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REVUE
DU
NIVERNAIS
REVUE
DU
NIVERNAIS
RECUEIL MENSUEL ILLUSTRE
Directeur : ACHILLE MILLIEN
TOME V
1900-1901
REDACTION KT ADMINISTRATION :
à BEAUMONT-LA-FERRIÈRE (Nièvre)
NEVERS
IMPRIMERIE DE LA NIÈVRE
2i, avenue de la Gare, 24.
19 00
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QUAUTV COMTROC MARK
0 DIVORCE!
• Tout est bien qui finit bien. •
NE admirable après-midi du mois d^avril
à Paris.
Le brumeux hiver a fui avec son man-
teau de froidure et de frimas ; la gaie
et riante saison du printemps lui a suc-
cédé. Les parcs, naguère dénudés et
bleuâtres, ne sont maintenant que ver-
dure : les pelouses sont couvertes d'un
moelleux tapis d'émeraude, et les arbres
eochevelés d'un jeune feuillage. Déjà même quelques lilas ont la
couleur charmante et navrante des robes de demi-deuil.
Il fait un temps splendide : un ciel superbe : pas le moindre nuage.
Le soleil darde ses rayons obliques, découpant des festons d'or dans les
arbries qui bordent les grandes voies parisiennes et promenant sur les
toitures des maisons un glacis vermeil, piqué de lueurs incandes-
centes.
A ce moment, les rues de Paris offrent au regard leur animation
cootumiëre. Une foule de flâneurs et de gens affairés, d'hommes et de
femmes, encombrent les trottoirs^ se hâtent ; les voitures et les tram-
ways s^entrecroisent, roulant en deux courants contraires avec ce bruit
assourdissant tant aimé du boulevardier...
D'un coquet hôtel de la rue Denfert-Rocliereau, trois dames sortent
ao moment où commence ce récit, et demeurent un instant hésitantes
sur le refuge.
REVUE DU NIVERNAIS.
Elles sont toutes les trois ravissantes ; elles méritent également
d'attirer le regard et de fixer l'admiration, et par Télégance sûre de
leur mise, et par la grâce chatoyante de leur personne. Mais deux
d'entre elles ont principalement ce flatteur privilège. D'ailleurs elles se
ressemblent beaucoup, mais l'une plus âgée que Tautre : l'on devine
facilement en ces deux personnes, la mère et la fille.
La mère, — M"»« la marquise de Trasson, — peut compter une
quarantaine d'années : quelques rides précoces et quelques fils d'argent
aux tempes annoncent du moins cet âge. Elle est grande, mince et
svelte encore ; sa physionomie est expressive et spirituelle ; ses traits
fins et réguliers. Elle a l'arc de la bouche finement dessiné, un nez
grec aux narines délicates, un front droit et blanc ; des yeux noirs
brillants et durs.
Sa fille porte une vingtaine d'années. Elle aussi a les traits réguliers
et délicats, les lèvres roses, les dents belles et d'un blanc laiteux, un
menton petit et bien arrondi. Mais ses yeux, vifs et malicieux, sont
bleus et voilés de longues paupière$ terminées par des cils soyeux et
épais, ce qui leur donne une douce fascination. Ses sourcils bien
dessinés et son front uni et pur, respirant le calme, augmentent la
sérénité de son beau visage.
La troisième dame, toute jeune aussi, W^"^ Armelle d'Andic de
Kermor, — une amie de M^^® de Trasson, — a une physionomie agréable
et spirituelle, une chevelure noire comme la nuit, et des yeux bleus
comme le myosotis des fontaines. Sa prunelle candide a cette humidité
veloutée de la fleur qui se relève au matin, encore chargée de sommeil
et de rosée...
Elles se mêlent intrépidement à la foule. Elles gagnent le boulevard
Saint-Michel. Arrivées à cet endroit, elles s'aventurent hardiment au
milieu d'une cohue de voitures se croisant en tous sens, cherchant à
gagner le refuge opposé.
Soit qu'elle n'ait pas l'habitude de cette confusion, soit plutôt qu'en-
gagée dans cette cohue, elle ait perdu la tête, M^^» de Trasson hésite,
affolée, entre les équipages, cherche une issue, à gauche, à droite,
devant elle et derrière, se voit enveloppée et finalement, avec un grand
cri de détresse, vient se jeter, inconsciente, à la tète de deux superbes
alezans arrivant à grand trot.
Le cocher, avec un juron sonore, ramène violemment les bétes en
REVUE DU NIVERNAIS. 7
arrière. Mais cet arrêt subit ne sauverait pas la jeune fille, si, d*un élan
irréfléchi, mais avec une vigueur, une agilité, une décision peu
commune, un passant n'eût bondi à la tête des chevaux. Ceux-ci,
surpris, étourdis, se cabrent à pic, puis, ramenés par le poids du corps
de cet homme qui s'est laissé pendre, s'arrêtent court.
Sans prendre garde aux injures de Tautomédon, et aux exclamations
d'une demi-douzaine de dames très élégantes qui se penchent à la
portière et poussent des cris d'épouvante, le hardi passant, — un jeune
homme, — saisit dans ^es bras vigoureux la voyageuse pâle, prête à
défaillir et la porte sur le refuge.
Redevenant alors maltresse d'elle-même, cette dernière balbutie :
— Merci, monsieur !
Et se précipite au secours de sa mère qui, éperdue à la vue de sa
fille en danger, a jeté un cri plein d'angoisse et de terreur, fermé les
yeux et chancelé dans les bras de M*'« de Kermor.
Le hardi sauveteur, ému lui-même et plus encore peut-être ébloui,
fasciné par la beauté étrange de la belle créature qu'il vient de sous-
traire à un péril imminent, répond machinalement :
— Il n'y a pas de quoi, mademoiselle. Tout le monde en eût, avec
bonheur, fait autant à ma place.
Puis, s'arrachant à sa muette contemplation, il poursuit son chemin.
•%
Cet intrépide et fortuné passant s'appelle Albert Dieudonné d'Estay,
comte de Bareul.
C'est un homme de lettres déjà connu, malgré son jeune âge, et un
conférencier aimé.
Grand, châtain, de tournure distinguée, il a des yeux gris veloutés,
bien francs et bien ouverts ; la moustache longue et soyeuse et genti-
ment retroussée du bout ; le front haut et blanc ; le teint bronzé, ce
qui fait ressorLir l'éclal de ses dents et le feu de ses prunelles.
Il est chez lui à présent, au premier d'une coquette maison. Il
s'appuie nouchalamnient à un bureau chargé de livres et de pape-
rass<?s^ et rêve**, car son esprit est loin ; il est demeuré boulevard
Saiitl-Michel, en contemplation devant le radieux visage de la jeune
fille si délicieusement rouge d'émotion lorsqu'elle le remercia.
u
8 REVUE DU NIVERNAIS.
Toutes ses pensées se reportent à cette scène. Il ne peut travailler.
Inconsciemment, il écrit ces vers au hasard de l'improvisation :
Fleur éclose aa baiser d'une brise enchanteuse 1
Bel astre éblouissant de clarté radieuse !
Etre mignon pétri de grâce et de candeur
Qui cbarme le regard et captive le cœur !...
Tes beaux yeux sont rieurs, ta voix mélodieuse,
Ton minois cbiffbnné, ta taille gracieuse ;
Ton doux sourire égayé, éloignant la douleur
Comme un rayon du soir sur une blanche fleur I...
Oh ! combien est heureux qui reçoit ce trésor I !
De nouveau, il songe, son esprit se perd dans une vague rêverie., et
dans sa rêverie, il répète :
Oh 1 combien est heureux qui reçoit ce trésor 1 1
Et ce vers, en bourdonnant, éveille en lui des sensations jusqu'alors
Ignorées : l'amour, le bonheur, le mariage ! Le mariage, dont naguère
encore il ne voulait pas entendre parler!... Des visions Téblouissent
et toutes les cloches de Téglise voisine chantent dans sa tète, ardentes
et gaies...
Soudain, Ton frappe à la porte.
Comme l'écolier en faute, il rougit, cache précipitamment la feuille
ae papier sur laquelle il vient d'écrire, et tire à lui un volume énorme
qu'il ouvre au hasard, sans prendre garde qu'il le tient à l'envers. Il
crie :
— Ouvrez !
Un domestique entre, portant une lettre. C'est une invitation pres-
sante de la part d'une amie de la famille d'Albert, la baronne de
Terray, à une petite soirée que celle-ci offre. C'est une soirée presque
de famille, organisée à la hâte. On l'attend donc sans faute, le lende-
main. On n'admet aucune excuse...
L'hôtel de la baronne de Terray, boulevard Malesherbes, près du
parc Monceau.
A chaque porte, un laquais superbe, en livrée somptueuse, pour
introduire les invités.
REVUE DU NIVERNAIS. 9
Neuf heures et demie du soir.
Dans le salon splendidc, éclatant de lumière, M. d'Estay est seul
avec la maîtresse de céans.
— Vous avez bien fait d'être assez aimable pour accepter mon invi-
tation, dit cette dernière. Précisément, nous avons ce soir de char-
mantes inconnues.
Albert se soucie fort peu d'un tel honneur. Son esprit est toujours
en quête de la charmante voyageuse qu'il n'a fait, hélas! qu'aperce-
voir. Néanmoins, il sourit :
— Sont-ce des noms de plus sur votre liste ?
— Eh ! pourquoi non ? Toutes sont jeunes, riches, de bonne famille
et quelques-unes belles à ravir. Que pouvcz-vous désirer de plus?
— Evidemment rien, chère madame.
— Eh bien! Faites donc votre choix. Votre bonne mère serait si
heureuse d'avoir une charmante bru à chérir, en attendant que vous
lui donniez de beaux petits-enfants à dorloter.
— Nous n'en sommes pas encore là, madame, dit-il rêveur.
Elle le considère.
— Ah! çà, qu'avez-vous donc? Que vous est-il arrivé? Vous n'êtes
plus le même que les autres fois.
Alors il raconte simplement, brièvement, mais sans rien omettre,
ce qui s'est passé boulevard Saint Michel, puis son trouble depuis la
radieuse apparition qui est l'objet de toutes ses pensées...
A ce moment, l'on annonce M^n® la marquise de Trasson. Celle-ci
s'avance, suivie de sa fille.
Comme M»n« de Terray présente M. d'Estay comte de Bareul, la
marquise de Trasson répond au compliment de celui-ci.
— Je suis plus avancée que vous. Je vous ai déjà vu.
. W-...^, Miuuaiii. , jVpoiid xVllR'it libyiiounli.
— Maison}, monsieur lépreux chuvaliur. Nous nous sommes déjà
rencoïilrés.
— Ed vérité,.,, bégaya le jeune liomuie.
— Ignorez- VOUS donc, reprend M""^ de Trasson s\i ri redisant i\ son
amie, que monsîijur si* fait un jeu de sauver les jeunes personnes en
péril cTécraîiement sur la voie publique.
Et un niËme t^mp», elle &e retourne vers sa filte qu*All>ort n*a pu
encore dUtinj^uer et reconnaître.
10 REVUE DU NIVERNAIS.
— Ah I madame, s'écrie-t-il en rougissant malgré loi, c' estime bien
petite affaire.
— Petite affaire? proteste-t-elle. Vous êtes modeste. Dites que vous
avez sauvé la vie à ma fllle. Je suis heureux de vous rencontrer ici,
monsieur, afln de pouvoir vous témoigner ma reconnaissance, n'ayant
pu le faire sur le champ même de votre brillant exploit...
Quelle soirée délicieuse pour M. d'Estay!... Comme elle lui parait
courte, l'heure du départ arrivée !...
Quand M°>« de Trasson prend congé de M°»« de Terray, il a une sorte
de tremblement dans la gorge et sa main trahit dans son étreinte le
trouble profond qu'il éprouve, en prenant la main gantée, longue et
fine qu'elle lui tend.
Puis au moment de se retirer, lui-même, se trouvant en tête à tète
avec M°>® de Terray, il satisfait à Tinterrogalion muette des yeux de
celle-ci.
— Madame, je n'ai rien à vous apprendre. Malgré moi, ma conte-
nance vous a instruite et édifiée, dit-il d'un ton qu'il s'efforce de rendre
badin.
— Je crois, en effet, deviner ce qui vous reste à m'avouer. Vous
€ r » aimez, n'est-ce pas ?
— Oui !
— Enfin ! murmura la baronne avec un malicieux sourire.
(A suivre.) «••
REVUE DU NIVERNAIS. 11
DORS!
BERCEUSE
Mon âme lasse est endormie
Dans le soir d'ombre qui s'endort ;
Dors sur mon cœur, ô mon amie,
D'un sommeil doux comme la mort.
Une mourante défaillance
Monte dans la brume du soir
Qui balance dans le silence
Des arômes bleus d*encensoir.
Les trembles aux feuilles tremblantes,
Tremblantes comme des baisers,
Aux caresses des brises lentes,
Tremblent comme des cœurs brisés.
Chère, n'écoute plus la vie
Qui pleure et sanglote là-bas ;
Le soir se voile d'agonie ;
... Ne parle pas, ne parle pas...
Sur ton visage calme et pâle.
Aux pâleurs blanches de linceuls^
Referme tes grands yeux d'opale ;
Dors, mon amour ! Nous sommes seuls 1
... 0 solitude de mystère!
,.> Ne parle pas, même en rêvant ;
Dors I Mon âme, coinmo une mère,
Te bercera comme une enfant...
Le soir s'endort sous les blancs voiles
Ou rêve... Nous allons dormir.
.., Le soir se meurt dans les étoiles;
... Nous allons peut-être mourir.
Febnand Richard.
12 REVUE bC .X1\ER5AIS.
UN PETIT-FILS DE CORNEILLE A NEVERS
Des quatre fils de Corneille, un mourut en 1665 étant encore au
collège, un autre fut tué à Tamiée en 1674 sans avoir contracté de
mariage, un troisième embrassa Têlat ecclésiastique et obtint le béné-
fice d'Aigues-Vives en Touraine. La descendance de Tauteur du Cid
ne put donc être continuée que par l'aine d^ tous, portant, comme son
père, le prénom de Pierre. Celui-ci, devenu capitaine de cavalerie et
gentilhomme oi^diuaire du roi, êpnisa une demoiselle Cauchois ou
Lecauchois. Par ce mariage fut Kgilimé un fils qui, au commencement
du dix-huitième siècle, habitait Nevers.
Par suite de quelles ciivonslances elail-il venu s'établir dans cette
ville? Comment avait-il êlé amené à se fixer au centre de la France,
dans une province où, semble-t-il, ne Tappt^lait aucun intérêt? Nous
rignomns. Toujom^s est-il qu'en 1717 il habitait pan>isse Saint-Arigle
et se livrait au commeiw des Ihms.
L'acte suivanUuscrit sur les n»gislres de rèlal civil, nous apprend
quMI s'y maria en celle année : « Le douziesme aoust ont été receus à
la bénédiction nuplialle Pierre- Alexis Corneille, sire d'Onille, fils de
delTimcl Pierre Corneille, lH>urgeois de Paris, et de deffuncte Marie
Lecauchois, de celle paroisse, d'une p;\rt, et Bénigne Larmanat, fille
d'honorable homme Lév>nanl Lirmanal, marchand, et de deffuncte
Marit^Cenlil, de la pamisse de Flenr\, apK^s la publication de trois
bans dans celle pai\>isse, sans aucune op|Msilion, veu la rendue du
sieur curé de Fleury du 4 aousl 1717, signée Chevallier, curé de
Fleury, et la permission de Monseigneur Févesque du 17 juin 1717,
signéo révcs(|ue de Nevei^s, mariage fait sans aucune opposition, en
présence du père de la demoiselle Uirmanat et autres parents et amis
soussignés. Signé Corneille dH>rville, l^irmanat. Gentil, Larmanat,
Chaslellain, Ctnlln, (îuynel, vîcairt^ *.
On peul remarquer Tlnsislance du célébrant à énoncer l'absence
d'oppo^llion au mariage ; Il y ïvNient deux fois. Pourquoi? En quoi
une permission tie TéNèque élail-elle niVoss;dre, le mariage ayant lieu
devant le propn^ curé de Tune des parties? Ijx famille Larmanat devait
habiler Fleury-nm-Li^Ire ih^puls peu de temps; auparavant, elle était
établie A N«w«'rH, nt'i uouh Noyions bapliser plusieurs enfants entre les
années HiK^el 1711. Itéulgue asail élé baplistv à Nevers le 15 octobre
REVUE DU NIVERNAIS. 13
1698. Son père, Léonard, était marchand et sieur desTardys, actuelle-
ment commune de Neuville-les-Decize. Le marié prend le titre de sire
d'Orville ; d'où lui venait il? Dans tous les autres actes passés à Nevers,
Pierre-Alexis est qualifié simplement marchand.
Les époux Corneille eurent plusieurs enfants : un fils ondoyé le
naoûtniS; unefllle, nommée Marie-Anne, baptisée le 21 octobre
1719; un fils, nommé Hugues, baptisé le 17 juillet 1722, et une fille,
nommée Marguerite, baptisée le 26 décembre 1723. Puis ils allèrent
habiter Neuville-les-Decize, pays de bois, où ils se trouvaient proba-
blement plus commodément pour leur commerce. C'est là que mourut
Bénigne Larmanat.
Le 22 novembre 1729, Pierre-Alexis Corneille épousa en secondes
noces Françoise Petit, fille de Jean Petit, marchand poêlier, et de
Marguerite Durand, de Nevers.
Le fils ondoyé en 1718 reçut les prénoms de Claude-Elienne. Il fut
père de Jeanne-Marie et de Pierre-Alexis Corneille. La première fut,
pour ainsi dire, adoptée comme pupille par Malesherbes, qui obtint
pour elle une pension de Louis XVI comme descendante du grand poète.
Le fils, marié à son tour, fut père de plusieurs enfants, dont un,
nommé également Pierre- Alexis, devint professeur au collège de
Rouen (1).
J'ai cru qu'il était intéressant de rappeler ces souvenirs, bien peu de
Nivernais sachant qu'un pelit-fils du grand Corneille a habité leur ville.
Ed. Duminy.
LES ANNUAIRES ET ALMANACHS
DE LA NIÈVRE (Suite)
Limprimeur Laurent, successeur de Lefebvre, reprend en 1831, les
éditions de VAlmanach de la Nièvre. Il s'adresse à tous les habitants
pour obtenir des renseignements qu'il insérera chaque année, jusqu'au
15 novembre.
Constatons à la date de 1830, qui porte la chute de la monarchie
traditionnelle de la branche aînée de la famille royale, les bienfaits
delà paix pénétrant peu à peu dans les campagnes et produisant,
(I) Il fui inspecteur d'académie, maire de Maucomble et député au Corps léjçislalif.
(N. D. L. R.)
14 REVUE DU NIVERNAIS.
sans grosses dépenses, une sérieuse amélioration morale et matérielle
si utile au peuple.
Jusqu'en 1815, les services administratifs sont absorbés par la
guerre qui emploie tous les hommes jeunes et tous les impôts. En
1829, TAlmanach contient les chapitres relatifs à tous les services
occupés par des fonctionnaires en titre, peu nombreux, insuffisants,
trop peu payés, mais dévoués au gouvernement et tout entiers consa-
crés au devoir de leur charge. L'élan est donné, le but est entrevu, on
comprend la nécessité des routes, des canaux, des établissements et
constructions qui développent les travaux d'industrie et d'agriculture
dans les campagnes jusqu'ici sacrifiées.
Nous allons suivre ce mouvement sous l'administration de Louis-
Philippe, mais, en historien impartial, Almanach départemental sous
les yeux, il faut constater qu'en 1829 tous les éléments administratifs
locaux existent et fonctionnent régulièrement, à la satisfaction de tous
les habitants.
Rappelons les faits généraux cités dans l'Almanach de 1831 :
La charte constitutionnelle jurée par Louis-Philippe, le 9 août 1830.
Les ministres MM. LaOtte, finances; maréchal Soull, guerre; comte
Sébastiani, relations étrangères; comte d'Argoull, marine; Mérilhon,
instruction et cultes ; Dupont (de TEure), justice ; de Montalivet,
intérieur.
Sur 430 députés, la Nièvre en avait quatre : MM. Dupin aîné,
L. Boigues, le comte Hector d'Aunay, Philippe Dupin.
Suivons maintenant l'ordre des chapitres qui se présente à peu près
le même avec quelques modifications et surtout des changements de
noms.
Cour royale de Bourges, M. Mater, premier président.
La cour d'assises siège à Nevers ; l'organisation du jury est réglée
par la loi du 2 mai 1827.
Le chapitre déjà inséré dans lés volumes précédents : idée générale
du département, est une description sommaire des limites, rivières,
villes, supcificie, productions, forges, mines, etc. Il y a 25 hauts-four-
neaux, 20 grosses forges et 100 petites, consommant 500 mille cordes
de charbonnages, occupant 25,000 ouvriers. Un vaste établissement à
Fourchambault, commune de Garchizy, sur le bord de la Loire, pour
l'étirage du fer, d'après le mode anglais.
REVUE DU NIVERNAIS 15
M. le comte Dulac-Montvert, préfet. H. Em. de Champs, secrétaire
général.
M^ Charles de Douhet d'Auzers, évêque, sacré à Paris le
6 septembre 1829. Diverses cures et succursales du diocèse.
Sous-préfectures, cantons et communes du département avec popu-
lation, maires, adjoints, distances légales.
Tribunal de première instance, M. Decolons de Vauzelle, président,
juges, avocats, avoués ; tribunal de commerce et liste des notables
commerçants ; bourse de commerce; justices de paix dans les cantons;
notaires royaux, huissiers, commissaire-priseur, poids et mesures.
M. Desveaux, maire de Nevers, et 30 conseillers municipaux. Parmi
les services dépendant de la municipalité, l'éclairage de la ville se
compose de 165 réverbères, coûtant un entretien de 11,950 fr. par an.
Bureau de bienfaisance, prisons, hospice, service de santé.
Puis tous les services des finances, cadastre, percepteurs, contribu-
tions indirectes, octrois, enregistrement et domaines. Eaux et forêts,
ponts et chaussées, mines, canaux, postes.
Administration des sous-préfectures avec les mairies de chaque
arrondissement.
A La Charité, maison de refuge dirigée par des sœurs de Saint-
Augustin, où Ton reçoit les fous, idiots et épileptiques.
Haras royal à Corbigny pour la Nièvre, l'Allier, le Cher, où sont
répartis 50 étalons de toutes races.
La subdivision militaire, comprenant la Nièvre et l'Allier, est com-
mandée par le baron Dautancourt. Un corps royal d'artillerie est
chargé de l'inspection des travaux pour l'Etat dans les forges. Des
gîtes d'étapes existent dans les principales villes du département.
La gendarmerie se compose de 120 hommes. La garde nationale
forme deux bataillons en huit compagnies.
La marine continue les forges royales de La Chaussade à Guérigny
et la fonderie de canons à Nevers.
La navigation intérieure comprend 17 ports dans le parcours delà
Loire depuis Cercy jusqu'à Neuvy, destinés au chargement des
charbons.
Parmi lès collèges et écoles, on trouve les mêmes qu'en 1829, sauf
une école dite d'enseignement mutuel, remplacée par les frères en
1824 et rétablie le 15 novembre 1830 par le nouveau maire de Nevers,
qui doit faire construire un local pour 500 enfants.
16 REVUE DU NIVERNAIS.
L'école de La Charité est toujours florissante ; elle prend le nom
d'institution, réservant celui de collège aux sous-préfectures.
Le recensement officiel de 1826 porte la population de Nevers à
15,782 habitants.
Les deux assurances contre l'incendie sont la Mutuelle et le SoUil.
En 1832 paraît un Annuaire administratif et commercial de la Nièvre^
sous la direction de G. Thomas, chef de bureau à la préfecture,
imprimé par les presses de Thomas, sans doute son parent, place du
Château. Même format in-1 8. Il débute par une notice topographique
et statistique, puis une partie historique, puis viennent les fonction-
naires des divers services dans le même ordre que l'Almanach II y a
(p. 152) une notice sur le canal latéral à la Loire et le canal du Niver-
nais. Des hospices (p. 162) établis dans presque tous les cantons
témoignent de la sollicitude pour les populations L'organisation des
gardes nationales (p. 192) contient l'effectif par communes avec les
noms de tous les officiers. Notes sur les usines et les rivières (p. 220).
(A suivre.) René de Lespinasse.
LA MARGUERITE ET LA ROSE
Un papillon bleu butinait.
Glorieux, au cœur d'une rose.
« Tardez encore un tantinet b,
Lui dit-elle, « j'ai quelque chose
» A vous conter. Dans le gazon,
B Voyez-vous cette marguerite,
> Echappée à la fenaison ?
B Elle prétend à mon mérite
» Comparer son modeste sort ! »
Le papillon prit son essor,
Pour se dégager de la Reine
Des Fleurs, voulant, sans parti pris.
Avec une équité sereine,
Juger comme un nouveau Paris.
— « Soulevez un peu votre lige,
» Que l'on vous voie ; expliquez-vous !
» Osez-vous nier le prestiee
» D'une fleur qu'on offre, a genoux,
)) A la Beauté, quand on l'implore ;
• Le parfum qu^aspire l'Aurore
REVUE DU NIVERNAIS. 17
f
En s'éveillant chaque matin ;
> Les couleurs que le soleil donne,
» Pendant le mois de la Madone,
» A ses parures de satin ?
» Je vous accorde quelques charmes :
B Votre cœur est un bouton d'or;
» La Rosée a pour vous des larmes,
» Et vous êtes le doux trésor
• Du pâtre et de la bergerelte.
3 Sur votre blanche collerette
» Le bluet se penche rêveur;
1 Le coquelicot vous dédaigne.
» Hais, si dans les grands blés il saigne,
1 C'est qu'il vous trouve sans saveur !
» Allons, inclinez-vous, fleurette,
» Humiliez la pâquerette,
> Qui vous croit la Reine des prés,
» Mais respectez la souveraine
1 Des jardms, où la Nuit ramène
» De beaux couples énamourés ! »
— « J'ai compris, je serai modeste,
» Et plus que vous, beau papillon !
» Oubliez-moi dans mon sillon,
M Mais permettez que je proteste ;
1 Vous avez invoqué l'Amour,
1 Je veux en parler à mon tour.
1 Ces couples, qu'un baiser enlace,
B Vont peut-être venir à moi,
B Pour me confier leur émoi,
» Le doute, dont leur âme est lasse.
— c Jamais Marguerite ne ment ! —
» Pensera l'Amant de la Belle :
• Un peu, beaucoup, dis, m'aime-t-elle?
» Pas du tout ! Non, passionnément ! »
)) Si j'échappe à la main brutale,
• La Belle me ramassera,
» Et le supplice durera
B Jusques à mon dernier pétale ! b
Toutes deux régnons sur les cœurs,
Rose fière, humble Marguerite,
L'Amour connaît notre mérite :
Tu le parfumes, moi, j'en meurs !
Jean de Villeurs.
18 REVUE DU NIVERNAIS.
LA SCIENCE GRAPHOLOGIQUE
A SAINT-HONORÉ-LES-BAINS
AU CASINO ET A L'HOTEL DU MORVAN
Grâce à la protection de M. le marquis d'Espeuilles et à la bienveil-
lance de M. Costa, directeur du casino, nous avons pu faire connaître
la graphologie à l'élite de la société citadine en ce moment en villé-
giature à Saint-Honoré , séjour tranquille, ombragé, avec tout le
confortable et aussi l'agrément musical et artistique.
De nombreuses esquisses graphologiques ont été délivrées aux
personnes désireuses de connaître la nouvelle science, riche perle
enchâssée dans les autres sciences occultes.
NoUs avons pu entendre, avec joie, des réponses ainsi conçues :
(( Je suis très contente de mon portrait. »
« Je crois que vous m'avez flattée, mais il y a des vérités. »
Le mari de M^ne Hamilta, somnambule voyante, de passage ici, nous
écrit :
« Le portrait graphologique que vous avez fait de M«»« Hamilta est
d'une ressemblance qui atteint la perfection. Toutes les qualités et
défauts y sont décrits avec une vérité absolue. Aussi toutes mes félici-
tations. >
Samedi soir, 25 août, la conférence a eu lieu dans le salon de l'hôtel
du Morvan, offert avec Tamabilité habituelle de M"»® l'hôtesse.
L'élément féminin dominait. La femme, moins sceptique que
l'homme, moins négatrice, aime à découvrir les mystères de son Moi
et de celui des autres.
Voici sommairement les préliminaires de notre conférence :
Alexandre Dumas fils, un des premiers disciples de l'abbé Michon,
lui écrivait ceci :
« La graphologie est une science éminemment politique, puisqu'elle
n'a pas pas besoin du sujet même pour le connaître. Voyez donc :
Pouvoir juger les hommes à distance, quelle force gouvernementale ! i
H se passera encore du temps avant qu'on se serve de cette force.
REVUE DU NIVERNAIS. 19
L'antiquité n'a rien découvert de la science graphologique, mais elle
a formulé la sentence célèbre du temple de Delphes :
Connais-toi toi-même !
Et comment se connaître, si ce n'est par les sciences occultes ?
Baldi, en Italie, publia, en 1622, un petite volume : Sur la nature et
le$ qualités de V écrivain,
La plupart des signes manquent d'exactitude et il n'y a rien qui
constitue une science. Ce n'en est pas moins un principe reconnu.
Shakespeare fait dire à l'un de ses personnages : « Donne-moi
récriture d'une femme et je te dirai son caractère ». Il devait pro-
céder comme George Sand qui, d'intuition, a fait un portrait
incomplet, mais merveilleux, de l'abbé Michon sans connaître le
système.
Gœthe, Lavater, Balzac, ce voyant qui connaissait tout, avec la
signature ingénieuse de son Gobseck, furent des précurseurs.
L'abbé Flandrin se servait de quelques signes, qu'il révéla à l'abbé
Michon, tout émerveillé ; ce fut là son point de départ, et il chercha
les autres signes pendant plus de trente ans.
Ce n'est qu'en 1871 qu'il créa un journal et fit des conférences à
Paris, en province et à l'étranger pour vulgariser la science nouuelle.
L'écriture des artistes peintres révèle toujours le sentiment de l'art,
et encore davantage dans leurs tableaux par les belles majuscules
harmoniques. Nous avons été le premier à signaler dans la critique du
Salon de Paris la belle signature des peintres célèbres ou aptes à le
devenir, signatures parfois très originales.
J.-H. Michon nous écrivait en 1880 :
« Merci d'avoir glissé la graphologie dans votre Salon. Vous aurez
la gloire d'avoir mélangé la graphologie dans la critique d'art. Vous
aurez votre petit article dans l'un de nos prochains numéros.
» Vous avez là inauguré un genre nouveau qui certainement aura
des imitateurs. Je lirai à Paris vos articles avec le plus vif intérêt. »
Le maître nous flattait trop avec sa bienveillance habituelle.
Chaque écriture a son cachet particulier, au point que nous disons
tous en recevant une lettre : « C'est un tel ! »
C'est comme une image frappante de la personne.
Il ne faut point contrefaire son écriture pour la faire juger, ni
20 REVUE DU NIVERNAIS
s^appliquer comme les écoliers, sans quoi on n'est plus soi, il y a un
masque.
Quant aux faux en écritures, il est évident qu'un expert en écritures
est plus fort, s'il est graphologiste, que celui qui ne l'est pas.
Nous courons tous au médecin dès que nous éprouvons quelque
chose d'anormal, c'est rationnel, mais nous avons besoin aussi de la
médecine de l'âme : celui qui sait dominer ses passions, surveiller ses
défauts, s'en trouve très bien. Par exemple, celui qui est coléreux, s'il
s'impose de ne pas faire éclater sa colère, non seulement aura du
mérite, car « il est plus facile de vaincre les autres que de se vaincre soi-
même », mais il gagnera d'apaiser la colère d'autrui : On raconte que
saint François de Sales était irascible dans sa jeunesse, et qu'il parvint
plus tard à se dominer complètement.
La colère trouble le jugement et influe sur les organes également,
tandis que le calme c'est la vraie force et la santé.
De même pour l'orgueil, qui peut devenir une vertu, si on le place
dans l'accomplissement du bien, de la justice et de Tbonneur.
La graphologie est : « La photographie des âmes », comme disait le
fondateur de la graphologie. C'est Tinstruction du monde moral qui
peut mener à la perfectibilité du monde matériel.
Comme l'ignorance est la source de tous les maux, contrairement la
science, portant à l'indulgence, apaise les passions en nous et autour
de nous, c'est une lumière qui éclaire l'intelligence.
La science graphologique est à présent considérée comme une science
exacte.
Un jour, une parente me répond sur un portrait : « Je ne reconnais
pas, dit-elle, la dame, dans l'étude que tu m'as faite t. Un an se passe,
la parente me récrit : « Il est survenu, dans la famille, une discussion
entre nous, qui me fait croire à la graphologie, tu avais raison ».
Cette personne qui parlait ainsi était ma sœur.
Depuis ce jour, ma sœur me décora, sur ses enveloppes, du titre de
graphologiste.
La Bible dit : i Dieu a tracé des signes dans la main de toutes les
créatures, afin que chacune d'elles puisse connaître sa destinée ».
En Chine, au Japon, les prêtres consultent les signes de la main.
Toutes les sciences occultes sont sœurs et se complètent sans se
contredire.
REVtE DU NIVERNAIS. 21
Un jour, je reçus d'un ami le billet suivant :
« La graphologie m'enthousiasme, mon conseiller d'Etat est émer-
veillé du portrait graphologique que vous lui avez fait, car vous vous
êtes rencontré, on ne peut plus exactement, avec une chiromancienne
de Paris, M»»* de Thèbes, qui lui a dit exactement, formellement la
même chose, i
Voilà un document. Il reste à dire que la graphologie se différencie
de la chiromancie, en ce qu'elle ne prédit pas l'avenir, ne dit rien
du passé : c'est le caractère présent qu'elle détermine.
On ne se fait point une idée précise du caractère d'une personne que
l'on voit même souvent
Selon nous, il est de toute impossibilité de connaître à fond une
créature sans le secours des sciences occultes. Citons cette remarque
profonde de Balzac :
t II se glisse tant d'erreurs dans les conversations du monde, il s'y
fait avec légèreté des maux si profonds, que l'historien des mœurs est
obligé de sagement peser les assertions, insouciamment émises par
tant d'insouciants. »
C'est donc la science qui remet tout en état de ressemblance.
L'abbé Michon a formulé un axiome ainsi conçu : c Les écritures
fC ont pas de sexe i.
C'est une vérité capitale, car il y a des hommes féminins et des
femmes viriles. Nous regrettons de contrarier le sexe fort, mai<» la
graphologie le démontre.
La femme a montré qu'elle était apte à remplir les emplois publics,
qu'elle pouvait briller dans les Arts et dans les Sciences.
Nous avons vu, avec satisfaction, au congrès de la graphologie de
1900, le deuxième congrès, car le premier a été tenu par le fondateur
de la graphologie, nous y avons vu des femmes graphologistes fran-
çaises et étrangères.
C'est la Société de graphologie qui a ouvert, cette année, le feu des
congrès, du 24 au 31 mai, ayant pour président M. F. Gavarry ; secré-
taire général M. P. Varinard, et M. Depoin, trésorier.
Etaient présents : le prince Ghika, plénipotentiaire de la femme de
lettres et reine de Roumanie, une rareté. Le prince de Cassano,
d'Italie, qui suit, étudie tous les congrès, fort travail et belle occupa-
22 REVUE DU NIVERNAIS.
tîon de prince : c'est encore rare. Entré en curieux, il en est sorti
dévoué à l'œuvre de J.-H. Michon.
C'est donc un Français qui a eu la gloire d'appliquer ces lois scienti-
fiques nouvelles de Yécriture, L'abbé Michon est le fondateur de la
science graphologique, il a créé une science impérissable.
Voici ce qu'on lit sur la dédicace du Système de graphologie :
« A Emilie de Vars, ma collaboratrice,
• Mon excellente amie, vous m'avez dédié l'un de vos derniers
ouvrages, celui où vous vous êtes jetée, avec un véritable talent de
polémiste, dans les luttes religieuses qui passionnent notre époque. Je
ne fais qu'acquitter une dette de justice et de reconnaissance en
mettant à la tête de mon Système de graphologie, le nom de l'auteur
de V Histoire de la graphologie.
» Vous avez élevé le vestibule ; j'ai construit l'édifice. Le monument
et l'œuvre gracieuse qui lui sert d'entrée doivent aller ensemble Si
notre pays, un jour que nous ne serons plus, se souvient un peu de ces
hardis investigateurs qui se sont dévoués à la recherche d'un nouveau
et puissant secours apporté à la civilisation, votre nom sera à côté du
mien pour la part que vous avez prise à la publication de la Grapho-
logie^ œuvre sérieuse, lue avec intérêt aujourd'hui dans toutes les
grandes villes de l'Europe, et qui vulgarise notre chère science.
2> De tous les disciples que j*ai formés, nul mieux que vous n'a saisi
la science graphologique dans ses nuances les plus fines ; vous avez
écrit des portraits graphologiques qui ont été reconnus d'une justesse
et d'une exactitude à égaler ceux que j'ai faits moi-même. Notre œuvre,
modeste encore, est appelée à un grand avenir. Je suis heureux de
rendre cet hommage à la femme modeste qui a toujours trop redouté
une publicité que d'autres recherchent avec tant d'ardeur. Vous n'en
aurez pas moins votre belle place parmi les femmes distinguées qui
ont honoré le xix« siècle par un talent élevé et pur et par un noble
caractère. » J.-H. Wichon.
• Paris, 6 février 1875. »
Victor Moussy,
Un de ses disciples de janvier 1874,
REVUE DU NIVERNAIS. 23
EN CHINE
Quelques libations leur ont fait voir en rose
Le départ pour la Chine : ils s'en vont exultants.
Mais j'en connais plus d'un qui deviendra morose
En songeant au bonheur écoulé des vieux temps.
0 soldats, partez donc avec votre espérance
D'échapper à la mort, de revenir vainqueurs.
Puisque vous y croyez encor, vous, à la France,
Que son fervent amour vibre en vos jeunes cœurs ÎI
Non, vous ne craindrez pas les flèches ni les balles.
Mais lorsque vous verrez la Chinoise aux yeux bleus
Et que vous entendrez les gongs et les cymbales
Saluer, en passant, les Dragons fabuleux^
Vous vous rappellerez, l'âme de douleur pleine,
Vos payses aux pieds chaussés de bas de laine.
Tristan de Léon.
UN COUP D ŒIL SUR LE MORVAN
Le Morvan, peu connu il y a cinquante ans des Nivernais eux-mêmes,
ne l'est pas encore assez aujourd'hui. Il présente cependant un aspect
très pilloresque avec ses montagnes aux horizons boisés, ses vallées
profondes et ses vastes forêts. Ses monumeuts offrent aussi un intérêt
historique et archéologique : châteaux féodaux, manoirs seigneuriaux,
édifices religieux, ruines même rappelant le souvenir de l'occupation
constante de ce territoire depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos
jours. Les anciens chemins, souvent inaccessibles aux piétons et qui
reliaient les villages entre eux, ont fait place à d'excellentes routes
conduisant aux domaines les plus isolés. Les vieilles chaumières, humides
et basses, privées d'air et de lumière, bâties au hasard et précédées de
cours boueuses inabordal^les pendant la mauvaise saison, disparaissent
chaque jour. De nouvelles constructions s'alignent pour laisser leur lar-
geur aux voies publiques, modifiant complètement la physionomie des
anciens villages, où la tuile et l'ardoise contrastent étrangement avec
les toitures de chaume recouvertes de mousse ou éventrées par Thumi-
dité. Telles sont les réflexions que je faisais lors d'une récente excursion
dans ce coin du Morvan qui confine à la partie du département de
l'Yonne détachée de notre province. Combien de Nivernais ignorent
cependant les beautés de cette contrée alpestre et sauvage qui a mérité
avec raison le nom de petite Suisse, par ses roches sortant de la mon-
tagne, ses bois serpentes par d'étroits sentiers, les sinuosités de ses cours
d'eau, ses torrents et ses cascades, suite de tableaux délicieux de fraî-
cheur et de rusticité, sites enchanteurs changeant d'aspect à chaque pas
et qu'il faut renoncer à décrire par le menu. Gaston Gauthier.
24
REVUE DU NIVERNAIS.
C4a*^>n*^}
LES HOUILLÈRES DE LA MACHINE
PRÈS DECIZE (NIÈVRE)
A Monsieur Achille MilUen,
Vous avGZ bien voulu, cher maitre, me demander, pour votre
excellente Reviie du Nivernais, une étude d'ensemble sur les mines de
La Machine. Je vais donc essayer de vous donner, en quelques pages
aussi simples que le comporte le sujet, un résumé de l'évolution de
notre houillère et de la vie machinoise, avec l'espoir que cette étude
succincte et sans prétention intéressera quelques-uns de vos nombreux
lecteurs.
PREMIÈRE PARTIE
I. — Coup (Tœil d'ensemble sur La Machine.
Située à deux lieues au nord de l'ancienne ville de Decize et au
milieu des bois, La Machine est une commune importante (4,850 habi-
tants) qui doit son nom à la première machine employée dans le pays
pour l'extraction de la houille.
Elle comprend le bourg, bâti de chaque côté de la route départe-
mentale de Clamecy à Moulins-sur-Allier ; plusieurs faubourgs, dont les
REVUE DU NIVERNAIS. 25
plus populeux sont ceux de la Chaume (1), à Test, et des Baraques (2),
à Touest ; enfln, trois cités ouvrières : celles de Sainte-Marie et de la
Viliedieu, qui font suite aux Baraques, et la cité Sainte-Eudoxie, qui,
élevée sur un plateau, à deux kilomètres au nord-ouest du bourg, offre
un aspect vraiment pittoresque avec ses quatre-vingt-dix maisons
semblables, couvertes en tuiles, et leurs coquets jardins plantés
d*arbres fruitiers.
Sur la rue du bourg, très large, bordée de trottoirs et ombragée
d'arbres jeunes et vigoureux, s'ouvrent diverses voies, dont les prin-
cipales sont :
1<> La route de Prémery, plus connue sous le nom de route de Trois-
Vêvres, parce qu'elle conduit à ce bourg, — distant de quatre kilo-
mètres à l'ouest, ~ dont on aperçoit le clocher au-dessus de la masse
verte des bois, et qui fournit aux mines un assez grand nombre
d'ouvriers ;
2<> La rue des Baraques, qui part de la place de l'Eglise, traverse le
faubourg des Baraques et, après avoir franchi le ravin de l'Etang-
Jaune, se prolonge jusqu'à la cité Sainte-Eudoxie ;
i^ La rue de la Chaume ou route de Bussière, qui commence au-
dessous de la place du Marché, se dirige vers l'est, traverse le faubourg
de la Chaume et se continue jusqu'au delà de Bussière , hameau
important de la commune de Champvert, où habitent quelques ouvriers
mineurs ;
4« La rue du Cimetière ou route des Marizys, qui longe le cimetière,
situé au-dessous de la Chaume, et monte aux Marizys, quartier assez
étendu, mais peu populeux, dominant le pays à l'est ;
h* La rue de la Misère, qui, grimpant à l'ouest, près du ruisseau
appelé le Rio-du-Passage, fait communiquer le bas de La Machine avec
le quartier des Baraques, beaucoup plus élevé ;
6<* Le chemin des Coupes, qui, prenant au-dessus du Rio-du-Passage,
monte en serpentant à l'ouest, puis au nord, dessert les quartiers des
Coupes et des Cendriers, et se continue à travers les anciens villages
des Fromageots et du Vernelier, situés à l'extrémité nord-est de la
commune.
(1) Âinn appelé de l'ancienne chaume communale sur laquelle U est bâti.
(2) Ce faubourg doit son nom aux baraques en planches établies primitivement
dans ce quartier pour servir de logements d'ouvriers ou d'écuries à chevaux.
26
REVUE DU NIVERNAIS.
Un grand nombre d'autres rues, reliées à ces artères principales,
sillonnent en tous sens le territoire de La Machine, qui est relative-
ment étendu et très accidenté.
II. — M 3Iachme aux derniers siècles.
Ce pays, érigé en paroisse en 1785, devint, en 1793, une commune
du district de Decize (1). Auparavant, il dépendait des localités envi-
ronnantes : Champvert, Thianges, Ville-Langy et Sougy.
Alors le bourg n'existait point; on voyait seulement quelques
maisons isolées, couvertes en paille, et des baraques en bois élevées
çà et là dans les quartiers de la Chaume, des Baraques et des Marizys.
i'^ÏÏ
Cependant, la houille de Decize était connue depuis longtemps déjà,
puisque, en 1595, le jurisconsulleGuy Coquille, notre érudit compatriote,
écrivait, dans son intéressante /^w/o/re rfw /)fly« et iuchéde Nivernois:
a Près de Decize sont les minières de charbon qu'on dit charbon de
pierre, qui est noir, gras et visqueux, prend et entretient le feu,
comme l'autre charbon fait de bois, mais le feu en est plus ardent et
(I) Du mois daoùl 1785 au lU décembre 1792, les registres paroissiaux sonl tenus
par M. Charles, premier curé de L:i Macldiie. A partir du l" janvier 1703, ils sonl
signés par le procureur de la commune, Louis Robert ; puis par deux membres du
conseil général de la commune, Marc Defand, élu le 13 février de la même année,
elJean Machecourl tils aîné, choisi, le 30 novembre suivant, par les habitants assem-
blés sur la place publique.
REVUE DU NIVERNAIS. 27
les ferronniers en usent plus volontiers. Le trafic en est sur la rivière
de Loire ; il y a quelque heur et rencontre à le trouver, et quelquefois
faut que les fosses et puys soient bien profons, et selon les saisons se
font grands fraiz à tirer les eauës dont lesdites fosses se remplissent.
Il y a des pareilles charbonnières près la ville de Liège, sur la Meuze,
mais le charbon est plus aisé à tirer ; ils appellent le charbon ouille et
les charbonnières les miillières, et fournissent presque tout le Pays-bas
qui n'a point de bois, tant pour chauffer et cuire la viande que pour
les ferronniers. »
La dernière partie de cette citation me remet en mémoire la légende
de la découverte de la houille, qu'il convient de rappeler ici :
Il y avait une fois (comme on dit dans les contes, proches parents
des légendes) un pauvre maréchal-ferrant nommé Houillos, ou Hollius,
qui habitait le village de Plénevaux, dans les environs de Liège. Réduit
à la dernière misère et sur le point de mourir de faim avec sa famille,
cet homme méditait des idées de suicide, quand, soudain, apparut
devant lui un vieillard à longue barbe blanche qui l'interrogea sur les
causes de son désespoir : — « C'est, dit Houillos, que je ne puis plus
travailler, faute d'argent pour acheter du charbon de bois. — Qu'à
cela ne tienne, répondit Tinconnu : prends une pioche et un panier et
va dans la montagne voisine dont tu creuseras la terre ; tu y trouveras
de la pierre noire excellente pour ta forge. y> En disant ces mots, le
vieillard disparut. Le maréchal-ferrant se hâta de suivre les conseils
de cet étrange messager et, peu après, il revint de la montagne avec
une provision de charbon de terre qu'il essaya sur-le-champ et dont il
eut entière satisfaction. Il retourna en chercher le lendemain et les
jours suivants, et fit part de sa découverte aux habitants du pays.
Ceux-ci employèrent à leur tour le précieux combustible et lui donnè-
rent le nom de houille en souvenir de l'ouvrier qui le leur avait fait
connaître. Tel fut, en Belgique (vers le xii« siècle, dit-on), l'humble
début de cette industrie minière, qui, de nos jours, devait prendre un
si grand développement et contribuer, dans une très large mesure, au
progrès universel.
Le Nivernais tient un rang honorable dans l'exploitation de la houille,
grâce aux mines de La Machine dont nous allons retracer l'évolution à
travers les siècles.
Le terrain houiller des environs de Decize, recouvert d'épaisses
i
28 REVUE DU NIVERNAIS.
forêts, fut, à Torigine et pendant longtemps, fouillé d'une façon tout à
fait rudimentaire.
On y pratiqua d'abord de simples excavations à ciel ouvert, aux
affleurements des couches que Ton voit encore sur divers points du
pays; puis, on creusa des trous ou « crots », plus ou moins profonds,
desservis par des treuils à bras et d'où Ton sortait la bouille au moyen
de paniers ou de tonneaux. (1)
Ce fut seulement à la fin du dix-septième siècle que Ton commença
Texploitation régulière de ces mines.
On était sous le règne de Louis XIV. Son ministre Colbert avait, en
4659, parcouru le Nivernais, afin d'en connaître les ressources indus-
trielles, et les minières des environs de Decize n'avaient point échappé
à ses investigations.
Son rapport fut mis sous les yeux du roi. Aussi, quand ce monarque,
parvenu à l'apogée de sa puissance, voulut surpasser la marine
anglaise et ne plus être tributaire de la Grande-Bretagne pour la four-
niture de la bouille nécessaire à ses ateliers de constructions navales,
il prescrivit, dans les arsenaux militaires de Brest, du Havre et de
Rochefort, l'emploi du charbon nivernais, qu'il considérait comme le
meilleur de France.
C'est alors que, par arrêt du 16 juillet 1689, il concéda au duc de
Montausier (gouverneur de son fils, le grand dauphin) l'exploitation,
pendant quinze années, de toutes les mines de charbon de terre qu'il
pourrait découvrir aux environs de Decize, excepté dans la forêt des
Minimes dépendant du duché de Nevers.
/Asuivre.J L.-M. POUSSEREAU.
(1) U reste de nombreuses traces de ces explorations primitives dans les bois de
La Machine, et principalement au bord de l'ancienne route de Trois- Vévres, entre le
puits de la Haute-Meule et l'Etang-Neuf.
S6^^
RRVUE DU NIVERNAIS. 29
POETES CASTILLANS (Suite)
Supplément.
Breton de Los âerreros.
A DONA ROSA
Le souffle du zépbyr convient
 ta délicatesse exquise,
Rose andalouse, et non la bise
Qui vient du nord pyrénéen.
Mais une autre fleur plus durable
Est dans ton esprit adorable
Et dans ta grâce, riche don
De ton riche Guadalquivir,
Que ne pourrait pas te ravir
L*âpre fureur de l'aquilon.
Ventura de La Vega.
A ROSE
Exhalant son odeur, quand Taube est de retour,
La rose au jardin nait, dans la calme campagne :
Toi, dans TAndalousie, au jardin de TEspagne,
Gentille Rose, ainsi tu naquis un beau jour.
Elle naît ; et, timide et rougissante, elle ose
Entr'ouvrir doucement son calice pourpré :
Quand un sourire aussi les entr'ouvre à ton gré,
Rose, tes lèvres sont de vrais boutons de rose.
Un berger confiant, que l'odeur attira,
Mit la main (l'imprudent I) sur la tige fleurie ;
Vite il la retira, cruellement meurtrie
Par une épine aiguë, et longtemps il pleura.
Gentille Rose, dont la grâce est toujours sûre
De charmer qui te vit une fois seulement,
Comme la rose, as-tu des épines ?... Vraiment
Je me défierais, moi, crainte de la blessure I
*4ii REVUE DU NIVERNAIS.
Espronoeda.
(Fragment,)
J'ai vu s'évanouir mon illusion vaine,
S'accroître mon désir sans s'assouvir jamais.
J'ai touché le réel, j'ai pris la vie en haine,
Ce n'est que des tombeaux que j'espère la paix.
Je cherche encor, je cherche, en angoisse ; mon âme
Imagine un bonheur qu'elle voudrait avoir ;
J'interroge ; une voix épouvantable clame :
Tu n'as plus qu'à mourir, à mourir sans espoir !
0 misérable, meurs ! la vie est un supplice.
Le plaisir un mensonge ; en aucun de tes jours
Tu ne goûteras paix, jouissance, délice ;
Toujours l'ambition et la guerre, toujours I
Ainsi Dieu veut punir toute âme téméraire.
Toute âme, dont l'audace insensée oserait
Lever l'éternel voile et tenter de soustraire
A la Vérité son insondable secret !...
Oertrudis Gomez de Avellaneda.
LA CROIX
(Ff'<igment.)
Fleuris, arbre sacré ! L'astre qui t'illumine.
C'est rélernelle Vérité ;
Sur ton pied puissamment planté
Pleut sans fin la Grâce divine.
Fleuris, étends au loin tes robustes rameaux :
A ton ombre sainte, la race
D'Adam, d'un pôle à l'autre, lasse.
Aspire à trouver le repos.
Les siècles en passant t'honorent. Immobile,
Tu vois se déployer leur vol
Et tout genou touche le sol
Au pied de ta force tranquille.
Sur terre, comme au ciel, dans l'abîme, en tout lieu,
Tout front fléchit si l'on te nomme...
Tu nous montres un Dieu fait homme.
Tu portes l'homme jusqu'à Dieu !
Traduction de ACHILLE HiLLiEN.
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Hippolyte Lucas : Choix de poésies^ suivi de plusieurs nouvelles en prose^ etc.
Nolice littéraire, par Léo Lucas. (Lemerre, édit., 3 fr. 50). — Par les soins pieux d'un
fiLs soucieux de la mémoire paternelle, un choix de poésies de Hippolyte Lucas, vient
ée puitttre sn unfHt^j^ant volume in-18. L'excellent littérateur Hippolyte Lucas» mourut
ir^iriaeD 187H, à ^loiitiiBti» et onze ans, bibliothécaire à TArsenal. Ecrivain fécond, • il a
porrouru, — disait Kdinond About, — sur sa tombe, en tous sens, dans ses moindres
iwûiii^ï, le domaine illiinilé de l'esprit, avec la tranquille et patiente activité du Breton. »
O vottjme do poi-sit-s, est une sorte de poème en trois chants : Désirs, ivresses^ regrets,
* b trilogie ùbprneUe de Tamour ». Que de pages charmantes à détacher de ce recueil !
11 y a M une cxf^uîse délîratcsse de pensée et de sentiment dans un vers net, franc,
ïimfiid«. lï 8'<it|;it du reste iVnn talent de longue date, apprécié et cx>nsacré. Plusieurs
oovvr'ltes en (irose tci .ninerïL le volume et c'est plaisir de trouver à côté du bon poète, le
coat^r altrïiv.inl. — ExcelIriUe notice littéraire de M. Léo Lucas.
F, Feitinjujl : Drantes et cancans du Livre (Lemerre, édit., 3 fr. 50). — Quand on
ouvre on livre de KertLujlti on est' sûr d'y trouver de l'érudition aimable, de
1 hgmour ifiscrel, de ta pto&i^ claire comme eau de roche ou des vers francs comme
Vw. FerLJ;»ult esl un vr.ii hililiophile, un parfait bibliographe, un ami des livres dans
loole ]:i force du terjiie, ji.* me trompe : un amant des livres, un amant dont la
pi^ïon tit^i lins légéri' comme feu de paille, ni fugitive comme papillon,. mais
<ToiaiviiQ s:in5 e&i^ et sol [dément ancrée. On lit avec l'intérêt d'un roman, les
dii«T»e^ piijlU'S de son nouv^^au volume; les Aventures d'un Bouquin^ une Pcussion
f^f" Pritpriéimrf\ k Sûngt' dtf Savant , etc. Nous recommandons les Sonnets Inat-
tt^atit*, m tiûeroftccfnque iiiiihologic... qui va naturellement de la poésie au baroque,
tn^is icrfuiert une valeur p;ir son originalité même. • En fermant ce volume, de plus
^ ^ p^es, nom ne pouvons nous défendre d'un sentiment d'admiration pour le
'wJUiii écrivain, dont le premier ouvrage date de 1842, et qui donne encore en pour-
laif^nt £t carrière féconde des pages comme celles dont nous venons de parler trop
bfièTciD£iit,
Nous Usons âm vera de notre directeur dans El CorreOf le Soleil Illustré^ etc.
Pltïiieuns journaux pcprodui&put, en le commentant, le conte du Médecin Miraculeux,
Itte uûlner Revue a donné dernièrement. La Campana de Magalouna (de Mont-
Hliff) i*çf'\\ à ce sujet : * Un journal parisenc dounava l'autre mati un raconte
i^opuljri revirat dau Niveiiiès pèr un requist pouèta Achille Million, un d'aqueles
<P''â I mira de ioi sentisson l'ou mai e an lou milhou rendut dins sous verses la
<^u^ûu e h béutat de la bell» vida das travalhadous dau campestre, • etc.
32 REVUE DU NIVERNAIS.
NOTES ET ÉCHOS
, * , Nos compatriotes : Le général Morio est nommé membre du comité technique
de la cavalerie ; — M. Paul-René Nicoa est sorti de TEcole polytechnique avec le
n* 3 et M. Nicolas- Albert Marcenet, de l'Ecole navale, avec le n* 39. — Est admis à
TEcole navale (n« 18 sur 1(M), M. René-Philippe-Lucien Deboeuf.
«*« L'école professionnelle Saint-LouLs, dirigée par M. Deby, continue d^obtenir de
remarquables succès : sur 19 élèves présentés aux écoles d'arts et métiers, 15 ont été
reçus.
,*, Notre collaborateur, M. Lucien Jeny, continue d'enrichir de nouvelles médailles
son trophée littéraire. Nous voyons son nom figurer deux fois au palmarès poétique
des grands concours littéraires et artistiques de TÂrdèche.
,*, 26 août. Inauguration à Bazoches du monument élevé à la gloire de Vauban,
gloire qui nous est chère et qu'ont mise en relief M. l'abbé Cointe dans son sermon,
et, dans leurs allocutions et discours, MM. le marquis de Vibraye , Roger de
la Brosse, le colonel de Rochas, Niessen, lesquels ont pris de nouveau la parole dans
la salle du banquet, ainsi que MM. le général d*Entraigues et Chambon. Tous les
orateurs ont été vigoureusement applaudis.
«\ 9 septembre. Obsèques, à Surgy, de M. Sylvestre Hérisson, sénateur de la
Nièvre. Discours de M. le Préfet et de MM. Stephen d'Aunay et docteur BilUard.
M. Hérisson était né en 1885, à Surgy.
«*« 15 septembre. M. Gamuzat, président de la Société artistique de la Nièvre,
ouvre, au Cercle de TOrangerie, en présence des membres du bureau et de nombreux
sociétaires, la 5* exposition annuelle des Beaux-Arts. Nous reviendrons sur cette
intéressante exposition de nos artistes nivemals.
«\ Nos lecteurs ont trouvé encarté dans notre dernière livraison, avec un bulletin
de souscription, la circulaire annonçant la publication de l'ouvrage de M. Achille
Millien : Littérature populaire et traditions du Nivernais (neuf volumes in-8*). Nous
n'avons pas besoin d'insister sur Pimportance de cet énorme travail qui devrait
figurer dans la bibliothèque de tout amateur nivemais. Le prix (80 fr.) relativement
élevé, est en somme très modéré et d'un versement très facile, puisqu'il n'est exigible
que par fractions et durant une période de plusieurs années. L. D.
Le Directeur-Gérant^ Achille Hillien.
(a>^^c|^<|x^
H9V9r$, Imp. 0, Yallléf,
0 DIVORCE ! {S,ntr)
EPUis trois semaines, Albert d'Eslay et
Aline de Trassôn sont promis Tun à
l'autre. Les deux amoureux coulent la
vie la plus délicieuse du montje.
Ils s'adorent tous les deux.
Comment auraienl-ils pu faire autre-
ment d'ailleurs ? Comment Albert ne
se serait-il pas laissé prendre à la grâce
troublante et naïve d'Aline, si jolie avec
ses petits caprices d'enfant gâtée ! Et comment Aline aurait elle pu
se défendre du plus franc amour pour ce beau garçon qui, recherché
de toutes les plus belles et les plus riches héritières de France et de
Navarre, la préférait, elle?...
Ils s'enivrent, la main dans la main, de ces ineffables et chastes
caresses du cœur, les plus exquises voluptés de l'amour. Ils sont tout
aux càlineries et aux sourires des yeux, aux douceurs des paroles, aux
promesses de bonheur, aux projets d'existence.
— Quand nous serons mariés... dit Albert d'une voix grave.
Et Aline reprend, quelques instants après :
— Quand nous serons mariés !...
0 ivresse du premier amour ! 0 fiançailles ! !...
Phase des extases que Ton croit immortelles! Epoque bénie dont
toutes les minutes vibrent d'harmonies suaves, sublimes pour les cœurs
des amants!...
Heures exquises, enivrantes, divines aussi que celles des premiers
2
31 • nKVUE DU NIVERNAIS.
jours qui suivent le mariage I Qui n'a pas savouré la douceur enchan-
teresse des unes et des autres n'a pas vécu !...
La lune de miel I moment le plus doux de l'existence à deux par
cela même qu'elle est faite d'illusions et qu'alors la femme aime les
exigences du mari, que le mari adore les caprices de la femme !...
... Fiançailles !... Lune de miel I... Sons divins, symphonie d'espoir,
cantique de forces juvéniles pleines de confiance en elles-mêmes !
Fiançailles I... Lune de miel !.. Mots magiques, hymne de bonheur
et de foi naïve qui chasse au loin les doutes amers, l'ignorance cruelle
de Tavenir !...
Ces joies ineffables, Albert et Aline les goûtent toutes, tour à tour à
Paris, puis là-bas, au pays du soleil et de l'amour, dans ce midi de la
France si justement chanté, et de nouveau à Paris, dans un petit mais
somptueux hôtel de la rue de Vaugirard, doux nid tapissé de soie et
parfumé de fleurs, où, loin du monde, ils vivent, grisés, éperdus,
s'adorant!...
Ils vivent!... Plus justement, ils révent.
Ils ne marchent pas, ils planent. Ils n'habilent pas sur terre, mais
au ciel. Domaine du bleu et qui est aussi le pays des chimères el la
région des tempêtes.
Il est à craindre, hélas ! qu'à force de vivre de chimères, ils ne
finissent par s'en créer; qu'un beau jour, au lieu de redescendre tout
doucement du ciel, comme l'alouette qui reconnaît l'insanité de ses
désirs trop audacieux, ils n'en dégringolent tout d'un coup et ne se
brisent les ailes contre notre planète.
Toutes les joies terrestres, en effet, sont de courte durée; nos
ivresses, éphémères ! Presque toujours ici-bas les larmes suivent de
près les ris ; l'orage, le brûlant rayon de soleil 1...
Le bonheur d'Albert et d'Aline, sans doute, durerait longtemps
sans cette loi immuable des choses d'îci-bas, sans la fatalité, Némésis
jalouse des joies des pauvres mortels !...
Aline est une enfant gâtée, c'est-à-dire habituée à voir tous ses
caprices soufferts, ses moindres avis ponctuellement suivis ; et aussi,
il faut bien le dire, elle est jalouse, jalouse à s'en martyriser, elle et
son mari, qu'elle aime pourtant de toute son âme. Elle a beau se rai-
sonner, se convaincre, qu'elle s'alarme à tort, sans ombre de raison ;
rien n'y fait.
flEVUE DU NIVERNAIS. 35
Pour qui connaît sa nature un tantinet romanesque et jalouse, une
crise est à redouter, une crise qui ne saurait guère tarder.
Elle éclate bientôt, en effet.
In beau jour, Albert reçoit une invitation à un dîner de garçon
offert par un de ses meilleurs amis, un camarade de collège, lui aussi
i présent homme de lettres. Il lui est impossible, ainsi que le désire
Aline, d'éviter cette partie de plaisir, ou cette corvée, comme l'on
voudra.
Furieuse de ne point se voir obéie pour la première fois, elle se met
à bouder son mari. Elle ne lui parle maintenant que d'un ton brusque,
très souvent amer. Tout d*abord, celui-ci, distrait, affecte de ne s'aper-
cevoir de rien, attribue ce brusque changement d'humeur aux écarts
de l'imagination, à l'élourderie de la jeunesse. Néanmoins, au moment
de prendre congé d'elle, le jour fatal venu, il ne peut s'empêcher de
lui faire des remontrances, mais gentiment et en lui promettant de
revenir le plus tôt possible.
— Jusqu'ici vous faisiez des conférences, mon cher, lui répond Aline
tremblante de colère contenue; maintenant vous...
— Je vous demande pardon, interrompit-il en riant; j'oubliais que
vous n'aimiez point les sermons sans éloquence, principalement ceux
qui vous prennent pour point de mire.
Puis il ajoute, câlin :
— Où pensez-vous, sans indiscrétion, passer votre soirée?
— Oh I mon temps est à moi. J'irai où bon me plaira. En cela,
j'imiterai les autres.
— Ne devrai-je point passer chez votre mère vous prendre quand
je reviendrai ?
— Que vous importe que je sois là ou ailleurs... C'est si peu amu-
sant de voir toujours le même visage 1
— Oh I fait Albert douloureusement blessé. En vérité vous avez
bien changé depuis quelques jours.
— L'un de nous a changé!... Autrefois vous vous seriez empressé de
m'accorder le minime sacrifice que je vous demande, mais aujour-
d'hui?...
— Vous êtes injuste, Aline!... Je vous ai expliqué que je ne puis
éviter cette soirée.
— C'est encore moi qui ai tort, n'est-ce pas ?
30 BEVUE DU NIVERNAIS.
— Je ne dis pas cela : je vous prie seulement d'être plus calme et
de m'écouter plus impariialement.
— C'est boni interrompt-elle les lèvres tremblantes et les yeux
brillants de colère. C'est bon et bonsoir 1...
Sur ces mots, elle quitte brusquement son mari, le laissant tout
désarçonné et si ébahi qu'il ne songe pas à la rappeler. Enervé lui-
même, il sort aussitôt. Mais comme tout au fond de son âme, un désir
vague, indécis, inquiet le fait aspirer après l'heure heureuse, l'heure
troublante où, dès son arrivée du fatal diner, il ira implorer son
pardon, quoique les torts ne soient pas de son côté 1...
Aline, elle, est montée dans sa chambre où elle éclate en sanglota.
Longtemps, longtemps elle pleure...
Maintenant la nuit a tout couvert de ses ailes noires, gigantesques.
Une à une, elle a vu les maisons se foncer, disparaître, se drapant
dans la nuit, et les lueurs des becs de gaz se piquer de ci de là,
pareilles à des farfadets dansant malicieusement.
Elle attend son mari : elle a la certitude qu'aussitôt rentré, il viendra
se faire pardonner. Et il lui a promis de rentrer de bonne heure I
A chaque instant elle écoute avec anxiété les sourdes rumeurs de la
nuit, le triste hululement du vent dans les arbres du Luxembourg ; les
yeux rougis par les larmes, la poitrine oppressée, elle sondé les pro-
fondeurs brumeuses de la rue désespérément déserte ; parfois, le cœur
palpitant, l'oreille tendue au moindre bruit, elle écoute le pas étouffé
de quelque passant attardé sur le pavé de la rue rendu glissant par la
brume qui tombe, ou le fracas d'une voiture sonnant dans le silence de
la nuit et se perdant dans Téloignement, avec l'espoir toujours déçu
d'un brusque arrêt devant sa porte.
Silencieuses passent les heures ; une à une, elles sonnent à l'horloge
de Saint-Sulpice, lentes et graves : tel un glas funèbre. Et chaque fois
un frisson d'épouvante court sous l'épiderme delà jeune femme, secoue
ses pauvres membres endoloris.
Ses larmes roulent toujours, silencieuses ; elle les laisse glisser sur
ses joues sans s'en apercevoir. Elle ne peut reposer. Une fièvre la
tient éveillée avec des oppressions et le battement de ses tempes.
Elle est écroulée dans un fauteuil, comptant les minutes, les heures,
dans une vision abominable de catastrophes irrémédiables.
Elle finit cependant par s'assoupir. ..
REVUE DU NIVERNAIS. 37
Il est trois heures du matin quand elle entend soudain des pas son-
nant lourdement dans le corridor, sans nulle préoccupation pour en
étouffer l'écho. Alors, comme en un pressentiment, elle ouvre vive-
ment sa porte et regarde : son mari 1 son mari qui titube 1
Elle croit à un malheur et s'écrie dans sa douleur :
— Comme vous rentrez tard, Albert ! Il ne vous est rien arrivé !...
Mais qu'avez-vous donc ?
— Rien. Ne t'inquiète pas, ma chérie, répond celui-ci ; et, vacillant
de droite et de gauche, riant, chantant, gesticulant, il la prend dans
ses bras, la serre, l'enlève. Sous l'épouvante de ses baisers désor-
donnés, Aline veut résister. Il se fâche, il menace. Ainsi commencée,
la querelle s'envenime, dégénère en scène violente. Des mots irrépa-
rables sont prononcés, creusant entre les deux époux un insondable
abime, tandis que la valetaille accourt, réveillée en sursaut par le
bruit.
Alors à moitié dégrisé, mais furieux, Albert sort respirer l'air frais
de la nuit... peut-être, pense Aline, conlinuer son orgie.
Restée seule, la jeune femme pleure, pleure. Son imagination tra-
vaille, fait de sa vie future un enfer... puis lui suggère une résolution
diabolique. Aline s'attache désespérément à celte pensée, la mûrit.
Bientôt elle est irrévocablement fixée ; jamais plus elle ne reverra cet
homme odieux, — son mari ! — qui Ta si lâchement injuriée devant
leurs serviteurs. Non, elle ne peut rester plus longtemps dans celte
maison ; la vie n'y serait plus tenable.
Elle pose son alliance sur le marbre de la cheminée, bien en
évidence, et, au petit jour, se fait conduire chez sa mtre.
(À suivre.) Ja.
38 nEVUE DU NIVERNAIS.
REVE D'ENFANT
Quand j'étais tout enfant, ne sachant pas encor
Que la vie est pour nous un immense mystère,
Mon rêve, à moi, c'était d'être un jour militaire.
J'aimais le képi rouge orné de galons d'or.
J'aimais le dolman sombre et la soutache noire,
Et le sabre brillant qui sonne à chaque pas.
— Comme à moi, mes amis, ne vous semble-t-il pas
Que l'épée est toujours le symbole de gloire ?
J'ai trop aimé cela ; ce n'est pas un défaut ;
Et pour réaliser un peu plus tôt mon rêve.
J'assemblais mes amis dans le val où s'élève
Un coteau verdoyant qui servait à l'assaut.
Ils étaient mes soldats, j'étais leur capitaine ;
Pour armes nous avions de Icngs morceaux de bois,
Et nous étions alors plus heureux que des rois
Avec nos croix d'étain et nos galons de laine.
Toujours, de l'ennemi, nous étions triomphants,
Car pour les grands combats nos âmes étaient nées.
Ceux qui passaient, voyant nos luttes acharnées,
Souriaient et disaient : « Courage, mes enfants ! »
Et quiconque avait su, dans la lutte, être brave
Recevait de mes mains le prix de son ardeur.
Et je parlais alors de vaillance et d'honneur,
M'efforçant de donner à ces mots un ton grave.
Ensuite, rassemblés, nous allions, tous au pas.
Fièrement, le front haut, criant : « Vive la France ! i
Emportant dans le cœur un peu cette espérance
Qu'un jour nous serions forts, nous, les petits soldats.
Mais tout cela n'est plus qu'une vaine chimère,
Un souvenir d'enfant, un rêve d'un beau jour
Que loin de moi le temps emporte sans retour.
Me laissant le regret d'une joie éphémère.
Odile Thiault.
24 juillet 1900.
REVUE DU NIVERNAIS.
39
LES HOUILLÈRES DE LA MACHINE
PRÈS DECIZE (NIÈVRE)
(Suite).
Mais le système d'extraction employé dans le pays à cette époque ne
permettant point de répondre aux exigences du ministre de la marine,
on dut faire venir de Belgique des ouvriers plus habiles.
Le souvenir de leur présence dans la contrée a d'ailleurs été fidèle-
ment conservé par a tradition locale ; toutefois, Tépoque précise de
leur installation n'était point encore connue.
H nous est permis de combler celte lacune, grâce à des recherches
faites dans les archives de Champvert et de Thianges. Les indications
que nous y avons recueillies, rapprochées de celles qui précèdent et
de l'arrêt royal, prouvent que c'est le duc de Montausier qui, pressé
par Louis XIV de fournir de charbon nos ports français, fit venir de
Liège une équipe de travailleurs expérimentés pour exploiter rapi-
dement et avec méthode la minière qui venait de lui être concédée (1).
La direction des travaux fut confiée à l'ingénieur Daniel Michel,
venu également de Liège, lequel installa sur un puits à houille la
(l)Du reste, on n'a trouvé dans les archives nationales, départementales ou parti-
culières, aucune trac« de concession antérieure à celle de 1(^89, et on ne peut
admettre que dos Liégeois soient venus, de leur propre volonté, dans un pi»ys
iiH'onnu, presque inhabité et très éloigné du teur, pour instaUer des puits et extraire
da charbon sans v être autorisés.
40
HEVUE DU NIVEBNAIS.
i
machine qui devait donner son nom à nos mines (i). Gel ingénieur
mourut quelques années après et fut inhumé dans l'église de Thiangcs
le 20 novembre 1693 (2 j.
Ses compatriotes restèrent un certain temps dans le pays, puisque,
le 26 mars 1733, on inhuma dans le cimetière de Champvert a Idas
)) Pesly, âgée d'environ soixante et cinq ans, du pays de Liège, venue
* dans cette paroisse avec plusieurs Liégeois, hommes et femmes, lors
1 de l'établissement de La Machine ».
Le curé qui rédigea cet acte eut soin d'ajouter : « Elle étoit la seule
» qui restoit ; Dieu luy fasse miséricorde ».
Toutefois, son assertion n'est point absolument exacte, puisque, le
9 juillet de la môme année, on inhuma encore à Champvert « Eustache
» Descaux et Jean Lambotte, du pays de Liège, qui avaient été écrasés
> par une masse de charbon dans le cros de La Machine j> (3). Mais
ces deux étrangers sont les derniers dont fassent mention les registres
de la commune.
Malgré les perfectionnements apportés dans l'exploitation par les
Liégeois, les accidents durent être assez fréquents, en raison du
nombre d'ouvriers employés dans les mines.
Il fallait, en effet, à cette époque de guerres fréquentes, une grande
quantité de houille; aussi le charbon nivernais, qui devait soutenir la
(1) CeUe machine n'ctail évidemment pas un moteur à vapeur, — puisque le pre-
mier ne fonctionna utilement que dans le xviii* siècle, — mais un manège semblalile
à ceux que l'on employait alors dans les mines de Belgique, c'est-à-dire un engin
composé d'un arbre vertical muni d'un long levier, à l'extrémité duquel on attelait
ordinairement plusieurs chevaux. Ceux-ci, en tournant sur une piste circulaire,
donnaient le mouvement à l'arbre vertical qui le transmettait, au moyen d'un engre-
nage, à un tambour horizontal sur lequel s'enroulait un cable en chanvre. Ce câble
jiris5;iil sur les molettes en bois du chevalement qui était placé à quelques mètres au-
di*î»suâ de l'orifice du puits.
(2) Archives de Thianges. — Celte inhumation, faite dans l'église, témoigne <le la
cona^lération dont joutss.iit M. Daniel Michel l/exploilation qu'il dirigeait élait
^lLuth> dans le fief des Ecots, lequel dé[)endait de la seigneurie de Thianges et en
pttfho lie celte paroisse. Sa famille, cpril avait amenc'e, resta dans le Nivernais ; du
moinrt, trouve-t-on, à plusieui*s repiises, «iaiis les registres de l'étal civil de Champ-
vert, k>s noms • d'honorable homme Daniel Michel, natif du l>ourg de (îrAce, proche
Liàgo, marié dans la paroisse à Anne Lepally, d'origine liégeoise et habitant I^
Moc-h*nii » (il y mourut à lago de trente-quatre ans et fut inhumé dans l'église de
Champvert, le 1*2 juin I7(K5) ; de Louis Michel, marié à P^lise Lepally; de Michel
Michel, décédé à Cliainpveil en 17(H); de Marie et de S<'îbastienne Michel, qui furent
inntiiiiiies d'enfants des précédents, etc.
(3) Archives de Gliampveif, paroisse dont dé'pendail aloi^s la partie du territoire de
L» Macliine où résidaient ces ouvriers belges.
REVUE DU NlVEftNAlS. 41
concurrence avec celui d'Angleterre, fut l'objet d'une active corres-
pondance entre les agents du ministère de la marine française.
On trouve à ce sujet de curieux renseignements dans l'intéressant
travail publié par M. de Lespinasse sur les Forges et charbons du
Nivernais (1). On nous permettra d'y glaner quelques notes ayant trait
à cette étude.
Le 3 janvier 1691, le ministre de la marine, M. de Pontchartrain,
écrit à M. de Gastine pour lui dire que, « suivant le rapport de plu-
sieurs maîtres forgerons, le charbon du Nivernois est de très bonne
qualité », et lui prescrit d'en demander a 50 barriques pour les ports
de Brest et de Rochefort ».
La bouille de La Machine (on l'appela ainsi à partir de 1691), dont le
chargement s'effectuait en bateaux sur la Loire, à Decize, était trans-
portée à Nantes et de là expédiée en divers endroits pour être expéri-
mentée à des travaux et par des ouvriers différents. Le ministre s'en-
quiert fréquemment « de l'avantage, de la qualité et du prix de ce
charbon, afln de juger de l'utilité que le roy et le royaulme peuvent en
retirer ».
Les premiers essais furent satisfaisants, puisqu'en mars 1691 on
donna l'ordre d'en expédier une provision suffisante « pour le reste
de cette année et le commencement de la prochaine i, et « d'en faire
voiturer cinq à six cents barils au Havre ».
En avril 1691, une nrouvelle épreuve fut faite à Brest, en présence
t des officiers du port et des plus habiles maîtres forgerons », afin de
s'assurer si le charbon nivernois « pouvait effectivement remplacer
celuy d'Angleterre».
Il fut reconnu t meilleur que ce dernier pour souder les pièces
d'ancres » par l'agent Begon, excellent patriote, qui considérait qu'on
€ doit se dispenser de donner à nos ennemys l'argent qu'on emph)ie à
acheter du charbon chez eux ».
Louis XIV, qui, on l'a vu, était entièrement de cet avis, donna des
ordres formels à ce sujet. Aussi, lorsque par suite d'un manque d'eau
dans la Loire, les expéditions de Decize se trouvèrent momentanément
suspendues, le roi ordonna-t-il de s'approvisionner à Gaillac (Tarn) et
(1) René de Lespinasse : Dépèches et mémoires du ministère de la marine sur
Us forges et cbwbans du Nivernais pendant les guerres de Louis XIV. {Bulletin
de la Société nivetmaise, XVÏ* vol., page 275).
2*
12 REVUE DU NIVERNAIS
à diverses autres mines du royaume, dont le combustible était, toute-
fois, de qualité inférieure.
Cependant, le charbon nivernais, recommandé partout à la fin du
xvir siècle, eut aussi ses détracteurs. A Rochefort, on le trouva moins
bon que celui d'Angleterre ; à Nantes, on le mélangea avec d'autres de
qualité très médiocre ; on usa enfin de tous les moyens pour le dis-
créditer. Mais ces tentatives malveillantes échouèrent, et la bouille de
La Machine fut constamment employée dans les arsenaux jusqu'en
1694; puis les demandes diminuèrent par suite de la cessation des
guerres lointaines sur mer et aussi de la pénurie du trésor royal.
Certes, il eût été intéressant de relater ici les instructions données
aux ouvriers forgerons pour l'emploi du charbon de nos mines ; sa
valeur à cette époque ; les mesures en usage, etc. ; mais, afin de ne pas
dépasser les limites de cette étude d'ensemble, nous devons renvoyer
le lecteur à l'excellent ouvrage de M. de Lespinasse et poursuivre
l'historique des houillères machinoises (1 ).
A la suite d'un arrêt du conseil du roi, en date du 13 mars 1698,
tous les propriétaires de terrains dans lesquels il y avait du charbon
purent ouvrir des mines sans permission et les exploiter à leur profit.
L'extraction, à La Machine, se fit alors sur trois points différents :
1» Au nord, dans la seigneurie des Ecots et la partie appelée aujour-
d'hui la Petite-Machine ;
2» Au sud-ouest, dans la vallée de la Meule, sur les dépendances des
religieux Minimes de Decize ;
3"^ Au sud est, dans la région des Glénons, alors au duc de Nevers,
châtelain de Decize.
Ces exploitations étaient tantôt isolées, tantôt groupées et, tandis
(i) Nous ne pouvons cependant passer sous silence les précieux renseignements
suivants, relatifs aux différences de prix et de poids qui existaient entre le charbon
de La Machine et celui d'Angleterre :
« Le charbon du Nivernois, — lisons-nous dans une lettre du ministre de la
marine, — couste 10 livres la barrique, rendu à Nantes ; il faut deux barriques et
un dixième de charbon de Nivernois pour faire un tonneau de mer ; cela revient à
environ 17 livrôs, rendu à Brest ; une mesme quantité de celuy d'Angleterre couste
48 livres 15 sols. La différence est si grande qu'il ne seroil pas prudent d'en faire
venir encore, quand mesme il ne seroit pas d'un pays ennemy. La barrique de char-
bon d'Angleterre, mesure de Brest, pèse 561 livres ; une pareille mesure de celuy de
Nivernois ne pèse que 536, et c'est une règle générale en matière de charbon de
terre que le plus léger en pareille quantité est le meilleur. » (Lettre da ministre de
la marine à M. Desclouzeaux. — Octobre 1692).
REVUE DU NIVERNAIS. 43
que les unes restèrent plus ou moins actives, d'autres furent complète-
ment abandonnées.
De tous les exploitants particuliers qui se sont succédé dans les mines
de Decize, jusqu'au moment où l'autorité souveraine intervint pour les
régir, le sieur de Valizendor est celui qui a laissé le plus de souvenirs
dans le pays. Seigneur des Ecots, il fit construire l'ancien château de
ce nom ; propriétaire des raines les plus importantes de La Machine, il
fit bâtir des logements pour ses ouvriers et ériger une chapelle qui
servit ensuite d'église paroissiale (i); enfin, il fit ouvrir la route par
laquelle, jusqu'en 1840, on transportait la houille aux ports de la Loire
et du canal du Nivernais (2).
En 1776, le duc de Nevers concéda, pour trente ans, ses droits sur
la châtellenie de Decize aux sieurs Pinet et Gonnet, qui, moyennant
redevance, avaient déjà obtenu la cession du droit des Minimes sur le
territoire de La Machine.
Le premier était seigneur des Ecots; le second, exploitant de
mines et fils de propriétaire minier. Se conformant à un arrêt du
14 janvier 1748, ils demandèrent au roi l'autorisation d'exploiter,
sous la raison sociale Gonnet et associé, toutes les mines situées aux
environs de Decize, ce qui leur fut accordé le 13 mai 1780, pour trpnte
années, moyennant 400 livres à payer annuellement à l'Ecole des
mines (3).
(A suivrej L.-M. Poussereau.
(1) Cette chapeUe dut être bâtie dans les premières années du xviir siècle, puisque,
d'après les registres de la paroisse de Champvert, on y célébra t^ ois mariages le
7 juin 1707. Elle était située devant la maison Pravieux et occupait la moitié de la
largeur de la roule actuelle. (L'ancienne route passait sur l'emplacement des cafés
Goiclurd et Dupieux fils )
Les archives de Champvert contiennent aussi des indications intéressantes sur
Tactivilé de notre houillère à cette époque : on y voit, en effet, figurer, en 1709, un
directeur des machines et charbonnfères (Joseph Lafautche); en 1718, un chirur-
gien (Pierre de Naucourt) et un notaire (Léonard Legros) ; en 1720, un chef de
La Machine (Benoit Bigard, de Saint-Laurenl-de-Bugey) ; plusieurs commis et chefs
OTvriers; des mineurs et des manœuvres; des charpentiers, des maréchaux et des
Toituriers, ainsi que des marchands, des tailleurs d'habits, des tisserands, des caba-
retiers, etc. Indépendamment des Liégeois, il était venu dans le pays des ouvriers de
rAoforgne, du Limousin, de la Savoie, etc.
(2) Avant Tou ver ture de cette route, les transports de charbon n'étaient faits qu'à
dos de bétes de somme.
(3) Les limites de cette concession furent fixées à la circonférence d'un cercle de
cinq cents toises de rayon, à partir du puits principal où la pompe a feu se trouvait
établie, ce qui indique clairement qu'à cette époque l'assèchement d'un des puils
^il opéré au moyen d'une machine à vapeur.
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L.\ LEGENDE t E LA FAUVETTE
A TÈTE NOIRE
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L»?5 jr :\ i- la fîii .--^ ri <*. 1 : i-t iv -:: »-.
!Ç.a. ]•» a'al p! ;> > Ir .t. f 1 :v-::^. r^L--^ h-^ :-• î>^ !
J-tte na t:..:^ «i-e d-ri:! >.ir m-a fr?::t 1 ji-iiiis!
Et la f-nv-tte. aviit c»» j «ir-li t .':t- zri-^,
A la foata.'n»? vit *y>i l'iie «ii .m: :.:*^ a 3 -r
SVt»^n«ire 5*'jr sa tè:-?, rrt ri a n*? •:i«';i:.-i^
( Entrait iaMit des A/;<r" /<r* /«r //i A*'* *;•?'.
REVUE DU NIVERNAIS.
45
HIPPOLYTE LAVOIGNAr*>
Il fut un des rénovateurs et l'un des maîtres en France du bel art
de la gravure sur bois, tombée si bas dans les trente premières années
de ce siècle.
D'une famille originaire de Corbigny (Nièvre), fils d'un officier
retraité pour blessures et pourvu d'un emploi dans les finances,
Marie-Augustin-Xavier-Hippolyte, dernier de six enfants, naquit àLaon
le 25 janvier 1813, et commença ses études au collège Charlemagne.
Mais son père ne l'y pouvant maintenir, le fit entrer dans une maison
de commission, comme employé, à 25 fr. par mois, a Cela ne m'allail
pas », dira plus tard l'artiste ; aussi son bureau ne l'occupant que de
neuf heures à quatre, il travaillait le dessin et la peinture, s offrant le
dimanche de longues séances au Louvre et cherchant à se lier avec les
artistes, surtout avec les graveurs.
Dès 1831, il abandonnait le commerce et s'efforçait d'acquérir la
technique du graveur, surtout du graveur sur bois. D'artistes en ce
genre, il n'y en^avait pas alors en France d'origine française, et nous
étions les tributaires de l'Angleterre représentée chez nous par une
colonie d'hommes de talent, entre autres par Andrew et Best. Fondé
en 1833, le Magasin pittoresque allait être un des facteurs les plus
utiles de la renaissance désirée.
(1) Extrait du Journal des AHb^ 6 octobre lUOO.
46 REVUE DU NIVERNAIS.
Cependant Lavoignat continuait ses essais, mais la fortune s'obsti-
nait àrignorer. EnQn, l'éditeur Dubocbet eut l'idée de s'adresser à lui
pour collaborer à la traduction des croquis de Gigoux destinés à cette
édition illustrée de Gil Bios qui fut la première série à laquelle il n'a
manqué qu'un meilleur papier pour Qgurer au livre d'or du livre artis-
tique en ce siècle. Il y aurait beaucoup à dire sur les illustrations de
Gigoux, dont le caractère incertain ne donne une impression ni espagnole
ni française ; mais c'est aussi un peu la faute du livre. Certes, personne
ne l'a plus que moi en admiration, et des lectures sans nombre, totales
ou partielles, n'en ont pas épuisé le cbarme fait d'enjouement, de
vérité et de malice. Et quels caractères ! Quel style^ net, clair et si
français ! C'est bien comme les fables de La Fontaine :
Une ample comédie aux cent actes divers.
Mais il m'a toujours paru que ce merveilleux Gil Bios était à peu
près impossible à Illustrer ; et la raison en est que sous son vêtement
tout étranger et malgré des noms espagnols, c'est un des livres les plus
français qui soient. Et français non de la première moitié du dix-
septième siècle, où se déroule la vie du héros, mais de la première
moitié du dix-huitième siècle.
L'illustrateur se heurte donc à une périlleuse alternative ; adopte-t-il
le genre espagnol pour nous donner du Velazquez? Il se met en
désaccord avec l'esprit même du livre. Choisit-il au contraire le cadre
de la Régence et des premières années de Louis XV? Les images
jureront singulièrement avec les noms des hommes, des lieux et des
choses. Je ne sais si Gigoux a pensé à cela, mais, à tout prendre, j'estime
que, consciente ou non, la demi-impersonnalité historique dont il s'est
fait un système dans une interprétation vaguement Louis XIII, n'est
pas maladroite. Ne demandons pas à son Gil Blûê plus de couleur
locale que n'en comporte le texte lui-même et s'il se tient générale-
ment au-dessous de celui-ci, c'est le sort commun de tous les traduc-
teurs.
Les charmants petits maîtres du dix-huitième siècle interprétaient
beaucoup en gravant les compositions fort sommaires que leur livraient
les illustrateurs du temps, Gravelot, Eisen, Fragonard, Moreau le
jeune et autres. Prud'hon, lui aussi, a procédé souvent par des
croquis fort abrégés où est tout l'essentiel ; à ses graveurs ordinaires
REVUE DU NIVERNAIS. 47
Copia et Roger, à mettre le détail. Mais le plus ordinairement il livre
à rinterprétation par le pointillé des dessins et des sépias où tout est
exprimé avec une finesse de miniaturiste, le graveur n'a plus alors
qu'à transcrire mot à mot le texte du peintre. Exécutés à la plume ou
à la mine de plomb, les dessins de Gigoux devaient être rendus en
quasi fac-similé et avec un minimum d'interprétation ; c'est ce que
comprit à merveille Lavoignat. Comme l'eau-forte, les tailles de la
gravure sur bois se prêtent fort bien à un procédé auquel, par
définition, se refuse le burin dont le grave travail est différent. Tout
dans le Gil Bios n'est pas de Lavoignat, mais ses bois comptent
certainement parmi les meilleurs d'un livre qui fit d'emblée de lui
un des maîtres d'un art enfin sorti de son long sommeil.
Enumérer maintenant tous les beaux ouvrages illustrés auxquels a
travaillé notre artiste serait faire l'histoire de la librairie de luxe en
ce milieu du siècle. Voici d'abord le fameux Paul et Virginie de
Curmer, avec bois signés ; le Journal de r Expédition aux Portes^de-Fer^
iSUj avec quarante-deux bois dont huit à toute page ; trente-six
dessins sont de Raffet et de ses meilleurs, six de Dauzats. Mémorial
de la brillante expédition conduite en 1839 de Constantine à Alger
par le duc d'Orléans, imprimé sur du beau papier par l'Imprimerie
royale, ce volume d'élite peut être considéré comme le plus parfait
du temps. Aussi, non mis dans le commerce, a-t-il toujours fait prime
dans les ventes.
Il est assez singulier que Lavoignat soit entré tard à l'excellent
Magasin pittoresque et n'ait fait qu'y passer. Je ne relève, en effet, que
deux bois de lui d'après Meissonier, mais de la dernière beauté. Le
premier, tome XIV, est le Corps de garde, des soldats contemporains de
Louis XIII jouant aux dés sur un tambour. Si au moment où j'écris
ces lignes je n'ai pas la gravure sous les yeux, elle m*est absolument
présente pour l'avoir maintes fois cherchée et admirée dans la série
du Magasin En demeurant lui-même, l'outil travaillant le buis a vrai-
ment rivalisé de liberté et de finesse avec la pointe de l'aqua-fortiste,
sans toutefois atteindre à ces noirs profonds, veloutés, que seuls peut
donner la morsure du cuivre secondé par un tirage intelligent.
Le Corps de garde est traité en tableau et le sujet s'inscrit dans un
Irait ; les Joueurs de cartes^ que l'on voit au tome XVI, sont comme un
simple dessin à la plume jeté à même la page. Ces joueurs, l'un jeune,
18 RËVUÊ DU NIVERNAIS.
Tautre dans )a force de Tàge, sont des hommes de la classe moyenne
au temps de Louis XV ; attitudes, types, physionomie, mimique, tout
est ici la vérité même. On ferait un chapitre de psychologie sur ces
deux bonshommes d'une puissance dévie égale à tout ce qu'a produit
de plus parfait l'art ancien et moderne. Pour l'exécution de la gravure,
elle est extraordinaire ; et si on considère que cette spontanéité appa-
rente a été obtenue par un travail de force, lent et minutieux, que ces
traits légers, nerveux sont une imitation à main posée, très posée, des
libres hachures que jetterait sur le papier la plume alerte d'un dessi-
nateur, on se dit qu'interpréter ainsi c'est vraiment créer.
Je ne sais si Lavoignat a collaboré à l'illustration du Don Quichotte^
traduit excellemment par Louis Viardot, et fort bien illustré par Tony
Johannot dont il est le chef-d'œuvre, mais je le retrouve dans TagréaUe
Molière en un volume de Hetzel, dont les vignettes sont aussi de Tony
Johannot, dans le Lazarille de Termes, imité par Lesage et auquel,
comme au Paul et Virginie de Curmer, Meissonier n*a pas dédaigné
de donner quelques croquis ; enfin, dans les Mystères de Paris d'Eugène
Sue, pour lesquels Trimiolet avait fait des compositions de forme un
peu abrégée que Lavoignat dut fortement interpréter.
Il eut aussi une grande part dans Y Imitation de Jésus-Christ^ éditée
pour l'Empereur par l'Imprimerie impériale en 1855, et dans les deux
dictionnaires, Architecture et Mobilier de Viollet-le-Duc Ici, l'œuvre de
Lavoignat est considérable et de tous points excellente ; sans doute,
VioUet-le Duc ne livrait à ses graveurs que des dessins très achevés et
d'une précision d'architecte archéologue : mais la difficulté était préci-
sément de conserver dans la gravure cette fleur de la vérité et du style
que pouvait faire évanouir la plus légère déviation de l'intelligence et
de l'outil. Eh bien, Lavoignat, et je ne crois pas en pouvoir faire un
plus grand éloge, a été le traducteur fidèle de Viollet-le-Duc, comme
celui-ci l'avait été des architectes et imagiers inconnus du lointain
passé national. J'ajoute que le graveur, ayant à rendre par un procédé
toujours le même les substances les plus diverses, pierres, bois, métal,
ivo're, étoffes, y a réussi avec une perfection qui ne fléchit jamais.
Aujourd'hui nous sommes plus exigeants qu'il y a trente ans ; nous
nous défions de la double interprétation, du dessinateur d'abord, fùt-il
Viollet-le-Duc, du gi«vctir ensuite, et il nous faut l'image certaine de
la chose reproduite par les procédés impersonnels dérivés de la sincère
REVUE DU NIVERNAIS. 40
photographie. Au point de vue typographique, le livre y perd assuré-
meot en beauté de présentation ; mais, épris comme nous sommes de
documents positifs en toutes choses, nous n'en avons cure, et déjà les
deux dictionnaires de Vioiiet-ie-Duc sont atteints en cela, sans compter
le reste.
L'excellent graveur sur bois Guillaumot, associé lui aussi à cette
grande œuvre d'art et d'archéologie, mérite les mêmes éloges que
Lavoignat.
Mais l'œuvre maîtresse de celui-ci me paraît être l'illustration des
Contes Rémois, par le comte de Chevigné, publiés par Michel Lévy, en
1858. L'auteur, un rimeur millionnaire et d'esprit un peu gaulois,
s'offrit le luxe d'une illustration hors pair et s'adressa à Meissonier, au
Meissonier de la première manière, celui qui s'était fait, moins la cou-
leur, le Chardin du dix-neuvième siècle, avec cette différence que,
gens et choses, Chardin peignait ce qu'il voyait, tandis que c'est par
un effort d'intuition et de volonté que Meissonier revivait le dix-hui-
liérae siècle évanoui.
Pour les Contes Rémois, Meissonier fit quarante dessins d'en-tête,
qui sont autant de chefs-d'œuvre d'esprit et de goût ; si le faire est
moderne, le sentiment est aussi dix-huitième siècle que chez le Grave-
lot des Contes moraux, de Marmontel, mais cela est poussé bien autre-
ment loin en expression et en malice. Puis, chez Gravelot tout se
passe dans les salons à trumeaux ou dans des tonnelles arrangées en
salons de verdure, tandis que chez Meissonier souvent intervient savou-
reuse et fraîche la nature extérieure. Il y a encore un certain inté-
rieur d'église vide avec des bancs délabrés, qui est un petit chef-
d'œuvre d'esprit.
Lavoignat a gravé vingt-quatre dessins seulement ; les autres l'ont
été par Lavielle, Perrichon, Régnier, Deschamps et un anonyme. Je
n'hésite pas à dire que les bois de Lavoignat sont très au-dessus des
autres, même de ceux de Lavielle; c'est la perfection même du genre.
Jamais le buis ne fut épargné d'une main plus légère et plus sûre.
Aussi, des fumés tirés sur chine de ces merveilleuses vignettes sont-
ils d'introuvables et exquises raretés. De telles choses ne se referont
plus ; remplaçant le patient travail des burins, la simili-gravure, le
gilloltage ne donnent plus que l'apparence grisée et alourdie des des-
sins à la plume. Un livre tel que les Contes Rémois est aussi impossible
50 REVUE DU NIVERNAIS.
aajourd'hui qu'un livre d'heures patiemment minuté par un miniatu-
riste du quinzième siècle. Nous avons, à la place, les romans illustrés
par des photographies d'après nature, ce qui est bien la chose la
plus maussade, la plus laide, la plus morte enfin qui se puisse ima-
giner.
Je ne sais si les Contes Rémois n'amenèrent pas des difficultés, flna-
lement une quasi-brouille entre le graveur et Meissonier, qui ne pas-
sait pas pour être d'un commerce des plus faciles ; sur ce point, Lavoi-
gnat fut toujours très secret, mais son silence était significatif.
Quoi qu'il en soit, le livre de M. de Chevigné fut comme le chant du
cygne pour l'çirtiste, dont les yeux irrémédiablement, fatigués, avaient
besoin d'un repos bien gagné. Il quitta Paris en 1861 et s'établit au
pays anceslral, à Corbigny, où subsistent encore les grands bâtiments,
caserne monumentale du dix-septième siècle, d'une ancienne abbaye
bénédictine. On sait que les moines choisissaient à merveille l'assiette
de leurs résidences, et le pays est charmant, tout de verdure intensive,
de prairies, d'eaux, de grands bois et, à rencontre de tant de lieux
plus agréables à voir qu'à habiter, d'une salubrité parfaite. Lavoignat
passa doucement ses dernières années dans une jolie maison partagée
avec son frère ; elle avait un beau jardin, une cour bordée par l'Angui-
son, affluent de l'Yonne, et l'artiste, devenu un pêcheur aussi déter-
miné qu'habile, jetait la ligne sans sortir de chez lui.
Dans cette douce habitation d'un sage, mais où bien des choses par-
laient encore de l'art toujours aimé, jamais oublié, il se plaisait à
recevoir ses anciens amis de Paris, Daubigny, Corot surtout, qui
avaient pris goût à ce pays où riaient toutes les nymphes de la ver-
dure, des eaux et des bois. Corot a fait une mare de Corbigny, qui est
un de ses chefs-d'œuvre. Et Lavoignat, qui ne louchait plus à ses
chers outils de graveur, s'était remis à la peinture qui ne lui avait
jamais élé cruelle ; j'ai vu de lui, datant de cette période, des tableaux
d'une pâle solide et franche.
Il eut même, à Corbigny, deux élèves, M. Edouard Pail, qui fait la
meilleure figure aux Salons de Paris et de la province, et M. Chartier,
peintre aussi, et l'un des dessinateurs humoristiques de la Vu mo-
derne.
J'ai, sous les yeux, deux photographies de Lavoignat vieux et puis
en vivifier les inuetles images par les souvenirs d'un de mes bons
REVUE DV NIVERNAIS. 51
amis, M. Gustave Porcherot, receveur de l'enregistrement, qui a vécu
quatre années à Corbigny dans l'intimité de Tartiste parisien devenu
c-ampagnard. Je le vois donc, pas très grand, la taille courbée par
rbabitude de s'être tenu trente ans la loupe d'horloger incrustée dans
l'arcade sourcilière, penché sur l'établi où est fixé le bloc de buis poli.
Sa large barbe blanche éployée, son air ravagé, un peu bohème ; son
large chapeau mou rougeàtre, ses hautes bottes, la longue pipe de
terre fixée aux lèvres, lui donnaient l'air de quelque vieux chef boër. Je
Tentends tutoyant tout le monde et contant, d'une voix faubourienne,
ses grasses histoires d ateliers peuplés à l'ancienne mode de rapins
hirsutes, ennemis-nés du bourgeois.
Et la maison était bien l'image de l'homme ; ouverte à tous et hos-
pitalière comme un atelier du temps jadis^ on y allait et venait, on y
fourrageait comme chez soi, on arrivait pour deux jours et on demeu-
rait des semaines. L'excellent homme au cœur d'or était ravi et se
montrait d'autant plus joyeux lorsque, dans son logis si plein de mou-
vement, il paraissait comme un hôte de plus.
Intarissable en souvenirs artistiques et en jugements sur les hommes
et les choses, il ne sortait de son ton de bonhomie un peu gouailleuse
que si l'on disait devant lui du bien d'Ingres ou du mal de Viollet-le-
Duc. Inutile de dire que ses auditeurs s'amusaient à amorcer la bour-
rasque et que le vieil artiste tombait infailliblement dans le piège.
Surtout il ne pardonnait pas à Ingres d'avoir indignement, banalement
manqué le diplôme de l'Exposition universelle de 1855. En ce qui
concerne Viollet-le-Duc, il avait pour sa mémoire ce respect, ce
dévouement absolu, intransigeant que le célèbre architecte, toujours
très bon et de la plus délicate bienveillance pour ses collaborateurs,
sut inspirer à ses élèves et à tous ceux qui s'inspiraient ou avaient
besoin de lui.
C'est dans ce milieu ami, dans cette retraite de sage que Lavoignat
s'éteignit le 24 octobre 1896, à quatre-vingt-quatre ans. Le billet de
faire part, que j'ai sous les yeux, ne fait suivre son nom d'aucune
mention honorifique. Non seulement la boutonnière de Lavoignat
n était pas étincelée de rouge, pas même de violet, mais jamais il
n'obtint la moindre récompense aux Salons ; cependant il avait exposé
comme peintre, en 1848, 1849, 1850, 1857, 1859 ; comme graveur en
1841, 1844, 1847, enfin à l'Exposition universelle de 1855 il s'était
52 REVUE DU NIVERNAIS.
présenté avec un cadre de dix-sept bois choisis. Rien n'y flt; assuré-
ment Lavoignat ne connut jamais Tart de se rendre agréable aux
souverains dispensateurs des médailles, mais c'était à ceux-ci à l'aller
chercher dans sa retraite pour le mettre dans la lumière à laquelle il
avait tant de droits. Peut-être aussi en ce temps où la calligraphie du
beau burin passait pour le seul art noble, où l'eau-forte renaissante ne
semblait qu'une fantaisie et un à peu près, tenait-on la gravure sur
bois pour un procédé inférieur plus proche du métier que de l'art, bon
pour les journaux illustrés et les livres à images.
Cette injustice doit être réparée ; Lavoignat fut vraiment un maître
qui dans l'interprétation des œuvres des autres apporta non seulement
une technique consommée et très personnelle, mais encore une par-
faite intelligence des originaux. Je ne crois pas que dans ses rares
eaux-fortes Meissonnier se soit mieux traduit lui-même qu'il ne l'a été
par Lavoignat. Et je loue surtout celui-ci d'avoir poussé la science du
procédé jusqu'aux dernières limites du genre sans les avoir jamais
franchies, d'être enfln demeuré graveur sur bois sans chercher à donner
l'illusion de l'eau-forte ou du burin, ce qu'on a trop souvent tenté
après lui.
J'estime donc qu'il y a lieu de rappeler le nom et les œuvres de cet
homme de talent délaissé en son temps, oublié aujourd'hui où l'art
d'inciser le bois succombe sous l'assaut des engins expéditif dérivés de
la photographie, où les journaux illustrés, jusqu'au sage Magasin pit-
toresque lui-même, se laissent envahir par l'insipide instantané repro-
duit par la molle, la grise similigravure.
Lavoignat signa d'abord ses gravures de ses initiales H. L., puis les
conjugua dans un petit rectangle. Les bois des Contes Rémois sonisignés
de son nom entier. André Arnoult.
Saint-Seine-l'Abbaye (Côte-d'Or),
septembre 1900.
*^*
^
REVUE DU NIVERNAIS. o^
POETES CASTILLANS (Suile)
Enricpie OU y Garrasoo.
LA NEIGE
(Fragment),
Pour les mirages et les charmes
Dont tu m'abusais, que de fois,
0 Neige, coulèrent mes larmes,
Quand je voyais entre mes doigts
Ma fantaisie, hélas I si douce
Se changer en un peu de mousse
Que, sous un souffle décevant,
Emportait à son gré le vent !...
... L'illusion, vit-elle encore?
Non, Neige, je ne peux plus voir
Dans ton mystérieux miroir
De la gaité les fleurs écloses ;
Mon cœur est vieux, las, sans espoir.
Mon enfance a passé bien triste ;
Plus encor, ma jeunesse en deuil.
En toi je trouvais bon accueil ;
Aujourd'hui mon espoir consiste
Dans la paix seule du cercueil.
Mais ô toi. Neige tant aimée,
Dans ton voile enveloppe-moi,
Donne-moi le calme, car toi
Seule, de mon âme opprimée,
As compris le cruel émoi.
Traduction de ACHILLE MlLLîEN.
LA CINQUIÈME EXPOSITION DE LA SOCIÉTÉ ARTISTIQUE
La cinquième exposition de la Société artistique de la Nièvre s'est ouverte le
15 septembre pour se clore le 31 octobre. Les salons de l'Orangerie, mis gracieuse-
ment à la disposition de la Société par les membres du cercle, ne sont malheureuse-
ment pas favorables à une exposition d*art ; le jour est défectueux ; à part un ou deux
panneaux, les murailles sont inondées d'une lumière crue ou frôlées d'une clarté
fausse. Aussi bon nombre de jolies toiles n'offrenl-elles pas aux yeux du spectateur
toute la valeur qu'elles possèdent.
Nous n'^ivons qu'à répeter aujourd'hui ce que nous avons dit de la précédente exposi-
tion. La plupart de nos artistes nivernais sont représentés (quelques-uns font défaut,
et non des moindres : Urbain Bourgeois, Boisseau, Duvivier, etc.). A coté de ceux qui
sont déjà des vétérans appréciés, Pail, Monteignier, Martin des Amoignes, Garcemeiit.
Mûri, Barillet, voici Berthault, Henri du Verne, Cyr Deguergue, Ch. Clair, et à leur
suite, les derniei^ venus, nombreux, pleins de talent, de promesses ou d'espérances.
Nous aimerions à citer les œuvres de Mme Blond, MM. Gautheron, Jolivet, Lamon-
tagne, Barat, etc. ,
Parmi les pastels, aquarelles, dessins, dans cette salle où sVvoque le souvenir du
bon peintre que nous avons perdu, Ch. Le Blanc Hellevaux, il y aurait beaucoup à
mentionner: MM. Camuzat, Guvonnet, Paul et Louis Mohier, Délavai, Chalandre ;
Mlle Mathieu, Mme la comtesse îmbart de la Tour ; nous ne pouvons qu'effleurer le
sujet dans cette revue rapide. A la sculpture, nous relevons les noms de Mme Signoret-
Ledieu, MM. Marquet et Barat.
Nous passerons sous silence, faute d'espace, les envois, souvent très remarquables,
des artistes étrangers à notre département. En somme, cette cinquième exposiliou
possède la valeur et offre l'attrait de celles qui l'ont précédée. L. H.
LIVRES ET PERIODIQUES
/
Trcuii lions populaires : Les mois en Franche-Comté , par Charles Beauquier.
— Paris, E. Lechevalier et Maisonneuve, in-S® raisin.
Sous ce titre, Téminent président de la Société des traditions populaires, M. Charles
Beauquier, vient d'ajouter à ses ouvrages de folklore, une nouvelle et importante
contribution. En un volume de près de 200 pages, il a réuni la somme des traditions
populaires de son pays relatives aux mois. De janvier à décembre, il groupe autour
de chaque fête, de chaque iour de marque, les usages, les dictons, les chansons spé-
ciales, etc.. travail aussi clair que complet qui doit prendre place dans la biblio-
thèque de tout folkloriste et tel qu on était en droit de l'attendre de Fauteur des
Chansons populaires, du Blason populaire, etc., de la Franche- Comté.
REVUE DU NIVERNAIS 55
Hôpitcd de Nevers, Statistiqtie du service de chirurgie de 1890 à 1890 ^ par le
docteur Albert Panne. — Grand in-8*, Vallière, imprimeur.
En une soixantaine de pages, Pexcellent chirurgien en chef de l'hôpital de Ncvers,
publie une étude sur le service de la chirurgie en cet hôpital durant une période de dix
ans, pendant laquelle 3,254 malades ont été admis et observés: « Revue générale, dit
Fauteur, qui montrera que la chirurgie a eu pour objectif, dans le cours des dix der-
nières années écoulées, de s*engager et de se maintenir dans la voie du progrès •. Le
docteur r^nné, dont tous les Nivernais apprécient hautement la science et Part, veut
associer aux mérites de son rapport ses confrères les docteurs David et Jourdan ; il
remercie aussi les sœurs du service • qui par leur assistance journalière et par les
eflbrts qu elles ont faits pour améliorer le personnel d'inArmiers, ont concouru effica-
cement au traitement des malades •. Entîn il signale encore • les services excep-
tionnels rendus par l'infirmier en chef, Jean Cottin -.
Un écrivain des plus distingués, dont la presse a enregistré, en y applaudissant, la
réœnte nomination dans la Légion d'honneur, M. Jean Bernard, ayant déjà mené
diverses enquêtes dans le Figaro, vient d'en ouvrir une nouvelle . sur ce sujet :
(JueUes ont été la grande joie et la grande douleur de votre vie f II interroge sur
ce point les hommes en vue et communique leur réponse à ses lecteurs. La question
a été posée à M. Achille M illien, et voici ce qu'écrit M. Jean Bernard :
• Ouvrons une parenthèse pour notie enquête et interrogeons un poète de mérite,
M. Achille Millien qui vit dans le grand air du Nivernais, dont il s'est constitué le
chantre passionné.
• M. Achille Millien^ dans une lettre familière, m'écrit :
• La grande joie, la grande douleur ? je cherche ; je me rappelle une journée très
• heureuse, lorsque j'ai appris par hasard, en ouvrant un journal, que TAcadémie
• avait couronné un de mes livres, j'avais vingt-quatre ans. Il y a d'autres bonnes
• Journées dans mes souvenirs, mais celle-là est bien gravée dans ma mémoire.
• Grande douleur : Je n*en ai pas ressenti de plus gr.mde qu'à la mort de mes
• parents •.
Et comme j'insistais pour que le poète exprimât ces émotions-là en vers, voici le
beau sonnet que je viens de recevoir :
Bonheur naïf et vrai dont je garde mémoire !
Sur le livre nouveau d'un jeune homme inconnu.
Les Quarante, flattant son espoir ingénu,
Ont posé leur couronne... et je r^ve de gloire.
Jours d'indicible deuil où tout semble illusoire !
() mon père, ô ma mère, hèlas I je suis venu
Tandis que vos cercueils gonflaient le tertre nu
Où, pour adieu suprême, on plante une croix noire.
— Ainsi sont faits nos jours et d'ombre et de soleil.
Au jardin de nos cœurs, — essaim gris ou vermeil.
Triste ou gai, des oiseaux divers battent de l'aile ;
Les uns prennent leur vol et ne reviennent pas,
Les autres pour jamais s'attachent à nos pas. .
— O fugitive Joie I ô douleur étemelle !
AcmLLE MILLIEN.
Beaumont-Ia-Ferrière (Nièvre).
Nous détachons les lignes suivantes du compte rendu de l'Exposition rétrospective
du Pavillon de la Ville de Paris, par M. Pierre Dubois (Journal des Arts) :
« Parmi ces vues d'autrefois, il en est d'exceptionnellement attrayantes par leur
sujet et la finesse de leur exécution ; ce sont celles du chevalier de Lespinasse (Louis-
iSicolas), peintre, membre de l'Académie, chevalier de Tordre royal militaire de
Saint- Louis, né en 1734 à Pouilly (Nièvre)... Il mourut en 1803. 11 y a de lui, à notre
Exposition, toute une série d'albums qui contiennent de très jolies aquarelles, notam-
ment des vues de la place Louis XV, de la ville et du château de Versailles, du
village de Sceaux, du Grand-Trianon, du Palais-Bourbon et du Coui^la-Beine, de
la Ca^;ade du château de Versailles, de l'Orangerie et de la pièce d'eau des Suisses.
Toutes ces vues datent de 1778 à 1780 ou environ... ».
50 REVUE DU NIVERNAIS.
NOTES ET ÉCHOS
, * . Le 23 septembre dernier mourait, à Paris, le poète Gabriel Vicaire, au talent
duquel toute la presse a rendu un hommage mérité. Vicaire n'était pas étranger
à notre Nivernais ; il y séjourna plusieurs fois ; il venait à Beau mont-Ia- Perrière
lire à notre directeur ses nouvelles compositions. Il s'était placé au premier rang
de ses contemporains par son talent frais, gracieux, jeune et alerte, de pure race,
tout débordant de la sève populaire, tout imprégné des parfums de la poésie
primitive II se contentait, pour écrire de petits chefs-d'œuvre, du vers prosodique
et son esprit clair ne pouvait admettre les exagérations de l'école décadente, dont
il avait n et fait rire aans un pastiche célèbre : Les déliquescences dWdoré Flou-
pette (en collaboration avec M. Henri Beauclair.) Il écrivait à M. Achille Millien. il
y a quelque douze ans : « Ce que vous m'avez dit de mes Ernaxix bressans m'a
irait un plaisir extrême, car vous êtes de ceux dont j'apprécie le plus le jugement,
de ceux qui écrivent franc et net et qui voient juste. Vous qui vivez en pleine
nature, vous ne pouvez vous douter de la littérature dont nous sommes menacés.
Baudelaire était a coup sur un grand atliste, mais il a laissé une famille bien
déplaisante, bien peute^ comme on dit chez vous. Imaginez-vous le comble de la
préciosité, de la prétention, de l'entortillement, Bt vous serez encore à cent lieues de
ce que font les jeunet gens d'aujourd'hui. Avec cela, pas mal de niaiserie, et une
vanité qui vous renverse ». Si le cabotinage Texaspérait, personne n'avait, pour les
débutants sincères, plus de sympathie et de bienveillance.
, ' , Nos compatriotes. Sont admis : à l'Ecole centrale, M! de Champs de Saint-
Léger ; à l'école de Saint- Cyr, MM. L.-M. de Vibraye, de Lavenne, de la Chaise,
F.-F. de Vibraye, Ant. d'Espeuilles, Crochet, de Champs, Favrel, Altmayer,d'Agon,
H. Sanson de Sansal, Berthier : à l'Ecole des hautes études commerciales de Paris,
MM. R. Chiapella et Aug. Duché; à l'école de Châlons, MM. Ëug. Cuenenu, F. Les-
canne, P. Boulé, Ph. Carrier, Ad. Pardieux, Fr. Tréchol, M. Soudan, Ph. Guiton,
J. Guichard, L. Chaussard, Alf. Brevet, Alb. Vallet, Aug. Gaugnet, Léon Laporle
— Sont nommés : chevaliers de la Légion d'honneur, MM. le comte de Pardieu,
directeur du dépôt d'étalons de Saint-Lô ; Lambert, lieutenant aux tirailleurs mal-
gaches ; — officiers d'académie, MM. Em. Serrus, Victor Gueneau, Eyriès (à l'occa-
sion de la visite du ministre de la marine à Guérigny, où se posait, le 7 octobre, la
première pierre du nouvel atelier d'aciérie) ; M. V'andelle, M»« Mittaine, à Luiy
(à l'occasion de l'inauguration de l'hôpital.)
— M. Alapetite, préfet du Pas-de-Calais, est nommé à la préfecture du Rhône ;
M. le lieutenant-colonel Thévenet est nommé directeur du génie à Dijon.
L. D.
Le Directeur-Gérant^ ACHILLE MiLLiEN.
@^^C^fX@
tl9ver$, Imp. 0. Valliért,
v^W
r l^
0 DIVORCE ! (Suite)
p
ENDANT le trajet dans le coupé qui
remporte à travers les rues, qui déjà
redeviennent tumultueuses, Aline reste
inerle, insensible à tout ce qui n'est pas
cette idée lancinante et tenace, lui ron-
geant le cœur, lui tenaillant le cerveau.
.'^ A ses oreilles, le mot divorce tinte
Tgj|^ comme les funérailles de son amour, le
^"^ glas funèbre de son bonheur, mais
aussi fait éclore au plus intime de son âme, une secrète joie, une joie
infernale, celle delà vengeance !...
•%■
Arrivée chez sa mère, elle met celle-ci au courant de sa situation,
de ses projets.
La marquise s'effare, s'offre en médiatrice. Aline refuse catégori-
quement.
— Mais, pauvre folle, avez-vous bien réfléchi à ce que vous allez
faire?
— Oui, ma mère. D'ailleurs, je viens de passer chez le notaire qui
m'a promis de tout arranger pour faire prononcer le divorce.
— Comment? Le divorce!... Vous, une chrétienne !
— Je sais, en effet, chère mère, que l'on ne peut désunir ce que
Dieu a uni ; aussi, jamais je ne me remarierai.
— Eh bien ! la simple séparation de corps et de biens suffit.
— Non ! Non I Je ne veux plus rien avoir de commun avec le comte
d'Estay, plus même le nom. 3
'.((
1
REVUE DU NIVERNAIS.
r>9
Et la Duit, comme tout est bien à Tunisson de leur âme souffrante :
des arbres géants qui se lamentent sous la caresse de la brise ; de
grandes ombres qui s'allongent, anxieuses, autour d'eux ; du feuillage
qui frissonne et cette grande voix inquiète, tourmentée, confuse, qui
s'échappe de la nature assoupie, -- souffle de géant !...
Depuis près de dix jours déjà, Aline fuit le monde. Sa douleur est
toujours aussi vive. Il lui manque un confident, une personne compa-
tissante, comprenant son atroce douleur et avec qui elle puisse libre-
ment s'épancher. Aussi écrit-elle bientôt à M''« d'Andic de Kermor,
la seule de ses anciennes amies de pension, avec qui elle a toujours
correspondu :
« Ce n'est pas encore M"»® d'Estay de Bareul qui t'écrit, ce n'est
plus ton Aline : c'est une fiancée, une fiancée heureuse (au septième
ciel, pour le moins!) qui aime et se sait aimée. Quel bonheur!
Bonheur immense, incommensurable^ tel que t'en souhaite un :
Ta sœurette... etc.
» C'est de la sorte, chère Armellc, que je l'annonçais triomphale-
ment, il y a trois mois, mon mariage avec M. Alberl-Dieudonné
d'Estay, comte de Bareul. Hélas ! il est fini, le temps des rêves et des
illusions, fini, ma chère I Que sont lugubres, n'est-ce pas ? ces sinistres
mots dans la bouche d'une femme de vingt-un ans ! Et pourtant, c'est
la triste réalité. Aujourd'hui, ce n'est presque plus M»"« la com-
tesse de Bareul qui t'écrit ; je redeviens Aline de Trasson, mais, cette
fois, le cœur endeuillé, saignant d'une blessure profonde, inguéris-
sable.
1 Notre existence, en effet, se scinde, se dissout. J'ai déserté le
domicile conjugal. Je vis à la campagne , en attendant que noire
divorce (c'est le sujet de ma brouille avec maman qui voudrait une
séparation amiable) ail l'honneur d'alimenter la conversation des
bonnes amies. Je tiens à l'annoncer aussitôt cette affreuse nouvelle.
Les curieux, souvent médisants, inconscients quand ce n'est point
par malignité ou jalousie, parleront à tort et à travers sur notre cas.
Ainsi tu sauras du moins que penser de tous leurs dires.
> Tu penses bien que de son côté pas plus que du mien, nous ne
sommes tombés, M . d'Estay et moi, sous le coup de la loi, pour
employer l'expression de MM. les juges. Non. Nous nous sépa-
j
i
REVUE DU NIVERNAIS. 01
longues nuits de fièvre et de cauchemar. Elle vit, Tàme bourrelée
d'amers remords que son orgueil refuse d'admettre, traversée d'indi-
cibles inquiétudes...
Jour et nuit, elle ressasse toute sa vie, ses heures — oh ! bien
courtes! — d'illusion, de bonheur, puis de désenchantement, de
sombre désespoir.
En ce moment, elle revit pour la centième fois, l'heure où, chaste
et innocente ; elle se donna tout entière à l'homme qui vaillamment
lui avait sauvé la vie au péril de ses propres jours, l'homme qui lui
semblait le mieux réaliser l'idéal rêvé. A vingt ans, qui ne rêve!..-
Elle ressasse la délicieuse minute où, point de mire d'une foule nom-
breuse et distinguée, ils ont échangé, Albert et elle, le serment sacra-
mentel, le serment fatal qui les lie l'un à l'autre I
Etait-il bien nécessaire, ce serment? Leurs cœurs ne l'avaient-ii^i
pas fait déjà ?... Ignorante de la perversité des hommes, elle le croyait
alors; mais aujourd'hui!... Comme elle le hait à présent, cet homra<^
qui a brisé sa vie, forfait aux engagements les plus sacrés ! Non,
jamais elle ne saurait, elle ne pourrait lui pardonner : c'est au-dessus
de ses forces !..
Alors triste , d'une empoignante et désespérée tristesse, elle va
machinalement à son piano, son cher piano qu'elle fait tour à tour
pleurer, prier, espérer ; son piano qui seul sait exprimer ses peines et
ses douleurs et momentanément les lui faire oublier. Quelques accords
bruyants résonnent ; une voix tremblante s'élève seule, triste. Il y a
des soupirs, dans cette voix ; elle est entrecoupée de sanglots ; çà et
là, une note perlée tombe comme une larme... Un motif majeur s<^
fait entendre comme une espérance; puis de nouveau les basses gron
dent ainsi qu'un tumulte de passions humaines, et une mélodie sl^
détache, calme, douce, vague et s'éteint lentement.
Et les yeux mi-clos, elle ouït l'écho qui répète les derniers sons, u»
à un, lentement, comme à regret. Une douce rêverie s'empare d'elle.».
(A suivre.) Ja.
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REVUE DU NIVERNAIS. 63
M. de Chaligny ; à la suite se trouvent les divers fonctionnaires de
chaque localité.
On a omis les indications sur Tinstruction publique qui sont données
(p. 114), sous la rubrique : Note tardive. Elles portent les trois
collèges de Nevers, Claraecy et La Charité, le petit séminaire, école
modèle d'enseignement mutuel établie à Nevers, dirigée par M. Saletta-
Maurelle, et plusieurs maisons libres d'éducation, une pour le latin et
onze pour le français, probablement des maisons particulières conte-
nant seulement chacune quelques élèves. Puis trois pensions de demoi-
selles, les sœurs de la Charité chrétienne, Mmes Saint-Cyr, MlleRossin.
11 n'y a aucune mention concernant l'organisation de l'instruction
primaire dans les communes rurales.
La petite notice (p. 107), sur les forges royales de LaChaussade, a
déjà paru dans divers autres opuscules. Les forges sont dirigées par
M. Barbé, la fonderie par M. Lucas. La manufacture de porcelaine,
occupant deux cents ouvriers, est fréquentée par plusieurs artistes de
grand mérite, qui font passer ses produits dans toutes les cours de
l'Europe et obtiennent des récompenses aux diverses expositions.
Tels sont les renseignements bien insuffisants donnés par ce dernier
essai de l'imprimeur Roch, qui ne se représentera plus, et que nous
avons voulu décrire pour être exact.
Une autre publication isolée ayant l'apparence et le titre d*un
annuaire, parut en 1829, imprimée chez Delavau, éditeur, imprimeur
de la préfecture. L'auteur est Jean-Germain Baudiot, bibliothécaire de
la ville de Nevers, indiqué seulement par les initiales J.-G. B. Le titre
porte : Annuaire statistique , administratif et commercial du déparlement
delà Nièvre.
L'ouvrage est d'une réelle valeur, non au point de vue historique
qu'il n'effleure pour ainsi dire pas, mais pour Tétat présent du Niver-
nais, ses ressources, son commerce, ses habitants. Après ce premier
essor de l'Empire et de la Restauration, il est précieux d'avoir un
rapport très étendu sur les progrès et les améliorations déjà bien
accentués à cette époque.
Voici le résumé aussi succinct que possible de ce consciencieux
travail :
Première partie, calendrier ; deuxième partie, topographie, situation
et étendue, aspect et disposition du sol, montagnes, plaines et vallées,
r
64 REVUE DU NIVERNAIS.
substances minérales. On y examine toutes les ressources du pays en
chaux, potasse et soude ; quartz, soufre et houilles ; plomb, cuivre et
fer ; argiles, tufs et laves.
Puis on passe aux forêts si étendues en Nivernais, aux plantes indi-
gènes sylvestres.
Les rivières et ruisseaux, les sources et fontaines, les eaux miné-
rales et thermales de Fougues et Saint-Honoré ; il y a des faits et des
obsen^ations utiles dans ces études souvent reproduites en d'autres
ouvrages, mais nulle part peut-être aussi bien exposées.
Les étangs et marais, leur dessèchement en améliorant le sol et
l'atmosphère, sont minutieusement décrits, v Les pays d'étangs dévo-
rent, dit-il, leurs malheureux habitants » ; et plus loin, « mais leurs
eaux sont le premier agent des usines de toute espèce, notamment de
celles destinées à l'utilisation des substances minérales ».
La partie naturaliste est aussi très développée. Il y a une nomen-
clature raisonnée de tous les animaux indigènes de la contrée et une
description très étendue sur la constitution physique et les maladies
des habitants.
A cette occasion, on voit (p. 57), d'après Parmentier, la liste des
famines, mortalités, épidémies, pestes, depuis 1217 jusqu'en 1770;
puis les observations météorologiques, sécheresses, crues, gelées, des
premières années du dix-neuvième siècle. La conclusion de l'auteur,
après une série de faits et de remarques sur la température de la
contrée est « qu'aucun ordre constant ne se fait remarquer dans le
retour, dans la marche et dans les effets des saisons t. Nos agriculteurs
nivernais, spécialement intéressés à la température, n'en disent-ils
pas autant aujourd'hui?
Un tableau de la réforme pour la conscription, complété par dt^s
remarques physiologiques sur la santé des conscrits, mérite d'être
comparé à nos générations actuelles.
fÀ suivre.) Uené de Lespinasse.
^^
^^
REVUE DU NIVERNAIS. 65
POÉSIES
LORMES
VUE PRISE DE MARNÉ
A Monsieur A*^ Biliault,
Sur le fond violet des grands nionls incertains
L'église de granit se détache très blanche :
On dirait d'un flocon neigeux qu'une avalanche
A donné pour décor aux horizons lointains.
Les rocs noirs ont poussé des bruyères, des thyms ;
De son hautbois rustique un pâtre taille Tanche,
Et Ton entend parfois la cloche qui déclanche
Au tomber de la nuit, à l'aube des malins.
Trois ou quatre maisons. La ville ? on la devine
Cachée, un peu plus loin derrière la ravine.
Et lorsque j'aperçois l'encerclement bleuté
Des montagnes, je crois qu'une main de mystère,
Dans la bague de bois des forèlsa sculpté
Ce bijou de granit splendide et solitaire.
Tristan de Léon.
LEVER D'AURORE
Toute rose et voilée au sein de nos vallons,
La nymphe, aux yeux d'azur, aux pieds divins d'albâtre,
S'éveille, et sur son front, soudain, viennent s'ébaltre
Les rêves envolés de ses lourds cheveux blonds.
L'odeur de l'aubépin monte en encens superbe ;
L'églantine sourit dans les buissons noueux,
Et le souffle ondulé des matins somptueux
Passe comme un frisson sur le nid et sur l'herbe.
Et c'est un doux concert de parfums exhalés
Du cantique d'amour de l'Elernel Poêle
Eveillant les échos d'heureux avrils en fête ;
— Pendant qu'aux seuils d'azur, tout à l'heure étoiles,
Et rose, et ravissante, et les doigts constellés,
La gracieuse Aurore enguirlande sa tète.
Joséphine Bégassat.
3*
i
66 REVUE DU NIVERNAIS.
LES HOUILLERES DE LA MACHINE
PRÈS DECIZE (NIÈVRE)
(5iii7c).
III. — LA MACHINE AU XIX* SIÈCLE
La Société Gonnet dura fort peu de temps. Eu 1782, elle céda ses
droits sur les houillères à M. Baudard de Saint-James, moyemiant
264,000 livres.
Un nouveau bail, consenti à ce dernier par le roi, en 1784, conférait
au concessionnaire le droit de tirer du charbon dans la forêt des
Glénons, à Fondjudas et autres lieux, dont le duc de Nevers était
propriétaire, ainsi que dans les propriétés de ses vassaux.
M. de Saint-James s'associa alors avec un sieur Périer qui fonda
la Société Périer et C»«. Le roi l'autorisa, en 1785, à faire construire à
Decize, près le faubourg Saint-Privé, une verrerie et une faïencerie, à
condition de n'y employer que du charbon de terre.
Mais bientôt après, le sieur Périer s'étant retiré de l'association,
M. Baudard éprouva des revers de fortune. La machine à vapeur,
qu'il ne savait pas conduire, devint pour lui une cause incessante de
perte ; l'exploitation périclita entre ses mains et il mourut en état de
faillite (1).
Tous ses biens furent, par arrêt de la cour des aides du 5 août
1789, adjugés à un sieur Mintier, menuisier de Paris, qui, dès le
25 janvier 1790, céda son entreprise à M. de Mallevault, moyennant
le paiement de l'adjudication.
Ce nouveau concessionnaire s'associa une dame Harconney ; mais
tous deux ayant émigré en 1792, le séquestre fut apposé sur les mines
de La Machine et un sieur Viard Vauxmaine fut chargé de les gérer
comme fermier de la République. Un état daté du 21 messidor an II
nous fait connaître que, dans la décade précédente, l'extraction avait
été de vingt-quatre fournitures, ou de 3,189 quintaux métriques (2).
Cet état indique aussi que toutes les expéditions de houille étaient
(1) Â raide d'un plan de l'ancien fief des Ecols, nous avons pu retrouver, dans
le faubourg des Baraques (jardin Grillot), remplacement d'un puits qu'on appelait
• le crot Saint-James. •
(2) La fourniture contenait cent trente-deux bacherolles et oeUes-d pesaient cha-
cune 200 à 210 livres, toit un quintal métrique.
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REVUE DU NIVCnNAIS. 6§
derrière la maison Tèton et près de la ligne forestière qui fait com*
muniquer la route de Trois- Vesvres avec celle de Decize ;
80 Les puils ou crots de la Petite-Machine ( dont nous n'avons
jamais connu exactement le nombre), qui étaient installés dans te
quartier de ce nom, situé au-dessous des Marizys, à Test du bas du
bourg et à proximité de Tancien fief des Ecots (i).
Il y avait, en outre, plusieurs petits puits à charbon dans diverses
autres parties de La Machine, notamment dans la région de la Chaume
et dans celles des Baraques et des Coupes.
Ces anciens puits, abandonnés et comblés, dont quelques-uns
étaient munis de machines à vapeur et la plupart de manèges à cbe*
vaux, devaient leur appellation, les uns au nom du propriétaire du
terrain sur lequel ils étaient ouverts: tels les puits Jacobé, Henry,
Velleret ; les autres, au lieu où ils étaient établis : comme le puits de
la Chaume, creusé sur une ancienne chaume communale ; les deux
puits de la Meule, situés près du ruisseau de la Meule, etc.
Les charbons extraits de ces puits étaient transportés en sacs, à
dos de chevaux et de mulets, ou par tombereaux attelés de chevaux
ou de bœufs, aux dépôts établis sur le port de Saint-Léger-des- Vignes,
que, pour cette raison, on appelait et on appelle encore « la Char-
bonnière ». Ceux de ces charbons qui n'étaient pas employés par les
verreries de Saint-Léger et par les industries locales étaient expédiés
par la Loire ou par le canal du Nivernais, le chemin de fer de Never:»
à Chagny n'existant pas encore.
A cette époque, les routes de Decize et de Trois- Vesvres n'étant pas
non plus construites, le transport des charbons de La Machine s'effec-
tuait, parfois avec de grandes difficultés, par des chemins accidentés,
pavés sur la moitié seulement de leur largeur (du côté où passaient
les tombereaux chargés) et souvent bordés de fondrières, qui deve-
paient presque impraticables en hiver. On voit encore des traces de
ces anciennes voies dans la forêt des Minimes, au lieudit « les Pontots >,
prés de la route actuelle de Decize ; dans les prés de la Meule, à droite
de la route de Trois- Vesvres ; et il reste, sous la dénomination de
c vieille route de la Petite-Machine », entre les Marizys et la grande
(1) Un puils appelé « Gros det Ecols • a été bénit le 30 janvier 17^ • à la réquW
sition de noble Jean-Pierre Pinet, seigneur des Eoote, par le curé dt ThlangâSy du
oona^leiatnt du curé de Cbampvert, ledit cros étant dans sa paroisse ». (ilfchiv«s
de Champ vert. ~ Note communiquée par M. Gaston Gauthier).
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REVUB DU NIVERNAIS. 71
[(Tence de niveau. Ces écluses, — dont on voit un petit mo-
le grenier du musée de la Porte-du^Croux, à Nevers, et dont
. curieux spécimen, servant de kiosque, dans le jardin de la
des mines,— étaient construites en pierre de taille (1),
en planches et divisées en deux compartiments dans lesquels
idait alternativement, un à un, sur un plateau soutenu par de
iines(2), tous les vagons pleins. Ceux-ci faisaient monter,
poids, les vagons vides dans le compartiment adjacent. Au bas
.0 écluse, dont la hauteur était de 8 à 10 mètres, des manœuvres
lit les vagons pleins, que des chevaux, appartenant à des
neurs du pays, roulaient ensuite sur le chemin de fer jusqu'à
•f^ suivante, où recommençait la môme opération.
vés au Pré Charpin (lieu situé dans la forêt des Glénons, —
iir le territoire de Ohampvert dont il forme la limite ouest, — - à
ométres du bourg de La Machine et au bord de Tétang Gré-
r), les charbons étaient versés dans des trémies, triés et classés
grosseurs, et les moins propres passés dans des lavoirs à eau
ante ; puis ils étaient tous rechargés dans les vagons et trans-
t^'s par des chevaux sur la voie ferrée qui, dans cette partie moins
identée de la forêt des Glénons, allait, sans écluses, du Pré-Charpin
port de la Copine
• 1 ) La pierre à bâtir est extraite, à La Machine, de carrières de grés houiller dont
bancs inclinés, parfois très épais, sont superposés aux couches de houille.
2) On donnait le nom de bascule à ce plateau et à l'écluse elle-même, et on appe-
rt basculeurs les ouvriers chargés de la descente des vagons de charbon.
[A 9uivre,) L.-M. PoussEREAU.
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REVUE DU NIVERNAIS. 75
— Ne m^as-tu pas entendu, crie le seigneur avec colère ; qu'il passe
son chemin sur le champ, ou je te mets à la porte avec lui !
Le serviteur s'éloigne à regret, mais peu d'instants après, se pré-
sente de nouveau devant son maître.
— Toi encore, hurle celui-ci ; que me veux-tu ? mes ordres ne
sont-ils pas exécutés ?
— Si fait, monseigneur, le vieillard a passé, appuyé douloureuse-
ment sur son bâton de houx ; mais en s'éloignant du château, il m'a
dit ces paroles : < Vas dire à ton maître qu'il a refusé l'hospitalité à
Jacques, le pèlerin de Dieu, et que maudit est celui qui rejette sans
pitié la prière du pauvre ».
Le seigneur, haussant les épaules, se prit à rire et rapprocha son
fauteuil du brasier oix les souches énormes s'effondraient dans un bou-
quet d'étincelles. La douce chaleur commençait à assoupir sa pensée,
quand un bruit léger le fit tressaillir : un corbeau, perché sur la che-
minée du château, venait de laisser tomber de son bec un gland dans
la cendre chaude. Le seigneur regardait distraitement, quand soudain
l'effroi se peignit sur son visage. A la chaleur du foyer, le gland s'était
fendu et laissait paraître une frêle tige verle, qui bientôt devitil
arbrisseau, puis arbre, et montant toujours, grossissant à vue d'œiU
un chêne immense, dont la puissante ramure fit éclater les voûtes et
les murailles du château !...
Le méchant seigneur s'enfuit sans oser regarder derrière lui. Pris
de désespoir et de repentir, il descendit la montagne et vint fonder
dans la plaine un ermitage où il finit ses jours aux pieds d'une petite
chapelle dédiée à saint Jacques le Pèlerin.
La chapelle n'existe plus, mais le chemin qui, de la route de Van-
denesse, mène au ruisseau des Mouillëres, porte encore le nom de
chemin de la Chapelle-Saint-Jacques. ^«
HIVER ET FAMINE
SOUVENIRS NIVERNAIS
Les petits ramoneurs ont fait leur apparition chez nous ; les oies
sauvages viennent d'émigrer vers le Midi ; les feuilles jaunies des
arbres jonchent la terre : la nature entière semble en deuil. C'est
l'approche de la froide saison que redoutent surtout les pauvres gen^;.
^
76 REVUE DU NIVERNAIS.
car, avec son cortège de misères, elle leur rappelle souvent de bien
tristes souvenirs.
Le moment est donc opportun pour parler du plus rigoureux hiver
dont on ait gardé mémoire : celui de 4709-1710. Le froid devint si
intense en décembre et surtout en janvier (4) que toutes les récoltes
gelèrent sur pied d'où une disette générale.
Les habitants furent décimés d'effrayante façon ; aussi les actes ins-
crits sur les registres de l'époque sont-Ils, malgré leur concision, d'une
lecture terrifiante. Chaque jour, hommes, femmes, enfants, étrangers
ou non au pays, — des mendiants surtout, et ils pullulaient — sont
trouvés morts « de nécessité » sur divers points de la commune (2).
Lorsqu'on veut les inhumer dans le cimetière, on est souvent dans
l'impossibilité de creuser le sol ; aussi dépose-t-on leurs cadavres sous
le pavage de Péglise ; et, quand la gelée permet de fendre un peu la
terre, la même fosse reçoit deux ou trois cercueils.
Sur ces anciens registres, on a consigné également la hausse très
sensible qui se produisit alors sur les céréales, et tous les produits
destinés à la consommation (3). D'où une famii\e presque générale,
avec toutes les horreurs qu'elle entraîne à sa suite.
Aussi, voit-on des ouvriers de toute condition s'unir et former de
véritables bandes armées, pillant tout sur leur passage, détroussant
sur les chemins les voyageurs qui, soit à pied, soit à cheval, ne doi-
vent généralement leur salut qu'à l'abandon d^ leur bourse ou de leur
monture ; s'emparant des voitures chargées de vivres, volant les ani-
maux dans les étables, le grain dans les moulins, s'introduisant sans
scrupule dans les maisons habitées pour y commettre quelque larcin.
Il s'ensuivit naturellement des procès avec condamnations.
Comment passer sous silence les grandes disettes de 1693 et 1695,
qui inspirèrent à Vauban son beau livre de la Dîme Royale, et la famine
lie 1793, qui sévit d'une façon si cruelle aux environs de Prémery?
(I) Le fiuitl coiniiieth-;t le 6 janvier à midi et dura 19 jours consêviiU&; on Utni-
vait lesi fvnliix e! les oiseaux morts dans les chami^.
i-*' U y en eut jus^iuà 15 dinhuuiês en (Xtobiv 1710 dausla |Kiroi:iâede Ghamprert.
<3) Les b!t-s avilit été totaletiuMit ^elt-s «lan< la itmtrèe do Decixe, on ne pouvait
se prvx-uter de i:iaiiL< de s<Miu>noe \xyur 1 ann»-e suivante et le fronieul atteignit
li"> soU la nifsure de IVvi/e. ijîii valait un jhhi |»Ui< d'un dtvalitrv.
Le |Min était von -lu 8 <<»ls la livre et on n'en (iou\ait tivuver |«i>ur de TjrgenL
iNot.-s liuv"* des A!v:hi\es de ChanipTort».
REVUE DU NIVERNAIS. 77
Les commissaires des subsistances de Beaumont-la-Ferrière ont eu
la douleur de constater « que la famine dévorait alors leurs concitoyens,
que des mères épuisées s'alimentaient d'herbe pour allaiter des enfants
qu'elles étaient sur le point de voir périr; qu'enfin Touvrier affamé,
abattu et découragé cessait son travail ! d
A l'approche d'un hiver qu'on annonce comme devant être parti-
culièrement rigoureux, souhaitons que de pareils fléaux nous soient
épargnés ! Gaston Gauthier.
POETES CASTILLANS (Suiiej
(Supplément.)
ZorriUa.
LA SIESTE
(Fragment).
Trois heures : le soleil de juillet, en Caslille,
Brûle plus qu'il éclaire, éblouit plus qu'il brille.
Et la lumière est flamme embrasant le ciel clair ;
Sur le sol, pas un brin d'herbe qu'agite l'air.
Nul souffle ridant l'eau, courbant la moisson mûre
Nulle chenille aux fleurs portant sa bave impure ;
Tout se flétrit au feu de l'été desséchant ;
La sauterelle dort sur les gazons du champ.
Seul je veille, dispos en ma sérénité ;
Mon cœur est débordant de joie et de gaîté,
C'est que voici ma Rose
Qui sur mon sein s'appuie, endormie, et repose.
Sur nous, de la ramure
Le voile ombreux se tend ;
La fleur soupire autant
Que le ruisseau murmure.
Tout invite à la sieste aux champs ;
0 mon amour, sommeille !
Dors, je te veille ;
Dors à mes chants !
Comme en chantant la mère endort avec tendresse
L'enfant en son giron, mon chant te bercera ;
Elle invente pour lui mille mots de caresse ;
Mille chansons, pour toi, mon amour les dira.
1
1
78 REVUE DU NIVERNAIS.
Rose, ton cœur aimant, je le sais bien, s'enchante
Des vers que je dis, quand le sommeil clôt tes yeux :
Quel conte voudrais-tu? Que veux-tu que je chante?
De mes chansons, dis-moi ce qui te platt le mieux ?
Préfères-tu ce conte : un sylphe est en détresse,
D*un filet de duvet captif en un rosier ;
Une abeille Taimait ; la nuit, avec adresse^
Elle porte son miel pour le rassasier ?
Préfères-tu l'histoire effroyable de celle
Dont un jaloux trancha la tète, sans penser
Que la tète coupée, à son amant fidèle.
S'en irait chaque nuit lui donner un baiser ?
Dors cependant, ma vie, au son berceur des vers
Que dit ma poésie en ses rythmes divers.
Sur nous de la ramure
Le voile ombreux se tend ;
La fleur soupire autant
Que le ruisseau murmure.
Tout invite à la sieste aux champs :
0 mon amour, sommeille !
Dors, je te veille ;
Dors à mes chants !
Salvator Bermudez de Castro.
A la comtesse de VaUe san Juan sur la mort de son père.
Dieu de bonté. Seigneur que l'univers adore,
Toi qui, serein toujours et sur ton trône ardent.
Resplendis dans l'éclat du tonnerre grondant
Aussi grand qu'aux rayons purs et blancs de l'aurore,
L'orphelin, subissant son malheur qu'il déplore,
Sent d'amour et de foi son âme débordant :
De son sein déchiré, l'oraison cependant
Monte à sa lèvre pâle, 6 Seigneur, et t'implore !
0 toi, dont la main, juste en sa sublimité.
Sait semer la douleur et semer lagatté.
Prends pitié de son deuil et de sa grand' tristesse ;
Pour adoucir sa peine, ô Dieu, mets en retour
Le calme consolant en son cœur qui s'affaisse
Ou rends au trépassé la lumière du jour !
Traduction de ACHILLE MlLUEN.
LIVRES ET PERIODIQUES
Armand Billaud : Un coin du Morvand (le canton de Lormes), ouvrage illustré
de 30 photographies. — Glamecy, Desvignes, libraire-photographe^ éditeur, in-18,
142 paçres, 3 fr. 50
Voici une agréable et importante contribution à l'histoire pittoresque et descrip-
tive de notre beau Nivernais. Dans une alerte préface, Tauteur dit avec esprit : « C'est
ce cher petit pays que j'ai cherché à faire connaître non seulement aux étrangers,
mais encore et surtout à mes compatriotes du canton de Lormes ». Et ce n'est pas
une simple boutade d'humoriste qu il faut voir dans ces paroles. Le fait est qUe nous
ne connaissons pas notre pays; le citadin d'un chef-lieu de canton ienore le plus
souvent ce que son propre canton renferme de beautés naturelles, de tr&ors archéo-
logiques ou artistiques M. Billaud rend désormais inexcusables ceux des Lormois,
disons même des Nivernais, qui, son charmant guide en main, ne feront pas avec
lui le tour de ce com du Morvand, si intéressant à tous égards. J'ai eu, pour ma part,
le plus grand pliisir à refaire, en parcourant les pages de ce joli volume, une excur-
sion c[ue j*ai faite plus d'une fois ; j'ai revu, par le souvenir, éveillé, grâce aux des-
criptions de M. Armand Billaud, grâce aux photographies qui ornent son texte, ce
splendide panorama de Lormes, la vieille tour, la cascade, Bazoches, Epiry, la
vallée de Cnalaux. Dun-les-Places ei ces bords de la Cure, à Saint-Père, à Chastellux,
à Saint-André, un des sites les plus curieux de notre Morvand, où Corot, avant les
jours de sa grande célébrité, vint passer plusieurs saisons. Je souhaite que M. Armand
Billaud ait de nombreux imitateurs qui, dans chaque canton, révèlent de même
tin coin de notre Nivernais. J'ajoute que son volume, sous sa couverture blanche, où
courent les arches dupont de Montreuillon, se présent? très avantageusement. A. M.
