui  s'invite  toujours  à  ces 
fêtes  du  silence,  trônait  avec  cette  majesté  familière,  cette  grâce  un 
peu  lourde  que  vous  lui  connaissez.  On  eut  dit  une  grave  et  douce 
souveraine  qui  vient  donner  audience  à  son  peuple,  le  peuple  souriant 
des  étoiles.  Nous  étions  sur  la  cime  d'un  coteau  qui  domine  Romenay. 
Une  brume  opaque  planait  sur  la  vallée  et  couvrait  la  petite  ville. 
Seul,  déchirant  le  blanc  suaire  qui  enveloppait  Romenay,  le  clocher  de 
mon  église  montait  dans  l'infini  ;  il  semblait  que,  de  sa  pointe,  il  allait 
percer  la  voûte  bleue  comme  pour  réveiller  quelque  constellation 
paresseuse  endormie  dans  l'Empyrée,  On  entendait,  dans  la  vallée,  la 
chanson  de  la  Vireuse  qui  disait  aux  étoiles  sa  joie  de  courir  librement 
sur  les  cailloux.  J'aime  la  lune  ;  malgré  toutes  les  brouettées  de  littéra- 
ture que  les  gens  de  plume  ont  déversée  sur  nous,  à  cause  d'elle,  ils  ne 


15S  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

sont  pas  parvenus  à  me  la  rendre  odieuse.  J'airoe  la  lune  et  tous  les 
paysages  qu'elle  ennoblit.  J'admirais  silencieusement,  puis,  sortant 
tout  à  coup  de  ma  contemplation,  je  m'écriai,  désignant  Romenay 
dans  la  brume  : 

—  Voyez,  monsieur  le  pasteur,  nos  ouailles  dorment  derrière  ce  rideau. 
Si  on  ne  croirait  pas  qu'un  bienfaisant  génie  a  jeté  sur  eux  ce  grand 
voile  blanc  pour  défendre  leur  sommeil  contre  les  frôlements  d'ailes 
des  oiseaux  sinistres  qui  se  lamentent  la  nuit  dans  les  bois  et  que  nos 
Romenaisiens  redoutent,  parce  que,  à  les  en  croire,  ce  sont  des  mes* 
sagers  de  mort  !  Pauvres  Romenaisiens  !  Dès  l'aube,  ils  ont  travaillé. 
Ils  recommenceront  demain,  ils  recommenceront  jusqu'à  leur  dernier 
jour.  Tous  les  matins,  au  chant  du  coq,  ils  iront  se  courber  sur  le 
même  labeur.  Tous  les  ans,  à  la  même  époque,  ils  traceront  le  même 
sillon  dans  les  mêmes  champs,  jusqu'au  jour  où  la  charrue  s'échappera 
de  leurs  mains.  Si  nous  n'étions  pas  là  pour  faire  luire  sur  eux  une 
clarté  d'au  delà,  une  aube  d'éternité,  ne  devraient-ils  pas  envier  le  sort 
de  ce  cheval,  de  ce  bœuf,  qu'ils  conduisent  au  labour,  de  ces  bêtes  de 
somme  qui,  si  elles  travaillent  comme  eux,  ne  vivent  du  moins  que 
quelques  années  et  s'en  vont  olus  tôt  qu'eux  dans  le  repos  de  la  mort? 
Savez-vous,  monsieur  le  pasteur,  que  notre  mission  est  belle  1  Nous 
venons  au  milieu  d'eux  leur  enseigner  une  conception  de  la  vie  qui 
leur  aide  à  porter  le  poids  des  jours  —  sans  cette  lumière,  la  vie, 
pour  eux  comme  pour  nous,  ne  serait  qu'un  problème  sombre,  qu'une 
farce  saugrenue  —  nous  venons  pour  leur  donner  une  explication  de 
la  souffrance  et  de  la  mort,  ces  deux  grandes  énigmes  qui  obsèdent 
toutes  les  intelligences  les  plus  hautes  et  les  plus  infimes.  Nous  ten- 
tons de  les  arracher  à  la  Matière  pour  faire  resplendir  en  eux  l'Idée 
que  le  Maître  a  donnée  au  monde,  qu'il  a  livrée  à  des  pêcheurs  du  lac 
de  Tibériade. 

—  Ah  !  oui,  notre  mission  est  belle  î  fit  le  pasteur,  qui  semblait 
inquiet,  pressé  de  continuer  la  route. 

Nous  reprîmes  notre  marche. 

—  Je  vous  demanderais,  monsieur  le  curé,  dit  M.  Asseler,  de  nous 
hâter  un  peu,  si  vous  le  voulez  bien.  Ma  femme  pourrait  s'impa- 
liftiter. 

—  Comment  donc  I  m'écriai-je.  Peut-être,  par  ma  lenteur,  suis-je 
caiisf  d'un  grand  retard.  Vous  auriez  dû  me  prévenir,  monsieur  le 


) 


BCVOE  on  NIVESNAISi 


159 


pasteur.  En  tout  tas,  vous  voudrez  bien  m'excuser.  Je  ne  suis  point 
habitué  à  compter  avec  les  si  légitimes  impatiences  d'une  épouse. 

—  Ah  I  c'est  vrai  !  fit  en  riant  M.  Asseler.  Vous  ne  connaissez  point 
les  exigences  de  la  vie  conjugale,  mais  aussi,  ajouta-t  il  d'une  voix  où 
il  n'était  point  malaisé  de  découvrir  une  petite  nuance  de  pitié,  — 
vous  en  ignorez  les  joies,  les  consolations...  qui  sont  grandes. 

—  Ah  !  j'en  suis  totalement  privé  !  fls-je  d'un  ton  de  bonne  humeur. 
Ma  vie,  sous  quelques  rapports,  -  côté  du  cœur,  côté  tendresse,  — 
est  un  peu  celle  des  cénobites  Je  pourrais  m'appliquer  cette  parole  de 
l'Ecriture  :  a  Sicut  poster  tolitariut  m  tecto  n. 

—  Ah  !  oui,  s'écria  le  pasteur  de  cette  même  voix  qui  s'apitoyait,  vous 
êtes  bien,  selon  l'expression  biblique,  «  le  passereau  solitaire  sur  un 
toitl  »  Point  d'épouse,  point  d'enfants,  point  d'amour.  Vousnaimez 
point,  vous  n'êtes  point  aimé.  Vous  ne  savez  point  quel  réconfort  nous 
goûtons  à  sentir  auprès  de  nous  une  affection  vigilante.  Tenez,  monsieur 
le  curé,  un  exemple  :  quand  il  vous  arrive  un  de  ces  mille  petits 
accidents  de  la  vie  quotidienne,  de  glisser  sur  un  parquet  trop  bien 
ciré,  de  vous  abattre  dans  un  escalier,  à  la  suite  d'un  faux  pas,  que 
faites-vous  ? 

—  Ha  foi,  dis-je  simplement,  je  me  ramasse  et  je  geins,  s'il  y  a  lieu. 

—  Ah  !  moi,  reprit  M.  Asseler  avec  une  certaine  candeur,  c'est  une 
autre  affaire  !  Ma  femme  est  là,  dans  la  maison.  Je  la  vois  qui  accourt, 
les  yeux  pleins  d'angoisse,  je  l'entends  qui,  d'une  voix  oppressée  par 
l'émotion,  me  demande:  «T'es-tu  fait  mal,  mon  ami?B  Voilà  des 
joies  que  vous  ne  connaissez  pas  l 

—  Des  joies  !  comme  vous  y  allez  ! 

—  Oui,  des  joies,  dit  M.  Asseler.  Monsieur  le  curé,  vous  allez,  sans 
doute,  rire  de  ma  niaiserie,  mais  je  l'avoue,  parfois  je  souhaiterais 
qu'il  m'arrivât  quelque  accident  bénin,  une  chute,  une  blessure,  une 
avarie  quelconque,  rien  que  pour  juger  de  l'affliction  de  ma  femme 
et  aussi  de  son  affection,  rien  que  pour  être  cajolé  et  dorloté  par  elle, 
rien  que  pour  sentir  ses  mains  douces  passer  maternellement  sur  l'en- 
droit douloureux. 

—  Ah  !  mais,  fls-je,  voilà  de  folles  envies  qui  jamais  ne  me  vien- 
nent !  La  semaine  dernière,  j'ai  dégringolé  trois  marches  de  mon 
escalier.  Prudence,  ma  vieille  servante,  qui  pétrissait  de  la  pâte  dans 
la  cuisine ,  est  accourue  les  manches  retroussées,  les  mains  enfari- 
nées, et  s'est  écriée  :  «  Rien  de  cassé,  au  moins?  »  puis  voyant  que 


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À 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  161 

\  ce  moment,  la  fenêtre  qui  était  éclairée  au  premier  étage  de  la 
>ison  du  pasteur  s'ouvrit  brusquement,  une  forme  blanche  apparut 
dans  le  silence,  une  voix  dit  : 

—  C'est  toi,  Raphaël? 

—  Oui,  ma  chérie,  répondit  M.  Asseler. 

—  Ah  1  reprit  la  voix  où  perçaient  quelques  notes  aigres,  ce  que 
e^t  pourliiat  qu'un  homme  I  Quand  c'est  loin  de  la  maison,  ça  ne 

nm  plus  ;i  rien!  Voilà  qu'il  est  minuit  !  Est  ce  que  .c'est  une  heure 
i>ur  laisser  sa  femme  I  Moi,  je  m'embêle  ici  comme  une  croûte  de 
rtîn  derrière  une  malle  ! 

—  Ty  vais,  j'y  vais,  flt  le  pasteur  d'une  voix  qui  demandait  grâce, 
[mis  se  toLiraant  vers  moi  : 

—  Voici  laa  femme  qui  s'impatiente,  me  dit-il.  Vous  ne  connaissez 
|>ôint  ce^  r'niotions,  monsieur  le  curé.  Vous  êtes  un  vieux  célibataire. 

—  Oui,  fis-je  en  riant,  un  pauvre  passereau,  'pasur  solitarius. 
Nous  nous  séparâmes  après  nous  être  serré  la  main.  Et  lançant  au 

vent  de  la  nuit  les  suprêmes  bouffées  de  mon  cigare  belge  qui  rendait 
le  dernier  soupir,  je  me  dirigeai  vers  le  presbytère  et  j'entrai  allègre- 
ment dans  mon  nid  de  passereau  solitaire.  Jules  Pravieux. 


L'ENFANT   BOERO) 

On  l'avait  ramassé  sur  le  champ  de  bataille. 
Le  flanc  gauche  troué  par  une  affreuse  entaille, 
Il  gisait,  étendu  sur  le  bord  d'un  fossé. 
Ainsi  qu'un  jeune  lis  de  sang  éclaboussé. 
Le  visage  enfoncé  dans  l'herbe  défleurie, 
Il  appuyait  sa  bouche  an  sol  de  sa  patrie. 
C'était  pitié  de  voir  ce  tendre  adolescent. 
Chérubin  au  cœur  d'ange  et  sublime  innocent, 
Endormi  pour  jamais  en  baisant  cette  terre, 
ComijR^  nti  t'ijfîint  s'endort  en  embrassant  sa  mère. 
Quand  Pourn^un  mortel  s'était  jeté  sur  lui, 
Il  avait  un  besoin  de  sentir  un  appui  : 
U  tenait,  (taiis  sa  main  horriblement  crispée, 
•  La  main  d'un  vieillard  mort.  Car  dans  cette  épopée 
Où.  cliantanl  ses  élus,  la  Gloire  au  front  serein 
Fait  résonner  sa  voix  dans  son  clairon  d'airain,  — 
Au  milieu  du  fracas  des  sourdes  canonnades, 
Eoîicmble,  comme  au  temps  des  douces  promenades, 
Graiid-père  e»t  petit-fils,  unis  par  le  Destin, 
Descendeat  dans  la  tombe  en  se  tenant  la  main... 

(1}  Cette  pièce  est  d*^tachée  du  recueil  de  notre  collaboratenr  qui  vient  de  paraître, 
et  doDt  nous  pelons  ptus  loin. 

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REVUE  DU  NIVERNAIS.  1S3 

LA  CATHÉDRALE  DE  FRANCE 

Par  Jean  BAFFIER 

Le  maître  sculpteur  Jean  Baffîer,  qui  se  sert  de  la  plume  commf?  da 
rébauchoir,  avec  la  même  maîtrise,  vient  de  publier,  sous  te  lilrc; 
c  la  Cathédrale  de  France  (i)  »,  une  étude  à  la  glorincation  de  ces 
splendides  documents  façonnés  de  notre  art  national. 

Après  avoir  envisagé  la  cathédrale  au  point  de  vue  purement  artis- 
tique, comme  une  émanation  directe  de  la  terre  de  France,  il  entre 
dans  le  domaine  de  la  philosophie  combative  pour  des  idées  qui  lui 
sont  chères  et  qui  touchent  de  près  aux  graves  questions  qui  agitent  &i 
profondément  notre  époque. 

Quatre  points  sont  étudiés  par  Tartiste  :  1»  Les  destructeurs  d^  la 
cathédrale  ;  2®  ses  détracteurs  ;  3<>  pourquoi  on  a  voulu  la  détruire; 
40  pourquoi  on  Ta  calomniée. 

Nous  ne  pouvons  le  suivre  dans  ses  développements  quiembrassenU 
dans  une  large  vue  d'ensemble,  toute  l'histoire  religieuse  de  la  France, 
mais  nous  en  citerons  quelques  passages  principaux,  qui  fixeront  nm 
lecteurs  sur  les  idées  défendues  par  l'auteur,  idées  qui  puisent  leur 
force  dans  la  tradition  de  race  de  celle  qu'il  appelle  c  l'admirable  terre 
de  Gaule  ». 

t  C'est  bien  la  tradition  celtique,  dit-il,  qui  renaît  au  v«  siècle  do 
notre  ère  avec  la  venue  des  Francs-Saliens,  qui  n'étaient,  comme  nnim 
l'avons  prouvé  précédemment ,  que  des  Gaulois  émigrés  pour  s'affran- 
chir du  joug  romain,  mais  on  sent  quelque  chose  d'amoindri  dans  h 
grande  loi  primitive  qui  a  pourtant  pu  faire  cette  cristallisation  soci^ile 
devenue  la  France  des  provinces  confédérées,  des  communes  franche? 
et  des  corporations  autonomes.  Nous  avons  également  démontré  qim 
les  Gaulois,  restés  à  croupir  sous  le  droit  romain,  quittèrent  cet  onlrn 
de  choses  dissolvant  pour  vivre  sous  la  loi  salique  reconstitua iitt% 
parce  qu'elle  était  en  accord  avec  le  principe  vital  et  naturel  du  pays. 
Le  droit  romain,  comme  le  dit  très  bien  Montesquieu,  «r  fut  seulemcni 
retenu  par  le  clergé  romain  qui  tC avait  pas,  paraît-il,  intérêt  à  changer  n. 

En  face  du  clergé  cosmopolite  et  administratif  romano-byzanliti, 

(1)  Chex  rauteor,  rue  Lebouis,  6,  et  aux  ateliers  de  la  revue  la  Veillée,  rue  P«rçe. 
Tal,  iO^  à  Paris. 


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ii:.M>?aae,  l^gUse  de 

REVim  DU  NIVERNAIS.  415 

Gaule,  la  royauté  de  saint  Louis,  —  la  grande  S^iuraine^  comme  la 
dénomme  Michelet,  —  le  droit  français  enfin,  n'a  plus  qu'un  tout  pelil 
article  dans  cette  fameuse  ordonnance  de  1413,  écrite  par  les  péda* 
gogues  de  l'Université  de  Paris  ©. 

La  Renaissance,  c'est  le  triomphe  de  ces  évéqvics  latins^  dont  les 
ancêtres,  au  iv<^  siècle,  avaient  tenté,  pour  la  première  fois,  au  concile 
de  Sardiqne,  d'asseoir  la  suprématie  du  sit^^e  de  Rome  ^1),  Ce  but  est 
atteint  au  concile  de  Constance,  qui  proclame  ta  cenlralîsatîon  de 
l'Eglise,  supprime  l'autonomie  dos  églises  nationales  et  interdit  l'élec- 
tion des  évèques. 

t  Nos  lecteurs  remarqueront,  dit  Baffier,  que  rUniversité  de  Paris, 
après  le  fameux  concile  de  Constance,  avait  approuvé  Tafisolutisme 
papal.  Elle  se  réjouit  ouvertement  d*.*  l'interdiction  des  élections  locales 
qui  donnaient  des  évêques  ilUtîréH,  des  fih  de  paysans,  den  roiuriers 
groêêiers  et  frustres^  nous  apprend  Michelet.  C'étaient  pourtant  ces 
illettrés,  ces  grossiers  et  frustes  paysans,  ces  va-nu-pieds,  comme 
Pabbé  Suger  et  Maurice  de  Sully,  sortis  de^  i'UtM^s  méprisses ^  ainsi  que 
le  constate  Duiaure,  qui  ont,  de  concert  avec  les  corporatious,  édifié 
nos  splendides  cathédrales  )). 

Nous  terminerons  par  ce  dernier  passage  qui  résume  en  quelque  sorte 
toute  l'étude  :  «  En  même  temps  que  la  centralisation  de  F  Eglise  chré- 
tienne proclame  l'absolutisme  papal,  nous  apercevons  dislinctemcnt, 
dans  Pordonnance  cabochienne  de  1413,  la  ceutraljsntiou  judiciaire, 
financière  et  administrative,  qui  devait  nous  conduire  à  l'absolutisme 
royal  de  François  I",  à  Pautocralie  du  potentat  orienlal  que  fut 
Louis  XIV,  en  attendant  qu'elle  nous  amenât  a  la  ploutocratie 
actuelle  i». 

Par  les  citations  qui  précèdent,  nos  lecteurs  ont  pu  apprécier  com- 
bien, chez  Baffier,  la  phrase  a  de  puissance.  Elle  possède  la  même 
valeur  d'expression  que  sa  sculpture,  et  renrl  la  pensée  par  des  traits 
fermes  et  vivants,  qui  laissent  dans  les  esprits  une  impression  pro- 
fonde et  durable. 

Edouabû  Acuàrd. 

(1)  LccoNTE  DE  Lisle:  Histoire  du  Chriaiianisnie, 


^ 


166 


REVUE  DU  NIVERNAIS 


4 


DOULEUR 

Voir  souffrir  êlait  mon  sappUcft. 

Dans  le  soir  d'hiver  blanc  sous  le  lînceul  de  neige 
Où  les  fantômes  noirs  des  âmes  de  douleur 
S'effacent  dans  la  nuit  en  livide  cortège. 
Toute  Tangoisse  humaine  a  sombré  dans  mon  cœur* 

J'entends  là-bas  des  voix  qui  pleurent  dans  les  plaines, 
Voix  funèbres  des  cœurs  las  d'avoir  trop  souffert, 
Plaintes,  sanglots,  appels,  supplications  vaines 
Qui  s'éteignent  dans  le  silence  et  le  désert, 

...  Oh  !  les  cris  d'orphelins  aux  fébriles  Hétressesî 
Oh  I  les  sombres  soupirs  étouffés  dans  les  pleurs 
Des  petits  qui  n'ont  pas  d'amour  ni  de  caresses 
Et  dont  l'àme  en  éveil  tremble  d'étranges  peurs  ! 

Ohl  la  plainte  de  ceux  traînant  leur  lourde  vie 
Aux  chemins  d'ombre  où  rame  a  saigné  par  lambeau, 
Et  dont  les  jours  morts  sont  des  heures  d'agonie. 
Crépuscules  d'abime  aux  reflets  de  tombeau  I 

Oh  !  rimmense  sanglot  de  l'immense  misère. 
Sanglots  d'êtres  humains  au  regard  inhumain, 
Egarant  au  hasard  leur  miirche  sol  i  la  ire, 
Pâles,  hâves,  tremblants  de  froid,  pleurant  de  faim  1 

Oh  !  le  râle  de  ceux  dont  tout  le  corps  succombe. 
Accablant  de  torpeur  leur  âme  de  martyr  ï 
Oh  !  le  gémissement,  sourd  écho  de  la  tombe. 
Des  mourants  dont  la  mort  est  trop  lente  à  venir  l     * 

..,  Au  loin  la  neige  tombe,  expire  en  larmes  lentes. 
Lentes...  Et  le  vent  froid  se  lamente  tout  bas, 
Et  c'est  la  voix  encor  des  âmes  défaillantes 
Qui  s'élève...  le  vent  est  triste  comme  un  glas. 

Solitude!...  il  fait  froid!...  mon  âme  tremble  et  souffre 
Comme  l'âme  du  Christ  au  janliii  lénéhreux. 
Et  le  cri  des  douleurs  qui  relnmbeiil  au  gouffre 
Monte,  monte,  se  brise  en  sanglots  sous  les  cieux. 

...  Mais  lorsque  sonnera  d'en-haul  la  dernière  heure, 
Une  lueur  enfin  va  dorer  le  ciel  noir  ; 
Le  songe  d'au  delà  berce  l'âme  qui  pleure. 
Et  la  mort,  dans  la  vie,  est  le  suprême  espoir. 

...  Voici  que  les  yeux  pleins  de  larmes  vont  se  clore, 
Et  que,  dans  le  repos  du  mystère  béni. 
Le  soir  d'ombre  s^endort  en  rêve  dlnfîni 
Dans  la  nuit  d'agonie  où  va  jaillir  Taurore... 

FEBlfAKD  fUCIURP. 


I 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  167 

UN  ÉPISODE  DE  LA  FRONDE  EN  NIVERNAIS 
(JUILLET  1652) 

Les  historiens  qui  ont  parié  de  la  Fronde  en  Nivernais  ne  semblent 
point  avoir  précisé  Tépoque  du  passage  des  troupes  aux  environs  de 
Nevers. 

Une  simple  pièce  de  procédure,  rencontrée  dans  le  dépouillement 
des  archives  du  château  des  Bordes,  me  permet  de  le  faire.  C'est  une 
contestation,  survenue  en  1653  entre  Louise  d'Ancienville,  comtesse 
des  Bordes,  et  les  frères  Simoneau,  chargés  de  Tentretien  de  ses  vignes 
de  Boulorge  (commune  de  Varennes-les-Nevers). 

Les  vignerons  prétendent  que  s'ils  n'ont  pu  faire  leur  travail,  cela 
tient  €  à  ce  que  les  gens  de  guerre,  tant  du  régiment  de  Thurennes 
que  de  Son  Altesse  (1  ),  de  cavallerie  et  d'infanterie,  quy  ont  logé  dans 
leur  paroisse  et  aux  environs,  ont  contraint  eulx  et  les  autres  habitans 
des  paroisses  circonvoisines  dhabandonner  leurs  domicilies  pour 
sauver  leurs  vies  et  le  peu  de  bien  qu'ils  auroient  peu  transporter  ». 

Les  mêmes  ouvriers  ajoutent  a  que  les  trois  quarts  des  vignes  des 
paroisses  circonvoisines  ne  seront  faittes  au  moyen  des  logemens  des 
geos  de  guerre  »,  alléguant  d'ailleurs  c  qu'en  raison  de  la  grande  mor- 
talité survenue  en  1652,  ilz  n'ont  peu  trouver  aulcungs  ouvriers  pour 
trayailler  avec  eux  dans  lesdittes  vignes  i». 

La  dame  des  Bordes,  dans  une  requête  adressée  au  bailli  de  Parzy  (2) 
et  Varennes,  expose  c  que  ce  régiment  n'a  pris  son  logement  en  la 
paroisse  de  Fougues  que  sur  la  fin  de  juillet  »  et  que  les  vignerons 
ont  eu  le  temps  de  façonner  ses  vignes.  Elle  conclut  donc  que  l'excuse 
des  gens  de  guerre  n'est  pas  recevable,  puisque  les  travaux  auraient 
pu  être  commencés  avant  leur  arrivée  et  achevés  après  leur  départ. 

Gaston  Gauthier. 


(1)  n  s*agit  évidemment  da  prince  de  Ck>ndé  (chef  de  Tarmée  des  Frondean),  qai 
comlMUait  contre  Turenne,  placé  à  la  télé  des  troupes  royales. 
(f)  Pany,  paroisse  de  Garchizy,  était  alors  un  lief  de  l'évéché  de  Nevers. 


^v^ 


^^^^^ 


i6S  RE%0E  nu  mTBMAlS. 


LE    GRAPHOPHONE 

La  mode  est,  cette  année,  d'avoir  chez  soi  on  gnpbopboiie^  disoes 
pliitAt  un  phonographe,  pour  conserver  à  rinstnunent  sod  nom  pri- 
ixiliit.  —  On  pourrait  bien  dire,  un  jour,  à  travers  les  mes  de  Paris: 
(«  Q{\\  n*a  pas  son  graphophone?  n  comme  on  dit,  comme  oo  a  dit  de 
tout  temps,  sans  doute:  c  Qui  n'a  pas  son  petit  cochon?  » 

Pauvres  petits  cochons  !  Ils  sont  en  sucre,  en  pain  d^épice,  en  car- 
ton, en  argent,  en  or:  quimporte!  ils  portent,  ils  doivent  porter 
bonheur. 

Je  ne  sais  pas  si  le  phonographe  portera  jamais  bonheor,  mais  ce 
que  certainement  je  sais,  c'est  qu'il  est  un  instrument  des  plus  intéres- 
kiiîïU,  des  plus  attrayants,  des  plus  ..  arrêtons-nous  et  disons  que  c'est 
un  appareil  justement  en  vogue. 

Ainsi,  moi  qui  possède  un  phonographe,  je  lis  en  musique,  j'écris 
en  musique,  je  dîne  en  musique,  je  me  promène  en  musique,  parce 
que  j'ai  si  bien  la  musique  dans  la  tête  que  je  chante  ce  que  le  phono- 
graphe m'a  appris,  comme  le  phonographe  chante  ce  que  je  loi 
apprends. 

Et  le  phonographe-réclame  !  Nous  le  trouvons  à  la  porte  des  magi- 
sins,  où  il  attire  la  foule  qui,  sans  bourse  délier,  entend  nos  grands 
artistes  :  Paulus,  Polin,  Ouvrard,  etc...  puis  nos  meilleurs  opéras  et, 
pour  la  jeunesse  aux  pieds  lestes,  il  a  toutes  les  danses  du  jour,  voire 
môme  la  pavane  et  le  menuet.  Que  diraient  nos  ancêtres  s'ils  sortaient 
subitement  de  leurs  demeures  souterraines?  Ne  seraient-ils  pas  juste- 
ment effrayés  de  ces  inventions  nouvelles? 

Je  me  rappelle  que  mon  grand-père  me  parlait  d'une  très  vieille 
tante  qu'il  avait  perdue  étant  tout  jeune  et  qui  disait  sans  cesse  : 
c  Vous  verrez,  vous  verrez,  mes  petits  amis,  il  y  aura  plus  lard  de  bien 
grandes  choses  :  des  voitures  sans  chevaux  et  toutes  sortes  de  mer- 
veilles ».  Nous  sommes  arrivés  à  ce  plus  tard  dont  parlait  mon  arrière- 
grand'tante. 

Les  automobiles  ont  remplacé  les  cabriolets,  le  téléphone  a  mis  le 
monde  entier  en  communication  intime  et  le  phonographe,  quand 


REVUE  DU  NiviSRNAIS.  169 

nous  ne  serons  plus,  redira  à  nos  petits-enfants  ce  que  nous  aurons 
pensé  pour  eux.  Et  voici  ce  que  le  mien  chantera  peut-être  : 


A  m<m  fil». 


L'ENFANT 


n  dort,  sa  bouche  rose  entr*ouverte  au  sourire 
Est  an  chamie  divin  qui  captive  le  cœur, 
Quand  luit  son  doux  regard  tour  à  tour  en  Tadmire, 
On  le  loue  à  Tenvi,  tous  le  fêtent  en  chœur. 

On  sait  qu'il  vient  d'en  haut,  du  céleste  parterre  ; 
Embaumé  de  Tèncens  épandu  dans  les  cieux, 
Blanche  petite  fleur  éclose  pour  la  terre, 
Messager  du  bonheur  qui  rayonne  en  ses  yeux. 

Quand  il  nous  tend  les  bras,  ne  semble-t-il  pas  dire  : 

•  Je  suis  le  pur  rayon  du  soleil  de  Tamour  ; 
Ma  main,  comme  l'éclair  de  l'horizon,  déchire    . 
Le  triste  voile  noir  qui  nous  prive  du  jour. 

•  J'apporte  l'espérance  et  la  paix  et  la  joie, 
Je  promets  un  printemps  éternellement  beau. 
Le  fil  de  votre  vie  est  par  moi  fait  de  soie 

Et  mon  doux  bégaiement  est  comme  un  chant  d'oiseau.  • 

Oui,  l'enfant  est  vraiment  Pange  de  la  famille. 
Avec  lui  le  bonheur  au  foyer  vient  s'asseoir. 
Du  paradis  terrestre,  il  vous  ouvre  la  grille  : 
n  dit  le  jour  riant  et  moins  sombre  le  soir. 

Marie  Chauvet. 


POÉSIE  DE  JEUNESSE 

A  monsieur  Achille  Millien. 

Quand  on  a  bien  souffert,  que  notre  âme  est  de  feu  ! 
Que  nous  n*espérons  plus  ..  on  est  plus  près  de  Dieu  !. 
La  souffrance  nourrit  les  cœurs  forts...  La  Prière 
Allège  la  douleur...  nous  grandit...  on  espère 
Revivre,  après  la  mort,  dans  un  monde  meilleur, 
Réaliser  enfin  le  Rêve  du  Bonheur... 

Victor  Moussy, 


1 


flO  REYVr  DU  NrV6RNàIS>.  ; 

LE   PARNASSE  MODERNE 


POETES  HOLLANDAIS  (Suite) 


WiUem  Jaoobs  Hofdijk. 

(1816-1»»;. 

LA  FIANCÉE  DE  SONNEVELT 

L'if  eDcadrail  la  porte  et  les  arcs  ;  à  foison 
Lés  rubans  paraient  la  verdure; 

L'étendard  tout  brodé  flottait  sur  la  maison, 
Avec  ses  franges  en  bordure. 

Les  serviteurs  jouaient  et  s'ébattaient  entr'eux 

Sur  le  sable,  en  belle  liesse. 
Dans  la  salle  d*honneur  aux  ornements  pompeux, 

S*égayait  Paitière  noblesse. 

En  grand  nombre  assemblés,  les  seigneurs  d'alentour, 

Costumés  d*hermine  et  de  soie, 
Des  noces  au  château  célébraient  Theureux  jour 

Et  festoyaient,  le  cœur  en  joie. 

Des  roses  blanches  dans  ses  cheveux  d'un  ton  cl:iir, 

Des  roses  rouges  sur  sa  joue, 
Se  tient  la  fiancée  assise,  —  cœur  si  fier, 

Rare  beauté  que  chacun  loue. 

Des  perles  s'enchainant  à  travers  les  cheveux. 

Des  yeux  d'où  jaillit  Tétincelle, 
Le  noble  fiancé,  hautain  et  fastueux, 

Galo  Groot,  est  assis  près  d'elle. 

Comme,  au  jardin  fleuri,  la  rosée  au  matin 

Rafraîchit  la  tige  riante, 
S'épandait,  abondant  et  généreux,  le  vin 

Sur  les  fleurs  de  gaîté  bruyante. 

Fifre  et  harpe  sonnaient  Les  ménestrels  en  chœur 

Célébraient  la  gloire  passée. 
Ta  gloire,  à  fiancé,  tes  exploits,  ton  honneur  ; 

Ta  beauté,  noble  fiancée  ! 

Dans  les  jeux  et  les  chants,  dans  le  bruit  incertain 
Dont  tremblait  la  maison  entière, 

Alors  le  fiancé  saisit  la  blanche  main, 
La  main  de  la  riche  héritière. 

Elle-même,  il  la  prit,  l'entoura  de  ses  bras. 
Aux  accents  du  cliœur  qui  délire, 

A  son  oreille  il  dit  un  mot,  uo  mot  tout  bas, 
Avec  un  rire,  étîange  rire. 


RîSVyE  0U  NiYBWîAIS.  lit 

Mais  mit-elle  le  pied  sur  un  crapaiid  ?  Soudain 

Bondissant  vers  lui,  dans  la  salle 
Brusquement  elle  jette  et  Tanneau  de  sa  main 

£t  sa  couronne  nuptiale. 

Et  tandis  que  ses  yeux  dardent  des  traits  de  feu, 

La  pâleur  envahit  sa  joue  ; 
Sa  bouche  se  contracte  et  blêmit  peu  à  peu  ; 

Un  frémissement  la  secoue. 

Son  regard,  tout  chargé  de  haine  et  de  dégoût, 

Sur  Galo  se  fixe  en  outrage, 
Et  voici  que  sa  main  se  lève,  et  tout  à  coup 

Va  frapper  Thomme  en  plein  visage. 

((  Parents,  indiquez-moi  le  couvent  où  j'irai  ; 

Prenez  mes  bienis,  je  vous  les  donne... 
Jamais  avec  ce  rusire,  ah  !  je  ne  partirai  ! 

Que  Dieu  le  nie  et  l'abandonne  I  b 

Tel  est  un  sanglier  blessé,  d'un  geste  prompt 

Lui,  tire  son  couteau  :  «  J'en  jurel 
Pour  m'avoir  osé  faire  un  si  cruel  affront, 

Ton  jeune  sang  paiera  l'injure  !  » 

Mais  voici  que  déjà  les  parents  sont  venus 

A  côté  d'elle  prendre  place. 
Ivres  de  passion,  avec  les  sabres  nus, 

Les  deux  partis  sont  face  à  face. 

Tumulte,  hurlements,  cris  de  rage  !..  ont  cessé 

Les  chants  de  fête  nuptiale. 
Armoires,  tables,  bancs,  tout  gît  là,  renversé. 

Pèle  mêle  à  travers  la  salle. 

En  jurant  des  deux  parts,  chacun  avec  fureur 

Se  précipite,  bondit,  roule  ; 
Plus  rouge  que  le  vin,  dans  un  fracas  d*horreur, 

Le  noble  sang  jaillit  et  coule. 

Sonnevelt  eut  bientôt  jeté  Gale,  écharpé 

Par  son  sabre,  hors  de  la  salle  ; 
Vint  son  frère  Maurice,  en  vengeur;  mais  frappé 

De  même,  il  tomba  sur  la  dalle. 

Ainsi  le  vieux  manoir,  en  ce  jour  décevant, 

Vit  la  fête  expirer  en  drame  : 
La  fiancée  alla  s'enfermer  au  couvent 

Et  le  fiancé  rendit  l'àme. 

Le  mot  qu'il  prononça,  mot  fatal,  mot  d'horreur, 

Nul  n'en  sut  le  secret  intime  ; 
Seule,  elle  put  l'ouïr,  il  resta  dans  son  cœur, 

Noyé  comme  dans  un  abîme. 


tn 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


Staring. 

DÉSIR 

Pourquoi  donc  tardes-tu,  toi  qui  devant  mes  yeux 
Planes  dans  mon  désert,  ange  à  forme  indécise  1 
Pourquoi  donc  tardes-tu,  toi  qui  me  fus  promise 
Par  un  pressentiment  doux  et  mystéiieux  ? 

Abusé,  poursuivant  la  chimère  traîtresse. 
J'étends  les  bras  vers  ton  image  :  elle  me  fuit, 
Recule  devant  moi,  bientôt  s'évanouit, 
Et  je  demeure  seul  en  proie  à  ma  tristesse. 

Pourquoi  tarder?  veux-tu  qu'un  vain  et  fou  désir. 
Comme  un  feu  lent  et  sûr,  consume  ma  jeunesse? 
Ah  1  sonnera-t-elle  enflfi,  cette  heure  de  liesse, 
Où  je  pourrai  vraiment  t'atteindre  et  te  saisir? 

A  toi  mon  cœur  !  avant  que  de  son  mal  suprême 
L'excès  ne  l'ait  brûlé,  guéris,  guéris  mon  cœur  I 
Et  je  boirai  par  toi  I  ivresse  en  la  liqueur 
Du  terrestre  calice  offert  par  ta  main  même  I 


Nicolaas  Beats. 

JOURNÉE  DE  MAI 

Suivant  le  clair  soleil,  le  souffle  de  la  brise 

Passe  à  l'Est  au  Sud  est  fixé. 
Bonnes  gens,  laboureurs,  ce  temps  vous  favorise  ; 

Votre  désir  est  exaucé. 
La  feuille  frêle  sort  du  fin  bourgeon  qui  s'ouvre, 
Déjà  verdit  le  champ  ;  la  semence  le  couvre, 
Et  le  gel  de  la  nuit  ne  la  gênera  pas; 

Salut,  beaux  jours,  adieu,  frimas  ! 

Si  longtemps  s'exhalaient  nos  soupirs  et  nos  plaintes  ! 

A  l'oubli  déjà  nous  criions  ! 
Le  vent  qui  s'attiédit  vient  dissiper  nos  craintes... 

Pensers  qu'aujourd'hui  nous  nions, 
Combien  de  fois,  chez  nous,  plus  d'un  s'est  pris  à  dire  * 
«  Triste  froid,  mauvais  tempsl  9  au  lieu  de  le  maudire, 
N'aurait  il  pas  été  juste  de  le  louer. 

Si  Dieu  voulait  nous  l'allouer  ? 

Et  nous  restons  confus,  et  notre  honte  est  vive  : 
Comment  nous  excuserons-nous  ? 

En  ce  jour  d'allégresse  où  le  printemps  arrive, 
Le  sol  verdoie  et  l'air  est  doux. 

Seigneur,  jette  d'en  haut  un  rejfïard  favorable  ! 
Nous  ne  !  rouvrions  plus  notre  sor(  misérable. 
Et  la  r<>connais-atice  euvplîra  notre  cœur  : 
Daigne  nous  pardonner  Seigneur  1 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  113 


LA  CHANSON  DE  LA  ZAAN 

L*Y  est  large,  la  Zaan  aussi  : 

Qui  veut  naviguer  par  ici  ? 

Les  filles,  semaine  et  dimanche, 

Ont  encor  le  costume  ancien  ; 

Leurs  yeux  sont  bleus,  et  leur  peau  blanche  ; 

Je  les  aime,  les  aime  bien  ! 

L'Y  est  large,  la  Zaan  aussi  : 
Qui  veut  naviguer  par  ici  ? 
On  y  trouve  des  ribambelles 
De  moulins,  des  meuniers  cossus; 
Mais  qui  voit  leurs  Glles  si  belles 
Aux  gros  moulins  ne  pense  plus  ! 

L'Y  est  large,  la  Zaan  aussi  : 

Qui  veut  se  promener  ici  ? 

Y  mangea  des  beignets  Czar  Pierre, 

Sous  son  costume  d'ouvrier  ; 

Le  regret  de  sa  vie  entière, 

C'est  qu'il  eût  dû  s'y  marier  ! 


Jan  Pieter  Heije. 

(1809-1876). 

SOLEIL  DU  SOIR 

Le  soleil  du  soir  baigne  en  sa  clarté  dorée 

Le  sommet  vert  de  la  forêt  ; 
Par  ses  feux,  des  sapins  la  tige  est  effleurée 
Et  l'oblique  rayon  incandescent  parait 
Sur  le  fond  des  troncs  bruns  une  pourpre  fluide. 
Il  glisse  doucement,  mobile  et  radieux. 
Vers  les  mousses  du  sol  il  descend,  comme  avide 
De  s'étendre  et  dormir  sur  ce  tapis  soyeux. 

€  Dors  en  paix,  cher  soleil,  lumière,  notre  vie  !  » 

Ainsi  chante  l'oiseau  des  bois. 
Ainsi  murmurent  l'arbre  et  la  feuille  ravie. 
Vous,  hommes,  qui  savez  et  sentez  à  la  fois 
L'œuvre  de  ce  soleil  dont  le  flot  pur  ruisselle, 
Vous  tairez-vous,  indifférents?...  A  votre  tour, 
A  ces  grâces  de  la  nature  universelle, 
En  ce  calme  du  soir,  mêlez  vos  chants  d'amour. 

TradiLctUm  d' Achille  Miluen, 


I 


LIVRES  ET  PÉRIODIQUES 


Paul  Duvivier  :  Assassins,  —  Le  poète,  —  Paris,  L.  Vannier,  éditeur,  quai  Saint- 
Michel,  19.  —  In-18,  2  fr. 

De  ce  volume  qui  vient  de  parailre,  notre  collaborateur  M.  Paul  Duvivier  a  détaché, 
pour  notre  Revue,  la  belle  page  que  nos  lei^teurs  ont  pu  apprécier  :  L'Enfant  boér, 
Taatps  les  pièces  du  recueil  débordent  de  Tindignatiou  éveillée  dans  le  cœur  de 
l'auteur  par  Tatrooe  guerre  sud-africaine.  11  sonne  le  tocsin^ 

Puisque  règne  aujourd'hui  le  vampire  Angleterre, 
Puisque  sa  griffe  immonde  élreint  toute  la  terre, 
Puisque  sa  gueule  horrible  a  $ur  les  nations 
Mis  sa  ventouse  et  pompe,  avec  les  millions, 
La  Justice,  le  Droit,  la  Liberté,  la  Vie, 
Et  toujoui^  dévorant,  n'est  jamais  assouvie; 
Puisque,  du  sud  au  nord,  du  levant  au  couchant. 
Le  monstre  fait  son  œuvis  et  se  îîorge  de  sang  ; 
Puisque,  de  ses  suçoii-s  inleeU*,  il  boit  la  Chine; 
Qu'accroupi  sur  l'Kgypte,  il  lui  ronge  léchine  ; 
Que,  vautré  sur  rirlande,  il  en  fait  son  engrais  ; 
Puisque,  rivé  sur  l'Inde,  il  la  vide  à  longs  traits  ; 
Puisqu'il  imprime  enfni  sa  puante  morsure 
Au  Transvaal,  qui  meurt  sous  cette  béte  impure... 

L'indignation,  tantôt  cinglante,  tantôt  ironique,  ne  manque  jamais  le  but  Ajoutons 
que  le  fer  de  flèche  est  toujours  ciselé  avec  art.  —  Le  recueil  se  termine  par  un  petit 
drame  en  4ix  scènes,  dont  l'action  se  passe  en  Italie  au  xvi"  siècle,  d'une  inspiration 
très  haute  et  d'une  forme  très  pure. 


Correspondance  intime  du  général  Jean  Hardy\  de  1797  à  1809^  recueillie  par 
son  pelil-fils,  le  général  Hardy  de  Périni.  —  Paris,  Plon-Nourrit  et  C'*,  rue  Garan- 
cière,  8.  —  Un  volume  in- 16,  3  fr  50. 

•  Parmi  les  préjugés  qui  s'attachent  à  l'Histoire,  il  n'y  en  a  pas  de  plus  répanda 
que  cet  axiome  :  la  RL-volulion  française  a  iiufirowsé  ses  soldats  et  ses  généraux.  — 
C'est  la  légende,  cela  plaît  ainsi  à  notre  orgueil  national...  »>.  C'est  ainsi  que  débute 
V avant-propos  de  l'ouvrage  que  nous  annonçons  et  qui  ajoute  une  page  importante 
a  rhisloi^e  HMlitaire-de  la  Révolution  et  du  Consulat.  Jean  Hardy  fut  un  des  géné- 
raux les  plus  remarquables  des  années  victorieuses  de  la  première  République.  Li 
Révolution  le  trouva  fourrier  à  Royal-Monsieur.  11  gagna  à  Valmy  ses  épaulettes  de 


ftRWE  DU  NlTEIWrAÏs.  i 75 

chef  de  bataillon.  ÎI  se  signala  partout:  à  Sambre-et- Meuse,  en  Allemagne,  au  Rhin. 
11  fol  pris  par  les  Anglais  dans  Texpédilion  d'Irlande  et  il  alla  mourir  à  Saint- 
Domingue,  à  quarante  ans.  Il  faut  savoir  gré  à  son  petit-fils^  le  général  Hardy  de 
Périni,  connu  si  avantageusement  par  ses  Batailles  d*autrefoi»y  d'avoir  publié  cette 
correspondance  intime  toute  remplie  de  détails  du  plus  grand  intérêt.  En  la  parcou- 
rant, on  revit  ces  jours  d'épopée  et  on  en  garde  une  impression  bien  plus  exacte 
qu^aprés  la  lecture  de  beaucoup  de  récits  à  plus  hautes  prétentions. 


\  i 


Gaston  Poitevin  :  Chemin  divin,  poésies.  —  Paris,  édition  de  la  Revue  de^ 
Poètes,  rué  Monsieur,  13.  —  In-16,  2  fr.  50. 

Voici  on  rcciMil  tout  plein  de  charmants  vers,  d'une  inspiration  tendre,  douce, 
sincère  et  non  dénuée  d'ailes.  Nous  l'avons  lu  avec  grand  intérêt  et  grand  plaisir. 
Au  hasard  nous  ouvit>ns  le  volume  à  la  page  de  Cendrillon,  et  nous  mettons  cette 
petite  pièce  aous  les  yeux  de  no»  lecteurs  : 

Dans  ses  habits  troués,  près  de  l'âtre  sans  flamme, 
La  pauvre  Cendrillon  veille  seule  au  logis, 
Sans  essuyer  ses  yeux  par  ins  larmes  rougis, 
Sans  pouvoir  surmonter  la  douleur  de  son  âme. 

Les  grillons  familiers  taisent  leur  chant  tremblant, 
Le  silence  profond  fait  l'ombre  plus  épaisse, 
Cendrillon  cependant  du  fond  de  sa  tristesse. 
Espère  encore  et  voit  le  b.il  élincelant. 

Ainsi  l'Humanité,  qui  trouve  sur  sa  route 
Tant  de  jours  assombris  de  tristesse  et  de  doute, 
Ne  se  lasse  jamais  de  son  rêve  ingénu 

Mais  elle  attend,  le  front  courbé  sous  lasouflrance, 

La  Fée  au  doux  regard,  le  Génie  inconnu 

Dont  la  robe  aux  plis  dor  renferme  l'espérance  I 


NOTES  ET  ÉCHOS 


/,  Nos  compatriotes:  sont  promus  colonels  :  du  16*  chasseurs,  M.  du  Pré  de  Saint- 
Maor  ;  du  28*  dragons,  M.  Lavaivre.  —  M  Chavance,  adjoint  principal  à  la  direction 
des  Constructions  navales  à  Guérigny,  est  nommé  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

/,  Nous  applaudissons  au  succès  des  conférences  organisées  par  la  Société  d'Ensei- 
gneo'ent  populaire  de  Nevers.  MM  les  professeurs  Lavault  et  Soudais,  ont  parlé  l'un 
de  Rudgard  Kipling,  poète  et  romancier  de  V Angleterre  impérialiste  ;  l'autre,  de 
V Alcool  et  raicooUsnie.  M.  le  député  Massé  a  choisi  pour  ihème  :  La  vie  de  Michelet, 

.\  9  mars.  —  Décès  à  Auxerre  de  M.  Charles  Martin  de  Chanteloup,  ancien  député 
et  président  du  conseil  général  de  la  Nièvre.  Inhumation  à  Guipy,  le  Ti  mars. 


176 


RfiVtm  W  NIVBRKAIS. 


Avec  le  chapitre  intitulé  :  Un  jwr 
de  paye,  nous  reprendrons  au  pro- 
chain numéro  la  suite  de  intéres- 
sante étude  de  H.  L.-H.  Poossereao, 
sur  les  Houillères  de  La  Machine, 

Pour  rintelllgence  du  dessin  ci- 
contre,  se  reporter  à  la  page  il3  de 
notre  livraison  de  février. 

L.  D. 


Le  Directeur- Gérant, 
Achille  MILLIEN 


AUX  MANŒUVRES 


E  lieutenant  Maurice  d'Arthel  a  la  pré- 
tention d'être  le  maître  dans  son  mé- 
nage, aussi,  malgré  les  instances  de  sa 
femme,  vient-il  de  faire  acte  d'autorité 
en  lui  défendant  de  le  suivre  aux  ma- 
nœuvres d'automne,  Oh  !  ce  n'cst-pas, 
croyez-le  bien,  qu'il  n'eût  été  heureux 
de  trouver  à  une  halte  quelconque,  le 
frais  visage  et  le  radieux  sourire  de  sa 
jolie  Denyse.  Certes,  le  charme  de  sa  femme,  sa  grâce  parfaite,  tout  l'en- 
semble de  son  être  fin  et  délicat,  sont  de  ces  avantages  qu'un  mari 
aime  à  mettre  en  lumière,  et,  pas  plus  qu'un  autre,  il  n'eût  été  insen- 
sible à  ce  petit  sentiment  de  vanité,  concordant  trop  bien,  du  reste, 
avec  UH  autre  sentiment  d'ordre  plus  intime,  si  ses  camarades,  trou- 
vant, comme  le  renard  de  la  fable,  «  les  raisins  trop  verts  »,  ne 
s'étaient  permis  de  souligner  de  certains  sourires  moqueurs  les  allures 
amoureuses  du  jeune  ménage,  ce  qui  piquait  au  vif  l'amour-propre  du 
Ueulenant.  Puis,  il  y  avait  le  colonel,  vieux  garçon  endurci,  qui  décla- 
rait le  mariage  incompatible  avec  le  métier  militaire,  et  qui,  l'année 
précédente,  avait,  dans  une  diatribe  furieuse,  tonné  contre  les  officiers 
de  son  régiment  qui  n'avaient  pas  eu  l'énergie  nécessaire  pour 
empêcher  leurs  femmes  de  suivre  les  manœuvres  c  II  ne  manque  plus, 
avait-il  ajouté,  que  d'y  voir,  l'année  prochaine,  les  enfants  et  leurs 
nourrices.  » 

Aussi,  malgré  les  supplications  de  Denyse,  Maurice  avait  tranché  aet 
la  question  par  un  «  non  »  formel.  «  D'ailleurs,  lui  avait-il  dit  en 

8 


T!liaZ^  t.C 


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REVUE  DU  NIVBRNAIS.  179 

baiser  lut  ferma  la  bouche.  Lequel  d'entre  vous,  Hesneurs,  n'eût  alors 
accordé  complète  absolution  ? 

Si  les  officiers  supérieurs  apprécient  un  dîner  délicat  et  bien  servi, 
beaucoup  d'entre  eux  ne  sont  pas  insensibles  aux  charmes  des  jolies 
femmes;  aussi,  ce  soir-là,  en  quittant  la  table,  s'empressèrent-ils,  après 
une  courte  station  au  fumoir,  d'aller  rejoindre,  dans  le  grand  salon, 
toute  la  partie  féminine  des  invités  que  les  châtelains  de  Saint-H... 
avaient  chez  eux  pour  la  saison  des  chasses. 

Le  lieutenant  d'Arthel,  envoyé  en  députation  par  ces  demoiselles, 
avait  amené  quelques  jeunes  camarades  qui,  malgré  la  fatigue  des 
manœuvres,  ne  reculaient  pas  devant  un  tour  de  valse,  et  peut-être 
aussi  devant  ce  flirt  si  charmant,  sans  lequel  le  mot  plaisir  perd  toute 
signiflcation  pour  la  plupart  des  jeunes  filles  d'aujourd'hui. 

La  gaieté  était  à  son  comble,  le  Champagne  moussait  dans  les 
coupes,  la  jeunesse  dansait  et  babillait,  tandis  que  les  gens  dits  sérieux, 
se  livraient  aux  émotions  de  l'écarté  et  du  baccara. 

Denyse  venait  de  valser  avec  son  mari,  lorsque  la  maltresse  de  la 
maison  l'aborda  en  riant  : 

—  Sais-tu ,  lui  dit-elle ,  quelque  chose  d'amusant  ?  Monseigneur 
qu'on  n'attendait  que  demain  est  arrivé  ce  soir,  surprenant  à  table 
M.  le  Curé  et  le  colonel.  Tu  vois  d'ici  l'embarras  du  bon  prêtre  1 
Heureusement  que  le  colonel,  avec  une  bonne  grâce  parfaite,  a  rendu 
sa  chambre  à  Monseigneur,  et  est  venu  ici  prendre  possession  de  celle 
qui  lui  était  destinée.  La  sachant  encore  libre,  il  a  prié  les  domes- 
tiques de  ne  prévenir  personne  afin  de  nous  éviter  tout  dérangement. 

Denyse  poussa  un  cri  : 

—  Ah  !  mon  Dieu  !  Et  moi  qui  ai  fait  porter  dans  cette  chambre 
éloignée,  qui  devait  rester  inoccupée,  le  berceau  de  Bébé  pour  que  le 
bruit  ne  l'empêche  pas  de  dormir  !  Quelle  surprise  pour  le  colonel  I 
Je  me  demande  comment  Nounou  s'en  est  tirée. 

A  l'exclamation  de  sa  femme,  Maurice  s'était  rapproché,  et  tandis 
que  la  maltresse  de  maison  retournait  vers  ses  hôtes,  tous  les  deux 
partaient  à  la  recherche  de  Bébé.  Je  crois  qu'en  son  for  intérieur,  le 
lieutenant  n'était  pas  satisfait  de  la  situation. 

Us  explorèrent  toutes  les  chambres,  appelèrent  Nounou  sur  tous 
les  tons  ;  mais  nulle  trace  de  celle-ci  ni  de  l'enfant.  Denyse  était 
toate  p&le,  et  son  mari  fort  énervé. 


178  flEVUE  DU  NIVERNAIS. 

matière  de  consolation,  tu  as  Bébé  pour  te  dis^lrai 
sont  vite  passés  » . 

Fier  de  s'être  ainsi  montré,  pour  la  première  foi 
deux  ans  de  mariage,  le  lieutenant,  comme  tout  ïh* 
surmonter  une  grosse  difficulté,  éprouvait  le  besu 
victoire  ;  aussi,  pendant  les  premières  journées  i]v  m 
causant  familièrement  avec  ses  camarades  : 

—  Je  n'ai  pa»  voulu  que  ma  femme  me  suive, 
contraire  i  la  dignité  militaire  ;  d'ailleurs,  je  u*ai  p 
discuter,  elle  s'incline  toujours  devant  ma  volonté 

On  entendait  parfois  un  gros  soupir  répondre  à  ce 
Soupir  d'un  mari  malheureux,  qui,  lui  aussi,  tM  bu 
s'inclinât  devant  sa  volonté  !  Utopie  rêvée  par  tous  ces 

Mais,  je  vous  laisse  à  penser  quels  sourires  moqiieui 
lèvres  de  ces  derniers,  et  quel  nuage  de  contrariété  stu 
lieutenant,  quand,  en  entrant  par  une  belle  journée  de  s 
le  petit  village  de  Saint-M...,  tou'i;  le  régiment  p*it  & 
milieu  des  pampres  de  la  vigne  vierge  qui  enguirlandai     -m^ 
du  château,  la  jolie  tête  blonde  de  Mn^e  d'Arthel. 

Maurice  fut  en  proie  à  deux  sentiments  bien  complexe 
réel  qu'il  ne  pouvait  s'empêcher  d'éprouver  en  voyant  sa 
crainte  des  ennuis  que  sa  venue  allait  lui  attirer  :  revancl 
dont  l'autorité  dans  le  ménage  était  aussi  lettre  morte  ; 
des  jeunes  gens  qui,  n'étant  pas  encore  en  puissance  de  f 
donnent  à  cœur  joie  de  se  moquer  des  autres,  en  attendant 
rende  la  pareille  ;  mais,  surtout,  critique  acerbe  du  gran 
allait  tomber  drue  sur  lui  ! 

Sur  ce  point  du  moins,  il  fut  bientôt  rassuré  ;  le  colonel  i 
s'installer  au  château  qui  devait  recevoir  tous  les  officiers   ^ 

hospitalité  plus  Irauquilie,  Trén  flallr,  le  bon  [u^Un?  mit  â 
âitJon  du  chef  de  corps  la  cbanibre  de  Mon^elgueur,  qu'un 
Justement  le  lendemain  pour  la  cotitlrmation. 

L*>  propriétaire  du  château,  marié  â  unt!  amiedc  petHioriik 
avait  demandé  un  billet  de  logerm^iil  pour  Ui  liinilunaul  dWrlL 

fûtir  la  forme,  Maurice  gronda  sa  femme  de  sa  fullc  équipée, 
*dto  iui  conra:i!Ui  avutr  amené  Bébé  et  53  nourrlœ  ;  4r 


:  iiner  •>    _  •     -    -" 

-^  .  ^ie,s'eL;^-— -  *  • 
\  adre, iIa:^  =  .-.- 
~  '-  ie:>  chài'  ^  ^-    • 

■  — ^*^s. 

-:  --r-iilation  p^  --.  ,-  .  ^  -. 

— ^"Crf  qui,  Dta.  -  -  ;       -  -    - 

'"  i:  m  tour  de  - .  •-  -   -   ^ 
-  -2  t<pielleiii';C;  _  •   *-  • 
~   ^^illesd'auit/irf. . 
-•    e  '^hampagiin  t.   ■        .       • 

- -^i.  tandis  que  le- :-„  .     ^ 

-"t  -i  <la  baccara. 

•  ■  '^-'H  aiari,  lonq-u*.  ^  ^    -  ^  . 

*-n5  ':hose  d'amu>an:"    i  •  ^  -  -. 
■^t  irrité  œ  soir,  Mx-'r-  .-. 

•  "  'S  'flci  Vembarra'i  î  ;  j  -    - 
•^  me  bonne  gràc^  j;^-'.  * 

•  "-  "«-nu  ici  prendre  {n,-^      ^    ^ 
--•Il  mcMre  Ubre/il  a  jr.   ^ 

•"-^  'jn  le  nous  éiiler  U  \\  v-,-  -  -    - 

*  ni  .Ai  fait  porter  dann  •>-:,'     . 

■  -^"i.-^.  le  b^îrceau  de  [>>>  ^   r      . 

■  '^"'  ^luelle  surpr\:i*i  ;)^/»r  r   .      - 
■•'  'M  .'on  est  tirée. 

■•--  Muiirice  s'était  ra{,;,r^'.-   >:   ^ 
'   '-"'irnail  vers  ses  h^^it^.  •»,*:-    *- 
'^''*'>  Tois  qtfen  son  {i>r  t.î^-  '* 
"•  e  .a  situation. 

tMioûrps^  appelèrent  S^î^cvmv  - 
^"'    îft  -elle-d  ni  de  Vcn(;.nt,  f^/a, 
'*  Serre. 


i81 
oiispasde  mon  avis, 

irdait  le  silence,  le 

complète,  même 

naine  prochaine, 

T.  Je  crois  qu'il 

'  grâce  une  per- 

^^n  revanche,  à 

lïips  en  temps, 

lurci  qu'il  soit, 

le  découvrir! 

grands  yeux 

«)  sévère,  lui 

anchement, 

■  ma  guise! 

capitulé  et 

>ire! 

VM. 


¥      i 


182  REVUE   DV  iriTBRNAIS. 


LES  HOUILLERES  DE  LA  MACHINE 

PRÈS  DECIZE  (NIÈVRE)  (SuZ/e). 


II.  —  UN  JOUR  DE  PAYE  A  LA  MACHINE 

La  paye  du  personnel  des  mines  se  fait  le  second  dimanche  de  chaque 
mois,  dans  les  ateliers  de  scierie  et  de  chai  penlerie,  voisins  des 
bureaux  (i). 

Dès  cinq  heures  du  matin,  les  maîtres  mineurs  retirent  du  bureau 
de  la  caisse,  avec  la  feuUle  de  paye  et  les  bulletins  Individuels  de  leurs 
ouvriers  (2),  les  sacs  qui  renferment  le  montant  des  salaires  afférents 
à  leurs  puits. 

Ces  sacs  sont  transportés  aux  ateliers,  et,  tandis  que  maîtres  mineurs 
et  chefs  de  poste  en  vérifient  le  contenu,  l'employé  chargé  de  la  paye 
des  ouvriers  de  l'extérieur  en  fait  autant,  avec  l'aide  de  quelques  chefs 
de  service. 

Puis  sur  de  longues  tables  s'alignent,  dans  Tordre  alphabétique,  des 
centaines  de  petits  bulletins  mentionnant  :  le  nombre  de  journées  de 
chaque  ouvrier,  le  salaire  dû  et,  —  quand  il  y  a  lieu,  —  les  retenues 
pour  loyers,  avances,  outils,  etc.,  ainsi  que  le  reste  à  payer. 

Bientôt  tous  ces  bulletins  sont  couverts  d'or  et  d'argent.  A  sept 
heures  et  demie,  on  sonne  la  paye  et  le  concierge  ouvre  les  grilles  de 
la  cour.  Alors  les  ouvriers,  qui  attendaient  depuis  quelques  minutes, 
entrent  en  foule,  pôle  mêle,  avec  les  trieuses  dont  les  corsages  clairs  et 
les  chapeaux  fleuris  tranchent  pittoresquement  sur  les  paletots  noirs 
des  mineurs  et  les  blouses  bleues  des  charretiers  et  des  manœuvres. 

Oa  voit  ainsi  défiler,  pendant  plus  d'un  quart  d'heure  tout  le 
personnel  des  raines  (3),  qui  pénètre  ensuite,  par  les  portes  grandes 
ouvertes,  dans  les  vastes  ateliers. 


(1)  Depuis  bientôt  deux  ans,  une  seconde  paye,  dite  de  quinzaine,  a  lieu  un  jour  de 
semaine,  à  une  date  Oxée  d'avance.  Elle  se  fait  sur  les  puits  pour  les  mineurs  et  â  U 
oaisse  pour  les  ouvriers  de  rexlérieur. 

(2)  Les  bulletins  des  travaux  collectifs  à  l'entreprise  sont  remis  aux  ouvriers  U 
veille  de  la  paye. 

(3)  A  l'eiceplion  de  celui  des  bureaux,  qui  est  payé,  par  le  chef  comptable,  à  la  Bq 
de  chaque  mois. 


J 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


i83 


La  paye  commence  aussitôt.  Les  maîtres  mineurs  et  les  chefs  de 
poste,  dont  la  voix  doit  dominer  le  bruit  de  la  fouie,  appellent  distinc- 
tement les  ouvriers  de  leurs  puits,  tandis  que  les  employés  de 
l'extérieur  appellent  et  paient  les  ouvriers  des  ateliers,  les  charretiers, 
les  manœuvres  et  les  trieuses  du  Pré-Charpin. 

Chaque  personne  qui  répond  à  l'appel  de  son  nom  se  présente  devant 
le  payeur  :  celui-ci  compte  devant  elle  la  somme  inscrite  au  bulletin  et 
lui  remet  l'un  et  l'autre. 

Les  bulletins  des  ouvriers  absents  sont  mis  de  côté,  et  si,  avant  la 
fin  de  la  paye,  les  retardataires  ne  viennent  point,  on  dépose  leur 
argent  à  la  caisse,  où  ils  peuvent  le  toucher  les  jours  suivants. 

Pendant  la  distribution  des  salaires,  d'autres  employés  émargent  les 
paiements,  sous  la  surveillance  des  comptables  chargés  de  dresser  les 
états  de  paye.  Ce  système  commode  et  rapide,  évite  toute  erreur  de 
compte  ou  même  de  personne,  les  chefs  de  service  Connaissant  bien  les 
ouvriers  qu'ils  appellent.  Aussi,  la  foule,  qui,  au  début,  se  pressait 
devant  les  tables  chargées  d'argent,  diminue-t-elle  assez  vite  ;  bientôt 
il  ne  reste  plus  à  solder  que  les  retardataires  qui,  disons-le,  sont 
généralement  les  mêmes,  et,  à  huit  heures  et  demie,  la  paye  est 
terminée. 

Toutefois,  peu  d'ouvriers  emportent  intégralement  chez  eux  le  salaire 
reçu,  car,  à  peine  sortis  des  ateliers,  on  les  voit  former  de  petits 
groupes  et  chercher  dans  leurs  poches. 

Ici,  ce  sont  les  piqueurs  qui  versent  0  fr.  50  aux  charretiers  (1), 
transportant  chaque  jour  à  la  forge  les  pics  à  réparer  ;  et  rien  n'est 
plus  curieux  que  ces  comptables  d'une  heure  installés  dans  la  cour,  à 
l'extrémité  d'une  planche  ou  sur  une  plaque  de  fer. 

Plus  loin,  les  mineurs  vont  payer  leur  cotisation  à  une  société  de 
prévoyance  établie  entre  eux  et  qui  alloue  2  fr.  par  jour  aux  ouvriers 
blessés  dans  la  mine. 

Puis,  chacun  sort  de  la  cour,  non  sans  distribuer,  à  droite  et  à 
gauche,  des  sous  aux  aveugles  et  aux  infirmes,  —  du  pays  ou  des 
communes  environnantes,  —  qui  font  la  haie  sur  le  passage  des 
ouvriers. 


(1)  Ces  chari'etiers  sont  ordinairement  d'anciens  mineurs  reiraités  par  la  Com- 
pagnie. 


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:  "    ::iH  petite  pa'b< 

^     .    •■  !^.  Réan^par 

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.    .;r    *  entreprise  da 

.^    >'    :v  ooQtinuerfe 

...  ::'S  s'attablent 
•      -  -    iprès  qatM 

♦*     .  V*  «10  centre 

•  : ..-   •-»(*  ^5^  bordée 

"    '-::•"  iies^  pendant 

-     -  iu-i;ers  am- 

•    •  : '.  î»v,-*uit:e5  mol- 
li   iXwii  ->  ;    iirs  à  la 


REVUE  DU  NIVËRJVAXS. 


185' 


carabine^  blanqucs  ou  loleries,  musées  mécaniques^  Sûinnambules, 
haiaiiroires,  chevaux  de  bois,  où  quelques  jeuoes  filles  et  de  nombreux 
eofaûU  tournent  aux  sons  d'un  orgue  de  Barbarie. 

Les  femmes  proniienl  plaisir  à  slalionner  sur  la  place  ou  à  se  pro- 
mener dans  la  rue;  les  hommes  préforent  enlror  au  caft!'  pour  boire  de 
la  bière  en  jouanl  aux  caries  ou  au  billard. 

Quant  aux  jeunes  gens,  Ih  se  rendent  aux  bals  publics  où,  —  ciga- 
rette â  la  bouche  et  chapeau  en  arrière,  —  ils  dansent  toute  la 
miréty  avec  les  trieuses  qui,  fraîches  et  parées,  se  livrent  avec  ardeur 
à  c^  plaisir,  cher  aux  Macbinois, 

Vers  sept  heures,  chacun  rentre  chez  soi  pour  prendre  le  repas  du 
soir*  Vm  heure  après»  environ,  la  jenuesse  est  de  nouveau  réunie  au 
haï,  et  plus  d'une  maman,  qui  a  accomp^ii^nè  sa  fille,  est  lieureuse  de 
ift  voir  prendre  plaisir  â  un  divertissement  qui  lui  rappelle  souvent  â 
elle-même  d'agréables  sanvenirs* 

IH  nombreuses  familles  se  rendent  à  nouveau  sur  la  place  du 
Marcbis  toute  resplendissante,  à  celte  heure,  des  lumières  des  lorains 
el  des  chevaux  de  bois  ;  d'autres  s'acheminent  vers  les  cafés-concerts, 
tandis  que  certains  mineurs  retournent  au  caftl  achever  la  partie 
commencée  avant  dîner. 

Nulle  part,  cependant,  on  ne  s'aiUrde  trop,  car  lu  lenden^în  il 
faudra  se  lever  de  bonne  heure  pour  reprendre  le  travail  haïûluel  ; 
aiiâsi,  avant  minuit,  tout  le  personnel  d*.^  la  houUlérc  a  qultlè  les 
aoiasements  de  la  journée  pour  aller  se  reposer. 

fA  rnivrc).  L.-M.  Pûusskreaii* 


SUR  UN  AIR  ANCIEN 

Aîme-moî,  la  belle. 
Et  je  t'aimerai. 
Tu  seras  fidèle. 
Et  je  le  serai. 

Le  temps  est  bas,  le  ciel  est  p'îs, 

Mais  le  jour  n'a  point  de  Irisli-sae^ 

Je  t'ai  vue  et  tu  m*as  smui, 

El  depuis  tout  n'est  qu'allL^gj-esse, 

Et  daus  Uïon  cœur  que  rien  n^ippresse 

C'est  comme  un  printemps  relie  mi. 


186  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Je  t'attendais  depuis  longtemps, 
C'est  toi  que  rêvait  ma  jeunesse, 
Vers  toi  s\n  vont  depuis  dix  ans 
Toute  ma  joie  et  ma  tristesse, 
Toute  ma  confuse  tendresse 
Montait  vers  toi  cliaque  printemps. 

Pour  toi,  je  me  voulais  meilleur, 
Je  voulais  mon  âme  plus  haute. 
Souvent  j'ai  chassé  de  mon  cœur 
Le  mal  qui  revient  quand  on  Tôte, 
Et  j'ai  pleuré  sur  chaque  faute. 
Quand  je  songeais  à  toi,  ma  sœur  I 

Car  pas  un  jour  je  n'ai  douté 
Que  toi,  tu  passais  sans  faiblesse 
Devant  tout  ce  qui  m'a  coûté 
Tant  de  remords,  tant  de  détresse. 
Ah  !  dans  ce  cœur  trop  faible,  laisse 
Tomber  un  peu  de  ta  bonté. 

Sois  mon  appui,  sois  mon  soutien,  — 

C'est  mon  cœur  qui  te  parle,  —  écoute. 

Puis,  réponds  !  Alontre-Iui  le  bien, 

Que  ta  voix  dissipe  le  doute 

Et  qu'elle  guide  sur  la  route 

Ce  cœur  qui,  maintenant,  est  tien  ! 

Comme  Ton  voit  dans  Pâtre  noir 
Jaillir  soudain  la  flamme  claire. 
Le  jour  où  tu  viendras  t'asseoir 
Devant  mon  foyer  solitaire. 
Je  croirai  voir  une  lumière 
Chasser  les  ténèbres  du  soir. 

Une  caresse  de  ta  main. 

Un  regard  même,  une  parole, 

Me  feront  plus  doux  le  chemin  ; 

Tu  seras  celle  qui  console, 

Et  comme  un  oiseau  qui  s'envole. 

Fuira  devant  toi  le  chagrin. 

Pour  un  baiser  sur  tes  cheveux. 
Pour  un  mot  dit  de  ta  voix  chère, 
Pour  un  sourire  de  tes  yeux. 
Dis-moi,  belle,  que  fautMl  faire? 
Je  ferai  tout,  je  veux  te  plaire. 
Dis  seulement  ce  que  tu  veux. 

Aime-moi,  la  belle, 
Et  je  t'aimerai  ; 
Tu  seras  fidèle, 
Et  je  le  serai. 

Lucien  Abel. 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


187 


CRITIQUE  SUR  LA  MODE 


Cl  Pour  juger  d'une  société,  il  suffit 
»  presque  de  voir  son  costume,  ce  fidèle 
»  interprète  des  habitudes  du  corps,  qui 
»  reflètent  toujours  celles  de  l'esprit. 

•  Henri  Martin  •. 


c  Une  chose  folle  et  qui  découvre  bien  notre  petitesse,  c'est  l'assu- 
jetissement  aux  modes  quand  on  l'étend  à  ce  qui  concerne  le  goût, 
le  vivre,  la  santé  et  la  conscience  ». 

Cette  impression  d'un  écrivain  du  dix-septième  siècle  fait  présumer 
quelle  portée  elle  aurait  eue  dans  le  nôtre  si  ce  même  écrivain  y  eût 
vécu. 

En  effet,  si  Labruyère,  vivant  dans  un  siècle  fastueux  où  le  costume 
ajoutait  de  la  majesté  aux  personnages,  trouvait  encore  folie  de 
dépendre  servilement  de  la  Mode,  que  n'aurait-il  pas  dit  à  l'heure 
présente  où  l'élégance  du  costume  est  depuis  longtemps  tronquée  des 
pieds  à  la  tète  ? 

Au  bal,  les  cavaliers  ressemblent  à  des  croque-morts,  on  dirait 
d'un  enterrement  :  habit  noir  coupé  vers  les  hanches,  de  façon  à  faire 
croire  que  le  tailleur  a  oublié  un  morceau  de  drap,  pantalon  noir 
faisant  Toffice  de  fourreau,  ou  de  sac  suivant  l'époque,  mais  en 
revanche,  cravate  et  gilet  d'une  blancheur  de  neige.  Noir  sur  blanc, 
blanc  sur  noir,  que  vous  en  semble  ?  Ou  plutôt  sans  attendre  votre 
réponse,  voici  une  comparaison  : 

Transportez-vous  dans  une  église  le  jour  d'un  service  funèbre,  jetez 
un  coup  d'œil  silr  les  deux  couleurs  dont  nous  venons  de  vous  parler, 
et  qui  composent  ce  triste  apparat,  eh  bien?  du  bal  aux  funérailles  que- 
trouvez-vous  de  changé  ?  presque  rien  ;  la  perte  d'une  personne  qui 
vous  était  chère  n'a  fait  qu'ajouter  un  crêpe  de  plus. 

Revenons  de  l'église  au  sujet.  Nous  nous  imaginons  que  si  un  de 
nos  aïeux  surgissait  tout  à  coup  au  milieu  de  nos  fêtes,  il  en  serait 
stupéfait  :  c  Comment,  dirait-il ,  une  telle  mode  a-t-elle  pu  s'im- 
planter? Par  quel  cataclysme  cette  nouvelle  génération  a-t-elle  passé? 
car  ils  ne  sont  plus  habillés,  ils  ne  sont  que  velus  ». 

Nous  n'avons  pas  encore  parlé  du  chapeau  «  éteignoir  de  l'élé- 
gance »,  a  dit  spirituellement  Edmond  Texier,  coiffure  aussi  lourde, 


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Ir^irrv'  f*'^^  '^''  "'  '''  ''''^'  ^''  ''  ''''"'  '''  ''*  '»'''"'^»  '*^  ^''^^^  a-l-elle  pas  dit  ?  » 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


189 


Chez  la  femme,  la  Mode  est  une  véritable  suggestion.  Remarquons 
cependant  que  la  femme,  quoique  suivant  parfois  une  mode  extrava- 
gante, n'est  pourtant  jamais  descendue  à  ce  degré  d'infériorité,  que  de 
prendre  pour  modèle  l'antipode  du  Beau  ;  le  goût,  en  général,  faisant 
partie  de  ses  qualités.  Chez  les  femmes,  c'est  relevé  par  les  couleurs 
variées,  par  des  détails  de  toilette,  elle  est  plus  ou  moins  artiste,  parce 
qu'elle  cherche  à  plaire.  Enfin  la  femme  est  habillée,  tandis  que  l'homme 
n'est  que  vôlu.  Toutefois,  les  femmes  ne  sont  pas  dégagées  des  liens 
qui  les  enchaînent  mystérieusement  à  la  Mode,  divinité  capricieuse  Bt 
pourtant  si  routinière  parfois,  au  point  que  les  plus  laides  durent  le 
plus  longtemps. 

Sous  le  second  Empire,  la  crinoline,  que  des  marchands  sans  ver- 
gogne ont  appelée  «  cage  en  fer  )!>,  a  voulu  suivre  la  grenouille  de  la 
fable,  dût  cette  imitation  la  faire  ressembler  à  une  cloche.  Ces  extra- 
vagances ridicules,  furent,  paraît-il,  de  tous  les  temps.  Montaigne  écrit  : 
c  La  Mode,  pour  le  Français,  est  une  manie  qui  lui  tourneboule  l'en- 
tendement, et  il  n'y  a  si  fin  entre  nou>:  qui  ne  se  laisse  embabouiner 
par  elle,  et  esblouir  tant  les  yeux  inlernes,  que  le;^  externes,  insensi- 
blement ». 

Citons  les  aperçus  judicieux  de  India  : 

c  Quel  contraste  saisissant  entre  la  toilette  des  hommes  et  celle  des 
femmes.  Ces  vêtements  sombres,  d'une  coupe  désagréable,  bien  faite 
pour  signaler  les  défauts  de  la  statuaire  moderne  ;  ce  linge  raidi,  dont 
le  blanc  éclatant  donne  aux  visages  une  teinte  verdàtrc,  s'ils  sont 
pâles,  ou  une  teinte  cramoisie,  s'ils  sont  colorés  ;  ce  tube  qui  n'a  ni 
commencement  ni  fin,  n'abritant  pas  du  soleil,  ne  préservant  pas  du 
froid  ;  en  un  mot,  ce  costume  de  pompes  funèbres  fait  le  plus  piètre 
effet  à  côté  de  la  recherche  et  de  l'élégance  raffinée  du  costume* 
féminin.  Si  quelques  hommes,  voulant  enjoliver  l'horrible  plastron 
blanc,  y  posent  des  pierres  précieuses  ou  des  gourmettes  enrichies  de 
gemmes  brillantes,  on  dit  en  voyant  ces  hommes  :  «  Ce  sont  dos  rastas  ». 
Cette  perle  du  plastron,  fùt-elle  destinée  à  Cléopâlre,  est  de  mauvais 
ton,  et  fait  ressortir  la  pauvreté  sinistre  du  reste  du  costume  Ou 
cherche  à  transformer  le  costume  masculin  et  Ton  veut  s'inspirer  des 
modes  qui  parurent  au  commencement  du  dix-neuvième  siècle,  je  n'y 
vois  pas  d'inconvénient. 

»  Peut-être  que  la  culotte  claire,  le  gilet  à  revers,  la  chemise  à  jabot. 


100  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

r«mpl6  cravate  artistement  chiffonnée  autour  du  cou,  ia  redingote  de 
couleur  harmonieuse,auraient  une  bonne  influence  sur  Thumeur  du  sexe, 
»oi<*disant  fort,  et  que  cette  galanterie  du  bouton,  qu'ont  appréciée  dos 
grand*mères,  ne  serait  plus  à  Tétat  de  fossile  comme  aujourd'hui. 
Pour  moi,  qui  suis  née  bonne,  je  comprends,  sans  l'approuver,  le 
manque  de  courtoisie  de  la  gent  masculine  qui  nous  coudoie.  Comment 
«'incliner  devant  une  femme,  quant  on  porte  un  col  carcan  qui  vous 
fait  une  tète  raide  et  congestionnée.  Comment  être  aimable,  sourire, 
faire  des  grâces,  alors  que  le  moindre  mouvement  casse  le  plastron,  et 
que  d'avance  on  entend  la  femme,  qui  de  retour  au  logis,  vous  dira  d'un 
Ion  aigre  et  menaçant  :  «  D'où  viens-tu  avec  ce  plastron  chiffonné?  » 

»  Si  donc  on  votait  pour  la  transformation  du  costume  masculin,  je 
crois  que  tous  tes  hommes,  en  général,  n'en  seraient  pas  plus  fâchés 
que  nous.  Mais  c'est  à  qui  commencera  !  » 

Nous  applaudissons  à  ce  vœu.  Ainsi  soit-il  ! 

Nous  avons  tenu  à  citer  le  passage  tout  entier,  qui  donne  des  détails 
Importants,  mieux  que  nous  n'aurions  su  le  faire. 

Depuis  la  Révolution,  qui  a  fait  table  rase  de  tout,  l'Angleterre  est- 
elle  venue  s'imposer  chez  nous,  ou  si  la  France  est  allée  chercher  ses 
coutumes,  mais  nous  nous  trouvons  avoir  singulièrement  copié  nos 
voisins. 

Le  faux-col  droit,  qui  tend  à  disparaître,  contribuait  à  composer 
cette  désinvolture  guindée,  anglaise  ;  la  raie  au  milieu  du  front  (qui 
devrait  être,  au  contraire,  suivie  exclusivement  par  la  femme);  le  mor- 
ceau de  verre  dans  le  coin  de  l'œil,  fixé  difficilement,  en  grimaçant, 
tout  donnait  à  Thommc  une  rigidité  soldatesque,  peu  conforme  à 
l'entourage  féminin,  la  plus  ravissante  conception  de  la  nature.  Les 
cheveux  plats,  pommadés,  finissaient  le  tableau.  Ah  !  nous  voici  aux 
cheveux,  mesdames;  parlons  des  vôtres  aussi,  il  n'est  pas  bon  de  vous 
flatter  toujours,  vous  avez  besoin  de  vérités;  d'ailleurs  :  t  Qui  aime 
bien  châtie  bien  !  i>  Comment  avez-vous  pu,  depuis  longtemps,  adopter 
l'arrangement  présent  de  vos  cheveux  bouffants,  qui  vous  cachent  la 
moitié  du  front  :  t  Le  front  est  ce  qu'il  y  a  de  plus  prophétique  •. 
(Balzac). 

La  mère  des  Machabées  disait  à  ses  fils  ;  «  Le  front  c'est  pour  regar- 
der le  ciel  ».  —  Vous  ne  voulez  donc  regarder  que  la  terre  ? 

Le  front  couvert  de  cheveux  est  une  laideur. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  fOl 

Recherchez  donc  ce  qui  sied  à  votre  tôtc,  n  irailex  pas  servilemcDt 
la  Mode,  créez  de  vous  même. 

Qu'est-ce  que  la  Mode  ? 

Qui  la  fait?...  Quelquefois  une  dame  de  haut  rang,  ou  une  courti- 
sane posée,  qui  roule  carosse,  ou  bien  pour  cacher  une  imperfection 
de  souveraine...  Imaginez-vous,  belle  moitié  du  monde,  qui  jouez,  dans 
la  société,  un  grand  rôle  latent,  ce  que  deviendraient  le»  Vierge»  divines 
de  Raphaël  si  elles  étaient  déparées  de  vos  cheveux  houffanis  écrasant 
le  front.  On  n'y  croirait  pas,  on  ne  les  admirerait  plus. 

Qu'on  se  souvienne  de  la  réponse  faite  à  la  femme  d'un  monarque, 
qui,  revenant  de  voyage  à  Paris,  demanda  ce  qui  se  portail  à  la  cour  : 
t  Reine!  i  lui  dit  une  dame  d'honneur,  rnites  à  votre  goût,  et  croyex 
bien  qu'on  s'empressera  de  l'imiter».  Ce  qu'elle  Ct.  Aussitôt  les  femmes 
de  suivre  son  exemple. 

Pourquoi  n'agiriez-vous  pas  ainsi,  de  votre  propre  élan  ?  On  finirait, 
à  coup  sûr,  pour  les  deux  sexes,  par  retrouver  le  vrai  caractùre  national, 
égaré  dans  le  scrvilisme  et  la  singerie. 

Osons  espérer  qu'une  rénovation  se  fera  dans  le  goût  frangais.  A  qui 
devons-nous  cette  stabilité  dans  l'ordre  vesltmenlal?  Est-ce  aux 
tailleurs  et  chapeliers  qui  ne  sont  pas  des  artistes,  ou  bien  à  cet  ascen- 
dant mystérieux  qui  gouverne  les  mondes,  malgré  eux.  Quoi  qu^il  en 
soit,  cette  mode,  c'est  à-dire  usage  passager,  siihsistc  en  dépil  do 
Télégance,  depuis  un  siècle,  modlHée,  il  est  vrai,  mais  comment  ?  que 
le  pan  de  l'habit,  de  cet  habitué  soit  court  ou  long,  que  ies  manches 
forment  ou  non  le  gigot,  que  les  bords  du  chapeau  soient  plats  ou 
arqués,  que  le  tronçon  soit  de  ligne  perpendiculaire,  ou  évasé  dans  le 
haut,  assurément  rien  ne  sera  changé  à  iVnsemlile  du  costume. 

Il  faut  une  réforme  complète,  radicale.  Vuici  Taurore  du  vingtième 
siècle  !  Réformateurs  à  l'œuvre  I 

Si  le  costume  a  dépeint  le  caractère,  les  mœurs  d'une  époque,  quel 
jugement  doit-on  porter  sur  le  nôtre  ?  Alfred  du  Musset  s'écrie  dans  ses 
CanfemoM  : 

€  Qu'on  ne  s'y  trompe  pas,  ce  vêlement  noir  que  portent  les 
hommes  de  notre  temps  est  un  symbole  ten  ihle  ;  pour  en  venir  là,  il 
a  fallu  que  les  armures  tombassent  pièce  à  pièce,  et  les  broderies  fleur 
à  Heur;  c'est  la  raison  humaine  qui  a  renversé  lou tes  les  illusions, 
mais  elle  porte  en  elle-même  le  deuil,  alia  qu^on  la  console  *. 


u.     -^  .es 


*-__  .  i'    X    .1 ..-     _ -tir*"!  i*i«?» 

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'    _-"•  ^Tiii*  >  or  M 
z^u.ixziji'zut  it  ie  la 


oiaiL-miit:  * 

corset  :  «  In^inz:.-:  _    .j^r»  •. 

Elle  a  5«)*::tr!::i  c  r:e  c  :.r^.:  r:ri  iz  ~  '..iiir^i  h^fTrîlzeileIIleIlt  anti- 
hv!:i''n:'ri^^  3i.ir'i:ii*^  i  re  Tr'--:.2.  ru  -n"-.-  tt»-  ec  cccprinie  ks 
.  .  !  les  pi  ;s  :::n«'-.r:::-  i-  '-  •:  i^^.  riU  rri.a.e  ea  dedans  les 
i'itiq  I  '(  .sixd"m>r?<  ■  •-• *.  zr,^.*7\*-  i»-  r  .:_i»:î  r^îrat:»ires,  rircu- 
IjIih.  et  di^e-lifs,  d-f  r^e  v  f..i»r  ec  le  r:Li.  dTvd'ifpe  ranêmte,  la 
rlih^t    r;,  les  cfjaai  d*-it.:.;ai:,  d.îit  cZ-:*  ie  fLiI^enl  soareiiL  Elle 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  193 

préconise  de  le  remplacer  par  une  brassière  en  toile  forte,  ajustée  à  la 
taille,  descendant  seulement  jusqu'à  la  ceinture  ». 

On  peut  ajouter  que  le  corset,  loin  de  donner  de  la  grâce  à  la  femme, 
lui  en  àte,  puisque  son  buste,  emprisonné  dans  une  cuirasse,  n'a  plus 
la  Hexibilité  dans  tes  inflexions  en  rapport  avec  sa  souplesse  gracieuse 
habitueUe. 

Un  plaisaat  a  dit  un  jour  : 

t  Le  corset  contient  les  Forts,  soutient  les  Faibles  et  ramène  les 
Egarés  B. 
La  chaussure  féminine  mériterait  un  chapitre. 
A  Parîs^  un  cordonnier  expert  nous  disait  : 

f  Ma  spécialité  est  de  redresser,  de  corriger  les  pieds  de  femmes 
eontournéSf  déformés,  soit  par  l'emploi  de  bottines  trop  petites,  ou 
par  la  mode  du  talon  Louis  XV,  le  pire  des  talons  ». 

Voici  que  les  rayons  Rœntgen  viennent  à  révéler  les  déformations 
ayant  pour  cause  le  port  du  corset.  On  dit  que  la  jeune  reine  de  Por- 
tugal, ft  qui  s'intéresse  à  toutes  les  inventions  et  les  comprend  vite  », 
i>st  plu  à  photographier  les  dames  de  la  cour  et  A  reproduire  les 
parties  principales  tle  leur  squelette.  Il  n'y  eut  qu'un  cri  stupéfiant 
après  ces  divulgations  désolantes  : 

t  A  bas  le  corset  1  » 

Depuis  ce  temps,  les  élégantes  Portugaises  ont  supprimé  «  l'instru- 
ment de  torture  >. 

Et  nunc  enidimini! 

Victor  Moussy. 

Férrier  1901, 


RAYONS  DE  LUNE 

La  nuit  s'étend  au  loin  et  la  lune  blafarde 
Comme  un  triste  exilé,  muette,  nous  regarde! 
Et  tout  en  éclairant  de  ses  ombres  les  nuits, 
Semble  une  sentinelle  attentive  à  nos  bruits  ! 
Oue  de  fois  j'ai  cherche  celte  sœur  du  mystère  ! 
Que  de  fois  mes  regards,  sélevant  de  la  terre, 
Semblaient  Ini  demander  si  son  fatal  secret 
Pesait  toujours  sur  elle,  ainsi  qu'un  long  regret? 


194  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Si  ees  volcans  éteints,  si  ces  mers  sans  navire. 
Terre  sans  habitants  et  printemps  sans  sourire, 
No  l'emplissaient  d'horreur,  ainsi  que  fait  la  mort? 
Jamais  elle  n'a  dit  :  c  II  faut  pleurer  mon  sort  I  » 
J'ai  perdu  tout  à  coup  le  mouvement,  la  vie, 
La  rose  desséchée,  en  un  instant  ravie, 
A  laissé  ses  parfums,  le  soleil  sa  chaleur!... 
Et  jamais  en  ces  lieux  ne  vient  l'oiseau  chanteur  I 
Plus  rien  autour  de  moi,  que  Tombre  et  le  silence  ! 
Si  je  suis  quelque  chose  en  cet  éther  immense. 
Je  ne  suis  qu'un  éclair,  animant  l'horizon, 
Et  si  je  suis  encor  —  c'est  ma  seule  raison  !... 
Vous  êtes  sur  les  flots  et  je  suis  votre  phare, 
Ma  pâleur  vous  attire  et  le  Seigneur  m'en  pare 
Pour  embellir  vos  nuits,  et  vous  montrer  aux  cieux 
Un  satellite  éteint  et  qui  brille  à  vos  yeux. 

Eugénie  Casanova. 


LE  TIRAGE  AU  SORT  DANS  LA  NIÈVRE 
A  SON  ORIGINE 

Il  n'est  pas  un  citoyen  que  n'intéressent  les  opérations  du  tirage  an 
sort  ;  on  nous  saura  gré,  peut  être,  de  rappeler  ce  que  fut,  à  son  ori- 
gine, cette  institution  dans  notre  département. 

La  conscription,  on  le  sait,  date  de  la  Révolution  française;  le  Gou- 
vernement recourut  à  ce  mode  de  recrutement  militaire  quand,  le  feu 
des  enrôlements  volontaires  éteint  cl  le  nombre  des  soldats  insuffisant, 
la  France  fut  sur  le  point  d'être  envahie  par  les  armées  étrangères. 

A  cette  époque,  le  contingent  annuel  était  fixé  par  l'administration 
départementale  ;  et  le  tirage  au  sort,  qui  avait  lieu  dans  chaque  loca- 
lité, se  faisait  généralement  sur  la  place  publique,  quelquefois  même 
dans  l'église,  devenue  alors  la  maison  commune. 

Aussi,  en  1793,  voyons  nous,  à  Beaumont-la-Ferrière,  le  curé 
Balandreau,  prêtre  assermenté,  officier  public  et  membre  secrélaire 
du  conseil  général  de  la  commune,  présider  le  tirage  au  sort. 

Il  rassemble  les  jeunes  citoyens  au  son  du  tambour  et  leur  expose, 
«  avec  les  sentiments  d'un  vrai  républicain,  le  besoin  qu'a  la  Répu- 
blique d'hommes  courageux  et  patriotes  ».  —  Puis  s'adressant  aux 


REVUE  DU  NIVERNAIS, 


W5 


membres  présents:  «  Citoyens,  magislrals  du  peuple,  s'écrîe-t'îl,  je  ne 
vous  amène  point  des  esclaves,  mais  des  sans-culottes,  qui  n'aspirent 
qu'au  moment  de  voler  au  seeoui^s  de  la  patrie  I  » 

Avant  d'examiner  si  ce  patriotisme  étaîl  aussi  réel  qu'appareut» 
relatons  la  curieuse  manière  dont  on  recrut<iit  alors  les  défenseurs  de 
la  patrie.  C'est  le  15  fructidor  an  X;  nous  somoies  à  Beauinont,  dont  le 
contingent  est,  cette  année  là,  ((  fixé  à  un  fiomme  »  Le  conseil  ayant 
décidé  que  les  neuf  jeunes  gens  inscrits  tireront  au  sort,  on  prépare 
huit  billets  blancs^  plus  un  Hoh%  sur  lequel  on  inscrit  ces  mots: 
c  Conscrit  en  activité  de  service  », 

On  dépose  les  neuf  billets  dans  un  chapeau,  qu'un  menitire  du 
conseil  tient  ^^v^  ((  pour  éviter  tout  abus»,  et  ces  billets  sont  tirés 
successivement  par  le  (Ils  du  juge  de  paix,  un  enfant  de  sept  ans. 

A  l'appel  de  leur  nom,  quatre  jeunes  gens  se  présentent,  et  le  cin- 
quième ayant  mis  la  main  sur  le  hilîeî  noir  est  proclamé  conscrit  de  h 
commune,  ce  qui,  d'ailleurs,  termine  l'opération. 

Tout  porte  à  croire  qu'on  agissail  de  nu^me  d;>ns  les  antres  localités 
de  la  Nièvre;  cependant,  mal  g  j'é  les  garanties  dont  on  Tentourait,  ta 
conscription  subit  le  sort  de  toute  toi  nouvelle  t;i  ne  satisfit  point 
alors  la  majorité  des  Nivernais. 

On  regarda  cette  institulion  comme  la  cause  première  de  la  dïminu- 
lion  de  la  population  dans  le  départerneul  ;  el  ht  plupart  des  jeunes 
gens  désignés  par  le  sort,  au  lieu  d'arei'jiter  de  bon  cœur  la  noble 
mission  qui  leur  était  confiée,  n'ijésiléreni  lîoinl  à  déserier. 

Les  pouvoirs  publics  s'émurent  de  celte  sîLuaLion  ;  iiussi,  en  1H0*», 
M.  le  Préfet  de  la  Nièvre  d^^manda-Ml  aux  ujiinhresdunui^eil  ^^énéral 
d'user  de  toute  leur  influence  •  pour  dissiper  cel  es|H'it  de  verlige  ipii 
égare  les  jeunes  habitanls  des  rauipa^m^s,  les  etnpéche  d'obéir  â  la 
voix  de  l'honneur  et  du  devuir  vi  ne  leur  laissa  d'au  Ire  alterna- 
tive que  d'errer  dans  leur  propre  pays  comme  des  criuijnels,  sans 
parents,  sans  asile,  ou  de  subir  rhuiuiliîtnle  puuilîoti  r]u1ls  n'rmlque 
trop  justement  méritée  ». 

Ces  nobles  exhortations  furent-elles  suivies  tPeiTet  et  les  ciuiscrits 
d'alors  comprirent-ils  t  que  la  paix  et  le  bonheur  du  pa>s  dépendent 
d'un  dévouement  qui  ne  doil  pas  être  péuihle  pour  un  Fraiiçate?  » 

11  faut  le  croire,  pour  rhuuneur  de  notre  province  ! 


unieur  de  notre  province  !         JHHh^-^ 
Caston  Qà 


■ 


196  RE^CE  DU  KIVERNAIS. 

LE   PARNASSE  MODERNE 


POÈTES  HOLLANDAIS  (Suite) 


Potgieter 

PETITE  DÉBORA 

De  ce  soir  avant  Pâque  as-tu  bon  souvenir  ? 
J  allais  te  demander,  Débora  ;  c'était  l'heure. 
Je  regardais  ma  cour,  —  grange,  étable,  demeure  ; 
Et  pensais  :  Tout  l'attend,  elle  peut  bien  venir. 

Blanc  de  grésil,  brûlant  malgré  l'àpre  froidure, 
Je  levai  le  loquet  ;  je  te  vis  au  foyer, 
Je  quittai  mon  manteau.  —  Toi,  tu  fis  flamboyer 
Un  fagot  :  bon  accueil  1  ce  fut  d'heureux  augure. 

Mais  lorsc[ue  je  voulus  tirer  ta  chaise  à  moi 
Avec  le  pied,  tu  t'éloignas.  Près  de  l'armoire, 
Quand  je  te  demandais  ton  «  oui,  »  c'était  à  croire 
Que  le  verre  allait  choir  en  morceaux,  par  ma  foi  !  (1) 

Ah  1  longtemps  tu  restas  tremblante  et  tracassée. 
Le  foyer  maternel  t'était  si  doux  alors  I 
Il  fallut  t'emporter  dans  mes  bras  au  dehors  : 
Vit-on  jamais  chez  nous  si  triste  fiancée  ? 

De  ce  soir  avant  Pâque  as-tu  bon  souvenir  ?... 
De  notre  Nicolas  au  berceau  la  voix  chère 

T'appelle  :  baise-le Si  c'était  à  refaire. 

Te  faudrait-il  autant  de  temps  pour  en  finir  ? 


Hendrik  Jan  Schimmel. 

(1823) 

SOUCIS  DE  PARENTS. 

Sans  cesse  clapotant  de  l'aile. 
Le  bec  ouvert  et  babillant. 
Vole  et  voltige  l'hirondelle 
Dont  le  nid  va  s'odifi  utt 

Sans  cesse  clapotant  tk?  l'aile-,. 
Soucis,  tracas,  tour  ïncnî  sani^  ûn^ 
Activité  continuelh^  : 
La  nouvelle  couvl^c  a  faim. 

(1)  Allusions  à  des  usages  locaux* 


REVUE  DU  flIVEMAlS.  197 

Sans  (ïe^âé  clapotant  de  Taib*.* 
Voilà  les  oiseJets  partis  ; 
Us  sont  assez  forts  sans  tutelle  ; 
Les  vieux  restent  sans  leurs  petits. 

Que  la  nuit  est  longue  ï  En  revanche 
Combien  s'est  raccouj^i  le  jour  I 
Plus  d'ombre  tombant  de  la  bnnche  ; 
Adieu ^  soleil,  sourire,  amour  ! 

Quel  est  ce  murmure?,.,  n  Hirondelles, 
Dît  le  vent  qui  passe  en  criant, 
Consoler- vous,  battez  des  aileSj 
Et  retournez  en  Orient  l  » 


Carel  Vosmaer. 

(1826). 

MÉLANCOLIE 


Lorsque  Tàme  obtient,  î^  force  d'attendre 
L'objet  où  son  vœu  longtemps  s'est  fixé, 
11  est  tard,  trop  tard  1  le  jour  est  passé 
Et  sur  rhori2on  la  nuit  va  descendre. 

L*babit  est  usé  dès  qu'il  nous  va  bien  ; 
Quand  on  le  connaît,  on  a  lu  le  livre , 
Aussitôt  qu*on  sait  ce  que  c'est  que  vivre, 
Le  voile  se  baisse,  et  c'est  Uni„,  rien  1 


LA  DOULEUR  N'AIME  PA^  A  GARDER  LE  SILENCE 

la  douleur  n'aime  pas  à  garder  le  silence, 
La  souffrance  souvent  se  plaint  baut  et  lonj^iemps  ; 
L'âme^  non  sans  tumulte  et  non  sans  violence, 
Exhale  sa  tristesse  en  termes  écla4ants. 

Le  bonheur  au  contraire  est  une  enfant  craintive 
Qui,  caressant  la  Heur,  au  moins  sait  enchaîner 
En  elle  et  contenir  son  ivresse  caplive, 
Comme  si  la  parole  allait  la  profaner. 


198  REVUE  DU  MIVERHAIS. 

Peter  August  de  Oénestet. 

(1829-1867). 

DOUCEUR 

D'une  belle  âme,  elle  est  la  vertu  la  plus  belle, 
Et  d'un  front  séduisant,  c'est  l'attrait  le  plus  sûr. 
De  tout  homme  elle  rend  la  passion  fidèle, 
Toute  fierté  s'abaisse  au  gré  deses  yeux  purs. 
Le  faible  trouve  en  elle  une  force,  un  prestige  ; 
Elle  est  son  sceptre,  elle  est  son  glaive  protecteur  : 
La  fleur  dont  un  léger  souffle  romprait  la  tige, 
Tremble,  fléchit...,  l'orage  a  respcK^té  la  fleur. 

La  douceur  au  tyran  impose  obéissance.* 
Au  foyer  conjugal,  modeste,  humble  envers  tous. 
Dans  son  eflacement.  dans  sa  toute  puissance, 
Règne  la  volonté  de  la  femme  au  cœur  doux. 
Ses  ordres  sont  discrets  ainsi  qu'une  prière. 
Un  signe  d'elle  comme  un  ordre  est  accepté  ; 
La  paix  tombe  en  rosée  à  ses  pieds  ;  notre  Père 
La  bénit  dans  ses  fils  et  sa  postérité. 


LA  CHANSONNETTE  DU  DÉSIR 

L'enfant  debout  s'appuie  aux  genoux  de  sa  mère, 
Il  a  la  tète  lourde  et  les  yeux  clignotants  ; 

n  ne  veut  pas  dormir  ;  longtemps 
Il  résiste  au  sommeil  qui  ferme  sa  paupière. 

SeuK  dans  l'ombre...  c'est  cela 

Qui  lui  fait  peur  :  il  demeure  là, 
n  lambine,  barguigne,  il  distrait  son  attente... 

Oh  I  le  sot  petit  garçon 

Qui  se  force  sans  raison  I 
C'est  une  chanson  de  désir  qu'il  chante. 
Au  jardin  de  la  vie  aujourd'hui  sans  délice. 
Un  vieillard,  que  la  mort  déjà  tient  à  demi. 

S'en  va  penchant  son  front  blêmi 
Vers  le  sein  bienfaisant  de  la  terre-nourrice. 
Ah  I  ne  lui  dites  pas  :  c'est  l'heure  du  repos. 
Débile,  décrépit  dans  son  cœur  et  ses  os, 
Il  asçire  ardemment  à  rester  dans  la  vie. 
Soupirant,  haletant,  riant,  pauvre  vieillard. 
Avec  l'unique  espoir  d'appliquer  tout  son  art 
A  chasser  la  torpeur  de  sa  chair  engourdie. 

Seul,  dans  l'ombre...  c'est  cela 

Qui  lui  fait  peur  :  il  demeure  là. 
Muse,  baguenaude,  plaisante... 

Ûh  I  le  sot  vieillard  vraiment, 

Qui  se  force  vainement  t 
C'est  une  chanson  de  désir  qu'il  chante. 


REVUE  DU  MIVERMAIS.  100 


TROIS  PAIRES  POUR  UNE  UNITÉ 

N'as-tu  pas  double  oreille,  et  bouche  unique  ?  —  Claire 
Et  nette  leçon  doit  de  ce  fait  découler  ; 
C'est,  Tami,  d'écouter  beaucoup  et  de  ne  guère 
Parler. 

N'as-tu  pas  deux  yeux  pour  une  bouche?  Mystère 
Facile  à  pénétrer  sans  être  bien  savant  : 
Tâche  de  regarder  beaucoup  et  de  te  taire 
Souvent. 

Et  n'as-tu  pas  deux  mains  pour  une  bouche  ?  —  Observe 
Ce  symbole  et  vois-en  le  sens  se  dégager  : 
Travaille  sans  mesure  et  sache  avec  réserve 
Manger. 


Isaac  Esser. 
(1845) 

L'HÉRITAGE 

Etroite  est  l'impasse  et,  petite, 
Cette  masure  où,  constamment, 
La  pauvre  vieille  décrépite 
Vit  dans  le  pire  isolement. 

Elle  prend  de  sa  main  tremblante, 
Au  cloo  planté  dans  la  cloison, 
La  cage  fanée  et  branlante 
Qui  d'un  tarin  est  la  maison. 

EUe  verse  au  basâin  Teau  pure^ 
D,  renouvelant  sable  et  grain, 
Met  aux  barreaux  quetqrje  verdure, 
Dit  des  mots  tendres  au  tarin; 

Puis  revient,  sa  bes»oîrne  fait/?, 
S  étendre  en  «on  fauteuil  ni  *ieui  ! 
L'oiseau,  tournant  un  p^u  la  tAt/?, 
Fixe  sur  elle  ses  deux  jetji. 

Die  son^e  :  une  aii*re,  avant  ^1!^, 
Soî;?na  it  l  : t ^nîa  'j  . ,  ^i  :,'j  x  U^f,  p^  pîiAV;  ! 
El  inrti'i^^  àe  sa  pr"jn*«ï:-« 
Une  larme  ar  i»=t;^e  a  ,^^*^.^,., 

Le  tahn  r:rarJ/>:  un  -h^nf  V/r,/>r^; 
A  l'o^ilr  on  -tTr-in."  -r-iircf-^ui 

Il  ff'tftrt  Jcn  jv^-*r/.^nt. 


LIVRES  ET  PÉRIODIQUES 

Alph.  Ponroy.  —  Les  Poètes  du  BetTu.  ^  Paris,  bibliothèque  de  TÂssociation,  13, 
boulevard  Montparnasse.  —  ln-18,  3  fr.  50. 

Précédée  d'une  bonne  et  fine  préface  de  notre  collaborateur,  M.  Lucien  Jeny,  cette 
petite  anthologie  nous  donne  une  juste  idée  de  la  floraison  poétiçiue  en  Berry.  Sans 
remonter  jusqu'à  Thibault  de  Champagne,  ni  Marguerite  de  Valois,  nous  y  comptons 
une  trentaine  de  poètes  modernes,  parmi  lesquels  nous  saluons,  entre  autres  noms 
sympathiques,  le  non  et  spirituel  Emile  Deschamps,  qui  fut  si  propice  à  nos  débats 
littéraires;  Prosper  Blancnemain,  notre  ami  et  notre  hôte  à  Heaumont-la-Ferrière ; 
Lucien  Jeny  et  Hugues  Lapaire,  If»  excellents  collaborateurs  de  cette  Revue. 
M.  Alphonse  Ponroy  n'est  pas  seulement  le  collecteur  de  ces  morceaux  choisis,  il 
figure  en  bon  rang  dans  1  anthologie  berrichonne.  11  est,  du  reste,  un  berrichon 
berrichonnant  ;  tous  ses  ouvrages  sont  consacrés  à  son  pavs  natal.  Rappelons  qu'il 
publie  par  fascicules  (chez  l'éditeur  Bouillon,  à  Paris\  un  «  elossaire  du  Bas-Berri  •,  et 

Î[u'il  plaide,  par  la  plume  et  par  l'exemple,  pour  la  simplification  de  l'orthographe 
rançaise.  1 

Nous  lisons  dans  le  Soleil  illustré^  du  14  avril,  de  beaux  vers  de  M««  Eugénie 
Casanova  :  France  d'abord,  justice  partout.  Une  seconde  conférence  de  Ch.  Fuster, 
a  mis  de  nouveau  en  relief  le  talent  poétique  de  M"*)  Casanova,  dont  un  recueil  de 
vers  va  bientôt  paraître. 

Avec  le  même  esprit,  Franc-Nohain  poursuit,  dans  le  Journal,  la  série  de  ses 
•  cantates  officielles  et  autres  •.  Il  a  chanté  la  Fête  des  Palmes  : 

Trois  mille  trois  cents  palmes 

A  des  messieurs  et  dames 
Ou 

À  des  demoiselles  itou. 

Trois  mille  trois  cents  d'un  seul  coup. 

Et  allez  donc,  en  voulez^vous 
Des  palmes. 
Des  palmes  ? 

De  Saint-Brieuc  à  Saint-Afirique, 

De  Déiazet  à  TOpéra-Comique, 

Qui  n^a  pas  ses  palmes,  qui  n'a 

Ses  palmes,  ses  palmes,  aca- 
démiques, 
démiques  ? 

n  y  en  a  pour  toutes,  tous, 

Approchez-vous,  approchez-vous, 
Pas  de  jaloux  1 

NOTES  ET  ÉCHOS 

/.  Nos  compatriotes  :  Sont  nommés  officiers  d'académie  :  MM.  André,  docteur  Blond, 
Bon,  docteur  Brouillet,  Camuzat,  Chomet,  Delair,  Dietze,  Dutrav,  Garcemenl, 
Garilland,  docteur  Gautier,  Guillemin,  Hue,  Albert  Morlé,  Pillion,  Ricnaud,  et  notre 
distingué  collaborateur,  Jules  Meunier,  dont  nos  lecteurs  n'ont  pas  oublié  la  belle 
composition  musicale  :  L'enfant  rose. 

\  M.  le  professeur  du  lycée, Voisin,  dans  une  conférence  applaudie,  a  plaidé  la  cause 
d'un  poète  dont  la  réputation,  qui  fut  brillante^  a  rapidement  pâli  :  Théophile  Gautier. 

/  Notre  collaborateur,  M.  Gaston  Gauthier,  poursuit  avec  le  même  succès  ses 
explorations  de  Champvert.  Il  a  mis  à  découvert  l'égoùt  collecteur  des  thermes, 
conduit  voûté  très  bien  conservé,  et  a  trouvé  quantité  de  débris  de  bronze  très  inté- 
ressants. Nous  ne  saurions  trop  applaudir  au  zèle  éclairé  de  M.  Gauthier.       L.  D. 


Il9f9rtt  Imp.  a,  Vë/liérê, 


Le  Directeur-Gérant,  Achille  Hiluen. 


CONTES  A   MES   ENFANTS 


IX. 


L'ABANDONNE 


ON  ami  le  capitaine  bourra  sa  pipe  et 
ralluma  ;  puis,  tout  en  fumant,  il  parla 
ainsi  : 

Vous    me    demandez   mes    impres- 
sions  sur  les    manœuvres;  je   serais 
,.  embarrassé  de  vous  en  conter  quelque 

^  chose,-  par  la  raison  bien  simple  que 
C-^  :S^5£?  ï^ous  autres,  modestes  comparses  perdus 
dans  le  rang,  nous  ne  voyons  que  ce 
qui  se  passe  autour  de  nous  dans  un  rayon  restreint,  et  que  les  grandes 
combinaisons  nous  échappent... 

Mais  je  puis  vous  dire  une  aventure,  oh  !  un  rien,  un  trait  de  mœurs 
locales,  une  impression  saisie  au  passage  dans  le  calme  d'une  soirée  de 
repos,  entre  deux  batailles  «  pour  rire...  » 

In  jour,  vers  cinq  heures,  j'arrive  dans  une  ferme  avec  ma  compa- 
gnie pour  y  passer  la  nuit  :  une  assez  pauvre  maison,  isolée  en  pleine 
campagne,  au  milieu  d'une  vaste  cour  flanquée  de  bâtiments  d'exploi- 
tation... Mes  hommes,  harassés  par  une  iournée  de  marche  sous  un 
ciel  de  feu,  conteniphnU  d'un  œil  mélancolique  les  écuries  sombres  et 
basses  où  tout  à  l'heure,  sur  la  paille,  ils  vont  chercher  un  peu  de 
sommeil.  Je  les  installe  tant  bien  que  mal  —  plutôt  mal,  ks  pauvres  ! 
—  et  pendant  qu'une  première  corvée  enlève  le  fumier,  balaie  le  sol 
souillé  et  jette  de  la  litière  fraîche,  les  distributions  sont  apportées, 

9 


202  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

les  cuisines  se  montent,  les  feux  s'allument ..  bref,  tous  les  petits  pré- 
paratifs de  rinstallation  d'une  trompe  au  cantonnement... 

Le  jour  baissait  :  le  soleil  n'était  pas  encore  couché,  mais  ce  coquin 
de  Bourguignon,  comme  l'appellent  les  troupiers,  qui  nous  avait  tant 
fait  souffrir  pendant  cette  chaude  après-midi  d'été,  ne  dardait  plus 
sur  nos  têtes  d'aussi  brûlants  rayons,  et  l'on  commençait  à  respirer... 

Devant  la  porte  de  la  ferme,  une  femme,  assise  sur  le  seuil,  regardait 
les  soldats,  tout  en  donnant  le  biberon  à  un  enfant  de  quelques  mois. 
Vous  savez  combien  j'aime  les  marmots,  paysans  barbouillés  et  sau- 
vages ou  citadins  propres  et  civilisés  :  tous  sont  matière  à  observa- 
tions... Tout  de  suite,  celui-là  m'intéressa  par  sa  pâleur,  sa  physionomie 
maladive,  son  visage  souffreteux  où  luisaient  deux  beaux  yeux  noirs 
sous  un  petit  bonnet  d'indienne  à  trois  pièces.  Couché  sur  les  genoux 
de  la  fermière,  une  femme  jeune  encore,  mais  sans  fraîcheur  et  sans 
beauté,  il  suçait  avidement  le  caoutchouc  de  son  biberon,  ses  petites 
mains  sur  la  bouteille,  —  ce  joli  geste  des  nourrissons  caressant  le  sein 
qui  les  gorge  de  lait... 

Je  sus  bien  vile  que  le  pauvre  petit  avait  huit  mois,  qu'il  était  arrivé 
de  Paris  quelques  jours  avant,  et  qu'il  était  un  enfant  du  «  grand 
berceau  »,  comme  on  appelle  dans  nos  campagnes  les  enfants  assistés... 

Me  voilà  pris  d'une  grande  pitié  pour  cet  abandonné  qui  ne  connaî- 
trait jamais  ses  parents,  ni  les  baisers  de  sa  mère,  et  les  joies  de  l'en- 
fance heureuse  et  choyée,  et  toutes  ces  choses  dont  nous  ne  comprenons 
la  douceur  que  plus  tard,  quand  nous  sommes  devenus  grands  et  que 
nous  avons  souffert  de  la  vie... 

Cependant,  le  petit  Parisien  avait  vidé  sa  bouteille  et,  renversé  sur 
le  dos,  les  jambes  en  l'air,  son  chétif  visage  tout  épanoui,  il  digérait 
voluptueusement.  A  côté,  la  fille  de  la  fermière,  une  gamine  de  quatre 
ou  cinq  ans,  tenait  sa  petite  main  dans  les  siennes  et  la  caressait  dou- 
cement pendant  que  la  mère  parlait  à  son  nourrisson  ce  langage 
innommé  et  intraduisible  qui  est  la  poésie  de  toutes  les  femmes.  Et  le 
petit  riait  d'un  air  heureux,  sa  figure  souffreteuse  éclairée  d'une 
expression  de  joie...  Il  avait  même  son  bonnet  tout  de  travers  :  vous 
comprenez,  après  un  si  bon  dîner... 

La  fermière,  tout  en  chantant  et  le  baisant,  me  jetait  un  mot  de  ci, 
de  là,  au  travers  de  sa  mélopée  maternelle  : 

r  —  Il  était  bien  bas,  le  pauvre  petiot,  quand  la  c  meneuse  d'en- 


REVUE  DU  MIYERNAIS.  203 

fanls  »  Tavail  apporté...  Si  chétif  et  si  maigre!...  Mais  il  avait  déjà 
repris...  elle  le  sauverait  certainement,  oui,  elle  le  sauverait,  quand 
elle  devrait  peiner  davantage  encore...  ». 

c  —  Il  n'est  pas  près  de  faire  un  soldat,  mon  capitaine,  dit  derrière 
moi  le  fermier  qui  revient  de  donner  la  paille  pour  le  coucher  des  trou- 
piers ;  mais,  ajoute-t-il  avec  un  bon  rire,  on  fera  son  possible  pour 
ça...  ». 

Et  voici  que  ma  grande  compassion  de  tout  à  l'heure  n'est  plus  la 
même  et  que  je  plains  moins  le  pauvre  petit  en  voyant  chez  quelles 
braves  gens  il  est  tombé... 

Cependant  la  table  où  nous  devons  dîner,  mes  officiers  et  moi,  est 
dressée  au  milieu  de  la  cour.  Tout  doucement  la  nuit  arrive  :  à 
l'horizon,  le  m  Bourguignon  »  disparait  derrière  les  bois  d'un  violet 
sombre...  Sur  une  vieille  roue  sans  jantes,  fichée  au  sommet  d'un  long 
poteau  et  qui  s'enlève  en  noir  sur  le  rose  orangé  du  ciel,  les  dindons 
viennent  se  percher  pour  la  nuit  avec  de  grands  battements  d'ailes, 
pendant  que  les  poules  rentrent  une  à  une  dans  la  gelinière...  Dans  le 
pré  voisin,  une  vache,  le  muffle  sur  la  barrière,  attendant  qu'on  vienne 
lai  prendre  son  lait,  pousse  un  long  beuglement  d'inquiétude...  Autour 
des  feux  d'escouade  et  des  «  frichtis  »  que  j'entends  mijoter  dans  les 
marmites,  mes  hommes  ont  retrouvé  leur  entrain  et  leur  gaieté... 
La  belle  soirée  !  et  qu'on  est  bien  ici,  après  les  fatigues  du  jour  !... 

Maintenant  le  petit  Parisien  circule  autour  de  nous  sur  les  bras  de 
sa  mère  adoptive  qui,  aidée  d'une  servante  et  de  sa  fillette  —  à  la  cam- 
pagne, on  n'attend  pas  d'être  grand  pour  travailler,  —  fait  rentrer  les 
cochons  dans  leur  tect,  à  grands  coups  de  badines,  malgré  des  hurle- 
ments de  protestation... 

La  nuit  est  tout  à  fait  venue  :  une  nuit  claire  avec  de  belles  étoiles 
qui  scintillent  au-dessus  de  nos  tètes,  pendant  que,  notre  diner  fini, 
noas  devisons  tout  en  fumant...  Mes  hommes,  eux  aussi,  ont  mangé  la 
soupe  et  disparaissent  un  à  un  dans  leurs  logements,  comme  les  poules 
tout  à  l'heure...  Dans  la  cour  de  la  ferme  le  silence  s'est  fait  peu  à  peu, 
le  silence  du  repos  et  du  sommeil...  Nous  aussi,  nous  allons  dormir... 
J'entre  dans  la  maison  où  Ton  m'a  réservé  une  chambre.  Mon  petit 
Parisien  n'est  pas  encore  couché  :  pendant  que  les  femmes  s'occupent 

du  dîner  des  hommes  et  des  soins  du  ménage,  on  l'a  posé  sur  un  grand 

lit  à  rideaux  rouges  à  côté  de  la  petite  fille  et  celle-ci  l'amuse  si  bien 


204  IlEVUE  DU  NIVERNAIS. 

que  c'est,  entre  les  oreillers  et  le  gros  édredon,  des  éclats  de  rire  sans 
fin  et  une  joie  sans  pareille...  un  vrai  gazouillement  d'oiseaux  dans 
leur  nid... 

A  deux  heures  du  matin,  on  vient  me  réveiller  et  m'apporter  l'ordre 
du  départ.  J'entends  mes  hommes  qui  s'apprêtent  dans  la  cour,  réunis 
par  les  sous-officiers  :  c'est  la  vie  qui  recommence  après  la  courte  trêve 
du  repos  quotidien... 

Je  m'hahille  à  la  hâte  et  sur  la  pointe  des  pieds  je  traverse  la  grande 
chambre  de  la  ferme  où  tout  dort... 

Mais  non,  tout  n'y  dort  pas  :  dans  la  haute  cheminée  le  grillon  du 
foyer  fait  entendre  son  cri-cri  mélancolique,  et  du  lit  à  rideaux  rouges 
que  je  frôle  en  passant,  je  vois  sortir  une  main  qui  doucement,  bien 
doucement,  berce  la  couchette  de  l'abandonné  pour  que  le  bruit  ne 
trouble  pas  son  sommeil  .. 

—  Ne  le  réveille  pas,  petit  Parisien...  Dors  tranquille  dans  le  nid 
d'amour  que  t'a  fait  le  cœur  d'une  pauvre  femme . .. 

François  Moireau. 

LE  SONNET  DES  ROSES 

Souvenir  du  (>  décembre  1898. 

A  Madame  Thetirier, 

J'avais  un  lourd  chagrin,  vous  en  saviez  la  cause. 
Il  neigeait  dans  mon  âme,  il  neigeait  dans  mon  cœur. 
J'avais  froid,  j'avais  honte  et  parfois  j'avais  peur, 
Seule,  triste  et  songeant...  vers  ma  fenêtre  close. 

Tandis  que  je  pleurais,  vous  m'envoyiez  des  roses  ! 
Un  mot  charmant  disait  :  «  C'est  ma  dernière  (leur  ! 
»  Elle  est  née  en  hiver  et  calme  la  douleur  !  » 
Dans  ma  main  s'entr'ouvraient  les  fleurs  à  peine  éclosesl 

Hùveuse,  j'écoutais  !...  mais  il  nei«^eait  moins  fort 
Et  mes  yeux  qui  pleuraient  apercevaient  un  port. 
Je  baisai  longuement  votre  rose  efl'euillée  ; 

Elle  est  dans  mon  missel  !...  comme  un  doux  souvenir, 
Près  de  mes  riens  bénis,  que  je  veux  pour  finir 
Qui  parlent  à  mon  cœur  d'une  larme  essuyée  ! 

Françoise  d'Ussel. 


206  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

LES  HOUILLÈRES  DE  LA  MACHINE 

PRÈS  DECIZE  (NIÈVRE)  (Suite). 


III.  -  MŒURS,  COUTUMES  ET  LANGAGE  DES  MINEURS 
DE  LA  MACHINE 

Dans  la  plupart  des  houillères,  les  habitations  des  mineurs  laissent 
à  désirer,  paraît-il,  sous  le  rapport  du  confortable  et  de  la 
propreté.  Ici,  ce  sont  des  maisons  étroites  et  enfumées  ;  là,  de  longs 
bâtiments,  —  véritables  casernes,  —  noirs  au  dehors  et  sombres  au 
dedans.  Le  mobilier,  très  rudimentaire,  comprend  généralement  une 
armoire  et  un  coffre  en  bois  blanc  ;  une  table  et  quelques  chaises 
boiteuses  ;  enfin,  dans  un  coin,  un  mauvais  lit  garni  de  draps  bleus, 
où  le  mineur  se  couche  à  peu  près  tel  qu'il  revient  du  puits,  jugeant 
inutile  de  se  laver  tous  les  jours  pour  retourner  se  noircir  quelques 
heures  après  dans  la  poussière  de  charbon. 

Il  n'en  est  pas  de  même  à  La  Machine,  où  chaque  logement  de  mi- 
neur, —  qu'il  soit  situé  au  bourg,  dans  les  faubourgs  ou  dans  les  cités, 

—  est  propre,  gracieux  et  coquet.  Le  carrelage,  soigneusement  lavé, 
est  rougi  dans  la  partie  réservée  aux  meubles  ;  ceux-ci  sont  en  chêne 
ciré  et  très  bien  entretenus,  et  c'est  sur  de  bons  lits  de  plume  et  de 
laine,  garnis  de  draps  blancs  et  de  rideaux  de  couleur,  confectionnés 
avec  goût,  que  le  mineur  prend  son  repos  quotidien. 

Celle  excellente  tenue  du  ménage,  —  très  rare  dans  un  pays  minier, 

—  dépend  à  la  fois  des  soins  de  la  femme  et  de  Textrême  propreté  de 
l'ouvrier  machinois  qui,  à  chaque  retour  de  la  mine,  se  lave  de  la  tête 
aux  pieds. 

S'il  est  du  poste  de  nuit,  il  descend  au  puits  à  quatre  heures  du 
soir;  et  quand,  vers  deux  heures  du  matin,  il  rentre  chez  lui,  il 
trouve  au  coin  du  foyer  (1)  une  écuelle  de  soupe  et  une  chaudière 
d'eau  chaude. 

Après  avoir  accroché  sa  lampe  à  la  cheminée,  le  mineur  mange  la 
soupe,  puis  il  se  savonne  la  tôle,  le  visage  et  la  poitrine.  Ensuite,  sa 

(1)  Ce  foyer,  où  brûlent  dans  une  griUe  les  schiamms  que  Ton  donne  comme 
chauirage  aux  ouvriers  de  La  Machine^  ne  s'éteint  jamais  la  nuit,  car,  avant  de  se 
coucher,  la  femme  le  garnit  et  le  recouvre  de  cendres. 


REVUE    DU    NIVERNAIS,  S0Ï 

femme,  ^  qui,  à  un  signal  convenu,  s'élîiit  levée  pour  ouvrir  la  porte, 
—  Ini  lave  cl  lui  essuie  le  dos,  avant  de  retourner  se  coucher  dans  le 
grand  lit  de  la  pièce  principale,  où  le  mineur  ira  la  rejoindre  quand 
son  netloyage  sera  achevé. 

Debout  vers  huit  heures  du  matin,  il  revêt  des  habits  propres,  pro- 
cède à  sa  toilette,  boit  une  lasse  de  café  noir  et  va  travailler  dans  son 
petit  jardin,  soi^cusemcnt  lenu. 

A  onze  heures  ou  midi,  il  déjeune  avec  les  siens,  puis  se  couehe 
dans  une  chambre  close,  afin  de  ne  pasôlre  dérangé  par  le  bruit  du 
dehors. 

Sa  femme  le  réveille  vers  trois  heures  ot  dernio  :  il  reprend  alors  ses 
vêtements  de  mine,  se  lave  à  nouveau  le  visage  el  se  dirige  vers  le 
puits  011  il  descend  chaque  jour. 

Quand  le  mineur  est  «  dn  nmtin  b  (i),  sa  femme  et  ses  enfants  ne  se 
malien t  pas  à  table  a  midi  :  ils  se  contentent  de  manj^^er,  «  sous  le 
ponce  1,  un  morceau  de  pain  avec  un  fruit  ou  dn  fromage,  A  qualre 
heures  du  soir,  rouvrier  rentre  chez  lui,  mange  sa  soupe  et  hoil  un 
verre  de  vin»  se  lave  avec  Taidc  de  sa  femme,  change  de  vélementJî 
elva  faire  un  tourde  jardin,  en  attendant  le  dîner  en  famille,  qui  a 
lien  à  six  ou  sept  heures, 

A  neuf  henres,  tout  le  monde  est  au  lit  el,  le  lendemain  matin,  à 
cinq  heures,  le  mineur  se  lève  pour  retourner  au  travail. 

Le  dimanche  étant  jour  de  repos,  ies  ouvriers  de  La  Machine  vont 
dans  les  foréls  ou  les  campagnes  environnantes  re;^pirer  le  grand  air, 
lout  en  ramassant,  suivant  la  saison,  du  bois  mort,  des  escargots,  dis 
champignons,  des  fruits  sauvages,  etc.  Beaucoup  d'entre  eux  vont  à  la 
péclie  aux  étangs  que  la  Compagnie  des  Mines  met  à  leur  disposition, 
tandis  que  d'autres  se  livrent  an  plaisir  de  la  chasse.  Quelques-uns, 
enfin,  se  rendent^  après  déjeuner,  dans  les  cafés  de  leur  quartier,  où 
ils  passent  une  partie  de  la  soirée  à  boire  de  la  bière  (2),  en  jouant  aux 
caries  ou  au  billard. 

Toutefois,  cette  habitude  locale  d'aller  au  café,  en  dehors  des  jours 
de  paîCj  se  perd  de  plus  eu  plus  :  aussi,  ce  qui  élait  la  règle  j|  y  a  vingt 
ans  est  aujourd'hui  Texception, 

Par  contre,  le  bien-être  a  angmeulé  daus  les  ménages-  Presque  chez 

(1)  Ou  désigne  airi^i  h  posto  de'  jour,  qui  commence  j  six  heures  du  miiUn. 

(t/  ï-a  bière  hianche  de  Châlon-sut^Sîiùnc  csl  la  bol-soti  prtférde  des  Machiiioîa. 


208 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


tous  les  ouvriers,  on  boit  régulièrement  du  vin  et  du  café,  et  la  nourri- 
ture, —  composée  de  pain  blanc,  de  viande  fraîche  ou  salée,  de 
légumes  et  de  fruits  récoltés  ici  en  abondance,  —  ne  laisse  rien  à 
désirer. 

Un  grand  nombre  de  mineurs  louent,  chaque  année,  une  parcelle 
de  terrain,  où  ils  cultivent  des  pommes  de  terre  destinées  à  l'engrais- 
sement d'un  porc,  dont  la  viande  salée  et  les  jambons  servent  à  la 
nourriture  de  la  famille  pendant  l'hiver. 

D'autres  achètent  ces  animaux  tout  engraissés,  soit  aux  foires  de 
Decize,  soit  à  celle  établie  dans  ce  but  à  La  Machine,  et  qui  se  tient  sur 
la  place  de  la  Mairie,  le  lundi  de  Sainle-Barbe. 

Comme  on  le  voit,  la  nourriture  des  ouvriers  machinois  est  variée, 
saine  et  hygiénique.  Aussi,  malgré  leur  dur  labeur,  sont-ils  générale- 
ment forts  et  bien  portants.  Grâce  à  leur  sobriété,  quelques-uns  attei- 
gnent un  âge  avancé,  après  avoir  travaillé  à  la  mine  pendant  un  demi- 
siècle. 

Nos  mineurs  ont  le  goût  de  la  toilette  :  aussi  chacun  possède-t-il  plu- 
sieurs «  tournures  »  d'habits  (paletot,  gilet,  pantalon),  en  drap  noir  le 
plus  souvent.  L'une  est  réservée  aux  fêtes  et  cérémonies  ;  on  revêt  la 
seconde  les  dimanches,  et  la  troisième  comprend  les  vêtements  endos- 
sés au  retour  de  la  mine.  Quant  aux  habits  «  de  crot  5),  ils  sont,  ainsi 
que  le  linge  de  la  famille,  lavés  régulièrement  chaque  semaine  au 
lavoir  du  quartier  (1). 

Nous  ne  parlerons  que  pour  mémoire  du  costume  féminin  qui.  à  La 
Machinn  comme  ailleurs,  a  subi,  sous  Tinfluence  de  la  mode,  de 
grandes  transformations.  Les  Machinoi^^es  actuelles,  —  qui,  les  jours 
de  fêles,  portent  des  robes  de  soie  gai'nies  de  dentelles  et  des  chapeaux 
à  plumes,  —  regardent  avec  curiosité  les  robes  de  grosse  toile,  les 
fichus  à  fleurs,  les  devaulicTs  à  bavette  et  les  canettes  d'indienne  de 
leurs  grand'mères. 

En  semaine,  les  compnp^nes  de  nos  mineurs  s'habillent  à  peu  près 
comme  les  paysannes  dos  localités  voisines  :  jupe  de  laine  noire 
ou  de  couleur,  avec  corsage  clair  en  été,  foncé  en  hiver.  Pour  se  livrer 

(1)  n  existe  à  La  Machine  un  grand  nombre  de  lavoii^s.  Les  principaux,  établis  pjr 
les  soins  de  la  Com[>api)ie  des  Mines  ou  da  la  commune,  sont  :  !•  ceux  des  Minimes, 
sur  la  route  de  Trois- Vévres,  pour  le  IJourj^  et  les  Baraques  ;  2"  celui  de  la  FonUiine- 
Bourguignon,  sur  la  route  d'Anlezy,  pour  les  Coupes  et  la  Petite-Machine  ;  3'  les 
lavoirs  de  l'Etang-Neuf,  situés  non  loin  du  quartier  de  la  Meule  et  des  Cités. 


I 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  209 

aux  soins  du  ménage,  elles  revêtent  la  matinée,  le  caraco  ou  la  cami- 
sole ;  un  tablier  gris-bleu,  un  bonnet  blanc  (qui  tend  à  disparaître)  et 
des  sabots  noirs  a  à  bricoles  n  complètent  leur  habillement. 

Les  enfants,  assez  nombreux  chez  les  mineurs,  sont  tenus  très  pro- 
prement. La  Compagnie  des  Mines,  soucieuse  de  leur  instruction,  a 
fait  établir,  dans  le  quartier  des  Glénons,  une  école  de  filles  avec  salle 
d'asile,  confiée  aux  Sœurs  de  la  Charité  de  Nevers,  et,  sur  la  place  de 
la  Mairie,  un  établissement  dirigé  par  les  Frères  Maristes  (i). 

Le  chauffage  (consistant  en  schlamms  ou  résidus  de  charbon  lavé) 
est  délivré  gratuitement  aux  ouvriers,  qui  en  reçoivent  six  hectolitres 
par  mois  en  hiver  et  trois  hectolitres  en  été. 

Les  ouvriers  blessés  ou  malades  ont  droit  à  la  caisse  de  secours  et, 
ainsi  que  tous  les  membres  de  leurs  familles,  aux  soins  gratuits  du 
médecin  et  aux  médicaments.  De  plus,  MM.  Schneider  et  C»«  versent, 
depuis  1877,  à  la  caisse  des  retraites,  au  nom  de  chacun  de  leurs 
ouvriers,  des  sommes  importantes  et  proportionnelles  aux  salaires 
gagnés,  afin  d'assurer  des  renies  à  leurs  vieux  serviteurs  et  de  les 
mettre  ainsi  à  l'abri  du  besoin. 

Enfin,  dans  un  but  humanitaire,  la  Compagnie  permet  aux  habitants 
de  La  Machine,  —  qu'ils  fassent  ou  non  partie  de  son  personnel,  —  de 
ramasser  aux  buttes  de  remblais  les  parcelles  de  charbon  qui  restent 
dans  les  schistes  remontés  de  la  mine.  Beaucoup  de  personnes  pauvres 
peuvent  ainsi  se  chauffer  pendant  l'hiver  et  vivre  même  du  produit  de 
ces  ramassages. 

On  le  voit,  les  Machinois  sont  vraiment  favorisés  sous  tous  les  rap- 
ports. Intelligents  et  avisés,  ils  savent  le  reconnaître  et  se  rendre 
dignes  de  ce  que  l'on  fait  pour  eux.  Du  reste,  on  vit  ici  en  famille,  et 
cela  se  conçoit,  la  plupart  des  ouvriers  et  des  employés  étant  appa- 
rentés, soit  directement,  soit  par  alliance.  Aussi,  cette  population  offre- 
t-elle  une  cohésion,  un  esprit  de  corps,  une  homogénéité  de  sentiments 
et  de  caractères  que  Ton  trouverait  difficilement  ailleurs. 

Les  mineurs  de  La  Machine  ont  des  qualités  sérieuses  qu'on  appré- 
ciait beaucoup  dans  les  autres  houillères  quand  il  était  de  mode  de 
faire  son  tour  de  France.  Sobres  et  polis,  intelligents  et  courageux,  ne 

(1)  On  tient  un  compte  exact  du  travail  des  élèves,  et,  lorsque  ceux-ci  quittent 
l'école  pour  être  embauchés,  on  donne  les  meilleures  places  à  ceux  qui  sont  sortis 
avec  les  premiers  numéros. 

9» 


2tÛ  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

faiKant  jamais  le  lundi,  ils  donnaient,  sous  le  rapport  du  travail  et  de 
la  conduite,  entière  satisfaction  aux  chefs  qui  les  occupaient. 

Depuis  longtemps  ils  n'émigrent  plus,  et,  étant  naturellement  rangés 
et  économes,  ils  s'en  trouvent  bien.  Beaucoup  d'entre  eux  sont  devenus 
propriétaires,  —  souvent  avec  Taide  de  la  compagnie  qui,  sur  leur 
demande,  leur  avance  l'argent  nécessaire  à  la  construction  d'une 
maison,  —  et  presque  tous  ont  un  livret  de  caisse  d'épargne. 

Quand  le  mineur  a  touché  l'argent  de  sa  paie,  il  le  remet  à  sa 
femme  qui  règle  les  dépenses  inscrites  pendant  le  mois  sur  les  livres 
dos  divers  fournisseurs  et  le  pain  marqué  sur  la  taille  du  boulanger. 

Les  enfants  (garçons  ou  filles)  qui  travaillent  remettent  également 
leur  salaire  à  leur  mère,  et  celle-ci,  en  échange,  les  entretient  de  tout 
ce  dont  ils  ont  besoin.  Cependant,  npros;  la  vin[?tiôme  année,  les 
garçons  paient  ordinairement  peasian  à  leurs  parents,  pour  le  loge- 
ment et  la  nourriture  ;  le  surplus  de  leur  gain  sert  à  leur  habillement 
et  à  leurs  menus  plaisirs.  La  plupart  dVntrc  eux  se  marient  peu  après 
leur  retour  du  senice  militaire  ;  ceux  qui  sont  réformés  les  devancent 
généralement,  et  il  arrive  auvent  que  le  total  des  âges  des  époux 
n'atteint  pas  quarante  ans. 

C'est  au  bal  —  où  les  jeunes  gens  des  deux  sexes  se  voient  et 
dansent  tous  les  dimanches  —  que  s*élaborenl  la  plupart  des  mariages. 
Après  une  cour  plus  ou  moins  longue,  el  lorsque  loul  est  convenu, 
le  jeune  homme  prie  ses  parents  de  faire  la  demande  officielle  qui  est 
ainsi  toujoui^s  acceptée.  Alors  a  lieu  le  repas  des  accordailles  ;  tes 
membres  des  deux  familles  Iketil  la  dale  du  mariage,  puis  on  invite 
à  la  noce  les  paivnts  et  les  amis. 

La  veille  de  la  oénMnonie,  les  a  grands  garçons  w  et  les  «  grand'fîlles  « 
s<^  nninissent  a\ec  les  futurs  i^\Mmx  chez  les  parents  de  l'un  deux, 
afin  de  maujier  les  «  abattis  »  et  do  prtMidre  les  dernières  dL^posittons 
pvMir  le  lendemain. 

/.4  SHiitYL  L-M*  POISSEREIC- 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  21  i 

POCHADES   MORVANDELLES 


LES   SAULES 

Et  le  saule  incliné  sur  la  rive  penchante, 
Balançant  mollement  sa  tête  blanchissante. 

La  Harpe. 

Dans  la  verte  prairie  au  bord  du  clair  ruisseau, 
Les  saules  argentés,  de  leur  luisant  feuillage, 
Cachent  mystérieux  la  tremblotante  image 
Du  nuage  léger  qui  se  mire  sur  l'eau. 

Auprès  des  troncs  rugueux,  parure  scintillante, 
La  fraîche  renoncule  étale  ses  fleurs  d'or 
Et  la  rougç  orchidée  où  l'insecte  s'endort, 
Se  mêle  à  Taimez-moi,  petite  fleur  troublante  ; 

Quand  le  soleil  de  mai  verse  ses  purs  rayons, 
—  En  fécondant  la  terre  embellie  et  charmée,  — 
Dans  le  plein  ciel  où  court  une  brise  embaumée. 
Aux  contours  irisés  des  jeunes  frondaisons  ! 

Gautron  dv  Coudray. 


a  VIELLES  ET  CORNEMUSES  ï> 

C'est  un  livre  charmant  (i)  que  celui  qui  porte  ce  titre,  tout  à 
l'exaltation  de  ces  instruments  du  pays  de  Gaule ,  que  chantèrent  à 
l'envi  trouvères  et  troubadours,  poètes  du  vieux  terroir  :  la  vielle  et 
la  musette. 

Il  a  éveillé  en  moi  de  chers  souvenirs.  Et  voici  que,  grâce  à  lui, 
revivent ,  évoqués  par  la  pensée ,  les  jours  radieux  où  vielles  et 
musettes  sonnèrent  vaillamment,  pour  notre  enchantement,  leurs 
plus  beaux  airs  d'amour  et  de  gloire,  de  ceux  qui  mettent  de  la  joie 
au  cœur  et  de  la  folie  en  tête.  Ce  sont  d'abord  les  trois  journées  des 
i3, 14  et  i5  juillet  1889  où  Paris,  enthousiasmé,  les  acclama;  puis, 
c'est  Châteauroux  (fête  de  la  Nature)  ;  Nohant  et  La  Châtre  ;  Bourges 
(solennité  à  la  mémoire  du  poète  Emile  Deschamps)  ;  Sancoins,  avec 
cette  splendide  Fête  du  blé,  conçue  et  organisée  par  notre  maître  Jean 
Baffler  :  un  triomphe  !  C'est  ensuite  Saint-Pierre-le-Moùtier  avec  son 

(1)  En  vente  chez  Crépin-Leblond,  à  Moulins. 


.*^îv'  v.v  1*.  i'-:..^  i  l^  iiî--  i'>  >M  a  tJ»?  ^e  para  de  verdures 
>.u--  --:vr.ii,  i  •.,uL-.îr-  .i  :::r  .uùi-T-v-^iI»^  k<  entendre  encore 
3.--it  :.. M*-,ii  n'"  il  v'i  ij'iiiM'iL  1  l*  .zi^  1  L-^.  pTiis  de  nouveau 
.Nit>.  '♦•-c  i  •  t'  .0^  .v>r:>  i  .1  n  in^  n  i'"»i:i'^r[ie  arrondissement, 
.1  II  '•:•'  •>  ^a'^^  i  i^^  in>  i  /'î  i.i-i-- "!!''.  )ii  nos  maîtres son- 
•»^u.^  ^».'i.i  a  uà-  -i'.^  i-.iii  B.i:::-r -c  l>i  riri^riv.  5<)ulevèrent les 
.j^.^  ..K*^*;^v.iULiii>  l'iii»^  :"'..^,r  1^:.-^-.  riaj»:.  ir^iiiinu  Jans  la  grande 
V  .'  v^  '•>-  î>.  'n*:r^.-AL  l'A  iiT  :e  ii.î."!!»'  "Lslajie  •[iii  avait Ten- 
\,,...    /'uic  M(h>cnUjts€.  \  ja>  v:»!^  ^1  ^  *T "it^z^  I  Jii;^ies  Lapaire! 

I.  :*4  :l  •  Uui  i»'  la  :V.v.  >  j.  q  :•  .^  ^  V"*;-;^;!:.  -fc  iiln  e^^t  justement  de 
:uiv\wit  LuMe  ie  f.i  •rii.x.uy'j"^.  r/i  I  ùsl-**^  !ï*>a  aini  le  peintre 
h\.  i.'.ia  Mo.ild.i'L  i'i  Vr^.'if  a  îh-  7Ti^>î-'^.  »?£  pii  :aiL  Tt^bjVt  de  ces 
4ùvl<(u«.>  liç.iK>.  Tri'i.!  SI»'.--»  K  i  *r:zi}''ij^  ,  -ians  la  première 
paùio  duq-K-i  11  l'hl  .": -rC/.-r.  7"^-^  ^'>  i^'n  Li^^crmients.  hiitorique 
|)u.>''  .ivi\  uivu.T./^^  s:«;/'.t**  ''•  il  z".^j^^  rvea  in  Iniir  passé,  nous 
U>  uioiiUaLiL  \  \T  i  :•;_•  ii:..^  >^  !1k-:>ii,  ^  ji  »!i:ar.  aux  champs  et 
à  la  \'\k\  j.*»  .i'  -'L-^'^'-tj  -'r.v /:-.  .iiis  i^  .i^:i.»^!UH  partie,  à  quel- 
qiu'vN  li-;ui\->  d-er  3i.r  "."-^  vu--::.*-  hzxri-'^^  il  casa^rn?  des  pages 
oauios  :  le  iii:ir;ulr  ■*>.  }>:tyy.:-, 'Iki*:,  .i-f  Sa  2.'^P'>rre-Ie-Moùlier; 
0>iK>>lant,  d'j  Hjrhh}  :  v.i'.:.i^Ti:D,  d-r  N-fTfrs:  B.-usset  et  Thelouzat, 
do  Liuvy  Lt-v),  et  L'A:^  <::.'.  ^'\'^  ti^^lfr  en  vî'rll-ax  au  jeu  char- 
mour,  qui,  di^Il^  u:j-  '/rT-ir^  ;n/:i:  .iil.>.  û  Tirti^te  s'e<t  surpassera 
ti\ê  p«»ur  la  p»-!^ né  .-t  îr>.l-  »i  ;  .«'-ar. î  niKtr^  G  'xpa^on. 

(hi  iMilend  \iv^\iï^\\K\.Ki  H  mi^*Ar<  d-piis  «p'an  nua^  a  obscurci 
lo  bfau  tirl  d*'  Vr^u^ji.  \W:<  il  >*•  .].>si[r ra,  tl  dt^  nouveau  elles  son- 
nennU  dans  le  pl'rin  air.  Ij:  livre  d*^  n  jtre  ami  Ha^es  Lapaire  en  est 
riunireiix  pré>a^'e. 

Edoijuid  Achard. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  213 

RÊVERIE  AU  BORD  DU  CHER 

Quand  le  parfum  du  soir  dans  le  ciel  clair  s'envole, 
Et  que  Tombre  descend  à  l'Orient  lointain. 
J'aime  à  suivre  en  rêvant,  de  mon  pas  incertain. 
Les  bords  du  Cher  ombrés  de  leur  verte  coupole. 

J'aime  à  errer  le  long  des  grands  prés  verts  fleuris  ; 
J'aime  à  porter  mes  pas,  lents,  vers  la  grève  blonde. 
Où,  si  coquettement,  viennent  sourire  à  l'onde 
Les  saules  et  les  joncs,  aux  regards  attendris. 

J'aime  à  noyer  mon  front  dans  l'azur  qui  féconde^; 
J'aime  à  respirer  l'air  du  rivage  enchanté. 
En  regardant  mourir,  éclatant  de  beauté. 
L'astre  qui  prit  ses  feux  aux  palais  de  Golconde. 

Et  quand  mon  cœur,  lassé  de  son  rêve  indécis. 
Suit  les  remous  de  l'eau  qu'endort  la  brise  molle, 
Il  lui  semble  qu'il  voit  s'agiter  la  gondole 
De  la  Ueine  des  Soirs  aux  contours  amincis. 

Pendant  que  sur  la  rive,  indolemment  assise 
Avec  ses  ponts  croulants  et  ses  hauts  peupliers, 
La  ville,  qu'ont  bercée  et  la  brise  et  la  bise, 
Médite  sur  les  chants  de  ses  vieux  fabliers. 

Joséphine  Bégâssat. 


LA  REVOLUTION  DANS  LE  RAILLIAGE 
D'ARNAY-LE-DUC 


ÉTATS-GÉNÉRAUX 

Le  bailliage  d'Ârnay-le-Duc,  dont  la  Revue  du  Nivernais  a  déjà  donné 
la  position  et  l'étendue  (1),  comprenait,  outre  la  ville  de  ce  nom  et 
les  bourgs  de  Châteauneuf,  Pouilly-en-Auxois  et  Sombernon,  quarante- 
neuf  paroisses  rurales,  circonscriptions  à  la  fois  politiques,  adminis- 
tratives et  religieuses,  dont  quelques-unes  étaient  formées  de  plusieurs 
communautés. 

Chacune  de  ces  dernières  devait  être,  en  exécution  des  lettres  du 
roidu24  juin  1789,  représentée  à  l'assemblée  générale  du  bailliage 

(1)  Livraison  de  janvier  1900,  p.  130. 


214  REVUE  DV  NIVERNAIS. 

secondaire  d'Arnay-le-Duc  par  des  députés  porteurs  du  cahier  de 
doléances,  plaintes  et  remontrances,  rédigé  préalablement  au  siège  de 
la  paroisse  ou  de  la  communauté.  Ces  cahiers,  véritable  préface  de  la 
Révolution,  furent  dressés  par  les  habitants  convoqués  par  exploits 
df s  huissiers  Monnot,  Parizot,  Pelletier  et  Piogey,  en  date  des  6  et 
7  mars,  et  assemblés  de  la  manière  accoutumée,  c'est-à-dire  au  son  de 
la  cloche,  du  8  au  i6  mars  1789. 

On  sait  qu'à  l'exclusion  des  domestiques,  tous  les  autres  habitants 
c4>(iiposant  le  Tiers-Etat,  nés  Français  ou  naturalisés,  domiciliés,  et 
c^iUipris  au  rôle  des  impositions  directes  pour  une  contribution  quel- 
c/iri(|uc,  avaient  le  droit  de  participer  aux  opérations  de  rassemblée, 
1/ fiu(*  devant  le  juge  du  lieu  ou,  en  son  absence,  devant  tout  autre  ofG- 
rUr  public,  et  que  la  plupart  du  temps  les  doléances,  plaintes  et 
r^'ffiontrances  furent  consignées  par  des  professionnels.  Les  cahiers 
thUin/'M  dans  ces  conditions  offrent  en  général  peu  de  variété  :  ce  sont 
U'^  Uihuvs  idées  exprimées  dans  les  mêmes  termes.  A  côté  de  ces 
i'tUït'r^  emphatiques  et  incolores,  il  en  est  d'autres  qui  ont  été  éla> 
i,hit'Ai  par  1(^8  habitants  eux-mêmes  ;  inutile  d'ajouter  que  ce  sont  les 
{ihit»  intéressants  :  quelquefois  ils  trahissent  une  main  exercée,  mais 
\h  {il Mb  houvont  ils  accusent  une  intelligence  inculte,  dont  la  pensée  est 
fjihUmwMmmnt  en  lutfc  avec  l'expression. 

I<^i»  déhViiéA  des  paroisses  ou  communautés,  au  nombre  de  U7, 
4'ft/  iiiUUth  A  Arnay,  le  17  mars,  à  huit  heures  du  matin,  tous  investis 
rt  ttu  mandat  Impératif,  étaient  chargés  de  fondre  les  cahiers  particu- 
ihn  tn  iU)  Hcnl  et  de  nommer  le  quart  d'entre  eux  à  l'effet  de  porter 
H.  r.tUu^v  i/^hiévnU  le  23  mars,  à  Semur,  siège  du  bailliage  principal 
n  ^in^^\ti  uuquoi  ressortissait  le  bailliage  d'Arnay.  Ils  avaient  droit  à 
fW^>  i/Mi^^iiinllé  journalière  de  4  livres  que  beaucoup  refusèrent. 

Aihai  ri'ux  do  Maligny  et  de  Voudenay,  qui  avaient  droit  les 
^,^M/iM/b  A  i\  livres  et  les  derniers  à  8  livres,  t  se  trouvaient  assez 
ijhliilà  |mr  rhonneur  d'avoir  été  choisis».  Jacques  Godard  (de 
((miihi,tliïlii\M  droit  à  12  livres,  «s'estimait  bien  heureux  d'être 
^mHf  fl.iiM  ('<1l<^  circonslance  à  donner  à  la  Nation  et  au  Roi  des 
lif**èèk*u  lin  bon  d(Vsintéressement  (1)  »  ;  et  Jean  Roux  (de  Mémont),  qui 
«M^^  l*M  aiiaM,  droit  à  12  livres,  ne  demandait  «  point  de  journées, 

^If  |#|it  t.iiiitllu   (auldnl,  ainsi  qu'on  le  verra  plus  loin,  fournit  encore  d'autres 
iiiglii  ût  biiii  il«^btntt^t*jttiement. 


1 


RE>UE  DU  NIVERNAIS.  215 

mais  seulement  ses  déboursés,  qui  étaient  de  6  fr.  ».  L'autre  député 
de  Hémont,  M^  Juste  Rameau,  avait  refusé. 

Ceux  de  Malain,  qui  étaient  les  plus  éloignés  et  n'avaient  droit  qu'à 
12  livres,  acceptaient  en  ces  termes  : 

c  Monsieur,  nous  acceptons  la  taxe  telle  que  vous  l'avez  faite,  ce 
n'est  cependant  pas  le  montant  de  notre  dépense.  Etant  pères  de 
famille  sans  beaucoup  de  fortune,  cela  ne  nous  permet  pas  de  faire  les 
choses  gratis  ». 

Dans  plusieurs  cahiers  particuliers,  il  est  dit  que  les  députés  prieront 
les  orateurs  de  soutenir  leurs  revendications  : 

c  Journellement  occupés  aux  travaux  de  la  campagne,  ignorants  en 
tout,  nullement  versés  dans  l'art  d'écrire  et  de  persuader,  nous  ne 
ferons  autre  chose  que  de  communiquer  nos  idées  sans  les  étayer  de 
raisonnements  longs,  nos  députés  au  bailliage  prieront  ceux  de  l'as- 
semblée qui  ont  le  don  de  la  parole  de  les  faire  valoir  et  de  les  insérer 
dans  le  cahier  qu'on  doit  y  faire  (1  )  ». 

Les  discours  ne  pouvaient  donc  manquer  dans  l'assemblée  générale 
où  il  y  avait  quatre  avocats.  L'un  d'eux,  Antoine  Guiot,  dont  nous 
aurons  à  reparler  tout  à  l'heure,  en  prononça  même  un  que  Lavirotte, 
un  demi-siècle  plus  tard,  trouvait  si  remarquable  «  par  la  justesse,  la 
clarté  des  idées  et  la  simplicité  du  style  »,  qu'il  crut  devoir  en  repro- 
duire, dans  ses  Annales  (PAmayleDnc,  les  parties  les  plus  saillantes 
pour  €  perpétuer  le  souvenir  de  son  auteur  et  de  cet  acte  précurseur 
de  la  Révolution  ». 

Enfin,  dans  l'assemblée  du  17  mars,  les  plaintes  et  doléances  géné- 
rales furent  formulées  en  soixante-sept  articles  et  remises  aux  députés 
du  bailliage,  dont  deux,  Guiot,  déjà  nommé,  et  Moingeon,  avocat  à 
Amay,  participèrent  à  la  rédaction  du  cahier  général  de  Semur,  qui 
finissait  ainsi  : 

«  Article  40  et  dernier.  —  Au  surplus,  les  cahiers  particuliers  de 
chacun  des  quatre  bailliages  (2)  qui  composent  le  bailliage  d'Auxois, 
contenant  une  grande  quantité  d'articles  de  détail  qui  ont  paru  à 
l'assemblée  présenter  des  vues  très  avantageuses  au  bien  public,  l'as- 
semblée, en  les  approuvant,  a  statué  que  la  remise  en  sera  faite  aux 
députés  qui  seront  envoyés  aux  Etats-Généraux,  conune  faisant  partie  de 

(1)  Cahier  de  Jooey. 

(3)  Ces  quatre  bailliages  était  ceax  de  Semur,  d*Avallon,  d'Âmay  et  de  Sanlieu. 


316  REVUE  ou  NIVERIIAIS. 

celui-ci,  auquel  ils  demeurent  annexés,  et  que  les  lesdits  députés  seront 
tenus  et  strictement  chargés  de  les  faire  valoir  avec  tout  le  zèle  possible. 

»  Arrête  pareillement,  que  lesdits  députés  appuieront  avec  le  même 
zèle  le  mémoire  qui  a  été  présenté  par  Tun  des  membres  du  comité, 
attendu  qu'il  offre  aussi  des  vues  importantes  à  la  prospérité  de  Tagri- 
culture  et  au  soulagement  des  habitants  de  la  campagne  ». 

L'honneur  des  revendications  aux  Etats-Généraux  fut  conféré  à 
Antoine  Guiot,  élu,  au  premier  tour  de  scrutin,  le  28  mars,  par  94  voii 
sur  158  votants,  et  à  Florent  Guiot^  avocat  à  Semur,  élu,  le  lendemaiD, 
au  troisième  tour. 

Quant  au  clergé  et  à  la  noblesse,  ils  furent  représentés  par  Guy 
Bouillotte,  curé  d'Amay,  élu,  le  30  mars,  par  169  voix  sur  345  votants, 
et  Edme  Lebacle,  marquis  d'Argenteuil,  élu,  le  31  mars,  au  troisième 
tour,  par  88  voix  sur  158  votants. 

Les  élections  de  Semur  furent  donc  un  joli  succès  pour  la  petite  ville 
d'Amay,  qui  fournissait  deux  députés  sur  quatre  envoyés  à  Versailles 
par  le  baillage  d*Auxois.  Aussi,  à  leur  retour,  les  élus  furent-ils  Tobjet 
de  manifestations  enthousiastes  :  la  population  entière  se  porta  à  leur 
rencontre,  aux  flambeaux,  jusqu^au  Pont-de-Colonne,  et  rentrée  en 
ville  s  effectua  au  bruit  du  canon. 

A  partir  de  cette  époque,  les  faits  se  succédèrent  très  rapidement. 
Le  20  avril  1790,  les  anciennes  divisions  géographiques  firent,  comme 
on  le  sait,  place  à  de  nouvelles  et  la  ville  dWmay  devint  le  chef-lieu 
d'un  district. 

Le  district  d'Arnay,  plus  étendu  et  mieux  arrondi  que  l'ancien  bail- 
liage, comprenait  9  cantons  et  82  communes.  Il  était  administré  par 
un  directoire  composé  d*un  président,  de  cinq  membres  et  d*un  pro- 
cureur-syndic qui  ne  restèrent  pas  inactifs  :  leurs  délibérations  rem- 
plissent plusieurs  in-folios,  elles  indiquent  une  très  grande  activité 
alliée  au  désir  de  bien  faire  et  aussi  parfois  le  désintéressement,  qu'on 
rencontrait  d'ailleurs  un  peu  partout  et  que  certains  fonctionnaires 
poussèrent  jusqu'à  rabandon  de  tout  ou  partie  de  leurs  appointements; 
pour  nous  borner  ici  à  un  exemple,  citons  le  cas  de  Jacques  Godard, 
ancien  lieutenant  criminel,  juge  au  tribunal  du  district,  qui,  pour  en 
donner  des  preuves,  abandonna  le  tiers  de  son  traitement,  soit  600 
livres  sur  1,800.  Jules  Partoiot. 

(Elirait  d  un  ouvrage  intitulé  :  Episodm  de  la  Révolution  data  la  baUUagtt  et 
dUiricî  d  Amay'lê'DiéCi  qui  doit  paraître  prochainement). 


REVUE  DU  NIVERWAIS.  217 

UNE   LÉGENDE 

Mon  pays  est  un  pays  charmant.  Les  habitants  aimeraient  assez  la 
poésie  s'ils  avaient  le  temps  d'y  songer.  On  pourrait  respirer  le  parfum 
des  fleurs  si  des  odeurs  suffocantes  de  soufre  ne  s'échappaient  des 
buttes  embrasées  ;  on  y  verrait  le  ciel  bleu,  si  l'azur  n'en  était  terni 
par  les  fumées  noires  qui  montent,  par  bouffées  énormes,  des  chemi- 
nées géantes  ;  on  entendrait  chanter  les  oiseaux  si  le  vacarme  infernal 
des  forges,  des  machines,  de  la  vapeur  ne  dominait  tout  autre  bruit. 

Les  enfants  blonds,  souriant  à  leurs  mères,  croiraient  à  la  légende  du 
jeudi  saint  si  l'on  n'avait  placé  dans  le  clocher  de  notre  église  une 
horloge  monstrueuse  qui  frappe  tour  à  tour  les  trois  cloches  de  ses 
marteaux  puissants  pour  annoncer,  de  quart  d'heure  en  quart  d'heure, 
aux  pauvres  gens  qui  l'écoutent,  qu'ils  ont,  chaque  fois,  quelques 
minutes  de  moins  à  compter  dans  leur  existence. 

L'excuse  de  mon  pays  est 

•  Qu*on  vit  de  bonne  soupe  et  non  de  beau  langage.  » 

Il  doit  sa  prospérité  aux  produits  de  son  industrie  et  non  pas 
aux  résultats  de  vaines  contemplations. 

Mon  pays  a  raison  !...  et  j'arrive  à  mon  histoire  : 

Un  jour  de  jeudi  saint,  il  y  a  trois  ou  quatre  années,  cinq 
peut-être,  je  ne  me  rappelle  plus,  à  l'henre  du  Gloria,  les  cloches 
sonnaient  joyeusement.  Sur  les  portes  des  maisons,  les  mères  appa- 
raissaient, portant  dans  leurs  bras  ou  conduisant  par  la  main  les 
petits  enfants  qui  voulaient  assister  au  départ  des  cloches  pour  la 
Ville  sacrée. 

Et  montrant  le  ciel  du  doigt,  les  mères  disaient  : 

—  «c  Regardez...  par  ici,  les  voyez-vous  ?... 

Oh  !  comme  elles  sont  belles  avec  leur  robe  blanche  et  leur  écharpe 
bleue...  Mais  regardez-donc  !  elles  vont  vile  et  bientôt  vous  ne  les 
verrez  plus.  Dans  leur  joli  panier  d'argent,  elles  rapporteront 
(c  la  roulée  >. 

Les  enfants  ouvraient  les  yeux,  étonnés  de  ne  rien  voir,  mais  ne 
songeant  même  pas,  dans  leur  naïveté  charmante,  à  douter  des  paroles 
de  leurs  mères. 

Le  carillon  avait  cessé. 


r 


^j{!îi  REVUE   DC  5ITER5A15. 

-  -  u  lillessout  pjiiies,  les  cl^x^hes,  loin,  Li-^n  loin,  sur  le  chemin 
lU;  Uoiao,  Vous  ne  les  e  u  te  agirez  plus  !  Elles  soai  absentes  pour  deux 
jours;  saïuali,  elles  reviendn^nl.  w 

U  était  dix  heures,  et  l'horloge,  sans  respe»rl  pour  les  traditions, 
après  avoir  frappé  les  quatre  quarts,  flt  rés4?nner  dix  fois  l'airain  de  la 
j^roxNC  cloche. 

Alors,  les  petits,  tristement  surpris,  dirent  avec  des  larmes  dans 
leurs  beaux  yeux  : 

—  d  Ce  n*est  pas  vrai,  maman,  elles  sont  toujours  là,  les  cloches  !  » 
Et  c'est  pourquoi  les  enfants  blonds,  sc»uriant  à  leurs  mères,  ne 

croient  plus,  dans  mon  pays,  à  la  légende  du  jeudi  saint. 

Odile  Thiault. 

LES   VIELLES 

•  Les  vielles  disant  les  choses  du  passé  •. 

iEXS  LURENTY. 

Elles  sont  Técho  d'autrefois, 

Les  vielles. 
On  croirait  que  Tâuie  des  champs. 
Triste  ou  joyeuse  expire  aux  chants 

Des  vielles. 
Elles  nous  parlent  d'autrefois. 

Les  vielles  ! 

Elles  font  soupiier  les  cœui-s. 

Les  vielles. 
Sous  le  vieux  chêne,  sans  façon. 
Filles  et  gars  dansent  au  son 

Des  vielles. 
Elles  font  palpiter  les  cœui-s, 

Les  vielles  ! 

Elles  font  penser  à  l'amour, 

Les  vielles. 
Le  soir,  par  les  sentiers  déserts. 
Les  amants  fredonnent  les  airs 

Des  vielles. 
Elles  invitent  à  l'amour, 

Les  vielles  ! 

Elles  font  rêver  les  vieillards. 

Les  vielles. 
Près  de  la  tombe,  accablés  d'ans, 
Ils  regrettent  le  bon  vieux  temps 

Des  vielles. 
Elles  font  pleurer  les  vieillards, 
Les  vielles. 

Paul  Randieu. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  219 

LE    PARNASSE   MODERNE 


POÈTES   HOLLANDAIS  (Suite) 

Willem  Bilderdijk. 

(1756-1831;. 

LES  ROSES 

J'ai  vu  leur  riche  floraison, 

L'aurore  embrasait  l'horizon  : 
Penche  et  tombe  aujourd'hui  leur  corolle  si  belle, 

Triste  jouet  des  vents  divers, 

Pâture  abandonnée  aux  vers, 
Opprobre  du  jardin,  autrefois  si  fier  d'elle  ! 

Elles  buvaient  avec  bonheur 

Du  matin  l'humide  fraîcheur, 
Perles  du  ciel  en  qui  la  fleur  se  désaltère  ; 

Maintenant,  sans  éclat  aucun. 

Elles  ont  perdu  leur  parfum, 
Même  avant  que  le  soir  ait  obscurci  la  terre. 

Humaine  génération, 

Vis-je  ainsi  ton  éclosion. 
En  puissance,  en  beauté,  pour  si  peu  de  durée  ! 

Vis-je  ton  rire  avec  tes  chants 

Se  changer  en  cris  gémissants, 
Même  avant  la  moitié  de  ta  vie  expirée  ! 

Après  la  joie,  après  l'orgueil, 

Ce  sont  les  bras  que  tord  le  deuil  ; 
Un  signe...  et  te  voilà,  félicité,  passée  ! 

Tout  cela,  fleurs  !...  en  vérité. 

Tout  ce  qui  fait  notre  fierté, 
N'est  —  présent  du  matin  —  que  gouttes  de  rosée  ! 

Cet  éclat,  ce  feu  des  regards, 

Eteints  presque  sous  les  brouillards, 
Nerfs,  muscles,  tout,  oui,  tout  périt  ;  et  même  encore 

Jugement  et  raison,  ici, 

Croulent  avec  le  corps...  Voici 
Que  la  vie  est  à  bout,  s'envole,  s'évapore  ! 


'IVFE  DU   >'IVERX\1S 


Heiie. 


7TE  D'EAU 

'.  -  • '^nde  huriante 

-  f  n  ec limant  descend 
:_*    .  l'Us  nx^s  bondissant, 
-    •    .    ;îe  etincelante  î 
>>..nt  et  pressé, 
.\  '  ^-~'  ■:  i  fracas  s'écroule  ; 
>.    r-     r:r^  qu'elle  roule, 
:>  -  .         "^vassé. 


:  ;  il  scintille 

.iBvreant  : 
.*?  .i':in:ent 
I  -  rrn  mobile. 

•liLe  et  gronde, 
.-t^    DJioade 


"^u  rs^(.e. 


•o  i'    i.. <...-.>      .^      ..   ^       i>  .     1    e  îiioiudre  son, 

•.•    ^.  »   .>       >    K.    «. .t:  ^•:*»» lis  roses... 
l.t  'ui,    K»,         -a     ♦»  .  .V    ••t:i'-ii>>i  bieus, 
I*nm«|i4«.>t    e  v.K '.'->-.  i  ^-  1^  .V  ^»  r^  H-hlileux  ? 

\w  fMltMV  f  T.v--c«t.  :"vi(   i     '  t>»it»tMi  ^feinblant 

!  UN»  -t  ^i    Ml  Mit*   10  .t'ie  ; 
\  H  M«i»i*  *i^  il«Hi'ii>,    iin^ttii  M^'-ie  e(  blanc, 

^*iMeinl  ^tir  ^t  'avf  îiiiK'ite. 
Kili;4iÉjiiiii\  AW  i'u!,  îMÎt*  x.m>  le^  fn mas  : 
Sif  i\*%i»illera-l*.*lle  ?  «  ^ii  ne  le  civiruil  jkis. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  221 

Haverschmidt  (Piet  Paaltjens) 

(1835) 

HUMOURISTIQUE 

Oh  I  ne  me  parlez  pas  de  ramitié  fidèle, 
Ne  me  dites  rien  de  Tamour  : 
L'amour  et  ramitié  sont  morts  et  sans  retour, 
Et  j'en  porte  le  deuil  et  la  peine  éternelle. 

Parlez-moi  des  soucis  dont  aime  à  se  nourrir 

Ici-bas  la  misère  humaine  ; 
Montrez  l'homme  écrasant  son  frère  sous  sa  haine  : 

Vous  me  verrez  rire  à  mourir  1 


HUMOURISTIQUE 

Mon  cœur  me  paraissait  glacé  ;  de  mes  douleurs 
Les  larmes  semblaient  se  suspendre  ; 

Mais  son  regard  brûlant  frappa  mes  yeux  :  mes  pleurs 
En  déluge  alors  de  s*épandre. 

Hélas  I  que  n'ai-je  pu  me  noyer  en  ce  jour 
Dans  cette  eau  salée  et  profonde  ! 

S'asphyxier  dans  les  pleurs  âpres  de  l'amour. 
Est-il  plaisir  plus  doux  au  monde  ? 

F.  Smit-KIeine. 

(1845). 

CE  QU'ON  NE  PEUT  PAS  ACHETER 

Tu  n'achèterais  pas,  avec  tout  l'or  du  monde, 

La  paix,  la  belle  paix  qui  fait  de  l'ouvrier 

Le  logis  si  serein,  se  plaît  à  son  foyer, 

Que  sa  clarté  propice  et  tutélaire  inonde  ; 

La  douce  paix  qui  fuit  —  combien,  combien  de  fois  !  • 

Pour  toujours  les  palais  des  comtes  et  des  rois. 

Tu  n'achèterais  pas,  avec  tout  l'or  du  monde. 
L'enthousiasme  ardent,  le  courage  joyeux 
Ni  la  santé,  ce  bien  entre  tous  précieux. 
Qui  seule  rend  la  vie  agréable  et  féconde  ; 
La  vie  où  l'on  espère  et  qui  rit  vainement. 
Pour  le  pauvre  malade  elle  n'est  que  tourment. 


222  fiEVUE  DU  NIVERNAIS. 

Tu  n*achèterais  pas,  avec  tout  Tor  du  monde, 
L'amour  fidèle  et  pur,  l'amour  tendre  et  vainqueur, 
Cet  amour  vrai,  qui  siège  au  plus  profond  du  cœur 
De  l'épouse  choisie,  ô  liesse  profonde  ! 
Fleuri  comme  un  bouquet  de  roses  parfumé, 
Imprégné  des  fraîcheurs  de  la  rosée,  en  mai  ! 

Tu  n'achèterais  pas,  avec  tout  l'or  du  monde, 

L'intelligence  vive  et  subtile  à  la  fois 

Qui  ne  peut  point  marcher  dans  les  liens  étroits 

Mais  qui  veut  s'envoler,  agile  et  vagabonde, 

Loin  des  entraves  que  forge  l'autorité, 

Au  pays  où  l'esprit  prend  toute  liberté. 


i 


Gislebert  Guillaume  Lovendaal. 

(1847). 

ON  LE  SAVAIT  BIEN 

Jusqu'à  sa  maison,  ma  belle, 
Ce  soir,  j'ai  conduit  ; 
Mon  premier  baiser  et  la  bonne  nuit 
Pour  elle  I... 
Les  étoiles  brillaient,  brillaient  clair,  oh  !  combien  I 
Mystère!  elles  voyaient,  savaient,  oui,  savaient  bien 
Comme  nous  étions  heureux 
Tous  deux  ! 

Le  vent,  sur  le  rameau  sombre 
Voulut  s'apaiser. 
Ecoutant,  muet,  notre  amour  jaser 
Dans  l'ombre... 
Et  les  cailles  chantaient,  chantaient  clair,  oh  I  combien  ! 
Mystère  !  elles  savaient,  entendaient,  savaient  bien 
Comme  nous  étions  heureux 
Tous  deux  ! 

Comme  l'aubépine  embaume  ! 
Oh  !  céleste  odeur  I 
Partout  va  flottant  des  rosiers  en  fleurs 
L'arôme  .. 
Les  cigales  chantaient,  chantaient  clair,  oh  I  combien  I 
Mystère  I  terre  et  ciel  savaient,  oui,  savaient  bien 
Comme  nous  étions  heureux 
Tous  deux  I 

Traduction  de  ACHILLE  HiLUEN, 


I 


LIVRES  ET  PÉRIODIQUES 

Parmi  les  nombreux  volumes  qtie  nous  avons  à  présenter  à  nos  lecteurs  ce 
mots-ci  et  les  mois  suivants,  nous  avions  remarqué  d*abord  Vielles  et  Cornemuses  y  de 
notre  collaborateur  Hugues  La  paire.  M.  Edouard  Achard  nous  a  avantageusement 
suppléé  dans  le  compte  rendu  de  cet  attachant  ouvrage. 


Eugénie  Casanova  :  Fleurs  du  Souvenir,  —  Paris,  L.  Baschet,  rue  de  TÂbbaye,  12, 
—  in-12,  3  fr. 

Notre  voisine  du  Berry,  l'excellente  collaboratrice  de  cette  Revue,  Mb*  Eugénie  Casa- 
nova, publie  un  nouveau  recueil  de  poésies  destiné  au  succès  de  ses  deux  aînés  : 
Croyances  du  Cœur  et  Fleurs  des  Champs.  11  n'en  est  pas  de  plus  varié  :  la  rêverie 
philosophique  ou  sentimentale,  la  chanson  gracieuse,  les  impressions  de  voyage,  les 
hymnes  patriotiques  y  mettent  tour  à  tour  leur  note  diverse,  tantôt  élégiaque  ou 
joyeuse,  tantôt  énergique  et  puissante.  Bon  nombre  de  ces  pièces  ont  paru  dans  les 
journaux  parisiens  :  Annales,  Soleil  illustré,  Figaro,  etc.  Nous  ne  sommes  pas  sur- 
pris que  la  poésie  de  M>°«  Casanova,  musicale  et  chantante,  ait  tenté  les  composi- 
teurs, Paul  Delmet  entre  autres,  qui  a  écrit  une  belle  mélodie  sur  la  pièce 
initiale  :  le  Credo  pour  tous.  Nos  lecteurs  auront  mainte  occasion  de  goûter  les  vers 
de  M"*  Casanova.  Nous  détachons  de  son  recueil  une  des  plus  courtes  poésies  : 

»  DERNIERS  REGRETS 

•  Les  roses  reviendront  et  je  n'y  serai  plus. 
Moi  qui  les  aimais  tant,  toutes  fraîches  écloses. 
Quel  sera  leur  parfum  au  séjour  des  élus, 
Auront-elles  encor  leur  joli  nom  de  roses  ? 

»  Auront-elles  encor  leur  charme  pénétrant. 
Et  pourrons-nous  les  voir  assembler  en  couronne 
Toujours  rose  et  jolie  ?  Ah  !  si  Dieu  nous  les  rend, 
C*cst  plus  belles  encor  que  sa  bonté  les  doime  ! 

•  Aux  cieux  où  tout  ravit,  où  s'écoulent  les  temps 
Sans  que  le  jour  s'avance  ou  que  le  soleil  baisse. 
Où  la  vie  est  toujours  à  son  premier  printemps, 
Les  fleurs  auront  aussi  l'éternelle  jeimesse  I 

■  Va  donc,  ma  belle  rose,  au  gré  de  tous  les  vents  ; 
Nous  nous  retrouverons  dans  une  autre  patrie, 

Toi  toujours  admirée  et  moi  sans  cheveux  blancs, 
Tu  charmeras  ma  vue  et  ma  route  fleurie. 

■  Parfois  nous  viendra-t-il  un  vague  souvenir 
De  notre  exil  humain  passé  sur  celte  terre. 

Où  nous  avons  aimé  —  ce  qui  devait  finir  — 

Où  nous  avons  pleuré  dans  l'ombre  et  le  mystère  !...  » 

Le  Corsaire,  poème  dramatique  en  5  actes  et  en  vers,  par  Evariste  Boulay-Paty  et 
Hippolyte  Lucas  (d'après  Byron).  —  Notice  historique,  par  L.-Hippolyte  Lucas  fils. 
2  fr.  —  Paris,  chez  Lemerre. 

M.  L.-Hippolyte  Lucas  fils  réédite  une  œuvre  de  jeunesse  de  son  père,  Le  Corsaire, 
qui,  écrite  avant  Tapparition  de  Hernani,  olfre  cette  curiosité  de  nous  montrer  ses 
auteurs  comme  précurseurs  du  romantisme  ;  on  y  trouve  en  eflet  une  fantaisie 
poétic^et  des  libertés  de  rythme  et  des  familiarités  cl  expression  encore  inconnues. 
Une  intéressante  préface  de  M.  L.-Hippolyte  Lucas  fils  met  en  relief  le  caractère 
novateur  de  cette  pièce  qui  méritait  assurément  d'être  i-éédilée. 


224  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Henri  Âllorge,  Poènies  de  la  Solitude^  Paris,  édition  de  la  Revue  des  Poètes,  me 
Monsieur,  13,  in-18, 2  fr. 

L'excellente  Revtte  des  Poètes  a  groupe  un  certain  nombre  de  jeunes  poètes  d'un 
vrai  talent  dont  elle  publie  les  œuvres  dans  ses  livraisons  d'abord  et  ensuite  en 
volumes.  Tel  M.  Gaston  Portevin,  dont  nous  appivciions  récemment  le  joli  recueil. 

Voici  aujourd'hui  celui  de  M.  Allorge,  dont  nous  avons  goûté  un  grand  nombre  de 
pages.  Nous  aurions  plaisir,  si  l'espace  n'était  mesuré  à  ces  mentions  trop  brèves,  à 
étudier  de  près  le  talent  de  ce  poète  tour  à  tour  gracieux  et  énergique.  Nous  devons 
nous  borner  à  l'applaudir  en  citant  un  sonnet  de  son  recueil  : 

»  UNIVERS  MORT 

»  Il  me  semble  souvent  que  des  cris  de  souffrance 
Troublent  la  majesté  morne  des  vastes  nuits 
Et  que  dans  les  tieux  lourds,  drapés  d'indifférence, 
J'entends  pleurer  tout  bas  des  sanglots  inouïs. 

>  Mù  par  une  invicible  et  fatale  attirance, 
Je  regarde  et  crois  voir,  à  mes  yeux  éblouis, 
Passer,  cortège  eirant  d'ombres  sans  espérance, 
Des  spectres  désolés  d'astres  évanouis. 

■  Qui  sait  ce  que  l'éther,  sombre  océan  sans  havres, 
Dans  ses  ffots  mfinis  peut  rouler  de  cadavres, 
Décombres  ballottés  vers  d'impossibles  bords  ? 

ta  Taisez-vous,  taisez-vous,  ô  larmes  de  la  terre  ! 
Qu'est-ce  que  la  douleur  d'un  homme  solitaire 
Devant  Timmense  deuil  des  mondes  qui  sont  morts  ?  • 


Au  moment  de  mettre  sous  presse,  il  nous  arrive  im  élégant  volume  que  nous  ne 
pouvons  qu'annoncer  aujourd'hui  ;  c'est  une  Petite  histoire  du  Nivernais,  par 
l'excellent  professeur  d'histoire  et  de  géographie  du  lycée  de  Nevers,  M.  Elicio  Colin, — 
éditée  au  prix  de  3  fr.  50  par  M.  Ropiteau,  le  libraire  bien  connu  I  Noïis  y  revien- 
drons, ne  pouvant,  ce  mois-ci,  que  constater  l'attrayant  extérieur  du  volume,*  orné  de 
nombreuses  cartes  et  de  bonnes  gravures. 


NOTES  ET  ÉCHOS 


/.  Notre  compatriote  M.  Charles  Morizot-Thibault  vient  d'obtenir  un  nouveau  et 
brillant  succès.  L'Académie  des  sciences  morales  et  politiqueSj  qui  l'avait  déjà  dis- 
tingué et  qui  l'admettra  bientôt,  nous  n'en  doutons  pas,  parmi  ses  membres,  lui  a 
décerné  au  concours  le  prix  Odilon-Barrot. 

/.  Au  concours  de  la  Société  académique  de  Saint-Quentin,  notre  collaborateur 
M.*  Fernand  Richard  a  obtenu  une  médaille  de  vermeil  :  succès  auxquels  applaudi- 
ront nos  lecteurs,  qui  ont  pu  apprécier  le  talent  délicat  du  jeune  poète. 

/  Mariage  de  notre  compalriole  M.  Emile-Elienne-Eloy  Frébault,  résident-maire 
de  ia  ville  de  Haïphong,  avec  M"*»  Herbin,  née  Louet,  veuve  d'un  administrateur 
colonial. 

/,  Les  Morvandeaux  de  Melun  viennent  de  fonder,  sous  le  titre  :  Enfants  du 
Morvan,  une  société  de  mutualité.  Pr(^ident,  M.  Fuye;  secrétaire,  M.  Moreau  ;  prési- 
dent d'honneur,  M.  B;dandre.iu,  député. 

/,  Notre  collahoraleur  M.  Gaston  Gauthier  a  été  Tobjet  d'une  flatteuse  attention 
de  la  part  du  Comité  des  travaux  historiciuos.  Voulant  reconnaître  publiquement  •  U 
collaboration  distinguée  que  lui  prête  M.  Gauthier,  auteur  d'un  grand  nombre  de 
publications  int<'Tess.intes  »,  le  Comité  •  vote  à  l'unanimité  des  félicitations  à  M.Gau- 
thier, et  exprime  le  d^-sir  que  ces  féliritations  motivées  soient  ti'ansmises  à  intéressé 
par  la  voie  hiérarchique  ».  Une  lettre  du  ministre  de  l'Instruction  publique,  adressée 
a  M.  l'Inspecteur  d'académie,  a,  par  suite,  fait  connaître  la  décision  du  Comité  i 
notre  collaborateur,  que  nous  félicitons  cordialement.  L.  D. 

Le  Direcleur-Géranty  ACHILLE  HiLLIEN. 


fl«*cri,  Imp.  0.  Vtll.tf. 


LE  VITRAIL  DE  COLETTE 

En  souvenir  d'Ussel. 
A  Af»«  Féry  d'Esclands. 

ous  l'appelions  Mirai  Colette,  et  je  ne 
sais  pas  pourquoi  ;  sans  doute  un  enfant 
de  sa  maîtresse  l'avait  baptisée  ainsi  et 
par  nos  enfants,  le  nora  était  remonté 
jusqu'à  nous. 

Ah  !  il  y  avait  beau  temps  qu'elle 
n'était  plus  de  l'âge  des  Mirai  Pinson 
la  pauvre  Colette  ;  elle  n'aurait  jamais 
voulu  s'y  ranger  d'aucune  manière,  la 
bonne  fille.  Pour  mon  compte,  du  plus  loin  que  je  rae  souvienne, 
je  ne  l'avais  jaraais  vue  que  droite  et  bien  posée  devant  son  ouvrage, 
à  la  fenêtre  de  la  cuisine  des  Brange,  et  je  n'aurais  pu  dire  si  elle  avait 
cinquante-cinq  ou  soixante-quinze  ans. 

Elle  n'avait  pas  d'âge  et  resserablait,  dans  raa  tète,  à  ces  bonnes 
petites  vieilles  poraracs  qu'on  mange  en  juillet  dans  l'arrière  saison  des 
pommes  et  qui  sont  aussi  fraîches  et  bien  meilleures  sous  leurs  rides 
que  les  poraraes  de  septembre. 

Mirai  Colette  était  de  même,  fraîche  et  avenante  sous  des  rides  qu'on 
ne  voyait  pas  au  soleil,  mais  qui  devenaient  grêle  quand  la  pénombre 
détaillait  les  plis  de  son  visage  ;  de  sorte  qu'elle  avait  cinquante  et 
quatre-vingts  ans  dans  la  mêrae  journée. 

Cette  année- là,  nous  ne  l'avions  pas  encore  vue.  Sa  maîtresse  était 
morte  depuis  notre  dernier  séjour  à  la  campagne,  séjour  qui  remontait 
à  trois  ans.  Nous  savions  seulement  qu'elle  avait  perdu  la  grande  affec 
tion  de  sa  vie  et  une  vraie  mélancolie  nous  reprenait  au  retour,  corarae 

10 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  5i27 

la  coiffe  de  deuil  qu'elle  portait  depuis  la  mort  de  sa  maîlresse,  il  y 
avait  deux  ans. 

Elle  me  répondait  à  peine,  s'informait  à  peine  des  enfants  de  la 
maison,  elle  qui  les  aimait  tant.  Etait-elle  malade?...  On  ne  le  voyait 
donc  pas  ?  Je  cherchais. 

—  Vous  ne  me  croirez  pas,  me  disait  mon  curé,  en  voyant  s'éloigner 
Colette  ;  vous  ne  comprendrez  jamais  le  chagrin  de  la  pauvre  fllle. 
Est-ce  qu'on  connaît  ces  sentiments  dans  les  villes? 

—  Quels  sentiments? 

—  Eh  !  oui,  je  devine  votre  pensée  ;  vous  cherchez  pourquoi  elle 
est  M  triste  la  vieille  servante. ..  mais  c'est  inutile  à  dire  ;  on  en  rirait; 
on  rit  de  tout...  Elle  voudrait  donner  quelque  chose  à  l'église  en  sou- 
venir de  sa  maîtresse,  madame  Elisabeth  Brange  ;  —  vous  voyez  bien 
que  vous  ne  comprenez  pas. 

—  Mais  voilà  cinquante  ans  qu'elle  sert  de  bons  maîtres  ;  elle  a  des 
économies  certainement  et  devant  une  intention  si  touchante,  le 
moindre  souvenir... 

—  Vous  ne  me  croirez  pas.  Colette  n'a  aucune  économie  ;  elle  a 
considéré  qu'elle  était  si  heureuse  chez  les  Brange,  qu'on  ne  lui  devait 
rien  que  le  plus  strict  entretien. 

—  Comment  ?  ses  gages  ont  été  payés  sûrement  ? 

—  Et  redonnés  sous  une  forme  quelconque  aux  enfants;  c'est  la 
première  fois  que  la  pauvre  fille  le  regrette  ce  désintéressement  de 
toute  sa  vie  et  quand  on  sait  pourquoi  elle  le  regrette,  c'est  sublime. 

—  Oui,  c'est  sublime  au  milieu  de  Tégoïsme  féroce  actuel,  c'est 
sublime,  aussi  simple  et  encore  plus  beau  que  l'Evangile  des  lis  qui  ne 
travaillent  point,  monsieur  le  curé.  Je  ne  le  dirai  pas,  vous  avez  raison. 
Ce  qui  manque  le  plus  au  monde,  ce  n'est  ni  Pintelligence,  ni  le  savoir  ; 
c'est  le  cœur.  On  rirait  peut-être...  Mais,  comment  le  savez-vous? 

—  Je  l'ai  deviné,  puis  Colette  s'est  trahie  sans  s'en  douter. 

—  Pauvre  admirable  fille  ! 

Je  laissai  mon  curé  achever  ses  préparatifs  et  contempler  encore  son 
palais  du  bon  Dieu  ;  puis  je  rentrais  au  châlct  rêveuse,  obsédée,  émue, 
songeant  que  la  première  élévation  est  celle  qui  vient  du  cœur  et  que 
Mimi  Colette  avait  son  cœur  bien  plus  haut  placé  que  le  mien. 

Nous  descendions  tous  le  lendemain  à  Panzat  pour  la  belle  cérémonie  : 
parents,  amis  et  voisins  de  village  avec  tout  le  hameau  fleuri,  enru- 


•     4 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  229 

MORT  DE  CASIMIR  V,  ROI  DE  POLOGNE 

ARRIVÉE  A  NEVERS  EN  1672 

Il  est  en  ce  moment  beaucoup  question  de  Thistoire  de  la  Pologne, 
depuis  que  deux  célèbres  écrivains  polonais,  Joseph-Ignace  Kraszewski 
et  Henri  Sienkiewicz,  le  premier  dans  son  roman  historique  intitulé 
Kordecki,  le  second  dans  son  roman  Polop  (le  Déluge)^  ont  retracé  la 
période  épouvantable  de  guerres  qui  mirent  aux  prises,  au  dix-sep- 
tième siècle,  les  Polonais,  les  Moscovites,  les  Suédois,  les  Brandebour- 
geois,  les  Tartares,  les  Cosaques  et  les  Turcs. 

Récemment,  un  autre  écrivain,  le  docteur  Czermac,  a  publié,  à 
Lensberg,  des  Eludes  historiques  sur  l'époque  de  Jean  Casimir,  divisées 
en  deux  parties  :  !<>  Etude  sur  la  vie  et  sur  le  caractère  de  Jean  Casi- 
mir ;  2<>  les  dernières  années  de  Jean  Casimir. 

Deux  circonstances  ont  mêlé  le  nom  de  ce  personnage  à  l'histoire  du 
Nivernais  :  la  première  est  son  mariage  avec  Marie  de  Gonzague  ;  la 
seconde  est  son  décès,  survenu,  le  16  décembre  1672,  dans  l'hôtel 
abbatial  de  Saint-Martin  de  Nevers. 

Jean  Casimir  avait  été  nommé  cardinal  par  Innocent  X,  en  1646.  A 
la  mort  de  son  frère  Sigismond,  il  dut  échanger  son  chapeau  de  cardi- 
nal contre  le  diadème,  parce  que  les  seigneurs  de  la  Diète  lui  impo- 
sèrent d'épouser  sa  belle-sœur,  Marie  de  Gonzague,  très  aimée  de  ses 
sujets,  et  qu'on  voulait  absolument  conserver  comme  reine.  Pas  de 
mariage,  partant  pas  de  votes.  Les  causes  et  les  conséquences  de  ce 
mariage  ont  été  racontées  par  K.  Waliszewski,  dans  son  livre  sur 
Marysienka  (Marie  de  la  Grange  d'Arquien,  qui  épousa  Sobieski). 

Les  historiens  n'ont  relaté  que  brièvement  le  décès  de  Casimir. 
Dernièrement,  la  Société  des  lettres,  sciences  et  arts  du  Nivernais 
s'est  préoccupée  de  faire  connaître  au  public  les  circonstances  de  cet 
événement,  à  l'occasion  d'une  savante  communication  de  M.  le  chanoine 
Sery,  sur  l'abbaye  de  Saint-Martin  de  Nevers. 

Nous  pensons  que  les  détails  qui  suivent,  et  qui  complètent  ceux 
donnés  à  la  Société  nivernaise,  intéresseront  les  lecteurs  de  la  Revue, 

Vers  le  milieu  de  1666,  un  traité  secret  avait  été  conclu  entre 
Louis  XIV,  le  couple  royal  (Casimir  et  Marie  de  Gonzague)  et  les  sei- 
gneurs polonais.  Le  roi  de  France  assurait  à  Jean-Casimir,  qui  devait 
abdiquer,  200,(XX)  florins  polonais  de  revenus  annuels  en  bénéflces,  à 


230  REVUE  DU  NIVERNAIS 

la  condition  qu'il  donnât  son  appui  au  candidat  français.  A  la  mort  de 
sa  femme,  Casimir  abdiquait  (septembre  1668)  et,  pendant  un  an,  ne 
sut  où  se  flxer  en  Pologne. 

Les  brevets  pour  les  bénéfices  avaient  été  expédiés  à  Varsovie,  puis 
envoyés  à  Rome.  Les  choses  traînaient  en  longueur  depuis  de  longs 
mois,  lorsque,  sur  ces  entrefaites,  Henri  de  Bourbon,  fils  d'Henri  IV  et 
de  Catherine-Henriette  de  Balzac,  marquise  de  Verneuil,  qui  avait  été 
pourvu,  en  1608,  de  huit  abbayes,  manifesta,  vers  le  milieu  de  1668, 
riqtention  d'épouser  la  duchesse  de  Sully  et  de  se  démettre  de  ses 
bénéfices. 

Louis  XIV  laissa  100,000  livres  à  toucher  de  revenus  sur  ces  béné- 
fices au  prince  de  Verneuil,  et  Jean  Casimir  devait  toucher  le  reste.  Le 
prince  de  Verneuil  ne  renonça  à  son  titre  d'abbé  que  le  12  octobre  1668 
et  ce  n'est  qu'en  janvier  1669  que  Casimir  reçut  son  brevet.  Le  bref  do 
Pape  est  du  8  mars  1669.  (1)  Casimir  vint  donc  en  France. 

Avec  la  confiance  propre  à  un  tel  caractère  que  le  sien,  Casimir  se 
crut  tiré  de  ses  embarras  d'argent,  et  voulut  mener  la  vie  large  et 
facile  d'un  prince  de  l'Eglise.  Il  alla  prendre  possession  de  ses  béné- 
fices. A  l'évêché  de  Metz  (10  octobre  1669)  (2),  il  fut  reçu  solennelle- 
ment ;  l'archevêque  d'Embrun  lui  adressa  un  discours,  puis  il  y  eut  un 
grand  gala  à  l'évêché,  où  d'après  l'honnête  Gazette  de  France^  «  les 
dames  parurent  en  état  des  plus  lestes  ».  Ayant  rencontré,  à  Meaux, 
Condé  et  d'Anguien,  il  les  accompagna  jusqu'à  Chantilly,  où  il  fat 
complimenté  par  de  Lionne  au  nom  du  Roi  ;  pendant  quatre  jours, 
ce  fut  une  série  de  fêtes  au  château  :  comédie  à  l'italienne,  parties  de 
chasse  et  de  pêche,  grands  dîners. 

Le  n  octobre,  il  prenait  possession  de  l'abbaye  de  Saint-Taurin,  à 
Evreux. 

Un  mois  après,  il  allait  prendre  possession  de  son  abbaye,  la  plus 
importante,  Saint-Germain-des  Prés.  Après  avoir  salué  le  Roi,  il  y  des- 

(1)  Diblioteca  Carpegna.  Indulla  varia,  66,  tom.  28,  fol,  89-90.  —  «....  Prapclara 
virtutum  dona,  quibus  personam  tuam  mullipliciter  decoravit  Allissinius  sîngulari 
erga  nos  et  hanc  Sanclam  Sedein  fidei  et  dëvotioui  conjuncla  proinerentur,  ol  ea 
libi  libeiUissime  concéda  mur  per  qua»  erga  pcrsonas  benetneritas  tibique  gratas  et 
acceptas  te  beneficium  exhibcre  possis  et  liberalem 

(2)  Le  duc  de  Verneuil,  à  qui  Casimir  succéda  comme  abbé  de  huit  abbayes, 
lorsque  celui-ci  se  démit  de  ses  bénéfices,  avait,  à  la  mort  d'Ânnas  d'Escare,  cardinal 
de  Givry,  pris  en  1dl2  l'administration  de  l'évêché  de  Metz  en  vertu  d'un  rescrit  d« 
Rome  et,  eut  successivement  plusieurs  suffraganls  pour  le  spirituel. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  231 

cendit,  en  costume  de  cavalier,  «  Vêpèe  au  côté  et  la  Toison  d'or  au 
cou  u,  et  c'est  ainsi  costumé  qu'il  parut  duus  réglîse  à  la  céréinanîe  de 
son  installation. 

Casimir,  qui  était  lettré,  trouva  dans  la  communauté  une  société 
d'hommes  du  monde  et  d'aimables  savants. 

Mais,  bientôt  après  une  courte  période  do  vie  brillante,  vinrent  pour 
lui  des  déboires  de  toutes  sortes. 

Il  fut  accablé  par  les  réclamations  de  ses  créanciers.  Les  revenus  de 
ses  bénéfices  étaient  alors  administrés  par  Berrier,  secrétaire  des 
flnances,  qui  lui  assurait  150,000  livres  et  gardait  le  reste  pour  le 
trésor.  Berrier  payait  mal,  car  les  rentrées  ne  se  faisaient  pas, 

Casimir  mena,  dès  lors,  une  vraie  vie  de  u  roi  en  exil  *.  Ses  faî* 
blesses  le  rendirent  ridicule  ;  on  parla,  un  instant,  de  son  mnringc 
avec  la  veuve  du  maréchal  de  l'Hôpitril,  mm  Wv^ml,  ancienne  blan- 
chisseuse à  Grenoble,  puis  d'une  union  avecsabelle^sœur,  laprjnces&e 
Palatine. 

Son  état  de  santé  était  déplorable,  t^ar  décision  du  2i  avril  lG7t,  la 
communauté  de  Saint-Germain-des-Prés  avait  consenti  à  lui  prêter 
30,000  livres  pour  se  rendre  aux  eaux. 

Le  10  août  1672,  il  part  pour  les  eaux  de  Sainte-Reîne  (Alise),  b^n 
automne,  il  se  rend  à  Bourbon-Lancy.  C'est  à  son  retour  <[uUI  s'arnHa 
à  Nevers.  Il  fut  reçu  dans  le  couvent  des  clianoincs  réguli*^rs  de  celte 
ville  et  logé  dans  l'hôtel  abbatial.  Il  vriva^Tail  eu  assez:  hv]  équipage, 
puisqu'il  avait  une  suite  qu'il  payait  t'onnue  il  |iuuvail  (I),  des 
carrosses,  dix-neuf  chevaux,  trois  mulets,  des  l^ninres  dp  tapisseries, 
de  la  vaisselle  d'argent,  des  pierreries  et  une  ^rurde-nthe  inipnrlarïle, 
Jacques  de  Vienne  était  alors  abbé  de  Sain  I  Martin.  A  d«*tix)Kis  iln  cou- 
vent se  trouvait  la  maison  d'un  honni  te  rfu  tiue  desUtu-e  ^ini^ulii'i'e  avait 
conduit  en  Pologne,  Henri  de  Lagnin^i^  nian}iiis  il'Arquien,  père  de 
Marysienka,  dame  d'honneur  de  Marii'  de  (lani;a|^^ue,  puis  épouse  de 
Sobieski  et  leine  de  Pologne, 

C'est  dans  l'hôtel  abbatial  de  Saint-Mîtrlin  que  s't'taît  alité  Casimir  ; 


(1)  Bibliothèque  de  Seilhac  :  ManuscriL  U-Itte  ik-  ujtiûojilLsation  m^aiûJHÎi^ft  (i;if 
Jean  Casimir  à  Antoine  Baluze  (13  juin  Hj^jTï},  juVe  do  non  WRvul,  Jyjiii  tliisimir 
de  Baluze.  —  Bibliothèque  du  Mans  :  Manuscrit  iTlL  lion  fait  par  Ciisintjr,  i'uipi*ne 
abbé  commendataire  de  Saint-Jean,  à  Jean  fianère,  sa^n  premier  (.^liiairgitui,  ■  4e 
toutes  les  places  de  batteaux  situés  sur  la  rivière  de  Seyne  à  commencer  d^'pui^  le 
bout  de  la  grande  rue  du  Bac  jusques  au  village  de  Sèvres  i  (G  iïi*ii  1G70). 


.     ■  '-  -.  -     -     ._  "1.      -        .•  -      .  ^z:  -i-  tt  Charles 

•     -     -' : -  .1.       •—         j     ^   .__r    "i  .^t  1  Dir-n,  à  la 

j:  r-r-.^T   ":i:    \.'  -     -    -  _. :     ♦     • -    .-  : *ri«fc  três 

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|(  ^^/rrfi^-  à  riri^'  ^rjf.irit  nomniéo  MarieHlathorine,  qui  est  sous  la 


I 


REVUE  DU  NIVEHNAIS.  233 

conduite  de  la  femme  Gallois,  son  apotl)icaire,  15,000  fr.  pour  entrer 
religieuse  dans  l'ordre  de  la  Visitation  ;  aux  pauvres  de  l'hôpital  géné- 
ral de  Nevers  1,000  livres. 

Il  ajoute  que,  révoquant  toutes  autres  dispositions  testamentaires 
par  le  présent  testament,  il  prétend  faire  une  chose  agréable  à  MM.  les 
princes  de  Condé  et  d'Anguien  et  à  M"«  la  duchesse  d'Anguien  pour 
lesquels  il  a  toujours  eu  une  parfaite  estime  et  solide  amitié. 

Il  recommande  pour  le  soin  de  ses  intérêts  en  Pologne  M.  Frazmesk, 
archevêque  de  Gnesne,  primat  du  royaume  de  Pologne;  M.  de 
Trezevick,  évêque  de  Cracovie,  et  M.  Merstein,  grand  trésorier  de 
Pologne. 

Il  déclare  devoir  à  M™*  la  maréchale  de  THospital  300  pistoles  d'or. 

Le  13  décembre,  par  un  codicile,  il  donne  à  M.  le  comte  de  Wazenol, 
fils  naturel  du  roy  Wadislas  IV,  son  frère,  30,000  livres,  à  prendre  sur 
les  prétentions  relatives  à  la  vente  des  vaisseaux  ;  enfin,  il  demande 
qu'incontinent  après  son  décès  on  célèbre  pour  le  repos  de  son 
âme  3^000  messes  (1). 

Le  16,  à  sept  heures  du  soir,  le  roi  Casimir  mourait.  Il  n'avait  pas 
encore  soixante-quatre  ans. 

(A  suivre).  Paul  Meunier. 


(i)  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  manuscrit  35G7  f»  28  et  suivants,  Testament  de  Casl* 
mir,  roi  de  Pologne. 


10* 


yt 


234  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

LAI   MAUVUE 

Patois. 

Zeune,  i  soito  lai  benvenue, 
I  liro  seurraent  mon  saipiau 
Ai  lai  vartu  ben  ercounue, 
Ai  lai  vérité  nue  en  piau. 

I  crayo,  mai  grand  foi  !  l'histoère 
Du  bon  p'til  aignau  chi  pouli, 
Grippé  par  le  loup  que  vé  boère 
Dans  le  moime  roucho  que  li. 

I  maudisso,  en  confiance, 
Le  vieux  queurminel  et  plaigno 
Sans  beurguigner,  sans  défiance, 
Sai  victime,  le  p'tit  aignau!... 

—  Ma,  daipeu  qui  suis  las  aiffées, 
Qu'ientends  aivouquets  et  sarments. 
Las  prêches  ai  nous  très  chars  frées, 
Las  sentences,  las  zuzements, 

Tout  santé  ine  sanson  nouvële  ; 
Mas  vieux  haibits  sont  ertômés  ; 
On  ai  dû  sanzer  mai  sarvéle 
Et  mas  linottes  chu  mon  nez  ! 

Mai  tête  ai  pris  ine  cliarvue, 
Coume  mai  mayon,  pou  devant, 
laivo,  ptète  ben,  lai  mauvue 
Et  lai  barlue  aupairaivant! 

Ai  çteure,  i  vois  tout  le  contraire 
De  ce  qui  vio  du  premé  coup, 
Et  ne  sens  pas  ben  loin  ed  craire 
Que  ço  Taignau  qu'ai  m'sé  le  loup  ! 


Louis  DE  COURMONT. 


w 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  23.1 

CHANGEMENT  D'OPTIQUE 

Français, 

Dans  ma  jeunesse ,  je  souhaitais  la  bienvenue 
Et  tirais  mon  chapeau  seulement 
A  la  vertu  patente, 
A  la  vérité  toute  nue. 

J'ajoutais  foi,  ma  parole  !  à  Thistoire 
Du  bon  petit  agneau  si  poli, 
Surpris  par  le  loup  qui  va  boire 
Dans  le  même  ruisseau  que  lui. 

Je  maudissais,  de  confiance, 
Le  vieux  criminel  et  plaignais, 
Sans  arrière-pensée,  sans  défiance, 
Sa  victime,  le  petit  agneau  !... 

—  Mais  depuis  que  je  suis  les  affaires. 
Que  j'entends  avocats  et  serments, 
Les  prônes  à  nos  très  chers  frères, 
Les  sentences,  les  jugements. 

Tout  chante  une  chanson  nouvelle  ; 
Mes  vieux  habits  sont  retournés  ; 
On  a  dû  changer  ma  cervelle 
Et  mes  lunettes  sur  mon  nez  ! 

Ma  tète  a  pris  une  imposte  ajourée, 
Comme  ma  maison  par  devant. 
J'avais,  sans  doute,  la  vue  de  travers 
Et  la  berlue,  auparavant. 

Maintenant,  je  vois  tout  le  contraire 
De  ce  que  je  voyais  de  prime  abord. 
Et  ne  suis  pas  éloigné  de  croire 
Que  c'est  l'agneau  qui  a  mangé  le  loup  ! 

L.  DE  C. 


^^ 


236  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

/ 


LES  NIVERNAIS  AUX  DEUX  SALONS 


LA  SCULPTURE 
Société  nationale  des  Beaux-Artt. 

Chargé  du  monument  que  le  Cher  élève  à  ses  enfants  morts  pour  la 
Patrie  en  1870-74,  M.  Jean  Baffier  n'a  pas  cherché  à  faire  une  fois  de 
plus  le  sujet  devenu  classique  du  soldat  se  renversant  mourant  dans 
les  bras  de  la  France.  Il  a  voulu  surtout  symboliser  le  courage  civique 
aux  grands  jours  d'épreuves  nationales,  alors  que  Tennemi  vient  de 
franchir  la  frontière.  Ce  qu'il  nous  donne  la  joie  d'admirer  c'est 
V Homme  du  paya  se  réveillant  en  face  de  l  étranger  spoliateur.  Tenant 
encore  dans  sa  main  droite  un  tronçon  du  soc  brisé  de  sa  charrue,  fré- 
missant d'une  sainte  colère,  celui-ci  presse  sur  son  cœur,  d'un  geste 
simple  et  grand,  l'épée  sacrée  de  l'ancêtre  gaulois  qui  lui  dicte  son 
devoir.  Œuvre  rustique  que  cette  statue,  forte  et  puissante,  où  s'af- 
firme le  talent  sain  et  robuste  de  l'artiste. 

De  lui  encore  une  intéressante  statuette  en  bronze  représentant  Un 
forgeron  assis  auprès  de  sa  forge  et  étudiant  un  motif  décoratif  de  porte 
ou  de  balcon,  que  son  marteau,  guidé  par  la  pensée  créatrice,  exécu- 
tera avec  ce  goût  qui  est  la  marque  de  l'ouvrier  d'art  français. 

M.  Maurice  Perrat  expose  une  cire  qui  deviendra  bientôt  un  docu- 
ment rétrospectif  de  la  vie  parisienne ,  car  ses  Chevaux  d'omnibu$ 
allant  relayer^  d'un  rendu  si  juste,  nous  ne  les  verrons  bientôt  plus  :  la 
vapeur  et  l'électricité  prennent  rapidement  leur  place  sur  le  pavé  de 
Paris,  la  grande  ville  si  chère  à  l'Alceste  de  Molière.  Un  salut  à  ces 
victimes  du  progrès. 

Société  des  Artistes  français. 

M.  Boisseau  n'a,  cette  année,  qu'un  buste,  mais  un  buste  d'enfant, 
et  l'on  sait  avec  quel  charme  il  traite  ces  têtes  mignonnes  qui  sont  le 
sourire  de  la  vie. 

De  M.  A.  Marquet,  Imploration.  C'est,  si  nous  ne  nous  trompons,  la 
première  grande  figure  que  l'artiste  envoie  au  Salon.  Dans  son  alti- 
tude, un  genou  à  terre,  les  bras  tendus,  les  mains  jointes,  elle  implore 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  237 

réellement,  dans  un  élan  de  tout  le  corps,  une  vibration  de  tout  l'être, 
l'appel  suppliant  du  regard.  Cette  œuvre  a  obtenu  une  médaille  de 
3«  classe. 

L'artiste  expose  encore  un  buste  :  Portrait  de  M.  C.  B. 

J'ai  déjà  dit  combien  les  œuvres  de  M.  Charles  Paillet  m'intéres- 
saient. Ce  sont  d'excellentes  études  d'animaux,  faites  de  sincère  obser- 
vation. Ils  sont  caractéristiques  ces  Oursons  à  l'affût,  penchés  avides 
au  dessus  d'un  terrier,  les  gueules  haletantes,  prêts  à  se  jeter  lourde- 
ment sur  la  proie  qu'ils  guettent. 

J'ai  déjà  parlé,  dans  cette  Revue,  de  la  Jeanne-d'Arc  deM°»e  Signoret- 
Ledieu,  destinée  à  la  ville  de  Saint-Pierre-le-Moûtier,  à  propos  de  la 
maquette  qu'elle  en  exposa  au  Salon  de  1900.  L'œuvre  est  terminée  et 
la  voici.  Œuvre  nouvelle  en  somme,  car  l'artiste  a  mis  une  année  à 
faire  du  projet  primitif  un  travail  définitif  d'un  art  soutenu.  Nos  lec- 
teurs se  rappellent,  d'après  le  dessin  qu'en  fit  pour  eux  M^'®  Jeanne 
Brunot,  que  la  grande  héroïne  française  tenait  une  hachette  de  la 
main  gauche.  Afin  d'augmenter  l'effet  décoratif.  M™©  Signoret-Ledieu 
a  remplacé  la  hachette  par  une  épée  et  l'ensemble  y  a  gagné.  Toutes 
nos  félicitations  à  l'artiste  qui  a  fait  une  œuvre  de  conscience. 

* 
PEINTURE,   DESSINS,    ETC. 

Société  nationale  des  Beaux-Arts, 

J'aime  le  talent  de  M.  Charles  Pelecier,  car,  fait  d'observation 
précise,  il  n'a  pas  de  sécheresse.  L'artiste  conserve  à  l'atmosphère  de 
ses  intérieurs  bretons  sa  note  intime  enveloppant  toute  chose  d'une 
couleur  locale  qui  est  la  patine  de  l'ambiance.  Il  s'émeut  réellement 
devant  les  scènes  qu'il  fixe  sur  la  toile  d'un  pinceau  qui  est  un  inter- 
prète fidèle  de  sa  vision.  Il  suffit  de  s'arrêter  devant  Y  Intérieur  breton 
et  la  Petite  ménagère  qui  ont  un  air  de  famille  pour  en  avoir  l'impres- 
sion. Avec  les  BuUes  de  savon^  son  troisième  envoi,  il  se  montre  de  la 
lignée  de  notre  grand  Chardin. 

Société  des  Artistes  français. 

De  M.  Urbain  Bourgeois,  le  Portrait  du  jeune  Lucien  B.,  d'une 
excellente  facture.  J'en  dirai  autant  du  pastel  de  SP'«  Marguerite 
Fauron,  Portrait  de  JU"^^  M.. 


^U| 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  239 

fiUelte,  et  un  pastel  où  s'offre  à  notre  vue  des  fruits  qui  devaient  être 
savoureux. 

OBJETS  D'ART,  ETC. 

Société  nationale  des  Beaux-Arts. 

Je  n'ai  plus  à  dire  combien  M.  Jean  Bafûer,  dans  le  domaine  de  l'art 
appliqué  à  la  décoration  des  objets  destinés  à  orner  la  table  ou  le  dres- 
soir, fait  acte  de  haute  maîtrise,  ce  serait  me  répéter.  II  s'inspire  tou- 
jours de  la  flore  française,  et  de  l'étude  soutenue  qu'il  en  fait,  il  en 
dégage  des  conceptions  neuves  qui  renouvellent  l'art.  II  n'applique 
jamais  de  motifs  sur  des  formes  courantes.  Le  motif  fait  corps  avec  la 
forme,  il  en  dérive  naturellement,  c'est  un  tout.  De  là,  la  supériorité  de 
l'œuvre.  Tels  ses  candélabres  et  ses  bougeoirs  en  cuivre,  son  sucrier  et 
ses  salières  en  étain.  Il  y  a  joint  deux  vases  à  fleurs  avec  des  femmes 
en  cariatides  qui  représentent  les  trois  types  de  ses  provinces  d'élec- 
tion (Berry,  Bourbonnais  et  Nivernais)  ;  les  unes  vues  de  dos,  les  autres 
de  face,  et  bien  prises  dans  l'ambiance  du  pays. 

Il  expose  aussi  le  bijou  Krûger  (or,  argent  et  perle),  figurant  une 
épée  gauloise  ornée  du  gui  sacré,  qu'il  a  exécuté  en  collaboration 
avec  ses  élèves,  MM.  France  Briffault,  l'artiste  nivernais  que  nous 
avons  le  regret  de  ne  plus  voir  au  Salon,  et  Paul  Orléans. 

Société  des  Artistes  français. 

M.  Edouard  Besle,  un  nouveau  venu  au  Salon,  si  je  ne  me  trompe, 
expose  trois  aquarelles  intéressantes  :  un  projet  de  décoration  inté- 
rieure (vestibule  peint  à  fresque  avec  un  escalier  à  rampe  de  bois 
tournée  et  sculptée)  ;  un  projet  décoratif  aux  belles  lignes  où  se  dresse 
altière  et  souveraine  avec  un  regard  impérieux,  la  déesse  Junon  ;  enfin 
un  projet  de  plafond. 

Flemrs  échappées^  de  M°>«  Martin  des  Amoignes,  est  un  paravent 
Louis  XV  d'un  joli  goût  artistique  et  d'une  heureuse  disposition. 

Et  pour  terminer,  citons  encore  de  M.  Armand  Robardey,  un 
médaillon  vieil  argent,  Portrait  de  M.  le  docteur  Lombard. 

Edouard  Achard 


240  REVUE  OU  NIVERNAIS. 

LE  PEINTRE  ALEXANDRE  BOUCHE 

Pour  la  première  fois,  cette  année,  le  jury  de  peinture  a  décerné  le 
prix  Rosa  Bonheur,  destiné  à  récompenser  *  le  meilleur  tableau  da 
Salon  ]».  Si  cette  haute  récompense  n'est  pas  échue  à  un  des  nôtres, 
le  peintre  éminent  qu'elle  a  distingué  n'est  pas  un  étranger  pour  notre 
Nivernais  et  son  nom  a  déjà  été  écrit  dans  cette  Revue  :  c'est  notre 
ami  Alexandre  Bouché,  qui  fut  notre  hôte  à  Beaumont-la-Ferrière  où 
il  moissonna  de  précieuses  études.  Bouché,  un  noble  caractère,  qui  ne 
doit  ses  succès  qu'à  son  travail  consciencieux  et  énergique,  à  son  talent 
robuste  et  pur,  est  aujourd'hui  un  de  nos  maîtres,  et  un  des  meilleurs. 
Nous  voudrions  reproduire  en  entier  l'article  de  tête  que  lui  consacre 
le  Journal  des  Arts  ;  nous  en  extrairons  au  moins  quelques  passages 
en  envoyant  à  Bouché  nos  plus  cordiales  félicitations  : 

«  S'il  est  un  exemple  de  vocation  irrésistible,  de  persévérance  et  de 
travail,  c'est  assurément  celui  que  nous  donne  la  carrière  du  paysa- 
giste Alexandre  Bouché,  l'artiste  de  haut  mérite  qui  vient  d'obtenir  le 
prix  Rosa  Bonheur,  donné  pour  la  première  fois  cette  année.  La  liste 
qu'ouvre  Bouché  sera  plus  tard  un  document  curieux,  puisqu'elle  sera 
la  nomenclature  des  toiles  qui  auront  obtenu  le  plus  de  succès  au 
Salon...  Bouché  nous  donne  la  preuve  d'une  sève  toujours  nouvelle 
par  les  deux  magnifiques  toiles  qu'il  expose  au  Salon  :  La  Marne  à 
Saint'AuldCj  le  soir,  éclairée  par  un  soleil  couchant,  admirable  d'air  et 
de  chaude  lumière  ;  et  Coup  de  vent,  donnant  bien  l'mpression  d'un 
jour  douteux.  Ces  deux  œuvres  sont  bien  comprises,  bien  composées, 
admirablement  dessinées,  et  peintes  d'une  pâte  grasse,  simple,  savou' 
reuse,  dont  on  ne  se  préoccupe  plus  assez,  à  notre  époque  de  peinlua* 
littéraire  et,  la  plupart  du  temps,  anémique... 

))  Bouché,  qui  répète  volontiers,  dans  un  élan  de  reconnaissance, 
qu'il  doit  tout  à  Corot  (son  maître),  possède,  à  notre  avis,  le  mérite 
bien  rare  d'être,  à  son  tour,  devenu  un  maître,  et  d'être  demeuré 
personnel,  différant  complètement,  non  de  sentiment,  mais  de  métier, 
de  celui  qu'il  admirait  avec  tant  de  raison...  S'il  est  donné  au  vieux 
maître  de  contempler,  de  son  lieu  de  repos  éternel,  les  œuvres  de 
celui  qui  fut  c  son  petit  ami  »,  le  bon  Corot  doit  prononcer  l'habituel 
c  fameux,  fameux  I  »  dont  il  qualifiait  les  morceaux  qu'il  trouvait 
réussis 


-^» 


REMJE  DV  NIVERNAIS.  241 

\ 

H  Bouché  a  toujours  négligé  de  a  se  faire  valoir  »,  faute  considérable 
à  notre  t^poque,  mais  qui,  heureusement,  ne  change  pas  la  valeur  de 
ses  œuvres,  que  se  disputent  tous  les  collectionneurs  de  marque...  > 

Nous  apprenons  que  l'Etat  vient  d'acheter  pour  le  musée  du 
Uixnmbourg  un  des  deux  tableaux  de  Bouché  :  La  Marne  à  Sainte 
Âuidê,  U  soir,  Achille  Millien. 


LE  PAGE 

A  Albert  Perrin, 

La  châtelaine,  un  jour,  laissant  la  broderie 
Pour  le  paj^e  charmant,  mais  rêveur  et  discret, 
Là,  iDul  prêt  d'elle  assis  sur  un  bas  tabouret,  — 
Lui  narrait  un  roman  de  la  chevalerie. 

((  Elle  semblait  la  vierge  au  front  pur  que  l'on  prie  ; 

«  C'était  un  lys  des  cieux,  —  et  Lindor  soupirait, 

<  N'osant,  simple  écuyer,  dire  son  doux  secret  ; 

a  Ils  albîent  donc  ainsi,  foulant  l'herbe  fleurie...  d 

Ah  l  c>A  délicieux,  une  histoire  d'amour! 
L'adolescx^nl,  ravi,  la  regarde  à  son  tour... 
Elle  voit  dans  ses  yeux  une  brûlante  flamme 

Et,  toute  remuée,  affermissant  sa  voix 
Devant  le  pauvre  enfant  qui  dévoile  son  âme  : 
u  I>etit  page,,  cela  se  passait  autrefois  ». 

Ed.  Porée. 


MONTSAUCHE  EN  MORVAN 

Dans  les  champs  d'alentour  les  granits  sont  jetés 
(]Ljrnme  les  osselets  géants  d'un  jeu  d'Hercule. 
Le  balai,  peu  à  peu,  devant  le  soc  recule 
Et  devant  les  efforts  des  hommes  concertés. 

La  hlancheur  des  maisons,  aux  midis  des  étés. 
Brille,  lorsque  du  feu  dans  l'air  brûlant  circule  ; 
Le  siïir,  quand  des  douceurs  tombent  du  crépuscule, 
I^es  horixons  prochains  sont  de  rose  teintés. 

Une  placidité  dans  Patmosphère  stagne. 
Le  j^eiitH  et  le  roc  évoquent  la  Bretagne, 
Et  Ton  rroirait  entendre  un  océan  chanter. 

Quand  la  voix  des  Settons  murmure  une  caresse. 
Qui  soupire,  qui  tombe  et,  dans  l'éther  bleuté. 
Sur  la  ville  qui  dort,  meurt  en  une  paresse. 

Henri  Bachelin. 


"^ 


242  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

LE    PARNASSE   MODERNE 


POÈTES   HOLLANDAIS  (Suite) 


Schimmel 

ELLES  VOYAIENT 

Vieille  bonne-grand'mère,  avec  vos  blancs  cheveux, 
Qui  sortent  de  la  coiffe  en  plaques  bien  luisantes, 
Dans  vos  yeux  brille  encor  Téclair  des  tours  joyeux 
Et  votre  bouche  est  prêle  aux  paroles  plaisantes. 

Que  bon-papa  proteste  et  gronde  de  son  mieux, 
Autour  de  vous,  chacun  vous  gâte  et  vous  adore  ; 
Avec  votre  binocle  et  le  ciel  dans  les  yeux, 
Vous  êtes  à  ravir,  bonne-maman,  encore  ! 

Tète-blonde  aux  cheveux  doux  comme  le  satin, 
Aux  cheveux  déroulés  en  boucles  ondoyantes, 
Que  veulent  aujourd'hui  ces  lèvres  de  carmin, 
Que  veulent  conquérir  ces  lèvres  souriantes  ? 

Que  bon-papa  proteste  et  gronde  de  son  mieux, 
Tant  pis,  ne  tenons  pas  la  chose  bien  secrète  : 
Le  sourire  à  la  joue  et  l'innocence  aux  yeux, 
Oui,  vous  êtes  vraiment  à  croquer,  blonde-téte  I 

Bonne-maman  aime  à  s'asseoir  près  de  l'enfant 
Qui  s'appuie  à  son  sein,  elle  aussi  bien  joyeuse. 
Met  la  )nain  sur  son  cou  d'un  geste  caressant, 
Et  penche  les  frisons  de  sa  tête  soyeuse. 

Et  tète  blonde  lit  avec  bonne-maman, 
Quoiqu'à  peine  elle  épèle...,  et  le  livre  aux  images 
Est  à  toutes  les  deux  ;  d'ailleurs,  si  gentiment. 
Bonne-maman  lui  dit  ce  qu'on  voit  dans  ces  pages! 

Vieille  bonne-maman  lit  donc  sur  ses  genoux 

Le  livre  ouvert,  la  Bible  aux  lii^nos  éternelles  : 

((  Ceux  qui  ont  le  cœur  pur,  ceux-là  verront  Dieu,  d  —  Nous, 

Sans  doute  nous  croyons,  mais  elles  voyaient,  elles  ! 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


243 


Maria  Boddaert,  M^^  Gtolderman. 

(1844) 

CONTE  D'ENFANT 

La  nuit  n'est  pas  méchante...  Elle  arrive  et,  bien  vite, 
Elle  ouvre  le  ciel  :  au  même  moment 
Chaque  étoile,  grande  et  petite, 
Sur  ses  petits  pieds  d*or  s'approche  doucement. 
Les  étoiles  sont  curieuses 
Et  de  descendre  elles  seraient  joyeuses, 
Mais  elles  ont  trop  peur,  peur  de  la  grande  mer 
Et  des  arbres  si  longs  dans  l'air  ! 

Tout  est,  là-haut,  tout  est  comme  ici  dans  la  brune, 
Mais  les  étoiles  ont  de  la  lumière  :  Avant 
De  se  coucher  le  soleil  à  chacune 
Remet  une  lanterne  ;  elle  la  tient  devant 

Son  petit  visage.  Elle  veille, 
Regarde,  rit,  salue  et  dit  :  «  Vite,  sommeille  !  » 
On  ne  les  met  jamais  au  lit  auparavant 
Que  le  soleil  ait  fait  son  somme  et  se  réveille. 

Toute  la  nuit,  tranquillement, 
Elles  se  promènent  sans  cesse 
Sur  leurs  petits  pieds  nus  que  rien  ne  blesse, 
Car  les  nuages  les  portent  si  mollement  ; 
Puis  elles  vont  très  doucement, 
Sans  faire  de  bruit  dans  leur  route 
De  peur  de  déranger  les  bons  dormeurs  lassés. 
Elles  ne  sauraient  pas  me  gêner,  moi,  sans  doute, 
Mais  il  est  des  enfants  malades,  bien  assez  ! 

Oh  I  que  je  voudrais  bien  monter  jusqu'auprès  d'elles  I 
Si  je  savais  comment,  va,  j'y  serais  bientôt. 
Les  oiseaux  eux,  ont  des  ailes  ; 
Ils  s'envolent  plus  haut  que  les  arbres,  plus  haut  !.. 
Quelquefois,  chez  vous,  font -ils  leurs  nichées  ? 
Peut-être  que  cela  ne  leur  plaît  pas  beaucoup... 
Etoiles,  allez-vous  toujours  seules  ?  Penchées, 
Vous  pourriez  bien  tomber  de  là-haut  tout  d'un  coup. 

Dites,  avez-vous  un  jardin... 
Des  abeilles  qui  font  f  roue  roue  », 
Des  cerises...,  des  fleurs...,  une  dune  où  l'on  joue 
A  monter,  descendre  ?...  La  main 


24i  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

De  ta  maman  serait-elle  aussi  douce 
Que  celle  de  la  mienne,  alors  qu'elle  te  fait 
Ta  toilette  au  matin,  lorsque  le  savon  mousse, 
Et  que  Teau,  sur  ton  dos,  tombe  fraîche,  à  grand  jet  ? 

En  mon  bosquet,  un  rossignol  demeure. 
Avez-vous  des  oiseaux  à  nourrir  ?  —  Etes-vous 
Toutes  frères  et  sœurs  ?  Bientôt  j'aurai  chez  nous 
Un  frère...,  son  petit  lit  est  prêt  à  cette  heure. 
Pour  dormir,  avez-vous  de  petits  lits  aussi  ? 
Où  sont-ils  donc  ?  Vraiment  je  n'en  vois  pas  d'ici... 

Deux,  dix,  douze...  toujours  je  vous  vois  accourir 
Plus  nombreuses...  en  mes  paupières, 
(Mais  je  ne  peux  plus  les  ouvrir  !) 
Vous  me  jetez  des  tas  de  petites  poussières... 

Dix...,  six...,  cent...,  oh  !  je  suis  trop  las 
Pour  vous  compter  là-haut...  là  bas  ! 
A  mon  réveil,  du  ciel  les  portes  seront  closes. 
Et  j'aurais  à  vous  dire  encore  tant  de  choses  I 


LAMENTO 


N'ouvre  pas  les  volets.  Qu'aujourd'hui  ne  pénètre 
Nullement  le  soleil  qui,  par  cette  fenêtre. 
Ne  réveillera  plus  la  morte,  désormais  ! 

Et  seul,  laisse-moi  seul  avec  ma  morte  chère. 
Seul  en  cette  veillée  atroce,  la  première 
De  sa  nuit  qui  jamais  ne  finira,  jamais  ! 

Je  veux  dire  les  mois  de  tendresses  secrètes 

Que  je  garde  en  mon  cœur  :  Par  mes  lèvres  muettes, 

Mon  âme  ne  s'est  pas  épanchée  à  mon  gré. 

La  couche  où  je  la  vois  pour  toujours  endormie. 
Je  veux  l'orner  des  fleurs  du  souvenir!...  Amie, 
L'épanouissement  en  est  prématuré  ! 

Ah  !  du  sang  de  mon  cœur,  si  je  pouvais  te  rendre 
La  vie  et,  relevant  la  paupière,  répandre 
Le  soleil  en  tes  yeux  ouverts  encor  pour  moi, 

Ou,  pressée  en  mes  bras,  à  travers  les  ténèbres 
Et  la  muette  horreur  des  corridors  funèbres. 
Te  porter^  ô  chérie,  et  rester  avec  toi  î 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  245 

M.-G.-L.  van  Loghem. 

(i850). 

MINUIT 

C'est  la  nuit.  -  Le  silence  accompagne  à  la  ronde 
L'heure  auguste  —  minuit  —  qui  s'envole  d'abord. 
Entends-tu  se  briser  la  vague  moribonde 
Près  de  s'anéantir  dans  les  roseaux  du  bord  ? 

C'est  la  nuit.  ^  Cygnes  blancs,  vont  flottant  les  nuages  ; 
Dans  la  lune,  là-bas,  les  voilà  se  mirant. 
La  vague  qui  reflète  et  berce  leurs  images 
Ne  les  troublera  pas  dans  leur  passage  errant. 

C'est  la  nuit.  —  Sur  les  flots  un  son  de  harpe  passe  ; 
Triste,  vibre  la  corde,  et  le  thème  est  dolent, 
Et  sur  la  vague  des  accords,  parmi  l'espace, 
Flotte,  flotte  le  chant,  comme  un  cygne  au  coi  blanc. 

F.  L.  Hemkes 

(1854-1887). 

GUERRE  CIVILE 

Le  roi  meurt,  au  berceau  laissant  son  fils  qui  dort  : 
La  couronne  tenta  le  frère  du  roi  mort. 

A  lui,  les  chevaliers  décernent  la  puissance, 
A  l'enfant,  les  prélats  jurent  obéissance  ; 

La  discorde  enflamma  le  peuple,  on  vit,  hélas  I 
Fils  contre  père,  avec  haches  et  coutelas. 

Bétail  volé,  maisons  en  feu,  larcins,  ravage  !.  . 
Seule,  aux  champs  désertés,  croissait  l'herbe  sauvage. 

En  misère  et  douleur,  le  long  du  grand  chemin. 
Les  paysans  erraient  en  mendiant  leur  pain. 

Mais  enfin  pour  l'enfant  le  destin  se  décide  ; 
Le  roi-chevalier  tombe  en  la  lutte  homicide. 

Les  prêtres  louaient  Dieu  par  un  chant  triomphal, 
Et  les  vainquent^  partaient  pour  le  château  royal. 

Tandis  qu'ils  arrivaient  acclamant  leur  victoire, 
Il  flottait  sur  la  tour  une  bannière  noire  : 

La  mort,  du  champ  sanglant  envolée,  arnva 
Avant  eux  à  l'enfant  du  trône,  et  l'enleva  ! 


^ 


246  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

P.  M.  Boele  van  Hensbroek 

(1854) 

MOUSAPI 

(Récit  d'un  soldat.) 
Nous  étions  à  Aljeh  ;  un  temps  de  tous  les  diables  I 
Nous  brûlions  tout,  partout  nos  canons  effroyables 
Dévastaient  les  Kampongs.  Ah  I  comme  on  les  sabrait 
Les  hommes  bruns  !  Pourtant,  sortis  de  la  forêt, 
D'autres  venaient,  d'autres  encore...  leur  courage 
Semblait  croître  sans  cesse.. . 

Une  fois,  avec  rage, 
Nous  avions  combattu,  brisé  parle  canon 
Cette  affreuse  canaille.  Au  fait,  ils  tenaient  bon 
J'en  fais  l'aveu  ;  leur  sang  coulait  à  flots,  n'importe  ! 
Ils  préféraient  la  mort  à  notre  loi  ;  de  sorte 
Qu'ils  y  passèrent  tous.  On  nous  permit  alors 
Quelque  repos.  Ensuite  on  creusa  pour  les  morts 
Un  gigantesque  trou  ;  travail  très  simple  en  somme. 
On  jelait  tout  en  bloc.  Mais  voici  qu'un  jeune  homme 
Un  des  nôtres,  de  ceux  qui  juraient  le  plus  fort 
Contre  tous  ces  bandits,  devient  pâle  d'abord 
Puis  recule  tremblant... 

Là,  gisante,  une  femme, 
Le  sein  percé,  le  deuil  aux  yeux,  tient  une  lame 
D'une  main  et  de  l'autre  embrasse  sur  son  cœur 
Un  enfant.  La  pitié  n'était  pas  en  faveur 
Chez  nous,  tant  que  grondait  la  lutte  meurtrière  • 
Mais  après?...  C'est  pourtant  sa  patrie...,  et  la  guerre 
Est  si  cruelle  !...  —  Tous,  restant  silencieux, 

Nous  comprenions,  —  c'était  lisible  dans  les  yeux  

Honorant  le  courage  et  la  femme  et  la  mère 
Que  le  tombeau  commun  ne  lui  convenait  guère. 
Pas  un  mot  ne  fut  dit,  sans  retard  on  creusa 
Une  fosse  à  l'écart  et  l'on  y  déposa 
Avec  respect  les  corps  unis  des  deux  victimes 
Dont  chacun  salua  la  tombe.  . 

Nous  partîmes. 
Plus  loin  chez  les  vaincus  nous  portâmes  nos  pas. 
Depuis,  devant  ces  gens  qui  ne  fléchissaient  pas. 
Aimant  mieux  se  vouer  à  la  mort  préférée 
Je  sentais,  pour  tirer,  ma  main  moins  assurée 
Car  je  voyais  toujours.  -  longtemps,  longtemps  je  vis 
Cette  femme  luttant  pour  sauver  son  pays. 

Traduction  de  Achille  Miluin. 


\ 


LIVRES  ET  PÉRIODIQUES 


Emile  Guillaumin,  Tableaux  champêtres,  in-12  de  253  pages.  —  Moulins,  Crépin- 
Leblond,  imprimeur-éditeur,  avenue  de  la  Gare,  14.  —  En  vente  chez  Fauteur,  à 
Ygrande  (Allier),  2  fr.  50. 

Je  voudrais  avoir  Tautorité  nécessaire  pour  mettre  en  lumière  —  la  lumière  du 
grand  jour  qu'il  mérite  —  ce  livre  d'un  paysan,  notre  voisin  du  Bourbonnais,  non 
pas  d'un  faux  paysan,  d'un  bachelier  vivant  dans  ses  terres  et  sachant  voir  et  méditer, 
ce  qui  n'est  pas  si  commun  d'ailleurs  et  ce  qui  ne  serait  pas  sans  mérite,  —  mais 
bien  mieux,  d'un  ouvrier  de  la  glèbe,  d'un  vra;  laboureur.  Emile  Guillauminse  repose 
du  travail  de  la  charrue  par  celui  de  la  plume,  —  celui-ci  étant  pour  ses  loisirs  du 
dimanche  une  distraction  et  un  plaisir.  Muni  des  simples  leçons  de  l'école  primaire, 
M.  Guillaumin  est  devenu  un  lettré  par  son  désir  d'apprendre,  par  son  entêtement  à 
s'instruire  et  aussi,  il  faut  le  dire,  par  le  don  de  poésie  qu'il  apporta  en  naissant; 
car  il  est  poète  et  poète  sincère,  tour  à  tour  rude  et  robuste,  attendri  et  délicat. 

Tous  ces  tableaux  champêtres  sont  dessinés  d'après  nature.  11  les  a  vus  et  les 
a  rendus  au  vrai^  en  y  mettant  un  peu  de  son  àme,  puisque  non  seulement  il  les  a 
vus,  mais  qu'il  les  a  vécus;  il  a  été  V homme  dans  tous  ses  paysages,  l'acteur  dans 
toutes  ses  scènes.  Et  voilà  pourquoi  ces  papes  sont  si  savoureuses.  Depuis  l^s  pre- 
tniers  soleils  jusqu'aux  scènes  d'hiver,  toute  la  nature  d'Ygrande  se  déroule  à  nos 
yeux,  animée,  vivante,  travail  et  plaisir,  tristesse  et  j^ie,  espérance  et  déceptions, 
toute  la  vie  «  du  pauvre  laboureur  »,  comme  dit  la  vieille  chanson.  Et  la  langue  dont 
se  sert  Guillaumin  est  telle  que  bien  des  morceaux  Hgureraient  avec  honneur  dans 
une  anthologie  rustique,  .le  ne  peux,  faute  d'espace,  en  mettre  un  spécimen  sous  les 
yeux  de  nos  lecteurs,  mais  j'espère  que  M.  Guillaumin  donnera  bientôt  à  notre  Revuê 
quelque  page  inédite. 

J'aurais  bien  envie  de  chercher  chicane  à  l'auteur  au  sujet  de  son  dernier  cha- 
pitre :  Conclusion.  Il  y  fait  trop  bon  marché  des  traditions  locales,  des  vieux  usages 
qui  disparaissent  si  vile,  et  semble  croire  que  «  la  vie  humaine  ■  ne  pourrait  s'amé- 
liorer si  ces  traditions  anceslralos  se  perpétuaient.  «  Que  chaque  i>rovin(e,  dit-il, 
perde  donc  son  caractère  distinctif,  si  la  généralité  dans  laquelle  elle  sf»  fond  donne 
a  chacun  de  ses  habitants  un  peu  de  bien-être,  dos  •  mœui-s  fiiiis  douces,  des  idées  plus 
élevées  et  plus  nobles  ».  El  pounjuoi  chaque  province  ne  briiélii-ierail-elle  pas  de  ces 
avantages,  tout  en  conservant  son  caractère  distinctif  ?  L'un  n'exclut  pas  l'autre.  Je 
crois,  d'ailleurs,  qu'après  cinq  minutes  de  conversation,  je  m'entendrais  fort  bien 
à  ce  sujet  avec  M.  Guillaumin  et  que  tout  malentendu  aurait  disparu. 


Nous  avons  parlé  plusieurs  fois  de  la  société  qui  s'est  constituée  à  Dijon  sous  ce 
titre  :  Appui  fraternel  des  Enfants  du  Morvan,  et  dont  noire  collaborateur,  M.  Par- 
thiot,  fut  un  dt»s  initiateurs.  Elle  vient  de  publier  son  Annnaiie  1'.K)l.  Nous  y  lisons 
des  pages  très  intéressantes  :  Projet  d'une  Ufjnc  de  Dijon  à  Nevers  ;  l.'ne  excursion 
en  Morvan ;  Essai  étymologuiue  sur  les  noms  des  so(i('taires ;  des  histoires  et  des 
contes  morvandeaux.  Bonne  chance  et  félicitations  à  nos  comi»alrioles  dijonnais. 


^  ^.r 


Signalons  la  publication  d'un  nouveau  journal  de  notre  ri'gion  *  Saint- Honoré^ 
Thermal.  11  est  l'organe  de  la  belle  ville  d'eaux  morvandelle,  si  avantageusement 
connue.  Des  améliorations  importantes  viennent  de  s'eiïecluer  et  de  transformer, 
dans  le  sens  du  confort  le  plus  moderne,  la  charmante  station  thermale.  On  peut 
prévoir  l'avenir  assuré  à  Saint-Honoré  quand  on  sait  que  ses  eaux  nont  pas  de 
iimilaires  en  France.  Assise  au  seuil  du  pittoresque  Morvan,  à  quelques  lieues  de 


•  xZ.       -^^ 


'•^^•jimtenl  W- 


'•:  .   -  "-    £r    v^-^rs:  Petite 
'-  '  -1,  ui  ^^-»-»lliE';£^:  — •  »  îr  JÔ. 

-  •  A,  ;?.   n  ir'tii  •  ^   -rj^  ^  :-^  touche 
'  -   M  .fi*'      '  •  '-»*  J3^ect«ir 

'  -—>«♦•-  •  •!       ..   :,-;      ^  t^rs  au  sol 

••'    i     '    i  ►*•>..  .       ..s   "^  HLl.  il  faut 

•.-  «..i-  ...  ui   I'  f        un  Tr  0-  u  wtile 

•.-    ..j-  -.r-  .-.  .  •'  !,-  H  chen- 

'.    •••    ..••:,►*.     -  -  î\  ..  --ïi.-.ais». 

-  -Ai    ic    , ..-.      ::^,  .s   ta  ae  pnme 

'      -'      --î  '.  ^.t:  vIuiTJ  dans 

W.A--      -^.      vufr  voyons 

—  I    .-       :„,    ^r^  iLi  fniuks. 

i    .     •      i.---   •*  :        LM.ri:..  es-  Ar-ibes, 

!••  ■'    .--ï.       "TL.i  :•— ï«*  .Miiinu- 

ui  — ..i.ii.-.:..  ^      -«   „-•    ^   ..-r^Kiledes 

1       ••   ••  -  .  ..^■'    .-..  .•  iiî-v  .  wQiear 

'-!!:u*. ^.         ^  ff!?  moins 

•    '  •  •  .        —-..-_—     :'—  raes  de 

"    .  4  i'-^'.  :.-.  ;       ^        iirije  un 

...    -  .  .  >— î^      ,.•  .'^.     Lî  tvùles, 

.  ..c    ...'.wi*'-    -^..^r.  -»  r-vrrf  bien» 


•     ...'  l'i.ii..!          .       .                r*."2-  -T.^AinS, 
■4C.J.f-«*k     ili     -..Ut  tfTs        Jt-     "r       â  .«^  LWlf<** 


Il    ."  .t.iei'tr    i'\r-    .tii-^-îV    î  <.  ration. 


^ 


w..    .  • 'ti ►  ^ --iiHi      I    •^'^'.•iiji.r'!  ^«   :f ':ri**e  par  le 

u.^     -..ij»..4U>    m     ♦auc  .^,u.|.'irur  UUS  îrlIvlLïtionS. 

^  i:.'.'  ..     - 1  V»  fit-  iij    li}^...  Hîe   1  *îcrn<etir  à  M.  ïe 

.•Mil»,     itiii    le  îouieiiir,  ivt^  !a  njetilion  frèf 

L.  D. 


Jitti.tcuj-ui:rani.  AcillLLE  MlLUE5. 


I 


CROQUIS  NIVERNAIS 


((   DEMI-VIEUX   » 
I 

A  Lise  avait  rejeté  sur  ses  épaules  les 
deux  brides  empesées  de  sa  coiffe, 
retroussé  d'une  main  prompte  sa  jupe 
déjà  courte,  passé  à  son  bras  le  panier 
noir  verni,  à  deux  anses,  et  trottait 
menu  sur  la  grand 'route  nationale. 
C'était  jour  de  foire  à  Chàtillon-en-Bazois 
et  elle  tenait  à  ne  pas  arriver  trop  tard. 
Plantureuse  brune  de  trente-cinq  ans, 
restée  vieille  fille  parce  que  son  père  veuf  n'avait  jamais  consenti  à  se 
séparer  d'elle,  la  Lise,  maintenant  que  le  père  était  mort,  vivait  seule 
dans  la  maisonnette  qu'il  lui  avait  laissée,  affermant  son  petit  lopin  de 
terre  et  se  trouvant  bien  de  peu. 

Elle  venait  de  passer  à  l'enseigne  de  Cougny  lorsqu'une  voix  bien 
connue  lui  cria  : 

—  T'es  don  bin  pressée,  ma  Lise? 
Elle  se  retourna  : 

—  Ma  foi,  oui,  mon  Jean,  Châtîllon  est  loin  et  j'veux  r'vénî  avant 
la  nuit. 

Celui  que  la  Lise  avait  appelé  Jean  touchait  la  quarantaine  :  grand, 
droit,  le  teint  coloré,  les  moustaches  blondes  rejoignant  des  favoris  un 
peu  roux,  il  avait  vraiment  belle  mine,  sous  sa  blouse  neuve  et  raide, 

11 


Wi 


^•lVLK   :?i;   !11VEfi5AlS. 


i  m  <^Mii« 


•  '«..■» 


r.  \^i  -'  lail  Tiarié  d'assez  bonne  heure, 
î.î>   :'i\:\>  îi  >u  vT.f  'le  grand'mère  tenait 

r 

^  ^:*t  ^*^  tii  repris  que  plus 
...  .    -    -\  :.r-    .t-ia  nettait  à  profit  ce 

-  -.  -  >       r»  -ri  ••  iip.i:p?e  de  route,  et 

-  -    —  -   -  -    /:   L'ii  e  plas  caressant, 
..  : .-  --. .      -  lia  irs  ea  ville,  et  qui 


•     X 


— — -  w     :»*  ». 


—      .  r-      !..:i:n»-îîC  •  ? 


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»:  lA  p>iir  dire  des 


.!_:  ^  _^. 


Il 


|p  »H<r,  %.':.'.:v,.'^i:-:â:  iizir  însiri.  J^?:i  rf.  ,n:î  encore  la  Lise 
rt  ih  ji'^  ►liront  c-.:-r  î  c  i--.  U  ;r  r::-  ;  ;.-::-■  i.  f  .re,  leur  échauffant 
ti'jp;i'  ttMUl*frg-,  srr.--^  d' 1:1  '^:. ->  vm  i:::-!,  sel  «n  la  coutume, 
Un  n  ;i\.H"Ut  p«s  '/,  j-:*^  «i  ^ai,  Itf>  j^al-riii  ri:!jr:-<,  et  la  loumure  de  la 
n,hv(  l'-.ili  >n  >Vri  r-->rL:.l.  Ils  5^  {  /.j!::r  iii  de  la  djntè  des  temps, 
'jt;  lu  t';îi|j"*nt'jrH  ir  p  hiiL^Je  f-'-ir  C'.r:jL;L'>  piaules,  trop  sèche  pour 
il  aiitlT>  .  ils  dirent  qi'eo  o-  m  ks  d-:  mai  1-s  jours  n'en  finissaient  plus 
*A  ijn'Mii  i>tiuvail  à  p*?ine  f-rm-r  la  moitié  d*an  œil  avant  d'entendre 
iii'AuWr  W  premier  om|. 

Kt.  I*  Il iidoiiiain,  Jean,  qui  pas>ait  presque  toujours  sans  détourner 
h  ti  II*  piMir  se  rendre  à  sc>n  travail,  s'arrêta  devant  la  jwrte  de  la  Lise, 
*'*-^uda  au  c  bardot  ». 


il£\UE  OU  NIVERNAIS.  251 

—  T'as-t'y  bîn  dormi,  ma  groûsse? 

Occupée  à  ramener  les  a  ramillons  :»  en  feu  sous  sa  marmite,  la  Lise, 
qui  n^avait  pas  entendu  venir  Jean,  se  redressa  d'une  pièce. 

—  Tin,  c'est  toi,  mon  Jean.  Té  m'as  fait  peur...  J'ai  dormi,  oui, 
j'étais  rompue.  Et  toi  ? 

—  Moi?...  Quasiment  pas. 

—  Pourquoi  ?  rin  n'  te  manque. 

—  Rin?...  Té  crois  ça. 

—  Quoi  don? 

—  Quinze  ans  d'  moins,  une  femme  dé  pus  et  j'  dormirais  tout  mon 
saoûi,  Lise. 

—  Oui,  mais  t'as  quinze  ans  d'pus,  une  femme  dé  moins...  Et  faut 
t'en  contenter,  mon  bi  I 

—  Faut  î...  Faut  !...  ronchonna  Jean  en  s'en  allant,  c'est  pas  prouvé. 
Désormais,  tous  les  matins,  Jean  fit  sa  halte  au  c  barriot  3>  de  Lise. 

Il  y  resta  cinq  minutes,  puis  dix,  puis  vingt.  Le  bavardage  s'allongea. 
La  Lise,  au  lieu  de  continuer  à  vaquer  aux  soins  de  sa  popole,  s'approcha 
du  seuil  et  finit  un  jour  par  laisser  Jean  lui  prendre  le  bout  des  doigts. 
Et  les  doigts  joints  paralysèrent  les  langues.  Ce  fut  Jean  qui,  le  cœur 
en  folle  danse,  parla  le  premier,  après  un  effort  visiblement  violent. 

—  J'  ons  beau  ôt'  vieux,  ma  groùsse,  m'est  avis  que  j'  nous  aimons 
comme  des  jeunes,  que  j'  frais  mieux  d'entrer  tout  d'go  que  d'  rester 
à  la  porte  et  qu'on  n'  prend  gentes  accordailles  que  sous  1'  manteau 
d' la  ch'minée. 

La  Lise  ouvrit  elle-même  le  barriot  et  s'effaça  pour  laisser  passer 
Jean.  En  même  temps,  les  trois  mots  qu'elle  préférait  décidément  au 
oui  tout  simple  lui  revinrent. 

—  T'as  bin  raison...,  ma  foi  ... 

III 

«  Gentes  accordailles  »  furent  donc  prises  et  la  noce  eut  lieu,  entre 
foins  et  moissons,  sous  le  toit  même  de  l'épousée. 

Oh  !  ce  fut  une  toute  petite  noce,  comme  qui  dirait  un  carnaval  de 
famille.  Il  n'y  avait  là  que  deux  oncles,  deux  tantes,  quelques  cousins 
germains  et  cousines.  Les  frères  et  sœurs  de  Jean,  qui  avaient  escompté 
déjà,  pour  eux  ou  pour  les  leurs,  le  mince  héritage  du  veuf,  s'étaient 
brouillés  avec  lui  à  la  nouvelle  du  prochain  mariage.  Ils  avaient  essayé 
de  le  sermonner. 


252 


r.ETUZ  L'C   3riTER5A]S. 


—  Ta  t'fait  pas  L-jCie.  à  tr-n  ?^e? 

^  Iknjte  ?...  y -a...  «'i  m'ui  ,:rîad':.»ie.  sân^menl,  avait  répondu 
Joati  très  lonrie  ^i  l-iXtr^Tz^-nt  -?:r'j^n3ri. 

Les  Mi'ui>  -if  i  .a:i  :i  .vlmîi  "as  i-^  <<?  m«>iuer  de  la  Lise  oaverte- 
imMil,  [larce  r:  - n*"^  -a\i!nriit /-lU'.^in-'ix  capable  de  la  défendre  avec 
àpi*ele.  L*I!':>  !!;:v^-'P'îil  .  •^  -':a»^s  H:^  à  s<:»arire  méchamment  du 
iv>;ain  de  ';'.Hr'A::.r.»*  :;i  '^ lau  ie  s'-mparer  de  tette  promise  à 
hu|uede  ^ar::--'  «'^.j-r*:-  •:'>  ju  .»-  i  «r^-^i'ie  ine  douzaine  de  bonnets. 
Or.  L-eile  :*:i  lîue  vri:  .:*riîi,  —  i  -ur:  •  it  lardivement,  —  voit  tout  en 
r\»>e  :  !i  L'.^.  .ni  --<  -♦•  -  r->  •♦••ir  in-f  ov.mpimients  mérités  et  les 
cou;:>  r-^i-:^e  -r?  :::  :::^-r'"»i  y  ir    lie  ^n  m  piaisir  très  doux. 

>t  *i  :1'j*:k  '.'Il  pui-.  '  .".-  i  n  /il  ';a<  iiijins  gaie.  On  ne  dansa  pas, 
!uu^>  /  a  .'la^^ij.  L  *  Il  '.i  rrii^.  V  a  ia  in  repas,  Jean,  qui  n'avait 
ptas  1^  1^  il  v:a  :.'ia:iie  is  .:iur-*>.  —  i\imour  a  le  pas  sur  la  gour- 
n:j:.i.-e.  —  '•siirx  ie  >  u  -^n>  a  *:ï«::e  de  Lise  et,  d'un  air  béat, 
tyr.  iii  t^  ::i,iii^'i\>  :ii^\r*idiv.'^>  •  t  -*>  -naisses  plaisanteries.  Cela  dura 
yi^r:  i  oz»?  :u-ir*>  i'i -^mp  st:j>  m  ria^e.  AI<>rs,  Jean  commença  à 
p'çT-rî-r  a  pead'iie.  à  '.v-mi^kv  ••>  '  «uMNes  tr>p  bavards,  trop  lents  à 
partir. 

Pr-ir  a  Tîn^ii-îiie  '.'is»  -  mr*"  i»  «i\  ^a^'r^u^^^s  b«)uEFées  de  pipe,  l'oncle 
Pierre  r»^p»rtaiL  Jetant  m  amip  i*  eii  :in*aiair>»  sur  la  pièce  : 

—  Les  Tiàlias  <*»lu-v  'iia  '  <^>'...  Vnoc  la  terre,  les  bras  et  la  bonne 
enteate,  i  s'rout  lieunnix  oolimu»;  itux  't>*ù^SA.>ns  dans  Tiau. 

—  Oui,  mon  uKle,  :it  It  iii,  j*^'^tl^^  beurh'ux,  c'est  entendu,  seule- 
meat,  ^^i  vous  a  n*iur>»z  pas  olie^  vous  i<  tertous  »,  vous  n'pourrez 
jamais  liler  aux  oiiaiiips  demain  maiiu...  et  j'ai  promis  de  n'vous  faire 
perdre  ipi'ane  journée. 

—  L'ai;r.iille  tourne  vite  i  table,  mon  irars,  reprit  ronde  sans  se 
fâcher. 

—  J'parle  pas  pour  vous  renvoyer,  mon  oncle,  ni  les  autres,  ajouta 
J<»an,  qi;i  pensait  avoir  plus  de  mal  à  réussir. 

^  i'ons  compris,  va,  et  j'vous  nous  séparer  tout  d'même. 
Coe  dernière  rasade,  une  dernière  chanson  : 

Li?a  ^eiis  dcheux  uous  qui  n'sont  pas  fous, 
D'vant  dé  s'qiiilter.  beuvoiis  ti-ois  coups  I 

tt  If*^  parents  sortirent.  Jean  les  reconduisit  jusqu'à  la  route.  Aussi- 
rcnlré,  il  poussa  le  verrou.  Il  trouva  la  Lise  en  train  d'enlever  les 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  3 

assiette^  et  les  verres.  Il  lui  saisit  les  deux  mains,  l'embrassa  gou- 
lûment. 

—  Laisse  don  ta  vaisselle,  ma  groûsse,  les  «  vieux  »  n'travaillons 
pas  après  minuit...  Si  ça  t'va,  jT rons  mieux  d'nous  aller  coucher. 

La  bonne  face  réjouie  de  la  Lise  se  colora  davantage  ;  elle  dégagea 
ses  mains,  passa  ses  deux  bras  au  cou  de  Jean  et,  le  visage  enfoui  dans 
les  plis  de  la  blouse,  d'une  voix  presque  basse,  issue,  par  moitié,  du 
sanglot  et  du  rire  nerveux  : 

—  Mon  pour  ami!...  Mon  pour  ami  !...  T'as  bin  raison,  dit-elle. 

Louis  MiRAULT. 
Mare  1901. 


QUO    VADIS  ? 

Quo  Vadis?  Quo  Yadis?  Je  ne  sais  où  me  mène 
Mon  pas  mai  assuré,  vers  quel  but  il  m'entraîne.... 
Mon  corps  est  tout  meurtri  par  cet  âpre  chemin 
Que  je  suis  aujourd'hui,  que  je  suivrai  demain  !... 
Où  trouver  le  repos  sur  cette  longue  route 
Qui  promet  le  bonheur  dont  cependant  je  doute  ?... 
Qu'attendre  des  vains  mots  dont  on  berce  Tesprit  : 
Fraternité,  dit-on  ?...  beaux  mots  que  l'on  écrit 
Sur  le  souffle  agité  du  vent  (jui  nous  balance 
Et  que,  le  front  courbé,  je  repète  en  silence. 

Qtio  Vadis?  Quo  Vadisf...  Toi  qui  pleures  là-bas, 
Qui  frappe  donc  ton  cœur  ?  Mais  tu  ne  réponds  pas  ! 
La  haine  et  l'injustice  arment  ici  les  hommes  : 
Voilà  ce  que  tu  sais...  voilà  ce  que  nous  sommes  !... 
Accablés  sous  le  poids  du  plus  terrible  sort, 
Les  grands  sont  les  vaincus,  le  canon  le  plus  fort  ! 
Le  Christ  a  ses  autels  profanés  ;  et,  dans  l'ombre. 
Se  prépare,  dit-on,  quelque  attentat  plus  sombre... 
Où  porter  ses  regards  pour  éviter  l'horreur 
De  voir  anéantir  et  les  droits  et  Thonneur  ?... 

Quo  Vadis  j^  Quo  Vadts?  Je  m'en  vais  vers  la  fête  : 
Laissez-moi  donc  passer,  et  que  rien  ne  m'arrête... 
Et  la  foule  a  suivi  les  pas  de  l'insensé, 
Car  du  plaisir  sur  terre  on  n'est  jamais  lassé  ! 
Quel  est  donc  le  festin  qui  n'a  pas  de  convive. 
El  qu'on  donne  au  laquais  si  l'invité  n'arrive  ? 
Les  Nérons  d'autrefois  reviennent  par  instants 
Montrer  au  peuple  ému  qu'ils  ont  gardé  leurs  dents 
Et  qu'après  le  dîner  on  peut  promettre  à  boire 
A  celui  qui  n'a  rien  et  qui  veut  bien  vous  croire  ! 


254  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Quo  Vadis  ?  Que  Vadis  ?  Je  m'en  vais  vers  les  champs  : 

Le  travail  est  mon  lot,  mes  blés  sont  verdoyants  ; 

Dieu  bénit  ma  moisson  et  ma  jeune  famille  ! 

Je  n*ai  d'autres  soucis  ;  et,  quand  le  soleil  brille. 

Plus  heureux  qu'un  seigneur  contemplant  ses  châteaux, 

J*emmène  mes  enfants  au  milieu  des  troupeaux  ; 

Et  là,  nous  devisons  sur  notre  douce  vie  : 

Elle  est  belle  vraiment,  et  plus  d'un  nous  l'envie, 

Car  nous  sûmes  toujours  nous  contenter  de  peu, 

Et,  du  matin  au  soir,  en  remercier  Dieu  !... 

Quo  Vadis  ?  Quo  Vadis  ?  Je  vais  vers  la  bataille 

Relever  les  blessés  frappés  par  la  mitraille  : 

Je  sers  un  Dieu  de  paix,  d'amour,  de  charité  ; 

Par  nul  autre  désir  je  ne  suis  agité. 

Dans  toul  être  souffrant  je  sais  trouver  un  frère. 

Et  l'étoile  des  nuits  me  protège  et  m'éclaire. 

((  Ton  nom  ?»  —  Je  n'en  ai  plus  —  j'appartiens  au  devoir  : 

La  croix  est  mon  rempart,  et  le  ciel  mon  espoir  ! 

Ne  me  retarde  pas,  car,  là-bas,  on  m'appelle, 

Et  le  soldat  toujours  à  son  posle  est  Adèle  ! 

Eugénie  Casanova. 


LES  HOUILLÈRES  DE  LA  MACHINE 

PRÈS  DECIZE  (NIÈVRE)  (Suite). 

Les  mariages  contractés  à  La  Machine  ont  lieu  généralement  le 
samedi  soir  :  on  évite  ainsi  les  frais  d'un  déjeuner,  et  les  deux  jours 
de  noce,  considérés  ici  comme  obligatoires,  ne  font  perdre  qu'une 
journée  de  travail. 

Dans  l'après-midi  du  grand  jour,  les  jeunes  gens,  précédés  de  deux 
musiciens,  parcourent  le  pays  pour  chercher  leurs  cavalières,  ce  qui 
demande  parfois  une  heure.  La  tournée  finie,  ils  se  rendent  au  domi- 
cile de  la  «  jeune  mariée  »  et,  à  l'heure  fixée,  le  cortège,  sans  musique, 
prend  le  chemin  de  la  mairie. 

Ce  curieux  défilé  de  couples  jeunes  et  vieux,  —  ceux-ci  fermant  la 
marche  derrière  les  enfants,  —  se  dirige  vers  le  bourg,  en  donnant  des 
sous  aux  pauvresses  qui,  tous  les  vingt  mètres,  ont  installé  un  gros 
bouquet  sur  une  chaise  recouverte  d'une  serviette  blanche. 

Après  le  mariage  civil,  on  se  rend  à  l'église,  d'où  l'on  sort  ensuite  au 
son  des  cloches  et  musique  en  tète  On  monte  dans  le  bourg,  afin  de 
faire  voir  au  public,  qui  se  presse  aux  portes  et  aux  fenêtres,  la  toilette 
de  la  mariée  et  celles  des  jeunes  filles  qui  l'accompagnent.  Puis,  on 


1 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


255 


entre  au  café,  où  Ton  trinque  à  la  santé  des  époux.  SI  le  temps  est 
favorable,  la  noce,  toujours  précédée  des  musiciens,  se  promène  à 
travers  le  pays  ;  dans  le  cas  contraire,  elle  reste  dans  un  établissement 
où  la  jeunesse  danse,  pendant  que  les  hommes  boivent  et  jouent  aux 
cartes. Une  heure  avant  le  dîner, les grandTilles  vont  se  ((déshabiller», 
c'est-à-dire  changer  de  toilette. 

On  se  met  à  table.  Le  repas,  calme  au  début,  s'anime  peu  à  peu  et, 
sous  un  feu  roulant  de  plaisanteries,  devient  bientôt  d'une  gaieté  folle. 
Alors  on  entend  les  a  argilements  j>  (1)  des  grands  garçons  et  les 
€  farines  d  (2)  se  succèdent  rapidement.  Au  dessert,  le  garçon  et  la  fille 
d'honneur  épinglent  à  l'épaule  de  chaque  invité  la  cocarde  tradition- 
nelle et  la  noce  se  continue  par  les  chansons,  plus  ou  moins  risquées, 
des  convives.  Enfin,  on  se  lève  de  table  pour  commencer  le  bal  qui 
dure  le  reste  de  la  nuit.  Au  jour,  les  grands  garçons  portent  la 
«  rôtie  »  (3)  aux  mariés  et,  ainsi  qu'aux  noces  morvandelles,  ils  chan- 
tent avec  accompagnement  de  vielle  ou  de  violon  : 

Ouvrez-moi  donc  la  porte, 
La  belle,  si  vous  m'aimez. 


Dans  la  matinée,  les  grands  garçons  a  ramassent  i»,  comme  la  veille, 
leurs  grand'fiUes,  et  tous  les  gens  de  la  noce  se  retrouvent  au  déjeuner. 
On  fait  encore  un  joyeux  repas,  puis  on  se  promène  dans  les  rues, 
cocardes  au  vent,  le  sourire  aux  lèvres  et  le  pas  relevé  par  la  cadence 
de  la  musique.  Enfin,  après  de  nouvelles  danses  et  de  nombreuses  liba- 
tions, chacun  rentre  chez  soi,  plus  ou  moins  exténué,  et  va  se  reposer 
pour  reprendre  son  travail  le  lendemain  (4). 

Le  tirage  au  sort,  qui  a  lieu  à  Decize  ordinairement  en  janvier, 
fournit  aux  conscrits  machinois  Toccasion  de  se  réunir  et  de  s'amus(T. 
On  les  voit,  précédés  d'un  drapeau,  d'un  portp-canne,  de  clairons  et 
de  tambours,  défiler  joyeusement  dans  les  rues  pendant  plusieurs 
dimanches.  Le  jour  du  tirage,  ils  se  réunissent,  à  sept  heures  du 

(1)  Cris  aigus  et  prolongés  que  les  paysans  fonlenlendre  en  signe  de  joie. 

(2)  Mol  qui  sert  de  signal,  aux  noces  villageoises,  pour  embrasser,  en  mOnie  temps, 
chacun  sa  compagne  de  table. 

ÇS)  Sorte  de  soupe  au  vin  sucré  que,  selon  une  ancienne  habitude,  en  offre  aux 
mariés  lorsqu'ils  sont  encore  au  lit. 

(4)  Les  coutumes  observées  à  La  Machine  pour  les  autrrs  cérémonies  :  baptêmes, 
enterrements,  etc.,  sont  identiques  à  celles  des  autres  localités  du  Nivernais. 


M' 


\ 


256  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

matin,  à  la  mairie,  où  ils  reçoivent  les  conseils  de  M.  le  maire  ;  puis 
ils  partent  à  pied  à  Decize,  aux  sons  des  clairons  et  des  tambours,  en 
suivant  deux  à  deux  leur  superbe  drapeau  et  en  criant  à  pleins 
poumons  :  «  Vive  la  classe  !  ». 

Le  tirage  terminé,  ils  déjeunent  à  Decize,  puis  reviennent  dans  la 
soirée  à  La  Macbine,  exhiber  leur  numéro  qui,  fixé  à  leur  coiffure,  est 
orné  d'un  flot  de  rubans.  Ils  parcourent  alors  les  rues  en  gambadant, 
suivis  d'une  bande  de  marmots  qui  répètent,  après  eux  :  «  Vive  la 
classe!  ». 

Réunis  le  soir,  vers  sept  heures,  dans  un  hôtel,  ils  dînent  et 
passent  généralement  le  reste  de  la  nuit  à  boire  et  à  chanter.  Le  len- 
demain matin,  le  clairon  les  rassemble  au  même  lieu  pour  déjeuner. 
Dans  l'après-midi,  ils  reçoivent  la  visite  des  conscrits  verriers  de 
Saint-Léger-des-Vignes.  Ceux-ci  viennent  offrir  à  leurs  camarades  une 
énorme  bouteille  à  long  col  :  on  l'emplit  de  vin  et  les  conscrits  des 
deux  communes  y  boivent  tour  à  tour,  aux  cris  répétés  de  :  «  Vive 
Saint-Léger  !  Vive  La  Charbonnière  !  Vive  La  Machine  !  ». 

Après  avoir  fraternisé  dans  les  rues  et  dans  les  cafés,  les  jeunes 
Machinois  vont  reconduire  leurs  voisins,  puis  ils  reviennent  continuer 
leurs  libations  jusqu'à  ce  que  la  fatigue  les  accable  et  les  oblige  à  aller 
se  coucher. 

Des  réjouissances  à  peu  près  identiques  ont  lieu  lors  du  conseil  de 
re  vision. 

Avant  l'appel  de  la  classe,  nos  conscrits  organisent  un  bal  ;  en  outre, 
le  jour  de  la  Toussaint,  ils  assistent,  avec  clairon  et  tambours,  à  la 
«  Messe  du  départ  »  qui  est  célébrée  à  leur  intention. 

Les  fêtes  du  Carnaval  se  sont  perpétuées  jusqu'alors  dans  le  pays.  Le 
soir  du  Mardi-Gras,  les  jeunes  gens,  après  s'être  déguisés  et  masqués, 
vont  danser  dans  les  cafés.  Le  lendemain,  ils  se  promènent  par 
groupes  en  criant  a  Ricoucou  !  »,  puis,  donnant  le  bras  à  ceux  qui  se 
sont  déguisés  en  femmes  (ou  aux  femmes  masquées),  ils  font  des  paro- 
dies de  noces,  de  baptêmes,  etc.  Quelquefois,  à  la  Mi-Carême,  ils  orga- 
nisent des  cavalcades. 

Les  habitants  de  La  Machine  célèbrent  joyeusement  leurs  trois  fêtes 
annuelles.  La  Sainte-Marie,  qui  se  tient  le  15  août  à  la  cité  de  ce  nom, 
rassemble  les  habitants  des  divers  quartiers  autour  des  jeux  de  toutes 
sortes.  La  Dmine-Dame,  qui  est  la  fête  patronale  du  pays,  se  célèbre  au 


I 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  257 

bourg  le  deuxième  dimanche  de  septembre  et  attire  une  grande 
foule  (1).  Aussi,la  municipalité  organise-t-elle,  ce  jour-là,  des  jeux,  des 
courses  de  bicyclettes,  des  auditions  musicales  et  une  superbe  fêle  de 
nuit,  précédée  d'une  retraite  aux  flambeaux  et  d'un  feu  d'artiflce. 

La  Sainte-Barbe  est  plus  spécialement  la  fête  des  mineurs,  qui  la 
chôment  le  deuxième  dimanche  de  décembre.  A  dix  heures  du  matin,  1 

le  personnel  de  la  mine,  musique  et  bannière  en  tôle,  se  rend  à  la  | 

messe.  A  l'issue  de  cette  cérémonie,  la  Compagnie  fait  tirer,  dans  ses 
ateliers,  une  loterie  où  les  différentes  catégories  d'employés  ou 
d'ouvriers  gagnent  des  objets  utiles  et  d'une  certaine  valeur  :  jambon, 
tranches  de  lard,  pains  de  sucre,  effets  d'habillement,  etc.  Autrefois, 
celle  loterie  se  terminait  par  le  tirage  d'une  table  toute  servie  qui  était 
gagnée  par  un  mineur  et  une  trieuse.  Ceux-ci,  à  la  sortie  des  ateliers, 
se  donnaient  le  bras  et  suivaient  la  table  portée  par  deux  hommes  que 
précédait  un  joueur  de  musette.  Plus  de  mille  personnes  accompagnaient 
dans  le  bourg  les  gagnants  de  ce  lot  original. 

Les  Machinois,  toujours  avides  de  distractions,  prennent  plaisir  à  se 
rendre,  pendant  la  belle  saison,  aux  apports  des  communes  ou  des 
hameaux  de  leur  voisinage.  Le  lundi  de  Pentecôte,  notamment,  un 
grand  nombre  d'entre  eux  vont  à  Decize,  soit  à  pied,  soit  par  les  voi- 
tures publiques  ou  particulières  qui  ne  cessent  de  circuler  depuis  le 
matin  jusqu'à  une  heure  avancée  de  la  nuit.  Si  le  temps  est  favorable, 
ceux  que  n'attire  point  la  fête  vont,  dans  l'après-midi,  se  promener  en 
famille  sur  la  route  de  Decize,  ombragée  par  la  belle  forêt  des  Minimes. 
Us  s'arrêtent  habituellement  à  deux  kilomètres  du  bourg  de  La  Machine, 
à  une  clairière  tapissée  d'herbe  et  de  fleurs,  où  des  cafetiers  ont  installé, 
sous  un  arbre  centenaire  qu'on  appelle  a  Chêne  du  Café  b  ou  «  Chêne 
de  la  Pentecôte  »,  des  tables  et  des  bancs  pojr  les  consommateurs.  Les 
hommes  et  les  femmes  boivent  de  la  bière  en  se  plaisantant  et  en  inter- 
pellant les  «  apporeux  »  qui  passent  sur  la  route,  tandis  que  les  enfants 
s'éparpillent  dans  le  bois,  à  la  recherche  de  muguet  ou  de  nids  d'oi- 
seaux. Tout  ce  monde  revient  à  la  tombée  de  la  nuit,  et  c'est  alors,  dans 
le  bourg,  un  défilé  interminable  de  familles  regagnant  leurs  logements. 

{A  suivre).  L.-M.  PoussEREAU. 

(i)  On  y  vient,  en  effet,  de  tous  les  environs,  de  Docize,  de  Nevera  et  môme  de 
Paris.  La  capitale,  on  le  sait,  est  la  ville  où  se  rendent  de  préférence  les  gens  qui 
abandonnent  la  campagne,  et  on  y  compte  des  centaines  de  Machinois.  Beaucoup 
d'entre  eux  attendent  la  fête  patronale  de  leur  pays  pour  venir  voir  leurs  parents. 

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REVUE  DU  NIVERNAIS.  259 

Sieurs  reconnaîssant  que  cette  réunion  intéresse  essentiellement  le 
bien-être  de  cette  ville  et  l'avantage  d'une  grande  partie  du  Berry, 
autorisent  M.  Butet,  député  pour  la  paroisse  d'Herry  et  maire  de  cette 
ville,  à  se  présenter  à  l'assemblée  des  trois  Etats  du  Berry  à  l'effet  de 
demander  la  réuiiioa  de  cette  ville  et  de  son  territoire  au  bailliage  de 
Bourges,  engageant  en  conséquence  les  membres  de  cette  assemblée  à 
faire  de  celte  dem^tnde  une  des  charges  de  leurs  représentations  et 
doléances,  autorisent  en  outre  ledit  sieur  Butet  à  donner  tous  pouvoirs 
utiles  et  nécessaires  à  cette  fin  aux  députés  choisis  aux  Etats  géné- 
raux pour  qu'ils  puissent  eux-mêmes  solliciter  cette  réunion  auxdits 
Etats  i). 

A  Sainl-Pierre-le-Moûtier,  les  représentants  delà  ville  parvinrent  à 
faire  insérer  dans  le  cahier  du  Tiers-Etat  le  vœu  que  «  la  partie  du 
Nivernais,  qui  est  de  la  généralité  de  Moulins,  y  restera  constamment 
attachée  sans  que  les  députés  de  ce  bailliage  puissent  consentir  à  ce 
que  Tautre  partie  du  Nivernais,  qui  est  de  la  généralité  du  Berry,  puisse 
passer  sous  un  autre  régime  et  être  séparée  du  Berry  i> .  A  Bourges,  Butet 
et  les  réprésentarjts  des  paroisses  du  Val  firent  inscrire  l'article  sui- 
vant :  «  La  ville  de  La  Charité  demande  à  être  comprise  dans  l'arron- 
dbsemcnt  du  bailliage  de  Bourges,  attendu  qu'elle  est  dans  sa  généralité 
et  que  ses  rapports  de  commerce  la  lient  essentiellement  avec  le 
Berry  "- 

Dans  la  correspondance  avec  leur  compatriote  Charles  Picard  de  la 
piiinle,  député  anx  Etats  généraux,  les  échevins  lui  rappellent  cons- 
tamment les  avantages  que  la  ville  avait  à  ne  pas  être  séparée  du 
bailliage  de  Bourges  et  le  pressent  de  soutenir  énergiquement  le  vœu 
des  habitants,  i^elon  la  promesse  qu'il  avait  faite. 

Mais  bientôt  les  eiioses  prirent  une  tournure  différente  de  celle  que 
dêsiraienl  les  Charilois.  L'Assemblée  constituante  avait  décidé  qu'il 
Krraît  fait  une  nouvelle  division  territoriale  de  la  France,  dans  laquelle 
tiii  ne  devail  }:as  tenir  compte  des  affinités  des  populations  entre  elles, 
mais  seulement  de  la  configuration  géographique.  Le  dépôt  du  travail 
du  Giniitéde  riiislilution  sur  celle  division  j(;la  Témoi  dans  La  Charité. 
U'^  uctobre,  les  ïiabilanls  écrivaient  à  Picard  :  «  Il  paraît  résulter, 
d\npres  le  plan  n"  'Siii  de  la  carte  de  la  France  divisée  en  quatre-vingts 
départemenls  que  sous  nous  avez  adressé  le  23  du  mois,  que  La 
Charilé  deviendrait  une  dépendance  du  Nivernais.  Nous  devons  vous 


W)  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

rap()r|rr  (juo  la  ivmiion  à  cette  province  a  été  discutée  en  votre  pré- 
tiinco  vi  iinW  ruiKUiiiuitô  des  suffrages  il  a  été  délibéré  qu'il  serait  plus 
{i\iiiita^i'U\  pour  La  Charité  de  n'être  pas  soustrait  du  Berry  ».  lis  le 
|ii  irii'ul  de  *  faiiv  eu  sorte  de  combattre  et  faire  tomber  le  projet  de 
rlhiiiv-M'iut'ul  quVlle  doit  essayer  ». 

\.v^  liuhllauls^  non  contents  de  harceler  Picard  de  leurs  griefs,  se 
MMHiIrohl  à  rilôtol  de  Ville,  le  0  d^kembre^et  adressèrent  à  laConsti- 
luiHitn  uu  nuinoire  énon^^aut  :  «  Qu'ils  VL»ieQt  avec  la  plus  vive  inquié- 
tudo  (|ue,  diaprés  le  plan  de  division  en  d-i-partements,  cette  ville  se 
liduverait  séparée  de  la  province  du  Berry  et  que  cette  division  allait 
dôli  uirt^  ou  au  moins  affaiblir  d'une  luaniêre  alarmante  les  rapports  de 
rnhuuerce  et  de  communication  réciproque  qui  importent  essentielle- 
unnl  au  bien-être  de  tous  et  que  la  province  du  Nivernais  elle-même 
u  intérêt  à  conserver...  Nous  vous  supplions,  disaient-ils,  de  ne  pas 
séparer  la  ville  de  I^  Charité  et  son  territoire  de  Tadminislration  du 
llerry  dont  elle  fait  partie  depuis  plus  d'un  siècle  (1),  attendu  que  le  com- 
merce de  cette  ville  est  intimement  lié  à  celui  de  la  province  du  Berry 
et  qu'il  n'y  a  au  contraire  qu'un  rapport  indirect  de  commerce  et 
d'industrie  entre  elle  et  la  province  du  Nivernais  i. 

A  rassemblée.  Picard  s'efforçait  de  soutenir  le  vœu  de  ses  conci- 
toyens ;  il  fut  fortement  appuyé  par  les  députés  du  Berry,  surtout  par 
Salle  de  Choux,  qui  défendit  longuement  leurs  revendications.  Les  autres 
députés  du  Nivernais  semblent  s'être  complètement  désintéressés  de  la 
question. 

Dans  sa  séance  du  samedi  16  janvier  17l}<),  la  Constituante  décréta 
que  La  Charité  ferait  partie  du  département  du  Nivernais.  Cette  déci- 
sion causa  une  vive  inquiétude  dans  la  ville.  Le  24,  «  les  échevins, 
conseillers,  notables  et  prudhommes  composant  le  conseil  municipal  et 
la  plus  grande  majorité  des  iiabitants  de  la  ville,  pour  ne  pas  dire 
Tunanimité  »  assemblés  à  THùtel  de  Ville  au  nombre  de  192(2),  adres- 
sèrent à  la  Constituante  un  nouveaj  mémoire,  déclarant  :  «  Qu'ils  ont 
appris,  avec  la  plus  vive  douleur  que  nos  seigneurs  de  l'Assemblée 
nalionale  ont  décrété  que  la  ville  de  La  Charité  fera  à  l'avenir  partie 
du  département  du  Nivernais,  qu'ils  ne  voient  cette  disposition  qu'avec 

(1)  C'osl  par  leUivs-pateiiles  de  novembre  1696  que  La  Charité  fut  rattachée  â  la 
]e:>ni^ralit<^  de  Ik)urpi*s. 
('2)  Sur  lesquels  103  di'»clai^i'ont  ne  pas  savoir  signer. 


REVUE  OU  NIVERNAIS.  261 

les  plus  grandes  inquiétudes,  qu'ils  ne  reconnaissent  aucunement  que 
la  ville  de  La  Charité  puisse  jamais  être  de  la  moindre  utilité  au  Niver- 
nais et  qu'ils  sentent  tout  le  dommage  qu'elle  éprouvera  désormais  de 
sa  séparation  d'avec  la  province  du  Berry  ».  Ils  demandaient  avec  ins- 
tance à  l'Assemblée  de  revenir  sur  sa  décision.  Tout  fut  inutile.  Enfin 
après  plusieurs  essais  infructueux  pour  se  faire  rattacher  au  Berry  et 
sur  les  instances  de  Picard  de  la  Pointe  lui-même,  le  25  mars  1790, 
les  habitants  déclarèrent,  dans  une  assemblée  générale,  adhérer  aux 
décrçtï»  de  la  Constituante.  Il  leur  était  impossible  de  faire  autrement. 

Ed.  DUMINY. 

POCHADES  MORVANDELLES 


L'ANGUISON  A  L'AUBE 

Au  fond  d'un  vallon  frais,  sur  un  lit  de  porphyre. 

Le  limpide  Anguison 
Sous  les  aulnes  murmure  ;  il  semble  qu'une  lyre 

Prélude  à  la  chanson 
Des  oiseaux  s'éveillant  blottis  dans  le  feuillage, 

Quand  Taube  qui  blanchit 
Met  de  clairs  diamants  aux  iris  du  rivage 

Et  succèjle  à  la  nuit. 

Galtron  du  Coudray. 


MORT  DE  CASLMIR  V,  ROI  DE  POLOGNE 

(Suile  et  fin.) 

Le  dimanche  18,  M.  l'évéque  et  MM.  du  chapitre  firent  les  vigiles  à 
trois  heures  de  relevée  et,  le  lendemain,  le  service  à  dix  heures. 
M.  l'évéque,  Edouard  Valot,  dit  la  messe  chaulée  en  musique.  Les 
corps  de  justice  et  de  ville  y  assistèrent. 

Le  même  jour,  le  corps  du  roi  Casimir  fut  porté  dans  la  congréga- 
tion des  notables  au  couvent  des  Pères  Jésuites  (i). 

On  avait  préparé  un  lieu  pour  le  mettre.  Celait  un  jubé  qui  était 

(i)  Manuscrit  de  Callot  conservé  à  la  Bibliothèque  de  Ncvers. 


St\a  REVUE  DD  NIVERNAIS. 

ilôjà  ivustruil,  mais  qu'on  disposa  de  façon  à  ce  que  le  corps  reposât 
sur  uuo  oslnulo.  Une  tapisserie  de  Brocatelle,  appartenant  au  défunt,  le 
lvii>:ssvttt. 

Nvnîs  nVnumêrerons  pas  les  procédures  qui  furent  faites  alors  (i). 
C.is-.aîir  laissait  de  nombreuses  dettes  :  une  comtesse  de  Prague  lui 
iwîamait  de^  sommes  considérables.  Des  tentures,  des  tapisseries,  des 
jMonvries  et  de  la  vaisselle  avaient  été  engagées  pour  30,000  livres. 
Lo  linge  était  retenu  par  une  blanchisseuse.  De  la  vaisselle  d'argent  à 
st^s  armes  était  déposée  entre  les  mains  d'un  sieur  Tuby,  receveur  des 
tailles  de  Nevers  pour  sûreté  de  1,600  livres.  La  princesse  Palatine  se 
disant  fille  adoptive  et  héritière  contractuelle  par  bénéfice  d'inven- 
taire du  défunt,  sollicita  du  Parlement  plusieurs  arrêts  pour  Tapposi- 
tion  des  scellés  autant  au  domicile  de  celui-ci,  à  Saint-Germain-des- 
Prés  qu'à  Nevers. 

On  vendit  tout  pour  payer  les  créanciers. 

Quant  à  son  corps,  il  demeura  jusqu'en  1675  dans  la  chapelle  du 
collège  des  Jésuites  de  Nevers.  Le  18  août  1G75,  Messire  Albert  Opaki, 
grand  chambellan  de  Varsovie,  chargé  par  les  Polonais  «  de  ramener 
|(vs  cendres  du  roi  en  Pologne  »  s'acquittait  de  sa  mission  et  se  faisait 
délivrer  le  corps  par  Michel  Nyon,  alors  recteur  du  collège  (2). 

Le  cœur  du  roi  Casimir  est  à  Saint-Germain-des-Prés,  dans  la  cha- 
\nA\c  de  saint  Casimir  de  Pologne,  dédiée  depuis  à  saint  François  Xavier 
et  au  même  saint  Casimir;  le  tombeau  qu'on  y  remarque  est  l'œuvre  du 
sculpteur  Charles  deMarsy  ^3).  Un  convers,  le  frère  Thibaut  avait  fondu 
le  bas  relief. 


(I)  Anvl  liu  Parlomoul  liu  50  divonibre  IG72,  qui  commet  deux  conseiUers  pour 
ap|Hïsor  le  sivllo  en  l'hôlel  abluilial  de  Saint-derinain-des-Pi-ez.  — Arrêl  du  1i  jan- 
vier Kû'X  qui  oixionne  la  vente  de  plusieure  chevaux  et  mulets  pour  éviter  le  dépé- 
rissement. —  ArrtU  du  GféNrier  lOTIi,  tjui  ordonne  la  vente  des  objets  mobiliers.  —  ' 
Arrêt  du  tO  avril  \i\ll\.  qui  onlonne  qu*d  sera  passé  outre  à  la  pose  des  scellés  et  qu'il 
if^^VA  pii>(  cdé  à  la  traduction  iK's  papici^  du  dcfunt. 

^mIiiw^  nalionales,  TviîV  ."».*H.  inventaire  et  vente  des  meubles.  535.  Dettes  de 
î*j*4|[sb>  IV  et  de  Casimir,  roi  do  Toloi^ne. 

\*h  Auïuves  de  Nevei^.  C.  "1.  Dih  liar^e  du  corps  du  roi  de  Pologne.  —  Mémoire 
H*'*  di^n'ïiîtfs  lailcs  p.n*  le  collci;e  de  Nevcis  pour  la  ivccption  et  le  dépôt  du  corps 
i|u  n>t  d*'  roU)t;ne. 

i^ii  \nH'  !  hisUiiiv  de  l'abbaNc  ro\alc  do  Sainl-liormain,  par  dom  Bouiilart, 
\\in%  ïl'li,  et  n«Hroloi:ie  dos  loli^iunix  do  la  congiv^Mlion  de  s^ùnl  Maur,  décédés  à 
TuMm)!-  [M,  ISlKi),  par  l'abbé  Vanol. 


Pr^ 


5-  ^       vè^^ 


^. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  963 

La  mort  de  rinfartuné  roi  inspira  ces  vers  au  chansonnier  Cou- 
lange  : 

•  Du  feu  roi  de  Pologne, 
Messieurs,  que  dites- vous? 
Sans  scrupule  ni  vergogne 
11  vécut  parmi  nous. 
Oui,  mais  son  inconstance, 
Moine,  roi,  cardinal, 
Le  fit  venir  en  France, 
Mourir  à  Thôpital  ». 

Son  seiii  panégyrique  se  lit  à  Saint-Germain.  C'est  l'épitaphe  com- 
posée vu  latin  par  Dom  François  Deifau,  moine  de  l'abbaye. 

M  le  chansonnier,  ni  le  panégyriste  ne  sont  dans  le  vrai  ;  chacun 
n'a  vu  qu  une  partie  de  l'existence  du  roi  Casimir.  Les  historiens,  de 
leur  côlé,  ont  parlé  de  lui  suivant  qu'ils  l'ont  considéré  comme  un 
prince  pieux,  un  roi  qui  se  conduisit  brillamment  sur  les  champs  de 
bataille,  et  eut  des  résolutions  heureuses,  ou  un  homme  faible,  géné- 
reux à  l'excès  inconstant  et  enfin  besogneux,  disqualifié  au  point 
qu'après  sa  mort  il  est  insulté  par  un  misérable  chansonnier. 

Voici  répilapha  ; 

ft  À  Véternelle  mémoire  du  roi  Casimir. 

Ici,  après  être  parvenu  à  tous  les  degrés  des  vertus  et  de  la  gloire, 
dans  la  partie  noble  de  son  corps,  Jean  Casimir,  roi  de  Pologne  et  de 
Suède,  du  sang  illustre  des  Jagellons,  le  dernier  de  la  famille  des  Wasa, 
qui,  très  grand  pur  les  lettres,  les  armes,  la  piété,  apprit  la  langue  de 
plusieurs  nations  pour  mieux  se  les  attacher. 

Dans  dix-s«pt  combats,  il  vit  aux  prises  ses  étendards  avec  ceux  de 
Teonemi  ;  il  remporta  la  victoire,  moins  une  fois.  Toujours  invaincu, 
il  réduis! L  les  Moscovites,  les  Suédois,  les  Brandebourgeois,  les  Tar- 
lares,  les  Allemands,  par  les  armes,  les  Cosaques  et  autres  rebelles  par 
son  désir  de  leur  plaire  et  ses  bienfaits,  se  montrant  à  eux  roi  par  la 
victoire,  père  par  la  clémence;  enfin,  pendant  les  vingt  années  de  son 
régne,  il  vainquit  la  fortune,  fit  des  camps  sa  cour,  des  tentes  ses 
palais,  de  ses  triomphes,  ses  fêtes.  Il  eut  en  légitime  mariage  des 
enfants  qu'il  perdit  ;  autrement,  s*il  eut  laissé  un  enfant  plus  grand  que 
lui,  il  n'oiU  pas  été  le  ])lus  grand,  si,  au  contraire,  il  en  eut  laissé  un 
plus  petil,  on  eût  pu  dire  que  sa  race  dégénérait.  Son  amonr  pour  la 
religion  fut  égal  à  son  courage,  et  il  combattit  avec  la  même  ardeur 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  26& 

s'il  remportait  la  victoire  de  travailler  à  l'extension  de  son  culte.  Une 
confrérie  ayant  une  importante  afetion  sociale  a  été  fondée  pour 
accomplir  les  vœux  du  roi  Casimir.  (1  ) 

A  Solesmes  est  une  chapelle  de  la  Sainte-Vierge,  dédiée  à  Notre- 
Dame-de-Czenstochowa,  reine  de  Pologne.  Un  jeune  gentilhomme 
polonais  y  a  fondé  un  centre  de  prières  perpétuelles  pour  la  Pologne. 

C'est  ainsi  que  les  Polonais  patriotes,  sans  se  soucier  de  ce  qu'il  y 
eut  d'étrange  dans  la  vie  de  Casimir,  ont  conservé  son  souvenir  qu'ils 
associent  à  leur  dévotion  de  la  sainte  Vierge.  (2) 

Puis,  en  voyant  Casimir  se  démunissant  de  sa  couronne  en  échange 
d'une  forte  somme  et,  s'il  faut  croire  les  potins  qui  coururent  le  monde, 
ayant  des  aventures  de  toutes  sortes,  on  pense  à  nos  modernes  «  rois 
en  déche  »,  car  l'auberge  de  Candide  est  toujours  ouverte  et  le  vau- 
deville s'est  emparé  de  ces  malheureux. 