La Revue du Nivernais existe par et pour notre province. Tout ce qui met en
relief notre pays et nos compatriotes doit être relaté dans ses livraisons. Nos lecteurs
nous obligeront toutes les fois qu'ils voudront bien nous signaler ce qu'ils auront
trouvé, à ce propos, dans les divers périodiques. Nous donnons aujourd hui l'extrait
suivant d'une étude sur le Grand Palais de VExposition^ par M"*'' M. Let* de Rute
(Souvellê Revue Internationale^ 31 octobre); c'est notre ami BafHer qui y est
apprécié :
• Après Frémiel qui, d'ailleurs, se plait à ressusciter l'homme préhistorique, l'ar-
tiste qui a su le mieux montrer le paysan, l'homme de la nature, l'ouvrier du sol,
c'est bien certainement BafTier. Il est des figurines en ronde bosse, ou simplement en
relief sur étain ; des types qui joip^nent à la vérité des attitudes, des costumes, une
poésie de forte saveur, saine et vigoureuse comme les odrurs du sol, sans idéalisme
bucolique, pareille à celle qui se dégage des tableaux de Millet. C'est que peut-être
Baffier, ce simple, ce naïf et ce sauvage, ne voit pas ses paysans en sculpteur, avec
la préoccupation de l'exactitude réaliste ; mais qu'il les voit en ami et en artiste,
leur donnant la poésie particulière qui est en lui, parce qu'il trouve qu'ils en ont
une.
• En regardant les innombrables tentatives faites pour orienter la sculpture vers
les réalités modernes, j'étais bien forcée de m'avouer qu'aucun n'avait la conviction et
les qualités artistiques de mon maître Baffier, le génial créateur de Jacques Bonhomme.
Baffier n'est pas une âme hautaine et héroïque ; ce n'est pas un poète épique ou
dramatique ; ce n'est qu'un poète champêtre, mais c'est un artiste sincère et robuste.
Ses paysans et paysannes ont le genre de beauté que donne la vérité. C'est penser
que de les aimer et de les observer ainsi... ».
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• ;. Mt^e, les rtAorù-
-t.c .î . L. I'.
--I MlLUEN.
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CONTES A MES ENFANTS
VIII. — VEILLÉE DE NOËL
A flile, tenez-vous droite! Voilà mes-
sieurs les officiers qui passent...»
Pourquoi celle phrase d'autrefois
hanle-t-elle la mémoire de M"o Pichon,
pendant qu'assise au coin du feu ,
dans sa bergère en velours d'Utrechl,
elle tricote des vêlements pour les
pauvres?.... Pourquoi ce souvenir —
un peu puéril — d'une lointaine jeunesse poursuit-il obstinément la
vieille fille en cette paisible soirée, la veillée de Noël ?...
Il y a beau temps qu'elle ne songe plus au mariage : la Saint-Laurent
dernière l'a vue franchir la soixantaine ; — beau temps que les officiers
ne lèvent plus les yeux vers la fenêtre où elle travaille pendant le jour:
ils n'y verraient qu'un visage pâle et flétri, sous des bandeaux de che-
veux blancs ; — beau temps que les lèvres qui disaient ces paroles sont
fermées pour jamais : à cet âge, hélas! on n'a plus auprès de soi ceux
qui vous ont donné la vie...
Et pourtant, pendant que les doigts agiles de la vieille demoiselle
tricotent, tricotent sans relâche une chaude brassière « pour le pre-
. mier âge » avec un bruit d'aiguilles qui se choquent dans le silence de
la chambre tiède, pendant qu'elle laisse aller sa rêverie aux souvenirs
du passé, c'est toujours cette même phrase qui revient obséder sa
mémoire comme pour lui dire, l'indiscrète, qu'elle aurait pu, comme
tant d'autres femmes, avoir un foyer de tendresse et de bonheur, par-
82 REVUE DU NIVERNAIS.
tager avec un époux aimé les peines et les joies de ce monde, voir
des enfants s'élever et grandir autour d'elle...
Des enfants 1... Elle qui les a toujours tant aimés!
« Ma fille , tenez-vous droite ! Voilà messieurs les officiers qui
passent...» Il y a presque un demi-siècle de cela et il semble que
c'était hier...
Elle avait dix-huit ans et habitait avec son père et sa mère cette
même maison où elle est seule maintenant, sans personne à aimer. Au
sortir du pensionnat où elle avait fait ses études (l'institution Bornet,
au coin de la rue du Vieux-Marché, la maison où est maintenant la
gendarmerie), elle vivait insouciante et heureuse entre ces deux
cœurs tout pleins d'elle, ne songeant pas à l'avenir... Est-ce qu'on
pense à l'avenir quand on a vingt ans?...
Ses parents lui parlaient quelquefois de son mariage comme d'une
éventualité probable, mais encore lointaine : elle était si jeune, rien ne
pressait, ils voulaient trouver tout à fait bien. .. Et quand les officiers de
la garnison - des lanciers, dans ce temps-là — sortant de l'hôtel voi-
sin où ils prenaient leurs repas (encore un immeuble qui a changé de
destination : c'est maintenant l'imprimerie de V Indépendant)^ quatid
les officiers levaient les yeux vers la fenêtre du premier étage, ils
étaient sûrs d'y voir une tête de jeune fille fraîche et blonde, mon
Dieu ! assez agréable, encor qu'elle ne fût pas de ces beautés à sensa-
tion, et de tout temps, comme vous savez, les jeunes gens ont aimé à
regarder les figures fraîches et blondes... Alors la mère disait :
« Ma fille, tenez-vous droite! Voilà messieurs les officiers qui
passent... »
Ce n'était qu'une plaisanterie, souvenir d'un vaudeville alors en
vogue ; mais cette plaisanterie, souvent répétée, faisait toujours rire,
car il était entendu qu'on ne voulait point d'un militaire : il faut trop
souvent changer de garnison ; et puis, ces officiers, c'est si exposé !...
...Cependant le temps passait... Plusieurs partis s'étaient présentés:
les parents avaient refusé sans la consulter ou dit simplement :
€ Tu sais. Minette, tu viens encore d'être demandée... Mais ça ne
pouvait pas te convenir... Nous te trouverons mieux... On ne se marie
bien que lorsqu'on sait attendre... »
Et Minette avait attendu docilement, en demoiselle bien élevée, en
REVUE DU NIVERNAIS. 83
fille respectueuse et sage, avec la secrète espérance que l'époux promis
viendrait à son heure, et la vision, confuse et très douce, de petits
enfants qui seraient à elle et qu'elle pourrait, comme celles de ses
amies déjà mariées, câliner sur son sein, en berçant leur sommeil...
... Elle venait d'avoir vingt-quatre ans quand son père était tombé
foudroyé : une attaque de paralysie, qui Pavait rendu impotent et
infirme, incapable de se servir de ses membres. Que pouvait-elle faire,
sinon se consacrer à lui, le servir et l'entourer de ses soins?...
Pendant des années, il avait vécu, si cela peut s'appeler vivre^ dans
son lit ou son fauteuil roulant, ne pouvant se passer de sa fille, la
réclamant avec une obstination de malade dès qu'elle le quittait un
instant, car elle était plus adroite et plus forte que sa mère, et
personne ne savait, comme elle, le distraire et lui faire oublier ses
maux...
C'est elle alors qui avait repoussé les prétendants : elle ne voulait
pas quitter son père, il avait trop besoin d'elle... Pour cacher son
sacrifice, car dans le fond de son cœur elle rêvait toujours de petites
bouches roses qui la baiseraient en l'appelant « maman », elle avait
déclaré que décidément elle ne se sentait point de vocation pour le
mariage, affectant de se trouver très heureuse ainsi, de ne rien désirer
de plus que la continuation de sa vie entre ses deux vieux qu'elle
aimait tant...
Et comme elle avait gardé un inaltérable fonds de bonne humeur et
de gaieté, c'est elle maintenant qui, pour égayer ses parents — pour
les tromper aussi peut-être, — au cliquetis des sabres et à la sonnerie
des éperons sur le pavé de la rue, disait en riant la phrase passée
en dicton dans la famille :
« Ma fille, tenez-vous droite! Voilà messieurs les officiers qui
passent... »
Ah ! ils pouvaient bien passer, les officiers : maintenant, moins que
jamais, on se souciait d'eux...
... Pourtant elle avait eu son roman, éphémère et fragile. Un
officier de la garnison, resté veuf avec deux enfants, s'était rencontré
avec elle chez des amis communs. Touché des caresses qu'elle prodi-
guait à ses petits orphelins — elle ne pouvait rester indifférente avec
les enfants, chaque fois qu'elle en voyait sur son chemin, — attiré
sans doute aussi par une secrète sympathie, il avait pensé à elle...
84 REVUE DU NIVERNAIS.
Elle se souvenait... Un soir, comme ils étaient seuls un instant,
avec un franc regard et des lèvres tremblantes, il lui avait demandé
de venir à son foyer solitaire et de servir de mère à ses chéris...
Elle ne s'était pas étonnnée, ayant le pressentiment de cette
demande. Sa réponse, elle Pavait préparée d'avance : que deviendrait
son père privé de ses soins ?... Très simplement aussi, avec un visage
tout à fait calme — pendant que son cœur battait à grands coups dans
sa poitrine — , elle avait dit qu'elle ne Voulait pas se marier, que sa
décision était irrévocable...
Et sa jeunesse s'était écoulée très doucement, dans l'accomplissement
de son devoir filial ,'
... Un jour, le père était parti pour le grand voyage dont on ne
revient pas et la vie des deux femmes avait continué, triste et mono-
tone, au foyer touché par la mort. Elle avait trente-cinq ans ; à cet
âge^'là, on a définitivement coiffé sainte Catherine... Alors, pour
dépenser son activité d'esprit et de cœur, elle avait organisé l'emploi
de son temps ; et comme, plus que jamais, elle était attirée par les
enfants, que rien ne l'intéressait autant que ces âmes innocentes, elle
s'était vouée à toutes les œuvres qui s'occupent de l'enfance malheu-
reuse, crèches, salles d'asile, ouvroirs..: Pendant des années et des
années, elle avait réchauffé, nourri, instruit, ceux que la pauvreté ou
le crime des parents abandonnent aux souffrances et aux misères de
la vie... Pendant des soirées et des soirées, comme aujourd'hui, sous
la lumière de sa lampe à capuchon vert, elle avait ourlé des langes,
cousu des robes, tricoté des jupons, des brassières et des bonnets
pour les tout petits... Les enfants des pauvres étaient devenus les
siens...
Et la vieillesse était arrivée à son tour, après le second deuil qui
l'avait laissée tout à fait seule...
... Maintenant, elle était au déclin de la vie et toujours tricotant,
taillant, cousant, remuait, dans ses heures de laborieuse solitude, les
souvenirs des jours écoulés... Sans doute, sa vie n'avait point été ce
qu'elle avait espéré : mais elle avait conscience de l'avoir employée à
faire le bien, oh I oui, de tout son cœur et de toute son âme et elle
avait sa récompense : elle n'était pas une vieille filte inutile comme il
y en a, tout occupée d'oiseaux et de chats. — Peut-on se laisser
absorber par des animaux, quand il y a les enfants ! — Décidément,
REVUE DU NIVERNAIS. 85
son lot n'avait pas été sans douceur, elle avait eu sa part de bonheur
ici-bas : n'Cst-ce point le bonheur que de se dévouer et chercher à
faire le bien ?
Voici l'heure de la messe. Dans la rue sonore un bruit de sabots et
de voix annonce les fidèles qui se rendent à l'église pour célébrer la
naissance de TEnfant-Dieu, venu au monde sans vêtements^ sur la
paille d'une étable...
M"® Pichon s'approche de la fenêtre, soulève le rideau, regarde à
travers le givre de la vitre le ciel où les étoiles scintillent dans la nuit
claire et songe que la saison va être dure pour les pauvres gens,
qu'il y aura bien des misères à soulager et que ses mains ne chôme-
ront pas cet hiver...
Puis elle roule son tricot qu'elle transperce de la longue aiguille de
bois, couvre la bûche de Noël, chausse ses socques, s'enveloppe de sa
grosse mante à capuchon, appelle sa servante :
« Allons, Mariette, et surtout, ma bonne, n'oubliez pas d'éteindre
votre lumière ».
Les deux femmes descendent l'escalier, la vieille fille lourdement
sous le poids de la soixantaine... Les voilà dans la rue... Brrrr! qu'il
fait froid !... et pendant que Mariette, avec sa gi'osse clé, ferme la porte
à double tour, un bruit de sabres heurtés, bruit de jeunesse et de vie
(décidément c'est une obsession), vient encore remuer au cœur de la
vieille demoiselle les mélancoliques souvenirs d'autrefois : parfums
de fleurs desséchées, fantômes de tendresses évanouies...
François Moireau.
86 REVUE DU NIVERNAIS.
LES HOUILLÈRES DE LA MACHINE
PRÈS DECIZE (NIÈVRE)
(Suite).
Après l'exécution de ces travaux et la mise en exploitation du puits
des Zagots et de celui de la Haute-Meule (1), la houillère, — qui,
depuis 1838, appartenait à une société anonyme dont le siège social
était à Metz, et qui comptait parmi ses membres M. de Gargan, ancien
juge au Corps royal des mines (2), — prit de Tiraportance sous la bonne
administration de H. Schaerff, et sous la direction technique de
M. Jean-Baptiste Machecourt, ingénieur distingué de TEcole des mines
de Saint-Etienne, né à La Machine le 20 fructidor an XI (6 septem-
bre 1803). Celui-ci apporta à l'exploitation de grands perfectionne-
ments qui furent aussitôt adoptés par la plupart des houillères de la
France. On lui doit surtout Tune des plus belles et des plus utiles
inventions qui aient été faites pour sauvegarder la vie des mineurs :
nous voulons parler du parachute surmontant les cages d'extraction,
dans lesquelles descendent et montent, chaque jour, ainsi que dans des
ascenseurs, tous les ouvriers de la mine. Le parachute Machecourt,
dont l'invention est antérieure à celle de tous les autres systèmes
connus et qui valut à son auteur la croix de la Légion d'honneur, fut
expérimenté pour la première fois, à La Machine, en 1845. Cet appareil
très ingénieux se compose de solides ressorts, qui se détendent et font
(1) Le puits des Zagots, qui domine, à droite, la route de Trois- Vesvres, est établi
dans le quartier des Baraques, à 600 mètres du bourg et dans le prolongement de
la rue partant de la place de l'Ëglise.
Le puits de la Haute-Meule, ou des Feneaux, est situé sur une hauteur, i
1,900 mètres du bourg de La Machine, à 800 mètr3s au delà du ruisseau de la Meule
et à 100 mètres à gauche de la route de Trois- Vesvres, qui, à cet endroit, serpente
dans les bois.
Cet deux puits furent reliés extérieurement par un petit chemin de fer à double
voie, encore en service, établi en plans inclinés sur les deux coteaux qui s'élèvent
de chaque côté de la route de la Meule, au-dessus de laquelle passe ledit chemin de
fer. La traction se fait par des câbles métalliques glissant sur des moulinets. Le plan
incliné de la Haute-Meule, sur lequel descendent les bennes pleines et remontent, en
même temps, les bennes vides, est automoteur ; celui des Zagots est remorqueur, et
une petite machine en assure le service.
(2) Cette société avait remplacé une autre compagnie anonyme formée en 1816
pour conUnuer rexploitation de la concession de Decize accordée à M. de MaUevanlt,
dix ani auparavant.
REVUE DU NIVERNAIS. 87
enfoncer les extrémités dentées de deux fortes tiges d'acier dans les
poutres du guidage du puits aussitôt que le câble se rompt ou cesse de
soutenir la cage. D'après les anciens mineurs, qui tous avaient pour
H. Machecourt une estime voisine de l'adoration, l'idée de cette inven-
tion lui vint un jour que, à la suite d'une rupture de câble, plusieurs
ouvriers furent précipités au fond du puits Henry. Honneur donc à ce
chef savant et laborieux, simple et désintéressé (4) (tellement qu'il est
mort presque pauvre, en 1866), qui considérait les ouvriers comme
ses enfants et passa sa vie à chercher les moyens d'améliorer leur
sort et de les préserver des accidents si fréquents dans les exploitations
souterraines.
De 1845 à 1850, la partie de La Machine constituant aujourd'hui le
bourg, se garnit, de chaque côté de la nouvelle route de Decize, d'un
certain nombre de maisons assez bien bâties où s'établit le premier
commerce local.
En 1850, on commença le fonçage du puits Marguerite (2); en 1854,
on creusa le puits Saint-Jean (3), et en 1858, celui des Coupes (4). Les
fonçages s'effectuaient ordinairement au moyen de manèges mus par
trois ou quatre chevaux. Il paraît que ces animaux étaient si bien
habitués aux consignes données par les fonceurs, à l'aide d'un marteau
frappant à l'extérieur, qu'ils se mettaient en marche sans être com-
(1) Le désintéressement de M. Machecourt était tel qu^il ne voulut pas prendre de
brevet pour son parachute, afin de laisser à tous la faculté de le copier. Son raison-
nement ne se trouva pas juste, car personne n'ayant un intérêt pécuniaire à la
généralisation de cet appareil, on ne fit pas de réclame et il resta ignoré jusqu'au
jour où M. de Gargan, qui était gendre de François de Wendel, grand maître de
forges et propriétaire minier, en fit faire à La Machine pour ses mines de Lorraine.
M. Fontaine vit là le parachute Machecourt et, le croyant sans doute breveté, substi-
tua le ressort à boudin au ressort de voiture de Tingénieur machinois, prit un
brevet de cette invention à laquelle il donna son nom, fit de la réclame et fut consi-
déré comme l'inventeur du premier parachute. Cependant, M. Schaerff, après
d'activés démarches, fit rendre à M. Machecourt la justice qui lui était due: une
enqiiéte des ingénieur^ de l'Etat rétablit la vérité des faits et leur rapport fût inséré
dans le Bulletin de VAccuiéniie des Sdences,
(2) Le puits Marguerite, qui eut pour marraine M»* Marguerite Schaerff, sœur de
Tancien directeur des mines de La Machine, est situé en pleine forêt, à 500 mètres
au gud-ouest du puits de la Uaute-Meule.
(3J Le puits Saint-Jean (aujourd'hui arrêté), dont fut parrain Fingénieur Jean-
Baptiste Machecourt, est installé à droite et au bord de la route de Trois- Vévres, à
deui kilomètres et demi du bourg de La Machine.
i4) Le puits des Coupes, qui ne sert plus maintenant qu'à Faérage des Zagots, est
situé au-dessus des prés de l'Etang- Jaune, entre la route d'Anlezy et la cité Sainte-
Eudoxle.
/
88 REVUE OU NIVERNAIS.
mandés^ et à la vitesse nécessaire : ainsi, quand les ouvriers voulaient
faire jouer la mine, ils en prévenaient par un premier signal, afln que
Ton se tînt prêt à les remonter sur le tonneau ; lorsque, la mèche
allumée, les fonceurs donnaient le second signal, les chevaux du
manège partaient d'eux-mêmes et avec ensemble, d'abord au pas, pour
ne point soulever trop brusquement le tonneau, puis au trot, pour le
mettre rapidement hors de l'atteinte des rochers projetés par l'explo-
sion. Dès que celle-ci avait eu lieu, les chevaux s'arrêtaient.
En 1855, on construisit, sur le côté sud de la cour des bureaux, les
ateliers d'ajustage, tournage, forgeage, chaudronnerie, charpenterie et
menuiserie. Le côté nord, bordant la route de Trois-Vèvres, est
occupé par les écuries, bâties depuis 1820. Les deux pavillons d'entrée
de la cour susdite datent de cette dernière époque : celui de droite fut
habité par M. Schaerff, de 1840 à 1856, avant la construction de la
maison de direction à l'entrée du pays. Antérieurement à 1840, les
directeurs résidaient à Saint-Léger-des-Vignes.
Cependant, la houillère prenant chaque année plus d'importance, et
un assez grand nombre d'ouvriers des campagnes voisines, attirés par
l'appât du gain, étant venus se fixer à La Machine, les logements ne
furent bientôt plus suffisants pour la population. Afin de remédier à
cet inconvénient, la Compagnie des mines fit construire, en 1856 et
1857, dans le quartier des Baraques et près du puits des Zagots, un
groupe de quarante maisons semblables, qui reçut le nom de cité
Sainte-Marie (1). Beaucoup d'ouvriers profitèrent de la faculté qui leur
fut donnée de devenir propriétaires des maisons de ladite cité en
versant, chaque mois, une somme relativement faible en sus de leur
minime loyer.
L'extraction de la houille se faisait alors par les puits Glénons,
Chapelle ^2), Zagots, Marguerite et Haute-Meule, au moyen de machines
â vapeur.
(1) Une statue de la Vierge surmonte l'ancien puits à eau de celte première cité
niachinoise.
(2) Le puits de la Chapelle, qui tire son nom du voisinage de Pancienne chipelle
piiroitsiale, a été creusé, comme celui des Glénons, de 1825 à 1827. Indépendamment
iJ une machine d'extraction, il possède une forte machine d'épuisement, qui a été
rnarnie et montée par des Anglais. Ce puits ne sert plus aujourd'hui qu'à Tépuise-
Tiicnt des eaux de la mine et à la descente d'une partie des ouvriers des Glénons.
Difons ici que tous les puits de La Machine se œmmuniquent intérieurement par
lies galeries qui sont de véritables corridors soutermins.
REVUE DU NIVERNAIS. 89
Cet état de choses dura jusqu'en 1868, époque à laquelle la Société
anonyme des mines de Decize vendit la houillère de La Machine à la
Compagnie Schneider, propriétaire des vastes usines du Creusot.
Cette riche et puissante compagnie embellit et transforma en peu de
temps notre pays. Après Tavoir préservé de la misère en 1870, au
moment de nos désastres, en faisant continuer Textraction malgré le
manque de vente des charbons, elle fit faire, en 1871, la magnifique
installation du puits des Zagots; puis, en 1873, elle fit construire,
derrière l'église (1), des écoles spacieuses et une jolie mairie. En
même temps, elle perçait un nouveau tunnel de 700 mètres de lon-
gueur et établissait un chemin de fer, avec gare de classement au-
dessous du puits des Glénons, pour supprimer les écluses sèches et
transporter directement, par locomotives, les charbons au port de la
Copine (2).
Ce fut aussi à cette époque (1873-1874) que Ton amena de six kilo-
mètres, par des tuyaux, Teau de la Loire à La Machine, et que Ton
bâtit les cités de la Villedieu (bordant au sud et à l'ouest la cité
Sainte-Marie) et Sainte Eudoxie, qui eut pour marraine M«»« Eudoxie
Schneider, femme de M. Henri Schneider, alors directeur-gérant des
établissements du Creusot.
D'autre part, le bourg s'embellissait par la création de la place de
la Mairie, par la construction de nouvelles maisons et de trottoirs plantés
d'arbres, tandis qu'un grand nombre d'habitations s'élevaient sur
divers points du pays.
En 1878, des lavoirs mécaniques remplacèrent, au Pré-Charpin, les
anciens lavoirs à eau courante, et, en 1881, on installa, au même lieu,
un grand atelier de criblage et de triage des charbons qui occupe une
centaine de filles et de femmes de La Machine (3).
En 1893 et 1894, la Compagnie Schneider installa, près du puits de
la Chapelle et au bord de la route de Decize, un groupe de machines
électriques d'une grande force destinées à faire tourner, à plusieurs
kilomètres de distance, au moyen de fils aériens ou souterrains, des
(1) Cette église, bâtie en 1868 et 1869, sur remplacement d'un verger ayant appar-
tenu à M. Jean-Baptiste Machecourt, remplaça celle qui avait été édifiée trente ans
plus tôt sur la place actuelle du Marché.
(2) Celui-ci est établi à la fois au bord du canal du Nivernais et près de la ligne
P.-L.-M., à laquelle il est relié par un embranchement particulier.
(3) Auparavant, la houille était criblée et triée sur les puits, au sortir de la raine.
90 REVUE DU NIVERNAIS.
ventilateurs pour Taérage de la mine (1). EnQn, en 1895, elle établit,
i côté de la station d'électricité, une belle machine de compression
d'air qui actionne des treuils placés dans les puits pour monter aa
niveau des galeries de roulage les charbons des enfonçures.
Toutes les installations et constructions de La Machine ont été faites,
depuis 1865, sous la direction de M. Busquet, qui, d'abord ingénieur,
puis nommé dhrecteur en 1868, s'est consacré entièrement an dévelop-
pement de notre houillère, à l'amélioration du sort des ouvriers qu'il
dirige et i la prospérité de la commune.
(A suimrej. L.-M. POUSSERRAU.
SONNET
A MU» Marie dPAwnay.
Vous aimez La Fontaine et mêlez le sourire
De la prime jeunesse à sa naïveté.
Votre grâce à Thumour de son vers enchanté
Ou*îl cisela dans sa tète avant de récrire.
Il y mit son esprit<» il j mit sa galté.
Le ciment génial que rien ne peut détruire.
Le drame, rintêrèl — charmant pour mieux instnire —
Et Part franc, avec un parfum d'antiquité.
Toute rhuiuanitê |iasse et tient dans son livre :
CVst un cv>mbat de vie et de mort qui s'y livre ;
Et de nises de guerre, et d^ntriguets combien !...
Mi^noiuu\ ou\r\^z ce U\re et, d*uae voix affiMe,
Soutumt le pur crislaK dites nous une fable
Que vous dites si bien !
Ldcis DE CocmiM»?.
'j-^^:
I ■ ■ — -j.
ry-j-;--v:^^^
Vieux Nevers
LA TOUR GOGUIN IL Y A CENT ANS
REVUE DU NIVERNAIS.
91
M"^ ALEXANDRINE MATHIEU
Nous avons le plaisir de donner aujourd'hui une lithographie de
M"« Alexandrine Mathieu, dont nos lecteurs ont pu, à diverses reprises,
apprécier le talent très distingué.
Le don inné de Part, M"^ Alexandrine Mathieu n'en doit qu'à elle-
même l'éclosion et le développement. Sans doute, elle apprit le dessin
avec un bon professeur, mais elle ne fréquenta aucun atelier, aucune
académie en renom. Elle chercha par ses propres moyens, profitant
à l'occasion des conseils de quelques artistes éminents, emmagasinant
et s'assimilant lentement, mais sûrement, le produit de ses observations
constantes, de son travail consciencieux. Nos compatriotes ont pu voir
aux expositions de nos sociétés artistiques, ses tableaux, ses dessins,
ses belles eaux-fortes : M^^* Mathieu a fait partie des Sociétés des aqua-
fortistes, du Blanc et Noir, de diverses autres. Quand on est modeste,
on court le risque, avec beaucoup de talent, de rester moins connu de
la foule que nombre d'intriganls sans valeur, mais on acquiert quand
même une élite d'appréciateurs: cette élite ne fait pas défaut à
Mii« Alexandrine Mathieu. Ach. Millien.
-HP
^
-. '., T.».
; îf»ii-
REVUE DU NIVERNAIS. 93
peu près que nous l'avons constatée dans les autres annuaires et qu'il
est inutile de reproduire. Signalons toutefois l'organisation des per-
ceptions du département, les eaux et forêts, et l'ensemble plus complet
du personnel des divers officiers ministériels ; enfin, les commerçants
et manufacturiers de tout le département, avec leurs récompenses
obtenues aux Expositions.
Cet ouvrage prouve beaucoup de travail. A côté de remarques
oiseuses et probablement peu exactes, il y a de nombreux éléments de
statistique, qu'on trouve là réunis ; s'il mérite des critiques, l'auteur
a fait une œuvre sérieuse et importante, qui a sa valeur parmi les
annuaires. Il n'a pas eu d'autres éditions.
L'Almanach de l'imprimeur Laurent revient en 1833 avec une jolie
carte routière et les mêmes dispositions que les précédents. On voit
(p. 52) une liste complète des évéques de Nevers depuis saint Eulade
en l'an 505.
Rien à noter dans les Almanacbs qui suivent, toujours dus à l'im-
primerie Laurent ; ils se reproduisent avec des modifications insigni-
fiantes dans le personnel, les chapitres divers se retrouvant à la même
place. En 1834 (p. 82), notice sur Nevers au xviip siècle sans intérêt
ni valeur.
L'éclairage en ville augmente progressivement chaque année ; en
1835, il se compose de 181 réverbères répartis en 466 becs et pour un
prix de 11,499 fr., inférieur de 450 fr. au prix de 1831 ; mieux pour
moins cher, c'était une amélioration bien comprise.
Le pensionnat de Varzy est érigé en collège communal par ordon-
nance royale du 7 juin 1834.
On s'occupait beaucoup d'assurances. L'Almanach de 1835 donne le
conseil et les opérations d'une nouvelle compagnie royale d'assurances,
installée 3, rue Ménars, à Paris, avec un caractère officiel ; le directeur
était conseiller d'Etat. Elle annonce un chiffre de deux milliards
d'assurances et trois cent mille assurés depuis trois ans d'existence. La
branche vie et rentes viagères est recommandée aux familles de com-
merçants et industriels.
Annonce du pont suspendu sur la Loire, à Fourchambault (p. 189),
pour relier plus directement Bourges à Nevers, les deux villes ne
communiquant encore que par le pont de La Charité. On espère que
le l«r novembre 1835 ce pont pourra être livré à la circulation.
r
1 'jt
i
REVUE DU NIVERNAIS. 95
Cependant Fagriculture, l'industrie métallurgique, le commerce, les
transports prennent un essor considérable ; les choses d*art et d'esprit
vont aussi se répandre dans les classes aisées.
Ces tendances sont visibles dans nos petites publications. Les
Annuaires de Duclos, Fay et Bégat vont paraître simultanément et
rivaliser de zélé pour satisfaire les exigences du public.
(A suivre.) RENÉ DE LESPINASSE.
AUX BOERS
Chaque coup de canon qui se tire là-bas,
Reine Victoria, ne Tentends-tu donc pas ?
Ce ne sont plus des rois qui marchent en bataille.
Mais presque tes enfants ; et lorsque la mitraille
Pèle-môle en sifflant renverse les mourants.
Ne les entends-tu pas, sous tes longs rideaux blancs,
Ces hoquets de la mort ? — cette douleur dernière
Qui, dans le sang, confond et le fils et le père !
Mais, dans ton lourd sommeil, les rêves de la nuit
Ont dû t'en apporter répouvante et le bruit !
Et lorsquà deux genoux, seule dans ta chapelle.
Tu vas prier le Ciel, c'est leur voix qui t'appelle I
Qui répond menaçante à tes sombres désirs I
Pour eux, tout est fini : famille et doux plaisirs I
La mort les a sacrés dignes fils de leur race,
Nous ne saurions les plaindre... ils sont grands quand tout passe.
Quand le flambeau des rois vacille dans leur main.
Nous admirons ce peuple au front couvert d'airain,
Qui marche sous le feu sans calculer le nombre.
Et qui, nouveau Spartiate, aime à combattre à l'ombre.
Pour lui, j'irai tresser de mes doigts les lauriers.
Que pour les grands martyrs on suspend aux piliers.
Et s'il tombe écrasé 1... j'irai suivre la rente
Qu'il a su de son sang teindre 1... puis, goutte à goutte.
Recueilli dans un vase, ainsi qu'un diamant,
Il sera pour nos fils un nouveau talisman I
Eugénie Casanova.
REVUE DU NIVERNAIS. 97
— Mon mari 7... Elle ?... Ah I les ingrats ! les traîtres ! !
— Que vous importe ? interrompt froidement M™« de Trasson.
C'est vous- même qui l'avez voulu. Bientôt, M. d'Estay ne vous sera
plus de rien. Autant vaut qu'il épouse W^^ de Kermor qu'une autre.
— Vous avez raison, fait Aline subitement calmée. Puisqu'ils s'ai-
ment, qu'ils convolent en justes noces.
Mais, en prononçant ces mots, sa poitrine se soulève, sa gorge se
serre, démentant le ton d'indifférence qu'elle s'efforce d'affecter.
La marquise, à qui rien n'a échappé, laisse un sourire, aussitôt
réprimé, effleurer ses lèvres. La conversation continue ; elles abor-
dent divers autres sujets. Mais Aline n'écoute pas ; elle répond à peine
i sa mère, encore ne le fait-elle que par monosyllabes. Visiblement,
elle est préoccupée : son esprit travaille.
Enfin, la marquise de Trasson se retire.
Aussitôt Aline donne libre cours à l'indignation et à la colère qui se
disputent son cœur. Elle ne peut accepter sans révolte cette nouvelle
humiliation, ce dernier et suprême sacrifice. Sous la main qui la frappe,
elle sent toutes les puissances de son amour transformé, croit-elle, en
haine, se soulever en elle pour crier vers le C\e\ et protester contre la
cruauté de ses coups. La tète perdue, l'esprit comme en déroute,
furieuse, insensée, elle profère des paroles indignées. Il lui prend
envie d'appeler la mort à son secours, d'invectiver la Providence,
d'injurier le destin, de lut clamer insolemment ses rancœurs.
Elle ne peut admettre qu'Albert déjà pense à la remplacer.
— Il se remarierait, lui?... Alors il ne l'aimerait plus?... Elle ne
serait plus de rien, absolument de rien pour lui?... Pourtant cela lui
semble impossible , absurde ; il l'a trop sincèrement aimée pour
l'avoir déjà oubliée!... Elle croit toujours qu'il reviendra implorer
humblement son pardon. Elle a tant souffert que peut-être... Qui
sait?... L'homme réellement épris est parfois si éloquent !...
Cependant, si ce mariage d'Albert avec son amie d'Andic de Kermor
n'était pas projeté, sa mère lui en aurait-elle parlé?... Quelle raison
aurait-elle eu à la tromper ainsi?... Donc pas de doute possible !...
Mais elle, que deviendra-l-elle alors?... Elle est trop chrétienne
pour se remarier ; puis Dans ce cas, elle seule souffrira encore,
souffrira toujours !... Eh bien, non! L'on verra. Ce que femme veut.
98 REVUE DU NIVERNAIS.
Dieu ne le veut-il pas, comme dit un vieux proverbe. Elle saura donc
bien faire rompre ce mariage projeté !...
Comme elle le déteste, comme elle l'exècre !... Et il serait heureux,
lui, le véritable, le seul coupable, tandis qu'elle pleurerait, seule,
ignorée, délaissée?... Non ! Mille fois non !...
Elle sort à l'instant même ; elle part pour Paris. Elle se rend à
l'hôtel de M. d'Estay, leur ancienne résidence à tous les deux.
Mais celui-ci est absent. Comme il ne saurait tarder beaucoup de
rentrer, assure-t-on, elle passe au salon pour l'attendre, ce salon où
naguère ils s'étaient si follement aimés. Tout est à la même place que
lors de son départ. Mais quel air triste ! lugubi'e !... Aussi triste, aussi
lugubre que les quelques semaines qu'elle vient de vivre seule !...
Et alors en une seconde qui lui paraît être un siècle, toute son
existence repasse devant ses yeux : son amour, son mariage, ses joies,
puis ses désillusions avec leur sombre cortège d'amertume et de déses-
poir.
Son mariage ! II y a quelques mois, pas même un semestre ! que ce
grand événement a bouleversé sa vie, transformé jusqu'au plus intime
de son être. Comme le temps a eu vite fait d'accomplir son œuvre
destructrice!... Mais combien, si prompt à changer l'amour en haine,
il a déjà englouti de jours sans changer chez elle la haine en indiffé-
rence pour envelopper d'oubli le passé ! Au contraire !!...
Ah! elle était loin de penser, il y a quelques mois! lorsque la des-
tinée la conduisait en cette demeure sous de si heureux auspices,
qu'elle la forcerait d'en sortir à la faveur d'une crise de désespoir et
pour une fin bien différente de celle qu'elle avait rêvée... Et dans sa
poignante infortune, personne n'a eu pitié d'elle ! pas une main
secourable ne s'est tendue vers sa détresse I... Les douleurs muettes
ont peu de succès en ce siècle de réclame !...
Deux larmes, grosses et brillantes, perlent lentement à ses cils où
elles tremblent un moment : l'on dirait deux gouttes de rosée pen-
dant le matin après les roses...
*
t Merci, chère Armcllc ! Mille fois merci de ta pieuse duperie et de
ta malicieuse lettre de condoléances. Dieu! que nous avons ri ! Nous,
qui? Albert et moi, naturellement. Que n'étais-tu là? Maman et lui,
RETUE DU NIVERNAIS. 99
le pauvre chéri, se sont ensuite bien moqués de moi et je n'ai pas été
vexée. Quel prodige, n'est-ce pas?. .
» Avec ton cœur d'or et ta fine perspicacité, tu avais bien prévu
qu'il n'existait entre nous qu'un malentendu regrettable. Nous étions,
l'un et l'autre, paralysés, redoutant également, tous deux, un accueil
glacial ou railleur. De plus, la jalousie me mordait ; je m'imaginais
que seule je souffrais, que mon mari n'avait point de regret, qu'il ne
demandait pas mieux que d'avoir recouvré sa liberté et son égoïsme...
Je m'efforçais, en un mot, de trouver des excuses à ma conduite, de
me prouver que j'avais joué le rôle de victime, afin de n'avoir pas à
assumer la responsabilité des avances, et surtout par orgueil : il m'en
aurait tant coûté de reconnaître mes torts et de m'humilier !...
» Enfin l'explication est venue! Comment?... Je n'ai pas à te le
conter puisque tu as aidé à la faire naître, en prêtant ton nom à
quelque prétendue combinaison machiavélique, de connivence avec
mes plus cruels ennemis : mon mari, ma mère. De toi, qui l'eût dit?...
qui l'eût cru?...
» Il ne me reste plus qu'à te narrer la scène de réconciliation et te
dépeindre, c'est-à-dire essayer de te dépeindre les multiples senti-
ments par lesquels j'ai passé.
» Je menais une existence de veuve dans mon chalet. Les heures
me portaient dans une langueur, un ennui morbide. Je me sentais
pleurer, sans cause, à tout instant, surtout quand venait la nuit qui
tombait sur moi comme l'ombre religieuse de l'église où je ne pouvais
plus aller, étant en instance de divorce. Et cependant, comme une
bonne prière au pied de Tautel m'aurait fait du bien !.. Je souffrais,
j'étais malheureuse, et ne voulais pas l'avouer, même à moi.
» De son côté, mon mari, parait-il, menait une vie semblable, sans
goût et sans espoir. Il s'exagérait l'injure qu'il avait commise, irrépa-
rable. Il était prêt à m'accueillir, mais savait bien que jamais je ne
reviendrais. Et le remords d'avoir été brutal, insolent envers sa jeune
femme, de ne l'avoir pas ramenée chez lui tout de suite, lui ôtait toute
force. Il avait grandement pitié. Moins orgueilleux que moi, souvent
des audaces le prenaient : il se jurait d'aller à moi, de me parler, de
me reconduire en notre demeure. Mais quand il était pour mettre ses
projets à exécution, il défaillait, confus.
» Les choses en étaient là, quand vous avez inventé ce prétendu
100 REVUE DU NIVERNAIS.
mariage. A cette nouvelle, mon sang bouillonna dans mes veines ; la
jalousie me mordit plus fort, si bien que je me rendis aussitôt chez
Albert afin d'empêcher à tout prix ce mariage, de lui jeter au visage
tout mon mépris. Mais, dès mon arrivée, mon audace tomba. Ce n'est
qu'en tremblant, pour ainsi dire, que je franchis le seuil du salon, de
mon ancien salon. Les souvenirs se précipitèrent en foule à ma
mémoire, gais ou tristes. Je pensai, je rêvai ainsi quelque temps.
» Soudain, je portai les yeux sur la cheminée : là souriait un bou-
quet splendide, où se mariaient à l'envi la véronique et le chèvrefeuille.
» Derrière ce bouquet était une photographie, celle d'une jeune
femme.
A cette vue, mon cœur eut froid.
» C'est sans doute, me dis-je, la photographie de celle qui doit me
remplacer. Et je m'approchai.
» Mais non ! C'était ma propre photographie. Mais alors pourquoi ce
bouquet, symbole de fidélité et de constance? Pourquoi?...
» — Oh I mon Dieu ! mon Dieu ! murmurai-je tout fort, paraît-il.
C'est aujourd'hui ma fête... Il m'aimerait donc encore?...
» — Oui, susurra derrière moi une voix douce, caressante, qui me
fit frémir comme les feuillées de printemps à l'aurore. Et comme je ne
puis vivre plus longtemps sans vous, de concert avec votre mère de
chez qui je viens, je vous ai tendu ce piège... piège dans lequel vous
avez donné. Ohl écoutez-moi, je vous en prie. J'ai tant souffert!...
Pardonnez-moi ; soyez bonne, je vous en conjure !...
» Chacun de ces mots me faisait frissonner ainsi que l'eau des
petites rivières sournoises de ton beau pays breton quand j'égrenais
les fleurs sauvages de vos champs dans leur limpide cristal ; tu te sou-
viens?... Je frissonnais, j'avais peur, déconcertée et à la fois séduite
par sa voix, la voix suppliante de l'époux que je reconnaissais parfai-
tement. Il était derrière moi. Il voulait sourire et n'en avait pas la
force, tant il était ému.
» — Oh ! n'est-ce pas ? vous me pardonnez ! Vous m'aimez bien
encore!... Moi, je vous aime tant!... soupira-t-il d'un ton suppliant,
tombant à genoux et ouvrant largement ses bras.
» A ces mots prononcés avec âme, je sentis éclore en moi les senti-
ments que mon orgueil voulait croire haineux, tandis qu'ils n'étaient
qu'amour. Le regard d'Albert prenait mes yeux : chaud rayon de soleil
REVUE DU NIVERNAIS. i(M
qui m'inondait de douceur et de lumière. Je me concentrai dans la
vision du foyer renouvelé, adorable après le désastre d'une rupture
qui me semblait avoir duré une éternité. Mais un chaos enflévrait ma
tête, l'emplissait d'un tumultueux remous en qui se noyait ma pensée.
— Enfin ma poitrine se souleva, mon cœur monta dans un appel
éperdu vers mes lèvres qui, palpitantes, s'entr'ouvrirent :
1 — Albert I. . Albert !I...
» Je tombai dans ses bras, me blottis contre sa poitrine, et amou-
reusement ses lèvres se posèrent sur les miennes!...
» Tout est bien qui finit bien I n'est-ce pas?
» Seulement il manque quelque chose à notre bonheur. Nous
sommes tes débiteurs : nous te devons^ en somme, notre bonheur
actuel. Fixe toi-même tes honoraires, en attendant que je déniche
pour toi quelque mari idéal. Je crois que j'ai ton affaire I... Hais
chutl...
» Adieu. Car j'ai la langue si longue que, malgré moi, je te dirais
tout!... etc.. ».
Ja.
POETES CASTILLANS (Suite}
[Supplément.)
Juan Arolas.
LA FEMME
En ces jardins, heureux perpétuellement.
Où toujours le printemps dure et fleurit la terre,
Donnant une compagne à l'homme solitaire,
Dieu voulut la pétrir de grâce et d'agrément.
L'ange, il l'avait formé de lumière et de gloire;
La femme, il la forma de parfums et de fleurs.
Qui des deux l'emportait? L'ance par ses splendeurs?.
Entre les deux restait douteuse la victoire,
Car la vierge choisie, elle, avait en retour
Un amour débordant : la Puissance infinie
Dans son beau sein formé de jasmin mit la vie,
Dieu lui donna la vie en un souffle d'amour.
Etant fleur, du vent âpre elle craignait l'outrage.
Cruel à sa fraîcheur, fatal à son éclat :
Quoique aux anges du ciel sa beauté l'égalât.
Son Créateur la crut trop faible sous l'orage.
102 RBTUB DU NIVERNAIS.
« Donnons donc, se dit-il, à ses yeux enchanteurs,
Donnons-leur le pouvoir d'irrésistibles charmes :
Ouvrez-vous, ô beaux yeux, ô beaux yeux séducteurs.
Ouvrez-vous et soyez vainqueurs, brillez sans larmes.
Voulez-vous voir pourtant le bronze s'attendrir,
Pleurez, si ce n'est point assez de vous ouvrir 1 i
José Amador de los Rios.
(4ai8-4877).
A UNE ÉTOILE
Mystérieuse et pure étoile, d'où ruisselle
Une splendeur sublime illuminant mon cœur,
Qui me promets le bien d'un éternel bonheur
Dans le rayonnement de ta clarté si belle,
Toi qui sais mon souci, mon angoisse cruelle,
Pourquoi restes-tu sourde au cri de ma douleur,
Et pourquoi t'assombrir et voiler ta lueur,
Alors que mon désir brûlant se flxe en elle ?
Etoile, ô mon espoir, par ton céleste afflux
Rends à mon sein troublé le calme qu'il n'a plus
Et brise le lien dont le destin m'enchatne.
De la palme d'amour ceins ma tête, et qu'enfln
Puisse dans ta lumière, à Teffluve divin.
S'éteindre l'âpre soif de ma pauvre âme en peine I
Q. Oaroia Tassara.
APRÈS UNE LONGUE ABSENCE
Fuenfria, Guadarrama, monts à cime fière,
Immuables piliers des pays castillans.
Qui, debout côte à côte érigeant vos fronts blancs.
Sous la neige gardez une attitude altière,
Champs nus comme mon âme, où la fleur printanière
Ni l'arbre vert n'ont mis leurs décors attrayants,
Rudes quand naît l'aurore en caressant vos flancs,
Rudes quand du jour bref expire la lumière.
Après ma longue absence enfin je vous revois 1
Je vous revois portant au cœur comme autrefois
L'amour de la patrie, ardent et jeune encore.
Si l'Hiver est venu pour moi, pour vos sommets.
Vous, du Printemps bientôt vous saluerez l'aurore ;
Mais mon hiver, hélas ! ne finira jamais I
Traduction de AcHlLLE HiLUEN.
LIVRES ET PERIODIQUES
Le dernier viot d'Auguste Mahauty agent denavigcUionàMarseilles-les-Aubigwi,
au Congrès nationcU des Travaux publics français, sur ïa Loire navigable et le
canal latéral à la Loire, etc., in-8*, 87 p., 1 fr. (Paris, rue Soufflet, 22, et Nevers,
nie Vauban, 5).
M. Auguste Mahaut, qui, depuis 25 ans, s'occupe de la pande question des trans-
ports, s'est attaché, dans une suite de brochures fort intéressantes, à démontrer
rinanitc de la Loire navigable et Turgente nécessité des canaux. Les études qu'il a
publiées, très documenté^ révèlent une longue expérience et une profonde connais-
sance du sujet. Certes, elles ne manqueraient pas d'autorité dans un comité
chargé d'élucider la question. En dehors du côté purement technique, il y a. dans
ces brochures, d'attachants aperçus sur l'ancienne navigation de la Loire. Dans Vidée
de la Loire navigable cotnbattue, nous trouvons le |K>rtrait intéressant de François
Belloche. un type de vieux marinier qui, ne sachant ni lire ni écrire, tenait fort bien
ses comptes à l'aide de graphiques, dont M. Mahaut nous donne deux curieuses pages.
Le 0 novembre dernier, les Nivernais de V Aiguillon avaient organisé une soirée
dans le but de fêter plusieurs de nos compatriotes, honorés, cette année, de distinctions
ou de récompenses : le sculpteur Boisseau, l'architecte Giraud, Bardin, le ciseleur
des portes du Petit Palais ; Renault, le très distingué médecin des hôpitaux; Ducrot
et Mauroy, fondateurs de la Société de secours mutuels. 11 faudrait pouvoir repro-
duire les belles et cordiales allocutions de Mathurin Moreau, qui, bourguignon,
présidait par exception cette soirée ; de Boisseau, de Dalligny, etc. Nous donnerons
un oïlrait du fin et cordial discours de Dalligny, lequel relate un touchant souvenir en
exhamant quelques rimes d'antan de notre directeur :
• Finalement, au mois de septembre de la môme année, la statue de Dupin par
Boisseau se dressait sur son piédestal, au chevet de l'église de Varzy.
» Le soir, il y eut banquet. Sur le revers du menu, un poète nivernais, qui lui aussi
en était à ses débuts, improvisa en l'honneur de Tartiste quelques stances encoura-
geantes où il lui prédisait un brillant avenir :
» 1869. Inauguration de la statue Dupin.
. LE TOAST D'UN INCONNU
» A Monsieur Emile Boisseau,
• Heureuses les cités quand la muse les aime !
Heureuse es-tu, Varzy, toi qui portes au front
La gloire de tes flls, éclatant diadème
Que les villes, tes sœurs, à jamais t'envieront.
Aujourd'hui la muse clémente,
A ta couronne qu'elle augmente
A promis un fleuron de plus.
C'est vous, sculpteur, talent robuste,
Qu'elle a marqué du signe auguste
Qu'elle réserve à ses élus I
■ Là-haut, regarde, ami, regarde, vous dit-elle,
Vois-tu ce rameau d'or ? Fait-il battre ton cœur ?
Allons, pour conquérir cette palme immortelle.
Lutte, lutte, expirant s'il le faut, mais vainqueur.
Montez donc aux cimes sacrées
Du soleil de l'art éclairées ;
Le faible n'y peut parvenir.
Le chemin est ardu : qu'importe I
Vous avez nos vœux pour escorte^
Pour récompense l'avenir I
104 REVUE DU NIVERNAIS
» Ce poète, c'était Achille Millien. Je le nomme avec plaUir, car par ses écrits, ce
doux chantre des harmonies champêtres, qni emploie ses loisirs à looilier toutes les
vieilles mémoires morvandelles pour en extraire et rendre au jour les us, coutumei
et chansons du Morvan de jadis, est un des îiommes dont peut se gloriBer notre
département auquel, comme beaucoup d'entre nous, Millien est profondément
attaché ».
NOTES ET ÉCHOS
, * Nos compatriotes : sont nommés dans la Lésion d'honneur , officier,
M. Edouard Bomet (de Tlnslitut) ; chevaliers, MM. Louis Bardin, Pierre Aubruu,
Paul-Constant Véroudart, élève interprète à la légation de France à Pékin.
« * . Le comité qui se forma, dans le XIV* aiTondisseinent de Paris, grâce à
rinitiative du député Girou, pour offrir au président Krùger un souvenir de son
séjour en France, après avoir recueilli des souscriptions dans les quartiers Montpar-
nasse et Plaisance, a pensé qu'il devait charger un altiste, pris parmi ses membres,
de concevoir et exécuter un objet d'art commémorant les superbes manifestations de
sympathie que la nation française prodigua envers le représentant des Boërs. au
moment où ces hommes courageux, aprâ une année de résistance, étaient décimés
par l'armée anglaise.
Il a désigné notre compatriote, le consciencieux ouvrier sculpteur Jean Baffier.
Celui-ci lui ayant soumis la maquette d'un bijou représentant : un glaive gaulois
(dont la lame serait en platine et la poignée en or jaune) auquel est attachée une
branchette de gui (dont la Use et les feuilles seraient en or vert et les fruits figurés
par trois perles blanches), il a juffé que l'interprétation était exacte des sentiments
chevaleresques et des instincts Généreux auxquels avaient obéi avec enthousiasme
les descendants des Celtes et des Francs dans la circonstance ; il a considéré oue
l'objet dégageait une haute signification morale à cette heure et qu'il était bien réalisé
dans l'esprit des traditions fondamentales de la race française. Et il a décidé que
cette pièce unioue, ajustée et ciselée par des ouvriers de l'arrondissement auxquels
il remettrait des métaux précieux achetés chez des bijoutiers français résidant à
Paris, serait envoyée au président Krilger aussitôt finie.
, * , Charmante matinée littéraire, dimanche 9 décembre, à l'école normale d'insti-
tutrices de Bourses, en Thonneur du personnel enseignant et des anciennes élèves.
On y a applaudi notamment le monologue de notre collaborateur Lucien Jeny,
• Me9 trois Bonnets, ■ dit par M"« G..., travestie en jeune servante berrichonne.
, \ Notre confrère G. de Colvé des Jardins vient d'être chareé de créer une édition
firançaise du Correo de Paris, journal espagnol dirigé par M. J. Â. Ferrer. Parmi
les collaborateurs, Achille Millien. Edmond Haraucourt, Léon Dierx. Hector France,
Gaston Derys, Jules Mazé. Henri Houssaye (de l'Académie française), Marcel Prévost,
Octave Miroeau, Ogier aivry, Gabriel Pierné, Jean Hameau, L. de Francmesnil,
Pierre de Nolhac, Charles Grandmougin.
, * , 16 décembre. — Concert annuel du Cercle symphonique, au théâtre de Nevers,
avec le concours de MM. Georges Marquet, professeur de chant ; Sadi-Pety (de
rOdéon, M«« Sadi-Pety (de l'Odéon) ; M»»» Hélène Méry (du Théâtre lyrique) et
Marguerite Achard, harpiste, 1"' prix du Conservatoire' de Paris. Remarquable
exécution de la Marche héroïque, de M. A. Bardot, directeur du Cercle, et de divers
morceaux dans lesquels se sont distingués MM. Tornès, violoncelle ; Chenal, violon, etc.
Très brillant succ^ pour les excellents artistes, M. Georges Marquet, M»« Achard et
M"« Hélène Mérj- qui. dit le Progrès de la Nièvre, • s'est beaucoup fait applaudir
dans l'émouvante et charmante expression de ses vocalises. > — < Elle a (nous citons
le Journal de la Nièvre) de sa voix de soprano, d*une remarquable souplesse et d'une
justesse parfaite, fait entendre le bel air du Livre dans Hamlet et a dit ensuite deux
choses cnarmantes : Les Bons Bois Mages, une fine poésie de M. Achille Millien,
traduite en belle langue musicale par M. Pénavaire, et une canlilène délicieuse... •
Belle et bonne soirée qui fait grand honneur au Orcle s> mphonique.
.*, Nous envoyons nos plus vives condoléances et nos meilleures sympathies à
deux de nos excellents collaborateurs frappés dans leurs plus chères affections,
MM. Auguste Boyer et Fernand Richard, qui viennent de perdre l'un son éjpouse,
l'autre sa mère. L. D.
Le Directeur-Gérant, ACHILLE HiLLIEN.
/H¥T§, tmp. 0. Vê/iiért»
LA BASSOTTE
A nuit s'avançait; aa mois de no-
vembre, elle arrive vile el, ce soir-là, la
Bassolle, inquiète, regardait souvent à
la porte.
La campagne était silencieuse, le
temps bas; ime voiture seulement, que
Ton entendait rouler sm* les cailloux de
la route nouvellement chargée, troublait
le silence par inslanls réguliers, mais
c'était loin, de plus en plus loin... Le bruit cessa; la nuit se faisait
plus complète, plus noire, plus humide et plus trisle.
Une dernière fois, la Bassotte écouta longuement, sortit im instant
el prêta l'oreille encore près de la barrière de la cour..., mais non,
rien...
Baisot élaîl pu retard ; depuis la veille au soir, il avait quille la
maison pour s*ei aller chnsseï' dans les bois d'Avril ; sa femme, une
genlilio paysanne aux blonds cheveux, aux grands yeux étonnés et
tlûu\, n'aimait pas à passer :iiru1o deux nuits de suite, ercela, du reste,
ne lui était pas arrivé depuis son mariage.
Pierre Bassol s'était amouraché d'elle pour ses beaux yeux et elle
s'était toquée de lui parce qu'il était grand, fort, plus grand et plus
fort que tons les autres grin;ons du pays. Peut élre aussi à cause de
sa mauvaise réputation de cnureur de bois et de coureur de fdles à
laquelle il ajoulait celle de ÏJtiveur intrépide.
Certes, les personnes i\in a'inléressaient à elle ne lui cachèrent pas
qu'elle jouait gros jeu avec un honune cnnnne celui-là. Mais elle
5
106 HEVUE DU NIVERNAIS
n'écouta rien, que n son idée », comme toutes les amoureuses ; elle
éprouvait une fierté à la pensée d'être la femme du grand Bassot qui
avait fait tourner la tète de tant d'autres filles séduites, mais aban-
données.
Pourtant ce Bassot n'élait pas un méchant homme, bien que l'âme
du paysan braconnier soit aussi insondable que celle d'un prêtre
musulman.
Habitué à la vie solitaire, au silence des grands bois, au calme des
nuits passées à l'affût, à jeun c'était un taciturne ; après boire, s'il
chantait beaucoup et mieux que tous les autres, il réservait ses paroles,
éloquentes à l'occasion, pour les filles à enjôler. Si une dispute éclatait
à l'auberge, son poing en disait plus long que ses discours, de sorte
que les hommes le craignaient et l'admiraient autant que les filles
l'avaient aimé.
Il avait une maisonnette, un pauvre champ, un jardin maigre, oà
le ménage vivait heureux en dépit des mauvais présages et des sages
conseils.
Il n'allait presque plus au cabaret, et partageait son existence
entre sa femme et la chasse, ses deux seules passions maintenant,
donnant une nuit à Tune, une nuit à l'autre.
Lasse d'attendre et d'écouter, la Bassotte ferma la porte et elle se
disposait, toute triste, à se mettre au lit lorsque la barrière grinça ;
elle reconnut le pas familier de Pierre, courut ouvrir, et lui sauta
au cou .
Toute heureuse, elle lui parlait de son inquiétude, l'interrogeait
en le couvrant de gros baisers, mais lui, sans répondre, contre son
habitude, la repoussa un peu :
— Laisse-moi, c'est bien.
Il demanda :
— Personne n'est venu ?
— Non, qui veux-tu qui soit venu ?
Evasivement, il répondit :
— Oh ! je ne sais pas, je te le demandais, voilà tout.
Une plainte s'éleva du dehors, Pierre eut un soubresaut :
— Qu'est-ce que cela? fit-il.
Elle répondit en riant :
— Mais c'est Truc, le chien, tu as oublié de le faire entrer et comme
il a faim, il réclame sa soupe.
llEiVUE DU ^riviitiNAis. 107
— C'esl vrai î
Il entreMillQ la porto qu'î[ rcferriL» aussitôt ot Truc se précipita sur
récueile bien ^rnie qui Tattendaît dans im coin.
La Bassûtte trouvait son mari étrange, jamais encore elle ne l'avait
vu ainsi ; il ne rapportait pas de gibier. Elle lui en fit la remarque,
iLiaîs \\ répondit d'un tonlirer :
— Laisse-moi, je suis fatigué.
La nuit^ il ne dormit pas, il se tournait et se retournait dans son lit,
et la Bassotte pleura des larmes lentes, dont jl m s'aperçut point.
Le lendemain, il se plaignit d'un train de fièvre et il n'alla pas à la
ehasse.
Il avait mauvais teint; elle lui conseilla « d^iiller nu médecin i»,
CQtume on dit d»ns les campagnes, il refusa.
Les nuits suivantes. Truc, qui s'ennuyait de ne pas chasser, pous-
sait des hurlements qui exaspéraient Bassot ; il le baltît, rattacha, l'e»-
ferma, mai& le chien hurlait, hurlait comme une bétc maudite. Enfin,
une nuit, furieux, il sauta à bas du lit, sans rien dire à sa femme,
s'habilla en hâte, prit son fusils sortit, siffla le chien
tin moment après la Bassotte entendit une détonation et, plus tard,
Pierre rentra* II mil son fusil derrière Tarmoire au lieu de raccrocher
au dessus de la cheminée, et Truc ne hurla plus, son maître Tavaît
tué.
Il ne chassait plus, ne sortait pas ; sans appétit, anxieux, agité,
taciturne, il semblait être absorbé dans une Idée fixe.
Pas brave, la Bassotte eut peur ; elle ne pou tait comprendre le
changement qui s'était opéré en Pierre, qu'elle n'osait plus que;^-
tioimer tant sa curiosité paraissait l'irriter*
Une autre nuit, il se réveilla brusquement et demanda à sa femme
s'il n^avail pas parlé en rêvant.
^ Oui, je croîs^ dit-elle.
— Dis-le moi, tous les mots?*,.
n insistait et lui serrait le bras à lui faire mal :
— Dis-le moi, je veux que lu me le dises?
— Je le jure que je n*ai i>as conjpris, je te jure. „
-Vrai?
-Vrai!
Alors, très bas, la serrant toujours avec force :
108 REVUE DU NIVERNAIS.
— Si jamais je dis quelque chose la nuit et que tu le répètes, je te
tue, entends bien : je te tue...
Et il pleura.
Elle ne pleura pas, mais sa frayeur s'accrut ; elle le craignait main-
tenant, ce grand garçon sauvage qui lui parlait de la tuer après Tavoir
tant aimée!...
Elle pensait à fuir la maison, mais où aller?...
Parfois, seuls, quand elle le voyait songeur, absorbé, la tète dans
les mains ou, là-bas, le regard fixe, inquiet, elle le regardait à la
dérobée, cherchant à deviner dans ses traits la cause de cette inquié-
tude, et lui, s'il surprenait son regard, lui demandait, brutal, ce qu'elle
avait à Tobscrver ainsi.
Celte vie devenait un supplice, elle le crut fou, et sa terreur aug-
mentait chaque jour ; seule, perdue dans la campagne, loin de tout
secours, sa voix, ses cris n'auraient pu traverser les bois et les champs
de bruyère, si le fou devenait méchant...
Pauvre Bassotle !...
Depuis ses craintes et ses ennuis, elle sortait moins encore que de
coutume; cependant elle fut obligée de se rendre un jour au village
pour des acquisitions urgentes ; ses commissions terminées, elle acheta
un journal et, au retour, chemin faisant, elle lut les « faits divers » ;
une note la lit tressaillir :
(( On nous écrit de... que l'instruction au sujet de l'assassinat du
garde X. ., commis le 2 novembre dernier dans les bois d'Avril, n'a
fait aucun progrès. Il est à craindre que ce crime reste impuni, comme
tant d'autres, malheureusement ».
Ses yeux se voilèrent et elle s'affala sur le talus de la route ; long-
temps elle resta inerte.
Quand elle reprit ses sens, sa première pensée fut de fuir, de s'éloi-
gner de cette maison, car, pour elle, pas de doute possible, c'était lui,
Bassot, lui, son mari, l'assassin du garde, la date du crime correspon-
dant avec le dernier j.our de chasse de Pierre.
Puis, soudain, quelque chose la poussa à rentrer chez elle ; bien que
très alarmée, une sorte de folie, de force qui dominait sa frayeur, lui
faisait arpenter la roule à grands pas; elle avait la fièvre, elle mar-
chait, marchait toujours, le regard fixé vers la maison.
C'était une belle journée des derniers beaux jours de Pété de la
REVUE BV HrVEnNAIS. KH)
Saint Miiiiin qui se prolongea il, el dans le crel rnonbueiiL *Ies Inns
très doux, cniiinie si les fleurs de Ions les {^lirysaiillièmes do la saison
et les feuilles de J'auloiimc s'y fussent reflétés,
lue cloche tinta lentemerit, comme pour une prière ; la Bassotlc
renlendil, elle s'arrêta un iu?:tarit pour écouler celle eloclie, elle
regarda autour d'elle el ses|;rands yeux s'etuplircnt de larmes... Puis
elle reprit sa marctic.
Elle trouva Bussol agile ; il la f];uellait, la porte enlr* ouverte, elfjuand
elle fut entrée il alla brusquement vers elle, lui prit les deux mains :
— ît faut que je le parli^ dit-il, je n'eu peux plus, après je soulTrirai
moins.
Il la Jïl asseoir près de lui el, au milieu de soupirs bruyants, il lut
raœnla coiinuent cela sï-tail passé.
... Certes, il n'aurait pas tiré si le garde ne Tavail menacé;
essoufOé de courir» serré de prés, n'en [pouvant pins, celle menace
Tavail exaspéré.,, le coup partit ,- Affolé, il avait fui, mais craignant
qu'il put le désîjjîner s'il vivait, il se ravisa, revinl, et il Tassomma
àcoups de crosse,..
I.â^ les sanglots éloulTaient le braconnier... longtemps il ne puf
parlfr. . Eïifin :
— Il nfa regardé doucement avant que je frappe, nu^ine pendant
que je frappais et ce sont ses yeux que je vois toujours h'i, laL ,
El Plçrre marcha dans la pièce à grands pas, gesliculanL comme
pour chasser ce tableau loin de lui.
Puis, exalté, il s'approcba de sa femme, clouée sur sa chaise, livide*
A son oreille il cbuclioln :
— io n'ai pas peur pourlaut..., une autre fois, un autre est tombé
là-bas, le corps en avant, raide.».
In grand silence se (il ,.
... Lui, Tair beslîal, la poitrine soulevée. In fixait; elle regardait
|«irla fenêtre, paraissant rélléchir et, connue venajit de prendre une
résolution, tout à coup, d'un ton dégagé ;
^ On ne Ta pas vu? dit-elle*
— Personne î...
— Eh bien! c'est fini, gros bélc, calme-lgi donc, et elle lui tapa sur
te bras en riant d'un rire forcé..
no REVUE DU NIVERNAIS.
— Gros bête, répétait-elle.
Alors il la prit à pleins bras, et longuement, dans des sanglots, il
redisait :
— Merci, merci!...
Enfin elle se dégagea doucement :
— ■ Tu oublies qu'il est tard, et il faudra manger ce soir, puisque tu
m'as tout dit et que tu n'as rien à craindre.
Après une longue crise de larmes, le malheureux, brisé, les nerfs
détendus, s'était endormi profondément.
Alors la Bassotte le regarda bien, et elle sortit doucement, avec
mille précautions ; arrivée sur le chemin, elle se mit à courir à la
maison la plus voisine où elle raconta, haletante, l'histoire du crime
en suppliant d'aller prévenir la gendarmerie.
Lorsqu'elle revint chez elle Bassot dormait toujours; immobile elle
regarda son mari longtemps, sans faire un mouvement, retenant sa
respiration jusqu'à ce qu'elle entendit des pas de chevaux, alors elle
sortit, s'approcha des gendarmes et, montrant la maison du doigt :
— Il est là, fit-elle, d'une voix lente...
Jâlàdon de la Barre.
A MARIE H...
Autrefois, ce grand cœur qui vous disait « ma fille »,
Et dont le souvenir vous est resté si cher,
Prétendait, en riant, qu'il est toujours amer
De sentir une épine à la rose qui brille.
Le chemin de la vie en épines fourmille ;
On veut saisir la fleur, on se meurtrit la chair,
Et parfois une pointe, entrant comme le fer.
Déchire cœur, amour, doux liens de famille !
A ces roses du mal, ne nous attachons pas.
Le bon Dieu, notre Père, a semé sous nos pas
D'autres suaves fleurs. Dans notre clairvoyance.
Aimons le parfum par de la sainte pitié ;
Recherchons avec soin ce que sans défaillance
Vous m'avez prodigué : la plus douce amitié.
Alberte.
REVUE DU NIVERNAIS. 111
A SA MAJESTÉ LA REINE WILHELMINE <*>
Reine, petite reine, ô grand cœur, noble femme,
Dont le nom dit justice et magnanimité.
Laissez venir à vous le salut de mon âme,
Le salut d'un poète à votre Majesté.
Les peuples, sous un vent de pitié vengeresse,
Sentaient leurs bras se tordre et leurs fronts s'assombrir,
Voyant passer dans l'abandon, dans la détresse,
Le vieux lutteur du Droit qui ne veut pas mourir.
Il passait, messager de sa race, victime
D'un sinistre attentat, dénonçait t'assassin...
Et les foules, devant ce haut témoin du crime,
Exhalaient la clameur qui grondait en leur sein.
Les puissants chefs d'empire à ces voix généreuses
Semblaient sourds ; tous, muets, se tenaient à l'écart
Et leurs âmes restaient honteusement peureuses
De voir en trouble-féle arriver ce vieillard.
Ah ! tel qui sur la lèvre a des mots d'héroïsme,
Joue au pur chevalier, se pose en paladin.
Mû par l'intérêt seul et pétri d'égoïsme,
Pour l'honneur sans profit n'éprouve que dédain !
Tous, du monde anxieux, trompaient ainsi l'attente.
Alors, vers le vieillard dont sanglotait la foi,
Une main se tendit, frôle et réconfortante.
Petite main de femme, auguste main de roi !
Et l'Europe charmée eut un sourire. 0 Reine,
Votre mam se tendit, geste superbe et doux !
Vous fûtes en ce jour vraiment la souveraine
De cent millions de cœurs émus et fiers de vous.
Inerte et vain, gisait dans l'ornière profonde
Le sceptre de justice aux pieds des chefs d'Etats :
Vous 1 avez ressaisi, vous le montrez au monde.
Par lui vous dominez entre les potentats!
Reine, soyez bénie, enfant des fortes races,
Ferventes pour le Droit et pour la Liberté !
Que Dieu sur votre front fasse pleuvoir ses grâces :
Vous fûtes la grandeur, l'espoir et la bonté.
Un trône, édifié sur de telles assises.
Inébranlable plus que la plus ferme tour.
Sans trop les redouter, peut subir bien des crises ;
Il a deux soutiens sûrs : le respect et l'amour !
Achille Millien.
(I) Bon nombre de poètes français onl exprimé les sentiments qu*a éveiUés dans
^r âme Taccueil fait par la reine de Hollande au président Kriiger. Ces hommages
ynt aujourd'hui recueillis ponr ôtro oiFerts en album à la reine Wilhelmine. Nous
«onnons à nos le<:teurs les vei-sde notre directeur.
il2 REVUE DU NIVERNAIS.
ETUDE SUR LES NOMS DE LIEUX
DU NIVERNAIS (0
CHAPITRE IV
Comment nous sont parvenus les noms de lieux.
Les noms de lieux ont donc élé imposés, dans chaque région, par les
différents peuples qui s'y sont établis successivement dans le cours des
siècles.
Or, ces dénominations territoriales, qu'elles remontent en France
aux Francs, aux Burgondes, aux colonies barbares, aux Gallo-Romains,
aux Celtes, aux Ibères ou aux Ligures, nous sont toutes venues par
l'intermédiaire de la langue latine.
Nous avons vu ailleurs, en effet (2), comment l'idiome celtique dis-
parut en Gaule et en particulier dans notre Nivernais devant le latin,
la langue du peuple vainqueur.
Quoique nous parlions encore latin, il va sans dire que noire langue
actuelle est fort éloignée de celle qu'employaient les fiallo-Romains,
lors de Tinvasion des Germains, au cinquième siècle de notre ère.
Tout change, en effet, et se modifie insensiblement dans une langue:
les sons, les formes, les mois, la syntaxe.
Ainsi, un habitant de Chitry, pom* dire, il y a quinze siècles : « Je
vais à la ville de Donzy », se serait exprimé à peu près de celte façon :
(( Ego vadoad illarn villain Doniiliacum. » Et cette phrase est devenue
acluellemenl, dans la bouche de ces mêmes habitants de Chitry:
<t / vi^ e If vil (de) Donzfj. »
Tous les mots sont restés, m us quelle transformation ils ont subie
en IVspare (!(» quinze ciMïts ans pour arriver jusqu'à nous. Plus de la
moitié (l<\s sons a péri en chemin, et, parmi ceux qui subsistent, presque
tous ont changé de li!nl)re. Fn effet, sur trente lettres qui composent
la phrase du cinquième siècle, citée plus haut, il n'en reste que
(1) Voir U's lieux arlides .léjà parus «laiis la Roriie du Xivernais, mai el juin I81MI.
(-2) Bortif (ht Nii'e,nai>i, ir II, juillol 1807 : Origine et Ifistoire den Parlen du
Xirnntati ; t?l, Les Ihirlars du Sicernala. I)isroui>» prononce à ta (listribiiliou solen-
nelle des prix de rinslitution Sainl-Cyr, le 26 juillet 1899.
HEVUE DU NIVERNAIS. H3
douze aujourd'hui. Cette phrase, écrite phonétiquement dans le langage
actuel des habitants de Chitry, renferme les seuls sons suivants :
€ I vé lé vil (dé) Dôzy, »
On voit, par cet exemple, quelles profondes modifications ont subies
les consonnes et les voyelles. Les consonnes initiales sont restées :
yado^ se; yillam^ y il; Jhmitiacum, Do7izy; les consonnes médiales
sont tombées : ego, i; vado, vé; les consonnes donbles se sont réduites :
tllom, la, 1^'; villam, ville, vile, vil. Si nous examinons les voyelles, il
faut avouer qu'elles ont été encore plus profondément transformées.
Une seule est restée depuis le cinquième siècle : Vi de villam, rii, et
elle n'a certainement pas aujourd'hui un timbre ideitique à celui
qu'elle avait, au moment des invasions, dans la bouche des habitants de
la Gaule. Toutes les autres ont été changées par des évolutions lentes
et inconscientes que l'on peut suivre en remontant le cours des siècles
jusqu'au latin vulgaire des populations gallo-romaines.
Car ni le français, ni les autres parlers de la France ne descendent
du latin de Cicéron ou de César, ils remontent tous au latin vulgaire.
Tout le monde sait qu'à Rome même, on distinguait plusieurs espèces
de langages, mais deux en particulier. L'un cultivé et poli par l'étude
du grec, c'était le latin harmonieux et classique , celui des lettrés ;
l'autre appelé par les écrivains de Rome : semio pleheius, rusticusy
castreiisis, c'était le parler du peuple, des soldats, des laboureurs et
de tous ceux qui ne savaient pas le grec.
Or, c'est de ce latin vulgaire transporté dans l'Empire romain que
descendent toutes les langues romanes. Sans nous arrêter sur l'origine,
la nature, le développement du latin vulgaire, nous pouvons dire
d'une façon vague que c'est l'ensemble des formes qu'a revêtues, dans
les différentes parties de l'Empire romain, le latin parlé par le peuple,
formes très variables selon les temps et selon les lieux.
On comprend facilement que la langue vulgaire et le latin classique
n'étaient pas « deux langues distinctes, comme l'osque par exemple
différait de l'ombrien. C'étaient simplement deux formes particulières
d'une même langue, à peu près comme le français de l'Académie
diffère du français parlé à Nevers , Lyon , Bordeaux , Genève ou
Bruxelles (1). i
(1) Introduction à la Chronologie du latin vulgaire , par F.-Georges Mohl,
p. 10. — Paris, librairie E. Bouinon, 4899.
5«
lU REVUE DU NIVEHNAIS.
Or, le latin littéraire obtint seul les honneurs de récriture, tandis
que le parler populaire ne se transmit que par la tradition orale. LeOrs
diiïérences allèrent donc s'accentuant de plus en plus dans le cours des
siècles. Le latin classique était arrêté sans cesse dans son évolution
par récriture qui rappelait aux yeux des lettres et des sons en train de
se transformer ou de disparaître ; pendant ce temps, la langue du
peuple suivait sa marche progressive sans être jamais endiguée ou
ramenée en arrière puisqu'elle n'était pas écrite.
Bref, le latin classique, après les invasions du cinquième siècle,
devint une langue morte, et le latin populaire continua d'être un
parler vivant. Alors, les Barbares détruisent les écoleS et ruinent la
civilisation gallo-romaine. Ils s*établissent non seulement en Gaule,
mais dans toute la partie occidentale de TEmpire romain, et une nuit
profonde semble envelopper l'Occident tout entier, n Seule l'Eglise
conserve la tradition des lettres latines ; quelques prêtres de talent
créent une nouvelle littérature ; dans les couvents, les moines copient
studieusement et conservent pour les âges futurs les manuscrits de la
Rome païenne ; des clercs se livrent à l'étude élémentaire de la théo-
logie ou écrivent quelques chroniques historiques. Mais, en dehors
de ce nombre bien restreint d'hommes instruits, qui maintiennent
dans leurs mains le flambeau vacillant de la science, le pays est livré à
une barbarie toujours croissante. L'immense majorité des habitants de
la Gaule, abandonnée de toute administration protectrice, en proie au
caprice et à l'arbitraire des conquérants, incapable de culture, laisse sa
langue aller à l'abandon ; et la force révolutionnaire qui précipite les
idiomes agit sans contrainte. Aussi cette période (du cinquième au
neuvième siècle), est celle ou le latin se déforme le plus rapidement et
le plus complètement. En l'espace de quatre siècles, les sons latins ont
si bien changé qu'on se trouve en présence d'un système nouveau :
lacryma s'est changé en lairme (larme), vetulum en vieil. Les mots
sont devenus pour une bonne part méconnaissables. Le latin popu-
laire est désormais le français (1). i
Cette transformation rapide du latin vulgaire atteignit aussi les
noms de lieux et même je dirai qu'elle les atteignit plus que les autres
moU du latin populaire.
(1) Arsène Darmestbter, Cours de grammaire historique de la langue fran*
çaÂset première porlie : Phonétique, page 15. — Paris, librairie Ch. Delagrave.
REVUE DU NIVERNAIS. 115
Les mots, en effet, s'usent d'autant plus vite qu'ils sont employés
plus fréquemment. Ils sont comme les pièces de monnaie qui perdent
l'empreinte de leur effigie et la netteté de leur contour à mesure
qu'elles circulent davantage. Or, quels mots sont plus souvent em-
ployés par les habitants d'une région que les noms de villes, villages
ou hameaux qu ils habitent ou qui les entourent.
Naturellement, ces changements sont d'autant moins sensibles que
les documents qui nous fournissent ces noms de lieux remontent plus
près de leur origine.
Aussi, les plus anciens documents latins nous les représentent assez
fidèlement. Mais, après la destruction de l'Empire, à mesure que
grandira l'écart entre la langue écrite et la langue populaire, les noms
de lieux perdront dans les chartes leur forme latine pour en revêtir
une nouvelle plus en harmonie avec leur prononciation d'alorc», ce
sera la forme romane.
Ainsi, au septième siècle, les scribes qui transcrivent les dénomina-
tions territoriales, savent encore le plus souvent leur donner leurs
formes primitives, d'ailleurs peu éloignées de la forme contemporaine.
Il est vrai que les documents, diplômes ou chartes qui nous ont
conservé ces noms, les présentent dans un latin qui n'est plus le latin
littéraire (1).
A l'époque mérovingienne, le latin littéraire a disparu et la langue
parlée ou latin vulgaire restera encore plusieurs siècles avant d'obtenir
les honneurs de l'écriture. Pendant ce temps, ceux qui écrivent em-
ploient un langage intermédiaire entre le latin classique et la langue
vulgaire. On lui a donné le nom de bas-latin. Cette langue t presque
entièrement calquée sur la langue parlée, excepté chez les Pères de
l'Eglise, offre le lableau de la barbarie la plus complète, et, par suite,
fournit à rétude linguistique du roman une riche matière, puisque,
derrière ces formes barbares, l'induction découvre la langue parlée
dont il ne nous reste aucun monument. A l'époque carolingienne, sous
Charlemagne, il se produit une renaissance des lettres latines, et les
documents écrits par des clercs plus instruits se rapprochent davan-
tage du latin classique. Tout le moyen-âge lettré écrit en bas-latin » (2).
(Il J. QciCHERAT, ouvrage cité, passim,
(2) Arsène Dakmestetkr, Gê-ammairc hiêtorique, Phonétique, p. 11).
^16 nEVtJE DU NIVERNAIS.
Telle est la langue dans laquelle nous trouvons mentionnés les
noms de lieux que nous citerons dans le cours de ce travail.
Dès les premiers temps, peu de différence entre les deux langues
et par conséquent entre la forme vulgaire et la forme donnée dans le
bas-latin.
Mais dès Tavènemenl des Carolingiens, quelques-unes de ces déno-
minations rurales ne sont plus latines, elles ont la forme contempo-
raine du document, c'est-à-dire la forme romane. Alors une certaine
tradition orthographique, pour les noms les plus communs et les plus
connus, se maintient quelque temps parmi les scribes ofOciels.
Puis au neuvième et au dixième siècles, ceux qui écrivent en latin
ne savent pas, le plus souvent rendre, dans leur forme étymologique,
la nomenclature territoriale. Alors l'arbitraire et la fantaisie se don-
nent libre carrière pour la transcription latins dei noms de lieux.
A mesure que nous approchons de l'époque moderne, les traduc-
tions des n^ms de lieux deviennent de plus en plus fantaisistes et
semblent trahir, chez les scribes, des préoccupations étymologiques
quelquefois fondées, mais souvent aussi bien ridicules.
Toutefois, les dénominations d'un usage fréquent et que les clercs
ont eu occasion de rencontrer souvent dans leurs lectures sont assez
fidèlement traduites. D'autres fois, ils les écrivent en langue vulgaire,
c'est-à-dire en roman. C'était ce qu'il y avait de plus sage à faire et en
môme temps de plus clair pour le lecteur.
Ailleurs, ils les affublent d'une forme latine calquée visiblement sur
la française ou bien encore ils les traduisent par des équivalents qui
sont de véritables jeux de mots, quand ils ne sont pas ridicules (1).
Ainsi Corancy est traduit par CurtisAncii (2) ; Montigny-en-Morvan
parafons ignitus (3). Ailleurs, l'abbé Baudiau nous dit que Solière,
près Saint-Péreusc, vient de Solis lucus, parce que cette localité était
alors un bois consacré au boleil ! (4). Arbourse est désigné par Arida
Bursa (5). Toutefois, il semble que le comble du ridicule ait été
atteint par le traducteur de Montaron. Cette commune est désignée en
(i) J. QuiCHERAT, passini,
(2) Le Morvan, parTabbé Baudiau, t. I, p. 338.
(3) Le AfwTon, 1. 1, p. 361.
(i) Le Morvan^ I. I, p. 399.
(5) Touillé d'Auxerre, année 1535.
REVUE DU NIVERNAIS. 117
1287 pBrMom Errans (1). II faut avouer qu'à part le miracle fait par
saint Grégoire le tltaumalurge, et raconté dans ie Bréviaire (2), on a
rarement vu une montagne changer de place et errer à travers les
plaines.
Il serait trop long d'énuroérer toutes les bizarreries auxquelles se
sont livrés les scribes du moyen-âge, sans parler des étymologistes
modernes qui les ont souvent surpassés en hardiesse et en ridicule
dans la traduction des noms de lieux du Nivernais. Mais laissons dor-
mir en paix les clercs qui ont voulu faire de Tétymologie et qui sont
morts, et n'allumons pas non plus la guerre entre les étymologistes
vivants de la Nièvre.
D'autres noms de lieux ont changé de genre à travers les âges. On
en trouve de nombreux exemples dans la toponymie française. Le cas
se présente au moins deux fois pour la Nièvre. Nous verrons comment
Saint-Parize le-Châtel et Saint-Pércuse, d'abord masculins au moyen-
âge, sont devenus féminins au quinzième siècle. Puis, semblables à ce
héros de la fable, ils ont repris leur premier genre, du moins dans les
dictionnaires et les cartes modernes, car le peuple continue à les faire
féminins et à dire Sainte Parize et Sainte Péreuse.
La fantaisie et l'ignorance des scribes du moyen-âge ne furent pas
ks seules causes qui défigurèrent, du moins dans les documents écrits,
les noms de lieux du Nivernais. Los officiers publics, chargés de lever
les cartes ont aussi souvent transformé l'onomastique rurale, sous
prétexte de rapprocher ces noms de mots plus connus Au lieu de
transcrire le plus fidèlement possible les noms de pays, villes, villages,
hameaux, tels qu'ils étaient prononcés par les habitants de l'endroit
ils ont essayé quelquefois de les rapprocher de mots français et qui
souvent n'ont point de sens comme noms de lieux. Ainsi, M. d'Arboisde
Jubainville cite comme exemple Pontpoint i^Ornc;, qui vient de Pompo-
nius et qui devrait s'écrire Pompoin. L'orthographe Pontpoint fait
penser à un pont qui est sur un point, ou à un point qui est sur un
ponL Lequel des deux? L'imagination même la plus puissante ne peut
se représenter ni l'un ni l'autre, a L'orthographe moderne de ce nom.
ajoute t-il, offre un exemple caractéristique de la façon intelligente
dont les scribes officiels entendent l'étymologie (3). »
(I) Regislre de l'Evéchc de Ne vers.
(%) Yéie le 17 novembre.
(3) Recherches sur forigine de là propriété foncière ^ p. 3UG.
118 REWE DU NIVERNAIS.
Nous avons des élymologies de celte force dans la Nièvre. Nous n'en
citerons qu'une aujourd'hui, nous parlerons des autres à mesure
qu'elles se présenteront dans le cours de cette étude.
On sait que le verbe a manere )) rester a eu une grande fortune dans
les langues romanes. Pour ne parler que du français, Tinfinitif latin nous
a donné manoir, qui est devenu un substantif : Tendroit où Ton
demeure, un château; le participe présent a fait manant^ paysan; le
participe passé maitsum a donné mas en provençal et mes en français,
dans le sens de demeure, de maison. Ce dernier mot, d'ailleurs, vient de
mansionem^ un dérivé de mancrc, qui en compte beaucoup d'autres,
comme mansionarium maisnier, mansionata maisniée, matisiona-
ticum ménage, mansionile menil, etc. Or, le participe passé mansum
a été employé de bonne heure comme nom de lieu pour signifler la
demeure, la maison, soit seul : Exemples : Le Mas, le Mes, le Heix,
Mée, Méez, Metz, soit surtout suivi d'un nom propre, au cas régime et
marquant le de possessif. Nous en trouvons un grand nombre dans la
toponymie nivcrnaise. En voici un qui a été défiguré par les scribes
officiels :
Le Maréchal, hameau de la commune de Ruages, ne tire point son
nom d'un maréchal ou forgeron qui s'est établi à cet endroit^ mais il
est composé de deux mots et veut dire la demeure de Richard, comme
Metz-le-Comte signifie la demeure du comte. D'ailleurs les anciens
textes donnent : Mesus Richardi, 1231 (Arch. nat. J. 256), — Meix
Richard, 1406 (Marolles) — le Mex Richard, 1543 (i).
Abbé J.-M. Meunier.
DERNIÈRE PENSEE
Ecoule, bien-aimé, voici l'heure bénie
Où s'épanche le cœur ;
Ecoule, car je veux, en quittant cette vie.
Sur le sombre chemin, cueillir, Tàme ravie,
Une dernière fleur.
Ecoute, bien-aimé : — confession suprême ! —
Lorsqu'un jour, lu m'as dil,
A mes genoux courbé : « C'est loi seule que j'aime !.. i
J'ai répondu, riant de ton angoisse extrême :
c Voilà de l'inédit ! b
(I) Exemple lit'jiV cilé daiis P. E. Lindsthom. Unetymologische Au/l'ôtung
franzoaiêcher Ortsnamem, p. 8. Stockholm 1898.
REVUE DU NIVERNAIS. 119
Le rapide frisson qui parcourut mon être,
Tu ne l'as pas surpris !
Un intense bonheur en moi venait de naître,
Toi seul étais i*éiu, toi seul étais le maître :
Tu ne Tas pas compris I
J'ai voulu te cacher ce secret de mon âme,
Ah ! je rai bien gardé I
Tout l'art d'une coquette et tout l'art d'une fenune
(J'encourus ton mépris peut-être, après ton blâme)
Servit à le farder.
Tu ne soupçonnas point l'effroyable tempête
En moi toujours grondant ;
Tu me crus, j'en suis sûre, une légère tête
Qui trouvait le bonheur dans l'éclat d'une fête.
Dans le plaisir ardent.
Hélas !... et, dans la foule, à cette fête même,
Quand je t'apercevais.
Mon regard se voilait, mon front devenait blême.
Et si tu t'approchais, — ô toi, mon bien suprême I... —
D'émoi, je défaillais...
Cependant, tu le sais, de tes aveux sincères.
J'ai ri, j'ai ri... toujours.
Quel rire !... Il était fait de mes larmes amères,
De tous les désespoirs, de toutes les misères
De mes sombres amours.
Tu m'as dit quelquefois que je n'avais point d'âme...
Mon aimé, plût au Ciel !
Il aurait moins souffert, mon pauvre cœur de femme ;
Ta douleur lui serait, s'il eût été sans flamme,
Plus douce que le miel !
Renfermant en ce cœur mon ardente tendresse,
Je t'ai vu me haïr ;
Sous les dehors riants d'une infâme allégresse.
J'ai pu te voir verser des larmes de détresse,
Et ne me point trahir ! ..
Et cependant 1... à toi, je pensais à toute heure.
Je te voyais, la nuit,
Dans ces songes que Dieu nous offre comme un leurre
Et dont le souvenir dans notre âme demeure
Quand le bonheur s'enfuit.
Mais pourquoi, diras-tu, pourquoi ce long supplice
Que tu m'as inflige,
Si tu sentais en toi la passion complice ?
Ah I pourquoi?... Mon amour, à tes genoux je glisse :
Il fallait l'affliger.
Tu ne savais pas, toi, que mon temps éphémère
D'avance était compté.
La jeunesse édiOe en son nrûlant cratère
Des rêves de bonheur qui — pour vivre — sur terre
Voudraient l'éternité.
120
REVUE DU NIVERNAIS.
i
1
Mais, moi, je le savais, que j'étais condamnée.
Je savais.,, comprends-tu?
Et tu voulais, à moi, lier ta destinée ..
Oh ! vivre ainsi, mon âme à ton âme enchaînée !...
Mon cœur s*est débattu.
Hais après bien des pleurs et des combats sans nombre,
Ce cœur s est résolu.
Unir ton clair soleil au frisson de cette ombre?...
Sur ta jeunesse enfin, jeter ce voile sombre?...
Je ne l'ai pas voulu.
Mais je meurs .. je t'adore... et ne puis plus me taire...
Oh ! l'atroce douleur I
Pour t'éloigner, j'ai fait tout ce qu'on peut sur terre,
Et je n*aî réussi, — ce qui me desespère, —
Qu'à te briser le cœur.
Mais ta blessure, ami, sera bietitôt fermée.
0 regrets superflus !
Mon souvenir n'est rien> qu'une vaine fumée.
Je perdrai dans ton cœur ma place accoutumée
Quand je ne serai plus.
Car, ce qui peut lier profondément deux âmes
Jusque dans l'avenir,
Ce qui, loin du bûcher, peut raviver les flammes.
C'est, nous le savons bien, vois-tu, nous autres femmes,
Le commun souvenir.
Le souvenir des jours heureux vécus ensemble.
Des larmes de bonheur.
D'un mot et d'un regard et d'une main qui tremble.
Fleurs d'un bouquet fané, que toujours on rassemble.
Qui parfument le cœur.
Et ces chers souvenirs des heures fortunées.
Nous ne les avons pas.
Cette gerbe de fleurs fraîchement moissonnées.
Tu la voulus cueillir, mais, durant deux années,
Moi, j'ai dit : « Non ! » — tout bas.
Ami, ne juge point, à mon heure dernière.
Mes sentiments secrets.
Mon œuvre est accomplie, et mon âme en est flère.
Non, je n'ai pas voulu briser ta vie entière
Par d'éternels regrets.
C'est pour cela, vois-tu, que je me suis absoute.
Retiens mon dernier vœu :
Sois heureux quelque jour, — et sur une autre route.
C'est une volupté que d'avance je goûte,
En te disant adieu.
Mais c'eût été vraiment au dessus de moi-même
Que de laisser en toi,
En toi qui m'as longtemps aimée, en toi que j'aime,
Au moment de partir pour un exil suprême,
Cette image de moi.
REVUE DU NIVERNAIS.
J'ai voulu me montrer à tes yeux comme, en rêve,
Me pressentait ton cœur.
Ali ! quelle joie exquise en cette heure si brève !
Oui, depuis bien longtemps, c'est la première trêve
Faite avec la douleur.
Tout est fini... Pardonne... Aucun doute n'effleure
Mon âme en cet instant.
Va. . ne regrette rien... ne crois pas que je pleure...
Ton amour ensoleille encor ma dernière heure...
Je meurs... te bénissant...
Camille Valette.
121
; ^ ^
LES HOUILLERES DE LA iMACHINE
PRÈS DECIZE (NIÈVRE) (Suite).
DEUXIÈME PARTIE
1. — LA MACHINE UN JOUR DE TRAVAIL
Chaque jour ouvrable, et en loiile saison, la plus grande partie de
la population ouvrière de La Machine est sur pied dè^ cinq heures du
malin (1).
Après un déjeuner sommaire, consislant soit en im bol de soupe
(1) Tne autre pmiie de celte populalioii, comprenant la moitié environ des mineui-s,
des machinistes et des chiiudeurs, travaille la nnit et se repose le jour. Chaque lundi,
les ouvriers • changent de poste ■ et se remplacent à ces travaux nocturnes.
122 REVUE DU NIVERNAIS.
arrosé d'un verre de vin, soit en un morceau de pain trempé dans une
tasse de café noir ou simplement dans une goutte d'eau de-vie, chaque
travailleur sort de sa maison. Tantôt il attend un instant sur sa porte
un de ses voisins ; tantôt il part, afin d'appeler en passant quelques
camarades avec lesquels il se rendra au chantier habituel.
Alors, dans la brume matinale, circule une véritable ruche ouvrière :
mineurs au teint pâle, portant à la main leur lampe à long crochet et,
sur répaule, le «c berli » de toile (1 ) ; jeunes rouleurs à la mine éveillée,
à la parole bruyante ; mécaniciens aux allures vives et manœuvres i
la démarche lente ; ouvriers d'ateliers aux courts blouserons bleus et
charpentiers aux larges pantalons de velours ; charretiers ayant à la
bouche une courte pipe ou le juron aux lèvres ; trieuses, enfin, ayant
toutes, jeunes et vieilles, la tête et le cou enveloppés dans un ample
fichu de couleur claire surmonté d'un chapeau de paille noire.
Tandis que certains Machinois descendent des Marizys, des Cendriers
et de la cité Sainte-Eudoxie, d'autres montent les rues du Bourg, de
la Misère, de la Gargole, etc. Les ouvriers de Trois-Vêvres viennent au
puits Marguerite par l'allée ombreuse du Pavillon-des-Bois, et ceux de
Bussière et de Thianges s'acheminent vers le puits des Glénons, en tra-
versant la forêt de ce nom, par deux routes qui s'embranchent au
milieu du faubourg de la Chaume. •
Arrivés à leurs puits respectifs un peu avant six heures, les ouvriers
n passent à la boutique > (ils appellent ainsi le bureau du maître-
mineur) pour se faire inscrire et recevoir les ordres concernant leurs
travaux ; puis, accompagnés des chefs de postes (2), ils pénètrent sous
le vargue (3), où ils allument leurs lampes t en se donnant mutuelle-
ment du feu ». Ensuite, par groupes de huit, ils prennent place dans
les cages (4) qui, au moyen de larges câbles d'aloès, descendent alter-
nativement aux différents étages d'exploitation.
Dès qu'un ascenseur est complet, le receveur ferme les barrières de
(1) Petit sac renfermant les provisions de bouche du mineur.
(*2) Employés, au nombre de six à huit par puits, chargés de la surveillance des
travaux et de la marque des journées.
(3| Large enceinte, couverte en planches goudronnées, au-dessus du puits.
(4) On appelle cages les ascenseui-s en fer, à quatie montants et à deux plancliers,
dans lesquels on descend et monte les ouvriers, les bennes de houille et de schistes,
les bâches d'eau du fond du puits et les éLtis servant au boisage des galeries souter-
raines. Chaque cage est recouverte d'un toit, ou chapeau , et surmontée du parachute
Machecourt et de révite-moletle qui en est le cotnplément.
REVUE DU NIVERNAIS. 123
sùrelé et donne au machiniste ie signal du départ. Ce dernier soulève
alors doucement la cage, — pour permettre au receveur de retirer, par
un levier, les sièges ou taquets sur lesquels elle s'appuie chaque fois
qu'elle arrive au jour, — puis il plonge les mineurs dans les profon-
deurs de la terre.
Pendant que s'opère ainsi la descente dans les puits, les trieuses, au
nombre de 120, se réunissent à la gare de classement des Glénons. Là,
elles s'installent, avec leur surveillant, dans des vagons spéciaux
qu'une locomotive conduit aux ateliers du Pré-Charpin (1).
Arrivées à destination, ces ouvrières vont, sans cesser leurs conver-
sations, déposer leurs petits paniers près des fourneaux où, plus tard,
elles feront cuire ou réchauffer leui modeste déjeuner. A six heures,
elles se placent dans les cases disposées de chaque côté des toiles
mobiles en aloès sur lesquelles passent lès charbons bruts des diverses
couches et retirent de ces charbons les matières étrangères (schistes,
grès, pyrites, etc.) qu'ils contiennent.
Les lavoirs mécaniques à piston, — établis en avant de l'atelier de
triage et actionnés par la môme machine que ce dernier, — se mettent
également en marche, par les soins des laveurs, à six heures du
matin : il est très curieux de voir les petits godets, montés sur des
chaînes sans fin de longueurs différentes, sortir du lavoir et verser,
avec une régularité parfaite, d'un côté le charbon lavé et, de l'autre,
les schistes qui, plus lourds, se sont déposés au fond du bac.
Mais revenons à La Machine, afin de voir les ouvriers de Texlérieur
commencer « leur journée ».
Les charretiers, le fouet sur le cou, sortent des écuries en tenant
leurs chevaux par la bride; les boiseurs, devant leurs cabanes, affûtent
leurs scies pour se livrer à la fabrication des étais de mine; les
manœuvres se rendent aux chantiers qui leur ont été désignés, alors
que les machinistes et les chauffeurs viennent remplacer leurs cama-
rades du poste de nuit. Les poseurs se hâtent de réparer un tronçon de
ligne et les aiguilleurs courent le long des voies ferrées, tandis que les
locomotives soufflent ou jettent dans l'air leurs cris stridents; que les
trains-porteurs, chargés de bennes (2), circulent sur les plans inclinés
(1) Le Pré-Charpin, nous l*avons dit, se trouve i deux kilomètres au sud-est du
bourg de La Machine.
(3) Petits vagons, à caisse eHiptiquc. contenant quatre à cinq hoclolitres de
charbon.
124 REVUE DU NIVERNAIS.
de la Haule-Meule et des Zagots, et que les ateliers retentissent do
bruit des marteaux, des chocs répétés du pilon à vapeur et du grince-
ment des scies mécaniques.
Maintenant que tout le monde est à l'ouvrage, jetons un coup d'œil
sur l'installation extérieure d'un puits, — celui des Zagots, par
exemple, — dans lequel nous pourrons descendre ensuite.
Autour de Torifice rectangulaire, garni de pièces de charpente
assurant le fonctionnement régulier des cages, s'élève un massif carré
de maçonnerie percé de larges voûtes (on y a établi plusieurs cham-
bres, dont Tune sert de bureau au maître-mineur). Ce massif, de
18 mètres de côté à la base et de 7 mètres de hauteur, supporte le
vargue, c'est-à-dire la partie couverte affectée à la recelte des cages,
ainsi qu'au roulage et au versement des bennes. D'énormes poutres,
bardées de fer, forment, avec de fortes traverses, le chevalement qui
soutient une grosse cage en planches, à balustrade carrée et à toit
pointu : là tournent, sous les câbles d'aloès, deux molettes, ou poulies
en fonte, de 3 mètres de diamètre.
Une élégante construction en pierre de taille, située à quelques
mètres seulement du vargue et à l'intérieur de laquelle on accède par
un escalier de vingt marches, renferme la machine d'extraction.
Celle-ci, de la force de 150 chevaux, est alimentée par un groupe de
cinq chaudières à vapeur. Elle se compose de deux cylindres conjugués
à longue course (2 mètres) attaquant directement l'arbre des bobines
sur lesquelles s'enroulent les câbles plats en aloès qui servent à des-
cendre et monter tour à tour les cages dans chacun des deux compar-
timents du puits. La distribution est à coulisse, et le machiniste, placé
en face de la recette, a sous la main : la mise en train, le changement
de marche, les purgeurs et le levier d'un frein à vapeur produisant,
en cas de besoin, un arrêt instantané. Une sonnerie électrique lui com-
munique les consignes de la mine, et un tableau synoptique de la marche
des cages lui indique à quelle profondeur se trouve chacune d'elles.
Quittons le bâtiment de la machine, derrière lequel fument les
chaudières et leur cheminée de 30 mètres, et montons l'escalier de
bois qui conduit à la plate-forme du vargue. A peine avon«-nous
pénétré sous ce dernier qu'un bruit sec frappe nos oreilles (1) et que
(1) O bruit est produit par le choc du chapeau de la cage contre 1rs pieds d'une
dos barrières de sûreté établies à la recette pour préserver les ouvriers de toute chute
dans le puits, (ilissant verticalement sur deux câbles ronds, la barrière est soulevée
par la cage chaque fois que celle-ci arrive au jour.
HEVUE DU NIVERNAIS. 125
nous voyons apparaître à rorifice du puits Tune des cages d'extrac-
tion. Le receveur « raet les sièges », et aussitôt que ia cage s'est
appu>ée dessus, i[ retire vivement du compartiment inférieur la benne
de houille qu'il contient et ia remplace par une benne vide approchée
par Faide-recevcur. L'engaineur du fond, qui, au même instant, a
remplacé la benne vide du compartiment supérieur de l'autre cage par
une benne pleine, tire la consigne pour prévenir qu'il a exécuté cette
manœuvre. Alors le machiniste descend d'un mètre la cage du jour et
monte d'autant celle du fond, afin que l'on puisse retirer et remplacer,
comme précédemment, la benne de l'autre compartiment. Enfin, au
second signal de Fengaîneur, le receveur « rentre les sièges » et le
machiniste fait redescendre à toute vitesse la cage dans le puits. Une
demi-minute après, Tautre cage arrive au jour et l'on recommence, en
haut et en bas, la même opération.
Los bennes ainsi montées de la mine sont roulées à quelques mètres
de la recette et poussées sur des culbuteurs qui les versent automati-
quement dans de grandes trémies. Celles-ci surplombent des voies
ferrées se reliant à la ligne principale : on les ouvre, au moyen de becs
mDbiles fixés à leur extrémité inférieure, afin de remplir les vagons
de 25 hectolitres amenés, à chaque heure du jour, par une locomotive
qui les transporte ensuite à la gare de classement des Glénons. Cette
locomotive emmène également les charbons du puits Marguerite qui,
au moyen des deux plans inclinés dont nous avons parlé, arrivent au
niveau de la plate-forme des Zagots dans des bennes placées sur les
trains-porteurs. Ces bennes sont roulées sur un pont couvert reliant
le sommet du plan incliné au vargue des Zagots et versées, par des
culbuteurs, dans des trémies spéciales.
Les schistes et les rochers sortant du puits des Zagots sont déposés
à l'une des extrémités du vargue. Là, des femmes retirent le charbon
qu'ils peuvent contenir et chargent « les matières » dans des vagons
de terrassement qui sont conduits à la butte de remblais.
Quant aux bâches d'eau que l'on monte chaque nuit de la « fon-
taine )) du puits, pour l'assèchement de la mine, elles se versent méca-
niquement, au moyen d'un ressort soulevant la soupape, dans une
large caisse placée au-dessous de la recette des charbons. De là, l'eau
s'écoule, par un tuyau, dans un aqueduc aboutissant au ruisseau
voisin.
(A enivre). L.-M. POUSSEREAU.
/ •• -r ^
* f. -
REVUE DU NIVERNAIS. 127
Garolina CSoronado.
LA ROSE BLANCHE
Laquelle de tes sœurs, fliles des feux d'été,
Rose blanche, oserait se dire ton égale,
Atteignant la fraîcheur tant suave qu'étale
Ta couronne éclatante où brille la beauté ?
En vain Taube naissante, épanchant sa clarté
Rose et douce, voudrait se faire ta rivale.
Le cygne n*a pas plus de blancheur virginale
Sur son aile que toi, sur ton front enchanté.
Sur ton rameau pompeux, ainsi dans la verdure,
0 Reine du jardin, tu trônes belle et pure.
Quand, sur le vent berceur, porté légèrement.
L'insecte butineur, en sa soif libertine,
Dérobe les parfums de ta coupe argentine
Et d'un soufflé en ternit l'émail clair et charmant.
Traduction de ACHILLE MiLLiEN.
A?ec ce numéro, sd termine la première période (1830*1850), de la poésie espagnole.
Avant do commencer In doiixîème partie, nous donnerons, pour plus de variété, un
chûii de tniductions dt-* pocr^s hollandais contemporains. Nos lecteurs compareront
îvec inléri^t récole espiigruili^ avec Técole hollandaise et constateront le caractère
bien diOerent dei deux races de poètes.
NOTES ET ECHOS
/, Nos compatriotes : sont nommés : (irand officier de la Légion d'honneur, le gêne-
rai Taitrat; oflicier, M. le lieutenant-colonel Dufort-Rousseau ; chevaliers, MM- les
capitaines Renard, Alexis Provul. Louis Blanc, (iillois, Lunyt ; — ofHcier d'acadé-
mie, M. le vicomte Robert du Roupç' ; — dans l'ordre du Mérite agricole, comman-
deur, M. Jules I^cœur; chevaliei^. MM. H.irré de Saint- Venant, Sanjflé-Ferrière,
J.-R. Rardin, Jean Bienvenu, J.-B. Chais, Alphonse Martin, Miron, Naudin.
/, Nous sommes heureux d'em'egi>trer aussi la nomination comme chevalier de
la Légion d homieur de M. Léon de Tinseau. l'écrivain très distingué dont nos lec-
teurs n'ont pas oublié les pages spirituelles et charmantes.
/, Notre compatriote le statuaire Emile F»oi5seau a été réélu (\e \" dans la section
de sculpture), membre du comité de la So<ielé des Artistes franyais, puis trésorier.
,\ Notre jeune collaborateur Fernand Chalandre a obtenu un prix du ministre dos
Beaux-Arts, juste récompense d'un talent de dessinateur qui s'affermit de jour en jour.
,\ La Société d'enseii^nernent populaire de Nevers, sous la haute direction de
M. Dessez, inspecteur d;uatl«'mie. a dornu» une seiie de remarquables conféi^ences,
on les sujets suivants ont été successivement traités :
Koh'mson et Gulliver. M. l^vaull ; iLpiso^es de l'Histoire wire/viaisé», M. Colin;
T\u]i-hilas. Marivaux, M. Pommeret : l'Eau, M. Petit; Les Faïences des i'onrade^
M. Massillon-Rouvet ; Le Lê(jalaire universel, de Re^inard, M. Voisin; Les rayons X,
M. Ilacqnelin; la i>ouate^ M. Bohême. Des conférences se donnent aussi à Decize,
Cosne, Ciamecy, Corbii;iiy.
/, M. freorges Lalement, lauréat de TEcole dentaire de Paris, fils de M. Lalement,
drn'tisle du lycée, vient d'être re\u chirurgien-dentiste de la Faculté de médecine de
Paris.
/. Lne douloureuse nouvelle nous arrivait presque au moment où la dernière
livraison de notre Revue donnait des vers de M. Louis de Courmont, relie de la
rnort <le l'auteur, qui nous amionçail tout dernièrement la reprise d'une collaboration
plus active. Voilà une grande brèche dans notre petit bataillon de poètes nivernais,
on L. de Courmont tenait un emploi détat-major. Ses obsèques ont eu lieu le
'/Ai 'brembre, à Blism»^, son pays natal. Des discoure de MM. Chandioux, Desparain
ft iMjprey, ont rappelé le talent et les qualités privées du regretté défunt. — Nous y
rf-'viendions.
/. Kt pres<pie en même temps, notre Revue était encore frappée par le décès de
M "• M nie Minard, qui nous avait doimé plusieurs lois des pages d'une élégante faci-
lita. F^t voici que les journaux annoncf^nt la mort d'un homme d'état surnommé par
%*-% (ompaliioles le Gambetta espagnol, écrivain célèbre, qui. sans être Nivernais, ni
m» nie Iraneais, était pour nous un ami sincère, Victor Ralagyer, de l'Académie
rr»y,ile espa^;nole, dont notre directeur a donné des traductions dans la Bévue bri-
fonnif/ue et diverses autres. La Nuit de Xocl en Catalogne a paru dans la Revue du
Nirf'rnais.
/. Chez nos voisins: plusieurs almanachs populaires pour 1901 (L'Etoile des
firrfU'rSy le Postillon lorrain, etc.,) reproduisent plusieurs Légendes de la Nature,
^,n*'H\c% nouvelles sur Les Oiseaux^ les Insectes, les Fleurs, etc., de notre collaborateur,
M. LiK ien Jeny, spécialement La Légende delà Colombe, La Légende du Pinson,
L'Mmanack illustré du petit liourguignon, de Dijon, contient une poésie dédiée par
L. JeiiN a «on compatriote A. Fétu, et célébrant le pays natal où l'auteur se plait tou-
jours a passer ses vacances. — La Revue du Maine a donné aussi une jolie poésie de
L. Jeny : Bijoux berrichons, (^ D.
^ Directeur-Gérant, Achille Millien.
LEGENDE MORVANDELLE
partir de sa quatorzième année, Nanne
poussa comme un champignon et devint
coquette.
Elle gardait les dindons chez un
fermier de Blismes.
Elle acheta, à l'assemblée de Dom-
martin, un petit miroir de poche et
passa, derrière les haies, la moitié de
ses journées à arranger ses cheveux, à
planter les fleurs des champs sur son bonnet. Bientôt, elle eut lionle
de sa houlette — une longue perche de coudrier ornée d'un chiffon
autrefois rouge ei mainlenant couleur de boue. — Elle s'en fut trouver
maître Garraud.
— Me voilà trop grande, fit-elle; je ne veux phis de la perche.
Mettez-moi à la bergerie.
Maître Garraud, qui tenait beaucoup à Nanne, lui donna les moutons.
Elle eut quenouille et fuseau.
Elle apprit de belles chansons.
Des mois se passèrent. Son corsage se remplit, sa taille se forma.
Au malin de son seizième printemps, elle se réveilla femme, belle et
forle.
Elle se rendit chez la vieille Uose, sa marraine, sorcière redoutée,
qui avait un faible pour Nanne et qui la gâtait de son mieux.
— Marraine, il me faut un mari. Dis-moi ce que je dois faire.
G
130 IlEVUE DO NIVERNAIS.
La vieille Rose mit ses lunettes, toisa la berçère très lenlemenl
et dit :
— C'est vrai, l'heure est venue, bien venue.
Elle fit sur le front, sur les lèvres et sur le cœur de Xannedes
signes nayslérieux.
— Va, filleule, prends les moutons, conduis-les au Cbamp-Joli. Dans
la journée, trois amoureux passeront; tu choisiras.
Nanne eut à peine quitté sa marraine qu'une immense joie la prit
toute. Le chemin de la bergerie lui parut court, celui du Champ-Joli
fut tracé en un clin d'œil. Les moutons sautaient comme des chèvres,
les chiens léchaient les mains de leur maîtresse.
Elle s'assit, tout près de la route, sous un chêne, et des notes tendres,
langoureuses, inconnues lui vinrent aux lèvres.
— Nanne? fit une voix mâle derrière elle.
La bergère se retourna saisie et vit en personne le propre fils de
maître Garraud qui lui prit la main pour ajouter :
— Nanne !.. je t'aime... Veux-tu de moi pour homme ?
— Je répondrai dimanche, maître Jacques.
Alors, Jacques lui fit un long discours dans lequel il énuméra ses
mesures de terre, ses vaches, ses bœufs, ses charrues. Il partit sur un
large rire, avec ces mots :
— Tu diras oui...; tu seras riche,
Jacques avait à peine disparu qu'une deuxième voix appela :
— Nanne!...
C'était Pierry, le farinier, le gars solide et faraud, qui, de môme
que Jacques, continua mot pour mot :
— Nanne!... je t'aime... Veux-tu de moi pour homme ?
— Je le répondrai dimanche, grand Pierry, fit encore Nanne.
Le farinier, après lequel couraient toutes les filles, et qui s'atten-
dait à voir la bergère lui sauter au cou, n'en revint pas.
— Me remettre à dimanche?... Moi?... Pierry !. .
Un éclair de rage lui traversa les yeux, mais il sentit la nécessité de
se calmer.
A son tour, il plaida sa cause. A défaut de biens au soleil, il fit
ressortir ses talents de danseur, ses succès aux assemblées, la valeur
de ses bras.
HEYUB du NIVERNAIS. 431
— Ce sera oui, tu verras, Nanne... Pierry ne peut demander deux
femmes.
— Nanne I soupira une troisième voix... Je l'aime, Nanne!... Veux-
tu de moi pour homme?
La lèle blonde du petit charron Marcel frôla les cheveux de la jeune
ûlie.
— Marcel, je te répondrai dimanche.
Tout tremblant d'inquiétude et d'émolion, Marcel baisa le bout des
doigts de Nanne et partit, bien près deâ larmes, et sans rouvrir la bouche.
Or, le dimanche matin, vers le môme chêne du Champ Joli, Jacques
passa le premier près de Nanne.
— Je suis trop pauvre pour devenir d'un seul coup si riche C'est
« non », dit elle.
Lorsque Pierry s'avança :
— J'ai peur de tes gros bras. Quand tu rentrerais gris, tu cognerais
trop fort. C'est t non ».
Restait Marcel qui vint, non moins tremblant que le premier jour.
Nanne lui dit :
— A l'amoureux qui rit parce qu'il est riche, à celui qui se fâche
pa.ce qu'il est fort, je préfère celui qui pleure parce qu'il a le cœur
trop plein. Nanne est pour toi, mon blond Marcel.
Louis Mirault.
PREMIER RAYON
L'aube a, de son baiser, blanchi le lac d'azur;
La cascade s'égrène en perles miroitantes ;
La forêt d'émeraude, aux splendeurs éclatantes,
A vêti son manteau, majestueux et pur.
Au coin du firmament Tastre étincelle encore.
Mais son rayonnement, si suave, s'éteint ;
Car Phœbus, triomphant, a de sa pourpre teint
L'InOni, qu'effleura la lèvre de l'aurore.
Dans le val, argenté des premières lueurs.
Monte, avec le parfum des vii^inales fleurs,
La chanson de l'oiseau, — céleste mélodie.
Et tandis que s'envolent les concerts ailés,
Deux jolis enfants blonds, aux regards étoiles.
Au ciel tendent leur front qu'un rayon incendie.
Joséphine Bégassat.
132 REVUE DO NIVEllNAIS.
TEMPS PASSÉ
A Eugène R...
Quand j'étais petit, bien des fois
J'allais me reposer dans l'ombre
Des sentiers verdoyants des bois ;
Quand j'étais petit, bien des fois.
Je parcourais, sans freins, ni lois,
La campagne déserte et sombre;
Quand j'étais petit, bien des fois,
J'allais me reposer à l'ombre.
La tête en feu, la joie au cœur.
J'escaladais le tronc des chênes,
Dénichant le merle moqueur,
La tête en feu, la joie au cœur.
J'allais, terrible destructeur.
Emplissant mes poches de faînes,
La tète en feu, la joie au cœur.
J'escaladais le tronc des chênes.
Sur mon pantalon de velours
S'ouvraient de larges déchirures.
Mais, bast ! je me traînais toujours
Sur mon pantalon de velours, —
Au printemps, ce sont les beaux jours,
J'étais couvert d'égratignures,
Sur mon pantalon de velours
S'ouvraient de larges déchirures.
J'espionnais tous les buissons,
Tout blancs sous les fleurs d'aubépine,
Pour dénicher les gais pinsons ;
J'espionnais tous les buissons
Où j'entendais maintes chansons
Sortir de leur voix argentine.
J'espionnais tous les buissons
Tout blancs sous les fleurs d'aubépine.
Puis je rentrais à la maison,
Le soir, après ces escapades.
Mais j'éprouvais plus d'un frisson
Quand je rentrais à la maison.
Je prévoyais avec raison
Les reproches et les boutades.
Puis je rentrais à la maison,
Le soir, après ces escapades.
Odile Thiault.
REVUE DU NIVERNAIS. 133
LE PROJET DE MONUMENT
DE SAINT-PIERRE-LE-MOUTIER
A JEANNE D'ARC
Dès Tan dernier, dans d*excellents articles, MM. Gaston Gauthier et
Edouard Achard ont successivement associé la Revue du Nivernais au
patriotique projet d'érection d'une statue de Jeanne d*Arc sur l'une
des places publiques de Saint-Pierre-le-Moûtier.
Le numéro de mai 1900 a même reproduit la maquette de l'œuvre de
M«« Signoret-Ledieu , élève de Gautherin, maquette où l'héroïne,
rayonnante de jeunesse el de bravoure, commande l'assaut qui devait
arracher la place forte de Saint Pierre aux Anglais et à leurs alliés
d'alors.
De bonnes nouvelles nous sont parvenues de la souscription ouverte
par le comité local, mais un dernier élan est encore nécessaire en vue
de parfaire le chiffre voulu.
Quelques amis nivernais ont pensé que mes campagnes en Berry
pour Jeanne d'Arc depuis 1891, spécialement en faveur des fêtes
comraémoratives de Bourges et du monument de Mehun-sur-Yèvre,
sur le point d'être inauguré (1), m'appelaient à lancer aussi, presque
au début du siècle et de Tannée 1901, mon modeste appel, particuliè-
rement à nos gracieuses lectrices, que rien de ce qui concerne Jeanne
d'Arc ne saurait laisser indifférentes, mais aussi à tous nos lecteurs.
C'est à 1868 que remontent les premières tentatives contemporaines
pour faire revivre et perpétuer dans Saint-Pierre-le-Moûtier le sou-
venir de la valeureuse guerrière.
A cette date paraissait l'étude d'un membre du barreau, J.-L. Jaladon
(t) ConsalU Jeanne dCArc^ poème, Châlons-sur-Marne, Martin, 18^, 6 p. in-8»;
Jeanne cTArc en Berry^ avec documents inédits, en coUuboration avec M. P.-L.
d'Arc, Paris, Picard, 1892, vii-145 p. in-b*, et nouveUe édition, Paris, Techener,
t. d., 197 p. in-8% 18 gravures ; Jeanne d'Arc en Bas- Berry, Châteauroux, Majesté,
1894, 13 p. in-8» ; Deux croix de Jeanne d^Arc en Berry, Châteauroux, Magesté,
18K, 16 p. iu-8* ; Jeanne d'Arc et Jacques-Cœur, Paris, Société d'édilions scienU-
fique», 1896, 7 p. in-8* ; Notice sur les liens historiques rattcuJuint Jeanne d*Arc
à Mehun-sur-Yàvre^ rédigée sur la demande de la municipalité de Mehun, tirage à
10.000 exemplaires, Bourges, Sire, 1897, 8 p. in-8o, aux armes de Mehun ; Jeanne
d*Arc à Bourges, introduction au livret des fêtes patriotiques des 28 et 29 mai 1898,
Boorges, Sire, 20 p. in-8*, tirage à 800 exemplaires, aux armes de Jeanne d*Arc, etc.
134 REYUE DU NIVERNAIS.
(le La Barre, étude dont les soixante-dix pages (édit. Nevers, Paulin
Fay, in-8o) évoquaient dans les meilleurs termes la glorieuse mémoire
doH événements de 1429.
En môme temps, le 18 août de cette môme année 1868, le conseil
municipal de Saint-Pierre, sur la proposition du maire, décidait, à
l'unanimité :
lo Que la place d'Armes porterait désormais le nom de place
Jeanne-d'Are ;
2* Qu'un vitrail historique (sur un devis de 1,500 fr.) serait posé
dans l'église, pour rappeler qu'elle avait été préservée du pillage par
l'énergie de la grande Libérrtrice ;
3« Et émettait le vœu que Ton pût un jour élever une statue dans
Saint-Pierre à la bergère de Domremy.
On eût dit que, pressentant nos prochains désastres, la petite cité
nivernaise avait voulu se mettre par avance sous Tégide de celle qui
n'avait jamais désespéré de la France.
Saint-Pierre-le-Moûtier a eu ainsi le noble rôle d'être en quelque
sorte, avec Orléans, l'un des précurseurs de ce grand mouvement
d'opinion qui, depuis lors, n'a fait que se dessiner de plus en plus
puissamment dans le sens d'une plus large glorification de Théroïne.
. Que de chemin parcouru depuis 1868! Aujourd'hui, Paris, Dom-
remy, Reims, Rouen. Vaucoulcurs, Neufchâteau, Nancy, Chinon,
Poitiers, Chécy, Lagny, Le Crotoy, Compiègne, Saint-Nicolas-de-Porl,
etc., possèdent des statues ou des souvenirs extérieurs de la Pucelle,
bien qu'elle n'ait souvent fait qu'une élape ou qu'un séjour peu pro-
longé dans telle ou telle de ces localités.
On trouve môme, par exemple à Pierrcfilte-sur-Sauldre (Loir-el-
Cher), des statues érigées à Jeanne d'Arc, eu égard à son seul litre de
grande héroïne nationale, bien qu'elle n'ait jamais traversé PierrcfiUe,
non plus que telle ou telle autre commune.
Ainsi, peu à peu, le temps approche où sera réalisée en grande
partie la prophétie du socialiste Barbés lui-même, disant en 1866 :
t Taime passionnément V héroïque fille qui sauva lu France el je voh-
if mis (cela se fera, je l'espère, un jour) qu'on lui élevai une statue jusque
dans nos plus petits hameaux » .
C'est là, en effet, du bon et du vrai nationalisme, non de celui donl
certains sont accusés à tort ou à raison de vouloir faire un instrument
REVUE DU NIVERNAIS. 135
exclusif entre les mains d'un parti, mais de celui qui tend à unir tous
les Français, sans distinction déclasse ni d'opinion, dans le culte de
Tune des plus grandes figures de notre histoire.
Les autres nations ne dissimulent pas qu'elles seraient fières de
posséder dans leurs annales une Jeanne d'Arc pour incarner, sous une
forme pour ainsi dire humaine et tangible, l'image sacrée de la patrie.
Or-i il est arrivé que Saint-Pierre-le-Moûtier, l'un des plus anciens
quant à l'idée première, s'est trouvé, comme je viens de le rappeler,
devancé par nombre d'autres localités quant à'ia réalisation de cette
idée d'un monument à Jeanne. Cette sorte de contradiction ne saurait
se prolonger davantage sans risquer de nuire au bon renom du
Nivernais, et il devient urgent que le projet du comité local reçoive
une consécration définitive.
Si des communes que Jeanne d'Arc n'a fait que traverser, des com-
munes où elle n'a même jamais paru, lui ont dédié des statues^ à plus
forte raison le Nivernais doit-il acquitter envers elle sa dette indéniable
de reconnaissance.
Il serait superflu, après l'ouvrage de J.-L. Jaladon de La Barre et les
articles de nos distingués collaborateurs Gaston Gauthier et Edouard
Achard, d'insister sur le brillant fait d'armes de Saint-Pierre-le-
Moùtier. Mes travaux personnels sur notre héroïne ne m'ont point
appris sur cet épisode, non plus que sur le siège de La Charité, de
particularité appréciable et digne de remarque qui ne soit déjà connue.
Ce n'est d'ailleurs pas ici le lieu des détails et des petites variantes de
pare érudition. Tout cela semblerait froid sans doute devant l'éloquence
du fait dominant.
Il y avait environ sept années que Saint-Pierre était sous le joug
étranger. Les hommes d'armes envoyés avec Jeanne pour le délivrer
venaient d'être vigoureusement repoussés une première fois par une
garnison nombreuse et vaillante. Ils reculaient en masse loin des
remparts. Jeanne restait presque isolée au bord du fossé avec quatre
ou cinq braves, exposée aux traits de l'ennemi, tête nue (c'était sa
coutume d'ôter son casque au milieu des plus grands dangers). Son
écuyer d'Aulon lui criait qu'elle était abandonnée.
— Eh non, je ne suis pas seule, répondit-elle en tournant vers les
fuyards ses beaux yeux inspirés par sa foi dans le monde surnaturel.
136 REVUE DU NIVERNAIS.
par cette foi dont on a dit qu'elle transporte les montagnes, eh non,
je ne suis pas seule ! J'ai encore avec moi cinquante mille de mes
gens ! Je ne partirai pas d'ici que je n'aie pris la ville! Aux fagots et
aux claies tout le monde! Qu'on fasse un pont sur ce fossé (i)!
Et son affirmation était lancée avec un tel accent que ses soldats,
rudes et simples natures du moyen-âge , crurent encore une fois,
comme à Orléans, qu'une armée céleste, visible pour elle seule, arri-
vait à leur secours; ils revinrent à la charge avec furie (Jeanne don-
nant l'exemple) comblèrent le fossé, escaladèrent la muraille et
renversèrent tous les obstacles. Saint-Pierre était reconquis.
Collaboratrices artistiques et littéraires de la Revue du Niveman,
et vous ses lectrices, femmes et jeunes filles, vous pouvez être glo-
rieuses encore de votre titre de Françaises, malgré nos désastres de
1870 (auxquels je faisais tout à l'heure allusion) et malgré tant de
causes nouvelles de tristesse. Vous pouvez être glorieuses de votre
qualité de compatriotes de l'immortelle martyre que nous envient les
autres peuples. N'hésitez donc pas à adresser votre offrande, si
modeste qu'elle soit, à M. Albéric Gonat, secrétaire du comité, à
Saint-Pierre-le-Moûtier, en vue de compléter la souscription en faveur
de celle qui a sacrifié si héroïquement pour la France sa jeunesse et sa
vie.
S'il vous restait encore quelque indécision , elle tomberait , j'en
suis persuadé, non devant mon faible effort, mais devant ces magni-
fiques paroles de Michelet :
€ Une enfant de dix-huit ans plonge , intrépide , au milieu des
épées; elle rassure les vieux soldats, entraîne tout le peuple qui
devient soldat avec elle, et personne n'ose plus avoir peur de rien.
Tout est sauvé ! La pauvre fille, de la chair pure et sainte de ce corps
délicat et tendre, a émoussé le fer, brisé l'épée ennemie, couvert de
son sein le sein de la France.
n Pour la première fois, on le sent , la France est aimée comme
une personne. Et elle devient telle du jour qu'elle est aimée. C'était
jusque-là une réunion de provinces, mais dès ce jour, par la force du
cœur, elle est une patrie. Beau mystère, touchant, sublime ! Comment
(1) Voy. déposition de d'Aulon au procès de réhabilitation de la suppliciée de
Rouen, dans Quicherat, t. 111, p. 217-218.
REVUE DU NIVERNAIS. 137
Tamour immense el pur d'un jeune cœur embrasa tout un monde,
lui donna cette seconde vie, la vraie vie que l'amour seul donne.
Enfant, elle aimait toutes choses, disent les témoins de son âge. Elle
aimait jusqu'aux animaux. Elle aimait ses amies, ses parents, mais
surtout les pauvres. Or, le pauvre des pauvres , la plus misérable
personne, la plus digne de pitié en ce moment, c'était la France. Elle
aima tant la France I Souvenez-vous toujours , Françaises , que la
patrie, chez nous, est née du cœur d'une femme, de sa tendresse, dé
ses larmes, du sang qu'elle a donné pour nous ! (1) i»
Lucien Jeny.
r
CONTES POPULAIRES DU NIVERNAIS
LA DÉSOBÉISSANCE
I
Il y avait une fois un bûcheron qui peinait beaucoup pour nourrir
sa famille : on jeûnait dans sa cahute plus souvent qu'aux Quatre-
Temps. Un jour d'hiver, qu'il travaillait au bois, il se reposait un
moment assis sur sa chèvre^ sa cognée à ses pieds, tandis qu'une chasse
passait à grand bruit dans le brouillard de la forêt. Un chasseur s'ar-
rêta devant lui :
— Bonhomme, as-tu vu du gibier?
— Pas aujourd'hui, monseigneur; mais hier j'ai vu courir un beau cerf.
— En manges-tu quelquefois ?
— Si j'avais seulement du pain à me mettre sous la dent 1
— Tu es donc bien malheureux ?
— Oui, monseigneur, la misère est grande. Quand il fait chaud, on
s'en tire; mais l'hiver est mauvais pour les petits. J*ai à nourrir ma
femme et cinq enfants...
— Eh bien ! demain je t'enverrai quérir, toi et ta famille. Tu m'as
l'air d'un brave homme ; je vous prendrai tous dans mon château et
vous ne serez plus misérables.
Le bûcheron se confondit en remerciements. Sans se remettre à la
besogne, il s'en alla bien vite apprendre la bonne nouvelle à sa femme.
. Deux jours après il était installé dans les dépendances du château,
travaillant au jardin, bien logé, bien nourri, bien vêtu lui et sa famille.
(I MiCHELET, Jeanne d^Arc, Paris, Hachette, 1853, viii-147 p. in-12.
6»
I3â ilËVUÈ Du JflVKRNAlS.
Ils passèrent cinq à six mois dans cette nouvelle condition qui leur
semblait comparable au Paradis. Le seigneur était très bon pour eux,
leur témoignait beaucoup de confiance.
Un jour, leur maltve leur dit :
— Je vais m'absenter. Pendant une semaine, vous serez chargé delà
maison : en voici les clés. Disposez de ce qui s'y trouve pour vous
nourrir, mais je vous défends de toucher à ce plat ; Je veux quMi soit
intact à mon retour.
Le plat était surmonté d'un couvercle. Il le posa sur une table et
sortit. Le soir même, la femme se mit à rôder autour de la table :
— Qu'y a-t-il donc de si précieux dans ce plat?
— Peu nous importe! dit le mari. Nous avons bien soupe et n'avons
rien à désirer.
— Oui, mais ce qu'il y a dans ce plat vaut, sans doute, mieux que
ce que nous avons mangé.
— N'y touche pas, monseigneur l'a défendu.
— Bah ! comment le saura-t-il ? Je vais seulement regarder ce que
c'est.
Au même instant elle souleva le couvercle; aussitôt une souris
sortit du plat, glissa de la table sur le carreau et disparut dans un coin
de la muraille, plus vite qu'on ne peut le dire.
La femme tenait encore le couvercle, le plat était vide, et, bouche
bée, les malheureux restaient pétrifiés.
— Que va dire monseigneur? murmura le mari..,
La semaine s'écoula tristement pour eux. Un soir le s;eigneur arriva,
et, toujours bienveillant, s'enquit de ce qui s'était passé.
— Rien de nouveau, mes amis ?
— Rien, monseigneur.
— Bien. Préparez mon dîner.
Il se mit à table et mangea de bon appétit.
— Apportez-moi maintenant le plat que je me suis réservé.
La femme était pâle comme un linge, elle obéit.
— Avez-vous donc ouvert ce plat? Je n'y trouve rien.
^ Ah 1 monseigneur, en le portant, le couvercle s'est déplacé et..».
— Bien !. . demain vous sortirez du château. Je vous ferai conduire
au bois où je vous ai pris.
REVUE DU NIVERNAIS. 439
Et les misérables rentrèrent dans leur cabane, où ils ne tardèrent
pas à crier la faim comme par le passé, en regrettant le bonheur quMls
avaient perdu par leur faute.
{Conté par Jacques Magnand, à Beaumont'-Ui'Ferrière.)
II
(Autre version.)
Un jour que le roi faisait une promenade au bois, s*étant assis der-
rière an gros tronc d'arbre^ il entendit un homme et une femme qui
ramassaient des fagots et parlaient de leur misère.
— Et tout cela, disait la femme , vient d'Eve et d'Adam. S'ils
n'avaient pas désobéi, nous serions heureux... il leur était si facile
de rester dans le Paradis terrestre I
Sur ces paroles, le roi se montra et s'approcha.
-* Vous êtes bien minabkê, mes bonnes gens ?
— Oh ! oui, monsieur.
— J'ai pitié de vous. Je suis le roi. . Ma voiture est à deux pas d'ici.
Dans un moment, vous y prendrez place avec moi. Je vous logerai
dans mon château où vous n'aurez pas grand'chose à foire et j'espère
que vous serez heureux
Comme dam la version précédente^ le roi leur défend de toucher à ^n
plat, sous peine dfi mort. La femme ne peut résister au désir d*en
connaître le contenu : c'est une souris qui s échappe ; elle laisse tomber
le plat de saisissement, le relève, mais le roi arrive au bruit :
— Vous avez touché au plat défendu?
— Non, sire, dit l'homme, je n'y ai pas touché.
— Moi, non plus^ reprend la femme.
-— Vous avez désobéi et vous mentez. Vous méritez de mourir et
vous mourrez demain.
Ce jour même, le fils du roi, qui voyageait depuis plusieurs années,
rentra au château. Tout le monde était dans la joie. Lorsqu'il sut ce
qui se préparait, il demanda la grâce des condamnés, déclarant qu'il
aimerait mieux mourir lui-même que de voir son retour attristé par
cette double exécution. Le roi fit grâce de la vie aux deux coupables,
mais il les chassa.
140 REVUE DU NIVERNAIS.
— Vous maudissiez Adam et Eve, leur dit-il, au bois où je vous ai
trouvés. Etes-vous plus sages qu'eux ?
Et il les renvoya à leurs fagots.
(Conté par Marie BriffauU, à Monligny-atu^Amogneê.)
Achille Millien.
LES HOUILLERES DE LA MACHINE
PRÈS DECIZE (NIÈVRE) {Suite),
Celte visite rapide de l'extérieur étant terminée, nous allons mainte-
nant faire à Tintérieur une exploration un peu plus longue, mais qui,
— nous Tespérons, du moins, — n'en sera que plus intéressante (1).
Préparons-nous donc à descendre. Après avoir, dans une chambre
ah hocy revêtu le coslume du mineur (pantalon et veste de toile, large
chapeau noir) et reçu du chef de poste chargé de nous accompagner
une lampe allumée, nous nous approchons de l'orifice du puits. Alors
notre cicérone nous fait entrer dans la cage qui vient d'arriver au jour
et, après y avoir pris place lui-môme et fermé les barrières de sûreté,
il donne au machiniste l'ordre de nous descendre à l'étage du fond (2).
Aussitôt, le câble nous soulève légèrement ; on rentre les sièges,
puis la cage s'enfonce dans les ténèbres, en glissant le long des pièces
de bois qui forment son guidage.
Nous éprouvons d'abord la sensation d'une chute dans le vide (n'en
est-ce pas une, en effet?) et, à la clarté de nos lampes, nous voyons se
succéder rapidement les poutres horizontales des parois du puits et les
planches à travers lesquelles suinte l'eau des terrains qu'elles retien-
nent. Puis, par l'effet d'une bizarre illusion, il nous semble que nous
montons au lieu de descendre. Soudain, nous entendons un bruit de
voix et nous apercevons des lumières dans une excavation noire qui
disparait aussitôt : c C'est le premier étage •, nous dit le chef de poste.
Il n'a pas achevé que l'autre cage passe, avec un sifflement sourd,
dans le compartiment adjacent. La moitié du voyage est donc accom-
plie, et cela en moins d'une minute.
(1) Depuis la nouvelle loi sur les accidents, laccès de Ja mine est interdit aux per-
sonnes ne faisant pas partie du personnel de la houillère.
(2) ^exploitation de la houiUe se fait, aux Zagots, à trois étages, établis : le pre-
mier à 150 mètres de profondeur, le second à 220 mètres et le troisième à 300 mètres.
Les puits Glénons^ Chapelle et M;irguerite ont chacun 400 mètres de profondeur,
et le puits Schneider (qui sera le grand puits du xx« siècle), actuellement en fonçagc
dans la forêt des Minimes, aui^ plus de 500 mètres.
142 REVUE DU NIVERNAIS.
Bientôt, nous entrevoyons le deuxième étage et, quelques secondes
après, nous atteignons celui du fond. Là, notre cage s'arrête doucement,
à deux ou trois mètres au dessus de la fontaine, sur les sièges mis par
Tengaîneur.
Ce dernier, — qui porte un large chapeau et un long paletot de cuir
tout ruisselants d^eau, — ouvre les barrières de la cage, et c'est
légèrement mouillés que nous mettons pied à terre dans une galerie
assez vaste, mais obscure malgré l'éclairage des lampes.
Arrêtons-nous un instant au <c chargeage d, où l'engaîneur et son
aide retirent les bennes vides qui descendent dans les cages et les
remplacent par des bennes pleines ; puis suivons notre guide dans la
galerie de roulage qui est solidement étayée (1).
Nous rencontrons successivement des manœuvres occupés à charger
des trains de bois pour l'étayement des chantiers ; des poseurs qui
réparent une portion de voie ferrée ; des boiseurs remplaçant, çà et là,
des étais pourris par l'humidité ou cassés par la pression du terrain ;
un vieux cantonnier, tout voûté, qui nettoie le ruisseau et interrompt
son travail pour nous saluer.
Tout à coup nous entendons un roulement sourd venant du fond de
la galerie et nous distinguons bientôt le bruit des pas d'un cheval
frappant régulièrement le sol :
€ C'est un convoi de bennes, nous dit le chef de poste qui nous
accompagne. Garez-vous, s'il vous plaît, pour le laisser passer »,
Nous nous rangeons aussitôt sur le côté de la voie, et, le dos collé
aux boisages, nous voyons, au détour de la galerie, apparaître l'éclai-
reur, jeune garçon marchant vite et précédant un cheval attelé à une
longue file de bennes de charbon qui roulent sur de petits rails. Le
charretier, assis sur la première benne, excite l'animal, et le convoi
passe rapidement devant nous.
Tandis qu'il s'éloigne dans la direction du puits, nous reprenons
(1) Il en est de même pour toutes les galeries de la mine, sauf dans les parties
percées en plein rocher, et cela aiîn d'éviter les éboulements des terrains qui encais-
sent les couches de houille.
L'élajement consiste à placer debout, de chaque côlé de la galerie, des éUiis dans
ïis entailles dos<|uels s'ajustent, à 2 mètres environ de hauteur, des traverses horizon -
(jles. On donne aux premiers le nom de potets et aux secondes celui de poites. Les
ititervalles de 0 m. 50 à 0 m. 60 qui existent ordinairement entre les assemblages
î^uccessifis de potets et de poites sont remplis par des lames de bois appelées coins ou
i^scalins.
REVUE DU NIVERNiUS, 143
notre marche et nous arrivons bientôt près d'une large excavation
solidement étayée el divisée, par des planches, en huit ou dix compar-
timents. C'est une écurie où les chevaux qui ont travaillé la nuit se
reposent pendant que les autres font le service du roulage. Plusieurs
sont dans la mine depuis plus de quinze ans et s'y portent bien. On
les y a descendus au moyen d'un filet de chanvre suspendu par une
chaîne au bout du câble. Un palefrenier est spécialement chargé de
soigner ces animaux, auxquels d'énormes rats disputent souvent la
ration d'avoine, malgré la guerre incessante que leur font les chats
apportés exprès dans les galeries souterraines.
Non loin de l'écurie est une grande porte en planches qui nous
barre le passage et derrière laquelle on perçoit un bruit semblable à
celui d'une chute d'eau : a C'est une porte d'aérage, nous dit le chef de
poste en l'ouvrant, et le bruissement que vous entendez est produit
par l'air que les ventilateurs électriques de l'extérieur font circuler
dans toutes parties de la mine b.
Après un élargissement de la galerie, où une double voie forme
(( gare », on remarque, installé dans une grande niche garnie de
longues pièces de bois, un treuil à air comprimé. Au moyen de câbles
ronds en fil d'acier^ ce treuil, mis en mouvement par un freinteur,
descend sur des rails les bennes vides et monte, en môme temps, celles
que Ton vient de remplir dans une enfonçure (i).
Un peu plus loin, nous trouvons un autre plan qui, lui, monte dans
la couche, au-dessus de la galerie horizontale que nous avons suivie
jusqu'alors. Un engatneur reçoit les bennes pleines descendant par ce
plan et accroche à leur place, à l'extrérailé du câble, les bennes vides
que lesfreinteurs des treuils automatiques remonteront au niveau des
divers chantiers pour les faire remplir de charbon.
Nous sommes donc arrivés aux quartiers d'exploitation de l'étage
inférieur. Là, notre guide nous donne les explications suivantes que,
pour l'intelligence de notre visite, nous croyons devoir rapporter ici :
« La galerie principale, dit-il, se prolonge à 2 kilomètres à l'ouest,
dans la direction de Trois- Vôvres, et traverse plusieurs couches de
houille inclinées au sud, du côté delà Loire. Tout le long de cette
galerie existent des plans en enlevure, semblables à celui dont vous
(i) Plan qui suit rindinaison de la couche de houille, en s'y enfonçant parfois &
ploMeaiB oenUinee de mètres au-dessous du chemin de roulage.
iU REVUE DU NIVERNAIS.
voyez la base, et en enfonçure comme celui dont je vous ai montré le
sommet. Les premiers sont beaucoup plus nombreux et mesurent
ordinairement 100 à 150 mètres de longueur ; ils aboutissent à une
galerie de roulage sur laquelle est établi, à une certaine distance du
premier, un autre plan montant également dans la couche et aboutis-
sant lui-même à une seconde galerie qui donne naissance à un troi-
sième plan, et ainsi de suite.
9 Quand on a atteint le sommet de la nappe de houille à exploiter,
— et dont l'épaisseur varie de 1 m. 50 à 3 mètres, — on trace, de
chaque côté du plan supérieur, à tous les 10 mètres en descendant, de
petites galeries horizontales et parallèles, nommées costières, qui
découpent la couche en plusieurs massifs. C'est là que Ton pratique
les tailles ou dépilages, en commençant toujours par le haut et aux
points extrêmes des enlevures de limites. Mais, ajoute le chef de poste,
vous comprendriez certainement mieux encore en voyant vous-mêmes
des chantiers en exploitation ; donc, si vous le voulez bien^ nous les
visiterons ensemble ».
En disant ces mots, il tire cinq fois le cordon de consigne, afln de
suspendre la descente des bennes, et à peine a-t-il reçu d'en haut,
et de la même façon, la réponse désirée, qu'il s'engage dans le plan où
nous le suivons péniblement.
On monte, en efTet, un chemin escarpé et boueux où le pied glisse
fréquemment ; de plus, la faible hauteur du toit nous oblige à marcher
courbés et le cou tendu, ce qui n'empêche point de se cogner la tête
aux poites cassées par la pression du terrain.
Arrivés au sommet du plan, — qui nous a paru beaucoup plus long
qu'il ne l'est réellement, — nous nous reposons un instant près du
treuil automatique qui le dessert ; puis, nous reprenons notre marche
en suivant la galerie de roulage. Aussitôt le bruit d'un roulement de
bennes se fait entendre et une porte s'ouvre brusquement pour livrer
passage à un cheval.
c Comment, demandons-nous, a-t-on pu amener cet animal jusqu'ici?
— Couché et flcelé sur un train servant au transport des étais, dans le
plan que nous venons de gravir », répond notre guide, t Et, ajoute-t-
il, c'est le cheval qui, dressé à cela, ouvre lui-même, dans l'obscurité,
la porte d'un coup de tête » .
Nous ne tardons pas à trouver l'autre plan que nous montons aussj
REVUE DU NIVERNAIS. 145
difficilement que le premier. Au sommet, nouveau treuil et nouvelle
galerie, — très basse, celle-là, — où le roulage des bennes est fait par
un jeune bomme de dix-huit à vingt ans. Enfin, nous arrivons à
Touverture du troisième plan, dans lequel nous nous engageons après
le signal d'usage.
Nous nous arrêtons à une petite galerie transversale où travaillent
deux mineurs. « Ceci, nous dit le chef de poste, est une costière,
cV^t-à-dire un traçage qui, avec celui que vous trouverez dix mètres
plus liant, isolera de la couche ce massif de charbon et permettra de
l'exploiter plus facilement ».
Nous nous approchons des ouvriers qui, agenouillés et presque nus,
abattent la houille à coups de pics. Sans travailler, nous suons presque
autant qu'eux, car il fait ici une chaleur étouffante et Tair lourd qu'on
y respire est encore vicié par la fumée des hmpes (1) et la poussière
du charbon. Soudain un bruit de tonnerre se fait entendre au-dessus de
nous : tout semble s'écrouler et comme, instinctivement, nous baissons
tète : — « N'ayez pas peur, dit un vieux mineur en souriant : c'est les
camarades d'en n'haut que v'nont d'faire partir un coup de mine à
leu chantier! »
Tout en riant de notre frayeur, nous montons au chantier en
question, où les piqueurs viennent de rentrer, malgré l'épaisse funjée
dégagée par la poudre (2). Ils sont trois, la tête couverte d'une petite
calotte, le visage noir et le torse nu ruisselant de sueur. L'un frappe
légèrement et avec précaution la surface du toit, afin d*en éprouver la
solidité ; le second brise à coups de masse les gros blocs abattus par
l'explosion, et le troisième jette à la pelle, au bord de la galerie, le
charbon qu'un rouleur charge aussitôt dans les bennes.
Le chantier que nous voyons est un dépilage, ou taille de 10 mètres
de largeur et de 2 mètres de hauteur, dont le toit est soutenu par un
grand nombre de potets et de poites disposés sur plusieurs rangs.
Partis d'une enlevure de limite tracée à une centaine de mètres du
(l)Co'nme jusqu'ici on n'a point, heureusement, rencontré de grisou dans les couches
supérieures exploitées à La Machine, les mineurs s'éclairent avec la lampe plaie à
flamme libi-e. Toutefois, par prudence, on emploie lu lamjie de sûreté Marsiiul dans
les recherches des couches inférieures.
(2) Depuis plusieui^ années on a substitué, pour l'abattage de la houille dans les
mines de La Machine, la poudre de sûreté Favier à la poudre ordinaire et h la
dynamite dont l'emploi était plus dangereux.
146
REVUE DU NIVERNAIS.
plan incliné, les mineurs ont attaqué, il y a plusieurs mois, le massif
compris entre deux costiéres et ils en enlèvent toute la houille en
(( ramenant :» le dépilage vers le plan.
Notre guide veut bien nous donner à ce sujet les explications
complémentaires suivantes :
« Dès que les piqueurs, dit-il, ont fait dix à douze mètres d'avance-
ment, ils retirent les boisages les plus éloignés du front de taille, afin
de provoquer à l'arrière des éboulemenls qui déchargent les parties
du milieu et de l'avant. Ils continuent ainsi d'abattre la houille, au
pic et à la poudre, et de faire c écraser » le toit derrière eux, au fur et
à mesure qu'ils avancent, — en ayant soin, toutefois, de placer aupara-
vant des tuyaux pour le retour de l'air, — jusqu'à ce qu'ils arrivent à
trois mètres du plan. Là, ils laissent un pilier qu'ils prendront plus
tard, quand le treuil servant à la descente des bennes sera enlevé et
installé un peu plus bas (1) d.
En redescendant à la galerie principale, nous rencontrons plusieurs
groupes de mineurs en train de déjeuner. Il est, en effet, dix heures
(lu matin, et c'est le moment où, selon leur expression, les ouvriers
û mangent leur pain ».
Assis sur des morceaux de bois, dans les endroits larges et bien
aérés, ils placent sur une planche qui leur sert de table, les mets
composant leur frugal repas et qu'ils se partagent en frères. Beaucoup
nnt apporté une chopine de vin ; les autres boivent à la régalade à de
petit barils d'eau placés, entre deux potcls, dans une excavation qu'ils
appellent « la bassie ». Plusieurs nous invitent, en riant, à « casser la
croûte » avec eux ; mais nous les remercions et reprenons en hâte le
chemin du chargeage.
Bientôt nous entrons dans la cage et, après des impressions aussi
(l) On exploite ordinairement, de chaque côté d'un plan, plusieurs dépilages en
iiî^me temps ; mais, par mesure de st-cuiilt*, on laisse loujoui-s à ceux du haut une
nuance d'au moins cinq mètres sur la taille du massif situé immédiatement au*
di^ssous.
Quand plusieurs plans se succèdent dans un quartier, on ne commence Tcxploi-
taition du deuxième en descendant qu'après le déhouillement complet du premier, et
oji n'exploite le troisième qu'après l'achèvement du second, etc. Enfin, toutes les
mesurer sont prises par les in{^«'tneurs et des règlements sévères sont imposés aux
ouvrière, tant pour le boisage régulier des galeries et des chantiers que pour le tirage
des coups de mine, afin d'obtenir le maximum de sécurité possible dans ces dange-
reux et pénibles travaux.
REVUE DU NIVERNAIS. 147
rapides que variées, nous quittons ces noirs souterrains. En arrivant
au jour, nous savourons avec délices les bienfaits inappréciables de la
lumière du soleil, de l'espace libre et de Tair pur, tandis que notre
pensée se reporte avec mélancolie vers les courageux travailleurs qui
en sont privés pendant la moitié de leur vie.
(A suivre). L.-M. PoussEREAU.
LE PARNASSE MODERNE
POETES HOLLANDAIS
Anthoni Ghrlstiaan Winand Staring.
(1707.1840).
SOUVENIR
Sous les branches d*oti Teau s'échappait poulie à goutte,
Courbés près de Fétang, nous cherchions un abri.
Rasant d*un Irait le pré dont Therbe se velouté,
L'hirondelle jouait sur le gazon fleuri.
Un zéphyr de printemps mettait un doux murmure
Dans le saule et soufflait la vie en sa ramure.
L'eau des rameaux ne coulait plus : le vent tombait ;
Les oiseaux repliaient leur aile reposée ;
Rouge de feu, le ciel, à rOccident flambait
Derrière les coteaux où montait la rosée.
Nous entendions de mai le chant aérien.
Le chant du soir suave, et nous ne disions rien.
Moi, je la regardais, et mon âme et son ame
Se fondirent soudain en un pareil émoi...
0 beaux yeux enchanteurs, ô beaux yeux dont la flamme
Doucement scintillait et pénétrait en moi I
Soupir, chuchotlement de cette bouche aimée !
Premier baiser que prit l'haleine parfumée!
Le saule nous couvrait de sa verdure en paix ;
La nuit creusait déjà ses ténébreux abîmes
Sur les champs recouverts d'un rideau plus épais :
Nous nous levâmes, non sans rej^rel, et partîmes...
0 temps ! à lieu ! douceur des premières amours !
0 souvenir sacré, reste vivant toujours I
148
RE>CE DU NIVERNAIS.
Hendrik Tollens Garoloszoon.
(1780-1856).
L'AMOUR SUR LA GLACE
Le prince Hiver donna cours à sa fantaisie,
Mit sur fleuves et lacs comme un parquet d'étain.
Adieu, plaisirs des champs ! C'est la glace épaissie
Qui règne : fleuve et lac reflètent le patin.
La petite Alison, paysanne fort génie,
Perdit la pendeloque attachée à son cou
Et c'est un beau garçon à mine intelligente,
Conrad, qui découvrit, ramassa le bijou.
Or, tout en patinant: « Qu*as-tu donc, ô la belle,
A chercher sur la glace en larmoyant ainsi ? »
— « Ma rose en diamants, hélas! sanglote-t-elle,
En un Irou... dans la neige... elle est tombée ici î »
— « C'était d'un amoureux ? Plus vive en est ta peine ».
— « Non, de ma mère, et c'est ce qui me fait pleurer... »,
— < Cesse donc; jusqu'ici ta recherche fut vaine,
Recommence en glissant et sans désespérer )).
Ils patinent, tous deux, virent, coupent la glace,
Ils voguent, balancés sur le miroir luisant ;
Lui vole devant elle, il s'éloigne avec grâce
La rejoint par un tour de son patin grinçant.
Ils glissent, jusqu'au bout leur élan les enlève,
Puis soudain l'un et l'autre en la tente est entré ;
Ils trinquent, boivent, rient en un moment de trêve,
Et d'un trait s'envolant sur la glace ont viré.
Mais le petit patin de la fille s échappe :
Elle trébuche, choit comme la neigea l'air;
Vite le gars la suit, doucement la rattrape.
Met, pour guérir le mal, ses lèvres sur la chair.
De s'élancer plus loin, plus loin, elle se joue ;
Tous deux joignent leurs mains plus fort ; avec rigueur
Le froid raidit son bras, le vent rougit sa joue,
Cependant Alison n'a pas froid dans le cœur.
Ils s'arrêtent ; lui, rit de son teint chaud, mais elle
Vient encor d'échapper son patin en virant ;
Il le lie et relie, en cajolant la belle, »
Et demande et reçoit, désire et même prend...
Les villageois partaient quand, sous la lune blanche,
A la belle, Conrad rennt l'objet perdu.
Avec un baiser tendre, une bague ; en revanche,
Il emportait son cœur... qu'il n'a jamais rendu.
M
:R
tlEVtJE DU NIVERNAIS. 149
Johannes Everhardus Potgieter.
(1808-1875).
VERS UN MONDE PLUS HAUT
Sitôt que, pénétrant les brumes d'ici-bas.
Les rayons du soleij en transpercent Tamas,
Que du Beau la splendeur luisselle,
Dans la lumière ainsi baigné,
Il me semble que se descelle
La chaîne où la matière, hélas ! me tient lié.
Pour le cœur et l'esprit que vaut la volupté,
Fragile enchantement par une heure emporté,
Issu de la fange charnelle ?
Le cœur et Tesprit ont bientôt
Ouvert plus largement leur aile
Vers Taurore qui luit sur un monde plus haut!
Nicolaas Beets.
(1814).
CHANT DES DUNES
Du sommet de la dune, à mes pieds dans la plaine,
Je vois des bois, des champs et des jardins en fleur,
Trèfles verts que le vent courbe sous son haleine,
Vaches au flanc marqué de plus d'une couleur.
Le cheval de labour pâture dans la lande ;
Tout annonce la paix et le bien-être acquis ;
Maisons, trônes du luxe... et c'est là la Hollande,
C'est la Hollande, mon pays.
Mon cœur se réjouit: silhouette incertaine
Sous l'air pur du matin qui caresse les champs,
Brille sur ses poteaux la ville encor lointaine.
Dans l'énorme trafic où vivent ses marchands.
Active autant que riche, elle est la ville chère
Où vont se reposer mes plus douces faveurs,
La puissante Amsterdam qui n'était rien naguère
Qu'un humble hameau de pêcheurs.
Je regarde au couchant, du sommet de la dune :
Là, le soleil dans l'eau rétléchitsa lueur,
Je vois la vaste mer qui, source de fortune,
A mon pays donna la force et la grandeur.
Que de fois, des héros le sang rougit son onde,
Ces héros dont le nom redoutable, immortel,
Retentira toujours sonore par le monde,
A l'est, à l'ouest, sous tout ciel I
û
iSO RfiVUE DU NIVERNAIS
LA CRUCHE AUX LARMES (^)
La mère aux yeux rougis, la mère désolée
Pleure sa fille unique... Ah ! la mort l'a volée I
Sur la fosse elle plante un njyesolis : hélas !
Il pousse et fleurit, mais ne la console pas.
Hulda vient à passer dans le jardin : c'est elle
Qui prête aux enfants morts une main maternelle.
Dans la troupe qui suit Hulda joyeusement,
La mère espère voir sa fille... vainement !
c Si je t'apercevais, chère enfant que je pleure,
Près d'Hulda, malgré tout, je bénirais cette heure ! »
Mais une âme encor vient en arrière, là-bas ;
La cruche qu'elle porte a retardé ses pas.
*( De vos larmes, chacune est pour moi bien amère,
Voyez 1 je dois ainsi les recueillir, ma mère ! »
La mère entend ; ces mots ravivent ses douleurs,
Mais depuis lors ses yeux ne versent plus de pleurs.
(i) CeUe légende, recueillie en Hollande et mise en vers par Deets, <
très répandue dans nos campagnes uivernaises.
Jan Jacob Lode'wijk Ten Kate.
(1819-1889).
LA PETITE MÈRE
Le père n'attend pas l'aurore ; le voici
Sur pied, jamais las de l'ouvrage ;
Sa femme allègrement se met à l'œuvre aussi
Et bat dans l'aire avec courage ;
Et la blondine Agathe (elle a déjà sept ans !)
Va garder fièrement la maison tout le temps.
Agathe est à son poste, elle est assise au seuil,
Avec son jouet à musique.
De loin comme de près, elle a sans cesse Toeil
Sur sa bruyante république :
Son frère, son petit frère, son vrai trésor.
Les poules, les poulets, le chat, que sais-je encor!
Jouant un air ou bien chantant, elle distrait
Toute sa petite famille ;
Car la nature parle et la mère parait
Déjà dans la petite fille.
Elle jase, jacasse, et d'un ton si joyeux.
Sans laisser un moment se reposer ses yeux !
Et tout chante avec elle : un souffle ailé s'ouït
Dans la treille où la feuille tremble ;
Le chat fait son ronron, le coq crie à grand bruit
Et les poules gloussent ensemble ;
Et là, dans sa voiture, — ah I vous n'en douiez pasl —
Le frère est si content qu'il en rit aux éclats.
Traduction de ACHILLE HiLLiEN,
!.<<
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Nous recevons, malheureusemonl trop tard pour la comprondre dans notre numéro
de février, une bolle po(Vsie de notre excellent collaboralt'ur, M. Paul Duvivier : L'En-
fant borr. Nous l'olTriroiis à nos lecteurs, dans notre prochain numéro. Cette poésie
est détachée d'un recueil qui, sous ce tilre : Assassins^ paraîtra dans quelques
semaines, chez l'éditeur Léon Vanier. Ce livre est un plaidoyer très énergique en
faveur des Boërs et renferme des morceaux très variés de ton, des odes de belle
envolée, des pièces qui cinglent comme du Juvénal, d'autres qui bafouent et sou-
lèvent le rire, toutes poursuivant et atlei^^nanl le but de l'auteur, qui veut soutenir, de
sa plume indignée, le petit peuple de héros.
Notre collaborateur, Louis Oppepin, a voulu lui aussi, dire pour les Boérs (1) son
chant vengeur. 11 a écrit un poème en six chants qu'il dédie « au grand patriote
Kniger ■. C'est tout un récit de la guerre Sud-Africaine. Pensées généreuses expri-
mées en strophes de huit vers dont la suivante donnera une idée ;
Et de l'aube à la nuit, tout ce peuple en délire
Fête cette victoire en orgie, en festins,
Mêlant les chants joyeux aux longs éclats de rire,
Les hymnes de triomphe aux obscènes refrains !
— Chantez, dansez, Anglais, dans votre ivresse folle,
Buvez à Ilots la coupe où s'abreuvent vos cœurs I
La Roche tarpéienne est près du Capitole...
Les vaincus d'aujourd'hui, demain seront vainqueurs 1
Vn de nos plus éminents poètes, M. Stéphen Liégeard, vient d'écrire Devant le
mausolée de ai^' Rivet, une ode admirable, digne, c est tout dire, du talent inspiré
auquel on doit tant de pot%i(^ d'une envolée superbe, digne aussi de l'évoque ainsi
salué dans la première strophe :
Le voilà, c'est bien lui, le Pasteur admirable
Qui de la Chaiilé se faisant un drapeau.
Indulgent à chacun et pour tous secourable,
De sa houlelle d'or a guidé le troupeau,
Qui sut prendre nos cœurs en nous donnant son âme,
Doux pasteur, de bonté célcstement velu,
Dont le bras, cinquante ans, sans que pâlit la flamme,
Tint le flambeau de la vertu.
(1) Les Bo'ér», poème, par Louis Oppepin, suivi de la Marseillaise des Boiirs, vingt-deux
pages, prix 0 fr. 25.
152 REVUE OU NIVERNAIS.
NOTES ET ÉCHOS
.', Charles F'usier, le conférencier bien connu, parlail de notre Directeur, dimanche
dernier, à la Bodinièi^e. Précède m m ont, il avait donné une conférence où il appréciait
les poésies de notre voisine berrichonne, M"» Eugénie Disanova, dont nous nous
sommes assuré la précieuse collaboration. Voici du reste un extrait de journal i-en-
dant compte de cette soirée et de celle qui l'avait pncédée :
• La semaine qui vient de s'écouler a été particulièrement brillante pour notre
poète, M"" Eugénie Casanova.
» Le dimanche 16 décembre, M. Davrigny, de la Comédie-Française, interprétait ses
œuvres au concert annuel de la mairie de Passy.
• Le soir de ce jour, le patronage Saint-François nous donnait son Credo ^ dont
M. l'abbé Chambonnet, maître de chapelle de notre cathédrale, s'était chargé, avec sa
magnifique voix, de faire ressortir les beautés. On sait que cette interprétation s'est
transformée en une véritable explosion de vivats et d'applaudissements auxquels
toutes les voix se sont mêlées ; — et nous aimons à appuyer sur ce dernier mot, car,
dans cette réunion où les assistants étaient divers, tous ont compris les accents
vibrants de cette poésie, rendus avec un sentiment profond par notre grand musicien.
»Le vendredi 21, il y avait foule élégante à l'institut Rudy, près des boulevards, où
le poète bien connu et le parfait conférencier Charles Fuster a tenu, pei.dant une
heure, sous le charme de sa parole son auditoire. Il a terminé sa brillante conférence
par ces mots : « Non, M™« Casanova n'est pas un poète mièvre, comme il y en a
tant à cette é'^oqueî Sa poésie est large, inspirée, aussi destinée à vivre; elle nous
charme et nous émeul tour à tour ■.
• M. Davrigny a interprété dune façon superbe cinq des plus vibrantes poésies de
notre poète ; il a remporté un vrai triomphe, il a été bissé et acclamé par ceux qui
avaient eu le bonheur de l'entendre.
» Puis le célèbre con^posileur Paul Delmet est venu, avec son art habitueL chanter
Fiancée axix Etoiles et t'œur de Poète. Est-il besoin de parler du succès du
maître 1 Son nom suffit, n'est-il pas connu de tous?... •
Nous .savons que Fustep prépare une seconde conférence sur les poésies de
M™« Casanova, qui surveille actuellement l'impression d'un nouveau recueil appelé
sans doute à un véritable succès.
,*. Nos compatriotes: sont nommés: Officier de l'Instruction publique, M. Mathieu
Merlin, artiste |>eintre ; ofliciers d'académie, MM. Engène-Léon Cormier, protesseur à
l'Association polytechnique de Paris; Jules-Etienne Barthélémy, entrepreneur de
travaux publics, à Paris.
,', !•' février : réunion des Nivernais de V Aiguillon, à Paris, pour fêter M. Edouard
Hornet (de rinstilut), nommé oflicier dans la Légion d'honneur; MM. Cobillot et
Itardin, chevaliers. — Charmantes et cordiales allocutions de MM. Boisseau, Bornet
et Dalligny.
.\ 4 février : décès de M. l'abbé Maurice Bogros, curé de Marzy, à soixante-quatre
ans. • Orateur, il a obtenu de rée4s succès dans la prédication ; poète, il a vu ses
compositions couroinicos à plusieurs reprises par l'académie des Jeux lloraux..., deux
volumes {V Anlêthriat^ la Genc^e)y renferment le fruit des méditât oiis du reTffretté
défunt. » {Semaine religieuse). Notre Nivernais perd en M. l'abbé bogros un des
enfants qui lui faisaient honneur.
/. Société d'Eiiseigiienient populaire : conférences de MM. Gaube : la côte d*lvoire ;
Soudais : du sucre et de son industrie. Le 17 février, M. Frédéric Girerd entretenait
ses auditeurs dun cabaret artistitjue au XVïfh siècle. Le cabaretier n'était autre
que notre compatriote Bampoiineau. c< léhre à l^aris, il y a environ un a-'iéiAe et demi.
M. Girerd a tiiiement montre Baiiiponneau marie, Hampoiineau sur les tivteaux, a la
foiie Saint-Laurent; Bamponneau plaideur, etc. Nous souhaitons que le spirituel
conférencier fasse bénéficier de son intéressante causerie ceux qui, n'ayant pu l'en-
tendre, seront heureux de le lire.
.*, La Société historique, littéraire et scientifique du l^her a réélu président noire
coilaborateur, M. Lucien Jeny. L. D.
Le Directeur-Géranij ACHILLE MlLLlEN.
/ferers, Imp. 0. Vt/Ziérê,
UN VIEUX CELIBATAIRE
«
(Extrait <Pun roman) 0).
L'abbé Blondol , curé de Romenay , et M. Asseler , pasteur protestant dans la
même petite ▼ille, se rencontrent, un soir, chez le maire de Romenay, très malade.
M. Âsseler, le pasteur, vient d'arriver à Romenay, Tabbé Blondot et lui ne se sont
jamais parlé ! Ils quittent ensemble la maison du maire après la consultation des
deux médecins appelés et prennent, à dix heures du soir, la route qui conduit au
bourg de Romenay. C'est Tabbé Blondot qui écrit :
Maximilien nous reconduisit jusqu'à la
porte du salon après avoir serré la main
du pasteur et m'avoir fait un salut de
la tête. En descendant le grand escalier»
nous nous rencontrâmes avec le docteur
UZ n[ * ^=^ ^^*7^ Martinet qui sortait de la chambre du
W:^^^^^ malade.
^ - ^^ r — gj^ j^.^^^ docteur, lui dis-je, c'est
une congestion simple, n'est-ce pas?
Le docteur Martinet haussa les épaules.
— Une congestion simple 1 s'écria-t-il. C'est le docteur Garot qui a
émis cette fameuse idée! C'est de lui, probablement, que vous la
tenez ! Une congestion simple 1 Je vous demande un peu 1 Une conges-
tion simple I Qu'est-ce que c'est que çà 1 Mais que voulez-vous que
dise ce vieux rebouteur I Pour faire un diagnostic , il faut avoir un
cerveau : si Garot trépasse avant moi, je serai bien curieux d'assister
à son autopsie. Le diable m'emporte si je sais ce qu'on va trouver à
la place du cerveau I Cet être-là, c'est un zoophyte 1
(1) Ce roman de notre collaborateur paraîtra bientôt en un volume in-18.
154
REVUE DU NIVERNAIS.
Et le docteur Martinet» nous quittant, descendit précipiteiûïaeat les
marches de l'escalier en élevant au-dessus de sa tête des bras indi-
gnés et en s'écrianl :
— Une congestion simple! Une congestion simple 1 Ah! quelle
bourrique !
Dans le vestibule, nous nous trouvâmes face à face avec le docteur
Garot l'infortuné médecin qui, au dire de son confrère, manquait de
cerveau.
— Eh bien, docteur, demandai-je, rien de très grave ?
— Une congestion simple, fit-il. Cet idiot de Martinet qui parle de
maladie de cœur, de syncope. Qu'importe l'avis de cet impulsif, de ce
vésanique, de ce bidon d'alcool ! Avant un an, il portera la camisole
de force... Enfin, messieurs, je vous quitte, je vais parler à M°»e Thury.
Sur ces mots, le docteur Garot se dirigea vers l'escalier qu'il gravit
en courant.
L'heure n'était pas au rire, mais le pasteur et moi nous n'osions pas
nous regarder, tant nous craignions de perdre notre gravité. Après
avoir franchi la grille du château, nous primes, sans nous séparer, la
route de Romenay. La situation tournait résolument au pittoresque.
« Quels propos tenir?» me demandai-je. c Comment rompre ce
silence pénible? » se disait assurément le pasteur. Oui, que peuvent
bien se raconter un ministre protestant et un prêtre catholique
romain qui ne se connaissent point, qui n'ont pas échangé dix phrases
dans leur vie, qu'un hasard a rçunis et qui marchent ensemble sur
une route, à travers champs, vers dix. heures du soir? J'eus une inspi-
ration que je vous dévoile et dont vous pourrez, le cas échéant, faire
votre profit.
Il vous est certainement arrivé, ô lecteur, — beaucoup plus sou-
vent qu'à moi, je n'en doute pas, — d'assister à un repas ou d'être
assis dans un salon, alors qu'une conversation asthmatique suffoquait
à tout bout de phrase et s'entrecoupait, à chaque instant, de silences
affligeants. Vous vous surmeniez l'esprit vainement pour trouver
quelques idées présentables que vous puissiez marier à des moi»
congrus et vos voisins et la maîtresse de maison se livraient au
même labeur douloureux et inutile. Soudain, quelqu'un s'avisail-il de
railler les médecins et de dénombrer les mésaventures de la méde-
cine : la conversation se vivifiait aussitôt. Les langues fpétiilaieHtde
RBYUE DU NIVERNAIS.
455
joie et les boutades éclataient d'enes-mêmes. Chacun connaissait un
médecin qui ne l'avait pas guéri et c'était un défilé d'anecdotes
araères où une bévue commise par un médecin servait de prétexte à
rajeunir des moqueries qui ont commencé bien avant Jean-Baptîste
Poquelin et qui n'ont pas cessé depuis. Si, d'aventure, la chance vou-
lait qu'il y eût, parmi les invités, Télernel vieux monsieur de quatre-
vingts ans qui a été réformé au conseil de revision pour phtisie du
troisième degré et qui dit si bien avec son sourire si fin : « Vous
voyez, moi Je suis un de leurs condamnés ! », oh I alors, toute gène
s'envolait et les mots roulaient et les phrases aiguës sifflaient et la
mêlée des anecdotes devenait générale et la maîtresse de maison était
sauvée. (Pourquoi donc, pour le dire en passant, les médecins ne
croient-ils pas au miracle ? Eux qui, tous les jours, accomplissent le
miracle renouvelé de saint François d'Assise, de faire parler les
bêles?) Tandis que je cheminais à côté du pasteur sur la route de
Romenay, je résolus, dans ma détresse, d'user de ce stratagème qui
— vous goûterez toute la saveur de cette humble rectification — ne
réussit pas qu'entre imbéciles.
— Vous ne trouvez pas, monsieur le ministre, m'écriai-je, que les
philosophes nous la baillent belle, quand ils nous content que la reli-
gion divise et que la science unit. Voyez un peu nos médecins de
Romenay ! La vérité, pour eux, c'est le contraire de ce qu'affirme le
confrère.
— Nous en avons eu la preuve, dit M. Asseler d'une voix qui riait.
Je lui servis alors, en les saupoudrant d'ironie, mille petits faits
plaisants, dont nos médecins de Romenay, le docteur Martinet et le
docteur Garot étaient les héros J'appris au pasteur que, dans notre
ville, les maladies se divisaient politiquement en deux grandes
familles qui n'avaient entre elles aucune affinité : les maladies conser-
vatrices et les maladies radicales. Le docteur Martinet ne savait
traiter que les premières, celles qui s'attaquaient à un organisme miné
par les idées réactionnaires. A ces maladies-là, le docteur Garot ne
connaissait rien de rien, mais sa cécité intellectuelle disparaissait
d'elle-même quand le mal s'abattait sur un sujet livré au radicalisme
et c'était au tour du docteur Martinet de devenir aveugle. Nos deux
thérapeutes passaient leur vie à s'excommunier l'un l'autre, à se
:traiter mutuellement de <( rebouteurs, de dentistes ï>. Et les malades
156 REVUE DV NIVERNAIS.
mouraient sans avoir la consolation, avant de quitter ce monde,
d'apprendre si le microbe qui les tuait était conservateur, radical oa
opportuniste, — pardon, progressiste 1
Le pasteur riait. L'homme que vous faites rire par vos discours est
à moitié déjà votre ami et vous-même, flatté dans votre vanité de
conteur, vous ressentez pour lui de la sympathie. M. Âsseler ne crut
pas devoir être en reste avec moi. Lui aussi avait fait, dans les vastes
champs des ridicules médicaux, sa cueillette de petites anecdotes. Il
me l'offrit. Et ne croyez pas qu'il parlât avec une voix de catastrophe,
une voix funèbre et prêcheuse qui sortait des profondeurs. Nenoi :
elle était souple, onctueuse la voix de M. le ministre du Saint-Evan*
giie et, aux bons endroits, elle savait devenir joviale, comme il conve-
nait. Aussi, plus de défiance entre nous , plus de contrainte. Nous
causions en amis. Sous la clarté douce de la lune, nous marchions
d'un pas alerte et régulier. Notre ombre cheminait à côté de nous
et se détachait nettement sur la route blanche. Nous cessions de
converser pendant de courts instants et je suis sûr que le pasteur
mettait à profit, comme moi, ces silences pour coordonner ses impres*
sions et tenter de se faire une opinion sur son compagnon de route.
Je pensais, moi : t Mon Dieu, ce pasteur huguenot ne m'est déjà pas
si antipathique ! A en juger par les apparences, il doit jouir d^une
âme débonnaire. Je suis à peu près certain que si j'étais tombé, il y
a deux siècles, dans un clan de camisards, il eût supplié qu on ne
m'écharpât pas et il eût cherché dans la Bible des textes lénitifs pour
calmer ces cruels hommes ». t Ce gros papiste , devait se dire
M. Asseler, n'a pourtant point l'air si meurtrier! Je suis à peu près
convaincu que le jour de la Sainl-Barthélemy, celui-là ne se fût pas
posté à une fenêtre du Louvre pour de là canarder ces bons hugue-
nots >. Tout à coup, le pasteur demanda :
— Fumez-vous, monsieur le curé ?
— Hélas! répondis-je avec un soupir, mes remords sont là qui
disent : oui.
— Voulez vous me permettre de vous offrir une cigarette?
— Mais, j'y pense ! m'écriai-je. J'ai par là, dans les profondeurs de
mes poches, quelques vieux cigares qui ne sont point si haïssables.
Ils me furent donnés récemment par un confrère qui revenait de
Belgique et qui les introduisit en fraude. Vous me feriez grand plaisir
REVUE DU NIVERNAIS. iS7
si VOUS vouliez en accepter un. Ils sont excellents puisqu'ils sont de
contrebande : le fisc ne les a pas flétris.
— Très volontiers, fit le pasteur.
Je lui passai Tétui qui contenait les cigares ; il en prit un et me
remercia. Moi-même je me servis, et avant de remettre l'étui en
poche :
— Le malheur, dis-je, c'est que je n'ai pas d'allumettes.
— Oh ! fit le pasteur, rassurez-vous, monsieur le curé. J'ai des
allumettes et je dois ajouter des allumettes de contrebande. A notre
dernier voyage eu Angleterre, au mois de juin dernier, ma femme est
rentrée en France, toute bardée intérieurement de petites boîtes qui
contenaient des allumettes.
Nous ne flmes ni l'un ni l'autre de grands efforts pour retenir nos
rires.
— Dans tout Français, dis-je, à quelque religion qu'il appartienne,
il y a un contrebandier qui sommeille. Si la douane n'existait pas, il
faudrait l'inventer, pour avoir la joie de la frauder.
Nous allumâmes nos cigares belges avec des allumettes anglaises et
nous reprîmes notre marche. A tout instant, un nuage de fumée
s'échappait de notre bouche et s'élevait dans l'air, devant nous.
Tout en fumant et en devisant, nous étions arrivés au chêne des
t Genévriers ». Là, presque simultanément, nous nous arrêtâmes et
nous cessâmes de parler, comme pour nous recueillir dans la contem-
plation du spectacle. C'était une nuit de clarté, de sérénité. Au-dessus
de nous, l'éternelle enchanteresse la lune qui s'invite toujours à ces
fêtes du silence, trônait avec cette majesté familière, cette grâce un
peu lourde que vous lui connaissez. On eut dit une grave et douce
souveraine qui vient donner audience à son peuple, le peuple souriant
des étoiles. Nous étions sur la cime d'un coteau qui domine Romenay.
Une brume opaque planait sur la vallée et couvrait la petite ville.
Seul, déchirant le blanc suaire qui enveloppait Romenay, le clocher de
mon église montait dans l'infini ; il semblait que, de sa pointe, il allait
percer la voûte bleue comme pour réveiller quelque constellation
paresseuse endormie dans l'Empyrée, On entendait, dans la vallée, la
chanson de la Vireuse qui disait aux étoiles sa joie de courir librement
sur les cailloux. J'aime la lune ; malgré toutes les brouettées de littéra-
ture que les gens de plume ont déversée sur nous, à cause d'elle, ils ne
15S REVUE DU NIVERNAIS.
sont pas parvenus à me la rendre odieuse. J'airoe la lune et tous les
paysages qu'elle ennoblit. J'admirais silencieusement, puis, sortant
tout à coup de ma contemplation, je m'écriai, désignant Romenay
dans la brume :
— Voyez, monsieur le pasteur, nos ouailles dorment derrière ce rideau.
Si on ne croirait pas qu'un bienfaisant génie a jeté sur eux ce grand
voile blanc pour défendre leur sommeil contre les frôlements d'ailes
des oiseaux sinistres qui se lamentent la nuit dans les bois et que nos
Romenaisiens redoutent, parce que, à les en croire, ce sont des mes*
sagers de mort ! Pauvres Romenaisiens ! Dès l'aube, ils ont travaillé.
Ils recommenceront demain, ils recommenceront jusqu'à leur dernier
jour. Tous les matins, au chant du coq, ils iront se courber sur le
même labeur. Tous les ans, à la même époque, ils traceront le même
sillon dans les mêmes champs, jusqu'au jour où la charrue s'échappera
de leurs mains. Si nous n'étions pas là pour faire luire sur eux une
clarté d'au delà, une aube d'éternité, ne devraient-ils pas envier le sort
de ce cheval, de ce bœuf, qu'ils conduisent au labour, de ces bêtes de
somme qui, si elles travaillent comme eux, ne vivent du moins que
quelques années et s'en vont olus tôt qu'eux dans le repos de la mort?
Savez-vous, monsieur le pasteur, que notre mission est belle 1 Nous
venons au milieu d'eux leur enseigner une conception de la vie qui
leur aide à porter le poids des jours — sans cette lumière, la vie,
pour eux comme pour nous, ne serait qu'un problème sombre, qu'une
farce saugrenue — nous venons pour leur donner une explication de
la souffrance et de la mort, ces deux grandes énigmes qui obsèdent
toutes les intelligences les plus hautes et les plus infimes. Nous ten-
tons de les arracher à la Matière pour faire resplendir en eux l'Idée
que le Maître a donnée au monde, qu'il a livrée à des pêcheurs du lac
de Tibériade.
— Ah ! oui, notre mission est belle î fit le pasteur, qui semblait
inquiet, pressé de continuer la route.
Nous reprîmes notre marche.
— Je vous demanderais, monsieur le curé, dit M. Asseler, de nous
hâter un peu, si vous le voulez bien. Ma femme pourrait s'impa-
liftiter.
— Comment donc I m'écriai-je. Peut-être, par ma lenteur, suis-je
caiisf d'un grand retard. Vous auriez dû me prévenir, monsieur le
)
BCVOE on NIVESNAISi
159
pasteur. En tout tas, vous voudrez bien m'excuser. Je ne suis point
habitué à compter avec les si légitimes impatiences d'une épouse.
— Ah I c'est vrai ! fit en riant M. Asseler. Vous ne connaissez point
les exigences de la vie conjugale, mais aussi, ajouta-t il d'une voix où
il n'était point malaisé de découvrir une petite nuance de pitié, —
vous en ignorez les joies, les consolations... qui sont grandes.
— Ah ! j'en suis totalement privé ! fls-je d'un ton de bonne humeur.
Ma vie, sous quelques rapports, - côté du cœur, côté tendresse, —
est un peu celle des cénobites Je pourrais m'appliquer cette parole de
l'Ecriture : a Sicut poster tolitariut m tecto n.
— Ah ! oui, s'écria le pasteur de cette même voix qui s'apitoyait, vous
êtes bien, selon l'expression biblique, « le passereau solitaire sur un
toitl » Point d'épouse, point d'enfants, point d'amour. Vousnaimez
point, vous n'êtes point aimé. Vous ne savez point quel réconfort nous
goûtons à sentir auprès de nous une affection vigilante. Tenez, monsieur
le curé, un exemple : quand il vous arrive un de ces mille petits
accidents de la vie quotidienne, de glisser sur un parquet trop bien
ciré, de vous abattre dans un escalier, à la suite d'un faux pas, que
faites-vous ?
— Ha foi, dis-je simplement, je me ramasse et je geins, s'il y a lieu.
— Ah ! moi, reprit M. Asseler avec une certaine candeur, c'est une
autre affaire ! Ma femme est là, dans la maison. Je la vois qui accourt,
les yeux pleins d'angoisse, je l'entends qui, d'une voix oppressée par
l'émotion, me demande: «T'es-tu fait mal, mon ami?B Voilà des
joies que vous ne connaissez pas l
— Des joies ! comme vous y allez !
— Oui, des joies, dit M. Asseler. Monsieur le curé, vous allez, sans
doute, rire de ma niaiserie, mais je l'avoue, parfois je souhaiterais
qu'il m'arrivât quelque accident bénin, une chute, une blessure, une
avarie quelconque, rien que pour juger de l'affliction de ma femme
et aussi de son affection, rien que pour être cajolé et dorloté par elle,
rien que pour sentir ses mains douces passer maternellement sur l'en-
droit douloureux.
— Ah ! mais, fls-je, voilà de folles envies qui jamais ne me vien-
nent ! La semaine dernière, j'ai dégringolé trois marches de mon
escalier. Prudence, ma vieille servante, qui pétrissait de la pâte dans
la cuisine , est accourue les manches retroussées, les mains enfari-
nées, et s'est écriée : « Rien de cassé, au moins? » puis voyant que
SI 'M
«Il
♦
f
À
REVUE DU NIVERNAIS. 161
\ ce moment, la fenêtre qui était éclairée au premier étage de la
>ison du pasteur s'ouvrit brusquement, une forme blanche apparut
dans le silence, une voix dit :
— C'est toi, Raphaël?
— Oui, ma chérie, répondit M. Asseler.
— Ah 1 reprit la voix où perçaient quelques notes aigres, ce que
e^t pourliiat qu'un homme I Quand c'est loin de la maison, ça ne
nm plus ;i rien! Voilà qu'il est minuit ! Est ce que .c'est une heure
i>ur laisser sa femme I Moi, je m'embêle ici comme une croûte de
rtîn derrière une malle !
— Ty vais, j'y vais, flt le pasteur d'une voix qui demandait grâce,
[mis se toLiraant vers moi :
— Voici laa femme qui s'impatiente, me dit-il. Vous ne connaissez
|>ôint ce^ r'niotions, monsieur le curé. Vous êtes un vieux célibataire.
— Oui, fis-je en riant, un pauvre passereau, 'pasur solitarius.
Nous nous séparâmes après nous être serré la main. Et lançant au
vent de la nuit les suprêmes bouffées de mon cigare belge qui rendait
le dernier soupir, je me dirigeai vers le presbytère et j'entrai allègre-
ment dans mon nid de passereau solitaire. Jules Pravieux.
L'ENFANT BOERO)
On l'avait ramassé sur le champ de bataille.
Le flanc gauche troué par une affreuse entaille,
Il gisait, étendu sur le bord d'un fossé.
Ainsi qu'un jeune lis de sang éclaboussé.
Le visage enfoncé dans l'herbe défleurie,
Il appuyait sa bouche an sol de sa patrie.
C'était pitié de voir ce tendre adolescent.
Chérubin au cœur d'ange et sublime innocent,
Endormi pour jamais en baisant cette terre,
ComijR^ nti t'ijfîint s'endort en embrassant sa mère.
Quand Pourn^un mortel s'était jeté sur lui,
Il avait un besoin de sentir un appui :
U tenait, (taiis sa main horriblement crispée,
• La main d'un vieillard mort. Car dans cette épopée
Où. cliantanl ses élus, la Gloire au front serein
Fait résonner sa voix dans son clairon d'airain, —
Au milieu du fracas des sourdes canonnades,
Eoîicmble, comme au temps des douces promenades,
Graiid-père e»t petit-fils, unis par le Destin,
Descendeat dans la tombe en se tenant la main...
(1} Cette pièce est d*^tachée du recueil de notre collaboratenr qui vient de paraître,
et doDt nous pelons ptus loin.
1*
!B»t:
'«r.auw--.- ,. •• - -. v;»^**
I^L^^-
^.PoUk,
REVUE DU NIVERNAIS. 1S3
LA CATHÉDRALE DE FRANCE
Par Jean BAFFIER
Le maître sculpteur Jean Baffîer, qui se sert de la plume commf? da
rébauchoir, avec la même maîtrise, vient de publier, sous te lilrc;
c la Cathédrale de France (i) », une étude à la glorincation de ces
splendides documents façonnés de notre art national.
Après avoir envisagé la cathédrale au point de vue purement artis-
tique, comme une émanation directe de la terre de France, il entre
dans le domaine de la philosophie combative pour des idées qui lui
sont chères et qui touchent de près aux graves questions qui agitent &i
profondément notre époque.
Quatre points sont étudiés par Tartiste : 1» Les destructeurs d^ la
cathédrale ; 2® ses détracteurs ; 3<> pourquoi on a voulu la détruire;
40 pourquoi on Ta calomniée.
Nous ne pouvons le suivre dans ses développements quiembrassenU
dans une large vue d'ensemble, toute l'histoire religieuse de la France,
mais nous en citerons quelques passages principaux, qui fixeront nm
lecteurs sur les idées défendues par l'auteur, idées qui puisent leur
force dans la tradition de race de celle qu'il appelle c l'admirable terre
de Gaule ».
t C'est bien la tradition celtique, dit-il, qui renaît au v« siècle do
notre ère avec la venue des Francs-Saliens, qui n'étaient, comme nnim
l'avons prouvé précédemment , que des Gaulois émigrés pour s'affran-
chir du joug romain, mais on sent quelque chose d'amoindri dans h
grande loi primitive qui a pourtant pu faire cette cristallisation soci^ile
devenue la France des provinces confédérées, des communes franche?
et des corporations autonomes. Nous avons également démontré qim
les Gaulois, restés à croupir sous le droit romain, quittèrent cet onlrn
de choses dissolvant pour vivre sous la loi salique reconstitua iitt%
parce qu'elle était en accord avec le principe vital et naturel du pays.
Le droit romain, comme le dit très bien Montesquieu, «r fut seulemcni
retenu par le clergé romain qui tC avait pas, paraît-il, intérêt à changer n.
En face du clergé cosmopolite et administratif romano-byzanliti,
(1) Chex rauteor, rue Lebouis, 6, et aux ateliers de la revue la Veillée, rue P«rçe.
Tal, iO^ à Paris.
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REVim DU NIVERNAIS. 415
Gaule, la royauté de saint Louis, — la grande S^iuraine^ comme la
dénomme Michelet, — le droit français enfin, n'a plus qu'un tout pelil
article dans cette fameuse ordonnance de 1413, écrite par les péda*
gogues de l'Université de Paris ©.
La Renaissance, c'est le triomphe de ces évéqvics latins^ dont les
ancêtres, au iv<^ siècle, avaient tenté, pour la première fois, au concile
de Sardiqne, d'asseoir la suprématie du sit^^e de Rome ^1), Ce but est
atteint au concile de Constance, qui proclame ta cenlralîsatîon de
l'Eglise, supprime l'autonomie dos églises nationales et interdit l'élec-
tion des évèques.
t Nos lecteurs remarqueront, dit Baffier, que rUniversité de Paris,
après le fameux concile de Constance, avait approuvé Tafisolutisme
papal. Elle se réjouit ouvertement d*.* l'interdiction des élections locales
qui donnaient des évêques ilUtîréH, des fih de paysans, den roiuriers
groêêiers et frustres^ nous apprend Michelet. C'étaient pourtant ces
illettrés, ces grossiers et frustes paysans, ces va-nu-pieds, comme
Pabbé Suger et Maurice de Sully, sortis de^ i'UtM^s méprisses ^ ainsi que
le constate Duiaure, qui ont, de concert avec les corporatious, édifié
nos splendides cathédrales )).
Nous terminerons par ce dernier passage qui résume en quelque sorte
toute l'étude : « En même temps que la centralisation de F Eglise chré-
tienne proclame l'absolutisme papal, nous apercevons dislinctemcnt,
dans Pordonnance cabochienne de 1413, la ceutraljsntiou judiciaire,
financière et administrative, qui devait nous conduire à l'absolutisme
royal de François I", à Pautocralie du potentat orienlal que fut
Louis XIV, en attendant qu'elle nous amenât a la ploutocratie
actuelle i».
Par les citations qui précèdent, nos lecteurs ont pu apprécier com-
bien, chez Baffier, la phrase a de puissance. Elle possède la même
valeur d'expression que sa sculpture, et renrl la pensée par des traits
fermes et vivants, qui laissent dans les esprits une impression pro-
fonde et durable.
Edouabû Acuàrd.
(1) LccoNTE DE Lisle: Histoire du Chriaiianisnie,
^
166
REVUE DU NIVERNAIS
4
DOULEUR
Voir souffrir êlait mon sappUcft.
Dans le soir d'hiver blanc sous le lînceul de neige
Où les fantômes noirs des âmes de douleur
S'effacent dans la nuit en livide cortège.
Toute Tangoisse humaine a sombré dans mon cœur*
J'entends là-bas des voix qui pleurent dans les plaines,
Voix funèbres des cœurs las d'avoir trop souffert,
Plaintes, sanglots, appels, supplications vaines
Qui s'éteignent dans le silence et le désert,
... Oh ! les cris d'orphelins aux fébriles Hétressesî
Oh I les sombres soupirs étouffés dans les pleurs
Des petits qui n'ont pas d'amour ni de caresses
Et dont l'àme en éveil tremble d'étranges peurs !
Ohl la plainte de ceux traînant leur lourde vie
Aux chemins d'ombre où rame a saigné par lambeau,
Et dont les jours morts sont des heures d'agonie.
Crépuscules d'abime aux reflets de tombeau I
Oh ! rimmense sanglot de l'immense misère.
Sanglots d'êtres humains au regard inhumain,
Egarant au hasard leur miirche sol i la ire,
Pâles, hâves, tremblants de froid, pleurant de faim 1
Oh ! le râle de ceux dont tout le corps succombe.
Accablant de torpeur leur âme de martyr ï
Oh ! le gémissement, sourd écho de la tombe.
Des mourants dont la mort est trop lente à venir l *
.., Au loin la neige tombe, expire en larmes lentes.
Lentes... Et le vent froid se lamente tout bas,
Et c'est la voix encor des âmes défaillantes
Qui s'élève... le vent est triste comme un glas.
Solitude!... il fait froid!... mon âme tremble et souffre
Comme l'âme du Christ au janliii lénéhreux.
Et le cri des douleurs qui relnmbeiil au gouffre
Monte, monte, se brise en sanglots sous les cieux.
... Mais lorsque sonnera d'en-haul la dernière heure,
Une lueur enfin va dorer le ciel noir ;
Le songe d'au delà berce l'âme qui pleure.
Et la mort, dans la vie, est le suprême espoir.
... Voici que les yeux pleins de larmes vont se clore,
Et que, dans le repos du mystère béni.
Le soir d'ombre s^endort en rêve dlnfîni
Dans la nuit d'agonie où va jaillir Taurore...
FEBlfAKD fUCIURP.
I
REVUE DU NIVERNAIS. 167
UN ÉPISODE DE LA FRONDE EN NIVERNAIS
(JUILLET 1652)
Les historiens qui ont parié de la Fronde en Nivernais ne semblent
point avoir précisé Tépoque du passage des troupes aux environs de
Nevers.
Une simple pièce de procédure, rencontrée dans le dépouillement
des archives du château des Bordes, me permet de le faire. C'est une
contestation, survenue en 1653 entre Louise d'Ancienville, comtesse
des Bordes, et les frères Simoneau, chargés de Tentretien de ses vignes
de Boulorge (commune de Varennes-les-Nevers).
Les vignerons prétendent que s'ils n'ont pu faire leur travail, cela
tient € à ce que les gens de guerre, tant du régiment de Thurennes
que de Son Altesse (1 ), de cavallerie et d'infanterie, quy ont logé dans
leur paroisse et aux environs, ont contraint eulx et les autres habitans
des paroisses circonvoisines dhabandonner leurs domicilies pour
sauver leurs vies et le peu de bien qu'ils auroient peu transporter ».
Les mêmes ouvriers ajoutent a que les trois quarts des vignes des
paroisses circonvoisines ne seront faittes au moyen des logemens des
geos de guerre », alléguant d'ailleurs c qu'en raison de la grande mor-
talité survenue en 1652, ilz n'ont peu trouver aulcungs ouvriers pour
trayailler avec eux dans lesdittes vignes i».
La dame des Bordes, dans une requête adressée au bailli de Parzy (2)
et Varennes, expose c que ce régiment n'a pris son logement en la
paroisse de Fougues que sur la fin de juillet » et que les vignerons
ont eu le temps de façonner ses vignes. Elle conclut donc que l'excuse
des gens de guerre n'est pas recevable, puisque les travaux auraient
pu être commencés avant leur arrivée et achevés après leur départ.
Gaston Gauthier.
(1) n s*agit évidemment da prince de Ck>ndé (chef de Tarmée des Frondean), qai
comlMUait contre Turenne, placé à la télé des troupes royales.
(f) Pany, paroisse de Garchizy, était alors un lief de l'évéché de Nevers.
^v^
^^^^^
i6S RE%0E nu mTBMAlS.
LE GRAPHOPHONE
La mode est, cette année, d'avoir chez soi on gnpbopboiie^ disoes
pliitAt un phonographe, pour conserver à rinstnunent sod nom pri-
ixiliit. — On pourrait bien dire, un jour, à travers les mes de Paris:
(« Q{\\ n*a pas son graphophone? n comme on dit, comme oo a dit de
tout temps, sans doute: c Qui n'a pas son petit cochon? »
Pauvres petits cochons ! Ils sont en sucre, en pain d^épice, en car-
ton, en argent, en or: quimporte! ils portent, ils doivent porter
bonheur.
Je ne sais pas si le phonographe portera jamais bonheor, mais ce
que certainement je sais, c'est qu'il est un instrument des plus intéres-
kiiîïU, des plus attrayants, des plus .. arrêtons-nous et disons que c'est
un appareil justement en vogue.
Ainsi, moi qui possède un phonographe, je lis en musique, j'écris
en musique, je dîne en musique, je me promène en musique, parce
que j'ai si bien la musique dans la tête que je chante ce que le phono-
graphe m'a appris, comme le phonographe chante ce que je loi
apprends.
Et le phonographe-réclame ! Nous le trouvons à la porte des magi-
sins, où il attire la foule qui, sans bourse délier, entend nos grands
artistes : Paulus, Polin, Ouvrard, etc... puis nos meilleurs opéras et,
pour la jeunesse aux pieds lestes, il a toutes les danses du jour, voire
môme la pavane et le menuet. Que diraient nos ancêtres s'ils sortaient
subitement de leurs demeures souterraines? Ne seraient-ils pas juste-
ment effrayés de ces inventions nouvelles?
Je me rappelle que mon grand-père me parlait d'une très vieille
tante qu'il avait perdue étant tout jeune et qui disait sans cesse :
c Vous verrez, vous verrez, mes petits amis, il y aura plus lard de bien
grandes choses : des voitures sans chevaux et toutes sortes de mer-
veilles ». Nous sommes arrivés à ce plus tard dont parlait mon arrière-
grand'tante.
Les automobiles ont remplacé les cabriolets, le téléphone a mis le
monde entier en communication intime et le phonographe, quand
REVUE DU NiviSRNAIS. 169
nous ne serons plus, redira à nos petits-enfants ce que nous aurons
pensé pour eux. Et voici ce que le mien chantera peut-être :
A m<m fil».
L'ENFANT
n dort, sa bouche rose entr*ouverte au sourire
Est an chamie divin qui captive le cœur,
Quand luit son doux regard tour à tour en Tadmire,
On le loue à Tenvi, tous le fêtent en chœur.
On sait qu'il vient d'en haut, du céleste parterre ;
Embaumé de Tèncens épandu dans les cieux,
Blanche petite fleur éclose pour la terre,
Messager du bonheur qui rayonne en ses yeux.
Quand il nous tend les bras, ne semble-t-il pas dire :
• Je suis le pur rayon du soleil de Tamour ;
Ma main, comme l'éclair de l'horizon, déchire .
Le triste voile noir qui nous prive du jour.
• J'apporte l'espérance et la paix et la joie,
Je promets un printemps éternellement beau.
Le fil de votre vie est par moi fait de soie
Et mon doux bégaiement est comme un chant d'oiseau. •
Oui, l'enfant est vraiment Pange de la famille.
Avec lui le bonheur au foyer vient s'asseoir.
Du paradis terrestre, il vous ouvre la grille :
n dit le jour riant et moins sombre le soir.
Marie Chauvet.
POÉSIE DE JEUNESSE
A monsieur Achille Millien.
Quand on a bien souffert, que notre âme est de feu !
Que nous n*espérons plus .. on est plus près de Dieu !.
La souffrance nourrit les cœurs forts... La Prière
Allège la douleur... nous grandit... on espère
Revivre, après la mort, dans un monde meilleur,
Réaliser enfin le Rêve du Bonheur...
Victor Moussy,
1
flO REYVr DU NrV6RNàIS>. ;
LE PARNASSE MODERNE
POETES HOLLANDAIS (Suite)
WiUem Jaoobs Hofdijk.
(1816-1»»;.
LA FIANCÉE DE SONNEVELT
L'if eDcadrail la porte et les arcs ; à foison
Lés rubans paraient la verdure;
L'étendard tout brodé flottait sur la maison,
Avec ses franges en bordure.
Les serviteurs jouaient et s'ébattaient entr'eux
Sur le sable, en belle liesse.
Dans la salle d*honneur aux ornements pompeux,
S*égayait Paitière noblesse.
En grand nombre assemblés, les seigneurs d'alentour,
Costumés d*hermine et de soie,
Des noces au château célébraient Theureux jour
Et festoyaient, le cœur en joie.
Des roses blanches dans ses cheveux d'un ton cl:iir,
Des roses rouges sur sa joue,
Se tient la fiancée assise, — cœur si fier,
Rare beauté que chacun loue.
Des perles s'enchainant à travers les cheveux.
Des yeux d'où jaillit Tétincelle,
Le noble fiancé, hautain et fastueux,
Galo Groot, est assis près d'elle.
Comme, au jardin fleuri, la rosée au matin
Rafraîchit la tige riante,
S'épandait, abondant et généreux, le vin
Sur les fleurs de gaîté bruyante.
Fifre et harpe sonnaient Les ménestrels en chœur
Célébraient la gloire passée.
Ta gloire, à fiancé, tes exploits, ton honneur ;
Ta beauté, noble fiancée !
Dans les jeux et les chants, dans le bruit incertain
Dont tremblait la maison entière,
Alors le fiancé saisit la blanche main,
La main de la riche héritière.
Elle-même, il la prit, l'entoura de ses bras.
Aux accents du cliœur qui délire,
A son oreille il dit un mot, uo mot tout bas,
Avec un rire, étîange rire.
RîSVyE 0U NiYBWîAIS. lit
Mais mit-elle le pied sur un crapaiid ? Soudain
Bondissant vers lui, dans la salle
Brusquement elle jette et Tanneau de sa main
£t sa couronne nuptiale.
Et tandis que ses yeux dardent des traits de feu,
La pâleur envahit sa joue ;
Sa bouche se contracte et blêmit peu à peu ;
Un frémissement la secoue.
Son regard, tout chargé de haine et de dégoût,
Sur Galo se fixe en outrage,
Et voici que sa main se lève, et tout à coup
Va frapper Thomme en plein visage.
(( Parents, indiquez-moi le couvent où j'irai ;
Prenez mes bienis, je vous les donne...
Jamais avec ce rusire, ah ! je ne partirai !
Que Dieu le nie et l'abandonne I b
Tel est un sanglier blessé, d'un geste prompt
Lui, tire son couteau : « J'en jurel
Pour m'avoir osé faire un si cruel affront,
Ton jeune sang paiera l'injure ! »
Mais voici que déjà les parents sont venus
A côté d'elle prendre place.
Ivres de passion, avec les sabres nus,
Les deux partis sont face à face.
Tumulte, hurlements, cris de rage !.. ont cessé
Les chants de fête nuptiale.
Armoires, tables, bancs, tout gît là, renversé.
Pèle mêle à travers la salle.
En jurant des deux parts, chacun avec fureur
Se précipite, bondit, roule ;
Plus rouge que le vin, dans un fracas d*horreur,
Le noble sang jaillit et coule.
Sonnevelt eut bientôt jeté Gale, écharpé
Par son sabre, hors de la salle ;
Vint son frère Maurice, en vengeur; mais frappé
De même, il tomba sur la dalle.
Ainsi le vieux manoir, en ce jour décevant,
Vit la fête expirer en drame :
La fiancée alla s'enfermer au couvent
Et le fiancé rendit l'àme.
Le mot qu'il prononça, mot fatal, mot d'horreur,
Nul n'en sut le secret intime ;
Seule, elle put l'ouïr, il resta dans son cœur,
Noyé comme dans un abîme.
tn
REVUE DU NIVERNAIS.
Staring.
DÉSIR
Pourquoi donc tardes-tu, toi qui devant mes yeux
Planes dans mon désert, ange à forme indécise 1
Pourquoi donc tardes-tu, toi qui me fus promise
Par un pressentiment doux et mystéiieux ?
Abusé, poursuivant la chimère traîtresse.
J'étends les bras vers ton image : elle me fuit,
Recule devant moi, bientôt s'évanouit,
Et je demeure seul en proie à ma tristesse.
Pourquoi tarder? veux-tu qu'un vain et fou désir.
Comme un feu lent et sûr, consume ma jeunesse?
Ah 1 sonnera-t-elle enflfi, cette heure de liesse,
Où je pourrai vraiment t'atteindre et te saisir?
A toi mon cœur ! avant que de son mal suprême
L'excès ne l'ait brûlé, guéris, guéris mon cœur I
Et je boirai par toi I ivresse en la liqueur
Du terrestre calice offert par ta main même I
Nicolaas Beats.
JOURNÉE DE MAI
Suivant le clair soleil, le souffle de la brise
Passe à l'Est au Sud est fixé.
Bonnes gens, laboureurs, ce temps vous favorise ;
Votre désir est exaucé.
La feuille frêle sort du fin bourgeon qui s'ouvre,
Déjà verdit le champ ; la semence le couvre,
Et le gel de la nuit ne la gênera pas;
Salut, beaux jours, adieu, frimas !
Si longtemps s'exhalaient nos soupirs et nos plaintes !
A l'oubli déjà nous criions !
Le vent qui s'attiédit vient dissiper nos craintes...
Pensers qu'aujourd'hui nous nions,
Combien de fois, chez nous, plus d'un s'est pris à dire *
« Triste froid, mauvais tempsl 9 au lieu de le maudire,
N'aurait il pas été juste de le louer.
Si Dieu voulait nous l'allouer ?
Et nous restons confus, et notre honte est vive :
Comment nous excuserons-nous ?
En ce jour d'allégresse où le printemps arrive,
Le sol verdoie et l'air est doux.
Seigneur, jette d'en haut un rejfïard favorable !
Nous ne ! rouvrions plus notre sor( misérable.
Et la r<>connais-atice euvplîra notre cœur :
Daigne nous pardonner Seigneur 1
REVUE DU NIVERNAIS. 113
LA CHANSON DE LA ZAAN
L*Y est large, la Zaan aussi :
Qui veut naviguer par ici ?
Les filles, semaine et dimanche,
Ont encor le costume ancien ;
Leurs yeux sont bleus, et leur peau blanche ;
Je les aime, les aime bien !
L'Y est large, la Zaan aussi :
Qui veut naviguer par ici ?
On y trouve des ribambelles
De moulins, des meuniers cossus;
Mais qui voit leurs Glles si belles
Aux gros moulins ne pense plus !
L'Y est large, la Zaan aussi :
Qui veut se promener ici ?
Y mangea des beignets Czar Pierre,
Sous son costume d'ouvrier ;
Le regret de sa vie entière,
C'est qu'il eût dû s'y marier !
Jan Pieter Heije.
(1809-1876).
SOLEIL DU SOIR
Le soleil du soir baigne en sa clarté dorée
Le sommet vert de la forêt ;
Par ses feux, des sapins la tige est effleurée
Et l'oblique rayon incandescent parait
Sur le fond des troncs bruns une pourpre fluide.
Il glisse doucement, mobile et radieux.
Vers les mousses du sol il descend, comme avide
De s'étendre et dormir sur ce tapis soyeux.
€ Dors en paix, cher soleil, lumière, notre vie ! »
Ainsi chante l'oiseau des bois.
Ainsi murmurent l'arbre et la feuille ravie.
Vous, hommes, qui savez et sentez à la fois
L'œuvre de ce soleil dont le flot pur ruisselle,
Vous tairez-vous, indifférents?... A votre tour,
A ces grâces de la nature universelle,
En ce calme du soir, mêlez vos chants d'amour.
TradiLctUm d' Achille Miluen,
I
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Paul Duvivier : Assassins, — Le poète, — Paris, L. Vannier, éditeur, quai Saint-
Michel, 19. — In-18, 2 fr.
De ce volume qui vient de parailre, notre collaborateur M. Paul Duvivier a détaché,
pour notre Revue, la belle page que nos lei^teurs ont pu apprécier : L'Enfant boér,
Taatps les pièces du recueil débordent de Tindignatiou éveillée dans le cœur de
l'auteur par Tatrooe guerre sud-africaine. 11 sonne le tocsin^
Puisque règne aujourd'hui le vampire Angleterre,
Puisque sa griffe immonde élreint toute la terre,
Puisque sa gueule horrible a $ur les nations
Mis sa ventouse et pompe, avec les millions,
La Justice, le Droit, la Liberté, la Vie,
Et toujoui^ dévorant, n'est jamais assouvie;
Puisque, du sud au nord, du levant au couchant.
Le monstre fait son œuvis et se îîorge de sang ;
Puisque, de ses suçoii-s inleeU*, il boit la Chine;
Qu'accroupi sur l'Kgypte, il lui ronge léchine ;
Que, vautré sur rirlande, il en fait son engrais ;
Puisque, rivé sur l'Inde, il la vide à longs traits ;
Puisqu'il imprime enfni sa puante morsure
Au Transvaal, qui meurt sous cette béte impure...
L'indignation, tantôt cinglante, tantôt ironique, ne manque jamais le but Ajoutons
que le fer de flèche est toujours ciselé avec art. — Le recueil se termine par un petit
drame en 4ix scènes, dont l'action se passe en Italie au xvi" siècle, d'une inspiration
très haute et d'une forme très pure.
Correspondance intime du général Jean Hardy\ de 1797 à 1809^ recueillie par
son pelil-fils, le général Hardy de Périni. — Paris, Plon-Nourrit et C'*, rue Garan-
cière, 8. — Un volume in- 16, 3 fr 50.
• Parmi les préjugés qui s'attachent à l'Histoire, il n'y en a pas de plus répanda
que cet axiome : la RL-volulion française a iiufirowsé ses soldats et ses généraux. —
C'est la légende, cela plaît ainsi à notre orgueil national... »>. C'est ainsi que débute
V avant-propos de l'ouvrage que nous annonçons et qui ajoute une page importante
a rhisloi^e HMlitaire-de la Révolution et du Consulat. Jean Hardy fut un des géné-
raux les plus remarquables des années victorieuses de la première République. Li
Révolution le trouva fourrier à Royal-Monsieur. 11 gagna à Valmy ses épaulettes de
ftRWE DU NlTEIWrAÏs. i 75
chef de bataillon. ÎI se signala partout: à Sambre-et- Meuse, en Allemagne, au Rhin.
11 fol pris par les Anglais dans Texpédilion d'Irlande et il alla mourir à Saint-
Domingue, à quarante ans. Il faut savoir gré à son petit-fils^ le général Hardy de
Périni, connu si avantageusement par ses Batailles d*autrefoi»y d'avoir publié cette
correspondance intime toute remplie de détails du plus grand intérêt. En la parcou-
rant, on revit ces jours d'épopée et on en garde une impression bien plus exacte
qu^aprés la lecture de beaucoup de récits à plus hautes prétentions.
\ i
Gaston Poitevin : Chemin divin, poésies. — Paris, édition de la Revue de^
Poètes, rué Monsieur, 13. — In-16, 2 fr. 50.
Voici on rcciMil tout plein de charmants vers, d'une inspiration tendre, douce,
sincère et non dénuée d'ailes. Nous l'avons lu avec grand intérêt et grand plaisir.
Au hasard nous ouvit>ns le volume à la page de Cendrillon, et nous mettons cette
petite pièce aous les yeux de no» lecteurs :
Dans ses habits troués, près de l'âtre sans flamme,
La pauvre Cendrillon veille seule au logis,
Sans essuyer ses yeux par ins larmes rougis,
Sans pouvoir surmonter la douleur de son âme.
Les grillons familiers taisent leur chant tremblant,
Le silence profond fait l'ombre plus épaisse,
Cendrillon cependant du fond de sa tristesse.
Espère encore et voit le b.il élincelant.
Ainsi l'Humanité, qui trouve sur sa route
Tant de jours assombris de tristesse et de doute,
Ne se lasse jamais de son rêve ingénu
Mais elle attend, le front courbé sous lasouflrance,
La Fée au doux regard, le Génie inconnu
Dont la robe aux plis dor renferme l'espérance I
NOTES ET ÉCHOS
/, Nos compatriotes: sont promus colonels : du 16* chasseurs, M. du Pré de Saint-
Maor ; du 28* dragons, M. Lavaivre. — M Chavance, adjoint principal à la direction
des Constructions navales à Guérigny, est nommé chevalier de la Légion d'honneur.
/, Nous applaudissons au succès des conférences organisées par la Société d'Ensei-
gneo'ent populaire de Nevers. MM les professeurs Lavault et Soudais, ont parlé l'un
de Rudgard Kipling, poète et romancier de V Angleterre impérialiste ; l'autre, de
V Alcool et raicooUsnie. M. le député Massé a choisi pour ihème : La vie de Michelet,
.\ 9 mars. — Décès à Auxerre de M. Charles Martin de Chanteloup, ancien député
et président du conseil général de la Nièvre. Inhumation à Guipy, le Ti mars.
176
RfiVtm W NIVBRKAIS.
Avec le chapitre intitulé : Un jwr
de paye, nous reprendrons au pro-
chain numéro la suite de intéres-
sante étude de H. L.-H. Poossereao,
sur les Houillères de La Machine,
Pour rintelllgence du dessin ci-
contre, se reporter à la page il3 de
notre livraison de février.
L. D.
Le Directeur- Gérant,
Achille MILLIEN
AUX MANŒUVRES
E lieutenant Maurice d'Arthel a la pré-
tention d'être le maître dans son mé-
nage, aussi, malgré les instances de sa
femme, vient-il de faire acte d'autorité
en lui défendant de le suivre aux ma-
nœuvres d'automne, Oh ! ce n'cst-pas,
croyez-le bien, qu'il n'eût été heureux
de trouver à une halte quelconque, le
frais visage et le radieux sourire de sa
jolie Denyse. Certes, le charme de sa femme, sa grâce parfaite, tout l'en-
semble de son être fin et délicat, sont de ces avantages qu'un mari
aime à mettre en lumière, et, pas plus qu'un autre, il n'eût été insen-
sible à ce petit sentiment de vanité, concordant trop bien, du reste,
avec UH autre sentiment d'ordre plus intime, si ses camarades, trou-
vant, comme le renard de la fable, « les raisins trop verts », ne
s'étaient permis de souligner de certains sourires moqueurs les allures
amoureuses du jeune ménage, ce qui piquait au vif l'amour-propre du
Ueulenant. Puis, il y avait le colonel, vieux garçon endurci, qui décla-
rait le mariage incompatible avec le métier militaire, et qui, l'année
précédente, avait, dans une diatribe furieuse, tonné contre les officiers
de son régiment qui n'avaient pas eu l'énergie nécessaire pour
empêcher leurs femmes de suivre les manœuvres c II ne manque plus,
avait-il ajouté, que d'y voir, l'année prochaine, les enfants et leurs
nourrices. »
Aussi, malgré les supplications de Denyse, Maurice avait tranché aet
la question par un « non » formel. « D'ailleurs, lui avait-il dit en
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REVUE DU NIVBRNAIS. 179
baiser lut ferma la bouche. Lequel d'entre vous, Hesneurs, n'eût alors
accordé complète absolution ?
Si les officiers supérieurs apprécient un dîner délicat et bien servi,
beaucoup d'entre eux ne sont pas insensibles aux charmes des jolies
femmes; aussi, ce soir-là, en quittant la table, s'empressèrent-ils, après
une courte station au fumoir, d'aller rejoindre, dans le grand salon,
toute la partie féminine des invités que les châtelains de Saint-H...
avaient chez eux pour la saison des chasses.
Le lieutenant d'Arthel, envoyé en députation par ces demoiselles,
avait amené quelques jeunes camarades qui, malgré la fatigue des
manœuvres, ne reculaient pas devant un tour de valse, et peut-être
aussi devant ce flirt si charmant, sans lequel le mot plaisir perd toute
signiflcation pour la plupart des jeunes filles d'aujourd'hui.
La gaieté était à son comble, le Champagne moussait dans les
coupes, la jeunesse dansait et babillait, tandis que les gens dits sérieux,
se livraient aux émotions de l'écarté et du baccara.
Denyse venait de valser avec son mari, lorsque la maltresse de la
maison l'aborda en riant :
— Sais-tu , lui dit-elle , quelque chose d'amusant ? Monseigneur
qu'on n'attendait que demain est arrivé ce soir, surprenant à table
M. le Curé et le colonel. Tu vois d'ici l'embarras du bon prêtre 1
Heureusement que le colonel, avec une bonne grâce parfaite, a rendu
sa chambre à Monseigneur, et est venu ici prendre possession de celle
qui lui était destinée. La sachant encore libre, il a prié les domes-
tiques de ne prévenir personne afin de nous éviter tout dérangement.
Denyse poussa un cri :
— Ah ! mon Dieu ! Et moi qui ai fait porter dans cette chambre
éloignée, qui devait rester inoccupée, le berceau de Bébé pour que le
bruit ne l'empêche pas de dormir ! Quelle surprise pour le colonel I
Je me demande comment Nounou s'en est tirée.
A l'exclamation de sa femme, Maurice s'était rapproché, et tandis
que la maltresse de maison retournait vers ses hôtes, tous les deux
partaient à la recherche de Bébé. Je crois qu'en son for intérieur, le
lieutenant n'était pas satisfait de la situation.
Us explorèrent toutes les chambres, appelèrent Nounou sur tous
les tons ; mais nulle trace de celle-ci ni de l'enfant. Denyse était
toate p&le, et son mari fort énervé.
178 flEVUE DU NIVERNAIS.
matière de consolation, tu as Bébé pour te dis^lrai
sont vite passés » .
Fier de s'être ainsi montré, pour la première foi
deux ans de mariage, le lieutenant, comme tout ïh*
surmonter une grosse difficulté, éprouvait le besu
victoire ; aussi, pendant les premières journées i]v m
causant familièrement avec ses camarades :
— Je n'ai pa» voulu que ma femme me suive,
contraire i la dignité militaire ; d'ailleurs, je u*ai p
discuter, elle s'incline toujours devant ma volonté
On entendait parfois un gros soupir répondre à ce
Soupir d'un mari malheureux, qui, lui aussi, tM bu
s'inclinât devant sa volonté ! Utopie rêvée par tous ces
Mais, je vous laisse à penser quels sourires moqiieui
lèvres de ces derniers, et quel nuage de contrariété stu
lieutenant, quand, en entrant par une belle journée de s
le petit village de Saint-M..., tou'i; le régiment p*it &
milieu des pampres de la vigne vierge qui enguirlandai -m^
du château, la jolie tête blonde de Mn^e d'Arthel.
Maurice fut en proie à deux sentiments bien complexe
réel qu'il ne pouvait s'empêcher d'éprouver en voyant sa
crainte des ennuis que sa venue allait lui attirer : revancl
dont l'autorité dans le ménage était aussi lettre morte ;
des jeunes gens qui, n'étant pas encore en puissance de f
donnent à cœur joie de se moquer des autres, en attendant
rende la pareille ; mais, surtout, critique acerbe du gran
allait tomber drue sur lui !
Sur ce point du moins, il fut bientôt rassuré ; le colonel i
s'installer au château qui devait recevoir tous les officiers ^
hospitalité plus Irauquilie, Trén flallr, le bon [u^Un? mit â
âitJon du chef de corps la cbanibre de Mon^elgueur, qu'un
Justement le lendemain pour la cotitlrmation.
L*> propriétaire du château, marié â unt! amiedc petHioriik
avait demandé un billet de logerm^iil pour Ui liinilunaul dWrlL
fûtir la forme, Maurice gronda sa femme de sa fullc équipée,
*dto iui conra:i!Ui avutr amené Bébé et 53 nourrlœ ; 4r
: iiner •> _ • - -"
-^ . ^ie,s'eL;^-— - * •
\ adre, iIa:^ = .-.-
~ '- ie:> chài' ^ ^- •
■ — ^*^s.
-: --r-iilation p^ --. ,- . ^ -.
— ^"Crf qui, Dta. - - ; - - -
'" i: m tour de - . •- - - ^
- -2 t<pielleiii';C; _ • *- •
~ ^^illesd'auit/irf. .
-• e '^hampagiin t. ■ . •
- -^i. tandis que le- :-„ . ^
-"t -i <la baccara.
• ■ '^-'H aiari, lonq-u*. ^ ^ - ^ .
*-n5 ':hose d'amu>an:" i • ^ - -.
■^t irrité œ soir, Mx-'r- .-.
• " 'S 'flci Vembarra'i î ; j - -
•^ me bonne gràc^ j;^-'. *
• "- "«-nu ici prendre {n,-^ ^ ^
--•Il mcMre Ubre/il a jr. ^
•"-^ 'jn le nous éiiler U \\ v-,- - - -
* ni .Ai fait porter dann •>-:,' .
■ -^"i.-^. le b^îrceau de [>>> ^ r .
■ '^"' ^luelle surpr\:i*i ;)^/»r r . -
■•' 'M .'on est tirée.
■•-- Muiirice s'était ra{,;,r^'.- >: ^
' '-"'irnail vers ses h^^it^. •»,*:- *-
'^''*'> Tois qtfen son {i>r t.î^- '*
"• e .a situation.
tMioûrps^ appelèrent S^î^cvmv -
^"' îft -elle-d ni de Vcn(;.nt, f^/a,
'* Serre.
i81
oiispasde mon avis,
irdait le silence, le
complète, même
naine prochaine,
T. Je crois qu'il
' grâce une per-
^^n revanche, à
lïips en temps,
lurci qu'il soit,
le découvrir!
grands yeux
«) sévère, lui
anchement,
■ ma guise!
capitulé et
>ire!
VM.
¥ i
182 REVUE DV iriTBRNAIS.
LES HOUILLERES DE LA MACHINE
PRÈS DECIZE (NIÈVRE) (SuZ/e).
II. — UN JOUR DE PAYE A LA MACHINE
La paye du personnel des mines se fait le second dimanche de chaque
mois, dans les ateliers de scierie et de chai penlerie, voisins des
bureaux (i).
Dès cinq heures du matin, les maîtres mineurs retirent du bureau
de la caisse, avec la feuUle de paye et les bulletins Individuels de leurs
ouvriers (2), les sacs qui renferment le montant des salaires afférents
à leurs puits.
Ces sacs sont transportés aux ateliers, et, tandis que maîtres mineurs
et chefs de poste en vérifient le contenu, l'employé chargé de la paye
des ouvriers de l'extérieur en fait autant, avec l'aide de quelques chefs
de service.
Puis sur de longues tables s'alignent, dans Tordre alphabétique, des
centaines de petits bulletins mentionnant : le nombre de journées de
chaque ouvrier, le salaire dû et, — quand il y a lieu, — les retenues
pour loyers, avances, outils, etc., ainsi que le reste à payer.
Bientôt tous ces bulletins sont couverts d'or et d'argent. A sept
heures et demie, on sonne la paye et le concierge ouvre les grilles de
la cour. Alors les ouvriers, qui attendaient depuis quelques minutes,
entrent en foule, pôle mêle, avec les trieuses dont les corsages clairs et
les chapeaux fleuris tranchent pittoresquement sur les paletots noirs
des mineurs et les blouses bleues des charretiers et des manœuvres.
Oa voit ainsi défiler, pendant plus d'un quart d'heure tout le
personnel des raines (3), qui pénètre ensuite, par les portes grandes
ouvertes, dans les vastes ateliers.
(1) Depuis bientôt deux ans, une seconde paye, dite de quinzaine, a lieu un jour de
semaine, à une date Oxée d'avance. Elle se fait sur les puits pour les mineurs et â U
oaisse pour les ouvriers de rexlérieur.
(2) Les bulletins des travaux collectifs à l'entreprise sont remis aux ouvriers U
veille de la paye.
(3) A l'eiceplion de celui des bureaux, qui est payé, par le chef comptable, à la Bq
de chaque mois.
J
REVUE DU NIVERNAIS.
i83
La paye commence aussitôt. Les maîtres mineurs et les chefs de
poste, dont la voix doit dominer le bruit de la fouie, appellent distinc-
tement les ouvriers de leurs puits, tandis que les employés de
l'extérieur appellent et paient les ouvriers des ateliers, les charretiers,
les manœuvres et les trieuses du Pré-Charpin.
Chaque personne qui répond à l'appel de son nom se présente devant
le payeur : celui-ci compte devant elle la somme inscrite au bulletin et
lui remet l'un et l'autre.
Les bulletins des ouvriers absents sont mis de côté, et si, avant la
fin de la paye, les retardataires ne viennent point, on dépose leur
argent à la caisse, où ils peuvent le toucher les jours suivants.
Pendant la distribution des salaires, d'autres employés émargent les
paiements, sous la surveillance des comptables chargés de dresser les
états de paye. Ce système commode et rapide, évite toute erreur de
compte ou même de personne, les chefs de service Connaissant bien les
ouvriers qu'ils appellent. Aussi, la foule, qui, au début, se pressait
devant les tables chargées d'argent, diminue-t-elle assez vite ; bientôt
il ne reste plus à solder que les retardataires qui, disons-le, sont
généralement les mêmes, et, à huit heures et demie, la paye est
terminée.
Toutefois, peu d'ouvriers emportent intégralement chez eux le salaire
reçu, car, à peine sortis des ateliers, on les voit former de petits
groupes et chercher dans leurs poches.
Ici, ce sont les piqueurs qui versent 0 fr. 50 aux charretiers (1),
transportant chaque jour à la forge les pics à réparer ; et rien n'est
plus curieux que ces comptables d'une heure installés dans la cour, à
l'extrémité d'une planche ou sur une plaque de fer.
Plus loin, les mineurs vont payer leur cotisation à une société de
prévoyance établie entre eux et qui alloue 2 fr. par jour aux ouvriers
blessés dans la mine.
Puis, chacun sort de la cour, non sans distribuer, à droite et à
gauche, des sous aux aveugles et aux infirmes, — du pays ou des
communes environnantes, — qui font la haie sur le passage des
ouvriers.
(1) Ces chari'etiers sont ordinairement d'anciens mineurs reiraités par la Com-
pagnie.
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li iXwii -> ; iirs à la
REVUE DU NIVËRJVAXS.
185'
carabine^ blanqucs ou loleries, musées mécaniques^ Sûinnambules,
haiaiiroires, chevaux de bois, où quelques jeuoes filles et de nombreux
eofaûU tournent aux sons d'un orgue de Barbarie.
Les femmes proniienl plaisir à slalionner sur la place ou à se pro-
mener dans la rue; les hommes préforent enlror au caft!' pour boire de
la bière en jouanl aux caries ou au billard.
Quant aux jeunes gens, Ih se rendent aux bals publics où, — ciga-
rette â la bouche et chapeau en arrière, — ils dansent toute la
miréty avec les trieuses qui, fraîches et parées, se livrent avec ardeur
à c^ plaisir, cher aux Macbinois,
Vers sept heures, chacun rentre chez soi pour prendre le repas du
soir* Vm heure après» environ, la jenuesse est de nouveau réunie au
haï, et plus d'une maman, qui a accomp^ii^nè sa fille, est lieureuse de
ift voir prendre plaisir â un divertissement qui lui rappelle souvent â
elle-même d'agréables sanvenirs*
IH nombreuses familles se rendent à nouveau sur la place du
Marcbis toute resplendissante, à celte heure, des lumières des lorains
el des chevaux de bois ; d'autres s'acheminent vers les cafés-concerts,
tandis que certains mineurs retournent au caftl achever la partie
commencée avant dîner.
Nulle part, cependant, on ne s'aiUrde trop, car lu lenden^în il
faudra se lever de bonne heure pour reprendre le travail haïûluel ;
aiiâsi, avant minuit, tout le personnel d*.^ la houUlérc a qultlè les
aoiasements de la journée pour aller se reposer.
fA rnivrc). L.-M. Pûusskreaii*
SUR UN AIR ANCIEN
Aîme-moî, la belle.
Et je t'aimerai.
Tu seras fidèle.
Et je le serai.
Le temps est bas, le ciel est p'îs,
Mais le jour n'a point de Irisli-sae^
Je t'ai vue et tu m*as smui,
El depuis tout n'est qu'allL^gj-esse,
Et daus Uïon cœur que rien n^ippresse
C'est comme un printemps relie mi.
186 REVUE DU NIVERNAIS.
Je t'attendais depuis longtemps,
C'est toi que rêvait ma jeunesse,
Vers toi s\n vont depuis dix ans
Toute ma joie et ma tristesse,
Toute ma confuse tendresse
Montait vers toi cliaque printemps.
Pour toi, je me voulais meilleur,
Je voulais mon âme plus haute.
Souvent j'ai chassé de mon cœur
Le mal qui revient quand on Tôte,
Et j'ai pleuré sur chaque faute.
Quand je songeais à toi, ma sœur I
Car pas un jour je n'ai douté
Que toi, tu passais sans faiblesse
Devant tout ce qui m'a coûté
Tant de remords, tant de détresse.
Ah ! dans ce cœur trop faible, laisse
Tomber un peu de ta bonté.
Sois mon appui, sois mon soutien, —
C'est mon cœur qui te parle, — écoute.
Puis, réponds ! Alontre-Iui le bien,
Que ta voix dissipe le doute
Et qu'elle guide sur la route
Ce cœur qui, maintenant, est tien !
Comme Ton voit dans Pâtre noir
Jaillir soudain la flamme claire.
Le jour où tu viendras t'asseoir
Devant mon foyer solitaire.
Je croirai voir une lumière
Chasser les ténèbres du soir.
Une caresse de ta main.
Un regard même, une parole,
Me feront plus doux le chemin ;
Tu seras celle qui console,
Et comme un oiseau qui s'envole.
Fuira devant toi le chagrin.
Pour un baiser sur tes cheveux.
Pour un mot dit de ta voix chère,
Pour un sourire de tes yeux.
Dis-moi, belle, que fautMl faire?
Je ferai tout, je veux te plaire.
Dis seulement ce que tu veux.
Aime-moi, la belle,
Et je t'aimerai ;
Tu seras fidèle,
Et je le serai.
Lucien Abel.
REVUE DU NIVERNAIS.
187
CRITIQUE SUR LA MODE
Cl Pour juger d'une société, il suffit
» presque de voir son costume, ce fidèle
» interprète des habitudes du corps, qui
» reflètent toujours celles de l'esprit.
• Henri Martin •.
c Une chose folle et qui découvre bien notre petitesse, c'est l'assu-
jetissement aux modes quand on l'étend à ce qui concerne le goût,
le vivre, la santé et la conscience ».
Cette impression d'un écrivain du dix-septième siècle fait présumer
quelle portée elle aurait eue dans le nôtre si ce même écrivain y eût
vécu.
En effet, si Labruyère, vivant dans un siècle fastueux où le costume
ajoutait de la majesté aux personnages, trouvait encore folie de
dépendre servilement de la Mode, que n'aurait-il pas dit à l'heure
présente où l'élégance du costume est depuis longtemps tronquée des
pieds à la tète ?
Au bal, les cavaliers ressemblent à des croque-morts, on dirait
d'un enterrement : habit noir coupé vers les hanches, de façon à faire
croire que le tailleur a oublié un morceau de drap, pantalon noir
faisant Toffice de fourreau, ou de sac suivant l'époque, mais en
revanche, cravate et gilet d'une blancheur de neige. Noir sur blanc,
blanc sur noir, que vous en semble ? Ou plutôt sans attendre votre
réponse, voici une comparaison :
Transportez-vous dans une église le jour d'un service funèbre, jetez
un coup d'œil silr les deux couleurs dont nous venons de vous parler,
et qui composent ce triste apparat, eh bien? du bal aux funérailles que-
trouvez-vous de changé ? presque rien ; la perte d'une personne qui
vous était chère n'a fait qu'ajouter un crêpe de plus.
Revenons de l'église au sujet. Nous nous imaginons que si un de
nos aïeux surgissait tout à coup au milieu de nos fêtes, il en serait
stupéfait : c Comment, dirait-il , une telle mode a-t-elle pu s'im-
planter? Par quel cataclysme cette nouvelle génération a-t-elle passé?
car ils ne sont plus habillés, ils ne sont que velus ».
Nous n'avons pas encore parlé du chapeau « éteignoir de l'élé-
gance », a dit spirituellement Edmond Texier, coiffure aussi lourde,
r
^-1-
Iti
lu^'^f* '''»
f:- r.r rv ^'' '' ' ].''••--■ .*^ f.-:.'.^ à DairuîT que ce qui est
.■ï^foutA fp *r f '• • '' ' '/ ''' '''' '' 'i*^'>-*'s '1 ^'- 'i'-r-^iii^*^ >es règlemenls, se
Ir^irrv' f*'^^ '^'' "' ''' ''''^' ^'' '' ''''"' ''' ''* '»'''"'^» '*^ ^''^^^ a-l-elle pas dit ? »
REVUE DU NIVERNAIS.
189
Chez la femme, la Mode est une véritable suggestion. Remarquons
cependant que la femme, quoique suivant parfois une mode extrava-
gante, n'est pourtant jamais descendue à ce degré d'infériorité, que de
prendre pour modèle l'antipode du Beau ; le goût, en général, faisant
partie de ses qualités. Chez les femmes, c'est relevé par les couleurs
variées, par des détails de toilette, elle est plus ou moins artiste, parce
qu'elle cherche à plaire. Enfin la femme est habillée, tandis que l'homme
n'est que vôlu. Toutefois, les femmes ne sont pas dégagées des liens
qui les enchaînent mystérieusement à la Mode, divinité capricieuse Bt
pourtant si routinière parfois, au point que les plus laides durent le
plus longtemps.
Sous le second Empire, la crinoline, que des marchands sans ver-
gogne ont appelée « cage en fer )!>, a voulu suivre la grenouille de la
fable, dût cette imitation la faire ressembler à une cloche. Ces extra-
vagances ridicules, furent, paraît-il, de tous les temps. Montaigne écrit :
c La Mode, pour le Français, est une manie qui lui tourneboule l'en-
tendement, et il n'y a si fin entre nou>: qui ne se laisse embabouiner
par elle, et esblouir tant les yeux inlernes, que le;^ externes, insensi-
blement ».
Citons les aperçus judicieux de India :
c Quel contraste saisissant entre la toilette des hommes et celle des
femmes. Ces vêtements sombres, d'une coupe désagréable, bien faite
pour signaler les défauts de la statuaire moderne ; ce linge raidi, dont
le blanc éclatant donne aux visages une teinte verdàtrc, s'ils sont
pâles, ou une teinte cramoisie, s'ils sont colorés ; ce tube qui n'a ni
commencement ni fin, n'abritant pas du soleil, ne préservant pas du
froid ; en un mot, ce costume de pompes funèbres fait le plus piètre
effet à côté de la recherche et de l'élégance raffinée du costume*
féminin. Si quelques hommes, voulant enjoliver l'horrible plastron
blanc, y posent des pierres précieuses ou des gourmettes enrichies de
gemmes brillantes, on dit en voyant ces hommes : « Ce sont dos rastas ».
Cette perle du plastron, fùt-elle destinée à Cléopâlre, est de mauvais
ton, et fait ressortir la pauvreté sinistre du reste du costume Ou
cherche à transformer le costume masculin et Ton veut s'inspirer des
modes qui parurent au commencement du dix-neuvième siècle, je n'y
vois pas d'inconvénient.
» Peut-être que la culotte claire, le gilet à revers, la chemise à jabot.
100 REVUE DU NIVERNAIS.
r«mpl6 cravate artistement chiffonnée autour du cou, ia redingote de
couleur harmonieuse,auraient une bonne influence sur Thumeur du sexe,
»oi<*disant fort, et que cette galanterie du bouton, qu'ont appréciée dos
grand*mères, ne serait plus à Tétat de fossile comme aujourd'hui.
Pour moi, qui suis née bonne, je comprends, sans l'approuver, le
manque de courtoisie de la gent masculine qui nous coudoie. Comment
«'incliner devant une femme, quant on porte un col carcan qui vous
fait une tète raide et congestionnée. Comment être aimable, sourire,
faire des grâces, alors que le moindre mouvement casse le plastron, et
que d'avance on entend la femme, qui de retour au logis, vous dira d'un
Ion aigre et menaçant : « D'où viens-tu avec ce plastron chiffonné? »
» Si donc on votait pour la transformation du costume masculin, je
crois que tous tes hommes, en général, n'en seraient pas plus fâchés
que nous. Mais c'est à qui commencera ! »
Nous applaudissons à ce vœu. Ainsi soit-il !
Nous avons tenu à citer le passage tout entier, qui donne des détails
Importants, mieux que nous n'aurions su le faire.
Depuis la Révolution, qui a fait table rase de tout, l'Angleterre est-
elle venue s'imposer chez nous, ou si la France est allée chercher ses
coutumes, mais nous nous trouvons avoir singulièrement copié nos
voisins.
Le faux-col droit, qui tend à disparaître, contribuait à composer
cette désinvolture guindée, anglaise ; la raie au milieu du front (qui
devrait être, au contraire, suivie exclusivement par la femme); le mor-
ceau de verre dans le coin de l'œil, fixé difficilement, en grimaçant,
tout donnait à Thommc une rigidité soldatesque, peu conforme à
l'entourage féminin, la plus ravissante conception de la nature. Les
cheveux plats, pommadés, finissaient le tableau. Ah ! nous voici aux
cheveux, mesdames; parlons des vôtres aussi, il n'est pas bon de vous
flatter toujours, vous avez besoin de vérités; d'ailleurs : t Qui aime
bien châtie bien ! i> Comment avez-vous pu, depuis longtemps, adopter
l'arrangement présent de vos cheveux bouffants, qui vous cachent la
moitié du front : t Le front est ce qu'il y a de plus prophétique •.
(Balzac).
La mère des Machabées disait à ses fils ; « Le front c'est pour regar-
der le ciel ». — Vous ne voulez donc regarder que la terre ?
Le front couvert de cheveux est une laideur.
REVUE DU NIVERNAIS. fOl
Recherchez donc ce qui sied à votre tôtc, n irailex pas servilemcDt
la Mode, créez de vous même.
Qu'est-ce que la Mode ?
Qui la fait?... Quelquefois une dame de haut rang, ou une courti-
sane posée, qui roule carosse, ou bien pour cacher une imperfection
de souveraine... Imaginez-vous, belle moitié du monde, qui jouez, dans
la société, un grand rôle latent, ce que deviendraient le» Vierge» divines
de Raphaël si elles étaient déparées de vos cheveux houffanis écrasant
le front. On n'y croirait pas, on ne les admirerait plus.
Qu'on se souvienne de la réponse faite à la femme d'un monarque,
qui, revenant de voyage à Paris, demanda ce qui se portail à la cour :
t Reine! i lui dit une dame d'honneur, rnites à votre goût, et croyex
bien qu'on s'empressera de l'imiter». Ce qu'elle Ct. Aussitôt les femmes
de suivre son exemple.
Pourquoi n'agiriez-vous pas ainsi, de votre propre élan ? On finirait,
à coup sûr, pour les deux sexes, par retrouver le vrai caractùre national,
égaré dans le scrvilisme et la singerie.
Osons espérer qu'une rénovation se fera dans le goût frangais. A qui
devons-nous cette stabilité dans l'ordre vesltmenlal? Est-ce aux
tailleurs et chapeliers qui ne sont pas des artistes, ou bien à cet ascen-
dant mystérieux qui gouverne les mondes, malgré eux. Quoi qu^il en
soit, cette mode, c'est à-dire usage passager, siihsistc en dépil do
Télégance, depuis un siècle, modlHée, il est vrai, mais comment ? que
le pan de l'habit, de cet habitué soit court ou long, que ies manches
forment ou non le gigot, que les bords du chapeau soient plats ou
arqués, que le tronçon soit de ligne perpendiculaire, ou évasé dans le
haut, assurément rien ne sera changé à iVnsemlile du costume.
Il faut une réforme complète, radicale. Vuici Taurore du vingtième
siècle ! Réformateurs à l'œuvre I
Si le costume a dépeint le caractère, les mœurs d'une époque, quel
jugement doit-on porter sur le nôtre ? Alfred du Musset s'écrie dans ses
CanfemoM :
€ Qu'on ne s'y trompe pas, ce vêlement noir que portent les
hommes de notre temps est un symbole ten ihle ; pour en venir là, il
a fallu que les armures tombassent pièce à pièce, et les broderies fleur
à Heur; c'est la raison humaine qui a renversé lou tes les illusions,
mais elle porte en elle-même le deuil, alia qu^on la console *.
u. -^ .es
*-__ . i' X .1 ..- _ -tir*"! i*i«?»
-zl:— ■ --' - .-f-i • ''■'US
' _-"• ^Tiii* > or M
z^u.ixziji'zut it ie la
oiaiL-miit: *
corset : « In^inz:.-: _ .j^r» •.
Elle a 5«)*::tr!::i c r:e c :.r^.: r:ri iz ~ '..iiir^i h^fTrîlzeileIIleIlt anti-
hv!:i''n:'ri^^ 3i.ir'i:ii*^ i re Tr'--:.2. ru -n"-.- tt»- ec cccprinie ks
. . ! les pi ;s :::n«'-.r:::- i- '- •: i^^. riU rri.a.e ea dedans les
i'itiq I '( .sixd"m>r?< ■ •-• *. zr,^.*7\*- i»- r .:_i»:î r^îrat:»ires, rircu-
IjIih. et di^e-lifs, d-f r^e v f..i»r ec le r:Li. dTvd'ifpe ranêmte, la
rlih^t r;, les cfjaai d*-it.:.;ai:, d.îit cZ-:* ie fLiI^enl soareiiL Elle
REVUE DU NIVERNAIS. 193
préconise de le remplacer par une brassière en toile forte, ajustée à la
taille, descendant seulement jusqu'à la ceinture ».
On peut ajouter que le corset, loin de donner de la grâce à la femme,
lui en àte, puisque son buste, emprisonné dans une cuirasse, n'a plus
la Hexibilité dans tes inflexions en rapport avec sa souplesse gracieuse
habitueUe.
Un plaisaat a dit un jour :
t Le corset contient les Forts, soutient les Faibles et ramène les
Egarés B.
La chaussure féminine mériterait un chapitre.
A Parîs^ un cordonnier expert nous disait :
f Ma spécialité est de redresser, de corriger les pieds de femmes
eontournéSf déformés, soit par l'emploi de bottines trop petites, ou
par la mode du talon Louis XV, le pire des talons ».
Voici que les rayons Rœntgen viennent à révéler les déformations
ayant pour cause le port du corset. On dit que la jeune reine de Por-
tugal, ft qui s'intéresse à toutes les inventions et les comprend vite »,
i>st plu à photographier les dames de la cour et A reproduire les
parties principales tle leur squelette. Il n'y eut qu'un cri stupéfiant
après ces divulgations désolantes :
t A bas le corset 1 »
Depuis ce temps, les élégantes Portugaises ont supprimé « l'instru-
ment de torture >.
Et nunc enidimini!
Victor Moussy.
Férrier 1901,
RAYONS DE LUNE
La nuit s'étend au loin et la lune blafarde
Comme un triste exilé, muette, nous regarde!
Et tout en éclairant de ses ombres les nuits,
Semble une sentinelle attentive à nos bruits !
Oue de fois j'ai cherche celte sœur du mystère !
Que de fois mes regards, sélevant de la terre,
Semblaient Ini demander si son fatal secret
Pesait toujours sur elle, ainsi qu'un long regret?
194 REVUE DU NIVERNAIS.
Si ees volcans éteints, si ces mers sans navire.
Terre sans habitants et printemps sans sourire,
No l'emplissaient d'horreur, ainsi que fait la mort?
Jamais elle n'a dit : c II faut pleurer mon sort I »
J'ai perdu tout à coup le mouvement, la vie,
La rose desséchée, en un instant ravie,
A laissé ses parfums, le soleil sa chaleur!...
Et jamais en ces lieux ne vient l'oiseau chanteur I
Plus rien autour de moi, que Tombre et le silence !
Si je suis quelque chose en cet éther immense.
Je ne suis qu'un éclair, animant l'horizon,
Et si je suis encor — c'est ma seule raison !...
Vous êtes sur les flots et je suis votre phare,
Ma pâleur vous attire et le Seigneur m'en pare
Pour embellir vos nuits, et vous montrer aux cieux
Un satellite éteint et qui brille à vos yeux.
Eugénie Casanova.
LE TIRAGE AU SORT DANS LA NIÈVRE
A SON ORIGINE
Il n'est pas un citoyen que n'intéressent les opérations du tirage an
sort ; on nous saura gré, peut être, de rappeler ce que fut, à son ori-
gine, cette institution dans notre département.
La conscription, on le sait, date de la Révolution française; le Gou-
vernement recourut à ce mode de recrutement militaire quand, le feu
des enrôlements volontaires éteint cl le nombre des soldats insuffisant,
la France fut sur le point d'être envahie par les armées étrangères.
A cette époque, le contingent annuel était fixé par l'administration
départementale ; et le tirage au sort, qui avait lieu dans chaque loca-
lité, se faisait généralement sur la place publique, quelquefois même
dans l'église, devenue alors la maison commune.
Aussi, en 1793, voyons nous, à Beaumont-la-Ferrière, le curé
Balandreau, prêtre assermenté, officier public et membre secrélaire
du conseil général de la commune, présider le tirage au sort.
Il rassemble les jeunes citoyens au son du tambour et leur expose,
« avec les sentiments d'un vrai républicain, le besoin qu'a la Répu-
blique d'hommes courageux et patriotes ». — Puis s'adressant aux
REVUE DU NIVERNAIS,
W5
membres présents: « Citoyens, magislrals du peuple, s'écrîe-t'îl, je ne
vous amène point des esclaves, mais des sans-culottes, qui n'aspirent
qu'au moment de voler au seeoui^s de la patrie I »
Avant d'examiner si ce patriotisme étaîl aussi réel qu'appareut»
relatons la curieuse manière dont on recrut<iit alors les défenseurs de
la patrie. C'est le 15 fructidor an X; nous somoies à Beauinont, dont le
contingent est, cette année là, (( fixé à un fiomme » Le conseil ayant
décidé que les neuf jeunes gens inscrits tireront au sort, on prépare
huit billets blancs^ plus un Hoh% sur lequel on inscrit ces mots:
c Conscrit en activité de service »,
On dépose les neuf billets dans un chapeau, qu'un menitire du
conseil tient ^^v^ (( pour éviter tout abus», et ces billets sont tirés
successivement par le (Ils du juge de paix, un enfant de sept ans.
A l'appel de leur nom, quatre jeunes gens se présentent, et le cin-
quième ayant mis la main sur le hilîeî noir est proclamé conscrit de h
commune, ce qui, d'ailleurs, termine l'opération.
Tout porte à croire qu'on agissail de nu^me d;>ns les antres localités
de la Nièvre; cependant, mal g j'é les garanties dont on Tentourait, ta
conscription subit le sort de toute toi nouvelle t;i ne satisfit point
alors la majorité des Nivernais.
On regarda cette institulion comme la cause première de la dïminu-
lion de la population dans le départerneul ; el ht plupart des jeunes
gens désignés par le sort, au lieu d'arei'jiter de bon cœur la noble
mission qui leur était confiée, n'ijésiléreni lîoinl à déserier.
Les pouvoirs publics s'émurent de celte sîLuaLion ; iiussi, en 1H0*»,
M. le Préfet de la Nièvre d^^manda-Ml aux ujiinhresdunui^eil ^^énéral
d'user de toute leur influence • pour dissiper cel es|H'it de verlige ipii
égare les jeunes habitanls des rauipa^m^s, les etnpéche d'obéir â la
voix de l'honneur et du devuir vi ne leur laissa d'au Ire alterna-
tive que d'errer dans leur propre pays comme des criuijnels, sans
parents, sans asile, ou de subir rhuiuiliîtnle puuilîoti r]u1ls n'rmlque
trop justement méritée ».
Ces nobles exhortations furent-elles suivies tPeiTet et les ciuiscrits
d'alors comprirent-ils t que la paix et le bonheur du pa>s dépendent
d'un dévouement qui ne doil pas être péuihle pour un Fraiiçate? »
11 faut le croire, pour rhuuneur de notre province !
unieur de notre province ! JHHh^-^
Caston Qà
■
196 RE^CE DU KIVERNAIS.
LE PARNASSE MODERNE
POÈTES HOLLANDAIS (Suite)
Potgieter
PETITE DÉBORA
De ce soir avant Pâque as-tu bon souvenir ?
J allais te demander, Débora ; c'était l'heure.
Je regardais ma cour, — grange, étable, demeure ;
Et pensais : Tout l'attend, elle peut bien venir.
Blanc de grésil, brûlant malgré l'àpre froidure,
Je levai le loquet ; je te vis au foyer,
Je quittai mon manteau. — Toi, tu fis flamboyer
Un fagot : bon accueil 1 ce fut d'heureux augure.
Mais lorsc[ue je voulus tirer ta chaise à moi
Avec le pied, tu t'éloignas. Près de l'armoire,
Quand je te demandais ton « oui, » c'était à croire
Que le verre allait choir en morceaux, par ma foi ! (1)
Ah 1 longtemps tu restas tremblante et tracassée.
Le foyer maternel t'était si doux alors I
Il fallut t'emporter dans mes bras au dehors :
Vit-on jamais chez nous si triste fiancée ?
De ce soir avant Pâque as-tu bon souvenir ?...
De notre Nicolas au berceau la voix chère
T'appelle : baise-le Si c'était à refaire.
Te faudrait-il autant de temps pour en finir ?
Hendrik Jan Schimmel.
(1823)
SOUCIS DE PARENTS.
Sans cesse clapotant de l'aile.
Le bec ouvert et babillant.
Vole et voltige l'hirondelle
Dont le nid va s'odifi utt
Sans cesse clapotant tk? l'aile-,.
Soucis, tracas, tour ïncnî sani^ ûn^
Activité continuelh^ :
La nouvelle couvl^c a faim.
(1) Allusions à des usages locaux*
REVUE DU flIVEMAlS. 197
Sans (ïe^âé clapotant de Taib*.*
Voilà les oiseJets partis ;
Us sont assez forts sans tutelle ;
Les vieux restent sans leurs petits.
Que la nuit est longue ï En revanche
Combien s'est raccouj^i le jour I
Plus d'ombre tombant de la bnnche ;
Adieu ^ soleil, sourire, amour !
Quel est ce murmure?,., n Hirondelles,
Dît le vent qui passe en criant,
Consoler- vous, battez des aileSj
Et retournez en Orient l »
Carel Vosmaer.
(1826).
MÉLANCOLIE
Lorsque Tàme obtient, î^ force d'attendre
L'objet où son vœu longtemps s'est fixé,
11 est tard, trop tard 1 le jour est passé
Et sur rhori2on la nuit va descendre.
L*babit est usé dès qu'il nous va bien ;
Quand on le connaît, on a lu le livre ,
Aussitôt qu*on sait ce que c'est que vivre,
Le voile se baisse, et c'est Uni„, rien 1
LA DOULEUR N'AIME PA^ A GARDER LE SILENCE
la douleur n'aime pas à garder le silence,
La souffrance souvent se plaint baut et lonj^iemps ;
L'âme^ non sans tumulte et non sans violence,
Exhale sa tristesse en termes écla4ants.
Le bonheur au contraire est une enfant craintive
Qui, caressant la Heur, au moins sait enchaîner
En elle et contenir son ivresse caplive,
Comme si la parole allait la profaner.
198 REVUE DU MIVERHAIS.
Peter August de Oénestet.
(1829-1867).
DOUCEUR
D'une belle âme, elle est la vertu la plus belle,
Et d'un front séduisant, c'est l'attrait le plus sûr.
De tout homme elle rend la passion fidèle,
Toute fierté s'abaisse au gré deses yeux purs.
Le faible trouve en elle une force, un prestige ;
Elle est son sceptre, elle est son glaive protecteur :
La fleur dont un léger souffle romprait la tige,
Tremble, fléchit..., l'orage a respcK^té la fleur.
La douceur au tyran impose obéissance.*
Au foyer conjugal, modeste, humble envers tous.
Dans son eflacement. dans sa toute puissance,
Règne la volonté de la femme au cœur doux.
Ses ordres sont discrets ainsi qu'une prière.
Un signe d'elle comme un ordre est accepté ;
La paix tombe en rosée à ses pieds ; notre Père
La bénit dans ses fils et sa postérité.
LA CHANSONNETTE DU DÉSIR
L'enfant debout s'appuie aux genoux de sa mère,
Il a la tète lourde et les yeux clignotants ;
n ne veut pas dormir ; longtemps
Il résiste au sommeil qui ferme sa paupière.
SeuK dans l'ombre... c'est cela
Qui lui fait peur : il demeure là,
n lambine, barguigne, il distrait son attente...
Oh I le sot petit garçon
Qui se force sans raison I
C'est une chanson de désir qu'il chante.
Au jardin de la vie aujourd'hui sans délice.
Un vieillard, que la mort déjà tient à demi.
S'en va penchant son front blêmi
Vers le sein bienfaisant de la terre-nourrice.
Ah I ne lui dites pas : c'est l'heure du repos.
Débile, décrépit dans son cœur et ses os,
Il asçire ardemment à rester dans la vie.
Soupirant, haletant, riant, pauvre vieillard.
Avec l'unique espoir d'appliquer tout son art
A chasser la torpeur de sa chair engourdie.
Seul, dans l'ombre... c'est cela
Qui lui fait peur : il demeure là.
Muse, baguenaude, plaisante...
Ûh I le sot vieillard vraiment,
Qui se force vainement t
C'est une chanson de désir qu'il chante.
REVUE DU MIVERMAIS. 100
TROIS PAIRES POUR UNE UNITÉ
N'as-tu pas double oreille, et bouche unique ? — Claire
Et nette leçon doit de ce fait découler ;
C'est, Tami, d'écouter beaucoup et de ne guère
Parler.
N'as-tu pas deux yeux pour une bouche? Mystère
Facile à pénétrer sans être bien savant :
Tâche de regarder beaucoup et de te taire
Souvent.
Et n'as-tu pas deux mains pour une bouche ? — Observe
Ce symbole et vois-en le sens se dégager :
Travaille sans mesure et sache avec réserve
Manger.
Isaac Esser.
(1845)
L'HÉRITAGE
Etroite est l'impasse et, petite,
Cette masure où, constamment,
La pauvre vieille décrépite
Vit dans le pire isolement.
Elle prend de sa main tremblante,
Au cloo planté dans la cloison,
La cage fanée et branlante
Qui d'un tarin est la maison.
EUe verse au basâin Teau pure^
D, renouvelant sable et grain,
Met aux barreaux quetqrje verdure,
Dit des mots tendres au tarin;
Puis revient, sa bes»oîrne fait/?,
S étendre en «on fauteuil ni *ieui !
L'oiseau, tournant un p^u la tAt/?,
Fixe sur elle ses deux jetji.
Die son^e : une aii*re, avant ^1!^,
Soî;?na it l : t ^nîa 'j . , ^i :,'j x U^f, p^ pîiAV; !
El inrti'i^^ àe sa pr"jn*«ï:-«
Une larme ar i»=t;^e a ,^^*^.^,.,
Le tahn r:rarJ/>: un -h^nf V/r,/>r^;
A l'o^ilr on -tTr-in." -r-iircf-^ui
Il ff'tftrt Jcn jv^-*r/.^nt.
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Alph. Ponroy. — Les Poètes du BetTu. ^ Paris, bibliothèque de TÂssociation, 13,
boulevard Montparnasse. — ln-18, 3 fr. 50.
Précédée d'une bonne et fine préface de notre collaborateur, M. Lucien Jeny, cette
petite anthologie nous donne une juste idée de la floraison poétiçiue en Berry. Sans
remonter jusqu'à Thibault de Champagne, ni Marguerite de Valois, nous y comptons
une trentaine de poètes modernes, parmi lesquels nous saluons, entre autres noms
sympathiques, le non et spirituel Emile Deschamps, qui fut si propice à nos débats
littéraires; Prosper Blancnemain, notre ami et notre hôte à Heaumont-la-Ferrière ;
Lucien Jeny et Hugues Lapaire, If» excellents collaborateurs de cette Revue.
M. Alphonse Ponroy n'est pas seulement le collecteur de ces morceaux choisis, il
figure en bon rang dans 1 anthologie berrichonne. 11 est, du reste, un berrichon
berrichonnant ; tous ses ouvrages sont consacrés à son pavs natal. Rappelons qu'il
publie par fascicules (chez l'éditeur Bouillon, à Paris\ un « elossaire du Bas-Berri •, et
Î[u'il plaide, par la plume et par l'exemple, pour la simplification de l'orthographe
rançaise. 1
Nous lisons dans le Soleil illustré^ du 14 avril, de beaux vers de M«« Eugénie
Casanova : France d'abord, justice partout. Une seconde conférence de Ch. Fuster,
a mis de nouveau en relief le talent poétique de M"*) Casanova, dont un recueil de
vers va bientôt paraître.
Avec le même esprit, Franc-Nohain poursuit, dans le Journal, la série de ses
• cantates officielles et autres •. Il a chanté la Fête des Palmes :
Trois mille trois cents palmes
A des messieurs et dames
Ou
À des demoiselles itou.
Trois mille trois cents d'un seul coup.
Et allez donc, en voulez^vous
Des palmes.
Des palmes ?
De Saint-Brieuc à Saint-Afirique,
De Déiazet à TOpéra-Comique,
Qui n^a pas ses palmes, qui n'a
Ses palmes, ses palmes, aca-
démiques,
démiques ?
n y en a pour toutes, tous,
Approchez-vous, approchez-vous,
Pas de jaloux 1
NOTES ET ÉCHOS
/. Nos compatriotes : Sont nommés officiers d'académie : MM. André, docteur Blond,
Bon, docteur Brouillet, Camuzat, Chomet, Delair, Dietze, Dutrav, Garcemenl,
Garilland, docteur Gautier, Guillemin, Hue, Albert Morlé, Pillion, Ricnaud, et notre
distingué collaborateur, Jules Meunier, dont nos lecteurs n'ont pas oublié la belle
composition musicale : L'enfant rose.
\ M. le professeur du lycée, Voisin, dans une conférence applaudie, a plaidé la cause
d'un poète dont la réputation, qui fut brillante^ a rapidement pâli : Théophile Gautier.
/ Notre collaborateur, M. Gaston Gauthier, poursuit avec le même succès ses
explorations de Champvert. Il a mis à découvert l'égoùt collecteur des thermes,
conduit voûté très bien conservé, et a trouvé quantité de débris de bronze très inté-
ressants. Nous ne saurions trop applaudir au zèle éclairé de M. Gauthier. L. D.
Il9f9rtt Imp. a, Vë/liérê,
Le Directeur-Gérant, Achille Hiluen.
CONTES A MES ENFANTS
IX.
L'ABANDONNE
ON ami le capitaine bourra sa pipe et
ralluma ; puis, tout en fumant, il parla
ainsi :
Vous me demandez mes impres-
sions sur les manœuvres; je serais
,. embarrassé de vous en conter quelque
^ chose,- par la raison bien simple que
C-^ :S^5£? ï^ous autres, modestes comparses perdus
dans le rang, nous ne voyons que ce
qui se passe autour de nous dans un rayon restreint, et que les grandes
combinaisons nous échappent...
Mais je puis vous dire une aventure, oh ! un rien, un trait de mœurs
locales, une impression saisie au passage dans le calme d'une soirée de
repos, entre deux batailles « pour rire... »
In jour, vers cinq heures, j'arrive dans une ferme avec ma compa-
gnie pour y passer la nuit : une assez pauvre maison, isolée en pleine
campagne, au milieu d'une vaste cour flanquée de bâtiments d'exploi-
tation... Mes hommes, harassés par une iournée de marche sous un
ciel de feu, conteniphnU d'un œil mélancolique les écuries sombres et
basses où tout à l'heure, sur la paille, ils vont chercher un peu de
sommeil. Je les installe tant bien que mal — plutôt mal, ks pauvres !
— et pendant qu'une première corvée enlève le fumier, balaie le sol
souillé et jette de la litière fraîche, les distributions sont apportées,
9
202 REVUE DU NIVERNAIS.
les cuisines se montent, les feux s'allument .. bref, tous les petits pré-
paratifs de rinstallation d'une trompe au cantonnement...
Le jour baissait : le soleil n'était pas encore couché, mais ce coquin
de Bourguignon, comme l'appellent les troupiers, qui nous avait tant
fait souffrir pendant cette chaude après-midi d'été, ne dardait plus
sur nos têtes d'aussi brûlants rayons, et l'on commençait à respirer...
Devant la porte de la ferme, une femme, assise sur le seuil, regardait
les soldats, tout en donnant le biberon à un enfant de quelques mois.
Vous savez combien j'aime les marmots, paysans barbouillés et sau-
vages ou citadins propres et civilisés : tous sont matière à observa-
tions... Tout de suite, celui-là m'intéressa par sa pâleur, sa physionomie
maladive, son visage souffreteux où luisaient deux beaux yeux noirs
sous un petit bonnet d'indienne à trois pièces. Couché sur les genoux
de la fermière, une femme jeune encore, mais sans fraîcheur et sans
beauté, il suçait avidement le caoutchouc de son biberon, ses petites
mains sur la bouteille, — ce joli geste des nourrissons caressant le sein
qui les gorge de lait...
Je sus bien vile que le pauvre petit avait huit mois, qu'il était arrivé
de Paris quelques jours avant, et qu'il était un enfant du « grand
berceau », comme on appelle dans nos campagnes les enfants assistés...
Me voilà pris d'une grande pitié pour cet abandonné qui ne connaî-
trait jamais ses parents, ni les baisers de sa mère, et les joies de l'en-
fance heureuse et choyée, et toutes ces choses dont nous ne comprenons
la douceur que plus tard, quand nous sommes devenus grands et que
nous avons souffert de la vie...
Cependant, le petit Parisien avait vidé sa bouteille et, renversé sur
le dos, les jambes en l'air, son chétif visage tout épanoui, il digérait
voluptueusement. A côté, la fille de la fermière, une gamine de quatre
ou cinq ans, tenait sa petite main dans les siennes et la caressait dou-
cement pendant que la mère parlait à son nourrisson ce langage
innommé et intraduisible qui est la poésie de toutes les femmes. Et le
petit riait d'un air heureux, sa figure souffreteuse éclairée d'une
expression de joie... Il avait même son bonnet tout de travers : vous
comprenez, après un si bon dîner...
La fermière, tout en chantant et le baisant, me jetait un mot de ci,
de là, au travers de sa mélopée maternelle :
r — Il était bien bas, le pauvre petiot, quand la c meneuse d'en-
REVUE DU MIYERNAIS. 203
fanls » Tavail apporté... Si chétif et si maigre!... Mais il avait déjà
repris... elle le sauverait certainement, oui, elle le sauverait, quand
elle devrait peiner davantage encore... ».
c — Il n'est pas près de faire un soldat, mon capitaine, dit derrière
moi le fermier qui revient de donner la paille pour le coucher des trou-
piers ; mais, ajoute-t-il avec un bon rire, on fera son possible pour
ça... ».
Et voici que ma grande compassion de tout à l'heure n'est plus la
même et que je plains moins le pauvre petit en voyant chez quelles
braves gens il est tombé...
Cependant la table où nous devons dîner, mes officiers et moi, est
dressée au milieu de la cour. Tout doucement la nuit arrive : à
l'horizon, le m Bourguignon » disparait derrière les bois d'un violet
sombre... Sur une vieille roue sans jantes, fichée au sommet d'un long
poteau et qui s'enlève en noir sur le rose orangé du ciel, les dindons
viennent se percher pour la nuit avec de grands battements d'ailes,
pendant que les poules rentrent une à une dans la gelinière... Dans le
pré voisin, une vache, le muffle sur la barrière, attendant qu'on vienne
lai prendre son lait, pousse un long beuglement d'inquiétude... Autour
des feux d'escouade et des « frichtis » que j'entends mijoter dans les
marmites, mes hommes ont retrouvé leur entrain et leur gaieté...
La belle soirée ! et qu'on est bien ici, après les fatigues du jour !...
Maintenant le petit Parisien circule autour de nous sur les bras de
sa mère adoptive qui, aidée d'une servante et de sa fillette — à la cam-
pagne, on n'attend pas d'être grand pour travailler, — fait rentrer les
cochons dans leur tect, à grands coups de badines, malgré des hurle-
ments de protestation...
La nuit est tout à fait venue : une nuit claire avec de belles étoiles
qui scintillent au-dessus de nos tètes, pendant que, notre diner fini,
noas devisons tout en fumant... Mes hommes, eux aussi, ont mangé la
soupe et disparaissent un à un dans leurs logements, comme les poules
tout à l'heure... Dans la cour de la ferme le silence s'est fait peu à peu,
le silence du repos et du sommeil... Nous aussi, nous allons dormir...
J'entre dans la maison où Ton m'a réservé une chambre. Mon petit
Parisien n'est pas encore couché : pendant que les femmes s'occupent
du dîner des hommes et des soins du ménage, on l'a posé sur un grand
lit à rideaux rouges à côté de la petite fille et celle-ci l'amuse si bien
204 IlEVUE DU NIVERNAIS.
que c'est, entre les oreillers et le gros édredon, des éclats de rire sans
fin et une joie sans pareille... un vrai gazouillement d'oiseaux dans
leur nid...
A deux heures du matin, on vient me réveiller et m'apporter l'ordre
du départ. J'entends mes hommes qui s'apprêtent dans la cour, réunis
par les sous-officiers : c'est la vie qui recommence après la courte trêve
du repos quotidien...
Je m'hahille à la hâte et sur la pointe des pieds je traverse la grande
chambre de la ferme où tout dort...
Mais non, tout n'y dort pas : dans la haute cheminée le grillon du
foyer fait entendre son cri-cri mélancolique, et du lit à rideaux rouges
que je frôle en passant, je vois sortir une main qui doucement, bien
doucement, berce la couchette de l'abandonné pour que le bruit ne
trouble pas son sommeil ..
— Ne le réveille pas, petit Parisien... Dors tranquille dans le nid
d'amour que t'a fait le cœur d'une pauvre femme . ..
François Moireau.
LE SONNET DES ROSES
Souvenir du (> décembre 1898.
A Madame Thetirier,
J'avais un lourd chagrin, vous en saviez la cause.
Il neigeait dans mon âme, il neigeait dans mon cœur.
J'avais froid, j'avais honte et parfois j'avais peur,
Seule, triste et songeant... vers ma fenêtre close.
Tandis que je pleurais, vous m'envoyiez des roses !
Un mot charmant disait : « C'est ma dernière (leur !
» Elle est née en hiver et calme la douleur ! »
Dans ma main s'entr'ouvraient les fleurs à peine éclosesl
Hùveuse, j'écoutais !... mais il nei«^eait moins fort
Et mes yeux qui pleuraient apercevaient un port.
Je baisai longuement votre rose efl'euillée ;
Elle est dans mon missel !... comme un doux souvenir,
Près de mes riens bénis, que je veux pour finir
Qui parlent à mon cœur d'une larme essuyée !
Françoise d'Ussel.
206 REVUE DU NIVERNAIS.
LES HOUILLÈRES DE LA MACHINE
PRÈS DECIZE (NIÈVRE) (Suite).
III. - MŒURS, COUTUMES ET LANGAGE DES MINEURS
DE LA MACHINE
Dans la plupart des houillères, les habitations des mineurs laissent
à désirer, paraît-il, sous le rapport du confortable et de la
propreté. Ici, ce sont des maisons étroites et enfumées ; là, de longs
bâtiments, — véritables casernes, — noirs au dehors et sombres au
dedans. Le mobilier, très rudimentaire, comprend généralement une
armoire et un coffre en bois blanc ; une table et quelques chaises
boiteuses ; enfin, dans un coin, un mauvais lit garni de draps bleus,
où le mineur se couche à peu près tel qu'il revient du puits, jugeant
inutile de se laver tous les jours pour retourner se noircir quelques
heures après dans la poussière de charbon.
Il n'en est pas de même à La Machine, où chaque logement de mi-
neur, — qu'il soit situé au bourg, dans les faubourgs ou dans les cités,
— est propre, gracieux et coquet. Le carrelage, soigneusement lavé,
est rougi dans la partie réservée aux meubles ; ceux-ci sont en chêne
ciré et très bien entretenus, et c'est sur de bons lits de plume et de
laine, garnis de draps blancs et de rideaux de couleur, confectionnés
avec goût, que le mineur prend son repos quotidien.
Celle excellente tenue du ménage, — très rare dans un pays minier,
— dépend à la fois des soins de la femme et de Textrême propreté de
l'ouvrier machinois qui, à chaque retour de la mine, se lave de la tête
aux pieds.
S'il est du poste de nuit, il descend au puits à quatre heures du
soir; et quand, vers deux heures du matin, il rentre chez lui, il
trouve au coin du foyer (1) une écuelle de soupe et une chaudière
d'eau chaude.
Après avoir accroché sa lampe à la cheminée, le mineur mange la
soupe, puis il se savonne la tôle, le visage et la poitrine. Ensuite, sa
(1) Ce foyer, où brûlent dans une griUe les schiamms que Ton donne comme
chauirage aux ouvriers de La Machine^ ne s'éteint jamais la nuit, car, avant de se
coucher, la femme le garnit et le recouvre de cendres.
REVUE DU NIVERNAIS, S0Ï
femme, ^ qui, à un signal convenu, s'élîiit levée pour ouvrir la porte,
— Ini lave cl lui essuie le dos, avant de retourner se coucher dans le
grand lit de la pièce principale, où le mineur ira la rejoindre quand
son netloyage sera achevé.
Debout vers huit heures du matin, il revêt des habits propres, pro-
cède à sa toilette, boit une lasse de café noir et va travailler dans son
petit jardin, soi^cusemcnt lenu.
A onze heures ou midi, il déjeune avec les siens, puis se couehe
dans une chambre close, afin de ne pasôlre dérangé par le bruit du
dehors.
Sa femme le réveille vers trois heures ot dernio : il reprend alors ses
vêtements de mine, se lave à nouveau le visage el se dirige vers le
puits 011 il descend chaque jour.
Quand le mineur est « dn nmtin b (i), sa femme et ses enfants ne se
malien t pas à table a midi : ils se contentent de manj^^er, « sous le
ponce 1, un morceau de pain avec un fruit ou dn fromage, A qualre
heures du soir, rouvrier rentre chez lui, mange sa soupe et hoil un
verre de vin» se lave avec Taidc de sa femme, change de vélementJî
elva faire un tourde jardin, en attendant le dîner en famille, qui a
lien à six ou sept heures,
A neuf henres, tout le monde est au lit el, le lendemain matin, à
cinq heures, le mineur se lève pour retourner au travail.
Le dimanche étant jour de repos, ies ouvriers de La Machine vont
dans les foréls ou les campagnes environnantes re;^pirer le grand air,
lout en ramassant, suivant la saison, du bois mort, des escargots, dis
champignons, des fruits sauvages, etc. Beaucoup d'entre eux vont à la
péclie aux étangs que la Compagnie des Mines met à leur disposition,
tandis que d'autres se livrent an plaisir de la chasse. Quelques-uns,
enfin, se rendent^ après déjeuner, dans les cafés de leur quartier, où
ils passent une partie de la soirée à boire de la bière (2), en jouant aux
caries ou au billard.
Toutefois, cette habitude locale d'aller au café, en dehors des jours
de paîCj se perd de plus eu plus : aussi, ce qui élait la règle j| y a vingt
ans est aujourd'hui Texception,
Par contre, le bien-être a angmeulé daus les ménages- Presque chez
(1) Ou désigne airi^i h posto de' jour, qui commence j six heures du miiUn.
(t/ ï-a bière hianche de Châlon-sut^Sîiùnc csl la bol-soti prtférde des Machiiioîa.
208
REVUE DU NIVERNAIS.
tous les ouvriers, on boit régulièrement du vin et du café, et la nourri-
ture, — composée de pain blanc, de viande fraîche ou salée, de
légumes et de fruits récoltés ici en abondance, — ne laisse rien à
désirer.
Un grand nombre de mineurs louent, chaque année, une parcelle
de terrain, où ils cultivent des pommes de terre destinées à l'engrais-
sement d'un porc, dont la viande salée et les jambons servent à la
nourriture de la famille pendant l'hiver.
D'autres achètent ces animaux tout engraissés, soit aux foires de
Decize, soit à celle établie dans ce but à La Machine, et qui se tient sur
la place de la Mairie, le lundi de Sainle-Barbe.
Comme on le voit, la nourriture des ouvriers machinois est variée,
saine et hygiénique. Aussi, malgré leur dur labeur, sont-ils générale-
ment forts et bien portants. Grâce à leur sobriété, quelques-uns attei-
gnent un âge avancé, après avoir travaillé à la mine pendant un demi-
siècle.
Nos mineurs ont le goût de la toilette : aussi chacun possède-t-il plu-
sieurs « tournures » d'habits (paletot, gilet, pantalon), en drap noir le
plus souvent. L'une est réservée aux fêtes et cérémonies ; on revêt la
seconde les dimanches, et la troisième comprend les vêtements endos-
sés au retour de la mine. Quant aux habits « de crot 5), ils sont, ainsi
que le linge de la famille, lavés régulièrement chaque semaine au
lavoir du quartier (1).
Nous ne parlerons que pour mémoire du costume féminin qui. à La
Machinn comme ailleurs, a subi, sous Tinfluence de la mode, de
grandes transformations. Les Machinoi^^es actuelles, — qui, les jours
de fêles, portent des robes de soie gai'nies de dentelles et des chapeaux
à plumes, — regardent avec curiosité les robes de grosse toile, les
fichus à fleurs, les devaulicTs à bavette et les canettes d'indienne de
leurs grand'mères.
En semaine, les compnp^nes de nos mineurs s'habillent à peu près
comme les paysannes dos localités voisines : jupe de laine noire
ou de couleur, avec corsage clair en été, foncé en hiver. Pour se livrer
(1) n existe à La Machine un grand nombre de lavoii^s. Les principaux, établis pjr
les soins de la Com[>api)ie des Mines ou da la commune, sont : !• ceux des Minimes,
sur la route de Trois- Vévres, pour le IJourj^ et les Baraques ; 2" celui de la FonUiine-
Bourguignon, sur la route d'Anlezy, pour les Coupes et la Petite-Machine ; 3' les
lavoirs de l'Etang-Neuf, situés non loin du quartier de la Meule et des Cités.
I
REVUE DU NIVERNAIS. 209
aux soins du ménage, elles revêtent la matinée, le caraco ou la cami-
sole ; un tablier gris-bleu, un bonnet blanc (qui tend à disparaître) et
des sabots noirs a à bricoles n complètent leur habillement.
Les enfants, assez nombreux chez les mineurs, sont tenus très pro-
prement. La Compagnie des Mines, soucieuse de leur instruction, a
fait établir, dans le quartier des Glénons, une école de filles avec salle
d'asile, confiée aux Sœurs de la Charité de Nevers, et, sur la place de
la Mairie, un établissement dirigé par les Frères Maristes (i).
Le chauffage (consistant en schlamms ou résidus de charbon lavé)
est délivré gratuitement aux ouvriers, qui en reçoivent six hectolitres
par mois en hiver et trois hectolitres en été.
Les ouvriers blessés ou malades ont droit à la caisse de secours et,
ainsi que tous les membres de leurs familles, aux soins gratuits du
médecin et aux médicaments. De plus, MM. Schneider et C»« versent,
depuis 1877, à la caisse des retraites, au nom de chacun de leurs
ouvriers, des sommes importantes et proportionnelles aux salaires
gagnés, afin d'assurer des renies à leurs vieux serviteurs et de les
mettre ainsi à l'abri du besoin.
Enfin, dans un but humanitaire, la Compagnie permet aux habitants
de La Machine, — qu'ils fassent ou non partie de son personnel, — de
ramasser aux buttes de remblais les parcelles de charbon qui restent
dans les schistes remontés de la mine. Beaucoup de personnes pauvres
peuvent ainsi se chauffer pendant l'hiver et vivre même du produit de
ces ramassages.
On le voit, les Machinois sont vraiment favorisés sous tous les rap-
ports. Intelligents et avisés, ils savent le reconnaître et se rendre
dignes de ce que l'on fait pour eux. Du reste, on vit ici en famille, et
cela se conçoit, la plupart des ouvriers et des employés étant appa-
rentés, soit directement, soit par alliance. Aussi, cette population offre-
t-elle une cohésion, un esprit de corps, une homogénéité de sentiments
et de caractères que Ton trouverait difficilement ailleurs.
Les mineurs de La Machine ont des qualités sérieuses qu'on appré-
ciait beaucoup dans les autres houillères quand il était de mode de
faire son tour de France. Sobres et polis, intelligents et courageux, ne
(1) On tient un compte exact du travail des élèves, et, lorsque ceux-ci quittent
l'école pour être embauchés, on donne les meilleures places à ceux qui sont sortis
avec les premiers numéros.
9»
2tÛ REVUE DU NIVERNAIS.
faiKant jamais le lundi, ils donnaient, sous le rapport du travail et de
la conduite, entière satisfaction aux chefs qui les occupaient.
Depuis longtemps ils n'émigrent plus, et, étant naturellement rangés
et économes, ils s'en trouvent bien. Beaucoup d'entre eux sont devenus
propriétaires, — souvent avec Taide de la compagnie qui, sur leur
demande, leur avance l'argent nécessaire à la construction d'une
maison, — et presque tous ont un livret de caisse d'épargne.
Quand le mineur a touché l'argent de sa paie, il le remet à sa
femme qui règle les dépenses inscrites pendant le mois sur les livres
dos divers fournisseurs et le pain marqué sur la taille du boulanger.
Les enfants (garçons ou filles) qui travaillent remettent également
leur salaire à leur mère, et celle-ci, en échange, les entretient de tout
ce dont ils ont besoin. Cependant, npros; la vin[?tiôme année, les
garçons paient ordinairement peasian à leurs parents, pour le loge-
ment et la nourriture ; le surplus de leur gain sert à leur habillement
et à leurs menus plaisirs. La plupart dVntrc eux se marient peu après
leur retour du senice militaire ; ceux qui sont réformés les devancent
généralement, et il arrive auvent que le total des âges des époux
n'atteint pas quarante ans.
C'est au bal — où les jeunes gens des deux sexes se voient et
dansent tous les dimanches — que s*élaborenl la plupart des mariages.
Après une cour plus ou moins longue, el lorsque loul est convenu,
le jeune homme prie ses parents de faire la demande officielle qui est
ainsi toujoui^s acceptée. Alors a lieu le repas des accordailles ; tes
membres des deux familles Iketil la dale du mariage, puis on invite
à la noce les paivnts et les amis.
La veille de la oénMnonie, les a grands garçons w et les « grand'fîlles «
s<^ nninissent a\ec les futurs i^\Mmx chez les parents de l'un deux,
afin de maujier les « abattis » et do prtMidre les dernières dL^posittons
pvMir le lendemain.
/.4 SHiitYL L-M* POISSEREIC-
REVUE DU NIVERNAIS. 21 i
POCHADES MORVANDELLES
LES SAULES
Et le saule incliné sur la rive penchante,
Balançant mollement sa tête blanchissante.
La Harpe.
Dans la verte prairie au bord du clair ruisseau,
Les saules argentés, de leur luisant feuillage,
Cachent mystérieux la tremblotante image
Du nuage léger qui se mire sur l'eau.
Auprès des troncs rugueux, parure scintillante,
La fraîche renoncule étale ses fleurs d'or
Et la rougç orchidée où l'insecte s'endort,
Se mêle à Taimez-moi, petite fleur troublante ;
Quand le soleil de mai verse ses purs rayons,
— En fécondant la terre embellie et charmée, —
Dans le plein ciel où court une brise embaumée.
Aux contours irisés des jeunes frondaisons !
Gautron dv Coudray.
a VIELLES ET CORNEMUSES ï>
C'est un livre charmant (i) que celui qui porte ce titre, tout à
l'exaltation de ces instruments du pays de Gaule , que chantèrent à
l'envi trouvères et troubadours, poètes du vieux terroir : la vielle et
la musette.
Il a éveillé en moi de chers souvenirs. Et voici que, grâce à lui,
revivent , évoqués par la pensée , les jours radieux où vielles et
musettes sonnèrent vaillamment, pour notre enchantement, leurs
plus beaux airs d'amour et de gloire, de ceux qui mettent de la joie
au cœur et de la folie en tête. Ce sont d'abord les trois journées des
i3, 14 et i5 juillet 1889 où Paris, enthousiasmé, les acclama; puis,
c'est Châteauroux (fête de la Nature) ; Nohant et La Châtre ; Bourges
(solennité à la mémoire du poète Emile Deschamps) ; Sancoins, avec
cette splendide Fête du blé, conçue et organisée par notre maître Jean
Baffler : un triomphe ! C'est ensuite Saint-Pierre-le-Moùtier avec son
(1) En vente chez Crépin-Leblond, à Moulins.
.*^îv' v.v 1*. i'-:..^ i l^ iiî-- i'> >M a tJ»? ^e para de verdures
>.u-- --:vr.ii, i •.,uL-.îr- .i :::r .uùi-T-v-^iI»^ k< entendre encore
3.--it :.. M*-,ii n'" il v'i ij'iiiM'iL 1 l* .zi^ 1 L-^. pTiis de nouveau
.Nit>. '♦•-c i • t' .0^ .v>r:> i .1 n in^ n i'"»i:i'^r[ie arrondissement,
.1 II '•:•' •> ^a'^^ i i^^ in> i /'î i.i-i-- "!!''. )ii nos maîtres son-
•»^u.^ ^».'i.i a uà- -i'.^ i-.iii B.i:::-r -c l>i riri^riv. 5<)ulevèrent les
.j^.^ ..K*^*;^v.iULiii> l'iii»^ :"'..^,r 1^:.-^-. riaj»:. ir^iiiinu Jans la grande
V .' v^ '•>- î>. 'n*:r^.-AL l'A iiT :e ii.î."!!»' "Lslajie •[iii avait Ten-
\,,... /'uic M(h>cnUjts€. \ ja> v:»!^ ^1 ^ *T "it^z^ I Jii;^ies Lapaire!
I. :*4 :l • Uui i»' la :V.v. > j. q :• .^ ^ V"*;-;^;!:. -fc iiln e^^t justement de
:uiv\wit LuMe ie f.i •rii.x.uy'j"^. r/i I ùsl-**^ !ï*>a aini le peintre
h\. i.'.ia Mo.ild.i'L i'i Vr^.'if a îh- 7Ti^>î-'^. »?£ pii :aiL Tt^bjVt de ces
4ùvl<(u«.> liç.iK>. Tri'i.! SI»'.--» K i *r:zi}''ij^ , -ians la première
paùio duq-K-i 11 l'hl .": -rC/.-r. 7"^-^ ^'> i^'n Li^^crmients. hiitorique
|)u.>'' .ivi\ uivu.T./^^ s:«;/'.t** ''• il z".^j^^ rvea in Iniir passé, nous
U> uioiiUaLiL \ \T i :•;_• ii:..^ >^ !1k-:>ii, ^ ji »!i:ar. aux champs et
à la \'\k\ j.*» .i' -'L-^'^'-tj -'r.v /:-. .iiis i^ .i^:i.»^!UH partie, à quel-
qiu'vN li-;ui\-> d-er 3i.r "."-^ vu--::.*- hzxri-'^^ il casa^rn? des pages
oauios : le iii:ir;ulr ■*>. }>:tyy.:-, 'Iki*:, .i-f Sa 2.'^P'>rre-Ie-Moùlier;
0>iK>>lant, d'j Hjrhh} : v.i'.:.i^Ti:D, d-r N-fTfrs: B.-usset et Thelouzat,
do Liuvy Lt-v), et L'A:^ <::.'. ^'\'^ ti^^lfr en vî'rll-ax au jeu char-
mour, qui, di^Il^ u:j- '/rT-ir^ ;n/:i: .iil.>. û Tirti^te s'e<t surpassera
ti\ê p«»ur la p»-!^ né .-t îr>.l- »i ; .«'-ar. î niKtr^ G 'xpa^on.
(hi iMilend \iv^\iï^\\K\.Ki H mi^*Ar< d-piis «p'an nua^ a obscurci
lo bfau tirl d*' Vr^u^ji. \W:< il >*• .].>si[r ra, tl dt^ nouveau elles son-
nennU dans le pl'rin air. Ij: livre d*^ n jtre ami Ha^es Lapaire en est
riunireiix pré>a^'e.
Edoijuid Achard.
REVUE DU NIVERNAIS. 213
RÊVERIE AU BORD DU CHER
Quand le parfum du soir dans le ciel clair s'envole,
Et que Tombre descend à l'Orient lointain.
J'aime à suivre en rêvant, de mon pas incertain.
Les bords du Cher ombrés de leur verte coupole.
J'aime à errer le long des grands prés verts fleuris ;
J'aime à porter mes pas, lents, vers la grève blonde.
Où, si coquettement, viennent sourire à l'onde
Les saules et les joncs, aux regards attendris.
J'aime à noyer mon front dans l'azur qui féconde^;
J'aime à respirer l'air du rivage enchanté.
En regardant mourir, éclatant de beauté.
L'astre qui prit ses feux aux palais de Golconde.
Et quand mon cœur, lassé de son rêve indécis.
Suit les remous de l'eau qu'endort la brise molle,
Il lui semble qu'il voit s'agiter la gondole
De la Ueine des Soirs aux contours amincis.
Pendant que sur la rive, indolemment assise
Avec ses ponts croulants et ses hauts peupliers,
La ville, qu'ont bercée et la brise et la bise,
Médite sur les chants de ses vieux fabliers.
Joséphine Bégâssat.
LA REVOLUTION DANS LE RAILLIAGE
D'ARNAY-LE-DUC
ÉTATS-GÉNÉRAUX
Le bailliage d'Ârnay-le-Duc, dont la Revue du Nivernais a déjà donné
la position et l'étendue (1), comprenait, outre la ville de ce nom et
les bourgs de Châteauneuf, Pouilly-en-Auxois et Sombernon, quarante-
neuf paroisses rurales, circonscriptions à la fois politiques, adminis-
tratives et religieuses, dont quelques-unes étaient formées de plusieurs
communautés.
Chacune de ces dernières devait être, en exécution des lettres du
roidu24 juin 1789, représentée à l'assemblée générale du bailliage
(1) Livraison de janvier 1900, p. 130.
214 REVUE DV NIVERNAIS.
secondaire d'Arnay-le-Duc par des députés porteurs du cahier de
doléances, plaintes et remontrances, rédigé préalablement au siège de
la paroisse ou de la communauté. Ces cahiers, véritable préface de la
Révolution, furent dressés par les habitants convoqués par exploits
df s huissiers Monnot, Parizot, Pelletier et Piogey, en date des 6 et
7 mars, et assemblés de la manière accoutumée, c'est-à-dire au son de
la cloche, du 8 au i6 mars 1789.
On sait qu'à l'exclusion des domestiques, tous les autres habitants
c4>(iiposant le Tiers-Etat, nés Français ou naturalisés, domiciliés, et
c^iUipris au rôle des impositions directes pour une contribution quel-
c/iri(|uc, avaient le droit de participer aux opérations de rassemblée,
1/ fiu(* devant le juge du lieu ou, en son absence, devant tout autre ofG-
rUr public, et que la plupart du temps les doléances, plaintes et
r^'ffiontrances furent consignées par des professionnels. Les cahiers
thUin/'M dans ces conditions offrent en général peu de variété : ce sont
U'^ Uihuvs idées exprimées dans les mêmes termes. A côté de ces
i'tUït'r^ emphatiques et incolores, il en est d'autres qui ont été éla>
i,hit'Ai par 1(^8 habitants eux-mêmes ; inutile d'ajouter que ce sont les
{ihit» intéressants : quelquefois ils trahissent une main exercée, mais
\h {il Mb houvont ils accusent une intelligence inculte, dont la pensée est
fjihUmwMmmnt en lutfc avec l'expression.
I<^i» déhViiéA des paroisses ou communautés, au nombre de U7,
4'ft/ iiiUUth A Arnay, le 17 mars, à huit heures du matin, tous investis
rt ttu mandat Impératif, étaient chargés de fondre les cahiers particu-
ihn tn iU) Hcnl et de nommer le quart d'entre eux à l'effet de porter
H. r.tUu^v i/^hiévnU le 23 mars, à Semur, siège du bailliage principal
n ^in^^\ti uuquoi ressortissait le bailliage d'Arnay. Ils avaient droit à
fW^> i/Mi^^iiinllé journalière de 4 livres que beaucoup refusèrent.
Aihai ri'ux do Maligny et de Voudenay, qui avaient droit les
^,^M/iM/b A i\ livres et les derniers à 8 livres, t se trouvaient assez
ijhliilà |mr rhonneur d'avoir été choisis». Jacques Godard (de
((miihi,tliïlii\M droit à 12 livres, «s'estimait bien heureux d'être
^mHf fl.iiM ('<1l<^ circonslance à donner à la Nation et au Roi des
lif**èèk*u lin bon d(Vsintéressement (1) » ; et Jean Roux (de Mémont), qui
«M^^ l*M aiiaM, droit à 12 livres, ne demandait « point de journées,
^If |#|it t.iiiitllu (auldnl, ainsi qu'on le verra plus loin, fournit encore d'autres
iiiglii ût biiii il«^btntt^t*jttiement.
1
RE>UE DU NIVERNAIS. 215
mais seulement ses déboursés, qui étaient de 6 fr. ». L'autre député
de Hémont, M^ Juste Rameau, avait refusé.
Ceux de Malain, qui étaient les plus éloignés et n'avaient droit qu'à
12 livres, acceptaient en ces termes :
c Monsieur, nous acceptons la taxe telle que vous l'avez faite, ce
n'est cependant pas le montant de notre dépense. Etant pères de
famille sans beaucoup de fortune, cela ne nous permet pas de faire les
choses gratis ».
Dans plusieurs cahiers particuliers, il est dit que les députés prieront
les orateurs de soutenir leurs revendications :
c Journellement occupés aux travaux de la campagne, ignorants en
tout, nullement versés dans l'art d'écrire et de persuader, nous ne
ferons autre chose que de communiquer nos idées sans les étayer de
raisonnements longs, nos députés au bailliage prieront ceux de l'as-
semblée qui ont le don de la parole de les faire valoir et de les insérer
dans le cahier qu'on doit y faire (1 ) ».
Les discours ne pouvaient donc manquer dans l'assemblée générale
où il y avait quatre avocats. L'un d'eux, Antoine Guiot, dont nous
aurons à reparler tout à l'heure, en prononça même un que Lavirotte,
un demi-siècle plus tard, trouvait si remarquable « par la justesse, la
clarté des idées et la simplicité du style », qu'il crut devoir en repro-
duire, dans ses Annales (PAmayleDnc, les parties les plus saillantes
pour € perpétuer le souvenir de son auteur et de cet acte précurseur
de la Révolution ».
Enfin, dans l'assemblée du 17 mars, les plaintes et doléances géné-
rales furent formulées en soixante-sept articles et remises aux députés
du bailliage, dont deux, Guiot, déjà nommé, et Moingeon, avocat à
Amay, participèrent à la rédaction du cahier général de Semur, qui
finissait ainsi :
« Article 40 et dernier. — Au surplus, les cahiers particuliers de
chacun des quatre bailliages (2) qui composent le bailliage d'Auxois,
contenant une grande quantité d'articles de détail qui ont paru à
l'assemblée présenter des vues très avantageuses au bien public, l'as-
semblée, en les approuvant, a statué que la remise en sera faite aux
députés qui seront envoyés aux Etats-Généraux, conune faisant partie de
(1) Cahier de Jooey.
(3) Ces quatre bailliages était ceax de Semur, d*Avallon, d'Âmay et de Sanlieu.
316 REVUE ou NIVERIIAIS.
celui-ci, auquel ils demeurent annexés, et que les lesdits députés seront
tenus et strictement chargés de les faire valoir avec tout le zèle possible.
» Arrête pareillement, que lesdits députés appuieront avec le même
zèle le mémoire qui a été présenté par Tun des membres du comité,
attendu qu'il offre aussi des vues importantes à la prospérité de Tagri-
culture et au soulagement des habitants de la campagne ».
L'honneur des revendications aux Etats-Généraux fut conféré à
Antoine Guiot, élu, au premier tour de scrutin, le 28 mars, par 94 voii
sur 158 votants, et à Florent Guiot^ avocat à Semur, élu, le lendemaiD,
au troisième tour.
Quant au clergé et à la noblesse, ils furent représentés par Guy
Bouillotte, curé d'Amay, élu, le 30 mars, par 169 voix sur 345 votants,
et Edme Lebacle, marquis d'Argenteuil, élu, le 31 mars, au troisième
tour, par 88 voix sur 158 votants.
Les élections de Semur furent donc un joli succès pour la petite ville
d'Amay, qui fournissait deux députés sur quatre envoyés à Versailles
par le baillage d*Auxois. Aussi, à leur retour, les élus furent-ils Tobjet
de manifestations enthousiastes : la population entière se porta à leur
rencontre, aux flambeaux, jusqu^au Pont-de-Colonne, et rentrée en
ville s effectua au bruit du canon.
A partir de cette époque, les faits se succédèrent très rapidement.
Le 20 avril 1790, les anciennes divisions géographiques firent, comme
on le sait, place à de nouvelles et la ville dWmay devint le chef-lieu
d'un district.
Le district d'Arnay, plus étendu et mieux arrondi que l'ancien bail-
liage, comprenait 9 cantons et 82 communes. Il était administré par
un directoire composé d*un président, de cinq membres et d*un pro-
cureur-syndic qui ne restèrent pas inactifs : leurs délibérations rem-
plissent plusieurs in-folios, elles indiquent une très grande activité
alliée au désir de bien faire et aussi parfois le désintéressement, qu'on
rencontrait d'ailleurs un peu partout et que certains fonctionnaires
poussèrent jusqu'à rabandon de tout ou partie de leurs appointements;
pour nous borner ici à un exemple, citons le cas de Jacques Godard,
ancien lieutenant criminel, juge au tribunal du district, qui, pour en
donner des preuves, abandonna le tiers de son traitement, soit 600
livres sur 1,800. Jules Partoiot.
(Elirait d un ouvrage intitulé : Episodm de la Révolution data la baUUagtt et
dUiricî d Amay'lê'DiéCi qui doit paraître prochainement).