Mais,  après  réflexion,  on  est  pris  d'une  réelle  pitié  pour  Jean 
Casimir  :  on  est,  en  bon  Nivernais,  flatté  d'apprendre  que  si  au  jour 
où  il  se  révéla  comme  un  héros,  ce  fut  par  l'influence  de  Marie  de  Gon- 
zague,  et  Ton  reconnaît  que  sa  vie  ne  fut  après  tout  que  la  fidèle 
image  des  destinées  d'une  patrie  pour  laquelle  nos  sympathies  sont 
encore  persistantes.  Les  catholiques  de  Pologne  ont  conservé  et  per- 
pétué par  des  œuvres  le  souvenir  de  sa  piété  patriotique. 

Dernièrement,  au  congrès  mariai  de  Lyon,  en  septembre  1900,  on 
rappelait  que  60  moines  et  150  laïques  soutinrent,  du  18  novembre 
au  26  décembre  1655,  dans  le  couvent  de  Czeiislochowa,  l'attaque  de 
10,000  Suédois  et  retardèrent  ainsi  de  140  ans  le  partage  de  la  Pologne. 
Ce  malheureux  pays  était  attaqué  de  toutes  paris. 

M.  Emile  Montégut,  dans  ses  Souvenirs  de  Bourgogne,  nous  a  dépeint 
plusieurs  Polonais.  A  propos  de  la  pierre  tombale  de  Wladislas  le 
Blanc,  qui  se  trouve  à  Dijon,  il  dit  :  a  Wladislas,  qui  fut  tour  à  tour 
aspirant  au  trône  de  Pologne,  pèlerin,  chevalier  porte-glaive  et  moine, 
et  qui,  après  bien  des  aventures  dues  à  Tinconstance  de  la  fortune  et 
à  l'inconstance  plus  grande  encore  de  son  âme,  est  venu  choisir  sa 
sépulture  à  Dijon...  » 

Albert  Laszki,  «  qui,  sous  le  règne  d'Elisabeth,  étonna  l'Angleterre 

(1)  Compte  rendu  du  congres  mariai.  Le  culte  de  Noti-e-Dame-en-Pologne. 
Marian  da  Uartynowski  de  Cracovie. 

(2)  Description  des  deux  ëgllses  abbatiales  de  Solesmes,  par  Dom  Guépin. 


<'' 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  267 

LE    PARNASSE   MODERNE 


POÈTES   HOLLANDAIS  (Suite) 


Van  Loghem 
CHEVEUX  BLONDS 

S3nnphonie 

{Fragment) 

INinODUCTION 

Baiijïiée  à  Tyhlang  capiteux, 
Sous  le  camélia  qui  la  presse, 
Elle  se  balance  à  nos  yeux, 
Myrrha,  parmi  les  blonds  cheveux, 
Toute  neuve,  ta  blonde  tresse. 

Dans  ta  jeunesse,  avais-tu  foi 
En  si  lirillante  destipée, 
Fausse  mèche  blonde?  dis -moi 
Ton  aventure  et  comme  quoi 
Ju^u*ici  tu  fus  amenée. 

ALLEGRO 

De  la  jeune  laitière,  aux  époques  passées, 

Ne  couvrais-tu  pas,  modeste,  le  front, 
Quninl,  pour  se  garantir  des  trop  fraîches  rosées, 

A  lauhe,  elle  avait  pris  son  bonnet  rond?... 

La  kermesse  a  va  il  lui  :  La  tirelire  prèle. 

Ce  jour-là  fut  vide...  ou  tout  approchant. 
Puis  de  son  amoureux  Krélis,  ce  fut  la  fêle, 

Il  fallait  payer  un  bijou  d'argent. 

Commenl  faire  ?.  .  El  pourtant  !  —  Qui  donc  pourrai!  ap;»rendre 

Que  cheï  le  coîiïeur,  en  ville,  elle  ira? 
Ses  cfieveux,  qui  les  voit?  Elle  peut  bien  les  vendre. 

D'un  beau  ducal  d'or  on  les  lui  paiera. 

J^iliùre,  altenUon  !  Krélis  est  difficile  ; 

S'iï  prend  mal  la  chose,  adieu  vos  amours  ! 
En  vain  a  Ion  coifletir,  fùt-il  artiste  habile. 

Pour  deux  ducnls  méme^  aurais  tu  recours  ! 


•VIS. 


BEVUE  OU  NIVERNAIS.  269 

J.  Winkler  Prins. 

(1859). 

LA  LUNE 

De  tes  rais  d'argent  qui  pleuvent  sur  moi, 

M'atLires-tu,  Lune  ? 
Dois-je,  solitaire,  aller  jusqu'à  toi, 

Errant  à  la  brune  ? 

Autour  des  coteaux  tissant  ta  clarté, 

Charmeuse  du  monde, 
Pour  moi  n'as- tu  pas  un  baume  enchanté? 

Ma  plaie  est  profonde. 

Ainsi  que  s'épand  sur  les  fleurs  de  mai 

Ta  lumière  blanche, 
Verso  ta  paix,  Lune,  en  mon  sein  calmé. 

Sur  mon  front  qui  penche. 

Ballotté  sans  fin  comme  sont  les  flots, 

J'ai  vu,  Lune  claire, 
Sombrer  toute  joie  avec  mon  repos 

Dans  ma  peine  amère. 

A  rheure  où  tu  fuis,  tranquille,  au  penchant 

Des  coteaux  pleins  d'ombre, 
Moi,  j'épancherai  dans  uû  large  chant 

Mes  chagrins  sans  nombre. 

Si  j'étais  muet  comme  toi  sans  fin  ! 

D'y  penser,  j'en  pleure  I... 
Brille  à  ton  essor,  brille  à  ton  déclin, 

Lune,  en  ma  demeure. 


PRINTEMPS 

Qui  s'en  va  soupirant. 

Tapotant,  murmurant. 
Comme  un  diœur  de  cent  voix  dans  le  bosquet  des  Fées  ? 

Ce  sont  d'étranges  coups, 

Doigts  qui  frappent  tout  doux 
Comme  pour  dire  :  a  Ouvrez  i,  en  rumeurs  étouflées. 

Et  pendant,  par  milliers, 

Aux  bourgeons  des  halliers, 
A  la  branche  gonflée  où  la  sève  palpite. 

Des  gouttes  sous  le  vent 

Tombent  discrètement, 
Bruissant,  chudioltant  :  «  Ouvrez-vous  tout  de  suite  I  » 


270  BETUE  DU  IflTEfilfAIS. 

Jaoqnes-Falnioe-Hermaii  Perk. 

(1859-1881). 

ELLE  SOMMEILLE 

Sur  la  mousse  elle  dort,  courbant  son  bras  soyeux 
Que  baisent  mousse  molle  et  fins  cheveux  ensemble  ; 
Le  mobile  feuillage  aux  tons  d'argent  du  tremble 
Etend  son  ombre  verte  en  voile  sur  ses  yeux. 

Elle  exhale  un  soupir...  elle  sourit...  il  semble 
Qu'en  son  âme  se  joue  un  beau  rêve  joyeux. 
Ah  !  ses  cils  vont  s'ouvrir  et  sa  paupière  tremble. 
Le  ciel  engendrera  bientôt  de  nouveaux  cieux. 

—  Dors  en  paix  !  Je  pressens  une  nuit  de  ténèbres 
Où  tes  yeux  se  cloront  sous  les  ombres  funèbres  ; 
Alors  tu  dormiras  sans  espoir  de  réveil, 

Alors  te  pressera  le  gazon  que  tu  presses  ; 

Tes  lèvres,  du  soleil,  n'auront  plus  les  caresses  ; 

Nulle  chanson  des  bois  ne  rompra  ton  sommeil. 


Albert  Verwey. 

(1860|. 

Je  suis  poète  et  fils  de  la  Beauté.  Fidèle 

Au  l)eau  toujours,  du  beau,  mon  cœur  sait  s'enivrer. 

Homme,  dois-je  m'ébattre  ou  me  désespérer, 

Ma  joie  et  ma  douleur  ont  leur  beauté  réelle  ! 

Le  beau,  je  suis  pourvu  du  don  de  le  montrer 
A  tous,  c'est  un  pouvoir  que  ma  voix  porte  en  elle, 
Si  bien  que  mon  lecteur,  qui  peut  rire  ou  pleurer, 
Jouit,  même  en  pleurant,  du  beau  que  je  révèle. 

Poète  pour  toujours,  la  souffrance  jamais 

Ne  m'aura  tout  entier,  puisque  ainsi  désormais 

Mon  âme  pour  le  beau  n'aura  d'indifférence. 

Et  (si  je  me  connais  moi-même)  c'est  pourquoi 
Je  peux  consoler  ceux  qui  souffrent  comme  moi, 
Mais  sans  voir  la  beauté  de  leur  propre  souffrance. 

Traduction  de  Achille  Millieh, 


LIVRES  ET  PÉRIODIQUES 


L€9  faïences  patronymiques  :  Caractéristiques  des  saints  dans  la  céramique  niver- 
naiso,  par  C.-P.  Fieffé,  ancien  conservateur  du  musée  céramique  de  Nevers,  conser- 
vateur du  musée  de  Clamecy,  directeur  du  musée  de  Varzy,  président  de  la  Société 
scienlifique  et  artistique  de  Clamecy.  —  Clamecy,  Desvignes,  lib.-éd.,  grand  in -8% 
153  pages,  52  planches. 

Ce  n'est  pas  d'hier,  que  datent  les  recherches  de  céramique  de  M.  Fieffé.  La  faïence 
nivernaise  n'a  plus  de  secrets  pour  lui.  Pour  la  mieux  connaître,  se  rappelant  le  pro- 
verbe :  «  Qui  trop  embrasse  mal  étreint  »,  il  a  limité  ses  études,  où,  plutôt  il  les  a 
sériées.  11  s*est  occupé  d'abord  d'une  étude  sur  les  Faïences  patriotiques  nivemaises, 
publiée  en  1885,  en  collaboration  avec  le  regretté  Bouveault  ;  il  annonce  une  prochaine 
série  de  faïences  corporatives  et  grivoises ^  puis  un  travail  sur  «  les  motifs  de 
décoration,  qui  se  succédèrent  de  Henri  IV  à  nos  jours  ».  Aujourd'hui,  il  traite  spé- 
cialement des  faïences  ■  à  saints  »,  et,  en  un  beau  volume,  comprenant  52  planches 
de  phototypie,  il  nous  offre  les  types  caractéristiques  de  ces  faïences  répulécs.  Voilà 
un  ouvrage  qui  intéresse  tous  les  amateurs  nivernais,  collectionneurs,  archéologues 
ou  aiiistes,  et  que  son  tirage,  borné  à  180  e.xemplaires,  rendra  bientôt  fort  rare  et 
précieux  pour  les  bibliophiles. 

Ces  vieilles  faïences  ont  vraiment  un  singulier  attrait,  une  puissance  décorative 
indéniable.  Notre  ville  de  Nevers,  dont  elles  ont  fait  l'honneur,  ne  peut  pas  aban- 
donner une  industrie  d'art  local  qui  attire  encore  de  nombreux  visiteurs  étrangers 
dans  les  magasins  de  M.  Montagnon  et  de  nos  autres  manufacturiers,  continuateurs 
de  la  tradition.  Mais,  au  lieu  de  s'en  tenir  aux  reproductions  des  beaux  modèles 
de  notre  céramique,  —  quelquefois,  du  reste,  modifiés  de  façon  peu  heureuse,  — 
n'y  aurait-il  pas  lieu  de  rechercher  quelque  moyen  de  rénover  la  faïence  nivernaise  ? 
Et  voici  précisément  aue  notre  ami  Henry  Ferrier  nous  soumet  un  projet,  auquel 
nous  applaudissons  de  grand  cœur.  H  entreprend  d'exécuter  une  double  série 
d'assiettes  :  l'une,  destinée  à  fixer  les  traits  des  hommes  notiibles  du  Nivernais, 
anciens  et  modernes,  en  les  accompagnant  des  attributs  et  des  accessoires  voulus,  et, 
en  se  confonr.ant  pour  le  décor  aux  exigences  des  divei^ses  épo(|ues  où  ils  ont  vécu, 
de  sorte  qu'Adam  Billaut,  par  cxeinple,  nous  apparaîti-a  au  milieu  d'un  marli 
Louis  XIV,  tandis  qu'Hanoteau,  pour  ne  citer  que  lui,  sera  traité  à  la  moderne. 
L'autre  série,  comprendra  des  assiettes  â  musique,  donnera,  avec  la  notation  exacte, 
des  airs  populaires  ou  des  compositions  d'artistes  du  pays.  Nous  avons  vu,  dans 
l'atelier  de  Ferrier,  à  Prémery,  la  maquette  d'une  de  ces  assiettes  à  musique  :  l'effet 
en  est  charmant.  Le  public  nivernais  pourra  sans  délai,  nous  Tes pérons,  juger  de  visu 
de  cette  tentative,  car  Ferrier  est  décidé  à  faire  exécuter  bientôt  ses  premiers  essais. 


La  Revue  suédoise  îllustrerad  Svensk  Tidsknft,  donne,  dans  sa  livraison  de 
juin,  un  choix  de  poésies  françaises,  traduites  en  vei-s  par  le  très  distingué  poêle  et 
traducteur,  docteur  Gôran  Bjôrkman.  Nous  y  trouvons  des  morceaux  clioisis  de  Coppée, 
Marc  Legrand,  Georges  Leygues,  Mistral,  et  Achille  Million. 


272  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

En  Morvarij  par  Louis  de  Courmont.  Tel  est  le  titre  d'un  volume  qui  paraîtra  sous 
peu  par  les  soins  de  la  veuve  et  des  amis  de  notre  regretté  collaborateur  :  volume  de 
250  pages,  édité  avec  luxe,  orné  de  gravures,  etc  ,  au  prix  de  2  fr.  50.  —  Adresser  les 
souscriptions  à  M"»»  Anne  de  Courmont,  aux  Horizons,  a  Pousssignol-Blismes  (Nièvre). 


NOTES   ET  ÉCHOS 


,•,  Nos  compatriotes  :  le  lieutenant  de  vaisseau  Denys-Marie-Charles  fienoist-d'Âzy, 
le  lieutenant  de  tirailleurs  algériens  Jean  Lemaitre.  M.  François  Caquet,  propriétaire- 
agriculteur,  sont  nommés  chevaliei's  de  la  Légion  a'honneur.  —  Le  lieutenant-coloDel 
Edm.  PeiTot,  est  promu  au  grade  de  colonel,  et  nommé  directeur  de  Tartillerie  à 
Maubeuge. 

.*.  L'Etat  vient  d'acheter  la  belle  figure  :  Imploration^  qui  a  valu  à  notre  jeune 
statuaire  Alix  Marquet,  une  médaille  au  dernier  Salon. 

/  M.  Rostaing,  préfet  de  la  Nièvre,  est  nommé  préfet  d*Alger,  et  remplacé  par 
M.  Léon  Hyéraro,  directeur  du  cabinet  du  préfet  de  la  Seine.  —  M.  Belleudy,  notre 
compatriote  par  alliance,  quitte  la  préfecture  de  Mende  pour  celle  de  Privas. 

,*y  Au  nombre  des  instituteurs  récompensés  par  arrêté  ministériel  en  date  do 
10  juillet,  nous  sommes  heureux  de  compter  notre  collaborateur  M.  Gaston  Gauthier, 
qui  a  reçu  la  médaille  de  bronze. 

.*.  A  la  dernière  matinée  artistique  et  littéraire  oflerte  à  Bourges,  rue  Saint-Sulpice, 
le  dimanche  23  juin,  par  M.  et  M*»  J.  Marquet.  M"»  Renée  C.  de  L***  a  dit  avec 
une  grâce  charmante  une  des  poésies  locales  de  notre  collaborateur  Lucien  Jen^r  : 
Bijoux  berrichons.  —  Constatons  ici  que  la  pièce  qui  vient  d*obtenir  le  premier  prix 
au  concours  de  la  Revue  des  Poètes,  pièce  intitulée  le  Fou  de  Byzance,  et  due  à 
M.  Edmond  Porcher,  est  dédiée  à  notre  confrère  Lucien  Jeny. 

.%  Notre  collaborateur  Edmond  Achard  s'est  occupé,  dans  notre  dernier  numéro, 
des  seuls  artistes  (exposants  aux  Salons)  nés  dans  la  Nièvre.  Nous  pouvons  encore 
revendiquer  comme  étant  des  nôtres,  quoique  nés  hors  de  nos  limites,  M.  Meynier  (hors 
concours),  qui,  fixé  à  Tannay,  exposait  une  Fuite  en  Egypte,  et  M**  la  comtesse  de 
Berthier-Bizy,  née  Mathilde  d'Auerstoïdt,  dont  les  deux  mtniaiures  n'ont  point  passé 
inaperçues. 

/.  24  juillet  :  distribution  des  prix  au  petit  séminaire  de  Pignelin,  sous  la  prési- 
dence de  Mb'  rÉvêque.  Les  prix  spéciaux  décernés  par  les  suurages  des  élèves  aux 
nlus  distingués  d'entre  eux  ont  été  attribués  aux  élèves  Alphonse  Efourgoin,  de  Saint- 
Honoré  et  André  Ballerai,  de  Donzy.  L  D. 

Le  Directeur-Gérant^  ACHILLE  HiLLIEN. 


^^"I^ê^l^^^^ 


Mtmm,  Imp.  Q.  VêlU0% 


CONTES  A  MES  ENFANTS 


X.  —  CONTES  DE  FÉES 


E  ne  sais  si  je  m'abuse  :  il  me  semble 
que  les  enfants  d'aujourd'hui  ne  sont 
point  tout-à-fait  comme  ceux  d'autrefois  ; 
qu'avec  révolution  des  idées  et  les  condi- 
tions nouvelles  de  la  vie,  nos  chers 
petits  ont  dépouillé  —  brins  de  toison 
restés  aux  épines  du  chemin  —  quelque 
peu  de  cette  innocente  crédulité  qui  est  un  des  privilèges  comme 
une  des  grâces  de  l'enfance.  Nos  petits  hommes  et  nos  petites  femmes 
ne  seraient-ils  pas  pénétrés,  à  leur  insu  comme  au  nôtre,  de  cette 
atmosphère  d'aimable  doute  et  d'individualisme  féroce  qui  est,  au 
fond,  la  caractéristique  de  notre  temps?  Pour  moi,  j'imagine  que  leurs 
âmes,  charmantes  encore  et  quand  même,  Dieu  merci!  ont  laissé,  au 
contact  des  brutales  réalités  qui  les  enveloppent  pour  ainsi  dire  dès  le 
berceau,  cette  fleur  d'imagination  et  de  sentiment  que  nous  donnèrent 
à  nous  autres,  vers  1800,  et  nos  chers  parents,  et  nos  bonnes,  et  nos 
livies,  et  nos  premiers  compagnons  de  jeux,  à  une  époque  où  l'exis- 
tence était  moins  inquiète,  où  le  slruggle  for  life  n'était  pas  devenu  le 
credo  farouche  du  grand  nombre... 

Comme  preuve  de  ce  que  j'avance,  je  ne  veux  citer  que  cette  réponse, 
entendue  l'autre  jour,  d'une  jeune  personne  de  six  ans  à  son  petit  ami, 
un  bambin  du  même  âge  : 

«  Lesféesl,..  les  féesl...  Mais,  gros  nigaud,  ça  n'existe  pasi...  Tout 
ça^  c^est  des  bêtises  1...  »  12 


274  REVUE  DU  NIVERNAIS 

Le  mot  fut  admiré  par  les  gens  sérieux  comme  Tindice  d^une  raison 
précoce.  Pour  moi,  je  fus  intérieurement  pris  de  pitié  pour  cette  flllette 
de  six  ans  qui  ne  croyait  plus  aux  bonnes  et  aux  mauvaises  fées,  ne 
prendrait  jamais  a  un  plaisir  extrême  »  à  s'entendre  conter  Peau  d'Ane 
et,  dédaigneuse  de  la  fantaisie  et  du  rêve,  laisserait  à  d'autres,  comme 
vulgaires  fictions,  les  histoires  mirifiques  du  Chat  botté  et  de  la  BeUe 
au  bois  dormant,,. 

Et  pour  balancer  la  fâcheuse  impression  que  j'éprouvais  in  petto,  car 
je  me  gardai  d'en  faire  part,  je  me  rappelai  cette  question,  adressée 
autrefois  à  son  grand-père  par  un  petit  garçon  qui  fut  mon  contem- 
porain : 

«  Bon  papa,  pour  être  bon  et  beau  comme  tu  es,  il  faut  que  tu  aies 
été  doué  par  une  fée  ?...  » 

Ce  petit  bonhomme  exprimait  très-naïvement,  avec  la  sincérité  de 
son  âge  et  la  littérature  des  gamins  de  ce  temps-là,  les  sentiments 
d'admiration  profonde  et  le  culte  passionné  que  lui  inspirait  son  bon 
papa...  Je  l'ai  beaucoup  connu,  ce  grand-père  :  c'était,  en  effet,  un 
homme  parfaitement  bon,  d'une  bonté  rare  et  toujours  souriante,  et 
bien  fait  pour  séduire  et  charmer  par  là  même  tous  ceux  qui  l'appro- 
chaient et  son  petit- fils  en  particulier.  Littéralement,  il  adorait  ce 
dernier  qui  le  lui  rendait  avec  usure  :  que  les  grands-pères  et  les 
grands'mères  qui  n'adorent  pas  leurs  petits-enfants  lèvent  la  main  !... 
Cette  affection  du  grand-père  et  du  petit-fils  m'est  restée  comme  un 
délicieux  souvenir  des  années  lointaines...  Victor  Hugo  n'avait  pas 
encore  écrit  lArt  d*être  grand  père  ;  il  n'a  certainement  rien  dépeint  de 
plus  touchant  que  cette  tendresse  réciproque  dont  je  fus  le  témoin,  et 
pour  conserver  dans  sa  fraîcheur  l'image  idéale  qui  m'en  est  restée,  je 
confesse  que  je  n'ai  jamais  voulu  lire  celle  œuvre  du  grand  poète. 
D'ailleurs,  entre  nous,  je  ne  crois  pas  que  cet  art-là  soit  réservé  le 
moins  du  monde  aux  hommes  de  génie  :  il  est  inné  dans  le  cœur  des 
bonnes  gens  et  la  pratique  n'en  est  point  malaisée,  Dieu  merci  !.  . 

L'aïeul  dont  je  parle  faisait  comme  tous  les  grands-pères  :  il  gâtait 
extraordinairement  son  petit-fils,  parce  que  c'était  l'enfant  de  sa  fille 
et  qu'il  le  trouvait  infiniment  supérieur  à  tous  les  marmots  du  même 
âge.  Est-ce  à  dire  qu'il  fùl  faible  avec  lui  et  incapablede  le  reprendre? 
Savait-il  être  ferme  à  l'occasion?  Mes  souvenirs  ne  sont  pas  très 
précis  à  cet  égard  —  c'est  si  loin,  tout  cela  I  —  et  je  ne  me  permettrai 
pas  de  trancher  cette  question  délicale 


ïlEVLfE  DU   KtVERHAIS.  275 

Ce  que  je  sais  bien,  c'est  que  l'enfant  porLaii  à  son  grand-père  une 
Affection  profonde,  sentiment  très  complexe  où  il  y  avait  de  Tadmira- 
lian,  de  [a  tendresse,  de  la  vénéralion,  de  la  piété  et,  par  un  juste 
relour,  la  conviction  absolue  que  nulle  part  sur  la  terre,  pas  plus 
d'ailleurs  que  dans  les  contes  de  fées,  on  n'aumit  pu  rencontrer  un 
bomnie  aussi  beau,  aussi  bon,  aussi  accompli  que  celui-là.  Il  fallait 
vraiment  —  il  n'y  a  pas  d'autre  explication  —  que  tous  les  bons 
génies  se  fussent  assemblés  autour  de  son  berceau  pour  y  déposer,  en 
gerbes  d'or  et  de  diamants,  les  dons  les  plus  rares  et  les  plus  pré- 
cieux  

..,.♦  Les  deux  amis  cependant  se  voyaient  peu,  à  peine  une  ou  deux 
fois  par  an.  Le  père  et  la  mère  du  pelil  garçon  haliilaient  une  ville 
éloignée;  en  ce  temps-là,  les  chemins  de  fer  n'étaient  p/is  à  beaucoup 
près  aussi  nonibreirx  qu'aujourd'liui,  et  certains  parcours  ne  pou- 
vaient ôfre  francbis  qu'en  diligence Car  il  y  avait  des  diligences, 

tontes  parfaitement  încoiinnodes  et  uniformément  peînles  en  jaune,— 
sans  doute,  pensait  le  petit  garçon,  en  souvenir  des  citrouilles  qui, 
vous  ne  Tignorez  point,  sont,  dans  les  contes  de  fées,  véhicules  d'un 
usage  courant ' 

Quand  approchait  le  moment  d'une  réunion,  l'enfnnt,  que  ses 
ronnaissances  encore  vagues  en  calcul  rendaient  iurap;ible  de  sup- 
puter exactement  les  semaines  et  les  jours,  attendait  Mvec  confiance 
qu'une  baguette  magique,  un  tapis  enchanté  suppriuiant  le  temps  et 
l'espace,  vînt  le  prendre  et  le  transporter  tout  d'un  coup  dans  la  maison 
de  son  grand-père Cel  espnir  innocent  ne  se  rénlisa  jnniais 

l^our  raîeuU  je  crois  bien,  sans  en  avoir  la  preuve,  que,  non  moins 
impatïenl  et  plus  au  fait  des  otïératiuns  arilhmétiiiues,  Il  effaçait  sur 
son  calendrier,  d'un  Iniil  de  pïume.  chaipie  journée  qui  s'enfuyait  — - 
si  leiilenirut!  —  avant  le  terme  altendu.,  .. 

Enfin  venail  le  plaisir  toujours  nonvenn  du  revtMr  et  cVHaient,  pour 
Tenfant,  les  jonels  et  les  gîiteries  de  toules  sortes  ;  pmir  l'aïeul,  le 
compliment  ou  la  fable  appris  eu  suïi  bonm'ur^ît  recités,  pour  une  fois, 
sans  caprice  î  —  Allez  donc  faire  des  caprices  avec  un  bon  papa. qui 
entrelient  d*élroites  relations  avec  les  fées  I 

Après  les  effusions  du  premier  momeul,  le  grand  père  et  le  petit- 
QU  ne  se  qui  liaient  pins,  compagnons  intimes  et  inséparables  ;  être 
ensemble  leur  suffisait,  tous  deux  s'absorba  ni  dans  les  douceurs  d'unç 
tendresse  passionnée  qui  ne  se  lassait  point.,.. 


276  REVUE  DO  NIVERKÀIS. 

Et  quel  chagrin  lorsqu'il  fallait  se  quitter  !.  ...  Après  la  séparation, 
chacun  vivait  sur  ses  souvenirs,  l'enfant  trouvant  que  les  bonnes  fées 
se  désintéressaient  beaucoup  trop  des  événements  de  ce  monde  et 
qu'elles  n'usaient  pas  assez  de  leur  puissance  pour  prolonger  les  mo- 
ments agréables  ;  le  grand-père  conservant  avec  un  soin  jaloux  tout 
ce  qui  pouvait  lui  rappeler  l'enfant  parti  et  défendant,  —  cela,  je  l'ai 
su  —  qu'on  ratissât,  dans  les  allées  du  jardin,  les  empreintes  laissées 

sur  le  sable  par  les  petits  pieds,  courts  et  menus Enfantillages,  dira 

quelqu'un C'est  bon,  c'est  bon,  les  bons  papas  et  les  bonnes  ma- 
mans me  comprennent 

Cependant  les  années  passaient,  couronnant  de  boucles  neigeuses  le 
front  du  vieux  grand-père,  faisant  du  petit  garçon  un  adolescent,  puis 
un  jeune  homme...  Et  comme  notre  vie  se  passe  à  perdre  des  illusions 
et  à  en  poursuivre  de  nouvelles,  un  jour  vint  bien  vite  où  l'enfant  ne 
crut  plus  aux  fées,  aux  bonnes  fées  qui  font  épouser  des  princes  beaux 
comme  le  jour  aux  filles  pauvres  et  sages  ou  condamnent  la  bouche  des 
méchants  à  rejeter,  avec  chaque  parole,  les  crapauds  immondes  et  les 
hideux  reptiles...  Cependant,  de  toutes  ces  charmantes  fictions  qui 
avaient  bercé  de  rêves  enchantés  son  imagination  d'enfant,  il  lui  était 
resté  quelque  chose  ;  son  esprit  plus  mûr  en  avait  saisi  le  sens  réel, 
caché  sous  les  caprices  fleuris  de  la  fantaisie  ;  il  avait  compris  que  de 
tous  les  dons,  la  bonté  est  le  plus  précieux  entre  tous,  parce  qu'elle 
est  la  source  de  beaucoup  de  vertus,  et  qu'elle  répand  autour  d'elle  un 
rayonnement  divin... 

Et  sa  piété  filiale  s'accrut  encore,  s'il  est  possible,  pour  cette  incom- 
parable bonté  dont  il  embrassait  toute  l'étendue,  qui  l'avait  autrefois, 
quand  il  était  petit,  caressé  d'une  si  douce  chaleur,  l'enveloppait  main- 
tenant d'une  tendresse  plus  sérieuse  et  plus  large,  ennoblie  par  la 
sérénité  d*une  très-longue  et  très-belle  vieillesse  qui  s'achevait... 

Puis  vint  un  jour  où  le  grand-père  mourut...  Il  y  a  bientôt  trente 
ans  de  cela...  Ce  fut  mon  premier  grand  chagrin,  car  vous  avez  deviné, 
n'est-il  pas  vrai  ?  que  c'est  de  mon  cher  bon  papa  que  je  vous  parle... 

Vous  êtes-vous  parfois  arrêté,  par  une  nuit  claire,  à  contempler 
quelque  étoile  perdue  aux  profondeurs  célestes  ?  Il  semble  que  par 
moments  elle  s'éteigne,  on  dirait  quelle  va  disparaître  ;  mais  la  petite 
flamme  se  rallume,  toujours  vivace,  et  sa  lueur  trembloltante  verse  en 
nous  la  mélancolie  des  choses  infinies  et  lointaines... 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  277 

Ainsi  le  souvenir  de  mon  cher  grand-père  revient,  après  tant  d'an- 
nées, m'éclairer  d'un  reflet  qui  ne  meurt  point,  et  c'est  comme  une 
très  lointaine  et  très  douce  caresse  de  celui  qui  m'a  si  tendrement  aimé 
autrefois,  quand  j'étais  un  enfant  comme  vous... 

François  Moireau. 
BOURRÉE 

A  M"»  Henri  TeUier. 

Myon,  vous  souvenez- vous  bien  ? 
Sous  la  vieille  coiffe  gauffrée, 
Pour  la  fête  à  Saint-Julien 
Comment  dansait-on  la  bourrée  ? 

—  Après  vêpres,  avant  le  soir, 
Quand  on  avait  mangé  la  pompe^ 
Près  du  noyer,  vers  le  lavoir, 
Le  bal  s'ouvrait,  sans  frais,  sans  pompe. 

De  tonneaux,  les  violoneux 
Faisaient  leur  estrade  champêtre, 
En  patois,  les  galants,  par  deux. 
Jasaient  où  les  moutons  vont  paître. 

Culolte  courte,  flambant,  beau, 
Rythmant  le  pas  et  la  cadence 
De  sa  tête  et  de  son  sabot, 
Thomas  s'avançait  pour  la  danse. 

C!oiffe  en  dentelle  et  bandeaux  plats, 
Tablier  de  velours  ;  l'air  sage, 
Chaîne  d*or,  souliers  de  galas. 
Fichus  plissés  dans  son  corsage, 

La  Myette^  de  son  côté, 
Ruinant,  pour  un  jour,  son  armoire, 
Au  nez  d'un  galant  dépité, 
Balançait  sa  robe  de  moire. 

Deux  fois,  le  couple,  s'approchant, 
Frappait  des  mains,  bien  len  mesure, 
El  sous  le  noyer,  le  vieux  chant 
Reprenait,  sans  que  le  temps  dure 

Et  puis personne  n'oubliait! 

Quand  la  vielle  restait  muette 

Que  le  violon  zi-zi-yait 

Thomas  embrassait  la  Myette. 


Françoise  d'HussELLES. 


278  REVUE  DU  NIVERNAIS. 


LES  HOUILLÈRES  DE  LA  MACHINE 

PRÈS  DECIZE  (NIÈVRE)  (Suite  et  fin). 


La  houillère  chôme  également  le  24  juin ,  afin  de  permettre  aux 
ouvriers  de  La  Machine  qui  ont  des  enfants  à  placer  d'assister  à  la 
louée  de  domestiques  qui  se  tient  ce  jour-là  à  Champvert.  Pendant 
longtemps,  la  Compagnie  des  mines,  —  désireuse  de  faciliter  le  trajet 
aux  Machinois,  —  mit  à  leur  disposition  les  wagons  servant  au  trans- 
port de  la  houille.  On  les  garnissait,  pour  la  circonstance,  de  sièges  en 
bois  blanc,  et  des  locomotives  les  emmenaient  jusqu'au  Rio-Gaillard, 
c'est-à-dire  à  deux  kilomètres  environ  du  bourg  de  Champvert.  Il  y 
avait  un  départ,  et  un  retour  à  chaque  heure  de  la  journée,  et  rien 
n'était  curieux  comme  de  voir  grimper,  au  moyen  d'échelles  que  l'on 
se  disputait,  les  hommes  et  les  femmes,  les  jeunes  filles  et  les  enfants 
dans  ces  wagons  noirs,  où  ils  s'empilaient  pêle-mêle,  au  milieu  des 
rires  et  des  exclamations.  Chaque  train  emportait  ainsi  plusieurs  cen^ 
taines  de  personnes  que  des  ombrelles  ou  des  parapluies  garantissaient 
de  Tardeur  du  soleil.  Depuis  les  nouvelles  lois  sur  les  accidents,  la 
Compagnie  a  renoncé  à  ce  transport  si  pittoresque  de  son  personnel. 

Un  mot  maintenant  sur  le  langage  machinois  qui,  tenant  à  peu  près 
le  milieu  entre  le  parler  de  Nevers  et  celui  du  Morvan,  offre,  sous  le 
rapport  des  mots,  une  faible  différence  avec  celui  de  la  région  environ- 


REVUE  DU  I^lVEllWÂIS.  279 

nante.  Cependant,  il  a,  comme  les  IinhiLaiits,  imu  expression  propre  et 
une  physionomie  particulière  qui  le  foui  aisément  reconnaître  (1). 

D'abord,  nos  mineurs,  qui  "parlent  généralement  vile»  font  de  fré- 
quentes élisions.  Us  conjuguent  ainsi  le  verbe  être  ; 

A  r  indicatif  présent  :  j'  seus,  V  es,  al  est  ou  aile  est,  j*  sons,  v*  ôtes, 
a  sont  ou  alF  sont  ; 

A  V imparfait  :  j'  étais,  l'  étais,  al  était  ou  aile  était,  j*  étins,  v'  étins» 
al  étint  ou  air  étint  ; 

Au  conditionnel  :  j'  sVais,  V  sVaîs,  a  s'rait  ou  air  s'rait,  j'  sYins, 
vous  s'rins,  a  sYint  ou  alT  s'rint  ; 

Au  subjonctif  :  que  j'  saiye,  que  t'  saîyes,  qu'a  saiye  ou  qu'air  saiye, 
que  j'  saiyins,  qu'  vous  saiyez,  qu*a  satyint  ou  qu'ail'  saiyinL» 

Dans  tous  les  verbes,  la  première  personne  du  pluriel  de  Timparfait 
de  rindicatif  se  termine  par  bis,  au  lieu  de  iom^  et,  au  pluriel  comme 
au  singulier,  on  emploie  le  pronom  ;V;  (on  èlidant  toujours  Te  muet), 
Ainsi,  on  dit  :  j'aimins,  i'allinsj'vénins,  j'avius,  etc. 

Les  Machinois,  qui  remplacent  souvent  le  verbe  avoir  par  le  verbe 
tenir,  s'expriment  ainsi  :  j'iins  la  fièvre,  jUénons  enn'  maison.  Ils  pro- 
noncent: mouai,  touai,  souaî,  et  n'iiésilenl  point  à  dire:  c'est ^oï«î/, 
au  lieu  de  c'est  lui.  Ils  disent  ;  Tmenn'»  t'Lenn',  Tsenn',  l'noûl'j  Tvoùr, 
pour  le  mien,  le  tien,  etc.  (2). 

Us  n'emploient  jamais  la  négation  et  disent  :  j'aimins  pas  t;a, 
j'counaissins  pas  c't'affaire  là. 

On  les  entend  souvent  répéter  :  un'lioume,  enn'poume(un  homme, 
une  pomme),  et  :  mon  pour'aimi,  la  pour'fammc  (moll  pauvre  ami,  ia 
pauvre  femme). 

Léonard,  canard,  tard,  lard,  se  prononcent  : 

Linerd,  canerd,  terd,  lerd,  à  La  Macliinc,  oti  on  dit  fréquemment  ; 
en  airtouai,  ou  va  touai  z'eri,  pour  va-l-en. 

(1)  La  comparaison  de  ce  langage  avec  i:ctui  des  difTLTenfra  conïrées  de  la  Nièvre 
que  nous  avons  habitées  ou  fi>^fiiiiniti*ps  noua  d  permis  d^  vè  ri  fier  leiaclilude  de  la 
théorie  de  M.  l'abbé  J.-M.  Meuiiiet',  ^  noire  Sîivaul  tollèKuc  de  la  Sociét**  Mvtniidie, 
—  sur  l'origine  commune  des  pyrJpra  de  rintre  prcjviijci!  et  sur  les  îransformalion^  qu'ils 
ont  subies  dans  le  cours  des  sirrles.  Couime  Tij  pi-ouv^  M.  l'aU>é  Meunier,  les 
patois  que  ron  parle  dans  nos  ("niip^^nes  ne  sont  [>aH  \\w  fr;!ru;ais  \\\\été  ou  cor- 
rompu, puisqu'ils  existaient  lun;^M^iij|iâ  av;uit  notre  bngue  nationale  :  il  serniit  [ilus 
juste  de  dire  que  cette  dernièrt.'  v%\  du  paloîs  épuré. 

(2)  Certaines  personnes,  aflectuni  de  mieux  parler,  disent  :  Je  mienne  el  la  tien. 


280 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


Voici  quelques  autres  expressions  machinoises  recueillies  au  hasard  : 


C'est  pas  désolant... 
Marche  don  tant  sèment... 
Quiq'c'estl 
Par  héserd 

Haila^  va  ! 

Lavou  qu'ai  est  ? 

Aga-lu  don 

Cté  tête  qu'a  tint  ! 

T veux-tu  bin  tHaiserf 

Tai  boun  air  ! 

J^  lé  promets... 

J'seus  agoué 

J'en  étins  argoulcs 

Ufeu  est  crevé 

Ça  fait  brun 

fnous  sons  mettus  à  Vécouai 

D'un  rin  a  m'pcrnint 

A  s^dôte  bin  d'ià 

On  dit^ussi  : 

Enn'palle 
Ennbesse 
Enn'plemhe 
Enn'berchaude 
Enn*  cassiette 
D'ia  pousse 
D'ia  patouilie 
Des  truffes  frilées 
Un  eurson 


(ce  n'est  pas  inquiétant), 
(va  seulement,  ne  crains  rien), 
(qu'est-ce?  comment  ?  plaît-il  ?) 
(par  hasard, qu'on  emploie  pour  :  par 

exemple) 
(oh  !  va  !) 
(où  est-il?) 
(regarde-le  donc) . 
(celle  tôle  qu'il  a!) 
(veux-tu  bien  te  taire  ?) 
(tu  as  mauvaise  grâce  de  faire  telle 

chose), 
(je  t'assure), 
(je  suis  rassasié), 
(nous  en  étions  dégoûtés), 
(le  feu  est  éteint), 
(il  fait  noir), 
(nous  nous  sommes  mis  à  l'abri  de  la 

pluie), 
(il  s'en  est  peu  fallu  qu'ils  ne  me 

prennent), 
(il  marche  vite  ou  il  court). 

(une  pelle). 

(une  boche). 

(une  pioche). 

(un  tisonnier) 

(une  casquette). 

(de  la  poussière). 

(de  la  boue). 

(dos  pommes  de  terre  frites). 

(un  hérisson). 


Et,  en  changeant  le  genre  des  noms  : 

Un  r'ioge  (une  horloge). 

Enn'serpent  (un  serpent). 


i 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


281 


Un  vipère 
Un  fermé 
tin  noi^ 
lilu  pôimn 

Eiinn,  on  dit  â  La  Machine 
Sauger 
Sarger 
Sercher 
Gauger 
Grêler 
Roiiclier 
Bûcher 
Tacossûr 
A  gué r  tonner 
Argiimr 
friler 

S'avrophufier 
Taper  du  charbon 
Gagner  k^  taux 


(une  vipère), 
(une  fourrai), 
(une  noix), 
(du  poison). 

(changer), 
(charger), 
(chercher). 

(prendre  de  l'eau  dans  les  sabots), 
(bercer,  balancer), 
(lancer  des  pierres), 
(frapper,  travailler  fort), 
(frapper  à  petits  coups), 
(crier,  en  parlant  des  jeunes  enfants), 
(remuer), 
(frissonner), 
(s'accroupir). 
(Icjeter  avec  une  pelle), 
(épuiser  l'eau  qui  peut  gêner  dans 
un  puits). 

SPÉCIMEN  DE  PARLER  MACHINOIS 

-  Eh  bin  !  camarade,  t' t'es  tu  bin  amusé  hier? 

-  Ah ,  voui,  par  héserd,  parlons-en  !  J' té  garantis  q'  j'ai  passé  enn' 
iol.  journée,  tins!..  Figure-touai  (i)  q'j'étins partis  du  bfn  mat  n 

her  dos  escargots  dans  les  trasses  de  Bussiére.  J'en  avins  pas  ramassé 
s^nlun  d-ml  «„,  q'vlà  „„  ga*  ,'„„„s  tcbe  de^u^  S 
b^n  l  mon  v.eux,  r  peux  craire  que  j' nous  dôtins  bin  d'ià,  tins  I  J'  nous 
sons  en.auvesen  sautant  les  échayers;  mais  le  mâtin  d'  garde  no 
courra,  au  derrié,  si  bin  q'  j'aurins  été  pinces  si  j'étins  .LrlZ 
bo.a  vantsouai.  C'était  pas  trop  tout  q' j'y  arrivissins.  tins!      nou 
^ns  fou.es  dans  la  fertasse,  en  courant  coum'  des  san-yers     ma 
J  ans  b.n  manqué  d'  nous  enguierrer  au  mitan  des  bois  :  hureu  'men 
,    la  cl.-„,„eed«  ïénoM  .ous  ai  ,aU  arlrauver  „o«r  cbC 
Et  pis  touai,  lavou  q'  t'ai  passé  ta  jeunesse  ? 

{\]  Daiîs  les  communes  de  Thianires  «»t  Ho    ru^^      ^ 
t«  Paysans  pro.K>acon.:toué*^  Champvert,  vou.ines  de  U  Machine. 

11" 


t 


282  REVUE  DÛ  NIVEMAIS. 

—  Mouai,  j'seus  été  à  D'zize  après  goûter,  avec  lé  pos  jeane  dé  mes 
ps,  Cil  Youaiture  à  boumi.  Poar  aller,  mon  poar*aimi,  ça  marchait 
blii  ;  ujais  quand  j'sons  arvénus,  la  puie  s'est  mettae  i  tomber,  ^ 
Vvmp  d'six  heures,  quand  j'arrivins  à  la  montée  des  Pontols,  q'j'en 
votmljùis  pas  clair  !  Al  nous  a  guiatés  jusqu'à  la  maison!  Quant  éj'sons 
arrivés  vai  nous,  j'étins  mous  tripes,  nous  pannHots  étint  terfoulés  et 
yau  rî^'olait  dans  nous  bronn'quins.  Ai  faullu  que  j'nous  sangins  touta- 
lement  des  pieds  à  la  télé  :  jusqu'à  nourchéraise  qu'était  moule  !  Mon 
pour  ch'lit  gas  était  g  le  dïraid,  et  la  viéle  a  pas  manqué  dé  l'rachauf- 
fer  I  T'peux  compter  qu'a  va  s'en  rapp'ler  longtemps  dé  c'té  toumée-là, 
tins! 

Lu  cadre  de  cette  étude  ne  nous  permet  pas  de  nous  étendre  plus 
longuement  sur  le  patois  de  La  Machine,  conservé  à  peu  près  intact 
par  les  anciens  mineurs. 

Disons  toutefois,  en  terminant,  que,  depuis  vingt  ans,  il  a,  comme 
tous  les  autres  parlers  provinciaux,  subi  de  profondes  modifications, 
sousi  la  double  influence  de  l'instruction  scolaire  et  du  service  militaire 
obligatuire. 

Le  langage  de  la  jeunesse  actuelle  se  rapproche,  en  effet,  de  plus  en 
plus  du  français,  et  bientôt  le  vieux  parler  des  mineurs  machinois 
disparaîtra,  comme  ont  disparu  les  canettes  d'indienne  de  leurs 
grand'mères  et  comme  disparaissent  déjà  les  bonnets  blancs  de  leurs 
femmes  ! 

L.-M.  POUSSEREAU. 
La  Machine,  le  24  mars  1901, 

FIN 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  283  * 

PROLOGUE  D'UN  RECUEIL  DE  VERS  I 

Il  faut  être  sot,  téméraire,  j 

Après  plus  de  soixante  hivers, 

Par  goût  bizarre  et  littéraire, 

Pour  risquer  quelques  mauvais  vers. 

Bah  !  chacun  cherche,  à  sa  manière, 

A  sortir  de  la  grande  ornière  ^    -'  :> 

De  la  vie,  —  incessanls  combats  !  :     •- 

La  jeunesse  en  riant  s'amuse  ; 

Moi,  vieillard,  client  de  la  Muse,  : 

Je  rime  loin  de  ses  ébats.        -  . 

La  rime  est  une  pauvre  esclave, 
A  dit  Boileau  partout  connu  ; 
Elle  a  plus  d'un  parfum  suave 
Pour  moi,  pauvre  barde  ingénu. 
On  a  beau  me  dire  :  A  votre  âge, 
Chanter,  ce  n'est  plus  votre  ouvrage; 
Laissez  la  lyre  aux  jeunes  fous... 
Moi  je  réponds  :  L'ennui  m'assiège  • 
En  hiver,  quand  tombe  la  neige. 
Chacun  sa  manie  et  ses  goûts. 

Ah  1  je  sais  bien,  oui,  je  l'atteste. 

Qu'arrivant  au  plus  bas  degré 

Du  talent  banal  qui  me  reste. 

J'ai  bien  perdu  du  feu  sacré  ! 

Mon  luth,  trop  froid,  est  en  détresse  ; 

Pégase  contre  moi  se  dresse. 

Lui  non  plus  n'aime  point  les  vieux  ; 

Mais  si  la  vieillesse  est  bien  triste, 

A  son  atteinte  je  résiste 

Pour  tuer  l'ennui  de  mon  mieux... 

Eue.  Garry, 
Jardinier  à  Limon. 


ijj 


y.  -^r  vrATRNAis. 


LA   MER! 


A  M"^  3/t»".>-i>-»' •/*•  iw. 


■!::i'jii^ia>ir'  .un^  .-'u  iii^niis  fin  àe 

:•'      -    [j.  h:  VM^  'iunc  ♦.^nn.*  ni^ 
•-    ••     :-  'ij-*  h*^':iieijrs.  j»^  ne  >\ii 


• .r,   :  ;:iîiii  l'iM-nau  sederuiile 


La  "!-»•  • 

nr»îx  '    '  "  'îT     -'î  .  '  •■ • 

î/in     •  .î-'^'^n'.      .  ■•— :  :•  ix. 

hlH.iti^       -•..  ...f     .r    ._,,,.^.:u       •    ,    «i^-'iu   -♦'tui'Liul    <e  joiRT  à  ia 
<iirt-i«-'-  '•'    '••■».    -i  -ir        '•■•-       .•    .lu»,^    :  <*|,i'jilos  scintillent  des 

[/.,.«•  ..^     ..îH  ..' -:'■_-.>.        >        .«r '--liîinm,    •••j'*  sauvage  ;ni<>i.  iQ 
(•i»'!   ..'"•    •  .".••--  r'-";,i-  1  ;■•_:••-  :  ;i      ■:•  «ii  •  ii  •i.-iMiniaii»»,  et  siH'»""*^ 


inin'--'  •' -:!-•  :*  '  •  X -.PI-:--  .  '\  MiiMii  .;.M;iiainf,  MMikvanl  <lc> 
v.:^.-''  '•  *•-;  •  -n»')!»*  :.'v  ''î<''ili-.îî' <  in  -t*  nour^uiviMit,  >f»  <*lia>s**nt, 
<A    -.'•'*    ♦'••.-    '  if-M'ir    •  uiL-'»  •'\  i:^*.*.   l'.e    rif    ^4»iit  alors    <I"*? 

^  ..'-;.    ii!i_n->»":if  •!:<     rrtv'KUs,  :>niiti  ^jiinls<'t  ^acrMii»*N 

I  »    \<  *]\    !►*    *  .•î^ci-'*' r    [MO  i-t  <'l»Mii«'fil  H-*t  là  pniir  n«»tre 

i*-ï  ••►•    *LT  •fn^'îït.  il.'t:.*  ;if'i>r»v  'i«»ii<  fait  lunis '*iior;;iîf.Mllir.  Mais 

V*f^if     \'         'îr*^  fi^.nr  .•T|,|,r,<<»*r  ." -t- iid'io  <ie  «^ttiMuass^  brute,  le 

'  itifftt'fi'  1     -^^iir'rMr*''  !riH)'<ar]tt»  "t  !'Tr:L»l»*  lums  sont  aussitôt  péni- 

t*  >^nt  f'fib!'^,   friuil»»  e.Miim^*  un   ros*^au.  La  poitrine  se 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  285 

comprime,  oa  poids  énorme  pèse  sur  le  cœur,  oppresse.  L'on  sobA^ 
de  malaise  sans  savoir  pourquoi. 

Aussi  d'aucuns  ont-ils  pensé  que  pour  bien  jouir  des  beaotés  de  la 
mer,  il  faut  la  voir  d*un  lieu  sûr  et  quelque  peu  éloigné,  et  même  la 
considérer  comme  à  travers  les  mille  illusions  et  mensonges  de  notre 
imagination    qui  est,  a-t-on    justement    fait  observer,  volontiers 

gasconne 

••♦ 

L'on  s'est  plu  à  comparer  la  mer  à  une  jeune  femme,  à  une  belle 
maîtresse.  Pourquoi  pas  à  une  Espagnole  ? 

I^s  Espagnoles  sont  très  passionnées.  Elles  ont  la  démarche  impé- 
tueuse, la  voix  sonore,  l'œil  sombre  et  brillant.  Leurs  sensations  sont 
violentes,  leur  imagination  fougueuse,  leurs  désirs  brûlants,  leurs 
colères  terribles,  leur  haine  implacable.  Il  leur  faut  des  caresses,  du 
mouvement,  du  bruit,  des  combats,  du  sang  ! 

De  même  la  mer—  amante  légitime  et  irrévocable  de  notre  pauvre 
sol  —  la  mer  est  charmante,  impérieuse,  cruelle,  inhumaine. 

Comme  dans  tout  ménage,  le  continent  croit  être  le  maître  parce- 
qu'il  la  regarde  du  haut  de  ses  falaises,  la  domine  du  panache  altier  de 
ses  rochers.  En  réalité,  c'est  elle  qui  le  tient  :  elle  le  harcèle,  elle 
l'étreint,  elle  le  ronge,  elle  le  bat.  Ses  plages  ?  Elle  les  envahit.  Ses 
esquifs?  Elle  les  submerge,  et  c'est  alors  un  remous,  des  tourbillons, 
des  jets  d'écume  folle,  éclaboussant  les  flancs  des  vieilles  roches,  où 
elle  se  brise  avec  un  bruit  sourd,  grave,  s'enflant  et  mourant  tel  un 
soupir  de  géant... 

La  mer  !  Elle  est  tantôt  berceuse  comme  la  plus  douce  mélodie, 
enivrante  comme  pas  une  caresse  de  maîtresse  éprise,  plus  bleue 
qu'une  fleur  de  pervenche,  mouillée  ou  verte  comme  une  émeraude, 
unie  et  pure  comme  le  front  aux  teintes  d'ivoire  des  enfants  ;  tantôt 
mugissant  avec  un  fracas  de  tonnerre,  sombre  comme  une  nuit  d'hiver, 
soulevée  comme  une  âme  en  révolte,  mais  toujours  ineffablcment 
belle,  même  dans  ses  colères  homériques. 

Ah  !  malheur  à  qui  se  laisse  alors  ensorceler  par  ses  attraits  char- 
meurs, à  qui  ose,  en  cet  instant  terrible,  braver  sa  fureur  !  Elle  ne 
respecte  personne,  la  sauvage  I  même  pas  les  mousses,  pauvres  gars 
encore  chauds  des  caresses  maternelles.  Bien  plus!  ravis  de  leurs 
nombreuses  victimes,  ses  flots  inhumains  chantent  quelque  Dies  ir?e 


286  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

magistral,  éternel  à  leur  mémoire.  Prière  funéraire  si  déchirante 
pour  les  mères,  les  épouses,  les  fiancées,  mais  aux  accents  irrésis- 
tibles pour  les  marins,  toujours  aussi  insouciants  du  triste  sort  qui 
les  attend  I... 

JÀ. 

UN  ÉPISODE  DE  LA  RÉVOLUTION 
EN  NIVERNAIS 

A  LA  RECHERCHE  D'UN  ÉMIGRÉ 

Il  n'est  guère  de  localité  en  Nivernais  où  l'on  ne  raconte  plus  ou 
moins  exactement  quelque  histoire  d'émigré  ;  et,  en  maints  endroits, 
on  montre  un  chône  dit  des  Emigrés^  parce  que,  dit-on,  ces  derniers 
se  reposèrent  sous  son  ombrage  lorsque,  cachés  dans  les  bois  touffus, 
ils  attendaient  l'heure  propice  soit  pour  rentrer  momentanément  dans 
leurs  habitations,  soit  pour  fuir  à  l'étranger. 

C'est  en  allant  voir  ici  même,  tout  récemment,  un  chêne  énonne, 
celui  des  Emigrés^  que  me  revint  en  mémoire  l'histoire  que  je  vais 
raconter.  Peu  importent  les  noms  et  lieu  de  résidence  du  seigneur  : 
qu'il  me  suffise  d'ajouter  que  mes  renseignements  sont  tirés  de  docu- 
ments authentiques  officiels,  et,  comme  tels,  dignes  de  foi. 

Nous  sommes  en  1792.  Un  noble  ayant  quitté  son  domicile  après 
s'être  muni  du  passeport  réglementaire,  n'est  pas  rentré  chez  lui  dans 
les  délais  fixés  par  la  loi  ;  il  est  donc  considéré  comme  émigré  et 
inscrit  sur  les  longues  listes  dressées  alors. 

On  séquestre  ses  biens  dont  la  nation  s'empare,  gardant  les  bois  et 
vendant  à  son  profit  terres  et  prés  qui  seront  ensuite  restitués  en 
partie  à  la  famille. 

Cependant,  à  diverses  reprises,  le  bruit  court  que  le  seigneur  est 
caché  soit  chez  lui,  soit  dans  les  bois  voisins,  et  la  garde  nationale  — 
qu'il  avait  conmiandée  en  1791  — se  met  à  sn  rerherclu*.  Oji  arrHe 
quelques  personnes  soupçonnées  de  lui  procurer  des  armes  et  de» 
vivres,  mais  on  ne  peut  saisir  l'émigré. 

Les  alertes  données  étaient-elles  basées  sur  des  preuves?  Oui^ 
affirment  plusieurs  dénonciateurs  dans  les  documonts  officiels.  Non^ 
prétendent  dans  leurs  interrogatoires  les  parrnls  el  les  servileursî  de 
l'émigré. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  287 

Les  pièces  qui  concernent  celle  affaire  fournissent  d'ailleurs  des 
détails  assez  piquants  pour  qu'on  en  résume  brièvement  quelques- 
uns. 

C'est  d'abord  la  lettre  du  district  ordonnant  à  la  municipalité  de  se 
transporter  dans  la  maison  du  seigneur  avec  un  détachement  de  la 
garde  nationale  <k  pour  donner  satisfaction  à  un  peuple  plus  égaré  que 
coupable  »,  et  aussi  pour  rassurer  ce  citoyen  dont  on  met  en  doute  les 
opinions  antirévolutionnaires  et  auquel  «  on  doit  protection  quand 
même  il  seroit  reconnu  coupable  d.  ^ 

Le  calme  paraît  rétabli  pendant  un  an  après  cette  démarche  infruc- 
tueuse, lorsque  Tordre  est  donné  à  nouveau  de  s'assurer  de  l'émigré, 
qui  a  dû  revenir  dans  le  pays,  «  car  il  faut  que  la  République  triomphe 
et  que  ses  ennemis  soient  écrasés  ». 

Les  recherches  se  succèdent  alors  dans  les  bois  du  voisinage,  où 
certaine  nuit,  vers  deux  heures  du  matin,  se  rendent  en  deux  endroits 
différents  105  gardes  nationaux  qui  doivent  cerner  l'émigré. 

A  défaut  de  ce  dernier,  on  arrête  le  lendemain,  dans  une  commune 
voisine,  un  de  ses  anciens  serviteurs,  qu'on  amène  escorté  de  deux 
gendarmes  et  de  six  gardes  nationaux.  Il  remet  à  la  municipalité  un 
fusil  qu'il  prétend  être  celui  de  son  maître  ;  mais  bientôt  après  on 
découvre  «  le  grand  coquinisme  de  ce  citoyen  »,  car  le  véritable  fusil 
du  seigneur  est  déposé  ensuite  par  la  femme  d'un  autre  citoyen.  On 
surveille  étroitement  un  meunier  du  voisinage  accusé  c  de  fournir  du 
pain  à  Témigré  et  à  ses  adhérents  ». 

Les  recherches  se  poursuivent,  car  les  indications  sont  nombreuses 
et  paraissent  précises.  C'est  un  petit  vacher  qui  afflrme  avoir  vu 
€  douze  personnes  bourgeoisement  mises  et  avoir  reconnu  l'émigré  et 
son  fljs  ».  Puis  des  bûcherons  qui  prétendent  les  avoir  rencontrés  sur 
un  autre  point  de  la  commune,  ajoutant  en  avoir  arrêté  trois,  «  puis 
les  avoir  relâchés  à  force  de  prières  et  de  supplications  ». 

C'est  enfin  un  déserteur,  natif  des  environs,  qui,  pour  se  tirer 
d'affaire,  raconte  avoir  vu  a  les  douze  brigands  ».  Il  ajoute  que  ceux- 
ci  ont  voulu  le  retenir,  «  qu'il  a  conversé  avec  eux,  qu'il  a  partagé 
leur  pain  blanc,  qu'il  est  parvenu  à  se  sauver,  et  qu'il  se  fait  fort  de 
conduire  la  garde  nationale  à  l'endroit  où  ils  sont  cachés  ». 

Si  cette  nouvelle  tentative  fut  infructueuse,  elle  fut  du  moins  favo- 
rable au  déserteur,  qui,  après  avis  du  district  —  auquel  on  envoya  un 
courrier  spécial  —  ne  fut  nullement  inquiété  pour  sa  conduite. 


288  REVUE  DU  IflYERHAlS. 

Quelques  jours  après,  un  ami  du  premier  prisoDoier  est  arrêté  par 
des  commissaires  spéciaux  du  district,  c  lesquels  ont  tous  les  pouvoirs 
pour  étouiïer  dans  sa  naissance  le  rassemblement  qu'on  craint  ».  Pais 
ce  sont  les  serviteurs  de  Témigré  et  sa  femme  qui  subissent  de  nouveaux 
interrogatoires. 

De  Umi  cela,  il  faut  conclure  que  si  les  dénonciations  faites  à  la 
municipalité  furent  exactes,  ou  les  émigrés  surent  disparaître  en  temps 
opportun,  ou  les  recherches  furent  fort  mal  organisées. 

Et  cependant  les  municipalités  qui  partageaient  trop  aisément  l'effer- 
vescence des  populations,  croyaient  devoir  siéger  en  permanence  à  la 
maison  commune  !  G.  Gauthier. 

LE   PARNASSE  MODERNE 

POÈTES   HOLLANDAIS  (Suite) 


Albert  Verwey. 
RÊVE  DE  MORT 

Parez  de  blanches  violettes. 
Fleurs  sans  parfum,  mon  oreiller  : 
A  minuit,  les  ombres  muettes 
Du  lac  sombre  vont  s*éveiller. 
Les  voici  :  long  voile  qui  traîne, 
Fronts  pâles  inclinés  tout  bas. 
Evoquant  —  rumeur  incertaine  — 
Ce  que  nous  promet  le  trépas. 
L'œil  fixe,  elles  tendent  ensemble 
Leurs  bras  sur  le  lac  frémissant 
Dont  Tonde  noire  pleure  et  tremble. 
Puis  reviennent  en  gémissant. 
Leur  regard  oblique  et  sans  flamme, 
Je  le  vois  sur  moi  s'abaisser  ; 
Je  sens  leui-s  lèvres  sur  mon  âme, 
Leurs  lèvres  mortes  se  presser, 
Jusqu'à  ce  qu'au  loin  dans  les  salles 
Sous  la  morne  clarté  qui  luit, 
Leur  pas  se  perde  et  gur  les  dalles 
Du  palier  expire  sans  bruit. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  289 

Hélène  Swarth,  M«^  Lapidoth. 

(1859). 

LA  POUPÉE 

A  son  illusion  doucement  asservie, 
Une  enfant,  sur  son  sein  pressant  avec  ardeur 
Sa  poupée  et  baisant  cette  bouche  sans  vie, 
Croit  de  son  propre  enfant  sentir  battre  le  cœur, 

Pose  à  ses  cheveux  blonds  un  ruban,  une  fleur  ;  t 

Lui  met  ses  vêtements  si  beaux  qu'on  les  envie,  J 

Caresse  (lèvre  et  doigts  en  gardent  la  couleur),  -t 
Le  front  de  cire  au  teint  rosé  qui  Ta  ravie. 

Ainsi  de  moi,  poète  en  proie  au  rêve,  hélas  ! 
J'animais  ma  poupée...  Oh  !  ne  souriez  pas  : 
Je  brûlais  d'une  jeune  et  généreuse  flamme  ! 

J'habillais  et  parais  ma  poupée,  en  l'aimant, 
En  l'embrassant  pieusement  et  tendrement, 
Si  longtemps  !...  Qu'ai-je  fait  ?  J'ai  gaspillé  mon  âme  ! 


PHILOSOPHIE 

Veux-tu  calmer  ma  soif?  dis-je  au  fleuve.  Son  onde. 
Loin  de  ma  lèvre  en  feu,  coule  sans  s'émouvoir. 
Je  vais  saisir  un  fruit  vermeil,  je  crois  l'avoir, 
Mais  je  sens  m'échapper  la  pomme  fraîche  et  ronde. 

J'ai  tissé  mon  filet  plein  d'ardeur  et  d'espoir  : 
Par  les  mailles  s'enfuit  le  poisson  qui  m'abonde. 
Mon  bateau,  follement  poussé  sur  l'eau  profonde, 
Ballotté  quelque  temps,  échoue  au  récif  noir. 

Si  le  fleuve  à  ma  soif  refuse  une  gorgée, 
Vers  la  source  modeste  et  du  hêtre  ombragée, 
J'irai  ;  là,  des  buissons  le  fruit  tente  ma  main  ; 

En  hutte  transformant  ma  barque  ruinée. 

Là,  solitaire,  en  paix,  sans  peur  du  lendemain, 

Pourrai-je  encor  —  qui  sait  —  bénir  ma  destinée  ! 


k 


290 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


i 


NUIT  D'ÉTÉ 
Les  astres  fleurissaient  par  cette  nuit  d*été. 
Le  vent  passait  jaseur  dans  l'arbuste  agité  ; 
La  lune  illuminait  les  hauts  pignons  de  pierre  ; 
Silencieusement  abaissaient  leurs  paupières 
Les  cygnes,  las  d'errer  sur  le  sombre  canal. 
Les  astres  fleurissaient  dans  leur  éclat  royal. 
Et  par  les  carrefours,  nous  allions  en  rêvant  ; 
—  Consolant  souvenir  quand  je  pleure  souvent  !  .. 
Dans  un  calme  sommeil  se  reposait  la  ville  ; 
La  lune  au  front  d'argent  planait,  lente  et  tranquille. 
Nous  avions  traversé  le  vieux  pont  lentement. 
Oh  I  souvenir  en  moi  gardé  fidèlement  ! 
((  Que  veux-tu  ?  dis  !  Un  roc  où  pouvoir  t'appuyer  ? 
Prends  mon  bras  qui  sera  ton  soutien  sans  ployer  I 
Est-ce  un  cœur  chaud  meurtri  par  la  soufl'rance?  —  A  Taise 
Prends  le  mien^  que  par  lui  ta  soif  d'amour  s'apaise  I 
Est-ce  une  âme  qui  dise  :  0  morte,  éveille-toi  ! 
Pour  cet  œuvre  divin  prends  la  mienne  avec  foi  1  » 
Oh  !  combien  d'ans  enfuis  depuis  la  nuit  d'été  ! 
La  brise  encor  murmure  en  l'arbuste  agité. 
Je  revois  ces  yeux  bleus  aux  clartés  des  étoiles  ; 
Cette  ville  muette  est  là  pour  moi  sans  voiles  ; 
Les  mots  que  son  amour  me  dit  à  ce  moment 
Me  berceront  encore  au  tombeau...  doucement. 


F.  van  Eeden. 

(1860). 

SONNET 
0  voûte  de  lumière  !  Infini  firmament, 
Monde  d'amour  I  Immensité  que  rien  ne  nomme  1... 
Tout  cela  peut  tenir  en  un  frêle  corps  d'homme 
Edifié  sans  force  et  si  chétivement  ! 
Comment  !  une  âme  seule,  actrice  d'un  moment, 
Contient  l'âme  de  tout  ce  qui  vit,  s'en  pénètre 
Au  point  d'oser  dire  le  nom,  de  nommer  l'Etre 
Du  Dieu  seul,  qui  est  tout,  tout  éternellement  ? 
Un  homme  sur  la  terre,  aveugle,  pauvre,  à  peine 
Rampe,  cherche  son  pain,  marche,  rit,  parle,  traîne 
Son  existence,  tel  fait  un  enfant  au  jeu. 
Tant  qu'en  son  âme  aride  éclate  une  étincelle, 
Qu'en  lui  s'épande  alors  la  flamme  universelle 
Et  qu'à  cette  lueur,  il  rencontre  son  Dieu  ! 


REVUE   DU  NIVERNAIS  291 

NOCTURNE 

Fragment  d'ElIen. 

Maintenant  je  voudrais  m'en  aller  loin  d*ici, 
Libre  de  tout  souci,  libre  enfin  de  souci, 
El  dormir  dans  le  sein  du  Seigneur  où  j*aspire. 
J^  vie  où  je  m'attarde  est  trop  lourde  vraiment 
Pour  que,  ployant  sans  cesse  au  faix  de  son  tourment, 
Mon  âme  encore  la  désire  ! 

Que  dis-je?  Il  ne  m'est  pas  demandé  si,  malgré 
La  douleur  dont  mon  être  est  sans  fin  torturé. 
Il  me  convient  encore,  il  me  convient  de  vivre. 
Bien  que  mon  cœur  s'étonne  et  ne  comprenne  pas 
La  raison  du  chagrin  qui  le  dévore,  hélas  ! 
Mon  dur  chemin,  je  dois  le  suivre  ! 

Mais  qui  peut  empêcher  le  cœur  endolori 
Qui  pleure  et  pleure  tant,  de  jeter  un  long  cri 
Vers  la  miséricorde,  un  long  cri  vers  la  grâce  ? 
Ah  !  que  vienne  le  bon  Pasteur  compatissant  ; 
Qu'il  emporte  avec  lui  son  agneau  gémissant 
Et  sur  son  sein  béni  Tembrasse  ! 


Hendrik  Gosman. 

(1862). 

NEIGE 

Plus  de  vent  Sous  la  nuit,  la  neige,  à  tout  instant, 
Dans  Pair  tombe  :  on  dirait  —  blancs  pétales  de  roses  — 
Qu'elle  vient  par  pitié,  dans  le  nuage  éclose, 
Pour  chaudement  vêtir  la  terre  qui  l'attend. 

Et  voici  les  fiocons.  se  berçant,  voletant. 
Doux  et  comme  rêveurs,  lentement,  mais  sans  pause, 
Blancs  tels  qu'argent,  tels  qu'onde  écumeuse,  où  se  pose 
La  lune,  en  un  rayon  rieur  el  tremblotant. 

Neige  aux  pures  blancheurs,  comme  le  bras  sans  tache 
De  la  vierge  qui  prend  son  soyeux  voile  et  cache. 
En  l'endormant,  l'enfant  adopté  par  son  cœur. 

Quand  ta  nappe  a  couvert,  la  nuit,  la  terre  nue, 
Ton  blanc  reflet  m'éveille  el  je  te  crois  venue 
Du  ciel  pour  tempérer  Thivernale  rigueur. 


292  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Louis  Couperas. 

(1863). 

LE  LOTUS  * 

Sur  le  lac,  vrai  miroir  d'émeraude,  s'épanche 
—  Roses  de  feu  —  Téclat  du  soleil  qui  descend. 
Sous  les  rayons  le  lotus  pâle  est  rougissant, 
Mais  la  fleur  reste  close  en  sa  corolle  blanche. 

Aux  baisers  du  zéphyr  son  calice  se  penche, 
L'eau  murmure  au  lotus  son  chant  en  le  berçant, 
Mais  glacée,  en  dépit  du  soleil  caressant, 
La  fleur  demeure  close  en  sa  corolle  blanche. 

Que  lui  sourie  enfin  la  lunaire  clarté  : 

La  fleur,  lasse  d'avoir  si  lonj^^temps  résisté, 

S'ouvre,  étoile  d'argent,  se  balance  sur  Tonde, 

Tant  que,  telle  une  sœur  éclose  à  son  côté, 

La  lune  ouvre  dans  l'eau  son  calice  enchanté 

Dont  la  blancheur  prévaut  sur  tout  autre  à  la  ronde. 


FLEUR  DE  NUIT 

Dans  des  flocons  d'ouate  molle, 
Flotte  la  lune  au  blanc  croissant  : 
On  croirait  voir  une  gondole 
Sur  le  bleu  d'un  fleuve  glissant. 

Chaque  nuage  a  l'air  d'une  onde, 
Que  d'argent  tache  une  lueur  ; 
Lys  plus  beaux  que  ceux  de  ce  monde. 
Les  étoiles  semblent  en  fleur. 

Fut-ce  la  barque  de  ma  vie, 
0  ma  belle,  nous  partirions. 
Et  dans  la  hauteur  infinie, 
Seuls,  sur  la  mer  nous  voguerions. 

Puis,  las  de  tes  baisers,  d'entendre 
L'amour  sur  tes  lèvres  jaser. 
Dans  mes  bras  je  voudi-ais  te  prendre 
Et...  dans  l'espace  te  lancer  ! 

Traduction  de  ACHILLE  MiLLiEN. 


LIVRES  ET  PÉRIODIQUES 


Jules  Pravieux,  Un  vieux  célibataire.  —  Paris,  Plon-Nourrit,  8,  rue  Garanciére, 
in-ii,  3  fr.  50.  ^ 

Nous  n'avons  pas  à  apprendre  à  nos  lecteurs  le  nom  ni  le  talent  de  Tauleur  de  ce 
livre,  puisque  M.  Jules  Pravieux  est  un  de  nos  plus  chers  collaborateurs.  Le  piquant 
chapitre  qu*il  en  a  détaché  pour  notre  Revue  leur  a  donné  une  idée  de  cet  ouvrage.  Et 
nous  sommes  heureux  de  constater  que  ce  nouveau  roman  de  M.  Pravieux  est,  à  notre 
avis,  supérieur  même  aux  précédents  dont  l'Académie  française  a  reconnu  le  mérite. 
Voici  M.  Pravieux  en  possession  de  tous  ses  moyens.  Son  talent  mûri  se  joue  à  mer- 
veille  au  milieu  de  ce  monde  ecclésiastique  dont  il  se  fait  le  peintre  habile  et  attitré. 
Ferdinand  Fabre,  mort  récemment,  s'était  taillé  son  petit  domaine  dans  cette  région 
peu  ou  mal  étudiée,  que  M.  Pravieux,  sans  marcher  sur  ses  traces,  explore  à  son  tour 
avec  bonheur.  Les  romans  à  thèse  sont  généralement  distillateurs  d'ennui  :  celui  de 
M.  Pravieux,  qui  plaide  pour  le  célibat  des  prêtres,  est  tout  au  contraire  attrayant, 
attichant  au  possible.  Cest  que  l'argument  y  est  caché  sous  une  forme  charmante. 
L*auteur  est  un  humoriste  qui  sait  regarder  et  voir,  et  qui,  ayant  attentivement  regardé 
et  bien  vu,  sait  en  outre  exposer  avec  une  ironie  exquise  le  n^ultat  de  ses  olraerva- 
tions.  Nivernais,  mes  amis,  lisez  donc  la  nouvelle  œuvre  de  notre  compatriote.  Vous 
y  applaudirez  comme  moi,  et  y  trouverez  l'assurance  du  bel  avenir  littéraire  qui 
attend  M.  Jules  Pravieux. 


Elude  tur  les  chanté  pojoulaires  de  France  et  les  chansons  du  Nivernais^  par 
M.  LuaEN  Lavault.  —  Musique  notée  par  M.  Georges  Guérin.  —  In-4«.  —  Chez 
M.  Ropiteau,  libraire  à  Ne  vers. 

Il  y  a  quelques  années,  plusieurs  de  nos  compatriotes,  —  artistes,  professeurs,  etc., 
—  fondaient  un  petit  cercle  :  le  Caveau  Nivernais^  •  qui  se  donnait  pour  but  de 
rechercher  et  d'interpréter  les  vieilles  chansons  locales  ».  Chacun  apportant  son 
contingent,  chacun  •  disant  la  sienne  »,  le  répertoire  avait  peu  à  peu  pris  certaine 
importance.  C*est  alors  que  M.  Lucien  Lavault  eut  l*heureuse  idée  de  faire  imprimer 
ces  chansons  du  Caveau  N^ve^'nnis.  en  les  accompagnant  d'un  commentaire  ;  puis, 
élargissant  son  cadre,  il  y  fit  entrer  l'Etude  qu'il  nous  présente  aujourd'hui. 

Nous  ne  saurions  trop  vivement  engager  nos  lecteuis  à  consulter  ce  travail,  où 
M-  Lavault  expose  clairement  et  exactement  une  question  qui  n'est  pas  toujours  bien 
comprise.  Il  ne  s'agit  pas  d'exalter  outre  mesure,  ni  de  traiter  par  un  absolu  dédain 
les  chansons  populaires.  Elles  ne  méritent  «  ni  cet  excès  d'honneur,  ni  cette  indi- 
gnité >.  11  en  est  un  peu  d*elles  comme  de  ces  fruits  savoureux  dont  il  faut  chercher 
la  chair  sous  l'enveloppe.  M.  Lavault  fait  bien  sentir  le  charme  de  ces  compositions, 
dont  un  grand  nombre  renferment  les  elén:ents  de  tout  un  pot'une,  d'un  drame,  d'une 
comédie.  Négligeant  les  complaintes  merveilleuses,  très  rares  du  reste  chez  nous,  il 
passe  en  revue  les  chants  tragiques,  historiques,  religieux  ;  puis  les  chansons  afférentes 
aux  incidents  ordinaires  de  la  vie,  l'amour  joyeux  ou  triste,  le  ménage  dans  ses  joies 
ou  ses  peines  ;  ensuite,  les  chansons  relatives  aux  usages,  aux  métiers  ;  enfin,  les 
danses.  Et  toujours  en  s'appesantissiint  sur  ce  que  ces  chants  possèdent  de  caractère 
local,  sur  nos  mœurs  et  nos  coutumes  nivernaises. 

Nous  n'avons  pas  feuilleté  sans  un  intérêt  ému,  ces  52  pages  in4*,  dont  chaque 
lif^ne,  pour  ainsi  dire,  nous  rappelait  un  souvenir  précieux,  celui  des  jeunes  années 
ou  nous  recueillions,  à  travers  notre  belle  province,  ces  documents  qu'animait  encore 
r&me  des  générations  expirantes.  Aujourd'hui,  les  «  vieux  »,  dépositaires  des  tradi- 
tions, sont  morts  ;  avec  eux  s'en  sont  allés  ces  chansons,  ces  contes,  ces  légendes  qui, 
pendant  tant  de  siècles,  constituèrent  toute  la  littérature  du  peuple.  M.  Lavault  eq 


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-'  -  w--rr  -sft^  AcsiULE  Af  ilue:«. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pagei 

Nouvelles,  contes,  légendes.  —  Françoise  d'Husselles,  Le 

VUrail  de  ColeUe 225 

Jà,  0  Divorce! 5,  33.  57,  96 

Jaladon  de  la  Barre,  La  BassoUe 105 

Louis  Mirault,  Légende  Morvandelle i29 

—  Croquis  niveimais,  Demi"  Vieux 249 

Miriam,  Aux  Manœuvres 177 

F.  Moireau,  Contes  à  mes  Enfants  :  Veillée  de  Noël 81 

—  —                  L'Abandonné 201 

—  —                   Contes  de  Fées 273 

Jules  Pravieux,  Un  vieux  Célibataire 153 

Odile  Thiault,  Une  Ugende 217 

***  La  Légende  de  la  Vieille-Montagne,  à  Saint-Honoré-les^ 

Bains 74 

Archéologie  locale,  Etudes  historiques,  philologiques  ou 
LITTÉRAIRES.   —   Edouard  Achard,    La    Cathédrale   de 

France  par  Baffier 163 

Edouard  Achard,  Vielles  et  Cornemuses 211 

Ed.  Duminy,  Un  petit- fils  de  Corneille  à  Nevers 12 

—         La  Chanté  en  1189...    258 

Gaston  Gauthier,  Un  coup  d'œil  sur  le  Morvan 23 

—  Hiver  et  Famine 75 

—  Episode  de  la  Fronde  en  Nivetmais 167 

—  Le  tirage  au  sort  dans  la  Nièvre  à  son 

origine 194 

—  .  Episode  de  la  Révolution  en  Nivernais. . .  286 

Lucien  Jeny ,  Le  projet  de  monument  de  Saint-Pierre-le- 

Moûtier  à  Jeanne  d'Arc 133 

René  de  Lespinasse,  Les  Annuaires  et  Abnatiachs  de  la 

Nièvre  (suite) 13,  62,  92 

Abbé  J.-M.  Meunier,  Etudes  sur  tes  noms  de  lieux  du 

Nivernais ....  : 112 

Paul  Meunier,  Mort  de  Casimir  V,  roi  de  Pologne., .  229,  261 
Jules  Parthiot,  La  Révolution  dans  le  bailliage  d'Amay- 

U'Duc 213 

L.-M  Poussereau,  Les  Houillères  de  La  Machine^  24,  39, 

66,  86,  121,  140,  182,  206,  254  ... .  278 

Beaux-Arts.  —  Ed.  Achard,  Les  Nivernais  aux  deux  Salotis. . . .  236 

André  Arnould,  Nos  Artistes .  Hippolyte  Lavoignat 45 

Ach.  Millien,  Nos  Artistes  :  M»®  Alexandrine  Mathieu 91 

—  Le  peintre  Alexandre  Bouché. 240 

L.  R.,  5*  Exposition  de  la  Société  artistique 54 

Variétés.  —  Marie  Chauvet,  Le  Graphophone 168 

Victor  Moussy,  La  Science  graphologique 18 

—  Critique  sur  la  Mode 187 

Jà,  La  Mer 284 


296  TilBIX  DES  MATIÈRES 

Chronique  river5aise.  —  Eng.  Langeroo,  Vire  U  VëMm  : 72 

FOLK-LORE.  —  Ach.  MîllieQ,  La  Dés^jbéisumce,  coote  f-^pulaire 

(deux  versions^ 137 

Poésie.  —  Laciea  Abel,  I8ô,—  Alh^rte,  f  10.  —  Henri  Bâ*'h»flia 
(Tristan  de  Lron),^:^,^^^,  lHl,:i41  —IMphin^  £Hr:^>at, 
65,  131,  213.  —  Eugénie  l>sanôva,  9Ô,  i'-Cj,  253.  — 
L.  de  ConrmoQt,  O^X  iéH,  —  Paul  bn\ï\l^r.  loi.  —  Eug. 
Garry,  283.  —  Gaatron  du  0>u<lray,  211,  2rj|.  —  Fmn- 
çoise  d'HusselIêîi.  ^u,  277.  -  Lncien  Jenv.  44.  —  Ach. 
Millien,  Ht.  —  Victor  Muij>5v,  [r/j,  —  Ed.  Porée.  162, 
241.  —Paul  Randî^fj,21H.  —  Fernand  Ptîcbard,  11,  Uj6. 
—  Odile  Thiault,  :^,  132,—  Camille  Val^^tle,  118.  — 
Jean  de  Villeors,  16. 

Poètes  castilla5S,  tradaiU  par  Achille  Millien  (#iii7^>,  21X  â3, 

77,101 126 

Poètes  hoixa^dais,  tradaiU  par  Achille  Millien,  147, 170,  196, 

219, 242,  267 288 

Le  Mois.  —  L.  D.,  ^>r«  ^/  PérirMqn^^,  yoUê  ei  Echag,  31,  54, 

79,  103,  128,  151,  174,  2<U,  >2:J,  247,  271 ^  . . . .      293 

Illustratio?cs.  —  Nombreux  de-^-ins  in^^diU  (dans  le  texte  ou  hors 
texte),  par  F.  Barillet,  Fernand  Chainndre,  Cyr  Deguergue, 
M"*  Alexandrine  Mathieu,  M-^*  Am^^lie  Pousserean,  L.-M.  Pous- 
sereau. 


@^^èv^ 


tfmwt,  imp.  ê,  VêHm% 


REVUE 


NIVERNAIS 


REVUE 


DU 


NIVERNAIS 

RECUEIL  MENSUEL  ILLUSTRÉ 
Directeur:   ACHILLE    MILLIEN 


TOME  VI 
1901-1902 


RÉDACTION   ET   ADMINISTRATION: 

à    BEAUMONT-LA-FERRIÊRE    (Nièvre) 


'  *r^^^^*"- 


NEVERS 

IMPRIMERIE     DE      LA     NIÈVRE 
24,  avenue  de  la  Gare,  24. 

4901 


LA  BRIFFAUDE 


I 


A  Madame  Delagrange^ 
à  Plagny. 


'EST  par  rapport  à  la  gamine  I  »  J'enten- 
dais la  BrifFaude  I 

Presque  tous  les  samedis  de  foire, 
depuis  bien  des  années,  je  la  voyais 
arriver  s'installant  à  la  cuisine  auprès 
de  sa  sœur  en  service  chez  nous  et  je 
ne  pouvais  m'erapêcher  d'aller  lui  sou- 
haiter la  bienvenue» 

Totijours  suivie  d'une  jolie  petite  fille,  mince,  délicate,  toute  blanche, 
aux  eheveux  si  fins  qu  ils  avaient  le  toucher  de  la  soie  floche,  la 
Bniïnudc  avait  l'air  d'unu  gouvernante  sûre  accompagnant  l'enfant 
de  ses  ilki lires. 

Pas  très  grande,  un  peu  contrefaite,  le  visage  éclairé  par  des  yeux 
extrêmement  inlelïigenls,  la  bouche  gaie,  le  nez  moqueur;  toujours 
méliculeusetnenl  propre,  soignée,  ordonnée,  dans  sa  jupe  de  paysanne 
un  peu  courte,  son  caraco  noir  tombant  bien  droit,  son  tablier  bleu  à 
carreaux  de  villageoise  venant  en  ville  et  la  coiffe  de  Saint-Saulge,  à 
kjrd  de  dentelle,  plate  sur  le  devant  de  la  tète,  avec  cinq  rangs 
tayaiités  à  la  paille  autour  du  fond  de  soie  noire,  laissant  retomber 
deux  pattes  en  ruban,  la  Briffaude  faisait  plaisir  à  voir. 

Mais  qu'elle  faisait  plus  de  plaisir  à  entendre  dans  ses  expressions 
neuves,  bien  à  elle,  dans  ses  mois  du  terroir,  francisés  à  sa  manière, 
et  surtout,  pardessus  tout,  dans  sa  droiture  native  et  l'extraordinaire 
délicatesse  des  sentiments  de  son  cœur. 


6  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Elle  habitait  dans  ce  coin  du  pays  nivernais  qu'on  appelle  le  Hor- 
van,  plus  haut  que  le  canton  de  Saint-Saulge,  du  côté  de  Château- 
Chinon.  Elle  avait  là  une  petite  maison  basse,  un  jardin  de  rapport, 
un  bout  de  pré  qui  nourrissait  la  Corbignette  et  deux  ou  trois  champs 
qui  les  faisaient  vivre  en  y  mettant  sa  peine,  disait  la  Briffaude. 

Jamais  je  ne  la  voyais  sans  que  nous  causions  ensemble  et  toujours 
le  même  thème  revenait  :  sa  fille  !  Louise  était  si  délicate...;  il  avait  bien 
fallu  venir  voir  un  médecin  de  Nevers  ;  Louise  ne  s'habituerait  jamais 
à  la  nourriture  de  la  campagne,  pain  dur  et  ragoût  au  lard...;  si  elle 
n'avait  pas  eu  le  lait  de  Corbignette,  jamais  elle  ne  se  serait  élevée  ; 
ce  n'était  pas  étonnant  ni  de  sa  faute,  elle  n'était  pas,  bien  sûr,  de 
Tespëce  de  Gaspard. 

Celui  qui  ne  donnait  aucun  souci  à  sa  mère,  le  Gaspard  en  question, 
était  un  grand  gars  aux  pieds  et  aux  mains  carrés,  aux  membres  trapus, 
au  gros  cou  de  bélier,  planté  en  avant,  prêt  à  fondre,  prêt  à  donner  de 
la  tète. 

On  pouvait  être  tranquille  sur  son  sort  ;  l'ordinaire  de  Saint-Saturin 
lui  convenait  ;  les  assiettées  de  soupe  n'étaient  jamais  assez  grandes, 
et  pourvu  qu'il  eût  à  bêcher,  à  sarcler,  à  moissonner,  à  cogner,  à 
battre  à  la  grange  pendant  l'hiver,  ou  à  suivre  les  bouchures,  il  se 
portait  bien. 

Depuis  déjà  longtemps,  il  n'allait  plus  à  l'école,  depuis  son  certificat 
d'études  qu'il  avait  pourtant  fini  par  décrocher  pour  faire  plaisir  à  sa 
sœur. 

«  Mon  pauvre  Gaspard,  tu  me  fais  honte,  disait  la  petite  ;  c'est  fini, 
tu  ne  me  feras  plus  de  moulins  avec  les  noix  tant  que  tu  seras  si  bête  >. 
Et  Gaspard  qui  se  moquait  des  taloches  de  l'instituteur  dans  son  hor- 
reur pour  la  grammaire,  ce  Gaspard  qui  ne  savait  pas  auparavant  si 
Paris  était  en  Espagne  ou  en  Suisse,  ce  Gaspard  qui  ne  connaissait  que 
le  patois  morvandiau,  dans  la  crainte  de  ne  plus  confectionner  des 
moulins  avec  des  noix,  des  balles  de  fleurs  avec  les  coucousdes  prés,  des 
ronfles  assourdissants  avec  les  marrons  de  la  place  et  des  canons  en 
sureau  pour  une  petite  fille  qu'il  portait  à  bras  tendu  sur  son  poing 
fermé,  passait  son  certificat  d'études,  le  dernier  du  canton,  par  habi- 
tude de  son  rang  scolaire,  mais  il  le  passait, 

La  fille  de  la  BrifTaudè  avait  alors  dix  ans  lorsqu'à  mon  très  grand 
étonnement  je  vis  arriver  la  morvandelle  un  premier  lundi  d'octobre. 


r 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  7 

Je  n*en  revenais  pas;  sa  mise  n'était  plus  celle  de  la  paysanne  qui  vient 
en  ville  vendre  ou  acheter.  Elle  portait  un  tablier  de  toile  blanche, 
d'une  propreté  irréprochable,  à  plis  marqués  comme  les  cuisinières  de 
grande  maison  ;  elle  avait  au  bras  un  panier  à  anse,  à  couvercles 
fermés,  débordant  de  provisions. 

—  C'est  pour  vous  dire,  Madame,  que  je  suis  en  service,  me  disait- 
elle,  c'est  par  rapport  à  la  gamine  I  Je  Tai  mise  en  pension  chez  les 
sœurs  Brunistes  ;  elle  n'avait  pas  la  santé  d'aller  à  Técole  à  deux  kilo- 
mètres ;  elle  ne  mangeait  pas  ce  que  je  mettais  dans  son  petit  panier 
et  puis...i> 

—  Et  puis,  Catherine? 

—  Et  puis,  il  faut  que  Louise  soit  élevée  avec  les  enfants  de  sa 
condition. 

Je  tombais  des  nues  :  c  quelle  condition  autre  que  sa  mère  aura  totre 
fille,  ma  brave  BriSaude?  Je  ne  veux  pas  vous  faire  de  chagrin,  mais 
vous  êtes  toujours  restée  à  la  campagne  et  vous  vous  en  êtes  bien 
trouvée...  » 

—  Moi,  j'étais  forte*  madame,  je  n'avais  pas  peur  de  la  pluie,  de  la 
neige,  des  sabots  mouillés,  des  habits  trempés.  Gaspard  est  comme 
moi,  mais  la  petite  n'est  pas  de  chez  nous.  Elle  vient  du  grand  berceau, 
du  berceau  de  Paris  où  on  va  jeter  les  enfants  qu'on  ne  veut  pas  élever, 
comme  les  mères  chinoises  de  la  Propagation  de  la  Foi  ;  vous  me  com- 
prenez bien,  c'est  tout  à  fait  pareil.  Louise  est  la  première  que  j'élève 
de  ces  pauvres  abandonnés;  je  ne  voulais  pas  allçr  la  chercher,  de 
peur  de  trop  l'aimer  et  j'avais  bien  raison.  Pour  commencer,  quand 
j'ai  vu  qu'elle  avait  un  numéro  pendu  à  son  cou  comme  à  un  collier  de 
chien,  ça  m'a  tourné  le  sang. 

Sans  doute  c'est  pour  faire  comme  les  autres  que  je  Tai  ramenée  un 
beau  matin,  il  y  a  dix  ans  juste.  Dans  les  vieilles  maisons  du  Morvan, 
tout  le  monde  en  a  de  ces  orphelins  de  Paris  ;  on  n'y  a  pourtant  guère 
d'intérêt  ;  les  anciens  disent  que  c'est  de  l'argent  trouvé  tous  les  mois  ; 
mais  je  sais  bien  qu'il  est  dépensé  à  l'avance,  et  je  crois  que  c'est  le 
bon  Dieu  qui  a  mis  cette  idée  là  dans  la  tête  des  femmes  de  notre  pays 
pour  qu'ils  soient  élevés,  soignés,  chantés,  bercés,  aimés,  ces  pauvres 
petits  que  des  sans-cœur  de  mères  ont  mis  dans  la  rue  pour  s'en 
débarrasser,  se  mirer  plus  à  leur  aise,  et...  le  reste.  Nous  autres,  les 
paysannes,  nous  les  adoptons  tout  à  fait  ;  ils  sont  de  la  famille  ;  ils 


-^  REVUE  DC   5IVER5AIS. 

vont  à  nos  nocf^s  et  à  nos  baptêmes  ;  ils  nous  «lisent  :  c  1ère  ï  ;  ii> 
nous  pleurent  «piand  on  noos  mené  aa  dmetière  et  slls  meareat 
avant  nous,  nous  ne  nous  coos^iloos  pas. 

r>a  moitié  des  servantes  de  Nevers  est  composée  d'enÊmts  assistée  : 
on  ne  le  sait  point  ;  ra  ne  se  voit  pas,  il  y  a  toujours  une  vieille 
ro'tTe  qui  vient  les  r^ilamer  pour  l'apport,  et  «pii  leur  p^îrte  un 
bonjour  du  pays. 

Et,  c'est  parce  que  je  l'aime,  ma  tille,  que  j'ai  ce  beau  tablier  biaoïr. 
presque  pas  déplié  île  cocher  m'a  dit  que  ça  représentait  mieux  p<Mir 
les  ch^lteaux».  je  me  suis  placée  aux  Tourettes  p^^ur  payer  sa  peosioa; 
j'étais  très  bonne  cuisinière  dans  mon  jeune  temps.  A  nous  tn^is.  bi^n 
si'ir,  nous  n'étions  pas  à  pain  cherché  avec  ma  petite  locature  de  Saint- 
SatJirin  ;  mais  il  ne  restait  pres^jue  rien  au  bout  de  l'année.  Gaspard 
n'a  pas  besoin  de  moi  ;  ma  soeur  trempera  sa  soupe  ;  il  y  a  bien  long- 
temps que  j'y  réfléchissais,  mon  garçon  me  poussait  toujours,  mais 
c'est  monsieur  l'inspecteur  qm  m'a  décidée. 

—  Qu'est  ce  que  monsieur  l'inspecteur  a  bien  pu  faire  à  votre  entrée 
en  service,  Catherine? 

Ia  BrilTaude  pleurait. 

—  Pardonnez-moi,  madame,  je  ne  peux  pas  m'empècber  de  pleurer 
quand  je  suis  obligée  de  dire  que  ma  fille  n'est  pas  ma  fille,  cela  se  voit 
bien  pourtant. 

Est-ce  qu'on  a  chez  nous  ces  jolis  petits  airs  de  princesse,  ces 
mains,  ces  pieds,  cette  peau  si  blanche?  est-ce  qu'on  a  des  manières 
r/>mme  Louise  chez  du  monde  comme  nous?  Regardez  Gaspard,  il  ne 
peut  rien  toucher,  il  casse  tout,  il  est  lourd  comme  nos  grands  bceufs 
duMorvan;  il  n'ouvre  pas  les  portes,  il  les  enfonce  ;  il  n'appelle  pas 
dans  les  champs,  il  corne.  Mais  la  gamine,  c'est  doux,  c'est  gentil, 
rien  qu'avec  ses  deux  bras  passés  autour  de  mon  cou,  elle  m'emmène- 
rait même  à  Paris  !  Dieu  sait  pourtant .. 

—  Qu'a  donc  dit  monsieur  l'inspecteur  pour  vous  décider,  Catherine? 

—  Il  est  venu  l'autre  jour,  et  en  voyant  la  petite  si  flnetle,  si  avisée, 
il  m'a  causé... 

((  —  Voyez-vous,  ma  brave  Briffaude,  c'est  très  heureux  que  Louise 
soit  si  inlelligenle,  elle  sera  peut-être  bien  reconnue  plus  tard,  par... 

—  Par  des  bourgeois,  ça  se  voit,  monsieur*  l'Inspecteur. 

—  Par  des  châtelains,  Catherine,  et  des  châtelains  de  Paris.  » 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  9 

—  Alors?... 

—  Alors,  madame,  Gaspard  a  dit  :  «  Mère,  tu  n'as  plus  qu'à  t'en 
aller  ;  il  ne  faut  pas  qu'elle  fasse  honte  si  on  nous  la  reprend  )».  Et  je  me 
suis  placée  cuisinière,  aux  environs  de  Nevers,  chez  du  monde  que  je 
connais  ;  j'ai  mis  dans  mon  marché  que  je  raccommoderais  ma  fille,  le 
soir,  à  la  veillée,  et  je  vais  la  voir  de  temps  en  temps,  le  dimanche  ;  ça 
me  donne  du  plaisir  pour  toute  la  semaine. 

—  Avez-vous  bien  pensé,  Catherine,  que,  probablement,  on  ne 
reconnaîtra  pas  Louise  et  qu'elle  ne  se  trouvera  plus  bien  entre  son 
frère  et  vous  quand  elle  sortira  du  couvent  ? 

—  Si  on  ne  la  reconnaît  point,  madame,  elle  entrera  dans  l'instruc- 
tion, pas  pour  être  institutrice  dans  un  château,  comme  une  domes- 
tique, mais  pour  faire  la  classe  dans  les  grandes  pensions.  M.  l'inspec- 
teur me  l'a  expliqué  ;  elle  ira  à  Sèvres  ;  elle  est  si  intelligente,  elle  fera 
ce  qu'elle  voudra.  Pourvu  qu'on  ne  Id  dise  jamais  que  j'ai  été  la  cher- 
cher à  Paris  avant  ma  mort  ou  avant  qu'on  la  reconnaisse  ;  c'est  tout 
ce  que  je  demande  au  bon  Dieu. 

—  On  ne  le  lui  a  jamais  dit?...  C'est  étonnant  à  la  campagne  ! 

—  On  a  bien  essayé  ;  mais  il  n'y  a  pas  de  danger,  avec  Gaspard... 
Un  jour,  le  flls  d'un  gros  fermier,  enragé  de  voir  sa  sœur  toujours  la 
dernière  et  ma  fille  toujours  la  première,  a  appelé  Louise  bâtarde  ! 
Mais  mon  garçon  l'a  à  moitié  assommé  ;  personne  n'a  recommencé. 


II 


Je  n'avais  pas  vu  Catherine  depuis  trois  ans  ;  ses  maîtres  voyageaient, 
pendant  que  nous  étions  à  Nevers,  lorsque  j'entendis,  un  soir  d'au- 
tomne, un  torrent  d'explications  : 

—  Madame  n'est  certainement  pas  couchée,  il  n'est  pas  dix  heures  ! 
criait  la  voix  de  la  Briffaude  ;  et  puis  il  faut  que  je  lui  parle  quand 
même  ;  je  suis  venue  exprès  des  Tourelles  ;  c'est  par  rapport  à  la 
gamine  1 

Catherine  était  dans  un  état  d'exaltation  extraordinaire.  Rouge,  ruis- 
selante sous  la  pluie  de  novembre,  dans  sa  coiffe  de  Saint-Saulge 
dégauffrée  pendant  de  chaque  côté  comme  des  ailes  mouillées,  elle  me 
tendait  une  lettre  décachetée.  1* 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  ^\ 

Dans  les  circonstances  les  plus  graves  de  la  vie,  les  plus  sombres 
même,  il  y  a  toujours  un  côté  comique  ;  Gaspard  était  à  peindre  1  Tout 
à  fait  mis  au  courant  par  sa  mère,  il  croyait  partir  en  guerre  pour  une 
de  ces  expéditions  moyennageuses,  où  chaque  poche  doit  contenir  une 
arme  quelconque  :  pierres,  fronde,  couteau.  II  avait  à  la  main  un 
énorme  gourdin  à  pointe  ferrée  ;  d'une  immense  gibecière  de  chasse 
empruntée  à  un  braconnier  sortait  une  faucille  aiguisée  qui  me  faisait 
une  peur  affreuse  ;  enfln,  complétant  son  armure  par  un  grand  fusil  à 
pierre,  venu  du  grenier  d'un  vieux  garde  forestier  ou  de  la  guerre  de  Cent 
ans,  Gaspard  donnait  l'illusion  complète  d*un  combattant  du  temps  de 
la  Jacquerie  ;  c'était  de  plus  en  plus  le  bélier  prêt  à  fondre,  prêt  à 
donner  de  la  tête. 

Arrivé  à  pied  de  Saint-Saturin,  avec  son  chien,  un  énorme  chien  de 
montagne  qu'on  avait  refusé  à  la  gare  de  Russilly,  et  pour  cause,  il 
nous  avait  rejoint  vers  le  pont  de  la  Loire.  Entre  les  deux  bras  puis- 
sants du  faucheur  et  les  crocs  de  son  molosse,  qui  n'attendait  qu'un 
froncement  de  sourcils  de  son  maître  pour  tout  dévorer,  nous  pouvions 
être  tranquilles,  trop  tranquilles  même;  je  n'étais  pas  rassurée  du  tout 
sur  les  instruments  de  défense  de  Gaspard. 

Nous  allions  tourner  la  route  du  côté  de  Plagny,  bien  après  le 
faubourg  Saint-Antoine,  et  je  regardais  ma  montre,  quand  une  voiture 
de  maître  fermée,  conduite  par  un  cocher  irréprochable,  s'arrêta  à 
un  tapement  de  vitres  de  l'intérieur  de  la  voiture  ;  un  valet  de  pied 
ouvrit  la  portière  et  une  femme  âgée,  extrêmement  distinguée,  après 
s'être  orientée  pendant  quelques  secondes  au  milieu  de  la  route, 
s'approcha  lentement,  mais  sûrement  vers  Louise,  debout  à  côté  de  sa 
mère  nourricière,  en  murmurant  :  «  Oh  !  qu'elle  lui  ressemble  !  » 

Sa  voix  tremblait  ;  ses  yeux  clairs  pleuraient;  les  larmes  s'arrêtaient 
dans  les  rides  profondes  pour  retomber  abondantes  comme  d'une  source 
intarissable.  Dans  une  expression  indéfinissable  de  tendresse  recon- 
naissante; dans  ce  sourire  illuminé  pour  une  seconde,  mais  navré, 
résigné,  déjà  détaché,  des  vieux,  elle  disait  : 

—  Oh  I  merci,  voulez-vous  me  permettre,  Madame...  Briffault, 
n'est-ce  pas?  d'embrasser  ma...  votre  fillette  et  me  faire  le  plaisir 
d'accepter  ce  petit  souvenir,  destiné  à  vous  être  agréable. 

Je  regardais  Catherine;  je  ne  la  reconnaissais  plus...;  elle  avait 
compris  ;  les  lèvres  blanches,  serrées,  elle  ne  répondait  rien.  Pour  la 


12  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

première  fois  de  sa  vie,  elle  était  jalouse,  jalouse  du  baiser  que 
Louise  rendait  inconsciemment  à  la  vieille  dame  ;  sa  fille  n'était  plus 
toute  à  elle...;  ce  seul  sentiment  dominait  malgré  son  grand  cœur;  la 
voiture  était  loin  qu'elle  ne  s'était  pas  rendu  compte  qu'elle  avait  mille 
francs  dans  la  main. 

Gaspard  n'avait  vu  qu'une  chose,  lui,  au  milieu  de  ses  efforts  inces- 
sants pour  empêcher  son  chien  de  se  jeter  à  la  tête  des  chevaux  ;  on 
n'avait  pas  voulu  emmener  Louise  ;  il  la  ramenait  à  Nevers  en  lui 
sifflant  tous  les  airs  du  Morvan  ;  l'enfant  croyait  à  un  incident  de 
promenade . 

J'essayais  de  distraire  Catherine,  qui  me  suivait,  pensive,  absorbée. 
Avec  ces  mille  francs,  elle  pourrait  hausser  d'un  étage  sa  maison  de 
Saint-Saturin,  comme  elle  le  désirait  tant  et... 

—  Cet  argent  n'est  pas  à  moi,  répondait  brusquement  la  Briffaude  ; 
Louise  apprendra  demain  la  musique  et  le  dessin.  Pardonnez-moi, 
madame,  d'avoir  été  mauvaise  tout  à  l'heure;  je  ne  sais  plus  où 
je  suis  ;  il  faut  m'attendre  à  tout  et  c'est  juste  ;  c'est  tant  mieux  pour 
ma  fille,  mais  je  suis  malade  :  j'ai  le  sang  tourné  ! 

III 

Louise  était  devenue  une  jeune  fille  ;  Catherine,  qui  avait  servi  long- 
temps dans  le  Berri,  tout  près  de  Nohant,  et  qui  riait  des  sorciers, 
disait  qu'elle  ressemblait  aux  «  filles  blanches  i  de  la  Gâgne-aus- 
Demoiselles,  parce  qu'elle  n'avait  pas  l'air  de  poser  à  terre.  Son  éduca- 
tion était  terminée  à  Nevers,  elle  venait  de  passer  son  brevet  supé- 
rieur ;  à  la  rentrée,  elle  partirait  pour  Lyon,  afin  de  préparer  Sèvres. 

La  Briffaude  l'avait  emmenée  du  couvent  des  Brunistes,  avec  dix 
couronnes  à  son  bras  ;  fière  elle  la  conduisait  à  Saint-Saturin  où  elles 
resteraient  ensemble  pendant  toutes  les  vacances;  Gaspard  qui  se 
connaissait  parfaitement  en  chevaux  irait  les  chercher  à  Russilly,  à  la 
station. 

J'étais  cette  année-là  en  traitement  à  Saint-Honoré  ;  j'allais  les  voir 
quelques  jours  après. 

Le  Morvan  n'a  pas  le  grandiose  des  Alpes  et  des  Pyrénées  ;  ce  n'est 
point  non  plus  le  Massif  Central  avec  ses  puys,  ses  dômes,  ses  causses, 
ses  dents  droites  ainsi  que  des  falaises,  ses  tuyaux  d'orgue  de  Bort, 
se8  fantômes  géants  de  pierre,  comme  auprès  du  lac  de  Guéry,  ses 


REVUE  DU   NIVERNAIS.  13 

énormes  rochers  dans  lesquels  les  habitants  eiïrayéi  ont  construit 
la  cité  de  Servières,  mais  le  Morvan  est  quand  même  un  délicieux 
pays  avec  ses  monts  :  le  Beuvray  et  la  Vieille-Montagne,  ses  collines 
dont  les  bois  sont  célèbres,  ses  étangs  et  le  réservoir  des  Settons,  sçs 
sources  minérales  et  par  dessus  tout  sa  verdure  incomparable.  Ses 
prés  épais,  touffus,  plantureux,  savoureux,  presque  uniques  en  France, 
élèvent  et  nourrissent  les  grands  bœufs  de  la  race  nivernaise  à  robe 
noisette  claire,  à  la  queue  un  peu  frisottée,  aux  boucles  frisées  comme 
deux  petites  huppes  de  plumes  vers  les  oreilles,  aux  yeux  humains,  qui 
sont  primés  tous  les  ans  au  concours  de  Paris,  et  que  viennent  chercher 
les  éleveurs  de  la  Plata  pour  croiser  leur  race. 

Partie  de  Saint-Honoré  en  voiture,  j'arrivais  deux  heures  après 
devant  une  petite  maison  blanche,  avenante,  avec  ses  pots  de  grands 
géraniums  fleuris  aux  deux  fenêtres  et  sa  vigne  courant  tout  le  long 
du  toit  de  brique  ;  j'étais  chez  la  Briffaude. 

Un  superbe  attelage  avait  précédé  ma  modeste  patache  et  station- 
nait devant  la  maison;  j'entendais  une  conversation  très  animée; 
j'entrais  quand  môme. 

La  vieille  dame  qui  était  venue  voir  Louise  sur  la  route  de  Plagny 
était  là  avec  Pinspecteur  des  enfants  assistés  ;  Gaspard,  assis  dans  un 
coin  était  rouge  brique,  de  colère  ou  d'émotion;  Catherine  était  décom- 
posée, mais  résignée  ;  Louise  tremblait,  pleurant  de  joie,  de  peine, 
d'impression  bouleversante,  de  tout.  Stupéfiée,  ses  yeux  allaient  de 
l'un  à  l'autre  ;  on  venait  de  lui  dire  qu'elle  n'était  pas  la  fille  de  la 
Briffaude,  qu'elle  allait  partir  ! 

—  Combien  je  vous  remercie,  disait  le  fin  visage  encadré  de  cheveux 
toul  blancs  ;  vous  me  rendez  une  enfant  digne  de  son  rang  et  de  sa 
fortune;  oh!  que  je  vous  remercie!  Je  ne  pouvais  pas  la  reprendre 
auparavant  ;  ne  me  jugez  point  mal  Sa  mère  avait  épousé  contre  ma 
volonté  un  homme  indigne  ;  elle  est  morte  en  mettant  Louise  au 
monde  ;  le  père  criblé  de  dettes,  monstrueux  comme  tous  les  viveurs, 
a  eu  vite  assez  d'upc  enfant  de  quelques  jours  ;  il  l'a  abandonnée  au 
lieu  de  me  la  confier,  et... 

—  Jetée  dans  la  rue  comme  les  chinoises,  murmurait  presque 
inconsciemment  Catherine  ;  c'est  connu  dans  le  Morvan. 

—  Je  l'ai  cherchée  depuis  ce  temps  là,  cherchée  jusqu'à  ce  que  j'aie 
pu  savoir  à  force  de  supplications  et  d'intrigues  où  elle  était. 


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REVUE  DU  NIVERNAIS.  15 

IV 

Deux  ans  après,  je  recevais  une  lettre  timbrée  de  Russilly  ;  l'inspec- 
teur, en  tournée,  me  donnait,  sur  ma  demande,  des  nouvelles  détail- 
lées de  mes  amis.  Catherine  avait  accepté  la  loge  de  l'hôtel  ;  Gaspard 
était  premier  cocher. 

Je  devais  aller  à  Paris  la  semaine  suivante.  L(^  lendemain  de  mon 
arrivée,  je  courais  avenue  des  Champs-Elysées. 

Un  landau  blasonné,  attelé  de  deux  magnifiques  chevaux  bais,  était 
dans  la  cour  ;  je  reconnaissais  la  bonne  tête  de  bélier  dans  l'impeccable 
cocher  galonné,  qui  maîtrisait  si  sûrement  ses  bêtes.  Dans  la  loge, 
meublée,  cirée,  disposée  comme  un  appartement  de  ville,  sous  la  coiffe 
noire  de  Saint-Saulge,  la  Briffaude  tricotait  des  bas  fins  comme  de  la 
soie,  qui  faisaient  penser  à  Louise.  Puis,  je  voyais  passer,  rasant  les 
murs,  comme  en  cachette,  une  petite  princesse  de  féerie  qui  sonnait  à 
la  porte  cochère,  tandis  que  la  Catherine  tirait  le  cordon,  ouvrait  le 
guichet  de  la  loge  et  j'entendais  une  voix  perlée,  que  je  connaissais 
bien,  rire  aux  éclats  en  nouant  très  fort  ses  bras  autour  du  vieux  cou  de 
la  Morvandelle  tout  en  répétant  joyeusement  : 

—  Allons,  mère,  disque  tu  es  contente  d'être  à  Paris,  dis-le;  tu 
n'es  pas  une  maman  chinoise,  toi,  tu  n'abandonnes  pas  ta  fille; 
embrasse-la. 

Et  puis  comme  je  voulais  tout  voir,  je  restais  pour  laisser  monter 
grand'mère  et  Louise  dans  le  beau  landau  et  revoir  la  Briffaude  qui, 
n'y  tenant  plus,  était  venue  assister  au  départ. 

—  Fais  attention,  disait-elle  à  demi-voix  à  Gaspard,  qui  semblait 
très  habitué  à  la  recommandation  ;  fais  attention  à  ces  voitures  de 
sorciers  sans  chevaux  ;  c'est  pas  ordinaire  ;  ça  fait  peur  aux  bêles  !  tu 
sais...  c'est  par  rapport  à  la  gamine. 

Oui,  ma  brave  Briffaude,  je  l'ai  racontée  votre  histoire,  la  jolie  his- 
toire de  votre  cœur,  bien  que  vous  me  l'ayez  défendu,  et  j*ai  voulu 
l'écrire  ici  pour  que  les  vieilles  coiffes  de  Saint-Saulge,  de  Châlillon, 
de  Corbigny,  des  Amognes,  de  tout  le  pays  nivernais,  la  lisent  à  la 
rentrée  des  champs,  la  racontent  à  la  veillée  et  en  prennent  leur  part. 

Et  puis,  je  l'ai  racontée  aussi  parce  qu'il  faut  bien  que  l'on  sache 
que  le  pays  de  France  est  toujours  le  pays  des  grands  cœurs. 

Françoise  d'Husselles. 


16  BET-.E  DC  5:tiî.^a:î 


\'£RS  L.\  ii:?.T 

Dans  soQ  rvve  4*er^*eî  .'m*.  :  i*^  !:~  r'^-rr** 
Où  moQ  oi^'ir  e^î  Ten  i  ^  i .  •.-«r  •*•!  i^  ^^r. 
Dort  dans  le  crrrp»i.-^'i  •t  e-  .  ..ri  v.-t  î-^  or.-^c-* 
Où  la  bnjnie  r*r»'jrnDe  en     ty^i*-   :  eri'.^c.v.tr. 

Sous  les  cvpr«f<  Toi!»r»  -l'i— ••^r.  .•'---i*  Uri  cciif^s  : 

Le  trouble  -if;  !a  lif.  rriji-'-f  --n-  -^-  :.*  -  L- 

Des  tombes  ou.  pen'rnant   *-ir  tV 

Se  meurent  en  pir:  inL-î  -«ur  .e  ^our^e..  d-fâ  ci«:>rt5- 

L'inquiête  rimeur  des  piaine-  et  fe^^  vil'e^ 

Est  morte:  et  tout  er;t  mor.  e-coT  et  -..avenir  : 

G3mme  iU  *onf  bie»i.    i.  -*-   i-î  •'»^  f.-^';.-^.  les  ciorts  truiqnxiles  ! 

...Si  je  pouvai*^  comm^î  eix  r^-[i'}-er  et  lirTr.ir  !.. 


Jadis,  lorsque  j'étiiis  enfjnt.  Time  t^Lîoaie 
Dans  les  mirs^es  d'jr  *\^  pnnfemps  et  d*e<poir. 
J'ai  vu,  souvenir  sombre,  »^n  des  nu !ts  dinsoranie 
Suri^ir  dans  le  mystère  un  ^rand  tant-jme  noir. 

Se5  yeux  caves  avaient  le  re/ird  des  squelettes. 
Et  de  sa  main  osseu.^e,  en  un  bruit  de  :îani;lots. 
Dans  un  rictus  anier  des  lèvres  vi». jettes. 
Cynique,  il  soulevait  la  pierre  des  tombeaux. 

Et  le  froid  du  cercueil  pénétrait  dans  mon  âme. 
Et  tout  mon  san^r  fiévreux  se  ^^i  i«  ait  dans  mon  cœur. 
Et  mes  bras  se  crispaient  p<»ur  ciias^er  l'ombre  iDfàme, 
Sinistre  cauchemar  d  êpr.uvan^e  et  dhorreur. 

...Mais  depuis  j'ai  sondé  le  ^i-ulFre  de  la  vie. 
Et  j'ai  connu,  las^é  de  vivre  et  de  soullrir, 
Après  les  pleurs  d'amour,  les  larmes  d'a^ronie  ; 
...Dans  un  rêve  très  doux  j'ai  ré^é  de  mourir... 

...Le  spectre  s'est  enfui...  la  nuit  s*est  étoilée  ; 
...Un  soir  de  désespoir,  j'ai  vu  vers  l'Orient, 
Dans  la  brume  des  pleurs,  une  femme  voilée 
Qui  venait  vers  mou  ùme  (di^cure,  en  souriant. 

P^ile  sous  les  pàleu!*s  des  blancs  voiles  mystiques, 
Elle  inclinait  son  cœur  vers  mon  cœur  faible  et  seul, 
F^t  dans  ses  doi;xts  tremblaient,  en  lueurs  magnétiques, 
Les  flei.i's  de  crépuscule  aux  blancheurs  de  linceul. 

...Par  les  soirs  lourds  d'aniroisse,  an^roissés  de  silence, 
Où  semble  se  mourir  le  cieur  las  qui  se  fend, 
r.  i  1  M  \'4^,  louj()ui*s  plus  près  de  ma  souffrance, 
T^Tidro  LfMiitne  une  mère  aux  plaintes  d'un  enfant. 

Klb^  ne  p,n  le  pas  ;  mais  de  sa  lèvre  close, 
Ounuii'  une  aul>e  d'espoir,  son  sourire  béni 
M'iritn  \vi^  ses  yeux  purs  où  mon  rêve  repose, 
jeux  calmes,  baignés  de  lueurs  d'inûni. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  17 

...Quand  je  serai  trop  las  de  souffrir  et  de  vivre, 
Par  un  bleu  crépuscule  endormi  dans  la  paix, 
Comme  l'ange  divin  qui  console  et  délivre, 
Elle  viendra,  plus  tendre  et  douce  que  jamais. 

Et  comme  descendront  les  ombres  sépulcrales 
Où  planent  les  clartés  d'un  soleil  immortel. 
Elle  abandonnera  sur  mon  front  ses  mains  pâles. 
Fermant  d'un  lent  baiser  mes  yeux  clos  vers  le  ciel... 

Fernand  Richard. 


LORMES 
LA    CASCADE 

Ces  rocs  furent  usés  par  la  bouche  des  flots 
Qui,  depuis  si  longtemps,  mordent  à  leurs  poitrines 
Et  leurs  flancs  sont  ornés  de  rouilles  purpurines 
Qui  tapissent  le  pied  argenté  des  bouleaux. 

Les  sables  amenés  ont  formé  des  flots 
Où  croissent  vaguement  quelques  herbes  marines. 
Une  douce  fraîcheur  pénètre  nos  narines... 
Je  t'écoute  chanter,  cascade,  les  yeux  clos. 

Bondis  sur  les  rochers,  hurle,  mugis  et  tonne  ! 
C'est  bien  plus  grandiose  et  c'est  moins  monotone  ; 
Dis-moi  ta  symphonie  en  des  accords  épais... 

Mais  je  veux  qu'en  passant,  de  tes  éclaboussures. 
Tu  me  mouilles  ce  front  qui  demande  la  paix. 
Car  ton  onde  est  un  baume  à  toutes  mes  blessures. 

Henri  Bachelin. 


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REVUE  DU  NIVERNAIS.  19 

—  Tiens!...  que  faites-vous  là,  vous  autres?...  Comme  la  terre  est 
dure,  vous  allez  me  servir  de  couche. 

Il  grimpa  sur  le  chêne,  décrocha  les  pendus,  en  mit  deux  par  terre 
à  côté  l'un  de  l'autre  : 

—  Bon  !  voici  mon  matelas  ! 

Il  posa  le  troisième  en  travers  sur  ses  compagnons  : 

—  Toi,  tu  seras  mon  oreiller.  —  Puis  il  se  coucha  sur  ce  lit  d'un 
nouveau  genre  et  s'endormit.  Vers  minuit,  il  fut  réveillé  par  les 
gémissements  de  l'un  des  pendus. 

—  Tu  fais  beaucoup  de  bruit,  pour  un  mort  :  as-tu  bientôt  fini  de  te 
lamenter?  Qu'est-ce  que  tu  veux? 

—  Je  veux  te  révéler  un  secret  pendant  qu'il  me  reste  encore  un  peu 
de  vie.  Nous  avons  été  pendus  pour  avoir  volé  les  vases  précieux  et  les 
ornements  de  l'église  voisine.  Ils  sont  enfouis  au  pied  d'un  gros  arbre 
à  la  première  croisée  de  chemins  que  tu  trouveras.  Je  me  repens  de  ce 
que  j'ai  fait.  Pour  le  repos  de  mon  âme,  va  déterrer  ce  trésor  et  rap- 
porte le  à  l'église. 

Guillaume  en  fit  la  promesse  et  se  rendit  aussitôt  au  presbytère  : 

—  Monsieur  le  curé,  il  s'est  commis  un  vol  dans  votre  église? 

—  Oui,  et  je  donnerai  bonne  récompense  à  qui  rapportera  les  objets 
dérobés. 

—  Eh  bien  !  j'espère  que  vous  les  aurez  aujourd'hui  même.  —  Et  il 
s'éloigna. 

Avant  midi  sonné,  Guillaume  était  de  retour  au  presbytère.  Il  avait 
facilement  trouvé  ce  qu'il  cherchait  :  le  pendu  ne  l'avait  pas  trompé. 

—  Monsieur  le  curé,  j'apporte  les  vases  et  les  ornements  sacrés. 

—  Merci,  mon  ami.  Je  vais  vous  donner  la  récompense  promi^^e. 

—  Je  ne  veux  rien,  rien  qu'une  de  vos  étoles. 

—  En  voici  une,  mais  n'en  faites  pas  mauvais  usage.  Du  reste,  je  ne 
vous  la  donnerais  pas  si  vous  ne  veniez  de  me  prouver  que  vous  êtes 
un  brave  homme. 

Guillaume  remercia  ol  continua  sa  route.  Il  arriva,  le  soir,  à  une 
auberge  et  demanda  à  loger,  lui  et  son  àne,  car  j'ai  oublié  de  dire  qu'il 
avait  un  âne  pour  porter  ses  bagages. 

—  Nous  n'avons  plus  de  place,  ni  pour  vous,  ni  pour  votre  bêle. 

—  Il  faut  donc  coucher  à  la  belle  étoile  ? 

—  Près  d'ici,  il  y  a  bien  un  vieux  château  inhabité,  mais  je  ne  vous 


^ 


*>  IlEVUE  DU  NIVERNAIS 

onijago  pas  à  y  aller,  car  on  y  entend^  et  vous  pourriez  en  pâlir. 

—  Dites-moi  le  chemia  et  j'y  vas  tout  de  suite.  Je  n'ai  pas  encore 
tH>nnu  la  peur... 

Une  heure  après,  en  pleine  nuit,  il  installait  son  âne  dans  l'écurie 
du  château,  et  lui-même  entrait  dans  une  belle  salle  bien  éclairée  où 
80  trouvait  disposé,  comme  pour  l'attendre,  sur  une  table  ronde,  un 
couvert  pour  six  personnes.  Devant  un  feu  clair,  fumaient  plusieurs 
casseroles  bien  garnies. 

—  Ah  I  ah  I  se  dit  Guillaume,  voilà  mon  affaire.  Je  meurs  de  faim  et 
Jo  n'ai  pas  chaud.  Approchons  de  ce  bon  feu. 

Lorsqu'il  se  fut  réchauffé,  il  pensa  à  se  mettre  à  table. 

^  Je  n'aime  pas  dtner  seul ..  mais  voici  plusieurs  couverts  :  les 
Invités  viendront  peut-être. 

Au  même  instant,  il  se  fit  un  grand  bruit  dans  la  cheminée  et,  pouf! 
il  en  tomba  un  petit  homme. 

—  Tiens  !  drôle  de  manière  de  se  présenter  ! 

Un  second,  puis  un  autre  arrivèrent  par  le  même  chemin,  puis  trois 
à  la  fois. 

—  Bon  î  voilà  la  demi-douzaine...  Maintenant  vous  allez  travailler: 
toi,  attise  le  feu,  et  toi,  apporte  de  Teau. 

Un  des  derniers  venus,  qui  était  un  peu  plus  grand  que  les  autres 
et  que  soutenaient  deux  de  ses  compagnons,  regardait  de  travers 
Guillaume-sans-Peur. 

—  Qu'est-ce  que  tu  fais  ici  ?  lui  dit-il. 

—  Et  toi? 

—  Je  suis  chez  moi. 

—  Eh  bien  !  je  m'invite  à  souper  chez  loi.  Allons  !  à  table,  tous  les 
deux  ! 

Le  petit  homme  s'exécuta.  Après  le  repas,  on  se  mit  à  jouer  aux 
caries.  Une  de  celles  du  petit  homme  tomba  sous  la  table. 

—  Ramasse  ma  carte,  dil-il  à  Guillaume. 

—  Ilamasse-la  toi  même. 

—  Je  veux  que  tu  la  ramasses. 

—  El  moi  je  ne  veux  pas. 

l'autre  se  pencha  et,  au  même  instant,  Guillaume  lui  passa  au  cou 
tôle  qu*il  avait  reçue  du  prêtre.  Le  petit  homme  ftl  un  soubresaut. 
--  Ole-moi  cola,  tu  me  brûles  ! 


1 


"iVËVUE  DV  NlVEIiNAIS.  21 

—  Non,  je  ne  le  l'ôlerai  pas,  tant  que  tu  n'auras  pas  promis,  d'abord, 
de  ne  pas  reparaître  ici,  ni  toi,  ni  ta  bande. 

—  Je  le  promots. 

—  Ensuite,  de  ra'indiquer  où  se  trouve  le  trésor  du  château... 

—  Ote-moi  cela,  je  te  dirai  tout. 

—  Commence  par  le  dire. 

—  Descends  dans  les  caves.  Au  fond  de  la  première,  tu  trouveras  un 
escalier  qui  aboutit  au  souterrain  du  trésor...  Mais  ôte-moi  cela,  tu  me 
brûles  ! 

Dès  que  le  petit  homme  fut  délivré,  il  repartit  par  la  cheminée  avec 
toute  sa  clique.  Guillaume  trouva  le  trésor  et  demeura  dans  le  château, 
riche  et  tranquille. 

En  passant  par  Paris, 
Mon  p'tit  conte  est  fini. 

(Conté  par  Anna  Bernard,  à  BeaumontlaFerrière). 

II 

LA  RAMÉE  DANS  LE  CHATEAU  HANTÉ 

La  Ramée,  un  vieux  soldat,  s'en  revenait  du  régiment  après  vingt- 
cinq  ans  de  services.  Il  n'avait  jamais  eu  peur.  On  lui  disait  quelque- 
fois : 

—  La  Ramée,  quand  te  marieras-tu? 

—  Quand  j'aurai  eu  peur. 

—  Pas  de  sitôt,  alors  I 

Il  cheminait  à  travers,  une  grande  forêt.  La  nuit  l'y  prend  ;  il  aper- 
çoit une  lumière  au  loin,  se  dirige  vers  ce  but  et  arrive  à  la  porte  d'un 
château.  Il  frappe  : 

—  Que  voulez-vous  ? 

—  Loger,  si  c'est  possible. 

—  Pas  moyen  :  nous  n'avons  qu'une  chambre  disponible  et  le  diable 
y  vient  toutes  les  nuits. 

—  Cela  m'est  bien  égal,  je  n'ai  jamais  eu  peur. 

—  Dans  ce  cas,  entrez. 

Il  soupe,  puis  on  le  conduit  dans  sa  chambre. 

—  Maintenant,  bonsoir,  lui  disent  les  gens  du  château,  et  prenez 
garde  à  vous  1 


REVUE   DU  NIVERNAIS  23 

La  Ramée  se  recoucha  et  dormit  jusqu'au  grand  jour.  Quand  il 
s'éveilla,  les  gens  du  château  frappaient  à  sa  porte  en  disant  : 

—  Il  est  mort,  à  n'en  pas  douter. 

—  Non,  non,  répondit-il,  il  n'est  pas  mort  I  II  est  allé  à  la  chasse 
et  a  pris  un  joli  gibier. 

Grande  fut  leur  surprise  en  trouvant  le  soldat  bien  vivant  et  en 
reconnaissant  dans  le  joli  gibier  la  demoiselle  du  château,  que  le 
diable  avait  ravie. 

—  La  Ramée,  dirent-ils,  il  faut  l'épouser,  puisque  vous  l'avez  sauvée. 

—  Je  ne  me  marierai  que  lorsque  j'aurai  eu  peur. 

On  s'ingénia  donc  à  lui  faire  peur.  Le  plus  malin  de  tous  eut  l'idée 
d'enfermer  des  alouettes  vivantes  dans  un  pâté  qu'on  servit  le  soir, 
à  dîner. 

—  Qui  ouvrira  le  pâté  ?  dit-on. 

—  Pas  moi. 

—  Ni  moi  non  plus.  Ouvre-le,  La  Ramée. 

Au  refus  de  tous,  La  Ramée  l'ouvrit.  Aussitôt  —  frrr  I  les  alouettes 
s'envolèrent  dans  toutes  les  directions  et  La  Ramée  sursauta. 

—  On  dirait  que  vous  avez  eu  peur,  La  Ramée. 

—  C'est  vrai. 

—  Vous  pouvez  donc  vous  marier. 

—  Vous  n'en  aurez  pas  le  démenti.  Faisons  la  noce  ! 
On  la  fit  et  on  la  fit  bien. 

J*ai  marché  sur  la  queue  d'une  souris^ 
Elle  a  fait  coui  coui, 
Mon  petit  conte  est  fini. 

(Conté  par  M"«  Rose  Mirault,  à  Nevers.) 

M  mivre.J  Achille  Millien. 


J%r 


jm 


REVbE  DU   NIVERNAIS.  25 

LA  QUESTION  SOUS  LOUIS  XIV 

La  justice  de  Saint-Pierre-le-Moûtier  eut  autrefois  un  bien  mauvais 
renom.  S'il  faut  en  croire  un  ancien  dicton,  répandu  dans  le  centre  de 
la  France,  les  juges  de  ce  siège,  avant  de  rendre  leurs  sentences,  ne 
prenaient  pas  toujours  le  temps  nécessaire  pour  étudier  sérieusement 
les  affaires  qui  leur  étaient  soumises,  et  leurs  arrêts  se  ressentaient  de 
cette  précipitation.  Ce  bailliage  se  distinguait  aussi,  disait-on,  par  la 
manière  barbare  avec  laquelle  la  question  y  fut  longtemps  appliquée 
aux  accusés.  Voici  l'événement  qui  donna  lieu  à  cette  seconde  accusa- 
tion : 

En  l'année  1695,  Achille  de  Harlay,  premier  président  du  Parlement 
de  Paris,  revenant  de  Vichy,  s'arrêta  à  Saint-Pierre.  Il  était  accom- 
pagné d'un  certain  nombre  de  serviteurs,  qui  se  trouvèrent  fort  embar- 
rassés pour  occuper  leur  temps  pendant  le  séjour  de  leur  maître.  Que 
pouvait  offrir  cette  petite  ville  à  la  curiosité  de  gens  habitués  aux 
merveilles  de  la  capitale?  Faute  de  mieux  ils  durent  se  contenter  de 
la  visite  des  prisons  et  du  local  où  se  rendait  la  justice.  Après  leur 
avoir  montré  les  affreux  cabanons  dans  lesquels  étaient  renfermés 
quelques  misérables  condamnés,  le  concierge  les  introduisit  dans  la 
salle  où  se  donnait  la  question.  Grand  fut  leur  étonnement  d'y  voir 
des  poids  c  d'une  grosseur  énorme  »  que  le  concierge  leur  dit  destinés 
à  être  attachés  «  aux  pieds  et  aux  mains  des  personnes  en  les  eslevant 
environ  vingt  deux  à  vingt-trois  pieds  ».  Celui-ci  leur  raconta  que 
depuis  quelques  années  deux  accidents  épouvantables  s'étaient  produits 
«  lun  d'un  homme  qui  esloit  mort  dans  la  question,  l'autre  d'une 
femme  dont  la  main  avoit  esté  séparée  et  arrachée  de  son  bras  par  la 
pesanteur  des  poids  ». 

Les  serviteurs  avaient  été  tellement  émus  de  ce  qu'ils  avaient  entendu, 
que  le  jour  même,  ils  rapportèrent  ce  récit  au  premier  président.  De 
Harlay,  soupçonnant  une  exagération,  manda  près  de  lui  les  officiers 
du  bailliage,  qui  lui  confirmèrent  la  vérité  des  faits  qui  avaient  été 
racontés.  Le  lieutenant-général  et  l'assesseur  criminel  ajoutèrent  que 
le  souvenir  de  ces  deux  événements  leur  faisait  horreur.  Ils  compre- 
naient ce  que  de  pareils  faits  avaient  d'atroce,  mais  ils  n'osaient  rien 
innover  dans  la  manière  de  procéder,  aucun  règlement,  aucune 
ordonnance  ne  les  obligeaient  à  agir  ainsi,  c'était  seulement  une 


20  REVUE  DU   NIVERNAIS. 

ancienne  habitude,  ils  n*y  voulaient  rien  changer.  Tel  était  le  respect 
de  nos  ancêtres  pour  les  vieux  usages.  De  Harlay  expliqua  que  a  la 
question  n'étoit  qu'une  instruction  pour' découvrir  la  vérité,  et  non  pas 
pour  réduire  ceux  qui  y  sont  condamnez  à  des  extrémités  si  grandes 
et  si  horribles,  sa  forme  n'étant  prescritte  par  aucune  ordonnance,  i 

Les  officiers,  ne  voulant  pas  prendre  l'initiative  à  ce  sujet,  le  prièrent 
de  demander  au  Parlement  qu'il  leur  envoyât  un  ordre  de  changement. 

Peu  après  son  retour,  le  14  décembre,  le  premier  président  fit  à  la 
grande  chambre  de  la  Tournelle  l'exposé  de  ce  qu'il  avait  appris  et  lut 
une  lettre  des  officiers  de  Saint-Pierre  dans  laquelle  «  ils  supplioient 
unanimement  la  Cour  de  changer  la  manière  usitée  jusques  à  présent, 
dans  leur  siège  de  donner  la  question  ».  Sur  quoi,  conformément  aux 
conclusions  de  Chrétien-François  de  Lamoignon,  avocat  du  Roi  ;  le 
Parlement  ordonna  «  qu'au  Heu  de  la  question  dont  on  a  usé  jusques  à 
présent  dans  le  bailliage  de  Saint-Pierre-le-Moustier,  elle  sera  donnée 
à  ceux  qui  y  seront  condampnez  de  la  manière  qu'elle  se  donne  en  la 
Cour,  soit  par  extension  de  l'eau  ou  par  les  brodequins  ».  C'était  encore 
horrible,  mais  c'était  un  progrès. 

Le  récit  du  premier  président  avait  été  une  révélation  pour  les 
membres  du  Parlement.  Ils  en  furent  stupéfiés.  Jamais  ils  n'avaient 
pensé  que  des  faits  aussi  afl'rcux  pussent  se  passer  sous  le  règne  du 
grand  Roi.  Un  doute  leur  vint.  Ce  bailliage  était-il  le  seul  à  employer 
des  procédés  aussi  barbares  ?  D'autres  tribunaux  avaient-ils  conservé 
de  semblables  formes  d'instruction  ?  Le  procureur  du  Roi  écrivit  à  ses 
substituts  dans  tous  les  sièges  du  ressort,  pour  le  renseigner  à  ce  sujet. 
Hélas  !  les  réponses  montrèrent  que  Saint-Pierre  n'était  pas  une  excep- 
tion. Nos  pères  avaient  fait  preuve  d'une  imagination  inventive,  pour 
varier  leurs  genres  de  supplices,  et  la  plupart  subsistaient  encore. 

A  Vitry-le-François,  la  question  ordinaire  consistait  à  «  faire  coucher 
le  condamné  sur  une  table,  luy  lier  les  deux  poignets  derrière  la  teste, 
avec  deux  cordes  attachées  à  deux  anneaux,  qui  sont  à  la  hauteur  de 
la  table,  le  lier  pareillement  avec  deux  cordes  attachées  à  un  tourni- 
'luet,  ensuite  de  quoy  Ton  fait  bnndor  les  cordes  par  le  moyen  du 
lourniquel,  jusqu'à  ce  que  le  condamné  soit  élevé  en  l'air  et  suspendu 
par  les  pieds  et  les  mains,  et  ce  par  trois  diverses  fois  ».  Pour  la  ques- 
tion extraordinaire,  on  liait  les  mains  du  prévenu  derrière  le  dos  «  et 
luy  ayant  attaché  un  poids  de  vingt-cinq  livres  à  chacun  des  deux 


REVUE  DU   NIVERNAIS.  27 

pieds,  on  l'élève  par  une  corde  attachée  à  celle  qui  lie  les  mains 
jusqu'à  ce  qu'il  soit  suspendu  en  Tair  avec  les  poids  aux  pieds,  une 
fois  seulement,  en  sorte  qu'il  ne  s'est  jamais  pratiqué  que  le  condamné 
ne  soit  demeuré  perclus  de  ses  membres  ayant  les  os  disloqués  et 
fracturés  ». 

A  Blois,  la  question  se  donnait  d'une  manière  peu  différente  de 
celle  de  Vitry-le-François,  elle  produisait  «c  une  si  grande  extension  de 
nerfs  qu'un  homme  en  cet  estât  est  presque  privé  de  sentiment  »,  et 
qu'il  trépassait  presque  toujours  le  jour  même  ou  le  lendemain. 

A  Chartres,  on  devait  «  mettre  aux  pieds  du  condamné,  une  pierre 
de  quatre-vingt  livres  environ,  et  l'ayant  attaché  par  les  deux  bras 
croisés  derrière  le  dos  à  un  câble  passé  dans  une  poutre,  l'élever  en 
l'air  en  cet  état,  au  m:yen  d'un  moulinet  v,  et  pour  la  question 
extraordinaire,  c  attacher  les  deux  bras  avec  des  ligatures  à  deux  bou- 
cles de  fer,  qui  sont  plombées  dans  un  gros  mur,  et  les  deux  pieds  à  un 
câble  qu'on  fait  passer  dans  deux  autres  boucles  de  fer,  qui  tiennent  à 
une  pierre  du  poids  de  cinq  cents  livres,  et  par  le  moyen  d'un  mou- 
linet, que  quatre  hommes  font  tourner,  bander  le  câble  et  le  corps  du 
condamné  jusqu'à  ce  qu'il  ait  enlevé  ladite  pierre  de  terre  i. 

A  Orléans,  il  fallait  «  mettre  un  clef  de  fer  entre  les  deux  revers  des 
mains  liées  avec  force  l'une  sur  l'autre  derrière  le  dos,  et  avec  un 
câble  passé  dans  une  poutre  pendant  au  plancher,  élever  le  condamné 
à  un  pied  de  terre,  ayant  un  poids  de  cent  quatre  vingts  livres  attaché 
au  pied  droit  »,  pour  la  question  extraordinaire,  «  l'élever  jusqu'au 
haut  du  plancher,  ayant  un  poids  de  deux  cent  cinquante  livres  atta- 
ché au  pied  droit,  et  en  cet  état,  lui  donner  une  secousse  en  forme 
d'estrapade  par  trois  fois  ». 

A  ce  siège,  de  même  qu'à  Saint  Pierre,  les  conseillers  regrettaient 
d'infliger  de  pareilles  tortures  A  leur  réponse,  ils  avaient  joint  un  certi- 
ficat de  Duchesnoy,  médecin  du  Roi,  dans  lequel  il  déclarait  «  avoir 
vu  plusieurs  fois  donner  la  question  dans  les  prisons  royales  d'Or- 
léans et  avoir  toujours  remarqué  que  lorsque  le  patient  estait  enlevé 
de  terre,  ayant  le  poids  attaché  aux  pieds,  il  tombait  d'abord  en  syn- 
cope et  risquait  mesme  de  perdre  la  vie,  en  perdant  la  respiration  ». 

A  Montargis,  on  liait  a  les  deux  pieds  du  condamné  avec  des  cordes 
attachées  à  deux  solives  scellées  dans  le  muret  les  mains  derrière  le 
dos,  à  un  poteau  tournant  par  le  moyen  duquel  on  l'élève  jusqu'à  ce 
que  les  bras  approchent  de  la  tête  ». 


28  REVUE   DU  NIVERNAIS 

A  Saint-Dizier,  on  se  contentait  de  disloquer  les  membres.  A  Baugé, 
on  attachait  aux  pieds  des  poids  c  dont  on  augmente  la  quantité  à  pro- 
portion de  l'opiniâtreté  que  Faccusé  fait  paraître  pour  nier  la  vérité  ». 
A  Mâcon,  l'effet  de  la  question  pour  le  prévenu  était  de  «  déboîter  les 
articulations  des  épaules,  des  coudes,  des  mains,  de  la  jambe  et  du 
pied,  aussi  il  reste  toujours  estropié  ». 

On  le  voit  dans  une  grande  partie  de  la  France,  les  modes  d'instruc- 
tion étaient  aussi  féroces  qu'à  Saint-Pierre.  Ce  n'est  pas  une  excuse, 
certes.  Mais  comme  c'était  dans  celte  localité  qu'on  avait  d'abord 
remarqué  leur  barbarie,  l'odieux  en  est  resté  à  ce  bailliage  seul. 

Depuis  lors,  par  ordre  du  Parlement,  il  fut  défendu  d'employer 
d'autres  manières  de  donner  la  question  que  Textension  de  l'eau  et  les 
brodequins.  La  première  manière  consistait  à  attacher  le  condamné 
sur  une  table  et  à  lui  faire  absorber  de  force  une  grande  quantité  d'eau. 
Les  brodequins  étaient  des  morceaux  de  bois  en  forme  de  planches 
qu'on  attachait  des  deux  côtés  de  chaque  jambe  ;  on  liait  ensuite  les 
jambes  ensemble,  puis  on  faisait  entrer  un  certain  nombre  de  coins 
entre  les  morceaux  de  bois  qui  séparaient  les  jambes. 

Ed.  Duminy. 

POETES  NÉERLANDAIS  (Suite) 


FLAMANDS 


K.-L.  Ledeganck 

(1805-l»i7) 

LE     CLAVIER 

{Fragment) 

Artiste,  quand  ta  main  habile 
Voltijçeant  sur  le  clavecin, 
Dans  son  élégance  mobile, 
Fait  des  noies  jaiMir  Tessaim, 
Sais-lu  bien  qu'en  ton  art  superbe, 
Ainsi  qu'en  un  magique  verbe, 
S'exprime  un  langage  enivrant 
Qui  nous  émeut  et  nous  enflamme, 
Loin  de  la  terre  emporte  Tàme 
Et  que,  seul,  notre  cœur  comprend  ? 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  2Ô 

Au  printemps,  quand  je  me  promène, 
Un  beau  jour,  par  le  vaste  champ; 
A  rheure  où  le  soleil  emmène 
Son  char  d'or  en  hâte  au  couchant. 
Le  long  des  bords,  sous  la  verdure. 
J'entends  le  ruisseau  qui  murmure 
Et  serpente  et  s'enfuit  gaîment  : 
Le  vent  d'ouest,  sous  l'ombre  naissante. 
Dans  la  ramure  frémissante, 
Jette  un  vague  gémissement. 

Ou  bien  la  clochette  lointaine 
Se  mêle  au  beuglement  des  bœufs  ; 
La  tourterelle  dit  sa  peine 
Que  redit  l'écho  langoureux  ; 
Ou  Philomèle,  orgue  sonore. 
Chante  sans  cesse,  chante  encore, 
Ravit  et  charme  les  oiseaux 
Dont  le  bois  cache  tout  un  monde  ; 
Son  chant,  dans  la  forêt  profonde, 
Coule,  pareil  aux  calmes  eaux. 

Devant  ces  voix  de  la  nature, 
Quand  j'écoute  ces  mille  accents, 
Montant  au  ciel  en  hymne  pure. 
Comme  à  l'autel  fume  l'encens. 
Mon  âme  frémit  d'une  extase 
Que  ne  peut  rendre  aucune  phrase, 
Enthousiasme  surhumain 
Qui  là-haut  m'enlève,  m'enivre. 
Artiste,  et  qu'en  moi  font  revivre 
Les  cordes  vibrant  sous  ta  main  î 

Oui,  tandis  que  ta  main  habile, 
Voltigeant  sur  le  clavecin, 
Dans  sou  élégance  mobile, 
Fait  des  notes  jaillir  l'essaim. 
Enfantés  par  ton  art  superbe. 
Comme  par  un  magique  verbe. 
Des  tableaux  surgissent  alors, 
Gais  ou  tristes,  plaisants,  horribles. 
Tour  à  tour  consolants,  terribles. 
Selon  le  rythme  et  les  accords 


30  BEVUE  DU   NIVERNAIS. 

Prudens  van  Duyse 

(180M859) 

LA  ROSE  DE  LA  TOMBE 

Sur  la  tombe  où  dormait  sa  mère, 
Une  jeune  fille  avait  pris, 
—  Déjà  mûre  en  sa  pourpre  fîère,  — 
Une  rose  au  chaud  coloris. 

En  se  mirant,  la  jeune  fille 
La  mit  d'une  distraite  main 
,  A  son  corsage,  où  la  fieur  brille 

Dans  la  neige,  —  dentelle  et  sein. 

Ainsi  parée  en  fiancée, 
Au  bal  elle  entra  ;  mais  voilà 
Que,  soudain  mourante  et  passée, 
La  rose  à  ses  pieds  s'effeuilla... 

Elle  pâlit,  la  jeune  belle, 
Et  —  supplice  juste  et  fatal  — 
Pense  à  la  tombe  maternelle 
Si  longtemps  que  dure  le  bal. 


PASTORALE 

Jeune  fille  que  mon  cœur  aime. 
Viens  t'asseoir  là,  près  du  buisson  ; 
Tout  parle  amour  ;  les  vaches  môme 
En  négligent  leur  frais  gazon. 

Les  oiseaux  chantent  avec  force, 
Louant  Dieu,  le  matin,  aux  champs  ; 
Je  n'ai  que  ma  flûte  d'écorce. 
Mais  je  peux  répondre  à  leurs  chants. 

D'une  fleur  deux  papillons  sortent  ; 
Le  beau  couple  ailé  que  voici  ! 
Je  n'ai  pas  d'ailes  qui  m'emportent. 
Mais  dois-je  m'en  faire  souci  ? 

Tu  me  dis  :  As-tu  de  la  terre? 
Non,  cela  peut  venir  un  jour. 
Grâce  à  Dieu,  dans  une  chaumière 
On  peut  aussi  rêver  d'amour. 

Traduction  de  AciULLE  MltllSK. 


LIVRES  ET  PÉRIODIQUES 


Série  de  prix  provinciale,  aide-mémoire.  —  Terrassement  et  transports  par  eau 
et  par  chemins  de  fer,  par  Albert  Pasquet,  ingénieur-architecte  à  Cosne-sur-Loire. — 
Nombreuses  gravures,  in-4*,  Librairie  polytechnique  Ch.  Béranger,  12  fr. 

Ce  volume  sera  d'un  grand  secours  pour  tous  les  constructeurs,  auxquels  il  offre 
des  éléments  de  base  et  de  comparaison,  ainsi  que  des  indications  très  diverses.  La 
Série  de  prix  est  suivie  d'une  petite  Encyclopédie  du  bâtiment,  sous  forme  de 
dictionnaire  alphabétique.  Chaque  terme  de  métier  y  est  défini  ;  on  y  trouve  des 
notions  de  droit,  des  renseignements  scientifîaues.  le  tout  exposé  avec  simplicité  et 
précision.  Cet  ouvrage  de  M.  Pasquet  est  appelé,  croyons-nous,  à  rendre  cfe  grands 
services. 

F.  Fertiault.  —  E.  Garcin  :  In  Memoriam,  in-8",  Issoire,  19(M. 

Nous  n'apprendrons  à  nos  lecteurs  ni  le  ifom  ni  le  mérite  de  M.  F.  Fertiault,  un 
des  doyens  des  lettres  contemporaines  et  notre  quasi  compatriote,  puisquMl  est  Bour- 
guignon. Frappé  dans  ses  afTections  les  plus  vives,  ayant  perau  sa  chère  com- 
pagne de  soixante  ans,  il  consacre  à  sa  mémoire  ces  pages  émues  signées  de  lui  et 
de  beaucoup  d*amis.  Mme  Julie  Fertiault,  écrivain  de  valeur,  comme  son  mari,  •  a 
laissé  la  meilleure  partie  d'elle-même  dans  une  foule  d'œuvres,  en  prose  ou  en  vers, 
marquées  du  signe  du  talent  >. 

Edmond  Porée,  Ode  à  Vautomne,  Lille,  Société  d'éditions  modernes,  19(H. 

M.  Edmond  Porée,  dont  nos  lecteurs  ont  pu  apprécier  le  talent  distingué,  publie, 
pour  la  joie  des  bibliophiles  autant  que  des  amis  des  vers,  une  délicieuse  plaquette 
sur  japon,  tirée  â  100  exemplaires  seulement.  Les  strophes  brillantes  de  M.  PonSe 
méritaient  ce  luxe  :  c'est  double  plaisir  de  lire  une  belle  poésie  dans  cette  forme 
splendidc.  M.  Porée  se  prépare  a  publier  sous  peu,  sous  ce  titre  :  les  Rois,  un 
nouveau  recueil  dont  M.  Emmanuel  des  ElssarLs  a  écrit  la  préface  et  qui  obtiendra 
sans  nul  doute  le  même  succès  que  ses  aînés. 


Ch.  Beauquier,  député  du  Doubs,  etc.,  La  France  divisée  en  régions.  —  15  pages 
in-8«,  Toulouse,  rue  du  May,  1.  —  0  fr.  15, 

Voici  une  petite  brochure  qui  mérite  sérieuse  attention.  Elle  plaide  en  faveur 
d'une  réforme  grosse  de  conséquences  dont  M.  Beauquier  fait  ressortir  les  avan- 
tages. L'excès  de  centralisation  nous  met,  sur  beaucoup  de  points,  en  état  de  réelle 
infériorité.  Avec  les  moyens  de  communication  dont  nous  disposons  ,  avec  la 
vapeur,  le  télégraphe,  le  téléphone,  qui  abrègent  les  distances,  la  division  de  la 
France  en  grandes  régions  ne  présente  plus  aucun  des  inconvénients  qui  moti- 
vèrent, il  y  a  un  siècle,  le  morcellement  en  départements. 

M.  Beauquier  fait  valoir  les  nombreux  profits,  qu'à  tous  les  points  devue,  le  pays  reti- 
rerait d'un  remaniement  administratif.  Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  qu'efQeurer 
une  question  sur  laquelle  nous  nous  proposons  de  revenir.  Le  mieux  serait  de  mettre 
intégralement  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  la  substantielle  brochure  de  M.  Beau- 
quier. 


32  REVUE  DU  51VER5AIÎ- 

Le  livre  de  notre  compatriote  Jules»  Pravieai  :  lu  rt^,^  Cei.hnht:.'^^  ri*,  ou  te  'a 
critique  un  accTjeil  qui  contirme  ce  que  noua  en  «liaictus  «luns  tu-n-f?  lerrijer  aamerj 
M.  Ernile  Faguet,  de  1" Académie  frjn«  aise,  lui  coosatre  an  miportaiit  aru*.-ie  -kut 
nous  sommes  heureux  de  detacner  les  extraiLs  suivants  : 

»  M.  Jules  Pra vieux  pnLIi2  un  roman  de  moyenne  et  boniuî  îorunieur  intitui*^  • 
Vn  vieiw  t^élibataire...  Cesi  un  titre  a  surprise.  A  iire  cette  ensei;^e.  un  -yiit*  lu  il 
va  être  question  d'un  vi^il  employé  a  m.mies,  a  ridijuitrs  et  a  peut  r'^-staurant  i  ijni 
fixe  ;  ou  bien  d'un  vieux  rentu-r  courtise  i^r  -jes  neveux  çt  exzioite  par  s&  Douoel  il 
l'on  s'attend  à  un  •  déjù  vu  »  cof,.stdHr;i£te  ..  M. us  ce  nVsf  pciz^t   -^^Li   in  tcojL.. 

»  M.  Pravieux  a  du  talent  narratif  et  -le  lespriL  et  mènne  an*»  certaine  rbr:ê  -loos 
la    peinture.   <jiielqueï>-uns  de  s*^    p#^rsonnages  sont  vivmts  :    sca  Qeros  d'toori    ^ 

Suis   M.   Cobicliet    •   le  pharmacien   subtil    •,  tpi  n'est  naiienitiLii  tme  rve*iiti*,a  "î 
I.  Homais  ;  |>eut- être  encore  on  ou  deux  iutres  .... 
»    Voilà  de»  qualités.  .  J"v     djoatrnu  encore  une  très  bonne   Unipit?   et   tm  stTte 
soigné.   Je    ne  crois   pas   avoir   trouvé   de  fautes  de   fran.^ais    daijs"   le    roiume   ie 
M.  Pravieux,  et  vous  ne  saunez  croire  à  «juei  ^int  ce  ^enre   de  fwHectica  dev^tat 

rare 

»  ...  M.  Pravieux  s'attache  au  fonds  même  du  roman  avec  une  per?i«tanc*e  ^  ane 
maîtrise  du  sujet  qui  sont  encore  des  qualités  peu  communes...  U  est  trts  isteiL  eiiL 
11  comprend  son  sujtt,  ce  *jni,  chez  les  romanciers,  ne  Laisse  pus  d  ire  laa 
rare...  ■ 

La   Presse,  le  Cri  de  Pat-is,    Wniven,  la  Quinzaine^  etc.,  pftri«nC  sur  le 
ton  du  livre  de  notre  collaborateur. 


NOTES  ET  ÉCHOS 


/,  Nos  compatriotes  :  sont  nommés  dans  la  Lt*^^ion  d'honneur  :  commandenr.  k 
général  Morio  ;  chevaliers,  les  capitaines  Thévenard,  du  I.V  d  artillerie;  Je^n  :io- 
verin,  du  1«'  bataillon  d'artillerie  à  pied.  —  Chevalier  du  Mérite  agricole,  M.  Akiis 
Alexandre. 

/,  Sont  admis  à  Técole  navale:  MM.  René  Lévaique  (n*  t);  A.  Pot  fn»30).  —  Sont 
class^'S  :  à  la  sortie  de  Técoie  f>ol  y  technique  :  MM.  Fr.  Dondon  (n"5i);  Pot  (t^t  ; 
Jouaniquf»  (III)  ;  Jos.  G>u;:not  (\'2:î,  ;  de  La  Brosse  ll>l).—  A  la  sortie"dè Saint-C\r : 
M.M.  Defert  (n*  t»)  ;  de  Charrv'  (88;;  Fèvre  llli):  Truiiê  de  Vaucresson  (i4i^;*de 
Finance  ('S^,  ;  Como\  (35;i)  ;  Bouvet  (398|  ;  Frossard  (410)  ;  de  la  Brosse  (414». 

/,  M.  Achille  Mazeron  a  subi  avec  succès  l'examen  de  licence  es  lettres. 

/,  Le  M  août  a  eu  lieu  à  (iargilesseflndreX  sur  la  maison  de  George  Sand,  La  pose 
d'une  plaque  comrnémoralive  en  marbre  noir,  otlerte  par  l'Académie  Inncaise. 
Parmi  les  m^-mbres  du  comité  de  cette  fête  li^'urail  notre  collaborateur  Lucien  Jt-ny, 
dont  nous  liions  la  po<'sip  :  Bonnets  du  Bernj.  leproduite  dans  les  Annales  poiittquèt 
et  Ut  1er  air  es  du  1.'*  septembre. 

Ddmetsarle 

aoteor  des 

lUbe 

dumleur 

,',  La  Soci(U-  artistique  de  la  Nièvre  ouvre  son  exposition  annuelle  dans  lessalous 
de  l'Orangerie. 


Le  Directeur-Gérant^  AcuiLLK  MlLUEN. 


&^^¥%^^^^^& 


tttrtn,  /«•#.  6.  Vimr%. 


LE  TABELLION  AMOUREUX 


A  M.  F.  Lafargue. 

E  soir,  un  tiède  et  beau  soir  de  mai.  Le 
ciel  resplendit  des  derniers  feux  du 
soleil  couchant  qui  colore  de  ses  lueurs 
rouges  d'apothéose  Thorizon  lointain,  et 
blondit  les  choses,  les  paillette  d'étin- 
celles. La  nature  entière  semble  en  fête, 
inGniment  suave  sous  les  vivantes  den- 
telles de  sa  robe  de  verdure  et  de  neige  odorante. 

Mystérieux  frémissements  de  la  terre,  doux  parfums  des  fleurs  prin- 
tanières,  caressantes  brises,  poétique  gazouillis  des  oiseaux...,  tout 
porte  à  rêver  de  jeunesse,  d'amour,  d'idéal  bonheur!... 

Pourtant  M.  Balugeon  (Félix-Anatole-Symphorien),  notaire  à  Decize 
(Nièvre),  tient  dans  ses  mains  sa  tôte  lourde  de  pensées,  l'esprit  troublé, 
le  cœur  angoissé.  Nonchalamment  assis  à  son  bureau  de  travail  cou- 
vert de  paperasses  et  placé  dans  l'embrasure  d'une  fenêtre  garnie  de 
stores  de  satin  blanc  en  ce  moment  à  demi-baisses,  il  feuillette  d'un 
geste  paresseux  des  minutes  de  baux,  mainlevées,  obligations,  actes 
respectueux...  que  son  regard  parcourt,  mais  qu'il  ne  lit  pas.  A  quoi 
bon  les  tedir  alors?  —  Il  les  pose  sur  son  bureau,  soupire,  et...  songe! 
Tout  à  coup,  il  tressaille.  Fiévreusement  il  prend  une  feuille  de 
papier  et  écrit  —  hiéroglyphe  torturé,  indéchiffrable  : 

(K  TON  SOURIRE  ! 

^  Ton  sourire,  c'est  le  bouton  de  rose  dont  les  lèvres  s'entr'ouvrent 
aux  baisers  de  la  brise...  Dans  ton  sourire,  je  vois  flotter  mille  aveux 

3 


34  hevle  du  Nivernais 

discrets  et  mille  désirs  vagues...  Ton  sourire  est  une  harmonie  divine... 
Ton  sourire,  mon  adorée,  me  fait  mourir  d'amour  I... 

»  Ton  sourire  est  gracieux  comme  le  vol  de  la  libellule  au  bord  da 
ruisseau...  Dans  ton  sourire,  je  goûte  une  merveille  de  l'ail  divin  et 
j'évoque  une  vision  des  beautés  du  Paradis...  Ton  sourire,  mon  adorée, 
me  fait  mourir  d'amour  ! 

»  Quand  je  vois  ton  sourire,  j'ai  des  visions  d'artiste  et  des  rêves  de 
poète.  A  travers  ton  sourire,  la  vérité  me  parait  aimable  et  la  vie 
pleine  d'aises...  Ton  sourire  est  un  éclair  qui  éblouitet  qui  grise...  Ton 
sourire,  mon  adorée,  me  fait  mourir  d'amour  I 

I  Ton  sourire  est  si  doux  qu'il  désarme  la  rancune  la  plus  forte.  Ton 
sourire  fait  ma  joie  ou  ma  tristesse  suivant  qu*il  dit  Amour,  ou  qu'il 
dit  Ironie...  Pensée  discrète  et  profonde.  Ton  sourire,  mon  adorée,  me 
fait  mourir  d'amour  !...  s> 

II  est  étonné  de  la  facilité  avec  laquelle  il  écrit  ;  les  mots  viennent 
se  placer  d'eux-mêmes  pour  ainsi  dire  au  bout  de  sa  plume.  Une  idée 
étrange  surgit  de  son  esprit,  idée  qu'il  accueille  avec  plaisir.  Pourquoi 
ne  profiterait-il  pas  de  cette  disposition  pour  écrire  une  lettre  tou- 
chante, émue,  où  il  révélerait  son  état  d'âme  à  la  dame  de  ses  pensées? 

Aussitôt  il  se  met  en  devoir  d'exécuter  ce  projet  : 
c  Pardonnez,  mademoiselle,  oh  I  oui,  pardonnez  à  un  malheureux, 
qui  souffre  trop  pour  se  taire  plus  longtemps,  la  hardiesse  et  la  fran- 
chise qu'il  a  de  venir,  à  vos  genoux,  comme  aux  pieds  d'une  divinité 
adorable,  confesser...  » 

Il  s'arrête  soudain,  relit  ;  d'un  trait  nerveux  qui  fait  crier  la  plume, 
il  biffe  ces  quelques  lignes  et  écrit  plus  bas  : 

{(  Vous  me  trouverez  sans  doute  bien  audacieux,  mademoiselle  ;  mais 
je  ne  puis  plus  taire  l'aveu  qui  brûle  mon  cœur  et  qu'une  crainte  insor- 
ïuontable  m'empêche...  » 
Nouvelles  balafres. 

Avec  la  trace  des  hésitations,  des  scrupules,  la  même  formule  revient 
toujours.  Seulement  son  écriture  est  de  plus  en  plus  fiévreuse,  à  peme 
formée  à  la  fin  de  la  phrase,  où  l'on  sent  un  frémissement  énervé  ou 
douloureux  dans  la  main  qui  tient  la  plume.  Puis  dépité,  il  froisse  la 
ftHiille,  la  jette,  se  dresse  et  se  met  à  arpenter  la  chambre  d'un  pas 
nerveux  et  inquiet. 
Abattu,  désemparé,  il  se  demande  s'il  est  le  jouet  d'un  affreux  eau- 


REVUE  DU  MVERNAIS.  35 

chemar,  ou.si  réellement  Angèle,  Angèle  qu'il  aime  tant,  le  dédaigne, 
se  raille  de  sa  tendresse. 

Est-ce  possible  ? 

Certes,  il  n'a  rien  de  commun  avec  un  homme  de  salon,  un  poseur 
comme  les  jeunes  désœuvrés  qui  font  la  cour  à  son  Adorée  :  fats 
imbéciles  qui  n'ont  d'esprit  que  par  leur  tailleur  ou  leur  jockey,  mais 
à  la  bourse  bien  garnie. 

Lui,  est  un  modeste  travailleur,  un  pauvre  amant  sincèrement  épris. 
Il  n'a  qu'un  désir  :  se  reposer  de  ses  labeurs  quotidiens  aux  pieds  de 
l'Aimée,  doucement  bercé  par  ses  caresses  enivrantes. 

Ce  rêve,  oh!  combien  souvent  il  l'a  vécu,  choyé!  Mais  doit-il 
jamais  en  voir  la  réalisation?... 

Pour  la  conquérir,  pour  être  aimé  d*elle,  pouvoir  lui  consacrer  sa 
vie,  de  quels  dévouements,  de  quelle  abnégation  n'est-il  pas  capable?... 

Elle  n'aime  personne...  de  cela,  il  croit  être  sûr.  Mais  finira-t-elle 
un  jour  par  voir  l'ardente  tendresse  dont  elle  est  l'objet  de  sa  part? 
Est-il  possible,  lorsqu'elle  le  verra,  qu'elle  n'en  soit  pas  touchée?... 
Il  le  pense  ;  il  en  est  persuadé.  Parfois,  cependant,  le  doute  déchire 
son  cœur,  le  fait  saigner.  Le  doute  !  —  Ah  !  fou  le  pédant  philosophe 
qui  a  prétendu  qu'il  est  un  moelleux  oreiller  I  Non,  rien  n'est  plus 
cruel,  plus  torturant,  même  pas  la  plus  horrible  vérité  !... 

Et  il  souhaite  et  redoute  en  même  temps  un  hasard  qui  les  mette 
en  présence,  seul  à  seule ,  libres  de  se  parler  franchement.  Cette 
entrevue  —  entrevue  loyale  et  honnête,  oh  !  certes  —  il  peut  la 
rechercher,  la  provoquer.  Mais  cette  chose  qui  semble  si  facile,  à  y 
réfléchir,  l'effraie  encore.  Comment  l'aborder,  l'Aimée?  Aujourd'hui, 
les  convenances  passent  avant  tout  le  reste!...  Et  que  lui  dire?  Le 
romanesque  touche  de  si  près  le  ridicule  I... 

Absorbé  dans  ces  profondqs  pensées,  M«  Balugeon  n'entend  pas  que 
l'on  frappe  à  la  porte  de  son  cabinet  de  travail.  Sa  mère  entre.  C'est 
une  femme  de  quarante-cinq  ans  environ,  qui,  en  dépit  de  l'âge  et  de 
ses  cheveux  griionnants,  est  encore  svelte  et  belle. 

A  l'aspect  triste,  songeur,  inquiet,  de  son  fils,  ses  lèvres  palpitent, 
ses  yeux  se  rembrunissent,  ses  yeux  clairs  qu'un  large  cercle  de  bistre 
rend  encore  plus  clairs. 

—  Qu'as-tu  ?  murmure-t-elle. 

M«  Balugeon,  surpris,  rougit  un  tantinet,  puis  entoure  calinement 
le  cou  de  sa  mère  de  ses  deux  bras  robustes. 


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REVUE  DU  NIVERNAIS.  37 

Du  sommet  du  monticule,  près  des  ruines  croulantes  de  l'ancien 
cbâteau-fort,  la  vue  est  superbe.  Au  loin,  à  Test,  une  chaîne  de  col- 
lines se  détache  en  ondulations  bleues  et  vaporeuses  :  le  Morvan.  Au 
nord,  de  légers  mamelons  dont  les  sommets  sont  ourlés  de  bois  au 
feuillage  sombre  et  aux  pieds  desquels  se  dresse,  blotti  dans  la  ver- 
dure, le  village  de  Saint-Léger-des-Vignes,  jadis  vignoble,  aujour-^ 
d*hui  industriel.  Au  bas  de  ce  village,  fuyant  dans  la  direction  de 
Touest,  la  Loire,  large  et  superbe,  pleine  d'une  onde  fugitive  qui  coule 
en  murmurant  le  long  des  rives  sinueuses,  avec,  çà  et  là,  des  îles 
pleines  d*arbustes  rabougris,  broussailleux,  enserrées  dans  les  méandres 
du  fleuve.  Au  midi,  c'est  la  plaine,  plaine  tantôt  stérile,  tantôt  fertile, 
que  strient  des  prés,  des  champs  et,  à  mi-horizon,  des  bois. 

Le  pays  est  riche,  les  prairies  renommées  et  les  terres  assez 
fécondes.  A  quelques  kilomètres  au  nord  de  Decize,  à  La  Machine, 
existent  des  gisements  de  houille.  A  Saint-Léger,  on  fabrique  du  plâtre, 
des  bouteilles  ;  on  exploite  des  mines  de  kaolin. 

Aussi  à  Decize  est-il  plusieurs  études  de  notaire.  Mais  la  meilleure, 
celle  qui  fait  le  plus  d'affaires  et  les  affaires  les  plus  brillantes,  est, 
sans  conteste,  celle  de  M<»  Balugeon,  ancien  principal  clerc  et  successeur 
de  M«  Dobinet  (Patrice-Isidore). 

Au  physique,  M«  Balugeon  est  ce  qu'on  appelle  un  bel  homme  : 

Il  est  bien  «  un  fils  de  la  vieille  Gaule, 
Tombante  moustache  et  robuste  épaule, 
TaiUe  de  géant  et  folle  toison 
Aveodes  reflets  de  blonde  moisson...  »(i) 

Le  feu  de  l'intelligence  brille  dans  ses  yeux  ;  mais  il  est  paralysé  par 
un  peu  de  timidité  qui  le  fait  paraître  gauche.  Aussi  la  conscience  de 
sa  gaucherie,  la  crainte  des  sarcasmes  que  sa  nature  susceptible  lui  fait 
redouter  à  chaque  instant,  le  rendent  défiant  vis  à  vis  de  lui-même  et 
du  monde. 

Une  personne  a  capté  les  bonnes  grâces  de  ce  cœur  timide,  renfer- 
mant des  trésors  de  tendresses  qui  ne  demandaient  qu'à  se  donner  : 
M"«  Angéle-^Alexine-Denise  Lameulière. 

Orpheline  depuis  son  plus  bas  âge,  M»«  Angèle  a  été  élevée  par  sa 
grand'mère,  M*»'  veuve  Mélanie  Darbourse.  (D'aucuns  —  des  mauvaises 

(1)  En  Morvan,  poésies  par  l'abbé  Félix  Ciiaventon,  curé  de  Blismes  (Nièvre). 


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REVCE  DU  NIVERNAIS.  39 

Mystère!... 

Mais  elle  est  femme  après  tout.  Alors  rien  d'étonnant  —  pour  tout 
autre,  il  est  vrai,  que  vous,  beau  Tabellion  —  qu'elle  ait  de  la  femme 
les  inconstances  et  les  caprices  !... 

(A  suivre,)  Ja 

L'HEURE    BRÈVE 

Et  toujours  au  bonheur  il  manque  quelque  chose. 
Tantôt  c'est  un  parfum  —  tantôt  un  mot  moins  doux, 
Un  air  malicieux  —  un  toi  —  qu'on  change  en  vous  I . . . 
Et  que  dirais-je  encor  —  quand  un  rien  indispose, 

Que  sur  nos  fronts  jamais  le  repos  ne  se  po^, 
Que  l'esprit  inquiet,  parfois  avec  courroux, 
Cherche  de  noirs  chagrins  qui  n'atteindront  que  nous  : 
Douleur  que  l'on  maudit  et  dont  on  est  la  cause  ! 

Hélas  !  c'est  donc  la  vie,  et  l'homme  pour  souffrir 

A-t-il  ainsi  besoin  vraiment  de  se  nourrir 

De  la  sombre  amertume  après  l'instant  du  rêve  ? 

Ne  serait-il  pas  mieux  de  se  donner  la  main, 
D'aplanir  sous  nos  pas  les  ronces  du  chemin, 
De  vivre  pour  s'aimer  —  pendant  cette  heure  brève! 

Eugénie  Casanova. 
MUSETTE 

Qui  n'a  pas  vu  la  rivière  de  la  Cure  ne  connaît  point  Musette,  la  gen- 
tille amoureuse  qui  jette  sa  gaieté  à  tous  les  coins  de  la  vie.  Elle  a  vingt 
ans  vers  Chastellux, Saint- André;  elle  en  a  trente  ou  quarante  dans 
la  plaine  de  Vézelay,  toujours  belle,  souriante  comme  celles  qui  furent 
ardemment  aimées. 

Elle  est  si  gracieuse  qu'on  a  accumulé  sur  sa  route  tout  ce  qui  pou- 
vait lui  faire  trouver  le  temps  moins  long  :  collines  abruptes  couvertes 
de  genêts,  de  bruyères  ;  vieux  rochers  gris  garnis  de  mousse  usée;  gros 
arbres  noueux,  antiques  comme  le  monde,  qui  radotent  des  histoires 
inconnues;  grasses  prairies  où  paissent  les  bœufs  du  Morvan; bois  épais 
parcourus  par  les  bûcherons,  et  d'où  sort  quelquefois  la  fumée  bleue 


40  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

d'un  feu  de  charbonnier.  Voyez  quel  beau  viaduc  on  lui  a  constniit, 
elle  en  est  toute  fière  ;  pour  le  traverser  elle  retrousse  sa  jupe,  décrit 
une  grande  courbe,  l'admire  à  loisir  ;  passée,  elle  se  retourne  encore 
une  fois  et  va,  joyeuse,  enchantant  sur  les  cailloux.  Autre  part,  elle 
aperçoit  dans  un  énorme  massif  de  verdure  un  imposant  châteaa  avec 
de  hautes  tourelles  féodales  ;  les  vaguelettes  se  haussent  pour  mieux 
voir,  murmurent,  bavardent  :  c'est  le  plus  délicieux  des  babillages. 

Qu'elle  est  gentiment  coquette  avec  son  teint  doré  de  femme  passion- 
née ;  elle  se  laisse  si  naïvement  admirer  et  tolère  si  bien  les  caresses  ! 
Mais  quelle  terrible  amoureuse  !  Je  connais  un  rocher  qui  est  des 
favoris  ;  gris,  avec  de  beaux  reflets  jaunes  ;  elle  se  précipite  sur  lui, 
l'embrasse,  l'enlace,  l'étreint  en  poussant  un  long  rugissement  que 
répercutent  les  échos.  Oh!  les  belles  moires  violemment  retroussées  en 
grosses  fanfreluches  de  jupons,  les  transparentes  batistes,  les  linons 
légers  tourbillonnant,  s'emmêlant  dans  un  jaillissement  de  petits  et  de 
gros  diamants  ;  les  colliers  sont  brisés  et  leurs  perles  dérivent  en  longs 
chapelets.  Encore  toute  frémissante,  elle  retourne,  rôde,  écume  et 
bave  sur  le  rocher  impassible  auquel  une  cassure  imprime  un  sourire 
comme  en  ont  les  dépravés  d'amour. 

Elle  a  aussi  des  unions  mystérieuses  sous  les  arbres  ombrageant  la 
rive  dans  les  délicieuses  retraites  que  discrètement  le  lierre  recouvre, 
les  rosiers  sauvages  défendent.  Elle  semble  en  sortir  épuisée,  se  laisse 
égratigner  avec  joie  par  les  épines  ou,  marchant  lentement,  chante;  et 
la  vallée  écoute  en  silence  l'hymne  grave  des  eaux,  d'or  brun  sous  le 
soleil,  roulant  majestueusement. 

Elle  ne  reste  pas  longtemps  sérieuse.  Quelque  peu  gavroche  aussi, 
elle  passe  au  pied  des  fiers,  des  imposants,  des  orgueilleux  qui  croient 
soutenir  le  monde.  Sans  en  avoir  l'air,  elle  les  entame  peu  à  peu  et  un 
beau  jour,  en  se  jouant,  elle  leur  fait  un  croc  en  jambe,  pflon  !  ils  dis- 
paraissent. 

Nonchalamment  elle  se  roule  sur  le  sable  ou,  là,  doucement,  polit  la 
pierre  en  formes  voluptueuses,  et  s'y  allonge  pour  la  caresser  plus  ten- 
drement, ici  la  brise  en  arêtes  aiguës  où  elle  se  déchirera. 

Voyez  ce  chêne.  II  est  né  trop  loin. du  bord  ;  depuis  des  siècles  il  est 
amoureux  de  la  rivière,  le  malheureux  !  Vieillard  séniie,  il  envoie,  il 
étend  ses  rameaux  comme  des  tentacules  pour  la  caresser  sans  pouvoir 
y  parvenir,  jaloux  des  brins  d'herbe  qui  y  trempent  leur  long  triangle 


hëvue  du  NIVKUNâIS.  il 

vert.  Mais  malheur  à  celui  qui  veut  connaître  cette  sirène  et  qui  ne 
sait  pas  lui  résister!  Dans  ses  jours  de  colère  elle  prend  sa  grosse  voix, 
rugit,  est  formidable.  Elle  s'élance  sur  l'audacieux,  l'entoure,  l'enlace. 
Il  est  emporté,  roulé,  fracassé  sur  les  pierres,  lancé  sur  le  rocher  où  il 
blanchira  sous  le  soleil,  entendant  le  chant  de  celle  pour  qui  il  a  tout 
perdu  et  qu'il  ne  voit  pas,  ou  jeté  dans  un  massif  qu'il  sentira  tressaillir 
sous  les  caresses  de  la  maltresse  qu'il  n'aura  plus. 

Avec  quelle  impatience  elle  essaie  d'échapper  à  Tétreinte  de  ceux 
qu'elle  n'aime  pas.  Elle  se  tord  dans  les  étroits  chenaux  qu'elle  gri- 
gnote, furieuse  comme  une  femme  enlacée  se  débat  et  mord  les  mains 
robustes  qui  la  tiennent. 

Quand  elle  est  forcée  de  rester  dans  les  coins,  quand,  les  gros  rochers 
l'entourant,  elle  ne  peut  plus  passer,  elle  prend  de  suite  un  air  maus- 
sade, rechigné,  elle  boude,  mais  elle  a  l'œil  ouvert,  si  elle  peut  échap- 
per, elle  glisse,  puis  bondit,  libre  ! 

Elle  passe  avec  dédain  contre  les  vieilles  pierres  moussues  dont 
quelques  unes  sont  couvertes  de  lianes,  de  ronces,  et  qui  se  placent  si 
lourdement  sur  son  chemin.  Elle  s'en  éloigne  bien  vite  et  va  aux  beaux 
petits  amoureux  bien  jolis,  bien  jolis  qu'elle  aime  tant.  Souvent  elle  se 
précipite  sur  eux  avec  frénésie,  les  entoure,  les  absorbe,  les  quitte, 
rebondit,  écume.  A  regret,  elle  s'en  va,  épuisée,  ondule  voluptueuse- 
ment; d'autre  fois,  brusque,  elle  les  recouvre  de  sa  jupe,  d'un  fouillis 
des  dentelles  les  plus  fines  et  se  sauve  en  riant,  puis  gazouille  des  his- 
toires drôles  aux  galets. 

Pour  l'oiseau  qui  passe,  pour  le  voyageur  déchiré  par  les  buissons 
du  bois,  retentit  sa  chanson  claire.  A  tous,  elle  est  bonne,  elle  offre  sa 
caresse  rafraîchissante,  jette  la  gaieté,  le  bonheur  de  vivre. 

Puis,  peu  à  peu  elle  s'assagit,  va  gravement,  parcourt  la  route  la 
plus  commode,  la  plus  facile,  évitant  les  fatigues  inutiles,  illuminant 
tout  de  sa  gracieuse  poésie.  Elle  passe  en  silence  à  Saint-Père,  pour  ne 
pas  troubler  Vézelay  qui  agonise  sur  son  rocher,  jette  un  coup  d'œil 
à  la  Cote-de-Chaux  qu'un  jour  elle  s'amusa  à  percer,  puis  largement, 
calmement,  va  porter  à  l'Yonne  ses  eaux  toujours  blondes  qui  donnè- 
rent tant  de  joie  sur  leur  chemin. 

Louis  Taverna 

Ghastellux,  26  seprembre  1901. 
(Reproduction  interdite) 

2» 


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REVUE  fiU  NlVEnNAIS.  43 

SILÈNES  ET  MYOSOTIS 

A  Mary, 

T'en  8oaviens-tu  —  dis-moi?  —  quand,  dans  le  vert  bocage, 
Nous  cueillions  tous  les  deux,  sous  son  dôme  enchanteur, 
Le  bleu  myosotis,  pour  mettre  à  ton  corsage, 
El  la  frêle  silène  à  la  rose  couleur. 

Le  soufQe  des  autans,  loin  d'éteindre  la  flamme 
De  Tamour  si  profond  qui  brûlait  en  mon  cœur, 
L'a  fait  se  propager,  m'embrasant  toute  l'âme.... 
—  Les  fleurs  du  renouveau  portent  toujours  bonheur  ! 

Gautron  du  Coudray. 


6e  EXPOSITION  DE  LA  SOCIÉTÉ  ARTISTIQUE 

A  défaut  d'un  local  mieux  aménagé,  mieux  éclairé,  la  Société  artis- 
tique de  la  Nièvre  doit  se  contenter,  pour  son  exposition  annuelle,  des 
salies  de  l'Orangerie,  mises  gracieusement  à  sa  disposition  par  les 
membres  du  Cercle. 

Pour  la  sixième  fois,  elle  a  convié  les  artistes  qui,  par  plus  de  deux 
cents  numéros,  ont  répondu  à  son  appel.  Tous  les  Nivernais  devraient 
y  être  représentés  ;  il  est  regrettable  de  constater  bien  des  absences. 
Mais  toujours  fidèles,  nous  retrouvons  bon  nombre  de  nos  compatriotes 
et  des  meilleurs  :  Urbain  Bourgeois,  Pail,  Monteignier,  Martin  des 
Amoignes,  Mme  Martin,  Garcemenl,  Merlin,  Mûri,  Mlle  Mathieu,  nous 
offrent  comme  à  l'ordinaire,  des  envois  remarquables  à  divers  titres  et 
nous  ne  pourrions  que  répéter  ce  que  nous  avons  déjà  dit  souvent  du 
talent  sûr  et  apprécié  de  ces  bons  artistes.  De  même  quels  éloges 
siérait-il  de  décerner  à  des  maîtres  tels  que  Emile  Breton,  Isenbart, 
etc.? 

De  l'extérieur  nous  sont  venus  d'excellents  envois  signés  Bourgogne, 
Paul  Liot,  Darien,  Bauré,  Nobillet,  Truchet,  Nozal,  Bernet, 
Delaistre,  Didier-Pouget,  Yan'Dargent,  Gide,  Mme  Faux-Froidure, 
Amédée  Rosier,  Zwiller,  Marché,  etc.,  sur  lesquels  nous  ne  pouvons 
pas  nous  étendre.  Et  comment  donner  un  compte  rendu  détaillé,  dans 
l'espace  restreint  qui  nous  est  accordé,  des  tableaux  et  dessins  de  tous 
nos  artistes  nivemais,  parmi  lesquels  nous  citons  au  hasard  ceux  de 
MM.  Barillet,  Carouzat  (un  excellent  dessin  à  la  plume).  Clair,  Gau- 


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JIEVUE  DU  NIVERNAIS.  45 

LES  BOUVIERS  MORVANDEAUX 
DANS  LE  DECIZOIS 

L^exploilation  des  bois  occupe,  en  Nivernais,  un  grand  nombre 
d'ouvriers.  Sans  parler  des  bûcherons  et  des  charbonniers  —  dont  la 
vie  offre  un  si  intéressant  sujet  d'étude  —  nous  allons  essayer  de 
décrire  l'existence  des  bouviers  morvandeaux  qui,  chaque  année, 
abandonnent  leurs  montagnes  pour  venir  faire  des  charrois  aux  envi- 
rons de  Decize. 

Ces  travailleurs  nomades,  au  parler  peu  intelligible,  présentaient 
jadis  un  type  original  et  très  curieux,  dont  les  bouviers  actuels  ne 
nous  donnent  qu'une  faible  idée.  Etudions  cependant  ces  derniers 
avant  qu*il$  ne  subissent,  eux  aussi,  de  nouvelles  transformations. 

Au  physique,  ce  sont  généralement  des  hommes  trapus,  aux  épaules 
robustes  et  d'une  santé  florissante.  Coiffés  d'un  chapeau  noir  à  larges 
bords  et  chaussés  de  gros  sabots,  vêtus  d'un  pantalon  de  velours  et 
d'un  gilet  noir  à  manches  qui  dissimule  presque  entièrement  leur 
chemise  de  couleur,  on  les  voit,  Taiguillon  sur  l'épaule  et  la  pipe  à  la 
bouche,  suivre  lentement  leurs  lourds  chariots  attelés  de  bœufs  amai- 
gris par  la  fatigue. 

De  temps  en  temps,  les  bouviers  piquent  leurs  animaux  en  les  appe- 
lant par  leur  nom  (car  chacun  a  le  sien  :  Chavoty  Corinne  Frisé, 
Rasêignof),  et  leur  geste  est  souvent  accompagné  d'un  juron  retentis- 
sant (toundre  mé  breuU  !)  qui  fait  hâter  le  pas  à  l'attelage. 

Quelquefois,  ils  tirent  avec  précaution  de  leur  poche  la  dernière 
lettre  du  pays  qui  leur  donne  des  nouvelles  de  la  famille  et  du 
R  bestiau  ».  Après  une  lecture  laborieuse,  —  et  suivant  en  cela  une 
coutame  touchante  ou  une  superstition  locale,  —  ils  portent  à  leurs 
lèvres  la  feuille  de  papier  avant  de  la  remettre  dans  l'enveloppe  ;  puis, 
poursuivant  leur  marche  automatique^  le  regard  vague,  ils  réfléchissent 
pendant  longtemps,  dans  leur  esprit  simple  et  naïf,  aux  affaires  de 
là-has. 

C'est  généralement  à  l'approche  du  printemps  que  ces  hommes 
laborieux  arrivent  dans  le  Decizois  ;  ils  cherchent  dans  le  voisinage  de 
la  coupe,  dont  ils  doivent  transporter  les  produits,  une  maison  hospi- 


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REVUE  0U  NlVfiUNAlS.  47 

Au  bois,  sous  les  branches  qui  mouillent, 

—  Il*  pleuvait  fort,  —  ils  s'agenouillent. 
Tous  deux,  au  pied  d'un  haut  talus... 
Car  de  leur  bourg  la  cloche  sonne, 

Là,  sans  faire  tort  à  personne, 
Cachés,  ils  disent  rÂngelus  ! 

—  Pourquoi  vous  cacher  de  la  sorte  ? 
Leur  dis-je,  moi  taquin,  farceur  ; 
Du  ciel  vous  vous  fermez  la  porte... 

—  Ce  n'est  pas  vrai,  triste  censeur. 
La  prière,  qui  nous  rachète, 

Peut  s'élever  de  sa  cachette, 
Jusqu'au  Zénith  éblouissant  ; 
Même  plus  haut,  dans  l'Empyrée, 
Elle  peut  bien  être  admirée 
Des  Séraphins,  du  Tout-Puissant. 

—  Votre  prière  I  elle  est  bien  courte. 
Leur  dis-je  enfin.  —  C'est  l'Angelus, 
Eh  I  nous  croyons  que  Dieu  l'écoute, 
Car  elle  invoque  ses  Elus. 
Ouvriers  et  pauvrets,  en  somme, 
Nous  cachant,  nous  faisons  Taumône... 
Jésus  a  dit  que  c'est  meilleur. 

~  Cela  me  semble  un  peu  bizarre... 

—  N'importe  I  On  croit  comme  Lazare... 
Priez  aussi,  mécliant  railleur... 

Bien  répondu  1  dis-je  en  moi-même. 
Puis  je  les  quittai  tout  confus. 
Disant  :  ô  bretons  !  Dieu  vous  aime  ! 
Dirai-je  aussi,  moi,  l'Angelus  ! 
En  Nivernais  comme  en  Bretagne, 
En  ville  comme  à  la  campagne, 
L'Angelus  sonne  haut  pour  nous. 
On  doit  le  dire,  sans  vergogne, 
Sans  interrompre  sa  besogne  ; 
Même  sans  se  mettre  à  genoux. 

Pieux  breton  1  chaste  bretonne  1 
Voilà  longten>ps  que  je  les  vis 
Prier  la  Vierge,  la  Madone, 
Par  trois  Ave  du  cœur  suivis  ! 
0  souvenir  !  ô  destinées  !.., 
Voilà,  de  ça,  quarante  années... 


48  REVU£  DUMVERf^AlS. 

Croyants,  que  sont-ils  devenus... 
Moins  dévot  qu'eux,  je  me  reproche 
D'oublier  quand  sonne  ma  cloche, 
De  dire,  comme  eux,  1* Angélus  ! 

Pourtant,  la  cloche  m'en  impose. 
Depuis  qu'elle  a  tinté  les  glas 
De  mon  épouse,  qui  repose 
Sous  une  froide  pierre,  hélas  !! 
A  j^rier  rarement  j'excelle  ; 
Pourtant,  je  dois  prier  pour  elle, 
Ne  pouvant  l'oublier  jamais  ! 
Et  pour  prière,  je  lui  donne 
Mes  Angélus,  que  je  fredonne 
Dans  mes  chants,  fruit  du  Nivernais  ! 

Limon,  septembre  i9(M.   EUG.  Garry. 

CjHANGEONS  D'MAIRE 

A  mon  ami  Eugène  Croche, 

La  messe  venait  de  finir.  Des  femmes,  vêtues  de  caracos  aux  manches 
bordées  de  velours  noir,  et  coiffées  de  canettes  blanches  garnies  de 
denteUes,  sortaient  de  TégUse  en  faisant  de  courtes  génuflexions  et  de 
grands  signes  de  croix. 

Les  hommes  s'arrêtaient  par  petits  groupes  et  causaient  bruyam- 
ment. Chacun  de  leurs  mouvements  faisait  luire  au  soleil  les  boutons 
de  leur  blouse  bleue,  ces  innombrables  petits  boutons  nacrés  qui  se 
touchent  tous,  qui  envahissent  jusqu'aux  poches  et  qui  sont,  dans  nos 
campagnes,  l'ornement  recherché  des  blouses  de  cérémonie. 

Sur  les  marches  de  l'église,  encombrant  la  porte,  comme  s'ils 
n'avaient  pu  attendre  d'être  sortis  complètement  pour  commencer 
leur  entretien,  quelques  hommes  se  tenaient  immobiles,  les  jambes 
écartées,  les  bras  ballants^  dans  cette  attitude  de  repos  familière  aux 
gens  qui  passent  leur  vie  à  s'acharner  contre  la  terre. 

Le  plus  jeune  du  groupe  était  un  grand  maigre,  avec  des  cheveux 
jaunes.  Pendant  trois  ans,  il  avait  séjourné  à  Paris,  servant  comme 
valet  de  chambre  dans  une  grande  famille.  A  sa  rentrée  au  village,  il 
avait  épaté  tout  le  monde  par  ses  allures  et  l'on  ne  jurait  plus  mainte- 
nant que  par  Laurent  Pajot. 

—  Laurent  Pajot,  un  beau  garçon  !  soupiraient  les  filles. 

^  Le  p'tit  Pajot,  un  pus  malin  qu'nous  !  clamaient  les  vieux. 


REVUE  OU  NIVERNAIS.  49 

Et  Laurent  Pajot  savait  bien  ce  qu'on  disait  de  lui.  Il  se  rengorgeait  : 
Laurent  Pajot,  le  Parisien  ! 

En  ce  moment,  il  tapotait  familièrement  sur  le  ventre  d'un  petit 
vieux  qui  ricanait  toujours  : 

—  Vos  blés  sont-ils  rentrés,  père  Majolin  ? 

—  Voui  !  rentrés,  ben  sûr  !  Que  qu'te  veux  donc  rentrer  d'une  paré 
mouillance.  Les  bœufs  pataugeont  dans  la  bouasse  et  les  chayots 
embourbont  jusqu'au  moyeu.  Pas  moyen  d'déracher;  d'ia  puie,  d'ia 
puie  et  pis  tout  Ttemps. 

—  Faurait  du  sec,  dit  le  gros  Ratou,  l'aubergiste,  qui  ne  contrariait 
jamais  le  père  Majolin  auquel  il  devait  cent  écus. 

—  De  vrai  qu'faurait  du  sec!  ajoutèrent  les  autres. 

—  Vous  n'êtes  jamais  contents,  vous,  reprit  Pajot,  quand  il  pleut, 
vous  voulez  le  beau  temps  ;  quand  il  fait  beau,  vous  demandez  la 
pluie. 

—  P'tit  Pajot,  répondit  le  père  Majolin,  toué,  t'es  un  gas  fùté,  l'es 
pus  savant  qu'nous  et  t'as  d'meuré  à  Paris  ousqu'on  s'barrasse  ben 
qu'ça  faye  beau  ou  ch'ti  ;  s'ment,  nous,  qu'on  est  des  vielles  bëtes,  ça 
nous  tracasse,  le  temps,  mais  j'vas  t'dire,  c'est  par  rapport  à  la 
moisson. 

La  porte  de  l'église  s'ouvrit  de  nouveau.  Les  paysans  s'effacèrent 
pour  laisser  passer  quelques  personnes  qu'ils  saluèrent  avec  respect. 
C'était  M.  Boursier,  un  gros  propriétaire,  maire  de  la  commune, 
accompagné  de  sa  femme  et  de  ses  enfants. 

Monsieur  Boursier  alla  conduire  sa  famille  jusqu'à  la  voiture  qui 
devait  l'emmener  au  château,  et  revint  ensuite  auprès  des  groupes, 
distribuant  à  tous  poignées  de  main  et  bonnes  paroles  : 

—  Comment  ça  va  chez  vous,  père  Majolin  ? 

—  Pas  trop  l)en^  mossieu  Uoiirsîer,  rapport  aux  blés  qu'sont  pas 
reolrês.  Que  vHez  vous,  d1a  puie,  d1a  pute  et  pis  tout  l'temps. 

—  Fairait  du  sec,  dit  Halou. 

—  Quasiment  oui,  ajouta  Gonssiii,  rêpicier. 

Et  ternaire,  s'adressant  à  un  autro,  un  petit  grassouillet  qui  n'avait 
point  de  boutons  blancs  à  sa  t)]ousOi  lui  demanda  : 

—  Et  toi,  Dujon,  nous  app^»rlrs-lu  de  fueilleures  nouvelles? 

—  >'enni;j'ai  encore  perdu  uue  vacke  a  c'te  semaine.  C'est  la  cocotte 
que  sYourre  comme  ça  su  rbétail  ;  ça  te  tint  dans  les  pattes,  pis  sous 
la  langue  ;  s  n'peut  ni  marctier  ni  manger  ;  a  creuve. 


50  nevuE  do  Nivernais 

—  Et  ta  petite  fille,  va-t-elle  mieux  ? 

—  Toujours  du  même... 
-^  Fais  venir  le  médecin  ! 

—  Oui  da  !  Vous  crayez  qu'sagit  que  d'faire  venir  ;  faut  payer  itou. 
Y  a  déjà  trois  visites  de  vétérinaire  pour  la  vache,  si  fallait  avec  ça  le 
médecin  pour  la  p'tite,  j'en  sortirais  jamais  de  c'te  misère. 

—  Fais  le  venir,  je  paierai  la  note. 

Et  sur  cette  promesse,  H.  Boursier  abandonna  le  groupe  pour 
un  autre  groupe. 

Quand  il  se  fut  éloigné,  Laurent  Pajot,  qui  n'avait  rien  dit,  se  croisa 
les  bras  sur  la  poitrine  et  fixa  les  paysans  : 

—  Je  ne  comprends  pas,  dit-il,  que  vous  soyez  soumis  à  ce  tyran- 
neau. 

—  J'sons  point  soumis,  dit  Majolin,  on  y  rend  sa  politesse. 

—  Damel  a  cause  volontiers  au  monde,  ajouta  Ratou,  pour  sûr  a 
n'est  point  fier. 

—  Tout  ça,  c'est  pour  cacher  son  jeu,  continua  Pajot,  c'est  pour 
vous  amadouer,  pour  vous  dorer  la  pilule.  Il  est  maire,  il  en  profite  : . 
il  fait  faire  à  la  commune  des  dépenses  qui  n'ont  d'utilité  pour  per- 
sonne sinon  pour  lui.  Cette  route  qu'il  a  fait  construire,  à  quoi  sert- 
elle,  je  vous  le  demande  ?...  Hein,  là  !  à  quoi  ?...  Eh  bien  !  regardez 
donc  à  quoi  elle  sert  ! 

Et  son  bras  allongé  indiquait  une  longue  avenue  qui  conduisait 
directement  au  château  du  maire  dont  on  apercevait  les  flèches  par 
dessus  le  petit  bois  de  sapins.  Sur  cette  route  roulait  une  superbe  voi- 
ture à  deux  chevaux  dans  laquelle  la  famille  Boursier  avait  pris  place, 
tout  à  l'heure,  devant  l'église. 

—  Hein  là  !  voyez-vous  à  qui  elle  sert  ?  Est-ce  à  vous  ou  bien  à  lui  ? 
Et  qui  donc  l'a  payée?  Est-ce  lui  ou  bien  vous? 

Et  Pajot,  constatant  que  son  discours  produisait  de  l'efl'et,  conclut 
sournoisement  : 

—  Faudrait  voir  à  changer  de  maire...,  dans  votre  intérêt,  naturelle- 
ment! 

Les  paysans,  à  demi  convaincus,  fixaient  sur  Pajot  leurs  petits  yeux 
mobiles,  exprimant  tour  à  tour  la  surprise,  l'admiration,  la  crainte, 
Tespoir.... 

—  C'est  p't'être  vrai  ;  mais  l'quel  donc  qu'on  y  mettrait  à  la  place  à 
Boursier,  dit  Majolin. 


REVUE  DU  NIVERNAIS  51 

Et  tandis  que  Ratou  réfléchissait,  Dujon  offrit  : 

—  Pardié,  yé  raossieu  Baudot ,  un  qu'est  ben  aussi  capable  que 
Boursier  ;  s'ment  a  s'pourte  pas  ;  v'ià  le  chiendent,  a  s'pourte  pas.  J'y 
ai  dit  Taur  jour  :  Mossieu  Baudot,  vous  s*rins  maire  si  vous  v'iins, 
d'autant  pus  qu'vous  vourins  pas  affréter  la  commune,  vous  qu'êtes 
riche  ;  s'ment  vous  s'pourtez  pas,  c'est  l'guignon.  J'vous  y  dit  bra- 
ment, moue  ;  si  vous  s'étins  pourté,  vous  s'rins  sortu,  là,  comme  on 
dit  quéque  fois,  rubis  su'  l'ongle. 

Furieux  de  voir  que  lorsqu'il  s'agirait  sérieusement  de  remplacer 
le  maire,  on  songerait  encore  à  un  autre  plutôt  qu'à  lui,  Pajot  ne 
voulut  pas  plaider  en  faveur  de  M.  Baudot,  bien  qu'il  fut  l'ennemi  de 
M*  Boursier, 

—  Remplacer  Coursier  par  Baudot,  dit-îl,  cVst  reculer  pour  mieux 
sauter.  Encore  im  riclie,  celui-là,  et  sll  ust  rictie,  eVsl  parce  qu'il  a 
gruçé  le  pauvre  monde,  et  il  le  grugera  jusqu'à  la  lin.  D'ailleurs,  on 
dît  qui!  écorcherait  Lien  un  pou  pour  en  avoir  la  peau.  Après  tout,  si 
(;a  vous  plait  d'être  écorcliés.., 

—  Eh  ben,  comme  ça,  rquel  que  t'y  mettrais  donc,  toué,  à  la  place 
i  Boursier. 

Pajot  n'était  pas  assez  maladroit  pour  poser  luî-méme  sa  candida- 
ture; il  voulait  simplement  la  préparer  de  loin. 

—  Les  élections  ne  se  font  pas  demain ,  répondit- il  ;  nous  ne 
sommes  pas  pressés.  En  atteurhnt,  je  voudrais  voir  que  vous  ne  soyez 
pas  soumis  au  maire;  je  voudrais  voir  que,  dans  Igs  réunions  du 
conseil  municipal ,  Boursier  ne  vienne  pas  imposer  sa  volonté,  sans 
aucune  contradiction  de  voire  part. 

—  Mais  toué  qu'es  conseiller,  tout  coume  nouSj  pourquoué  donc 
que  t'ii  fais  pas  d'ia  résistance? 

—  Tiens  î  cette  idée  !  je  serais  seul  à  prolestcr  pendant  que  vous 
seriez:  là,  vous  autres,  avec  des  airs  scandalisés.  Cependant,  si  vous 
me  promettez  d'être  de  mon  avis,  je  vous  jure  que  je  lui  riverai  son 
cloUf  au  maire,  la  prochaine  fois. 

—  Entendu,  pHil  Pajot,  t'es  un  malin,  toué,  tins...  Eh  là  !  la  com- 
pagnie, si  on  allait  pren're  un  verre  chez  Ralou.  Gré  bon  sang,  qu 'j'ai 
Tgosier  sec! 

Et  Dujon  entraîna  le  groupe  chez  Ratou. 

Jans  nos  campagnes,  comme  dans  nos  villes,  il  se  trouve  toujours 


^ 


52  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

de  bons  amis  qui  ne  cherchent  d'autre  occasion  de  nous  être  agréables 
que  de  rapporter  les  méchants  propos  débités  sur  notre  compte.  Aussi, 
une  heure  plus  tard,  M.  Boursier  connaissait,  dans  tous  ses  détails,  la 
conversation  que  Pajot  venait  d'avoir  avec  ses  amis,  et,  comme  il 
n'était  ni  béte,  ni  méchant,  il  résolut  d'en  tirer  une  petite  vengeance, 
bien  innocente. 

Les  circonstances  le  favorisaient.  Il  avait  reçu  de  la  préfecture 
Tordre  de  réunir  son  conseil  en  session  extraordinaire  pour  régler  une 
affaire  qui  nécessitait  un  arrangement  immédiat.  Il  convoqua  donc  ses 
conseillers  et,  après  leur  avoir  expliqué  ce  dont  il  s'agissait,  il  leur  dit  : 

—  Vous  me  voyez  perplexe,  messieurs;  le  préfet  me  prend  au 
dépourvu  ;  je  n'ai  pas  étudié  la  question  et  j'attends  que  vous  vouliez 
bien  m'aider  de  vos  lu^iières. 

Pour  Pajot,  c'était  vexant  :  il  venait  faire  de  l'opposition  et  voilà  que 
le  maire  se  soumettait,  se  déclarait  incapable,  avant  même  qu'il  eût 
ouvert  la  bouche.  Ça  n'arrivait  qu'à  lui,  ces  choses-là. 

Les  paroles  de  H.  Boursier  avaient  étonné.  Personne  ne  disait  rien, 
mais  les  regards  ne  quittaient  pas  le  Parisien,  parce  qu'à  défaut  du 
maire,  c'était  de  lui  qu'on  attendait  l'impulsion.  Mais,  lui  aussi  se 
taisait. 

Soudain,  M.  Boursier  eut  une  cruauté  :  il  s'adressa  directement  à 
l'ancien  valet  de  chambre  : 

—  Eh  bien  !  dit-il,  vous,  jeune  homme,  qui  avez  des  connaissances 
variées,  ne  pourriez-vous  nous  tirer  d'embarras  dans  cette  circons- 
tance. 

Pajot  ne  broncha  pas.  Tout  le  conseil  était  là,  ébahi,  interrogeant 
du  regard,  la  bouche  béatement  ouverte  comme  pour  crier  : 

—  Eh  ben  !  quoué,  parle  donc,  p'tit  Pajot,  toué  qu'es  malin. 

Et  les  rides  du  menton  rasé  de  tous  ces  vieux  paysans  qui  ne  savaient 
rien  que  labourer,  rien  que  semer,  rien  que  faire  produire  la  terre,  — 
science  immense  et  noble,  —  toutes  ces  vieilles  rides  étaient  là,  sous  la 
bouche  ouverte,  pour  souligner  ces  mots  d'ironie  : 

—  Mais  parle  donc,  Pajot,  puisque  t'es  pus  malin  qu'nous. 

La  leçon  avait  profité.  Tout  le  monde  avait  compris.  Sans  insister 
davantage,  le  maire,  avec  une  simplicité  étonnante,  une  clarté  mer* 
veilleuse,  une  logique  inattaquable,  résolut  la  question  qui,  embrouillée 


^ 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  53 

an  débat,  apparaissait  maintenant  nette  et  précise  à  tous  ces  eelreaux 
incapables. 

—  Ça  ai  pourtant  pas  Pair  sorcier,  ces  denrées-là,  dit  le  pèreMajolin, 
mais  faut  qu'ça  saye  réglé.  D'vant,  bernique,  c'est  d'I'hébreu  1 

—  C'est  égal,  dit  Coussin,  c'est  un  rude  homme,  mossieu  Boursier  1 

—  Et  pis  a  cause  v'iontiers  au  paysan,  conclut  Ratou,  j'y  ai  toujours 
dit,  a  n'est  point  fier,  de  vrai.  Odile  Thiault. 


LE    PARNASSE   MODERNE 

POÈTES  NÉERLANDAIS  (Suite) 


FLAMANDS 


Prudens  van  Duyse 
LES  TROIS  PETITS 


C'est  à  l'heure  où  tombe  le  soir. 
Trois  pauvre.^  enfants  sont  venus  s'asseoir 

Devant  leur  cabane  qui  penche. 

r  Ah  !  si  j'étais  riche  autant  que  les  rois, 

Par  les  sentiers  j'irais  encor,  mais  en  revanche 

J'aurais  de  beaux  sabots,  de  beaux  sabots  de  bois... 

Oui,  si  jMtais  riche  autant  que  les  rois  !  » 

—  «  Va  toi,  quels  sont  tes  souhaits,  dis?  » 
Demande  au  second  Taîné  des  petits, 

Devant  leur  cabane  qui  penche. 

a  Ah  I  si  j'élais  riche  autant  que  les  rois, 
Je  voudrais  à  cheval  garder  ma  vache  blanche. 
N'ayant  plus  jamais  peur,  jamais,  du  loup  des  bois... 

Oui,  si  j'étais  riche  autant  que  les  rois  !  > 

—  c  Que  veux-tu,  toi  ?  Parle  à  ton  tour.  » 
Et  le  plus  petit  dit  avec  amour, 

Devant  la  cabane  qui  penche  : 
«  Ah  I  si  j'étais  riche  autant  que  les  rois. 
Pour  donner  à  ma  mère  un  jupon  de  dimanche^ 
Oul^  je  sacrifierais  cheval,  sabots  de  bois  I 
J'aunus  un  baiser  bien  tendre,  je  crois  !  » 


54^  BEVUE  DU  NIVERM^JS. 

Theodoor  van  Rys^vyck 

(1811.1849) 

HANS  HOLBEIN 

{Fragment) 

Un  gentilhomme,  un  jour,  parut  dans  râtelier, 
.  De  bijoux,  de.  rubans  portant  riche  parure, 
Et  tout  enveloppé  d'une  rare  fourrure 
Qui  tombait  sur  le  sol  jusqu'à  le  balayer. 
Deux  moustaches  frisaient  sur  sa  lèvre  hautaine, 
c  Hans  le  peintre,  c'est  toi  ?  »  dit-il  d'un  ton  tranchant. 
€  Bon  !  continua-t-il,  tu  vas  prendre  la  peine 
De  faire  mon  portrait,  et  cela  sur-le-champ, 
Car  je  n'ai  pas  toujours  le  temps.  Donc,  tout  de  suite. 
Tu  vas  te  mettre  à  l'œuvre...  Allons,  ne  tarde  pas. 
Fais  tes  préparatifs  et  commence  un  peu  vite  ; 
Laisse-là  le  travail  qui  t'occupe  là-bas.  » 
Hans  Holbein  fixement  le  regarde  ;  très  grande 
Est  sa  surprise...  €  Oh  !  oh  1  pense-l-il,  s€u:rament  ! 
D'où  sort  donc  ce  brillant  oiseau  qui,  brusquement. 
S'en  est  venu  tomber  dans  ma  chambre  ?»  Il  demande  : 
f  Gomment  se  nomme  Sa  Noblesse  ?  »  Question 
Qui  met  le  gentilhomme  en  fureur  :  «  Peu  t'importe, 
Je  pense,  de  savoir  quel  peut-être  mon  nom  ! 
Mets-toi  vite  à  me  peindre...  ou  le  diable  t'emporte  ! 
Barbouilleur  insolent,  mendiant  que  voici. 
Regarde  donc  au  moins,  étranger  plein  d'audace. 
Celui  qui  condescend  à  venir  jusqu'ici  : 
Un  marin,  descendant  d'une  très  noble  race  !  » 
—  €  Et  pour  qui,  dit  Holbein,  m'avei-vousdonc  pris,wu)i? 
Pour  un  sot,  un  gamin  ?...  J'en  jure  sur  ma  foi, 
Quand  même  vous  seriez,  vous,  le  pape  de  Rome, 
Je  ne  vous  peindrai  point  !  »  Alors  le  gentilhomme 
Retira  ses  deux  mains  des  plis  de  son  manteau, 
S'agitant,  s'escrimant  avec  des  jurons,  comme 
S'il  était  en  humeur  de  boxer  aussitôt. 
Or  Holbein  :  c  Laissez- moi  me  faire  les  mains  nettes. 
Attendez  que  je  quitte  et  pinceaux  et  lunettes. 
Je  m*en  vais  vous  donner  une  bonne  leçon.  » 
Par  son  brillant  costume  il  le  prit  sans  façon, 
Ne  perdit  paj  son  temps  à  parler  davantage, 
Mais  tout  doux,  posément,  sûr  de  son  avantage, 
Le  poussant,  pas  à  jxis,  jusque  sur  le  palier. 
Le  jeta  proprement  au  bas  de  Tescalier  : 
•  c  Dorénavant,  avec  un  artiste,  il  faut  prendre 
Un  autre  ton,  dit  Hans;  voilà  pour  vous  l'apprendre!» 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  55 


POURQUOI  LES  FEMMES  N'ONT  PAS  DE  BARBE 

Discuter  sur  ce  point  me  parait  inutile  ; 
Le  Seigneur  des  Seigneurs  y  pourvut  sagement. 
Comme  leurs  lèvres  sont  toujours  en  mouvement 
Et  qu'il  faut  au  rasoir  un  champ  bien  immobile, 
Ce  ne  serait  ou'entaille  et  balafre....  £n  effet, 
Ce  que  fit  le  Seigneur  est  vraiment  fort  bien  fait. 


J.-M.  Dautzenberg 

(1808-1868) 

JOUR  DE  FÊTE  AU  VILLAGE 

Des  rayons  de  pourpre  ruissellent 

Sur  la  prairie  et  sur  les  eaux. 

Tous  les  sommets,  tous  les  coteaux 

Baignés  de  lumière,  élincellent, 
Et  les  sons  de  la  cloche,  en  tintement  ailé, 
Appellent  vers  Tautel  le  peuple  rassemblé. 

C'est  jour  solennel,  jour  de  fête. 

Il  faut  prier,  prier  d'abord  : 

Des  orgues  résonne  Taccord, 

L'âme  au  recueillement  est  prête. 
La  procession  sort;  tous  chantent  ;  les  accents 
Montent  au  ciel  avec  les  nuages  d'encens. 

Les  feuilles  prises  aux  ramées. 

Les  fleurs  des  prés,  neige  ou  carmin, 

Que  des  enfants  jette  la  main, 

Jonchent  les  routes  parfumées. 
Le  chemin  qui  conduit  au  ciel  est  rarement 
Semé  de  fleurs  ainsi  qu'il  l'est  en  ce  moment. 

Cependant  la  rose  sans  cesse 

Eclot  ;  à  chacun  de  nos  pas, 

Dans  notre  voyage  ici-bas. 

Elle  nous  suit  en  charmeresse. 
Et  la  reine  des  fleurs  toujours  s'épanouit 
Dans  les  cœurs  que  l'amour  enflamme  et  réjouit. 

Parcourons  la  riche  campagne 

Dans  la  paix  de  cet  heureux  jour. 

Chantons  et  prions  tour  à  tour  ; 

Dieu,  Dieu  même  nous  accompagne, 
Créant  partout  —  dans  tous  les  coins  de  l'univers. 
L'amour  au  fond  des  cœurs,  les  fleurs  dans  les  prés  verts. 

.  Traduction  de  Achille  Miluen. 


LIVRES  ET  PÉRIODIQUES 


Abbé  G.  Julien  :  Vingt^cinq  ans,  A  nia  Paroisse^  A  nies  Amis*  88  pages,  'm-\% 
G.  Vallière,  imp. 

M.  l'abbé  Julien  fête  de  la  meilleure  manière  ses  noces  d'argent.  Il  écrit  en  vers 
abondants^  coulants  et  limpides  ses  impressions  de  prêtre  attaché  depuis  un  quart  de 
de  siècle  à   sa  chère  paroisse.   D'abord  un  Envoi,  très  joliment  tourné  ;  puis  trois 

Pièces  :  1"  Un  Curé,  sorte  d'autobiographie  qui  inspire  une  grande  sympathie  pour 
auteur  ;  2*  Mes  chers  Paroissiens,  conseils  du  bon  pasteur  aux  Agriculteur,  aux 
Ouvriers  ;  3*  Un  dernier  mot,  remerciement  qu'anime  un  humour  de  franc  aloi. 
Nous  ne  serions  pas  embarrassés  pour  détacher  une  page  excellente  de  cette  plaquette 
si  l'espace  ne  nous  étail  mesuré.  Voici  le  début  de  ÏEnvoi  qui  est  d*une  facilité 
vraiment  heureuse  : 

Chers  paroissiens,  voilà  vingt-cinq  ans 
Qu'au  milieu  de  vous  je  sème  et  je  prie, 
Toujours  prêt,  selon  la  rigueur  du  temps, 
A  vous  donner  tout  :  ma  santé,  ma  vie. 
J'étais  jeune  alors,  voilà  vingt-cinq  ans. 

Je  venais,  joyeux,  encore  au  printemps. 
L'espérance  au  cœur,  Tàme  sans  angoisse, 
Consacrer  à  tous  mes  humbles  talents  ; 
Je  te  l'ai  promis,  ô  chère  paroisse, 
J'étais  jeune  alors,  voilà  vingt-cinq  ans. 

Tout  me  souriait  :  la  Nièvre,  ses  champs... 


Le  Correo  de  Paris,  6,  rue  de  la  Barouillère,  à  Paris,  publie  dans  son  édition 
française  des  vers,  des  nouvelles,  des  romans  et  des  articles  de  nos  meilleurs  écrivains 
modernes  et  des  extraits  de  nos  vieux  auteurs,  depuis  le  xiv*  siècle,  jusqu'à  la  fin 
du  xviii^  siècle. 

S'adesser  pour  l'administration  à  M.  J.-A.  Ferrer  et  pour  la  rédaction  à  M.  G.  de 
Colvé  des  Jardins.  

NOTES  ET  ÉCHOS 


*  Nos  compatriotes.  —  Sont  admis  ;  à  l'Ecole  polytechnique,  MM.  de  Nadailbc 
(no  36),  Rogier  (n*  124)  ;  —  à  l'Ecole  des  mines,  M.  Munich  (n*  32)  ;  —  à  l'Ecole 
Saint-Cyr,  MM.  Suzeau  (n-  79),  Maugard  (n*  253,  ;  d'Aboville  (n»  262j. 

/.M.  Gulllaumat,  chef  de  bataillon  au  76«.  blessé  en  Chine,  est  promu  officier  de 
la  Région  d'honneur. 

Le  Directeur-Gérant,  Achille  Hillien. 


/tmnn,  Imp,  0.  V»Utér^ 


LES  POÈTES  DE  UAMOUR 


I 


ous  les  poètes,  par  cela  même  qu'ils 
sont  poètes,  ont  chanté  Pamour.  Je  ne 
veux  parler  ici  que  d'un  nombre  relati- 
vement restreint  de  contemporains  célè- 
bres ou  sortis  de  Pombre,  dont  l'œuvre, 
ou  une  œuvre  au  moins,  enferme  en  elle 
comme  un  sachet  de  tendresse  exhalant 
le  parfum  des  idylles  vécues  ou  rêvées. 
Car  ceux-là  surtout,  en  laissant  chanter  le  cœur,  ont  livré  le  meilleur 
d'eux-mêmes,  et  c'est  pourquoi  certains  écrivains,  plus  particulière- 
ment tendres  et  sincères,  comme  autrefois  Lamartine,  comme  actuel- 
lement Sully  Prudhomme,  qui,  dit-on,  partage  avec  Paul  Bourget  les 
sympathies  féminines,  inspirent  autant  d'affection  que  d'admiration. 

—  Aussi  bien,  être  aimé,  c'est  le  privilège  naturel  des  poètes  de 
Pamour.  Parmi  les  hommes  (je  parle  de  ceux  qui  méritent  ce  nom) 
emportés  dans  le  tourbillon  des  affaires,  toutes  leurs  forces  tendues  vers 
la  lutte  pour  la  vie,  la  plupart  les  ont  délaissés  :  mais  qu'une  coulée 
d'amour  vienne  rafraîchir  leur  âme  brûlée  d'ambitions,  ils  reviendront, 
sentant  leurs  cœurs  s'amollir,  aux  chansons  rêveuses  qui  berceront 
leur  pensée.  Mais  surtout  le  pouvoir  de  la  poésie  est  presque  prodi- 
gieux sur  les  âmes  de  femmes,  refuges  de  mystère,  sanctuaires  d'ombre 
et  de  recueillement  où  chante,  aux  heures  trop  tristes  ou  trop  douces, 
la  musique  des  vers.  Ainsi  certains  livres  deviennent  les  livres 
d'heures  des  amoureux.  Que  de  fois,  dans  les  caresses  épanchées  des 
pages  lues  à  deux,  ils  ont  senti  leur  tendresse  ^'attendrir  encore  ! 

3 


58  REVUE  DU   NIVERNAIS. 

Les  poètes  créent  de  Tamour  ;  le  reflet  de  leurs  propres  passions 
rayonne  sur  des  idylles  lointaines.  Et  lorsqu'il  leur  est  donné  de  revi- 
vre le  frisson  de  leurs  rêves  dans  ces  lettres  charmantes  que  reçoivent 
parfois  ceux  qui  livrent  leur  cœur  au  souffle  des  sympathies,  c'est 
leur  plus  douce  gloire  de  sentir  ainsi  dans  les  âmes  palpiter  un  peu  de 
leur  âme. 


Je  parlais  tout  à  l'heure  de  SuUy-Prudhomme.  Qu'il  en  a  dû  recevoir 
de  ces  lettres  berceuses  de  sentimentalités,  confidentes  de  souvenirs 
ou  d'espoirs,  lui  que  ses  fidèles  ont  appelé  n  le  divin  Sully  »,  et  dont 
les  rêves  ont  enchante  tant  de  rêves  de  jeunes  gens  et  de  femmes  I 

D'où  vient  donc  la  fascination  qu'il  exerce  sur  les  âmes  sensibles  ? 
A  première  vue,  ses  sonnets  et  ses  poésies  brèves  et  frêles  semblent 
peu  de  chose  à  côté  des  larges  et  somptueux  alexandrins  de  Lamartine. 
Son  œuvre  n'a  pas  eu  du  reste  le  retentissement  unique  qui  fit  de 
l'auteur  des  Médilaliom,  inconnu  la  veille,  un  demi-dieu  le  lendemain. 
Mais,  si  ses  admirateurs  sont  dispersés,  leur  admiration  n'est  pas 
moins  tendre. 

C'est  en  lisant  Lamartine  qu'on  l'aime  ;  c'est  lorsqu'on  relit  Sully- 
Prudhomme  qu'il  attire.  «  Il  n'est  pas  de  poète,  dit  M.  Jules  Lemattre, 
qu'on  lise  plus  lentement  ni  qu'on  aime  avec  plus  de  tendresse  i. 
Peut-être  cette  tendresse  est-elle  chez  beaucoup  de  ses  dévots,  sans 
qu'ils  s'en  doutent,  quelque  peu  égoïste.  L'auteur  des  SolUaden  a 
surtout,  en  effet,  le  don  de  nous  attendrir  sur  nous-mêmes,  en  sorte 
que,  dans  Peffleurement  de  son  âme  sympathisant  avec  la  nôtre,  nous 
pensons  plus  à  nous  qu*à  lui;  c'est  d'ailleurs  sa  véritable  originalité 
d'avoir  le  premier  recueilli,  ressuscité  par  c  nscience  réfléchie  et 
exprimé  les  sentiments  les  plus  secrets,  les  sensations  les  plus  intimes, 
reflets  de  rêve,  frissons  d'âme  que  Ion  sent  trembler  obscurément  en 
soi. 

Il  a  été  ainsi  un  précurseur  en  créant  comme  Baudelaire  c  un  frisson 

nouveau  ».  Et  il  est  aisé  de  voir  que  sa  i  i-^  .,   ^\.^ïu^^\-^:  yuiiw  ^  la 

recherche  de  l'étrange,  qui  a  pour  parraiji  Tauleur  des  Fieun  du  mtf/, 

fait  le  fond  de  certaine  poésie  moderne  maladive  cl  lasse»  n*Oétant  ia 

morbide^za  de  la  fin  du  siècle. 

Cette  acuité  d'observation  reparaît  naturellement  dans  S€,»s  poètUi 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  59 

d'amour  :  Tâme  du  poète,  même  en  sa  pleine  jeunesse,  ne  s'y  dilate 
pas  librement  ;  elle  ne  s'enthousiasme  ni  ne  se  désespère  ;  elle  fris- 
sonne, sourit  ou  plus  souvent  pleure,  toujours  pensive,  repliée  comme 
une  fleur  qui  n'ose  s'ouvrir,  redoutant  de  souffrir  dans  sa  prescience 
mélancolique  et  son  pessimisme  prématuré. 

Du  reste,  aucune  figure  d'amie  ne  se  précise  dans  les  œuvres  de 
Sully-Prudhomme,  sauf  dans  certaines  pièces  des  Stances  et  Poèmes  et 
aussi  en  quelques  sonnets  des  Epreuves.  Ce  sont  presque  toujours  des 
visions  passagères  qui  s'embrument  et  s'évanouissent  à  riiorizon.  Ces 
vers  d'amour  sont  des  appels,  des  lamentations,  des  langueurs,  des 
prières  : 

Ah  1  si  vous  saviez  comme  on  pleure 
De  vivre  seul  et  sans  foyers, 
Quelquefois,  devant  ma  demeure, 
Vous  passeriez. 


Si  vous  saviez  que  je  vous  aime, 
Surtout  si  vous  saviez  comment, 
Vous  entreriez  peut-ôtre  même 
Tout  simplement. 


Jamais  de  ces  cris  de  souffrance  aiguë  ou  d'extase  débordante  que  l'on 
rencontre  à  chaque  page  chez  Musset  :  tout  est  doux,  tempéré,  ouaté. 
En  est-ce  moins  émouvant?  Non  certes,  et  je  dirais  volontiers  que  ces 
plaintes  presque  silencieuses,  ces  confidences  discrètes  jusqu'en  les 
plus  familiers  épanchements,  vont  plus  profondément  à  l'âme  que 
les  exclamations  en  ce  sens  que,  pénétrant  plus  lentement  dans  le 
cœur,  elles  y  demeurent  plus  intimement  fixées. 

La  muse  de  Sully-Prudhomme,  sérieuse,  mélancolique,  incertaine 
dans  la  joie  comme  dans  la  douleur,  se  prêtait  mal  à  l'exaltation  de  la 
passion  :  elle  a  préféré  chanter,  dans  l'amour,  l'aurore  ou  le  crépuscule 
des  tendresses  : 

Savourons,  dans  ce  que  nous  disent 
Silencieusement  nos  pleurs, 
Les  tendresses  qui  divinisent 
Les  douleurs  ! 


Aimons  en  paix  :  il  fait  nuit  noire, 
La  lueur  blême  du  flambeau 
Expire...  Nous  pouvons  nous  croire 
Au  tombeau. 


60  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Laissons-nous  dans  les  mers  funèbres, 
i^omme  après  le  dernier  soupir, 
Abîmer,  et  par  les  ténèbres 
Assoupir... 


Les  choses  de  la  vie  ancienne 
Ont  fui  ma  mémoire  à  jamais  ; 
Mais  du  plus  loin  qu'il  me  souvienne, 
Je  t'aimais... 

Par  quel  bienfaiteur  fut  dressée 
Cette  couche,  et  par  quel  hymen 
Fut  pour  toujours  ta  main  laissée 
Dans  ma  main  ? 

Mais  qu'importe  !  0  mon  amoureuse, 
Dormons  dans  nos  légers  linceuls, 
Pour  Téternité  bienheureuse 
Enfin  seuls  ! 


—  Et,  tandis  que  s'endort  le  charme  berceur  de  ce  rendez-vous 
d'amour  sombre  plus  près  de  la  mort  que  de  la  vie,  je  songe  à  un  autre 
«  Rendez-vous  »  où  un  poète  parle  ainsi  : 

Alors,  amie,  avec  ton  regard  préféré 

Qui  se  charge  un  moment  de  bienveillants  reproches, 

Pour  me  mettre  les  bras  au  cou  tu  te  rapproches, 

Et  donnant  à  ta  voix  son  charme  captivant. 

Tu  me  railles  tout  bas,  et  tu  me  dis  :  «  Enfant  I 

Enfant  !  qui  se  permet  de  garder  ce  front  blême 

Et  ces  grands  yeux  remplis  de  chagrin,  quand  on  l'aime  ; 

Ces  poètes  ingrats  !  ils  sont  trop  adorés  ; 

Nous  les  reconnaissons  à  leurs  beaux  doigts  dorés 

D*avoir  saisi,  tremblants,  les  papiUons  du  rêve. 

..  Nous  les  aimons,  et  puis  après,  nous  les  aimons 
Encor,  parce  qu'eux  seuls  savent  parler  aux  femmes  >. 

C'est  François  Coppée,  le  poète  des  Intimités,  cette  idylle  fraîche- 
ment éclose  parmi  son  œuvre  hétérogène,  que  j'évoque  ici  en  regard 
de  Sully-Prudhomme  (tous  les  poèteè  ne  se  ressemblent-ils  pas  un  peu 
par  le  cœur  ?)  Un  peu  de  l'âme  des  vingt  ans  de  l'auteur  du  Passant  y 
palpite  avec  sa  tendresse  enlaçante,  enveloppante  comme  une  étreinte 
lente,  et  qui  berce  et  qui  caresse,  et  sa  sensibilité  d'enfant  exhalée  en 
plaintes  harmonieuses,  en  langueurs  craintives,  avec  cet  accent  triste 
et  heureux  à  la  fois  des  mélancoliques  dont  l'àme  est  troublée  par  trop 
de  joie  comme  par  la  tristesse. 


REVUE  DU  iNlVERNAIS.  61 

Ces  Intimités,  ce  sont  de  délicieux  petits  poèmes,  des  notes  d'amour 
d'une  simplicité  touchante  prises  sans  doute  au  jour  le  jour  pour 
épancher  le  trop  plein  du  cœur  :  on  y  sent  le  frisson  de  Tàme  qui 
aime,  la  chaleur  du  cœur  qui  bat. 

Des  sentiments  vécus  dans  les  sensations  ressenties  :  fronts  pen- 
chés, genoux  unis,  a  baisers  à  travers  la  voilette  »,  regards  bleus, 
€  odeurs  qui  seraient  blondes  »,  ce  n'est  que  cela.  Mais  quelle  péné- 
trante musique  des  vers  amoureux,  langoureux  !  A  l'entendre,  une 
douceur  lasse  se  fond  dans  l'âme...  et,  dans  un  décor  tiède  et  capi- 
tonné s'anime  la  vision  de  Taimée,  vision  blonde  et  vaporeuse  dont 
les  contours  vont  s'effaçant. 

Et  c'est  enfin,  soupirant  en  ces  poèmes,  la  détresse  des  amours  fugi- 
tives qui,  à  peine  épanouies,  s'assombrissent  dans  les  crépuscules 
moroses  où  les  feuilles  tombent,  où  les  rêves  meurent,  jusqu'à  ce  que 
le  poète,  le  cœur  encore  saignant  de  la  blessure  des  adieux,  se  retrouve 
seul,  un  peu  plus  triste  qu'auparavant,  triste  de  la  tristesse  des  joies 
enfuies,  sentant  son  âme  se  replier,  douloureusement. 


Seule  sans  doute,  parmi  celles  qui  passent,  l'épousée  sera  l'étemelle 
amie: 

Si  ta  ne  veux  toujours  et  vainement  soufljrir, 

Choisis  vite  une  blanche  épouse, 
Dont  la  fleur  pour  toi  seul  commence  de  s'ouvrir, 

De  son  vierge  parfum  jalouse, 

a  dit ^  Auguste  Dorchain.  Et  ces  quatre  vers  pourraient  servir  d'épi- 
graphe à  son  œuvre  lyrique  entière.  Si  l'on  devait  choisir,  entre  les 
poètes  contemporains  (la  mode  étant  aux  élections  littéraires),  un 
prince  des  poètes  de  l'amour,  l'élu  serait  sans  doute  Auguste  Dorchain, 
car  sa  poésie  est  toute  d'amour,  et,  de  ses  deux  recueils  de  poèmes, 
l'un  chante  la  souffrance,  l'autre  le  bonheur  d'aimer. 

(.4  suivre^  Fernand  RICHARD. 


62  REVUE  DD  NIVERNAIS. 

SONNET  IDYLLIQUE 

Pensives,  sMnclinaient  sar  les  sentes  fleuries 
Les  pâles  feuilles  des  romarins  gracieux  ; 
Et  Zéphyr  toujours  bleu  comme  Tazur  des  cieux 
Sur  elles  déposait  de  charmantes  féeries. 

Emerveillé,  l'oiseau  chantait  sa  cantilëne, 
Parmi  les  senteurs  acres  des  thyms.  —  Là  tous  deux. 
Enguirlandés  de  fleurs,  et  les  yeux  dans  les  yeux. 
Ils  s'en  allaient  s'asseoir  au  bord  d'une  fontaine. 

C'étaient  deux  fiancés.  Les  Grâces  les  paraient 
Du  diaphane  manteau  que  les  Ris  ombrageaient 
Du  parfum  délicat  de  tous  leurs  rêves  roses. 

Et  tandis  qu'à  Tombre  naissante  des  glaïeuls 
Ils  se  laissaient  bercer  au  bonheur  d'être  seuls. 
Amour  disait  pour  eux  de  rayonnantes  choses  I 

Joséphine  Bégâssat. 


RÉMINISCENCES  MORVANDELLES  (smu) 


LE  DOLMEN  DE  LA  FORÊT  DE  VERDUN  EN  MORVAN 
On  reproche  quelquefois  au  Morvan  le  peu  de  pittoresque  de  ses 
montagnes  arrondies,  l'aspect  trop  peu  accidenté  de  ses  vallons.  Quel 
que  soit  le  plus  ou  le  moins  de  valeur  de  ce  reproche  en  lui-même,  il 
serait  injuste  de  le  généraliser  :  sans  parler  de  plus  d'un  site  mouve- 
menté et  imprévu  de  la  vallée  d'Yonne,  la  forêt  de  Verdun  (Ftrorfuniim), 
au  nord  de  Frétoy,  à.  peu  prés  sur  la  limite  des  cantons  de  Château* 
Chinon  et  de  Montsauche,  ménage  au  touriste  de  véritables  surprises. 

L'archéologue  ne  trouve  pas  moins  à  glaner  dans  cette  contrée,  car 
il  est  visible  que  la  haute  colline  couverte  par  cette  forêt  a  été,  au 
moins  sur  les  points  insuffisamment  fortifiés  par  la  nature^  entourée, 
sur  près  d'un  kilomètre,  d'un  rempari  de  pierres  amoncelées,  et  a  dû 
servir  à*oppidum  celtique,  ou  même  préceltique,  ce  rempart  ayant 
encore  parfois  jusqu'à  cinq  ou  six  mètres  d'élévation.  Là  se  voyait 
encore,  il  y  a  un  certain  nombre  d'années,  un  hêtre  gigantesque  qu'on 
appelait  dans  la  contrée  le  Faou  (fagus)  de  Verdun  :  ce  géant  millé- 
naire témoignait  de  ce  qu'avaient  dû  être  ses  voisins  dans  les  anciens 
temps,  avant  les  coupes  modernes  utilisées  par  le  flottage,  et  dans  son 


REVUE  DU   NIVERNAIS.  63 

souvenir  se  retrouve  quelque  chose  de  l'antique  vénération  druidique 
pour  les  rochers,  les  arbres  et  les  fontaines. 

Le  culte  mégalithique  a  laissé  d'ailleurs  des  vestiges  de  ce  côté,  car 
c'est  à  Planchez-en-Morvan,  c'est-à-dire  dans  la  commune  qui  suit  Frétoy, 
sur  la  route  de  Montsauche,  en  pleine  forêt  de  la  Houssière,  que  les  rele- 
vés de  dolmens  indiquent  les  restes  d'un  monument  antique  de  ce  genre. 

Mais  la  forêt  de  Verdun  proprement  dite  ne  paraissait  renfermer 
aucune  trace  connue  de  ces  pierres  levées  et  les  cartes  archéologiques 
n'en  avaient  noté  aucune.  Aussi  était-ce  sans  préoccupations  archéo- 
logiques et  en  nous  consacrant  exclusivement  aux  beautés  naturelles 
du  paysage,  que  le  i6  juin  1881,  mes  excellents  amis,  M.  0.  D**%  alors 
sous-préfet,  et  M.  E.  de  R***,  à  cette  époque  receveur  particulier  des 
finances  de  l'arrondissement  de  Château-Chinon,  m'accompagnant, 
nous  suivions^  non  sans  difficultés,  à  travers  les  troncs  d'arbres,  les 
enchevêtrements  des  plantes  et  les  roches,  le  bord  du  ruisseau  dit  la 
Montagne  et  la  pente  du  ravin  peut-être  leplus  profond,  le  plus  curieux 
et  le  plus  sauvage  du  massif  morvandeau.  Â  cent  cinquante  mètres 
environ  de  l'angle  de  jonction  de  la  Montagne  avec  un  autre  ruisseau 
dit  la  Reinache^  qui  contourne  la  môme  forêt,  comme  je  tenais  la  tête  de 
la  petite  colonne  en  compagnie  de  notre  guide,  vieil  habitant  de  Frétoy, 
je  remarquai  un  entablement  de  pierre  qui  me  fit  immédiatement 
annoncer  un  dolmen  à  mes  sympathiques  compagnons  de  route.  Aus- 
sitôt on  fit  halte  et  on  procéda  tant  à  l'examen  qu'à  l'escalade  du  monu- 
ment primitif.  Prestement  débarrassé  de  la  couche  d'humus,  de  mousse 
et  de  plantes  qui  le  recouvrait,  il  fut  habilement  reproduit  sous  deux 
aspects  par  M.  0.  D***,  sur  Tenveloppe  d'une  lettre  à  défaut  d'album,  et 
j'ai  conservé  ces  croquis  parmi  les  souvenirs  de  mon  séjour  en  Morvan. 

Ce  monument  mégalithique  se  composait  d'une  table  de  pierre 
d'environ  3  mètres  de  longueur  sur  1  mètre  de  largeur;  la  longueur 
se  subdivisait  en  1  m.  80  à  2  mètres  de  surface  à  peu  près  plane,  plus 
1  m.  20  de  déclivité,  de  sorte  que  l'ensemble  de  la  superficie,  au  lieu 
d'être  complètement  carré,  s'en  allait  d'un  côté  en  pointe  ovale  proémi- 
nente. De  ce  même  côté,  se  trouvaient  deux  jambages  d'un  mètre 
environ  d'élévation  chacun.  Le  jambage  le  plus  près  du  ruisseau  était 
resté  intact  et  soutenait  encore  parfaitement  la  pierre  sacrée  ;  l'autre 
s'était  affaissé  dans  l'intérieur  du  dolmen.  Il  semblait  que  le  monument 
n'avait  pas  primitivement  l'aspect  d'une  simple  table  supportée  par 


64  REVUE  DU  NIVERNAIS 

quatre  piliers,  mais  devait  être  complètement  entouré  d'autres  quar- 
tiers de  rocs  entre  les  jambages,  de  manière  à  reposer  sur  une  assise 
à  peu  près  continue.  On  remarquait,  en  effet,  sous  Tentablement,  un 
espace  vide  dans  lequel  avaienl  roulé  des  blocs  qu'on  n'eût  pas  retirés 
sans  peine  en  1881,  et  qui  paraissaient  pouvoir  s'adapter  assez  exacte 
ment  aux  interstices  des  jambages,  comme  s'ils  avaient  subi  quelque  taille 
grossière.  Dans  cette  hypothèse,  la  table  aurait  été  comme  Textrémilé 
d'une  allée  couverte  dont  l'entrée  se  serait  trouvée  fermée  par  une 
pierre  mobile  entre  les  deux  premiers  jambages  du  côté  de  la  pointe 
dont  le  saillant  formait  comme  la  corniche  de  ce  vénérable  amoncelle- 
ment. Du  côté  opposé,  en  effet,  se  trouvait  une  sorte  d'éboulis  de 
roches  de  grosses  dimensions,  laissant  voir  des  interstices  et  des  vides 
accentués,  comme  si  ces  roches  avaient  été  à  l'origine  suspendues  par 
la  main  de  l'homme,  puis  bouleversées  et  fouillées  dans  les  âges  posté- 
rieurs, ou  comme  si  elles  s'étaient  écroulées  d'elles-mêmes  en  raison 
de  l'extrême  raideur  de  la  pente.  Cette  raideur  donnait  même  à  la 
table  un  aspect  légèrement  affaissé  dans  la  direction  du  cours  d'eau,  et 
avait  dû  être  la  cause  de  la  chute  du  jambage  supérieur.  La  pierre  ne 
semblait  point  être  un  vrai  granit,  mais  une  composition  qui,  fraîche- 
ment cassée,  avait  une  légère  teinte  rose  orangé. 

Tout  porte  à  croire,  si  réellement  ce  monument  est  de  main 
d'homme,  qu'au  fond  de  ce  ravin  ignoré,  au  murmure  du  torrent,  a  dû 
se  trouver  soit  une  allée  couverte,  soit  du  moins  une  sépulture  indivi- 
duelle ou  de  famille  qu'il  serait  utile,  mais  difficile,  de  pouvoir  creuser 
par  dessous  sans  amener  la  chute  de  l'entablement. 

Il  nous  a  paru  intéressant  de  raconter  l'histoire  de  cette  découverte, 
bien  qu'elle  remonte  à  vingt  ans  déjà,  et  que  nous  ignorions  si  ce 
monument  ne  s'est  pas  détérioré  davantage  depuis  4881.  Il  est  certain 
que,  dans  cette  gorge,  les  éboulis  de  roches  affectent  plus  d'une  fois 
des  formes  bizarres,  mais  il  nous  semble  cependant  que  nous  nous 
sommes  trouvés  en  présence  d'autre  chose  que  d'un  simple  jeu  de  la 
nature.  Mainte  pierre  morvandelle,  comme,  par  exemple,  celle  de  la 
Maison  du  Loup,  aux  flancs  de  l'oppidum  de  Château  Chinon,  est 
réputée  dolmen,  sans  avoir  des  titres  plus  marqués  ni  plus  décisifs  que 
celle  de  la  forêt  de  Verdun  à  cet  honneur  archéologique. 

Lucien  Jeny. 


Soudain  déchirant  l'air  et  traversant  Tespacc, 

D'où  viennent  ces  mules  accents? 
Cesl,  au  fond  de  la  plaine,  un  bataillon  qui  passe.. 


{Musettes  et  Clairons^  d'Achille  Millien). 


3» 


J 


06  REVUE  DU  NIVERNAIS. 


SOIR   DE  TOUSSAINT 

Les  orgues  ont  fini  les  motifs  triomphaux, 

Les  cloches  ont  pleuré  dans  les  brumes  premières, 

Et  voici  s*allumer  des  pâleurs  de  lumières 

En  rhonneur  de  la  Vieille  à  réternelle  faux. 

La  maîtresse  des  rois,  des  vierges,  des  Saphos, 
Celle  de  qui  palais,  cabanes  et  chaumières 
Connaissent  la  démarche  et  les  mains  coutumières 
De  tuerie,  et  la  bouche  où  sonne  un  rire  faux. 

Les  psaumes  en  mineur  se  traînent  sous  la  voûte. 
Comme  une  défaillance  émane,  qui  m'envoûte. 
Des  vieux  murs  où  persiste  une  senteur  d'encens. 

Et  la  bise  du  soir  qui  heurte  à  la  grand'porte. 
Triste  comme  un  regret,  comme  un  appel  d'absents. 
Frissonne  des  longs  cris  douloureux  qu'elle  apporte. 

Henri  Bâchelin. 


LE    PARNASSE  MODERNE 


POÈTES  NÉERLANDAIS  (Suite) 


FLAMANDS 


Jan  van  Beers 

(1821-1888) 

DANS  MA  TOMBE 

Dans  ma  tombe,  sous  la  poussière, 
Quand,  froid,  immobile,  sans  bruit. 
Entre  les  planches  de  ma  bière, 
Je  dormirai,  plongé  dans  l'étemelle  nuit  ; 

Lorsque  fleurs  et  bourgeons  en  fête 
Ecloront  au  soleil  d'avril  ; 
Que  dans  le  saule,  sur  ma  tête, 
Les  oiseaux  amoureux  feront  leur  gai  babil  ; 

Rien  de  ma  vie  évanouie, 
Rien  de  mon  être  d'autrefois, 
A  la  nature  épanouie 
N*aura-t-il  le  bonheur  de  s'unir  cette  fois  ? 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  67 

Et  tous  deux,  du  sommeil  suprême, 
Dans  le  silence  sépulcral 
Côte  à  côte  endormis,  de  même 
Que  jadis,  ô  ma  femme,  en  le  lit  nuptial, 

Quand  nos  enfants  sur  notre  tombe 
Apportant  de  nouvelles  fleurs, 
A  cette  heure  où  le  soleil  tombe, 
En  souvenir  de  nous  verseront  quelques  pleurs; 

Quand  ils  se  diront  à  Toreille, 
Tristes  :  «  Où  donc,  aux  jours  présents, 
Trouver  affection  pareille 
A  celle  qui  liait  nos  chers  morts,  là  gisants  ?  » 

En  nos  cœurs  froids  une  étincelle, 
Lumière  et  chaleur  d'un  moment. 
Se  ravivant,  ne  pourrat-elle 
Jaillir  de  l'un  à  l'autre  et  simultanément  ? 

Si  nos  petits-enfants,  naguère 
Auréole  de  nos  vieux  ans, 
En  s'éloignant  du  cimetière, 
A  leurs  parents  vont  dire,  à  demi-gémissants  : 

«  Ne  reviendra-t-il  plus,  grand-père, 
Avec  un  conte,  une  chanson  ? 
Ni  lui,  ni  la  bonne  grand'mère 
Qui  nous  donnait  bonbons  et  jouets  à  foison  ?  » 

Surgissant  des  ombres  profondes, 
Rien  de  nous  n'ira-t-il  poser 
Sur  ces  tètes  brunes  et  blondes 
Encore  un  invisible  et  suprême  baiser  ? 


LE  PETIT  FRÈRE 

Ils  disent  tous  qu'au  ciel  aujourd'hui  tu  résides 
Dans  une  maison  faite  en  diamant,  maison 
Aux  portes  d'or,  avec  des  parterres  splendides 
Et  des  fleurs  de  sucre  à  foison. 

Dans  un  char  étoile,  sur  la  route  céleste, 
I^s  anges  de  là-haut  s'en  vont  le  promenant 
Tout  autour  du  soleil  ;  le  petit  Jésus  reste 
A  côté  de  toi  maintenant. 

Ils  disent  que  toi-même  es  un  ange  qui  voles, 
Ailé  de  blanc,  plus  blanc  que  la  neige  ici-bas... 
Moi,  je  crois  bien  que  ceux  qui  disent  ces  paroles 
Ne  disent  pas  vrai,  n'est-ce  pas? 

Si  tu  savais  voler,  n'est-ce  pas,  sur  la  terre 
Au  lieu  de  me  laisser  dans  mon  isolement. 
Pour  me  voir,  à  travers  les  nuages,  mon  frère, 
Tu  viendrais  bien  rapidement  ! 


68  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Dernièrement  encor,  à  la  nouvelle  année, 
Quand  je  reçus  tant  de  bonbons  et  maint  jouet. 
Dont  je  laissais  ma  main  distraite  et  détournée, 
Seul  en  mon  coin,  seul  et  muet, 

Oui,  si  tu  l'avais  pu,  t'envoler,  tout  de  suite. 
Un,  deux,  trois...  d'un  grand  bond  t'enfuyant  sans  retard, 
Tu  serais  accouru,  j'en  suis  certain,  bien  vite, 
Pour  en  venir  prendre  ta  part. 

Tu  le  sais  :  le  meilleur  bonbon,  celui  que  j'aime, 
Si  nous  ne  partageons  tous  deux,  me  flatte  peu. 
Et  quel  jouet  m'amuse  ou  me  plaît,  si  toi-même, 
Petit  frère,  n'es  pas  du  jeu? 

Frère,  mon  petit  frère,  ô  mon  cher  petit  frère. 
Pourquoi  m'abandonner  ?  Pourquoi  m'as-tu  quitté  ? 
Pourquoi  m'as-tu  laissé  toujours  seul  sur  la  terre, 
Toujours  seul,  toujours  attristé? 

Dans  notre  petit  lit  où  nous  couchions  ensemble. 
Chaudement,  mollement,  tu  dormais  avec  moi  ; 
Il  est  froid  maintenant  comme  glace,  il  me  semble. 
Ce  lit  où  je  rêve  de  toi. 

Oh  !  reviens,  mon  petit  frère!  vas-tu  m'entendre? 
Ou  s'il  t'est  défendu  de  revenir  ici. 
Dis  au  petit  Jésus  qu'il  te  laisse  me  prendre 
Pour  m'en  aller  au  ciel  aussi  ! 

Traduction  de  ACHlLLE  MlLLlEN. 


LE  TABELLION  AMOUREUX 

(Suite.) 

La  nuit  est  venue,  sombre,  estompant  toutes  choses,  leur  donnant 
des  airs  fantastiques. 

Des  abois  lointains  s'entendent  ;  des  cris  joyeux  d'enfants  se  répan- 
dent. Une  charrette  qui  se  perd  dans  la  distance,  envoie  quelque 
temps  aux  échos  le  bruit  de  ses  cahots  et  le  grincement  des  essieux. 
Des  fumées  légères  s'élèvent  en  volutes  de  toutes  les  cheminées  ;  des 
lumières  se  piquent  çà  et  là.  Dans  le  majestueux  «ilence  de  la  nuit 
survenant,  la  vie  familiale,  un  moment  dispersée,  se  ramasse  dans  son 
intimité  et  dans  los  joies  paisiblas  du  foyer. 

Comme  il  faîL  bon  marcher  a  celle  heure  I  II  vous  semble  nager 
dans  un  bain  d'air.  Les  lierbes  grillées,  les  fleurs  ataiiguies,  la  terre 
chaude  exhalent  un  parfum  cxqiits;  une  lièvre  de  langueur  embaunie 
par  souffles  pénétrants.  L1vn\sse  du  caînic,  du  calme  pieux  de  la 
campagne  qui  s'endort^  vous  exalte  d'un  isenliment  de  force  neuve  d 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  69 

rajeunie.  Vous  sentez  un  immense  bien-être,  une  délicieuse  rêverie 
vous  envaliir  et  vous  ne  souhaitez  nullement  rompre  ce  silence  plein 
de  charme  et  de  douceur. 

Cependant,  Ton  entend  encore  de  toute  part  palpiter  la  vie.  Des 
frémissements  courent  dans  le  feuillage  et  Tagitent  d'un  petit  frisson 
de  mystère.  Des  bourdonnements  d'ailes,  des  susurrements  métalli- 
ques partent  des  herbes  qui  semblent  peuplées  de  petites  voix 
sourdes,  confuses,  de  rires  étouffés 

—  Comme  cela,  chérie,  dit  H°*e  Darbourse,  tu  ne  m'accompagnes  pas 
au  parc?...  Tu  ne  viens  pas  respirer  Pair  pur  et  bienfaisant  du  soir, 
embaumé  des  exhalaisons  qui  s'échappent  du  sein  de  la  terre  encore 
chaude...  Alors,  prête-moi  ta  mante,  car  la  fraîcheur  tombe  déjà. 

—  Tenez,  grand'mère,  voilà  qui  vous  fait  ressembler  à  votre  petite 
fille,  dit  Angèle  en  lui  jetant  avec  sollicitude  son  plaid  multicolore 
sur  les  épaules... 

Et  la  grand'raère  s'en  va  à  pas  lents,  à  travers  les  allées  ombreuses, 
riantes  de  fleurs  et  de  bourgeons. 

Les  arbres  du  parc  se  massent  en  noir  sur  le  ciel  bleu  sombre... 

Alors  un  hideux  crapaud,  tapi  à  Torifice  de  son  trou,  jette  timide- 
ment son  appel  de  mélancolie  ;  aussitôt  un  autre  y  répond,  puis  un 
troisième...  Mais  copme  effrayés  d'avoir  troublé  le  vespéral  silence, 
ils  se  taisent  un  instant.  De  nouveau  ils  s'enhardissent,  recommen- 
cent*  Cette  fois,  ils  enflent  le  son  et  les  notes  de  leur  berceuse  chanson 
tombent  une  à  une,  plaintivement  rythmées.  Amollissante  sonnerie 
cristalline  qui  éveille  le  contemplatif  dormant  en  chacun  de  nous  !... 

0  printemps!  Printemps  de  jeunesse  !!  Printemps  d'amour  !!! 

De  doux  souvenirs  reviennent  à  la  mémoire  de  l'aïeule  et  son  cœur 
bat  délicieusement.  Elle  se  revoit  jeune,  heureuse,  choyée,  admirée  de 
tous!... 

Soudain,  elle  tressaille...  Une  ombre  noire  se  dresse  devant  elle! 

Avant  qu'elle  ait  jeté  son  cri  d'effroi  : 

—  N'appelez  pas,  mademoiselle,  je  suis  M*  Balugeon. 

—  Vous,  dans  notre  parc  à  cette  heure  ?  dit  M"»®  Darbourse  surprise 
et  abasourdie. 

—  Je  suis  venu  en  l'espoir  de  vous  entrevoir...  J'ai. . .  à  vous  parler, 
à  vous  seule,  mademoiselle. 

—  Pauvre  fou  !  songe  l'aïeule  indécise.  Il  me  prend  pour  elle. 


70  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Puis  après  réflexion,  mentalement  : 

—  Pourquoi  pas?...  II  fait  si  noir,  en  restant  à  l'ombre  des  mas- 
sifs, il  ne  me  reconnaîtra  pas.  D'ailleurs,  vous  méritez  une  leçon, 
monsieur  l'audacieux  ;  je  vous  la  donnerai.  Angèle,  ce  sera  moi.  Voilà 
ce  que  c'est  que  de  vouloir  jouer  au  plus  fin  avec  les  vieux.  Avis,  mes 
beaux  tourtereaux  1 

— •  Qu'avez-vous  donc  de  si  mystérieux  à  me  confier,  répond-elle 
tout  haut,  en  contrefaisant  sa  voix. 

—  Fou,  n'est-ce  pas  ?  qui  poursuit  un  désir  irréalisable,  qui,  par 
son  imprudence,  va  de  lui-même  au-devant  de  l'anéantissement  de 
ses  espérances  ? 

—  Où  voulez-vous  en  venir?...  Je  ne  comprends  pas! 

—  Eh  bien,  mademoiselle  Angèle,  ce  fou,  c'est  moi  I  Ha  conduite, 
je  le  sais,  est  ridicule,  absurde;  mais  je  suis  si  malheureux!...  Je 
joue  mon  dernier  espoir.  Si,  comme  je  ne  le  crains  que  trop,  hélas  I 
il  est  trompé,  je  disparaîtrai  pour  toujours. 

—  Comment  ?  Vous  quitteriez  le  pays  ? 

—  Je  ne  saurais  assister  impassible  à  la  ruine  de  mes  rêves.  Dieu 
sait  si  je  suis  romanesque  ;  mais  à  vingt-cinq  ans  Ton  rêve  malgré 
tout,  et  la  vie  est  là,  brutale,  qui  se  déroule  en  opposition  avec  eux. 

—  Pauvre...  soupire  presqu'involontairement  jl™«  Darbourse,  émue 
par  la  profonde  tristesse  qui  perce  dans  la  voix  étranglée  du  notaire. 

Encouragé  par  cette  douce  compassion  à  son  infortune,  il  poursuit  : 

—  Hélas!  Je  croyais  toujours  que  vous...  Non!  Je  ne  peux  vous 
avouer  franchement  la  cause  de  ma  présence  en  ce  lieu. 

—  Achevez.  Je  suis  curieuse  et  voilà,  vilain  que  vous  êtes,  que  vous 
vous  amusez  à  exciter  ma  curiosité,  dit-elle  avec  une  adorable  expres- 
sion de  prière  dans  la  voix. 

—  Je  crains...  il  ne  sied  pas  que...  vous  m'en  voudriez  si... 

—  Alors  vous  manquez  de  confiance  en  moi  ? 

—  Par  exemple T  Seulement,  je  n'aurais  déjà  pas  dû  venir  vous  sur- 
prendre en  ce  lieu.  Mais  j'ai  agi  inconsciemment,  poussé  comme  par 
une  main  invisible...  Puis  si  je  vous  confiais  mon  secret,  vous  me 
chasseriez. 

—  Vous?  Non  !  —  Je  veux  savoir...  Ce  ne  sera  pas  votre  faute. 

—  Vous  voulez  que  je  me  confesse?  Voici.  J'espérais  que  vous  pren- 
driez pitié  de  mon  extrême  tcndresKc  ;  que  vous  m'accorderiez  un  peu 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  71 

d'affection  en  retour  de  mon  ardent  amour.  Mais  c'est  fini  ;  ce  n'était 
qu'une  illusion  de  plus  de  ma  part.  Depuis  quelques  jours  vous  affectez 
de  ne  point  me  voir,  de  ne  point  me  regarder,  et  sans  cesse  vous  causez 
et  riez  avec  les  fats  adorateurs  qui  vous  courtisent. 

—  N'en  ai-je  pas  le  droit?  répond  la  grand'mère,  réprimant  un  sou- 
rire plein  d'une  indulgente  compassion,  mais  un  tantinet  ironique. 

—  Si,  si,  dit-il  avec  amertume.  Vous  les  avez  tous,  même  celui  de 
me  désespérer. 

—  Oh  I...  méchant  ! 

—  Pardonnez-moi  ;  je  ne  sais  ce  que  je  dis.  Ayez  pitié  de  ma  folie 
et  de  ma  souffrance.  Je  sais  combien  vous  êtes  bonne,  Angèle,  et  c'est 
une  des  causes  pour  lesquelles  je  vous  aime  tant.  Car  je  vous  aime, 
non  parce  que  vous  êtes  belle,  riche,  mais  parce  que  vous  êtes  compa- 
tissante, charitable  ;  parce  que  nos  croyances  sont  les  mêmes,  nos 
aspirations  identiques  ;  parce  que,  enfin,  je  trouve  en  moi  assez  de 
tendresse  et  d'amour  pour  vous  procurer  le  plus  grand  bonheur  de  ce 
monde,  le  seul  réel  :  la  paix  dans  une  profonde  et  inaltérable  affection. 
Sous  l'habit  de  n'importe  quel  beau  parleur,  de  n'importe  lequel  de 
vos  adorateurs,  il  ne  battra  jamais,  oh  I  non  jamais,  un  cœur  plus 
épris  et  plus  dévoué  que  le  mien. 

Comme  le  héros  du  poète,  je  ne  puis  que  m'écrier  —  tant  ces  paroles 
sont  l'expression  exacte  de  mon  état  d'âme  : 


Je  t'aime,  je  suis  fou,  je  n*en  peux  plus,  c'est  trop  ; 
Ton  nom  est  dans  mon  cœur  comme  dans  un  grelot, 
Et  comme  tout  le  temps,  Angèle,  je  frissonne, 
Tout  le  temps  le  grelot  s'agite  et  le  nom  sonne  t... 


Il  lui  a  pris  la  main.  Elle  le  laisse  faire,  émue  par  cette  voix  qui 
tremble,  par  toute  cette  tendresse  qu'elle  sent  si  vraie.  Fiévreusement 
il  la  serre,  cette  main,  et  son  cœur  bat  à  se  rompre  dans  sa  poitrine. 

Comme  elle  cherche  à  se  dégager,  craignant  d'être  reconnue  : 

—  Qu'est-ce  donc?...  Qui  pouvez-vous  craindre?...  Serait-ce  votre 
grand'mère?...  Un  peu  coquette,  il  est  vrai,  M»*  Darbourse,  mais  si 
bonne  par  contre  et  si  indulgente  1...  Et  puis,  ^lle  ne  voit  que  par  vos 
yeux  I  Souffrez  que  je  jouisse  un  peu  de  votre  présence.  Je  suis  si  mal- 
heureux quand  je  ne  vous  vois. 

Et  énervé  par  l'obscurité,  grisé  par  les  parfums  qui  s'exhalent  à 


72  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

cette  heure  de  la  terre  refroidie^  acres,  voluptueux,   enivrants,  il 
poursuit  : 

—  Oh  I  mais  vraiment,  ce  aoir,  c'est  trop  beau,  trop  doax. 
Je  vous  dis  cela,  vous  m*écoutez,  moi,  vous  I 
C*est  trop  I  Dans  mon  espoir  même  le  moins  modeste 
Je  n'ai  jamais  espéré  tant  !... 

Je  voudrais  trouver  de  jolies  choses  à  vous  dire.  Je  ne  puis.  Laisser 
parler  mon  cœur  ?  Mais  j'ai  peur  de  vous  effaroucher.  Pourtant  qu'y 
a  t-il  de  plus  suave,  de  plus  exquis  que  Tamour,  Tamour  pur  et  chaste 
de  deux  jeunes  cœurs  qui  s'aiment,  se  veulent  et  se  le  disent?  Ah  !  que 
ce  doit  être  bon  !...  Et  c'est  de  cet  amour  que  je  me  sens  la  force  de  vous 
aimer...  Votre  présence,  votre  douce  voix,  votre  bonté  et  aussi  vos 
charmes  ont  fait  éclore  en  moi  tous  les  besoins  de  tendresse  que  je 
portais  cachés  au  fond  de  mon  âme. 

—  En  un  mot,  je  suis  une  fée,  sourit-elle. 

—  Vous  êtes  ma  fée...  que  je  veux  croire  bienfaisante  parce  qu'elle 
me  donnera  la  meilleure  des  joies.  Il  est  si  charmant  et  si  doux  de 
s'entr'aimer,  n'esl-ce-pas  ? 

—  Oui,  susurre  l'aïeule  rêveuse,  chez  qui  cette  dernière  phrase 
réveille  sans  doute  de  lointains  mais  divinement  délicieux  souvenirs. 

A  cet  aveu  plutôt  deviné  qu'entendu,  un  désir  fou  passe  dans  son 
cerveau,  le  fait  frémir.  Ne  raisonnant  plus,  il  attire  à  lui  M™«  Dar- 
bourse  surprise  et  applique  sur  ses  lèvres  tremblantes  un  baiser 
d'amant,  un  de  ces  longs  et  passionnés  baisers  qui  vous  pénétrent 
jusqu'au  fond  de  Tâme. 

—  Pardonnez-moi  I...  Je  vous  aime  tant!  murmure-til,  et  il 
s'enfuit. 

L'aïeule ,  saisie ,  pour  ainsi  dire  paralysée  par  tant  d*audace,  le 
regarde  s'éloigner.  Ses  lèvres  se  fleurissent  d'un  sourire  où  vibre 
l'expression  d'une  superbe  et  indulgente  ironie  : 

—  Pauvre  fou  !...  Comme  il  l'aime  !.. 


Deux  jours  après  cette  mémorable  soirée,  objet  de  combien  de  rêves 
délicieux  élaborés  dans  le  silence  de  la  principale  étude  de  notaire  de 
Decize  ! 

H^^  Balugeon  et  son  fils  finissent  de  déjeuner  chez  U'^*  Darbourse. 
Les  mères  prévenantes ,  sous  un  prétexte  futile,  laissent  les  jeunes 


REVUE  DU  NIYERNAI  73 

gens  se  promener  seuls  dans  le  jardin  ;  mais  elles  les  surveillent  du 
coindeToeil. 

M*  Balugeon,  ivre  de  bonheur,  contient  mal  son  émotion.  M^i'  Angèle 
est  elle-même  très  troublée.  Une  sorte  d'attente  angoissée  et  poignante 
la  paralyse,  l'immobilise  là,  près  de  cet  homme  à  la  figure  rayon- 
nante, au  regard  ardent.  Une  légère  rougeur  colore  délicieusement 
ses  joues.  Coquettement  peignés  sont  ses  beaux  cheveux  noirs  aux 
reflets  violets,  abondants  et  frisottant  en  mèches  folâtres  sur  son  front 
droit  et  uni.  L'ombre  des  arbres  qui  bordent  les  allées,  coupée  de 
clartés  vertes  par  les  rayons  discrets  du  soleil,  répand  sur  son  mutin 
visage  une  teinte  vaporeuse.  Elle  est  charmante  et  fraîche  comme  une 
rose. 

Notre  tabellion,  silencieusement,  lui  a  pris  la  main.  Il  éprouve  une 
sensation  indicible,  une  émotion  toute  nouvelle,  étrange,  comme  si 
son  âme,  détachée  soudain  de  son  enveloppe  matérielle,  planait  dans 
les  sphères  azurées,  bien  haut,  dans  la  nue,  bercée  par  des  chants 
divins. 

Jamais  de  sa  vie,  il  n'a  rien  ressenti  de  comparable  à  ce  voluptueux 
émoi.  Aussi  craint-il  de  rompre  le  charme  ;  il  reste  muet,  n'osant 
faire  un  mouvement.  Ses  paupières  mi-closes  laissent  filtrer  un  doux 
regard  qui  semble  vouloir  s'arrêter  sur  les  prunelles  bleues,  profondes 
à  en  donner  le  vertige,  de  la  jeune  fille,  scruter  son  cœur  et  sonder  sa 
pensée. 

—  Oh  !  combien  je  vous  suis  reconnaissant,  dit-il  tout  à  coup,  avec 
un  profond  soupir,  comme  s'arrachant  à  regret  à  sa  muette  rêverie. 
J'étais  désespéré.  Je  ne  sais  ce  que  je  serais  devenu,  ce  que  j'aurais 
pu  faire,  si  vous  n'aviez  pas  exaucé  mes  prières  ? 

—  Que  dites-vous  donc  ?  Je  ne  comprends  pas  ! 

—  Vous  ne  comprenez  pas?...  Mais  si!  Seulement  vous  voulez  me 
taquiner,  dit-il,  tandis  que  ses  yeux  se  fixent  sur  elle  avec  la  tristesse 
d'un  reproche. 

—  Moi?  Je  vous  assure  que  non  I 

—  Comment  !  Vous  ne  vous  souvenez  pas  de  notre  rencontre  dans 
le  parc  ? 

—  Vous  l'avez  rêvé.  La  dernière  fois  que  je  vous  ai  vu,  c'est  à  la 
soirée  des  Delance.  Je  ne  saisis  pas... 

—  Jamais  vous  ne  me  donnerez  le  change.  J'ai  bien  reconnu  votre 


74  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

manteau  écossais,  votre  main  que  j'ai  pressée  et  aussi  votre  douce 
voix,  si  mélodieuse,  quand  vous  me  permîtes  de  vous  avouer  mon 
amour.  Oli  I  comme  c'était  délicieux  !... 

—  Mon  Dieu  !  balbutie  la  jeune  fille,  pâle. 

—  Qu'avez-vous  ? 

—  Rien,  je  vous  asiure. 

—  Vous  souffrez  et  vous  ne  voulez  pas  en  convenir  ? 

—  Pas  le  moins  du  monde,  réplique-t-elle.  Seulement,  je  pense  i 
ce  que  vous  venez  de  raconter.  Non  !  Non  !  Ce  n'était  pas  moi  ! 

-—  Mais  qui  serait-ce?...  Madame  Darbourse,  peut-être  I  ajoute-t-il 
avec  un  léger  sourire  ironique. 

—  Eh  !  oui,  monsieur,  c'était  moi,  répond  une  voix  railleuse. 
Derrière  eux,  M™<»  Darbourse  elle-même  vient  de  paraître,  la  figure 

rayonnante  de  joie  malicieuse. 

—  Oh  1  madame  !...  et  M«  Balugeon  se  jette  à  ses  genoux. 

—  Que  voulez-vous  ?  poursuit  l'aïeule.  Je  suis  un  peu  coquette,  — 
le  défaut  des  vieilles  gens.  Aussi  avais-je  mis  le  plaid  de  ma  petile- 
fille.  Ce  fut  la  cause  de  votre  étrange  méprise. 

Une  douairière  coquette,  je  l'avoue,  c'est  ridicule  ;  mais  bien  plus 
ridicule  encore  est  le  jeune  homme  qui  soupire  à  fendre  l'âme  à  ses 
pieds. 

Allons,  relevez- vous,  mon  cher  maître.  Je  consens  à  me  montrer 
bonne  princesse  :  il  est  toujours  permis  de  tendre  la  main  pour  relever 
un  homme  â  genoux.  D'ailleurs  vous  savez  bien  que  je  n'ai  d'autre 
volonté  que  celle  de  ma  petite-fille.  A  elle  donc  à  prononcer... 

Seulement,  méfiez- vous  dorénavant  des  vieilles  grand'mères  !... 

Ja 

Septembre-octobre  190t. 


COUP   D'ŒIL    RETROSPECTIF 

SUR    LA  PLUS   RÉCENTE   DE   NOS    RÉVOLUTIONS 

En  France  où,  plus  que  dans  tout  autre  pays,  il  y  a  nombre  de 
mécontents  grondant  contre  le  pouvoir  et  ennemis  du  gouvernement 
établi,  quelques  réflexions  sur  une  révolution  sont  toujours  à  Tordis 
du  jour.  La  plus  récente  est  celle  du  4  septembre  et  elle  s'est  accora- 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  75 

plie  en  apparence  si  doucement  qu'on  en  est  venu  presque  à  lui  contes- 
ter ce  nom  de  révolution. 

J.  Favre  entraîne  à  l'Hôtel  de  Ville  la  foule  qui  a  envahi  le  Corps 
législatif.  Un  gouvernement  s'improvise  ayant  pour  objet  unique  la 
défense  nationale.  Il  est  acclamé.  Les  représentants  du  gouvernement 
impérial  disparaissent.  Le  Corps  législatif  défend  à  peine,  par  les 
représentations  d'un  de  ses  membres,  son  autorité  compromise  par  les 
désastres.  Du  Sénat  il  n'est  même  pas  question. 

La  présidence  du  nouveau  gouvernement  donnée  au  général  Trochu 
entraine  l'armée.  Aucune  protestation,  pour  ainsi  dire,  ne  s'élève. 

Mais  on  est  en  présence  de  l'ennemi,  et  le  changement  de  régime, 
accompli  dans  des  conditions,  on  oserait  presque  dire  si  paisibles, 
aura  à  bref  délai  de  redoutables  conséquences. 

Un  chef  d'armée  dévoué  au  régime  déchu,  ennemi  de  ces  nouveaux 
gouvernants  qui  viennent  de  s'installer  d'eux-mêmes  au  pouvoir,  de 
ces  hommes  qui,  par  tous  les  arguments,  ont  combattu  l'Empire 
auquel  il  doit  sa  fortune,  reste  étranger  à  l'entraînement  qui,  à  Paris, 
a  substitué  en  quelques  heures,  sans  qu'une  goutte  de  sang  ait  été 
versée,  la  République  au  régime  issu  du  coup  d'Etat.  Il  limite  son 
action  à  quelques  combats  sans  importance.  Il  capitule  deux  mois 
après  sans  avoir  donné  (un  conseil  de  guerre  en  a  jugé  ainsi)  tout 
Teffort  dont  il  était  capable. 

Le  gouvernement  nouveau  est  enfermé  dans  Paris  assiégé.  La  situa- 
tion, lisez  J.  Favre,  lisez  Trochu,  est  bientôt  celle  des  martyrs.  Leur 
autorité  est  limitée,  ils  la  sentent  eux-mêmes  contestable. 

Il  faut  marcher  quand  même  et  se  défendre  contre  l'ennemi  du 
dehors  et  ce  qui  est  plus  dur  contre  celui  du  dedans.  Les  journaux,  les 
clubs  tonnent  contre  ce  gouvernement  de  rencontre,  trois  émeutes  se 
produisent  au  cours  du  siège,  les  5  et  31  octobre,  le  22  janvier,  et 
suprême  injure  dans  cette  journée  du  3!  octobre,  les  membres  du 
gouvernement  de  la  défense  nationale,  assiégés  eux-mêmes  dans  la 
capitale  assiégée,  entendent  les  coryphées  de  l'opposition  devenus  les 
chefs  de  l'émeute  proclamer  leurs  propres  noms  pour  Tinslallation 
d'un  gouvernement  qu'ils  prétendent  substituer  à  celui  qu'ils  jugent 
incapable  et  qu'ils  considèrent  comme  composé  de  traîtres.  Un  des 
leurs,  mort  récemment,  les  a  jugés.  Lissagaray,  dans  son  livre  sur  la 
Commune,  a  condamné  lui-même  comme  incapables  tous  les  partiel- 


78  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

11 

LE  CUVIER  DE  MATHUSALEM 

A  répoque  de  Mathieusalé,  les  hommes  n'ignoraient  pas  le  nombfe 
(i*années  qu'ils  avaient  à  passer  sur  la  terre.  Lui,  Ma.hieasalé,  savait 
qu'il  devait  vivre  neuf  cents  ans.  Il  se  dit  :  t  Pour  si  peu,  il  est  inutile 
de  bâtir  une  maison  :».  Et  il  se  contentait  du  toit  de  verdure  des  grands 
arbres.  Mais  le  bon  Dieu,  pour  l'obliger  à  s'édifier  un  abri  plus  sérieni, 
fit  tomber  une  pluie  battante.  Mathieusalé  construisit  un  vaste  cuvier 
et  s'y  réfugia,  le  tournant  du  côté  d'où  le  vent  amenait  la  pluie.  Dieu 
fit  souffler  les  quatre  vents  à  la  fois  :  Mathieusalé  renversa  son  cuvier 
à  bùucheton  et  ne  souffrit  pas  de  la  pluie.  Alors  Dieu,  voyant  que  la 
connaissance  qu'il  avait  donnée  aux  hommes  ne  favorisait  que  lear 
paresse  et  leur  apathie,  cessa  dès  ce  moment  de  leur  révéler  la  durée 
du  temps  qu'ils  avaient  à  vivre. 

(Cmtépar  JACQUES  Hagnand,  né  à  Murlin  en  181  S), 

III 
SAINT  JEAN  ET  LE  TONNERRE 

Saint  Jean,  voulant  savoir  ce  que  c'est  que  le  tonnerre,  pria  le  bon 
Dieu  de  le  lui  montrer.  Dieu  refusa  d'abord,  mais  saint  Jean  insista: 
«  Non,  dit  le  bon  Dieu,  le  tonnerre  est  si  terrible  que  tu  te  repentirais 
de  l'avoir  vu.  » 

Comme  saint  Jean  revenait  à  la  charge,  Dieu  finit  par  consentir.  Au 
moment  où  il  envisageait  le  tonnerre,  l'apôtre  fut  ébloui  et  jeté  à  bas: 
ce  fut  l'origine  du  mal  caduc  ou  mal  de  saint  Jean,  dû  à  la  dangereuse 
curiosité  de  l'apôtre. 

{Conté  par  MARIE  Briffault,  à  MonUgny^ux-Amognes), 

Achille  Miluen. 


LIVRES  ET  PÉRIODIQUES 


Louis  de  Courmont  :  En  Mo)*van,  Nevers,  imp.  de  la  Tribune,  31,  avenue  de  la 
Gare  ;  2  fr.  50,  vol.  in-12. 

Par  les  soins  pieux  de  la  veuve  du  poète,  une  quarantaine  de  pièces,  extraites  pour 
la  plupart  du  volume  :  Feuilles  au  Vent  bien  connu  chez  nous,  quelques-unes  inédites 
ou  publiées  dans  cette  Revue  du  Nivernais,  sont  réunies  en  ce  gracieux  recueil  de 
228  pages.  Et  nous  avons  ainsi  le  plaisir  de  posséder  les  poésies  consacrées  particu- 
lièrement au  Morvan  par  Louis  de  Courmont,  dont  le  talent  a  en  même  temps  quelque 
chose  de  la  douceur  des  vallées  du  pays  natal,  et  de  la  robuste  âpreté  de  ses  monta- 
gnes. Il  y  a  là  une  heureuse  diversité  qui  nous  offre,  à  côté  de  rudes  et  puissants  récits 
comme  :  la  Main  de  sang,  la  Mort  du  cerf  y  etc.,  des  tableaux  familiers  tels  que  :  la 
Maison  de  mon  ami  Jacques,  la  Noce  morvandelle  ;  des  croquis  de  genre  :  Pinouche, 
le  Bot-Gambi  ;  des  descriptions  d'un  relief  bien  accusé  :  le  Flottage,  la  Neige;  et 
enfin  des  pièces  d'un  pur  et  délicat  sentiment,  parmi  lesquelles  :  le  Nuage  rose, 
Rose  d'hiver,  les  grands  Hois^  le  Sentier,  Derniers  vestiges,  etc.,  que  nous  voudrions 
entendre  sur  toutes  les  lèvres,  dans  notre  pays  si  cher  à  L  de  Courmont  qui  a  voulu 
venir  s'y  endormir  du  dernier  sommeil.  Comme  il  l'aimait  ce  Morvan  I  Comrame  il 
se  complaisait  devant  ses  «  Horizons  »  : 

0  mes  horizons  enchantés 
Par  la  foudre  et  l'éclair  chantés 

Pendant  l'orage, 
Qui  du  nord  au  sud  chevauchant, 
Flottent  du  levant  au  couchant, 

Dans  un  mirage  I 

Selon  le  jour,  l'heure,  et  le  temps, 
Ils  prennent  des  tons  éclatants, 

Parfois  des  teintes 
Fulgurantes,  d*or  ébloui, 
Transparentes,  d'éther  bleui, 

De  mers  éteintes... 

Notre  poésie  nivemaise  a  perdu  beaucoup  avec  Louis  de  Courmont.  11  nous  reste 
ses  belles  pages  qui  méritent  d'être  popularisées,  en  dehors  du  cercFe  de  lettrés  qui 
depuis  longtemps  les  avaient  applaudies. 


Paul  Sébillol  :  Paganismes  champêtres,  Baugé,  imp.  Daloux,  in-i8. 
M.  Paul  Sèbillot,  passé  maître  en  la  science  folklorique,  dont  il  fut  un  des  premiers 
initiateurs,  a  publié  les  contes,  légendes,  traditions  de  la  Hautc-Bretugne,   nombre 
d'autres  travaux  d'un  grand  intérêt.  11  traduit  aujourd'hui  en  vers  d'une  élégante  sim- 
plicité, comme  il  convient,  divers  usages  et  croyances  populaires  transmis  chez  les 
Eaysans,  de  génération  en  génération,  depuis  des  siècles.  Fées,  lutins,  feux  follets, 
irfadets, 

Survivants  des  fables  antiques 
Ecloses  chez  nos  bons  aïeux 

voilà  les  héros  de  ces  jolies  pièces  de  vers  réunies  en  une  trop  mince  plaquette  : 
Madame  Fleur-de-Neige,  Les  Digitales,  La  Fée  Mérienne,  etc. 


80 


U    DU 


RNAIS. 


Nous  avons  en  la  satisfaction  de  trouver,  parmi  les  noms  des  lauréats  du  brillant 
Concours  Sévigné  ouvert  par  le  Gaulois,  ceux  de  plusieurs  de  nos  compatriotes  et  de 
nos  collaboratrices.  Nous  aurons  sans  doute  occasion  de  revenir  sur  ce  succès. 


Une  charmante  revue  littéraire  et  artistique,  qui  parait  sous  la  direction  d*un  poète 
distingué,  M.  Henri  Corbel,  Neullly -Revue ^  donne  dans  un  de  ses  derniers  numéros  une 
remarquable  étude  sur  notre  excellent  collaborateur  Alexandi-e  Piédagnel,  dont  nos 
lecteurs  ont  plusieurs  fois  apprécié  la  délicate  poésie. 


Les  Annales  politiques  et  littéraires  du  3  novembre  contiennent  un  élogieux  compte 
rendu  des  Bieyi  Aimées,  le  volume  de  poésies  de  M.  Lucien  Jeny,  témoignant  surtout 
leurs  préférences  pour  ses  poèmes  rustiques  et  familiers,  tels  que  Récit  berrichon, 
Quid  melius  f  Chemin  creux,  etc.  La  Revue  des  questions  héraldiques  du  25  sep- 
tembre, Paris,  8.  rue  Féron,  avait  déjà  consacré  quelques  Unies,  une  Notice  de 
M.  Lucien  Jeny  sur  le  comte  de  Maussabré,  historien  et  généalogiste  du  Berry. 


NOTES  ET  ÉCHOS 


,*.  Nos  compatriotes  :  M.  Jardé,  élève  de  TËcole  normale  supérieure,  est  nommé 
membre  de  l'Ecole  française  d'Athènes  pour  Tannée  1901-1902.  —  M.  Roblin,  avocat 
à  la  Cour  d'appel  de  Paris,  vient  de  passer  brillamment  son  examen  du  doctorat  en 
droit,  avec  félicitations  du  jury. 

/,  La  nission  scientifique,  oue  dirige  notre  compatriote  M.  le  comte  du  Bourg  de 
Bozas,  se  trouve  actuellement  dans  le  sud-est  du  Harrar.  L.  D. 

Le  Directeur-Gérantj  ACHILLE  MlLUEN. 


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LA  FÉE  DE  LA  <c  REVUE  DU  NIVERNAIS  j> 
A  MES  ABONNÉS 


De  itMeanz  de  Loire,  coiffée, 

Je  connais  les  airs  du  vieux  temps, 

Cependant,  je  n'ai  pas  sept  ans. 

Ne  cherchez  point...  ;  je  suis  la  Fée  I 

Avec  des  ailes  d*ambassade 
Depuis  mille  ans  par  vaux,  par  mont, 
Je  m'en  vais  rêver  à  Beaumont  ; 
En  Nivernais  je  me  ballade. 

Pour  déchiffrer  les  vieux  grimoires 
J'ouvre  les  castels  du  Morvan  ; 
Puis,  je  repars,  en  coup  de  vent, 
Pour  vous  en  conter  les  histoires. 

Pécodte  dans  les  cheminées 
Les  lais,  les  rondeaux,  les  Noêls  ; 
Ver»  moi,  les  joyeux  ménestrels 
Chantent  des  amours  fortunées. 

Prés  de  La  Ramée  M),  un  soir  sombre, 
réveille  un  affireux  Revenant 
Qui  fait  peur...,  le  frisson  vous  prend  ; 
Je  vais  oien  en  rire  avec  Tombre. 

Sur  la  vieille  place  Ducale, 
En  rond  avec  les  farfadets. 
Je  retrouve  de  beaux  ballets 
Devant  les  saints  de  Cathédrale. 


Sans  gue  le  Duc  ne  s'en  courrouce, 
Je  lutine  avec  son  lutin  ; 
Je  cherche  trace  du  lointain 
Dans  les  vieux  lierres  et  la  mousse. 

Par  la  vertu  de  ma  baguette, 
J'envoie  aux  belles  des  époux, 
Des  damoiseaux  fidèles,  doux  ; 
Aux  bergers,  une  bergerette. 

Pour  me  mettre  le  cœur  en  liesse 
Apprenez-moi  des  fabliaux  ; 
Allez  quérir  des  chalumeaux 
Pour  fêter  TEnfant  de  Promesse. 

Au  bal  de  la  «  Vieille-Montagne  » 
Venez  chanter  le  gui.  Tan  neuf: 
De  troubadours,  le  bois  est  veui 
Depuis  le  temps  de  Charlemagne. 

Ramenez  moi  les  coryphées 
Avec  les  flûtes  du  vieux  Pan  ; 
Que  ce  beau  jour  et  ce  bel  an, 
Vous  soient  un  beau  conte  de  fées  I 

Souhaitez-moi  beaucoup  d^années. 
Si  vous  voulez,  je  grandirai  : 
Il  me  faut...  je  le  confierai, 
Moult  Lecteur  et  moult  Abonnées. 

La  Fée. 

Pour  copie  conforme  : 

Fr.^ncoise  d'Husselles. 


(1;  Conte  populaire  du  Nivernais.  Revue  de  septembre  (A.  Millien). 


8â 


AEVUE  DU  NIVERNAIS. 


LE  NOËL  DE  NANETTE 


A  mon  ami  Léon  PeUet. 


I 


LLE  courait,  la  petite  Nanette,  dans  les 
rues  noires  de  son  quartier  populeux. 
Un  instant  elle  s'arrêta,  cherchant  sur 
la  petite  place  sombre  son  camarade 
habituel  avec  lequel  elle  jouait  c  au 
petit  mari  et  à  la  petite  femme  »  et  qui 
la  défendait  contre  les  brutalités  des 
gavroches.  Plusieurs  fois,  elle  appela 
«  Riri  D.  Ne  recevant  aucune  réponse, 
elle  eut  peur  d'arriver  trop  tard  et  reprit  sa  course. 

Elle  traversait  les  nappes  de  lumière  que  projetaient  les  devantures, 
éclairées  cette  nuit  de  Noël,  et  replongeait  dans  l'obscurité.  Puis  les 
espaces  noirs  diminuèrent,  les  boutiques  devinrent  plus  nombreuses 
et  plus  brillantes.  L'enfant  glissait  entre  les  passants,  essoufflée,  avec 
l'habileté  particulière  aux  enfants  de  Paris,  passant  du  trottoir  à  la 
chaussée  et  de  la  chaussée  au  trottoir  sans  souci  du  ruisseau. 

Nanette  allait  dans  la  a  belle  église  ».  Un  jour,  vagabondant,  elle 
était  entrée.  Sortant  du  brouhaha  du  marché,  elle  resta  toute  saisie 
du  silence  ouaté  de  l'intérieur.  Intimidée,  marchant  doucement,  pour 
éviter  de  faire  retentir  les  hautes  voûtes  et  d'être  mise  à  la  porte,  elle 
avait  erré,  délicieusement  remuée. 

Dans  le  fond  d'une  chapelle  une  statue  de  la  Vierge  en  robe  bleue 
et  or,  tenant  un  petit  Jésus,  lui  était  apparue,  mystérieuse,  simple, 
accueillante.  Des  cierges  brûlaient,  des  fleurs  fraîches  sentaient  bon. 
Leurs  parfums  mêlés  à  une  vague  odeur  d'encens  réveillèrent  chez 
l'enfant  des  sensations  si  délicieuses  qu'elle  s'agenouilla,  cherchant  les 
petites  prières  qu'autrefois  maman  lui  avait  apprises. 

Elle  ne  croyait  plus  (à  six  ans  !)  que  la  nuit  de  Noél  le  petit  Jésus 
descend  par  les  cheminées  pour  donner  des  jouets,  —  d'ailleurs,  elle 
ne  connaissait  pas  de  cheminée  amie,  —  mais  elle  savait  que  l'église 
est  illuminée  et  elle  voulait  revoir,  dans  toute  sa  gloire,  la  Vierge  et 
809  enfant. 


hEVUE  DU  NlVÊllNAlS.  83 

Soutenue  par  son  idée,  elle  courait  à  travers  Paris.  En  vain,  sur  les 
grands  boulevards,  ce  soir-là,  les  petites  baraques  étalaient  leurs  tré- 
sors, offraient  leurs  merveilles,  Nanette,  passait  indifférente.  Repre- 
nant haleine,  elle  jeta  un  coup  d'œil  à  une  magnifique  poupée,  mais 
passa  outre.  Elle  contournait  les  groupes  ou  les  traversait  ;  pourtant, 
elle  sentait  ses  jambes  s'amollir. 

Allons,  encore  un  effort,  la  belle  dame  est  si  jolie  dans  sa  chapelle 
toute  d'or,  les  fleurs  sentent  si  bon  dans  l'église  pleine  de  lumières 
et  peut-être  que  c  l'orgue  jouera  ». 

Enfin  !  enfin,  elle  est  arrivée,  marche  plus  lentement,  approche. 

Qu'est-ce  cette  longue  file  de  personnes?  Bon,  c'est  si  joli,  beau- 
coup veulent  voir,  veulent  entrer  ;  mais  elle,  elle  passera  bien,  elle 
est  si  petite.  Pas  si  petite  cependant  qu'un  officier  de  paix  ne  l'ait 
aperçue  :  —  Allons,  allons,  circule,  veux-tu  te  sauver.  —  Les  yeux 
pleins  de  cette  crainte  qu'ont  tous  les  errants,  elle  se  retire  à  l'écart, 
sans  révolte,  songeuse,  sournoise.  Un  instant  elle  disparaît.  Les  agents 
dépistés ,  elle  revient,  glisse  le  long  du  mur,  arrive  tout  près  de  la 
porte.  Il  y  a  un  guichet.  Dans  la  foule  discrètement  on  se  fouille,  on 
tient  prêt  son  portemonnaie.  Il  faut  donc  payer  pour  entrer  ! 

La  douce  Vierge  qui  lui  semblait  si  bonne,  si  près  d'elle,  lui  parait 
s'éloigner,  être  haut,  bien  haut,  inaccessible.  Jamais  plus  elle  ne 
pourra  la  revoir  ! 

Subitement  très  lasse,  les  yeux  pleins  de  larmes,  triste  à  mourir, 
traînant  les  pieds,  elle  partit  enfin  sous  l'œil  sévère  des  agents. 

II 

Couchée  sur  un  banc,  Nanette  regardait  le  bec  de  gaz,  les  yeux 
grands  ouverts  sur  la  lumière  clignotante,  par  à  coups  presque  éteinte, 
puis  se  relevant  crénelée,  dansante.  De  la  fixer  ainsi,  les  choses  deve- 
naient étranges,  prenaient  des  formes  animées,  énormes,  fantastiques. 

Peu  à  peu  l'enfant  s'assoupit,  avec,  dans  le  regard,  un  rideau  de 
lumière  jaune  pâle  qui  allait  en  s'affaiblissant,  puis  glissa  dans  une 
grande  masse  sombre  effrayante  d'obscurité.  Une  étincelle  surgit, 
papillota  un  instant,  s'effondra,  se  ralluma  chatoyante,  s'affirma  vic- 
torieuse. Une  autre,  une  autre,  beaucoup  parurent,  comme  s'allument 
les  étoiles,  toutes  petites,  des  couleurs  de  l'arc  en  ciel,  grossirent. 
Elles  allaient,  elles  venaient,  se  réunirent  ;  ensemble  exécutèrent  de 


84  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Ifints  mouvements  rythmiques,  tourbillonnèreut  vite,  vite  et  disparurent 
d'un  seul  coup.  Une  revint,  clignota,  enfin  s'éteignit  dans  la  clarté 
grandissante  d'uû  beau  voile  de  moire  dorée. 

Tout  à  coup  un  bébé  à  cheveux  fous  parut,  revêtu  d'une  longue 
chemise,  tendant  ses  petits  bras  à  une  belle  dame  habillée  d'une  robe 
de  dentelles  fines  qui  lui  montrait  un  petit  sabre  dont  l'acier  jetait  un 

clair  moins  brillant  que  celui  d'une  bague  qu'elle  avait  à  un  doigt. 