REVUE DU NIVERWAIS. 217
UNE LÉGENDE
Mon pays est un pays charmant. Les habitants aimeraient assez la
poésie s'ils avaient le temps d'y songer. On pourrait respirer le parfum
des fleurs si des odeurs suffocantes de soufre ne s'échappaient des
buttes embrasées ; on y verrait le ciel bleu, si l'azur n'en était terni
par les fumées noires qui montent, par bouffées énormes, des chemi-
nées géantes ; on entendrait chanter les oiseaux si le vacarme infernal
des forges, des machines, de la vapeur ne dominait tout autre bruit.
Les enfants blonds, souriant à leurs mères, croiraient à la légende du
jeudi saint si l'on n'avait placé dans le clocher de notre église une
horloge monstrueuse qui frappe tour à tour les trois cloches de ses
marteaux puissants pour annoncer, de quart d'heure en quart d'heure,
aux pauvres gens qui l'écoutent, qu'ils ont, chaque fois, quelques
minutes de moins à compter dans leur existence.
L'excuse de mon pays est
• Qu*on vit de bonne soupe et non de beau langage. »
Il doit sa prospérité aux produits de son industrie et non pas
aux résultats de vaines contemplations.
Mon pays a raison !... et j'arrive à mon histoire :
Un jour de jeudi saint, il y a trois ou quatre années, cinq
peut-être, je ne me rappelle plus, à l'henre du Gloria, les cloches
sonnaient joyeusement. Sur les portes des maisons, les mères appa-
raissaient, portant dans leurs bras ou conduisant par la main les
petits enfants qui voulaient assister au départ des cloches pour la
Ville sacrée.
Et montrant le ciel du doigt, les mères disaient :
— «c Regardez... par ici, les voyez-vous ?...
Oh ! comme elles sont belles avec leur robe blanche et leur écharpe
bleue... Mais regardez-donc ! elles vont vile et bientôt vous ne les
verrez plus. Dans leur joli panier d'argent, elles rapporteront
(c la roulée >.
Les enfants ouvraient les yeux, étonnés de ne rien voir, mais ne
songeant même pas, dans leur naïveté charmante, à douter des paroles
de leurs mères.
Le carillon avait cessé.
r
^j{!îi REVUE DC 5ITER5A15.
- - u lillessout pjiiies, les cl^x^hes, loin, Li-^n loin, sur le chemin
lU; Uoiao, Vous ne les e u te agirez plus ! Elles soai absentes pour deux
jours; saïuali, elles reviendn^nl. w
U était dix heures, et l'horloge, sans respe»rl pour les traditions,
après avoir frappé les quatre quarts, flt rés4?nner dix fois l'airain de la
j^roxNC cloche.
Alors, les petits, tristement surpris, dirent avec des larmes dans
leurs beaux yeux :
— d Ce n*est pas vrai, maman, elles sont toujours là, les cloches ! »
Et c'est pourquoi les enfants blonds, sc»uriant à leurs mères, ne
croient plus, dans mon pays, à la légende du jeudi saint.
Odile Thiault.
LES VIELLES
• Les vielles disant les choses du passé •.
iEXS LURENTY.
Elles sont Técho d'autrefois,
Les vielles.
On croirait que Tâuie des champs.
Triste ou joyeuse expire aux chants
Des vielles.
Elles nous parlent d'autrefois.
Les vielles !
Elles font soupiier les cœui-s.
Les vielles.
Sous le vieux chêne, sans façon.
Filles et gars dansent au son
Des vielles.
Elles font palpiter les cœui-s,
Les vielles !
Elles font penser à l'amour,
Les vielles.
Le soir, par les sentiers déserts.
Les amants fredonnent les airs
Des vielles.
Elles invitent à l'amour,
Les vielles !
Elles font rêver les vieillards.
Les vielles.
Près de la tombe, accablés d'ans,
Ils regrettent le bon vieux temps
Des vielles.
Elles font pleurer les vieillards,
Les vielles.
Paul Randieu.
REVUE DU NIVERNAIS. 219
LE PARNASSE MODERNE
POÈTES HOLLANDAIS (Suite)
Willem Bilderdijk.
(1756-1831;.
LES ROSES
J'ai vu leur riche floraison,
L'aurore embrasait l'horizon :
Penche et tombe aujourd'hui leur corolle si belle,
Triste jouet des vents divers,
Pâture abandonnée aux vers,
Opprobre du jardin, autrefois si fier d'elle !
Elles buvaient avec bonheur
Du matin l'humide fraîcheur,
Perles du ciel en qui la fleur se désaltère ;
Maintenant, sans éclat aucun.
Elles ont perdu leur parfum,
Même avant que le soir ait obscurci la terre.
Humaine génération,
Vis-je ainsi ton éclosion.
En puissance, en beauté, pour si peu de durée !
Vis-je ton rire avec tes chants
Se changer en cris gémissants,
Même avant la moitié de ta vie expirée !
Après la joie, après l'orgueil,
Ce sont les bras que tord le deuil ;
Un signe... et te voilà, félicité, passée !
Tout cela, fleurs !... en vérité.
Tout ce qui fait notre fierté,
N'est — présent du matin — que gouttes de rosée !
Cet éclat, ce feu des regards,
Eteints presque sous les brouillards,
Nerfs, muscles, tout, oui, tout périt ; et même encore
Jugement et raison, ici,
Croulent avec le corps... Voici
Que la vie est à bout, s'envole, s'évapore !
'IVFE DU >'IVERX\1S
Heiie.
7TE D'EAU
'. - • '^nde huriante
- f n ec limant descend
:_* . l'Us nx^s bondissant,
- • . ;îe etincelante î
>>..nt et pressé,
.\ ' ^-~' ■: i fracas s'écroule ;
>. r- r:r^ qu'elle roule,
:> - . "^vassé.
: ; il scintille
.iBvreant :
.*? .i':in:ent
I - rrn mobile.
•liLe et gronde,
.-t^ DJioade
"^u rs^(.e.
•o i' i.. <...-.> .^ .. ^ i> . 1 e îiioiudre son,
•.• ^. » .> > K. «. .t: ^•:*»» lis roses...
l.t 'ui, K», -a ♦» . .V ••t:i'-ii>>i bieus,
I*nm«|i4«.>t e v.K '.'->-. i ^- 1^ .V ^» r^ H-hlileux ?
\w fMltMV f T.v--c«t. :"vi( i ' t>»it»tMi ^feinblant
! UN» -t ^i Ml Mit* 10 .t'ie ;
\ H M«i»i* *i^ il«Hi'ii>, iin^ttii M^'-ie e( blanc,
^*iMeinl ^tir ^t 'avf îiiiK'ite.
Kili;4iÉjiiiii\ AW i'u!, îMÎt* x.m> le^ fn mas :
Sif i\*%i»illera-l*.*lle ? « ^ii ne le civiruil jkis.
REVUE DU NIVERNAIS. 221
Haverschmidt (Piet Paaltjens)
(1835)
HUMOURISTIQUE
Oh I ne me parlez pas de ramitié fidèle,
Ne me dites rien de Tamour :
L'amour et ramitié sont morts et sans retour,
Et j'en porte le deuil et la peine éternelle.
Parlez-moi des soucis dont aime à se nourrir
Ici-bas la misère humaine ;
Montrez l'homme écrasant son frère sous sa haine :
Vous me verrez rire à mourir 1
HUMOURISTIQUE
Mon cœur me paraissait glacé ; de mes douleurs
Les larmes semblaient se suspendre ;
Mais son regard brûlant frappa mes yeux : mes pleurs
En déluge alors de s*épandre.
Hélas I que n'ai-je pu me noyer en ce jour
Dans cette eau salée et profonde !
S'asphyxier dans les pleurs âpres de l'amour.
Est-il plaisir plus doux au monde ?
F. Smit-KIeine.
(1845).
CE QU'ON NE PEUT PAS ACHETER
Tu n'achèterais pas, avec tout l'or du monde,
La paix, la belle paix qui fait de l'ouvrier
Le logis si serein, se plaît à son foyer,
Que sa clarté propice et tutélaire inonde ;
La douce paix qui fuit — combien, combien de fois ! •
Pour toujours les palais des comtes et des rois.
Tu n'achèterais pas, avec tout l'or du monde.
L'enthousiasme ardent, le courage joyeux
Ni la santé, ce bien entre tous précieux.
Qui seule rend la vie agréable et féconde ;
La vie où l'on espère et qui rit vainement.
Pour le pauvre malade elle n'est que tourment.
222 fiEVUE DU NIVERNAIS.
Tu n*achèterais pas, avec tout Tor du monde,
L'amour fidèle et pur, l'amour tendre et vainqueur,
Cet amour vrai, qui siège au plus profond du cœur
De l'épouse choisie, ô liesse profonde !
Fleuri comme un bouquet de roses parfumé,
Imprégné des fraîcheurs de la rosée, en mai !
Tu n'achèterais pas, avec tout l'or du monde,
L'intelligence vive et subtile à la fois
Qui ne peut point marcher dans les liens étroits
Mais qui veut s'envoler, agile et vagabonde,
Loin des entraves que forge l'autorité,
Au pays où l'esprit prend toute liberté.
i
Gislebert Guillaume Lovendaal.
(1847).
ON LE SAVAIT BIEN
Jusqu'à sa maison, ma belle,
Ce soir, j'ai conduit ;
Mon premier baiser et la bonne nuit
Pour elle I...
Les étoiles brillaient, brillaient clair, oh ! combien I
Mystère! elles voyaient, savaient, oui, savaient bien
Comme nous étions heureux
Tous deux !
Le vent, sur le rameau sombre
Voulut s'apaiser.
Ecoutant, muet, notre amour jaser
Dans l'ombre...
Et les cailles chantaient, chantaient clair, oh I combien !
Mystère ! elles savaient, entendaient, savaient bien
Comme nous étions heureux
Tous deux !
Comme l'aubépine embaume !
Oh ! céleste odeur I
Partout va flottant des rosiers en fleurs
L'arôme ..
Les cigales chantaient, chantaient clair, oh I combien I
Mystère I terre et ciel savaient, oui, savaient bien
Comme nous étions heureux
Tous deux I
Traduction de ACHILLE HiLUEN,
I
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Parmi les nombreux volumes qtie nous avons à présenter à nos lecteurs ce
mots-ci et les mois suivants, nous avions remarqué d*abord Vielles et Cornemuses y de
notre collaborateur Hugues La paire. M. Edouard Achard nous a avantageusement
suppléé dans le compte rendu de cet attachant ouvrage.
Eugénie Casanova : Fleurs du Souvenir, — Paris, L. Baschet, rue de TÂbbaye, 12,
— in-12, 3 fr.
Notre voisine du Berry, l'excellente collaboratrice de cette Revue, Mb* Eugénie Casa-
nova, publie un nouveau recueil de poésies destiné au succès de ses deux aînés :
Croyances du Cœur et Fleurs des Champs. 11 n'en est pas de plus varié : la rêverie
philosophique ou sentimentale, la chanson gracieuse, les impressions de voyage, les
hymnes patriotiques y mettent tour à tour leur note diverse, tantôt élégiaque ou
joyeuse, tantôt énergique et puissante. Bon nombre de ces pièces ont paru dans les
journaux parisiens : Annales, Soleil illustré, Figaro, etc. Nous ne sommes pas sur-
pris que la poésie de M>°« Casanova, musicale et chantante, ait tenté les composi-
teurs, Paul Delmet entre autres, qui a écrit une belle mélodie sur la pièce
initiale : le Credo pour tous. Nos lecteurs auront mainte occasion de goûter les vers
de M"* Casanova. Nous détachons de son recueil une des plus courtes poésies :
» DERNIERS REGRETS
• Les roses reviendront et je n'y serai plus.
Moi qui les aimais tant, toutes fraîches écloses.
Quel sera leur parfum au séjour des élus,
Auront-elles encor leur joli nom de roses ?
» Auront-elles encor leur charme pénétrant.
Et pourrons-nous les voir assembler en couronne
Toujours rose et jolie ? Ah ! si Dieu nous les rend,
C*cst plus belles encor que sa bonté les doime !
• Aux cieux où tout ravit, où s'écoulent les temps
Sans que le jour s'avance ou que le soleil baisse.
Où la vie est toujours à son premier printemps,
Les fleurs auront aussi l'éternelle jeimesse I
■ Va donc, ma belle rose, au gré de tous les vents ;
Nous nous retrouverons dans une autre patrie,
Toi toujours admirée et moi sans cheveux blancs,
Tu charmeras ma vue et ma route fleurie.
■ Parfois nous viendra-t-il un vague souvenir
De notre exil humain passé sur celte terre.
Où nous avons aimé — ce qui devait finir —
Où nous avons pleuré dans l'ombre et le mystère !... »
Le Corsaire, poème dramatique en 5 actes et en vers, par Evariste Boulay-Paty et
Hippolyte Lucas (d'après Byron). — Notice historique, par L.-Hippolyte Lucas fils.
2 fr. — Paris, chez Lemerre.
M. L.-Hippolyte Lucas fils réédite une œuvre de jeunesse de son père, Le Corsaire,
qui, écrite avant Tapparition de Hernani, olfre cette curiosité de nous montrer ses
auteurs comme précurseurs du romantisme ; on y trouve en eflet une fantaisie
poétic^et des libertés de rythme et des familiarités cl expression encore inconnues.
Une intéressante préface de M. L.-Hippolyte Lucas fils met en relief le caractère
novateur de cette pièce qui méritait assurément d'être i-éédilée.
224 REVUE DU NIVERNAIS.
Henri Âllorge, Poènies de la Solitude^ Paris, édition de la Revue des Poètes, me
Monsieur, 13, in-18, 2 fr.
L'excellente Revtte des Poètes a groupe un certain nombre de jeunes poètes d'un
vrai talent dont elle publie les œuvres dans ses livraisons d'abord et ensuite en
volumes. Tel M. Gaston Portevin, dont nous appivciions récemment le joli recueil.
Voici aujourd'hui celui de M. Allorge, dont nous avons goûté un grand nombre de
pages. Nous aurions plaisir, si l'espace n'était mesuré à ces mentions trop brèves, à
étudier de près le talent de ce poète tour à tour gracieux et énergique. Nous devons
nous borner à l'applaudir en citant un sonnet de son recueil :
» UNIVERS MORT
» Il me semble souvent que des cris de souffrance
Troublent la majesté morne des vastes nuits
Et que dans les tieux lourds, drapés d'indifférence,
J'entends pleurer tout bas des sanglots inouïs.
> Mù par une invicible et fatale attirance,
Je regarde et crois voir, à mes yeux éblouis,
Passer, cortège eirant d'ombres sans espérance,
Des spectres désolés d'astres évanouis.
■ Qui sait ce que l'éther, sombre océan sans havres,
Dans ses ffots mfinis peut rouler de cadavres,
Décombres ballottés vers d'impossibles bords ?
ta Taisez-vous, taisez-vous, ô larmes de la terre !
Qu'est-ce que la douleur d'un homme solitaire
Devant Timmense deuil des mondes qui sont morts ? •
Au moment de mettre sous presse, il nous arrive im élégant volume que nous ne
pouvons qu'annoncer aujourd'hui ; c'est une Petite histoire du Nivernais, par
l'excellent professeur d'histoire et de géographie du lycée de Nevers, M. Elicio Colin, —
éditée au prix de 3 fr. 50 par M. Ropiteau, le libraire bien connu I Noïis y revien-
drons, ne pouvant, ce mois-ci, que constater l'attrayant extérieur du volume,* orné de
nombreuses cartes et de bonnes gravures.
NOTES ET ÉCHOS
/. Notre compatriote M. Charles Morizot-Thibault vient d'obtenir un nouveau et
brillant succès. L'Académie des sciences morales et politiqueSj qui l'avait déjà dis-
tingué et qui l'admettra bientôt, nous n'en doutons pas, parmi ses membres, lui a
décerné au concours le prix Odilon-Barrot.
/. Au concours de la Société académique de Saint-Quentin, notre collaborateur
M.* Fernand Richard a obtenu une médaille de vermeil : succès auxquels applaudi-
ront nos lecteurs, qui ont pu apprécier le talent délicat du jeune poète.
/ Mariage de notre compalriole M. Emile-Elienne-Eloy Frébault, résident-maire
de ia ville de Haïphong, avec M"*» Herbin, née Louet, veuve d'un administrateur
colonial.
/, Les Morvandeaux de Melun viennent de fonder, sous le titre : Enfants du
Morvan, une société de mutualité. Pr(^ident, M. Fuye; secrétaire, M. Moreau ; prési-
dent d'honneur, M. B;dandre.iu, député.
/, Notre collahoraleur M. Gaston Gauthier a été Tobjet d'une flatteuse attention
de la part du Comité des travaux historiciuos. Voulant reconnaître publiquement • U
collaboration distinguée que lui prête M. Gauthier, auteur d'un grand nombre de
publications int<'Tess.intes », le Comité • vote à l'unanimité des félicitations à M.Gau-
thier, et exprime le d^-sir que ces féliritations motivées soient ti'ansmises à intéressé
par la voie hiérarchique ». Une lettre du ministre de l'Instruction publique, adressée
a M. l'Inspecteur d'académie, a, par suite, fait connaître la décision du Comité i
notre collaborateur, que nous félicitons cordialement. L. D.
Le Direcleur-Géranty ACHILLE HiLLIEN.
fl«*cri, Imp. 0. Vtll.tf.
LE VITRAIL DE COLETTE
En souvenir d'Ussel.
A Af»« Féry d'Esclands.
ous l'appelions Mirai Colette, et je ne
sais pas pourquoi ; sans doute un enfant
de sa maîtresse l'avait baptisée ainsi et
par nos enfants, le nora était remonté
jusqu'à nous.
Ah ! il y avait beau temps qu'elle
n'était plus de l'âge des Mirai Pinson
la pauvre Colette ; elle n'aurait jamais
voulu s'y ranger d'aucune manière, la
bonne fille. Pour mon compte, du plus loin que je rae souvienne,
je ne l'avais jaraais vue que droite et bien posée devant son ouvrage,
à la fenêtre de la cuisine des Brange, et je n'aurais pu dire si elle avait
cinquante-cinq ou soixante-quinze ans.
Elle n'avait pas d'âge et resserablait, dans raa tète, à ces bonnes
petites vieilles poraracs qu'on mange en juillet dans l'arrière saison des
pommes et qui sont aussi fraîches et bien meilleures sous leurs rides
que les poraraes de septembre.
Mirai Colette était de même, fraîche et avenante sous des rides qu'on
ne voyait pas au soleil, mais qui devenaient grêle quand la pénombre
détaillait les plis de son visage ; de sorte qu'elle avait cinquante et
quatre-vingts ans dans la mêrae journée.
Cette année- là, nous ne l'avions pas encore vue. Sa maîtresse était
morte depuis notre dernier séjour à la campagne, séjour qui remontait
à trois ans. Nous savions seulement qu'elle avait perdu la grande affec
tion de sa vie et une vraie mélancolie nous reprenait au retour, corarae
10
REVUE DU NIVERNAIS. 5i27
la coiffe de deuil qu'elle portait depuis la mort de sa maîlresse, il y
avait deux ans.
Elle me répondait à peine, s'informait à peine des enfants de la
maison, elle qui les aimait tant. Etait-elle malade?... On ne le voyait
donc pas ? Je cherchais.
— Vous ne me croirez pas, me disait mon curé, en voyant s'éloigner
Colette ; vous ne comprendrez jamais le chagrin de la pauvre fllle.
Est-ce qu'on connaît ces sentiments dans les villes?
— Quels sentiments?
— Eh ! oui, je devine votre pensée ; vous cherchez pourquoi elle
est M triste la vieille servante. .. mais c'est inutile à dire ; on en rirait;
on rit de tout... Elle voudrait donner quelque chose à l'église en sou-
venir de sa maîtresse, madame Elisabeth Brange ; — vous voyez bien
que vous ne comprenez pas.
— Mais voilà cinquante ans qu'elle sert de bons maîtres ; elle a des
économies certainement et devant une intention si touchante, le
moindre souvenir...
— Vous ne me croirez pas. Colette n'a aucune économie ; elle a
considéré qu'elle était si heureuse chez les Brange, qu'on ne lui devait
rien que le plus strict entretien.
— Comment ? ses gages ont été payés sûrement ?
— Et redonnés sous une forme quelconque aux enfants; c'est la
première fois que la pauvre fille le regrette ce désintéressement de
toute sa vie et quand on sait pourquoi elle le regrette, c'est sublime.
— Oui, c'est sublime au milieu de Tégoïsme féroce actuel, c'est
sublime, aussi simple et encore plus beau que l'Evangile des lis qui ne
travaillent point, monsieur le curé. Je ne le dirai pas, vous avez raison.
Ce qui manque le plus au monde, ce n'est ni Pintelligence, ni le savoir ;
c'est le cœur. On rirait peut-être... Mais, comment le savez-vous?
— Je l'ai deviné, puis Colette s'est trahie sans s'en douter.
— Pauvre admirable fille !
Je laissai mon curé achever ses préparatifs et contempler encore son
palais du bon Dieu ; puis je rentrais au châlct rêveuse, obsédée, émue,
songeant que la première élévation est celle qui vient du cœur et que
Mimi Colette avait son cœur bien plus haut placé que le mien.
Nous descendions tous le lendemain à Panzat pour la belle cérémonie :
parents, amis et voisins de village avec tout le hameau fleuri, enru-
• 4
REVUE DU NIVERNAIS. 229
MORT DE CASIMIR V, ROI DE POLOGNE
ARRIVÉE A NEVERS EN 1672
Il est en ce moment beaucoup question de Thistoire de la Pologne,
depuis que deux célèbres écrivains polonais, Joseph-Ignace Kraszewski
et Henri Sienkiewicz, le premier dans son roman historique intitulé
Kordecki, le second dans son roman Polop (le Déluge)^ ont retracé la
période épouvantable de guerres qui mirent aux prises, au dix-sep-
tième siècle, les Polonais, les Moscovites, les Suédois, les Brandebour-
geois, les Tartares, les Cosaques et les Turcs.
Récemment, un autre écrivain, le docteur Czermac, a publié, à
Lensberg, des Eludes historiques sur l'époque de Jean Casimir, divisées
en deux parties : !<> Etude sur la vie et sur le caractère de Jean Casi-
mir ; 2<> les dernières années de Jean Casimir.
Deux circonstances ont mêlé le nom de ce personnage à l'histoire du
Nivernais : la première est son mariage avec Marie de Gonzague ; la
seconde est son décès, survenu, le 16 décembre 1672, dans l'hôtel
abbatial de Saint-Martin de Nevers.
Jean Casimir avait été nommé cardinal par Innocent X, en 1646. A
la mort de son frère Sigismond, il dut échanger son chapeau de cardi-
nal contre le diadème, parce que les seigneurs de la Diète lui impo-
sèrent d'épouser sa belle-sœur, Marie de Gonzague, très aimée de ses
sujets, et qu'on voulait absolument conserver comme reine. Pas de
mariage, partant pas de votes. Les causes et les conséquences de ce
mariage ont été racontées par K. Waliszewski, dans son livre sur
Marysienka (Marie de la Grange d'Arquien, qui épousa Sobieski).
Les historiens n'ont relaté que brièvement le décès de Casimir.
Dernièrement, la Société des lettres, sciences et arts du Nivernais
s'est préoccupée de faire connaître au public les circonstances de cet
événement, à l'occasion d'une savante communication de M. le chanoine
Sery, sur l'abbaye de Saint-Martin de Nevers.
Nous pensons que les détails qui suivent, et qui complètent ceux
donnés à la Société nivernaise, intéresseront les lecteurs de la Revue,
Vers le milieu de 1666, un traité secret avait été conclu entre
Louis XIV, le couple royal (Casimir et Marie de Gonzague) et les sei-
gneurs polonais. Le roi de France assurait à Jean-Casimir, qui devait
abdiquer, 200,(XX) florins polonais de revenus annuels en bénéflces, à
230 REVUE DU NIVERNAIS
la condition qu'il donnât son appui au candidat français. A la mort de
sa femme, Casimir abdiquait (septembre 1668) et, pendant un an, ne
sut où se flxer en Pologne.
Les brevets pour les bénéfices avaient été expédiés à Varsovie, puis
envoyés à Rome. Les choses traînaient en longueur depuis de longs
mois, lorsque, sur ces entrefaites, Henri de Bourbon, fils d'Henri IV et
de Catherine-Henriette de Balzac, marquise de Verneuil, qui avait été
pourvu, en 1608, de huit abbayes, manifesta, vers le milieu de 1668,
riqtention d'épouser la duchesse de Sully et de se démettre de ses
bénéfices.
Louis XIV laissa 100,000 livres à toucher de revenus sur ces béné-
fices au prince de Verneuil, et Jean Casimir devait toucher le reste. Le
prince de Verneuil ne renonça à son titre d'abbé que le 12 octobre 1668
et ce n'est qu'en janvier 1669 que Casimir reçut son brevet. Le bref do
Pape est du 8 mars 1669. (1) Casimir vint donc en France.
Avec la confiance propre à un tel caractère que le sien, Casimir se
crut tiré de ses embarras d'argent, et voulut mener la vie large et
facile d'un prince de l'Eglise. Il alla prendre possession de ses béné-
fices. A l'évêché de Metz (10 octobre 1669) (2), il fut reçu solennelle-
ment ; l'archevêque d'Embrun lui adressa un discours, puis il y eut un
grand gala à l'évêché, où d'après l'honnête Gazette de France^ « les
dames parurent en état des plus lestes ». Ayant rencontré, à Meaux,
Condé et d'Anguien, il les accompagna jusqu'à Chantilly, où il fat
complimenté par de Lionne au nom du Roi ; pendant quatre jours,
ce fut une série de fêtes au château : comédie à l'italienne, parties de
chasse et de pêche, grands dîners.
Le n octobre, il prenait possession de l'abbaye de Saint-Taurin, à
Evreux.
Un mois après, il allait prendre possession de son abbaye, la plus
importante, Saint-Germain-des Prés. Après avoir salué le Roi, il y des-
(1) Diblioteca Carpegna. Indulla varia, 66, tom. 28, fol, 89-90. — «.... Prapclara
virtutum dona, quibus personam tuam mullipliciter decoravit Allissinius sîngulari
erga nos et hanc Sanclam Sedein fidei et dëvotioui conjuncla proinerentur, ol ea
libi libeiUissime concéda mur per qua» erga pcrsonas benetneritas tibique gratas et
acceptas te beneficium exhibcre possis et liberalem
(2) Le duc de Verneuil, à qui Casimir succéda comme abbé de huit abbayes,
lorsque celui-ci se démit de ses bénéfices, avait, à la mort d'Ânnas d'Escare, cardinal
de Givry, pris en 1dl2 l'administration de l'évêché de Metz en vertu d'un rescrit d«
Rome et, eut successivement plusieurs suffraganls pour le spirituel.
REVUE DU NIVERNAIS. 231
cendit, en costume de cavalier, « Vêpèe au côté et la Toison d'or au
cou u, et c'est ainsi costumé qu'il parut duus réglîse à la céréinanîe de
son installation.
Casimir, qui était lettré, trouva dans la communauté une société
d'hommes du monde et d'aimables savants.
Mais, bientôt après une courte période do vie brillante, vinrent pour
lui des déboires de toutes sortes.
Il fut accablé par les réclamations de ses créanciers. Les revenus de
ses bénéfices étaient alors administrés par Berrier, secrétaire des
flnances, qui lui assurait 150,000 livres et gardait le reste pour le
trésor. Berrier payait mal, car les rentrées ne se faisaient pas,
Casimir mena, dès lors, une vraie vie de u roi en exil *. Ses faî*
blesses le rendirent ridicule ; on parla, un instant, de son mnringc
avec la veuve du maréchal de l'Hôpitril, mm Wv^ml, ancienne blan-
chisseuse à Grenoble, puis d'une union avecsabelle^sœur, laprjnces&e
Palatine.
Son état de santé était déplorable, t^ar décision du 2i avril lG7t, la
communauté de Saint-Germain-des-Prés avait consenti à lui prêter
30,000 livres pour se rendre aux eaux.
Le 10 août 1672, il part pour les eaux de Sainte-Reîne (Alise), b^n
automne, il se rend à Bourbon-Lancy. C'est à son retour <[uUI s'arnHa
à Nevers. Il fut reçu dans le couvent des clianoincs réguli*^rs de celte
ville et logé dans l'hôtel abbatial. Il vriva^Tail eu assez: hv] équipage,
puisqu'il avait une suite qu'il payait t'onnue il |iuuvail (I), des
carrosses, dix-neuf chevaux, trois mulets, des l^ninres dp tapisseries,
de la vaisselle d'argent, des pierreries et une ^rurde-nthe inipnrlarïle,
Jacques de Vienne était alors abbé de Sain I Martin. A d«*tix)Kis iln cou-
vent se trouvait la maison d'un honni te rfu tiue desUtu-e ^ini^ulii'i'e avait
conduit en Pologne, Henri de Lagnin^i^ nian}iiis il'Arquien, père de
Marysienka, dame d'honneur de Marii' de (lani;a|^^ue, puis épouse de
Sobieski et leine de Pologne,
C'est dans l'hôtel abbatial de Saint-Mîtrlin que s't'taît alité Casimir ;
(1) Bibliothèque de Seilhac : ManuscriL U-Itte ik- ujtiûojilLsation m^aiûJHÎi^ft (i;if
Jean Casimir à Antoine Baluze (13 juin Hj^jTï}, juVe do non WRvul, Jyjiii tliisimir
de Baluze. — Bibliothèque du Mans : Manuscrit iTlL lion fait par Ciisintjr, i'uipi*ne
abbé commendataire de Saint-Jean, à Jean fianère, sa^n premier (.^liiairgitui, ■ 4e
toutes les places de batteaux situés sur la rivière de Seyne à commencer d^'pui^ le
bout de la grande rue du Bac jusques au village de Sèvres i (G iïi*ii 1G70).
. ■ '- -. - - ._ "1. - .• - . ^z: -i- tt Charles
• - -' : - .1. •— j ^ .__r "i .^t 1 Dir-n, à la
j: r-r-.^T ":i: \.' - - - _. : ♦ • - .- : *ri«fc três
.7iii. : -- . .--_ ,-^' • ..- -.. ..^r_- -. i- P'jI'>gQe
î; -^ •. ~^- — ~:. .— .* ' „.^"... -. - : - -:i_ ■ 1^ r/ipr^s s<jn
:-•-- . -—-./- •■-. • . "- -. . .....:!- .^ :-suit^s de
''-■-!^. ^r.î.ii «_- ..-..•'•:. " - .ir- • : -a :^>tamenl
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[ "^ -.^n- . j _ : ' ' -. - — .-.-.»•. -' > -ir pitbi^iirs
• ii:.- - - • *'.. .^. i - . . . •- - .— -..'-r^ i** t'»«i> >es
..-:> î ••- - • -^ . - ... ;.:> * - : i.- ^k France
ii II •::::.- . _: -. .- • ..• i> :- Vir^nie, sa
M-^^f-'"K \ -1 - • .-* - 1 ...- . : - iT nu. k»un?eois
M> :*'\[/.r' - 'ij. ,• '.. '- ---::,:.: i."-: la^ al «i^n Pologne
•• ..nr.»< - r '.'":: i- • .... -./ - -^ - L'...r :- F -î 'giie que
JT .i .*i:. ::../...'. î - -• ^••... ' ^— i^-:-*.- „'-^: : .;: cï? qui p'ul
.♦^ i':s. I .»•':!»- 1 .: ■-•. — -.• "•'... > ^ ^< 1-i'^Qsétjnl dans
r* ••'•'fitîu* :i* ^'iT:.-. .- ♦* ^ ■i*--*-^^^ -*•.>. 3:^*i:e c»?ux qui lui
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|( ^^/rrfi^- à riri^' ^rjf.irit nomniéo MarieHlathorine, qui est sous la
I
REVUE DU NIVEHNAIS. 233
conduite de la femme Gallois, son apotl)icaire, 15,000 fr. pour entrer
religieuse dans l'ordre de la Visitation ; aux pauvres de l'hôpital géné-
ral de Nevers 1,000 livres.
Il ajoute que, révoquant toutes autres dispositions testamentaires
par le présent testament, il prétend faire une chose agréable à MM. les
princes de Condé et d'Anguien et à M"« la duchesse d'Anguien pour
lesquels il a toujours eu une parfaite estime et solide amitié.
Il recommande pour le soin de ses intérêts en Pologne M. Frazmesk,
archevêque de Gnesne, primat du royaume de Pologne; M. de
Trezevick, évêque de Cracovie, et M. Merstein, grand trésorier de
Pologne.
Il déclare devoir à M™* la maréchale de THospital 300 pistoles d'or.
Le 13 décembre, par un codicile, il donne à M. le comte de Wazenol,
fils naturel du roy Wadislas IV, son frère, 30,000 livres, à prendre sur
les prétentions relatives à la vente des vaisseaux ; enfin, il demande
qu'incontinent après son décès on célèbre pour le repos de son
âme 3^000 messes (1).
Le 16, à sept heures du soir, le roi Casimir mourait. Il n'avait pas
encore soixante-quatre ans.
(A suivre). Paul Meunier.
(i) Bibliothèque de l'Arsenal, manuscrit 35G7 f» 28 et suivants, Testament de Casl*
mir, roi de Pologne.
10*
yt
234 REVUE DU NIVERNAIS.
LAI MAUVUE
Patois.
Zeune, i soito lai benvenue,
I liro seurraent mon saipiau
Ai lai vartu ben ercounue,
Ai lai vérité nue en piau.
I crayo, mai grand foi ! l'histoère
Du bon p'til aignau chi pouli,
Grippé par le loup que vé boère
Dans le moime roucho que li.
I maudisso, en confiance,
Le vieux queurminel et plaigno
Sans beurguigner, sans défiance,
Sai victime, le p'tit aignau!...
— Ma, daipeu qui suis las aiffées,
Qu'ientends aivouquets et sarments.
Las prêches ai nous très chars frées,
Las sentences, las zuzements,
Tout santé ine sanson nouvële ;
Mas vieux haibits sont ertômés ;
On ai dû sanzer mai sarvéle
Et mas linottes chu mon nez !
Mai tête ai pris ine cliarvue,
Coume mai mayon, pou devant,
laivo, ptète ben, lai mauvue
Et lai barlue aupairaivant!
Ai çteure, i vois tout le contraire
De ce qui vio du premé coup,
Et ne sens pas ben loin ed craire
Que ço Taignau qu'ai m'sé le loup !
Louis DE COURMONT.
w
REVUE DU NIVERNAIS. 23.1
CHANGEMENT D'OPTIQUE
Français,
Dans ma jeunesse , je souhaitais la bienvenue
Et tirais mon chapeau seulement
A la vertu patente,
A la vérité toute nue.
J'ajoutais foi, ma parole ! à Thistoire
Du bon petit agneau si poli,
Surpris par le loup qui va boire
Dans le même ruisseau que lui.
Je maudissais, de confiance,
Le vieux criminel et plaignais,
Sans arrière-pensée, sans défiance,
Sa victime, le petit agneau !...
— Mais depuis que je suis les affaires.
Que j'entends avocats et serments,
Les prônes à nos très chers frères,
Les sentences, les jugements.
Tout chante une chanson nouvelle ;
Mes vieux habits sont retournés ;
On a dû changer ma cervelle
Et mes lunettes sur mon nez !
Ma tète a pris une imposte ajourée,
Comme ma maison par devant.
J'avais, sans doute, la vue de travers
Et la berlue, auparavant.
Maintenant, je vois tout le contraire
De ce que je voyais de prime abord.
Et ne suis pas éloigné de croire
Que c'est l'agneau qui a mangé le loup !
L. DE C.
^^
236 REVUE DU NIVERNAIS.
/
LES NIVERNAIS AUX DEUX SALONS
LA SCULPTURE
Société nationale des Beaux-Artt.
Chargé du monument que le Cher élève à ses enfants morts pour la
Patrie en 1870-74, M. Jean Baffier n'a pas cherché à faire une fois de
plus le sujet devenu classique du soldat se renversant mourant dans
les bras de la France. Il a voulu surtout symboliser le courage civique
aux grands jours d'épreuves nationales, alors que Tennemi vient de
franchir la frontière. Ce qu'il nous donne la joie d'admirer c'est
V Homme du paya se réveillant en face de l étranger spoliateur. Tenant
encore dans sa main droite un tronçon du soc brisé de sa charrue, fré-
missant d'une sainte colère, celui-ci presse sur son cœur, d'un geste
simple et grand, l'épée sacrée de l'ancêtre gaulois qui lui dicte son
devoir. Œuvre rustique que cette statue, forte et puissante, où s'af-
firme le talent sain et robuste de l'artiste.
De lui encore une intéressante statuette en bronze représentant Un
forgeron assis auprès de sa forge et étudiant un motif décoratif de porte
ou de balcon, que son marteau, guidé par la pensée créatrice, exécu-
tera avec ce goût qui est la marque de l'ouvrier d'art français.
M. Maurice Perrat expose une cire qui deviendra bientôt un docu-
ment rétrospectif de la vie parisienne , car ses Chevaux d'omnibu$
allant relayer^ d'un rendu si juste, nous ne les verrons bientôt plus : la
vapeur et l'électricité prennent rapidement leur place sur le pavé de
Paris, la grande ville si chère à l'Alceste de Molière. Un salut à ces
victimes du progrès.
Société des Artistes français.
M. Boisseau n'a, cette année, qu'un buste, mais un buste d'enfant,
et l'on sait avec quel charme il traite ces têtes mignonnes qui sont le
sourire de la vie.
De M. A. Marquet, Imploration. C'est, si nous ne nous trompons, la
première grande figure que l'artiste envoie au Salon. Dans son alti-
tude, un genou à terre, les bras tendus, les mains jointes, elle implore
REVUE DU NIVERNAIS. 237
réellement, dans un élan de tout le corps, une vibration de tout l'être,
l'appel suppliant du regard. Cette œuvre a obtenu une médaille de
3« classe.
L'artiste expose encore un buste : Portrait de M. C. B.
J'ai déjà dit combien les œuvres de M. Charles Paillet m'intéres-
saient. Ce sont d'excellentes études d'animaux, faites de sincère obser-
vation. Ils sont caractéristiques ces Oursons à l'affût, penchés avides
au dessus d'un terrier, les gueules haletantes, prêts à se jeter lourde-
ment sur la proie qu'ils guettent.
J'ai déjà parlé, dans cette Revue, de la Jeanne-d'Arc deM°»e Signoret-
Ledieu, destinée à la ville de Saint-Pierre-le-Moûtier, à propos de la
maquette qu'elle en exposa au Salon de 1900. L'œuvre est terminée et
la voici. Œuvre nouvelle en somme, car l'artiste a mis une année à
faire du projet primitif un travail définitif d'un art soutenu. Nos lec-
teurs se rappellent, d'après le dessin qu'en fit pour eux M^'® Jeanne
Brunot, que la grande héroïne française tenait une hachette de la
main gauche. Afin d'augmenter l'effet décoratif. M™© Signoret-Ledieu
a remplacé la hachette par une épée et l'ensemble y a gagné. Toutes
nos félicitations à l'artiste qui a fait une œuvre de conscience.
*
PEINTURE, DESSINS, ETC.
Société nationale des Beaux-Arts,
J'aime le talent de M. Charles Pelecier, car, fait d'observation
précise, il n'a pas de sécheresse. L'artiste conserve à l'atmosphère de
ses intérieurs bretons sa note intime enveloppant toute chose d'une
couleur locale qui est la patine de l'ambiance. Il s'émeut réellement
devant les scènes qu'il fixe sur la toile d'un pinceau qui est un inter-
prète fidèle de sa vision. Il suffit de s'arrêter devant Y Intérieur breton
et la Petite ménagère qui ont un air de famille pour en avoir l'impres-
sion. Avec les BuUes de savon^ son troisième envoi, il se montre de la
lignée de notre grand Chardin.
Société des Artistes français.
De M. Urbain Bourgeois, le Portrait du jeune Lucien B., d'une
excellente facture. J'en dirai autant du pastel de SP'« Marguerite
Fauron, Portrait de JU"^^ M..
^U|
REVUE DU NIVERNAIS. 239
fiUelte, et un pastel où s'offre à notre vue des fruits qui devaient être
savoureux.
OBJETS D'ART, ETC.
Société nationale des Beaux-Arts.
Je n'ai plus à dire combien M. Jean Bafûer, dans le domaine de l'art
appliqué à la décoration des objets destinés à orner la table ou le dres-
soir, fait acte de haute maîtrise, ce serait me répéter. II s'inspire tou-
jours de la flore française, et de l'étude soutenue qu'il en fait, il en
dégage des conceptions neuves qui renouvellent l'art. II n'applique
jamais de motifs sur des formes courantes. Le motif fait corps avec la
forme, il en dérive naturellement, c'est un tout. De là, la supériorité de
l'œuvre. Tels ses candélabres et ses bougeoirs en cuivre, son sucrier et
ses salières en étain. Il y a joint deux vases à fleurs avec des femmes
en cariatides qui représentent les trois types de ses provinces d'élec-
tion (Berry, Bourbonnais et Nivernais) ; les unes vues de dos, les autres
de face, et bien prises dans l'ambiance du pays.
Il expose aussi le bijou Krûger (or, argent et perle), figurant une
épée gauloise ornée du gui sacré, qu'il a exécuté en collaboration
avec ses élèves, MM. France Briffault, l'artiste nivernais que nous
avons le regret de ne plus voir au Salon, et Paul Orléans.
Société des Artistes français.
M. Edouard Besle, un nouveau venu au Salon, si je ne me trompe,
expose trois aquarelles intéressantes : un projet de décoration inté-
rieure (vestibule peint à fresque avec un escalier à rampe de bois
tournée et sculptée) ; un projet décoratif aux belles lignes où se dresse
altière et souveraine avec un regard impérieux, la déesse Junon ; enfin
un projet de plafond.
Flemrs échappées^ de M°>« Martin des Amoignes, est un paravent
Louis XV d'un joli goût artistique et d'une heureuse disposition.
Et pour terminer, citons encore de M. Armand Robardey, un
médaillon vieil argent, Portrait de M. le docteur Lombard.
Edouard Achard
240 REVUE OU NIVERNAIS.
LE PEINTRE ALEXANDRE BOUCHE
Pour la première fois, cette année, le jury de peinture a décerné le
prix Rosa Bonheur, destiné à récompenser * le meilleur tableau da
Salon ]». Si cette haute récompense n'est pas échue à un des nôtres,
le peintre éminent qu'elle a distingué n'est pas un étranger pour notre
Nivernais et son nom a déjà été écrit dans cette Revue : c'est notre
ami Alexandre Bouché, qui fut notre hôte à Beaumont-la-Ferrière où
il moissonna de précieuses études. Bouché, un noble caractère, qui ne
doit ses succès qu'à son travail consciencieux et énergique, à son talent
robuste et pur, est aujourd'hui un de nos maîtres, et un des meilleurs.
Nous voudrions reproduire en entier l'article de tête que lui consacre
le Journal des Arts ; nous en extrairons au moins quelques passages
en envoyant à Bouché nos plus cordiales félicitations :
« S'il est un exemple de vocation irrésistible, de persévérance et de
travail, c'est assurément celui que nous donne la carrière du paysa-
giste Alexandre Bouché, l'artiste de haut mérite qui vient d'obtenir le
prix Rosa Bonheur, donné pour la première fois cette année. La liste
qu'ouvre Bouché sera plus tard un document curieux, puisqu'elle sera
la nomenclature des toiles qui auront obtenu le plus de succès au
Salon... Bouché nous donne la preuve d'une sève toujours nouvelle
par les deux magnifiques toiles qu'il expose au Salon : La Marne à
Saint'AuldCj le soir, éclairée par un soleil couchant, admirable d'air et
de chaude lumière ; et Coup de vent, donnant bien l'mpression d'un
jour douteux. Ces deux œuvres sont bien comprises, bien composées,
admirablement dessinées, et peintes d'une pâte grasse, simple, savou'
reuse, dont on ne se préoccupe plus assez, à notre époque de peinlua*
littéraire et, la plupart du temps, anémique...
)) Bouché, qui répète volontiers, dans un élan de reconnaissance,
qu'il doit tout à Corot (son maître), possède, à notre avis, le mérite
bien rare d'être, à son tour, devenu un maître, et d'être demeuré
personnel, différant complètement, non de sentiment, mais de métier,
de celui qu'il admirait avec tant de raison... S'il est donné au vieux
maître de contempler, de son lieu de repos éternel, les œuvres de
celui qui fut c son petit ami », le bon Corot doit prononcer l'habituel
c fameux, fameux I » dont il qualifiait les morceaux qu'il trouvait
réussis
-^»
REMJE DV NIVERNAIS. 241
\
H Bouché a toujours négligé de a se faire valoir », faute considérable
à notre t^poque, mais qui, heureusement, ne change pas la valeur de
ses œuvres, que se disputent tous les collectionneurs de marque... >
Nous apprenons que l'Etat vient d'acheter pour le musée du
Uixnmbourg un des deux tableaux de Bouché : La Marne à Sainte
Âuidê, U soir, Achille Millien.
LE PAGE
A Albert Perrin,
La châtelaine, un jour, laissant la broderie
Pour le paj^e charmant, mais rêveur et discret,
Là, iDul prêt d'elle assis sur un bas tabouret, —
Lui narrait un roman de la chevalerie.
(( Elle semblait la vierge au front pur que l'on prie ;
« C'était un lys des cieux, — et Lindor soupirait,
< N'osant, simple écuyer, dire son doux secret ;
a Ils albîent donc ainsi, foulant l'herbe fleurie... d
Ah l c>A délicieux, une histoire d'amour!
L'adolescx^nl, ravi, la regarde à son tour...
Elle voit dans ses yeux une brûlante flamme
Et, toute remuée, affermissant sa voix
Devant le pauvre enfant qui dévoile son âme :
u I>etit page,, cela se passait autrefois ».
Ed. Porée.
MONTSAUCHE EN MORVAN
Dans les champs d'alentour les granits sont jetés
(]Ljrnme les osselets géants d'un jeu d'Hercule.
Le balai, peu à peu, devant le soc recule
Et devant les efforts des hommes concertés.
La hlancheur des maisons, aux midis des étés.
Brille, lorsque du feu dans l'air brûlant circule ;
Le siïir, quand des douceurs tombent du crépuscule,
I^es horixons prochains sont de rose teintés.
Une placidité dans Patmosphère stagne.
Le j^eiitH et le roc évoquent la Bretagne,
Et Ton rroirait entendre un océan chanter.
Quand la voix des Settons murmure une caresse.
Qui soupire, qui tombe et, dans l'éther bleuté.
Sur la ville qui dort, meurt en une paresse.
Henri Bachelin.
"^
242 REVUE DU NIVERNAIS.
LE PARNASSE MODERNE
POÈTES HOLLANDAIS (Suite)
Schimmel
ELLES VOYAIENT
Vieille bonne-grand'mère, avec vos blancs cheveux,
Qui sortent de la coiffe en plaques bien luisantes,
Dans vos yeux brille encor Téclair des tours joyeux
Et votre bouche est prêle aux paroles plaisantes.
Que bon-papa proteste et gronde de son mieux,
Autour de vous, chacun vous gâte et vous adore ;
Avec votre binocle et le ciel dans les yeux,
Vous êtes à ravir, bonne-maman, encore !
Tète-blonde aux cheveux doux comme le satin,
Aux cheveux déroulés en boucles ondoyantes,
Que veulent aujourd'hui ces lèvres de carmin,
Que veulent conquérir ces lèvres souriantes ?
Que bon-papa proteste et gronde de son mieux,
Tant pis, ne tenons pas la chose bien secrète :
Le sourire à la joue et l'innocence aux yeux,
Oui, vous êtes vraiment à croquer, blonde-téte I
Bonne-maman aime à s'asseoir près de l'enfant
Qui s'appuie à son sein, elle aussi bien joyeuse.
Met la )nain sur son cou d'un geste caressant,
Et penche les frisons de sa tête soyeuse.
Et tète blonde lit avec bonne-maman,
Quoiqu'à peine elle épèle..., et le livre aux images
Est à toutes les deux ; d'ailleurs, si gentiment.
Bonne-maman lui dit ce qu'on voit dans ces pages!
Vieille bonne-maman lit donc sur ses genoux
Le livre ouvert, la Bible aux lii^nos éternelles :
(( Ceux qui ont le cœur pur, ceux-là verront Dieu, d — Nous,
Sans doute nous croyons, mais elles voyaient, elles !
REVUE DU NIVERNAIS.
243
Maria Boddaert, M^^ Gtolderman.
(1844)
CONTE D'ENFANT
La nuit n'est pas méchante... Elle arrive et, bien vite,
Elle ouvre le ciel : au même moment
Chaque étoile, grande et petite,
Sur ses petits pieds d*or s'approche doucement.
Les étoiles sont curieuses
Et de descendre elles seraient joyeuses,
Mais elles ont trop peur, peur de la grande mer
Et des arbres si longs dans l'air !
Tout est, là-haut, tout est comme ici dans la brune,
Mais les étoiles ont de la lumière : Avant
De se coucher le soleil à chacune
Remet une lanterne ; elle la tient devant
Son petit visage. Elle veille,
Regarde, rit, salue et dit : « Vite, sommeille ! »
On ne les met jamais au lit auparavant
Que le soleil ait fait son somme et se réveille.
Toute la nuit, tranquillement,
Elles se promènent sans cesse
Sur leurs petits pieds nus que rien ne blesse,
Car les nuages les portent si mollement ;
Puis elles vont très doucement,
Sans faire de bruit dans leur route
De peur de déranger les bons dormeurs lassés.
Elles ne sauraient pas me gêner, moi, sans doute,
Mais il est des enfants malades, bien assez !
Oh I que je voudrais bien monter jusqu'auprès d'elles I
Si je savais comment, va, j'y serais bientôt.
Les oiseaux eux, ont des ailes ;
Ils s'envolent plus haut que les arbres, plus haut !..
Quelquefois, chez vous, font -ils leurs nichées ?
Peut-être que cela ne leur plaît pas beaucoup...
Etoiles, allez-vous toujours seules ? Penchées,
Vous pourriez bien tomber de là-haut tout d'un coup.
Dites, avez-vous un jardin...
Des abeilles qui font f roue roue »,
Des cerises..., des fleurs..., une dune où l'on joue
A monter, descendre ?... La main
24i REVUE DU NIVERNAIS.
De ta maman serait-elle aussi douce
Que celle de la mienne, alors qu'elle te fait
Ta toilette au matin, lorsque le savon mousse,
Et que Teau, sur ton dos, tombe fraîche, à grand jet ?
En mon bosquet, un rossignol demeure.
Avez-vous des oiseaux à nourrir ? — Etes-vous
Toutes frères et sœurs ? Bientôt j'aurai chez nous
Un frère..., son petit lit est prêt à cette heure.
Pour dormir, avez-vous de petits lits aussi ?
Où sont-ils donc ? Vraiment je n'en vois pas d'ici...
Deux, dix, douze... toujours je vous vois accourir
Plus nombreuses... en mes paupières,
(Mais je ne peux plus les ouvrir !)
Vous me jetez des tas de petites poussières...
Dix..., six..., cent..., oh ! je suis trop las
Pour vous compter là-haut... là bas !
A mon réveil, du ciel les portes seront closes.
Et j'aurais à vous dire encore tant de choses I
LAMENTO
N'ouvre pas les volets. Qu'aujourd'hui ne pénètre
Nullement le soleil qui, par cette fenêtre.
Ne réveillera plus la morte, désormais !
Et seul, laisse-moi seul avec ma morte chère.
Seul en cette veillée atroce, la première
De sa nuit qui jamais ne finira, jamais !
Je veux dire les mois de tendresses secrètes
Que je garde en mon cœur : Par mes lèvres muettes,
Mon âme ne s'est pas épanchée à mon gré.
La couche où je la vois pour toujours endormie.
Je veux l'orner des fleurs du souvenir!... Amie,
L'épanouissement en est prématuré !
Ah ! du sang de mon cœur, si je pouvais te rendre
La vie et, relevant la paupière, répandre
Le soleil en tes yeux ouverts encor pour moi,
Ou, pressée en mes bras, à travers les ténèbres
Et la muette horreur des corridors funèbres.
Te porter^ ô chérie, et rester avec toi î
REVUE DU NIVERNAIS. 245
M.-G.-L. van Loghem.
(i850).
MINUIT
C'est la nuit. - Le silence accompagne à la ronde
L'heure auguste — minuit — qui s'envole d'abord.
Entends-tu se briser la vague moribonde
Près de s'anéantir dans les roseaux du bord ?
C'est la nuit. ^ Cygnes blancs, vont flottant les nuages ;
Dans la lune, là-bas, les voilà se mirant.
La vague qui reflète et berce leurs images
Ne les troublera pas dans leur passage errant.
C'est la nuit. — Sur les flots un son de harpe passe ;
Triste, vibre la corde, et le thème est dolent,
Et sur la vague des accords, parmi l'espace,
Flotte, flotte le chant, comme un cygne au coi blanc.
F. L. Hemkes
(1854-1887).
GUERRE CIVILE
Le roi meurt, au berceau laissant son fils qui dort :
La couronne tenta le frère du roi mort.
A lui, les chevaliers décernent la puissance,
A l'enfant, les prélats jurent obéissance ;
La discorde enflamma le peuple, on vit, hélas I
Fils contre père, avec haches et coutelas.
Bétail volé, maisons en feu, larcins, ravage !. .
Seule, aux champs désertés, croissait l'herbe sauvage.
En misère et douleur, le long du grand chemin.
Les paysans erraient en mendiant leur pain.
Mais enfin pour l'enfant le destin se décide ;
Le roi-chevalier tombe en la lutte homicide.
Les prêtres louaient Dieu par un chant triomphal,
Et les vainquent^ partaient pour le château royal.
Tandis qu'ils arrivaient acclamant leur victoire,
Il flottait sur la tour une bannière noire :
La mort, du champ sanglant envolée, arnva
Avant eux à l'enfant du trône, et l'enleva !
^
246 REVUE DU NIVERNAIS.
P. M. Boele van Hensbroek
(1854)
MOUSAPI
(Récit d'un soldat.)
Nous étions à Aljeh ; un temps de tous les diables I
Nous brûlions tout, partout nos canons effroyables
Dévastaient les Kampongs. Ah I comme on les sabrait
Les hommes bruns ! Pourtant, sortis de la forêt,
D'autres venaient, d'autres encore... leur courage
Semblait croître sans cesse.. .
Une fois, avec rage,
Nous avions combattu, brisé parle canon
Cette affreuse canaille. Au fait, ils tenaient bon
J'en fais l'aveu ; leur sang coulait à flots, n'importe !
Ils préféraient la mort à notre loi ; de sorte
Qu'ils y passèrent tous. On nous permit alors
Quelque repos. Ensuite on creusa pour les morts
Un gigantesque trou ; travail très simple en somme.
On jelait tout en bloc. Mais voici qu'un jeune homme
Un des nôtres, de ceux qui juraient le plus fort
Contre tous ces bandits, devient pâle d'abord
Puis recule tremblant...
Là, gisante, une femme,
Le sein percé, le deuil aux yeux, tient une lame
D'une main et de l'autre embrasse sur son cœur
Un enfant. La pitié n'était pas en faveur
Chez nous, tant que grondait la lutte meurtrière •
Mais après?... C'est pourtant sa patrie..., et la guerre
Est si cruelle !... — Tous, restant silencieux,
Nous comprenions, — c'était lisible dans les yeux
Honorant le courage et la femme et la mère
Que le tombeau commun ne lui convenait guère.
Pas un mot ne fut dit, sans retard on creusa
Une fosse à l'écart et l'on y déposa
Avec respect les corps unis des deux victimes
Dont chacun salua la tombe. .
Nous partîmes.
Plus loin chez les vaincus nous portâmes nos pas.
Depuis, devant ces gens qui ne fléchissaient pas.
Aimant mieux se vouer à la mort préférée
Je sentais, pour tirer, ma main moins assurée
Car je voyais toujours. - longtemps, longtemps je vis
Cette femme luttant pour sauver son pays.
Traduction de Achille Miluin.
\
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Emile Guillaumin, Tableaux champêtres, in-12 de 253 pages. — Moulins, Crépin-
Leblond, imprimeur-éditeur, avenue de la Gare, 14. — En vente chez Fauteur, à
Ygrande (Allier), 2 fr. 50.
Je voudrais avoir Tautorité nécessaire pour mettre en lumière — la lumière du
grand jour qu'il mérite — ce livre d'un paysan, notre voisin du Bourbonnais, non
pas d'un faux paysan, d'un bachelier vivant dans ses terres et sachant voir et méditer,
ce qui n'est pas si commun d'ailleurs et ce qui ne serait pas sans mérite, — mais
bien mieux, d'un ouvrier de la glèbe, d'un vra; laboureur. Emile Guillauminse repose
du travail de la charrue par celui de la plume, — celui-ci étant pour ses loisirs du
dimanche une distraction et un plaisir. Muni des simples leçons de l'école primaire,
M. Guillaumin est devenu un lettré par son désir d'apprendre, par son entêtement à
s'instruire et aussi, il faut le dire, par le don de poésie qu'il apporta en naissant;
car il est poète et poète sincère, tour à tour rude et robuste, attendri et délicat.
Tous ces tableaux champêtres sont dessinés d'après nature. 11 les a vus et les
a rendus au vrai^ en y mettant un peu de son àme, puisque non seulement il les a
vus, mais qu'il les a vécus; il a été V homme dans tous ses paysages, l'acteur dans
toutes ses scènes. Et voilà pourquoi ces papes sont si savoureuses. Depuis l^s pre-
tniers soleils jusqu'aux scènes d'hiver, toute la nature d'Ygrande se déroule à nos
yeux, animée, vivante, travail et plaisir, tristesse et j^ie, espérance et déceptions,
toute la vie « du pauvre laboureur », comme dit la vieille chanson. Et la langue dont
se sert Guillaumin est telle que bien des morceaux Hgureraient avec honneur dans
une anthologie rustique, .le ne peux, faute d'espace, en mettre un spécimen sous les
yeux de nos lecteurs, mais j'espère que M. Guillaumin donnera bientôt à notre Revuê
quelque page inédite.
J'aurais bien envie de chercher chicane à l'auteur au sujet de son dernier cha-
pitre : Conclusion. Il y fait trop bon marché des traditions locales, des vieux usages
qui disparaissent si vile, et semble croire que « la vie humaine ■ ne pourrait s'amé-
liorer si ces traditions anceslralos se perpétuaient. « Que chaque i>rovin(e, dit-il,
perde donc son caractère distinctif, si la généralité dans laquelle elle sf» fond donne
a chacun de ses habitants un peu de bien-être, dos • mœui-s fiiiis douces, des idées plus
élevées et plus nobles ». El pounjuoi chaque province ne briiélii-ierail-elle pas de ces
avantages, tout en conservant son caractère distinctif ? L'un n'exclut pas l'autre. Je
crois, d'ailleurs, qu'après cinq minutes de conversation, je m'entendrais fort bien
à ce sujet avec M. Guillaumin et que tout malentendu aurait disparu.
Nous avons parlé plusieurs fois de la société qui s'est constituée à Dijon sous ce
titre : Appui fraternel des Enfants du Morvan, et dont noire collaborateur, M. Par-
thiot, fut un dt»s initiateurs. Elle vient de publier son Annnaiie 1'.K)l. Nous y lisons
des pages très intéressantes : Projet d'une Ufjnc de Dijon à Nevers ; l.'ne excursion
en Morvan ; Essai étymologuiue sur les noms des so(i('taires ; des histoires et des
contes morvandeaux. Bonne chance et félicitations à nos comi»alrioles dijonnais.
^ ^.r
Signalons la publication d'un nouveau journal de notre ri'gion * Saint- Honoré^
Thermal. 11 est l'organe de la belle ville d'eaux morvandelle, si avantageusement
connue. Des améliorations importantes viennent de s'eiïecluer et de transformer,
dans le sens du confort le plus moderne, la charmante station thermale. On peut
prévoir l'avenir assuré à Saint-Honoré quand on sait que ses eaux nont pas de
iimilaires en France. Assise au seuil du pittoresque Morvan, à quelques lieues de
• xZ. -^^
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!•• ■' .--ï. "TL.i :•— ï«* .Miiinu-
ui — ..i.ii.-.:.. ^ -« „-• ^ ..-r^Kiledes
1 •• •• - . ..^■' .-.. .• iiî-v . wQiear
'-!!:u*. ^. ^ ff!? moins
• ' • • . —-..-_— :'— raes de
" . 4 i'-^'. :.-. ; ^ iirije un
... - . . >— î^ ,.• .'^. Lî tvùles,
. ..c ...'.wi*'- -^..^r. -» r-vrrf bien»
• ...' l'i.ii..! . . r*."2- -T.^AinS,
■4C.J.f-«*k ili -..Ut tfTs Jt- "r â .«^ LWlf<**
Il ." .t.iei'tr i'\r- .tii-^-îV î <. ration.
^
w.. . • 'ti ► ^ --iiHi I •^'^'.•iiji.r'! ^« :f ':ri**e par le
u.^ -..ij»..4U> m ♦auc .^,u.|.'irur UUS îrlIvlLïtionS.
^ i:.'.' .. - 1 V» fit- iij li}^... Hîe 1 *îcrn<etir à M. ïe
.•Mil», itiii le îouieiiir, ivt^ !a njetilion frèf
L. D.
Jitti.tcuj-ui:rani. AcillLLE MlLUE5.
I
CROQUIS NIVERNAIS
(( DEMI-VIEUX »
I
A Lise avait rejeté sur ses épaules les
deux brides empesées de sa coiffe,
retroussé d'une main prompte sa jupe
déjà courte, passé à son bras le panier
noir verni, à deux anses, et trottait
menu sur la grand 'route nationale.
C'était jour de foire à Chàtillon-en-Bazois
et elle tenait à ne pas arriver trop tard.
Plantureuse brune de trente-cinq ans,
restée vieille fille parce que son père veuf n'avait jamais consenti à se
séparer d'elle, la Lise, maintenant que le père était mort, vivait seule
dans la maisonnette qu'il lui avait laissée, affermant son petit lopin de
terre et se trouvant bien de peu.
Elle venait de passer à l'enseigne de Cougny lorsqu'une voix bien
connue lui cria :
— T'es don bin pressée, ma Lise?
Elle se retourna :
— Ma foi, oui, mon Jean, Châtîllon est loin et j'veux r'vénî avant
la nuit.
Celui que la Lise avait appelé Jean touchait la quarantaine : grand,
droit, le teint coloré, les moustaches blondes rejoignant des favoris un
peu roux, il avait vraiment belle mine, sous sa blouse neuve et raide,
11
Wi
^•lVLK :?i; !11VEfi5AlS.
i m <^Mii«
• '«..■»
r. \^i -' lail Tiarié d'assez bonne heure,
î.î> :'i\:\> îi >u vT.f 'le grand'mère tenait
r
^ ^:*t ^*^ tii repris que plus
... . - -\ :.r- .t-ia nettait à profit ce
- -. - > r» -ri •• iip.i:p?e de route, et
- - — - - - /: L'ii e plas caressant,
.. : .- --. . - lia irs ea ville, et qui
• X
— — - w :»* ».
— . r- !..:i:n»-îîC • ?
••- -^ •- -^ «r-ir ^.1 .^ «iP^ «H difficile.
»: lA p>iir dire des
.!_: ^ _^.
Il
|p »H<r, %.':.'.:v,.'^i:-:â: iizir însiri. J^?:i rf. ,n:î encore la Lise
rt ih ji'^ ►liront c-.:-r î c i--. U ;r r::- ; ;.-::-■ i. f .re, leur échauffant
ti'jp;i' ttMUl*frg-, srr.--^ d' 1:1 '^:. -> vm i:::-!, sel «n la coutume,
Un n ;i\.H"Ut p«s '/, j-:*^ «i ^ai, Itf> j^al-riii ri:!jr:-<, et la loumure de la
n,hv( l'-.ili >n >Vri r-->rL:.l. Ils 5^ { /.j!::r iii de la djntè des temps,
'jt; lu t';îi|j"*nt'jrH ir p hiiL^Je f-'-ir C'.r:jL;L'> piaules, trop sèche pour
il aiitlT> . ils dirent qi'eo o- m ks d-: mai 1-s jours n'en finissaient plus
*A ijn'Mii i>tiuvail à p*?ine f-rm-r la moitié d*an œil avant d'entendre
iii'AuWr W premier om|.
Kt. I* Il iidoiiiain, Jean, qui pas>ait presque toujours sans détourner
h ti II* piMir se rendre à sc>n travail, s'arrêta devant la jwrte de la Lise,
*'*-^uda au c bardot ».
il£\UE OU NIVERNAIS. 251
— T'as-t'y bîn dormi, ma groûsse?
Occupée à ramener les a ramillons :» en feu sous sa marmite, la Lise,
qui n^avait pas entendu venir Jean, se redressa d'une pièce.
— Tin, c'est toi, mon Jean. Té m'as fait peur... J'ai dormi, oui,
j'étais rompue. Et toi ?
— Moi?... Quasiment pas.
— Pourquoi ? rin n' te manque.
— Rin?... Té crois ça.
— Quoi don?
— Quinze ans d' moins, une femme dé pus et j' dormirais tout mon
saoûi, Lise.
— Oui, mais t'as quinze ans d'pus, une femme dé moins... Et faut
t'en contenter, mon bi I
— Faut î... Faut !... ronchonna Jean en s'en allant, c'est pas prouvé.
Désormais, tous les matins, Jean fit sa halte au c barriot 3> de Lise.
Il y resta cinq minutes, puis dix, puis vingt. Le bavardage s'allongea.
La Lise, au lieu de continuer à vaquer aux soins de sa popole, s'approcha
du seuil et finit un jour par laisser Jean lui prendre le bout des doigts.
Et les doigts joints paralysèrent les langues. Ce fut Jean qui, le cœur
en folle danse, parla le premier, après un effort visiblement violent.
— J' ons beau ôt' vieux, ma groùsse, m'est avis que j' nous aimons
comme des jeunes, que j' frais mieux d'entrer tout d'go que d' rester
à la porte et qu'on n' prend gentes accordailles que sous 1' manteau
d' la ch'minée.
La Lise ouvrit elle-même le barriot et s'effaça pour laisser passer
Jean. En même temps, les trois mots qu'elle préférait décidément au
oui tout simple lui revinrent.
— T'as bin raison..., ma foi ...
III
« Gentes accordailles » furent donc prises et la noce eut lieu, entre
foins et moissons, sous le toit même de l'épousée.
Oh ! ce fut une toute petite noce, comme qui dirait un carnaval de
famille. Il n'y avait là que deux oncles, deux tantes, quelques cousins
germains et cousines. Les frères et sœurs de Jean, qui avaient escompté
déjà, pour eux ou pour les leurs, le mince héritage du veuf, s'étaient
brouillés avec lui à la nouvelle du prochain mariage. Ils avaient essayé
de le sermonner.
252
r.ETUZ L'C 3riTER5A]S.
— Ta t'fait pas L-jCie. à tr-n ?^e?
^ Iknjte ?... y -a... «'i m'ui ,:rîad':.»ie. sân^menl, avait répondu
Joati très lonrie ^i l-iXtr^Tz^-nt -?:r'j^n3ri.
Les Mi'ui> -if i .a:i :i .vlmîi "as i-^ <<? m«>iuer de la Lise oaverte-
imMil, [larce r: - n*"^ -a\i!nriit /-lU'.^in-'ix capable de la défendre avec
àpi*ele. L*I!':> !!;:v^-'P'îil . •^ -':a»^s H:^ à s<:»arire méchamment du
iv>;ain de ';'.Hr'A::.r.»* :;i '^ lau ie s'-mparer de tette promise à
hu|uede ^ar::--' «'^.j-r*:- •:'> ju .»- i «r^-^i'ie ine douzaine de bonnets.
Or. L-eile :*:i lîue vri: .:*riîi, — i -ur: • it lardivement, — voit tout en
r\»>e : !i L'.^. .ni --< -♦• - r-> •♦••ir in-f ov.mpimients mérités et les
cou;:> r-^i-:^e -r? ::: :::^-r'"»i y ir lie ^n m piaisir très doux.
>t *i :1'j*:k '.'Il pui-. ' .".- i n /il ';a< iiijins gaie. On ne dansa pas,
!uu^> / a .'la^^ij. L * Il '.i rrii^. V a ia in repas, Jean, qui n'avait
ptas 1^ 1^ il v:a :.'ia:iie is .:iur-*>. — i\imour a le pas sur la gour-
n:j:.i.-e. — '•siirx ie > u -^n> a *:ï«::e de Lise et, d'un air béat,
tyr. iii t^ ::i,iii^'i\> :ii^\r*idiv.'^> • t -*> -naisses plaisanteries. Cela dura
yi^r: i oz»? :u-ir*> i'i -^mp st:j> m ria^e. AI<>rs, Jean commença à
p'çT-rî-r a pead'iie. à '.v-mi^kv ••> ' «uMNes tr>p bavards, trop lents à
partir.
Pr-ir a Tîn^ii-îiie '.'is» - mr*" i» «i\ ^a^'r^u^^^s b«)uEFées de pipe, l'oncle
Pierre r»^p»rtaiL Jetant m amip i* eii :in*aiair>» sur la pièce :
— Les Tiàlias <*»lu-v 'iia ' <^>'... Vnoc la terre, les bras et la bonne
enteate, i s'rout lieunnix oolimu»; itux 't>*ù^SA.>ns dans Tiau.
— Oui, mon uKle, :it It iii, j*^'^tl^^ beurh'ux, c'est entendu, seule-
meat, ^^i vous a n*iur>»z pas olie^ vous i< tertous », vous n'pourrez
jamais liler aux oiiaiiips demain maiiu... et j'ai promis de n'vous faire
perdre ipi'ane journée.
— L'ai;r.iille tourne vite i table, mon irars, reprit ronde sans se
fâcher.
— J'parle pas pour vous renvoyer, mon oncle, ni les autres, ajouta
J<»an, qi;i pensait avoir plus de mal à réussir.
^ i'ons compris, va, et j'vous nous séparer tout d'même.
Coe dernière rasade, une dernière chanson :
Li?a ^eiis dcheux uous qui n'sont pas fous,
D'vant dé s'qiiilter. beuvoiis ti-ois coups I
tt If*^ parents sortirent. Jean les reconduisit jusqu'à la route. Aussi-
rcnlré, il poussa le verrou. Il trouva la Lise en train d'enlever les
REVUE DU NIVERNAIS. 3
assiette^ et les verres. Il lui saisit les deux mains, l'embrassa gou-
lûment.
— Laisse don ta vaisselle, ma groûsse, les « vieux » n'travaillons
pas après minuit... Si ça t'va, jT rons mieux d'nous aller coucher.
La bonne face réjouie de la Lise se colora davantage ; elle dégagea
ses mains, passa ses deux bras au cou de Jean et, le visage enfoui dans
les plis de la blouse, d'une voix presque basse, issue, par moitié, du
sanglot et du rire nerveux :
— Mon pour ami!... Mon pour ami !... T'as bin raison, dit-elle.
Louis MiRAULT.
Mare 1901.
QUO VADIS ?
Quo Vadis? Quo Yadis? Je ne sais où me mène
Mon pas mai assuré, vers quel but il m'entraîne....
Mon corps est tout meurtri par cet âpre chemin
Que je suis aujourd'hui, que je suivrai demain !...
Où trouver le repos sur cette longue route
Qui promet le bonheur dont cependant je doute ?...
Qu'attendre des vains mots dont on berce Tesprit :
Fraternité, dit-on ?... beaux mots que l'on écrit
Sur le souffle agité du vent (jui nous balance
Et que, le front courbé, je repète en silence.
Qtio Vadis? Quo Vadisf... Toi qui pleures là-bas,
Qui frappe donc ton cœur ? Mais tu ne réponds pas !
La haine et l'injustice arment ici les hommes :
Voilà ce que tu sais... voilà ce que nous sommes !...
Accablés sous le poids du plus terrible sort,
Les grands sont les vaincus, le canon le plus fort !
Le Christ a ses autels profanés ; et, dans l'ombre.
Se prépare, dit-on, quelque attentat plus sombre...
Où porter ses regards pour éviter l'horreur
De voir anéantir et les droits et Thonneur ?...
Quo Vadis j^ Quo Vadts? Je m'en vais vers la fête :
Laissez-moi donc passer, et que rien ne m'arrête...
Et la foule a suivi les pas de l'insensé,
Car du plaisir sur terre on n'est jamais lassé !
Quel est donc le festin qui n'a pas de convive.
El qu'on donne au laquais si l'invité n'arrive ?
Les Nérons d'autrefois reviennent par instants
Montrer au peuple ému qu'ils ont gardé leurs dents
Et qu'après le dîner on peut promettre à boire
A celui qui n'a rien et qui veut bien vous croire !
254 REVUE DU NIVERNAIS.
Quo Vadis ? Que Vadis ? Je m'en vais vers les champs :
Le travail est mon lot, mes blés sont verdoyants ;
Dieu bénit ma moisson et ma jeune famille !
Je n*ai d'autres soucis ; et, quand le soleil brille.
Plus heureux qu'un seigneur contemplant ses châteaux,
J*emmène mes enfants au milieu des troupeaux ;
Et là, nous devisons sur notre douce vie :
Elle est belle vraiment, et plus d'un nous l'envie,
Car nous sûmes toujours nous contenter de peu,
Et, du matin au soir, en remercier Dieu !...
Quo Vadis ? Quo Vadis ? Je vais vers la bataille
Relever les blessés frappés par la mitraille :
Je sers un Dieu de paix, d'amour, de charité ;
Par nul autre désir je ne suis agité.
Dans toul être souffrant je sais trouver un frère.
Et l'étoile des nuits me protège et m'éclaire.
(( Ton nom ?» — Je n'en ai plus — j'appartiens au devoir :
La croix est mon rempart, et le ciel mon espoir !
Ne me retarde pas, car, là-bas, on m'appelle,
Et le soldat toujours à son posle est Adèle !
Eugénie Casanova.
LES HOUILLÈRES DE LA MACHINE
PRÈS DECIZE (NIÈVRE) (Suite).
Les mariages contractés à La Machine ont lieu généralement le
samedi soir : on évite ainsi les frais d'un déjeuner, et les deux jours
de noce, considérés ici comme obligatoires, ne font perdre qu'une
journée de travail.
Dans l'après-midi du grand jour, les jeunes gens, précédés de deux
musiciens, parcourent le pays pour chercher leurs cavalières, ce qui
demande parfois une heure. La tournée finie, ils se rendent au domi-
cile de la « jeune mariée » et, à l'heure fixée, le cortège, sans musique,
prend le chemin de la mairie.
Ce curieux défilé de couples jeunes et vieux, — ceux-ci fermant la
marche derrière les enfants, — se dirige vers le bourg, en donnant des
sous aux pauvresses qui, tous les vingt mètres, ont installé un gros
bouquet sur une chaise recouverte d'une serviette blanche.
Après le mariage civil, on se rend à l'église, d'où l'on sort ensuite au
son des cloches et musique en tète On monte dans le bourg, afin de
faire voir au public, qui se presse aux portes et aux fenêtres, la toilette
de la mariée et celles des jeunes filles qui l'accompagnent. Puis, on
1
REVUE DU NIVERNAIS.
255
entre au café, où Ton trinque à la santé des époux. SI le temps est
favorable, la noce, toujours précédée des musiciens, se promène à
travers le pays ; dans le cas contraire, elle reste dans un établissement
où la jeunesse danse, pendant que les hommes boivent et jouent aux
cartes. Une heure avant le dîner, les grandTilles vont se ((déshabiller»,
c'est-à-dire changer de toilette.
On se met à table. Le repas, calme au début, s'anime peu à peu et,
sous un feu roulant de plaisanteries, devient bientôt d'une gaieté folle.
Alors on entend les a argilements j> (1) des grands garçons et les
€ farines d (2) se succèdent rapidement. Au dessert, le garçon et la fille
d'honneur épinglent à l'épaule de chaque invité la cocarde tradition-
nelle et la noce se continue par les chansons, plus ou moins risquées,
des convives. Enfin, on se lève de table pour commencer le bal qui
dure le reste de la nuit. Au jour, les grands garçons portent la
« rôtie » (3) aux mariés et, ainsi qu'aux noces morvandelles, ils chan-
tent avec accompagnement de vielle ou de violon :
Ouvrez-moi donc la porte,
La belle, si vous m'aimez.
Dans la matinée, les grands garçons a ramassent i», comme la veille,
leurs grand'fiUes, et tous les gens de la noce se retrouvent au déjeuner.
On fait encore un joyeux repas, puis on se promène dans les rues,
cocardes au vent, le sourire aux lèvres et le pas relevé par la cadence
de la musique. Enfin, après de nouvelles danses et de nombreuses liba-
tions, chacun rentre chez soi, plus ou moins exténué, et va se reposer
pour reprendre son travail le lendemain (4).
Le tirage au sort, qui a lieu à Decize ordinairement en janvier,
fournit aux conscrits machinois Toccasion de se réunir et de s'amus(T.
On les voit, précédés d'un drapeau, d'un portp-canne, de clairons et
de tambours, défiler joyeusement dans les rues pendant plusieurs
dimanches. Le jour du tirage, ils se réunissent, à sept heures du
(1) Cris aigus et prolongés que les paysans fonlenlendre en signe de joie.
(2) Mol qui sert de signal, aux noces villageoises, pour embrasser, en mOnie temps,
chacun sa compagne de table.
ÇS) Sorte de soupe au vin sucré que, selon une ancienne habitude, en offre aux
mariés lorsqu'ils sont encore au lit.
(4) Les coutumes observées à La Machine pour les autrrs cérémonies : baptêmes,
enterrements, etc., sont identiques à celles des autres localités du Nivernais.
M'
\
256 REVUE DU NIVERNAIS.
matin, à la mairie, où ils reçoivent les conseils de M. le maire ; puis
ils partent à pied à Decize, aux sons des clairons et des tambours, en
suivant deux à deux leur superbe drapeau et en criant à pleins
poumons : « Vive la classe ! ».
Le tirage terminé, ils déjeunent à Decize, puis reviennent dans la
soirée à La Macbine, exhiber leur numéro qui, fixé à leur coiffure, est
orné d'un flot de rubans. Ils parcourent alors les rues en gambadant,
suivis d'une bande de marmots qui répètent, après eux : « Vive la
classe! ».
Réunis le soir, vers sept heures, dans un hôtel, ils dînent et
passent généralement le reste de la nuit à boire et à chanter. Le len-
demain matin, le clairon les rassemble au même lieu pour déjeuner.
Dans l'après-midi, ils reçoivent la visite des conscrits verriers de
Saint-Léger-des-Vignes. Ceux-ci viennent offrir à leurs camarades une
énorme bouteille à long col : on l'emplit de vin et les conscrits des
deux communes y boivent tour à tour, aux cris répétés de : « Vive
Saint-Léger ! Vive La Charbonnière ! Vive La Machine ! ».
Après avoir fraternisé dans les rues et dans les cafés, les jeunes
Machinois vont reconduire leurs voisins, puis ils reviennent continuer
leurs libations jusqu'à ce que la fatigue les accable et les oblige à aller
se coucher.
Des réjouissances à peu près identiques ont lieu lors du conseil de
re vision.
Avant l'appel de la classe, nos conscrits organisent un bal ; en outre,
le jour de la Toussaint, ils assistent, avec clairon et tambours, à la
« Messe du départ » qui est célébrée à leur intention.
Les fêtes du Carnaval se sont perpétuées jusqu'alors dans le pays. Le
soir du Mardi-Gras, les jeunes gens, après s'être déguisés et masqués,
vont danser dans les cafés. Le lendemain, ils se promènent par
groupes en criant a Ricoucou ! », puis, donnant le bras à ceux qui se
sont déguisés en femmes (ou aux femmes masquées), ils font des paro-
dies de noces, de baptêmes, etc. Quelquefois, à la Mi-Carême, ils orga-
nisent des cavalcades.
Les habitants de La Machine célèbrent joyeusement leurs trois fêtes
annuelles. La Sainte-Marie, qui se tient le 15 août à la cité de ce nom,
rassemble les habitants des divers quartiers autour des jeux de toutes
sortes. La Dmine-Dame, qui est la fête patronale du pays, se célèbre au
I
REVUE DU NIVERNAIS. 257
bourg le deuxième dimanche de septembre et attire une grande
foule (1). Aussi,la municipalité organise-t-elle, ce jour-là, des jeux, des
courses de bicyclettes, des auditions musicales et une superbe fêle de
nuit, précédée d'une retraite aux flambeaux et d'un feu d'artiflce.
La Sainte-Barbe est plus spécialement la fête des mineurs, qui la
chôment le deuxième dimanche de décembre. A dix heures du matin, 1
le personnel de la mine, musique et bannière en tôle, se rend à la |
messe. A l'issue de cette cérémonie, la Compagnie fait tirer, dans ses
ateliers, une loterie où les différentes catégories d'employés ou
d'ouvriers gagnent des objets utiles et d'une certaine valeur : jambon,
tranches de lard, pains de sucre, effets d'habillement, etc. Autrefois,
celle loterie se terminait par le tirage d'une table toute servie qui était
gagnée par un mineur et une trieuse. Ceux-ci, à la sortie des ateliers,
se donnaient le bras et suivaient la table portée par deux hommes que
précédait un joueur de musette. Plus de mille personnes accompagnaient
dans le bourg les gagnants de ce lot original.
Les Machinois, toujours avides de distractions, prennent plaisir à se
rendre, pendant la belle saison, aux apports des communes ou des
hameaux de leur voisinage. Le lundi de Pentecôte, notamment, un
grand nombre d'entre eux vont à Decize, soit à pied, soit par les voi-
tures publiques ou particulières qui ne cessent de circuler depuis le
matin jusqu'à une heure avancée de la nuit. Si le temps est favorable,
ceux que n'attire point la fête vont, dans l'après-midi, se promener en
famille sur la route de Decize, ombragée par la belle forêt des Minimes.
Us s'arrêtent habituellement à deux kilomètres du bourg de La Machine,
à une clairière tapissée d'herbe et de fleurs, où des cafetiers ont installé,
sous un arbre centenaire qu'on appelle a Chêne du Café b ou « Chêne
de la Pentecôte », des tables et des bancs pojr les consommateurs. Les
hommes et les femmes boivent de la bière en se plaisantant et en inter-
pellant les « apporeux » qui passent sur la route, tandis que les enfants
s'éparpillent dans le bois, à la recherche de muguet ou de nids d'oi-
seaux. Tout ce monde revient à la tombée de la nuit, et c'est alors, dans
le bourg, un défilé interminable de familles regagnant leurs logements.
{A suivre). L.-M. PoussEREAU.
(i) On y vient, en effet, de tous les environs, de Docize, de Nevera et môme de
Paris. La capitale, on le sait, est la ville où se rendent de préférence les gens qui
abandonnent la campagne, et on y compte des centaines de Machinois. Beaucoup
d'entre eux attendent la fête patronale de leur pays pour venir voir leurs parents.
11*
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«. ■* :?•*
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REVUE DU NIVERNAIS. 259
Sieurs reconnaîssant que cette réunion intéresse essentiellement le
bien-être de cette ville et l'avantage d'une grande partie du Berry,
autorisent M. Butet, député pour la paroisse d'Herry et maire de cette
ville, à se présenter à l'assemblée des trois Etats du Berry à l'effet de
demander la réuiiioa de cette ville et de son territoire au bailliage de
Bourges, engageant en conséquence les membres de cette assemblée à
faire de celte dem^tnde une des charges de leurs représentations et
doléances, autorisent en outre ledit sieur Butet à donner tous pouvoirs
utiles et nécessaires à cette fin aux députés choisis aux Etats géné-
raux pour qu'ils puissent eux-mêmes solliciter cette réunion auxdits
Etats i).
A Sainl-Pierre-le-Moûtier, les représentants delà ville parvinrent à
faire insérer dans le cahier du Tiers-Etat le vœu que « la partie du
Nivernais, qui est de la généralité de Moulins, y restera constamment
attachée sans que les députés de ce bailliage puissent consentir à ce
que Tautre partie du Nivernais, qui est de la généralité du Berry, puisse
passer sous un autre régime et être séparée du Berry i> . A Bourges, Butet
et les réprésentarjts des paroisses du Val firent inscrire l'article sui-
vant : « La ville de La Charité demande à être comprise dans l'arron-
dbsemcnt du bailliage de Bourges, attendu qu'elle est dans sa généralité
et que ses rapports de commerce la lient essentiellement avec le
Berry "-
Dans la correspondance avec leur compatriote Charles Picard de la
piiinle, député anx Etats généraux, les échevins lui rappellent cons-
tamment les avantages que la ville avait à ne pas être séparée du
bailliage de Bourges et le pressent de soutenir énergiquement le vœu
des habitants, i^elon la promesse qu'il avait faite.
Mais bientôt les eiioses prirent une tournure différente de celle que
dêsiraienl les Charilois. L'Assemblée constituante avait décidé qu'il
Krraît fait une nouvelle division territoriale de la France, dans laquelle
tiii ne devail }:as tenir compte des affinités des populations entre elles,
mais seulement de la configuration géographique. Le dépôt du travail
du Giniitéde riiislilution sur celle division j(;la Témoi dans La Charité.
U'^ uctobre, les ïiabilanls écrivaient à Picard : « Il paraît résulter,
d\npres le plan n" 'Siii de la carte de la France divisée en quatre-vingts
départemenls que sous nous avez adressé le 23 du mois, que La
Charilé deviendrait une dépendance du Nivernais. Nous devons vous
W) REVUE DU NIVERNAIS.
rap()r|rr (juo la ivmiion à cette province a été discutée en votre pré-
tiinco vi iinW ruiKUiiiuitô des suffrages il a été délibéré qu'il serait plus
{i\iiiita^i'U\ pour La Charité de n'être pas soustrait du Berry ». lis le
|ii irii'ul de * faiiv eu sorte de combattre et faire tomber le projet de
rlhiiiv-M'iut'ul quVlle doit essayer ».
\.v^ liuhllauls^ non contents de harceler Picard de leurs griefs, se
MMHiIrohl à rilôtol de Ville, le 0 d^kembre^et adressèrent à laConsti-
luiHitn uu nuinoire énon^^aut : « Qu'ils VL»ieQt avec la plus vive inquié-
tudo (|ue, diaprés le plan de division en d-i-partements, cette ville se
liduverait séparée de la province du Berry et que cette division allait
dôli uirt^ ou au moins affaiblir d'une luaniêre alarmante les rapports de
rnhuuerce et de communication réciproque qui importent essentielle-
unnl au bien-être de tous et que la province du Nivernais elle-même
u intérêt à conserver... Nous vous supplions, disaient-ils, de ne pas
séparer la ville de I^ Charité et son territoire de Tadminislration du
llerry dont elle fait partie depuis plus d'un siècle (1), attendu que le com-
merce de cette ville est intimement lié à celui de la province du Berry
et qu'il n'y a au contraire qu'un rapport indirect de commerce et
d'industrie entre elle et la province du Nivernais i.
A rassemblée. Picard s'efforçait de soutenir le vœu de ses conci-
toyens ; il fut fortement appuyé par les députés du Berry, surtout par
Salle de Choux, qui défendit longuement leurs revendications. Les autres
députés du Nivernais semblent s'être complètement désintéressés de la
question.
Dans sa séance du samedi 16 janvier 17l}<), la Constituante décréta
que La Charité ferait partie du département du Nivernais. Cette déci-
sion causa une vive inquiétude dans la ville. Le 24, « les échevins,
conseillers, notables et prudhommes composant le conseil municipal et
la plus grande majorité des iiabitants de la ville, pour ne pas dire
Tunanimité » assemblés à THùtel de Ville au nombre de 192(2), adres-
sèrent à la Constituante un nouveaj mémoire, déclarant : « Qu'ils ont
appris, avec la plus vive douleur que nos seigneurs de l'Assemblée
nalionale ont décrété que la ville de La Charité fera à l'avenir partie
du département du Nivernais, qu'ils ne voient cette disposition qu'avec
(1) C'osl par leUivs-pateiiles de novembre 1696 que La Charité fut rattachée â la
]e:>ni^ralit<^ de Ik)urpi*s.
('2) Sur lesquels 103 di'»clai^i'ont ne pas savoir signer.
REVUE OU NIVERNAIS. 261
les plus grandes inquiétudes, qu'ils ne reconnaissent aucunement que
la ville de La Charité puisse jamais être de la moindre utilité au Niver-
nais et qu'ils sentent tout le dommage qu'elle éprouvera désormais de
sa séparation d'avec la province du Berry ». Ils demandaient avec ins-
tance à l'Assemblée de revenir sur sa décision. Tout fut inutile. Enfin
après plusieurs essais infructueux pour se faire rattacher au Berry et
sur les instances de Picard de la Pointe lui-même, le 25 mars 1790,
les habitants déclarèrent, dans une assemblée générale, adhérer aux
décrçtï» de la Constituante. Il leur était impossible de faire autrement.
Ed. DUMINY.
POCHADES MORVANDELLES
L'ANGUISON A L'AUBE
Au fond d'un vallon frais, sur un lit de porphyre.
Le limpide Anguison
Sous les aulnes murmure ; il semble qu'une lyre
Prélude à la chanson
Des oiseaux s'éveillant blottis dans le feuillage,
Quand Taube qui blanchit
Met de clairs diamants aux iris du rivage
Et succèjle à la nuit.
Galtron du Coudray.
MORT DE CASLMIR V, ROI DE POLOGNE
(Suile et fin.)
Le dimanche 18, M. l'évéque et MM. du chapitre firent les vigiles à
trois heures de relevée et, le lendemain, le service à dix heures.
M. l'évéque, Edouard Valot, dit la messe chaulée en musique. Les
corps de justice et de ville y assistèrent.
Le même jour, le corps du roi Casimir fut porté dans la congréga-
tion des notables au couvent des Pères Jésuites (i).
On avait préparé un lieu pour le mettre. Celait un jubé qui était
(i) Manuscrit de Callot conservé à la Bibliothèque de Ncvers.
St\a REVUE DD NIVERNAIS.
ilôjà ivustruil, mais qu'on disposa de façon à ce que le corps reposât
sur uuo oslnulo. Une tapisserie de Brocatelle, appartenant au défunt, le
lvii>:ssvttt.
Nvnîs nVnumêrerons pas les procédures qui furent faites alors (i).
C.is-.aîir laissait de nombreuses dettes : une comtesse de Prague lui
iwîamait de^ sommes considérables. Des tentures, des tapisseries, des
jMonvries et de la vaisselle avaient été engagées pour 30,000 livres.
Lo linge était retenu par une blanchisseuse. De la vaisselle d'argent à
st^s armes était déposée entre les mains d'un sieur Tuby, receveur des
tailles de Nevers pour sûreté de 1,600 livres. La princesse Palatine se
disant fille adoptive et héritière contractuelle par bénéfice d'inven-
taire du défunt, sollicita du Parlement plusieurs arrêts pour Tapposi-
tion des scellés autant au domicile de celui-ci, à Saint-Germain-des-
Prés qu'à Nevers.
On vendit tout pour payer les créanciers.
Quant à son corps, il demeura jusqu'en 1675 dans la chapelle du
collège des Jésuites de Nevers. Le 18 août 1G75, Messire Albert Opaki,
grand chambellan de Varsovie, chargé par les Polonais « de ramener
|(vs cendres du roi en Pologne » s'acquittait de sa mission et se faisait
délivrer le corps par Michel Nyon, alors recteur du collège (2).
Le cœur du roi Casimir est à Saint-Germain-des-Prés, dans la cha-
\nA\c de saint Casimir de Pologne, dédiée depuis à saint François Xavier
et au même saint Casimir; le tombeau qu'on y remarque est l'œuvre du
sculpteur Charles deMarsy ^3). Un convers, le frère Thibaut avait fondu
le bas relief.
(I) Anvl liu Parlomoul liu 50 divonibre IG72, qui commet deux conseiUers pour
ap|Hïsor le sivllo en l'hôlel abluilial de Saint-derinain-des-Pi-ez. — Arrêl du 1i jan-
vier Kû'X qui oixionne la vente de plusieure chevaux et mulets pour éviter le dépé-
rissement. — ArrtU du GféNrier lOTIi, tjui ordonne la vente des objets mobiliers. — '
Arrêt du tO avril \i\ll\. qui onlonne qu*d sera passé outre à la pose des scellés et qu'il
if^^VA pii>( cdé à la traduction iK's papici^ du dcfunt.
^mIiiw^ nalionales, TviîV ."».*H. inventaire et vente des meubles. 535. Dettes de
î*j*4|[sb> IV et de Casimir, roi do Toloi^ne.
\*h Auïuves de Nevei^. C. "1. Dih liar^e du corps du roi de Pologne. — Mémoire
H*'* di^n'ïiîtfs lailcs p.n* le collci;e de Nevcis pour la ivccption et le dépôt du corps
i|u n>t d*' roU)t;ne.
i^ii \nH' ! hisUiiiv de l'abbaNc ro\alc do Sainl-liormain, par dom Bouiilart,
\\in% ïl'li, et n«Hroloi:ie dos loli^iunix do la congiv^Mlion de s^ùnl Maur, décédés à
TuMm)!- [M, ISlKi), par l'abbé Vanol.
Pr^
5- ^ vè^^
^.
REVUE DU NIVERNAIS. 963
La mort de rinfartuné roi inspira ces vers au chansonnier Cou-
lange :
• Du feu roi de Pologne,
Messieurs, que dites- vous?
Sans scrupule ni vergogne
11 vécut parmi nous.
Oui, mais son inconstance,
Moine, roi, cardinal,
Le fit venir en France,
Mourir à Thôpital ».
Son seiii panégyrique se lit à Saint-Germain. C'est l'épitaphe com-
posée vu latin par Dom François Deifau, moine de l'abbaye.
M le chansonnier, ni le panégyriste ne sont dans le vrai ; chacun
n'a vu qu une partie de l'existence du roi Casimir. Les historiens, de
leur côlé, ont parlé de lui suivant qu'ils l'ont considéré comme un
prince pieux, un roi qui se conduisit brillamment sur les champs de
bataille, et eut des résolutions heureuses, ou un homme faible, géné-
reux à l'excès inconstant et enfin besogneux, disqualifié au point
qu'après sa mort il est insulté par un misérable chansonnier.
Voici répilapha ;
ft À Véternelle mémoire du roi Casimir.
Ici, après être parvenu à tous les degrés des vertus et de la gloire,
dans la partie noble de son corps, Jean Casimir, roi de Pologne et de
Suède, du sang illustre des Jagellons, le dernier de la famille des Wasa,
qui, très grand pur les lettres, les armes, la piété, apprit la langue de
plusieurs nations pour mieux se les attacher.
Dans dix-s«pt combats, il vit aux prises ses étendards avec ceux de
Teonemi ; il remporta la victoire, moins une fois. Toujours invaincu,
il réduis! L les Moscovites, les Suédois, les Brandebourgeois, les Tar-
lares, les Allemands, par les armes, les Cosaques et autres rebelles par
son désir de leur plaire et ses bienfaits, se montrant à eux roi par la
victoire, père par la clémence; enfin, pendant les vingt années de son
régne, il vainquit la fortune, fit des camps sa cour, des tentes ses
palais, de ses triomphes, ses fêtes. Il eut en légitime mariage des
enfants qu'il perdit ; autrement, s*il eut laissé un enfant plus grand que
lui, il n'oiU pas été le ])lus grand, si, au contraire, il en eut laissé un
plus petil, on eût pu dire que sa race dégénérait. Son amonr pour la
religion fut égal à son courage, et il combattit avec la même ardeur
REVUE DU NIVERNAIS. 26&
s'il remportait la victoire de travailler à l'extension de son culte. Une
confrérie ayant une importante afetion sociale a été fondée pour
accomplir les vœux du roi Casimir. (1 )
A Solesmes est une chapelle de la Sainte-Vierge, dédiée à Notre-
Dame-de-Czenstochowa, reine de Pologne. Un jeune gentilhomme
polonais y a fondé un centre de prières perpétuelles pour la Pologne.
C'est ainsi que les Polonais patriotes, sans se soucier de ce qu'il y
eut d'étrange dans la vie de Casimir, ont conservé son souvenir qu'ils
associent à leur dévotion de la sainte Vierge. (2)
Puis, en voyant Casimir se démunissant de sa couronne en échange
d'une forte somme et, s'il faut croire les potins qui coururent le monde,
ayant des aventures de toutes sortes, on pense à nos modernes « rois
en déche », car l'auberge de Candide est toujours ouverte et le vau-
deville s'est emparé de ces malheureux.
Mais, après réflexion, on est pris d'une réelle pitié pour Jean
Casimir : on est, en bon Nivernais, flatté d'apprendre que si au jour
où il se révéla comme un héros, ce fut par l'influence de Marie de Gon-
zague, et Ton reconnaît que sa vie ne fut après tout que la fidèle
image des destinées d'une patrie pour laquelle nos sympathies sont
encore persistantes. Les catholiques de Pologne ont conservé et per-
pétué par des œuvres le souvenir de sa piété patriotique.
Dernièrement, au congrès mariai de Lyon, en septembre 1900, on
rappelait que 60 moines et 150 laïques soutinrent, du 18 novembre
au 26 décembre 1655, dans le couvent de Czeiislochowa, l'attaque de
10,000 Suédois et retardèrent ainsi de 140 ans le partage de la Pologne.
Ce malheureux pays était attaqué de toutes paris.
M. Emile Montégut, dans ses Souvenirs de Bourgogne, nous a dépeint
plusieurs Polonais. A propos de la pierre tombale de Wladislas le
Blanc, qui se trouve à Dijon, il dit : a Wladislas, qui fut tour à tour
aspirant au trône de Pologne, pèlerin, chevalier porte-glaive et moine,
et qui, après bien des aventures dues à Tinconstance de la fortune et
à l'inconstance plus grande encore de son âme, est venu choisir sa
sépulture à Dijon... »
Albert Laszki, « qui, sous le règne d'Elisabeth, étonna l'Angleterre
(1) Compte rendu du congres mariai. Le culte de Noti-e-Dame-en-Pologne.
Marian da Uartynowski de Cracovie.
(2) Description des deux ëgllses abbatiales de Solesmes, par Dom Guépin.
<''
REVUE DU NIVERNAIS. 267
LE PARNASSE MODERNE
POÈTES HOLLANDAIS (Suite)
Van Loghem
CHEVEUX BLONDS
S3nnphonie
{Fragment)
INinODUCTION
Baiijïiée à Tyhlang capiteux,
Sous le camélia qui la presse,
Elle se balance à nos yeux,
Myrrha, parmi les blonds cheveux,
Toute neuve, ta blonde tresse.
Dans ta jeunesse, avais-tu foi
En si lirillante destipée,
Fausse mèche blonde? dis -moi
Ton aventure et comme quoi
Ju^u*ici tu fus amenée.
ALLEGRO
De la jeune laitière, aux époques passées,
Ne couvrais-tu pas, modeste, le front,
Quninl, pour se garantir des trop fraîches rosées,
A lauhe, elle avait pris son bonnet rond?...
La kermesse a va il lui : La tirelire prèle.
Ce jour-là fut vide... ou tout approchant.
Puis de son amoureux Krélis, ce fut la fêle,
Il fallait payer un bijou d'argent.
Commenl faire ?. . El pourtant ! — Qui donc pourrai! ap;»rendre
Que cheï le coîiïeur, en ville, elle ira?
Ses cfieveux, qui les voit? Elle peut bien les vendre.
D'un beau ducal d'or on les lui paiera.
J^iliùre, altenUon ! Krélis est difficile ;
S'iï prend mal la chose, adieu vos amours !
En vain a Ion coifletir, fùt-il artiste habile.
Pour deux ducnls méme^ aurais tu recours !
•VIS.
BEVUE OU NIVERNAIS. 269
J. Winkler Prins.
(1859).
LA LUNE
De tes rais d'argent qui pleuvent sur moi,
M'atLires-tu, Lune ?
Dois-je, solitaire, aller jusqu'à toi,
Errant à la brune ?
Autour des coteaux tissant ta clarté,
Charmeuse du monde,
Pour moi n'as- tu pas un baume enchanté?
Ma plaie est profonde.
Ainsi que s'épand sur les fleurs de mai
Ta lumière blanche,
Verso ta paix, Lune, en mon sein calmé.
Sur mon front qui penche.
Ballotté sans fin comme sont les flots,
J'ai vu, Lune claire,
Sombrer toute joie avec mon repos
Dans ma peine amère.
A rheure où tu fuis, tranquille, au penchant
Des coteaux pleins d'ombre,
Moi, j'épancherai dans uû large chant
Mes chagrins sans nombre.
Si j'étais muet comme toi sans fin !
D'y penser, j'en pleure I...
Brille à ton essor, brille à ton déclin,
Lune, en ma demeure.
PRINTEMPS
Qui s'en va soupirant.
Tapotant, murmurant.
Comme un diœur de cent voix dans le bosquet des Fées ?
Ce sont d'étranges coups,
Doigts qui frappent tout doux
Comme pour dire : a Ouvrez i, en rumeurs étouflées.
Et pendant, par milliers,
Aux bourgeons des halliers,
A la branche gonflée où la sève palpite.
Des gouttes sous le vent
Tombent discrètement,
Bruissant, chudioltant : « Ouvrez-vous tout de suite I »
270 BETUE DU IflTEfilfAIS.
Jaoqnes-Falnioe-Hermaii Perk.
(1859-1881).
ELLE SOMMEILLE
Sur la mousse elle dort, courbant son bras soyeux
Que baisent mousse molle et fins cheveux ensemble ;
Le mobile feuillage aux tons d'argent du tremble
Etend son ombre verte en voile sur ses yeux.
Elle exhale un soupir... elle sourit... il semble
Qu'en son âme se joue un beau rêve joyeux.
Ah ! ses cils vont s'ouvrir et sa paupière tremble.
Le ciel engendrera bientôt de nouveaux cieux.
— Dors en paix ! Je pressens une nuit de ténèbres
Où tes yeux se cloront sous les ombres funèbres ;
Alors tu dormiras sans espoir de réveil,
Alors te pressera le gazon que tu presses ;
Tes lèvres, du soleil, n'auront plus les caresses ;
Nulle chanson des bois ne rompra ton sommeil.
Albert Verwey.
(1860|.
Je suis poète et fils de la Beauté. Fidèle
Au l)eau toujours, du beau, mon cœur sait s'enivrer.
Homme, dois-je m'ébattre ou me désespérer,
Ma joie et ma douleur ont leur beauté réelle !
Le beau, je suis pourvu du don de le montrer
A tous, c'est un pouvoir que ma voix porte en elle,
Si bien que mon lecteur, qui peut rire ou pleurer,
Jouit, même en pleurant, du beau que je révèle.
Poète pour toujours, la souffrance jamais
Ne m'aura tout entier, puisque ainsi désormais
Mon âme pour le beau n'aura d'indifférence.
Et (si je me connais moi-même) c'est pourquoi
Je peux consoler ceux qui souffrent comme moi,
Mais sans voir la beauté de leur propre souffrance.
Traduction de Achille Millieh,
LIVRES ET PÉRIODIQUES
L€9 faïences patronymiques : Caractéristiques des saints dans la céramique niver-
naiso, par C.-P. Fieffé, ancien conservateur du musée céramique de Nevers, conser-
vateur du musée de Clamecy, directeur du musée de Varzy, président de la Société
scienlifique et artistique de Clamecy. — Clamecy, Desvignes, lib.-éd., grand in -8%
153 pages, 52 planches.
Ce n'est pas d'hier, que datent les recherches de céramique de M. Fieffé. La faïence
nivernaise n'a plus de secrets pour lui. Pour la mieux connaître, se rappelant le pro-
verbe : « Qui trop embrasse mal étreint », il a limité ses études, où, plutôt il les a
sériées. 11 s*est occupé d'abord d'une étude sur les Faïences patriotiques nivemaises,
publiée en 1885, en collaboration avec le regretté Bouveault ; il annonce une prochaine
série de faïences corporatives et grivoises ^ puis un travail sur « les motifs de
décoration, qui se succédèrent de Henri IV à nos jours ». Aujourd'hui, il traite spé-
cialement des faïences ■ à saints », et, en un beau volume, comprenant 52 planches
de phototypie, il nous offre les types caractéristiques de ces faïences répulécs. Voilà
un ouvrage qui intéresse tous les amateurs nivernais, collectionneurs, archéologues
ou aiiistes, et que son tirage, borné à 180 e.xemplaires, rendra bientôt fort rare et
précieux pour les bibliophiles.
Ces vieilles faïences ont vraiment un singulier attrait, une puissance décorative
indéniable. Notre ville de Nevers, dont elles ont fait l'honneur, ne peut pas aban-
donner une industrie d'art local qui attire encore de nombreux visiteurs étrangers
dans les magasins de M. Montagnon et de nos autres manufacturiers, continuateurs
de la tradition. Mais, au lieu de s'en tenir aux reproductions des beaux modèles
de notre céramique, — quelquefois, du reste, modifiés de façon peu heureuse, —
n'y aurait-il pas lieu de rechercher quelque moyen de rénover la faïence nivernaise ?
Et voici précisément aue notre ami Henry Ferrier nous soumet un projet, auquel
nous applaudissons de grand cœur. H entreprend d'exécuter une double série
d'assiettes : l'une, destinée à fixer les traits des hommes notiibles du Nivernais,
anciens et modernes, en les accompagnant des attributs et des accessoires voulus, et,
en se confonr.ant pour le décor aux exigences des divei^ses épo(|ues où ils ont vécu,
de sorte qu'Adam Billaut, par cxeinple, nous apparaîti-a au milieu d'un marli
Louis XIV, tandis qu'Hanoteau, pour ne citer que lui, sera traité à la moderne.
L'autre série, comprendra des assiettes â musique, donnera, avec la notation exacte,
des airs populaires ou des compositions d'artistes du pays. Nous avons vu, dans
l'atelier de Ferrier, à Prémery, la maquette d'une de ces assiettes à musique : l'effet
en est charmant. Le public nivernais pourra sans délai, nous Tes pérons, juger de visu
de cette tentative, car Ferrier est décidé à faire exécuter bientôt ses premiers essais.
La Revue suédoise îllustrerad Svensk Tidsknft, donne, dans sa livraison de
juin, un choix de poésies françaises, traduites en vei-s par le très distingué poêle et
traducteur, docteur Gôran Bjôrkman. Nous y trouvons des morceaux clioisis de Coppée,
Marc Legrand, Georges Leygues, Mistral, et Achille Million.
272 REVUE DU NIVERNAIS.
En Morvarij par Louis de Courmont. Tel est le titre d'un volume qui paraîtra sous
peu par les soins de la veuve et des amis de notre regretté collaborateur : volume de
250 pages, édité avec luxe, orné de gravures, etc , au prix de 2 fr. 50. — Adresser les
souscriptions à M"»» Anne de Courmont, aux Horizons, a Pousssignol-Blismes (Nièvre).
NOTES ET ÉCHOS
,•, Nos compatriotes : le lieutenant de vaisseau Denys-Marie-Charles fienoist-d'Âzy,
le lieutenant de tirailleurs algériens Jean Lemaitre. M. François Caquet, propriétaire-
agriculteur, sont nommés chevaliei's de la Légion a'honneur. — Le lieutenant-coloDel
Edm. PeiTot, est promu au grade de colonel, et nommé directeur de Tartillerie à
Maubeuge.
.*. L'Etat vient d'acheter la belle figure : Imploration^ qui a valu à notre jeune
statuaire Alix Marquet, une médaille au dernier Salon.
/ M. Rostaing, préfet de la Nièvre, est nommé préfet d*Alger, et remplacé par
M. Léon Hyéraro, directeur du cabinet du préfet de la Seine. — M. Belleudy, notre
compatriote par alliance, quitte la préfecture de Mende pour celle de Privas.
,*y Au nombre des instituteurs récompensés par arrêté ministériel en date do
10 juillet, nous sommes heureux de compter notre collaborateur M. Gaston Gauthier,
qui a reçu la médaille de bronze.
.*. A la dernière matinée artistique et littéraire oflerte à Bourges, rue Saint-Sulpice,
le dimanche 23 juin, par M. et M*» J. Marquet. M"» Renée C. de L*** a dit avec
une grâce charmante une des poésies locales de notre collaborateur Lucien Jen^r :
Bijoux berrichons. — Constatons ici que la pièce qui vient d*obtenir le premier prix
au concours de la Revue des Poètes, pièce intitulée le Fou de Byzance, et due à
M. Edmond Porcher, est dédiée à notre confrère Lucien Jeny.
.% Notre collaborateur Edmond Achard s'est occupé, dans notre dernier numéro,
des seuls artistes (exposants aux Salons) nés dans la Nièvre. Nous pouvons encore
revendiquer comme étant des nôtres, quoique nés hors de nos limites, M. Meynier (hors
concours), qui, fixé à Tannay, exposait une Fuite en Egypte, et M** la comtesse de
Berthier-Bizy, née Mathilde d'Auerstoïdt, dont les deux mtniaiures n'ont point passé
inaperçues.
/. 24 juillet : distribution des prix au petit séminaire de Pignelin, sous la prési-
dence de Mb' rÉvêque. Les prix spéciaux décernés par les suurages des élèves aux
nlus distingués d'entre eux ont été attribués aux élèves Alphonse Efourgoin, de Saint-
Honoré et André Ballerai, de Donzy. L D.
Le Directeur-Gérant^ ACHILLE HiLLIEN.
^^"I^ê^l^^^^
Mtmm, Imp. Q. VêlU0%
CONTES A MES ENFANTS
X. — CONTES DE FÉES
E ne sais si je m'abuse : il me semble
que les enfants d'aujourd'hui ne sont
point tout-à-fait comme ceux d'autrefois ;
qu'avec révolution des idées et les condi-
tions nouvelles de la vie, nos chers
petits ont dépouillé — brins de toison
restés aux épines du chemin — quelque
peu de cette innocente crédulité qui est un des privilèges comme
une des grâces de l'enfance. Nos petits hommes et nos petites femmes
ne seraient-ils pas pénétrés, à leur insu comme au nôtre, de cette
atmosphère d'aimable doute et d'individualisme féroce qui est, au
fond, la caractéristique de notre temps? Pour moi, j'imagine que leurs
âmes, charmantes encore et quand même, Dieu merci! ont laissé, au
contact des brutales réalités qui les enveloppent pour ainsi dire dès le
berceau, cette fleur d'imagination et de sentiment que nous donnèrent
à nous autres, vers 1800, et nos chers parents, et nos bonnes, et nos
livies, et nos premiers compagnons de jeux, à une époque où l'exis-
tence était moins inquiète, où le slruggle for life n'était pas devenu le
credo farouche du grand nombre...
Comme preuve de ce que j'avance, je ne veux citer que cette réponse,
entendue l'autre jour, d'une jeune personne de six ans à son petit ami,
un bambin du même âge :
« Lesféesl,.. les féesl... Mais, gros nigaud, ça n'existe pasi... Tout
ça^ c^est des bêtises 1... » 12
274 REVUE DU NIVERNAIS
Le mot fut admiré par les gens sérieux comme Tindice d^une raison
précoce. Pour moi, je fus intérieurement pris de pitié pour cette flllette
de six ans qui ne croyait plus aux bonnes et aux mauvaises fées, ne
prendrait jamais a un plaisir extrême » à s'entendre conter Peau d'Ane
et, dédaigneuse de la fantaisie et du rêve, laisserait à d'autres, comme
vulgaires fictions, les histoires mirifiques du Chat botté et de la BeUe
au bois dormant,,.
Et pour balancer la fâcheuse impression que j'éprouvais in petto, car
je me gardai d'en faire part, je me rappelai cette question, adressée
autrefois à son grand-père par un petit garçon qui fut mon contem-
porain :
« Bon papa, pour être bon et beau comme tu es, il faut que tu aies
été doué par une fée ?... »
Ce petit bonhomme exprimait très-naïvement, avec la sincérité de
son âge et la littérature des gamins de ce temps-là, les sentiments
d'admiration profonde et le culte passionné que lui inspirait son bon
papa... Je l'ai beaucoup connu, ce grand-père : c'était, en effet, un
homme parfaitement bon, d'une bonté rare et toujours souriante, et
bien fait pour séduire et charmer par là même tous ceux qui l'appro-
chaient et son petit- fils en particulier. Littéralement, il adorait ce
dernier qui le lui rendait avec usure : que les grands-pères et les
grands'mères qui n'adorent pas leurs petits-enfants lèvent la main !...
Cette affection du grand-père et du petit-fils m'est restée comme un
délicieux souvenir des années lointaines... Victor Hugo n'avait pas
encore écrit lArt d*être grand père ; il n'a certainement rien dépeint de
plus touchant que cette tendresse réciproque dont je fus le témoin, et
pour conserver dans sa fraîcheur l'image idéale qui m'en est restée, je
confesse que je n'ai jamais voulu lire celle œuvre du grand poète.
D'ailleurs, entre nous, je ne crois pas que cet art-là soit réservé le
moins du monde aux hommes de génie : il est inné dans le cœur des
bonnes gens et la pratique n'en est point malaisée, Dieu merci !. .
L'aïeul dont je parle faisait comme tous les grands-pères : il gâtait
extraordinairement son petit-fils, parce que c'était l'enfant de sa fille
et qu'il le trouvait infiniment supérieur à tous les marmots du même
âge. Est-ce à dire qu'il fùl faible avec lui et incapablede le reprendre?
Savait-il être ferme à l'occasion? Mes souvenirs ne sont pas très
précis à cet égard — c'est si loin, tout cela I — et je ne me permettrai
pas de trancher cette question délicale
ïlEVLfE DU KtVERHAIS. 275
Ce que je sais bien, c'est que l'enfant porLaii à son grand-père une
Affection profonde, sentiment très complexe où il y avait de Tadmira-
lian, de [a tendresse, de la vénéralion, de la piété et, par un juste
relour, la conviction absolue que nulle part sur la terre, pas plus
d'ailleurs que dans les contes de fées, on n'aumit pu rencontrer un
bomnie aussi beau, aussi bon, aussi accompli que celui-là. Il fallait
vraiment — il n'y a pas d'autre explication — que tous les bons
génies se fussent assemblés autour de son berceau pour y déposer, en
gerbes d'or et de diamants, les dons les plus rares et les plus pré-
cieux
..,.♦ Les deux amis cependant se voyaient peu, à peine une ou deux
fois par an. Le père et la mère du pelil garçon haliilaient une ville
éloignée; en ce temps-là, les chemins de fer n'étaient p/is à beaucoup
près aussi nonibreirx qu'aujourd'liui, et certains parcours ne pou-
vaient ôfre francbis qu'en diligence Car il y avait des diligences,
tontes parfaitement încoiinnodes et uniformément peînles en jaune,—
sans doute, pensait le petit garçon, en souvenir des citrouilles qui,
vous ne Tignorez point, sont, dans les contes de fées, véhicules d'un
usage courant '
Quand approchait le moment d'une réunion, l'enfnnt, que ses
ronnaissances encore vagues en calcul rendaient iurap;ible de sup-
puter exactement les semaines et les jours, attendait Mvec confiance
qu'une baguette magique, un tapis enchanté suppriuiant le temps et
l'espace, vînt le prendre et le transporter tout d'un coup dans la maison
de son grand-père Cel espnir innocent ne se rénlisa jnniais
l^our raîeuU je crois bien, sans en avoir la preuve, que, non moins
impatïenl et plus au fait des otïératiuns arilhmétiiiues, Il effaçait sur
son calendrier, d'un Iniil de pïume. chaipie journée qui s'enfuyait — -
si leiilenirut! — avant le terme altendu., ..
Enfin venail le plaisir toujours nonvenn du revtMr et cVHaient, pour
Tenfant, les jonels et les gîiteries de toules sortes ; pmir l'aïeul, le
compliment ou la fable appris eu suïi bonm'ur^ît recités, pour une fois,
sans caprice î — Allez donc faire des caprices avec un bon papa. qui
entrelient d*élroites relations avec les fées I
Après les effusions du premier momeul, le grand père et le petit-
QU ne se qui liaient pins, compagnons intimes et inséparables ; être
ensemble leur suffisait, tous deux s'absorba ni dans les douceurs d'unç
tendresse passionnée qui ne se lassait point.,..
276 REVUE DO NIVERKÀIS.
Et quel chagrin lorsqu'il fallait se quitter !. ... Après la séparation,
chacun vivait sur ses souvenirs, l'enfant trouvant que les bonnes fées
se désintéressaient beaucoup trop des événements de ce monde et
qu'elles n'usaient pas assez de leur puissance pour prolonger les mo-
ments agréables ; le grand-père conservant avec un soin jaloux tout
ce qui pouvait lui rappeler l'enfant parti et défendant, — cela, je l'ai
su — qu'on ratissât, dans les allées du jardin, les empreintes laissées
sur le sable par les petits pieds, courts et menus Enfantillages, dira
quelqu'un C'est bon, c'est bon, les bons papas et les bonnes ma-
mans me comprennent
Cependant les années passaient, couronnant de boucles neigeuses le
front du vieux grand-père, faisant du petit garçon un adolescent, puis
un jeune homme... Et comme notre vie se passe à perdre des illusions
et à en poursuivre de nouvelles, un jour vint bien vite où l'enfant ne
crut plus aux fées, aux bonnes fées qui font épouser des princes beaux
comme le jour aux filles pauvres et sages ou condamnent la bouche des
méchants à rejeter, avec chaque parole, les crapauds immondes et les
hideux reptiles... Cependant, de toutes ces charmantes fictions qui
avaient bercé de rêves enchantés son imagination d'enfant, il lui était
resté quelque chose ; son esprit plus mûr en avait saisi le sens réel,
caché sous les caprices fleuris de la fantaisie ; il avait compris que de
tous les dons, la bonté est le plus précieux entre tous, parce qu'elle
est la source de beaucoup de vertus, et qu'elle répand autour d'elle un
rayonnement divin...
Et sa piété filiale s'accrut encore, s'il est possible, pour cette incom-
parable bonté dont il embrassait toute l'étendue, qui l'avait autrefois,
quand il était petit, caressé d'une si douce chaleur, l'enveloppait main-
tenant d'une tendresse plus sérieuse et plus large, ennoblie par la
sérénité d*une très-longue et très-belle vieillesse qui s'achevait...
Puis vint un jour où le grand-père mourut... Il y a bientôt trente
ans de cela... Ce fut mon premier grand chagrin, car vous avez deviné,
n'est-il pas vrai ? que c'est de mon cher bon papa que je vous parle...
Vous êtes-vous parfois arrêté, par une nuit claire, à contempler
quelque étoile perdue aux profondeurs célestes ? Il semble que par
moments elle s'éteigne, on dirait quelle va disparaître ; mais la petite
flamme se rallume, toujours vivace, et sa lueur trembloltante verse en
nous la mélancolie des choses infinies et lointaines...
REVUE DU NIVERNAIS. 277
Ainsi le souvenir de mon cher grand-père revient, après tant d'an-
nées, m'éclairer d'un reflet qui ne meurt point, et c'est comme une
très lointaine et très douce caresse de celui qui m'a si tendrement aimé
autrefois, quand j'étais un enfant comme vous...
François Moireau.
BOURRÉE
A M"» Henri TeUier.
Myon, vous souvenez- vous bien ?
Sous la vieille coiffe gauffrée,
Pour la fête à Saint-Julien
Comment dansait-on la bourrée ?
— Après vêpres, avant le soir,
Quand on avait mangé la pompe^
Près du noyer, vers le lavoir,
Le bal s'ouvrait, sans frais, sans pompe.
De tonneaux, les violoneux
Faisaient leur estrade champêtre,
En patois, les galants, par deux.
Jasaient où les moutons vont paître.
Culolte courte, flambant, beau,
Rythmant le pas et la cadence
De sa tête et de son sabot,
Thomas s'avançait pour la danse.
C!oiffe en dentelle et bandeaux plats,
Tablier de velours ; l'air sage,
Chaîne d*or, souliers de galas.
Fichus plissés dans son corsage,
La Myette^ de son côté,
Ruinant, pour un jour, son armoire,
Au nez d'un galant dépité,
Balançait sa robe de moire.
Deux fois, le couple, s'approchant,
Frappait des mains, bien len mesure,
El sous le noyer, le vieux chant
Reprenait, sans que le temps dure
Et puis personne n'oubliait!
Quand la vielle restait muette
Que le violon zi-zi-yait
Thomas embrassait la Myette.
Françoise d'HussELLES.
278 REVUE DU NIVERNAIS.
LES HOUILLÈRES DE LA MACHINE
PRÈS DECIZE (NIÈVRE) (Suite et fin).
La houillère chôme également le 24 juin , afin de permettre aux
ouvriers de La Machine qui ont des enfants à placer d'assister à la
louée de domestiques qui se tient ce jour-là à Champvert. Pendant
longtemps, la Compagnie des mines, — désireuse de faciliter le trajet
aux Machinois, — mit à leur disposition les wagons servant au trans-
port de la houille. On les garnissait, pour la circonstance, de sièges en
bois blanc, et des locomotives les emmenaient jusqu'au Rio-Gaillard,
c'est-à-dire à deux kilomètres environ du bourg de Champvert. Il y
avait un départ, et un retour à chaque heure de la journée, et rien
n'était curieux comme de voir grimper, au moyen d'échelles que l'on
se disputait, les hommes et les femmes, les jeunes filles et les enfants
dans ces wagons noirs, où ils s'empilaient pêle-mêle, au milieu des
rires et des exclamations. Chaque train emportait ainsi plusieurs cen^
taines de personnes que des ombrelles ou des parapluies garantissaient
de Tardeur du soleil. Depuis les nouvelles lois sur les accidents, la
Compagnie a renoncé à ce transport si pittoresque de son personnel.
Un mot maintenant sur le langage machinois qui, tenant à peu près
le milieu entre le parler de Nevers et celui du Morvan, offre, sous le
rapport des mots, une faible différence avec celui de la région environ-
REVUE DU I^lVEllWÂIS. 279
nante. Cependant, il a, comme les IinhiLaiits, imu expression propre et
une physionomie particulière qui le foui aisément reconnaître (1).
D'abord, nos mineurs, qui "parlent généralement vile» font de fré-
quentes élisions. Us conjuguent ainsi le verbe être ;
A r indicatif présent : j' seus, V es, al est ou aile est, j* sons, v* ôtes,
a sont ou alF sont ;
A V imparfait : j' étais, l' étais, al était ou aile était, j* étins, v' étins»
al étint ou air étint ;
Au conditionnel : j' sVais, V sVaîs, a s'rait ou air s'rait, j' sYins,
vous s'rins, a sYint ou alT s'rint ;
Au subjonctif : que j' saiye, que t' saîyes, qu'a saiye ou qu'air saiye,
que j' saiyins, qu' vous saiyez, qu*a satyint ou qu'ail' saiyinL»
Dans tous les verbes, la première personne du pluriel de Timparfait
de rindicatif se termine par bis, au lieu de iom^ et, au pluriel comme
au singulier, on emploie le pronom ;V; (on èlidant toujours Te muet),
Ainsi, on dit : j'aimins, i'allinsj'vénins, j'avius, etc.
Les Machinois, qui remplacent souvent le verbe avoir par le verbe
tenir, s'expriment ainsi : j'iins la fièvre, jUénons enn' maison. Ils pro-
noncent: mouai, touai, souaî, et n'iiésilenl point à dire: c'est ^oï«î/,
au lieu de c'est lui. Ils disent ; Tmenn'» t'Lenn', Tsenn', l'noûl'j Tvoùr,
pour le mien, le tien, etc. (2).
Us n'emploient jamais la négation et disent : j'aimins pas t;a,
j'counaissins pas c't'affaire là.
On les entend souvent répéter : un'lioume, enn'poume(un homme,
une pomme), et : mon pour'aimi, la pour'fammc (moll pauvre ami, ia
pauvre femme).
Léonard, canard, tard, lard, se prononcent :
Linerd, canerd, terd, lerd, à La Macliinc, oti on dit fréquemment ;
en airtouai, ou va touai z'eri, pour va-l-en.
(1) La comparaison de ce langage avec i:ctui des difTLTenfra conïrées de la Nièvre
que nous avons habitées ou fi>^fiiiiniti*ps noua d permis d^ vè ri fier leiaclilude de la
théorie de M. l'abbé J.-M. Meuiiiet', ^ noire Sîivaul tollèKuc de la Sociét** Mvtniidie,
— sur l'origine commune des pyrJpra de rintre prcjviijci! et sur les îransformalion^ qu'ils
ont subies dans le cours des sirrles. Couime Tij pi-ouv^ M. l'aU>é Meunier, les
patois que ron parle dans nos ("niip^^nes ne sont [>aH \\w fr;!ru;ais \\\\été ou cor-
rompu, puisqu'ils existaient lun;^M^iij|iâ av;uit notre bngue nationale : il serniit [ilus
juste de dire que cette dernièrt.' v%\ du paloîs épuré.
(2) Certaines personnes, aflectuni de mieux parler, disent : Je mienne el la tien.
280
REVUE DU NIVERNAIS.
Voici quelques autres expressions machinoises recueillies au hasard :
C'est pas désolant...
Marche don tant sèment...
Quiq'c'estl
Par héserd
Haila^ va !
Lavou qu'ai est ?
Aga-lu don
Cté tête qu'a tint !
T veux-tu bin tHaiserf
Tai boun air !
J^ lé promets...
J'seus agoué
J'en étins argoulcs
Ufeu est crevé
Ça fait brun
fnous sons mettus à Vécouai
D'un rin a m'pcrnint
A s^dôte bin d'ià
On dit^ussi :
Enn'palle
Ennbesse
Enn'plemhe
Enn'berchaude
Enn* cassiette
D'ia pousse
D'ia patouilie
Des truffes frilées
Un eurson
(ce n'est pas inquiétant),
(va seulement, ne crains rien),
(qu'est-ce? comment ? plaît-il ?)
(par hasard, qu'on emploie pour : par
exemple)
(oh ! va !)
(où est-il?)
(regarde-le donc) .
(celle tôle qu'il a!)
(veux-tu bien te taire ?)
(tu as mauvaise grâce de faire telle
chose),
(je t'assure),
(je suis rassasié),
(nous en étions dégoûtés),
(le feu est éteint),
(il fait noir),
(nous nous sommes mis à l'abri de la
pluie),
(il s'en est peu fallu qu'ils ne me
prennent),
(il marche vite ou il court).
(une pelle).
(une boche).
(une pioche).
(un tisonnier)
(une casquette).
(de la poussière).
(de la boue).
(dos pommes de terre frites).
(un hérisson).
Et, en changeant le genre des noms :
Un r'ioge (une horloge).
Enn'serpent (un serpent).
i
REVUE DU NIVERNAIS.
281
Un vipère
Un fermé
tin noi^
lilu pôimn
Eiinn, on dit â La Machine
Sauger
Sarger
Sercher
Gauger
Grêler
Roiiclier
Bûcher
Tacossûr
A gué r tonner
Argiimr
friler
S'avrophufier
Taper du charbon
Gagner k^ taux
(une vipère),
(une fourrai),
(une noix),
(du poison).
(changer),
(charger),
(chercher).
(prendre de l'eau dans les sabots),
(bercer, balancer),
(lancer des pierres),
(frapper, travailler fort),
(frapper à petits coups),
(crier, en parlant des jeunes enfants),
(remuer),
(frissonner),
(s'accroupir).
(Icjeter avec une pelle),
(épuiser l'eau qui peut gêner dans
un puits).
SPÉCIMEN DE PARLER MACHINOIS
- Eh bin ! camarade, t' t'es tu bin amusé hier?
- Ah , voui, par héserd, parlons-en ! J' té garantis q' j'ai passé enn'
iol. journée, tins!.. Figure-touai (i) q'j'étins partis du bfn mat n
her dos escargots dans les trasses de Bussiére. J'en avins pas ramassé
s^nlun d-ml «„, q'vlà „„ ga* ,'„„„s tcbe de^u^ S
b^n l mon v.eux, r peux craire que j' nous dôtins bin d'ià, tins I J' nous
sons en.auvesen sautant les échayers; mais le mâtin d' garde no
courra, au derrié, si bin q' j'aurins été pinces si j'étins .LrlZ
bo.a vantsouai. C'était pas trop tout q' j'y arrivissins. tins! nou
^ns fou.es dans la fertasse, en courant coum' des san-yers ma
J ans b.n manqué d' nous enguierrer au mitan des bois : hureu 'men
, la cl.-„,„eed« ïénoM .ous ai ,aU arlrauver „o«r cbC
Et pis touai, lavou q' t'ai passé ta jeunesse ?
{\] Daiîs les communes de Thianires «»t Ho ru^^ ^
t« Paysans pro.K>acon.:toué*^ Champvert, vou.ines de U Machine.
11"
t
282 REVUE DÛ NIVEMAIS.
— Mouai, j'seus été à D'zize après goûter, avec lé pos jeane dé mes
ps, Cil Youaiture à boumi. Poar aller, mon poar*aimi, ça marchait
blii ; ujais quand j'sons arvénus, la puie s'est mettae i tomber, ^
Vvmp d'six heures, quand j'arrivins à la montée des Pontols, q'j'en
votmljùis pas clair ! Al nous a guiatés jusqu'à la maison! Quant éj'sons
arrivés vai nous, j'étins mous tripes, nous pannHots étint terfoulés et
yau rî^'olait dans nous bronn'quins. Ai faullu que j'nous sangins touta-
lement des pieds à la télé : jusqu'à nourchéraise qu'était moule ! Mon
pour ch'lit gas était g le dïraid, et la viéle a pas manqué dé l'rachauf-
fer I T'peux compter qu'a va s'en rapp'ler longtemps dé c'té toumée-là,
tins!
Lu cadre de cette étude ne nous permet pas de nous étendre plus
longuement sur le patois de La Machine, conservé à peu près intact
par les anciens mineurs.
Disons toutefois, en terminant, que, depuis vingt ans, il a, comme
tous les autres parlers provinciaux, subi de profondes modifications,
sousi la double influence de l'instruction scolaire et du service militaire
obligatuire.
Le langage de la jeunesse actuelle se rapproche, en effet, de plus en
plus du français, et bientôt le vieux parler des mineurs machinois
disparaîtra, comme ont disparu les canettes d'indienne de leurs
grand'mères et comme disparaissent déjà les bonnets blancs de leurs
femmes !
L.-M. POUSSEREAU.
La Machine, le 24 mars 1901,
FIN
REVUE DU NIVERNAIS. 283 *
PROLOGUE D'UN RECUEIL DE VERS I
Il faut être sot, téméraire, j
Après plus de soixante hivers,
Par goût bizarre et littéraire,
Pour risquer quelques mauvais vers.
Bah ! chacun cherche, à sa manière,
A sortir de la grande ornière ^ -' :>
De la vie, — incessanls combats ! : •-
La jeunesse en riant s'amuse ;
Moi, vieillard, client de la Muse, :
Je rime loin de ses ébats. - .
La rime est une pauvre esclave,
A dit Boileau partout connu ;
Elle a plus d'un parfum suave
Pour moi, pauvre barde ingénu.
On a beau me dire : A votre âge,
Chanter, ce n'est plus votre ouvrage;
Laissez la lyre aux jeunes fous...
Moi je réponds : L'ennui m'assiège •
En hiver, quand tombe la neige.
Chacun sa manie et ses goûts.
Ah 1 je sais bien, oui, je l'atteste.
Qu'arrivant au plus bas degré
Du talent banal qui me reste.
J'ai bien perdu du feu sacré !
Mon luth, trop froid, est en détresse ;
Pégase contre moi se dresse.
Lui non plus n'aime point les vieux ;
Mais si la vieillesse est bien triste,
A son atteinte je résiste
Pour tuer l'ennui de mon mieux...
Eue. Garry,
Jardinier à Limon.
ijj
y. -^r vrATRNAis.
LA MER!
A M"^ 3/t»".>-i>-»' •/*• iw.
■!::i'jii^ia>ir' .un^ .-'u iii^niis fin àe
:•' - [j. h: VM^ 'iunc ♦.^nn.* ni^
•- •• :- 'ij-* h*^':iieijrs. j»^ ne >\ii
• .r, : ;:iîiii l'iM-nau sederuiile
La "!-»• •
nr»îx ' ' " 'îT -'î . ' •■ •
î/in • .î-'^'^n'. . ■•— : :• ix.
hlH.iti^ -•.. ...f .r ._,,,.^.:u • , «i^-'iu -♦'tui'Liul <e joiRT à ia
<iirt-i«-'- '•' '••■». -i -ir '•■•- .• .lu»,^ : <*|,i'jilos scintillent des
[/.,.«• ..^ ..îH ..' -:'■_-.>. > .«r '--liîinm, •••j'* sauvage ;ni<>i. iQ
(•i»'! ..'"• • .".••-- r'-";,i- 1 ;■•_:••- : ;i ■:• «ii • ii •i.-iMiniaii»», et siH'»""*^
inin'--' •' -:!-• :* ' • X -.PI-:-- . '\ MiiMii .;.M;iiainf, MMikvanl <lc>
v.:^.-'' '• *•-; • -n»')!»* :.'v ''î<''ili-.îî' < in -t* nour^uiviMit, >f» <*lia>s**nt,
<A -.'•'* ♦'••.- ' if-M'ir • uiL-'» •'\ i:^*.*. l'.e rif ^4»iit alors <I"*?
^ ..'-;. ii!i_n->»":if •!:< rrtv'KUs, :>niiti ^jiinls<'t ^acrMii»*N
I » \< *]\ !►* * .•î^ci-'*' r [MO i-t <'l»Mii«'fil H-*t là pniir n«»tre
i*-ï ••►• *LT •fn^'îït. il.'t:.* ;if'i>r»v 'i«»ii< fait lunis '*iior;;iîf.Mllir. Mais
V*f^if \' 'îr*^ fi^.nr .•T|,|,r,<<»*r ." -t- iid'io <ie «^ttiMuass^ brute, le
' itifftt'fi' 1 -^^iir'rMr*'' !riH)'<ar]tt» "t !'Tr:L»l»* lums sont aussitôt péni-
t* >^nt f'fib!'^, friuil»» e.Miim^* un ros*^au. La poitrine se
REVUE DU NIVERNAIS. 285
comprime, oa poids énorme pèse sur le cœur, oppresse. L'on sobA^
de malaise sans savoir pourquoi.
Aussi d'aucuns ont-ils pensé que pour bien jouir des beaotés de la
mer, il faut la voir d*un lieu sûr et quelque peu éloigné, et même la
considérer comme à travers les mille illusions et mensonges de notre
imagination qui est, a-t-on justement fait observer, volontiers
gasconne
••♦
L'on s'est plu à comparer la mer à une jeune femme, à une belle
maîtresse. Pourquoi pas à une Espagnole ?
I^s Espagnoles sont très passionnées. Elles ont la démarche impé-
tueuse, la voix sonore, l'œil sombre et brillant. Leurs sensations sont
violentes, leur imagination fougueuse, leurs désirs brûlants, leurs
colères terribles, leur haine implacable. Il leur faut des caresses, du
mouvement, du bruit, des combats, du sang !
De même la mer— amante légitime et irrévocable de notre pauvre
sol — la mer est charmante, impérieuse, cruelle, inhumaine.
Comme dans tout ménage, le continent croit être le maître parce-
qu'il la regarde du haut de ses falaises, la domine du panache altier de
ses rochers. En réalité, c'est elle qui le tient : elle le harcèle, elle
l'étreint, elle le ronge, elle le bat. Ses plages ? Elle les envahit. Ses
esquifs? Elle les submerge, et c'est alors un remous, des tourbillons,
des jets d'écume folle, éclaboussant les flancs des vieilles roches, où
elle se brise avec un bruit sourd, grave, s'enflant et mourant tel un
soupir de géant...
La mer ! Elle est tantôt berceuse comme la plus douce mélodie,
enivrante comme pas une caresse de maîtresse éprise, plus bleue
qu'une fleur de pervenche, mouillée ou verte comme une émeraude,
unie et pure comme le front aux teintes d'ivoire des enfants ; tantôt
mugissant avec un fracas de tonnerre, sombre comme une nuit d'hiver,
soulevée comme une âme en révolte, mais toujours ineffablcment
belle, même dans ses colères homériques.
Ah ! malheur à qui se laisse alors ensorceler par ses attraits char-
meurs, à qui ose, en cet instant terrible, braver sa fureur ! Elle ne
respecte personne, la sauvage I même pas les mousses, pauvres gars
encore chauds des caresses maternelles. Bien plus! ravis de leurs
nombreuses victimes, ses flots inhumains chantent quelque Dies ir?e
286 REVUE DU NIVERNAIS.
magistral, éternel à leur mémoire. Prière funéraire si déchirante
pour les mères, les épouses, les fiancées, mais aux accents irrésis-
tibles pour les marins, toujours aussi insouciants du triste sort qui
les attend I...
JÀ.
UN ÉPISODE DE LA RÉVOLUTION
EN NIVERNAIS
A LA RECHERCHE D'UN ÉMIGRÉ
Il n'est guère de localité en Nivernais où l'on ne raconte plus ou
moins exactement quelque histoire d'émigré ; et, en maints endroits,
on montre un chône dit des Emigrés^ parce que, dit-on, ces derniers
se reposèrent sous son ombrage lorsque, cachés dans les bois touffus,
ils attendaient l'heure propice soit pour rentrer momentanément dans
leurs habitations, soit pour fuir à l'étranger.
C'est en allant voir ici même, tout récemment, un chêne énonne,
celui des Emigrés^ que me revint en mémoire l'histoire que je vais
raconter. Peu importent les noms et lieu de résidence du seigneur :
qu'il me suffise d'ajouter que mes renseignements sont tirés de docu-
ments authentiques officiels, et, comme tels, dignes de foi.
Nous sommes en 1792. Un noble ayant quitté son domicile après
s'être muni du passeport réglementaire, n'est pas rentré chez lui dans
les délais fixés par la loi ; il est donc considéré comme émigré et
inscrit sur les longues listes dressées alors.
On séquestre ses biens dont la nation s'empare, gardant les bois et
vendant à son profit terres et prés qui seront ensuite restitués en
partie à la famille.
Cependant, à diverses reprises, le bruit court que le seigneur est
caché soit chez lui, soit dans les bois voisins, et la garde nationale —
qu'il avait conmiandée en 1791 — se met à sn rerherclu*. Oji arrHe
quelques personnes soupçonnées de lui procurer des armes et de»
vivres, mais on ne peut saisir l'émigré.
Les alertes données étaient-elles basées sur des preuves? Oui^
affirment plusieurs dénonciateurs dans les documonts officiels. Non^
prétendent dans leurs interrogatoires les parrnls el les servileursî de
l'émigré.
REVUE DU NIVERNAIS. 287
Les pièces qui concernent celle affaire fournissent d'ailleurs des
détails assez piquants pour qu'on en résume brièvement quelques-
uns.
C'est d'abord la lettre du district ordonnant à la municipalité de se
transporter dans la maison du seigneur avec un détachement de la
garde nationale <k pour donner satisfaction à un peuple plus égaré que
coupable », et aussi pour rassurer ce citoyen dont on met en doute les
opinions antirévolutionnaires et auquel « on doit protection quand
même il seroit reconnu coupable d. ^
Le calme paraît rétabli pendant un an après cette démarche infruc-
tueuse, lorsque Tordre est donné à nouveau de s'assurer de l'émigré,
qui a dû revenir dans le pays, « car il faut que la République triomphe
et que ses ennemis soient écrasés ».
Les recherches se succèdent alors dans les bois du voisinage, où
certaine nuit, vers deux heures du matin, se rendent en deux endroits
différents 105 gardes nationaux qui doivent cerner l'émigré.
A défaut de ce dernier, on arrête le lendemain, dans une commune
voisine, un de ses anciens serviteurs, qu'on amène escorté de deux
gendarmes et de six gardes nationaux. Il remet à la municipalité un
fusil qu'il prétend être celui de son maître ; mais bientôt après on
découvre « le grand coquinisme de ce citoyen », car le véritable fusil
du seigneur est déposé ensuite par la femme d'un autre citoyen. On
surveille étroitement un meunier du voisinage accusé c de fournir du
pain à Témigré et à ses adhérents ».
Les recherches se poursuivent, car les indications sont nombreuses
et paraissent précises. C'est un petit vacher qui afflrme avoir vu
€ douze personnes bourgeoisement mises et avoir reconnu l'émigré et
son fljs ». Puis des bûcherons qui prétendent les avoir rencontrés sur
un autre point de la commune, ajoutant en avoir arrêté trois, « puis
les avoir relâchés à force de prières et de supplications ».
C'est enfin un déserteur, natif des environs, qui, pour se tirer
d'affaire, raconte avoir vu a les douze brigands ». Il ajoute que ceux-
ci ont voulu le retenir, « qu'il a conversé avec eux, qu'il a partagé
leur pain blanc, qu'il est parvenu à se sauver, et qu'il se fait fort de
conduire la garde nationale à l'endroit où ils sont cachés ».
Si cette nouvelle tentative fut infructueuse, elle fut du moins favo-
rable au déserteur, qui, après avis du district — auquel on envoya un
courrier spécial — ne fut nullement inquiété pour sa conduite.
288 REVUE DU IflYERHAlS.
Quelques jours après, un ami du premier prisoDoier est arrêté par
des commissaires spéciaux du district, c lesquels ont tous les pouvoirs
pour étouiïer dans sa naissance le rassemblement qu'on craint ». Pais
ce sont les serviteurs de Témigré et sa femme qui subissent de nouveaux
interrogatoires.
De Umi cela, il faut conclure que si les dénonciations faites à la
municipalité furent exactes, ou les émigrés surent disparaître en temps
opportun, ou les recherches furent fort mal organisées.
Et cependant les municipalités qui partageaient trop aisément l'effer-
vescence des populations, croyaient devoir siéger en permanence à la
maison commune ! G. Gauthier.
LE PARNASSE MODERNE
POÈTES HOLLANDAIS (Suite)
Albert Verwey.
RÊVE DE MORT
Parez de blanches violettes.
Fleurs sans parfum, mon oreiller :
A minuit, les ombres muettes
Du lac sombre vont s*éveiller.
Les voici : long voile qui traîne,
Fronts pâles inclinés tout bas.
Evoquant — rumeur incertaine —
Ce que nous promet le trépas.
L'œil fixe, elles tendent ensemble
Leurs bras sur le lac frémissant
Dont Tonde noire pleure et tremble.
Puis reviennent en gémissant.
Leur regard oblique et sans flamme,
Je le vois sur moi s'abaisser ;
Je sens leui-s lèvres sur mon âme,
Leurs lèvres mortes se presser,
Jusqu'à ce qu'au loin dans les salles
Sous la morne clarté qui luit,
Leur pas se perde et gur les dalles
Du palier expire sans bruit.
REVUE DU NIVERNAIS. 289
Hélène Swarth, M«^ Lapidoth.
(1859).
LA POUPÉE
A son illusion doucement asservie,
Une enfant, sur son sein pressant avec ardeur
Sa poupée et baisant cette bouche sans vie,
Croit de son propre enfant sentir battre le cœur,
Pose à ses cheveux blonds un ruban, une fleur ; t
Lui met ses vêtements si beaux qu'on les envie, J
Caresse (lèvre et doigts en gardent la couleur), -t
Le front de cire au teint rosé qui Ta ravie.
Ainsi de moi, poète en proie au rêve, hélas !
J'animais ma poupée... Oh ! ne souriez pas :
Je brûlais d'une jeune et généreuse flamme !
J'habillais et parais ma poupée, en l'aimant,
En l'embrassant pieusement et tendrement,
Si longtemps !... Qu'ai-je fait ? J'ai gaspillé mon âme !
PHILOSOPHIE
Veux-tu calmer ma soif? dis-je au fleuve. Son onde.
Loin de ma lèvre en feu, coule sans s'émouvoir.
Je vais saisir un fruit vermeil, je crois l'avoir,
Mais je sens m'échapper la pomme fraîche et ronde.
J'ai tissé mon filet plein d'ardeur et d'espoir :
Par les mailles s'enfuit le poisson qui m'abonde.
Mon bateau, follement poussé sur l'eau profonde,
Ballotté quelque temps, échoue au récif noir.
Si le fleuve à ma soif refuse une gorgée,
Vers la source modeste et du hêtre ombragée,
J'irai ; là, des buissons le fruit tente ma main ;
En hutte transformant ma barque ruinée.
Là, solitaire, en paix, sans peur du lendemain,
Pourrai-je encor — qui sait — bénir ma destinée !
k
290
REVUE DU NIVERNAIS.
i
NUIT D'ÉTÉ
Les astres fleurissaient par cette nuit d*été.
Le vent passait jaseur dans l'arbuste agité ;
La lune illuminait les hauts pignons de pierre ;
Silencieusement abaissaient leurs paupières
Les cygnes, las d'errer sur le sombre canal.
Les astres fleurissaient dans leur éclat royal.
Et par les carrefours, nous allions en rêvant ;
— Consolant souvenir quand je pleure souvent ! ..
Dans un calme sommeil se reposait la ville ;
La lune au front d'argent planait, lente et tranquille.
Nous avions traversé le vieux pont lentement.
Oh I souvenir en moi gardé fidèlement !
(( Que veux-tu ? dis ! Un roc où pouvoir t'appuyer ?
Prends mon bras qui sera ton soutien sans ployer I
Est-ce un cœur chaud meurtri par la soufl'rance? — A Taise
Prends le mien^ que par lui ta soif d'amour s'apaise I
Est-ce une âme qui dise : 0 morte, éveille-toi !