Subitement  d'autres  bébés  blonds  arrivèrent  en  courant,  affairés^ 
tout  joyeux,  puis  embrassés,  caressés,  sautaient,  les  bras  enserrantà 
grand  peine  de  beaux  jouets.  Et  ces  petits  arrivaient  toujours,  se  bous- 
culaient. C'était  une  longue  théorie  dont  on  ne  voyait  plus  la  fin  et 
tous  recevaient.  On  ne  comprenait  pas  comment  tant  de  choses  pou- 
vaient venir.  Même  la  robe  de  dentelles  avait  fait  place  à  une  autre  à 
grands  ramages  garnie  d'un  linon  si  léger  qu'on  aurait  dit  des  filets  de 
brouillard  ;  les  cheveux  sont  maintenant  bruns,  encadrant  un  visage 
lumineux.  Tout  se  transforme  si  bien  qu'on  n'est  pas  étonné.  Ce  ne 
sont  déjà  plus  les  bébés  jouant  avec  leurs  cadeaux,  mais  un  bonhomme 
de  Noël  à  la  grande  barbe  blanche  qui  fait  avec  un  polichinelle  multi- 
colore des  entrechats  endiablés.  Une  minuscule  ménagerie  cabriole 
vis  à  vis  de  beaux  soldats  de  plomb  jonglant  avec  les  plats  d'une  cui- 
sine de  poupée  ;  un  petit  mouton  frisé  avec  sa  boîte  de  caoutchouc  aux 
pattes  saute  par-dessus  un  grand  cheval  de  bois.  Puis,  dans  une  grande 
clarté  apparut  une  petite  cabane  couleur  chocolat.  Des  sapins  couverts 
de  filigranes  figurant  la  gelée,  des  moutons,  une  vache,  un  âne  en 
carton,  des  statuettes  de  porcelaine,  avec  une  couronne  sur  la  tête,  en 
longue  robes  à  couleurs  voyantes,  entouraient  un  bébé  ceinturé  de 
rouge,  couché  sur  un  lit  de  paille  tressée  et  tendant  ses  petits  bras. 

Tout  grossit  démesurément  et  l'enfant  ne  vit  plus  qu'une  petite  fille 
à  peine  couverte  de  haillons,  sale,  crottée,  tête  basse,  honteuse,  les 
cheveux  en  désordre  qui,  brusquement  se  retourna,  prête  à  se  sauver 
et  Nanette  se  reconnut. 

D'un  coup  elle  devint  propre,  bien  peignée,  avec  une  gentille  robe, 
un  gros  nœud  rose  sur  le  côté.  Elle  osa  alors  regarder  la  dame  vêtue 
d'azur  constellé  d'or,  tenant  tout  resplendissant  et  si  beau  son  Enfant 
Jésus.  Le  regard  de  la  bonne  Vierge  était  si  doux  que  la  petite  vint  à 
elle,  pas  du  tout  timide  et  reçut  une  grande  poupée  habillée  d'argent  ; 
BQS  lèvres  rouges  pouvaient  parler^  ses  longs  cils  bordaient  des  pao- 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  85 

plères  remuant  sur  des  yeux  très  brillants.  Elle  dormait,  confiante,  sur 
l'épaule  de  sa  nouvelle  petite  mère  ou  lui  souriait  tendrement. 

Wanette,  pendant  qu'une  douce  chaleur  Tenveloppait  se  trouvait  si 
heureuse,  perdue  dans  le  divin  regard  qu'elle  se  mit  à  rire.  Elle  vit 
ses  dents  blanches,  mignonnes  dans  un  frais  visage,  ses  boucles  brunes 
s*6nvolant  dans  un  souffle  parfumé. 

Puis  les  bébés  reparurent,  aussi  petits  qu'elle.  Tons  ensemble,  un 
jeune  f;arçon  ressemblant  à  Riri,  tenant  une  main  de  sa  poupée  et  elle 
l'autre,  firent  une  grande  ronde  joyeuse,  dans  un  jardin  féerique 
rose  comme  le  coucher  de  soleil  d'un  soir  d*été.  Le  petit  Jésus  riait, 
86  trémoussait,  battant  ses  menottes. 

Puis  tout  disparut  et  devint  noir. 

On  la  secouait  brutalement.  Lentement,  Nanelte  revint  à  elle.  Toute 
engourdie,  elle  vit  la  flamme  du  gaz  la  regarder  blafarde,  toujours  sau- 
tillante, moqueuse,  vilain  sylphe.  Elle  sentit  le  froid,  de  grosses  voix 
semblaient  la  gronder.  Elle  aperçut  le  long  trottoir  boueux,  sombre» 
triste.  Oh  !  si  triste  I 

Quelques  personnes,  bien  emmitouflées,  se  penchaient.  Un  géant, 
avec  de  grosses  moustaches  rudes,  la  tenait  au  bras  et  lui  faisait  mal. 
Soudain,  nn  bouton  de  la  tunique  scintilla.  «  Oh  !  les  flics  i»,  sar  ces 
mots  d'argot  dans  sa  bouche  tordue  de  peur,  elle  voulut  se  lever  et  se 
sauver.  Jfais  elle  ne  put  remuer,  une  étrange  langueur  la  saisit  et  elle 
partit  revoir  la  belle  dame  qui  donne  de  grandes  poupées. 

L'enCant  se  rendormait  dans  ses  guenilles,  recroquevillée,  la  tête 
posée  à  même  sur  le  bois  dur  du  banc. 

Les  agents  secouèrent  un  peu  plus  fort  le  pauvre  petit  étre,et  vague- 
ment inquiets,  tentèrent  de  la  réveiller. 

Encore  une  fois  arrachée  au  rêve,  les  regards  profonds,  tout  clairs 
des  jolies  choses  vues,  fixèrent  les  faces  bourrues  puis,  brusquement, 
chavirèrent. 

Le  cercle  grossissait.  Des  visages  violacés  par  le  froid,  sous  des  cha- 
peaux hauts  de  forme  ou  des  casquettes,  se  penchèrent  sur  ce  paquet 
de  loques  qui  était  une  enfant. 

—  Qu'allons-nous  en  faire  ?  elle  va  geler,  dit  un  agent  à  son  cama- 
rade, et  dès  lors  les  avis  s'entrecroisèrent.  —  Il  faut  la  porter  chez  un 
pharmacien.  —  Là,  an  coin,  chez  le  restaurateur,  lui  donner  du  bonillon. 

—  Jean  !  Qu'est-ce  que  ce  rassemblement  ?  Le  valet  de  pied,  sautant. 


86  REVUE  DU   NIVERNAIS. 

à  bas  du  siège,  pénétra  dans  le  groupe  et  retournant  vers  sa  maltresse, 
lui  répondit  : 

—  Madame,  c*est  une  petite  mendiante  qui  dort  sur  le  banc  et  que 
les  agents  veulent  faire  partir. 

—  Dormir  dehors  I  par  un  froid  pareil  ! 

S'élançant  hors  du  coupé,  enveloppée  de  fourrures,  une  jeune 
femme  s'approcha  vivement.  On  s'écarta,  intéressé,  les  agents  saluèrent. 

—  Mais  qu'a  donc  cette  pauvre  petite  ?  elle  doit  être  morte...  Non, 
elle  respire. 

Charitable,  soulevant  la  frêle  fillette,  sans  dégoût  pour  les  pauvres 
nippes  atrocement  sales,  elle  la  fit  porter  dans  la  voiture  confortable, 
chaude,  fleurant  bon,  bien  capitonnée. 

Les  chevaux  partirent.  Pendant  que  le  bruit  de  leur  trot  relevé  se 
perdait  dans  la  nuit,  une  délicate  odeur  féminine,  fine  essence  aristocra- 
tique, se  dissipa  ;  le  groupe  se  dispersa  et  la  lumière  du  gaz,  moqueuse, 
méchant  lutin,  fit  la  nique  aux  sergents  de  ville  martelant  de  leurs 
grosses  bottes  le  long  trottoir  boueux,  sombre  et  triste. 

III 

Toute  mièvre,  délicate,  maigre  à  faire  pitié,  pâle  avec  un  front  trop 
grand,  ses  cheveux  s'éparpillant  sur  le  grand  oreiller  brodé,  bien  lavée, 
légèrement  rose,  Nanette  dort  doucement.  Un  souffle  léger  prêt  à  s'en- 
voler soulève  à  de  longs  intervalles  la  frêle  poitrine. 

—  Oh  !  docteur,  vous  ne  pouvez  donc  rien.  Regardez  comme  elle 
est  mignonne...  Ce  qu'elle  a  dû  souffrir. 

Le  médecin  ausculte,  murmure  des  mots  scientifiques,  la  bouche 
plissée.  Au  dehors,  les  voitures  roulent,  des  bruits  s'élèvent  dans  cette 
froide  matinée.  Jeunesse,  beauté,  richesse,  tout  rit  au  clair  soleil.  Des 
voix  jeunes,  fraîches,  fusent  dans  l'air,  éclatent  joyeuses. 

Lentement,  dans  la  figure  tirée  de  la  petite  Parisienne,  les  cils  se 
sont  levés.  Les  regards  d'yeux  légèrement  bleutés  errent  vaguement, 
encore  tout  embroussaillés,  la  toilette  non  faite  du  long  voyage  au 
pays  du  rêve  ;  le  pays  où  les  dames  ont  des  robes  bleues  constellées 
d'étoiles,  vous  donnent  de  belles  choses,  où  l'on  rit.  Ton  danse,  dans 
de  beaux  rayons  lumineux  avec  des  petites  filles  habillées  de  nuages 
roses  et  des  petits  garçons  qui  vous  aident  à  faire  tourner  votre 
poupée. 


RE\OE  DU   NIVERNAIS.  87 

Cependant  Nanette,  quittant  le  songe,  croit  dormir  encore. 

Quel  est  donc  ce  gros  monsieur  qui  a  Pair  si  bon  et  cette  belle  dame 
en  peignoir  crème  avec  de  si  jolies  dentelles  ?  Sa  chevelure  blonde  est 
fixée  coquettement  avec  un  peigne  d'écaillé  rehaussé  d'or.  Ses  grands 
yeux  sont  si  doux  qu'on  croirait  voir  encore  la  bonne  Vierge  tenant  le 
petit  Jésus  qui  était  avec  la  vache  et  les  moutons  et  l'âne  dans  une 
belle  cabane  de  chocolat.  L'enfant,  glissant  à  son  rêve,  referme  dou- 
cement les  yeux.  Mais  les  voitures  roulant  et  les  éclats  de  voix  de  la 
me  la  réveillent  encore.  Ses  regards  vont,  étonnés,  des  draps  festonnés 
aux  grands  rideaux  blancs,  errent  sur  le  chaud  édredon  encore  couvert 
de  sa  courtepointe  brodée,  sur  la  belle  dame  qui  la  regarde  et  lui 
sourit.  Alors  elle  parle,  elle  a  peur,  car  sa  voix  lui  semble  résonner  et 
retentir  comme  dans  une  église  sous  les  grands  arceaux  légers, 
si  hauts,  si  hauts  que  pour  les  voir  au-dessus  de  soi  il  faut  se  pencher 
tout  en  arrière  à  en  tomber.  Mais  à  peine  si  on  entend  sa  voix  sifflante, 
la  belle  dame  et  le  grois  monsieur  s'approchent  tout  près. 

—  Oh  !  Madame,  vous  n'avez  pas  vu  la  poupée  jolie  que  m'a  donnée 
la  maman  du  petit  Jésus.  Je  l'ai  appelée  Lili,  comme  petite  sœur  qui 
est  morte  à  l'hôpital.  Je  l'ai  vue,  Lili,  et  aussi  petite  mère  avec  des 
joues  fraîches  comme  quand  j'étais  toute  petite.  Elle  n'avait  plus  ses 
vilains  yeux  creux  et  sa  peau  jaune  comme  quand  elle  était  malade. 
Je  lui  ai  dit  que  j'étais  bien  malheureuse,  que  souvent  j'avais  faim, 
j'avais  froid,  qu'on  me  battait  dans  les  rues.  J'ai  dansé  avec  un  lapin 
tout  blanc,  le  bout  du  nez  rose.  Puis  la  musique  est  partie,  petite  sœur 
avec  les  autres,  les  peliteb  filles  et  les  petits  garçons  qui  sautaient,  puis 
Riri.  Petite  mère  est  restée  la  dernière,  elle  me  disait  de  venir  ;  moi 
je  voulais  bien,  puis  elle  est  partie  triste  et  maintenant  je  suis  seule, 
toute  seule.... 

Les  larmes  se  pressaient,  affluaient  sous  les  paupières  de  la  pauvre 
petite. 

Un  sursaut  la  rejeta  hors  des  couvertures  ;  assise  sur  le  lit,  une 
toux  violente  déchira  sa  gorge.  Les  quintes,  longtemps,  secouèrent  la 
pauvre  petite  fille.  Epuisée,  Nanette  se  renversa  en  arrière,  les  yeux 
étrangement  dilatés.  Une  faible  écume  rosée  colora  ses  lèvres.  Toute 
bouleversée,  la  jeune  femme  essuya  la  bouche  de  l'enfant. 

Après  un  instant,  songeuse,  doucement  elle  disparut. 

Elle  revint,  portant  une  poupée  habillée  de  soie  rouge,  coiffée  d'un 


88  REVUE  DU  inYERlfAI& 

cbapeaa  garni  de  tulle,  gantée,  bottée,  la  mine  fière,  souriant  d'an  air 
matin. 

—  Oh  Lili  !  Elle  est  aussi  belle  que  Lili  !  Serrant  désespérément  ^ 
poupée  contre  sa  maigre  poitrine  pour  ne  pas  la  perdre  une  deuxième 
fois,  Nanette  remercia  d'un  long  regard  effaré  et  heureux,  allant  d« 
bonhomme  aux  lunettes  mouillées  de  larmes,  à  la  belle  dame  la  figore 
convulsée,  et  retourna  au  Paradis,  où  déjà  était  petite  mèr^  caressée 
par  la  bonne  Vierge,  au  regard  dair  et  doux,  i  la  robe  constellée 
d'étoiles  et  où  les  petites  filles,  câlinant  dd  grandes  poupées,  n'ont 
plus  jamais  ni  laim  ni  froid. 

f Reproduction  interdite).  Louis  Tayerhâ. 

NOËL 

Trois  et  quatre  ans,  La  sœur  ainée. 
En  chemise,  hier  soir,  a  mis 
Dans  P humble  et  froide  cheminée 
Deux  mignons  souliers  dévemis. 

Voici  Vauhe  de  la  journée 
Où.  les  Anges  du  paradis^ 
Quand  Noël  a  fait  sa  tournée j 
Vont  éveiller  les  tout  petits. 

Elles  grelottent,  les  fillettes, 

En  quittant  leurs  pauvres  couchettes, 

Pour  courir  vers  Vâlre,  sans  bruit. 

Hélas  !  les  bottines  percées 
Sont  encor  vides  et  glacées.,. 
La  mère  est  morte  dans  la  nuit, 

Alexandre  Piedagnel. 


NOËL  (MOYfîN   AGE) 

...  Or  voici  le  missel  que  Ton  coloria 

Poar  la  naïveté  des  âmes  primitives  : 

Le  sol  neigeux  s'est  étoile  de  fleura  hâtives. 

Et  les  Archanges  blonds  chantent  des  Gloria. 

L'artiste  fut  habile  :  il  inventoria 

Dans  leurs  moindres  détails  les  ombres  collectives. 

L'étable  est  d'or  au  sein  des  blancheurs  relatives 

En  qui  l'immensité  des  champs  s'historia. 

Les  nocturnes  clartés  des  Elhers  semblent  froides, 

L'âne  et  le  bœuf  sont  doux  malgré  leura  poses  roides, 

Leurs  fronts  sympathisants  paraissent  tout  rêveurs. 

Et,  sur  un  peu  de  foin  qui  recouvre  une  planche. 

Un  ange  agenouillé  contemple,  en  des  ferveàrt, 

Cet  Enfant  lumineux  sur  çeUe  Vierge  blanche. 

Henri  Bagheldi. 


REVUE  DU  NIVERNAIS  89 


LES  PRÉDICTIONS 
DE    LA    FEUILLE    DE    BUIS 


Le  Boir  des  Rois  ou  de  TEpiphanie, 
A  la  veillée,  au  cœur  du  vieux  Morvao, 
Du  vieux  Morvan,  cette  terre  bénie 
De  la  Légende  et  des  récits  d'autan, 

Parfois  l'aïeul  de  sa  chaise  se  lève, 
A  pas  tremblants  s'approche  du  fourneau, 
Le  front  pensif,  comme  au  sortir  d*un  rêve^ 
Et  de  buis  vert  tenant  un  court  rameau. 

Chacun  se  tait  :  l'assemblée  attentive 
Vers  le  vieillard  chenu  tourne  les  yeux, 
Tandis  qu'au  loin  gémit  la  voix  plaintive 
Des  vents  d'hiver,  sur  le  Beuvray  neigeux. 

D'un  ton  très  grave  enfin  l'ancêtre  annonce 
De  qui  le  buis  va  dire  le  destin. 
Du  neveu  Pierre  ou  du  cousin  Léonce, 
Ou  d'un  filleul,  d'un  ami,  d'un  voisin. 

Puis,  sur  le  poêle  au  chaud  couvercle  il  jette 
Du  buis  bénit  une  feuille  au  hasari. 
Et  l'assistance  anxieuse,  inquiète. 
Suit  vivement  la  feuille  du  regard. 

Quand  celle-ci,  par  la  chaleur  gonflée, 
Et  décrivant  de  bizarres  circuits^ 
Dans  tous  les  sens  tourne  comme  affolée, 
Se  tord,  éclate  avec  de  légers  bruits, 

Elle  prédit  du  trouble  dans  la  vie, 
Des  jours  d'épreuve,  un  douloureux  trépas  ; 
Mais  si  la  feuille,  en  tournant  sans  folie, 
Dans  l'air  brûlant  disparait  sans  éclats, 

D'un  sort  tranquille  elle  est  l'heureux  présage  : 
Sans  grands  chagrins  le  Morvandeau  vivra, 
Sera  fidèle  au  gite  et,  comme  un  sage, 
Sur  le  chevet  de  ses  pères  mourra. 

Ainsi  l'Eubage,  en  la  Gaule  celtique. 
Aux  temps  anciens,  faisait  parler  le  gui, 
Ou  la  vei*veine  à  la  vertu  magique, 
Alors  sacrée,  oubliée  aujourd'hui. 


(Extrait  inédit  des  Légendes  de  la  Nature), 


Lucien  Jeny. 


90 


HëVU£  du  NIVERNAIS. 


CONTES  A  MES  ENFANTS 

LA  LÉGENDE  DES  BŒUFS 


Conte  de  Noël, 


A  Henry  du  /.. 


ETTE  véridique  histoire  s'est  passée,  il 
y  a  bien  longtemps,  pendant  une  nuit 
de  Noël.  Ni  vous,  ni  moi  n'étions  de 
ce  monde  :  c'était  en  des  temps  tout 
à  fait  anciens. 

Ce  soir-là,  dans  le  domaine  du  Crot- 
aux-Loups,  que  l'on  voit  encore  au  pied 
de  notre  vieux  Beuvray,  à  l'orée  des  bois  du  Chapitre,  les  gens  faisaient 
la  veillée  en  attendant  l'heure  des  matines. 

Sous  la  haute  cheminée  où  clairait  la  bûche  de  Noël,  l'aïeule,  dans 
son  fauteuil  de  bois,  au  a  quart  du  feu  »,  tendait  vers  la  flamme  ses 
mains  sèches  et  ridées  de  vieille  paysanne.  Elle  avait  tant  peiné  dans 
sa  vie,  la  pauvre  grand'mère,  qu'elle  ne  pouvait  plus  rien  faire  que  se 
reposer,  en  attendant  que  le  bon  Dieu  la  prit... 

Le  fils  aîné,  Claude,  assis  sur  un  banc  de  l'autre  côté  de  l'aire, 
s'occupait  à  réparer  un  fléau  pendant  que  Jeannette,  sa  femme,  aidée 
de  la  servante,  allait  et  venait  dans  la  chambre,  finissant  le  ménage, 
rangeant  les  écuelles  du  souper,  préparant  le  réveillon  du  retour. 

Sur  la  huche  de  noyer,  le  pain,  pétri  dans  la  journée  par  la  servante, 
attendait  que  le  four  fût  chaud  et  l'on  voyait  sur  le  dressoir,  à  côté 
d'une  pyramide  de  boudins,  une  énorme  couronne,  toute  blanche  de 
farine,  prête  à  se  muer  en  une  galette  de  beursaudes,  brune  et  dorée, 

et  sentant  bon... 

Les  enfants  n'étaient  pas  couchés  :  on  leur  avait  permis  de  faire  un 
bout  de  veillée,  à  cause  de  la  fêle.  Ils  regardaient  avec  des  yeux  de 
convoitise  la  galette  et  les  boudins,  ou  s'amusaient  à  des  jeux  de  leur 
âge:  Mariette,  l'aînée,  berçait  daiit^  ses  bnis  utie  poupée  dont  la  tète 
était  faite  d'une  grosse  pomme  roii^e  ,  le  corps  et  liîs  membres  de 
joncs  tressés  ;  Etienne  et  Jacques,  les  deux  petits  gai^ns,  traîuiïiejjt 
à  grand  bruit  sur  le  soi  de  terre  haUue  un  vieux  chariot  saas  roues, 
en  galopant  comme  de  jeunes  poulains.  *, 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  91 


Od  entendit  quelqu'un,  au  dehors,  frapper  des  pieds  sur  la  pierre 
du  seuil  pour  détacher  de  ses  sabots  les  lourdes  semelles  de  neige. 

La  porte  s'ouvrit  et  Lazare,  le  frère  cadet  de  Claude,  entra,  reve- 
nant de  donner  aux  bêtes  la  fourchée  du  soir. 

Il  secoua  encore  ses  sabots,  fit  tomber  de  la  main  les  flocons  de 
neige  qui  couvraient  sa  veste  ;  puis  il  alla  s'asseoir  à  côté  de  son 
aîné  et  se  mit  à  tailler  avec  son  couteau  une  cheville  de  joug. 


Quand  le  four  fut  chaud,  Jeannette  fit  tomber  la  braise  et  les  fume- 
rons dans  la  cheminée. 

Elle  enfourna  les  pains  et  la  galette ,  puis  elle  prit  son  rouet  et 
commença  de  filer  en  chantant  à  demi-voix  un  Noël  du  temps  jadis. 

La  servante,  debout,  tricotait... 


Dans  rétable  voisine,  un  bœuf  mugit  :  meuh!...  Puis  un  second: 
meuh  I...  et  tous  les  autres  se  mirent  à  mugir  en  même  temps,  comme 
s'ils  voulaient  s'appeler  et  se  répondre. 

Jeannette  arrêta  son  rouet  et  cessa  de  filer.  Claude  et  Lazare,  levant 
la  tête,  laissèrent  leur  ouvrage,  les  enfants  leurs  jeux  et  tous  écou- 
taient les  mugissements,  profonds  et  sonores  dans  le  silence  et  le 

calme  de  la  nuit. 

* 

—  Les  bœufs  commencent  à  se  tourner,  dit  l'aïeule.  C'est  ce  soir 
qu'ils  parlent... 

Mariette,  déjà  grandelette  pour  ses  douze  ans,  se  rapprocha,  curieuse. 

—  Les  bœufs  vont  parler,  mémère  ? 

—  Bien  sûr,  comme  tous  les  ans  à  pareille  heure.  Quand  l'Enfant 
Jésus  vint  au  monde  dans  une  étable,  il  souffrait  grandement  du  froid, 
n'ayant  point  de  langes  pour  se  couvrir.  Le  bœuf  le  réchauffa  de  son 
haleine  et  l'on  dit  qu'en  récompense  le  bon  Dieu  permet  aux  bœufs  de 
parler,  une  fois  l'an,  pendant  la  nuit  de  Noël. 

—  Et  que  disent  les  bœufs,  mémère  ? 

—  Cela,  mes  enfants,  on  ne  peut  le  savoir,  par  la  raison  qu'il  n'est 


92  REVUE  DU  RIVERlfAIS. 

point  permis  d'aller  dans  les  étables  à  ce  moment.  Il  est  toujoun 
arrivé  malheur  à  ceux  qui  ont  voulu  écouter  les  bœufs  et  l'on  n'a 
jamais  connu  le  secret  de  leurs  paroles... 

—  Mais  la  bourrique,  mémère  ?  la  bourrique  qui  était  dans  FétaUe 
avec  le  bœuf?  Les  bourriques  parlent-elles  aussi? 

—  Je  ne  le  pense  pas,  mes  enfants...  Non,  cela,  je  ne  Tai  jamais 
ouï  dire... 

—  C'est  sans  doute,  dit  Jeannette,  que  l'âne  a  reçu  sa  récompense 
de  son  vivant,  puisqu'il  a  porté  TEnfant  Jésus  pendant  la  fiiite  et  plus 
tard  Notre-Seîgneur  le  jour  des  Rameaux. 

—  Peut-être...  Mais  quant  aux  bœufs,  c'est  sûr  qu'ils  parlent.  Feo 
ma  mère  me  Ta  souvent  conté  et  tous  les  anciens  du  pays  vous  le 
diront... 


Le  pain  était  cuit.  A  la  bouche  béante  du  four,  on  aperçut  la  galette, 
jaune  comme  de  l'or,  mouchetée  par  endroits  des  taches  brunes  que 
font  les  beursaudes  à  la  chaleur  du  feu. 

Jeanne  la  retira  la  première  et  ensuite  les  grosses  tourtes  de  seigle 
qu'elle  mit  à  refroidir  sur  la  table,  en  attendant  qu'on  pût  les  ranger 
dans  la  huche. 

La  chambre  était  toute  parfumée  de  la  bonne  odeur  du  pain  chaud  et 
les  enfants  tendaient  leurs  museaux  gourmands  vers  la  galette. 

—  Allons,  les  p'tiots,  dit  le  père.  C'est  assez  veillé  comme  cela...  An 
lit,  au  lit...  On  se  régalera  demain,  pour  la  fête... 


Les  enfants  sont  couchés.  Le  père  la  Nuit  est  passé  avec  son  sac  plein 
de  sable  et  leur  en  a  jeté  dans  les  yeux.  Tous  trois  dorment  à  poings 
fermés,  rêvant  au  régal  du  lendemain. 

L'heure  s'avance... 

—  Il  faut  parlir,  dit  la  grand'mère.  Je  peine  fort  à  marcher  avec 
mes  vieilles  jambes  et  les  chemins  ne  sont  pas  bons  par  cette  neige. 
Nous  avons  une  grande  heure  de  route  pour  nous  rendre  au  bourg  et 
quand  on  n'arrive  pas  à  temps,  on  ne  trouve  plus  de  places  à  l'église. 
Toi,  mon  Lazare,  tu  gar4eras,  durant  que  nous  entendrons  la  messe 
et  que  nous  chanterons  Noël.., 


REVUE  DU  NIYEimAIS.  93 


Sur  le  pas  de  la  porte,  Lazare  les  regarda  partir,  Claude  sous  sa  peau 
de  bique,  les  femmes  enveloppées  de  leurs  mantes  à  capuchon. 

La  neige  ne  tombait  plus,  mais  la  couche  glacée  et  durcie  qui  cou- 
vrait la  terre  criait  sous  les  sabots  :  frinc  !...  frincl...  frinc  !...  Bientôt 
le  bruit  diminua,  les  gens  disparurent  au  détour  de  la  charrière,  avec 
la  lueur  de  la  torche  que  portait  Claude  pour  éclairer  la  marche  dans  la 
nuit  noire... 

La  porte  close,  Lazare  retourna  s'asseoir  auprès  du  feu,  rêvant  au 
récit  de  la  mère...  Si  les  bœufs  allaient  parler?...  Qui  l'empêchait 
d'écouter,  pour  savoir?... 


Lazare  n'était  point  ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  un  esprit  fort  :.il 
n'y  en  avait  guère  en  ce  temps-là,  où  la  foi  était  toute  simple,  comme 
les  gens.  La  curiosité  seule  le  poussait.  Que  pouvaient  bien  dire  les 
bœufs  ? 

Pour  le  reste,  il  pensa  que,  n'ayant  point  de  mauvaise  intention,  il 
n'était  coupable  d'aucun  péché.  D'ailleurs,  il  n'entrerait  pas  dans 
retable...  Et  puis  il  garderait  fidèlement  le  secret  des  bêtes  et  se  pro- 
mettait de  n'en  rien  révélera  personne... 

Il  jeta  dans  le  feu  un  morceau  de  bois  avec  une  brassée  de  balais, 
gagna  la  cour,  monta  à  pas  de  loup  l'échelle  extérieure  qui  menait  au 
fenil,  se  blottit  dans  le  fourrage  à  côté  de  Tabat-foin  et  tout  douce- 
ment, en  retenant  sa  respiration,  pencha  la  tête  au-dessus  de  l'ouver- 
tm^,  pour  écouter... 


Dans  l'écurie  tout  était  tranquille...  Une  chaleur  douce,  avec  Todeur 
de  retable,  montait  vers  lui  ;  il  entendait  le  bruit  des  robustes  mâ- 
choires qui  ruminaient  lentement  ou  tiraient  à  elles  le  foin  du  râtelier... 
Par  instants,  une  bête  se  levait  ou  se  couchait  en  soufOant... 

Une  heure  se  passa,  qui  lui  sembla  longue... 

Les  bœufs  ne  parlaient  point... 

Il  eut  l'idée  de  s'en  aller.  Comme  il  se  trouvait  au  chaud  dans  sa 
cachette,  il  resta... 


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iîtit  j^  t-Oir  II  j  tir 

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n'jtr  n^'i»—  i  Al  'aitr^iH,  Ixrjr^  ru   :  •!.*  lu*^  ii  us  f*  oiL:,  oi-ars^ 
i  pi  is  l'-tj-ie   Li-::K-^  biZ  n*  «lt  >^f  l'uL  -K  :*f<£  i»:«&  qil  pti-rte- 

*•*  !♦*  T  iL^  i-K  r»  «i:  v>   i,  '--<  r.î-  •»*<  fie   Dr-ja'ropcwrfal  k$ 

î-^-HT  :•»*  i-- — t  ir:-i:^-  Fi:*  •-<  ii-  Cf  :.      .i  ^^^i  :  r-^-^izot^r  iaasson 
i-^.r-.,  *t->  :;u"-i>  ".  i-iir-::  ^:  r:'-  i  i  :  ^l:  t£  ."v  ri'iTi^i^ai  dit  les 

L  i'-^i  1  .1  i  .111^  i:  j:  r-  ^i  5>î2\  IT12:  fi*?  !•?  prêtre  fit  TeaB 

f  ;:  :r^,-î  i  J^^  ,^  ;;ir  E.irr^  -fc  ?'ïi^:     :•! 


FftA5çoics  MoimsÂr. 


REVUE  DU  MVERNAIS.  95 

LE  NOËL  DU  PETIT  MALADE 

Sept  heures.  C'est  le  soir.  L«ï  père,  en  bourgeroD, 
Rentre  de  son  travail.  Ouvrier  forgeron, 
Il  a  de  larges  mains,  la  peau  rude  et  tannée. 
Cuite  au  feu  de  la  forge,  où,  noir,  toute  Tannée, 
11  fait  jaillir  du  fer  des  étincelles  d'or... 

—  Bonsoir,  femme,  dil-il.  Tu  parais  triste  encor  ? 
Depuis  deux  ou  trois  jours  je  te  vois  Tair  morose. 
Comme  si  tu  soufTrais.  Dis,  as-tu  quelque  chose  ? 
Ce  n*est  pas  naturel.  Parle,  je  veux  savoir  ! 

La  mère  répendit  :  —  Si  je  pouvais  avoir  * 

Quelques  sous  1...  pas  pour  moi...  —  De  Targenl!  Pourquoi  faire? 

—  Va,  ne  te  fâche  pas.  —  Est-ce  donc  un  mystère  ? 

—  Non,  mais...  c'est  que...  demair,  c'est  Noël.  Je  pensai^... 
Notre  petit  Marcel...  à  Thôpital...  tu  sais? 

—  Oui,  nous  irons  le  voir.  —  Si  tu  voulais,  mon  homme... 
J*ai  vu  chez  le  marchand  de  jouets  un  bonhomme 

Qui  fait  aller  ses  bras,  tient  un  journal  et  lit. 
Ça  l'amuserait  bien,  le  mignon,  sur  son  lit. 

—  Oui,  mais  ça  coûte  cher,  un  jouet  mécanique? 

—  Vingt-neuf  sous,  seulement  ;  il  est  frais,  magnifique... 
Le  forgeron  tira  de  sa  poche  deux  francs 

Et  dit  en  les  tendant  à  sa  femme  :  —  Tiens,  prends  1 

C'était  pour  mon  tabac...  je  fume  assez,  ça  m'use, 

Il  vaut  mieux  que  demain  notre  gosse  s'amuse. 

Achète  le  bonhomme  et  des  bonbons  aussi. 

Ce  sera  son  Noël,  à  ce  petiot.  —  Merci, 

Dit  la  mère.  Cela  nous  portera  la  chance. 

Le  bon  Dieu...  tu  verras  !..   —  Je  n'ai  plus  d'espérance. 

—  Qui  sait? 

Le  lendemain  ils  allèrent  tous  deux 

A  l'hôpital.  Le  temps  était  froid,  mais  les  cieux 
Etaient  clairs.  Le  soleil  s'était  mis  de  la  fête 
Et  ses  rayons  venaient  illuminer  la  tête 
Des  petits  malheureux  couchés  dans  leurs  lits  blancs. 
La  salle  était  plus  gaie  et  les  pauvres  enfants 
Bercés  du  tendre  espoir  de  voir  bientôt  paraître 
Des  parents,  des  amis,  un  camarade,  un  maitre, 
Souriaient  vaguement,  offrant  leurs  fronts  pâlis 
Aux  caresses  de  l'air,  comme  de  jeunes  lis 

Desséchés  par  le  vent 

Sur  le  pas  de  la  porte 

Le  forgeron  dit  tout  bas  :  —  Ayons  l'âme  forte. 
Femme,  ne  pleurons  pas  et  paraissons  joyeux. 
11  faut  que  le  pauvret  regardant  dans  nos  yeux 
Ne  puisse  y  découvrir  le  chagrin  qui  nous  mine. 
Tout  à  la  fête  !  Allons  !  N'ayons  pas  triste  mine  !... 


96  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Après  ces  quelques  mots  ils  frauchirent  le  seuil. 

Jetèrent  dans  la  salle  un  rapide  coup  d'œil, 

Et  virent  se  dresser  lentement  sur  sa  couche 

Un  jeune  enfant  pâlot.  De  sa  mignonne  bouche 

Sortirent  ces  deux  noms  :  —  Mon  papa,  ma  maman  ! 

Puis  il  tendit  vers  eux  ses  bras.  Quel  doux  moment 

Et  pénible  à  la  fois  !...  La  mère  devint  blême, 

Flageola,  se  raidit,  eut  la  force  quand  môme 

D'arriver  jusqu'au  lit.  Le  père,  lui,  sentit 

Un  coup  terrible  au  cœur,  et  vers  son  cher  petit 

S'avança  souriant...  0  la  cruelle  étreinte  ! 

Ils  baisèrent  leur  fils,  défaits,  tremblants  de  crainte. 

Et  le  forgeron  dit  :  —  Eh  bien,  mon  petit  gas, 

Est-ce  que  ça  va  mieux?  ~  Papa,  je  ne  sais  pas, 

Lui  répondit  l'enfant,  mais  la  fille  de  salle 

A  dit  que  dans  bientôt  je  jouerais  à  la  balle. 

Elle  est  bonne  pour  moi,  m'appelle  son  chéri, 

Et  moi,  je  l'aime  bien.  Quand  je  serai  guéri. 

Je  m'amuserai...  Tiens,  voici  la  demoiselle  ! 

L'infirmière  arrivait.  —  Il  est  sauvé,  dit-elle. 

Le  docteur  en  répond.  La  fièvre  l'a  quitté. 

A  Berck  on  l'enverra  passer  trois  mois  d'été 

Quand  il  sera  d'aplomb...  0  les  mots  pleins  de  charmes 

Qui  firent  aussitôt  couler  de  chaudes  larmes. 

Des  larmes  de  bonheur  !...  —  Vous  pleurez?  fit  Marcel. 

Pourquoi  donc?  C'est  la  fête  aujourd'hui.  C'est  Noël. 

—  De  joie,  ô  mon  amour,  nous  pleurons,  dit  la  mère  ; 

Car  Jésus  a,  mon  ange,  exaucé  ma  prière. 

Sais-tu  ce  que  pour  toi  j'ai  trouvé  ce  matin 

Dans  notre  cheminée?...  Un  superbe  pantin 

Avec  des  bonbons.  Prends...  Le  bonhomme,  regarde, 

Il  va  marcher  tout  seul...  —  Oui,  mais,  maman,  prends  garde 

De  ne  pas  le  casser...  Tu  le  montes  trop  fort... 

Donne...  si  tu  venais  à  briser  le  ressort 

Qu'il  a  dans  le  ventre  !...  Oh  !  ces  trois  heures  passées 

Près  de  leur  fils  malade  !...  Oh  !  les  larmes  versées 

Quand  la  cloche  donna  le  signal  du  départ  ! 

Oh  I  ce  dernier  baiser  !  Oh  !  ce  deroier  regard  ! 

Peut-être  le  dernier  de  tous...  Non.  L'infirmière 

Ne  leur  a  pas  menti.  Marcel,  la  nuit  dernière 

A  bien  dormi.  Son  pouls  bat  régulièrement. 

De  l'avis  du  docteur,  ce  sera  long,  vraiment. 

Mais  il  en  reviendra...  D'espoir  leur  âme  est  pleine, 

Et  tous  deux  s'en  vont,  la  figure  plus  sereine. 

Le  forgeron  disant  en  s'éloignant  du  lieu 

De  misère  et  de  deuil  :  —  Il  y  a  donc  un  Dieu  ! 

Théophile  Pranght. 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


CONTE  DE  NOËL 


A  Madame  Raoul  Conite. 


Tout  au  bout  du  long  faubourg,  presque  dans  les  champs,  loin 
déjà  de  l'église  de  Château-sur-Loire,  Moussette  entendit  sonner  les 
cloches  si  joyeusement  qu'elle  ouvrit  la  porte  de  l'étable  abandonnée 
où  elle  demeurait  avec  Blanchetle  et  regarda  curieusement 

—  C'est  Noël!  disait  l'aubergiste  à  son  voisin  en  se  rengorgeant  avec 
la  suffisance  d'un  patron  dont  la  boutique  est  toujours  pleine.  Ce  soir 
on  va  réveillonner  ;  le  cabaret  ne  désemplira  pas  de  la  nuit. 

En  face  de  l'enseigne  pompeuse  c  Au  Raisin  de  Bacchus  »,  le  sabotier 
répétait  aussi  en  regardant  son  petit  gars  avec  malice  :  «  C'est  Noël  I  > 


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•  vt  :iioudt*  qji  Ei<  li   r-ç*  .--il   j^r-,  v-?  ':^*^^   i-iiuijs.   caille, 

•  ai quoi  e>l-<!^  *i  îl'^1  i-  'i'^*  »:r  [p-r^':i'hr  ;•-•!.-  t  «^  a.j>?r,  se 
..Jail  MouNS»:^tte  d^n*  «^  fr^liî»r  à:{i^  b.sû'^-e  ;  p*>ir^:^:u  •?>:-«  un 

..  Jo  u'avoir  pa^  â*i  i^-ff  p  >'jr  Vi^i- •i-f-Lire  ;  p:  :r^::â  ^-on 
..>o  parce  qu'on  n'a  p'ijr  <*''  \*'îir  q'je  1^  ^;cn...rs  *:•?>  ajlrvs?  » 
^  UiJiissrUt^  n**  savait  pa^  q«j«f  la  vie  e>l  une  ch«j>e  injuste  qui  oe  se 
^iM'ii'f  (mmuI  '^ns  Di»fu. 

,   i^iiit  ilj\  ^itiS  qu'elle  était  née  sur  la  grande  route  de  Paris  à 
bitMit'tt  <tiv  mois  que  la  roulotte  s*était  arrêtée  au  bout  du  long 


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REVUE  DU  NIVERNAIS.  99 

Les  hommes  rançonnaient  les  villages  sous  un  prétexte  d'élamage  ou 
maraudaient  dans  les  champs.  Sa  mère  tressait  des  paniers,  confec- 
tionnait des  corbeilles  de  jonc,  et  la  pauvrette,  le  plus  souvent  sans 
succès,  allait  les  offrir  de  porte  en  porte  avec  les  fleurs  des  prés  de  la 
saison. 

Jamais  Moussette  n'avait  connu  les  joies  des  tout  petits,  jamais  on 
n'avait  réclamé  son  sourire,  personne  ne  jouait  avec  elle  ;  sa  mère 
môme  l'embrassait  furtivement  ;  elle  n'avait  jamais  dormi  ailleurs  que 
sur  la  mousse  ;  la  mousse  était  sa  seule  marraine. 

Ses  pieds  traînaient  des  sabots  trop  grands,  cassés,  jetés  par  les 
villageoises  pour  s'en  débarrasser  ;  sa  jupe,  en  lambeaux,  n'avait  plus 
de  couleur  ;  sa  coiffure,  un  éternel  mouchoir  de  coton  grisaille  retom- 
bait en  pointe  sur  son  dos  ;  son  seul  chapeau,  trouvé  sur  un  tas,  en 
paille  noire,  écrasé,  portait  des  roses  ou  des  chiffons  fripés,  souillés 
de  boue.  Jamais  elle  n'avait  rien  eu  de  ce  qui  fait  tant  de  plaisir  aux 
petits  :  quelque  chose  de  neuf,  acheté  pour  elle.  On  la  voyait  en  extase 
devant  une  poupée  de  rebut,  de  treize  sous,  au  bras  cassé,  oubliée  à 
la  devanture  de  la  mercière. 

Cependant  Moussette  se  souvenait...  Quelqu'un  l'aimait  dans  la 
pauvre  roulotte!  Sa  mère  l'embrassait  quand  les  hommes  étaient 
partis...  ;  sa  mère  réchauffait,  dans  ses  mains^  ses  pieds  glacés,  se 
découvrait  pour  la  couvrir  la  nuit,  la  cachait  quand  les  étameurs  ren- 
traient ivres  et  lui  donnait  à  boire  tout  le  lait  de  Blanchette. 

Puis  un  jour  la  mère  était  devenue  bien  malade  ;  elle  crachait  le 
sang,  elle  étouffait.  Sans  une  visite  de  médecin,  elle  mourait  trois 
jours  après  et  tandis  que  la  pauvrette  l'accompagnait  au  cimetière, 
sans  un  prêtre  et  sans  une  croix,  la  roulotte  était  partie. 

Dans  une  étable  abandonnée,  Moussette  s'était  réfugiée  faisant  son 
lit  d'une  crèche,  d'une  longue  mangeoire  de  bêtes  ébrèchée,  remplie 
de  mousse  ;  elle  ne  connaissait  pas  d'autre  matelas  ;  Blanchette  l'avait 
retrouvée  dans  sa  nouvelle  demeure.  Depuis  ce  temps,  la  pauvrette  avait 
vécu,  elle  ne  savait  comment,  cueillant  de  la  doucette  ou  du  cresson  en 
échange  d'une  soupe  chez  les  jardinières,  apportant  des  gerbes  de 
fleurs  des  champs  aux  dames  de  la  ville.  Les  champignons  à  l'automne, 
les  ouvrages  sales  dont  personne  ne  voulait  lui  avaient  rapporté  quel- 
ques sous;  elle  gardait  les  chèvres  du  faubourg  en  conduisant  Blan- 
chette au  pré  communal  pour  assurer  son  pain. 


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AEVUB  DU  NIVERNAIS 


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Malgré  son  grand  étonnement,  il  avait  vu  tant  de  cheminées  dans  sa 
vie  qu'il  ne  pouvait  croire  qu'on  pût  en  manquer,  il  se  souvint  bien 
vite  de  son  catéchisme  et  prenant  un  air  réfléchi,  entendu  : 

—  Le  petit  Jésus,  c'est  le  bon  Dieu  et  le  bon  Dieu  est  partout,  mais 
l'église  est  encore  plus  sa  maison.  Va  lui  dire  là  ton  chagrin  ;  il  t'écou- 
tera  ;  tu  me  rencontreras  peut  être  ;  je  n'ai  pas  de  sabots,  moi,  si  tu 
n'as  pas  de  cheminée. 

—  Je  n'oserai  jamais,  dit  Moussette. 

—  Tu  oseras,  reprit  le  petit  ramrneur.  Et  le  soir  et  la  nuit  tout 
entière,  la  cabane  fut  illuminée  du  rayon  de  soleil  des  gueux  :  d'un 
peu  d'espérance. 

Le  lendemain,  lorsque  Moussette  se  réveilla,  elle  n'avait  rien  oublié. 
Toute  la  matinée,  elle  se  prépara  à  sa  grande  visite.  Comment  ferait- 
elle?  Que  dirait-elle?  Bien  lavée,  bien  peignée,  d'un  triste  peigne 
trouvé  sur  le  tas,  son  chapeau  remplaçant  l'éternel  mouchoir,  elle 
attendait  pour  partir  de  n'être  pas  vue  de  la  rousse.  EnQn,  une  bonne 
odeur  de  pâté,  d'oie  aux  marrons,  de  tartes  aux  pommes  arriva  jusqu'à 
la  cabane  ;  elle  pourrait  être  tranquille  maintenant,  on  Toublierait 
dans  le  festin.  Pour  plus  de  sûreté,  elle  prendrait  le  sentier  derrière 
la  haie. 

Et  dans  le  chemin  creux,  aux  ornières  craquantes  sous  ses  sabota 


_    .E  :J  MYEILNAIS. 

„^,   ^     ^-,    .  ^        !__-.:    :::  :{^i  elle  se  cachait  aiusi  sans  avoir 

,.        _  -  _.:_^  :  :e  le  gros  marchand  de  vins  qui 

-  '     .        *•  -a  superbe  chaîne  d'or,  au 

-     -  --.-.-  savait  pas  qu'on  peut  être 

>     -  -jiiLi  quand  on  est  riche  et 

"  •.  '  *"•    pjissauce    d'ici-bas,  que 

.      •  ;•'     '     ..lichant  Dlanchette,  qui 

.    ^  -a    -'î.^*   !u    'lur,  .e   *'tar  l^atlant,  elle 

^  ^  '       .      .-"■••.•IL   I    -.'r'-ci-r.  'aI*î  ap^rrnt  une 

-^^,;i      (■>-  iiîr*  <:iai)tMie -f  *-  -':->-^  'ir  et  mon- 

•    '     •• '■-iii,    uie  "taoje       z^ -r  .i  >ienue,  et 

;i>   •  u»*  '  •.a•l»^   Ann'^  "'Itt.;^^     t    *r -vaut  b'être 

•x-f    '  u'iirb  ijuanii  II'   i't^lil    ^— •  .- ir,  ^•a>tement 

^  .     ♦,    'i  -  .ippniciiaiu  un  [)»mk /'£...:,.  .'rr^ys  couché 

:if      l'^cue,   t'f)iiime    la  -k -:--,    ,i    milieu  de 

i.vM Lit*  -t  ^ui  ;.iu^  peiir  fia  tout   ±\^- c    :.  :^ier  en  le 

^N*      tuvtr  «iU  '-lie. 
.  .  -i    ..t;  .  -Mail  -^niiiL-us^  ^n  rpiiardanl  :  -.i^ .  **î^  '  ~.^^-:*-s  incon- 
,^  .   'K'iL  :unc  :»as  "[u'*'il*^  «le  bi**Q  ina.a^'ir"::-*- !  .. 

-,  ,i .    ;  ti>uiL  M'Mi>^ite 'lans -a  pf^tiie  luie  -*•:::  ^>  '"  n'aurais 
,  ^     ♦.   ,  .t  ijui  ae  LLeii>  aii^nt  manque  à^-  ^L''Jt:^   -i   i-  cn^miaées 
...»  \  »i"  ^*tif  \îrniu'fiL-*i5  du[ic  'b^uaufif-r  *...    Is    i"  «ui  pas  faim 
...  a  >a-  ,    i  i  Ml  'uairque  dvuic  quelque  «:hose? 

\x  >t'.'KUN  ,;:tnMHie'*  d''>r.  de  beaux  messieurs,   :ubiii»-s  nohement, 

„,  .-j  it  .X  .m>avec  un  {)Htit  niban  rouize  à  ia  bout'umien*.  nt^riaient  leur 

,,..n;  t'  '•»'  i'^»in'  ^0  p*tt.-nir  de  pbMin^r...;  de  beile>  daines  o»uvertesde 

.MM^tit'x,  .'iU'N  u\naient  pas   froid  pourtant,  laissaient  couler  leurs 

u*ti*  A.    .  ^b's  litunuies  d**  tout  à^ze,  vêtus  de  n>bes  noin*s.  blanches  ou 

MHt»ox,  drx  i\'ujines  au  b»niî  voile  retombant  sur  leurs  épaules,  un 

HOii'  -U'  vie  de  vo>a^e  à  la  main,  parai^.saient  Iri-tes...  tristes  comme 

oS   l'iaienl    oba>>es...   et   allaii'nt  partir;   un  vieillard    en    grand 

.(»  iitt  leutlail  M"^  deux  bras  vers  la  crèche  pour  crier  ju>lice.  Pourquoi 

\,^[H    fllii   mère,   cachée  sous    tant  de  crêpes,   s'accrooh ait-elle  i 

\,  l  ihie  ptmr  ue  pas  tomber?  Pounpioi  les  trois  fleurs  de  lys  d'or  de 

^.0  beau  bvre  elaieut-^'lles  si  mouillées?  Pourquoi  ce  vieux  père,  si 

wiii'laiit  td  si  pâle,  au  milieu  de  ces  marins,  s'avançail-il  en  serrant 


r 


REVt'E  BU  NIVERNAIS.  103 

sur  son  cœur  un  drapeau  ;  pourquoi  baisait-il  ce  drapeau  comme  la 
pauvrette  baisait  la  terre  au  cimetière?...  Tous  les  assistants,  jeunes 
ou  vieux,  pauvres  ou  riches,  semblaient  demander,  implorer,  supplier...; 
seuls  les  petits  apportaient  des  sourires  à  TEiifant  de  Noël,  et  Moussette 
restait  pensive,  car  elle  ne  savait  pas,  la  petite  Moussette,  qu'on 
cherche  le  bonheur  pendant  toute  sa  vie,  qu'on  désire  toujours  .. 
qu'il  n'y  a  sur  terre  que  des  mendiants  et  des  pauvres  !... 

Puis  ses  yeux  se  reportaient  sur  les  jolies  petites  filles,  portant  dans 
leurs  bras  les  surprises  de  la  nuit,  mais  ce  n'étaient  pas  les  admirables 
poupées,  prêles  à  parler,  que  Moussette  envitiit,  c'étaient  les  caresses 
de  leur  mère. 

Et  c'est  en  pensant  à  cette  tendresse  perdue,  à  cette  tendresse  qui 
console  de  toutes  les  misères  que  la  pauvrette,  à  son  tour,  s'agenouilla 
devant  la  crèche,  disant  fermement,  à  liante  voix  dans  l'ignorance  de 
son  cœur  : 

—  Mon  petit  Jésus,  on  m'a  dit  que  vous  donniez  à  Noël  tout  ce  que 
l'on  désire  quand  on  est  sage.  Je  suis  sage,  mais  je  suis  venue  vous 
trouver  ici,  parce  que  je  n'ai  pas  de  cheminée  pour  y  mettre  mon 
sabot...  Vous  me  comprendrez  bien  puisque  vous  êtes  aussi  pauvre 
que  moi.  Vous  êtes  couché  sur  la  paille,  moi  je  dors  sur  la  mousse; 
personne  ne  m'attend...  que  ma  chèvre..  Voudriez-vous  bien,  s'il 
vous  plaît,  m'envoyer  quelqu\in  qui  aimera  Moussette  et.  .  Blan- 
chette. 

Et  l'enfant  se  releva  sous  la  poussée  de  la  foule,  confiante  et  récon- 
fortée, distinguant  à  peine  le  doux  visage  navré  d'une  jeune  femme  en 
deuil,  penchée  sur  une  enfant  complètement  étendue  dans  une  longue 
voiture  à  bras,  elle  n'entendit  pas  la  petite  infirme  suppliant  sa  mère  : 

—  Pour  que  je  marche,  disait-elle,  donne-la-moi. 

La  neige  tombait  si  fort  lorsque  Moussette  se  retrouva  sous  le  portail 
de  l'église  qu'elle  allait  repartir  bien  vite  avec  sa  chèvre,  quand  des 
éclats  de  rire  moqueurs,  insultants,  la  poursuivirent. 

—  Ah  1  te  voilà,  bâtarde,  ricanait  la  rousse,  en  commission  à  la  ville  ; 
as-tu  demandé  un  chapeau  à  l'âne  du  petit  Jésus? 

—  Bâtarde,  criait,  tout  entière,  la  bande  d'effrontées,  amies  de  la 
rousse,  veux-tu  des  roses  de  Noël  ? 


104 


REVtlB  DU  NIVERMAIS 


Soos  la  grêle  d'injures,  sous  les 
bouks   de    neige    lancées    par   les 
gamins  ameulL-s  parla  servante  d*au- 
bt^rgf\  grolotlant  sous  Teau  glacée 
gagiianl  son    corps   à    peint?  veto, 
courbant  la  UMe  sous  le  nom  d'infa- 
mie, Hous^Uo,  Itfîi  bras  noués  a  uloor 
du  cou  de  sa  chèvre,  cachaut  son 
visago    dans  la   fourrure    de  ÎUan- 
;;^^  clietttî^    restait   muetle,    imm^fbile, 
sans  voir  la  foulo  s'écouler,  la  nuit 
^   venir,  la  longne  voîUire  à  bras  de 
la  pt  lito  iiitiniie  à  cùlé  d'elle.*  » 
Puî5  iQiit  d*uu  coup,  elle  se  mit  à 
courir,  roilement,  au   hasard, 
Iraversanl  des  mes  et  des 
places  inconnues  se  de- 
mandant    mille    fois 
pourquoi  la 


x;-.^ 
c 


la  détestait  autant,  car  Moussette  ne  savait  pas  qu'il  y  a  des  gens 
méchants,  sans  raison,  simplement  pour  être  méchants,  que  plus  on 
a  l'âme  basse,  plus  on  est  mauvais,  que  le  monde,  sauf  rexception 
d'élite,  est  partagé  en  deux  camps  :  ceux  qui  écrasent  et  ceux  qu'on 
écrase. 

Epuisée,  la  pauvrette  arriva  enfin,  par  un  long  détour,  à  la  grande 
promenade  de  Château-sur-Loire  ;  elle  se  reconnaissait.  C'était  là 
qu'elle  vendait,  l'été,  de  tout  petits  bouquets  de  bleuets  aux  be^ux 
messieurs,  les  jours  de  musique.  Puis,  il  lui  sembla  que  tout  tournait 


REVUE  iBU  NIVERNAIS. 


i05 


aotoor  d'elle,  qu'il  lui  fallait  dormir....  et  se  retenant  au  cou  de  sa 
chèvre,  elle  retombait  bientôt  sur  la  neige  amoncelée  par  te  vent  près 
du  kiosque,  sur  la  mousse  blanche  de  Thiver. 

Et  Moussette  rêvait!...  Elle  était  devant  la  crèche...  ;  le  petit  Jésus 
prenait  les  pauvres  vieilles  fleurs  de  son  chapeau  pour  lui  en  faire  une 
couronne  de  roses  d'or...;  il  lui  souriait,  il  lui  tendait  les  bras  et 
sa  voix  disait  :  <  Viens  Moussette,  il  n'y  a  pas  de  bâtards  au  paradis  ». 


■  t^  \>e-  irw  Quand  b  pauvrette  se  révejUa  elleouvrit 

W^^jQm^^  ^]^r  *''^  grands  yeux,  comme  on  doit  les  ouvrir 
'^^  '  ^  ^"^^^^  en  airivaut  au  ciel...  Elle  était  couchée 
pour  la  première  fois  de  sa  vie  dans  un  lit 
bien  blanc  ;  des  nids  d'oiseaux  tapissaient 
les  murs  de  la  chambre;  des  roses  d'été 
fleitnssQîetit  sur  la  cheminée;  une  grosse 
hi\v\w  hriïlaît  dans  Tâtre. 

Cûmnie  elle  se  frottait  les  yeux  sans  com- 
prendre. Il  rie  enfant  de  son  âge,  étendue 
tout  près  d'elle,  dans  un  long  fauteuil,  lui 
Icndli  la  maiti. 

—   Veux- tu   être   ma  petite    sœur, 
Mou^si  Ue;  le  petit  Jésus  t'a  mise  dans 
mon  sabot  !  N'aie  pas  peur  de  tes  gue- 
nilles ;  tu  es  plus  riche  que  moi,  je 
ne  iiiurcherai  peut-être  jamais. 
—  Tu  m'as  fait  bien  courir,  ma 
petite  Noëlle,  reprenait  la  jeune 
femme  entrevue  vers  la  crèche, 
en  l'embrassant  tendrement 
tout  émue  ;  reste  avec  nous 
pour  toujours... 

Et  sous  le  baiser  maternel 
de   sa  marraine,   sous   les 
caresses  de  l'enfant  infirme 
étendue,  en  voyant  appa* 
nUtreTdans  la  porte  entrebâillée,  la  bonne  grosse  I4t6  de  Blanehette, 


106  REVUE   DU   NIVERNAIS. 

brossée,  coiffée,  enrubannée  comme  une  dame  chèvre,  Mousselte 
sourit...  comme  on  sourit  au  paradis  1 

* 

Et  la  neige  tombait  toujours. 
Et  les  cloches  sonnaient  toujours. 

Et  Noël  revient  toujours  pour  tous  ceux  qui  ont  besoin  d'espérance. 

Françoise  d'Husselles. 


UN  NOËL  DU  POÈTE  GABRIEL  VICAIRE 


'avais  remarqué,  parmi  les  travaux  dermes 
collaborateurs  au  Parnasse  contemporain  de 
1876,  les  vers  de  Gabriel  Vicaire,  parfumés 
comme  le  trèfle  en  fleur,  sonnant  clair  comme 
i  le  pur  aigent.  J'avais  le  désir  de  connaître 
l'homme  qui  les  avait  écrits,  quand  m'arriva 
la  lettre  dont  voici  le  début  : 


«  Monsieur  el  cher  confière, 

»  MoQ  ami  P.  Léser  et  moi,  nous  avons  entrepris  une  sorte  de  recueil  de 
morceaux  choisis  qui  conti<>nt,  entre  autres  choses,  une  description  poétique 
des  diverses  provinces  de  France.  Naturellement,  lorsque  nous  sommes  arrivés 
au  Nivernais,  nous  avons  pensé  à  vous  et  nous  avons  jeté  notre  dévola  sur 
une  pièce  très  pittoresque  iniitulée  :  Le  Gué,  JVspère  que  vous  voudrei  bien 
nous  autor.ser  i  la  i*eproduire.  Notre  recueil  serait  évidemment  incomplet  si 
vous  n*y  figuriez  pas.  Permettez-moi  de  saisii*  cette  occasion  de  féliciter  oo 
poète  dont  le  talent  m'est  extrêmement  sympathique  et  dont  je  serais  très 
heureux  d'obtenir  les  suffrages • 

Cette  lettre  était  signée  Gabriel  Vicaire.  Ainsi  prirent  naissance  de 
précieuses  relations  qui  me  valurent  d'avoir  pour  hôte,  à  Beaumont- 
la-Ferrière,  un  des  plus  charmants  esprits  de  la  littérature  contem- 
poraine, enlevé  trop  tOït,  Tannée  dernière,  à  la  suite  d'une  longue  el 
douloureuse  maladie. 

(labriel  Vicaire  était  issu  de  la  bonne  souche  nationale  qui  porta  ces 
poètes,  Français  entre  tous,  dont  le  nom  vient  naturellement  à  la 
mémoire  quand  on  lit  les  Emaux  bressans  :  Villon  el  La  Fontaine.  Rien 
de  plus  franc,  de  plus  clair,  de  plus  sincère  que  sa  poésie.  Eo  dernier 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  107 

lieu,  Vicaire  y  mettait  une  note  plus  délicate  encore  d'émotion  pro- 
fonde et  communicative.  Il  avait  gardé,  chose  rare  chez  nos  poètes 
raffinés,  la  fleur  de  naïveté  qui  embaume  les  productions  populaires. 
Je  ne  connais  personne  dans  notre  poésie  contemporaine,  qui  ait 
possédé  à  ce  point  le  don  de  séduire  et  de  captiver  son  lecteur  ;  c'est 
que  Vicaire  est  un  vrai  poète,  t  c'est-à-dire  une  de  ces  natures  infini- 
ment délicates  et  impressionnables,  un  de  ces  esprits  merveilleusement 
subtils  et  pénétrants,  susceptibles  de  voir  et  de  sentir  au-delà  de  ce 
que  nous  sentons  et  voyons,  capables  de  savoir,  sous  forme  de  méta- 
phores et  d'images,  pour  les  traduire  en  un  langage  mélodieux,  les 
rapports  les  plus  intimes  et  les  plus  secrets  des  choses  (1)  ». 

Il  était  bon  et  simple  de  cœur.  Dans  nos  promenades  à  travers  les 
massifs  boisés  de  Beaumont,  son  âme  s'épanouissait  en  une  fraternelle 
union  avec  la  nature.  Il  me  disait  ses  projets,  me  récitait  ses  nouveaux 
vers,  encore  à  l'état  d'ébauches  et  déjà  frissonnants  du  souffle  delà 
plus  pure  poésie.  Il  avait  pénétré  dans  la  forêt  des  Légendes  ;  il  avait 
cueilli,  dans  le  jardin  féerique,  à  a  l'Heure  enchantée  » ,  la  fleur 
magique,  la  fleur  qui  chante.  Quand  le  mal  arracha  de  ses  mains  la 
plume  harmonieuse,  il  préparait  deux  nouveaux  recueils  de  poésies. 
Et  voici  que  par  les  soins  de  celui  «  qui  fut  son  cousin  par  le  sang  et 
son  frère  par  l'affection  »,  M.  Georges  Vicaire,  les  morceaux  inédits 
de  notre  poète  nous  sont  offerts  en  un  bel  et  bon  volume  sous  ce  double 
titre  :  Au  Pays  des  ajoncs  et  Avant  le  soir  (2). 

Le  €  Pays  des  ajoncs  »,  c'est  la  Bretagne,  où  Vicaire,  fatigué  de 
Paris,  était  allé  chercher  le  calme  consolateur,  le  calme  de  la  grande 
mer  : 

Le  bleu  céleste  de  la  mer, 

Tout  le  bleu  tendre  est  dans  mon  cœur .. 

n  y  a  là  des  descriptions  d'une  délicatesse  exquise. 

Dans  «  Avant  le  soir  i,  sont  groupés  des  morceaux  d'un  sentiment 
plus  intime  encore.  On  sent  Tâme  du  poète  touché  par  la  souffrance, 
exhalant  sa  plainte  sans  révolte,  avec  une  douceur  résignée  ;  une 
grande  et  saine  mélancolie  émane  de  ces  notes  qui  font  aimer  le  noble 
et  tendre  cœur  d'où  elles  ont  jaiUi.  Nos  lecteurs  nous  sauront  gré  de 

(1)  Discours  prononcé  par  M.  Amédée  Bonnet  aux  obsèques  de  Gabriel  Vicaire. 

(2)  Paris,  Ub.  Henri  Leclerc,  219,  rue  Saint-Honoré,  2^  pages  in-i8. 


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tlÊVUÈ  DtJ  NIVERNAIS.  109 


Non,  non,  c'est  une  pauvre,  oh  I  bien  pauvre  demeure^ 
Abri  de  vagabonds,  refuge  d'indigents. 
Une  étable  où  dans  tous  les  coins  la  bise  pleure, 
Qik  tout  le  nM>nde  est  bien  navré,  bétes  et  gens. 

Un  homme  déjà  mûr,  dont  la  barbe  grisonne. 

Veille  à  Thumble  repas,  prépare  le  coucher. 

Sa  femme  auprès  de  lui  parait  toute  mignonne, 

Si  jeune,  une  enfant  presque,  et  qui  vient  d'accoucher. 

Entre  eux  deux,  tout  pareil  à  Téglantine  fraîche, 
Repose  le  poupon  qui  rit  en  s'endormant. 
Un  petit  âne  brait  dans  le  fond  de  la  crèche, 
Un  gros  bœuf  à  côté  rumine  bruyamment. 

Mais  qui  frappe  ?  Et  là-bas,  quel  splendide  cortège  ! 
Bonnes  gens,  n'ayez  peur,  ce  sont  de  puissants  rois, 
Vêtus  de  pourpre  sombre  et  couronnés  de  neij^e. 
Ils  viennent  de  bien  loin  vous  saluer  tous  trois. 

Regardez,  regardez.  Ces  maîtres  qn*on  admire, 
Les  voilà,  dans  la.  paille,  humblement  à  genoux^ 
Ils  offî:*ent  tour  à  tour  l'or,  l'encens  et  la  myrrhe. 
Ils  disent,  bien  contrits  :  «  Seigneur,  écoutez-nous  I 

D  (Test  nous  qu'au  firmament  guide  la  pure  étoile. 
Nous  arrivons  pour  vous  du  fond  de  l'Orient, 
Nous  voulons  voir  enfin  la  vérité  sans  voile,  i 
Et  le  petit  enfant  s'éveille  en  souriant. 

Oh  I  quelle  joie  immense  a  soulevé  la  terre  I 
Quelle  miraculeuse  et  subite  clarté  1 
La  rose  incomparable  est  au  divin  parterre. 
Le  monde  entier  tressaille  et  se  sent  racheté. 

Et  le  vieil  homme  voit,  il  a  repris  courage. 
N'est-ce  pas  un  espoir  qui  lui  tombe  du  ciel  ? 
n  pleure  et,  tout  tremblant  encor  du  grand  orage, 
Ne  peut  que  murmurer  bien  bas  :  •  Noël,  Noël  I  » 

Il  est  comme  l'oiseau  mouillé  sur  une  branche, 
Quand  un  soleil  de  fiamme  éclate,  aux  chauds  midis.  — 
11  neige,  il  neige^  et  la  campagne  est  toute  blanche... 
Il  fera  bon  demain  dans  le  clair  Paradis. 


Gabriel  Vicaire  aura  bientôt  son  monument  dans  les  jardins  du 
Luxembourg.  Un  comité,  dont  l'auteur  de  ces  lignes  a  l'honneur  de 
faire  partie,  achève  de  recueillir  les  souscriptions  nécessaires.  Peut- 
être  se  trouvera-t-il,  parmi  les  lecteurs  de  cette  Revue,  quelque  ami 
de  la  bonne  poésie  dont  je  serais  heureux  de  recevoir  l'offrande. 

ACHILLE  HlLUEN. 


@5>'"f^ôg^fx® 


LIVRES  ET   PERIODIQUES 

Lu,  dans  les  Souvenirs  d'un  journaliste ^  de  Gallus,  ce  piquant  [xortrait  d*une  des 
figures  les  plus  sympathiques  et  les  plus  respectées  de  notre  Nivernais,  feu  l'excellent 
comte  Victor  de  Maumigny  : 

«  Les  congrès  annuels  de  la  Société  des  agriculteurs  de  France  faisaient  affluer 
dans  nos  bureaux  un  certain  nombre  de  châtelains  désireux  d'approfondir  Tart  des 
assolements  et  de  s'initier  à  la  science  des  fumures.  Quand  l'un  d'eux,  le  comte  de 
Maumigny,  m'apparut  pour  la  première  fois,  il  me  sembla  voir  un  de  ces  gentils- 
hommes campagnards  que  les  assemblées  des  Bailliages  députèrent  en  1789  aux  Etats- 
Généraux  de  Versailles.  Le  costume  n'avait  presque  pas  change.  La  culotte  à  pont,  le 
gilet  à  Heurs,  la  rhingrave  vert  bouteille,  les  souliers  ferrés,  la  cravate  flottante,  le 
bâton  noueux,  les  cheveux  longs,  tout  révélait  le  a  seigneur  de  village  ■  tel  que  nous 
le  montrent  les  comédies  de  Oancourt  et  les  opéras  de  Sedaine. 

n  Mais,  sous  cet  accoutrement  rustique,  se  cachait  le  cœur  le  plus  chaud,  l'âme  la 
plus  haute  et  l'intelligence  la  plus  cultivée.  Notre  laird  nivernais  maniait  la  plume 
avec  une  rare  élégance  et  développait  sur  la  ■  Restauration  sociale  de  notre  pays  t 
les  considérations  les  plus  ingénieuses  et  les  plus  sensées.  Quand  l'honnête  «  sei^eur  • 
parlait,  quel  brave  sourire  éclairait  sa  loyale  (i^re,  —  non  ce  niais  sourire  oui, 
comme  une  grimace  d'atuxique,  se  fige  sur  certains  visages,  mais  le  sourire  d  un 
frère  accueillant  un  frère!...  ■ 


Louis  Boulé,  Maman  Claudie.  —  Paris,  Alphonse  Lemerre^  passage  Choiseol, 
in-lS,  3  fr.  50. 

Notre  compatriote,  M.  Louis  Boulé,  déiâ  avantageusement  connu  par  la  publication 
d'un  recueil  de  vers,  nous  donne  aujourd'hui,  sous  forme  d'extrait  a'un  journal  à  lui 
confié  par  un  ami,  ce  simple  et  attachant  récit.  Enfant  trouvé,  élevé  en  un  coin  du 
Berry,  près  du  Nivernais,  .leun  Fleur)-  nous  dit  son  enfance,  ses  impressions,  et  aussi, 
d'après  les  confidences  d'une  vieille  voisine,  la  vie  de  sa  mère  adoptive.  La  petite 
Claudie,  fille  du  meunier  du  CKti  Moulin,  mignonne  enfant,  supérieure  à  son 
entourage,  souflrant  de  celle  supériorité  inconsciente,  est  une  de  ces  natures  délicates 
«  qui  ont  besoin,  pour  leur  complet  épanouissement,  de  sentir  autour  d'elles  une 
atmosphère  d'amour  •.  Mariée  avec  un  forgeron,  elle  est  heureuse  pendant  deux  ans, 
puis  son  mari,  cédant  aux  mauvaises  influences,  revient  à  d'anciennes  habitudes 
d'intempérance.  Privée  d  enfants,  elle  va  chercher  un  chami^  et  c'est  Jean  Fleury. 
Il  entre  à  douze  ans  au  collège  de  V.  dirigé  par  des  prêtres,  car  le  ^rand  désir  de 
«  maman  Claudi?  »  est  de  le  voir  se  consacrer  au  saceraoce.  Mais  au  moment 
d'entrer  au  séminaire,  il  en  est  dissuadé  par  son  directeur,  s'engage  dans  l'infanterie 
de  marine  et  part  pour  des  régions  lointaines,  revient  en  congé  pour  fermer  les  yeux 
de  maman  Claudie,  puis  repart  pour  tomber  sous  une  balle  chinoise.  C'est  tout.  Le  livre 
fourmille  de  charmantes  descriptions,  tracées  d'un  crayon  léger,  comme  celle-ci  : 

•  Le  visage  ouvert  au  midi,  la  maison  était  solitaire,  sous  sa  coiffe  de  paille.  On 
l'apercevait  de  loin,  assise  sur  la  colline,  entre  les  arbres.  Elle  avait  un  air  doux  et 
rt^igné,  comme  certaines  physiotromies  de  bonnes  aïeules.  Et  bien  qu'elle  ne  possédât 
pour  toutes  dépendances  qu'une  petite  construction  neuve  soudée  derrière  elle  et 
servant  de  forge,  une  étable,  un  ancien  colombier  de  redevance  tout  dépenaillé,  rongé 
par  les  lierres,  elle  avait  un  nom:  La  Minalle.  Us  la  connaissaient  bien  — les  pauvres 
vieux  chemineaux  de  .Mennelou-la-Misère  et  les  petits  bohémiens,  noirs  comme  des 
grelets,  qui  vendaient  corbeilles  d'oisil  et  mendiaient  dans  le  pays!  Us  y  arrivaient 
tous  par  le  même  chemin  sortant  dt^  bois  d'en  face  et  descenaant  d'un  jet  jusqu'au 
rtau.  Le  pont  de  pierre  délabré,  rongé  de  mousse  et  de  poussière,  courbait  toujoun 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  Hi 

sa  maigre  échine,  afin  de  leur  livrer  passage,  pendant  que  la  chanson  balbutiante  de 
l'eau  claire  coulait  sous  Tarche  et  sVgrenait  dans  lombre...  • 
Il  y  a  aussi  des  croquis  enlevés  à  la  pointe  : 

•  Mlle  Ursine  Lepoivre  était  ma  béte  noire.  Chaque  coup  d*œil  lancé  par-dessus 
ses  lunettes  me  donnait  un  petit  frisson.  Sa  tôte  anguleuse,  en  forme  de  poire  len versée, 
se  tenait  perchée  sur  un  grand  cou  maigre  et  portait  au  front  deux  prunelles  jaunes 
qui  vous  fixaient  du  haut  d'un  nez  crochu.  Elle  avait  le  bas  du  visage  long,  osseux, 
coupé  de  rides.  Ses  lèvres  pincées  et  blêmes,  ne  s'ouvraient  que  pour  laisser  passer 
une  voix  piaillarde,  aigre,  avec  de  petits  sifllements.  Elle  portait  une  verrue  au  menton 
avec  trois  p>oils  rébarbatifs  plantés  dedans...  Ah!  ce  n'était  pas  une  merlette  à  coup 
sur,  car  elle  en  avait,  de  Targot  et  du  bec  !.  .  • 

De  jolies  légendes  sont  enchâssées  dans  le  récit.  Je  terminerai  en  détachant  du 
livre  cette  petite  poésie  qui  sera  bien  à  sa  place  dans  ce  numéro  de  Noël  : 

La  vieille  chapelle  est  toute  fleurie. 
Sur  Jésus  qui  dort  le  rosier  sent  bon. 

—  «  Je  n'ai  qu'une  rose,  ô  Vierge  Marie, 
Et  voudrais  l'offrir  à  votre  poupon. 

m  Oh  !  de  le  baiser  faites-moi  la  grâce  ; 
Il  n'en  saura  rien  le  beau  petit  Boi. 
Que  demandez-vous  pour  que  je  l'embrasse? 
Ce  sei*ait  si  doux,  permettez-le  moi  ! 

Et  me  dit  tout  bas  Madame  Marie  : 

—  «  Mais  c'est  pour  cela  quMl  demeure  ici! 
Pose  sur  son  front  ta  bouche  fleurie, 

11  sera  content,  —  car  il  t'aime  aussi  !  • 


NOTES  ET   ÉCHOS 


/,  La  Société  d'enseignement  populaire  de  Ne  vers  a  inauguré  la  série  de  ses  confé- 
rences d'hiver,  le  i""  décembre.  M.  le  professeur  d'histoire  Colin  a  exposé  le  •  Rôle  de 
la  géographie  au  vingtième  siècle  ».  Le  dimanche  8  décembre,  M.  le  docteur  Bacquelin 
a  fait  une  conférence  sur  «  l'Hygiène  •.  Ces  conférences,  dont  le  but  est  si  élevé  et  si 
désintéressé,  ne  sauraient  être  suivies  par  nos  compatriotes  avec  trop  d'empressement 
et  d'assiduité. 

/.  M.  Maurice  Mignon  a  passé  avec  succès  les  épreuves  de  l'examen  de  la  licence 
es  lettres  et  M.  l'abbé  Râteau,  professeur  à  baint-Cyr,  celles  de  l'examen  de  licence 
es  sciences  physiques. 

/.  L'Académie  des  sciences  morales  et  politiques  vient  de  tenir  sa  séance  annuelle 
publioue.  Le  prix  Odilon-Barrot  a  été  décerné,  comme  nous  l'avions  annoncé,  à  M. 
Ch.  Morizot-Thibault  pour  une  Etude  stir  l'instruction  criminelle,  sujet  proposé. 
M   Paul  Griveau  a  obtenu  une  mention  honorable  dans  un  autre  concours. 

.*.  M.  Carré,  instituteur  à  Sichamps,  vient  d'obtenir  une  mention  honorable  de  la 
Société  nationale  des  conférences  populaires  pour  une  Monographie  de  la  commune 
d'Ourouéry  honorée  déjà  d'une  médaille  d'argent  à  l'Exposition  universelle. 

,*.  Notre  regretté  compatriote  Charles  Le  Blanc  Bellevaux,  a  élevé  en  son  be'  album 
d'aquarelles,  un  vrai  monument  à  notre  Nivernais.  Les  heureux  possesseurs  de  cet 
ouvrage  n'apprendront  pas  sans  satisfaction  la  récompense  dont  il  a  été  l'objet 
à  l'Exposition  universelle.  Le  ministère  du  commerce  et  de  Tinduslrie,  qui  avait  dès 
septembre  envoyé  une  médaille  de  bronze  à  M.  Auguste  Le  Blanc  Bellevaux,  exposant 
de  l'album,  vient  de  lui  faire  parvenir  le  diplôme  justificatif.  Charles  Le  Blanc  Belle- 
vaux, si  prématurément  disparu,  a  laissé  un  vide  dans  notre  phalange  d'aii,  mais 
avec  ses  oeuvres  survivront  et  le  talent  de  l'artiste  et  le  souvenir  de  Phommc  excellent 
qui  ne  compta  que  des  amis. 

/,  C'est  le  26  février  prochain  que  sera  célébré  à  Paris  le  centenaire  de  Victor 
Hijgo  et  qu'aura  lieu  t'inauguratien  de  son  monument.  Un  comité  vient  de  se 
constituer  a  Bourges  dans  le  but  de  convier  à  ces  fêles  les  écrivains  provinciaux.  Un 
comité  général  de  la  province  est  en  formation  Nous  apprenons  que  M.  Achille 
MiUien  a  été  désigné  comme  délégué  pour  la  Nièvre. 

L.  D. 


142 


tlSVUE  DtJ  NIYEHMâIS. 


NOUVELLE   ANNÉE 

1902 

Une  année  encore  à  compter. 

C'est  peu,  mais  c'est  beaucoup  peat*étre| 

Et  que  doit-on  vous  raconter 

Sur  ce  qui  n'est,  hélas  !  qu'à  naitre  ? 

Que  pourrons-nous  bien  ajouter 
En  fait  de  moden  à  paraître  ? 
Le  corset  droit  est  à  noter 
Et  le  velours  un  franc  le  mètre. 

Il  faut  toujours  prendre  en  passant, 
Même  en  fait  de  gouvernement, 
Ce  que  la  terre  nous  octroie  f... 

Pour  être  gais,  vivons  de  peu  ; 
Les  gros  bonnets  (même  sans  Dieu) 
N'ont  pas  les  jours  filés  de  soie  !... 


Eugénie  Casanova. 


Le  Directeur-Gérani,  ACHILLE  HlLUSN. 


/tntftf  Imit,  0.  Y*tNétÊk 


EN  ENGADINE 


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A  Louis  Roblin. 


E  Christophe  Colomb  qui  a  découvert 
TEngadine  devrait  bien  nous  dire  son 
nom.  Je  crois  qu'on  le  bénirait:  sans 
compter  qu'on  serait  capable  de  lui 
élever  une  statue,  de  son  vivant,  ce  qui 
n'est  pas  à  dédaigner  !  Ces  gros  hom- 
mages, il  les  mériterait  pour  nous  avoir 
donné  l'Engadine.  Il  faudrait,  pour  parler  de  ce  pays,  décrasser  tous 
les  adjectifs  auxquels  le  temps  a  fait  une  gaine  de  banalité  ;  on  voudrait 
pouvoir  célébrer  l'Engadine  avec  des  mots  nouveaux,  qui  n'aient  point 
servi  à  chanter  la  a  nature  »  sous  Louis-Philippe  !«',  roi  des  Français. 
C'est  déjà  un  charme  d'entendre  prononcer  des  mots  tels  que  ceux-là  : 
Silvaplana,  Sils-Maria,  Maloya,  Isola,  Pontresina,  tous  ces  noms  latins 
des  villages  engadinois  sonnent  à  nos  oreilles  comme  de  mélodieuses 
litanies.  C'est  un  souffle  de  la  Lombardie  qui  est  venu  jusque  là,  c'est 
un  sourire  de  T Italie,  sur  ces  bourgades  perdues  dans  les  montagnes 
tragiques. 

Contempler  les  lacs  romantiques,  qui  étalent,  dans  la  splendeur  de 
de  la  lumière,  leur  nappe  verte,  bleue,  diamantée  ;  les  flères  mon- 
tagnes qui  les  enserrent  ;  les  sapins  qui  grimpent  à  l'assaut  des  cimes 
et  qui  s'arrêtent  au  milieu  de  leur  élan,  comme  s'ils  n'osaient  violer 
les  solitudes  éternelles  où  la  neige  déroule  ses  longues  draperies 
blanches,  voilà  bien  un  enchantement.  L'Engadine  nous  en  offre  un 
autre,  celui-là  moins  grandiose,  et  sur  lequel  je  voudrais  insister  dans 
cette  revue, 

5 


H4  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Il  y  a,  en  Engadine,  un  petit  omnibus  qui  va  de  Saint-Moritz  à 
Haloya,  un  petit  amour  d^omnibus  qui  n'a  l'air  de  rien  et  qui,  pourtant, 
procure  aux  Parisiens,  qui  osent  s'y  aventurer,  quelques  joies  très  pures. 
Il  leur  rappelle  leur  ville  et  ce  n'est  pas  une  mince  jouissance,  comme 
vous  savez,  de  venir  en  Suisse  pour  regretter  Paris  (l'homme  étant  né 
pour  être  bien  partout  où  il  n'est  pas).  Songez  que  cet  omnibus  a  une 
impériale  avec  des  banquettes,  comme  à  Paris  1  En  faut-il  davantage 
pour  nous  subjuguer  ? 

Un  jour  de  l'été  dernier,  vers  les  deux  Jieures  de  l'après-midi,  devant 
la  poste  de  Saint-Horitz-Dorf,  j'escaladais,  en  compagnie  d'un  ami, 
l'escalier  qui  conduit  à  l'impériale.  Quand  l'omnibus  partit,  nous  étions 
seuls  sur  ce  sommet.  Nous  nous  lamentions  à  haute  voix,  comme  pour 
prouver  qu'ils  n'ont  pas  tort  les  manuels  de  géographie  lorqu'ils 
publient  que  les  Français  sont  gens  sociables.  Nous  voulions  avoir  des 
voisins  sur  ces  banquettes,  tant  la  solitude  nous  effrayait  1  Notre  désap- 
pointement devait  être  éphémère;  à  Saint-Moritz-Bad,  le  destin  nous 
servit  copieusement.  Deux  Allemands  déguisés  en  touristes,  deux 
colosses  blonds,  avec  un  ballot  sur  ledos,unalpenstockdans  la  main  et 
une  paire  de  moustaches  qui  nous  auraient  fait  grand  peur,  si  leurs  yeux 
bleus  très  doux  ne  nous  avaient  aussitôt  rassurés,  vinrent  s'asseoir  à  nos 
côtés.  Puis  ce  fut  une  famille  composée  de  trois  personnes.  Ah  î  cette 
famille  !  Je  me  reprocherais  de  ne  point  la  dépeindre,  au  moins  som- 
mairement. Le  père  devait  avoir  dépassé  la  cinquantaine.  Il  portait, 
entre  deux  épaules  rétrécies,  une  tête  de  chef  de  bureau  :  petite  mous- 
tache grisonnante,  menton  pointu,  des  yeux  débonnaires  et  ennuyés. 
La  maman,  pas  trop  volumineuse,  et  qui  avait  certainement  ébréché  la 
quarantaine,  se  parait,  non  sans  grâce,  d'un  embonpoint  naissant.  Une 
ride  plissait  son  front  qui  n'avait  rien  d'olympien,  ses  mouvements 
secs,  saccadés,  nous  laissèrent  croire  que  nous  avions  devant  nous  une 
femme  à  l'âme  véhémente  et  irritable,  comme  on  dit  qu'il  en  fleurit 
dans  les  cinq  parties  du  monde.  La  jeune  fille,  —  car  c'était  une  jeune 
fille  qui  complétait  ce  trio  1—  n'offrait  point  à  nos  regards  une  beauté 
trop  classique,  mais  son  nez  qui  se  retroussait  à  la  pointe,  mais  sa 
bouche  finement  dessinée,  mais  ses  joues  d'un  frais  coloris,  mais  la 
grâce  qu'elle  mettait  en  tous  ses  mouvements,  faisaient  d'elle  une  petite 
personne  agréable  à  voir  ;  elle  n'était  pas  jolie,  mais  elle  l'avait  échappé 
belle  !  Nous  nous  demandions  quelle  fortunée  nation  nous  envoyait 
cette  famille,  quel  gouvernement  avait  la  chance  de  lui  réclamer  l'impôt. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  115 

Notre  incertitude  ne  dura  pas  longtemps.  Bientôt,  la  dame  s'écria  sur  un 
ton  qui  n'était  point  amène. 

~  Quel  omnibus  1  Si  c'est  possible  !  Ce  qu'on  est  ballotté  là-dedans  ! 
Ma  parole,  on  se  croirait  dans  BatignoUes-Clichy-Odéon  I 

Nous  le  savions  maintenant  :  cette  famille  était  française,  plus  que 
française,  parisienne  !  La  voiture  s'était  engagée  sur  la  route  postale 
qui  côtoie  l'Inn.  La  dame  regardait  obstinément  le  torrent  qui  promène 
sa  fougue  entre  des  montagnes  couvertes  de  sapins,  puis  sortant,  tout 
à  coup,  de  sa  contemplation  : 

—  Alors,  fit-elle,  se  tournant  vers  son  mari  et  sa  fille  qui  se  tenaient 
cois  à  côté  de  moi,  c'est  çà  leur  fameux  Inn,  un  des  principaux 
affluents  du  Rhin,  à  ce  qu'ils  disent,  dans  le  petit  bouquin  roûgei 
Eh  bien,  parlons-en  !  Une  méchante  petite  rivière,  un  ruisseau,  que 
la  Seine  boirait  d'un  coup  !  Ils  sont  étonnants  ces  Suisses  !  Ils  ont 
fourré  des  cailloux  là-dedans  pour  faire  des  cascades  I  Tout  comme  au 
bois  de  Boulogne  I  Ah  oui,  parlons-en  de  leur  Inn  I  de  leur  affluent  1 

Bientôt,  le  gracieux  village  de  Campfer  apparut  blotti  contre  sa 
montagne.  Nous  apercevions  ses  quelques  maisons  qui  se  serraient 
autour  de  la  petite  église,  comme  des  moutons  autour  du  berger. 

—  Ah  I  voilà  Campfer  !  fit  la  jeune  fille  qui  feuilletait  un  guide. 

—  Campfer  I  Campfer  !  drôle  de  nom,  s'écria  la  dame.  Un  nom  à 
coucher  dehors  I  C'est  leur  manie,  dans  ce  pays,  de  donner  aux  villages 
des  noms  grotesques  !  Et  puis,  qu'est-ce  qu*ils  nous  chantent,  un  village  1 
Une  bourgade,  tout  au  plus,  un  hameau,  un  trou,  oui  un  trou  1  Dire 
que  nous  avons  quitté  la  rue  du  Faubourg-Montmartre,  que  nous  avons 
fait  trois  jours  de  voyage,  dont  une  journée  de  diligence,  que  j'en  ai 
encore  le  corps  meurtri  —  et  la  dame,  du  revers  de  la  main,  se  frotta 
les  côtes  —  pour  voir  ce  ramassis  de  masures,  qu'ils  ont  baptisé  : 
Campfer  !  Un  nom  de  chien  de  chasse  ! 

—  Mais....,  voulut  objecter  le  mari. 

—  Il  n'y  a  pas  de  mais,  reprit  vivement  la  dame,  c'est  un  trou,  ton 
Campfer  et  je  te  défends  bien  de  dire  le  contraire  !  Oui,  un  petit  trou 
très  cher  ;  mais  c'est  la  forêt  de  Bondy  que  ce  pays  I 

Il  y  eut  un  silence  pendant  lequel  le  mari  éternua  deux  fois  : 

—  Emile,  tu  t'enrhumes,  dit  la  dame.  Ah  1  il  ne  nous  faudrait  plus 
que  çà  ! 

Elle  saisit  un  châle  qu'elle  avait  déposé  à  côté  d'elle  et,  d'un  geste 
brusque,  le  jeta  sur  le  dos  de  son  mari.  Docilement,  celui-ci  s'emmi- 


116  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

toufla,  serrant  les  épaules.  La  jeune  fille  regarda  son  père  et  éclata  de  rire. 

—  Lucie,  qu'est-ce  qui  te  prend  ?  demanda  la  mère  sur  un  ton 
qu'elle  s'efforçait  de  rendre  sévère  ? 

—  C'est  papa  !  dit  la  jeune  fille  d'une  voix  que  le  rire  étranglait.  Ce 
qu'il  est  drôle  avec  son  châle,  on  dirait  une  vieille  fille  qui  sort  de  la 
prière  du  soir,  pendant  le  carême  ! 

Nous  arrivâmes  à  Silvaplana,  cet  harmonieux  village  de  l'Engadine, 
dont  les  blanches  maisons  riaient  au  soleil,  dans  la  douceur  et  dans  la 
paix  de  cette  lumineuse  journée.  En  traversant  Silvaplana,  la  dame 
s'enveloppa  dans  un  dédaigneux  silence,  dont  ni  son  mari  ni  sa  fille  ne 
tentèrent  de  la  tirer.  Jusqu'à  Sils-Maria,  elle  resta  muette  comme  les 
grandes  douleurs  qui  se  sentent  regardées.  Là,  dès  que  les  glaciers 
apparurent  dans  la  gloire  de  leurs  neiges  éclatantes,  la  dame  recom- 
mença à  déverser  l'amertume  de  son  âme.  Elle  avait  saisi  une  lorgnette 
qu'elle  braquait  sur  le  rocher  de  Fex  : 

—  Je  ne  vois  pas  d'ours,  dit-elle,  après  une  minute  d'inspection. 

—  Cela  t'étonne,  maman?  dit  la  jeune  fille  un  peu  goguenarde.  Tu 
t'imagines  que  les  ours  vont  se  montrer  juste  au  moment  où  tu  passes 
et  pour  avoir  le  plaisir  d'être  regardés  par  nous  I 

La  dame  tenait  toujours  sa  lorgnette  braquée  sur  le  glacier. 

—  Ah  ouiche  I  s'écria-t-elle,  pas  plus  d'ours  que  dans  mon  œil  !  Ni 
ours  !  ni  chamois  !  ni  aigles  !  J'ai  beau  me  crever  les  yeux.  Rien  !  rien  ! 
rien  !  Mais  alors  qu'est-ce  que  nous  sommes  venus  faire  ici  ?  Contempler 
de  la  neige?  On  en  voit  en  hiver  sur  les  Buttes-Chaumont.  Pas  d'ours  ! 
pas  d'ours  1  Non,  vrai  I  Oh  !  le  sale  pays  ! 

Le  mari,  la  jeune  fille,  mon  ami  et  moi  cédant  à  la  force  du  comi- 
que, ne  pûmes  nous  empêcher  de  rire.  Les  deux  Allemands  eux-mêmes, 
qui,  semblait-il,  ne  comprenaient  point  le  français,  sourirent  dans  leur 
grosse  moustache  blonde.  Ces  gaillards-là  devraient  avoir  ce  bon  gros 
sourire  quand,  il  y  a  trente  ans,  ils  nous  volaient  nos  pendules  pour 
les  donner  à  leur  Gretchen  ! 

Comme  nous  approchions  de  Maloya,  la  cantilène  reprit  : 

—  Ah  I  voilà  Maloya  !  dit  la  jeune  fille. 

—  Comment,  Maloya  ?  fit  la  mère,  mais  où  est  la  ville  ? 

—  Il  n'y  a  pas  de  ville,  répondit  le  mari. 

—  Mais  le  village  ?  demanda  la  dame. 

—  Il  n'y  a  pas  de  village,  répliqua  le  mari,  mais  un  grand  hôtel  et 
quelques  villas. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  H7 

—  Alors,  s'écria  madame  dont  l'indignation  grandissait  à  chaque 
mot,  c'est  pour  voir  cette  grande  bâtisse  qu'on  m'a  amenée  ici.  Mais 
des  maisons,  j'en  vois  à  Paris  tant  que  je  veux  !  Faire  une  heure  et 
demie  de  voyage,  dans  une  guimbarde,  pourvoir  ce  bâtiment,  ah  1  vrai, 
on  m'y  reprendra  1 

Devant  le  Kursaal,  l'omnibus  s'arrêta  et  tous  les  voyageurs  descen- 
dirent. Nous  retrouvâmes  notre  famille  parisienne  sur  la  colline  du 
château,  derrière  le  Belvédère.  Nous  devions  avoir  là  un  des  plus 
grands  étonnements  de  notre  vie.  La  dame  de  la  rue  du  Faubourg- 
Montmartre,  qui,  pendant  tout  le  voyage,  avait  laissé  le  dénigrement 
déborder  de  ses  phrases,  s'était  subitement  métamorphosée  en  une 
fontaine  d'où  l'admiration  coulait,  sans  intermittence.  Montrant  du 
doigt  la  profonde  vallée  de  Bergell,  que  nous  dominions,  elle  s'écria  : 

—  Mais  c'est  admirable  !  C'est  admirable  1  Et  dire  que  tout  près  de  là, 
il  y  a  l'Italie  !  Les  oliviers  I  les  citronniers,  les  orangers  !  Ah  !  quelle 
vue  !  Quel  panorama  I  Et  ce  château  perché  là-haut  !  Et  ces  rochers 
dentelés,  qui  ressemblent  à  des  créneaux  I  C'est  à  se  croire  dans  une 
ville  du  moyen  âge.  Il  n'y  manque  que  la  châtelaine  sur  son  pont-levis  ! 

Mon  ami  et  moi  nous  regardâmes  ahuris.  Nous  n'étions  pas  au  bout 
de  nos  étonnements!  Dans  l'omnibus  qui  nous  ramenait  à  Saint-Moritz, 
sur  l'impériale,  notre  parisienne  se  mit  à  adorer  bruyamment  ce  qu'elle 
avait  tant  méprisé.  De  Maloya  à  Saint-Moritz,  ce  fut  un  concert  d'excla- 
mations enthousiastes  : 

—  Oh  !  ce  lac  de  Maloya,  vois  donc  Emile,  vois  donc  Lucie,  ces  tons 
bleus,  verts,  cette  eau  moirée,  qui  reflète  les  glaciers  !  Est-elle  assez 
gracieuse  cette  petite  barque  qui  glisse  sur  le  lac  i  Et  ces  montagnes 
habillées  de  neige  I  C'est  un  pays  enchanté  I  enchanté  !  enchanté  !  Nous 
y  reviendrons  tous  les  ans  ! 

Je  me  réjouissais  de  cette  amende  honorable  faite  à  l'Engadine,  qui 
est  vraiment  un  pays  enchanté,  où  les  belles  surprises  vous  attendent 
au  tournant  de  toutes  les  routes.  A  Silvaplana,  la  dame  déclara  que  le 
village  était  un  c  bijou  d.  Elle  proclama  queCampfer  était  une  «  perle  >• 
On  eût  monté  un  très  beau  collier  avec  les  exclamations  de  cette 
Parisienne  !  Tandis  qu'elle  égrenait  ainsi  ses  admirations  le  long  de  la 
route,  le  mari  nous  entretenait  avec  persévérance,  évidemment  pour 
détourner  notre  attention  des  propos  que  tenait  sa  femme  et  qu'il  jugeait 
inconsidérés.  Quand  nous  descendîmes  d'omnibus,  sur  la  place  de  Saint- 
Moritz-Dorf,  la  dame  de  la  rue  du  Faubourg-Montmartre  et  sa  fille  se 


118  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

mirent  à  marcher  devant  nous.  Le  mari  ijous  dit  alors,  en  baissant  le 
ton  de  la  voix  : 

—  Messieurs,  je  dois  vous  expliquer  un  mystère.  Vous  avez  entendu 
ma  femme  pendant  l'aller  et  vous  l'avez  entendue  au  retour.  Vous  ne 
comprenez  pas,  n'est-ce  pas  ? 

—  Non,  dimes-nous  tous  les  deux  à  la  fois  ! 

—  Ah  !  c'est  pourtant  bien  simple  !  fit-il.  A  l'aller,  ma  femme  était 
contrariée  parce  que,  pendant  le  déjeuner,  je  lui  avais  refusé  une 
faveur  qu'elle  demandait  depuis  longtemps  :  passer  par  Hiian  et 
Turin  en  rentrant  à  Paris  !  Nous  sommes  pressés  par  le  temps  ;  je  sais 
bien  que  nous  sommes  à  une  heure  à  peine  de  l'Italie,  mais  il  y  fait  si 
chaud  !  J'avais  cru  devoir  refuser.  Alors,  elle  regardait  le  paysage  i 
travers  son  désappointement  et  c'est  pourquoi  tout  lui  semblait  si 
sombre....,  et  puis,  elle  voulait  me  taquiner  un  peu  pour  lui  avoir 
refusé  et  elle  dénigrait  un  pays  qu'elle  sait  que  j'aime.  La  voyant  si 
chagrine,  si  morose,  je  résolus  de  la  calmer  en  lui  accordant  ce  qu'elle 
désirait  si  violemment.  Durant  le  trajet  du  Kursaal  au  Belvédère,  je  lui 
annonçai  que  j'avais  changé  de  résolution,  qu'on  pass3rait  par  la  Lom- 
bardie  pour  rentrer  à  Paris.  Alors  —  oh  !  les  femmes,  messieurs  !  les 
femmes  !  —  tout  fut  transfiguré  à  ses  yeux  ;  elle  vit  l'Engadine  à  travers 

le  prisme  de  sa  joie,  du  reste  vous  l'avez  entendue  1 Que  voulez-vous, 

ajouta-t-il  avec  un  soupir,  elles  sont  ainsi  faites  les  femmes  !  Ah  !  j'en 
ai  vu  bien  d'autres,  allez  î  Tenez,  la  voilà  de  bonne  humeur  pour  une  hui- 
taine de  jours  !  J'ai  une  semainede  tranquillité  sur  la  planche.  Maloya  ! 
ce  nom  restera  dans  mes  souvenirs!  je  me  souviendrai  que  là  commen- 
ça une  semaine  de  paix.  Combien  je  regrette  que  Maloya  soit  si  loin 
du  faubourg  Montmartre  !  j'y  ramènerais  ma  femme  tous  les  huit  jours  ! 
Ce  n'est  pas  à  son  âge  qu'on  change  de  tempérament.  Pour  qu'elle  aille 
à  souhait,  sans  battre  la  breloque,  il  faut  que  ma  femme  soit  remontée 
périodiquement,  comme  une  pendule  1 

II  avait  à  peine  fini  sa  phrase  que  la  dame  s'étant  approchée  de  nous, 
dit  à  son  mari  : 

—  Tu  sais,  Emile,  c'est  entendu  avec  Lucie  !  Notre  petite  chienne 
qui  est  restée  à  Paris  —  pauv'chérie,  ce  qu'elle  a  dû  avoir  chaud  — 
elle  a  un  nom  qui  me  déplaît  :  Cbiquita  !  Nous  allons  lui  enlever  ce 
ce  vilain  nom-là  et  l'appeler  Maloya  ! 

—  Avec  plaisir  !  dit  le  mari.  Jules  Pra vieux 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  H9 

ADIEUX  A  L'AUVERGNE 

Au  poète  L.  /. 

Je  te  dis  mes  adieux,  6  pays  des  Arvernes, 
Riche  de  la  splendeur  de  ton  grand  souvenir, 
Riche  du  jus  vermeil  des  antiques  falernes  ; 
Adieu,  laisse-moi  te  bénir  ! 

Laisse-moi,  ce  pendant  qu'un  brouillard  gris  entoure 
Tes  hauts  sommets  coiffés  de  leurs  chapeaux  d'onyx, 
Rêver  à  la  fierté,  la  gloire,  la  bravoure 
De  ton  fils  Vercingétorix. 

Et  laisse-moi  revoir,  vaguement,  la  ceinture 
Des  remparts  imposants  dont  s'entoura  Salers, 
Etrange,  vénérable  et  massive  guipure 
Qui  serpente  sur  des  prés  verts. 

Car  pour  moi  c'est  un  baume  à  d'atroces  souffrances 
Que  de  telles  beautés  en  des  dehors  si  grands  ; 
C'est  le  prélude  des  immortelles  croyances 
Que  chanteront  les  cœurs  vibrants. 

Adieu,  vous  tous,  rochers  aux  divines  couronnes. 
Ravins  qui  font  frémir  d'effroi  les  voyageurs, 
Je  pars,  craignant  ici  la  rigueur  des  automnes, 
Je  laisse  vos  pâles  splendeurs. 

J'adorais  cependant  votre  front  diaphane, 
Vos  grands  airs  imposants,  votre  flanc  rebondi, 
Et  vos  forêts  où  la  chasseresse  Diane 
Décoche  l'arc  d'un  air  hardi. 

J'aimais,  dans  le  profond  d'un  val  où  l'eau  serpente, 
Voir  surgir  tout  à  coup  les  toits  roruges  et  gris 
Des  maisonnettes  blanches  où  fleurit  la  menthe 
Sous  un  rideau  de  tamaris. 

J'adorais  vos  troupeaux  aux  sonnantes  clochettes. 
Le  chant  du  pâtre,  et  puis  vos  moissons  de  blé  noir. 
J'aimais,  sur  les  genêts  entendre  les  fauvettes 
Chanter,  lorsque  venait  le  soir. 

Et  quand,  vers  les  lointains,  l'orage  formidable 
S'amoncelait,  mettant  sur  le  faite  des  monts 
Plus  d'un  sceptre  où  brillait  la  lueur  impalpable 
Des  larges  éclairs  furibonds, 


120  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Il  semblait  qu'un  géant  illuminait  l'espace, 
Et  que  rétoile  d'or»  dans  le  firmament  bleu, 
Pâlissait,  tandis  que  tonnait,  pleine  d'audace, 
La  voix  formidable  de  Dieu  ! 

J'adorais  tout  en  vous,  car  vous  êtes  sublimes, 
Sublimes  de  fierté,  sublimes  de  beauté  ; 
Plus  d'un  barde  amoureux  pour  vous  tressa  des  rimes, 
0  sites  pleins  de  majesté  ! 

Mais  l'hiver  va  venir,  et  sur  vos  replis  sombres, 
.    La  neige,  de  sa  main,  va  poser  un  linceul  ; 
Vos  purs  fronts,  pour  longtemps,  seront  envahis  d'ombres, 
Et  le  torrent  chantera  seul. 

C'est  pourquoi  je  vous  laisse  et  c'est  pourquoi  je  pleure, 
Pays  de  liberté,  montagnes  au  front  bleu, 
—  Seul  rêve  du  poète  qui  ne  soit  un  leurre... 
Pays  béni  du  ciel,  adieu  1 

Joséphine  Begassât. 


CRÉPUSCULE   D'HIVER 

Sur  les  étangs  gelés,  dans  le  brouillard  flottant 
Qui  s'élève  des  prés  le  soir  comme  un  nuage. 
Le  soleil  voit  jaunir  sa  radieuse  image 
Et  dans  un  ciel  plombé  décline  agonisant  ! 

La  surface  glacée,  au  reflet  si  brillant. 
Semble  plus  froide  encore  au  suprême  passage 
De  son  oblique  éclair,  qui  frôle  le  rivage. 
Puis  effleure  un  coteau. du  lointain  bleuissant.... 

Maintenant  on  dirait  que  la  terre  navrée 
Frémit  en  contemplant  l'astre  qui  s'agrandit.... 
Tout  bruit  au  loin  se  tait  à  cette  heure  éplorée  ; 

Alors  le  dieu  du  jour  s'abime  dans  la  nuit  I 

—  A  peine  a-t-on  pu  voir  dans  la  grise  pénombre, 

Son  disque  de  couleur  rouge  cinabre  sombre. 

Gautron  du  Coudray. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  121 

UN  CONTE  POPULAIRE  DU  NIVERNAIS 


L'HOMME  SANS  PEUR  (Suite). 

III 

LE  JARDIN  DU  DIABLE 

Ce  que  je  vas  vous  dire  ne  date  pas  d'hier.  Il  y  avait  une  fois  un 
prince  qui  possédait  un  château  magniflque,  mais  inhabitable.  Que  s'y 
passait-il  entre  le  coucher  et  le  lever  du  soleil  ?  Personne  ne  le  savait, 
car  aucun  d^  ceux  qui  y  étaient  entrés  le  soir  n'en  était  sorti  le  matin. 
Le  prince  avait  promis  sa  fille  unique,  belle  comme  le  jour,  à  celui  qui 
coucherait  une  nuit  dans  ce  château.  Plusieurs  jeunes  gens  avaient 
tenté  Taventure,  mais  tous  y  étaient  restés.  Un  militaire  s'en  allant  en 
congé  vint  à  passer  par  le  pays.  Comme  il  entendit  parler  du  fameux 
château,  il  se  présenta  devant  le  prince,  qui  était  un  homme  grand  et 
robuste,  avec  le  regard  dur  et  la  barbe  très  épaisse  ; 

—  Prince,  Vous  avez  promis  votre  fille  en  mariage  à  celui  qui  pas- 
serait une  nuit  dans  votre  château  ? 

—  Oui. 

—  J'ai  l'intention  de  m'y  installer  ce  soir  pour  la  nuit  prochaine. 

—  Tu  n'as  donc  pas  peur? 

—  Je  ne  sais  pas  ce  que  c'est  que  la  peur.  Donnez-moi  votre  consen- 
tement et,  demain,  je  vous  dirai  ce  qui  rend  votre  château  inhabi- 
table. 

—  J'y  consens...  mais  d'abord  regarde  dans  ma  barbe,  j'y  ai  un  poil 
blanc.  Approche-toi...  il  s'agit  de  l'arracher...  approche! 

Le  soldat,  sans  hésiter,  porta  la  main  à  la  barbe  touffue  du  prince. 
Au  moment  où  toute  son  attention  se  fixait  sur  ce  poil  blanc,  le  prince 
s'écria  brusquement  :  hap  1  II  pensait  que  l'autre  aurait  un  sursaut  de 
surprise,  mais  il  n'en  fut  rien.  Tout  au  contraire,  avec  le  plus  grand 
sang  froid,  le  soldat  décocha  au  prince  un  maître  soufflet  : 

—  SI  vous  voulez  que  j'arrache  ce  poil,  pourquoi  bougez-vous  ? 

—  Je  vois  que  tu  n'as  pas  peur.  Tu  es  Thomme  qu'il  me  faut. 
Demande  ce  qui  te  sera  nécessaire  pour  cette  nuit  ;  n'importe  quoi,  tu 
l'auras. 


122  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

—  Prince,  faites-moi  donner  de  quoi  diner,  quelques  bouteilles  de 
bon  vin,  un  jeu  de  cartes,  un  vilebrequin,  une  cheville  et  un  maillet. 
Je  n'ai  pas  besoin  d'autre  chose. 

Le  prince  donna  Tordre  de  conduire  le  soldat  au  château  et  d'y 
porter  ce  qu'il  demandait.  Notre  gaillard  s'installa  dans  la  cuisine  où 
se  trouvait  une  large  cheminée  de  bois  ;  il  alluma  d'abord  un  bon  feu« 
pratiqua  un  petit  trou  dans  un  des  montants  de  la  cheminée,  puis 
approcha  du  foyer  la  table  sur  laquelle  on  avait  posé  son  couvert.  Il 
commençait  à  manger,  quand  il  vit  tomber  par  le  tuyau  de  la  chemi- 
née une  jambe. 

—  Que  faire  d'une  jambe  ?  dit-il.  Hé  1  là  haut  1  envoyez-en  une 
autre.  t 

Il  fut  servi  à  souhait  :  une  autre  jambe  tomba  comme  la  première, 
puis  les  bras  et  le  reste. 

—  Je  m'ennuyais  d'être  seul.  J'aurai  au  moins  un  compagnon  pour 
la  nuit. 

Le  membres  s'étaient  rejoints  et,  devant  lui,  se  tenait  un  petit 
homme  noir  et  poilu  qui  lui  dit  : 

—  Que  viens-tu  faire  ici  ?  ^ 

—  Cela  ne  te  regarde  pas. 

—  Je  vais  te  traiter  comme  les  autres. 

—  Allons,  allons,  un  peu  de  patience.  Causons  tranquillement.  Voici 
à  boire  et  à  manger  :  veux-tu  souper  avec  moi  ? 

—  Je  demande  pourquoi  tu  viens  chez  moi,  reprit  le  diable,  —  car 
c'était  lui-même. 

—  Je  n'ai  pas  l'intention  de  te  chercher  querelle.  Laisse-moi  passer 
la  nuit  en  paix.  Si  tu  ne  veux  pas  manger,  nous  ferons  une  partie  de 
cartes.  Aimes-tu  le  jeu  ? 

—  Oui. 

—  Moi  aussi. 

Le  diable  s'était  assis  et  la  partie  s'engageait.  Le  diable  trichait 
ouvertement,  comme  pour  exciter  la  colère  du  soldat  et  provoquer  une 
querelle. 

—  Tu  ne  fais  que  triihi^r  ;  je  refuse  de  continuer  la  partie,- .  TiêQSt 
je  vais  t'apprendre  un  autre  jeu,  bien  simple  d'ailleurs...  Regardée* 
trou  dans  la  cheminée  :  le  premier  de  nous  deux  qui  y  mettra  le  doigt 
disposera  de  l'autre  comme  il  renlendra. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  123 

—  Accepté,  dit  le  diable,  —  et  déjà  il  approchait  le  doigt  de  la 
cavité. 

—  Arrête  !  un  peu  de  patience,  tu  ne  cherches  qu'à  tricher...  Je 
donnerai  le  signal  ;  au  commandement  de  trois,  nous  partirons.  Atten- 
tion !  Un...,  deux...,  trois  ! 

Le  diable  avait  déjà  le  doigt  dans  le  trou  de  la  cheminée. 

—  Tu  as  perdu,  cria-t-il. 

—  Pas  encore  !  —  et  aussitôt  le  soldat  prit  la  cheville  et  d'un  coup 
de  maillet  l'enfonça  dans  le  trou  où  le  doigt  du  diable  s'aplatit  comme 
une  feuille  de  papier.  Le  diable  hurlait  de  douleur. 

—  Délivre-moi,  criait-il,  je  ferai  ta  fortune. 

—  Tu  me  demandais  ce  que  je  venais  faire  ici.  A  ton  tour  de  me 
répondre  :  Qu'est-ce  qui  t'amène  dans  ce  château  ? 

—  Délivre-moi,  je  te  le  dirai. 

—  Dis-le  tout  de  suite. 

—  Non. 

—  Tu  ne  veux  pas  ?  —  Pan  !  pan  I  et  le  maillet  tomba  sur  la  cheville 
à  coups  redoublés. 

^  Assez,  assez,  arrête!  Je  vais  tout  dire...  Sous  l'escalier,  dans 
un  caveau,  il  se  trouve  trois  tonneaux  d'or  et  d'argent  que  je  viens 
visiter  toutes  les  nuits.  Prends-les  et  laisse-moi  partir. 

—  Pas  avant  que  tu  ne  promettes,  par  serment,  de  ne  plus  revenir  ici. 

—  Je  t'abandonne  tout,  le  trésor  et  le  château.  Seulement  je  me 
réserve  le  petit  jardin  qui  se  trouve  derrière  cette  porte. 

—  Garde  le  jardin,  j'y  consens.  Il  est  bien  entendu  que,  ni  toi  ni  les 
tiens,  vous  ne  remettrez  les  pieds  dans  le  château  ? 

—  Oui,  mais  délivre-moi. 

—  Voilà...  maintenant  file  comme  tu  es  venu,  par  la  cheminée. 

Le  diable,  d'un  bond,  se  trouva  sous  la  cheminée.  Il  était  furieux  : 

—  Tu  as  gagné  la  première  partie,  prends  garde  à  la  seconde, 
dit-il  en  disparaissant,  je  te  retrouverai. 

Le  soldat,  sans  s'émouvoir  de  la  menace,  alla  s'étendre  sur  un  lit  et 
dormit  d'un  somme  jusqu'au  jour. 

Cependant  on  s'apitoyait  chez  le  prince  sur  le  sort  du  pauvre  jeune 
homme,  quand  les  domestiques  le  virent  entrer  dans  la  cour.  On  l'in- 
troduisit bien  vite  dans  la  chambre  du  prince  qui  ne  pouvait  en  croire 
ses  yeux. 


124  REVUE  DU   NIVERNAIS. 

—  Prince,  vous  m'avez  fait  une  promesse,  je  viens  vous  la  rappeler. 

—  Sois  tranquille,  je  la  tiendrai.  Raconte  moi  ce  qui  s'est  passé  dans 
mon  château. 

Le  soldat  fit  le  récit  de  son  aventure.  On  trouva  le  trésor  dans  le 
caveau  sous  l'escalier  et  le  prince,  convaincu  de  la  bonne  foi  du  soldat, 
le  fiança  le  jour  même  à  sa  fille.  Le  lendemain,  on  célébra  le  mariage. 
Les  deux  jeunes  gens  passèrent  leur  nuit  de  noces  dans  le  château, 
sans  y  être  aucunement  inquiétés.  La  princesse  aimait  beaucoup  son 
mari  ;  ils  vécurent  longtemps  heureux. 

Le  soldat  n'avait  parlé  à  personne  du  petit  jardin  que  le  diable  s'était 
réservé.  Sa  femme  lui  dit  un  jour  : 

—  Mon  ami,  à  quoi  sert  cette  porte  ?  Elle  est  toujours  fermée.  Je 
suis  curieuse  de  savoir  où  elle  mène. 

—  Garde-toi  bien  de  l'ouvrir  ;  le  terrain  dont  elle  nous  sépare  ne 
nous  appartient  pas  et  nous  n'avons  rien  à  y  voir. 

Hais  sa  curiosité  était  excitée  et  plusieurs  fois  elle  revint  sur  le  même 
sujet. 

—  Sais-tu  quel  songe  j'ai  eu  la  nuit  dernière  ?  dit-elle  un  matin. 
Derrière  cette  porte,  j'ai  vu  un  jardin  si  beau,  si  beau,  que  je  ne  peux 
pas  te  le  décrire.  Je  n'aurai  de  repos  qu'après  avoir  ouvert  cette  porte, 
car  je  brûle  de  savoir  si  elle  s'ouvre  en  effet  sur  un  pareil  jardin. 

Le  soldat  se  trouva  fort  embarrassé.  Il  réfléchit,  cherchant  quelque 
stratagème. 

—  Allons,  dit-il,  je  consens  à  ouvrir  la  porte,  mais  à  une  condition  : 
c'est  que  tu  ne  t'étonneras  de  rien  de  ce  qui  se  passera  ;  tu  me  laisseras 
agir  à  ma  guise,  sans  m'interroger. 

—  Oui,  oui,  tout  ce  que  tu  voudras. 

La  clef  grinça  dans  la  serrure,  la  porte  s'ouvrit  et  le  jardin  apparut 
à  la  princesse  tel  qu'elle  l'avait  rêvé  :  des  feuilles  en  argent,  des  fleurs 
en  or,  en  diamant.  Le  diable  se  promenait  au  milieu  de  compagnons 
richement  parés.  Dès  qu'il  aperçut  les  deux  intrus,  il  courut  à  eux  ; 

—  Ah  !  ah  !  cette  fois  tu  ne  m'échapperas  pas.  Tu  ne  gagneras  pas  la 
seconde  partie.  Vous  êtes  chez  moi,  vous  m'appartenez. 

—  Attends  un  peu.  —  Et,  creusant  un  trou  en  terre  : 

—  Tiens,  nous  allons  d'abord  jouer  à  qui  mettra  le  premier  son  doigt 
dans  le  trou.  Approche,  tu  connais  ce  jeu-là... 

—  Je  devine  ton  intention,  cria  le  diable.  Tu  veux  me  reprendre 


REVUE  DU  NIVERNAIS  125 

encore  le  doigt...  Non,  non,  garde  tout  plutôt,  le  jardin  et  le  château... 
J'aime  mieux  m'en  aller. 

Et  il  courait  à  toutes  jambes,  suivi  de  ses  acolytes,  pendant  que  le 
soldat  riait  à  se  tenir  les  côtes. 

Depuis  lors  il  eut,  avec  sa  femme,  la  libre  possession  du  jardin.  Je  ne 
sais  pas  s'ils  vivent  encore,  mais  j'ai  entendu  dire  qu'on  les  y  a  vus,  il 
n'y  a  pas  longtemps,  se  promener  tous  les  deux. 

[Conté par  Philippe  Gobillot,  à  Beaumoni-la-Ferrière.)  . 

Achille  Millien. 


LES  POÈTES  DE  UAMOUR 

{Suiie.) 

Le  premier  livre  d'Auguste  Dorchain,  IdL  Jeunesse  pensive^  qu'il  publia 
très  jeune,  le  fit  aussitôt  sortir  de  la  foule  des  débutants  qui  attendent 
vainement  dans  Tombre  un  peu  de  lumière,  se  heurtant  à  la  cobue 
littéraire  presque  impénétrable.  M.  Adolphe  Brisson  s'écriait  à  la  fin 
d'un  article  :  c  Est-ce  qu'il  nous  serait  né  par  hasard  un  petit-fils  de 
Musset  ?  >  Et  vraiment  en  lui  revivait  le  charme  de  l'auteur  des  Nuits. 
Le  poète  y  soulevait,  parla  seule  force  du  sentiment ,  le  grave  et  délicat 
problème  des  luttes  morales  de  la  jeunesse  contemporaine  lancée  seule 
dans  le  feu  des  passions  à  travers  la  corruption  fascinante  des  villes, 
et,  dans  l'émotion  des  impressions  vécues,  colorées  et  rythmées  dans 
la  magie  du  vers  très  doux,  très  sincère,  très  pénétrant,  frémissait 
toute  l'angoisse  c  du  cœur  qui  lutte  avec  le  sang  ». 

J'étais  un  étudiant  en  vacances  (voulez-vous  me  laisser  glisser  ici 
une  note  personnelle?)  quand,  pour  la  première  fois,  je  lus  cet 
ouvrage  auquel  s'enlacent  de  chers  souvenirs.  La  douceur  indéfinis- 
sable de  sentir  là  vibrer  un  peu  de  mon  propre  cœur  m'enveloppa  et 
me  prit  ;  et  tout  de  suite  j'aimai  le  poète  de  cette  sympathie  naissant 
d'une  communion  de  pensées  en  un  lien  de  tendresse  d'autant  plus 
exquise  qu'elle  est  toute  spontanée. 

Ce  livre  devrait  être  un  des  bréviaires  des  jeunes  gens  :  c'est  leur 
âme,  en  ce  qu'elle  a  de  plus  intime  et  de  plus  vibrant  qui  chante  dans 
ces  vers,  leur  âme  ardente  et  irrésolue  où  la  candeur  de  l'enfant 
transparaît  encore  à  travers  l'énergie  virile  :  dans  l'harmonie  rêveuse 


i26  REVUE  DV  NIVERNAIS. 

de  ces  poèmes,  ils  entendront  murmurer  les  lointaines  et  chastes  ten- 
dresses de  c  TAme  vierge  »,  se  plaindre  les  nostalgies  des  «  Heures 
de  trouble  » ,  s'alanguir  et  s^attrister  les  voluptés  des  c  Mirages 
d'amour  »,  lueurs  indécises,  mortes  dans  les  pâleurs  des  c  Etoiles 
éteintes  ». 

Ob  !  comme  tristement,  dans  le  silence  et  le  vide  des  remords,  Tâme 
éclate  en  sanglots,  sentant  au  fond  d'elle-même  pleurer  le  rêve 
meurtri  1 

Honteux  d'avoir  étreint  une  ombre, 
Et  le  désespoir  t'étouffant, 
Alors  lu  redeviendras  sombre 
Et  pleureras  comme  un  enfant 

Nais,  malgré  les  défaillances,  le  cœur  restera  pur,  gardant  en  loi 
la  vision  des  paradis  rêvés  : 

...  Que  sont  des  instants  de  fièvre, 
De  plaisir  stupide  et  banal, 
A  celui  qui  trempa  sa  lèvre 
Au  vin  sacré  de  Tldéal  ? 

Pourtant  Tâme  souffre  toujours  de  son  isolement.  Lasse  et  décou- 
ragée, elle  cberche,  aux  chemins  sombres,  Tâme  aimée  où  son  amour 
librement  s'épanouira  dans  le  rayonnement  des  ivresses  idéalisées  et 
l'apaisement  des  souffrances  consolées  : 


Choisis  vite  une  blanche  épouse  ; 

Celle-là  peut  f  aimer,  celle-là  seulement 

Peut  être  constante  et  fidèle. 
Et,  sans*craindre  l'oubli  de  son  premier  serment. 

Tu  vivras  heureux  auprès  d*elle. 

Plus  favorisé  que  tant  d'autres,  le  poète  l'a  rencontrée.  Sa  vie 
s'éclaire.  Voici  alors  appai'aitre  son  second  livre  aux  vers  lumineux  et 
sonores  comme  le  cristal.  C'est  l'amour  qui  monte  d'un  essor  triom- 
phant Vers  la  iumière  ;  et  à  le  lire  après  les  pages  tourmentées  de 
la  Jeunesse  pensive,  une  douceur  infinie  attendrit  le  cœur.  Le  rêve  est 
devenu  réalité  ;  les  ombres  des  douleurs  qui  flottent  encore,  comme 
dans  toute  réalité  terrestre,  s'effacent  au  premier  rayon  de  Pastre 
d'amour.  Sur  ces  poèmes  plane  une  grande  paix  :  l'âme,  sereine 
jusque  dans  l'exaltation  lyrique,  s'embaume  de  son  bonheur. 

Et  toujours  de  ces   fleurs  de  flamme  s'exhale  le   parfum  divin  : 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  i27 

l'esprit  s'y  élève  vers  le  beau,  non  par  élans  ou  sanglots,  mais  douce- 
ment et  sans  effort  :  là  surtout  est  l'admirable  beauté  de  cette  œuvre 
limpide  et  pure,  si  profondément  sentie.  Je  ne  sais  rien,  dans  la  poésie 
contemporaine,  de  plus  émouvant,  de  plus  noble  et  suave  à  la  fois 
que  ce  poème  intitulé  Communion^  où  tous  les  frissons  de  Famour, 
mélancolies  et  ravissements,  adorations  et  pudeurs,  langueurs  et 
caresses  d*âme,  se  fondent  en  une  tendresse  exquisement  berceuse  et 
enveloppante  où  se  reflète,  brillant  au  ciel  bleu  comme  jadis  au  ciel 
noir,  rétoile  d'idéal. 

Il   faudrait  le  citer   tout  entier;  voici  du  moins  les  dernières 
stropbes  : 

Je  ne  veux  plus  que  vous  pleuriez,  ma  sœur  chérie  ; 
Si  le  baume  d*amour  suffit  à  vous  guérir, 
La  source  de  vos  pleurs  sera  bientôt  tarie  ; 
J'ai  là  tout  un  trésor  d*amour  prêt  à  s'ouvrir. 


Je  veux  que  ce  beau  front,  glacé  par  la  souffirance, 
Retrouve  sous  ma  lèvre  un  peu  de  sa  chaleur  ; 
Je  veux  chanter  pour  vous  la  chanson  d'espérance, 
La  divine  chanson  qui  calme  la  douleur. 

Ne  doutez  point  de  moi;  c'est  ma  tendresse  même 
Qui  contre  le  désir  vous  garde  et  me  défend  ; 
Cest  votre  pureté  qui  fait  que  je  vous  aime, 
Mes  bras  vous  berceront  comme  un  petit  enfant. 

Je  n'ai  pas  moins  que  vous  souci  de  votre  gloire  ; 
Nos  cœurs  sont  assez  haut  pour  dominer  le  mal  ; 
La  foule  assurément  ne  voudrait  pas  nous  croire 
Et  ne  comprendrait  pas  cet  amour  idéal... 

Qu'il  reste  donc  caché  dans  notre  âme  profonde  I 
Mais  vienne  le  génie  ardemment  souhaité, 
Je  pourrai  dire  alors  notre  tendresse  au  monde 
Car  le  monde  croira  ce  que  j'aurai  chanté  I 

En  regard  de  l'œuvre  poétique  d'Auguste  Dorchain  s'évoque  celle  de 
Maurice  Boucher,  bien  différente  d'apparence,  et  pourtant  au  fond  un 
peu  pareille,  car  là  aussi  on  peut  suivre,  à  travers  les  horizons  bleus 
ou  noirs,  l'évolution  d'une  âme  noble  et  tendre  qui  du  reste  n'atteint 
pas  le  même  but. 

Ce  n'est  pas  certes  une  personnalité  banale  que  le  poète  qui,  sentant 
éclore  en  lui  la  fleur  divine  de  charité  (j'aime  mieux  encore  ce  mot-là 
qu'altruisme),  renonçant  aux  vaines  gloires  et  aux  plaisirs  stériles, 
s'en  est  allé  comme  un  apôtre,  par  les  cités  et  les  campagnes,  porter 
la  bonne  parole^  verser  au  cœur  du  peuple  le  baume  de  poésie  et 


128  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

d'idéal,  et  dont  le  dernier  livre  a  pour  titre  significatif,  Yen  la  pensée 
et  vers  Vaction. 

On  eût  sans  doute  fort  étonné  Jean  Ricbepin  et  Raoul  Ponchon,  ses 
deux  rieurs  compagnons  de  jeunesse,  si  on  leur  eût  prédit  jadis,  au 
temps  des  folles  aventures,  qu'il  ferait  de  sa  vie  une  vie  de  bonté  et  de 
son  œuvre  une  œuvre  d'humanité,  lui  l'auteur  de  dix-huit  ans  des 
Chansons  joyeuses  où  tournoyaient,  en  une  ronde  échevelée,  toutes  les 
passions  de  l'adolescence,  dans  leur  ardent  déchaînement. 

Déjà  dans  Poètes  de  Vamour  et  de  la  mer  son  âme  s'apaise  :  l'ardeur 
s'adoucit  en  tendresse  et  se  repose  dans  une  idylle.  «  Ici,  a  dit  M.  Paul 
Margueritte,  domine  l'exquise  mélancolie  d'un  cœur  qui  aime,  livré  à 
une  pensée  unique  et  pour  qui  le  monde  vivant,  la  splendeur  étemelle 
des  choses  ne  sont  plus  que  le  décor  animé,  la  fantasmagorie  qui  pare 
de  ses  jeux  de  lumière  et  de  ses  brises  de  parfums  la  suave,  la  bien- 
aimée.  Et  déjà  le  doute,  la  crainte,  les  premières  douleurs  de  l'amour 
assombrissent  la  fin  du  livre  ». 

L'âme  du  poète  déçu,  trop  grande  pour  se  contenter  d'éphémères 
amours,  est  mûre  pour  la  souffrance  ;  elle  aura,  comme  l'âme  d'un  Dieu, 
avant  de  triompher,  son  heure  d'agonie. 

Et  bientôt  parait  F  Aurore^  dont  les  trois  parties  synthétisent  en  leurs 
titres  brefs  :  la  Chair,  la  Lutte,  Vldéal^  tout  ce  qu'il  y  a  là  de  douleur 
et  de  beauté.  On  croirait  lire  un  de  ces  livres  de  haute  mystique  où 
rame  des  extatiques,  avant  de  parvenir  à  la  vie  unitive,  passe  par  les 
tortures  expiatoires  de  la  vie  purificatrice. 

C'est  d'abord,  comme  en  un  rouge  éblouissement,  la  folie  des  brû- 
lantes voluptés  d'un  amour  affamé  de  chair  et  assoiffé  de  sang.  Mais 
déjà  s'est  enfuie  l'audacieuse  gafté  des  Chansons  joyeuses  :  média  de 
fonte  leporum  surgit  amari  aliquid.  Bientôt  le  remords  et  la  honte 
déchirent  l'âme  du  poète  qui,  dévoré  par  la  flamme,  s'efforce  en  vain 
de  rejeter  loin  de  lui  cette  tunique  de  Nessus  :  désormais  les  clameurs 
de  passion  n'étoufferont  plus  les  cris  de  colère  impuissants  et  de  sombre 
angoisse  : 

Pâles,  vêtus  de  sang,  tes  remords  sont  les  juges» 


Tu  seras  ton  bourreau.  Les  plus  cruels  supplices 
Jailliront  d'un  ennui  qui  doit  être  éteniel, 
Et  tu  tortureras  ton  âme  avec  délices. 


Et  le  duel  s'engage  entre  l'âme  et  la  matière.  Le  poète  veut  épuiser 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  120 

la  coupe  d'oubli  et  chasser  à  jamais  de  son  esprit  les  visions  impures  ; 
il  appelle  à  lui  les  enchantements  des  rêves  de  candeur  lointaine  et  les 
joies  austères  de  la  pensée,  ouvrant  son  esprit  aux  grandioses  horizons 
de  la  vie  universelle,  embrassant  les  suprêmes  conceptions  de  l'homme 
et  de  Dieu  en  des  pages  où  par  instant  frémit  un  large  soufQe  de  pan- 
théisme. 

Mais  il  est  dur  de  dépouiller  le  vieil  homme  ;  la  foi  du  poète  vacille, 
flambeau  pâli,  aux  rafales  des  désirs  orageux  ou  aux  brises  trop  douces 
des  souvenirs,  et  Tàme  oppressée,  haletante  et  lasse,  se  blesse  aux 
heurts  des  âpres  sentiers  : 

Je  sens  au  fond  de  moi  sourdre  un  flot  de  pensées  ; 
Mon  rêve  intérieur  s'agite  avec  eflbrt, 
Et  quand  je  veux  parler,  un  silence  de  mort, 
Gomme  un  sceau  douloureux,  clôt  mes  lèvres  glacées. 

Et  plus  loin  : 

Je  suis  environné  d^un  crépuscule  affreux 
Dont  la  lueur  livide  épouvante  mon  âme. 

Je  vois  se  rétrécir  les  cercles  de  malheur, 

Et  mes  pieds  toucheront  bientôt  le  fond  du  gouffre 

Où  l'éternel  amour  enchaîne  la  douleur. 

Qui  donc  aura  pitié  de  mon  âme  qui  soufiire  1 

La  pensée  seule  n'a  pu  combler  Tâme  sensible  et  tendre  qui  ne  peut 

vivre  que  du  sentiment.  Ce  que  les  méditations  spéculatives  n'ont  pu 

faire,  un  sourire  de  femme  l'accomplira.  Le  poète  a  rencontré,  dans  la 

solitude  obscure,  celle  que  toujours  on  adore,  qu'on  ne  désire  jamais. 

Comme  une  aurore,  se  lève  la  vision  radieuse  en  laquelle  il  incarne  son 

rêve  ;  sans  doute  il  souffre  encore  de  cet  amour  vierge  et  mystique, 

mais  il  y  a  plus  de  douceur  en  sa  mélancolie  Iqu'il  n'y  eut  d'ivresse 

dans  la  violence  des  sensualités.  Et  conduit  par  la  main  de  blancheur, 

sous  le  regard  des  yeux  de  lumière,  il  gravira  en  chantant  la  pente  de 

l'idéal  : 

Oh  !  pardonne-moi  de  soufErir, 

Et  de  ne  point  garder  au  fond  de  ma  pensée 
L'immortelle  douleur  dont  je  puis  mourir, 
Et  qu'avec  tant  d'amour  mon  cœur  a  caressée. 


Qu'importe  ma  souffrance  à  moi, 
Pourvu  que  ton  sourire,  en  éclairant  la  terre, 
Révèle  à  tous  les  yeux  la  beauté  de  la  foi. 
Et  leur  parle  d'un  ciel  doux  comme  son  mystère? 


Fernano  Richard. 


130  REVUE  OU  NIVERNAIS. 


PAR  UN  SOIR  D'AUTOMNE 

A  M^  la  vicomtesse  Crautron  du  Coudray. 

Au  fond  du  ciel  las  qui  s'attriste 
Du  deuil  du  rire  et  dfe  l'espoir, 
L'Automne  laisse  dans  le  soir 
Flotter  sa  robe  d'améthyste. 

Ecoute  !  Le  vent  s'est  levé... 
Il  chante  la  complainte  amère 
Du  pauvre  bonheur  éphémère 
Que  ton  désir  avait  rêvé. 

La  feuille  dans  l'ombre  tournoie. 
Où  donc  sont  les  chansons  d'Avril, 
Hélas  !  et  que  te  reste-t-il 
De  ta  jeunesse  et  de  ta  joie  ? 

Plus  rien  ;  à  peine  un  souvenir, 
Et,  les  yeux  perdus  dans  la  brume, 
Tu  songes  avec  amertume 
Au  sombre  hiver  qui  va  venir, 

Au  jour  final  des  hécatombes 
Où  la  neige  aux  flocons  épais 
Déroulera  sa  blanche  paix 
Sur  la  nature  et  sur  les  tombes. 

Paul  Clerget. 


CREPUwSCULÊ  EN  JUILLET 

Le  frais  revient  avec  la  brise. 
Au  couchant,  l'horizon  vermeil 
Darde  sur  la  plaine  indécise 
Les  derniers  rayons  du  soleil. 

Voici  la  forêt  qui  murmure 
Sous  le  souffle  embaumé  du  soir. 
Déjà  la  nuit  est  plus  obscure 
Et  le  sentier  se  fait  plus  npir. 

Dans  le  feuillage  qu'il  fréquente 
Le  rossignol  n'a  plus  de  voix  ; 
Seul  un  jeune  pâtre  qui  chante 
Trouble  au  loin  le  calme  des  bois. 

Bientôt  tout  se  tait.  Ethérée, 
La  lune  avance  avec  lenteur. 
Glissant  dans  la  voûte  azurée 
Son  nimbe  éclatant  de  blancheur. 


P.   DUSSERT 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  131 

I 

LETTRE  D'UNE  JEUNE  FILLE  A  SON  FIANCÉ  W 

CONCOURS   SÉVIGNÉ 

«  In  medio  $UU  virtus  » 

Mon  cher  ami, 

Sur  le  seuil  d'une  vie  nouvelle,  je  m'arrête  effrayée  en  voyant  se 
lier  irrévocablement  nos  deux  vies,  sans  que  nous  sachions  si,  créés 
pour  nous  comprendre,  nous  pourrons  vivre  pour  nous  aimer  ;  et,  si 
je  m'adresse  à  vous  aujourd'hui,  au  mépris  des  usages,  c'est  guidée 
par  le  souci  de  notre  commun  bonheur.  Emue  et  troublée  à  la  pensée 
de  ce  qui  peut  se  trouver  en  votre  âme  et  que  je  ne  soupçonne  pas  ;  de 
tout  ce  que  j'en  attends,  de  tout  ce  que  j'y  cherche  et  n'y  rencontrerai 
peut-être  pas,  je  viens  faire  appel  à  votre  loyauté,  afin  que  vous  m'ap- 
preniez vous-même  ce  qu'est  le  futur  compagnon  de  ma  vie  et  la  force 
du  bras  sur  lequel  je  vais  m'appuyer.  Que  la  crainte  de  ne  pas  trouver  de 
conformité  entre  vos  idées,  vos  penchants  et  les  miens,  ne  vous  empê- 
che pas  de  me  livrer  sans  réserve  les  secrets  de  votre  cœur,  car  il 
n'est  pas  besoin  de  se  ressembler  pour  se  rapprocher  ;  bien  au 
contraire  :  l'idéal  le  plus  enviable  et  le  plus  rempli  de  charmes  consiste 
à  se  compléter  Tun  par  l'autre. 

La  première  confidence  que  je  réclame,  parce  qu'il  s'agit  d'une  chose 
que  je  considère  comme  la  gardienne  du  bonheur  et  la  sécurité  du 
foyer  conjugal,  c'est  celle  qui  concerne  vos  sentiments  religieux.  Mal- 
gré l'abime  de  tendresse  que  j'ai  en  réserve  pour  celui  auquel  j'appar- 
tiendrai, il  existe,  en  la  partie  haute  de  mon  âme,  une  croyance  si 
forlement^enracinée  et  qui  m'a  soutenue  si  efficacement  jusqu'ici,  que 
je  ne  voudrais  pas  la  voir  payée  d'ingratitude  par  moi  ou  par  les  miens. 
—  Je  songe  de  loin,  vous  le  voyez,  à  la  famille  que  nous  sommes  appe- 
lés à  fonder.  Bien  que  ce  soit  à  la  mère  à  former  l'âme  des  enfants  à  la 
tendresse,  à  la  confiance,  à  la  piété,  traces  ineffaçables,  qu'elle  seule 
peut  y  graver  avec  l'aide  de  Dieu,  je  me  demande  qu'elle  serait  l'auto- 
rité que  réclamera  plus  tard  l'éducation  de  ces  êtres  chéris,  si,  dès  le 
berceau,  ils  ne  trouvaient  que  divergences  au  foyer  paternel. 

(1)  Gomme  nous  Pavons  dit,  plusieurs  de  nos  compatriotes  ont  été  distingués  au 
grand  concours  Sévigné  ouvert  par  le  Gaulois.  Nous  donnons  ici  un  des  travaux 
récompensés,  œuvre  d'une  jeune  et  gracieuse  Nivernaise. 


132  HEVUE  DU  NIVERNAIS 

Il  est  un  autre  sentiment  aussi  spontané  que  doux  et  qui  grandit  côte 
à  côte  avec  la  foi,  c'est  celjii  qu'une  grande  voix  de  notre  temps  n'a  pas 
craint  d'appeler  le  dogme  civil  et  religieux  du  patriotisme,  parce  qu'il 
plonge  ses  racines  au  plus  profond  de  notre  cœur  et  de  notre  religion. 
Vous  savez  mieux  que  moi  qu'aux  temps  où  nous  vivons  les  partis  et 
les  opinions  s'effacent  devant  l'honneur  et  l'intégrité  de  la  France  atta- 
qués dans  leurs  plus  solides  bases  :  l'Église  et  l'Armée  I  J'espère  que 
là  encore,  votre  drapeau  sera  le  mien. 

Quoique  je  vous  suppose  une  trop  grande  âme  pour  n'être  pas  tou- 
ché par  les  choses  de  l'art  et  pour  ne  pas  ressentir  les  émotions  que 
cause  le  beau  sous  toutes  ses  formes,  là  encore,  il  me  faut  vous  péné- 
trer davantage,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi.  Ne  vous  semble -t-il  pas 
que  l'union  de  nos  âmes  ne  saurait  être  complète,  si  nous  ne  nous 
rencontrions  aussi  sur  ce  terrain  ?  Quoi  de  plus  doux  que  de  sentir  en 
même  temps  le  même  frisson  passer  sur  Tun  et  l'autre  et  de  voir  des 
aspirations  communes  unir  la  vie  de  l'esprit  comme  celle  du  cœur. 

Enfin,  je  viens  chercher  auprès  de  vous  un  ami  plus  qu'un  maître  et 
surtout  un  soutien  ;  car  à  la  fois  ardente  et  tendre,  vive  et  faible,  il  me 
faudra  trouver,  chez  celui  pour  lequel  et  par  lequel  je  vivrai  chaque 
minute  de  ma  vie,  cette  fermeté  de  caractère  et  cette  indulgence  sans 
fond  qui,  tour  à  tour,  me  pousseront  ou  me  soutiendront  sur  la  route 
semée  de  difficulté  où,  seule,  je  ne  pourrais  que  m'égarer  ou  fléchir. 

Comme  une  fleur  qui  se  resserre  au  premier  vent  de  douleur  et  de 
tristesse  et  qui  a  besoin  de  la  chaleur  de  l'amour  pour  s'épanouir,  j'at- 
tends ce  rayon  qui  doit  sécher  tant  de  larmes  versées  et  colorer  à  mes 
yeux  tout  ce  que  la  vie  apporte  de  joies  ou  de  devoirs.  Ce  rayon,  c'est 
votre  réponse  qui,  je  l'espère,  m'en  apportera  la  caresse.  Puissé-je  en 
le  recevant  faire  aller  de  mes  lèvres  à  votre  cœur  un  cri  d'amour  recon- 
naissant et  traduire  ma  pensée  d'irrévocable  tendresse  en  vous  disant: 
c  Ami,  passons  la  vie  ensemble,  je  vous  sens  assez  fort  pour  pouvoir 
m'appuyer  » M.  V, 

Août  1901. 


POÈTES  NÉERLANDAIS  (Saite) 


FLAMANDS 


Dautzenberg 

TABLEAU  DE  FAMILLE 

Sur  la  fenêtre  de  la  chambre, 
Dirigeant  son  naissant  éclair, 
Le  soleil,  d'une  lueur  d'ambre, 
Inonde  un  berceau  d'osier  clair. 
Une  petite  fille  aux  yeux  bleus,/aussi  belle 
Qu'un  ange,  svelte  comme  une  tige  nouvelle, 
S'agenouille  au  matin,  pour  faire  avec  amour 
Sa  prière  de  chaque  jour. 

En  sa  toilette  matinière. 
Auprès  du  lit,  au  ciel  levant 
Et  les  yeux  et  les  mains,  la  mère 
Apprend  à  prier  à  l'enfant. 
Un  nimbe  protecteur  de  céleste  lumière 
Flotte  en  grâces  autour  de  ce  groupe  en  prière, 
Tableau  consolateur  qui  guérit  bien  souvent 
Le  cœur  du  doute  décevant. 


Jan  van  Baers 

LARMES   D'AMOUR 

Larmes  d'amour  que,  goutte  à  goutte, 
Epanchent  ses  yeux  et  son  cœur  1 
Mon  âme,  en  sens-tu  la  valeur. 
De  ces  larmes,  la  sens-tu  toute  ? 

Dans  les  profondeurs  de  la  terre. 

Des  siècles,  des  siècles  encor 

Par  le  feu  transforment,  —  mystère  I 

Le  plus  subtil  de  la  matière. 

Ce  qu'a  de  plus  pur  l'onde  claire. 

En  un  diamant,  divin  trésor. 

De  môme,  dans  la  profondeur 

De  l'âme,  un  diamant  prend  figure, 

Quand  le  sang  vermeil  qui  s'épure 

Et  l'essence  intime  du  cœur 

Se  fondent  ensemble  en  un  pleur. 

Par  suite,  du  fond  de  ses  yeux, 
Du  fond  de  son  cœur  dérobées. 
Sur  la  feuille  où  J'ai  mis  mes  vœux, 
—  Diamants  d'amour  si  précieux, 
Des  larmes  un  jour  sont  tombées. 

Larmes  d'amour  que,  goutte  à  goutte, 
Epanchent  ses  yeux  et  son  cœur  I 
Mon  âme,  en  sens-tu  la  valeur 
>  De  ces  larmes,  la  sens-tu  toute  ? 


13i  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Oeeraard  Jan  Dodd 

(1821.1888) 

LA   GRAND'MÈRE 

Avec  tristesse  la  grand'mère, 
Assise  en  son  fauteuil  de  cuir, 
Songe  à  sa  jeunesse  éphémère. 
Au  bon  vieux  temps  qu'elle  a  vu  fuir. 

c  Ah  1  comme  en  ce  monde  tout  baisse  ! 
Gémit-elle  en  hochant  le  front, 
L'été  se  raccourcit  sans  cesse, 
La  saveur  des  fruits  se  corrompt. 

»  L'hiver  est  dur,  dur  à  l'extrême  ; 
Il  est  interminable  aussi. 
Ck)mme  les  gens,  les  plantes  même 
Sont  malades  :  nouveau  souci  1 

))  Les  fleurs  sont  bien  moins  parfumées 
Qu'en  mon  enfance,  assurément  ; 
Leurs  couleurs  sont  moins  animées... 
Ah  !  ce  monde  est  sans  agrément  ! 

j>  Que  voulait  dire  notre  Charle, 
De  bals,  de  banquets  qu'il  louait  ? 
La  danse  aujourd'hui...  qu'on  en  parle  ! 
Qu'on  la  compare  au  menuet  ! 

))  Hélas  !  pas  d'espoir  qu'il  renaisse 
L'âge  d'or,  le  beau  temps  des  ris  l 
On  comprenait,  dans  ma  jeunesse, 
Amour,  amitié,  votre  prix  1  » 

Et  sur  le  cadre  d'or,  où  brille 
Feu  son  époux,  jetant  les  yeux. 
Triste,  elle  tousse,  puis  nasille  : 
((  0  monde,  que  tu  te  fais  vieux  I  » 


Frans  de  Gort 

(1834-1878) 

MÈRE  ET  ENFANT 

Lorsqu'ivre  de  bonheur,  je  vois 
Mon  bel  enfant,  rose  fleurie, 
Avec  celle  à  qui  je  le  dois. 
Ma  femme,  ma  femme  chérie, 
Ne  demandez  pas  en  secret 
Lequel  des  deux  mon  cœur  préfère  ; 
Oh  !  non,  car  mon  cœur  ne  saurait 
Séparer  l'enfant  de  la  mère. 


M 


REVUE  DU  MIVEHMAIS.  i35 

Dans  mes  bras  ouverts^  tous  les  deux 

Je  les  enferme,  je  les  presse, 

Et  je  sens  couler  de  mes  yeux 

Des  pleurs,  mais  des  pleurs  d'allégresse. 

c  Je  vous  aime,  dis-je  étoufifant 

Ma  voix,  plus  qu'on  aime  sur  terre, 

Toi,  mère,  toi,  pour  ton  enfant. 

Et  toi,  cher  enfant,  pour  ta  mère  1  » 


Emanuel  Hiel 

(1834) 

LA  FEMME  AU   ROUET 

La  fbmme  au  rouet,  active  à  l'ouvrage, 
Les  yeux  sur  le  fil,  tourne  avec  courage. 

Ron  ron,  mon  rouet,  vire,  vire  encor  I 

Je  gagne  peu,  mais  peu  me  suffit,  en  revanche  : 
Une  tasse  de  lait,  de  pain  bis  une  tranche, 
Voilà  ma  faim  calmée  et  ma  soif  qui  s'étanche. 

Ron  ron,  mon  rouet,  vire,  vire  encor  ! 

La  femme  au  rouet,  active  à  l'ouvrage, 
Les  yeux  sur  le  fil,  tourne  avec  courage. 

Ron  ron,  mon  rouet,  vire,  vire  encor  ! 

J'eus  un  mari  :  brave  homme  ?  Oui  :  sans  être  sévère, 
On  dira  qu'il  aimait  par  trop  vider  son  verre  ; 
Pourtant  mon  deuil  fut  grand  quand  on  le  mit  en  terre. 

Ron  ron,  mon  rouet,  vire,  vire  encor... 

La  femme  au  rouet,  active  à  l'ouvrage, 
Les  yeux  sur  le  ûl,  tourne  avec  courage. 

Ron  ron,  mon  rouet,  vire,  vire  encor. .. 

Et  j'eus  beaucoup  d'enfants  1  Pas  un  dans  ma  demeure... 
Tous  mariés  1...  Je  suis,  jusqu'à  ce  que  je  meure, 
Seule,  et  pour  moi  le  monde  est  bien  vide  à  cette  heure  I 

Ron  ron,  mon  rouet,  vire,  vire  encor... 

Traduction  de  Achille  Hiluen. 


LIVRES  ET  PÉRIODIQUES.  -  NOTES  ET  ÉCHOS 

/,  Grand  succès  de  notre  compatriote  Franc-Nohain,au  théâtre  des  Mathurins  avec 
la  Fiancée  du  Scaphandrier ^  opérette  bouffe,  musique  de  Qaude  Terrasse. 

,%  Notre  collaborateur,  M.  Louis  Taverna,  ingénieur,  a  fondé  une  revue  vulgarisa- 
trice de  l'emploi  industriel  de  Talcool,  fort  intéressante  à  divers  titres.  La  Revue  de 
V Alcool  parait  le  1»'  et  le  15  de  chaque  mois,  rue  Mayran,  8,  Paris.  Abonnement  :  6  fr. 
par  an. 

/»  21  décembre,  conférence  de  M.  Charles  Fuster  au  Ladies-Club.  sur  l'œuvre 
nouvelle  de  notre  collaboratrice,  Mme  Eugénie  Casanova.  —  Le  15  décembre,  Davrigny 
avait  dit  Le  Drapeau,  à  la  mairie  de  Passy,  avec  grand  succès.  Le  Credo,  musique 
de  Delmet,  continue  a  être  vivement  applaudi.  Mme  Casanova  figurait  dans  l'album 
de  Noël  des  Annales. 

,%  Nous  lisons  dans  la  dernière  livraison  de  l'excellente  revue  parisienne  Le 
Penseur  :  «  La  littérature  des  Pays-Bas  est  assez  mal  connue  en  France.  Il  faut 
savoir  gré  à  M.  Achille  Millien  de  nous  donner,  dans  la  Revue  du  Nivernais,  une 
très  belle  série  de  poésies  où,  avec  son  talent  éprouvé,  il  interprète  d'excellentes 
pages  dues  à  des  poètes  néerlandais  ». 

/,  Un  comité  spécialement  accrédité  par  M.  Paul  Meurice,  l'exécuteur  testamentaire 
du  grand  poète  des  Feuilles  d'automne,  vient  de  se  constituer  à  Bourges,  en  tant 
que  ville  centrale  et  plus  ancienne  ville  de  France,  pour  convier  la  jeunesse  littéraire 
de  la  France  et  du  monde  à  s'associer  aux  fêles  parisiennes  du  prochain  centenaire 
de  Victor  Hugo.  Après  en  avoir  décliné  la  présidence  par  suite  de  considérations  de 
famille,  de  santé,  et  d'autres  travaux  et  missions  multiples,  notre  confrère  Lucien 
Jeny  en  a  été  élu  vice-président  avec  notre  confrère  Hugues  Lapaire.  Notre  gracieuse 
collaboratrice,  Mlle  .loséphine  Bégassat  a  été  élue  secrétaire  adjointe  avec  le  poète  de 
Bourges,  Joseph  Ârmandin.  Divers  avantages  seront  sollicités  car  ce  Comité  pour 
faciliter  aux  adhérents  la  participation  aux  fêtes  de  février  1902.  Aaresser  les  adhésions 
soit  à  Mlle  Joséphine  Bégassat,  à  Chàteauneuf-sur-Clier,  soit  à  M.  Michel  Abadie, 
secrétaire  général  du  Comité,  à  Vallenay  (Cher),  avec  la  somme  minima  de  un  franc 
pour  couvrir  les  frais. 

/,  Nos  compatriotes.  Sont  nommés  ou  promus  :  dans  la  Légion  d'honneur  ;  officier. 
M.  Hurault  de  Vibraye,  colonel  du  3«  chasseurs;  chevaliers  :  MM.  L.-Em.  Boucher, 
sous-chef  de  bureau  au  ministère  de  la  Marine  ;  Léon  de  Galembert,  rédacteur  au  minis- 
tère de  la  Guerre;  —  dans  le  Mérite  agricole  :  officier,  M.  I^on  Lhoste  ;  chevaliers  MM. 
Th.  Lan^uinier,  Aug.  Pécard,  Besançon,  inspecteur  des  forêts;  Boutroux,  conseiller 
d'arrondissement;  P.  Lucas, Delafond,  maires;—  ofiicier  duNicham,  M.  Léon  Demerson. 
—  M.  Georges  Randon,  adjudant  au  4«  génie,  a  été  décoré  de  la  médaille  militaire. 

,%  M.  Georges  Gallard  est  reçu  aux  examens  du  doctorat  en  droit.  —  M.  Joseph 
Deschamps,  reçu  ingénieur  (n*  1)  à  la  faculté  catholique  de  Lille,  a  obtenu  le  prix  de 
Tassocialion  et  une  médaille  d'argent.  —  M.  Jean  Lamoussièrc  a  reçu  un  l*'  prix  au 
concours  de  la  Basoche,  association  des  clercs  de  notaires  et  d'avoués. 

«%  Notre  éminent  statuaire  Boisseau  est  réélu  trésorier  de  la  Société  des  artistes 
français. 

,\  Conférences  publiques  :  15  décembre,  sur  le  Rcve,  par  M.  le  professear 
Foucault  ;  21  décembre,  sur  Danton,  par  M.  le  député  Massé;  conférence  privée  à  Nevers 
par  M.  Henri  Joly,  ancien  doyen  de  la  faculté  des  lettres  de  Qijon,  sur  VVmon  des 
classes  sociales.  —  A  Cosne,  conférence-concert  par  M.  Lomont,  inspecteur  primaire, 
avec  le  concours  musical  de  MM.  Camuzat  et  Pars>'  et  de  Mlle  Augier.  —  A  Corbifiniy, 
le  29  décembre,  conférence  très  applaudie,  sur  Aiolière,  par  Jules  Renard,  l'auteur 
tant  apprécié  de  Poil  de  Carotte  et  Je  bien  d'autres  charmants  ouvrages.  —  A  Nevers 
8  janvier,  conférence  de  M.  Aubanel  aux  Femmes  de  la  Nièvre.  L.  D. 

Le  Directeur-Géranty  Achille  Hiluen. 


tttrtn,  tmp.  «.  YêlUértb 


LE  VERGER  CHANTANT 


En  souvenir  de  Vichy. 
A  Madame  Henry  Bouquilîard. 

E  ne  les  connaissais  pas  et  nous  étions  d'an- 
ciens auiis  quand  même  ;  des  amis  de  trente 
ans,  depuis  que  mon  frère  et  celui  de 
M.  Largues  s'étaient  trouvés  ensemble  à  l'Ecole 
polytechnique,  l'un  major  et  l'autre  fourrier, 
au  temps  où  les  premiers  de  l'école  avaient 
des  galons  et  où  tous  relevaient  si  élégamment 
leur  collet  sur  l'épaule  comme  une  toge  romaine. 

Pendant  les  deux  années  que  mon  frère  avait  passées  à  l'Ecole,  il 
dînait  chez  eux  tous  les  mercredis  avec  une  bande  de  camarades,  à 
l'époque  où  M'"«  Largues  était  une  des  plus  jolies  femmes  de  Paris,  où 
son  mari  débutait,  fabricant  de  joaillerie,  au  coin  de  la  place  Vendôme, 
et  où  moi,  j'étais  au  couvent,  mes  deux  nattes  relevées  en  chignon  de 
vieille,  alors  qu'on  me  mettait  en  pénitence  pour  avoir  fait  entrer  en 
classe,  Linda,  la  chienne  de  Mère  supérieure,  et  qu'on  me  disait 
majestueusement  après  une  surprise  de  rire  à  la  chapelle  :  «  Baisez  la 
terre,  mademoiselle  ». 
On  ne  la  baise  plus. 

Ah  1  que  je  les  connaissais  bien  les  Largues.  Mon  frère  n'avait  jamais 
manqué,  depuis  trente  ans,  d'aller  les  voir  de  temps  en  temps,  sous  le 
prétexte  de  faire  sertir  un  diamant  de  famille  ou  d'élaborer  un  bijou 
ancien  dans  une  parure  nouvelle  pour  une  fête  ou  un  anniversaire  ; 
en  réalité  pour  prendre  chez  les  Largues  un  petit  air  d'amitié  vraie, 
d'amitié  simple  et  sûre.  On  ne  s'en  fait  plus  à  quarante  ans. 

0 


138  REVUE  Dt)  NIVERNAIS. 

Et  même,  à  force  d'avoir  entendu  parler  d'eux,  il  me  semblait  que  je 
les  aurais  devinés  dans  n'importe  quelle  réunion  où  nous  aurions  été 
ensemble  ;  aussi  j'avais  eu  un  véritable  ravissement  en  me  trouvant  à 
côté  d'eux,  à  table  d'hôte,  à  Vichy,  par  un  de  ces  hasards  dont  la  vie 
est  pleine.  —  Tout  de  suite,  nous  avions  été  à  l'aise. 

Je  les  rencontrais  toujours  au  vieux  Parc  avec  une  jeune  femme  un 
peu  forte,  très  simplement  mise,  très  sympathique,  aux  yeux  intelli- 
gents, honnêtes  et  bons. 

—  C'est  Mïi<î  Mergnier,  de  l'Opéra-Comique,  me  disait  Ma>û  Largues  ; 
tout  le  monde  connaît  son  nom  à  Paris;  c'est  l'étoile  de  Vichy. 
Nous  l'avons  beaucoup  connue,  beaucoup  appréciée,  et  tout  parti- 
culièrement dans  nos  associations  de  bienfaisance.  Vous  savez  que 
je  suis  dame  patronnesse  de  l'Œuvre  du  métier  de  mon  mari  et  très 
militante,  tout  à  fait  à  la  tête  du  syndicat  formé  pour  venir  en  aide 
aux  €  Orphelins  de  la  Bijouterie  »  ;  nous  avons  fait  avec  elle  des  mer- 
veilles ;  nous  avons  trop  d'argent  ! 

—  M*i«  Mergnier  vous  a  donc  aidés  ? 

—  Elle  s'est  multipliée  ;  elle  nous  a  tout  apporté,  tout  ce  qu'elle 
possède  :  une  bonne  volonté  inépuisable,  son  cœur  d'or,  sa  bourse  et  sa 
voix,  son  admirable  voix  chaude,  caressante,  veloutée,  qui,  dans  un 
soir,  met  dix  orphelins  à  l'abri  de  la  misère. 

—  Comment  la  voyez-vous  si  intimement  ? 

—  Nous  l'estimions  beaucoup,  nous  nous  sommes  mis  à  l'aimer. 
Après  la  mort  de  sa  mère,  elle  s'est  réfugiée  dans  notre  quartier,  tout 
près  de  nous,  avec  sa  vieille  bonne,  celle  qui  lui  a  sauvé  la  vie  le 
jour  de  l'incendie  de  l'Opéra-Comique...  Ah  !  c'est  touchant  aussi  ce 
sauvetage  par  la  vieille  Gertrude.  M*^"  Mergnier  était  en  scène,  elle  jouait 
Mignon^  ne  pouvant  se  douter  que  le  feu  éclatait.  Sans  sa  bonne, 
myope,  ainsi  qu'elle  est,  l'artiste  eût  été  perdue,  mais  Gertrude  l'ai- 
mait ;  elle  est  entrée  en  scène  pendant  que  tout  flambait  et  tenant  sa 
maîtresse  par  la  main,  elle  l'a  conduite,  hors  du  théâtre,  par  un  petit 
escalier  dérobé  et  oublié.  Ce  n'est  que  bien  à  Tabri,  tjue  M"'  Mergnier 
s'est  rendue  compte  de  Tefifroyable  danger  auquel  elle  venait  d'échapper. 
Sa  première  pensée  a  été  pour  embrasser  Gertrude,  et  la  seconde 
pour  courir  à  son  vieux  père  et  arriver  à  lui  avant  les  journaux  du 
matin.  Tenez,  voyez- vous  cette  petite  femme  avenante  qui  a  l'air  d'une 
concierge  de  bonne  maison  en  retraite,  c'est  Gertrude. 


REVUE  DU  NIVERNAIS. 


139 


Mes  nouveaux  et  anciens  amis  me  laissaient  pour  aller  faire  leur  trai- 
tement, mais  ils  m'avaient  quittée,  depuis  un  grand  quart  d'heure,  que 
mes  yeux  ne  pouvaient  se  détacher  de  l'affiche  du  soir,  où  je  lisais,  en 
énormes  caractères,  le  nom  de  la  grande  artiste. 


15  JUILLET 

THÉÂTRE  DU  CASINO  DE  VICHY 

[MilA[Kl@[M 

Ouverture  è  huit  heures  moins  un  qusrt 


MU«   MERGNIER 

de  V  Opéra-Comique 
Remplira  le  rôle  de  Manon 


II 


Pourquoi  les  Largues  allaient-ils  tous  les  jours  à  Cusset?Cela  finissait 
par  m'intriguer.  Toutes  les  fois  que  je,  proposais  une  petite  fugue,  la 
réponse  était  invariable,  on  allait  à  Cusset  ou  plutôt  un  peu  plus  loin, 
sur  la  route  de  l'Ardoisière,  à  deux  cents  pas  du  clocher  de  Ranzat  ;  je 
n'y  comprenais  rien. 

Toujours  accompagnés  de  M^^^  Mergnier,  ils  disparaissaient  quelque- 
fois la  soirée  entière,  sans  même  rentrer  pour  diner  et  racontaient  le 
lendemain  qu'ils  avaient  mangé  un  lapin  excellent  à  Ranzat  et  les 
meilleures  de  toutes  les  cerises,  celles  du  Verger  Chantant. 

—  Quel  Verger  Chantant  ? 

—  Eh  I  oui,  celles  du  verger  de  ce  pauvre  Jean,  à  côté  de  celui  du 
grand  Piare,  vous  le  savez  bien  ;  tout  le  monde  le  sait  à  table  d'hôte. 

Mes  amis  oubliaient  décidément  que  c'était  la  première  fois  que  je 
descendais  à  leur  hôtel  ;  je  ne  pouvais  donc  rien  savoir,  mais,  en  effet, 
les  convives,  eux,  savaient. 

Tout  le  monde  opinait  de  la  tète  ;  le  gros  diabétique,  mon  voisin,  à 


UO  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

rœil  immobile  de  Chinois  repu,  s'émouvait  même  et  le  regard  de  sa 
compagne  devenait  humide. 

Dieu  sait  cependant  si  je  la  croyais  capable  d'une  vibration  quel- 
conque ! 

L'hôtel  du  Joli-Parc  conserve  ses  clients;  on  y  est  bien,  on  y 
reste  ;  les  commensaux  d'une  saison  deviennent  amis  pour  bien  des 
saisons  ;  ils  s'y  retrouvent  chaque  année.  Toute  la  table  se  connais- 
sait ou  à  très  peu  près  et  paraissait  parfaitement  au  courant  de  l'his- 
toire du  Verger  Chantant. 

—On  dit  que  vous  inventez  des  nouvelles  pour  les  revues  ou  les  sup- 
pléments illustrés,  me  glissait  mon  voisin  de  gauche,  gros  industriel 
de  la  Loire  et  ami  intime  de  J.-B.  Huysmans,  le  cénobite  de  Ligugé, 
racontez  celle-ci  ;  elle  est  vraie,  pas  banale  et  touchante.  On  en  ferait 
une  ravissante  pièce  pour  l'Opéra-Comique. 

Je  me  récriai,  car  je  n'invente  rien,  je  n'ai  pas  d'imagination,  je 
raconte  simplement  ce  que  je  vois,  ce  qui  m'impressionne. 

Mais  je  suppliai* d'autant  plus  mes  Largues;  je  les  prenais  par  les 
sentiments... 

C'est  pour  ma  Revue,  pour  notre  Revue  du  NiveimaU  que  nous  voulons 
intéressante,  variée,  désirée. 

—  La  charité,  s'il  vous  plait.  Je  tendais  la  main  en  riant. 

M''*  Mergnier  survenait...;  je  m'adressais  à  elle,  mais  elle  se  détour- 
nait rouge,  embarrassée,  gênéci 

—  Cela  ne  vaut  pas  la  peine,  disait  sa  voix  chantante. 

Largues  haussait  les  épaules  et  ses  épaules  me  répondaient  claire- 
ment :  Beaucoup  de  bruit  pour  rien. 

Cependant  j'insistais,  je  priais,  je  suppliais  tant  }{^^  Largues  qu'elle 
se  décidait  enûn  en  m'entrainant  au  jardin,  tout  en  faisant  signe  à 
M>ï'  Mergnier  de  la  suivre. 

—  Je  ne  suis  pour  rien  dans  Taventure,  me  répétait-elle  ;  les  autres 
sont  acteurs  ;  c'est  pourquoi  ils  n'aiment  pas  qu'on  leur  parle  de  la 
pièce  qu'ils  ont  jouée,  là-bas,  à  Cussel,  n'est-ce  pas? 

Ce  «  n'est-ce  pas  »  s'adressait  à  Tarlisle  ;  elle  avait  disparu. 

—  Je  savais  bien  que  mon  histoire  la  ferait  fuir,  continuait  la  char- 
mante femme  ;  je  ne  vais  vous  parler  que  d'elle  ;  c'est  pourquoi  elle 
s'est  sauvée. 

Et  Mn*»  Largues  commença  ainsi  : 


REVUE  DV  NIVERNAIS.  141 

III 

LE  VERGER  CHANTANT 

Nous  aimons  beaucoup  les  longues  promenades  à  pied  ou  à  bicyclette, 
vous  savez  pourquoi.  Nous  sommes  Parisiens  et  les  Parisiens  adorent 
les  champs.  Il  ne  se  passe  pas  de  jour  où  nous  ne  parcourions  les  envi- 
rons de  Vichy  d'un  côté  ou  de  l'autre. 

M"«  Mergnier,  qui  n'a  plus  à  repasser  son  répertoire,  vient  avec  nous 
le  plus  souvent,  d'abord  parce  qu'elle  aime  les  prés,  les  bois,  les  fleurs 
sauvages,  mais  aussi  pour...  le  rossignol. 

C'est  pour  l'entendre  que  nous  nous  éternisons  le  soir,  par  les  nuits 
claires,  dans  la  forêt  de  Randan. 

Ne  s'est-elle  pas  imaginée  qu'elle  pourrait  apprendre  au  rossignol 
des  roulades  de  l'Opéra-Comique!... 

Il  y  a  des  moments  où  c'est  elle  qui  apprend  aussi.  Oh!  les  jolies 
scènes,  les  charmants  duos  !  mais  c'est  le  rossignol  le  plus  fort  I 

Quand  on  aime  autant  son  art,  il  n'est  pas  étonnant,  n'est-ce  pas, 
qu'on  recherche  surtout  une  belle  voix  humaine  ?  Pour  M^^*  Mergnier 
aucun  plaisir  n'est  comparable  à  celui  d'entendre  un  vrai  berger 
chanter  comme  un  berger  d'opéra  comique  ;  c'est  sa  passion  ! 

Un  jour,  il  y  a  trois  ans,  l'idée  nous  vint  d'aller  explorer  les  carrières 
qui  s'ouvrent  à  cinq  cents  mètres  de  Cusset,  sur  la  route  de  l'Ardoi- 
sière, au-dessus  du  Sichon,  dans  un  ravissant  paysage  fait  de  collines 
un  peu  boisées,  de  rochers  sauvages,  de  vergers  plantés  à  pic  et  tout 
en  bas  de  grandes  fougères  et  de  délicieuses  haies,  fleuries  de  chèvre»- 
feuille,  d'églantines  et  de  mûriers. 

Nous  causions  du  pays,  de  cette  belle  Limagne  si  féconde  et  si  jolie, 
quand  M^*'  Mergnier  s'arrêta...,  un  doigt  sur  sa  bouche. 

Un  chant  arrivait  jusqu'à  nous...  ;  une  bourrée  sans  doute...  ; 
mais  non. 

La  voix  semblait  venir  de  très  peu  loin,  mais  de  plus  haut  que  la 
taille  d'un  homme;  elle  était  pure...,  admirablement  timbrée... 
Instinctivement  nous  gravissions  le  talus  de  la  route...  Le  son  arri- 
vait maintenant,  encore  indistinct,  mais  plus  fort...  ;  cependant,  je  ne 
reconnaissais  aucune  mélopée  de  la  montagne,  moi  qui  les  connaissais 
toutes...  Nous  montions  toujours  pour  nous  rapprocher...  A  présent 
M"*  Mergnier  s'arrêtait.  .  Où  avais-je  entendu  ces  airs  ?...  La  voix  arri- 


142  REVUE   DV  NIVERNAIS 

vait  enfln  pleine,  dans  toute  sa  clarté...;  le  chanteur  savait  chanter  ; 
où  avait-il  appris  ?  Le  timbre  était  d'or,  l'organe  était  manié  par 
un  artiste.  Oh!  si  nous  pouvions  entendre  encore  de  plus  près...  ; 
nous  étions  sous  le  charme. 

La  tête  basse,  pâlie  par  Témotion  chérie,  W^^  Mergnier  écoutait  sans 
faire  un  mouvement  pour  retenir  le  rêve,  et  c'était  bien  un  rêve  !  car 
nous  entendions  stupéfaits  : 

Connais-tu  le  pays  où  fleurit  Toranger  ! 

Le  pays  des  fruits  d'or  et  des  roses  vermeilles. 

Puis  un  silence  de  quelques  minutes  et,  de  l'autre  côté  du  verger, 
toujours  au-dessus  de  terre,  après  un  intermède  fait  d'une  improvi- 
sation modulée,  indiquant  un  sentiment  musical  que  l'Opéra  aurait 
couvert  d'or,  éclatait  triomphal  et  vibrant  le  chœur  de  Faust  : 

Gloire  immortelle  de  nos  aïeux. 

Enfin,  un  peu  après,  au  bout  de  quelques  secondes,  dans  un  fond 
plus  lointain,  la  voix  magique  arrivait  ouatée,  auréolée,  et  nous  enten- 
dions le  plus  touchant  Salut  à  la  France  !  que  jamais,  mais  jamais  nous 
n'aurions  pu  soupçonner.  Un  frisson  nous  prenait... 

Mlle  Mergnier  joignait  les  mains,  en  extase  ;  mon  mari  semblait  dans 
une  autre  planète  ;  seule,  j'étais  sur  terre  ;  je  voulais  savoir  ! 

Je  me  mis  à  courir  dans  la  direction  de  la  voix.  Elle  se  rapprochait 
maintenant  de  la  route,  mais  je  descendais,  je  remontais,  fouillant  le 
verger  et  la  carrière,  et  je  ne  voyais  rien,  rien,  qu'en  bas  de  pauvres 
ouvriers  carriers  occupés  à  faire  un  trou  de  mine,  par  une  chaleur  tor- 
ride,  et  en  haut  un  panier  de  cerises  fraîchement  cueillies,  le  dos  d'une 
blouse  bleue,  en  loques,  qui  entrait  sous  un  chaume  de  pauvre  et  un 
vieux  paysan  à  l'air  grognon  et  goguenard,  au  bonnet  de  coton  sale,  qui 
fumait  sa  pipe  devant  la  porte  de  la  cabane. 

Quel  était  le  chanteur?  Où  était  l'artiste?  Pourquoi  s'était-il  évanoui 
alors  que  nous  aurions  tant  voulu  l'applaudir  et  le  féliciter. 

Il  fallait  rentrer  à  Vichy  pour  le  traîteniijil.  A  notre  gnmd  regret, 
nous  repartions,  mais  la  route  contouniail  la  colline  et  la  carriènv; 
nous  nous  arrêtions  encore  tous  les  Iruis  :  le  Vorgrr  chantait  toujotil^* 

(A  suivre,)  Françoise  dIIusselus. 


ir.       '. 


14i  REVUE  DU   NIVERNAIS- 


MALGRE  TOUT 

Quand  son  souffle  embrasé  court,  desséchanl  la  plaine, 
Le  simoun  au  désert  soulève  en  tourbillons 
Les  sables  envolés  devant  sa  chaude  haleine^ 
Amoncelés  en  dune  ou  creusés  en  sillons. 

Mais  stériles  sillons,  où  nul  germe  no  pousse 
Et  toute  graine  errante  à  leur  creux  tombe  en  vain  ; 
Dune  où  ne  fleuriront  ni  brin  d'herbe  ni  mousse» 
Qu'un  caprice  du  vent  effacera  demain. 

Ainsi  passe  le  doute  en  dévastant  une  âme^ 
Flétrissant  sa  croyance  et  brisant  ses  espoirs. 
Fatal  souffle,  il  éteint  la  pure  et  claire  flamme 
Guidant  les  pas  tremblants  vers  les  harlzoïis  uoirs. 

Si  tant  de  fois  j'ai  dû  subir  le  mal  suprOme, 
Le  ver  mordant  au  cœur  qui  fait  douter  de  soi  ; 
Si  dans  les  rêves  morts  et  dans  tout  ce  que  j'aime. 
J'ai  souffert,  cependant  j'ai  préservé  ma  foi. 

Et  je  m'attache  au  dogme  appris  à  mon  aurore  ; 
Souvent  blessé  du  mal,  je  crois  toujours  au  bien. 
Je  crois  aux  cœurs  aimant  se  dévouer  encore  ; 
C'est  le  pur  idéal  où  se  complaît  le  mten. 

Je  sais  que  sans  regrets  je  livrerais  ma  vie 
Pour  rendre  ceux  que  j'aime  à  la  vie,  au  bonheur  ; 
Je  garde  à  l'amitié  ma  tendresse  infiniis 
Me  confiant  en  elle  aux  instants  de  doulour. 

Et  si  l'arrêt  du  sort  me  condamne  a  Tabsencc 
Loin  des  cœurs  préférés,  pour  de  longs  jours  parfois. 
Je  gémis  d'être  seul,  je  souffre  du  silencL\ 
Mais  j'ai  soif  de  croire,  et  je  crois  I 

Guy  de  Veyoel 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  145 

LES  POÈTES  DE  L'AMOUR /Su f/e/ 

Dans  le  Livre  d'heures  de  V Amour,  qui  surgit  au  milieu  de  l'œuvre 
polychrome  de  Jean  Aicard  comme  une  oasis  souriante,  l'amour  est 
moins  prestigieux  que  chez  Maurice  Bouchor,  mais  plus  charmant.  Et 
ce  mot  me  paraît  définir,  si  je  puis  ainsi  dire,  le  genre  de  ce  poète  qui 
môle  en  une  heureuse  confusion  les  somptuosités  du  lyrisme  aux 
grâces  de  la  fantaisie. 

Oh  I  les  jolies  bluetles,  broderies  chatoyantes,  dentelles  soyeuses 
ondulant  autour  de  inspiration  capricieuse  où  les  larmes  attendris- 
sent les  sourires,  où  les  sourires  attendrissent  les  larmes  I  Oh  !  les  jolis 
vers  insouciants,  légers,  vaporeux,  voltigeant  dans  le  printemps 
d'amour  comme  des  rubans  roses,  en  un  étincellement  d'azur,  empor- 
tant de  fleur  en  fleur,  sous  le  ciel  bleu,  le  cœur  du  poète,  papillon 
doré  frôlant  des  parfums,  effleurant  des  baisers  ! 

Le  frisson  de  mon  aile  ira  sur  votre  bouche 
Courir  et  se  poser  cotnme  un  baiser  d*amant... 

Et,  comme  pour  faire  miroiter  sur  un  fond  plus  sombre  ces  joyaux 
délicatement  ciselés  mirant  en  lueurs  brèves  les  étoiles  amoureuses,  se 
déroulent  çà  et  là  des  poèmes  amples,  de  teintes  chaudes,  où  rayonne 
la  majesté  de  l'amour  humain,  source  de  la  vie  et  principe  de  l'esprit, 
dompteur  des  âmes  et  maître  du  monde  : 

Tout  Tazur  clair  des  cieuz  nage  dans  ta  prunelle. 
Le  murmure  de  tout  sourd  dans  ton  cœur  sans  fond  ; 
Et  la  sève  de  tout  fait  la  fleur  éternelle 
De  ta  beauté  suprême  où  Tunivers  se  fond. 


O  splendeur  !  ô  divine  !  Ksprit  dans  la  matière  f 
Idéal  fait  de  chair  !  beauté  I  source  d'esprit  l 
Epanouissement  de  la  nature  entière  ! 
0  le  rêve  immortel  de  tout  ce  qui  périt  ! 


Mais  ceux  qui  jouissent  et  soufl^rent  de  l'amour  (car  hélas  !  toute  joie 
terrestre  enferme  en  elle  un  peu  de  douleur)  préféreront  les  strophes 
où  l'auteur,  après  avoir  livré  les  trésors  de  son  imagination,  nous  aban- 
donne un  peu  de  son  cœur. 

Bien  qu'elles  soient  éparses  dans  le  livre  (et  cela  est  d'ailleurs 

regrettable),  on  y  peut  suivre  aisément  une  idylle.  Ce  sont  d'abord  les 

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REVUE  DU  NIVERNAIS.  147 

Enfin,  las  de  tant  d'agitations  vaines  et  de  chagrins  puérils,  repous- 
sant dans  le  vague  le  flux  d'impressions  aux  hantises  douloureuses,  il 
tentera  d'endormir  son  âme  dans  les  bras  de  l'aimée  : 

J'entends  gémir  mon  cœur,  j'entends  pleurer  mon  àme... 

Mets  ta  main  sur  mon  front,  mets  la  main  sur  mes  yeux... 

Un  charme  maternel,  tendre  et  délicieux 

Est  dans  la  main  et  dans  la  main  de  toute  femme. 

Sur  Ion  cœur  si  vivant  prends  ma  tète  lassée  ; 

Berce  moi  demi-mort,  sans  joie,  entre  tes  bras, 

Et  baise  par  pitié  —  je  n*y  répondrai  pas  — 

Mon  front  indifférent  où  souffre  ma  pensée. 


La  même  inquiétude  de  vivre  et  d'aimer  se  retrouve,  à  son  pa- 
roxysme, chez  l'auteur  de  la  Vie  inquiête.'Piiul  Bourget,  que  je  nommais 
tout  à  l'heure.  On  les  oublie  trop  pour  ses  romans,  ces  poésies 
charmantes  aux  parfums  d'émotion  si  pénétrante  qu'elles  laissent  dans 
l'âme  une  traînée  de  langueur.  C'est  là  que  s'épanche  l'âme  d'un 
René  Vincy  où  déjà  s'enlacent,  en  un  réseau  subtil,  les  sentiments  les 
plus  variés,  les  plus  nuancés,  les  plus  indéfinis,  et  qui  semble  conden- 
ser, dans  sa  vie  intérieure,  ce  que  nous  appelons,  faute  d'une  appella- 
tion plus  précise,  Ne  nervosisme  contemporain  :  \e  poèie  y  passe  sans 
transition  de  la  douceur  triste  à  l'élan  furieux,  de  la  supplication 
passionnée  à  l'incantation  tendre  ;  on  sent  battre  le  cœur,  frissonner 
l'âme,  et  l'on  assiste,  spectacle  unique,  à  cette  lutte  cruellement 
incessante  où  s'agitent  les  plus  diverses  passions,  mais  où  domine, 
mystérieuse  trinité,  l'aspiration  vers  l'idéal,  la  tristesse  et  l'amour. 

L'amour,  Paul  Bourget  l'a  analysé  et  quintessenciédans  ses  romans; 
il  l'a  chanté  dans  ses  vers.  Car,  si  le  psychologue  se  devine  en  le  poète, 
si  parfois  il  recherche  les  causes  cachées  de  ses  pensées,  il  le  fait  avec 
une  douce  simplicité  et  aussi  avec  cette  délicatesse  innée  qui  affine  les 
sentiments  pour  n'en  laisser  subsister  que  la  fleur  : 

Quand  tes  yeux  s'ouvriront  sur  un  beau  paysage, 
Si  le  ravissement  te  fait  verser  des  pleurs, 
Ne  retiens  pas  ces  pleurs,  mon  enfant,  sois  plus  sage, 
E^^ne  te  raille  pas  de  ces  vaines  douleurs. 

Ces  larmes  sans  objet,  ces  angoisses  divines 
Qui  nous  prennent  devant  l'Océan  ou  les  cieux, 
Cette  extase  sans  nom  qui  court  dans  nos  poitrines 
Comme  un  frémissement  chaste  et  délicieux, 


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I 


REVUE  DU   NIVERNAIS.  149 

désunit  les  âmes  oùraurrauralent  les  douceurs  des  premiers  aveux. 
Oli  !  la  souffrance  désespérée  de  l'amant,  lej  sanglots  dans  les  pleurs, 
les  déchirements  d'âme  dans  la  nuit,  sous  le  sombre  écroulement  des 
suprêmes  espoirs  ! 

Les  yeux  adorés  n'ont  plus  de  caresses,  mais  le  souvenir  est  toujours 
là,  si  troublant  parfois  que  le  poète  se  sent  défaillir  :  c'est  le  regret  de 
l'amour  ancien  qui  obscurcit  sa  mélancolie  jusqu'au  spleen  ;  puis  c'est 
l'image  de  l'aimée  qui  revit  dans  les  âmes  féminines  dolentes  ou  sou- 
riantes des  romances  sentimentales  des  Aveiix^  où  le  rêveur  laisse,  au 
gré  des  brises,  vaguer  ses  rêves,  rêves  de  langueurs,  rêves  de  douleurs. 

Et  dans  le  crépuscule  qui  voile  le  jardin  d'amour,  l'àme  pleure  et 
les  vers  chantent  : 

Dans  ce  jardin  profond  j'erre  aussi  pour  entendre 

Des  femmes  aux  grands  yeux  noyés  d'un  regard  tendra 

Me  répéter  les  mots  prononcés  autrefois  ; 

Le  croissant  de  lu  lune  est  si  mince  qu'il  semble 

Un  bracelet  d'argent  brisé,  le  taillis  tremble  ; 

Un  sourd  sanglot  se  mêle  à  la  douceur  des  voix. 

Et  les  fleurs  du  jardin  pendant  le  jour  fermées, 
S*entr'ouvrent  à  l'appel  des  voix  jadis  aimées. 
Le  soupir  caressant  des  anciens  parfums 
Flotte  comme  un  nuage  autour  des  chers  fantômes  ; 
Et,  plus  tristes  parmi  ces  fleurs  et  leurs  arômes, 
Les  voix  jurent  que  les  beaux  rêves  sont  défunts. 

N'avez-vous  pas  pensé,  à  lire  ces  strophes,  que  Paul  Bourget,  en 
suivant  les  allées  onduleuses  du  jardin  poétique  où  ont  fleuri  des 
fleurs  si  suaves,  fût,  inconsciemment  sans  doute,  l'un  des  précurseurs 
du  symbolisme  ?  Ces  derniers  vers  surtout  vibrent  d'une  harmonie 
languissante  qui  berce  les  sens  et  élève  l'esprit  \eys  un  rêve  élhéré  où 
l'àme  s'endort  d'un  demi-sommeil  très  doux. 

(A  suivre).  Fernand  Uichard. 


150  REVUE  DV  NIVERNAIS. 

CONSEILS    DUN    GRAND-PÉRE 
A   SON   PETIT-FILS 

«  Jacques,  lève-toi  de  bonne  heure, 
Vite  au  travail,  car  les  moments  perdus 

Au  lit  ne  se  retrouvent  plus. 
Point  ne  t'attarde  en  ta  demeure. 
Ainsi  disait  sagement  un  aïeuK 
Pour  arriver  un  jour  à  la  fortune, 
11  faut  vaquer  depuis  l'aube  jusqu'à  la  brune. 

Ici-bas,  rien  ne  vient  tout  seul  ; 

Les  paresseux  iront  à  la  misère  ; 

Dormir  c'est  bien,  mais  non  pas  trop, 

Pour  réussir  il  faut  se  lever  tôt, 

Grands  et  petits  y  trouvent  leur  affaire. 
Un  garçon  qui  s'était  levé  de  grand  matin 

Trouva  le  long  de  son  chemin 

Une  bourse  toute  joufflue, 

Toute  pleine  de  louis  d'or. 
—  Grand  père,  dit  l'enfant,  celui  qui  l'a  perdue 
S*était  levé  bien  plus  matin  encor.  w 

Paul  Uandieu. 


IMPRESSIONS    DE    VOYAGE 

A  mon  dernier  retour  de  Paris,  je  fis  voyage  avec  un  couple  char- 
mant, très  élégant,  très  distingué  ;  si  élégant,  si  distingué  même  que 
je  m'élonnai  de  le  rencontrer  dans  un  compartiment  de  troisième 
classe.  La  jeune  dame,  de  mise  fort  agréable,  n'avait  que  des  sourires 
pour  le  jeune  homme,  qui  devait  être  son  mari.  Celui-ci,  de  son  côté, 
avait  des  attentions  délicates  pour  celle  que  je  jugeais  être  son  épouse. 

Je  ne  croyais  pas  que  nous  fussions  encore  dans  une  époque  d'un 
sentimentalisme  aussi  pénétrant.  —  Les  poètes  décadents  nous  ont 
tellement  encombré  de  leurs  œuvres  amorphes  ! 

Les  jeunes  gens  revenaient  de  Paris,  avec  tous  leurs  bagages  et  leur 
amour,  ayant  voulu,  sans  doute,  honorer  la  capitale  de  leur  voyage  de 
noce.  Et  de  ce  voyage  ils  n'emportaient  pas  seulement  des  souvenirs 
dans  leurs  cœurs  :  leur  valise  en  était  pleine,  les  sacs,  les  paquets  en 
regorgeaient. 


HEVUK   DU  NIVERNAIS.  IM 

t^ïriil  vm  i.;iftoii  volumineux  qui  était  Pohjcl  des 
fl(.iii'(4ix  carton!  une  surveillance  altenlivc 
li  ïe  pvv\vA\\  sur  ses  genoux,  ou  le  posait  délicale- 
i*.  un  le  rt'preuait,  on  le  posait  de  nouveau,  on 
^  Mi  \v  WuiiW  ;itlaché,  et  un  furtif  coup  d'œil  plongeait 

'     Mis  p:i>  ilr  ifiioi  Ton  s'assurait,  et  j'ignorais  alors  ce 
■  \Unnr  W  \\\uir\\\  carton. 

n/aifiatlinir  iil  sti  tenait  un  autre  couple,  bien  différent 

iHiiijjijf  iir  ^■|l(lHlpait  point  de  sa  femme,  la  femme  ne 

1   sati   lu  Mil  Mil     [,eur  voyage  de  noce  devait  être  loin, 

^  Viitî  dV>  ji'UUf's  gens  qui  s'aimaient  n'évoquait  en  eux 

^Mi.Ils  n^iVMJi'îii  pasde  valise,  ni  de  sacs,  ni  de  paquets, 

«Il  Mïi  i^niii  p:iiii<'r,  vieux,  usé,  massif  comme  eux  ;  un  gros 

'îiivrs^  ^*'us  1  4  h  M  il   les  anses  ne  quittèrent  pas*^  une  seule 

irs  hras  falij^di'-s. 

!••  avait  un  bonnet  bien  blanc,  un  tablier  bien  gris. 
\  -jppuyait  sur  un  bâton  noueux  son  menton  complètement 
I  avec  des  rides  noires,  profondes,  creusées  dans  la  peau 

longs  sillons  dans  les  champs  immenses. 
.«' homme  m'avait  entrepris,  et  déjà  je  n'ignorais  plus  rien 
•IVssion,  de  son  âge,  de  ses  habitudes,  de  tout  ce  qui  leconcer- 
.i\ait  visité  l'Exposition  et  pestait  contre  cette  a  bagatelle  ». 
a  demande,  je  lui  avais  donné  le  nom  de  mon  pays. 
'  Ten  !  s'écria-t-il  alors,  convulsant  sa  bouche  d'un  sourire,  ça 
•né  sont  tous  morvandiaux.  t> 

Oui,  monsieur.  C'est  un  beau  pays,  n'est-ce  pas,  le  Morvan,  un 
i\m  nous  donne  le  droit  d'en  être  fiers  ? 

-  N'y  est  d'ia  bonne  terre,  ...  lez,  monsieur. 

-  Et  du  bon  monde  aussi. 

-  C'est  pas  comme  à  Nérondes,  l'avons  que  j'allais  ceu  aut's  temps. 
Ml  ra'é  dit  qu'la  terre  y  était  ben  bonne,  mais  que  l'monde  y  était 
irti,  qu'a  valait  ren. 

Connaissant  la.plaisanterie  qu'on  se  permet  au  sujet  des  habitants 
de  Nérondes,  je  riais  ;  le  vieux  aussi.  Sa  femme,  bourrue,  sombre, 
n'avait  pas  eu  un  mouvement.  Nulle  expression  de  franchise,  de  gaîté 
ou  de  bonhomie  ne  pouvait  la  rendre  sympathique.  Elle  épongeait  son 


152  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

front  lout  baigné  de  sueur  avec  un  grand  mouchoir  jaune  où  la  poudre 
de  tabac  venait  sécher  après  un  séjour  dans  le  nez  énorme. 

Soudain,  la  paysanne  suffocant,  mal  à  l'aise^  se  leva  pour  s'étirer  un 
peu  ;  d'un  geste  lent,  elle  fit  craquer  ses  os,  et,  toujours  debout,  se 
mit  à  frapper  du  pied  le  parquet  de  la  voiture,  parce  que,  nous  dit- 
elle,  il  y  avait  des  «  fermis  »  dans  ses  jambes. 

Le  train  eut  alors  un  ralentissement  brusque,  imprévu,  qui  projeta 
la  pauvre  vieille  en  avant,  puis  en  arrière  et  la  fit  tomber  de  tout  son 
poids  sur  le  carton  que  la  jeune  dame  avait  déposé  sur  la  banquette 
demeurée  libre,  à  côté  d'elle. 

Il  y  eut  un  craquement  sinistre. 

La  propriétaire  du  carton  s'en  empara  vivement,  rompit  la  ficelle  et 
ouvrit.  Quelque  chose  apparut. C'était  un  je  ne  sais  quoi  de  délicieusement 
artistique,  d'un  goût  exquis  ;  un  je  ne  sais  quoi  formé  de  dentelles  et 
de  rubans  qui  encadraient  de  leurs  franges  et  de  leurs  velours  un 
rectangle  de  cristal  merveilleusement  taillé. 

Le  choc  avait  brisé  le  verre,  sillonné  maintenant  de  longues  rayures. 

Et  la  dame,  douloureusement,  regardait  ce  désastre  et  semblait  n'en 
pas  croire  ses  yeux. 

Quand  elle  eut  longuement  regar4é  et  considéré  que  le  mal  était  irré- 
parable, elle  tendit  l'objet  à  son  mari  et  fondit  en  larmes. 

Elle  pleura  sincèrement,  sans  fausse  honte,  car  ce  n'était  pas  seule- 
ment la  valeur  pécuniaire  de  cet  objet  dont  la  jeune  femme  déplorait 
la  perte,  ses  larmes  avaient  une  cause  moins  puérile.  Mais  il  devait 
y  avoir  dans  chaque  coin  de  dentelles,  dans  chaque  nœud  de  rubans, 
dans  chaque  ciselure  du  cristal,  un  souvenir,  une  chose  qui  parlait  au 
cœur  ;  et  c'était  la  disparition  de  tout  cela  qui  la  peinait,  la  pauvre. 

La  vieille,  cause  de  ce  malheur,  n'eût  pas  même  un  mot  d'excuse 
sur  les  lèvres,  ni  une  expression  de  regret  dans  les  yeux.  Elle  ricana 
devant  la  douleur  de  l'autre. 

A  la  station  prochaine,  les  jeunes  gens  descendirent,  tristes  tous  les 
lieux. 

La  vieille,  enhardie  par  leur  départ,  me  donna  sur  le  genou  deux 
pelilos  tapes  amicales  et  me  dit  : 

—  Vous  l'ez-tu  vue  breuiller,  mossieii  ? 

—  Il  y  avait  de  quoi  sans  doute. 

—  Vous  crayez;  pourtant  quand  rtounene  est   tombé,  dam  I» 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  153 

temps,  chez  mon  garçon  défunt,  que  ça  y  avait  pilé  des  carreaux,  des 
mille  et  des  cents,  a  n'é  point  breuillé,  soué. 

—  Mais  le  souvenir  que... 

—  Pardié  voui  ;  ça  ai  toujours  des  souvenirs  ceu  femmes-là.  Si 
al'était  accoutumé  de  travailler  comme  moue,  au  grous  soulé,  a  n'au- 
rait point  le  cœur  mijauré  de  denrées  pareilles,  a  n'y  songerait  point, 
crayez-moué,  mossieu.  Mais,  dites  !  vous  Tez-tu  vue  ;  al'en  fayait 
des  embarras. 

Et  comme  le  train  repartait,  Tabominable  paysanne  se  pencha 
sur  la  portière  et  cria,  pour  achever  de  vomir  celte  rancune  que  j'étais 
loin  de  trouver  légitime  : 

—  fit  Pendrille  toi  les  donc  brament  au  cou,  tes  mourciaux  de  verre, 
eh  !  féniante  !  »  Odile  Thiault. 


LARMES  D'OUBLI 

Que  de  larmes  j'ai  versées 
Au  souvenir  de  ce  jour, 
Oii  nos  âmes  fiancées 
Crurent  posséder  l'amour. 

Ces  vains  serments  que  l'on  jure 
Ont-ils  pour  moi  quelque  attrait. 
Puisque  ta  lèvre  si  pure 
Ne  me  dit  plus  ton  secret  ? 

Telle  une  tige  fragile 
Se  balance  au  gré  du  vent. 
L'amour  que  l'on  croit  docile 
Fait  place  à  l'oubli  souvent. 

Et  les  heures  insensées 
Du  bonheur  qu'on  a  connu 
Dans  nos  âmes  délaissées. 
Alors  qu'on  s'est  souvenu, 

Tintent  leur  glas  d'agonie, 
Et,  dans  le  doute  d'un  soir. 
Font  renaître  un  peu  de  vie 
Qui  se  fond  en  fol  espoir. 

Puis,  suivant  la  loi  fatale. 
De  sa  faux  prête  à  sévir, 
Le  Temps,  dans  sa  marche  égale, 
S'en  vient  tout  anéantir. 

Alors,  dans  ma  solitude 
Que  rien  ne  vient  éclairer. 
En  rêvant  d'ingratitude, 
Je  me  remets  à  pleurer  î 

France  Bry. 


154  REVUE  DU  NIVERNAIS. 


AUX  BUCHERONS  NIVERNAIS 

L'impitoyable  Hiver  rapidemetil  s'approche. 
Les  frimas  vont  bien  lût,  pressant  le  laboureur 
De  rentrer  son  bétail,  comme  au  son  d'une  cloche, 
Interrompre  des  ctiamps  le  rude  et  long  labeur. 

Et  vous,  francs  bùcberons,  dans  ces  bois  solitaires, 
Où  déjà  l'aquilon  attriste  le  bouvreuil, 
Par  groupes  vous  allez,  6  braves  prolélaires, 
Affûter  la  cognée  où  broute  le  chevreuil. 

C'est  là  qu'en  attendant  le  joli  mois  des  roses. 
Alors  que  le  ramier  roucoule  aux  environs, 
En  dépit  des  autans  et  des  soucis  moroses. 
Vous  gagnez  votre  pain,  ô  vaillants  bûcherons. 

Là,  vainement  battus  du  soufHc  de  la  bise, 

La  cognée  à  la  main,  terreur  de  ces  grands  bois. 

De  concert  abattez,  dans  leur  écorce  grise. 

Ces  vieux  troncs,  fiers  témoins  des  rigueurs  d'autrefois. 

Ne  laissez'que  Télîte,  ô  Nivernais  robustes; 
Rasez  jusqu'à  ces  houx,  inutiles  d'ailleurs  ; 
Coupez  les  pieds  anciens,  coupez,  nouveaux  Procustes, 
Dans  l'espoir  que  des  jets  en  .sortiront  meilleurs. 

Ainsi  rajeunissez  votre  forêt  profonde 
Que  coupent  des  sentiers  ardus  et  divergents, 
Poursuivez,  travailleurs,  voire  tâche  féconde. 
Si  rude;  mais  le  cœur  est  ferme,  pauvres  gens  ! 

Et  jetant  à  Técho  le  bruit  de  votre  scie, 
Qui  fait  bondir  dV*[Troi  le  lièvre  et  Pécureuil, 
Faites  de  ces  sapins  à  Técorce  durcie 
Pour  la  fainéantise  un  immense  cercuciL 

EuG.  Gaiiry, 

Novembre  1901,  Jttrdiniei*  à  Limon. 


"X!^ 


KEVUE  DU  NIVERNAIS.  155 


A  VICTOR   HUGO 


1^  fiâssas  parmi  nous  comme  raij^^lc  d'une  aire 

f^iffê  de  rêve  immense  et  d'orsueiï  éclatant, 

Ton  verbe,  dans  nos  cœurs,  strida  comme  un  tonnerre, 

Et  tu  fus^  à  toi  seul,  inaugurant  une  crc, 

Splendidc  comme  un  astre  et  fort  comme  un  Titan. 

E ployant»  sous  des  ciels  de  gloire,  Tenvergure 
iïc  les  ailes  de  eutvre  *^tin celantes  d'ors, 
Tu  traversas  les  temps  d'un  envol  qui  Inlgure, 
Kt  ce  gï-and  souvenir  de  puissance  li^^ure 
En  des  rayonnemenUs  d'éternels  messiilors. 

Fixant  de  la  hauleur  énorms  du  f^f^nic 
La  elarlé  du  soleil,  ïe  triomphe  des  rois. 
Tu  découvris  la  tache  et  la  fraude  impunie, 
Kt  tes  vers  tnagistraux  sont  une  symphonie 
Oiï  les  euivrcs  vengeui-s  suscitent  des  ciïrois. 

De  Norvège  en  Espagne  et  d'Espagne  eji  Asie, 
Passant  des  monts  de  neige  aux  sommets  radieux, 
Tu  ^us  à  rhydromel,  tu  hus  à  Tambroisie, 
Et,  de  toutes  grandeurs  ton  àmc  étant  saisie, 
Tu  chantas  les  lions,  les  chevaliers,  les  dieux. 

Oh  l  cette  immensité  de  toute  nue  épopée, 

Ces  preux  qui.  s'approchant  lîes  dames  en  tremblant, 

Tuaient  les  déloyaux  d  un  seul  effleur  d'épée  ! 

Kt  voici  que,  de'lom,  de  lu*uuje  enveloppée, 

L'Ame  d'EvirîuImns  est  Tûme  de  Roland, 

Us  allaient,  <'hevaucliant  leuï-s  destrier!^  de  rêve, 
Et  leur  plongeant  aux  lianes  le  fer  des  éperons, 
Ils  entendaient  rHoimnur  qui  les  poussait  sans  trêve, 
—  .Sous  réldouissement  du  nuage  qui  crève,  — 
Du  souflle  formidable  et  pur  de  ses  clairons. 

Tu  chantas  la  beauté  *les  vieilles  cathédrales, 
îjï  courbe  de  Togive  et  la  fol  du  ranit. 
Tu  chantiis  la  SimlTi-anc"?  et  tu  sou  (Tris  des  râles 
Des  pauvres  implorant*  sous  les  onjhns  murales. 
Le  pain  qui  réconforte  et  la  main  qui  liénit. 

Puis  —  TAigle  s'endormant  dans  ime  nonchalance,  — 
Des  parfums  d'asphodèle  errent  en  volupté  ; 
Et,  sur  les  épis  blonds  que  la  brise  balance, 
Li  douce  Lune  d'or  monte  dans  le  silence 
D'un  grand  rêve  d'Amour  et  d'une  nuit:  d'Eté. 

Henri  Bachelin. 


•"XB^r 


156  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

POÈTES  NÉERLANDAIS  iSaite) 


HOLLANDAIS  fSupptémmli 


BUderdiik 

CONCOURS  DE  CHANT 

A  Rossignol,  Coucou  disputé 

En  nos  champs  le  prix  du  chanteur  : 

Quelle  joie  à  qui  de  la  lutte 

Sera  le  glorieux  vainqueur. 

Le  Coucou  dit  :  €  Nous  pouvons  prendre 
»  Un  juge  que  je  sais  :  il  a 
»)  Des  oreilles  pour  nous  entendre 
1  Plus  grandes  que  Pan  n'en  porta  ». 

L'Ane  vient,  ouvre  la  st^ance- 
Longue-Oreille  grogne  en  ses  dentâ^ 
S'étire,  bâille...  Alors  commence 
Philomèle  aux  trilles  ai-dent^. 

Tout  se  tait,  vent,  fleuve,  feuillage... 
L'Ane  dit  :  u  Pas  tant  mal,  vraiment  ! 
»  Mais  le  chant  est  un  peu*,,  sauvage, 
»  Le  ton  change  trop  frt*quemmenl  ». 

n  ricane  un  instant,  puis  donne 
Le  tour  au  concun*ent,  Voilii 
Coucou  qui  chante  ;  un  cri  lesonne  : 
c  Coucou  !  coucou  !  >  rien  que  cela, 

—  €  Très  bien  î  »  dit  le  juge  ;  il  ajoute  : 
«  ('.il,  c'est  chanter  î  Quel  ton  '  Bravo  ! 
»  Rossignol  piaille,  sans  doute, 
>  Gentiment  ;  mais  Coucou  prvvnut, 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  157 

»  Beaux  ïambe§,  musique  pure 
7>  Que  je  comprends  sans  embarras  î 
D  On  dort  bien  à  celle  mesure  ! 
»  Le  genre  grec  ne  me  va  pas  ». 

L'ÉRUDITION 

Oui,  Térudilion  s'estime  autant  que  Tor  ; 

On  la  prise  très  haut,  à  Tégal  d'un  trésor. 

Mais  sa  seule  valeur  réside,  pour  le  sage , 

Dans  tout  ce  qui  peut  nous  en  assurer  l'usage. 

A  quoi  donc  me  sert  l'or,  sans  pain  pour  me  nourrir, 

Et  l'érudition,  en  danger  de  mourir  ? 


Isaac  da  Costa  (d 

(1798-1860) 

NOSTALGIE 

Connais-tu  le  pays  du  cèdre  à  cime  large  ? 
Sur  le  val  des  mûriers  l'esprit  de  Dieu  soufflait  ; 
La  grappe  de  raisin  d'un  sang  pur  se  gonflait  ; 
L'olivier,  lourd  de  fruits,  se  penchait  sous  la  charge... 

Le  connais-tu  ?  Là-bas,  là -bas, 
Guide  de  mes  aïeux,  c'est  là,  conduis  me   pas. 

Connais-tu  la  Cité  ?  Son  temple  était  l'emblème 
Haut  et  superbe,  —  au  bruit  des  palmes  et  des  chants, 
Avec  le  sang  du  sacrifice,  au  cours  des  temps,  — 
Du  Sauveur  immolé  par  son  peuple  lui  môme. 

Peuple  errant,  vois,  là-bas,  là-bas  ! 
La  Ville  dans  Topprobre  à  jamais  ne  gît  pas  ! 

El  connais-tu  lo  pniplu?  W  nnir  dans  lu  foule 

De  $es  tiiwrls  ;  ses  tribu»  reûdoul  gloire  au  Seigneur. 

Il  regarde  Celui  donï  il  brî^^u  \v  nvuw 

Dés  veinen  qu'il  perya,  k^  pnrduu  poui'  lui  coule. 

Terre,  voi-s  ilauc  là  lias ^  la- kit?  : 
Ses  douleurs  cessent,  ti>n  sakil  no  lîiidê  pas  I 

{tyUtmûm  Costa^  Juif  converti,  ri'mi1iU»Et  pn.<!  stis  anciens  coreligionnaires. 


158  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Jacob  van  Lennep 

(1802-1868) 

LIBÉRAL 

Je  suis  libéral,  je  veux  dire 
Qu'en  tout  débat,  c'est  avéré, 
Je  dois,  moi,  penser  à  mon  gré, 
Agir  en  tout  temps  à  mon  gré, 
Expliquer,  raisonner,  déduire. 
Mais  à  mon  gré,  bien  à  mon  gré. 

Je  suis  libéral  ;  donc  j'atteste 
Qu'en  tout  débat,  c'est  avéré^ 
Chacun  doit  penser  à  son  gré, 
Sauf  qu'il  doit  parler  à  mon  gré  ; 
Qu'il  vive  en  paix  pour  tout  le  reste. 
Pourvu  que  ce  soit  à  mon  gré. 


Bernard  Ter  Haar 

11806-1880) 

CHANSON  D'HIVER 

(Fragment) 

C'est  un  rude  gaillard  que  l'Hiver.  Il  remplace 
Les  teintes  des  champs  par  le  gris, 
n  prend,  en  soldat,  pour  abris 

Une  tente  dressée  au-dessus  de  la  glace. 

Par  la  route  qu'il  suit  se  déversent  les  eaux 

Et  des  ailes  de  fer  s'attachent  à  son  dos. 

Son  casque  horrible,  fait  du  chef  d'un  ours  polaire, 
Couvre  à  moitié  son  front  méchant, 
Ombragé  de  plumes  d'argent 

Qui  s'agitent  selon  que  son  pas  s'accélère  ; 

Son  manteau  de  fourrure  est  garni  de  poils  blancs  ; 

Il  porte  des  glaçons  à  sa  barbe  collants  ! 


REVUE  DU  NIVERNAIS  l.VJ 

Respire-t-îl  ?  Voici  l'âpre  bise  qui  vente  ; 

Un  peu  plus  fort,  c'est  l'ouragan  ; 

Il  poursuit  d'un  œil  arrogant 
Les  femmes,  les  enfants,  dont  il  est  l'épouvante. 
A  celui  qui  l'irrite,  il  coupe  en  châtiment 
Les  oreilles,  le  nez  dans  le  même  moment. 

n  fait  danser  la  neige  en  poudre  dans  l'espace, 

n  pille  jardins  et  buissons  ; 

Les  dernières  fleurs  des  gazons, 
II  les  dérobe,  il  les  emporte  quand  il  passe. 
Aux  vitres  de  fenêtre,  il  trace  le  dessin 
Des  feuillages  divers,  produit  de  son  larcin... 


Hdije 

FLOCONS  DE  NEIGE 

Petits  flocons,  blancs,  fins  et  doux. 
Tombez  par  milliers  de  la  nue, 
Vite,  tombez  et  tombez  tous  : 
La  terre  attend  votre  venue. 

Couvrez-la  d'un  moelleux  manteau  ; 

Que  de  sa  fatigue  si  rude 

Elle  se  repose  bientôt  : 

Ah  !  si  grande  est  sa  lassitude  ! 

N'a-t-elle  pas,  durant  tout  l'an, 
Pour  fleurs  et  fruits  pris  tant  de  peine, 
Gémissant,  sans  cesse  appelant 
Du  repos  l'époque  lointaine. 

Nue  et  chauve  ainsi,  quand  l'Hiver 
Avec  sa  meute  découplée 
D'ouragans  vient  chasser  dans  l'air. 
Elle  serait  vile  gelée. 

Couvrez-la,  flocons  fins  et  doux. 
Tant  que  son  réveil  s'accomplisse, 
De  vos  linceuls  épais  et  mous, 
De  votre  si  chaude  pelisse. 

Et  quand  le  Printemps  reviendra, 
De  ce  mol  édredon  de  plume, 
Dans  sa  robe  elle  sautera, 
Aussi  fraîche  que  de  coutume. 

Traduction  de  AcHiLLE  HiLUEN. 


LIVRES   ET    PÉRIODIQUES 

Nous  sommes  toujours  heurnux  du  voir  nos  ïnivaui  apprécies  par  la  presse 
parisienne  qui,  fréquemment,  tile  ou  empiunle  nos  pages.  Le  dernier  nurfiéro 
(le  l'érudile  et  curieuse  Gazette  anêcdûtiqHe^  répondant  à  une  question  posée  par 
■  un  chercheur  »  le  renvoie  à  «  b  1res  inlënËSâaTite  Revue  du  NivemmM  *. 


Il  y  a  trois  ans,  le  docteur  Jean  Fiistciiralît.  un  des  plos  émûvenls  écrivains  et 
poètes  de  TAllemagne,  très  vensc'  dans  les  lan^'uos  ^ïes  p^y^  romans,  ittstiluci,  a 
Cologne,  des  Jeux  Ùoraux,  avec  reine  t>t  cour  d'auiour-  A  colle  Ïl^Ij  qui,  ch:iqiie  année, 
se  renouvelle  le  premier  diman(  lie  de  luiu,  sont  invi!i%  plusieurs  écnv;Mns  élraitcera  : 
nous  relevons,  parmi  les  Français,  les  noms  de  Mislr*il,  Jules  Cliiretie,  Achille  Idillien, 
etc.  Un  annuaire,  splondide  voliime  publia  chaque  auni'^e,  donne  le  compte  rendu  de 
la  fête,  contient  les  pièces  couroiint'es.  le»  uiaiilfeirlalious  diverses,  les  porlrails  de  1^ 
Reine,  des  charmantes  dames  qui  coTiiitiEiient  la  coui'  d  amuur,  des  lauréats  et  des 
juges  du  concours.  L  annuaire  de  UKH  vient  dt  paraître.  Nous  ne  ssauricm*  Irop 
féliciter  le  docteur  Faslenrath  d'une  si  nobSe  initiative,  ni  trop  applaudir  tu  sauces 
de  sa  poétique  institution. 

Toc,  toc,  toc!  -  qui  fntppe  a  mn  porle? 
Un  chemineau,  quelque..,  faict'ur. 
Un  jésuite  ou  bien  la  Miiin-morte?  w 
—  •  Non,  c'est  une  petite  sceur  i* 

C'est  par  ce  gracieux  envoi  qne  M.  l'alibé  Julien,  curé  de  PoiseuiL  nous  annoD^ 
la  création  d'un  •  Bulletin  paroissial  »  sous  ce  titre  t  La  (llothefîe.  Tous  nos  Tonix 
pour  que  cette  clochette  cardloniie  avco  succès. 

Nous  voyons  avec  regret  disp;ir:dtre  la  Quintaint;  bfnirbonnaia^,  qui  parjissjit  k 
Moulins,  par  les  soins  de  M.  Crê|iJn-Leblond.  Mais  les  dix  tomes  de  cetlc  pelile  revue 
ne  seront  pas  oubliés  et  les  cherclieurs  auronl  matnte  occasioD  de  les  consuHer. 


NOTES  ET  ÉCHOS 

,*,  Nos  compatriotes.  Sont  nommés  ;  chev:diersde  la  Léfçioïi  d'honneur  :  MM.  ftiy, 
sous-préfet  de  Joigny;  Eugène  Lp^^rand,  akent  voyer  en  ihef  ~  Chevalier  du  Mérite 
agricole  ;  M.  Steck,  secrétaire  gf^m-rid  de  h  préfeclure,  —  M-  Perreau  est  nommé 
chargé  de  cours  de  physique  à  U  liicullé  des  scitMiccï»  de  rUniversilé  de  Bes:inçou. 

,*,  Conférences,  à  Nevers,  le  lU  j;mvier»  j>ar  M.  le  professeur  Voisin,  sur  -les 
Braves  gens  »  de  P  et  V.  Margncrille;  le  ti  janvinr,  par  M,  le  profi?Sseur  Soudùs  : 
les  gaz  du  charbon;  le  IC  févrit^r,  par  Frjiic-Nùhain  ;  GtaUire  Mathieu.  —  A 
Decize,  le  2t5  janvier,  par  notre  tollaboralpar  ie  comte  Joseph  Imbart  de  Iï  Tour; 
La  Loire.  —  iiemarquables  confiVenct^s  bès  "iuiviPSj  Ut«  appkudîes- 

/,  Notre  collaborateur,  M.  Louis  Tavernat  direciiMir  de  b  Rnnte  de  yaîrûot,  a 
exposé,  au  concours  de  Nevers,  un  in1ért*ssanl  appareil  pour  démonlrtr  t'appUi:aUoii 
facile  et  fructueuse  de  l'alcool  dt ualuréj  au  chau(rai;e,  à  réiiair.iue  coroiuo  a  la  force 
motrice.  L'emploi  de  l'alcool,  substitué  au  pcLrole»  serait  Ués  avantageux  pour  notre 
région. 

/,  Décès  le  11  janvier,  à  Autun,  de  M,  Gabriel  Bultiot  (^^  ans),  correspond !»nl  de 
rinslitut,  président  de  la  Société  Ediieunc.  Ses  ex[dei-;dion5  ilu  monl  tîeijvray,  w 
restitution  de  Bibracte,  ses  noml^reux  tntvanx  qui  iiiléi f^s£«?nt  notre  Nivernau^  autjtxd 
que  le  pays  autunois,  lui  valaietiL  uiu;  lûgilinte  répulation  Profondément  alUchti  à 
notre  sol,  par  la  science  et  le  cuUe  de  nos  origines  nationales,  il  mentait  d'^lre  appetê 
a  le  dernier  des  druides  •.  L.  I>. 

Le  Directeur-Gérant.  ACHILLE  MliJ  IE>* 


LE  VERGER  CHANTANT  (fin). 

E  lendemain,  vite  après  le  déjeuner  de 
l'hôtel,  nous  reprenions  le  tramway  de 
Cusset  ;  nous  voulions  retrouver  le  chan- 
teur 1  mais,  au  lieu  d'entendre  les  mo- 
dulations de  la  veille,  nous  entendions, 
du  Verger  même,  des  cris  déchirants... 
C'était  la  voix  d'une  femme  qui  appe- 
lait au  secours;  la  voix  partait  de  la 
masure  où  j'avais  vu  entrer  la  blouse  blç^e  ;  la  masure  était  isolée. 

Aucun  voisinage,  si  ce  n'est,  à  dix  pas,  une  maisonnette  rurale,  her- 
métiquement close,  également  au  milieu  du  Verger  planté  à  pic.  Sans 
doute,  ce  devait  être  la  demeure  du  vieux  bonhomme  à  tête  de  pipe,  au 
bonnet  de  coton  sale,  qui  fumait  la  veille  devant  la  porte  de  son  voisin. 
Les  cris  devenaient  perçants,  fous  d'impatience...  M"'  Mergnier 
s'élançait,  je  la  suivais  malgré  les  objurgations  de  M.  Largues,  qui 
sMmaginait,  subitement,  que  nous  tombions  dans  un  guet-apens. 
Nous  entrions... 

Une  toute  jeune  femme  était  dans  un  misérable  lit,  berçant  un  petit 
enfant  de  quelques  heures,  enveloppé  de  langes  de  pauvre  couché 
dans  les  ruines  d'une  bercelonnette  d'osier  ;  elle  sanglotait.  Son  mari, 
son  Jean,  était  tombé  d'un  très  haut  cerisier,  à  dix  pas  d'elle,  dans  le 
Verger  ;  il  était  évanoui.  Je  le  voyais  la  tête  ensanglantée,  au  pied  de 
l'arbre,  au  milieu  des  fruits  écrasés  dans  sa  chute,  avec  son  panier 
renversé. 
C'était  lamentable  I 

En  dix  minutes,  nous  avions  couché  le  malheureux  à  côté  de  sa 

7 


162  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

femme,  dans  l'unique  grabat  de  la  chaumière  ;  avec  M^  Mergnier  nous 
lavions  la  plaie,  tandis  que  mon  mari  courait  chercher  un  médecin  à 
Cussct.  Ils  étaient  tous  en  route  ;  il  ramenait  de  Vichy  notre  médecin, 
le  savant  docteur  Lénard. 

Un  grand  diable  de  paysan  arrivait  ;  c'était  l'homme  à  l'air  goguenard 
au  bonnet  de  coton  sale;  il  s'empressait,*  gesticulait,  s'agitait,  bre- 
douillant des  sottises  dans  un  affreux  français,  n'osant  pas  parler 
patois,  sa  langue  naturelle,  à  cause  de  nous. 

—  Ça  devait  arriver,  répétait-il  en  guise  de  consolation  à  la  pauvre 
Myette,  qui  fendait  le  cœur,...  il  est  toujours  dans  lalune,  ton  homme,.. . 
c'est  pas  étonnant  qu'y  soit  tombé,...  une  aut'fois  y  tombera  de  pus 
haut,...  heureusement  qu'y  est  pas  tombé  d'un  arbre  à  moi  ;  ça  m'au- 
rions coûté  cher  avec  ceux  nouvelles  lois. 

Jean  guérit  à  peu  près  et  vite,  en  assez  peu  de  temps  ;  c'est-à-dire 
qu'au  bout  de  quinze  jours,  il  put  s'asseoir  devant  sa  cabane  ;  nous 
avions  prolongé  notre  cure  pour  le  voir  plus  longtemps,  il  nous  inté- 
ressait. Cependant,  quelque  chose  nous  inquiétait  ;  Jean  comprenait 
tout  évidemment,  puisqu'il  souriait  avec  intelligence,  mais  chose 
extraordinaire,  qui  devenait  terrifiante  à  la  fin^  il  ne  parlait  pas,  il 
n'avait  pas  parlé  depuis  son  accident. 

D'abord,  on  avait  cru  que  cela  ne  durerait  point,  puis  on  avait 
commencé  à  s'inquiéter,...  enfin  le  temps  passait  et  Tespoir  diminuait,... 

Notre  médecin  de  Vichy,  lui-même,  n'était  pas  rassuré,...  Myette 
fondait  en  larmes. 

—  Il  y  aurait  peut-être  un  moyen,  disait  un  jour  le  docteur  Lénard, 
un  jour  que  nous  étions  tous  réunis  dans  la  cabane  avec  le  curé  de 
Ranzat,  pendant  que  Jean  était  chez  le  grand  Piare,  son  voisin,  pour 
cacher  sa  tristesse  à  Myette...  Il  y  aurait  peut-être  un  moyen...  C'est 
une  peur,  une  grande  émotion  qui  a  enlevé  la  parole  à  Jean  ;...  une 
autre  émotion,  heureuse  celle-là,  pourrait  peut-être  la  lui  rendre. 

—  Quelle  émotion  1  quelle  joie  I  aurait  ce  pouvoir,  nous  deman- 
dions-nous anxieusement. 

Personne  ne  répondait  ;  les  humbles  sont  simples  dans  leurs  goûts  ; 
entre  sa  femme  et  sa  fille,  Jean  ne  désirait  rien. 

—  M'est  avis,  grognait  railleur  le  grand  Piare  qui  était  toujours  là  sans 
qu'on  le  demande,  m'est  avis  que  ton  homme  serait  ben  aise  d'enten- 
dre quëque  artisse  du  Casino.  En  a-t-y  fait  des  pas  pour  entendre  ceux 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  163 

chansons,  y  les  retenait  toutes...  Comme  y  pouvait  pas  payer,  y  por- 
tait des  cerises,  des  prunes  à  ceux  demoiselles  qui  ouvent  les  portes 
dans  leu  théâtre  ;  y  s'assoyait  jamais,  y  restait  trois  heures  durant  pour 
entendre  chanter  leu  musique...  C'est  ce  qu'y  a  coupé  la  langue,  y 
chantait  toute  la  journée...  y  retenait  tout...  y  pensait  qu'à  ça;  y  a 
pu  pensé  qu'y  était  sus  son  cerisier;  c'est  ca  qui  Ta  fait  tomber. 
Que  que  t'as  à  pleurer,  Myette,  on  sait  ben  que  ton  homme  allait 
pas  au  cabaret  ;  il  aurait  ben  mieux  fait  d'y  aller...;  ça  li  aurait  pas 
coupé  la  langue...  Je  vous  demande  un  peu,  un  ouverrierde  la  carrière 
qui  chante  comme  un  artisse  du  Casino. 

—  Il  ne  faisait  pas  de  mal,  Pierre,  reprenait  doucement  le  curé,  un 
curé  comme  ceux  que  j'aime  beaucoup,  quand  Jean  était  enfant  de 
chœur  et  qu'il  chantait  dans  notre  pauvre  église...  que  le  bon  Dieu  me 
le  pardonne  puisque  c'est  Lui  qui  lui  a  donné  sa  voix  ..  j'oubliais  que 
je  disais  la  messe.  Et  je  n'étais  pas  le  seul  à  trouver  que  mon  petit 
oiseau  avait  une  voix  de  rossignol.  Les  étrangers,  en  excursion  à 
TÂrdoisiëre,  arrêtés  pour  le  salut  de  vêpres,  venaient  tous  me  deman* 
der  quel  était  cet  enfant.. .  et  le  plus  grand  chanteur  de  l'Opéra  est  venu 
aussi  pour  l'entendre  et  l'emmener  à  Paris,  mais  le  vieux  Thomas  avait 
du  bon  sens  ;  il  savait  bien  que  les  champs  valent  mieux  que  la  ville 
pour  le  bonheur  :  il  a  refusé  et  Jean  n'a  jamais  chanté  que  pour  les 
rossignols,  ses  frères,  et  pour  faire  plaisir  à  son  vieux  curé. 

M*^'  Mergnier  était  devenue  très  pâle,  nous  nous  regardions  tous  trois. 
C'était  Jean,  le  chanteur  du  verger  ;  c'était  lui  qui  chantait  en  ramas- 
sant son  panier  de  cerises. 

—  Qu'est-ce  que  Jean  aimait  le  mieux  à  chanter,  ma  bonne  Myette, 
disais-je  un  peu  tremblante  ;  il  me  venait  une  idée...  la  même  que  celle 
de  M**«  Mergnier;  je  le  voyais  dans  ses  yeux. 

Myette  ne  savait  pas  ;  elle  n'y  connaissait  rien. 

—  M'est  avis,  disait  le  grand  Piare,  qu'y  chantait  tout  le  temps  une 
chanson  sus  les  orangers...  ça  parlait  de  fruits  d'or...  comme  si  c'était 
en  or  les  oranges  à  deux  sous. 

Essayons,  pensait  comme  moi  W^^  Mergnier,  qui  parlait  bas  à 
M.  le  curé,  au  docteur  et  à  M.  Largues. 

Alors  le  vieux  prêtre  alla  chercher  Jean,  il  le  ramena  lentement, 
tendrement,  lui  parlant  du  chant  qu'il  aimait.. .,  nous  étions  tous  au 
fond  de  la  chaumière  quand  ils  entrèrent  tous  deux  ;  Jean  paraissait 


k 


i64  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

fatigué,  il  avait  tant  pleuré  !  mais  la  chaumière  devenait  chantante 
comme  autrefois  le  Verger  et  Tadorable  voix  de  Tartiste  modulait  avec 
toutes  les  vibrations  de  son  cœur  : 

Coonais-to  le  pays  où  fleurit  Toranger  ! 

Alors,  Jean  s*avança  seul,  blanc,  comme  le  jour  où  je  l'avais  relevé 
de  la  carrière  ;  il  tenait  sa  tète  en  ses  mains,  comme  s'il  avait  eu  peur 
de  tomber  ;  mais  non.  .  quelque  chose  de  noué,  se  dénouait  ;  quelque 
chose  de  fermé,  s*ouvrait,  et  c'est  dans  un  duo,  inexprimable  par  la 
parole  et  par  la  plume,  que  Jean  retrouva  sa  voix  ! 

—  Oui,  mam  zelle,  disait  le  grand  Piare,  tandis  que  nous  pleurions 

tous  ;  je  donnerions  tout  mon  bien  du  Sicbon  pour  avoir  un  gosier 

comme  vous. 

IV 

Jean  est  ressuscité  ;  le  Verger  a  retrouvé  son  chanteur  et  la  carrière 
est  une  carrière  d'opéra  comique. 

On  a  baptisé  la  petite-fille,  Jean  et  Myette  cherchaient  des  parrains. 
M^^*  Herguier  s'est  offerte  simplement  après  avoir  fait  un  tour  au 
presbytère. 

—  Nous  ne  sommes  plus  excommuniés,  comme  autrefois,  a-t-elle 
dit  ;  voulez-vous  que  je  sois  la  marraine  de  la  petite  de  Jean  avec 
M.  Largues  qui  ne  demande  pas  mieux.  N'ayez  pas  peur,  monsieur 
le  curé,  je  ne  ferai  pas  de  ma  filleule  une  artiste.  Si  elle  a  la  voix  de 
son  père ,  elle  ne  chantera  comme  lui  que  pour  vous  et  pour  les 
oiseaux  des  champs.  Il  est  trop  difficile  d'être  une  honnête  femme 
dans  le  monde  du  théâtre  ;  cependant,  il  y  en  a,  croyez-moi,  mon- 
sieur le  curé,  et  peut-être  ont-elles  autant  de  mérites  que  d'autres... 

—  Il  y  en  a  dont  la  voix  guérit  et  rend  la  parole  aux  muets  parce 
qu'elle  vient  du  cœur,  a  répondu  mon  curé  ;  soyez  bénie,  mon  enfant, 
à  dimanche,  au  baptême  ! 

Et  M'»*  Mergnier  a  été  marraine  avec  M.  Largues,  et  le  Verger  a 
chanté,  au  son  de  la  cornemuse,  le  seul  instrument  que  connaisse 
Touvrier  carrier,  le  chœur  de  la  Datm  blanche. 

Sonnez  !  sonnez  ! 
Car  un  baptême,  c'est  une  fêle  I 

a  répélé  l'écho  de  la  colline,  tout  un  jour. 
,^  11}  elle  peut  être  tranquille  sur  le  sort  de  sa  petite  Alice,  sa  marraine 
I  a  donné  dix  mille  francs  ;  c'est  un  mois  de  sa  saison  de  Vichy. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  165 

M.  le  curé  est  content  aussi  ;  le  salut  de  la  fête  patronale,  où  Jean 
a  chanté  avec  W^^  Mergnier,  a  comblé  ses  vœux,  en  lui  donnant  un 
harmonium,  son  rêve. 

On  avait  envoyé  des  cartes  à  Vichy  ;  l'église  était  trop  petite. 

Et  moi  qui  vous  rapporte  simplement  ce  qu'on  vient  de  me  raconter 
i  moi-même,  à  Vichy,  ces  jours-ci,  j'ai  voulu  aller  voir  Jean  et  Myette 
et  emhrasser  Alice. 

J'ai  mangé  des  cerises  de  Tarbre  d'où  Jean  est  tombé,  je  me  suis 
promenée  dans  le  Verger  Chantant  qui  a  chanté  pour  moi,  j'ai  goûté 
dans  la  carrière,  je  me  suis  reposée  dans  la  cabane  et  j'ai  tendu  mes 
deux  mains  à  M^^^  Mergnier,  après  avoir  embrassé  mes  Largues  qui 
m'ont  caché  tout  le  bien  qu'ils  font  à  Alice. 

Et  puis...  savez  vous  ?...  Je  me  suis  donné  le  délicieux  plaisir  d'aller 
au  théâtre  du  Casino  entendre  Mignon^  avec  Jean  et  Myette  (ils  ont 
toujours  des  cartes  quand  leur  bonne  fée  joue),  et  j'ai  emmené  le  grand 
Piare,  qui  se  met  à  aimer  la  musique. 

Le  grand  Piare  est  arrivé  un  peu  en  retard,  avec  un  énorme  panier 
de  cerises  que  j'aurais  bien  voulu  voir  ailleurs,  mais  je  n'ai  pas  osé  le 
lui  dire,  de  peur  qu'il  ne  me  donne  trop  fort  et  trop  longuement  ses 
explications,  peut-être  aussi,  ne  savait-il  où  mettre  son  panier,  n'ayant 
pu  rien  vendre  aussi  tard... 

Nous  étions  à  Torchestre,  tout  près  de  la  scène,  le  grand  Piare 
gesticulant  sans  interruption  pour  mieux  applaudir,  et  moi,  le  cœur 
battant,  en  attendant  l'adorable  mélodie  qui  aval  trendu  la  paroleà Jean. 

M^i*  Mergnier  nous  regardait  toute  émue,...  son  âme  était  dans  son 
chant,  lorsqu'elle  commença  :  e  Connais-tu  le  pays...  t>  Et  quand  elle 
eut  flni,  la  salle  croulait  de  bravos  ;  on  jetait  des  fleurs,  la  grande 
artiste  marchait  sur  des  roses  ;  mais  au  milieu  d  un  tumulte  incroyable, 
le  grand  Pierre  se  levait  sans  souci  de  mon  bras  et  des  yeux  flamboyants 
de  l'ouvreuse. 

—  Oui,  mam'zelle,  disait  très  haut  le  grand  Piare,  je  m'en  dédis 
point,  je  donnerions  tout  mon  bien  du  Sichon  pour  avoir  un  gosier  et 
un  cœur  comme  vous.  J'ons  que  des  cerises,  v'ià  mes  cerises,  pour  vous 
et  vos  camarades  ;  c  est  les  cerises  du  Verger  Chantant. 

Le  grand  Piare  a  eu  un  succès  fou,  quand  il  a  porté  son  panier  sur 
la  scène. 

Ils  habitent  leur  chaumière.  De  jolies  petites  plantes  aux  tiges  roses, 


166  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

à  fleurettes  blanches,  de  celles  qui  aiment  le  chaume,  la  recouvrent 
entièrement.  A  côté  du  banc  de  bois  rustique,  un  immense  rosier,  de 
ces  rosiers  qui  donnent  leurs  fleurs  du  printemps  à  la  fin  de  rautoome, 
grimpe  Si\i%  murs  de  la  maisonnette.  C'est  le  rosier  de  M^'^"  Hergoier; 
ils  l'ont  planté  pour  elle,...  en  souvenir;...  les  fleurs  sont  à  elle. 

Tous  les  matins,  Hyette  apporte  à  la  grande  artiste  un  bouquet  de  ses 
roses,  pendant  la  saison  de  Vichy,  et  quand  elle  est  rentrée  à  Paris» 
jusqu'au  milieu  de  décembre,  sa  loge  de  TOpéra-Comique  est  encore 
embaumée  des  roses  de  Ranzat.  Quelquefois  il  n'y  en  a  que  trois,.- 
deux,...  une,...  mais  il  en  vient  toujours  jusqu'à  la  dernière,  jusqu'à 
celle  qui  fleurit  sous  la  première  neige  1 

Le  Sichon  coule  toujours  au  bas  du  Verger  Chantant,  entre  ses  deux 
haies  de  fougères,  au  milieu  du  gazon  fleuri  ;  la  colline  de  FArdoisière 
f^it  toujours  à  la  cabane  le  plus  délicieux  décor.  C'est  une  vraie  chau- 
mière d'opéra  comique.  Françoise  d'Husselles. 

A  Vichy,  le  15  juillet  1901. 

LA  LÉGENDE 

DE  LA  PETITE  ÉGLANTINE  BLANCHE 
fPimpinelli  folia). 

Dans  Bethléem  un  anee  à  Joseph,  en  un  rêve, 
Avait  dit  :  -~  c  Pour  TEgypte  en  hâte  il  faut  partir, 
B  II  faut  partir  avant  que  le  jour  ne  se  lève  : 
))  Hérode  veut  Tenfant  pour  le  faire  mourir,  m 

Et  vers  le  Nil,  sans  une  plainte, 
Le  couple  s'en  allait  furtif. 
Avec  Jésus,  victime  sainte, 
Au  doux  regard...  déjà  pensif. 

Ils  marchèrent  la  nuit,  puis  une  matinée, 
Puis,  vers  midi,  Marie,  au  courant  d'un  ruisseau. 
Très  simplement  lava,  sur  la  rive  inclinée, 
Les  linges  du  Messie,  humble  et  léger  trousseau. 

Elle  étendit  sur  une  haie 
Les  clairs  tissus  pour  les  sécher... 
Mais  quand,  le  long  de  la  saulaie, 
Elle  s'en  vint  les  rechercher, 

A  leur  divin  contact  du  buisson  chaque  branche, 
Comme  aux  souffles  féconds  des  printemps  créateurs, 
Bientôt  avait  vu  naître  une  églantine  blanche... 
Et  le  chemin  d*exil  s'était  perlé  de  fleurs. 

Lucien  Jeny. 

(Extrait  des  Légendes  (inédites)  de  la  Nature), 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  467 

GUSTAVE  MATHIEU 

Ce  Nivernais  fut  un  vrai  poète,  sans  flel,  sans  ambition,  sans  envie, 
un  causeur  sans  malice  qui  ne  blessait  personne,  un  républicain  qui, 
dans  une  élection,  n'eût  pas  eu  deux  voix.  Il  savait  beaucoup  de  choses 
sans  avoir  étudié  ;  en  découvrant  quMl  était  chansonnier,  il  devina  du 
même  coup  l'antiquité  ;  se  fit  astrologue  et  donna  de  bons  conseils  ; 
n*eut  pour  amis  que  des  écrivains  de  cœur  ou  de  bons  compatriotes  ; 
avec  un  tempérament  de  cadet  de  Gascogne,  n'oublia  qu'une  chose, 
embeiiir  par  la  réclame  et  exagérer  son  propre  talent.  Ce  fut  un  homme, 
enfin,  qui,  tandis  que  tant  d'autres  avaient  si  bien  battu  la  caisse  qu'ils 
ont  obtenu  le  lendemain  de  leur  mort  des  honneurs  posthumes,  n'a 
encore  eu,  pour  le  rappeler  au  souvenir  des  Nivernais,  qu'une  jolie 
conférence  qui  a  eu  lieu  il  y  a  un  mois. 

J'ai  entrepris,  en  recueillant  certains  témoignages  de  la  vie  de 
G.  Mathieu,  de  récompenser,  le  plus  utilement  possible,  l'inaltérable 
tendresse  d'une  sœur  qui  eût  voulu  pour  lui  un  peu  de  cette  gloire 
posthume  dont  tant  de  tombes,  à  moins  juste  titre,  sont  éclairées. 

Je  m'arrêterai,  presque  sous  la  dictée  de  Mlle  Emilie  Mathieu,  à  des 
traits  de  la  vie  de  son  frère,  souvent  très  simples  et  médiocres,  mais 
qui  ont  cependant  le  charme  des  bons  souvenirs  et  des  émotions 
honnêtes  quand  on  évoque,  dans  la  maison  paternelle,  à  l'aspect  de 
vieux  meubles,  de  vieux  toits  et  de  papiers  jaunis,  les  commencements, 
les  premières  années  d'une  existence  chère. 

La  famille  Mathieu  est  originaire  du  Charolais.  Quelques  années 
avant  la  Révolution,  Claude  Mathieu,  un  de  ces  grands  agriculteurs, 
hardi  pionniers  de  la  fin  du  XVIIP  siècle  à  qui  la  Révolution  coupa  les 
bras  et  parfois  le  cou,  qui  s'inspiraient  des  théories  d'Arthur  Young, 
était  venu  s'établir  dans  le  Nivernais,  amenant  avec  lui  un  grand 
nombre  d'animaux  et  toute  une  colonie  de  cultivateurs.  Il  afferma  la 
terre  d'Anlezy,  celle  de  Vesvre,  eut  des  intérêts  dans  l'exploitation  des 
charbons  de  la  Machine.  11  payait  environ  cent  raille  livres  de  fermages. 

Claude  Mathieu,  cadet  de  famille,  avait  un  frère,  Charles  Mathieu 
qui  fut  chanoine  à  Lyon,  un  autre  Catelin  Mathieu,  curé  de  Briant, 
auquel  Gustave  Mathieu  ressemblait  d'une  façon  extraordinaire. 

Sans  doute,  le  premier  coup  de  tocsin  de  la  Révolution  fit  plaisir  à 
Claude  Mathieu  comme  à  tant  d'autres.  On  voit  Claude  Mathieu,  fermier 


1.-'  ->^  :  \zh}ij  pour  prendre  part 

iii^-     ^    r    aix.  administratear  da 

^.r.::   .t:  I^r'jize,  puis  le  8  seplem- 

^1.    :.   -.    '    .nj/iiême  par  l')*}  voii 

-      ■-  - 1:  :  i.:^pr-ri  i  ^m  «levoue- 

-    ..   r     *r.-r.      Il   ae   prit  la 

~  -1,    ••  :r    h*maa«i**r  le 


- 

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-:    11  >auvfi»  grâce 

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«  iiii*  tiL       ::!.j.t  pAï  !►?  -il-,  a*?  c..z:i.iA  f^s  îi  plia:-:  ^,  ont  dit  les 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  169 

Narzy,  où  l'on  est  aussitôt  séché  que  mouillé,  est  un  village  absolu- 
ment démocratisé  aujourd'hui,  à  deux  pas  duquel,  du  haut  d'une  côte 
plantée  de  vignes,  on  peut  contempler  le  superbe  paysage  qui  domine 
le  val  de  la  Loire.  Là,  on  est  exposé  à  tous  les  vents  et  à  toutes  les 
pluies  du  ciel,  où  s'élève  la  maison  de  campagne  où  G.  Mathieu  passa 
les  jours  de  loisir  de  son  enfance;  c'est  une  pointe,  au  sud,  de  ce  qu'on 
a  appelé  le  Nivernais  gai  par  opposition  au  sombre  Morvan.  Le 
Nivernais  au  vin  démocratique,  avant  que  le  pays  devint  radical. 

M.  Emile  Montégut,  dans  un  livre  intitulé  :  c  En  Bourbonnais  et  en 
Forez  »,  a  dit  du  Nivernais  et  de  son  caractère  :  «  C'est  le  genre  de 
vivacité  et  de  sécheresse  de  la  pierre  à  fusil,  de  l'étincelle  qui  en  jaillit 
et  de  l'amadou  qu'elle  allume;  on  dirait  une  population  faite  à  souhait 
pour  l'action  rapide,  les  coups  de  main  agiles,  les  besognes  enlevées 
d'assaut,  plus  adroite  et  alerte  que  robuste  cependant  ». 

Je  ne  veux  pas  dire  que  l'origine  nivernaise  de  G.  Mathieu  puisse 
tout  expliquer  dans  une  nature  de  poète  où  il  y  a  à  démêler  sûrement 
d'autres  éléments  et  d'autres  influences,  mais  il  faut  convenir  que, 
dans  ce  site  et  au  milieu  de  cette  population,  on  est  bien  placé  pour 
écouter  comme  il  convient  les  poésies  de  G.  Mathieu,  pour  comprendre 
son  style  alerte,  empourpré  et  gaillard,  enfln  pour  saisir  ce  que  fut  son 
caractère. 

G.  Mathieu  commença  ses  études  au  collège  de  Nevers.  Il  ne  travail- 
lait guère.  Cependant,  un  jour,  l'abbé  Robinot,  émerveillé  des  beaux 
vers  latins  qu'il  faisait,  déclara  à  sa  famille  qu'il  serait  un  poète.  11 
quitta  le  collège  de  Nevers  pour  entrer  à  l'institution  Massin.  Sur  les 
conseils  de  l'amiral  de  Provigny  et  avec  la  protection  d'Hyde  de  Neu- 
ville, il  devait  entrer  dans  la  marine. 

L'auteur  de  l'article  du  dictionnaire  Larousse  raconte  quMl  quitta 
Nevers  à  vingt  ans,  partit  pour  le  Havre,  fut  simple  matelot  sur  un 
navire  de  commerce,  aurait  même  commandé  un  corsaire  dans  l'Océan 
pacifique  et  fait  plusieurs  fois  le  tour  du  monde. . . 

La  vérité  est  qu'il  fut  officier  de  la  marine  de  guerre,  puis  mangea 
beaucoup  d'argent  dans  la  marine  marchande. 

{A  suivre.)  Paul  Meunier. 


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I 


REVUE  DU  NIVERNAIS  171 

LES  POÈTES  DE  L'AMOUR /Suz/e/ 

Déjà  naissent,  en  des  musiques  lointaines,  les  visions  pâlies  et 
endormies  dans  une  brume  de  silence,  c  Si  les  symbolistes  murmurent 
leur  amour,  dit  M.  Vigié-Lecocq,  ils  y  veulent  du  mystère,  glissant  sur 
le  côté  anecdotique,  mais  rendant  les  nuances  les  plus  délicates  du 
sentiment  b. 

Ainsi,  c^estdans  le  recueillement  de  la  solitude,  Au  jardin  de  V  Infante^ 
qu'éclosent  les  rêves  d'amour  d'Albert  Samain,  c  le  poète  de  toutes  les 
musiques,  de  toutes  les  douceurs  »,  jardin  féerique  où,  mollement, 
comme  un  encens,  flottent  des  arômes  de  fleurs  alangnies  ..  De  som- 
bres et  profonds  ombrages  y  laissent  d*en  haut  mourir  des  lueurs 
vaporeuses,  et  autour  des  <  lies  d'amour  )>  dorment  des  lacs  pensifs 
dont  les  flots  vibrent  d'harmonies  lentes. 

Mon  cœur  est  un  beau  lac  solitaire  qui  tremble, 
Hanté  d'oiseaux  furtife  et  de  rameaux  frôleurs, 
Où  le  vol  argenté  des  sylphes  bleus  s'assemble, 
En  un  soir  diaphane  où  défaillent  des  fleurs. 

Dans  ce  jardin,  comme  dans  le  Jardin  de  Paul  Bourget,  errent  des 
âmes  de  femmes  frêles  ou  ardentes,  chastes  ou  voluptueuses,  mais 
plus  indistinctes  encore,  parlant  bas,  souriant  à  peine,  les  yeux  mi- 
clos  vers  l'inconnu. 

laquelle  —  Cydalise  ou  Linda  —  que  t'en  semble. 
Te  laissera  Taimer,  le  front  sur  ses  genoux  ? 
Qu'importe!...  L'âme  est  triste  et  leurs  baisers  sont  doux... 
Mon  cœur  est  un  beau  lac  solitaire  qui  tremble, 
0  les  belles,  embarquez-vous  1 

Laquelle  sera  Télue  ?  Le  poète  garde  son  secret  ;  à  peine  dans  les 
Heure*  d'été  s'accentue  le  profil  d'un  visage  féminin  qui  bientôt  s'efface 
dans  Tombre  des  soirs. 

Aussi  bien  dans  cette  poésie  qu'on  a  dite  dangereuse,  qui  ne  le  serait, 
en  tous  cas,  que  pour  certaines  âmes  par  trop  faibles,  c'est  non  pas 
l'amour,  mais  le  rêve  d'amour  qui  murmure.  Comme  Sully-Prudhomme, 
avec  lequel  il  a  de  lointaines  affinités,  ce  poète  est  trop  analyste  pour 
chanter  à  pleine  voix  l'ivresse  d'aimer  :  tout  de  suite  la  volupté  le  lasse, 
la  hantise  du  mystère  Fétreint  et  il  s'enivre  à  contempler  son  âme  dont 
les  songes  vont  naître,  luire  et  mourir  en  d'autres  songes. 


172  RETUE  DU  NIVERNAIS. 

C'est  ainsi  qu'Albert  Samain^  qui  d'ailleurs  possède,  à  un  rare  degré, 
le  pouvoir  magique  des  évocations,  se  plaît  à  rêver  toutes  les  amours. 
Tantôt  il  s'émeut  aux  mirages  d'amours  imaginaires  exotiques  ou  rétros  - 
pectives  (dans  ce  genre  son  dernier  livre  :  Aux  flancs  du  vase,  est  un  pur 
chef-d'œuvre  où,  en  des  tableaux  superbes  de  dessin  et  de  couleur, 
rayonne,  dans  toute  sa  splendeur,  la  poésie  antique  modernisée  par  un 
admirable  artiste)  ;  tantôt  il  se  laisse  bercer  dans  les  espoirs  de  ten- 
dresse mystique  exhalés  vers  un  Eden  merveilleux  où  les  âmes  seules 
ont  des  baisers  : 

J'ai  révé  d*uu  jardin  primitif,  où  des  âmes 
Cueillaient  le  trèfle  d'or  en  robes  de  candeur  ; 
Où  des  souffles  d'azur,  veloutés  de  tiédeur, 
Berçaient  des  fleurs  d'argent,  sveltes  comme  des  femmes. 

Tantôt,  aux  soirs  de  langueur  étouffée,  il  rêve  de  passions  étrange- 
ment sensuelles. 

Mais  ce  sont  là  des  états  d'âme  passagers  et  peut-être  volontaires  : 
l'âme  du  poète,  l'âme  de  son  âme,  noble  et  délicate,  mélancoliquement 
pensive,  intimement  caressante,  se  dévoile,  juste  assez  pour  que  nous 
l'aimions,  dans  les  poèmes  plus  nombreux  où  l'amour  apaisé  dans  les 
pâleurs  du  crépuscule,  parmi  des  symphonies  de  frissons  et  de  parfums, 
s'idéalise  en  tendresses  souffrantes. 

N'est-ce  pas  que  ces  vers  sont  enchanteurs  ? 

Je  resterais  ainsi  des  heures,  des  années, 
Sans  épuiser  jamais  la  douceur  de  sentir 
Ta  tête  aux  lourds  cheveux  sur  moi  s'appesantir, 
Comme  morte  parmi  les  lumières  fanées. 


Voici  que  les  jardins  de  la  nuit  vont  fleurir, 
Les  lignes,  les  couleurs,  les  sons  deviennent  vagues. 
Vois,  le  dçrnier  rayon  agonise  à  tes  bagues. 
Ma  sœur,  entends-tu  pas  quelque  chose  mourir  ? 

Mets  sur  mon  front  tes  mains  fraîches  comme  une  eau  pure  ; 
Mets  sur  mes  yeux  tes  mains  douces  comme  des  fleurs  ; 
Et  que  mon  àme,  où  vit  le  goût  secret  des  pleurs, 
Soit  comme  un  lis  fidèle  et  pâle  à  ta  ceinture.     ' 

C'est  la  Pitié  qui  pose  ainsi  son  doigt  sur  nous  ; 
Et  tout  ce  que  la  terre  a  de  soupirs  qui  montent, 
Il  semble  qu'à  mon  cœur  enivré  le  racontent 
Tes  yeux  levés  au  ciel  si  tristes  et  si  doux. 

Il  y  a  dans  l'inspiration  amoureuse  d'Albert  Samain  un  charme  diffl- 


RBVUB  DV  NIVERNAIS.  173 

cilement  exprimable  ;  cette  poésie  —  et  j'insiste  sur  cette  image  banale 
parce  qu'elle  ne  fut  jamais  plus  juste  —  est  un  parfum  qui  enivre  de 
défaillances  léthargiques  Târae  qui  s'y  s'abandonne,  parfum  où  se 
fondent  délicieusement  les  effluves  mourants  du  cœur  :  désirs  ternis, 
regrets  expirants,  nostalgies  dormantes...  El  cela  est  infiniment  doux 
aux  sensibles,  aux  tendres,  aux  tristes,  à  tous  ceux  qui  savent  trop  ce 
que  c'est  que  de  sentir  et  de  souffrir. 

—  C'est  aussi  dans  le  silence,  loin  des  bruits  et  des  foules,  dans  un 
parc  ombreux  et  paisible,  ouaté  de  mousses,  embelli  de  vasques  et 
d'antiques  statues  que  s'entrevoit  la  Maison  de  Venfance,  de  Fernand 
Gregb,  la  «  blanche  maison  des  rêves  x»  où  a  fleuri  le  premier  amour 
du  poète,  idylle  simple  et  douce,  fragile  et  pensive,  candide  jusque 
dans  la  faute  qui  fait  pleurer  l'âme,  un  peu  étrange,  un  peu  triste. 

Deux  enfants  vivent  leur  vie  calme  et  monotone  dans  le  château  désert, 
rêvant  ensemble,  mêlant  leurs  joies  et  leurs  chagrins,  errant  la  main 
dans  la  main  aux  profondeurs  mystérieuses  du  parc,  dans  la  pureté  de 
la  nature...  Des  harmonies  lointaines  frôlent  leur  âme  : 

Nous  marchions  dans  une  aube  éterneUe^  en  chantant, 
Les  doigts  entrelacés  sous  la  bonté  des  cieuz. 

Peu  à  peu  leur  cœur  vierge  s'ouvre  à  des  sensations  inconnues  ;  des 
frissons  troublent  leur  être  ;  un  peu  de  fièvre  brûle  leur  front  :  c'est 
l'heure  des  caresses  puériles  et  craintives  : 

Et  nous  sentant  soudain  captifs  dans  la  maison, 

Tandis  qu'autour  de  nous  montaient  de  Thoiizon 

Les  cloches  et  ces  bruits  de  grands  chars  sur  les  routes, 

Nous  pleurions  seuls,  perdus  dans  Tombre  des  feu  allées, 
£t  nos  pleurs  sur  nos  mains  tombaient  à  tièdes  gouttes, 
Et  nous  nous  caressions  avec  nos  mains  mouillées. 

Et  puis,  un  jour  d'été,  dans  l'ombre  lumineuse  et  murmurante  du 
parc  attiédi  sous  le  soleil  trop  ardent,  les  âmes  ont  défailli,  les  bras  se 
sont  enlacés. 

Hélas!  qu avons-nous  fait?  Le  soleil  sous  les  branches 

Joue  et  rôde,  et  le  vol  des  guêpes  vibre  encor, 

Comme  quand  mes  deux  mains  ont  saisi  tes  mains  blanches  ; 

Et  rien  n'est  changé,  l'heure  est  douce  et  le  bois  dort... 
Mais  tu  pleuret»,  je  fuis  tes  grands  yeux  que  j'aimais, 
Et  quelque  chose  en  nous  s'est  brisé  pour  jamais  ! 

Les  amants  d'un  jour  se  sont  désunis;  pourquoi?  on  ne  sait  pas; 


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REVUE  DV  NIVERNAIS.  175 

Cette  poésie  d'amour,  assez  complexe,  est  l'expression  d'une  âme 
complexe  elle-même,  analyste,  rafflnée,  ouverte  aux  impressions  les 
plus  ténues,  se  grisant  de  vague  et  vibrant  au  moindre  choc  jusqu'en 
ses  plus  intimes  profondeurs. 

(A  suivre).  Fernand  Richard. 

SOL  VITiE 

Je  croyais  autrefois  que  les  quatre  saisons 
Marquaient  dahs  notre  vie  et  la  joie  et  la  peine, 
Que  la  rose  qui  grimpe  aux  portes  des  maisons 
Attristait  en  mourant  l'âme  la  plus  sereine. 

Je  croyais  que  l'été,  seul,  réchauffait  les  cœurs. 
Que  la  neige  enterrait  notre  désir  de  vivre  ; 
Qu'il  tfétait  de  beaux  jours  qu'à  la  saison  des  fleurs 
Et  lorsqu'ils  s*en  allaient  'aurais  voulu  les  suivre. 

Plus  tard,  j'ai  découvert  que  mon  cœur  inconstant 
N'était  plus  vide  ou  plein  au  gré  de  la  nature. 
Qu'un  jour  se^  colorait  avec  un  sentiment 
Et  que  ma  rêverie  en  devenait  moins  pure. 

J'ai  vu  qu'au  lieu  d'aimer  éperdûment  le  ciel. 
Tendrement  la  nuit  claire  et  sainement  la  vie, 
Mon  âme  allait  puiser  le  parfum  de  son  miel 
Ailleurs  qu'au  sein  des  bois  et  de  Therbe  fleurie. 

J'ai  vu  qu'un  dieu  malin  changeait  à  mon  regard 

En  clair  enivrement  la  saison  la  plus  sombre. 

Et  que  sa  flèche  aiguë  emportait  en  son  dard 

De  quoi  faire  un  printemps  plein  de  pleurs  et  plein  d'ombre. 

J'ai  vu  qu'il  n'était  pas  de  saison  pour  l'amour. 

Que  des  bras  bien  épris  n'avaient  pas,  pour  s'étreindre. 

Besoin  d'air  ou  de  fleurs,  de  soleil  ou  de  jour. 

Et  qu'il  est  un  flambeau  qu'aucun  vent  n'ose  éteindre. 

Alors ,  des  mains  d'Eros,  j'ai  saisi  ce  flambeau, 

Pour  qu'il  guide  mes  pas  en  tes  sentiers,  Nature  ! 
Qu'il  me  cherche  deux  bras  dont  je  fasse  un  berceau 
Et  le  feu  d'un  amour  qui  réchauffe  et  qui  idure. 

M.  V. 

Aoùl  1901.  ^ 


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REVUE  DU  NIVERNAIS.  177 

A  PROPOS  DE  LIBERTÉ  PHILOSOPHIQUE 

Chateaubriand",  vers  1825,  a  pu  écrire  :  c  Les  Américains  sont  usés 
par  la  liberté  philosophique  comme  les  Russes  par  le  despotisme 
civilisé  )).  Or,  les  uns,  au-delà  de  T Atlantique,  donnant  aujourd'hui 
l'exemple  d'un  merveilleux  développement  économique,  devenus 
financièrement  la  puissance  la  plus  riche  de  l'univers,  paraissent  avoir, 
au  contraire,  bénéficié  d'un  invraisemblable  rajeunissement;  les 
autres,  dont  la  population,  et  le  territoire  ont  doublé  depuis  cette 
époque,  appuyés  sur  l'armée  la  plus  considérable  qu'on  ait  jamais 
connue ,  luttant  contre  le  plus  défavorable  des  climats,  ne  sont,  au 
point  de  vue  de  la  prospérité,  à  tout  le  moins  inférieurs  à  aucun  des 
Etats  de  l'Occident. 

La  liberté  philosophique  a  donc  ses  avantages,  et  Chateaubriand 
s'est  montré  mauvais  prophète  ou  les  Américains,  comme  les  Russes, 
en  ont  rappelé.  Hais  il  faut  compter  avec  le  caractère  des  peuples. 
L'activité  laborieuse,  la  ténacité,  la  froideur  de  la  race  anglo-saxonne 
ne  permettent  pas  de  l'assimiler  aux  peuples  latins  ou  grecs.  Le  Fran- 
çais (César  le  disait  déjà,  il  y  a  bientôt  deux  mille  ans,  en  parlant  des 
Gaulois)  est  exubérant  et  bavard.  C'est  pour  cette  raison,  sans  doute, 
que  le  régime  parlementaire,  si  attaqué,  présente  en  France  tant  d'in- 
convénients. Il  est  le  nôtre  cependant  et  peut-être  ne  gagnerions-nous 
guère  à  le  changer. 

Mais  une  réforme  de  nos  habitudes  qui  nous  profiterait  certaine- 
ment consisterait  sinon  à  nous  abstenir  de  manifester  hors  de  propos 
ce  que  nous  pensons  ou  ce  que  nous  ne  pensons  pas  (ce  serait  peut- 
être  trop  nous  demander),  consisterait  tout  au  moins,  pour  ceux  qui  exer- 
cent des  fonctions  administratives,  à  en  comprendre  tous  les  devoirs 
et  à  éviter  toute  manifestation,  toute  parole  de  nature  à  porter  le 
trouble  et  la  division  parmi  les  citoyens  dont  la  tranquillité  leur 
incombe. 

Beaucoup  semblent,  au  contraire,  considérer  la  dignité  dont  on  les 
a  revêtus  comme  un  poste  de  combat,  d'où  ils  croiraient  se  manquer 
à  eux-mêmes  en  ne  foudroyant  pas  l'adversaire  et  en  ne  favorisant  pas 
sans  mesure  les  troupes  fidèles.  Nous  assistons  ainsi  trop  souvent  à 
de  véritables  luttes  religieuses  qui,  pour  n'être  pas  sanglantes  comme 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  179 

POÈTES  NÉERLANDAIS  (Suite) 

HOLLANDAIS  fSuppfémeni) 

Ten  Kaie 
DANS  LA  NUIT 

Non,  que  jamais  la  peur,  dans  la  nuit  la  plus  sombre, 

Ne  te  fasse  hâter  le  pas  1 
Il  est  quelqu'un,  là -haut,  dont  les  yeux  percent  l'ombre 

Et  qui  ne  t'abandonne  pas. 

Il  te  conduit,  alors  que  dans  la  nuit  obscure 

Ton  ombre  flotte  vaguement  ; 
Dans  tout  soupir  du  vent,  sa  parole  murmure  : 

c  Près  de  toi,  je  suis  constamment.  » 

Il  est  dans  l'univers,  dans  l'infini  du  vide, 

Partout,  là-haut  comme  ici-bas, 
Le  gardien  vigilant  et  le  fidèle  guide 

De  qui  ne  le  repousse  pas. 

Avance  dans  la  nuit  ;  dans  le  fracas  pénètre  ! 

Va,  le  regard  en  haut  porté  : 
Le  Père  veille  en  sa  maison,  dont  la  fenêtre 

Brille  d'étemelle  clarté. 


JosaphuB-AlbertuB  Alberdyngk  Thijm. 

(1820-1889.) 

LES  ARTS 

L'architecture. 

Elle  est  de  tous  les  arts  la  couronne  et  l'assise. 

Elle  est  leur  mère,  elle  est  leur  reine  en  même  temps. 

La  peinture. 

Aux  sources  de  la  vie  à  main  pleine  elle  puise  ; 
Sœur  du  soleil,  elle  a  ses  rayons  éclatants. 

La  sculpture. 

Du  sceptre  qu'elle  tient  à  la  main,  touche-t-elle 
Un  bloc  ?  Un  saint  surgit,  un  héros  apparaît. 

La  musique. 

Il  tombe  pour  nos  cœurs,  dans  le  bruit  de  son  aile, 
Un  parfum  du  foyer,  plus  doux  et  plus  discret. 


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REVUE  DU  NIVERNAIS.  181 

L.  Goupéms. 

CHANSON 

Vois  :  le  zéphyr  porté  par  ses  ailes  errantes 

Flotte  sur  le  lac  aux  flots  blancs  ; 
Il  emporte,  voilé  de  gazes  susurrantes. 

Les  fleurs  de  neige  du  printemps. 

Puis,  plus  voluptueux,  je  le  vois  disparaître, 

Loin  de  l'onde  il  va  s'envolant  ; 
Tout  parfumé  de  myrte  il  vole  à  ta  fenêtre 

Comme  un  doux  ramier  roucoulant. 

Il  porte,  le  zéphyr,  la  chanson  attendrie 

Que  pour  toi  je  dis  tous  les  jours 
Avec  tout  le  parfum  de  mon  âme  fleurie. 

Sur  son  aile  qui  bat  toujours. 


FLAMANDS 


Frans  de  Gort. 

LE  SECOND  PÈRE 

Heures  de  joie  !  6  temps  prospère  !  .. 
Nous  jouions  tout  le  long  du  jour. 
Nous  voyant  si  gais,  notre  mère 
Nous  souriait  avec  amour. 

Venait  la^n  de  la  journée. 
Notre  père  à  chacun  de  nous 
Parlait,  sa  tâche  terminée 
Avec  des  mots  si  doux,  si  doux  ! 

Puis  nous  faisions  de  grands  voyages 
A  cheval  sur  son  genou  :  lui  : 
«  Je  vous  aimerai^  soyez  sages. 
Toujours,  toujours  comme  aujourd'hui.  > 

II  nous  prenait  avec  tendresse 
Dans  ses  bras,  nous  berçait  bien  fort^ 
Nous  bénissait,  baisait  sans  cesse... 
A  présent  notre  père  est  mort  ! 

Des  gens  étrangers,  notre  mère, 
Nous  Font  dit,  nous  Tout  répété  ; 
Tous  sanglotaient  :  les  voyant  faire, 
Nous  avons  aussi  sangloté. 

Et  nous  pleurions  sans  te  connaître, 
Alors  que  tu  vins  et  nous  dis  :  ' 
«  Votre  père,  moi,  ie  veux  l'être  ; 
Venez  à  moi,  mes  cners  petits.  > 


---.    -i       ^.  nus^  vers  les  cieux 
— «  -    -    5'nijîf  rrospère 


1     'fiU* 

"^  -tj--^    ..en  fort; 


-'**     a:?  -«.rî 


IlaO»  «Âl^ 


«£^::.,î  ^^^     ^^^     .,  -v»*?  .ie  l'âme, 

^      -^•-"-     »  -A  t.>     i  t^  riciusion 

-iir-.»     1     ..-'.      .»..%       .  V,.      ..iHua  reciune. 

".:<      »^      •     .  -.         -.-^:.>     .       i.e.tux 

*  "<     !•        •  -     -.^      •:    r.>^  Mil  mère. 
:r    ^        .  -^..       .     '     .  -f.  r  :i  !lomère 

s      ...i    »       -'-.*-....  -^.  .      r^viievaux. 

- --  •.*         .       ~         s..  -.  .-r    i    -le. 

:     ••-.-       -f»       -. ..     -.^      .,,     «.jt.    u   aile. 

*  ^15    nr j>    •  •>     jr    T  e  "U  ïnère. 

*    n    î. -^-^-î  .    r    a.  ..    .      T:.«.rm    louière 


«:!<    VA    ^    VCHlLLfi  M1LLIE5. 


LIVRES  ET    PÉRIODIQUES 

Chantons  de  geste,  par  Geor^^es  Gourdon  ,  avec  une  préface  du  vicomte  E. 
Melchior  de  Vogué,  de  rAcadémie  française.  (iLemerre,  éditeur).  _^ 

Âpres  les  Pervenches,  les  Villageoises,  le  Sang  de  fVance  et  Guillaume  d'Orange, 
le  brave  poète  qu'est  Georges  Gourdon  vient  de  manifester  à  nouveau  et  avec 
éclat  son  talent  sérieux  et  honnête  par  la  publication  de  ses  Chans€ms  de  geste. 

C'est  un  charmant  recueil  de  poèmes  héroïques  ;  et  tous  les  jeunes  gens  devraient 
ravoir,  à  l'heure  qu'il  est,  entre  leurs  mains.  Ils  trouveraient  de  merveilleuses 
leçons  d'honneur  et  de  patriotisme  en  ces  admirables  légendes  dramatiques,  contées 
avec  un  vrai  talent  et  cueillies  avec  un  goût  sur  par  notre  poète  le  long  des  marges 
de  l'Histoire. 

Voici  d'abord  la  Chanson  du  roi  Siahebert,  dans  laquelle  apparaît  la  farouche 
fiffure  de  Frédégonde.  à  côté  du  sombre  Chilpéric,  le  fratricide  :  puis  la  Mort 
d^Orri,  le  Duc  et  ses  fils,  la  Foi  jurée,  le  Fils  d'Olivier,  Aude  et  Roland,  VEpée, 
Girart  de  Roussillonf  les  Noces  du  Comte...  11  faudrait  citer  tous  les  poèmes, 
jusqu'à  la   Charge  immortelle  (6  août  1870). 

Il  y  a  de  jolis  mouvements,  des  sentiments  exquis,  des  accents  héroïques,  de 
nobles  appels  exprimés  en  des  vers  sonores  et  précis,  d'une  pureté  parfaite  et  d'une 
forme  classique  achevée. 

Ce  n'est  pas  seulement  un  bon  livre,  mais  un  beau  livre  ;  —  et  nous  ne  saurions 

?[u'applaudir,  si  l'Académie  française,  reine  des  tournois  de  gai  savoir,  posait  sur  le 
ront  du  poète  une  de  ses  couronnes. 

Louis  Boulé. 

Emile  Dlin  —  Le  Morvan,  mœurs,  coutumes,  langage,  historiettes,  légendes, 
croyances  populaires,  topographie,  histoire,  monuments.  —  Guide  du  tou>isie.  — 
I  n-8*,  Château-Chinon,  imprimerie  et  lith.  Emile  Blin. 

On  ne  saurait  trop  parler  du  Morvan.  Ce  petit  pays,  d'un  si  charmant  pittoresque, 
mériterait  d'être  étudié  dans  tous  ses  recoins  et  exhibé,  pour  l'utilité  et  l'agrément 
des  voyageurs  en  quête  d'excursions,  dans  de  nombreux  albums  ornés  à  profusion  de 
ces  illustrations  photographiques  que  les  procédés  modernes  permettent  cie  multiplier 
sans  trop  de  frais.  M.  Kmile  Blin  vient  de  publier  son  guide  pour  les  touristes  et  ce 
volume  de  plus  de  300  pages  leur  rendra  de  vrais  services.  La  flore  et  la  faune,  le 
climat,  les  montagnes  et  les  cours  d'eau,  puis  l'histoire  générale ^  sont  d'abord 
l'objet  d'un  exposé  rapide.  Après  des  notions  sur  le  commerce,  Tindustrie,  etc., 
l'auteur  nous  parle  du  Morvandeau,  de  sa  naissance  à  son  décès;  il  le  montre  dans 
son  habitation,  son  costume,  ses  usages.  Voici  des  légendes  et  des  facéties  dans  le 
parler  local.  Vient  enfin  la  description  des  sites  pittoresques,  châteaux,  églises,  etc.,  à 
travers  les  cantons  de  Château-Uiinon.  Châtillon,  Luzy,  Montsauche  et  Moulins- 
Engilbert.  Le  volume  est  accompagné  a'une  carte  du  Morvan  et  illustré  de  planches 
en  similigravure.  Nous  souhaitons  qu'il  ait  beaucoup  de  succès  et  qu'il  constitue 
largement,  comme  nous  l'espérons,  à  faire  mieux  apprécier  notre  beau  Morvan. 

Nous  détacherons  prochainement,  pour  nos  lecteurs,  une  des  histoires  plaisantes 
que  contient  le  volume,  récits  relevés  de  gros  sel  gaulois,  auxquels  se  plaisaient  nos 
pères  et  que  notre  génération  remplace  peu  avantageusement  par  des  sous-entendus 
moins  innocents. 

Joséphine  Béoassat  :  La  Gerbe  de  Vaède.  —  Bibliothèque  de  TAssoclation^  Paris, 
boulevard  Montparnasse,  13.  --  2  fr. 

Nos  lecteurs  ont  eu  plus  d'une  occasion  d'apprécier  le  talent  de  M"*  Joséphine 
Bégassat.  Elle  vient  de  recueillir  sa  p[erbe  de  poésies  et  nous  avons  eu  le  plaisir,  en 
la  déliant,  d'y  trouver  nombre  d'épis  fournis  de  bons  grains.  Dans  sa  préface, 
M"*  Bégassat  loue  le  travail  :  «  Rien  n'égale  en  grandeur  ce  motrlà,  rien  n'est  plus 
digne,  phis  beau,  plus  lumineux  ».  Elle  célèbre  en  ses  vers  la  fécondité  de  la  belle 


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/Mp.  A  yj/Aenk 


EN  VOYAGE  1 


ÔRSQUE  j'entrai  ce  soir-là  au  cercle 
niililaire,  mon  camarade  Darcier,  Taide- 
major  du  régiment,  frappé  de  l'expres- 
sion soucieuse  de  ma  physionomie, 
m'aborda  en  me  disant  : 

—  Décidément,  mon  cher  Jean,  depuis 
quelques  jours,  tu  n'es  plus  toi-même, 
ou  tu  es  malade,  ou  lu  es  amoureux  ; 
pourquoi  ne  pas  me  confier  ce  qui  t'in- 
quiète et  te  fait  souffrir  ? 

—  Je  n'ai  plus  de  raison,  lui  répondis-je,  pour  te  cacher  le  secret  de 
ma  préoccupation. 

Et  l'entraînant  sur  la  terrasse,  je  lui  dis  à  brûle-pourpoint  : 

—  Mon  père  se  remarie  ! 

II  me  regarda  avec  stupeur,  et  serrant  ma  main,  murmura  : 

—  Mon  pauvre  vieux,  qui  aurait  supposé  cela  ? 

Nous  gardâmes  tous  deux  un  silence  écrasant  ;  la  nuit  était  sombre, 
et  la  lueur  de  nos  cigares  mettait  seule  sur  la  terrasse  deux  points 
lumineux. 

Pour  quiconque  ignorait  l'intimité  existant  entre  mon  père  et  moi, 
l'événement  que  je  venais  d'annoncer  à  mon  ami  rentrait  dans  le 
domaine  de  la  banalité.  Les  gens  bien  intentionnés  me  plaindraient, 
d'autres  ne  pourraient  s'empêcher  de  sourire  à  l'idée  de  ce  lieutenant 
de  vingt-cinq  ans  affligé  d'une  belle-mére  de  vingt-six.  Sans  doute, 
le  côté  ridicule  de  la  situation  blessait  mon  amour-propre,  mais 
qu'était  cette  piqûre  d'épingle  auprès  du  coup  que  j'avais  reçu  au  cœur. 

8 


180  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Jusque  là,  nous  avions  vécu,  mon  père  et  moi,  dans  une  intimité  si 
parfaite,  nous  nous  écrivions  chaque  semaine,  et  les  plus  petits  inci- 
dents de  notre  existence  étaient  mentionnés  dans  ces  lettres  ;  rien, 
jusqu'ici,  n'avait  pu  faire  prévoir  qu'il  songeât  à  se  remarier  ;  pourquoi 
m'avait-il  caché,  jusqu'à  aujourd'hui,  une  décision  de  cette  importance? 
Croyait-il  donc  mon  cœur  assez  mauvais  pour  mettre  obstacle  à  son 
union,  s'il  devait  y  rencontrer  le  bonheur?  Ce  sont  toutes  ces  idées  que 
je  ressassais  dans  ma  tète,  en  tirant  lentement  les  bouffées  de 
mon  cigare. 
Darder  rompit  le  silence  : 

—  Comment  est-elle  ? 

—  La  lettre  de  mon  père  est,  comme  tu  le  penses,  peu  explicite  ;  il 
épouse  une  orpheline  de  vingt-six  ans,  rencontrée  souvent  dans  une 
famille  amie  ;  espère  que  je  sympathiserai  avec  elle  et  me  supplie  de 
venir  à  la  cérémonie. 

—  Que  vas-tu  faire  ? 

—  Demander  à  être  détaché  dans  un  service  spécial  où  il  me  sera 
impossible  d'obtenir  une  permission,  puis  revenir  juste  pour  les 
manœuvres  et,  ensuite,  aller  passer  mon  congé  de  trente  jours  chez  ma 
tante  de  Sonthenay  qui  me  tient  une  «  perle  »  en  résen%  laquelle 
perle  j'épouserai  probablement. 

Les  six  mois  qui  suivirent  me  furent  des  plus  pénibles  ;  les  exigences 
de  mon  service  me  fournirent  un  prétexte  pour  ne  pas  assister  au 
mariage  de  mon  père.  Notre  correspondance  languit  un  peu;  il  y  avait 
entre  nous  un  nom  que  Tun  ne  voulait  et  que  l'autre  n'osait  prononcer. 

J'avais  quelques  détails  sur  ma  belle-mère  par  des  amis  qui  la 
voyaient  souvent.  On  la  disait  femme  du  monde,  aimant  les  arts,  d'uu 
caractère  gai  et  agréable  qui  la  faisait  rechercher  dans  toutes  les 
réunions. 

C'était  bien  cela,  je  ne  m'étais  pas  trompé,  mon  père  s'était  laissé 
séduire  par  de  brillants  dehors  ;  il  était  pris  dans  les  fllets  d'une  de  ces 
jeunes  fliles  a  nouveau  jeu  »,  dont  on  a  farci  le  cerveau  d'une  foule  de 
connaissances  inutiles  ;  qui  savent  juste  assez  de  piano  pour  ennuyer 
leur  mari  (j'avais  toujours  eu  horreur  des  femmes  qui  jouent  du  piano) 
et  ont  étudié  la  peinture  suffisamment  pour  juger  à  tort  et  à  travers  et 
encombrer  leur  logis  d'affreuses  croûtes;  qui  sont  aussi  incapables  de 
diriger  une  maison  que  de  soigner  leur  mari  ;  or,  mon  père  frisait 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  187 

rage  des  rhumatismes,  il  en  avait  déjà  ressenti  les  premières  atteintes, 
avec  eux  viendrait  pour  lui  la  désillusion. 

Ce  n'est  pas  moi,  en  dépit  de  mes  vmgt-cinq  ans,  qui  m'emballerais 
ainsi  !  Non,  je  me  marierais  sérieusement,  moi  I  La  jeune  personne 
que  ma  tante  de  Sonthenay  me  gardait  avec  un  soin  jaloux  n'avait  pas 
ses  brevets,  mais  elle  savait  faire  les  conOtures  ;  elle  ne  peignait  pas, 
n'était  pas  musicienne,  en  revanche,  elle  possédait  une  adresse  de  fée^ 
et  me  ferait  un  intérieur  coquet  et  confortable  ;  avec  cela,  une  fort 
jolie  dot,  voilà  ce  qu'on  peut  appeler  un  mariage  sérieux. 

A  la  fin  de  septembre,  après  les  manœuvres  que  je  fis  avec  apathie, 
ce  qui  me  valut,  pour  la  première  fois,  des  observations  de  mes  chefs 
(encore  un  grief  de  plus  contre  ma  belle-mère),  je  partis  en  permission. 
Ces  vacances  de  trente  jours  devaient  être  une  diversion  à  mes  soucis 
et  Je  reviendrais  au  régiment,  sinon  marié,  du  moins  fiancé. 

Cependant,  avant  d'aliéner  ma  liberté,  je  résolus  de  faire,  dans  les 
Vosges,  une  excursion  que  Darcier  m'avait  vantée.  Cela  me  prendrait 
une  dizaine  de  jours,  j'en  aurais  encore  vingt  pour  ma  tante  de 
Sonthenay.  C'était  bien  assez,  c'était  môme  beaucoup,  vingt  jours 
passés  dans  la  compagnie  de  Mme  de  Sonthenay,  mais  quand  on  veut 
se  marier,  il  faut  savoir  faire  un  sacrifice  ! 

Je  fis  l'ascension  de  la  Schliicht;  je  mis,  malgré  toutes  les  défenses,  un 
pied  et  même  les  deux  sur  le  territoire  allemand  et,  les  jours  suivants,  je 
rayonnai  à  bicyclette  dans  les  environs  de  Gérardraer.  Tout  en  pédalant 
dans  un  ravissant  petit  sentier  qui  serpentait  entre  les  sapins,  je  songeais 
à  mon  congé  de  l'année  dernière.  Nous  avions  chassé,  mon  père  et  moi, 
chez  des  amis  en  Savoie.  Quelles  belles  excursions  nous  avions  faites  1 
Nous  devions  en  entreprendre  de  bien  plus  belles  cette  année  encore. 
Je  maudissais  intérieurement  la  belle-mère  qui  avait  mis  obstacle  à  ces 
beaux  projets,  lorsqu'une  formidable  secousse  vint  détourner  le  cours 
de  mes  pensées  :  un  énorme  terre-neuve,  bondissant  après  un  ballon 
gigantesque,  s'était  jeté  en  travers  de  ma  bicyclette  et,  perdant 
l'équilibre,  je  roulai  avec  ma  machine  dans  un  fossé  assez  profond.  Je 
ressentis  à  la  tête  une  douleur  aiguë;  j'aperçus,  comme  dans  un 
brouillard,  une  figure  rose  nimbée  de  cheveux  blonds  et  j'entendis  un 
grand  cri  : 

—  Marie,  viens  vite.  Fox  a  renversé  un  bicyclîste  ! 

Et  au  lieu  de  me  porter  secours,  la  propriétaire  de  la  figure  rose 


188  «EVUE  ÙV  NIVERNAIS. 

disparut  avec  une  rapidité  surprenante.  J'essayai  de  me  soulever,  mais 
le  sang  coulait  abondamment  sur  mon  visage  et  le  choc  m'avait 
étourdi.  Il  me  sembla  qu'une  main  douce  se  posait  sur  ma  tête,  qu'on 
tamponnait  ma  plaie  avec  un  fin  mouchoir  parfumé,  tandis  qu'une  voix 
harmonieuse  disait  : 

—  Je  t'en  prie,  Gabrielle,  ne  te  sauve  pas  ainsi,  il  faut  absolument 
m^aider  à  arrêter  cette  hémorragie,  une  femme  doit  savoir  garder  son 
sang-froid  quand  un  accident  arrive  près  d'elle. 

La  figure  rose  reparut  inondée  de  larmes,  de  petites  mains  trem- 
blantes soulevèrent  ma  tête,  et  je  m'évanouis  complètement. 

Je  ne  revins  à  moi  que  sous  l'influence  d'une  forte  douleur  physique, 
j'étais  couché  dans  un  bon  lit,  un  docteur  lavait  ma  plaie,  et  en  arrachait 
la  terre  et  Therbe  qui  y  étaient  collées.  Une  personne  jeune,  à  la 
silhouette  élégante  et  gracieuse,  tenait  la  cuvette  et  les  bandes,  tandis 
qu'une  vieille  servante,  à  l'air  honnête  et  doux,  allumait  le  poêle  de 
faïence  qu'on  trouve  dans  toutes  les  maisons  lorraines. 

—  Je  pense,  dit  le  docteur,  qu'il  n'y  aura  pas  de  complications,  mais 
je  ne  serais  pas  étonné  d'un  accès  de  fièvre  assez  fort  et  quelques  jours 
de  repos  complet  seraient  nécessaires.  Je  me  demande  comment 
nous  pourrons,  sans  inconvénient,  transporter  notre  malade  jusqu'à 
Gérardmer. 

—  Mais,  docteur,  il  ne  peut  être  question  de  transporter  ce  pauvre 
blessé;  il  est  ici  par  la  faute  de  Gabrielle,  nous  le  soignerons,  et  ne  lui 
rendrons  la  liberté  que  lorsqu'il  n'y  aura  plus  aucun  danger  à  le  faire. 

—  Ce  serait  plus  prudent,  sans  doute,  mais  songez  que  vous  n'êtes 
ici  que  des  femmes,  et  qu'en  somme  vous  ne  le  connaissez  pas. 

Je  fis  un  mouvement,  et  la  jeune  personne  posa  un  doigt  sur  ses 
lèvres.  J'essayai  de  parler  et  après  avoir  balbutié  quelques  mots  de 
remerciement,  je  déclinai  mon  nom  et  mon  grade,  et  priai  le  docteur 
de  me  faire  conduire  à  l'hôpital  militaire  le  plus  proche.  Ma  charmante 
hôtesse  rougit  un  peu,  et  déclara,  une  fois  de  plus,  qu'elle  voulait  me 
garder. 

—  Je  vous  en  prie,  monsieur,  me  dit-elle  avec  un  joli  sourire, 
permettez-moi  de  réparer  le  mal  que  nous  avons  causé,  car  si  des 
complications  survenaient,  nous  aurions,  vis-à-vis  de  votre  famille, 
une  grande  responsabilité. 

Ma  famille]  Ah  !  si  mon  père  eût  été  seul,  comme  je  n'aurais  pas 


REVUE  DU   NIVERNAIS.  181) 

hésité  à  le  prévenir,  il  serait  accouru  près  de  moi.  En  ce  moment,  tout 
occupé  de  sa  jeune  femme,  il  considérerait  mon  accident  comme  un 
contre-temps  fâcheux. 

Le  docteur  avait  fini  de  baûder  ma  plaie,  il  se  tourna  du  côté  de  sa 
gracieuse  aide  : 

— -  Il  faudra,  dit-il,  que  ce  pansement  soit  renouvelé  tous  les  jours, 
si  vous  persistez  à  garder  notre  malade,  pourrez-vous,  madame,  le 
renouveler  toute  seule  ? 

Tiens,  pensai-je,  elle  est  mariée,  c'est  dommage  ! 

—  Certainement,  reprit  la  jeune  femme,  ce  n'est  pas  la  première  fois 
que  je  soigne  des  plaies  ;  à  la  campagne,  on  n'a  pas  toujours  un  médecin 
sous  la  main. 

Je  voulus  protester  encore,  mais  par  la  porte  restée  entr'ouverte 
passait  une  tête  mutine,  couverte  d'une  forêt  de  cheveux  blonds, 
éclairée  de  deux  grands  yeux  bleus,  dont  l'éclat  était  doublé  de  perles 
humides,  se  perdant  le  long  des  grands  cils  noirs. 

—  Oh  !  je  vous  en  prie,  monsieur,  dit  la  gentille  apparition,  laissez- 
nous,  ma  sœur  et  moi,  vous  soigner.  C'est  de  ma  faute  si  Fox  a  renversé 
votre  bicyclette,  il  faut  bien  que  je  répare  le  mal  que  je  vous  ai  fait. 

Je  ne?  pus  résister  à  ce  plaidoyer,  dont  l'éloquence  disparaissait 
devant  le  charme  de  la  mignonne  bouche  rose  qui  le  prononçait. 

Depuis  un  moment,  du  reste,  je  me  sentais  moins  bien,  la  fièvre  me 
prit  avec  violence  ;  je  crois  que  je  délirai  toute  la  nuit,  et,  ironie  du 
sort,  au  milieu  de  ce  délire  où  j'aurais  cru  trouver  l'oubli,  je  ne  voyais 
que  ma  belle-mère.  Certainement  j'ai  dû  l'envoyer  à  tous  les  diables. 

A  travers  le  nuage  qui  obscurcissait  ma  pensée,  je  devinais  cependant 
la  vieille  servante  dormant  consciencieusement  dans  un  fauteuil,  tandis 
que  la  jeune  femme,  assise  à  mon  chevet,  baignait  mon  front  d'eau  de 
Cologne,  me  tendait  le  verre  de  limonade,  et  refaisait  le  pansement 
avec  dextérité,  maniant  l'iodoforme  sans  aucune  répugnance.  Parfois 
aussi,  il  me  sembla  voir  Gabrielle,  enveloppée  d'un  peignoir  blanc  qui, 
marchant  avec  précautions,  venait  doucement  poser  sa  main  fraîche 
sur  mon  front  brûlant,  ce  qui  m'apportait  plus  de  soulagement  que  les 
compresses  d'eau  de  Cologne. 

Le  lendemain  matin,  la  fièvre  céda  cl  le  docteur  me  trouva  mieux. 
On  m'apprit  que  j'étais  chez  Mme  Robert  qui  avait  loué  un  petit  chàlel 
dans  les  Vosges,  pour  faire  respirer  Tair  vivifiant  des  sapins  à  sa  jeune 


190  REVUE  DU  NIVERNAIS 

sœur,  un  peu  fatiguée  par  ses  examens.  Après  quelques  heures  d'un 
bon  sommeil  calme,  je  suppliai  la  jeune  femme,  toujours  à  mon  chevet, 
d'aller  se  reposer,  et  la  vieille  bonne  silencieuse  vint  s'asseoir  avec  son 
tricot  et  son  chapelet  au  pied  de  mon  lit. 

Un  petit  coup  discret  fut  frappé  à  la  porte  et  la  tète  blonde  de 
Gabrielle  émergea  des  profondeurs  du  corridor. 

—  Ma  vieille  Suzon,  dit-elle  à  la  brave  femme,  tu  n'es  pas  du  tout  à 
la  hauteur  de  ta  situation,  une  garde  doit  distraire  son  malade  ;  or, 
ton  chapelet  fera  peut-être  du  bien  à  son  âme  qui,  je  l'espère,  n'en  a 
pas  un  besoin  immédiat,  mais  tes  aiguilles  à  tricoter  l'agaceront 
prodigieusement.  Va  t'asseoir  dans  le  fauteuil  et  donne-moi  ta  place. 
Vous  voulez  bien,  monsieur  le  lieutenant  ? 

Je  souris  et  elle  reprit  : 

—  Vous  ne  me  gardez  pas  rancune,  dites,  ni  à  Fox  non  plus  ;  il 
viendra  aussi  vous  demander  pardon.  Le  docteur  dit  que  vous  n'aurez 
pas  de  cicatrice,  heureusement  ;  je  ne  me  le  serais  pas  pardonné,  quoique 
un  militaire  avec  une  cicatrice,  ça  n'a  rien  d'extraordinaire,  on  aurait 
pu  croire  à  un  coup  de  sabre  !...  Voulez- vous  voir  mon  album?  Je  ne 
le  montre  pas  à  tout  le  monde,  mais  un  malade  a  des  privilèges. 

Elle  prit  sur  une  étagère  un  petit  album  de  poche  ;  il  y  avait  un  peu 
de  tout,  là-dedans  :  fleurs,  paysages  et  surtout  caricatures  et,  tout  cela, 
avec  un  cachet  personnel  et  original  sortant  de  la  banalité. 

Nous  riions  comme  deux  enfants  en  regardant  la  caricature  d'un 
examinateur  qu'elle  avait  croqué  en  trois  coups  de  crayon,  le  jour  de 
son  brevet,  lorsque  la  sœur  aînée  entra.  Elle  m'apportait  un  potage 
exquis  et  la  vieille  bonne  n'ayant  pas  quitté  la  chambre,  je  conclus 
qu'elle  l'avait  préparé  elle-même. 

La  jeune  femme  renvoya  sa  sœur,  craignant  que  son  babil  ne  me 
fatiguât  ;  mais  l'espiègle  revint  à  l'heure  du  pansement  et  voulut  poser 
les  bandes  de  tarlatane,  ce  dont  elle  s'acquitta  du  reste  fort  bien. 
Malgré  la  gravité  de  la  situation,  elle  ne  put  retenir  un  joyeux  éclat  de 
rire  en  constatant  que  je  ressemblais  alternativement  à  un  turco  et  à 
une  bonne  femme  en  serre-tête  I 

Avec  de  si  bons  soins,  je  fus  bientôt  en  convalescence,  laquelle 
convalescence  marchait  à  si  grands  pas  que  j'aurais  souhaité  lui  voir 
prendre  une  allure  moins  rapide.  Je  ne  m'ennuyais  pas  dans  le  cbàlet 
des  Vosges  ;  Mme  Robert  me  faisait  la  lecture,  Gabrielle  brodait  près  de 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  191 

moi  OU  se  mettait  au  piano...  oui,  au  piano!  Je  fis  alors  amende 
honorable  à  cet  instrument  et  à  celles  qui  en  jouent. 

Je  pus  bientôt  faire  ma  première  sortie  dans  le  jardin.  Ce  jour-là, 
Gabrielle  obtint  la  permission  de  faire  elle-même  mon  potage.  La 
fenêtre  de  la  cuisine  était  grande  ouverte  et  je  la  voyais,  sa  taille  souple 
entourée  du  tablier  blanc,  ses  joues  enflammées,  surveiller  la  petite 
casserole.  Il  eût  été  délicieux,  ce  potage,  si  Tétourdie  n'avait  oublié  le 
sel  !  Je  ravalai  héroïquement  et  poussai  Thypocrisie  jusqu'à  le  déclarer 
exquis.  La  charmante  cuisinière  put  savourer  son  triomphe. 

Il  me  fallut  enfin  fixer  le  jour  de  mon  départ.  Mme  Robert  insista 
pour  que  j'attende  l'arrivée  de  son  mari  qui  devait  venir  les  chercher. 

Il  vint  par  une  belle  journée  d'automne  ;  Gabrielle  faisait  la  navette 
de  la  terrasse  à  la  porte  d'entrée  ;  sa  sœur  tirait  l'aiguille  un  peu 
nerveusement,  effet  de  l'impatience,  sans  doute.  Au  bruit  de  la  voilure 
elles  me  plantèrent  là,  sans  cérémonie.  Un  moment  après,  elles 
revenaient,  Tune  courant  en  avant,  l'autre  marchant  posément  au  bras 
de  son  mari. 