Pour cet œuvre divin prends la mienne avec foi 1 »
Oh ! combien d'ans enfuis depuis la nuit d'été !
La brise encor murmure en l'arbuste agité.
Je revois ces yeux bleus aux clartés des étoiles ;
Cette ville muette est là pour moi sans voiles ;
Les mots que son amour me dit à ce moment
Me berceront encore au tombeau... doucement.
F. van Eeden.
(1860).
SONNET
0 voûte de lumière ! Infini firmament,
Monde d'amour I Immensité que rien ne nomme 1...
Tout cela peut tenir en un frêle corps d'homme
Edifié sans force et si chétivement !
Comment ! une âme seule, actrice d'un moment,
Contient l'âme de tout ce qui vit, s'en pénètre
Au point d'oser dire le nom, de nommer l'Etre
Du Dieu seul, qui est tout, tout éternellement ?
Un homme sur la terre, aveugle, pauvre, à peine
Rampe, cherche son pain, marche, rit, parle, traîne
Son existence, tel fait un enfant au jeu.
Tant qu'en son âme aride éclate une étincelle,
Qu'en lui s'épande alors la flamme universelle
Et qu'à cette lueur, il rencontre son Dieu !
REVUE DU NIVERNAIS 291
NOCTURNE
Fragment d'ElIen.
Maintenant je voudrais m'en aller loin d*ici,
Libre de tout souci, libre enfin de souci,
El dormir dans le sein du Seigneur où j*aspire.
J^ vie où je m'attarde est trop lourde vraiment
Pour que, ployant sans cesse au faix de son tourment,
Mon âme encore la désire !
Que dis-je? Il ne m'est pas demandé si, malgré
La douleur dont mon être est sans fin torturé.
Il me convient encore, il me convient de vivre.
Bien que mon cœur s'étonne et ne comprenne pas
La raison du chagrin qui le dévore, hélas !
Mon dur chemin, je dois le suivre !
Mais qui peut empêcher le cœur endolori
Qui pleure et pleure tant, de jeter un long cri
Vers la miséricorde, un long cri vers la grâce ?
Ah ! que vienne le bon Pasteur compatissant ;
Qu'il emporte avec lui son agneau gémissant
Et sur son sein béni Tembrasse !
Hendrik Gosman.
(1862).
NEIGE
Plus de vent Sous la nuit, la neige, à tout instant,
Dans Pair tombe : on dirait — blancs pétales de roses —
Qu'elle vient par pitié, dans le nuage éclose,
Pour chaudement vêtir la terre qui l'attend.
Et voici les fiocons. se berçant, voletant.
Doux et comme rêveurs, lentement, mais sans pause,
Blancs tels qu'argent, tels qu'onde écumeuse, où se pose
La lune, en un rayon rieur el tremblotant.
Neige aux pures blancheurs, comme le bras sans tache
De la vierge qui prend son soyeux voile et cache.
En l'endormant, l'enfant adopté par son cœur.
Quand ta nappe a couvert, la nuit, la terre nue,
Ton blanc reflet m'éveille el je te crois venue
Du ciel pour tempérer Thivernale rigueur.
292 REVUE DU NIVERNAIS.
Louis Couperas.
(1863).
LE LOTUS *
Sur le lac, vrai miroir d'émeraude, s'épanche
— Roses de feu — Téclat du soleil qui descend.
Sous les rayons le lotus pâle est rougissant,
Mais la fleur reste close en sa corolle blanche.
Aux baisers du zéphyr son calice se penche,
L'eau murmure au lotus son chant en le berçant,
Mais glacée, en dépit du soleil caressant,
La fleur demeure close en sa corolle blanche.
Que lui sourie enfin la lunaire clarté :
La fleur, lasse d'avoir si lonj^^temps résisté,
S'ouvre, étoile d'argent, se balance sur Tonde,
Tant que, telle une sœur éclose à son côté,
La lune ouvre dans l'eau son calice enchanté
Dont la blancheur prévaut sur tout autre à la ronde.
FLEUR DE NUIT
Dans des flocons d'ouate molle,
Flotte la lune au blanc croissant :
On croirait voir une gondole
Sur le bleu d'un fleuve glissant.
Chaque nuage a l'air d'une onde,
Que d'argent tache une lueur ;
Lys plus beaux que ceux de ce monde.
Les étoiles semblent en fleur.
Fut-ce la barque de ma vie,
0 ma belle, nous partirions.
Et dans la hauteur infinie,
Seuls, sur la mer nous voguerions.
Puis, las de tes baisers, d'entendre
L'amour sur tes lèvres jaser.
Dans mes bras je voudi-ais te prendre
Et... dans l'espace te lancer !
Traduction de ACHILLE MiLLiEN.
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Jules Pravieux, Un vieux célibataire. — Paris, Plon-Nourrit, 8, rue Garanciére,
in-ii, 3 fr. 50. ^
Nous n'avons pas à apprendre à nos lecteurs le nom ni le talent de Tauleur de ce
livre, puisque M. Jules Pravieux est un de nos plus chers collaborateurs. Le piquant
chapitre qu*il en a détaché pour notre Revue leur a donné une idée de cet ouvrage. Et
nous sommes heureux de constater que ce nouveau roman de M. Pravieux est, à notre
avis, supérieur même aux précédents dont l'Académie française a reconnu le mérite.
Voici M. Pravieux en possession de tous ses moyens. Son talent mûri se joue à mer-
veille au milieu de ce monde ecclésiastique dont il se fait le peintre habile et attitré.
Ferdinand Fabre, mort récemment, s'était taillé son petit domaine dans cette région
peu ou mal étudiée, que M. Pravieux, sans marcher sur ses traces, explore à son tour
avec bonheur. Les romans à thèse sont généralement distillateurs d'ennui : celui de
M. Pravieux, qui plaide pour le célibat des prêtres, est tout au contraire attrayant,
attichant au possible. Cest que l'argument y est caché sous une forme charmante.
L*auteur est un humoriste qui sait regarder et voir, et qui, ayant attentivement regardé
et bien vu, sait en outre exposer avec une ironie exquise le n^ultat de ses olraerva-
tions. Nivernais, mes amis, lisez donc la nouvelle œuvre de notre compatriote. Vous
y applaudirez comme moi, et y trouverez l'assurance du bel avenir littéraire qui
attend M. Jules Pravieux.
Elude tur les chanté pojoulaires de France et les chansons du Nivernais^ par
M. LuaEN Lavault. — Musique notée par M. Georges Guérin. — In-4«. — Chez
M. Ropiteau, libraire à Ne vers.
Il y a quelques années, plusieurs de nos compatriotes, — artistes, professeurs, etc.,
— fondaient un petit cercle : le Caveau Nivernais^ • qui se donnait pour but de
rechercher et d'interpréter les vieilles chansons locales ». Chacun apportant son
contingent, chacun • disant la sienne », le répertoire avait peu à peu pris certaine
importance. C*est alors que M. Lucien Lavault eut l*heureuse idée de faire imprimer
ces chansons du Caveau N^ve^'nnis. en les accompagnant d'un commentaire ; puis,
élargissant son cadre, il y fit entrer l'Etude qu'il nous présente aujourd'hui.
Nous ne saurions trop vivement engager nos lecteuis à consulter ce travail, où
M- Lavault expose clairement et exactement une question qui n'est pas toujours bien
comprise. Il ne s'agit pas d'exalter outre mesure, ni de traiter par un absolu dédain
les chansons populaires. Elles ne méritent « ni cet excès d'honneur, ni cette indi-
gnité >. 11 en est un peu d*elles comme de ces fruits savoureux dont il faut chercher
la chair sous l'enveloppe. M. Lavault fait bien sentir le charme de ces compositions,
dont un grand nombre renferment les elén:ents de tout un pot'une, d'un drame, d'une
comédie. Négligeant les complaintes merveilleuses, très rares du reste chez nous, il
passe en revue les chants tragiques, historiques, religieux ; puis les chansons afférentes
aux incidents ordinaires de la vie, l'amour joyeux ou triste, le ménage dans ses joies
ou ses peines ; ensuite, les chansons relatives aux usages, aux métiers ; enfin, les
danses. Et toujours en s'appesantissiint sur ce que ces chants possèdent de caractère
local, sur nos mœurs et nos coutumes nivernaises.
Nous n'avons pas feuilleté sans un intérêt ému, ces 52 pages in4*, dont chaque
lif^ne, pour ainsi dire, nous rappelait un souvenir précieux, celui des jeunes années
ou nous recueillions, à travers notre belle province, ces documents qu'animait encore
r&me des générations expirantes. Aujourd'hui, les « vieux », dépositaires des tradi-
tions, sont morts ; avec eux s'en sont allés ces chansons, ces contes, ces légendes qui,
pendant tant de siècles, constituèrent toute la littérature du peuple. M. Lavault eq
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-' - w--rr -sft^ AcsiULE Af ilue:«.
TABLE DES MATIÈRES
Pagei
Nouvelles, contes, légendes. — Françoise d'Husselles, Le
VUrail de ColeUe 225
Jà, 0 Divorce! 5, 33. 57, 96
Jaladon de la Barre, La BassoUe 105
Louis Mirault, Légende Morvandelle i29
— Croquis niveimais, Demi" Vieux 249
Miriam, Aux Manœuvres 177
F. Moireau, Contes à mes Enfants : Veillée de Noël 81
— — L'Abandonné 201
— — Contes de Fées 273
Jules Pravieux, Un vieux Célibataire 153
Odile Thiault, Une Ugende 217
*** La Légende de la Vieille-Montagne, à Saint-Honoré-les^
Bains 74
Archéologie locale, Etudes historiques, philologiques ou
LITTÉRAIRES. — Edouard Achard, La Cathédrale de
France par Baffier 163
Edouard Achard, Vielles et Cornemuses 211
Ed. Duminy, Un petit- fils de Corneille à Nevers 12
— La Chanté en 1189... 258
Gaston Gauthier, Un coup d'œil sur le Morvan 23
— Hiver et Famine 75
— Episode de la Fronde en Nivetmais 167
— Le tirage au sort dans la Nièvre à son
origine 194
— . Episode de la Révolution en Nivernais. . . 286
Lucien Jeny , Le projet de monument de Saint-Pierre-le-
Moûtier à Jeanne d'Arc 133
René de Lespinasse, Les Annuaires et Abnatiachs de la
Nièvre (suite) 13, 62, 92
Abbé J.-M. Meunier, Etudes sur tes noms de lieux du
Nivernais .... : 112
Paul Meunier, Mort de Casimir V, roi de Pologne., . 229, 261
Jules Parthiot, La Révolution dans le bailliage d'Amay-
U'Duc 213
L.-M Poussereau, Les Houillères de La Machine^ 24, 39,
66, 86, 121, 140, 182, 206, 254 ... . 278
Beaux-Arts. — Ed. Achard, Les Nivernais aux deux Salotis. . . . 236
André Arnould, Nos Artistes . Hippolyte Lavoignat 45
Ach. Millien, Nos Artistes : M»® Alexandrine Mathieu 91
— Le peintre Alexandre Bouché. 240
L. R., 5* Exposition de la Société artistique 54
Variétés. — Marie Chauvet, Le Graphophone 168
Victor Moussy, La Science graphologique 18
— Critique sur la Mode 187
Jà, La Mer 284
296 TilBIX DES MATIÈRES
Chronique river5aise. — Eng. Langeroo, Vire U VëMm : 72
FOLK-LORE. — Ach. MîllieQ, La Dés^jbéisumce, coote f-^pulaire
(deux versions^ 137
Poésie. — Laciea Abel, I8ô,— Alh^rte, f 10. — Henri Bâ*'h»flia
(Tristan de Lron),^:^,^^^, lHl,:i41 —IMphin^ £Hr:^>at,
65, 131, 213. — Eugénie l>sanôva, 9Ô, i'-Cj, 253. —
L. de ConrmoQt, O^X iéH, — Paul bn\ï\l^r. loi. — Eug.
Garry, 283. — Gaatron du 0>u<lray, 211, 2rj|. — Fmn-
çoise d'HusselIêîi. ^u, 277. - Lncien Jenv. 44. — Ach.
Millien, Ht. — Victor Muij>5v, [r/j, — Ed. Porée. 162,
241. —Paul Randî^fj,21H. — Fernand Ptîcbard, 11, Uj6.
— Odile Thiault, :^, 132,— Camille Val^^tle, 118. —
Jean de Villeors, 16.
Poètes castilla5S, tradaiU par Achille Millien (#iii7^>, 21X â3,
77,101 126
Poètes hoixa^dais, tradaiU par Achille Millien, 147, 170, 196,
219, 242, 267 288
Le Mois. — L. D., ^>r« ^/ PérirMqn^^, yoUê ei Echag, 31, 54,
79, 103, 128, 151, 174, 2<U, >2:J, 247, 271 ^ . . . . 293
Illustratio?cs. — Nombreux de-^-ins in^^diU (dans le texte ou hors
texte), par F. Barillet, Fernand Chainndre, Cyr Deguergue,
M"* Alexandrine Mathieu, M-^* Am^^lie Pousserean, L.-M. Pous-
sereau.
@^^èv^
tfmwt, imp. ê, VêHm%
REVUE
NIVERNAIS
REVUE
DU
NIVERNAIS
RECUEIL MENSUEL ILLUSTRÉ
Directeur: ACHILLE MILLIEN
TOME VI
1901-1902
RÉDACTION ET ADMINISTRATION:
à BEAUMONT-LA-FERRIÊRE (Nièvre)
' *r^^^^*"-
NEVERS
IMPRIMERIE DE LA NIÈVRE
24, avenue de la Gare, 24.
4901
LA BRIFFAUDE
I
A Madame Delagrange^
à Plagny.
'EST par rapport à la gamine I » J'enten-
dais la BrifFaude I
Presque tous les samedis de foire,
depuis bien des années, je la voyais
arriver s'installant à la cuisine auprès
de sa sœur en service chez nous et je
ne pouvais m'erapêcher d'aller lui sou-
haiter la bienvenue»
Totijours suivie d'une jolie petite fille, mince, délicate, toute blanche,
aux eheveux si fins qu ils avaient le toucher de la soie floche, la
Bniïnudc avait l'air d'unu gouvernante sûre accompagnant l'enfant
de ses ilki lires.
Pas très grande, un peu contrefaite, le visage éclairé par des yeux
extrêmement inlelïigenls, la bouche gaie, le nez moqueur; toujours
méliculeusetnenl propre, soignée, ordonnée, dans sa jupe de paysanne
un peu courte, son caraco noir tombant bien droit, son tablier bleu à
carreaux de villageoise venant en ville et la coiffe de Saint-Saulge, à
kjrd de dentelle, plate sur le devant de la tète, avec cinq rangs
tayaiités à la paille autour du fond de soie noire, laissant retomber
deux pattes en ruban, la Briffaude faisait plaisir à voir.
Mais qu'elle faisait plus de plaisir à entendre dans ses expressions
neuves, bien à elle, dans ses mois du terroir, francisés à sa manière,
et surtout, pardessus tout, dans sa droiture native et l'extraordinaire
délicatesse des sentiments de son cœur.
6 REVUE DU NIVERNAIS.
Elle habitait dans ce coin du pays nivernais qu'on appelle le Hor-
van, plus haut que le canton de Saint-Saulge, du côté de Château-
Chinon. Elle avait là une petite maison basse, un jardin de rapport,
un bout de pré qui nourrissait la Corbignette et deux ou trois champs
qui les faisaient vivre en y mettant sa peine, disait la Briffaude.
Jamais je ne la voyais sans que nous causions ensemble et toujours
le même thème revenait : sa fille ! Louise était si délicate...; il avait bien
fallu venir voir un médecin de Nevers ; Louise ne s'habituerait jamais
à la nourriture de la campagne, pain dur et ragoût au lard...; si elle
n'avait pas eu le lait de Corbignette, jamais elle ne se serait élevée ;
ce n'était pas étonnant ni de sa faute, elle n'était pas, bien sûr, de
Tespëce de Gaspard.
Celui qui ne donnait aucun souci à sa mère, le Gaspard en question,
était un grand gars aux pieds et aux mains carrés, aux membres trapus,
au gros cou de bélier, planté en avant, prêt à fondre, prêt à donner de
la tète.
On pouvait être tranquille sur son sort ; l'ordinaire de Saint-Saturin
lui convenait ; les assiettées de soupe n'étaient jamais assez grandes,
et pourvu qu'il eût à bêcher, à sarcler, à moissonner, à cogner, à
battre à la grange pendant l'hiver, ou à suivre les bouchures, il se
portait bien.
Depuis déjà longtemps, il n'allait plus à l'école, depuis son certificat
d'études qu'il avait pourtant fini par décrocher pour faire plaisir à sa
sœur.
« Mon pauvre Gaspard, tu me fais honte, disait la petite ; c'est fini,
tu ne me feras plus de moulins avec les noix tant que tu seras si bête >.
Et Gaspard qui se moquait des taloches de l'instituteur dans son hor-
reur pour la grammaire, ce Gaspard qui ne savait pas auparavant si
Paris était en Espagne ou en Suisse, ce Gaspard qui ne connaissait que
le patois morvandiau, dans la crainte de ne plus confectionner des
moulins avec des noix, des balles de fleurs avec les coucousdes prés, des
ronfles assourdissants avec les marrons de la place et des canons en
sureau pour une petite fille qu'il portait à bras tendu sur son poing
fermé, passait son certificat d'études, le dernier du canton, par habi-
tude de son rang scolaire, mais il le passait,
La fille de la BrifTaudè avait alors dix ans lorsqu'à mon très grand
étonnement je vis arriver la morvandelle un premier lundi d'octobre.
r
REVUE DU NIVERNAIS. 7
Je n*en revenais pas; sa mise n'était plus celle de la paysanne qui vient
en ville vendre ou acheter. Elle portait un tablier de toile blanche,
d'une propreté irréprochable, à plis marqués comme les cuisinières de
grande maison ; elle avait au bras un panier à anse, à couvercles
fermés, débordant de provisions.
— C'est pour vous dire, Madame, que je suis en service, me disait-
elle, c'est par rapport à la gamine I Je Tai mise en pension chez les
sœurs Brunistes ; elle n'avait pas la santé d'aller à Técole à deux kilo-
mètres ; elle ne mangeait pas ce que je mettais dans son petit panier
et puis...i>
— Et puis, Catherine?
— Et puis, il faut que Louise soit élevée avec les enfants de sa
condition.
Je tombais des nues : c quelle condition autre que sa mère aura totre
fille, ma brave BriSaude? Je ne veux pas vous faire de chagrin, mais
vous êtes toujours restée à la campagne et vous vous en êtes bien
trouvée... »
— Moi, j'étais forte* madame, je n'avais pas peur de la pluie, de la
neige, des sabots mouillés, des habits trempés. Gaspard est comme
moi, mais la petite n'est pas de chez nous. Elle vient du grand berceau,
du berceau de Paris où on va jeter les enfants qu'on ne veut pas élever,
comme les mères chinoises de la Propagation de la Foi ; vous me com-
prenez bien, c'est tout à fait pareil. Louise est la première que j'élève
de ces pauvres abandonnés; je ne voulais pas allçr la chercher, de
peur de trop l'aimer et j'avais bien raison. Pour commencer, quand
j'ai vu qu'elle avait un numéro pendu à son cou comme à un collier de
chien, ça m'a tourné le sang.
Sans doute c'est pour faire comme les autres que je Tai ramenée un
beau matin, il y a dix ans juste. Dans les vieilles maisons du Morvan,
tout le monde en a de ces orphelins de Paris ; on n'y a pourtant guère
d'intérêt ; les anciens disent que c'est de l'argent trouvé tous les mois ;
mais je sais bien qu'il est dépensé à l'avance, et je crois que c'est le
bon Dieu qui a mis cette idée là dans la tête des femmes de notre pays
pour qu'ils soient élevés, soignés, chantés, bercés, aimés, ces pauvres
petits que des sans-cœur de mères ont mis dans la rue pour s'en
débarrasser, se mirer plus à leur aise, et... le reste. Nous autres, les
paysannes, nous les adoptons tout à fait ; ils sont de la famille ; ils
-^ REVUE DC 5IVER5AIS.
vont à nos nocf^s et à nos baptêmes ; ils nous «lisent : c 1ère ï ; ii>
nous pleurent «piand on noos mené aa dmetière et slls meareat
avant nous, nous ne nous coos^iloos pas.
r>a moitié des servantes de Nevers est composée d'enÊmts assistée :
on ne le sait point ; ra ne se voit pas, il y a toujours une vieille
ro'tTe qui vient les r^ilamer pour l'apport, et «pii leur p^îrte un
bonjour du pays.
Et, c'est parce que je l'aime, ma tille, que j'ai ce beau tablier biaoïr.
presque pas déplié île cocher m'a dit que ça représentait mieux p<Mir
les ch^lteaux». je me suis placée aux Tourettes p^^ur payer sa peosioa;
j'étais très bonne cuisinière dans mon jeune temps. A nous tn^is. bi^n
si'ir, nous n'étions pas à pain cherché avec ma petite locature de Saint-
SatJirin ; mais il ne restait pres^jue rien au bout de l'année. Gaspard
n'a pas besoin de moi ; ma soeur trempera sa soupe ; il y a bien long-
temps que j'y réfléchissais, mon garçon me poussait toujours, mais
c'est monsieur l'inspecteur qm m'a décidée.
— Qu'est ce que monsieur l'inspecteur a bien pu faire à votre entrée
en service, Catherine?
Ia BrilTaude pleurait.
— Pardonnez-moi, madame, je ne peux pas m'empècber de pleurer
quand je suis obligée de dire que ma fille n'est pas ma fille, cela se voit
bien pourtant.
Est-ce qu'on a chez nous ces jolis petits airs de princesse, ces
mains, ces pieds, cette peau si blanche? est-ce qu'on a des manières
r/>mme Louise chez du monde comme nous? Regardez Gaspard, il ne
peut rien toucher, il casse tout, il est lourd comme nos grands bceufs
duMorvan; il n'ouvre pas les portes, il les enfonce ; il n'appelle pas
dans les champs, il corne. Mais la gamine, c'est doux, c'est gentil,
rien qu'avec ses deux bras passés autour de mon cou, elle m'emmène-
rait même à Paris ! Dieu sait pourtant ..
— Qu'a donc dit monsieur l'inspecteur pour vous décider, Catherine?
— Il est venu l'autre jour, et en voyant la petite si flnetle, si avisée,
il m'a causé...
(( — Voyez-vous, ma brave Briffaude, c'est très heureux que Louise
soit si inlelligenle, elle sera peut-être bien reconnue plus tard, par...
— Par des bourgeois, ça se voit, monsieur* l'Inspecteur.
— Par des châtelains, Catherine, et des châtelains de Paris. »
REVUE DU NIVERNAIS. 9
— Alors?...
— Alors, madame, Gaspard a dit : « Mère, tu n'as plus qu'à t'en
aller ; il ne faut pas qu'elle fasse honte si on nous la reprend )». Et je me
suis placée cuisinière, aux environs de Nevers, chez du monde que je
connais ; j'ai mis dans mon marché que je raccommoderais ma fille, le
soir, à la veillée, et je vais la voir de temps en temps, le dimanche ; ça
me donne du plaisir pour toute la semaine.
— Avez-vous bien pensé, Catherine, que, probablement, on ne
reconnaîtra pas Louise et qu'elle ne se trouvera plus bien entre son
frère et vous quand elle sortira du couvent ?
— Si on ne la reconnaît point, madame, elle entrera dans l'instruc-
tion, pas pour être institutrice dans un château, comme une domes-
tique, mais pour faire la classe dans les grandes pensions. M. l'inspec-
teur me l'a expliqué ; elle ira à Sèvres ; elle est si intelligente, elle fera
ce qu'elle voudra. Pourvu qu'on ne Id dise jamais que j'ai été la cher-
cher à Paris avant ma mort ou avant qu'on la reconnaisse ; c'est tout
ce que je demande au bon Dieu.
— On ne le lui a jamais dit?... C'est étonnant à la campagne !
— On a bien essayé ; mais il n'y a pas de danger, avec Gaspard...
Un jour, le flls d'un gros fermier, enragé de voir sa sœur toujours la
dernière et ma fille toujours la première, a appelé Louise bâtarde !
Mais mon garçon l'a à moitié assommé ; personne n'a recommencé.
II
Je n'avais pas vu Catherine depuis trois ans ; ses maîtres voyageaient,
pendant que nous étions à Nevers, lorsque j'entendis, un soir d'au-
tomne, un torrent d'explications :
— Madame n'est certainement pas couchée, il n'est pas dix heures !
criait la voix de la Briffaude ; et puis il faut que je lui parle quand
même ; je suis venue exprès des Tourelles ; c'est par rapport à la
gamine 1
Catherine était dans un état d'exaltation extraordinaire. Rouge, ruis-
selante sous la pluie de novembre, dans sa coiffe de Saint-Saulge
dégauffrée pendant de chaque côté comme des ailes mouillées, elle me
tendait une lettre décachetée. 1*
REVUE DU NIVERNAIS. ^\
Dans les circonstances les plus graves de la vie, les plus sombres
même, il y a toujours un côté comique ; Gaspard était à peindre 1 Tout
à fait mis au courant par sa mère, il croyait partir en guerre pour une
de ces expéditions moyennageuses, où chaque poche doit contenir une
arme quelconque : pierres, fronde, couteau. II avait à la main un
énorme gourdin à pointe ferrée ; d'une immense gibecière de chasse
empruntée à un braconnier sortait une faucille aiguisée qui me faisait
une peur affreuse ; enfln, complétant son armure par un grand fusil à
pierre, venu du grenier d'un vieux garde forestier ou de la guerre de Cent
ans, Gaspard donnait l'illusion complète d*un combattant du temps de
la Jacquerie ; c'était de plus en plus le bélier prêt à fondre, prêt à
donner de la tête.
Arrivé à pied de Saint-Saturin, avec son chien, un énorme chien de
montagne qu'on avait refusé à la gare de Russilly, et pour cause, il
nous avait rejoint vers le pont de la Loire. Entre les deux bras puis-
sants du faucheur et les crocs de son molosse, qui n'attendait qu'un
froncement de sourcils de son maître pour tout dévorer, nous pouvions
être tranquilles, trop tranquilles même; je n'étais pas rassurée du tout
sur les instruments de défense de Gaspard.
Nous allions tourner la route du côté de Plagny, bien après le
faubourg Saint-Antoine, et je regardais ma montre, quand une voiture
de maître fermée, conduite par un cocher irréprochable, s'arrêta à
un tapement de vitres de l'intérieur de la voiture ; un valet de pied
ouvrit la portière et une femme âgée, extrêmement distinguée, après
s'être orientée pendant quelques secondes au milieu de la route,
s'approcha lentement, mais sûrement vers Louise, debout à côté de sa
mère nourricière, en murmurant : « Oh ! qu'elle lui ressemble ! »
Sa voix tremblait ; ses yeux clairs pleuraient; les larmes s'arrêtaient
dans les rides profondes pour retomber abondantes comme d'une source
intarissable. Dans une expression indéfinissable de tendresse recon-
naissante; dans ce sourire illuminé pour une seconde, mais navré,
résigné, déjà détaché, des vieux, elle disait :
— Oh I merci, voulez-vous me permettre, Madame... Briffault,
n'est-ce pas? d'embrasser ma... votre fillette et me faire le plaisir
d'accepter ce petit souvenir, destiné à vous être agréable.
Je regardais Catherine; je ne la reconnaissais plus...; elle avait
compris ; les lèvres blanches, serrées, elle ne répondait rien. Pour la
12 REVUE DU NIVERNAIS.
première fois de sa vie, elle était jalouse, jalouse du baiser que
Louise rendait inconsciemment à la vieille dame ; sa fille n'était plus
toute à elle...; ce seul sentiment dominait malgré son grand cœur; la
voiture était loin qu'elle ne s'était pas rendu compte qu'elle avait mille
francs dans la main.
Gaspard n'avait vu qu'une chose, lui, au milieu de ses efforts inces-
sants pour empêcher son chien de se jeter à la tête des chevaux ; on
n'avait pas voulu emmener Louise ; il la ramenait à Nevers en lui
sifflant tous les airs du Morvan ; l'enfant croyait à un incident de
promenade .
J'essayais de distraire Catherine, qui me suivait, pensive, absorbée.
Avec ces mille francs, elle pourrait hausser d'un étage sa maison de
Saint-Saturin, comme elle le désirait tant et...
— Cet argent n'est pas à moi, répondait brusquement la Briffaude ;
Louise apprendra demain la musique et le dessin. Pardonnez-moi,
madame, d'avoir été mauvaise tout à l'heure; je ne sais plus où
je suis ; il faut m'attendre à tout et c'est juste ; c'est tant mieux pour
ma fille, mais je suis malade : j'ai le sang tourné !
III
Louise était devenue une jeune fille ; Catherine, qui avait servi long-
temps dans le Berri, tout près de Nohant, et qui riait des sorciers,
disait qu'elle ressemblait aux « filles blanches i de la Gâgne-aus-
Demoiselles, parce qu'elle n'avait pas l'air de poser à terre. Son éduca-
tion était terminée à Nevers, elle venait de passer son brevet supé-
rieur ; à la rentrée, elle partirait pour Lyon, afin de préparer Sèvres.
La Briffaude l'avait emmenée du couvent des Brunistes, avec dix
couronnes à son bras ; fière elle la conduisait à Saint-Saturin où elles
resteraient ensemble pendant toutes les vacances; Gaspard qui se
connaissait parfaitement en chevaux irait les chercher à Russilly, à la
station.
J'étais cette année-là en traitement à Saint-Honoré ; j'allais les voir
quelques jours après.
Le Morvan n'a pas le grandiose des Alpes et des Pyrénées ; ce n'est
point non plus le Massif Central avec ses puys, ses dômes, ses causses,
ses dents droites ainsi que des falaises, ses tuyaux d'orgue de Bort,
se8 fantômes géants de pierre, comme auprès du lac de Guéry, ses
REVUE DU NIVERNAIS. 13
énormes rochers dans lesquels les habitants eiïrayéi ont construit
la cité de Servières, mais le Morvan est quand même un délicieux
pays avec ses monts : le Beuvray et la Vieille-Montagne, ses collines
dont les bois sont célèbres, ses étangs et le réservoir des Settons, sçs
sources minérales et par dessus tout sa verdure incomparable. Ses
prés épais, touffus, plantureux, savoureux, presque uniques en France,
élèvent et nourrissent les grands bœufs de la race nivernaise à robe
noisette claire, à la queue un peu frisottée, aux boucles frisées comme
deux petites huppes de plumes vers les oreilles, aux yeux humains, qui
sont primés tous les ans au concours de Paris, et que viennent chercher
les éleveurs de la Plata pour croiser leur race.
Partie de Saint-Honoré en voiture, j'arrivais deux heures après
devant une petite maison blanche, avenante, avec ses pots de grands
géraniums fleuris aux deux fenêtres et sa vigne courant tout le long
du toit de brique ; j'étais chez la Briffaude.
Un superbe attelage avait précédé ma modeste patache et station-
nait devant la maison; j'entendais une conversation très animée;
j'entrais quand môme.
La vieille dame qui était venue voir Louise sur la route de Plagny
était là avec Pinspecteur des enfants assistés ; Gaspard, assis dans un
coin était rouge brique, de colère ou d'émotion; Catherine était décom-
posée, mais résignée ; Louise tremblait, pleurant de joie, de peine,
d'impression bouleversante, de tout. Stupéfiée, ses yeux allaient de
l'un à l'autre ; on venait de lui dire qu'elle n'était pas la fille de la
Briffaude, qu'elle allait partir !
— Combien je vous remercie, disait le fin visage encadré de cheveux
toul blancs ; vous me rendez une enfant digne de son rang et de sa
fortune; oh! que je vous remercie! Je ne pouvais pas la reprendre
auparavant ; ne me jugez point mal Sa mère avait épousé contre ma
volonté un homme indigne ; elle est morte en mettant Louise au
monde ; le père criblé de dettes, monstrueux comme tous les viveurs,
a eu vite assez d'upc enfant de quelques jours ; il l'a abandonnée au
lieu de me la confier, et...
— Jetée dans la rue comme les chinoises, murmurait presque
inconsciemment Catherine ; c'est connu dans le Morvan.
— Je l'ai cherchée depuis ce temps là, cherchée jusqu'à ce que j'aie
pu savoir à force de supplications et d'intrigues où elle était.
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REVUE DU NIVERNAIS. 15
IV
Deux ans après, je recevais une lettre timbrée de Russilly ; l'inspec-
teur, en tournée, me donnait, sur ma demande, des nouvelles détail-
lées de mes amis. Catherine avait accepté la loge de l'hôtel ; Gaspard
était premier cocher.
Je devais aller à Paris la semaine suivante. L(^ lendemain de mon
arrivée, je courais avenue des Champs-Elysées.
Un landau blasonné, attelé de deux magnifiques chevaux bais, était
dans la cour ; je reconnaissais la bonne tête de bélier dans l'impeccable
cocher galonné, qui maîtrisait si sûrement ses bêtes. Dans la loge,
meublée, cirée, disposée comme un appartement de ville, sous la coiffe
noire de Saint-Saulge, la Briffaude tricotait des bas fins comme de la
soie, qui faisaient penser à Louise. Puis, je voyais passer, rasant les
murs, comme en cachette, une petite princesse de féerie qui sonnait à
la porte cochère, tandis que la Catherine tirait le cordon, ouvrait le
guichet de la loge et j'entendais une voix perlée, que je connaissais
bien, rire aux éclats en nouant très fort ses bras autour du vieux cou de
la Morvandelle tout en répétant joyeusement :
— Allons, mère, disque tu es contente d'être à Paris, dis-le; tu
n'es pas une maman chinoise, toi, tu n'abandonnes pas ta fille;
embrasse-la.
Et puis comme je voulais tout voir, je restais pour laisser monter
grand'mère et Louise dans le beau landau et revoir la Briffaude qui,
n'y tenant plus, était venue assister au départ.
— Fais attention, disait-elle à demi-voix à Gaspard, qui semblait
très habitué à la recommandation ; fais attention à ces voitures de
sorciers sans chevaux ; c'est pas ordinaire ; ça fait peur aux bêles ! tu
sais... c'est par rapport à la gamine.
Oui, ma brave Briffaude, je l'ai racontée votre histoire, la jolie his-
toire de votre cœur, bien que vous me l'ayez défendu, et j*ai voulu
l'écrire ici pour que les vieilles coiffes de Saint-Saulge, de Châlillon,
de Corbigny, des Amognes, de tout le pays nivernais, la lisent à la
rentrée des champs, la racontent à la veillée et en prennent leur part.
Et puis, je l'ai racontée aussi parce qu'il faut bien que l'on sache
que le pays de France est toujours le pays des grands cœurs.
Françoise d'Husselles.
16 BET-.E DC 5:tiî.^a:î
\'£RS L.\ ii:?.T
Dans soQ rvve 4*er^*eî .'m*. : i*^ !:~ r'^-rr**
Où moQ oi^'ir e^î Ten i ^ i . •.-«r •*•! i^ ^^r.
Dort dans le crrrp»i.-^'i •t e- . ..ri v.-t î-^ or.-^c-*
Où la bnjnie r*r»'jrnDe en ty^i*- : eri'.^c.v.tr.
Sous les cvpr«f< Toi!»r» -l'i— ••^r. .•'---i* Uri cciif^s :
Le trouble -if; !a lif. rriji-'-f --n- -^- :.* - L-
Des tombes ou. pen'rnant *-ir tV
Se meurent en pir: inL-î -«ur .e ^our^e.. d-fâ ci«:>rt5-
L'inquiête rimeur des piaine- et fe^^ vil'e^
Est morte: et tout er;t mor. e-coT et -..avenir :
G3mme iU *onf bie»i. i. -*- i-î •'»^ f.-^';.-^. les ciorts truiqnxiles !
...Si je pouvai*^ comm^î eix r^-[i'}-er et lirTr.ir !..
Jadis, lorsque j'étiiis enfjnt. Time t^Lîoaie
Dans les mirs^es d'jr *\^ pnnfemps et d*e<poir.
J'ai vu, souvenir sombre, »^n des nu !ts dinsoranie
Suri^ir dans le mystère un ^rand tant-jme noir.
Se5 yeux caves avaient le re/ird des squelettes.
Et de sa main osseu.^e, en un bruit de :îani;lots.
Dans un rictus anier des lèvres vi». jettes.
Cynique, il soulevait la pierre des tombeaux.
Et le froid du cercueil pénétrait dans mon âme.
Et tout mon san^r fiévreux se ^^i i« ait dans mon cœur.
Et mes bras se crispaient p<»ur ciias^er l'ombre iDfàme,
Sinistre cauchemar d êpr.uvan^e et dhorreur.
...Mais depuis j'ai sondé le ^i-ulFre de la vie.
Et j'ai connu, las^é de vivre et de soullrir,
Après les pleurs d'amour, les larmes d'a^ronie ;
...Dans un rêve très doux j'ai ré^é de mourir...
...Le spectre s'est enfui... la nuit s*est étoilée ;
...Un soir de désespoir, j'ai vu vers l'Orient,
Dans la brume des pleurs, une femme voilée
Qui venait vers mou ùme (di^cure, en souriant.
P^ile sous les pàleu!*s des blancs voiles mystiques,
Elle inclinait son cœur vers mon cœur faible et seul,
F^t dans ses doi;xts tremblaient, en lueurs magnétiques,
Les flei.i's de crépuscule aux blancheurs de linceul.
...Par les soirs lourds d'aniroisse, an^roissés de silence,
Où semble se mourir le cieur las qui se fend,
r. i 1 M \'4^, louj()ui*s plus près de ma souffrance,
T^Tidro LfMiitne une mère aux plaintes d'un enfant.
Klb^ ne p,n le pas ; mais de sa lèvre close,
Ounuii' une aul>e d'espoir, son sourire béni
M'iritn \vi^ ses yeux purs où mon rêve repose,
jeux calmes, baignés de lueurs d'inûni.
REVUE DU NIVERNAIS. 17
...Quand je serai trop las de souffrir et de vivre,
Par un bleu crépuscule endormi dans la paix,
Comme l'ange divin qui console et délivre,
Elle viendra, plus tendre et douce que jamais.
Et comme descendront les ombres sépulcrales
Où planent les clartés d'un soleil immortel.
Elle abandonnera sur mon front ses mains pâles.
Fermant d'un lent baiser mes yeux clos vers le ciel...
Fernand Richard.
LORMES
LA CASCADE
Ces rocs furent usés par la bouche des flots
Qui, depuis si longtemps, mordent à leurs poitrines
Et leurs flancs sont ornés de rouilles purpurines
Qui tapissent le pied argenté des bouleaux.
Les sables amenés ont formé des flots
Où croissent vaguement quelques herbes marines.
Une douce fraîcheur pénètre nos narines...
Je t'écoute chanter, cascade, les yeux clos.
Bondis sur les rochers, hurle, mugis et tonne !
C'est bien plus grandiose et c'est moins monotone ;
Dis-moi ta symphonie en des accords épais...
Mais je veux qu'en passant, de tes éclaboussures.
Tu me mouilles ce front qui demande la paix.
Car ton onde est un baume à toutes mes blessures.
Henri Bachelin.
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REVUE DU NIVERNAIS. 19
— Tiens!... que faites-vous là, vous autres?... Comme la terre est
dure, vous allez me servir de couche.
Il grimpa sur le chêne, décrocha les pendus, en mit deux par terre
à côté l'un de l'autre :
— Bon ! voici mon matelas !
Il posa le troisième en travers sur ses compagnons :
— Toi, tu seras mon oreiller. — Puis il se coucha sur ce lit d'un
nouveau genre et s'endormit. Vers minuit, il fut réveillé par les
gémissements de l'un des pendus.
— Tu fais beaucoup de bruit, pour un mort : as-tu bientôt fini de te
lamenter? Qu'est-ce que tu veux?
— Je veux te révéler un secret pendant qu'il me reste encore un peu
de vie. Nous avons été pendus pour avoir volé les vases précieux et les
ornements de l'église voisine. Ils sont enfouis au pied d'un gros arbre
à la première croisée de chemins que tu trouveras. Je me repens de ce
que j'ai fait. Pour le repos de mon âme, va déterrer ce trésor et rap-
porte le à l'église.
Guillaume en fit la promesse et se rendit aussitôt au presbytère :
— Monsieur le curé, il s'est commis un vol dans votre église?
— Oui, et je donnerai bonne récompense à qui rapportera les objets
dérobés.
— Eh bien ! j'espère que vous les aurez aujourd'hui même. — Et il
s'éloigna.
Avant midi sonné, Guillaume était de retour au presbytère. Il avait
facilement trouvé ce qu'il cherchait : le pendu ne l'avait pas trompé.
— Monsieur le curé, j'apporte les vases et les ornements sacrés.
— Merci, mon ami. Je vais vous donner la récompense promi^^e.
— Je ne veux rien, rien qu'une de vos étoles.
— En voici une, mais n'en faites pas mauvais usage. Du reste, je ne
vous la donnerais pas si vous ne veniez de me prouver que vous êtes
un brave homme.
Guillaume remercia ol continua sa route. Il arriva, le soir, à une
auberge et demanda à loger, lui et son àne, car j'ai oublié de dire qu'il
avait un âne pour porter ses bagages.
— Nous n'avons plus de place, ni pour vous, ni pour votre bêle.
— Il faut donc coucher à la belle étoile ?
— Près d'ici, il y a bien un vieux château inhabité, mais je ne vous
^
*> IlEVUE DU NIVERNAIS
onijago pas à y aller, car on y entend^ et vous pourriez en pâlir.
— Dites-moi le chemia et j'y vas tout de suite. Je n'ai pas encore
tH>nnu la peur...
Une heure après, en pleine nuit, il installait son âne dans l'écurie
du château, et lui-même entrait dans une belle salle bien éclairée où
80 trouvait disposé, comme pour l'attendre, sur une table ronde, un
couvert pour six personnes. Devant un feu clair, fumaient plusieurs
casseroles bien garnies.
— Ah I ah I se dit Guillaume, voilà mon affaire. Je meurs de faim et
Jo n'ai pas chaud. Approchons de ce bon feu.
Lorsqu'il se fut réchauffé, il pensa à se mettre à table.
^ Je n'aime pas dtner seul .. mais voici plusieurs couverts : les
Invités viendront peut-être.
Au même instant, il se fit un grand bruit dans la cheminée et, pouf!
il en tomba un petit homme.
— Tiens ! drôle de manière de se présenter !
Un second, puis un autre arrivèrent par le même chemin, puis trois
à la fois.
— Bon î voilà la demi-douzaine... Maintenant vous allez travailler:
toi, attise le feu, et toi, apporte de Teau.
Un des derniers venus, qui était un peu plus grand que les autres
et que soutenaient deux de ses compagnons, regardait de travers
Guillaume-sans-Peur.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? lui dit-il.
— Et toi?
— Je suis chez moi.
— Eh bien ! je m'invite à souper chez loi. Allons ! à table, tous les
deux !
Le petit homme s'exécuta. Après le repas, on se mit à jouer aux
caries. Une de celles du petit homme tomba sous la table.
— Ramasse ma carte, dil-il à Guillaume.
— Ilamasse-la toi même.
— Je veux que tu la ramasses.
— El moi je ne veux pas.
l'autre se pencha et, au même instant, Guillaume lui passa au cou
tôle qu*il avait reçue du prêtre. Le petit homme ftl un soubresaut.
-- Ole-moi cola, tu me brûles !
1
"iVËVUE DV NlVEIiNAIS. 21
— Non, je ne le l'ôlerai pas, tant que tu n'auras pas promis, d'abord,
de ne pas reparaître ici, ni toi, ni ta bande.
— Je le promots.
— Ensuite, de ra'indiquer où se trouve le trésor du château...
— Ote-moi cela, je te dirai tout.
— Commence par le dire.
— Descends dans les caves. Au fond de la première, tu trouveras un
escalier qui aboutit au souterrain du trésor... Mais ôte-moi cela, tu me
brûles !
Dès que le petit homme fut délivré, il repartit par la cheminée avec
toute sa clique. Guillaume trouva le trésor et demeura dans le château,
riche et tranquille.
En passant par Paris,
Mon p'tit conte est fini.
(Conté par Anna Bernard, à BeaumontlaFerrière).
II
LA RAMÉE DANS LE CHATEAU HANTÉ
La Ramée, un vieux soldat, s'en revenait du régiment après vingt-
cinq ans de services. Il n'avait jamais eu peur. On lui disait quelque-
fois :
— La Ramée, quand te marieras-tu?
— Quand j'aurai eu peur.
— Pas de sitôt, alors I
Il cheminait à travers, une grande forêt. La nuit l'y prend ; il aper-
çoit une lumière au loin, se dirige vers ce but et arrive à la porte d'un
château. Il frappe :
— Que voulez-vous ?
— Loger, si c'est possible.
— Pas moyen : nous n'avons qu'une chambre disponible et le diable
y vient toutes les nuits.
— Cela m'est bien égal, je n'ai jamais eu peur.
— Dans ce cas, entrez.
Il soupe, puis on le conduit dans sa chambre.
— Maintenant, bonsoir, lui disent les gens du château, et prenez
garde à vous 1
REVUE DU NIVERNAIS 23
La Ramée se recoucha et dormit jusqu'au grand jour. Quand il
s'éveilla, les gens du château frappaient à sa porte en disant :
— Il est mort, à n'en pas douter.
— Non, non, répondit-il, il n'est pas mort I II est allé à la chasse
et a pris un joli gibier.
Grande fut leur surprise en trouvant le soldat bien vivant et en
reconnaissant dans le joli gibier la demoiselle du château, que le
diable avait ravie.
— La Ramée, dirent-ils, il faut l'épouser, puisque vous l'avez sauvée.
— Je ne me marierai que lorsque j'aurai eu peur.
On s'ingénia donc à lui faire peur. Le plus malin de tous eut l'idée
d'enfermer des alouettes vivantes dans un pâté qu'on servit le soir,
à dîner.
— Qui ouvrira le pâté ? dit-on.
— Pas moi.
— Ni moi non plus. Ouvre-le, La Ramée.
Au refus de tous, La Ramée l'ouvrit. Aussitôt — frrr I les alouettes
s'envolèrent dans toutes les directions et La Ramée sursauta.
— On dirait que vous avez eu peur, La Ramée.
— C'est vrai.
— Vous pouvez donc vous marier.
— Vous n'en aurez pas le démenti. Faisons la noce !
On la fit et on la fit bien.
J*ai marché sur la queue d'une souris^
Elle a fait coui coui,
Mon petit conte est fini.
(Conté par M"« Rose Mirault, à Nevers.)
M mivre.J Achille Millien.
J%r
jm
REVbE DU NIVERNAIS. 25
LA QUESTION SOUS LOUIS XIV
La justice de Saint-Pierre-le-Moûtier eut autrefois un bien mauvais
renom. S'il faut en croire un ancien dicton, répandu dans le centre de
la France, les juges de ce siège, avant de rendre leurs sentences, ne
prenaient pas toujours le temps nécessaire pour étudier sérieusement
les affaires qui leur étaient soumises, et leurs arrêts se ressentaient de
cette précipitation. Ce bailliage se distinguait aussi, disait-on, par la
manière barbare avec laquelle la question y fut longtemps appliquée
aux accusés. Voici l'événement qui donna lieu à cette seconde accusa-
tion :
En l'année 1695, Achille de Harlay, premier président du Parlement
de Paris, revenant de Vichy, s'arrêta à Saint-Pierre. Il était accom-
pagné d'un certain nombre de serviteurs, qui se trouvèrent fort embar-
rassés pour occuper leur temps pendant le séjour de leur maître. Que
pouvait offrir cette petite ville à la curiosité de gens habitués aux
merveilles de la capitale? Faute de mieux ils durent se contenter de
la visite des prisons et du local où se rendait la justice. Après leur
avoir montré les affreux cabanons dans lesquels étaient renfermés
quelques misérables condamnés, le concierge les introduisit dans la
salle où se donnait la question. Grand fut leur étonnement d'y voir
des poids c d'une grosseur énorme » que le concierge leur dit destinés
à être attachés « aux pieds et aux mains des personnes en les eslevant
environ vingt deux à vingt-trois pieds ». Celui-ci leur raconta que
depuis quelques années deux accidents épouvantables s'étaient produits
« lun d'un homme qui esloit mort dans la question, l'autre d'une
femme dont la main avoit esté séparée et arrachée de son bras par la
pesanteur des poids ».
Les serviteurs avaient été tellement émus de ce qu'ils avaient entendu,
que le jour même, ils rapportèrent ce récit au premier président. De
Harlay, soupçonnant une exagération, manda près de lui les officiers
du bailliage, qui lui confirmèrent la vérité des faits qui avaient été
racontés. Le lieutenant-général et l'assesseur criminel ajoutèrent que
le souvenir de ces deux événements leur faisait horreur. Ils compre-
naient ce que de pareils faits avaient d'atroce, mais ils n'osaient rien
innover dans la manière de procéder, aucun règlement, aucune
ordonnance ne les obligeaient à agir ainsi, c'était seulement une
20 REVUE DU NIVERNAIS.
ancienne habitude, ils n*y voulaient rien changer. Tel était le respect
de nos ancêtres pour les vieux usages. De Harlay expliqua que a la
question n'étoit qu'une instruction pour' découvrir la vérité, et non pas
pour réduire ceux qui y sont condamnez à des extrémités si grandes
et si horribles, sa forme n'étant prescritte par aucune ordonnance, i
Les officiers, ne voulant pas prendre l'initiative à ce sujet, le prièrent
de demander au Parlement qu'il leur envoyât un ordre de changement.
Peu après son retour, le 14 décembre, le premier président fit à la
grande chambre de la Tournelle l'exposé de ce qu'il avait appris et lut
une lettre des officiers de Saint-Pierre dans laquelle « ils supplioient
unanimement la Cour de changer la manière usitée jusques à présent,
dans leur siège de donner la question ». Sur quoi, conformément aux
conclusions de Chrétien-François de Lamoignon, avocat du Roi ; le
Parlement ordonna « qu'au Heu de la question dont on a usé jusques à
présent dans le bailliage de Saint-Pierre-le-Moustier, elle sera donnée
à ceux qui y seront condampnez de la manière qu'elle se donne en la
Cour, soit par extension de l'eau ou par les brodequins ». C'était encore
horrible, mais c'était un progrès.
Le récit du premier président avait été une révélation pour les
membres du Parlement. Ils en furent stupéfiés. Jamais ils n'avaient
pensé que des faits aussi afl'rcux pussent se passer sous le règne du
grand Roi. Un doute leur vint. Ce bailliage était-il le seul à employer
des procédés aussi barbares ? D'autres tribunaux avaient-ils conservé
de semblables formes d'instruction ? Le procureur du Roi écrivit à ses
substituts dans tous les sièges du ressort, pour le renseigner à ce sujet.
Hélas ! les réponses montrèrent que Saint-Pierre n'était pas une excep-
tion. Nos pères avaient fait preuve d'une imagination inventive, pour
varier leurs genres de supplices, et la plupart subsistaient encore.
A Vitry-le-François, la question ordinaire consistait à « faire coucher
le condamné sur une table, luy lier les deux poignets derrière la teste,
avec deux cordes attachées à deux anneaux, qui sont à la hauteur de
la table, le lier pareillement avec deux cordes attachées à un tourni-
'luet, ensuite de quoy Ton fait bnndor les cordes par le moyen du
lourniquel, jusqu'à ce que le condamné soit élevé en l'air et suspendu
par les pieds et les mains, et ce par trois diverses fois ». Pour la ques-
tion extraordinaire, on liait les mains du prévenu derrière le dos « et
luy ayant attaché un poids de vingt-cinq livres à chacun des deux
REVUE DU NIVERNAIS. 27
pieds, on l'élève par une corde attachée à celle qui lie les mains
jusqu'à ce qu'il soit suspendu en Tair avec les poids aux pieds, une
fois seulement, en sorte qu'il ne s'est jamais pratiqué que le condamné
ne soit demeuré perclus de ses membres ayant les os disloqués et
fracturés ».
A Blois, la question se donnait d'une manière peu différente de
celle de Vitry-le-François, elle produisait «c une si grande extension de
nerfs qu'un homme en cet estât est presque privé de sentiment », et
qu'il trépassait presque toujours le jour même ou le lendemain.
A Chartres, on devait « mettre aux pieds du condamné, une pierre
de quatre-vingt livres environ, et l'ayant attaché par les deux bras
croisés derrière le dos à un câble passé dans une poutre, l'élever en
l'air en cet état, au m:yen d'un moulinet v, et pour la question
extraordinaire, c attacher les deux bras avec des ligatures à deux bou-
cles de fer, qui sont plombées dans un gros mur, et les deux pieds à un
câble qu'on fait passer dans deux autres boucles de fer, qui tiennent à
une pierre du poids de cinq cents livres, et par le moyen d'un mou-
linet, que quatre hommes font tourner, bander le câble et le corps du
condamné jusqu'à ce qu'il ait enlevé ladite pierre de terre i.
A Orléans, il fallait « mettre un clef de fer entre les deux revers des
mains liées avec force l'une sur l'autre derrière le dos, et avec un
câble passé dans une poutre pendant au plancher, élever le condamné
à un pied de terre, ayant un poids de cent quatre vingts livres attaché
au pied droit », pour la question extraordinaire, « l'élever jusqu'au
haut du plancher, ayant un poids de deux cent cinquante livres atta-
ché au pied droit, et en cet état, lui donner une secousse en forme
d'estrapade par trois fois ».
A ce siège, de même qu'à Saint Pierre, les conseillers regrettaient
d'infliger de pareilles tortures A leur réponse, ils avaient joint un certi-
ficat de Duchesnoy, médecin du Roi, dans lequel il déclarait « avoir
vu plusieurs fois donner la question dans les prisons royales d'Or-
léans et avoir toujours remarqué que lorsque le patient estait enlevé
de terre, ayant le poids attaché aux pieds, il tombait d'abord en syn-
cope et risquait mesme de perdre la vie, en perdant la respiration ».
A Montargis, on liait a les deux pieds du condamné avec des cordes
attachées à deux solives scellées dans le muret les mains derrière le
dos, à un poteau tournant par le moyen duquel on l'élève jusqu'à ce
que les bras approchent de la tête ».
28 REVUE DU NIVERNAIS
A Saint-Dizier, on se contentait de disloquer les membres. A Baugé,
on attachait aux pieds des poids c dont on augmente la quantité à pro-
portion de l'opiniâtreté que Faccusé fait paraître pour nier la vérité ».
A Mâcon, l'effet de la question pour le prévenu était de « déboîter les
articulations des épaules, des coudes, des mains, de la jambe et du
pied, aussi il reste toujours estropié ».
On le voit dans une grande partie de la France, les modes d'instruc-
tion étaient aussi féroces qu'à Saint-Pierre. Ce n'est pas une excuse,
certes. Mais comme c'était dans celte localité qu'on avait d'abord
remarqué leur barbarie, l'odieux en est resté à ce bailliage seul.
Depuis lors, par ordre du Parlement, il fut défendu d'employer
d'autres manières de donner la question que Textension de l'eau et les
brodequins. La première manière consistait à attacher le condamné
sur une table et à lui faire absorber de force une grande quantité d'eau.
Les brodequins étaient des morceaux de bois en forme de planches
qu'on attachait des deux côtés de chaque jambe ; on liait ensuite les
jambes ensemble, puis on faisait entrer un certain nombre de coins
entre les morceaux de bois qui séparaient les jambes.
Ed. Duminy.
POETES NÉERLANDAIS (Suite)
FLAMANDS
K.-L. Ledeganck
(1805-l»i7)
LE CLAVIER
{Fragment)
Artiste, quand ta main habile
Voltijçeant sur le clavecin,
Dans son élégance mobile,
Fait des noies jaiMir Tessaim,
Sais-lu bien qu'en ton art superbe,
Ainsi qu'en un magique verbe,
S'exprime un langage enivrant
Qui nous émeut et nous enflamme,
Loin de la terre emporte Tàme
Et que, seul, notre cœur comprend ?
REVUE DU NIVERNAIS. 2Ô
Au printemps, quand je me promène,
Un beau jour, par le vaste champ;
A rheure où le soleil emmène
Son char d'or en hâte au couchant.
Le long des bords, sous la verdure.
J'entends le ruisseau qui murmure
Et serpente et s'enfuit gaîment :
Le vent d'ouest, sous l'ombre naissante.
Dans la ramure frémissante,
Jette un vague gémissement.
Ou bien la clochette lointaine
Se mêle au beuglement des bœufs ;
La tourterelle dit sa peine
Que redit l'écho langoureux ;
Ou Philomèle, orgue sonore.
Chante sans cesse, chante encore,
Ravit et charme les oiseaux
Dont le bois cache tout un monde ;
Son chant, dans la forêt profonde,
Coule, pareil aux calmes eaux.
Devant ces voix de la nature,
Quand j'écoute ces mille accents,
Montant au ciel en hymne pure.
Comme à l'autel fume l'encens.
Mon âme frémit d'une extase
Que ne peut rendre aucune phrase,
Enthousiasme surhumain
Qui là-haut m'enlève, m'enivre.
Artiste, et qu'en moi font revivre
Les cordes vibrant sous ta main î
Oui, tandis que ta main habile,
Voltigeant sur le clavecin,
Dans sou élégance mobile,
Fait des notes jaillir l'essaim.
Enfantés par ton art superbe.
Comme par un magique verbe.
Des tableaux surgissent alors,
Gais ou tristes, plaisants, horribles.
Tour à tour consolants, terribles.
Selon le rythme et les accords
30 BEVUE DU NIVERNAIS.
Prudens van Duyse
(180M859)
LA ROSE DE LA TOMBE
Sur la tombe où dormait sa mère,
Une jeune fille avait pris,
— Déjà mûre en sa pourpre fîère, —
Une rose au chaud coloris.
En se mirant, la jeune fille
La mit d'une distraite main
, A son corsage, où la fieur brille
Dans la neige, — dentelle et sein.
Ainsi parée en fiancée,
Au bal elle entra ; mais voilà
Que, soudain mourante et passée,
La rose à ses pieds s'effeuilla...
Elle pâlit, la jeune belle,
Et — supplice juste et fatal —
Pense à la tombe maternelle
Si longtemps que dure le bal.
PASTORALE
Jeune fille que mon cœur aime.
Viens t'asseoir là, près du buisson ;
Tout parle amour ; les vaches môme
En négligent leur frais gazon.
Les oiseaux chantent avec force,
Louant Dieu, le matin, aux champs ;
Je n'ai que ma flûte d'écorce.
Mais je peux répondre à leurs chants.
D'une fleur deux papillons sortent ;
Le beau couple ailé que voici !
Je n'ai pas d'ailes qui m'emportent.
Mais dois-je m'en faire souci ?
Tu me dis : As-tu de la terre?
Non, cela peut venir un jour.
Grâce à Dieu, dans une chaumière
On peut aussi rêver d'amour.
Traduction de AciULLE MltllSK.
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Série de prix provinciale, aide-mémoire. — Terrassement et transports par eau
et par chemins de fer, par Albert Pasquet, ingénieur-architecte à Cosne-sur-Loire. —
Nombreuses gravures, in-4*, Librairie polytechnique Ch. Béranger, 12 fr.
Ce volume sera d'un grand secours pour tous les constructeurs, auxquels il offre
des éléments de base et de comparaison, ainsi que des indications très diverses. La
Série de prix est suivie d'une petite Encyclopédie du bâtiment, sous forme de
dictionnaire alphabétique. Chaque terme de métier y est défini ; on y trouve des
notions de droit, des renseignements scientifîaues. le tout exposé avec simplicité et
précision. Cet ouvrage de M. Pasquet est appelé, croyons-nous, à rendre cfe grands
services.
F. Fertiault. — E. Garcin : In Memoriam, in-8", Issoire, 19(M.
Nous n'apprendrons à nos lecteurs ni le ifom ni le mérite de M. F. Fertiault, un
des doyens des lettres contemporaines et notre quasi compatriote, puisquMl est Bour-
guignon. Frappé dans ses afTections les plus vives, ayant perau sa chère com-
pagne de soixante ans, il consacre à sa mémoire ces pages émues signées de lui et
de beaucoup d*amis. Mme Julie Fertiault, écrivain de valeur, comme son mari, • a
laissé la meilleure partie d'elle-même dans une foule d'œuvres, en prose ou en vers,
marquées du signe du talent >.
Edmond Porée, Ode à Vautomne, Lille, Société d'éditions modernes, 19(H.
M. Edmond Porée, dont nos lecteurs ont pu apprécier le talent distingué, publie,
pour la joie des bibliophiles autant que des amis des vers, une délicieuse plaquette
sur japon, tirée â 100 exemplaires seulement. Les strophes brillantes de M. PonSe
méritaient ce luxe : c'est double plaisir de lire une belle poésie dans cette forme
splendidc. M. Porée se prépare a publier sous peu, sous ce titre : les Rois, un
nouveau recueil dont M. Emmanuel des ElssarLs a écrit la préface et qui obtiendra
sans nul doute le même succès que ses aînés.
Ch. Beauquier, député du Doubs, etc., La France divisée en régions. — 15 pages
in-8«, Toulouse, rue du May, 1. — 0 fr. 15,
Voici une petite brochure qui mérite sérieuse attention. Elle plaide en faveur
d'une réforme grosse de conséquences dont M. Beauquier fait ressortir les avan-
tages. L'excès de centralisation nous met, sur beaucoup de points, en état de réelle
infériorité. Avec les moyens de communication dont nous disposons , avec la
vapeur, le télégraphe, le téléphone, qui abrègent les distances, la division de la
France en grandes régions ne présente plus aucun des inconvénients qui moti-
vèrent, il y a un siècle, le morcellement en départements.
M. Beauquier fait valoir les nombreux profits, qu'à tous les points devue, le pays reti-
rerait d'un remaniement administratif. Nous regrettons de ne pouvoir qu'efQeurer
une question sur laquelle nous nous proposons de revenir. Le mieux serait de mettre
intégralement sous les yeux de nos lecteurs la substantielle brochure de M. Beau-
quier.
32 REVUE DU 51VER5AIÎ-
Le livre de notre compatriote Jules» Pravieai : lu rt^,^ Cei.hnht:.'^^ ri*, ou te 'a
critique un accTjeil qui contirme ce que noua en «liaictus «luns tu-n-f? lerrijer aamerj
M. Ernile Faguet, de 1" Académie frjn« aise, lui coosatre an miportaiit aru*.-ie -kut
nous sommes heureux de detacner les extraiLs suivants :
» M. Jules Pra vieux pnLIi2 un roman de moyenne et boniuî îorunieur intitui*^ •
Vn vieiw t^élibataire... Cesi un titre a surprise. A iire cette ensei;^e. un -yiit* lu il
va être question d'un vi^il employé a m.mies, a ridijuitrs et a peut r'^-staurant i ijni
fixe ; ou bien d'un vieux rentu-r courtise i^r -jes neveux çt exzioite par s& Douoel il
l'on s'attend à un • déjù vu » cof,.stdHr;i£te .. M. us ce nVsf pciz^t -^^Li in tcojL..
» M. Pravieux a du talent narratif et -le lespriL et mènne an*» certaine rbr:ê -loos
la peinture. <jiielqueï>-uns de s*^ p#^rsonnages sont vivmts : sca Qeros d'toori ^
Suis M. Cobicliet • le pharmacien subtil •, tpi n'est naiienitiLii tme rve*iiti*,a "î
I. Homais ; |>eut- être encore on ou deux iutres ....
» Voilà de» qualités. . J"v djoatrnu encore une très bonne Unipit? et tm stTte
soigné. Je ne crois pas avoir trouvé de fautes de fran.^ais daijs" le roiume ie
M. Pravieux, et vous ne saunez croire à «juei ^int ce ^enre de fwHectica dev^tat
rare
» ... M. Pravieux s'attache au fonds même du roman avec une per?i«tanc*e ^ ane
maîtrise du sujet qui sont encore des qualités peu communes... U est trts isteiL eiiL
11 comprend son sujtt, ce *jni, chez les romanciers, ne Laisse pus d ire laa
rare... ■
La Presse, le Cri de Pat-is, Wniven, la Quinzaine^ etc., pftri«nC sur le
ton du livre de notre collaborateur.
NOTES ET ÉCHOS
/, Nos compatriotes : sont nommés dans la Lt*^^ion d'honneur : commandenr. k
général Morio ; chevaliers, les capitaines Thévenard, du I.V d artillerie; Je^n :io-
verin, du 1«' bataillon d'artillerie à pied. — Chevalier du Mérite agricole, M. Akiis
Alexandre.
/, Sont admis à Técole navale: MM. René Lévaique (n* t); A. Pot fn»30). — Sont
class^'S : à la sortie de Técoie f>ol y technique : MM. Fr. Dondon (n"5i); Pot (t^t ;
Jouaniquf» (III) ; Jos. G>u;:not (\'2:î, ; de La Brosse ll>l).— A la sortie"dè Saint-C\r :
M.M. Defert (n* t») ; de Charrv' (88;; Fèvre llli): Truiiê de Vaucresson (i4i^;*de
Finance ('S^, ; Como\ (35;i) ; Bouvet (398| ; Frossard (410) ; de la Brosse (414».
/, M. Achille Mazeron a subi avec succès l'examen de licence es lettres.
/, Le M août a eu lieu à (iargilesseflndreX sur la maison de George Sand, La pose
d'une plaque comrnémoralive en marbre noir, otlerte par l'Académie Inncaise.
Parmi les m^-mbres du comité de cette fête li^'urail notre collaborateur Lucien Jt-ny,
dont nous liions la po<'sip : Bonnets du Bernj. leproduite dans les Annales poiittquèt
et Ut 1er air es du 1.'* septembre.
Ddmetsarle
aoteor des
lUbe
dumleur
,', La Soci(U- artistique de la Nièvre ouvre son exposition annuelle dans lessalous
de l'Orangerie.
Le Directeur-Gérant^ AcuiLLK MlLUEN.
&^^¥%^^^^^&
tttrtn, /«•#. 6. Vimr%.
LE TABELLION AMOUREUX
A M. F. Lafargue.
E soir, un tiède et beau soir de mai. Le
ciel resplendit des derniers feux du
soleil couchant qui colore de ses lueurs
rouges d'apothéose Thorizon lointain, et
blondit les choses, les paillette d'étin-
celles. La nature entière semble en fête,
inGniment suave sous les vivantes den-
telles de sa robe de verdure et de neige odorante.
Mystérieux frémissements de la terre, doux parfums des fleurs prin-
tanières, caressantes brises, poétique gazouillis des oiseaux..., tout
porte à rêver de jeunesse, d'amour, d'idéal bonheur!...
Pourtant M. Balugeon (Félix-Anatole-Symphorien), notaire à Decize
(Nièvre), tient dans ses mains sa tôte lourde de pensées, l'esprit troublé,
le cœur angoissé. Nonchalamment assis à son bureau de travail cou-
vert de paperasses et placé dans l'embrasure d'une fenêtre garnie de
stores de satin blanc en ce moment à demi-baisses, il feuillette d'un
geste paresseux des minutes de baux, mainlevées, obligations, actes
respectueux... que son regard parcourt, mais qu'il ne lit pas. A quoi
bon les tedir alors? — Il les pose sur son bureau, soupire, et... songe!
Tout à coup, il tressaille. Fiévreusement il prend une feuille de
papier et écrit — hiéroglyphe torturé, indéchiffrable :
(K TON SOURIRE !
^ Ton sourire, c'est le bouton de rose dont les lèvres s'entr'ouvrent
aux baisers de la brise... Dans ton sourire, je vois flotter mille aveux
3
34 hevle du Nivernais
discrets et mille désirs vagues... Ton sourire est une harmonie divine...
Ton sourire, mon adorée, me fait mourir d'amour I...
» Ton sourire est gracieux comme le vol de la libellule au bord da
ruisseau... Dans ton sourire, je goûte une merveille de l'ail divin et
j'évoque une vision des beautés du Paradis... Ton sourire, mon adorée,
me fait mourir d'amour !
» Quand je vois ton sourire, j'ai des visions d'artiste et des rêves de
poète. A travers ton sourire, la vérité me parait aimable et la vie
pleine d'aises... Ton sourire est un éclair qui éblouitet qui grise... Ton
sourire, mon adorée, me fait mourir d'amour I
I Ton sourire est si doux qu'il désarme la rancune la plus forte. Ton
sourire fait ma joie ou ma tristesse suivant qu*il dit Amour, ou qu'il
dit Ironie... Pensée discrète et profonde. Ton sourire, mon adorée, me
fait mourir d'amour !... s>
II est étonné de la facilité avec laquelle il écrit ; les mots viennent
se placer d'eux-mêmes pour ainsi dire au bout de sa plume. Une idée
étrange surgit de son esprit, idée qu'il accueille avec plaisir. Pourquoi
ne profiterait-il pas de cette disposition pour écrire une lettre tou-
chante, émue, où il révélerait son état d'âme à la dame de ses pensées?
Aussitôt il se met en devoir d'exécuter ce projet :
c Pardonnez, mademoiselle, oh I oui, pardonnez à un malheureux,
qui souffre trop pour se taire plus longtemps, la hardiesse et la fran-
chise qu'il a de venir, à vos genoux, comme aux pieds d'une divinité
adorable, confesser... »
Il s'arrête soudain, relit ; d'un trait nerveux qui fait crier la plume,
il biffe ces quelques lignes et écrit plus bas :
{( Vous me trouverez sans doute bien audacieux, mademoiselle ; mais
je ne puis plus taire l'aveu qui brûle mon cœur et qu'une crainte insor-
ïuontable m'empêche... »
Nouvelles balafres.
Avec la trace des hésitations, des scrupules, la même formule revient
toujours. Seulement son écriture est de plus en plus fiévreuse, à peme
formée à la fin de la phrase, où l'on sent un frémissement énervé ou
douloureux dans la main qui tient la plume. Puis dépité, il froisse la
ftHiille, la jette, se dresse et se met à arpenter la chambre d'un pas
nerveux et inquiet.
Abattu, désemparé, il se demande s'il est le jouet d'un affreux eau-
REVUE DU MVERNAIS. 35
chemar, ou.si réellement Angèle, Angèle qu'il aime tant, le dédaigne,
se raille de sa tendresse.
Est-ce possible ?
Certes, il n'a rien de commun avec un homme de salon, un poseur
comme les jeunes désœuvrés qui font la cour à son Adorée : fats
imbéciles qui n'ont d'esprit que par leur tailleur ou leur jockey, mais
à la bourse bien garnie.
Lui, est un modeste travailleur, un pauvre amant sincèrement épris.
Il n'a qu'un désir : se reposer de ses labeurs quotidiens aux pieds de
l'Aimée, doucement bercé par ses caresses enivrantes.
Ce rêve, oh! combien souvent il l'a vécu, choyé! Mais doit-il
jamais en voir la réalisation?...
Pour la conquérir, pour être aimé d*elle, pouvoir lui consacrer sa
vie, de quels dévouements, de quelle abnégation n'est-il pas capable?...
Elle n'aime personne... de cela, il croit être sûr. Mais finira-t-elle
un jour par voir l'ardente tendresse dont elle est l'objet de sa part?
Est-il possible, lorsqu'elle le verra, qu'elle n'en soit pas touchée?...
Il le pense ; il en est persuadé. Parfois, cependant, le doute déchire
son cœur, le fait saigner. Le doute ! — Ah ! fou le pédant philosophe
qui a prétendu qu'il est un moelleux oreiller I Non, rien n'est plus
cruel, plus torturant, même pas la plus horrible vérité !...
Et il souhaite et redoute en même temps un hasard qui les mette
en présence, seul à seule , libres de se parler franchement. Cette
entrevue — entrevue loyale et honnête, oh ! certes — il peut la
rechercher, la provoquer. Mais cette chose qui semble si facile, à y
réfléchir, l'effraie encore. Comment l'aborder, l'Aimée? Aujourd'hui,
les convenances passent avant tout le reste!... Et que lui dire? Le
romanesque touche de si près le ridicule I...
Absorbé dans ces profondqs pensées, M« Balugeon n'entend pas que
l'on frappe à la porte de son cabinet de travail. Sa mère entre. C'est
une femme de quarante-cinq ans environ, qui, en dépit de l'âge et de
ses cheveux griionnants, est encore svelte et belle.
A l'aspect triste, songeur, inquiet, de son fils, ses lèvres palpitent,
ses yeux se rembrunissent, ses yeux clairs qu'un large cercle de bistre
rend encore plus clairs.
— Qu'as-tu ? murmure-t-elle.
M« Balugeon, surpris, rougit un tantinet, puis entoure calinement
le cou de sa mère de ses deux bras robustes.
I
£J^ - l
^
REVUE DU NIVERNAIS. 37
Du sommet du monticule, près des ruines croulantes de l'ancien
cbâteau-fort, la vue est superbe. Au loin, à Test, une chaîne de col-
lines se détache en ondulations bleues et vaporeuses : le Morvan. Au
nord, de légers mamelons dont les sommets sont ourlés de bois au
feuillage sombre et aux pieds desquels se dresse, blotti dans la ver-
dure, le village de Saint-Léger-des-Vignes, jadis vignoble, aujour-^
d*hui industriel. Au bas de ce village, fuyant dans la direction de
Touest, la Loire, large et superbe, pleine d'une onde fugitive qui coule
en murmurant le long des rives sinueuses, avec, çà et là, des îles
pleines d*arbustes rabougris, broussailleux, enserrées dans les méandres
du fleuve. Au midi, c'est la plaine, plaine tantôt stérile, tantôt fertile,
que strient des prés, des champs et, à mi-horizon, des bois.
Le pays est riche, les prairies renommées et les terres assez
fécondes. A quelques kilomètres au nord de Decize, à La Machine,
existent des gisements de houille. A Saint-Léger, on fabrique du plâtre,
des bouteilles ; on exploite des mines de kaolin.
Aussi à Decize est-il plusieurs études de notaire. Mais la meilleure,
celle qui fait le plus d'affaires et les affaires les plus brillantes, est,
sans conteste, celle de M<» Balugeon, ancien principal clerc et successeur
de M« Dobinet (Patrice-Isidore).
Au physique, M« Balugeon est ce qu'on appelle un bel homme :
Il est bien « un fils de la vieille Gaule,
Tombante moustache et robuste épaule,
TaiUe de géant et folle toison
Aveodes reflets de blonde moisson... »(i)
Le feu de l'intelligence brille dans ses yeux ; mais il est paralysé par
un peu de timidité qui le fait paraître gauche. Aussi la conscience de
sa gaucherie, la crainte des sarcasmes que sa nature susceptible lui fait
redouter à chaque instant, le rendent défiant vis à vis de lui-même et
du monde.
Une personne a capté les bonnes grâces de ce cœur timide, renfer-
mant des trésors de tendresses qui ne demandaient qu'à se donner :
M"« Angéle-^Alexine-Denise Lameulière.
Orpheline depuis son plus bas âge, M»« Angèle a été élevée par sa
grand'mère, M*»' veuve Mélanie Darbourse. (D'aucuns — des mauvaises
(1) En Morvan, poésies par l'abbé Félix Ciiaventon, curé de Blismes (Nièvre).
lavLtt Dl >iiVi:i>.,,K
•iiH itlC i^Ml .r^ •-»-.-, •
- '*' *^».
REVCE DU NIVERNAIS. 39
Mystère!...
Mais elle est femme après tout. Alors rien d'étonnant — pour tout
autre, il est vrai, que vous, beau Tabellion — qu'elle ait de la femme
les inconstances et les caprices !...
(A suivre,) Ja
L'HEURE BRÈVE
Et toujours au bonheur il manque quelque chose.
Tantôt c'est un parfum — tantôt un mot moins doux,
Un air malicieux — un toi — qu'on change en vous I . . .
Et que dirais-je encor — quand un rien indispose,
Que sur nos fronts jamais le repos ne se po^,
Que l'esprit inquiet, parfois avec courroux,
Cherche de noirs chagrins qui n'atteindront que nous :
Douleur que l'on maudit et dont on est la cause !
Hélas ! c'est donc la vie, et l'homme pour souffrir
A-t-il ainsi besoin vraiment de se nourrir
De la sombre amertume après l'instant du rêve ?
Ne serait-il pas mieux de se donner la main,
D'aplanir sous nos pas les ronces du chemin,
De vivre pour s'aimer — pendant cette heure brève!
Eugénie Casanova.
MUSETTE
Qui n'a pas vu la rivière de la Cure ne connaît point Musette, la gen-
tille amoureuse qui jette sa gaieté à tous les coins de la vie. Elle a vingt
ans vers Chastellux, Saint- André; elle en a trente ou quarante dans
la plaine de Vézelay, toujours belle, souriante comme celles qui furent
ardemment aimées.
Elle est si gracieuse qu'on a accumulé sur sa route tout ce qui pou-
vait lui faire trouver le temps moins long : collines abruptes couvertes
de genêts, de bruyères ; vieux rochers gris garnis de mousse usée; gros
arbres noueux, antiques comme le monde, qui radotent des histoires
inconnues; grasses prairies où paissent les bœufs du Morvan; bois épais
parcourus par les bûcherons, et d'où sort quelquefois la fumée bleue
40 REVUE DU NIVERNAIS.
d'un feu de charbonnier. Voyez quel beau viaduc on lui a constniit,
elle en est toute fière ; pour le traverser elle retrousse sa jupe, décrit
une grande courbe, l'admire à loisir ; passée, elle se retourne encore
une fois et va, joyeuse, enchantant sur les cailloux. Autre part, elle
aperçoit dans un énorme massif de verdure un imposant châteaa avec
de hautes tourelles féodales ; les vaguelettes se haussent pour mieux
voir, murmurent, bavardent : c'est le plus délicieux des babillages.
Qu'elle est gentiment coquette avec son teint doré de femme passion-
née ; elle se laisse si naïvement admirer et tolère si bien les caresses !
Mais quelle terrible amoureuse ! Je connais un rocher qui est des
favoris ; gris, avec de beaux reflets jaunes ; elle se précipite sur lui,
l'embrasse, l'enlace, l'étreint en poussant un long rugissement que
répercutent les échos. Oh! les belles moires violemment retroussées en
grosses fanfreluches de jupons, les transparentes batistes, les linons
légers tourbillonnant, s'emmêlant dans un jaillissement de petits et de
gros diamants ; les colliers sont brisés et leurs perles dérivent en longs
chapelets. Encore toute frémissante, elle retourne, rôde, écume et
bave sur le rocher impassible auquel une cassure imprime un sourire
comme en ont les dépravés d'amour.
Elle a aussi des unions mystérieuses sous les arbres ombrageant la
rive dans les délicieuses retraites que discrètement le lierre recouvre,
les rosiers sauvages défendent. Elle semble en sortir épuisée, se laisse
égratigner avec joie par les épines ou, marchant lentement, chante; et
la vallée écoute en silence l'hymne grave des eaux, d'or brun sous le
soleil, roulant majestueusement.
Elle ne reste pas longtemps sérieuse. Quelque peu gavroche aussi,
elle passe au pied des fiers, des imposants, des orgueilleux qui croient
soutenir le monde. Sans en avoir l'air, elle les entame peu à peu et un
beau jour, en se jouant, elle leur fait un croc en jambe, pflon ! ils dis-
paraissent.
Nonchalamment elle se roule sur le sable ou, là, doucement, polit la
pierre en formes voluptueuses, et s'y allonge pour la caresser plus ten-
drement, ici la brise en arêtes aiguës où elle se déchirera.
Voyez ce chêne. II est né trop loin. du bord ; depuis des siècles il est
amoureux de la rivière, le malheureux ! Vieillard séniie, il envoie, il
étend ses rameaux comme des tentacules pour la caresser sans pouvoir
y parvenir, jaloux des brins d'herbe qui y trempent leur long triangle
hëvue du NIVKUNâIS. il
vert. Mais malheur à celui qui veut connaître cette sirène et qui ne
sait pas lui résister! Dans ses jours de colère elle prend sa grosse voix,
rugit, est formidable. Elle s'élance sur l'audacieux, l'entoure, l'enlace.
Il est emporté, roulé, fracassé sur les pierres, lancé sur le rocher où il
blanchira sous le soleil, entendant le chant de celle pour qui il a tout
perdu et qu'il ne voit pas, ou jeté dans un massif qu'il sentira tressaillir
sous les caresses de la maltresse qu'il n'aura plus.
Avec quelle impatience elle essaie d'échapper à Tétreinte de ceux
qu'elle n'aime pas. Elle se tord dans les étroits chenaux qu'elle gri-
gnote, furieuse comme une femme enlacée se débat et mord les mains
robustes qui la tiennent.
Quand elle est forcée de rester dans les coins, quand, les gros rochers
l'entourant, elle ne peut plus passer, elle prend de suite un air maus-
sade, rechigné, elle boude, mais elle a l'œil ouvert, si elle peut échap-
per, elle glisse, puis bondit, libre !
Elle passe avec dédain contre les vieilles pierres moussues dont
quelques unes sont couvertes de lianes, de ronces, et qui se placent si
lourdement sur son chemin. Elle s'en éloigne bien vite et va aux beaux
petits amoureux bien jolis, bien jolis qu'elle aime tant. Souvent elle se
précipite sur eux avec frénésie, les entoure, les absorbe, les quitte,
rebondit, écume. A regret, elle s'en va, épuisée, ondule voluptueuse-
ment; d'autre fois, brusque, elle les recouvre de sa jupe, d'un fouillis
des dentelles les plus fines et se sauve en riant, puis gazouille des his-
toires drôles aux galets.
Pour l'oiseau qui passe, pour le voyageur déchiré par les buissons
du bois, retentit sa chanson claire. A tous, elle est bonne, elle offre sa
caresse rafraîchissante, jette la gaieté, le bonheur de vivre.
Puis, peu à peu elle s'assagit, va gravement, parcourt la route la
plus commode, la plus facile, évitant les fatigues inutiles, illuminant
tout de sa gracieuse poésie. Elle passe en silence à Saint-Père, pour ne
pas troubler Vézelay qui agonise sur son rocher, jette un coup d'œil
à la Cote-de-Chaux qu'un jour elle s'amusa à percer, puis largement,
calmement, va porter à l'Yonne ses eaux toujours blondes qui donnè-
rent tant de joie sur leur chemin.
Louis Taverna
Ghastellux, 26 seprembre 1901.
(Reproduction interdite)
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REVUE fiU NlVEnNAIS. 43
SILÈNES ET MYOSOTIS
A Mary,
T'en 8oaviens-tu — dis-moi? — quand, dans le vert bocage,
Nous cueillions tous les deux, sous son dôme enchanteur,
Le bleu myosotis, pour mettre à ton corsage,
El la frêle silène à la rose couleur.
Le soufQe des autans, loin d'éteindre la flamme
De Tamour si profond qui brûlait en mon cœur,
L'a fait se propager, m'embrasant toute l'âme....
— Les fleurs du renouveau portent toujours bonheur !
Gautron du Coudray.
6e EXPOSITION DE LA SOCIÉTÉ ARTISTIQUE
A défaut d'un local mieux aménagé, mieux éclairé, la Société artis-
tique de la Nièvre doit se contenter, pour son exposition annuelle, des
salies de l'Orangerie, mises gracieusement à sa disposition par les
membres du Cercle.
Pour la sixième fois, elle a convié les artistes qui, par plus de deux
cents numéros, ont répondu à son appel. Tous les Nivernais devraient
y être représentés ; il est regrettable de constater bien des absences.
Mais toujours fidèles, nous retrouvons bon nombre de nos compatriotes
et des meilleurs : Urbain Bourgeois, Pail, Monteignier, Martin des
Amoignes, Mme Martin, Garcemenl, Merlin, Mûri, Mlle Mathieu, nous
offrent comme à l'ordinaire, des envois remarquables à divers titres et
nous ne pourrions que répéter ce que nous avons déjà dit souvent du
talent sûr et apprécié de ces bons artistes. De même quels éloges
siérait-il de décerner à des maîtres tels que Emile Breton, Isenbart,
etc.?
De l'extérieur nous sont venus d'excellents envois signés Bourgogne,
Paul Liot, Darien, Bauré, Nobillet, Truchet, Nozal, Bernet,
Delaistre, Didier-Pouget, Yan'Dargent, Gide, Mme Faux-Froidure,
Amédée Rosier, Zwiller, Marché, etc., sur lesquels nous ne pouvons
pas nous étendre. Et comment donner un compte rendu détaillé, dans
l'espace restreint qui nous est accordé, des tableaux et dessins de tous
nos artistes nivemais, parmi lesquels nous citons au hasard ceux de
MM. Barillet, Carouzat (un excellent dessin à la plume). Clair, Gau-
f%lf^
- ^ ()•••-
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^ -ttf
JIEVUE DU NIVERNAIS. 45
LES BOUVIERS MORVANDEAUX
DANS LE DECIZOIS
L^exploilation des bois occupe, en Nivernais, un grand nombre
d'ouvriers. Sans parler des bûcherons et des charbonniers — dont la
vie offre un si intéressant sujet d'étude — nous allons essayer de
décrire l'existence des bouviers morvandeaux qui, chaque année,
abandonnent leurs montagnes pour venir faire des charrois aux envi-
rons de Decize.
Ces travailleurs nomades, au parler peu intelligible, présentaient
jadis un type original et très curieux, dont les bouviers actuels ne
nous donnent qu'une faible idée. Etudions cependant ces derniers
avant qu*il$ ne subissent, eux aussi, de nouvelles transformations.
Au physique, ce sont généralement des hommes trapus, aux épaules
robustes et d'une santé florissante. Coiffés d'un chapeau noir à larges
bords et chaussés de gros sabots, vêtus d'un pantalon de velours et
d'un gilet noir à manches qui dissimule presque entièrement leur
chemise de couleur, on les voit, Taiguillon sur l'épaule et la pipe à la
bouche, suivre lentement leurs lourds chariots attelés de bœufs amai-
gris par la fatigue.
De temps en temps, les bouviers piquent leurs animaux en les appe-
lant par leur nom (car chacun a le sien : Chavoty Corinne Frisé,
Rasêignof), et leur geste est souvent accompagné d'un juron retentis-
sant (toundre mé breuU !) qui fait hâter le pas à l'attelage.
Quelquefois, ils tirent avec précaution de leur poche la dernière
lettre du pays qui leur donne des nouvelles de la famille et du
R bestiau ». Après une lecture laborieuse, — et suivant en cela une
coutame touchante ou une superstition locale, — ils portent à leurs
lèvres la feuille de papier avant de la remettre dans l'enveloppe ; puis,
poursuivant leur marche automatique^ le regard vague, ils réfléchissent
pendant longtemps, dans leur esprit simple et naïf, aux affaires de
là-has.
C'est généralement à l'approche du printemps que ces hommes
laborieux arrivent dans le Decizois ; ils cherchent dans le voisinage de
la coupe, dont ils doivent transporter les produits, une maison hospi-
y^ - '^'
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REVUE 0U NlVfiUNAlS. 47
Au bois, sous les branches qui mouillent,
— Il* pleuvait fort, — ils s'agenouillent.
Tous deux, au pied d'un haut talus...
Car de leur bourg la cloche sonne,
Là, sans faire tort à personne,
Cachés, ils disent rÂngelus !
— Pourquoi vous cacher de la sorte ?
Leur dis-je, moi taquin, farceur ;
Du ciel vous vous fermez la porte...
— Ce n'est pas vrai, triste censeur.
La prière, qui nous rachète,
Peut s'élever de sa cachette,
Jusqu'au Zénith éblouissant ;
Même plus haut, dans l'Empyrée,
Elle peut bien être admirée
Des Séraphins, du Tout-Puissant.
— Votre prière I elle est bien courte.
Leur dis-je enfin. — C'est l'Angelus,
Eh I nous croyons que Dieu l'écoute,
Car elle invoque ses Elus.
Ouvriers et pauvrets, en somme,
Nous cachant, nous faisons Taumône...
Jésus a dit que c'est meilleur.
~ Cela me semble un peu bizarre...
— N'importe I On croit comme Lazare...
Priez aussi, mécliant railleur...
Bien répondu 1 dis-je en moi-même.
Puis je les quittai tout confus.
Disant : ô bretons ! Dieu vous aime !
Dirai-je aussi, moi, l'Angelus !
En Nivernais comme en Bretagne,
En ville comme à la campagne,
L'Angelus sonne haut pour nous.
On doit le dire, sans vergogne,
Sans interrompre sa besogne ;
Même sans se mettre à genoux.
Pieux breton 1 chaste bretonne 1
Voilà longten>ps que je les vis
Prier la Vierge, la Madone,
Par trois Ave du cœur suivis !
0 souvenir ! ô destinées !..,
Voilà, de ça, quarante années...
48 REVU£ DUMVERf^AlS.
Croyants, que sont-ils devenus...
Moins dévot qu'eux, je me reproche
D'oublier quand sonne ma cloche,
De dire, comme eux, 1* Angélus !
Pourtant, la cloche m'en impose.
Depuis qu'elle a tinté les glas
De mon épouse, qui repose
Sous une froide pierre, hélas !!
A j^rier rarement j'excelle ;
Pourtant, je dois prier pour elle,
Ne pouvant l'oublier jamais !
Et pour prière, je lui donne
Mes Angélus, que je fredonne
Dans mes chants, fruit du Nivernais !
Limon, septembre i9(M. EUG. Garry.
CjHANGEONS D'MAIRE
A mon ami Eugène Croche,
La messe venait de finir. Des femmes, vêtues de caracos aux manches
bordées de velours noir, et coiffées de canettes blanches garnies de
denteUes, sortaient de TégUse en faisant de courtes génuflexions et de
grands signes de croix.
Les hommes s'arrêtaient par petits groupes et causaient bruyam-
ment. Chacun de leurs mouvements faisait luire au soleil les boutons
de leur blouse bleue, ces innombrables petits boutons nacrés qui se
touchent tous, qui envahissent jusqu'aux poches et qui sont, dans nos
campagnes, l'ornement recherché des blouses de cérémonie.
Sur les marches de l'église, encombrant la porte, comme s'ils
n'avaient pu attendre d'être sortis complètement pour commencer
leur entretien, quelques hommes se tenaient immobiles, les jambes
écartées, les bras ballants^ dans cette attitude de repos familière aux
gens qui passent leur vie à s'acharner contre la terre.
Le plus jeune du groupe était un grand maigre, avec des cheveux
jaunes. Pendant trois ans, il avait séjourné à Paris, servant comme
valet de chambre dans une grande famille. A sa rentrée au village, il
avait épaté tout le monde par ses allures et l'on ne jurait plus mainte-
nant que par Laurent Pajot.
— Laurent Pajot, un beau garçon ! soupiraient les filles.
^ Le p'tit Pajot, un pus malin qu'nous ! clamaient les vieux.
REVUE OU NIVERNAIS. 49
Et Laurent Pajot savait bien ce qu'on disait de lui. Il se rengorgeait :
Laurent Pajot, le Parisien !
En ce moment, il tapotait familièrement sur le ventre d'un petit
vieux qui ricanait toujours :
— Vos blés sont-ils rentrés, père Majolin ?
— Voui ! rentrés, ben sûr ! Que qu'te veux donc rentrer d'une paré
mouillance. Les bœufs pataugeont dans la bouasse et les chayots
embourbont jusqu'au moyeu. Pas moyen d'déracher; d'ia puie, d'ia
puie et pis tout Ttemps.
— Faurait du sec, dit le gros Ratou, l'aubergiste, qui ne contrariait
jamais le père Majolin auquel il devait cent écus.
— De vrai qu'faurait du sec! ajoutèrent les autres.
— Vous n'êtes jamais contents, vous, reprit Pajot, quand il pleut,
vous voulez le beau temps ; quand il fait beau, vous demandez la
pluie.
— P'tit Pajot, répondit le père Majolin, toué, t'es un gas fùté, l'es
pus savant qu'nous et t'as d'meuré à Paris ousqu'on s'barrasse ben
qu'ça faye beau ou ch'ti ; s'ment, nous, qu'on est des vielles bëtes, ça
nous tracasse, le temps, mais j'vas t'dire, c'est par rapport à la
moisson.
La porte de l'église s'ouvrit de nouveau. Les paysans s'effacèrent
pour laisser passer quelques personnes qu'ils saluèrent avec respect.
C'était M. Boursier, un gros propriétaire, maire de la commune,
accompagné de sa femme et de ses enfants.
Monsieur Boursier alla conduire sa famille jusqu'à la voiture qui
devait l'emmener au château, et revint ensuite auprès des groupes,
distribuant à tous poignées de main et bonnes paroles :
— Comment ça va chez vous, père Majolin ?
— Pas trop l)en^ mossieu Uoiirsîer, rapport aux blés qu'sont pas
reolrês. Que vHez vous, d1a puie, d1a pute et pis tout l'temps.
— Fairait du sec, dit Halou.
— Quasiment oui, ajouta Gonssiii, rêpicier.
Et ternaire, s'adressant à un autro, un petit grassouillet qui n'avait
point de boutons blancs à sa t)]ousOi lui demanda :
— Et toi, Dujon, nous app^»rlrs-lu de fueilleures nouvelles?
— >'enni;j'ai encore perdu uue vacke a c'te semaine. C'est la cocotte
que sYourre comme ça su rbétail ; ça te tint dans les pattes, pis sous
la langue ; s n'peut ni marctier ni manger ; a creuve.
50 nevuE do Nivernais
— Et ta petite fille, va-t-elle mieux ?
— Toujours du même...
-^ Fais venir le médecin !
— Oui da ! Vous crayez qu'sagit que d'faire venir ; faut payer itou.
Y a déjà trois visites de vétérinaire pour la vache, si fallait avec ça le
médecin pour la p'tite, j'en sortirais jamais de c'te misère.
— Fais le venir, je paierai la note.
Et sur cette promesse, H. Boursier abandonna le groupe pour
un autre groupe.
Quand il se fut éloigné, Laurent Pajot, qui n'avait rien dit, se croisa
les bras sur la poitrine et fixa les paysans :
— Je ne comprends pas, dit-il, que vous soyez soumis à ce tyran-
neau.
— J'sons point soumis, dit Majolin, on y rend sa politesse.
— Damel a cause volontiers au monde, ajouta Ratou, pour sûr a
n'est point fier.
— Tout ça, c'est pour cacher son jeu, continua Pajot, c'est pour
vous amadouer, pour vous dorer la pilule. Il est maire, il en profite : .
il fait faire à la commune des dépenses qui n'ont d'utilité pour per-
sonne sinon pour lui. Cette route qu'il a fait construire, à quoi sert-
elle, je vous le demande ?... Hein, là ! à quoi ?... Eh bien ! regardez
donc à quoi elle sert !
Et son bras allongé indiquait une longue avenue qui conduisait
directement au château du maire dont on apercevait les flèches par
dessus le petit bois de sapins. Sur cette route roulait une superbe voi-
ture à deux chevaux dans laquelle la famille Boursier avait pris place,
tout à l'heure, devant l'église.
— Hein là ! voyez-vous à qui elle sert ? Est-ce à vous ou bien à lui ?
Et qui donc l'a payée? Est-ce lui ou bien vous?
Et Pajot, constatant que son discours produisait de l'efl'et, conclut
sournoisement :
— Faudrait voir à changer de maire..., dans votre intérêt, naturelle-
ment!
Les paysans, à demi convaincus, fixaient sur Pajot leurs petits yeux
mobiles, exprimant tour à tour la surprise, l'admiration, la crainte,
Tespoir....
— C'est p't'être vrai ; mais l'quel donc qu'on y mettrait à la place à
Boursier, dit Majolin.
REVUE DU NIVERNAIS 51
Et tandis que Ratou réfléchissait, Dujon offrit :
— Pardié, yé raossieu Baudot , un qu'est ben aussi capable que
Boursier ; s'ment a s'pourte pas ; v'ià le chiendent, a s'pourte pas. J'y
ai dit Taur jour : Mossieu Baudot, vous s*rins maire si vous v'iins,
d'autant pus qu'vous vourins pas affréter la commune, vous qu'êtes
riche ; s'ment vous s'pourtez pas, c'est l'guignon. J'vous y dit bra-
ment, moue ; si vous s'étins pourté, vous s'rins sortu, là, comme on
dit quéque fois, rubis su' l'ongle.
Furieux de voir que lorsqu'il s'agirait sérieusement de remplacer
le maire, on songerait encore à un autre plutôt qu'à lui, Pajot ne
voulut pas plaider en faveur de M. Baudot, bien qu'il fut l'ennemi de
M* Boursier,
— Remplacer Coursier par Baudot, dit-îl, cVst reculer pour mieux
sauter. Encore im riclie, celui-là, et sll ust rictie, eVsl parce qu'il a
gruçé le pauvre monde, et il le grugera jusqu'à la lin. D'ailleurs, on
dît qui! écorcherait Lien un pou pour en avoir la peau. Après tout, si
(;a vous plait d'être écorcliés..,
— Eh ben, comme ça, rquel que t'y mettrais donc, toué, à la place
i Boursier.
Pajot n'était pas assez maladroit pour poser luî-méme sa candida-
ture; il voulait simplement la préparer de loin.
— Les élections ne se font pas demain , répondit- il ; nous ne
sommes pas pressés. En atteurhnt, je voudrais voir que vous ne soyez
pas soumis au maire; je voudrais voir que, dans Igs réunions du
conseil municipal , Boursier ne vienne pas imposer sa volonté, sans
aucune contradiction de voire part.
— Mais toué qu'es conseiller, tout coume nouSj pourquoué donc
que t'ii fais pas d'ia résistance?
— Tiens î cette idée ! je serais seul à prolestcr pendant que vous
seriez: là, vous autres, avec des airs scandalisés. Cependant, si vous
me promettez d'être de mon avis, je vous jure que je lui riverai son
cloUf au maire, la prochaine fois.
— Entendu, pHil Pajot, t'es un malin, toué, tins... Eh là ! la com-
pagnie, si on allait pren're un verre chez Ralou. Gré bon sang, qu 'j'ai
Tgosier sec!
Et Dujon entraîna le groupe chez Ratou.
Jans nos campagnes, comme dans nos villes, il se trouve toujours
^
52 REVUE DU NIVERNAIS.
de bons amis qui ne cherchent d'autre occasion de nous être agréables
que de rapporter les méchants propos débités sur notre compte. Aussi,
une heure plus tard, M. Boursier connaissait, dans tous ses détails, la
conversation que Pajot venait d'avoir avec ses amis, et, comme il
n'était ni béte, ni méchant, il résolut d'en tirer une petite vengeance,
bien innocente.
Les circonstances le favorisaient. Il avait reçu de la préfecture
Tordre de réunir son conseil en session extraordinaire pour régler une
affaire qui nécessitait un arrangement immédiat. Il convoqua donc ses
conseillers et, après leur avoir expliqué ce dont il s'agissait, il leur dit :
— Vous me voyez perplexe, messieurs; le préfet me prend au
dépourvu ; je n'ai pas étudié la question et j'attends que vous vouliez
bien m'aider de vos lu^iières.
Pour Pajot, c'était vexant : il venait faire de l'opposition et voilà que
le maire se soumettait, se déclarait incapable, avant même qu'il eût
ouvert la bouche. Ça n'arrivait qu'à lui, ces choses-là.
Les paroles de H. Boursier avaient étonné. Personne ne disait rien,
mais les regards ne quittaient pas le Parisien, parce qu'à défaut du
maire, c'était de lui qu'on attendait l'impulsion. Mais, lui aussi se
taisait.
Soudain, M. Boursier eut une cruauté : il s'adressa directement à
l'ancien valet de chambre :
— Eh bien ! dit-il, vous, jeune homme, qui avez des connaissances
variées, ne pourriez-vous nous tirer d'embarras dans cette circons-
tance.
Pajot ne broncha pas. Tout le conseil était là, ébahi, interrogeant
du regard, la bouche béatement ouverte comme pour crier :
— Eh ben ! quoué, parle donc, p'tit Pajot, toué qu'es malin.
Et les rides du menton rasé de tous ces vieux paysans qui ne savaient
rien que labourer, rien que semer, rien que faire produire la terre, —
science immense et noble, — toutes ces vieilles rides étaient là, sous la
bouche ouverte, pour souligner ces mots d'ironie :
— Mais parle donc, Pajot, puisque t'es pus malin qu'nous.
La leçon avait profité. Tout le monde avait compris. Sans insister
davantage, le maire, avec une simplicité étonnante, une clarté mer*
veilleuse, une logique inattaquable, résolut la question qui, embrouillée
^
REVUE DU NIVERNAIS. 53
an débat, apparaissait maintenant nette et précise à tous ces eelreaux
incapables.
— Ça ai pourtant pas Pair sorcier, ces denrées-là, dit le pèreMajolin,
mais faut qu'ça saye réglé. D'vant, bernique, c'est d'I'hébreu 1
— C'est égal, dit Coussin, c'est un rude homme, mossieu Boursier 1
— Et pis a cause v'iontiers au paysan, conclut Ratou, j'y ai toujours
dit, a n'est point fier, de vrai. Odile Thiault.
LE PARNASSE MODERNE
POÈTES NÉERLANDAIS (Suite)
FLAMANDS
Prudens van Duyse
LES TROIS PETITS
C'est à l'heure où tombe le soir.
Trois pauvre.^ enfants sont venus s'asseoir
Devant leur cabane qui penche.
r Ah ! si j'étais riche autant que les rois,
Par les sentiers j'irais encor, mais en revanche
J'aurais de beaux sabots, de beaux sabots de bois...
Oui, si jMtais riche autant que les rois ! »
— « Va toi, quels sont tes souhaits, dis? »
Demande au second Taîné des petits,
Devant leur cabane qui penche.
a Ah I si j'élais riche autant que les rois,
Je voudrais à cheval garder ma vache blanche.
N'ayant plus jamais peur, jamais, du loup des bois...
Oui, si j'étais riche autant que les rois ! >
— c Que veux-tu, toi ? Parle à ton tour. »
Et le plus petit dit avec amour,
Devant la cabane qui penche :
« Ah I si j'étais riche autant que les rois.
Pour donner à ma mère un jupon de dimanche^
Oul^ je sacrifierais cheval, sabots de bois I
J'aunus un baiser bien tendre, je crois ! »
54^ BEVUE DU NIVERM^JS.
Theodoor van Rys^vyck
(1811.1849)
HANS HOLBEIN
{Fragment)
Un gentilhomme, un jour, parut dans râtelier,
. De bijoux, de. rubans portant riche parure,
Et tout enveloppé d'une rare fourrure
Qui tombait sur le sol jusqu'à le balayer.
Deux moustaches frisaient sur sa lèvre hautaine,
c Hans le peintre, c'est toi ? » dit-il d'un ton tranchant.
€ Bon ! continua-t-il, tu vas prendre la peine
De faire mon portrait, et cela sur-le-champ,
Car je n'ai pas toujours le temps. Donc, tout de suite.
Tu vas te mettre à l'œuvre... Allons, ne tarde pas.
Fais tes préparatifs et commence un peu vite ;
Laisse-là le travail qui t'occupe là-bas. »
Hans Holbein fixement le regarde ; très grande
Est sa surprise... € Oh ! oh 1 pense-l-il, s€u:rament !
D'où sort donc ce brillant oiseau qui, brusquement.
S'en est venu tomber dans ma chambre ?» Il demande :
f Gomment se nomme Sa Noblesse ? » Question
Qui met le gentilhomme en fureur : « Peu t'importe,
Je pense, de savoir quel peut-être mon nom !
Mets-toi vite à me peindre... ou le diable t'emporte !
Barbouilleur insolent, mendiant que voici.
Regarde donc au moins, étranger plein d'audace.
Celui qui condescend à venir jusqu'ici :
Un marin, descendant d'une très noble race ! »
— € Et pour qui, dit Holbein, m'avei-vousdonc pris,wu)i?
Pour un sot, un gamin ?... J'en jure sur ma foi,
Quand même vous seriez, vous, le pape de Rome,
Je ne vous peindrai point ! » Alors le gentilhomme
Retira ses deux mains des plis de son manteau,
S'agitant, s'escrimant avec des jurons, comme
S'il était en humeur de boxer aussitôt.
Or Holbein : c Laissez- moi me faire les mains nettes.
Attendez que je quitte et pinceaux et lunettes.
Je m*en vais vous donner une bonne leçon. »
Par son brillant costume il le prit sans façon,
Ne perdit paj son temps à parler davantage,
Mais tout doux, posément, sûr de son avantage,
Le poussant, pas à jxis, jusque sur le palier.
Le jeta proprement au bas de Tescalier :
• c Dorénavant, avec un artiste, il faut prendre
Un autre ton, dit Hans; voilà pour vous l'apprendre!»
REVUE DU NIVERNAIS. 55
POURQUOI LES FEMMES N'ONT PAS DE BARBE
Discuter sur ce point me parait inutile ;
Le Seigneur des Seigneurs y pourvut sagement.
Comme leurs lèvres sont toujours en mouvement
Et qu'il faut au rasoir un champ bien immobile,
Ce ne serait ou'entaille et balafre.... £n effet,
Ce que fit le Seigneur est vraiment fort bien fait.
J.-M. Dautzenberg
(1808-1868)
JOUR DE FÊTE AU VILLAGE
Des rayons de pourpre ruissellent
Sur la prairie et sur les eaux.
Tous les sommets, tous les coteaux
Baignés de lumière, élincellent,
Et les sons de la cloche, en tintement ailé,
Appellent vers Tautel le peuple rassemblé.
C'est jour solennel, jour de fête.
Il faut prier, prier d'abord :
Des orgues résonne Taccord,
L'âme au recueillement est prête.
La procession sort; tous chantent ; les accents
Montent au ciel avec les nuages d'encens.
Les feuilles prises aux ramées.
Les fleurs des prés, neige ou carmin,
Que des enfants jette la main,
Jonchent les routes parfumées.
Le chemin qui conduit au ciel est rarement
Semé de fleurs ainsi qu'il l'est en ce moment.
Cependant la rose sans cesse
Eclot ; à chacun de nos pas,
Dans notre voyage ici-bas.
Elle nous suit en charmeresse.
Et la reine des fleurs toujours s'épanouit
Dans les cœurs que l'amour enflamme et réjouit.
Parcourons la riche campagne
Dans la paix de cet heureux jour.
Chantons et prions tour à tour ;
Dieu, Dieu même nous accompagne,
Créant partout — dans tous les coins de l'univers.
L'amour au fond des cœurs, les fleurs dans les prés verts.
. Traduction de Achille Miluen.
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Abbé G. Julien : Vingt^cinq ans, A nia Paroisse^ A nies Amis* 88 pages, 'm-\%
G. Vallière, imp.
M. l'abbé Julien fête de la meilleure manière ses noces d'argent. Il écrit en vers
abondants^ coulants et limpides ses impressions de prêtre attaché depuis un quart de
de siècle à sa chère paroisse. D'abord un Envoi, très joliment tourné ; puis trois
Pièces : 1" Un Curé, sorte d'autobiographie qui inspire une grande sympathie pour
auteur ; 2* Mes chers Paroissiens, conseils du bon pasteur aux Agriculteur, aux
Ouvriers ; 3* Un dernier mot, remerciement qu'anime un humour de franc aloi.
Nous ne serions pas embarrassés pour détacher une page excellente de cette plaquette
si l'espace ne nous étail mesuré. Voici le début de ÏEnvoi qui est d*une facilité
vraiment heureuse :
Chers paroissiens, voilà vingt-cinq ans
Qu'au milieu de vous je sème et je prie,
Toujours prêt, selon la rigueur du temps,
A vous donner tout : ma santé, ma vie.
J'étais jeune alors, voilà vingt-cinq ans.
Je venais, joyeux, encore au printemps.
L'espérance au cœur, Tàme sans angoisse,
Consacrer à tous mes humbles talents ;
Je te l'ai promis, ô chère paroisse,
J'étais jeune alors, voilà vingt-cinq ans.
Tout me souriait : la Nièvre, ses champs...
Le Correo de Paris, 6, rue de la Barouillère, à Paris, publie dans son édition
française des vers, des nouvelles, des romans et des articles de nos meilleurs écrivains
modernes et des extraits de nos vieux auteurs, depuis le xiv* siècle, jusqu'à la fin
du xviii^ siècle.
S'adesser pour l'administration à M. J.-A. Ferrer et pour la rédaction à M. G. de
Colvé des Jardins.
NOTES ET ÉCHOS
* Nos compatriotes. — Sont admis ; à l'Ecole polytechnique, MM. de Nadailbc
(no 36), Rogier (n* 124) ; — à l'Ecole des mines, M. Munich (n* 32) ; — à l'Ecole
Saint-Cyr, MM. Suzeau (n- 79), Maugard (n* 253, ; d'Aboville (n» 262j.
/.M. Gulllaumat, chef de bataillon au 76«. blessé en Chine, est promu officier de
la Région d'honneur.
Le Directeur-Gérant, Achille Hillien.
/tmnn, Imp, 0. V»Utér^
LES POÈTES DE UAMOUR
I
ous les poètes, par cela même qu'ils
sont poètes, ont chanté Pamour. Je ne
veux parler ici que d'un nombre relati-
vement restreint de contemporains célè-
bres ou sortis de Pombre, dont l'œuvre,
ou une œuvre au moins, enferme en elle
comme un sachet de tendresse exhalant
le parfum des idylles vécues ou rêvées.
Car ceux-là surtout, en laissant chanter le cœur, ont livré le meilleur
d'eux-mêmes, et c'est pourquoi certains écrivains, plus particulière-
ment tendres et sincères, comme autrefois Lamartine, comme actuel-
lement Sully Prudhomme, qui, dit-on, partage avec Paul Bourget les
sympathies féminines, inspirent autant d'affection que d'admiration.
— Aussi bien, être aimé, c'est le privilège naturel des poètes de
Pamour. Parmi les hommes (je parle de ceux qui méritent ce nom)
emportés dans le tourbillon des affaires, toutes leurs forces tendues vers
la lutte pour la vie, la plupart les ont délaissés : mais qu'une coulée
d'amour vienne rafraîchir leur âme brûlée d'ambitions, ils reviendront,
sentant leurs cœurs s'amollir, aux chansons rêveuses qui berceront
leur pensée. Mais surtout le pouvoir de la poésie est presque prodi-
gieux sur les âmes de femmes, refuges de mystère, sanctuaires d'ombre
et de recueillement où chante, aux heures trop tristes ou trop douces,
la musique des vers. Ainsi certains livres deviennent les livres
d'heures des amoureux. Que de fois, dans les caresses épanchées des
pages lues à deux, ils ont senti leur tendresse ^'attendrir encore !
3
58 REVUE DU NIVERNAIS.
Les poètes créent de Tamour ; le reflet de leurs propres passions
rayonne sur des idylles lointaines. Et lorsqu'il leur est donné de revi-
vre le frisson de leurs rêves dans ces lettres charmantes que reçoivent
parfois ceux qui livrent leur cœur au souffle des sympathies, c'est
leur plus douce gloire de sentir ainsi dans les âmes palpiter un peu de
leur âme.
Je parlais tout à l'heure de SuUy-Prudhomme. Qu'il en a dû recevoir
de ces lettres berceuses de sentimentalités, confidentes de souvenirs
ou d'espoirs, lui que ses fidèles ont appelé n le divin Sully », et dont
les rêves ont enchante tant de rêves de jeunes gens et de femmes I
D'où vient donc la fascination qu'il exerce sur les âmes sensibles ?
A première vue, ses sonnets et ses poésies brèves et frêles semblent
peu de chose à côté des larges et somptueux alexandrins de Lamartine.
Son œuvre n'a pas eu du reste le retentissement unique qui fit de
l'auteur des Médilaliom, inconnu la veille, un demi-dieu le lendemain.
Mais, si ses admirateurs sont dispersés, leur admiration n'est pas
moins tendre.
C'est en lisant Lamartine qu'on l'aime ; c'est lorsqu'on relit Sully-
Prudhomme qu'il attire. « Il n'est pas de poète, dit M. Jules Lemattre,
qu'on lise plus lentement ni qu'on aime avec plus de tendresse i.
Peut-être cette tendresse est-elle chez beaucoup de ses dévots, sans
qu'ils s'en doutent, quelque peu égoïste. L'auteur des SolUaden a
surtout, en effet, le don de nous attendrir sur nous-mêmes, en sorte
que, dans Peffleurement de son âme sympathisant avec la nôtre, nous
pensons plus à nous qu*à lui; c'est d'ailleurs sa véritable originalité
d'avoir le premier recueilli, ressuscité par c nscience réfléchie et
exprimé les sentiments les plus secrets, les sensations les plus intimes,
reflets de rêve, frissons d'âme que Ion sent trembler obscurément en
soi.
Il a été ainsi un précurseur en créant comme Baudelaire c un frisson
nouveau ». Et il est aisé de voir que sa i i-^ ., ^\.^ïu^^\-^: yuiiw ^ la
recherche de l'étrange, qui a pour parraiji Tauleur des Fieun du mtf/,
fait le fond de certaine poésie moderne maladive cl lasse» n*Oétant ia
morbide^za de la fin du siècle.
Cette acuité d'observation reparaît naturellement dans S€,»s poètUi
REVUE DU NIVERNAIS. 59
d'amour : Tâme du poète, même en sa pleine jeunesse, ne s'y dilate
pas librement ; elle ne s'enthousiasme ni ne se désespère ; elle fris-
sonne, sourit ou plus souvent pleure, toujours pensive, repliée comme
une fleur qui n'ose s'ouvrir, redoutant de souffrir dans sa prescience
mélancolique et son pessimisme prématuré.
Du reste, aucune figure d'amie ne se précise dans les œuvres de
Sully-Prudhomme, sauf dans certaines pièces des Stances et Poèmes et
aussi en quelques sonnets des Epreuves. Ce sont presque toujours des
visions passagères qui s'embrument et s'évanouissent à riiorizon. Ces
vers d'amour sont des appels, des lamentations, des langueurs, des
prières :
Ah 1 si vous saviez comme on pleure
De vivre seul et sans foyers,
Quelquefois, devant ma demeure,
Vous passeriez.
Si vous saviez que je vous aime,
Surtout si vous saviez comment,
Vous entreriez peut-ôtre même
Tout simplement.
Jamais de ces cris de souffrance aiguë ou d'extase débordante que l'on
rencontre à chaque page chez Musset : tout est doux, tempéré, ouaté.
En est-ce moins émouvant? Non certes, et je dirais volontiers que ces
plaintes presque silencieuses, ces confidences discrètes jusqu'en les
plus familiers épanchements, vont plus profondément à l'âme que
les exclamations en ce sens que, pénétrant plus lentement dans le
cœur, elles y demeurent plus intimement fixées.
La muse de Sully-Prudhomme, sérieuse, mélancolique, incertaine
dans la joie comme dans la douleur, se prêtait mal à l'exaltation de la
passion : elle a préféré chanter, dans l'amour, l'aurore ou le crépuscule
des tendresses :
Savourons, dans ce que nous disent
Silencieusement nos pleurs,
Les tendresses qui divinisent
Les douleurs !
Aimons en paix : il fait nuit noire,
La lueur blême du flambeau
Expire... Nous pouvons nous croire
Au tombeau.
60 REVUE DU NIVERNAIS.
Laissons-nous dans les mers funèbres,
i^omme après le dernier soupir,
Abîmer, et par les ténèbres
Assoupir...
Les choses de la vie ancienne
Ont fui ma mémoire à jamais ;
Mais du plus loin qu'il me souvienne,
Je t'aimais...
Par quel bienfaiteur fut dressée
Cette couche, et par quel hymen
Fut pour toujours ta main laissée
Dans ma main ?
Mais qu'importe ! 0 mon amoureuse,
Dormons dans nos légers linceuls,
Pour Téternité bienheureuse
Enfin seuls !
— Et, tandis que s'endort le charme berceur de ce rendez-vous
d'amour sombre plus près de la mort que de la vie, je songe à un autre
« Rendez-vous » où un poète parle ainsi :
Alors, amie, avec ton regard préféré
Qui se charge un moment de bienveillants reproches,
Pour me mettre les bras au cou tu te rapproches,
Et donnant à ta voix son charme captivant.
Tu me railles tout bas, et tu me dis : « Enfant I
Enfant ! qui se permet de garder ce front blême
Et ces grands yeux remplis de chagrin, quand on l'aime ;
Ces poètes ingrats ! ils sont trop adorés ;
Nous les reconnaissons à leurs beaux doigts dorés
D*avoir saisi, tremblants, les papiUons du rêve.
.. Nous les aimons, et puis après, nous les aimons
Encor, parce qu'eux seuls savent parler aux femmes >.
C'est François Coppée, le poète des Intimités, cette idylle fraîche-
ment éclose parmi son œuvre hétérogène, que j'évoque ici en regard
de Sully-Prudhomme (tous les poèteè ne se ressemblent-ils pas un peu
par le cœur ?) Un peu de l'âme des vingt ans de l'auteur du Passant y
palpite avec sa tendresse enlaçante, enveloppante comme une étreinte
lente, et qui berce et qui caresse, et sa sensibilité d'enfant exhalée en
plaintes harmonieuses, en langueurs craintives, avec cet accent triste
et heureux à la fois des mélancoliques dont l'àme est troublée par trop
de joie comme par la tristesse.
REVUE DU iNlVERNAIS. 61
Ces Intimités, ce sont de délicieux petits poèmes, des notes d'amour
d'une simplicité touchante prises sans doute au jour le jour pour
épancher le trop plein du cœur : on y sent le frisson de Tàme qui
aime, la chaleur du cœur qui bat.
Des sentiments vécus dans les sensations ressenties : fronts pen-
chés, genoux unis, a baisers à travers la voilette », regards bleus,
€ odeurs qui seraient blondes », ce n'est que cela. Mais quelle péné-
trante musique des vers amoureux, langoureux ! A l'entendre, une
douceur lasse se fond dans l'âme... et, dans un décor tiède et capi-
tonné s'anime la vision de Taimée, vision blonde et vaporeuse dont
les contours vont s'effaçant.
Et c'est enfin, soupirant en ces poèmes, la détresse des amours fugi-
tives qui, à peine épanouies, s'assombrissent dans les crépuscules
moroses où les feuilles tombent, où les rêves meurent, jusqu'à ce que
le poète, le cœur encore saignant de la blessure des adieux, se retrouve
seul, un peu plus triste qu'auparavant, triste de la tristesse des joies
enfuies, sentant son âme se replier, douloureusement.
Seule sans doute, parmi celles qui passent, l'épousée sera l'étemelle
amie:
Si ta ne veux toujours et vainement soufljrir,
Choisis vite une blanche épouse,
Dont la fleur pour toi seul commence de s'ouvrir,
De son vierge parfum jalouse,
a dit ^ Auguste Dorchain. Et ces quatre vers pourraient servir d'épi-
graphe à son œuvre lyrique entière. Si l'on devait choisir, entre les
poètes contemporains (la mode étant aux élections littéraires), un
prince des poètes de l'amour, l'élu serait sans doute Auguste Dorchain,
car sa poésie est toute d'amour, et, de ses deux recueils de poèmes,
l'un chante la souffrance, l'autre le bonheur d'aimer.
(.4 suivre^ Fernand RICHARD.
62 REVUE DD NIVERNAIS.
SONNET IDYLLIQUE
Pensives, sMnclinaient sar les sentes fleuries
Les pâles feuilles des romarins gracieux ;
Et Zéphyr toujours bleu comme Tazur des cieux
Sur elles déposait de charmantes féeries.
Emerveillé, l'oiseau chantait sa cantilëne,
Parmi les senteurs acres des thyms. — Là tous deux.
Enguirlandés de fleurs, et les yeux dans les yeux.
Ils s'en allaient s'asseoir au bord d'une fontaine.
C'étaient deux fiancés. Les Grâces les paraient
Du diaphane manteau que les Ris ombrageaient
Du parfum délicat de tous leurs rêves roses.
Et tandis qu'à Tombre naissante des glaïeuls
Ils se laissaient bercer au bonheur d'être seuls.
Amour disait pour eux de rayonnantes choses I
Joséphine Bégâssat.
RÉMINISCENCES MORVANDELLES (smu)
LE DOLMEN DE LA FORÊT DE VERDUN EN MORVAN
On reproche quelquefois au Morvan le peu de pittoresque de ses
montagnes arrondies, l'aspect trop peu accidenté de ses vallons. Quel
que soit le plus ou le moins de valeur de ce reproche en lui-même, il
serait injuste de le généraliser : sans parler de plus d'un site mouve-
menté et imprévu de la vallée d'Yonne, la forêt de Verdun (Ftrorfuniim),
au nord de Frétoy, à. peu prés sur la limite des cantons de Château*
Chinon et de Montsauche, ménage au touriste de véritables surprises.
L'archéologue ne trouve pas moins à glaner dans cette contrée, car
il est visible que la haute colline couverte par cette forêt a été, au
moins sur les points insuffisamment fortifiés par la nature^ entourée,
sur près d'un kilomètre, d'un rempari de pierres amoncelées, et a dû
servir à*oppidum celtique, ou même préceltique, ce rempart ayant
encore parfois jusqu'à cinq ou six mètres d'élévation. Là se voyait
encore, il y a un certain nombre d'années, un hêtre gigantesque qu'on
appelait dans la contrée le Faou (fagus) de Verdun : ce géant millé-
naire témoignait de ce qu'avaient dû être ses voisins dans les anciens
temps, avant les coupes modernes utilisées par le flottage, et dans son
REVUE DU NIVERNAIS. 63
souvenir se retrouve quelque chose de l'antique vénération druidique
pour les rochers, les arbres et les fontaines.
Le culte mégalithique a laissé d'ailleurs des vestiges de ce côté, car
c'est à Planchez-en-Morvan, c'est-à-dire dans la commune qui suit Frétoy,
sur la route de Montsauche, en pleine forêt de la Houssière, que les rele-
vés de dolmens indiquent les restes d'un monument antique de ce genre.
Mais la forêt de Verdun proprement dite ne paraissait renfermer
aucune trace connue de ces pierres levées et les cartes archéologiques
n'en avaient noté aucune. Aussi était-ce sans préoccupations archéo-
logiques et en nous consacrant exclusivement aux beautés naturelles
du paysage, que le i6 juin 1881, mes excellents amis, M. 0. D**% alors
sous-préfet, et M. E. de R***, à cette époque receveur particulier des
finances de l'arrondissement de Château-Chinon, m'accompagnant,
nous suivions^ non sans difficultés, à travers les troncs d'arbres, les
enchevêtrements des plantes et les roches, le bord du ruisseau dit la
Montagne et la pente du ravin peut-être leplus profond, le plus curieux
et le plus sauvage du massif morvandeau. Â cent cinquante mètres
environ de l'angle de jonction de la Montagne avec un autre ruisseau
dit la Reinache^ qui contourne la môme forêt, comme je tenais la tête de
la petite colonne en compagnie de notre guide, vieil habitant de Frétoy,
je remarquai un entablement de pierre qui me fit immédiatement
annoncer un dolmen à mes sympathiques compagnons de route. Aus-
sitôt on fit halte et on procéda tant à l'examen qu'à l'escalade du monu-
ment primitif. Prestement débarrassé de la couche d'humus, de mousse
et de plantes qui le recouvrait, il fut habilement reproduit sous deux
aspects par M. 0. D***, sur Tenveloppe d'une lettre à défaut d'album, et
j'ai conservé ces croquis parmi les souvenirs de mon séjour en Morvan.
Ce monument mégalithique se composait d'une table de pierre
d'environ 3 mètres de longueur sur 1 mètre de largeur; la longueur
se subdivisait en 1 m. 80 à 2 mètres de surface à peu près plane, plus
1 m. 20 de déclivité, de sorte que l'ensemble de la superficie, au lieu
d'être complètement carré, s'en allait d'un côté en pointe ovale proémi-
nente. De ce même côté, se trouvaient deux jambages d'un mètre
environ d'élévation chacun. Le jambage le plus près du ruisseau était
resté intact et soutenait encore parfaitement la pierre sacrée ; l'autre
s'était affaissé dans l'intérieur du dolmen. Il semblait que le monument
n'avait pas primitivement l'aspect d'une simple table supportée par
64 REVUE DU NIVERNAIS
quatre piliers, mais devait être complètement entouré d'autres quar-
tiers de rocs entre les jambages, de manière à reposer sur une assise
à peu près continue. On remarquait, en effet, sous Tentablement, un
espace vide dans lequel avaienl roulé des blocs qu'on n'eût pas retirés
sans peine en 1881, et qui paraissaient pouvoir s'adapter assez exacte
ment aux interstices des jambages, comme s'ils avaient subi quelque taille
grossière. Dans cette hypothèse, la table aurait été comme Textrémilé
d'une allée couverte dont l'entrée se serait trouvée fermée par une
pierre mobile entre les deux premiers jambages du côté de la pointe
dont le saillant formait comme la corniche de ce vénérable amoncelle-
ment. Du côté opposé, en effet, se trouvait une sorte d'éboulis de
roches de grosses dimensions, laissant voir des interstices et des vides
accentués, comme si ces roches avaient été à l'origine suspendues par
la main de l'homme, puis bouleversées et fouillées dans les âges posté-
rieurs, ou comme si elles s'étaient écroulées d'elles-mêmes en raison
de l'extrême raideur de la pente. Cette raideur donnait même à la
table un aspect légèrement affaissé dans la direction du cours d'eau, et
avait dû être la cause de la chute du jambage supérieur. La pierre ne
semblait point être un vrai granit, mais une composition qui, fraîche-
ment cassée, avait une légère teinte rose orangé.
Tout porte à croire, si réellement ce monument est de main
d'homme, qu'au fond de ce ravin ignoré, au murmure du torrent, a dû
se trouver soit une allée couverte, soit du moins une sépulture indivi-
duelle ou de famille qu'il serait utile, mais difficile, de pouvoir creuser
par dessous sans amener la chute de l'entablement.
Il nous a paru intéressant de raconter l'histoire de cette découverte,
bien qu'elle remonte à vingt ans déjà, et que nous ignorions si ce
monument ne s'est pas détérioré davantage depuis 4881. Il est certain
que, dans cette gorge, les éboulis de roches affectent plus d'une fois
des formes bizarres, mais il nous semble cependant que nous nous
sommes trouvés en présence d'autre chose que d'un simple jeu de la
nature. Mainte pierre morvandelle, comme, par exemple, celle de la
Maison du Loup, aux flancs de l'oppidum de Château Chinon, est
réputée dolmen, sans avoir des titres plus marqués ni plus décisifs que
celle de la forêt de Verdun à cet honneur archéologique.
Lucien Jeny.
Soudain déchirant l'air et traversant Tespacc,
D'où viennent ces mules accents?
Cesl, au fond de la plaine, un bataillon qui passe..
{Musettes et Clairons^ d'Achille Millien).
3»
J
06 REVUE DU NIVERNAIS.
SOIR DE TOUSSAINT
Les orgues ont fini les motifs triomphaux,
Les cloches ont pleuré dans les brumes premières,
Et voici s*allumer des pâleurs de lumières
En rhonneur de la Vieille à réternelle faux.
La maîtresse des rois, des vierges, des Saphos,
Celle de qui palais, cabanes et chaumières
Connaissent la démarche et les mains coutumières
De tuerie, et la bouche où sonne un rire faux.
Les psaumes en mineur se traînent sous la voûte.
Comme une défaillance émane, qui m'envoûte.
Des vieux murs où persiste une senteur d'encens.
Et la bise du soir qui heurte à la grand'porte.
Triste comme un regret, comme un appel d'absents.
Frissonne des longs cris douloureux qu'elle apporte.
Henri Bâchelin.
LE PARNASSE MODERNE
POÈTES NÉERLANDAIS (Suite)
FLAMANDS
Jan van Beers
(1821-1888)
DANS MA TOMBE
Dans ma tombe, sous la poussière,
Quand, froid, immobile, sans bruit.
Entre les planches de ma bière,
Je dormirai, plongé dans l'étemelle nuit ;
Lorsque fleurs et bourgeons en fête
Ecloront au soleil d'avril ;
Que dans le saule, sur ma tête,
Les oiseaux amoureux feront leur gai babil ;
Rien de ma vie évanouie,
Rien de mon être d'autrefois,
A la nature épanouie
N*aura-t-il le bonheur de s'unir cette fois ?
REVUE DU NIVERNAIS. 67
Et tous deux, du sommeil suprême,
Dans le silence sépulcral
Côte à côte endormis, de même
Que jadis, ô ma femme, en le lit nuptial,
Quand nos enfants sur notre tombe
Apportant de nouvelles fleurs,
A cette heure où le soleil tombe,
En souvenir de nous verseront quelques pleurs;
Quand ils se diront à Toreille,
Tristes : « Où donc, aux jours présents,
Trouver affection pareille
A celle qui liait nos chers morts, là gisants ? »
En nos cœurs froids une étincelle,
Lumière et chaleur d'un moment.
Se ravivant, ne pourrat-elle
Jaillir de l'un à l'autre et simultanément ?
Si nos petits-enfants, naguère
Auréole de nos vieux ans,
En s'éloignant du cimetière,
A leurs parents vont dire, à demi-gémissants :
« Ne reviendra-t-il plus, grand-père,
Avec un conte, une chanson ?
Ni lui, ni la bonne grand'mère
Qui nous donnait bonbons et jouets à foison ? »
Surgissant des ombres profondes,
Rien de nous n'ira-t-il poser
Sur ces tètes brunes et blondes
Encore un invisible et suprême baiser ?
LE PETIT FRÈRE
Ils disent tous qu'au ciel aujourd'hui tu résides
Dans une maison faite en diamant, maison
Aux portes d'or, avec des parterres splendides
Et des fleurs de sucre à foison.
Dans un char étoile, sur la route céleste,
I^s anges de là-haut s'en vont le promenant
Tout autour du soleil ; le petit Jésus reste
A côté de toi maintenant.
Ils disent que toi-même es un ange qui voles,
Ailé de blanc, plus blanc que la neige ici-bas...
Moi, je crois bien que ceux qui disent ces paroles
Ne disent pas vrai, n'est-ce pas?
Si tu savais voler, n'est-ce pas, sur la terre
Au lieu de me laisser dans mon isolement.
Pour me voir, à travers les nuages, mon frère,
Tu viendrais bien rapidement !
68 REVUE DU NIVERNAIS.
Dernièrement encor, à la nouvelle année,
Quand je reçus tant de bonbons et maint jouet.
Dont je laissais ma main distraite et détournée,
Seul en mon coin, seul et muet,
Oui, si tu l'avais pu, t'envoler, tout de suite.
Un, deux, trois... d'un grand bond t'enfuyant sans retard,
Tu serais accouru, j'en suis certain, bien vite,
Pour en venir prendre ta part.
Tu le sais : le meilleur bonbon, celui que j'aime,
Si nous ne partageons tous deux, me flatte peu.
Et quel jouet m'amuse ou me plaît, si toi-même,
Petit frère, n'es pas du jeu?
Frère, mon petit frère, ô mon cher petit frère.
Pourquoi m'abandonner ? Pourquoi m'as-tu quitté ?
Pourquoi m'as-tu laissé toujours seul sur la terre,
Toujours seul, toujours attristé?
Dans notre petit lit où nous couchions ensemble.
Chaudement, mollement, tu dormais avec moi ;
Il est froid maintenant comme glace, il me semble.
Ce lit où je rêve de toi.
Oh ! reviens, mon petit frère! vas-tu m'entendre?
Ou s'il t'est défendu de revenir ici.
Dis au petit Jésus qu'il te laisse me prendre
Pour m'en aller au ciel aussi !
Traduction de ACHlLLE MlLLlEN.
LE TABELLION AMOUREUX
(Suite.)
La nuit est venue, sombre, estompant toutes choses, leur donnant
des airs fantastiques.
Des abois lointains s'entendent ; des cris joyeux d'enfants se répan-
dent. Une charrette qui se perd dans la distance, envoie quelque
temps aux échos le bruit de ses cahots et le grincement des essieux.
Des fumées légères s'élèvent en volutes de toutes les cheminées ; des
lumières se piquent çà et là. Dans le majestueux «ilence de la nuit
survenant, la vie familiale, un moment dispersée, se ramasse dans son
intimité et dans los joies paisiblas du foyer.
Comme il faîL bon marcher a celle heure I II vous semble nager
dans un bain d'air. Les lierbes grillées, les fleurs ataiiguies, la terre
chaude exhalent un parfum cxqiits; une lièvre de langueur embaunie
par souffles pénétrants. L1vn\sse du caînic, du calme pieux de la
campagne qui s'endort^ vous exalte d'un isenliment de force neuve d
REVUE DU NIVERNAIS. 69
rajeunie. Vous sentez un immense bien-être, une délicieuse rêverie
vous envaliir et vous ne souhaitez nullement rompre ce silence plein
de charme et de douceur.
Cependant, Ton entend encore de toute part palpiter la vie. Des
frémissements courent dans le feuillage et Tagitent d'un petit frisson
de mystère. Des bourdonnements d'ailes, des susurrements métalli-
ques partent des herbes qui semblent peuplées de petites voix
sourdes, confuses, de rires étouffés
— Comme cela, chérie, dit H°*e Darbourse, tu ne m'accompagnes pas
au parc?... Tu ne viens pas respirer Pair pur et bienfaisant du soir,
embaumé des exhalaisons qui s'échappent du sein de la terre encore
chaude... Alors, prête-moi ta mante, car la fraîcheur tombe déjà.
— Tenez, grand'mère, voilà qui vous fait ressembler à votre petite
fille, dit Angèle en lui jetant avec sollicitude son plaid multicolore
sur les épaules...
Et la grand'raère s'en va à pas lents, à travers les allées ombreuses,
riantes de fleurs et de bourgeons.
Les arbres du parc se massent en noir sur le ciel bleu sombre...
Alors un hideux crapaud, tapi à Torifice de son trou, jette timide-
ment son appel de mélancolie ; aussitôt un autre y répond, puis un
troisième... Mais copme effrayés d'avoir troublé le vespéral silence,
ils se taisent un instant. De nouveau ils s'enhardissent, recommen-
cent* Cette fois, ils enflent le son et les notes de leur berceuse chanson
tombent une à une, plaintivement rythmées. Amollissante sonnerie
cristalline qui éveille le contemplatif dormant en chacun de nous !...
0 printemps! Printemps de jeunesse !! Printemps d'amour !!!
De doux souvenirs reviennent à la mémoire de l'aïeule et son cœur
bat délicieusement. Elle se revoit jeune, heureuse, choyée, admirée de
tous!...
Soudain, elle tressaille... Une ombre noire se dresse devant elle!
Avant qu'elle ait jeté son cri d'effroi :
— N'appelez pas, mademoiselle, je suis M* Balugeon.
— Vous, dans notre parc à cette heure ? dit M"»® Darbourse surprise
et abasourdie.
— Je suis venu en l'espoir de vous entrevoir... J'ai. . . à vous parler,
à vous seule, mademoiselle.
— Pauvre fou ! songe l'aïeule indécise. Il me prend pour elle.
70 REVUE DU NIVERNAIS.
Puis après réflexion, mentalement :
— Pourquoi pas?... II fait si noir, en restant à l'ombre des mas-
sifs, il ne me reconnaîtra pas. D'ailleurs, vous méritez une leçon,
monsieur l'audacieux ; je vous la donnerai. Angèle, ce sera moi. Voilà
ce que c'est que de vouloir jouer au plus fin avec les vieux. Avis, mes
beaux tourtereaux 1
— • Qu'avez-vous donc de si mystérieux à me confier, répond-elle
tout haut, en contrefaisant sa voix.
— Fou, n'est-ce pas ? qui poursuit un désir irréalisable, qui, par
son imprudence, va de lui-même au-devant de l'anéantissement de
ses espérances ?
— Où voulez-vous en venir?... Je ne comprends pas!
— Eh bien, mademoiselle Angèle, ce fou, c'est moi I Ha conduite,
je le sais, est ridicule, absurde; mais je suis si malheureux!... Je
joue mon dernier espoir. Si, comme je ne le crains que trop, hélas I
il est trompé, je disparaîtrai pour toujours.
— Comment ? Vous quitteriez le pays ?
— Je ne saurais assister impassible à la ruine de mes rêves. Dieu
sait si je suis romanesque ; mais à vingt-cinq ans Ton rêve malgré
tout, et la vie est là, brutale, qui se déroule en opposition avec eux.
— Pauvre... soupire presqu'involontairement jl™« Darbourse, émue
par la profonde tristesse qui perce dans la voix étranglée du notaire.
Encouragé par cette douce compassion à son infortune, il poursuit :
— Hélas! Je croyais toujours que vous... Non! Je ne peux vous
avouer franchement la cause de ma présence en ce lieu.
— Achevez. Je suis curieuse et voilà, vilain que vous êtes, que vous
vous amusez à exciter ma curiosité, dit-elle avec une adorable expres-
sion de prière dans la voix.
— Je crains... il ne sied pas que... vous m'en voudriez si...
— Alors vous manquez de confiance en moi ?
— Par exemple T Seulement, je n'aurais déjà pas dû venir vous sur-
prendre en ce lieu. Mais j'ai agi inconsciemment, poussé comme par
une main invisible... Puis si je vous confiais mon secret, vous me
chasseriez.
— Vous? Non ! — Je veux savoir... Ce ne sera pas votre faute.
— Vous voulez que je me confesse? Voici. J'espérais que vous pren-
driez pitié de mon extrême tcndresKc ; que vous m'accorderiez un peu
REVUE DU NIVERNAIS. 71
d'affection en retour de mon ardent amour. Mais c'est fini ; ce n'était
qu'une illusion de plus de ma part. Depuis quelques jours vous affectez
de ne point me voir, de ne point me regarder, et sans cesse vous causez
et riez avec les fats adorateurs qui vous courtisent.
— N'en ai-je pas le droit? répond la grand'mère, réprimant un sou-
rire plein d'une indulgente compassion, mais un tantinet ironique.
— Si, si, dit-il avec amertume. Vous les avez tous, même celui de
me désespérer.
— Oh I... méchant !
— Pardonnez-moi ; je ne sais ce que je dis. Ayez pitié de ma folie
et de ma souffrance. Je sais combien vous êtes bonne, Angèle, et c'est
une des causes pour lesquelles je vous aime tant. Car je vous aime,
non parce que vous êtes belle, riche, mais parce que vous êtes compa-
tissante, charitable ; parce que nos croyances sont les mêmes, nos
aspirations identiques ; parce que, enfin, je trouve en moi assez de
tendresse et d'amour pour vous procurer le plus grand bonheur de ce
monde, le seul réel : la paix dans une profonde et inaltérable affection.
Sous l'habit de n'importe quel beau parleur, de n'importe lequel de
vos adorateurs, il ne battra jamais, oh I non jamais, un cœur plus
épris et plus dévoué que le mien.
Comme le héros du poète, je ne puis que m'écrier — tant ces paroles
sont l'expression exacte de mon état d'âme :
Je t'aime, je suis fou, je n*en peux plus, c'est trop ;
Ton nom est dans mon cœur comme dans un grelot,
Et comme tout le temps, Angèle, je frissonne,
Tout le temps le grelot s'agite et le nom sonne t...
Il lui a pris la main. Elle le laisse faire, émue par cette voix qui
tremble, par toute cette tendresse qu'elle sent si vraie. Fiévreusement
il la serre, cette main, et son cœur bat à se rompre dans sa poitrine.
Comme elle cherche à se dégager, craignant d'être reconnue :
— Qu'est-ce donc?... Qui pouvez-vous craindre?... Serait-ce votre
grand'mère?... Un peu coquette, il est vrai, M»* Darbourse, mais si
bonne par contre et si indulgente 1... Et puis, ^lle ne voit que par vos
yeux I Souffrez que je jouisse un peu de votre présence. Je suis si mal-
heureux quand je ne vous vois.
Et énervé par l'obscurité, grisé par les parfums qui s'exhalent à
72 REVUE DU NIVERNAIS.
cette heure de la terre refroidie^ acres, voluptueux, enivrants, il
poursuit :
— Oh I mais vraiment, ce aoir, c'est trop beau, trop doax.
Je vous dis cela, vous m*écoutez, moi, vous I
C*est trop I Dans mon espoir même le moins modeste
Je n'ai jamais espéré tant !...
Je voudrais trouver de jolies choses à vous dire. Je ne puis. Laisser
parler mon cœur ? Mais j'ai peur de vous effaroucher. Pourtant qu'y
a t-il de plus suave, de plus exquis que Tamour, Tamour pur et chaste
de deux jeunes cœurs qui s'aiment, se veulent et se le disent? Ah ! que
ce doit être bon !... Et c'est de cet amour que je me sens la force de vous
aimer... Votre présence, votre douce voix, votre bonté et aussi vos
charmes ont fait éclore en moi tous les besoins de tendresse que je
portais cachés au fond de mon âme.
— En un mot, je suis une fée, sourit-elle.
— Vous êtes ma fée... que je veux croire bienfaisante parce qu'elle
me donnera la meilleure des joies. Il est si charmant et si doux de
s'entr'aimer, n'esl-ce-pas ?
— Oui, susurre l'aïeule rêveuse, chez qui cette dernière phrase
réveille sans doute de lointains mais divinement délicieux souvenirs.
A cet aveu plutôt deviné qu'entendu, un désir fou passe dans son
cerveau, le fait frémir. Ne raisonnant plus, il attire à lui M™« Dar-
bourse surprise et applique sur ses lèvres tremblantes un baiser
d'amant, un de ces longs et passionnés baisers qui vous pénétrent
jusqu'au fond de Tâme.
— Pardonnez-moi I... Je vous aime tant! murmure-til, et il
s'enfuit.
L'aïeule , saisie , pour ainsi dire paralysée par tant d*audace, le
regarde s'éloigner. Ses lèvres se fleurissent d'un sourire où vibre
l'expression d'une superbe et indulgente ironie :
— Pauvre fou !... Comme il l'aime !..
Deux jours après cette mémorable soirée, objet de combien de rêves
délicieux élaborés dans le silence de la principale étude de notaire de
Decize !
H^^ Balugeon et son fils finissent de déjeuner chez U'^* Darbourse.
Les mères prévenantes , sous un prétexte futile, laissent les jeunes
REVUE DU NIYERNAI 73
gens se promener seuls dans le jardin ; mais elles les surveillent du
coindeToeil.
M* Balugeon, ivre de bonheur, contient mal son émotion. M^i' Angèle
est elle-même très troublée. Une sorte d'attente angoissée et poignante
la paralyse, l'immobilise là, près de cet homme à la figure rayon-
nante, au regard ardent. Une légère rougeur colore délicieusement
ses joues. Coquettement peignés sont ses beaux cheveux noirs aux
reflets violets, abondants et frisottant en mèches folâtres sur son front
droit et uni. L'ombre des arbres qui bordent les allées, coupée de
clartés vertes par les rayons discrets du soleil, répand sur son mutin
visage une teinte vaporeuse. Elle est charmante et fraîche comme une
rose.
Notre tabellion, silencieusement, lui a pris la main. Il éprouve une
sensation indicible, une émotion toute nouvelle, étrange, comme si
son âme, détachée soudain de son enveloppe matérielle, planait dans
les sphères azurées, bien haut, dans la nue, bercée par des chants
divins.
Jamais de sa vie, il n'a rien ressenti de comparable à ce voluptueux
émoi. Aussi craint-il de rompre le charme ; il reste muet, n'osant
faire un mouvement. Ses paupières mi-closes laissent filtrer un doux
regard qui semble vouloir s'arrêter sur les prunelles bleues, profondes
à en donner le vertige, de la jeune fille, scruter son cœur et sonder sa
pensée.
— Oh ! combien je vous suis reconnaissant, dit-il tout à coup, avec
un profond soupir, comme s'arrachant à regret à sa muette rêverie.
J'étais désespéré. Je ne sais ce que je serais devenu, ce que j'aurais
pu faire, si vous n'aviez pas exaucé mes prières ?
— Que dites-vous donc ? Je ne comprends pas !
— Vous ne comprenez pas?... Mais si! Seulement vous voulez me
taquiner, dit-il, tandis que ses yeux se fixent sur elle avec la tristesse
d'un reproche.
— Moi? Je vous assure que non I
— Comment ! Vous ne vous souvenez pas de notre rencontre dans
le parc ?
— Vous l'avez rêvé. La dernière fois que je vous ai vu, c'est à la
soirée des Delance. Je ne saisis pas...
— Jamais vous ne me donnerez le change. J'ai bien reconnu votre
74 REVUE DU NIVERNAIS.
manteau écossais, votre main que j'ai pressée et aussi votre douce
voix, si mélodieuse, quand vous me permîtes de vous avouer mon
amour. Oli I comme c'était délicieux !...
— Mon Dieu ! balbutie la jeune fille, pâle.
— Qu'avez-vous ?
— Rien, je vous asiure.
— Vous souffrez et vous ne voulez pas en convenir ?
— Pas le moins du monde, réplique-t-elle. Seulement, je pense i
ce que vous venez de raconter. Non ! Non ! Ce n'était pas moi !
-— Mais qui serait-ce?... Madame Darbourse, peut-être I ajoute-t-il
avec un léger sourire ironique.
— Eh ! oui, monsieur, c'était moi, répond une voix railleuse.
Derrière eux, M™<» Darbourse elle-même vient de paraître, la figure
rayonnante de joie malicieuse.
— Oh 1 madame !... et M« Balugeon se jette à ses genoux.
— Que voulez-vous ? poursuit l'aïeule. Je suis un peu coquette, —
le défaut des vieilles gens. Aussi avais-je mis le plaid de ma petile-
fille. Ce fut la cause de votre étrange méprise.
Une douairière coquette, je l'avoue, c'est ridicule ; mais bien plus
ridicule encore est le jeune homme qui soupire à fendre l'âme à ses
pieds.
Allons, relevez- vous, mon cher maître. Je consens à me montrer
bonne princesse : il est toujours permis de tendre la main pour relever
un homme â genoux. D'ailleurs vous savez bien que je n'ai d'autre
volonté que celle de ma petite-fille. A elle donc à prononcer...
Seulement, méfiez- vous dorénavant des vieilles grand'mères !...
Ja
Septembre-octobre 190t.
COUP D'ŒIL RETROSPECTIF
SUR LA PLUS RÉCENTE DE NOS RÉVOLUTIONS
En France où, plus que dans tout autre pays, il y a nombre de
mécontents grondant contre le pouvoir et ennemis du gouvernement
établi, quelques réflexions sur une révolution sont toujours à Tordis
du jour. La plus récente est celle du 4 septembre et elle s'est accora-
REVUE DU NIVERNAIS. 75
plie en apparence si doucement qu'on en est venu presque à lui contes-
ter ce nom de révolution.
J. Favre entraîne à l'Hôtel de Ville la foule qui a envahi le Corps
législatif. Un gouvernement s'improvise ayant pour objet unique la
défense nationale. Il est acclamé. Les représentants du gouvernement
impérial disparaissent. Le Corps législatif défend à peine, par les
représentations d'un de ses membres, son autorité compromise par les
désastres. Du Sénat il n'est même pas question.
La présidence du nouveau gouvernement donnée au général Trochu
entraine l'armée. Aucune protestation, pour ainsi dire, ne s'élève.
Mais on est en présence de l'ennemi, et le changement de régime,
accompli dans des conditions, on oserait presque dire si paisibles,
aura à bref délai de redoutables conséquences.
Un chef d'armée dévoué au régime déchu, ennemi de ces nouveaux
gouvernants qui viennent de s'installer d'eux-mêmes au pouvoir, de
ces hommes qui, par tous les arguments, ont combattu l'Empire
auquel il doit sa fortune, reste étranger à l'entraînement qui, à Paris,
a substitué en quelques heures, sans qu'une goutte de sang ait été
versée, la République au régime issu du coup d'Etat. Il limite son
action à quelques combats sans importance. Il capitule deux mois
après sans avoir donné (un conseil de guerre en a jugé ainsi) tout
Teffort dont il était capable.
Le gouvernement nouveau est enfermé dans Paris assiégé. La situa-
tion, lisez J. Favre, lisez Trochu, est bientôt celle des martyrs. Leur
autorité est limitée, ils la sentent eux-mêmes contestable.
Il faut marcher quand même et se défendre contre l'ennemi du
dehors et ce qui est plus dur contre celui du dedans. Les journaux, les
clubs tonnent contre ce gouvernement de rencontre, trois émeutes se
produisent au cours du siège, les 5 et 31 octobre, le 22 janvier, et
suprême injure dans cette journée du 3! octobre, les membres du
gouvernement de la défense nationale, assiégés eux-mêmes dans la
capitale assiégée, entendent les coryphées de l'opposition devenus les
chefs de l'émeute proclamer leurs propres noms pour Tinslallation
d'un gouvernement qu'ils prétendent substituer à celui qu'ils jugent
incapable et qu'ils considèrent comme composé de traîtres. Un des
leurs, mort récemment, les a jugés. Lissagaray, dans son livre sur la
Commune, a condamné lui-même comme incapables tous les partiel-
78 REVUE DU NIVERNAIS.
11
LE CUVIER DE MATHUSALEM
A répoque de Mathieusalé, les hommes n'ignoraient pas le nombfe
(i*années qu'ils avaient à passer sur la terre. Lui, Ma.hieasalé, savait
qu'il devait vivre neuf cents ans. Il se dit : t Pour si peu, il est inutile
de bâtir une maison :». Et il se contentait du toit de verdure des grands
arbres. Mais le bon Dieu, pour l'obliger à s'édifier un abri plus sérieni,
fit tomber une pluie battante. Mathieusalé construisit un vaste cuvier
et s'y réfugia, le tournant du côté d'où le vent amenait la pluie. Dieu
fit souffler les quatre vents à la fois : Mathieusalé renversa son cuvier
à bùucheton et ne souffrit pas de la pluie. Alors Dieu, voyant que la
connaissance qu'il avait donnée aux hommes ne favorisait que lear
paresse et leur apathie, cessa dès ce moment de leur révéler la durée
du temps qu'ils avaient à vivre.
(Cmtépar JACQUES Hagnand, né à Murlin en 181 S),
III
SAINT JEAN ET LE TONNERRE
Saint Jean, voulant savoir ce que c'est que le tonnerre, pria le bon
Dieu de le lui montrer. Dieu refusa d'abord, mais saint Jean insista:
« Non, dit le bon Dieu, le tonnerre est si terrible que tu te repentirais
de l'avoir vu. »
Comme saint Jean revenait à la charge, Dieu finit par consentir. Au
moment où il envisageait le tonnerre, l'apôtre fut ébloui et jeté à bas:
ce fut l'origine du mal caduc ou mal de saint Jean, dû à la dangereuse
curiosité de l'apôtre.
{Conté par MARIE Briffault, à MonUgny^ux-Amognes),
Achille Miluen.
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Louis de Courmont : En Mo)*van, Nevers, imp. de la Tribune, 31, avenue de la
Gare ; 2 fr. 50, vol. in-12.
Par les soins pieux de la veuve du poète, une quarantaine de pièces, extraites pour
la plupart du volume : Feuilles au Vent bien connu chez nous, quelques-unes inédites
ou publiées dans cette Revue du Nivernais, sont réunies en ce gracieux recueil de
228 pages. Et nous avons ainsi le plaisir de posséder les poésies consacrées particu-
lièrement au Morvan par Louis de Courmont, dont le talent a en même temps quelque
chose de la douceur des vallées du pays natal, et de la robuste âpreté de ses monta-
gnes. Il y a là une heureuse diversité qui nous offre, à côté de rudes et puissants récits
comme : la Main de sang, la Mort du cerf y etc., des tableaux familiers tels que : la
Maison de mon ami Jacques, la Noce morvandelle ; des croquis de genre : Pinouche,
le Bot-Gambi ; des descriptions d'un relief bien accusé : le Flottage, la Neige; et
enfin des pièces d'un pur et délicat sentiment, parmi lesquelles : le Nuage rose,
Rose d'hiver, les grands Hois^ le Sentier, Derniers vestiges, etc., que nous voudrions
entendre sur toutes les lèvres, dans notre pays si cher à L de Courmont qui a voulu
venir s'y endormir du dernier sommeil. Comme il l'aimait ce Morvan I Comrame il
se complaisait devant ses « Horizons » :
0 mes horizons enchantés
Par la foudre et l'éclair chantés
Pendant l'orage,
Qui du nord au sud chevauchant,
Flottent du levant au couchant,
Dans un mirage I
Selon le jour, l'heure, et le temps,
Ils prennent des tons éclatants,
Parfois des teintes
Fulgurantes, d*or ébloui,
Transparentes, d'éther bleui,
De mers éteintes...
Notre poésie nivemaise a perdu beaucoup avec Louis de Courmont. 11 nous reste
ses belles pages qui méritent d'être popularisées, en dehors du cercFe de lettrés qui
depuis longtemps les avaient applaudies.
Paul Sébillol : Paganismes champêtres, Baugé, imp. Daloux, in-i8.
M. Paul Sèbillot, passé maître en la science folklorique, dont il fut un des premiers
initiateurs, a publié les contes, légendes, traditions de la Hautc-Bretugne, nombre
d'autres travaux d'un grand intérêt. 11 traduit aujourd'hui en vers d'une élégante sim-
plicité, comme il convient, divers usages et croyances populaires transmis chez les
Eaysans, de génération en génération, depuis des siècles. Fées, lutins, feux follets,
irfadets,
Survivants des fables antiques
Ecloses chez nos bons aïeux
voilà les héros de ces jolies pièces de vers réunies en une trop mince plaquette :
Madame Fleur-de-Neige, Les Digitales, La Fée Mérienne, etc.
80
U DU
RNAIS.
Nous avons en la satisfaction de trouver, parmi les noms des lauréats du brillant
Concours Sévigné ouvert par le Gaulois, ceux de plusieurs de nos compatriotes et de
nos collaboratrices. Nous aurons sans doute occasion de revenir sur ce succès.
Une charmante revue littéraire et artistique, qui parait sous la direction d*un poète
distingué, M. Henri Corbel, Neullly -Revue ^ donne dans un de ses derniers numéros une
remarquable étude sur notre excellent collaborateur Alexandi-e Piédagnel, dont nos
lecteurs ont plusieurs fois apprécié la délicate poésie.
Les Annales politiques et littéraires du 3 novembre contiennent un élogieux compte
rendu des Bieyi Aimées, le volume de poésies de M. Lucien Jeny, témoignant surtout
leurs préférences pour ses poèmes rustiques et familiers, tels que Récit berrichon,
Quid melius f Chemin creux, etc. La Revue des questions héraldiques du 25 sep-
tembre, Paris, 8. rue Féron, avait déjà consacré quelques Unies, une Notice de
M. Lucien Jeny sur le comte de Maussabré, historien et généalogiste du Berry.
NOTES ET ÉCHOS
,*. Nos compatriotes : M. Jardé, élève de TËcole normale supérieure, est nommé
membre de l'Ecole française d'Athènes pour Tannée 1901-1902. — M. Roblin, avocat
à la Cour d'appel de Paris, vient de passer brillamment son examen du doctorat en
droit, avec félicitations du jury.
/, La nission scientifique, oue dirige notre compatriote M. le comte du Bourg de
Bozas, se trouve actuellement dans le sud-est du Harrar. L. D.
Le Directeur-Gérantj ACHILLE MlLUEN.
\
ttmmw, tmfi, 9, VêlNér%
LA FÉE DE LA <c REVUE DU NIVERNAIS j>
A MES ABONNÉS
De itMeanz de Loire, coiffée,
Je connais les airs du vieux temps,
Cependant, je n'ai pas sept ans.
Ne cherchez point... ; je suis la Fée I
Avec des ailes d*ambassade
Depuis mille ans par vaux, par mont,
Je m'en vais rêver à Beaumont ;
En Nivernais je me ballade.
Pour déchiffrer les vieux grimoires
J'ouvre les castels du Morvan ;
Puis, je repars, en coup de vent,
Pour vous en conter les histoires.
Pécodte dans les cheminées
Les lais, les rondeaux, les Noêls ;
Ver» moi, les joyeux ménestrels
Chantent des amours fortunées.
Prés de La Ramée M), un soir sombre,
réveille un affireux Revenant
Qui fait peur..., le frisson vous prend ;
Je vais oien en rire avec Tombre.
Sur la vieille place Ducale,
En rond avec les farfadets.
Je retrouve de beaux ballets
Devant les saints de Cathédrale.
Sans gue le Duc ne s'en courrouce,
Je lutine avec son lutin ;
Je cherche trace du lointain
Dans les vieux lierres et la mousse.
Par la vertu de ma baguette,
J'envoie aux belles des époux,
Des damoiseaux fidèles, doux ;
Aux bergers, une bergerette.
Pour me mettre le cœur en liesse
Apprenez-moi des fabliaux ;
Allez quérir des chalumeaux
Pour fêter TEnfant de Promesse.
Au bal de la « Vieille-Montagne »
Venez chanter le gui. Tan neuf:
De troubadours, le bois est veui
Depuis le temps de Charlemagne.
Ramenez moi les coryphées
Avec les flûtes du vieux Pan ;
Que ce beau jour et ce bel an,
Vous soient un beau conte de fées I
Souhaitez-moi beaucoup d^années.
Si vous voulez, je grandirai :
Il me faut... je le confierai,
Moult Lecteur et moult Abonnées.
La Fée.
Pour copie conforme :
Fr.^ncoise d'Husselles.
(1; Conte populaire du Nivernais. Revue de septembre (A. Millien).
8â
AEVUE DU NIVERNAIS.
LE NOËL DE NANETTE
A mon ami Léon PeUet.
I
LLE courait, la petite Nanette, dans les
rues noires de son quartier populeux.
Un instant elle s'arrêta, cherchant sur
la petite place sombre son camarade
habituel avec lequel elle jouait c au
petit mari et à la petite femme » et qui
la défendait contre les brutalités des
gavroches. Plusieurs fois, elle appela
« Riri D. Ne recevant aucune réponse,
elle eut peur d'arriver trop tard et reprit sa course.
Elle traversait les nappes de lumière que projetaient les devantures,
éclairées cette nuit de Noël, et replongeait dans l'obscurité. Puis les
espaces noirs diminuèrent, les boutiques devinrent plus nombreuses
et plus brillantes. L'enfant glissait entre les passants, essoufflée, avec
l'habileté particulière aux enfants de Paris, passant du trottoir à la
chaussée et de la chaussée au trottoir sans souci du ruisseau.
Nanette allait dans la a belle église ». Un jour, vagabondant, elle
était entrée. Sortant du brouhaha du marché, elle resta toute saisie
du silence ouaté de l'intérieur. Intimidée, marchant doucement, pour
éviter de faire retentir les hautes voûtes et d'être mise à la porte, elle
avait erré, délicieusement remuée.
Dans le fond d'une chapelle une statue de la Vierge en robe bleue
et or, tenant un petit Jésus, lui était apparue, mystérieuse, simple,
accueillante. Des cierges brûlaient, des fleurs fraîches sentaient bon.
Leurs parfums mêlés à une vague odeur d'encens réveillèrent chez
l'enfant des sensations si délicieuses qu'elle s'agenouilla, cherchant les
petites prières qu'autrefois maman lui avait apprises.
Elle ne croyait plus (à six ans !) que la nuit de Noél le petit Jésus
descend par les cheminées pour donner des jouets, — d'ailleurs, elle
ne connaissait pas de cheminée amie, — mais elle savait que l'église
est illuminée et elle voulait revoir, dans toute sa gloire, la Vierge et
809 enfant.
hEVUE DU NlVÊllNAlS. 83
Soutenue par son idée, elle courait à travers Paris. En vain, sur les
grands boulevards, ce soir-là, les petites baraques étalaient leurs tré-
sors, offraient leurs merveilles, Nanette, passait indifférente. Repre-
nant haleine, elle jeta un coup d'œil à une magnifique poupée, mais
passa outre. Elle contournait les groupes ou les traversait ; pourtant,
elle sentait ses jambes s'amollir.
Allons, encore un effort, la belle dame est si jolie dans sa chapelle
toute d'or, les fleurs sentent si bon dans l'église pleine de lumières
et peut-être que c l'orgue jouera ».
Enfin ! enfin, elle est arrivée, marche plus lentement, approche.
Qu'est-ce cette longue file de personnes? Bon, c'est si joli, beau-
coup veulent voir, veulent entrer ; mais elle, elle passera bien, elle
est si petite. Pas si petite cependant qu'un officier de paix ne l'ait
aperçue : — Allons, allons, circule, veux-tu te sauver. — Les yeux
pleins de cette crainte qu'ont tous les errants, elle se retire à l'écart,
sans révolte, songeuse, sournoise. Un instant elle disparaît. Les agents
dépistés , elle revient, glisse le long du mur, arrive tout près de la
porte. Il y a un guichet. Dans la foule discrètement on se fouille, on
tient prêt son portemonnaie. Il faut donc payer pour entrer !
La douce Vierge qui lui semblait si bonne, si près d'elle, lui parait
s'éloigner, être haut, bien haut, inaccessible. Jamais plus elle ne
pourra la revoir !
Subitement très lasse, les yeux pleins de larmes, triste à mourir,
traînant les pieds, elle partit enfin sous l'œil sévère des agents.
II
Couchée sur un banc, Nanette regardait le bec de gaz, les yeux
grands ouverts sur la lumière clignotante, par à coups presque éteinte,
puis se relevant crénelée, dansante. De la fixer ainsi, les choses deve-
naient étranges, prenaient des formes animées, énormes, fantastiques.
Peu à peu l'enfant s'assoupit, avec, dans le regard, un rideau de
lumière jaune pâle qui allait en s'affaiblissant, puis glissa dans une
grande masse sombre effrayante d'obscurité. Une étincelle surgit,
papillota un instant, s'effondra, se ralluma chatoyante, s'affirma vic-
torieuse. Une autre, une autre, beaucoup parurent, comme s'allument
les étoiles, toutes petites, des couleurs de l'arc en ciel, grossirent.
Elles allaient, elles venaient, se réunirent ; ensemble exécutèrent de
84 REVUE DU NIVERNAIS.
Ifints mouvements rythmiques, tourbillonnèreut vite, vite et disparurent
d'un seul coup. Une revint, clignota, enfin s'éteignit dans la clarté
grandissante d'uû beau voile de moire dorée.
Tout à coup un bébé à cheveux fous parut, revêtu d'une longue
chemise, tendant ses petits bras à une belle dame habillée d'une robe
de dentelles fines qui lui montrait un petit sabre dont l'acier jetait un
clair moins brillant que celui d'une bague qu'elle avait à un doigt.
Subitement d'autres bébés blonds arrivèrent en courant, affairés^
tout joyeux, puis embrassés, caressés, sautaient, les bras enserrantà
grand peine de beaux jouets. Et ces petits arrivaient toujours, se bous-
culaient. C'était une longue théorie dont on ne voyait plus la fin et
tous recevaient. On ne comprenait pas comment tant de choses pou-
vaient venir. Même la robe de dentelles avait fait place à une autre à
grands ramages garnie d'un linon si léger qu'on aurait dit des filets de
brouillard ; les cheveux sont maintenant bruns, encadrant un visage
lumineux. Tout se transforme si bien qu'on n'est pas étonné. Ce ne
sont déjà plus les bébés jouant avec leurs cadeaux, mais un bonhomme
de Noël à la grande barbe blanche qui fait avec un polichinelle multi-
colore des entrechats endiablés. Une minuscule ménagerie cabriole
vis à vis de beaux soldats de plomb jonglant avec les plats d'une cui-
sine de poupée ; un petit mouton frisé avec sa boîte de caoutchouc aux
pattes saute par-dessus un grand cheval de bois. Puis, dans une grande
clarté apparut une petite cabane couleur chocolat. Des sapins couverts
de filigranes figurant la gelée, des moutons, une vache, un âne en
carton, des statuettes de porcelaine, avec une couronne sur la tête, en
longue robes à couleurs voyantes, entouraient un bébé ceinturé de
rouge, couché sur un lit de paille tressée et tendant ses petits bras.
Tout grossit démesurément et l'enfant ne vit plus qu'une petite fille
à peine couverte de haillons, sale, crottée, tête basse, honteuse, les
cheveux en désordre qui, brusquement se retourna, prête à se sauver
et Nanette se reconnut.
D'un coup elle devint propre, bien peignée, avec une gentille robe,
un gros nœud rose sur le côté. Elle osa alors regarder la dame vêtue
d'azur constellé d'or, tenant tout resplendissant et si beau son Enfant
Jésus. Le regard de la bonne Vierge était si doux que la petite vint à
elle, pas du tout timide et reçut une grande poupée habillée d'argent ;
BQS lèvres rouges pouvaient parler^ ses longs cils bordaient des pao-
REVUE DU NIVERNAIS. 85
plères remuant sur des yeux très brillants. Elle dormait, confiante, sur
l'épaule de sa nouvelle petite mère ou lui souriait tendrement.
Wanette, pendant qu'une douce chaleur Tenveloppait se trouvait si
heureuse, perdue dans le divin regard qu'elle se mit à rire. Elle vit
ses dents blanches, mignonnes dans un frais visage, ses boucles brunes
s*6nvolant dans un souffle parfumé.
Puis les bébés reparurent, aussi petits qu'elle. Tons ensemble, un
jeune f;arçon ressemblant à Riri, tenant une main de sa poupée et elle
l'autre, firent une grande ronde joyeuse, dans un jardin féerique
rose comme le coucher de soleil d'un soir d*été. Le petit Jésus riait,
86 trémoussait, battant ses menottes.
Puis tout disparut et devint noir.
On la secouait brutalement. Lentement, Nanelte revint à elle. Toute
engourdie, elle vit la flamme du gaz la regarder blafarde, toujours sau-
tillante, moqueuse, vilain sylphe. Elle sentit le froid, de grosses voix
semblaient la gronder. Elle aperçut le long trottoir boueux, sombre»
triste. Oh ! si triste I
Quelques personnes, bien emmitouflées, se penchaient. Un géant,
avec de grosses moustaches rudes, la tenait au bras et lui faisait mal.
Soudain, nn bouton de la tunique scintilla. « Oh ! les flics i», sar ces
mots d'argot dans sa bouche tordue de peur, elle voulut se lever et se
sauver. Jfais elle ne put remuer, une étrange langueur la saisit et elle
partit revoir la belle dame qui donne de grandes poupées.
L'enCant se rendormait dans ses guenilles, recroquevillée, la tête
posée à même sur le bois dur du banc.
Les agents secouèrent un peu plus fort le pauvre petit étre,et vague-
ment inquiets, tentèrent de la réveiller.
Encore une fois arrachée au rêve, les regards profonds, tout clairs
des jolies choses vues, fixèrent les faces bourrues puis, brusquement,
chavirèrent.
Le cercle grossissait. Des visages violacés par le froid, sous des cha-
peaux hauts de forme ou des casquettes, se penchèrent sur ce paquet
de loques qui était une enfant.
— Qu'allons-nous en faire ? elle va geler, dit un agent à son cama-
rade, et dès lors les avis s'entrecroisèrent. — Il faut la porter chez un
pharmacien. — Là, an coin, chez le restaurateur, lui donner du bonillon.
— Jean ! Qu'est-ce que ce rassemblement ? Le valet de pied, sautant.
86 REVUE DU NIVERNAIS.
à bas du siège, pénétra dans le groupe et retournant vers sa maltresse,
lui répondit :
— Madame, c*est une petite mendiante qui dort sur le banc et que
les agents veulent faire partir.
— Dormir dehors I par un froid pareil !
S'élançant hors du coupé, enveloppée de fourrures, une jeune
femme s'approcha vivement. On s'écarta, intéressé, les agents saluèrent.
— Mais qu'a donc cette pauvre petite ? elle doit être morte... Non,
elle respire.
Charitable, soulevant la frêle fillette, sans dégoût pour les pauvres
nippes atrocement sales, elle la fit porter dans la voiture confortable,
chaude, fleurant bon, bien capitonnée.
Les chevaux partirent. Pendant que le bruit de leur trot relevé se
perdait dans la nuit, une délicate odeur féminine, fine essence aristocra-
tique, se dissipa ; le groupe se dispersa et la lumière du gaz, moqueuse,
méchant lutin, fit la nique aux sergents de ville martelant de leurs
grosses bottes le long trottoir boueux, sombre et triste.
III
Toute mièvre, délicate, maigre à faire pitié, pâle avec un front trop
grand, ses cheveux s'éparpillant sur le grand oreiller brodé, bien lavée,
légèrement rose, Nanette dort doucement. Un souffle léger prêt à s'en-
voler soulève à de longs intervalles la frêle poitrine.
— Oh ! docteur, vous ne pouvez donc rien. Regardez comme elle
est mignonne... Ce qu'elle a dû souffrir.
Le médecin ausculte, murmure des mots scientifiques, la bouche
plissée. Au dehors, les voitures roulent, des bruits s'élèvent dans cette
froide matinée. Jeunesse, beauté, richesse, tout rit au clair soleil. Des
voix jeunes, fraîches, fusent dans l'air, éclatent joyeuses.
Lentement, dans la figure tirée de la petite Parisienne, les cils se
sont levés. Les regards d'yeux légèrement bleutés errent vaguement,
encore tout embroussaillés, la toilette non faite du long voyage au
pays du rêve ; le pays où les dames ont des robes bleues constellées
d'étoiles, vous donnent de belles choses, où l'on rit. Ton danse, dans
de beaux rayons lumineux avec des petites filles habillées de nuages
roses et des petits garçons qui vous aident à faire tourner votre
poupée.
RE\OE DU NIVERNAIS. 87
Cependant Nanette, quittant le songe, croit dormir encore.
Quel est donc ce gros monsieur qui a Pair si bon et cette belle dame
en peignoir crème avec de si jolies dentelles ? Sa chevelure blonde est
fixée coquettement avec un peigne d'écaillé rehaussé d'or. Ses grands
yeux sont si doux qu'on croirait voir encore la bonne Vierge tenant le
petit Jésus qui était avec la vache et les moutons et l'âne dans une
belle cabane de chocolat. L'enfant, glissant à son rêve, referme dou-
cement les yeux. Mais les voitures roulant et les éclats de voix de la
me la réveillent encore. Ses regards vont, étonnés, des draps festonnés
aux grands rideaux blancs, errent sur le chaud édredon encore couvert
de sa courtepointe brodée, sur la belle dame qui la regarde et lui
sourit. Alors elle parle, elle a peur, car sa voix lui semble résonner et
retentir comme dans une église sous les grands arceaux légers,
si hauts, si hauts que pour les voir au-dessus de soi il faut se pencher
tout en arrière à en tomber. Mais à peine si on entend sa voix sifflante,
la belle dame et le grois monsieur s'approchent tout près.
— Oh ! Madame, vous n'avez pas vu la poupée jolie que m'a donnée
la maman du petit Jésus. Je l'ai appelée Lili, comme petite sœur qui
est morte à l'hôpital. Je l'ai vue, Lili, et aussi petite mère avec des
joues fraîches comme quand j'étais toute petite. Elle n'avait plus ses
vilains yeux creux et sa peau jaune comme quand elle était malade.
Je lui ai dit que j'étais bien malheureuse, que souvent j'avais faim,
j'avais froid, qu'on me battait dans les rues. J'ai dansé avec un lapin
tout blanc, le bout du nez rose. Puis la musique est partie, petite sœur
avec les autres, les peliteb filles et les petits garçons qui sautaient, puis
Riri. Petite mère est restée la dernière, elle me disait de venir ; moi
je voulais bien, puis elle est partie triste et maintenant je suis seule,
toute seule....
Les larmes se pressaient, affluaient sous les paupières de la pauvre
petite.
Un sursaut la rejeta hors des couvertures ; assise sur le lit, une
toux violente déchira sa gorge. Les quintes, longtemps, secouèrent la
pauvre petite fille. Epuisée, Nanette se renversa en arrière, les yeux
étrangement dilatés. Une faible écume rosée colora ses lèvres. Toute
bouleversée, la jeune femme essuya la bouche de l'enfant.
Après un instant, songeuse, doucement elle disparut.
Elle revint, portant une poupée habillée de soie rouge, coiffée d'un
88 REVUE DU inYERlfAI&
cbapeaa garni de tulle, gantée, bottée, la mine fière, souriant d'an air
matin.
— Oh Lili ! Elle est aussi belle que Lili ! Serrant désespérément ^
poupée contre sa maigre poitrine pour ne pas la perdre une deuxième
fois, Nanette remercia d'un long regard effaré et heureux, allant d«
bonhomme aux lunettes mouillées de larmes, à la belle dame la figore
convulsée, et retourna au Paradis, où déjà était petite mèr^ caressée
par la bonne Vierge, au regard dair et doux, i la robe constellée
d'étoiles et où les petites filles, câlinant dd grandes poupées, n'ont
plus jamais ni laim ni froid.
f Reproduction interdite). Louis Tayerhâ.
NOËL
Trois et quatre ans, La sœur ainée.
En chemise, hier soir, a mis
Dans P humble et froide cheminée
Deux mignons souliers dévemis.
Voici Vauhe de la journée
Où. les Anges du paradis^
Quand Noël a fait sa tournée j
Vont éveiller les tout petits.
Elles grelottent, les fillettes,
En quittant leurs pauvres couchettes,
Pour courir vers Vâlre, sans bruit.
Hélas ! les bottines percées
Sont encor vides et glacées.,.
La mère est morte dans la nuit,
Alexandre Piedagnel.
NOËL (MOYfîN AGE)
... Or voici le missel que Ton coloria
Poar la naïveté des âmes primitives :
Le sol neigeux s'est étoile de fleura hâtives.
Et les Archanges blonds chantent des Gloria.
L'artiste fut habile : il inventoria
Dans leurs moindres détails les ombres collectives.
L'étable est d'or au sein des blancheurs relatives
En qui l'immensité des champs s'historia.
Les nocturnes clartés des Elhers semblent froides,
L'âne et le bœuf sont doux malgré leura poses roides,
Leurs fronts sympathisants paraissent tout rêveurs.
Et, sur un peu de foin qui recouvre une planche.
Un ange agenouillé contemple, en des ferveàrt,
Cet Enfant lumineux sur çeUe Vierge blanche.
Henri Bagheldi.
REVUE DU NIVERNAIS 89
LES PRÉDICTIONS
DE LA FEUILLE DE BUIS
Le Boir des Rois ou de TEpiphanie,
A la veillée, au cœur du vieux Morvao,
Du vieux Morvan, cette terre bénie
De la Légende et des récits d'autan,
Parfois l'aïeul de sa chaise se lève,
A pas tremblants s'approche du fourneau,
Le front pensif, comme au sortir d*un rêve^
Et de buis vert tenant un court rameau.
Chacun se tait : l'assemblée attentive
Vers le vieillard chenu tourne les yeux,
Tandis qu'au loin gémit la voix plaintive
Des vents d'hiver, sur le Beuvray neigeux.
D'un ton très grave enfin l'ancêtre annonce
De qui le buis va dire le destin.
Du neveu Pierre ou du cousin Léonce,
Ou d'un filleul, d'un ami, d'un voisin.
Puis, sur le poêle au chaud couvercle il jette
Du buis bénit une feuille au hasari.
Et l'assistance anxieuse, inquiète.
Suit vivement la feuille du regard.
Quand celle-ci, par la chaleur gonflée,
Et décrivant de bizarres circuits^
Dans tous les sens tourne comme affolée,
Se tord, éclate avec de légers bruits,
Elle prédit du trouble dans la vie,
Des jours d'épreuve, un douloureux trépas ;
Mais si la feuille, en tournant sans folie,
Dans l'air brûlant disparait sans éclats,
D'un sort tranquille elle est l'heureux présage :
Sans grands chagrins le Morvandeau vivra,
Sera fidèle au gite et, comme un sage,
Sur le chevet de ses pères mourra.
Ainsi l'Eubage, en la Gaule celtique.
Aux temps anciens, faisait parler le gui,
Ou la vei*veine à la vertu magique,
Alors sacrée, oubliée aujourd'hui.
(Extrait inédit des Légendes de la Nature),
Lucien Jeny.
90
HëVU£ du NIVERNAIS.
CONTES A MES ENFANTS
LA LÉGENDE DES BŒUFS
Conte de Noël,
A Henry du /..
ETTE véridique histoire s'est passée, il
y a bien longtemps, pendant une nuit
de Noël. Ni vous, ni moi n'étions de
ce monde : c'était en des temps tout
à fait anciens.
Ce soir-là, dans le domaine du Crot-
aux-Loups, que l'on voit encore au pied
de notre vieux Beuvray, à l'orée des bois du Chapitre, les gens faisaient
la veillée en attendant l'heure des matines.
Sous la haute cheminée où clairait la bûche de Noël, l'aïeule, dans
son fauteuil de bois, au a quart du feu », tendait vers la flamme ses
mains sèches et ridées de vieille paysanne. Elle avait tant peiné dans
sa vie, la pauvre grand'mère, qu'elle ne pouvait plus rien faire que se
reposer, en attendant que le bon Dieu la prit...
Le fils aîné, Claude, assis sur un banc de l'autre côté de l'aire,
s'occupait à réparer un fléau pendant que Jeannette, sa femme, aidée
de la servante, allait et venait dans la chambre, finissant le ménage,
rangeant les écuelles du souper, préparant le réveillon du retour.
Sur la huche de noyer, le pain, pétri dans la journée par la servante,
attendait que le four fût chaud et l'on voyait sur le dressoir, à côté
d'une pyramide de boudins, une énorme couronne, toute blanche de
farine, prête à se muer en une galette de beursaudes, brune et dorée,
et sentant bon...
Les enfants n'étaient pas couchés : on leur avait permis de faire un
bout de veillée, à cause de la fêle. Ils regardaient avec des yeux de
convoitise la galette et les boudins, ou s'amusaient à des jeux de leur
âge: Mariette, l'aînée, berçait daiit^ ses bnis utie poupée dont la tète
était faite d'une grosse pomme roii^e , le corps et liîs membres de
joncs tressés ; Etienne et Jacques, les deux petits gai^ns, traîuiïiejjt
à grand bruit sur le soi de terre haUue un vieux chariot saas roues,
en galopant comme de jeunes poulains. *,
REVUE DU NIVERNAIS. 91
Od entendit quelqu'un, au dehors, frapper des pieds sur la pierre
du seuil pour détacher de ses sabots les lourdes semelles de neige.
La porte s'ouvrit et Lazare, le frère cadet de Claude, entra, reve-
nant de donner aux bêtes la fourchée du soir.
Il secoua encore ses sabots, fit tomber de la main les flocons de
neige qui couvraient sa veste ; puis il alla s'asseoir à côté de son
aîné et se mit à tailler avec son couteau une cheville de joug.
Quand le four fut chaud, Jeannette fit tomber la braise et les fume-
rons dans la cheminée.
Elle enfourna les pains et la galette , puis elle prit son rouet et
commença de filer en chantant à demi-voix un Noël du temps jadis.
La servante, debout, tricotait...
Dans rétable voisine, un bœuf mugit : meuh!... Puis un second:
meuh I... et tous les autres se mirent à mugir en même temps, comme
s'ils voulaient s'appeler et se répondre.
Jeannette arrêta son rouet et cessa de filer. Claude et Lazare, levant
la tête, laissèrent leur ouvrage, les enfants leurs jeux et tous écou-
taient les mugissements, profonds et sonores dans le silence et le
calme de la nuit.
*
— Les bœufs commencent à se tourner, dit l'aïeule. C'est ce soir
qu'ils parlent...
Mariette, déjà grandelette pour ses douze ans, se rapprocha, curieuse.
— Les bœufs vont parler, mémère ?
— Bien sûr, comme tous les ans à pareille heure. Quand l'Enfant
Jésus vint au monde dans une étable, il souffrait grandement du froid,
n'ayant point de langes pour se couvrir. Le bœuf le réchauffa de son
haleine et l'on dit qu'en récompense le bon Dieu permet aux bœufs de
parler, une fois l'an, pendant la nuit de Noël.
— Et que disent les bœufs, mémère ?
— Cela, mes enfants, on ne peut le savoir, par la raison qu'il n'est
92 REVUE DU RIVERlfAIS.
point permis d'aller dans les étables à ce moment. Il est toujoun
arrivé malheur à ceux qui ont voulu écouter les bœufs et l'on n'a
jamais connu le secret de leurs paroles...
— Mais la bourrique, mémère ? la bourrique qui était dans FétaUe
avec le bœuf? Les bourriques parlent-elles aussi?
— Je ne le pense pas, mes enfants... Non, cela, je ne Tai jamais
ouï dire...
— C'est sans doute, dit Jeannette, que l'âne a reçu sa récompense
de son vivant, puisqu'il a porté TEnfant Jésus pendant la fiiite et plus
tard Notre-Seîgneur le jour des Rameaux.
— Peut-être... Mais quant aux bœufs, c'est sûr qu'ils parlent. Feo
ma mère me Ta souvent conté et tous les anciens du pays vous le
diront...
Le pain était cuit. A la bouche béante du four, on aperçut la galette,
jaune comme de l'or, mouchetée par endroits des taches brunes que
font les beursaudes à la chaleur du feu.
Jeanne la retira la première et ensuite les grosses tourtes de seigle
qu'elle mit à refroidir sur la table, en attendant qu'on pût les ranger
dans la huche.
La chambre était toute parfumée de la bonne odeur du pain chaud et
les enfants tendaient leurs museaux gourmands vers la galette.
— Allons, les p'tiots, dit le père. C'est assez veillé comme cela... An
lit, au lit... On se régalera demain, pour la fête...
Les enfants sont couchés. Le père la Nuit est passé avec son sac plein
de sable et leur en a jeté dans les yeux. Tous trois dorment à poings
fermés, rêvant au régal du lendemain.
L'heure s'avance...
— Il faut parlir, dit la grand'mère. Je peine fort à marcher avec
mes vieilles jambes et les chemins ne sont pas bons par cette neige.
Nous avons une grande heure de route pour nous rendre au bourg et
quand on n'arrive pas à temps, on ne trouve plus de places à l'église.
Toi, mon Lazare, tu gar4eras, durant que nous entendrons la messe
et que nous chanterons Noël..,
REVUE DU NIYEimAIS. 93
Sur le pas de la porte, Lazare les regarda partir, Claude sous sa peau
de bique, les femmes enveloppées de leurs mantes à capuchon.
La neige ne tombait plus, mais la couche glacée et durcie qui cou-
vrait la terre criait sous les sabots : frinc !... frincl... frinc !... Bientôt
le bruit diminua, les gens disparurent au détour de la charrière, avec
la lueur de la torche que portait Claude pour éclairer la marche dans la
nuit noire...
La porte close, Lazare retourna s'asseoir auprès du feu, rêvant au
récit de la mère... Si les bœufs allaient parler?... Qui l'empêchait
d'écouter, pour savoir?...
Lazare n'était point ce qu'on appelle aujourd'hui un esprit fort :.il
n'y en avait guère en ce temps-là, où la foi était toute simple, comme
les gens. La curiosité seule le poussait. Que pouvaient bien dire les
bœufs ?
Pour le reste, il pensa que, n'ayant point de mauvaise intention, il
n'était coupable d'aucun péché. D'ailleurs, il n'entrerait pas dans
retable... Et puis il garderait fidèlement le secret des bêtes et se pro-
mettait de n'en rien révélera personne...
Il jeta dans le feu un morceau de bois avec une brassée de balais,
gagna la cour, monta à pas de loup l'échelle extérieure qui menait au
fenil, se blottit dans le fourrage à côté de Tabat-foin et tout douce-
ment, en retenant sa respiration, pencha la tête au-dessus de l'ouver-
tm^, pour écouter...
Dans l'écurie tout était tranquille... Une chaleur douce, avec Todeur
de retable, montait vers lui ; il entendait le bruit des robustes mâ-
choires qui ruminaient lentement ou tiraient à elles le foin du râtelier...
Par instants, une bête se levait ou se couchait en soufOant...
Une heure se passa, qui lui sembla longue...
Les bœufs ne parlaient point...
Il eut l'idée de s'en aller. Comme il se trouvait au chaud dans sa
cachette, il resta...
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i pi is l'-tj-ie Li-::K-^ biZ n* «lt >^f l'uL -K :*f<£ i»:«& qil pti-rte-
*•* !♦* T iL^ i-K r» «i: v> i, '--< r.î- •»*< fie Dr-ja'ropcwrfal k$
î-^-HT :•»* i-- — t ir:-i:^- Fi:* •-< ii- Cf :. .i ^^^i : r-^-^izot^r iaasson
i-^.r-., *t-> :;u"-i> ". i-iir-:: ^: r:'- i i : ^l: t£ ."v ri'iTi^i^ai dit les
L i'-^i 1 .1 i .111^ i: j: r- ^i 5>î2\ IT12: fi*? !•? prêtre fit TeaB
f ;: :r^,-î i J^^ ,^ ;;ir E.irr^ -fc ?'ïi^: :•!
FftA5çoics MoimsÂr.
REVUE DU MVERNAIS. 95
LE NOËL DU PETIT MALADE
Sept heures. C'est le soir. L«ï père, en bourgeroD,
Rentre de son travail. Ouvrier forgeron,
Il a de larges mains, la peau rude et tannée.
Cuite au feu de la forge, où, noir, toute Tannée,
11 fait jaillir du fer des étincelles d'or...
— Bonsoir, femme, dil-il. Tu parais triste encor ?
Depuis deux ou trois jours je te vois Tair morose.
Comme si tu soufTrais. Dis, as-tu quelque chose ?
Ce n*est pas naturel. Parle, je veux savoir !
La mère répendit : — Si je pouvais avoir *
Quelques sous 1... pas pour moi... — De Targenl! Pourquoi faire?
— Va, ne te fâche pas. — Est-ce donc un mystère ?
— Non, mais... c'est que... demair, c'est Noël. Je pensai^...
Notre petit Marcel... à Thôpital... tu sais?
— Oui, nous irons le voir. — Si tu voulais, mon homme...
J*ai vu chez le marchand de jouets un bonhomme
Qui fait aller ses bras, tient un journal et lit.
Ça l'amuserait bien, le mignon, sur son lit.
— Oui, mais ça coûte cher, un jouet mécanique?
— Vingt-neuf sous, seulement ; il est frais, magnifique...
Le forgeron tira de sa poche deux francs
Et dit en les tendant à sa femme : — Tiens, prends 1
C'était pour mon tabac... je fume assez, ça m'use,
Il vaut mieux que demain notre gosse s'amuse.
Achète le bonhomme et des bonbons aussi.
Ce sera son Noël, à ce petiot. — Merci,
Dit la mère. Cela nous portera la chance.
Le bon Dieu... tu verras !.. — Je n'ai plus d'espérance.
— Qui sait?
Le lendemain ils allèrent tous deux
A l'hôpital. Le temps était froid, mais les cieux
Etaient clairs. Le soleil s'était mis de la fête
Et ses rayons venaient illuminer la tête
Des petits malheureux couchés dans leurs lits blancs.
La salle était plus gaie et les pauvres enfants
Bercés du tendre espoir de voir bientôt paraître
Des parents, des amis, un camarade, un maitre,
Souriaient vaguement, offrant leurs fronts pâlis
Aux caresses de l'air, comme de jeunes lis
Desséchés par le vent
Sur le pas de la porte
Le forgeron dit tout bas : — Ayons l'âme forte.
Femme, ne pleurons pas et paraissons joyeux.
11 faut que le pauvret regardant dans nos yeux
Ne puisse y découvrir le chagrin qui nous mine.
Tout à la fête ! Allons ! N'ayons pas triste mine !...
96 REVUE DU NIVERNAIS.
Après ces quelques mots ils frauchirent le seuil.
Jetèrent dans la salle un rapide coup d'œil,
Et virent se dresser lentement sur sa couche
Un jeune enfant pâlot. De sa mignonne bouche
Sortirent ces deux noms : — Mon papa, ma maman !
Puis il tendit vers eux ses bras. Quel doux moment
Et pénible à la fois !... La mère devint blême,
Flageola, se raidit, eut la force quand môme
D'arriver jusqu'au lit. Le père, lui, sentit
Un coup terrible au cœur, et vers son cher petit
S'avança souriant... 0 la cruelle étreinte !
Ils baisèrent leur fils, défaits, tremblants de crainte.
Et le forgeron dit : — Eh bien, mon petit gas,
Est-ce que ça va mieux? ~ Papa, je ne sais pas,
Lui répondit l'enfant, mais la fille de salle
A dit que dans bientôt je jouerais à la balle.
Elle est bonne pour moi, m'appelle son chéri,
Et moi, je l'aime bien. Quand je serai guéri.
Je m'amuserai... Tiens, voici la demoiselle !
L'infirmière arrivait. — Il est sauvé, dit-elle.
Le docteur en répond. La fièvre l'a quitté.
A Berck on l'enverra passer trois mois d'été
Quand il sera d'aplomb... 0 les mots pleins de charmes
Qui firent aussitôt couler de chaudes larmes.
Des larmes de bonheur !... — Vous pleurez? fit Marcel.
Pourquoi donc? C'est la fête aujourd'hui. C'est Noël.
— De joie, ô mon amour, nous pleurons, dit la mère ;
Car Jésus a, mon ange, exaucé ma prière.
Sais-tu ce que pour toi j'ai trouvé ce matin
Dans notre cheminée?... Un superbe pantin
Avec des bonbons. Prends... Le bonhomme, regarde,
Il va marcher tout seul... — Oui, mais, maman, prends garde
De ne pas le casser... Tu le montes trop fort...
Donne... si tu venais à briser le ressort
Qu'il a dans le ventre !... Oh ! ces trois heures passées
Près de leur fils malade !... Oh ! les larmes versées
Quand la cloche donna le signal du départ !
Oh I ce dernier baiser ! Oh ! ce deroier regard !
Peut-être le dernier de tous... Non. L'infirmière
Ne leur a pas menti. Marcel, la nuit dernière
A bien dormi. Son pouls bat régulièrement.
De l'avis du docteur, ce sera long, vraiment.
Mais il en reviendra... D'espoir leur âme est pleine,
Et tous deux s'en vont, la figure plus sereine.
Le forgeron disant en s'éloignant du lieu
De misère et de deuil : — Il y a donc un Dieu !
Théophile Pranght.
REVUE DU NIVERNAIS.
CONTE DE NOËL
A Madame Raoul Conite.
Tout au bout du long faubourg, presque dans les champs, loin
déjà de l'église de Château-sur-Loire, Moussette entendit sonner les
cloches si joyeusement qu'elle ouvrit la porte de l'étable abandonnée
où elle demeurait avec Blanchetle et regarda curieusement
— C'est Noël! disait l'aubergiste à son voisin en se rengorgeant avec
la suffisance d'un patron dont la boutique est toujours pleine. Ce soir
on va réveillonner ; le cabaret ne désemplira pas de la nuit.
En face de l'enseigne pompeuse c Au Raisin de Bacchus », le sabotier
répétait aussi en regardant son petit gars avec malice : « C'est Noël I >
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.. Jo u'avoir pa^ â*i i^-ff p >'jr Vi^i- •i-f-Lire ; p: :r^::â ^-on
..>o parce qu'on n'a p'ijr <*'' \*'îir q'je 1^ ^;cn...rs *:•?> ajlrvs? »
^ UiJiissrUt^ n** savait pa^ q«j«f la vie e>l une ch«j>e injuste qui oe se
^iM'ii'f (mmuI '^ns Di»fu.
, i^iiit ilj\ ^itiS qu'elle était née sur la grande route de Paris à
bitMit'tt <tiv mois que la roulotte s*était arrêtée au bout du long
\
REVUE DU NIVERNAIS. 99
Les hommes rançonnaient les villages sous un prétexte d'élamage ou
maraudaient dans les champs. Sa mère tressait des paniers, confec-
tionnait des corbeilles de jonc, et la pauvrette, le plus souvent sans
succès, allait les offrir de porte en porte avec les fleurs des prés de la
saison.
Jamais Moussette n'avait connu les joies des tout petits, jamais on
n'avait réclamé son sourire, personne ne jouait avec elle ; sa mère
môme l'embrassait furtivement ; elle n'avait jamais dormi ailleurs que
sur la mousse ; la mousse était sa seule marraine.
Ses pieds traînaient des sabots trop grands, cassés, jetés par les
villageoises pour s'en débarrasser ; sa jupe, en lambeaux, n'avait plus
de couleur ; sa coiffure, un éternel mouchoir de coton grisaille retom-
bait en pointe sur son dos ; son seul chapeau, trouvé sur un tas, en
paille noire, écrasé, portait des roses ou des chiffons fripés, souillés
de boue. Jamais elle n'avait rien eu de ce qui fait tant de plaisir aux
petits : quelque chose de neuf, acheté pour elle. On la voyait en extase
devant une poupée de rebut, de treize sous, au bras cassé, oubliée à
la devanture de la mercière.
Cependant Moussette se souvenait... Quelqu'un l'aimait dans la
pauvre roulotte! Sa mère l'embrassait quand les hommes étaient
partis... ; sa mère réchauffait, dans ses mains^ ses pieds glacés, se
découvrait pour la couvrir la nuit, la cachait quand les étameurs ren-
traient ivres et lui donnait à boire tout le lait de Blanchette.
Puis un jour la mère était devenue bien malade ; elle crachait le
sang, elle étouffait. Sans une visite de médecin, elle mourait trois
jours après et tandis que la pauvrette l'accompagnait au cimetière,
sans un prêtre et sans une croix, la roulotte était partie.
Dans une étable abandonnée, Moussette s'était réfugiée faisant son
lit d'une crèche, d'une longue mangeoire de bêtes ébrèchée, remplie
de mousse ; elle ne connaissait pas d'autre matelas ; Blanchette l'avait
retrouvée dans sa nouvelle demeure. Depuis ce temps, la pauvrette avait
vécu, elle ne savait comment, cueillant de la doucette ou du cresson en
échange d'une soupe chez les jardinières, apportant des gerbes de
fleurs des champs aux dames de la ville. Les champignons à l'automne,
les ouvrages sales dont personne ne voulait lui avaient rapporté quel-
ques sous; elle gardait les chèvres du faubourg en conduisant Blan-
chette au pré communal pour assurer son pain.
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Malgré son grand étonnement, il avait vu tant de cheminées dans sa
vie qu'il ne pouvait croire qu'on pût en manquer, il se souvint bien
vite de son catéchisme et prenant un air réfléchi, entendu :
— Le petit Jésus, c'est le bon Dieu et le bon Dieu est partout, mais
l'église est encore plus sa maison. Va lui dire là ton chagrin ; il t'écou-
tera ; tu me rencontreras peut être ; je n'ai pas de sabots, moi, si tu
n'as pas de cheminée.
— Je n'oserai jamais, dit Moussette.
— Tu oseras, reprit le petit ramrneur. Et le soir et la nuit tout
entière, la cabane fut illuminée du rayon de soleil des gueux : d'un
peu d'espérance.
Le lendemain, lorsque Moussette se réveilla, elle n'avait rien oublié.
Toute la matinée, elle se prépara à sa grande visite. Comment ferait-
elle? Que dirait-elle? Bien lavée, bien peignée, d'un triste peigne
trouvé sur le tas, son chapeau remplaçant l'éternel mouchoir, elle
attendait pour partir de n'être pas vue de la rousse. EnQn, une bonne
odeur de pâté, d'oie aux marrons, de tartes aux pommes arriva jusqu'à
la cabane ; elle pourrait être tranquille maintenant, on Toublierait
dans le festin. Pour plus de sûreté, elle prendrait le sentier derrière
la haie.
Et dans le chemin creux, aux ornières craquantes sous ses sabota
_ .E :J MYEILNAIS.
„^, ^ ^-, . ^ !__-.: ::: :{^i elle se cachait aiusi sans avoir
,. _ - _.:_^ : :e le gros marchand de vins qui
- ' . *• -a superbe chaîne d'or, au
- - --.-.- savait pas qu'on peut être
> - -jiiLi quand on est riche et
" •. ' *"• pjissauce d'ici-bas, que
. • ;•' ' ..lichant Dlanchette, qui
. ^ -a -'î.^* !u 'lur, .e *'tar l^atlant, elle
^ ^ ' . .-"■••.•IL I -.'r'-ci-r. 'aI*î ap^rrnt une
-^^,;i (■>- iiîr* <:iai)tMie -f *- -':->-^ 'ir et mon-
• ' •• '■-iii, uie "taoje z^ -r .i >ienue, et
;i> • u»* ' •.a•l»^ Ann'^ "'Itt.;^^ t *r -vaut b'être
•x-f ' u'iirb ijuanii II' i't^lil ^— • .- ir, ^•a>tement
^ . ♦, 'i - .ippniciiaiu un [)»mk /'£...:,. .'rr^ys couché
:if l'^cue, t'f)iiime la -k -:--, ,i milieu de
i.vM Lit* -t ^ui ;.iu^ peiir fia tout ±\^- c :. :^ier en le
^N* tuvtr «iU '-lie.
. . -i ..t; . -Mail -^niiiL-us^ ^n rpiiardanl : -.i^ . **î^ ' ~.^^-:*-s incon-
,^ . 'K'iL :unc :»as "[u'*'il*^ «le bi**Q ina.a^'ir"::-*- ! ..
-, ,i . ; ti>uiL M'Mi>^ite 'lans -a pf^tiie luie -*•::: ^> '" n'aurais
, ^ ♦. , .t ijui ae LLeii> aii^nt manque à^- ^L''Jt:^ -i i- cn^miaées
...» \ »i" ^*tif \îrniu'fiL-*i5 du[ic 'b^uaufif-r *... Is i" «ui pas faim
... a >a- , i i Ml 'uairque dvuic quelque «:hose?
\x >t'.'KUN ,;:tnMHie'* d''>r. de beaux messieurs, :ubiii»-s nohement,
„, .-j it .X .m>avec un {)Htit niban rouize à ia bout'umien*. nt^riaient leur
,,..n; t' '•»' i'^»in' ^0 p*tt.-nir de pbMin^r...; de beile> daines o»uvertesde
.MM^tit'x, .'iU'N u\naient pas froid pourtant, laissaient couler leurs
u*ti* A. . ^b's litunuies d** tout à^ze, vêtus de n>bes noin*s. blanches ou
MHt»ox, drx i\'ujines au b»niî voile retombant sur leurs épaules, un
HOii' -U' vie de vo>a^e à la main, parai^.saient Iri-tes... tristes comme
oS l'iaienl oba>>es... et allaii'nt partir; un vieillard en grand
.(» iitt leutlail M"^ deux bras vers la crèche pour crier ju>lice. Pourquoi
\,^[H fllii mère, cachée sous tant de crêpes, s'accrooh ait-elle i
\, l ihie ptmr ue pas tomber? Pounpioi les trois fleurs de lys d'or de
^.0 beau bvre elaieut-^'lles si mouillées? Pourquoi ce vieux père, si
wiii'laiit td si pâle, au milieu de ces marins, s'avançail-il en serrant
r
REVt'E BU NIVERNAIS. 103
sur son cœur un drapeau ; pourquoi baisait-il ce drapeau comme la
pauvrette baisait la terre au cimetière?... Tous les assistants, jeunes
ou vieux, pauvres ou riches, semblaient demander, implorer, supplier...;
seuls les petits apportaient des sourires à TEiifant de Noël, et Moussette
restait pensive, car elle ne savait pas, la petite Moussette, qu'on
cherche le bonheur pendant toute sa vie, qu'on désire toujours ..
qu'il n'y a sur terre que des mendiants et des pauvres !...
Puis ses yeux se reportaient sur les jolies petites filles, portant dans
leurs bras les surprises de la nuit, mais ce n'étaient pas les admirables
poupées, prêles à parler, que Moussette envitiit, c'étaient les caresses
de leur mère.
Et c'est en pensant à cette tendresse perdue, à cette tendresse qui
console de toutes les misères que la pauvrette, à son tour, s'agenouilla
devant la crèche, disant fermement, à liante voix dans l'ignorance de
son cœur :
— Mon petit Jésus, on m'a dit que vous donniez à Noël tout ce que
l'on désire quand on est sage. Je suis sage, mais je suis venue vous
trouver ici, parce que je n'ai pas de cheminée pour y mettre mon
sabot... Vous me comprendrez bien puisque vous êtes aussi pauvre
que moi. Vous êtes couché sur la paille, moi je dors sur la mousse;
personne ne m'attend... que ma chèvre.. Voudriez-vous bien, s'il
vous plaît, m'envoyer quelqu\in qui aimera Moussette et. . Blan-
chette.
Et l'enfant se releva sous la poussée de la foule, confiante et récon-
fortée, distinguant à peine le doux visage navré d'une jeune femme en
deuil, penchée sur une enfant complètement étendue dans une longue
voiture à bras, elle n'entendit pas la petite infirme suppliant sa mère :
— Pour que je marche, disait-elle, donne-la-moi.
La neige tombait si fort lorsque Moussette se retrouva sous le portail
de l'église qu'elle allait repartir bien vite avec sa chèvre, quand des
éclats de rire moqueurs, insultants, la poursuivirent.
— Ah 1 te voilà, bâtarde, ricanait la rousse, en commission à la ville ;
as-tu demandé un chapeau à l'âne du petit Jésus?
— Bâtarde, criait, tout entière, la bande d'effrontées, amies de la
rousse, veux-tu des roses de Noël ?
104
REVtlB DU NIVERMAIS
Soos la grêle d'injures, sous les
bouks de neige lancées par les
gamins ameulL-s parla servante d*au-
bt^rgf\ grolotlant sous Teau glacée
gagiianl son corps à peint? veto,
courbant la UMe sous le nom d'infa-
mie, Hous^Uo, Itfîi bras noués a uloor
du cou de sa chèvre, cachaut son
visago dans la fourrure de ÎUan-
;;^^ clietttî^ restait muetle, imm^fbile,
sans voir la foulo s'écouler, la nuit
^ venir, la longne voîUire à bras de
la pt lito iiitiniie à cùlé d'elle.* »
Puî5 iQiit d*uu coup, elle se mit à
courir, roilement, au hasard,
Iraversanl des mes et des
places inconnues se de-
mandant mille fois
pourquoi la
x;-.^
c
la détestait autant, car Moussette ne savait pas qu'il y a des gens
méchants, sans raison, simplement pour être méchants, que plus on
a l'âme basse, plus on est mauvais, que le monde, sauf rexception
d'élite, est partagé en deux camps : ceux qui écrasent et ceux qu'on
écrase.
Epuisée, la pauvrette arriva enfin, par un long détour, à la grande
promenade de Château-sur-Loire ; elle se reconnaissait. C'était là
qu'elle vendait, l'été, de tout petits bouquets de bleuets aux be^ux
messieurs, les jours de musique. Puis, il lui sembla que tout tournait
REVUE iBU NIVERNAIS.
i05
aotoor d'elle, qu'il lui fallait dormir.... et se retenant au cou de sa
chèvre, elle retombait bientôt sur la neige amoncelée par te vent près
du kiosque, sur la mousse blanche de Thiver.
Et Moussette rêvait!... Elle était devant la crèche... ; le petit Jésus
prenait les pauvres vieilles fleurs de son chapeau pour lui en faire une
couronne de roses d'or...; il lui souriait, il lui tendait les bras et
sa voix disait : < Viens Moussette, il n'y a pas de bâtards au paradis ».
■ t^ \>e- irw Quand b pauvrette se révejUa elleouvrit
W^^jQm^^ ^]^r *''^ grands yeux, comme on doit les ouvrir
'^^ ' ^ ^"^^^^ en airivaut au ciel... Elle était couchée
pour la première fois de sa vie dans un lit
bien blanc ; des nids d'oiseaux tapissaient
les murs de la chambre; des roses d'été
fleitnssQîetit sur la cheminée; une grosse
hi\v\w hriïlaît dans Tâtre.
Cûmnie elle se frottait les yeux sans com-
prendre. Il rie enfant de son âge, étendue
tout près d'elle, dans un long fauteuil, lui
Icndli la maiti.
— Veux- tu être ma petite sœur,
Mou^si Ue; le petit Jésus t'a mise dans
mon sabot ! N'aie pas peur de tes gue-
nilles ; tu es plus riche que moi, je
ne iiiurcherai peut-être jamais.
— Tu m'as fait bien courir, ma
petite Noëlle, reprenait la jeune
femme entrevue vers la crèche,
en l'embrassant tendrement
tout émue ; reste avec nous
pour toujours...
Et sous le baiser maternel
de sa marraine, sous les
caresses de l'enfant infirme
étendue, en voyant appa*
nUtreTdans la porte entrebâillée, la bonne grosse I4t6 de Blanehette,
106 REVUE DU NIVERNAIS.
brossée, coiffée, enrubannée comme une dame chèvre, Mousselte
sourit... comme on sourit au paradis 1
*
Et la neige tombait toujours.
Et les cloches sonnaient toujours.
Et Noël revient toujours pour tous ceux qui ont besoin d'espérance.
Françoise d'Husselles.
UN NOËL DU POÈTE GABRIEL VICAIRE
'avais remarqué, parmi les travaux dermes
collaborateurs au Parnasse contemporain de
1876, les vers de Gabriel Vicaire, parfumés
comme le trèfle en fleur, sonnant clair comme
i le pur aigent. J'avais le désir de connaître
l'homme qui les avait écrits, quand m'arriva
la lettre dont voici le début :
« Monsieur el cher confière,
» MoQ ami P. Léser et moi, nous avons entrepris une sorte de recueil de
morceaux choisis qui conti<>nt, entre autres choses, une description poétique
des diverses provinces de France. Naturellement, lorsque nous sommes arrivés
au Nivernais, nous avons pensé à vous et nous avons jeté notre dévola sur
une pièce très pittoresque iniitulée : Le Gué, JVspère que vous voudrei bien
nous autor.ser i la i*eproduire. Notre recueil serait évidemment incomplet si
vous n*y figuriez pas. Permettez-moi de saisii* cette occasion de féliciter oo
poète dont le talent m'est extrêmement sympathique et dont je serais très
heureux d'obtenir les suffrages •
Cette lettre était signée Gabriel Vicaire. Ainsi prirent naissance de
précieuses relations qui me valurent d'avoir pour hôte, à Beaumont-
la-Ferrière, un des plus charmants esprits de la littérature contem-
poraine, enlevé trop tOït, Tannée dernière, à la suite d'une longue el
douloureuse maladie.
(labriel Vicaire était issu de la bonne souche nationale qui porta ces
poètes, Français entre tous, dont le nom vient naturellement à la
mémoire quand on lit les Emaux bressans : Villon el La Fontaine. Rien
de plus franc, de plus clair, de plus sincère que sa poésie. Eo dernier
REVUE DU NIVERNAIS. 107
lieu, Vicaire y mettait une note plus délicate encore d'émotion pro-
fonde et communicative. Il avait gardé, chose rare chez nos poètes
raffinés, la fleur de naïveté qui embaume les productions populaires.
Je ne connais personne dans notre poésie contemporaine, qui ait
possédé à ce point le don de séduire et de captiver son lecteur ; c'est
que Vicaire est un vrai poète, t c'est-à-dire une de ces natures infini-
ment délicates et impressionnables, un de ces esprits merveilleusement
subtils et pénétrants, susceptibles de voir et de sentir au-delà de ce
que nous sentons et voyons, capables de savoir, sous forme de méta-
phores et d'images, pour les traduire en un langage mélodieux, les
rapports les plus intimes et les plus secrets des choses (1) ».
Il était bon et simple de cœur. Dans nos promenades à travers les
massifs boisés de Beaumont, son âme s'épanouissait en une fraternelle
union avec la nature. Il me disait ses projets, me récitait ses nouveaux
vers, encore à l'état d'ébauches et déjà frissonnants du souffle delà
plus pure poésie. Il avait pénétré dans la forêt des Légendes ; il avait
cueilli, dans le jardin féerique, à a l'Heure enchantée » , la fleur
magique, la fleur qui chante. Quand le mal arracha de ses mains la
plume harmonieuse, il préparait deux nouveaux recueils de poésies.
Et voici que par les soins de celui « qui fut son cousin par le sang et
son frère par l'affection », M. Georges Vicaire, les morceaux inédits
de notre poète nous sont offerts en un bel et bon volume sous ce double
titre : Au Pays des ajoncs et Avant le soir (2).
Le € Pays des ajoncs », c'est la Bretagne, où Vicaire, fatigué de
Paris, était allé chercher le calme consolateur, le calme de la grande
mer :
Le bleu céleste de la mer,
Tout le bleu tendre est dans mon cœur ..
n y a là des descriptions d'une délicatesse exquise.
Dans « Avant le soir i, sont groupés des morceaux d'un sentiment
plus intime encore. On sent Tâme du poète touché par la souffrance,
exhalant sa plainte sans révolte, avec une douceur résignée ; une
grande et saine mélancolie émane de ces notes qui font aimer le noble
et tendre cœur d'où elles ont jaiUi. Nos lecteurs nous sauront gré de
(1) Discours prononcé par M. Amédée Bonnet aux obsèques de Gabriel Vicaire.
(2) Paris, Ub. Henri Leclerc, 219, rue Saint-Honoré, 2^ pages in-i8.
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tlÊVUÈ DtJ NIVERNAIS. 109
Non, non, c'est une pauvre, oh I bien pauvre demeure^
Abri de vagabonds, refuge d'indigents.
Une étable où dans tous les coins la bise pleure,
Qik tout le nM>nde est bien navré, bétes et gens.
Un homme déjà mûr, dont la barbe grisonne.
Veille à Thumble repas, prépare le coucher.
Sa femme auprès de lui parait toute mignonne,
Si jeune, une enfant presque, et qui vient d'accoucher.
Entre eux deux, tout pareil à Téglantine fraîche,
Repose le poupon qui rit en s'endormant.
Un petit âne brait dans le fond de la crèche,
Un gros bœuf à côté rumine bruyamment.
Mais qui frappe ? Et là-bas, quel splendide cortège !
Bonnes gens, n'ayez peur, ce sont de puissants rois,
Vêtus de pourpre sombre et couronnés de neij^e.
Ils viennent de bien loin vous saluer tous trois.
Regardez, regardez. Ces maîtres qn*on admire,
Les voilà, dans la. paille, humblement à genoux^
Ils offî:*ent tour à tour l'or, l'encens et la myrrhe.
Ils disent, bien contrits : « Seigneur, écoutez-nous I
D (Test nous qu'au firmament guide la pure étoile.
Nous arrivons pour vous du fond de l'Orient,
Nous voulons voir enfin la vérité sans voile, i
Et le petit enfant s'éveille en souriant.
Oh I quelle joie immense a soulevé la terre I
Quelle miraculeuse et subite clarté 1
La rose incomparable est au divin parterre.
Le monde entier tressaille et se sent racheté.
Et le vieil homme voit, il a repris courage.
N'est-ce pas un espoir qui lui tombe du ciel ?
n pleure et, tout tremblant encor du grand orage,
Ne peut que murmurer bien bas : • Noël, Noël I »
Il est comme l'oiseau mouillé sur une branche,
Quand un soleil de fiamme éclate, aux chauds midis. —
11 neige, il neige^ et la campagne est toute blanche...
Il fera bon demain dans le clair Paradis.
Gabriel Vicaire aura bientôt son monument dans les jardins du
Luxembourg. Un comité, dont l'auteur de ces lignes a l'honneur de
faire partie, achève de recueillir les souscriptions nécessaires. Peut-
être se trouvera-t-il, parmi les lecteurs de cette Revue, quelque ami
de la bonne poésie dont je serais heureux de recevoir l'offrande.
ACHILLE HlLUEN.
@5>'"f^ôg^fx®
LIVRES ET PERIODIQUES
Lu, dans les Souvenirs d'un journaliste ^ de Gallus, ce piquant [xortrait d*une des
figures les plus sympathiques et les plus respectées de notre Nivernais, feu l'excellent
comte Victor de Maumigny :
« Les congrès annuels de la Société des agriculteurs de France faisaient affluer
dans nos bureaux un certain nombre de châtelains désireux d'approfondir Tart des
assolements et de s'initier à la science des fumures. Quand l'un d'eux, le comte de
Maumigny, m'apparut pour la première fois, il me sembla voir un de ces gentils-
hommes campagnards que les assemblées des Bailliages députèrent en 1789 aux Etats-
Généraux de Versailles. Le costume n'avait presque pas change. La culotte à pont, le
gilet à Heurs, la rhingrave vert bouteille, les souliers ferrés, la cravate flottante, le
bâton noueux, les cheveux longs, tout révélait le a seigneur de village ■ tel que nous
le montrent les comédies de Oancourt et les opéras de Sedaine.
n Mais, sous cet accoutrement rustique, se cachait le cœur le plus chaud, l'âme la
plus haute et l'intelligence la plus cultivée. Notre laird nivernais maniait la plume
avec une rare élégance et développait sur la ■ Restauration sociale de notre pays t
les considérations les plus ingénieuses et les plus sensées. Quand l'honnête « sei^eur •
parlait, quel brave sourire éclairait sa loyale (i^re, — non ce niais sourire oui,
comme une grimace d'atuxique, se fige sur certains visages, mais le sourire d un
frère accueillant un frère!... ■
Louis Boulé, Maman Claudie. — Paris, Alphonse Lemerre^ passage Choiseol,
in-lS, 3 fr. 50.
Notre compatriote, M. Louis Boulé, déiâ avantageusement connu par la publication
d'un recueil de vers, nous donne aujourd'hui, sous forme d'extrait a'un journal à lui
confié par un ami, ce simple et attachant récit. Enfant trouvé, élevé en un coin du
Berry, près du Nivernais, .leun Fleur)- nous dit son enfance, ses impressions, et aussi,
d'après les confidences d'une vieille voisine, la vie de sa mère adoptive. La petite
Claudie, fille du meunier du CKti Moulin, mignonne enfant, supérieure à son
entourage, souflrant de celle supériorité inconsciente, est une de ces natures délicates
« qui ont besoin, pour leur complet épanouissement, de sentir autour d'elles une
atmosphère d'amour •. Mariée avec un forgeron, elle est heureuse pendant deux ans,
puis son mari, cédant aux mauvaises influences, revient à d'anciennes habitudes
d'intempérance. Privée d enfants, elle va chercher un chami^ et c'est Jean Fleury.
Il entre à douze ans au collège de V. dirigé par des prêtres, car le ^rand désir de
« maman Claudi? » est de le voir se consacrer au saceraoce. Mais au moment
d'entrer au séminaire, il en est dissuadé par son directeur, s'engage dans l'infanterie
de marine et part pour des régions lointaines, revient en congé pour fermer les yeux
de maman Claudie, puis repart pour tomber sous une balle chinoise. C'est tout. Le livre
fourmille de charmantes descriptions, tracées d'un crayon léger, comme celle-ci :
• Le visage ouvert au midi, la maison était solitaire, sous sa coiffe de paille. On
l'apercevait de loin, assise sur la colline, entre les arbres. Elle avait un air doux et
rt^igné, comme certaines physiotromies de bonnes aïeules. Et bien qu'elle ne possédât
pour toutes dépendances qu'une petite construction neuve soudée derrière elle et
servant de forge, une étable, un ancien colombier de redevance tout dépenaillé, rongé
par les lierres, elle avait un nom: La Minalle. Us la connaissaient bien — les pauvres
vieux chemineaux de .Mennelou-la-Misère et les petits bohémiens, noirs comme des
grelets, qui vendaient corbeilles d'oisil et mendiaient dans le pays! Us y arrivaient
tous par le même chemin sortant dt^ bois d'en face et descenaant d'un jet jusqu'au
rtau. Le pont de pierre délabré, rongé de mousse et de poussière, courbait toujoun
REVUE DU NIVERNAIS. Hi
sa maigre échine, afin de leur livrer passage, pendant que la chanson balbutiante de
l'eau claire coulait sous Tarche et sVgrenait dans lombre... •
Il y a aussi des croquis enlevés à la pointe :
• Mlle Ursine Lepoivre était ma béte noire. Chaque coup d*œil lancé par-dessus
ses lunettes me donnait un petit frisson. Sa tôte anguleuse, en forme de poire len versée,
se tenait perchée sur un grand cou maigre et portait au front deux prunelles jaunes
qui vous fixaient du haut d'un nez crochu. Elle avait le bas du visage long, osseux,
coupé de rides. Ses lèvres pincées et blêmes, ne s'ouvraient que pour laisser passer
une voix piaillarde, aigre, avec de petits sifllements. Elle portait une verrue au menton
avec trois p>oils rébarbatifs plantés dedans... Ah! ce n'était pas une merlette à coup
sur, car elle en avait, de Targot et du bec !. . •
De jolies légendes sont enchâssées dans le récit. Je terminerai en détachant du
livre cette petite poésie qui sera bien à sa place dans ce numéro de Noël :
La vieille chapelle est toute fleurie.
Sur Jésus qui dort le rosier sent bon.
— « Je n'ai qu'une rose, ô Vierge Marie,
Et voudrais l'offrir à votre poupon.
m Oh ! de le baiser faites-moi la grâce ;
Il n'en saura rien le beau petit Boi.
Que demandez-vous pour que je l'embrasse?
Ce sei*ait si doux, permettez-le moi !
Et me dit tout bas Madame Marie :
— « Mais c'est pour cela quMl demeure ici!
Pose sur son front ta bouche fleurie,
11 sera content, — car il t'aime aussi ! •
NOTES ET ÉCHOS
/, La Société d'enseignement populaire de Ne vers a inauguré la série de ses confé-
rences d'hiver, le i"" décembre. M. le professeur d'histoire Colin a exposé le • Rôle de
la géographie au vingtième siècle ». Le dimanche 8 décembre, M. le docteur Bacquelin
a fait une conférence sur « l'Hygiène •. Ces conférences, dont le but est si élevé et si
désintéressé, ne sauraient être suivies par nos compatriotes avec trop d'empressement
et d'assiduité.
/. M. Maurice Mignon a passé avec succès les épreuves de l'examen de la licence
es lettres et M. l'abbé Râteau, professeur à baint-Cyr, celles de l'examen de licence
es sciences physiques.
/. L'Académie des sciences morales et politiques vient de tenir sa séance annuelle
publioue. Le prix Odilon-Barrot a été décerné, comme nous l'avions annoncé, à M.
Ch. Morizot-Thibault pour une Etude stir l'instruction criminelle, sujet proposé.
M Paul Griveau a obtenu une mention honorable dans un autre concours.
.*. M. Carré, instituteur à Sichamps, vient d'obtenir une mention honorable de la
Société nationale des conférences populaires pour une Monographie de la commune
d'Ourouéry honorée déjà d'une médaille d'argent à l'Exposition universelle.
,*. Notre regretté compatriote Charles Le Blanc Bellevaux, a élevé en son be' album
d'aquarelles, un vrai monument à notre Nivernais. Les heureux possesseurs de cet
ouvrage n'apprendront pas sans satisfaction la récompense dont il a été l'objet
à l'Exposition universelle. Le ministère du commerce et de Tinduslrie, qui avait dès
septembre envoyé une médaille de bronze à M. Auguste Le Blanc Bellevaux, exposant
de l'album, vient de lui faire parvenir le diplôme justificatif. Charles Le Blanc Belle-
vaux, si prématurément disparu, a laissé un vide dans notre phalange d'aii, mais
avec ses oeuvres survivront et le talent de l'artiste et le souvenir de Phommc excellent
qui ne compta que des amis.
/, C'est le 26 février prochain que sera célébré à Paris le centenaire de Victor
Hijgo et qu'aura lieu t'inauguratien de son monument. Un comité vient de se
constituer a Bourges dans le but de convier à ces fêles les écrivains provinciaux. Un
comité général de la province est en formation Nous apprenons que M. Achille
MiUien a été désigné comme délégué pour la Nièvre.
L. D.
142
tlSVUE DtJ NIYEHMâIS.
NOUVELLE ANNÉE
1902
Une année encore à compter.
C'est peu, mais c'est beaucoup peat*étre|
Et que doit-on vous raconter
Sur ce qui n'est, hélas ! qu'à naitre ?
Que pourrons-nous bien ajouter
En fait de moden à paraître ?
Le corset droit est à noter
Et le velours un franc le mètre.
Il faut toujours prendre en passant,
Même en fait de gouvernement,
Ce que la terre nous octroie f...
Pour être gais, vivons de peu ;
Les gros bonnets (même sans Dieu)
N'ont pas les jours filés de soie !...
Eugénie Casanova.
Le Directeur-Gérani, ACHILLE HlLUSN.
/tntftf Imit, 0. Y*tNétÊk
EN ENGADINE
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A Louis Roblin.
E Christophe Colomb qui a découvert
TEngadine devrait bien nous dire son
nom. Je crois qu'on le bénirait: sans
compter qu'on serait capable de lui
élever une statue, de son vivant, ce qui
n'est pas à dédaigner ! Ces gros hom-
mages, il les mériterait pour nous avoir
donné l'Engadine. Il faudrait, pour parler de ce pays, décrasser tous
les adjectifs auxquels le temps a fait une gaine de banalité ; on voudrait
pouvoir célébrer l'Engadine avec des mots nouveaux, qui n'aient point
servi à chanter la a nature » sous Louis-Philippe !«', roi des Français.
C'est déjà un charme d'entendre prononcer des mots tels que ceux-là :
Silvaplana, Sils-Maria, Maloya, Isola, Pontresina, tous ces noms latins
des villages engadinois sonnent à nos oreilles comme de mélodieuses
litanies. C'est un souffle de la Lombardie qui est venu jusque là, c'est
un sourire de T Italie, sur ces bourgades perdues dans les montagnes
tragiques.
Contempler les lacs romantiques, qui étalent, dans la splendeur de
de la lumière, leur nappe verte, bleue, diamantée ; les flères mon-
tagnes qui les enserrent ; les sapins qui grimpent à l'assaut des cimes
et qui s'arrêtent au milieu de leur élan, comme s'ils n'osaient violer
les solitudes éternelles où la neige déroule ses longues draperies
blanches, voilà bien un enchantement. L'Engadine nous en offre un
autre, celui-là moins grandiose, et sur lequel je voudrais insister dans
cette revue,
5
H4 REVUE DU NIVERNAIS.
Il y a, en Engadine, un petit omnibus qui va de Saint-Moritz à
Haloya, un petit amour d^omnibus qui n'a l'air de rien et qui, pourtant,
procure aux Parisiens, qui osent s'y aventurer, quelques joies très pures.
Il leur rappelle leur ville et ce n'est pas une mince jouissance, comme
vous savez, de venir en Suisse pour regretter Paris (l'homme étant né
pour être bien partout où il n'est pas). Songez que cet omnibus a une
impériale avec des banquettes, comme à Paris 1 En faut-il davantage
pour nous subjuguer ?
Un jour de l'été dernier, vers les deux Jieures de l'après-midi, devant
la poste de Saint-Horitz-Dorf, j'escaladais, en compagnie d'un ami,
l'escalier qui conduit à l'impériale. Quand l'omnibus partit, nous étions
seuls sur ce sommet. Nous nous lamentions à haute voix, comme pour
prouver qu'ils n'ont pas tort les manuels de géographie lorqu'ils
publient que les Français sont gens sociables. Nous voulions avoir des
voisins sur ces banquettes, tant la solitude nous effrayait 1 Notre désap-
pointement devait être éphémère; à Saint-Moritz-Bad, le destin nous
servit copieusement. Deux Allemands déguisés en touristes, deux
colosses blonds, avec un ballot sur ledos,unalpenstockdans la main et
une paire de moustaches qui nous auraient fait grand peur, si leurs yeux
bleus très doux ne nous avaient aussitôt rassurés, vinrent s'asseoir à nos
côtés. Puis ce fut une famille composée de trois personnes. Ah î cette
famille ! Je me reprocherais de ne point la dépeindre, au moins som-
mairement. Le père devait avoir dépassé la cinquantaine. Il portait,
entre deux épaules rétrécies, une tête de chef de bureau : petite mous-
tache grisonnante, menton pointu, des yeux débonnaires et ennuyés.
La maman, pas trop volumineuse, et qui avait certainement ébréché la
quarantaine, se parait, non sans grâce, d'un embonpoint naissant. Une
ride plissait son front qui n'avait rien d'olympien, ses mouvements
secs, saccadés, nous laissèrent croire que nous avions devant nous une
femme à l'âme véhémente et irritable, comme on dit qu'il en fleurit
dans les cinq parties du monde. La jeune fille, — car c'était une jeune
fille qui complétait ce trio 1— n'offrait point à nos regards une beauté
trop classique, mais son nez qui se retroussait à la pointe, mais sa
bouche finement dessinée, mais ses joues d'un frais coloris, mais la
grâce qu'elle mettait en tous ses mouvements, faisaient d'elle une petite
personne agréable à voir ; elle n'était pas jolie, mais elle l'avait échappé
belle ! Nous nous demandions quelle fortunée nation nous envoyait
cette famille, quel gouvernement avait la chance de lui réclamer l'impôt.
REVUE DU NIVERNAIS. 115
Notre incertitude ne dura pas longtemps. Bientôt, la dame s'écria sur un
ton qui n'était point amène.
~ Quel omnibus 1 Si c'est possible ! Ce qu'on est ballotté là-dedans !
Ma parole, on se croirait dans BatignoUes-Clichy-Odéon I
Nous le savions maintenant : cette famille était française, plus que
française, parisienne ! La voiture s'était engagée sur la route postale
qui côtoie l'Inn. La dame regardait obstinément le torrent qui promène
sa fougue entre des montagnes couvertes de sapins, puis sortant, tout
à coup, de sa contemplation :
— Alors, fit-elle, se tournant vers son mari et sa fille qui se tenaient
cois à côté de moi, c'est çà leur fameux Inn, un des principaux
affluents du Rhin, à ce qu'ils disent, dans le petit bouquin roûgei
Eh bien, parlons-en ! Une méchante petite rivière, un ruisseau, que
la Seine boirait d'un coup ! Ils sont étonnants ces Suisses ! Ils ont
fourré des cailloux là-dedans pour faire des cascades I Tout comme au
bois de Boulogne I Ah oui, parlons-en de leur Inn I de leur affluent 1
Bientôt, le gracieux village de Campfer apparut blotti contre sa
montagne. Nous apercevions ses quelques maisons qui se serraient
autour de la petite église, comme des moutons autour du berger.
— Ah I voilà Campfer ! fit la jeune fille qui feuilletait un guide.
— Campfer I Campfer ! drôle de nom, s'écria la dame. Un nom à
coucher dehors I C'est leur manie, dans ce pays, de donner aux villages
des noms grotesques ! Et puis, qu'est-ce qu*ils nous chantent, un village 1
Une bourgade, tout au plus, un hameau, un trou, oui un trou 1 Dire
que nous avons quitté la rue du Faubourg-Montmartre, que nous avons
fait trois jours de voyage, dont une journée de diligence, que j'en ai
encore le corps meurtri — et la dame, du revers de la main, se frotta
les côtes — pour voir ce ramassis de masures, qu'ils ont baptisé :
Campfer ! Un nom de chien de chasse !
— Mais...., voulut objecter le mari.
— Il n'y a pas de mais, reprit vivement la dame, c'est un trou, ton
Campfer et je te défends bien de dire le contraire ! Oui, un petit trou
très cher ; mais c'est la forêt de Bondy que ce pays I
Il y eut un silence pendant lequel le mari éternua deux fois :
— Emile, tu t'enrhumes, dit la dame. Ah 1 il ne nous faudrait plus
que çà !
Elle saisit un châle qu'elle avait déposé à côté d'elle et, d'un geste
brusque, le jeta sur le dos de son mari. Docilement, celui-ci s'emmi-
116 REVUE DU NIVERNAIS.
toufla, serrant les épaules. La jeune fille regarda son père et éclata de rire.
— Lucie, qu'est-ce qui te prend ? demanda la mère sur un ton
qu'elle s'efforçait de rendre sévère ?
— C'est papa ! dit la jeune fille d'une voix que le rire étranglait. Ce
qu'il est drôle avec son châle, on dirait une vieille fille qui sort de la
prière du soir, pendant le carême !
Nous arrivâmes à Silvaplana, cet harmonieux village de l'Engadine,
dont les blanches maisons riaient au soleil, dans la douceur et dans la
paix de cette lumineuse journée. En traversant Silvaplana, la dame
s'enveloppa dans un dédaigneux silence, dont ni son mari ni sa fille ne
tentèrent de la tirer. Jusqu'à Sils-Maria, elle resta muette comme les
grandes douleurs qui se sentent regardées. Là, dès que les glaciers
apparurent dans la gloire de leurs neiges éclatantes, la dame recom-
mença à déverser l'amertume de son âme. Elle avait saisi une lorgnette
qu'elle braquait sur le rocher de Fex :
— Je ne vois pas d'ours, dit-elle, après une minute d'inspection.
— Cela t'étonne, maman? dit la jeune fille un peu goguenarde. Tu
t'imagines que les ours vont se montrer juste au moment où tu passes
et pour avoir le plaisir d'être regardés par nous I
La dame tenait toujours sa lorgnette braquée sur le glacier.
— Ah ouiche I s'écria-t-elle, pas plus d'ours que dans mon œil ! Ni
ours ! ni chamois ! ni aigles ! J'ai beau me crever les yeux. Rien ! rien !
rien ! Mais alors qu'est-ce que nous sommes venus faire ici ? Contempler
de la neige? On en voit en hiver sur les Buttes-Chaumont. Pas d'ours !
pas d'ours 1 Non, vrai I Oh ! le sale pays !
Le mari, la jeune fille, mon ami et moi cédant à la force du comi-
que, ne pûmes nous empêcher de rire. Les deux Allemands eux-mêmes,
qui, semblait-il, ne comprenaient point le français, sourirent dans leur
grosse moustache blonde. Ces gaillards-là devraient avoir ce bon gros
sourire quand, il y a trente ans, ils nous volaient nos pendules pour
les donner à leur Gretchen !
Comme nous approchions de Maloya, la cantilène reprit :
— Ah I voilà Maloya ! dit la jeune fille.
— Comment, Maloya ? fit la mère, mais où est la ville ?
— Il n'y a pas de ville, répondit le mari.
— Mais le village ? demanda la dame.
— Il n'y a pas de village, répliqua le mari, mais un grand hôtel et
quelques villas.
REVUE DU NIVERNAIS. H7
— Alors, s'écria madame dont l'indignation grandissait à chaque
mot, c'est pour voir cette grande bâtisse qu'on m'a amenée ici. Mais
des maisons, j'en vois à Paris tant que je veux ! Faire une heure et
demie de voyage, dans une guimbarde, pourvoir ce bâtiment, ah 1 vrai,
on m'y reprendra 1
Devant le Kursaal, l'omnibus s'arrêta et tous les voyageurs descen-
dirent. Nous retrouvâmes notre famille parisienne sur la colline du
château, derrière le Belvédère. Nous devions avoir là un des plus
grands étonnements de notre vie. La dame de la rue du Faubourg-
Montmartre, qui, pendant tout le voyage, avait laissé le dénigrement
déborder de ses phrases, s'était subitement métamorphosée en une
fontaine d'où l'admiration coulait, sans intermittence. Montrant du
doigt la profonde vallée de Bergell, que nous dominions, elle s'écria :
— Mais c'est admirable ! C'est admirable 1 Et dire que tout près de là,
il y a l'Italie ! Les oliviers I les citronniers, les orangers ! Ah ! quelle
vue ! Quel panorama I Et ce château perché là-haut ! Et ces rochers
dentelés, qui ressemblent à des créneaux I C'est à se croire dans une
ville du moyen âge. Il n'y manque que la châtelaine sur son pont-levis !
Mon ami et moi nous regardâmes ahuris. Nous n'étions pas au bout
de nos étonnements! Dans l'omnibus qui nous ramenait à Saint-Moritz,
sur l'impériale, notre parisienne se mit à adorer bruyamment ce qu'elle
avait tant méprisé. De Maloya à Saint-Moritz, ce fut un concert d'excla-
mations enthousiastes :
— Oh ! ce lac de Maloya, vois donc Emile, vois donc Lucie, ces tons
bleus, verts, cette eau moirée, qui reflète les glaciers ! Est-elle assez
gracieuse cette petite barque qui glisse sur le lac i Et ces montagnes
habillées de neige I C'est un pays enchanté I enchanté ! enchanté ! Nous
y reviendrons tous les ans !
Je me réjouissais de cette amende honorable faite à l'Engadine, qui
est vraiment un pays enchanté, où les belles surprises vous attendent
au tournant de toutes les routes. A Silvaplana, la dame déclara que le
village était un c bijou d. Elle proclama queCampfer était une « perle >•
On eût monté un très beau collier avec les exclamations de cette
Parisienne ! Tandis qu'elle égrenait ainsi ses admirations le long de la
route, le mari nous entretenait avec persévérance, évidemment pour
détourner notre attention des propos que tenait sa femme et qu'il jugeait
inconsidérés. Quand nous descendîmes d'omnibus, sur la place de Saint-
Moritz-Dorf, la dame de la rue du Faubourg-Montmartre et sa fille se
118 REVUE DU NIVERNAIS.
mirent à marcher devant nous. Le mari ijous dit alors, en baissant le
ton de la voix :
— Messieurs, je dois vous expliquer un mystère. Vous avez entendu
ma femme pendant l'aller et vous l'avez entendue au retour. Vous ne
comprenez pas, n'est-ce pas ?
— Non, dimes-nous tous les deux à la fois !
— Ah ! c'est pourtant bien simple ! fit-il. A l'aller, ma femme était
contrariée parce que, pendant le déjeuner, je lui avais refusé une
faveur qu'elle demandait depuis longtemps : passer par Hiian et
Turin en rentrant à Paris ! Nous sommes pressés par le temps ; je sais
bien que nous sommes à une heure à peine de l'Italie, mais il y fait si
chaud ! J'avais cru devoir refuser. Alors, elle regardait le paysage i
travers son désappointement et c'est pourquoi tout lui semblait si
sombre...., et puis, elle voulait me taquiner un peu pour lui avoir
refusé et elle dénigrait un pays qu'elle sait que j'aime. La voyant si
chagrine, si morose, je résolus de la calmer en lui accordant ce qu'elle
désirait si violemment. Durant le trajet du Kursaal au Belvédère, je lui
annonçai que j'avais changé de résolution, qu'on pass3rait par la Lom-
bardie pour rentrer à Paris. Alors — oh ! les femmes, messieurs ! les
femmes ! — tout fut transfiguré à ses yeux ; elle vit l'Engadine à travers
le prisme de sa joie, du reste vous l'avez entendue 1 Que voulez-vous,
ajouta-t-il avec un soupir, elles sont ainsi faites les femmes ! Ah ! j'en
ai vu bien d'autres, allez î Tenez, la voilà de bonne humeur pour une hui-
taine de jours ! J'ai une semainede tranquillité sur la planche. Maloya !
ce nom restera dans mes souvenirs! je me souviendrai que là commen-
ça une semaine de paix. Combien je regrette que Maloya soit si loin
du faubourg Montmartre ! j'y ramènerais ma femme tous les huit jours !
Ce n'est pas à son âge qu'on change de tempérament. Pour qu'elle aille
à souhait, sans battre la breloque, il faut que ma femme soit remontée
périodiquement, comme une pendule 1
II avait à peine fini sa phrase que la dame s'étant approchée de nous,
dit à son mari :
— Tu sais, Emile, c'est entendu avec Lucie ! Notre petite chienne
qui est restée à Paris — pauv'chérie, ce qu'elle a dû avoir chaud —
elle a un nom qui me déplaît : Cbiquita ! Nous allons lui enlever ce
ce vilain nom-là et l'appeler Maloya !
— Avec plaisir ! dit le mari. Jules Pra vieux
REVUE DU NIVERNAIS. H9
ADIEUX A L'AUVERGNE
Au poète L. /.
Je te dis mes adieux, 6 pays des Arvernes,
Riche de la splendeur de ton grand souvenir,
Riche du jus vermeil des antiques falernes ;
Adieu, laisse-moi te bénir !
Laisse-moi, ce pendant qu'un brouillard gris entoure
Tes hauts sommets coiffés de leurs chapeaux d'onyx,
Rêver à la fierté, la gloire, la bravoure
De ton fils Vercingétorix.
Et laisse-moi revoir, vaguement, la ceinture
Des remparts imposants dont s'entoura Salers,
Etrange, vénérable et massive guipure
Qui serpente sur des prés verts.
Car pour moi c'est un baume à d'atroces souffrances
Que de telles beautés en des dehors si grands ;
C'est le prélude des immortelles croyances
Que chanteront les cœurs vibrants.
Adieu, vous tous, rochers aux divines couronnes.
Ravins qui font frémir d'effroi les voyageurs,
Je pars, craignant ici la rigueur des automnes,
Je laisse vos pâles splendeurs.
J'adorais cependant votre front diaphane,
Vos grands airs imposants, votre flanc rebondi,
Et vos forêts où la chasseresse Diane
Décoche l'arc d'un air hardi.
J'aimais, dans le profond d'un val où l'eau serpente,
Voir surgir tout à coup les toits roruges et gris
Des maisonnettes blanches où fleurit la menthe
Sous un rideau de tamaris.
J'adorais vos troupeaux aux sonnantes clochettes.
Le chant du pâtre, et puis vos moissons de blé noir.
J'aimais, sur les genêts entendre les fauvettes
Chanter, lorsque venait le soir.
Et quand, vers les lointains, l'orage formidable
S'amoncelait, mettant sur le faite des monts
Plus d'un sceptre où brillait la lueur impalpable
Des larges éclairs furibonds,
120 REVUE DU NIVERNAIS.
Il semblait qu'un géant illuminait l'espace,
Et que rétoile d'or» dans le firmament bleu,
Pâlissait, tandis que tonnait, pleine d'audace,
La voix formidable de Dieu !
J'adorais tout en vous, car vous êtes sublimes,
Sublimes de fierté, sublimes de beauté ;
Plus d'un barde amoureux pour vous tressa des rimes,
0 sites pleins de majesté !
Mais l'hiver va venir, et sur vos replis sombres,
. La neige, de sa main, va poser un linceul ;
Vos purs fronts, pour longtemps, seront envahis d'ombres,
Et le torrent chantera seul.
C'est pourquoi je vous laisse et c'est pourquoi je pleure,
Pays de liberté, montagnes au front bleu,
— Seul rêve du poète qui ne soit un leurre...
Pays béni du ciel, adieu 1
Joséphine Begassât.
CRÉPUSCULE D'HIVER
Sur les étangs gelés, dans le brouillard flottant
Qui s'élève des prés le soir comme un nuage.
Le soleil voit jaunir sa radieuse image
Et dans un ciel plombé décline agonisant !
La surface glacée, au reflet si brillant.
Semble plus froide encore au suprême passage
De son oblique éclair, qui frôle le rivage.
Puis effleure un coteau. du lointain bleuissant....
Maintenant on dirait que la terre navrée
Frémit en contemplant l'astre qui s'agrandit....
Tout bruit au loin se tait à cette heure éplorée ;
Alors le dieu du jour s'abime dans la nuit I
— A peine a-t-on pu voir dans la grise pénombre,
Son disque de couleur rouge cinabre sombre.
Gautron du Coudray.
REVUE DU NIVERNAIS. 121
UN CONTE POPULAIRE DU NIVERNAIS
L'HOMME SANS PEUR (Suite).
III
LE JARDIN DU DIABLE
Ce que je vas vous dire ne date pas d'hier. Il y avait une fois un
prince qui possédait un château magniflque, mais inhabitable. Que s'y
passait-il entre le coucher et le lever du soleil ? Personne ne le savait,
car aucun d^ ceux qui y étaient entrés le soir n'en était sorti le matin.
Le prince avait promis sa fille unique, belle comme le jour, à celui qui
coucherait une nuit dans ce château. Plusieurs jeunes gens avaient
tenté Taventure, mais tous y étaient restés. Un militaire s'en allant en
congé vint à passer par le pays. Comme il entendit parler du fameux
château, il se présenta devant le prince, qui était un homme grand et
robuste, avec le regard dur et la barbe très épaisse ;
— Prince, Vous avez promis votre fille en mariage à celui qui pas-
serait une nuit dans votre château ?
— Oui.
— J'ai l'intention de m'y installer ce soir pour la nuit prochaine.
— Tu n'as donc pas peur?
— Je ne sais pas ce que c'est que la peur. Donnez-moi votre consen-
tement et, demain, je vous dirai ce qui rend votre château inhabi-
table.
— J'y consens... mais d'abord regarde dans ma barbe, j'y ai un poil
blanc. Approche-toi... il s'agit de l'arracher... approche!
Le soldat, sans hésiter, porta la main à la barbe touffue du prince.
Au moment où toute son attention se fixait sur ce poil blanc, le prince
s'écria brusquement : hap 1 II pensait que l'autre aurait un sursaut de
surprise, mais il n'en fut rien. Tout au contraire, avec le plus grand
sang froid, le soldat décocha au prince un maître soufflet :
— SI vous voulez que j'arrache ce poil, pourquoi bougez-vous ?
— Je vois que tu n'as pas peur. Tu es Thomme qu'il me faut.
Demande ce qui te sera nécessaire pour cette nuit ; n'importe quoi, tu
l'auras.
122 REVUE DU NIVERNAIS.
— Prince, faites-moi donner de quoi diner, quelques bouteilles de
bon vin, un jeu de cartes, un vilebrequin, une cheville et un maillet.
Je n'ai pas besoin d'autre chose.
Le prince donna Tordre de conduire le soldat au château et d'y
porter ce qu'il demandait. Notre gaillard s'installa dans la cuisine où
se trouvait une large cheminée de bois ; il alluma d'abord un bon feu«
pratiqua un petit trou dans un des montants de la cheminée, puis
approcha du foyer la table sur laquelle on avait posé son couvert. Il
commençait à manger, quand il vit tomber par le tuyau de la chemi-
née une jambe.
— Que faire d'une jambe ? dit-il. Hé 1 là haut 1 envoyez-en une
autre. t
Il fut servi à souhait : une autre jambe tomba comme la première,
puis les bras et le reste.
— Je m'ennuyais d'être seul. J'aurai au moins un compagnon pour
la nuit.
Le membres s'étaient rejoints et, devant lui, se tenait un petit
homme noir et poilu qui lui dit :
— Que viens-tu faire ici ? ^
— Cela ne te regarde pas.
— Je vais te traiter comme les autres.
— Allons, allons, un peu de patience. Causons tranquillement. Voici
à boire et à manger : veux-tu souper avec moi ?
— Je demande pourquoi tu viens chez moi, reprit le diable, — car
c'était lui-même.
— Je n'ai pas l'intention de te chercher querelle. Laisse-moi passer
la nuit en paix. Si tu ne veux pas manger, nous ferons une partie de
cartes. Aimes-tu le jeu ?
— Oui.
— Moi aussi.
Le diable s'était assis et la partie s'engageait. Le diable trichait
ouvertement, comme pour exciter la colère du soldat et provoquer une
querelle.
— Tu ne fais que triihi^r ; je refuse de continuer la partie,- . TiêQSt
je vais t'apprendre un autre jeu, bien simple d'ailleurs... Regardée*
trou dans la cheminée : le premier de nous deux qui y mettra le doigt
disposera de l'autre comme il renlendra.
REVUE DU NIVERNAIS. 123
— Accepté, dit le diable, — et déjà il approchait le doigt de la
cavité.
— Arrête ! un peu de patience, tu ne cherches qu'à tricher... Je
donnerai le signal ; au commandement de trois, nous partirons. Atten-
tion ! Un..., deux..., trois !
Le diable avait déjà le doigt dans le trou de la cheminée.
— Tu as perdu, cria-t-il.
— Pas encore ! — et aussitôt le soldat prit la cheville et d'un coup
de maillet l'enfonça dans le trou où le doigt du diable s'aplatit comme
une feuille de papier. Le diable hurlait de douleur.
— Délivre-moi, criait-il, je ferai ta fortune.
— Tu me demandais ce que je venais faire ici. A ton tour de me
répondre : Qu'est-ce qui t'amène dans ce château ?
— Délivre-moi, je te le dirai.
— Dis-le tout de suite.
— Non.
— Tu ne veux pas ? — Pan ! pan I et le maillet tomba sur la cheville
à coups redoublés.
^ Assez, assez, arrête! Je vais tout dire... Sous l'escalier, dans
un caveau, il se trouve trois tonneaux d'or et d'argent que je viens
visiter toutes les nuits. Prends-les et laisse-moi partir.
— Pas avant que tu ne promettes, par serment, de ne plus revenir ici.
— Je t'abandonne tout, le trésor et le château. Seulement je me
réserve le petit jardin qui se trouve derrière cette porte.
— Garde le jardin, j'y consens. Il est bien entendu que, ni toi ni les
tiens, vous ne remettrez les pieds dans le château ?
— Oui, mais délivre-moi.
— Voilà... maintenant file comme tu es venu, par la cheminée.
Le diable, d'un bond, se trouva sous la cheminée. Il était furieux :
— Tu as gagné la première partie, prends garde à la seconde,
dit-il en disparaissant, je te retrouverai.
Le soldat, sans s'émouvoir de la menace, alla s'étendre sur un lit et
dormit d'un somme jusqu'au jour.
Cependant on s'apitoyait chez le prince sur le sort du pauvre jeune
homme, quand les domestiques le virent entrer dans la cour. On l'in-
troduisit bien vite dans la chambre du prince qui ne pouvait en croire
ses yeux.
124 REVUE DU NIVERNAIS.
— Prince, vous m'avez fait une promesse, je viens vous la rappeler.
— Sois tranquille, je la tiendrai. Raconte moi ce qui s'est passé dans
mon château.
Le soldat fit le récit de son aventure. On trouva le trésor dans le
caveau sous l'escalier et le prince, convaincu de la bonne foi du soldat,
le fiança le jour même à sa fille. Le lendemain, on célébra le mariage.
Les deux jeunes gens passèrent leur nuit de noces dans le château,
sans y être aucunement inquiétés. La princesse aimait beaucoup son
mari ; ils vécurent longtemps heureux.
Le soldat n'avait parlé à personne du petit jardin que le diable s'était
réservé. Sa femme lui dit un jour :
— Mon ami, à quoi sert cette porte ? Elle est toujours fermée. Je
suis curieuse de savoir où elle mène.
— Garde-toi bien de l'ouvrir ; le terrain dont elle nous sépare ne
nous appartient pas et nous n'avons rien à y voir.
Hais sa curiosité était excitée et plusieurs fois elle revint sur le même
sujet.
— Sais-tu quel songe j'ai eu la nuit dernière ? dit-elle un matin.
Derrière cette porte, j'ai vu un jardin si beau, si beau, que je ne peux
pas te le décrire. Je n'aurai de repos qu'après avoir ouvert cette porte,
car je brûle de savoir si elle s'ouvre en effet sur un pareil jardin.
Le soldat se trouva fort embarrassé. Il réfléchit, cherchant quelque
stratagème.
— Allons, dit-il, je consens à ouvrir la porte, mais à une condition :
c'est que tu ne t'étonneras de rien de ce qui se passera ; tu me laisseras
agir à ma guise, sans m'interroger.
— Oui, oui, tout ce que tu voudras.
La clef grinça dans la serrure, la porte s'ouvrit et le jardin apparut
à la princesse tel qu'elle l'avait rêvé : des feuilles en argent, des fleurs
en or, en diamant. Le diable se promenait au milieu de compagnons
richement parés. Dès qu'il aperçut les deux intrus, il courut à eux ;
— Ah ! ah ! cette fois tu ne m'échapperas pas. Tu ne gagneras pas la
seconde partie. Vous êtes chez moi, vous m'appartenez.
— Attends un peu. — Et, creusant un trou en terre :
— Tiens, nous allons d'abord jouer à qui mettra le premier son doigt
dans le trou. Approche, tu connais ce jeu-là...
— Je devine ton intention, cria le diable. Tu veux me reprendre
REVUE DU NIVERNAIS 125
encore le doigt... Non, non, garde tout plutôt, le jardin et le château...
J'aime mieux m'en aller.
Et il courait à toutes jambes, suivi de ses acolytes, pendant que le
soldat riait à se tenir les côtes.
Depuis lors il eut, avec sa femme, la libre possession du jardin. Je ne
sais pas s'ils vivent encore, mais j'ai entendu dire qu'on les y a vus, il
n'y a pas longtemps, se promener tous les deux.
[Conté par Philippe Gobillot, à Beaumoni-la-Ferrière.) .
Achille Millien.
LES POÈTES DE UAMOUR
{Suiie.)
Le premier livre d'Auguste Dorchain, IdL Jeunesse pensive^ qu'il publia
très jeune, le fit aussitôt sortir de la foule des débutants qui attendent
vainement dans Tombre un peu de lumière, se heurtant à la cobue
littéraire presque impénétrable. M. Adolphe Brisson s'écriait à la fin
d'un article : c Est-ce qu'il nous serait né par hasard un petit-fils de
Musset ? > Et vraiment en lui revivait le charme de l'auteur des Nuits.
Le poète y soulevait, parla seule force du sentiment , le grave et délicat
problème des luttes morales de la jeunesse contemporaine lancée seule
dans le feu des passions à travers la corruption fascinante des villes,
et, dans l'émotion des impressions vécues, colorées et rythmées dans
la magie du vers très doux, très sincère, très pénétrant, frémissait
toute l'angoisse c du cœur qui lutte avec le sang ».
J'étais un étudiant en vacances (voulez-vous me laisser glisser ici
une note personnelle?) quand, pour la première fois, je lus cet
ouvrage auquel s'enlacent de chers souvenirs. La douceur indéfinis-
sable de sentir là vibrer un peu de mon propre cœur m'enveloppa et
me prit ; et tout de suite j'aimai le poète de cette sympathie naissant
d'une communion de pensées en un lien de tendresse d'autant plus
exquise qu'elle est toute spontanée.
Ce livre devrait être un des bréviaires des jeunes gens : c'est leur
âme, en ce qu'elle a de plus intime et de plus vibrant qui chante dans
ces vers, leur âme ardente et irrésolue où la candeur de l'enfant
transparaît encore à travers l'énergie virile : dans l'harmonie rêveuse
i26 REVUE DV NIVERNAIS.
de ces poèmes, ils entendront murmurer les lointaines et chastes ten-
dresses de c TAme vierge », se plaindre les nostalgies des « Heures
de trouble » , s'alanguir et s^attrister les voluptés des c Mirages
d'amour », lueurs indécises, mortes dans les pâleurs des c Etoiles
éteintes ».
Ob ! comme tristement, dans le silence et le vide des remords, Tâme
éclate en sanglots, sentant au fond d'elle-même pleurer le rêve
meurtri 1
Honteux d'avoir étreint une ombre,
Et le désespoir t'étouffant,
Alors lu redeviendras sombre
Et pleureras comme un enfant
Nais, malgré les défaillances, le cœur restera pur, gardant en loi
la vision des paradis rêvés :
... Que sont des instants de fièvre,
De plaisir stupide et banal,
A celui qui trempa sa lèvre
Au vin sacré de Tldéal ?
Pourtant Tâme souffre toujours de son isolement. Lasse et décou-
ragée, elle cberche, aux chemins sombres, Tâme aimée où son amour
librement s'épanouira dans le rayonnement des ivresses idéalisées et
l'apaisement des souffrances consolées :
Choisis vite une blanche épouse ;
Celle-là peut f aimer, celle-là seulement
Peut être constante et fidèle.
Et, sans*craindre l'oubli de son premier serment.
Tu vivras heureux auprès d*elle.
Plus favorisé que tant d'autres, le poète l'a rencontrée. Sa vie
s'éclaire. Voici alors appai'aitre son second livre aux vers lumineux et
sonores comme le cristal. C'est l'amour qui monte d'un essor triom-
phant Vers la iumière ; et à le lire après les pages tourmentées de
la Jeunesse pensive, une douceur infinie attendrit le cœur. Le rêve est
devenu réalité ; les ombres des douleurs qui flottent encore, comme
dans toute réalité terrestre, s'effacent au premier rayon de Pastre
d'amour. Sur ces poèmes plane une grande paix : l'âme, sereine
jusque dans l'exaltation lyrique, s'embaume de son bonheur.
Et toujours de ces fleurs de flamme s'exhale le parfum divin :
REVUE DU NIVERNAIS. i27
l'esprit s'y élève vers le beau, non par élans ou sanglots, mais douce-
ment et sans effort : là surtout est l'admirable beauté de cette œuvre
limpide et pure, si profondément sentie. Je ne sais rien, dans la poésie
contemporaine, de plus émouvant, de plus noble et suave à la fois
que ce poème intitulé Communion^ où tous les frissons de Famour,
mélancolies et ravissements, adorations et pudeurs, langueurs et
caresses d*âme, se fondent en une tendresse exquisement berceuse et
enveloppante où se reflète, brillant au ciel bleu comme jadis au ciel
noir, rétoile d'idéal.
Il faudrait le citer tout entier; voici du moins les dernières
stropbes :
Je ne veux plus que vous pleuriez, ma sœur chérie ;
Si le baume d*amour suffit à vous guérir,
La source de vos pleurs sera bientôt tarie ;
J'ai là tout un trésor d*amour prêt à s'ouvrir.
Je veux que ce beau front, glacé par la souffirance,
Retrouve sous ma lèvre un peu de sa chaleur ;
Je veux chanter pour vous la chanson d'espérance,
La divine chanson qui calme la douleur.
Ne doutez point de moi; c'est ma tendresse même
Qui contre le désir vous garde et me défend ;
Cest votre pureté qui fait que je vous aime,
Mes bras vous berceront comme un petit enfant.
Je n'ai pas moins que vous souci de votre gloire ;
Nos cœurs sont assez haut pour dominer le mal ;
La foule assurément ne voudrait pas nous croire
Et ne comprendrait pas cet amour idéal...
Qu'il reste donc caché dans notre âme profonde I
Mais vienne le génie ardemment souhaité,
Je pourrai dire alors notre tendresse au monde
Car le monde croira ce que j'aurai chanté I
En regard de l'œuvre poétique d'Auguste Dorchain s'évoque celle de
Maurice Boucher, bien différente d'apparence, et pourtant au fond un
peu pareille, car là aussi on peut suivre, à travers les horizons bleus
ou noirs, l'évolution d'une âme noble et tendre qui du reste n'atteint
pas le même but.
Ce n'est pas certes une personnalité banale que le poète qui, sentant
éclore en lui la fleur divine de charité (j'aime mieux encore ce mot-là
qu'altruisme), renonçant aux vaines gloires et aux plaisirs stériles,
s'en est allé comme un apôtre, par les cités et les campagnes, porter
la bonne parole^ verser au cœur du peuple le baume de poésie et
128 REVUE DU NIVERNAIS.
d'idéal, et dont le dernier livre a pour titre significatif, Yen la pensée
et vers Vaction.
On eût sans doute fort étonné Jean Ricbepin et Raoul Ponchon, ses
deux rieurs compagnons de jeunesse, si on leur eût prédit jadis, au
temps des folles aventures, qu'il ferait de sa vie une vie de bonté et de
son œuvre une œuvre d'humanité, lui l'auteur de dix-huit ans des
Chansons joyeuses où tournoyaient, en une ronde échevelée, toutes les
passions de l'adolescence, dans leur ardent déchaînement.
Déjà dans Poètes de Vamour et de la mer son âme s'apaise : l'ardeur
s'adoucit en tendresse et se repose dans une idylle. « Ici, a dit M. Paul
Margueritte, domine l'exquise mélancolie d'un cœur qui aime, livré à
une pensée unique et pour qui le monde vivant, la splendeur étemelle
des choses ne sont plus que le décor animé, la fantasmagorie qui pare
de ses jeux de lumière et de ses brises de parfums la suave, la bien-
aimée. Et déjà le doute, la crainte, les premières douleurs de l'amour
assombrissent la fin du livre ».
L'âme du poète déçu, trop grande pour se contenter d'éphémères
amours, est mûre pour la souffrance ; elle aura, comme l'âme d'un Dieu,
avant de triompher, son heure d'agonie.
Et bientôt parait F Aurore^ dont les trois parties synthétisent en leurs
titres brefs : la Chair, la Lutte, Vldéal^ tout ce qu'il y a là de douleur
et de beauté. On croirait lire un de ces livres de haute mystique où
rame des extatiques, avant de parvenir à la vie unitive, passe par les
tortures expiatoires de la vie purificatrice.
C'est d'abord, comme en un rouge éblouissement, la folie des brû-
lantes voluptés d'un amour affamé de chair et assoiffé de sang. Mais
déjà s'est enfuie l'audacieuse gafté des Chansons joyeuses : média de
fonte leporum surgit amari aliquid. Bientôt le remords et la honte
déchirent l'âme du poète qui, dévoré par la flamme, s'efforce en vain
de rejeter loin de lui cette tunique de Nessus : désormais les clameurs
de passion n'étoufferont plus les cris de colère impuissants et de sombre
angoisse :
Pâles, vêtus de sang, tes remords sont les juges»
Tu seras ton bourreau. Les plus cruels supplices
Jailliront d'un ennui qui doit être éteniel,
Et tu tortureras ton âme avec délices.
Et le duel s'engage entre l'âme et la matière. Le poète veut épuiser
REVUE DU NIVERNAIS. 120
la coupe d'oubli et chasser à jamais de son esprit les visions impures ;
il appelle à lui les enchantements des rêves de candeur lointaine et les
joies austères de la pensée, ouvrant son esprit aux grandioses horizons
de la vie universelle, embrassant les suprêmes conceptions de l'homme
et de Dieu en des pages où par instant frémit un large soufQe de pan-
théisme.
Mais il est dur de dépouiller le vieil homme ; la foi du poète vacille,
flambeau pâli, aux rafales des désirs orageux ou aux brises trop douces
des souvenirs, et Tàme oppressée, haletante et lasse, se blesse aux
heurts des âpres sentiers :
Je sens au fond de moi sourdre un flot de pensées ;
Mon rêve intérieur s'agite avec eflbrt,
Et quand je veux parler, un silence de mort,
Gomme un sceau douloureux, clôt mes lèvres glacées.
Et plus loin :
Je suis environné d^un crépuscule affreux
Dont la lueur livide épouvante mon âme.
Je vois se rétrécir les cercles de malheur,
Et mes pieds toucheront bientôt le fond du gouffre
Où l'éternel amour enchaîne la douleur.
Qui donc aura pitié de mon âme qui soufiire 1
La pensée seule n'a pu combler Tâme sensible et tendre qui ne peut
vivre que du sentiment. Ce que les méditations spéculatives n'ont pu
faire, un sourire de femme l'accomplira. Le poète a rencontré, dans la
solitude obscure, celle que toujours on adore, qu'on ne désire jamais.
Comme une aurore, se lève la vision radieuse en laquelle il incarne son
rêve ; sans doute il souffre encore de cet amour vierge et mystique,
mais il y a plus de douceur en sa mélancolie Iqu'il n'y eut d'ivresse
dans la violence des sensualités. Et conduit par la main de blancheur,
sous le regard des yeux de lumière, il gravira en chantant la pente de
l'idéal :
Oh ! pardonne-moi de soufErir,
Et de ne point garder au fond de ma pensée
L'immortelle douleur dont je puis mourir,
Et qu'avec tant d'amour mon cœur a caressée.
Qu'importe ma souffrance à moi,
Pourvu que ton sourire, en éclairant la terre,
Révèle à tous les yeux la beauté de la foi.
Et leur parle d'un ciel doux comme son mystère?
Fernano Richard.
130 REVUE OU NIVERNAIS.
PAR UN SOIR D'AUTOMNE
A M^ la vicomtesse Crautron du Coudray.
Au fond du ciel las qui s'attriste
Du deuil du rire et dfe l'espoir,
L'Automne laisse dans le soir
Flotter sa robe d'améthyste.
Ecoute ! Le vent s'est levé...
Il chante la complainte amère
Du pauvre bonheur éphémère
Que ton désir avait rêvé.
La feuille dans l'ombre tournoie.
Où donc sont les chansons d'Avril,
Hélas ! et que te reste-t-il
De ta jeunesse et de ta joie ?
Plus rien ; à peine un souvenir,
Et, les yeux perdus dans la brume,
Tu songes avec amertume
Au sombre hiver qui va venir,
Au jour final des hécatombes
Où la neige aux flocons épais
Déroulera sa blanche paix
Sur la nature et sur les tombes.
Paul Clerget.
CREPUwSCULÊ EN JUILLET
Le frais revient avec la brise.
Au couchant, l'horizon vermeil
Darde sur la plaine indécise
Les derniers rayons du soleil.
Voici la forêt qui murmure
Sous le souffle embaumé du soir.
Déjà la nuit est plus obscure
Et le sentier se fait plus npir.
Dans le feuillage qu'il fréquente
Le rossignol n'a plus de voix ;
Seul un jeune pâtre qui chante
Trouble au loin le calme des bois.
Bientôt tout se tait. Ethérée,
La lune avance avec lenteur.
Glissant dans la voûte azurée
Son nimbe éclatant de blancheur.
P. DUSSERT
REVUE DU NIVERNAIS. 131
I
LETTRE D'UNE JEUNE FILLE A SON FIANCÉ W
CONCOURS SÉVIGNÉ
« In medio $UU virtus »
Mon cher ami,
Sur le seuil d'une vie nouvelle, je m'arrête effrayée en voyant se
lier irrévocablement nos deux vies, sans que nous sachions si, créés
pour nous comprendre, nous pourrons vivre pour nous aimer ; et, si
je m'adresse à vous aujourd'hui, au mépris des usages, c'est guidée
par le souci de notre commun bonheur. Emue et troublée à la pensée
de ce qui peut se trouver en votre âme et que je ne soupçonne pas ; de
tout ce que j'en attends, de tout ce que j'y cherche et n'y rencontrerai
peut-être pas, je viens faire appel à votre loyauté, afin que vous m'ap-
preniez vous-même ce qu'est le futur compagnon de ma vie et la force
du bras sur lequel je vais m'appuyer. Que la crainte de ne pas trouver de
conformité entre vos idées, vos penchants et les miens, ne vous empê-
che pas de me livrer sans réserve les secrets de votre cœur, car il
n'est pas besoin de se ressembler pour se rapprocher ; bien au
contraire : l'idéal le plus enviable et le plus rempli de charmes consiste
à se compléter Tun par l'autre.
La première confidence que je réclame, parce qu'il s'agit d'une chose
que je considère comme la gardienne du bonheur et la sécurité du
foyer conjugal, c'est celle qui concerne vos sentiments religieux. Mal-
gré l'abime de tendresse que j'ai en réserve pour celui auquel j'appar-
tiendrai, il existe, en la partie haute de mon âme, une croyance si
forlement^enracinée et qui m'a soutenue si efficacement jusqu'ici, que
je ne voudrais pas la voir payée d'ingratitude par moi ou par les miens.
— Je songe de loin, vous le voyez, à la famille que nous sommes appe-
lés à fonder. Bien que ce soit à la mère à former l'âme des enfants à la
tendresse, à la confiance, à la piété, traces ineffaçables, qu'elle seule
peut y graver avec l'aide de Dieu, je me demande qu'elle serait l'auto-
rité que réclamera plus tard l'éducation de ces êtres chéris, si, dès le
berceau, ils ne trouvaient que divergences au foyer paternel.
(1) Gomme nous Pavons dit, plusieurs de nos compatriotes ont été distingués au
grand concours Sévigné ouvert par le Gaulois. Nous donnons ici un des travaux
récompensés, œuvre d'une jeune et gracieuse Nivernaise.
132 HEVUE DU NIVERNAIS
Il est un autre sentiment aussi spontané que doux et qui grandit côte
à côte avec la foi, c'est celjii qu'une grande voix de notre temps n'a pas
craint d'appeler le dogme civil et religieux du patriotisme, parce qu'il
plonge ses racines au plus profond de notre cœur et de notre religion.
Vous savez mieux que moi qu'aux temps où nous vivons les partis et
les opinions s'effacent devant l'honneur et l'intégrité de la France atta-
qués dans leurs plus solides bases : l'Église et l'Armée I J'espère que
là encore, votre drapeau sera le mien.
Quoique je vous suppose une trop grande âme pour n'être pas tou-
ché par les choses de l'art et pour ne pas ressentir les émotions que
cause le beau sous toutes ses formes, là encore, il me faut vous péné-
trer davantage, si je puis m'exprimer ainsi. Ne vous semble -t-il pas
que l'union de nos âmes ne saurait être complète, si nous ne nous
rencontrions aussi sur ce terrain ? Quoi de plus doux que de sentir en
même temps le même frisson passer sur Tun et l'autre et de voir des
aspirations communes unir la vie de l'esprit comme celle du cœur.
Enfin, je viens chercher auprès de vous un ami plus qu'un maître et
surtout un soutien ; car à la fois ardente et tendre, vive et faible, il me
faudra trouver, chez celui pour lequel et par lequel je vivrai chaque
minute de ma vie, cette fermeté de caractère et cette indulgence sans
fond qui, tour à tour, me pousseront ou me soutiendront sur la route
semée de difficulté où, seule, je ne pourrais que m'égarer ou fléchir.
Comme une fleur qui se resserre au premier vent de douleur et de
tristesse et qui a besoin de la chaleur de l'amour pour s'épanouir, j'at-
tends ce rayon qui doit sécher tant de larmes versées et colorer à mes
yeux tout ce que la vie apporte de joies ou de devoirs. Ce rayon, c'est
votre réponse qui, je l'espère, m'en apportera la caresse. Puissé-je en
le recevant faire aller de mes lèvres à votre cœur un cri d'amour recon-
naissant et traduire ma pensée d'irrévocable tendresse en vous disant:
c Ami, passons la vie ensemble, je vous sens assez fort pour pouvoir
m'appuyer » M. V,
Août 1901.
POÈTES NÉERLANDAIS (Saite)
FLAMANDS
Dautzenberg
TABLEAU DE FAMILLE
Sur la fenêtre de la chambre,
Dirigeant son naissant éclair,
Le soleil, d'une lueur d'ambre,
Inonde un berceau d'osier clair.
Une petite fille aux yeux bleus,/aussi belle
Qu'un ange, svelte comme une tige nouvelle,
S'agenouille au matin, pour faire avec amour
Sa prière de chaque jour.
En sa toilette matinière.
Auprès du lit, au ciel levant
Et les yeux et les mains, la mère
Apprend à prier à l'enfant.
Un nimbe protecteur de céleste lumière
Flotte en grâces autour de ce groupe en prière,
Tableau consolateur qui guérit bien souvent
Le cœur du doute décevant.
Jan van Baers
LARMES D'AMOUR
Larmes d'amour que, goutte à goutte,
Epanchent ses yeux et son cœur 1
Mon âme, en sens-tu la valeur.
De ces larmes, la sens-tu toute ?
Dans les profondeurs de la terre.
Des siècles, des siècles encor
Par le feu transforment, — mystère I
Le plus subtil de la matière.
Ce qu'a de plus pur l'onde claire.
En un diamant, divin trésor.
De môme, dans la profondeur
De l'âme, un diamant prend figure,
Quand le sang vermeil qui s'épure
Et l'essence intime du cœur
Se fondent ensemble en un pleur.
Par suite, du fond de ses yeux,
Du fond de son cœur dérobées.
Sur la feuille où J'ai mis mes vœux,
— Diamants d'amour si précieux,
Des larmes un jour sont tombées.
Larmes d'amour que, goutte à goutte,
Epanchent ses yeux et son cœur I
Mon âme, en sens-tu la valeur
> De ces larmes, la sens-tu toute ?
13i REVUE DU NIVERNAIS.
Oeeraard Jan Dodd
(1821.1888)
LA GRAND'MÈRE
Avec tristesse la grand'mère,
Assise en son fauteuil de cuir,
Songe à sa jeunesse éphémère.
Au bon vieux temps qu'elle a vu fuir.
c Ah 1 comme en ce monde tout baisse !
Gémit-elle en hochant le front,
L'été se raccourcit sans cesse,
La saveur des fruits se corrompt.
» L'hiver est dur, dur à l'extrême ;
Il est interminable aussi.
Ck)mme les gens, les plantes même
Sont malades : nouveau souci 1
)) Les fleurs sont bien moins parfumées
Qu'en mon enfance, assurément ;
Leurs couleurs sont moins animées...
Ah ! ce monde est sans agrément !
j> Que voulait dire notre Charle,
De bals, de banquets qu'il louait ?
La danse aujourd'hui... qu'on en parle !
Qu'on la compare au menuet !
)) Hélas ! pas d'espoir qu'il renaisse
L'âge d'or, le beau temps des ris l
On comprenait, dans ma jeunesse,
Amour, amitié, votre prix 1 »
Et sur le cadre d'or, où brille
Feu son époux, jetant les yeux.
Triste, elle tousse, puis nasille :
(( 0 monde, que tu te fais vieux I »
Frans de Gort
(1834-1878)
MÈRE ET ENFANT
Lorsqu'ivre de bonheur, je vois
Mon bel enfant, rose fleurie,
Avec celle à qui je le dois.
Ma femme, ma femme chérie,
Ne demandez pas en secret
Lequel des deux mon cœur préfère ;
Oh ! non, car mon cœur ne saurait
Séparer l'enfant de la mère.
M
REVUE DU MIVEHMAIS. i35
Dans mes bras ouverts^ tous les deux
Je les enferme, je les presse,
Et je sens couler de mes yeux
Des pleurs, mais des pleurs d'allégresse.
c Je vous aime, dis-je étoufifant
Ma voix, plus qu'on aime sur terre,
Toi, mère, toi, pour ton enfant.
Et toi, cher enfant, pour ta mère 1 »
Emanuel Hiel
(1834)
LA FEMME AU ROUET
La fbmme au rouet, active à l'ouvrage,
Les yeux sur le fil, tourne avec courage.
Ron ron, mon rouet, vire, vire encor I
Je gagne peu, mais peu me suffit, en revanche :
Une tasse de lait, de pain bis une tranche,
Voilà ma faim calmée et ma soif qui s'étanche.
Ron ron, mon rouet, vire, vire encor !
La femme au rouet, active à l'ouvrage,
Les yeux sur le fil, tourne avec courage.
Ron ron, mon rouet, vire, vire encor !
J'eus un mari : brave homme ? Oui : sans être sévère,
On dira qu'il aimait par trop vider son verre ;
Pourtant mon deuil fut grand quand on le mit en terre.
Ron ron, mon rouet, vire, vire encor...
La femme au rouet, active à l'ouvrage,
Les yeux sur le ûl, tourne avec courage.
Ron ron, mon rouet, vire, vire encor. ..
Et j'eus beaucoup d'enfants 1 Pas un dans ma demeure...
Tous mariés 1... Je suis, jusqu'à ce que je meure,
Seule, et pour moi le monde est bien vide à cette heure I
Ron ron, mon rouet, vire, vire encor...
Traduction de Achille Hiluen.
LIVRES ET PÉRIODIQUES. - NOTES ET ÉCHOS
/, Grand succès de notre compatriote Franc-Nohain,au théâtre des Mathurins avec
la Fiancée du Scaphandrier ^ opérette bouffe, musique de Qaude Terrasse.
,% Notre collaborateur, M. Louis Taverna, ingénieur, a fondé une revue vulgarisa-
trice de l'emploi industriel de Talcool, fort intéressante à divers titres. La Revue de
V Alcool parait le 1»' et le 15 de chaque mois, rue Mayran, 8, Paris. Abonnement : 6 fr.
par an.
/» 21 décembre, conférence de M. Charles Fuster au Ladies-Club. sur l'œuvre
nouvelle de notre collaboratrice, Mme Eugénie Casanova. — Le 15 décembre, Davrigny
avait dit Le Drapeau, à la mairie de Passy, avec grand succès. Le Credo, musique
de Delmet, continue a être vivement applaudi. Mme Casanova figurait dans l'album
de Noël des Annales.
,% Nous lisons dans la dernière livraison de l'excellente revue parisienne Le
Penseur : « La littérature des Pays-Bas est assez mal connue en France. Il faut
savoir gré à M. Achille Millien de nous donner, dans la Revue du Nivernais, une
très belle série de poésies où, avec son talent éprouvé, il interprète d'excellentes
pages dues à des poètes néerlandais ».
/, Un comité spécialement accrédité par M. Paul Meurice, l'exécuteur testamentaire
du grand poète des Feuilles d'automne, vient de se constituer à Bourges, en tant
que ville centrale et plus ancienne ville de France, pour convier la jeunesse littéraire
de la France et du monde à s'associer aux fêles parisiennes du prochain centenaire
de Victor Hugo. Après en avoir décliné la présidence par suite de considérations de
famille, de santé, et d'autres travaux et missions multiples, notre confrère Lucien
Jeny en a été élu vice-président avec notre confrère Hugues Lapaire. Notre gracieuse
collaboratrice, Mlle .loséphine Bégassat a été élue secrétaire adjointe avec le poète de
Bourges, Joseph Ârmandin. Divers avantages seront sollicités car ce Comité pour
faciliter aux adhérents la participation aux fêtes de février 1902. Aaresser les adhésions
soit à Mlle Joséphine Bégassat, à Chàteauneuf-sur-Clier, soit à M. Michel Abadie,
secrétaire général du Comité, à Vallenay (Cher), avec la somme minima de un franc
pour couvrir les frais.
/, Nos compatriotes. Sont nommés ou promus : dans la Légion d'honneur ; officier.
M. Hurault de Vibraye, colonel du 3« chasseurs; chevaliers : MM. L.-Em. Boucher,
sous-chef de bureau au ministère de la Marine ; Léon de Galembert, rédacteur au minis-
tère de la Guerre; — dans le Mérite agricole : officier, M. I^on Lhoste ; chevaliers MM.
Th. Lan^uinier, Aug. Pécard, Besançon, inspecteur des forêts; Boutroux, conseiller
d'arrondissement; P. Lucas, Delafond, maires;— ofiicier duNicham, M. Léon Demerson.
— M. Georges Randon, adjudant au 4« génie, a été décoré de la médaille militaire.
,% M. Georges Gallard est reçu aux examens du doctorat en droit. — M. Joseph
Deschamps, reçu ingénieur (n* 1) à la faculté catholique de Lille, a obtenu le prix de
Tassocialion et une médaille d'argent. — M. Jean Lamoussièrc a reçu un l*' prix au
concours de la Basoche, association des clercs de notaires et d'avoués.
«% Notre éminent statuaire Boisseau est réélu trésorier de la Société des artistes
français.
,\ Conférences publiques : 15 décembre, sur le Rcve, par M. le professear
Foucault ; 21 décembre, sur Danton, par M. le député Massé; conférence privée à Nevers
par M. Henri Joly, ancien doyen de la faculté des lettres de Qijon, sur VVmon des
classes sociales. — A Cosne, conférence-concert par M. Lomont, inspecteur primaire,
avec le concours musical de MM. Camuzat et Pars>' et de Mlle Augier. — A Corbifiniy,
le 29 décembre, conférence très applaudie, sur Aiolière, par Jules Renard, l'auteur
tant apprécié de Poil de Carotte et Je bien d'autres charmants ouvrages. — A Nevers
8 janvier, conférence de M. Aubanel aux Femmes de la Nièvre. L. D.
Le Directeur-Géranty Achille Hiluen.
tttrtn, tmp. «. YêlUértb
LE VERGER CHANTANT
En souvenir de Vichy.
A Madame Henry Bouquilîard.
E ne les connaissais pas et nous étions d'an-
ciens auiis quand même ; des amis de trente
ans, depuis que mon frère et celui de
M. Largues s'étaient trouvés ensemble à l'Ecole
polytechnique, l'un major et l'autre fourrier,
au temps où les premiers de l'école avaient
des galons et où tous relevaient si élégamment
leur collet sur l'épaule comme une toge romaine.
Pendant les deux années que mon frère avait passées à l'Ecole, il
dînait chez eux tous les mercredis avec une bande de camarades, à
l'époque où M'"« Largues était une des plus jolies femmes de Paris, où
son mari débutait, fabricant de joaillerie, au coin de la place Vendôme,
et où moi, j'étais au couvent, mes deux nattes relevées en chignon de
vieille, alors qu'on me mettait en pénitence pour avoir fait entrer en
classe, Linda, la chienne de Mère supérieure, et qu'on me disait
majestueusement après une surprise de rire à la chapelle : « Baisez la
terre, mademoiselle ».
On ne la baise plus.
Ah 1 que je les connaissais bien les Largues. Mon frère n'avait jamais
manqué, depuis trente ans, d'aller les voir de temps en temps, sous le
prétexte de faire sertir un diamant de famille ou d'élaborer un bijou
ancien dans une parure nouvelle pour une fête ou un anniversaire ;
en réalité pour prendre chez les Largues un petit air d'amitié vraie,
d'amitié simple et sûre. On ne s'en fait plus à quarante ans.
0
138 REVUE Dt) NIVERNAIS.
Et même, à force d'avoir entendu parler d'eux, il me semblait que je
les aurais devinés dans n'importe quelle réunion où nous aurions été
ensemble ; aussi j'avais eu un véritable ravissement en me trouvant à
côté d'eux, à table d'hôte, à Vichy, par un de ces hasards dont la vie
est pleine. — Tout de suite, nous avions été à l'aise.
Je les rencontrais toujours au vieux Parc avec une jeune femme un
peu forte, très simplement mise, très sympathique, aux yeux intelli-
gents, honnêtes et bons.
— C'est Mïi<î Mergnier, de l'Opéra-Comique, me disait Ma>û Largues ;
tout le monde connaît son nom à Paris; c'est l'étoile de Vichy.
Nous l'avons beaucoup connue, beaucoup appréciée, et tout parti-
culièrement dans nos associations de bienfaisance. Vous savez que
je suis dame patronnesse de l'Œuvre du métier de mon mari et très
militante, tout à fait à la tête du syndicat formé pour venir en aide
aux € Orphelins de la Bijouterie » ; nous avons fait avec elle des mer-
veilles ; nous avons trop d'argent !
— M*i« Mergnier vous a donc aidés ?
— Elle s'est multipliée ; elle nous a tout apporté, tout ce qu'elle
possède : une bonne volonté inépuisable, son cœur d'or, sa bourse et sa
voix, son admirable voix chaude, caressante, veloutée, qui, dans un
soir, met dix orphelins à l'abri de la misère.
— Comment la voyez-vous si intimement ?
— Nous l'estimions beaucoup, nous nous sommes mis à l'aimer.
Après la mort de sa mère, elle s'est réfugiée dans notre quartier, tout
près de nous, avec sa vieille bonne, celle qui lui a sauvé la vie le
jour de l'incendie de l'Opéra-Comique... Ah ! c'est touchant aussi ce
sauvetage par la vieille Gertrude. M*^" Mergnier était en scène, elle jouait
Mignon^ ne pouvant se douter que le feu éclatait. Sans sa bonne,
myope, ainsi qu'elle est, l'artiste eût été perdue, mais Gertrude l'ai-
mait ; elle est entrée en scène pendant que tout flambait et tenant sa
maîtresse par la main, elle l'a conduite, hors du théâtre, par un petit
escalier dérobé et oublié. Ce n'est que bien à Tabri, tjue M"' Mergnier
s'est rendue compte de Tefifroyable danger auquel elle venait d'échapper.
Sa première pensée a été pour embrasser Gertrude, et la seconde
pour courir à son vieux père et arriver à lui avant les journaux du
matin. Tenez, voyez- vous cette petite femme avenante qui a l'air d'une
concierge de bonne maison en retraite, c'est Gertrude.
REVUE DU NIVERNAIS.
139
Mes nouveaux et anciens amis me laissaient pour aller faire leur trai-
tement, mais ils m'avaient quittée, depuis un grand quart d'heure, que
mes yeux ne pouvaient se détacher de l'affiche du soir, où je lisais, en
énormes caractères, le nom de la grande artiste.
15 JUILLET
THÉÂTRE DU CASINO DE VICHY
[MilA[Kl@[M
Ouverture è huit heures moins un qusrt
MU« MERGNIER
de V Opéra-Comique
Remplira le rôle de Manon
II
Pourquoi les Largues allaient-ils tous les jours à Cusset?Cela finissait
par m'intriguer. Toutes les fois que je, proposais une petite fugue, la
réponse était invariable, on allait à Cusset ou plutôt un peu plus loin,
sur la route de l'Ardoisière, à deux cents pas du clocher de Ranzat ; je
n'y comprenais rien.
Toujours accompagnés de M^^^ Mergnier, ils disparaissaient quelque-
fois la soirée entière, sans même rentrer pour diner et racontaient le
lendemain qu'ils avaient mangé un lapin excellent à Ranzat et les
meilleures de toutes les cerises, celles du Verger Chantant.
— Quel Verger Chantant ?
— Eh I oui, celles du verger de ce pauvre Jean, à côté de celui du
grand Piare, vous le savez bien ; tout le monde le sait à table d'hôte.
Mes amis oubliaient décidément que c'était la première fois que je
descendais à leur hôtel ; je ne pouvais donc rien savoir, mais, en effet,
les convives, eux, savaient.
Tout le monde opinait de la tète ; le gros diabétique, mon voisin, à
UO REVUE DU NIVERNAIS.
rœil immobile de Chinois repu, s'émouvait même et le regard de sa
compagne devenait humide.
Dieu sait cependant si je la croyais capable d'une vibration quel-
conque !
L'hôtel du Joli-Parc conserve ses clients; on y est bien, on y
reste ; les commensaux d'une saison deviennent amis pour bien des
saisons ; ils s'y retrouvent chaque année. Toute la table se connais-
sait ou à très peu près et paraissait parfaitement au courant de l'his-
toire du Verger Chantant.
—On dit que vous inventez des nouvelles pour les revues ou les sup-
pléments illustrés, me glissait mon voisin de gauche, gros industriel
de la Loire et ami intime de J.-B. Huysmans, le cénobite de Ligugé,
racontez celle-ci ; elle est vraie, pas banale et touchante. On en ferait
une ravissante pièce pour l'Opéra-Comique.
Je me récriai, car je n'invente rien, je n'ai pas d'imagination, je
raconte simplement ce que je vois, ce qui m'impressionne.
Mais je suppliai* d'autant plus mes Largues; je les prenais par les
sentiments...
C'est pour ma Revue, pour notre Revue du NiveimaU que nous voulons
intéressante, variée, désirée.
— La charité, s'il vous plait. Je tendais la main en riant.
M''* Mergnier survenait...; je m'adressais à elle, mais elle se détour-
nait rouge, embarrassée, gênéci
— Cela ne vaut pas la peine, disait sa voix chantante.
Largues haussait les épaules et ses épaules me répondaient claire-
ment : Beaucoup de bruit pour rien.
Cependant j'insistais, je priais, je suppliais tant }{^^ Largues qu'elle
se décidait enûn en m'entrainant au jardin, tout en faisant signe à
M>ï' Mergnier de la suivre.
— Je ne suis pour rien dans Taventure, me répétait-elle ; les autres
sont acteurs ; c'est pourquoi ils n'aiment pas qu'on leur parle de la
pièce qu'ils ont jouée, là-bas, à Cussel, n'est-ce pas?
Ce « n'est-ce pas » s'adressait à Tarlisle ; elle avait disparu.
— Je savais bien que mon histoire la ferait fuir, continuait la char-
mante femme ; je ne vais vous parler que d'elle ; c'est pourquoi elle
s'est sauvée.
Et Mn*» Largues commença ainsi :
REVUE DV NIVERNAIS. 141
III
LE VERGER CHANTANT
Nous aimons beaucoup les longues promenades à pied ou à bicyclette,
vous savez pourquoi. Nous sommes Parisiens et les Parisiens adorent
les champs. Il ne se passe pas de jour où nous ne parcourions les envi-
rons de Vichy d'un côté ou de l'autre.
M"« Mergnier, qui n'a plus à repasser son répertoire, vient avec nous
le plus souvent, d'abord parce qu'elle aime les prés, les bois, les fleurs
sauvages, mais aussi pour... le rossignol.
C'est pour l'entendre que nous nous éternisons le soir, par les nuits
claires, dans la forêt de Randan.
Ne s'est-elle pas imaginée qu'elle pourrait apprendre au rossignol
des roulades de l'Opéra-Comique!...
Il y a des moments où c'est elle qui apprend aussi. Oh! les jolies
scènes, les charmants duos ! mais c'est le rossignol le plus fort I
Quand on aime autant son art, il n'est pas étonnant, n'est-ce pas,
qu'on recherche surtout une belle voix humaine ? Pour M^^* Mergnier
aucun plaisir n'est comparable à celui d'entendre un vrai berger
chanter comme un berger d'opéra comique ; c'est sa passion !
Un jour, il y a trois ans, l'idée nous vint d'aller explorer les carrières
qui s'ouvrent à cinq cents mètres de Cusset, sur la route de l'Ardoi-
sière, au-dessus du Sichon, dans un ravissant paysage fait de collines
un peu boisées, de rochers sauvages, de vergers plantés à pic et tout
en bas de grandes fougères et de délicieuses haies, fleuries de chèvre»-
feuille, d'églantines et de mûriers.
Nous causions du pays, de cette belle Limagne si féconde et si jolie,
quand M^*' Mergnier s'arrêta..., un doigt sur sa bouche.
Un chant arrivait jusqu'à nous... ; une bourrée sans doute... ;
mais non.
La voix semblait venir de très peu loin, mais de plus haut que la
taille d'un homme; elle était pure..., admirablement timbrée...
Instinctivement nous gravissions le talus de la route... Le son arri-
vait maintenant, encore indistinct, mais plus fort... ; cependant, je ne
reconnaissais aucune mélopée de la montagne, moi qui les connaissais
toutes... Nous montions toujours pour nous rapprocher... A présent
M"* Mergnier s'arrêtait. . Où avais-je entendu ces airs ?... La voix arri-
142 REVUE DV NIVERNAIS
vait enfln pleine, dans toute sa clarté...; le chanteur savait chanter ;
où avait-il appris ? Le timbre était d'or, l'organe était manié par
un artiste. Oh! si nous pouvions entendre encore de plus près... ;
nous étions sous le charme.
La tête basse, pâlie par Témotion chérie, W^^ Mergnier écoutait sans
faire un mouvement pour retenir le rêve, et c'était bien un rêve ! car
nous entendions stupéfaits :
Connais-tu le pays où fleurit Toranger !
Le pays des fruits d'or et des roses vermeilles.
Puis un silence de quelques minutes et, de l'autre côté du verger,
toujours au-dessus de terre, après un intermède fait d'une improvi-
sation modulée, indiquant un sentiment musical que l'Opéra aurait
couvert d'or, éclatait triomphal et vibrant le chœur de Faust :
Gloire immortelle de nos aïeux.
Enfin, un peu après, au bout de quelques secondes, dans un fond
plus lointain, la voix magique arrivait ouatée, auréolée, et nous enten-
dions le plus touchant Salut à la France ! que jamais, mais jamais nous
n'aurions pu soupçonner. Un frisson nous prenait...
Mlle Mergnier joignait les mains, en extase ; mon mari semblait dans
une autre planète ; seule, j'étais sur terre ; je voulais savoir !
Je me mis à courir dans la direction de la voix. Elle se rapprochait
maintenant de la route, mais je descendais, je remontais, fouillant le
verger et la carrière, et je ne voyais rien, rien, qu'en bas de pauvres
ouvriers carriers occupés à faire un trou de mine, par une chaleur tor-
ride, et en haut un panier de cerises fraîchement cueillies, le dos d'une
blouse bleue, en loques, qui entrait sous un chaume de pauvre et un
vieux paysan à l'air grognon et goguenard, au bonnet de coton sale, qui
fumait sa pipe devant la porte de la cabane.
Quel était le chanteur? Où était l'artiste? Pourquoi s'était-il évanoui
alors que nous aurions tant voulu l'applaudir et le féliciter.
Il fallait rentrer à Vichy pour le traîteniijil. A notre gnmd regret,
nous repartions, mais la route contouniail la colline et la carriènv;
nous nous arrêtions encore tous les Iruis : le Vorgrr chantait toujotil^*
(A suivre,) Françoise dIIusselus.
ir. '.
14i REVUE DU NIVERNAIS-
MALGRE TOUT
Quand son souffle embrasé court, desséchanl la plaine,
Le simoun au désert soulève en tourbillons
Les sables envolés devant sa chaude haleine^
Amoncelés en dune ou creusés en sillons.
Mais stériles sillons, où nul germe no pousse
Et toute graine errante à leur creux tombe en vain ;
Dune où ne fleuriront ni brin d'herbe ni mousse»
Qu'un caprice du vent effacera demain.
Ainsi passe le doute en dévastant une âme^
Flétrissant sa croyance et brisant ses espoirs.
Fatal souffle, il éteint la pure et claire flamme
Guidant les pas tremblants vers les harlzoïis uoirs.
Si tant de fois j'ai dû subir le mal suprOme,
Le ver mordant au cœur qui fait douter de soi ;
Si dans les rêves morts et dans tout ce que j'aime.
J'ai souffert, cependant j'ai préservé ma foi.
Et je m'attache au dogme appris à mon aurore ;
Souvent blessé du mal, je crois toujours au bien.
Je crois aux cœurs aimant se dévouer encore ;
C'est le pur idéal où se complaît le mten.
Je sais que sans regrets je livrerais ma vie
Pour rendre ceux que j'aime à la vie, au bonheur ;
Je garde à l'amitié ma tendresse infiniis
Me confiant en elle aux instants de doulour.
Et si l'arrêt du sort me condamne a Tabsencc
Loin des cœurs préférés, pour de longs jours parfois.
Je gémis d'être seul, je souffre du silencL\
Mais j'ai soif de croire, et je crois I
Guy de Veyoel
REVUE DU NIVERNAIS. 145
LES POÈTES DE L'AMOUR /Su f/e/
Dans le Livre d'heures de V Amour, qui surgit au milieu de l'œuvre
polychrome de Jean Aicard comme une oasis souriante, l'amour est
moins prestigieux que chez Maurice Bouchor, mais plus charmant. Et
ce mot me paraît définir, si je puis ainsi dire, le genre de ce poète qui
môle en une heureuse confusion les somptuosités du lyrisme aux
grâces de la fantaisie.
Oh I les jolies bluetles, broderies chatoyantes, dentelles soyeuses
ondulant autour de inspiration capricieuse où les larmes attendris-
sent les sourires, où les sourires attendrissent les larmes I Oh ! les jolis
vers insouciants, légers, vaporeux, voltigeant dans le printemps
d'amour comme des rubans roses, en un étincellement d'azur, empor-
tant de fleur en fleur, sous le ciel bleu, le cœur du poète, papillon
doré frôlant des parfums, effleurant des baisers !
Le frisson de mon aile ira sur votre bouche
Courir et se poser cotnme un baiser d*amant...
Et, comme pour faire miroiter sur un fond plus sombre ces joyaux
délicatement ciselés mirant en lueurs brèves les étoiles amoureuses, se
déroulent çà et là des poèmes amples, de teintes chaudes, où rayonne
la majesté de l'amour humain, source de la vie et principe de l'esprit,
dompteur des âmes et maître du monde :
Tout Tazur clair des cieuz nage dans ta prunelle.
Le murmure de tout sourd dans ton cœur sans fond ;
Et la sève de tout fait la fleur éternelle
De ta beauté suprême où Tunivers se fond.
O splendeur ! ô divine ! Ksprit dans la matière f
Idéal fait de chair ! beauté I source d'esprit l
Epanouissement de la nature entière !
0 le rêve immortel de tout ce qui périt !