Mon  Dieu!...  celte  démarche...  je  ne  me  trompe  pas?...  C'est  impos- 
sible... mais  si,...  c'est  mon  père  !  Mais  elle  alors?...  Eh  bien,  elle,  c'est 
Mme  Robert  Villiers,  ma  belle-mère  ! 

Je  dégringole  les  degrés  du  perron,  et  me  précipite  dans  les  bras 
que  mon  père  me  tend.  Il  se  penche  sur  moi,  tout  ému. 

—  Jean,  mon  fils,  m'en  veux-tu  toujours? 
Et  elle,  de  sa  voix  harmonieuse  : 

—  Jean,  me  pardonnez-vous  ? 

Ma  foi,  je  les  embrasse  tous  les  deux,  et  je  crois  bien  que,  manquant 
à  toutes  les  convenances,  j'ai  embrassé  aussi  Gabrielle  ! 

Une  heure  plus  tard,  seul  avec  moi  dans  la  salle  à  manger,  mon  père 
m'apprit  que  sa  femme  s'était  exilée  pour  me  permettre  de  passer  près 
de  lui  ma  permission  de  trente  jours.  Il  m'en  avait  informé,  mais  la 
Providence  avait  permis  que  la  lettre  fut  égarée  pendant  les  manœuvres. 

Ma  belle-mère  entra,  je  m'avançai  vers  elle  et  voulus  lui  exprimer 
tous  mes  regrets  de  mon  injustice  et  de  mon  impolitesse  à  son  égard. 
Elle  m'arrêta  dès  les  premiers  mots,  m'assurant  qu'elle  était  charmée 
de  son  fils.  Je  souris,  mais  ma  voix  tremblait  un  peu  en  lui  disanl  : 

—  Je  ne  puis  vraiment  vous  appeler  ma  mère,  mais  je  serais  bien 
heureux,  si  vous  me  permelliez  un  jour  de  vous  nommer  ma  sœur. 


192  REVUE  DU   NIVERNAIS. 

Gabrielle,  qui  apparaissait  suivie  de  son  inséparable  Fox,  devint  plus 
rose  que  de  coutume,  et,  sous  le  regard  encourageant  de  son  aînée,  rait 
dans  la  mienne  sa  petite  main  tremblante  d'émotion. 

Il  n'y  a  que  ma  tante  de  Sonthenay,  qui  n'est  pas  satisfaite  du  résultât 
de  mon  voyage  dans  les  Vosges.  J'ai  cependant  proposé  sa  c  perle  b  à 
mon  ami  Darcier,  mais  Darcier  se  méûe  des  perles.  11  a  peut-être 
raison,  et  il  persiste  à  rester  garçon  ;  là,  il  a  tout  à  fait  tort. 

Myrum. 

CROQUIS   D'ÉTÉ 

A  L'AURORE 

Les  prémices  du  jour  ont  blanchi  l'orient, 
Puis  laube,  qui  s*avance,  épand  sa  douce  teinte 
Toute  de  rose  et  d'or.  Ressentant  son  étreinte, 
La  nature  frissonne  et  s'éveille  en  riant. 

Déchirée  en  lambeaux  sous  lair insouciant, 
La  brume  de  la  nuit,  par  le  zéphyr  atteinte, 
Avant  de  s'envoler  veut  laisser  une  empreinte, 
Et  pleurant  la  rosée,  elle  meurt  en  fuyant. 

Jetés  à  profusion  dans  les  prés,  sur  les  nids, 

Etincollent  partout  diamants  et  rubis  ; 

Dans  le  ruisseau  chantant  la  feuille  les  égrène. 

Des  ramages  d'oiseaux,  sonores  et  joyeux, 
Eclalenl,  pour  fiMor  la  tâche  quotidienne 
Et  du  travail  repris  les  bruits  m3rstérieux. 

ÂLBERTE. 


GUSTAVE  MATHIEU 

îSmie) 

îfoiis  11?  i\Tom  ri^ti  des  aTeatnrw  du  narin,  d'abord  parée  qae  H 
ti^iDaln^  de  celte  pirtîe  de  s^>n  t\hlence  aiit  disparu,  puis  i  cause <it* 
peu  de  confiance  qu'inspin^at  les  récits  eitraonlItLiines  qw  sa  ^mi^ 
des  cervît^  |^ri>îeii5,  oïl  il  xûcqX  p\t^  Uni.  se  pliisaîenl  à  oairer^ 

Dans  rirtîcie  cc^n%êcrè  i  G*  Malbîeii  par  LarôUï;s^,  ûh  meûote  ^vTû 


REVUE  DU  MVEHNAIS.  193 

commanda  un  corsaire  dans  l'océan  Pacifique  ;  on  y  voit  aussi  qu^il 
publia  une  sorte  d'autobiographie  sous  le  titre  de  la  Petite  Nauf. 

Nous  voulons,  dans  cette  Revue  nivemaise^  nous  étendre  de  préférence 
sur  quelques  circonstances  de  sa  vie  qui  touchent  au  Nivernais  et  qui 
caractérisent  Tami  de  Tavocat  Constant  Balandreau,  du  docteur 
Thomas,  de  Ferdinand  Bompois  et  de  Rigny. 

Rentré  dans  ses  foyers,  il  s'occupa  du  commerce  des  bois. 

Nous  apprenons  que,  vers  1835,  G.  Mathieu  résida  dans  la  commune 
d*Isenay  où  il  s'intéressait  à  une  exploitation  forestière. 

Isenay  est  un  joli  village.  Là  s'élève  le  donjon  du  Tremblay  qui  avait 
encore  alors  le  cachet  du  passé  ;  village  et  donjon  dominent  le  val 
de  TAron  où  cette  grosse  rivière  coule  au  milieu  de  prairies  dont  les 
marchés  de  la  Vitlette,  à  la  fin  de  PEmpire,  devaient  consacrer  la 
réputation.  Au  pied  est  le  canal  du  Nivernais  qui  transporte  les  bois 
du  Bazois  et  du  Morvan. 

Si  je  parle  du  séjour  de  G.  Mathieu  dans  cette  région,  c'est  qu'il  nous 
révèle  dans  cet  homme  quelqu'un  qui  comprenait  autrement  que  nos 
radicaux  modernes  la  beauté  des  cérémonies  religieuses.  Voici  à  quel 
propos. 

En  1831,  la  commune  achetait  une  vieille  maison  pour  en  faire  un 
presbytère  car  l'ancienne  cure  avait  été  vendue  pendant  la  Révolution  ; 
un  prêtre,  M.  Bernard,  fut  nommé  par  M*'  d'Auzers  et  installé  le 
19  décembre  pour  desservir  la  paroisse. 

Ce  curé  devait  mourir  là  le  4  octobre  1840;  les  anciens  de  la  paroisse 
font  encore  son  éloge  ;  il  était,  disent-ils,  un  bon  prêtre,  très  hospi- 
talier, d'un  caractère  aimable  et  fort  gai.  Pas  une  fête  de  famille 
d'ailleurs,  pas  une  réjouissance  auxquelle  son  n'associât,  à  cette  époque, 
le  curé  de  la  paroisse.  Les  bourgeois  étaient  vaguement  francs-maçons, 
voltairiens  sans  avoir  lu  Voltaire,  mais  assez  libéraux  pour  ne  pas 
mettre  à  l'écart  les  prêtres. 

G.  Mathieu  fut  l'ami  du  curé  Bernard. 

Le  jour  de  la  Fête-Dieu,  G.  Mathieu  se  chargeait  des  soins  à  donner 
à  l'ornementation  des  reposoirs  et  suivait  la  procession. 

Il  reconnut  un  jour  qu'il  n'avait  pas  d'aptitudes  spéciales  pour  le 
commerce.  Il  alla  vivre  à  Paris  de  la  vie  artistique  et  littéraire,  que 
son  goût  pour  la  poésie,  ses  relations  avec  de  jeunes  auteurs  le  déci- 
dèrent à  mener  désormais.  Mais  son  amour  des  champs  le  ramena 

8» 


f'f'.N.VlS. 


-.'S  parents,  soit  au  vi^/ux 
.-•z  M.  Charles  Mtitbieii. 
.  .lie  Humeur  :  urne  dans 
•  1  \;'?lieDt  cœur.  :!  -naît 
•:^    :  •  >'-/VPrs.  aiUii  'juil 


r-::»    :  -:^v?     -..ir^eu.  <'.mui  dont 

:  :..::î::.;'.'  .       lire,  pemt  par 

...::-.     '  -  T  •  '  -*        ^t  »e  [»<>nnit 

•in  -     .r        '-     '     ..lieau, '{'11  Hst 

r:r.  7  vr^^'-.  r      .    -  Liiue  de  noble 

jir?    •        lii  .-••:.;-'•    .  i  — 'iiement  !U» 

\:r'>-i«Mi      -li^^      me  -i  ijne  qui  la 

^.?  :.i.-.r'     i-ixe  propre  à 


--♦ri  : 

.:.ii:i  ^    .41.  nuiUTD  «jQ  ^.r-an, 

•  •      MIlii.ll- 

•  j.  .-iiiLUiir. 


•1  -  'mpagnon,  on 


■i>i  a-îssi.  :  irini  '  "ix  ni  -  n^iioruent  l'Itre  de  ia  ,;raiide 
,  ;mmi  auib  it:  cas  i^i   lii^tri  :ii  :.l  le  .  n-tutruie  '• 

Il  :i:oi  :•'  <-«H   ■.aiim:ïir  :.:si^ne 

•'■•la.ni  .  ir  •  i-oni     jccie 

tj  lfociiiu^s   .es    dHJLUts.  .'ane 
\  iA    me. 
jtn;  .:    Jeux  ^fmx  ..uirs  t?l    aoux, 

^in  ^1.  %itm'tt  "taiL   irrîv»^  jiea  tard  pour  demeurer  rhomme 

,iirt»tuien^  [i^rsi.s  -hiu    i,.i»î*5  de  IVporiiie  où  Edmond  Aboiil, 
li,uîd.d,  La.irhp,  Sariou,  et  aotres»  înaiigiiraieDt, 


T 


REVUE   DU   NIVERiNAIS  195 

/ 

les  uns,  par  leurs  romans  ;  les  autres,  par  leurs  pièces  de  théâtre, 
leurs  conférences,  leurs  critiques  ou  leurs  causeries  dans  les  jour- 
naux, un  nouveau  genre  de  littérature. 

G.  Mathieu  fit  des  chansons  d'une  allure  et  d'un  esprit  nouveaux. 

Ce  qui  caractérise  sa  poésie,  ce  n'est  pas  la  gaîté  sans  fin  de  Desau- 
giers,  le  bons  sens  bourgeois  de  Béranger,  niTesprit  de  Nicolas  Brazier 
qui  n*a  jamais  donné  une  allure  bien  frondeuse  à  ses  chansons  ;  ces 
chansonniers  furent,  sans  doute,  Tesprit  et  la  gaité  de  leur  époque. 
Quant  à  G.  Mathieu,  il  devait  élever  sa  voix  jusqu'à  l'indignation  pour 
flétrir  les  tyrans,  les  conquérants  et  rire  de  tous  tes  abus  ridicules  de 
la  force  et  dû  pouvoir. 

En  effet,  il  fit  entendre  sa  voix  dans  le  concert  de  la  fronde  démo- 
cratique dont  l'Empire  eut  à  subir  les  coups.  Il  est  certain  que  le  bien- 
fait de  l'ordre,  dont  jouissait  alors  la  France,  fut  payé  de  ses  libertés  et 
que  de  généreux  esprits  protestèrent  contre  ce  qu'ils  appelaient  son 
abaissement.  G.  Mathieu  fut  du  nombre  des  mécontents  et  c'est  en  ce 
sens  qu'on  peut  dire  qu'il  fut  républicain.  En  tout,  d'ailleurs,  il  était 
bien  un  homme  de  son  temps;  ce  poète,  à  qui  ses  origines  comman- 
daient plutôt  d'être  royaliste,  qui  fut  de  l'opposition  démocratique  par 
amitié  ou  par  tempérament,  a  fait  des  vers  en  faveur  de  l'Italie  ;  en 
ceci,  patriote  avant  tout,  parce  que  la  sympathie  donquichottique 
dont  les  Français  s'étaient  épris  pour  la  nation-sœur^  en  même  temps 
que  le  désir  de  venger  1815,  avaient  affolé  le  pays;  aujourd'hui 
G.  Mathieu  serait  le  premier  à  reconnaître  son  erreur. 

Hélas,  furent  seuls  clairvoyants  quelques  hommes  politiques  et  des 
penseurs  comme  Proudhon  Mais  on  peut  pardonner  à  un  poète  qui 
crut  servir  la  cause  de  la  liberté  des  peuples.  Combien  de  bévues 
pourrait-on  aussi  reprocher  à  Béranger? 

G.  Mathieu  devait  rester  patriote.  Son  internationalisme  ne  ressembla 
en  rien  à  l'abominable  doctrine  qu'on  désigne  aujourd'hui  sous  ce  nom. 
On  dénonçait,  ces  jours-ci,  l'inconscience  d'un  instituteur  faisant 
chanter  à  ses  élèves  l'hymne  d'outre  Rhin,  le  Watch  am  Rhein,  qui 
inspira  le  fameux  Rhin  allemand^  composé  par  Alfred  de  Musset,  et 
dont  les  premières  strophes  : 

Nous  l'avons  ea  votre  Rhin  allemand. 

U  a  tenu  dans  notre  verre, 

Un  couplet  qu'on  s'en  va  chantant 


■:r'!i:  .zcr'v^'^^  "ar  e  ^r-:*^  nez  î—  :e  rlrarriio*  i  me  5DLn*e  w 
'r-   h:...-*î-  I:.len^-  t  n.:-r  i  j?rfne  -t.-c.  mniu  sans  i^-ine  Tiia 

f>-«*î  -t  '-^t '^    «1  .^iiiar::j.t*.  mas  e    ji^-'îie  .ecirs.   -»Mihjiiait  par  l«s 


:•»    »  rrï=^    "m  ..".-'i»*   v-'»*rr      *r-~';-     •*      «^e      «-r^.n'.a    ^-^ '.t\iii    '.^■'^■r'ir   r;!ï*  j-ir? 
-    .  ..-1..   •*      r:«-î   :»»    J     r-sc  •.'?^    Lk^i'iie     -<es    tmc:*    le   -<^»:it     es     lu   '«irs  rtria*- 

j^s    r*»-  :;..»5   it»  3t~ir^  îLts  "li-ei-:  iir  .*5  .nfia^aîv 

£_—  I 

"U*H   :?î    .:ri~»*5    DUT    t     t-^lT. 


il^  IMh  i»S:cC2*-n»»  4»  .  VâSiV-lLUi-n-  t  •    >  •^— iri  ■  cj^Ar^Jesc  :  —  J  fr. 


LES  BRISES 


LE  PRINTEilPS 

Hm  r.ù»ïrTijez  pas  :  •''-'-i  ^la  :  n::*  «a 
dm  11* il  >a  cour  «ians  un  :  i.-i«jiu 
.><}  ^'di^tti^  pour  qu'oQ  le  roirsiivK'. 
ta  uii.tii'-iie  cuante  au  r^^ài  : 
Il  i.omiJient  fail-jQ  un  ui-i  i  ii^r^au  ? 
P&ttL-^m  bien  i'aimer  sur  la  r.ve  :  '» 

1)0  tmt  retieurir  le  t  jis  rz.ort  ; 
Le  vif  ux  iiaiiier  s'haD.iie  eacor: 
Oq  oublie,  au  soi»:ii,  ^^'n  t^. 
<i  roranger  cause  tùut  tas. 
De  innct'.  ne  Técoutez  paî. 
Cesl  demain  qu  il  entre  -n  Ji^na;:e. 

Vm  fiiuTette  ouvr^  ie  bii, 

Aupr^-^  d'un  moineau  caç-^rai  : 

Oo  ï^^aore  *d  Ton  se  cnama;..^  ; 

El  aur  ks  ;,fazons  ♦^mn^-iiis, 

i>  nf*  ^*»nt  plus  qu>?>aims  rempil'^ 

De  Ût.*urs,  'i'amoun^ux,  de  marmai.Ie  ! 

L'n  iT»*5i^mol  est  men^^slrel  : 
Use  j*i|^illons  font  carrous<.n 
>iir  un  *lorso  de  viui^^tte  ; 
?»ibntî<î  mire  ses  quinze  ans. 
El  iri«rnoi>,  hadiu,  ie  Printemps 
V»iliî  un  bai->f^r  suus  ?a  voilette. 

>ur  ia  ne\^e  d'acacias. 
yrt^i^  ieiî  clorhettes  de  lilas 
N*nîr  navrent  des  paupières  cluses  : 
Pîîi.%.  vers  le  soir,  silencieux. 
Dans  nn  fribson  délicieux, 
l/Aiïu*iîr  épan(juit  les  roses. 

Et  par  deux  vont  les  colibris 

Tout  î^*  long  des  sentiers  flearis  : 

(Jn  (oUend  sonner  un  baptême  ! 

Solarine  rit  à  son  amant  : 

rf  L'*  Printemps,  c'est,  voîs-lu,  moa  Jean, 

Quelqu'un  qu'on  aime  et  qui  vous  aime.  » 

Françoise  d'Husselles. 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  199 

LES  POÈTES  DE  V AMOUR  (Suite! 

Beaucoup  d*autres  poètes  contemporains,  sans  s'y  attacher  particuliè- 
rement, ont  chanté  délicieusement  l'amour,  passion  ou  rêve.  Puisque 
je  parlais  des  symbolistes,  je  n'aurai  garde  d'oublier  Tun  de  leurs 
maîtres,  presque  leur  chef  (autrefois  du  moins,  car  son  dernier 
recueil,  les' Médailles  d'Argile^  nous  le  montre  singulièrement  changé), 
Henri  de  Régnier,  qui  dans  YHomme  et  la  Sirène  a  tenté  d'exprimer 
Tuniverselle  tristesse  de  l'union  de  l'homme  et  de  la  femme  se 
tourmentant  et  se  brisant  l'un  l'autre. 

Avec  lui  nous  errons  par  des  solitudes  encore  inconnues.  L'amour 
n'y  dévoile  plus  son  visage,  le  cœur  ne  bat  plus  que  faiblement;  aux 
lointains  mauves  des  crépuscules,  ce  ne  sont  même  plus  des  femmes 
qui  passent,  mais  des  ombres  aussitôt  disparues  qu'entrevues  qui  n'ont 
pas  d'aveux  sur  leurs  lèvres  fermées,  à  peine  parfois  des  sourires  ou 
des  larmes  fugitives. 

L'impression  est  bien  ce  qu'indique  le  titre  d'un  de  ses  livres  :  Tel 
qu'en  songe.  Comme  on  Ta  dit  déjà,  il  n'est  pas  nécessaire  de  pénétrer 
cette  poésie,  il  suffit  de  la  sentir.  Lisez,  lisez  toujours  sans  fixer  l'esprit 
aux  vers  dont  le  sens  exact  vous  fuit  momentanément;  laissez-vous 
entraîner  au  rythme  épai*s  comme  au  fil  d'une  eau  nonchalante,  bercer 
dans  les  visions  qui  naissent  pour  mourir,  fondues  dans  les  décors 
féeriques  d'or  et  de  pourpre  ou  évaporées  dans  les  brumes  :  pour  peu 
que  vous  soyez  impressionnable,  vous  tomberez  dans  une  sorte  de 
rêverie  assoupie,  de  sommeil  magnétique,  comme  enveloppé  d'auréoles 
vaporeuses,  de  vagues  parfums,  de  musiques  lointaines,  de  douceurs 
ombreuses  où  l'âme,  sourde  à  l'écho  de  la  vie,  repose,  penchée  vers 
de  suaves  mélancolies  : 

Un  vent  faible  erre  d'arbre  en  arbre; 
Ton  songe  va  de  soir  en  soir, 
Un  oiseau  chante  d'arbre  en  arbre 
Jusques  au  soir. 
Tes  Désirs  sont  passés  avec  le  temps  des  roses, 
Ta  Tristesse  s*accorde  à  la  pâleur  des  mauves. 
Le  Bel  Espoir 
A  ployé  ses  ailes  de  marbre, 
Et  le  ciel  noir 
Pleure  en  larmes  d*ombre  sur  sa  face  de  marbre... 

—  Plus  précis  (ou  plutôt  moins  imprécis),  mais  tout  aussi  épris  du 
symbole  et  de  la  nuance,  se  montre  le  talent  de  Victor  Margueritle, 


■*    ..1         * 


^        V  .A 


—  •^J.       —        — A- 


iiir  t.. '^    .-T— *-\  j--   î— "7=    •*  1  .- -^    -"i.»*'  -*  a:  ir   -*:It^s  j;!,  à 


4(»>/yvr'':,  n  U'  ^  <^'*>  i*«  *»»jr  r'*"-fi4i;i. .  il'  >  i^^  s.u\^!i.'rv  et  de  S4^nges. 
?^  •'>'.!  >:;:i    u\>  .^.'i.  i**'  T-i-'-â.  l'inn  11  -siuroie  «ruae  âme  de 


v>»  ;  '  j»*;-»  3  ir»i,  m  2a:<^  saînintari- 


—  1*47  \t  Ui'y.b'Th  (\h  là  p^ns*^,  Lt^:.a  DIerx  peut  être  rapproché  des 

'^fi^f^Ah.U^,  hif-n  qj'il  reste  an  parnassien   par  la  correclioD  el 

UfipUtur  de  la  fontie.  Son  ame  est  une  ime  de  poreté  el  de  tristesse. 


REVUE    DU  NIVERNAIS.  201 

Comme  jadis  Leconte  de  Lisle,  son  maître,  il  regarde  du  haut  d'un 
quatrième  étage  les  *vaines  agitations  du  monde  avec  un  sourire 
d'amère  pitié,  ne  vivant  que  de  Tart  et  pour  Tart,  isolé  en  un 
pessimisme  hautain. 

Mais,  las  de  planer  au-dessus  de  Téternelle  misère  humaine,  il  a 
reposé  ses  yeux  dans  les  sourires  d'amour  et  chanté  les  rêves  des 
Amants,  a  De  tous  les  parnassiens,  dit  M.  Emile  Trolliet,  c'est  peut-être 
lui  le  plus  passionné  ]».  Non  sans  doute  qu'il  se  livre  tout  entier;  du 
moins  peut-on  respirer,  dans  des  poèmes  de  langueur  caressante,  les 
parfums  de  son  âme  : 

C'est  l'heure  où  la  rose  inclinant  sa  tige 
Du  Printemps  aspire  un  baiser  plus  doux. 
0  frisson  du  soir  1  Caresse  1  0  vertige  ! 
Dans  le  crépuscule  à  quoi  révons-nous? 


Là-bas,  dans  le  golfe  aux  ourlets  d'écume, 
Les  bruits  de  la  mer,  comme  ils  sont  légers! 
0  palmes  nageant  vers  nous  dans  la  brume  1 
Que  regardons-nous  sous  les  orangers  ? 

La  nuit  nous  enlace.  Oh  !  vois  !  nos  pensées 
Eclatent  au  ciel  en  floraisons  d'or. 
0  les  mains  dans  l'ombre  ardemment  pressées  ! 
Quel  secret  nous  garde  un  riche  trésor? 

Tout  palpite  afin  que  tout  mêle  et  fonde 
En  moi  ta  tendresse,  en  toi  mon  espoir. 
O  baiser  donné  pour  un  autre  monde  ! 
Quel  nimbe  est  là-haut  sur  nos  fronts  ce  soir? 


Dans  ce  livre  s'épanche  la  sensibilité  d'un  poète  qui,  aux  heures 
douces,  s'incline  vers  les  suavités  de  la  tendresse  humaine.  Ici  encore 
pas  de  voluptés  exaltées  ni  de  douleurs  poignantes,  mais  seulement  des 
rêveries  de  baisers  et  d'aveux,  des  mirages  d'extases  mystiques,  des 
visions  d'âmes,  parfois  des  reflux  de  tristesse  et  des  évocations  d'amour 
idéal. 

Et  oublieux  des  souffrances  éteintes,  dans  les  arômes  des  roses 
amoureuses, 

Le  cœur  léger  qui  flotte  en  vagues  floraisons 
S'en  va  sur  les  brises  lointaines. 

—  Armand  Silvestre,  écrivain  prolifique,  poète  ondoyant  et  divers, 
de  tempérament  complexe,  d'âme  étrange,  fut  tour  à  tour,  suivant  le 


202  REVUK  DU  NIVERNAIS. 

mot  de  La  Bruyère  parlant  de  Rabelais,  c  le  mets  des  plus  délicats  el 
le  charme  de  la  canaille  w.  Il  a  chanté  le  bonheur  et  le  mal  d'aimer  en 
hymnes  à  la  beauté  et  à  la  volupté  en  s'accompagnant  tantôt  de  la  lyre 
d'Apollon,  tantôt  de  cymbales  d'orchestre  de  foire.  C'est  le  type  du 
mystique  sensuel  fervent  du  culte  de  Vénus. 

Ceux  qui  Taiment  oublieront  ses  gauloiseries  épaisses  pour  ne  se 
eouvenir  que  de  ses  rêves  d'amour  fleuris  et  empourprés  dans  des 
griseries  de  parfums  et  des  éblouissements  de  lueurs.  L'auteur  des 
Tendresses  a  le  verbe  imagé  et  chatoyant,  le  rythme  noble  et  cadencé, 
le  vers  ample  et  riche  des  parnassiens.  Il  a  répandu  dans  ses  oeuvres 
lyriques  les  trésors  de  son  imagination  merveilleuse,  source  de  poésie 
tantôt  limpide,  tantôt  agitée,  jamais  tarie.  On  y  devine,  d'autre  part, 
jusque  dans  les  madrigaux  de  miel,  un  cœur  trop  passionné  qui, 
débordant  de  désirs,  demeure  toujours  inassouvi. 

Ce  qu'il  y  a  peut-être  de  plus  exquis  dans  ses  vers  tendres,  ce  sont 
les  Vers  pour  être  chantés  ^  caresses  mélodieuses  de  souvenir  ou  d'espoir, 
d'aveux  ou  de  regrets,  chansons  si  gracieuses,  si  fraîches,  si  suaves 
que  l'on  croit  entendre  en  elles  frissonner  des  voix  de  vierges,  trembler 
des  voix  d'amoureuses  :  ^ 

Tu  m*as  dit  :  Mon  cœur  esl  souffrant  encore 
Du  dernier  amour  qui  Tavait  meurtri; 
De  nouvelles  lleurs  ne  sauraient  éclore 
Au  triste  jardin  qu'il  a  délleuri. 
En  moi,  c'est  le  soir.  Attendons  Taurore  I 
Tu  m'as  dit  :  Mon  cœur  est  souffrant  encore  ! 

Tu  m*as  dit  :  Qui  sait  !  peut-^tre  demain  ! 
L*oubli  me  fera  douce  ta  tendresse, 
Et  nos  pas  prendront  le  même  chemin  ; 
Et  nos  fronts  rêvant  une  même  ivresse. 
A  mon  tour  ma  main  cherchera  ta  main. 
Tu  m'as  dit  :  Qui  sait  !  peut-être  demain  I 

(A  suivre).  Fernand  Richard. 


1^^ 
^ 


MEVUE  OU  NIVERNAIS.  203 


NOTICE  SUR  LE  CHATEAU  DE  SAINT-FRANCHY 

f 

Le  vieux  château  de  Saint-Franchy,  situé  sur  une  montagne  boisée 
qui  domine  une  riche  vallée  de  prairies,  fut  bâti  dans  les  dernières 
années  du  xvi'  siècle,  par  Antoinette  de  Pontailler  et  Léonard  de  la 
Perrière,  alors  qu'Henri  IV  était  roi  de  France  :  la  date  de  1597  est  sur 
récusson  qui  sert  de  clef  de  voûte  au  salon  actuel.  Une  inscription 
latine,  surmontant  l'ancienne  porte  d'entrée^  nous  dit  que  ce  manoir 
fut  construit  à  la  place  même  de  Tancienne  demeure  de  saint  Franchy, 
à  moins  qu'elle  n'indique  simplement  le  lieu  de  l'ermitage  où  ce  saint 
s'était  réfugié,  après  avoir  été  chassé  par  les  autres  moines  de  l'abbaye 
de  Saint-Martin,  située  dans  le  voisinage. 

Voici  cette  inscription  : 

IBI    DIVI    FRANCOVEI 
ERAT    ANTIQUA     DOMUS 

A  cette  époque,  les  seigneurs  de  Saint-Franchy  étaient  Anatole  de 
Pontailler,  seigneur  de  Châtillon-enBazois  en  1577  (Abbé  Beaudeau)et 
Antoinette  de  Pontailler,  fille  de  Louis  de  Chastellux  (qui  fut  pannetier 
du  roi  Henri  II)  et  de  sa  seconde  femme  Anne  de  Loges,  dame  de  la 
Boulaye. 

Ils  eurent  sans  doute  une  fille,  nommée  encore  Antoinette,  qui 
épousa  Léonard  de  la  Perrière,  et  ce  sont  eux  qui  auraient  bâti  le 
manoir  en  1597,  ainsi  que  l'atteste  l'écusson  de  la  clef  de  voûte,  où  sont 
les  armoiries  réunies  des  familles  de  Pontailler  et  de  la  Perrière,  avec 
leurs  noms  sur  deux  banderolles,  entrelacées  de  branches  de  myrthe. 
Ils  durent  mourir  sans  enfants,  car  la  terre  de  Châtillon  revint  à 
Jacqueline  de  Pontailler  (sœur  d'Antoinette)  qui  épousa,  en  1598,  Edme 
de  Rochefort,  marquis  de  Pleuvant,  lieutenant  général  du  Nivernais, 
gouverneur  d'Avallon  et  de  Vézelay,  auquel  elle  apporta  cette  seigneurie. 

Plus  tard  la  terre  de  Saint-Franchy  revint  à  leur  nièce  Catherine 
de  Chastellux,  fille  d'Olivier,  qui  épousa,  en  1640,  Paul  de  Rémigny, 
baron  de  Joux,  seigneur  de  Dumphlun,  Saint-Franchy  et  autres  lieux. 
Leur  descendante,  Mlle  de  Rémigny,  dame  de  Feuillans,  la  vendit,  en 
1818,  aux  propriétaires  actuels. 


204  REVUE  DU   NIVERNAIS. 

Il  existe  encore  beaucoup  de  parchemins  de  la  famille  de  Rémigny  el 
un  terrier  de  1730. 

Parmi  les  vieux  papiers  se  trouve  aussi  un  terrier,  ou  registre  de 
1594  (date  de  la  construction)  sur  papier  très  usé;  il  énumère  toutes 
les  redevances  en  argent  ou  nature,  avoine,  froment,  volailles,  etc.. 
des  nombreux  tenanciers  du  seigneur  de  Saint-Franchy-en-Archire  : 
les  Badières,  le  Marest,  Mary,  Saint-Benin-des-Bois,  Martangy,  Sainl- 
Martin-de-la-Bretonnière,  Ourbet,  Sainte-Marie-de-FlageoIIes,  Lurcy- 
le-Bourg  et  Ligny,  même  Saint-Saulge.  On  voit  encore,  dans  une  grande 
chambre  du  premier  étage,  une  vaste  cheminée  qui  a  près  de  trois  mètres 
de  largeur,  avec  deux  consoles  de  pierre,  très  bien  sculptées,  dont 
Tune  porte  au  sommet  une  tête  d'homme,  avec  la  toque  et  la  fine 
barbiche  du  temps  d'Henri  III  ;  l'autre  une  tête  de  femme,  avec  la 
grande  collerette  et  la  coiffure  relevée  de  Catherine  de  Médicis.  Au 
sommet  des  jambages  on  voit  les  deux  A  A  entrelacés  d'Anatole 
et  d'Antoinette,  entourés  de  branches  de  myrthe,  comme  à  l'écusson 
de  la  voûte.  Le  propriétaire  actuel,  M.  L.,  a  fait  restaurer  le  manoir, 
en  y  ajoutant  un  grand  pavillon,  pour  le  rendre  plus  logeable. 

Il  existe  encore,  dans  les  vieux  papiers  de  Saint  Franchy,  un  contrat 
d'échange  (en  italien)  de  la  souveraineté  de  Maro,  Resto,  Queille, 
Rocassy,  Corpassy,  Vintiraille  et  autres,  fait  par  Renée  de  Savoie, 
comtesse  de  Tendes,  veuve  de  haut  et  puissant  seigneur  Jacques  dT'rfé. 
premier  du  nom,  le  20  avril  ii78.  Expédition  donnée  par  ordn» 
d'Emmanuel-Philibert  de  Savoie,  prince  de  Piémont^  qui  donne  le 
comté  de  Bagé,  en  Bresse,  et  le  comté  de  lUvolles.  Expédition  donnée 
à  Françoise  de  Foix,  première  douairière  de  Tendes. 

M.  DE  LA  T. 


I 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  205 

POÈTES  NÉERLANDAIS  (Suite) 


F  LA  M  À  N  D  S 


Emanuel  Hiel. 

L'ANNIVERSAIRE  DE  LA  MÈRE 

L'aurore  darde  ses  feux  roses. 

La  jeune  fille  à  son  lever 

Cueille  un  bouquet  de  blanches  roses, 

Le  plus  beau  qu'elle  peut  trouver  : 

C'est  pour  fêter  sa  mère 

A  son  anniversaire. 

Tous  les  ans,  c'est  sa  récompense, 
Elle  attend  ce  jour  ardemment, 
En  chants,  en  rires  se  dépense  : 
«  Vois,  ce  bouquet,  est-il  charmant  ? 

C'est  pour  te  fêter,  mère, 

A  ton  anniversaire.  » 

La  jeune  fille  aujourd'hui  pleure  ; 
Ce  jour  pour  elle  n'est  plus  beau. 
Où  vous  porte-t-on  à  cette  heure, 
Fleurs  d'aurore  ?  —  Sur  un  tombeau. 

Hélas  !  c'est  de  la  mère 

Le  triste  anniversaire  I 


Roealie  Lovellng 

(1834-1875) 

LE  CADEAU 

Il  ouvrit  le  tiroir  où,  claire, 
A  l'enfant  debout  près  de  lui, 
Apparut  la  montre  :  «  Grand-père, 
Donne-la  moi,  dis,  aujourd'hui  I  » 

—  ((  Te  la  donner,  je  m'y  engage. 
L'an  prochain,  qui  sait  ?  pas  plus  tard. 
Apprends  bien  tes  leçons,  sois  sage 
Et  nous  verrons,  »  dit  le  vieillard. 

L'an  prochain...  le  garçon  écoute 
Et  reprend  d'un  ton  sérieux  : 
a  Alors  tu  seras  mort  sans  doute, 
Toi  si  malade,  toi  si  vieux  1  » 

Le  vieillard  immobile  pense  : 
Oui,  le  petit  a  bien  raison... 
Ses  doigt  caressent  en  silence 
Les  cheveux  bouclés  du  garçon. 


206  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Il  prend  la  montre  précieuse 
Avec  la  lourde  chaîne  aussi 
Et  la  met  dans  la  main  joyeuse  : 
«  Ton  père  Teut  ;  tiens,  la  voici  !  » 


Une  fosse  étroite  est  ouverte, 
Alentour  sont  les  écoliers  ; 
Un  vieil  homme  est  là,  presque  inerte, 
Tremblant  sur  ses  genoux  ployés. 

Le  vent  frais  du  matin  agite 
Les  cheveux  blancs  sur  le  front  nu. 
Le  cercueil  descend  en  son  gite  : 
Pauvre  petit,  qui  l'eût  prévu  ?... 

Le  grand-père  dans  sa  demeure 
Retourna,  pleurant  sans  espoir. 
La  montre  d'argent  à  cette  heure 
Reprit  place  en  le  vieux  tiroir. 


LA  MALADIE  DE  LA    MÈRE 

«c  Âh  I  les  enfants,  quel  avenir  doit  les  attendre  ?  > 
Pensait  la  mère,  assise  en  sa  chambre...  et  ses  yeux 
Les  voyaient  au  dehors,  les  suivaient  dans  leurs  jeux... 
La  mère  toutefois  ne  pouvaient  les  entendre. 

—  D'abord,  l'aîné  des  trois  :  «  Quand  l'heure  arrivera, 
Expliquait-il,  tu  sais,  quand  maman  sera  morte^ 

Les  enfants  me  l'ont  dit,  la  cloche  la  plus  forte. 

Le  gros  bourdon,  eh  bien  I  c'est  lui  qu'on  sonnera.  » 

—  «  Et  puis,  se  mit  bien  vite  à  répliquer  le  frère, 
0  bonheur  I  plus  jamais  à  Técole  on  n'irait. 

Ah  I  quel  amusement  1  comme  on  arracherait 
Les  plantes  du  jardin  pour  les  remettre  en  terre  I  » 

—  «  Moi,  dit  la  plus  petite,  —  et  son  cœur  tout  rempli 
D'espérance,  plus  fort  palpitait  à  cette  heure,  — 

Je  prendrais  de  maman  la  robe  la  meilleure 
Pour  faire  à  ma  poupée  un  jupon  très  joli  !  » 

Traduciian  de  ACHîLLE  MlLUEM, 


LIVRES  ET   PÉRIODIQUES 


Joseph  AcEORGES  :  George  Sand  paysan  (Picard,  éditeur,  82,  rue  Bonaparte)  :  —  Les 
Plaisantes  Dictions  de  Pierre  Pilotât  ;  Une  Population  rurale  sous  Vancien 
régime  (A.  Mellotée,  éditeur  à  Châteauroux). 

M.  Joseph  A^eorges  n'a  pas  encore  vingt-cinc[  ans.  II  met  son  activité  juvénile  an 
service  de  ses  idées  oui  sont  généreuses.  I!  écrit  beaucoup.  Il  aborde  la  critique,  le 
conte,  la  chronique,  l'histoire  —  et  toujours  avec  t^ent.  C'est  un  intellectuel  dans  le 
btiau  sens  du  mot.  A  ceux  qui  s'inquiètent  de  voir  aujourd'hui  tant  de  a  jeunes  • 
indifférents  aux  choses  de  l'esprit,  il  est  impossible  de  ne  pas  suivre  Joseph  Açeorges 
avec  la  plus  vive  sympathie.  Son  intelligence  est  curieuse,  éveillée,  son  savoir  déjà 
considérable.  Il  fera  son  chemin. 

George  Sand  paysan.  —  De  prime  abord,  il  semble  que  tout  ait  été  dit  sur  le 
grand  romancier  berrichon.  Dctrompez-vous.  Ageorges  a  trouvé  du  nouveau  dans 
cette  étude  savoureuse  et  documentée  qu'il  nous  présente.  Elle  a  paru  récemment  et 
avec  succès  dans  la  Revue  hebdomadaire.  En  volume  elle  plaira  davantage.  L'auteur 
a  démêlé  avec  une  finesse  remarquable  Theureuse  influence  au  milieu,  de  l'atmosphère 
ambiante,  sur  le  génie  de  George  Sand,  —  car  il  connaît  le  pays  de  la  petite  Fadette 
comme  pas  un.  Et  quand  il  nous  rappelle  le  vocabulaire  rustique  du  grand  conteur 
du  I3as-Berry,  on  reste  surpris  d'avoir  lu  déjà  ces  expressions  d'un  tour  charmant  et 
naïf  dans  nos  vieux  écrivains  :  Rabelais,  Anthoine  de  la  Sale,  Amvot,  Montaigne, 
Ambroise  Paré...  Ce  qui  prouve  que  nos  provinces  ont  été  les  gardiennes  du  vrai 
parler  de  nos  pères. 

Beaucoup  de  facilité  et  de  saveur  dans  Les  Plaisantes  Dictions  de  Piert*e  Pilotati 
menuisier,  La  trame  de  ces  contes  est  parfois  un  peu  confuse  et  j'y  voudrais  voir  un 
plus  grand  souci  d'art  ;  mais,  tels  quels,  ils  ont  du  charme  et  ils  exhalent  une  bonne 
odeur  de  terroir.  Un  excellent  artiste —  le  peintre  Fernand  Mailhud  — les  a  illustrés 
de  dessins  à  la  plume.  Car  en  Berry,  comme  en  Nivernais,  peintres  et  sculpteurs 
fraternisent  avec  leurs  compatriotes  écrivains  et  poètes.  (Ainsi  les  délicieuses  Chansons 
berriaudes  d'Hugues  Lapaire  ^ont  soulignées  par  le  fin  crayon  de  Maillaud.) 

Parmi  les  Plaisantes  Dictions,  j'ai  remarqué  : 

La  Cloche  du  bois  de  Chatelus  ; 
Une  noce  en  Bcrry  ; 
Légende  de  la  belle  Anne, 
Monsieur  le  Maire... 

Et  je  suis  bien  marri,  en  vérité,  que  Pierre  Pilotât^  11  5[  a  quinze  jours,  ait  été 
emporté  ■   par  un  chaud  et  froid  •,  tout  d'un  coup.  Mais,  bien  qu'on  nous   affirme 

3u'il  soit  enterré  au  cimetière,  le  troisième,  à  gauche  en  entrant,  —  tous  les  amateurs 
e  bons  contes  espèrent  le  voir,  un  de  ces  jours,  ressuscité... 

Une  Population  rurale  sous  Vancien  régime.  —  Je  louf  rai  sans  restriction  cet 
ingénieux  essai.  Il  serait  à  souhaiter  que  dans  nos  provinces  du  Centre,  en  Nivernais 
particulièrement,  des  lettrés  chercheurs,  zélés^  sagaces,  occupassent  leurs  loisirs  à 
pareille  élude.  Recueillir  avec  soin  les  traditions,  rechercher  tous  les  documents 
locaux  (il  en  existe  toujours),  fouiller  dans  les  archives  particulières  ou  officielles, 
coordonner  et  comparer  les  résultats  obtenus,  voilà  ce  qu'il  faut  pour  exhumer  notre 
vieille  histoire  régionale  de  la  poussière  où  elle  est  endormie  depuis  des  siècles  et  la 
faire  revivre.  Chaque  trouvaille  procure  au  chercheur  des  jouissances  exquises.  Et 
ce  nous  serait  une  fête,  à  nous  les  profanes,  d'applaudir. 

A  force  de  patience  et  d'obstination,  Joseph  Ageorges  est  parvenu  à  reconstituer 
l'histoire  documentée  de  Vic-Exemplet,  un  village  perdu  en  Bas-Berry.  Il  y  a  si  bien 


a08  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

réussi  que  la  lecture  de  son  livre  une  fois  commencée,  on  va,  sans  s*en  dooter, 
jusqu'au  bout.  Pour  atteindre  ce  but,  le  jeune  écrivain  a  su  mettre  à  coniritHilioa  ks 
vieux  papiers  les  plus  rébarbatifs. 

Ce  délicat  labeur  ne  fait-il  pas  songer  au  butin  des  «  blondes  avelles  -  dont  parie 
Maître  Ronsard,  poète  vendômois  ? 

Et,  dit  Montaij^iie,  •  les  abeilles  pillotent  de  çà  de  là  les  fleurs  ;  mais  elles  en  Ibnt 
aprez  le  miel  qui  est  tout  leur  ;  ce  n*est  plus  thym,  ny  maijolaine  •.     Louis  Boclé 


NOTES   ET  ÉCHOS 


,\  Dernières  conférences  de  la  Société  d'enseignement  populaire  :  16  mars, 
M.*  Ed.  Michel-Nozières,  ancien  élève  et  lauréat  de  lï)cole  supérieure  de  commerte 
du  Havre  :  Uhi$ioire  du  commerce^  conCérence  fort  intéressante  et  très  appUodie.  — 
22  mars,  M.  Bourgoing-Dumonteil,  avocat  à  Paris,  a  parlé  sur  Schttbert,  ta  vie  et 
son  œuvre.  Plusieurs  artistes  de  mérite  ont  exécuté  brillamment  des  morceaux 
du  maître. 

,%  M.  Jean  Imbart  de  la  Tour  est  nommé  auditeur  de  l^*  classe  au  conseil  d'Etat 

.\  Obsèques  le  12  avril,  a  Orcy-la-Tour ,  de  M.  le  docteur  Léon  Ramage 
(50  ans)  ;  —  le  14  avril,  à  Saint-Hilaire,  de  M.  le  comte  de  Qiamps  de  Saint-Léger 
(81  ans). 

/.  Sur  la  proposition  de  TÂcadémie  de  médecine,  une  médaille  de  bronze  a  é^ 
décernée  à  M.  le  docteur  Dezautière,  de  La  Machine,  pour  son  travail  :  Une  épidémie 
d'angine  laryngée  œdémateuse. 

,*,  La  Revue  Bourdaloue  (Paris,  15  rue  de  C^uny  ;  Lille,  rue  Nationale,  77), 
a  'choisi  notre  collaborateur  Lucien  Jeny,  comme  rédacteur-correspondant  pour 
Bourges,  ville  natale  de  Tillustre  orateur  chrétien.  M.  Jeny  publie  dans  ce  périodique 
divers  documents  inédits  ou  peu  connus,  relatif^  à  l'état  civil,  à  la  famille,  à  la 
jeunesse,  etc.,  de  Bourdaloue. 

Depuis  1902,  M.  Jeny  est  également  rédacteur-correspondant,  pour  rarrondissement 
de  Bourses,  de  la  revue  illustrée  la  Pensée^  littéraire,  artistique,  décentralisatrice 
(Paris,  23,  rue  de  la  Collégiale  ;  Belfort,  14,  rue  Yauban). 

/.  Le  18  avril,  pour  fêter  le  vingt-deuxième  anniversaire  de  la  fondation  de 
V Aiguillon,  les  Nivernais  de  Paris  ont  donné  une  soirée  musicale  et  littéraire. 
En  rabsence  du  président,  M.  Ed.  Bornet  (de  llnstitui),  éloigné  par  un  deuil  de 
famille,  le  toast  a  été  porté,  en  termes  cordiaux  et  chaleureux^  par  notre  excelient 
statuaire  Ëm.  Boisseau.  Pour  remercier  les  artistes  qui  prêtaient  leur  concours  à 
cette  soirée,  Dalligny  a  prononcé  une  de  ces  fines  allocutions  qu'il  sait  si  bien  im- 
proviser. —  Belle  et  bonne  soirée.  L.  D. 

Le  Directeur-Gérant^  Achille  Hillien. 


H9vr9,  tm^.  0.  Vêétttrê, 


CONTES  A  MES  ENFANTS 


XI.  —  LA  MAISON  AUX  HIRONDELLES 


A  Mme  L.  de  F. 

'EST  en  1878,  si  je  ne  me  trompe,  que 
Chrislian-Agénor-Maximilien  baron  de 
la  Gravelière,  révoqué  de  la  hante  fonc- 
tion qu'il  occupait  à  la  cour  de  Z...  — 
il  avait  servi  la  France  sous  l'Empire 
et  ne  craignait  pas  d'afficher  des  cro- 
yances surannées  en  allant  à  la  messe, 
—  fit  retraite  sur  ses  terres  pour  y 
planter  ses  choux  et  mener  désormais  la  vie  de  propriétaire  cam- 
pagnard... 

En  arrivant  à  la  Gravelière,  il  trouva  son  logis  en  fâcheux  élat  :  le 
vieux  manoir,  vide  d'habitants  depuis  plus  de  trente  années,  avait  subi 
le  sort  des  maisons  laissées  aux  mains  d'un  homme  de  confiance  ;  à 
dire  vrai,  il  tenait  encore  debout,  mais  si  peu!...  Et  quelle  ruine  à 
rintérieur,  juste  ciell... 

Toutes  les  bestioles  qui  profitent  de  l'absence  des  êtres  humains 
pour  pulluler  en  liberté  y  avaient  élu  domicile...  Un  couple  de  chouettes 
nichait  dans  une  lézarde  du  pignon,  sous  la  haute  charpente  en  cœur 
de  chêne  ;  dans  les  chambres  désertes,  les  souris  dansaient  des  sara- 
bandes folles  ;  entre  les  poutrelles  des  vieux  plafonds  à  la  française, 
les  araignées  avaient  tissé  d'innombrables  toiles  ;  le  long  des  murs  qui 
pleuraient,  les  papiers  décollés  pendaient  lamentablement  et  les  pièces 

0 


2U)  nKVL'E  DU   NIVERNAIS. 

exhalaient  celte  odeur  fade  de  renfermé  et  de  moisi  qu'on  respin* 
dans  les  demeures  abandonnées... 
Le  baron  mit  son  régisseur  à  la  porte  et  les  ouvriers  dans  la  maison. . 
Par  les  fenêtres  et  les  portes  largement  ouvertes,  Tair  et  la  lumière 
entrèrent  à  flots  vivifiants  ;  pendant  des  semaines,  Jacques  et  Mariette, 
un  de  ces  ménages  d'honnêtes  serviteurs  qu'on  trouve  encore  dans  nos 
campagnes,  travaillèrent  fiévreusement  à  mettre  tout  en  état,  lavant, 
essuyant,  frottant  les  plafonds  et  les  parquets,  balayant,  avec  les  plâtras 
des  maçons  et  les  copeaux  du  menuisier,  la  poussière  et  les  débris  de 
toutes  sortes  qu'accumulent  le  temps,  —  et  l'abandon,  pire  que  le 
temps...  Les  meubles,  les  objets  familiers  rendirent  la  vie  aux  appar- 
tements déserts  ;  petit  à  petit,  la  vieille  maison  retrouva  son  aspect  et 
son  âme  de  foyer... 

C'était  au  printemps,  la  saison  délicieuse  des  fleurs  et  des  nids...  Les 
hirondelles  revenaient  en  foule  de  leurs  voyages  aux  pays  lointams  do 
l'éternel  soleil;  par  centaines,  elles  tournoyaient  autour  du  chàteai, 
décrivant  en  l'air  leur*  paraboles  enchevêtrées,  avec  ce  cri  bizarre  qui 
semble  toujours,  tant  leur  vol  est  rapide,  fuir  à  nos  oreilles  et  s'étein- 
dre en  un  sifflement  lointain.. < 

Par  la  porte  ouverte  du  vestibule.  Tune  d*elles  entra,  qui  cherchait 
une  place  où  bâtir  son  nid.,.  Elle  explora  la  pièce,  voletant  à  petits 
coups  dans  cet  espace  trop  étroit  pour  l'essor  de  ses  ailes,  sortil,  îit 
deux  ou  trais  tours  au-dessus  de  la  pelouse,  comme  uo  capitaine 
en  recounaissance,  entra  de  nouveau,  ressortit  encore,  puis  revint, 
accompagnée  celte  fois  d'une  seconde  hirondelle... 

C'était  un  do  ces  heureux  ménages  où  chacun  des  époax  a  le  droit 
de  donner  son  avis,  où  les  décisions*  graves  ou  légères»  se  prennent 
en  commun  et  d'un  muluel  accord,  —  après  des  concessions  récipro- 
ques s'il  en  est  besoin... 

11  y  eut  entre  les  deux  oiseaux  un  conciliabule  affairé,  une  sorte  de 
conseil  de  famille  :  sous  la  grosse  poutre  du  vestibule,  contre  le  mur  de 
refend,  une  encoignure  offrait  un  emplacement  propice  ;  la  maison 
avait  bon  aspect,  les  habitants  Tair  de  braves  gens...  Le  couple  jugea 
qu'il  serait  là  tout  à  fait  tranquille,  à  Tabri  de  Faigre  bise  qui  souffle 
des  montagnes  du  Morvan  ou  des  pluies  d'orage  qu'amènent  les  lourdes 
chaleurs  de  1  été,  hors  de  lalteinle  des  hèles  carnassières  et  desmé^hanU 
gamins,  ravisseurs  vi  bourreaux  des  oiselets  nus  et  san^»  plumes.. . 


REVUE  DU  niVËUNAIS.  211 

L'accord  conclu,  les  époux,  sans  plus  tarder,  se  mirent  en  quête  : 
dans  les  allées  du  jardin  ou  la  cour  du  domaine  a  jouxtant  ))  la  maison, 
au  bord  de  Tabreuvoir  de  la  prairie  voisine,  sur  le  chaume  lépreux 
d'une  vieille  masure  qui  servait  de  resserre  aux  outils  du  jardinier,  Us 
trouvèrent  sans  peine  les  frêles  matériaux  nécessaires  à  leur  ouvrage... 
Il  faut  si  peu  ^e  chose  pour  faire  un  nid  :  de  la  glaise,  quelques  menus 
brins  d'herbe  ou  de  mousse,  un  peu  de  duvet  semé  par  le  vent. . .  Tout 
doucement,  sous  Tencoignure  de  la  grosse  poutre,  le  nid  d'amour  et 
d'espérance  s'ébaucha  en  un  fragile  bâtis... 

Le  couple  avait  compté  sans  Mariette  ;  un  moment  vint  où  les 
regards  de  la  propre  et  soigneuse  ménagère  aperçurent  là-haut  — 
abomination  de  la  désolation  !  —  un  petit  amas  de  boue  grisâtre 
faisant  tache  sur  la  blancheur  immaculée  du  plâtre  neuf.  Vite  elle 
appela  son  homme,  lui  montra  le  dégât  et  Jacques,  monté  sur  une 
échelle,  se  mettait  en  devoir  de  jeter  à  terre  le  fragile  édifice  à  peine 
commencé,  lorsque  le  baron  entra,  attiré  par  le  bruit. 

L'ancien  magistrat  avait  dans  Tâme  un  grain  de  poésie  et  le  faible 
d'aimer,  d'un  cœur  attendri,  les  enfants,  les  fleurs,  les  bêtes,  tout  ce 
qui  chante,  tout  ce  qui  vole,  tout  ce  qui,  dans  la  grande  nature  du 
bon  Dieu,  a  de  la  grâce  et  du  charme  ;  il  admirait  dans  les  plus  clié- 
tives  créatures  l'œuvre  divine  et  ne  supportait  pas  qu'on  fit  souffrir  les 
bêtes  inoffensives,  qui  ne  font  de  mal  à  personne... 

Il  intercéda  pour  les  coupables  ;  bien  mieux,  il  donna  Tordre  qu'on 
leur  permît  d'achever  leur  ouvrage  : 

—  Descendez  de  votre  échelle,  Jacques...  Laissez,  ma  bonne 
Mariette...  II  faut  que  tout  le  monde  vive...  Les  hirondelles  portent 
bonheur  aux  maisons  où  elles  font  leurs  nids. 

Cependant  le  couple  effarouché  volait  à  tire  d'ailes  autour  du  châ- 
teau avec  des  cris  de  douleur  et  d'effroi,  revenait  devant  la  porte,  pour 
voir,  repartait  sans  oser  rentrer,  avec  tout  ce  monde...  Après 
quelques  minutes,  une  des  hirondelles  se  risqua  dans  le  vestibule 
redevenu  désert,  constata  l'état  du  nid,  appela  sa  compagne... 

Il  y  eut  entre  les  deux  époux  un  nouvel  échange  de  vues,  une  dis- 
cussion émue  et  bruyante,  mais  courtoise  comme  il  sied  dans  un  bon 
ménage...  Pouvaient-ils  continuer  le  nid  au  même  endroit?  Devaient- 
ils  chercher  un  abri  plus  sûr  ?  L'entente  se  fit  sur  le  premier  point  : 


212  UEVUE    DU   NIVElîNAIS 

derechef  les  oiseaux  partirent  en  quête,  revinrent  avec  la  mous>c  cl 
le  ciment  de  leur  bâtisse...  Peu  à  peu  le  nid  s'acheva. 

Dans  ce  nid  la  mère  pondit  ses  œufs,  les  couva  sous  la  chaleur  de 
ses  plumes  :  un  jour,  on  put  entendre  le  gazouillis  d'oiselets  frais 
éclos,  les  piaulements  affamés  de  larges  becs  tendus  vers  le  bec  mater- 
nels... Après  quelques  semaines,  les  petits,  devenus  grands,  s'envo- 
lèrent à  leur  tour  ;  aux  premières  fraîcheurs  de  Paulomne,  ils  gagnèrent 
d'autres  climats,  bien  loin  du  berceau  natal. 

Vous  pensez  que  l'éducation  de  la  couvée  n'alla  pas  sans  murmure> 
de  la  part  de  Jacques  et  de  Mariette.  Les  raisons  ne  manquaient  point: 
d'abord  les  vestibules  sont  faits  pour  les  chrétiens  et  non  pour  h*> 
oiseaux.  Et  puis,  vous  ne  pouvez  pas  savoir  comme  les  hirondelles 
sont  matinales  :  avant  la  fine  pointe  du  jour,  quand  le  clairon  do  o^ 
n'a  pas  encore  sonné  le  réveil,  elles  sont  déjà  dehors,  à  la  poursuite 
des  moucherons  et  des  insectes  de  nuit.  Ne  fallait-il  pas,  dés  la  pre- 
mière heure  se  lever  pour  ouvrir  la  porte  —  fermée  chaque  soir  — 
aux  parents  impatients  d'aller  quérir  la  provende  de  leurs  petits? 
Bien  que  Uve-tôt  comme  tous  les  gens  de  campagne,  Jacques  s'acquit- 
tait de  cette  besogne  en  pestant  contre  les  maudites  bestioles. 

Ce  que  voyant,  M.  de  la  Gravelière  se  chargea  chaque  matin  d'ou- 
vrir la  porte  à  ses  oiseaux  ;  les  vieillards  dorment  moins  que  les 
jeunes  gens  ;  il  n'avait  plus,  à  son  âge  besoin  de  beaucoup  de  sommeil 
et  sa  chambre  touchait  au  vestibule... 

On  dit  que  les  hirondelles,  après  leurs  migrations,  reviennent  au 
pays  natal.  Ce  qu'il  y  a  de  sur,  c'est  que,  l'année  suivante,  il  y  eut, 
non  pas  un,  mais  deux  nids  sous  la  poutre  du  vestibule  et  que  deui 
couples  d'hirondelles  y  élevèrent  paisiblement  leurs  petits,  en  dépit  de 
Jacques  et  de  Mariette.  L'année  d'après,  il  y  en  eut  quatre  —  pas  un 
de  moins  —  sans  compter  tous  ceux  qui  garnissaient  les  fenêtres  à 
l'extérieur  du  château. 

On  en  causa,  les  voisins  s'étonnèrent  ou  sourirent;  d'aucuns  firent 
au  baron  la  réputation  d'un  original,  —  c'est  ainsi  que  souvent  le 
mm\\v  traîlii  les  poules;  —  dans  le  pays,  la  GravtjUèrâ  fut  apiJCto  li| 
maison  nn\  hirondelles. 

Dépendant,  nui I gré  le  dicton  populaire,  les  hlrotidellei  fi^p 
talent  jiulnt  le  bonheur  promis... 

Maïs,  direx-vousi,  que  potivall-il  manquer  an  baron  pour  étn 
rallnmonl  heureux? 


REVUK  DU   NIVEUNAIS.  213 

Je  sais  bien  :  sa  vie  s'écoulait  calme  et  paisible  entre  ses  fleurs  et 
ses  livres,  au  milieu  des  multiples  occupations  que  donne  un  «  faire 
valoir  »  et  des  relations  de  bonne  amitié  entretenues  avec  ses  voisins. 
Sans  être  fort  riche,  il  avait  de  larges  revenus,  plus  que  suffisants  pour 
ses  goûts  simples.  Malgré  soixante-dix  ans  sonnés,  il  conservait  bon 
pied,  bon  œil,  pouvait  chasser  tout  une  après-midi  sans  éprouver,  le 
soir,  d'autre  fatigue  que  le  besoin  de  gagner  son  lit  de  bonne  heure, 
après  souper.  Voilà  de  quoi  passer,  aux  yeux  du  vulgaire,  pour  un 
homme  à  qui  la  vie  est  douce. 

Eh  bien,  avec  tout  cela  et  peut-ôtre  à  cause  de  tout  cela,  M.  de  la 
Graveliëre  gardait  au  fond  du  cœur  un  chagrin  dont  il  s'ouvrait  parfois 
à  ses  intimes.  —  De  son  mariage,  depuis  longtemps  brisé  par  la  mort, 
il  avait  un  fils,  retenu  au  loin  par  sa  carrière.  Son  dernier  souhait  était 
de  marier  Jean  avant  de  mourir...  et  de  devenir  grand-père...  Je  vous 
ai  dit  qu'il  aimait  les  enfants  et  quel  vieillard  ne  rêve  d'enfants  blonds 
et  roses  qui  seront  à  lui,  feront  leurs  premiers  pa3  sur  Therbe  du  jar- 
din, grimperont  à  l'assaut  de  ses  genoux  en  l'appelant  bon  papa  et 
rempliront  de  mouvement  et  de  bruit  la  maison  morne  ?.. 

Mais  Jean  se  montrait  rebelle...  Lorsqu'à  l'époque  des  vacances,  il 
venait  à  la  Gravelière  passer  les  quelques  semaines  de  son  congé, 
c'étaient  entre  le  père  et  le  fils,  quand  ils  prenaient  le  frais,  le  soir, 
sur  la  terrasse  ou  sous  le  grand  cerisier  de  la  pelouse,  des  propos  dans 
le  genre  de  ceux  ci  : 

—  Ne  me  donneras-tu  pas  une  fille  et  des  petits-enfants  à  aimer  ?  Il 
se  fait  tard  et  j'approche  du  terme...  Me  faudra-t-il  partir  sans  la  joie 
de  te  savoir  heureux,  la  douceur  de  regarder  grandir  autour  de  moi 
ceux  dont  Texistence  doit  prolonger  la  n6tre?  La  vie,  mon  Jean,  en 
dehors  de  ses  fins  dernières,  n'a  pas  d'intérêt  plus  puissant  et  de  plus 
noble  but  que  de  continuer  la  famille  en  des  âmes  nouvelles...  Vois  ces 
oiseaux:  se  font  ils  tant  prier  pour  accomplir  l'œuvre  de  Dieu?... 
Trouve-moi  vite  une  hirondelle  et  faites  ici  votre  nid... 

—  Rien  ne  presse,  mon  père.  Le  mariage  est  chose  grave,  on 
trouve  rarement  ce  que  Ton  cherche,  et  parmi  toutes  les  hirondelles  à 
marier  que  je  rencontre  sur  mon  chemin,  je  ne  vois,  à  dire  le  vrai, 
point  de  bru  qui  vous  convienne... 

Et  le  temps  coulait...  Les  années  s'amassaient  une  à  une  sur  la  tête 
de  l'ancien  magistrat  —  sur  celles  aussi  de  Jacques  et  de  Mariette  — 


214  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

sans  que  rien  autre  changeât  dans  la  vieille  demeure.  Ce  n'était  plus  un 
secret  pour  le  voisinage  que  M.  de  la  Gravelière  «  languissait  >  du  désir 
de  marier  son  flls,  et  Mariette  disait  volontiers  aux  visiteurs  : 

—  Ah  !  si  nous  pouvions  marier  notre  jeune  monsieur  !... 

En  quoi  elle  était  louable,  la  bonne  Mariette  :  d'ordinaire,  le- 
domestiques  habitués  à  régenter  une  maison  ne  désirent  point  une 
a  jeune  dame  »  q:ii  vienne  changer  les  habitudes  et  souvent  aussi  lt> 
vieux  visages...  Mais  quand  on  vieillit  au  service  d'un  bon  maître,  on  est 
de  la  Tamille... 

...  Ce  que  je  viens  de  vous  conter  est  déjà  une  vieille  histoire 
presque  oubliée...  Un  jour  —  tout  vient  à  point  à  qui  sait  attendre, 
même  les  brus  —  Jean  a  trouvé  son  hirondelle,  rara  avU,  c'est  le  cas 
de  le  dire,  et  son  père  est  d'accord  avec  lui  pour  reconnaître  qu'il  ne 
pouvait  mieux  choisir...  Depuis  déjà  cinq  ans,  le  baron  est  heureux, 
complètement  heureux  ;  il  ne  désire  plus  rien  ;  son  rêve  est  réalisé  et 
au  delà  :  il  a  trois  petits-fils,  de  beaux  garçons  qui  promettent  de 
devenir  des  gaillards... 

L'autre  jour,  lors  d'une  visite  que  je  faisais  à  la  Gravelière,  je  le 
trouvai  sur  la  terrasse,  entouré  de  tous  les  siens  ;  il  avait  l'air  joyeux 
de  vivre,  ferme  et  droit  sous  ses  quatre-vingts  ans,  dans  la  sérénité  de 
sa  verte  vieillesse  couronnée  sur  le  tard... 

C'était  la  première  belle  journée  de  la  saison...  Sur  la  pelouse,  le 
grand  cerisier,  couvert  de  milliers  de  fleurs,  ressemblait  à  un  gigan- 
tesque bouquet  de  mariée...  De  l'autre  côté  de  la  plaine,  laforêlde 
hêtres  était  toute  rose  sous  ses  bourgeons  près  d'éclater...  Les  prime- 
vères sauvages  —  les  coucous,  comme  on  les  appelle  vulgairement, 
qui  font  aux  enfants  de  si  jolies  balles  —  dressaient  leurs  grappillons 
d'or  pâle  à  travers  le  gazon. 

Tout  en  causant  de  choses  et  d'autres,  je  regardais  les  hirondelles 
qui,  de  leurs  allés  coupantes,  fendaient  l'air  comme  des  flèches  au- 
dessus  de  nos  tètes,  slrianL  le  bleu  profond  du  ciel,  et  je  vi*  qu'dlri 
uniraient  et  sortaïent,  comme  autrefois,  par  la  porte  du  vejitibaiflv,, 

M.  dL)  la  Gravelière  aperçut  mon  regard;  il  eut  sur  les  lèrresc- 
sourire  heureux  et  doux  dis  vieilles  gens  à  qui  plus  rien  ïwî  mtfiqii»^ 

—  Mon  Dieu,  oui,  c'est  toujours  la  maison  aux  birondelles,**  ÎAtii 
voyez,  mon  cher  voisin,  que  j\ni  fait  une  i*rilrée  dans  le  nomtiiï 
Irïtimenl  —  un  hall,  comme  dû  dit  âiyourdlmi  —  d  cp^i»  \*tm^ 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  215 

vestibule  ne  sert  plus.  Il  est  abandonné  aux  hirondelles  qui  continuent 
d'y  faire  leurs  nids.  Je  devais  bien  cela  —  le  vieillard  s'inclina  vers  sa 
belle-fille  avec  une  grâce  touchante  —  à  ces  messagères  de  bonheur, 
pour  celui  qu'elles  ont  apporté  à  la  vieille  maison... 

Et  je  pensai  que,  décidément,  Christian-Maximilien-Agénor  baron 
de  la  Gravelière  sera  toute  sa  vie  un  incorrigible  poète. 

François  Moireau 


LES  MARGUILLIERS 

Sous  la  nef,  entre  deux  piliers, 
Au  banc  d'œuvre  mélancolique, 
Dorment  en  rang  les  marguilliers, 
Sur  leur  banquette  académique. 

Après  de  beaux  petits  saints, 
Dans  la  plus  grande  politesse, 
Pondérés  comme  des  élus, 
Ils  s'assoupissent  pour  la  messe. 

Tout  pareils,  le  chef  recouvert, 
A  des  chanoines  sans  douillettes, 
Noël  les  trouvant  en  hiver 
Les  prend  pour  des  saints  à  lunettes  ; 

Et  Pâques  pour  des  sénéchaux. 

Auxquels  on  vient  porter  les  armes  ; 

Les  anges  bouffis  des  vitraux 

Croient  voir  en  eux  leurs  vieux  gens  d'armes. 

Saint  Yves  les  a  rencontrés 
Parmi  les  clercs  de  la  chicane  ; 
Saint  Joseph  chez  de  vieux  curés 
Ayant  oublié  leur  soutane. 

François  rit  aux  petits  oiseaux 
Qu'il  a  rencontrés  près  d'Assise  : 
«  Ils  ne  font  pas  peur  aux  moineaux, 
»  Ce  sont  des  bonshommes  d'église.  » 

On  en  jase  dans  le  clocher, 

Vers  la  cité  de  l'hirondelle  : 

«  Mais  rien  qu'en  les  voyant  marcher, 

>  Ce  sont  nos  cardinaux,  ma  belle.  » 

D'un  sourire,  le  révérend 
A  fait  des  chaises  la  conquête  ; 
Le  suisse,  d'un  coup  déférent. 
Vient  le  réveiller  pour  la  quête. 


216  R£VUE  DU  NlVElUfAiS. 

Mais  tout  tremblant  de  son  sermon, 
En  face,  le  petit  vicaire. 
Sur  un  plissement  de  son  front. 
Se  laisse  tomber  de  la  chaire. 

Et  rêvant  aux  beaux  pains  bénits, 
Lenfant  de  chœur,  petit  mioche. 
Voit  un  saint  chauve  au  paradis 
Dans  un  gros  morceau  de  brioche. 


Françoise  d'Husselles. 


GUSTAVE  MATHIEU 

(Suite) 

Les  littérateurs  qui  fréquentaient  les  cafés  des  boulevards,  où  se 
réunissait  la  jeunesse  libérale,  connaissaient  tous  G.  Mathieu.  Hais 
cela  pas  tant  à  cause  de  ses  œuvres  qu*à  cause  du  plaisir  qu'ils  avaient 
à  récouter.  S'il  chantait  absolument  faux,  —  non  pas  ses  propres 
chansons,  car,  avec  une  franche  modestie,  il  vous  chantait  une  chanson 
de  Pierre  Dupont  lorsque  vous  réclamiez  Tune  des  siennes,  —  il  avait 
Tart  de  bien  dire,  le  trait  juste  et  Tenthousiasme  sincère,  obéissant 
toujours  à  l'inspiration  qui  le  poussait,  sans  calcul  ni  arrière-pensée. 

Qu'on  me  pardonne  une  comparaison  :  il  y  eut,  sous  l'ancien  régime, 
des  gens  qui,  de  toutes  les  façons,  dépensaient  leur  esprit  dans  la  rue 
ou  le  répandaient  dans  les  salons,  enfants  chéris  de  la  chanson,  du 
cabaret  et  de  la  bonne  chère.  Plusieurs  fuient  de  l'Académie,  dont  pas 
une  ligne  n'a  été  tirée  de  lablme. 

A  la  fin  du  second  Empire,  un  des  lieux  où  se  réunissaient  les 
dépensiers  de  bonne  humeur,  de  bons  mots  et  de  paradoxes,  était  le 
café  de  Madrid.  G.  Mathieu  le  fréquentait.  C'est  là  qu'il  dépensait  son 
esprit  au  jour  le  jour  et,  qu'avant  tout  à  cause  de  son  esprit,  il  fut  reçu 
de  cette  académie  très  libre,  flottante,  plus  brillante  que  féconde,  qui 
compta  nombre  de  gens  destinés  à  se  faire  un  nom  dans  la  poli- 
tique. 

De  ses  boutades,  qu'il  y  prodigua,  et  de  ses  traits  d'esprit,  on  n'a  pas 
ramassé  les  fragments,  pour  les  coudre  ensemble  et  les  coller  dans  un 
livre,  comme  cela  fut  fait  pour  d'autres,  mais  l'éditeur  Charpentier  a 
recueilli  en  un  volume  les  quelques  pièces  de  vers  de  G.  Mathieu.  Le 
mérite  de  cette  œuvre  doit  suffire  pour  tirer  son  nom  de  l'oubli  et  le 


UEVUE   DU   NIVERNAIS. 


in 


fixer  dans  le  souvenir  des  gens  qui  étudieront  l'histoire  littéraire  de  la 
première  partie  de  la  seconde  moitié  du  siècle  dernier. 

Nous  dirons  comment  des  écrivains  qui  ont  connu  G.  Mathieu  ont 
peint  sa  physionomie  originale;  mais  disons  d'abord  quel  souvenir  il  a 
laissé  dans  l'esprit  des  siens.  Sa  sœur,  M^^''  Emilie  Mathieu,  qui  est 
poète  aussi,  a  écrit  ces  vers  :  G.  Mathieu  n'est  plus  l'habitué  du  café  de 
Madrid,  mais  le  frère  dévoué,  ivre  de  grand  air,  heureux  de  se  trouver 
au  milieu  des  champs,  au  Monceau,  près  de  Marzy. 

C'était  un  soir  d'avril,  tiède,  clair  et  charmant. 

Au  jardin,  nous  marchions  tous  les  deux,  lentement. 

Mon  frère  dit  soudain:  «  Vois-tu,  ce  mur  m'agace! 

»  Viens,  sortons:  il  me  faut  de  l'air  et  de  l'espace  »., 

«  Je  vais,  dis-je,  fermer  la  maison  ».  —  «  Pas  besoin! 

»  Ils  dorment  tous,  fit- il,  et  nous  n'irons  pas  loin  ». 

•  —  Au  moins,  prenons  la  clef!  —  Non,  non,  viens!  »  U  insiste. 

Bref,  il  s'entête  et  moi,  faiblement,  je  résiste. 

Crac!  il  ouvre  la  porte  et,  sur  b  vert  chemin, 

n  m'entraîne  et,  joyeux,  nous  nous  donnons  la  main. 

C'est  si  doux  de  marcher  à  côté  de  son  frère  ! 

Surtout  de  celui-là  dont  j'étais  un  peu  fiére  ! 

Je  l'aimais  tant!./,  et  puis  il  disait  tout  si  bien 

Qu'on  l'aurait  écouté  du  soir  jusqu'au  matin  î 

De  l'entendre,  jamais  je  ne  me  suis  lassce  ; 

Comme  il  savait  traduire,  imager  sa  pensée  ! 

Bien  que  l'on  n'eût  pas  vu  ce  qu'il  vous  décrivait, 

Dans  l'esprit  aussitôt  le  tableau  se  gravait. 

Tout  en  marchant,  il  dit  en  riant  :  «  Entêtée, 

Pour  t'amener  ici,  l'ai-je  sollicitée  ! 

En  as-tu  du  regret  ?  Quelle  nuit  !...  que  c'est  beau  ! 

Ça  s'est  vu  bien  des  fois  et  c'est  toujours  nouveau. 

Je  ne  me  trompe  pas...  Oui,  voilà  les  rainettes 

Redisant  sans  répit  leurs  folles  chansonnettes  ; 

La  grenouille  s'en  mêle...  écoute:  l'on  entend 

Dans  le  lointain  son  ûcre  et  dur  coassement  ; 

Voilà  maître  crapaud  qui  donne  la  réplique 

D'un  ton  d'harmonica,  doux  et  mélancolique  ; 

Et  puis  l'ami  grillon  qui  veut,  dans  un  chant  clair. 

Nous  dire  gentiment  aussi  son  petit  air. 

Tiède  brise,  parfums,  ciel  brillant,  harmonie, 

Tout  nous  est  prodigué.  Dieu  !  que  c'est  bon,  la  vie  I  ! 

Par  ma  foi,  c'est  complet,  faut  en  faire  l'aveu 

La  nature,  ce  soir,  a  tiré  son  grand  jeu. 

Et  penser  que  des  gens  s'accroupissent  dans  l'àtre 

Ou  bien  que  des  idiots  s'entassent  au  théâtre  1 

Pour  de  faux  claire  de  lune,  ils  vont  à  l'Opéra, 

Quand,  sans  payer  leur  place,  ils  pourraient  venir  là, 

Et  voir  ce  ciel  rempli  d'étoiles  scintillantes, 

Respirer  les  parfums  dos  herbes  odorantes. 

Les  triples  sots!...  n  Et  moi,  partageant  son  courroux. 
Je  di.«*ais:  «  La  nature  est  en  félo  pour  nous.  9* 


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REVUE  DU   NIVERNAIS.  211) 


Noire  voisin  Jean  Rameau,  poète-subolicr  berrichon,  maître  cornemu- 
seux,  adresse  les  vers  suivants  à  notre  excellente  collaboratrice  : 

A  M"^^  Eugénie  Casanova,  à  Montifault, 

J'eum'rons  toujou  vont*  grand'  fij^ur", 
Vont*  jrrand  nom  qu'sra  in  nom  beriiaud, 
Qir  nous  dit  les  marveilles  de  l'en  lliaiil 
El  d*bi  helTs  chons's  de  la  naliir'. 

Nos  dmes  que  pernons  norritur' 
Dans  vos  couplets  si  cran 's,  si  biaux, 
Coumm'  fasons  tous  les  petits  oisiaux 
Qu'charchons  ieu  vie  dans  la  bouch*ture, 

Gé  aux  soirtées  des  ch*tits  hivers, 

L'iong  d*in  bon  feu  d*morciaux  d'bois  vert 

Que  j'fasons  dans  la  grand  ch'minée, 

Bounn*  gens,  qu'  j*eumons  donc  lir'  vos  vers, 
Quand  qu*  j'avons  fini  nout*  jornée, 
Ça  nous  fait  oblier  nos  r*vers. 

Jean  Rameau. 


RÉPONSE  A  JEAN  RAMEAU,  POETE  BERRIAUD 

Ail  !  n'oubliez  donc  rien  !  —  le  travail  est  sacré, 

L'auleur  de  tous  les  arts,  le  maître  vénéré, 

Celui  de  qui  naît  tout,  car  le  bonheur  suprême 

Est  de  nourrir  Tesprit  ainsi  que  ceux  qu'on  aime! 

Au  moment  du  repos,  plus  doux  est  le  loisir 

Quand  sous  vos  doigts  (1),  charmé,  paraîtra  le  plaisir! 

Poète  du  Berry,  chantez,  chantez  encore 

Le  travail,  —  ce  bienfait  que  Dieu  donne  à  l'aurore. 

Eugénie  Casanova, 
de  Montifault, 

(i)  Allusion  au  talent  de  musicien  du  poète  J.  Rameau. 


220  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

LA  PRONONCIATION  DU  LATIN  CLASSIQUE 

Les  romanisles  distinguent,  après  les  auteurs  latins  eux-mêmes, 
deux  espèces  de  latin  :  le  latin  classique  sermo  nrbanus  et  le  latin 
populaire  nenno  plebejus.  Nous  ne  dirons  rien  des  origines  du  latin 
vulgaire,  ni  de  ses  rapports  avec  la  langue  classique.  La  question  a  été 
souvent  traitée,  et  nous  renvoyons  les  lecteurs  au  livre  de  George 
Molli  :  ïnlvoduclion  à  la  chronologie  du  lalin  vulgaire  il).  Tout  le  monde 
sait  que  le  latin  vit  encore  aujourd'hui  dans  les  langues  romanes.  Il 
faut  même  avouer  qu'il  jouit  à  l'heure  actuelle  d'une  merveilleuse 
santé,  puisque  le  français,  le  provençal,  l'italien,  l'espagnol,  le  portu- 
gais et  le  roumain  sont  des  langues  littéraires  qui  ont  produit  d'im- 
mortels chefs-d'œuvre  et  en  produiront  longtemps  encore.  Peu  importe 
les  causes  qui  ont  amené  cette  diversité  de  langues,  toujours  est-il  que 
nous  reconnaissons  dans  cette  merveilleuse  variété  d'idiomes,  si  nous 
remontons  à  vingt  siècles  en  arrière,  une  même  syntaxe  et  un  même 
vocabulaire.  Or,  un  des  facteurs  principaux  de  cette  évolution  variée 
du  langage,  c'est  assurément  la  prononciation.  On  sait,  en  effet,  que 
les  sons  d'une  langue  sont  l'élément  le  plus  mobile  et  le  plus  chan- 
geant. La  morphologie,  le  vocabulaire  et  la  syntaxe  participent  bien 
aussi  à  ces  changements,  mais  en  quelque  façon  dans  une  mesure 
moins  grande.  Grâce  aux  langues  romanes,  aux  inscriptions  des  pre- 
miers siècles  de  notre  ère,  aux  grammairiens  anciens,  on  connaît  à 
peu  près  la  prononciation  du  latin  populaire  à  l'époque  impériale  (2). 
Peut-on  aussi  trouver  la  prononciation  du  latin  classique,  par  exemple 
au  siècle  d'Auguste,  qui  est  Tàge  d'or  de  la  littérature  latine?  Je  dis 
au  siècle  d'Auguste,  parce  que  la  prononciation  d'une  langue  vivante, 
comme  était  alors  le  latin,  no  se  maintient  jamais  immuable.  Elle  est, 
comme  la  morphologie,  la  syntaxe  et  le  vocabulaire  de  toute  langue, 
soumise  à  des  transformations  qui,  sous  l'influence  de  causes  encore 
obscures  et  difûciles  à  déterminer,  la  font  graduellement  et  régulière- 
ment se  modifier  à  travers  les  âges.  Oui,  on  peut  trouver  la  pronon- 
ciation du  lalin  classique,  c'est-à-dire  de  l'époque  d'Auguste.  Car 

(1)  Librairie  E.  Bouillon,  1899,  Paris. 

(2)  Voir  Meyer-Lubke  :  Gramniatik  der  BarnaniS'jhen-Sprachen.  Ersler  Band  , 
Laullehre,  Leipzip,  1t90.  —  Arsène  Darmesteter  :  Cours  de  graniviahe  histo- 
rique de  la  langue  française,  première  partie  :  Phonétique. 


REVUE  DU    NIVERNAIS.  221 

personne  n*ignore  aujourd'hui  que  nous  prononçons  fort  mal  le  latin. 
Les  Anglais  le  prononcent  à  l'anglaise,  c'est-à  dire  en  donnant  à  peu 
près  aux  consonnes  et  aux  voyelles  latines  la  valeur  qu'elles  ont  dans 
leur  propre  langue  ;  les  Allemands,  à  l'allemande  ;  les  Espagnols,  à 
l'espagnole  ;  les  Italiens,  à  l'italienne.  Les  Français  surtout  dénaturent 
la  belle  langue  de  Cicéron,  d'Horace  et  de  Virgile.  Non  seulement 
dans  la  prononciation  du  latin  nous  ne  distinguons  plus  entre  les 
voyelles  longues  et  les  voyelles  brèves,  mais  encore  nous  n'avons 
aucune  idée  de  l'accent.  Les  consonnes  ne  sont  guère  mieux  traitées, 
et  nous  donnons  à  plusieurs  des  sons  qu'elles  n'ont  jamais  eus  en 
latin.  Il  semble  qu'il  serait  possible  de  rompre  avec  cette  coutume 
barbare;  il  serait  facile  même  de  lire  le  latin  assez  correctement 
et  d'adopter  à  peu  près  la  prononciation  du  siècle  d'Auguste.  Pour 
cela,  il  faut  d'abord  détruire  les  préjugés  et  réfuter  les  objections  qu'on 
peut  opposer.  Ensuite,  nous  dirons  les  avantages  immenses  qu'on  doit 
retirer  d'une  prononciation  correcte  et  uniforme  du  latin,  et  enfin 
nous  terminerons  par  quelques  règles  de  prononciation. 

Une  première  objection,  c'est  que  la  prononciation  actuelle  est  déjà 
fort  ancienne  et  qu'il  sera  difficile  de  s'en  débarrasser.  On  prononçait 
peut-être  ainsi  au  seizième  et  au  dix-septième  siècles,  et  l'on  savait  le 
latin.  Maintenant  qu'on  est  incapable  d'écrire  ou  de  parler  la  langue 
de  Cicéron,  vous  nous  demandez  de  changer  une  prononciation  consa- 
crée par  plusieurs  siècles,  adoptée  et  reçue  par  tout  le  monde.  Saura- 
l-on  mieux  le  latin  parce  qu'on  dira  dominons  avec  l'accent  sur  la 
première  syllabe  plutôt  que  dominm  accentué,  comme  nous  faisons, 
sur  la  finale  (i)? 

Je  veux  bien  accorder  que  le  latin  est  moins  connu  aujourdluii  et 
que  nous  l'écrivons  moins  facilement  qu'au  seizième  ou  au  dix-septième 
siècles.  Mais  est-ce  une  raison  pour  ne  pas  apprendre  celle  langue 
aussi  bien  qu'aux  siècles  passés  et  ne  pas  la  prononcer  plus  correcte- 
ment? Certainement,  les  humanistes  du  seizième  siècle  auraient  aimé 
à  prononcer  mieux  s'ils  avaient  pu  soupçonner  et  trouver  la  vérilable 
prononciation  du  latin  littéraire.  Or,  grâce  aux  progrès  des  éludes 
philologiques,  grâce  surtout  à  l'élude  et  à  la  comparaison  des  langues 
romanes,  nous  avons  retrouvé  maintenant  à  peu  près  la  vraie  pronon- 

(1)  Voir  la  Revue  universitaire  du  15  janvier  1902  :  De  la  prononciation  du  latin^ 
article  de  M.  À.  Sécheresse,  où  nous  avons  largement  puisé. 


222  REVUE  DV   MVERNAIS. 

cialion  du  siècle  (rAugusle.  Nous  connaissons  mieux  que  les  savants 
du  seizième  siècle  la  quantité  des  voyelles  et  des  syllabes,  la  nature 
des  consonnes  et  la  qualité  de  l'accent  latin.  Pourquoi  ne  pas  mettre 
en  pratique  ce  qu(»  nous  avons  appris?  Si  nous  reconnaissons  la  valeur 
des  lois  de  la  phonétique  et  les  découvertes  scientifiques  de  la  gram- 
maire comparée  (et  il  faut  bien  les  reconnaître  à  moins  de  fermer  les 
yeux  à  la  lumière),  pourquoi  ne  pas  conformer  notre  conduite  aux 
données  de  la  science  ?  Il  n'y  a  pas  de  préjugés  qui  tiennent,  il  faut 
abandonner  la  routine.  ISe  prononçons  plus  d'une  façon  barbare  une 
langue,  alors  que  nous  savons  la  vraie  prononciation  de  son  siècle 
d'or.  Voir  la  vérité  et  ne  point  l'embrasser,  est-ce  de  la  probité  scien- 
tifique? Rejetons  donc  ces  vêtements  d'emprunt  avec  lesquels,  nous 
Français,  nous  habillons  cette  belle  langue  latine,  pour  la  couvrir  de 
ses  riches  draperies,  de  ses  sons  graves  ou  sonores,  harmonieux  et 
variés  qui  lui  sont  propres  et  qui  la  feront  revivre  après  vingt  siècles 
écoulés.  Rendons-lui  cet  accent  musical  qui  fait  sa  beauté  et  sa  variété, 
cet  accent  qu'elle  a  perdu  presque  entièrement  dans  la  France  du 
Nord,  mais  qu'elle  conserve  encore  en  partie  en  provençal,  en  italien.» 
en  espagnol  et  dans  les  autres  langues  romanes.  Nous  pouvons  mieux 
faire  que  nos  ancêtres  ;  faisons  mieux  et  ne  nous  traînons  plus  dans 
Tornière  commune,  alors  qu'on  nous  montre  un  chemin  lumineux  et 
sûr,  et  qui  n'est  pas  plus  long  ni  plus  difficile  que  celui  que  nous 
avons  suivi  jusqu'ici. 

C'est,  en  effet,  la  seconde  objection  qui  vient  à  Tesprit.  Il  sera  dif- 
ficile, dit-on,  de  faire  adopter  cette  prononciation  par  tous  les  latinistes 
et  tous  les  professeurs,  et  plus  long  peut-être  encore  de  l'enseigner. 
Pourquoi,  au  moment  où  nous  sommes  pressés  par  le  temps,  où  les 
études  sont  déjà  si  chargées,  où  l'on  est  près  d'abandonner  le  latin, 
pourquoi  ajouter  une  nouvelle  difficulté? 

Nous  affirmons  et  nous  prouverons  bientôt,  car  nous  en  avons  fait 
l'essai,  que  ce  n'estpas  plus  difficile  ni  plus  long  d'apprendre  à  bien 
prononcer  le  latin  qu'à  le  prononcer  mal.  Comme  le  lecteur  pourra 
s'en  convaincre,  les  règles  ne  sont  pas  1res  nombreuses  ni  très  compli- 
quées. Ce  n'est  pas  plus  difficile  ni  |)lus  long  d'apprendre  aux  enfanb 
qu'il  faut  dire  partout  avec  un  g  dnv  et  avec  Taccent  sur  la  premièi-e 
syllabe  :  /^^o,  If^fjis,  ygit,  léfjimous^  h^gilis,  légounL  II  me  semble,  au 
contraire,  que  c'est  plus  logique  et  plus  facile  que  de  leur  faire  conju- 


niiVUK   DU   NIVKRNAIS  223 

giior,  contrairoinoni  an  génie  de  lu  langne  lalino,  lanlôt  avec  un  g, 
lantôl  avec  un  >.  el  toujours  avec  l'iiccent  sur  la  finale  :  lego,  lejjs^  lejii^ 
lejimus,  lejiliSy  legunt.  D'ailleurs,  les  professeurs  qui  enseignent  les 
langues  vivantes  n'apprennent-ils  pas  aux  enfants  la  vraie  prononcia- 
tion en  môme  temps  que  la  langue  elle-même.  Que  diriez-vous  d'un 
professeur  anglais  ou  allemand  qui  ferait  prononcer  à  ses  élèves  ces 
langues  à  la  française  ?  L'allemand  ou  l'anglais  parlé  à  la  française  ne 
serait  ni  de  l'allemand,  ni  de  l'anglais,  ni  du  français,  ce  serait  un 
monstre.  Il  en  est  de  même  du  latin  prononcé  comme  nous  le  faisons. 
Faut-il  donc  avoir  deux  poids  et  deux  mesures,  et  condamner  d'un 
côté  ce  que  nous  approuvons  d'un  autre?  Loin  de  nous  une  telle 
conduite.  Je  ferai  ici  ma  confession.  J'ai  suivi  en  1892  et  1803,  au 
Collège  de  France,  les  cours  de  M.  Gaston  Paris,  et  à  la  Sorbonne  ceux 
de  M.  Louis  Havet.  Ces  deux  professeurs  distingués  prononcent  le 
latin  dans  la  perfection  et  engagent  leurs  élèves  à  les  imiter.  J'avoue 
que  je  fus  vite  cliarmé  et  séduit  par  leur  prononciation,  et  que  j'essayai 
de  mon  mieux  de  la  reproduire.  Les  études  de  langues  romanes  et  de 
phonétique  expérimentale  que  je  faisais  avec  M.  l'abbé  Rpusselot  à 
l'Institut  catholique,  et  que  je  poursuis  en  ce  moment  à  Nevers,  m'en 
fournissent  d'ailleurs  l'occasion  tous  les  jours.  C'est  un  plaisir  que  je 
m'accorde  seul  dans  le  travail  du  cabinet  ou  que  je  fais  partager  spon- 
tanément à  quelques  amis  privilégiés.  Je  n'ose  pas  encore  l'offrir 
ex  professa  à  mes  élèves,  mais  discrètement,  à  propos  d'un  texte  latin 
ou  d'une  étymologie  française,  je  leur  donne  la  prononciation  correcte 
d'un  mot  latm,  et  je  dicte  à  la  lin  de  l'année  les  versions  en  pronon- 
çant le  moins  mal  possible.  Non  seulement  mes  élèves  ne  sont  pas 
étonnés  de  ces  sons  avec  lesquels  ils  sont  familiarisés  depuis  le  com- 
mencement de  Tannée  scolaire,  mais  ils  écrivent  sans  aucune  faute, 
cela  *e  conçoit,  la  version  latine  ainsi  dictée.  Encore  un  peu  d'audace, 
et  on  leur  permettra  de  prononcer  eux-mêmes  correctement.  Ce  jour- 
là,  le  professeur  passera  peut  être  pour  original,  mais  un  grand  pas 
sera  fait  à  Saint-Cyr  dans  la  prononciation  correcte  du  latin. 

Ici  vient  une  autre  objection.  Comment  peut-on  être  sûr  de  la  pro- 
nonciation du  latin  classique?  Les  philologues  prétendent  que  les 
langues  sont  dans  un  perpétuel  mouvement,  que  rien  n'est  slable,  ni 
les  sons,  ni  les  formes,  ni  les  mots,  ni  la  syntaxe.  Comment  voulez- 
vous  saisir  ces  éléments  si  fugitifs  et  imposer  une  prononciation  uni- 


22i  IIKVUE    DU    MVEIINAIS. 

vcrselle,  alors  que  le  langage  est  dans  un  perpétiiol  dcv(Miir?  V<Hii 
prétendez  fixer  ce  que  vous  dites  si  fugitif.  Pouvez-vous  clalilir  la 
prononciation  du  siècle  d'Auguste,  puisqu'elle  a  varié  pendant  ce 
siècle  môme  ?  Quel  moment  saisirez-vous  et  qui  vous  dira  la  pronon- 
ciation exacte  de  cette  époque  ? 

Il  est  vrai  que  le  langage  est  toujours  en  mouvement  et  qu'il  >e 
modifie  insensiblement.  Si  blasphenmre  n'avait  jamais  changé  il  m' 
serait  pas  devenu  blâmer,  ni  masttcare  màclier,  ni  aqua  eau,  ni 
cabalhim  cheval.  Or,  ces  modifications'du  langage  sont  inconscientes, 
et  une  génération  ne  s'aperçoit  guère  des  changements  survenus.  Je 
vais  plus  loin,  et  je  dis  que  le  langage  varie  même  avec  les  habilanls 
d'une  même  ville  parlant  une  même  langue,  à  une  même  époque.  J*ai 
pris  à  Nevers  deux  indigènes  qui  parlent  (je  le  croyais  du  moins)  de 
la  même  façon  ;  j'ai  inscrit  leur  langage  au  moyen  de  la  méthode  gra- 
phique inventée  par  M.  labbé  Rousselot,  et  je  fus  élonné  des  diffé- 
rences enregistrées  pour  les  mêmes  phrases.  Mon  oreille  n'avait  sai>i 
aucune  nuance  dans  leur  parler,  et  voici  que  sur  mes  graphiques  ie 
remarque. des  demi-sonores  à  la  place  de  sourdes,  des  intonations 
différentes  qui  avaient  échappé  à  mon  ouïe,  une  intensité  plus  grande» 
chez  celui  là,  une  durée  des  sons  plus  considérable  chez  celui  ci,  etc. 
Est-ce  que  malgré  ces  différences  (insensibles  d'ailleurs  à  mon  oreille  , 
je  ne  dirai  pas  que  ces  deux  hommes  parlent  la  même  langue  et  de  la 
même  façon?  Oui,  assurément,  car  mon  oreille  n'est  pas  frappée  de  ces 
différences  qui  existent  cependant  et  qui  iront  probablement  s'accentuant 
avec  les  générations  suivantes.  Mais  pratiquement  pour  tout  le  monde, 
ces  deux  hommes  ont  le  même  langage.  D'ailleurs,  ici  il  s'agit  du  latin 
classique,  c'est-à-dire  d'une  langue  arêtée  à  une  époque  donnée;  l<■^ 
changements  sont  terminés  et  fixés  depuis  longtemps  par  récriture, 
et  nous  verrons  plus  tard  comment  nous  pouvons  savoir,  au  moins  d'une 
façon  approximative,  la  prononciation  du  siècle  d'Auguste.  On  admet 
qu'il  est  très  difficile,  pour  ne  pas  dire  impossible,  de  parler  une 
langue  vivante  étrangère  comme  sa  langue  maternelle,  alors  que  le 
sujet  a  séjourné  dans  ie  pays  et  que  son  oreille  s'est  habituée  aux  sons 
étrangers.  A  plus  forte  raison  sera-t-il  difficile  de  parler  très  bien 
une  langue  fixée  il  y  a  vingt  siècles  comme  le  latin  classique,  dont  les 
sons  ne  seront  rétablis  que  par  conjecture,  par  une  conjecture  tr«^ 
rationnelle  et  très  vraisemblable,  mais  qui  ne  sera  jamais  aussi  sùrr 


REVUE  DU  MYËRNAIS.  225 

que  les  sons  entendus  et  prononcés  par  des  indigènes.  Que  conclure 
de  là  ?  Que  nous  prononcerons  le  latin  moins  bien  que  Cicéron,  mais 
assurément  et  inOniment  mieux  que  nous  le  parlons  aujourd'hui.  Nous 
prononcerons  le  latin  à  peu  près  comme  un  Espagnol,  si  vous  le  voulez, 
le  parlait  à  Rome  au  premier  siècle  de  notre  ère.  Mais  encore,  sera-ce 
du  latin,  tandis  que  les  sons  que  nous  émettons  n'ont  jamais  frappé  des 
oreilles  latines,  ils  sont  barbares.  Cicéron  comprenait  les  poètes  de 
Cordoue,  quoiqu'il  se  plaignit  de  leur  accent  lourd  et  étranger.  Il 
serait  incapable  d'entendre  une  seule  phrase  d'un  de  ses  discours 
prononcés  à  la  moderne  par  un  Français. 

(À  suivra).  Abbé  J.-M.  Meunier 


S'AIMER! 

C'était  dans  un  chemin  parfumé  d'aubépines, 
Et  les  buissons  étaient  émaillés  d'églantines. 
Quelques  genêts  en  fleurs  ajoutaient  au  décor. 
Etalant  au  soleil  leurs  divins  bouquets  d'or. 
Nous  nous  donnions  la  main  et  marchions  en  silence, 
L'un  et  l'autre  ravis,  le  cœur  plein  d'espérance. 
Nous  allions,  souriant  aux  charmes  du  printemps, 
Et  nous  pensions  tous  deux  avoir  encor  vingt  ans. 
Un  air  frais,  embaumé,  doux  comme  une  caresse, 
Nous  imprégnait  d'amour,  nous  remplissait  d'ivresse... 
Sa  main  pressa  la  mienne,  et  je  vis  ses  beaux  yeux 
Se  lever  un  moment  vers  les  espaces  bleus... 
En  cette  courte  extase  elle  avait  l'air  d'un  ange 
Descendu  de  là-haut  sur  notre  pauvre  fange. 
Puis  elle  tressaillit,  et,  dans  un  mouvement 
D'enivrante  langueur,  me  dit  bien  tendrement  : 
c  Quand  tout  renaît  en  mai,  que  joyeuse  est  notre  âme. 
Pourquoi  ne  pas  toujours  brûler  de  même  flamme  ? 
Oh  !  rester  longtemps  jeune  et  vivre  de  longs  jours  ! 
S'aimer  jusqu'à  la  mort,  s'aimer,  s'aimer  toujours!  » 

Théophile  Franchv. 


-r: — ï'^r-ns^  ^lûi  >.ii .atit^*  •  r-  .»  ^Xi^l 


•^.^    -     '--TTî-'    .X  .v.':;-:^-    lâî*-    -    -fins    z.  LiL  .  jul '~^    ^^z*  m 


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REVUE  DU  NIVERNAIS.  227 

—  Tée-tu  lai,  Saint  Barnabe?  Vins  voui  por  iki...  Tint,  v'Iai  deux 
houmes  qu'sont  reue  mairie  attôt  ç'trô  d'fonne  chu  lai  tarre.  Coume 
0  v*lont  to  deusse  Taivouair  ichi,  Tai  raize  me  quitte  chi  y  sai  auquée 
lai  donné. 

—  Mas  raimis,  dans  c*teffére-lai,  o  faut  nou  en  raipporté  au  jugement 
du  Salomon  :  Saint  Plaire  vé  coper  lai  Madeleine  en  deusse  et  piée  ven 
airée  çaicungne  lai  moutié. 

L'Jean  et  TGlaude  s'mettèrent  ai  reboler  pus  fort  en  diant  qu'o  ne 
v'iint  pas  qu'on  l'y  fieusse  du  mô,  qu'o  fello  troué  aute  çôre. 

—  Pusche  que  vous  ne  v'iée  pas  en  démouerdre,  dié  Saint  Barnabe, 
0  faut  lai  jouer  â  cartes,  ai  lai  chance  ! 

—  Ichi,  on  n'joue  pas,  dié  Saint  Piarre.  0  yé  quéque  çôre  de  chi  simple 
qu'on  n*y  aivo  pas  songé  :  yo  de  d'mandé  ai  lai  fonne  de  fére  son  chouaix. 

—  Dis  don,  Mad'leine,  lequée  houme  que  t'veux  ? 

...  Lai  Mad'leine  hésite  pas...  elle  lorné  l'dos  ai  sas  deux  houmes  et 
peumé  l'bras  d'un  ch'ti  aivoucait  quTy  flot  d'I'œuillot,  en  diant  : 
€  Yo  ç'teullais  !  » 

—  Tas  d'embeumaillerie,  dié  Saint  Piarre,  yo  t'y  bin  possible 
de  v'ni  ichi  por  m'fére  parde  mai  piaice  ;  chi  zaimas  le  bon  Dieu,  le 
Père,  s'aiparçouait  de  cThlstouaire-lai,  y  seu  foutu.  Ailée  diors,  las 
quate  veurmines! 

Et  tirant  aine  trappe,  o  lés  renvié  lot  fin  dret  vée  l'peuh,  qu'lée 

railtendo  aitot  son  forçong. 

Ailée  auzedé,  por  bUes  de  gâs  morvandiaux,  donné  vout'cœur  ai 

un  trô  d'fonne  ! 

Conté  par  Emile  Blin  (1) 


(1)  £e  Morvan,  mœurs,  contâmes,  langage,  etc.  Gaide  cla  touriste,  in-8*,  avec 
illustrations,  3  fr.  Imprimerie  Emile  Blin,  à  ChÂteau-Chinon. 


ElEVUE   DU   NIVERNAIS. 

POETES  HOLLANDAIS  (SmU) 

Schimmel 
EN  REGARDANT  LES  LMAGES 

(Fragment; 

L'aïeul  faisait  parler  !e  pelit  :  a  Ces  images, 

Los  connais^tu?  sais4u  qui  sont  ces  hotnmes-là9  i 

—  «  C*est  Ruyter,  c'est  de  Witt,  et  voici  sur  ces  pages 

Les  Tromp  et  van  Galen*..  puis,  par  ici,  voilà 

Piet  Hein,  le  Taciturne...  »  Aux  images  fixée, 

S^exaltait  promntement»  bouillonnait  sa  pensée. 

Il  grimpait  sur  raleul,  Tembrassuil,  ti'un  ton  fier  : 

<  Grana-père^  disait-il,  bittH  que  j'aurai  Tâge, 

Je  veux  passer  Texel  pour  faire  un  grand  voyage, 
M'en  aller  comme  eux  sur  la  mer.  » 

D*aise,  Taïeul  faisait  une  bonne  grimace. 
Que  ce  petit  enfant  à  son  cœur  était  cher  ! 

<  Certe,  il  est  bien  encor,  lui,  de  la  vieille  race  î 
En  veste  de  marin  comsie  il  aurait  bon  air  1 
Ah  !  tout  Téquipement  irait  bien  â  su  taille. 
Yienne  l'Anglais,  lui  sera  prêt  pour  la  bâtai  le.  i 
La  mère  cependant  ne  goûtait  pas  ce  jeu. 

Se  levant  â  ta  Jiu  ;  a  Assez!  ferme  le  livre, 
L'enfant  est  fatigué,  grand-ptre,  il  est  tomme  ivre  ; 
Son  front  brûle  autant  que  le  feu. 

»  Gomment  dormira-l  il^  ayant  la  tête  pleine 
De  ces  hommes  de  guerre  et  le  cerveau  hanté? 
Il  est  capable  d'en  rêver...  j'en  suis  cerlaine.,. 
Car,  vois-le,  le  pelil  est  très  surexcité. 
Si  la  fièvre  le  prend  !  il  n*est  pas  forl„.  a  Un  rire 
Eclatant  lui  répond  ;  c'est  le  vieux  qui  va  dire  : 
4  Mère,  pas  de  danger!  cela  n'a  jamais  nui, 
Non,  jamais,  de  rêver  de  pareils  camaratles  ; 
Rien  de  mieux  pour  donner  du  tou  aux  reins  malades! 
Bonne  nuit,  garçon,  bonne  nuit  t  n 


Dr  Shaepman 
AU   POÈTE  VONDEL 


Maître,  à  quoi  penses-tti?  Dans  quelles  hautes  sphères 

Plane  ton  esprit ^  cet  ei^prit 
Du  poète  qui  lit  le  mot  des  grands  jn\ stères. 

Comme  en  l'œil  du  Seijjneur  èciil  ? 


KEVUE   DU  NIVEUNAJS.  229 


Dis,  à  quoi  songes  tu,  Vondel?  —  Des  harmonies 

Ruisselantes,  un  flux  de  voix 
De  poésie  ont  répondu  :  Roi  des  génies, 

11  prie,  adore  et  dit  :  «  Je  vois, 
Je  vois  la  Vérité,  la  Lumière  et  la  Vie, 

Fils  incréé.  Verbe  éternel 
Fait  homme,  qu'un  éclat  surhumain  gloriiîe 

Et  qui  pour  trône  a  pris  Tautel  ! 
Je  vois  le  Fiancé  qui  ravissait  la  terre, 

Près  de  sa  fiancée  assis, 
La  nourrissant  du  sang  de  son  flanc,  ô  mystère  I 

Le  sang  qui  fait  vivre  ses  fils  I 
Je  vois  rOfficiant  et  sa  pure  Victime 

Rrisant,  par  l'outrage  souflert 
Sur  le  bois  de  la  Croix  et  par  sa  mort  sublime. 

Mort,  ton  pouvoir  ;  ton  sceptre.  Enfer  I 
Je  saisis  (Dieu  !  mon  Dieu  !...  mon  âme  s'extasie  !..• 

Anges,  dites  ce  qu'elle  sent  !^ 
Je  saisis  (l'Eternel  m'étreint...  je  balbutie...) 

Mon  Dieu,  mon  Seigneur  tout  puissant, 
Mon  Roi,  mon  Dieu  !...  Devant  ton  éclat  qui  rayonne 

L'Idéal  éclipsé  pâlit. 
Le  vertige,  telle  est  la  splendeur  de  ton  trône. 

Prend  mon  esprit  qui  s'éblouit... 
Je  vis,  je  vis  par  toi...  La  force  m'abandonne  !... 

T'adorer,  croire  en  toi,  c'est  là* 

Mon  Chant  suprême,  le  voilà  !  » 


Bernard  van  Meurs 

(1835) 

SUR  LA  TOMBE  DE  LEUR  MÈRE 

J'observe  depuis  quelque  temps 
Le  petit  manège  ordinaire 
Auquel  se  livrent,  —  petit  frère 
Et  petite  sœur,  —  ces  enfants. 

Chaque  dimanche,  au  cimetière, 
Après  vêpres,  ils  vont  tous  deux 
Et  disent  le  rosaire  entre  eux. 
Las  !  sur  la  tombe  de  leur  mère. 

Ils  ont  mis  autour  du  tombeau 
Des  buis  dont  ils  font  la  toilette  ; 
Et  sur  le  rosier  qui  végèle 
Ils  épandent  leurs  cruches  d'eau. 


230  REVUE  DU  NIVKUNAIS. 

Dernièrement  je  vis  le  frère 
(Les  roses  étaient  en  bouton] 
Gravement,  avec  un  bâton, 
Trouer  le  tertre  funéraire. 

—  a  Que  fais-tu  ?  »  demanda  la  sœur. 

—  «  Cela,  c'est  pour  aue  maman  voie 
Le  buis  grandir,  avec  ta  joie 

De  voir  aussi  la  rose  en  fleur.  » 


J.-N,  v&n  HaU 

NOTRE  CHANT  HOLLANDAIS 

Que  le  chant  hollandaîi  sonne  libre  et  vainqueur, 

Un  chant  clair  que  chacun  entende, 
Chant  vigoureux  qui  parle  à  tous  ceux  dont  le  cœur 

S'émeut  au  parler  de  Hollande  ! 

Mais  à  vous  dont  le  sot  mépris  veut  repousser, 
—  Trop  rude,  —  la  langue  anceslï^le, 

Vous  qu'eflraie  un  son  dur,  sinon  un  dur  penser, 
Notre  chanson  parait  brutale  I 

Car  vous  demeurez  sourds  a  nos  beaux  airs  puissants 

En  qui  votre  déshonneur  crie  ! 
Vous  n'èîes  p^is  chez  vous  qu^nd  résonne  nos  chants  ; 

Pour  vous,  ni  langue  ni  patrie  1 

Laissez  donc  sonner,  fils  des  vieux  Néerlandais, 

Le  chant  de  la  terre  natale  : 
Pour  TEurope  bientôt  vous  traduirez  en  faits 

Ce  qui  de  vos  lèvres  s'exhale. 

Nous  voulons  être  nous,  n'appartenir  qu'à  nous. 

Qu'un  ennemi  chez  nous  descende, 
Nous  tirerons  le  glaive  et  nous  tonnerons  tous 

Nos  clianls  fiers^  nos  chants  de  Hollande  î 


Carel  Vosmaar 

SÉLÊNÉ 

La  lune  blonde,  dans  l'empire 
Des  astres,  rêve  :  elle  a  souci  ; 
Elle  se  rappelle  —  et  soupire  — 
Qu'elle  fut  un  soleil  aussi. 

Le  monde  —  querelle  et  risée  — 
La  déçut,  tant  qu'elle  immola, 
Vide  d'iU usions,  lassée. 
Son  idéal  au  calme  plat. 


i 


A 


RËVUË  DU  NIVERNAIS.  231 

Dès  lors  elle  n'eut  de  lumière 

—  Pauvre  éclat  d'emprunt  —  que  le  soir  ; 

Encore  peut-on,  tout  entière, 

Bien  rarement  au  ciel  la  voir. 

Elle  décline,  diminue, 
Pâlit,  dépérit  sans  arrêt 
Et  chétive,,  inerte^  menue, 
Dans  les  ténèbres  disparaît. 

Par  les  étoiles  méprisée, 
Se  cache-t-elle,  par  pudeur 
D'avoir  à  sa  haute  visée 
Préféré  son  repos  songeur  ? 


Alberdjrngk  Thym 

POÉSIE 

Poésie,  oh  !  combien  ta  démarche  de  reine 
Me  ravit  !  Sous  tes  pas,  auprès  du  lys  en  fleur, 

Arc-en-ciel  de  toute  couleur, 

Naissent  des  plantes  qui  réconfortent  le  cœur. 

Ainsi  tu  vas,  devant  la  Beauté  reine, 

Qui,  rayonnant  d'un  nimbe  radieux, 
Domine  tout  quand,  frémissants  de  nobles  fièvres, 

Le  souffle  arrêté  sur  nos  lèvres, 
Nous  la  voyons  apparaître  à  nos  yeux. 

0  Beauté,  telle  es-tu,  quand,  par  ville  et  par  plaine, 
Vondel  fait  résonner  sa  lyre  souveraine  : 
La  nuit  recule  ;  c'est  le  jour  ;  l'Eden  perdu 
Cette  fois  nous  semble  rendu . 

D'où  vient  cette  force  secrète  ? 
Du  Père,  du  Seigneur,  sur  son  trône  adoré. 
Qui  fait  étinceler  aux  lèvres  du  poète. 

Jaillir  des  doigts  de  l'artiste  inspiré 
La  flamme  de  l'Amour,  l'éclat  de  la  Science. 
Les  voyant  resplendir,  le  peuple,  transporté, 

Reconnaît  l'Idéal  souhaité 
—  Forme,  couleurs,  langage  —  et,  dans  sa  confiance, 

Chante  ta  victoire,  6  Beauté  ! 

0  Poésie,  ange  béni,  de  toi  dotée, 
La  terre  ne  sera  jamais  déshéritée  ! 

Traduction  de  Achille  Millien. 


LIVRES  ET   PÉRIODIQUES 

Sous  ce  titre  •  La  Chanson  française  »  nn  groupe  d'excellents  artistes,  qui  sont  en 
même  temps  des  gens  de  cœor.  Tient  de  fonder  des  cours  du  soir  ayant  pour  trat 
d*enseigner  aux  jeunes  ouvrières  parisiennes  Tart  si  simple  et  si  charmant  de 
•  chanter  des  chansons  ». 

Le  double  t>ut  de  cet  enseignement  sera  :  1*  de  propager  des  chansons  gaies  ou 
sentimentales,  mais  toujours  saines  et  honnêtes  ;  2*  de  combattre  le  triste  envahis- 
sement des  refrains  bêtes  et  inconvenants  qui  forment  le  programme  ordinaire  des 
cafés-concerts. 

Mme  Amel,  de  la  Comédie- Française,  est  la  présidente  de  la  nouvelle  société  dont 
le  chansonnier  Chebroux  est  le  président,  Lassalle.  de  TOpéra,  le  vice- président; 
Hey-Niger,  le  secrétaire;  Henri  Bresles,  le  trésorier;  A.  Landry,  l'auditeur;  et  Matrat, 
le  commissaire  général. 

Il  appartenait  à  Ernest  Chebroux  de  prendre  Tiniliative  d'une  pareille  oeuvre; 
Chebroux,  l'ami  et  rhérilier  de  Gustave  Nadaud.  1^  représentant  de  la  chanson 
traditionnelle,  dont  Léon  Cladel  disait  :  «  Un  sourire  de  Désaugiers  se  marie,  d;:ns 
son  œuvre,  à  une  larme  de  Pierre  Dupont.  • 

Vient  de  paraître  à  la  librairie  Mazeron  frères,  la  deuxième  édition  de  •  Nevers 
historique  et  pittoresque  »,  guide  à  lusage  du  touriste,  avec  plans  et  gravures,  dout 
l'auteur  est  notre  excellent  collaborateur  M.  Paul  Meunier.  Tout  Nevers  •  historique 
et  pittoresque  •  est  en  elTet  renfermé  dans  ce  petit  volume  de  160  pages,  qui  n'est  pas 
un  sec  indicateur,  mais  un  vrai  guide  plein  d'intérêt  éi  de  piquant  —  Prix,  i  fr.  75. 

L'éditeur  Flammafion,  rue  Racine,  !26,  Paris,  vient  de  mettre  en  vente  le  tome  IV 
des  Batailles  françaises,  du  général  Hardy  de  Périni,  qui  fut  longtemps  des  nôtres, 
comme  colonel  du  85«.  Ce  tome  lY  résume  la  période  de  conquêtes  du  rèsne  de 
Louis  XIV,  avec  Turenne  et  Condé.  L'ouvrage  du  général  Hardy  de  Périni,  honoré 
de  souscriptions  du  ministère  dr  la  guerre  et  de  celui  de  l'instruction  publique, 
inscrit  sur  le  catalogue  des  livres  pouvant  être  donnés  en  prix  dans  les  lycées,  est 
tout  indiqué  pour  tenir  une  place  de  choix  dans  les  bibliothèques  scolaires.  Les 
4  volumes  in-l8*  Jésus,  illustrés  de  nombreux  dessins,  12  fr.,  franco. 


NOTES  ET  ÉCHOS 

/.  Notre  compatriote  M.  G.  Dujon,  vient  de  passer  heareosement  ses  examens  do 
doctorat  en  droit  devant  la  faculté  de  Paris. 

/,  Succès  de  nos  collaborateurs  :  Miriam  a  obtenu,  sur  554  concurrents,  le  6»  prix 
du  concours  des  •  Annales  politiques  et  littéraires  •  ;  sujet  proposé  :  Conte  d'une 
grand'mère  à  tes  petits-enfants,  —  M.  Lucien  Jeny  a  reçu  une  médaille  de  vermeil 
au  ?•  concours  du  Souvenir  de  Sedan.  L.  D. 

Le  Directeur-Gérantj  ACHILLE  HlLUEif . 


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VISION    D'OCTOBRE 


LA  FIN  DE  JEANNE 


ANS  la  petite  chambre  1res  sombre  et 
suintante  d'humidité  'qui  fait  suite  à  la 
grande  cuisine,  Jeanne  se  meurt  de  la 
phtisie.  Minée  par  la  lièvre,  amaigrie 
et  pâle,  et  affaiblie  au  point  de  ne  pou- 
voir se  soulever  sur  sa  couche,  elle  a 
conscience  que  la  fm  va  bientôt  venir. 
Elle  sent  qu'elle  va  être  une  victime 
des  gelées  blanches  et  des  brouillards 
d'octobre  et  que,  par  un  soir  mélancolique  et  doux  de  ce  mois  inter- 
médiaire, s'échappera  le  peu  de  vie  qui  reste  en  son  pauvre  corps 
délabré. 

Parfois  la  pensée  de  disparaître  si  jeune  —  elle  n'a  que  vingt-deux 
ans  —  d'abandonner  son  milieu  familier,  le  coin  de  terre,  les  êtres  et 
les  choses  qui  lui  sont  chers,  l'appréhension  de  la  nuit  du  tombeau  la 
torturent.  A  d'autres  instants  elle  jouit  au  contraire  d'un  grand 
contentement,  d'une  suprême  paix,  car  elle  ne  comprend  que  trop 
qu'elle  est  gêneuse,  qu'elle  détruit  la  tranquillité,  Tharmonie  générale 
de  la  famille  et  puisqu'elle  ne  peut  pas  <^uérir,  elle  se  dit  que  sa 
disparition  sera  un  bien  pour  tout  le  monde. 

Et  pendant  qu'en  son  cerveau  fatigué  roulent  confusément  ces 
pensées  lamentables,  ses  grands  yeux  d'un  noir  éteint,  cerclés  d'une 
auréole  bleuâtre,  glissent  des  regards  inconscients  sur  les  choses 
proches  :  les  rideaux  à  fleurs  rouges,  la  vieille  armoire  de  chêne,  la 

10 


î234  KEvrK  nu  Nivernais 

coramodo  boiteuse  sur  laquelle  s*étalent  ses  flacons  de  drogues  elle  lit 
d'en  face  où,  chaque  nuit,  sa  mère  vient  se  jeter  tout  en  la  veillant 


La  maladie  de  Jeanne  a  commencé  vers  la  Noël  de  Tannée  dernière, 
un  jour  qu'après  avoir  eu  très  chaud  à  cbaufler  le  four,  elle  était  allée 
sans  transition  laver  un  paquet  de  linge  dans  une  mare  glacée.  Elle 
avait  été  prise  le  soir  même  d'une  douleur  an  c6té  gauche  et  d'ooe 
toux  rauque  qui  la  déchirait.  Elle  s'alita  ;  sa  mère  lui  mit  un  cataplasme, 
lui  prépara  des  gar^nri'^raes  aux  feuilles  de  ronce.  Au  bout  de  quelques 
jours,  comme  le  mal  semblait  s'aggraver,  on  alla  chercher  le  médecin. 
Le  médecin  la  traita  pour  une  bronchite  simple,  lui  ordonna  des 
pectoraux,  des  tisanes  chaudes.  Il  revint  la  semaine  suivante,  trouva 
celte  fois  une  bronchite  double,  augmenta  les  drogues.  Elle  parut 
guérir  et,  bien  que  toussant  toujours,  se  leva,  marcha,  reprit  ses 
occupations  normales.  Mais,  un  dimanche  de  février,  elle  prit  froid  à 
la  messe,  en  sortit  frissonnante  et  fiévreuse,  se  recoucha  en  arrivant. 
Le  lendemain  elle  crachait  des  caillots  de  sang.  Le  docteur  revint,  lui 
trouva  une  pleurésie,  lui  mit  des  vésicatoires.  Elle  souffrit  beaucoup, 
puis  alla  mieux;  elle  se  crut  une  seconde  fois  guérie.  Elle  se  levait  tout 
juste  depuis  une  semaine  lorsqu'elle  reprit  un  gros  rhume,  sans  même 
sortir,  un  jour  que  le  feu  ne  marchait  pas.  Sa  toux  qui,  d'ailleurs 
n'avait  jamais  cessé,  revint  à  Télat  aigu,  creuse  et  déchirante, 
accompagnée  d*un  enrouement  pitoyable.  Devant  la  persistance  de 
cette  toux  opiniâtre  et  de  cet  enrouement,  et  bien  qu'elle  ne  parût  pas 
autrement  malade,  sa  mère,  un  dimanche  de  soleil,  la  conduisit  chez 
le  médecin  pour  une  consultation.  Cette  fois  il  déclara  tout  net  que  ce 
n'était  rien,  voyant  bien,  hélas  1  que  c*était  beaucoup  trop,  que  contre 
le  mal  terrible  qui  la  minait,  bien  vaine  était  sa  science.  Il  ordonna  de 
la  créosote,  des  pilules  de  fer,  une  nourriture  réconfortante.  On  lui 
acheta  quelques  bouteilles  de  bon  vin,  quelques  morceaux  de  viande 
—  pas  ceux  qu'on  aurait  voulus,  parce  qu'ils  étaient  toujours  retenus 
d'avance  par  les  rentiers  du  village  —  «  les  bonnes  pratiques,  vous 
comprenez...  »,  disait  la  bouchère. 

Quand  elle  mangeait  ses  bifsteaks  grillés,  les  mioches  de  sa  scear 
l'entouraient  avec  des  yeux  d'envie  et  elle  leur  en  distribuait  la  plus 
grosse  part  ;  cela  ne  la  privait  pas  beaucoup  d'ailleurs,  car  elle  avait 


UEVUE  DU   NIVERNAIS.  235 

de  rooîDs  en  moins  d'appétit  ;  rien  ne  lui  semblait  bon  ;  manger  lui 
était  un  effort  pénible. 

Le  mal  allait  toujours  son  train  ;  elle  s'affaiblissait  ;  Tenrouemenl 
était  devenu  chronique  ainsi  que  la  grande  toux  mauvaise  qui  la 
secouait  toute. 

Dès  le  mois  d'avril,  Jeanne  eut  conscience  de  son  état  ;  elle  comprit 
qu'elle  ne  guérirait  jamais  plus,  qu'elle  était  vouée  à  une  fin  prochaine. 
Elle  eut  alors  des  larmes  cachées,  douloureuses  crises  d'infinie  tristesse 
qui  lui  donnèrent  la  fièvre,  hâtèrent  sa  ruine.  Vers  la  même  époque, 
ses  parents  comprirent  aussi  qu'elle  étaît  perdue.  Un  jour  qu'il  recon- 
duisait le  médecin  jusqu'à  sa  voiture  restée  au  bas  de  la  cour,  le  père 
avait  demandé  : 

—  Il  n'y  a  plus  d'espoir,  n'est-ce  pas,  monsieur  ?  elle  est 
poitrinaire  ? 

Et  de  la  bouche  du  docteur  était  sortie  la  phrase  prévue  : 

—  Il  n'y  a  plus  d'espoir  en  effet...;  le  deuxième  poumon  est  pris... 
On  pourrait  peut-être  seulement  prolonger  de  quelques  mois  sa  vie  en 
l'envoyant  faire  une  cure  à  Bagnères  ou  à  Amélie  et  en  lui  faisant 
passer  le  reste  du  printemps  au  grand  soleil  de  la  côte  d'azur  à  Hyères 
ou  à  Nice. 

Le  père  avait  eu  un  sourire  mélancolique  : 

—  Bon  pour  les  riches,  ça...  Mais  nous,  qui  avons  déjà  bien  du 
mal  à  la  soigner  ici,  comment  voulez  vous  que  nous  la  conduisions 
là-bas?  Où  prendre  les  ressources  nécessaires  ?  Et  qu'est-ce  qui  ferait 
marcher  le  domaine  en  notre  absence  ?  car  il  faudrait  que  nous 
l'accompagnions,  sa  mère  et  moi...  Et  puis  à  quoi  bon,  d'ailleurs?... 
du  moment  que  ça  ne  la  ramènerait  pas,  à  quoi  bon  tant  de  frais  et  de 
peines  pour  prolonger  de  quelques  mois  une  existence  condamnée  ? 

Jeanne  ne  travaillait  plus,  mais  elle  continuait  à  se  lever,  à  faire 
même  de  courtes  promenades  au  dehors.  Et  les  voisins  qui  la  rencon- 
traient la  questionnaient  sur  sa  sanlé  : 

—  Eh  bien  !  Jeanne,  est-ce  que  ça  va  mieux  ? 

Elle  répondait  de  sa  voix  enrouée  qui  faisait  mal,  en  s'efforçant 
d'esquisser  un  sourire  gracieux  : 

—  Oh  non  !  c'est  bien  toujours  à  peu  près  la  même  chose. 
Alors,  ils  avaient  une  phrase  banale,  ironiquement  consolatrice,  qui 

variait  avecles  saisons.  Tant  qu'avaient  duré  les  mauvais  jours  d'hiver  : 


à 


REVUE   DU   NIVERNAIS.  237 

soin  de  veiller  sur  les  bambins,  ce  qu'elle  consentait  à  faire,  bien 
qu'elle  fût  particulièrement  incommodée  par  leurs  jeux  bruyants. 

A  rheure  des  repas,  Jeanne  avait  toujours  la  visite  de  son  père  et  de 
sa  mère;  le  père  restait  quelques  instants,  s'efforçait  de  la  distraire, 
puis  se  retirait  en  essuyant  furtivement  de  grosses  larmes.  La  mère 
prolongeait  sa  visite  le  plus  longtemps  possible  ;  elle  mangeait  à  côté 
d'elle,  très  peu  d'ailleurs,  juste  de  quoi  l'empêcher  de  tomber  de 
faiblesse;  et  Jeanne  s'inquiétait  de  la  voir  si  changée,  si  vieillie  ;  cette 
condamnée  s'efforçait  parfois  de  consoler  sa  consolatrice. 

Pour  la  machine,  en  septeml)re,  Jeanne  qui  était  déjà  extrêmement 
fatiguée,  souffrit  beaucoup  du  bourdonnement  ininterrompu  du 
mécanisme  et  aussi  du  bruit  inusité  qui  lui  parvenait  de  la  cuisine, 
quand  mangeaient  les  batteurs.  L'un  d'eux,  qui  avait  été  son  promis, 
vint  la  voir  et  sans  rien  trouver  à  lui  dire,  il  lui  serra  la  main  d'une 
longue  étreinte  douloureuse,  en  l'enveloppant  toute  d'un  regard 
compatissant.  Tout  cela  lui  fit  mal.  Elle  fut  agitée,  énervée  pendant  ces 
trois  jours,  et  à  partir  de  ce  moment  la  déchéance  progressive  de  son 
organisme  hâta  sa  marche. 

Maintenant  les  accès  de  fièvre  sont  plus  violents,  les  nuits  plus 
mauvaises  ;  elle  délire  le  plus  souvent,  tant  sa  faiblesse  est  grande  ; 
lorsqu'elle  dort,  d'affreux  cauchemars  la  font  sursauter  toute  ;  déjà 
elle  n'est  plus  elle. 

Pourtant»  à  ses  rares  moments  de  lucidité,  elle  sent  que  la  fin 
approche.  Elle  a  même  la  vision  très  nette  de  ce  qui  va  se  passer  :  un 
de  ces  soirs,  après  avoir  jeté  lout  le  jour  dans  les  guérets  arides  la 
semence  féconde,  ceux  de  la  ferme  se  réuniront  autour  de  ce  lit  où  elle 
viendra  d'exhaler  son  dernier  souffle.  Ils  pleureront  un  peu,  puis  ils 
diront  que  sa  mort  trop  prévue  est  en  somme  une  délivrance  pour  elle, 
un  avantage  pour  tous.  Et  quand  ils  l'auront  conduite  au  cimetière,  ils 
reprendront  leurs  travaux,  pendant  deux  jours  interrompus.  Sauf  sa 
mère  qui,  longtemps,  sera  triste,  les  autres  l'auront  vite  oubliée... 

Jeanne  est  heureuse  au  fond  de  savoir  qu'elle  va  bientôt  mourir... 

Emile  Guillalmin. 


^^ 


238  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

LES  NIVERNAIS  AUX  DEUX  SALONS 


Société  nationale  des  Beaux* Arts. 
SCULPTURE 

M.  Jean  Baffier  y  expose  un  très  beau  buste  de  M™'  Sauvineau.  D*' 
la  blancheur  du  marbre  jaillit  la  vie.  Les  yeux  s'éclairent  d'un  doux 
regard  et  la  bouche  sourit  finement.  L'illusion  est  si  intense  qu'il 
semble  que  la  chair  s'anime  et  palpite.  • 

M.  Maurice  Perrat,  dont  on  se  rappelle,  de  Fan  dernier,  le< 
chevaux  d'omnibus  allant  relayer,  d'un  réalisme  si  saisissant,  a  envoy*», 
cette  année,  un  bronze,  Petite  lionne  comhée.  La  bête  semble  prête  'à 
bondir  à  la  vue  de  la  moindre  proie.  L'œuvre  est  d'un  beau  modelé. 

OBJETS  D'ART 

M.  Jean  Baffier  a  une  exposition  très  importante  à  cette  section. 
On  y  retrouve  ses  qualités  de  force  et  de  vision  précise.  Tout  y  respin^ 
la  santé.  C'est  solidement  pensé.  L'artiste  à  le  sens  du  rustique  et  c'est 
un  des  côtés  de  son  talent  le  plus  apprécié  des  «  curieux  d'art  w,  coouo^ 
dirait  Roger  de  Piles. 

On  ne  peut  évidemment  porter  un  jugement  définitif  sur  l'ensemble 
de  l'œuvre  exposée,  car  plusieurs  morceaux  sont  inachevés,  quoique 
le  modelé  en  soit  pourtant  très  poussé  en  l'état.  Ainsi,  par  exemple.  1»^ 
candélabre  (modèle  plâtre  pour  cuivre),  exécuté  certainement  dans 
l'esprit  de  l'artiste  pour  prendre  place  sur  la  vaste  table  d'un  banque! 
corporatif  tel  qu'il  en  rêve  dans  une  France  régénérée  sur  ses  bas^s 
traditionnalistes,  apparaît,  dans  sa  robuste  ordonnance  plastique, 
comme  terminé  :  il  n'a  nullement  l'aspect  de  l'inachevé.  J'en  dirai 
autant  de  ses /^/c'Ae/^  â  {;m  (modèles  plâtre  pour  l'étain).  Sont  encore 
catalogués  comme  inachevés  :  le  vase  et  fruitière  et  le  vase  et  paneiièn 
(jiiodèles  pldlro  pour  le  cuivre  et  rélain).  ^^^^ 

Mais  voici  deîî  osuvres  achevées  :  un  vaêt  à  fUm*$^  m  éMtk  Client 
(iirlu'té  fiar  la  SWW  il*  ?m^),  et  \\m%  pkhHn  ù  mi^  iU  mAmi*  en  ilaiii 
CLselè.  Il  tlEMinenl  l'iiuprussioti  d(3  ce  que  soroiille^JïprécéilcQleiloffarQ^ 
TartisLc  Ic^  aura  signées* 

Tous  ces  objets,  conuiiQ  ceux  des  Salant  précétltîQt5,  fuiil,  on  k  âM. 


REVUE   DU  NIVERNAIS.  239 

partie  d'un  service  de  table  qui  sera  bientôt  complet  et  dont  l'exposi- 
tion particulière  dira  le  talent  dépensé  par  l'artiste  dans  sa  compo- 
sition. 

PEINTURE 

Un  seul  artiste  nivernais  et  qui  consacre  son  talent  si  original  aux 
mœurs  du  pays  armoricain  :  M.  Pelecier.  Ses  cinq  envois  ont  chacun 
leur  intérêt.  Voici  la  Toilette  de  Chôme,  où,  debout  sur  le  coffre  qui  est 
au  pied  de  tout  lit  brelon,  Tenfant  toute  recueillie  avec  son  air  de 
poupée,  s'abandonne  aux  soins  maternels  ;  la  Leçon  de  lecture  où  la 
fillette  attentive  épèle  les  lettres  que  la  mère,  patiemment,  lui  montre 
du  doigt  ;  puis  La  Soupe  qui  nous  montre  une  jeune  bretonne  taillant, 
après  la  miche  de  pain  bis,  de  larges  tranches  qui  tombent  dans  la 
soupière  de  terre  brune  ;  ensuite  le  Cadeau,  acquis  par  l'Etat,  et  enfin 
Scène  d'intérieur. 

Ce  dernier  tableau,  qui  renferme  toutes  les  faces  du  talent  de  l'artiste, 
n'a  pas  moins  de  cinq  personnages.  C'est  tout  le  foyer  breton. 
A  gauche,  la  mère  place  dans  le  berceau  de  bois  le  nouveau-né  ; 
à  droite,  la  fille  ainée  repasse  pendant  que  sa  sœur  cadette, 
appuyée  à  la  table  près  du  bol  qu'elle  vient  de  vider,  suit  ses 
mouvements  et  babille  ;  au  fond,  la  vaste  cheminée  à  manteau  où 
brûle  un  feu  de  bois  qu'active  la  grand'mère  penchée  dessus.  Assis  sur 
un  banc,  à  gauche  de  l'âtre,  un  jeune  gars  s'y  chauffe.  Au  premier 
plan,  un  chien  lèche  une  écuelle.  Et  voici  le  lit  dans  son  alcôve  de 
bois.  Au-dessus  du  manteau  de  la  cheminée,  qui  forme  dressoir,  des 
assiettes  aux  vives  couleurs  sont  alignées  debout.  Et  tout  cela  rigou- 
reusement observé,  dans  son  atmosphère  rationnelle,  dans  sa  couleur 
normale. 

Sooiété  des  Artistes  français. 

SCULPTURE 
M.  Emile  Boisseau  s'est  fait  une  spécialité  des  enfants,  et  il  met  un 
charme  particulier  à  rendre  leurs  expressions  naïves.  Le  groupe  en 
marbre  qu'il  expose.  Amour  maternel,  est  d'un  joli  modelé,  tout  enve- 
loppé de  grâce.  Sous  l'œil  caressant  de  la  mère,  une  fillette,  au 
regard  souriant,  présente  un  hochet  à  son  jeune  frère,  assis  sur  les 
genoux  maternels,  et  qui  tend  vers  l'objet  de  son  désir  une  menotte 
impatiente.  Sous  le  fauteuil,  un  chat  joue  avec  la  pantoufle  que  le  pied 


240  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

de  la  jeune  femme  a  laissé  échapper.  Scène  familiale  qui  est  un 
enchantement. 

Deux  enfantSy  de  M.  Edmond  Badoche.  C'est  en  réalité  un  groupe  de 
de  trois  personnages.  Les  doux  enfants  sont  représentés  par  une 
fillette  pressant  de  ses  deux  bras  un  minet.  Elle  regarde  d'un  air  sou- 
riant et  moqueur  la  chatte  qui,  à  ses  pieds,  couve  d'un  œil  inquiet  son 
enfant  qui  voudrait  bien  s'échapper  de  sa  prison  enfantine  pour  se 
réfugier  près  d'elle.  Groupe  ravissant  d'une  souple  exécution. 

De  M.  Alix  Marquet,  Printemps,  une  étude  de  nu.  Hélas!  avec  le 
printemps  que  nous  venons  de  traverser,  maussade  et  pluvieux,  qui 
n'a  pas  été  le  sourire  de  l'année  et  ne  nous  a  pas  donné  la  sensation 
qu'il  ctt  était  la  jeunesse,  la  jeune  femme  que  nous  présente  l'artiste 
n'aurait  pu,  cette  année,  un  genou  à  terre,  cueillir  les  fleurs  dont  elle 
charge  son  bras  gauche.  Citons  encore  de  M.  Marquet,  Liénard.un 
buste  d'homme  dont  la  physionomie  s'épanouit  dans  un  large  rire. 

Œuvre  intéressante  et  observée  qu'Oursons  et  Crapaud,  groupe  en 
marbre  gris  de  M.  Charles  Paillet,  un  animalier  qui  s'est  fait  une 
place  au  Salon.  L'un  des  oursons,  accroupi,  le  museau  en  avant,  prêt 
à  s'élancer,  contemple  le  batracien  qui  ne  semble  nullement  effrayé, 
pendant  que  l'autre,  un  peu  rejeté  en  arrière,  avance  vers  l'affreuse 
bête  une  patte  hésitante  qui  voudrait  bien  s'appesantir  dessus. 

Ce  groupe,  quia  obtenu  une  troisième  médaille,  a  été  acheté  par  l'Etat. 

M"»''  Signoret-Ledieu,  la  statuaire  de  la  Jeanne  d'Arc  que  la  ville 
de  Saînt-Pierre-le-Moûtier  va  inaugurer  en  août  prochain  et  dont 
nous  avons  longuement  parlé  dans  cette  revue,  expose,  cette  année, 
un  buste  marbre,  Jeanne  d'Arc  à  Domrémy  écoutant  les  voix,  qui  n'est 
qu'un  fragment  d'une  statue  que  nous  avons  admirée  dans  son  atelier. 

PEINTURE 

De  M.  Urbain  Bourgeois,  le  Portrait  de  M,  B.,.  q{  Sauvageonne,  une 
sauvageonne  coiffée  de  coquelicots  et  bijn  peu  farouche. 

De  M.  A.  Garcement,  Dms  la  Prairie.  C'est  la  prairie  nivernaise, 
plantureuse,  avec  son  herbe  fournie,  ses  bouquets  d'arbres,  ses  haies, 
ses  ombrages,  ses  tons  infinis  qui  réjouissent  l'oeil,  son  charme  capti- 
vant. Et  à  la  voir  ainsi  rendue  sur  la  toile,  on  devine  la  joie  de 
l'artiste  à  en  fixer  l'harmonie. 

Les  Noces  d'or,  de  M.  Martin  des  Amoignes.  Ce  sont  deux  bons 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  ii\ 

portraiU  jumeaux  de  vieillards  à  la  figure  reposée,  en  souvenir  de  leur 
cinquantaine. 

M.  Edouard  Pail  avec  Soirée  d*automne  a  bien  rendu  la  mélancolie 
qui  se  dégage  des  ciels  clairs,  teintés  de  gris,  de  la  saison  automnale 
qui  apporte  à  l'eiprit  un  peu  de  philosophique  tristesse  et  couvre  la 
terre  d'un  tapis  de  feuilles  mortes  qui  semblent  exhaler  des  soupirs 
sous  les  pieds,  ainsi  que  des  âmes  en  détresse. 

Mais  Vallée  de  Saint-Hilatre.  du  même  artiste,  c'est,  au  contraire,  l'été. 

Au  premier  plan,  en  pleine  lumière,  paissent  des  moutons;  au  second, 

des  arbres  y  forment  un  premier  fond  ;  puis  au  delà,  jusqu'aux 

collines  qui'  bornent  l'horizon,  tout  s'estompe  d'une  vapeur  bleuâtre 

qui  enveloppe  les  détails  sans  cependant  les  fondre  complètement. 

De  Mra«  Gaudry-Charonat,  une  miniature.  Portrait  d'enfant. 

ARCHITECTURE 

M.  Edouard  Besle  y  expose  deux  tableaux  à  l'aquarelle  contenant 
chacun  un  panneau  de  pièce  et  un  plafond  :  l'un  est  le  Projet  de  déco- 
ration du  grand  salon  de  M.  G.. .^  à  Lyon,  de  style  classique  avec  ses 
colonnes  corinthiennes  et  ses  motifs  antiques  ;  l'autre,  un  Projet  de 
décoration  d'une  salle  de  jeu  tout  à  fait  art  nouveau. 

De  M.  Louis  Mohler,  un  très  curieux  dessin  à  la  plume,  la  Cathé- 
drale de  Nevers^  vue  prise  de  la  rue  de  la  Basilique,  un  coin  du  vieux 
Nevers  qui  a  conservé  son  originalité  avec  sa  voie  étroite,  ses  maisons 
basses,  et  aussi  les  palissades  qui  entourent  les  murs  de  la  basilique  de 
ce  côté.  Car  elle  est  toujours  en  réparation  l'antique  cathédrale  dont  la 
tour  se  dresse  au  dernier  plan. 

ART  DÉCORATIF 

Dans  cette  section  j'ai  en  vain  cherché,  à  diverse»  reprises,  le 
Panneau  décoratif  pour  cabimt  de  travail  de  M.  Martin  des  Amoignes. 
«  Quoique  figurant  au  catalogue,  m'a  dit  enfin  un  gardien,  il  n'a  pas 
été  envoyé  ». 

Les  quatre  pièces  en  fer  forgé  composant  la  vitrine  de  M.  Léon 
MiNOT,  très  travaillées,  me  semblent  d'un  faire  un  peu  maigre.  Trop  de 
détails  et  pas  assez  de  largeur  dans  l'exécution.  Mais  c'est  un  début. 

Et  pour  terminer,  un  sou  venir  de  regret  à  tous  les  artistes  cités  dans 
mes  précédents  ^  Salons  »  et  dont  je  n'ai  pas  relevé,  cette  année,  les 
noms  aux  catalogues  des  deux  Sociétés.  Edouard  Achard. 


^1^2  REVLE   l>r   NIVERNAIS. 

A  CAMPESTRE 

Pendant  que  le  soleil  met  son  disque  d'opale 
Sur  les  lointains  conûns  des  grands  cieux  empourprés. 
Des  arbres,  dans  le  creux  des  chemins,  sur  les  prés. 
Posent  en  frémissant  une  longue  ombre  pâle. 
L'air  embaume.  Le  cri  d'un  merle  querelleur 
Se  mêle  au  bruit  que  font  les  charrettes  chargées 
Montant  le  clic.ila  rocailleux.  Sous  les  rangées 
De  très  haub^  peupliers  au  ramage  vainqueur. 
Se  mirant  dans  le  clair  de  la  lente  rivière, 
La  métairie  étend  ses  pigeonniers,  ses  toits 
Empourprés,  ses  vignes,  ses  greniers  où  le  poids 
Du  seigle  et  du  fn»ment,  qu'ont  dépouillés  sur  Taire 
Des  bras  sains  et  robustes  armés  du  fléau. 
En  fait  plier  le<  ais.  Un  coi\,  fier,  se  pavane. 
Et  deux  jeunes  entants,  grimpés  sur  le  vieil  âne. 
En  jetant  un  frais  rire,  etTan>n.-hent  un  veau. 
Miii<  v*>ilà  que  s'entend  le  :  «  Hue  î  allez.  Cocotte  !  » 
Avet:  de<  bruits  de  voix,  des  claquements  de  fouet^s. 
Et  que  les  verts  buissons,  de  ci  de  là  troués. 
Laissent  voir  au  p;iss;ige  une  charrette  haute 
Que  ti-ainent  le^  chevaux  ou  les  bœufs  de  labour. 
€  Favori  /  dia  !  —  Percheron!,,.  »  —  Tout  le  monde  entre, 
Paysannes,  gars  robustes,  les  vieux  au  centre. 
Escortant  les  oiian«»is    —  Et  [>endant  que  le  jour 
S'enfuit,  que  le<  iiiurmure<  doux  ilu  soir  s'égrènent. 
Que  la  terme  ^*eIuplit  de  criardes  rumeurs, 
•  Je  nie  dis  que  s'ils  savaient  goûter  ces  splendeurs. 
Ils  seraient  vraiment  rois,  tous  ces  êtres  qui  peinent 

Joséphine  Bégassat. 


*^ 


REVUE  DU   NIVERNAIS.  243 

LA  PRONONCIATION  DU  LATIN  CLASSIQUE 

(Suite). 