Mais ceux qui jouissent et soufl^rent de l'amour (car hélas ! toute joie
terrestre enferme en elle un peu de douleur) préféreront les strophes
où l'auteur, après avoir livré les trésors de son imagination, nous aban-
donne un peu de son cœur.
Bien qu'elles soient éparses dans le livre (et cela est d'ailleurs
regrettable), on y peut suivre aisément une idylle. Ce sont d'abord les
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REVUE DU NIVERNAIS. 147
Enfin, las de tant d'agitations vaines et de chagrins puérils, repous-
sant dans le vague le flux d'impressions aux hantises douloureuses, il
tentera d'endormir son âme dans les bras de l'aimée :
J'entends gémir mon cœur, j'entends pleurer mon àme...
Mets ta main sur mon front, mets la main sur mes yeux...
Un charme maternel, tendre et délicieux
Est dans la main et dans la main de toute femme.
Sur Ion cœur si vivant prends ma tète lassée ;
Berce moi demi-mort, sans joie, entre tes bras,
Et baise par pitié — je n*y répondrai pas —
Mon front indifférent où souffre ma pensée.
La même inquiétude de vivre et d'aimer se retrouve, à son pa-
roxysme, chez l'auteur de la Vie inquiête.'Piiul Bourget, que je nommais
tout à l'heure. On les oublie trop pour ses romans, ces poésies
charmantes aux parfums d'émotion si pénétrante qu'elles laissent dans
l'âme une traînée de langueur. C'est là que s'épanche l'âme d'un
René Vincy où déjà s'enlacent, en un réseau subtil, les sentiments les
plus variés, les plus nuancés, les plus indéfinis, et qui semble conden-
ser, dans sa vie intérieure, ce que nous appelons, faute d'une appella-
tion plus précise, Ne nervosisme contemporain : \e poèie y passe sans
transition de la douceur triste à l'élan furieux, de la supplication
passionnée à l'incantation tendre ; on sent battre le cœur, frissonner
l'âme, et l'on assiste, spectacle unique, à cette lutte cruellement
incessante où s'agitent les plus diverses passions, mais où domine,
mystérieuse trinité, l'aspiration vers l'idéal, la tristesse et l'amour.
L'amour, Paul Bourget l'a analysé et quintessenciédans ses romans;
il l'a chanté dans ses vers. Car, si le psychologue se devine en le poète,
si parfois il recherche les causes cachées de ses pensées, il le fait avec
une douce simplicité et aussi avec cette délicatesse innée qui affine les
sentiments pour n'en laisser subsister que la fleur :
Quand tes yeux s'ouvriront sur un beau paysage,
Si le ravissement te fait verser des pleurs,
Ne retiens pas ces pleurs, mon enfant, sois plus sage,
E^^ne te raille pas de ces vaines douleurs.
Ces larmes sans objet, ces angoisses divines
Qui nous prennent devant l'Océan ou les cieux,
Cette extase sans nom qui court dans nos poitrines
Comme un frémissement chaste et délicieux,
N NT UNW^'
^ »no.«««^
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I
REVUE DU NIVERNAIS. 149
désunit les âmes oùraurrauralent les douceurs des premiers aveux.
Oli ! la souffrance désespérée de l'amant, lej sanglots dans les pleurs,
les déchirements d'âme dans la nuit, sous le sombre écroulement des
suprêmes espoirs !
Les yeux adorés n'ont plus de caresses, mais le souvenir est toujours
là, si troublant parfois que le poète se sent défaillir : c'est le regret de
l'amour ancien qui obscurcit sa mélancolie jusqu'au spleen ; puis c'est
l'image de l'aimée qui revit dans les âmes féminines dolentes ou sou-
riantes des romances sentimentales des Aveiix^ où le rêveur laisse, au
gré des brises, vaguer ses rêves, rêves de langueurs, rêves de douleurs.
Et dans le crépuscule qui voile le jardin d'amour, l'àme pleure et
les vers chantent :
Dans ce jardin profond j'erre aussi pour entendre
Des femmes aux grands yeux noyés d'un regard tendra
Me répéter les mots prononcés autrefois ;
Le croissant de lu lune est si mince qu'il semble
Un bracelet d'argent brisé, le taillis tremble ;
Un sourd sanglot se mêle à la douceur des voix.
Et les fleurs du jardin pendant le jour fermées,
S*entr'ouvrent à l'appel des voix jadis aimées.
Le soupir caressant des anciens parfums
Flotte comme un nuage autour des chers fantômes ;
Et, plus tristes parmi ces fleurs et leurs arômes,
Les voix jurent que les beaux rêves sont défunts.
N'avez-vous pas pensé, à lire ces strophes, que Paul Bourget, en
suivant les allées onduleuses du jardin poétique où ont fleuri des
fleurs si suaves, fût, inconsciemment sans doute, l'un des précurseurs
du symbolisme ? Ces derniers vers surtout vibrent d'une harmonie
languissante qui berce les sens et élève l'esprit \eys un rêve élhéré où
l'àme s'endort d'un demi-sommeil très doux.
(A suivre). Fernand Uichard.
150 REVUE DV NIVERNAIS.
CONSEILS DUN GRAND-PÉRE
A SON PETIT-FILS
« Jacques, lève-toi de bonne heure,
Vite au travail, car les moments perdus
Au lit ne se retrouvent plus.
Point ne t'attarde en ta demeure.
Ainsi disait sagement un aïeuK
Pour arriver un jour à la fortune,
11 faut vaquer depuis l'aube jusqu'à la brune.
Ici-bas, rien ne vient tout seul ;
Les paresseux iront à la misère ;
Dormir c'est bien, mais non pas trop,
Pour réussir il faut se lever tôt,
Grands et petits y trouvent leur affaire.
Un garçon qui s'était levé de grand matin
Trouva le long de son chemin
Une bourse toute joufflue,
Toute pleine de louis d'or.
— Grand père, dit l'enfant, celui qui l'a perdue
S*était levé bien plus matin encor. w
Paul Uandieu.
IMPRESSIONS DE VOYAGE
A mon dernier retour de Paris, je fis voyage avec un couple char-
mant, très élégant, très distingué ; si élégant, si distingué même que
je m'élonnai de le rencontrer dans un compartiment de troisième
classe. La jeune dame, de mise fort agréable, n'avait que des sourires
pour le jeune homme, qui devait être son mari. Celui-ci, de son côté,
avait des attentions délicates pour celle que je jugeais être son épouse.
Je ne croyais pas que nous fussions encore dans une époque d'un
sentimentalisme aussi pénétrant. — Les poètes décadents nous ont
tellement encombré de leurs œuvres amorphes !
Les jeunes gens revenaient de Paris, avec tous leurs bagages et leur
amour, ayant voulu, sans doute, honorer la capitale de leur voyage de
noce. Et de ce voyage ils n'emportaient pas seulement des souvenirs
dans leurs cœurs : leur valise en était pleine, les sacs, les paquets en
regorgeaient.
HEVUK DU NIVERNAIS. IM
t^ïriil vm i.;iftoii volumineux qui était Pohjcl des
fl(.iii'(4ix carton! une surveillance altenlivc
li ïe pvv\vA\\ sur ses genoux, ou le posait délicale-
i*. un le rt'preuait, on le posait de nouveau, on
^ Mi \v WuiiW ;itlaché, et un furtif coup d'œil plongeait
' Mis p:i> ilr ifiioi Ton s'assurait, et j'ignorais alors ce
■ \Unnr W \\\uir\\\ carton.
n/aifiatlinir iil sti tenait un autre couple, bien différent
iHiiijjijf iir ^■|l(lHlpait point de sa femme, la femme ne
1 sati lu Mil Mil [,eur voyage de noce devait être loin,
^ Viitî dV> ji'UUf's gens qui s'aimaient n'évoquait en eux
^Mi.Ils n^iVMJi'îii pasde valise, ni de sacs, ni de paquets,
«Il Mïi i^niii p:iiii<'r, vieux, usé, massif comme eux ; un gros
'îiivrs^ ^*'us 1 4 h M il les anses ne quittèrent pas*^ une seule
irs hras falij^di'-s.
!•• avait un bonnet bien blanc, un tablier bien gris.
\ -jppuyait sur un bâton noueux son menton complètement
I avec des rides noires, profondes, creusées dans la peau
longs sillons dans les champs immenses.
.«' homme m'avait entrepris, et déjà je n'ignorais plus rien
•IVssion, de son âge, de ses habitudes, de tout ce qui leconcer-
.i\ait visité l'Exposition et pestait contre cette a bagatelle ».
a demande, je lui avais donné le nom de mon pays.
' Ten ! s'écria-t-il alors, convulsant sa bouche d'un sourire, ça
•né sont tous morvandiaux. t>
Oui, monsieur. C'est un beau pays, n'est-ce pas, le Morvan, un
i\m nous donne le droit d'en être fiers ?
- N'y est d'ia bonne terre, ... lez, monsieur.
- Et du bon monde aussi.
- C'est pas comme à Nérondes, l'avons que j'allais ceu aut's temps.
Ml ra'é dit qu'la terre y était ben bonne, mais que l'monde y était
irti, qu'a valait ren.
Connaissant la.plaisanterie qu'on se permet au sujet des habitants
de Nérondes, je riais ; le vieux aussi. Sa femme, bourrue, sombre,
n'avait pas eu un mouvement. Nulle expression de franchise, de gaîté
ou de bonhomie ne pouvait la rendre sympathique. Elle épongeait son
152 REVUE DU NIVERNAIS.
front lout baigné de sueur avec un grand mouchoir jaune où la poudre
de tabac venait sécher après un séjour dans le nez énorme.
Soudain, la paysanne suffocant, mal à l'aise^ se leva pour s'étirer un
peu ; d'un geste lent, elle fit craquer ses os, et, toujours debout, se
mit à frapper du pied le parquet de la voiture, parce que, nous dit-
elle, il y avait des « fermis » dans ses jambes.
Le train eut alors un ralentissement brusque, imprévu, qui projeta
la pauvre vieille en avant, puis en arrière et la fit tomber de tout son
poids sur le carton que la jeune dame avait déposé sur la banquette
demeurée libre, à côté d'elle.
Il y eut un craquement sinistre.
La propriétaire du carton s'en empara vivement, rompit la ficelle et
ouvrit. Quelque chose apparut. C'était un je ne sais quoi de délicieusement
artistique, d'un goût exquis ; un je ne sais quoi formé de dentelles et
de rubans qui encadraient de leurs franges et de leurs velours un
rectangle de cristal merveilleusement taillé.
Le choc avait brisé le verre, sillonné maintenant de longues rayures.
Et la dame, douloureusement, regardait ce désastre et semblait n'en
pas croire ses yeux.
Quand elle eut longuement regar4é et considéré que le mal était irré-
parable, elle tendit l'objet à son mari et fondit en larmes.
Elle pleura sincèrement, sans fausse honte, car ce n'était pas seule-
ment la valeur pécuniaire de cet objet dont la jeune femme déplorait
la perte, ses larmes avaient une cause moins puérile. Mais il devait
y avoir dans chaque coin de dentelles, dans chaque nœud de rubans,
dans chaque ciselure du cristal, un souvenir, une chose qui parlait au
cœur ; et c'était la disparition de tout cela qui la peinait, la pauvre.
La vieille, cause de ce malheur, n'eût pas même un mot d'excuse
sur les lèvres, ni une expression de regret dans les yeux. Elle ricana
devant la douleur de l'autre.
A la station prochaine, les jeunes gens descendirent, tristes tous les
lieux.
La vieille, enhardie par leur départ, me donna sur le genou deux
pelilos tapes amicales et me dit :
— Vous l'ez-tu vue breuiller, mossieii ?
— Il y avait de quoi sans doute.
— Vous crayez; pourtant quand rtounene est tombé, dam I»
REVUE DU NIVERNAIS. 153
temps, chez mon garçon défunt, que ça y avait pilé des carreaux, des
mille et des cents, a n'é point breuillé, soué.
— Mais le souvenir que...
— Pardié voui ; ça ai toujours des souvenirs ceu femmes-là. Si
al'était accoutumé de travailler comme moue, au grous soulé, a n'au-
rait point le cœur mijauré de denrées pareilles, a n'y songerait point,
crayez-moué, mossieu. Mais, dites ! vous Tez-tu vue ; al'en fayait
des embarras.
Et comme le train repartait, Tabominable paysanne se pencha
sur la portière et cria, pour achever de vomir celte rancune que j'étais
loin de trouver légitime :
— fit Pendrille toi les donc brament au cou, tes mourciaux de verre,
eh ! féniante ! » Odile Thiault.
LARMES D'OUBLI
Que de larmes j'ai versées
Au souvenir de ce jour,
Oii nos âmes fiancées
Crurent posséder l'amour.
Ces vains serments que l'on jure
Ont-ils pour moi quelque attrait.
Puisque ta lèvre si pure
Ne me dit plus ton secret ?
Telle une tige fragile
Se balance au gré du vent.
L'amour que l'on croit docile
Fait place à l'oubli souvent.
Et les heures insensées
Du bonheur qu'on a connu
Dans nos âmes délaissées.
Alors qu'on s'est souvenu,
Tintent leur glas d'agonie,
Et, dans le doute d'un soir.
Font renaître un peu de vie
Qui se fond en fol espoir.
Puis, suivant la loi fatale.
De sa faux prête à sévir,
Le Temps, dans sa marche égale,
S'en vient tout anéantir.
Alors, dans ma solitude
Que rien ne vient éclairer.
En rêvant d'ingratitude,
Je me remets à pleurer î
France Bry.
154 REVUE DU NIVERNAIS.
AUX BUCHERONS NIVERNAIS
L'impitoyable Hiver rapidemetil s'approche.
Les frimas vont bien lût, pressant le laboureur
De rentrer son bétail, comme au son d'une cloche,
Interrompre des ctiamps le rude et long labeur.
Et vous, francs bùcberons, dans ces bois solitaires,
Où déjà l'aquilon attriste le bouvreuil,
Par groupes vous allez, 6 braves prolélaires,
Affûter la cognée où broute le chevreuil.
C'est là qu'en attendant le joli mois des roses.
Alors que le ramier roucoule aux environs,
En dépit des autans et des soucis moroses.
Vous gagnez votre pain, ô vaillants bûcherons.
Là, vainement battus du soufHc de la bise,
La cognée à la main, terreur de ces grands bois.
De concert abattez, dans leur écorce grise.
Ces vieux troncs, fiers témoins des rigueurs d'autrefois.
Ne laissez'que Télîte, ô Nivernais robustes;
Rasez jusqu'à ces houx, inutiles d'ailleurs ;
Coupez les pieds anciens, coupez, nouveaux Procustes,
Dans l'espoir que des jets en .sortiront meilleurs.
Ainsi rajeunissez votre forêt profonde
Que coupent des sentiers ardus et divergents,
Poursuivez, travailleurs, voire tâche féconde.
Si rude; mais le cœur est ferme, pauvres gens !
Et jetant à Técho le bruit de votre scie,
Qui fait bondir dV*[Troi le lièvre et Pécureuil,
Faites de ces sapins à Técorce durcie
Pour la fainéantise un immense cercuciL
EuG. Gaiiry,
Novembre 1901, Jttrdiniei* à Limon.
"X!^
KEVUE DU NIVERNAIS. 155
A VICTOR HUGO
1^ fiâssas parmi nous comme raij^^lc d'une aire
f^iffê de rêve immense et d'orsueiï éclatant,
Ton verbe, dans nos cœurs, strida comme un tonnerre,
Et tu fus^ à toi seul, inaugurant une crc,
Splendidc comme un astre et fort comme un Titan.
E ployant» sous des ciels de gloire, Tenvergure
iïc les ailes de eutvre *^tin celantes d'ors,
Tu traversas les temps d'un envol qui Inlgure,
Kt ce gï-and souvenir de puissance li^^ure
En des rayonnemenUs d'éternels messiilors.
Fixant de la hauleur énorms du f^f^nic
La elarlé du soleil, ïe triomphe des rois.
Tu découvris la tache et la fraude impunie,
Kt tes vers tnagistraux sont une symphonie
Oiï les euivrcs vengeui-s suscitent des ciïrois.
De Norvège en Espagne et d'Espagne eji Asie,
Passant des monts de neige aux sommets radieux,
Tu ^us à rhydromel, tu hus à Tambroisie,
Et, de toutes grandeurs ton àmc étant saisie,
Tu chantas les lions, les chevaliers, les dieux.
Oh l cette immensité de toute nue épopée,
Ces preux qui. s'approchant lîes dames en tremblant,
Tuaient les déloyaux d un seul effleur d'épée !
Kt voici que, de'lom, de lu*uuje enveloppée,
L'Ame d'EvirîuImns est Tûme de Roland,
Us allaient, <'hevaucliant leuï-s destrier!^ de rêve,
Et leur plongeant aux lianes le fer des éperons,
Ils entendaient rHoimnur qui les poussait sans trêve,
— .Sous réldouissement du nuage qui crève, —
Du souflle formidable et pur de ses clairons.
Tu chantas la beauté *les vieilles cathédrales,
îjï courbe de Togive et la fol du ranit.
Tu chantiis la SimlTi-anc"? et tu sou (Tris des râles
Des pauvres implorant* sous les onjhns murales.
Le pain qui réconforte et la main qui liénit.
Puis — TAigle s'endormant dans ime nonchalance, —
Des parfums d'asphodèle errent en volupté ;
Et, sur les épis blonds que la brise balance,
Li douce Lune d'or monte dans le silence
D'un grand rêve d'Amour et d'une nuit: d'Eté.
Henri Bachelin.
•"XB^r
156 REVUE DU NIVERNAIS.
POÈTES NÉERLANDAIS iSaite)
HOLLANDAIS fSupptémmli
BUderdiik
CONCOURS DE CHANT
A Rossignol, Coucou disputé
En nos champs le prix du chanteur :
Quelle joie à qui de la lutte
Sera le glorieux vainqueur.
Le Coucou dit : € Nous pouvons prendre
» Un juge que je sais : il a
») Des oreilles pour nous entendre
1 Plus grandes que Pan n'en porta ».
L'Ane vient, ouvre la st^ance-
Longue-Oreille grogne en ses dentâ^
S'étire, bâille... Alors commence
Philomèle aux trilles ai-dent^.
Tout se tait, vent, fleuve, feuillage...
L'Ane dit : u Pas tant mal, vraiment !
» Mais le chant est un peu*,, sauvage,
» Le ton change trop frt*quemmenl ».
n ricane un instant, puis donne
Le tour au concun*ent, Voilii
Coucou qui chante ; un cri lesonne :
c Coucou ! coucou ! > rien que cela,
— € Très bien î » dit le juge ; il ajoute :
« ('.il, c'est chanter î Quel ton ' Bravo !
» Rossignol piaille, sans doute,
> Gentiment ; mais Coucou prvvnut,
REVUE DU NIVERNAIS. 157
» Beaux ïambe§, musique pure
7> Que je comprends sans embarras î
D On dort bien à celle mesure !
» Le genre grec ne me va pas ».
L'ÉRUDITION
Oui, Térudilion s'estime autant que Tor ;
On la prise très haut, à Tégal d'un trésor.
Mais sa seule valeur réside, pour le sage ,
Dans tout ce qui peut nous en assurer l'usage.
A quoi donc me sert l'or, sans pain pour me nourrir,
Et l'érudition, en danger de mourir ?
Isaac da Costa (d
(1798-1860)
NOSTALGIE
Connais-tu le pays du cèdre à cime large ?
Sur le val des mûriers l'esprit de Dieu soufflait ;
La grappe de raisin d'un sang pur se gonflait ;
L'olivier, lourd de fruits, se penchait sous la charge...
Le connais-tu ? Là-bas, là -bas,
Guide de mes aïeux, c'est là, conduis me pas.
Connais-tu la Cité ? Son temple était l'emblème
Haut et superbe, — au bruit des palmes et des chants,
Avec le sang du sacrifice, au cours des temps, —
Du Sauveur immolé par son peuple lui môme.
Peuple errant, vois, là-bas, là-bas !
La Ville dans Topprobre à jamais ne gît pas !
El connais-tu lo pniplu? W nnir dans lu foule
De $es tiiwrls ; ses tribu» reûdoul gloire au Seigneur.
Il regarde Celui donï il brî^^u \v nvuw
Dés veinen qu'il perya, k^ pnrduu poui' lui coule.
Terre, voi-s ilauc là lias ^ la- kit? :
Ses douleurs cessent, ti>n sakil no lîiidê pas I
{tyUtmûm Costa^ Juif converti, ri'mi1iU»Et pn.<! stis anciens coreligionnaires.
158 REVUE DU NIVERNAIS.
Jacob van Lennep
(1802-1868)
LIBÉRAL
Je suis libéral, je veux dire
Qu'en tout débat, c'est avéré,
Je dois, moi, penser à mon gré,
Agir en tout temps à mon gré,
Expliquer, raisonner, déduire.
Mais à mon gré, bien à mon gré.
Je suis libéral ; donc j'atteste
Qu'en tout débat, c'est avéré^
Chacun doit penser à son gré,
Sauf qu'il doit parler à mon gré ;
Qu'il vive en paix pour tout le reste.
Pourvu que ce soit à mon gré.
Bernard Ter Haar
11806-1880)
CHANSON D'HIVER
(Fragment)
C'est un rude gaillard que l'Hiver. Il remplace
Les teintes des champs par le gris,
n prend, en soldat, pour abris
Une tente dressée au-dessus de la glace.
Par la route qu'il suit se déversent les eaux
Et des ailes de fer s'attachent à son dos.
Son casque horrible, fait du chef d'un ours polaire,
Couvre à moitié son front méchant,
Ombragé de plumes d'argent
Qui s'agitent selon que son pas s'accélère ;
Son manteau de fourrure est garni de poils blancs ;
Il porte des glaçons à sa barbe collants !
REVUE DU NIVERNAIS l.VJ
Respire-t-îl ? Voici l'âpre bise qui vente ;
Un peu plus fort, c'est l'ouragan ;
Il poursuit d'un œil arrogant
Les femmes, les enfants, dont il est l'épouvante.
A celui qui l'irrite, il coupe en châtiment
Les oreilles, le nez dans le même moment.
n fait danser la neige en poudre dans l'espace,
n pille jardins et buissons ;
Les dernières fleurs des gazons,
II les dérobe, il les emporte quand il passe.
Aux vitres de fenêtre, il trace le dessin
Des feuillages divers, produit de son larcin...
Hdije
FLOCONS DE NEIGE
Petits flocons, blancs, fins et doux.
Tombez par milliers de la nue,
Vite, tombez et tombez tous :
La terre attend votre venue.
Couvrez-la d'un moelleux manteau ;
Que de sa fatigue si rude
Elle se repose bientôt :
Ah ! si grande est sa lassitude !
N'a-t-elle pas, durant tout l'an,
Pour fleurs et fruits pris tant de peine,
Gémissant, sans cesse appelant
Du repos l'époque lointaine.
Nue et chauve ainsi, quand l'Hiver
Avec sa meute découplée
D'ouragans vient chasser dans l'air.
Elle serait vile gelée.
Couvrez-la, flocons fins et doux.
Tant que son réveil s'accomplisse,
De vos linceuls épais et mous,
De votre si chaude pelisse.
Et quand le Printemps reviendra,
De ce mol édredon de plume,
Dans sa robe elle sautera,
Aussi fraîche que de coutume.
Traduction de AcHiLLE HiLUEN.
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Nous sommes toujours heurnux du voir nos ïnivaui apprécies par la presse
parisienne qui, fréquemment, tile ou empiunle nos pages. Le dernier nurfiéro
(le l'érudile et curieuse Gazette anêcdûtiqHe^ répondant à une question posée par
■ un chercheur » le renvoie à « b 1res inlënËSâaTite Revue du NivemmM *.
Il y a trois ans, le docteur Jean Fiistciiralît. un des plos émûvenls écrivains et
poètes de TAllemagne, très vensc' dans les lan^'uos ^ïes p^y^ romans, ittstiluci, a
Cologne, des Jeux Ùoraux, avec reine t>t cour d'auiour- A colle Ïl^Ij qui, ch:iqiie année,
se renouvelle le premier diman( lie de luiu, sont invi!i% plusieurs écnv;Mns élraitcera :
nous relevons, parmi les Français, les noms de Mislr*il, Jules Cliiretie, Achille Idillien,
etc. Un annuaire, splondide voliime publia chaque auni'^e, donne le compte rendu de
la fête, contient les pièces couroiint'es. le» uiaiilfeirlalious diverses, les porlrails de 1^
Reine, des charmantes dames qui coTiiitiEiient la coui' d amuur, des lauréats et des
juges du concours. L annuaire de UKH vient dt paraître. Nous ne ssauricm* Irop
féliciter le docteur Faslenrath d'une si nobSe initiative, ni trop applaudir tu sauces
de sa poétique institution.
Toc, toc, toc! - qui fntppe a mn porle?
Un chemineau, quelque.., faict'ur.
Un jésuite ou bien la Miiin-morte? w
— • Non, c'est une petite sceur i*
C'est par ce gracieux envoi qne M. l'alibé Julien, curé de PoiseuiL nous annoD^
la création d'un • Bulletin paroissial » sous ce titre t La (llothefîe. Tous nos Tonix
pour que cette clochette cardloniie avco succès.
Nous voyons avec regret disp;ir:dtre la Quintaint; bfnirbonnaia^, qui parjissjit k
Moulins, par les soins de M. Crê|iJn-Leblond. Mais les dix tomes de cetlc pelile revue
ne seront pas oubliés et les cherclieurs auronl matnte occasioD de les consuHer.
NOTES ET ÉCHOS
,*, Nos compatriotes. Sont nommés ; chev:diersde la Léfçioïi d'honneur : MM. ftiy,
sous-préfet de Joigny; Eugène Lp^^rand, akent voyer en ihef ~ Chevalier du Mérite
agricole ; M. Steck, secrétaire gf^m-rid de h préfeclure, — M- Perreau est nommé
chargé de cours de physique à U liicullé des scitMiccï» de rUniversilé de Bes:inçou.
,*, Conférences, à Nevers, le lU j;mvier» j>ar M. le professeur Voisin, sur -les
Braves gens » de P et V. Margncrille; le ti janvinr, par M, le profi?Sseur Soudùs :
les gaz du charbon; le IC févrit^r, par Frjiic-Nùhain ; GtaUire Mathieu. — A
Decize, le 2t5 janvier, par notre tollaboralpar ie comte Joseph Imbart de Iï Tour;
La Loire. — iiemarquables confiVenct^s bès "iuiviPSj Ut« appkudîes-
/, Notre collaborateur, M. Louis Tavernat direciiMir de b Rnnte de yaîrûot, a
exposé, au concours de Nevers, un in1ért*ssanl appareil pour démonlrtr t'appUi:aUoii
facile et fructueuse de l'alcool dt ualuréj au chau(rai;e, à réiiair.iue coroiuo a la force
motrice. L'emploi de l'alcool, substitué au pcLrole» serait Ués avantageux pour notre
région.
/, Décès le 11 janvier, à Autun, de M, Gabriel Bultiot (^^ ans), correspond !»nl de
rinslitut, président de la Société Ediieunc. Ses ex[dei-;dion5 ilu monl tîeijvray, w
restitution de Bibracte, ses noml^reux tntvanx qui iiiléi f^s£«?nt notre Nivernau^ autjtxd
que le pays autunois, lui valaietiL uiu; lûgilinte répulation Profondément alUchti à
notre sol, par la science et le cuUe de nos origines nationales, il mentait d'^lre appetê
a le dernier des druides •. L. I>.
Le Directeur-Gérant. ACHILLE MliJ IE>*
LE VERGER CHANTANT (fin).
E lendemain, vite après le déjeuner de
l'hôtel, nous reprenions le tramway de
Cusset ; nous voulions retrouver le chan-
teur 1 mais, au lieu d'entendre les mo-
dulations de la veille, nous entendions,
du Verger même, des cris déchirants...
C'était la voix d'une femme qui appe-
lait au secours; la voix partait de la
masure où j'avais vu entrer la blouse blç^e ; la masure était isolée.
Aucun voisinage, si ce n'est, à dix pas, une maisonnette rurale, her-
métiquement close, également au milieu du Verger planté à pic. Sans
doute, ce devait être la demeure du vieux bonhomme à tête de pipe, au
bonnet de coton sale, qui fumait la veille devant la porte de son voisin.
Les cris devenaient perçants, fous d'impatience... M"' Mergnier
s'élançait, je la suivais malgré les objurgations de M. Largues, qui
sMmaginait, subitement, que nous tombions dans un guet-apens.
Nous entrions...
Une toute jeune femme était dans un misérable lit, berçant un petit
enfant de quelques heures, enveloppé de langes de pauvre couché
dans les ruines d'une bercelonnette d'osier ; elle sanglotait. Son mari,
son Jean, était tombé d'un très haut cerisier, à dix pas d'elle, dans le
Verger ; il était évanoui. Je le voyais la tête ensanglantée, au pied de
l'arbre, au milieu des fruits écrasés dans sa chute, avec son panier
renversé.
C'était lamentable I
En dix minutes, nous avions couché le malheureux à côté de sa
7
162 REVUE DU NIVERNAIS.
femme, dans l'unique grabat de la chaumière ; avec M^ Mergnier nous
lavions la plaie, tandis que mon mari courait chercher un médecin à
Cussct. Ils étaient tous en route ; il ramenait de Vichy notre médecin,
le savant docteur Lénard.
Un grand diable de paysan arrivait ; c'était l'homme à l'air goguenard
au bonnet de coton sale; il s'empressait,* gesticulait, s'agitait, bre-
douillant des sottises dans un affreux français, n'osant pas parler
patois, sa langue naturelle, à cause de nous.
— Ça devait arriver, répétait-il en guise de consolation à la pauvre
Myette, qui fendait le cœur,... il est toujours dans lalune, ton homme,.. .
c'est pas étonnant qu'y soit tombé,... une aut'fois y tombera de pus
haut,... heureusement qu'y est pas tombé d'un arbre à moi ; ça m'au-
rions coûté cher avec ceux nouvelles lois.
Jean guérit à peu près et vite, en assez peu de temps ; c'est-à-dire
qu'au bout de quinze jours, il put s'asseoir devant sa cabane ; nous
avions prolongé notre cure pour le voir plus longtemps, il nous inté-
ressait. Cependant, quelque chose nous inquiétait ; Jean comprenait
tout évidemment, puisqu'il souriait avec intelligence, mais chose
extraordinaire, qui devenait terrifiante à la fin^ il ne parlait pas, il
n'avait pas parlé depuis son accident.
D'abord, on avait cru que cela ne durerait point, puis on avait
commencé à s'inquiéter,... enfin le temps passait et Tespoir diminuait,...
Notre médecin de Vichy, lui-même, n'était pas rassuré,... Myette
fondait en larmes.
— Il y aurait peut-être un moyen, disait un jour le docteur Lénard,
un jour que nous étions tous réunis dans la cabane avec le curé de
Ranzat, pendant que Jean était chez le grand Piare, son voisin, pour
cacher sa tristesse à Myette... Il y aurait peut-être un moyen... C'est
une peur, une grande émotion qui a enlevé la parole à Jean ;... une
autre émotion, heureuse celle-là, pourrait peut-être la lui rendre.
— Quelle émotion 1 quelle joie I aurait ce pouvoir, nous deman-
dions-nous anxieusement.
Personne ne répondait ; les humbles sont simples dans leurs goûts ;
entre sa femme et sa fille, Jean ne désirait rien.
— M'est avis, grognait railleur le grand Piare qui était toujours là sans
qu'on le demande, m'est avis que ton homme serait ben aise d'enten-
dre quëque artisse du Casino. En a-t-y fait des pas pour entendre ceux
REVUE DU NIVERNAIS. 163
chansons, y les retenait toutes... Comme y pouvait pas payer, y por-
tait des cerises, des prunes à ceux demoiselles qui ouvent les portes
dans leu théâtre ; y s'assoyait jamais, y restait trois heures durant pour
entendre chanter leu musique... C'est ce qu'y a coupé la langue, y
chantait toute la journée... y retenait tout... y pensait qu'à ça; y a
pu pensé qu'y était sus son cerisier; c'est ca qui Ta fait tomber.
Que que t'as à pleurer, Myette, on sait ben que ton homme allait
pas au cabaret ; il aurait ben mieux fait d'y aller...; ça li aurait pas
coupé la langue... Je vous demande un peu, un ouverrierde la carrière
qui chante comme un artisse du Casino.
— Il ne faisait pas de mal, Pierre, reprenait doucement le curé, un
curé comme ceux que j'aime beaucoup, quand Jean était enfant de
chœur et qu'il chantait dans notre pauvre église... que le bon Dieu me
le pardonne puisque c'est Lui qui lui a donné sa voix .. j'oubliais que
je disais la messe. Et je n'étais pas le seul à trouver que mon petit
oiseau avait une voix de rossignol. Les étrangers, en excursion à
TÂrdoisiëre, arrêtés pour le salut de vêpres, venaient tous me deman*
der quel était cet enfant.. . et le plus grand chanteur de l'Opéra est venu
aussi pour l'entendre et l'emmener à Paris, mais le vieux Thomas avait
du bon sens ; il savait bien que les champs valent mieux que la ville
pour le bonheur : il a refusé et Jean n'a jamais chanté que pour les
rossignols, ses frères, et pour faire plaisir à son vieux curé.
M*^' Mergnier était devenue très pâle, nous nous regardions tous trois.
C'était Jean, le chanteur du verger ; c'était lui qui chantait en ramas-
sant son panier de cerises.
— Qu'est-ce que Jean aimait le mieux à chanter, ma bonne Myette,
disais-je un peu tremblante ; il me venait une idée... la même que celle
de M**« Mergnier; je le voyais dans ses yeux.
Myette ne savait pas ; elle n'y connaissait rien.
— M'est avis, disait le grand Piare, qu'y chantait tout le temps une
chanson sus les orangers... ça parlait de fruits d'or... comme si c'était
en or les oranges à deux sous.
Essayons, pensait comme moi W^^ Mergnier, qui parlait bas à
M. le curé, au docteur et à M. Largues.
Alors le vieux prêtre alla chercher Jean, il le ramena lentement,
tendrement, lui parlant du chant qu'il aimait.. ., nous étions tous au
fond de la chaumière quand ils entrèrent tous deux ; Jean paraissait
k
i64 REVUE DU NIVERNAIS.
fatigué, il avait tant pleuré ! mais la chaumière devenait chantante
comme autrefois le Verger et Tadorable voix de Tartiste modulait avec
toutes les vibrations de son cœur :
Coonais-to le pays où fleurit Toranger !
Alors, Jean s*avança seul, blanc, comme le jour où je l'avais relevé
de la carrière ; il tenait sa tète en ses mains, comme s'il avait eu peur
de tomber ; mais non. . quelque chose de noué, se dénouait ; quelque
chose de fermé, s*ouvrait, et c'est dans un duo, inexprimable par la
parole et par la plume, que Jean retrouva sa voix !
— Oui, mam zelle, disait le grand Piare, tandis que nous pleurions
tous ; je donnerions tout mon bien du Sicbon pour avoir un gosier
comme vous.
IV
Jean est ressuscité ; le Verger a retrouvé son chanteur et la carrière
est une carrière d'opéra comique.
On a baptisé la petite-fille, Jean et Myette cherchaient des parrains.
M^^* Herguier s'est offerte simplement après avoir fait un tour au
presbytère.
— Nous ne sommes plus excommuniés, comme autrefois, a-t-elle
dit ; voulez-vous que je sois la marraine de la petite de Jean avec
M. Largues qui ne demande pas mieux. N'ayez pas peur, monsieur
le curé, je ne ferai pas de ma filleule une artiste. Si elle a la voix de
son père , elle ne chantera comme lui que pour vous et pour les
oiseaux des champs. Il est trop difficile d'être une honnête femme
dans le monde du théâtre ; cependant, il y en a, croyez-moi, mon-
sieur le curé, et peut-être ont-elles autant de mérites que d'autres...
— Il y en a dont la voix guérit et rend la parole aux muets parce
qu'elle vient du cœur, a répondu mon curé ; soyez bénie, mon enfant,
à dimanche, au baptême !
Et M'»* Mergnier a été marraine avec M. Largues, et le Verger a
chanté, au son de la cornemuse, le seul instrument que connaisse
Touvrier carrier, le chœur de la Datm blanche.
Sonnez ! sonnez !
Car un baptême, c'est une fêle I
a répélé l'écho de la colline, tout un jour.
,^ 11} elle peut être tranquille sur le sort de sa petite Alice, sa marraine
I a donné dix mille francs ; c'est un mois de sa saison de Vichy.
REVUE DU NIVERNAIS. 165
M. le curé est content aussi ; le salut de la fête patronale, où Jean
a chanté avec W^^ Mergnier, a comblé ses vœux, en lui donnant un
harmonium, son rêve.
On avait envoyé des cartes à Vichy ; l'église était trop petite.
Et moi qui vous rapporte simplement ce qu'on vient de me raconter
i moi-même, à Vichy, ces jours-ci, j'ai voulu aller voir Jean et Myette
et emhrasser Alice.
J'ai mangé des cerises de Tarbre d'où Jean est tombé, je me suis
promenée dans le Verger Chantant qui a chanté pour moi, j'ai goûté
dans la carrière, je me suis reposée dans la cabane et j'ai tendu mes
deux mains à M^^^ Mergnier, après avoir embrassé mes Largues qui
m'ont caché tout le bien qu'ils font à Alice.
Et puis... savez vous ?... Je me suis donné le délicieux plaisir d'aller
au théâtre du Casino entendre Mignon^ avec Jean et Myette (ils ont
toujours des cartes quand leur bonne fée joue), et j'ai emmené le grand
Piare, qui se met à aimer la musique.
Le grand Piare est arrivé un peu en retard, avec un énorme panier
de cerises que j'aurais bien voulu voir ailleurs, mais je n'ai pas osé le
lui dire, de peur qu'il ne me donne trop fort et trop longuement ses
explications, peut-être aussi, ne savait-il où mettre son panier, n'ayant
pu rien vendre aussi tard...
Nous étions à Torchestre, tout près de la scène, le grand Piare
gesticulant sans interruption pour mieux applaudir, et moi, le cœur
battant, en attendant l'adorable mélodie qui aval trendu la paroleà Jean.
M^i* Mergnier nous regardait toute émue,... son âme était dans son
chant, lorsqu'elle commença : e Connais-tu le pays... t> Et quand elle
eut flni, la salle croulait de bravos ; on jetait des fleurs, la grande
artiste marchait sur des roses ; mais au milieu d un tumulte incroyable,
le grand Pierre se levait sans souci de mon bras et des yeux flamboyants
de l'ouvreuse.
— Oui, mam'zelle, disait très haut le grand Piare, je m'en dédis
point, je donnerions tout mon bien du Sichon pour avoir un gosier et
un cœur comme vous. J'ons que des cerises, v'ià mes cerises, pour vous
et vos camarades ; c est les cerises du Verger Chantant.
Le grand Piare a eu un succès fou, quand il a porté son panier sur
la scène.
Ils habitent leur chaumière. De jolies petites plantes aux tiges roses,
166 REVUE DU NIVERNAIS.
à fleurettes blanches, de celles qui aiment le chaume, la recouvrent
entièrement. A côté du banc de bois rustique, un immense rosier, de
ces rosiers qui donnent leurs fleurs du printemps à la fin de rautoome,
grimpe Si\i% murs de la maisonnette. C'est le rosier de M^'^" Hergoier;
ils l'ont planté pour elle,... en souvenir;... les fleurs sont à elle.
Tous les matins, Hyette apporte à la grande artiste un bouquet de ses
roses, pendant la saison de Vichy, et quand elle est rentrée à Paris»
jusqu'au milieu de décembre, sa loge de TOpéra-Comique est encore
embaumée des roses de Ranzat. Quelquefois il n'y en a que trois,.-
deux,... une,... mais il en vient toujours jusqu'à la dernière, jusqu'à
celle qui fleurit sous la première neige 1
Le Sichon coule toujours au bas du Verger Chantant, entre ses deux
haies de fougères, au milieu du gazon fleuri ; la colline de FArdoisière
f^it toujours à la cabane le plus délicieux décor. C'est une vraie chau-
mière d'opéra comique. Françoise d'Husselles.
A Vichy, le 15 juillet 1901.
LA LÉGENDE
DE LA PETITE ÉGLANTINE BLANCHE
fPimpinelli folia).
Dans Bethléem un anee à Joseph, en un rêve,
Avait dit : -~ c Pour TEgypte en hâte il faut partir,
B II faut partir avant que le jour ne se lève :
)) Hérode veut Tenfant pour le faire mourir, m
Et vers le Nil, sans une plainte,
Le couple s'en allait furtif.
Avec Jésus, victime sainte,
Au doux regard... déjà pensif.
Ils marchèrent la nuit, puis une matinée,
Puis, vers midi, Marie, au courant d'un ruisseau.
Très simplement lava, sur la rive inclinée,
Les linges du Messie, humble et léger trousseau.
Elle étendit sur une haie
Les clairs tissus pour les sécher...
Mais quand, le long de la saulaie,
Elle s'en vint les rechercher,
A leur divin contact du buisson chaque branche,
Comme aux souffles féconds des printemps créateurs,
Bientôt avait vu naître une églantine blanche...
Et le chemin d*exil s'était perlé de fleurs.
Lucien Jeny.
(Extrait des Légendes (inédites) de la Nature),
REVUE DU NIVERNAIS. 467
GUSTAVE MATHIEU
Ce Nivernais fut un vrai poète, sans flel, sans ambition, sans envie,
un causeur sans malice qui ne blessait personne, un républicain qui,
dans une élection, n'eût pas eu deux voix. Il savait beaucoup de choses
sans avoir étudié ; en découvrant quMl était chansonnier, il devina du
même coup l'antiquité ; se fit astrologue et donna de bons conseils ;
n*eut pour amis que des écrivains de cœur ou de bons compatriotes ;
avec un tempérament de cadet de Gascogne, n'oublia qu'une chose,
embeiiir par la réclame et exagérer son propre talent. Ce fut un homme,
enfin, qui, tandis que tant d'autres avaient si bien battu la caisse qu'ils
ont obtenu le lendemain de leur mort des honneurs posthumes, n'a
encore eu, pour le rappeler au souvenir des Nivernais, qu'une jolie
conférence qui a eu lieu il y a un mois.
J'ai entrepris, en recueillant certains témoignages de la vie de
G. Mathieu, de récompenser, le plus utilement possible, l'inaltérable
tendresse d'une sœur qui eût voulu pour lui un peu de cette gloire
posthume dont tant de tombes, à moins juste titre, sont éclairées.
Je m'arrêterai, presque sous la dictée de Mlle Emilie Mathieu, à des
traits de la vie de son frère, souvent très simples et médiocres, mais
qui ont cependant le charme des bons souvenirs et des émotions
honnêtes quand on évoque, dans la maison paternelle, à l'aspect de
vieux meubles, de vieux toits et de papiers jaunis, les commencements,
les premières années d'une existence chère.
La famille Mathieu est originaire du Charolais. Quelques années
avant la Révolution, Claude Mathieu, un de ces grands agriculteurs,
hardi pionniers de la fin du XVIIP siècle à qui la Révolution coupa les
bras et parfois le cou, qui s'inspiraient des théories d'Arthur Young,
était venu s'établir dans le Nivernais, amenant avec lui un grand
nombre d'animaux et toute une colonie de cultivateurs. Il afferma la
terre d'Anlezy, celle de Vesvre, eut des intérêts dans l'exploitation des
charbons de la Machine. 11 payait environ cent raille livres de fermages.
Claude Mathieu, cadet de famille, avait un frère, Charles Mathieu
qui fut chanoine à Lyon, un autre Catelin Mathieu, curé de Briant,
auquel Gustave Mathieu ressemblait d'une façon extraordinaire.
Sans doute, le premier coup de tocsin de la Révolution fit plaisir à
Claude Mathieu comme à tant d'autres. On voit Claude Mathieu, fermier
1.-' ->^ : \zh}ij pour prendre part
iii^- ^ r aix. administratear da
^.r.:: .t: I^r'jize, puis le 8 seplem-
^1. :. -. ' .nj/iiême par l')*} voii
- ■- - 1: : i.:^pr-ri i ^m «levoue-
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« iiii* tiL ::!.j.t pAï !►? -il-, a*? c..z:i.iA f^s îi plia:-: ^, ont dit les
REVUE DU NIVERNAIS. 169
Narzy, où l'on est aussitôt séché que mouillé, est un village absolu-
ment démocratisé aujourd'hui, à deux pas duquel, du haut d'une côte
plantée de vignes, on peut contempler le superbe paysage qui domine
le val de la Loire. Là, on est exposé à tous les vents et à toutes les
pluies du ciel, où s'élève la maison de campagne où G. Mathieu passa
les jours de loisir de son enfance; c'est une pointe, au sud, de ce qu'on
a appelé le Nivernais gai par opposition au sombre Morvan. Le
Nivernais au vin démocratique, avant que le pays devint radical.
M. Emile Montégut, dans un livre intitulé : c En Bourbonnais et en
Forez », a dit du Nivernais et de son caractère : « C'est le genre de
vivacité et de sécheresse de la pierre à fusil, de l'étincelle qui en jaillit
et de l'amadou qu'elle allume; on dirait une population faite à souhait
pour l'action rapide, les coups de main agiles, les besognes enlevées
d'assaut, plus adroite et alerte que robuste cependant ».
Je ne veux pas dire que l'origine nivernaise de G. Mathieu puisse
tout expliquer dans une nature de poète où il y a à démêler sûrement
d'autres éléments et d'autres influences, mais il faut convenir que,
dans ce site et au milieu de cette population, on est bien placé pour
écouter comme il convient les poésies de G. Mathieu, pour comprendre
son style alerte, empourpré et gaillard, enfln pour saisir ce que fut son
caractère.
G. Mathieu commença ses études au collège de Nevers. Il ne travail-
lait guère. Cependant, un jour, l'abbé Robinot, émerveillé des beaux
vers latins qu'il faisait, déclara à sa famille qu'il serait un poète. 11
quitta le collège de Nevers pour entrer à l'institution Massin. Sur les
conseils de l'amiral de Provigny et avec la protection d'Hyde de Neu-
ville, il devait entrer dans la marine.
L'auteur de l'article du dictionnaire Larousse raconte quMl quitta
Nevers à vingt ans, partit pour le Havre, fut simple matelot sur un
navire de commerce, aurait même commandé un corsaire dans l'Océan
pacifique et fait plusieurs fois le tour du monde. . .
La vérité est qu'il fut officier de la marine de guerre, puis mangea
beaucoup d'argent dans la marine marchande.
{A suivre.) Paul Meunier.
^■^p<0^
r
I
REVUE DU NIVERNAIS 171
LES POÈTES DE L'AMOUR /Suz/e/
Déjà naissent, en des musiques lointaines, les visions pâlies et
endormies dans une brume de silence, c Si les symbolistes murmurent
leur amour, dit M. Vigié-Lecocq, ils y veulent du mystère, glissant sur
le côté anecdotique, mais rendant les nuances les plus délicates du
sentiment b.
Ainsi, c^estdans le recueillement de la solitude, Au jardin de V Infante^
qu'éclosent les rêves d'amour d'Albert Samain, c le poète de toutes les
musiques, de toutes les douceurs », jardin féerique où, mollement,
comme un encens, flottent des arômes de fleurs alangnies .. De som-
bres et profonds ombrages y laissent d*en haut mourir des lueurs
vaporeuses, et autour des < lies d'amour )> dorment des lacs pensifs
dont les flots vibrent d'harmonies lentes.
Mon cœur est un beau lac solitaire qui tremble,
Hanté d'oiseaux furtife et de rameaux frôleurs,
Où le vol argenté des sylphes bleus s'assemble,
En un soir diaphane où défaillent des fleurs.
Dans ce jardin, comme dans le Jardin de Paul Bourget, errent des
âmes de femmes frêles ou ardentes, chastes ou voluptueuses, mais
plus indistinctes encore, parlant bas, souriant à peine, les yeux mi-
clos vers l'inconnu.
laquelle — Cydalise ou Linda — que t'en semble.
Te laissera Taimer, le front sur ses genoux ?
Qu'importe!... L'âme est triste et leurs baisers sont doux...
Mon cœur est un beau lac solitaire qui tremble,
0 les belles, embarquez-vous 1
Laquelle sera Télue ? Le poète garde son secret ; à peine dans les
Heure* d'été s'accentue le profil d'un visage féminin qui bientôt s'efface
dans Tombre des soirs.
Aussi bien dans cette poésie qu'on a dite dangereuse, qui ne le serait,
en tous cas, que pour certaines âmes par trop faibles, c'est non pas
l'amour, mais le rêve d'amour qui murmure. Comme Sully-Prudhomme,
avec lequel il a de lointaines affinités, ce poète est trop analyste pour
chanter à pleine voix l'ivresse d'aimer : tout de suite la volupté le lasse,
la hantise du mystère Fétreint et il s'enivre à contempler son âme dont
les songes vont naître, luire et mourir en d'autres songes.
172 RETUE DU NIVERNAIS.
C'est ainsi qu'Albert Samain^ qui d'ailleurs possède, à un rare degré,
le pouvoir magique des évocations, se plaît à rêver toutes les amours.
Tantôt il s'émeut aux mirages d'amours imaginaires exotiques ou rétros -
pectives (dans ce genre son dernier livre : Aux flancs du vase, est un pur
chef-d'œuvre où, en des tableaux superbes de dessin et de couleur,
rayonne, dans toute sa splendeur, la poésie antique modernisée par un
admirable artiste) ; tantôt il se laisse bercer dans les espoirs de ten-
dresse mystique exhalés vers un Eden merveilleux où les âmes seules
ont des baisers :
J'ai révé d*uu jardin primitif, où des âmes
Cueillaient le trèfle d'or en robes de candeur ;
Où des souffles d'azur, veloutés de tiédeur,
Berçaient des fleurs d'argent, sveltes comme des femmes.
Tantôt, aux soirs de langueur étouffée, il rêve de passions étrange-
ment sensuelles.
Mais ce sont là des états d'âme passagers et peut-être volontaires :
l'âme du poète, l'âme de son âme, noble et délicate, mélancoliquement
pensive, intimement caressante, se dévoile, juste assez pour que nous
l'aimions, dans les poèmes plus nombreux où l'amour apaisé dans les
pâleurs du crépuscule, parmi des symphonies de frissons et de parfums,
s'idéalise en tendresses souffrantes.
N'est-ce pas que ces vers sont enchanteurs ?
Je resterais ainsi des heures, des années,
Sans épuiser jamais la douceur de sentir
Ta tête aux lourds cheveux sur moi s'appesantir,
Comme morte parmi les lumières fanées.
Voici que les jardins de la nuit vont fleurir,
Les lignes, les couleurs, les sons deviennent vagues.
Vois, le dçrnier rayon agonise à tes bagues.
Ma sœur, entends-tu pas quelque chose mourir ?
Mets sur mon front tes mains fraîches comme une eau pure ;
Mets sur mes yeux tes mains douces comme des fleurs ;
Et que mon àme, où vit le goût secret des pleurs,
Soit comme un lis fidèle et pâle à ta ceinture. '
C'est la Pitié qui pose ainsi son doigt sur nous ;
Et tout ce que la terre a de soupirs qui montent,
Il semble qu'à mon cœur enivré le racontent
Tes yeux levés au ciel si tristes et si doux.
Il y a dans l'inspiration amoureuse d'Albert Samain un charme diffl-
RBVUB DV NIVERNAIS. 173
cilement exprimable ; cette poésie — et j'insiste sur cette image banale
parce qu'elle ne fut jamais plus juste — est un parfum qui enivre de
défaillances léthargiques Târae qui s'y s'abandonne, parfum où se
fondent délicieusement les effluves mourants du cœur : désirs ternis,
regrets expirants, nostalgies dormantes... El cela est infiniment doux
aux sensibles, aux tendres, aux tristes, à tous ceux qui savent trop ce
que c'est que de sentir et de souffrir.
— C'est aussi dans le silence, loin des bruits et des foules, dans un
parc ombreux et paisible, ouaté de mousses, embelli de vasques et
d'antiques statues que s'entrevoit la Maison de Venfance, de Fernand
Gregb, la « blanche maison des rêves x» où a fleuri le premier amour
du poète, idylle simple et douce, fragile et pensive, candide jusque
dans la faute qui fait pleurer l'âme, un peu étrange, un peu triste.
Deux enfants vivent leur vie calme et monotone dans le château désert,
rêvant ensemble, mêlant leurs joies et leurs chagrins, errant la main
dans la main aux profondeurs mystérieuses du parc, dans la pureté de
la nature... Des harmonies lointaines frôlent leur âme :
Nous marchions dans une aube éterneUe^ en chantant,
Les doigts entrelacés sous la bonté des cieuz.
Peu à peu leur cœur vierge s'ouvre à des sensations inconnues ; des
frissons troublent leur être ; un peu de fièvre brûle leur front : c'est
l'heure des caresses puériles et craintives :
Et nous sentant soudain captifs dans la maison,
Tandis qu'autour de nous montaient de Thoiizon
Les cloches et ces bruits de grands chars sur les routes,
Nous pleurions seuls, perdus dans Tombre des feu allées,
£t nos pleurs sur nos mains tombaient à tièdes gouttes,
Et nous nous caressions avec nos mains mouillées.
Et puis, un jour d'été, dans l'ombre lumineuse et murmurante du
parc attiédi sous le soleil trop ardent, les âmes ont défailli, les bras se
sont enlacés.
Hélas! qu avons-nous fait? Le soleil sous les branches
Joue et rôde, et le vol des guêpes vibre encor,
Comme quand mes deux mains ont saisi tes mains blanches ;
Et rien n'est changé, l'heure est douce et le bois dort...
Mais tu pleuret», je fuis tes grands yeux que j'aimais,
Et quelque chose en nous s'est brisé pour jamais !
Les amants d'un jour se sont désunis; pourquoi? on ne sait pas;
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REVUE DV NIVERNAIS. 175
Cette poésie d'amour, assez complexe, est l'expression d'une âme
complexe elle-même, analyste, rafflnée, ouverte aux impressions les
plus ténues, se grisant de vague et vibrant au moindre choc jusqu'en
ses plus intimes profondeurs.
(A suivre). Fernand Richard.
SOL VITiE
Je croyais autrefois que les quatre saisons
Marquaient dahs notre vie et la joie et la peine,
Que la rose qui grimpe aux portes des maisons
Attristait en mourant l'âme la plus sereine.
Je croyais que l'été, seul, réchauffait les cœurs.
Que la neige enterrait notre désir de vivre ;
Qu'il tfétait de beaux jours qu'à la saison des fleurs
Et lorsqu'ils s*en allaient 'aurais voulu les suivre.
Plus tard, j'ai découvert que mon cœur inconstant
N'était plus vide ou plein au gré de la nature.
Qu'un jour se^ colorait avec un sentiment
Et que ma rêverie en devenait moins pure.
J'ai vu qu'au lieu d'aimer éperdûment le ciel.
Tendrement la nuit claire et sainement la vie,
Mon âme allait puiser le parfum de son miel
Ailleurs qu'au sein des bois et de Therbe fleurie.
J'ai vu qu'un dieu malin changeait à mon regard
En clair enivrement la saison la plus sombre.
Et que sa flèche aiguë emportait en son dard
De quoi faire un printemps plein de pleurs et plein d'ombre.
J'ai vu qu'il n'était pas de saison pour l'amour.
Que des bras bien épris n'avaient pas, pour s'étreindre.
Besoin d'air ou de fleurs, de soleil ou de jour.
Et qu'il est un flambeau qu'aucun vent n'ose éteindre.
Alors , des mains d'Eros, j'ai saisi ce flambeau,
Pour qu'il guide mes pas en tes sentiers, Nature !
Qu'il me cherche deux bras dont je fasse un berceau
Et le feu d'un amour qui réchauffe et qui idure.
M. V.
Aoùl 1901. ^
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REVUE DU NIVERNAIS. 177
A PROPOS DE LIBERTÉ PHILOSOPHIQUE
Chateaubriand", vers 1825, a pu écrire : c Les Américains sont usés
par la liberté philosophique comme les Russes par le despotisme
civilisé )). Or, les uns, au-delà de T Atlantique, donnant aujourd'hui
l'exemple d'un merveilleux développement économique, devenus
financièrement la puissance la plus riche de l'univers, paraissent avoir,
au contraire, bénéficié d'un invraisemblable rajeunissement; les
autres, dont la population, et le territoire ont doublé depuis cette
époque, appuyés sur l'armée la plus considérable qu'on ait jamais
connue , luttant contre le plus défavorable des climats, ne sont, au
point de vue de la prospérité, à tout le moins inférieurs à aucun des
Etats de l'Occident.
La liberté philosophique a donc ses avantages, et Chateaubriand
s'est montré mauvais prophète ou les Américains, comme les Russes,
en ont rappelé. Hais il faut compter avec le caractère des peuples.
L'activité laborieuse, la ténacité, la froideur de la race anglo-saxonne
ne permettent pas de l'assimiler aux peuples latins ou grecs. Le Fran-
çais (César le disait déjà, il y a bientôt deux mille ans, en parlant des
Gaulois) est exubérant et bavard. C'est pour cette raison, sans doute,
que le régime parlementaire, si attaqué, présente en France tant d'in-
convénients. Il est le nôtre cependant et peut-être ne gagnerions-nous
guère à le changer.
Mais une réforme de nos habitudes qui nous profiterait certaine-
ment consisterait sinon à nous abstenir de manifester hors de propos
ce que nous pensons ou ce que nous ne pensons pas (ce serait peut-
être trop nous demander), consisterait tout au moins, pour ceux qui exer-
cent des fonctions administratives, à en comprendre tous les devoirs
et à éviter toute manifestation, toute parole de nature à porter le
trouble et la division parmi les citoyens dont la tranquillité leur
incombe.
Beaucoup semblent, au contraire, considérer la dignité dont on les
a revêtus comme un poste de combat, d'où ils croiraient se manquer
à eux-mêmes en ne foudroyant pas l'adversaire et en ne favorisant pas
sans mesure les troupes fidèles. Nous assistons ainsi trop souvent à
de véritables luttes religieuses qui, pour n'être pas sanglantes comme
REVUE DU NIVERNAIS. 179
POÈTES NÉERLANDAIS (Suite)
HOLLANDAIS fSuppfémeni)
Ten Kaie
DANS LA NUIT
Non, que jamais la peur, dans la nuit la plus sombre,
Ne te fasse hâter le pas 1
Il est quelqu'un, là -haut, dont les yeux percent l'ombre
Et qui ne t'abandonne pas.
Il te conduit, alors que dans la nuit obscure
Ton ombre flotte vaguement ;
Dans tout soupir du vent, sa parole murmure :
c Près de toi, je suis constamment. »
Il est dans l'univers, dans l'infini du vide,
Partout, là-haut comme ici-bas,
Le gardien vigilant et le fidèle guide
De qui ne le repousse pas.
Avance dans la nuit ; dans le fracas pénètre !
Va, le regard en haut porté :
Le Père veille en sa maison, dont la fenêtre
Brille d'étemelle clarté.
JosaphuB-AlbertuB Alberdyngk Thijm.
(1820-1889.)
LES ARTS
L'architecture.
Elle est de tous les arts la couronne et l'assise.
Elle est leur mère, elle est leur reine en même temps.
La peinture.
Aux sources de la vie à main pleine elle puise ;
Sœur du soleil, elle a ses rayons éclatants.
La sculpture.
Du sceptre qu'elle tient à la main, touche-t-elle
Un bloc ? Un saint surgit, un héros apparaît.
La musique.
Il tombe pour nos cœurs, dans le bruit de son aile,
Un parfum du foyer, plus doux et plus discret.
!tlt. »ll I' lîï.
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r
^IPWM
L
REVUE DU NIVERNAIS. 181
L. Goupéms.
CHANSON
Vois : le zéphyr porté par ses ailes errantes
Flotte sur le lac aux flots blancs ;
Il emporte, voilé de gazes susurrantes.
Les fleurs de neige du printemps.
Puis, plus voluptueux, je le vois disparaître,
Loin de l'onde il va s'envolant ;
Tout parfumé de myrte il vole à ta fenêtre
Comme un doux ramier roucoulant.
Il porte, le zéphyr, la chanson attendrie
Que pour toi je dis tous les jours
Avec tout le parfum de mon âme fleurie.
Sur son aile qui bat toujours.
FLAMANDS
Frans de Gort.
LE SECOND PÈRE
Heures de joie ! 6 temps prospère ! ..
Nous jouions tout le long du jour.
Nous voyant si gais, notre mère
Nous souriait avec amour.
Venait la^n de la journée.
Notre père à chacun de nous
Parlait, sa tâche terminée
Avec des mots si doux, si doux !
Puis nous faisions de grands voyages
A cheval sur son genou : lui :
« Je vous aimerai^ soyez sages.
Toujours, toujours comme aujourd'hui. >
II nous prenait avec tendresse
Dans ses bras, nous berçait bien fort^
Nous bénissait, baisait sans cesse...
A présent notre père est mort !
Des gens étrangers, notre mère,
Nous Font dit, nous Tout répété ;
Tous sanglotaient : les voyant faire,
Nous avons aussi sangloté.
Et nous pleurions sans te connaître,
Alors que tu vins et nous dis : '
« Votre père, moi, ie veux l'être ;
Venez à moi, mes cners petits. >
---. -i ^. nus^ vers les cieux
— « - - 5'nijîf rrospère
1 'fiU*
"^ -tj--^ ..en fort;
-'** a:? -«.rî
IlaO» «Âl^
«£^::.,î ^^^ ^^^ ., -v»*? .ie l'âme,
^ -^•-"- » -A t.> i t^ riciusion
-iir-.» 1 ..-'. .»..% . V,. ..iHua reciune.
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* "< !• • - -.^ •: r.>^ Mil mère.
:r ^ . -^.. . ' . -f. r :i !lomère
s ...i » -'-.*-.... -^. . r^viievaux.
- -- •.* . ~ s.. -. .-r i -le.
: ••-.- -f» -. .. -.^ .,, «.jt. u aile.
* ^15 nr j> • •> jr T e "U ïnère.
* n î. -^-^-î . r a. .. . T:.«.rm louière
«:!< VA ^ VCHlLLfi M1LLIE5.
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Chantons de geste, par Geor^^es Gourdon , avec une préface du vicomte E.
Melchior de Vogué, de rAcadémie française. (iLemerre, éditeur). _^
Âpres les Pervenches, les Villageoises, le Sang de fVance et Guillaume d'Orange,
le brave poète qu'est Georges Gourdon vient de manifester à nouveau et avec
éclat son talent sérieux et honnête par la publication de ses Chans€ms de geste.
C'est un charmant recueil de poèmes héroïques ; et tous les jeunes gens devraient
ravoir, à l'heure qu'il est, entre leurs mains. Ils trouveraient de merveilleuses
leçons d'honneur et de patriotisme en ces admirables légendes dramatiques, contées
avec un vrai talent et cueillies avec un goût sur par notre poète le long des marges
de l'Histoire.
Voici d'abord la Chanson du roi Siahebert, dans laquelle apparaît la farouche
fiffure de Frédégonde. à côté du sombre Chilpéric, le fratricide : puis la Mort
d^Orri, le Duc et ses fils, la Foi jurée, le Fils d'Olivier, Aude et Roland, VEpée,
Girart de Roussillonf les Noces du Comte... 11 faudrait citer tous les poèmes,
jusqu'à la Charge immortelle (6 août 1870).
Il y a de jolis mouvements, des sentiments exquis, des accents héroïques, de
nobles appels exprimés en des vers sonores et précis, d'une pureté parfaite et d'une
forme classique achevée.
Ce n'est pas seulement un bon livre, mais un beau livre ; — et nous ne saurions
?[u'applaudir, si l'Académie française, reine des tournois de gai savoir, posait sur le
ront du poète une de ses couronnes.
Louis Boulé.
Emile Dlin — Le Morvan, mœurs, coutumes, langage, historiettes, légendes,
croyances populaires, topographie, histoire, monuments. — Guide du tou>isie. —
I n-8*, Château-Chinon, imprimerie et lith. Emile Blin.
On ne saurait trop parler du Morvan. Ce petit pays, d'un si charmant pittoresque,
mériterait d'être étudié dans tous ses recoins et exhibé, pour l'utilité et l'agrément
des voyageurs en quête d'excursions, dans de nombreux albums ornés à profusion de
ces illustrations photographiques que les procédés modernes permettent cie multiplier
sans trop de frais. M. Kmile Blin vient de publier son guide pour les touristes et ce
volume de plus de 300 pages leur rendra de vrais services. La flore et la faune, le
climat, les montagnes et les cours d'eau, puis l'histoire générale ^ sont d'abord
l'objet d'un exposé rapide. Après des notions sur le commerce, Tindustrie, etc.,
l'auteur nous parle du Morvandeau, de sa naissance à son décès; il le montre dans
son habitation, son costume, ses usages. Voici des légendes et des facéties dans le
parler local. Vient enfin la description des sites pittoresques, châteaux, églises, etc., à
travers les cantons de Château-Uiinon. Châtillon, Luzy, Montsauche et Moulins-
Engilbert. Le volume est accompagné a'une carte du Morvan et illustré de planches
en similigravure. Nous souhaitons qu'il ait beaucoup de succès et qu'il constitue
largement, comme nous l'espérons, à faire mieux apprécier notre beau Morvan.
Nous détacherons prochainement, pour nos lecteurs, une des histoires plaisantes
que contient le volume, récits relevés de gros sel gaulois, auxquels se plaisaient nos
pères et que notre génération remplace peu avantageusement par des sous-entendus
moins innocents.
Joséphine Béoassat : La Gerbe de Vaède. — Bibliothèque de TAssoclation^ Paris,
boulevard Montparnasse, 13. -- 2 fr.
Nos lecteurs ont eu plus d'une occasion d'apprécier le talent de M"* Joséphine
Bégassat. Elle vient de recueillir sa p[erbe de poésies et nous avons eu le plaisir, en
la déliant, d'y trouver nombre d'épis fournis de bons grains. Dans sa préface,
M"* Bégassat loue le travail : « Rien n'égale en grandeur ce motrlà, rien n'est plus
digne, phis beau, plus lumineux ». Elle célèbre en ses vers la fécondité de la belle
lVte: jV ^rr^^x'^.
«55Teis le CŒor de Tantenr
ûrdinaire ; elle €st
^ -^^^z raes; ooos nen
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• * ' - • .'- ., . '^^ Lalement,
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.^ e . .;..';,.e. ^ . - - -5 u^ dignes des
..i.»-..». — > 11 ..^ ..,>^..... ._-_e^ ^. jLleiis Fruit,
-.ouM», , ...,1.,..., .♦_. •...r^.f. ^ Suâtes, ifec grand
/Mp. A yj/Aenk
EN VOYAGE 1
ÔRSQUE j'entrai ce soir-là au cercle
niililaire, mon camarade Darcier, Taide-
major du régiment, frappé de l'expres-
sion soucieuse de ma physionomie,
m'aborda en me disant :
— Décidément, mon cher Jean, depuis
quelques jours, tu n'es plus toi-même,
ou tu es malade, ou lu es amoureux ;
pourquoi ne pas me confier ce qui t'in-
quiète et te fait souffrir ?
— Je n'ai plus de raison, lui répondis-je, pour te cacher le secret de
ma préoccupation.
Et l'entraînant sur la terrasse, je lui dis à brûle-pourpoint :
— Mon père se remarie !
II me regarda avec stupeur, et serrant ma main, murmura :
— Mon pauvre vieux, qui aurait supposé cela ?
Nous gardâmes tous deux un silence écrasant ; la nuit était sombre,
et la lueur de nos cigares mettait seule sur la terrasse deux points
lumineux.
Pour quiconque ignorait l'intimité existant entre mon père et moi,
l'événement que je venais d'annoncer à mon ami rentrait dans le
domaine de la banalité. Les gens bien intentionnés me plaindraient,
d'autres ne pourraient s'empêcher de sourire à l'idée de ce lieutenant
de vingt-cinq ans affligé d'une belle-mére de vingt-six. Sans doute,
le côté ridicule de la situation blessait mon amour-propre, mais
qu'était cette piqûre d'épingle auprès du coup que j'avais reçu au cœur.
8
180 REVUE DU NIVERNAIS.
Jusque là, nous avions vécu, mon père et moi, dans une intimité si
parfaite, nous nous écrivions chaque semaine, et les plus petits inci-
dents de notre existence étaient mentionnés dans ces lettres ; rien,
jusqu'ici, n'avait pu faire prévoir qu'il songeât à se remarier ; pourquoi
m'avait-il caché, jusqu'à aujourd'hui, une décision de cette importance?
Croyait-il donc mon cœur assez mauvais pour mettre obstacle à son
union, s'il devait y rencontrer le bonheur? Ce sont toutes ces idées que
je ressassais dans ma tète, en tirant lentement les bouffées de
mon cigare.
Darder rompit le silence :
— Comment est-elle ?
— La lettre de mon père est, comme tu le penses, peu explicite ; il
épouse une orpheline de vingt-six ans, rencontrée souvent dans une
famille amie ; espère que je sympathiserai avec elle et me supplie de
venir à la cérémonie.
— Que vas-tu faire ?
— Demander à être détaché dans un service spécial où il me sera
impossible d'obtenir une permission, puis revenir juste pour les
manœuvres et, ensuite, aller passer mon congé de trente jours chez ma
tante de Sonthenay qui me tient une « perle » en résen% laquelle
perle j'épouserai probablement.
Les six mois qui suivirent me furent des plus pénibles ; les exigences
de mon service me fournirent un prétexte pour ne pas assister au
mariage de mon père. Notre correspondance languit un peu; il y avait
entre nous un nom que Tun ne voulait et que l'autre n'osait prononcer.
J'avais quelques détails sur ma belle-mère par des amis qui la
voyaient souvent. On la disait femme du monde, aimant les arts, d'uu
caractère gai et agréable qui la faisait rechercher dans toutes les
réunions.
C'était bien cela, je ne m'étais pas trompé, mon père s'était laissé
séduire par de brillants dehors ; il était pris dans les fllets d'une de ces
jeunes fliles a nouveau jeu », dont on a farci le cerveau d'une foule de
connaissances inutiles ; qui savent juste assez de piano pour ennuyer
leur mari (j'avais toujours eu horreur des femmes qui jouent du piano)
et ont étudié la peinture suffisamment pour juger à tort et à travers et
encombrer leur logis d'affreuses croûtes; qui sont aussi incapables de
diriger une maison que de soigner leur mari ; or, mon père frisait
REVUE DU NIVERNAIS. 187
rage des rhumatismes, il en avait déjà ressenti les premières atteintes,
avec eux viendrait pour lui la désillusion.
Ce n'est pas moi, en dépit de mes vmgt-cinq ans, qui m'emballerais
ainsi ! Non, je me marierais sérieusement, moi I La jeune personne
que ma tante de Sonthenay me gardait avec un soin jaloux n'avait pas
ses brevets, mais elle savait faire les conOtures ; elle ne peignait pas,
n'était pas musicienne, en revanche, elle possédait une adresse de fée^
et me ferait un intérieur coquet et confortable ; avec cela, une fort
jolie dot, voilà ce qu'on peut appeler un mariage sérieux.
A la fin de septembre, après les manœuvres que je fis avec apathie,
ce qui me valut, pour la première fois, des observations de mes chefs
(encore un grief de plus contre ma belle-mère), je partis en permission.
Ces vacances de trente jours devaient être une diversion à mes soucis
et Je reviendrais au régiment, sinon marié, du moins fiancé.
Cependant, avant d'aliéner ma liberté, je résolus de faire, dans les
Vosges, une excursion que Darcier m'avait vantée. Cela me prendrait
une dizaine de jours, j'en aurais encore vingt pour ma tante de
Sonthenay. C'était bien assez, c'était môme beaucoup, vingt jours
passés dans la compagnie de Mme de Sonthenay, mais quand on veut
se marier, il faut savoir faire un sacrifice !
Je fis l'ascension de la Schliicht; je mis, malgré toutes les défenses, un
pied et même les deux sur le territoire allemand et, les jours suivants, je
rayonnai à bicyclette dans les environs de Gérardraer. Tout en pédalant
dans un ravissant petit sentier qui serpentait entre les sapins, je songeais
à mon congé de l'année dernière. Nous avions chassé, mon père et moi,
chez des amis en Savoie. Quelles belles excursions nous avions faites 1
Nous devions en entreprendre de bien plus belles cette année encore.
Je maudissais intérieurement la belle-mère qui avait mis obstacle à ces
beaux projets, lorsqu'une formidable secousse vint détourner le cours
de mes pensées : un énorme terre-neuve, bondissant après un ballon
gigantesque, s'était jeté en travers de ma bicyclette et, perdant
l'équilibre, je roulai avec ma machine dans un fossé assez profond. Je
ressentis à la tête une douleur aiguë; j'aperçus, comme dans un
brouillard, une figure rose nimbée de cheveux blonds et j'entendis un
grand cri :
— Marie, viens vite. Fox a renversé un bicyclîste !
Et au lieu de me porter secours, la propriétaire de la figure rose
188 «EVUE ÙV NIVERNAIS.
disparut avec une rapidité surprenante. J'essayai de me soulever, mais
le sang coulait abondamment sur mon visage et le choc m'avait
étourdi. Il me sembla qu'une main douce se posait sur ma tête, qu'on
tamponnait ma plaie avec un fin mouchoir parfumé, tandis qu'une voix
harmonieuse disait :
— Je t'en prie, Gabrielle, ne te sauve pas ainsi, il faut absolument
m^aider à arrêter cette hémorragie, une femme doit savoir garder son
sang-froid quand un accident arrive près d'elle.
La figure rose reparut inondée de larmes, de petites mains trem-
blantes soulevèrent ma tête, et je m'évanouis complètement.
Je ne revins à moi que sous l'influence d'une forte douleur physique,
j'étais couché dans un bon lit, un docteur lavait ma plaie, et en arrachait
la terre et Therbe qui y étaient collées. Une personne jeune, à la
silhouette élégante et gracieuse, tenait la cuvette et les bandes, tandis
qu'une vieille servante, à l'air honnête et doux, allumait le poêle de
faïence qu'on trouve dans toutes les maisons lorraines.
— Je pense, dit le docteur, qu'il n'y aura pas de complications, mais
je ne serais pas étonné d'un accès de fièvre assez fort et quelques jours
de repos complet seraient nécessaires. Je me demande comment
nous pourrons, sans inconvénient, transporter notre malade jusqu'à
Gérardmer.
— Mais, docteur, il ne peut être question de transporter ce pauvre
blessé; il est ici par la faute de Gabrielle, nous le soignerons, et ne lui
rendrons la liberté que lorsqu'il n'y aura plus aucun danger à le faire.
— Ce serait plus prudent, sans doute, mais songez que vous n'êtes
ici que des femmes, et qu'en somme vous ne le connaissez pas.
Je fis un mouvement, et la jeune personne posa un doigt sur ses
lèvres. J'essayai de parler et après avoir balbutié quelques mots de
remerciement, je déclinai mon nom et mon grade, et priai le docteur
de me faire conduire à l'hôpital militaire le plus proche. Ma charmante
hôtesse rougit un peu, et déclara, une fois de plus, qu'elle voulait me
garder.
— Je vous en prie, monsieur, me dit-elle avec un joli sourire,
permettez-moi de réparer le mal que nous avons causé, car si des
complications survenaient, nous aurions, vis-à-vis de votre famille,
une grande responsabilité.
Ma famille] Ah ! si mon père eût été seul, comme je n'aurais pas
REVUE DU NIVERNAIS. 181)
hésité à le prévenir, il serait accouru près de moi. En ce moment, tout
occupé de sa jeune femme, il considérerait mon accident comme un
contre-temps fâcheux.
Le docteur avait fini de baûder ma plaie, il se tourna du côté de sa
gracieuse aide :
— - Il faudra, dit-il, que ce pansement soit renouvelé tous les jours,
si vous persistez à garder notre malade, pourrez-vous, madame, le
renouveler toute seule ?
Tiens, pensai-je, elle est mariée, c'est dommage !
— Certainement, reprit la jeune femme, ce n'est pas la première fois
que je soigne des plaies ; à la campagne, on n'a pas toujours un médecin
sous la main.
Je voulus protester encore, mais par la porte restée entr'ouverte
passait une tête mutine, couverte d'une forêt de cheveux blonds,
éclairée de deux grands yeux bleus, dont l'éclat était doublé de perles
humides, se perdant le long des grands cils noirs.
— Oh ! je vous en prie, monsieur, dit la gentille apparition, laissez-
nous, ma sœur et moi, vous soigner. C'est de ma faute si Fox a renversé
votre bicyclette, il faut bien que je répare le mal que je vous ai fait.
Je ne? pus résister à ce plaidoyer, dont l'éloquence disparaissait
devant le charme de la mignonne bouche rose qui le prononçait.
Depuis un moment, du reste, je me sentais moins bien, la fièvre me
prit avec violence ; je crois que je délirai toute la nuit, et, ironie du
sort, au milieu de ce délire où j'aurais cru trouver l'oubli, je ne voyais
que ma belle-mère. Certainement j'ai dû l'envoyer à tous les diables.
A travers le nuage qui obscurcissait ma pensée, je devinais cependant
la vieille servante dormant consciencieusement dans un fauteuil, tandis
que la jeune femme, assise à mon chevet, baignait mon front d'eau de
Cologne, me tendait le verre de limonade, et refaisait le pansement
avec dextérité, maniant l'iodoforme sans aucune répugnance. Parfois
aussi, il me sembla voir Gabrielle, enveloppée d'un peignoir blanc qui,
marchant avec précautions, venait doucement poser sa main fraîche
sur mon front brûlant, ce qui m'apportait plus de soulagement que les
compresses d'eau de Cologne.
Le lendemain matin, la fièvre céda cl le docteur me trouva mieux.
On m'apprit que j'étais chez Mme Robert qui avait loué un petit chàlel
dans les Vosges, pour faire respirer Tair vivifiant des sapins à sa jeune
190 REVUE DU NIVERNAIS
sœur, un peu fatiguée par ses examens. Après quelques heures d'un
bon sommeil calme, je suppliai la jeune femme, toujours à mon chevet,
d'aller se reposer, et la vieille bonne silencieuse vint s'asseoir avec son
tricot et son chapelet au pied de mon lit.
Un petit coup discret fut frappé à la porte et la tète blonde de
Gabrielle émergea des profondeurs du corridor.
— Ma vieille Suzon, dit-elle à la brave femme, tu n'es pas du tout à
la hauteur de ta situation, une garde doit distraire son malade ; or,
ton chapelet fera peut-être du bien à son âme qui, je l'espère, n'en a
pas un besoin immédiat, mais tes aiguilles à tricoter l'agaceront
prodigieusement. Va t'asseoir dans le fauteuil et donne-moi ta place.
Vous voulez bien, monsieur le lieutenant ?
Je souris et elle reprit :
— Vous ne me gardez pas rancune, dites, ni à Fox non plus ; il
viendra aussi vous demander pardon. Le docteur dit que vous n'aurez
pas de cicatrice, heureusement ; je ne me le serais pas pardonné, quoique
un militaire avec une cicatrice, ça n'a rien d'extraordinaire, on aurait
pu croire à un coup de sabre !... Voulez- vous voir mon album? Je ne
le montre pas à tout le monde, mais un malade a des privilèges.
Elle prit sur une étagère un petit album de poche ; il y avait un peu
de tout, là-dedans : fleurs, paysages et surtout caricatures et, tout cela,
avec un cachet personnel et original sortant de la banalité.
Nous riions comme deux enfants en regardant la caricature d'un
examinateur qu'elle avait croqué en trois coups de crayon, le jour de
son brevet, lorsque la sœur aînée entra. Elle m'apportait un potage
exquis et la vieille bonne n'ayant pas quitté la chambre, je conclus
qu'elle l'avait préparé elle-même.
La jeune femme renvoya sa sœur, craignant que son babil ne me
fatiguât ; mais l'espiègle revint à l'heure du pansement et voulut poser
les bandes de tarlatane, ce dont elle s'acquitta du reste fort bien.
Malgré la gravité de la situation, elle ne put retenir un joyeux éclat de
rire en constatant que je ressemblais alternativement à un turco et à
une bonne femme en serre-tête I
Avec de si bons soins, je fus bientôt en convalescence, laquelle
convalescence marchait à si grands pas que j'aurais souhaité lui voir
prendre une allure moins rapide. Je ne m'ennuyais pas dans le cbàlet
des Vosges ; Mme Robert me faisait la lecture, Gabrielle brodait près de
REVUE DU NIVERNAIS. 191
moi OU se mettait au piano... oui, au piano! Je fis alors amende
honorable à cet instrument et à celles qui en jouent.
Je pus bientôt faire ma première sortie dans le jardin. Ce jour-là,
Gabrielle obtint la permission de faire elle-même mon potage. La
fenêtre de la cuisine était grande ouverte et je la voyais, sa taille souple
entourée du tablier blanc, ses joues enflammées, surveiller la petite
casserole. Il eût été délicieux, ce potage, si Tétourdie n'avait oublié le
sel ! Je ravalai héroïquement et poussai Thypocrisie jusqu'à le déclarer
exquis. La charmante cuisinière put savourer son triomphe.
Il me fallut enfin fixer le jour de mon départ. Mme Robert insista
pour que j'attende l'arrivée de son mari qui devait venir les chercher.
Il vint par une belle journée d'automne ; Gabrielle faisait la navette
de la terrasse à la porte d'entrée ; sa sœur tirait l'aiguille un peu
nerveusement, effet de l'impatience, sans doute. Au bruit de la voilure
elles me plantèrent là, sans cérémonie. Un moment après, elles
revenaient, Tune courant en avant, l'autre marchant posément au bras
de son mari.
Mon Dieu!... celte démarche... je ne me trompe pas?... C'est impos-
sible... mais si,... c'est mon père ! Mais elle alors?... Eh bien, elle, c'est
Mme Robert Villiers, ma belle-mère !
Je dégringole les degrés du perron, et me précipite dans les bras
que mon père me tend. Il se penche sur moi, tout ému.
— Jean, mon fils, m'en veux-tu toujours?
Et elle, de sa voix harmonieuse :
— Jean, me pardonnez-vous ?
Ma foi, je les embrasse tous les deux, et je crois bien que, manquant
à toutes les convenances, j'ai embrassé aussi Gabrielle !
Une heure plus tard, seul avec moi dans la salle à manger, mon père
m'apprit que sa femme s'était exilée pour me permettre de passer près
de lui ma permission de trente jours. Il m'en avait informé, mais la
Providence avait permis que la lettre fut égarée pendant les manœuvres.
Ma belle-mère entra, je m'avançai vers elle et voulus lui exprimer
tous mes regrets de mon injustice et de mon impolitesse à son égard.
Elle m'arrêta dès les premiers mots, m'assurant qu'elle était charmée
de son fils. Je souris, mais ma voix tremblait un peu en lui disanl :
— Je ne puis vraiment vous appeler ma mère, mais je serais bien
heureux, si vous me permelliez un jour de vous nommer ma sœur.
192 REVUE DU NIVERNAIS.
Gabrielle, qui apparaissait suivie de son inséparable Fox, devint plus
rose que de coutume, et, sous le regard encourageant de son aînée, rait
dans la mienne sa petite main tremblante d'émotion.
Il n'y a que ma tante de Sonthenay, qui n'est pas satisfaite du résultât
de mon voyage dans les Vosges. J'ai cependant proposé sa c perle b à
mon ami Darcier, mais Darcier se méûe des perles. 11 a peut-être
raison, et il persiste à rester garçon ; là, il a tout à fait tort.
Myrum.
CROQUIS D'ÉTÉ
A L'AURORE
Les prémices du jour ont blanchi l'orient,
Puis laube, qui s*avance, épand sa douce teinte
Toute de rose et d'or. Ressentant son étreinte,
La nature frissonne et s'éveille en riant.
Déchirée en lambeaux sous lair insouciant,
La brume de la nuit, par le zéphyr atteinte,
Avant de s'envoler veut laisser une empreinte,
Et pleurant la rosée, elle meurt en fuyant.
Jetés à profusion dans les prés, sur les nids,
Etincollent partout diamants et rubis ;
Dans le ruisseau chantant la feuille les égrène.
Des ramages d'oiseaux, sonores et joyeux,
Eclalenl, pour fiMor la tâche quotidienne
Et du travail repris les bruits m3rstérieux.
ÂLBERTE.
GUSTAVE MATHIEU
îSmie)
îfoiis 11? i\Tom ri^ti des aTeatnrw du narin, d'abord parée qae H
ti^iDaln^ de celte pirtîe de s^>n t\hlence aiit disparu, puis i cause <it*
peu de confiance qu'inspin^at les récits eitraonlItLiines qw sa ^mi^
des cervît^ |^ri>îeii5, oïl il xûcqX p\t^ Uni. se pliisaîenl à oairer^
Dans rirtîcie cc^n%êcrè i G* Malbîeii par LarôUï;s^, ûh meûote ^vTû
REVUE DU MVEHNAIS. 193
commanda un corsaire dans l'océan Pacifique ; on y voit aussi qu^il
publia une sorte d'autobiographie sous le titre de la Petite Nauf.
Nous voulons, dans cette Revue nivemaise^ nous étendre de préférence
sur quelques circonstances de sa vie qui touchent au Nivernais et qui
caractérisent Tami de Tavocat Constant Balandreau, du docteur
Thomas, de Ferdinand Bompois et de Rigny.
Rentré dans ses foyers, il s'occupa du commerce des bois.
Nous apprenons que, vers 1835, G. Mathieu résida dans la commune
d*Isenay où il s'intéressait à une exploitation forestière.
Isenay est un joli village. Là s'élève le donjon du Tremblay qui avait
encore alors le cachet du passé ; village et donjon dominent le val
de TAron où cette grosse rivière coule au milieu de prairies dont les
marchés de la Vitlette, à la fin de PEmpire, devaient consacrer la
réputation. Au pied est le canal du Nivernais qui transporte les bois
du Bazois et du Morvan.
Si je parle du séjour de G. Mathieu dans cette région, c'est qu'il nous
révèle dans cet homme quelqu'un qui comprenait autrement que nos
radicaux modernes la beauté des cérémonies religieuses. Voici à quel
propos.
En 1831, la commune achetait une vieille maison pour en faire un
presbytère car l'ancienne cure avait été vendue pendant la Révolution ;
un prêtre, M. Bernard, fut nommé par M*' d'Auzers et installé le
19 décembre pour desservir la paroisse.
Ce curé devait mourir là le 4 octobre 1840; les anciens de la paroisse
font encore son éloge ; il était, disent-ils, un bon prêtre, très hospi-
talier, d'un caractère aimable et fort gai. Pas une fête de famille
d'ailleurs, pas une réjouissance auxquelle son n'associât, à cette époque,
le curé de la paroisse. Les bourgeois étaient vaguement francs-maçons,
voltairiens sans avoir lu Voltaire, mais assez libéraux pour ne pas
mettre à l'écart les prêtres.
G. Mathieu fut l'ami du curé Bernard.
Le jour de la Fête-Dieu, G. Mathieu se chargeait des soins à donner
à l'ornementation des reposoirs et suivait la procession.
Il reconnut un jour qu'il n'avait pas d'aptitudes spéciales pour le
commerce. Il alla vivre à Paris de la vie artistique et littéraire, que
son goût pour la poésie, ses relations avec de jeunes auteurs le déci-
dèrent à mener désormais. Mais son amour des champs le ramena
8»
f'f'.N.VlS.
-.'S parents, soit au vi^/ux
.-•z M. Charles Mtitbieii.
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,iirt»tuien^ [i^rsi.s -hiu i,.i»î*5 de IVporiiie où Edmond Aboiil,
li,uîd.d, La.irhp, Sariou, et aotres» înaiigiiraieDt,
T
REVUE DU NIVERiNAIS 195
/
les uns, par leurs romans ; les autres, par leurs pièces de théâtre,
leurs conférences, leurs critiques ou leurs causeries dans les jour-
naux, un nouveau genre de littérature.
G. Mathieu fit des chansons d'une allure et d'un esprit nouveaux.
Ce qui caractérise sa poésie, ce n'est pas la gaîté sans fin de Desau-
giers, le bons sens bourgeois de Béranger, niTesprit de Nicolas Brazier
qui n*a jamais donné une allure bien frondeuse à ses chansons ; ces
chansonniers furent, sans doute, Tesprit et la gaité de leur époque.
Quant à G. Mathieu, il devait élever sa voix jusqu'à l'indignation pour
flétrir les tyrans, les conquérants et rire de tous tes abus ridicules de
la force et dû pouvoir.
En effet, il fit entendre sa voix dans le concert de la fronde démo-
cratique dont l'Empire eut à subir les coups. Il est certain que le bien-
fait de l'ordre, dont jouissait alors la France, fut payé de ses libertés et
que de généreux esprits protestèrent contre ce qu'ils appelaient son
abaissement. G. Mathieu fut du nombre des mécontents et c'est en ce
sens qu'on peut dire qu'il fut républicain. En tout, d'ailleurs, il était
bien un homme de son temps; ce poète, à qui ses origines comman-
daient plutôt d'être royaliste, qui fut de l'opposition démocratique par
amitié ou par tempérament, a fait des vers en faveur de l'Italie ; en
ceci, patriote avant tout, parce que la sympathie donquichottique
dont les Français s'étaient épris pour la nation-sœur^ en même temps
que le désir de venger 1815, avaient affolé le pays; aujourd'hui
G. Mathieu serait le premier à reconnaître son erreur.
Hélas, furent seuls clairvoyants quelques hommes politiques et des
penseurs comme Proudhon Mais on peut pardonner à un poète qui
crut servir la cause de la liberté des peuples. Combien de bévues
pourrait-on aussi reprocher à Béranger?
G. Mathieu devait rester patriote. Son internationalisme ne ressembla
en rien à l'abominable doctrine qu'on désigne aujourd'hui sous ce nom.
On dénonçait, ces jours-ci, l'inconscience d'un instituteur faisant
chanter à ses élèves l'hymne d'outre Rhin, le Watch am Rhein, qui
inspira le fameux Rhin allemand^ composé par Alfred de Musset, et
dont les premières strophes :
Nous l'avons ea votre Rhin allemand.
U a tenu dans notre verre,
Un couplet qu'on s'en va chantant
■:r'!i: .zcr'v^'^^ "ar e ^r-:*^ nez î— :e rlrarriio* i me 5DLn*e w
'r- h:...-*î- I:.len^- t n.:-r i j?rfne -t.-c. mniu sans i^-ine Tiia
f>-«*î -t '-^t '^ «1 .^iiiar::j.t*. mas e ji^-'îie .ecirs. -»Mihjiiait par l«s
:•» » rrï=^ "m ..".-'i»* v-'»*rr *r-~';- •* «^e «-r^.n'.a ^-^ '.t\iii '.^■'^■r'ir r;!ï* j-ir?
- . ..-1.. •* r:«-î :»» J r-sc •.'?^ Lk^i'iie -<es tmc:* le -<^»:it es lu '«irs rtria*-
j^s r*»- :;..»5 it» 3t~ir^ îLts "li-ei-: iir .*5 .nfia^aîv
£_— I
"U*H :?î .:ri~»*5 DUT t t-^lT.
il^ IMh i»S:cC2*-n»» 4» . VâSiV-lLUi-n- t • > •^— iri ■ cj^Ar^Jesc : — J fr.
LES BRISES
LE PRINTEilPS
Hm r.ù»ïrTijez pas : •''-'-i ^la : n::* «a
dm 11* il >a cour «ians un : i.-i«jiu
.><} ^'di^tti^ pour qu'oQ le roirsiivK'.
ta uii.tii'-iie cuante au r^^ài :
Il i.omiJient fail-jQ un ui-i i ii^r^au ?
P&ttL-^m bien i'aimer sur la r.ve : '»
1)0 tmt retieurir le t jis rz.ort ;
Le vif ux iiaiiier s'haD.iie eacor:
Oq oublie, au soi»:ii, ^^'n t^.
<i roranger cause tùut tas.
De innct'. ne Técoutez paî.
Cesl demain qu il entre -n Ji^na;:e.
Vm fiiuTette ouvr^ ie bii,
Aupr^-^ d'un moineau caç-^rai :
Oo ï^^aore *d Ton se cnama;..^ ;
El aur ks ;,fazons ♦^mn^-iiis,
i> nf* ^*»nt plus qu>?>aims rempil'^
De Ût.*urs, 'i'amoun^ux, de marmai.Ie !
L'n iT»*5i^mol est men^^slrel :
Use j*i|^illons font carrous<.n
>iir un *lorso de viui^^tte ;
?»ibntî<î mire ses quinze ans.
El iri«rnoi>, hadiu, ie Printemps
V»iliî un bai->f^r suus ?a voilette.
>ur ia ne\^e d'acacias.
yrt^i^ ieiî clorhettes de lilas
N*nîr navrent des paupières cluses :
Pîîi.%. vers le soir, silencieux.
Dans nn fribson délicieux,
l/Aiïu*iîr épan(juit les roses.
Et par deux vont les colibris
Tout î^* long des sentiers flearis :
(Jn (oUend sonner un baptême !
Solarine rit à son amant :
rf L'* Printemps, c'est, voîs-lu, moa Jean,
Quelqu'un qu'on aime et qui vous aime. »
Françoise d'Husselles.
REVUE DU NIVERNAIS. 199
LES POÈTES DE V AMOUR (Suite!
Beaucoup d*autres poètes contemporains, sans s'y attacher particuliè-
rement, ont chanté délicieusement l'amour, passion ou rêve. Puisque
je parlais des symbolistes, je n'aurai garde d'oublier Tun de leurs
maîtres, presque leur chef (autrefois du moins, car son dernier
recueil, les' Médailles d'Argile^ nous le montre singulièrement changé),
Henri de Régnier, qui dans YHomme et la Sirène a tenté d'exprimer
Tuniverselle tristesse de l'union de l'homme et de la femme se
tourmentant et se brisant l'un l'autre.
Avec lui nous errons par des solitudes encore inconnues. L'amour
n'y dévoile plus son visage, le cœur ne bat plus que faiblement; aux
lointains mauves des crépuscules, ce ne sont même plus des femmes
qui passent, mais des ombres aussitôt disparues qu'entrevues qui n'ont
pas d'aveux sur leurs lèvres fermées, à peine parfois des sourires ou
des larmes fugitives.
L'impression est bien ce qu'indique le titre d'un de ses livres : Tel
qu'en songe. Comme on Ta dit déjà, il n'est pas nécessaire de pénétrer
cette poésie, il suffit de la sentir. Lisez, lisez toujours sans fixer l'esprit
aux vers dont le sens exact vous fuit momentanément; laissez-vous
entraîner au rythme épai*s comme au fil d'une eau nonchalante, bercer
dans les visions qui naissent pour mourir, fondues dans les décors
féeriques d'or et de pourpre ou évaporées dans les brumes : pour peu
que vous soyez impressionnable, vous tomberez dans une sorte de
rêverie assoupie, de sommeil magnétique, comme enveloppé d'auréoles
vaporeuses, de vagues parfums, de musiques lointaines, de douceurs
ombreuses où l'âme, sourde à l'écho de la vie, repose, penchée vers
de suaves mélancolies :
Un vent faible erre d'arbre en arbre;
Ton songe va de soir en soir,
Un oiseau chante d'arbre en arbre
Jusques au soir.
Tes Désirs sont passés avec le temps des roses,
Ta Tristesse s*accorde à la pâleur des mauves.
Le Bel Espoir
A ployé ses ailes de marbre,
Et le ciel noir
Pleure en larmes d*ombre sur sa face de marbre...
— Plus précis (ou plutôt moins imprécis), mais tout aussi épris du
symbole et de la nuance, se montre le talent de Victor Margueritle,
■* ..1 *
^ V .A
— •^J. — — A-
iiir t.. '^ .-T— *-\ j-- î— "7= •* 1 .- -^ -"i.»*' -* a: ir -*:It^s j;!, à
4(»>/yvr'':, n U' ^ <^'*> i*« *»»jr r'*"-fi4i;i. . il' > i^^ s.u\^!i.'rv et de S4^nges.
?^ •'>'.! >:;:i u\> .^.'i. i**' T-i-'-â. l'inn 11 -siuroie «ruae âme de
v>» ; ' j»*;-» 3 ir»i, m 2a:<^ saînintari-
— 1*47 \t Ui'y.b'Th (\h là p^ns*^, Lt^:.a DIerx peut être rapproché des
'^fi^f^Ah.U^, hif-n qj'il reste an parnassien par la correclioD el
UfipUtur de la fontie. Son ame est une ime de poreté el de tristesse.
REVUE DU NIVERNAIS. 201
Comme jadis Leconte de Lisle, son maître, il regarde du haut d'un
quatrième étage les *vaines agitations du monde avec un sourire
d'amère pitié, ne vivant que de Tart et pour Tart, isolé en un
pessimisme hautain.
Mais, las de planer au-dessus de Téternelle misère humaine, il a
reposé ses yeux dans les sourires d'amour et chanté les rêves des
Amants, a De tous les parnassiens, dit M. Emile Trolliet, c'est peut-être
lui le plus passionné ]». Non sans doute qu'il se livre tout entier; du
moins peut-on respirer, dans des poèmes de langueur caressante, les
parfums de son âme :
C'est l'heure où la rose inclinant sa tige
Du Printemps aspire un baiser plus doux.
0 frisson du soir 1 Caresse 1 0 vertige !
Dans le crépuscule à quoi révons-nous?
Là-bas, dans le golfe aux ourlets d'écume,
Les bruits de la mer, comme ils sont légers!
0 palmes nageant vers nous dans la brume 1
Que regardons-nous sous les orangers ?
La nuit nous enlace. Oh ! vois ! nos pensées
Eclatent au ciel en floraisons d'or.
0 les mains dans l'ombre ardemment pressées !
Quel secret nous garde un riche trésor?
Tout palpite afin que tout mêle et fonde
En moi ta tendresse, en toi mon espoir.
O baiser donné pour un autre monde !
Quel nimbe est là-haut sur nos fronts ce soir?
Dans ce livre s'épanche la sensibilité d'un poète qui, aux heures
douces, s'incline vers les suavités de la tendresse humaine. Ici encore
pas de voluptés exaltées ni de douleurs poignantes, mais seulement des
rêveries de baisers et d'aveux, des mirages d'extases mystiques, des
visions d'âmes, parfois des reflux de tristesse et des évocations d'amour
idéal.
Et oublieux des souffrances éteintes, dans les arômes des roses
amoureuses,
Le cœur léger qui flotte en vagues floraisons
S'en va sur les brises lointaines.
— Armand Silvestre, écrivain prolifique, poète ondoyant et divers,
de tempérament complexe, d'âme étrange, fut tour à tour, suivant le
202 REVUK DU NIVERNAIS.
mot de La Bruyère parlant de Rabelais, c le mets des plus délicats el
le charme de la canaille w. Il a chanté le bonheur et le mal d'aimer en
hymnes à la beauté et à la volupté en s'accompagnant tantôt de la lyre
d'Apollon, tantôt de cymbales d'orchestre de foire. C'est le type du
mystique sensuel fervent du culte de Vénus.
Ceux qui Taiment oublieront ses gauloiseries épaisses pour ne se
eouvenir que de ses rêves d'amour fleuris et empourprés dans des
griseries de parfums et des éblouissements de lueurs. L'auteur des
Tendresses a le verbe imagé et chatoyant, le rythme noble et cadencé,
le vers ample et riche des parnassiens. Il a répandu dans ses oeuvres
lyriques les trésors de son imagination merveilleuse, source de poésie
tantôt limpide, tantôt agitée, jamais tarie. On y devine, d'autre part,
jusque dans les madrigaux de miel, un cœur trop passionné qui,
débordant de désirs, demeure toujours inassouvi.
Ce qu'il y a peut-être de plus exquis dans ses vers tendres, ce sont
les Vers pour être chantés ^ caresses mélodieuses de souvenir ou d'espoir,
d'aveux ou de regrets, chansons si gracieuses, si fraîches, si suaves
que l'on croit entendre en elles frissonner des voix de vierges, trembler
des voix d'amoureuses : ^
Tu m*as dit : Mon cœur esl souffrant encore
Du dernier amour qui Tavait meurtri;
De nouvelles lleurs ne sauraient éclore
Au triste jardin qu'il a délleuri.
En moi, c'est le soir. Attendons Taurore I
Tu m'as dit : Mon cœur est souffrant encore !
Tu m*as dit : Qui sait ! peut-^tre demain !
L*oubli me fera douce ta tendresse,
Et nos pas prendront le même chemin ;
Et nos fronts rêvant une même ivresse.
A mon tour ma main cherchera ta main.
Tu m'as dit : Qui sait ! peut-être demain I
(A suivre). Fernand Richard.
1^^
^
MEVUE OU NIVERNAIS. 203
NOTICE SUR LE CHATEAU DE SAINT-FRANCHY
f
Le vieux château de Saint-Franchy, situé sur une montagne boisée
qui domine une riche vallée de prairies, fut bâti dans les dernières
années du xvi' siècle, par Antoinette de Pontailler et Léonard de la
Perrière, alors qu'Henri IV était roi de France : la date de 1597 est sur
récusson qui sert de clef de voûte au salon actuel. Une inscription
latine, surmontant l'ancienne porte d'entrée^ nous dit que ce manoir
fut construit à la place même de Tancienne demeure de saint Franchy,
à moins qu'elle n'indique simplement le lieu de l'ermitage où ce saint
s'était réfugié, après avoir été chassé par les autres moines de l'abbaye
de Saint-Martin, située dans le voisinage.
Voici cette inscription :
IBI DIVI FRANCOVEI
ERAT ANTIQUA DOMUS
A cette époque, les seigneurs de Saint-Franchy étaient Anatole de
Pontailler, seigneur de Châtillon-enBazois en 1577 (Abbé Beaudeau)et
Antoinette de Pontailler, fille de Louis de Chastellux (qui fut pannetier
du roi Henri II) et de sa seconde femme Anne de Loges, dame de la
Boulaye.
Ils eurent sans doute une fille, nommée encore Antoinette, qui
épousa Léonard de la Perrière, et ce sont eux qui auraient bâti le
manoir en 1597, ainsi que l'atteste l'écusson de la clef de voûte, où sont
les armoiries réunies des familles de Pontailler et de la Perrière, avec
leurs noms sur deux banderolles, entrelacées de branches de myrthe.
Ils durent mourir sans enfants, car la terre de Châtillon revint à
Jacqueline de Pontailler (sœur d'Antoinette) qui épousa, en 1598, Edme
de Rochefort, marquis de Pleuvant, lieutenant général du Nivernais,
gouverneur d'Avallon et de Vézelay, auquel elle apporta cette seigneurie.
Plus tard la terre de Saint-Franchy revint à leur nièce Catherine
de Chastellux, fille d'Olivier, qui épousa, en 1640, Paul de Rémigny,
baron de Joux, seigneur de Dumphlun, Saint-Franchy et autres lieux.
Leur descendante, Mlle de Rémigny, dame de Feuillans, la vendit, en
1818, aux propriétaires actuels.
204 REVUE DU NIVERNAIS.
Il existe encore beaucoup de parchemins de la famille de Rémigny el
un terrier de 1730.
Parmi les vieux papiers se trouve aussi un terrier, ou registre de
1594 (date de la construction) sur papier très usé; il énumère toutes
les redevances en argent ou nature, avoine, froment, volailles, etc..
des nombreux tenanciers du seigneur de Saint-Franchy-en-Archire :
les Badières, le Marest, Mary, Saint-Benin-des-Bois, Martangy, Sainl-
Martin-de-la-Bretonnière, Ourbet, Sainte-Marie-de-FlageoIIes, Lurcy-
le-Bourg et Ligny, même Saint-Saulge. On voit encore, dans une grande
chambre du premier étage, une vaste cheminée qui a près de trois mètres
de largeur, avec deux consoles de pierre, très bien sculptées, dont
Tune porte au sommet une tête d'homme, avec la toque et la fine
barbiche du temps d'Henri III ; l'autre une tête de femme, avec la
grande collerette et la coiffure relevée de Catherine de Médicis. Au
sommet des jambages on voit les deux A A entrelacés d'Anatole
et d'Antoinette, entourés de branches de myrthe, comme à l'écusson
de la voûte. Le propriétaire actuel, M. L., a fait restaurer le manoir,
en y ajoutant un grand pavillon, pour le rendre plus logeable.
Il existe encore, dans les vieux papiers de Saint Franchy, un contrat
d'échange (en italien) de la souveraineté de Maro, Resto, Queille,
Rocassy, Corpassy, Vintiraille et autres, fait par Renée de Savoie,
comtesse de Tendes, veuve de haut et puissant seigneur Jacques dT'rfé.
premier du nom, le 20 avril ii78. Expédition donnée par ordn»
d'Emmanuel-Philibert de Savoie, prince de Piémont^ qui donne le
comté de Bagé, en Bresse, et le comté de lUvolles. Expédition donnée
à Françoise de Foix, première douairière de Tendes.
M. DE LA T.
I
REVUE DU NIVERNAIS. 205
POÈTES NÉERLANDAIS (Suite)
F LA M À N D S
Emanuel Hiel.
L'ANNIVERSAIRE DE LA MÈRE
L'aurore darde ses feux roses.
La jeune fille à son lever
Cueille un bouquet de blanches roses,
Le plus beau qu'elle peut trouver :
C'est pour fêter sa mère
A son anniversaire.
Tous les ans, c'est sa récompense,
Elle attend ce jour ardemment,
En chants, en rires se dépense :
« Vois, ce bouquet, est-il charmant ?
C'est pour te fêter, mère,
A ton anniversaire. »
La jeune fille aujourd'hui pleure ;
Ce jour pour elle n'est plus beau.
Où vous porte-t-on à cette heure,
Fleurs d'aurore ? — Sur un tombeau.
Hélas ! c'est de la mère
Le triste anniversaire I
Roealie Lovellng
(1834-1875)
LE CADEAU
Il ouvrit le tiroir où, claire,
A l'enfant debout près de lui,
Apparut la montre : « Grand-père,
Donne-la moi, dis, aujourd'hui I »
— (( Te la donner, je m'y engage.
L'an prochain, qui sait ? pas plus tard.
Apprends bien tes leçons, sois sage
Et nous verrons, » dit le vieillard.
L'an prochain... le garçon écoute
Et reprend d'un ton sérieux :
a Alors tu seras mort sans doute,
Toi si malade, toi si vieux 1 »
Le vieillard immobile pense :
Oui, le petit a bien raison...
Ses doigt caressent en silence
Les cheveux bouclés du garçon.
206 REVUE DU NIVERNAIS.
Il prend la montre précieuse
Avec la lourde chaîne aussi
Et la met dans la main joyeuse :
« Ton père Teut ; tiens, la voici ! »
Une fosse étroite est ouverte,
Alentour sont les écoliers ;
Un vieil homme est là, presque inerte,
Tremblant sur ses genoux ployés.
Le vent frais du matin agite
Les cheveux blancs sur le front nu.
Le cercueil descend en son gite :
Pauvre petit, qui l'eût prévu ?...
Le grand-père dans sa demeure
Retourna, pleurant sans espoir.
La montre d'argent à cette heure
Reprit place en le vieux tiroir.
LA MALADIE DE LA MÈRE
«c Âh I les enfants, quel avenir doit les attendre ? >
Pensait la mère, assise en sa chambre... et ses yeux
Les voyaient au dehors, les suivaient dans leurs jeux...
La mère toutefois ne pouvaient les entendre.
— D'abord, l'aîné des trois : « Quand l'heure arrivera,
Expliquait-il, tu sais, quand maman sera morte^
Les enfants me l'ont dit, la cloche la plus forte.
Le gros bourdon, eh bien I c'est lui qu'on sonnera. »
— « Et puis, se mit bien vite à répliquer le frère,
0 bonheur I plus jamais à Técole on n'irait.
Ah I quel amusement 1 comme on arracherait
Les plantes du jardin pour les remettre en terre I »
— « Moi, dit la plus petite, — et son cœur tout rempli
D'espérance, plus fort palpitait à cette heure, —
Je prendrais de maman la robe la meilleure
Pour faire à ma poupée un jupon très joli ! »
Traduciian de ACHîLLE MlLUEM,
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Joseph AcEORGES : George Sand paysan (Picard, éditeur, 82, rue Bonaparte) : — Les
Plaisantes Dictions de Pierre Pilotât ; Une Population rurale sous Vancien
régime (A. Mellotée, éditeur à Châteauroux).
M. Joseph A^eorges n'a pas encore vingt-cinc[ ans. II met son activité juvénile an
service de ses idées oui sont généreuses. I! écrit beaucoup. Il aborde la critique, le
conte, la chronique, l'histoire — et toujours avec t^ent. C'est un intellectuel dans le
btiau sens du mot. A ceux qui s'inquiètent de voir aujourd'hui tant de a jeunes •
indifférents aux choses de l'esprit, il est impossible de ne pas suivre Joseph Açeorges
avec la plus vive sympathie. Son intelligence est curieuse, éveillée, son savoir déjà
considérable. Il fera son chemin.
George Sand paysan. — De prime abord, il semble que tout ait été dit sur le
grand romancier berrichon. Dctrompez-vous. Ageorges a trouvé du nouveau dans
cette étude savoureuse et documentée qu'il nous présente. Elle a paru récemment et
avec succès dans la Revue hebdomadaire. En volume elle plaira davantage. L'auteur
a démêlé avec une finesse remarquable Theureuse influence au milieu, de l'atmosphère
ambiante, sur le génie de George Sand, — car il connaît le pays de la petite Fadette
comme pas un. Et quand il nous rappelle le vocabulaire rustique du grand conteur
du I3as-Berry, on reste surpris d'avoir lu déjà ces expressions d'un tour charmant et
naïf dans nos vieux écrivains : Rabelais, Anthoine de la Sale, Amvot, Montaigne,
Ambroise Paré... Ce qui prouve que nos provinces ont été les gardiennes du vrai
parler de nos pères.
Beaucoup de facilité et de saveur dans Les Plaisantes Dictions de Piert*e Pilotati
menuisier, La trame de ces contes est parfois un peu confuse et j'y voudrais voir un
plus grand souci d'art ; mais, tels quels, ils ont du charme et ils exhalent une bonne
odeur de terroir. Un excellent artiste — le peintre Fernand Mailhud — les a illustrés
de dessins à la plume. Car en Berry, comme en Nivernais, peintres et sculpteurs
fraternisent avec leurs compatriotes écrivains et poètes. (Ainsi les délicieuses Chansons
berriaudes d'Hugues Lapaire ^ont soulignées par le fin crayon de Maillaud.)
Parmi les Plaisantes Dictions, j'ai remarqué :
La Cloche du bois de Chatelus ;
Une noce en Bcrry ;
Légende de la belle Anne,
Monsieur le Maire...
Et je suis bien marri, en vérité, que Pierre Pilotât^ 11 5[ a quinze jours, ait été
emporté ■ par un chaud et froid •, tout d'un coup. Mais, bien qu'on nous affirme
3u'il soit enterré au cimetière, le troisième, à gauche en entrant, — tous les amateurs
e bons contes espèrent le voir, un de ces jours, ressuscité...
Une Population rurale sous Vancien régime. — Je louf rai sans restriction cet
ingénieux essai. Il serait à souhaiter que dans nos provinces du Centre, en Nivernais
particulièrement, des lettrés chercheurs, zélés^ sagaces, occupassent leurs loisirs à
pareille élude. Recueillir avec soin les traditions, rechercher tous les documents
locaux (il en existe toujours), fouiller dans les archives particulières ou officielles,
coordonner et comparer les résultats obtenus, voilà ce qu'il faut pour exhumer notre
vieille histoire régionale de la poussière où elle est endormie depuis des siècles et la
faire revivre. Chaque trouvaille procure au chercheur des jouissances exquises. Et
ce nous serait une fête, à nous les profanes, d'applaudir.
A force de patience et d'obstination, Joseph Ageorges est parvenu à reconstituer
l'histoire documentée de Vic-Exemplet, un village perdu en Bas-Berry. Il y a si bien
a08 REVUE DU NIVERNAIS.
réussi que la lecture de son livre une fois commencée, on va, sans s*en dooter,
jusqu'au bout. Pour atteindre ce but, le jeune écrivain a su mettre à coniritHilioa ks
vieux papiers les plus rébarbatifs.
Ce délicat labeur ne fait-il pas songer au butin des « blondes avelles - dont parie
Maître Ronsard, poète vendômois ?
Et, dit Montaij^iie, • les abeilles pillotent de çà de là les fleurs ; mais elles en Ibnt
aprez le miel qui est tout leur ; ce n*est plus thym, ny maijolaine •. Louis Boclé
NOTES ET ÉCHOS
,\ Dernières conférences de la Société d'enseignement populaire : 16 mars,
M.* Ed. Michel-Nozières, ancien élève et lauréat de lï)cole supérieure de commerte
du Havre : Uhi$ioire du commerce^ conCérence fort intéressante et très appUodie. —
22 mars, M. Bourgoing-Dumonteil, avocat à Paris, a parlé sur Schttbert, ta vie et
son œuvre. Plusieurs artistes de mérite ont exécuté brillamment des morceaux
du maître.
,% M. Jean Imbart de la Tour est nommé auditeur de l^* classe au conseil d'Etat
.\ Obsèques le 12 avril, a Orcy-la-Tour , de M. le docteur Léon Ramage
(50 ans) ; — le 14 avril, à Saint-Hilaire, de M. le comte de Qiamps de Saint-Léger
(81 ans).
/. Sur la proposition de TÂcadémie de médecine, une médaille de bronze a é^
décernée à M. le docteur Dezautière, de La Machine, pour son travail : Une épidémie
d'angine laryngée œdémateuse.
,*, La Revue Bourdaloue (Paris, 15 rue de C^uny ; Lille, rue Nationale, 77),
a 'choisi notre collaborateur Lucien Jeny, comme rédacteur-correspondant pour
Bourges, ville natale de Tillustre orateur chrétien. M. Jeny publie dans ce périodique
divers documents inédits ou peu connus, relatif^ à l'état civil, à la famille, à la
jeunesse, etc., de Bourdaloue.
Depuis 1902, M. Jeny est également rédacteur-correspondant, pour rarrondissement
de Bourses, de la revue illustrée la Pensée^ littéraire, artistique, décentralisatrice
(Paris, 23, rue de la Collégiale ; Belfort, 14, rue Yauban).
/. Le 18 avril, pour fêter le vingt-deuxième anniversaire de la fondation de
V Aiguillon, les Nivernais de Paris ont donné une soirée musicale et littéraire.
En rabsence du président, M. Ed. Bornet (de llnstitui), éloigné par un deuil de
famille, le toast a été porté, en termes cordiaux et chaleureux^ par notre excelient
statuaire Ëm. Boisseau. Pour remercier les artistes qui prêtaient leur concours à
cette soirée, Dalligny a prononcé une de ces fines allocutions qu'il sait si bien im-
proviser. — Belle et bonne soirée. L. D.
Le Directeur-Gérant^ Achille Hillien.
H9vr9, tm^. 0. Vêétttrê,
CONTES A MES ENFANTS
XI. — LA MAISON AUX HIRONDELLES
A Mme L. de F.
'EST en 1878, si je ne me trompe, que
Chrislian-Agénor-Maximilien baron de
la Gravelière, révoqué de la hante fonc-
tion qu'il occupait à la cour de Z... —
il avait servi la France sous l'Empire
et ne craignait pas d'afficher des cro-
yances surannées en allant à la messe,
— fit retraite sur ses terres pour y
planter ses choux et mener désormais la vie de propriétaire cam-
pagnard...
En arrivant à la Gravelière, il trouva son logis en fâcheux élat : le
vieux manoir, vide d'habitants depuis plus de trente années, avait subi
le sort des maisons laissées aux mains d'un homme de confiance ; à
dire vrai, il tenait encore debout, mais si peu!... Et quelle ruine à
rintérieur, juste ciell...
Toutes les bestioles qui profitent de l'absence des êtres humains
pour pulluler en liberté y avaient élu domicile... Un couple de chouettes
nichait dans une lézarde du pignon, sous la haute charpente en cœur
de chêne ; dans les chambres désertes, les souris dansaient des sara-
bandes folles ; entre les poutrelles des vieux plafonds à la française,
les araignées avaient tissé d'innombrables toiles ; le long des murs qui
pleuraient, les papiers décollés pendaient lamentablement et les pièces
0
2U) nKVL'E DU NIVERNAIS.
exhalaient celte odeur fade de renfermé et de moisi qu'on respin*
dans les demeures abandonnées...
Le baron mit son régisseur à la porte et les ouvriers dans la maison. .
Par les fenêtres et les portes largement ouvertes, Tair et la lumière
entrèrent à flots vivifiants ; pendant des semaines, Jacques et Mariette,
un de ces ménages d'honnêtes serviteurs qu'on trouve encore dans nos
campagnes, travaillèrent fiévreusement à mettre tout en état, lavant,
essuyant, frottant les plafonds et les parquets, balayant, avec les plâtras
des maçons et les copeaux du menuisier, la poussière et les débris de
toutes sortes qu'accumulent le temps, — et l'abandon, pire que le
temps... Les meubles, les objets familiers rendirent la vie aux appar-
tements déserts ; petit à petit, la vieille maison retrouva son aspect et
son âme de foyer...
C'était au printemps, la saison délicieuse des fleurs et des nids... Les
hirondelles revenaient en foule de leurs voyages aux pays lointams do
l'éternel soleil; par centaines, elles tournoyaient autour du chàteai,
décrivant en l'air leur* paraboles enchevêtrées, avec ce cri bizarre qui
semble toujours, tant leur vol est rapide, fuir à nos oreilles et s'étein-
dre en un sifflement lointain.. <
Par la porte ouverte du vestibule. Tune d*elles entra, qui cherchait
une place où bâtir son nid.,. Elle explora la pièce, voletant à petits
coups dans cet espace trop étroit pour l'essor de ses ailes, sortil, îit
deux ou trais tours au-dessus de la pelouse, comme uo capitaine
en recounaissance, entra de nouveau, ressortit encore, puis revint,
accompagnée celte fois d'une seconde hirondelle...
C'était un do ces heureux ménages où chacun des époax a le droit
de donner son avis, où les décisions* graves ou légères» se prennent
en commun et d'un muluel accord, — après des concessions récipro-
ques s'il en est besoin...
11 y eut entre les deux oiseaux un conciliabule affairé, une sorte de
conseil de famille : sous la grosse poutre du vestibule, contre le mur de
refend, une encoignure offrait un emplacement propice ; la maison
avait bon aspect, les habitants Tair de braves gens... Le couple jugea
qu'il serait là tout à fait tranquille, à Tabri de Faigre bise qui souffle
des montagnes du Morvan ou des pluies d'orage qu'amènent les lourdes
chaleurs de 1 été, hors de lalteinle des hèles carnassières et desmé^hanU
gamins, ravisseurs vi bourreaux des oiselets nus et san^» plumes.. .
REVUE DU niVËUNAIS. 211
L'accord conclu, les époux, sans plus tarder, se mirent en quête :
dans les allées du jardin ou la cour du domaine a jouxtant )) la maison,
au bord de Tabreuvoir de la prairie voisine, sur le chaume lépreux
d'une vieille masure qui servait de resserre aux outils du jardinier, Us
trouvèrent sans peine les frêles matériaux nécessaires à leur ouvrage...
Il faut si peu ^e chose pour faire un nid : de la glaise, quelques menus
brins d'herbe ou de mousse, un peu de duvet semé par le vent. . . Tout
doucement, sous Tencoignure de la grosse poutre, le nid d'amour et
d'espérance s'ébaucha en un fragile bâtis...
Le couple avait compté sans Mariette ; un moment vint où les
regards de la propre et soigneuse ménagère aperçurent là-haut —
abomination de la désolation ! — un petit amas de boue grisâtre
faisant tache sur la blancheur immaculée du plâtre neuf. Vite elle
appela son homme, lui montra le dégât et Jacques, monté sur une
échelle, se mettait en devoir de jeter à terre le fragile édifice à peine
commencé, lorsque le baron entra, attiré par le bruit.
L'ancien magistrat avait dans Tâme un grain de poésie et le faible
d'aimer, d'un cœur attendri, les enfants, les fleurs, les bêtes, tout ce
qui chante, tout ce qui vole, tout ce qui, dans la grande nature du
bon Dieu, a de la grâce et du charme ; il admirait dans les plus clié-
tives créatures l'œuvre divine et ne supportait pas qu'on fit souffrir les
bêtes inoffensives, qui ne font de mal à personne...
Il intercéda pour les coupables ; bien mieux, il donna Tordre qu'on
leur permît d'achever leur ouvrage :
— Descendez de votre échelle, Jacques... Laissez, ma bonne
Mariette... II faut que tout le monde vive... Les hirondelles portent
bonheur aux maisons où elles font leurs nids.
Cependant le couple effarouché volait à tire d'ailes autour du châ-
teau avec des cris de douleur et d'effroi, revenait devant la porte, pour
voir, repartait sans oser rentrer, avec tout ce monde... Après
quelques minutes, une des hirondelles se risqua dans le vestibule
redevenu désert, constata l'état du nid, appela sa compagne...
Il y eut entre les deux époux un nouvel échange de vues, une dis-
cussion émue et bruyante, mais courtoise comme il sied dans un bon
ménage... Pouvaient-ils continuer le nid au même endroit? Devaient-
ils chercher un abri plus sûr ? L'entente se fit sur le premier point :
212 UEVUE DU NIVElîNAIS
derechef les oiseaux partirent en quête, revinrent avec la mous>c cl
le ciment de leur bâtisse... Peu à peu le nid s'acheva.
Dans ce nid la mère pondit ses œufs, les couva sous la chaleur de
ses plumes : un jour, on put entendre le gazouillis d'oiselets frais
éclos, les piaulements affamés de larges becs tendus vers le bec mater-
nels... Après quelques semaines, les petits, devenus grands, s'envo-
lèrent à leur tour ; aux premières fraîcheurs de Paulomne, ils gagnèrent
d'autres climats, bien loin du berceau natal.
Vous pensez que l'éducation de la couvée n'alla pas sans murmure>
de la part de Jacques et de Mariette. Les raisons ne manquaient point:
d'abord les vestibules sont faits pour les chrétiens et non pour h*>
oiseaux. Et puis, vous ne pouvez pas savoir comme les hirondelles
sont matinales : avant la fine pointe du jour, quand le clairon do o^
n'a pas encore sonné le réveil, elles sont déjà dehors, à la poursuite
des moucherons et des insectes de nuit. Ne fallait-il pas, dés la pre-
mière heure se lever pour ouvrir la porte — fermée chaque soir —
aux parents impatients d'aller quérir la provende de leurs petits?
Bien que Uve-tôt comme tous les gens de campagne, Jacques s'acquit-
tait de cette besogne en pestant contre les maudites bestioles.
Ce que voyant, M. de la Gravelière se chargea chaque matin d'ou-
vrir la porte à ses oiseaux ; les vieillards dorment moins que les
jeunes gens ; il n'avait plus, à son âge besoin de beaucoup de sommeil
et sa chambre touchait au vestibule...
On dit que les hirondelles, après leurs migrations, reviennent au
pays natal. Ce qu'il y a de sur, c'est que, l'année suivante, il y eut,
non pas un, mais deux nids sous la poutre du vestibule et que deui
couples d'hirondelles y élevèrent paisiblement leurs petits, en dépit de
Jacques et de Mariette. L'année d'après, il y en eut quatre — pas un
de moins — sans compter tous ceux qui garnissaient les fenêtres à
l'extérieur du château.
On en causa, les voisins s'étonnèrent ou sourirent; d'aucuns firent
au baron la réputation d'un original, — c'est ainsi que souvent le
mm\\v traîlii les poules; — dans le pays, la GravtjUèrâ fut apiJCto li|
maison nn\ hirondelles.
Dépendant, nui I gré le dicton populaire, les hlrotidellei fi^p
talent jiulnt le bonheur promis...
Maïs, direx-vousi, que potivall-il manquer an baron pour étn
rallnmonl heureux?
REVUK DU NIVEUNAIS. 213
Je sais bien : sa vie s'écoulait calme et paisible entre ses fleurs et
ses livres, au milieu des multiples occupations que donne un « faire
valoir » et des relations de bonne amitié entretenues avec ses voisins.
Sans être fort riche, il avait de larges revenus, plus que suffisants pour
ses goûts simples. Malgré soixante-dix ans sonnés, il conservait bon
pied, bon œil, pouvait chasser tout une après-midi sans éprouver, le
soir, d'autre fatigue que le besoin de gagner son lit de bonne heure,
après souper. Voilà de quoi passer, aux yeux du vulgaire, pour un
homme à qui la vie est douce.
Eh bien, avec tout cela et peut-ôtre à cause de tout cela, M. de la
Graveliëre gardait au fond du cœur un chagrin dont il s'ouvrait parfois
à ses intimes. — De son mariage, depuis longtemps brisé par la mort,
il avait un fils, retenu au loin par sa carrière. Son dernier souhait était
de marier Jean avant de mourir... et de devenir grand-père... Je vous
ai dit qu'il aimait les enfants et quel vieillard ne rêve d'enfants blonds
et roses qui seront à lui, feront leurs premiers pa3 sur Therbe du jar-
din, grimperont à l'assaut de ses genoux en l'appelant bon papa et
rempliront de mouvement et de bruit la maison morne ?..
Mais Jean se montrait rebelle... Lorsqu'à l'époque des vacances, il
venait à la Gravelière passer les quelques semaines de son congé,
c'étaient entre le père et le fils, quand ils prenaient le frais, le soir,
sur la terrasse ou sous le grand cerisier de la pelouse, des propos dans
le genre de ceux ci :
— Ne me donneras-tu pas une fille et des petits-enfants à aimer ? Il
se fait tard et j'approche du terme... Me faudra-t-il partir sans la joie
de te savoir heureux, la douceur de regarder grandir autour de moi
ceux dont Texistence doit prolonger la n6tre? La vie, mon Jean, en
dehors de ses fins dernières, n'a pas d'intérêt plus puissant et de plus
noble but que de continuer la famille en des âmes nouvelles... Vois ces
oiseaux: se font ils tant prier pour accomplir l'œuvre de Dieu?...
Trouve-moi vite une hirondelle et faites ici votre nid...
— Rien ne presse, mon père. Le mariage est chose grave, on
trouve rarement ce que Ton cherche, et parmi toutes les hirondelles à
marier que je rencontre sur mon chemin, je ne vois, à dire le vrai,
point de bru qui vous convienne...
Et le temps coulait... Les années s'amassaient une à une sur la tête
de l'ancien magistrat — sur celles aussi de Jacques et de Mariette —
214 REVUE DU NIVERNAIS.
sans que rien autre changeât dans la vieille demeure. Ce n'était plus un
secret pour le voisinage que M. de la Gravelière « languissait > du désir
de marier son flls, et Mariette disait volontiers aux visiteurs :
— Ah ! si nous pouvions marier notre jeune monsieur !...
En quoi elle était louable, la bonne Mariette : d'ordinaire, le-
domestiques habitués à régenter une maison ne désirent point une
a jeune dame » q:ii vienne changer les habitudes et souvent aussi lt>
vieux visages... Mais quand on vieillit au service d'un bon maître, on est
de la Tamille...
... Ce que je viens de vous conter est déjà une vieille histoire
presque oubliée... Un jour — tout vient à point à qui sait attendre,
même les brus — Jean a trouvé son hirondelle, rara avU, c'est le cas
de le dire, et son père est d'accord avec lui pour reconnaître qu'il ne
pouvait mieux choisir... Depuis déjà cinq ans, le baron est heureux,
complètement heureux ; il ne désire plus rien ; son rêve est réalisé et
au delà : il a trois petits-fils, de beaux garçons qui promettent de
devenir des gaillards...
L'autre jour, lors d'une visite que je faisais à la Gravelière, je le
trouvai sur la terrasse, entouré de tous les siens ; il avait l'air joyeux
de vivre, ferme et droit sous ses quatre-vingts ans, dans la sérénité de
sa verte vieillesse couronnée sur le tard...
C'était la première belle journée de la saison... Sur la pelouse, le
grand cerisier, couvert de milliers de fleurs, ressemblait à un gigan-
tesque bouquet de mariée... De l'autre côté de la plaine, laforêlde
hêtres était toute rose sous ses bourgeons près d'éclater... Les prime-
vères sauvages — les coucous, comme on les appelle vulgairement,
qui font aux enfants de si jolies balles — dressaient leurs grappillons
d'or pâle à travers le gazon.
Tout en causant de choses et d'autres, je regardais les hirondelles
qui, de leurs allés coupantes, fendaient l'air comme des flèches au-
dessus de nos tètes, slrianL le bleu profond du ciel, et je vi* qu'dlri
uniraient et sortaïent, comme autrefois, par la porte du vejitibaiflv,,
M. dL) la Gravelière aperçut mon regard; il eut sur les lèrresc-
sourire heureux et doux dis vieilles gens à qui plus rien ïwî mtfiqii»^
— Mon Dieu, oui, c'est toujours la maison aux birondelles,** ÎAtii
voyez, mon cher voisin, que j\ni fait une i*rilrée dans le nomtiiï
Irïtimenl — un hall, comme dû dit âiyourdlmi — d cp^i» \*tm^
REVUE DU NIVERNAIS. 215
vestibule ne sert plus. Il est abandonné aux hirondelles qui continuent
d'y faire leurs nids. Je devais bien cela — le vieillard s'inclina vers sa
belle-fille avec une grâce touchante — à ces messagères de bonheur,
pour celui qu'elles ont apporté à la vieille maison...
Et je pensai que, décidément, Christian-Maximilien-Agénor baron
de la Gravelière sera toute sa vie un incorrigible poète.
François Moireau
LES MARGUILLIERS
Sous la nef, entre deux piliers,
Au banc d'œuvre mélancolique,
Dorment en rang les marguilliers,
Sur leur banquette académique.
Après de beaux petits saints,
Dans la plus grande politesse,
Pondérés comme des élus,
Ils s'assoupissent pour la messe.
Tout pareils, le chef recouvert,
A des chanoines sans douillettes,
Noël les trouvant en hiver
Les prend pour des saints à lunettes ;
Et Pâques pour des sénéchaux.
Auxquels on vient porter les armes ;
Les anges bouffis des vitraux
Croient voir en eux leurs vieux gens d'armes.
Saint Yves les a rencontrés
Parmi les clercs de la chicane ;
Saint Joseph chez de vieux curés
Ayant oublié leur soutane.
François rit aux petits oiseaux
Qu'il a rencontrés près d'Assise :
« Ils ne font pas peur aux moineaux,
» Ce sont des bonshommes d'église. »
On en jase dans le clocher,
Vers la cité de l'hirondelle :
« Mais rien qu'en les voyant marcher,
> Ce sont nos cardinaux, ma belle. »
D'un sourire, le révérend
A fait des chaises la conquête ;
Le suisse, d'un coup déférent.
Vient le réveiller pour la quête.
216 R£VUE DU NlVElUfAiS.
Mais tout tremblant de son sermon,
En face, le petit vicaire.
Sur un plissement de son front.
Se laisse tomber de la chaire.
Et rêvant aux beaux pains bénits,
Lenfant de chœur, petit mioche.
Voit un saint chauve au paradis
Dans un gros morceau de brioche.
Françoise d'Husselles.
GUSTAVE MATHIEU
(Suite)
Les littérateurs qui fréquentaient les cafés des boulevards, où se
réunissait la jeunesse libérale, connaissaient tous G. Mathieu. Hais
cela pas tant à cause de ses œuvres qu*à cause du plaisir qu'ils avaient
à récouter. S'il chantait absolument faux, — non pas ses propres
chansons, car, avec une franche modestie, il vous chantait une chanson
de Pierre Dupont lorsque vous réclamiez Tune des siennes, — il avait
Tart de bien dire, le trait juste et Tenthousiasme sincère, obéissant
toujours à l'inspiration qui le poussait, sans calcul ni arrière-pensée.
Qu'on me pardonne une comparaison : il y eut, sous l'ancien régime,
des gens qui, de toutes les façons, dépensaient leur esprit dans la rue
ou le répandaient dans les salons, enfants chéris de la chanson, du
cabaret et de la bonne chère. Plusieurs fuient de l'Académie, dont pas
une ligne n'a été tirée de lablme.
A la fin du second Empire, un des lieux où se réunissaient les
dépensiers de bonne humeur, de bons mots et de paradoxes, était le
café de Madrid. G. Mathieu le fréquentait. C'est là qu'il dépensait son
esprit au jour le jour et, qu'avant tout à cause de son esprit, il fut reçu
de cette académie très libre, flottante, plus brillante que féconde, qui
compta nombre de gens destinés à se faire un nom dans la poli-
tique.
De ses boutades, qu'il y prodigua, et de ses traits d'esprit, on n'a pas
ramassé les fragments, pour les coudre ensemble et les coller dans un
livre, comme cela fut fait pour d'autres, mais l'éditeur Charpentier a
recueilli en un volume les quelques pièces de vers de G. Mathieu. Le
mérite de cette œuvre doit suffire pour tirer son nom de l'oubli et le
UEVUE DU NIVERNAIS.
in
fixer dans le souvenir des gens qui étudieront l'histoire littéraire de la
première partie de la seconde moitié du siècle dernier.
Nous dirons comment des écrivains qui ont connu G. Mathieu ont
peint sa physionomie originale; mais disons d'abord quel souvenir il a
laissé dans l'esprit des siens. Sa sœur, M^^'' Emilie Mathieu, qui est
poète aussi, a écrit ces vers : G. Mathieu n'est plus l'habitué du café de
Madrid, mais le frère dévoué, ivre de grand air, heureux de se trouver
au milieu des champs, au Monceau, près de Marzy.
C'était un soir d'avril, tiède, clair et charmant.
Au jardin, nous marchions tous les deux, lentement.
Mon frère dit soudain: « Vois-tu, ce mur m'agace!
» Viens, sortons: il me faut de l'air et de l'espace ».,
« Je vais, dis-je, fermer la maison ». — « Pas besoin!
» Ils dorment tous, fit- il, et nous n'irons pas loin ».
• — Au moins, prenons la clef! — Non, non, viens! » U insiste.
Bref, il s'entête et moi, faiblement, je résiste.
Crac! il ouvre la porte et, sur b vert chemin,
n m'entraîne et, joyeux, nous nous donnons la main.
C'est si doux de marcher à côté de son frère !
Surtout de celui-là dont j'étais un peu fiére !
Je l'aimais tant!./, et puis il disait tout si bien
Qu'on l'aurait écouté du soir jusqu'au matin î
De l'entendre, jamais je ne me suis lassce ;
Comme il savait traduire, imager sa pensée !
Bien que l'on n'eût pas vu ce qu'il vous décrivait,
Dans l'esprit aussitôt le tableau se gravait.
Tout en marchant, il dit en riant : « Entêtée,
Pour t'amener ici, l'ai-je sollicitée !
En as-tu du regret ? Quelle nuit !... que c'est beau !
Ça s'est vu bien des fois et c'est toujours nouveau.
Je ne me trompe pas... Oui, voilà les rainettes
Redisant sans répit leurs folles chansonnettes ;
La grenouille s'en mêle... écoute: l'on entend
Dans le lointain son ûcre et dur coassement ;
Voilà maître crapaud qui donne la réplique
D'un ton d'harmonica, doux et mélancolique ;
Et puis l'ami grillon qui veut, dans un chant clair.
Nous dire gentiment aussi son petit air.
Tiède brise, parfums, ciel brillant, harmonie,
Tout nous est prodigué. Dieu ! que c'est bon, la vie I !
Par ma foi, c'est complet, faut en faire l'aveu
La nature, ce soir, a tiré son grand jeu.
Et penser que des gens s'accroupissent dans l'àtre
Ou bien que des idiots s'entassent au théâtre 1
Pour de faux claire de lune, ils vont à l'Opéra,
Quand, sans payer leur place, ils pourraient venir là,
Et voir ce ciel rempli d'étoiles scintillantes,
Respirer les parfums dos herbes odorantes.
Les triples sots!... n Et moi, partageant son courroux.
Je di.«*ais: « La nature est en félo pour nous. 9*
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REVUE DU NIVERNAIS. 211)
Noire voisin Jean Rameau, poète-subolicr berrichon, maître cornemu-
seux, adresse les vers suivants à notre excellente collaboratrice :
A M"^^ Eugénie Casanova, à Montifault,
J'eum'rons toujou vont* grand' fij^ur",
Vont* jrrand nom qu'sra in nom beriiaud,
Qir nous dit les marveilles de l'en lliaiil
El d*bi helTs chons's de la naliir'.
Nos dmes que pernons norritur'
Dans vos couplets si cran 's, si biaux,
Coumm' fasons tous les petits oisiaux
Qu'charchons ieu vie dans la bouch*ture,
Gé aux soirtées des ch*tits hivers,
L'iong d*in bon feu d*morciaux d'bois vert
Que j'fasons dans la grand ch'minée,
Bounn* gens, qu' j*eumons donc lir' vos vers,
Quand qu* j'avons fini nout* jornée,
Ça nous fait oblier nos r*vers.
Jean Rameau.
RÉPONSE A JEAN RAMEAU, POETE BERRIAUD
Ail ! n'oubliez donc rien ! — le travail est sacré,
L'auleur de tous les arts, le maître vénéré,
Celui de qui naît tout, car le bonheur suprême
Est de nourrir Tesprit ainsi que ceux qu'on aime!
Au moment du repos, plus doux est le loisir
Quand sous vos doigts (1), charmé, paraîtra le plaisir!
Poète du Berry, chantez, chantez encore
Le travail, — ce bienfait que Dieu donne à l'aurore.
Eugénie Casanova,
de Montifault,
(i) Allusion au talent de musicien du poète J. Rameau.
220 REVUE DU NIVERNAIS.
LA PRONONCIATION DU LATIN CLASSIQUE
Les romanisles distinguent, après les auteurs latins eux-mêmes,
deux espèces de latin : le latin classique sermo nrbanus et le latin
populaire nenno plebejus. Nous ne dirons rien des origines du latin
vulgaire, ni de ses rapports avec la langue classique. La question a été
souvent traitée, et nous renvoyons les lecteurs au livre de George
Molli : ïnlvoduclion à la chronologie du lalin vulgaire il). Tout le monde
sait que le latin vit encore aujourd'hui dans les langues romanes. Il
faut même avouer qu'il jouit à l'heure actuelle d'une merveilleuse
santé, puisque le français, le provençal, l'italien, l'espagnol, le portu-
gais et le roumain sont des langues littéraires qui ont produit d'im-
mortels chefs-d'œuvre et en produiront longtemps encore. Peu importe
les causes qui ont amené cette diversité de langues, toujours est-il que
nous reconnaissons dans cette merveilleuse variété d'idiomes, si nous
remontons à vingt siècles en arrière, une même syntaxe et un même
vocabulaire. Or, un des facteurs principaux de cette évolution variée
du langage, c'est assurément la prononciation. On sait, en effet, que
les sons d'une langue sont l'élément le plus mobile et le plus chan-
geant. La morphologie, le vocabulaire et la syntaxe participent bien
aussi à ces changements, mais en quelque façon dans une mesure
moins grande. Grâce aux langues romanes, aux inscriptions des pre-
miers siècles de notre ère, aux grammairiens anciens, on connaît à
peu près la prononciation du latin populaire à l'époque impériale (2).
Peut-on aussi trouver la prononciation du latin classique, par exemple
au siècle d'Auguste, qui est Tàge d'or de la littérature latine? Je dis
au siècle d'Auguste, parce que la prononciation d'une langue vivante,
comme était alors le latin, no se maintient jamais immuable. Elle est,
comme la morphologie, la syntaxe et le vocabulaire de toute langue,
soumise à des transformations qui, sous l'influence de causes encore
obscures et difûciles à déterminer, la font graduellement et régulière-
ment se modifier à travers les âges. Oui, on peut trouver la pronon-
ciation du lalin classique, c'est-à-dire de l'époque d'Auguste. Car
(1) Librairie E. Bouillon, 1899, Paris.
(2) Voir Meyer-Lubke : Gramniatik der BarnaniS'jhen-Sprachen. Ersler Band ,
Laullehre, Leipzip, 1t90. — Arsène Darmesteter : Cours de graniviahe histo-
rique de la langue française, première partie : Phonétique.
REVUE DU NIVERNAIS. 221
personne n*ignore aujourd'hui que nous prononçons fort mal le latin.
Les Anglais le prononcent à l'anglaise, c'est-à dire en donnant à peu
près aux consonnes et aux voyelles latines la valeur qu'elles ont dans
leur propre langue ; les Allemands, à l'allemande ; les Espagnols, à
l'espagnole ; les Italiens, à l'italienne. Les Français surtout dénaturent
la belle langue de Cicéron, d'Horace et de Virgile. Non seulement
dans la prononciation du latin nous ne distinguons plus entre les
voyelles longues et les voyelles brèves, mais encore nous n'avons
aucune idée de l'accent. Les consonnes ne sont guère mieux traitées,
et nous donnons à plusieurs des sons qu'elles n'ont jamais eus en
latin. Il semble qu'il serait possible de rompre avec cette coutume
barbare; il serait facile même de lire le latin assez correctement
et d'adopter à peu près la prononciation du siècle d'Auguste. Pour
cela, il faut d'abord détruire les préjugés et réfuter les objections qu'on
peut opposer. Ensuite, nous dirons les avantages immenses qu'on doit
retirer d'une prononciation correcte et uniforme du latin, et enfin
nous terminerons par quelques règles de prononciation.
Une première objection, c'est que la prononciation actuelle est déjà
fort ancienne et qu'il sera difficile de s'en débarrasser. On prononçait
peut-être ainsi au seizième et au dix-septième siècles, et l'on savait le
latin. Maintenant qu'on est incapable d'écrire ou de parler la langue
de Cicéron, vous nous demandez de changer une prononciation consa-
crée par plusieurs siècles, adoptée et reçue par tout le monde. Saura-
l-on mieux le latin parce qu'on dira dominons avec l'accent sur la
première syllabe plutôt que dominm accentué, comme nous faisons,
sur la finale (i)?
Je veux bien accorder que le latin est moins connu aujourdluii et
que nous l'écrivons moins facilement qu'au seizième ou au dix-septième
siècles. Mais est-ce une raison pour ne pas apprendre celle langue
aussi bien qu'aux siècles passés et ne pas la prononcer plus correcte-
ment? Certainement, les humanistes du seizième siècle auraient aimé
à prononcer mieux s'ils avaient pu soupçonner et trouver la vérilable
prononciation du latin littéraire. Or, grâce aux progrès des éludes
philologiques, grâce surtout à l'élude et à la comparaison des langues
romanes, nous avons retrouvé maintenant à peu près la vraie pronon-
(1) Voir la Revue universitaire du 15 janvier 1902 : De la prononciation du latin^
article de M. À. Sécheresse, où nous avons largement puisé.
222 REVUE DV MVERNAIS.
cialion du siècle (rAugusle. Nous connaissons mieux que les savants
du seizième siècle la quantité des voyelles et des syllabes, la nature
des consonnes et la qualité de l'accent latin. Pourquoi ne pas mettre
en pratique ce qu(» nous avons appris? Si nous reconnaissons la valeur
des lois de la phonétique et les découvertes scientifiques de la gram-
maire comparée (et il faut bien les reconnaître à moins de fermer les
yeux à la lumière), pourquoi ne pas conformer notre conduite aux
données de la science ? Il n'y a pas de préjugés qui tiennent, il faut
abandonner la routine. ISe prononçons plus d'une façon barbare une
langue, alors que nous savons la vraie prononciation de son siècle
d'or. Voir la vérité et ne point l'embrasser, est-ce de la probité scien-
tifique? Rejetons donc ces vêtements d'emprunt avec lesquels, nous
Français, nous habillons cette belle langue latine, pour la couvrir de
ses riches draperies, de ses sons graves ou sonores, harmonieux et
variés qui lui sont propres et qui la feront revivre après vingt siècles
écoulés. Rendons-lui cet accent musical qui fait sa beauté et sa variété,
cet accent qu'elle a perdu presque entièrement dans la France du
Nord, mais qu'elle conserve encore en partie en provençal, en italien.»
en espagnol et dans les autres langues romanes. Nous pouvons mieux
faire que nos ancêtres ; faisons mieux et ne nous traînons plus dans
Tornière commune, alors qu'on nous montre un chemin lumineux et
sûr, et qui n'est pas plus long ni plus difficile que celui que nous
avons suivi jusqu'ici.
C'est, en effet, la seconde objection qui vient à Tesprit. Il sera dif-
ficile, dit-on, de faire adopter cette prononciation par tous les latinistes
et tous les professeurs, et plus long peut-être encore de l'enseigner.
Pourquoi, au moment où nous sommes pressés par le temps, où les
études sont déjà si chargées, où l'on est près d'abandonner le latin,
pourquoi ajouter une nouvelle difficulté?
Nous affirmons et nous prouverons bientôt, car nous en avons fait
l'essai, que ce n'estpas plus difficile ni plus long d'apprendre à bien
prononcer le latin qu'à le prononcer mal. Comme le lecteur pourra
s'en convaincre, les règles ne sont pas 1res nombreuses ni très compli-
quées. Ce n'est pas plus difficile ni |)lus long d'apprendre aux enfanb
qu'il faut dire partout avec un g dnv et avec Taccent sur la premièi-e
syllabe : /^^o, If^fjis, ygit, léfjimous^ h^gilis, légounL II me semble, au
contraire, que c'est plus logique et plus facile que de leur faire conju-
niiVUK DU NIVKRNAIS 223
giior, contrairoinoni an génie de lu langne lalino, lanlôt avec un g,
lantôl avec un >. el toujours avec l'iiccent sur la finale : lego, lejjs^ lejii^
lejimus, lejiliSy legunt. D'ailleurs, les professeurs qui enseignent les
langues vivantes n'apprennent-ils pas aux enfants la vraie prononcia-
tion en môme temps que la langue elle-même. Que diriez-vous d'un
professeur anglais ou allemand qui ferait prononcer à ses élèves ces
langues à la française ? L'allemand ou l'anglais parlé à la française ne
serait ni de l'allemand, ni de l'anglais, ni du français, ce serait un
monstre. Il en est de même du latin prononcé comme nous le faisons.
Faut-il donc avoir deux poids et deux mesures, et condamner d'un
côté ce que nous approuvons d'un autre? Loin de nous une telle
conduite. Je ferai ici ma confession. J'ai suivi en 1892 et 1803, au
Collège de France, les cours de M. Gaston Paris, et à la Sorbonne ceux
de M. Louis Havet. Ces deux professeurs distingués prononcent le
latin dans la perfection et engagent leurs élèves à les imiter. J'avoue
que je fus vite cliarmé et séduit par leur prononciation, et que j'essayai
de mon mieux de la reproduire. Les études de langues romanes et de
phonétique expérimentale que je faisais avec M. l'abbé Rpusselot à
l'Institut catholique, et que je poursuis en ce moment à Nevers, m'en
fournissent d'ailleurs l'occasion tous les jours. C'est un plaisir que je
m'accorde seul dans le travail du cabinet ou que je fais partager spon-
tanément à quelques amis privilégiés. Je n'ose pas encore l'offrir
ex professa à mes élèves, mais discrètement, à propos d'un texte latin
ou d'une étymologie française, je leur donne la prononciation correcte
d'un mot latm, et je dicte à la lin de l'année les versions en pronon-
çant le moins mal possible. Non seulement mes élèves ne sont pas
étonnés de ces sons avec lesquels ils sont familiarisés depuis le com-
mencement de Tannée scolaire, mais ils écrivent sans aucune faute,
cela *e conçoit, la version latine ainsi dictée. Encore un peu d'audace,
et on leur permettra de prononcer eux-mêmes correctement. Ce jour-
là, le professeur passera peut être pour original, mais un grand pas
sera fait à Saint-Cyr dans la prononciation correcte du latin.
Ici vient une autre objection. Comment peut-on être sûr de la pro-
nonciation du latin classique? Les philologues prétendent que les
langues sont dans un perpétuel mouvement, que rien n'est slable, ni
les sons, ni les formes, ni les mots, ni la syntaxe. Comment voulez-
vous saisir ces éléments si fugitifs et imposer une prononciation uni-
22i IIKVUE DU MVEIINAIS.
vcrselle, alors que le langage est dans un perpétiiol dcv(Miir? V<Hii
prétendez fixer ce que vous dites si fugitif. Pouvez-vous clalilir la
prononciation du siècle d'Auguste, puisqu'elle a varié pendant ce
siècle môme ? Quel moment saisirez-vous et qui vous dira la pronon-
ciation exacte de cette époque ?
Il est vrai que le langage est toujours en mouvement et qu'il >e
modifie insensiblement. Si blasphenmre n'avait jamais changé il m'
serait pas devenu blâmer, ni masttcare màclier, ni aqua eau, ni
cabalhim cheval. Or, ces modifications'du langage sont inconscientes,
et une génération ne s'aperçoit guère des changements survenus. Je
vais plus loin, et je dis que le langage varie même avec les habilanls
d'une même ville parlant une même langue, à une même époque. J*ai
pris à Nevers deux indigènes qui parlent (je le croyais du moins) de
la même façon ; j'ai inscrit leur langage au moyen de la méthode gra-
phique inventée par M. labbé Rousselot, et je fus élonné des diffé-
rences enregistrées pour les mêmes phrases. Mon oreille n'avait sai>i
aucune nuance dans leur parler, et voici que sur mes graphiques ie
remarque. des demi-sonores à la place de sourdes, des intonations
différentes qui avaient échappé à mon ouïe, une intensité plus grande»
chez celui là, une durée des sons plus considérable chez celui ci, etc.
Est-ce que malgré ces différences (insensibles d'ailleurs à mon oreille ,
je ne dirai pas que ces deux hommes parlent la même langue et de la
même façon? Oui, assurément, car mon oreille n'est pas frappée de ces
différences qui existent cependant et qui iront probablement s'accentuant
avec les générations suivantes. Mais pratiquement pour tout le monde,
ces deux hommes ont le même langage. D'ailleurs, ici il s'agit du latin
classique, c'est-à-dire d'une langue arêtée à une époque donnée; l<■^
changements sont terminés et fixés depuis longtemps par récriture,
et nous verrons plus tard comment nous pouvons savoir, au moins d'une
façon approximative, la prononciation du siècle d'Auguste. On admet
qu'il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de parler une
langue vivante étrangère comme sa langue maternelle, alors que le
sujet a séjourné dans ie pays et que son oreille s'est habituée aux sons
étrangers. A plus forte raison sera-t-il difficile de parler très bien
une langue fixée il y a vingt siècles comme le latin classique, dont les
sons ne seront rétablis que par conjecture, par une conjecture tr«^
rationnelle et très vraisemblable, mais qui ne sera jamais aussi sùrr
REVUE DU MYËRNAIS. 225
que les sons entendus et prononcés par des indigènes. Que conclure
de là ? Que nous prononcerons le latin moins bien que Cicéron, mais
assurément et inOniment mieux que nous le parlons aujourd'hui. Nous
prononcerons le latin à peu près comme un Espagnol, si vous le voulez,
le parlait à Rome au premier siècle de notre ère. Mais encore, sera-ce
du latin, tandis que les sons que nous émettons n'ont jamais frappé des
oreilles latines, ils sont barbares. Cicéron comprenait les poètes de
Cordoue, quoiqu'il se plaignit de leur accent lourd et étranger. Il
serait incapable d'entendre une seule phrase d'un de ses discours
prononcés à la moderne par un Français.
(À suivra). Abbé J.-M. Meunier
S'AIMER!
C'était dans un chemin parfumé d'aubépines,
Et les buissons étaient émaillés d'églantines.
Quelques genêts en fleurs ajoutaient au décor.
Etalant au soleil leurs divins bouquets d'or.
Nous nous donnions la main et marchions en silence,
L'un et l'autre ravis, le cœur plein d'espérance.
Nous allions, souriant aux charmes du printemps,
Et nous pensions tous deux avoir encor vingt ans.
Un air frais, embaumé, doux comme une caresse,
Nous imprégnait d'amour, nous remplissait d'ivresse...
Sa main pressa la mienne, et je vis ses beaux yeux
Se lever un moment vers les espaces bleus...
En cette courte extase elle avait l'air d'un ange
Descendu de là-haut sur notre pauvre fange.
Puis elle tressaillit, et, dans un mouvement
D'enivrante langueur, me dit bien tendrement :
c Quand tout renaît en mai, que joyeuse est notre âme.
Pourquoi ne pas toujours brûler de même flamme ?
Oh ! rester longtemps jeune et vivre de longs jours !
S'aimer jusqu'à la mort, s'aimer, s'aimer toujours! »
Théophile Franchv.
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— IT» ^îT- il
r; : fia ^a rrosel fl cq»
>
REVUE DU NIVERNAIS. 227
— Tée-tu lai, Saint Barnabe? Vins voui por iki... Tint, v'Iai deux
houmes qu'sont reue mairie attôt ç'trô d'fonne chu lai tarre. Coume
0 v*lont to deusse Taivouair ichi, Tai raize me quitte chi y sai auquée
lai donné.
— Mas raimis, dans c*teffére-lai, o faut nou en raipporté au jugement
du Salomon : Saint Plaire vé coper lai Madeleine en deusse et piée ven
airée çaicungne lai moutié.
L'Jean et TGlaude s'mettèrent ai reboler pus fort en diant qu'o ne
v'iint pas qu'on l'y fieusse du mô, qu'o fello troué aute çôre.
— Pusche que vous ne v'iée pas en démouerdre, dié Saint Barnabe,
0 faut lai jouer â cartes, ai lai chance !
— Ichi, on n'joue pas, dié Saint Piarre. 0 yé quéque çôre de chi simple
qu'on n*y aivo pas songé : yo de d'mandé ai lai fonne de fére son chouaix.
— Dis don, Mad'leine, lequée houme que t'veux ?
... Lai Mad'leine hésite pas... elle lorné l'dos ai sas deux houmes et
peumé l'bras d'un ch'ti aivoucait quTy flot d'I'œuillot, en diant :
€ Yo ç'teullais ! »
— Tas d'embeumaillerie, dié Saint Piarre, yo t'y bin possible
de v'ni ichi por m'fére parde mai piaice ; chi zaimas le bon Dieu, le
Père, s'aiparçouait de cThlstouaire-lai, y seu foutu. Ailée diors, las
quate veurmines!
Et tirant aine trappe, o lés renvié lot fin dret vée l'peuh, qu'lée
railtendo aitot son forçong.
Ailée auzedé, por bUes de gâs morvandiaux, donné vout'cœur ai
un trô d'fonne !
Conté par Emile Blin (1)
(1) £e Morvan, mœurs, contâmes, langage, etc. Gaide cla touriste, in-8*, avec
illustrations, 3 fr. Imprimerie Emile Blin, à ChÂteau-Chinon.
ElEVUE DU NIVERNAIS.
POETES HOLLANDAIS (SmU)
Schimmel
EN REGARDANT LES LMAGES
(Fragment;
L'aïeul faisait parler !e pelit : a Ces images,
Los connais^tu? sais4u qui sont ces hotnmes-là9 i
— « C*est Ruyter, c'est de Witt, et voici sur ces pages
Les Tromp et van Galen*.. puis, par ici, voilà
Piet Hein, le Taciturne... » Aux images fixée,
S^exaltait promntement» bouillonnait sa pensée.
Il grimpait sur raleul, Tembrassuil, ti'un ton fier :
< Grana-père^ disait-il, bittH que j'aurai Tâge,
Je veux passer Texel pour faire un grand voyage,
M'en aller comme eux sur la mer. »
D*aise, Taïeul faisait une bonne grimace.
Que ce petit enfant à son cœur était cher !
< Certe, il est bien encor, lui, de la vieille race î
En veste de marin comsie il aurait bon air 1
Ah ! tout Téquipement irait bien â su taille.
Yienne l'Anglais, lui sera prêt pour la bâtai le. i
La mère cependant ne goûtait pas ce jeu.
Se levant â ta Jiu ; a Assez! ferme le livre,
L'enfant est fatigué, grand-ptre, il est tomme ivre ;
Son front brûle autant que le feu.
» Gomment dormira-l il^ ayant la tête pleine
De ces hommes de guerre et le cerveau hanté?
Il est capable d'en rêver... j'en suis cerlaine.,.
Car, vois-le, le pelil est très surexcité.
Si la fièvre le prend ! il n*est pas forl„. a Un rire
Eclatant lui répond ; c'est le vieux qui va dire :
4 Mère, pas de danger! cela n'a jamais nui,
Non, jamais, de rêver de pareils camaratles ;
Rien de mieux pour donner du tou aux reins malades!
Bonne nuit, garçon, bonne nuit t n
Dr Shaepman
AU POÈTE VONDEL
Maître, à quoi penses-tti? Dans quelles hautes sphères
Plane ton esprit ^ cet ei^prit
Du poète qui lit le mot des grands jn\ stères.
Comme en l'œil du Seijjneur èciil ?
KEVUE DU NIVEUNAJS. 229
Dis, à quoi songes tu, Vondel? — Des harmonies
Ruisselantes, un flux de voix
De poésie ont répondu : Roi des génies,
11 prie, adore et dit : « Je vois,
Je vois la Vérité, la Lumière et la Vie,
Fils incréé. Verbe éternel
Fait homme, qu'un éclat surhumain gloriiîe
Et qui pour trône a pris Tautel !
Je vois le Fiancé qui ravissait la terre,
Près de sa fiancée assis,
La nourrissant du sang de son flanc, ô mystère I
Le sang qui fait vivre ses fils I
Je vois rOfficiant et sa pure Victime
Rrisant, par l'outrage souflert
Sur le bois de la Croix et par sa mort sublime.
Mort, ton pouvoir ; ton sceptre. Enfer I
Je saisis (Dieu ! mon Dieu !... mon âme s'extasie !..•
Anges, dites ce qu'elle sent !^
Je saisis (l'Eternel m'étreint... je balbutie...)
Mon Dieu, mon Seigneur tout puissant,
Mon Roi, mon Dieu !... Devant ton éclat qui rayonne
L'Idéal éclipsé pâlit.
Le vertige, telle est la splendeur de ton trône.
Prend mon esprit qui s'éblouit...
Je vis, je vis par toi... La force m'abandonne !...
T'adorer, croire en toi, c'est là*
Mon Chant suprême, le voilà ! »
Bernard van Meurs
(1835)
SUR LA TOMBE DE LEUR MÈRE
J'observe depuis quelque temps
Le petit manège ordinaire
Auquel se livrent, — petit frère
Et petite sœur, — ces enfants.
Chaque dimanche, au cimetière,
Après vêpres, ils vont tous deux
Et disent le rosaire entre eux.
Las ! sur la tombe de leur mère.
Ils ont mis autour du tombeau
Des buis dont ils font la toilette ;
Et sur le rosier qui végèle
Ils épandent leurs cruches d'eau.
230 REVUE DU NIVKUNAIS.
Dernièrement je vis le frère
(Les roses étaient en bouton]
Gravement, avec un bâton,
Trouer le tertre funéraire.
— a Que fais-tu ? » demanda la sœur.
— « Cela, c'est pour aue maman voie
Le buis grandir, avec ta joie
De voir aussi la rose en fleur. »
J.-N, v&n HaU
NOTRE CHANT HOLLANDAIS
Que le chant hollandaîi sonne libre et vainqueur,
Un chant clair que chacun entende,
Chant vigoureux qui parle à tous ceux dont le cœur
S'émeut au parler de Hollande !
Mais à vous dont le sot mépris veut repousser,
— Trop rude, — la langue anceslï^le,
Vous qu'eflraie un son dur, sinon un dur penser,
Notre chanson parait brutale I
Car vous demeurez sourds a nos beaux airs puissants
En qui votre déshonneur crie !
Vous n'èîes p^is chez vous qu^nd résonne nos chants ;
Pour vous, ni langue ni patrie 1
Laissez donc sonner, fils des vieux Néerlandais,
Le chant de la terre natale :
Pour TEurope bientôt vous traduirez en faits
Ce qui de vos lèvres s'exhale.
Nous voulons être nous, n'appartenir qu'à nous.
Qu'un ennemi chez nous descende,
Nous tirerons le glaive et nous tonnerons tous
Nos clianls fiers^ nos chants de Hollande î
Carel Vosmaar
SÉLÊNÉ
La lune blonde, dans l'empire
Des astres, rêve : elle a souci ;
Elle se rappelle — et soupire —
Qu'elle fut un soleil aussi.
Le monde — querelle et risée —
La déçut, tant qu'elle immola,
Vide d'iU usions, lassée.
Son idéal au calme plat.
i
A
RËVUË DU NIVERNAIS. 231
Dès lors elle n'eut de lumière
— Pauvre éclat d'emprunt — que le soir ;
Encore peut-on, tout entière,
Bien rarement au ciel la voir.
Elle décline, diminue,
Pâlit, dépérit sans arrêt
Et chétive,, inerte^ menue,
Dans les ténèbres disparaît.
Par les étoiles méprisée,
Se cache-t-elle, par pudeur
D'avoir à sa haute visée
Préféré son repos songeur ?
Alberdjrngk Thym
POÉSIE
Poésie, oh ! combien ta démarche de reine
Me ravit ! Sous tes pas, auprès du lys en fleur,
Arc-en-ciel de toute couleur,
Naissent des plantes qui réconfortent le cœur.
Ainsi tu vas, devant la Beauté reine,
Qui, rayonnant d'un nimbe radieux,
Domine tout quand, frémissants de nobles fièvres,
Le souffle arrêté sur nos lèvres,
Nous la voyons apparaître à nos yeux.
0 Beauté, telle es-tu, quand, par ville et par plaine,
Vondel fait résonner sa lyre souveraine :
La nuit recule ; c'est le jour ; l'Eden perdu
Cette fois nous semble rendu .
D'où vient cette force secrète ?
Du Père, du Seigneur, sur son trône adoré.
Qui fait étinceler aux lèvres du poète.
Jaillir des doigts de l'artiste inspiré
La flamme de l'Amour, l'éclat de la Science.
Les voyant resplendir, le peuple, transporté,
Reconnaît l'Idéal souhaité
— Forme, couleurs, langage — et, dans sa confiance,
Chante ta victoire, 6 Beauté !
0 Poésie, ange béni, de toi dotée,
La terre ne sera jamais déshéritée !
Traduction de Achille Millien.
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Sous ce titre • La Chanson française » nn groupe d'excellents artistes, qui sont en
même temps des gens de cœor. Tient de fonder des cours du soir ayant pour trat
d*enseigner aux jeunes ouvrières parisiennes Tart si simple et si charmant de
• chanter des chansons ».
Le double t>ut de cet enseignement sera : 1* de propager des chansons gaies ou
sentimentales, mais toujours saines et honnêtes ; 2* de combattre le triste envahis-
sement des refrains bêtes et inconvenants qui forment le programme ordinaire des
cafés-concerts.
Mme Amel, de la Comédie- Française, est la présidente de la nouvelle société dont
le chansonnier Chebroux est le président, Lassalle. de TOpéra, le vice- président;
Hey-Niger, le secrétaire; Henri Bresles, le trésorier; A. Landry, l'auditeur; et Matrat,
le commissaire général.
Il appartenait à Ernest Chebroux de prendre Tiniliative d'une pareille oeuvre;
Chebroux, l'ami et rhérilier de Gustave Nadaud. 1^ représentant de la chanson
traditionnelle, dont Léon Cladel disait : « Un sourire de Désaugiers se marie, d;:ns
son œuvre, à une larme de Pierre Dupont. •
Vient de paraître à la librairie Mazeron frères, la deuxième édition de • Nevers
historique et pittoresque », guide à lusage du touriste, avec plans et gravures, dout
l'auteur est notre excellent collaborateur M. Paul Meunier. Tout Nevers • historique
et pittoresque • est en elTet renfermé dans ce petit volume de 160 pages, qui n'est pas
un sec indicateur, mais un vrai guide plein d'intérêt éi de piquant — Prix, i fr. 75.
L'éditeur Flammafion, rue Racine, !26, Paris, vient de mettre en vente le tome IV
des Batailles françaises, du général Hardy de Périni, qui fut longtemps des nôtres,
comme colonel du 85«. Ce tome lY résume la période de conquêtes du rèsne de
Louis XIV, avec Turenne et Condé. L'ouvrage du général Hardy de Périni, honoré
de souscriptions du ministère dr la guerre et de celui de l'instruction publique,
inscrit sur le catalogue des livres pouvant être donnés en prix dans les lycées, est
tout indiqué pour tenir une place de choix dans les bibliothèques scolaires. Les
4 volumes in-l8* Jésus, illustrés de nombreux dessins, 12 fr., franco.
NOTES ET ÉCHOS
/. Notre compatriote M. G. Dujon, vient de passer heareosement ses examens do
doctorat en droit devant la faculté de Paris.
/, Succès de nos collaborateurs : Miriam a obtenu, sur 554 concurrents, le 6» prix
du concours des • Annales politiques et littéraires • ; sujet proposé : Conte d'une
grand'mère à tes petits-enfants, — M. Lucien Jeny a reçu une médaille de vermeil
au ?• concours du Souvenir de Sedan. L. D.
Le Directeur-Gérantj ACHILLE HlLUEif .
âr^.'-r^^ /«• « r«//^
VISION D'OCTOBRE
LA FIN DE JEANNE
ANS la petite chambre 1res sombre et
suintante d'humidité 'qui fait suite à la
grande cuisine, Jeanne se meurt de la
phtisie. Minée par la lièvre, amaigrie
et pâle, et affaiblie au point de ne pou-
voir se soulever sur sa couche, elle a
conscience que la fm va bientôt venir.
Elle sent qu'elle va être une victime
des gelées blanches et des brouillards
d'octobre et que, par un soir mélancolique et doux de ce mois inter-
médiaire, s'échappera le peu de vie qui reste en son pauvre corps
délabré.
Parfois la pensée de disparaître si jeune — elle n'a que vingt-deux
ans — d'abandonner son milieu familier, le coin de terre, les êtres et
les choses qui lui sont chers, l'appréhension de la nuit du tombeau la
torturent. A d'autres instants elle jouit au contraire d'un grand
contentement, d'une suprême paix, car elle ne comprend que trop
qu'elle est gêneuse, qu'elle détruit la tranquillité, Tharmonie générale
de la famille et puisqu'elle ne peut pas <^uérir, elle se dit que sa
disparition sera un bien pour tout le monde.
Et pendant qu'en son cerveau fatigué roulent confusément ces
pensées lamentables, ses grands yeux d'un noir éteint, cerclés d'une
auréole bleuâtre, glissent des regards inconscients sur les choses
proches : les rideaux à fleurs rouges, la vieille armoire de chêne, la
10
î234 KEvrK nu Nivernais
coramodo boiteuse sur laquelle s*étalent ses flacons de drogues elle lit
d'en face où, chaque nuit, sa mère vient se jeter tout en la veillant
La maladie de Jeanne a commencé vers la Noël de Tannée dernière,
un jour qu'après avoir eu très chaud à cbaufler le four, elle était allée
sans transition laver un paquet de linge dans une mare glacée. Elle
avait été prise le soir même d'une douleur an c6té gauche et d'ooe
toux rauque qui la déchirait. Elle s'alita ; sa mère lui mit un cataplasme,
lui prépara des gar^nri'^raes aux feuilles de ronce. Au bout de quelques
jours, comme le mal semblait s'aggraver, on alla chercher le médecin.
Le médecin la traita pour une bronchite simple, lui ordonna des
pectoraux, des tisanes chaudes. Il revint la semaine suivante, trouva
celte fois une bronchite double, augmenta les drogues. Elle parut
guérir et, bien que toussant toujours, se leva, marcha, reprit ses
occupations normales. Mais, un dimanche de février, elle prit froid à
la messe, en sortit frissonnante et fiévreuse, se recoucha en arrivant.
Le lendemain elle crachait des caillots de sang. Le docteur revint, lui
trouva une pleurésie, lui mit des vésicatoires. Elle souffrit beaucoup,
puis alla mieux; elle se crut une seconde fois guérie. Elle se levait tout
juste depuis une semaine lorsqu'elle reprit un gros rhume, sans même
sortir, un jour que le feu ne marchait pas. Sa toux qui, d'ailleurs
n'avait jamais cessé, revint à Télat aigu, creuse et déchirante,
accompagnée d*un enrouement pitoyable. Devant la persistance de
cette toux opiniâtre et de cet enrouement, et bien qu'elle ne parût pas
autrement malade, sa mère, un dimanche de soleil, la conduisit chez
le médecin pour une consultation. Cette fois il déclara tout net que ce
n'était rien, voyant bien, hélas 1 que c*était beaucoup trop, que contre
le mal terrible qui la minait, bien vaine était sa science. Il ordonna de
la créosote, des pilules de fer, une nourriture réconfortante. On lui
acheta quelques bouteilles de bon vin, quelques morceaux de viande
— pas ceux qu'on aurait voulus, parce qu'ils étaient toujours retenus
d'avance par les rentiers du village — « les bonnes pratiques, vous
comprenez... », disait la bouchère.
Quand elle mangeait ses bifsteaks grillés, les mioches de sa scear
l'entouraient avec des yeux d'envie et elle leur en distribuait la plus
grosse part ; cela ne la privait pas beaucoup d'ailleurs, car elle avait
UEVUE DU NIVERNAIS. 235
de rooîDs en moins d'appétit ; rien ne lui semblait bon ; manger lui
était un effort pénible.
Le mal allait toujours son train ; elle s'affaiblissait ; Tenrouemenl
était devenu chronique ainsi que la grande toux mauvaise qui la
secouait toute.
Dès le mois d'avril, Jeanne eut conscience de son état ; elle comprit
qu'elle ne guérirait jamais plus, qu'elle était vouée à une fin prochaine.
Elle eut alors des larmes cachées, douloureuses crises d'infinie tristesse
qui lui donnèrent la fièvre, hâtèrent sa ruine. Vers la même époque,
ses parents comprirent aussi qu'elle étaît perdue. Un jour qu'il recon-
duisait le médecin jusqu'à sa voiture restée au bas de la cour, le père
avait demandé :
— Il n'y a plus d'espoir, n'est-ce pas, monsieur ? elle est
poitrinaire ?
Et de la bouche du docteur était sortie la phrase prévue :
— Il n'y a plus d'espoir en effet...; le deuxième poumon est pris...
On pourrait peut-être seulement prolonger de quelques mois sa vie en
l'envoyant faire une cure à Bagnères ou à Amélie et en lui faisant
passer le reste du printemps au grand soleil de la côte d'azur à Hyères
ou à Nice.
Le père avait eu un sourire mélancolique :
— Bon pour les riches, ça... Mais nous, qui avons déjà bien du
mal à la soigner ici, comment voulez vous que nous la conduisions
là-bas? Où prendre les ressources nécessaires ? Et qu'est-ce qui ferait
marcher le domaine en notre absence ? car il faudrait que nous
l'accompagnions, sa mère et moi... Et puis à quoi bon, d'ailleurs?...
du moment que ça ne la ramènerait pas, à quoi bon tant de frais et de
peines pour prolonger de quelques mois une existence condamnée ?
Jeanne ne travaillait plus, mais elle continuait à se lever, à faire
même de courtes promenades au dehors. Et les voisins qui la rencon-
traient la questionnaient sur sa sanlé :
— Eh bien ! Jeanne, est-ce que ça va mieux ?
Elle répondait de sa voix enrouée qui faisait mal, en s'efforçant
d'esquisser un sourire gracieux :
— Oh non ! c'est bien toujours à peu près la même chose.
Alors, ils avaient une phrase banale, ironiquement consolatrice, qui
variait avecles saisons. Tant qu'avaient duré les mauvais jours d'hiver :
à
REVUE DU NIVERNAIS. 237
soin de veiller sur les bambins, ce qu'elle consentait à faire, bien
qu'elle fût particulièrement incommodée par leurs jeux bruyants.
A rheure des repas, Jeanne avait toujours la visite de son père et de
sa mère; le père restait quelques instants, s'efforçait de la distraire,
puis se retirait en essuyant furtivement de grosses larmes. La mère
prolongeait sa visite le plus longtemps possible ; elle mangeait à côté
d'elle, très peu d'ailleurs, juste de quoi l'empêcher de tomber de
faiblesse; et Jeanne s'inquiétait de la voir si changée, si vieillie ; cette
condamnée s'efforçait parfois de consoler sa consolatrice.
Pour la machine, en septeml)re, Jeanne qui était déjà extrêmement
fatiguée, souffrit beaucoup du bourdonnement ininterrompu du
mécanisme et aussi du bruit inusité qui lui parvenait de la cuisine,
quand mangeaient les batteurs. L'un d'eux, qui avait été son promis,
vint la voir et sans rien trouver à lui dire, il lui serra la main d'une
longue étreinte douloureuse, en l'enveloppant toute d'un regard
compatissant. Tout cela lui fit mal. Elle fut agitée, énervée pendant ces
trois jours, et à partir de ce moment la déchéance progressive de son
organisme hâta sa marche.
Maintenant les accès de fièvre sont plus violents, les nuits plus
mauvaises ; elle délire le plus souvent, tant sa faiblesse est grande ;
lorsqu'elle dort, d'affreux cauchemars la font sursauter toute ; déjà
elle n'est plus elle.
Pourtant» à ses rares moments de lucidité, elle sent que la fin
approche. Elle a même la vision très nette de ce qui va se passer : un
de ces soirs, après avoir jeté lout le jour dans les guérets arides la
semence féconde, ceux de la ferme se réuniront autour de ce lit où elle
viendra d'exhaler son dernier souffle. Ils pleureront un peu, puis ils
diront que sa mort trop prévue est en somme une délivrance pour elle,
un avantage pour tous. Et quand ils l'auront conduite au cimetière, ils
reprendront leurs travaux, pendant deux jours interrompus. Sauf sa
mère qui, longtemps, sera triste, les autres l'auront vite oubliée...
Jeanne est heureuse au fond de savoir qu'elle va bientôt mourir...
Emile Guillalmin.
^^
238 REVUE DU NIVERNAIS.
LES NIVERNAIS AUX DEUX SALONS
Société nationale des Beaux* Arts.
SCULPTURE
M. Jean Baffier y expose un très beau buste de M™' Sauvineau. D*'
la blancheur du marbre jaillit la vie. Les yeux s'éclairent d'un doux
regard et la bouche sourit finement. L'illusion est si intense qu'il
semble que la chair s'anime et palpite. •
M. Maurice Perrat, dont on se rappelle, de Fan dernier, le<
chevaux d'omnibus allant relayer, d'un réalisme si saisissant, a envoy*»,
cette année, un bronze, Petite lionne comhée. La bête semble prête 'à
bondir à la vue de la moindre proie. L'œuvre est d'un beau modelé.
OBJETS D'ART
M. Jean Baffier a une exposition très importante à cette section.
On y retrouve ses qualités de force et de vision précise. Tout y respin^
la santé. C'est solidement pensé. L'artiste à le sens du rustique et c'est
un des côtés de son talent le plus apprécié des « curieux d'art w, coouo^
dirait Roger de Piles.
On ne peut évidemment porter un jugement définitif sur l'ensemble
de l'œuvre exposée, car plusieurs morceaux sont inachevés, quoique
le modelé en soit pourtant très poussé en l'état. Ainsi, par exemple. 1»^
candélabre (modèle plâtre pour cuivre), exécuté certainement dans
l'esprit de l'artiste pour prendre place sur la vaste table d'un banque!
corporatif tel qu'il en rêve dans une France régénérée sur ses bas^s
traditionnalistes, apparaît, dans sa robuste ordonnance plastique,
comme terminé : il n'a nullement l'aspect de l'inachevé. J'en dirai
autant de ses /^/c'Ae/^ â {;m (modèles plâtre pour l'étain). Sont encore
catalogués comme inachevés : le vase et fruitière et le vase et paneiièn
(jiiodèles pldlro pour le cuivre et rélain). ^^^^
Mais voici deîî osuvres achevées : un vaêt à fUm*$^ m éMtk Client
(iirlu'té fiar la SWW il* ?m^), et \\m% pkhHn ù mi^ iU mAmi* en ilaiii
CLselè. Il tlEMinenl l'iiuprussioti d(3 ce que soroiille^JïprécéilcQleiloffarQ^
TartisLc Ic^ aura signées*
Tous ces objets, conuiiQ ceux des Salant précétltîQt5, fuiil, on k âM.
REVUE DU NIVERNAIS. 239
partie d'un service de table qui sera bientôt complet et dont l'exposi-
tion particulière dira le talent dépensé par l'artiste dans sa compo-
sition.
PEINTURE
Un seul artiste nivernais et qui consacre son talent si original aux
mœurs du pays armoricain : M. Pelecier. Ses cinq envois ont chacun
leur intérêt. Voici la Toilette de Chôme, où, debout sur le coffre qui est
au pied de tout lit brelon, Tenfant toute recueillie avec son air de
poupée, s'abandonne aux soins maternels ; la Leçon de lecture où la
fillette attentive épèle les lettres que la mère, patiemment, lui montre
du doigt ; puis La Soupe qui nous montre une jeune bretonne taillant,
après la miche de pain bis, de larges tranches qui tombent dans la
soupière de terre brune ; ensuite le Cadeau, acquis par l'Etat, et enfin
Scène d'intérieur.
Ce dernier tableau, qui renferme toutes les faces du talent de l'artiste,
n'a pas moins de cinq personnages. C'est tout le foyer breton.
A gauche, la mère place dans le berceau de bois le nouveau-né ;
à droite, la fille ainée repasse pendant que sa sœur cadette,
appuyée à la table près du bol qu'elle vient de vider, suit ses
mouvements et babille ; au fond, la vaste cheminée à manteau où
brûle un feu de bois qu'active la grand'mère penchée dessus. Assis sur
un banc, à gauche de l'âtre, un jeune gars s'y chauffe. Au premier
plan, un chien lèche une écuelle. Et voici le lit dans son alcôve de
bois. Au-dessus du manteau de la cheminée, qui forme dressoir, des
assiettes aux vives couleurs sont alignées debout. Et tout cela rigou-
reusement observé, dans son atmosphère rationnelle, dans sa couleur
normale.
Sooiété des Artistes français.
SCULPTURE
M. Emile Boisseau s'est fait une spécialité des enfants, et il met un
charme particulier à rendre leurs expressions naïves. Le groupe en
marbre qu'il expose. Amour maternel, est d'un joli modelé, tout enve-
loppé de grâce. Sous l'œil caressant de la mère, une fillette, au
regard souriant, présente un hochet à son jeune frère, assis sur les
genoux maternels, et qui tend vers l'objet de son désir une menotte
impatiente. Sous le fauteuil, un chat joue avec la pantoufle que le pied
240 REVUE DU NIVERNAIS.
de la jeune femme a laissé échapper. Scène familiale qui est un
enchantement.
Deux enfantSy de M. Edmond Badoche. C'est en réalité un groupe de
de trois personnages. Les doux enfants sont représentés par une
fillette pressant de ses deux bras un minet. Elle regarde d'un air sou-
riant et moqueur la chatte qui, à ses pieds, couve d'un œil inquiet son
enfant qui voudrait bien s'échapper de sa prison enfantine pour se
réfugier près d'elle. Groupe ravissant d'une souple exécution.
De M. Alix Marquet, Printemps, une étude de nu. Hélas! avec le
printemps que nous venons de traverser, maussade et pluvieux, qui
n'a pas été le sourire de l'année et ne nous a pas donné la sensation
qu'il ctt était la jeunesse, la jeune femme que nous présente l'artiste
n'aurait pu, cette année, un genou à terre, cueillir les fleurs dont elle
charge son bras gauche. Citons encore de M. Marquet, Liénard.un
buste d'homme dont la physionomie s'épanouit dans un large rire.
Œuvre intéressante et observée qu'Oursons et Crapaud, groupe en
marbre gris de M. Charles Paillet, un animalier qui s'est fait une
place au Salon. L'un des oursons, accroupi, le museau en avant, prêt
à s'élancer, contemple le batracien qui ne semble nullement effrayé,
pendant que l'autre, un peu rejeté en arrière, avance vers l'affreuse
bête une patte hésitante qui voudrait bien s'appesantir dessus.
Ce groupe, quia obtenu une troisième médaille, a été acheté par l'Etat.
M"»'' Signoret-Ledieu, la statuaire de la Jeanne d'Arc que la ville
de Saînt-Pierre-le-Moûtier va inaugurer en août prochain et dont
nous avons longuement parlé dans cette revue, expose, cette année,
un buste marbre, Jeanne d'Arc à Domrémy écoutant les voix, qui n'est
qu'un fragment d'une statue que nous avons admirée dans son atelier.
PEINTURE
De M. Urbain Bourgeois, le Portrait de M, B.,. q{ Sauvageonne, une
sauvageonne coiffée de coquelicots et bijn peu farouche.
De M. A. Garcement, Dms la Prairie. C'est la prairie nivernaise,
plantureuse, avec son herbe fournie, ses bouquets d'arbres, ses haies,
ses ombrages, ses tons infinis qui réjouissent l'oeil, son charme capti-
vant. Et à la voir ainsi rendue sur la toile, on devine la joie de
l'artiste à en fixer l'harmonie.
Les Noces d'or, de M. Martin des Amoignes. Ce sont deux bons
REVUE DU NIVERNAIS. ii\
portraiU jumeaux de vieillards à la figure reposée, en souvenir de leur
cinquantaine.
M. Edouard Pail avec Soirée d*automne a bien rendu la mélancolie
qui se dégage des ciels clairs, teintés de gris, de la saison automnale
qui apporte à l'eiprit un peu de philosophique tristesse et couvre la
terre d'un tapis de feuilles mortes qui semblent exhaler des soupirs
sous les pieds, ainsi que des âmes en détresse.
Mais Vallée de Saint-Hilatre. du même artiste, c'est, au contraire, l'été.
Au premier plan, en pleine lumière, paissent des moutons; au second,
des arbres y forment un premier fond ; puis au delà, jusqu'aux
collines qui' bornent l'horizon, tout s'estompe d'une vapeur bleuâtre
qui enveloppe les détails sans cependant les fondre complètement.
De Mra« Gaudry-Charonat, une miniature. Portrait d'enfant.
ARCHITECTURE
M. Edouard Besle y expose deux tableaux à l'aquarelle contenant
chacun un panneau de pièce et un plafond : l'un est le Projet de déco-
ration du grand salon de M. G.. .^ à Lyon, de style classique avec ses
colonnes corinthiennes et ses motifs antiques ; l'autre, un Projet de
décoration d'une salle de jeu tout à fait art nouveau.
De M. Louis Mohler, un très curieux dessin à la plume, la Cathé-
drale de Nevers^ vue prise de la rue de la Basilique, un coin du vieux
Nevers qui a conservé son originalité avec sa voie étroite, ses maisons
basses, et aussi les palissades qui entourent les murs de la basilique de
ce côté. Car elle est toujours en réparation l'antique cathédrale dont la
tour se dresse au dernier plan.
ART DÉCORATIF
Dans cette section j'ai en vain cherché, à diverse» reprises, le
Panneau décoratif pour cabimt de travail de M. Martin des Amoignes.
« Quoique figurant au catalogue, m'a dit enfin un gardien, il n'a pas
été envoyé ».
Les quatre pièces en fer forgé composant la vitrine de M. Léon
MiNOT, très travaillées, me semblent d'un faire un peu maigre. Trop de
détails et pas assez de largeur dans l'exécution. Mais c'est un début.
Et pour terminer, un sou venir de regret à tous les artistes cités dans
mes précédents ^ Salons » et dont je n'ai pas relevé, cette année, les
noms aux catalogues des deux Sociétés. Edouard Achard.
^1^2 REVLE l>r NIVERNAIS.
A CAMPESTRE
Pendant que le soleil met son disque d'opale
Sur les lointains conûns des grands cieux empourprés.
Des arbres, dans le creux des chemins, sur les prés.
Posent en frémissant une longue ombre pâle.
L'air embaume. Le cri d'un merle querelleur
Se mêle au bruit que font les charrettes chargées
Montant le clic.ila rocailleux. Sous les rangées
De très haub^ peupliers au ramage vainqueur.
Se mirant dans le clair de la lente rivière,
La métairie étend ses pigeonniers, ses toits
Empourprés, ses vignes, ses greniers où le poids
Du seigle et du fn»ment, qu'ont dépouillés sur Taire
Des bras sains et robustes armés du fléau.
En fait plier le< ais. Un coi\, fier, se pavane.
Et deux jeunes entants, grimpés sur le vieil âne.
En jetant un frais rire, etTan>n.-hent un veau.
Miii< v*>ilà que s'entend le : « Hue î allez. Cocotte ! »
Avet: de< bruits de voix, des claquements de fouet^s.
Et que les verts buissons, de ci de là troués.
Laissent voir au p;iss;ige une charrette haute
Que ti-ainent le^ chevaux ou les bœufs de labour.
€ Favori / dia ! — Percheron!,,. » — Tout le monde entre,
Paysannes, gars robustes, les vieux au centre.
Escortant les oiian«»is — Et [>endant que le jour
S'enfuit, que le< iiiurmure< doux ilu soir s'égrènent.
Que la terme ^*eIuplit de criardes rumeurs,
• Je nie dis que s'ils savaient goûter ces splendeurs.
Ils seraient vraiment rois, tous ces êtres qui peinent
Joséphine Bégassat.
*^
REVUE DU NIVERNAIS. 243
LA PRONONCIATION DU LATIN CLASSIQUE
(Suite).
Telles sont les principales objections que l'on peut faire. Il y en a
encore d*autres, mais elles ne sauraient non plus amoindrir les nom-
breux avantages que les latinistes retireront d'une prononciation
correcte et uniforme du latin.
Les savants sont fort occupés en ce moment à chercher une langue
internationale. La facilité des communications, Textension du com-
merce et de l'industrie, l'invention du télégraphe et du téléphone
imposent à bref délai un idiome universel dont se serviront au moins
certaines catégories de personnes : commerçants, voyageurs, savants
et explorateurs. L'idée a même reçu dans ces derniers temps une
réalisation aussi pratique et aussi simple que possible. Vn médecin
russe, le docteur Zamenhof, a créé ou plutôt combiné avec des racines
tirées des principales langues de l'Europe un idiome international
qu'il appelle V Espéranto {{). Naturellement, cette langue qu'il faut
apprendre, si on veut la connaître, est destinée à un nombre relati-
vement restreint d'hommes, mais elle sera d'une très grande utilité.
Elle est créée artificiellement et n'a jamais existé. Les racines, il est
vrai, sont choisies dans les principaux idiomes européens, mais elles
ne répondent à aucune réalité vivante. Les mots sont fabriqués de
toute pièce. Ils n'ont pas cette souplesse, cette variété, cette finesse
d'expression que donnent à tout langage vivant un usage quotidien
et une littérature séculaire. Le latin, au contraire, répond à une
réalité vivante , il possède une littérature et une littérature qui a
formé ou inspiré la plupart des langues modernes. Chaque mot,
chaque expression évoque pour le lettré un souvenir, une idée, une
image qui peuvent s'appliquer encore aujourd'hui à des objets contem-
porains. Nous verrons qu'on connaît la valeur et la nature des sons
du latin , qu'on peut les reproduire facilement , qu'ils conservent
encore dans les langues romanes, ici un écho fidèle et sonore, là un
son bien affaibli ou transformé, mais assez vivant pour être perçu par
l'ouïe du philologue ou rétabli par son imagination. Si le latin a été
(I) Voir pour plus de renseignements la brochure : .4 la Recherche d'une
langue intemationaley par Th. Cart, Paris, me Cujas, 17.
244 REVUE ou NrVERNAlS.
la langue universelle, le lien nécessaire entre les savants au moyen-
âge, au xvi«, au xvir et au xviir siècles, pourquoi ne pourrait-il pas
redevenir une langue internationale? Qu'on ne dise pas que les mots
manquent pour exprimer les idées ou les objets modernes. Une langue
peut toujours créer des expressions nouvelles. La seule raison pour
préférer l Espéranto au latin, c'est que cette dernière langue, pour
être suffisamment connue, demande une élude assidue de plusieurs
années, tandis que VEsperanlo peut s'apprendre, paraît il, en quel-
ques mois. Mais pour ceux qui sont obligés de connaître le latin, qui
Tont déjà étudié, pourquoi chercher ailleurs? Aujourd'hui, prononcé
d'après les habitudes de chaque peuple, le latin sert rarement, mais,
parlé correctement, il deviendra un moyen de communication d'au-
tant plus commode et plus pratique, qu'il est et a été de tout temps
la langue de l'Eglise catholique en Occident.
L'Eglise d'Occident, en effet, a adopté dès les premiers siècles l'usage
de la langue latine. Naturellement s'adressant au peuple autant et
même plus qu'aux savants, elle a employé souvent des expressions de
la langue vulgaire, transformé la syntaxe, augmenté le vocabulaire,
donné des acceptions nouvelles à des mots anciens. De plus, la pro-
nonciation a suivi, comme dans les autres langues, une évolution
naturelle pour aboutir, à Rome, à la prononciation italienne. En sorte
que l'Eglise romaine prononce, par exemple, les homélies de saint
(irégoire le Grand (fin du vi« siècle) avec les sons actuels de ritalien
moderne. L'écriture est donc de quatorze siècles plus vieille que la
prononciation, qui n'est que la prononciation de l'italien actuel. Sans
doute les Italiens ont mieux conservé que les Français la nature de
l'accent latin et la quantité des syllabes. Mais ils n'ont pas non plus la
prononciation du latin classique. L'Eglise, qui cependant est la puis-
sance traditionnelle par excellence, s'est laissé entraîner par le cou-
rant, et, d'une façon inconsciente, elle habille, comme nous l'avons
déjà dit, avec les sons de l'italien moderne la langue latine qu'elle écrit
ou qu'elle parle. Cependant, certains Ordres religieux ont déjà fait
beaucoup et essayent de lire le latin avec l'accent tonique D'ailleurs, le>
bréviaires, les missels et les autres livres liturgiques sont imprimée
avec la syllabe accentuée, marquée sur la voyelle quand le mo* compte
plus de deux syllabes. De plus, dans l'impression, la diphtongue ae est
écrite correctement et non w. Il faut cependant noter que les livres
REVUE DU NIVERNAIS. 245
liturgiques n'ont pas encore adopté la vraie orthographe caelum^ qui
est écrit d'une façon barbare cœlum. Enfin deux lettres, / et v, sont
employées, qui étaient inconnues avant le xvi« siècle, en sorte que
juventutem devrait s'écrire iuuentutem.
Il est donc à désirer que l'Eglise catholique prenne la tête du mou-
vement et prononce correctement le latin. « J'avais songé il y a long-
temps, écrit M. V. Henry, à adresser à la curie romaine une respectueuse
pétition en ce sens... J'ai appris, par mon journal, que d'autres avaient
pris avant moi cette même initiative et que la question était, en ce
moment, discutée en haut lieu Mais M. Havet, à qui j'ai fait part de la
nouvelle, a rabattu mes espérances, en me disant que, si la discussion
aboutissait, elle aboutirait à faire prononcer le latin à l'italienne.
•J'aime à croire qu'il exagère (i) ». Nous aussi nous pensons que M. Havet
exagère. La curie romaine ne fera pas cette réforme sans examiner la
question. Or personne ne prétend aujourd'hui que les Italiens pronon-
cent correctement le latin. Obliger les autres peuples de l'Occident à
prendre la prononciation italienne, ce serait changer une prononciation
mauvaise pour une guère meilleure, l'accent excepté. D'ailleurs, la pro-
nonciation italienne varie avec la langue elle-même, et il faudrait,
avant quelques siècles, recommencer la réforme et la remettre au point
avec l'italien de Tépoque. Une pareille révolution est impossible
parce qu'elle est contraire à toute donnée scientifique. Aussi ne sera-
t-elle pas faite dans ce sens.
La prononciation correcte apportera à l'Eglise de tels avantages
qu'elle ne tardera pas à l'adopter. Son caractère d'universalité lui fait
pour ainsi dire Tobligation d'avoir une prononciation uniforme et
indépendante des pays qu'elle évangélise. Or, quoi de plus facile à
obtenir? H suffit que les évêques du monde catholique imposent à
leurs petits séminaires et à leurs grands séminaires la vraie pronon-
ciation du latin, et la réforme sera l'affaire de quelques générations.
On ne verra plus alors des prêtres français, par exemple, embarrassés
pour se faire comprendre en latin ou se confesser dans un pays étranger.
Le latin, prononcé uniformément par tous les prêtres, leur servira
d'une vraie langue vivante, ce ne sera plus du latin parlé à la française,
à l'espagnole, à l'anglaise ou à l'italienne, c'est-à-dire du latin inintel-
(1) Revue universitaire du 15 janvier 1902 : De la prononciation du latin^ page 2!^.
246 REVUE DU NIVERNAIS.
ligible pour chaque interlocuteur étranger. Ajoutez à cela que \e>
congrégations religieuses profiteront aussi de la prononciation correcte
du latin. Un religieux changeant d'ordre ou de pays reconnattra
toujours cette langue aux sons de laquelle son oreille aura été habi-
tuée dès sa jeunesse De plus, dans les grandes assemblées, dans les
conciles^ on ne verra plus se renouveler ce qui s'est produit au derni«^r
concile du Vatican. Certains évéques français furent obligés de garder
un silence forcé, parce que leur prononciation, trop éloignée de la
prononciation de la majorité des assistants, les rendait inintelligibles,
car de tous les évéques qui s'exprimaient en latin au concile, les Fran
çais entendaient le moins et étaient le moins entendus. Ce sera au
contraire une même langue, prononcée de la même faç^n, lous les
latinistes se comprendront malgré les pays les plus divers et les lati-
tudes les plus éloignées.
A ces avantages généraux des savants et de l'Eglise, ajoutons les
avantages que nous, Français, nous retirerons de la prononciatiou
correcte du latin. Nous avons dit que le latin vit dans le français
moderne. Or, pendant celte longue vie du latin, les mots se sodI
transformés d'après les lois qui se trouvaient en germe dans la pro-
nonciation de celte langue. Les syllabes accentuées sont restées en
français, tandis que les atones ou les finales sont tombées ou se sont
assourdies. Ainsi, en prononçant correctement, nous reconnaissons
facilement arbre dans drhôrem, bonté dans bonUdtem^ chantre dans
cdntor^ dette dans débita, larcin dans lalrocinium. Il est plus difficile
de retrouver acerdrborem dans érable^ dqua dans eau^ vicem dans
fois.
En lisant correctement le latin, nous aurons donc une plus grande
intelligence de la langue française, c'est-à-dire d'abord de son voca
bulaire. Nous distinguerons du premier coup les mots qui sont entrés
dans la langue avec la conquête romaine et qui n'ont pas cessé de
vivre depuis César jusqu'aujourd'hui. Ils ont perdu en chemin \\n*'
p;iilir (ir h'iii" siîlisl:mn\ qTM'Iqu^'s-iniî; de leurs sons lUai^ la^)lliiH'
Inni^iic ivslt' tniijfnjrs ci^nioîe itn tt^rnofa à la fois de leur anliqiiîl^H
tic Inij- Unniii^ ti!;*i(ju+\ iJ'autfes (iiols, au contraire, iulrufluits à m^
iUïU' [Ans irrrtitr, lums |ïr<^^j'nl**nl uiji^ înfîîïg*^ fidelé t*i toRtplât^dii
nuA Uilîti i'onvsiïujHluiil, rt uv sa u raient nous fournir fies donwp^
stûnnliïltiut^s sur ta pronoucialion ancienne. l\$ mni enifp^ Imi^bf^
REVUE DU NIVERNAIS 247
dans la langue. Ainsi cercler nous apprend que Vi était bref dans
circulare, quoique la syllabe fût longue par position en poésie, ce que
circuler ne saurait nous dire. Au contraire, Vi de Uberare était long,
parce qu'il a donné livrer. Comme nous le verrons dans la suite, quand
nous ignorerons la quantité d'un mot latin le français nous la fera
connaître. Par exemple, sachant que l'ancienne diphtongue ié vient
jd'un e bref latin tonique non entravé, nous prononcerons avec e bref:
pedem^ fehrem, bene, venit, parce que nous avons en français : pied,
fièvre^ bien, vient. On voit que l'étymologie française et la pronon-
ciation latine se contrôlent Tune l'autre et se prêtent une mutuelle
lumière.
La prononciation correcte du latin nous fait entrer plus avant dans
la connaissance de la conjugaison. Ainsi s'expliquent, pour ne donner
que deux temps d'un même verbe, i** le présent de l'indicatif :
cànto chant (chante).
cdntas chantes
cdntat chantet, chante.
cantdmus (chantons).
cantdtis chantez.
cdntant chantent.
, 2« Le passé défini :
cantdvi chantai.
cantdsti chantas.
cantdvit chantât, chanta.
cantdvimus chantâmes.
cantdstis chantâtes.
cantdrunt chantèrent.
De même, les verbes que nous regardons comme irréguliers aujour-
d'hui, trouvent leur explication naturelle dans le déplacement de
l'accent latin, déplacement d'ailleurs régulier. Nous ne parlons pas de
la force de l'analogie.
Présent de l'indicatif :
môveo meus.
môves meus.
môvet meut.
movémus (mouvons).
movétis (mouvez).
môvent meuvent-
248 REVUE DU NIVERNAIS.
Nous ne noas arrêtons pas plus longtemps sur ces faits linguisti-
ques qui composent l'histoire même de notre langue. Personne ne
peut plus contester aujourd'hui que le latin, prononcé correctement,
ne jette une vive lumière non seulement sur le vocabulaire, la conju-
gaison, mais aussi sur la syntaxe française. Par là s'explique toute
révolution de notre langue, par là aussi nous pénétrons plus avant
dans la connaissance historique du français et des autres langues
romanes, en particulier de l'italien et de l'espagnol.
Ces deux langues font partie maintenant des études modernes au
même titre que l'allemand et l'anglais. Or, l'italien et l'espagnol sont
faciles à apprendre pour quelqu'un qui prononce correctement le
latin. Ce qui rend ces langues assez difficiles pour nous. Français, ce
n'est pas tant le vocabulaire, qui est souvent commun avec le fran-
çais, mais c'est surtout l'accent latin que nous avons perdu dans la
France du Nord. Si les Français prononçaient correctement le latin,
l'accent italien et espagnol serait facilement saisi et reproduit par
eux. Ainsi en disant periculum accentué sur l'i, on entend immédia-
tement l'italien pericolo. N'est-ce pas un grand avantage de pouvoir,
après ses études classiques terminées, parler facilement ou du moins
entendre, en quelques mois, la langue de deux peuples voisins de la
France, de même race que nous, et qui ont une grande importance
littéraire et conmierciale ? '
(A suivre). Abbé J.-M. MEUNIER.
UN POÈTE
I
Je voudrais voir entre les porte-lyre une plus grande fraternité. Si
chacun de nous, en efifet, s'efforçait de mettre en lumière ce qu'il
connaît d'admirable chez ses émules, peu à peu les chefs-d'œuvre de
la Poésie contemporaine pénétreraient dans les masses; on applaudi-
rait, — et ces applaudissements finiraient par faire tomber Findifférence
des foules à notre égard. Car, je l'avouerai, je n'ai pas foi en ceux qui
se font gloire de rester incompris. Un beau vers fait toujours vibrer le
cœur; une belle pensée palpiter l'âme. « L'art, dit H. Taine, a cela de
particulier qu'il est à la fois supérieur et populaire ».
J'essaierai de parler aujourd'hui de M. Yves Berthou, un doux et on
REVUE DU NIVERNAIS. 249
modeste. Son noble talent est fait de sincérité naïve, de grâce mystique
et de force.
A peine âgé de quarante ans, il a déjà publié : Cœur breton (chez
Godfroy), La Lande fleurie^ Les Fontaines miraculeuses^ Ames simples
(chez Lemerre), La Semaine des quatre Jeudis^ recueil de ballades
acerbes, — sans compter nombre de pages semées à profusion dans
les jeunes Revues. Enfin va paraître prochainement Le Pays qui parle
dont chaque poème est un chef-d'œuvre.
II
Dans le volume de début, la personnalité de notre poète ne se
dégage pas bien nettement, il est vrai. Son inspiration parait un peu
confuse, hésitante. Elle balbutie des choses très douces, comme voilées,
n'osant encore s'affirmer, prendre l'essor. Mais dans les recueils qui
suivent, avec quelle aisance elle monte en plein ciel pur, d'un beau
coup tfaile! Quelle douceur! Quelle puissance aussi I Vires acquirit
eundo. Ce qu'elle chante? Le charme ineffable du pays natal que la
lutte pour la vie nous oblige trop souvent à quitter, les mélancolies de
Fexil, l'indignation du poète devant la croissante invasion des Barbares
qui s'avancent avec leurs mœurs, leurs industries, leurs chemins de
fer sur la patrie bretonne, la déchirent, la déflgurent et la profanent ..
Découragés, les cœurs aimants sont dans la peine.
Avec quelle tendresse filiale il l'évoque, la vieille terre d'Armor,
telle qu'il la vit, aux jours de son enfance heureuse et mystique !
Captif en sa ceinture de falaises et d'écueils qui le protègent contre
l'éternel assaut de la mer terrible, le paysage déroule ses lignes
harmonieuses, sous le ciel léger, profond, tout parfumé de bruyères,
de genêts et de thym sauvage. Voici les collines vêtues de chênes et de
landes fleuries, — les dolmens antiques, retraite des nains, — les
menhirs où, dans les anciens temps, les druides, sortis des forêts
profondes, venaient, à certains jours, offrir des victimes. Voici les
vieux calvaires plantés depuis des siècles aux carrefours des chemins
et qui planent, avec des gestes de bénédiction, sur les villages groupés
autour de l'église dont le svelte clocher ajouré et rongé de lichen
jaune jaillit avec une grâce exquise, ciselé comme un reliquaire, au
milieu du cimetière où dorment les ancêtres, en attendant le jour de
250 REViJB DU NIVERNAIS.
Dieu. Voici les calmes vallées en forme de berceau, — des troupeaux sur
les pentes vertes, — au fond, des claires fontaines qui se plaignent
doucement en courant dans les pierres. Çà et là, quelques chaumières
mornes, coiffées de chaume; des métairies solitaires, assises sur la
marge d'un champ roux de froment et d'orge ou
Bans les parfams de miel du sarrasin fleuri.
Une voix de biniou s*élève tout à coup d'un chemin creux et elle
s'éloigne, sans que vous ayez aperçu le musicien; on entend des
fragments de sônes, des musiques de cloches, des chants religieux. Et
vous rcûcontrez parfois des groupes pittoresques qui s'en vont en
pèlerinage : paysans chevelus au large chapeau fleuri d'un brin de
bruyère, femmes pensives avec de beaux yeux clairs sous un bonnet du
temps de la reine Anne; — des convois funèbres accompagnés de
pleureases; — des cortèges de noces conduits par le violonaire. Une
fillette grave et douce, aux yeux purs, en coiffe d'aïeule, les regarde
passer; un vieux mendiant aveugle qui, dans sa majesté de roi en
haillons, chante d'une voix chevrotante la mort des bardes, saint
Gonery marchant sur la mer, l'Océan qui roule encore dans ses mugis-
santes colères les corps des belles Atlantides en^^louties, les restes de la
mystérieuse ville d'Is, la légende de Tancien monastère bâti par
Rojanteline ..
Je ne sais quand, je ne sais où.
Dans un vieux livre jMmagine,
J'ai vu briller, comme un bijou.
Le doux nom de Rojanteline...
Mais ce que M. Yves Berthou a le mieux dit en ses poèmes, c'est
l'heure pleine de mystère et d'inconnu de la Nuit commençante^ lorsque
(« la Tristesse s'approche » et que
Les cloches ont sonné le glas de la Lumière,
l'heure où l'on entend « les genêts causer », où les revenants viennent
frapper à la porte des chaumières endormies, où la Mort fait sa
tournée sinistre le long de la côte. Et, par les crépuscules lumineux,
lcsdiaphanesapparitions,surlalande,deNotie-Dame-des-Claires-Nuits!
Auréolant la Vierge blonde,
Au-dessus du bois endormi,
Parait la lune toute ronde...
REVUE DU NIVERNAIS. 351
Au milieu de cette poésie enchantée, s'échappent souvent des cris
de foi et d'amour d'une étonnante profondeur, d'admirables prières
qui vont jusqu'à Dieu.
Pourtant — le dirai-je? — j'ai regretté vivement de rencontrer, à
la fin des Fontaines miraculeuses^ quelques pièces où il est parlé de
Pbœbé, reine des nuits, et d'Hélios Ces images toutes païennes
détonnent étrangement dans ce beau livre et rompent l'uoité d'inspira-
tion qui eût été, sans elles, si pure et si parfaite. Heureusement, cet
oubli ne dure point; et le volume se termine par des vers suaves :
Ma douce, aUons prier Notre-Dame-des-Bois...
Et c'est pour nous une véritable fête de donner ici les strophes
suivantes que M. Yves Berthou veut bien nous permettre d'offrir, en
son nom, aux sympathiques lecteurs de la Revue du NÙÊemais,
LA FONTAINE MIRACULEUSE
Je suis la source vive, en travail à toute heure,
Je désaltère rhomme et je guéris ses maux.
Vers moi tu descendras de ta proche demeuie
Puiser Peau pour tes gens et pour tes animaux.
Froide comme le cœur des vierges les plus pures.
Mon onde ici jaillit depuis quatre mille ans,
Et sous ma voûte de granit et de verdure
Elle est limpide ainsi que les yeux des enfantF.
Des globes de cristal s'élancent de mes lèvres
Vers les fougères d*eau penchant leurs rameaux verts ;
Ma vie est le labeur exempt de toute fièvre,
Active également, l'été comme Phiver.
A Taube un roitelet, un merle, une mésange
Boivent dans la rigole où chante mon trop plein,
Et par les nuits claires d'été je vois des anges,
Sur la marge appuyés, boire au creux de leur main.
Je nourris en passant les grasses cressonnières
Et dévale par les rochers, vers les lavoirs
Où scintillent les bras roses des lavandières
Qui bavardent sans cesse au rythme des battoirs.
Et j^alimente aussi les douais où rouissent
Et le chanvre et le lin sous les pesants cailloux,
Et la mare où le soir les folâtres génisses
Troublent Tabreuvement des taureaux en courroux.
J'infuse un nouveau sang aux veines des prairies
Que féconde l'ardeur divine du soleil ;
Je fais pousser le foin pour douze métairies,
Dont le parlura subtil n'eut jamais son pareil.
Sur mon dôme une croix se dresse vers la route,
Où Tartiste ingénu sculpta la Trinité ;
Mon humble et saint Patron, immobile en sa voûte,
Sereineroent préside à mon activité.
252 REVUE DU NIVERNAIS.
Dans les premiers beaux jours les branches d'un vieux rouvre
Dont j'ai nourri toujours les rameaux souterrains,
D'un vert feuillage épais et frissonnant me couvrent :
L'étape est douce au gueux qui trempe ici son pain.
De ce coin ignoré mon onde souveraine
Fait couler ses vertus sur les Quatre Cantons,
Et tous les exaucés, bourgeoise et châtelaine^
Fermiers et matelots l'attestent par leurs dons.
En son vallon fleuri ma chapelle voisine
Qu'ornent les ex-voto de mes miraculés,
Une fois Tan de mille cierges s'illumine
Et retentit des chants des pèlerins zélés.
Car au temps neuf, fidèle aux usages antiques,
La foule des chrétiens se rassemble en ces lieux ;
Et. solennellement, aux accents des cantiques,
Elle descend ici pour accomplir ses vœux.
Dans les parfums des fleurs de la terre et des âmes
Que la brise de mer répand sur tout l'Armor
Et dans la joie ailée, entre les oriflammes,
Brille au soleil ardent le reliquaire d'or.
Le reliquaire d'or qui garde au cours des siècles
Le chef du Saint breton dont vous devez issir,
. Qui cultivait ici son champ d'orge et de seigle,
Le Saint au nom duquel j'ai pouvoir de guérir.
Depuis seize cents ans c'est lui que Ion invoque
Et le doux Seigneur Christ dont il pr<^ehait la Loi;
Mais deux mille ans avant cette lointaine époque
Les hommes douloureux s'acheminaient vers moi.
Car déià dans ce val et plus frais et plus sombre,
Plein du gazouillement céleste des oiseaux,
Les vieux Druides blancs, entre a^jerçus dans l'ombre.
D'un geste auguste avaient sanctifié mes eaux.
Dans la nuit du passé se perd mon origine :
J'ai toujours animé ce temple naturel ;
Mais si pure est mon eau que chacun s'imagine
Que ma source naquit dans les Vergers du Ciel.
III
0 poète! rien ne peut plus arrêter les Barbares... D'infatigables
monstres les amènent en hurlant à travers vos campagnes mutilées.
C'est une profanation. Mais la délicieuse physionomie de votre vieille
Bretagne ne périra pas, grâce à vous ; avec son charme profond, sa
grâce naïve, elle revit tout entière — à jamais fixée en vos poèmes.
Louis Boulé.
^(^
LA MAISON MORTE
Nous offrons à nos lecteurs un dessin détaché du volume collectif
sous presse. Il accompagne une belle poésie de M^n^ la comtesse de
Champs de Salorges. Nous en donnons un extrait :
Dors en paix, foyer déserté !
Toi qui sus nous bercer aux jours joyeux ou sombres :
Dors sur le souvenir de ceux qui t'ont quille
Et tressaille, la nuit, quand le frôlent leurs ombres.
Dors. Et si l'étranger doit troubler quelque jour
Le calme recueilli dans lequel tu reposes,
Muet sur le passé, reste banal séjour :
Nul ne peut évoquer en toi l'Ame des choses ;
Nul ne profanera les secrets vénérés !
Du mal qui te brisa, j'ai souffert e( je pleure ;
Mais je reste i^ardien des pénates sacrés
Et je veille à leur culte au loin dans ma demeure.
J'ai dressé dans mon cœur un autel à tes dieux.
Nid glacé, pour moi seul jeune et vivant encore.
Dans ma mémoire tel jusqu'au jour où mes yeux,
Comme toi, seront clos au réved de l'aurore.
Pèlerins, à ces bords qui ne me verront plus,
Si vous avez gémi sur des bonheurs perdus,
Quand, vers le seuil désert, votre destin vous porte,
Voyant 3es volets clos et le deuil sur sa porte.
De peur de la troubler, assourdissez vos pas.
Et par pitié, près d'elle, en passant parlez bas.
C'est une pauvre maison morte !
Mai 1900. C"" DE Champs de Salorges.
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REVUE DU NIVERNAIS. 255
Herman Gk>rter
(1864)
JOUR D'HIVER
Les gardes de la tour firent sonner le cor.
Le soleil miroitait sur la glace brillante ;
Le front des arbres hauts luisait, pailleté d'or;
Le vent d*est agitait sa faux étincelante.
La neige jaillissait devant tes pieds nerveux ;
Tes yeux brûlaient Tazur des espaces célestes ;
Un tapis tissé d'or était dans tes cheveux,
Un vol d'oiseaux de pourpre était dans tes mains lestes.
Tes yeux étincelaient, jeunes et radieux.
Aile rouge, en ton corps volait le sang vivace ;
Les yeux dorés de l'air répondaient à tes yeux ;
Là-haut flottait la nue en écume de glace.
Il faisait froid de gel. Et les eaux d'alentour
Miroitaient au soleil, nappe de glace dure.
A cris perçants criait la lumière du jour,
Qui ne pouvait souffrir tel degré de froidure.
Le ciel gonflait sa joue et soufflait puissamment
Dans sa trompe d'or pur, en ses pomgs enserrée.
L'air ne put contenir pareil résonnement,
Creva, jetant la neige en poussière azurée.
Le monde figurait une salle au décor
Bleu-blanc, avec jardin de neige scintillante.
Sur le duvet de cygne abaissant ton front d'or,
Tu te couchas alors, reine blanche et riante...
Jacques Perk
LE RIRE
Que le soleil soudain, au sommet des collines.
Dans le noir de la nue éclate, il va briller
Sur les pleurs du feuillage, il les fait scintiller,
Semblant liquéfier cristal et perles fines.
Si bien qu'un rire sort des larmes opalines.
Ainsi s'évanouit ce qui peut me troubler,
Mathilde, quand ta bouche éclot pour me parler
Et qu'un sourire luit sur tes lèvres divines.
Du rire, le sourire est l'aube. Quand le tien
Pétille, mon oreille, ah ! le boit ; et combien
De joie ardente court au profond de mon être !
Ainsi, yeux clos, je vois ton front blanc rayonner,
J'entends ton rire clair comme l'argent sonner,
Le matin, quand vient l'heure où l'aube va paraître.
Traduction de Achille Hiluen.
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T»t, '-rT-us «-.uî"». ^«riiC- *?•!*? r«cam*TJi«»ecî or^am-
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I.D.
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Le IHrti:€%r-Cf^j\:^ ACHUXE Hiiinnr
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CROQUIS NIVERNAIS
LE MARIAGE DE TOINE IMAULAT
PRÈS trois années de caserne, Toine
Piaulât rentra chez lui, an village de
Moussiaux, aussi peu dégourdi qu'avant
son tirage au sort. C'était un tout bon
garçon, fort comme un bœuf et pas
laid, ma foi ; mais il n'avait jamais eu
pour deux sous de cervelle, et malgré
tous les efforts du brave M. Dourry,
mailre d'école de Saint-Benin, Toine ne savait ni lire' ni écrire, et
comptait avec peine jusqu'à cent sur ses doigts.
A son retour du régiment, il trouva la maison vide : le père et la
raère étaient morts. Toine, leur seul liéritier, n'avait pas voulu louer
les terres pendant son service ; les mauvaises herbes s'étalaient gras-
sement partout, les haies s'allongeaient, s'élargissaient en pousses
folles. Toine eut la meilleure idée qui pouvait lui venir en pareille
circonstance.
— Faut t' marier, mon vieux, se dit il. N'est qu' temps.
Il n'avait jamais pu se faire une bonne amie à Moussiaux avant
d'être conscrit : les filles se moquaient de lui. Il ne savait ni danser,
ni blaguer, ni caresser, et cet isolement forcé l'avait souvent rendu
bien malheureux. Cependant, il n'était pas encore assez simple pour ne
pas comprendre qu'à présent, moustachu et maître de son bien, presque
toutes, et à coup sûr les parents de toutes, le trouveraient bon et
diraient oui.
Il fit un tour dans le village, fut tout surpris de trouver grandes et
11
2.V< REVUE bV 5ITER5A15.
fiMjijtrii.-s h-s gamines qui avaient d'>aze et treize ans a soa départ
T*'il i'.' Il: »n']^ le r^«:'il parfaiteiD-nt. Il but une chopine à droite, ooe
cl; '[Mi.e à ;: ijch'^. rtriJisaûl partoat la mcme chose. Il revint chez lai
ad>*'Z c p^riip^tle », oiâii décidé à demander aa père Chaame b main
d'- la Marie c pointée >.
Le ;. .e Chaume avait deux jameUes, toutes deux s^appelaîent
Marie et <*; reï5*^mblai»^nl comme gouttes de lait, a part ceci qoe Tune
a\ait. sur le coté droit du cou. près de l'oreille, on grain de beantè de
la grosxur d'un haricot, ce qui Tavait fait suraommer la Marie
n pointée >. Sa jijiij*.'lle n'avait pa? tardé à s'entendre appeler Marie
c sans p<jint i.
La Marie t pointée t était vive et intelligente, la Marie t sans point t
lourde et " c«jurte d'esprit >, selon la pittoresque expression de l'en-
droit.
Dès le matin, Toine se rend.l chez le père Chaame, qall trouva en
train d'enlever le fumier de SiS vaches.
— Tin, té \1à, suMat, dit Chaume.
— Uui, j'arais quéqu' chouse â vous dire.
— Marche, dis î
— Vous plairait-y dé m' douner ta Pointée en mariage?
Le visage de Chaume s'épanouit : les parcelles de Toinc et les
sienne> s^» • joutaient » admirablement. Toine serait un gendre très
facile â mener et possédant trois fois autant que sa fille — one affaire
d'or, quoi î — Il répondit :
— Oui, mon Toine, ra m' plairait même hardiment, mais faorait
savoir d abord si ça plairait à la Pointée : t'as pas encore évu V temps
d*y parler.
— Parlez-y, vou*, père Chaume, et vous m' rendrez réponse
demain.
Chaume prit la Pointée à part, au coin d'un champ, et lui proposa
Toine sans détours, pensant qu'elle allait éclater de joie. Or, la Pointée
pinça son joli bec et dit :
— J'en veux pas, moue, d' Toine.
Indigné, Chaume leva le poing sur sa fille.
— T'en veux pas?... saint bon Dieu!... ganivelîe!... t'as don la
boule sautée!...
nËVUË DO NlVEHNAlS. 259
— Non, repril la Pointée, qui tint parfaitement tête à l'orage, j'ai
seuPraent V cœur garni.
— Par qui? mâtine, par qui?
— Té fâche pas. C'est par un pus dégourdi qu'Toine... et aussi
riche. DounVy ma sœur Sans-Point à Toine. Ça peut s* balancer en
trois s*maines c* mariage-là. J' té prouniets d*y faire boun' mine, au
berlaud, dé l' bicher coum' du pain, d' Tentortiller à fond. Té veux-t'y
m' laisseï' faire? .. ça va marcher tout seul... Va T trouver, t*y diras :
« La Pointée répond oui, vins la courtiser ton saoul ».
Chaume fit la commission et Toine vint.
La Pointée appela sa sœur.
— Ma poule, fit elle, câline, vMà V Toine qu'est amoureux d' toué,
qu' t'a d'mandée en mariage à nout' pa... Ça t' va, dis? Sois bin
gente avec lui, c'est un bon garçon qu'a d' belles terres, té s'ras
heureuse.
La Sans-Point eut un large sourire et répondit :
— Ça m' va. J' s'rai bin gente.
Et comme Toine, au coin de la cheminée, restait tout honteux, sans
un mot, la Pointée le prit par la main, l'entraina dehors, sur le banc,
et dit à sa sœur :
— Vin don, groûsse.
Elles se mirent Tune à droite, l'autre à gauche.
La Pointée fit tout bas à l'oreille de Toine :
— Biche d'abord ma sœur, ail' est jalouse et pas trop marchande dé
raison. Ça y Trait trop d' peine si t' la caressait pas un p'tit peu.
Toine embrassa bruyamment la Sans-Point, qui lui rendit son baiser
à pleines lèvres.
Trois voisines, cachées derrière la haie d'en face, furent fixées.
C'était don pour la Sans-Point qu'Toine était v'nu.
Mais, cinq minutes après, Toine embrassa aussi fort la Pointée, —
et les voisines partirent, à leur grand regret, sans savoir à laquelle des
jumelles était destinée la robe blanche.
Le même manège recommença tous les soirs. Les voisines en per-
daient la tète.
L'une d'elles demanda bien un jour au père Chaume :
— Laquelle don qu'vous allez marier ?
Chaume répondit, clignant de Tœil :
M^ REYCE DU NITERNAiS.
\vHtx \vn*tv^ eu rjourtk la a.x-e.
bit i;^: »,\M.*..j:M.'«:st:nji.'at >tv!H par la Poiotée, laissait les curieux et
îrv\ s. '., .v:;'v !<t •'.! M»' ivf.'c ct'^ >i:ii[:'[»es mots:
X •,» ^\M u is iii ^''\i\d .niir iif tri:u'^rent pas. Chaume, avant la
xi', u. ^t*>si -i u.'iii»' -^11 ni ir j:»^a«i*'f, «iii crut bien mener la
. i, x^ tf '!L i : î^ il -1 . .- .-' 1 :;. aie ['îe T'»ine s'aperçut de
..i... .'• :u u .1 .'-. L *. .1 : V-t: - : i 2'»^>^- ^^ jeune femme,
V . . .. V ;i.a^ • !•! L ! »: -. .ii:--.:.: i '•• m^^ impatience non
... u\ iN.ii: :rii r ::• . a s*-- z: i* :!:•>: •: -^st la Sans-Point !
; ,» '.otiXi^' -lur^^r «f .t p^ r -t. >!'Zs '- •• --m pris, se mit sur son
ijui lut».' d -? ■; ^^i' -^^r --i— '■'.
î a "(.«V »»r T'.'Li^r-»^'. '--^i-i. T \\-^ 1< r-.:!::? .• ii^i» m^^al et sentit sa
V vV'at tr.L,:*-?. Ir-a::v[-a->. >; i^'-r j-t- . . ri bia ! tant mieux!...
i.iCllo-ci e^l pif f.::-- p ^ t!:!!': :f*r. l..^^^ i:.r. iri»* «{le Taule. Vaut
miv'dxî oui... va .1 lJ- ,i!... A.l' z*:i! tt^: rK< a i-» /tr.Hnper!...
La nius-P-Il:. n'y ••■ ^.:r-::'L: t v:/:rs r>2. r^i - la p»:u rassurée
(|t»aaJ m^iiie p-ir l'a r p >»:.j. ^? «i^ >ja ilî.-:. r-:-ii <a .juestion :
-- 0»ii q'fl- «lis. T :.e?
Il sjpppx'ha d ] î;:, •^nlî^'a T-^v •]-♦♦? ri. l:^< ^i .:c>.[u«^nt. Gt celte
ropoii^ :
— Qui que jMli, ma ii>.l... JMis ria, j >t is »=a.v:«r un peu saoul.
KaiU pas faire attention.
l\unpl^!'t'^rL-Qt rriiÀ:^. la Sans-PoiMt l;.i p '..îqu sur les joues, dans
le am, lim I-riiain'? «ie bons l^^ois bien oaTjVjTjjrùs, bien sonores,
bKHi ttourrb,
— i^ûomei i*i* tv< pj- :.i.'h'r€ dVf ma f-mr^- ?
• -''^^» •- •
— 5ati Eli* jVus pas fàch».'>\ nin-ni, m-n proûs ^ir*!...
Loiis MiR.\rLT.
nEVUE DU NIVERNAIS.. 261
AU SOL NATAL
Or je me sens, ce soir, une âme toute grise.
Le vain espoir abat, si le souvenir grise.
Car mes yeux tristes n'ont qu'un horizon de toits.
0 charme évanoui des chansons en patois !
0 douceur lumineuse et blonde des soirs chastes,
Lorsque, rutilant d'or et merveilleux de fastes,
Le soleil net, à l'heure où je m'en revenais,
Se couchait lentement, là-bas, en Nivernais !
La douceur extatique et l'extase si douce
D'ouïr tel ruisfîelet gazouiller sur la mousse
Et tel arbre frémir de la brise du soir !
La douceur immobile et calme de s'asseoir
Pour voir, se dispersant en vingtaines de lieues,
Des pâturages verts et des ardoises bleues,
Des maisons, des clochers, des vignes, des moissons,
Des étangs entourés de bois et de buissons ;
Pour voir tomber de l'ombre et monter des fumées,
Pour s'emplir les poumons de ces senteurs, — humées
Comme un bouquet de vin versé dans du cristal, —
Qui sortent du premier sommeil du sol natal ;
Pour voir, tout au lointain, comme un roulis de vagues,
D'imprécis bercements de tonalités vagues ;
Et pour se demander, puisque là-bas, là-bas,
— Le ciel étant en haut, la terre étant en bas, —
Une ligne irréelle et rêveuse sépare
Cette terre et ce ciel ; puisque ce ciel se pare
De nuages petits qui semblent des moutons,
De mirages si bleus, si blancs que nous doutons
Si cet azur n'est pas un étang d'émeraude,
Et si ce blanc n'est point une vierge qui rôde
Aux taillis parfumés d'invisibles forêts ;
Puisque le ciel lointain nous semble bien plus près,
Rapproché par l'argent splendide de la lune.
Par les étoiles qui sourient l'une après l'une ;
Puisque, de plus en plus, le sol s'éloigne au fond
Des ombres, des vapeurs, des grisailles qui font
Comme un voile divin de paix et de silence ;
Puisque, comme un bouleau, tel nuage balance,
Sur un autre rosé comme un bouquet de thym,
Son feuillage d'ouate et son tronc de satin,...
562 REVUE DU NIVERNAIS.
Pour se demander si, dans celte ombre si pâle.
Dans toute l^amétliyste et dans toute Topale,
Après avoir mué leur charme essentiel.
Le Ciel n'est pas la Terre, ou la Terre le Ciel !
Et puis, derrière moi, ce sont ce sont les chênes !
Enfin c'est le Morvan, puisque c'est le granit !
0 vieux sot que j'adore, ô vieux sol qui m'enchaînes
Par la trisie dpreté de ton charme infini !
Je voudrais retourner, comme l'oisel, au nid !
J'imagine déjà des extases prochaines
.... Mes montagnes, allez ! Faites courir vos chaînes 1
Le poète vous aime et le ciel vous bénit !
(Lormes, Montsauche, Autun, Châstellux et Gâcogne !...}
Il peut continuer, le bûcheron qui cogne !
Elles peuvent venir, la névrose et la faim !
Vous avez vos vielleurs près des claires fontaines ;
Et vous aurez toujours, et vous aurez enfin
Quelqu'un qui chante, avec des chênes par centaines !
He.mri Bâcheun.
12 juin 1902. '
LE ROUET
f Conte d*une grand'mère à ses petiU^en fonts. J
A Me$9ieur$ Victor^ Georges^ Robert W^ et Jean BT
— Vous savez bien, mes mignons, que lorsque vos chères voix
gazouillent à son oreille : « Grand'mère, un conte, un beau conte >,
grand'mère ne sait pas vous refueer.
Aujourdhui, voulez-vous, nous laisserons de côté les grottes
enchantées, les fées, les magiciens, les enfants gourmands, désobéissants,
querelleurs et je vous dirai une histoire vraie, dont votre chère maman
et le vieux rouet pljcé sur cette étagère, à l'abri de vos petits doigts
destructeurs, ont été les héros.
Souvent, malgré votre jeune âge, vous avex entendu parler de la
guerre. C'est avec une attention et un intérêt tout particuliers que vous
écoutez grand-père vous raconter ses campagnes; vous aimez qu'il
vous parie de batailles, de beaux traits de courage, de croix, de grades
REVUE DU NIVERNAIS. 263
gagnés sous les balles de Tenneini. Vos petits cœurs de Français
s'enflamment du désir d'être, à votre tour, de braves soldats, de
vaillants officiers.
La guerre, mes chéris, n'a pas que des gloires, elle a aussi, elle a
surtout ses horreurs.
En 1870, votre grand-père était parti des premiers se battre pour
son pays. J'étais restée dans notre triste demeure avec ma mère très
égée et ma flile, votre maman, qui venait d'avoir huit ans.
L'ennemi envahissait de plus en plus le sol de France, trop vite,
hélas ! il gagna notre retraite.
Un soir d'hiver, bien triste, bien sombre, malgré l'heure tardive,
nous n'osions aller dormir. Pendant toute la journée le canon avait
tonné dans le lointain. Un vent aigu soufflait en tempête et pénétrait
par les Assures des portes et des fenêtres, vent de malheur et de
destruction. Ma pauvre mère, toute grelottante, consentit cependant,
sur mes instances, à se réfugier dans son 1^1 où étaient empilées les
quelques couvertures que les Prussiens avaient bien voulu nous laisser.
Nous avions épuisé notre provision de chauffage, la plus grande partie
en ayant été réquisitionnée, c'est-à-dire prise de force par l'armée
allemande.
Assise sur mes genoux, au coin de l'àtre vide, ma filles ma petite
Henriette, frileusement enveloppée d'un vieux châle qu'elle partageait
généreusement avec sa poupée, tressaillit violemmentàuncoup decrosse
de fusil donné dans notre porte qui céda sous la poussée. Quatre
uhlans flrent irruption dans la pièce, quatre géants, dont l'un, à la
longue barbe grise où le givre avait formé des glaçons, semblait
commander aux autres et s'en acquittait vertement. Son audace ne
connut pas de bornes en présence d'une faible femme et d'une enfant.
— Du feu, on crève de froid ici, dit cet homme qui parlait assez
couramment le français.
J'expliquai que nous n'avions plus de bois.
— Nous allons en trouver, répliqua-t-il. Et faisant signe à l'un
de ses subordonnés, d'un coup de genou ils défoncèrent deux chaises
et les lancèrent dans la cheminée où se consumait un dernier tison.
Ma table à ouvrage subit le même sort et bientôt la flamme jeta sa
lueur vive et brillante.
Vautrés devant ce feu clair, les quatre soldats étendaient leurs
264 REVUE DU NIVERNAIS.
membres engourdis par le froid et mon Henriette elle-même, attirée
par eetle belle flambée, approchait du foyer ses petites mains bleuies.
Quand le brasier devint moins ardent, ces hommes jetèrent un regard
circulaire pour découvrir quelque objet, propre à l'alimenter, parmi ce
qui restait de notre mobilier. Le rouet de ma mère se dressait sur une
console avec sa quenouille à demi filée. Le géant à barbe grise fit vers
lui un geste qu'hélas ! je compris. Le plus jeune soldat, un grand blond
aux yeux bleus clairs, obéit à l'ordre de son chef et étendit le bras
pour s'en emparer. Un douloureux frisson me saisit en prévoyant le
sort réservé à cette relique de famille, transmise de mère en fille. Cher
vieux rouet qui, sous des doigts agiles, avait filé le lin et le chanvre de
plusieurs généralions, travaillant pour le trousseau de la jeune épousée,
pour vêtir les membres frêles du petit enfant, pour envelopper au
cercueil le corps usé de l'aïeule. Tous ces souvenirs m'arri valent en
foule et, cependant, je ne fis pas un mouvement dans le but d'arrêter
l'œuvre de destruction, tant je craignais d'attirer sur ma fille la colère
des ennemis, mais elle, la chère petite, plus vaillante, s'échappa de
mes bras et, dominant la terreur qui l'étreignait, bondit devant le
soldat :
— Oh ! pas ça, monsieur le uhlan, je vous en prie, ne brûlez pas
le rouet de grand'mère^ elle en pleurerait, il ne faut pas faire pleurer
grand'mère, attendez.
Comprit-il ce nom de grand'mère ? Evoqua-t-il là-bas, au pays, le
souvenir d'un vieux et doux visage encadré de cheveux blancs?
L'homme hésita. Profitant de cette minute de répit, Henriette courut
vers un coin de la chambre, apporta à pleins bras le berceau de sa
poupée et, héroïquement, le jeta dans les braises en disant :
— Voyez, cela fait un aussi beau feu !
La fiannne, en effet, léchant l'osier doré, se jouant dans le satin bleu
ei les fines dentelles s'élevait plus ardente que jamais. Stupéfaits, les
uhlans contemplaient cette petite figure vivement colorée par Tardeur
r.Hilnil jiisijuVt s;i Itnrbi* *^vm.\ Un insluul, 11 resla ^ongt^ur» tof Jiwi
|mT(Iiis d;iiis |r \iii,nir ; priil-iVLn% lui aii^si^ enl revoyait il, de Taiilit
c6l<i lie la frunUèro, unti douce et consolante vblûa: pdllt* lîlle nmd
îj|nii(b' qui lu uuiiiui:iîl |^i'and-pore !
lJ"iiH ion \nv\\ il dit quelques tmh en aUtiuand «?l leu(i*uieiil, «ai
REVUE DU NIVERNAIS. 265
répliquer, comme lui, les hommes s'enveloppèrent de leurs manteauK
et s'allongèrent sur le parquet où ils ne tardèrent pas à s'endormir
sans plus s'occuper du foyer qui bientôt s'éteignit.
Peu rassurées cependant, nous restâmes là toute la nuit, Henriette et
moi, retenant notre respiration pour ne pas troubler leur sommeil.
A l'aube, ils se levèrent silencieux, ramassèrent leurs armes et
partirent sans s'occuper de nous davantage. Seul, au moment de franchir
le seuil, le chef se retourna et arrêta longuement sur ma fille un regard
ému I
Enfants, la France ne restera pas toujours vaincue ; l'Alsace et la
Lorraine dont grand-père vous parle sans cesse lui reviendront un
jour, c*est-à-vous, peut-être, qu'il appartiendra de les reconquérir. Oh !
dans cette guerre certaine de la revanche, conduisez-vous toujours en
héros, mais souvenez-vous qu'autrefois, pour votre mère, un ennemi
se montra compatissant et n'oubliez jamais qu'un guerrier, et surtout
un guerrier français, doit garder au cœur assez de pitié pour éviter de
faire couler volontairement les larmes des vieillards et rester accessible
aux prières des petits enfants. Myriam.
LES POÈTES DE L'AMOUR /5u//e;
— Jean Lahor, disciple et apôtre du bouddhisme, et, qui mieux est,
apôtre convaincu, prêche, au rebours d'Armand Silvestre, la chasteté
sloîque et sereine dans l'abandon de l'âme et le sacrifice de l'être à la
destinée :
Sois pur, le reste est vain, et la beauté suprême.
Tu le sais maintenant, n*est pas celle des corps ;
La statue idéale, elle dort en toi-même ;
L*œuvre d'art la plus haute est la vertu des forts.
Mais, avant de mépriser les jouissances d'ici-bas, l'auteur de
Y Illusion les a connues et ressenties, et même savourées ; il a désiré, il
a aimé, et il a épanché ses rêves et ses contemplations dans ses
splendldes Chants de V Amour et de la Mort.
Comme tous les êtres de l'univers, d'après la philosophie de Çakia-
Houni, ne sont que des apparences éphémères d'un Dieu indéfini et
inconscient, des formes changeantes de l'Etre total, tout dans le
monde, hommes et choses, se mêle en des unions secrètes, tout dans
266 R^yUR DU NjVEBWite,
Tamour ^ les seoleqrs, les chants, les Q^u^s, les Ameselleft-piéiDes —
s'harmonise eu une mystérieuse eurythmie :
Les soirs d'été les fleurs ont des langueurs de femmes.
Les fleurs semblent trembler d'amour, comme des âmes.
« n aime magnifiquement, dit M. Jules Lemaftre, car la naturp
entière lui fournit des images pour exprimer son amour >« La nature
est ici, en effet; le reflet de Tâme, comme Tâme est le reflet de la
nature ; les roses s'embaument dans les parfums des aveux ; les nuits
s'étoilent dans les lueurs des voluptés. Hais, tout n'étant que mira^p
dans réternelle Maya, le sentiment de la fuite du temps, rameriunie
du néant ambiant assombrit déjà la clarté de Theure :
Ce qui rend ce grand ciel à nos regards si doux,
C'est l'ivresse d'aimer qu*exhale tout notre être,
£t c'est par tout Tamour qui s exhale de nous
Que cette immense nuit nous caresse et pénètre.
Sois donc ivre, ô mon âme, et sois ivre toujours;
La seule illusion fait la beauté des choses;
Mais pleure aussi parfois, sachant que tes amours
Ont la fragilité des lèvres et des roses.
— Emile Trolliet, lui, n'est ni bouddhiste, ni parnassien, ni symbo-
liste : il est simplement poète^ comme il fut simplement amoureoi.
C'est une idylle tout ordinaire qu'il a poétisée dans les Tendre9utei Ut
Cultes : il a aimé une femme qui l'aimait, leurs cœurs se sont livrés
Tun à l'autre; ils ont d'abord lutté pour garder leur amour pur dans la
lumière du platonisme ; et cela s'est fait comme cela se fait toujours :
dans rinvincible attraction, les âmes se cherchent et ce sont hélas! les
corps qui s'unissent; puis un peu de bonheur a lui» voilé déjà de
regrets, puis ce fut répreuve de la séparation dans le fatal écoolemeot
de la destinée... comme toujours.
Or, c'est justement de cette simplicité, de cette sincérité que découle
le charme de ces poésies. Nombre d'écrivains sont plus raffinés oo plas
habiles qu'Emile Trolliet ; aucun peut-être ne touche plus intimeffleat,
ne donne plus fortement Timpression du vécu, la sensation du réel.
Délicatesses, élans fugitifs, craintes indécises fondues en sourires,
aveux tremblants, fièvres de langueur, tout cela frissonne dans ces
vers que r}ihment les battements du cceur^ Et n'entendez pa:^
par là que Fauteur soit un chercheur de sensualités : l'amour ebaste en
RE\(JB DU NIVERNAIS. 261
son ardeur, ardent en sa pureté, n'est Ici ni mystique ni charnel. Ces
chants, troublants jusqu'à la nostalgie, ne sont jamais pervers; en eux
s'épanouît seulement « cet infini du cœur appelé la tendresse ».
La tendresse, plaisir calme et délicieux,
Sentiment vague et doux de Fhomme pour la femme,
Si complet qu'il suffit pour inonder une âme.
Si divin qu*il sufOt pour faire croire aux cieux.
Saint comme l'amitié, profond comme Tamour,
Aussi bon qu'un baiser, aussi vrai qu'une larme.
Puis la vie a passé; les chagrins et les lassitudes ont flétri le rêve.
L'amie est morte, et le poète, respirant dans le souvenir les
parfums expirants des fleurs brisées, pleure sur la tombe close comme
ses yeux, à jamais.
Tu mourus doucement comme une fleur qui tombe...
Et j*erre maintenant, pâle et le cœur en deuil.
J'ai tout mon avenir enterré dans ta tombe.
Tous mes rêves joyeux cloués dans ton cercueil.
Que les deux fiancés s'épousent dans la tombe,
Et dans la mort du moins que je te sois uni :
Appelle, appelle- moi, douce et blanche colombe,
Et pour l'éternité fais-moi place en ton nid.
— Félix Jeantet, dans les Plastiques^ a exalté en un fastueux lyrisme
la beauté de la femme : tantôt dans la contemplation il célèbre la
déesse aux formes de statue, tantôt dans la passion il encense l'Eve
troublante et séductrice, s*enivrant de sensualité. Mais à certaines
pages l'émotion profonde du cœur attendri vibre parmi les voluptés
comme une brise de fraîcheur dans les soirs lourds d'ôlé^ et l'on écoute
avec délices, comme en un rêve crépusculaire, Tàme du poète chanter
le mystère des t yeux de velours ^ :
0 mort fatale, écrite en ces yeux que j'aimais.
Une angoisse me hante :
Si c'était toi, secrètement, qui me charmais,
Mort dormant sous leur eau dormante?
Comme de doux oiseaux dans leur nid dérobés
Et qti'un souffle eflarouche,
les sentais, sous Tor des longs cils recourbés, }
Remuants et chauds sous ma bouche.
268 REVUE DU NIVERNAIS.
Ah ! follement, oui follement, sans rien prévoir,
Mes baisers extatiques,
Loin de le détester, cherchaient le spectre noir
En leurs langueurs énigmatiqnes,
Et toujours, dan» les nuits, je me repenthrai,
Toi qui dors sous le chêne,
D*avoir obscurément en toi-même adoré
Le charme de ta mort prochaine!...
Je ne nommerai que pour mémoire le grand poète Frédéric Mistral.
Pour étudier son œuvre, il conviendrait d'être initié aux secrets de la
langue provençale; et puis on l'a fait tant de fois, Lamartine le
premier, dans son Cours de littérature^ dont quelques pages consacrèrent
la jeune gloire de l'auteur de Mireille. Parmi les poèmes d'amour,
cette admirable idylle de passion, candide et brûlante à la fois, brille
comme un diamant magique où se colore en feux éblouissants le soleil
de Provence.
♦ ♦
Dans la foule des jeunes (je parle des jeunes jeunes), il en est
aujourd'hui beaucoup qui ont du talent et que l'on ignore trop I Jamais
le soleil de la poésie n'a illuminé tant d'âmes. On répète partout,
comme un refrain monotone, que le siècle est triste : c'est peut-être le
noir de la vie qui met du rose dans les cœurs. Il est vrai que la poésie
moderne est le plus souvent mélancolique.
— Parmi les poètes d'amour qui se sont révélés dans ces dernières
années, il faut nommer Henry de Forge, l'auteur de Pleurs de rêves,
dont le luth amoureux a des chants très doux et des plaintes très
tendres, rythmant la mélodie frémissante des songes des vingt ans. Le
poète a erré longtemps dans le jardin d'amour, il a respiré les lys
d'innocence et cueilli les roses de volupté; mais, toujours inapaisé, il
garde au fond du cœur, en de pensives nostalgies, le désir des
suprêmes tendresses. Et voici que, tout à coup, par des sentiers
lèiiùjjjvux, il kl \nh v+jiiir à lui coinînc une fée ïvierifaisante, lu liaiiaf.
eiA sa délicatesse de vier^je et son sourire d'amie, Et, traboril. Un! il a
souffert, il ne peut croire au bonheur, tremblant de voir la \ïâim d k
rêve s'évanouir :
Mais tu vfCm tant et Unî souri^
Tu m'as donné ta ni de tendi^eae,
Tant de baisers et biU d'ivresse,
* Qne mon doute fi*eȕ rendonni.
Et j'ûi cru. Tu m'avais ^éri,«
REVUE DU NIVERNAIS 269
Marchant le même long chemin,
Long chemin de mélancolie,
Ta vie a rencontré ma vie,
Ton regard a croisé le mien,
Et ta main a pressé ma main.
Ce livre a tout le charme d'un premier amour. On sent Tauteur si
sincère que, son âme pénétrant l'âme, on ne peut que Taimer. Ses
strophes limpides, rêveuses, d'inspiration originale, aux larmes
évaporées en sourire, à Témotion ombrée de mélancolie, enveloppent
et caressent le cœur, aussi fraîches, aussi parfumées que les fleurs de
cette gracieuse légende des Norvégiennes^ si délicieusement chantée
par le poète, fleurs qui voguent sur les flots harmonieux vers Tamour
et vers l'idéal :
Au sortir de l'église, elles cueillent les fleurs,
Les plus belles, les lys, les roses que Taurore
Du grand soleil du pôle à minuit fait éclore,
Puis en font des bouquets pleins d'exquises senteurs,
Et les deux bras chargés du précieux butin.
Lentement elles vont vers un rocher immense
A pic sur rOcéan, dont le flot se balance
Dans les lueurs d'argent à Thorizon lointaia..
Là, tournant leurs regards ensemble vers le Nord,
Vers le chemin qu'ont pris les chères voiles blanches.
En un geste très triste elles lancent les branches
De fleurs qui vont tomber dans la vague du Qord...
Et la légende dit que les flots attentifs
Porteront aux aimés les bouquets sans dommage.
Que Dieu même là-haut gardera du naufrage
Les calices des fleurs, doux et tremblants esquifs.
(.4 suivre). Fernand Richard.
TK MVUB m mTBHNAIS.
LA LÉGENDE DU MARTIN-PÊCHEUR
ÀVo(iat, pàséônfi au déluge.
(Racike, les Plaideurtf acte III, scène m.)
dette légende, enfante, dotrs reporte au déluge :
Depuis des mois entiers dans l'arche, son refuge,
Sans pilote^ Noé natiguait sur les eaux :
N'ayant toujours pas vu la terre reparaître.
Il lâcha, de la nef entr'ouvrant la fenêtre,
La colombe, choisie entre tous les oiseaux.
Pourtant les jours passaient sans que la messagère
Rapportât quelque espoir sur son aile légère :
Alors Noé lança notre martin-pêcheur ;
Mais fou de liberté^ d'espace et 3e lumière,
Martin fit tant et tant l'école buissonnière
Qu'il en oublia l'arche et le navigateur.
Il monta dans l'azur teindre ses plumes bleues ;
Dès sa première étape il avait fait des lieues
Kt son ventre gardait du jour l'éclat vermeil ;
Emeraude et saphir, sa tète éblouissante
Se dressait, et la terre, à ses pieds renaissante^
Déjà s'enaAtioùràit aux baisefs du soleil.
Cependant la colombe enfin était rentrée^
Portant de l'olivier une branehe sacrée,
Puis le grand patriarche, en un soir solennel,
Aux flancs de ^A^arat, montagne d'Arménie,
Avait fait consumer, l'épreuve étant finie.
Son arche en holocauste aux yeux de TEternel.
Et quand, pris de remords, honteux de son audace,
Martin-pécheur voulut se remettre à la trace
Du vaisseau qu'il avait sans nouvelles laissé,
Il ne le trouva plus et toujours marche, marche.
Demandant aux cours d'eau de quel côté va l'arche
Et si le vieux Noé sur leurs bords est passé.
Lucien Jent.
•>G|£r
GUSTAVE MATHIEU
Armand Stlves^re, i^n$ un article pari) 4^n9 le (7^ Bla^ du 6 mai
1885, iotUplé 4u,patfs des ip^vmrif p^ipt G. Mathieu ainsi |
€ Cbapeau gris sur Toreille ; œil toujours éiherilloané ; barbe blan-r
che et fleur à sa boutoonlère ; uo peu oapitan et un peu commissioBr
oaire en vin ; — exquis au demeurant, — Poète à ses heures, bàblemr
toujours : yoici Gustave Mathieu, un autre habitant de ce petit Paradis
terrestre p. (Il s'agit d'une façon de ferme en painiature, à vingt mètres
d'un coin de la Seine, délicieux entre tous, une maison et un jardin
tout rempli de bètes, comme si Tarche de Noé eût échoué là ; et, pojur
compléter Tillusion, sur le fleuve, amarré à la rive, un chaland traasr
formé en serre, tapissé à Tintérieur de plantes grimpantes, un second
logis, parfaitement habitable, dominant les têtes tremblantes des
roseaux. Cette installation d'artiste était tout proche du poat de Val-
Tius^ à quelques kilomètres de Fontainebleau). L'endroit appartenait à
H. Charles Fume, libraire.
Armand Silvestre ajoute en parlant de G, Mathieu {
c ... La silhouette de Gustave Mathieu s'encadrait à merveille dans ce
décor de vie rustique, et son image avait, dans la rivière, des frémis-
sements de spadassin prêt à dégainer dont la gent timide des gre^
nouilles devait être positivement épouvantée ».
« Il avait des histoires de sa vie de corsaire qui auraient stupéfié les
navigateurs ordinaires. Mathieu faisant stopper son brick et abordant
dans une Ile, parce qu'il avait la colique I II vous disait cela avec un
air de conviction sans réplique et croyait seul à ses aventures. Doué
d'une imagination vive, il concevait la profession de capitaine à bord
comme ressemblant beaucoup à celle de conducteur d'omnibus. Il s'ac-
cusait très sérieusement, pour avoir rencontré deux ou trois fois le
pauvre Cochinat dans les brasseries, d'avoir fait la traite des noirs. Il
chantait ses chansons avec une verve qui les faisait paraître admi<*
râbles. Quelques-unes sont belles, en effet ; témoin CAan/^to#> et cette
jolie ballade que La Fontaine chantait dans le Gascon de Louis Davyl
et qui avait pour refrain :
Mon grand-père était roaiigDol ;
Ma grand'mère était hirondelle^
272 REVUE DU NIVERNAIS
Mais revenons à G. Mathieu, en tant que Nivernais, au poète de la
soirée de Marzy. Nous avons vu Alphonse Daudet dis£nt que Mathieu
n'aimait la campagne qu'en vers. Il est de fait que dans son pays, i
part sa sœur qui pouvait apprécier ses élans vers la belle nature, les
amis qu'il fréquentait, qui étaient heureux de le posséder un instant,
étaient des citadins endurcis : l'avocat Balandreau, dont G. Mathieu
aimait < la honne figure rabelaisienne d ; Hippolyte Barbier, qui, pas
moins que son ami Roqueplan, ignorait la campagne; le docteur
Thomas, ne passèrent jamais pour aimer les champs. A Champvert,
chez M. Etienne de Vitry, où les plus gais d'entre eux se réunissaient,
soit pour une pèche d'étang, soit pour une fête du village, soit simple-
ment pour se rencontrer, les propos de table, au milieu d'amis et
d'amies venus de Paris, tenaient plus de place que les visites aux
beaux sites et l'extase devant les soleils couchants.
Chez les parents de Mathieu, à Beaumont-Sardolles ou à Verneuil, la
vie aux champs était délicieuse, mais là, gravement, dissertaient les gros
bonnets de l'agriculture, des personnages posés, avec signature ayant
cours à toutes les bourses agricoles.
G. Mathieu, admirable vagabond dans le royaume de la poésie, appa-
raissait comme une sorte de bohémien dans le domaine de la nature.
On l'applaudissait, comme on eût applaudi Pierre Dupont lui-même,
quand il chantait :
Petits enfants, n'approchez pas,
Quand voas courez dans la vallëc,
Du grand étang qui fuit là-bas
Dans le brouillard, sous lafeuillée.
Cependant, à Marzy seulement il était absolument compris, par cette
sœur heureuse de le retenir quelques instants près d'elle ; c'est là
qu'il a eu les impressions champêtres les plus pures qu'ils partagèrent
jusqu'à la fin.
G. Mathieu ne fut donc jamais un rural complet ; la forêt de Fon-
tainebleau, c'était encore Paris. Mais allez donc demander à un homme
de ce tempérament de vivre sa{?ement comme notre poète Millien. Son
csi^nL élail incapable d abarjEluii mysligiie ;U. MaLincii lic^aMurla pas
dans la nature; imhll [a tradtiisail résolument dans ]t^ m^tdto^Mtm
vives et naïves de [à vie. des champs qui ravaitiot impressionné dii
retifance. Il avait toujours saisi d'ailleurs la minute exacte de ta baiin<'
impressiau qu'il fixait aussitôt avec une singulière vivaeltèi Puis,
REVUE DU NIVERNAIS. 273
aussitôt, il éprouvait le besoin d*en faire part à un public d*amis, plus
désireux de la produire ainsi par la parole que par rintlmilé du livre.
C'est ainsi que Ton comprend comment on a pu se faire, d'après
l'inslant et le milieu, une idée différente de G. Mathieu, suivant qu'on
l'a plus ou moins connu ou qu'on a lu simplement ses vers.
Un jour, parbleu, il se souvint qu'il descendait d'agronomes, qu'il
était né dans un pays d'élevage, qu'il s'appelait Mathieu ; qu'Hésiode
et Virgile avaient fait, l'un, les Travaux et les Jours^ l'autre, les
Géorgiques; qu'en sa qualité de poète connaissant ses classiques anciens
(il récitait volontiers des vers latins], il était apte à donner comme eux
des conseils aux gens de la campagne ; quenfin il avait été navi-
galeur et comme tel connaissait la marche des astres. Et voilà pourquoi
il créa lAlmanach de Mathieu de la Nièvre^ au décès de Mathieu de
la Drôme.
[A suivre.) PAUL MEUNIER,
NOTES SUR LE CHATEAU DUCAL
ET SUR LE PARC
Au mois de brumaire an 111 -(octobre 1794) furent mis sous le
séquestre tous les biens de Louis-Jules Barbon Mancini, dernier duc
de Nivernais, se composant, entte autres choses à Nevers, du Parc, du
grand château et du p6tit château qui, avec leurs dépendances,
comprenaient tout l'espace s'étendant entre la maison occupée actuel-
lement par le Crédit lyonnais et la rue du Doyenné ; la rue Sabatier
n'était pas encore ouverte.
Ce séquestre fut levé le 3 pluviôse an VI (22 janvier 1798), Mancini
ayant été rayé de la liste des émigrés. A sa mort, arrivée le 7 ventôse
an VI (25 février 1798), les mêmes biens furent de nouveau séquestrés
sur sa fille et unique héritière, Adélaïde-Dîane-Hortense-Délie Mancini,
veuve de Louis-Ilercule-Timoléon de Cossé-Brissac. Ce second
séquestre fut, à son tour, levé presque aussitôt, mais, en vertu de la
loi du 9 floréal an III, l'Etat conservait certains droits sur ces biens,
par suite de l'émigration de Adélaïde-Pauline-Rosalie, épouse de
Victurnien -Jean-Baptiste-Marie de Rochechouart-Morlemart, flile de
M«»« de Cossé-Brissac. Cette dernière, sëtant rendue adjudicataire des
LV'Z £ .NIVER511S.
r ' -r-r. -17 i''^ reïi<t^i;;nt'inLMi:jï
. ~ r _-'^_: "•.-îj>. m [x-iil viil,i;x-
- - 1^ :-\"^- 1 - ,' .I3r-^ -iiidatS ;iv li.'iit
— . î'it i'-r r pr-'îuiLT jour «m a«Mis
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REVUE DU NIVERWAJS. 275
La municipalité fit de vains efforts pour faire annuler celte décision.
Le conseil municipal, voyant Tinutilité de ses efforts, consentit, le
30 pluviôse an XI (9 février 1803] à acheter le château conjointement
avec le département.
La loi du 17 floréal an XI (7 mai 1803), par ses articles 109, 110, 111
et 112 autorisa Tacquisition, savoir : 1"" par l'arrondissement, de la
partie au rez-de-chaussée, du côté du greffe actuel, jusqu'à la tour du
milieu, pour y établir le tribunal civil, moyennant 3.000 fr.; 2^ par le
département, de ce qui se trouvait au-dessus de cette portion, pour y
établir le tribunal criminel, moyennant 7.000 fr.; 3^ par la ville, de
tout le surplus du grand château, pour y établir le lieu des séances de
la municipalité, remplacement de ses bureaux, celui de Tessayeur de
la monnaie et le logement du curé de Saint-Cyr, du petit château et du
Parc, moyennant une rente de 1.500 fr. et une somme de 6.000 fr.
Cette solution fut très loin de contenter les habitants de Nevers.
Pendant quelque temps encore, ils essayèrent de faire rapporter cette
loi. Ils avaient tellement Fespoir de réussir que, sans tenir compte de
ses termes, par un acte sous signatures privées, en date du 29 pluviôse
an XIII (18 février 1805', M. Louis-Gaspard Dard d'Espinay, maire de
Nevers, acheta, au nom de la ville, du mandataire de M°»« de Cossé-
Brissac : c 1«> le grand et le petit château des ci-devant ducs de Nevers,
leurs dépendances, cours, bâtiments, jardins et généralement tout ce
qui se trouve dans Tenclos, ainsi que le tout s'étend et comporte ; 2® le
jardin appelé communément le Parc, avec les maisons, bâtiments et
aisances », moyennant une rente annuelle de 1.500 fr. et une somme
de 21.000 fr.
Mais, sur le refus absolu du gouvernement, la ville fut obligée de se
soumettre et la vente fut enfin régularisée, conformément à la loi du
17 floréal, par un acte passé devant Bareau, notaire à Nevers, le
29 septembre 1810, à la charge de payer: par l'arrondissement, la
somme de 2.962 fr. 50 ; par le département, celle de 6.912 fr. 50, et
par la ville, 40.487 fr. 50. Dans celte dernière somme, le Parc était
compris pour 30 000 fr.
Le département et la ville étaient depuis plusieurs années en jouis-
sance des immeubles compris dans cet acte.
Nevers ne possédait pas alors de théâtre. En 1808, une société,
composée de 73 habitants, se créa, au capital de 80 000 fr. divisé en
v^
. L
ftËVUE DÛ .^iVED^AtS. Ù,11
LES EXPOSITIONS DE NEVERS
A l*occasion du Concours régional de Nevers, un comité se constitua à Teflet d'or-
ganiser, à coté de TËxposition annuelle de la ^Société nrlistiquo, diverses expositions:
1" rttiosi>octive; 2" commerciale et industrielle, celte dernière sous la présidence de
MM. (i. Montagnon, Rollin et Pouillat. En quelques jours, le vaste hall de la Société
d'agriculture était merveilleusement transformé : deux salles recevaient la peinture,
une autre se garnissait des œuvres du passé, d'autres offraient les remarquables spé-
cimens de nos industries niveinaises actuelles.
Dans ces salons ainsi disposés pour le plaisir des yeux, le public nivemais se
donnait rendez- vous pour entendre, plusieuis fois dans la semaine, l'excellenle
musiqu€>de nos Socié'és: le Cercle syruphonique, la Lyre, VHannonie nivernaisCy etc.
et cello du 13" d'infanterie. Des /tirtisies distingués s'y tirent applaudir et ce fut,
(>endant près de deux mois, comme une fêle sans cesse renouvelée.
Nos artistes ni vernais affirmèrent une fois de plus leur talent. Nous aurions voulu les
voir tons suivre Texemple donné par deux d'enl'^e oux, G. Mohier et Martin des Amoi-
gne5(|ui, dans un ensemble remarquable, nous ont offert comme la synthèse de leur
carrière artistique: Molher, animalier, peintre de fleurs et de paysages, céramiste,
émailleur, sculpteur ; Martin des Amoignes avec ses portraits, ses paysages, ses
panneaux décoratifs. Ces deux seules expositions particulières font grand honneur
à l'art Hivernais. Nous retrouvons à côté d'eux des œuvres de Pail, de Monteignier^
de Garcement, de Perrier, de Barillet, de Comoy, de Mûri, etc. Berthault, très varié aussi
dans son œuvre, avec de bons portraits, des tableaux de genre, de charmantes
aquarelles; M"»* Martin des Amoignes, avec d'exquis panneaux de fleurs. M. Matisse
se montre le peintre personnel et distingué que nous connaissons. Cyr Degiiergue
broi«se des coins de nature avec sa verve habituelle. Et voici de bonnes toiles de M.
(iaullieron, des ou \ rages intéressants de MM. Guyonnetet Limontagne, de bons pastels
de M'"'' la comtesse Iinbarl delà Tour. Nous oublions ccrtiiinement bien des numéros
dans celto revue si rapide. Le Ihoghxc de IJoisseau nous arrête au passage : cette
statue va prendre place au musée qui la tient d'un don de l'Etat. >!■"• Signoret et
M. Marquct repit^senlont avec distinction la sculpture nivernaise.
Impioviséeen peu dejoui-spar quelques cliercneui-s érudits et artistes sous la direc-
tion do M. de Saint- Venant, l'exposition rétrospective mériterait à elle seule de nous
ocCTiper longtemps. Et nous ne pouvons que passer devant ces vitrines où s'étalent
pour le charme du regard les belles faïences qu'y ent apportées MM. Ferrier, le doc-
teur Charpentier, Mouton, Fieffé, etc., devant ces émaux de Nevers si curieux et
si reiheichés ; ces statuettes, ces verres, ces Ix^lles reliures, ces meubles ; sans
parler de toutes ces reliques de r( poque gallo-romaine et des époques antérieures.
C'est un intérêt d'un autre genre qui s'attache à l'exposition commerciale et indus-
trielle. Voici d'abord la faïence de Nevers: à tout seigneur tout honneur. M. G.
Montagnon maintient ferm^^ment le vieux renom de nos céramistes; il expose des
pièiei* de premier mérite. M. Hiver et M. Marest ont aussi des S|>éciiiiens remarqua-
bles. Le premier nous otïre plusieurs de ces assiettes à ports'ttits et « musique^ au
ino^en desquelles M. Ferrier veut greffer une braiulie nouvelle sur le vénérable
tronc de notre faïence nivernais'». Il ne copie et ne pa«tiche rien : tout en restant dans
la tradition, il innove, en ce sens que les faïenciers tie Nevers n'ont jamais décoré
leurs pièces par des portraits ou des aii^ de musique f)opulaire. 11 veut faire ce
qu'auraient fait, il ) a deux siècles, par exemple, nos vieux maîtres, s'ils avaient eu
ridée de tracer sur leurs assiettes un portrait ou de noter une chanson, ce c^u'on a
fait ailleurs que chez nous. Les piétines et wm»-6res industriels de La Chanté, les
grès flammés de Saint-Parize-le-CliAtel, les bro.izes d'art de M. Collet, la poterie de
Saint-Honoré, les mosaïques de MM. Favret et Dinardat attirent et retiennent notre
attention. El que de choses inléressantis à divers points de vue; M. Vallet démontre,
par des appareils très simples de forme et de fonctionnem**nt, les avantages de l'acé-
tylène. Voici les ouvrages de la Société des jeunes apprentis; ceux de l'Ecole profes-
sionnelle Deby, dont les succès sont constants et multiples. Voici les expositions
de la photographie et celle du Uroupe d'émulation artistique^ jeune société d'ama-
teurs dont le premier concours a été remarqué à juste titre.
Le concours de musique^ préparé pour les âO et ^l juillet, promet d'être extrême-
ment brillant si l'on en juge par le grand nombre de sociétés inscrites. 2..i00 exé-
cutants doivent faire entendre le morceau d'ensemble : Marche des EduenSf musique
écrite par le zélé directeur du Cercle symphonique, M. Bardot, sur une poésie de
jttolre directeur, M, Achille Millien, u R.
I
•e ^
à
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Jane de la Vaudêre. - Vamazone du roi de Siam ; in-18, 3 fr. 50, cher
Ernest Flammarion, rue Racine, 2(>.
Jane de la Vaudère, Tauleur de ce» délicates poésies que l'Académie française a
dis'inguées et de ces romans capiteux tant appréciés de notre génération curieuse de
frissons nou^rcaux, vient de publier ce volume de 300 pages qui nous transporte horâ
de nos mœurs et de loin nos latitudes. C'est à la cour du roi de Siam (qu'elle a cherché
son hôroïne. une de ces amazones qui font vœu de virginité et vivent dans une
almoFpItère de dangers, de rêveries, de plaisirs. Imagination brillante, servie par un
sivie lour à tour caressant et emporté. Si l'on peut dire que les mots ont un parfum,
récriture de Jane de la Vaudère exhale les senteurs puissamment excitantes ou
amollissantes des fleurs du pays qu'elle dépeint. Ce roman, qui n'est pas fait pour
élre mis entre toutes les mains, devait obtenir et obtient, auprès des lecteurs avides
de descriptions étranges, Taccueil qui a fait le grand succès de ses aînés.
D'un tout petit et gentil recueil de vers publié sous ce titre: Juveniliay essaie
poetiffues, par M. Alfred Gucnin, chez M. J. Varncy-Verniot, à Langres, nous déta-
cboiis la jolie pièce suivante :
LA MORT D»UN ROSSIGNOL
Kn passant ce soir auprès d'un vieux cbéne,
J'ai trouvé, rigide et froid sur le sol,
ta paupière close, un vieux rossignol.
Le long d'un sentier pierreux de la plaine.
Son gosier sonore, à jamais sans voix,
Ne chantera plus dans les nuits d'automne,
Mêlant ses accents an cri monotone
Du bibou qui pleure au fond des grands bols.
Le cœur amoureux du vieux virtuose
Dormait le dernier, l'éternel sommeil
Du divin néant, sans fin, sans réveil,
Sans noir cauchemar et sans rêve rose.
J'ai pris, dans ma main, le pauvre oiseau mort.
L'œil était terni, la patte roidie.
Le bec entr'ouvert, l'àme refroidie.
Tué d'un seul coup par le vent du nord.
Et j'ai dit : « Mon Dieu, Dieu prudent et sage,
0 Dieu de l'amour et de la douleur,
Donnez-moi sa voix, donnez-moi son cœur ;
Dussé-je mourir, frappé par l'orage ! •
Voilà, ce notis semble, une petite pièce qui révèle un vrai talent de poésie.
Gautron du Coudray. — Pochades morvctndeltes ; Louis Ceyrolle, éditeur
5, boulevard du Palais, Paris. — In-8* carré, 1 fr. 50.
Notre collaborateur M. Gautron du Coudray nous ofTre une jolie plaquette de
poèmes agrestes, comme qui dirait un album de quatorze croquis pris sur le vif. Maint
280 ttfeVUE t)U NlVÊlïNAlS.
détail bien rendu rv\iAe une obserfalion juste et une heureuse expression. On feuil-
lette avec plaisir cette petite collection des Pochades, à laqirelle l'auteur donnera
certainement une suite, avec un crayon plus ferme et plus habile encore :
O Morvan tavelé par la bruyère rose,
Où l'eau ( 'i;inte le long des vallons qu'elle arrose,
Où le ciel lileu se mêle aux blancheurs des bouleaux...
Tes horizons changeants se teintent de pervenche;
Aux approches du soir, leur grande ombre se penche
Sur les étar;:s nacrés assoupis dai*s les bois...
Voilà des vers gracieux. Ils nous sont présentés sous une forme typographique Iréf
élégante, comme devrait toujours relie la poésie.
Notre excellent collaboi-ateur M. C.aslon Gauthier qui. depuis plusieurs ann<'>os.
dirige avec tant de succès les fouilles de Champverl, donne en une hrochure de
±2 pages m-S", un exposé des dét ouvertes en ce qui i oncorne le? bains d«» la villa.
Des plans, des dessins, une vue densembl*», concourent à donner une clarté parfaite
à son compte rendu. Applaudissons de nouveau au zèle éclaii^é de M. G. fiauthîer,
grâce auquel I histoire gallo-romaine de notre pays vient de s'augmenter d'une
nouvelle page du plus haut intérêt.
NOTES ET ÉCHOS
,\ Nos compatriotes. Sont nommés: chev.dier de la Légion d'honneur. M. François
Trechot, chef de la maison Trécliot au (k>ngo ; — officiers de rinstructioii puhliqap,
MM. le professeur Cauret, Denis, secrétaire de l'inspection académique; dotieur Bide,
notre collaborateur Théophile Kranchy ; — ofliciers d'académie, MM. I3eiume, Thorax,
le professeur Foucault, Ledroit, Ribaillier, instituteurs; M"* Uullaiid, professeurs
l'Ecole normale ; — chevaliei^ du Mérite agricole, MM. Donnault, Chevalier,
Demerson, Garilland, Andras de Marcy, Surier.
/. Le général Trémeau est nommé divisionnaire.
/. MM. Georges Gallard etCh. Bourgoing-Dumonteil viennent de subir les examens
du doctorat en droit devant la Faculté de Paris.
/. La musique du 13» d'infanterie, nue dirige si brillamment M. Dailly, donne
depuis (|uelques semaines la marche de Pénavaire: Musettes et Clairons, popularisée
par la musique de la gai de républicaine et celle de plusieurs autres réginients.
/. Les baigneurs commencent à affluer à nos deux sLitions thermales Pougues et
Sa'inl-Honoré qui rivalisent de charme et d'attiactions : excellentes troupes, concours
divers, fétt^ de jour et de nuit, etc. Quel attrait doivent avoir, par cette température
sénégalienne, les ombrages épais de Saint-Honoré rafraîchis pai les brises du
Morvan!
•. Rectifions une erreur qui nous est signalée. Notre collaborateur M. Ed. Achard,
dans sa i-evue des Salons, regrelUit de n'avoir pas trouvé le Panneau dAitt-alif pour
cabtnet de tt-avail^ de Martin des Amoigms et, sur la foi d'un gardien, crovait que
ce tableau ne figurait qu'au catilogue. Plusieurs visiteurs ont vu, et nous disent avoir
hautement apprécié ce pannetm exposé dans la section réservée à l'art décoratif.
L'erreur est facile : il nous est ariivé plusieurs fois de chercher infructueusement td
tableau dont nous possédions le numéro.
.', L'académie des sciences morales et politiques vient de décerner une part do
prixBoidin à notre compatriote M. Paul G ri veau, avocat à la cour d'appel de Paris,
pour son i Etude sur la resjtonsabililé des accidents du travail ».
.'.Le concours musical de Nevers des 20 et 21 juillet, favorisé par le temps, a
pleinement réussi. La ville s'était merveilleusement fleurie et pavoisëe. Très bnia
concert offert, au théâtre, par le Choral et l'Harmonie de la BelleWardmière, avec le
concours d'artistes distingués. Notre compatriote, M. Jules Meunier, coutomier do
succès, y a été chaleureusement applaudi pour la musique du Noël ; l'Enfant rose^
écrite par lui sur une poésie de M. Achille Millien. L. D,
Le DirecieuT'Géraniy Achille Hiluer.
IHrtrt, tmp. Ç, V4H/tr%
FRÈRE PABLO
u temps que les farfadets couraient les
roules et que les seigneurs habitaient
dans les châteaux, il y avait à Bois-
TAbbé, qui est un endroit à mi-chemin
de la paroisse de Vic-sur-Aubois et de
celle de Montgenoux, un capucin qu'on
appelait frère Pablo. Il desservait une
petite chapelle qu'avait fait bâtir une
femme noble, en commémoration de
défunt son mari qui était mort dans les pays étrangers. Mêmement
frère Pablo était un homme entendu dans sa partie et je vois bien
qu'il avait une manière à lui de chanter des messes tout à fait
plaisantes au monde. J'ai souvent ouï dire à feu ma grand'mère
qui est décédée à soixante-quinze ans passés que, du temps de sa
jeunesse, le grand-oncle de son pauvre homme avait connu frère Pablo
comme je vous connais.
7> Mais en voilà assez sur ce digne prêtre du bon Dieu et il est bon
que je vous mette au courant des choses qu'il a accomplies durant sa
vie. Dans une histoire de saint Eutrope qu'il avait sur un vieux livre,
frère Pablo avait trouvé la recette pour guérir les cors, engelures,
arbîllons, brûlures, verrues, panaris, fluxions, forçures, fistules,
gravelle, gerçures, crampes, mal caduc, élidures, ennuis de femmes,
palpitations et autres maux qui ne sont pas pour nous faire plaisir.,
» — Vois le diable ! dit Jean Bonnin par façon d'admiration.
D ^ Et je puis vous assurer, au dire de ma grand'mère, que par le
moyen de saint Eutrope, il guérissait ainsi beaucoup de personnes de
12
282 BEVUE DU NIVERNAIS.
la paroisse qui étaient atteintes des maladies dont je vous parle.
Mémement il opérait pour rien, confiant en ce que le Tout-Puissant —
Omnipotens — au compte de qui il travaillait, lui rendrait au centuple
capital et intérêts le jour de la grande paye. Il acceptait seulement un
verre de petit vin de Châteaumeillant et un morceau de lard quil
préférait à toute sorte d'aliments. Sans compter qu'il ne s'en allait
jamais sans donner un sol aux petiots qui étaient là et sans rappeler à
la compagnie que la religion c'est la consolation de la vie, le remède
universel et le dernier recours en cas de danger : periculum pericuh,
comme il disait en son langage d'église.
» Ce pendant que ce saint homme de prêtre vivait, il y avait arU à
Bois-l'Abbé une femme qui faisait profession de tirer les cartes et
qu'on connaissait sous la sornette de mère Bizorette. La mère Bizo-
rette, sans qu'on sut où elle avait pris son talent, pouvait défaire, par
la vertu de ses barrages, tout ce que faisait frère Pablo par le moyen
de saint Eutrope. Aussi, quand l'un avait passé, il ne fallait pas essayer
de l'autre : on en était quitte alors pour des chatouillements et des
piqûres qui, sans être vanneuses, étaient « si pourtant » gênantes. C'était
comme si la vertu de Tun eût lutté contre le pouvoir de l'autre. Aussi
il y avait apparence que la mère Bizorette agissait par inspiration de
Satan, autrement nommé le diable, vu qu'elle faisait t au nom du père »
de la main gauche et qu'elle récitait, au dire de ma grand'mère, ses
prières à Tenvers. Ce n'était pas naturel, comme vous pouvez penser.
^ — Je le pense, ajouta Jean Bonnin.
» — Mémement elle n'était pas respectueuse pour les saints du
paradis, attendu que frère Pablo en ayant fait tailler un dans une
souche de poirier qui ne rapportait pas, elle se refusait à le prier sous
prétexte que, n'étant pas bon poirier, il ne pouvait être qu'un chélif
saint.
1 Jean Bonnin ouvrit la bouche, mais ne put exprimer son idée»
Pierre Pilotât ayant repris :
, — Vous comprendrez donc que frère Pablo, ennuyé de cette
concurrence, voulut, avec l'aide de Notre-Seigneur, l'écarter honnête-
ment. Il fit, avec le père Guerceau, des Varennes, et Etienne Darcy,
du Moulin-Brûlé, une neuvaine à saint Eutrope et, le neuvième jour,
il imagina de réunir à la Croix des Quatre-Chemins, par le son de la
cloche, les habitants des villages voisins. Quand ils furent tous arrivés,
BfiVUE DU NIVERNAIS. 283
il les sermonna comme il était accoutumé de le faire au prône de la
grand'messe : c Mes frères, clama-t-il, je me suis brûlé la main droite,
» que voici enveloppée dans mon mouchoir, et je ne peux plus offrir
D le saint sacriQce. Il faut que je sois guéri dimanche, sinon je serai
» obligé de demander mon congé à M*^' TEvêque. Prions donc. On m'a
> conté que ma fille très chère en Notre-Seigneur, Jeanne-Marie-
» Solange-Louise Duradois, dite mère Bizorette, pansait de secret, et
> je serais heureux qu'elle voulût me barrer. Seulement, auparavant,
> je voudrais savoir par la veriu de qui elle opère. Je lui propose donc
» de traiter publiquement ma main trempée dans Teau bénite. Si elle
1» la rend intacte, ce sera par Tinspiration de Dieu qu'elle agira; sinon
> ce sera par celle de l'enfer, et alors je vous conseillerai de ne plus
1 jamais lui confier vos maladies, de peur qu'elle ne vous damne ».
» La mère Bizorette, qui était assise, à ce qu'on raconte, près du
barreau du champ de Dumont, ne répondit pas.
• — Mère Bizorette, répondez ? tonitrua alors Guerceau.
» Et la mère Bizorette, cette fois, se leva et cria un mot que je ne
veux pas répéter, attendu qu'il n'est pas convenable en société...
» Là-dessus frère Pablo déplia sa main, qui n'était pas brûlée.
» — Remercions Dieu, mes frères, d'avoir laissé tomber dans le
piège de ma petite imagination la mère Bizorette, servante de Belzé-
buth!
> On chanta le 7*^ Z^^um et plus jamais la mère Bizorette ne pansa
au Bois-l'Abbé.
> Le plus drôle, c'est que, ce jour-là, le vent dans les arbres faisait :
hou ! hou I Tout ce que je viens de raconter, ça n'est pas par manque-
ment à notre religion.
» — Je comprends bien I dit Jean Bonnin tout pensif »•
Joseph Ageorges.
284 REVUE DU NIVERNAIS.
LE RÉGIMENT QUI PASSE
Je l'ai revu passer, ô raon beau régiment,
Marchant fier, le front haut, en rythmant ta cadence
Aux accords des clairons sonnant allègrement,
Et mon cœur de soldat a vibré d'espérance
J'ai revu défiler tes rouges bataillons,
Hâlés, mais pleins d'ardeur, dans la grise poussière,
Avec les vieux sergents devant leurs sections
Que domine l'acier de l'arme meurtrière.
J'ai revu ton drapeau de tabis brodé d'or.
Sur la troupe flottant, souvenir de victoires.
Et dans mes yeux troublés est apparue encor
La vision des preux, des combats et des gloires î
Gautron du Coudray.
LE 12e MOBILES
AUX ARMÉES DE LA LOIRE ET DE l'EST^*)
CAMPAGNE DE LA LOIRE
l^« Période
Le n août 1870, les officiers de la garde mobile de la Nièvre reçurent
leurs brevets (2) ; le 24 du môme mois eut lieu le premier appel ;
le 21 septembre, les bataillons furent formés en un régiment qui prit
le n"" 12, et le^ septembre au soir, deux bataillons débarquèrent à
Orléans, par la voie ferrée. L'état-major et le premier bataillon devaient
rejoindre le lendemain.
Deux mois auparavant, il n'était pas question de la garde mobile ;
après nos premiers revers, on avait songé, mais un peu tard, à utiliser
(1) Nous commençons aujourd'hui l'historique, plein d'intérêt pour nos compa-
- triotes, de ce régiment improvisé des mobiles de la Nièvre qui ne fit pas mauvaise
figure dans la rude campagne de 1870. L*auleur, un officier du régiment, veut garder
Tanonyme, mais tous ses anciens camarades et bon nombre de nos lecteurs le
reconnaîtront facilement. (Note de la Direction,)
(2) Nommés avant le 4 septembre, les officiers de la Nièvre ne furent jamais
fournis à rélection. *
REVUE DU. NIVERNAIS.
285
les forces vives du pays, forces sur lesquelles comptait tant le maréchal
Niel, de regrettable mémoire.
Mal chaussés, à peine vêtus, les gardes mobiles ont montré pendant
cette campagne ce que l'on pouvait attendre d'eux, si Ton eût donné
suite aux projets du maréchal, et s'ils avaient compté seulement une
année d'existence comme corps organisé.
Voici quelle était à cette époque la composition des cadres du
régiment :
Lieutenant-colonel : de Bourgoing.
'4
1
!••
2-
3-
5*
V
CHEFS-UEUX
des
Compagnies
CAPrTAINES
LIEUTENANTS
SOUS-UEUTENANTS
•«• Bataillon.
Chàteau-Chin..
Châlillon
Montsauche....
Moulins-Eng...
Corbigny
Lormes
Tannay
- CHATEAU-CHINOI
du Pré de Suint-Maur.
Comte.
Guillaume.
Foulon.
Guénot-Grandpré.
de Labrosse.
Langlois.
1. — Chef de bataillon
Esmoingt.
de Bréchart.
Pelletier de Chambure
d'Espeuiiles.
de Certaines.
Hculhard deMontigny.
fiiiillnm.iin Ha TaIah.
: DE Pracomtal.
de Malart.
André Massin.
E. Boimeau du Martray
P. Bonneau du Martray
Maurice Massin.
N.
Octave Jourdan.
t DE MONCORPS.
N.
N.
Gallié.
Frédéric Frottier.
MàrUnet.
Bitard.
Henry FrotUer.
E Veyny.
Mignot
Danteloup.
Fournier
Blaudin de Thé.
Bertaux.
Blanchet.
de Vitry.
Chirurgien : Comoy.
2*
3-
4*
5»
6«
7-
a« Bataillon
Garaecy..
Varzy
. - COSNE. — Chef d<
Josserand.
Meunier.
Ludovic Tiereonnier.
Paul Tiersonnier.
Charbois.
Pétry.
Meysonnier.
Chirurgier
i bataillon : de Savigni
Cornu.
deCooveUiredeRoofeTtlls.
Lasnier du Colombier.
Gillois.
Ruby.
Soucques.
Chai les Frottier.
1 : Picard.
La Charité
Cosne
Donzy
Pouilly
Saint- Amand...
1'«
3eBat(
Brinon
ftiUon. - NEVERS. -
Dumas.
- Chef de bataillon : D
Soupe.
Miellé.
de Montrichard.
Leblanc.
Coujard de Laplanche.
Lauvernay.
F. Flamen d'Assigny.
Dézautiêres.
2*
3»
4*
5*
7*
Decize
de Noury.
Fischer,
H. Flamen d'Assigny.
Charlenet
Gallois.
de Saint-Vallicr.
Chirurgien :
Saint-Pierre el
Bornes
Saint-Saulge. .
Pougues
Fourchambaull
St-Benin^'Azy
286 REVUE DU NIVERNAIS.
L'abbé Cachet était attaché au régiment comme aumônier volontaire.
MM. de Talon, Martinet et Mignot remplissaient, dans leurs bataillons
respectifs, les fonctions d'adjudants-majors.
Le régiment comptait donc trois bataillons de sept compagnies à
cent cinquante hommes.
Les compagnies de Luzy, Prémery et Nevers restaient au dépôt ;
elles avaient versé aux compagnies de marche tous les hommes de
bonne volonté, et reçu les hommes mariés ainsi que les soutiens de
famille. Ces compagnies devenues ainsi fort nombreuses servirent de
noyau à la formation de deux nouveaux bataill;)ns, qui prirent les
n*»' 4 et 5, et dont les officiers furent pour la plupart recrutés dans nos
rangs. Les 4* et 5« bataillons firent partie de l'armée de la Nièvre, sous
les ordres des généraux de Pointe de Gévigny et du Temple.
S3 septembre. — Rien n'était prêt pour recevoir le régiment à son
arrivée à Orléans ; les hommes furent logés chez l'habitant ; ils rece-
vaient alors un franc par jour, pour subvenir à tous leurs besoins ;
mais le pain manquant chez tous les boulangers, quatre compagnies
du 3« bataillon, arrivées la veille à marches forcées de Chàteau-Chinon
fit embarquées à Cercy-la-Tour, sans avoir pu s'en procurer, eurent
à souffrir de la faim dès le premier jour de l'entrée en campagne.
Les commandants de Veyny et de Savigny furent mandés chez le
général de Polhès ; ce dernier, arrivé la veille, était chargé d'organiser
la défense d'Orléans, menacé par un corps allemand détaché de Paris.
Les généraux de brigade Bertrand et Faye commandaient, sous ses
ordres, ce qu'on appelait pompeusement l'Armée de la Loire. A celte
époque et en y comprenant les régiments de la Nièvre et du Cher, il y
avait, devant Orléans, dix mille hommes à peine.
A leur retour, nos commandants nous apprirent qu'une compagnie
de tirailleurs algériens s*était laissée surprendre dans la forêt ; on avait
des inquiétudes ; nous devions donc nous tenir prêts à marcher.
S4 septembre,— Le iendemd^myi huit heures (24 septembre), le régi-
ment, y compris le i^"" bataillon arrivé dans la nuit, était réuni sur le
Mail ; l'ennemi n'ayant fait aucun mouvement sérieux, nous reçûmes
Tordre de séjour.
24-25 septembre. — Les journées du 24 et du 25 furent consacrées
aux revues d'armes et d'équipement ; le régiment toucha des couvertures.
Le lycée fut désigné comme ambulance et les médecins du corps s'y
iŒVUE DU NIVERNAIS. 287
établirent. Les fusils qui se trouvaient en mauvais état et qu'on ne
pouvait réparer, faute de temps, furent échangés contre les fusils de la
garde nationale.
Ces fusils à baguette, modèle 1862, étaient parfaits mais n'inspiraient *
que peu de confiance aux hommes qui demandaient des chassepots.
Le 25, à sept heures du soir, les officiers du 3« bataillon étaient réunis
à rhôtel Saint-Agnan ; le colonel entre et leur dit qu'une forte colonne
ennemie étant signalée sur la route de Paris, le régiment est désigné
pour marcher et prendre ses positions en avant d'Orléans. En un clin
d'œil, tout le monde est debout; on sonne la marche du régiment, les
officiers parcourent la ville en appelant aux armes tous les mobiles
qu'ils rencontrent et, trois quarts d'heure après, plus de deux mille
hommes étaient en bataille sur le Mail. Les retardataires arrivaient de
tous côtés, quand parvint l'ordre de faire rompre les rangs et de
renvoyer les hommes à leurs logements, en les convoquant pour le
lendemain ; les craintes étaient exagérées et rien ne menaçait, pour la
nuit du moins.
Le souvenir de celte petite alerte est présent à la mémoire de tous ;
j'en ai fait mention ici pour constater seulement jusqu'à quel point
l'amour du devoir animait alors ces jeunes gens, arrivés presque tous
au premier appel, malgré les difficultés causées par leur dispersion
dans les différents quartiers de la ville et l'éloignement de leurs
logements. Puisque le mot logement est prononcé, rappelons en passant
l'hospitalité que reçurent, à l'évêché d'Orléans, les hommes de la
4* compagnie du 3^ bataillon pendant les deux séjours que le régiment
fit dans cette ville ; les circonstances seules empêchèrent leur capitaine
d'aller en remercier le vénérable évoque. La France connaissait en lui
le grand orateur, les cruels événements de 1870 lui révélèrent le grand
citoyen.
26 septembre, — Le 26, à huit heures du matin, le régiment après
avoir reçu du pain pour un jour, prit la route de Paris. Au village
de Cercottes, on fit halte sur la lisière de la forêt, en attendant le
résultat d'une reconnaissance poussée en avant par des dragons et des
hussards, soutenus par des mobiles du Loiret (commandant de Rancourt).
On se préparait à abattre des vaches dont le colonel avait ordonné
l'acquisition, quand Tordre arriva de reformer les rangs. Trois compa-
gnies du 2« bataillon furent envoyées en avant dans la direction de la
NOTES ET ÉCHOS
,*, Nos compatriotes. — Sont nommés : chevaliers de la Légion tl'honneur : MM.
le docteur Jules Renault, le très distin{]^ué médecin des hôpitaux de Paris: le docteur
Paillard, maire de Varzy; Alfred Bon neau, président de la Chambre des liquidations
judiciaires; C.-R. Corbier, commis principal au ministère de la marine; — chevalier
du Cambodge, le capitaine du génie Pacton; — professeur de physique à la faculté
de Besançon, M. Perreau, docteur ès-sciences, nommé aussi officier de rinstruction
publique.
,% M. l^ené Brossard, dont nous avons eu plaisir à mentionner souvent les brillants
succès classiques, sort de l'Ecole polytechnique avec le n« 13; M. Debœuf, de l'Ecole
navale (n* 44).
,% M. Maurice Mignon, licencié ès-lellres, élève de l'École des hautes-études, vient
de subir les épreuves de la licence en philosophie et M. Jean Locquin celles de la
licence ès-lettres.
,'. M. Alexis Fruit, rédacteur en chef de l'Indépendant de la Charente-Inférieure^
est nommé sous-préfet de Segré.
/, Distributions de prix : à l'Institution Saint-Cyr, sous la présidence de Mgr Lelong.
Disrours de M. l'abbé Pautigny sur « Lacordaire et les jeune gens » Prix spéciaux :
Gaston Falcoz, FVançois Rontard, Abel Thépéiiier, Henri Métairie. — A Pignelin
(20 juillet). Remarquable discours en vere prononcé par M. l'abbé Picot : • Simplicité et
droiture ». (Ce discours a paru, imprimerie et librairie L. Cloix, en une plaquette de
11 pages). Prix spécial : Marcel Chevalier, Geoffroy Grandveau. — Au l}cée, prési-
dence de M. le sénateur Pelitjean; discours de M. le professeur Larousse sur
« l'éleclricité pendant le xix« siècle... ». Prix spéciaux : Gustave Vavon, Emile
Poupet, Abel Demimuid, Louis Duret, René Méchin, Félix Martin. — A l'Institution
Deby, présidence de M. Legrand qui a prononcé une allocution applaudie.
.\ Au roncours général des lycées des départements, celui de Nevers a obtenu six
nominations : mathématiques, h prix, FI. Poupet, Martin, G. Vavon; — philosophie,
7» accessit, E. Poupet; — physique et histoire naturelle, l**" prix, Ch. Marioton;
6» accessit, Marcel Champenois; — anglais, l»"" accessit, Abel Deroimuid.
/. Le Groupe d'émulation artistique ouvre un concours de fleurs qui sera elos le
25 septembre et un concours de photos qui sera clos le 15 octobre. I>emander les
programmes à M. Guyonnet. 17, rue Saint-Etienne, à Nevers. Nous ne saurions trop
engager les amateurs à prendre part à ces concours.
/, Décès à quatre-vingt-six ans de M. Algar Griveau, juge honoraire à Nevers,
auteur de : Etude sur la condamnation du livre : Maximes des saints (1878) — et
de deux volumes d'Etudes de biographie et d'histoire, L, D.
/, Le docteur Eugène CoUin, le très distingué doyen des médecins de Saint-Honoré,
vient de mourir h soixanle-dix-scpt ans. Depuis quarante-quatre ans, il pratiquait la
médecine dans cette belle station thermale de notre département, au succès de
laquelle il avait largement concouru par ses ouvrages appréciés et l'exercice d'une
sûre et prudente thérapeutique.
,*, Le 2i août a été érigée, à Saint-Pierre-le-Moûtier, la statue de Jeanne d'Aïc,
libératrice de cette ville. Nous avons plusieurs fois entretenu nos lecteurs de l'œuvre
remarquable de M™» Signoret-Ledieu, à laquelle nous offrons de nouveau nos compli-
ments. Nous reviendrons sur cette cérémonie d'inauguration.
Le Directeur-Gérant y AcHlLLE MlLLlEN.
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Nouvelles, contes, légendes. — Joseph Ageorges, Frère Pablo. 281
Emile Guillaurain, la fin de Jeanne 233
Françoise d'Husselles, La Briffaude 5
— Mornsette 97
— Le Verger chantant 137, 161
Jà, Le Tabellion amoureux 33, 68
Louis Mirault, Le mariage de Toine Piaulât 257
F. Moireau, Contes à mes Enfants : La Légende des Bctufs, 90
— — La Maison des Hirondelles, 209
Myriam, En Voyage 185
— Le Rouet 262
Jules Pravieux, En Engadine 113
Louis Taverna, Musette 39
— Le Noël de Nanette 82
Odile Thiault, Changeons d^ Maire 58
— Impressions de Voyage 150
Archéologie locale. Etudes historiques, philologiques ou
LITTÉRAIRES. — Bérifran, A propos de Liberté Philosophique, 1 77
R. Bujon, Coup d*œil rétrospectif sur la plus récente de
nos Révolutions 74
Louis Boulé, Un Poète (Yves Berthou) 248
Ed. Duminy, La Question sous Louis XIV 25
— Notes sur le Château Ducal et sur le Parc . . . 273
Gaston Gauthier, Les Bouviers Morvandeaux dans le
Decizois 45
Lucien Jeny, Le Dolmen de la Forêt de Verdun en Morvan . 62
M. de la T., Notice sur le château de Saint-Franchy 203
L. D., Un peu de rêve 196
Abbé J.-M. Meunier, La prononciation du latin classique^
220 243 289
Paul Meunier, Gustave Mathieu. . . . .167, 192, 216, 271, 295
Fernand Richard, Les Poètes de l'Amour^ 57, 125, 145,
171, 199 265
M. V., Lettre d'une jeune fille à son fiancé 131
X.y Le i2^ Mobiles aux armées de la Loire et de VEst 284
Beaux- ARTS. — Ed. Achard, Les Nivernais aux deux Salons. . . 238
L. R., 6* Exposition de la Société artistique 43
— Les Expositions de Nevers 277
FOLK-LORE. — Emile Blin, Le Jugement de Saint-Pierre 226
Achille Millien, U Homme sans Peur^ conte populaire
(trois versions) i8, 21, 121
— Petites Légendes populaires 77
9-f
304 TABLE DES MATIERES.
PagM
Poésie. — Alberte, 192. — Henri Bachelin, 17, 66, 88, 155,
261. — Joséphine Bégassat, 62, 119, 242. — Louis
Boulé, 170. — Fr. Bry, 153. - Eugénie Casanova, 39,
112, 219. — Comtesse de Champs de Salorges, 253. —
Paul Clerget, 130. — E. Dussert, 130. — Théophile
Franchy, 95, 225 — Eug. Garry, 46, 154. — Gautron du
Coudray, 43, 284. — Françoise d'Husselles, 42, 81, 176,
198, 215. — Lucien Jeny, 24, 89, 106, 270. - Mêla, 288.
— Al. Piedagnel, 88. — Jean Rameau, 219. — Paul Ban-
dieu, 150. — Fernand Richard, 16. — M. V., 175. —
Guy de Veydel 144
Poètes néerlandais. — Traduits par Achille Millien, 28, 53,
66, 133, 156, 179, 205, 228, 254, 278 301
Le Mois. — L. D., Livres et Périodiques^ Notes et Echos^ 31, 56,
79, 110, 136, 160, 183, 207, 232, 256, 279 302
Illustrations. — Dessins (dans le texte ou hors texte) de Auguste
Berthault, L. Legendre, Lubin de Beauvais, M**« Alexan-
drine Mathieu, Péaron.
*^
tttinri, Imp. C Vsiittrm.
DATE DUE 1
1
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