Telles  sont  les  principales  objections  que  l'on  peut  faire.  Il  y  en  a 
encore  d*autres,  mais  elles  ne  sauraient  non  plus  amoindrir  les  nom- 
breux avantages  que  les  latinistes  retireront  d'une  prononciation 
correcte  et  uniforme  du  latin. 

Les  savants  sont  fort  occupés  en  ce  moment  à  chercher  une  langue 
internationale.  La  facilité  des  communications,  Textension  du  com- 
merce et  de  l'industrie,  l'invention  du  télégraphe  et  du  téléphone 
imposent  à  bref  délai  un  idiome  universel  dont  se  serviront  au  moins 
certaines  catégories  de  personnes  :  commerçants,  voyageurs,  savants 
et  explorateurs.  L'idée  a  même  reçu  dans  ces  derniers  temps  une 
réalisation  aussi  pratique  et  aussi  simple  que  possible.  Vn  médecin 
russe,  le  docteur  Zamenhof,  a  créé  ou  plutôt  combiné  avec  des  racines 
tirées  des  principales  langues  de  l'Europe  un  idiome  international 
qu'il  appelle  V Espéranto  {{).  Naturellement,  cette  langue  qu'il  faut 
apprendre,  si  on  veut  la  connaître,  est  destinée  à  un  nombre  relati- 
vement restreint  d'hommes,  mais  elle  sera  d'une  très  grande  utilité. 
Elle  est  créée  artificiellement  et  n'a  jamais  existé.  Les  racines,  il  est 
vrai,  sont  choisies  dans  les  principaux  idiomes  européens,  mais  elles 
ne  répondent  à  aucune  réalité  vivante.  Les  mots  sont  fabriqués  de 
toute  pièce.  Ils  n'ont  pas  cette  souplesse,  cette  variété,  cette  finesse 
d'expression  que  donnent  à  tout  langage  vivant  un  usage  quotidien 
et  une  littérature  séculaire.  Le  latin,  au  contraire,  répond  à  une 
réalité  vivante ,  il  possède  une  littérature  et  une  littérature  qui  a 
formé  ou  inspiré  la  plupart  des  langues  modernes.  Chaque  mot, 
chaque  expression  évoque  pour  le  lettré  un  souvenir,  une  idée,  une 
image  qui  peuvent  s'appliquer  encore  aujourd'hui  à  des  objets  contem- 
porains. Nous  verrons  qu'on  connaît  la  valeur  et  la  nature  des  sons 
du  latin ,  qu'on  peut  les  reproduire  facilement ,  qu'ils  conservent 
encore  dans  les  langues  romanes,  ici  un  écho  fidèle  et  sonore,  là  un 
son  bien  affaibli  ou  transformé,  mais  assez  vivant  pour  être  perçu  par 
l'ouïe  du  philologue  ou  rétabli  par  son  imagination.  Si  le  latin  a  été 

(I)  Voir    pour   plus   de   renseignements   la    brochure  :    .4    la   Recherche   d'une 
langue  intemationaley  par  Th.  Cart,  Paris,  me  Cujas,  17. 


244  REVUE  ou  NrVERNAlS. 

la  langue  universelle,  le  lien  nécessaire  entre  les  savants  au  moyen- 
âge,  au  xvi«,  au  xvir  et  au  xviir  siècles,  pourquoi  ne  pourrait-il  pas 
redevenir  une  langue  internationale?  Qu'on  ne  dise  pas  que  les  mots 
manquent  pour  exprimer  les  idées  ou  les  objets  modernes.  Une  langue 
peut  toujours  créer  des  expressions  nouvelles.  La  seule  raison  pour 
préférer  l  Espéranto  au  latin,  c'est  que  cette  dernière  langue,  pour 
être  suffisamment  connue,  demande  une  élude  assidue  de  plusieurs 
années,  tandis  que  VEsperanlo  peut  s'apprendre,  paraît  il,  en  quel- 
ques mois.  Mais  pour  ceux  qui  sont  obligés  de  connaître  le  latin,  qui 
Tont  déjà  étudié,  pourquoi  chercher  ailleurs?  Aujourd'hui,  prononcé 
d'après  les  habitudes  de  chaque  peuple,  le  latin  sert  rarement,  mais, 
parlé  correctement,  il  deviendra  un  moyen  de  communication  d'au- 
tant plus  commode  et  plus  pratique,  qu'il  est  et  a  été  de  tout  temps 
la  langue  de  l'Eglise  catholique  en  Occident. 

L'Eglise  d'Occident,  en  effet,  a  adopté  dès  les  premiers  siècles  l'usage 
de  la  langue  latine.  Naturellement  s'adressant  au  peuple  autant  et 
même  plus  qu'aux  savants,  elle  a  employé  souvent  des  expressions  de 
la  langue  vulgaire,  transformé  la  syntaxe,  augmenté  le  vocabulaire, 
donné  des  acceptions  nouvelles  à  des  mots  anciens.  De  plus,  la  pro- 
nonciation a  suivi,  comme  dans  les  autres  langues,  une  évolution 
naturelle  pour  aboutir,  à  Rome,  à  la  prononciation  italienne.  En  sorte 
que  l'Eglise  romaine  prononce,  par  exemple,  les  homélies  de  saint 
(irégoire  le  Grand  (fin  du  vi«  siècle)  avec  les  sons  actuels  de  ritalien 
moderne.  L'écriture  est  donc  de  quatorze  siècles  plus  vieille  que  la 
prononciation,  qui  n'est  que  la  prononciation  de  l'italien  actuel.  Sans 
doute  les  Italiens  ont  mieux  conservé  que  les  Français  la  nature  de 
l'accent  latin  et  la  quantité  des  syllabes.  Mais  ils  n'ont  pas  non  plus  la 
prononciation  du  latin  classique.  L'Eglise,  qui  cependant  est  la  puis- 
sance traditionnelle  par  excellence,  s'est  laissé  entraîner  par  le  cou- 
rant, et,  d'une  façon  inconsciente,  elle  habille,  comme  nous  l'avons 
déjà  dit,  avec  les  sons  de  l'italien  moderne  la  langue  latine  qu'elle  écrit 
ou  qu'elle  parle.  Cependant,  certains  Ordres  religieux  ont  déjà  fait 
beaucoup  et  essayent  de  lire  le  latin  avec  l'accent  tonique  D'ailleurs,  le> 
bréviaires,  les  missels  et  les  autres  livres  liturgiques  sont  imprimée 
avec  la  syllabe  accentuée,  marquée  sur  la  voyelle  quand  le  mo*  compte 
plus  de  deux  syllabes.  De  plus,  dans  l'impression,  la  diphtongue  ae  est 
écrite  correctement  et  non  w.  Il  faut  cependant  noter  que  les  livres 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  245 

liturgiques  n'ont  pas  encore  adopté  la  vraie  orthographe  caelum^  qui 
est  écrit  d'une  façon  barbare  cœlum.  Enfin  deux  lettres,  /  et  v,  sont 
employées,  qui  étaient  inconnues  avant  le  xvi«  siècle,  en  sorte  que 
juventutem  devrait  s'écrire  iuuentutem. 

Il  est  donc  à  désirer  que  l'Eglise  catholique  prenne  la  tête  du  mou- 
vement et  prononce  correctement  le  latin.  «  J'avais  songé  il  y  a  long- 
temps, écrit  M.  V.  Henry,  à  adresser  à  la  curie  romaine  une  respectueuse 
pétition  en  ce  sens...  J'ai  appris,  par  mon  journal,  que  d'autres  avaient 
pris  avant  moi  cette  même  initiative  et  que  la  question  était,  en  ce 
moment,  discutée  en  haut  lieu  Mais  M.  Havet,  à  qui  j'ai  fait  part  de  la 
nouvelle,  a  rabattu  mes  espérances,  en  me  disant  que,  si  la  discussion 
aboutissait,  elle  aboutirait  à  faire  prononcer  le  latin  à  l'italienne. 
•J'aime  à  croire  qu'il  exagère  (i)  ».  Nous  aussi  nous  pensons  que  M.  Havet 
exagère.  La  curie  romaine  ne  fera  pas  cette  réforme  sans  examiner  la 
question.  Or  personne  ne  prétend  aujourd'hui  que  les  Italiens  pronon- 
cent correctement  le  latin.  Obliger  les  autres  peuples  de  l'Occident  à 
prendre  la  prononciation  italienne,  ce  serait  changer  une  prononciation 
mauvaise  pour  une  guère  meilleure,  l'accent  excepté.  D'ailleurs,  la  pro- 
nonciation italienne  varie  avec  la  langue  elle-même,  et  il  faudrait, 
avant  quelques  siècles,  recommencer  la  réforme  et  la  remettre  au  point 
avec  l'italien  de  Tépoque.  Une  pareille  révolution  est  impossible 
parce  qu'elle  est  contraire  à  toute  donnée  scientifique.  Aussi  ne  sera- 
t-elle  pas  faite  dans  ce  sens. 

La  prononciation  correcte  apportera  à  l'Eglise  de  tels  avantages 
qu'elle  ne  tardera  pas  à  l'adopter.  Son  caractère  d'universalité  lui  fait 
pour  ainsi  dire  Tobligation  d'avoir  une  prononciation  uniforme  et 
indépendante  des  pays  qu'elle  évangélise.  Or,  quoi  de  plus  facile  à 
obtenir?  H  suffit  que  les  évêques  du  monde  catholique  imposent  à 
leurs  petits  séminaires  et  à  leurs  grands  séminaires  la  vraie  pronon- 
ciation du  latin,  et  la  réforme  sera  l'affaire  de  quelques  générations. 
On  ne  verra  plus  alors  des  prêtres  français,  par  exemple,  embarrassés 
pour  se  faire  comprendre  en  latin  ou  se  confesser  dans  un  pays  étranger. 
Le  latin,  prononcé  uniformément  par  tous  les  prêtres,  leur  servira 
d'une  vraie  langue  vivante,  ce  ne  sera  plus  du  latin  parlé  à  la  française, 
à  l'espagnole,  à  l'anglaise  ou  à  l'italienne,  c'est-à-dire  du  latin  inintel- 

(1)  Revue  universitaire  du  15  janvier  1902  :  De  la  prononciation  du  latin^  page  2!^. 


246  REVUE  DU   NIVERNAIS. 

ligible  pour  chaque  interlocuteur  étranger.  Ajoutez  à  cela  que  \e> 
congrégations  religieuses  profiteront  aussi  de  la  prononciation  correcte 
du  latin.  Un  religieux  changeant  d'ordre  ou  de  pays  reconnattra 
toujours  cette  langue  aux  sons  de  laquelle  son  oreille  aura  été  habi- 
tuée dès  sa  jeunesse  De  plus,  dans  les  grandes  assemblées,  dans  les 
conciles^  on  ne  verra  plus  se  renouveler  ce  qui  s'est  produit  au  derni«^r 
concile  du  Vatican.  Certains  évéques  français  furent  obligés  de  garder 
un  silence  forcé,  parce  que  leur  prononciation,  trop  éloignée  de  la 
prononciation  de  la  majorité  des  assistants,  les  rendait  inintelligibles, 
car  de  tous  les  évéques  qui  s'exprimaient  en  latin  au  concile,  les  Fran 
çais  entendaient  le  moins  et  étaient  le  moins  entendus.  Ce  sera  au 
contraire  une  même  langue,  prononcée  de  la  même  faç^n,  lous  les 
latinistes  se  comprendront  malgré  les  pays  les  plus  divers  et  les  lati- 
tudes les  plus  éloignées. 

A  ces  avantages  généraux  des  savants  et  de  l'Eglise,  ajoutons  les 
avantages  que  nous,  Français,  nous  retirerons  de  la  prononciatiou 
correcte  du  latin.  Nous  avons  dit  que  le  latin  vit  dans  le  français 
moderne.  Or,  pendant  celte  longue  vie  du  latin,  les  mots  se  sodI 
transformés  d'après  les  lois  qui  se  trouvaient  en  germe  dans  la  pro- 
nonciation de  celte  langue.  Les  syllabes  accentuées  sont  restées  en 
français,  tandis  que  les  atones  ou  les  finales  sont  tombées  ou  se  sont 
assourdies.  Ainsi,  en  prononçant  correctement,  nous  reconnaissons 
facilement  arbre  dans  drhôrem,  bonté  dans  bonUdtem^  chantre  dans 
cdntor^  dette  dans  débita,  larcin  dans  lalrocinium.  Il  est  plus  difficile 
de  retrouver  acerdrborem  dans  érable^  dqua  dans  eau^  vicem  dans 
fois. 

En  lisant  correctement  le  latin,  nous  aurons  donc  une  plus  grande 
intelligence  de  la  langue  française,  c'est-à-dire  d'abord  de  son  voca 
bulaire.  Nous  distinguerons  du  premier  coup  les  mots  qui  sont  entrés 
dans  la  langue  avec  la  conquête  romaine  et  qui  n'ont  pas  cessé  de 
vivre  depuis  César  jusqu'aujourd'hui.  Ils  ont  perdu  en  chemin  \\n*' 
p;iilir  (ir  h'iii"  siîlisl:mn\  qTM'Iqu^'s-iniî;  de  leurs  sons  lUai^  la^)lliiH' 
Inni^iic  ivslt'  tniijfnjrs  ci^nioîe  itn  tt^rnofa  à  la  fois  de  leur  anliqiiîl^H 
tic  Inij-  Unniii^  ti!;*i(ju+\  iJ'autfes  (iiols,  au  contraire,  iulrufluits  à  m^ 
iUïU'  [Ans  irrrtitr,  lums  |ïr<^^j'nl**nl  uiji^  înfîîïg*^  fidelé  t*i  toRtplât^dii 
nuA  Uilîti  i'onvsiïujHluiil,  rt  uv  sa u raient  nous  fournir  fies  donwp^ 
stûnnliïltiut^s  sur  ta  pronoucialion  ancienne.  l\$  mni  enifp^  Imi^bf^ 


REVUE  DU  NIVERNAIS  247 

dans  la  langue.  Ainsi  cercler  nous  apprend  que  Vi  était  bref  dans 
circulare,  quoique  la  syllabe  fût  longue  par  position  en  poésie,  ce  que 
circuler  ne  saurait  nous  dire.  Au  contraire,  Vi  de  Uberare  était  long, 
parce  qu'il  a  donné  livrer.  Comme  nous  le  verrons  dans  la  suite,  quand 
nous  ignorerons  la  quantité  d'un  mot  latin  le  français  nous  la  fera 
connaître.  Par  exemple,  sachant  que  l'ancienne  diphtongue  ié  vient 
jd'un  e  bref  latin  tonique  non  entravé,  nous  prononcerons  avec  e  bref: 
pedem^  fehrem,  bene,  venit,  parce  que  nous  avons  en  français  :  pied, 
fièvre^  bien,  vient.  On  voit  que  l'étymologie  française  et  la  pronon- 
ciation latine  se  contrôlent  Tune  l'autre  et  se  prêtent  une  mutuelle 
lumière. 

La  prononciation  correcte  du  latin  nous  fait  entrer  plus  avant  dans 
la  connaissance  de  la  conjugaison.  Ainsi  s'expliquent,  pour  ne  donner 
que  deux  temps  d'un  même  verbe,  i**  le  présent  de  l'indicatif  : 

cànto  chant  (chante). 

cdntas  chantes 

cdntat  chantet,  chante. 

cantdmus  (chantons). 

cantdtis  chantez. 

cdntant  chantent. 

,     2«  Le  passé  défini  : 

cantdvi  chantai. 

cantdsti  chantas. 

cantdvit  chantât,  chanta. 

cantdvimus  chantâmes. 

cantdstis  chantâtes. 

cantdrunt  chantèrent. 

De  même,  les  verbes  que  nous  regardons  comme  irréguliers  aujour- 
d'hui, trouvent  leur  explication   naturelle   dans  le  déplacement  de 
l'accent  latin,  déplacement  d'ailleurs  régulier.  Nous  ne  parlons  pas  de 
la  force  de  l'analogie. 
Présent  de  l'indicatif  : 

môveo  meus. 

môves  meus. 

môvet  meut. 

movémus  (mouvons). 

movétis  (mouvez). 

môvent  meuvent- 


248  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Nous  ne  noas  arrêtons  pas  plus  longtemps  sur  ces  faits  linguisti- 
ques qui  composent  l'histoire  même  de  notre  langue.  Personne  ne 
peut  plus  contester  aujourd'hui  que  le  latin,  prononcé  correctement, 
ne  jette  une  vive  lumière  non  seulement  sur  le  vocabulaire,  la  conju- 
gaison, mais  aussi  sur  la  syntaxe  française.  Par  là  s'explique  toute 
révolution  de  notre  langue,  par  là  aussi  nous  pénétrons  plus  avant 
dans  la  connaissance  historique  du  français  et  des  autres  langues 
romanes,  en  particulier  de  l'italien  et  de  l'espagnol. 

Ces  deux  langues  font  partie  maintenant  des  études  modernes  au 
même  titre  que  l'allemand  et  l'anglais.  Or,  l'italien  et  l'espagnol  sont 
faciles  à  apprendre  pour  quelqu'un  qui  prononce  correctement  le 
latin.  Ce  qui  rend  ces  langues  assez  difficiles  pour  nous.  Français,  ce 
n'est  pas  tant  le  vocabulaire,  qui  est  souvent  commun  avec  le  fran- 
çais, mais  c'est  surtout  l'accent  latin  que  nous  avons  perdu  dans  la 
France  du  Nord.  Si  les  Français  prononçaient  correctement  le  latin, 
l'accent  italien  et  espagnol  serait  facilement  saisi  et  reproduit  par 
eux.  Ainsi  en  disant  periculum  accentué  sur  l'i,  on  entend  immédia- 
tement l'italien  pericolo.  N'est-ce  pas  un  grand  avantage  de  pouvoir, 
après  ses  études  classiques  terminées,  parler  facilement  ou  du  moins 
entendre,  en  quelques  mois,  la  langue  de  deux  peuples  voisins  de  la 
France,  de  même  race  que  nous,  et  qui  ont  une  grande  importance 
littéraire  et  conmierciale  ?  ' 

(A  suivre).  Abbé  J.-M.  MEUNIER. 

UN  POÈTE 

I 

Je  voudrais  voir  entre  les  porte-lyre  une  plus  grande  fraternité.  Si 
chacun  de  nous,  en  efifet,  s'efforçait  de  mettre  en  lumière  ce  qu'il 
connaît  d'admirable  chez  ses  émules,  peu  à  peu  les  chefs-d'œuvre  de 
la  Poésie  contemporaine  pénétreraient  dans  les  masses;  on  applaudi- 
rait, —  et  ces  applaudissements  finiraient  par  faire  tomber  Findifférence 
des  foules  à  notre  égard.  Car,  je  l'avouerai,  je  n'ai  pas  foi  en  ceux  qui 
se  font  gloire  de  rester  incompris.  Un  beau  vers  fait  toujours  vibrer  le 
cœur;  une  belle  pensée  palpiter  l'âme.  «  L'art,  dit  H.  Taine,  a  cela  de 
particulier  qu'il  est  à  la  fois  supérieur  et  populaire  ». 

J'essaierai  de  parler  aujourd'hui  de  M.  Yves  Berthou,  un  doux  et  on 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  249 

modeste.  Son  noble  talent  est  fait  de  sincérité  naïve,  de  grâce  mystique 
et  de  force. 

A  peine  âgé  de  quarante  ans,  il  a  déjà  publié  :  Cœur  breton  (chez 
Godfroy),  La  Lande  fleurie^  Les  Fontaines  miraculeuses^  Ames  simples 
(chez  Lemerre),  La  Semaine  des  quatre  Jeudis^  recueil  de  ballades 
acerbes,  —  sans  compter  nombre  de  pages  semées  à  profusion  dans 
les  jeunes  Revues.  Enfin  va  paraître  prochainement  Le  Pays  qui  parle 
dont  chaque  poème  est  un  chef-d'œuvre. 

II 

Dans  le  volume  de  début,  la  personnalité  de  notre  poète  ne  se 
dégage  pas  bien  nettement,  il  est  vrai.  Son  inspiration  parait  un  peu 
confuse,  hésitante.  Elle  balbutie  des  choses  très  douces,  comme  voilées, 
n'osant  encore  s'affirmer,  prendre  l'essor.  Mais  dans  les  recueils  qui 
suivent,  avec  quelle  aisance  elle  monte  en  plein  ciel  pur,  d'un  beau 
coup  tfaile!  Quelle  douceur!  Quelle  puissance  aussi I  Vires  acquirit 
eundo.  Ce  qu'elle  chante?  Le  charme  ineffable  du  pays  natal  que  la 
lutte  pour  la  vie  nous  oblige  trop  souvent  à  quitter,  les  mélancolies  de 
Fexil,  l'indignation  du  poète  devant  la  croissante  invasion  des  Barbares 
qui  s'avancent  avec  leurs  mœurs,  leurs  industries,  leurs  chemins  de 
fer  sur  la  patrie  bretonne,  la  déchirent,  la  déflgurent  et  la  profanent  .. 

Découragés,  les  cœurs  aimants  sont  dans  la  peine. 

Avec  quelle  tendresse  filiale  il  l'évoque,  la  vieille  terre  d'Armor, 
telle  qu'il  la  vit,  aux  jours  de  son  enfance  heureuse  et  mystique  ! 

Captif  en  sa  ceinture  de  falaises  et  d'écueils  qui  le  protègent  contre 
l'éternel  assaut  de  la  mer  terrible,  le  paysage  déroule  ses  lignes 
harmonieuses,  sous  le  ciel  léger,  profond,  tout  parfumé  de  bruyères, 
de  genêts  et  de  thym  sauvage.  Voici  les  collines  vêtues  de  chênes  et  de 
landes  fleuries,  —  les  dolmens  antiques,  retraite  des  nains,  —  les 
menhirs  où,  dans  les  anciens  temps,  les  druides,  sortis  des  forêts 
profondes,  venaient,  à  certains  jours,  offrir  des  victimes.  Voici  les 
vieux  calvaires  plantés  depuis  des  siècles  aux  carrefours  des  chemins 
et  qui  planent,  avec  des  gestes  de  bénédiction,  sur  les  villages  groupés 
autour  de  l'église  dont  le  svelte  clocher  ajouré  et  rongé  de  lichen 
jaune  jaillit  avec  une  grâce  exquise,  ciselé  comme  un  reliquaire,  au 
milieu  du  cimetière  où  dorment  les  ancêtres,  en  attendant  le  jour  de 


250  REViJB  DU  NIVERNAIS. 

Dieu.  Voici  les  calmes  vallées  en  forme  de  berceau,  —  des  troupeaux  sur 
les  pentes  vertes,  —  au  fond,  des  claires  fontaines  qui  se  plaignent 
doucement  en  courant  dans  les  pierres.  Çà  et  là,  quelques  chaumières 
mornes,  coiffées  de  chaume;  des  métairies  solitaires,  assises  sur  la 
marge  d'un  champ  roux  de  froment  et  d'orge  ou 

Bans  les  parfams  de  miel  du  sarrasin  fleuri. 

Une  voix  de  biniou  s*élève  tout  à  coup  d'un  chemin  creux  et  elle 
s'éloigne,  sans  que  vous  ayez  aperçu  le  musicien;  on  entend  des 
fragments  de  sônes,  des  musiques  de  cloches,  des  chants  religieux.  Et 
vous  rcûcontrez  parfois  des  groupes  pittoresques  qui  s'en  vont  en 
pèlerinage  :  paysans  chevelus  au  large  chapeau  fleuri  d'un  brin  de 
bruyère,  femmes  pensives  avec  de  beaux  yeux  clairs  sous  un  bonnet  du 
temps  de  la  reine  Anne;  —  des  convois  funèbres  accompagnés  de 
pleureases;  —  des  cortèges  de  noces  conduits  par  le  violonaire.  Une 
fillette  grave  et  douce,  aux  yeux  purs,  en  coiffe  d'aïeule,  les  regarde 
passer;  un  vieux  mendiant  aveugle  qui,  dans  sa  majesté  de  roi  en 
haillons,  chante  d'une  voix  chevrotante  la  mort  des  bardes,  saint 
Gonery  marchant  sur  la  mer,  l'Océan  qui  roule  encore  dans  ses  mugis- 
santes colères  les  corps  des  belles  Atlantides  en^^louties,  les  restes  de  la 
mystérieuse  ville  d'Is,  la  légende  de  Tancien  monastère  bâti  par 
Rojanteline  .. 

Je  ne  sais  quand,  je  ne  sais  où. 
Dans  un  vieux  livre  jMmagine, 
J'ai  vu  briller,  comme  un  bijou. 
Le  doux  nom  de  Rojanteline... 

Mais  ce  que  M.  Yves  Berthou  a  le  mieux  dit  en  ses  poèmes,  c'est 
l'heure  pleine  de  mystère  et  d'inconnu  de  la  Nuit  commençante^  lorsque 
(«  la  Tristesse  s'approche  »  et  que 

Les  cloches  ont  sonné  le  glas  de  la  Lumière, 

l'heure  où  l'on  entend  «  les  genêts  causer  »,  où  les  revenants  viennent 
frapper  à  la  porte  des  chaumières  endormies,  où  la  Mort  fait  sa 
tournée  sinistre  le  long  de  la  côte.  Et,  par  les  crépuscules  lumineux, 
lcsdiaphanesapparitions,surlalande,deNotie-Dame-des-Claires-Nuits! 

Auréolant  la  Vierge  blonde, 
Au-dessus  du  bois  endormi, 
Parait  la  lune  toute  ronde... 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  351 

Au  milieu  de  cette  poésie  enchantée,  s'échappent  souvent  des  cris 
de  foi  et  d'amour  d'une  étonnante  profondeur,  d'admirables  prières 
qui  vont  jusqu'à  Dieu. 

Pourtant  —  le  dirai-je?  —  j'ai  regretté  vivement  de  rencontrer,  à 
la  fin  des  Fontaines  miraculeuses^  quelques  pièces  où  il  est  parlé  de 
Pbœbé,  reine  des  nuits,  et  d'Hélios  Ces  images  toutes  païennes 
détonnent  étrangement  dans  ce  beau  livre  et  rompent  l'uoité  d'inspira- 
tion qui  eût  été,  sans  elles,  si  pure  et  si  parfaite.  Heureusement,  cet 
oubli  ne  dure  point;  et  le  volume  se  termine  par  des  vers  suaves  : 

Ma  douce,  aUons  prier  Notre-Dame-des-Bois... 

Et  c'est  pour  nous  une  véritable  fête  de  donner  ici  les  strophes 
suivantes  que  M.  Yves  Berthou  veut  bien  nous  permettre  d'offrir,  en 
son  nom,  aux  sympathiques  lecteurs  de  la  Revue  du  NÙÊemais, 

LA  FONTAINE  MIRACULEUSE 

Je  suis  la  source  vive,  en  travail  à  toute  heure, 
Je  désaltère  rhomme  et  je  guéris  ses  maux. 
Vers  moi  tu  descendras  de  ta  proche  demeuie 
Puiser  Peau  pour  tes  gens  et  pour  tes  animaux. 

Froide  comme  le  cœur  des  vierges  les  plus  pures. 
Mon  onde  ici  jaillit  depuis  quatre  mille  ans, 
Et  sous  ma  voûte  de  granit  et  de  verdure 
Elle  est  limpide  ainsi  que  les  yeux  des  enfantF. 

Des  globes  de  cristal  s'élancent  de  mes  lèvres 

Vers  les  fougères  d*eau  penchant  leurs  rameaux  verts  ; 

Ma  vie  est  le  labeur  exempt  de  toute  fièvre, 

Active  également,  l'été  comme  Phiver. 

A  Taube  un  roitelet,  un  merle,  une  mésange 
Boivent  dans  la  rigole  où  chante  mon  trop  plein, 
Et  par  les  nuits  claires  d'été  je  vois  des  anges, 
Sur  la  marge  appuyés,  boire  au  creux  de  leur  main. 

Je  nourris  en  passant  les  grasses  cressonnières 
Et  dévale  par  les  rochers,  vers  les  lavoirs 
Où  scintillent  les  bras  roses  des  lavandières 
Qui  bavardent  sans  cesse  au  rythme  des  battoirs. 

Et  j^alimente  aussi  les  douais  où  rouissent 
Et  le  chanvre  et  le  lin  sous  les  pesants  cailloux, 
Et  la  mare  où  le  soir  les  folâtres  génisses 
Troublent  Tabreuvement  des  taureaux  en  courroux. 

J'infuse  un  nouveau  sang  aux  veines  des  prairies 
Que  féconde  l'ardeur  divine  du  soleil  ; 
Je  fais  pousser  le  foin  pour  douze  métairies, 
Dont  le  parlura  subtil  n'eut  jamais  son  pareil. 

Sur  mon  dôme  une  croix  se  dresse  vers  la  route, 
Où  Tartiste  ingénu  sculpta  la  Trinité  ; 
Mon  humble  et  saint  Patron,  immobile  en  sa  voûte, 
Sereineroent  préside  à  mon  activité. 


252  REVUE  DU   NIVERNAIS. 

Dans  les  premiers  beaux  jours  les  branches  d'un  vieux  rouvre 
Dont  j'ai  nourri  toujours  les  rameaux  souterrains, 
D'un  vert  feuillage  épais  et  frissonnant  me  couvrent  : 
L'étape  est  douce  au  gueux  qui  trempe  ici  son  pain. 

De  ce  coin  ignoré  mon  onde  souveraine 
Fait  couler  ses  vertus  sur  les  Quatre  Cantons, 
Et  tous  les  exaucés,  bourgeoise  et  châtelaine^ 
Fermiers  et  matelots  l'attestent  par  leurs  dons. 

En  son  vallon  fleuri  ma  chapelle  voisine 
Qu'ornent  les  ex-voto  de  mes  miraculés, 
Une  fois  Tan  de  mille  cierges  s'illumine 
Et  retentit  des  chants  des  pèlerins  zélés. 

Car  au  temps  neuf,  fidèle  aux  usages  antiques, 
La  foule  des  chrétiens  se  rassemble  en  ces  lieux  ; 
Et.  solennellement,  aux  accents  des  cantiques, 
Elle  descend  ici  pour  accomplir  ses  vœux. 

Dans  les  parfums  des  fleurs  de  la  terre  et  des  âmes 
Que  la  brise  de  mer  répand  sur  tout  l'Armor 
Et  dans  la  joie  ailée,  entre  les  oriflammes, 
Brille  au  soleil  ardent  le  reliquaire  d'or. 

Le  reliquaire  d'or  qui  garde  au  cours  des  siècles 
Le  chef  du  Saint  breton  dont  vous  devez  issir, 
.  Qui  cultivait  ici  son  champ  d'orge  et  de  seigle, 
Le  Saint  au  nom  duquel  j'ai  pouvoir  de  guérir. 

Depuis  seize  cents  ans  c'est  lui  que  Ion  invoque 
Et  le  doux  Seigneur  Christ  dont  il  pr<^ehait  la  Loi; 
Mais  deux  mille  ans  avant  cette  lointaine  époque 
Les  hommes  douloureux  s'acheminaient  vers  moi. 

Car  déià  dans  ce  val  et  plus  frais  et  plus  sombre, 
Plein  du  gazouillement  céleste  des  oiseaux, 
Les  vieux  Druides  blancs,  entre  a^jerçus  dans  l'ombre. 
D'un  geste  auguste  avaient  sanctifié  mes  eaux. 

Dans  la  nuit  du  passé  se  perd  mon  origine  : 
J'ai  toujours  animé  ce  temple  naturel  ; 
Mais  si  pure  est  mon  eau  que  chacun  s'imagine 
Que  ma  source  naquit  dans  les  Vergers  du  Ciel. 


III 

0  poète!  rien  ne  peut  plus  arrêter  les  Barbares...  D'infatigables 
monstres  les  amènent  en  hurlant  à  travers  vos  campagnes  mutilées. 
C'est  une  profanation.  Mais  la  délicieuse  physionomie  de  votre  vieille 
Bretagne  ne  périra  pas,  grâce  à  vous  ;  avec  son  charme  profond,  sa 
grâce  naïve,  elle  revit  tout  entière  —  à  jamais  fixée  en  vos  poèmes. 

Louis  Boulé. 


^(^ 


LA  MAISON  MORTE 

Nous  offrons  à  nos  lecteurs  un  dessin  détaché  du  volume  collectif 
sous  presse.  Il  accompagne  une  belle  poésie  de  M^n^  la  comtesse  de 
Champs  de  Salorges.  Nous  en  donnons  un  extrait  : 


Dors  en  paix,  foyer  déserté  ! 
Toi  qui  sus  nous  bercer  aux  jours  joyeux  ou  sombres  : 
Dors  sur  le  souvenir  de  ceux  qui  t'ont  quille 
Et  tressaille,  la  nuit,  quand  le  frôlent  leurs  ombres. 

Dors.  Et  si  l'étranger  doit  troubler  quelque  jour 
Le  calme  recueilli  dans  lequel  tu  reposes, 
Muet  sur  le  passé,  reste  banal  séjour  : 
Nul  ne  peut  évoquer  en  toi  l'Ame  des  choses  ; 

Nul  ne  profanera  les  secrets  vénérés  ! 

Du  mal  qui  te  brisa,  j'ai  souffert  e(  je  pleure  ; 

Mais  je  reste  i^ardien  des  pénates  sacrés 

Et  je  veille  à  leur  culte  au  loin  dans  ma  demeure. 

J'ai  dressé  dans  mon  cœur  un  autel  à  tes  dieux. 
Nid  glacé,  pour  moi  seul  jeune  et  vivant  encore. 
Dans  ma  mémoire  tel  jusqu'au  jour  où  mes  yeux, 
Comme  toi,  seront  clos  au  réved  de  l'aurore. 

Pèlerins,  à  ces  bords  qui  ne  me  verront  plus, 
Si  vous  avez  gémi  sur  des  bonheurs  perdus, 
Quand,  vers  le  seuil  désert,  votre  destin  vous  porte, 
Voyant  3es  volets  clos  et  le  deuil  sur  sa  porte. 
De  peur  de  la  troubler,  assourdissez  vos  pas. 
Et  par  pitié,  près  d'elle,  en  passant  parlez  bas. 
C'est  une  pauvre  maison  morte  ! 

Mai  1900.  C""  DE  Champs  de  Salorges. 


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REVUE  DU  NIVERNAIS.  255 

Herman  Gk>rter 

(1864) 

JOUR   D'HIVER 

Les  gardes  de  la  tour  firent  sonner  le  cor. 
Le  soleil  miroitait  sur  la  glace  brillante  ; 
Le  front  des  arbres  hauts  luisait,  pailleté  d'or; 
Le  vent  d*est  agitait  sa  faux  étincelante. 

La  neige  jaillissait  devant  tes  pieds  nerveux  ; 

Tes  yeux  brûlaient  Tazur  des  espaces  célestes  ; 

Un  tapis  tissé  d'or  était  dans  tes  cheveux, 

Un  vol  d'oiseaux  de  pourpre  était  dans  tes  mains  lestes. 

Tes  yeux  étincelaient,  jeunes  et  radieux. 
Aile  rouge,  en  ton  corps  volait  le  sang  vivace  ; 
Les  yeux  dorés  de  l'air  répondaient  à  tes  yeux  ; 
Là-haut  flottait  la  nue  en  écume  de  glace. 

Il  faisait  froid  de  gel.  Et  les  eaux  d'alentour 
Miroitaient  au  soleil,  nappe  de  glace  dure. 
A  cris  perçants  criait  la  lumière  du  jour, 
Qui  ne  pouvait  souffrir  tel  degré  de  froidure. 

Le  ciel  gonflait  sa  joue  et  soufflait  puissamment 
Dans  sa  trompe  d'or  pur,  en  ses  pomgs  enserrée. 
L'air  ne  put  contenir  pareil  résonnement, 
Creva,  jetant  la  neige  en  poussière  azurée. 

Le  monde  figurait  une  salle  au  décor 
Bleu-blanc,  avec  jardin  de  neige  scintillante. 
Sur  le  duvet  de  cygne  abaissant  ton  front  d'or, 
Tu  te  couchas  alors,  reine  blanche  et  riante... 

Jacques  Perk 

LE  RIRE 

Que  le  soleil  soudain,  au  sommet  des  collines. 
Dans  le  noir  de  la  nue  éclate,  il  va  briller 
Sur  les  pleurs  du  feuillage,  il  les  fait  scintiller, 
Semblant  liquéfier  cristal  et  perles  fines. 

Si  bien  qu'un  rire  sort  des  larmes  opalines. 
Ainsi  s'évanouit  ce  qui  peut  me  troubler, 
Mathilde,  quand  ta  bouche  éclot  pour  me  parler 
Et  qu'un  sourire  luit  sur  tes  lèvres  divines. 

Du  rire,  le  sourire  est  l'aube.  Quand  le  tien 
Pétille,  mon  oreille,  ah  !  le  boit  ;  et  combien 
De  joie  ardente  court  au  profond  de  mon  être  ! 

Ainsi,  yeux  clos,  je  vois  ton  front  blanc  rayonner, 
J'entends  ton  rire  clair  comme  l'argent  sonner, 
Le  matin,  quand  vient  l'heure  où  l'aube  va  paraître. 

Traduction  de  Achille  Hiluen. 


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'v.'AM.^     lu    >.o..n,i„    r-^.:cjr    iç-xue     :-    .Vr--s^    Iwccrors   zr^^zl.   àMik 


*?  '^'.r.t  -uya  î-fT'tirins- 


T»t,  '-rT-us  «-.uî"».  ^«riiC- *?•!*?   r«cam*TJi«»ecî  or^am- 


f  rv^^  :^  et. 


I.D. 


î    Lft  »«^££^  taes  -Ir^-ai-Liîu^rci  à  M^iJœ  ~  i  r   i . 


Le  IHrti:€%r-Cf^j\:^  ACHUXE  Hiiinnr 


,  Mw.  CL  r*^«« 


CROQUIS  NIVERNAIS 

LE    MARIAGE    DE    TOINE    IMAULAT 

PRÈS  trois  années  de  caserne,  Toine 
Piaulât  rentra  chez  lui,  an  village  de 
Moussiaux,  aussi  peu  dégourdi  qu'avant 
son  tirage  au  sort.  C'était  un  tout  bon 
garçon,  fort  comme  un  bœuf  et  pas 
laid,  ma  foi  ;  mais  il  n'avait  jamais  eu 
pour  deux  sous  de  cervelle,  et  malgré 
tous  les  efforts  du  brave  M.  Dourry, 
mailre  d'école  de  Saint-Benin,  Toine  ne  savait  ni  lire'  ni  écrire,  et 
comptait  avec  peine  jusqu'à  cent  sur  ses  doigts. 

A  son  retour  du  régiment,  il  trouva  la  maison  vide  :  le  père  et  la 
raère  étaient  morts.  Toine,  leur  seul  liéritier,  n'avait  pas  voulu  louer 
les  terres  pendant  son  service  ;  les  mauvaises  herbes  s'étalaient  gras- 
sement partout,  les  haies  s'allongeaient,   s'élargissaient  en  pousses 
folles.  Toine  eut  la  meilleure  idée  qui  pouvait  lui  venir  en  pareille 
circonstance. 
—  Faut  t'  marier,  mon  vieux,  se  dit  il.  N'est  qu'  temps. 
Il  n'avait  jamais  pu  se  faire  une  bonne  amie  à  Moussiaux  avant 
d'être  conscrit  :  les  filles  se  moquaient  de  lui.  Il  ne  savait  ni  danser, 
ni  blaguer,  ni  caresser,  et  cet  isolement  forcé  l'avait  souvent  rendu 
bien  malheureux.  Cependant,  il  n'était  pas  encore  assez  simple  pour  ne 
pas  comprendre  qu'à  présent,  moustachu  et  maître  de  son  bien,  presque 
toutes,  et  à  coup  sûr  les  parents  de  toutes,  le  trouveraient  bon  et 
diraient  oui. 
Il  fit  un  tour  dans  le  village,  fut  tout  surpris  de  trouver  grandes  et 

11 


2.V<  REVUE  bV  5ITER5A15. 

fiMjijtrii.-s  h-s  gamines  qui  avaient  d'>aze  et  treize  ans  a  soa  départ 
T*'il  i'.'  Il:  »n']^  le  r^«:'il  parfaiteiD-nt.  Il  but  une  chopine  à  droite,  ooe 
cl;  '[Mi.e  à  ;:  ijch'^.  rtriJisaûl  partoat  la  mcme  chose.  Il  revint  chez  lai 
ad>*'Z  c  p^riip^tle  »,  oiâii  décidé  à  demander  aa  père  Chaame  b  main 
d'-  la  Marie  c  pointée  >. 

Le  ;.  .e  Chaume  avait  deux  jameUes,  toutes  deux  s^appelaîent 
Marie  et  <*;  reï5*^mblai»^nl  comme  gouttes  de  lait,  a  part  ceci  qoe  Tune 
a\ait.  sur  le  coté  droit  du  cou.  près  de  l'oreille,  on  grain  de  beantè  de 
la  grosxur  d'un  haricot,  ce  qui  Tavait  fait  suraommer  la  Marie 
n  pointée  >.  Sa  jijiij*.'lle  n'avait  pa?  tardé  à  s'entendre  appeler  Marie 
c  sans  p<jint  i. 

La  Marie  t  pointée  t  était  vive  et  intelligente,  la  Marie  t  sans  point  t 
lourde  et  "  c«jurte  d'esprit  >,  selon  la  pittoresque  expression  de  l'en- 
droit. 

Dès  le  matin,  Toine  se  rend.l  chez  le  père  Chaame,  qall  trouva  en 
train  d'enlever  le  fumier  de  SiS  vaches. 

—  Tin,  té  \1à,  suMat,  dit  Chaume. 

—  Uui,  j'arais  quéqu'  chouse  â  vous  dire. 

—  Marche,  dis  î 

—  Vous  plairait-y  dé  m'  douner  ta  Pointée  en  mariage? 

Le  visage  de  Chaume  s'épanouit  :  les  parcelles  de  Toinc  et  les 
sienne>  s^»  •  joutaient  »  admirablement.  Toine  serait  un  gendre  très 
facile  â  mener  et  possédant  trois  fois  autant  que  sa  fille  —  one  affaire 
d'or,  quoi  î  —  Il  répondit  : 

—  Oui,  mon  Toine,  ra  m'  plairait  même  hardiment,  mais  faorait 
savoir  d  abord  si  ça  plairait  à  la  Pointée  :  t'as  pas  encore  évu  V  temps 
d*y  parler. 

—  Parlez-y,  vou*,  père  Chaume,  et  vous  m'  rendrez  réponse 
demain. 

Chaume  prit  la  Pointée  à  part,  au  coin  d'un  champ,  et  lui  proposa 
Toine  sans  détours,  pensant  qu'elle  allait  éclater  de  joie.  Or,  la  Pointée 
pinça  son  joli  bec  et  dit  : 

—  J'en  veux  pas,  moue,  d'  Toine. 
Indigné,  Chaume  leva  le  poing  sur  sa  fille. 

—  T'en  veux  pas?...  saint  bon  Dieu!...  ganivelîe!...  t'as  don  la 
boule  sautée!... 


nËVUË  DO  NlVEHNAlS.  259 

—  Non,  repril  la  Pointée,  qui  tint  parfaitement  tête  à  l'orage,  j'ai 
seuPraent  V  cœur  garni. 

—  Par  qui?  mâtine,  par  qui? 

—  Té  fâche  pas.  C'est  par  un  pus  dégourdi  qu'Toine...  et  aussi 
riche.  DounVy  ma  sœur  Sans-Point  à  Toine.  Ça  peut  s*  balancer  en 
trois  s*maines  c*  mariage-là.  J' té  prouniets  d*y  faire  boun'  mine,  au 
berlaud,  dé  l' bicher  coum'  du  pain,  d'  Tentortiller  à  fond.  Té  veux-t'y 
m' laisseï'  faire?  ..  ça  va  marcher  tout  seul...  Va  T  trouver,  t*y  diras  : 
«  La  Pointée  répond  oui,  vins  la  courtiser  ton  saoul  ». 

Chaume  fit  la  commission  et  Toine  vint. 
La  Pointée  appela  sa  sœur. 

—  Ma  poule,  fit  elle,  câline,  vMà  V  Toine  qu'est  amoureux  d' toué, 
qu'  t'a  d'mandée  en  mariage  à  nout'  pa...  Ça  t'  va,  dis?  Sois  bin 
gente  avec  lui,  c'est  un  bon  garçon  qu'a  d'  belles  terres,  té  s'ras 
heureuse. 

La  Sans-Point  eut  un  large  sourire  et  répondit  : 

—  Ça  m'  va.  J' s'rai  bin  gente. 

Et  comme  Toine,  au  coin  de  la  cheminée,  restait  tout  honteux,  sans 
un  mot,  la  Pointée  le  prit  par  la  main,  l'entraina  dehors,  sur  le  banc, 
et  dit  à  sa  sœur  : 

—  Vin  don,  groûsse. 

Elles  se  mirent  Tune  à  droite,  l'autre  à  gauche. 
La  Pointée  fit  tout  bas  à  l'oreille  de  Toine  : 

—  Biche  d'abord  ma  sœur,  ail'  est  jalouse  et  pas  trop  marchande  dé 
raison.  Ça  y  Trait  trop  d'  peine  si  t' la  caressait  pas  un  p'tit  peu. 

Toine  embrassa  bruyamment  la  Sans-Point,  qui  lui  rendit  son  baiser 
à  pleines  lèvres. 

Trois  voisines,  cachées  derrière  la  haie  d'en  face,  furent  fixées. 
C'était  don  pour  la  Sans-Point  qu'Toine  était  v'nu. 

Mais,  cinq  minutes  après,  Toine  embrassa  aussi  fort  la  Pointée,  — 
et  les  voisines  partirent,  à  leur  grand  regret,  sans  savoir  à  laquelle  des 
jumelles  était  destinée  la  robe  blanche. 

Le  même  manège  recommença  tous  les  soirs.  Les  voisines  en  per- 
daient la  tète. 

L'une  d'elles  demanda  bien  un  jour  au  père  Chaume  : 

—  Laquelle  don  qu'vous  allez  marier  ? 
Chaume  répondit,  clignant  de  Tœil  : 


M^  REYCE  DU  NITERNAiS. 

\vHtx  \vn*tv^  eu  rjourtk  la  a.x-e. 
bit  i;^:  »,\M.*..j:M.'«:st:nji.'at  >tv!H  par  la  Poiotée,  laissait  les  curieux  et 

îrv\  s.    '.,  .v:;'v  !<t  •'.!  M»'  ivf.'c  ct'^  >i:ii[:'[»es  mots: 

X  •,»  ^\M  u  is  iii  ^''\i\d  .niir  iif  tri:u'^rent  pas.  Chaume,  avant  la 
xi',      u.  ^t*>si  -i  u.'iii»'  -^11    ni  ir  j:»^a«i*'f,  «iii  crut  bien  mener  la 


.     i,  x^       tf '!L  i  :  î^  il    -1 .  .-   .-'  1  :;.  aie  ['îe  T'»ine  s'aperçut  de 

..i...       .'•     :u  u  .1  .'-.  L  *.  .1   :  V-t:  -  :  i  2'»^>^-  ^^  jeune  femme, 

V  . . ..  V    ;i.a^    •  !•!    L  !  »:  -.  .ii:--.:.:   i   '••  m^^  impatience  non 

...  u\  iN.ii:  :rii  r    ::•  .  a  s*-- z:  i*  :!:•>:  •: -^st  la  Sans-Point  ! 
; ,»  '.otiXi^'  -lur^^r  «f  .t  p^  r  -t.  >!'Zs  '-  ••  --m pris,  se  mit  sur  son 

ijui  lut».'  d  -?  ■;  ^^i'  -^^r  --i—  '■'. 
î  a  "(.«V  »»r  T'.'Li^r-»^'.  '--^i-i.  T  \\-^  1<  r-.:!::?  .•  ii^i»  m^^al  et  sentit  sa 

V  vV'at  tr.L,:*-?.  Ir-a::v[-a->.  >; i^'-r j-t- . .  ri  bia  !  tant  mieux!... 
i.iCllo-ci  e^l  pif  f.::--  p  ^  t!:!!':  :f*r.  l..^^^  i:.r.  iri»*  «{le  Taule.  Vaut 
miv'dxî  oui...  va  .1  lJ-  ,i!...  A.l'  z*:i!  tt^:  rK<  a  i-»  /tr.Hnper!... 

La  nius-P-Il:.  n'y  ••■  ^.:r-::'L:  t  v:/:rs  r>2.  r^i  -  la  p»:u  rassurée 
(|t»aaJ  m^iiie  p-ir  l'a  r  p  >»:.j.  ^?  «i^  >ja  ilî.-:.  r-:-ii  <a  .juestion  : 

--  0»ii  q'fl-  «lis.  T    :.e? 

Il  sjpppx'ha  d  ]  î;:,  •^nlî^'a  T-^v •]-♦♦?  ri.  l:^<  ^i  .:c>.[u«^nt.  Gt  celte 
ropoii^  : 

—  Qui  que  jMli,  ma  ii>.l...  JMis  ria,  j  >t  is  »=a.v:«r  un  peu  saoul. 
KaiU  pas  faire  attention. 

l\unpl^!'t'^rL-Qt  rriiÀ:^.  la  Sans-PoiMt  l;.i  p '..îqu  sur  les  joues,  dans 
le  am,  lim  I-riiain'?  «ie  bons  l^^ois  bien  oaTjVjTjjrùs,  bien  sonores, 
bKHi  ttourrb, 

—  i^ûomei  i*i*  tv<  pj-  :.i.'h'r€  dVf  ma  f-mr^-  ? 

•     -''^^» •-         • 

—  5ati  Eli*  jVus  pas  fàch».'>\  nin-ni,  m-n  proûs  ^ir*!... 

Loiis  MiR.\rLT. 


nEVUE  DU  NIVERNAIS..  261 

AU   SOL  NATAL 

Or  je  me  sens,  ce  soir,  une  âme  toute  grise. 

Le  vain  espoir  abat,  si  le  souvenir  grise. 

Car  mes  yeux  tristes  n'ont  qu'un  horizon  de  toits. 

0  charme  évanoui  des  chansons  en  patois  ! 

0  douceur  lumineuse  et  blonde  des  soirs  chastes, 

Lorsque,  rutilant  d'or  et  merveilleux  de  fastes, 

Le  soleil  net,  à  l'heure  où  je  m'en  revenais, 

Se  couchait  lentement,  là-bas,  en  Nivernais  ! 

La  douceur  extatique  et  l'extase  si  douce 

D'ouïr  tel  ruisfîelet  gazouiller  sur  la  mousse 

Et  tel  arbre  frémir  de  la  brise  du  soir  ! 

La  douceur  immobile  et  calme  de  s'asseoir 

Pour  voir,  se  dispersant  en  vingtaines  de  lieues, 

Des  pâturages  verts  et  des  ardoises  bleues, 

Des  maisons,  des  clochers,  des  vignes,  des  moissons, 

Des  étangs  entourés  de  bois  et  de  buissons  ; 

Pour  voir  tomber  de  l'ombre  et  monter  des  fumées, 

Pour  s'emplir  les  poumons  de  ces  senteurs,  —  humées 

Comme  un  bouquet  de  vin  versé  dans  du  cristal,  — 

Qui  sortent  du  premier  sommeil  du  sol  natal  ; 

Pour  voir,  tout  au  lointain,  comme  un  roulis  de  vagues, 

D'imprécis  bercements  de  tonalités  vagues  ; 

Et  pour  se  demander,  puisque  là-bas,  là-bas, 

—  Le  ciel  étant  en  haut,  la  terre  étant  en  bas,  — 

Une  ligne  irréelle  et  rêveuse  sépare 

Cette  terre  et  ce  ciel  ;  puisque  ce  ciel  se  pare 

De  nuages  petits  qui  semblent  des  moutons, 

De  mirages  si  bleus,  si  blancs  que  nous  doutons 

Si  cet  azur  n'est  pas  un  étang  d'émeraude, 

Et  si  ce  blanc  n'est  point  une  vierge  qui  rôde 

Aux  taillis  parfumés  d'invisibles  forêts  ; 

Puisque  le  ciel  lointain  nous  semble  bien  plus  près, 

Rapproché  par  l'argent  splendide  de  la  lune. 

Par  les  étoiles  qui  sourient  l'une  après  l'une  ; 

Puisque,  de  plus  en  plus,  le  sol  s'éloigne  au  fond 

Des  ombres,  des  vapeurs,  des  grisailles  qui  font 

Comme  un  voile  divin  de  paix  et  de  silence  ; 

Puisque,  comme  un  bouleau,  tel  nuage  balance, 

Sur  un  autre  rosé  comme  un  bouquet  de  thym, 

Son  feuillage  d'ouate  et  son  tronc  de  satin,... 


562  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Pour  se  demander  si,  dans  celte  ombre  si  pâle. 
Dans  toute  l^amétliyste  et  dans  toute  Topale, 
Après  avoir  mué  leur  charme  essentiel. 
Le  Ciel  n'est  pas  la  Terre,  ou  la  Terre  le  Ciel  ! 

Et  puis,  derrière  moi,  ce  sont ce  sont  les  chênes  ! 

Enfin  c'est  le  Morvan,  puisque  c'est  le  granit  ! 

0  vieux  sot  que  j'adore,  ô  vieux  sol  qui  m'enchaînes 

Par  la  trisie  dpreté  de  ton  charme  infini  ! 

Je  voudrais  retourner,  comme  l'oisel,  au  nid  ! 

J'imagine  déjà  des  extases  prochaines 

....  Mes  montagnes,  allez  !  Faites  courir  vos  chaînes  1 
Le  poète  vous  aime  et  le  ciel  vous  bénit  ! 

(Lormes,  Montsauche,  Autun,  Châstellux  et  Gâcogne  !...} 

Il  peut  continuer,  le  bûcheron  qui  cogne  ! 
Elles  peuvent  venir,  la  névrose  et  la  faim  ! 

Vous  avez  vos  vielleurs  près  des  claires  fontaines  ; 
Et  vous  aurez  toujours,  et  vous  aurez  enfin 
Quelqu'un  qui  chante,  avec  des  chênes  par  centaines  ! 

He.mri  Bâcheun. 
12  juin  1902.  ' 


LE  ROUET 

f  Conte  d*une  grand'mère  à  ses  petiU^en fonts. J 

A  Me$9ieur$  Victor^  Georges^  Robert  W^  et  Jean  BT 

—  Vous  savez  bien,  mes  mignons,  que  lorsque  vos  chères  voix 
gazouillent  à  son  oreille  :  «  Grand'mère,  un  conte,  un  beau  conte  >, 
grand'mère  ne  sait  pas  vous  refueer. 

Aujourdhui,  voulez-vous,  nous  laisserons  de  côté  les  grottes 
enchantées,  les  fées,  les  magiciens,  les  enfants  gourmands,  désobéissants, 
querelleurs  et  je  vous  dirai  une  histoire  vraie,  dont  votre  chère  maman 
et  le  vieux  rouet  pljcé  sur  cette  étagère,  à  l'abri  de  vos  petits  doigts 
destructeurs,  ont  été  les  héros. 

Souvent,  malgré  votre  jeune  âge,  vous  avex  entendu  parler  de  la 
guerre.  C'est  avec  une  attention  et  un  intérêt  tout  particuliers  que  vous 
écoutez  grand-père  vous  raconter  ses  campagnes;  vous  aimez  qu'il 
vous  parie  de  batailles,  de  beaux  traits  de  courage,  de  croix,  de  grades 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  263 

gagnés  sous  les  balles  de  Tenneini.  Vos  petits  cœurs  de  Français 
s'enflamment  du  désir  d'être,  à  votre  tour,  de  braves  soldats,  de 
vaillants  officiers. 

La  guerre,  mes  chéris,  n'a  pas  que  des  gloires,  elle  a  aussi,  elle  a 
surtout  ses  horreurs. 

En  1870,  votre  grand-père  était  parti  des  premiers  se  battre  pour 
son  pays.  J'étais  restée  dans  notre  triste  demeure  avec  ma  mère  très 
égée  et  ma  flile,  votre  maman,  qui  venait  d'avoir  huit  ans. 

L'ennemi  envahissait  de  plus  en  plus  le  sol  de  France,  trop  vite, 
hélas  !  il  gagna  notre  retraite. 

Un  soir  d'hiver,  bien  triste,  bien  sombre,  malgré  l'heure  tardive, 
nous  n'osions  aller  dormir.  Pendant  toute  la  journée  le  canon  avait 
tonné  dans  le  lointain.  Un  vent  aigu  soufflait  en  tempête  et  pénétrait 
par  les  Assures  des  portes  et  des  fenêtres,  vent  de  malheur  et  de 
destruction.  Ma  pauvre  mère,  toute  grelottante,  consentit  cependant, 
sur  mes  instances,  à  se  réfugier  dans  son  1^1  où  étaient  empilées  les 
quelques  couvertures  que  les  Prussiens  avaient  bien  voulu  nous  laisser. 
Nous  avions  épuisé  notre  provision  de  chauffage,  la  plus  grande  partie 
en  ayant  été  réquisitionnée,  c'est-à-dire  prise  de  force  par  l'armée 
allemande. 

Assise  sur  mes  genoux,  au  coin  de  l'àtre  vide,  ma  filles  ma  petite 
Henriette,  frileusement  enveloppée  d'un  vieux  châle  qu'elle  partageait 
généreusement  avec  sa  poupée,  tressaillit violemmentàuncoup  decrosse 
de  fusil  donné  dans  notre  porte  qui  céda  sous  la  poussée.  Quatre 
uhlans  flrent  irruption  dans  la  pièce,  quatre  géants,  dont  l'un,  à  la 
longue  barbe  grise  où  le  givre  avait  formé  des  glaçons,  semblait 
commander  aux  autres  et  s'en  acquittait  vertement.  Son  audace  ne 
connut  pas  de  bornes  en  présence  d'une  faible  femme  et  d'une  enfant. 

—  Du  feu,  on  crève  de  froid  ici,  dit  cet  homme  qui  parlait  assez 
couramment  le  français. 

J'expliquai  que  nous  n'avions  plus  de  bois. 

—  Nous  allons  en  trouver,  répliqua-t-il.  Et  faisant  signe  à  l'un 
de  ses  subordonnés,  d'un  coup  de  genou  ils  défoncèrent  deux  chaises 
et  les  lancèrent  dans  la  cheminée  où  se  consumait  un  dernier  tison. 
Ma  table  à  ouvrage  subit  le  même  sort  et  bientôt  la  flamme  jeta  sa 
lueur  vive  et  brillante. 

Vautrés  devant  ce  feu  clair,  les  quatre  soldats  étendaient  leurs 


264  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

membres  engourdis  par  le  froid  et  mon  Henriette  elle-même,  attirée 
par  eetle  belle  flambée,  approchait  du  foyer  ses  petites  mains  bleuies. 
Quand  le  brasier  devint  moins  ardent,  ces  hommes  jetèrent  un  regard 
circulaire  pour  découvrir  quelque  objet,  propre  à  l'alimenter,  parmi  ce 
qui  restait  de  notre  mobilier.  Le  rouet  de  ma  mère  se  dressait  sur  une 
console  avec  sa  quenouille  à  demi  filée.  Le  géant  à  barbe  grise  fit  vers 
lui  un  geste  qu'hélas  !  je  compris.  Le  plus  jeune  soldat,  un  grand  blond 
aux  yeux  bleus  clairs,  obéit  à  l'ordre  de  son  chef  et  étendit  le  bras 
pour  s'en  emparer.  Un  douloureux  frisson  me  saisit  en  prévoyant  le 
sort  réservé  à  cette  relique  de  famille,  transmise  de  mère  en  fille.  Cher 
vieux  rouet  qui,  sous  des  doigts  agiles,  avait  filé  le  lin  et  le  chanvre  de 
plusieurs  généralions,  travaillant  pour  le  trousseau  de  la  jeune  épousée, 
pour  vêtir  les  membres  frêles  du  petit  enfant,  pour  envelopper  au 
cercueil  le  corps  usé  de  l'aïeule.  Tous  ces  souvenirs  m'arri valent  en 
foule  et,  cependant,  je  ne  fis  pas  un  mouvement  dans  le  but  d'arrêter 
l'œuvre  de  destruction,  tant  je  craignais  d'attirer  sur  ma  fille  la  colère 
des  ennemis,  mais  elle,  la  chère  petite,  plus  vaillante,  s'échappa  de 
mes  bras  et,  dominant  la  terreur  qui  l'étreignait,  bondit  devant  le 
soldat  : 

—  Oh  !  pas  ça,  monsieur  le  uhlan,  je  vous  en  prie,  ne  brûlez  pas 
le  rouet  de  grand'mère^  elle  en  pleurerait,  il  ne  faut  pas  faire  pleurer 
grand'mère,  attendez. 

Comprit-il  ce  nom  de  grand'mère  ?  Evoqua-t-il  là-bas,  au  pays,  le 
souvenir  d'un  vieux  et  doux  visage  encadré  de  cheveux  blancs? 
L'homme  hésita.  Profitant  de  cette  minute  de  répit,  Henriette  courut 
vers  un  coin  de  la  chambre,  apporta  à  pleins  bras  le  berceau  de  sa 
poupée  et,  héroïquement,  le  jeta  dans  les  braises  en  disant  : 

—  Voyez,  cela  fait  un  aussi  beau  feu  ! 

La  fiannne,  en  effet,  léchant  l'osier  doré,  se  jouant  dans  le  satin  bleu 
ei  les  fines  dentelles  s'élevait  plus  ardente  que  jamais.  Stupéfaits,  les 
uhlans  contemplaient  cette  petite  figure  vivement  colorée  par  Tardeur 

r.Hilnil  jiisijuVt  s;i  Itnrbi*  *^vm.\  Un  insluul,  11  resla  ^ongt^ur»  tof  Jiwi 
|mT(Iiis  d;iiis  |r  \iii,nir  ;  priil-iVLn%  lui  aii^si^  enl revoyait  il,  de  Taiilit 
c6l<i  lie  la  frunUèro,  unti  douce  et  consolante  vblûa:  pdllt*  lîlle  nmd 
îj|nii(b'  qui  lu  uuiiiui:iîl  |^i'and-pore  ! 
lJ"iiH  ion  \nv\\  il  dit  quelques  tmh  en  aUtiuand  «?l  leu(i*uieiil,  «ai 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  265 

répliquer,  comme  lui,  les  hommes  s'enveloppèrent  de  leurs  manteauK 
et  s'allongèrent  sur  le  parquet  où  ils  ne  tardèrent  pas  à  s'endormir 
sans  plus  s'occuper  du  foyer  qui  bientôt  s'éteignit. 

Peu  rassurées  cependant,  nous  restâmes  là  toute  la  nuit,  Henriette  et 
moi,  retenant  notre  respiration  pour  ne  pas  troubler  leur  sommeil. 

A  l'aube,  ils  se  levèrent  silencieux,  ramassèrent  leurs  armes  et 
partirent  sans  s'occuper  de  nous  davantage.  Seul,  au  moment  de  franchir 
le  seuil,  le  chef  se  retourna  et  arrêta  longuement  sur  ma  fille  un  regard 
ému  I 

Enfants,  la  France  ne  restera  pas  toujours  vaincue  ;  l'Alsace  et  la 
Lorraine  dont  grand-père  vous  parle  sans  cesse  lui  reviendront  un 
jour,  c*est-à-vous,  peut-être,  qu'il  appartiendra  de  les  reconquérir.  Oh  ! 
dans  cette  guerre  certaine  de  la  revanche,  conduisez-vous  toujours  en 
héros,  mais  souvenez-vous  qu'autrefois,  pour  votre  mère,  un  ennemi 
se  montra  compatissant  et  n'oubliez  jamais  qu'un  guerrier,  et  surtout 
un  guerrier  français,  doit  garder  au  cœur  assez  de  pitié  pour  éviter  de 
faire  couler  volontairement  les  larmes  des  vieillards  et  rester  accessible 
aux  prières  des  petits  enfants.  Myriam. 


LES  POÈTES  DE  L'AMOUR /5u//e; 

—  Jean  Lahor,  disciple  et  apôtre  du  bouddhisme,  et,  qui  mieux  est, 

apôtre  convaincu,  prêche,  au  rebours  d'Armand  Silvestre,  la  chasteté 

sloîque  et  sereine  dans  l'abandon  de  l'âme  et  le  sacrifice  de  l'être  à  la 

destinée  : 

Sois  pur,  le  reste  est  vain,  et  la  beauté  suprême. 
Tu  le  sais  maintenant,  n*est  pas  celle  des  corps  ; 
La  statue  idéale,  elle  dort  en  toi-même  ; 
L*œuvre  d'art  la  plus  haute  est  la  vertu  des  forts. 

Mais,  avant  de  mépriser  les  jouissances  d'ici-bas,  l'auteur  de 
Y  Illusion  les  a  connues  et  ressenties,  et  même  savourées  ;  il  a  désiré,  il 
a  aimé,  et  il  a  épanché  ses  rêves  et  ses  contemplations  dans  ses 
splendldes  Chants  de  V Amour  et  de  la  Mort. 

Comme  tous  les  êtres  de  l'univers,  d'après  la  philosophie  de  Çakia- 
Houni,  ne  sont  que  des  apparences  éphémères  d'un  Dieu  indéfini  et 
inconscient,  des  formes  changeantes  de  l'Etre  total,  tout  dans  le 
monde,  hommes  et  choses,  se  mêle  en  des  unions  secrètes,  tout  dans 


266  R^yUR  DU  NjVEBWite, 

Tamour  ^  les  seoleqrs,  les  chants,  les  Q^u^s,  les  Ameselleft-piéiDes  — 
s'harmonise  eu  une  mystérieuse  eurythmie  : 

Les  soirs  d'été  les  fleurs  ont  des  langueurs  de  femmes. 
Les  fleurs  semblent  trembler  d'amour,  comme  des  âmes. 

«  n  aime  magnifiquement,  dit  M.  Jules  Lemaftre,  car  la  naturp 
entière  lui  fournit  des  images  pour  exprimer  son  amour  >«  La  nature 
est  ici,  en  effet;  le  reflet  de  Tâme,  comme  Tâme  est  le  reflet  de  la 
nature  ;  les  roses  s'embaument  dans  les  parfums  des  aveux  ;  les  nuits 
s'étoilent  dans  les  lueurs  des  voluptés.  Hais,  tout  n'étant  que  mira^p 
dans  réternelle  Maya,  le  sentiment  de  la  fuite  du  temps,  rameriunie 
du  néant  ambiant  assombrit  déjà  la  clarté  de  Theure  : 

Ce  qui  rend  ce  grand  ciel  à  nos  regards  si  doux, 
C'est  l'ivresse  d'aimer  qu*exhale  tout  notre  être, 
£t  c'est  par  tout  Tamour  qui  s  exhale  de  nous 
Que  cette  immense  nuit  nous  caresse  et  pénètre. 

Sois  donc  ivre,  ô  mon  âme,  et  sois  ivre  toujours; 
La  seule  illusion  fait  la  beauté  des  choses; 
Mais  pleure  aussi  parfois,  sachant  que  tes  amours 
Ont  la  fragilité  des  lèvres  et  des  roses. 

—  Emile  Trolliet,  lui,  n'est  ni  bouddhiste,  ni  parnassien,  ni  symbo- 
liste :  il  est  simplement  poète^  comme  il  fut  simplement  amoureoi. 
C'est  une  idylle  tout  ordinaire  qu'il  a  poétisée  dans  les  Tendre9utei  Ut 
Cultes  :  il  a  aimé  une  femme  qui  l'aimait,  leurs  cœurs  se  sont  livrés 
Tun  à  l'autre;  ils  ont  d'abord  lutté  pour  garder  leur  amour  pur  dans  la 
lumière  du  platonisme  ;  et  cela  s'est  fait  comme  cela  se  fait  toujours  : 
dans  rinvincible  attraction,  les  âmes  se  cherchent  et  ce  sont  hélas!  les 
corps  qui  s'unissent;  puis  un  peu  de  bonheur  a  lui»  voilé  déjà  de 
regrets,  puis  ce  fut  répreuve  de  la  séparation  dans  le  fatal  écoolemeot 
de  la  destinée...  comme  toujours. 

Or,  c'est  justement  de  cette  simplicité,  de  cette  sincérité  que  découle 
le  charme  de  ces  poésies.  Nombre  d'écrivains  sont  plus  raffinés  oo  plas 
habiles  qu'Emile  Trolliet  ;  aucun  peut-être  ne  touche  plus  intimeffleat, 
ne  donne  plus  fortement  Timpression  du  vécu,  la  sensation  du  réel. 
Délicatesses,  élans  fugitifs,  craintes  indécises  fondues  en  sourires, 
aveux  tremblants,  fièvres  de  langueur,  tout  cela  frissonne  dans  ces 
vers  que  r}ihment  les  battements  du  cceur^  Et  n'entendez  pa:^ 
par  là  que  Fauteur  soit  un  chercheur  de  sensualités  :  l'amour  ebaste  en 


RE\(JB  DU  NIVERNAIS.  261 

son  ardeur,  ardent  en  sa  pureté,  n'est  Ici  ni  mystique  ni  charnel.  Ces 
chants,  troublants  jusqu'à  la  nostalgie,  ne  sont  jamais  pervers;  en  eux 
s'épanouît  seulement  «  cet  infini  du  cœur  appelé  la  tendresse  ». 

La  tendresse,  plaisir  calme  et  délicieux, 
Sentiment  vague  et  doux  de  Fhomme  pour  la  femme, 
Si  complet  qu'il  suffit  pour  inonder  une  âme. 
Si  divin  qu*il  sufOt  pour  faire  croire  aux  cieux. 


Saint  comme  l'amitié,  profond  comme  Tamour, 
Aussi  bon  qu'un  baiser,  aussi  vrai  qu'une  larme. 

Puis  la  vie  a  passé;  les  chagrins  et  les  lassitudes  ont  flétri  le  rêve. 

L'amie  est  morte,  et  le  poète,  respirant  dans  le  souvenir  les 
parfums  expirants  des  fleurs  brisées,  pleure  sur  la  tombe  close  comme 
ses  yeux,  à  jamais. 

Tu  mourus  doucement  comme  une  fleur  qui  tombe... 
Et  j*erre  maintenant,  pâle  et  le  cœur  en  deuil. 
J'ai  tout  mon  avenir  enterré  dans  ta  tombe. 
Tous  mes  rêves  joyeux  cloués  dans  ton  cercueil. 


Que  les  deux  fiancés  s'épousent  dans  la  tombe, 
Et  dans  la  mort  du  moins  que  je  te  sois  uni  : 
Appelle,  appelle- moi,  douce  et  blanche  colombe, 
Et  pour  l'éternité  fais-moi  place  en  ton  nid. 

—  Félix  Jeantet,  dans  les  Plastiques^  a  exalté  en  un  fastueux  lyrisme 
la  beauté  de  la  femme  :  tantôt  dans  la  contemplation  il  célèbre  la 
déesse  aux  formes  de  statue,  tantôt  dans  la  passion  il  encense  l'Eve 
troublante  et  séductrice,  s*enivrant  de  sensualité.  Mais  à  certaines 
pages  l'émotion  profonde  du  cœur  attendri  vibre  parmi  les  voluptés 
comme  une  brise  de  fraîcheur  dans  les  soirs  lourds  d'ôlé^  et  l'on  écoute 
avec  délices,  comme  en  un  rêve  crépusculaire,  Tàme  du  poète  chanter 
le  mystère  des  t  yeux  de  velours  ^  : 

0  mort  fatale,  écrite  en  ces  yeux  que  j'aimais. 

Une  angoisse  me  hante  : 
Si  c'était  toi,  secrètement,  qui  me  charmais, 

Mort  dormant  sous  leur  eau  dormante? 


Comme  de  doux  oiseaux  dans  leur  nid  dérobés 
Et  qti'un  souffle  eflarouche, 
les  sentais,  sous  Tor  des  longs  cils  recourbés,  } 
Remuants  et  chauds  sous  ma  bouche. 


268  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

Ah  !  follement,  oui  follement,  sans  rien  prévoir, 

Mes  baisers  extatiques, 
Loin  de  le  détester,  cherchaient  le  spectre  noir 

En  leurs  langueurs  énigmatiqnes, 

Et  toujours,  dan»  les  nuits,  je  me  repenthrai, 

Toi  qui  dors  sous  le  chêne, 
D*avoir  obscurément  en  toi-même  adoré 

Le  charme  de  ta  mort  prochaine!... 

Je  ne  nommerai  que  pour  mémoire  le  grand  poète  Frédéric  Mistral. 
Pour  étudier  son  œuvre,  il  conviendrait  d'être  initié  aux  secrets  de  la 
langue  provençale;  et  puis  on  l'a  fait  tant  de  fois,  Lamartine  le 
premier,  dans  son  Cours  de  littérature^  dont  quelques  pages  consacrèrent 
la  jeune  gloire  de  l'auteur  de  Mireille.  Parmi  les  poèmes  d'amour, 
cette  admirable  idylle  de  passion,  candide  et  brûlante  à  la  fois,  brille 
comme  un  diamant  magique  où  se  colore  en  feux  éblouissants  le  soleil 
de  Provence. 

♦  ♦ 

Dans  la  foule  des  jeunes  (je  parle  des  jeunes  jeunes),  il  en  est 
aujourd'hui  beaucoup  qui  ont  du  talent  et  que  l'on  ignore  trop  I  Jamais 
le  soleil  de  la  poésie  n'a  illuminé  tant  d'âmes.  On  répète  partout, 
comme  un  refrain  monotone,  que  le  siècle  est  triste  :  c'est  peut-être  le 
noir  de  la  vie  qui  met  du  rose  dans  les  cœurs.  Il  est  vrai  que  la  poésie 
moderne  est  le  plus  souvent  mélancolique. 

—  Parmi  les  poètes  d'amour  qui  se  sont  révélés  dans  ces  dernières 
années,  il  faut  nommer  Henry  de  Forge,  l'auteur  de  Pleurs  de  rêves, 
dont  le  luth  amoureux  a  des  chants  très  doux  et  des  plaintes  très 
tendres,  rythmant  la  mélodie  frémissante  des  songes  des  vingt  ans.  Le 
poète  a  erré  longtemps  dans  le  jardin  d'amour,  il  a  respiré  les  lys 
d'innocence  et  cueilli  les  roses  de  volupté;  mais,  toujours  inapaisé,  il 
garde  au  fond  du  cœur,  en  de  pensives  nostalgies,  le  désir  des 
suprêmes  tendresses.  Et  voici  que,  tout  à  coup,  par  des  sentiers 
lèiiùjjjvux,  il  kl  \nh  v+jiiir  à  lui  coinînc  une  fée  ïvierifaisante,  lu  liaiiaf. 
eiA  sa  délicatesse  de  vier^je  et  son  sourire  d'amie,  Et,  traboril.  Un!  il  a 
souffert,  il  ne  peut  croire  au  bonheur,  tremblant  de  voir  la  \ïâim  d  k 
rêve  s'évanouir  : 

Mais  tu  vfCm  tant  et  Unî  souri^ 
Tu  m'as  donné  ta  ni  de  tendi^eae, 
Tant  de  baisers  et  biU  d'ivresse, 
*  Qne  mon  doute  fi*eȕ  rendonni. 

Et  j'ûi  cru.  Tu  m'avais  ^éri,« 


REVUE  DU  NIVERNAIS  269 

Marchant  le  même  long  chemin, 
Long  chemin  de  mélancolie, 
Ta  vie  a  rencontré  ma  vie, 
Ton  regard  a  croisé  le  mien, 
Et  ta  main  a  pressé  ma  main. 

Ce  livre  a  tout  le  charme  d'un  premier  amour.  On  sent  Tauteur  si 
sincère  que,  son  âme  pénétrant  l'âme,  on  ne  peut  que  Taimer.  Ses 
strophes  limpides,  rêveuses,  d'inspiration  originale,  aux  larmes 
évaporées  en  sourire,  à  Témotion  ombrée  de  mélancolie,  enveloppent 
et  caressent  le  cœur,  aussi  fraîches,  aussi  parfumées  que  les  fleurs  de 
cette  gracieuse  légende  des  Norvégiennes^  si  délicieusement  chantée 
par  le  poète,  fleurs  qui  voguent  sur  les  flots  harmonieux  vers  Tamour 
et  vers  l'idéal  : 

Au  sortir  de  l'église,  elles  cueillent  les  fleurs, 
Les  plus  belles,  les  lys,  les  roses  que  Taurore 
Du  grand  soleil  du  pôle  à  minuit  fait  éclore, 
Puis  en  font  des  bouquets  pleins  d'exquises  senteurs, 

Et  les  deux  bras  chargés  du  précieux  butin. 
Lentement  elles  vont  vers  un  rocher  immense 
A  pic  sur  rOcéan,  dont  le  flot  se  balance 
Dans  les  lueurs  d'argent  à  Thorizon  lointaia.. 

Là,  tournant  leurs  regards  ensemble  vers  le  Nord, 
Vers  le  chemin  qu'ont  pris  les  chères  voiles  blanches. 
En  un  geste  très  triste  elles  lancent  les  branches 
De  fleurs  qui  vont  tomber  dans  la  vague  du  Qord... 

Et  la  légende  dit  que  les  flots  attentifs 
Porteront  aux  aimés  les  bouquets  sans  dommage. 
Que  Dieu  même  là-haut  gardera  du  naufrage 
Les  calices  des  fleurs,  doux  et  tremblants  esquifs. 


(.4  suivre).  Fernand  Richard. 


TK  MVUB  m  mTBHNAIS. 


LA  LÉGENDE  DU  MARTIN-PÊCHEUR 

ÀVo(iat,  pàséônfi  au  déluge. 
(Racike,  les  Plaideurtf  acte  III,  scène  m.) 

dette  légende,  enfante,  dotrs  reporte  au  déluge  : 
Depuis  des  mois  entiers  dans  l'arche,  son  refuge, 
Sans  pilote^  Noé  natiguait  sur  les  eaux  : 
N'ayant  toujours  pas  vu  la  terre  reparaître. 
Il  lâcha,  de  la  nef  entr'ouvrant  la  fenêtre, 
La  colombe,  choisie  entre  tous  les  oiseaux. 

Pourtant  les  jours  passaient  sans  que  la  messagère 
Rapportât  quelque  espoir  sur  son  aile  légère  : 
Alors  Noé  lança  notre  martin-pêcheur  ; 
Mais  fou  de  liberté^  d'espace  et  3e  lumière, 
Martin  fit  tant  et  tant  l'école  buissonnière 
Qu'il  en  oublia  l'arche  et  le  navigateur. 

Il  monta  dans  l'azur  teindre  ses  plumes  bleues  ; 
Dès  sa  première  étape  il  avait  fait  des  lieues 
Kt  son  ventre  gardait  du  jour  l'éclat  vermeil  ; 
Emeraude  et  saphir,  sa  tète  éblouissante 
Se  dressait,  et  la  terre,  à  ses  pieds  renaissante^ 
Déjà  s'enaAtioùràit  aux  baisefs  du  soleil. 

Cependant  la  colombe  enfin  était  rentrée^ 
Portant  de  l'olivier  une  branehe  sacrée, 
Puis  le  grand  patriarche,  en  un  soir  solennel, 
Aux  flancs  de  ^A^arat,  montagne  d'Arménie, 
Avait  fait  consumer,  l'épreuve  étant  finie. 
Son  arche  en  holocauste  aux  yeux  de  TEternel. 

Et  quand,  pris  de  remords,  honteux  de  son  audace, 
Martin-pécheur  voulut  se  remettre  à  la  trace 
Du  vaisseau  qu'il  avait  sans  nouvelles  laissé, 
Il  ne  le  trouva  plus  et  toujours  marche,  marche. 
Demandant  aux  cours  d'eau  de  quel  côté  va  l'arche 
Et  si  le  vieux  Noé  sur  leurs  bords  est  passé. 


Lucien  Jent. 


•>G|£r 


GUSTAVE  MATHIEU 

Armand  Stlves^re,  i^n$  un  article  pari)  4^n9  le  (7^  Bla^  du  6  mai 
1885,  iotUplé  4u,patfs  des  ip^vmrif  p^ipt  G.  Mathieu  ainsi  | 

€  Cbapeau  gris  sur  Toreille  ;  œil  toujours  éiherilloané  ;  barbe  blan-r 
che  et  fleur  à  sa  boutoonlère  ;  uo  peu  oapitan  et  un  peu  commissioBr 
oaire  en  vin  ;  —  exquis  au  demeurant,  —  Poète  à  ses  heures,  bàblemr 
toujours  :  yoici  Gustave  Mathieu,  un  autre  habitant  de  ce  petit  Paradis 
terrestre  p.  (Il  s'agit  d'une  façon  de  ferme  en  painiature,  à  vingt  mètres 
d'un  coin  de  la  Seine,  délicieux  entre  tous,  une  maison  et  un  jardin 
tout  rempli  de  bètes,  comme  si  Tarche  de  Noé  eût  échoué  là  ;  et,  pojur 
compléter  Tillusion,  sur  le  fleuve,  amarré  à  la  rive,  un  chaland  traasr 
formé  en  serre,  tapissé  à  Tintérieur  de  plantes  grimpantes,  un  second 
logis,  parfaitement  habitable,  dominant  les  têtes  tremblantes  des 
roseaux.  Cette  installation  d'artiste  était  tout  proche  du  poat  de  Val- 
Tius^  à  quelques  kilomètres  de  Fontainebleau).  L'endroit  appartenait  à 
H.  Charles  Fume,  libraire. 

Armand  Silvestre  ajoute  en  parlant  de  G,  Mathieu  { 

c  ...  La  silhouette  de  Gustave  Mathieu  s'encadrait  à  merveille  dans  ce 
décor  de  vie  rustique,  et  son  image  avait,  dans  la  rivière,  des  frémis- 
sements de  spadassin  prêt  à  dégainer  dont  la  gent  timide  des  gre^ 
nouilles  devait  être  positivement  épouvantée  ». 

«  Il  avait  des  histoires  de  sa  vie  de  corsaire  qui  auraient  stupéfié  les 
navigateurs  ordinaires.  Mathieu  faisant  stopper  son  brick  et  abordant 
dans  une  Ile,  parce  qu'il  avait  la  colique  I  II  vous  disait  cela  avec  un 
air  de  conviction  sans  réplique  et  croyait  seul  à  ses  aventures.  Doué 
d'une  imagination  vive,  il  concevait  la  profession  de  capitaine  à  bord 
comme  ressemblant  beaucoup  à  celle  de  conducteur  d'omnibus.  Il  s'ac- 
cusait très  sérieusement,  pour  avoir  rencontré  deux  ou  trois  fois  le 
pauvre  Cochinat  dans  les  brasseries,  d'avoir  fait  la  traite  des  noirs.  Il 
chantait  ses  chansons  avec  une  verve  qui  les  faisait  paraître  admi<* 
râbles.  Quelques-unes  sont  belles,  en  effet  ;  témoin  CAan/^to#>  et  cette 
jolie  ballade  que  La  Fontaine  chantait  dans  le  Gascon  de  Louis  Davyl 
et  qui  avait  pour  refrain  : 

Mon  grand-père  était  roaiigDol  ; 
Ma  grand'mère  était  hirondelle^ 


272  REVUE  DU  NIVERNAIS 

Mais  revenons  à  G.  Mathieu,  en  tant  que  Nivernais,  au  poète  de  la 
soirée  de  Marzy.  Nous  avons  vu  Alphonse  Daudet  dis£nt  que  Mathieu 
n'aimait  la  campagne  qu'en  vers.  Il  est  de  fait  que  dans  son  pays,  i 
part  sa  sœur  qui  pouvait  apprécier  ses  élans  vers  la  belle  nature,  les 
amis  qu'il  fréquentait,  qui  étaient  heureux  de  le  posséder  un  instant, 
étaient  des  citadins  endurcis  :  l'avocat  Balandreau,  dont  G.  Mathieu 
aimait  <  la  honne  figure  rabelaisienne  d  ;  Hippolyte  Barbier,  qui,  pas 
moins  que  son  ami  Roqueplan,  ignorait  la  campagne;  le  docteur 
Thomas,  ne  passèrent  jamais  pour  aimer  les  champs.  A  Champvert, 
chez  M.  Etienne  de  Vitry,  où  les  plus  gais  d'entre  eux  se  réunissaient, 
soit  pour  une  pèche  d'étang,  soit  pour  une  fête  du  village,  soit  simple- 
ment pour  se  rencontrer,  les  propos  de  table,  au  milieu  d'amis  et 
d'amies  venus  de  Paris,  tenaient  plus  de  place  que  les  visites  aux 
beaux  sites  et  l'extase  devant  les  soleils  couchants. 

Chez  les  parents  de  Mathieu,  à  Beaumont-Sardolles  ou  à  Verneuil,  la 
vie  aux  champs  était  délicieuse,  mais  là,  gravement,  dissertaient  les  gros 
bonnets  de  l'agriculture,  des  personnages  posés,  avec  signature  ayant 
cours  à  toutes  les  bourses  agricoles. 

G.  Mathieu,  admirable  vagabond  dans  le  royaume  de  la  poésie,  appa- 
raissait comme  une  sorte  de  bohémien  dans  le  domaine  de  la  nature. 
On  l'applaudissait,  comme  on  eût  applaudi  Pierre  Dupont  lui-même, 
quand  il  chantait  : 

Petits  enfants,  n'approchez  pas, 
Quand  voas  courez  dans  la  vallëc, 
Du  grand  étang  qui  fuit  là-bas 
Dans  le  brouillard,  sous  lafeuillée. 

Cependant,  à  Marzy  seulement  il  était  absolument  compris,  par  cette 
sœur  heureuse  de  le  retenir  quelques  instants  près  d'elle  ;  c'est  là 
qu'il  a  eu  les  impressions  champêtres  les  plus  pures  qu'ils  partagèrent 
jusqu'à  la  fin. 

G.  Mathieu  ne  fut  donc  jamais  un  rural  complet  ;  la  forêt  de  Fon- 
tainebleau, c'était  encore  Paris.  Mais  allez  donc  demander  à  un  homme 
de  ce  tempérament  de  vivre  sa{?ement  comme  notre  poète  Millien.  Son 
csi^nL  élail  incapable  d  abarjEluii  mysligiie  ;U.  MaLincii  lic^aMurla  pas 
dans  la  nature;  imhll  [a  tradtiisail  résolument  dans  ]t^  m^tdto^Mtm 
vives  et  naïves  de  [à  vie.  des  champs  qui  ravaitiot  impressionné  dii 
retifance.  Il  avait  toujours  saisi  d'ailleurs  la  minute  exacte  de  ta  baiin<' 
impressiau  qu'il  fixait  aussitôt  avec  une  singulière  vivaeltèi  Puis, 


REVUE  DU  NIVERNAIS.  273 

aussitôt,  il  éprouvait  le  besoin  d*en  faire  part  à  un  public  d*amis,  plus 
désireux  de  la  produire  ainsi  par  la  parole  que  par  rintlmilé  du  livre. 

C'est  ainsi  que  Ton  comprend  comment  on  a  pu  se  faire,  d'après 
l'inslant  et  le  milieu,  une  idée  différente  de  G.  Mathieu,  suivant  qu'on 
l'a  plus  ou  moins  connu  ou  qu'on  a  lu  simplement  ses  vers. 

Un  jour,  parbleu,  il  se  souvint  qu'il  descendait  d'agronomes,  qu'il 
était  né  dans  un  pays  d'élevage,  qu'il  s'appelait  Mathieu  ;  qu'Hésiode 
et  Virgile  avaient  fait,  l'un,  les  Travaux  et  les  Jours^  l'autre,  les 
Géorgiques;  qu'en  sa  qualité  de  poète  connaissant  ses  classiques  anciens 
(il  récitait  volontiers  des  vers  latins],  il  était  apte  à  donner  comme  eux 
des  conseils  aux  gens  de  la  campagne  ;  quenfin  il  avait  été  navi- 
galeur  et  comme  tel  connaissait  la  marche  des  astres.  Et  voilà  pourquoi 
il  créa  lAlmanach  de  Mathieu  de  la  Nièvre^  au  décès  de  Mathieu  de 
la  Drôme. 

[A  suivre.)  PAUL  MEUNIER, 


NOTES  SUR  LE  CHATEAU  DUCAL 
ET  SUR  LE  PARC 

Au  mois  de  brumaire  an  111 -(octobre  1794)  furent  mis  sous  le 
séquestre  tous  les  biens  de  Louis-Jules  Barbon  Mancini,  dernier  duc 
de  Nivernais,  se  composant,  entte  autres  choses  à  Nevers,  du  Parc,  du 
grand  château  et  du  p6tit  château  qui,  avec  leurs  dépendances, 
comprenaient  tout  l'espace  s'étendant  entre  la  maison  occupée  actuel- 
lement par  le  Crédit  lyonnais  et  la  rue  du  Doyenné  ;  la  rue  Sabatier 
n'était  pas  encore  ouverte. 

Ce  séquestre  fut  levé  le  3  pluviôse  an  VI  (22  janvier  1798),  Mancini 
ayant  été  rayé  de  la  liste  des  émigrés.  A  sa  mort,  arrivée  le  7  ventôse 
an  VI  (25  février  1798),  les  mêmes  biens  furent  de  nouveau  séquestrés 
sur  sa  fille  et  unique  héritière,  Adélaïde-Dîane-Hortense-Délie  Mancini, 
veuve  de  Louis-Ilercule-Timoléon  de  Cossé-Brissac.  Ce  second 
séquestre  fut,  à  son  tour,  levé  presque  aussitôt,  mais,  en  vertu  de  la 
loi  du  9  floréal  an  III,  l'Etat  conservait  certains  droits  sur  ces  biens, 
par  suite  de  l'émigration  de  Adélaïde-Pauline-Rosalie,  épouse  de 
Victurnien -Jean-Baptiste-Marie  de  Rochechouart-Morlemart,  flile  de 
M«»«  de  Cossé-Brissac.  Cette  dernière,  sëtant  rendue  adjudicataire  des 


LV'Z      £   .NIVER511S. 

r   '    -r-r.  -17   i''^  reïi<t^i;;nt'inLMi:jï 
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— .    î'it  i'-r  r  pr-'îuiLT  jour  «m  a«Mis 

...»     tlli-h^Tf    j:t*a  S«J'lV«MlL  P'prHT 

:    J"   "'VM. 'Iji:  »n  -le  la  viil»*  nt 

*    .  •  ---  :^  .li.'iua.  a'>3  avaiit-p«K'*t''S 

r*    ->.ia'"5  nrteaas  avant  k 

j  .  ^i^-^ôi-rie  et   les  aul'»nl-s 

.î-  •     i>  sur  la  rive  iri'i«:he 

.  --  L  Liilly.  L^  lonil^MiMiQ 

.'  ::  i^ns  les  villa;î»»s  d*^ 


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REVUE  DU  NIVERWAJS.  275 

La  municipalité  fit  de  vains  efforts  pour  faire  annuler  celte  décision. 
Le  conseil  municipal,  voyant  Tinutilité  de  ses  efforts,  consentit,  le 
30  pluviôse  an  XI  (9  février  1803]  à  acheter  le  château  conjointement 
avec  le  département. 

La  loi  du  17  floréal  an  XI  (7  mai  1803),  par  ses  articles  109, 110, 111 
et  112  autorisa  Tacquisition,  savoir  :  1""  par  l'arrondissement,  de  la 
partie  au  rez-de-chaussée,  du  côté  du  greffe  actuel,  jusqu'à  la  tour  du 
milieu,  pour  y  établir  le  tribunal  civil,  moyennant  3.000  fr.;  2^  par  le 
département,  de  ce  qui  se  trouvait  au-dessus  de  cette  portion,  pour  y 
établir  le  tribunal  criminel,  moyennant  7.000  fr.;  3^  par  la  ville,  de 
tout  le  surplus  du  grand  château,  pour  y  établir  le  lieu  des  séances  de 
la  municipalité,  remplacement  de  ses  bureaux,  celui  de  Tessayeur  de 
la  monnaie  et  le  logement  du  curé  de  Saint-Cyr,  du  petit  château  et  du 
Parc,  moyennant  une  rente  de  1.500  fr.  et  une  somme  de  6.000  fr. 

Cette  solution  fut  très  loin  de  contenter  les  habitants  de  Nevers. 
Pendant  quelque  temps  encore,  ils  essayèrent  de  faire  rapporter  cette 
loi.  Ils  avaient  tellement  Fespoir  de  réussir  que,  sans  tenir  compte  de 
ses  termes,  par  un  acte  sous  signatures  privées,  en  date  du  29  pluviôse 
an  XIII  (18  février  1805',  M.  Louis-Gaspard  Dard  d'Espinay,  maire  de 
Nevers,  acheta,  au  nom  de  la  ville,  du  mandataire  de  M°»«  de  Cossé- 
Brissac  :  c  1«>  le  grand  et  le  petit  château  des  ci-devant  ducs  de  Nevers, 
leurs  dépendances,  cours,  bâtiments,  jardins  et  généralement  tout  ce 
qui  se  trouve  dans  Tenclos,  ainsi  que  le  tout  s'étend  et  comporte  ;  2®  le 
jardin  appelé  communément  le  Parc,  avec  les  maisons,  bâtiments  et 
aisances  »,  moyennant  une  rente  annuelle  de  1.500  fr.  et  une  somme 
de  21.000  fr. 

Mais,  sur  le  refus  absolu  du  gouvernement,  la  ville  fut  obligée  de  se 
soumettre  et  la  vente  fut  enfin  régularisée,  conformément  à  la  loi  du 
17  floréal,  par  un  acte  passé  devant  Bareau,  notaire  à  Nevers,  le 
29  septembre  1810,  à  la  charge  de  payer:  par  l'arrondissement,  la 
somme  de  2.962  fr.  50  ;  par  le  département,  celle  de  6.912  fr.  50,  et 
par  la  ville,  40.487  fr.  50.  Dans  celte  dernière  somme,  le  Parc  était 
compris  pour  30  000  fr. 

Le  département  et  la  ville  étaient  depuis  plusieurs  années  en  jouis- 
sance des  immeubles  compris  dans  cet  acte. 

Nevers  ne  possédait  pas  alors  de  théâtre.  En  1808,  une  société, 
composée  de  73  habitants,  se  créa,  au  capital  de  80  000  fr.  divisé  en 


v^ 


.    L 


ftËVUE  DÛ  .^iVED^AtS.  Ù,11 


LES  EXPOSITIONS  DE  NEVERS 

A  l*occasion  du  Concours  régional  de  Nevers,  un  comité  se  constitua  à  Teflet  d'or- 
ganiser, à  coté  de  TËxposition  annuelle  de  la  ^Société  nrlistiquo,  diverses  expositions: 
1"  rttiosi>octive;  2"  commerciale  et  industrielle,  celte  dernière  sous  la  présidence  de 
MM.  (i.  Montagnon,  Rollin  et  Pouillat.  En  quelques  jours,  le  vaste  hall  de  la  Société 
d'agriculture  était  merveilleusement  transformé  :  deux  salles  recevaient  la  peinture, 
une  autre  se  garnissait  des  œuvres  du  passé,  d'autres  offraient  les  remarquables  spé- 
cimens de  nos  industries  niveinaises  actuelles. 

Dans  ces  salons  ainsi  disposés  pour  le  plaisir  des  yeux,  le  public  nivemais  se 
donnait  rendez- vous  pour  entendre,  plusieuis  fois  dans  la  semaine,  l'excellenle 
musiqu€>de  nos  Socié'és:  le  Cercle  syruphonique,  la  Lyre,  VHannonie  nivernaisCy  etc. 
et  cello  du  13"  d'infanterie.  Des  /tirtisies  distingués  s'y  tirent  applaudir  et  ce  fut, 
(>endant  près  de  deux  mois,  comme  une  fêle  sans  cesse  renouvelée. 

Nos  artistes  ni  vernais  affirmèrent  une  fois  de  plus  leur  talent.  Nous  aurions  voulu  les 
voir  tons  suivre  Texemple  donné  par  deux  d'enl'^e  oux,  G.  Mohier  et  Martin  des  Amoi- 
gne5(|ui,  dans  un  ensemble  remarquable,  nous  ont  offert  comme  la  synthèse  de  leur 
carrière  artistique:  Molher,  animalier,  peintre  de  fleurs  et  de  paysages,  céramiste, 
émailleur,  sculpteur  ;  Martin  des  Amoignes  avec  ses  portraits,  ses  paysages,  ses 
panneaux  décoratifs.  Ces  deux  seules  expositions  particulières  font  grand  honneur 
à  l'art  Hivernais.  Nous  retrouvons  à  côté  d'eux  des  œuvres  de  Pail,  de  Monteignier^ 
de  Garcement,  de  Perrier,  de  Barillet,  de  Comoy,  de  Mûri,  etc.  Berthault,  très  varié  aussi 
dans  son  œuvre,  avec  de  bons  portraits,  des  tableaux  de  genre,  de  charmantes 
aquarelles;  M"»*  Martin  des  Amoignes,  avec  d'exquis  panneaux  de  fleurs.  M.  Matisse 
se  montre  le  peintre  personnel  et  distingué  que  nous  connaissons.  Cyr  Degiiergue 
broi«se  des  coins  de  nature  avec  sa  verve  habituelle.  Et  voici  de  bonnes  toiles  de  M. 
(iaullieron,  des  ou \  rages  intéressants  de  MM.  Guyonnetet  Limontagne,  de  bons  pastels 
de  M'"''  la  comtesse  Iinbarl  delà  Tour.  Nous  oublions  ccrtiiinement  bien  des  numéros 
dans  celto  revue  si  rapide.  Le  Ihoghxc  de  IJoisseau  nous  arrête  au  passage  :  cette 
statue  va  prendre  place  au  musée  qui  la  tient  d'un  don  de  l'Etat.  >!■"•  Signoret  et 
M.  Marquct  repit^senlont  avec  distinction  la  sculpture  nivernaise. 

Impioviséeen  peu  dejoui-spar  quelques  cliercneui-s  érudits  et  artistes  sous  la  direc- 
tion do  M.  de  Saint- Venant,  l'exposition  rétrospective  mériterait  à  elle  seule  de  nous 
ocCTiper  longtemps.  Et  nous  ne  pouvons  que  passer  devant  ces  vitrines  où  s'étalent 
pour  le  charme  du  regard  les  belles  faïences  qu'y  ent  apportées  MM.  Ferrier,  le  doc- 
teur Charpentier,  Mouton,  Fieffé,  etc.,  devant  ces  émaux  de  Nevers  si  curieux  et 
si  reiheichés  ;  ces  statuettes,  ces  verres,  ces  Ix^lles  reliures,  ces  meubles  ;  sans 
parler  de  toutes  ces  reliques  de  r(  poque  gallo-romaine  et  des  époques  antérieures. 

C'est  un  intérêt  d'un  autre  genre  qui  s'attache  à  l'exposition  commerciale  et  indus- 
trielle. Voici  d'abord  la  faïence  de  Nevers:  à  tout  seigneur  tout  honneur.  M.  G. 
Montagnon  maintient  ferm^^ment  le  vieux  renom  de  nos  céramistes;  il  expose  des 
pièiei*  de  premier  mérite.  M.  Hiver  et  M.  Marest  ont  aussi  des  S|>éciiiiens  remarqua- 
bles. Le  premier  nous  otïre  plusieurs  de  ces  assiettes  à  ports'ttits  et  «  musique^  au 
ino^en  desquelles  M.  Ferrier  veut  greffer  une  braiulie  nouvelle  sur  le  vénérable 
tronc  de  notre  faïence  nivernais'».  Il  ne  copie  et  ne  pa«tiche  rien  :  tout  en  restant  dans 
la  tradition,  il  innove,  en  ce  sens  que  les  faïenciers  tie  Nevers  n'ont  jamais  décoré 
leurs  pièces  par  des  portraits  ou  des  aii^  de  musique  f)opulaire.  11  veut  faire  ce 
qu'auraient  fait,  il  )  a  deux  siècles,  par  exemple,  nos  vieux  maîtres,  s'ils  avaient  eu 
ridée  de  tracer  sur  leurs  assiettes  un  portrait  ou  de  noter  une  chanson,  ce  c^u'on  a 
fait  ailleurs  que  chez  nous.  Les  piétines  et  wm»-6res  industriels  de  La  Chanté,  les 
grès  flammés  de  Saint-Parize-le-CliAtel,  les  bro.izes  d'art  de  M.  Collet,  la  poterie  de 
Saint-Honoré,  les  mosaïques  de  MM.  Favret  et  Dinardat  attirent  et  retiennent  notre 
attention.  El  que  de  choses  inléressantis  à  divers  points  de  vue;  M.  Vallet  démontre, 
par  des  appareils  très  simples  de  forme  et  de  fonctionnem**nt,  les  avantages  de  l'acé- 
tylène. Voici  les  ouvrages  de  la  Société  des  jeunes  apprentis;  ceux  de  l'Ecole  profes- 
sionnelle Deby,  dont  les  succès  sont  constants  et  multiples.  Voici  les  expositions 
de  la  photographie  et  celle  du  Uroupe  d'émulation  artistique^  jeune  société  d'ama- 
teurs dont  le  premier  concours  a  été  remarqué  à  juste  titre. 

Le  concours  de  musique^  préparé  pour  les  âO  et  ^l  juillet,  promet  d'être  extrême- 
ment brillant  si  l'on  en  juge  par  le  grand  nombre  de  sociétés  inscrites.  2..i00  exé- 
cutants doivent  faire  entendre  le  morceau  d'ensemble  :  Marche  des  EduenSf  musique 
écrite  par  le  zélé  directeur  du  Cercle  symphonique,  M.  Bardot,  sur  une  poésie  de 
jttolre  directeur,  M,  Achille  Millien,  u  R. 


I 


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à 


LIVRES  ET   PÉRIODIQUES 

Jane  de  la  Vaudêre.  -  Vamazone  du  roi  de  Siam  ;  in-18,  3  fr.  50,  cher 
Ernest  Flammarion,  rue  Racine,  2(>. 

Jane  de  la  Vaudère,  Tauleur  de  ce»  délicates  poésies  que  l'Académie  française  a 
dis'inguées  et  de  ces  romans  capiteux  tant  appréciés  de  notre  génération  curieuse  de 
frissons  nou^rcaux,  vient  de  publier  ce  volume  de  300  pages  qui  nous  transporte  horâ 
de  nos  mœurs  et  de  loin  nos  latitudes.  C'est  à  la  cour  du  roi  de  Siam  (qu'elle  a  cherché 
son  hôroïne.  une  de  ces  amazones  qui  font  vœu  de  virginité  et  vivent  dans  une 
almoFpItère  de  dangers,  de  rêveries,  de  plaisirs.  Imagination  brillante,  servie  par  un 
sivie  lour  à  tour  caressant  et  emporté.  Si  l'on  peut  dire  que  les  mots  ont  un  parfum, 
récriture  de  Jane  de  la  Vaudère  exhale  les  senteurs  puissamment  excitantes  ou 
amollissantes  des  fleurs  du  pays  qu'elle  dépeint.  Ce  roman,  qui  n'est  pas  fait  pour 
élre  mis  entre  toutes  les  mains,  devait  obtenir  et  obtient,  auprès  des  lecteurs  avides 
de  descriptions  étranges,  Taccueil  qui  a  fait  le  grand  succès  de  ses  aînés. 


D'un  tout  petit  et  gentil  recueil  de  vers  publié  sous  ce  titre:  Juveniliay  essaie 
poetiffues,  par  M.  Alfred  Gucnin,  chez  M.  J.  Varncy-Verniot,  à  Langres,  nous  déta- 
cboiis  la  jolie  pièce  suivante  : 

LA  MORT  D»UN  ROSSIGNOL 

Kn  passant  ce  soir  auprès  d'un  vieux  cbéne, 
J'ai  trouvé,  rigide  et  froid  sur  le  sol, 
ta  paupière  close,  un  vieux  rossignol. 
Le  long  d'un  sentier  pierreux  de  la  plaine. 

Son  gosier  sonore,  à  jamais  sans  voix, 

Ne  chantera  plus  dans  les  nuits  d'automne, 

Mêlant  ses  accents  an  cri  monotone 

Du  bibou  qui  pleure  au  fond  des  grands  bols. 

Le  cœur  amoureux  du  vieux  virtuose 
Dormait  le  dernier,  l'éternel  sommeil 
Du  divin  néant,  sans  fin,  sans  réveil, 
Sans  noir  cauchemar  et  sans  rêve  rose. 

J'ai  pris,  dans  ma  main,  le  pauvre  oiseau  mort. 
L'œil  était  terni,  la  patte  roidie. 
Le  bec  entr'ouvert,  l'àme  refroidie. 
Tué  d'un  seul  coup  par  le  vent  du  nord. 

Et  j'ai  dit  :  «  Mon  Dieu,  Dieu  prudent  et  sage, 
0  Dieu  de  l'amour  et  de  la  douleur, 
Donnez-moi  sa  voix,  donnez-moi  son  cœur  ; 
Dussé-je  mourir,  frappé  par  l'orage  !  • 

Voilà,  ce  notis  semble,  une  petite  pièce  qui  révèle  un  vrai  talent  de  poésie. 


Gautron    du    Coudray.  —  Pochades   morvctndeltes  ;  Louis  Ceyrolle,   éditeur 
5,  boulevard  du  Palais,  Paris.  —  In-8*  carré,  1  fr.  50. 

Notre  collaborateur  M.  Gautron  du  Coudray   nous   ofTre  une  jolie  plaquette  de 
poèmes  agrestes,  comme  qui  dirait  un  album  de  quatorze  croquis  pris  sur  le  vif.  Maint 


280  ttfeVUE  t)U  NlVÊlïNAlS. 

détail  bien  rendu  rv\iAe  une  obserfalion  juste  et  une  heureuse  expression.  On  feuil- 
lette avec  plaisir  cette  petite  collection  des  Pochades,  à  laqirelle  l'auteur  donnera 
certainement  une  suite,  avec  un  crayon  plus  ferme  et  plus  habile  encore  : 

O  Morvan  tavelé  par  la  bruyère  rose, 

Où  l'eau  (  'i;inte  le  long  des  vallons  qu'elle  arrose, 

Où  le  ciel  lileu  se  mêle  aux  blancheurs  des  bouleaux... 

Tes  horizons  changeants  se  teintent  de  pervenche; 
Aux  approches  du  soir,  leur  grande  ombre  se  penche 
Sur  les  étar;:s  nacrés  assoupis  dai*s  les  bois... 

Voilà  des  vers  gracieux.  Ils  nous  sont  présentés  sous  une  forme  typographique  Iréf 
élégante,  comme  devrait  toujours  relie  la  poésie. 

Notre  excellent  collaboi-ateur  M.  C.aslon  Gauthier  qui.  depuis  plusieurs  ann<'>os. 
dirige  avec  tant  de  succès  les  fouilles  de  Champverl,  donne  en  une  hrochure  de 
±2  pages  m-S",  un  exposé  des  dét  ouvertes  en  ce  qui  i  oncorne  le?  bains  d«»  la  villa. 
Des  plans,  des  dessins,  une  vue  densembl*»,  concourent  à  donner  une  clarté  parfaite 
à  son  compte  rendu.  Applaudissons  de  nouveau  au  zèle  éclaii^é  de  M.  G.  fiauthîer, 
grâce  auquel  I  histoire  gallo-romaine  de  notre  pays  vient  de  s'augmenter  d'une 
nouvelle  page  du  plus  haut  intérêt. 

NOTES   ET  ÉCHOS 

,\  Nos  compatriotes.  Sont  nommés:  chev.dier  de  la  Légion  d'honneur.  M.  François 
Trechot,  chef  de  la  maison  Trécliot  au  (k>ngo  ;  —  officiers  de  rinstructioii  puhliqap, 
MM.  le  professeur  Cauret,  Denis,  secrétaire  de  l'inspection  académique;  dotieur  Bide, 
notre  collaborateur  Théophile  Kranchy  ;  —  ofliciers  d'académie,  MM.  I3eiume,  Thorax, 
le  professeur  Foucault,  Ledroit,  Ribaillier,  instituteurs;  M"*  Uullaiid,  professeurs 
l'Ecole  normale  ;  —  chevaliei^  du  Mérite  agricole,  MM.  Donnault,  Chevalier, 
Demerson,  Garilland,  Andras  de  Marcy,  Surier. 

/.  Le  général  Trémeau  est  nommé  divisionnaire. 

/.  MM.  Georges  Gallard  etCh.  Bourgoing-Dumonteil  viennent  de  subir  les  examens 
du  doctorat  en  droit  devant  la  Faculté  de  Paris. 

/.  La  musique  du  13»  d'infanterie,  nue  dirige  si  brillamment  M.  Dailly,  donne 
depuis  (|uelques  semaines  la  marche  de  Pénavaire:  Musettes  et  Clairons,  popularisée 
par  la  musique  de  la  gai  de  républicaine  et  celle  de  plusieurs  autres  réginients. 

/.  Les  baigneurs  commencent  à  affluer  à  nos  deux  sLitions  thermales  Pougues  et 
Sa'inl-Honoré  qui  rivalisent  de  charme  et  d'attiactions  :  excellentes  troupes,  concours 
divers,  fétt^  de  jour  et  de  nuit,  etc.  Quel  attrait  doivent  avoir,  par  cette  température 
sénégalienne,  les  ombrages  épais  de  Saint-Honoré  rafraîchis  pai  les  brises  du 
Morvan! 

•.  Rectifions  une  erreur  qui  nous  est  signalée.  Notre  collaborateur  M.  Ed.  Achard, 
dans  sa  i-evue  des  Salons,  regrelUit  de  n'avoir  pas  trouvé  le  Panneau  dAitt-alif  pour 
cabtnet  de  tt-avail^  de  Martin  des  Amoigms  et,  sur  la  foi  d'un  gardien,  crovait  que 
ce  tableau  ne  figurait  qu'au  catilogue.  Plusieurs  visiteurs  ont  vu,  et  nous  disent  avoir 
hautement  apprécié  ce  pannetm  exposé  dans  la  section  réservée  à  l'art  décoratif. 
L'erreur  est  facile  :  il  nous  est  ariivé  plusieurs  fois  de  chercher  infructueusement  td 
tableau  dont  nous  possédions  le  numéro. 

.',  L'académie  des  sciences  morales  et  politiques  vient  de  décerner  une  part  do 
prixBoidin  à  notre  compatriote  M.  Paul  G  ri  veau,  avocat  à  la  cour  d'appel  de  Paris, 
pour  son  i  Etude  sur  la  resjtonsabililé  des  accidents  du  travail  ». 

.'.Le  concours  musical  de  Nevers  des  20  et  21  juillet,  favorisé  par  le  temps,  a 
pleinement  réussi.  La  ville  s'était  merveilleusement  fleurie  et  pavoisëe.  Très  bnia 
concert  offert,  au  théâtre,  par  le  Choral  et  l'Harmonie  de  la  BelleWardmière,  avec  le 
concours  d'artistes  distingués.  Notre  compatriote,  M.  Jules  Meunier,  coutomier  do 
succès,  y  a  été  chaleureusement  applaudi  pour  la  musique  du  Noël  ;  l'Enfant  rose^ 
écrite  par  lui  sur  une  poésie  de  M.  Achille  Millien.  L.  D, 

Le  DirecieuT'Géraniy  Achille  Hiluer. 


IHrtrt,  tmp.  Ç,  V4H/tr% 


FRÈRE  PABLO 


u  temps  que  les  farfadets  couraient  les 
roules  et  que  les  seigneurs  habitaient 
dans  les  châteaux,  il  y  avait  à  Bois- 
TAbbé,  qui  est  un  endroit  à  mi-chemin 
de  la  paroisse  de  Vic-sur-Aubois  et  de 
celle  de  Montgenoux,  un  capucin  qu'on 
appelait  frère  Pablo.  Il  desservait  une 
petite  chapelle  qu'avait  fait  bâtir  une 
femme  noble,  en  commémoration  de 
défunt  son  mari  qui  était  mort  dans  les  pays  étrangers.  Mêmement 
frère  Pablo  était  un  homme  entendu  dans  sa  partie  et  je  vois  bien 
qu'il  avait  une  manière  à  lui  de  chanter  des  messes  tout  à  fait 
plaisantes  au  monde.  J'ai  souvent  ouï  dire  à  feu  ma  grand'mère 
qui  est  décédée  à  soixante-quinze  ans  passés  que,  du  temps  de  sa 
jeunesse,  le  grand-oncle  de  son  pauvre  homme  avait  connu  frère  Pablo 
comme  je  vous  connais. 

7>  Mais  en  voilà  assez  sur  ce  digne  prêtre  du  bon  Dieu  et  il  est  bon 
que  je  vous  mette  au  courant  des  choses  qu'il  a  accomplies  durant  sa 
vie.  Dans  une  histoire  de  saint  Eutrope  qu'il  avait  sur  un  vieux  livre, 
frère  Pablo  avait  trouvé  la  recette  pour  guérir  les  cors,  engelures, 
arbîllons,  brûlures,  verrues,  panaris,  fluxions,  forçures,  fistules, 
gravelle,  gerçures,  crampes,  mal  caduc,  élidures,  ennuis  de  femmes, 
palpitations  et  autres  maux  qui  ne  sont  pas  pour  nous  faire  plaisir., 
»  —  Vois  le  diable  !  dit  Jean  Bonnin  par  façon  d'admiration. 
D  ^  Et  je  puis  vous  assurer,  au  dire  de  ma  grand'mère,  que  par  le 
moyen  de  saint  Eutrope,  il  guérissait  ainsi  beaucoup  de  personnes  de 

12 


282  BEVUE  DU  NIVERNAIS. 

la  paroisse  qui  étaient  atteintes  des  maladies  dont  je  vous  parle. 
Mémement  il  opérait  pour  rien,  confiant  en  ce  que  le  Tout-Puissant  — 
Omnipotens  —  au  compte  de  qui  il  travaillait,  lui  rendrait  au  centuple 
capital  et  intérêts  le  jour  de  la  grande  paye.  Il  acceptait  seulement  un 
verre  de  petit  vin  de  Châteaumeillant  et  un  morceau  de  lard  quil 
préférait  à  toute  sorte  d'aliments.  Sans  compter  qu'il  ne  s'en  allait 
jamais  sans  donner  un  sol  aux  petiots  qui  étaient  là  et  sans  rappeler  à 
la  compagnie  que  la  religion  c'est  la  consolation  de  la  vie,  le  remède 
universel  et  le  dernier  recours  en  cas  de  danger  :  periculum  pericuh, 
comme  il  disait  en  son  langage  d'église. 

»  Ce  pendant  que  ce  saint  homme  de  prêtre  vivait,  il  y  avait  arU  à 
Bois-l'Abbé  une  femme  qui  faisait  profession  de  tirer  les  cartes  et 
qu'on  connaissait  sous  la  sornette  de  mère  Bizorette.  La  mère  Bizo- 
rette,  sans  qu'on  sut  où  elle  avait  pris  son  talent,  pouvait  défaire,  par 
la  vertu  de  ses  barrages,  tout  ce  que  faisait  frère  Pablo  par  le  moyen 
de  saint  Eutrope.  Aussi,  quand  l'un  avait  passé,  il  ne  fallait  pas  essayer 
de  l'autre  :  on  en  était  quitte  alors  pour  des  chatouillements  et  des 
piqûres  qui,  sans  être  vanneuses,  étaient  «  si  pourtant  »  gênantes.  C'était 
comme  si  la  vertu  de  Tun  eût  lutté  contre  le  pouvoir  de  l'autre.  Aussi 
il  y  avait  apparence  que  la  mère  Bizorette  agissait  par  inspiration  de 
Satan,  autrement  nommé  le  diable,  vu  qu'elle  faisait  t  au  nom  du  père  » 
de  la  main  gauche  et  qu'elle  récitait,  au  dire  de  ma  grand'mère,  ses 
prières  à  Tenvers.  Ce  n'était  pas  naturel,  comme  vous  pouvez  penser. 

^  —  Je  le  pense,  ajouta  Jean  Bonnin. 

»  —  Mémement  elle  n'était  pas  respectueuse  pour  les  saints  du 
paradis,  attendu  que  frère  Pablo  en  ayant  fait  tailler  un  dans  une 
souche  de  poirier  qui  ne  rapportait  pas,  elle  se  refusait  à  le  prier  sous 
prétexte  que,  n'étant  pas  bon  poirier,  il  ne  pouvait  être  qu'un  chélif 
saint. 

1  Jean  Bonnin  ouvrit  la  bouche,  mais  ne  put  exprimer  son  idée» 
Pierre  Pilotât  ayant  repris  : 

,  —  Vous  comprendrez  donc  que  frère  Pablo,  ennuyé  de  cette 
concurrence,  voulut,  avec  l'aide  de  Notre-Seigneur,  l'écarter  honnête- 
ment. Il  fit,  avec  le  père  Guerceau,  des  Varennes,  et  Etienne  Darcy, 
du  Moulin-Brûlé,  une  neuvaine  à  saint  Eutrope  et,  le  neuvième  jour, 
il  imagina  de  réunir  à  la  Croix  des  Quatre-Chemins,  par  le  son  de  la 
cloche,  les  habitants  des  villages  voisins.  Quand  ils  furent  tous  arrivés, 


BfiVUE  DU  NIVERNAIS.  283 

il  les  sermonna  comme  il  était  accoutumé  de  le  faire  au  prône  de  la 
grand'messe  :  c  Mes  frères,  clama-t-il,  je  me  suis  brûlé  la  main  droite, 
»  que  voici  enveloppée  dans  mon  mouchoir,  et  je  ne  peux  plus  offrir 
D  le  saint  sacriQce.  Il  faut  que  je  sois  guéri  dimanche,  sinon  je  serai 
»  obligé  de  demander  mon  congé  à  M*^'  TEvêque.  Prions  donc.  On  m'a 

>  conté  que  ma  fille  très  chère  en  Notre-Seigneur,  Jeanne-Marie- 
»  Solange-Louise  Duradois,  dite  mère  Bizorette,  pansait  de  secret,  et 

>  je  serais  heureux  qu'elle  voulût  me  barrer.  Seulement,  auparavant, 

>  je  voudrais  savoir  par  la  veriu  de  qui  elle  opère.  Je  lui  propose  donc 
»  de  traiter  publiquement  ma  main  trempée  dans  Teau  bénite.  Si  elle 
1»  la  rend  intacte,  ce  sera  par  Tinspiration  de  Dieu  qu'elle  agira;  sinon 

>  ce  sera  par  celle  de  l'enfer,  et  alors  je  vous  conseillerai  de  ne  plus 
1  jamais  lui  confier  vos  maladies,  de  peur  qu'elle  ne  vous  damne  ». 

»  La  mère  Bizorette,  qui  était  assise,  à  ce  qu'on  raconte,  près  du 
barreau  du  champ  de  Dumont,  ne  répondit  pas. 

•  —  Mère  Bizorette,  répondez  ?  tonitrua  alors  Guerceau. 

»  Et  la  mère  Bizorette,  cette  fois,  se  leva  et  cria  un  mot  que  je  ne 
veux  pas  répéter,  attendu  qu'il  n'est  pas  convenable  en  société... 

»  Là-dessus  frère  Pablo  déplia  sa  main,  qui  n'était  pas  brûlée. 

»  —  Remercions  Dieu,  mes  frères,  d'avoir  laissé  tomber  dans  le 
piège  de  ma  petite  imagination  la  mère  Bizorette,  servante  de  Belzé- 
buth! 

>  On  chanta  le  7*^  Z^^um  et  plus  jamais  la  mère  Bizorette  ne  pansa 
au  Bois-l'Abbé. 

>  Le  plus  drôle,  c'est  que,  ce  jour-là,  le  vent  dans  les  arbres  faisait  : 
hou  !  hou  I  Tout  ce  que  je  viens  de  raconter,  ça  n'est  pas  par  manque- 
ment à  notre  religion. 

»  —  Je  comprends  bien  I  dit  Jean  Bonnin  tout  pensif  »• 

Joseph  Ageorges. 


284  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

LE  RÉGIMENT  QUI  PASSE 

Je  l'ai  revu  passer,  ô  raon  beau  régiment, 
Marchant  fier,  le  front  haut,  en  rythmant  ta  cadence 
Aux  accords  des  clairons  sonnant  allègrement, 
Et  mon  cœur  de  soldat  a  vibré  d'espérance 

J'ai  revu  défiler  tes  rouges  bataillons, 
Hâlés,  mais  pleins  d'ardeur,  dans  la  grise  poussière, 
Avec  les  vieux  sergents  devant  leurs  sections 
Que  domine  l'acier  de  l'arme  meurtrière. 

J'ai  revu  ton  drapeau  de  tabis  brodé  d'or. 
Sur  la  troupe  flottant,  souvenir  de  victoires. 
Et  dans  mes  yeux  troublés  est  apparue  encor 
La  vision  des  preux,  des  combats  et  des  gloires  î 

Gautron  du  Coudray. 


LE   12e   MOBILES 

AUX    ARMÉES    DE    LA    LOIRE  ET    DE    l'EST^*) 


CAMPAGNE    DE    LA    LOIRE 


l^«  Période 

Le  n  août  1870,  les  officiers  de  la  garde  mobile  de  la  Nièvre  reçurent 
leurs  brevets  (2)  ;  le  24  du  môme  mois  eut  lieu  le  premier  appel  ; 
le  21  septembre,  les  bataillons  furent  formés  en  un  régiment  qui  prit 
le  n""  12,  et  le^  septembre  au  soir,  deux  bataillons  débarquèrent  à 
Orléans,  par  la  voie  ferrée.  L'état-major  et  le  premier  bataillon  devaient 
rejoindre  le  lendemain. 

Deux  mois  auparavant,  il  n'était  pas  question  de  la  garde  mobile  ; 
après  nos  premiers  revers,  on  avait  songé,  mais  un  peu  tard,  à  utiliser 

(1)  Nous  commençons  aujourd'hui  l'historique,  plein  d'intérêt  pour  nos  compa- 
-  triotes,  de  ce  régiment  improvisé  des  mobiles  de  la  Nièvre  qui  ne  fit  pas  mauvaise 

figure  dans  la  rude  campagne  de  1870.  L*auleur,  un  officier  du  régiment,  veut  garder 
Tanonyme,  mais  tous  ses  anciens  camarades  et  bon  nombre  de  nos  lecteurs  le 
reconnaîtront  facilement.  (Note  de  la  Direction,) 

(2)  Nommés  avant  le  4  septembre,  les  officiers  de  la  Nièvre  ne  furent  jamais 
fournis  à  rélection.  * 


REVUE  DU.  NIVERNAIS. 


285 


les  forces  vives  du  pays,  forces  sur  lesquelles  comptait  tant  le  maréchal 
Niel,  de  regrettable  mémoire. 

Mal  chaussés,  à  peine  vêtus,  les  gardes  mobiles  ont  montré  pendant 
cette  campagne  ce  que  l'on  pouvait  attendre  d'eux,  si  Ton  eût  donné 
suite  aux  projets  du  maréchal,  et  s'ils  avaient  compté  seulement  une 
année  d'existence  comme  corps  organisé. 

Voici  quelle  était  à  cette  époque  la  composition  des  cadres  du 
régiment  : 

Lieutenant-colonel  :  de  Bourgoing. 


'4 

1 

!•• 
2- 
3- 

5* 

V 

CHEFS-UEUX 

des 

Compagnies 

CAPrTAINES 

LIEUTENANTS 

SOUS-UEUTENANTS 

•«•  Bataillon. 

Chàteau-Chin.. 

Châlillon 

Montsauche.... 
Moulins-Eng... 

Corbigny 

Lormes 

Tannay 

-  CHATEAU-CHINOI 

du  Pré  de  Suint-Maur. 

Comte. 

Guillaume. 

Foulon. 

Guénot-Grandpré. 

de  Labrosse. 

Langlois. 

1.  —  Chef  de  bataillon 

Esmoingt. 

de  Bréchart. 
Pelletier  de  Chambure 

d'Espeuiiles. 

de  Certaines. 
Hculhard  deMontigny. 

fiiiillnm.iin   Ha   TaIah. 

:  DE  Pracomtal. 

de  Malart. 

André  Massin. 

E.  Boimeau  du  Martray 

P.  Bonneau  du  Martray 

Maurice  Massin. 

N. 
Octave  Jourdan. 

t  DE  MONCORPS. 

N. 

N. 

Gallié. 

Frédéric  Frottier. 

MàrUnet. 

Bitard. 

Henry  FrotUer. 

E  Veyny. 

Mignot 
Danteloup. 

Fournier 
Blaudin  de  Thé. 
Bertaux. 
Blanchet. 
de  Vitry. 

Chirurgien  :  Comoy. 

2* 

3- 
4* 

5» 

6« 

7- 

a«  Bataillon 

Garaecy.. 

Varzy 

.  -  COSNE.  —  Chef  d< 

Josserand. 

Meunier. 

Ludovic  Tiereonnier. 

Paul  Tiersonnier. 

Charbois. 

Pétry. 

Meysonnier. 

Chirurgier 

i  bataillon  :  de  Savigni 

Cornu. 

deCooveUiredeRoofeTtlls. 

Lasnier  du  Colombier. 

Gillois. 

Ruby. 

Soucques. 

Chai  les  Frottier. 

1  :  Picard. 

La  Charité 

Cosne 

Donzy 

Pouilly 

Saint- Amand... 

1'« 

3eBat( 

Brinon 

ftiUon.  -  NEVERS.  - 
Dumas. 

-  Chef  de  bataillon  :  D 

Soupe. 
Miellé. 

de  Montrichard. 

Leblanc. 

Coujard  de  Laplanche. 

Lauvernay. 
F.  Flamen  d'Assigny. 

Dézautiêres. 

2* 
3» 

4* 

5* 

7* 

Decize 

de  Noury. 

Fischer, 

H.  Flamen  d'Assigny. 

Charlenet 

Gallois. 

de  Saint-Vallicr. 

Chirurgien  : 

Saint-Pierre  el 

Bornes 

Saint-Saulge.  . 

Pougues 

Fourchambaull 
St-Benin^'Azy 

286  REVUE  DU  NIVERNAIS. 

L'abbé  Cachet  était  attaché  au  régiment  comme  aumônier  volontaire. 
MM.  de  Talon,  Martinet  et  Mignot  remplissaient,  dans  leurs  bataillons 
respectifs,  les  fonctions  d'adjudants-majors. 

Le  régiment  comptait  donc  trois  bataillons  de  sept  compagnies  à 
cent  cinquante  hommes. 

Les  compagnies  de  Luzy,  Prémery  et  Nevers  restaient  au  dépôt  ; 
elles  avaient  versé  aux  compagnies  de  marche  tous  les  hommes  de 
bonne  volonté,  et  reçu  les  hommes  mariés  ainsi  que  les  soutiens  de 
famille.  Ces  compagnies  devenues  ainsi  fort  nombreuses  servirent  de 
noyau  à  la  formation  de  deux  nouveaux  bataill;)ns,  qui  prirent  les 
n*»'  4  et  5,  et  dont  les  officiers  furent  pour  la  plupart  recrutés  dans  nos 
rangs.  Les  4*  et  5«  bataillons  firent  partie  de  l'armée  de  la  Nièvre,  sous 
les  ordres  des  généraux  de  Pointe  de  Gévigny  et  du  Temple. 

S3  septembre.  —  Rien  n'était  prêt  pour  recevoir  le  régiment  à  son 
arrivée  à  Orléans  ;  les  hommes  furent  logés  chez  l'habitant  ;  ils  rece- 
vaient alors  un  franc  par  jour,  pour  subvenir  à  tous  leurs  besoins  ; 
mais  le  pain  manquant  chez  tous  les  boulangers,  quatre  compagnies 
du  3«  bataillon,  arrivées  la  veille  à  marches  forcées  de  Chàteau-Chinon 
fit  embarquées  à  Cercy-la-Tour,  sans  avoir  pu  s'en  procurer,  eurent 
à  souffrir  de  la  faim  dès  le  premier  jour  de  l'entrée  en  campagne. 

Les  commandants  de  Veyny  et  de  Savigny  furent  mandés  chez  le 
général  de  Polhès  ;  ce  dernier,  arrivé  la  veille,  était  chargé  d'organiser 
la  défense  d'Orléans,  menacé  par  un  corps  allemand  détaché  de  Paris. 

Les  généraux  de  brigade  Bertrand  et  Faye  commandaient,  sous  ses 
ordres,  ce  qu'on  appelait  pompeusement  l'Armée  de  la  Loire.  A  celte 
époque  et  en  y  comprenant  les  régiments  de  la  Nièvre  et  du  Cher,  il  y 
avait,  devant  Orléans,  dix  mille  hommes  à  peine. 

A  leur  retour,  nos  commandants  nous  apprirent  qu'une  compagnie 
de  tirailleurs  algériens  s*était  laissée  surprendre  dans  la  forêt  ;  on  avait 
des  inquiétudes  ;  nous  devions  donc  nous  tenir  prêts  à  marcher. 

S4 septembre,— Le  iendemd^myi  huit  heures (24  septembre),  le  régi- 
ment, y  compris  le  i^""  bataillon  arrivé  dans  la  nuit,  était  réuni  sur  le 
Mail  ;  l'ennemi  n'ayant  fait  aucun  mouvement  sérieux,  nous  reçûmes 
Tordre  de  séjour. 

24-25  septembre.  —  Les  journées  du  24  et  du  25  furent  consacrées 
aux  revues  d'armes  et  d'équipement  ;  le  régiment  toucha  des  couvertures. 
Le  lycée  fut  désigné  comme  ambulance  et  les  médecins  du  corps  s'y 


iŒVUE  DU  NIVERNAIS.  287 

établirent.  Les  fusils  qui  se  trouvaient  en  mauvais  état  et  qu'on  ne 
pouvait  réparer,  faute  de  temps,  furent  échangés  contre  les  fusils  de  la 
garde  nationale. 

Ces  fusils  à  baguette,  modèle  1862,  étaient  parfaits  mais  n'inspiraient  * 
que  peu  de  confiance  aux  hommes  qui  demandaient  des  chassepots. 

Le  25,  à  sept  heures  du  soir,  les  officiers  du  3«  bataillon  étaient  réunis 
à  rhôtel  Saint-Agnan  ;  le  colonel  entre  et  leur  dit  qu'une  forte  colonne 
ennemie  étant  signalée  sur  la  route  de  Paris,  le  régiment  est  désigné 
pour  marcher  et  prendre  ses  positions  en  avant  d'Orléans.  En  un  clin 
d'œil,  tout  le  monde  est  debout;  on  sonne  la  marche  du  régiment,  les 
officiers  parcourent  la  ville  en  appelant  aux  armes  tous  les  mobiles 
qu'ils  rencontrent  et,  trois  quarts  d'heure  après,  plus  de  deux  mille 
hommes  étaient  en  bataille  sur  le  Mail.  Les  retardataires  arrivaient  de 
tous  côtés,  quand  parvint  l'ordre  de  faire  rompre  les  rangs  et  de 
renvoyer  les  hommes  à  leurs  logements,  en  les  convoquant  pour  le 
lendemain  ;  les  craintes  étaient  exagérées  et  rien  ne  menaçait,  pour  la 
nuit  du  moins. 

Le  souvenir  de  celte  petite  alerte  est  présent  à  la  mémoire  de  tous  ; 
j'en  ai  fait  mention  ici  pour  constater  seulement  jusqu'à  quel  point 
l'amour  du  devoir  animait  alors  ces  jeunes  gens,  arrivés  presque  tous 
au  premier  appel,  malgré  les  difficultés  causées  par  leur  dispersion 
dans  les  différents  quartiers  de  la  ville  et  l'éloignement  de  leurs 
logements.  Puisque  le  mot  logement  est  prononcé,  rappelons  en  passant 
l'hospitalité  que  reçurent,  à  l'évêché  d'Orléans,  les  hommes  de  la 
4*  compagnie  du  3^  bataillon  pendant  les  deux  séjours  que  le  régiment 
fit  dans  cette  ville  ;  les  circonstances  seules  empêchèrent  leur  capitaine 
d'aller  en  remercier  le  vénérable  évoque.  La  France  connaissait  en  lui 
le  grand  orateur,  les  cruels  événements  de  1870  lui  révélèrent  le  grand 
citoyen. 

26  septembre,  —  Le  26,  à  huit  heures  du  matin,  le  régiment  après 
avoir  reçu  du  pain  pour  un  jour,  prit  la  route  de  Paris.  Au  village 
de  Cercottes,  on  fit  halte  sur  la  lisière  de  la  forêt,  en  attendant  le 
résultat  d'une  reconnaissance  poussée  en  avant  par  des  dragons  et  des 
hussards,  soutenus  par  des  mobiles  du  Loiret  (commandant  de  Rancourt). 
On  se  préparait  à  abattre  des  vaches  dont  le  colonel  avait  ordonné 
l'acquisition,  quand  Tordre  arriva  de  reformer  les  rangs.  Trois  compa- 
gnies du  2«  bataillon  furent  envoyées  en  avant  dans  la  direction  de  la 


NOTES  ET  ÉCHOS 


,*,  Nos  compatriotes.  —  Sont  nommés  :  chevaliers  de  la  Légion  tl'honneur  :  MM. 
le  docteur  Jules  Renault,  le  très  distin{]^ué  médecin  des  hôpitaux  de  Paris:  le  docteur 
Paillard,  maire  de  Varzy;  Alfred  Bon neau,  président  de  la  Chambre  des  liquidations 
judiciaires;  C.-R.  Corbier,  commis  principal  au  ministère  de  la  marine;  — chevalier 
du  Cambodge,  le  capitaine  du  génie  Pacton;  —  professeur  de  physique  à  la  faculté 
de  Besançon,  M.  Perreau,  docteur  ès-sciences,  nommé  aussi  officier  de  rinstruction 
publique. 

,%  M.  l^ené  Brossard,  dont  nous  avons  eu  plaisir  à  mentionner  souvent  les  brillants 
succès  classiques,  sort  de  l'Ecole  polytechnique  avec  le  n«  13;  M.  Debœuf,  de  l'Ecole 
navale  (n*  44). 

,%  M.  Maurice  Mignon,  licencié  ès-lellres,  élève  de  l'École  des  hautes-études,  vient 
de  subir  les  épreuves  de  la  licence  en  philosophie  et  M.  Jean  Locquin  celles  de  la 
licence  ès-lettres. 

,'.  M.  Alexis  Fruit,  rédacteur  en  chef  de  l'Indépendant  de  la  Charente-Inférieure^ 
est  nommé  sous-préfet  de  Segré. 

/,  Distributions  de  prix  :  à  l'Institution  Saint-Cyr,  sous  la  présidence  de  Mgr  Lelong. 
Disrours  de  M.  l'abbé  Pautigny  sur  «  Lacordaire  et  les  jeune  gens  »  Prix  spéciaux  : 
Gaston  Falcoz,  FVançois  Rontard,  Abel  Thépéiiier,  Henri  Métairie.  —  A  Pignelin 
(20  juillet).  Remarquable  discours  en  vere  prononcé  par  M.  l'abbé  Picot  :  •  Simplicité  et 
droiture  ».  (Ce  discours  a  paru,  imprimerie  et  librairie  L.  Cloix,  en  une  plaquette  de 
11  pages).  Prix  spécial  :  Marcel  Chevalier,  Geoffroy  Grandveau.  —  Au  l}cée,  prési- 
dence de  M.  le  sénateur  Pelitjean;  discours  de  M.  le  professeur  Larousse  sur 
«  l'éleclricité  pendant  le  xix«  siècle...  ».  Prix  spéciaux  :  Gustave  Vavon,  Emile 
Poupet,  Abel  Demimuid,  Louis  Duret,  René  Méchin,  Félix  Martin.  —  A  l'Institution 
Deby,  présidence  de  M.  Legrand  qui  a  prononcé  une  allocution  applaudie. 

.\  Au  roncours  général  des  lycées  des  départements,  celui  de  Nevers  a  obtenu  six 
nominations  :  mathématiques,  h  prix,  FI.  Poupet,  Martin,  G.  Vavon;  —  philosophie, 
7»  accessit,  E.  Poupet;  —  physique  et  histoire  naturelle,  l**"  prix,  Ch.  Marioton; 
6»  accessit,  Marcel  Champenois;  —  anglais,  l»""  accessit,  Abel  Deroimuid. 

/.  Le  Groupe  d'émulation  artistique  ouvre  un  concours  de  fleurs  qui  sera  elos  le 
25  septembre  et  un  concours  de  photos  qui  sera  clos  le  15  octobre.  I>emander  les 
programmes  à  M.  Guyonnet.  17,  rue  Saint-Etienne,  à  Nevers.  Nous  ne  saurions  trop 
engager  les  amateurs  à  prendre  part  à  ces  concours. 

/,  Décès  à  quatre-vingt-six  ans  de  M.  Algar  Griveau,  juge  honoraire  à  Nevers, 
auteur  de  :  Etude  sur  la  condamnation  du  livre  :  Maximes  des  saints  (1878)  —  et 
de  deux  volumes  d'Etudes  de  biographie  et  d'histoire,  L,  D. 

/,  Le  docteur  Eugène  CoUin,  le  très  distingué  doyen  des  médecins  de  Saint-Honoré, 
vient  de  mourir  h  soixanle-dix-scpt  ans.  Depuis  quarante-quatre  ans,  il  pratiquait  la 
médecine  dans  cette  belle  station  thermale  de  notre  département,  au  succès  de 
laquelle  il  avait  largement  concouru  par  ses  ouvrages  appréciés  et  l'exercice  d'une 
sûre  et  prudente  thérapeutique. 

,*,  Le  2i  août  a  été  érigée,  à  Saint-Pierre-le-Moûtier,  la  statue  de  Jeanne  d'Aïc, 
libératrice  de  cette  ville.  Nous  avons  plusieurs  fois  entretenu  nos  lecteurs  de  l'œuvre 
remarquable  de  M™»  Signoret-Ledieu,  à  laquelle  nous  offrons  de  nouveau  nos  compli- 
ments. Nous  reviendrons  sur  cette  cérémonie  d'inauguration. 

Le  Directeur-Gérant  y  AcHlLLE  MlLLlEN. 


TABLE   DES   MATIÈRES 


Pages 

Nouvelles,  contes,  légendes.  —  Joseph  Ageorges,  Frère  Pablo.  281 

Emile  Guillaurain,  la  fin  de  Jeanne 233 

Françoise  d'Husselles,  La  Briffaude 5 

—  Mornsette 97 

—  Le  Verger  chantant 137,  161 

Jà,  Le  Tabellion  amoureux 33,  68 

Louis  Mirault,  Le  mariage  de  Toine  Piaulât 257 

F.  Moireau,  Contes  à  mes  Enfants  :  La  Légende  des  Bctufs,  90 

—                       —            La  Maison  des  Hirondelles,  209 

Myriam,  En  Voyage 185 

—      Le  Rouet 262 

Jules  Pravieux,  En  Engadine 113 

Louis  Taverna,  Musette 39 

—  Le  Noël  de  Nanette 82 

Odile  Thiault,  Changeons  d^ Maire 58 

—  Impressions  de  Voyage 150 

Archéologie  locale.  Etudes  historiques,  philologiques  ou 

LITTÉRAIRES. —  Bérifran,  A  propos  de  Liberté  Philosophique,  1 77 
R.  Bujon,  Coup  d*œil  rétrospectif  sur  la  plus  récente  de 

nos  Révolutions 74 

Louis  Boulé,  Un  Poète  (Yves  Berthou) 248 

Ed.  Duminy,  La  Question  sous  Louis  XIV 25 

—  Notes  sur  le  Château  Ducal  et  sur  le  Parc  . . .  273 
Gaston  Gauthier,    Les   Bouviers    Morvandeaux    dans   le 

Decizois 45 

Lucien  Jeny,  Le  Dolmen  de  la  Forêt  de  Verdun  en  Morvan .  62 

M.  de  la  T.,  Notice  sur  le  château  de  Saint-Franchy 203 

L.  D.,  Un  peu  de  rêve 196 

Abbé  J.-M.  Meunier,  La  prononciation  du  latin  classique^ 

220  243 289 

Paul  Meunier,  Gustave  Mathieu. . . .  .167,  192,  216,  271,  295 
Fernand  Richard,  Les  Poètes  de  l'Amour^  57,  125,  145, 

171,  199 265 

M.  V.,  Lettre  d'une  jeune  fille  à  son  fiancé 131 

X.y  Le  i2^  Mobiles  aux  armées  de  la  Loire  et  de  VEst 284 

Beaux- ARTS.  —  Ed.  Achard,  Les  Nivernais  aux  deux  Salons. . .  238 

L.  R.,  6*  Exposition  de  la  Société  artistique 43 

—    Les  Expositions  de  Nevers 277 

FOLK-LORE.  —  Emile  Blin,  Le  Jugement  de  Saint-Pierre 226 

Achille  Millien,   U Homme  sans  Peur^  conte  populaire 

(trois  versions) i8,  21,  121 

—  Petites  Légendes  populaires 77 


9-f 


304  TABLE  DES  MATIERES. 

PagM 

Poésie.  —  Alberte,  192.  —  Henri  Bachelin,  17,  66,  88,  155, 
261.  —  Joséphine  Bégassat,  62,  119,  242.  —  Louis 
Boulé,  170.  —  Fr.  Bry,  153.  -  Eugénie  Casanova,  39, 
112,  219.  —  Comtesse  de  Champs  de  Salorges,  253.  — 
Paul  Clerget,  130.  —  E.  Dussert,  130.  —  Théophile 
Franchy,  95,  225  —  Eug.  Garry,  46,  154.  —  Gautron  du 
Coudray,  43,  284.  —  Françoise  d'Husselles,  42,  81,  176, 
198,  215.  —  Lucien  Jeny,  24,  89,  106,  270.  -  Mêla,  288. 
—  Al.  Piedagnel,  88.  —  Jean  Rameau,  219.  —  Paul  Ban- 
dieu,  150.  —  Fernand  Richard,  16.  —  M.  V.,  175.  — 
Guy  de  Veydel 144 

Poètes  néerlandais.  —  Traduits  par  Achille  Millien,  28,  53, 

66,  133,  156,  179,  205,  228,  254,  278 301 

Le  Mois.  —  L.  D.,  Livres  et  Périodiques^  Notes  et  Echos^  31,  56, 

79, 110,  136,  160,  183,  207,  232,  256,  279 302 

Illustrations.  —  Dessins  (dans  le  texte  ou  hors  texte)  de  Auguste 
Berthault,  L.  Legendre,  Lubin  de  Beauvais,  M**«  Alexan- 
drine  Mathieu,  Péaron. 


*^ 


tttinri,  Imp.  C    Vsiittrm. 


DATE  DUE                      1 

1 

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